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University of Toronto
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NOUVELLE
ENCYCLOPÉDIE
THÉOLOGIQUE,
OU NOUVELLE
SÉRIE DE DICTIONNAIRES SDR TOUTHS LES PARTIES DE LA SCIENCE RELIGIEUSE ,
OFFRANT, EN FRANÇAIS ET FAR ORDRE ALPHABÉTIQUE,
LA PLUS CLAIRE, LA PLUS FACILE, *,A PLUS COMMODE, LA PLUS VARIÉE
ET LA PLUS COMPLÈTE DES THÉOLOCIES.
CES DICTIONNAIRES SONT CEUX :
I)E BIOGRAPHIE CHRÉTIENNE ET ANTI-CHRÉTIENNE , — DES PERSÉCUTIONS, —
d'éloquence chrétienne, — de littérature id., — de botanique id., — de statistique^, —
d'anecdotes id., — d'archéologie id., — d'héraldique id., — de zoologie, — de médecine pratique,
DES CROISADES, DES ERREURS SOCIALES, DE PATROLOGIE, DES PROPHÉTIES ET DES MIRACLES, —
DES DÉCRETS DES CONGRÉGATIONS ROMAINES, — DES INDULGENCES, — d'aGRI-SILVI-VITI-HORTICULTURE ,
— DE MUSIQUE id., — D'ÉPIGRAPHIE id., — DE NUMISMATIQUE id., — DES CONVERSIONS
AU CATHOLICISME, — D'ÉDUCATION, — DES INVENTIONS ET DÉCOUVERTES, — D'ETHNOGRAPHIE, —
DP» APOLOGISTES INVOLONTAIRES, — DES MANUSCRITS, — D'ANTHROPOLOGIE, — DES MYSTÈRES , DES MERVEILLES
— D'ASCÉTISME ET DES INVOCATIONS A LA VIERGE, — DE PALÉOGRAPHIE, DE CRYPTOGRAPHIE, DE DACTYLOLOGIE,
D'hIÉROGLYPHIE, DE STÉNOGRAPHIE ET DE TÉLÉGRAPHIE, — DE PALÉONTOLOGIE,—
DE l.'ART DE VÉRIFIER LES DATES, — DES LÉGENDES, — DES OBJECTIONS POPULAIRES,
— DES OBJECTIONS SCIENTIFIQUES.
PUULIEE
PAR M. L'ABBÉ MIGNE,
EDITEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DU CLEROE,
OU
DES CODR3 COUPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE ECCLÉSIASTIQUE.
PRIX . 6 FR. LE VOL. POUR LE SOUSCRIPTEUR A LA COLLECTION ENTIÈRE, 7 FR., 8 FR., ET MÊUF. 10 FR. POUR LE
SOUSCRIPTEUR A TEL OU TEL DICTIONNAIRE PARTICULIER.
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TOME QUARANTE-TROISIÈME.
„ r~» » Q r-Tgr-m
DICTIONNAIRE DES MYSTÈRES.
TOMK CIVIQUE.
PRIX : 8 FRANCS.
S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, EDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D'AMBOISE, AU PET1T-MONTROUGE,
BARRIÈRE D'ENFER DE PARIS.
185*
DICTIONNAIRE
DES MYSTÈRES
ou
COLLECTION GÉNÉRALE
DES MYSTÈRES , MORALITÉS , RITES FIGURÉS
ET CÉRÉMONIES SINGULIÈRES,
AYANT UN CARACTÈRE PUBLIC ET UN BUT RELIGIEUX ET MORAL,
SJ *
et joues sous le patronage des personnes ecclésiastiques
OU PAR L'ENTREMISE DES CONFRÉRIES RELIGIEUSES,
suivi d'une
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE .
COMPLÉTANT L'ENSEMBLE DES REPRÉSENTATIONS THÉÂTRALES
depuis les premiers siècles de l'ère chrétienne jusqu'aux temps modernes,
PAR
HL ILS (B(DIQQS 2>S 0XD1NDBR»
PUHLIÉ
PAR M. L'ABBÉ MIGNE,
ÉDITEUR DE LA BIRLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DU CLERGÉ,
ou
DES COURS COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE RELIGIEUSE.
TOME UNIQUE.
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prix : 8 francs.
S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, EDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D'AMBOISE, AU PETI T-MONTROUGE ,
BARRIÈRE D'ENFER DE PARIS.
183'*
?,:" 1 H 1935
75ia
Imprimerie M1GISE, au Petit-Montrouge.
AVANT-PROPOS.
Descendez, dit le P. Guénarrl, descendez avec le flambeau de la fihi-
losophie jusqu'à celle pierre antique lani de luis rejelée par les incré-
dules et qui les a tous écrasés. Mais, lorsque, arrivé à une certaine
profondeur, vous aurez trouvé la main du Toul-l'uissant qui soutient
depuis l'origine du monde ce grand et majestueux édifice, toujours af-
fermi par les orages mêmes et le torrent des années , anêtez-vous et
ne creusez pas jusqu'aux enfers.
Les origines du théâtre moderne, et ses commencements en France, ont donné lieu a
des erreurs nombreuses et fondamentales qui, à partir du temps où commence la critique
historique, se sont perpétuées jusqu'à nous.
Ainsi deux opinions opposées se disputent les commencements des représentations
figurées dans les sociétés modernes.
Des critiques veulent que le théâtre se soit perpétué du monde ancien au nôtre, sans aucune
interruption et sans autres modifications que celles relatives aux divers plans qu'ont pu
suggérer des méthodes nouvelles, ou celles qu'ont dû occasionner les variations du langage,
ou celles surtout nées de la profonde différence de l'esprit de la religion chrétienne avec
les idées païennes. Ainsi les orgies du paganisme se sont continuées dans les fêtes des
Fous; et les mystères du moyen âge, construits d'après une méthode inconnue aux sévères
sectateurs des unités d'Aristote, n'en reproduisent et n'en perpétuent pas moins la tragédie
grecque et romaine. C'est ce qu'ont pensé, entre autres, du Cange (1), Muratori (2), Martin
Gerbert (3), l'abbé de Larue (4), MM. Achille Jubinal (5), Francisque Michel (6) et Ma*
gnin (7).
Au contraire, d'autres ont été d'avis qu'il existait entre le théâtre des nations anciennes
et celui des peuples modernes, une lacune d'un grand nombre de siècles impossible à
combler. Les premières pièces qui auraient été représentées depuis la chute de l'empire
romain dateraient au plus tôt des xic etxn" siècles; et encore faut-il admettre que le latin
et les farcilures du moyen âge appartiennent au théâtre français. Les Bénédictins (8) n'ont
pas craint de reculer les origines dramatiques jusqu'au xic siècle; l'abbé Lebeuf (9), de Ro-
quefort-Flaméricourt (10), MM. Amaury Duval (11) et Raynouard (12) ont partagé leur
sentiment. Roquefort môme déclarait les comitienceme*hts des représentations théâtrales
très-difficiles à fixer, et pensait que certaines poésies des troubadours avaient pu être figu-
rées. L'autorité de ces savants n'a pas empêché Daunou de nier le caractère dramatique des
pièces françaises du xm" siècle, du .Miracle de Théophile par exemple; le théâtre n'a
commencé qu'en 1402, avec le brevet de la royauté , et l'on ne rencontre auparavant que des
(1) Du Cange, Gloss. inf. et med. lat., édit. Henschell; Paris, Didot, 1840, in-8% 6 vol., V Kulendœ
(2) Muratori, Anliq. stat. med. œvi sive Dissert., Milan, 1752, in-fol., t. II, De ludis, col. 831-849.
(3) Martin Gerrert, De eantu et mus. sacra, Saint-Biaise, 1774, in-4% 2 vol., t. I.
(4) L'abbé de Larue, Essais historiques sur les bardes normands et Anglo- normands, Caen, 1834, in-8%
5 vol.
(3) Achille Jlbinal, Mystères inéd. du XV siècle ; Paris, 1837, in 8°, 2 vol., I. I, Préf.
(6) Francisque Michel (et Montmerqlé), Le théâtre fr.au moyen âge; Paris, 1839, gr. in-8% Préf.
(7) Ch. Magnin (Cours professé à la Faculté des lettres; Journal gén. de l'inslr. publiq., 1834-1836); La
Comédie au M* siècle, Revue des deux mondes, 1835, juin, t. II, p. 633-674; Fragment d'un comique du vu0
siècle, Bibliothèque de V Ecole des Chartes, Paris, 1859, gr. in-8% t. I, p. 517-555.
(8) Histoire littéraire de la France, t. Vil; Paris, 1746, in-4° ; Discours sur l'étal des lettres au xi* siècle
et Avertissement.
(9) L'abbé Lebeuf, Remarques envoyées d'Auxerre..., Mercure de France; Paris, in-12, 1729, décembre,
p. 2981-2995; — Dissertations sur l'hist. eccl. et civile de Paris...; Paris, 1741, in-8% t. II, Etat des scienca
en France... p. 65.
(10) De Roquefort-Flaméricourt, De l'état de la poésie françoise dans les \n' et xm" siècles; Paris,
Fournier, 1815, in-8°.
(H) Hist. litt. de la France, t. XVI; Paris, 182i, in-4% Disc, sur l'état des beaux-arts en France au xm*
siècle, p. 254-535.
(12) Raynouard, Mystère de Saint-Crcpin... publié par MM. Dessales et Chabailles , Journal des Savants,
1850, cabier de juin.
Dictionn. des Mystères. 1
41 DICTIONNAIRE DES MYSTERES. 12
écrits dialogues, il est vrai, mais qui n'ont jamais pu fournir la matière d'une représentation
dramatique (13). M. Sainte-Beuve (14-), comme Daunou, est resté persuadé, avec Boileau (15)
et Fontenelle (16), les frères Parfait (17), de Beauchamps (18), et le duc de la Vallière (19),
que le premier théâtre qui eût paru, depuis les Bomains. était celui qu'ouvrirent en 1402
les confrères de la Passion.
Cette grande diversité d'opinions au sujet des commencements du théâtre a contraint
les sectateurs de l'un et de l'autre de ces deux systèmes, de distinguer aussi non moins
profondément les temps où la France parlai! soit le latin, soit le roman, soit le français.
Naturellement, les partisans de la perpétuité du théâtre ont été conduits à admettre, dans
l'histoire du théâtre français, le latin et le roman. Ainsi Muratori. L'abbé Lebeuf disait
que la bibliothèque du théâtre devait comprendre la basse latinité comme le français. Les
Bénédictins citaient le jeu de Sainte-Catherine et les jeux farcis de Saint-Nicolas parmi
]es premières pièces connues. Dom Martin Gerbert ne distinguait ni les rites figurés, ni les
fêtes des fous, ni les mystères, et encore moins les idiomes. Raynouard se ralliait aux Bé-
nédictins. Mais Bayle (20), Vollaire (21), MM. Chabailles (22) et Onésyme Leroy ont soutenu
que le drame écrit en langue vulgaire conservant seul les couleurs et l'empreinte de son
époque, les drames latins ou môme farcis, quelque importants qu'ils pussent-être pour
l'histoire du théâtre en général, ne comptaient pas dans l'histoire du drame français. En
effet, n'ayant rien qui nous peigne les mœurs nationales, écrits par des religieux qui ne
s'astreignaient qu'à une fidélité scrupuleuse envers le texte de l'Evangile, ils ne nous
racontent que la société juive et nullement celle au milieu de laquelle ils naquirent (23).
Au résumé, le génie dramatique n'a pas cessé de produire, disent les uns, car l'esprit
humain ne sommeille jamais, il se transforme; c'est sous ses formes nouvelles qu'il faut
le saisir, pour ne pas abandonner son histoire ; et dans quelque idiome que ce soit, latin,
roman ou français, ce qui s'est passé en France est français. Les autres répondent : Mais
si la puissance de la production dramatique n'a pas été suspendue, où sont les drames et
les représentations supposées? Les prétendues pièces que l'on met en avant ne sont que
des dialogues, et les sujets même dont elles traitent sont étrangers à la France, si encore la
langue dans laquelle elles sont écrites, lui appartient
Les rapports de l'Eglise avec le théâtre ont amené des dissentiments aussi vifs; et la
vérité s'y est fait bien moins jour. Une idée commune est que l'Eglise a fondé le théâtre.
L'histoire du théâtre antique ne finit pas au siècle d'Auguste; l'usage des représenta-
tions théâtrales ne fut pas aboli aussi brusquement qu'on le suppose, ce qui serait
peu conciliable avec la ténacité ordinaire des habitudes populaires. La vogue des pantomi-
mes, l'invasioi des Barbares, portèrent assurément un coup funeste au drame parlé ; mais
quoique les monuments en soient rares, il en subsiste néanmoins, tels que, au iv* siècle,
leQuerolus, au vn% un fragment de comique, qui prouvent combien longtemps subsistèrent
les habitudes romaines.
Le théâtre antique ne disparut que devant le théâtre chrétien. Dès le m* siècle, avant
même d'être reconnue, l'Eglise essaie de lutter contre les splendeurs de la scène païenne
(13) Hist. litt. de la Fr., t. XVI; Paris, 1824, in-4°; Disc, sur l'état des lettres en France au xm« siècle,
p. 1-254.
(14) C.-A. Sainte Beuve, Tableau hist. et crit. de la poésie fr. et du théâtre français au xvic siècle; Paris,
1828, in-8", 2 vol., t. I, p. 217-234.
(15) Art poétique...
(16) Hist. du théâtre français.
(17) Hist. du théâtre françois, Paris, in-12, 19 vol., t. I, II et III, 1735-1745.
(18) De Reacchamps, Recherches sur les théâtres de France; Paris, i"55, in-8°, 3 vol., t. 1.
(19) La Bibliothèque du théâtre françois, ouvrage attribué au duc de la Vallière, Dresde, Michel Groell,
1708, in-12, 3 vol., t. I.
(20) Dict. crit.
(21) Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, t. II, p. 377.
(22) M. Chabailles, Œuvres de Ruiebeuf, mises au jour par M. A. Jubinal, Journal des Savants, 1839,
cahier de janvier, p. 41-53, et mai, p. 276-288.
(25) L'abbé De Larue, loc. cit.; M. Magnin, toc. cit.; M. Achille Jubinal, loc. cit.; M. 0. Leroy, Etudes sur
les mystères; Paris, 1837, iu-8° ; Epoques de l'histoire de France en rapport avec les mystères ; Paris, 1843,
in-8°.
13 AYANT-PROPOS. 14
par la magnificence de ses liturgies. Pendant les six premiers siècles, l'Eglise anathéma-
tise le théâtre, elle le poursuit encore après, parce qu'il tient à l'antiquité, mais en môme
temps , elle institue des offices qui sont de véritables drames, les fôtes de Noël, les
Trois Rois, le Sépulcre ou les Trois Maries Le prêtre chrétien désespérant d'éteindre
le eéhie dramatique, le dirige vers les choses saintes, imitant en cela les prôtres païens
qui , dans les mêmes vues, donnèrent à l'art dramatique les premiers développements.
Dans quel but est fondé ce théâtre hiératique? Selon les uns, c'est la piété chrétienne
alarmée qui tente de substituer aux chants licencieux des jongleurs des spectacles plus
honnêtes (24); ou bien la mise en action dans la liturgie des scènes de l'Evangile a pour
Mit d'instruire le peuple qui ne sait pas lire et n'a pas môme de livres (25) ; ou bien
encore, dès les premiers temps de la société chrétienne, pour arriver 5 l'initiation des
imposants mystères de la religion, le peuple a besoin qu'on lui traduise la divine épopée
en symboliques narrations, en pathétiques légendes (26). Selon les autres, la haute
Eglise a eu l'intention de perpétuer dans les peuples et les ministres du culte, une
ignorance grossière; Daunou (27) répète ici Voltaire et Dulaure. M. Magnin , reprenant
les mêmes vues pamphlétaires, en a tiré un système plus modéré sans doute, mais non
moins erroné. Le sacerdoce ne se serait pas contenté de dominer les intelligences; il
aurait voulu subjuguer les imaginations et s'emparer à la fois de toutes les facultés hu-
maines. Le théâtre ûurait été ainsi pour lui un moyen de puissance et de séduction (28).
Toutes ces hypothèses ne sont le résultat que d'une observation incomplète des faits.
Tantôt, ce sont les monuments subsistants du théâtre qui sont trop uniquement consi-
dérés ; tantôt, ce sont les documents relatifs aux rapports de l'Eglise avec le génie drama-
tique qui sont trop absolument négligés.
Les preuves positives ne manquent pas, qui établissent d'une manière sûre qu'en effet
)es représentations scéniques n'oit pas cessé après la chute de l'empire Romain; que la
société chrétienne a accepté le théâtre, et que l'esprit dramatique a été transporté
alors des monuments publics destinés au drame païen, dans l'intérieur des basi-
liques.
Mais le génie dramatique s'est emparé de l'Eglise; le théâtre a dominé violemment;
l'Eglise , depuis ses origines jusqu'à nous, n'a pas cessé de s'opposer aux jeux de la scène.
Elle a refusé, en tous les temps, en tous les lieux, la succession du théâtre païen. Do-
minée, elle n'a jamais été vaincue entièrement; elle a lutté, résisté jusqu'au triomphe,
et si elle n'a pu anéantir le théâtre, du moins elle l'a expulsé entièrement de son sein,
d'où il se vante faussement d'être sorti (29).
C'est ce qui résulte des écrits des saints Pères et des textes des Conciles, que nous
avons réunis à la suite de cet Avant-Propos.
L'interdiction perpétuelle du théâtre qui est la conséquence de cet ensemble imposant,
s'appuie sur toutes les raisons que peut invoquer la morale. Les coutumes du théâtre,
dit l'Eglise, sont absolument étrangères à la vie chrétienne. Elles ne peuvent que pervertir
les esprits et plonger dans l'amollissement les cœurs les plus ardents et les plus sincères.
Elles souillent l'intérieur des temples, et, soit aux dimanches, soit aux fêtes , ne portent
que le trouble dans les sanctuaires. Leur intention peut être pieuse, mais elle est con-
traire à une saine connaissance de la vérité. Car la vérité est que la pratique du théâtre
(24) llist. tilt, de la Fr.
(-2.')) L'abbé De Larue, toc. cit.
(-la) Louis Paris, Toiles peintes et tapisseries de la ville de Reims; Paris, 18iô, in-i", 2 vol., t. I,
Piéf.
(27) Daunou , Disc, sur fêtai des lettres au xmc siècle; Hist. litt., t. XVI ; Paris, 1824, in-i°, p. 1-
25 i.
(28) M. Magnin, /oc. cit.
(29) Nous ne voyons guère que Dom Martin C.erbert. qui ait bien compris et qui ait affirmé La répudiation
perpétuelle de l'Eglise De cantu et mus. sacr.; Saint-Biaise, 1774, in-4°, 2 vol.; — Veteris Liturq. aUmann.
mcttum.; Saint-Biaise, 1777-1779, in-i", 2 vol. — Vêtus Liturgia alemannica; Saint-Biaise, Cl'd, iu-4%
PU
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Ïjj DICTIONNAIRE DES MYSTERES. 16
par le clergé, ne peut amener d'autres résultats que des désordres dans l'Eglise (30).
L'histoire du théAtre ne comprend donc que deux phases. Dans la première, la société
laïque envahit et violente l'Eglise, il est vrai, avec une intention pieuse. Dans la seconde,
l'Eglise répudie le théâtre; elle le poursuit, elle l'expulse de l'intérieur des cathédrales.
D'où vient qu'il y a lieu de distinguer , dans le développement du théâtre, ce qui appar-
tient aux individus, et ce qui est le propre de l'Eglise en général. Les individus prennent
part aux représentations dramatiques ; les membres de l'Eglise subissent l'influence des
mœurs et des temps. Mais l'Eglise, dominée dans un grand nombre des siens par la cou-
tume, ne subit pas le joug, et, à toutes les époques, elle repousse absolument le
théâtre.
Si donc le théâtre prend, jusqu'à un certain point, place parmi les monuments de l'his-
toire ecclésiastique , ce n'est que par les individus; ainsi seulement, la majeure partio
des monuments dramatiques du moyen âge, incombe au détriment de l'Eglise. Deux
courants ont existé : l'un purement laïque; le Querolus , le Jeu des sept sages d'Au-
sone , la comédie de Babion, le Jeu de la Feuillée , la destruction de Troyes la grande, pour
ne citer que quelques pièces du 1er au xvir siècles, appartiennent à ce mouvement de
l'esprit humain, en dehors de toute idée religieuse ; l'autre courant , bien au contraire,
purement religieux et moral. Nous donnons dans ce Dictionnaire la collection géné-
rale des monuments qui ont traversé les siècles, du rr au xvir, et qui, répudiés ajuste
raison par l'Eglise, ne se sont pas moins imposés à elle, sont nés dans son sein, se sont
nourris de sa substance , el par conséquent sont de son domaine.
(30) C. 829, vi'conc. de Paris, c. 58; 1280, conc. de Ravennes, c. i; 1566, conc. de Tolède; 1583j
"conc. de Bordeaux, c. iv;185i, Mandement de l'évêquede Cambrai.
SENTIMENTS DE L'EGLISE
RELATIVEMENT AU THÉATRE.
I. CANONS DES SAINTS CONCILES.
IV SIÈCLE. — 305. —Concile d'Elvire. 31 ï. —Premier concile d'Arles. C. iv. —
C. lxîi. — « Si un conducteur de chars dans « Quant aux. agitateurs (du cirque [3i]) qui
le cirque, ou un acteur des pantomimes du sont fidèles, il est bon qu'aussi longtemps
théAtre, possède la foi, il est séant, d'abord qu'ils fout leur mélier , ils soient tenus
qu'il renonce à son art ; ensuite on le rece- hors de la communion,
vra, pourvu qu'il ne soit pas retombé dans « C. v. Quant aux gens de théâtre,
son métier: mais, si, malgré l'interdit, il en il est bon, aussi longtemps qu'ils le sont*
essayait de nouveau , q ion le chasse du qu'ils soient tenus aussi hors de la commu-
seiu de l'Eglise. » (Labbe, t. 1er col. 977, b.) nion. » (Labbe, t. Ier, col. li2G, d.)
305-308. — Décrets du pape Eusèbe. — 3li-324. — Concile de Laodicée. C. xxvir.
« § IV. Il faut qu'un évêque se contente — « Il ne faut pas qu'aucun homme d'é-
d'un repas modeste... et que tous sujets de glise, clerc ou laïque, invité aux agapes, y
tentation houleuses soient écartés du di- reçoive une poriion de nourriture; car ce
ner auquel il préside; ni les représenta- serait donner lieu de mal penser du corps
tions des histrions, ni le vain débit des ecclésiastique entier.
bouffons, ni les sottises des saltimbanques, « C. xxvni. Il ne faut pas que dans les
ni les tours de passe-passe des joueurs de lieux consacrés, c'est-à-dire les églises,
gobelets, n'y serontadmis; les voyageurs, les aient lieu les festins nommés Agapes; op.
pauvres, les infirmes reconnaissants envers ne doit ni manger, ni coucher dans la mai-
e Christ de la nourriture qu'ils reçoivent à son de Dieu. (Labbe, t. 1", col. 1502, b. c.)
a lable épiscopale, doivent y être assis « C. liv. 11 ne faut pas que les évê-
et en recevoir le bienfait. On fera une lec- ques ou les clercs assistent à aucun spec-
ture pieuse. » (Labbe, t. Ier, col. 1393. tacle, soit dans les noces, soit dans les fes-
c. d.) tins; avant l'entrée des bateleurs, il est
(5i) Employés aux paris des Factions.
47
SENTIMENTS DE L'EGLISE SUR LE THEATRE. 18
séant de se lever et de se retirer (32). »
(Labbe, t. I", col. 151k, d.)
Fin du iv Siècle, 397, selon Baronius.
Canons de l'Eglise d'Afrique. — « C. xlu. Ni
les évêques, ni les clercs ne feront des fes-
tins dans l'église , à moins pourtant que ce
ne soit faute d'un lieu pour donner l'hos-
pitalité à des voyageurs ; mais, autant que
possible, on empêchera les laïques de venir
y tenir leurs banquets. » (Labbe, t. II, col.
1069, d)
«C.xi.v. On ne refusera pas la réconciliation
aux acteurs ni aux histrions, ni à toutes les
autres personnes dans le même cas, ni enfin
aux apostats, quand ils se seront repen-
tis et seront revenus à Dieu. » (Labbe, t. I",
col. 1072, a.)
« G. lxi. 11 faut demander aux très-pieux
empereurs Théodose et Valentinien, qu'ils
défendent les spectacles et les autres jeux,
lors des dimanches et des autres fêtes que la
religio î chrétienne solemnise; principale-
ment, pendant l'oclave de Pâques, car le
peuple court au cirque plutôt qu'à l'Eglise...
On ne doit point contraindre les Chrétiens
d'asMSter au spectacle, ou d'en être les ac-
teurs... » (Labbe, t. 1", col. 1702, b.)
«C. lxiii. Si que'qu'un de quelque profes-
sion artistique que ce soit, veut rentrer dans
la faveur de la chrétienté, il y sera reçu à con-
dition de ne jamais retournera son métier
déshonorant ; et personne n'a le droit de le
contraindre à recommencer de pécher. »
(Labbe, t. I", col. 1088, c.)
397. — Troisième concile de Carthage. —
« C. xi. Les enfants des évêques ou des
clercs ne doivent ni assister, ni avoir part
aux spectacles séculiers, ces spectacles étant
défendus même à tous les laïques, car tous
les chrétiens ont toujours été écartés de
toute occasion de chute. » (Labbe, t. II,
col. 1169, c.)
« C. xxx. Ni les évoques, ni les clercs ne
feront des festins dans l'église, à moins
pourtant que ce soit pour donner à man-
ger à des voyageurs, et qu'on n'ait pas
d'autres lieux pour donner l'hospitalité;
maison empêchera, aulant que possible, les
laïques de venir y tenir leurs banquets. »
(Labbe, t. II, col. 1171, d.)
398. — Quatrième concile de Carthage. —
« C. lxxxviu. Celui qui, le dimanche, né-
ge l'assemblée solennelle des fidèles à
'Eglise, et va aux spectacles, sera excom-
munié. » (Labbe, t. II, col. 1206, e.)
i52. — Deuxième concile d'Arles. — « C.
xx. Quanl aux agitateurs du cirque, ou aux
gens de théâtre, qui sont fidèles, il est bon,
aussi longtemps qu'ils font leur métier,
qu'ils soient tenus hors de la communion. »
— Yoy. 311, premier conc. d'Arles, C. IV et
v. (Labbe, t. 111, col. 1013, d.)
VI' SIÈCLE. — 506. — Concile d'Agde. —
« C. lxx. Le clerc adonné aux jeux des
bouffons et aux honteuses récitations des
jongleurs, sera exclus du service (divin). »
(Labbe, t. III, col. 1594, c.)
555. — Constitutions du roi Childebert. —
« Les nuits sont passées dans les veilles,
l'ivresse, des jeux de bouffons , ou des
chants; même les nuits des sainis jours de
Pâque, de Noël et des autres fêtes, et le di-
manche, des sauteuses courent par les villes :
toutes choses, où Dieu est très- certainement
offensé, et que nous défendons expressé-
ment. » (Labbe, t. V, col. 811, b.)
567. — Deuxième concile de Tours. — « C.
xxu. Il est des gens qui célèbrent les Ca-
lendes de janvier, bien que Janus n'ait
jamais été qu'un païen : roi peut être, mais
non certainement Dieu... Qu'on ne leur
laisse pas de part au saint autel. » (Labbe,
t. V, col. 863, 6, c, d,)
572. — Fragments des canons du concile de
Bragancc (Espagne). — « C. lxxx. Celui qui
mènera des danses devant les églises des
saints, l'homme qui se déguisera en femme,
ou la femme en homme, seront soumis à
trois ans de pénitence. » (Labbe, t. V, col.
901, e.)
Deuxième moitié du vi' siècle, vers 572.
— Recueil de canons de Martin, évéque de
Bragance (Augusta Bracarum, concil. Braca-
riens.) — « C. lx. Il n'est pas permis aux
prêtres ou aux clercs, d'assister aux spec-
tacles que l'on donne dans les noces ou les
repas; il faut, avant l'apparition des jeux,
que les prêtres et les clercs se lèvent et se
retirent. » (Labbe, t. V, col. 912, c.)
« C. lxxiii. Il ne faut pas faire obser-
vance des jours impies des Calendes, ni se
livrer aux jeux des gentils, ni garnir les
maisons de lauriers ou de feuillages; car
toutes ces coutumes sont païennes. » (Ibid.,
col. 913, c.)
578. — Concile d'Auxerre. — « C. I. Il
n'est pas loisible de se déguiser en bœufs
ou en cerfs aux Calendes de janvier, ni
d'observer l'us diabolique des étrennes ; au
Ve SIÈCLE. — 42i. — Canons de l'Eglise contraire, ce jour-là même, on doit, comme
d'Afrique. — « C. ix. Ni les évoques, ni les
clercs ne feront des festins dans l'Eglise,
à moins que ce ne soit pour donner l'hospi-
talité à des voyageurs; et l'on empêchera,
autant que possible, les laïques de tenir leurs
banquets dans 1 Eglise. » (Labbe, t. II,
col. 16U, a.)
« C. xii. La réconciliation ne sera refusée ;
ni aux acteurs, ni aux histrions, ni à aucune
des personnes dans le môme cas. » (Labbe,
I. Il, col. 16U, c.)
tout autre jour, remplir tous ses devoirs. »
(Labbe, t. V, col. 957, e.)
VIP SIÈCLE, vers 650. — Concile de Cha-
tons (S. -S.) — « C. xix. 11 y a beaucoup de
choses qui, pour n'être point amendées, tant
qu'elles n'ont que peu d'importance, s'ag-
gravent au pis. Ainsi, tout le monde trouve
étrangement inconvenant qu'aux dédicaces
des églises et aux fêtes des martyrs, il se forme
de très-nombreux chœurs de femmes pour
chanter des vers impies et obscènes, dans
>2 ) Ces canons sont traduits d'apiès les versions différente» de Denys et d'Uidore.
t9
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
20
le temps même où la prière et l'audition des
psaumes récités par les clercs , seraient
l'unique devoir. Aussi les prêtres doivent-
ils défendre qu'on se place dans le centre
des églises, ou auprès des portiques, ou
sous les porches; et s'il y a résistance, il
faut user de l'excommunication ou tout au
moins de punitions disciplinaires. » (Labbe,
t. VI, col. 391, b, c.)
692. — Concile in Trullo ou de Constan-
tinople. — « C. lxii. Tout ce qu'on nomme
Calendes, Vœux, Brumaires ; et les assem-
blées du premier jour de mars, seront dé-
sormais anéantis; car telle est notre volonté.
Quant à ces danses publiques de femmes,
sources de maux et de ruines; et à ces
chœurs et mystères, au nom des faux dieux
des gentils, ou d'hommes et de femmes qui
sont des coutumes antiques tout à fait étran-
gères à la vie chrétienne , nous les prohi-
bons expressément, ordonnant que nul
homme ne se déguise à l'avenir en femme,
ou aucune femme en homme; que nul ne
représente des personnages de comédie ou
de tragédie; que personne, quand les
vignerons font le vin dans les cuves ,
n'invoque le nom de l'exécrable Bacchus;
ni que, au moment de verser le vin dans
les tonneaux, nul ne fisse rire par des
actions marquées aux coins de l'imposture
et de la folie, et qui ne prouvent que l'igno-
rance ou la vanité. Par conséquent, qui-
conque désormais contreviendra à nos pres-
criptions, une fois celles-ci connues parmi
les clercs, sera déposé, et parmi les laïcs,
mis hors de la communion. » (Labbe, t. VI,
col. 11C9, d, e; 1172, a.)
692. — Concile in Trullo. — « C. lxxiv. 11
ne faut faire, en aucun lieu consacré au
Seigneur, ni dans les Eglises, ces banquets
d'amitié que l'on nomme agapes; il ne faut
non plus ni manger dans l'intérieur des
temples, ni y coucher. Quiconque l'osera,
doit en être empêché ou sera mi-
uns hors de
la communion. » (Labbe, t. VI, col. 1 176, b.)
694. — Dix-septième concile de Tolède. —
« C. xxin. Le clerc, faisant le bouffon ou le
jongleur, et récitant des choses deshon-
nêtes, sera destitué. »( Labbe, t. VI,
1374, c.)
VIII* SIÈCLE. — Commencement du vin"
siècle (entre 712 et 721). — Capitulaire du
Pape Grégoire II. — « G. ix. Les évocations,
les charmes, aussi bien que les diverses
observances des jours des calendes que nous
ont laissées les erreurs du paganisme, sont
prohibés; et aussi les maléfices, les presti-
ges des magiciens, les sortilèges et les exé-
crables pratiques de la divination. » [Labbe,
t. VI, col. 1454, b.)
Première moitié du vnr siècle (entre 726
et 742). — Lettre I du Pape Zachaiie. —
« C. vi. Quant aux Calendes ou Januaires...
pratiquées à Rome... comme, par les efforts
du diable, ces pratiques recommençaient...
nous y avons mis ordre... à l'instar de notre
prédécesseur de pieuse mémoire, et notre
maître, le seigneur Grégoire Pape. » (Labbe,
t. VI, col. 1500, c, d, e.)
743. — Premier concile de Borne. — « C. ix.
Quiconque aura osé fêter les calendes de
janvier, tenir table ouverte, ou danser et
chanter dans les rues et sur les places, ini-
quités très-graves aux yeux de Dieu, qu'il
soit analhèmel » (Labbe, t. VI, col. 1548, a.)
745. — Statuts de saint Boniface, arche-
vêque de Maycnce. — « C. xxi. Il n'est pas
permis aux laïques de former des chœurs
dans les églises, ni aux jeunes tilles d'y chan-
ter, ni d'y faire des festins ; car il est écrit :
Ma maison sera dite le sanctuaire de la
prière. » (Labbe, t. VI, col. 1891, d.)
747. — Second concile de Cloveshow, en
Mercie {Angleterre). — « C. xvi. Il est recom-
mandé... de célébrer, selon la coutume de
nos aïeux, les trois jours qui précèdent ce-
lui de l'Ascension de Notre Seigneur, en
jeûnant jusqu'à none chaque jour, et en
disant la messe : mais on s'abstiendra de
ces vaines coutumes trop répandues parmi
les gens de peu de foi ou ignorants, telles
que les jeux [ludis), les courses de chevaux,
et les festins extraordinaires. » (Labbe,
t. VI, col. 1578, a, b.)
Seconde moitié du vm' siècle. — Les arti-
cles de ("archevêque Egbert. — « C. xxxiv.
Tout chrétien qui aura pris du plaisir aux
fables oiseuses, aux sots récits, ou aux
contes plaisants des jongleurs, étant en état
de péché selon les préceptes du Seigneur
conservés par l'apôtre saint Paul, en fera
l'aveu à son curé et fera la pénitence que
la volonté de ce dernier lui imposera. Que
personne d'entre les chrétiens ne compte
de peu et ne néglige ces péchés qui résul-
tent (ic pensées vaines et boursouflées, de
paroles superflues et oiseuses. » (Labbe,
t. VI, col. 1004, 6, c.)
791. — Concile près d'Aquilée. — « C. vi
Il est bon que tous les honneurs mon-
dains, dont les gens du siècle et les prin-
ces de la terre ont la coutume, tels que
la chasse, les chants séculiers, les réjouis-
sances sans terme et sans modération, et
tous les jeux de cette nature , ne soient
pas dans les habitudes des gens d'église. »
(Labbe, t. VII, col. 1004, b.)
IXe SIÈCLE. — 813. — Sixième concile
d'Arles. — « G. xxu. 11 n'y aura pas de
plaids publics et séculiers, ni sous les por-
ches ni dans l'intérieur des églises, le Sei-
gneur ayant dit : Ma maison sera surnommée
la maison de la prière. (Malth. xxi). » (Labbe,
t. VII, col. 1238, c.)
813. — Concile deMagence. — « C. x. Nous
voulons et nous décrétons la plus grande
régularité de vie parmi ceux qu'on dit avoir
laissé le siècle et qui pourtant tiennent en-
core à lui. C'est pourquoi le saint concile a
trouvé bon de mettre en lumière les règles
propres aux clercs. Que ceux donc qui ont
quitté les coutumes des laïques et se sont
séparés de la vie ordinaire, s'abstiennent des
plaisirs du monde; qu'ils n'assistent ni aux
spectacles, ni aux fêtes publiques, et qu'ils
fuient les festins deshonnêtes. » (Labue,
t. Vil, col. 124^, b, c.)
« G. xl. Nous ordonu.' ns qu'il n'y ait point
21
SENTIMENTS DE L'EGLISE SU H LE THEATRE.
ç*
de plaids séculiers ni dans les églises, ni fêtes des sainls, ne se font pas de la solen-
sous leurs [torches, ni dans les Milices en nilé du jour une saine idée, en la célébrant
dépendant. » (Labbe, t. VII, col. 1250, e.) par des danses, des chants déshonnôtes et
« C. XLviii. Nous nous opposons absolu- des réunions qu'ils président ou dont ils
ment a ce qu'on chante dans les églises des font partie, toutes coutumes des païens,
vers déshonnôtes ou luxurieux. » (Labbe, Ces personnes, venues à l'église avec des
t. VII, col. 1251, e.) péchés légers, s'en retournent avec de plus
813. — Concile de Reims. — « C. xvii. Les graves. C'est de quoi tout prêtre doit dili-
évêques et les abbés ne permettront pas de- gemment aviser ses ouailles, et les avertir
vaut eux des jeux honteux; ils auront avec
eux à leur table les pauvres et les indi-
gents, et l'on fera une lecture pieuse. »
(Laobe, t. VII, roi. 1256, b.
813. — Troisième concile de Tours. —
« C. v. Un évoque ne doit pas avoir des
banquets remplis de profusion; il se con-
tentera de peu de mets, et de plats gros-
siers, afin de ne pas s'élever contre celte
parole du Seigneur : Faites attention à ce
de ne venir à l'église que pour prier, car
en agissant autrement, non-seulement on
se perd, mais on entraîne autrui dans sa
perte. » (Labbe, t. VIII, col. U2V b, c, d. )
829. — Quatrième concile de Paris. —
« C. xxxwn. Tous les Chrétiens ayant pour
loi, selon les textes de l'Apôtre (Ephes. v),
d'éviter les vaines paroles et les bouffonne-
ries, à plus forte raison les p-êlresde Dieu,
qui doivent à autrui l'exemple et le fonde-
que vos cœurs ne soient pas engourdis par ment du salut, ont à y prendre garde. Les
l'orgie et l'ivresse (Luc. xxi). Et, pendant le personnes appartenant à l'Eglise repousse-
repas, on fera à la table une lecture pieuse
préférable aux paroles oiseuses des bouf-
fons. » ( Labbe , t. VII, col. 1262, a.)
« C. vi. H n'est pas séant aux prêtres de
prendre part à desjeux séculiers et deshon-
nêtes ; ainsi ils no rechercheront point les
chasses d'animaux sauvages. » (Labbe, VII,
col. 1262, c.)
« C. vu. Les prêtres de Dieu doivent s'abs-
tenir de toutes choses capables d'eni-
vrer les yeux et les oreilles, et par là d'a-
mollir la vigueur de l'âme; ce qui peut
s'entendre de quelques genres de musique
et de bien d'autres choses ; car c'est au mi-
lieu de ces plaisirs des oreilles et des yeux
que la multitude des vices a coutume de
pénétrer jusqu'au cœur. Aussi les indécen-
ces des histrions déshonnôtes et de leurs
jeux obscènes, doivent-elles être évitées;
et il faut en donner avis aux autres prê-
tres. » (Labbe, t. VII. col. 1262, b, c.)
813. — Second concile de Châlons. — « C.
ix. Les prêtres doivent s'abstenir de tous
les divertissements des oreilles et des yeux;
ne s'occuper ni de chiens, ni d'éperviers,
ni de faucons ou d'autres choses sembla-
bles; et non-seulement repousser loin d'eux,
mais engager les tidèles à chasser de-môme
ces jeux indécents ou obscènes des histrions
et des bateleurs. » (Labbe, t. VII, col. 1274,
c, d.)
816. — Concile d'Aix-la-Chapelle. —
« C. lxxx. Il ne faut pas que l'on fasse dans
les lieux consacrés, c'est-à-dire dans les
églises de Dieu, de ces festins que l'on
nomme agapes; on ne mangera pas dans la
maison de Dieu , et l'on n'y couchera pas
[Voy:. concile de Laodicée. «'(Labbe, t. Vil,
col. 1361 , a.)
« C. LX&xin. Les prêtres ni les clercs
ne peuvent assister aux spectacles ni
sur les théâtres ni dans les noces; mais
avant l'entrée des acteurs, ils devront se
lever et s'en aller. (Voy. concile de Laodi-
cée.) » Labbe, t. VIL col. 1361 , a, b.)
826. — Synode de Rome. — « C. xyxv. Il y a
des gens, et surtout des femmes, qui, dans
tous les jours fériés et consacrés, et aux
ront donc les jongleries, les sots discours
et les ie\jx obscènes, et les autres vains
amusements qu'offrent les histrions, moins
propres à donner à rire qu'à pleurer, à
cause de l'amollissement où ils plongent
l'âme chrétienne la plus vigoureuse.
« Il n'est donc pas convenable, et il est
défendu aux prêtres de Dieu de polluer
leurs yeux de spectacles de cette sorte et
d'abandonner leur esprit à ces vains , plats
et honteux jeux de la parole.
« En etfet , le Seigneur a dit dans l'Evan-
gile : Les hommes rendront compte au jour
du jugement de toute parole inutile qu'ils
auront dite. (Matth. xii, 36.)
«Saint Paul aux Ephésiens : Que nu! mau-
vais discours ne sorte de votre bouche , mais
qu'il n'en sorte que de bons et de propres à
nourrir la foi, afin qu'ils inspirent la piété
à ceux qui les écoutent. Et n'attristez pas
l'Esprit -Saint de Dieu dont vous avez été
marqués comme d'un sceau pour te jour de
la Rédemption. (Matth. iv.) Qu'on n'entende
pas seulement parler parmi vous , ni de for-
nication , ni de quelque impureté que ce soit,
ni d'avarice , counne on n'en doit point ouir
parler parmi des saints. — « Qu'on n'y en-
tende point des paroles déshonnétes , ni de
folles, ni de bouffonnes , ce qui ne convient
pas à votre vocation : mais plutôt des paro-
les d'actions de grâces. (Matth. v.)
« Il y a sur ces sujets bien d'autres précep-
tes à citer, qu'il faut prendre en bonne note,
et dont les prôlres avec tous les fidèles doi-
vent avoir une grande crainte, car, e;v
commettant des actions contre lu loi, >',*
négligent leur salut.
«Enfin il nous a paru à tous que ceux
d'entre les prêtres qui jusqu'ici auront pra-
tiqué ces vanités , feront bien, désormais,
avec l'aide de Dieu, de s'en garder avec soin. »
(Labbe, t. VII, col. 162V, o, b, c, d.)
840-855. — Lois ecclésiastiques de Kcnith,
roi d'Ecosse. — « C. xi. Les fugitifs, les
bardes, les oisifs, les bateleurs, et tous gens
de celte sorte, seront punis de coups d .
courroies et du fouet. » (Labbe, t. VJi,
col. 1777, c/.)
23
DICTIONNAIRE DES MYSTERLS.
24
850. — Concile en un lieu incertain de
VJtalie. — « C. m. Il est séant qu'un évo-
que se contente d'un modeste repas, et
qu'au lieu de presser ses convives de boire
et de manger, il leur donne l'exemple de
la sobriété. Que de son repas soient écar-
tés tous les éléments de honte, et que ni
les spectacles des histrions, ni les parades
des saltimbanques, ni les vains discours
des fous, ni les prestiges des faiseurs de
tours, n'y soient admis. Qu'il n'y ail que
les pèlerins, et les pauvres, et les infirmes
(F. 305 308, Décr. du E. Sug.). » (Labbe,
t. VIII, col. 62, c, d.)
858. — Règlements d'Hérard, archevêque de
Tours. — « § cxiv. Aux jours de fêtes, quand
on se rend à l'église, on chantera le Kyrie
eleison, si Ton vient avec plusieurs, et seul,
on dira sa prière. Que l'on se tienne debout,
et en silence dans l'église, priant pour soi-
même et pour tout le peuple de Dieu, le
cœur constamment élevé vers le ciel ; et
qu'on soit averti d'apporter des lumières, de
l'encens , des Ipains et les prémices des
récoltes, car il est écrit : Fais honneur à la
maison de Dieu de ton bien. — Dans ces
mêmes jours, on ne fera, nisur les places,
ni dans les maisons, des chants déshonnêtcs
ou luxurieux, des danses ou des jeux dia-
boliques. » (Labbe, t. VIII, col. 635, d.)
Vers 858. — Réponse du Pape Nicolas I"
à la consultation des Rulgares. — « § xlvii.
Vous demandez s'il est permis, dans le temps
du carême, de se livrera des jeux; non-
seulement, pendant le carême, mais en au-
cun autre temps, ce n'est chose permise
aux Chrétiens... » (Labbe, t. VIII, col. 533,
d,e.)
Seconde moitié du ixc siècle, vers 858. —
Règlements de Gauthier, évéque d'Orléans. —
« § xv. Lo dimanche, les marchés et les
courses de chars seront défendus...
« § xvi. Les prêtres et les gens d'église,
quelque soit leur rang, ne doivent ni boire
au cabaret, ni s'arrêter auprès des saltim-
banques pour rire.
« § xvii. Lorsqu'à propos d'un anniver-
saire, il y a assemblée dans un presbytère,
on doit s'y conduire avec bienséance et so-
briété, prendre garde à trop parler, ne pas
chanter des cantilènes rustiques, et ne pas
permettre que des danseuses, imitant la fille
d'Hérodiade, fassent en votre présence leurs
ieux indécents. » (Labbe, t. VIII, col. 640,
b,e.)
Xe SIECLE. — Commencement du x' siècle,
vers 909-916. — Constitutions de Gaultier,
archevêque de Sens. — « C. xm. Nous avons
décrété que les clercs ribauds, surtout ceux
dont on dit vulgairement qu'ils sont de la
famille de Golias, ne pourront recevoir la
tonsure des mains des évêques, archidiacres,
officiaux oudoyens ecclésiastiques ; ils seront
même rayés des tableaux matricules des
clercs, et on ne leur laissera pas la tonsure
ecclésiastique; et en cela, on s'elforcera d'é-
viter le danger et le scandale. » ( Labbe ,
t. IX, col. 578, d.)
XL' SIÈCLE. — Maigre une recherche at-
tentive, nous n'avons pu découvrir, dans
les Collections des conciles, aucun canon
relatif au théâtre, datant du xf siècle. Le x*
siècle ne nous en a fourni qu'un seul ; et
il en a été de même pour le xir siècle.
XII' SIECLE.— Fin du xii' siècle, vers 1197.
— Constitutions d'Eudes, évéque de Paris. —
oC. xm. Il est absolument défendu à tout prê-
tre déjouer aux dés, d'assister aux spectacles,
de prendre part à des danses, d'entrer dans
les cabarets. » (Labbe, t. X, col. 1806, cf.)
XIII* SIECLE. — 1209. — {Concile d'Avi-
gnon. — « C. xvii. Nous avons décrété qu'aux
vigiles des saints il n'y aurait pas, dans les
églises, de ces danses de théâtre, de ces
réjouissances indécentes, de ces réunions,
de chanteurs et de ces chants mondains,
lesquels, la plupart du temps, non-seule-
ment provoquent l'âme des auditeurs au
péché, mais encore souillent l'ouïe et la vue
des soectateurs, » (Labbe, t. XI, i" partie,
col. 48, b.)
1212. — Concile de Paris, V partie. —
« C. xvi. Nous défendons, dans les maisons
des clercs, ou dans les cloîtres des religieux,
ou sous les porches des églises, ou dans,
tout autre lieu où il arrivera que l'on vende
du vin,etaux religieux présents, de permet-,
tre ou des repas déshonnêtes, ou des jeux
de boule, ou des assemblées des ribauds;
et alors même que ce serait hors des cloîtres,
nous défendons de même ar.x religieux
d'accorder de leur autorité privée ces per-
missions. » (Labbe, t. XI, i" partie, col. 62,
a, b.)
1212. — Concile de Paris, m' partie.—
« C. iv. Les religieuses ne se mettront pas
à la tête des processions qui font en dansant
et en chantant le tour des églises et de leurs
chapelles, ni dans leur propre cloître, ni
ailleurs, ce que môme nous ne croyons pas
pouvoir permettre aux séculiers; car, selon
saint Grégoire, il vaut mieux, le dimanche,
labourer et bêcher que de conduire des
danses. » (Labbe, t. XI, irc partie, col. 72, b.)
1212. — Concile de Paris, iv' partie. —
« C. xvi. Que l'évêque s'abstienne absolu-
ment de paraître aux fêtes des Fous, où l'on
pr.end le bâton ( pastoral); cette défense est
bien plus forte encore quant aux moines et
aux religieuses. » (Labbe, t. XI, i" partie,
col. 79, c.)
1212. — Concile de Paris, ive partie. —
« C. xvui. Nous prohibons aux assemblées
de femmes pour danser et chanter, l'octroi
de permisions d'entrer dans les cimetières
ou dans les lieux consacrés, quels que soient
les égards dus aux coutumes. » ( Labbe, t. XI,
î" partie, col. 79, d, e.)
1229. — Concile de Château- Gontier. —
« C. xxi. Nousavons décrété, dans ce concile
provincial, que les clercs ribauds, surtout
iesgoliards, seraient, sur l'avis des évoques
et des autres dignitaires ecclésiastiques,
rasés et effacés des tableaux des évêchés,
en sorte qu'il ne reste pas trace sur eux
de la tonsure ecclésiastique; toutefois, sans
25
scandale et sans danger
i" partie, col. 442, c.)
1233. — Concile de Be'ziers. — « C. xxm.
Vu et entendu, nous témoignons qu'il y a
des moines... qui, à certaines époques, pour
vendre leurs vins... reçoivent... des gens
vils et déshonnêtes, comédiens, jongleurs,
saltimbanques... ce que nous défendons le
plus strictement. » (Labbe, t. XI, T" partie,
col, 458, e, 459 a.)
1240. — Constitutions de Walter de Chante-
loup. — «C. iv. Nous défendons aux recteurs
des églises et aux prêtres de nourrir des ani-
maux sous les porches des églises, ou d'en
avoir dans l'intérieur ; et s'ils l'osent, qu'ils
le sachent, ils seront sévèrement punis.
« Et pour le respect dû, soit aux cimetiè-
res, soit aux églises, nous défendons qu'il
y ait les dimanches, dans les cimetières, ou
dans tout autre lieu consacré, des marchés ,
des combats judiciaires, ou des jeux déshon-
nêtes; surtout aux vigiles des saints et aux
fêtes des églises ; car c'est plutôt à la honte
qu'à l'honneur des saints. » (Labbe, t. XI, icro
partie, col. 574, e; 575, a.)
1260. — Concile de Cognac. — « C. n.
Comme lesdanses qui sepratiquent habituel-
lement dans certaines églises à la fête
des Saints Innocents, sont, d'ordinaire, l'oc-
casion de querelles et de troubles, même
pendant les saints offices et en tout temps,
nous prohibons désormais ces amusements
sous peine d'anathème ; il ne sera pas créé
non plus d'évêques à cette fête des Inno-
cents; car ce n'est dans l'Eglise de Dieu,
qu'un prétexte de rire, et un-: dérision de la
dignité épiscopale. On célébrera néanmoins
les oflices divins, en ce leinps-Ià , comme
aux autres fêtes, mais avec le plus de dé-
cence possible. » (Labbe, t. XI, i"' partie,
col. 799, d, e.)
1274. — Concile d$ Saltzbourg. — « C.
xvn. Quant à ces jeux impies qu'on ap-
pelle vulgairement les Eplus Puor, (l'Epis-
copat des Enfants), et qui dans certaines
églises ont lieu avec tant d'irrévérence
qu'ils sont cause de fautes giaves et de per-
dition, nous les défendons à ceux qui les
font et surtout aux personnes d'église, à
moins que ceux qui y prennent part n'aient
pas seize ans révolus, et qu'il n'y ait per-
sonne de plus âgé avec eux. » (Labbe, t.
XI, rre partie, col. 1004, c, d.)
1286. — Concile de Ravenne. — « Ruhr. i.
Il y a bien de l'audace à maintenir des cou-
tumes que la loi condamne. Ainsi les ins-
tances des laïques peu favorables en beau-
coup de points aux clercs, ont conservé une
coutume, ou plutôt un abus des temps de
corruption, qui n'est pas sans danger poul-
ies âmes des clercs de noire province. Lors-
que les laïques, en effet, reçoivent la che-
valerie, ou se marient, ils envoient aux gens
du clergé des jongleurs et des histrions à
héberger comme ils le pratiquent du reste
entre eux-mêmes. Il en résulte que les clercs
vivant en commun des biens de leur église,
et ayant réservé pour leurs proches leur
SENTIMENTS DE L'EGLISE SLR LE TIIEA1RE.
» (Labbe, t. XI,
r,
propre patrimoine, sont contraints, non pas
seulement à donner, mais à faire largesse
du bien des églises dû à la piété des fidèles
et attribué uniquement à l'entretien des
pauvres, pour des usages illicites et qui ne
tournent qu'au dénigrement et à la déprava-
tion des personnes d'église. Aussi, dans l'in-
tention de faire cesser cet abus, nous avons
décrété : 1" Aucun des clercs de notre pro-
vince, quelle que soit sa condition ou sa di-
gnité, ne recevra les jongleurs et les his-
trions qu'on lui aura envoyés , ni ne les
hébergera, même en passant. 2° Quiconque
aura transgressé ce canon, sera tenu de
rendre le double de ce qu'il aura donné au
jongleur ou à l'histrion des biens de l'église
dont il est bénéficiaire, et de consacrer cette
somme à l'entretien des pauvres. » (Labbe ,
t. XI, ii' partie, col. 1238, e ; 1239, a.)
1286. — Concile de Bourges. — « C. xxu.
Nous défendons absolument les danses dans
les églises. » (Labbe, t. XI, ir partie, col.
1257, a.)
XIV SIÈCLE. — Vers 1SO0. — Synode de
Bayeux. — « C. xxxi. Les prêtres défen-
dront , sous peine d'excommunication, les
assemblées pour danser et chanter dans les
églises ou dans les cimetières. Ils prévien-
dront les fidèles de n'y plus revenir, saint
Augustin ayant dit : « 11 vaut mieux , un
jour de fête, bêcher ou labourer que danser. »
En effet, on peut juger combien est grave
le péché de danser ou chanter dans le saint
lieu, par la rigueur des canons qui le con-
damnent. Et si des gens ont fait des danses
devant les églises des saints , qu'ils soient
soumis, s'ils se repentent, a une pénitence
de trois ans » (Labbe, t. XI, n" partie,
col. 1454, d.)
1310. — Concile, de Saltzbourg. — « C. m.
La Constitution de dom Boniface, étant ainsi
conçue : « Les clercs immodestes dans leurs
«fonctions, et se livrant aux métiers de jon-
«gleurs, ou de galiards, ou de boulfons, et
« ayant exercé pendant un an ces jeux igim-
« ruinieux, seront, s'ils ne viennent à résipis-
« cence,aumoinsau troisième avertissement,
« privés de tout privilège clérical ; » nous
donnons avis, d'après l'approbation du con-
cile, de ne pas se livrer à cet art défendu,
et à ceux qui l'exercent de le quitter sous
trois mois, formant trois termes péremp-
toiies, à moins qu'ils ne veuillent pas éviter
la peine ci-dessus portée à cause de leur
péché. » (Labbe, t. XI, ne partie, col. 1516,
a, b.)
1344. — Concile deNoyon. — « C. vu. Ayant
appris que, dans beaucoup de villes et de
villages de notre province de Reims ,
des jongleurs et des histrions osent, dere-
chef, porter processionnellement des feux
composés de bougies, comme si c'étaient
des objets consacrés, et induisent à l'idolâ-
trie le peuple qui a en effet du respect pour
ces feux, nous défendons cette pratiquée
l'avenir, avec injonction sévère aux ordi-
naires de punir ces histrions coupables, de
telle sorte qu'ils ne reviennent plus à h ùr
idolâtrie , et qu'il? servent d'exemple à
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
»8
tous. » (Labbe, t. XF, h' partie, col. 1905,
c, d.)
XV SIÈCLE. — 1436. -- Concile de Bdle.
— « Sess. 21. Il est défendu, sous les plus
graves peines, de faire, selon la coutume
tro[> fréquente, des jeux de scènes, des re-
présentations de pièces, de mascarades, des
fictions d'évôques, de rois, de princes, dans
les églises ou les cimetières. » (Labbe, t XIII,
col. 1533, a.)
1440. — Concile en un Uni incertain d'Alle-
magne.— «G. iv. Afin que le patrimoine de
N. -S. J. -G., ne soit pas dévoré vainement, ni
dépensé à dos choses temporelles par les sug-
gestions raffinées du diable, tandis qu'il doit
subvevenir aux besoins des pauvres, nous
avons décrété : les personnes d'église, surtout
celles qui sont rentées, quelle que soit leur
importance, ne donneront rien, ni aux mi-
mes, ni aux jongleurs, ni aux histrions , ni
aux boutions, ni aux gaillards, ni à tout
homme de l'art scénique , sous quelque
prétexte que ce soit, noces, milice ou autre
cause. » (Labbe, t. XIII, col. 1280. j
1445. — Concile de Rouen. — « C. xi.
Pour servir honnêtement et pieusement no-
tre Créateur, le saint synode défend les jeux,
vu'gaireinent nommés des Fous, avec les dé-
guisements et toutes les choses déshonnêtes
dans les cimetières et les églises; car de
tels jeux Irai nent dans la lion te la probi té ecclé-
siastique. Tous ceux donc qui oseront pour-
suivre seront sous le coup d'une excommu-
nication ; et il est décrété que si les auda-
cieux continuateurs ont droit à quelque
chose des biens de l'église, ils en seront
privés pendant trois mois, et les biens seront
partagés aux honnêtes personnes du chœur. »
(Labbe, t. XIII, col. 1304.)
1445. — Concile de Rouen. — « C. xxx.
La très-sainte nuit de la Nativité de N.-S.
J.-C. venu au monde pour nous racheter,
nous, très-misérables pécheurs, au prix de
son propre sang, devant être pour les Chré-
tiens l'occasion de leur salut, il faut qu'ils
soient pieux et s'abstiennent dé toutes
choses irrévérencieuses envers leur Créateur.
Le saint synode les exhorte et les convie donc
à s'abstenir tous, en respect de Noire Sau-
veur, des jeux d'osselets ou de toutes choses
déshonnêtes, sous peine d'être punis.»
(Labbe, t. XIII, col. 1307, b, c.)
1448. — Concile d'Angers. — « C. vi. Comme
on peut affirmer que tous les jeux sont
nuisibles, l'expérience ayant prouvé qu'à
leur pernicieuse occasion tout tour.œ à
l'opprobre de l'Eglise; et comme dans cer-
taines églises et lieux de la province de
Tours, il y a des coutumes contraires à des
mœurs pures et honnêtes, telles que celle
en vertu de laquelle, le lendemain de
Pâques, les personnes d'église entrent dans
les maisons, tirent du lit les habitants, les
entraînent sur les places et par les rues, et
leur jettent de l'eau avec de grands cris, au
grand trouble du service divin, et au risque
de blessures et de mutilations ; ou telles
que celles du premier mai, où clercs et laï-
ques pénètrent encore dans les maisons et
contraignent, en s'emparant des vêtements
et des objets, les propriétaires à se rédi-
ïiier: au nom de ce concile sacré, nous décré-
tons le terme dernier de ces coutumes, et
que ceux qui oseraient poursuivre, soient,
selon notre voeu, accablés de la juste
haine des victimes. » (Labbe, t. XIII, col.
135'i., e.)
1456. — Concile de Soissons. — « Le saint
concile mande et ordonne... que les jeux
de déguisement el de théâtre, les danses,
les marchés et les affaires, qui troublent
l'office divin 1 1 la décence soient prohibés.»
(Labbe, t. X1H, col. 1397, c, d.)
1473. — Concile de Tolède. — « C. xix.
L'Eglise où notre rédempteur Jésus, au nom
de qui tout le monde fléchit le genou, s'im-
mole incessamment pour nous, doit être
surtout purgée de choses honteuses. Aussi,
dans nos métropoles, nos églises cathédrales
et autres, la coutume inepte étant, aux fêtes
de Noël, de S. Etienne, S. Jean et des SS. In-
nocents, et autres, pendant les messes so-
lennelles, d'introduire dans l'église des lar-
ves, des monstres, et d'y faire des jeux de
théâtre et des montres, toutes choses incon-
venantes; en outre d'y parler tumultueuse-
ment, de pousser des cris, de chanter des
vers, et de tenir des discours dérisoires, qui
empêchent l'office et détournent l'esprit du
peuple des choses pieuses, nous défendons, »
etc. (Labbe, t. XIII, col. 1460, a, b.)
1485. — Concile de Sens. — « C. ni. Les
danses, les jeux de théâtre, profanant les
temples el vilipendant les choses sacrées et
les personnes d'église..., nous défendons....
si en commémoration des fêtes ou à la gloire
de Dieu el des saints, on fait quelque chose,
selon la coutume de l'Eglise, à Noël ou à la
Résurrection, que ce soit honnêtement, pai-
siblement, en peu de temps, sans empêche-
ment ni amoindrissement des offices, sans
masque, ni barbouillage sur la figure, après
une permission spéciale de l'Ordinaire, et
le bon plaisir des ministres de l'église. »
(Labbe, t. XIII, col. 1728, b, c.)
X\T SIÈCLE. — 1524. — Constitutions de
l'Eglise réformée de Germanie. — « C. ni. Les
personnes d'église éviteront les danses, les
spectacles, les repas publics, dans la crainte
que, h cause de leur luxe, ou par suite de
quelque désordre, leur nom ne sonne mal. »
(Labbe, t. XIV, col. 417, c.)
1528. — Concile de Sens. — « C. xxv.
Que les ecclésiastiques ne se mêlent point
aux danses publiques, aux assemblées;
qu'ils ne chantent point de chansons dés-
honnêtes et d'amour, et n'en écoutent point
chanter.
« Qu'on ne les voie pas sur la scène comme
des histrions, qu'ils ne fassent point de
édies en langue vulgaire, et ne livrent
coi
pas leur personne en spectacle, soit dans
leur intérieur, soit dans des lieux publics. »
(Labbe, t. XIV, col. 474, e; 475, o.)
J3V9. — Deuxième concile de Trêves. -
« C. x. Si quelqu'un, clerc ou laïque, aux
29
SENTIMENTS DE L'EGLISE SUR LE THEATRE.
50
dites fêtes, se livre à des danses, des jeux,
nous ordonnons qu'il soit puni par les ofli-
cialilés. » (Labbe, t. XIV, col. 713, e.)
1551. — Concile de Navbonne. — «C. xvm.
Le temps passé ici-bas étant l'objet d'un
compte avec Dieu, saint Paul, dans son cin-
quième chapitre aux Ephésiens, donne avis
aux clercs de n'agir, dans toutes leurs ac-
tions, paroles ou œuvres, qu'au nom rie
Notre Seigneur Jésus-Christ, en rendant
grâces à Dieu le Père par son Fils, et en
pratiquant son service, non pas en vue de
l'unique plaisir des hommes, mais avec sim-
plicité et crainte du Seigneur. Dans le qua-
trième chapitre aux Philippiens, le môme
apôtre veut que la vie modeste du prêtre
soit visible pour tous, et comme il y a lieu
h mille péchés dans les divertissements ,
le Synode ordonna de fuir toute sorte de
divertissements, surtout ceux publics, et de
ne se mêler en aucune façon des jeux qui
sont spécialement prohibés, afin que nul
n'encoure les punitions ci-dessus (excommu-
nication; c. xv). » (Labbe, t. XV, col. \k, d.)
«C.xix. Les clercs ne se mêleront pas aux
danses ou réunions, qui ne sont que le témoi-
gnage de la légèreté et de l'inconsistance de
l'esprit ; ils ne feront pas de mascarades, et
ne se montreront pas en compagnie de gens
déguisés; enfin ils ne perdront leur temps ni
à écouter ni à regarder des saltimbanques
ou des histrions, ou quiconque fait métier
de ces jeux, sous condition des peines ci-
dessus. » (Labbe, t. XV, col. \k, e; 15, a.)
« C. xlvi. Le soin des ûmes devant
être mis au-dessus de tout, le culte de
Dieu et les saints offices, soit à la louange
du nom du Seigneur, soit de sa très-glo-
rieuse Mère, soit do tous les Saints, doi-
vent êtie pratiqués par tous les Chré-
tiens avec beaucoup de piété; ce dont nu!
ne doute;
« Et comme l'ardeur pieuse de beaucoup
de fidèles se refroidit, et que la religion du
peuple diminue, à tel point que le culte di-
vin est négjigé par la malice humaine;
« Il est défendu, par le présent édit, de
pratiquer, dans les temples, soit les jours de
fête, soit en tout autre temps, ni spectacles
(amusements des sots et des enfants) , jni
jeux, ni chants séculiers, ni battements de
mains; et soit clercs, soit laïques, de faire
quoique ce soit de ces choses qui éloignent
le peuple de la véritable niété, telles enfin
que les toux et les rires ;
« Cet édit contre les spectacles dans les
églises, devant être observé avec rigueur,
dans la crainte de la peine de l'excommuni-
cation. » (Labbe, t. XV, col. 26, a, b.)
«C.XLvn. Des réunions, des danses, et toutes
sortes de jeux honteux et infâmes, étant pra-
tiqués dans les églises, à la honte suprême du
nom Chrétien etau mépris des choses saintes,
le concile a voulu aholir pour jamais ces
coutumes, personne ne devant plus avoir
désormais l'audace de faire des réunions et
des danses, ni dans les temples, ni au du--
'dois, ni dans les cimetières, pendant la célé-
bration des ofiiecs divins.
« Et pourôter tout prétexte à ces honteux
abus, nous défendons aux curés :
« 1° De permettre jamais à leurs parois-
siens les repas que l'on nomme défruits,
dont les accoutumés doivent être chassés
des lieux hantés par les prêtres;
«2° De tolérer le chant vulgaire du Mémento,
Domine, sans truffe, etc., ni tous autres éga-
lement ridibules, qui n'ont lieu qu'en déri-
sion de l'office divin, comme à la honte et
au déshonneur de tout le clergé.
« Aussi, après la suppression de ces usa-
ges, nous ordonnons aux curés d'empêcher
tous autres analogues, soit aux fêtes, soit
aux commémorations des morts , sous
peine d'excommunication et de îous autres
châtiments disciplinaires. » (Labbe, t. XV,
col. 20, c,d.)
150i. — Concile de Reims. — « C. xvn Il
faut que tout le clergé, appelé au service de
Dieu, ait une vie et des mœurs.... très-gra-
ves.... et selon notre autorité, il est bon
d'observer avec le plus de soin, tout ce qui
est resté des avis des Souverains Pontifes
ou des conciles sur la vie, le respect, l'hon-
nêteté et la doctrine du clergé, à propos du
Juxe, des repas, des danses, des jeux et des
spectacles , toutes coutumes criminelles,
propres aux laïoues. » (Labbe. t. XV, col. 51,
1505. — Concile de Cambrai, — «Tit. VI,
C. xi. — Comme à certains jours de fête,
sous prétexte d'une honnête récréation, il
est des coutumes, suivies même par les ec-
clésiastiques, qui, par suite de la licence qui
y grandit, sont, pour les fidèles, le sujet de
pét hés cdrtsjdérablcs,... et dans lesquelles i!
n'y a qu'inepties..', ou souvenirs du paga-
nisme,.-, les prêtres se refuseront absolu-
ment a ces exigences populaires. »( Labbe,
t. XV, col. 160, "«. 6.)
1505. — Premier Concile de Milan. —
« C. xxv. Les prêtres n'assisteront ni aux
fables, ni aux comédies, ni aux tournois, ni
à aucun des spectacles des hommes profanes
et vains. » (Labbe, t. XV, col. 276, e.)
1506. — Concile de Tolède. — « C. xxi.
Les églises ayant été consacrées à Dieu pour
qu'un culte paisible et révérencieux y soit
pratiqué avec toute la piété chrétienne, le
saint Synode prohibe, à. l'avenir, tous les
abus du Jour des Innocents : on fait alors
dans les temples des jeux de théâtre publics,
à la grande honte du clergé, et à l'offense de
la majesté divine, qui, bien loin de porter
les esprits aux choses spirituelles, les atti-
rent vers le péché : or tout prêtre ayant pris
part à ces choses, ou les ayant permises au
lieu de les proscrire, sera suspendu par sou
évèque pendant six mois, et en outre, paiera
une amen. le applicable aux besoins de la
fabrique.
« Le saint Synode décrète aussi que ces
honteux abus seront également prohibés
dans les églises cathédrales, ou dans les
monastères, entre autres cette élection d'un
évèque des enfants qui a lieu à certains temps.
M
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
• « Il n'y aura non plus ni spectacles, ni
jeux, ni danses, soit aux fêtes, soit aux pro-
cessions. » (Labbe, t. XV, col. 764, c. d, e.)
1581. — Concile de Rouen. — « C. ni. (De
cul tu divino in génère) — Nous condamnons
comédies, les jeux de la scène ou du théâ-
tre, et tous autres spectacles irréligieux,
sont prohibés , sous peine d'analhème. »
(Labbe, t. XV, col. 1019,6.)
1584. — * Concile de Bourges. C. v. Les
et nous réprouvons les repas, les débauches, enfants de chœur ne monteront pas sur les
les jeux pervers et deshonnêtes, les danses
pleines de folies , les chants honteux, et en
un mot tous les plaisirs coûteux et ruineux,
dont on profane les fêtes.
« Nous voulons que les curés et les vicai-
res dénoncent au prône, les jours d'assem-
blée, que, selon le décret de ce Synode, se-
ront excommuniés tous ceux qui, au mépris
des fêtes et de l'Eglise, se seront préoccupés
des pratiques ci-dessus et non du service
divin. » (Labbe, t. XV, col. 825, d.)
1583. — Concile de Bordeaux. — « C. vi.
Les dimanches et les fêtes ont été institués
pour éloigner un moment les chrétiens des
choses extérieures et des soins de la vie, et
leur donner le temps de s'occuper avec plus
de piété du culte divin et de repasser dans
leur mémoire les infinis bienfaits de la grâce
divine vis-a-vis des humains ; il faut donc
qu'ils prennent bien garde, selon le mot
d'Ignace aux Philippiens, de passer ces jours
sans offense et sans péché.
«Néanmoins, de nos jours, onacoutume
de passer les jours de solennités religieuses,
non-seulement au milieu des affaires illi-
cites du siècle, mais encore dans le plaisir,
sièges des chanoines et des prêtres pour
chanter; aux fêtes des SS. Innocents, ils ne
prendront pas les vêtements et les ornements
des prêtres ou des évoques ; ni le costume
royal, ni tout autre leur étant inaccoutumé;-
afin de n'être pour personne un sujet de dé-
rision ou de scandale. » (Labbe, t. XV, col.
1083, c.)
1594. — Concile d'Avignon. — « C. xxxik
Les ecclésiastiques n'assisteront ni aux bals,
ni aux spectacles, ni à tous les jeux profa-
nes. » (Labbe, t. XV, col. 1454, 6.)
1G09. — Concile de Narbonne. — « C. xli.
Nous défendons aux clercsde donnerdes bals
ou d'y assister, sous quelque prétexte que
ce soit ; de paraître aux jeux publics ; de se
masquer ou d'être avec des personnes mas-
quées; de faire des comédies ou des récits
fabuleux pour les théâtres, et de fréquen-
ter les comédiens. » (Labbe, t. XV, col.
1616, d.)
Les prescriptions des conçues et assem-
blées synodales n'ont désormais plus trait au
théâtre du moyeu âge; elles ne concernent
que le théâtre en général, repoussé par l'E-
la débauche, l'es jeux et les spectacles dé- Sliso davantage encore que dans les temps
fftr„i,ie. antérieurs. 11 faut arriver a la premiero
xixe siècle pour retrouver les
fendus.
« Et il n'y a pas à douter que les grands
malheurs de ce siècle, dont nous sommes
accablés, ne nous soient inlligés par Dieu,
irrité de nos crimes.
« C'est pourquoi... nous prohibons... »
(Labbe, t. XV, col. 951, 6, c,d, e.)
1583. — Concile de Reims. — « C.V. {De die-
bus festis. — Nous défendons absolument
les jeux de théâtre, même ceux que les cou-
tumes ont le plus enracinés, et toutes ces
puérilités, toutes ces sottises, qui souillent
la décence ecclésiastique, et la piété, aux
fêtes du Christ et des saints : ceux qui iront
contre devront être, selon notre volonté, pu-
nis par leurs supérieurs. » (Labbe, t. XV,
col. 889, 6, c.)
1583. — Concile de Tours, — « C. xi. Les
moitié du
mystères et moralités. Cependant Martin Gei-
bert a noté, en 1651, les défenses du concile
de Cologne contre la fête des Fous.
183'*, 1er juin. — Mandement de Vévéque
de Cambrai. — « En vertu des canons dos.
conciles, nous défendons aux curés de lais-
ser continuer les spectacles, soit de l'adora-
tion figurée des pasteurs, dite vulgairement
Bethléem, aux offices de Noël; soit de la
Passion, ou enfin de toute représentation fi-
gurée dételle ou telle autre particularité...;
car il n'y a là que le souvenir de jeux de
théâtre, dont l'intention peut être pieuse,
mais qui, malgré cela, sont contraires à une
saine connaissance de la vérité. » (Cambrai,
Lesne-Daloin, 1834.)
II. ÉCRITS DES SAINTS PÈRES.
I" SIÈCLE. — Dans le chap. 32 du livre vin
des Constitutions Apostoliques. « Que celui
qui est attaché aux spectacles du théâtre,
quitte cet attachement, ou qu'il ne soit point
admis à recevoir le baptême. »
11" SIÈCLE. —Théophile patrarche d'An-
tioche, dans le mc livre à Aulolyque, contre
les calomniateurs de la religion Chrétienne.
— «Il nous est défendu d'être spectateurs des
duels, de peur (pie nous ne devenions com-
plices des meurtres qui s'y font : Nous n'o-
serons pas assister aux autres spectacles,
de peur que nos yeux n'en soient souillés,
et que nos oreilles ne soient remplies de
vers profanes qu'on y récite; comme lors-
qu'on décrit les crimes et les actions tragi-
ques de Thyeste, et qu'on représente Térée.
mangeant ses propres enfants; et il ne nous
est pas permis d'entendre raconter les adul-
tères des dieux et des hommes, que les
comédiens attirés par l'espoir du gain,
célèbrent avec le plus d'agrément qu'il leur
est possible ; mais Dieu nous garde , nous
qui sommes chrétiens, dans qui la modes-
53
SENTIMENTS 1>E L'EGLISE SLR LE THEATRE.
U
tic, la tempérance et la continence doivent
reluire, qui regardons comme seul légitime
le mariage avec une seule femme; nous
chez qui Ja chasteté est honorée , qui fuyons
l'injustice, qui bannissons le péché, qui exer-
çons la justice, dans qui la loi deDieu règne,
qui pratiquons la véritable religion, que la
vérité gouverne, que la grâce garde, que la
paix protégé, que la parole divine conduit,
que la sagesse enseigne, que Jésus-Christ
qui est la véritable vie régit, et que Dieu
seul règle par l'empire qu'il a sur nous :
Dieu nous garde, dis-je, de penser à de tels
crimes, bien loin de les commettre. »
Tatien, dans le Traité qu'il a composé
contre les Grecs. — « A quoi me sert un
Oreste furieux, ainsi qu'Euripide le repré-
sente, ou un autre qui vient nous entretenir
du meurtre qu'AIcméon fit de sa mère, ou
bien celui qui porte un masque ou qui fait
des grimaces ayant l'épée au côté, et jetant
des cris, ou celui qui s'habille d'une manière
indigne d'un homme? Laissons les fables
d'Hégésilaus et du poète Ménandre ; pour-
quoi perdrai-je le temps à admirer dans
les fables un joueur de flûte , et pourquoi
m'arrêterai-je à considérer un Antigénide
Thébain, disciple de Philoxène, qui faisait
ce métier ? Nous vous laissons ces choses
frivoles et inutiles, mais croyez plutôt les
vérités de notre religion, et quittez à notre
exemple ces badineries. »
Tertullien, dans Y Apologétique, chap. xv.
— «Tous ces esprits libertins qui travaillent
pour vous donner du plaisir, tirent leurs
sujets des actions déshonnêtes qu'ils attri-
buent à vos dieux. Quand vous voyez jouer
les pièces divertissantes d'un Lentulus et
d'un Hostilius, dites-moi si ce sont vos far-
ceurs, ou vos dieux qui vous font rire; vous
y entendez parler d'un Anubis impudique,
d'une lune de sexe masculin, et d'une Diane
3ui a été fouettée ; on y récite le testament
'un Jupiter qui est mort ; on y fait des
railleries des trois Hercules affamés. Outre
cela les comédies et les tragédies expriment
tout ce qu'il y a de honteux dans l'histoire
de vos dieux ; vous regardez avec plaisir le
soleil plaindre le malheur de son fils qui est
tombé du ciel; vous voyez sans rougir que
Cybèle soupire pour un berger qui la mé-
prise ; vous souffrez que l'on représente
tous les crimes deJupiler, et que Paris juge
le dilférend de Junon, de Minerve, et de
Vénus. Mais n'est-ce pas quelque infâme
qui se masque du visage de votre Dieu?
N'est-ce pas quelque vicieux qui paraît sur
la scène, avec un port contraint , et une
voix efféminée, pour faire une Minerve ou
un Hercule? Dites-moi si, quand vous ap-
prouvez ces sacrilèges par les louanges et
les applaudissements que vous leur donnez,
vous ne violez pas la majesté des dieux,
et vous ne profanez pas la divinité? »
Chap. 38. — « Nous renonçons à vos
spectacles, comme nous en condamnons les
diverses origines, par la connaissance que
nous avons que ce sont des effets de la su-
perstition, et de l'idolâtrie. Enfin nous nous
moquons de tout ce qui s'y passe, nous
n'avons aucun commerce avec les fureurs
du cirque, avec l'impudicité du théâtre, avec
les vains exercices des athlètes, et avec les
cruautés de l'amphithéâtre. 11 a été permis
aux épicuriens de se feindre une volupté,
en laquelle ils ont établi la vérité du sou-
verain bien ; en quoi donc vous offensons-
nous , si nous prenons d'autres voluptés
que vous? Mais si nous voulons ignorer
toutes sortes de réjouissances, il mesemb'e
que ce n'est pas votre intérêt , et que si en
cela il y a quelque perte, elle tombe toute
sur nous. Nous rejetons , dites-vous , les
choses qui vous plaisent. Nous avons droit
de le faire, puisque nos plaisirs ne sont
pas les vôtres. »
Tertullien, dans le Traité des spectacles.
— Chap. 1. — « Serviteurs de Dieu qui
êtes prêts d'entrer au service de sa divine
Majesté; et vous qui y êtes entrés par la con-
fession , et par la déclaration que vous en
avez fait au baptême, sachez et reconmiissez
que l'état de la foi, l'ordre de la vérité, et la
loi de là discipline chrétienne, condamnent
absolument le divertissement des spectacle.^
comme les autres dérèglements du monde,
afin qu'aucun de vous ne pèche par igno-
rance, ou par dissimulation. Car la volupté
a un si grand pouvoir sur les hommes >
qu'elle les porte 5 embrasser les occasions
du péché par l'ignorance , et à trahir leur
conscience par la dissimulation. »
Chap. 3. — « Il y a des fidèles qui, par sim-
plicité ou par défaut de docilité , ont peine
à croire qu'ils soient obligés de se priverdu
divertissement des spectaeles, parce que, di-
sent-ils, il ne paraît point dans l'Ecriture
sainte que cela soit défendu aux serviteurs
de Dieu. Il est vrai que nous ne trouvons
pas dans la sainte Ecriture cette défense en
termes exprès: vous n'irez point au cirque ,
vous n'assisterez pas aux comédies, vous rte
serez point spectateurs des combats des
athlètes , ou des gladiateurs : comme il est
dit en termes formels. Vousne tuerez point,
vous n'adorerez point les idoles, vousne
commettrez point d'adultère, vous ne déro-
berez point; vous ne ferez point injure à
votre prochain. Mais néanmoins la condam-
nation des spectacles est assez clairement
exprimée, par ces premières paioles des
Psaumes de David. Bienheureux est l'homme
qui n'est point allé dans le conseil des impies,
qui ne s'est point arrêté dans la voie des pé-
cheurs , et qui ne s'est point assis dans la
chaire de pestilence. »
Chap. 14. — « Peut-on dire que les spec-
tacles ne sont pas défendus par la sainte
Ecriture, puisqu'elle condamne touie s< rte
de concupiscence? Car comme la concupis-
cence comprend l'avarice, l'ambition , la
gourmandise et la luxure , elle comprend
aussi la volupté. Or, les spectacles sont une
espèce de volupté. »
Chap. 4. — « Je passe à l'autorité prin-
cipale qui est tirée du sceau de noire foi.
Lorsqu ! dans l'eau du baptême nous faisons
profession de la foi de Jésus-Christ , selon
00
MCTIOSNAIRE DES MYSTERES.
55
îa forme et la manière de sa loi, nous dé-
clarons de notre propre bouche que nous
avons renoncé au diable, à ses pompes, et
à ses anges» sinon l'idolâtrie qui comprend
tous les esprits d'impureté et de malice ?
Si nous faisons donc voir qu'il est constant,
(pie tout l'appareil des spectacles appartient
à l'idolâtrie, il s'ensuit, par une consé-
quence indubitable, que par le témoignage,
et par la promesse solennelle, que nous
avons fait au baptême de renoncer au diable,
à ses pompes, à ses anges, nous avons aussi
renoncé aux. spectacles. »
Chap. 10. — « Quant aux comédies, si
nous considérons l'origine du théâtre , qui
est le lieu où elles sont représentées, nous
trouverons que c'est le temple de Vénus ;
c'est sous ce litre qu'il a été établi dans le
monde ; car auparavant, dès qu'on dressait
des théâtres, souvent lus censeurs les fai-
saient abattre pour conserver la pureté des
mœurs dont ils prévoyaient la corruption ,
îa ruine inévitable si l'on souffrait la licence
des spectacles. Ainsi les sentiments des
païens qui sont aussi les nôtres en ce point,
leur sont un témoignage de l'impiété des
comédies, comme les règlements même de
la discipline humaine nous servent do pré-
jugé contre ce dérèglement. Le grand Pom-
pée qui s'est surmonté lui-même par la
magnificence de son ihéâlre, ayant bâti cet
asile de toutes sortes d'impuretés, craignant
d'en être un jour repris par les censeurs, et
de s'attirer par là quelque flétrissure inju-
rieuse à sa mémoire, fit bâtir en ce lieu un
temple à l'honneur de Vénus, et dans
l'édit qu'il publia pour appeler le peu
pie à la consécration de cet édifice , il j
ne lui donna point le nom de théâtre, mais
de temple de Vénus, au-dessus duquel, dit-
il, nous avons mis des sièges pour ceux qui
assisteront aux spectacles ; ainsi sous le
titre d'un temple, il éleva ce bâtiment détes-
table , employant la superstition pour se
jouer de la discipline. El ce lieu n'est pas
seulement consacré à Vénus , il est aussi
dédié à Bacchus. Ces deux démons de l'ivro-
gnerie et de l'impureté, sont unis ensemble;
de sorte que le théâtre est la maison de Vé-
nus et de Bacchus. Les arts aussi qui ap-
partiennent à la comédie sont sous la pro-
tection de Vénus et de Bacchus. L'art qui
règle les gestes et les différentes postures
du corps, qui appartient proprement à la
comédie est consacré à la mollesse de Vénus
et de Bacchus, qui sont deux démons éga-
lement dissolus, l'un en ce qui regarde le
sexe et l'autre en ce qui regarde le luxe et
la débauche. Les concerts de musique, de
violes et de luths sont dédiés à-Apollon,
aux Muses, à Minerve et à Mercure, qui les
ont inventés. Vous qui êtes chrétiens, haïs-
sez et détestez ces choses dont les auteurs
ne peuvent être que l'objet de votre haine
et de votre aversion. »
Chap. 15. — « Quelque bon et modéré
que soit l'usage que les hommes peuvent
faire des spectacles selon leur dignité, selon
leur â^e, ou même selon la condition de leur
nature, néanmoins leur esprit n'est point si
insensible qu'il ne soit agité de quelque
passion secrète : nul ne reçoit de plaisir
sans affection ; et il n'y a point d'affection
qui ne soit accompagnée de ces circonstan-
ces qui l'excitent. Que si quelqu'un assiste
à la comédie sans affection et sans plaisir,
il ne laisse pas d'être coupable du péché de
vanité, allant en un lieu où il ne profite de
rien; or j'estime que la vanité ou l'occupa-
tion en des choses inutiles, est un péché
dont nous devons nous éloigner. Mais d'ail-
leurs celui qui assiste à la comédie, ne se
condamne-t-ii pas lui-même , puisqu'en ce
qu'il ne voudrait pas être semblable à ces
acteurs, il confesse qu'il les déteste. Quant
à nous, il ne nous suffit pas de ne commet-
tre rien de semblable; mais nous sommes
encore bien obligés de ne point favoriser
de notre consentement et de notre approba-
tion ceux qui commettent ces crimes : si
vous voyez un larron, dit le Roi-Prophète
(ps. xlixv 18), vous courez avec lui. Plut à
Dieu qu'il nous fût possible de ne point vi-
vre en ce monde parmi ces gens-là : mais
au moins nous devons nous séparer des
œuvres du monde, parce que si le monde est
un ouvrage de Dieu, les œuvres du monde
ne sont que l'ouvrage du diable. » \*\
Chap. 1$3 — « Si les tragédies et les co-
médies so'nt des représentations de crimes
et do passions déréglées, elles sont san-
glantes, lascives, impies, et d'une dépense
désordonnée , car la représentation d'un
crime énorme ou d'une chose honteuse,
n'est point meilleure que ce qu'elle repré-
sente. Comme il n'est point permis d'ap-
irouver un crime dans l'action qui Je
commet, il n'est pas aussi permis de l'ap-
prouver dans les paroles qui nous le font
connaître. »
Chap. 22. — « Les auteurs des spectacles
et ceux qui sont chargés de les faire repré-
senter abaissent autant les comédiens qu'ils
relèvent la comédie ; ils les déclarent infâ-
mes par leurs édits, ils leur font changer
d'état pour les exclure de la cour, du bar-
reau, du sénat et de l'ordre des chevaliers ;
ils les privent de tous les honneurs et de
toutes les dignités. Qui vit jamais un pareil
désordre? Ils aiment ceux qu'ils condam-
nent, ils méprisent ceux qu'ils approuvent,
ils approuvent l'art et ils noient d'infamie
ceux <iui l'exercent. N'est-ce pas un étrange
jugement que de flétrir un homme pour cela
même qui le rend recommandable? ou plutôt
n'est-ce pas avouer clairement qu'une chose
est pernicieuse lorsque ceux qui la font,
quelque agréables qu'ils soient, sont notés
d'infamie ? »
Chap. 23. — « Puisque les hommes quel-
que favorables qu'ils soient aux divertisse-
ments de la volupté, jugent ceux qui en sont
les acteurs, indignes d'être admis aux di-
gnités, et qu'ils les notent d'infamie, com-
bien plus sévère sera le jugement que la
justice de Dieu exercera contre eux ? »
Ctiap. 25. — « Un homme pensera-t-il à
Dieu dans les lieux où il n'y a riea de Dieu?
57
apprendra-t-il 5 être chaste lorsqu'il se
trouve tout transporté et comme enivré
du plaisir qu'il prend à la comédie? Mais
il n'y a rien de plus scandaleux dans tous
les spectacles, que de voir avec quel soin
et avec quel agrément les hommes et les
femmes y sont parés ; l'expression de leurs
sentiments conformes ou dillerenls pour
approuver ou pour désapprouver les choses
dont ils s'entretiennent, ne sert qu'à exciter
dans leurs cœurs des passions déréglées.
Enfin nul ne va à la comédie qu'à dessein
de voir, et d'y être vu. Comment un homme
se représentera -t-il les exclamations d'un
prophète, en môme temps qu'il sent frapper
ses oreilles par les cris d'un acte ir de tra-
gédie ? Comment repassera-t-il en sa mé-
moire quelque chose des psaumes, lorsqu'il
rend son esprit attentif aux vers que récite
un comédien? A Dieu ne plaise que ses
serviteurs se laissent emporter à une telle
passion , pour un plaisir pernicieux; car
n'est-ce pas un aveuglement étrange de
quitter l'église de Dieu pour courir à celle
du diable? C'est tomber du ciel, comme on
dit, dans un égout d'ordures. N'est-ce pas
une chose honteuse d'honorer les comé-
diens de votre approbation et de vos applau-
dissements en frappant des mains, que vous
venez d'élever pour invoquer le nom de
Dieu? »
Cbap. 26. — « Pourquoi donc ces gens qui
vont aux spectacles ne sont-ils pas possédés
du démon? Nous en avons l'exemple d'une
femme dont Dieu est témoin, laquelle étant
allée à la comédie en sortit avec un démon
dans son corps; et comme on pressait ce
malin esprit dans l'exorcisme, sur ce qu'il
avait eu la hardiesse d'attaquer une fidèle ;
il répondit hardiment : « J'ai eu droit de le
faire, puisque je l'ai trouvée dans un lieu
qui m'appartient. » Une autre femme étant
aussi allée à la tragédie, la nuit suivante
elle vit en songe un suaire, et il lui sembla
qu'on lui reprochait la faute qu'elle avait
commise d'avoir assisté à cette tragédie, en
lui représentant môme le nom de l'acteur ;
ce qui l'effraya tellement qu'elle mourut
cinq jours après. Combien d'autres exem-
ples y a- t-il de ceux qui, suivant le parti
du démon dans les spectacles, ont secoué le
joug du Seigneur, car personne ne peut
servir deux maîtres. Quel commerce peut-il
y avoir entre la lumière et les ténèbres ,
entre la vie et la mort ? »
Chap. 27. — « Chrétiens, ne fuirez-vous
point ces sièges des ennemis de Jésus-Christ,
celte chaire de pestilence, cet air tout infecté
par ces voix exécrables ? Encore qu'il n'y
eût rien dans les spectacles qui ne lût doux,
agréable, simple, et qu'il y eût même quel-
que chose d'honnête, ils n'en seraient pas
moins dangereux ; car comme personne ne
mêle le poison avec le tiel ou avec de l'ellé-
bore, mais le met dans les viandes bien
apprêtées, douces et agréables au goût, de
même le diable répand son venin sur les
choses de Dieu les plus agréables. Que tout
ce qui se passe à la comédie soit généreux,
SENTIMENTS DE L'EGLISE SUfl LE THEATRE.
honnête, harmonieu
, charmanl et subtil :
Regardez tout cela eomsie un breuvage de
miel dans une coupe empoisonnée; et con-
sidérez qu'il y a [dus de péril à se laisser
emporter à la volupté, qu'il n'y a de plaisir
à s'en^rassasier. »
Chap. 28. — « Pendant que le monde se
réjouira, dit Notre-Seigneur, vous "serez dans
la tristesse. Pleurons donc pendant que les
gens du monde et les païens se réjouissent,
afin que lorsqu'ils commenceront à tomber
dans l'état épouvantable de douleur, (pie la
justice de Dieu leur réserve, nous puissions
entrer dans la joie que Notr^-Seigneur pré-
pare aux prédestinés : Car si nous voulons
être dans la joie avec eux -en ce monde,
nous serons allligés avec eux éternellement.
C'est une grande sensualité à des Chrétiens
de chercher leurs plaisirs en ce monde ;
ou plutôt, c'est une grande manie décon-
sidérer, comme un véritable plaisir les vo-
luptés de ce siècle. Quelques philosophes
ont donné ce nom au repos et à la tran-
quillité ; ils en ont fait l'objet de leur joie ,
de leur application et de leur gloire ; et
vous Chrétiens, vous ne soupirez qu'après
les comédies? Nous sommes si éloignés de
pouvoir vivre sans volupté, que même nous
devons trouver de la volupté dans la mort ;
car notre plus grand désir doit être à l'imi-
tation de l'Apôtre, de sortir de cette vie et
souhaiter d'être unis à Dieu. Or, nous de-
vons trouver nos délices dans l'accomplis-
sement de nos désirs. »
Chap. 29. — «Vous voulez passer toute vo-
tre vie dans les délices? c'est une étrange in-
gratitude de n'estimer pas autant qu'il le
faut, de ne vouloir pas même connaître les
abondantes et précieuses délices que Dieu
vous a préparées. Qu'y a-t-il de plus ai-
mable et de plus propre à nous donner une
extrême joie que d'être réconciliés avec
D.eu , que d'être éclairés de la vérité, que
de connaître les erreurs qui lui sont oppo-
sées , que d'être assurés du pardon de tant
de crimes que l'on a commis ? Quelle plus
grande volupté peut-on sentir, que celle qui
nous dégoûte de toutes les auties voluptés,
qui nous l'ait mépriser le siècle , qui nous
établit dans une véritable liberté, qui con-
serve la pureté de notre conscience , qui
nous rend satisfaits de notre condition pré-
sente, qui fait que nous n'avons aucune
crainte de la mort , qui nous fait fouler aux
pieds les idoles des païens , qui nous rend
nous
à les
leurs
s, et
victorieux des démons , qui fait que
ne vivons que pour Dieu? Ce sont-
voluptés des Chrétiens; ce sont-là
spectacles, spectacles saints, é;erne
qui leur sont donnés gratuitement. Us nous
représentent les jeux du cirque d'une ma-
nière mystérieuse : au lieu d'y voir la
course des chariots , représentez-vous le
coins du siècle et du temps qui passe ; con-
sidérez l'espace de votre vie ; et au lieu du
terme et du bout de la carrière, regardez
la fin du monde ; au lieu des partis du cir-
que, défendez le parti de l'Eglise; attendez
avec vigilance le signal uue Dieu vous duu-
33
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
« ■
nftra pour voas présenter devant son tri-
bunal. Tenez-vous prêts au son de la trom-
pette , et à la voix de l'ange qui vous
avertira ; considérez la victoire et la cou-
ronne des martyrs, comme l'objet de votre
gloire.
« Aimez-vous les doctes comédies ? Il y a
plus de doctrine dans nos exercices ; les
vers y sont plus beaux, les sentences plus
solides, les airs plus agréables, les voix
plus charmantes : au lieu des fables, vous y
trouverez des vérités ; au lieu des fourbe-
ries, une sainte simplicité; vous y verrez
l'impureté bannie par la chasteté ; la perfi-
die détruite par la foi; ia cruauté abattue
par -Ut miséricorde ; l'insolence chassée par
la modestie. Ce sont là nos spectacles où
nous sommes couronnés. »
Chap. 30. — « Mais quel sera ce specta-
cle, qui s'approche de l'avènement du Sei-
gneur, lorsqu'il viendra faire éclater sa
majesté, lorsqu'il paraîtra tout brillant de
gloire dans la pompe d'un magnifique triom-
phe? Quelle sera la joie des anges ? Quelle
sera la gloire des saints qui ressusciteront?
Quelle sera la magnificence du royaume
qui est préparé aux justes? Quel sera l'éclat
de la nouvelle cité de Jérusalem ? Mais ce
sera bien un autre spectacle, lorsque le
dernier jour du jugement arrivera, d'où dé-
pend l'éternité des peines ou des récom-
penses; ce jour que les nations n'attendent
point; ce jour dont elles se moquent, lors-
que le monde si vieux, et tout ce qui a été
produit, sera consumé par un commun em-
brasement. Quelle sera l'étendue de ce
spectacle? avec quelle admiration, avec quel
plaisir, avec quels transports de joie et
d'allégresse verrai-je tant de roist qu'on
disait avoir été élevés dans le ciel, gémir
dans le fond des ténèbres de l'enfer avec
Jupiter et les témoins de leur fausse divi-
nité ? Alors les acteurs des tragédies se
feront mieux entendre, poussant leurs plain-
tes d'une voix plus éclatante dans leur
propre misère. Alors les comédiens feront
mieux paraître leur souplesse, étant dove-
nus plus légers et plus agiles par le feu qui
les pénétrera, etc. Il n'y a point de préteur,
de consul, de questeur, de pontife, quelque
libéralité qu'il déploie, qui vous puisse
faire voir ces choses qui vous puisse donner
ce plaisir : néanmoins la foi vous les re-
présente dès à présent par les images qu'elle
en forme dans vos esprits ; et après cette
vie vous verrez ce que l'œil n'a point vu ,
ce que l'oreille n'a point entendu, et que
l'esprit de l'homme n'a jamais conçu. Je
crois que les représentations du cirque, du
théâtre, de l'amphithéâtre et de tous les
efforts de l'industrie des hommes, n'égalent
point ces spectacles. »
Clément d'Alexandrie, danslem'Iivredu
Pédagogue, l'an 20i.Chap.-2'— « Jésus-Christ,
qui est notre pédagogue, ne nous conduira
point aux spectacles. On peut justement
appeler les théâtres et la carrière des cour-
ses publiques, une chaire de pestilence ; car
tout ce qui se fait en ces lieux est plein de
confusion et d'iniquité : ces assemblées ne
fournissent que trop de sujets d'impureté, où
les hommes et les femmes, étant ensemble,
s'occupent à se regarder; c'est là où se
tiennent de pernicieux conseils, lorsque les
regards lascifs excitent de mauvais désirs;
et les yeux étant accoutumés à regarder
impudemment les objets qui sont auprès
d'eux, se servent de l'occasion qui se pré-
sente pour satisfaire leur cupidité. C'est
pourquoi ces spectacles doivent êire défen-
dus, où l'on ne voit que des choses mau-
vaises, etc., on n'entend que des paroles
dissolues ; car y a-t-il rien de hoi teux qu'on
ne représente sur les théâtres? Et y a-t-il
de parole insolente que les comédiens et
les farceurs ne profèrent pour faire rire ?
de sorte que ceux qui par leur inclination
y prennent plaisir, en emportent chez eux
de vives images empreintes dans leur es-
prit. Et ceux qui ne sont pas touchés de
ces choses, ne se laissent-ils pas au moins
emporter à des plaisirs inutiles? S'ils disent
que les spectacles leur servent seulement
de jeu et de divertissement pour relâcher
leur esprit, nous leur répondrons qu'il ne
faut jamais acheter un divertissement par
une vaine et inutile occupation; car un
homme sage ne préférera jamais ce qui est
agréable, à ce qui est plus honnête et plus
avantageux. »
Minucius félix, l'an 206. — « C'est donc
avec raison que nous , qui faisons profes-
sion des bonnes mœurs et de la pudeur*
nous nous abstenons d'e vos voluptés, de
vos pompes et de vos spectacles, comme de
choses mauvaises, et consacrées à de faus-
sés divinités, dont nous savons la naissance
ei l'origine, et nous les condamnons comme
des corrupteurs agréables ; car qui n'a
horreur dans la course des chariots, de voir
la folie de tout un peuple qui se querelle?
Qui ne s'étonne de voir dans les jeux des
gladiateurs, l'art de tuer les hommes. La
l'urour n'est pas moindre au théâtre, mais
l'infamie y est plus grande; car un acteur y
représente les adultères, ou il les récite ;
et un comédien lascif émeut les passions
des autres , en feignant d'en avoir lui-
même. »
IIIe SIÈCLE. — Saint-Cyprien, l'an 250 ,v
dans VEpître à Donat. — « Vous verrez dans
les théâtres des choses qui vous donneront
de la douleur, et qui vous feront rougir;
c'est le propre de la tragédie d'exprimer en
vers les crimes de l'antiquité. On y repré-
sente si naïvement les parricides et les in-
cestes exécrables des siècles passés, qu'd
semble aux spectateurs qu'ils voient encore
commettre etfectivement ces actions crimi-
nelles , de peur que le temps n'efface la
mémoire de ce qui s'est fait autrefois; les
hommes de quelque âge et de quelque sexe
qu'ils soient entendant réciter ce qui s'est
déjà fait, apprennent que cela même se peut
encore faire ; les péchés ne meurent point
par la vieillesse du temps. Les années ne
couvrent point les crimes et on ne perd
jamais le souvenir des mauvaises actions ;
«S
41
SENTIMENTS DE L'EGLISE SlK LE THEATRE.
a
elles ont cessé d'être des crimes, et elles au diable dans le baptême, il a renoncé à
deviennent des exemples; on prend plaisir tout ce qui lui appartient. Mais si après
à voir représenter dans la comédie ce qu'on s'être uni à Jésus-Christ, il va aux spectacles
a fait en sa maison, ou à entendre ce qu'on du diable, il renonce à Jésus-Christ, comme
y peut faire. On apprend l'adultère en le il avait auparavant renoncé au diable* L'ido-
voyant représenter, et le mal qui est auto- latrie, comme j'ai déjà dit , est la mère do
risé publiquement a tant de charmes, qu'il tous les jeux; et pour attirera soi les fidèles
arrive que des femmes qui étaient peut-être Chrétiens, elle les flatte, et les charme, par
chastesjorsqu'elles sont allées aux spectacles
en sortent impudiques. Les farceurs avec
leurs gestes honteux ne corrompent-ils pas
les mœurs, ne portent-ils pas à la débau-
che, n'entretiennent-ils pas les vices ? Ils
les voluptés des yeux et des oreilles. Le
démon sachant que l'idolâtrie toute nue
donnait de l'horreur, il l'a revêtue de la
volupté des spectacles, pour la rendre aima-
ble. Néanmoins tout le monde va aux spec-
tirent leurs louanges de leur crime; plus ils tacles; on se plaît à cette infamie publique,
sont impudiques, plus ils sont estimés ha- ou pour y reconnaître ses vices , ou pour
biles, et, ce qui est honteux, on les regarde les apprendre; on court à ce lieu infâme,
avec plaisir. Dans ces dispositions y a-t-il à cette école d'impureté, afin de ne faire pas
rien que ces gens-là ne puissent persuader ? moins de mal en secret qu'on en a appris
Ils émeuvent les sens, ils flattent les pas- en public, et à la vue pour ainsi dire des lois,
sions, ils abattent la plus forte vertu. Ces on commet tous les crimes qui sont défen-
corrupteurs agréables ne manquent pas dus par les lois. Que fait là un fidèle Chré-
d'approbateurs, qui leur servent a insinuer tien? 11 ne lui est pas même permis d'avoir
plus doucement leur poison dans les cœurs une pensée d'impureté ; comment donc peut-
cle ceux qui les écoutent. » il prendre plaisir aux représentations de
Dans le Traité des spectacles. — « Quand l'impureté, et comment s'exposera-t-il à
même la sainte Ecriture ne défendrait pas perdre toute pudeur dans ces spectacles ,
aux Chrétiens d'aller aux spectacles, la pu- pour pécher après avec plus d'audace? En
deur le leur devrait défendre : lorsque l'E- s'accoutumant à voir la représentation des
criture commande quelque chose, elle ex- crimes, il apprend à les commettre ; ainsi,
prime ce qu'elle commande ; mais lorsqu'elle l'on aime tellement tout ce qui est défendu,
fait quelque défense, il y a des choses si qu'on se remet devant les yeux même ce
honteuses, qu'elle trouve plus à propos de que le temps avait couvert. Le dérèglement
les défendre seulement en général, sans les est si grand , qu'on ne se contente pas
exprimer en particulier. Si Dieu, qui est la d'être chargé de ses propres vices, on se
souveraine vérité, fût entré dans ce détail, veut encore charger dans les spectacles des
il aurait mal jugé du naturel de son peu
pie, car l'expérience nous l'ait voir que sou-
vent il vaut mieux ne point exprimer en
particulier ce qu'on défend, pour ne pas
donner occasion de le faire , puisqu'on se
porte d'ordinaire aux choses détendues.
Mais encore qu'il n'exprime pas ces crimes
dans l'Ecriture, il ne laisse pas de les dé
excès de tous les siècles passés. En vérité
il n'est nullement permis aux Chrétiens de
se trouver en ces assemblées.
« Que dirai -je des vaines et inutiles occu-
pations de la comédie et des grandes folies
de la tragédie ? Quand même ces chose*
ne seraient point consacrées aux idoles , il
ne serait pas néanmoins permis aux fidèles
fendre, puisque la sévérité dont il use dans Chrétiens d'en être les acteurs, ni les specta
la punition de toutes sortes de crimes, le
marque suffisamment , et la raison le fait
connaître évidemment. Que chacun seule-
ment se consulte soi-même, et qu'il con-
sidère l'état de sa profession, il ne fera ja-
mais rien d'indécent; car il gardera plus
exactement la loi qu'il se sera prescrite
teurs; et quelque innocentes qu'elles fus-
sent, ce ne serait toujours qu'un dérègle-
ment de vanité, gui ne convient point à
ceux qui font profession du christianisme.
« Les fijèles Chrétiens doivent fuir ces
spectacles, qui sont, comme nous l'avons
déjà dit, si vains, si pernicieux, si sacrilé-
lui-même. Mais qu'est-ce donc que l'Ecriture ges. Nous devons garder soigneusement nos
a défendu? elle a défendu de regarder ce
qu'il n'est pas permis défaire; elle a, dis-je,
condamné toutes sortes de spectacles ,
en condamnant l'idolâtrie qui est la mère
de tous les jeux, d'où tous ces monstres de
vanité et de légèreté sont sortis
yeux et nos oreilles. On s'accoutume facile-
ment aux crimes dont on entend souvent
parler. L'esprit de l'homme ayant une pente
au mal , que fera-t-il , s'il y est encore
porté par les exemples des vices de la chair,
auxquels la nature se laisse aller si aisé-
« Que fera donc un Chrétien dans ces spec- ment. Puisqu'elle tombe d'elle-même, que
tacles, s'il fuit l'idolâtrie? Que dira-t-il? fera-t-elle si on la pousse? 11 faut donc
Peut-il prendre plaisir à des choses crimi- retirer son esprit de ces folies. Un véritable
nelles, lui qui est déjà sanctifié? Approu- Chrétien a bien d'autres divertissements
vcra-t-il, contre le commandement de Dieu , plus relevés que ceux-là, s'il a de la pas-
les superstitions qu'il aime, lorsqu'il en est sion pour les véritables et utiles plaisirs,
spectateur? Il doit savoir que c'est le diable « Qu'il s'applique à la lecture de la sainte
et non pas Dieu qui a inventé toutes ces Ecriture, il y trouvera des spectacles dignes
choses. Aura-t-il l'impudence d'exorciser de la foi dont il fait profession. Y a-t-il ,
dans l'église les démons, dont il loue les mes frères, de spectacle plus benu, plus
voluptés dans les spectacles? ayant renoncé agréable et p'us nécessaire, que de contem-
Dictionn. des Mystères. 2
J3
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
44
pler sans cesse l'objet de noire espérance,
el de notre salut ? »
Dans VËpître 61 à Euchratius. — « Mon
cher frère, comme nous avons de l'affection
el do la déférence l'un pour l'autre, il vous
a plu de me demander mon sentiment sur
le sujet d'un comédien de votre pays, qui
exerce encore ce métier el instruit la jeu-
nesse, non pas à se bien conduire, mais à se
perdre; enseignant aux autres le mal qu'il
a appris, s'il doit être reçu dans noire com-
munion. Je vous dirai qu'il me semble
siècle aux attraits des voluptés qui nous
détournent de Dieu et des bonnes œuvres
que nous devons faire. »
Dans le ebap. 21. — « N'estimerait-on pas
un homme impudique et de mauvaise vie,
qui tiendrait des comédiens en sa maison ?
Or si vous ne pouvez être spectateur de la
comédie lorsque vous êtes seul, sans blesser
l'honnêteté, ne la blesserez-vous point lorsque
vous laregarderez représenter sur lethé&tre
avec le peuple l Les vers polis et les discours
agréables gagnent les esprits, et les portent
que le respect que nous devons à la majesté où ils veulent : c'est pourquoi celui qui re-
de Dieu et l'ordre de la discipline évangéli-
que ne peuvent souffrir que la pudeur et
l'honneur de l'Eglise soient souillés par une
si dangereuse contagion. »
Lactance Firuien, dans le vic livre des
Institutions divines. — Chap. 20. — « Vous
devez rejeter les spectacles publics , parce
qu'étant des occasions des vices et ne ser-
vant qu'à corrompre les mœurs, ils sont
non-seulement inutiles pour nous conduire
à la vie bienheureuse, mais ils sont même
extrêmement nuiiibles.
« Je ne sais s'il y a moins de dérègle-
ment dans les théâtres que dans les autres
spectacles ; car on représente dans les co-
médies l'impertinence des tilies et les
amours des femmes de mauvaise vie. Plus
les auteurs de ces infâmes représentations
ont d'éloquence, mieux ils persuadent ceux
cherche la vérité, et qui ne veut pas se
tromper soi-même, doit rejeter les voluptés
pernicieuses auxquelles l'âme s'abandonne,
comme le corps aux viandes délicieuses • il
faut préférer les choses vérilables à celles
qui sont fausses, les éternelles aux passagè-
res, et les utiles aux agréables. Nepntiez
point de plaisir à regarder d'autres actions
que celles qui sont justes et pieuses. N&
prenez point de plaisir à entendre autre
chose' que ce qui nourrit l'âme, et qui vous
peut rendre meilleur. Prenez garde de ne
point faire un mauvais usage de ce sens
qui vous a éié donné pour éeouier les en-
seignements de Dieu. Si vous vous plaisez
donc aux chants et aux vers, prenez plaisir
à chanterjet à entendre chanter les louanges
de Dieu : le véritable plaisir est celui qiû
est accompagné de la vertu; c'est un plaiii?
qui les écoutent, par la politesse de leurs qui n'est point périssable et passager comme
senliinenis ; et la justesse et la beauté de
leurs vers fait qu'on les retient plus aisé-
ment. Dans la tragédie l'on expose avec
éclat aux yeux du peup'e les parricides,
les incestes et toutes sortes de crimes.
Que font les farceurs par leurs mouvements
impudiques, qu'enseigner et inspirer l'im-
pureté ? Ces efféminés démentent ce qu'ils
sont, et s'étudient a paraître des femmes
dans leurs habits, dans leur marcher et
dans leurs gestes lascifs.
les autres que recherchent ceux qui suivent
les passions do leur corps, ainsi que les
animaux; ma;s il est continuel et toujours
agréable. Celui qui en passe les bornes et
ne recherche dans le plaisir que le seul
plaisir, se procure la mort. Car comme la
vertu conduit à la vie éternelle, aussi la
volupté conduit à la mort; car quiconque
s'attache aux choses temporelles, perdra les
éternelles ; quiconque met son atfection aux
choses de la terre, n'aura point de part aux
• Que dirai-je de ces bouffons qui tiennent biens du ciel. Comme c'est par la vertu et
école de la débauche ; qui, par de feints par les travaux que Dieu nous appelle à la
vie, c'est par la volupté que le diable nous
conduit à la mort : comme on acquiert le
véritable bien par de faux maux , on se
procure les véritables maux par de faux
biens. Il faut donc éviter les plaisirs comme
des pièges el des filets, de peur que nous
engageant dans la mollesse des douceurs du
siècle, et devenant esclaves de notre corps,
adultères , enseignent à en commettre de
véritables ? Que feront les jeunes hommes
et les filles, voyant comme on commet ces
infamies sans honte, et comme tout le
monde les regarde avec plaisir? ils appren-
nent par là ce qu'ils peuvent faire. Ces
objets allument dans leurs cœurs le feu
de l'impureté , qui s'enflamme par la
vue. Chacun selon son sexe se représente à nous ne tombions sous la puissance de la
son imagination dans ces spectacles; on les mort avec notre corps. »
approuve lorsqu'on en rit, et non-seulement IVe SIÈCLE. — Saint-Macaire l'Ancien,
les enfants, à qui on ne doit point faire dans l'homélie 27. — « Si, par l'ouïe toute
goûter le mal avant raênrj qu'ils le puissent seule, on pouvait entrer dans le royaume du
connaître, mais aussi les vieillards, à qui ciel et dans Ja vie éternelle sans peine et
il est honteux de commettre des péchés qui sans travail, ceux qui se divertissent aux
ne sont plus de leur âge, emportant les vices spectacles du théâtre et ceux qui mènent
du théâtre, s'en relouaient plus corrompus une vie impudique y auraient bonne part,
en leurs maisons. Il faut donc fuir les spec- Mais on ne va au ciel que par des travaux
tacles, non-seulement afin que les vices ne et pir des combats, parce que le chemin qui
fissent aucune impression sur nos esprits, y conduit est étroit , pénible et fâcheux;
qui trouble la paix et la tranquillité de nos c'est dans ce chemin rude qu'il faut roar-
cœurs; mais aussiatînquenous nenous lais- cher et souffrir beaucoup de peines et d'af-
sious point emporloi par la coutume du Mictions oour entrer dans la vie éternelle. *
*:;
SENTIMENTS DE L'EGLISE SLR LE THEATRE.
M
Sa' nt Cyrille, archevêque de Jérusalem,
dans la première Catéchèse mystagogique aux
nouveaux baptisés. — « Vous avez dit au
baptême : Je vous renonce, Satan, je renonce
à toutes vos œuvres et à toutes vos pompes.
Les pompes du diable sont les spectacles
du théâtre et toutes les autres vanités sem-
blables, dont le saint roi David demande à
Dieu d'être délivré : Détournez, dit-il, mes
yeux, afin quils ne regardent point la vanité.
Ne vous laissez donc pas emportera la pas-
sion pour les spectacles du théâtre, pour y
voir les excès des comédiens tout pleins
d'impureté et d'infamie. »
Saint Ambiuhse , archevêque de Milan,
dans le Traité de la fuite du siècle. — « Adam
n'eût point été chassé du paradis, s'il n'eût
été séduit par la volupté; c'est pourquoi
David, qui avait éprouvé combien les re-
gards sont dangereux , dit avec raison que
l'homme est heureux lorsque le nom du
Seigneur est toute son espérance , et qu'il
n'a nul égard aux vanités et aux folies
trompeuses du siècle. Celui qui s'applique
à considérer que le Seigneur lui est toujours
présent, et qui a toujours les yeux intérieurs
de son âme arrêtés sur Jésus-Christ, n'a
point égard aux vanités et aux tromperies
du siècle. Ainsi ce saint prophète se tour-
nant vers lui, lui fait cette prière : Détour-
nez mes yeux, afin quils ne regardent point
la vanité. Le cirque n'est que vanité, parce
qu'il ne sert à rien. La course des chevaux,
n'est que vanité, parce que la vitesse d'un
cheval est un secours trompeur, quand il
s'agit de se sauver ; le théâtre et tous les
autres jeux ne sont que vanité. »
Sur le 37' verset du psaume cwni. — « Celui
qui est dans la voie de Dieu ne regarde
point les vanités : Jésus-Christ est la voie
parfaite. Celui donc qui appartient à Jésus-
Christ, comment peut-il regarder les vani-
tés, puisque Jésus-Christ a crucifié dans sa
chair tous les vains plaisirs du monde ?
C'est pourquoi détournons nos yeux des
vanités, de peur que la vue de ces folies
n'imprime de mauvais désirs dans notre
âme. Et sans parler du sens mystique de ce
passage, Dieu veuille que cette interpréta-
tion ait la force de retirer des spectacles
du cirque et du théâtre ceux qui y courent.
Ces jeux que vous regardez, ne sont que
vanité ; élevez vos yeux vers Jésus-Christ ,
et détournez-les des spectacles et de toutes
les pompes du siècle. »
Saint Jean Chrysostome, dans l'homélie
15 , au peuple d'Antioche. — « Plusieurs
s'imaginent qu'il n'est pas certain que ce
soil un péché de monter sur le théâtre, et
d'aller à la comédie. Mais quoi qu'ils en
pensent, il est certain que tout cela cause
une infinité de maux ; car le plaisir qu'on
prend aux spectacles des comédies, produit
in fornication, l'impudence et toute sorte
d'incontinence. D'ailleurs nous ne sommes
pas seulement obligés d'éviter les péchés,
mais nous devons encore fuir les choses
même qui nous paraissent indifférentes, et
qui portent néanmoins insensiblement au
péché; car comme celui qui marche sur
le bord d'un précipice, quoiqu'il n'y tombe
pas, ne laisse pas d'être toujours dans la
crainte ; et il arrive souvent que la crainte
le trouble et le fait tomber dans le préci-
pice : de même celui qui ne s'éloigne pas
du péché, mais qui en est proche, doit vivre
dans l'appréhension, car il arrive souvent
qu'il y tombe. »
Dans la troisième homélie De David et de
Saiil. — « Je crois que plusieurs de ceux qui
nous abandonnèrent hier pour aller aux
spectacles d'iniquité , sont aujourd'hui ici
présents, je voudrais les pouvoir reconnaître
publiquement, afin de leur interdire l'entrée
de ces lieux sacrés, non pas pour les laisser
toujours dehors , mais pour les rappeler
après leur amendement. Comme les pères
chassent souvent de leurs maisons et de
leur table leurs enfants qui se laissent
emporter à la débauche, non pas afin qu'ils
en soient toujours bannis, mais afin qu'é-
tant devenus meilleurs par cette correction,
ils rentrent avec louange et honneur dans
la maison et dans la compagnie de leurs
pères : les pasteurs en usent de même lors-
qu'ils séparent les brebis galeuses d'avec
Jes autres, afin qu'étant guéries de leur
maladie, elles retournent avec celles qui
sont saines, sans aucun péril; car autre'
ment s'ils les laissaient parmi les autres ,
elles infecteraient tout le troupeau ; c'est
pour ce sujet que je voudrais pouvoir re-
connaître ces personnes; mais encore qu'el-
les nous soient inconnues, elles ne peuvent
pas néanmoins se dérober aux yeux du
Verbe éternel, qui est le Fils de Dieu. J'es-
père qu'il touchera leur conscience el qu'il
leur persuadera aisément de sortir volon-
tairement, leur faisant connaître qu'il n'y a
que ceux qui se portent à faire cette péni-
tence, qui soient véritablement dans l'église :
au contraire, ceux qui, vivant dans le dérè-
glement, demeurent dans notre communion,
quoiqu'ils soient ici présents de corps, ils
en sont r éanmoins séparés plus véritable-
ment que ceux qu'on a mis dehors; de telle
sorte qu'il ne leur est pas encore permis
de participer à la sainte table ; car ceux qui
selon les lois divines ont été chassés de
l'église, et demeurent dehors, donnent
quelque bonne espérance par' leur con-
duite qu'après s'être corriges des péchés
pour lesquels ils ont été chassés-de l'église,
ils y rentreront avec une conscience pure ;
mais ceux qui se souillent eux-mêmes, et
qui, étant avertis de se purw'ier des tâches
qu'ils ont contractées par leurs crimes ,
avant que d'entrer en l'Eglise, se conduisent
avec impudence, ils aigrissent l'ulcère do
leur âme, et rendent leur mal plus grand ;
car il y a bien moins de mal à pécher,
qu'à ajouter l'impudence au crime qu'on a
commis, el à ne vouloir pas obéir aux or-
dres des prêtres.
« On médira : Le péché que ces personnes
ont commis, est-il si grand qu'il mér !<•
qu'on leur interdise l'entrée de ces lieux
sacrés ? mois y a-l-il un crime plus énorme
47
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
iS
que le leur? Ils se sont souillés du crime
d'adultère, et après cela ils se jettent im-
pudemment comme des chiens enragés sur
la sainte table. Que si vous voulez savoir
comment ils sont coupables d'adultère, je
ne vous le déclarerai point par mes dis-
cours, mais par les propres paroles de celui
qui doit juger de toutes les actions des
hommes : Celui, dit-il, qui verra une femme
pour la désirer, a déjà commis, l 'adulte/ e dans
son cœur. Si une femme négligemment parée
qui passe par hasard dans la place publi-
que, blesse souvent par la seule vue de son
visage celui qui la regarde avec trop de
curiosité ; ceux qui vont aux spectacles, non
par hasard, mais de propos délibéré et avec
tant d'ardeur qu'ils abandonnent l'église
par un mépris insupportable pour y aller, où
ils passent tout le jour à regarder ces femmes
infâmes , auront-ils l'impudence de dire
qu'ils ne les voient pas pour les désirer,
lorsque leurs paroles dissolues et lascives,
les voix et les chants impudiques les por-
tent à la volupté? etc.
« Car si en ce lieu où l'on chante les
psaumes, où l'on explique la parole de Dieu,
et où l'on craint et respecte sa divine ma-
jesté, la concupiscence ne laisse pas de se
glisser secrètement dans les cœurs, comme
un subtil larron ; ceux qui sont toujours à
la comédie, où ils ne voient et n'entendent
rien de bon, où tout est plein d'infamie et
d'iniquité, dont leurs oreilles et leurs yeux
sont investis de toutes parts, comment pour-
j-oat-ils surmonter la concupiscence? et s'ils
ne la peuvent pas surmonter, comment pour-
ront-ils être exempts du crime d'adultère?
et étant souillés de ce crime , comment
pourront-ils entrer dans l'église, et être
reçus dans la communion de celte sainte
assemblée sans en avoir fait pénitence ?
C'est pourquoi je conjure et je prie ces
personnes de se purifier par la confession,
par la pénitence et par tous les autres re-
mèdes salutaires, des péchés qu'ils ont con-
tractés à la comédie, alin qu'ils puissent
être admis à entendre la parole de Dieu ,
car ces péchés ne sont point médiocres.
« Ne craignez-vous point, ô homme !
n'avez-vous point horreur de regarder cette
sainte lable, où l'on célèbre les redoutables
mystères, des mêmes yeux dont vous re-
gardez ce lit qui est dressé sur le théâtre,
où l'on représente les détestables fictions
de l'adultère? N'avez-vous point horreur
d'entendre les paroles impudiques d'une
comédienne, des mêmes oreilles que vous
entendez les paroles d'un prophète qui vous
introduit dans les mystères de l'Ecriture?
N'appréhendez-vous point de recevoir dans
un môme cœur un poison mortel, et cette
hostie -sainte et terrible ? N'est-ce pas de là
que naissent les dérèglements delà vie,
les désordres des mariages, les guerres, les
troubles et les querelles domestiques ?
« C'est pourquoi je vous prie tous de ne
point assister à ces infâmes représentations
des spectacles et d'en retirer les autres;
car luut ce qui s'y fait, bien loin d'être un
divertissement , n'est qu'un dérèglement
pernicieux qui n'attire que des peines et des
supplices.
« Que sert à l'homme de jouir d'an plaisir
passager, s'il est suivi d'une douleur éter-
nelle, et s'il est tourmenté nuit et jour par
la concupiscence? Consultez-vous vous-
mêmes, et considérez la différence qu'il y
a entre l'état où vous êtes lorsque vous
revenez de l'église , et celui où vous vous
trouvez lorsque vous sortez des spectacles.
Si vo.is comparez ces deux étals selon leurs
divers temps, l'un avec l'autre, vous n'aurez
pas besoin de mes avertissements. Cette
comparaison suffira pour vous faire connaî-
tre combien l'un vous est utile et avanta-
geux, et combien l'autre vous est dom-
mageable. »
Dans la ire homélie, sur ces paroles du
Ie' verset du chap. xi du prophète Isaïe :
J'ai vu le Seigneur. — « 11 n'y a rien qui
expose plus au mépris la parole de Dieu ,
que l'applaudissement et l'approbation qu'on
donne aux représentations des spectacles ;
c'est pourquoi je vous ai souvent conjurés
par mes exhortations de ne point aller aux
spectacles, vous qui venez à l'église pour
entendre la parole de Dieu, et pour parti-
ciper à son sacrifice mystique et redoutable^
afin que vous ne profaniez point les mys-
tères divins, en participant aux mystères
du diable. »
Dans l'homélie 6, sur le chap. n de saint
Matthieu. — « Ce n'est point à nous à pas-
ser le temps dans les ris, dans les divertis-
sements et dans les délices; cela n'est bon
(pue pour des comédiens et pour des comé-
diennes, et particulièrement pour ces flat-
teurs qui cherchent les bonnes tables ; ce
n'est point à l'esprit de ceux qui sont ap-
pelés à une vie céleste, dont les noms sont
déjà écrits dans cette éternelle cité, et qui
font profession d'une milice toute spiri-
tuelle ; mais c'est l'esprit de ceux qui com-
battent sous les enseignes du démon.
« Oui, mes frères , c'est le démon qui a
fait un art de ces divertissements et de c^ s
jeux pour attirer à lui les soldats de Jésus-
Christ, et pour relâcher toute la vigueur,
et comme les nerfs de leur vertu ; c'est pour
ce sujet qu'il a fait dresser des théâtres
dans les places publiques, et qu'exerçant
et formant lui-même ces boutions, il s'en
sert comme d'une peste dont il infecte toute
la vie.
« Saint Paul nous a défendu les paroles
de raillerie, et colles qui ne tendent qu'à
un vain divertissement; mais le démon
nous persuade d'aimer les unes et les au-
tres.
;< Ce qui est encore plus dangereux est le
sujet pour lequel on s'emporte dans ces ris
immodérés, car aussitôt que ces bouffons
ridicules ont proféré quelque blasphème ,
ou quelque parole déshonnôte, on voit que
les plus fous sont ravis de joie, et s'empor-
tent dans les éclats de rire. Ils leur applau-
dissent pour des choses pour lesquelles on
les devrait lapider, et ils s'attirent ainsi sur
43
SENTIMENTS DE L'EGLISE SLTl LE THEATRE.
KO
eux-mêmes par ce plaisir malheureux le
supplice d'un fou éternel ; cor en les louant
de ces folies, on leur persuade de les faire,
< t on se rend encore plus diu.ne qu'oux de
la condamnation qu'ils ont méritée. Si tout
le monde s'accordait à ne vouloir point re-
garder leurs sottises, ils cesseraient bientôt
du les faire : mais lorsqu'ils vous voient
tous les jours quitter vos occupations, vos
travaux et l'argent qui vous en revient; en
un mot renoncer à tout pour assister à ces
spectacles, ils redoublent leur ardeur et ils
s'appliquent bien davantage à ces niaise-
ries.
« Je ne dis pas ceci pour les excuser,
mais pour vous faire voir que c'est vous
principalement qui êtes la source de tous
ces dérèglements en assistant à leurs jeux,
t'ty passant les journées entières. C'est vous
qui, dans ces représentations malheureuses,
profanez la sainteté du mariage, qui désho-
norez devant tout le monde ce grand sacre-
ment : car celui qui représente ces person-
nages infâmes, est moins coupable que vous
qui les faites représenter, que vous qui l'a-
nimez de plus en plus par votre passion, pa
vos ravissements, par
louanges, et qu
à embellir et à
mon.
« Ne me dites point que tout ce qui se
fait alors n'est qu'une fiction ; cette fiction
a fait beaucoup d'adultères véritables et a
renversé beaucoup de familles; c'est ce qui
de
vos éclats et par vos
travaillez en toute manière
relever cet ouvrage du dé-
m'afflige
davantage,
que ce mal étant si
grand, on ne le regarde pas môme comme
un mal, et que lorsqu'on représente un crime
aussi grand qu'est celui de l'adultère, on
n'entend que des applaudissements et des
cris de joie.
« Ce n'est qu'une feinte, dites-vous : c'est
pour cela même que ces personnes sont di-
gnes de mille morts d'oser exposer aux
yeux de tout le monde des désordres qui
sont défendus par toutes les lois; si l'adul-
tère est un mal, c'est un mal aussi que de le
repié enter.
« Qui pourrait dire combien ces fictions
rendent de personnes adultères, et combien
elles inspirait l'impudence et l'impureté
dns tous ceux qui les regardent; car il
n'y a rien dj plus impudique que l'œil qui
peut souffrir de voir ces ordures. »
Dans l'homélie 38, sur le chap. n de saint
Matthieu. — « Les chansons et les vers in-
i'Aines causent à l'aine une odeur plus insup-
portable que fout ce que nossens abhorrent
le plus, et cependant lorsque les comédiens
les récitent devant vous , non-seulement
vous n'en avez pas de la peine , mais vous
en riez, vous vous en divertissez, bien loin
d'en avoir de l'aversion et de l'horreur.
« Q le ne montez-vous donc aussi sur le
théâtre, aussi bien que ces boulions qui
vous font rire ? Si ce qu'ils font n'est pas
infâme, que n'imitez-vous ce que vous louez?
allez seulement en public avec ces sortes
île personnes. Cela me ferait rougir, dites-
vous? Pourquoi donc estimez-vous tant ce
ne vous auriez honte de faire ? Les lois
es païens rendent les comédiens infâmes ,
et vous allez en foule avec toute la ville
pour les regarder sur leur théâtre, comme
si c'était des ambassadeurs ou des géné-
raux d'armée, et vous y voulez mener tout
le monde avec vous pour emplir vos oreille*
des ordures et des infamies qui sortent do-
la bouche de ces bouffons; vous punissez
très-sévèrement vos serviteurs, lorsqu'ils
disent chez vous des paroles peu honnêtes?
vous ne pouvez souffrir rien de sale dans
vos enfants, ni dans vos femmes le moindre
mot qui choque l'honnêteté; et lorsque les
derniers des nommes vous invitent à enten-
dre publiquement ces infamies que vous
détestez si fort dans vos maisons ; non-
seulement vous n'en avez point de peine ,
mais vous vous en divertissez et vous louez
ceux qui les débitent, n'est-ce pas le com-
ble de l'extravagance?
« Vous me répondrez peut-être que ce
n'est pas vous qui dites ces choses infâmes.
Si vous ne les dites pas vous aimez au
moins ceux qui les disent; mais d'où prou-
verez- rous^ que vous ne les di^es pas? Si
vous n'aimiez point a les dire, vous n'auriez
point tant de plaisir à les écouter, ni tant
d'ardeur à courir à ces folies.
« Quand vous entendez des personnes qui
blasphèment, vous ne prenez point plaisir à
ce qu'elles disent, vous frémissez au contraire,
et vous vous bouchez ies oreilles pour ne
les point entendre. D'où vient cela, sinon
parce que vous n'êtes point blasphéma-
teur ? conduisez-vous de même à l'égard de
ces paroles infâmes, et si vous voulez que
nous croyions que vous n'aimez pas à en
dire, n'aimez pas aussi à les écouter.
« Comment vous pouvez-vous appliquer
aux bonnes choses, étant accoutumé à c.bs
sortes de discours ; comment pourre/.-vous
supporter le travail qui est nécessaire pour
s'affermir dans la continence , lorsque vous
vous relâchez jusqu'à prendre plaisir à en-
tendre des mots et des vers infâmes ? Car si
lors même qu'on est le plus éloigné de ces
infamies, on a tant de peine à se conserver
dans toute, la pureté que Dieu nous deman-
de , comment notre âme pourra-t-elle de-
meurer chaste , lorsqu'elle se plaira à en-
tendre des choses si dangereuses ?
« Ne savez-vous pas quelle pente nous
avons au mal? lors donc qulà cette inclina-
tion naturelle nous ajoutons encore l'art et
l'étude , comment na tomberons-nous pas
dans l'enfer, puisque nous nous hâtons de
nous y jeter ? N'écoutez-vous point ce que
dit saint Paul : Réjouissez-vous au Seigneur?
11 ne dit pas : Réjouissez-vous au démon.
Comment écouterez-vous ce saint apôtre?
comment serez-vous touché du ressentiment
de vos péchés, étant toujours comme ivre et
hors de vous, parla vue malheureuse de ces
spectacles ? Vous y courez avec une ardeur-
et une. avidité insatiables. On n'en voit que
trop les malheureux elfets, lorsque vous re-
tournez chez vous. C'est la que chacun du
vous remporte toutes ces ordures dont lei
BICTiONNAlIlE DES MYSTERES.
52
paroles licencieuses, les vers impudiques, raents moins dangereux et plus agréables
et les ris dissolus ont rempli vos âmes. Tous que ceux-là.
ces fantômes honteux demeurent dans votre « Les barbares ont dit autrefois une parole
esprit et dans votre cœur ; et c'est de là qu'il digne des plus sages d'enlre les philosophes;
arrive que vous avez aversion de ce que car entendant parler de ces folies du théâtre
vous devriez aimer , et que vous aimez ce
que vous devriez avoir en horreur.
« Mais que dirai-jedu bruit et du tumulte
de ces spectacles? de ces cris et de ces ap-
plaudissements diaboliques ? de ces habits
qu'il n'y a que le démon qui les ait inven-
tés? On y voit un jeune homme qui ayant
rejeté tous ses cheveux derrière la tête
prend une coiffure étrangère, dément ce
qu'il est et s'étudie à paraître une fille dans
ses habits, dans son marcher, dans ses re-
gards et dans sa parole. On y voit un vieil-
lard, qui, ayant quitté toute lahonte arec ses
cheveux qu'il a fait couper , se ceint* d'une
ceinture, s'expose à toute sorte d'insultes,
et est prêt à tout dire, à tout faire et à tout
souffrir. On y voit des femmes qui ont es-
suyé toute honte, qui paraissent hardiment
sur un théâtre devant un peuple; qui ont
fait une étude de l'impudence, qui, par leurs
regards et par leurs paroles, répandent le
poison de l'impudicité dans les yeux, et dans
les oreilles de tous ceux qui les voient, et qui
les écoutent, et qui semblent conspirer par
tout cet appareil qui les environne à détruire
la chasteté, à déshonorer la nature, et à se
rendre les organes visibles du démon, dans
le dessein qu'il a de perdre les âmes; entin
tout ce qui se fait dans ces représentations
malheureuses ne porte qu'au mal : les pa-
roles, les habits, le marcher, la voix, les
chants , les regards des yeux, les mouve-
ments du corps, le son des instruments, les
sujets môme et les intrigues des comédies,
tout y est plein de poison, tout y respire
l'impureté.
« Commentdoncespérez-vous de demeurer
chaste après que le diable vous a fait boire
de ce calice de l'impudicité ; qu'il en a eni-
vré votre âme, et que par ses noires fumées
il vous a obscurci toute la raison; car c'est
là qu'il vous fait voir tout ce que le vice a
de plus honteux, la fornication, l'adultère,
le déshonneur du mariage. , la corruption
des femmes, des hommes et des jeunesgens;
enfin le règne de l'abomination et de l'in-
famie. Toutes ces choses devraient donc
porter ceux qui les voient, non pas à rire,
mais à pleurer.
« Quoi donc , me direz-vous , renverse-
rons-nous les lois en détruisant le théâtre
qu'elles autorisent? Quand vous aurez dé-
truit le théâtre, vous n'aurez pas renversé
les lois, mais le règne de l'iniquité et du
vice. Car le théâtre est la peste des villes.
« Imitez au moins les barbares qui se
passent bien de tous ces jeux. Quelle excuse
nousrestera-t-il, si étant Chrétiens, c'est-à-
dire citoyens des cieux et associés aux an-
ges, et aux chérubins , nous ne sommes
pas néanmoins si réglés en ce point que le
sont les païens et les infidèles.
« Que si vous avez tant de passion pour
vous divertir, il y a bien d'autres diverlisse-
et de ces honteux divertissements qu'on y
va chercher : Il semble, dirent-ils, que les Ro-
mains n'aient ni femme, ni enfants, el
qu'ainsi ils aient été contraints de s'aller
divertir hors de chez eux; voulant montrer
par là qu'il n'y a poiut de plaisir plus doux
à un homme sage et réglé , que celui qu'il
reçoit de la société d'une honnête femme
et de celle de ses enfants.
« Mais je vous montrerai, me direz-vous,
des personnes à qui ces jeux n'ont fait au-
cun mal ? Mais n'est-ce pas un assez grand
mal que d'employer si inutilement un si
long temps , et d'être aux autres un sujet
de scandale? Quand vous ne seriez point
blessé de ces représentations infâmes, n'est-
ce rien que vous y ayez attiré les autres par
votre exemple ? Comment donc êtes-vous
innocent, puisque vous êtes coupable du
crime des autres ? Tous les désordres que
causent parmi le peuple ces hommes cor-
rompus, et ces femmes prostituées, et toute
celte troupe diabolique qui monte sur le
théâtre, tous ces désordres, dis-je , retom-
bent sur vous. Car s'il n'y avait point de spec-
tateurs, il n'y aurait point de comédiens ni
de spectacles, et ainsi ceux qui les représen-
tent et ceux qui les voient s'exposent au feu
éternel. C'est pourquoi quand même vous
seriez assez chaste pour n'être point blessé
par la contagion de ces lieux , ce que je
crois impossible, vous ne laisseriez pas
d'être sévèrement puni de Dieu , comme
étant coupable de la perte de ceux qui vont
voir ces folies, et de ceux qui les représen-
tent sur le théâtre. Que s'il est vrai que
vous soyez tellement pur , que ces assem-
blées dangereuses ne vous nuisent point ,
vous le seriez encore bien davantage , si
vous aviez soin de les éviter.
« Quittons donc ces vaines excuses, et ne
cherchons point desprélextes si déplorables.
Le meilleur moyen de nous justifier e>t de
fuir cette fournaise de Babvlone, de nous
éloigner des attraits de l'Égyptienne, el,
s'd est nécessaire, de quitter "plutôt notre
manteau comme Joseph , pour nous sauver
des mains de cette prostituée. C'est ainsi
que nous jouirons dans l'esprit , d'une
joie céleste et ineffable , qui ne sera point
troublée par les remords de notre cons-
cience, et qu'ayant mené ici-bas une vie
chaste, nous serons couronnés dans le ciel
par la grâce et par la miséricorde de Noir.e-
daus
la globe
et
Seigneur Jésus-Christ, à qui est
l'empire maintenant et toujours
tous les siècles. ».
Saint Jean Chrvsostome, dans la préface
de son Commentaire sur l'Evangile de saint
Jean. — « Il n'est point nécessaire que je
vous représente en particulier tous les vires
des spectacles; ce ne sont que des ris disso-
lus, des représentations honteuses, des
paroles infâmes, des médisances, des bou~
05
SENTIMENTS DE L'EGLISE SUR LE THEATRE.
H
fumeries; tout y est corrompu, tout y est
pernicieux. Je vous déclare à vous tous,
qu'aucun de ceux qui participent à cette
sainte table, ne trouble et ne perde son
Aine par ces spectacles qui causent la mort ;
tout ce qui s'y fait est plein des pompes de
Satan, et ne respire que l'impureté. Vous sa-
vez, vous qui êtes baptisés, quel est le pacte
par lequel vous vous êtes engagés à nous,
ou pour mieux dire, à Jésus-Christ. Lors-
qu'il vous instruisait au baptême , que lui
nvez-vous dit touchant les pompes du dia-
ble, comment avez-vous renoncé a ce malin
esprit et h ses anges? N'avez-vous pas pro-
mis de n'acquiescer jamais à ses maximes
et à ses œuvres? C'est pourquoi nous de-
vons prendre garde très-soigneusement de
n'être pas infidèles dans l'accomplissement
de nos promesses, et de ne point nous ren-
dre indignes de es sacrés mystères. »
Saint Jérôme, sur le premier verset du
psaume xxxn. — « Les uns mettent toute leur
joie dans les choses de ce monde, les autres
dans les jeux du cirque, les autres dans les
divertissements de la comédie ; mais vous ,
dit le Roi-Propbète à chaque juste, mettez
toute votre joie dans le Sriqneur et non pas
Que si 3u contraire il est louché de douleui,
il demeure attentif et pleure, étant en mémo
temps dans la joie et dans les larmes. Mais
puisque tous les hommes naturellement dé-
sirent de se réjouir, comment peuvent-ils
aimer ces lar^s et ces douleurs? N'est-ce
point qu'encore que l'homme ne prenne
paS plaisir à être dans la misère, il prer J
plaisir néanmoins à être touché de miséri-
corde ; et qu'à cause qu'il ne peut être tou-
ché de ce mouvement sans en ressentir do
la douleur, il arrive par une suite néces-
saire qu'il chérit et qu'il aime ces dou-
leurs ?
« Ces larmes procèdent donc de la source
de l'amour naturel que nous nous por
tons les uns aux autres. Mais où vont les
eaux de celle source et où coulent-elles?
Elles vont fondre dans un torrent de pois
bouillante, d'où sortent les violentes ardeurs
de ces noires et de ces sales voluptés. Et
c'est en ces actions vicieuses que cet amour
se convertit et se change par son propre
mouvemenl, lorsqu'il s'écarte et s'éloigne
de la pureté céleste du vrai amour. Devons-
nous donc rejeter les mouvements de misé-
ricorde et de compassion ? Nullement. El il
dans les plaisirs de ce inonde. C'est aux justes faut demeurer d'accord qu'il y a des rencon-
qui ont le cœur droit qu'il appartient de
louer Dieu ; c'est-à-dire, à ceux qui dressent
leurs cœurs par la règle de la vérité; car
pour les impies il ne leur appartient que
d'être malheureux. Malheur à ceux, dit le
prophète Isaïe, qui disent que ce qui est
doux est amer, et que ce qui est amer est
doux. »
V SIÈCLE. — Saint Augustin, dans le 2'
chapitre du m" livre de ses Confessions. —
« J'avais en même temps une passion vio-
lente Dour les spectacles du théâtre qui
étaient pleins des images de mes misères et
des flammes amoureuses qui entretenaient
le feu qui me dévorait; mais quel est ce
motif qui faitque les hommesy courent avec
tant d'ardeur et qu'ils veulent ressentir de
la tristesse en regardant des choses funestes
et tragiques qu'ils ne voudraient pas néan-
moins souffrir? Car les spectateurs veulent
ressentir de la douleur, et cette douleur est
leur joie. D'où vient cela, sinon d'une
étrange maladie d'esprit ? puisqu'on est
d'autant plus touché de ces aventures poéti-
ques que l'on est moins guéri de ses pas-
sions, quoique d'ailleurs on appelle misère
le mal que l'on soulfre en sa personne; et
miséricorde, la compassion qu'on a des
malheurs des autres. Mais quelle compas-
sion peut-on avoir en des choses feintes
et représentées sur un théâtre, puisque l'on
n'y excite pas l'auditeur à secourir les fai-
bles et les opprimés, mais qu'on le convie
seulement à s'affliger de leur infortune; de
sorle qu'il est d'autant plus satisfait des ac-
teurs, qu'ils l'ont plus touché de regrets
et d'affliction ; et (pie si ces sujets tragiques
et ces malheurs véritables ou supposés, sont
représentés avec si peu de grâce et d'indus*
trie, qu'il ne s'en afflige pas, il sort tout dé-
goûté et tout irrité contre les comédiens.
très où l'on peut aimer les douleurs. Mais, ô
mon âme, garde-toi de l'impureté ;=mets-toi
sous la protection de mon Dieu , du Dieu de
nos pères , qui doit être loué et glorifié dans
l'éternité des siècles. GarJe-toi, mon âme, de
l'impurelé d'une compassion folle; car il y
en a une sageet raisonnabledont je ne laisse
pas d'être touché maintenant. Mais alors jo
prenais part h la joie de ces amants du
théâtre, lorsque par leurs artifices ils fai-
saient réussir leurs impudiques désirs ;
quoiqu'il n'y eût rien que déteint dans ces
représentations et ces spectacles, et lorsque
ces amants étaient contraints de se séparer,
je m'affligeais avec eux comme si j'eusse
été touché de compassion ; et toutefois jo
ne trouvais pas moins de plaisir dans l'un
que dans l'autre.
« Mais aujourd'hui j'ai plus de compassion
de celui qui se réjouit dans ses excès et
dans ses vices que de celui qui s'affligo
dans la perte qu'il a faite d'une volupté per-
nicieuse , et d'une félicité misérable. Voilà
ce que l'on doit appeler une vraie miséri-
corde; mais en celle-là ce n'est pas la dou-
leur que nous ressentons des maux d'au-
trui qui nous donne du plaisir; car encore
que celuiqui ressent deladouleur, envoyant
la misère de son prochain, lui rende un de-
voir de charité qui est louable; néanmoins
celui qui est véritablement miséricordieux
aimerait mieux n'avoir point de sujet de res-
sentir cette douleur. Et il est aussi peu pos-
sible qu'il puisse désirer qu'il y ait des mi-
sérables, afin d'avoir sujet d'exercer sa mi-
séricorde, comme il est peu possible (pie la
bonté même puisse être malicieuse , et quo-
ta bienveillance nous porte à vouloir du
mal à notre prochain.
«Ainsi il y a bien quelque douleur que
l'on peut permettre; mais il n'y en a rî'iwt
que l'on doive aimer ; ce que vous nous fai-
tes bien voir, ô mon Seigneur et mon Dieu,
puisque vous, qui aimez les âmes incompa-
rablement et plus purement que nous ne
les aimons , exercez sur elles des miséri-
cordes d'autant plus graudes et plus parfai-
tes, que vous ne pouvez être touché d'au-
cune douleur. Mais qui est celui qui est ca-
pable d'une si haute perfection ? Et raui au
contraire j'étais alors si misérable , que
j'aimais à être touché de quelque douleur ,
et en cherchais des sujets , n'y ayant au-
cune action des comédiens qui me plût
tant, et qui me charmât davantage, que
lorsqu'ils me tiraient des Jarmesdes yeuxîpar
^représentation dequelques malheurs étran-
gers et fabuleux qu'ils représentaient sur le
théâtre. Et faut-il s'en étonner , puisqu'étant
alors une brebis malheureuse qui m'étais
égarée en quittant votre troupeau, parce
que je ne pouvais souffrir votre conduite, je
me trouvais comme tout couvert de gale?
«Voilà d'où procédait cet amour que j'a-
vais pour les douleurs , lequel toutefois
n'était pas tel que j'eusse désiré qu'elles
eussent passé plus avant dans mon cœur et
dans mon âme : car jo n'eusse pas aimé à
souffrir les choses que j'aimais à regarder;
mais j'étais bien aise que le récit et la re-
présentation qui s'en faisait devant moi,
m'égratignât un peu la peau , pour le dire
ainsi, quoiqu'ensuite, comme il arrive à
ceux qui se grattent avec les ongles, cette
satisfaction passagère me causât une enflure
pleine d'inflammation d'où sortait du sang
corrompu et de la boue. Telle était alors ma
vie; mais peut-on l'appeler une vie, mon
Dieu? »
Dans VEpître 5 à Marcellin. — « Rien
n'est plus malheureux que le bonheur des
pécheurs, qui nourrit pour ainsi dire une
impunité, qui est en effet une peine et qui
fortifie la mauvaise volonté comme un en-
nemi intérieur. Mais les cœursdes hommes
sont si pervertis et si rebelles, qu'ils s'ima-
ginent que le monde est dans une pleine
félicité , lorsque ceux qui l'habitent ne pen-
sent qu'à orner et à embellir leurs maisons ,
et qu ils ne prennent pas garde à la ruine
de leurs âmes ; qu'on bâtit des théâtres ma-
gnifiques , et qu'on détruit les fondements
tles vertus ; qu'on donne des louanges et
des applaudissements à la fureur des gladia-
teurs, et qu'on se moque des œuvres de
miséricorde; lorsque l'abondance des riches
entretient la débauche des comédiens, et
que les pauvres manquent de ce qui leur
est nécessaire pour l'entretien de leur vie ;
lorsque les impies décrient par leurs blas-
phèmes la doctrine de Dieu, qui par la voix
de ses prédicateurs crie contre celte infamie
publique, pendant qu'on recherche de faux
dieux à l'honneur desquels on célèbre ces
spectacles du théâtre qui déshonorent et
corrompent le corps et l'âme. Si Dieu per-
met que ces désordres arrivent, c'est alors
qu'il en est plus irrité : s'il laisse ces cri-
mes impunis, c'est alors qu'il les punit plus
sévèrement ; et quandil ôte aux hommes les
DICTIONNA1BE DES MYSTERES. 56
moyens d'entretenir leurs vices, et que par
la pauvreté il détruit l'abondance et la mul-
tiplication des voluptés ; ce traitement qui
paraît contraire à leurs désirs , est un effet
de sa miséricorde. »
Dans lechapitre33 du premier livre delà
Concordance des évangélistes. — « Quant à
ce'que les païens se plaignent que le chris-
tianisme a diminué la félicité du monde;
s'ils lisent les livres de leurs philosophes,
qui reprennent ces choses dont ils sont pri-
vés maintenant malgré eux, ils trouveront
que cela tourne à la louange de la religion
chrétienne ; car quelle diminution souffrent-
ils de leur félicité, sinon à l'égard des cho-
ses dontils faisaient un très-mauvais usage,
s'en servant pour offenser leur Créateur ? 11
leur semble peut-être que le temps est mau-
vais , parce que presque dans toutes les vil-
les, les théâtres, ces lieux infâmes, où l'on
fait une profession publique de l'impureté,
tombent en ruine ; d'où vient cela, sinon de
la pauvreté, qui ne leur permet pas de ré-
parer ces lieux qu'il avaient bâtis autrefois
avec une profusion honteuse et sacrilège ?
Leur Cicéron louant un. certain comédien
nommé Roscius, n'a-t-il pas dit qu'il était
si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui
seul qui fût digne de monter sur un théâtre;
et que d'ailleurs il était si homme de bien ,
qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point
monter , marquant parla , en termes bien
exprès, que le théâtre est si infâme que
plus un homme est vertueux, plus il doit s'en
éloigner. »
Dans le chapitre 29 du ir livre de la Cité
de Dieu. — « C'est avec raison , peuple ro-
main, que vous avez exclu les comédiens
dudroit debourgeoisie. Eveillez-vous encore
un peu davantage, et reconnaissez qu'on ne se
rend point agréable à la majesté de Dieu par
les exercices qui déshonorent la dignité des
hommes. Comment donc pouvez-vous met-
tre au rang des^saintes puissances du ciel
ces dieux qui se plaisent à recevoir un culte,
qui rend indignes parmi vous ceux qui le
rendent, d'être mis au nombre des citoyens
romains? Cette cité céleste est incompara-
blement plus illustre , où la vérité est tou-
jours victorieuse, où la dignité est insépara-
ble de la sainteté, où il y a une paix et
une félicité perpétuelle, où la vie est éter-
nelle. Si vous avez eu honte de recevoir ces
sortes de personnes dans votre ville pour
être vos concitoyens , à plus forte raison
cette sainte cité ne reçoit point ces sortes de
dieux. C'est pourquoi si vousdésirez d'avoir
part à la félicité de cette bienheureuse cité,
fuyez la compagnie des démons. C'est une
chose honteuse à des personnes vertueuses
d'adorer des dieux qui regardent d'un œil
favorable le culte déshonête que leur ren-
dent des infâmes. Embrassez la pureté du
christianisme, et éloignez de vous ces pro-
fanes divinités, comme les censeurs ont
exclu les comédiens de vos honneurs et de
vosdignités, les notantd'infamie »
Dans le l'r sermon sur le 1" verset du\psau-*
me xxxu. — « C'est aux hommes injustes H
57
SENTIMENTS DE L'EGLISE SU II LE THEATRE.
méchants à se réjouir dans ce monde :1e
monde finira, et leur joie finira avec le
monde; mais il faut que les justes mettent
leur joie dans le Seigneur, afin qu'elle soit
permanente et immuable comme lui. Il faut
que nous mettions notre complaisance et
notre joie, et que nous nous appliquions à le
louer; ïi est le seul dans lequel il n'y ait rien
qui nous déplaise; comme au contraire, il
n'y a personne en qui les infidèles trouvent
tant de choses qui leur déplaisent. Tenez
ce peu de mots pour une maxime indubita-
ble, que l'homme àqui Dieu plaît, plaîi aussi
à Dieu. Ne pensez pas, mestrès-chers frères,
que ce que je dis soit d'une petite impor-
tance, vous voyei aussi biei que moi, com-
bien il y a d'hommes qui disputent contre
Dieu? Combien il s'en trouve à qui ses œu-
vres et sa conduite déplaisent; car lors-
qu'il veut quelque chose de conlraire à la
volonté des hommes, à cause qu'il est le
souverain maître, et qu'il sait bien ce qu'il
fait, et qu'il ne considère pas tant nos in-
clinations que notre utilité , ceux qui vou-
draient que leur volonté s'accomplît plutôt
que celle deDieu, voudraient aussi réduire
sa volonté à la leur, au lieu de corriger et de
régler la leur par la sienne.
« C'est à ces hommes infidèles, impies, mé-
chants (j'ai honte de le dire, je le dirai pour-
tant, parce que vous savez combien ce que
je vais dire est véritable), c'est à ces sortes
depersonnes qu'un comédien plaît davantage
que Dieu, c'est pourquoi le Prophète après
avoir dit : Justes, réjouissez-vous en Dieu
(parce que nous ne saurions nous réjouir en
lui, qu'en Je louant, et que nous ne pou-
vons le louer, si nous ne lui [liaisons, d'au-
tant plus qu'il nous plaît davantage) , il
ajoute : C'est aux justes quil appartient de
louer Dieu. Qui sont les justes? ce sont ceux
qui conforment leur cœur à la volonté de
Dieu , qui règlent et conduisent leur vo-
lonté parla sienne. Si la faiblesse humaine
leur cause quelque trouble dans les fâ-
cheuses rencontres de cette vie; l'équité
divine les console , et les remet dans le
calme. »
Dans le Sermon sur le psaume xxxix. —
« Combien y a-t-il de personnes qui se re-
connaissent ici dans la peinture que je vous
fais des gens du monde? Ces personnes con-
verties se regardent avec étonnement les
unes les autres et parlent avec joie dans
l'Eglise de Dieu des miséricordes qu'il leur
a faites. Se voyant dans le sein de l'Eglise ,
elles considèrent avec une extrême recon-
naissance l'affection que Dieu leur a déjà
donnée pour la parole , pour les offices et
les œuvres de charité, pour être souvent
dans l'assemblée des fidèles et ne sortir
quasi point de l'église.
« Elles font attentivement réflexion sur
toutes ces grâces que Dieu leur a faites ,
et qu'il a faites en même temps à d'autres
pécheurs , et se plaisent à s'en entretenir
avec ceux qui participent au même bon-
heur. Quel changemnnt, disent ces person-
nes , voyons-nous en cet homme, qui était
si passionné pour le cirque? Combien est
changé cet autre qui aimait et qui louait si
fort ce chasseur ou ce comédien ? Cet
homme converti parle ainsi des autres , et
le* autres parlent de lui de la même sorte.
« Certainement nous voyons par la grâce
deDieu de ces conversions merveilleuses,
et elles nous sont un sujet d'actions de
grâce et de joie. Mais si nous nous r 'jouis-
sons à cause de ceux qui sont convertis, ne
désespérons pas de ceux dont nous voyons
des égarements et des désordres. Prions
pour eux, mestrès-chers frères; c'est du
nombre de ceux qui étaient méchants et im-
pies , que Dieu se plaît à faire croître le
nombre des saints.
« Que notre Dieu devienne donc notre
unique espérance : celui qui a fait toutes
choses est meilleur que toutes choses. Celui
qui a fait les belles choses est plus beau que
tousses ouvrages. Celui qui a fait les cho-
ses fortes, est plus fort que tout ce qu'il y a
de plus fort. Celui qui a fait tout ce qui est
grand, surpasse tout ce qu'on se peut figu-
rer déplus grand; il vous tiendra lieu de
ce que vous aimez.
« Apprenez à aimer le Créateur en la créa-
ture, et l'ouvrier en son ouvrage. Il ne faut
pas vous laisser occuper par les choses qui
sont les effets de la puissance de Dieu , et
perdre ce Dieu même qui les a faites, et par
qui vous avez été tiré du néant. Bienheu-
reux donc est l'homme qui met son espé-
rance dans le nom du Seigneur, et qui n'a
nul égard aux vanités, et aux folies trom-
peuses du siècle.
« Celui qui se sentira touché de ce que
j'ai dit, qui voudra se corriger de ses vices,
qui sera occupé de la crainte des jugements
de Dieu, que
commencera de vouloir marcher dans la
1 a \*s
»ieu, que la foi lui représente , et qui
voie étroite, craindra peut-être de n'avoir
pas la force de persévérer , et nous dira :
Ma volonté ne durera pas, et je ne conti-
nuerai pas dans la voie que vous, m'avez
proposée, si vous ne donnez des spectacles
à mes yeux, et des objets à mon esprit, qui
me tiennent lieu de ceux auxquels je re-
noncé. Comment faut-il donc , mes fières,
que nous traitions ces personnes qui sor-
tent ainsi du dérèglement, et qui renoncent
aux plaisirs du siècle? Que leur donnerons-
nous en la place de ce que nous leur faisons
quitter? Les laisserons-nous sans leur don-
ner des spectacles qui leur plaisent, et qui
les occupent ? Ils mourraient de tristesse ,
ils ne subsisteraient pas, ils ne pourraient
pas nous suivre. Que pourrons-nous donc
faire pour les contenter , et les retenir? il
faut sans doute que nous leur donnions des
spectacles pour d'autres spectacles.
« Mais quels spectacles pouvons-nous
offrir à un homme chrétien que nous vou-
ions retirer des spectacles vains, et profanes
du monde ? Je rends grâces à Notre-Seigneur
de ce qu'il nous a marqué dans le verset
suivant quels spectacles nous devons four-
nir aux amateurs des spectacles. Oui, nous
consentons, et nous approuvons que le
50
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CO
chrétien qui se prive dos divertissements
du cirque, du théâtre , de l'amphithéâtre,
cherche oTautres spectacles. Nous ne vou-
ions point qu'il en manque. Que lui donne-
rons-nous donc à leur place? Ecoutez ce
qu:^ dit notre Prophète : Seigneur, mon Dieu,
vous avez fait une multitude de choses qui sont
autant de merveilles que vous nous mettez
devant (es yeux. Ce Chrétien se plaisait aupa-
ravant à considérer les frivoles merveilles
des hommes ; qu'il s'arrête maintenant aux
merveilles de Dieu ; qu'il les contemple , et
qu'il Iefs admire, puisque ce sont des mira-
cles d'une magnificence et d'une sagesse
toute divine qui mérite d'être toujours éga-
lement un sujet d'admiration. Pourquoi
i'acoutumance à voir toutes les merveilles
du monde et de la nature dont Dieu est
l'auteur, les lui a-t-elle rendues moins esti-
mables et moins précieuses ? »
Dans le Sermon sur le psaume en. —
* Quand je dis : Un homme pécheur se pré-
sente à vous, je marque deux noms, et ce
n'est pas inutilement, et sans raison ; car
être homme et être pécheur sont deux cho-
ses bien différentes? Etre homme , c'est
J'ouvrage de Dieu ; être pécheur, c'est l'ou-
vrage deThooime. Pourquoi, medirez-vous,
ne m'est-il point | ermis de donner à l'ou-
vrage de l'homme? Qu'est-ce que donner à
l'ouvrage de l'homme? C'est donner à un
pécheur à cause de son péché , parce qu'il
vous divertit par son impiété. Mais qui fait
cela, dites-vous? Plût à Dieu que personne
ne le fit , ou qu'il y eût peu de gens qui le
lissent, ou qu'on ne le fit pas publiquement.
Ceux qui donnent aux comédiens, pourquoi
leur donnent-ils? Ne sonl-ce pas des hom-
mes à qui ils donnent; mais ils ne consi-
dèrent pas en eux la nature de l'ouvrage de
Dieu; ils ne regardent que l'iniquité de l'ou-
vrage de l'homme. »
Dans le traité 100, sur le xvi' chapitre de
saint Jean. — « Donner son bien aux co-
médiens, c'est un vice énorme, bien loin
d'être une vertu. Vous savez aussi bien
que moi ce que l'Ecriture dit de ces sortes
de personnes auxquelles le monde donne
d'ordinaire des applaudissements et des
louanges : On loue le pécheur de ses actions,
et on bénit le méchant à cause de ses méchan-
cetés. »
Dans le 1" et 2' chapitre du h* livre du
Traité du symbole aux Catéchumènes. —
« Sachez, mes bien-aimés, que le démon, no-
tre ennemi, séduit et prend plus de gens par
la volupté que par la crainte; car pour-
quoi tend-ii tous les jours les pièges des
spectacles? pourquoi préseute-t-ii tant de
vanités et d'infâmes plaisirs, qui ne sont que
folie et qu'illusion , sinon atin de prendre
ceux qui l'avaient abandonné , et pour se
réjouir d'avoir trouvé ceux qu'il avait per-
dus ? Il n'est point nécessaire d nous éten-
dre plus au long sur ce sujet, il suffit de
vous représenter en peu de mots ce que
vous devez rejeter et ce que vous devez
aimer. Fuyez les spectacles, mes bien-ai-
més, fuyez ces théâtres infâmes du diable,
afin de ne vous point engager dans les liens
de cet esprit malin. Mais s'il iaut relâcher
votre esprit, si vous vous plaisez aux spec-
tacles . l'Eglise notre sainte et vénérable
mère vous en fournit de plus excellents et
déplus agréables; ce sont des spectacles
salutaires qui remplissent l'esprit de joie. »
Dans le sermon 18 Des paroles du Seigneur.
— « Un bon Chrétien ne veut point aller
aux spectacles, et en cela même qu'il ré-
prime sa passion , et qu'il ne va pas au
théâtre, il crie après Jésus-Christ, et le
prie de le guérir. Cependant il y en a d'au-
tres qui y courent; mais ce sont peut-être
des païens ou des juifs. Certes si les Chré-
tiens n'y allaient point, le nombre des spec-
tateurs serait si petit, que la honte et la con-
fusion qu'ils en auraient les feraient retirer.
Il y a donc des Chrétiens qui sont si malheu-
reux que d'aller aux spectacles, et d'y por-
ter un si saint nom pour leur condamnation.
Mais vous qui n'y allez pas, criez sans cesse
après Jésus-Christ pour implorer son assis-
tance. »
Saint Isidore , prêtre de Damiette, dans
l'épitre 336 du m" livre. — « Les comédiens
ne s'étudient principalement qu'à pervertir
le peuple, et non pas à le rendre meilleur;
c;ir c'est la débauche de leurs spectateurs
qui fait leur félicité ; de sorte que s'ils s'ap-
pliquaient à la vertu, le métier de comédien
serait aussitôt anéanti. C'est pourquoi ils
n'ont jamais pensé à corriger les dérègle-
ments îles hommes; et quand ils le voudraient
entreprendre, ils ne le sauraient faire, parce
que la comédie, d'elle-même et par sa na-
ture, ne peut être que pernicieuse et nuisi-
ble. »
Dans l'épitre 186 du V livre. — « S'il est
certain , comme on n'en peut douter , que
le jour du jugement viendra, il faut prati-
quer la vertu. Que si cela paraît difficile et
fâcheux à quelques-uns, il vous sera facile
île le faire si vous fuyez les théâtres et le
cirque; ces lieux infâmes qui perdent tout
le monde, ou plutôt les villes ou ces spec-
tacles sont représentés, et particulièrement
les personnes qui se laissent emporter à la
passion de- ces honteux divertissements. »
Dans l'épitre 463 du môme livre. — « Ce-
lui qui a une passion violente pour les spec-
tacles du théâtre , ne sera pas moins trans-
porté pour l'amour infâme. Fuyez donc ce
premier dérèglement pour ne pas tomber
dans l'autre ; car il est plus facile de dé-
truire le vice avant qu'il soit enraciné, que
de l'arracher après qu'il a pris de profondes
racines; ce qui est très-difficile, et quel-
ques-uns même l'estiment impossible. »
Saint Salvien , évêque de Marseille , dans
le vi' livre de la Providence de Dieu. —
« Quelle monstrueuse folie? Quoi, s'il nous
arrive quelque bon succès ; si nous rempor-
tons des victoires sur nos ennemis; enfin si
JéïUS-Christ nous comble de ses faveurs,
nous lui offrons des jeux publics , et ce sont
nos actions de grâces! Nous imitons en cela
celui qui paierait d'une injurele plaisir qu'il
viendrait de recevoir, et qui percerait le
61
SENTIMENTS DE L'ECLISS SUR LE T11EATKE.
€2
Tisageet le cœur de celui qui lui ferait des
caresses. Je demanderais volontiers a ceux
que les grandeurs et les richesses font re-
connaître par-dessus les autres , de quel
supplice serait digne un esclave qui outra-
gerait son maître de qui il viendrait de re-
cevoir la liberté ? Il est hors de doute que
celui-là est tout à fait méchant qui rend le
mal pour le bien, n'étant pas môme permis
de rendre le mal pour le mal. Nous faisons
toutefois ce que je viens de dire, nous nous
disons Chrétiens, et par nos impuretés nous
excitons contre nous un Dieu miséricor-
dieux; nous l'irritons alors qu'il s'apaise',
et nous l'outrageons alors qu'il nous caresse.
Nous offrons donc à Dieu des jeux infûmes
pour les bienfaits qui viennent de lui ,
nous lui faisons des sacrifices exécrables,
comme s'il avait pris notre chair pour nous
donner do si mauvaises instructions , où
qui nous les eût fait entendre par la bouche
d.' ses a| ôt.' es. Ce fut peut-être pour cela que
Dieu voulut naître ici-bas comme un homme,
et qu'il daigna prendre notre honte et notre
bassesse en naissant comme nous? Ce fut
peut-être pour cela qu'il naquit dans une
étable où les anges le servaient? Ce fut
peut ôtre pour cela que Dieu qui enveloppe
le ciel et la terre se laissa envelopper de
petits linges dans lesquels il gouvernait
toutes choses? Ce fut peut-être pour cela
que Di^u qui se fit pauvre pour nous enri-
chir, qui s'est humilié môme jusqu'à mou-
rir sur la croix, et dont la mort fit trembler
tout le monde, voulut être pour nous attaché
sur une croix ainsi qu'un criminel? Nous
nous imaginons peut-être qu'il nous a fait
des leçons d'impiété , alors qu'il vivait et
qu'il souffrait tant de peines et tant d'inju-
res pour nous? Nous reconnaissons d*uue
étrange façon les effets de ses souffrances ,
nous avons reçu notre rédemption et notre
vie par le moyen de sa mort, et ce bienfait
n'est payé que par les vices d'une vie dé-
bordée. Saint Paul dit que la grâce s'est
montrée , qu'elle nous a enseigné à vaincre
l'impiété, et à perdre les appétits déréglés;
qu'elle nous commande devivre sobrement,
d'être pieux et justes dans ce monde , en
attendant l'effet d'une bienheureuse espé-
rance, et la venue de la gloire de Jésus, qui
s'est donné lui-même pour nous à dessein de
nous racheter, etdelaver par son sang un peu-
ple agréable à sa divinité, et sectateur des
bonnes œuvres. Où sont maintenant ceux
qui mettent en usage les choses pour les-
quelles l'Apôtre dit que Dieu est venu ? Où
sont les Chrétiens qui retranchent de leurs
cœurs ces appétits déréglés ; qui fassent
profession de la piété, et tout ensemble de
la sobriété, et qui témoignent par leurs ac-
tions qu'ils ont l'espérance d'une gloire qui
do:t toujours durer. Quiconque vit bien et
ne se laisse pas emporter aux tempêtes du
temps , montre qu'il attend cette gloire, et
qu'il mérite de la receveur. Dieu, dit l'Apô-
tre, est venu pour laver de son sanrj un peu-
ple agréable à sa majesté et amateur de bonnes
aciiur.s. Où est ce peuple pur et net ? Où
est ce peuple agréable à Dieu? Où est ce
peuple qui fait gloire des bonnes actions?
L'Ecriture nous apprend que Dieu souffrant
pour nous, a fait les chemins que nous de-
vons suivre; peut-être que ces chemins
nous conduisent aux jeux publics et aux
spectacles qu'il défend ? Dieu nous a peut-
être laissé ce témoignage pour ce sujet?
Dieu, dis-je, de qui nous ne lisons point
qu'on l'ait vu rire, Dieu a pleuré pour nous,
parce que les pleurs sont des témoignages
d'un esprit touché, et n'a point voulu rire,
d'autant que c'est ainsi que les meilleures
disciplines se corrompent. Aussi a-t-il dit
par la bouche de l'évangéliste : Malheur sur
vous qui riez, parce que vous pleurerez ; et
au contraire vous êtes bienheureux vous qui
pleurez maintenant , car vous rirez quelque
jour.
a Nous ne nous contenterions pas de
rire et de nous réjouir si nous ne ren-
dions nos réjouissances criminelles, par le
moyen des vices que nous y mêlons. Nous
ne pouvons nous divertir sans faire des pé-
chés de nos divertissements ; nous pense-
rions que nos plaisirs seraient en quelque
façon défectueux s'ils ne nous rendaient
coupables, et qu"il n'y aurait point de con-
tentement à rire si l'on n'offensait Dieu.
Rions même sans mesure; réjouissons-nous
sans cesse , pourvu que ce soit innocem-
ment. N'est-ce pas une étrange folie que
s'imaginer que nos divertissements ne se-
raient pas agréables s'ils n'étaient injurieux
à Dieu.
« Dans ces specfables dont nous avons
parlé, nous nous déclarons en quelque façon
apostats, transgresseurs de la loi et enne-
mis des sacrements , car Ja première protes-
tation que les Chrétiens font au baptême,
n'est-ce pas de renoncer au diable , à ses
pompes, à ses spectacles, à ses ouvrages ?
Nous les suivons toutefois après le baptême;
nous savons bien que ces spectacles sont
des inventions du diable ; nous y avons re-
noncé ; d'où s'ensuit nécessairement qu'en
y allant volontairementet avec dessein, nous
devons reconnaître que nous retournons au
diable ; car après tout nous avons eu mémo
temps renoncé à l'un et à l'autre, et avons
confessé que l'un et l'autre sont la même
chose. Si bien que si nous retournons à
l'un, il est véritable que nous retournons à
l'autre.
« Je renonce, dit-on en se faisant baptiser,
au diable, à ses pompes, à ses spectacles , et à
ses œuvres; et l'on ajoute aussitôt après :
Je crois en Dieu le Père tout-puissant et en
Jrsns-Christ son Fils. L'on renonce donc pre-
mièrement au diable, afin que l'on croie en
Dieu, d'autant que quiconque ne renonce
pas au diable ne croit pas en Dieu ; et par-
tant quiconque retourne au diable, méprise
et quitte son Dieu ; or les démons se trou-
vent dans les spectacles et dans les pompes
solennelles, de sorte que quand nous y re-
tournons nous quittons la foi de Jésus-
Christ. Le mérite des sacrements de notre
religion se perd en ;:ous ; tout ce qui suit
63
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
6*
d'ans notre symbole est choqué et tout en-
semble affaibli; car le moyen de s'imaginer
qu'une chose puisse demeurer debout quand
son appui est à bas. Dis-moi donc, ô Chré-
tien, qui que tu sois, ayant perdu par tes mé-
pris et par ta rébellion les principes de ta
croyance, comment pourras-tu faire état de
sa suite? et comment l'imagineras-tu que le
teste te pourra | rotiter ? Les membres sans
la tête ne peuvent rien; toutes choses dé-
pendent de leur principe , et ne profilent
pas sans lui. Quand les fondements d'un
édifice sont sapés, tout le reste tombe en
ruine; les arbres qui n'ont plus de racine
nedurentpas longtemps, et les ruisseaux
de qui l'on tarit lessources se diminuent et
se perdent bientôt; enfin rien ne subsiste
tans la tête.
« Mais si l'on ne trouve pas que ces spec-
tacles dont nous avons parlé soient de si
grande conséquence, que l'on considère at-
tentivement ce que nous avons dit, et sans
doute on reconnaîtra qu'au licude contente-
ment ils nous apportent la mort, qu'ils nous
perdent au lieu de nous divertir; car en se
retirant de ce qui peut entretenir la vie,
ne se met-on pas au hasard de la perdre
entièrement; et lorsqu'on a ruiné le fonde-
ment de sa religion, n'a-t-on pas sujet d'ap-
préhender la perte de son salut ?
« Retournons maintenant à ce que nous
avons si souvent dit, retournons aux b r-
bares, puisque les Chrétiens sont si détes-
tables. Où trouvera-t-on chez eux tant do
malheureux spectacles? où sont leurs gla-
diateurs, et tous ces prodiges d'impureté qui
paraissent chez nous? Mais quand on ver-
rait entre eux tout ce que je viens de dire ,
ils ne seraient pas toutefois si coupables
que nous, parce que l'offense qu'ils feraient
en voyant de si grandes impuretés ne serait
pas suivie de la transgression delà loi. Que
pouvons-nous répondre au contraire qui
nous excuse, et qui ne nous condamne ?
Nous sommes en possession le la véritable
croyance, et nous la ruinons; nous con-
fessons que nous avons le gage de notre
salut, et tout ensemble nous le nions. Où
est en nous le caractère de Chrétien ? Il
semble que nous ne prenions les sacrements
du christianisme que pour nous rendre
plus coupables par le mépris que nous
en faisons. Nous préférons les choses vai-
nes au service de Dieu, nous méprisons les
autels, et nous respectons le théâtre , nous
aimons toute chose, nous avons toute chose
en vénération et en comparaison de tout,
il n'y a que Dieu qui nous semble méprisa-
ble. Bien que celte vérité ne manque point
de preuves, je dirai néanmoins une chose
qui la rendra visible à tout le monde. S'il
arrive qu'en un jour de fête on fasse des
jeux publics , les églises seront-elles plus
remplies que les lieux destinés aux specta-
cles ? Les paroles de l'Evangile font-elles
une plus vive impression sur les cœurs que
celles des théâtres? Je laisse pour juge de
celte demande la conscience de tous les
Chrétiens ; et je n'ai que faire de dire ce
qu'une pernicieuse coutume fait voir trop
clairement, l'on retient plus facilement un
mauvais mot. qu'une sentence de l'Evangile,
et l'on est plus content d'écouter les paroles
de la mort, que celles de la vie; ainsi le
criminel aime mieux entendre ceqni le con-
damne, que ce qui lui donne sa grâce.
« Si un jour de fête on apprend dans les
églises, où l'on ne va bien souvent que
pour adorer les créatures , qu'il y a de ces
divertissements en quelques lieux , l'on
méprise le temple et l'on court au théâtre ;
l'on quitte le ciel pour aller aux enfers.
L'Eglise est vide en peu de temps , et en
moins de temps encore le lieu qui reçoit
les spectateurs au théâtre est rempli. On
laisse sur les autels un Dieu qui se donne à
nous pour nourriture, et l'on va se repaître
de la viande du diable; on va commettre des
adultères par la vue, l'on va applaudir J: sa
pei'te ; et lorsqu'on se réjouit ainsi dans
ses prospérités , l'on ne songe pas à ces pa-
roles que Dieu proinnce par la bouche du
prophète r Vous serez perdus pour vos péchés,
et les autels du ris et de (a réjouissance seront
abattus. »
VP SIÈCLE. — Saint Anastase sinaïte ,
patriarche d'Ànlioche, dais le Traité ds ta
sacrée communion. — « Notre aveuglement est
grand, notre négligence est extrême ; nous
n'avons point de componction ; nous n'avons
point de crainte de Dieu ; nous ne corri-
geons point nos mœurs, nous ne faisons
point de pénitence; mais notre esprit s'ap-
plique entièrement à la malice et aux vo-
luptés; et il arrive souvent quenous passons
sans peine les journées entières au théâtre
dans les conversations déshonnètes et dans
les autres œuvres du diable. Nous quittons
le manger, nous abandonnons notre maison,
nous négligeons nos affaires importantes ,
pour nous occuper à ces vanités, et à ces in-
fâmes divertissements ; et nous ne voulons
pasdemeurer uncheuredans /Eglise pour va-
quer à la prière et à la lecture, et pour nous
tenir en la présence de Dieu. Nous nous
hâtons d'en sortir aussi vite que si nous
nous retirions d'un embrasement. Si la pré-
dication de l'Evangile dure un peu trop,
nous faisons éclater notre indignation et
notre impatience. Si le prêtre fait des priè-
res un peu longues, nous sommes sans
goût et sans attention. Si celui qui offre le
sacrifice non sanglant tarde tant soit peu ,
nous nous ennuyons , et nous regardons la
prière comme un procès dont nous vou-
drions avoir une prompte expédition; et
cependant suivant les mouvements du dia-
ble, nous nous emportons dans les vanités
et dans les voluptés. Certes, mes frères, no-
tre misère est grande ! »
VIIe SIÈCLE. — Saint Isidore , archevê-
que deSéville, dans le xrine livre des Ety-
mologies, chap. 19. — « Un Chrétien ne doit
avoir aucun commerce avec les folies du
cirque, avec l'impudicilé du théâtre , avec
les cruautés de l'amphithéâtre , avec la bar-
barie des gladiateurs , avec l'infamie des
jeux de Flore ; c'est renoncer à Dieu que de
63
SENTIMENTS DE L'EGLISE SLR LE THEATRE.
66
s'amuser à ces vanités; c'est se rendre pré-
varicateur de la foi chrétienne que de re-
chercher après le baptême les choses aux-
quelles on a renoncé en le recevant ; c'est-
à-dire le diable, ses pompes, et ses œuvres.»
VIII* SIÈCLE. — Saint Jean Damascène,
dans le 111e livre des Parallèles, chap. kl. —
«Il y a des villes qui depuis le matin jus-
qu'au soir repaissent leurs yeux de divers
spectacles des comédiens, et qui ne se las-
sent point d'employer un si longtemps à
écouter des vers iassifs et licencieux , qui
remplissent les esprits d'ordures ; et il y a
même des personnes qui appellent ces peu-
ples heureux, en ce que, quittant leurs af-
faires et les occupations nécessaires pour
l'entretien de la vie , ils passent les jour-
nées entières dans l'oisiveté et dans la vo-
lupté, ne considérant pas (pie le théâtre où
l'on représente ces spectacles honteux, e-t
l'école commune et publique de l'impu-
reté pour ceux qui s'assemblent dans ce
lieu infâme.
« Ceux qui ont la crainte du Seigneur , at-
tendent le dimanche pour offrir leurs prières
à Dieu, et pour recevoir le corps et le sang
de Noire-Seigneur. Mais les lâches et les
fainéants attendent le dimanche pour ne
point travailler, et pour s'abandonner aux
vices. Ils courent, où plutôt ils volent au
théâtre, pendant que nous voyons les spec-
tacles de l'Eglise; nous y voyons Jésus-
Christ reposant sur la table sacrée; nous y
entendons l'hymne que les séraphins chan-
tentdans le ciel en l'honneur de Dieu ; nous
entendons les paroles de l'Evangile ; nous y
jouissons de la présence du Saint-Esprit;
nous y entendons la voix des prophètes ;
glorifient Dieu, et
lymne dont les
anges
ce chaut de joie qui nous excite à louer sa
divine majesté. Tout y est spirituel, salu-
taire, et propre à nous rendre dignes du
royaume du ciel. Ce sont là les spectacles
que l'Eglise donne à ceux qui y vont ; mais
quels sont au contraire les spectacles de
ceux qui vont à la comédie? Ils n'y voient
que les pompes du diable ; ils n'y entendent
que la voix du démon. »
IX' SIÈCLE. — PiioTirs , patriarche de
Constantinople dans le Nomocanon, lit. ix,
chap. 27. — « Si un évêque ou un ecclé-
siastique assistant aux spectacles du théâtre,
qu'on leur interdise la fonction de leur mi-
nistère [tendant trois ans , et qu'on les en-
ferme dans un monastère. Que s'ils donnent
des marques d'une pénitence sincère , les
prélats pourront abréger ce temps. »
XIe SIÈCLE. — Olympiodorè, sur le vcrsrt
17 du chapitre iv de l'Ecclétiaste. — « Quand
vous entrez dans la maison de Dieu, prenez
garde à vos pieds , et approchez-vous pour
écouter sa parole. Réglez , dit le Sage,
tout votre corps dételle sorte que nous n'em-
ployons point pour faire le mal les mêmes
membres dont nous nous servons pour faire
le bien. Comme s'il disait : Je vous prie que
ces pieds dont vous vous servez pour aller
au temple de Dieu , ne soient point em-
ployés pour aller aux jeux du théâtre, et
aux spectacles infâmes. Apprenez par là
que vous en devez user de même à l'égard
des autres parties de votre corps. Certes
ceux qui ont les pieds nets en entrant dans
l'Eglise do Dieu doivent prendre garde de ne
les point souiller , en allant dans des lieux
impurs et profanes qui déplaisent à Dieu. »
XIIe SIÈCLE. — Saint Beknard , dans le
Traité de la conversion des mœurs, chap. 1 1
— « Quant à la vue des spectacles vains,
que sert-elle au corps, ou quel bien ap-
porte-t-elle à l'âme? Certes vous ne trou-
verez point que l'homme tire quelque pro-
lit de 'a curiosité. Les divertissements sont
de pures niaiseries ; et je ne sais quel plus
grand mal je lui pourrais souhaiter que la
durée de ces vains amusements qu'il recher-
che, et de celte inquiétude curieuse dont il
est charmé, et qui lui fait haïr la paix et la
douceur d'un heureux repos. Il est bien
clair qu'il n'y a rien de solide en tous ces
plaisirs, puisqu'on n'en aime que le mou-
vement passager par lequel ils succèdent
l.'S uns aux autres, et non pas leur conti-
nuation et leur durée. Que si les vanités ne
sont que des choses vaines , comme le nom
seul le.marque assez clairement ; il tàut né-
cessairement que le travail qu'on emploie à
des choses vaines soit aussi vain qu'elles.
O gloire! ô gloire, dit un Sage, qu'êtes-vous
parmi la plupart des hommes, qu'une vaine
enflure que le cœur conçoit par l'oreille? Et
cependant combien cette vanité heureuse,
où plutôt cette vaine félicité produit-elle de
malheurs ?
« C'est de là que vient l'aveuglement du
cœur, selon ce qui est écrit : O mon peuple,
ceux qui vous appellent heureux vous trom-
pent. C'est de là (pie viennent les peines lâ-
cheuses des soupçons , et les cruels tour-
ments de la jalousie, etc.
« Certes ce n'est pas tant une folie qu'une
infidélité d'aimer des choses si basses, où
plutôt des choses de néant , et d'estimer si
peu cette gloire que nuiœil n'a vue, que nulle
oreille n'a ouïe, que nul esprit humain n'a
imaginée, ces biens et ces trésors que Dieu
a préparés pour ceux qui l'aiment. »
Jean de Salisbeuy, évêque de Chartres ,
dans le 1" livre des Vanités de la cour, chap.
8. — « Notre siècle .««'attachant à des fables
et à de vains amusements, ne prostitue pas
seulement les oreilles et le cœur à la vanité;
mais il flatte aussi son oisiveté par les plai-
sirs des yeux et des oreilles ; et il allume le
feu de l'impureté cherchant de toutes parts
ce qui est propre à entretenir les vices.
« L'oisive, é est l'ennemie de l'âme, qui la
dépouille de toutes ses inclinations ver-
tueuses; c'est pourquoi un très-savant
homme donne ce conseil : Que l'ennemi du
genre humain, dit-il , vous trouve toujours
occupé, afin qu'avec autant de bonheur, que
de prudenco , vous vous couvriez de vos
occupations , comme d'un bouclier contre
toutes ses tentations. Il faut fuir l'oisiveté
comme une dangereuse syrène; et cepen-
dant les comédiens nous y attiient. L'en-
nui se glisse aisément dans un esprit vide
C7
SENTIMENTS DE L'EGLISE SL'Ï\ LE TilEATRE.
f.8
qui ne se peut supporter lui-même, s'il n'a
quelque volupté pour se divertir ; c'est pour
cela que l'on a introduit les spectacles, et
tous ces appareils de la vanité , où s'occu-
pent ceux, qui ne peuvent vivre sans quel-
que amusement ; mais c'est un dérèglement
pernicieux ; car l'oisiveté leur serait encore
plus avantageuse qu'une si honteuse occu-
pation.
« Estimez-vous un homme sage qui se
plaît à écouter et à voir ces niaiscri s? J'a-
voue qu'un homme de bien peut honnête-
ment se donner quelque plaisir modéré.
Mais c'est une chose honteuse à un homme
grave de s'avilir , et de se souiller par ces
sortes de divertissements inl'à.nes. Un
homme d'honneur ne doit pas regarder les
spectacles, et particulièreme il ceux qui sont
déshonnêtes, de peur que l'inco t menée de
sa vue ne soit un témoignage de l'impureté
de son âme. C'est avec raison que Périclès
étant [trêteur reprit Sophocle, son collègue,
en ces termes : «Il faut qu'un magistrat n'ait
« pa's seulement les mains pures, mais les yeux
* môme. «C'est pourquoi un homme à qui la
puissance royale donnait une grande li-
cence, faisait cette prière à Dieu : Détour-
nez mes yeux, afin qu'ils ne regardent point
la vanité; car il savait bien qu'il est cer-
tain que la vue cause une infinité de maux ;
ce que le prophète Jérémie déplore dans
ses Lamentations : Mes yeux, dit-il, ont ravi
mon âme comme une proie.
« Vous ne doutez point que l'autorité des
Pères de l'Eglise n'ait interdit la sacrée
communion aux comédiens et aux farceurs;
d'où vous pouvez juger quelle peine méri-
tent ceux qui les favorisent, si vous vous
représentez que les coupables des crimes
et leurs complices doivent être également
punis. « Ceux qui donnent aux comédiens,
« dit saint Augustin, pourquoi leur don-
ci nent-ils, si ce n'est parce qu'ils se plaisent
« au mal que font ces personnes infâmes ? »
Or celui qui se plaît au mal, et qui l'entre-
tient, est-il hommj de bien? » (Traité de la
comédie et des spectacles selon la tradition de
ï Eglise ; Paris, Bil aine , 1666, in-8° p. 30-
1W.)
DICTIONNAIRE
DES MYSTERES.
A
ABRAHAM. — M. Magnin a dit de ce
drame de Hrotswithe, religieuse de Gander-
sheim au x' siècle : « Celte pièce, qui repose
sur une donnée si voisine de la licence, a
été écrite par une religieuse enthousiaste de
la chasteté, jouée par des religieuses, en
face de graves prélats. »
M. Onésyroe Leroy, dans ses Etudes sur
les mystères (Paris, 1837, in-8°, p. 4-7), a
donné une rapide analyse de la pièce d'Abra-
ham de Hrotswithe.
Argdmemt d'Abraham (33) — Clmteet conversion de Marie,
nièce d'Abraham, ermite. Après avoir pratiqué vingt
ans la vie de solitaire, elle perd sa virginité, rentre
dans le inonde et ne craintpas de. se mêler a une Ironpe
de courtisanes. Au bout de deux ans les conseils d'A-
(33) « Ce drame, le plus pathétique que nous ait
laissé Hrotswithe, est tiré d'actes que nous possé-
dons tant en grec qu'en latin, et qui portent le nom
de saint Ephrem. Plusieurs modernes, entre autres
Vossius et Arnaud d'Andilly, lequel a traduit cette
touchante histoire dans ses Vies des Pètes des déserts
(t. I, p. 271 et 547), l'ont attribué à saint Ephrem,
le solitaire, qui devint diacre dEdesse et qui vivait
au iv' siècle. D'autres pensent que les Actes d'Abra-
ham et de Marie sont l'œuvre d'un autre Ephrem un
peu postérieur à celui q-.i, avant d'être diacre, avait
braham qui était parvenu auprès d'elle «ous les dehors
d'un amant, la rappellent à la verlu. Elle effaça par des
larmes abondantes, par des jeûnes, des veilles et des
prières perpétuels, pendant vingt aus, les souillures de
ses péchés.
PERSONNAGES:
i
l'.'HI'KM, I
Maïul, nièce d'Abraham.
vu ami d'Abraham.
Un hôtelier.
SCENE I. ABRAHAM, EPHREM (34).
Abraham. Ephrem, mon frère, voué comme moi à
la vie érémitique, vous convient-il de causer avec
moi en ce moment, ou bien voulez-vous que j'attende
jusqu'après la fin de vos prières.
ephrem. Entre nous, la conversation n'a d'autre
objet que la gloire de celui qui a promis de se
été le maître et le compagnon d'Abraham. Voyez,
à la date du it> Mars, les Acta sanctorum (Marlii, t.
I, p. 453). — L'action se passe, d'après les hagio-
graphes, tantôt dans une solitude voisine de Lamp-
saque, sur les bords de l'Hellespont, tantôt dans la
ville d'Assos , qui n'en est distante que de deu\
journées. » (M. Magnin.)
(34) «Hrotswithe d^onne à Ephrem un rôleLLet.p'ms
important que dans la légende, laqu^We ne le cilo
qu'une ou deux fois en passant. > (M. Magnin.)
69
APK
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
sr.n
trouver au milieu de ceux qui s'assemblent en son
nom.
ABiuimi. Je ne suis pas venu pour vous parler
d'autre chose que de ce qui, à mon sens, est d'accord
avec la volonté de Dieu.
ephrem. C'est pourquoi je ne différerai pas cet
entretien d'un seul moment et je me donne tout à
votre désir.
abraham. Un projet fermente dans mon esprit et
je souhaite ardemment que votre volonté réponde à
mes vœux.
ephrem. Avec un même cœur, avec une même âme,
une même volonté, nous ne pouvons échapper aux
mêmes inspirations, aux mêmes indignations.
aijrahasi. J'ai une nièce toute jeune, orpheline,
sans appui , dont l'abandon me touche infiniment,
pour qui j'ai la plus vive affection et qui est pour
moi une cause incessante d'inquiétudes et de pré-
occupations.
ephrem. Et quoi, dominateur du monde, qu'avez-
vous de commun avec ces soucis ?
abraham. Tout mon souci est dans l'éclatante
beauté de ma nièce qui pourrait être ternie par la
souillure du péché.
ephrem. Ce souci vous arrache au blâme (55).
abraham. Je l'espère.
ephrem. Quel âge a-l-elle?
abraham. Dans un an, elle aura atteint deux
olympiades.
"ephrem. C'est une pupille bien jeune.
abraham. Aussi suis-je fort en peine.
ephrem. Où habile-telle?
abraham. Dans mon ermitage; car, à la prière
de ses parents, je l'ai prise chez moi pour l'élever;
mais j'avais le dessein de distribuer ses biens aux
pauvres.
ephrem. Le mépris des biens temporels convient
à un esprit tourné vers le ciel.
abrauam. Je brûle du désir longtemps couvé de
la fiancer au Christ et de la soumettre à sa disci-
pline.
ephrem. C'est très-bien.
arkwiam. Le nom qu'elle porte m'en fait une loi.
ephrem. Comment se nomme-t-elle?
ABRAHAM. Marie.
ephrem. Oui, la grandeur d un tel nom comporte
l'éclat de la virginité.
abraham. Sans doute, avec de sages conseils et de
douces exhorlaiions , nous la trouverons docile.
ephrem. Allons auprès d'elle, et tâchons de faire
comprendre à son esprit la paisible douceur du cé-
libat.
SCÈNE II.
LES PRÉCÉDENTS, MARIE (36).
abraham. 0 ma fille adoptive! ô partie de mon
âme ! Marie, cède à mes avis paternels et aux ins-
tructions salutaires de mon compagnon Ephrem;
prends pour modèle la patronne de la virginité
(53) Nous suivons ici le texte de Celles ae préfé-
rence à la correction de M. Maguin (p. 221 ,
note 1).
(56) « Le caractère de Marie est plus encore que
relui de Drusiana, une création de llrolswithe. Il est
tracé avec beaucoup de naturel et de goût. La lé-
gende avait très-peu fait, et notre auteur a déve-
loppé ce germe avec une véritable science du cœur
féminin. Dès les premiers mots (pie cette jeune lille
prononce, on sent dans ses réparties aux exhorta-
tions mystiques d'Ephrem, une sorte de matérialité et
de sensualité naïves, présage de chute. > (M. Magnin.)
(57) M. Magnin a dit :< Il y a dans cette pensée comme
un éclair de coquetterie précoce, qui me semble un
trait exquis de naturel. > (Note 47, p. 467.) — Le
caractère principal de celle scène semble avoir
à qui tu ressemble! déjà par le nom, et imite sa
chasteté.
ephrem. Ma lille, combien il serait inconvenant
qu'une personne, placée de même que la vierge
Marie, par le mystère de son nom, au dessus de
l'axe du monde, parmi 1 s astres qui ne doivent
jamais tomber, fût inférieure à son destin et roulât
jusque dans les fanges de la terre.
marie. J'ignore le mystère de mon nom; aussi
n'ai-je pas bien comp: is votre métaphore.
ephrem. Marie signifie VEtoile de la me-, autour
de laquelle est porté le monde et sont appJcs Ls
hommes.
marie. Pourquoi dit-on Etoile de la mer?
ephrem. Parce qu'elle ne se couche jamais et dirige
les navigateurs dans le sentier étroit de la \oie
droite.
marie. Et comment, moi, si faible créature, formée
de boue, atteindrais-je aux grandeurs dont brille le
mystère de mon nom? (57)
ephrem. Par la virginale pureté du corps et par
l'entière sainteté de 1 esprit.
marie. C'est une fortune immense pour un être
humain que de s'élever â l'égal des astres rayonnants.
ephrem. Eh bien, si vous restez vierge et pure,
vous serez égale aux anges de Dieu ; c'est au m dieu
d'eux qu'allégée du poids de la chair, traversant les
airs, franchissant l'éther, vous parcourrez le cercle
du zodiaque et ne vous arrêterez enfin que dans les
bras du Fils de la Vierge sur la couche radieuse de
sa Mère.
marie. Quiconque méprise ces biens, n'est qu'une
bête (58). Aussi je fais fi des choses terrestres, et je
renonce à moi-même, pour obtenir mon admission
aux délices d'un bonheur si grand.
ephrem. En vérité, nous trouvons dans le cœur
de celte enfant la maturité d'esprit d'un vieillard.
abraham. La grâce de Dieu y est.
ephrem. On ne peut le nier.
abraham. Mais, bien qu'elle soit éclairée par la
grâce, il n'est pas bon, cependant, que, dans un âge
aussi tendre, elle n'agisse qu'à son gre.
ephrem. C'est vrai.
abraham. Je lui construirai donc auprès de ma
demeure une cellule, avec une entrée très-étroite,
par la fenêtre de laquelle je lui apprendrai, dans
mes fréquentes visites, le psautier et les autres livres
de la loi de Dieu.
ethrem. Très-bien.
marie. Ephrem, mon père, Je m'abandonne à votre
direction.
ephrem. Que l'époux céleste, à l'amour duquel
vous vous êtes vouée dans un âge si tendre, vous
protège, ma fille, contre toules les ruses du démon.
SCÈNE III.
ABRAHAM, EPHREM.
abraham. Frère Ephrem, quelsque soient les coups
de la fortune en ma faveur ou à ma ruine, c'est vous
échappé entièrement à l'attention du savant et élé-
gant Ira lucteur de Hrolswithe; comme dans le mys-
tère des Trois mages du xie siècle, et tiré du ma-
nuscrit de Saint-3enoît-sur-Loir , il y a ici une
intention évidente d allusions mystérieuses aux
vaines sciences de la magie, dont l'esprit humain,
quelle que fût la puissance de sa volonté, et la fermeté
de sa foi, ne laissait pas que d'être étrangement pré-
occupé entre les ix° et xinc siècles. Plutôt que de la
coquetterie, je voudrais voir, dans les réponses de
Marie, empreintes évidemment de matérialité, un
effroi vague et un doute obscur, accrus par le lan-
gage mystique d'Ephrem, dont le pieux caractère
échappe à l'intelligence sensuelle et à la piété indé-
cise de la future pécheresse.
(58) * Le texte dit tout cromenl mimm virit. Cette
71
ABR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ABR
72
auprès de qui j'accours d'abord , c'est vous seul que
je consulte. Aussi ne soyez pas insensible aux
plaintes que je profère ; mais assistez-rnoi dans mon
mal et mes tourments.
ephrem. Abraham, Abraham, quel mal avez-vous?
Pourquoi cette affliction sans mesure? Jamais il ne
fut loisible à un solitaire d'être troublé à l'égal d'une
personne du monde.
abraham. Un malheur affreux, sans pareil, est
tombé sur moi; ma douleur est intolérable, je suis
accablé.
ephrem. Ne me lassez pas dans vos longues cir-
conlocutions, et dites-moi plutôt votre malheureuse
aventure.
ABRAHAM. Marie, ma fille adoptive, que j'ai pen-
dant quatre lustres nourrie avec tant de soin , in-
struite avec tant de zèle...
ephrem. Eh bien, elle...
abraham. Hélas! elle est perdue...
ephrem. Comment l'entendez-vous?
abraham. Au pis. Après sa faute, elle s'est échap-
pée secrètement.
ephrem. De quels pièges l'a donc environnée la
ruse de l'antique serpent?
abraham. 11 s'est servi de la passion perverse d'un
imposteur qui, sous un habit de moine (39), lui ren-
dant souvent d'hypocrites visites, a enfin amené le
cœur rétif de cette jeune fille à partager son amour;
«lie en est venue à sortir de la cellule par la fenêtre,
pour commettre le crime.
ephrem. Ce récit me fait frémir.
abraham. Mais l'infortunée, une fois perdue, con-
naissant son péché, se frappait la poitrine; elle
s'est meurtrie le visage, elle a déchiré ses vête-
ments ; et s'arrachant les cheveux , elle jetait des
cris lamentables.
ephrem. Et non sans motif, car une telle chute
doit être pleurée d'un torrent de larmes.
abraham. Elle gémissait de n'être plus ce qu'elle
avait été...
ephrem. Malheur à elle !
abraham. Elle pleurait d'avoir agi contrairement
à nos préceptes...
ephrem. Oui, grandement.
abraham. Elle pleurait les fruits anéantis de ses
veilles, de ses prières, de ses jeûnes...
ephrem. Si elle persévérait dans un tel repentir ,
elle serait sauvée.
abraham. Elle n'y a point persévéré; au contraire,
à une première faute, elle a ajouté des fautes plus
graves.
ephrem. Je suis troublé jusqu'au fond du cœur;
je ne me sens plus...
abraham. Après s'être punie par ses larmes ,
vaincue par l'excès de la douleur, elle s'est préci-
pitée dans l'abîme du désespoir.
ephrem. Eh hélas! quelle lourde perte!
abraham. Dans le désespoir d'aucune grâce pos-
sible, elle a choisi le retour au monde et le culte des
vanités.
ephrem. Hem ! une si grande victoire des esprits
pervers sur l'institution érémitique était encore in-
connue.
abraham. Et aujourd'hui , nous sommes la proie
des démons.
ephrem. C'est bien étonnant qu'elle ait pu s'échap-
per à votre insu?
abraham. En ce moment même , j'avais l'esprit
plein de trouble et de terreur à cause d'une vision
que j'avais eue, et dans laquelle, sans l'aveugle-
ment (40) de mon esprit, était la frappante figure de
la ruine de Marie.
jeune fille a quelque chose de positif et de matériel
jusque dans l'exaltation religieuse, s (M. Magnin.)
(39) « On pourrait voir dans ce passage une satire
indirecte des moines du x* siècle, si celle particula-
rité ne se trouvait dans la légende : Nomine dûnta-
epkrem. Je voudrais entendre les détails de cette
vision.
abraham. Il me semblait qu'étant devar.t la porte
de ma cellule, tout à coup, un dragon énorme et
très-puant, s'abattit avec impétuosité sur une jeune
colombe placée auprès de moi; il la prit, la dévora
et disparut aussitôt.
ephrem. Cette vision était assez claire...
abraham. Mais moi au contraire, à mon réveil,
réfléchissant sur ce que j'avais vu, j'eus la crainte
de quelque persécution imminente pour l'Eglise et
de l'entraînement de quelques fidèles vers l'erreur.
ephrem. C'était à craindre...
abraham. Ensuite, prosterné en prières, je sup-
pliai le Préconnaisseur de l'avenir de me dévoiler
les suites de ce songe.
ephrem. Bien, bien.
abraham. Enfin, la troisième nuit, au milieu du
sommeil où j'avais abandonné mon corps épuisé, je
crus voir le même dragon rouler mort à mes pieds
et la colombe aussi belle et sans mal.
ephrem. Je vous entends avec joie , car sans nul
doute votre Marie reviendra auprès de vous.
abraham. A mon réveil , cette vision consolante
tempérait la tristesse de la prière , lorsque rentra
dans mon esprit le souvenir de mon élève. Je ne
me rappelai pas sans amertume que , depuis deux
jours , je n*avais pas entendu, comme d'ordinaire,
sa voix chantant les louanges du Seigneur.
ephrem. Souvenir bien tardif.
abraham. Je le confesse. Je m'approchai et frap-
pant de la main à la fenêtre de Marie , je l'appelai
plusieurs fois : « Ma fille! ma fille ! >
ephrem. Ah! vous l'appeliez en vain.
abraham. Je ne m'en aperçus pas tout d'abord , je
lui demandais la cause de sa négligence à prier; mais
je ne reçus pas le plus faible murmure pour ré-
ponse.
ephrem. Que fites-vous alors?
abraham. En m'apcrcevant que Marie que je cher-
chais n'était pas là, mon cœur reçut d'épouvante un
coup, et tout mon corps trembla de peur.
ephrem. Ce n'est pas étonnant; moi-même, j'é-
prouve tout cela, en vous écoutant.
abraham. Je remplis l'air de cris plaintifs et de
questions : Quel loup m'a ravi mon agneau? quel
brigand retient ma fille captive?
ephrem. Vous pouviez pleurer la perle de l'enfant
que vous avez élevée.
abraham. 11 vint enfin des gens qui, sachant la
vérité, me dirent ce que je vous ai raconté, et com-
ment Marie était vouée aux passions.
ephrem. Où demeure-t-elle?
abraham. On l'ignore.
ephrem. Que ferez-vous ?
abraham. Un ami fidèle parcourt pour moi les ci-
tés et les lieux de plaisance; il ne s'arrêtera pas
avant de savoir en quel lieu elle est.
ephrem. Et s'il réussit?
abraham. Je changerai d'habit et j'irai auprès
d'elle comme un amant; peut-être, à ma \oix,
après un si grand naufrage, rentrera-t-elle au port
de son premier repos.
ephrem. Oui : que ferez-vous si l'on vous apporte
des viandes et du vin dans les festins?
abraham. Je ne refuserai pas, de peur d'être re-
connu.
ephrem. Vous ferez preuve d'un jugement droit et
digne d'éloges, en relâchant pour quelques moments
le frei'i étroit de la discipline, afin de reconquérir au
Christ une âme égarée.
xat monuchus. » (Id.)
(40) i Hrolshwithe nelaisse guère échapper l'occa-
sion de repasser sur la trace de Virgile (Si mens non
fuisset lesvn). t (In.)
a nu
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AIÎR
74
abr.vham. Mon oser s'accroît encore de votre appro-
bation.
ephre-m. Ceiui qui connaît les replis des cœurs
sait aussi l'intention de nos actes, et dans son exa-
men équitable, ce n'est point une faute que de
s'affranchir d'une stricte observance et de descendre
un moment au niveau des êtres les plus faibles,
pour ramener plus promptenient une âme tombée
dans l'erreur.
Abraham. Vous, cependant, vous m'aiderez de vos
prières contre les embûches du démon.
ephrem. Que l'Etre souverainement bon, sans le-
quel aucune bonne oeuvre ne s'accomplit, permette
que votre projet tourne à bien !
SCÈNE IV.
ABRAHAM, l'aMI D'ABRAHAM
abraham. N'est-ce pas là mon ami qu'il y a tantôt
deux ans j'envoyai à la recherche de Marie? C'est
lui-même.
l'ami. Salut, mon vénérable père !
abraham, Salut, obligeant ami ! Je vous ai attendu
longtemps, mais je désespérais en ce temps-ci de
votre retour.
l'ami. Je n'ai tant tardé que dans la crainte de
vous mettre en mouvement sur des renseignements
douteux. Une fois sûr par moi-même de la vérité,
j'ai bâté mon retour.
abraham. Avez-vous vu Marie?
l'ami. Je l'ai vue.
ABRAHAM. OÙ?
l'ami. Déplorable réponse!
abraham. Parlez, je vous en prie.
l'ami. Elle a choisi pour demeure la maison d'un
homme qui fait un métier honteux. Cet homme est
pour elle aux petits soins, et non sans raison, car
chaque jour il reçoit beaucoup d'argent des amants
de Marie.
abraham. Des amants de Marie?
l'ami. Oui.
abraham. Et combien sont donc ces amants?
l'ami. Très-nombreux.
atraham. Hélas! ô bon Jésus! quelle monstruosité!
Celle que j'avais élevée pour être ton épouse, reçoit
dit-on, des amants étrangers!
l'ami. Ce fut de tout temps la coutume des cour-
tisanes de se plaire à l'amour des étrangers.
abraham. Procurez-moi un cheval léger et un ha-
bit militaire, je dépose mon vêtement de religion,
je vais aller auprès d'elle sous les dehors d'un
amant.
l'ami. Tout est là.
abraham. Je vous en prie, un grand chapeau pour
cacher ma tonsure.
l'ami. Le point important est, en effet, de n'être
pas reconnu.
abraham. Si j'emportais avec moi une pièce d'or
que je possède, afin de payer l'hôtelier ?
i .'ami. Autrement vous ne pourriez arriver au-
près de Marie.
SCÈNE V.
ABRAHAM, L'nOTELIER.
abraham. Salut, bon hôtelier.
l'hôtelier. Qui me parle? Hôte, salut
abraham. Avez-vous de la place pour un voya-
geur qui veut coucher chez vous?
l'hôtelier. Oui, sans doute; notre humble hôtc-
lerie ne refuse personne.
ABRAHAM. Ridl, lÙCll.
l'hôtelier. Entrez, on va vous préparera souper.
abraham. Je vous dois beaucoup pour ce gracieux
accueil, mais j'ai bien plus encore à vous demander.
(-41) « Je ne puis m 'empêcher de faire remarquer
combien il y a d'art délicat et de grâce pudique
dans les paroles à double sens que le bon ana-
Dictionn. des Mystères.
l'hôtelier. Quoi donc? demandez, on verra.
abraham. Acceptez ce petit présent que je vous
offre, et arrangez-vous pour que cette belle jeune
lille que je sais chez vous prenne place au festin.
l'hôtelier. Et pourquoi avez-vous envie de la
voir?
abraham. Je me fais une grande joie de connaîire
une femme dont j'ai cent fois et partout entendu
louer la beauté.
l'hôtelier. Aucun éloge de sa bonne grâce n'est
trompeur; elle éclipse en charmes toutes les femmes.
abraham. J'en brûle d'amour.
l'hôtelier. C'est merveille que, dans une vieil-
lesse si avancée, vous recherchiez encore l'amour
d'une jeune femme.
abraham. Eh bien, soit : je ne suis même venu
de ce côté que pour elle (41).
SCÈNE VI.
LES PRÉCÉDENTS, MARIE.
l'hôtelier. Avancez, avancez, Marie, et montrez
voire beauté à notre nouveau-venu.
marie. Me voici... je viens...
' abraham (à part). Quelle sûreté, quelle ténacité
d'esprit ne me faut-il pas pour voir cette enfant
nourrie dans les profonds déserts de mon ermitage,
chargée des parures d'une courtisane! Mais ce n'est
pas encore le moment de laisser paraître sur mon
visage le secret de mon cœur. Retenons énergique-
ment mes larmes débordantes, et couvrons de l'ap-
parence de la gaieté l'amertume de mes maux inté-
rieurs.
l'hôtelier. Heureuse Marie , réjouissez-vous :
non-seulement, comme jusqu'à ce jour, les jeunes
hommes , mais encore désormais les vieillards les
plus accablés par l'âge vont venir auprès de vous,
et accourir en foule ici en l'amour de vous.
marie. Quand on m'aime, on est payé de retour.
abraham. Venez ici, Marie , et donnez-moi un
baiser.
marie. Non-seulement je vous donnerai de doux
baisers, mais je veux caresser doucement et cent
fois votre visage vieilli.
ABRAHAM. Yoloillici'S.
marie (à part). Qu'ai-je senti? quel est ce par-
fum extraordinaire que je respire?... Ah! celle odeur
acre me rappelle celle de mes jours passés d'absti-
nence.
abraham (à part). C'est maintenant, maintenant
qu'il faut feindre ; maintenant qu'il me faut les pres-
sants ébats d'un homme jeune et vif : sinon, à ma
gravité, je serais reconnu, et elle ne rentrerait dans
ma retraite que par crainte.
marie (haut). Hélas! malheureuse! D'où suis-je
tombée? et dans quel abîme de perdition ai-je roulé?
abraham. Ce n'est pas ici, où se rassemble la foule
des convives, qu'il faut se plaindre.
l'hôtelier. Demoiselle Marie, pourquoi soupirez-
vous? Pourquoi ces yeux trempés dé larmes? De-
puis deux ans que vous habitez ici, jamais je ne
vous avais entendue gémir, et jamais de si tristes
mots ne vous avaient échappé.
marie. Oh ! fussé-je morte il y a trois ans pour
ne jamais arriver à de tels crimes !
abraham. Je ne suis pas venu pour pleurer vos
péchés avec vous, mais pour partager votre amour.
marie. Un léger repentir m'attristait et me faisait
ainsi parler ; mais soupons et livrons-nous à la
joie; car, c.mme vous m'en faites souvenir, ce n'est
pas le moment de pleurer mes péchés.
(Ils se mettent à table.)
abraham. Nous avons largement soupe, largement
bu, grâce à votre libéralité," brave hôtelier. Permet-
chorète prononce durant celte scène et la sui-
vante. » (Id )
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
A votre gre.
75 ABR
lez-moi de me lever de table, pour aller étendre dans
un lit mon corps fatigué, et refaire mes forces par
un doux repos.
l'hôtelier
marie. Levez-vous , mon seigneur , je vais me
rendre avec vous dans la chambre à coucher.
Abraham. Bon , bon , rien ne m'eût contraint à
sortir d'ici sans vous.
SCÈNE VU.
MARIE, ABRAHAM,
marie. Voici une chambre disposée pour nous ;
ïe lit n'est point composé de mauvais mate-
las. Asseyez-vous, je vais tirer votre chaussure,
vous vous fatigueriez en vous déchaussant.
abraham. Fermez d'abord la porte à clef, pour
que personne ne puisse entrer.
marie. Ne vous en inquiétez pas; je m'arrangerai
de sorte que personne ne puisse aisément venir jus-
qu'ici.
abraham (à pari). Il est temps d'ôter le grand
chapeau qui cache mes traits et de montrer qui
je suis. (Haut.) 0 ma fi. le adoptive ! ô partie de
mon àme! Marie , reconnaissez-vous en moi le
vieillard qui vous a nourrie avec l'affection d'un
père, qui vous fiança au fils unique du Roi des
cieux?
marie. Ah! c'est mon père et mon maître Abraham
qui me parle (42) !
abraham. Que vous est-il arrivé, ma fille ?
marie. Un grand malheur.
abraham. Qui vous a trompée? qui vous a séduite?
marie. Celui qui a causé la chute du premier
homme.
abraham. Où est ce temps digne des cieux que
vous passiez ici-bas?
marie. Bien loin, écoulé.
abraham. Où est votre pudeur virginale? où est
votre chasteté admirable?
marie. Perdue !
abraham. Si vous ne vous repentez pas, pouvez-
vous espérer encore le prix de tant de fatigues, de
vos jeûnes, de vos prières et de vos veilles, mainte-
nant que vous êtes comme tombée des hauteurs
du ciel, et noyée dans les profondeurs de l'enfer?
marie. Hélas!
abraham. Pourquoi m'as-tu méprisé? pourquoi
m'as tu délaissé? pourquoi ne m'as-tu pas révélé le
malheur de la chute. Mon ami Ephrem et moi,
nous eussions fait pour toi les pénitences conve-
nables.
marie. Tombée, tombée dans le péché, souillée,
je n'osai plus m'approcher de votre sainteté.
abraham. Qui jamais fut exempt de péchés, hor-
mis le fils de la Vierge ?
marie. Personne.
abraham. Le propre de l'homme est de pécher ;
ce qui est du démon , est de persévérer dans le
péché. On doit blâmer non pas celui qui tombe
par surprise, mais celui qui néglige de se relever
aussitôt.
marie. Malheureuse que je suis!
abraham. Pourquoi te proslernes-tu? Pourquoi
restes-tu à terre, immobile? Lève-toi et écoute
ce que je vais te dire.
marie. Je suis tombée, frappée de terreur, et ne
pouvant supporter le poids de vos remontrances
paternelles.
(42^ « La légende indique ici énergiqnemenl le jeu
de scène. Elle nous montre Marie perlerrefacta....
lapidis instar immobilis. — La situation développée
dans cette scène est une des plus pathétiques que
l'on ait jamais mises au théâtre.» (Id.)
(45) M. Magnin a rapproché de ces belles paroles,
qui ne sont qu'indiquées dans le légendaire, ces
vers de YHamlet de Ducis :
ABR
7G
abraham. Ne songe qu'à mon amour pour toi et
cesse de craindre.
marie. Je ne puis.
F^abraiiam. N'est-ce pas pour toi que j'ai quitté mon
désert si regrettable et renoncé presque entière-
ment à l'observance de toute discipline régulière?
Moi, véritable ermite, je nie suis fait le compagnon
de table de débauchés ! Moi qui depuis si longtemps
ne-connaissais que le silence, j'ai proféré des pa-
roles joviales, pour n'être pas reconnu! Pourquoi
baisser les yeux et regarder la terre? Pourquoi
dédaignes-tu de me répondre et d'échanger avec moi
tes pensées?
marie. La conscience de mon péché me confond ,
je n'ose lever les yeux vers le ciel, ni mêler mes
paroles aux vôtres.
abraham. Ma fille, n'aie ni crainte, ni désespoir ;
mais arrache-toi à cet altinie de désespérance et
mets ta confiance en Dieu.
marie. L'énormité de mes péchés me tient cour-
bée au plus profond du désespoir.
abraham. Vos péchés sont bien grands, je l'avoue :
mais la bonté de Dieu est plus grande que toutes les
choses créées (43). Brisez donc avec ces abatte
ment's et ne laissez pas écouler, sans bouger, le peu
de temps qui vous est donné pour vous repentir;
car la grâce divine abonde davantage là où ont le
plus abondé les désordres et l'abomination.
marie. S'il y avait quelque chance de pardon,
ce n'est pas l'ardeur du repentir qui ferait
défaut.
abraham. Ayez donc pitié des fatigues que j'ai
supportées pour vous et laissez de côté ce funeste
accablement, plus funeste à notre sens que toutes
les fautes accomplies. Car celui qui ne croit pas à
la pitié de Dieu pour les pécheurs commet un pé-
ché irrémissible. En effet, de même que l'étincelle
du caillou ne peut embrase? la nier, de même le
comble de nos forfaits ne saurait altérer la douceur
de la bouté de Dieu.
marie, «e ne nie pas la grandeur de la bonté
suprême , mais à l'aspect de l'énormité de mon
crime , j'ai peur d'être impuissante à faire une
pénitence suffisante.
abraham. Votre iniquité sera toute en moi ; seule-
ment retournez au lieu d'où vous avez fui et repre-
nez le genre de vie (pie vous avez abandonné.
marie. Je ne m'opposerai jamais à aucun de vos
désirs et j'obéis de suite à vos ordres.
abraham. C'est bien là, je le déclare, l'enfant que
j'ai élevée, et maintenant c'est toi que je dois chérir
plus que tout.
marie. Je possède un peu d'or, des vêtements;
j'attends votre volonté et votre décision à cet égard.
abraham. Acquis par le péché, abandonnez tout
cela au péché.
marie. Je pensais à distribuer ces objets aux
pauvres ou bien à les offrir aux saints autels.
abraham. Le produit du crime n'est certaine-
ment pas une offrande agréable à Dieu.
marie. Eh bien, n'y pensons plus.
abraham. L'aube parait, le jour vient; partons.
marie. C'est à vous , père chéri , de précéder ,
comme le bon pasteur, la brebis retrouvée; moi,
marchant sur vos pas, je suivrai mon guide.
abraham. Non certes ; j'irai à pied , mais vous
monterez sur mon cheval, de peur que l'aspérité
du chemin ne blesse la plante de vos pieds dé-
licats (44),
Votre crime est horrible, exécrable, odieux
Mais il n'est pas plus grand que la bouté des cieux!
(44) Encore un doux souvenir de Virgile. —
Marie aura bien raison tout à l'heure de remercier
le bon ermite de sa tendre compassion. Il 'est im-
possible de prêcher la pénitence à un cœur de
femme avec une plus douce, plus charitable et plus
consolante onction. (Id.)
77
ABU
D1CT10NNA1KL DLS MYSTERES.
ABU
78
oublier? comment
? C'est moi, si indi-
marie. Oh! comment vous
vous prouver ma reconnaissance
«rue de pitié, qui n'éprouve ni contrainte ni terreur.
Vous ne m'excitez à la pénitence que par les plus
douces attentions.
ABRAHAM. Je ne vous demande rien autre chose
que le service fidèle et assidu de Dieu durant le
reste de votre vie.
marie. Je m'attacherai à Dieu de toute ma volonté,
de toutes mes forces, et si le pouvoir me manque,
jamais du moins ce ne sera le désir.
abraiiam. Cette ardeur aux vanités doit être dé-
sormais transformée en passion du service des désirs
divins.
marie. Tout mon souhait est que , par vos
mérites, s'accomplisse en moi la volonté, de Dieu.
ABRAHAM. HàtOUS HOtrC l'ClOUI'.
marie. Hâtons-nous, tout délai me pèse.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES.
abraham. Avec quelle rapidité nous avons sur
monté les difficultés de ce rude voyage (-45) !
marie. Quand on veut ardemment, on obtient
aisément.
abraham. Voici votre cellule déserte.
marie. Hélas! Elle fut témoin et confidente de
mon crime; je n'ose y entrer (46).
abraham. Vous avez raison ; il convient de fuit
un lieu où le triomphe a été du côté de l'ennemi.
marie. Et où allez-vous me mettre pour faire pé •
nitence?
abraham. Entrez dans celle cellule plus retirée,
afin que le vieux serpent ne trouve plus désormais
l'occasion de vous tromper.
marie. C'est mon désir et je cède à vos souhaits.
abraham. Je vais auprès de mon ami Eplirem, afin
qu'après avoir seul avec moi pleuré votre perte, il se
réjouisse de voire retour.
marie. Cela est jusie.
SCÈNE IX
ABRAHAM, EPHREM
M'apportez-vous d'heureuses nouvelles?
Oui
les meilleures,
mieux; sans
doute, vous avez
EPHREM.
ABRAHAM, v
f.i'iirem. Tant
retrouvé Marie?
abraham. Je l'ai retromee, en effet, et lout joyeux,
je l'ai ramenée au bercail.
ephrem. C'est l'œuvre de la grâce et de la pré-
sence de Dieu ; je le crois.
abraham. Sans nul doute.
ephrem. Je voudrais savoir comment elle a main-
tenant réglé ses journées et ses occupations.
abbaham. Comme je l'ai voulu.
ephrem. Parfaitement bien.
abraham. Tout ce que j'ai trouvé bon, quelque
difficile, quelque pénible que cela fût, elle n'a pas
hésité à l'accepter.
ephrem. Bien, bien.
abraham. Revêtue d'un ciliée, se mortifiant par
des veilles cl des jeûnes continus, elle contraint, par
la discipline la plus austère, son corps délicat à su-
bir rempire de lame.
ephrem. Il le faut; les souillures des plaisirs cri-
minels ne s'effacent que dans la rigueur des châti-
ments.
abraham. Ses gémissements, quelque oreille qu'ils
frappent , déchirent le cœur; la contemplation de
son repentir inspire la contrition.
ephrem. C'est l'ordinaire.
(45) L'auteur ne d'il qu'un mot et ne décrit pas
la scène, sans doute parce que''' le voyage se faisait
sous les yeux des spectateurs. (Id).
'vJ(ij i Cette crainte pudique, qu'inspire à Marie
abraham. Elle s'efforce autant que possible, apreç
avoir élé une cause de chute, de devenir un exemple
de conversion.
ephrem. Cela est bien pensé!
abraham. Plus elle a élé souillée, plus elle veut
se montrer pure.
ephrem. Ce récit me comble de joie et fait
pénétrer la satisfaction jusqu'au fond de mon
cœur.
abraham. Et avec raison , car les phalanges des
cieux se réjouissent et louent le Très-Haut pour la
conversion du pécheur.
ephrem. Ce n'est pas étonnant : la persévérance
du juste n'est pas plus agréable à Dieu que la pé-
nitence de l'impie.
abraham. Mais Dieu a dans tout cela d'autant
plus de mérite, qu'elle désespérait à jamais de sou
salut.
ephrem. Félicitons, louons, glorifions l'unique, le
vénérable, le bien-aimé et le clément Fils de Dieu
qui ne veut pas la perte de ceux qu'il a rachetés
de son sang.
abraham. A lui , honneur , gloire , louange et
jubilation pendant les siècles sans fin! Amen.
ABRAHAM ET 1SAAC (Mystère d'). -
M. l'abbé do Lame, clans ses Essais histo-
riques sur les bardes, les jongleurs et les trou-
vères normands et anglo-normands... (Caen,
1834, in-8% 3 vol., t. 1er, p. 166), a fait men-
tion d'un mystère d'Abraham et d'Isaac,
représenté à Caen vers l'an 1520. C'était s;ins
doute celui qui fut extrait du Mystère du-
Vieux Testament, sous le titre de Sacrifice
d'Abraham, et qu'ont mentionné les frères
Parfait, dans leur Histoire du théâtre fran-
çois (Paris, 15 vol. in-12, 1735, t. XI, p. 317).
On en trouvera 1 analyse, d'après ces auteurs,
au Mystère du Vieux Testament (Voy. Vieux
Testament | Le], § vu).
UiUNDANCE (Jean d').— « Jean d'Abuu-
uanee, bazoehien et notaire du Pont-Saint-
Esprit, a composé plusieurs moralités et
mystères par personnages; savoir : le Gou-
vert d'humanité ; — le Monde qui tourne le
dos à chacun ; — Plusiuers qui n'a point de
conscience; — le Mystère des trois roys ; —
Mystère sur Quod secundum legem oebet
mori; — et plusieurs autres, imprimés à
Lyon. » (Duverdier, Bibliothèque françoise,
p. 635.)
Les frères Parfait ont répété la note de
Duverdier, sous les dates de 1538 et 1541 ;
ils ont fait remarquer que le Mystère des
trois roys n'avait pas été imprimé, ni très-
probablement celui de Quod m un d uni, etc.
[Hist. du Th. fr.; Paris, 15 vol. in-12, 1735,
1745; t. II, p. 268; t. III, pp. 47, 49, 151, 152.)
ABUS. — La farce d'Abus de Cringore , qui
vivait sous Louis XII, a élé analysée ainsi
parM.O. Leroy, dans ses Epoques de l'his-
toire de Erance, (Paris, 1843, in-8°, p. 371) :
« Les principaux personnages sont : Abus,
Vieux-Monde, Sot dissolu, Tromperie, Ribau-
dise, etc. Abus est parvenu à endormir Vieux-
Monde, et il profite de son sommeil pour
introduire près de lui une bande de Sots qui
la vue du lieu où elle a failli, est un trait charmant
de délicatesse féminine; il appartient en propre à
Hrotsvitha. ■ (Id.)
79
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
SO
viennent le démolir de toutes pièces, après
quoi ils se mettent à construire un monde
nouveau. Abus prétend le faire en marbre,
pour qu'il soit plus dur; Sot dissolu, en bois
gros et massif; cela, dit-il, suflit pour qu'il
fasse fortune, ce qui n'est pas si sot. Comme
ils ne peuvent s'entendre, Abus propose de
nommer Confusion pour présider à l'édifica-
tion, tous les sots applaudissent, et chacun
va chereber sa pièce. L'un, qui est marchand,
apporte Tromperie, la pierre va bien au non-
veau bâtiment; un homme d'église apporte
Oroison, qui n'y peut trouver place. On y
substitue Ribaudise Il va peude politique
dans cotte pièce. Toutes les professions y
sont attaquées, mais en traits bien mal ai-
guisés : bourgeois, marchands, procureurs,
avocats, gens d'église, nobles, et jusqu'au
roi dont l'économie est traitée d'avarice, par
Sot dissolu, West vrai, ce qui devient presque
un éloge....»
ACTES DES APOTRES (les). — Nul ma-
nuscrit des Actes des apôtres n'est parvenu
jusqu'à nous; cette pièce date de la première
moitié du xvc siècle.
Lacroix du Maine, Lassay , Calherinot ,
Bayle, les frères Parfait , et de nos jours ,
MM. Sainte-Beuve , Magnin et O. Leroy,
s'en sont diversement occupés. La Bibliothè-
que du théâtre françois , ouvrage attribué
au duc de La Vallière (Dresde , Ï7G8, iu-8%
3 vol., t. 1er, p. 99 ), en fait aussi mention
sous le nom des frères Arnoul et Simon
Gresban.
«. Cet ouvrage, ont dit les frères Parfait
dans leur Histoire du théâtre françois (t. II,
I». 377) qui fut composé vers l'an 1450 par
les deux Grebans, Simon et Arnoul, est le
mystère le plus beau et le mieux versifié
après le poème de la Passion , et celui où
l'on trouve un plus grand nombre d'endroits
passablement écrits. Longtemps après la
mort des auteurs, Pierre Cuevret ou Curet,
chanoine de l'église du Mans (qui écrivait
en 1510 selon Lacroix du Maine, p. 391 de
sa Bibl. Franc), voulut le corriger; mais
sou travail est très-peu de chose. 11 y a ap-
parence que , malgré son mérite, le mystère
dont nous parlons fut un peu ignoré, puis-
que la première édition de ce livre dont on
ait connaissance est celle de Galiot Dupré,
citée par Lacroix du Maine (Ibid., p. 24 ,
vers 1513 ), et qui a suivi de près la correc-
tion de Pierre Cuevret. Dans la suite, ce
mystère fut plus connu ,et on le représenta
en plusieurs endroits... Lacroix du Maine,
p. 456 de sa Bibliothèque française, dit que
les Actes des apôtres furent représentés au
Mans , à Angers , à Bourges et autres villes.
Il y a grande apparence que les représenla-
tionsd'Angers furent les premières (tu vivant
même des auteurs et de René , roi de Si-
cile et comte de Provence et d'Anjou, pro-
tecteur des poêles dramatiques de sou temps,
à la cour duquel ils étaient. On peut conjec-
turer aussi qu'ils furent joués au Mans en
15(0 ou environ, peu de temps après les
prétendues corrections de Pierre Cuevret.
A l'égard de la représentation de Bourges ,
Je sieur de Lassay en parie en ces termes
dans son Histoire du Berry ( liv. vi, c. 7,
p. 237 ) : « Plusieurs lelz amphithéâtres ont
« esté construitz et bastiz de nostre temps ,
« dont l'un fut fait à Bourges l'an 1530 sur
« le circuit de l'ancien amphithéâtre, ou
« Fousse des Areines, par noble homme
« Claude Genthon , prévost de l'Hôtel du
« Roy, natif de l'isle de France, à présent
« maire de la dite ville. Pierre Joubert Gré-
« nérier, Benoist Berthier, et Jean Girard,
« seigneur des Bergeries, Julian le.Troing,
« Maximiliaa Saultereau , Jehan Senetlou
« et autres nobles citoyens bourgeoys de
« ladite ville, jusqu'au nombre de douze ,
« s'unirent pour jouer les Actes des apos-
« très , qui durèrent quarante jours. Les-
« quels jeux ne furent moins laborieux ,
« pour n'avoir été réduits par actes ni par
« scènes, que bien et excellamment joués
« par hommes graves et qui sçavoient si
« bien peindre par signes et gestes les per-
« sonnages qu'ils représentent , que la
« plupart des assistans jugeoient la chose
« estre vraye et non feincte. Ledict amphi-
« théâtre estoit à deux estaiges, surpassant
« la sommité des dégrez , couvert et voislé
« pardessus, pour garder les spectateurs de
« l'intempérie et ardeur du soleil , tant bien
« et excellemment peint d'or, d'argent,
« d'azur et autres riches couleurs, qu'impos-
te sible est le sçavoir réciter... » Catheri-
not, (Annales Typographiques de Bourges,
p. 3 ) parle de ceite représentation, sans
entrer dans le détail. Au reste les Actes
des Apôtres furent joués à Tours en 1541
et en même temps qu'à Paris... ( ... 1540
et depuis ). « Les frères Parfait citent en-
suite la proclamation faite à Paris à la fin de
l'an 1540 , en grand appareil , par les confrè-
res de la Passion et de la Résurrection ,
afin de recruter des acteurs pour le mystère
des Actes des Apôtres , et d'en annoncer le
prochain jeu. Cette pièce formant quatre
feuillets in-8° gothique, et précédant l'édi-
tion des Actes des Apôtres de la Bibliothèque
impériale , in-fol. 1541 , a été réimprimée en
1830 chez J. Pinard. L'original est intitulé :
« Le-Cry et Proclamation publique , pour
jouer le Mystère des Actes des Apostres , en
la ville de Paris : faict le jeudy seizième
jour de Décembre l'an 1540, par le comman-
dement du Roy nostre Sire, Francoys pre-
mier de ce nom , et Monsieur le Prévost de
Paris, affin de venir prendre les roolles ,
pour jouer ledict Mystère. On les vend à
Paris en la Riie neufve Nostre-Dame à l'en-
seigne de Sainct Jehan Baptiste, près Saincte
Geneviève des Ardens, en la Boutique de
Denys Janot. mdxli.» Les Confrères, obligés
de quitter la salle de la Trinité , étaient
alors établis dans l'hôtel de Flandres , situé
près de la rue Coquillière. C'est de là que
partait la cavalcade, composée de trompettes
aux armes du roi, du crieur juré de Paris,
de sergents et archers du prévôt de Paris ,
aux armes tant du roi que du prévôt , d'olli-
ciers sergents de ville aux couleurs de la
ville , de deux hommes pour faire la proiia-
81
ACT
DICTIONNAIRE DES MTSTEHES.
ACT
S>
motion , des deux rnetoriciens, l'un laïque,
l'autre ecclésiastique, directeurs du dit
mystère, et des quatre entrepreneurs du
mystère , dont les noms ont été conservés
dans une vieille ballade imprimée en tète
de l'édition de 1541 , et qui étaient Françoys
dernièrement joiié à Bourges et imprimé nou-
vellement à Paris, loiO, par Arnoul et Charles
les Angeliers frères. Le premier volume, où
sont les quatre premiers livres, contient
197 feuillets ou 294 pages, et le second,
251 feuillets ou 502 pages à deux colonnes,
Hamelin , Françoys Poutrain , Léonard Cho- gothique, avec un catalogue des personnages
belet , boucher , et Jehan Louvet , opérateur
aux fleurs; quatre commissaires auChâtelet
de Paris et bon nombre de bourgeois fer-
maient la marche.
« Ce mysière, ont dit encore les frères
Parfait (Ibid., p. 388, note a), est divisé en
neuf livres, dont chacun renferme plusieurs
journéesfVoy. nosremarquessur levn'livre).
Les Grebans, auteurs de ce poëmè, ne le
sont point de celte division, qui peut-être
est l'ouvrage du réviseur Cuevret, ou plutôt
de l'éditeur Alabat. Ce qui semble nous le
prouver, c'est que ce dernier demanda la
permission de faire imprimer le livre des
Actes des Apôtres, en cinq ou six volumes,
qui a été composé en rime françoise, et corrigé
à grands frais et mise. Françoislcrlui accorda
Je privilège qu'il souhaitait le 24 juillet 153G.
Alabat lit imprimer ce livre à Paris l'année
suivante en deux volumes in-fol., sous ce
titre : Le premier volume du triumphant
Mysière des Actes des Apostres translaté fidè-
lement à la vérité historiale, cscriple par
Saint Luc à Théophile, et illustré des lé-
gendes autentiques et vies des saints reçues
par l'Eglise. Tout ordonné par person-
nage... Le premier volume renferme les
quatre premiers livres et contient 170 feuil-
lets ou 340 pages. Les cinq derniers se trou-
vent dans la seconde partie, et composent
218 feuillets ou 436 pages à deux colonnes
de 48 vers chacune. Tout le poëme peut
composer environ quatre-vingt mille vers et
non pas huit cent mille, comme Catherinol
ledit sans îorulemenl(Ann. typogr.de Bourges,
p. 3). A la fin du second volume, on lit cëcy :
Cy fine le neufviesme et dernier livre des
Actes des Apostres, nouvellement imprimé
pour Guillaume Alabat, bourgeois et mar-
chand de la ville de Bourges, par Nicolas
Couteau, imprimeur, demourant à Paris,
et furent achevés le 15e jour de mars, l'an
de grâce 1537 avant Pasques. » L'éditeur
eut soin de faire mettre aux marges de son
livre les citations des auteurs sacrés et pro-
fanes dont les Gresbans s'étaient servis ; il
y joignit aussi quelquefois de petites ré-
flexions, on en verra des exemples. Alabat
Céda ensuite son droit aux frères Angeliers,
libraires à Paris. Les Confrères de la Pas-
sion crurent qu'ayant joué le mystère des
Actes des Apôtres, ils pouvaient le faire im-
primer pour leur compte; mais les Angnliers,
cessionnairesd'AlabatjS'y opposèrent, et ob-
tinrent un arrêt du conseil, le 8 février 1540,
par lequel le roi, continuant le privilège
accordé à Alabat, fait défense à tous autres,
sous prétexte de correction ou d'addition,
de le faire imprimer sans le consentement
de l'impétrant. Les Angeliers en firent donc
deux éditions. La première, in-4°. Le volume
fiutriumphant mister e des Actes des Apostres...
à la tête. Le débit de cette édition obligea
ces imprimeurs à en donner une autre in-fol.
gothique, et d'y joindre V Apocalypse de
Louis Chocquet. En voici le titre: Le l" vo-
lume des catholiques, œuvres et actes des
Apostres, rédigez en escripl par S. Luc evan-
geliste et hystoriographe député par le Saincl
Esperit, iceluy Sainct Luc escripvant à Théo-
phile, avecques plusieurs hystoires en iceluy
insérés des Gestes des Césars; et les demons-
trances des figures de l'Apocalypse, vue par
S. Jehan Zébédée, en l'isle de Pulhmos, soubz
Domician César, avecques les cruautés tant de
Néron que d'icelluy Domician ; le tout vu et
corrigé selon la vraye vérité, et joué par per-
sonnages à Paris en Vhostel de Flandres,
Van 1541. Cette édition est un peu différente
des précédentes, et est divisée en deux par-
ties, dont la première renferme les cinq
premiers livres et contient 220 feuillets. La
seconde comprend les quatre derniers, 175
feuillets. M. Bayle (Dict., art. Chocquet) cite
cette édition; il ne parle que par conjecture,
et ne connaissait que les deux premiers
feuillets. »
M. Sainte-Beuve, en 1828, dans son Ta-
bleau historique et critique de la poésie fran-
çaise et du théâtre français au xvi" siècle...
(Paris, 1823, i.u-8°, 2 vol., t. 1", p. 217-234),
cite la représentation qui eut lieu à Bourges
en 153G, dans l'ancien amphithéâtre des
Arènes, et dura quarante jours. M. Magnin
avait remémoré ce mystère dans son Cours
professé à la Faculté des Lettres en 1835,
(Cf. Journ. gén. de Vlnstr. publ., 1836, 14
janv., p. 202); dix ans plus tard (Cf. Journ.
des Savants, 1846, cahier de janv., p. 12), il
le mentionna de nouveau comme l'une des
premières pièces qui aient nécessité et suivi
l'établissement d'un théûtre permanent qui
devint peu à peu quotidien. M. O. Leroy a
considéré les Actes des Apôtres comme infé-
rieurs en poésie au Vieil Testament. (Etudes
sur les Mystères, Paris, 1837, in-8°, p. 274,
280, 286, 290).
Outre les nombreux renseignements que
nous avons reproduits ci-dessus, les frères
Parfait ont donné de ce drame l'analyse sui-
vante :
E\tuait du mystère des Actes des apôtres.
Livre rr. — « Après l'ascension de Jésus-
Christ, les apôtres s'assemblent et élisent
saint Mathias, pour remplir la place dont
Judas s'est rendu indigne par ses crimes.
Lucifer, ignorant ce qui se passe, ordonne
aux démons de parcourir le monde. Ces
malins esprits, avant de sortir, lui deman-
dent sa bénédiction.
LUCIFER.
Que recevons pour bénédiction?
Dyables dampnez en malédiction?
8j
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
84
Dessus vous tous, par puissance interdicte,
Ma pâte estens, qui est de Dieu mauldicte
Pour de tous maulx, et malfaictz vous absoudre.
Sortez, courrez, que malédicte fouldre, etc.
« Les diables partent avec ce passe-port.
D'un autre côté la sainte Vierge et les apô-
tres chantent le Veni Creator. Jésus prie
Dieu, son Père, de faire descendre le Saint-
Esprit. Les apôtres, fortifiés par ce secours
divin, composent le symbole, et vont en-
suite prêcher au milieu du temple, où ils
font plusieurs miracles; les pharisiens et
les scribes, animés par Satan, les font
mettre en prison.
GRIFFON.
Allons les cacher pour la pluye .
Vous serez enfans de la pye,
Gallaus, vous serez mis en Gage.
« On les fait sortir cependant, en leur
enjoignant de ne plus prêcher. Bien loin
d'observer une défense si injuste, les apô-
tres recommencent leurs prédications, et
choisissent sept diacres pour fructifier da-
vantage dans ce saint travail. Le Seigneur
leur donne sa bénédiction, et bientôt un
nombre de Juifs se convertissent, et vien-
nent apporter tout ce qu'ils possèdent aux
pieds des apôtres, qui, en réservant une
partie pour leur nourriture, distribuent le
reste aux pauvres. Ananyas propose à Sa-
phire, sa femme, d'imiter l'exemple de ces
nouveaux fidèles. Cela est fort bien pensé,
répond Saphire, et nous vivrons sur le
commun, sans rien faire.
ANANYAS.
Est-il vray?
SAPHIRE.
Comme l'Evangile.
« Dieu punit leur coupable intention par
une prompte mort; Satan et Astaroth empor-
tent leur âmes. Lucifer est si transporté
de joie à leur arrivée, qu'il ordonne à ses
démons de se réjouir.
LUCIFER.
Je vueil que la tourbe dampnée,
Icy devant mon tribunal,
Me dye ung motet infernal,
En cbanterie dyabolicque.
« Que Bélyal et Burgibus, ajoute-t il,
tiennent le dessus; Bérits, Cerbérus et
quelques autres chanteront la taille, et As-
taroth avec Lévyathan feront la basse.
» Icy chantent tous ensemble. )
LÉVYATHAN.
Tant plus a, et plus veult avoir,
Lucifer nostre grant dyable.
S'il voyoit âmes plouvoir,
Tant plus a, et plus veult avoir;
Et tousiours il veulf reccpvoir,
Car il est insatiable,
Tant plus a, et plus veull avoir,
Lucifer nostre gianl dyable.
« Finissez, dit Lucifer, vous m'étourdis-
sez. Sus chantons, continue Bélyal. Ils ces-
(i~) Comme l'enfer est le séjour des ténèbres,
peut être que deux ou trois heures après midi j
sent enfin, et Lucifer se prépare à envoyer
des émissaires sur la terre. Cerbérus, 'qui
ne voit point la lumière du jour, demande
à accompagner Lévyathan à ce voyage.
Pendant ce temps-là un aveugle de Jérusa-
lem appelle son valet Gobin, et lui dit de
le conduire au temple. Ce valet, occupé à
manger quelques restes qu'on lui a donnés
pour son maître, ne lui répond point
l'aveugle.
Par le sang bien, je I'oys mascher :
Le p...., sans moy se desjune?
GOBIN.
Tiens, Gobin, croeque ceste prune,
El puis boyras une bouffée.
l'aveugle.
Je sens quelque gallymaffrée :
Hau! Gobin?
« L'aveugle se met ensuite à jurer, alors
Gobin s'approche. — Tu sens le vin, gour-
mand que tu es 1 lui dit l'aveugle. Ils vont
ensuite au temple ; saint Pierre guérit cet
aveugle et chasse Fergalus du corps d'un
possédé. Ce démon se retire aux enfers, et
entre doucement de peur qu'on ne l'aper-
çoive. Burgibus l'arrête au passage. — D'où
viens-tu, à l'heure qu'il est? lui dit Lucifer
d'une voix terrible (47). — Je craignais de
\ous éveiller, répond Fergalus. Lucifer le
fait étriller malgré ses excuses. Peu de
temps après, Cerbérus et Lévyathan, au dé-
sespoir de n'avoir pu réussir dans leurs
projets, reviennent aux enfers. Cerbérus
frappe doucement à la porte, et lorsqu'il
est passé, il prie Burgibus, qu'il avait mis à
sa place, d'aller avertir son camarade de
rentrer sans faire de bruit, et qu'il laissera
la porte entr'ouverte. Burgibus sort sans
se défier de Cerbérus, qui aussitôt ferme la
porte. On reconnaît les deux diables, et
quoi que puisse dire Burgibus contre son
malin compagnon, ce dernier lui soutient
le contraire, et jouit de la noire satisfac-
tion de lui voir partager les tourments de
Lévyathan. »
Livr. ii. — « Saint Etienne, par ses vives
prédications, confond les Juifs qui le mè-
nent à Caïphe, et lui produisent plusieurs
faux témoins.
>Icy doibt, pour exterrir (remplir de terreur) les (aulx
Juifz, apparoir le visaae de S. Eslienue reluusunt
comme le soleil. )
« Les Juifs prennent l'épouvante, et s'en-
fuient. Le saint diacre les rappelle et ajoute
que ce n'est que pour jeter la terreur dans
la cœur des faux témoins. Alors son visage
pai«it dans son premier état; sur quoi les
pharisiens et les scribes, le soupçonnant de
magie, pressent de plus en plus le pontife
de prononcer sa sentence de mort.
JÉCONYAS.
Cavphe, fais le mettre à mort,
Que attendz-tu tant à le juger?
sont des heures aussi indues, que parmi nous deux
ou trois heures du matin.
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
86
HIÉROBOAM.
Cryqns do plus fort en plus fort
Cayphe, fais-le mettre à mort.
CAYPHE.
Ha ! Mcsseigneurs, vous avez tort,
Je ne puis plustost abréger.
SALATHIEL.
Cayphe, fais-le mettre à mort,
Que altendz-tu tant à le juger?
« Caïphe prononce cet arrêl, en vertu de
\a justice pontificale dont il est revêtu. Ce-
pendant, Jésus prie son Père pour saint
Etienne, et pour le jeune Saulus, en faveur
de qui il obtient qu'il ne trempera pas ses
mains au sang de ce martyr, et ne sera em-
ployé qu'à garder les robes des bourreaux.
Notre-Seigneur se manifeste dans toute sa
gloire au saint diacre, qui le prie pour ses
persécuteurs.
Il resve.
Il ment.
11 songe.
AGRIPPART.
[ GRIFFON
MAIBUÉ.
Mais il devine.
dégousté.
RIFFLART.
Il nous compte merveil.es.
« Les pharisiens lancent les premières
pierres contre saint Etienne , et les bour-
reaux achèvent son supplice. Dieu ordonne
à ses anges de lui amener l'âme de ce mar-
tyr. Peu de temps après, Saulus, accompa-
gné de satellites, va chez Nathanaèl, et le
fait jeter en prison avec toute sa famille.
Caïphe, charmé de voir tant d'ardeur dans
ce jeune homme, le charge d'aller à Damas
ppur y arrêter tous ceux qu'il saura être
d'intelligence avec les apôtres. Sur ces en-
trefaites, la reine d'Ethiopie, appelée Can-
daco, désirant faire un riche présent au
souverain Dieu, demande à ses demoiselles
à qui ce don doit s'adresser. — Vous le de-
vez à Jupiter, répond Hélaine. — Ou plutôt
à Dyana, ajoute Exionne. Comme la troi-
sième, nommée Thamaris, voit que la reine
rejette ces avis, elle lui conseille de faire
appeler l'eunuque; c'est un habile homme,
continue-t-elle, et qui a lu toutes les his-
toires.
LA ROYNE.
Exionne, allez-moy quérir
Nostre eunucque, et qu'il vienne à haste.
EXIONNF..
Et qui est-il?
LA ROYNK.
C'est l'homme chaste,
Qui gardoit nostre trésor liyer.
L'eunuque arrive, et la reine lui ordonne
de porter au temple de Jérusalem dix cou-
pes d'or. L'eunuque obéit, et commande
a Corridon d'atteler son chariot, sur lequel
il monte, et prend le chemin de la Palestine.
Les apôtres cependant élisent saint Jacques
'e Mineur évoque de Jérusalem : saint
Pierre, saint Jacques et saint Jean lui impo-
sent les mains, et ce nouvel évoque célèbre
la messe pontificalement. D'un autre côté,
saint Philippe diacre convertit les habi-
tants de Sébaste, étonnés de ses miracles,
et baptise sur le chemin de Gaza l'eunuque
de la reine d'Ethiopie. Saulus, près d'en-
trer à Damas, ressent aussi les divins effets
de la grâce du Tout-Puissant.
(Icy doit descendre une grande lumière du Ciel des-
sus Saulus, qui s'abat de dessus son cheval.)
« Saulus, aveuglé par l'éclat de celte 'u-
mière, prie les Juifs qui sont avec lui de le
conduire 5 Damas. Satan et Burgibus rai-
sonnent beaucoup sur cette aventure; le
dernier soutient que ce n'est qu'une va-
peur naturelle, mais Satan, après avoir dis-
serté sur les causes et les effets des vapeurs
de la moyenne région de l'air, conclut enfin
que la lumière qu'ils viennent de voir
n'ayant nul rapport avec celle-ci, on ne peut
s'empêcher de dire que le principe en est
divin. Après cette conversation sur la phy-
sique, ils s'en retournent aux enfers, criant
comme des enragés.
SATHAN.
Au meurtre
lucifer, a un ton railleur.
Voilà bien chanté.
A la mort !
SATHAN.
LUCIFER.
Voilà voix notable,
SATAN.
Alarme !
lucifer, en colère.
Paix, de par le dyable
Qui vous puisse rompre les testes.
SATHAN.
Enfer est en danger,
Tenez-vous pour tout adverty.
lucifer, étonné.
Comment!
SATHAN.
Saulus est converty '
A ceste heure, comme je croy.
« Les diables témoignent par des cris af-
freux le chagrin que leur cause celte nou-
velle; et Lucifer en conçoit une violente
haine contre Satan, qui vieutde la lui rap-
porter. »
Liv. ni. — « Lucifer, à qui la conversion
de Saulus cause une peine infinie, consulte
ses démons pour savoir s'il est possible do
la traverser. Les diables, après avoir feuil-
leté leurs livres avec soin, répondent que
toutes les puissances des enfers ne sau-
raient l'empêcher. Astaroth et Lévyathan
partent dans le dessein de s'y opposer. Ce-
pendant Ananyas baptise Saulus, qui par
ses prédications excite bientôt la colère des
Juifs. Les fidèles le sauvent, et le font sortir
de cette ville.
« Gondoforus, roi d'Inde, voulant faire
construire un superbe palais, ordonne à
Abanès.son prévôt, d'aller à Rome, et de
lui amener de celte ville d'habiles archi-
tectes. Le Seigneur instruit l'apôtre saint
87 ACT DICTIONNAIRE
Thomas du dessein de Gondoforus, lui com-
mande d'aller audevant d'Abanès, et de se
servir de ce prétexte pour s'introduire à la
cour de ce roi, et lui enseigner la véritable
religion. Saint Thomas sent quelque répu-
gnance à passer dans ce pays barbare, et
prie Dieu de lui ordonner une autre mis-
sion. Seigneur, ajoute-t-il,
SAINCT THOMAS.
Jésus, je te requiers mercy,
Et te prie de cueur devost,
Que point n'aille avec ce prevost
Que le roy faict transmettre icy.
Le peuple est d'erreur endurcy,
Et d'idolâtrie tout noircy,
De cruaulté plus dur qu'ung os ;
Car au vray Dieu tourne le dos.
Retourner nous n'en pouvons vifz.
Domine, mitte me quo vis,
Prœter ad crudeles Indos.
« L'archange saint Michel le rassure ce-
pendant, et Tapùtre, obéissant aux ordres
du Seigneur, se présente à Abanès, qui,
joyeux de trouver ce qu'il cherche, prie
saint Thomas d'entrer avec lui dans une fa-
meuse hôtellerie. Lévyalhan et Astaroth re-
viennent en diligence raconter ces nouvelles
à Lucifer.
CERRÉRUS.
Ce p.... est plus esperdu,
Et a les invites plus estranges,
Que s'il estoit de trois cents anges
Rembarré jusqu'à nostre porte.
« Saint Thomas et le prévôt d'Inde pas-
sent par Andrinopolis, lorsque le roi de
cette ville, prêt à célébrer les noces de la
princesse Pélagie, sa fille, et du prince
Denys, y invite tous les étrangers. Nos
voyageurs ne manquent pas de s'y rendre.
Pendant le repas, une fille juive chante
une chanson en hébreu, et ensuite la
répète en français. Cette chanson ne con-
tient que les louanges de Dieu. L'apôtre
est si attentif à l'écouter, que le sommelier,
croyant qu'il dort, lui donne un soufflet
pour le réveiller. — Le Seigneur punira
votre insolence, lui dit saint Thomas.
(Icy vient vng lion qui occist le sommelier du roy,
et Iny arrache une main qu'il emporte.)
« Le roi, effrayé à cette vue, prie saint
Thomas d'implorer pour lui la bénédiction
du ciel. Pendant ce temps-là, le prince De-
nys voit naître miraculeusement un pal-
mier chargé de dattes. La princesse mange
de ce fruit et s'endort. Pendant son sommeil,
Dieu lui inspire le dessein de se faire re-
ligieuse. Le lendemain elle fait part de son
songe à saint Thomas, qui, charmé de la
trouver dans une si sainte disposition, lui
donne le voile, en lui recommandant de
combattre sans cesse le démon et la chair.
SAINCT THOMAS.
De libidineuse foiblesse
Provient toute corruption -
De corruption vient tristesse,
Et pollution :
(48) Il est bon de remarquer que les auteurs des
mystères ont conservé avec soin les caractères des
personnes de bas étage qu'ils introduisaient sur le
théâtre. L°s tyrans ou archers paraissent toujours
DES KÏSTERES ACI s3
Et. de pollution s'appresse
Pecht, et puis confusion.
« Cet apôtre baptise ensuile le roi et les
habitants d'Andrinopolis, et prend avec
Abanès le chemin des Indes.
« Retournons à présent en Judée, où saint
Pierre guérit le paralytique Enéas, On vient
ensuite lui apprendre que Tabila a rendu
l'esprit.
noémv, servante.
.... La très-bénigne
Est allée à Dieu, la voilà:
Dorcas, Tabila, Dainula,
Nommez-la ainsi que vouldrez,
Est morte
'< Saint Pierre arrive au logis de Tabits,
et après avoir donné bonne espérance aux
assistants, il leur dit de le laisser seul.
SAINCT PIERRE.
Je ne vous fais pas départir,
Pour cause que je vueille faire
Rien qui soit à la loy contraire.
« Mais, ajoule-t-il, je suis ici l'exemple
de Jésus, lorsqu'il ressuscite, la (ille do
Jayrus. Tabita revoit la lumière, et par sa
présence réjouit toute l'assemblée.
(Icy commencent les Bélistres [48]).
« Trois pauvres paraissent sur la scène,
et lorsqu'ils ont dit beaucoup de sottises et
de grossièretés, enfin ils tâchent à se re-
connaître. — Je crois que je t'ai vu tn
quelque endroit, dit Mauduit à Trouillard.
— C'est ce qu'H me semble aussi, continue
Toulifault.
TROLILLARD.
Quant me vis-tu?
TOULIFAULT.
Ce fut aux Pasques.
TROUILLARD.
Tu n'as pas bien leu ton registre.
TOULIFAULT.
Comment !
TROLILLARD.
Ce fut à la belistre,
Quant, moy et ta bile Maunette
Allions ronfler l'esguilletle
A la bisette de l'Autonne.
toulifault, à part.
S'il est vray ce qu'il me jargonne,
Enfin, nous trouverons païens.
TROLILLARD.
Quand nous goussames les harens,
Que nous trouvasmes au caignard?...
TOULIFAULT.
Comment f appelle-t-on ?
TROUILLARD.
Trouillard.
« Et que ne disais-tu cela d'abord? dit
Mauduit. Us s'embrassent, et ensuite ils
vont à la porte du cenlenier Cornélius, dont
ils connaissent l'humeur charitable.
TROUILLARD.
Donnez au poure pèlerin,
Au nom de Dieu de paradis.
brutaux, fripons et sanguinaires, les pauvres et les
aveugles sont fainéants et effrontés, et les messa-
gère babillards et ivrognes. Au reste cette par-
tie du dialogue des Bélîtres est en argot.
89
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
90
TOUUKAULT.
Hélas! pour passer son chemin,
Donnez au poure pèlerin ;
Je ne mangay puis le matin.
TROl'ILLARD.
Et si as des foys plus de dix.
Donnez au poure péleriîi,
Au nom de Dieu de paradis.,
« Le centenier leur dit d'entrer, et leur
fait donner à dîner. Trouillard, h l'insu de
ses camarades, dérobe un gros morceau de
viande, et lorsqu'ils sont sortis, Toulifault
et Mauduit qui s'en aperçoivent veulent en
avoir part, et le menacent de le faire appe-
ler devant le juge.
TROUILLARD.
Je plaideray la main garnye,
Vous en devez estre adverli.
Enfans, beati garniti,
(Comme dit Maistre Aliborum)
Vault mieux que Beati quorum
Retenez ceste auctorité.
;< Nous laisserons la vision de saint
Pierre, le baptême de Cornélius, et les que-
relles des deux Hérodes, pour passer aux
aventures de saint Thomas. Cet apôtre, con-
duit par Abanès, se présente au roi d'Inde,
et promet de lui faire bâtir un palais ma-
gnilique. Gondoforus, prêt à partir pour par-
courir ses Etals, lui remet trente mille he-
sants, que saint Thomas distribue aux bélî-
tres (dont nous venons de parler). Le roi
revient au bout de deux ans, et ne voyant
aucune apparence de bâtiment, il fait mettre
l'apôtre en prison avec Abanès qu'il a
chargé de veiller sur sa conduite. Peu de
joursaprès, Agar, frère de Gondoforus, meurt
subitement; les anges portent son âme au
ciel, où ils lui font voir le brillant palais
construit des aumônes de saint Thomas.
Agar, qui parles prières de saint Thomas
est ressuscité, propose au roi, son frère, de
lui vendre ce superbe édifice. Gondoforus,
instruit de la chose, déclare qu'il veut le
garder pour lui; et après avoir fait donner
la liberté à saint Thomas, il le prie de lui
accorder le baptême, et le reçoit avec tous
ses sujets.
« Saint Barthélémy, suivant l'inspiration
du Saint-Esprit, passe en Arménie, pro-
vince voisine des Indes, où il guérit Byblis,
fille du roi Polonius, qui est lunatique, et
chasse Astaroth, enfermé dans une idole, en
lui ordonnant en même temps de briser ce
vain simulacre, et le temple où le peuple
l'adore.
(Ici duibl saillir de l'Ydolte, et la rompre aussi
menu que poudre.)
ASTAROTH.
Je croy que dyable ne fut oneques
Aussi terriblement pugny.
(19) Les diables traitent ici Hérode en grand sei-
gneur, et le conduisent dans un chariot. Dans le
Mystère de S. Andry ils emmènent Egéas, prévôt
d'Aehaïe, en brouette. Satan et Rahouart ne l'ont
pas tant de façons pour le mauvais riche, qui n'est
« Polonius, frappé à la vue de ces pro-
diges, se convertit et reçoit le baptême.
Pendant ce temps-là l'empereur Tibère
meurt, et laisse sa couronne à Gai/us Galli-
cula (Caïus Caligula). Ce dernier, qui pro-
tège Hérode Agrippa, lui donne le gouver-
nement de la Judée que possède Antipas,
son fvère, et envoie celui-ci en exil. Saint
Jacques le Majeur revient aussi d'Espagne;
le magicien Hermogène, sachant son arrivée,
envoie Philelus, son disciple, contre lui.
Philetus, loin de faire quelque mal à l'a-
pôtre, le prie instamment de le baptiser.
Hermogène, au désespoir, ordonne aux dé-
mons de lier de chaînes ce nouveau Chré-
tien; mais saint Jacques l'en délivre, et
commande à ces mêmes esprits de lui ame-
ner ce magicien. Hermogène, se voyant en
présence de saint Jacques, renonce à ses
erreurs, et veut brûler ses livres. Non, nor,.
dit l'apôtre.
SAI.NCT JACQUES.
Mieulx vault les gecter en la mer,
Affin que le faux sentement
Ne puist vexer aucunement
Les simples et les ygnorans.
Liv. iv. — « Hérode Agrippa n'est pas
plus (ôl arrivé en Judée, (pue pour plaire aux
Juifs il fait trancher la tête a saint Jacques
le Majeur. La sainte Vierge, qui ne s'occupe
qu'à travailler en soie avec quelques jeunes
tilles, répand des larmes en apprenant la
moi t de cet apôtre, que ses confrères
prennent soin d'ensevelir. Hérode fait en-
suite jeter saint Pierre en prison, d'où
l'ange du Seigneur le délivre. Ce prince
projette de faire la guerre aux Tyrois (Ty-
riens) et aux Sidoniens, qui envoient
protnptement un poteslat pour se justifier à
son égard. II jouit peu de temps de cette
satisfaction, une maladie mortelle le saisit,
et le conduit au tombeau.
(Icy doit avoir ung chahuan sur la teste.)
« Les diables, le voyant en cet état, le
mettent sur un chariot, et le conduisent
avec beaucoup de pompe aux enfers (49),
où les malins esprits lui viennent fairo des
présents convenables au triste séjour qu'ils
habitent, et enfin chantent la chanson sui-
vante en dansant autour de lui :
Hérode Agrippe, chien maslin,
Tu viens en l'abysme mortelle,
Où tu auras maint dur latin.
Tu souloyes gens détirer,
Et faire exiler, par envye,
Destruyre, battre, et martyrer,
Dont plusieurs ont perdu fa vie.
Mais tu t'en viens le haiilt chemin;
En peine, et en douleur cruelle :
Où tu seras dampné sans fin,
Hérode Agrippe, chien maslin.
<( Pendant que les apôtres rassemblés se
préparent à de nouvelles prédications, le
qu'un simple bourgeois : ils le jettent dans une hotle.-
On voit par là qu'ils se piquaient de savoir le cé-
rémonial. Au reste, lorsqu'ils avaient un grand nom
bre d'àmes à enlever, ils se servaient d'une cliareUe
91 ACT
Saint-Esprit leur o. donne de détacher Sau-
Jus et Ban abé, qui doivent dans l'Asie an-
noncer la parole du Seigneur.
(Ces parolles seront proférées de par le S. Esperit,
var tu bouche cïung Séraphin, ou d'ung autre
Ange, selon que l'on terra estre le plus convenable.)
Saint Paul et saint Barnabe passent en
Cypre, confondent le magicien ïiaxin Eli-
mas, et de là vont à Lystre, où les Juifs,
émus de rage, ordonnent aux tyrans de les
lapider.
AGRIPPART.
Apporte-moy ?
RIFFLART.
Quoy?
AGRIPPART.
Ung caillou
GRIFFON. ;
Et à moy une pierre dure.
RIFFLART.
Mais, où piinse?
AGRIPPART.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
92
Apporte-moy'
Ne te chaille où.
MALBLÉ.
RIFFLART.
Quoy?
MACBUÉ.
Ung caillou.
Viendras-tu ?
RIFFLART.
Attendez ung
pou,
J'ay mis ma main en une ordure.
« Les fidèles sauvent les deux apôtres, et
les font cacher dans la maison d'Horestes ,
l'un d'entre eux. Pendant ce temps-là saint
Pierre prêche à Antioche ; le prince de cette
ville, nommé Théophilus, le fait arrêter à la
sollicitation de Simon Magus, et ordonne
qu'on le laisse mourir de faim. Heureuse-
ment saint Paul s'introduit dans la prison,
et secourt saint Pierre; ensuite il obtient sa
liberté, à condition qu'il ressuscitera le
fils du prince d'Antioche, qui est mort de-
puis dix ans. Dieu accorde cette grâce aux
prières de saint Pierre, le prince et ses su-
jets se convertissent, et font construire une
chaire pour cet apôtre qu'ils reconnaissent
pour leur évêque. »
(Icy le portent en la Chaire.)
Liv. v. — « Saint Pierre, de retour à Jé-
rusalem, assemble un concile où se trouvent
tous les apôtres et les Juifs convertis à la
foi. On y décide la question agitée par ces
derniers, et on conclut que la circoncision
n'est point nécessaire aux gentils qui se-
ront appelés à l'Evangile. Saint Pierre fait
ensuite expédier des copies des canons du
concile, dont la teneur est en prose.
(Icy se mettent ensemble, et font semblant d'escrire.)
« Les apôtres se séparent ensuite, saint
Paul revient en Asie, et de là passe à Athè-
nes, où il convertit saint Denys, Damaris,
son épouse, Rustique, Eleuthère et quelques
autres.
« Cependant la sainte Vierge, prête à
quitter la terre, prie le Seigneur de faire
trouver les apôtres à son trépas. Les trois
Maries, et plusieurs femmes dévotes s'y ren-
dent aussi.
(Icy se doit faire ung tonnere en une nuée blanche,
qui doit couvrir les Apostres preschans en diverses
Contrées, et les apporter devant la porte de Ros-
tre-Dame, au Mont de Syon..,.. Icy la Vierge Ma-
rie vesl une robe blanche, en Jaque/le elle tres-
passe.)
« La sainte Vierge, voyant tous ses amis
rassemblés, leur donne sa bénédiction, et
leur dit un éternel adieu.
MARIE.
Adieu, enfans, que j"ayme comme moy;
Adieu vous dy, colonnes de la foy,
Fermes et fois, sans jamais dcsmancher.
Les protecteurs de la nouvelle Loy,
Adieu vous dy, car certes, j'apperçoy
De mon trespâs L1 heure fort approcher ;
Adieu parens, où n'a que reprocher;
Ce monde bas où souloyes marcher
Laisse aux enfans de la terre, et leur quille ;
Adieu vous dy, mes seurs que tant ay cher,
Pour vous ne puis mes larmes estancher,
Car il convient que nature s'acquitte.
« Au bruit d'un second tonnerre, tous
les assistants, excepté les apôtres et les
trois vierges compagnes de Marie, s'endor-
ment; des anges descendent du ciel pour
recevoir l'âme de la sainte Vierge.
(Icy doibt avoir une merveilleuse senteur en la
chambre de la Vierge Marie à la venue des
Anges.)
« Les femmes ensevelissent le corps de
la sainte Vierge, et les apôtres le portent
ensuite au tombeau à Gethsémany.
(Icy commence sainct Pierre In exitu Israël de
Egypto, et sainct Paul avec luy doivent porter le
devant de la chasse. Sainct Jacques et sainct An-
dré l'autre partie, et les auties tenons le drap de
dessus, doivent environner le corps, et doit aller
sainct Jehan devant à tout la palme en sa main.)
« Quelques Juifs audacieux veulent por-
ter leurs mains profanes sur la châsse qui
renferme le corps de la sainte Vierge, et
reçoivent au même instant la punition de
leur crime. Leurs yeux se couvrent de té-
nèbres. Belzézay et quelques-uns d'entre
eux reconnaissent leur faute, et prient la
Mère de Dieu d'intercéder pour eux. Ils re-
couvrent la vue; mais les cinq autres Juifs,
persistant dans leur aveuglement, devien-
nent la proie des démons qui les tourmen-
tent, et enfin les étranglent.
ASTAROTH.
Que fais-tu, Satan?
SATAN.
Je leur serre
Ung petit le col de ma patte,
Pour les despeche plus à haste ;
Car ilz crient comme enragez.
(Icy doit une nuée couvrir les Apostres, puis par
dessoulz terre chascun s'en doit retourner en sa
région. Durant ce tems les Anges enlèvent au Ciel
le corps de la Vierge Marie.)
Liv. vi. — « Saint André arrivant en Myr-
midonie rend la vue à saint Matthieu à qui
les infidèles ont crevé les yeux. Ce dernier
passe en Ethiopie, et guérit d'eux pauvres
Ethiopiens que Zaroès et A". "axât tiennent
93
ACT
DICTIONNAIRE
estropiés pour leur art magique. Ces deux
sorciers, irrités contre le saintapôtre, appel-
lent une multitude de serpents, qui sont
aussitôt dévorés par un dragon furieux que
saint Matthieu f;iit venir exprès.
(Icy faull qu'il saille par dessoubz terre ung dragon
moult terrible comme ung serpent.)
« Le fils du roi meurt, et l'apôtre le res-
suscite. Ce miracle touche le roi et le
convertit; Zaroès et Arphaxat quittent aus-
sitôt celte cour, pour se rendre en Perside
auprès de Waradach, duc de Babylone;
mais destinés 5 n'employer leur malice que
pour relever le mérite et la gloire des apô-
tres, en fuyant saint Matthieu, ils rencon-
trent ici saint Simon et saint Jude. Pen-
dant le séjour que fait saint André en Myr-
midonie, une mère amoureuse de Sostrates,
son propre fils, et ne pouvant le faire con-
sentir à ses coupables désirs, l'accuse au
juge d'avoir voulu la violer. Saint André
par ses prières sauve cet innocent, que son
silence et sa modestie allaient faire périr;
un coup de tonnerre réduit en poudre cette
mère incestueuse, et le juge et les habi-
tants, saisis de frayeur, demandent le bap-
tême.
« Saint Philippe, conduit par l'Esprit de
Dieu, va en Sithie. L'évéque païen de ce pays
veut le sacrifier au dieu Mars. Le Seigneur
délivre son apôtre de ce danger
SAINCT PHILIPPE.
Dieu puissant, qui pouoir
As de veoir, et sçavoir,
En ceste heure présente ;
Ta grâce me présente
Poui réconfort avoir.
(Icy doit saillir de l'Ydolle ung Dragon qui abbate le
filz de VEvesque, et les deux Tribuns, et les deux
Varlets tous morlz, et les lampes rompues.)
Véréque se convertit à ce spectacle, et
saint Philippe par ses prières rend la vue à
son fils.
« D'un autre côté Zaroès et son camarade,
ne songeant qu'aux moyens de faire périr
les apôtres, vont chercher dans des déserts
deux serpents d'un venin mortel.
LE Ier chevalier du duc estouppe son nez.
Ha! par noz Dieux, cecy est gref!
Ha! que ces bestes puent fort!
(Icy sainct Symon et sainct Jude prennent les Ser-
pens, et les gecleût aux Enchanteurs.)
ZAROES.
Ha ! que mauldicte soit la mère
Qui pour moy son ventre effondra.
Et le père qui m'engendra,
Et ma mauldicte conscience.
ARPHAXAT.
Ha! que mauldicte soit la science,
Qui a ceste douleur nous tire.
LE CHEVALIER.
Or, endurez vostre martyre.
Et ce qu'il vous plaira direz.
Les apôtres s'approchent d'eux, et les
exhortent h prier le Seigneur, qui peut les
délivrer des maux qu'ils souffrent,
ARPHAXAT.
Symon, tu as beau sermonner.
DES MYSTERES. ACT 94
ZAROES.
Jude, vous perdez vostre peine.
SAINCT SYMON.
Dieu peult tous péchez pardonner.
ARPHAXAT.
Symon, tu as beau sermonner.
SAINCT JUDE.
Je viens vos maux médeciner.
SAINCT SYMON.
A vous donner salut me peine.
ARPHAXAT.
Symon, tu as beau sermonner.
ZAROÈS.
Jude, vous perdez vostre peine,
« Cependant saint Paul annonce la paroîw
du Seigneur en Achaye, et s'étend beaucoup
sur les moyens de gagner le ciel.
SAINCT PAUL.
Estre doux au piteux,
Souffrir des despileux,
Estre en dietz véritable ;
De ses biens charitable
Aux poures souffreteux :
En vertu vertueux.
Vers Dieu affectueux
En foy ferme, et estable,
Pour en bien délectable
Estre en Cieulx précieux.
Fuyez malicieux,
Pervers, sédicieux,
Et par droict raisonnable
Dessus péché dampnable
Se;ez victorieux.
(Icy les Juifs le prennent et le meinent à Gutlyot
Prévost.)
GALLYOT.
Si de sa mort avez envye,
Ou aucun crime en luy voyez,
Prenez-le, son cas pourvove:
Pas ne vueil estre son Juge
Qui mal y congnoist bien le juge.
« Les Juifs, profitant de la faiblesse et de
l'ignorance de ce prévôt d'Acha'ie, maltrai-
tent fort saint Paul, que les fidèles arrachent
à leur fureur, et font embarquer sur un
vaisseau. L'Apôtre passe à Ephèse, et est
fort étonné lorsque le pilote lui demande
de l'argent pour son passage.
SAINCT PAUL.
Car je n'ay ne pille, ne croix,
Jamais je ne porte deniers.
LE MATMEL0T.
Vous estes l'ung des Aubnoniers,
Qui font au poinct du jour l'aulmosno?
LE PATRON.
Vostre passage je vous donne,
Une autre fois nous reverrons.
« Saint Matthieu donne cependant le
voile à Ephigénie, fille du feu roi d'Ethio-
pie. Hirlacus, seigneur du pays, apprenant
la résolution de la princesse, va trouver
l'apôtre, et lui promet la moitié du royaume
s'il veut la faire consentir à l'épouser. Rien
loin de répondre à ses désirs, saint Mat-
thieu par-un nouveau sermon exhorte celto
orineesse à conserver sa virginité. Hirlacus,
flo
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
9G
devenu furieux, fait assassiner l'apôtre, et
meurt peu de temps après, consommé d'une
affreuse lèpre.
« Sur ces entrefaites, saint Barnabe, prê-
chant l'Evangile aux Cypriens, est conduit
en prison, et peu de temps après au sup-
plice, où il reçoit la couronne de gloire.
(Icy Barnabe soit lyé par le corps el par les piedz
contre une roue de charette, et au milieu ung pil-
lon, oh doit avoir ung perluys pour passer une
corde, et par-dessoubz terre ung corps fainct comme
Barnabe, el faindra Daru brasier Barnubé, el fera
brusler ledit corps fainct, et se dévoilera Barnabe
par-dessoubz terre.)
« Daru et les autres satellites mettent les
os dans un coffret de plomb, dans l'inten-
tion de le jeter dans la mer le lendemain.
(Icy ferme le coffre, et s'en va, et les deux Disciples
de Barnabe le prennent.)
« Pendant que tout ceci se passe en Ethio-
pie et en Cypre, la voisine d'un seigneur
de Babylone vient lui annoncer que sa
tille vient d'accoucher; celle fille déclare à
son père que c'est le diacre Eufrosinus qui
l'a séduite. Le père va consulter saint Si-
mon et saint Jude, qui ordonnent à l'enfant
nouveau-né de dire s'il doit la naissante à
ce diacre. L'enfant répond que non; le père
prie ensuite les apôtres de lui faire connaî-
tre le coupable. Mais ceux-ci s'en défendent,
ajoutant qu'il suffit pour eux que l'inno-
cence soit reconnue.
le père à la nourrice.
Remportez l'enfant en l'Uoslel ;
Que malle rage, et malle mort
Ayt sa mère
LA VOYSINE
Vous avez tort,
Rien n'a faict qu'à autre n'advienne.
« Vévêque païen de Babylone, apprenant
avec chagrin les miracles opérés journel-
lement par les deux apôtres, vient avec
main forte, et les entraîne au temple du
Soleil et de la Lune pour les obliger à les
adorer.
(Icy leur monstre ung Temple, oh il y aura deux
Cliario's, Vung tiré à chevaulx, et l'autre à bœufs;
(50) On ne sera peut-être pas fâché d'apprendre
la généalogie d'un homme qui joue un assez grand
rôle dans ce poème, et dont nous avions souvent
occasion de parler dans la suite. Voici de quelle
façon il la raconte lui-même un peu plus haut.
Je suis Daru,
Ron pendnur, et bon esœrcheur,
Bien brustant homme, hou ir noueux
De lestes, pour biiller es fours :
'J'rayner, battre par quarel'ours
Ne double <|ue meilleur s'appëre.
Le Sire granl de mon grant père
l'ut pendu d'un joly cordeau :
Ma grani'mere fut au
S'es^allant, et menanlgianlchere ;
La superlative sorcière,
Doni on ouyt jamais parler,
Tour petits enfans esirangler.
Mon père, fut tout vif hruslé,
Kl mon frère fut décollé,
Et enfouy son filz aisné :
En terre la fosse luy fis,
Et sur le ventre luy sailly,
Mon nuire frère fut bouitlv
et dessus ung Soleil, et sur l'autre une Lune; et
dessoubz lesdictz Chariots ung Ethiopien noir et
terrible, et derrière deux furieux.)
« Ces deux, furieux se retirent à la vue
des apôtres, qui ordonnent, ensuite aux
Etbiopiens de briser les idoles et les chars
sur lesquels elles sont posées. Ces deux
malins esprits obéissent, et Ve'véque, voyant
ses dieux en cendre, se jette avec fureur
sur saint Simon et son compagnon, et Jeur
ôte la vie.
« Cependant Daru, qui est le bourreau
banal de ce mystère (50), vient avertir le
prince Astragès que saint Barthélémy a
converti à la foi chrétienne le roi Polonius
son frère; Astragès est charmé lorsqu'il
apprend que Polonius s'est rendu ermite
et lui a abandonné sa couronne, il demande
à Daru comment et où il a appris cette
nouvelle.
ASTRAGÈS.
Maulgré Appollo, qui es-tu ?
Qui ainsi me dis en commun?
DARU.
Par ma foy, Sire, je suis un
Gentil-homme de bassefmain (51)
Mon frère fut cousin germain
A l'oncle du nepveu au frère
De la lille à la seur du père
De la mère de mon ayelle;
Et la mienne portoit la voille,
Pour mieux la dame contrefaire.
« Il ajoute qu'il est bourreau. Astragès,
pour essayer ce qu'il sait faire, lui ordonne
d'aller arrêter saint Barthélémy, à qui il
propose ensuite de renoncer à la foi qu'il
professe. Le généreux apôtre (£2) répond,
sans s'effrayer, que les tourments les plus
terribles ne peuvent l'ébranler ; sa constance
irrite le tyran, qui commande à Daru de le
fouetter de toutes ses forces
DARU.
Çà, maistre, eà,
Et zif, et zef, et zof, et zaf,
Et zif, et zof, et zef, et zaf;
Et croq, et craq, et maille, et cherge (53)
« Astragès , voyant que saint Barthélémy
se rit de ce tourmert, ordonne qu'on l'é-
corche, et enfin lui fait trancher la tète.
Pour ouvrer de faulse monnoye,
Et pour ce cas-là je venoye
Assavoii' s'on avoit mestier
Du meilleur ministre au mestior, etc
(51) Daru dit encore, liv. vu, p. 112, de l'édition
d'Alahat.
Je suis gentil hommp,
Je dy gentil de basse main.
(52) Au mystère xv de la première journée delà
Paission, saint Barthélémy, avant d'être appelé à
l'apostolat, est habillé en* fils de roi, c'est-à-dire
en prince du sang royal. L'auteur des dixains que
Ton lit à la tète du mystère des Actes des apôtres
nous en donne une raison, appuyée'selon toutes les
apparences, sur les deux mots dont le nom de cet
apôtre est composé, Bar qui en hébreu signifie fils, et
Ploiémée. Il n'en fallait pas davantage à nos anciens
pour former une généalogie. Voici 'kles trois pre-
miers vers de ce dixain de saint Barthélémy.
Extrait du sang royal de Ptolémée
Du roy céleste à la cour mieulx aymée
liiiltiolemy me faisant, appeler, elc.
(i>5) Imitation du bruit des foucls.
97 ACT DICTIONNAIRE DES MYSTERES
(L'ame de sainct Barthélémy sort.)
« L'apôtre n'esl pas plus tôt expiré, que
ACT
T8
les démons s'emparent de ses bourreaux et
de ses persécuteurs, et les agitent avec vio-
lence.
ASTIUGÈS.
Je meurs, je forsenne, j'enrage,
Et si m'en vois à dampnement.
(lcy courent comme enragez.)
LE PRESTRE DE LA LOT.
J'enrage; Dyables, vistement,
Venez à coup, et m'emportez.
l'escuyer d'astragès.
A l'y, à l'y.
LE PRESTRE.
Après, après.
l'escuyer
Gare, gare le croq de fer.
daru, courant comme eulx.
Par Jupin, voicy Lucifer,
Qui nous vient tout tomber en bas.
astragss.
Ça, Dyables
DARC.
Paru n'y est pas.
LE PRESTRE.
Pyable, las, ne m'emporte point
Si rudement.
DARU.
Je n'en suis point,
Et par Jupiter je m'en voys.
(Icij doivent cheoir à terre, et eulx trayner en enfer.)
« Daru, échappé de ce danger, va à Hié-
rapolis, où il aide à crucifier le diacre saint
Philippe. Ensuite feignant d'être aveugle,
il prie les passants de lui faire l'aumône.
Le maître d'une hôtellerie d'Hiérapolis et
sa femme lui donnent quelques pièces d'ar-
gent, et s'apercevant des fouets et des
cordes qu'il porte, lui en demandent la rai-
son : C'est pour chasser les chiens qui vien-
draient me mordre, répond Daru.
DARU.
S'ilz m'abayoient soir et malin
Je fais ainsi : passe mastin,
Arrière, arrière quant il mort
(lcy frappe l'Hôte et l'Hôtesse de ses foùetz, et s'en-
fuit ensuite.)
Liv.vii. — « Saint Thomas, obéissant aux
nouveaux ordres du Seigneur, va prêcher
l'Evangile dans l'Inde la Majour, et conver-
tit Migdoyne, femme de Caricius. Caricius,
irrité contre l'apôtre, va en avertir le roi
Mygdéus, son frère, qui fait aussitôt arrêter
saint Thomas, et ordonne a Daru de le faire
marcher sur des fers ardents.
(lcy doit cheminer par-dessus, et en doit avoir d'au-
tres mis pur mubz terre (5i), et doit avoir force
d'eaùe, qui doit faire fumée.)
LE ROY.
Quesse-cy, dont vient en ce lieu
Ces te eaue?
(5i) On sent aisément que, pour conserver les
vraisemblances, le bourreau apportait des barres de
toutes rouges, mais qu'au même instant oii eu
CARICIUS.
Ha dea tout en est plain.
« Le roi fait jeter ensuite saint Thomas
dans un four bien chaud; et Daru, croyant
qu'il y va périr, veut voir ce qui se passe à
Philippis et aide les païens de cette ville à
mettre le feu h la maison de saint André.
11 revient un moment après, ouvre le four,
et saint Thomas en sort sain et sauf, au
grand étonnement de l'assemblée. Mon
frère, dit alors Caricius au roi Mygdéus,
pour faire perdreà ce chrétien la protection
de son Dieu, il faut l'obliger à adorer les
nôtres.
(lcy doit avoir ung Temple et ung Soleil d'or sur ung
Chariot, mené à chevaulx, et dedans le Soleil au
derrière ung Dyable lcy doit avoir une Ydolle
qui peut fondre.)
« Saint Thomas, conduit dans ce temple
par l'évêque des Indiens et ses satellites,
ordonne au démonde se retirer, et aupara-
vant de réduire le temple et l'idole en pous-
sière.
(lcy doit fondre l'Ydolle, et le tout en poudre, et le
Temple cheoir, et l'Evesque et autres urler comme
loups et chiens.)
DARU.
Et quel Dyable pourroit entendre
Leurs chansons? Hz ne font que urler.
Ne sçavent autrement parler?
On ne les entend peu ou pou,
L'ung urle en chien, et l'autre en loup;
L'ung crye, l'autre parle Hébrieu.
Je ne sçay que c'est en ce lieu.
Ce sont Dyables, je les conjure.
(L'Evesque d'Ynde la Majour prend ung glaive fainct,
et dict.)
l'evesque.
Seigneur, je vengeray l'injure
De mon Dieu, car j'en ay envye.
(lcy le fiert (55) au travers du corps, et tue sainct
Thomas.)
daru, voulant l'arrêter.
lia! que maulgré en ayt ma vie;
Cecy estoit à moy affaire.
« Les malins esprits, voyant que malgré
leur efforts, l'Eglise naissante s'augmente
de jour en jour sur leurs ruines, prennent
la résolution de quitter les enfers, et d'aller
sur la terre gagner leurs vies h des mé-
tiers où ils pourront mieux réussir.
S.YTIIAN.
Au monde yray estre usurier;
Assez ouvrage liouveray
BÉRITU.
Et croyez que m'ésprouveray
A estre marchant de Chevaulx,
Pour faire ce mcslicr je vaulx
Mus de trente nii-lz ducatz.
BURGIBUS.
Je m'en yray aux Advocatz.
« Et moi, dit Cerbérus, je m'adonnerai h
faire des messages d'amour à la cour et à
substituait de froides, sur lesquelles l'acteur qui
jouait le rôle de saintf Thomas devait marcher.
(55) Frappe.
99
ACT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
iOO
la ville. — Je veux être sorcier et diseur
de bonnes aventures, ajoute Belzébuth
LIÏVYATIIAN.
El il fauldra que je me boutte
A l'Eglise, et que je m'adonne
A servir Madame Symonne.
« Proserpine, qui entend leurs discours,
pousse des cris épouvantables. Les diables
en paraissent touchés, et redoutant en
même temps les menaces de Lucifer, aban-
donnent leur dessein, et rentrent aux en-
fers.
(Ici) vont tous en Enfer, et se doit faire ung grant
bruyt.)
« Cependant les Juifs lapident l'apôtre
saint Matthias, et Daru (qui se trouve par-
tout) lui fend la tête d'un coup dé hache.
(lcij doit être mis en ung sercueii sur une trappe
couverte, pur laquelle s'en aille par dessoubz terre.)
(Icy faicl sainct Pierre Linus et Clétus Cardinaulx.)
SA1NCT PIERRE.
Cardinaulx je vous constitue, etc.
« Linus et Clétus remercient saint Pierre,
qui guérit ensuite un aveugle et un boiteux,
et convertit les quatre concubines d' Agrippa,
prévôt de Rome.
MAUBiÉ, messager d'Agrippa.
Quesse-cy ? Rose (56) est devenue
Bénigne, Nonnain, ou Abbesse?
« L'empereur Claudian (Claude) meurt et
Néron lui succède.
(Icy doivent tirer ung rideau, feignant d'ensevelir le
corps.)
« D'un autre côté, saint André fait plu-
sieurs miracles dans la Grèce, et enfin au
nom du Seigneur délivre le pays d'un ser-
pent monstrueux, qui a cinquante coudées
de long et quatorze de large.
(Icu doit avoir ung Cliesne planté, et se doit lyer le
Serpent à l'entour dudict thesne, en criant; et doit
saillir grant quantité de sang, et puis meurt (57).
« Sur ces entrefaites, Lysias, prévôt de
Judée, fait arrêter saint Paul, et ordonne aux
bourreaux de le fouetter. L'apôtre se plaint
amèrement qu'on ose traiter ainsi un citoyen
de Rome.
LYSIAS.
Es-tu Rommain?
SAINCT PAUL.
Prévost, oùy,
Rattu en grande vilité.
« Saint André continue à opérer plusieurs
(5G) Nom de la concubine.
(57) Le machiniste qui faisait mouvoir le serpent
était placé au centre du théâtre, et au moyen d'une
corde de crin noir, en attirant l'animal à lui, le
tortillait autour du chêne, sur l'écorce duquel étaient
attachées des pointes de fer, qui, perçant la peau du
du serpent, en faisaient sortir une eau couleur de
sang.
(58) Quoique ces talents ne soient guère recom-
mandâmes, cependant Daru ne laisse pas d'être
assez content de lui-même, comme il paraît par ces
miracles en Achaïe ; on le mande chez Ma-
ximilla, épouse d'Egée, prévôt de cette
province, qui est accablée d'une violente
maladie. Eu entrant dans le palais, il trouve
Egée prêt à se percer le sein; l'apôtre lui
retient le bras, et le console en lui disant
que le Seigneur peut guérir en un moment
le mal de son épouse. En effet, Dieu exauce
ses prières, et Maximilla se trouve entière-
ment soulagée. Le prévôt, transporté de
joie, offre de riches présents à saint André,
qui les refuse, ajoutant qu'il n'est point au-
teur de cette guérison. Peu de temps après
Egée part pour la Macédoine. Saint André
profite de son absence pour dessiller les
yeux de Maximilla, et lui enseigner la voie
du salut.
« Egée de retour chez lui, apprend avec
chagrin la conversion de son épouse, et se
prépare à en punir l'auteur, lorsqu'une co-
lique imprévue l'oblige à songer à toute
autre chose.
EGÉE.
Ha! Dieu, le ventre: il me convient
Retourner, plus leni<' ne puis
Mon eaué, aussi enllé je suis
Que ung tonneau : ma douleur se traict
C'y au long.
LE SECOND CHEVAUER D'ÉGÉE.
Allez au relraict,
Et allégé vous sentirez.
« Le prévôt, un peu soulagé, va au con-
seil, où il prend la résolution de faire périr
tous les chrétiens. Heureusement pour lui
Daru vient lui offrir ses services.
EGÉE.
Et que sçais-tu faire'
DARU.
Rien pendre,
Rostir, brasier, escarteler,
Battre de verges, descoller,
Trayner, escorcher, enfouyr,
Et si on se combat, fouyr,
Aussy bien qu'oneques l'ait personne ^58)
« Egée envoyé prendre saint André, et
malgré les prières et les menaces de sa
femme, et de ses plus proches parents, le
fait attachera une croix où il expire,^ et
des anges viennent recevoir son âme.
(Soit sainct André descendu de la Croix, et Maximilla,
Tylon (59), Sydrac, Exosus, et Anncl le doyvent
mettre en ung Tombeau en sépulture, sur une
trappe coulouerée. où il s'en puisse aller par des-
soubz terre.)
sathan saulte au col d'Egée.
Vous serez le très-mal venu,
vers qu'il dit dans un a parte au commencement du
livre suivant.
Quant à ma personne regarde,
J'estoye, si Dieu eu.->l voulu,
Aveoir mon corps, pour estre esleu
Assez homme, pour en arroy,
Rslre Prince, Prélat, ou Roy :
Pour en triuiuphe avoir vescu, etc.
(59) Ce sont les noms de plusieurs Grecs con-
vertis.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
tOI ACT
DÉRITII.
Vous serez le 1res mal trouvé.
[Salhan faincl de l'estrangler, et aidé de son Com-
pagnon, il l'entraîne en Enfer par les pieds. —
nota. Que Sijnwn Macjus axjt un visage fainct soubz,
60n Cluipperon de Docteur en la teste, et se puisse
avaller sur le visage, etc.)
« En cet état, Simon se présente à l'em-
pereur Néroir, en lui disant qu'il est le
fils de Dieu, et que pour prouver ce qu'il
avance, on n'a qu'à lui faire trancher la tête,
et qu'il ressuscitera ensuite. Néron, poussé
par la seule curiosité, ordonne à Daru de
faire cette exécution; mais Daru, séduit par
les charmes de cet enchanteur, coupe
la tête à un mouton, et les disciples de Si-
mon emportent ce scélérat dans un tombeau
pratiqué exprès, d'où il sort au bout do
quelque temps. L'empereur demande à ses
chevaliers (60) s'ils ont vu expirer Simon,
tous lui répondirent qu'oui; pendant ce
temps-là « Simon Magus lève la couverture
du tombeau, » et s'annonçant pour le Messie,
ACT
102
Qu'il ait été Evcsque esleu :
Paul, faictes-lui la révérence.
sainct pail, saluant saincl Clément.
Selon ma petite science
Le feray.
SAINCT CLÉMENT.
Il ne le fault pas.
« Ces deux apôtres vont ensuite disputer
avec Simon Magus, qui, ne pouvant résister
à l'esprit divin dont ils sont remplis, ap-
pelle les secours infernaux.
(le g doivent venir d'enfer aucuns dgabtes, comme
chiens fainclz, qui viennent à saint Pierre.)
sainct pierre, en leur jettatit des morceaux de pain.
Or, tenez, en l'honneur de Dieu,
En lieu de venir dévorer
Mon corps, venez assavourer
Ce pain, que par Dieu vous présente,
Devant l'Assemblée présente;
Et de mal faire vous gardez (01).
(Icy doivent tous sentir Pierre, puis faire ung cry,
et s'enfuyr.)
« Saint Pierre découvre ensuite comment
il prêche le peuple de Rome; et pour aug- ce magi0jerj a séduit le peuple, en substi
menter davantage son crédit, Satan, sous de
pareils habits, chante les louanges de cet
enchanteur dans une autre place de celte
ville.
Liv. vm. — « Ce livre commence par le
martyre de saint Philippe apôtre, que le pré-
vôt d'Hiérapolis fait attacher à une croix,
par celui de saint Jacques Alphée, qui, prê-
chant la voie du salut à Jérusalem, est pré-
cipité par les Juifs. Pendant ce temps-là,
Festus, prévôt de Judée, qui a succédé a
Lysias, fait mettre saint Paul dans un vais
seau pour le conduire à Rome; uue elfroya
ble tempête agite le bâtiment sur lequel il
est monté, et oblige les matelots à songer à
leur sûreté.
(Icy doyvent gecter coffres, et autres besongnes en
mer, et l'arbre doit être de deux pièces, en façon
qu'il se puisse rompre.)
« Le navire aborde à l'ile de Mytillaine,
etc., et enfin à Rome dans le temps que
Néron et Simon Magus songent aux moyens
défaire périr saint Pierre. Saint Paul va
visiter ce dernier, et lui rend compte de
tout ce qui lui est arrrivé; saint Pierre en
fait de même, et ajoute qu'il vient de con-
sacrer saint Clément évoque de Rome.
SAINCT PIERRE.
J'av voulu
(60) La noie marginale nous apprend que ceux
qui jouent dans les troisième et quatrième joui 'nées
les rôles des domestiques de Néron, peuvent repré-
senter dans celle-ci ceux de ses chevaliers. Ce qui
pourrait nous donner lieu de croire que ces troi-
sième et quatrième journées sont les vm* et ixc li-
vres suivants. Le cri qui est à la tète de ce mystère
nous instruit encore moins, et marque seulement
qu'on continue chaque jour de représenter les jour-
nées du mystère des Actes des Apôtres, et que l'on
continuera jusqu'à la (in : mais il ne dit point en
quel nombre étaient ces journées. Le sieur de Laffay,
Uist. de Berry, liv. VF, chap. 7, assure que lorsqu'il
fut joué à Bourges en 1536, la représentation dura
quarante jours. Ainsi ou ne trouve rien de positif
là-dessus, et l'on peut dire de ce mystère, comme do
tuant un mouton à sa place, pour faire
croire qu'il a ressuscité. Toute l'assemblée
écoute avec élonnement le discours de l'a-
pôtre. Daru lui-même ne sait que penser
d'une pareille aventure, et s'exprime ainsi
sur cet événement.
DARU.
Or çà, et si j'ay tué Dieu,
Et s'est suscité par ses dietz,
Je suis bourreau de Paradis ?
A ces parolles le voit on.
Et si j'ay tué ung mouton,
Tant bien qu'ung autre laboureur?
Je suis boucher de l'Empereur,
Que voulez-vous? c'est adventure.
« Saint Pierre rend la vie à un jeune
homme fort aimé de l'empereur; et Simon,
qui a employé inutilement tous ses étroits,
en conçoit une si grande fuieur, qu'il lait
une conjuration plus puissante que les pré-
cédentes.
(Icy Symon hagus doit lyre en ung livre que Marcel
luij tiendra, et doit faire de grandes adjurations
et conjurations; et doit ung dyable venir en forme
d'ung cliien, et doit être Cerbérus; et fault qu'il ait
dents appuroissans.)
« Le saint apôtre, craignant peu la fureur
de ce monstre, lui ordonne de rentrer au
lieu d'où il est sorti; Simon s'enfuit de
rage, et Marcel, son disciple, se jette aux
presque tous les autres, qu'ils duraient tantôt pb;s,
tantôt moins, selon la volonté, ou la commodité des
acteurs, qui en jouaient le nombre d'actions qu'ils
voulaient, et reprenaient h suite le lendemain et les
jours suivants. Si ceux la Passion, de la Vengeance,
de la Destruction de Troyes, et quelques autres ont
été quelquefois représentés dans les temps indiqués
par le titre, c'est qu'on commençait dès le matin :
on faisait une pose sur le midi; et le reste de la
journée se représentait l'après-diner. C'est ce qui fut
principalement observé à Metz en 1457, et à Angers
en 1480.
(61) Ainsi fait Eneas, et la Sibylle à Ccrberus,
Virgil., lib. vi, Enéide, dit la noie marginale. On
pouvait aussi ajouter Homère, livre xi de l'Odys-
sée.
ICS
ÀCT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
101
pieds de saint Pierre, le prie de lui donner
Je. baptême et de le recevoir au nombre des
lideles. On vient faire le récit do tout ceci
à saint Clément, et saint Paul, prêt a mon-
ter en chaire lui demande sa bénédition.
sainct PAUL, à genoulx.
Révérend Père en Dieu, Clément,
En la Cité prescber m'en voys,
Et au peuple espandre ma voix.
Pour requérir salvation.
sainct clément luy donne sa bénédiction.'
De Dieu la'bénédiction (62).
Paul, mon amy, vous soit donnée,
Comme la chose est ordonnée
Par nostre très- précieux Maistre.
Allez en la Chaire vous mettre
Et faictes-bien vostre devoir.
(Ictj soit sainct Paul en chaire, et parle, et soit Pa-
troclus hault sur une fenestre sur une pièce de
bons, lequel cherra de dessus ladicte pièce à la fin
du sermon de sainct Paul.)
« Patroclus, s'endormant au sermon de
l'Apôtre, tombe, et perd la vie; saint Paul
•descend aussitôt de sa chaire et le ressusc te.
Ce miracle l'ait beaucoup de bruit dans
Home; Patroclus lui-même en rend témoi-
gnage à Néron, de qui ii est fort connu;
mais ce prince ennemi des Chrétiens lui
donne un soufflet, et le fait mettre ensuite
en prison avec Barnabas et Justus qui veu-
lent prendre sa défense. »
Liv. ix. — « Simon Magus, au désespoir
de succomber dans toutes les disputes qu'il
entreprend avec les apôtres, veut tenter un
dernier effort pour rétablir son crédit dans
l'esprit de l'ignorante populace, et fait ré-
pandre le bruit qu'il va monter au ciel.
Une foule de peuple accourt à ce spectacle;
et déjà Simon est élevé dans les airs par
ses démons, lorsque saint Pierre, qui se
trouve présent, ordonne à ces derniers de
laisser tomber ce malheureux enchanteur,
que tout son art ne peut défendre de la mort
qu'il reçoit par cette chute.
(Icy les dyables vont prendre le corps de Symon Ma-
gus, et Cenlraijnenl en Enfer.)
« Néron, voulant venger sa mort, fait
conduire en prison saint Pierre, saint Paul,
Aristarchus, Tyton, Sidrac, Lucas et quel-
ques antres. Procès et Marlinien, à qui on
les confie, se convertissent à la foi, et met-
tent les prisonniers en liberté. L'empereur,
irrité contre ces nouveaux. Chrétiens, les fait
conduire au supplice.
parthémius à Néron.
Ha! Sire, ilz sont plus asseurez,
Qu'oncques pierre, que j'apperceuz.
« On vient ensuite donner avis à saint
Pierre que le prévôt Agrippe le fait clier-
(62) Si Ton a été surpris de voir saint Pierre créer
cardinaux saint Lin et saint Clet, on le doit être
encore plus de ce qu'on trouve ici, et apparemment
que l'auteur, oubliant saint Pierre et ses deux succes-
seurs, a cru que saint Clément fui le premier Pape.
(65) C'est-à-dire que l'échafaud de Rome doit
être au-dessous de celui de Paradis. Lorsque dans
un mystère on élait obligé de faire descendre ou
cher partout pour lui ôter .a vie. Les fidèles
exhortent cet apôtre à prévenir par une
fuite salutaire les poursuites du prévôt.
Saint Pierre rejette courageusement ce
conseil, mais se trouvant seul, il prend la
résolution de sortir de Rome.
[Soit sainct Pierre à la porte, et doit eslre ïEchaf-
fault de Rome près de Paradis (65).
«L'angeGabriel, sous la figure du Fils de
Dieu, reproche à cet apôtre sa faiblesse, et
l'engage à souffrir la mort avec fermeté.
(Icxj doit cheminer par la Cité, et Pierre après; et
nota, qu'il doit aller près d'ung pillier de Para-
dis, et se attachera pour monter comme une Ascen-
tion, et se doit couvrir à Centrée d'une nuée.)
« Néron ordonne à ses chevaliers, qui
font ici l'office d'archers, d'aller arrêter
saint Pierre et les autres Chrétiens. Ces
satellites, en exécutant cet ordre, fouillent
dans leurs poches.
LE SECOND CHEVALIER.
Sus, cheminez. Maistre Tyton;
Çà la bourse où sont les escus.
« On conduit saint Paul à l'empereur, et
les autres prisonniers à Agrippe, qui or-
donne à Daru de brûler Tyton, Aristarchus et
Sydrac.
(Icy doivent eslre attachez au pillon (pilier), et quilz
se puissent devaller en bas secrètement, et en leurs
lient reboutter entre le pillon et les fagotz au-
cuns corps fainetz.)
« Néron condamne saint Paul à avoir la
tête tranchée, pendant qu'Agrippe juge
saint Pierre à être crucifié. Saint Paul, con-
duit au supplice, convertit ses bourreaux,
qui, les larmes aux yeux, lui offrent la li-
berté. L'apôtre refuse leur secours, et les
prie instamment d'exécuter l'arrêt de l'em-
pereur. Les bourreaux touchés de sa cons-
tance, n'obéissent qu'avec peine.
(nota. — Que la teste sautte trois saulx, et à chascun
yst (65*) une fontaine.)
« Saint Pierre, arrivé au lieu où il doit
recevoir le martyre, supplie son juge de le
faire crucifier la lête en
sent à cette demande.
bas, Agrippe cou-
AGRIPPE.
Or sus, sus nous luy accordons.
Prenez des cordes, et cordons ;
De le lyer on se recorde.
RAVISSANT.
Quant est à moy, je m'y accorde,
J'en estoye bien recorde.
»ARl\
Par ce bras seras encordé,
Car de ce faire suis recordz.
ÉPIPHANÈS.
Encorder le vue'd par le corpz,
Sans plus la leçon recorder.
monter quelque personnage du ciel, on plaçait l'é-
chafaud où se devait passer la scène sous celui du
paradis. C'est ainsi que sont disposés la chambre de
la Vierge Marie, dans les mystères de la Conception
et de V Incarnation , et le lieu où les apôtres s'as-
semblent pour recevoir le Saint-Esprit dans ceux de
la Résurrection.
(65*) Yst, sort
105
ACT
DICTIONNAIRE DES M\STERES.
ACT
i .-G
ANTIGONUS.
Par ses pieJz le fault concorder
A la lin, que nul ne l'oublie
GÉRYON
J'ay cy une corde establie,
Qui y sera toute propice.
« Tandis qu'on vient raconter à Néron la
mort de saint Paul, cet apôtre paraît au mi-
lieu de la salle, et, annonçant la colère du
ciel,'ette l'empereur dans un trouble sans
fgrf.
NÉRON
Harau ! Dyables, qu'on me sequeurre (secoure).
Saillir d'icy vueil sans demeure
Ostez-vous, je nie vueil occire.
(Tous le tiennent.)
TAULIN.
Et pour Dieu, patience. Sire,
NÉRON.
Il me semble que voy monter
Mon ame en une cheminée?
« Paulin conseille à Néron, pour soulager
son mal, de donner la liberté à Patroclus, à
Barnabas et Lucas, qui, en sortant de leur
prison, vont ensevelir les corps des deux
apôtres. Peu de temps après, l'empereur,
tourmenté par sa noire mélancolie, fait ar-
rêter le prévôt Agrippe (64) : et lui demande
par quelle raison il a fait mourir saint
Pierre. Agrippe se défend de tout son pos-
sible, et insiste beaucoup sur la haine que
l'empereur porte aux Chrétiens, dont cet
apôtre était le chef. Au même instant saint
Pierre paraît tout a coup, et déclare à Né-
ron que la vengeance du ciel est prête à
fondre sur sa tête. Cette vue achève de jeter
ce prince dans le dernier désespoir; plu-
sieurs anges surviennent, « et le frappent
de fléaux et autres bâtons. »
(Icy s'en va sainct Pierre, et nota, que par dessoubz
terre doit avoir yens ayans fléaux et autres
basions.)
« Néron appelle ses domestiques à son
secours, et réclame en vain l'assistance de
la déesse Ysis, sa protectrice.
ALBINUS.
Empereur de liaultc valeur,
Ayez ung peu de patience.
PAULIN.
Qu'est devenue vostre science ?
Et prudence?
LE PREMIER CHEVALIER.
Sire, c'est une illusion,
Qui en l'esprit vous est venue,
Car Pierre est mort devant ma veuè.
(Gi) Daru tait ici quelques réflexions sur l'avan-
ture de ce prévôt, qui, malgré le style grossier de
l'auteur, contiennent des vérités assez sensibles.
Quoy. pourpenser t'ault sur ce pas?
Premier, on ne le pendra pas?
Il est roy, et prévosl aussi.
Le fera- 1- on mourir ainsi !
Cy-de\anl le peuple, proteste
J'a ne luy osieray la leste :
Car trop il pourrojt consler cher.
C'a, le fera-l-il escorcuer '!
DlCTIONN. DES MYS
« On porte l'empereur dans une chambra
de son palais, où Albinus le vient bientôt
trouver, tenant un papier à la main. Néron
lui demande ce qu'il contient
ALBINUS.
Ne vous chaille jà de sçavoir
Ce que c'est, Sire; je vous jure
Que c'est libelle plein d'injure,
Par les Romains faict contre vous.
Et sçay que auriez du courroux
Si vous en voyiez la lecture.
NÉRON.
Contre moy est-il créature
Qui osast de mon nom mesdire?
Lysez tout hault, car je meurs u'yre,
Si au long l'escript je n'entendz.
albinus.
Vous obéir en tout prétendz :
Escoulez doneques, s'il vous plaist.
(Teneur du libelle diffamatoire faict à rencontre de
V empereur Néron, par le peuple romain, et leu en
sa présence par le susdict Albinus, comme s'ensuit.)
albinus, lisant.
Qui a désir sçavoir la cruaulté
Du lier Néron, plein de desloyauté,
Lise l'escript qui contient vérité ;
Là pourra veoir ce qu'il a mérité, etc.
« Néron, que cette lecture et tout ce qui
vient d'arriver ont rendu furieux, vomit
mille imprécations contre la statue d'Ysis,
où ce libelle était attaché, et la couvre de
boue, ordonnant à ses chevaliers de suivre
son exemple.
LE PREMIER CHEVALIER.
Tiens, Ysis, farde ton visage.
LE SECOND CHEVALIER.
Tenez, tenez, vieille souillarde.
NÉRON.
Gectez, gectez sui la p
Qui m'a laissé vilipender.
« On l'emmène enfin dans sa chambre .
il se couche, et prie les diables de le con-
seiller pendant son sommeil. Satan arrive
et lui inspire le dessein de se poignarder;
Néron se lève en chemise, et prie les che-
valiers de lui percer le sein; ce qu'aucun
d'eux n'ose exécuter.
néron tient une espée.
Ha dyables dampnez
De toutes parts vers moy venez,
Venez à ma fin malheureuse :
Espée, soys moy rigoureuse,
Donne tost fin, par grant fureur
A Néron le poure empereur,
Le trist infect et douloureux,
Le malheureux des malheureux .
Le sans oer des mal fortunez,
Je le voldroye bien sçavoir.
Ha nenny, il a Irop d'avoir.
Orra, pensez- vous qu'on le noyé.
Nenny, il a de la monnoye.
Je m'abuse; lelz prisonniers
Escliappent assez, pour deniers :
J'en ay beau parler, et beau dire.
Ce discours de Daru s'adresse aux spectateurs, et
est dit dans un à parte, que nos anciens emploj aient
à la place de nos monologues.
107
ADA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AbA
10$
Le desespoir des forcenez.
Dyables, puisqu'il fault que je meure,
Accourez, ne faictes demeure,
A vous suis, à vous je me donne (// se tué.)
Et le corps et l'ame habandonne
A jamais, pour vostre présent.
sathan, portant famé de Néron en enfer.
Lucifer, terrible serpent,
C'est lame du faulx empereur
Néron etc.
(Icy se faict (empeste en enfer.)
« Marcel vient trouver saint Clément,
j>our lui raconter le martyre des apôtres,
et tout ce qui est arrivé depuis, mais le
saint Père lui dit qu'il a tout appris,
CLÉMENT.
Si nous retirons à l'Eglise,
Rendans grâces, et sans fainctise,
Allons faire nostre Oremus,
Chantans Te Denm laudamus.
(El se doit commencer le Te Deum en Paradis.
ADAM. — Il n'existe qu'un manuscrit d
ce drame du ix* siècle, conservé à la Biblio-
thèque impériale , parmi les manuscrits
grecs, n° 1630, folios 213, 214.
Grabe, en 1724, fut le premier qui fi
connaître VAdam d'Ignace par la publication
d'un fragment (Spïcileg. SS. PP.; Ôxon.,
1724-, t 11, p. 223); M. Boissounade le donna
en entier en 1829 (Anecdota grœca, t. Ier,
p. 436-444) ; M. Dùbner a fourni une édition
nouvelle du texte grec revu sur le manus-
crit unique (Chrislus paliens, Ezechicl, et
Christ, pœtar. Reliquiœ dramaticœ , Paris,
Didot, 18'rô, gr. in-8°), et en a donné, pour
la première fois, une traduction latine.
Le titre porte minatioy itixoi e\i ton
AAAM.
M. Boissoiinade et M. Maguin ont préféré
celui de La chute d'Adam.
O.i trouve, jointe au lure, la rubrique
suivante : llpôç '/ùp yî'/ov <jvpLfopa.ï; ~ s pi- 1 vivra.
nouïxai tô Trovrçj/a
Ei\ 1835, dans son cours professé à la Fa-
culté des lettres, M. Maguin mentionna ce
draine comme le principal monument sub-
sistant du théâtre au ixe siècle. (Cf. Journal
(/en. de ïinst. publiq., 1835, 9 avril, p. 208.)
Quatorze ans plus tard, à propos de la pu-
blication de M. Diibner dans la collection des
classiques grecs de Didot, le même illustre
savant s'arrêta longuement à l'examen do
VAdam. (Journal des Savants, 1849, cahier
d'août
Le grammairien Ignace n'est connu que
par le lémoingnage de Suidas (I'abricii bi-
blioth. grœca, t. 1er, p. 636); il vivait au com-
mencement du ix* siècle. D'abord diacre et
gardien des vases sacrés dans l'Eglise de
Conslantinople, il s'éleva par son mérite à
la dignité de métropolitain de l'Eglise de
ISicée. Outre son drame, il est resté de lui
des ouvrages en prose et en vers que Léo
Allatius avait eu l'intention de publier. \ln
Euslalhii Antioch. Hexameron, p. 284.) i
La rubrique du manuscrit indique les
cinquante-quatre premiers vers comme un
envoi h un ami malade ou tombé dans le
péché, sens ambigu que l'on retrouve dan»
le Christ souffrant et Ezéchiel ; ce sembla
plutôt un prologue.
Au fond, c'est le « premier essai a un
Paradis perdu. » (Journal des Sert?., p. 461.)
Nulle trace d'invention poétique. Exemple
rare, à ce titre très-précieux, de représenta-
tions figurées enOrienlet enOccident à cette
époque. Le style prouve combien, aux vin*
et ix' siècles, la langue était supérieure en
Orient. Un passage semble indiquer l'emploi
de la musique et du prestige des machines.
« La Chute d'Adam était, si je ne me trompe,
ce qu'on aappelé plus tard, en Italie, un ora-
torio. » (P. 463.) On y remarque cette bello
pensée, surtout chrétienne : « il n'y a poii t
de lieu en dehors de la présence de Dieu. »
Quelques expressions, singulièrement re-
cherchées, sont d'une afféterie toute mo-
derne qui constraste avec la simplicité de la
Genèse, (lbid.)
PERSONNAGES.
Dir.n.
ADAM
H R
LE SERPENT.
LE RÉCITATEUR
cor.
DU PROLO-
PBOlOGUE.
Embrassez dans l'esprit tous les maux , tous les
ennuis, toutes les luttes intérieures dont fut autre-
fois cause pour les auteurs du genre humain, auprès
de qui il se glissa, le Serpent, notre ennemi naturel,
orgueilleux de ses triomphes pervers ; et au souvenir
de cette antique malédiction , tombée des premiers
hommes sur toute la nature humaine, ayez la vue
tout entière de votre malheur et de la supériorité
dans la lutte de l'ennemi, vous tous qui pouvez
sombrer sur ces écueils. Car, lorsque le Serpent,
auparavant précipité dans l'abîme à cause de ses
péchés, connut soudain l'essence des choses intelli-
gibles, et vit l'ordre des choses terrestres accompli,
dans une indicible vélocité, par la parole et la vo-
lonté seule; la grandeur de la céleste hiérarchie,
Chérubins, Principes, Séraphins, Trônes, Archanges
et cohortes redoutables des Anges; la terre, le ciel,
et tout l'ensemble des astres ; l'eau et le feu, l'air
et l'élher ; l'étoile du matin emportée dans le char
du jour, et l'étoile du soir, flambeau des nuits ; les
quadrupèdes, Ijs oiseaux, tous les êtres vivants et
tout ce monde issu d'un mot ; quand il vit enfin
l'homme sorti tout entier de la puissance de Dieu,
œuvre de sa main, serviteur des cieux, placé au-
dessus de tous les êtres, maître désigné de l'ensemble
de la création, supérieur à toutes choses par la rai-
son, méritant le respect par son intelligence cl formé
à l'image de Dieu, il fut saisi de fureur et commença
de lui porter des coups, pour le chasser de l'Eden,
où Dieu l'avait mis pour en faire sa demeure , en
habiter les campagnes et jouir des fruits qui en
proviendraient
L'Eden était la plus admirable de toutes les con-
trées orientales, arrosée par quatre fleuves, mère
de toutes les plantes, dont la beauté éclatante fait le
charme et les délices des yeux.
Le séducteur n'osa pas aborder Adam le premiei .
en qui était visible encore la main de Dieu de laquel c
il était sorti, et dont le visage reflétait celui du
créateur ; il s'approcha d'Eve, d'essence plus lourde.
Eve devait pourtant être plus habile, à cause de
l'intimité, contre son mari. La souveraine Sagesse
avait formé la femme d'un peu de la chair de l'hom-
me, prise sur le côté, et l'avait donnée à l'homme
comme aide et compagne de la vie, charme des
nuits et oubli des chasxins.
IJ9
AD A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADO
11$
Dieu , accomplissant l'œuvre qu'il s'était tracée ,
donna à l'homme permission de jouir de tous les
fruits de la terre, hormis d'un seul; il n'y en eut
qu'un d'excepté, et qui ne dût pas être touché. Car,
pour en avoir mangé, l'homme devait être soumis
aux terreurs de la mort. Au contraire, en n'enfrei-
gnant pas la loi de Dieu , la vie était exempte d'an-
goisses.
Un jour, après avoir longtemps médité son dessein,
le Serpent s'approcha, décidéà triompher de l'homme,
et parla ainsi.
le serpent. Femme, le Créateur ne vous a-t-il
pas dit : t ne touchez pas à ce seul arbre ? » Eh
Lien, c'est une défense jalouse; vous deviendriez des
dieux.
Eve. Il nous a dit: « Yous pouvez manger les
fruits de tous les arbres, mais prenez garde aux seuls
fruits de cet arbre, car, sitôt après en avoir goûté,
vous seriez sujets à la mort. >
le serpent. Femme, n'avez pas foi en ces paroles,
car Dieu n'ignorait pas qu'en mangeant les fruits
de cet arbre unique, vos yeux s'ouvriraient et vous
seriez comme des dieux.
ève. Etranger, avez vous visité déjà Adam, mon
époux et mon maître, ou bien ètes-vous venu auprès
de moi, de votre propre mouvement et avec audace?
lgnoriez-vous donc que je suis soumise à Adam ?
le serpent. Femme, si vous le voulez, que pourra
Adam ? A vos prières, à vos paroles, comment refu-
serait-il rien ? Il recevra le fruit tout de suite et le
mangera avec vous.
ève. Eh bien, puisque vous ètez venu vers moi
qui tremblais, et puisque mon savoir-faire a, selon
vous, l'occasion de parfaire l'homme, je vais, et
peut-être Adam consenlira-t-il.
le serpent. N'approchez de votre époux qu'après
avoir vous-même goûté au fruit, bravez la première
le danger, mordez la première : c'est. par ce moyen
qu'il se laissera gagner ; et n'ètes-vous pas femme ?
ève. Etranger de bon conseil, vous m'avez per-
suadée : je romprai ce fruit, et je ferai en sorte que
mon époux en goûte; et peut-être les espérances
que m'a suggérées votre discours se réaliseront
alors.
le serpent. Femme, tenez vos promesses sans
tarder, vous éprouverez à l'instant l'effet des miennes:
le profit n'est jamais aux côtés de la lenteur.
II.
ève. 0 mon mari, voyez la beauté de ce fruit,
faites l'essai de sa saveur délicieuse autant que la
vue le promet, prenez-le, et si vous voulezen manger,
vous deviendrez comme Dieu.
adam. Est-ce un don de Dieu ? est-ce l'offrande
de quelque étranger' Et comment après l'avoir
mangé, ce fait seul me rendra-t-il Dieu ? Y a-t-il
donc quelque Dieu qui use de nourriture ?
ève. Ami, qu'y a-t-il de préférable à la science
de la nature même du bien et du mal dans la vie?
Eh bien, sitôt après avoir mangé de ce fruit, vous
saurez l'un et l'autre.
adam. Mais comment? Sera-ce , pour avoir bravé
les ordres les plus rigoureux du Créateur même?
Insensée, tu es la proie de la futilité de ton esprit !
ève. Ignorez-vous les motifs de ces défenses ex-
presses ? ne les comprenez-vous pas? Je veux amas-
ser sur ma tète toute la faute, objet pour vous de
tant de craintes, et moi seule, chargée de tout le
péché, je vous absoudrai.
adam. Eh bien, j'ai goûté.... Et déjà, ô femme,
je sens dans le fond de mes entrailles la puissance
de votre erreur ; oui ! j'en ai le presser)' i 'lient, la
mort terrible s'est appesantie sur nous...
ève. Le mal me dévore le fla'ic ; voilà l'effet de ce
fi'jil défend.!. Le Serpent infâme s'est jov.é de moi.
adam. Eh quoi? nous sommes nus. Femme, parle :
comment nous couvrir ? parle donc. Je ne vois point
de vêtements
ève. Voici des feuilles de figuier qui sont solides;
voilons-nous-en. Déjà le travail a commencé pour
nous.
adam. Tu connais enfin, mais trop tard, la nature
terrible du péché ; tu éprouves des maux que tu
n'avais pas prévus : sois au moins à la hauteur de ta
faute.
ève. J'ai fait l'épreuve de la ruse ; mon âme s'est
laissée imprudemment entraîner, et c'est par moi, ô
mon époux, que votre cœur a été corrompu; certai-
nement je suis l'auteur même du mal.
adam. O mon épouse, n'entends-tu pas les chants
célestes, précurseurs de Dieu ? Le crime accompli
sera vengé. Combien je tremble !
ève. Le bruit de l'approche de Dieu arrive à mon
oreille. J'ai peur. Comment soutenir sa parole irritée?
Ami , je vais me cacher auprès de toi.
adam. Quel lieu peut m'offrir une retraite impé-
nétrable ? Il n'y a point de lieu hors de Dieu où fuir
et se cacher. Suis-moi pourtant, femme.
III.
dieu. Adam, prince de la création, œuvre et pro-
priété de mes mains , où es-tu allé ? qu'es-tu de-
venu ?
adam. Je vous entends , je vous sais là, mais je
suis nu, et je ne puis venir ainsi à vos yeux. Oui,
j'ai fui tremblant, et l'horreur me cloue en ce lieu.
dieu. O malheureux, malheureux ! ton ame a été
séduite. On l'a donné l'idée d'e ta nudité. Tu as
touché à ce qu'il était défendu de toucher.
adam. Créateur, j'ai eu foi dans la femme que
vous m'avez donnée. Combien ne mit-elle pas de
douceur dans ses paroles? Je me suis approché des
fruits dont il ne m'était pas permis de goûter.
dieu. Séduit par îa femme, convaincu d'oubli de
mes ordres, tu rompras les ronces de la vie, entas-
sint cris sur cris, désespoir sur désespoir. La mort
dominera la nature, et la femme enfantera dans la
douleur. Le visage mouillé de sueur, tu mangeras
ton pain dans le travail et les angoisses , jusqu'à ce
que lu rentres dans celle terre d'où tu fus tiré
ADAM d'Alberstadt (L'). — Parmi les
usages de la fête des Fous, il faul noter celui
très -singulier que signalait M. Magnin
dans son cours professé à la Faculté des
lettres en 1835, et qu'il fit remonter jus-
qu'au x* siècle; cette coutume lui parut
propre à Albersladt, dans la Basse-Saxe. Un
malheureux, qui accepte ces tristes fonc-
tions, et auquel on donne le nom d'Adam,
erre pieds nus, pendant tout le carême; le
jeudi saint, on absout en lui toute la ville.
(Cf. Journ. gén. de Vinsl.publ., 17 mai 1835,
1" semestre, xvn' art., p. 275.)
ADAM ET EVE (Mystère d). — M. Ma-
gnin, dans son cours professé a la Faculté
des lettres, en 1835, a fait mention d'un
mystère d'Adam et Eve représenté à Civitta-
Vecchia en 1304. (Cf. Journ. gén. de Vinstr.
publ.y 12 novembre 1835. 2' semestre, xc ar-
ticle, p. 28.)
ADORATION DFS MAGES. — On trouve
sous ce titre, dans les Voyages liturgiques en
France (Paris, 1718, in-k") de M. de Moléon, la
mention d'un office des Trois-Rois, célébré,
le jour de l'Epiphanie, à Orléans, au viv*
siècle. (Voy. Thois-Rois.)
— VJIérode du manuscrit de Saint-Benoît-
111
ALL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
Ut
sur-Loire, porte en sous-tilre Y Adoration
des Mages. [Voy. Hérode.)
AGAPES. — « Les apôtres avaient cou-
tume de manger ensemble, les riches four-
nissant les vivres, les pauvres étant convo-
qués même les mains vides... C'est ce qu'at-
teste saint Jean Chrysostome (In I Cor. u,
hom. 27, in pinc). --Mais peu à peu l'usage
se restreignit sans effort, les repas ne furent
plus mêlés aux saints offices; ils les suivi-
rent. — Tertullien explique ainsi le nom que
gardèrent ces repas pieux : « Le nom de noire
« cène en indique le caractère; on la nomme
« du grec YAgape, c'est-à-dire l'amour...»
(Apol., c. 39). Du temps de saint Grégoire
de Nazianze, les agapes étaient restreintes
aux naissances, aux funérailles et aux ma-
riages... Sous le Pape Grégoire, l'usage en
était établi aux fêtes de la dédicace des
églises (Registr. 1. i, ep. 14). Le concile de
Laodicée fut le premier à les réglementer; et
l'on en vint à les prohiber dans l'intérieur
des sanctuaires. (Ann. 57, n° 131-145, t. 1",
p. 488-492.)
« Saint Augustin les poursuivit en Afri-
que à la fin du iv" siècle; déjà la cou-
tume en avait été étouffée dans plusieurs
provinces... On reprochait aux agapes de
n'être plus, au lieu d'une communion et
d'une occasion de charité, qu'un sujet de
débauches. » (Ann., 391, t. IV, p. 650, 651;
Cœs. , Baroni us, Soranus, Anna/es ecc/m'asftcî";
Anvers, 1612, in-fol.)
L'usage très-ancien des agapes n'a jamais
été entièrement aboli. Baronius (Ann., 57,
nain. 132) le montre se poursuivant jusqu'à
nous. En Orient, les Pères du concile de
Laodicée y mirent, les premiers, des restric-
tions; en Occident, saint Ambroise. Cette
coutume n'est pas sans affinité avec les rites
des gentils. C'est pour cela que saint Augus-
tin fit tout ce qu'il put pour l'abolir en Afri-
que à la fin du iv' siècle (Epist. 4 ad Ame-
lium.) (Note de Sever. Binius, sur le xxx*
canon du troisième concile de Carthage. —
Labbe , Concil. sacro-sancla , t. II, col.
1183, e.)
Les agapes ont été considérés par les
critiques modernes comme le début d'une
des formules de la fête des Fous; toute la
suite des conciles poursuit les repas dans les
églises. (Cf. M. Magnin, cours professé à la
Faculté des lettres, Journal général de Vins-
truction publique, années 1834-1836. M. Ach.
Jubinal, Myst. inéd. du xv' siècle; Paris,
1837, in-8°, 2 vol., t. 1", préf., p. vu.)
ALLELUIA (V). — V Alléluia est une des
formules de la fêle des Fous.
Il semble qu'il remonte aux plus hautes
origines du catholicisme.
Ainsi le concile de Tolède de 633 le
proscrit.
Au ix* siècle, Héric (lib. i De mir. S.
Germ., c. 10), témoigne qu'on célébrait son
office.
Cet office de Y Alléluia a été retrouvé à
Auxerre par le savant abbé Lebeuf, et pu-
blié dans la dernière édition de Du Cange.
(Du Cange, Gloss. inf. et med. lai. édit.
Henschell; Paris, Didot, 1840,6 vol. in-8*,
t. 1", p. 186, 187, verbo Alléluia.)
Le manuscrit est du xiu' siècle.
Il y a un certain mouvement dramatique;
on dit à Y Alléluia :
Sois avec nous aujoud'hui, encore, Alléluia!
Alléluia !
Et tu partiras demain. Alléluia '
Que tes années se multiplient...
Regagne tes trésors...
Et que le bon ange de Dieu, t'accompagne. Alléluia !
Mais il ne reste pas trace dans cet office
d'Auxerre d'une représentation quelconque.
Ce n'est que bien plus tard, et dans le
Nord, qu'on retrouve les débris d'un rite
figuré.
En effet, au xv' siècle, d'après les statuts
de l'Eglise de Toul (Stat. xv), il est certain
que dans ce diocèse on pratiquait encore
une représentation de l'enterrement de Y Al-
léluia.
« Le dimanche de la Septuagésime, h
none, les enfants de chœur s'assemblent en
costume de fête dans le grand vestiaire, et
là font l'enterrement de Y Alléluia après le
dernier Benedicamus , procession avec la
croix, torches, eau bénite et encensoir. On
porte une motle en guise de corps mort. On
nasse par le chœur, et tous vont poussant
de grands gémissements dans le cloître où
Y Alléluia doit être enseveli; on jette de l'eau
bénite, on encense et l'on revient. »
Le Mercure de France (décembre 1726) ra-
conte aussi que dans un diocèse voisin de
Paris , un enfant de chœur chassait du chœur
une toupie sur laquelle était gravé le mot
Alléluia.
Du Tilliot (Mémoires pour servir à l'his-
toire de la fête des Fous; Lausanne et Ge-
nève, in-4°, 1741, p. 8, 9) donne enfin le
très-curieux renseignement qui suit :
« Dans un ancien manuscrit de l'église
de Sens, on trouve l'office des Fous. VAlle-
luia, qui se disait après Deus in adjutorium,
était coupé par vingt-deux mots ainsi dis-
posés :
Allé resonent omnes ecclesi»
Cum dulci melo symphoniae,
Filium Mariae genetricis piae
Ut nos septiformis gratis?
Repleat donis et gloriae
Unde Deo dicamus luia.
« Après ce magnifique Alléluia suivoit
une seconde annonce de la fête par quatre ou
cinq chantres... Là, ils devaient chanter en
faux-bourdon.
Hsec est elara dies clararum clara dierum,
Haec est festa dies festarum fesla dierum...
c Les diptyques qui renferment ce mémor
rable cahier sont bordés de feuilles d'ar-
gent et garnis de deux planches d'ivoire,
jaunies par la vétusté, où l'on voit des bac-
chanales, la déesse Cérès dans son char, et
Cybèle, la mère des dieux. »
AMIS ET A.M1LLE. - Le mystère d'Amis
n;
AMI
DICTIONNAIRE I ES MYSTERES.
AMI
ili
et d" Amille est tiré du manuscrit de la Bi-
bliothèque impériale, n* 7208. k. B, folio 1
recto, connu sous le titre de Miracles de
Notre-Dame, et datant du xiV siècle.
MM. Mommurqué et Fr. Michel , dans
leur Théâtre français au moyen âge (Paris,
1839, grand in-8°,p 21G-265), en ont publié le
texte pourla première fois, avec une ver-
sion française.
Cette pièce ne contient pas moins de vingt
personnages, dont voici la liste.
PERSONNAGES
am:S
A ILLE.
IL ROT.
LA HOT.VE.
LE MESSAGIER.
GOMBAUT.
BERNART
DIEU.
la FiiLB du roy, appelée l'ange,
hiîias. benri l'escnier.
LE COMTE GR1MAUT. LA DAMOISELLE
vtier, escuier. saint michiel.
LE PAUM1ER. NOSTRE-DAME.
IURDHÉ. SAINT GABRIEL.
LE SERGENT d'aRMKS.
Le titre est conçu en ces termes :
Ici commence un Miracle de Notre-Dame, dWmis
el d'Amiile, lequel Amitié tua ses deux enfants pour
guérir Amis son compagnon , qui était lépreux; et de-
puis Notre-Dame les ressuscita.
SCÈNE PREMIÈRE.
AMIS.
amis. Sire Dieu , père tout-puissant , quel que soit
le but, dit-on, où l'homme tende, il arrive enfin ; et
pourtant il n'en est pas ainsi de moi. En effet, de-
puis sept ans, je ne me suis nulle part arrêté, et en-
core aujourd'hui, je ne m'arrête pas encore. Chaque
jour, de ville en ville, je cherche sans relâche Amille.
Partout j'entends parler de lui; l'on me rapporte
combien il me ressemble de corps , de démarche, de
langage et de maintien. Ah! très-doux Jésus -Christ,
je tiendrais tous mes vœux pour satisfaits si je le
trouvais enfin. Que mon cœur serait content! il
faut le dire; à la vérité, jamais je ne l'ai vu ; mais
parce que j'ouïs dire qu'on ne pourrait choisir entre
nommes, fussent-ils cent mille, deux personnes
comme nous sommes, cet Amille et moi, sous le
rapport de la ressemblance, et qu'on ne sait trouver
de différence entre nous ni en public ni en particu-
lier, en sorte qu'on dit que c'est tout un : pour cela
je lui ai donné mon amour, de manière que je ne
séjourne jamais qu'une seule nuit dans une ville
jusqu'à ce que je l'aie trouvé, s'il plaît à Dieu que je
le voie dans une ville, un sentier, une voie ou un
chemin.
SCÈNE II.
AMIS, UN PÈLERIN.
lf. pèlerin. Sire, donnez, s'il vous plaît, votre au-
mône à un pauvre pèlerin. Que Dieu, qui est assis
là-haut sur le trône , vous soit miséricordieux et
doux! Je viens de loin , et je suis bien las et ha-
rassé.
amis. Mon ami, veuillez me dire d'où vous venez.
LE pèlerin. Sire, tenez, pour vrai que je viens
tout droit du saint sépulcre; j'ai passé ensuite par
bien de mauvais chemins : Dieu le sait, sire.
amis. Pèlerin, lu pourras peut-être me dire, puis-
que tu as été en tant de lieux , quelque chose d'un
homme que je cherche ? 11 se nomme Amille, el me
ressemble, dit-on, de maintien, de corps et de vi-
sage. Si tu sais m'en donner des nouvelles, je te
ferai du bien.
le pèlerin. J'y consens volontiers, sire; et puis-
que vous lo souhaitez, sachez que depuis la terre
d'Asie je ne vis créature humaine qui vous ressem-
blât de figure autant qu'un homme que je vis hier;
car il était , cher sire, de votre taille et de votre air,
ei! sortequeje nepuis croire encore quevousne soyez
pas le même. Si j'ai rencontré juste, dites-le-moi.
amis. Nenni, ma foi! pèlerin, tu ne m'as jamais
vu avant aujourd'hui. Eh Dieu! de quel côté va
maintenant celui que lu dis?
le pèlerin. Sire , il marche sur Paris : je pense
que c'est celui que vous cherchez; en vous hâtant,
vous l'atteindrez certainement.
amis. Je n'ai point d'argent monnayé , ami pèle-
rin ; mais je te donne cet anneau , qui est bel et
bon : quand tu le voudras vendre, lu en auras deux
marcs d'argent au moins.
le pèlerin. Grand merci, sire; puisse vous ai-
mer Celle qui est mère et vierge et dont le lait pur
nourrit Jésus.
amis. Prie pour moi; adieu, ami pèlerin.
le pèlerin. Je m'y oblige, cher sire, désormais.
SCÈNE III.
mille.
amille. Eh Dieu', chercherai-je sans cesse le
maître démon cœur et de mon amour? Amis, que
je n'ai jamais vu de ma vie, et pour qui néanmoins
je n'envie rien au monde? Qu'il m'a causé de peines
et de fatigues, et m'a fait veiller de nuits! Allons,
reposons un peu ici, car je suis vraiment épuisé. Ce-
pendant cet homme que je vois là venir approchera,
et je verrai s'il n'a rien à me dire d'Amis.
SCÈNE IV.
AMILLE, AMIS.
amis. Dieu vous garde de chagrin, sire! Vousêteè,
je crois, très-fatigué. S'il vous plaît, veuillez me dire
où vous allez.
amille. Sire, vous me le demandez si poliment
que je répondrai : sauf votre plaisir, je pense être &
Paris avant la nuit de demain.
amis. Eh! mon cher ami, puis-je vous faire une
autre question, sans me rendre coupable de vous
causer de l'ennui?
amille. Sire, vous êtes si gracieux que vous pou-
vez demander tout ce qu'il vous plaira ; si vous me
commandiez même quelque chose, je le ferais.
amis. Sire, pour l'amour du vrai Dieu! je vou-
drais savoir votre nom; après, dites-moi aussi la
vérité au sujet de votre état.
amille. Sire, écoulez-moi donc tranquillement : je
vous dirai chose vraie comme Evangile. Sachez
qu'Amille est mon nom. "Voici déjà sept ans que je
ne cesse de chercher de côté et d'autre un homme
qui se nomme Amis, et qui ne me cause cette peine
que parce que, m'a-t-on dit mainte fois, sans con-
tredit, il me ressemble en tous points. Dieu veuille,
ne nous puissions nous voir un jour ensemble !
amis. Eh! seigneur, embrassez-moi tout de suite,
puisque vous vous nommez Amille. Et moi aussi,
depuis plus de sept ans entiers, j'ai passé pour vous
pat' mainte ville et maints sentiers escarpés. A celle
heure je vous ai trouvé, Dieu merci ! Je ne veux pas
partir d'ici , que je ne vous aie promis sincèrement
loi et loyauté jusqu'à la mort.
amille. Cher ami , je vous donne la même assu-
rance ; et jusqu'au terme de ma vie, je vous le jure,
je ne vous faillirai pas. Puisque Dieu m'a fait vous
trouver à celle heure , voyons comment nous pour-
rons acquérir de la gloire.
amis. Comment? allons à Paris (aussi bien vous
vous y rendez) pour savoir si nous serons reçus du
roi , qui a une grande guerre. Ça , hàlons-nous d'y
aller, compagnon Amille.
amille. Amis, ecla me plaît bien, par saint Gilles!
Allons maintenant, Iwcau compagnon, allons. - Dieu
115
\\:i
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
1 1G
merci! naiis avons tant marché que nous sommes
sn la ville de Paris , et nous pouvons voir en plein
le roi et ses hommes
amis. Cher compagnon, allons nous présenter à lui
tous les deux en nous tenant par la main; s'il nous
retient, nous ne pouvons qu'y faire profit.
amille. Allons, Amis; vous dites vrai.
SCÈNE V.
LES MÊMES, LE ROI DE FRANCE, SEIGNEURS,
UN SERGENT D'ARMES, UN MESSAGER.
amille. Sire, que Dieu vous donne bonne vie (à
vous) et à toute votre barounie que nous voyons ici !
le roi. Soyez les bien-venus , seignours compa-
gnons. Qu'avez-vous à dire?
mis. Nous venons, t.ès-cher sire, savoir si vous
n'avez pas besoin de nous-; uous sommes gens d'ar-
mes à solde.
le roi. Seigneurs, vîtes-vous jamais deux hommes
se ressembler autant? Par le glorieux roi du ciel ! je
crois que non
hardré. Quanta moi, cela ne m'est certainement
arrivé en aucun pays.
le comte grimaut. Sire , je suis ébahi de ce qu'ils
se ressemblent partout, non pas en une seule chose,
mais en toutes, de visage et de corps , uniformé-
ment. Je suis d'avis que vous les receviez , car cha-
cun d'eux esi bien taillé pour valoir un homme.
un sergent d'armes. Valoir un homme ! par saint
Pierre de Rome! je ne vis gaillards mieux faits, et
sans doute ils sont de fait et de cœur ce qu'ils sem-
blent.
le messager. Sire, qu'on arme aussitôt vos gens;
car en deçà du bois de Saint-Cloud, des ennemis sans
nombre sont en marche pour vous attaquer; ils
comptent surprendre aujourd'hui.
le roi. En avant, beaux seigneurs! Allez-vous-en
sur-le-champ à leur rencontre , et écrasez-les. j'ai
dans Paris plus de dix mille gens d'armes. Messager,
va partout crier à haute voix qu'ils fassent une sortie,
sans retard.
le messager. Très-redouté seigneur, j'y vais sur-
le-champ.
amille. Sire, nous qui depuis si peu de temps
sommes à votre service, nous irons aussi combattre,
s'il vous plaît?
le roi. Oui, allez sans retard; ne le vous dis-je
pas?
amis. C'est tout ce que je cherchais. Amille, allons !
SCÈNE VI.
LE MESSAGER.
le messager. Je veux crier. Aux armes, barons !
ne restez pas cois, grands et petits; sortez de bon
cœur, car le roi vous le mande par moi : les ennemis
courent près d'ici en saccageant le pays. Je m'en
vais jusqu'à Saint-Cloud, vers le bois, voir la ba-
taille.
SCÈNE VII.
LE ROI, SEIGNEURS, LE COMTE GRIMAUT,
HARDRÉ.
le roi. Seigneurs, j'ai dans le cœur un profond
ennui de ne pouvoir ni prendre ni tenir Gombaut
qui me fait cette guerre ; il foule mes li oui nies et
saccage ma terre; voilà ce dont je suis accablé. Si
nous considérions encore comment me tirer de là.
le comte grimaut. Sire, ce Gombaut a bien des
ruses : ainsi , jamais il n'attaque ni ne combat que
par surprise ; il n'y a pas à en douter.
hardré. Et encore sa passion n'est-elle pas assou-
vie ; car il ne songe, sire , qu'à vous nuire de plus en
plus , jusqu'à la lin de ses jours, de même qu'à dé-
truire de tous côtés, s'il peut: ah! qu'il est mau-
vais!
le comte grimalt. Il n'y parviendra jamais; cest
un fou et u:i outre -cuidant. Le roi peut avoir des
chevaliers aussi courageux qu'il est. Oui , assez , je
vous le promets , et qui le mèneront si rude, que,
malgré lui , ils le rendront prisonnier au roi qui
est ici.
le roi. Eh bien, attendons. Je ne me plaindrai plus
qu'à Celui qui peut seul ne lui donner ni le pouvoir
ni la force de me faire du mal.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES, LE MESSAGER.
le messager. Monseigneur , votre gloire s'aug-
mente : vous devez avoir au cœur grand'joie , car
vos gens ont, dans un combat, si maltraité l'ennemi,
qu'il s'est rendu prisonevr et mis à votre merci.
le roi. Est-ce la vérité, messager, que lu me dis?
le messager. Oui , sire, par le Dieu de paraJis,
n'en doutez aucunement : j'ai vu toute l'affaire ; et
Amille et Amis ont l'honneur de la bataille, car ils
ont pris Gombaut et le comte Bernard. 11 n'y a per-
sonne qui ait fait un pareil carnage de gens : c'est
merveille combien ils sont preux. Vous les verrez à
l'instant ; ils viennent, et chacun d'eux tient et amène
son prisonnier.
le roi. Pour cite nouvelle, je vais le faire donner
cent livres tournois. Je ne fus jamais si joyeux de-
puis trois mois comme de savoir que Gombaut est
pris. Par ma tète! je ferai de ceux qui ont pris lui
et ses hommes , des seigneurs puissants.
SCÈNE IX
LES MÊMES, GOMBAUT, BERNARD, AMIS, AMILLE.
gomralt (à A mille et .-lim's). Seigneurs, nous sommes
rendus à vous. Mais je veux vous prier d'une chose,
c'est de ne nous point donner de maîtres; ne nous
mettez pas dans d'autres mains que les vôtres ; et
si vous voulez rançon , je vous donnerai tantôt
sans difficulté soixante mille livres, à la condil;,:n
d'être franc et libre de m'en aller.
Bernard (à Amis). Sire, je vous promets sur Dieu
et sur ma foi de chevalier, qu'en échange d'un sauf-
conduit pour prendre rançon , je ne vous ferai point
entendre sauf : vous aurez la moilié de ma terre.
Faites-le par amitié et promettez-le-nous, avant que
nous n'allions plus avant : vous agirez dans voire
intérêt.
amille. Souffrez que non; nous remplirons notre
devoir. — (Au Roi de France.) Nous sommes , mon
cher seigneur, les deux soldats nouvellement à votre
service , revenus pour vous faire présent, sire , de
ces deux comtes.
amis. Mon cher seigneur , j'ose dire et affirmer (je
ne sais qui m'entend) que ce sont les souverains de
l'armée ennemie.
le comte grimait. Amis, nous connaissons leurs
noms, et qui ils sont et leur importance. Si le roi
m'en croit, vous aurez, pour celle capture , une lé-
compense qui vous mettra haut pour toujours.
le roi. Par ma tète! il en sera ainsi. Je veux qu'ils
me mènent au Louvre eux-mêmes, avec toutes pré-
cautions, leurs prisonniers; et que tout ce qu'ils de-
manderont pour leur nourriture leur soit délivré
sans faute.
amille. Cher sire, il n'en faut plus parler : puis-
que cela vous plaît, cela sera fait: et comme l'entre-
tien a pris fin , pensons à partir.
amis. Sire Bernard, sans plus parler, venez-vous?
ber.nard. A votre commandement , seigneur. (Ils
e mettent en route.)
SCÈNE X.
AMIS, AMILLE, GOMBAUT ET BERNARD.
bernard. Sire Gombaut, la prière ici ne nous vaut
guère; il faut donc s'armer de courage et attendre la
merci de Dieu, puisqu il en est ainsi.
117
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
118
gombaut. C'est vrai. Il n'a pas été long à nous en
voyer clans son Louvre ; et nous y serons , je crois ,
longuement prisonniers ; je n'ai pas l'espoir que nous
ayons jamais délivrance jusqu'à la mort.
df.r.nard. Pourquoi , sire? vous avez tort de dire
cela.
gombaut. Non, vraiment. Voici poxirquoi, sire : la
tour du Louvre est si jurée, que lorsqu'une per-
sonne, quelle qu'elle soit, y est emprisonnée , elle
reçoit la visite de la mort avant que d en sortir ; n'en
doutez nullement.
Bernard. Mais je ne crois pas, en vérité, que l'on
nous y mette.
SCÈNE XI.
LE ROI, HARDRÉ, LE COMTE GRIMAUT.
le roi. Beaux seigneurs, dites-moi, que faire à
l'égard d'Amis et d'Amille? que donner à chacun
d'eux pour faire leur fortune.
h ardre. Sire , si vous me croyez , vous donnerez
s »ns hésiter ma lille Lubias à Amille : c'est un
beau présent , car elle est si belle femme que rjen
n'y manque; elle est de plus dame de Bhye et tient
io comté en légitime héritage : vous le savez.
le comte grimaut. Hardie, par (ma) foi! vous
avez bien dit. — Sire , ne le refusez pas : Amille a
mis lin à la guerre en prenant votre ennemi. Il n'y
a pas un homme de sens qui, jamais, pût vous faire
un reproche.
le roi. Puisqu'il vous semble que c'est bien, n'en
parlons plus; cela sera sitôt son retour vers nous ,
je vous le promets.
SCÈNE XII
AMIS, AMILLE
amille. Amis, cher compagnon, il m'est avis que,
puisque nos prisonniers sont sous clef, nous ne fe-
rons pas mal de tirer vers le roi.
amis. Vous dites vrai, je le veux bien; allons,
Amille.
amillf . Allons , car j'espère bien qu'il ne peut
nous en arriver mal.
SCÈNE XIII
LES MÊMES, LE ROI, GRIFFON LE SAVOYARD,
SERGENT D'ARMES.
amille. Sire roi, Dieu veuille mettre paix en votre
royaume!
Le roi. Il en serait bien temps désormais, Amille;
et puisse ce dessein lui plaire! Peut-être même il
veut que cela soit , car maintenant que je liens mon
plus grand ennemi, je crains bien peu tous les autres.,
Or, si j'ai Gomijaut, c'est par vous, Amille, et je
veux sans délai vous récompenser de votre action
d'éclat, en vous donnant pour épouse Lubias , dont
la renommée s'occupe beaucoup : ainsi vous serez
comte de Blaye, seigneur Amille.
amm.le. Monseigneur, je ne veux pas vous dédire;
mais , s'il vous plait , vous pourriez mieux faire, en
la donnant à mon compagnon ; car par ses hauts
faits, qui frappent les yeux, il en est beaucoup plus
digne que moi.
le roi. Eh bien donc! Amis, avancez. Je vous
donne la belle Lubias : elle est comtesse et vierge ;
qu'en dites-vous
amis. Ce que j'en dirai, mon doux seigneur! Si
cela est agréable à mon compagnon Amille, j'y con-
sens, et je vous en dis mille fois merci.
HARDRÉ. C'est chose convenue...
le comte grimaut, Allons! il fautdécider au mieux
en quel lieu et comment les noces se feront.
le roi. Je vous dirai mon avis sur ce point : Amis
s'en ira à Blaye; Amille et vous, Hardré, vous l'ac-
compagnerez avec vos gens. Je vous enjoins de mettre
de l'activité à terminer la chose, alln que personne
îe puisse ni n'ose en dire que du bien.
hardré. Volontiers, siie, puisque tel est votre
plaisir. — En avant, seigneurs; sans débats, son-
geons à nous mettre en route; et vous, Griffon la
Savoyard, allez devant pour nous frayer la route.
le sergent d'armes. Videz de céans promptement;
il vous faut partir d'ici, s' vous ne voulez gagner de
bons coups de ma masse.
SCÈNE XIV.
LE ROI, LE COMTE GRIMAUT.
le roi. Comte Grimaut , il faudrait être tnut
fait fou pour entreprendre la guerre sans raison.
Gombaut m'a fait le plus de mal qu'il a pu; mais
enfin , il est à ma merci et je le tiens prisonnier, ce
dont je remercie Dieu. Or , qu'en pouirai-je faire?
le ccmte grimaut. Si vous étiez débonnaire en-
vers lui au point de lui pardonner, sire, et de le
laisser s en aller à la condition qu'il vous jurerait
d'observer une paix stable à votre égard , ce serait
une grande courtoisie. Je ne sais si vous êtes, sire,
enclin à ce faire.
le roi. Grimaut, vous me rendez tout ébahi : eh
quoi! le laisser s'en aller vivant! On en rirait bien!
Non, certes, puisque je le tiens prisonnier, jamais il
ne sera relâché : il a trop mal agi , le félon traître !
grimaut. Sire , vous avez cause et juste titre
(d'être courroucé) contre lui, je n'en fais aucun
doute ; mais si vous lui faisiez celte grâce , c'en se-
rait une.
le roi. Vraiment! oui-dà! prenez la prune!
Qu'il vive tant qu'il pourra, il mourra dans ma pri-
son, quoi qu'on en dise.
SCÈNE XV.
LA REINE, LA FILLE DU ROI»
la reine de France. Belle fille , il me preno envie
d'aller vers monseigneur le roi : allons-y, vous et
moi; nous saurons si c'est en effet vrai ce que l'on
m'a dit, savoir qu'il fait noces et mariage.
la fille du roi de France. Chèie mère , j'obéirai
d'un cœur humble à votre volonté : je le dois faire.
SCÈNE XVI
LE ROI, LA REINE, LA FILLE DU ROI, LE COMTE
GRIMAUT»
la reine. Mon très-cher seigneur débonnaire, nous
vous venons toutes les deux voir et vous demander
si c'est vm que vous avez fait un mariage. De qui
est-ce? apprenez-le-moi, s'il vous plait.
le roi. Dame, ce n'est pas chose secrète : Amis
reçoit Lubias pour femme ; et certes il la vaut bien ,
dame, car il est preux, hardi et fort; c'est en partie
par ses efforts qu'ont été pris mes ennemis : pour
cela je l'ai mis en tel état qu'il sera comte.
la reine. C'est bien fait, à mon avis, vous n'en
aurez jamais de honte.
le comte grimaut. Certes, c'est un bon et cour-
tois chevalier; il n'est ni félon ni hargneux, non plus
que son compagnon, qui a beaucoup de mérite.
la fille du roi. Qui est-il , messire Grimaut, que
Dieu vous garde?
le comte grimaut. C'est un homme de si belle
nature qu'il est digne de grands honneurs. Il a
toutes les bonnes qualités : sens, force et loyauté;
il est très-eourageux, et c'est un bel homme.
la fille du roi. Sire, par saint Pierre de Rome!
il n'en est que plus aimable. Ntil ne devrait blâmer
un tel chevalier.
le comte grimaut. Si lui et son compagnon ne
fussent venus ici, par saint Ruffin! la guerre n'eût
pas été terminée comme elle est maintenant.
119
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
HO
SCENE XVII.
LES MÊMES, HARDRÉ, AMILLE
hardré. Mon cher seigneur, que le Roi de gloire
soit bienveillant pour vous et pour nous tous! Nous
avons fait les noces d'Amis; je vous promets , elles
ont été grandes et belles; et, en vérité, il y a eu des
daines, des jeunes filles et des nobles à foison. La
chose va bien, Dieu merci! Il faut aussi pensera
Amille, mon cher seigneur.
le roi. Vous dites vrai, oar saint Riquier! il faut
s'en occuper.
la fille. Messire Grimaut , ce chevalier que je
vois ici, quel est-il? H semble bien, Dieu me garde,
un homme de qualité.
grimai'it. Dame, c'est celui que tantôt je vous
louais tant.
la fille. Sur mon àme! c'était raison, car il est
gracieux et doux. — Mon très-cher seigneur, vous
plaît-il que ce chevalier-ci me tienne compagnie et
vienne avec moi? J'ai un peu à faire dans ma cham-
bre; ne doutez pas que je ne revienne ici sans délai.
le roi. Cela me plaît. Bon voyage, ma jolie fille!
SCÈNE XVIII.
LA FILLE DU ROI, AMILLE.
la fille. Amille, accompagnez-moi, à l'instant.
amille. Dame, volontiers, par ma foi! où vous
voudrez.
la fille. Messire Amille, si vous voulez , vous
pourrez être bientôt un homme d'importance; voici
pourquoi : ayez confiance en moi, vous êtes maître,
s'il vous plaît, de mon cœur et de tout mon amour :
pour vous souvent je ne puis dormir; jour et nuit
•nés pensées sont tellement occupées de vous, qu'il
n'est nul homme, sachez-le, que j'aime autant;
certes, je suis prête à vos vouloirs.
amille. Dame, les grands malheurs échoient bien
souvent au moment où l'on croit avoir grand gain.
Si réellement vous m'aimez tant, c'es'. par gracieuse
bonté, et non pas pour mon mérite..
la fille. Amille, vous devez voir que l'amour
m'a fortement émue, puisqu'il m'a amenée au point
de vous ouvrir entièrement mon cœur; niais, vous
êtes sage, en me refusant courtoisement. Je ne sais
pas si vous me trompez ; mais je pense qu'un jour
viendra où il n'y aura plus en nous qu'un seul vou-
loir.
amille. Je voudrais bien, certes, avoir assez mé-
rite pour sullire à vous servir à votre gré et à mon
honneur.
la fille. Retournons vers monseigneur, bri-
sons-là.
SCÈNE XIX.
HA IV DUE.
hardré* Comment deviner par quel jeu Amille et la
fille du roi, soit en parole soit en action, sont ainsi
apprivoisés? Je les vois venir là joyeux et pleins
d'allégresse, ce dont j'éprouve une grande jalousie;
mais dussé-je en perdre la vie, avant d'aller loin, je
saurai pourquoi ils sont si amis.
SCÈNE XX.
LA FILLE DU ROI, AMILLE, LE ROI.
la fille. Monseigneur, je reviens ici vers vous,
comme je l'ai promis.
le roi. Vous n'avez pas trop demeuré; qu'avez-
vous fait?
la fille. Ah! si vous tenez à savoir ce que j'ai
fait, vous enragerez.
le roi. Belle fille, Vous ne serez jamais contrariée
par moi
la fille, Je vous remercie de ce que vous venez
de dire, mon très-cher seigneur. Puisq-i el est vo-
tre plaisir, je m'assiérai.
amille. Monseigneur, s'il vous plaisait, j irais un
peu jusqu'à mon logis; car, sire, le sommeil ma
rend tout engourdi; Je n'ai point dormi cette nuit; :3
ne sais ce que j'avais.
le roi. Par Dieu ! je le veux bien : allez.
SCÈNE XXI.
LA FILLE DU ROI
la fille. Amour, que vous me tenez au cœur for-
tement! je ne puis me séparer un instant d'Amille.
Tantôt je lui ai voulu abandonner ma personne; mais
il a refusé mon présent. Je sais bien qu'il va repo-
ser; en vérité, je vais me mettre près de lui sur sa
couche.
SCÈNE XXII.
HARDRÉ.
hardré. Eh! où va la fille du roi, ainsi seule, sans
compagnie! Certainement, elle rejoint Amille. C'est
ce que je veux savoir en la suivant de loin de l'œil,
sans qu'elle me voie.
SCÈNE XXIII.
LA FILLE DU ROI, AMILLE, PUIS HARDRE.
la fille. Amille, qu'Amour me donne joie par
vous comme mon cœur le désire! Comment vous
portez-vous, cher sire et cher ami?
amille. Ah, dame! qui vous a conduite ici? Vous
me déshonorez. Pour Dieu ! allez-vous-en sans re-
tard.
la fille. Non, non, je ne puis, car je ne suis sans
peines et sans ennui que seule avec vous, sire.
hardré (survenant). Amille, vous pouvez bien dire
que vous avez pris pour récompense de vos hauts
faits, le trésor le plus précieux qu'ait le roi, en pre-
nant, ce qui est clair, sa fille pour maîtresse; je vois
assez ce qu'il en est; mais, par la foi que je dois à
Dieu! le roi mon seigneur le saura, de sorte qu'il
verra votre loyauté à ce trait.
amille. Sire Hardré, pour Dieu, grâce! Veuillez
n'en pas parler, et je m'offre à faire tout ce que vous
direz.
hardré. Vous n'en serez pas quitte pour cela.
Maintenant je m'en irai auprès du roi, et, que Dieu
ait mon àme! je lui conterai la chose. (Il sort.)
amille. Dame, je suis bien trahi pour vous. A
celte heure, que faire ? Hardré sachant tout, je me
tiens pour mort.
la fille. Sire, rassurez-vous; vous êtes un che-
valier hardi et preux et chacun sait que Hardré ne
l'est pas : s'il vous accuse, prenez contre lui champ
de bataille, cl qu'ensuite il en soit entre vous deux
ce qu'il en pourra être. Je liens que Dieu vous ai-
dera certainement.
amille. Dame je l'en prie sincèrement : j'en ai
besoin.
la fille. Il fait venir à bonne fin les entreprises
qu'on lui recommande. Sire, sur ce, je m'en vais.
amille. Dame, que Dieu garde vous et moi do
chagrin et de douleur !
SCÈNE XXIV
HARDRÉ, LE ROI, LA REINE, GRIFFON LE
SAVOYARD.
hardré. Entendez, sire roi de France, et vous,
dame qui êtes mère : je vous apporte une amère"
nouvelle. Votre fille a perdu son honneur, car je
l'ai surprise avec Amille...
la reine. Ah, sainte Marie, miséricorde! Hardré,
il n'est pas possible que ma fille soit tombée dans
un pareil déshonneur.
le roi. Viens ici, Griffon; sans retard, va auprès
d'Amille, el dis-lui que je le demande ici, va promp-
tement.
i21
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
\n
le sercent d'armes. Cher sire, je vais vous le
chercher.
SCENE XXV
GRIFFON, AM1LLE.
i.e sergent d'armes. Sire, que bon jour vous soit don-
je! Venez vers monseigneur le roi qui tous demande.
amille. Ami GrilTon, puisqu'il me mande, allons!
je suis tout prêt d'y aller.
SCÈNE XXVI.
LE ROI, AMILLE, HARDRÉ, GRIMAUT, LA REINE,
LA FILLE DU ROI.
amille. Sire, que Dieu, de qui nait tout bien, vous
grandisse en honneur!
le roi. Il ne me vient que déshonneur par vous,
Amille; alors que demandez-vous donc à Dieu?
Dites-moi toute la vérilé sans retard : avez-vous vu
ma fille?.. En est-il ainsi?
amille. Malheur à qui a dit cela! Sire, on a menti.
S'il plait à Dieu, jamais je ne serai pris en telle faute.
HARDRÉ. Comment! ne vous ai-je pas pris tous
deux ensemble?
amille. Parlez mieux, s'il vous plaît, Hardré;
jamais chose semblable ne sera prouvée. Une telle
invention n'est pas la preuve d'un grand dévoue-
ment comme vassal de votre roi.
hardré. Sire, sire, voici mon gage; je demande
champ de bataille contre lui, vaille que vaille; mais
si je ie tiens en champ clos, je lui ferai confesser
de tous points sa méchanceté.
amille. Sire Hardré, dans vos actions il n'y a
que haine et querelles. S'il plaît à Dieu, je me dé-
pendrai bien contre vous, sire.
le roi. Ecoutez tous deux. Hardré, il me faut
des otages; autrement le gage ne se peut bien
soutenir,
hardré. Sire, j'en ferai assez venir. — Sire Gri-
maut, vous plairait-il d'être ma caution? Allons!
dites oui, je vous en prie.
grimalt. Monseigneur, si vous me voulez pren-
dre, je consens à être otage pour Hardré, avec ceux
qu'il fera venir sur-le-champ.
le roi. Il peut s'en dispenser; j'en ai assez, puis-
que je vous ai. — Amille, il vous faut sans délai
donner des otages.
amille. Sire, je suis un chevalier né en pays
étranger : ici jenai aucun ami; mais si vous m'en
donniez la permission, à l'heure même je me met-
trais en route pour aller en chercher.
iivrdré. Mon cher seigneur, s'il peut; il esqui-
vera le combat, et certainement, s'il a une permis-
sion, il s'enfuira.
le roi. Je n'ai pas songé à la lui donner. — ■
Amille, sachez qu'avant que de partir d'ici, il vous
faut des olages.
amille. Sire, vous ordonnez que les gages soient
fournis sans délai; mais tout étranger et tout dé-
concerté que je suis de n'avoir aucun ami mainte-
nant que j'en ai besoin, peut-être Dieu, qui sait et
voit tout, m'enverrait il bientôt son secours et son
conseil.
la reine. Mon cher seigneur, je souhaite par-
ler. Puisque Amille n'a ici aucune parenté, ma fille
et moi nous nous offrons à être ses otages; re-
cevez-nous donc comme tels, vous ne devez pas
nous refuser. Par ma foi! mon cœur ressent de la
pitié de le voir ailisi seul, sans amis
le roi. Dame, pour Dieu, le roi du ciel! je vous
recevrai bien pour Otage; mais je vous avertis que,
si Hardré peut avoir le dessus, je vous ferai brûler
et mettre en ce»;ure.
L) reine. Sire, Dieu nous veuille défendre de telle
mort!
amille. Mes très-chères et nobles dames, je vous
remercie plus «3e mille fois de l'honneur que vous
me faites ici; et puisque vous faites tant pour moi,
»e vous demande encore de me permettre d'aller vers
mon compagnon Amis, pour l'amener ici comme
mon conseiller.
la reine. Amille, ce n'est pas ma volonté; vous
ne partirez pas d'avec nous que vous n'ayez com-
battu* Je crois, Jésus m'assiste! que vous n'êtes que
couardise et que vous vouiez fuir.
amille. Non , non ; mieux vaut la mort dans la
lice que la fuite ; je le dis, dame, n'en doutez pas.
la fille. Ma chéie dame, écoutez-moi : s'il vous
plaît, vous lui permettrez de partir, pourvu qu'il
vous jure d'être ici le jour du champ-clos et de se
présenter au combat ; car, dans une affaire de celte
nature, il ne faut consulter que la prudence et le bon
sens.
la reine. Fille, je vous cède. — Amille, allons !
levez la main : vous jurez au Dieu tout-puissant,
par ses saintes actions et par ses paroles, par votre
part de paradis, que, sans faute, vous serez ici le
jour où vous devez combattre
amille. Ma chère dame, je le jure en vérité, ce
congé m'est indispensable , et puisse Dieu me tenir
en santé et garder d'empêchement !
la reine. Maintenant allez-y donc sans tarder,
car il m'agrée ainsi.
amille. Ma très-chère et honorée dame, j'y vais
tout droit.
SCÈNE XXVII.
AMILLE, YTIER.
amille. Ylier, plût à Dieu maintenant que je ne
couchasse d'aujourd'hui dans une ville, et que je
tinsse ici mon cher compagnon Amis !
ytier, écuyer. Sire, je crois que, s'il eût su que
vous l'alliez voir, il fût venu à votre rencontre en
toute hâte.
amille. Eh, mère au vrai Dieu qui ne ment pas !
combien j'aurai de la joie au cœur quand je verrai
mon cher compagnon ! la peine me touche peu
pourvu que Dieu fasse qu'il ne soit pas parti. Eh,
regarde ! il m'est avis, par le corps de saint Gilles !
que je le vois venir. Certainement c'est lui. Sans
doute, il a su mes aventures et ma détresse. Je cours
à lui
SCÈNE XXVIII.
AMILLE, AMIS, YVIKR
amille. Cher compagnon, loyal, éprouvé, s^f?.
le bien-venu. Comment se porte votre dame? est-elle
en bonne santé ? Diles-mui la vérité, quel affaire
vous mène ? où allez-vous ?
amis. Amille, mon cher et doux ami , je me
rendais auprès de vous, tout épouvanté d'un songe
que je lis avant- hier, et dont je suis encore dans le
plus grand émoi. Dans ce songe, il m'a semblé qu'un
lion vous avait fendu le coté ; le sang en sortait en
tel] ; abondance que vous en étiez tout couvert du
haut en bas; et puis ce lion est devenu un homme
que l'on appelait Hardré, comme il me sembla ; sur-
le-champ je suis accouru pour vous tirer de ce
mauvais pas, et j'ai coupé la tète à votre ennemi.
J'ai tout dit.
amille. Cher compagnon , et moi aussi j'allais
auprès de vous; voici pourquoi, mon doux ami.
L'autre jour, la fille du roi s'en vint à moi et me
fit présent de sa personne et de son amour.... je
refusai... Elle ne se tint pas toutefois tranquille. . Or,
Hardré a tout conté au roi... J'ai nié, mais mon en-
nemi s'est fait fort de le prouver, et il y a gage de ba-
taille. Cher ami, que la chose aille comme elle voudra:
mais jamais je ne retournerai à la cour, car j ai
tort ; et pour être bref, je crains, si je livre bataille
étant dans mon tort, de tomber du haut en bas avec
grande ignominie.
amis. Et qui cs,t pour vous otage? n'y a-t-il per-
sonne ?
îr
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
A AU
iU
amille. J'ai la reine ma aanie, et sa tille ; et sachez
en vérité que je n'ai pu avoir d'autres cautions ;
encore, cher ami, le firent-elles par pitié, voyant
que, malgré toutes les prières et les supplications,
personne ne me voulait cautionner alors auprès du
roi
amis. Ytier, je me fie à toi : tu vas aller avec
Amille te loger secrètement dans quelque ville ; et
je te défends, sur l'amitié que tu me portes et sur
le serment que tu m'as fait, de rien divulguer à per-
sonne.
ytier. Personne ne saura rien, je vous l'assure,
mon cher seigneur
amis. Cher compagnon, sans plus long discours,
veuillez m 'embrasser, et puis allez vous reposer ;
c'est moi qui pour vous soutiendrai le gage. 11 n'est
personne, quelque fin qu'il soit, qui puisse distin-
guer entre vous et moi.
amii.le. Grand merci, très-cher et doux ami!
Adku ; que la sainte Trinité bénévolement vous
veuille garder de mal !
amis. Et vous aussi loyal compagnon ! Adieu; je
m'en vais sans plus attendre. Je sais bien où je dois
prendre vos armes et votre destrier.
SCÈNE XXIX.
LE ROI, LA REINE, HARDRÉ.
hardré. Sire, ne vous disais-je pas l'autre jour,
au sujet d'Amille, il m'en souvient très-bien, que
son défi tomberait à néant ? Nous voici au jour du
combat à outrance entre nous deux. Moi, me voici
tout prêt ; mais je tiens que lui s'est enfui , car
depuis trois semaines on ne l'a vu ni parmi les nobles
ni parmi les villains, je vous le fais savoir ; et
puisqu'il en est ainsi, je demande justice de son
otage.
la reine. Hardré, vous avez garde, autant que
possible, qu'aucune parole de bien sorte jamais de
votre bouche. Personne ne vient encore sans doute,
mais attendez.
hardré. Je crois qu'on n'est pas près de l'avoir,
par le Roi très-haut ! la journée est avancée ; il est
déjà plus que prime. Certes , vous avez fait une
grande folie en vous portant pour sa caution, et je
redoute que vous ne subissiez le dernier supplice.
Car, dame, ainsi seulement l'on fera raison, et l'on
soutiendra bonne justice ?
le roi. Hardré, je ne suis assez faible pour ne
pas maintenir le droit et suivant le fait, je déciderai.
SCÈNE XXX
Là REINE, LA FILLE DU ROI, AMIS (pOUT
Amille).
mus. Que le roi d'en-haut, mes nobles dames,
vous veuille combler d'honneur et de joie, et tou-
jours de bien en mieux !
la reine. Amille, soyez le bienvenu. Certes, j'ai
ressenti une grande crainte que l'on ne vous revit
plus ici ; Hardré le disait, et prenait de là occasion
de me menacer très-méchamment de la mort.
la fille du roi. Oui , mon cher ami , il nous a
épouvantées au point de nous faire pleurer, le traître!
amis. Dame, aujourd'hui je vais le mettre à telle
extrémité que je lui abattrai la forfanterie du coup.
-a reine. Cher ami, nous demeurons trou: allons-
nous-en au roi, sans retard.
SCÈNE XXXI.
LES MÊMES, LE ROI, HARDRÉ, LE COMTE
GRIMAUT.
la reine. Mon cher seigneur, je vous présente
Amille prêt à combattre Hardré, et à lui contester
ce qu'il a dit.
hardré. Sire, qu'il n'y ait plus de débats : je suis
tout prêt, je vais monter à cheval. J'ai le droit pour
moi et ne crains rien.
amis. Monseigneur , qu'il vous plaï&e de me don-
ner aussi la permission d'aller chercher mon cheval.
Je reviens bon train, prêt à combattre.
ie roi. Allez ; je ne veux pas l'empêcher, ce ne
serait pas juste.
le comte crimaut. Sire, comment pourrait- il y
avoir ici trahison du côte d'Amille ? Oserait-il sô
présenter dans la lice, s'il pensait avoir tort ? Certes,
on sait qu'Hardré est volontiers querelleur, et que
le plus souvent il n'est pas honteux pour mentir.
le roi. Grimant, que la sainte Foi m'aide ! je ne
sa s, mais une fois dans la lice, ils n'en sortiront
pas sans combattre, soyez-en sûr, ni sans que l'un
d'eux soit déconfit. Quant au vaincu, il sera pendu,
je vous promets : que nul n'en doute.
hardré. Mon cher seigneur, je suis tout prêt à
faire mon devoir ; je requiers jugement contre ma
partie, puisqu'elle n'est pas ici, et dis que veus devez
juger pour moi.
le roi. Non, car je vois venir Amille pour se
détendre.
amis. Mon cher seigneur, veuillez m'entendre :
Voici Hardré ; s'il veut dire quoi que ce soit contre
moi, je suis tout prêt, sire, à liv er combat.
le roi. Allons, paix ! il ne faut plus disputer sur
ce sujet. Pour cause vous avez affaire à lui. —
Hardré, Hardré, levez la main : vous prenez à témoin
Dieu qui vous ciéa, et recréa par sa mort; vous
jurez par le baptême que vous avez reçu , et par lo
saint chrême que vous eûtes quand on vous fit
chrétien, que vous avez vu de fait Amille, qui est
ici, avec ma fille. En est-il ainsi ?
hardré. Oui, par les reliques des saints, qui sont
ici et dans tout le monde !
amis. Sire roi, que Dieu me confonde si jamais
votre charmante hile de son corps loucha le mien.
le roi. Allons, en avant! je veux que sans délai
vous descendiez à pied tous deux, et que vous com-
battiez, quelque joie ou quelque peine que puisse
causer à quiconque voire rencontre.
hardré. Parjure félon, avant que j'engage la La-
taille avec toi, je le conseille de te rendre à moi et
de demander grâce et pardon : tu feras bien.
amis. Traître, je n'en ferai rien. Tu m'as délié,
défends-toi, car premièrement tu auras de moi ce
coup
hardré. En vérité , il te sera rendu aussitôt.
Tiens , dis-moi si ce coup aussi est bon ou
mauvais.
amis. Certes, traître déloyal, lu m'as fortement
frappé sur mon écu ; mais tu seras enfin vaincu
dans celte bataille. Tiens cela , et dis-moi vrai,
qu'est-ce? cela te va-t-il?
hardré. Voici long-temps que je n'ai été ainsi
servi , par saint Gilles! mais vous allez parler,
Amille, d'une autre manière.
amis. J'en finirai bientôt ce combat : tu ne
m'échapperas pas, félon hypocrite. Tiens, c'est fait :
je le vois tomber, mon affaire s'avance. Je te veux
monter sur la panse pour te tuer.
le roi. Un moment. Amille, beau sire, sachez
auparavant s'il ne dira rien ouVil vous criera merci
d'amitié franche.
amis. Traître, avant que ta vie se termine, rends-
loi confus, crie merci, ou lu mourras ici honteuse-
ment, je te promets.
le roi. Que dit-il?
amis. Rien, il ne se défend pas non plus.
le roi. Passez outre, car je ne mets nul empê-
chement à sa mort.
amis. Hardré, puisque je suis maître de toi, je
t'ôlerai ce heaume-ci et te couperai la tête. — Eh,
gare ! non pas ! car je vois qu'il est mort. — Mon-
seigneur le roi, je n'ai plus à combattre ; je vous
rends Hardré mort : l'affaire est conclue.
le roi. Amille, je vous tiens pour chevalier loyal
et preux : c'est raison. — Griffon, a a sans f arrêter
4*5
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
126
jti roi des Ribauds, el dis-lui de nia part que lui et
ses gens prennent Hardie en ce lieu, et le mènent
au gibet; là, qu'il soit pendu
le sergent d'armes. Monseigneur, puissé-j* être
re:idu à Dieu ! je vais volontiers le quérir et lui
porter votre ordre.
amis. Dieu merci! a cette heure vous êtes, mes-
dames , quittes du supplice ; pour moi c'eût été
vraiment dommage, s'il en eut été ainsi.
la reine. Vous dites vrai ; je rends grâces à Dieu
de ce qui s'est passé. Jamais rien ne me fit plus de
Ceine que les menaces qu'il me fit; elles m'ont tiré
ien des larmes. Que Dieu lui pardonne!
la. fille Regardez, regardez! le voilà bien; n'en
parlons plus
amis. Sire, pour acquitter ma foi, s'il vous plaît,
vous me donnerez congé; et vous, mesdames, vous
ferez de même; car quand je laissai mon compa-
gnon, je lui promis, sur ma foi, que, sitôt le com-
bat terminé je m'en irais vers lui sans retard.
grimaut. Cher sire, réfléchissez Amille n'a reçu
de vous aucun bienfait; s'il s'en va ainsi, c'est qu'il
n'a pas envie de vous revoir jamais : prenez-y
garde.
le roi. Par ma foi! c'est à quoi je pensais. Gri-
maut, et vous avez raison. — Amille, je veux vous
donner ma fille en récompense de vos hauts faits,
et vous serez comte de Riviers. Qu'en dites-vous,
mo:i cher ami, et vous ma compagne?
la reine. Mon cher seigneur , qu'il soit fait
comme vous dites; nul ne vous ea fera raisonna-
blement de reproche, car il e&t chevalier preux et
d'élite.
nRUtxUT. Dame, c'est vrai et bien connu; car il
est l'auteur d'une foule d'exploits, et il a toujours
vécu sans médire et sans méfaire.
amis. Cela vous plaît à dire, et c'est, sire, bonté
de votre part; mais, mon doux seigneur, je ne puis
revenir sur ce que j'ai dit. Il faut qu'avant tout
j'aille chercher mo;i compagnon ; il saura le résultat
du combat et le grand honneur que vous m'offrez.
Sire, agréez ceci et souffrez qu'il en soit ainsi.
le roi. Non, non. Avant que de partir, Amille,
vous la fiancerez; et puis après vous irez chercher
votre compagnon tout à loisir.
grimaut. Amille , faites son plaisir sans le con-
tredire.
amis. Allons! de par Dieu, notre sire! que ce soit
tout de suite.
le roi. Allons! ma fille voici mes intentions:
vous aurez Amille pour mari; je ne puis lui faire
plus d'honneur. Ça, votre main ! et vous, la vôtre!
Vous jurez par lé Pater Nosler et par la foi que
vous devez à Dieu, que vous prendrez pour fe-inme
ma fille que vous voyez ici?
amis. Sire, je vous jure par mon âme que je le
ftrai sitôt que je serai revenu d'auprès de mon
ami, que j'irai chercher; mais permettez-moi d'y
aller.
le roi. Je vois bien que vous ne serez pas con-
tent que vous ne l'ayez : allez le chercher et ne
restez pas longtemps.
amis. Nenni, monseigneur, en vérité; n'en douiez
pas.
SCÈNE XXXII.
AMILI.E, ÏTIER.
amille. Ami, Ylier, je suis dans une très-grande
inquiétude au sujet d'Amis mon compagnon, llardré
est félon et traître; comme lui sont la plupart de
ses parents; tout cela augmente mon anxiété. Ap-
prochons un peu de Paris, je t'en prie, et deman-
dons des nouvelles d'Amis à ceux que nous verrons
venir de ce côté.
ytier. Vous dites bien, Dieu me garde! sire, et
vous parlez loyalement en ami. Allez devant : je vous
suivrai.
SCÈNE XXXIII.
DIEU, GABRIEL.
dieu. Gabriel, va-t'en sans délai au comte Amis,
que je vois aller là, et dis-lui qu'il sera lépreux pour
avoir menti sa foi, et que je veux qu'il fasse péni-
tence de ce péché.
l'ange. Sire, je saurai bien exécuter vos ordres
aussitôt que je l'aurai atteint.
SCÈNE XXXIV.
L'ANGE GABRIEL, AMIS
l'ange Gabriel. Amis, Amis, sache en vérité que,
à cause du serment que tu as fait et que lu ne peux
tenir.sans violer la loi, d'épouser la fille du roi que
Dieule mande qu'avanl peu tu seras lépreux. Jo
n'ai plus rien à dire, et je m'en vais.
amis. Ah! Dieu qui êtes assis si haut et voyez si
loin, comme votre bonté est pa; faite! Sire, si j'ai
péché, c'est faute de savoir; aussi je vous demande
grâce; et toutefois je ne cherche pas tellement l'ac-
complissement de mon désir que je n'aime mieux
que votre volonté soit faite tout d'abord, Père des
cieux.
SCÈNE XXXV.
AMILLE, AMIS, YTIER.
amille. Ylier, Ylier, de mes yeux je vois venir
mon compagnon, ton maître, je vais à sa rencontre.
— Très-cher ami, loyal compagnon, embrassez-moi
de vos deux mains, et me dites sans tarder com-
ment la chose s'est passée, je vous en prie.
amis. Cher compagnon, quand je m'offris pour
vous, Hardré était devant le roi ; il demandait défaut
contre vous, et disait que l'heure du rendez-vous
était passée; néanmoins nous avons été en champ-
clos, et je l'ai tué , en vérité : par là j'ai tant plu
aux barons qu'ils ont amené le roi à me faire jurer
sur ma foi que j'épouserais sa fille. Ainsi , cher
compagnon, vous irez et vous l'épouserez. Cepen-
dant je m'en retournerai à Blaye. Mais d'abord
convenons d'un fait. Voici deux hanaps tout pireils
que j'ai fait faire pour nous deux : vous garderez
celui-ci pour l'amour de moi toute votre vie; et moi
je conserverai celui-là , afin que s'il arrivait que
l'un eût besoin de l'autre ou qu'il se transportât
si loin que nous ne nous vissions de longtemps,
nous puissions nous reconnaître, ô mon ami!
amille. Certes, Amis, vous avez agi comme un
ami loyal.
amis. J'ai toujours fait el ferai encore mes efforts
pour agir ainsi, Amille. Allons! il vous faut aller a
la bonne ville de Paris, et moi à Blaye : ce n'est
rien , séparons-nous.
amille. Adieu, loyal et cher compagnon. Celte
séparation ne peut s'effectuer sans des pleurs. —
Adieu, Ytier ; garde ton maître. — C'est fait. Re-
tournons à la cour
SCÈNE XXXVI.
AMILLE, LE ROI, LA REINE, LE COMTE GRIMAUT.
amille. Mon cher seigneur, que Dieu vous main-
tienne, ainsi que madame et la compagnie, en santé
et en longue vie, s'il lui plait!
le roi. Amille, soyez le bienvenu. Vous ètes-vous
ien porté? Que fait Amis? ne viendra-t-il point
ici?
amille. Nenni, sire, car il a trop d'affaires pour
s'éloigner sans se causer du tort et du dommage.
la reine. Sire, pensons, et cela bientôt, comment
nos noces se feront; en quel endroit? ici ou
ailleurs?
le comte grimaut. Ici les dépenses seront plus
onéreuses aux chevaliers qui y viendront, qu'elles
ne seront en une autre ville : c'est mon avis
le roi. Voici ce que nous ferons, si vous m'en
127
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
128
croyez : nous irons tous ensemble à Riviers, et nous
y ferons les noces. Je donnerai à Amille la saisine
île la ville et du comté; de plus j'ai la volonté de
vous donner dès à présent cet hôtel, Amille, sans
hésiter; en sorte que, lorsque de près ou de loin
vous viendrez à Paris, vons ayez un lieu où vous
puissiez loger sans embarras.
amille. Mon cher seigneur , je vous remercie
mille fois.
le roi. Allons, mettons-nous en chemin avantqu'il
soit plus tard.
grimaut. Allons, sire, que Dieu y ait part! —
Amille, mettez-vous à la droite de ma dame ; quant
à moi, je me tiendrai à la droite de votre femme, et
monseigneur ouvrira la marche. — Griffon, vous qui
êtes massier, faites-nous faire place.
le sergent d'armes. Allons, allons ! ou parle nom
divin, vous aurez de cette masse-ci. Faites large et
grande voie au roi mon seigneur!
SCÈNE XXXVII.
AMIS, YTIER.
amis. Eh, Dieu! qu'il vous plaise que je voie bien-
tôt la (in de mes jours; car la vie n'est pour moi
que peine et chagrin dans ce monde! Ah! je me
rappelle ce que j'ai été au temps passé, et à cette
heure, je n'ai membre dont je puisse me servir :
m .s pieds ne peuvent me porter, ma vue est trouble,
et mes bras et mes mains sont avilis de l'horreur de
la lèpre. Hélas ! j'ai le corps si malade qu'à peine
puis-je dire un mot ! Ah ! sire Dieu, je ne vous de-
mande que la mort.
YTiER. Par ma foi ! sire, vous avez tort de souhai-
ter ainsi votre fin ; songez que Dieu de là-haut,
quand il vous afflige ainsi, se montre votre ami
dévoué, et faites trêve à vos plaintes, mon cher
seigneur.
amis. Et comment, Ytier , ne pas me plaindre9 c'en
serait trop par ma foi! ne le comprends-tu pas? Puis-
je oublier la cruauté et la grande déloyauté de Lubias
ta dame, qui, si elle eût été ma fidèle épouse et telle
qu'il convenait, ne m'eût pas contraint à mendier par
le pays?... N'est-ce pas étrange qu'elle ait été la pre-
mière à faire savoir mon mal à tout le monde :
ce qui m'a forcé d'aller demeurer loin des hommes
et de la ville, dans une maison déserte et misérable,
où elle m'a laissé mourir de faim? et encore elle a
tant machiné qu'il m'a fallu partir comme un pauvre
étranger. Tu sais donc que la fortune m'est si con-
traire et si mauvaise, que j'ai été vilainement dé-
pouillé par mes propres, frères. Le comble de ma
douleur est que même ils n'ont pas daigné me re-
connaître, aussi j'ai la rage dans le cœur, puis-
que ma femme m'a chassé 'de mon comté, puis-
que mes frères m'ont renié ; repoussé par ceux
qui so.'it miens, honni par le mon le, je prie Dieu
que sans retard il lui plaise de m'envoyer la
mort. Ah ! qui me regarde sans avoir le cœur gonflé
d'horreur! Ma douleur ne peut s'exprimer, et les
maux que je souffre maintenant sont sans pa-
reils.
ytier. Sire, sire, je vous conseille d'aller jusqu'à
la bonne ville de Paris pour savoir si Amille votre
bon ami y sera ; j'espère qu'il vous fera grand bien,
si nous le trouvons.
amis. Hélas! je suis si faible que je puis à peine
parler ; et puis-je marcher? et je sais bien que si je
pouvais arriver auprès de lui, je ne manquerais d'au-
cune chose à mon désir.
ytier. Allons-y donc, sire; je vous y conduirai bien
et vous y mènerai volontiers, même à aussi petites
journées qu'il vous plaira. A présent dites-moi si
nous irons.
amis. Oui vraiment, nous ferons ce voyage, quel-
que peine qu'il doive nous causer. Allons! pensons
à nous mettre en marche. De loi je ferai mon
soutien pour avoir moins de fatigue : cela te Dlai-
ra-t-il? r
ytier. En marche, de par Dieu ! oui , allons par
ici.
SCÈNE XXXVIII.
AMILLE, Là FILLE DU ROI, HENRI l'ÉCUYER r
UHE SUIVANTE, ENFANTS D'AMILLE.
amille. Dame, dame, nous approchons de la bonne
cité de Paris; en vérité je vois l'hôtel que votre père
nous donna avant de nous emmener à Riviers pour
nos noces.
la fille. Que Dieu soit loué de ce que je me vois
si près de Paris ! sachez que j'en avais grand désir
au cœur.
amille. Voici notre logement. Dame, entrez dedans
sous de bons auspices : nous sommes désormais
par ailement sûrs. — Allons, demoiselle, avancez et
amenez ces deux enfants; venez aussi, Henri.
henri l'écuyer. Sire, je ferai sans délai votre
volonté.
la demoiselle. Je veux asseoir ces deux enfants
sur ce lit.
amIlle. Dame, asseyons-nous ici un peu ; ei vous,
Henri, sans tarder, allez nous chercher à manger
tout de suite.
henri. Sire, je ne vous contredirai pas : j'y vais
^ur l'heure.
SCÈNE XXXIX.
DIEU, SAINT MICHEL.
dieu. Michel, lève-toi sans tarder ; va savoir sur-
le- champ d'Amis s'il veut encore vivre dans ce
monde. S'il dit oui, avertis-le de faire savoir se-
crètement à son cher compagnon, quand il l'aura
trouvé et qu'il verra l'instant favorable, que s'il
avait le sang de ses deux fils et s'en lavait le corps,
il serait guéri.
michel. Vrai Dieu, je vais exécuter en tout point
ce que vous me commandez.
SCÈNE XL.
AMIS, YTIER, PAYSANS, PUIS SAINT MICHEL.
amis. Ami Ytier, j'ai très grand'faim et je voudrais
bien m'asseoir. En attendant, vas, s'il te plaît, prier
ces bonnes gens de m'envoyer un peu de ce qu'ils
ont ; tu seras mon cher ami et lu feras une bonne
action, en vérité.
ytier. Restez assis, je vous en irai tantôt cher-
cher. — Donnes gens, je viens vous demander, pour
l'amour de Dieu, un peu de votre pain pour celé-
preux-là, car il a bien faim.
michel à Amis. Amis, as-tu encore au cœur le
désir de vivre dans ce monde?
amis. S'il plaisait à Dieu en qui tout bien abonde
et si c'était son vouloir que je revinsse en santé,
je désirerais encore vivre; mais je le prie qu'il me
délivre et m'ôte de ce monde, si je ne dois pas re-
couvrer la santé du corps.
michel. Maintenant je te fais savoir ceci de sa
part, moi, son messager (retiens bien mes paroles,
tu agiras sagement) : quand tu auras trouvé Amille
elle tiendras en particulier, dis-lui que, s'il veut te
guérir, il te faut avoir, sans hésitation de sa part, le
sang de ses deux fils. Ce n'est que par ce sanf
tout entière radicalement en-
quitte et m'en retourne aux
que ta chair sera
fin rénovée. Je te
deux.
amis. Ah, doux esprit ! comme ta voix m'a con-
solé! elle m'a donné un nouveau courage!
ytier. Sire, tenez, maintenant niante», bien :
voici de quoi.
amis. Je ne pourrais, Ytier, sur ma foi! le repos
m'a rassasié. Nous sommes pourvus pour notre
souper : allons! partons.
ytier. Allons, en roule piomplcmcnt! j'irai de-
vant.
129
AMILLE , LA
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
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SCÈNE XLI.
FILLE DU ROI , LA
HKNKl L'ÉCUYER.
DEMOISELLE
il vous plaira, venez
trop jeûner
henri. Demoiselle, approchez, allez vile chercher
une nappe. Je vais promptement dresser la table: il
en est temps.
la demoisellf. Henri, vous l'aurez sans contesta-
tion; en voici une belle et blanche qui répand une
odeur douce comme celle de la pervenche : éten-
dez-la.
HENRI. Monseigneur, quan
dîner.
a mille. Dame, allons nous asseoir
n'est pas bon.
la fille. Par (ma) foi ! monseigneur, vous dites
vrai : à table.
SCÈNE XLII.
LES MÊMES, AMIS, YTIER.
amis. Ylier, vois-tu lace manoir? c'est l'hôtel que
Charles donna à Amille quand il lui fit épouser sa
fille.
ytier. Ce jour-là il ne le frappa pas d'une bille
dans l'œil.
amis. Par saint Spire de Corbeil! tu dis vrai : il
est bon et beau. Laisse-moi; je veux, comme un
lépreux, faire retentir ma cliquette. — Ah, mon-
seigneur! n'oubliez pas un pauvre lépreux.
amille. Henri, avance; prends un hanap de bois
plein de vin, je le l'ordonne, et du pain et de la
viande, et porte tout cela à ce lépreux là-dehors,
pour que Dieu nous soit miséricordieux à notre
dernier jour.
henri. Monseigneur, j'y vais sans retard. — Frère,
voici viande et pain; si tu as un hanap, prends-le
pour mettre ce vin.
amis. Cher ami, que le doux roi des cieux donne
la joie céleste à celui qui m'envoie ces biens par
vous! Mettez ici, sire.
henri. Eh, quoi! peu s'en faut que je ne dise que
c'est le hanap de monseigneur; il n'est ni plus petit
ni plus grand, mais tout pareil.
amis. Cher ami, je ne sais pas comment est le ha-
nap de votre seigneur; mais je suis tout prêt à prou-
ver que depuis longtemps, je vous le dis bien,
ce hanap-ci m'a appartenu et m'appartient en-
core.
henri. Frère, je ne vous en parle plus quanta pré-
sent; mais en vérité ce hanap ressemble à celui do
mon maître. — Monseigneur, par le Roi des cieux!
ce lépreux qui est à la porte, boit dans un bon ha-
nap dont il est porteur, et qui est d'argent, non de
bois. J'ai cru que c'était le vôtre , par sainte
Foi!
amille. Vraiment? je le veux voir à mon tour. —
Mon ami, que Dieu vous donne son amour! D'où
ètes-vous !
amis. 11 vous importe bien peu, doux seigneur.
Vous voyez, je suis lépreux et bon à rien. Cependant
je puis vous le dire. Je cherche Amille que je désire
bien voir, sire; mais ne le trouvant pas, je voudrais
mourir, avec le bon plaisir de Dieu.
amille. Dussé-je mourir, je ne pourrais m'abs-
tenir de vous baiser. Cher compagnon, vous êtes
Amis: vous ne pouvez me le nier, si vous ne voulez
renier toute amitié et toute foi.
amis. Ah, cher compagnon ! auprès de vous je
ne puis retenir mes pleurs. Certes , je n'aurais pas
voulu venir jusqu'ici.
amille. Dieu en soit loué au contraire! — (àYlier.)
'Eh ! l'ami, prenez-le d'un côté ; et vous Henri (Dieu
vous garde !), soutenez-le de l'autre, et amenez-le
moi à l'hôtel : je vais devant.
ytier. Allons et suivons-le promptement.
amis. Pour (l'amour del Dieu! menez-moi dou-
cement, mes chers amis.
henri. Sire, où vous plait-il que l'on le mette ?
dites-le-nous.
amille. Asseyez-le ici, mes bons amis, jusqu'à
ce qu'il soit temps d'aller se coucher. — Lova!
compagnon et cher ami, soyez le bienvenu. Comment
êtes vous resté si long-temps sans nie voir ? j'en
suis tout ébahi, par ma foi ! et il n'y a rien d'éton-
nant.
amis. Sire, sans vous déplaire, je n'ai pu mieux:
j'ai eu trop d'occupations depuis que je ne vous
vis.
la fille. Mon cher seigneur, dites-moi, quel est
cet homme que je vous vois honorer et fêler de si
bon cœur.
amille. Dame, je puis bien vous le dire : c'est
mon cher compagnon Amis, par qui fut mis à mort
Hardré qui voulait faire mourir de mort douloureuse
vous et votre mère, quand Amis combattit à ma
place. Faites-lui bon visage, sans y nianauer: vous
y êtes tenue.
la fille. Ah ! digne chevalier , comme je vous
vis hardi et brave quand vous coupâtes la tète à ce
méchant Hardré ! Vous arrachâtes à la mort ma
mère et moi. En vérité, je vous ferai fête, et vous
ne coucherez dans aucun autre lit que le mien.
amis. Dame, que Dieu vous rende le bien que
vous me ferez !
la fille. Monseigneur, s'il vous plaît, vous serez
assez bon pour me permettre d'aller ouïr la messe,
avant qu'il y ait plus grande foule à l'église ;
quand je serai de retour je vous promets de faire
fête à Amis.
amille. Dame, ce que vous dites me sourit ; anez
donc à l'église, et menez tous vos gens avec vous,
dame.
la fille. Allons ! vous deux, hommes, et vous,
femme, accompagnez-moi.
henri. Dame, volontiers : je dois faire ce qui vous
plaît.
la demoiselle. J'en ai aussi très-grand désir et
bonne volonté.
SCÈNE XLIII.
AMIS ET AMILLE.
amii.le. Mon cher ami, dites-moi la vérité (nous
ne sommes ici que nous, deux) : je vous vois bien
malade de la lèpre, vous n'avez plus ni beauté ni
couleur ; «t vous devez beaucoup souffrir. N'est-il
rien pour combattre votre mal et vous guérir?
amis. Sire, soyez moins impatient de l'apprendre;
car il n'est, j'ose bien le dire , qu'un moyen de me
guérir cl il est si terrible qu'en vérité je redoute
fort de vous l'apprendre.
amille. Cher compagnon , je vous somme par la
foi que vous me portez, de me révéler sur-le-champ
le remède efficace contre votre mal ; je vous en
prie.
amis. Sire, soit donc faite votre volonté , bien
malgré moi ! ponr avoir une guérison complète , il
faut laver mon corps du sang des deux fils que vous
avez vivants; autrement je ne. puis d'aucune autre
manière recouvrer la santé, quelque chose que l'on
puisse pratiquer ou faire sur moi.
amille. Mon très-cher et bon ami, vous demandez
une chose bien grave , et sur laquelle il faudrait à
tout autre de longues réflexions ; mais moi, si véri-
tablement vous ne pouvez autrement guérir, je les
tuerai sur l'heure pour l'amour de vous, et vous en
apporterai le sang : attendez moi ici.
SCÈNE XLIV
AMILLE, SES ENFANTS.
amille. Sire Dieu, que votre miséricorde détourne,
les yeux de mon crime, et soyez-moi doux et pro-
pice. — Hélas ! mes enfants pleins de gentillesse,
voire père doit assurément éprouver une yaude
tôl
AMI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMI
i33
douleur, en venant ici pour vous mettre à mort sans
que vous m'ayez fait aucun mal. Je puis bien dire
qu'en cela je suis fort cruel ; mais, d'un autre côté,
que ne dois-je pas à la vive amitié de celui pour qui
je commets cette action ; il n'hésita pas à entrer à
ma place en champ-clos, et comment m'acquitter
envers lui pour ce qu'il a voulu faire en ma faveur ?
Ah ! mettons donc de côté tout amour paternel. Oui,
je vais couper sur l'heure la gorge à celui-ci, et je
recevrai dans ce bassin le sang qui en sortira. —
C'en est fait, il ne criera plus : il est véritablement
mort, et il a jeté assez de sang. — Allons ! à l'autre,
il faut aussi me dépêcher de. te livrer à la mort,
beau fils : que ton âme soit en paradis ! — C'est fait.
Dieu ! quand ma femme, qui est leur mère, aura
connaissance de celte action, quelle douleur amère
son cœur ressentira ! et je ne m'en étonne pas.
Maintenant que j'ai le san^, je veux aller récon-
forter mon compagnon.
SCÈNE XLV
AMIS, AMILLE
amille. Amis, je viens vous donner du courage :
voici le sang de mes deux fils que j'ai tués, soyez-
en sûr. Allons ! je vais vous en frotter le visage, et
je verrai ce qu'il en résultera
amis. Qu'il soit fait ainsi qu'il vous plaira, sire
compagnon.
amille. Frottez-en aussi vos mains en haut; c'est
bien.
amis. Elles ne sont déjàplus aussi hideuses qu'elles
étaient tantôt : la lèpre s'en va et tombe. Voyez, sire
compagnon, comme elles sont belles : il n'y a plus
trace de lèpre ; Dieu me fait grâce.
amille. Amis , Frottez-vous le corps tant que
vous en ayez ôté cette lèpre qui vous tient.
amis. Dieu merci ! mon corps est guéri aussitôt
que je l'ai touché du sang. Je n'ai aucun membre,
que! qu'il soit, ventre, côté, flanc, jambes, qui ne
soit en bonne santé.
amille. Cher compagnon, nous remercierons Dieu
de cette grâce à l'église, où nous irons ensemble
maintenant.
amis. Ce serait affreux si d'humble cœur je ne le
faisais. Par ma foi, allons! mettons-nous en roule,
sire, pour nous y rendre.
SCÈNE XLVI.
DIEU, LA SAINTE VIERGE, GABRIEL, MlCKtL.
dieu. Ecoutez tous, vous Mère, et vous, anges!
descendez et appliquez-vous à bien chanter; nous
allons jusque chez Amille, pour rendre la vie à ses
enfants qu'il a tués dans l'espoir de guérir son ami
le lépreux.
notre-dame. 0 mon fils, cette action mérite grâce;
car ce qui l'y a porté, c'est la charité, et non pas
quelque colère contre ses enfants.
dieu. C'est vrai; et aussi je veux qu'ils soient
rendus à la vie. Allons! chantez, mes amis, pendant
la route.
Gabriel. Nous ferons ce qui vous plaira. — Mi-
chel, chantons sans délai.
Rondeau. Vrai Dieu, votre grandeur suprême est
aussi la bonté et la charité suprême, car elle fait
grâce à tous les hommes. Ovrai Dieu! c'est à cause
de cette bonté que L'homme met son cœur, et ses
soins, et ses désirs à vous servir. Vrai Dieu, etc.
dieu. Mère, je veux et ordonne qu'en ma pré-
sence, vous touchiez de vos mains ces deux enfants
couchés morts, en sorte qu'ils reviennent à la vie.
notre-dame. Mon fils, je ne vous dédirai pas,
je vais les toucher sans délai. — Enfants, par la
puissance de Jésus, qui est à la fois mon lils et
mon père, qu'aucune plaie ne se voit plus sur
vous; mais soyez vivants et en bonne santé, comme
s>i vous n'aviez jamais subi la mon.
dieu. Nous avons fait notre devoir: allons-nous-
en.
saint Michel. Vrai Dieu, nous ferons de cœur
votre commandement.
saint Gabriel. C'est vrai, Michel ; et nous achè-
verons notre rondeau d'une V'jix mélodieuse.
Rondeau. Puisque par votre bonté l'homme met
son cœur et ses soins à vous servir de son mieux,
et qu'il en conçoit le désir, vrai Dieu, votre bonté
souveraine est très-excellente et pleine de grande
charité.
SCENE XL VII
AMIS, AMILLE, LA FILLE DD ROI, HENRI l'É-
CLÏER
la fille du roi. Ah! glorieuse Madeleine! quelle
merveille sous mes yeux ! — Pour Dieu ! seigneurs,
dites-moi lequel d'entre vous deux est mon mari?
Vous êtes si semblal les quant à l'extérieur, que je
n'y trouve aucune diflérenec. Duquel de vous deux
puis-je être la femme? Lequel est-ce?
amille. Certainement, c'est moi, dame comtesse.
Celui-ci, c'est mon compagnon Amis, à qui Dieu a
rendu la sanlé, comme vous voyez
la hlle. Sire Dieu, loué soyez-vous de cette
haute courtoisie! Je n'eus jamais de ma vie une
aussi grande joie.
amille. Dame, ne soyez pas si hâtive de vous ré-
jouir, car, sur ma foi! vos deux fils sont tués; j'ai
coupé la gorge à chacun d'eux, et j'ai avec leur
sang lavé Amis C'est ce qui l'a guéri : mais nous
n'avons pas moins lieu d'être affligés de leur mort.
la fille. Hélas! ce que v-us dites est-il bien
vrai?
amille. Je vous le jure par la Trinité, dame, c'est
vrai.
henri. Marie, j'y cours au plus vite pour le sa-
voir.
la fille. Hélas, malheureuse! que ferai-je? Hé-
las, malheureuse! Mes chers lils, mon pauvre moi
esl bien plongé dans la douleur pour votre mort ! quand
je me rappelle le plaisir et la joie que je prenais en
vous. Mon pauvre cœur a bien perdu toute sa joie.
amille. Ma douce compagne et ma sœur, hélas!
consolez-vous. Cessez de vous lamenter, ou, par
mon aine! je m'en irai si loin que jamais, sachez-le
bien, dame, vous ne me verrez.
la fille. Ah, mort! comme mon cœur est empri-
sonné par toi, dans les plus cruels tourments! Ja-
mais rien ne me causera plus de plaisir.
henri. Madame, Dieu me donne joie! vous vous
affligez bien sans cause. Je ne sais de quoi vous
vous plaignez : vos deux fils ne sont nullement en
mal, au contraire ils s'embrassent et jouent l'un
avec l'autre, je vous assure
la fille. Henri, vous dites qu'ils sont vivants
et en santé?
henri. Oui, madame, n'en doutez pas : j'en viens
dans l'instant.
amille. Je n'attends pUis; je cours. En avant!
Mes enfants! qu'est-ce là? Dame et vous tous, ve-
nez ici : voici nos fils bien portants et gais, eux que
j'avais fait tantôt mourir.
la fille. Ah! sire Dieu! combien nous devens
d'un cœur reconnaissant le glorifier, louer et célé-
brer ton saint nom !
la demoiselle. Par ma foi ! dame, nous le devons,
certes, bien.
amille. Jamais je ne mangerai de pain, je puis
bien vous le dire en vérité, que je n'aie offert leur
poids de cire. — Amenez-les avec moi, femme, sur-
le-champ à l'église de Notre-Dame.
la demoiselle. Sire, je ne vous dédirai pas; je
vais les chercher.
amis. Cher compagnon, je veux vous prier de me
laisser aller avec vous; car il me semble, pour être
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
133 ANC
bref, que je suis tenu d'y faire mon oflYan.de, au •
lant qu'aucun de ceux que je vois ici.
la fille. Meltons-nous tous ensemble en route;
je ne vois rien de mieux.
ahille. Ni moi non plus, que Dieu m'aide! Allons-
nous-en; ne tardons plus, et chantons par dévo-
tion, pour ces miracles . Te Deum laudamus.
AMITIE BANNIE DU MONDE (L'), de
Théodore Prodrome. — En 1835, M. Magnin,
dans son cours professe à la Faculté des
lettres comptait le drame de Théodore Pro-
drome, Y Amitié bannie du monde, parmi les
monuments du drame aristocratique orien-
tale au xne siècle.
La carectère purement littéraire, semi-
païen, et nullement ecclésiastique de celte
pièce, nous borne à une simole citation :
l amitié. D'abord je suis toujours unie purement
à Dieu et à la Trinité. Je suis auss, mêlée sans forme
corporelle aux esprits mondains et aux triades
supérieures comme les séraphins, les chérubins et
les trônes, et à toutes les autres saintes milices. C'est
moi qui fais régner la bienveillance entre elles et
le Seigneur; je réunis ces innombrables myriades
d'habitants du ciel et j'en forme une chaîne unique.
Le seul Lucifer jadis me prit en haine et fut chassé
de la voûte céleste; tant l'ordre que j'ai établi repose
sur moi, et ne peut être maintenu que par moi!
Maudit soit le bavard Empédocle qui disait que la
discorde était l'auteur de tout ici-bas. Oui a co'jrbé
en sphère le vaste cier qtri antiviois formait une
surface plane? qui le fait céder à la voix du Sei-
gneur, si ce n'est l'attractive amitié?
Emu parle récit des tribulations de l'j4fm-
tié , Y Etranger lui propose de l'épouser:
l'amitié. Préférez-vous le bien de vos amis au
vôtre?
l'étranger. Je le ferai.
l'amitié. Vous pourriez vous exposer à la mort
pour eux?
l'étranger. Oui, certes.
l'amitié. Vous ne voudrez pas de mal aux
envieux?
l'étranger. Non.
l'amitié. Vous aimerez ceux qui médisent de
vous ?
l'étranger. Je les aimerai.
l'amitié. Je crains que les faits ne démentent ces
promesses ?
l'étranger. J'ai promis sous le sceau du serment.
l'amitié. Rappelez-vous bien ce serment et je
vous suis....!
(Cf. Journ. génér. de ïlnstr. Publique
n° 88, 3 sept. 1835, p. 462.)
ANCIEN TESTAMENT ET LA PASS101S
( L' ) [An 1488]. — On lil dans le très-remar-
quable catalogue que poursuit avec lant de
persévérance et de talent M. Paulin Paris
(Les manuscrits françois de la Bibliothèque
du Roi ; Paris, 1848, t. VII, p. 212) :
« N° 7268. 5. — Mystère de l'Ancien Testa-
ment et de la Passion... volume in-k" magno
de 281 feuillets, alignes longues; fin du xv'
siècle. Demi-reliure à dos de veau fauve,
recouvert d'une langue de veau rouge, avec
le chiffre de Louis-Philippe. — Fonds de
La Mare, n°285.
« Ce volume est très-mutilé; le premier
feuillet conservé a élé restauré tant bien que
mal avec du papier IransDnretit. Il a été
ANC
134
écrit en 1488, comme le prouvent cou vers
placés a la suiledu grand mystère, fui. 270.
Au nom de notre sire, amen !
L'an de l'Incarnation courant
Mil mi. c. un. xx. et huit.
Cette notable passion
Fut par grande dévotion
Achevée du tout descripre....
« Les premières lignes conservées appar-
tiennent à un sermon écrit en méchantes ri-
mes, et qu'on pouvoit débiter à la place
des ouvertures de nos modernes ouvrages
dramatiques. Nous déchiffrons, ligne cin-
quième :
De la célestial
Ayde tout bien descend
Du ciel inpérial
A tout homme honneur vient...
« Cela bourré de latin et de
mesure, se continue jusqu'au
Alors le prédicateur prend
termes :
vers de toute
fol. 4, recto.
congé en ces
Dictes, dictes amen, amen,
Plus ne vous en diray cy.
Le surplus vous démonslrera
Ce message que véez là,
Qu'il est ahille pour ce faire. Amen'
En effet
le ainsi :
au verso suivant le Message
Benoîte soit la compaignie
Qu'il à l'honneur du fru t de vie,
Est aujourd'huy cy assanblée;
De Dieu soit ele rémunérée !
Nous nous prions très-humblement
Qu'au gré prenez et doucement
Le mistère qu'avons joué
Qu'avez de bon cuer escouté
Sans faire noyse ne tensons,
De quoy nous vous remerevons.
Demain verres cy plaist à Dieu,
En ce mesme et propre lieu ,
Jouer de Dieu la Passion
Ce nous avons temos et saison...
« Ces discours servaient d'épilogue, dit
M. Paulin Paris, à un premier mystère que
nous ne retrouvons pas ici ; ou peut-être les
premiers feuillels ont-ils été transposés et le
discours devrait-il être à la fin de la pre-
mière journée de la Création et naissance du
Sauveur. » Il nous semble plus probable que
les fragments cités par l'illustresavanlétaient
l'épilogue de la première journée du drame ,
comprenant Y Ancien Testament , à la suite
duquel se joua la Passion, dans une seconde
journée. — Vient ensuite, continue M. Paris,
un nouveau sermon divisé en deux distinc-
tions; enfin au fol. 8 commence le mystère
de la Création du monde. Premiers : Deus
Pater stet in Paradiso in Cathedra et angeli
nunc et inde, et dicel :
Tout ce que fait avons cy est bien ordonné,
Autre chose voulons faire à notre volonté.
Or soit faietc et crée resplendissant lumière
Pour tout enluminer de ma grâce plenière,
Qu ils croiront fermement et tiendront foy entière.
« Alors la lumière se fait, puis les anges,
puis l'homme.
155
ANC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AND
136
« Les personnages de cette histoire de
l'Ancien Testament sont après Dieu :
Lucifer (il est en abil d'an-
ge le plus bel).
Bàcclidu* , premier diable
Tempkst. deuxième —
Dessay, troisième —
Orgueil, à cheval.
Despit.
SERPENS.
clam store ( le crieur de
l'enfer).
Fol. 23, verso.
Danu oyseuse
Michiel, ;uige
Gabriel.
Coquus iiiferni (le cuisinier
d<- l'enfer).
Adam
Lve
désespérance.
CHAM.
SETH.
ABEL.
MORS 1NFERNI.
chemubim
mors natuîulis.
Fol. 27.
NOËL.
UXOB NOB.
se.ii.
JATRET.
caanaan ( la scène de 1
vresse est curieuse).
Foî. 31, verso.
rusticl's (un Paysan).
SA FEMME.
Fo). 34.
ABRAHAM.
AMALITII.
ISAAC.
ABQUIN.
MOYSE.
GAMALIEL.
ISSACHAR.
MARQUE.
NEPHTALIM.
ECCLESIA.
Fol. 42, verso.
SYRILLA.
DANIEL.
DAVID.
JÉRÉM1E.
ISAU3.
Fol. 45.
ESPÉRANCE.
Il' et III* TPELLA.
CHARITÉ.
SÉHAPHINS.
Miir.o mahia,.
DAMPS.
ocTAviEN, empertur.
SIONEL.
GdDEBER.
GOGUERT.
BRUNE.
RUSi ICL'8.
MALFbRAS.
L HOTE.
VARLETS.
LA :>YNAGOGU«.
JOSEPH.
LES PASTEURS.
ELISABETH.
HERSEIN.
l'evesque DE LA LOT.
FLA.MBLRGB
PRIMA PUELLA.
Fol. 77.
LES TROIS ROIS
trotin, messager d'Hérude.
UÉRODE.
SYMEO.
Fol. 92.
JEAN-BAPTISTE.
PHARAON.
NASOH.
PINCKGUERnE.
SAMCEL.
La femme hérode.
JACQUEMART.
ESGLANTINE.
HÉRODlAS.
RIFPLART.
COLIAS.
TEMPLATOB.
« La Passion proprement dite commence
au fol. 113. Jésus, nommé simplement Deus,
proche les Juifs et choisit d'abord ses dis-
ciples. — Mais il semble qu'entre les feuillets
114 et 115 il y ait une lacune. Dans le mys-
tère figurent tous les apôtres, et tous les
prêtres et princes des prêtres. Les saintes
femmes, les perclus guéris par miracle. —
Magdeleine,— Apothecarius.
« Il nous suffit de dire que ce mystère
$5) C'est un petit in-4% contenant soixante-un
feuillets, ou cent vingt-deux pages à deux colon-
nes , qui peut comprendre environ dix mille
vers.
(66) Suivant la tradition vulgaire, ce fut en Ethio-
pie que saint Matthieu vainquit les deux magiciens
Zaroès et Arphaxat; ces deux enchanteurs ne péri-
rent ooint ici, comme le dit notre auteur; ils passc-
n'a rien de commun avec le travail que nous
nous sommes crus en droit d'attribuer à Ar-
noul Gréban.
« Fol. 269 verso. Explicit passio Domini
Noslri Jesu Christi, et ressurreclio ejus, et
plura alia documenta leqis. » ( Voy. Passion,
H, §4.)
AIS DRIEU (Les jeux de monsieur Saint).
— En 1458, à Abbeville, furent joués les
jeux de Monsieur Saint- Andrieu (André).
[Cf. F.-C. Louandre, Hisl. d: Abbeville: Ab-
beville, 1834, in-8°, p.238.]
ANDRY (Saint). — On ne connaît point
de manuscrit de la Vie et mystère de saint An-
dry.
Il en existe une édition qui fixe avec suffi-
samment de certitude la date de ce drame à
la première moitié du xvi' siècle; c'est un
petit in-4°, contenant 61 feuillets ou 122
pages, à deuxcolonnes, qui peut comprendre
environ dix mille vers, imprimé à Paris,
chez Pierre Sergent.
Les frères Parfait, (ran.s leur Histoire du
Théâtre Français (Paris, 1745, H) 1% t. III,
p. 27-34), en ont donné l'analyse qu^ nous
reproduisons ci-dessous. De Beauchamr>s
(Recherches sur les théâtres, Paris, 1755,
5 vol., t, I, p. 224), et la Ribliothèque du
Théâtre Français (Dresde, Mich. Groell, 1768,
in-8°, 3 vol., 1. 1, p. 2), attribuée au duc do
La Vallière, ont mentionné le Saint Andry*
Voici l'analyse des frères Parfait :
MYSTÈRE DE SAINCT ANDRY.
S'ensuyt la Vie et Mystère de sainct Andry ,
nouvellement composée, et imprimée à Pa-
ris : à 86 personnages, dont les noms s'en-
suyvent , etc.. Ci finist la Vie et Mystère
de Monseigneur sainct Andry, nouvellement
imprimée à Paris, par Pierre Sergent, li-
braire, demeurant en la rue Neufve Nostre*
Dame, à l'enseigne de sainct Nicolas (65;.
« Ce mystère commence de la même ma-
nière que celui de saint Pierre et de saint
saint Paul. Le Sauveur, après avoir assem-
blé ses apôtres, et fait plusieurs miracles,
envoie saint Matthieu, pour confondre deux
fameux enchanteurs, qui, bien loin de se
rendre à ses discours, paraissent fort éton-
nés de sa conversion.
zaroe's enchanteur, à son frère Arphaxat.
Haro ! frère, j'ay grande envye,
De Matthieu, qui est converty,
A ung prophète si hardy
Qu'il n'a pas vestu vaillant maille.
« Leur obstination oblige l'apôtre à les
livrer au pouvoir des malins esprits. Huet et
Burgibus, obéissant à ce commandement,
sautent au cou des deux magiciens et les
étranglent (66). Saint Matthieu p.isse ensuite
à Margondie, où il est jeté dans une étroite
rent à Babylone, et servirent par leur défaite, à il-
lustrer le triomphe des apôtres saint Simon et saint
Jude. Voyez Abdias, livre vi de son Histoire des
Apôtres, et Vincent de Beauvais, Miroir hislorial, liv.
xi, chapitres 78, 79 et 80. Les Grébans ont été plu*
exacts, comme on le peut voir au mystère des Actes
des Apôtres.
137
AND
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ANF
ISS
prison, après avoir eu les yeux crevés.
Saint Andry, envoyé de Dieu, rend la vue
à son confrère. Ces deux apôtres s'embras-
sent et continuent leur saint ministère.
Saint Andry va à Nicomédie, et délivre les
habitants de la persécution des esprits ma-
lins. S *tan, Kbron, Burgibus, et Huet, à qui
l'apôtre ordonne de se retirer, sortent sous
la forme de gros chiens noirs, et avant de
rentrer aux enfers, ils étranglent le fils d'un
notable bourgeois delà ville. Saint Andry le
ressuscite à la prière du père et de la mère,
e» emmène ensuite ce jeune garçon avec lui
pour l'instruire. Ses parents, après une lon-
gue perquisition, découvrent enfin qu'il est
dans la maison du saint, ety mettent le feu,
qui s'éteint aussitôt par la puissance de l'apô-
tre. Ce miracle convertit les assistants, ils
demandent le baptême avec empressement.
Après le leur avoir conféré, l'apôtre se rend
à Thessalonie. Verrin (67), prévôt de celte
ville, envoie trois de ses chevaliers pour
l'arrêter : les deux premiers se convertis-
sent, et le troisième est assommé par les
démons.
« Sur ces entrefaites, saint Andry se pro-
menant sur le rivage, une violente tempête
jette sur le sable le corps d'un jeune
homme a qui il rend la vie. Ce jeune homme
lui apprend qu'il est fils du roi de Gre-
nade (68), et envoyé exprès pour amener cet
apôtre ; mais que le démon jaloux avait
escité cette tempête, qui l'avait submergé,
lui quatrième. Ce discours émeut la pitié
"*e saint Andry , il adresse sa prière au
Seigneur ; aussitôt l'onde obéissante rend
sur le rivage les corps des compagnons du
jeune homme, qui reprennent vie à la voix
ue 1 apôtre.
Peu de temps après Marsimille (69),
femme d'Kgéas, prévôt d'Achaïe, se plaint
d'une fièvre violente. Son époux en est si
alarmé que, de désespoir, il veut se passer
une épée à travers le corps. Heureusement
Edïdimie, qui a entendu parler des miracles
de saint Andry, va le chercher, par ordre de
sa maîtresse. Elle reçoit une prompte gué-
rison, et promet d'embrasser la religion de
son libérateur. Egéas veut le récompenser
par de riches préseuls que l'apôtre ne veut
pas accepter. Irrité de ce refus, et de la
conversion de Marsimille, Egéas jure par
Mahom et Jupin la mort de saint Andry.
Ce dernier continue sa mission, jusqu'au
moment qu'il est arrêté par les émissaires
du prévôt d'Achaïe.
SECOND TTRAN.
Allons a luy tretous ensemble :
Peur a de nous ; je crois qu'il tremble :
Esse de peur? esse de f'roit?
(67) Les auteurs que nous venons de citer nom-
ment Quirin ce prévôt de la ville de Thessalonique :
ils appellent aussi Myrmidonie, celle qui est ici sous
le nom de Margondie.
(68) Vincent de Beauvais, livre ix, cliap. 70, de
son Miroir Historial, dit que ce jeune homme était
lils de Sostrate Macédonien, dont on a parlé, et qu'il
avait été noyé avec trente-neuf de ses compagnons,
en revenant d'Italie. L'auteur du mystère a voulu
Dictionn. des Mystères.
PREMIER TYRAN.
Miculx luy vaulsit à l'hameçon
Avoir pesché, qu'estre venu
En ce pais, car bien tenu
Il y sera.
« Saint Andry paraît devant Egéas avec une
fermeté inébranlable. Sa constance dans les
tourments augmente encore la fureur de ce
juge injuste, et touche les cœurs des princi-
paux de la province. Stratoclès, frère de
Marsimille, suivi des sénateurs et des che-
valiers, oblige E-éas, à coups de bâton, à
rétracter sa sentence. Mais saint Andry,
préférant la gloire du martyre, refuse ce
secours, et^ prie Je Seigneur de l'attirer à
lui ; Dieu l'exauce, et envoie ses anges pour
recevoir celte âme bienheureuse.
(Adonc chantent les anqes ce qui s'ensuit, sur le chant
de Veni Creator.)
LES ANGES.
Louer faull le doulx Roy Jésus,
Qui a voulu Andry aymer,
Plus qu'on ne sçauraït racompter.
Or allons donc le visiter.
(Adonc chantent ce qui s'ensuit, sur le enani de Ve-
xilla Régis.)
les anges.
Doulx Jesu-Christ, tu sois loué,
Qui tant est doulx et gracieulx,
Tu as Andry très tant aymé
Qu'il sera couronné lassus.
« Au moment que saint Andry expire,
Egéas se sent atteint d'une douleur insup-
portable; Lucifer, ému de ses cris, ordonne
à ses ministres de lui amener en diligence
l'âme de ce scélérat.
(Adonc Sathan va quérir une brouette et Vemma'me, et
quant il l'a amenée, il dit ce qui s'ensuit.)
SATHAN.
Orça, Diables, venez avant,
Alions le querre.
« Satan saisit Egéas par le collet, et
l'ayant jeté dans une brouette, le conduit
ainsi aux enfers.
(Adonc les diables laissent aller l'âme parmi le jeu, et
courrent tous après, etc.)
« Tandis que les esprits malins se diver-
tissent des tourments de cette âme malheu-
reuse , Marsimille, Stratoclès, et les autres
chrétiens d'Achaïe, ensevelissent avec beau-
coup de pompe le corps de saint Andry.
LE SECOND SÉNATEUR.
Nous chanterons sans tarder plus,
S'il vous plaist, Te Deum laudamus.
ANE (La fête de l'). Les grands critiques
du xviii* siècle ont recueilli et publié les
documents relatifs à la fêle de l'Ane; parmi
ennoblir ses personnages.
(69) Les auteurs qui ont rapporté la vie de saint
André la nomment Maximille. On peut voir sur ce
sujet, Abdias, Vies des Apôtres; Vincent de Beau-
vais, Miroir historial, livre ix, chapitre 67 et sui-
vants; Surius au 30 de novembre; et les sixième
et septième livres du mystère des Actes des apô-
tres.
133
ANE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ANE
les modernes, M. Magnin, dans son cours
professé à la Faculté des Lettres, a donné
seul quelques opinions nouvelles sur cette
formule de la fête générale des Fous. Il
considère cette cérémonie singulière comme
un des développements des liturgies saty-
riques.
« Il n'y eut pas une certaine fête de Y Ane
ou des Fous: selon les temps et les lieux,
l'Ane joua un rôle plus ou moins considé-
rable et fut admis dans les offices (Rouen,
Sens); dès le vne siècle, on plaçait a Cam-
brai une ânesse peinte derrière l'autel; à
Beauvais, le 14 janvier, une belle fille était
Assise sur un âne, près de l'autel, pendant
les offices. » (Journ. gcn. de Vlnstr. publ.}
k oct. 1835, p. 514.)
Du Cange (Gloss. inf. et med. lut., Paris»
édit. Henschell, Didot, m-k°, 6 vol., t. III,
p. 254, 255) a publié les rites de l'église de
Rouen d'après un Ordinaire manuscrit da-
tant du xjic siècle. Cet office de l'Ane, ana-
logue à celui de la Nativité qu'on célébrait
à Saint-Martial de Limoges, n'appartient à
la fête de l'Ane que par la mise en scène de
l'ânesse de Balaam. Du Tilliot (Mémoires pour
servir à Vhistoire de la fête des Fous; Lau-
sanne, 1751, in-i°); et l'abbé La Bouderie
l'ont reproduit {Journal dis Paroisses,\$*2.).
Il est intitulé :
Ordre delà procession des Anes selon Vusage
de Rouen.
\Les prophètes sont au milieu du vaisseau de l'Eglise,
la procession sort du cloître, deux clercs du second
banc la conduisent : ils disent : )
les clercs. Gloriosi et famosi. (Gloire et hon-
neur!)
le choeur. Gloriosi. (Gloire!)
les clercs. Quem fuiurum. (Celui qui devait
venir!)
le choeur. Gloriosi. (Gloire!)
les clercs. Impiorum Judœorum. (Les Juifs im-
pies !)
le choeur. Gloriosi. (Gloire!)
les clercs. SedJudœi. (Mais ces Juifs.)
le choeur. Gloriosi. (Gloire!)
les clercs. Israël infideli, (Cette israêl
dèle.)
le choeur. Gloriosi. (Gloire!)
les clercs. Génies mule. (Est le peuple élu
Lui!)
(La procession s'arrête dans le milieu de l'Eglise de-
vant les six Juifs et les six Gentils placés les uns en
face des autres.)
les annonciateurs : Nations, le Seigneur s'est fait
homme !
les mêmes aux juifs : Juifs, c'est le Verbe de
Dieu. Vers. : Vestrœ legis testes.
les juifs. Vous n'êtes pas pour commander.
infi-
par
146
vous, gentils
les annonciateurs aux gentils. Et
sans foi ?
les gentils. Le vrai Dieu Roi des rois !
xes annonciateurs à Moiise. Et toi , législateur
Moyse?
moïse, tenant les tables delà loi ouvertes, aube et
chappe, front cornu, longue barbe, une verge à la
main. Un autre viendra après moi.
Les annonciateurs le reconduisant. Chantez, peu-
ples.
le CHŒUP. C'est un Juif pourtant.
les mêmes à Amos. Amos, amour de l'âme.
amos, vieillard barbu tenant une épine. Les jours
approchent.
les annonciateurs et le choeur. C'est un Juif
pourtant.
les annonciateurs Ysaie, toi qui sais le verbe?
YSA.ÏE, barbu, un aube, un ruban au front. 0 destin
de la tige de Jessé!
les annonciateurs et le choeur. C'est un Juif
pourtant.
On appelle successivement Jérémie,
nicl, Balaam assis sur son. ânesse.
Da-
ln entant, avec une épée, supposant à ce que l'â-
nesse avance.
l'anf.sse (un quidam caché sous). Pourquoi me
frappes-tu de tes talons, moi si malheureuse?
Samuel, David, Osée, Jolie], Abdias, Jo-
nas, Micnée, Naun, Sophonie, Aggée, Za-
charie, Ezéchiel, Malachie, un juif, sainte
Elisabeth, saint Jean-Baptiste, saint Simon,
Virgile, Nabuchodonosor, des hommes ar-
més montrant une idole à des enfants, ces
enfants repoussant l'idole, jetée dans la
fournaise, la sibylle, comparaissent.
La messe commence.
Les coutumes de Beauvais, au xii* siècle
encore, ont été recueillies par le même
érudit.
« La fête des Fous éfait, dit-il, fort sin-
gulièrement célébrée à Beauvais le 14 jan-
vier. Une jeune fille, très-jolie, ayant au
bras un enfant, assise sur un âne élégam-
ment caparaçonné, représentait la Vierge
fuyant en Egypte. La procession la condui-
sait de la cathédrale à l'église de Saint-
Etienne. La jeune fille et l'âne entraient
dans le sanctuaire et se plaçaient vers l'E-
vangile. La messe commençait et l'Introït,
le Kyrie, le Gloria, le Credo, étaient toujours
accompagnés de Hinham, Hinham. A la fin
de la messe, le célébrant se tournait vers le
peuple, et disait trois fois Hinham, Hinham,
Hinham. Le peuple répondait de même. On
trouve dans un mss. du xie siècle, qui dé-
montre l'antiquité de ces rites fâcheux, la
singulière prose suivante que l'on chantait
à la messe î
prose conservée par du cange et fragment de traduction ancienne
R.-produit par Leber dans sa Collection des meilleures dissertations; Paris, 1838, in-8", 20 vol., t. K, p. 368,
Orientispartibus
Adrenlavil Asinus,
Pi!':', r .< fortissimu^
Surcinis nptissimus,
Hez, sire Asne, car char.tez,
Belle bouche rechignez,
Vous aurez du loin assez
Et de l'avoine a plantez.
Des confins de l'Orient,
En ces lieux arrivant,
Un àne beau, gras, luisant,
Portant fardeaux lentement.
DÏCT10.VNA1RE DES MYSTERES.
141 ANE
Lentus erat pedibus,
Nisi foret bacutus,
Et eum in clunibus
Pungcret aculeus.
Hez, sire Asne, etc.
Hic, in collibus Sichem,
Jam nutritifs sub Rubcn,
Trunsiit per Jurdanem,
Saint in Betlitehem.
Hez, sire Asne, etc.
Ecce magnis attribut
Subjugalis fdius
Asinus egreghts "...
Asinorum dominas.
Hez, sire Asne, etc.
Saltu vincit hinnutos,
Damas et capreolos, . \ >
Super dromcdarios, ',
Velux, Madiuneos.
Hez, sire Asne, etc.
Aurum de Arabia,
Thus et myrrhum de Saba
Tulit in Ecclesia
Yirtus A&inaria.
Hez, sire Asne, etc.
Dum trahit véhicula
Mulla eum sarcinula,
Jllius mandibula
Dura terit pabula.
Hez, sire Asne, etc
Cum aristis hordeurr
Comedit et cardeum
Triticum a palea
Segregat in area
Hez, sire Asne, etc
Amen, dicas, Asine, (Hic genuflectabatur.)
Jam salur de gramme :
Amen, amen, itéra
Aspernare vetera
Hez va' Hez va! Hez va! Hez!
Bialx sire Asne car allez ;
Belle bouche car chantez. >
a Autun, on promenait l'Ane sous un
drap d'or, dont les quatre principaux cha-
noines de l'église tenaient les bouts. A
Cambrai, on laissait sur l'autel un tableau
représentant un âne durant plusieurs se-
maines. (Ord. mss. eccl. Camerac, fol. 36.)
— (Du Cange, Gloss. inf. et med. lai., v°
Feslum Asinorum, éiiit. Henscholl, Paris,
Didot, in4°, 6 vol., t. III, p. 255, 256.)
t En effet, dans le second registre de l'é-
glise cathédrale d'Aulun, du secrétaire Ro-
tani, qui commence en 14-11 et finit en 1416,
on voit qu'à la fête des Fous on conduisait
un âne et que l'on chantait : Hé, sire Ane,
hé, hé, et que plusieurs allaient à l'église
déguisés et avec des habits grotesques; ce
qui fut alors aboli et abrogé. » (Du Tilliot,
Mém. pour serv. à Vhist. de la fêle des Fous ;
Lausanne, 1751, in-4°, p. li; l'abbé d'Arli-
gny, Mém. de littérature, t. IV, notice sur la
fête des Fous; dans Leher, Collcct. des meill.
ANE
145
Sur les confins de Sicliem
Il fut nourri par Ruben;
11 passa per Jordanem,
Et sauta dans Bethléem.
Sa marcne vive et légère
Effleure à peine la terre
11 vaincrait dans la carrière
La biche et le dromadaire.
Des trésors de l'Arabie,
Des parfums d'Ethiopie,,
L'Eglise s'est enrichie
Par vertu d'ànerie.
Sous le faix le plus pesant,
Jamais il n'est mécontent
Et broyé patiemment
Le plus grossier aliment.
D'un chardon il fait ripaille
Et c'est en vain qu'on !e raille
Si dans la grange il travaille,
11 démêle et grain et paille.
Bel âne, répète amen -,
Maintenant ta panse est pleine;
Bel âne, répète amen ;
Ne songe plus à ta peine.
dissertât. ; Paris 1838, 20 vol. in-8% t. IX,
p. 243.)
On a remarqué, enfin, que l'église de
Bourges célébrait absolument la prose de
l'Ane dans les mêmes rites que l'église do
Sens; et l'exactitude était telle, entre ces
deux points éloignés, que le chant même
était, dans ces deux diocèses, modulé sur
des tons absolument identiques. {Mercure
de France, décembre 1726, Lettre sur l'of-
fice des Fous.)
ANEAU (Barthélémy [70] ). — « m à
Bourges en Berry, fit ses études sous Mel-
chior Volmar, qui avait un talent merveil-
leux pour instruire la jeunesse. Il profita
effectivement beaucoup sous lui dans les
belles-lettres, mais il eut le malheur de
prendre dans sa conversation du goût, pour
les erreurs du luthéranisme, que Volmar
professait, et de se disposera les embrasser,
comme il fit dans la suite.
(70) Mémoires pajtr servir
P. Nicero.n, tome XXII.
à l'Histoire des personnes illuslres de la République des Lettres', par le
143
ANE
DICTIONNAIRE. DES MYSTERES.
ANE
144
« La grande réputation qu'il s'acquit
bientôt par son habileté dans les langues
grecque et latine, et la poésie, engagea quel-
ques-uns des anciens échevins de Lyon,
qui étaient ses compatriotes, à lui faire of-
frir une chaire de professeur de réthoriquo
dans le collège qu'ils venaient d'établir.
Aneau l'accepta avec joie, se rendit à Lyon
et y prit possession de son poste, qu'il con-
serva jusqu'à la mort.
« 0:i fut si content de lui, qu'en 15'*2
on le choisit pour être principal de ce col-
lège; mais ii lit un mauvais usage de la con-
fiance qu'on lui donna ; il s'en prévalut pour
accréditer l'hérésie, et pour infecter la jeu-
nesse qu'il instruisait. On ne fut pas long-
temps sans s'en Apercevoir, et on se contenta
d'abord d'en murmurer; mais un accident
arrivé le jour de la Fête du saint Sacrement
de l'an 1565 mit fin à la séduction, en termi-
nant sa vie d'une manière tragique.
« Ce jour, qui était le 21 juin, comme la
procession passait vers le collège, on lança
avec roideur d'une des fenêlres une grosse
pierre sur le saint sacrement et sur le
prêtre qui le portait; soit que ce coup vînt
d'Aneau ou d'un autre, le peuple entra en
foule dans le collège et massacra Aneau
qu'il crut auteur de cet attentat.
« Parmi les ouvrages qu'Aneau publia, et
dont Je P. Niceron donne la liste, nous
ne citerons que les deux suivants: Mystères
de la Nativité par personnages, composé en
imitation verbale et musicale de diverses chan-
sons recueillies sur i Ecriture sainte, et d'i-
celle illustré; Lyon, 1539, in-i° (71) ; — Lyon
marchant, satire française sur la comparai-
son de Paris, Rouen, Lyon, Orléans, et sur
les choses mémorables depuis l'an 152'*, sous
allégories et énigmes, par personnages mysti-
ques; Lyon, 15^2, in-12.
« 11 semble qu'Aneau avait un frère
poète et musicien; car à la fin de son livre
intitulé, Chant natal, contenant sept noëls,
où se trouve le mystère de la Nativité, dont
nous venons de parler, il y a un nbël
mystique, contenant (rois couplets, sur le
chaut : Le Deuil issu. Le second s'exprime
ainsi
Noël, Noël, si hault que l'air en tonne,
Non, riioniine seul, mais tout animant dict :
Le grand Lyon son gros organ entonne, (Lyon).
Noël, Noël, à haulte voix bondit :
Un chant plaisant fondé sur un bon dict,
Le Rossignol Vi-liers par accords (Viliers Aneau).
Et un Aigneau bailant luy répondit,
Noël chantant et à cris et à cois. »
[Histoire du Théâtre français, par les frères
Parfait, t. 11, p. 261-26i.)
Voy. Nativité De Notke-Seigneur Jésus-
C nni ct ( I i )
" ANNONCIATION DE LA VIERGE. —
M. Magnin, dans son cours professé à la
Faculté des lettres en 1835, a fait mention
d'un mystère de V Annonciation de la Vierge,
représenté à Civitla-Vecchia, vers 130i. (Cf.
Journal gén. de ilnstruct. publiq., 12 no-
(71) Du Yerdier , p. 109 de sa Bibliothèque, à
l'article Aneau , cite la même édition , et dit
vembre 1335, 2* semestre, 10* article,
p. 28.)
M. Raynouard, dans un article publié, à
propos du mystère de Sainl-Crépin par le
Journal des Savants, au cahier de juin 1836,
a, comme M. Magnin, attribué au xiv* s.èclo
V Annonciation de. la Vierge.
AMI-CHRIST (L). - L' Anti-Christ est
tiré d'un manuscrit de l'abbaye de Tegern-
sée du xne siècle
Il a été édité par dom Bernar I Pez, dans
son Thésaurus Anecdotorum novissimus (Au-
gustœ Vindelicoi\, 6 vol. in-fol., t. 11, p. 3,
1721, col. 185-197).
« Ce document, dit lo savant Bénédictin
allemand, témoigie de l'idée qu'on avait, au
xii' siècle, soit en Allemagne, soit en France,
de la grandeur de l'empereur des Ro-
mains. » [Ibid. , t. II, Dissert. Isagog. ,
p. lui )
Le titre est ainsi conçu : Jeu Paschal de
la venue et de la mort de V Anti-Christ.
Muralori [Antiq. Ital. med. œvi, sive dis-
sert.; Milan, J732, in-fol., t. 11, vers. 29,
col. 8i9) citait V Anti-Christ parmi les mo-
numents subsistants alors connus du théâ-
tre du moyen âge; Martin Gerbert (Decanlu
et mus. sacr.; saint Blain, 177i, in-i°, 2 vol.,
t. 1er, p. 82) ; M. Magnin, dans son cours pro-
fessé à la Faculté des lettres; Raynouard en
1836 (Journ. dcsSav., cahier de juin 1836);
et M. Ach. inb\n<i\, (Myst. inéd.du x\' siècle;
Paris, 1837, in-8°, 2 vol., t. 1", préf. p. xvi),
ont mentionné ce drame.
L'action de V Anti-Christ nous semble con-
tenir deux idées distinctes :
1° Le triomphe du saint empire romain
sur tous les peuples.
2° L'universelle domination de l'Eglise
catholique sur tous les hommes
I.
L'Eglise de Dieu et les sept sièges royaux
seront placés ainsi: A l'orient, l'Eglise de
Dieu; auprès le trône du roi de Jérusalem
et le banc de la Synagogue. A l'occident,
le trône de l'Empereur romain; auprès les
trônes du roi des Teutons et du roi des
Francs. Au nord, le trône du roi des Grecs.
Au midi, les trônes du roi de Bubylone et
du Monde païen.
Aussitôt le Monde païen avec le roi de
Babylone s'avance en chantant:
— L'immortalité des dieux doit être honorée partout,
et leur pluralité redoutée. Ce sont des sols et des
gens de vain esprit qui annoncent un Dieu unique,
car les rites de toute l'antiquité s'y opposent. Et si
nous avions foi dans ce Dieu unique, présidant à
toutes choses, nous feiions de Dieu un esclave livré
aux combats des éléments contraires, car, ici, c'est
la paix qu'il maintient dans sa clémente bonté, et là
c'est la guerre que fomente sa cruauté impie. De
même qu'il y a des actions diverses, i! y a divers
dieux, et la lutte universelle n'est que le spectacle
affaibli de leur immense discorde. Et qui dit qu'il
n'y a qu'un Dieu affirme une proie misérable des
adversités universelles. Non, ne disons pas qu'un
Dieu seul est soumis au combat de l'éternité; ac-
qu'ellc est in-8° ; mais il se trompe, aussi bien que
ceux qui l'ont copié.
U3
ANT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ANT
118
cordons à tous les éléments la nature divine, nous
pourrons alors distinguer les dieux selon les devoirs
que chacun d'eux remplit.
Le Jeu entier chante ces mois en môme
temps. Le Monde païen et le roi de Babylone
montent sur leur Irô.ie. Alors paraît la Syna-
gogue avec les Juifs qui chantent ensemble :
— S igncur, notre salut est en toi ; l'homme n'a
pis même l'espoir de la vie, et quelle erreur que
u\:spé;*er le salut au nom du Christ! Eh quoi! Lui,
terrassé par la mort, donne-t-il aux autres la vie?
Il n'a pu se sauver lui -même, qui pourrait être sauvé
par lui? Non, non, ô hommes! 0 Israël, toi qui es
l'Emmanuel, tu adoreras Dieu, et je l'ordonne de
détester Jésus parmi les dieux d'Ismaël.
La Synagogue chante et monte sur son
trône.
Alors l'Eglise, enhabits de femme, s'avance
brillante, couronnée, accompagnée à droite
de la Miséricorde avec des parfums, à gauche
de la Justice avec l'épée et la balance, l'une
et Tant, e aussi en habits de femme. Par
derrière, la suivent, à droite, les Apôtres et
tout le clergé du monde; à gauche, l'Empe-
reur des Romains avec l'Armée. L'Eglise
chante Alto consilio, et ceux qui la suivent
lui répondent, à chaque verset:
— Telle est la Foi qui donne la Vie, dans laquelle
est endormie la Moi, et quiconque croit autre chose
est damné pour l'éternité.
L'Eglise monte avec les siens, l'Empereur
et l'Année, sur son trône.
Ensuite viennent les autres rois avec
jeurs armées, chantant chacun ce qui paraî-
tra séant. Chacun d'eux monte surson trône,
th que trône, et surtout le temple de Dieu,
avant du vide autour d'eux.
Alors l'Empereur envoie ses messagers à
chaque roi, tt d'abord au roi des Francs,
avec ces paroles:
— L'histoire est témoin de l'assujettissement du
monde entier aux Romains, c'est là le secret de la
grandeur des premiers empereurs; sans doute la
fainéantise de quelques-uns a dissipé le trésor et
dilapi lé la puissance de l'Empire, mais notre ma-
jesté suprême réclame son droit aujourd'hui. Que
désormais, par consé pient, tous les rois payent les
tributs antiques à l'Empire romain ; et comme le
peuple des Francs est puissant à la guerre, que son
loi serve l'Empire de ses armes!
Messagers, donnez-lui ordre de venir auprès de
nous, comme un sujet fidèle et avec ses hom-
mes.
Les messagers s'en vont au roi des Francs,
et, se plaçant en face de lui, chantent ces
paroles:
— L'empereur des Romains à son ami l'illustre roi
des Francs, salut! savoir faisons à t.» Prudence que
tu dois être soumis au Droit Romain. Tiens donc
compte du Souverain Empire et sois dans la crainte:
c'est à son service que* nous t'engageons et nous
t'ordonnons de venir, en toute hâte, par ordre.
lk roi be FRANCE. Si l'histoire a quelque puis-
sance, ce n'est point à l'Empire, mais à nous qu'hon-
neur est dû. Car les seigneurs de Gaules ont pos-
sédé l'Empire et 1 cul légué à leur postérité. Si nous
en sommes dépouillés, c'est par violence. Certes,
obéirions- nous à la violence ?
Les légats retournent vers l'Empereur et
chantent:
— Eh bien ! les Français sont gonflés d'orgueil,
ils s'opposent hardiment à la majesté...
L'Empereur combat, fait prisonnier le roi
de France, lui fail grâce, et le roi de France,
renvoyé avec honneur, chante en retournant
dans .son royaume:
— Nous respectons la gloire du nom romain. ..etc.
L'Empereur envoie ses messagers au roi
des Grecs, au roi de Jérusalem, qui se re-
connaissent tributaires.
Toute l'Eglise étant ainsi soumise 5 l'Em-
pire romain, le roi de Babylone chante la
destruction des Chrétiens. Il assiège Jérusa-
lem. Mais, sur l'appel du roi, l'Empereur
sauve cette cité.
IL
Alors apparaissent les nypocrites, qui
précèdent l'Anti-Clirist. L'Anti-Christ est
armé, revêtu de la cuirasse, accompagné des
Hypocrites à gauche, de Y Hérésie à droite,
et" il dit:
— L'heurede mon règne est venu... C'eslmoi que
le monde doit adorer et non pas un autre...
Il est, en effet, couronné par ses satellites.
A son tour, il envoie ses messagers : au
roi des Grecs, qui se soumet; au roi de
France, qui plie le genou et reçoit la cou-
ronne des mains de l'Anti-Christ, comme
auparavant des mains de l'Empereur; au
roi des Teutons, qui se rebeliionne et me-
nace les légals.
L'Anti-Christ appelle ses dévoués aux
combats. Le roi des Teutons, attaqué,
triomphe de l'Anti-Christ. Alors celui-ci fait
des prodiges, guérit les lépreux, Iesaveugles,
les boiteux; le roi des Teutons se laisse
abuser, se soumet, attaque, au nom de
l'Anti-Christ , son suzerain, les peuples
adorateurs d'idoles, et amène à son suzerain
le roi de Babylone.
La Synagogue est invitée aussi à la sou-
mission par l'Anti-Christ, et s'empresse
d'obéir.
Mais les prophètes se lèvent pour confon-
dre l'Anti-Christ :
— Tu es le blasphémateur, « disent-ils, » l'auteur
de l'iniquité, la racine du mal, le perturbateur de
la vérité, le séducteur de la piété! Tu es l'Anti-
Christ!
L'Anti-Christ les livre a la mort, assemble
tous les rois, et leur dit :
— Voici mon triomphe, prédit longtempsd'avance,
et tous ceux qui en soûl dignes vont jouir de ma
gloire avec moi. Paix à ceux qui sont tombés dans
ies illusions de la vanité! Le bieai-être est uni-
versel.
A ces mots, on entend un coup de foudre
au-dessus d>" la tète de l'Anti-Christ. Il tombé,
tout le monde fuit.
L'Eglise chante :
— Voici l'Homme qui n'a pas eu Dieu pour aide!
Moi, ic suis l'olivier qui fructifie dans le domaine de
Dieu !
U7
,ro
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
APO
U8
Tons reviennent à la Foi.
L'Eglise les accueille et entonne:
— Dites laudes à notre Dieu !
APOCALYPSE (Mystère del'). — Il n'est
joint resté de manuscrit du Mystère de
V Apocalypse. Ce drame parut en Ï5V1, im-
primé 5 la suite de la seconde édition des
Actes des apôtres, que donnèrent, cette même
année, les frères Angoliers, à Paris. « Il est
de la composition de Louis Chocquet, assez
mauvais poète, même pour son temps, et
fut représenté en 1541, à l'hôtel de Flandre,
par les confrères de la Passion. » (Note
des frères Parfait, Histoire du Théâtre fran-
çais ; Paris, 1745. t. III, p. 50.) De Beau-
champs (Recherches sur les Théâtres de
France; Paris, 1735, in-8", 3 vol., t. Ier,
p. 331) en a donné un compte rendu ; ce
drame a é'é analysé aussi dans la Bibliothè-
que du Théâtre françois, ouvrage attribué au
duc de la Vallière (Dresde, 1768, in-8", 3 vol.,
t. I", p. 113) ; parmi les modernes, en 1828,
M. Sainte-Beuve (Tableau hist. et crit. delà
poésie fr. et du Th. fr. au xvi* siècle ; Paris,
1823, in-8% 2 vol., t. I", p. 217-234), a seul
cité, sous la date de 1541, le Mystère de
V Apocalypse de Louis Chocquet.
Les frères Parfait en ont donné l'analyse
suivante:
MYSTÈRE DE L'APOCALYPSE (72).
(Cy ensuyl le mystère de l'Apocalypse sainct Jehan,
avec les cruuutez de Domicien , Empereur de
Homme, composé par maistre Loys Chocquet.)
« Polipison, sénateur romain, vient an-
noncer au sénat assemblé la mort du bon
empereur Titus, ajoutant qu'il faut songer
à lui élire un successeur. Toutes les voix se
réunissent en faveur de Domitien, à qui on
va offrir l'empire. Ensuite paraissent deux
bourreaux, Torneau et Pesait, qui cherchent
îi se mettre au service de quelque prince.
Le hasard veut qu'ils rencontrent Dam, ce
fameux exécuteur des cruautés de Néron,
qui n'avait jamais voulu s'associer avec ses
camarades de profession, et s'était par là
rendu leur ennemi. Comme les deux dont
nous parlons le trouvent ici sans défense,
ils l'assomment et lui dérobent ses habits
et son argent.
TORNEAU.
Puisqu'on fault faire le, départ,
En eeste fosse sera mis :
Et puis irons chez nos amis,
En chantait ung Libéra nos,
Assis à table entre les potz.
(72) Ce poème pourrait porter avec raison le titre
du Mystère de saint Jean l'Evangéliste, puisqu'en
effet il contient la plus grande partie de la vie de
cet apôtre, et que les révélations prophétiques con-
tenues dans VApocalypse ne forment ici qu'une es-
pèce d'épisode détaché entièrement du reste de
l'ouvrage." 11 est de la composition de Louis Chocquet,
assez mauvais poète, même pour son temps; et fut
représenté en 1541, à l'hôtel de Flandre, à Paris, par
les confrères de la Passion, à la suite des Actes des
apôtres , et parut imprimé la même année à la lin
de la seconde édition de ce mystère. En voici le titre :
L'Apocalypse de Sainct Jehan Zébédée, nù sont com-
penses tes visions,el révélations aue iceluy Sainct Jc-
(Icy le getlent en l'Apparition tl s'en vont à
Homme.)
« Ces deux bourreaux vont offrir leurs
services à l'empereur, au moment qu'on
lui apprend que saint Jean a converti les
habitants d'Ephèse. Domilien fait aussitôt
)urtir un vaisseau pour le lui amener. Comme
es matelots qui doivent monter ce bâtiment
sont endormis, et la plupart ivres, le pilote
et obligé de les faire marcher à coups de
canne. Il fait charger les provisions néces-
saires, comme pain, vin, viandes salées,
morues, harengs, baleines salées, et surtout
des cartes et des dés. Ensuite on met à la
voile. Arrivés à Ephèse, les ambassadeurs
mettent pied à terre et reçoivent les compli-
ments des matelots.
LE PREMIER MATIIELOT.
Perpétuel loz
Soit aux nobles Ambassadeurs
le second matiielot aux spectateurs.
Ce ne sont meschantz Estradeurs,
Où promeneurs de poires molles.
a Ces ambassadeurs vont droit au temple,
où ils se saisissent de l'apôtre, à qui ils
demandent son nom. Saint Jean leur répond
sans s'étonner:
Je suis
Juif, nommé Jehan, qui ensuis
Les œuvres de Jésus, mon Maistre.
« L'apôtre entre dans le vaisseau, qui le
porte h Rome, où Domitien, de l'avis du
sénat, le fait jeter dans une chaudière pleine
d'huile bouillante.
(Icy Mollestin faict apprêter une chauldière d'huylle,
et fourches, boys, charbon, trippiers, et soufflez, et
les porte devant la Porte Latine.)
« L'empenmr, surpris de ce que saint Jean
sort sain et sauf de ce supplice, le condamne
à un exil perpétuel dans l'ile de Patmos.
On conduit l'apôtre au lieu de son exil,
avec Porchorus, prisonnier chrétien, con-
damné a la même peine. C'est en ce lieu que
le Seigneur, pour couronner les souffrances
de son disciple bien-aimé, lui découvre les
secrets les plus cachés, et dont l'accomplis-
sement est réservé à la fin des siècles.
(Icy se doibt mettre sainct Jehanprès de quelque Hoc,
appuyé stir une de ses mains, en forme de contem-
plation, pendant se fera une grande pause en Para-
dis, musicale ou instrumenlalle, cependant que la
première vision s'apparoitra (75). Icu sainct Jehan
prent plume, papier, et ancre.)
« Pendant que d'un côté du théâtre saint
Jean rend compte aux spectateurs des visions
han tut en l'Isle de Pathmos : le tout ordonné par
figures convenables , selon le texte de la Saiucte
Escripture : ensemble les cruaullez de Domicien
César Fin du Mystère del' Apocalypse Sainct
Jehan l'Evangéliste, nouvellement rédigé par Person-
nages, avec les miracles faits en l'Isle de Pathmos, le
tout historié selon les visions, et achevé ledict Livre
d'imprimer le XWI1. jour de May, l'an mil cinq cens
XL1. par Arnoul et Charles les Angeliers frères; in-
folio gothique, avec des ligures en bois. Environ
neuf mille vers.
(75) Ces visions, qui sont au nombre de quatorze
n'ont rien de singulier, et ne contiennent qu'un
abrégé infidèle de celles de l'Apocalypse. Nous en
149
APO
DICTIONNAIRE DÈS MYSTERES.
APl>
150
célestes qu» se présentent, de l'autre, Domi-
tien fait massacrer un pantomime, pour ce
seul sujet qu'il ressemb'e au philosophe
Paris; on lui apprend ensuite qu'Hermo-
gènes a composé un livre où les tyrans sont
dépeints avec les couleurs les (il us fortes.
Ce cruel empereur, qui y reconnaît son
portrait, fait dévorer l'auteur par des chiens,
et attacher à une croix le libraire et l'enlu-
mineur de l'ouvrage. Ces malheureux expi-
rent, priant lupin, Mahom, Mercure, Apol-
lon et Vénus d'avoir pitié de leurs âmes.
Pour se récréer, Domitien fait arrêter l'astro-
logue Asclétarion, et lui demande de quel
genre de mort il doit périr. « Les astres,
« répond-il, m'ont prédit que mon corps
« doit être dévoré par des chiens. » Pour
démentir cette prédiction, l'empereur fait
trancher la tête au misérable Asclétarion,
dont les chie is mettent le corps en pièces.
Tant de cruautés soulèvent le peuple romain.
Etienne, officier du palais, deux chambellans
de l'empereur et quelques seigneurs cons-
pirent ensemble contre lui, et prennent la
résolution de Tassas iner. Domitien, qui a
quelque pressentiment de leur dessein, se
relire fort triste dans sa chambre; les co' ju-
rés s'y rendent, Etienne lui présente un
libelle, et pendant que ce prince en fait la
lecture, les conjurés se jettent sur lui et le
percent de coups.
CLODius arrêtant ses camarades.
IJ sufïist, car je vous prometz
Qu'il esl au rang des trépassez
SATURNUS.
Il a reçu des coups assez
Pour avoir mis l'âme hors dehors.
LE PREMIER CHAMBELLAN.
Ne reste qu'à penser du corps»
Et regarder qu'on en fera.
{Icy les trois tyrans mettront Domicien en une ci-
vière, et le porteront en quelque lieu.)
« Phélix, nourrice de Domitien, va cher
cher son corps à la voirie, et l'ensevelit en
secret. Le sénat s'assemble ensuite, et pro-
clame Nerva. Ce nouvel empereur, profilant
du malheur de son prédécesseur, rappelle
\as exilés, et rend la liberté aux prisonniers.
Du nombre de ceux-ci sont deux disciples
de saint Clément, qui s'embarquent aussitôt
pour aller trouver saint Jean à Patmos. »
M1STÈRE DE SAINT JEAN l'ÉVANGELISTE, ÉTANT
en l'île de patmos (7i).
« Cynops, fameux enchanteur, paraît dans
une grotte, que l'auteur a voulu qualifier du
nom d'ermitage, et se vante du pouvoir qu'il
a sur les habitants des enfers. Deux prêtres
d'Apollon, et trois citoyens de Phéra, ville
de Patmos, viennent lui annoncer les pro-
grès des prédications de saint Jean. « Vous
« ne devez pas négliger une affaire qui pour-
« rai t avoir des suites fâcheuses, » lui dit
un des prêtres.
supprimons le détail; il suffira au lecteur de savoir
que re sont comme des espèces de tableaux que l'on
présente à saint Jean , et dont cei apôtre rend
compte aux spectateurs, en écrivajpl, on plutôt en
caldants, premier cyloyen.
Il commence à gaigner crédit.
Et faict des elioses nonparcilles.
CAMellls, second cyloyen.
Il nous rompt à tous les oreilles.
« J'y pourvoirai, répond Cynops en le?
congédiant. Un moment après, il appelle
Astaroth.Bérith, Belzébuth et Belphégor, e'
ordonne au premier d'aller étrangler le sainl
apôtre. Au hetï d'exécuter lé commandement
de Cynops, Aslaroth se trouve lié par celui
de saint Jean; comme le magicien ne voit
point revenir son messager infernal, il dé-
pêche Bérilh, qui demeure arrêté comme
son compagnon, aussi bien que Belzébuth,
qui arrive ensuite.
BF.RITfF.
Ton parler si très-fort in'eslonne»
Que j'en perds le sens cl courage.
Harau ! Diables, barau! j'enrage,
Malings espiïlz, le hayt ne ciiet,
Car je suis prins au trebuschet,
Plus ne puis aller, ne venir.
SVINCT JEHAN.
C'est pour le faire souvenir
Que ton maître n'esl que ung menteur,
Invocateur et séducteur,
Qui n'a pouvoir, ne force aucune.
Belphégor, envoyé après eux, n'ose appro-
cher de la grotte de l'apôtre, et retourne
avertir son maître du sujet qui retient ses
camarades. L'enchanteur, écumant de rage,
invoque un nouveau secours; et Lucifer,
attentif à sa voix, détache Satan et quelques
autres.
(Icy pourra avoir trois ou quatre petites Besles, qui
figureront Esperilz.)
« Cynops se fait transporter avec sa suite
à Phéra, où il trouve l'apôtre occupé à
prêcher. Avec le secours de quelques pres-
tiges, il séduit le peuple au | oint, qu'au
lieu d'écouler le sermon de l'homme de
Dieu, ces insensés se jettent sur lui et l'as-,
somment de pierres, mais à la confusion de
Cynops et de ses sectateurs, puisque saint
Jean se relève aussitôt sans ressentir aucun
mal. Alors l'enchanteur, pour conserver
son crédit et son autorité par quelque coup
d'éclat, se jette dans la mer, espérant s'en
retirer par le secours des démons, qui, for-
cés d'obéir au commandement de l'apôtre,
entraînent l'imposteur au fond des enfers.
Sur ces entrefaites, le saint rend la vie à
trois enfants morts subitement. Ce miracle
étonne les assistants, qui se convertissent,
a la réserve de deux prêtres, que rien ne
peut tirer de leur aveuglement. » ( Hist. du
Th. fr. , par les frères Parfait, t. 111,
p. '51-59.)
APPARITION DE NOTRE-SEIGNEUR
JESUS-CHRIST ( L"). — V Apparition , qui
date au moins du xu" siècle, et plus proba-
blement du xi", est l'un des dix mvslère'sdiY
feignant écrire. Un ange lui parle de temps m
temps.
(74J <• est ici la seconde partie du Mystère de l'A-
pocalypse,
151 AIT DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
précieux recueil du xih* siècle, dont nous
avons donné la description et l'histoire sous
le titré de Manuscrit de Saint-Benoît-sur-
Loire. (Voy. Saint-Renoît-sur-Loire [Ma-
nuscr. de).
APPARITION DE NOTRE- SEIGNEUR
JÉSUS - CHRIST A DEUX DISCIPLES
DANS LE BOURG D'EMMAUS (Mystère
DE L'j.
PERSONNAGES :
APP
15*
rassasier pleinement et nous réjouir de la douceur
de ta parole. Reste avec nous; il est tard, le jour
baisse. Alléluia! (Parlé.) Le soleil qui se couche,
nous conseille de te demander l'hospitalité , et nous
serions heureux d'entendre ton avis sur la résur-
rection de notre maître. Alléluia.
V.-S. .JESUS-CHRIST.
L-: même , en habit de pèle-
rin.
L ■■: CREMIER DISCIPLE.
LE SLC-.'.NU DUC VLU.
LES SAINTES
FEMMES
La l™ Marie.
La '2'.
La S».
Saint thomas, a^ôlre.
les disciples.
le cuoelr.
SCÈNE I".
LES SAINTES FEMMES.
la première marie. Hélas! malheureuses! pour-
quoi nous a-t-il été donné de voir la mort du Sau-
veur?
la seconde marie. Hélas! Rédemption d'Iraël!
comment a-t-il subi la mort?
la troisième marie. Hélas ! notre consolation!
pourquoi a-t-il eu la volonté d'agir ainsi ?
toutes ensemble. Hàtons-nous d'aller au tom-
beau pour oindre son corps très-saint.
SCÈNE II.
(Pour la représentation de i Apparition de N.-S. en
habit de pèlerin , que l'on joue la troisième semaine
de Pâques , à vêpres , les deux disciples , en. robe
seulement , couverts de ckappes a capuchons , en
guise de manteaux, barbus et le bâton à la main,
arrivent en chantant : )
Jhesu , nostra redemplio
Amor et desiderium... etc. (75)
(Pendant ce temps , celui qui remplit le personnage
du Seigneur, bien déguisé en pèlerin, le bâton, le
bourdon à la main, barbe longue, vêtu d'une tu-
nique, les pieds nus, les suit uti instant par der-
rière à leur insu; puis à la fin du chant, il s'ap-
proche d'eux.)
diseours tenez-vous là tous
"Vous êtes tristes? Alléluia!
le pèlerin. Quels
deux en marchant?
( Luc xxiv, 17.)
l'un des disciples , se retournant, lu es donc le
seul pèlerin dans Jérusalem qui ignore ce qui s'est
passé ces jours-ci. Alléluia! (Luc. xxiv, 18.)
le pèlerin. Et quoi donc?
les deux disciples. Eh bien, touchant Jésus le
Nazaréen , qui était un prophète, puissant en ses
œuvres et ses: discours, sous l'œil de Dieu et le re-
gard du peuple. Les grands prêtres et les chefs de
l'Etat l'ont condamné à mert et crucifié , il y a déjà
trois jours. Alléluia! (Luc. x::iv, 19, 20, 21.)
le pèlerin d'un ton courroucé et chantant. Insen-
sés, hommes au cœur glacé, et sans foi dans les pro-
phéties. Alléluia! (Luc. xxiv, 25.) Ne fallait-il pas
que le Christ souff ît ainsi avant d'entrer dans sa
gloire. (Luc. xxiv, 2i, 26.)
(// feint de se retirer. Les disciples le retiennent.)
les disciples. (Chanté.) Le soleil se couche, et il
presse de trouver un asile, ne nous abandonne pas
dans la nuit. Reste avec nous, Seigneur, pour nous
(75) Ce sont les premiers vers de l'hymne de
l'Ascension, à Vêpres, suivant le rit romain. (Note
4t M. l'abbé La Bouderie , Li Jeu de S, Nie, par
(Ils vont s'asseoir sur des sièges mis exprès là rf'a-
vance. On leur apporte d'abord de l'eau pour laver
leurs mains, et ensuite une table toute servie , sur
laquelle est un pain entier, trois oublies et un broc
de vin. Jésus prend te pain, le bénit de la main
droite et le brise en morceaux.)
Jésus. (Chanté.) Je vous laisse ma paix, je vous
conne ma paix. ( Joan. xiv , 27.) (H donne le ca-
lice à l'un.) Ce sont là les discours que je vous te-
nais, quand j'étais parmi vous. Alléluia! Alléluia!
De même que mon Père vous a aimés , je vous ai
aimés moi-même ; demeurez dans mon affection.
(Joan. xv, 9.)
(Tandis qu'ils mangent les oublies, le pèlerin se retire,
tout doucement , sans qu'ils s'en doutent. Un peu
après, ils regardent , et ne voyant plus personne,
ils se lèvent très-agités , s'éloignent de la table ,
cherchent, et en marchant chantent ainsi :)
les disciples chantant. Comme notre cœur était
ardent au sujet de Jésus , tandis qu'il nous parlait
et nous découvrait le sens des Ecritures. (Luc.
xxiv, 52.) Ah ! malheureux , où était mitre esprit, et
combien notre intelligence nous a failli.
(Ils approchent du chœur.)
le choeur. Le Seigneur est ressuscité et il est ap-
paru à Pierre. Alléluia !
SCÈNE III.
'Le Seigneur apparaît , vêtu d'une robe blanche sur
laquelle est jeté un manteau rouge ; il tient à la
main une croix d'or, symbole de la passion; il est
coiffé d'une mitre blanche ornée d'orfrois; il se
tient au milieu d'eux.)
le seigneur. La paix soit avec vous. C'est moi.
N'ayez pas peur. (Luc. xxiv, 59.)
le choeur. Quel est celui-ci qui vient d'Esdem
avec ses habits teints de Bosra. (Isai. lxiii.)
le seigneur. Que la paix soit avec vous!
le chœur. Quel est celui-ci, si beau dans sa robe,
et marchant dans l'abondance de sa force? (Ibid.)
le seigneur. La paix soit avec vous!
le choeur. Le Seigneur crucifié pour nous est
sorti du tombeau. Alléluia!
le seigneur. Pourquoi êtes-vous troublés elquelles
pensées ont envahi vos cœurs. (Luc. xxiv, 58.)
J'ai seul foulé le pressoir, et de tous les peuples il
n'y avait pas un homme avec moi. (// montre ses
mains et ses pieds rougis avec du minium.) Voyez
mes mains et mes pieds : c'est moi-même. Alléluia!
(Isai. lxiii.) Touchez et voyez : un pur esprit n'a
ni chair ni os comme moi, et ayez foi. (Luc.
xxiv, 39.)
(Les disciples s'approchent et touchent ses mains el
ses pieds.)
le seigneur étendant ses mains sur eux. Recevez
l'Esprit-Saint! Ceux de qui vous aurez remis les
péchés seront absous. Alléluia!
(Le Seigneur se retire du coté opposé au chœur. Les
disciples s'approchent.)
les disciples. Un nouvel Adam a conduit l'ancien
dans les cieux , et la création adore le Créateur.
Jeh. Bodel , publié par la Soc. des Bibl. ù\, 183-i ,
in-8°, Pièces jointes, etc., p. 176.
153
APP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ARC
154
Sainte Marie et Madeleine et Marie Salomé appor-
tent les parfums. L'ange , en robe blanche , a an-
noncé la résurrection du Seigneur et la défaite de
la Mort; le vainqueur a quille le Tartarc dévasté et
dépouillé, il en a : apporté les trésors dans les cieux.
11 s'est montré lui-même , dans toute sa beauté, à
ses disciples, en Galilée; devenu leur compagnon,
il les a grondés en chemin, sans en être connu, et
plein de bonté, il leur a révélé le mystère des choses
écrites. A taLle enfin il a élé reconnu sous sa véri-
table forme le pain brisé jetait des (lots de lu-
mière. Louange et gloire au Seigneur !
SCÈNE IV.
(Arrive Thomas, vêtu d'une tunique et d'un manteau
de soie, bâton à la main, un bonnet carré sur ta
tête.)
les disciples. Thomas , nous avons vu le Sei-
gneur.
tiiomas. Tant que je n'aurai pas vu les trous des
clous sur ses mains, et mis mes doigts sur son coté,
je ne croirai pas.
(Le Seigneur apparaît , vêtu d'une robe blanche et
d'une c happe rouge, la tête couronnée de l'amict
et ds phyl ictères , une croix d'or et un étendait
dans la nu in droite, et dans la gauche, le texte
des Evangiles.)
le seigneur, au chœur , en entrant. Que la paix
soit avec vous !
le choeur. Soif béni celui qui vient au nom du
Seigneur! mais... le Seigneur même est devant
nous.
le seigneur. La paix soit avec vous! C'est moi.
Soyez, sans crainte-.
le choeur. Ce jour même est l'œuvre du Seigneur,
soyons joyeux et heureux. (Ps. cxvn, 2i.)
le seigneur à Thomas. Thomas, mets ton doigt
ici et vois mes mains. (// lui montre ses plaies.)
Mt ts la main sur les Irous. Alléluia! Cesse de
douter; sois plein de foi désormais. Alléluia!
tiiomas touche les cicatrices du Seigneur , puis
tombe à ses pieds. 0 mon Seigneur et mon Dieu !
le seigneur. Thomas, lu n'as cru qu'après avoi.
vu , heureux ceux qui ne verront pas et croiront.
Alléluia! (Joan. xx , 29.) Tout pouvoir m'est
donné dans le ciel cl sur la tene. Alléluia!
(Matth. xxmii, 18.) Je ne vous laisserai pas orphe-
lins. Alléluia! (Joan., xiv, 18.) Me voici, je suis
venu à vous (Ib.), et voire cœur sera réjoui. Allé-
luia! ( Joan., xvi, 22.) Allez dans tout le monde,
annoncez l'Evangile à toute créature. Alléluia !
(Ma c. xvi, là.) Celui qui aura ia foi et recevra le
baptême, sera sauvé. Alléluia! (Ib., 16.)
Tous les disciples s'approchent et conduisent Jé-
sus au travers du chœur (de l'Église) afin que cha-
cun le voie. On chante Salve Festa Dies, etc. (76).
APPARITION (V) DE NOTRE '- SEI-
GNEUR JÉSUS-CHRIST. — L'apparition a
donné lieu en Espagne à un Auto de Pedro
Alumira, imprimé à Burgos en 1523. Un
ange ouvre la représentation de ce mystère
en en exposant d'avance, dans un prologue
assez long, tes diverses péripéties. Saint Luc
et Clt'ofas cheminent vers Emmaus en
s'entrelenanl de la passion de Jésus Christ,
de sa vie. de sa doctrine, de ses miracles,
et du Messie. Le Christ leur apparaît sous
la l'orme d'un pèlerin et prend part à leur
(76) Hymne de Pâques sur laquelle on peut con-
sulter deMele.hior lliltoip, Ordo Romanus , de Mar-
tin Gerbert, Monumenta veteris liturgiœ ulemannicœ,
t. H, p. 88, de Tora Clichton, Elucidator. eccles., et
Li Jus S. Nicolat, p. 18-4.
dialogue. Etonnés de l'éloquence de cet in-
connu, ils l'invitent à venir avec eux. Ils
le reconnaissent enfin :
cléofas. Bon Jésus.
s. Ltc. Mon bien.
cléofas. Ma joie.
s. me. Mon maître.
cléofas. Bon Père.
s. luc. Mon doux Seigneur.
cléofas. Mon Dieu et ma gloire.
s. Luc. Mon bon rédempteur.
cléofas. Mon ferme appui.
s. luc. Mon espérance.
cléofas. 0 douce consolation des désolés.
s. luc 0 joie des affligés...
(Le Christ les bénit et disparaît.)
ARCHIDIACRE (Miracle de l'). — Ce
mystère, encore inédit, csl lire du manus-
crit n° 7208, A et B, en deux volumes m-
folio parvo, de la Bibliothèque impériale,
A, troisième moralité, f" 24-34. Le fragment
du texte que nous publions ci-dessous ser-
vira h donner une idée du style, et ap-
I ellera.nous l'espérons, de nouveau l'allen-
tion du gouvernement et <!es bibliophiles
français, sur le beau recueil de la Bibl o-
thèque impériale, dont la moitié même n'est
pas encore publiée.
Ce mystère date du xiv' siècle.
Il débute ainsi :
(Cy commence un miracle de Nostre-Dume, de févesque
(lue farce-diacre murlrit pour estre évesque après
sa mort. )
SCÈNE I".
l'évesque.
Seigneurs, que Dieu bénédiction
Vous rioint (77)! entendez la raison,
S'il vous plaist, que ie vous vueil (78) dire :
Puisque Jhesucrist, nostre sire,
M'a, par sa granl bénignité,
Mis en Testai de dignité,
Et fait de son peuple pasteur,
Je voy se à moy ne sui dotteur
Selons que pour faiz, que pour diz,
J'aquière à m' ame (79) paradiz.
Cesle honneur-cy rens (80) ne mcvault,
Car l'on dit souvent: quant plus hault
Est li nom montez qu'il ne doibt,
De plus hault chut quil ne vouUlroit;
Et ce n esniaie moult le cuer,
Car estre me peut cest honneur
Cause de mon grief dampnement,
Se re ne fais denement
Ce qu'à Dieu vouay et promis,
Pour qui en cesle honneur fu mis;
Et pour ce suis-je en ce penser,
Comment, auant mon liespasser
Je puisse pour moy cest honneur.
L'amour de Dieu nostre Seigneur,
Cy desservir.
PREMIER CLERC
Mon chier Seigneur, sen li servir
Et sa très-doulce chière mère,
Persévérez en la manière
Que ains mest qu'avez commencié ,
(77) Vous donne.
(78) Veux.
(79) Mon àme.
(80) Rivn.
155
ARC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ARC
m
Je ne cuit pas qu'a l'amistié (81)
Deffailliez, Sire.
SECOND CLERC.
Merveille vous ay oy dire,
Mon chier seigneur, ycy endroit :
Vous avez de loy et de droit
Tout le sens aquis et usage,
Et si estez de nous plus sage.
Ne say point quoy vous desmentez (82),
Et ne pourquant se m'entendez ;
Vesoy : je vous respon briefment
Se vous voulez parlai ttement
Vivre et avoir vraie sagesce
Qui *>st une moult grant noblesce,
Sire, en tout temps et en tout lieu ,
Aiez en vous la paour de Dieu ;
Car sen est le commencement,
Se le saint prophète ne ment,
Que mon sautier (83) le nous recorde,
Et ave Salemon (84) s'acorde,
Quant dit : le sage craint folie
A famé et le fol trop si fie.
Or le savez.
l'évesque.
Certes bien respondu m'avez
Et vérité à cestui mot;
Et je pri Dieu de cuer dévot
Qu'il la nous doint si concevoir
Que sa gloire en puissons avoir.
Et restons ensemble.
PREMIER CLERC
Amen! Sire, et nous desassemble
De la compagnie aux maus fez
Que sont de tempter escliaufez
Tousiours preudomme (85).
SCÈNE II.
l'arcediacre.
Chier Sire, saint Pierre de Romme
Vueille Dieu prier que sa grâce
Vous octroit, et de. vivre espace
Par son plaisir !
l'évesque.
Et vous puissiez le bien venu,
Arcedyacre, mon amy;
Ditez que vous amaine cy ;
N'en mentez mye.
l'arcediacre.
Sire, de par moy vous supplie
Le chapitre de noslre Eglise
Et chascun pour soy sans faintise,
Qu'à ceste saint Pierre prouchaine,
Pour ce que c'est la souveraine
De nos festes et la maistresse,
Il vous y plaira la grant messe
Venir chanter.
l'évesque.
Arcedyacre, sans'doubter,
Sachez que voulenticrs yray
Et la grant messe chanteray
Solempnellement, s'il plaist à Dieu,
Pour l'amour de vous et du lieu
Que j'ai bien chier.
l'arcediacre.
Sire, Dieux en soit vo loyer (80)
Quant pour nous faire tant vous plaît !
Je men vois sans vous fasse plait
Ne sermon plus.
(81) Son amitié.
(82) Pourquoi vous vous tourmentez.
(83) Psautier.
(8i) Salomon.
l'évesque.
Alez, que li très-doult Jhcsus
Vous doint sa grâce.
SCÈNE III.
l'arcediacre.
Certes or ne scay que ie face ,
Car penser me met à meschief,
Tel que n'en puis venir à chief.
Quant de moy évesque on ne fist.
Cest estât point ne me souffist,
Ne mon cuer ne peut raemplir
Quant il me colrera fléchir
A genoux pardevant ce maistre,
Et la main au chaperon mettre
Pour li révérence porter.
Se ie voulsisse et pour raison
Car de gens de plus hault renom
Qu'il n'y a nulz en son parage,
Sui nez, et de meilleur lignage;
Mais ce li fait sa dominité.
Hélas ! je pense en vérité
Que se pour mort fine estoit,
Que de moy évesque on feroit;
Car ie n'y say homme vivant
Qu'en ce pays sy souffisant.
En aroit lors mon cuer grant joye;
Certes tout maintenant voulroye
Que de mort soubite moreust,
Mais qu'à évesque on m'esleust.
Si le feray-ie, se ie puis,
Briefment
Parquoy à cel honneur venray
A quoy ie tens.
SCÈNE IV.
l'évesque.
Seigneurs, heure est passée et temps
Que ie deusse anoir ia dite
Complie; il faut que m'en acquitte
Vers Nostre-Dame.
premier clerc
Mons, bien ditez pour m'ame (87) !
Si la vous plaist accommencier,
Nous vous pourrons tous y aydiei
A dire là.
l'évesque.
Seigneurs, savez comment il va ;
Mettre me vueil en lieu recoy,
Et dire la tout à par moy ;
Qu'avec feray autre oroyson.
Trop feroye grant mesproyson,
Se ie me metloie en oubli
De prier celle qui norri
Le fil Dieu de son vierge lait,
Qui tant souffri pour nous delaiL
Que pour nous d'enfer deliurer
Son saint corps volt à mort liurer.
Tenez vous cy entre vous deux
Qu alor la vueil dire touz seulz
En ce mouslier.
second clerc.
De par Dieu soit, mons chier ;
Alez, ce nous vous attendrons,
Ne de cy ne nous mouuerons
Tant que venrez.
(85)Lcs mauvais qui sont toujours désireux de ion
1er les braves gens.
(8H) Dieu en vous soit loué!
(87) Mon âme.
157 ARC
SCÈNE V.
l'évesqde.
Dame, par qui furent deliurez
Ly mondes de mort perdiirable,
Quant Dieu le Père espéritable
Son ehier Fils en vous envoya
Qui humains en grâce avoya
Et leur ouuri des cieux l'entrée!
Dame qui est benemée
Sur touz sains et sur toutes saintes!
Dame qui as des âmes maintes
Sauué par la miséricorde!
Dame par qui paix et concorde
Fu entre Dieu et homme faite!
Vierge royaux, mon cuer affaite
A toy si saintement finir
Qu'il puist pour m'ame deffinir
Le glorieulx manoir des cieulx!
Encore vous prie, Vierge gentieulx,
Pour le peuple que à gouuerner
Ay, que si le puisse attourner
A sainte pénitence empiendre,
Que les aines en puisse rendre
A Ihésuciist, mon créatour,
Qui d'eulx m'a ordonne pastour!
Ce m'ollroit H Père et li Filz,
El li benois Sains Espeiiz,
Qui dieux est perdurablement
Sans fin et sans commencement !
Et vous. Vierge, vueillez me dir
Amen ! De cy me vueil partir
Et a mon hostel m'aler eut. (88).
Seigneurs, sachiez : j'ai grant talent,
Puis que i'ay dite ma complie,
D'aler concilier ; que ie n'oblie
A releuer à none nuit.
Pour dieux , mais qu'il ne vous ennuit
Que m'y menez.
PREMIER CLERC.
Voulentier, monseigneur, venez.
Un lit est tout prest aussi.
Despoillez vostre chape cy.
Si entrez cns.
l'évesqde.
A ce faire est bien mes assens
Je suis bien plus ne m'atouebiez
Mais faitoz tout si vous couchiez
Sans remanoir.
SECOND CLERC
Si ferons nous, monseigneur, voir
N'en doubtez point.
r-REMIER CLERC.
Vescv ma place tout à poins,
Prenez la vostre.
SECOND CLERC
Foy que ic doy la patenoslre,
Et ie me vueil ycy gésir,
Car aussi ay ge grant dcsii
De sommeillier.
SCÈNE VI.
l'arcediacre.
.T'ay moult pris à moy conseiilier
Pour mettre en Testât ou ie tente
Et toutefuores point m'cnlenle
Du tout avoir c'est d'evesque esirc....
Ambitieux , aveugle, jaloux de son évo-
que que la faveur de Dieu a porté à une si
haute dignité , l'archidiacre tend des pièges
(88) M'en allez, me rendre.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ASC
158
autour du saint pasteur; la nuit , sur la porte
du mouslier où l'évêque a coutume d'aller
sur le minuit faire ses dévolions , il suspend
adroitement une lourde épée : l'épée tombe,
le serviteur de Dieu périt, l'archidiacre
triomphe et est élu évoque. Mais ni l'ombre
des cieux, ni la subtilité de l'esprit n'ont
pu cacher le crime à Notre-Dame, elle
s'écrie :
Mes amis, moult me doy doloir
Et auoir grant compassion
De la cruelle passion
Qu'a souffert mon servant à tort...
En vain saint Etienne, saint Lnrens ,
Gabriel , saint Michel, essayent de la dis-
traire...
Nanil, tant que mo fil m'ara
Donné de cette mort vaniance,
De mon dueil n'aray alleiance.
Ne chantez point.
Dieu entend et exauce les désirs rie No-
tre-Dame. L'enfer se réjouit et attend sa
proie. Le coupable se lamente :
Hélas! hélas! je suis dempnez,
Puis que la Vierge m'est contraire.
Qui aux autres est débonnaire!
Las! que pourray-ie devenir?
le voy les ennemis venir,
Qui en Enfer me porteront,
Qui sanz fin me tormenteront!
Ne Dieu n'ara de moy mercy!
le ne puis plus demourer cy :
Mourir me fault.
Les anges chantent un rondel en l'hon-
neur de la Vierge, et la représentation est
close.
Cette pièce , très-singulière, rappelle va-
guement le Théophile ; elle en est une faiblo
et barbare imitation. Dans le temps môme
où l'esprit de recherche s'élève dans le
monde , celui d'invention disparaît ; l'homme
perd la puissance avec la foi.
ARRIVÉE DE L'ÉPOUX ( Mystère de l).
— M. Magnin , dans le Journal des Savants ,
cahier de janvier 184-6, a , selon nous , dis-
tingué , à tort , dans le Mystère des Vierges
sages et des Vierges folles du manuscrit <ie
Saint-Martial de Limoges , le prologue du
drame, comme un drame particulier, sous
le titre de Mystère de l'Arrivée de l'époux.
( Voyez Saint-Martial de Limoges [manus-
crit de ], Vierges sages et Vierges folles [Les].
ASCENSION ( L*'). — On a indiqué à tort
un jeu de V Ascension , dans le De Reforma-
tione monasteriorum de Busek, édité par
Leilwitz (Scr//). Brunswicens; Hanovre, 1710,
in-f°, t. Il, p 500). Le passage de Busck, que
nous avons consulté avec soin, n'indique
qu'un rite pieux, sans aucune trace d'une
représentation ligurée, ni môme d'une
scène mimique. L'erreur provient très-pro-
bahlement de la mauvaise leçon d'él sedit
Angélus mal coupé par deuxvirgules. Il ne
s'agit que d'une procession avec ses céré-
monies ordinaires.
Néanmoins on trouve celle mention dans
>
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ASS
160
159 ASS
Du Gange : « Dars le monastère de Saint- les apôtres à la maison de sa mère; elle les
Pierre-d'lsle et dans d'autres églises, on prie de se mettre en prières, de réciter le
fa:sail une représentation de l'Ascension ; psautier, et de préparer un cierge,
selon l'Ordinaire de ce couvent Le celé- (Pause pour aller dîner.)
brant, amesavoir goûte du nain etdu vin, et v r '
après le Répons : Non vos derelinnuam. mou- « Lucifer, instruit de tout ceci, et sachant
tait sur une sorte <le hauteur, comme vers les à quel degré de gloire et de puissance la
chnx, et la des infants de chœur, en costume Vierge Marie va être élevée, fait de ridicu-
d'à g 's, chantaient : Viri gnlilœi , » etc.
f Cangii Gloss. , v° Feslam [-Ascensionis] ;
élit, de HWischell, Paris, Didot , 18W ,
t. III , p. 250, col. 3.)
ASSO UPTION ( Mystère de l' ). — M.
l'abbé de Lame, dans ses Essais historiques
sir les bardes , les jour/leurs et les trouvires
nnm'inds et anglo-normands ( Caen , Mail-
Ce", 18J+, 3 vo'.. t. >ïr, |).16o), a fait mention
d'un Myst're de l'Assomption, iouéàBayeux
en 1351 , et à Cout.tn es en 1411.
ASSOMPTION (Myst «e de l'). — On ne
connaît point de manuscrit du Mystère de
V Assomption. Ce drame date de la première
moiué «In xvie siècle. Antoine Duverdier,
dans sa Bibliothè/ue française, p. 103, en
donna le t tre, que les frères Pariait se con-
tentèrent d'abord de reproduire dans le se-
cond volume de leur HiUoire du Théâtre
franc lis, imprima en 1735; mais dix ans
après, dans le troisième volume de ce même
ouvrage, ayant eu, durant ce long espace de
temps, l'oceas ou de consulter un exem-
plaire de l'Assomption, ils eu donnèrent une
analyse qu.) nous reproduisons ci-dessous.
De B 'au champs (liecherches sur les théâtres,
Paris, 1735, in-8°, 3vol.. t. l".p.22r0, et la Bi-
les efforts pour y mettre obstacle, et dépê-
che Satan avec un plein pouvoir, en forme
de procuration. écrite par Tithinilus, notaire
et greffier infernal.
(Pose : Orgues : et doit venir Jltésus en ÏHostel de
Marie : flambées sans cesser.)
« Au son des instruments, et environné
de flammes brillantes, Jésus vient trouver
sa mère. Saint Pierre ordonne aux assis-
tants de prendre un cierge allumé; et saint
Michel terrasse SaU-n.
Michel.
Faux Salhan, si tu ne te rens
Je te feray une escarmouche.
bliothèquedu Théâtre français (Dresde, 1703, psaume In exitu
i n-8°. 3 vol , t. I", p. 2), eu ont fait mention.
Ou ne connaît qu'une édition de ce mys-
tère, imprimée à Paris, in-16, à l'Escu de
France, enseigne d'Alain Lolriau, qui impri-
mait vers 1518; c'est un petit volume de
15i pages, contenant environ deux mille
cinq cnls vers.
Le titre est ainsi conçu :
Tu es bien présumptueux Diable.
« Jésus monte au ciel avec l'Ame de la
sainte Vierge, au milieu des acclamations
des anges, après avoir ordonné aux apôtres
d'ensevelir son corps à la vallée de Josa-
phat, en les assurant qu'il viendra bientôt
les consoler. Ils obéissent, et obligent saint
Jean à porter la palme; saint Pierre, saint
Paul, saint Matthieu et saint Simon por-
tent le bienheureux corps, et les autres
apôtres raccompagnent, en chantant le
1518. — Mystère de l'Assomption. S'ensuyt
l'Assomption de la glorieuse vierge Marie,
à 38 personnages , dont les noms s'ensuy-
venl ci-après (89j.... Cy fini si le trespasse-
ment et Assumption de la glorieuse vierge
Marie par personnages, imprimé nouvelle-
ment à Paris, en la rue Neuve-Noslre-Dame,
à l'Escu de France.
« Dieu, exauçant les prières de la sainte
Vierge, envoie Gabriel lui annoncer que le
temps de son couronnement s'approche.
L'ange lui apporte en même temps un rameau
de palme, qui doit être porté «à sa sépulture.
Après son départ, la sainte Vierge se sent
incommodée et se met au lit; pendant que
les vierges pleurent cette triste séparation,
Dien ordonne à ses anges de transporter
« Une troupe de Juifs infidèles s'avance
pour troubler celte auguste cérémonie :
Isachar, leur chef, perd l'usage de ses mains
sacrilèges, qu'il a osé témérairement poser
sur le cercueil; il reconnaît aussitôt son
crime, et reçoit le baptême en même temps
que la guérison ; ses camarades, privés de la
lumière du jour, au lieu d'implorer la grâce
du Seigneur, se désolent, ne croyant avoir
d'autre ressource que de demander l'au-
mône, ainsi que les pauvres aveugles, et dé-
libèrent entre eux.
Jacob.
Nous sommes droictement en poin*
De jouer à la cline muche.
Joseph.
Hélas, il fust bien nécessaire
Que ung sceut jouer de la guittere
On en a mainte taverne ,
Maint gobet, et maint bon lopin
Jacob.
Il n'est vie que de quoquin
RlBEN.
Scès-tu point cette chansonnette
Et Dieu te doint bonjour, Jenettcî
Du tems de Balasan parolles?
(89) S' nsuyvent les noms des personnages de Grant, Philippes , Matthias, Barthélémy, Symon ,
ce présent traicté, et premièrement, Dieu le Père,
Jhesus , Marie, Thamar , vierge; Dina, vierge,
Athalie, vierge; Lucifer, Sathan, Asmodeus, Be-
rich, Tithinilus, Zabulon , parent de Marie; Manas-
sez, parent de Marie ; Gabriel, Michel, Raphaël,
Chérubin: Uriel, Jehan, Pierre, Andry, Jacques le
Jude, Thomas, Jacques, Mineur ; Matthieu , Paul ,
Abraham, David, Isaye, Ysachar, prêtre des Juifz;
Ruben, Juif; Joseph, second Juif; Jr.ob, troisième
Juif ; Levi, quatrième Juif. — C'est un petit in-4"
de cent cinquante-huit pages , contenant environ
deux mille cinq cents vers.
161
AS5
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ASS
162
Joseph.
J'ai vu que j'en tenoye escolles,
Mais j'ay piécà tout oublié.
n Ces quatre Juifs se heurtent, et ensuite
.se battent : Isaehar survient, qui les sé-
pare : il convertit Lévi et Jacob. Huben et
Joseph persistent dans leur aveuglement, et
se poignardent par l'inspiration du malin
esprit.
(Orgues : et doivent porter le corps au monument.)
« Au bout de quelque temps, Jésus vient
y trouver ses apôtres, leur demande leur
avis sur ce qu'il doit faire touchant le corps
de la sainte Vierge. Ils lui conseillent de le
réunir à son âme, dans le séjour de gloire.
Jésus l'ordonne à saint Michel.
(Orgues :el se doibt montrer Marie jusques à la poi-
trine.)
« Les apôlres, ne trouvant plus ce saint
corps, demeurent persua Jés de l'Assomp-
tion de Marie: l'incrédule Thomas est le
seid qui en doute. Pour le convaincre, la
sainle Vierge, du haut des cieux, lui jette sa
ceinture.
(Et doibt clieoir la suincture de la Vierge Marie.)
« Le mystère finit par les accl im lions
des anges et des prophètes, et le couron
nemeut de Marie.
Dieu.
Fille, ceulx qui te requerront
De bon cœur en nécessité,
Leurs pelicions obtenions
Sans nulle contrariété;
Et enfin en félicité
Après ce monde variable,
Te verront en sublimité,
Régner en gloire perdurable.
(Orgues : Prologues de fin.)t
ASSOMPTION (Moralité de l). — Les
frères Parfait, dans leur Histoire du Théâtre
français (Paris, 15 vol. 111-12, 1715, t. ili,
p,13&)oiit laissé uue notice de celte moralité
de r Assomption.
L'auteur se nommait Parmentier. Il était
de Dieppe, né en lWi-, et de tous ses ou-
vrages qui furent nombreux en prose on en
vers, il n'est resté que sa Moralité.
Les frères Parfait ont donné de celle pièce
'j'analyse suivante :
MORALITÉ DR l'aSSUMPTION.
« Moralité très-excellente à l'honneur de la
« glorieuse Assumption de Nostre Dame, à
« dix personnages, c'est assavoir, le [bien
« NATUREL, LE BIEN GRACIELLX, LE BIEN
« VERTU KL- LX , LA BIEN PARFAICTE , LA
• BIEN HUMAINE, LES TROIS FILLKS DE SYOv,
* IE BIF.N SOUVERAIN , LE BIEN TRilM-
.» puant.» Composée par Jan Parmentier,
bourgeois de ta ville de Dieppe, el jouée
audict lieu le jour du Puv rie ladic:o
Assumption, l'an de gtwe mil cinq cens
vingt et sept. Maislre Robert le Bouc,
Bai II if de ladicle Ville, Prince du Puy, et
maislre de ladicte Fesie, pour la troisiesme
Binée, imprimée à Paris en la rue deSor-
boine le sept iesme jour île janvier mdxxxi.
(Bibliothèque du Roy.)
» Le Bien Gracieux vient offrir ses ser-
vices à la Bien Parfaite, et la loue de son
bonheur. La Bien Parfaite reçoit ces com-
pliments avec modestie.
LA BIEN PARFAICTE.
Monsieur, Monsieur, on voit bien comme
Yous estes le Bien Gracieulx :
Car ainsi vous plaist à parler.
LE BIEN GRACIEULX.
Demandez au Bien Veilueulx.
« Je vous assure, Madame, répond Bien
Vertueuix, que mon camarade ne dit en
cela que la vérité.
la Bien Parfaicte.
Bien vous vous scavez recoller
Que pour Dames lia-ult extoller,
On les faict de joye volier,
En louant leur beauté faconde.
« Aussi accomplie que vous l'êtes, con-
tinue le Bien Gracieulx, il est impossible
que voim n'aimiez point. — Oui, j'aime, ré-
pond-elle, el d'un feu violent. — M"ti Amant,
continuo-t elle, est le plus parfait, le plus
puissant d'entre milliers de milliers. En un
mot, c'est le Bien Souverain. — J'ay une
pl<' ne connaissance de ce que vous me
dites, réplique le Bien Gracieulx, puisque
je suis s'm Secrétaire. Je n'ai point encore
perdu l'idée île cet heuieux jour qu'il en-
vo,,i le Seigneur Gabriel vous prier de iui
accorder votre amitié. — Vous accompagi iez,
ce me semble, cet aimable Messager, répond
la Bien Parfaicte. — Il est vrai, répond le
Bien Gracieulx; mais, continue-t'il, vous
souvenez-vous que votre Amant vous fit
éprouver trois jours d'absence? — Je n'ai
pas oublié, dit la Bien Humaine, le bon tour
qu'il lit h vos Noces. — Oh ! que le vin qu'il
rions donna éloit délicieux, reprend le Bien
Naturel.
LE BIEN NATUREL.
Ce n'estoit point ung gros vin Bourguignon,
Je y avois mis ung bon vin naturel.
Mais cestuy-là fut surpen aliirel,
Le plus parfaict que jamais gousta bouche :
Que pleiisl à Dieu que j'en tinsse une louche
B m'est a.lvis que je semis heureux.
a Sur ces eulrefa les, le Bien Souverain,
après avoir déni mrié an Bien Triomphant
s'il doit épouser la Bien Parfaite, loi ordonne
de l'aller cher lier danssonchar. Bien Triom-
phant exécule cet ordre, el fait une ha-
rangue à l'épousée. Les joueurs sonnent pen-
dant sa marche, et êl'le arrive enfin chez le
Bien Souver. in, qui l'embrasse el la cou-
ronne reine du ciel.
LE BIEN TRtUMPIIANT.
Nous conclurions que la Vierg i Marie.
Mère de Dieu, qui jama's ne varie,
Par bien aymer, et vertueusement,
Est parvenue à liault" Seigneurie:
Couronnée de Royal A' -mairie,
En triumphant perpétuellement
V (là de quoy, donc curieusement
Tous bien unis, sans aucune discorde,
Présentez-luy vos cueus dévotement,
Prenans en gré le simple csliaUcment,
Faict par l'Amant qui voultlroit loyaulment
Vous aymer tous bien unis en concorde :
Yéla de quoy.>
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
\YE D1GT1UNHAIKK l/LS MÏSTEKL5. AVE 464
AVENNIR ( Le Roi ). — Manuscrit du
Mystère du roy Avennir, Advenir ou le
niêrne Abhennir a été indiqué par les frères
Parfait, comme appartenant à la bibliothèque
du roi, in-folio de 560 pages.
Selon ces auteurs, Avennir n'aurait jamais
été imprimé.
Ce drame singulier, dont le fonds était
tiré d'un ouvrage de saint Jean Damascène,
intitulé \ Histoire de Josaphct, fils d' Avennir,
roi des Indes, et de Barlaam, a pour auteur
Jean du Prier, et date de la seconde moitié
du xv' siècle.
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
Théâtre français ( Paris , 1735, in-12, t. II,
p. 475-494) en ont donné une analyse [que desoiT pàr£ fej eue Von" alliance aïeo horl
nous reproduisons ci-dessous; de Beau- re et le comte est contraint de s<en re_
champs ( Recherches sur les lhéâlres; Paris, tourner dans son pays
1735, in-8% 3 vol., t. 1", p. 225) et la Biblio- , Peu de tempsyrè"s rabbé de Sanar et
thèque du Théâtre français, ouvrage attribué ce,ui de Grammont suivant Jes inspirations
au uuc de La Vallière (Dresde, 1768, in-8 , du ciel t envoient quelques-uns de leurs
LE COMTE D'ALAGONNE.
Par Jupiter; je vous aurez.
LA FILLE DU ROY.
Par Jupin, pas ne sera voir (92)
LE COMTE d'aLACONNE.
Je n'auray donc plus de pouvoir,
Que vous n'en soyez la maîtresse.
LA FILLE DU ROY.
Je me feroye avant ardoir (93)
Par Vénus la bonne Déesse.
« Alphonse perd la -vie dans un assaut. Le
roi Avenir, qui est venu à son secours, veut
engager la princesse à épouser le comte.
Mais elle, ne pouvant souffrir le meurtrier
3 vol., tom. Pr, p. 35), l'ont mentionné
aussi.
mystère dd roy auvemr (90). S'ensuyt le
Mystère du Roy Advenir , ouvré par Jean
du Prier, dit le Prieur Mareschal des Logis
du Roy de Cécille, René le Bon (91).
JOURNÉE PREMIÈRE.
« Le comte d'Alagonne députe ses cheva-
liers vers le roi Alphonse, pour lui demander
sa fille en mariage. Le roi envoie chercher
la princesse, et lui fait part de la proposi-
tion du comte.
LE ROY ALFONCE.
Ung Comte y a ; je ne sçav qui il est,
Qui vous demande
À mariaige
En son langaige
Et dit qu'il est
Plain d'Eritage
De grant lignage ;
Ne sçay que c'est.
II m'est advis, qu'il est nommé
Par son nom, Comte d'Alagonne.
« La princesse, sans demander une plus
ample explication, déclare qu'elle ne veut
pas se marier du vivant de son père. Sur ce
refus , le comte assemble ses troupes, et
vient assiéger Alphonse dans sa capitale.
(90) L'orthographe de ce nom varie beaucoup :
on le trouve ainsi écrit au titre et dans le prologue.
Dans les deux premières journées, on l'appelle Ave-
nir, ou Avennir, c'est la véritable orthographe; et
Abhennir dans la troisième,
(91) Ce mystère, qui n'a jamais été imprimé, se
trouve in-fol. parmi les manuscrits de la Biblio-
thèque du roi. 11 est divisé en trois journées, dont
les deux premières contiennent 85 feuillets chacune,
et la troisième 110, en tout 560 pages, et près de
dix-sept mille vers. On ignore le temps qu'il fut re-
présenté : mais il est certain qu'il fut composé du
vivant, et par les ordres de René , roi de Sicile, et
vraisemblablement joué devant ce prince , qui mou-
rut en 1480. Après avoir déclaré le sujet qui l'a
obligé à composer ce mystère , l'auteur ," dans son
prologue, ajoute ces vers pour sa justification , en
faisant parler l'acteur, qui le représente en tierce
personne.
Cette matière commeniza,
religieux prêcher la foi aux infidèles. Ceux-
ci, en passant par un bois, trouvent un er-
mitage et trois ermites.
LE PREMIER MOÏ.NE DE GRANTLMONT.
In quem creditis vos ?
le premier UERMiTE du boys tremblant.
Jhesus
Conftdimus in Maria.
« Ces serviteurs de Dieu, rassurés de part
et d'autre , vont prêcher le pouple d'Ala-
gonne. Le comte se trouve à leur sermon
avec le duc grec et le duc égyptien. Los
astrologues païens disputent avec les reli-
gieux, qui les confondent par de pressants
arguments. Lucifer, qui voit leur défaite,
ordonne à ses démons d'aller à leur secours.
« Le comte d'Alagonne se convertit, aussi
bien que Carbarant, chevalier égyptien, et
Gadilfer, chevalier grec. Les ducs d'Egypte
et de Grèce font chercher partout ces deux
derniers; et le messager, à qui l'on donne
cette commission, rencontre un laboureur
à qui il demande s'il n'a point aperçu de
Chrétien.
le laboureur en colère.
^,e Diable les puist emporter.
Depuis leur sanglante venue,
Et son poure sens amassa.
Comme Dieu luy avoit preste;
Au vouloir Di^u, tant y ouvra ,
Comme icy veoir on le pourra,
M lis que Dieu nous presie sauté.
S'il e<t malfairl, et bien joué;
Ou bien ouvré, et mal sonné,
Plaise vous, prester au lieuce ,
Toulesfois laul est labouré ,
Oue véez ci le Livre achevé,
Tout presl comme a jouer, et commence.
Le fonds de ce mystère est tiré d'un ouvrage de
saint Jean Damascène, intitulé Y Histoire deJosaphat
Fils d' Avennir, Roy des Indes et de Barlaam; le reste
est de l'invention de l'auteur , qui , plus poète en
ceci que la plupart des compositeurs de mystères, a
tiré la plus grande partie de son imagination. Nous
rendrons compte dans le volume suivant d'une T"n-
ralité composée sur le même sujet-
(9i) Vrai.
93 Brûler.
IC5
AVE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AVE
166
J'ay par eulx ma femme perdue
Je ne sçay où Diable elle est.
« Le roi Avenir apprenant les progrès des
religieux, ordonne à Barbaran, son prévôt,
de lui amener tous les Chrétiens qu'il pourra
trouver; ce pr'évôt part avec Agripparl, Mal-
engrongné, et Bray-de-fer, ses archers, et
emmène les ermites et les autres fidèles.
(Jcy abatenl rtlermitage, et tes Diables leur aide»!.)
«Avenir reconnaissant parmi eux lecomle,
les deux chevaliers et la femme du labou-
reur, ordonne qu'on les fasse mourir, et
qu'on commence par le comte d'Alagonne.
LE BOURREAU.
Si g'y faulx, faictes m'en autant.
« Pendant que le roi est occupé à faire
tourmenter ces Chrétiens, on lui annonce
que son épouse vient d'expirer, en mettant
un prince au monde.
AVENIR.
Malgré Jupin, des Chrétiens,
Et qui jamais les mist en voye
J'ay perdu m'amour, ma joye,
J'ay perdu ee que j'avoye,
J'ai perdu ce que doubtoye,
Que vouloye,
Que lenoye,
Simple coye
De mon trésor la mont joye
Je m'en vant (94).
Je pers ce que desiroye,
Je pers où mon tems passoye,
Je pers à qui m'esbatoye,
Que baisoye,
Embrassoye,
Ou disoye
Quant en mes bras la tenoye
Cy-devant, etc.
« La naissance du jeune Josaphat console
un peu le roi; il mande tous les seigneurs
de sa cour et les astrologues égyptiens, qui
l'assurent que ce prince embrassera un jour
la loi des Chrétiens. Pour prévenir ces pré-
sages, Arrachis conseille à Avenir de faire
construire une tour et d'y faire mettre Josa-
phat, avec un maître d'école, qui prendra
soin de lui inspirer beaucoup de haine pour
le christianisme. »
(Ci/ fine la première Journée : prennent ta Royne, et
la portent hors du jeu.)
JOURNÉE SECONDE.
a Pendant que le duc grec fait endurer les
tourments les plus cruels à Gadifï'er, qu'A-
venir lui a remis entre ses mains, le duc
égyptien ordonne au bourreau do couper
par la moitié le corps de Carbarant, son che-
valier,
caubarant, ta moitié de dessus (95).
Jhcsus, Jliésus!
1.E PREVOST au Duc.
Et escoutez !
Veez-cy merveilles Monseigneur
agrippart frappe, et dit.
El je croy que vous vous tairez.
CARBARANT.
Jliésus, Jliésus!
(91) Vante.
(95) C'est-à-dire la partie supérieure du corps.
le duc eciptian étonné.
Et escoutez ;
Je suis de ce faict effroyez
CARBARANT.
Pacience, mon Créateur.
Jhésus, Jliésus.
LE PREMIER CHEVALIER.
Et escoutez,
Veez-cy merveilles, Monseigneur.
« Michel et Gabriel enlèvent les âmes de
ces deux martyrs : d'un autre côté, le pre-
mier chevalier du roi Avenir prend la ré-
solution de se faire baptiser; Satan, sous la
figure d'un taureau, tachedele détourner (96),
mais lenouvenu soldat du Seigneur le chasse
honteusement.
LE CHEVALIER.
Or si tu viens par les faux Diables,
Retourne-toy, sans séjourner.
(Sathan tombe étendu à terre, et tous les Diables en-
semble le battent, et l'entraînent en Enfer.)
« Cependant Josaphat, appuyé contre une
fenêtre de la tour, considère un temple des
idoles, et interroge son précepteur.
JOSAPHAT.
Le dessus du Monstier ne tenl
Pas bien contre Soleil levant ?
le mc d'escolle étonné.
Quelle chose appelez-vous Monstier !
Pas vostre parler n'entendons.
C'est où on va sacrifier
Tous les Dieux, esquelz nous créons.
JOSAPHAT.
Vos Dieux! Et comment sont leurs noms?
Sont-ce ceux qu'on appelle Ydolles.
le m' d'escolle en colère.
Monseigneur, laissez ces raisons,
Ne dictes telles parolles folles;
Ce sont ceulz qui vous ont formé,
En qui devez avoir créance.
JOSAPHAT.
Qui lésa faiot, ne charpenté?
Vous autres?
LE M" D'ESCOLLE.
Oùy sans doublance.
JOSAPHAT.
Et comment ont-ils donc puissance
De moy former, puisqu'entre nous,
Les avez faict à vos semblances.
le >ie d'escolle le fait retirer dedans, et dit.
Sus, Monseigneur, relrairons-nous.
« Le prévôt ayant entendu dire que deux
nouveaux ermiles sont venus s'établir dans
la forêt d'Alagonne, les va prendre, et les
conduit devant le roi, qui les fait jeter dans
un grand feu : ce feu s'éteint, et lorsqu'on
Je rallume, la flamme s'élance sur les bour-
reaux, et sur Avenir même.
ROY AVENNIR.
Ay, Salurnus! ay! à la mort;
Que mauldicte soit la lignée.
Haro ! j'ay la barbe bruslée
Maulgré ^pollin, etc.
(90) Icy il aura ung cuir de bœuf
167
AVE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AVE
iGS
« Les chevaliers prient le roi de pardon-
ner à ces pauvres ermites, que le feu a res-
pectés. — Non, non, s'écrie Avennir.
BOY AVENNIR.
Ma barbe ne puis oublier,
Je l'ay brullée jusques aux os.
« Par ses ordres on coupe les bras et les
jambes de l'un et la tôle de l'autre, et on les
eus Vidit ensemble eu cet étal. Le roi va en-
suite visiter Josaphat, qui lui l'ait des louan-
ges d.: son in dire d'école, et de Zardain,
jon valeide chaud) e. Avenir remet le jeune
prince sous la garde du dm; égyptien, et lui
recommande surtout de ne lui point parler
de mO't, ni de maladie.
(Un g Joueur de Lut joue et chante, et l'autre jouera
de la harpe, et vont devant Josaphat.)
« Les soins du duc égyptien et de Zar-
dain ne peuvent empêcher Josaphat de par-
ier à un pauvre t ès-taduc, à qui il demande
pourquoi il marche avec tant de peine. —
C*esl ie poi Is des ans qui m accable, répond
I • pauvre, et je sens que bientôt il i'aul que
j : meure, ajoule-t-il.
JOSAPHAT.
Et quelle chose esse de mourir?
LE VIEIL HOMME.
C'est te poi:.t où chacun venir
Conviendra, es fins de «a vie.
Dii corps faict Dieu lame partir,
Puis s'ell'a malfaict estpugnie.
JOSAPHAT.
Et comment pugnie? Quesse à dire ?
Qui esse qui la pugniera?
« Le pauvre lui parle alors du jugement
dernier, et des peines de l'enfer. Ce dis-
cours épouvante de telle sorte Josaphat,
qu'en quittant ce pauvre, il va se jeter sur
son lit. Dieu ordonne à 3aila.un de profiter
de ce moment, pour instruire le prince dans
la foi chrétienne. »
(Ballant vestu en guise de Marchand va vers l'enfant.)
JOURNÉE TROISIÈME.
■ Barlaam sjus ce déguisement s'introduit
eh^z Josaphat, qu'il instruit da is notre reli-
gion, et lui donne une liaire el une robe
grise I! se retire er suite; el Zardain, en en-
trant dans la chambre de son maître, est
fort étonné de le voir ainsi habillé. I! court
en avertir le roi, rnii pour détacher le prince
de la religion qu il vient d'embrasser, or-
donne que les trois maîtres de la loi dispute-
ront devant Josaphat avec les Chrétiens. Le
fidèle Nalor, en confondant les docteurs
païens allermit la foi du jeune prince,
BOY ARIIENNIR.
nomment csles-vous dptic ruezjuz (97)?
Seigneurs, que ne respondez-vous?
Llquessocy? Vous rendez-vous?
El beaux Seigneurs, el quesse-ee à dire?
LE rUEMIKR MA1STRK DE LA LOV.
Quanl à moy, je ne seay que dire,
El ne dit que ta vérité :
Il ne se peult autrement faire.
roy abiiennir en colère, au bourreau.
A ce coup, qu'ilz soient despéchez,
A tous les trois les yeux crevez,
Sans attendre ne grain, ne goutle,
Alin qu'ils n'y voyent plus goulte.
LE PREMIER MAISTRE DE LA LOT.
Miséricorde, très-chier Sire.
Nous ne l'avons pas desservy.
« Le bourreau et son valet les exécutent
par l'ordre d'Avenir. Après quoi le valet
prétend partager l'argent que l'on donne à
son maître.
LE VARLET DU BOURREAU.
Et comment, n'en aurai-ge point?
Je fais I ollice comme ly,
Et si n'en ay rien ; quant à moy...
« Après quelques contestations, le oour-
reau lui donne quelque chose.
le conseiller d'aleonce (98} pleurant.
Hélas! pourquoy sui-ge venu
A ceste disputacion?
Mon luminaire j'ay perdu.
« Le roi assemble son conseil, pour trou-
ver les movens de faire changer de «enii-
rnentà son fils. — Seigneur, lui d t Th^odas,
si vous voulez le tenter, failes-lui amener
déjeunes demoiselles.
calibéas, conseiller.
Vous estes l'un des plus subtile
Qui soit en Ynde et bien saige,
Ll de science le plus saige
Qu'homme vivant pourrait trouver.
II nous fault des femmes mander,
Très-chier Sire, comme il a dit.
Le maître d'hôtel du roi, va de sa part,
prier la fille du roi Alphonse de venir au
palais et d'amener avec elle les plus jolies
demoiselles qu'elle pourra trouver.
LA FILLE DU ROY ALFONCE.
El sur ma foy, Maislre d'Hostel,
Je ne sçay que ma demoiselle :
Elle esl gracieuse et très- belle,
Et seci assez bien l'honneur.
Ma's se vous sentez déshonneur
Au faict, ne nous y menez point.
LE MAISTRE D'HOSTEL.
Iîaa ! nenny. ne nous doublez point.
Et comment? c'est rostre parent,
Jà ne ferait certainement
Rien donl vous eussiez desplaisir.
« D'un autre coté le roi va au temple où i)
a fait porter en offrande a ses dieux la tète
d'un des deux ermites d'Alagonne. Celte
lèie, quoique séparée de son corps dep.iis
Ion. temps, parle à Avenir , et confond les
subtilités de Théodas et de Calibéas. Le roi
les prie de le délivrer des discours impor-
tuns de celte tête.
(97) Bas.
(98) C'est l'un des maître? de la loi, à qui on vient de crerer !e§ vouk.
1G9
BATI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
P.AR
470
(Icy celuu qui est au fond (99) remplist la teste de
souffre, d'estoupes et de salpestre.)
« Calibéas dit à la tête de se consumer
d'elle-même, si le Dieu des Chrétiens est le
véritable; à ces mots la tête paraît en feu, et
se réduit en cendres.
« On vient avertir Avennir que la fille du
roi Alphonse arrive; le roi la fait entrer, lui
déclare ses intentions, et la prie d'employer
son adresse pour retirer Josaphat de la pro-
fonde mélancolie où il est.
LA FILLE DU ROY ALFONCE.
Monseigneur, croyez seurement
Que jamais jour il ne m'avint,
N'en ma pensée ne m'adviiu
De penser à cestuy affaire :
Mais c'est raison, qu'on vùeille faire
Ce qu'il vous plaist sans nulz débatz.
LA DAMOISELLE.
Voire, mais il ne me plaist pas,
Moy, qui ay bonne renommée,
Que je soye deshonnorée :
Chacun au doy me monslrera.
roy abiie$nir à la demoiselle.
Or, m'amye, quant ainsi sera,
Pas ne sera grant desbonneur ,
S' un Filz de Roy, à voslre onneur.
Et aussi, quant ainsi seroit,
Vostre corps rien n'y perderoit,
Ainsi seroit de moy enrieby :
Et vous trouveroye mary
Plus puissant, et grandement.
« Elles vont trouver Josaphat, qui, bien
loin de répondre à leurs caresses, leur prêche
la chasteté, et leur conseille, en cas qu'elles
se veuillent marier, de prendre le Sauveur
LA
LA DAMOISELLE.
Et le devez-vous demander!
Monsieur, le vous faut-il dire?
LA FILLE DU ROI ALFONCE.
Comment osez-vous contredire,
De refuser cestuy plaisir :
Plusieurs se feroient occire
Pour une heure ou deux me tenir.
Las', ne me faictes pas languir,
Monsieur, et je vous en prie.
Doulcement, vûeillez accomplir
La volonté de vostre amie.
Est nature on vous dessaillie?
Vous qui n'estes qu'ung jeune enfant?
Embrassez-moy à chère lye,
Jamais homme n'aimay autant.
DEMOISELLE DE LA FILLE ALFONCE , chante et
dance.
Gente créature,
Que j'ay tant aimée
Si je ne t'agrée, etc.
« Josaphat fortifié par la grâce du Seigneur,
touche le cœur de ces deux filles, et les con-
vertit à la véritable religion. Théodas suit
cet exemple, et bientôt Avennir détestant
les idoles, embrasse le christianisme (99*).
Il meurt peu de temps après dans des senti-
ments véritablement chrétiens. Josaphat
quitte ensuite sa couronne et se retire dans
un ermitage.
(Les Diables en guise de bestes V assaillent.)
SATHAN.
Filz de Roy, entens ma raison.
«. Le prince, sans l'écouter, le chasse par
le signe de la croix ; et pour se mettre à cou-
vert de pareils assauts, il va trouver son
cher Barlaam : et meurt paisiblement dans
cette dernière retraite. L'évêque de Sanar,
pour époux. La princesse feint de se trou- instruit de sa mort, va, accompagné de ses
ver mal, et tombe évanouie. — Que veut vo- chanoines, chercher son corps pour le mettre
tre maîtresse? dit Je prince à la demoiselle, en sépulture. »
B
BARBE (Sainte). —Le manuscrit du Mys-
tère de sainte Barbe a été indiqué, dès l'an
1735, par les frères Parfait, parmi ceux de la
Bibliothèque du roi, in-folio, de 7 '*2 pages,
contenant environ 25,0!j0 vers.
L'auteur est resté inconnu, mais l'état du
manuscrit et le langage assignent assez po-
sitivement à ce drame la date de la seconde
moitié du iv* siècle.
Ce mystère n'a jamais été imprimé.
Le nombre des acteurs n'est pas moindre
de 98; les frères Parfait pensent qu'il fut
joué par les confrères de la Passion.
Dans leur Histoire du théâtre, français (Pa-
ris, 15 vol. in-12, t. II, 1735, p. 5-78), ces
auteurs ont donné un aperçu de ce drame,
et la Bibliothèque du théâtre français, ou-
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde,
(99) Pour entendie ceci, il faut savoir que cette
tête est sur l'autel, dans la concavité duquel est
placé un homme, qui remplit la tète (qui est de car-
ion) de ces matières faciles à se consumer, et où
Dictionn. des Mystères
ICHAEL-3
a donné
1768, io-8% 3 vol., t. I
aussi une analyse.
M. O. Leroy, dans ses Eludes sur les
mystères (Paris, 1837, in-8°, p. 281) a men-
tionné le Mystère de sainte Barbe; il y re-
marque un mélange de plaisanteries gros-
sières qui rebutent dans la plupart des
drames à la fin du xV siècle, et que nous
trouvons jusque dans les pièces de l'hôpital
de la Trinité, où s'étaient glissés les Enfants
sans-souci. »
On lit dans les Manuscrits françois de la
Bibliothèque du roi (Paris, 1848, in-8% t. VII,
p. 374) de M. Paulin Paris, la note sui-
vante :
« N° 7299. \ Le mystère de Sainte-Barbe en
cinq parties. — Volume in-4° mediocri de 434
feuillets en papier, lignes longues; iv* siè-
il met le feu, dès que Calibéas cesse de parier.
(99*) Adonc les Diables se combattent tous ensem-
ble, et Lucifer leur gectedes pierres sur eulx.
0
171 BAR
cle, fonds Cangé, ane. n* 11, nouveau 17.
a Le Mystère de sainte Barbe diffère beau-
coup de tous ceux qui ont été imprimés.
Mais les frères Parfait en ont donné une
analyseassez satisfaisante... Ils l'ont faite sur
notre manuscrit qui, disent-ils, est unique. »
Nous reproduisons l'analyse des frères
Parfait :
EXTRAIT DU MYSTERE DE SAINTE BARBE,
Divisé en cinq journées.
PERSONNAGES DES CINQ JOURNÉES.
deus. Barbare.
V1RG0 MARIA. BARBARA.
uichel, ange. galatHea, damisella Bar~
Gabriel, id. bare.
raphael, id. florimond, primus milles
iîriel, id. Dyoscori.
chérubin, id. laomedon, secundus mil-
seraphin, id. les Dyoscori.
Johannev-baptista. adrascus , tertius milles
anima barbare. Dyoscori.
hgnorius, papa. brandimas , chevalier de
primus cappellanus, pape. Dyoscorus.
secundus cappellanus , palamides , chevalier de
pape. Dyoscorus.
rex chipprie. grongnart, primus tyran-
chambelloys, primus mil- nus Dyoscori.
les régis Chipprie. cornibert , secundus ty-
moussay, secundus milles rannus.
régis. Chipprie. roullart, tertius tyran-
dargonze , tertius milles nus.
régis Chipprie. lamenant , nuncius Dyo-
pontzonnet , nuncius re- scori.
gis Chipprie. marcianus , prevost de
le connestable de Chip- Nyehomédie.
jaspar de richeflour , al.modes , prunus milles
primus milles conne- «arctam.
stabulis. perseus, secundus milles
HERtault , secundus mi/- Marctam.
I contrefoy, pnmus tyran-
brcysart, tertius milles.
l'admiral de Chippre.
YVAM DE VAUSAO , pritHUS
milles admiralis. marpault , tertius tyran-
LE BOURC DE LA RAQL'E, Se- UUS.
cundus milles. taliiart , quarlus ty~
blandchaudin, tertius mil- rannus.
les. m' amphoras, primus do-
origenes, doctor tel epi- clor.
scopus Alexandrie. m' alpiions, secundus do-
blondelet , clericus Ori- clor.
gènes. amphiteas, presbyter pa-
ysacar , presbyter chri- ganus.
stianus. jozias , presbyter paga-
s. valentinl'S , presbyter nus.
christianus. LEMAiRE.de Nychomédye.
liépart , capitaine d'A- fernallt.
lexandrie. cherlin.
moradin, primus armalus. thamaris, prima mulier.
yurom, secundus armatus. cassandra, sccunda mu-
nomin, primus janitor A- lier.
lexandrie. atiiallenta , tertia mu-
maleteste, secundus ja- lier.
nitor Alexandrie. theseus, civis paganus.
jousquin, peregrinus chri- antheon, civis paganus.
stianus. josset, orphévre.
l'ymaiger. ga.ndeloche, primus mac-
dioscorus, rex paler béate ton.
(100) < Icy commence le Livre de sainte Barbe. Le
roy Dyoscorus père de sainte Barbe commence. »
11 y a un autre Mystère de sainte Barbe, qui n'est
qu'en deux petites journées; mais outre que ce
cernicr est imprimé, et même a eu plusieurs édi-
DICTIONNA1RE DES MYSTERES.
BAR
172
nus Marciani.
MAR1NART , SCCUHdiJS tlj
rannus.
MURGALANT , SeCUtldUS BRACONNET, ïlHHciuS Dyo
maczon. gènes.
gourlant , primus pas- brisevant, nunctus Dyo-
teur. gènes.
boiirle, sec«»d«s pasteur, rifflemont, prince per-
briffault, demoniacus. sien.
MALLEPART,chartraniiier. rigault, primus millet
maliverne, aveugle, de Rifflemont.
malnourby, boyteulx. boucher , secundus mit-
linart, sourt. les de Rifflemont.
CL1CQUEPATE, pOUVre. ANIMA DYOSCORI.
MALAISÉ, pOUVre. LUCIFER.
dyogenes, empereur d'E- sathan, Démon.
gypte sous Maximien, astaroth, id.
bruant , primus milles léviathan, id.
Dyogenes. bérith, id.
fergolant, secundus mit- bélial, id.
les Dyogenes. belzebuth, id.
gombault, tertius milles, stultus, id.
PREMIÈRE JOURNÉE.
ïncipit Liber Béate Barbare primo Dyoscorus rex
pater Béate Barbare incipit (100).
« Dyoscorus, roi de Nicomédie, regrette
amèrement la perle de son épousa, que la
mort lui a enlevée. 11 n'est point de mortel
plus malheureux que moi, s'écrie~t-il avec
transport :
dioscorus.
Je pers huy mondaine plaisanee
Mon bien, m'amour, ma suffisance,
Ma totalle félicité,
Ma cordiale confiance,
Ma lyesse, mon habondancc,
Et des biens ma fécundilé :
Je suis par courroux irrite,
A deul, et à calamité.
A niissere, et à desplaisance.
« Florimond et Laomedon, deux de ses che-
valiers, font en vaiu leur possible pour le
consoler.
DIOSCORUS.
Certainement, Laomedon,
Vous en parlez bien à votre aise;
Impossible est pour tout l'or d'Aise (100*).
Que je me puisse bien contenipter.
«Seigneur, lui dit Adrascus, son troi-
« sième chevalier, personne n'ignore que
« nous perdons une reine adorable et digne
« de la compagnie des dieux, où elle est
» maintenant ; mais comme elle vous a laissé
« unejeune princesse, vous devez songer à
« la faire instruire avec soin. »
DIOSCORUS.
Adrascus, vous avez dit voir.
« Il ordonne à Lamenant, son messager,
d'aller chercher la princesse qui, obéissant
aux ordres de son père, arrive avec Gala-
Ihée, sa demoiselle. Le roi s'informe où l'on
pourrait trouver des docteurs habiles, et
Florimond lui dit qu'il en connaît deux qui
ont passé pour les plus capables de l'acadé-
mie d'Athènes. — « Qu'on me les amène, à \
« le roi à son messager. » Maître Amphores
et maître Alphons (c'est le nom de ces doc-
leurs) obéissent bien vite à ce commande -
lions, c'est qu'il est fort différent de celui-ci.
(100*) D'Aise, d'Asie. C'est une transposition de
lettre; l'auleur s'est servi de ce mot par. une li
cenee poétique, afin de fournir une rime au vers
précédent.
J
/o
BAft DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
"eur confiant sa fille, les
BAR
174
ment. Le roi, en
prie de lui enseigner toutes sortes de scien-
ces et leur recommande surtout de lui inspi-
rer beaucoup d'aversion uour la religion
chrétienne.
(Pausa, recédant Doctores cum Barbara, et studeat
cum Doctoribus.)
« Lucifer, qui veut profiter de cette cir-
constance., appelle tous les esprits infer-
naux.
LUCIFER.
Harau, toute la Deablerie,
Venez avant Deablesparvers, etc.
« Les diables accourent promptement et
rendent compte à leur monarque des soins
qu'ils ont pris pour séduire les humains,
qui leur apprend que Dyoscorus, fidèle zé-
lateur de la loi païenne, a remis sa fille en-
tre les mains de deux docteurs de cette re-
ligionpour l'en instruire; «Il faut, ajoute-t-il,
« que quelques démons montent sur la terre
« pour aider ces docteurs à effectuer le dé-
« sir du roi. » Satan se charge de cette com-
mission et part pour l'exécuter.
«Cependant Amphoras et son camarade
étalent devant la princesse les auteurs les
plus célèbres : «Ecoutez avec attention, lui
« dit le premier.»
M' AMPHORAS.
Vous orez Lucan et Craton (101)
Precien, Donaist, et Chaton,
Stace, Séneque, Térence,
Orace, Perseus, Fulgencc,
Nazo, Maro, et Juvenal,
Lucresse, Mars, et Martial,
Espinoùs, Macrobéus,
Democrilus, Virgilius,
Boesse, Remy et Bocasse,
Anaxagoras, et Orace,
Valere, Platon, et Porphyre :
Et moult vous devrait suture
Ma doctrine sentencieuse;
Elle sera compendieuse ;
Tellement que serez contente.
Fille, mettez-y voire entente :
Voyez-ci les Livres des Auteurs,
Philosophes, Commentateurs, etc.
« Mais avant toutes choses, ajoute-t-il, il
«faut vous instruire des noms et desquali-
« lés des planètes. La première estSaturnus,
« c'est le maître du tonnerre.— Ensuite, dit
« maître Al prions, est Neptune, Dieu de la
« mer. » Après lui.
M' ALPHONS.
Mercure Dieu de Faconde (101*)
Apollo doit être honoré,
Car il est Dieu de sapience,
Et Minerve de science
Déesse est, plaine de sçavoir.
Juno est Déesse d'avoir
Palas trouva l'art et manière
De faire armeures, et forger
Dequoi à s'armer à danger •
L'on les faisoit de cuir boùilly.
Venus ne soit mis en oubly,
Car elle est Déesse d'Amours.
« C'est une puissante divinité , conti
« nue-t-il, et l'on ne saurait trop la servir
« et la respecter.
La vérité s'en peut monstrer
Par les Poëthes et Hysloires.
(101) Nous croyons qu'il est inutile de faire re-
marquer le bizarre assemblage qu'on trouve ici de
poêles, de philosophes et de grammairiens, dont la
plupart des noms sont si défigurés, qu'on a quelque
Pïine à les reconnaître. Precien , Donaist, Chaton,
erseus et Macrobéus, sont placés pour Priscien,
Donat, Caton, Perse, et Macrobc. Le nom d'Horace
s'y trouve employé deux fois, aussi bien que celui
dé Virgile, l'un sous celui de Maro, et l'autre sous
celui de Virgilius. A l'égard de Mars et d'Espinoiis,
ce sont deux auteurs inconnus jusqu'à présent dans
la république des lettres. Mais ce qui prouve plus
Elle fist Orpheus eschauffer
Si fort qu'il alla en enfer.
« Jupiter, Pygraalion, Paris, Hélène et
tant d'autres ont ressenti l'effet de son pou-
voir.
Pasiphe, Gorgon, et Semelle
Athalanta qui fut tant belle,
Et Achillès furent tenus
Soubz la bannière de Vénus :
Dont appert qu'elle est grand Déesse.
Me AMPHORAS.
Par elle vient toute liesse.
« C'est ce qu'il faut bien remarquer, dit
« maîlre Alphons. Au reste, ajoute-t-il, il
« serait impossible de vous raconter en si
« peu de temps les noms et les vertus des
« divinités de l'Olympe, mais, pour l'appren-
« dre,
Ces Livres vous visiterez*
« Barbe étudie avec attention et forme
quelques difficultés sur la naissance et le
cours de la vie des dieux du paganisme.
BARBA» A,
ils mourroient donc?
' AMPHORA
Le devez croire
Ainsi que les aultres mondains.
Barbara.
Combien a fil que le derrain (102)
Trespassa ?
M* AMPHORAS.
Six cents ans, ou plus.
« Comme la princesse apprend que ce
dernier est Phéton (102*), elle demande de
qui il a reçu \a vie : « D'ApolIo, répond maî-
« Ire Alphons. — Et qui est le père de ce-
« lui-ci? ajoute-i-eUe. — Jupiter, réplique
« promptement l'autre docleur. — De qui
« esl fils Jupiter? continue Barbe. — De
« Saturnus, reprend Alphons. — Et quel père
l'ignorance et la bêtise de l'auteur, c'est d'avoir
mis au nombre des philosophes païens Fulgence,
Remy, Boèce, et Bocace lorsque tout le monde
sait qu'ils étaient chrétiens, et qu'ils ont tous vécu
depuis sainte Barbe, entre autres Boccace qui floris-
sait vers la fin du xiv' siècle.
(101*) Faconde, éloquence. Les curieux verront
dans les discours des docteurs une mythologie nou-
velle, et qu'ils ne connaissent sûrement pa».
(102) Dernier.
(!02-)Phaéton.
l'A
BAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
476
« reconnaît Saturnus? dit la princesse. —
« Aucun, dit Alphons, après avoir hésité
« quelque temps. » Heureusement pour nos
docteurs, qui ne savent déjà plus que ré-
pondre aux questions de la princesse, Gala-
thée, qui s'ennuie fort de ces disputes, les
prie de prendre quelque relâche.
GALATHÉE.
Bon fust qu'on lessat en cet estor (103)
Madame, ung pour repouser ;
Demain luy pourrez vous pousser
Vos reliques et argumens.
Me ALPHONS.
Nous le voulons.
(Pausa : Fingat Barbara dormire [103*]).
« Pendant que Barbe goûte les douceurs
d'un profond sommeil, la sainte Vierge prie
le Seigneur de vouloir tirer des ténèbres
cette jeune princesse, à qui il ne manque,
pour être accomplie, que la connaissance
de la vérité. Dieu exauce la prière de sa
sainte Mère, et envoie l'ange Gabriel pour
préparer le cœur de cette fille et le fortifier
contre l'erreur.
« Lucifer, de son côté, dépêche ses dé-
mons pour inspirer les deux docteurs, qui
ne manquent pas de revenir trouver Barbe,
dans l'intention de prendre leur revanche et
de répondre à ses objections. Mais ils sont
fort surpris lorsqu'elle commence par leur
reprocher le ridicule de la loi païenne, et
les exemples monstrueux qu'elle présente.
BARBARA.
Jupiter plain de cruaulté
Fut trop, et de desloyaullé
Encore quand il viola
La belle Demoiselle Yo,
Et lessoit sa femme Juno :
Puisqu'ilz forent de malles meurs,
Et de diffamables humeurs,
Je juge que Dieux ne sont point.
M' AMPHORAS.
Barbe, laissez cet argument.
« La princesse, illuminée par la grâce de
Dieu, continue, et confondant ces docteurs
par de pressantes raisons, les réduit au si-
lence. Maître Amphoras et son confrère, ne
sachant plus que dire, sortent; mais crai-
gnant de perdre la récompense que le roi
leur a promise, ils prennent le parti de l'as-
surer que sa fille, suffisamment instruite,
n'a plus besoin de leurs soins. Le roi les
remercie et leur fait compter à chacun mille
ducats, qu'ils reçoivent avec empressement,
et prennent congé de lui. Lucifer, qui craint
la conversion de la princesse, ordonne à
Satan de faire son possible pour l'empê-
cher. Cet esprit malin vient trouver le roi et
lui suggère le dessein d'offrir un pompeux
sacrifice pour solenniser le jour de la nais-
(103) Dispute.
(103*) Pause : Barbe feint de dormir.
(104) Fèie
(105) L'auteur
vait autant de
fait voir par ce passage qu'il
géographie que d'histoire et
sa-
sancede Jupiter, et d'y inviter tous ses su-
jets et les princes ses voisins. Lamenant
« court prier de sa part Diogène l'Egyptien,
c empereur sous Maximien, » et va ordon-
ner au prévôt Marcian de s'y trouver avec
ses chevaliers et ses tyrans. Il fait ensuite
un pareil message à Rifflemont, seigneur per-
sien, et enfin il convoque le peuple par un
cri public. Diogène, Marcian et Rifflemont
prennent avec leur suite le chemin de Ni-
comédie.
RIFFLEMONT.
Mes Chevaliers, aller fault au Sabat (104)
RIGAULT.
Vous dites-bien, Monsieur, nous yrons.
« Amphoras, Alphonse! plusieurs citoyens
de cette ville arrivent en foule. Lorsque
Dyoscorus voit tout le monde assemblé, il
dit à Barbe de venir prendre place auprès de
lui. Celle-ci s'en défend en le suppliant do
lui permettre de se tenir un peu éloignée,
pour mieux jouir de la vue de ce spectacle.
Le roi y consent et mande Amphithéas pour
faire ie sacrifice.
« Pendant ce temps-là, un pèlerin chré-
tien, appelé Jousquin, attiré par la pompe
de la cérémonie, s'approche du lieu où elle
se passe, et sa curiosité est si forte qu'elle
lui fait oublier le danger qu'il peut courir
s'il est aperçu. Heureusement l'attention du
peuple le sauve de ce péril. La princesse est
la seule personne qui le voit et qui lui de-
mande pourquoi il est ainsi écarté. — «Ma-
il dame, lui répond le pèlerin, je suis élran-
« ger, et
JOUSQUIN.
Je ne connoys point tel stille.
« Puisqu'il faut vous l'avouer, ajoute-t-if,
« c'est que je sers un Dieu puissant, dont
le culte est bien différent du vôtre. »
Jousquin.
L'usaige de là n'est point tel;
Ainsy on n'y fait point tel vice
En disant le divin Service,
Prosses, Messes, dévocions,
Abstinences, Oraisons,
Ensens, et inaintz autres joyaulv
«De quel pays êtes-vous? lui dit Barbe.
« — Madame, réplique Jousquin, j'ai reçu
« le jour dans Alexandrie, ville fameuse et
« habitée d'un grand nombre de Chrétiens,
« qui, sous la conduite du fidèle Origènes,
« servent le Seigneur avec tout le zèle dont
« ils sont capables. Conduit par ce même
« zèle, ajoule-t-il, et par un esprit de mor-
« tificalion, j'ai, sous l'habit dont vous me
« voyez revêtu, visité les saints lieux de
« notre Rédemption, et c'est en revenant de
« ce saint voyage (105), que passant par ici,
« le spectacle dont j'ai vu les apprêts m'a
« arrêté malgré moi. » Ce discours du pèle-
mythologie, en supposant qu'un pèlerin, qui pari de
Jérusalem et s'en retourne à Alexandrie, passe par
-Nicomédie, ville de Bithynie, éloignée de sa roule
de plus de cinq cents lieues.
177
BAR
DICTIONNAIRE DES MYSTEUES.
BAR
178
rin (106) excite dans le cœur de la princesse
une jtel le curiosité, que les réponses qu'il
fait à ses demandes ne font que l'augmenter
encore. De l'autre côté, le grand prêtre ollïe
le sacrifice, et ensuite fait sa prière.
AMPHITHÉAS.
Agyos, Theos, Ramatlia,
Agyos, aleos, gabata,
Athanatos, Adonay, etc.
« La prière'finie, tous les assistants sui-
vent cet exemple, et Diogène lait ainsi la
sienne :
DYOGÈNES.
0 Jupiter des biens généralif,
En ta garde je recommande mon ame,
Sans ta grâce je suis pouvre et chétif ;
Deflen mon corps de l'infernalle flamme;
Ton amour est plus précieux que basme (107)
Souviengnc-loy de moi serviteur suppliant ;
Tu es mon bien et honneur despartant,
A tout homme qui est humiliant.
Lccroistre peulz et salut, et haultesse :
Celuy qui est ta grâce requérant,
Vray Dieu du Ciel soustiens en sa noblesse.
(Marcian dicat rétrogradé [108].)
«Dyoscorus adresse ensuite ses vœux à
la Divinité, aussi bien que ses chevaliers et
îe prince Rifflemont. Bruant, premier che-
valier de Dyogènes, répète l'oraison de ce
dernier, en rétrogradant, et tout le reste de
l'assemblée continue de cette manière. Les
deux pauvres, l'aveugle, le sourd et le boi-
teux ne manquent pas à demander leur
guérison, et la cérémonie se termine par les
dons que chacun fait au grand prêtre. Il
souhaite mille bénédictions à l'assemblée,
qui se sépare fort satisfaite de l'ordre et de
la magnificence de la fête.
oïoscoru;s-
Messeigneurs, par ma vérité,
Belle a été la solempnité :
Chacun a fait dons suflisans,
Moult riches, et aussi plaisans :
Noz Dieux doibvent estre comptens.
« La princesse, bien éloignée de ce sen-
timent, ne regarde ces sacrifices qu'avec
horreur.
BARBARA.
0 déshonneur abhominable!
\ Mu un i Million honteuse!
Honte vilaine ! etc.
« Le roi, qui ignore sa pensée, lui dit
ifec beaucoup de douceur que la crainte
qu'il a que sa beauté n'allume une coupable
flamme dans le cœur de quelque audacieux,
lui a fait prendre la résolution de lui faire
(106) R faut remarquer que cette conversation
de la princesse et du pèlerin se fait à parte, et ne
doit point être entendue des autres acteurs. C'est
ce que nos anciens exprimaient par le mot d'inter-
locutoire.
(107) Baume.
(108) Marcian répète eu rétrogradant. Il est né-
cessaire de savoir la forme observée dans ces
prières. Diogène fait la sienne , Marcian la répète
•m . oinmençanl par le dernier vers, et finissant par
1 ' premier, en cette sorte.
construire un logement sûr, pour la mettre
à couvert de semblables entreprises. Barbe
y consent sans peine, et l'on envoie cher-
cher Murgault et Gandeloche, maçons, pour
exécuter ce projet.»
(Pausa : dicant operundo : et in ludo habeanl lapides
et materiam, et calcem, ut operanlur. — Hic finit
prima dies Mislerii Béate Barbare Virginis.)
SECONDE JOURNÉE.
(Iucipii liber secundus Béate Barbare Virginis.)
« Rilllemont, prince persien, dit à ses che-
valiers qu'il a assez longtemps gardé le cé-
libat, et qu'il est résolu de le rompre en
épousant la fille du roi de Nicomédie, dont
il est devenu amoureux le jour que le père
de cette belle offrait un sacrifice à Jupiter,
lligault et Boucher, ses deux chevaliers, le
félicitent sur le choix qu'il a fait. Ritflemont
leur dit de le suivre chez Dyoscorus; mais
comme il n'ose lui-même demander la prin-
cesse à son père, il charge Rigauit de celte
commission, qui s'en acquitte parfaitement.
Le roi remercie Rifflemont de l'honneur
qu'il lui fait (car il est bon de remarquer
que ce dernier est derrière son confident,
qui écoule tout sans dire mot), mais il le
prie de lui donner quelque temps pour con-
sulter cette affaire. Le prince reçoit cette
réponse avec beaucoup de politesse et se
retire pour en attendre l'issue. Dyoscorus
assemble ses chevaliers, et après leur avoir
exposé le sujet pour lequel il les a appelés,
il les prie de l'aider de leurs conseils, ajou-
tant qu'il a résolu de donner sa fille au
prince Rifflemont.
n.ORIMOND.
A, à, Monsieur, je vous diray,
Vous proposez, et respondez :
Puis que conseil vous demande/»
Oiiir devez l'opinion,
El la bonne rclacion
De voslre Conseil tout par ordre,
Aflin qu'il n'y ait que remordre.
« Après que ce confident a disserté snr
les raisons pour et contre, il tombe dans le
sentiment de son maître, aussi bien que
Laomédon. Adrascus donne ensuite un avis
contraire et tâche à dissuader le roi de
cette alliance. Mais Dyoscorus, prévenu en
faveur du prince, persiste dans son premier
dessein et va trouver Barbe pour lui en faire
part. Cette nouvelle paraît l'effrayer; elle
supplie son père de ne point la contraindre
d'accepter un époux, attendu qu'elle a voué
sa virginité.
Vray Dieu du Ciel soustiens en sa noblesse
Celuy qui est ta grâce requérant :
Accroisire peulz, etc.
Dyoscorus commence une seconde oraison, qu'un
de ses chevaliers répète ensuite de la façon que nous
avons dit; et ainsi des autres. Ces prières sont
(•imposées de manière qu'on les peut réciter en
rétrogradant, sans faire de contre-sens, comme on
le peut voir dans celle que nous donnons pour ser-
■vir d'exemple
179
BAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
BAR
ISO
BARBARA.
Père, qui vous meult de voulloir
Me marier? Avez-vous veu
Aucun menait en moy indeu?
Je suis une fille simplette,
Demourée pouvre orphelinette, etc.
« Le roi, s'iraaginant que c'est à Diane
que ce vœu s'adresse, va rapporter cette
réponse à Rifflemont, qui part fort touché
de ce refus. La tour que Dyoscorus fait cons
truire à plusieurs étages, se trouvant ache-
vée, la princesse y entre, et montant au
plus haut, se met en prières, pendant que
sa demoiselle reste en bas. Lorsque sa prière
est finie, se ressouvenant toujours des dis-
cours du pèlerin, elle envoie chercher La-
menant et lui ordonne d'aller trouver un
célèbre médecin qui demeure à Alexandrie^
appelé Origènes, pour le prier de lui pres-
crire le régime qu'elle doit observer lou-
chant une certaine maladie dont elle fait le
détail dans la lettre qu'elle remet à ce mes-
sager. Lamenant reçoit cette commission
avec joie, et montant à cheval, il se met en
devoir de l'exécuter; comme ce chemin est
long, il boit de temps en temps pour répa-
rer ses forces. Enfin il arrive à Alexandrie
et frappe à la porte de cette ville. Les deux
portiers, à qui la garde en est confiée, sont
si fort occupés à jouer qu'ils ne vont ouvrir
qu'à la troisième fois qu'ils entendent frap-
per. Lamenant en entrant demande le logis
d'Origènes.
(Pausa : veniat Lamenant versus Origènes, et salutet
eum.)
« Origènes connaissant par la lecture ae ia
lettre les secours spirituels que la princesse
lui demande, remercie Dieu des grâces qu'il
lui fait et s'apprête à composer une réponse
qui puisse remplir son attente. Pendant que
le prêtre Ysacar écrit la lettre que lui dicte
Origènes, Lucifer assemble ses démons et
consulte avec eux de quelle manière ils
pourront traverser les pieux desseins de
l'évêque d'Alexandrie. Cependant Origènes
achève sa lettre, la donne à Lamenant et lui
dit que, pour faire observer plus exacte-
ment le régime qui y est prescrit, Ysacar
va l'accompagner.
(Pausa : vadant, et stullus loquitur [109].)
« Barbe, voyant revenir le messager, ap-
pelle sa suivante.
(Pausula : descendal Calathea superiùs, et dicat Bar-
bare.)
a Elle demande à la princesse ce qu'elle
soubaite. « Ouvrez la porte, » lui répond
Barbe, à Lamenant et à celui qui l'accom-
pagne, « et faites -les monter. » Galathée
obéit.
(Pausula : descendat inferius, et aperiat Iwstium tur-
ris.)
(109) Pause : Us marchent, et le fou parle. Quoi-
qu'il soit marqué ici que le fou parle, qu'on ne s'i-
magine pas trouver dans l'original de l'ouvrage dont
nous donnons l'extrait quelques-uns de ses discours.
Car l'acteur qui représentait ce personnage jouait
$es scènes de tète et servait à délasser par ses plai-
a La princesse, après avoir payé large-
ment la peine du messager, se fait lire par
Ysacar la lettre d'Origènes et l'écoute avec
beaucoup d'attention. Pendant ce temps-là
le roi arrive et demande à la demoiselle
comment se porte la princesse.
DYOSCORUS.
Comment se porte Barbe?
GALATHEA.
Mal.
DYOSCORUS.
Mal ! Tarvagant!
GALATHEA.
Elle a une mal ;.....
A peine se peult soustenir.
a Malgré tout ce qu'elle lui peut dire, le
roi monte avec sa suite et est fort étonné,
en entrant dans la chambre de sa fille, de la
trouver seule avec un homme. Barbe, voyant
son agitation, lui dit, pour l'apaiser, que
c'est un médecin qui est avec elle depuis
deux jours et une nuit, et qu'elle se sent
fort soulagée par ses soins. Non-seulement
ce discours efface tous les soupçons de Dyos-
corus, mais même il prie ce prétendu méde-
cin de ne rien épargner pour rendre la santé
à sa fille, et l'assure qu'il sera bien payé.
YSACAR.
En son mal, très-bon remède a ;
11 ne luy fault qu'obédience
A moy, et parfaicte adhérence
A mes ditz, et à mon régime.
Hz sont mains moyens, et mainte œuvre
Par lesquels santé on receuvre,
Comme par une incision.
Par chaleur, par combustion,
Par une pocion amere, etc.
« Sire, s'écrie Floriraond, voici un habile
« homme. — Je m'en aperçois bien à ses
« discours, répond Dyoscorus. » Il sort en-
suite, et Ysacar continue ses instructions
auprès de la princesse, et se retire enfin
pour aller joindre Origènes, à qui le récit do
cette aventure cause une joie inexpri-
mable.
« Lucifer, qui en ressent un ebagrin mor-
tel, ordonne à Satan d'aller inspirer à Dyo-
gènes la pensée de persécuter les Chrétiens
pour faire sa cour à l'empereur Maximien,
leur ennemi juré. Dyogènes, à la suggestion
du diable, forme ce projet et le communique
à son conseil qui l'approuve. Il envoie Bra-
çonnet, son messager, pour en instruire le
roi de Nicomédie et le prince Rifflemont.
Dyoscorus, charmé de cette nouvelle et de
laguérison de sa fille, en rend grâce à Ju-
pin et se dispose à partir pour seconder les
soins du prince d'Egypte. Il mande maître
Amphoras et maître Alphons, et comme il
est persuadé de leur capacité, il leur confie
le soin de la princesse et du royaume.
santeries l'esprit des spectateurs du sérieux qui rè-
gne dans ces mystères. Ces plaisanteries élaie.\i
mêlées de beaucoup de grossièretés; c'est ce qu'on
peut juger entre autres parles discours d'un l'on e'
d'une folle qui paraissent dans le Mystère de sain-
Clnistophle, dont n^us parlerons dans la suite.
181
BAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
m
M* AMHIORAS.
Sire, mon corps y est tenu,
Et j'en feray mon plain pouvoir.
DYOSCORUS.
Faictez à grant, «t à menu
Justice, car c'est mon voulloir.
M* ALIMIONS.
Sire, mon corps y est tenu,
Et j'en feray mon plain pouvoir,
« Contre tous ces puissants préparatifs, le
vertueux évêque d'Alexandrie n'oppose que
les prières qu'il adresse au Seigneur. Lié-
part, capitaine de celte ville, suivi de ses
deux soldats, et de Nomin et Maleteste, qui
en sont les portiers, fait une si vigoureuse
résistance qu'il oblige les troupes que Dyo-
gènes envoie, à se retirer. «M'amenez-vous
« ces Chrétiens 1 dit Dyogènes, voyant re-
« venir Rigault. — Seigneur, répond ce der-
« nier, la chose n'est pas aisée. »
RIGAULT.
Ils sont plus vaillans que les Turcs.
« Dyogènes, ne pouvant réussir par la
force, tache de surprendre la ville par une
feinte douceur, et fait proposer une capitu-
lalion dont il envoie les articles par écrit.
Origènes reçoit la lettre qui les contient et
ordonne à Ysacar d'en faire tout haut la
lecture.
YSACAR.
Dyogènes grant Empereur
De Perse soubz Maximien,
Grant Gouverneur Conlhidien
Des Romains, Seigneur des Seigneurs,
Et le Majeur sur les Majeurs
Qui tiennent la loy des Payens :
A vous Bourgeoys et Citoyens
D'Alexandrie la Subjecte,
Salut, etc.
« Par ces articles, Dyogènes propose la
paix aux Alexandrins,' à condition qu'ils
renonceront à la loi chrétienne et n'adore-
ront plus que les divinités du paganisme,
leur promettant au surplus d'oublier leur
révolte et d'y faire consentir l'empereur, en
cas qu'il en soit besoin. Origènes refuse
constamment ces conditions et se prépare
à la défense de la ville. Dyogènes fait don-
ner un second assaut qui, ne réussissant
pas mieux que le premier, le force d'im-
plorer le secours de Dyoscorus et de Riffle-
ruont. Ces deux princes arrivent bientôt et,
de concert avec eux, Dyogènes se prépare
pour un assaut général.
« Lucifer, qui voit les effets de sa rage,
excite ses démons à redoubler encore la fu-
reur des païens.
LUCIFER.
A l'assauli, Deables, à l'assaiili,
Il n'est pas heure de dormir.
SATHAN.
Or nous dy que Deable il te fault?
LUCIFER.
A l'assauit, Deables, à l'assauli.
« A quoi pensez-vous ! ajoute-t-il ; les
« païens vont assiéger Alexandrie, et vous
« ne songez pas à ramasser les corps et lei
« âmes de ceux qui périront dans le com-
« bat ? » Les démons courent do tous côtés
exécuter les ordres de leur maître. Cepen-
dant l'assaut se donne et les Chrétiens, pro-
tégés par le Seigneur, combattent avec tant
de succès, qu'après avoir tué une partie de
leurs ennemis, ils obligent les autres à fuir
loin de leurs murailles. Rifflemont, Laoώ-
don, Andrascus, Rigault, Boucher, Fergo-
lant, Gombault, Anthéon, Théseus et Bra-
çonnet perdent la vie dans cette action, et
Satan, obéissant au commandement de Lu-
cifer, jette leurs âmes et leurs corps dans
une brouette et les conduisent ainsi aux
enfers.
« Dyogènes et le roi de Nicomédie se re-
tirent fort en désordre, remerciant les dieux
de ce que leur défaite n'a pas été plus con-
sidérable. »
dyoscorus.
Nous avons eu pouvre support,
Salurnus nous maine à bon port.
FLORIMOND.
Mars, qui nous a gardé de mort,
Nous garde tousiours du déshonneur.
DYOSCORUS.
Satumus nous maine à bon port,
Et nous doit recouvrer honneur.
(Finis pro seçundà die.)
TROISIÈME JOURNÉE.
(incipil lertius Liber Misterii Béate Barbare
Virgini$.)
« Pendant que le roi de Nicomédie pleure
la perte qu'il vient de faire, Notre-Dame prie
le Seigneur d'accorder à la princesse de
nouvelles marques de son affection. Dieu
ordonne à ses anges de l'aller trouver. Ces
bienheureux esprits obéissent, et c'est par
leur conseil que Barbe fait venir les maçons
et les prie de percer une troisième fenêtre h
la tour, du côté du soleil levant, pour jouir,
leur dit-elle, des rayons naissants de cet
astre. Lorsque cela est fait, Barbe se met en
prière à cette nouvelle fenêtre et voit pa-
raître sainl Jean-Baptiste, qui (par l'ordre
de Dieu, sollicité à cela par sa sainte Mère)
vient la baptiser et lui donner de nouvelles
instructions, afin de la fortifier contre les
tourments qu'elle doit souffrir. Barbe re-
mercie Dieu et son saint Précurseur, et re-
çoit le baptême de la main de ce dernier.
Après qu'il l'a quittée, arrivent deux pau-
vres demandant l'aumône.
malaisé, primus pauper.
Hélas ! est-il ame qui donne
Eng blanc aux pouvres créatures ?
cliquepate, secundus pauper.
Ta voix meschantement raisonne.
Desclare hault noz avantures.
malaisé, d'un ton plus élevé.
Hélas! est-il ame qui donne
Eng blanc aux pouvres créatures?
« La princesse, entendant leurs cris, met
la tète à la ienêlre et jette quelques pièces
d'argent que ceui-ci ramassent avidement»
153
BAH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
J84
et en la remerciant, lui promettent de boire
du meilleur vin a sa santé.
« Lucifer ordonne à Satan de remplir de
fureur le cœur de Dyoscorus. Ce prince va
voir Barbe, et apercevant une troisième fe-
nêtre, il s'emporte fort contre les deux ma-
çons, qui s'excusent en disant qu'ils n'ont
fuit qu'exécuter les ordres de la princesse.
DYOSCORUS.
Ha ! truande !
Faulce oullrageuse, et estourdie !
Comme as tu esté si hardie,
De faire à ta volonté pure
Sans mon congié une oupverture?
« Barbe lui répond qu'elle ne l'a fait faire
que pour honorer la sainte Trinité. Ce dis-
cours, qui marque les sentiments d'une re-
ligion que ce roi abhorre, ne fait qu'allumer
sa fureur; il court sur sa fille l'épée nue à
la main, dans le dessein de la tuer. En ce
moment la Vierge prie le Seigneur, qui per-
met que la princesse passe au travers des
murs de la tour. Dyoscorus, la voyant dispa-
raître à ses yeux, la cherche partout et vo-
mit mille imprécations contre elle. Les
tyrans qui sont à sa suite lui en demandent
•e sujet.
GRONG.NART, prilllUS Tj/)«?IHMS,
Quesse, Monsieur9
DYOSCORUS.
C'est ceste....
Ma Mie.
cornibert, sccundus Tyrannus.
Qu'est-elle devenue.
DYOSCORUS.
Fleust à noz Dieux qu'elle l'ust arse!
rouillart, teriius Tyrannus.
Quesse, Monsieur?
DYOSCORl'S.
C'est ceste....
Il fault que la peau on luy arse
Et qu'on la tire sans détenue,
CORMBERT.
Quesse, Monsieur?
DYOSCORUS.
C'est ceste....
Ma fille.
GRONG.NART.
Qu'est-elle devenue?
« Pendant qu'on cherche Barbe, Galathée
déplore son sort et condamne la cruauté du
roi(HO), qui ordonne à Lamenant de faire son
possible pour découvrir où elle est.
(Lamenant ascendat super equum [111].)
« Dyoscorus, cherchant toujours la prin-
cesse, rencontre Gourlant et Bourle, ber-
gers de la contrée ; il leur demande s'ils
(110) Galathée a d'autant plus lieu d'être surprise
de cette inhumanité , que jusqu'à ce moment Dyos-
corus n'a fait paraître que beaucoup de bonté et
une complaisance aveugle pour sa fille.
(111) Lamenant monté sur un chevul. Qu'on ne
s'imagine pas que ce cheval fût représenté par une
machine; c'était un cheval effectif, aussi bien que
l'àne sur lequel Jésus-Christ monte à la fin delà
n'ont point aperçu sa tille. « Non, » repon-
dent-ils.
brandimas, cnevalier de Dioscorus.
Vous mentez, vilains, vous mentez;
Contrefaictez-vous le Chat borgne?
Cuidez-vous que le Roy soit borgne?
bourle, montrant le lieu où Barbe est cachée.
Je ne vous dy pas qu'el est-là
« Gourlant, après avoir reproché à son
compagnon la trahison qu'il vient de com-
mettre, se retire, et Dyoscorus, ayant trouvé
sa fille, la fait mettre inhumainement dans
une prison obscure.
(Pausa : ducanl eam ad carcerem.)
«. Cependant la nature parle au fond du
cœur de ce roi; il gémit de sa triste situa-
lion et s'écrie plusieurs fois :
Hélas ! qu'esse que de ce monde.
« Pour tâcher de la ramener par la voie
de la douceur, il envoie chercher les deux
docteurs auxquels il apprend sa disgrâce.
« Je m'en étais toujours bien douté, » lui dit
Amphoras. Barbe, arrivée en présence de
son père, résisle à ses caresses et aux dis-
cours des docteurs avec une fermeté iné-
branlable. Ensuite, comme elle veut s'effor-
cer de les retirer des ténèbres de leur erreur,
le roi lui impose silence. « Vous perdez yo-
« Ire peine, » lui dit Florimond.
FLOR1MOXD.
Lessez, lessez tout ce propoulx,
N'en parlez plus , de par le Deable.
« Sa constance irrite Dyoscorus à un tel
excès qu'il la fait retirer et ordonne qu'on
la livre au prévôt Marcian pour lui faire
subir le dernier supplice (112).
DYOSCORUS,
Harau ! Deables ; je creveray
En ceste sanglante houlliere;
N'est tirée bien-toust arrière :
Tant plus je l'oy, et plus j'ay mal.
« Lucifer profite de cette conjoncture pour
animer ses démons contre Barbe.
LUCIFER
Hau! Sathan?hau! Leviathan?
Berith, Astaroth l'infernal ,
Saillez hors de vostre hospital?
« Lucifer ordonne à Satan de verser son
poison dans le cœur de Marcian. Ce prévôt,
s'étant fait amener la princesse, essaye de
lui faire quitter la foi chrétienne. «Vos
« dieux, réplique-t-elle avec fierté, ne sont
« que de vaines idoles. »
Idolles? G..
MARCIAN.
ARBARA.
Voire Folles.
seconde journée de la Passion. C'est ce que nous
prouverons en parlant ci-après du Mystère de l'in-
curnalion.
(112) Dans le Mystère de sainte Barbe, imprimé,
et différent de celui ci, ce même Marcian, qui n'est
ici que le prévôt de Dyoscorus, se trouve empe-
reur de Rome.
!8S BAH DICTIOSNAIRE i)ES
A ces mots Marcian commando à ses
bourreaux d'attacher Barbe à un pilier et de
la fouetter de toutes leurs forces.
TALIFART, quartus Tijraunus.
Il fault ung peu grater ta galle.
contrefoï, primus Tyrannus.
Despoullons la, et la battons.
(Puusa : exuaiit eam.)
« Dyoscorus, songeant avec plaisir aux
cruautés que Marcian va exercer contre sa
fille, ordonne qu'on lui serve à souper. »
GRONGNART.
Sus, or nous abillon
Pour aller souper :
CORNIBERT.
C'est mon goust.
(Finis pro tertiâ die.)
QUATRIEME JOURNÉE.
(Hic incipit quartus Liber Mislerii Béate Barbare
Yirginis.)
« Au milieu de ses tourments Barbe loue
le Seigneur et le prie de lui donner la force
de les souffrir avec constance.
(Tyranni ligant eam nudam ad postent.)
« Lorsque ces bourreaux se sont exercés
quelque temps, ils se reposent pour repren-
dre haleine et paraissent étonnés de sa
tranquillité.
NARINART.
Elle est pire qu'une sansué!
Le Deable nous la puist cmbler (113)
CONTREFOY.
Nous n'avons bras, jambes, ne eulx (114)
Que tous ne sont las.
ARCIAN.
Sus, mesgnye
MARINART.
Par Apollin, je n'en puis plus,
El nous a mis jusqu'à la lye.
« Le prévôt tâche encore de lui faire
abandonner sa religion, mais Barbe, aussi
insensible à ses honnêtetés qu'à ses mena-
ces, lui dit qu'il peut redoubler ses tour-
ments. Marcian, irrité par ce mépris, or-
donne aux tyrans de recommencer.
TALIFART.
Advise comme je m'alinte,
Suy-ge bien fourny de bon nerf?
CONTREFOY
11 me semble d'ung cuyr de Cerf,
Tant est dur : c'est bon pour sa peau.
« Alimodôs, l'un des chevaliers de Mar-
cian, prenant pitié des maux de cette jeune
princesse, l'exhorte d'obéir aux ordres du
roi.
AI.IMODÈS.
Barbe, ma gentil' Damoisellc ,
Je vous requiers, ayez pitié
De votre grant formosité.
M\STERES. BAR 18 i
naigre et du sel. « Je ne sais déjà plus quel
« tourment lui faire endurer, » s'écrie Mar-
cian.
MARCIAN.
Ccste G... de inal'afîaire
Me feray cy mourir de raige.
BARBARA.
Tu pers ta peine, et ton devis.
« On la ramène en prison coucher sur un
lit de cailloux pointus. La sainte Vierge prie
le Seigneur de soulager une fille qui souffre
avec tant de courage pour sa gloire; Dieu
va la visiter avec ses anges.
(Pausa : descendant Deus et Angeli cantando , et ve-
ntant ad carcerem.)
« Lucifer, au désespoir des bontés que lo
Seigneur a pour Barbe, appelle tous les
démons pour leur apprendre cette nou-
velle.
ASTAROTH.
C'est ung maulvais commencement
Pour bien garnir noslre niesnaige.
LUCIFER.
Il l'aime cordiallement.
LÉVIATHAN.
C'est ung maulvais commencement.
LUCIFER.
« Comme elle ne veut point l'écouler, le
prévôt lui fait frotter ses nlaies avec du vi-
I IT.i Dérober.
Il luy promet finablement
En Paradis son bérilaige
BÉRITIl.
J'en ay grant deul, certainement
Dedans mon mal cieux couraige.
SATHAN.
C'est ung maulvais commencement
Pour bien garnir nostre mesnaige.
« Ce n'est pas tout, dit Lucifer : comme
« Marcian ne sait plus quel tourment faire
« endurer à la princesse, il faut que vous
« alliez l'inspirer. »
(Pausa : Fingat Marcianus dormire, et Demones
ventant ad ettm.)
« Ce prévôt, conseillé par ces malins es-
prits, envoie chercher Barbe, et la fait atta-
cher à un pilier.
(Pausa : vadant quesilum Barbaram, et habeant
cordant ad ligandam eam.)
« Je m'apprête à éprouver les tourments
« les plus affreux, » lui dit celte tille cou-
rageuse.
BARBARA.
Car tu es du Deable endurcy.
MARCIAN.
Haro! Mercure! quesse cy?
Ceste trop me despite.
(Pausa : suspendunt eam.)
« Barbe, ainsi attachée, lui reproche sa
fureur avec les termes les plus vils.
BARBARA
N'as-tu point honte ne vergongne,
De commettre telle besongne?
De pendre une pauvre pucelle
Par les piez : c'est chose cruelle.
Hélas! pour l'honneur féminine,
(111) Y
rn\.
187 BAR
Et pour celle qui tant fui digne
De te porter dedans ses flans,
Tu ne deusses pas faulee mine,
Commettre ceste euvre maligne,
Par courroux qui te son en flans,
« Le cruel prévôt, irrité par ce discours,
lui fait déchirer le corps avec des peignes de
1er, et ensuite brûler par des lampes arden-
tes. Non-seulement Barbe souffre ses maux
avec une constance infinie, mais même elle
raille son bourreau.
BARBARA.
Truant, mengue ung petit,
S'il te semble bon au vevgueust
Mes membres souf sus et jus
Roustiz, et sans plus de débat
Fay les mectre dedans ung plat, etc.
(Stultus loquilur.)
« Marcian essaye encore de la séduire par
ses promesses ; mais la voyant persévérer,
il commande à ses satellites de lui écraser
la tête avec des maillets de fer.
CONTREFOY.
A ce cy nous nous accordon
Il sera fait plustoust que dit.
(Pausa: liganl eam, el liabeant malcas ferreas.)
MARINART.
Forgeons mieulx :
Frappe de hault sur ceste enclume.
« Marcian effrayé de la voir résister à ce
nouveau tourment, s'écrie avec fureur:
MARCIAN.
Par Saturnus, je cuyde et croix,
Que tu es Nigromencienne,
Ou une mauldicte Arrienne.
« Les chevaliers du prévôt pressent Barbe,
mais en vain, de se rendre aux volontés de-
son père.
AUMODÈS.
Qu'atens-tu?
Dclesse ton Jésus bien loings.
MARCIAN.
Sus Marinart, et loy Contiefoy,
Marpault, Talifart? Abrégez,
Cardez que jamais ne mengez,
Tant que vous aurez, comme fois,
Tranché ses mammelles du corps,
Comme chose très diffamable,
Et en femme vituperable.
Prenez moy cousteaux esbrechez,
Mal taillans, lours, et tous brechcz, etc.
ALIMODÈS.
Contre eulx el n'aura jà vigueur
Qui vaille deux onces de vent.
« Les tyrans exécutent cet ordre ave
toute la cruauté possible, accompagnée de
paroles insultantes et de plaisanteries dignes
d'eux.
« Le prévôt, ayant épuisé toute sa cruau-
té, renvoie Barbe en prison, afin de rê-
ver à loisir ce qu'il Jui fera souffrir le len-
demain.
(Pausa : Icy se dit un Rondeau, Deasbles esveillez-
vous. Et après ce rondeau, dit Lucifer, Haro, haro,
je crève d'ire. Et doit on faire en enfer, grant
tonnoire, et grant hullemcnt, avant que dire ledit
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
<8S
rondeau; et doibvent estre tous les Deables en enfer,
et sortir quant Lucifer parlera.)
« Le résultat de ce conseil infernal est, que
Lucifer dépêche Satan vers Marcian, avec
de nouvelles instructions.
(Pausa : vadat Sathan ad Marcianum, el fingat
dormire.)
« Marcian, à son réveil, assemble ses che-
valiers, et, après avoir écoulé leurs avis il
prononce cette sentence.
MARCIAN.
Moy Président, Prévost, et Juge,
Barbe, je te condamne et juge,
Très désloyalle et estourdye,
D'estre parmy Nychomédye,
Nue du pié jusques au chef
Desmontréc sans nul couvert chef;
Sans chemise, et sans vestement :
Et non pas par cy seullement,
Mais par la terre universelle
De ton Père, etc.
BARBARA.
0 deshontée énormité!
Enorme bestialité, ele
(Exuant eam usque ad umbiculum. Stultus loquilur. j
« Barbe obéit à cet injuste arrêt, et en
souffre l'exécution, sans s'en plaindre qu'à
Dieu.
(Silete in Paradiso.)
« Ses plaintes pénètrent jusqu'aux cieux ;
la sainte Vierge prie Dieu en sa faveur.
NOSTRA DOMINA.
Préservez la de honte dure ;
De son honneur ayez la cure.
« Le Seigneur exauce sa sainte Mère,
et ordonne à Gabriel d'avoir soin de Barbe.
(Angélus ponat tunicam super eam. Pausa : ducant
eam per ludum percutiendo.)
« Les femmes de Nicomédie gémissent à
la vue d'un traitement si inouï ; la princesse
les console, et lorsqu'elle est arrivée au
marché public, ses bourreaux perdent l'u-
sage de la vue.
(Fiant ibiceci.)
« Où sommes-nous donc, s'écrie Talifart.
« — Dans la rue Talasis, répond Barbe. —
« Marche toujours, » dit Marinart. Comme
ils ne voient point, Dieu permet que, croyant
frapper sur Barbe, ils se meurtrissent de
coups les uns et les autres. Ils reconnaissent
bientôt leur erreur, et, pour n'y plus re-
tomber, ils cessent de battre la princesse, se
contentant de l'accabler d'injures, et lui or-
donnant de les ramener chez le prévôt.
TALIFART.
Mectez nous au chemin, morveuse.
« Barbe leur obéit fidèlement. Marcian
est fort étonné lorsqu'il la revoit en bonne
santé, et couverte d'une riche robe. « Qu'a-
vez-vous donc fait? » dit-il à ses satellites.
CONTREFOY.
Sire, nous suymes cheuz en péril,
Par teste.... orde et crapaulde;
Quant est à moy, je ne voy goutte.
139
BAR
DICTIONNAIRE DES .MYSTERES.
MARINART.
Non faige moy certainement.
« Cependant la sainte fille prie Dieu pour
ces malheureux, et ils recouvrent la vue.
Ce miracle, au lieu de toucher le cœur du
prévôt, l'endurcit encore davantage ; enfin,
après l'avoir fait rouler sur des épées nues
et tranchantes, il la renvoie à son père, ne
sachant plus quel tourment lui faire souf-
frir. »
{Pâma : ducant eam ad Patrem, et stultus loquilur.)
(Pausa pro quartâ Die.)
[Barbara maneat in manus Patris, et tyranni rêver-
(mit ur ad Marcianum.)
CINQUIÈME JOURNÉE.
(Incipit Liber quintus Béate Barbare Virginia.)
« Lucifer, poursuivant avec ardeur la mort
de la princesse, envoie Léviathan en dili-
gence, répandre son poison infernal dans ie
sein du roi de Nicomédie.
(Pausa: vadat Léviathan, et dùm sit propè Dyosco-
rum dicat.)
DVOSCORUS.
Que ferai-je de ceste
Pleust à noz Dieux qu'elle fust arse!
« Après avoir rêvé quelque temps, il or-
donne à ses tyrans d'enfermer Barbe dans
«n tonneau, et de lui percer la chair avec
de grands clous.
GRONGNVRT.
Allez vous en quérir la pipe
Où Barbe sera la grant lipe,
Et je vais quérir de granz doux.
(Pausa : vadunt duo tyranni quesituri dolium,et
Grongnart vadat quœsitum claves.)
« Lorsque les tyrans ont exécuté les or-
dres de Dyoscorus, il leur commande de
rouler ce tonneau de toutes leurs forces.
Rouliez fort.
DYOSCORUS.
GRONGNART.
Roullon à outrance.
« Au bout de quelque temps on ouvre le
tonneau; le roi et ses chevaliers sont dans
un étonnement sans égal, voyant que Barbe
en sort sans aucune blessure.
DYOSCORUS.
Veez-cy grant admiracion !
Veez-cy chousse trop merveilleuse!
Veez-cy ung art d'illusion!
Veez-cy vision dangereuse !
Veez-cy malicieuse!
Veez-cy mauldicte abusion !
« Je méconnais mon sang dans cette mal-
in ureuse, » ajoute le roi. »
C'est
Non ma fille, je la tiens nulle .
Je la regnyc incrédulle.
A ! Lucina, liaulte Déesse,
De vostre grâce, non aultrcmcnt
Ceste lille vous me donnasles!
(Stet Léviathan propè Dyoscorum.)
• Ce roi, suivant les inspirations du dé-
mon qui l'accompagne, prend sa fille par les
lieveux, et 1
d'une colline
BAR 10
a traîne de cette sorte au haut
(Pausa : vadunt super montent, et Dyoscorus ducit
Barbaram per manum posteà : incipit sanctus Va-
tentinus.)
« Ce saint homme déplore le sort do Barbe,
et prie le Seigneur d'augmenter ses forces
et son courage.
« Barbe se met à genoux, et, les yeux
tournés vers le ciel, elle fait une prière,
qu'elle n'a pas plutôt finie, que son barbare
père lui enlève la tête et la vie avec son
épée.
(Percutiat Dyoscorus.)
« Dieu envoie ses anges pour enlever
l'Ame de cette martyre.
(Pausa
descendant in Paradisum cantando Hym-
Virginis proies : et organa resvondant in
Paradisum, et sit melodia magna.)
« Pendant ce concert céleste, Dieu cou-
ronne sainte Barbe, et la récompense de ses
travaux par une gloire éternelle : ensuite il
punit son père dénaturé, en le faisant périr
d'un coup de foudre. Ses chevaliers, étonnas
de cette fin funeste, se retirent très-cons-
ternés.
« Satan va chercher l'âme de Dyoscorus,
et l'amène aux enfers, pour servir d'amuse-
ment aux malins esprits. Lorsque les dé-
mons se sont divertis quelque temps à le
tourmenter, Lucifer leur ordonne de se
mettre en cercle, et, après avoir fait placer
Dyoscorus au milieu, il entonne le branle
suivant, qui se chante en dansant.
(Lucifer incipit cantilenam cantando.)
LUCIFER.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné,
Mais tu es cbeut en grant ravallement.
DEMONES.
Dyoseorus, tu tuz Roy coroné
Mais tu es ebeut en grand ravallement.
LUCIFER.
Tu es présent o les Déables dampnez.
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné,
LUCIFER.
Tu es présent o les Déables dampnez,
Dont n'aura jamais relievement.
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné,
Mais tu es cbeut en grant ravallement.
LUC1FE.1.
Tu mauldiras le jour que tu fuz né.
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné.
LUCIFER.
Tu mauldiras le jour que tu fuz ne,
Car tu seras pugny cruellement.
DEMONES.
Dyoscorus, lu fuz Roy coroné,
Mais tu es cheul en grand ravallement.
Al
«mis vices
LUCIFER.
tu es habandonné
191 BAR
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coFoné.
LUCIFER.
A tous vices tu es liabandonné;
Puis a occis ta fille laidement.
DEVOUES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné,
Mais tu es cheut en grant ravallement.
LUCIFER.
Ainsi sera tout pécheur guerdonné.
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné.
LUCIFER.
Ainsi sera tout pécheur guerdonné,
Et décédé sans vray repentement.
DEMONES.
Dyoscorus, tu fuz Roy coroné,
Mais tu es cheut en grand ravallement.
« Ce branle fini, tous les diables se reti-
rent aux enfers, excepté Léviathan, qui, s'a-
■vançant sur le bord du théâtre, avertit les
spectateurs de prendre exemple sur ce mi-
sérable, et d'éviter avec soin la punition
qu'il a si justement méritée.
« Saint Valentin arrive, et ensevelit le
corps de sainte Barbe. Lorsqu'il est retiré,
un aveugle, un boiteux et un sourd s'avan-
cent, et se plaignent de leurs misères
mai.iverne, meugle.
Las! voycv pauvre coiupaignie,
Aveugles, Boûeteux, aussy Sours,
Et gens de misérable vie.
« Ils se mettent à causer, mais comme le
sourd ne peut les entendre, il leur répond
de travers, ce qui fait un jeu de théâtre assez
plaisant.
malnourry, boiteux.
Beau Sire; avez vous point d'amye,
Par amour?
lin-art, sourd.
Je l'ay prestée
Au Curé.
malnourry.
Quoy?
LIN'ART
Mon espée
Qui est du temps du Roy Basac.
En tenant de pareils discours, ils arri-
vent à la petite maison où est enseveli le
corps de sainte Barbe : et. à peine les deux
premiers y sont-ils entrés, qu'ils se sentent
parfaitement guéris.
MVLIVERNE.
Vray Dieu! je suis enluminé!
MALNOURRY.
Et moy, je ne suis plus boûeteux !
« Ils rendent grâces à la sainte, et sortent
pour engager leur compagnon à implorer
un pareil secours.
LIN'ART.
En petit d'heures, Dieu labeure,
On le voit par expérience.
(1 15) Il faut remarquer que le maire de Nicomédie,
et les deux personnes qui l'accompagnent sont
païens, et ceci se prouve aisément par la suite de
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
19î
« La joie qu'ils reçoivent de leur guéri-
son leur fait prendre la résolution d'al-
ler chercher un démoniaque de leur con-
naissance, pour lui procurer un semblable
remède.
MALNOURRY.
Czà Briffault?
Nous te mainerons par le bras
Au sainct lieu.
briffault, demoniacus.
Tien, toy, quoy feras"
Traistre, larron, filz de, etc
« Après avoir vomi un torrent d'injures,
sa fureur se calme, et il se met à chanter.
BRINFAULT.
Jennin, Jennot,
Marguin, Margot,
Dieu poira la chandelle
Et tout l'escot,
Ce dit Pierrot :
Labourons soubz la treille.
Chacun son pot,
Viendras-tu à la veille?
Jennin, Jennot,
Marguin, Margot,
Viendras-tu à la veille? etc.
« Malgré sa résistance, Maliverne et ses
camarades l'entraînent au tombeau de la
sainte, où il reçoit aussitôt la santé. Le
bruit de tous' ces miracles parvient aux
oreilles du maire de Nicomédie, qui court
bien vite avec ses gens chez un orfèvre pour
lui commander une magnifique châsse (115).
JOSSET.
Beaux Seigneurs, que vous dit le cueur?
Je suys plus noir qu'ung contrecueur.
Ne vous desplaise, de charbon.
FERNAULT.
Tout est du mestier, etc.
« Cela nous embarrasse peu, ajoute-t-il,
« et nous ne venons ici que pour savoir si
« vous pourriez nous faire une belle
« châsse. »
JOSSET.
De quelle étoffe?
CHERL1N.
D'or luysant,
Tout par tout net, et tout fin.
MAJOR.
El si y mettrez, beau cousin,
Des camahieux, et des rubis,
Des dyamans yndes et bis,
De bons saphirs, des esmeraudes;
Qui ont vertuz froides et chauldes.
Et toutes autres pierreries.
« Ce n'est pas tout, continue le maire, il
« me faut quatre fortes chaînes. »
JOSSET.
D'or aussi?
CHERLIN.
Et quoy doneques?
« Mais, répond Josset, cela montera bien
l'ouvrage, où l'on verra qu'ils sont compris au nom-
hiedesinlidéles, et comme tels tués par les Chrétiens
au sieste de Nicomédie.
193
BAR
« haut, et il serait bon de me faire quclqu
« avance. »
MAJOR.
C'est raison, je n'ay pas songé
Une telle ouvraige à part moy,
Sans vous voulloir bailler dequoy.
Tenez, voilà ung million.
FERNAULT.
Jossel? point nous ne marchandons?
(Sansa : stultus loquiiur.)
« Pendant que le fou amuse ie specta-
teur par ses plaisanteries, l'orfèvre fabrique
une châsse; et, lorsqu'elle est achevée, il
la porte au maire, qui la trouve telle qu'il
la souhaite. »
FERNAULT .
Voycy une Chasse autentique;
Elle est d'art scientilicque,
Voycy une Chasse autentique.
JOSSET.
El fust-elle du pays d'Aflïique,
Voycy une Chasse autentique ;
Si est à mettre une Rclicque,
Ou une Déesse parfaicle :
Voycy une Chasse autentique
Bien composée, et bien pourlraicte.
(Pausa : stultus hquitur, et vadanl ad locum Sepul-
cltri.... fingant ponere corpus in capsà, et portant
in Nijcliomediâ ciun cerris, et candelts accensis ; el
sit in Nyclwmediâ templum paratum ad ponen-
dum corpus, et sint calhene ad suspend, in acu
capsam.)
« Lorsque la cérémonie est terminée ,
chacun se retire chez soi.
« D'un autre côté, le roi de Chypre, prince
rempli de zèle pour la vraie religion, pro-
pose une espèce de croisade, pour délivrer
les Chrétiens de la tyrannie des infidèles.
OrigèneSjLiépart, et tout lereste des Alexan-
drins s'offrent à le seconder dans une si
sainte entreprise. Dyogènes, au bruit de ces
préparatifs, envoie Brisevant, son messa-
ger, à Maximian, et aux chevaliers de Ni-
comédie, pour leur demander du secours.
Cependant l'armée du roi de Chypre et
celle d'Alexandrie viennent camper auprès
de Nicomédie, et forcent les païens à se
renfermer dans ses murs. Lucifer, à ces
nouvelles, ordonne aux démons d'aller
promptement chercher les âmes des païens
oui vont être tués.
Ll'CIFER.
Où sont les Deables de Cyens?
Et leurs Deableteaux, et Paiges?
ASTAROTH.
Les ungs sont allez en fouraige,
Les aultres gardent la Cuysine.
« A quoi vous amusez-vous? dit Lucifer,
« au lieu d'aller à Nicomédie I » — « Où
« courez-vous donc comme des étourdis? »
s'écrie Bélial.
(11G) Liens.
(117) Eslorse, combat. Ce mot a éle placé ici pour
Il rime, au lieu destour. Nos anciens prenaient
«uuvenl la libellé de changer les finales de leurs mol"
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
B.Ml
194
DELIAI..
Il failli mener nostre charctte,
Nos tranlz (Mfi) nos jougs, nostre brouette,
Pour amener Payens à force,
Qui doibvent mourir en l'estorce (117)
De la guerre jà commencée.
(Pausa : vadant Demones, et ducar.t quadrigam. Si-
lete in Paradiso.)
« Les Chrétiens escaladent les murs de
la ville, et, après avoir massacré une mul-
titude de païens, ils se rendent maîtres de
la place. Le roi de Chypre tue Dyogènes;
Diépart blesse mortellement Flori'mond, et
Marcien avec le maire de Nicomédie tombent
sous les coups du connétable et de l'amiral
de Chypre.
(Pausa : fiai ibi magnum insultum, et omnes Pagani
moriuntur, et Christiani moriuntur, scilicet, Bruy-
sart et Heurtaull.)
« Les femmes se réfugient dans le temple
de sainte Barbe ; les Chrétiens les y suivent,
et, apprenant de Jozias, prêtre païen, la vie
et les miracles de cette martyre, ils font
apporter les corps des deux chevaliers qui
viennent de perdre la vie, et qui ressusci-
tent par les prières de la sainte. Les païens
qui sont restés, craignant le sort de leurs
camarades, reçoivent le baptême. EnsuiK;
de quoi le roi de Chypre et les fidèles qui
l'accompagnent rende'nt grâces à Dieu d'une
si belle victoire. Pendant ce temps-là Satan
se désespère de ce qu'on vient de lui arra-
cher les âmes de Bruysart et d'Heurtaull ,
qu'il conduisait déjà aux enfers.
SATHAN.
Quoy noirs .avons
Perdu/, les Ames et Esperitz
Des Chrestiens qui furent prins
De nous, et qui estoient jà mors
LÉV1ATI1AN.
Par qui?
SATHAN.
Par les maulvais records
De Barbe, la fairice avortonne :
J'en avois jà plain une tonne,
Mais elle a faict tout remectre
Dedans les corps, pour les desmeptre
De nostre acquesi, sans fiction.
« Songeons à autre chose, » dit Astarolh.
(Pausa : vadant qua'situm corpora, et animas, cum
J quadriga.)
SATHAN.
Lévialhan, lire au collier,
El Aslartilh, pour exploicter :
Je suis le Maistre Charretier.
« Avancez donc », dit Lucifer.
LUCIFER.
Or parlez à moy, fils de Vaches :
Quesse la dedans? sont-ce moulles
SVTIIAN.
Ce ne sont ne chappons, ne poulies;
pour la commodité de leurs vers. Ainsi lorsque l'on
trouve de ces sortes de mois, on ne doit pas les
prendre pour de l'ancien gaulois, ce nVsi souvent
qu'un eff'-l du caprice d'un auteur.
195
BAR DICTÎONNAIUE DES MYSTERES
Ce sonl des Sarrasins (118) les Ames
« Pendant qu'on tourmente ces malheu-
reuses âmes, le roi de Chypre et les Chré-
tiens qui le suivent s'emparent du corps et
de la châsse de sainte Barbe, et prennent
le chemin de Rome, pour y remettre ce
précieux dépôt.
(Pausa : stultus loquitur : Portant corpus Béate Bar-
bare, et habeanl magna luminaria ardentia, et
quatuor milites portent, et Bex sil rétro, et omnes
assecunlur, et reniant versus Bomam, et Bex salu-
tel Paputn.)
« Le roi, après avoir salué le Saint-Père,
lîAR
\%
PAPA.
Certes, vous avez raison :
Gratins agimus libi, etc.
« Un instant après Yimager apporte la
statue, et le Pape, qui ne veut pas retarder
le départ du roi de Chypre, ordonne à ses
chapelains de la porter sur leurs épaules en
procession à l'église de Rome. Toute l'as-
semblée obéit aux ordres du saint Père. »
PAPA.
Chacun porte torche ou cierge,
Et allons sans sermoner plus,
Chantant Te Deum laudamus.
lui raconte le sujet qui l'amène : et pour
lui prouver ce qu'il avance , il le prie de
s'informer des personnes qui le suivent.
Les Chrétiens ne manquent pas d'instruire divisé en cinq journées, dont nous
le Pape des miracles qu'ils ont vus, et de déjà donné l'extrait... »
ceux qu'ils ont appris.
BARBE (Mystère de sainte). — Le second
mystère de sainte Barbe « est très-différent,
disent les frères Parfait,de celui du môme nom
avons
chambelloys, premier chevalier de Cliippre.
C'est vérité.
Dictez où on la portera?
PAPA.
Sans double, elle repousera.
Au Cymetière Sainct Calixte.
Et dès maintenant je propouse,
Et conelud, afin qu'on l'entende,
Si toust que j'auray sa Légende,
Que je la canoniseray.
(Pausa : portant corpus Béate Barbare in Cymete-
rium;etsit propè Cymeterium paratum in modo
tudi, et canlanl. eundo, et habeant magna lumina-
ria ardentia.)
« Le Pape fait beaucoup d'honnêteté à ce
prince, et ordonne à ses chapelains de pré-
parer un magnifique souper.
PAPA.
Et apportez pain et viande,
El puis vin que l'on recommande :
Or sus, o grande diligence (119)
« Les chapelains obéissent promptement,
et prient le roi et sa suite de s'asseoir à
table.
r.E.x.
Quand le Sainct Père le dira
PAPA.
Benedicite.
UEX.
Dominus, etc.
« Les chevaliers se mettent à une aulre
table : pendant le repas, on fait venir un
imager pour lui commander une statue de
la sainte. Cet ouvrier demande quinze du-
II n'en subsiste point de manuscrit.
La Bibliothèque du théâtre français (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. 1", p."2), attribuées au
duc de La Vallière, considère, mais à tort, ce
mystère comme « un abrégé du manuscrit. 11
y a cependant quelques différences dans les
détails, dit l'auteur inconnu de ce livre,
mais elles sont peu considérables. »
« Le premier, quoique supérieur en tout,
n'a jamais paru imprimé : au lieu que ce-
lui-ci a eu trois éditions. La plus ancienne
est celle que cite Duvcrdier (p. 235 de la
Bibliothèque françoise) , in-16, par Ollivier
Arnoullet, imprimeur de Lyon, qui vivait
en 153V. Pierre Rigaud le fit paraître depuis
sous la même forme. (Duverdier , ibid. ,
p. 785.) Enfin, vers le commencement du
xvu' siècle, il en parut une troisième édi-
tion sous le titre suivant : La Vie de Madame
Sainte Barbe par Personnaiges , chez Nicolas
Oudot, demeurant en la rue Notre-Dame, au
Chapon d'or couronné. C'est un in-16 conte-
nant 58 feuillets ou 116 pages, et environ
3,&J0 vers. »
Le second mystère de Sainte Barbe appar-
tientdonc à la première moitié du xvie siècle.
Les frères Parfait, à qui nous avons em-
prunté les notes précédentes (Histoire du
théâtre français; Paris, 15 vol. in-12, t. 111,
1745, p. 36-42), ont donné de cette pièce
l'analyse suivante :
MYSTERE DE SAINTE BARRE.
« Après un prologue, ordinaire à ces sor-
tes de poëmes dramatiques, paraît l'empe-
reur Marcien (120) qui, voulant offrir un
sacrifice à son dieu Mahom, envoie chercher
Vévéque de sa loi. « Dépêchons-nous, Mon-
« seigneur, dit un prêtre à ce dernier; c'est
cals, et on les lui accorde, à condition qu'il « toujours quelques écus qui vont vous re-
fera une grande diligence. Lorsqu'on est « venir. » L'empereur arrive peu de temps
près de sortir de table, le roi fait souvenir après, et ordonne que l'on porte l'idole de
le Pape de dire grâces. Mahom en procession.
(118) C'est une chose assez ordinaire à nos anciens
de confondre les Sarrasins et les païens ; c'est par
celle raison que nos vieux historiens ont appelé Sar-
rasins les Normands qui vinrent du fond du Nord
inonder la plus grande partie de l'Europe, et surtout
la France , sous ies successeurs de Charlemagne.
(119) Avec.
(120) Marcien n'était point empereur. L'auteur
du Mystère de sainte Barbe en cinq journées a suivi,
en cela, plus exactement l'histoire.
«07
BAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
HA R
îflS
(Le Prêtre prend Apolin sur son col, et trestous vont
chantant entour.)
« Marcien offre de l'encens à l'idole, et
Satan, qui y est renfermé, lui ordonne d'ex-
terminer les Chrétiens.
(Icy commence le mystère de saincte Barbe, Vierge.)
PREMIÈRE JOURNÉE.
« Dioscorus, et la reine son épouse, prêts
à entreprendre un pèlerinage au temple de
Mahom, ordonnent à deux maçons de cons-
truire une forte tour, dans laquelle ils ren-
ferme Barbe, leur fille, qui refuse de se ma-
rier, et l'y laissent sous la garde de trois filles;
pendant que ces filles s'occupent à jouer aux
cartes, Barbe, pleine de l'esprit du Seigneur,
va trouver un saint ermite, qui l'instruit, et
lui confère le baptême. D'un autre côté, Lu-
cifer appelle ses sujets, et leur ordonne de
monter sur la terre : ces malins esprits,
avant de partir, demandent la malédiction
de leur maître.
SECONDE JOURNÉE.
(Pause : Second Prologue.)
Jésus, que tous devons prier.
Le Filz de la Vierge Marie,
Vueillez Paradis octroyer
A ceste belle compagnie
Seigneurs, et dames; je vous prie
Séez-vous trestous à vostre aise,
Et de sainte Barbe la vie
Achèverons, ne vous desplaise, etc.
« Au retour de son pèlerinage , Dioscorus
apprend (pie Barbe a embrassé la religion
chrétienne; il veut la percer de son épée.
Elle se sauve miraculeusement au travers de
la muraille : le père ne pouvant prendre la
même route, la cherche fort longtemps, et
enfin il découvre sa retraite. Dioscorus lui
fait endurer divers tourments, ensuite de
quoi il la remet entre les mains de Marcien,
qui, ayant épuisé les supplices les plus bar-
bares, ordonne à ses tyrans d'aller chercher
une femme folle propre à séduire l'esprit de
Barbe.
(La femme de joie chante aucune chanson, et le diable
est avec elle, elle chante et puis boit.)
« L'empereur, après lui avoir déclaré ses
intentions, l'exhorte à Je bien seconder.
l'empereur.
11 la convient par beau langage
Luy tourner trestous le courage
A faire fornication.
« D'abord que celte femme paraît de-
vant Barbe, la sainte commande au diable
qui obsède cette misérable de la quitter.
(Notiez que la folle femme doit vuider un diable, et
aura grand peur ladite femme, et se mettra derrière
Barbe.)
« Voyez un horrible monstre qui vous
« tenait sous sa puissance, dit Barbe à celte
« pauvre femme. » Elle se jette ensuite sur
l'esprit malin, et prête à l'étouffer, elle le
force à lui demander grâce. Satan, pour
avoir la liberté, promet de ne point tenter
ceux qui imploreront son assistance.
(Icy se fait tempeste en Enfer.)
« C'est ici que Marcien perdant patience,
renvoie Barbe à son père ; sa vue jette ce
barbare dans une fureur excessive.
DIOSCORUS.
Haro! Mahom, et quelle angoisse!
F y de Mahom, et son pouvoir.
Haro! je crie à pleine voix;
Maudit soit Mahom, et Jupin :
Le Dieu Tarvagant, et Rullin,
Et tous ceux de la Synagogue (121).
barbe, s'adressant à sa mère.
Pitié deusses avoir de moy.
A une chienne prend-toi garde
Qui a un grand tas de chienneaux, '
Qui naturellement les garde,
El les préserve de tous maux :
Tu es donc pire qu'une lisse.
« Dioscorus, sans égard pour ses plaintes,
lui boute la corde au col, et à peine a-t-elle
achevé son In manus tuas, Domine, qu'il la
frappe sur le col, et lui enlève la tête. Les
anges descendent du paradis pour recevoir
son âme; après quoi les démons s'emparent
de ses persécuteurs, et les entraînent aux
enfers. Et le mystère finit par la canonisa-
tion de sainte Barbe, et les guérisons mira-
culeuses opérées par son intercession. »
BAUTEUCII (Sainte). - Sainte Bauteuch
est tirée du manuscrit des Miracles de Notre-
Dame, conservé à la Bibliothèque impériale,
n° 7208, A et B, t. XI, P. 173, n* xxxiv.
Celte pièce appartient donc au xiv' siècle.
Elle est intitulée : Cy commence un miracle
de Nostre Dame et de sainte Bauteuch, femme
du roy Clodoveus, qui, pour la rébellion de
ses deux enfansy leur fist cuire les jambes,
dont depuis se reverlirent et devindrent reli-
gieux.
Elle a été éditée par M. Ed. Frère, précé-
dée d'une légende de la même sainte, ex-
traite d'uq manuscrit de la Bibliothèque du
roi, coté 10309, 3, 3, provenant du fonds
Cangé, et accompagnée d'un fac-similé de la
première page du manuscrit, à la suite
de VEssai sur les énervés de Jumiéges, de
M. Langlois (Rouen, éd. Frère, 1838, in-8°,
p. 97-237). M. Jubinal avait fourni la copin
revue par M. Leroux de Lincy. « On ignore
le nom du poëte auquel nous devons le mi-
racle de Sainte Bauteuch ou des Enervés ;
mais, d'après quelques inductions particu-
lières, tirées de celle composition dramati-
que, il est évident qu'il écrivait sous Phi-
lippe de Valois, c'est-à-dire au milieu du
xivc siècle. »
Les chevaliers du roy Clodoveus lui con-
seillent de se marier pour avoir lignée,
mœurs plus réglées, vie meilleure :
Souvent vit jonne homme en desroy
Et pèche trop plus par oultrage
Quant n'a femme par mariage;
Et fait plus d'ipeonvéniens
Que un autres bonis et hors et ens...
Le roi y consent et épouse Bauteuch quVn
(121) On aperçoit aisément l'assemblage monstrueux des divinités qu'adore Dioscorus, que l'on fait
ici idolâtre, mahoinélan el juif tout ensemble.
199
CES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
niN
2G0
lui amène. 11 lui donne saint Genès pour.m-
inônier, et met à sa disposition, pour ses
aumônes, mille livres, dont la nouvelle reine
ordonne ainsi la disposition :
Gênais, vous en départirez
Aux Cordeliers et Augustins
Aux Carmes et aux Jacobins
A un chascun couvent cent livres...
Bientôt le roi est pris de l'ardent désir
d'un voyage en terre sainte, la reine le lui
conseille; les barons lui demandent pour
régent, qui le duc d'Orléans, qui le duc de
Normandie; allusion évidente, selon M. De-
ville, aux deux fils de Philippe de Valois,
sous le règne duquel fut composé ce miracle.
La reine implore le secours de Marie. L'aîné
des fils du roi est fait régent sous la tutelle
de sa mère.
Cependant les deux fils de Bauteuch se
liguent pour conspirer.
l'ainsné.
Je regarde que nous deux sommes
Desoresmais assez grans hommes
Pour avoir dominacion,
Sans plus estre en subjeccion
Ne de femme, ne d'omme né.
Le roi annonce son retour; néanmoins les
deux enfans se rebellionnenl :
l'ainsné à sa mère.
Dame ne lieng point que m'onneur
Soit que vous plus me gouvernez
Puisque je suis roy couronnez,
Je renonce à vostre conseil ;
Et desoresmais user vueil
De ma puissance en tous endroits...
Ils sont résolus à empêcher l'arrivée de
leur père.
Bauteuch en est instruite.; c'est par elle
que le roi Glodoveus est averti. Les barons
du royaume s'interposent, mais en vain, la
guerre est sur le point d'éclater. Dieu
s'irrite.
BAUTEUCH.
Te di ceux qui ont méfiait
ault qu'ils soient pugniz de fait
En ce siècle ou en l'autre, lors
Qu'en terre porriront les corps
Ce n'est pas double.
En effet le roi est vainqueur, ses deux
fils sont pris, sainte Bauteuch demande con-
tre eux le plus affreux supplice, on leur
brûle les jamhes. Les deux misérables se
repentent seulement alors, demandent à
Dieu de finir leurs jours dans un monastère.
En effet Dieu même les conduit
. . . . En Normandie
En un lieu sauvage et désert
. . . Avec l'abbé Phillebert..
BENOIT SUR-LOIRE (Manuscrit de Saint-).
— Les drames du manuscrit de Saint-Be-
noît-sur-Loire n'étaient pas inconnus à Du
Cange, qui en désignait le recueil sous le
titre de Liber reprœsentalionum hislorica-
rum.
L'abbé Lebeuf, dans le Mercure de France,
de décembre 1729 ( Remargues envoyé' s
d'Auxerre, p. 2981-2995), signala le Manus-
crit de Saint-Benoît-sur-Loire, comme con-
tenant de très-anciennes pièces en latin.
L'une, selon le savant abbé, expliquait une
image de saint Nicolas incomprise de Mola-
nus [Traité des images). « Cette pièce, remar-
quait encore le même savant, est de la me-
sure de quelques anciennes proses, comme
le Languenlib'us in purqatorio ; elle est notée
en plain-chanl syllabique, et, prise totale-
ment, elle est du premier ton, pour amener
naturellement et de suite le cantique Te
Deum, qui commence mi-sol-la. On chantait
en déclamant et en gesticulant. » En 1735
[Mercure de France, avril 1735, Lettre d'un
solitaire, p. 698-708), l'abbé Lebeuf revint
sur le même sujet pour noter l'emploi évi-
dent et indispensable de quelques machines,
mais qui ne demandaient pas une grande
subtilité; et enfin il formula en ces termes
l'opinion que les drames de saint Nicolas
devaient composer une tétralogie à la ma-
nière antique : « Je ne sçai, au reste, >> dit-il,
« si ces quatre morceaux détachez n'étoient
pas des actes différens de la même tragé-
die. » Ces diverses observations ont élé con-
firmées et répétées depuis par tous les cri-
tiques.
Les Bénédictins (Hist. litlér.de la France,
t. VII ; Paris, 1746, in-4°, Avertissement,
p. xlviii) ne firent que citer, d'après l'abbé
Lebeuf, le Manuscrit de Saint-Benoît-sur-
Loire.
Il fut, pendant la Révolution, transporté de
l'abbaye dans la Bibliothèque d'Orléans, où
il resta oublié jusqu'à ce que, en 1834,
M. l'abbé La Bouderie, s'associant M. Mon-
merqué, parvint à en faire accepter l'édition
par la Société des bibliophiles français. Le
manuscrit parut donc celte même année,
mais imprimé en appendice au Saint Nicolas
de Jean Bodel. L'édition, lirée seulement à
trente et un exemplaires, nous semble devoir
être décrite. De format in-8°, elle porte pour
titre : Li Jus Saint Nicolai par Jehan Bodel ;
uit li Jus, p. 1-81; et après : Pièces jointes
au Jeu de S. Nicolas, p. 85 87; Mysteria et
liracula adscenam ordinata in rœnoiiis olim
a monachis reprœsentala ex codice membra-
naceo xinmi sœculi, in Aurelianensi biblio-
theca servato, desumpta, p. 87-89; 1° Primum
miraculum S. Nicolai, p. 89-101; 2° Secim-
dum..., 101-109; 3° Tertium..., 109-11-9;
k" Quartum..., 119-131; Hcrodes sive Mago-
rum Adoralio, 131-145; Mysterium, Siragcs
Jnnocentium, p . 145-155; Mysterium Resur-
rectionis D. N. J. C, p. 155-1G5; Observa-
tions sur le mystère de la Résurrection ,
p. ifâtl3:MysteriumApparitionisD.N.J.C.,
p. 173-187 ; Mysterium Conversionis B. Pauli,
p. 187-195; Mysterium Resurrectionis B. La-
zari, p. 195-213.
En 1838, M. Wright, en Angleterre, re-
produisit l'édition des bibliophiles français:
Early Mysteries and other latin poems ofthe
tweljth and thirleenth centuries; Anciens
myslères et poëmes latins des xiie et xiii"
siècles; Londres, Nichols, 1838, in-8°, do
xx vin -133 pages.
SOI B1E DICTIONNAIRE
M. Mngnin 4\vait rappel dans son cours
professé à la Faculté des lettres les drames
du manuscrit de Saint-Benoît -sur - Loire
(Joum. général de l'instruction publiq., 13
septembre 1833, p. 478). M. O. Leroy en
parla vaguement dans ses Etudes sur les
mystères (Paris, 1837, in-8", p. 31); et de
même, MM. Jubinal (Myst. inéd. du xv' siè-
cle), et Chabailles et Dessales {Myst. de saint
Crespin, Avant-Propos, p. ix, note 3;.
Le Manuscrit de Sainl-Iienoit-sur -Loire
appartient au xiu' siècle, et les drames qu'il
contient m; remontent pas plus haut que
le su*.
On les trouve dans ce Dictionnaire, sous
les litres suivants, qui diffèrent quelque peu
de ceux du manuscrit, mais qui nous étaient
imposés par la nécessité du classement des
matières :
Les Filles dotées (premier miracle de saint
Nicolas). — Voy. Filles dotées.
Les Trois clercs (second miracle de saint
Nicolas), — Voy. Trois clercs.
Le Juif volé (troisième miracle de saint
Nicolas). — Voy. Juif volé.
Le Fils de Gélron, (quatrième miracle de
saint Nicolas). — Voy. Fils de Cétuon.
ïîérode, ou V Adoration des Mages. — Voy.
HÉRODE.
Le Massacre des Innocents. — Voy. Inno-
cents.
La Résurrection de J.-C. — Voy. Résur-
rection.
L'Apparition de N. S. J.-C. — Voy. Appa-
rition.
La Conversion de saint Paul. — Voy.
Saint Paul.
La Résurrrcclion du béat Lazare. — Voy.
Lazare.
BERNARD (Saint). — Dans une liste fort
vague de mystères, où se trouvent de nom-
breuses indications de légendes, très-diffi-
cilesà distinguer des drames, de Bcauchamps
a mentionné la Vie de saint Bernard. (Re-
cherches sur les théâtres de France ; Paris,
1733, in-8*, 3 vol., t. 1", p. 228.)
fi J EN- AVISÉ et MA L-A V1SÊ.—U n'existe
pas de manuscrit du Mystère de Bicn-Aviséet
de Mal -Avisé.
Ce drame a été' imprimé h Paris, par Pierre
Le Caron, pour Anlhoine Vérard, libraire,
demouranl sur le Pont Notre-Dame, à l'image
de S. Jehan iévangéliste. C'est un in-folio
de 53 feuillets, ou 110 pages , à deux co-
lonnes, conîenant h peu près huit mille vers.
L'exemplaire communiqué aux frères Par-
fait par la Bibliothèque du Boy, « est, disent-
ils, sur vélin et enrichi de quelques minia-
tures. » (Wst. du Th. Fr., 1. 111, p. 86.)
Ces auteurs attribuent a cette pièce la date
do 1475; celte date est toute approximative,
mais l'édition indique en effet les dernières
armées du xve siècle.
Les personnages sont au nombre de cin-
quante-sept ; outre le Ciel et l'E'ifer, on y
trouve ces singuliers acteurs, Contrition,
Humili'é, Tendresse, Oysivcté, Rébellion,
sœur d'Oysivelé, Patience, Chasteté, Je
règoe, Je règne rai,* J'ai régné, Sans-Trône, etc.
Dictionn. des Mystères.
DES MÏSTERE3. BîE m
Quelques-unes des scènes ont été rappro-
chées par les frères Parfait de scènes ana-
logues de V Homme juste et de V Homme mon-
dain, du mystère en cinq journées de Sainte
Barbe et do celui de la Passion par Jehan
Michel. De Beauchamps (Recherches sur les
théâtres de France; Paris, 1735, in-8\ 3 vol.,
t. 1er, p. 230), et la Bibliothèque du Théâtre
français, attribuée au duc de La Vallière
(Dresde, 1768, in-8°, 3 vol. , t. 1", p. 3), on
ont fait mention.
Parmi les ailleurs modernes , M. Sainte-
Beuve (Tableau hist. et cr. de la p. fr. et du
théâtre fr. anxw' siècle; Paris, 1828, in-8%
t. i'r, p. 217-234) a cilé le Bien-Avisé ei Mal-
Avisé parmi les moralités qui, par leur in-
tention religieuse , se rapprochaient des
mystères.
L'analyse que nous reproduisons ci-des-
sous , est celle même qu'ont laissée les
frères Parfait, dans leur Histoire du Théâtre
français (Paris, 15 vol. in-12, t. IL, 1735,
p. 113-145.
EXTRAIT DU MYSTÈRE DE BIEN-ADVISÉ ET
MAL-ADVISÈ.
PERSONNAGES.
DIEU.
sainct michei., ange.
GABRIEL, id.
RAPHAËL, ïd.
URIEL, kl.
BIEN-ADVISÉ.
MAL-ADVJSÉ.
FRANCHE-VOULENTÉ.
RAISON.
FOY.
CONTRIC10N.
ENFERMETÉ.
TNG POUVRK.
HUMILITÉ.
TENDRESSE.
OYSANCE.
REBELLION, S03Ur d'Oy-
sance.
FOLIE.
IIOO.UELERIE.
iiouLERiE , habillée en
bouchère.
CONFESSION.
OCCUPACION.
PÉNITENCE.
SATISFACION.
AULMOSNE.
VAINE-GLOIRE.
jeusîse, sœur d'Aul-
niosne.
ORAISON, id.
DÉSESPÉRANCE,
POVRETÉ.
MALLE-MESC.HANCE.
LARREC1N.
HONTE.
CHASTETÉ.
ABSTINENCC.
OBÉDIENCE.
DILIGENCE.
PACIE.<JCE.
PRUDENCE.
HONNEUR.
FORTUNE.
REGNABO.
REGNO.
REGNAVI.
SINE-REGNO.
MALLE-FIN,
PREMIER DIABLOTON, de
la suite de Malle-Fin.
DEUXIÈME DIABLOTON, id.
TROISIÈME DIABLOTON, id.
QUATRIÈME DIABLOTON, id.
Troupes de petit»
Diablolons.
démon, diable.
LÉVIATHAN, id.
SATHAN, id.
r.ÉLiAL, id.
LUCIFER, id.
ESPÉRANCE.
BONNE-FIN.
PROLOGUE.
L'acteur qui fait le prologue vient rendra
compte aux spectateurs de la distribution
de l'ouvrage, et de l'intention que l'auteur
a eue en le composant. Ensuite il passe à
une espèce d'apologie et de profession de
foi, pour fermer la bouche aux personne»
mal intentionnées.
Ma division est linéc :
Si requiers la Vierge honorée,
Que le jeu prengnez à plaisir,
ï>3
1UE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
B1E
20i
El de jouer ayons loisir..
Nous faisons protestation ,
Que n'est point noire intenciotï
Do dire riens contre la Foy,
Contre Dien, ne contre la Loy
S'il y a lien , parofle dure
Qui soit contre la Foy escriptc,
On aussi faillie d'Escripture,
D'entendement, ou de Lecture
Ou habit sur corps et sur teste,
Qui nullement (122) soit malhonneste,
On qui vous peut porter auysance
Prestres ou Clerez (125) d'une alliance
Tous ensemble les appelions;
El a trestons Tabellions
Instrumens en demandons;
Montré vous ay les personnages,
Et si me semblez assez sages
Pour les entendre en bonne guise,
Ainsi comme le Jeu devise ;
Séez vous chacun en son lieu,
Afin d'entendre mieux le Jeu.
Pour Dieu, et nous vucillez paix faire;
Cliascun n'a que sa bouche à taire
Et s'il y a aucunes faulles,
Ne les vueillez pas tenir baultes ;
Peu de choses y gaigneriez
Se de nous vous vous mocquiez ;
Car nous sommes bien peu habilles
A savoir choses si subtilles ,
Mais pour toute la Compaignie
(Quant est de moy, je vous emprie)
Que vous prengnîez pacience.
SECTION PREMIÈRE.
« Bien-Advisé trouve Mal-Advisé, avec
] e t n j. e 1 il s'entretient du chemin qu'il serait a
propos de prendre : le dernier paraît avoir
envie de suivre le plus facile, et celui qui
l'amusera davantage. Voyageant ainsi, ils
rencontrent Franche-Volonté.
(Adonc s'en vont, el trouvent Libéral-Arbitre, et Mal-
Advisé faisant semblant de dormir.)
« Franche-Volonté (I2i) donne de fort
bons conseils à Bien-Advisé, qui en est si
charmé, qu'il veut réveiller son compagnon
pour lui en faire part. Mal-Advisé lui répond
qu'il dort, et Franche-Volonté dit à Bien-
Advisé qu'elle ne prétend violenter personne.
Après quelques discours, elle lui montre le
logis qu'habite la Raison, et lui dit de sui-
vre les instructions qu'elle lui donnera.
Bien-Advisé n'est point trompé dans son
attente, car la Raison le conduit à la Foi, et
cette dernière lui fait présent d'une lanterne
pour l'éclairer.
(Adonc Foy luy baille une Lanterne faite à xn petites
fenestres, esquelles sont les Articles de Foy, et une
chandelle ardente, et Foyluy dit en luy baillant ta
Lanterne.)
FOY.
je te donne ceste Lanterne,
Affin que tu te voyes conduire ;
(122) (En aucune façon.)
Cl
122)
(125) Clerc. Ce mot se prend généralement pour
tout hommi de lettre.
(124) Comme notre auteur ne nous dit point
quel était l'habillement de Franche- Volonté, nous
remarquerons que dans lamoralité de V Homme pé-
cheur joué à Tours par personnages, Franc-Arbitre,
quj est la même chose, et qui y ,oue un pareil rôle,
y parait habillé en Roger Boniemvs
(125) Flambeau.
Aller peux par champs et par villes,
Mais que lu gardes ce brandon (125).
BIEN-ADVISÉ. _^_
Madame, des mercis cent mille.
Car vous me donnez ung beau don
Mais pour Dieu , veuillez moy apprendre
Quelles choses sont icy escriptes.
« La Foi lui explique en peu de mots les
douze articles du symbole, après quoi elle
l'invite à consulter Contrition.
(Adonc s'en va à Coutricion ; et notez que Conlricion
doit avoir ung Mortier et ung Pillon à i eux
testes.)
« Bien-Advisé lui en demande la raison.
« Ce mortier, et ce pillon, répond-elle, ser-
« vent à apprêter les bonnes-œuvres, qui
« est la viande dont se nourrit Bonne-Fin. »
Cette réponse énigmatique, augmente encore
la surprise de notre catéchumène.
BIEN-ADVISÉ.
Pour Dieu, diltes m'en plus à plain ;
Bonnes œuvres l'avez nommée
Ceste viande bien savourée?
L'on mourroitbien emprès (126) de faim.
« Contrition lui explique comment elle se
sert des larmes des vrais pénitents pour en
faire la sauce. Ensuite pour servir d'exemple
à ce qu'elte vient de dire, paraissent Enfer-
meté (127) et un Pauvre. Enfermeté se plaint
de sa misère, et répand des larmes, que
Conlricion refuse, parce qu'elles n'ont d'au-
tre source que la douleur , et non l'Humi-
lité. Le Pauvre se met à pleurer à la vue des
maux de cette femme; alors Contricion
recueille précieusement ses larmes. Bien-
Advisé, qui est spectateur de tout ceci, veut
imiter l'exemple du Pauvre; mais Contricion
lui dit qu'il n'est pas encore temps,
et qu'il faut avant toutes choses qu'il visite
Confession.
(Adonc Bien-Advisé s'en va à Confession , et il trouve
Humilité en son chemin, et dit, sans soy descou-
vrir, et sans révérunce.)
« Bien-Advisé aborde Humilité, et sans
daigner mettre la main à son chaperon, il lui
demande où loge Confession. Humilité lui
reproche son impolitesse.
BIEN-ADVISÉ.
Pardonnez-moi, en vérité,
Car je ne vous congnoissoye mie.
«Ce n'est pas tout, ajoute-t-elle, il faut que
« tu quilles ces habits précieux, pour te re-
« vêtir de ceux qui me sont propres. »
(Adonc Humilité luy baille le vestement de Humilité,
et Bien-Advisé la vest, et puis Humilité regarde ses
chausses semelées à grans poulains (128), el Hu-
(126) Auprès.
(127) Infirmité.
(128) A grans poulains. Poulaine, singulier fémi-
nin , qui s'est dit autrefois de longues pointes de
certains souliers qui furent défendus du temps de
Charles VI, calcei polani. Cette pointe était longue
d'un demi-pied pour les gens ordinaires, d'un pied
pour les riches, et de deux pieds pour les princes.
On fit ensuite d'autres souliers qu'on appelait becu
de canne, qui avaient un bec au-devant de quatre ou
îor.
DIE
milité lin/ dit de les quitter. — Adonc il oste ses
souliers,' et ses chausses, et se tient emprès aflin
qu'il voye tout .e Jeu.)
Section ii.
« Franche-Volonté, après avoir conduit
Bien-AdvisÊ dans le chemin du salut, vient
retrouver Mal-Àdvisé , et lui demande s'il
veut imiter son camarade. Celui-ci, qui
regarde comme une infortune tout ce qui
vient d'arriver au Bien-Advisé, veut prendre
un chemin différent, et prie son guide de le
lui enseigner.
MAL-ADVISÉ.
Je voy là «ne maie faine,
Qui a destroussé mon Compaingz
Je seroye ineschant, et infâme
Se me tiroye entre ses mains.
Afin de dire le parfait,
Je vous jure bien el promet,
Ung homme ne sçet ce qu'il fait,
Qui en main de femme se met,
Jamais n'yray le chemin dextre, etc.
« Prenons donc à gauche, » répond Fran-
che-Volonté.
(Adonc Franche- Volonté s'en va , et Mal-Advisé va à
Témérité.)
« En chemin il rencontre Tendresse, qui
lui conseille de suivre une vie sans peine,
et éloignée de tout embarras. En la quittant
il trouve Oysance qui le confirme uans ce
sentiment, et lui enseigne sa sœur Rébellion.
Celle-ci, pour achever de perdre prompte-
menteet insensé, le conduit sans différer à
la Folie, qui lui demande d'abord, s'il aurait
envie de l'aire bonne chère, et de se bien
divertir. C'est ce qu'il me faut, répond Mal-
Advisé , avec empressement.
MAI.-ADVISÉ.
Je le supplie, mai ne m'y donc.
FOLIE.
Je le monstreray le chemin,
Certes aussi droit comme jonc.
« Mais luy dit Mai-Auvise, ne jugeriez-
« vous pas à propos de prendre un troisième
« avec nous? Il me semble que nous en
« aurons plus de plaisir? — Votre pensée
« me paroit juste, répond Folie, etjapper-
« çois, conlinue-t-elle, en lui montrant Ho-
« quélerie une personne qui est nostre fait. »
(Adonc Folie, Hoquélerie , et Mal-Advisé s'en vont à
la Taverne.)
« Houlene, qui est la maîtresse de ce lieu,
vient leur demander ce qu'ils souhaitent.
« Faites-nous apporter ce qu'il y a de plus
« exquis, répond Folie, et ne vous embar-
« rassez pas du payement, nous y satisfe-
« rons. » Houlene leur donne tout ce qu'ils
demandent; Mal-Advisé mange beaucoup, et
boit de même, aussi bien que sa compagnie.
A la l\^ du repas, Hoquélerie propose de
jouer pour se désennuyer; Folie et Mal-Ad-
MCTiONNAlRE DES MYSTERES. UlE ïOfi
visé y consentent avec plaisir. Ce dernier
joue avec un si grand malheur, qu'il perd,
non-seulement l'argent qu'il a sur lui, mais
encore beaucoup d'autre, sur sa parole; et
ne la pouvant acquitter, ses camarades se
jettent sur lui, lui arrachent ses habits, et
l'assomment de coups.
(Adonc le baient, el luy déspoullent sa Robe.)
« Mal-Advisé honteux de se trouver en
cet équipage, s'enfuit, et se va cacher dans
un coin. »
section in.
« Bien-Advisé, qui voit le malheur de son
compagnon, remercie Dieu de lui avoir ins-
piré la voie de son salut, et s'abandonne
entièrement à l'Humilité, qui , profilant de
ce moment favorable, le conduit à Confes-
sion. Cette dernière, après l'avoir instruit do
la façon dont il doit se préparer, le confesse,
et l'absout. Ensuite elle lui dit, que pour
arriver au logis de Bonne-Fin, il doit pas-
ser par un chemin (qu'elle lui montre) et
qu'en le suivant il trouvera plusieurs femmes
qui l'y conduiront. Bien-Advisé chagrin de
n'avoir vu encore aucun homme pendant
son voyage, s'écrie :
EIEN-ADVfSé.
Saincte Marie ! et tousiours femmes!
emmes à dextre, et à seneslrc !
eau très-doulx Diea! et que peut-être?
neques ne vis telles merveilles ;
Je ne sçay se je dors on veilles ;
Je ne sçay se c'est songe ou faiutie (120)
Sui-je au pays de Femmenie?
« Ne crains 'rien, dit Confession ; suis
« seulement celle baye. »
(Adonc Bien-Advisé se départ de Confession , et s'en
va vers cette haye : Et auprès de cette haye, il trouve
Occupacion, laquelie est habillée simplement , fai-
sant des nates.)
« Occupation donne quelques conseils à
Bien-Advisé, et lui montre le lieu qu'habit*'
Pénitence qu'il cherche.
(Adonc Bien-Advisé s'en va d'avec Occupacion, et s'en
va auprès de Pénitence , qui tient les verges de dis-
cipline.)
« Ce spectacle remplit de crainte notre
voyageur; sa frayeur redouble lorsque Pé-
nitencelui dit d'un ton terrible, qu'ilfaut qu'il
soit fouetté. Bien-Advisé semble alors se re-
pentir d'avoir pris ce chemin ; mais comme
il n'est plus temps, il prend le parti défaire
ses très-humbles remontrances.
BIEN-ADVISÉ.
Hélas ! et que t'aige méfiait ?
Saincte Marie ! el que dis-tu?
Je le supplie, change ta colle (130).
Ces verges fussent mieulx séans
Certes à ung Maistre d'Escolle,
Pour lîicn chaslier ses enfaus,
Tu devenez avoir honte
De battre ung homme parfait.
cinq doigts de long : et depuis on lit des pantoufles que la Pologne s'appelait autrefois poulaine (Oie-
si larges par devant, qu'elles excédaient la mesure tionnairè de Trévoux.)
d'un bon pied, comme témoigne Guillaume Paradin. (129) Enchantement.
bore] dit que ce mot signifie à lit polonais , parce (l.~>0) Colère.
S67
SIS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BIE
«08
PÉNITENCE.
De tous tes dictz je ne tiens compte, etc.
« Ne perdons point do temps, njoutc-t'elle,
« entre chez moi, afin que je l'y donne la
« discipline. — J'ay une grâce a vous de-
« mander, répond Bien-Advisé, c'est que
« vous fassiez cette correction icy, et non
« dans votre maison, afin que s'il vous pre-
« noit envie de me tuer, je puisse appeller
« du secours. — Tous les discours sont so-
rt perdus, réplique Pénitence, et je ne doif
« rien faire qu'en secret. »
(Adonc s'en vont à la Chambre de Pénitence.)
■'« Après que Bien-Advisé a reçu la disci-
pline de la main de Pénitence, il sort fort
content de cette maison, et s'en éloignant au
plutôt, il court chercher Satisfaction.
(Adonc Bien-Advisé s'en va à Satisfacion , et Satis-
facion doit cire nuë.)
« Bien-Advisé, scandalisé de trouver uno
si belle dame en cet équipage, ne peut s'em-
pêcher de lui en faire des reproches : « Si
«je suis en cet état, luy dit Satisfaction, lu
« dois t'y réduire bien-tôt toy-niêrae, si lu
« veux arriver à Bonne-Fin; et sois certain
* que pour y parvenir, il faut que lu restitue
« tout le bien que tu possède, et qui ne
« t'appartient pas. Que si tu ne peux le ren-
« dre à ceux sur qui tu lésas usurpés, lais en
« des aumônes. Cependant, puisque tu n'es
« couvert que de l'habit d'Humilité, je te
« permets de le garder. »
(Adonc s'en va d'avec Satisfacion , et s'en va auprès
du Pauvre.)
« Ce pauvre demande la charité; Au.l-
mosne arrive, et lui donne quelque argent;
ensuite apercevant Vaine-Gloire, elle sup-
plie ce pauvre de la cacher sous des brous-
sailles. Le pauvre obéit, et Vaine-Gloire ne
voyant point Aulmosne, se retire. Bien-Ad-
visé arrive, Aulmosne lui conseille de suivre
son exemple, et en même temps d'ai'er
trouver ses deux sœurs, Jeusne et Oraison :
Ce que Bien-Advisé ne manque pas d'exécu-
ter. »
(Adonc Bien-Advisé se getle contre terre , faisant
Oraison: et Mal-Advisé se levé de la place, ou il
étoit mussié (151).
section iv.
o Mal-Advisé, privé de tout son bien, va
comme un furieux trouver Désespérance, et
la prie de le conduire à Malle-Fin; Déses-
pérance lui promet de le satisfaire avec
plaisir.
(Adonc Mal-Advisé s'en va, et Pouvreté vient.)
« Ce malheureux apercevant celle affreuse
vieille couverte de méchants haillons, s'ef-
force de la fuir; mais Pauvreté le saisit par
le bras, et après lui avoir déclaré qu'elle
s'appelle la Pauvreté involontaire, pour la
distinguer de la volontaire qui conduit à
Bonne-Fin, l'oblige de se revêtir de- ses mé-
chants babils.
(Adonc luy baille le vestement de Pouvreté , et Mal-
Advisé le vest.)
« Lorsque cela est fait, arrive Malle-Mes-
cbànce, qui s'offre à accompagner le Mal-
Advisé.
(Adonc le mainent à Larrecin.)
« Larcin, joyeux de l'arrivée de Mal-
Advisé, lui donne quelques conseils ; enfin
le voyant dans un état de perdition, il ap-
pelle tous les autres vices que ce malheu-
reux a parcourus, et les prie de venir l'aider
à le conduire à Malle-Fin. Tendresse, Oy-
sance, Rébellion, Folie, Houlerie, Hoquéle-
rie, Vaine-Gloire, Désespérance et Mallc-
Mesehance accourent à la voix de Larcin; et
après qu'ils ont entouré et lié de chaînes Le
.Mal-Advisé, Larcin commence une marche
enchantant, et les autres le suivent.
(Adonc font une dance, et commence, et dit te Chante-
Pleure, et les autres disent comme luy.)
LARRECIN.
Mal-Advisé, Mal-Advi?é,
Ta as en ton chemin trouvé
Poureté et Malle-Mescliance
Tu souloyes est bien prisé,
Or es niéschant et desguisé»
Et n'a plus mille chevànçe
C'est le chemin d'Oysiveté,
Qui t'a mené à Poureté,
Et à Malle-Meschance.
« De celle façon ils le conduisent a Mau-
vaise-Honte, qui le resserre encore de ses
liens, et ordonne à Désespérance d'en avoie
soin. »
HONTE.
Désespérance, prens ta corde,
Et le me lie bien et fort ;
Gouverne le jusques à la mort ,
Et gardes que s'il se repent.,
Que lu l'estrangles à l'instant.
(Adonc Désespérance le lie, et puis le mainent devant
Fortune, et Bien-Advisé se lieve de son Oraison.)
section v.
« Bien-Advisé ayant fini sa prière, s'aban-
donne de plus en plus à sa charitable con-
ductrice (132), qui le mène à Chasteté, de là
à Abstinence, ensuite à Obédience, après
quoi elle le fait monter au séjour de Dili-
gence: cette vertu l'exhorle à voir Patience;
Bien-Advisé lui obéit, et promet une en-
tière soumission à celte dernière : en la quit-
tant il va trouver Prudence. La consolation
qu'il reçoit de ses avis, lui fait oublier tou-
tes les peines qu'il a essuyées, et il est en-
chanté de sa sagesse.
BIEN-ADVISÉ.
Saincle Marie aue lu es saige !
« La Prudence, qui le trouve digne u êtru
présenté à l'Honneur, appelle toutes ses
compagnes, qui sont les vertus que le Bien-
Advisé a suivies, et les invite -à l'accom-
p igner pour conduire leur disciple au trône
do l'Honneur.
(131) Caché.
(132) C'est la Confession.
£09
in.
D1CTIO.VNA1BE DES MYSTERES.
Bill
210
\Adonc maillent Bien-Advisé à Honneur en chantant
Yeni Creator.)
«L'Honneur reçoit Bien-Advisé, et comme
re dernier lui témoigne avoir envie de voir
ia roue de la Fortune, il le lui permet, et
lui enseigne le chemin pour y arriver, per-
suadé que celte vue, bien loin de le sé-
duire, ne servira qu'à augmenter le mérite
de ses bonnes œuvres. »
{Mono Bien-Advisé s'en va à Fortune.)
SECTION VI.
« Bien-Advisé, en arrivant est étonné de
la Dgure emblématique de la Fortune, et lui
en demande l'explication.
BIEN-ADVISÉ
Dame, or enlcns ma répliqua
Tu as ang visage angéiique,
El l'autre est espovantable ;
L'autre est bel, gracieux, et frique
L'autre est pire que ung Basilique
De la moitié, et plus doubtablc ;
C'est une chose esmerveillable ;
Si le supply, dy-moy sans table,
Que telle chose signifie?
« L:\ Fortune, qui ne veut point tendre de
pièges au Bien-Advisé, lui rend la raison, de
banne foi, des deux visages qu'elle présente
aux. mortels. Pendant ce temps-là, Mal-Ad-
visé, conduit par Désespérance, veut tenter
aussi la roue de In Fortune; mais cette der-
nière les fait retirer l'un et l'autre, pour
faire i lace à quatre hommes qu'elle veut
favoriser.
{Adonc viennent tes quatre Hommes, qui signifient les
quatre Estais du monde , lesquels sont appelez le
premier je régnera? , le deuxième, je règne , le ,
tiers, j'av régné , et le quart , je slis sans règne
et puis sont desclairez en Latin , en ce vêtit verse
qui s'ensuit.)
(Rcgnabo, Regno, llegnavi , sum sine Regno.)
« Ces quatre hommes sont portés alterna-
tivement, tantôt en haut, et tantôt en bas.
Lorsque ce jeu a duré quelque temps, For-
tune prend Regnavi et Sine-Regno, et les
précipite de sa roue. Ces deux personnages
se voyant sans espoir d'y remonter, vomis-
sent mille injures contre celte inconstante,
qui, sans s'en embarrasser, prend Rcgnabo
t-t Regno sous sa protection. Bien-Advisé,
qui voit le désespoir de Regnavi et de son
malheureux compagnon, s'approche d'eux,
et leur conseille de ne point briguer davan-
tage des faveurs auxquelles ils ne peuvent
plus prétendre; mais d'aller trouver la Con-
fession, qui les recevra, malgré leur dis-
grâce. Ces deux infortunés se rendent aux
avis de Bien-Advisé, qui les conduit à la
Confession.
Adonc te conressent , et en la fin les absout, et de-
meurent là.)
« Désespérance emmène le Mal-Advisé,
qui n'a pas été mieux traité de la Fortune
que les deux autres, et le conduit à Malle-
Fin. Cette furie infernale lui demande s'il
se repent d'avoir suivi le chemin par où il
vient de passer. « Non, » répond Mal-Advisé.
— « Cela étant, réplique Malle-Fin, je vous
« reçois à ma suite. »
(Notez que Malle-Fin doit avoir grandes mammclles
comme une Truye, et y doit avoir beaucoup de petits
Diabletons qui la suivent tout ainsi comme les petits
Cochons suivent leur mère.)
« Au bout de quelque temps, Malle-Fin
demande encore à Mal-Advisé s'il est tou-
jours dans la même intention. « Oui, » ré-
pond-il. Aussitôt la Furie, profitant de cet
instant fatal, le lue
(Adonc Malle-Fin occist Mal-Advisé , et puis Mai-
Advisé se doit mettre en guise de Ame (153.)
« Fortune, s'étant divertie quelque temps
de Rcgnabo et de Regno, les fait tomber du
haut de sa roue; les vices que nous avons
nommés ci-dessus les reçoivent et les con-
duisent à Malle-Fin, qui, pour donner quel-
que consolation à Mal-Advisé, lui ordonne
de tuer ces derniers; ce qu'il exécute avec
une joie extrême.
(A donc s'en vont tous chantant à Malle-Fin, et doi-
vent être quatre Diables en forme de petits en fan s,
et prennent chacun Malle-Fin leur mère, en leur
esjoûissant.)
« Ces petits diablotons courent après les
âmes de Rcgnabo, de Regno et de Mal-Ad-
visé, qui fuient de tous côtés pour éviter
leur persécution et leurs hurlements ; les
diablotons les poursuivent toujours, et cela
forme un jeu de théâtre assez plaisant. »
(Adonc Hz s'enfuient tous en criant, Hélas! et les
petits Diables vont après, faignant les prendre.)
SECTION VH.
« Les diablotons, ias de ce jeu, se sai-
sissent tout de bon des âmes des trois Mal-
Ad visés, et les amènent aux portes des
enfers.
(Adonc les grands Diables les emportent en faisant
grant joue.)
« Démon, Sathan, Léviathan et Bélial s'a-
vancent, et recevant des mains de Malle-Fin
et de ses suppôts les âmes des Mal-Advisés,
les conduisent en triomphe aux enfers.
(Adonc les Diables mainenl ycelles Ames en Enfer, et
devez noter qu'il doit estre en manière de cuisine
comme cheuz ung Seigneur, et doit illec avoir Ser-
viteurs à la mode. El doit-on là fuire grant lem-
pesles, et les Ames doivent fort crier en quelque tiiu
que l'on ne les voye point; et les Diables qui vien-
nent à tous les Ames, doivent faire la révérunce à
Lucifer, en disunt.)
DÉMON.
Alton, tous d'une randour
Et couron tous d'une aleure
Par révéranee et honnour,
Courre sus à nostre Seigneur.
(Adonc les Diables queurent sur Lucifer, et le butent.)
« Lucifer, après avoir remercié les dé-
mons, leur ordonne de traiter ces nouveaux
(135) Mal-Advisé quitte icy ses habillements, et était couvert depuis le sommet de la tète jusqu'aux
paroil sous la forme d'une ànie, que nos anciens pieds. Ce voile était blanc pour les âmes bienheu-
•'présentaient par un grand voile, dont l'acteur
pieds. Le voile était blanc pot
reuses, et noir ou rouge pour celle des damnéi
211
Bit:
DICTIONNAIRE DES AUSTERES.
BLA
,212
venus du mieux qui leur sera possible. Ces
malins esprits se disposent a obéir.
(Adonc chacun face son office, et boutent la table , et
frappent sur la table d'ung bastun, et devez sçavoir
que la table doit être noire , et la nappe peinte de
rouge.)
« Lorsque l'on a dressé la table, on fait
asseoir les trois convives en celte sorte :
Regno est placé à un bout, Mal-Advisé en-
suite, et Regnabo à l'autre bout; après quoi
on les sert.
(Adonc viennent les Serviteurs avecques viandes, et en
lieu d'instrument infernaulx , tous les Dyables
crient à haulle voix.)
LES DYABLES.
Saulce d'Enfer, Saulce d'Enfer,
Aux Serviteurs de Lucifer.
« Après cette musique infernale, on ap-
porte les viandes.
(Adonc Satltan vient, lequelle apporte de la Saulce
noire en ung vaisseau que les petits Serviteurs de
Sàthan portent. — Adonc mettent grande abon-
dance de souffre sur les plats , et sur les gobcletz,
tellement que quant Hz boivent, il semble que tout
bruste.)
« Comme ces mets, ainsi que es assai-
sonnements qu'on y vient de mettre, ne
plaisent point aux Mal-Advisés, les démons
les font boire et manger par force; et à la
fin ils jettent ce qui reste sur eux.
(Adonc tous les Diables renversent la table, et tout ce
qui est dessus par dessus les poictrines des Mal-
Advisez , et les Diables facent gratis criz et grans
tempestes.)
« Ensuite ces malins esprits les font en-
trer dans le profond des enfers, parla gueule
du dragon, qui en représente l'entrée. »
(Adonc les Diables font une grande tempeste, et un
granl bruyt, en les tourmentant, et desrompant.)
SECTION VIII.
Confession, désirant conduire ses deux
nouveaux disciples à Bonne-Fin, Tes fait
passer par Espérance et Pénitence. Cette
dernière leur fait essuyer sa rigueur ordi-
naire ; et la charité de Bien-Advisé l'oblige
à partager encore une fois cette correction
avec ses camarades.
(Adonc Pénitence les bat de verges; et puis les muine
par la haye : El quant Hz sont au bout de la liage,
Hz se tournent par Pénitence.)
« Ils la remercient bien humblement,
montent ensuite au trône d'Honneur, et
viennent enfin rendre l'esprit aux pieds de
Bonne-Fin, en recommandant leurs âmes à
leur Créateur, qui les accepte, et ordonne à
ses anges de les lui amener. Michel, Gabriel,
Raphaël et Uriel obéissent aussitôt à ce com-
mandement, et conduisent ces bienheureu-
ses âmes au ciel, en chantant lste confessor ;
et tous les esprits célestes témoignent leur
joie par des cantiques.
(Adonc dansent les Ames de Paradis toutes ensemble,
et chantent Veni Creator, et les Diables font grans
tour meus en Enfers [154].)
(134) La vue de ces deux fêtes," dont ie sujet est
si contraire, devait présenter un spectacle des plus
« Le spectacle fini , Bonne-Fin s'avance
sur le bord du théâtre, et exhorte l'assem-
blée à profiter du triste exemple des Mal-
Advisés, et à suivre celui des Bien-Advisés,
uui les a conduits au paradis. Elle finit ainsi :
BONNE-FIN.
Faison comme eulx sans fainlise,
Et icy ne séjournon plus ;
Allons tous ensemble à l'Eglise
Chantant Te Dettm laudamus.
(Cy finist le Mystère de Bien-Advisé , et Mal-Advisé.
BLASPHEMATEURS (Les).— On ne con-
naît pas de manuscrit des Blasphémateurs.
L'édition dont il est venu un exemplaire
jusqu'à nous, est du xvie siècle; et rien ne
prouve que le drame soit antérieur ; peut-
être les frères Parfait ont-ils commis une
sorte de légèreté à en fixer la date à l'an
1502, nulle preuve n'accompagnant cette
opinion.
La première mention s'en trouve dans Ant.
Duverdier. (Bibliothèque françoise; Lyon,
B. Honorât, -1583, in-t'ol., p. 139.) De Beau-
champs ( Recherches sur les théâtres de France
depuis 1 161 ; Paris, Prault, 1735, \n-k°, part, i,
p. 102), et les h et es Parfait (Hist. du théât.
fr.: Paris, 1745-1749, 15 vol. in-12, t. ill,
p. 104) répétèrent la note de Duverdier. Eu
1772, B. de La Monnoye, dans une note de
l'édition des Bibliothèques françoises de La-
croix du May rte et de Duverdier, donnée
par Rigoley de Juvigny (t. III, p. 273),
ajouta quelques vagues explications qui
n'affirment pas qu'il eût eu la Moralité des
Blasphémateurs entre les mains. Acheté eu
1793 par M. le curé de Monville, l'unique
exemplaire qu'on en connaisse, fut acquis
en 1818 par la Bibliothèque royale. La
Société des bibliophiles français fit, en 1820,
dans le premier volume de ses Mélanges,.
mais seulement au nombre de trente exem-
plaires pour ses membres, une réimpression
fac-similé, défigurée par une nouvelle ponc-
tuation, des accents et d'autres petits chan-
gements. L'année suivante, Dibdin en donna
des extraits. (A bibliographical, anliquarian
and picturesque tour in France and in Ger->
manij ; Lond , 1821, 3 vol. gr. ii;-8°, I. II,
p. 302-310; traduit en 1825, Voyage biblio-
graphique, etc.; Paris, Crapelet, 1825, 4 vol.
in-8°cf.t. III, p. 320-328.) En 1831, M. le prin-
ce d'Essling en fit faire, dans l'imprimerie de
Crapelet, et sous la direction du savant li-
braire et bibliographe Silvestre, une réim-
pression fac-similé que l'on tira à quatre-
vingt-dix exemplaires seulement, dontqualre
sur vélin et quatre-vingt-six sur papier de
Hollande. Leformatdecettedernière édition,
comme celui de Mundus ou de la Vendilion
de Joseph, est un in-4° long, dont on ne
connaissait encore, il y a vingt ans, que cinq
types; c'est, en effet, le format de I édition
princeps, composée de cinquante-deux feuil-
lets. Enfin en 1837, M. 0. Leroy a donné,
dans ses Eludes sur les mystères (Paris, in-8°,
complets ; et était fort propre au dessein de ces sor-
tes de représentations.
913
BEA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RE A
214
p. 365-372), une analyse trop incomplète de
ve très-curieux drame, pour que nous pus-
sions nous en contenler.
Le titre est ainsi conçu : Moralité très
singulière et 1res bonne des blasphémateurs du
nom de Dieu: ou sont contenus plusieurs
exemples et enseignements alenconlre des
tnaulx qui procèdent a cause des grans
iuremens et blasphèmes qui se comcttenl de
iour en iour et aussi que la coustume n'en
rault ries et qvfilz finent et pueront très mal
s'ilz ne s'en abstinent. Et est la dicte moralité
a dixsept personnaiges : dont les noms sen-
suyuent cy après. — Et premièrement Dieu,
le Crucifix, Marie, Séraphin, Chérubin,
l'Eglise, la Mort, Guerre, Famine, le Blas-
phémateur, Te Négateur, l'Injuriateur, Brieltc,
le Filz de l'Injuriateur, Salhan, Behemoth,
Lucifer.
Le prologue de ce long ouvrage en expli-
que le but dans des termes qui ne man-
quent ni de grâce, ni d'élégance et où respire
une solide piété;
Noslre Entendit et vouloir principal
Est d^ monstrer a tous humains pécheurs
Liuiquite icy en gênerai
Que l'ont vers Dieu les faulx Blasphémateurs,
Et advenir que tous diffamateurs
Sont en dangier de rendre leur espent,
Dedans enfer en ténèbres et pleurs,
A Lucifer qui a ce les induit;
Mais touteffois nul ne peult faire fruict
De luy mesmes : ne avoir efficace
Du mérite ; car sainct Bernard le dict.
Sans le moyen de la mère de grâce,
Qui a vertu et pouvoir et audace
Dayde et secours en tribulation
Dont chascun doibt aller devant sa face
Très humblement en collaudation
Car elle vainquit par domination
La malice de Pennemy Sathan.
« Notre intention et notre vouloir principal
est de montrer à tous les pécheurs d'ici-bas
l'immense iniquité qee commettent contre
Dieu les faux blasphémastenrs ; c'est aussi
d'avertir tous ces diffamateurs du danger où
est leur unie de tomber en enfer, parmi
les ténèbres et les pleurs, entre les mains
de Lucifer qui les pousse à leur crime :
enfin nul ne peut rien faire de soi-même,
nul n'a do puissance réelle sans le moyen
de la Mère de grâce, selon le mot de saint
Bernard. C'est elle seule qui a la force, le
pouvoir el l'oser, qui peut donner aide et
secours dans les tribulations. Aussi chacun
doit-il se présenter devant elle, très-hum-
blement, en chantant ses louanges, car elle
seule vainc el réduit la malice de l'ennemi
Sathan.
Lucifer enlre en scène ; il gourmande
l'enfer :
Haro! haro! haro! jonraige !
Haro! diables peliz et grans!
Mourir puissez de malle raige
Ou estez vous meschans truans
Haro! ou sont tous ces bilans?...
Les démons accourent et se justifient ;
Lucifer les envoie
par monset par vau.'x
Faire iurer le nom de Dieu....
A ce moment, ie Blasphémateur el le lie-
gnieur (ou Négateur) paraissent proférant
d'abominables paroles : Briette, femme du
Blasphémateur, et VInjuriateur se joignent à
eux : ils s'entrebaltent d'abord, puis se ré-
concilient ie verre en main, dans une ef-
froyable orgie. L'Eglise contemple avec
douleur ce spetacle hideux que donnent en
tous les temps les perverses passions hu-
maines
0 misérable créature
Dy moy pourquoy ta langue jure
Ton Dieu qui tant de biens le baille...
Amende que loi ne tasaille
Le grant diable...
Non minus peccrint
Qui Deum blasphémant
Regnantçm in oœlis
Quant çrucifigentes
Eum in terris...
La Guerre, la Famine, la Mort s'appro-
chent sans être vues et s'asseoient attristées
au milieu d'eux ; mais l'enfer implacable ex-
prime sa joie profonde dans les plus terri-
bles imprécations :
Chascun de nous doit estre denegateur
Du Roy des Roys qui se nomme Jésus :
Jurez a tort sans en faire reffus
Comme hardiz fors et audacieux
Jurez celuy qui fist terres et nus (nues),
Jurez le sang de Jésus precieulx,
Jurez la mort jurez la passion...
Jurez le nom du hault Dieu glorieulx,
Jurez celui qui a crée les cieulx,
Jurez le sang de Jésus precieulx...
Ainsi se termine la première partie, ou
ce qu'on pourrait appeler le premier acte du
mystère.
Au second acte, Dieu, le Crucifix, Marie et
VEglise tentent de sauver de l'éternelle, dam-
nation les trois pécheurs endurcis, mais au-
cun d'eux, ni le Blasphémateur, ni le Néga-
teur, ni l'Injuriateur, ne vient à résipi-
scence; bien au contraire, ils s'emparent
du crucifix descendu des cieux et assis
dans une petite église voisine sous la figure,
d'un homme, ils dépouillent ce symbole
vivant, il le mettent en croix. La scèno
de la Passion se reproduit, telle qu'on la
retrouve antérieurement dans les fameux
mystères des Gresban et de Jehan Michel, et
non sans une certaine analogie avec le mys-
tère de la sainte Hostie. Mais la vengeance
divine, malgré les cirorlsdela sainte Vierge
Marie, s'appesantit sur les forfaiteurs, et ses
coups redoutables vont remplir la troisième
partie de ce drame lugubre.
La Guerre, la Famine et la Mort sortent
de l'enfer et réapparaissent :
I.A GIJF.IUIE.
Quand iai mes armes et ma lance
Mon arc, mes llescheset ma trousse
Jeu feray si bien la vengeance
Oui n'y aura homme qui tousse,
.h" leur donray mainte secousse
Eung iour a pied (autre à cheua1
O'i'ilz se tapiront sous la mousse ,
Tmt les pourchasscray de mal,
Jj iray amont ie iray auâl,
21!
BLA
DICTIONNAIRE DES MÏSTEKES
BOD
216
Tant qu'il n'y aura chastelin
Que ce ne face mon vassal
Et subgit (sujet) comme unq villain.
\ FAMINE.
De brief ayronl dcsroy de pain,
Puis quil conuient que ie mv mesle;
Car des bleds iestaindray le grain,
Et sèmera y purée et nesle
Je feray venir pluve et gresle
Quand les arbres deburont flourir,
Et mesleray tout peslemesle
Tant que les fruictz feray mourir.
LA MORT.
Vous voiriez sur le pays courir
Air infaicl et mortalité,
Fiebure, langueur, pour acquérir
Les vices et iniquités...
À l'approche des fléaux destructeurs, le
Blasphémateur s'émeut ; il demande trois
ibis de suite: « Que sont ce la?» Il hésite- a
s'armer. Mais, dans le cœur dépravé de sa
femme existe encore ie sentiment, obscur
il est vrai, de la patrie; c'est elle qui jette
le cri de guerre et d'alarme :
Vrayement len vous debueroit blasmcr
Cy vous ne prenez la defl'ence,
Aussi seroit pour diffame!
Trestout le royaulme de France...
Un affreux combat commence entre tous
ces éléments discordants ; le Blasphémateur,
le Regnieur, et VInjuriateur sont vaincus,
la Guerre s'empare du Blasphémateur, la
Famine du Regnieur, la Mort de Vlnjuria-
teur : Uends-tui, malheureux, dit la Famine
au Regnieur,
Rens toy malbeureulx a famine,
Qui maintenant te lient au cueur,
A la gorge, a la poitrine,
Dont tu mourras a déshonneur,
Infâme villain regnieur
De la saincte divine essence,
Et des diables inuoeateur.
En toy il na point de deffense.
Tu souloys auoir affluence
Des biens mondains pour te repaistre,
Dont tu auras grant indigence ;
De menger tu le doibs congnoistre
Fils de Dieu nés pas mais auoistre,
Car celuy tu regnis a plani
Qui a son semblant te lit estre
Comme vertueulv et humain,
Car ie te dy pour tout certain
Que ung tëi vil pécheur n'est pas digne
De gouster ne menger du pain
Qui vient de la vertu divine.
Tu mourras par vifue famine
Sans veoir de pain croiste ne mye,
Et puys descendras en ruyne
Dedans Enfer...
Avant la fin du combat, Briette et le fils de
l'Injuriateur se sont enfuis ; quelques mois
que nous allons citer, mis par Je poète sur
les lèvres de ce dernier, nous révèlent très-
certainement le lieu de la naissannee de
l'auteur inconnu des Blasphémateurs du nom
de Dieuj
Je men voys en une aultre terre
Plus vivre icy ie ne pourroys
Car la famine mort et guerre
Confondent nobles et bôurgedys
Adiec Normemjie ie men voys
De pacur que ie ne sois souprins
Je men voys vivre o les francoys
Boyre dautant de ces bons vins...
Le dénouement de cette action étrange,
est tel qu'on le peut déjà prévoir : le Blas-
phémateur, le Regnieur et l'Injuriateur pé-
rissent dans l'impénitence finale, et tombent
au pouvoir de l'enfer; mais à ce moment
extrême, au milieu des tourments, ils im-
plorent l'Eglise, qui les absout.
l'église.
Sainct Luc nous dit certainement
Que quant ung pécheur se desuoyo^
Prenant en luy ropentement
Que tout le ciel si en faict ioye
Je tabsoudz donc cesl chose vraye
De tous les crimes et abus
Et aflîn que exaulce se soyt
Chanlon Te Deum Laudamus.
Cy (inist.
BODEL (Jean). — Jean Bodel ou Bodians,
poêle de la fin du xu" siècle, originaire
d'Arras, prédécesseur d'Adam de Le Halle,
n'est connu que par quelques détails qu'il
donne sur lui-même dans une pièce de vers
adressée à ses compatriotes, intitulée Li
congiès Adam, et publiée en 1808 [Fabliaux
et Contes, édit. de Méon, Paris, Warée,
1808, iu-8°, t. 1er, p. 108). Il parait qu'attaqué
de la ladrerie, il fut obligé "de^ortir de la
ville. Séquestré au monde, Jean Borel des-
cendit tout vivant dans la tombe ; on ne sait
plus lien de son soit. (Cf. Paulin Paris, art.
Jean Bodel, dans YHist. liltér.de la France;
Paris, in-4", 13i2, t. XX, p. 605-638.) Le
Jeu de saint Nicolas, dont il est l'auteur, est la
principale et la plus incontestable produc-
tion de ce poêle. Il a mis en scène un mys
1ère attribué à saint Nicolas, évoque de
Myre, dont la vie est si répandue et si cu-
rieuse. Un Siècle, avant lui, Hilaire, disciple
d'Abélard, et un moine inconnu de Saint-
Benoît-sur-Loire, avaient emprunté à la vie
du même saint le sujet de plusieurs drames
religieux, et le miracle de la statue avait
ainsi, déjà deux, fois au moins, défrayé la
curiosité du moyen-âge. Selon M. IWonl-
nierqué (Théâtre fr. au moyen âge; Paris,
1839, gr. in-8% p. 159), Jean Bodel aurait
transporté ces scènes édifiantes de l'obscur
sanctuaire des églises dans les villes et dans
les manoirs à tourelles des seigneurs chA-
lelains, d'où se serait conservé jusqu*à nos
jours, dans les cités de l'ancien Artois, l'u-
sage de ces pieuses représentations. Il eût
été plus juste de dire que le poêle, en vul-
garisant en langue française du temps les
pièces latines antérieures,. n'avait fait que
rejeier au milieu «les masses les traditions
sacrées non moins populaires en latin dans
le siècle précédent ; car le théâtre, en faveur
dans tous les centres de population, et mis
par l'Eglise, soit dans les plus riches cathé-
drales, soit dans les plus obscures abbayes,
à la portée des masses, n'acquit pas un spec-
«17
CAL
DICTiOSNAiRE LES M Y S'IL 11 LS.
CAL
tati'isr pour être transporté dans les manoirs.
Le lieu de la scène et l'importance de l'ac-
tion sont plus considérables dans le poète du
xin" siècle que dans ses prédécesseurs; on
y sent l'influence des croisades; les détails
des irrœurs y sont infiniment précieux ; des
formules singulières, écrites peut-être en
une langue qui reste inconnue, et analogues
à celles du miracle de Théophile, donnent
à (telle œuvre une originalité particulière,
mais de peu de profit pour l'histoire. Les allu-
sions aux malheurs tout récents de la pre-
mière croisade sur saint Louis, et à la mort
des Chrétiens tués en Afrique, en combattant
au nom de la religion pour la conquête de
Jérusalem et des lieux saints, que préten-
dait rencontrer M. Onésime Leroy [Etudes
sur les mystères; Paris, 1837, p. 24), n'ont
pu soutenir la critique. «Le Grand d'Aussy,
a dit M. Paulin Paris, avait donné un extrait
assez inesact du Jeu de saint ISicolas ; et,
depuis, M. O. Leroy en a signalé l'impor-
tance et fait connaître les différents mériles
dans un ouvrage estimé. Une seule préoc-
cupation, le désir d'y retrouver la description
de la bataille de la Masseur, a légèrement
déparé ces utiles recherches: Boiel écrivant
à la (in du xne siècle, ne pouvait rien avoir
de cotomun avec Robert d'Artois ni avec le
roi saint Louis. » (Hist. lit. de la Fr\, ihid ,
p. GV7.1
BOEUF (Prose du). — Il semble que, ils
les usages de la fêle des Fous, il ait existé
une prose du Bœuf que l'on psalmodiait le
jour de saint Jean, et qui a disparu. {Théo-
pltili liaynaudi Soc. Jesu Theolog. Opéra;
Lyon, Boissat et René, 16G5, in-fol., 19 vol. ;
Heleroelila spiritualia et anornalia pietalis
eœlestium et infernorum, Sect. n, puuct. vin,
§20, t. XV, p. 209.)
BUHEZ SANTEZ NONN. — Voy. Sainte
Nonne.
C ALÊNES ( Les ).— La fête des Fous por-
tait plus particulièrement, à Marseille, le
nom de Culènes.
Dans une charte de cette ville de l'an 1522,
ou remarque que la Noël était dite les Ca
tènes; et il était de coutume d'en célébrer
la veille par un repas somptueux. Ce mot
CaJène vient-il de xaAéu, voco, ou de xa).sâ>,
eonvivari, xi).£<7fi«, convivium? C'est ce qu'il
est difficile de décider. (Du Cange, v°Fcstuin
calendarum. )
CALLIMAQUE. — Ca*Amaque, écrit par
Hrolswilhe, au x* siècle, et dont nous don-
nons une version nouvelle, a été apprécié
en ces termes par M. Magnin, son premier
traducteur: « C'est, de tous les ouvrages do
Hrotswilha, celui qui, par la délicatesse
passionnée des sentiments, l'exaltation du
langage et le romanesque de la légende, so
rapproche le plus du drame de nos jours.
Poésie, mouvement, passion, couleur géné-
rale [dus empreinte des idées germaniques,
tels sont les caractères qui recommandent...
celte originale et intéressante production.
J'ai rapproché involontairement Roméo et
Callimaque.it {Théâtre de Urolsvitlia; Paris,
18i5, in-8g, Préf., p. xliii et xlv. )
M. Patin a dit depuis: « Le commencement
do Callimaque rappelle le début d'JIamlct. »
(Journ. des Sav., 1846, octobre, p. 002.)
Dans celte forte ébauche, divisée en deux
parties très-distinctes, dont l'une comprend
les sept premières scènes et l'autre les cinq
der mères, sont marqués, en effet, avec une
grande puissance, les caractères de diverses
passions humaines. Dans la première partie,
l'amour sensuel, extrême et criminel de
(133) < L'aventure romanesque et touchante qui
fait le sujet de Callimaque, est racontée dans le vm*
livre d'un ouvrage dont Fabiieius a publié une ré-
daction latine parmi 1rs apocryphes du Nouveau
Testament (Coaicefs apocryph. Nov. Te1: t. , !. ï]
Callimaque contraste énergiquement avêcla
passion de Drusiana, profonde aussi, mais
contenue par la religion chrétienne dans les
bornes du strict devoir; dans la seconde
partie, c'est le repentir de Callimaque, du
l'homme dont les jeunes ans ont reçu les
bienfaits de l'éducation, qui est mis en face
de l'impénilence finale de l'esclave Fortunal.
Il y a dans celte pièce une intention de mo-
ralisalion, marquée peut-être par des traits
plus sévèrement philosophiques que dans
aucun autre ouvrage du même auteur. —
Voy. Hrotswithe.
argument. — Résurrection de Drusiana et de Callima-
que. Drusiana fui aimée non-seulement vivante, par Calli-
niaque. niais même au milieu du plus allreux dé^espo r,
dans l'aveuglement dune passion criminelle, el contre,
toute honnêteté, jusque dans lo tombeau, après qu'elle
bit morte dans le Seigneur : ;mssi Callimaque péril— il mi-
sérablement de la morsure d'un serpent. Mais, grâce aux
prières de l'apôtre S. Jean, il fut ressuscité avec Drusiana,
el revécut dans le Christ (155).
PREMIÈRE PARTIE.
PERSONNAGES.
cai.umaqcë, jeune habitant L'apoire saint jkai».
d'Ephèse. foitln.t, esclave d'4:idro-
lf.s amis de Callimaque. nique.
DIU'SIANA. DIEU.
androkiqdi, mari de Dru- vu serpent.
si, .na.
SCÈNE I.
CALLIMAQUE, SES AMIS.
callimaque. Amis, j'ai peu de mois à vous dire.
les amis. Autant (jue vous voudrez.
callimaque. S'il ne vous déplaît pas, je préfére-
rais être à l'écart avec vous, et loin des importuns.
les amis. Si cela vous est plus agréable* nous
sommes prêts.
c.M.i.iMAyi E. Gagnons un endroit moins fré-
p. fii2i ; ,,e veux paner de l'histoire apostolique
d'Abdias , premier évèrpic de Habylonc, ou d'un
pscudo-Abdias , traduite en latin par Jules Afri-
cain. > (M. Ma.gmm i
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CAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CAL
220
quenlé, atlu (|iic :i»l hilrus n'interrompe nies conti- < ai limaqie. C'est que la fatalité s'en nie! ra
délices. (137).
les amis. A vos sonliails. les amis. Nous verrons.
SCENE II.
LIS PRÉCÉDENTS.
callimaqle. Il va longtemps que je suis sous le
coup d'une profonde blessure, el vos conseils pour-
ronl la fermer peul-èlrc.
i.f.s amis. Certes, dans noire muluelle sympathie,
nous avons à supporter les uns el les autres ce que
la fortune apporte de bien ou de mal à chacun de
nous.
callimaqle. Oli ! Plùl au ciel que vous voulussiez
prendre une part de mes maux en y compatissant.
les amis. Quels ennuis vous accablent? car s'ils
sonl irrémédiables, nous les souffrirons avec vous;
sinon, nous ferons tous nos ellorls pour distraire
votre esprit d'une préoccupation funeslc.
CALLIMAQLE. J'aillie.
les amis. Qu'aimez-vous?
callimaqle. Une chose belle , une chose char
niante
'.es amis. Il n'y a rien là qui dislingue cette
chose, ni d'une seule, ni de loules. Aussi esi-il
impossible de comprendre quelle est , parmi les
formes atomistiques, celle que vous aimez (130).
callimaqle. C'est une femme.
les amis. Vous avez dit une femme; alors vous
les aimez loules.
callimaqle. Non pas loules en général, niais une
en particulier.
les amis. Ce qu'on dil d'un sujet n'esl clair que
d'un certain sujet: el si vous voulez que nous con-
naissions les attributs, expliquez-vous d'abord sur
in substance.
CALLiMAQLE. C'est Drusiana.
les amis. La femme du prince Andronique?
CALLiMAQLE. Elle-même.
les amis. Vous délirez, camarade; elle est bap
lisée.
cvllimaqie. El que m'importe, si je puis l'entraî-
ner dans ma passion.
les amis. Impossible.
callimaqle. Pourquoi cette négation?
les amis. Parce qu'il y a trop d'obstacles à vos
désirs.
callimaqle. Siiis-je le premier qui lente une
semblable aventure, et mon audace n'esl-ellc pas
jusliliée par de nombreux exemples?
les amis. Faites attention, frère : celle pour la-
quelle vous brûlez suit la doctrine de l'apôtre S.
Jean, el est vouée toute entière à Dieu , à tel point
qu'on n'a pu la rendre à la couche nuptiale d'An-
dronique son mari, chrétien très-zèle; encore bien
moins eédera-l-ellc à vos désirs frivoles.
callimaqle. Je cherchais auprès de vous quelque
consolation, et vous n'enfoncez dans mon âme que le
désespoir.
les amis. Dissimuler, c est tromper et flatter; c'est
vendre la vérité.
callimaqle. Puisque vous me redise/, votre se-
cours, j'irai auprès de Drusiana et je répandrai dans
son âme l'ardeur persuasive de mon amour.
les amis. Vous ii'v parviendrez pas.
(I5G) « La docle religieuse prèle ici au jeune
amoureux el à ses amis le jargon même de l'école.
Ce langage sophistiqué qui nous semble si pédan-
lesque, devait être du meilleur air el un signe d'é-
légance et de bon ton, à celle époque où régnait la
scolasriqite. > (M. Magnix.)
(137) < Quippe vetar fatis.... La citation de Vir-
gilé qui termine l'entretien de ces étudiants esl bien
dans le goût et dans les habitudes des personna-
ges, i (w.;
SCÈNE III.
CALLIMAQLE, DRUSIANA (138).
callimaqle. C'est à vous que je parle, Drusiana,
à vous que j'aime de toute mon àme.
drusiana. Que me voulez-vous, Callimaque? vos
discours, le trouble de vos actions, m'éïonnenl étran-
gement.
CALLIMAQLE. VoilS êlCS SUl'pi ÎSC
drusiana. Certes, oui.
callimaqle. Surtout de mon amour?
drusiana. De votre... amour? qu'est-ce?
callimaqle. Je veux dire que je vous aime plus
que toutes choses.
drusiana. Quels sont les liens étroits du sang,
quels sont les nœuds formés par les lois qui vous
portent à m 'aimer?
callimaqle. Votre beauté.
drusiana. Ma beauté
callimaqle. Assurément.
drusiana. Qu'esl-elle pour vous?
callimaqle. Hélas? Bien peu de chose jusqu'ici,
mais j'espère qu'à l'avenir elle sera davantage.
drusiana. Laissez-moi ! laissez -moi ! odieux
suborneur! Je suis confuse de vous parler encore;
je le sens, vous êtes rempli des ruses du démon.
Cm.i.imaqi f... Ma Drusiana, nerepousse pas un amant
atlaché de toute son âme à ton âme, échange au
contraire ton amour avec lui.
drusiana. Vos séductions sonl sans effet, votre
passion me remplit d'horreur, et je vous ai dans le
plus grand mépris.
cali.imvqle. Jusqu'ici je n'avais pas eu lieu ce
montrer ma fureur, el peut-être encore avez-vous
quelque honte d'avouer les effets de ma tendresse
en vous.
drusiana. Je n'ai rien que de l'indignation.
callimaqle. Je ne crois pas à ce sentiment; vous
en changerez.
drusiana. Non, non, jamais.
cm .limaqit. Qui sait?
drusiana. 0 homme insensé! amant égaré! Pour-
quoi l'abuses-Iu? De quel vain espoir es-tu le jouet?
Par quelle raison, par quel aveuglenmnt veux-Ui
que je cède à tes caprices, moi qui, depuis tant d'an-
nées, me suis retirée de la couche de mon légitime
époux?
CAi.i.iMAQLE.Dieu et les hommes soient mes témoins !
Si lu ne cèdes pas, je n'aurai ni repos ni relâche,
que je ne t'aie fait tomber dans quelque piège et
obtenue par ruse!
SCÈNE IV.
DRLSIANA, ANDRONIQL'E
drusiana (se croyant seule). Hélas! Seigneur Je-
sns-Cbrisî! à quoi me servent mon vœu de chasteté
el mes expiations, puisque ce jeune fou n'en esl pas
moins séduit par nia beauté? Seigneur, voyez mon ef-
froi; voyez mes tourments et ma douleur. Eh quoi
donc? Que faire? Le sais-je? Si je dénonce Calli-
maque, -e serai la cause de discordes civiles; el si
(138) « Il est impossible de ne pas reconnaître
dans la scène d'amour qu'on va lire, et surtout dans
les faux-fuyants pudiques qu'emploie Drusiana ,
pour cacher d'assez tendres sentiments sous la
colère, les premiers essais tentés dans un genre
qui défraie presque uniquement la littérature mo-
derne, et dont on trouverait difficilement des exem-
ples dans l'antiquité, même en les demandant aux
poêles élégiaques. ? (bl.)
2tiJ
CAL
HCTfO.V&AlftfC DES MYSTERES.
CAL
2-22
je lue lais, pourrai-je, sans vous, éviter les embû-
ches du démon ? 0 Christ, faites qu'à l instant je
meure en vous afin de sauver de sa perle ce jeune
voluptueux !
(Elle meurt.)
andronique. Malheureux! Malheureux! Drusiana
est morte subitement! Je cours, j'appelle saint
Jean.
SCÈNE V.
' ANDRONIQUE, JEAN.
saint jean. Vous êtes bien triste, Andronique;
pourquoi ces larmes?
andronique. Hélas! Hélas! Seigneur, que la vie
m'ennuie !
saint jean. Quelle peine avez-vous?
andronique. Drusiana, votre élève...
saint jean. A-telle quitté son enveloppe hu-
maine ?
andronique. Hélas! oui.
saint jean. 11 ne faut pas pleurer ainsi, quand
on croit surtout que les âmes sont heureuses dans
le repos.
andronique. Sans doute, je crois , selon vos pa-
roles, que l'âme goûte les joies éternelles jusqu'au
jour où le corps ressuscite tout entier, et cependant
je n'en suis pas moins très-inquiet, parce que c'esl
elle-même qui, devant moi, a appelé la mort à elle
avec passion.
saint jean. Avez-vous su par quel motif?
androniqce. Je l'ai su, et je vous le révélerai un
jour après les premiers excès de ma tristesse.
saint jean. Allons lui rendre les devoirs fu-
nèbres.
andronique. Il y a non loin d'ici un tombeau de
marbre ; c'est là qu'on mettra ses restes ; le soin
de garder le sépulcre sera laissé à Forlunat notre
intendant.
saint jean. Il faut qu'elle soit honorablement en-
sevelie. Dieu donne de la joie à son âme dans le
repos !
SCÈNE VI.
CALLIMAQUE, FORTUNAT (139).
CALLiMAQiiE. Qu'arrivera-t-il, Fortunat? La mort
même de Drusiana ne peut anéantir en moi mon
amour.
fortunat. C'est triste.
cai.limaque. Je meurs, si ton adresse ne me vient
en aide.
fortunat. En quoi puis-je vous aider?
callimaqle. En une chose : il faut que tu me
montres Drusiana morte.
fortlnat. Le corps est, je crois, encore intact,
car la maladie ne l'a pas défiguré : elle a été, vous
le savez, enlevée par une fièvre légère.
callimaque. Combien je serais heureux si j'avais
eu cette fièvre !
fortunat. Si vous me payez généreusement, je
livrerai le corps de Drusiana à vos désirs.
cAi.LiMAQui . Prends en ce moment ce que je me
trouve sur moi, et sois sans inquiétude, tu auras
Lien plus encore.
fortlnat. Allons vite à la tombe.
callimaqle. Ce n'est pas moi qui tarderai.
SCÈNE VII.
LES PRÉCÉDENTS, DRUSIANA, COUchéc datlS
son cercueil.
fortlnat. Voici le corps. (Ecartant le linceul.)
Les traits ne sont pas ceux d'une morte ; ces mem-
H59) < Quoique les unités soient moins complè-
tement violées dans Callimaqiie que dans les autres
pièces de Hroiswitha, et que l'action ne sorte pas de
bres out toute la frairheur de la vie; faites d'elle
selon vos désirs.
callimaqle. 0 Drusiana ! Drusiana ! De quelle,
passion je l'ai aimée! Combien était sincère niou
amour! Tout mon être enveloppait le tien. Et toi
tu m'as constamment repoussé! Tu contredisais
tous mes vœux! (// l'enlève hors de sa tombe.) Main-
tenant il est en mon pouvoir de pousser contre toi
mes violences aussi loin que je voudiai.
fortunat. Ah! ah! Un horrible serpent s'élance
sur nous !
callimvque. Malheur à moi! Forlunat, pourquoi
m'as-lu séduit ? Pourquoi m'as-tu conseillé ce crime
détestable? Voici que lu meurs sous la morsure du
serpent, et moi j'expire avec toi de terreur.
DEUXIÈME PARTIE.
SAINT JEAN.
ANDnONlQUE.
DRLSSANA.
PERSONNAGES.
FORLUNAT.
CALLIMAQUE.
LE SERPE>t4
SCÈNE I
SAINT JEAN, ANDRONIQUE, ensuite DIEU.
saint jean. Andronique , allons au tombeau de
Drusiana, afin de recommander son âme au Christ
par nos prières.
andronique. Votre sainteté est accomplie ; vous
n'oubliez pas celle qui avait mis sa foi en vous.
(Dieu apparaît.)
saint jean. Eh quoi ! Le Dieu invisible se montre
à nous sous une forme visible ' Il a pris les traits
d'un très-beau jeune homme.
andronique (aux spectateurs). Tremblez.
saint jean. Seigneur Jésus ! Pourquoi daignez-
vous vous manifester en ce lieu à vos serviteurs!
dieu. C'est pour la résurrection de Drusiana et
de celui qui est étendu auprès de la tombe que je
vous apparais, car mon nom doit être glorifié
en eux.
andronique [à S. Jean]. Avec quelle rapidité il
est remonte au ciel !
saint jean. Il y a là quelque chose que je ne
comprends pas bien.
andronique. Hâtons le pas;* peut-être , quan
nous serons arrivés, saurez-vous mieux, à la vue
des faits, ce que vous assurez ne pas bien com-
prendre.
SCÈNE II.
LES PRÉCÉDENTS, LES TROIS CORPS DE DRUSIANA,
DE FORTUNAT ET DE CALLIMAQUE, LE SER-
PENT.
saint jean. Au nom du Christ! qu'est-ce ceci?
que vois-je? quel est ce prodige? Eh quoi! le sé-
pulcre est ouvert, le corps de Drusiana est jeté au
dehors; à côlé gisent deux cadavres entrelacés dans
les nœuds d'un serpent!
andronique. Je devine ce que cela signifie. Calli-
maque que vous voyez là , durant sa vie, aimait
Drusiana d'un amour criminel. Elle en fut accablée
de chagrin, de désespoir ; elle tomba dans la fièvre,
et elle sollicita l'approche de la mort.
saint jean. L'amour de la chasteté l'avait pous-
sée à cela !
andronique. Après la mort de Drusiana, cet in-
sensé, sous le poids du chagrin d'un amour mal-
heureux et du désespoir d'un crime inaccompli, eut
l'àme'dévorée de rage, et ne sentit que l'ardeur do
feux plus irritants.
l'enceinte de la ville d'Edesse, il n'y a guère de
scène, cependant, qui n'amène un changement d«
lieu. > (M. Magnin.)
223
CAL
DICTIONNAIRE DES MYSTÈRES.
CAL
2:4
saint jean. G perversité !
andronique. Je ne doute pas qu'il n'ait séduit ce
méchant esclave par l'appât d'une récompense,
pour obtenir les moyens d'accomplir un forfait.
saint jean. 0 fait horrible et sans exemple!
andronique. Aussi tous îles deux, je le vois, ont-
i!s été atteints par la mort, afin que leur intention
perverse restât sans effet.
saint jean. Juste châtiment !
andronique. Il y a néanmoins là quelque chose
de bien surprenant, c'est que la résurrection de
celui qui eut la volonté du mal ait été annoncée par
Dieu plutôt que celle de celui qui ne fut qu'un
complice. Peut-être, dans les déceptions des vo-
luptés sensuelles, l'un ne péchai l-ii que par igno-
rance, tandis qu'en l'autre il n'y , avait que
malice
saimt jean. Avec quel scrupule l'Arbitre suprême
juge-t-il les actions humaines? Dans quelle juste
balance sont pesés ies mérites de chacun? c'est ce
qui reste impénétrable et inexplicable. Car la pro-
fondeur et la délicatesse du jugement de Dieu est
infiniment au-dessus de toutes les puissances de
l'intelligence humaine.
andronique. Aussi notre admiration de Dieu est-
elle toujours trop faible, car les causes des événe-
ments sont au-dessus des puissances de notre esprit
pour apprendre et comprendre.
saint jean. Les faits une fois accomplis, l'événe-
ment nous révèle seul d'ordinaire les secrets des
choses*
andronique. Mais, faites donc, bienheureux Jean,
ce que vous avez à faire. Ressuscitez Callimaque,
afin que nous arrivions au dénouement de celte
mystérieuse aventure.
saint jean. Je pense, en invoquant le nom du
Christ, à chasser d'abord le serpent; ensuite Calli-
maque ressuscitera.
andronique. C'est bien pensé, afin qu'il ne soit
pas blessé de nouveau par les morsures du ser-
pent.
saint jean [au serpent}. Retire-toi , bêle cruelle!
Callimaque doit encore servir le Christ.
andronique. Cet animal, bien que sans raison,
n'a pourtant pas eu l'oreille dure pour entendre
votre ordre.
saint jean. Ce n'est pas à moi, mais à la puis-
sance du Christ que ce serpent a cédé.
andronique. C'est oour cela qu'il a disparu plus
lile que la parole.
SCENE III.
SAINT jean, andronique, callimaque, les
CORPS DE DRUSIANA ET DE FORYUNAT.
saint jean. 0 Dieu, que nulle limite ne circons-
crit, que nul espace ne peut contenir ; être simple
et incommensurable, qui seul es ce que lu es; qui,
réunissant deux éléments dissemblables, a de l'un
et de l'autre créé l'homme, et qui, en désunissant
ces deux principes, dissous ce qui n'était qu'un
tout; ordonne qu'avec le retour de la respiration,
et dans une nouvelle association des substances
séparées, Callimaque vive complètement, de nou-
veau, homme parfait comme auparavant, afin que
tu sois glorifié par toutes les créatures, toi qui seul
fais <!es miracles.
andronique. Amen. — Mais... il reprend haleine...
la stupeur seule le lient immobile.
saint jean. Callimaque, au nom du Christ, levez-
vous ! et confessez ce qui s'est passé en loule.vérilc ;
coupable, révélez votre crime tout entier, afin que la
vérité ne nous reste en rien cachée.
callimaque. Je ne puis nier d'être venu ici pour
commettre un crime. J'étais consumé par une mé-
lancolie funeste et je ne pouvais apaiser le feu de
moi amour illicite.
saint jean. Quelle démence, quelle frénésie vous
entraînaient à oser envers ces chaslesrestes l'injure
de vos désirs impudiques ?
callimaque. Ma propre sottise et les suggestions
captieuses de ce Forlunat.
saint jean.O trois fois infortuné, êtes- vous tombé
dans ce comble du malheur de pouvoir accomplir le
crime selon vos souhaits ?
callimaque. Non. La volonté ne m'apasfaitdéfaut,
mais la puissance d'exécuter.
saint jean. Quel obstacle vous arrêta?
callimaque. A peine le suaire écarté , avais-ja
essayé mes outrages sur ce corps inanimé que co
Forlunat, fauteur et instigateur du crime, périt
sous le venin d'un serpent.
andronique. Oh! que c'était bien fait!
callimaque. Alors in'apparut un jeune nomme d'un
aïpect terrible qui recouvrit respectueusement la
corps découvert; de sa face enflammée tombaient
sur le tombeau des étincelles lumineuses; une d'elles
s'échappanl de mon côté, me frappa au front et en
même temps se fit entendre une voix qui dil :
< Callimaque, meurs pour vivre! » à ces mots, j'ex-
pirai.
saint jean. OEuvre de la grâce céleste, qui ne sa
complaît pas dans la perle des impies!
callimaque. Vous avez entendu la misère de ma
chute, veuillez ne pas ajourner le remède de votre
miséricorde.
saint jean. Je ne vous ferai point attendre.
callimaque. Car je suis étrangement confus, jo
suis contristé au plus profond du cœur, je souffre,
je gémis, je pleure sur mon immense sacrilège.
saint jean. Ce n'est pas sans raison ; car un aussi
grave péché ne peut s'effacer que dans une grande
pénitence.
callimaque. 0 plût à Dieu que les plus secrets re-
plis de mon cœur fussent à découvert, afin que l'a-
mertume des maux que je souffre fût sous vos
yeux ! et vous compatiriez à ma douleur.
saint jean. Je me réjouis de cette douleur, car, à
mon sens, la tristesse vous est salutaire.
callimaque. Je suis las de ma vie passée et rassa-
sié des voluptés iniques.
saint jean. Très-bien.
callimaque. Je suis repentant de ma faute.
saint jean. Ajuste raison.
callimaque. J'ai tant de déplaisir de tout ce que
j'ai fait que je n'ai plus d'amour, plus de désir de la
vie, si je ne renais en Jésus- Christ et n'obtiens de
devenir meilleur.
saint jean. Evidemment la grâce d'en haut appa-
raît en vous.
callimaque. Aussi, à l'instant, sans relard, rele-
vez mon abattement, consolez ma tristesse; par vos
leçons, à votre école, de gentil devenu chrétien, de
débauché changé en homme chaste, sous votre con-
duite, entré dans le sentier de la vérité, je veux vi-
vre selon les préceptes de la promission divine.
saint jean. Béni soit le Fils unique de Dieu, qui,
ayant eu part à notre fragilité, vous a, ô mon fils
Callimaque, tué en vous épargnant et rendu la vie en
vous tuant, et qui, par cette feinte du trépas, a dé-
livré sa créature de la mort de l'âme !...
andronique. Chose inouïe et merveilleuse !
saint jean. O Christ, rédemption du monde, ho-
locauste offert pour nos péchés ! Par quels chants
vous célébrer? Je ne sa»s. Je tremble devant voire
bénigneclémence et devant voire clémente patience, ô
vous qui tantôt traitez les pécheurs avec une boulé
de père et tantôt par la juste sévérilédeschâlimenls,
les contraignez à la pénitence...
andronique. Gloire à la bonté divine!
saint jean Qui aurait osé le croire, l'espérer? Ci t
homme machinait de criminelles intrigues, la mort
le surprend, elle l'emporte, et votre miséricorde, ô
Seigneur! daigne le rappeler à la vie et lui rendra
5-25
CAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CAL
99R
des chances de pardon! Que votre saint nom soit
béni dans tous les siècles, ô vous qui seul faites ces
surprenants miracles!...
SCÈNE IV.
LES MÊMES, DRUSIANA.
andronique. Eh saint Jean, et moi! comme vous
tardez à me consoler! Car mon amour d'époux pour
Drusiana ne permet à mon' âme aucun repos jusqu'à
ee que je l'aie Vue, elle aussi, ressuscitée au plus vile.
sunt jean« Drusiana , que Jésus-Christ, notre
Seigneur, vous ressucite!
drusiana. Gloire et honneur a vous, ô Christ, cui
me faites revivre.
callimaque. O ma Drusiana ! grâces soient rendues
à raiitev.r de voire réveil. Il vous est donné de revi-
vre dans la joie, vous qui aviez consumé dans
la plus profoi: rie tristesse vos derniers jouis.
drusiana. O vénérable père Jean, votre sainteté,
après avoir rendu le jour à Callimaque, qui m'aima
d'un amour profane, doit aussi la vie même à celui
qui trahit mon tombeau.
calliuao.uk. Ne le pensez pas, apôtre du Christ!
le traître, ce malfaiteur, l'arracher aux chaînes de
h mort! Le trompeur, le séducteur, lui qui me
donna l'audace de mon horrible forfait!
saint jean. Vous ne (levez point lui envier la
grâce de la clémence divine.
callimaque. Non, il n'est pas digne de la résurrec-
tion, celui qui fut cause de la pertede son prochain.
saint jean. La loi de noire religion nous ensei-
gne que l'homme doit remettre ses offenses à son
prochain, s'il souhaite que Dieu lui remette les
si. 'unes (liO).
andronique. Cela est juste.
saint jean. Car le Fils unique de Dieu, le premier
né de la Vierge, seul innocent, seul immaculé, seul
venu dans le monde sans la tache du péché originel,
a trouvé tons les hommes sous le lourd fardeau du
péché...
androniqie. Cela est vrai.
sunt jean. Lt quoiqu'il ne trouvât ni un juste, ni
un homme digne de sa miséricorde, néanmoins il n'a
méprisé personne, il n'a privé personne de la faveur
de sa bonté; au contraire, lui-même s'est livré pour
tous,etatlonnésa vie précieuse pour le salut de tous...
andronique. Si l'innocent n'eût pas été mis à
mort, nul homme n'eût été justement sauvé.
sunt jean. Aussi Dieu n'a point de joie de la perte
de l'homme, il se souvient de l'avoir racheté de
ton sang précieux...
androniqie. Grâces lui soient rendues !
saint jean. Aussi ne devons-nous pas envier à
autrui la grâce de Dieu qui fait notre joie lorsque,
sans aucun mérite antérieur même, elle abonde eu
nous.
cvi.LiMAQUF.. Je suis glacé de terreur au bout de
cette leçon.
sunt jean. Mais pour ne pas paraître repousser
vos désirs, cet homme ne sera pas ressuscité par
moi. mais par Drusiana qui a reçu de Dieu le pou-
voir de le faire.
SCENE V.
l.F.S MÊMES, FOUTU N AT.
dsbsiana. Substance divine, qui seule es vraiment
immatérielle et sans foi nie! toi qui as ligure l'homme
à ton image, ctqui sur cette image as soufflé l'esprit
de vie, laisse le corps matériel de Fortunat recou-
vrer sa chaleur et reprendre I être autour de son âme .
(140) «Ce sont presqu: !< -> b< Des paroles du duc
de Guise au siège de Hou ui. > (M. Mac.ntn.)
(1 ii) Lerdle d'Androni<]ue perd singulièrement de
si gravité vers la lin de cette scène; il y entro une
intention bouffonne qui au contraire n'existait pas
au commencement; évidemment Hcotswithe, poui
vivante, aiin que notre triple résurrection tourne à
ta louange, 6 vénérable Trinité.
saint jean. Amen.
drusiana. Réveillez-vous, Forluuat, et, par l'ordre
du Christ, rompez les entraves de la mort!
fortunat. Qui a pris ma main et m'a relevé?
Qui a parlé pour me faire revivre?
saint jean. Drusiana.
fortunat. Esl-ce donc Drusiana qui m'a ressuscite?
saint jean. Elle-même.
fortunat. Est ce que, il y a peu de temps, elia
n'a pas succombé à une mort subite?
saint jean. Mais elle vit en Jésus-Christ.
For.TLNAT. Et pourquoi Callimaque a-t-il ce main-
tien grave et modeste? Pourquoi ne po.n suit-il plus,
comme d'ordinaire , Drusiana de son amour ef-
fréné?
saint jean. C'est qu'il n'y a plus rien de mauvais
en lui, il est tout entier changé; c'est un vrai dis-
ciple du Christ.
FORTUNAT. Non.
SAINT JEAN. Si.
fortunat. Eh bien, si, comme vous l'assurez,
Drusiana m'a ressuscité, et si Callimaque croit dans
le Christ, je rejette la vie, et fais volontairement
choix de la mort; car j'aime mieux ne pas exister
que de sentir en eux une telle abondance de vertu et
de grâce. (Il s'affaisse.)
sunt jean. 0 étonnante envie du démon! ô ma-
lice de l'antique serpent qui lit goûter la coupe da
la mort à nos premiers parents et qui gémit sans
relâche sur la gloire des justes! Ce malheureux
Fortunat, tout rempli d'un fiel diabolique, ressemble
à un mauvais arbre tout chargé de fruits amers.
Qu'il soit donc retranché du collège des justes et de
la société de ceux qui ont la crainte de Dieu! qu'il
soit précipité dans le feu de l'éternel supplice, pour
y être torturé à jamais sans repos ni adoucisse-
ment !
andronique. Voyez, les otessures du serpent se
gonflent; il tourne de nouveau à la mort; il trépas-
sera plus vite que je n'aurai parlé.
saint jean. Qu'il meure, et devienne un des liaoi-
tants de l'enfer, lui qui, par hair.e du bonheur d'au-
trui, a refusé de vivre.
andronique. Spectacle terrible!
saint je\n. Rien n'est plus terrible que l'envieux;
nul n'est plus criminel que le superbe!...
andronique. Misérables tous deux!
saint jean. La même personne est toujours îa
proie de ces deux vices ; l'un ne va pas sans l'au-
tre...
andronique. Expliquez-vous clairement.
saint jean. Le superbe est envieux et l'envieux
est superbe : car un esprit jaloux, ne supportant pas
l'éloge d'aiitrui et désirant pour son propre avantago
l'abaissement des plus parfaits, dédaigne d'être placé
au-dessous des plus dignes et s'efforce orgueilleuse-
mi'iit d'être mis au-dessus de ses é'raux.
andronique. Evidemment.
saint jean. C'est pourquoi ce miséraLle a été
frappé au cœur et n'a pi supporter une situation
inférieure envers ceux en qui il voyait clairement les
plus glandes faveurs de Dieu.
andronique. Je comprends enfin maintena , ; t pour-
quoi ce Fortunat n'avait pas été compris parmi les-
ressucitants ; c'est qu'il devait mourir aussi-
tôt (141).
saint jean. Il a mérité ce double trépas, pois-
avoir outragé le tombeau confié à sa garde ctpoui -
faira supporter ce dénouement un peu long, a c.i»
l'idée de sacrifier à la grossière gaieté des specta~
teure, et d'obtenir ainsi leur attention sur les gran-
des leçons qu'elle donnait par la bouche de saint
Jean.
527
CAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CAT
S«ft
suivi ceux qui étaient ressuscitas de sa haine in-
juste.
ANDROMQUE. Le malheureux a cessé de vivre.
saint jean. Retirons-nous et laissons au démon
ce fils qui lui appartient. Nous, cependant, à cause
de la miraculeuse conversion de Callimaque et de la
double résurrection de Drusiar.a et de lui, passons
gaiement cette journée, (442) rendant gràcesà Dieu,
ce juge équitable, ce discret dépositaire des secrets,
qui seul voit tout, et, disposant toutes choses comme
il convient, distribuera à chacun, selon ses mérites,
les récompenses ou les supplices. A lui seul l'hon-
neur, la puissance, la force et le triomphe, la gloire
et la jubilation , l'éternité, pendant les siècles des
siècles! Amen.
CATHERINE {Suinte) [Le jeu de]. — Du
Roulay avait parlé, dans son Histoire de
l'Université de Paris (l. I", p. 226), d'un Jeu
de sainte Catherine, dont la représentation
au xii' siéèle était, au moins en Angleterre,
un usage établi dans les écoles. Le savant
abbé Lebeuf s'appuya de cette opinion dans
son examen de l'Étal des sciences depuis le
roi Robert le Fort. ( Dissert, sur l'hist.
eccl. et civ. de Paris, Paris, 1741, in-8%
I. II, p. 65.) Les Bénédictins soulevèrent les
premiers une question importante, celle de
savoir quel était l'auteur du drame dont on
parlait. Us l'attribuèrent h Ainard, premier
abbé de Saint-Pierre sur Divcs, (Orderic
Vital, 1. iv), auteur de chants sur sainte
Catherine et sur saint Kilien de Wirlz-
bourg. (Hist. lillér. de la France; Paris,
1746, in-4°, p. 127.) Personne ne leur a ré-
pondu, ni n'a paru connaître ou partager
leur opinion. De Roquefort Flainéricourt
assure que Geffioy de Saint-Alban avait
introduit en Angleterre le goût du théâtre,
en y faisant représenter le Jeu de sainte
CaQierine. [De l'état de la poésie française
dans les xn' et xm' siècles ; Paris, 1815, iu-8°,
p. 263.) L'abbé de Lame attribue le drame
à Geffroy , et prétend que ce fut la pre-
mière pièce tragique composée dans notre
langue. (Essais hist. sur les bardes normands
et anglo-norm.; Caen, Mancel, 1834, in-8°,
3 vol. t. 1", p. 164; t. 11, p. 55.) AL Ray-
nouard a déclaré sans base l'affirmation de
l'abbé de Larue, relative à l'idiome d'une
pièce dont il ne restait qu'une mention
indécise dans une anecdote biographique.
(Journ. des sav., 1836, juin.) M. O. Leroy
rompant une lance contre Chateaubriand,
séduit par l'hypothèse de l'abbé de Larue,
soutient que le mystère du Sainte Catherine
avait été écrit plutôt en latin qu'en langue
d'oil. (Etudes sur les mystères; à Paris, 1837,
in-8°, p. 9.) Il n'a donné toutefois d'appui
à son affirmation que six ans après, en con-
sidérant la découverte qui, durant cet inter-
valle, avait eu lieu des chansons d'Abailard
écrites en latin, comme une preuve que la
poésie n'essayait pas encore de traduire les
passions humaines dans la langue vulgaire.
(Epoq. del'hist. de Fr.\ Paris, 1843, in-S",
p. 69.) Enfin M. Magnin, dans le Journal des
savants 'le 1846 (p. 'sol), a fait observer qt:e
sainte Catherine, comme patronne des
enfants et des écoliers, n'était pas moins
réputée, dès le VIe siècle, que saint Nicolas;
la discipline se relâchait a leurs fêtes; des
jeux avaient lieu, en leur honneur, dans les
monastères et les écoles; ces réjouissances
ouvraient la fameuse période de la Liberté
de décembre; et le Jeu de sainte Catherine
n'est qu'un témoignage qui nous reste des
plaisirs de ces temps.
Telles sont les opinions exprimées jus-
qu'ici au sujet du Jeu de sainte Catherine;
nous donnons ci-dessous la traduction du
passage de Matthieu Paris qui en contient
la mention. On voudra bien remarquer que
l'anecdote n'est qu'un fragment de biogra-
phie; que rien n'indique l'espèce du lan-
gage, et que, quoiqu'il n'y ait non plus
nulle indication relativement à l'auteur,
néanmoins il est plus probable, selon l'opi-
nion commune, que l'abbé Geffioy avait
écrit lui-même le drame qu'il faisait jouer.
« L'abbé Geffroy naquit d'une famille
illustre dans le Maine et la Normandie; il
ne fut pas seulement remarquable par la
pureté de ses mœurs, mais au moins autant
par ses vastes connaissances théologiques.
Lors de la mort de l'abbé Richard (1119), élu
à l'unanimité par les frères de notre église, et
accepté par le roi d'Angleterre Henri l'r, il
prit en main, contre ses vœux, le gouver-
nement de l'abbaye. Il était venu du Mans,
lieu de sa naissance, à l'invitation de l'abbé
Richard, étant encore séculier, pour diriger
l'école de Saint-Alban. A son arrivée, l'écolo
avait été donnée h un autre maître, parce
que Geffroy n'était pas arrivé au temps
voulu, c'est pourquoi il s'établit à Dunslaple
en attendant la vacance de l'école qu'on lui
avait promise. C'est dans ce temps qu'il fit
\eJeu de sainte Catherine que nous appelons
communément les miracles. Il avait prié le
sacristain de Saint-Alban de lui prêter, pour
la représentation, les chapes de chœur, et
n'avait pas été refusé. Le Jeu de sainte
Catherine eut en effet lieu, mais le malheur
voulut que, pendant la nuit qui suivit la
représentation, le feu prît dans la maison
de maître Geffroy; la maison brûla entière-
ment, les livres du maître furent consumés
et avec oox les chapes. Ne sachant com-
ment réparer le dommage fait à Dieu et à
Saint-Alban, Geffroy se donna lui-même en
expiation, il prit l'habit de religieux dans
la maison. Dans la suite, devenu abbé, il eut
grand soin de faire faire des chapes de
chœur magnifiques.
« Il veillait toujours sur le repos et le
bien-être de ses enfants et frères spirituels,
et toujours d'un calme parfait, il fil régner
constamment la joie et la paix... Il mourut
* l'an 1146. » (Matthrei Paris Historia major;
édit. Will. Wats ; Paris, 1644, iu-fol., Yitœ
viginti trium abbat. S, Albani ; ibid., p.
35 41.)
(112) M. Magnin a ^remarqué que ccite invitation à passer le reste de 1» journée : dans la jo'e se re-
trouvait dans ia légende apocryphe d'Abdias,
g|9
t.HK
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CIIE
230
CATHERINE [de Sienne, du Moîît-Sinaï ?]
(Sainte). — On lit dans une chronique
manuscrite de Metz, composée au xvc siècle
par le curé de Saint-Euchaire, l'une des
paroisses de là ville, et intitulée Histoire
de Metz véritable : « L'an 1434, le 15 juin,
fust faicl le Jeu de la vie saincte Catherine
en châinge, et duroit trois jours et fust
Jehan Didier ung notaire saincte Catherine,
et Jehan Matthieu le plaidous, emuerour
Maximian. »
Les frères Parfait [ffist. du théâtre fran-
çois ; Paris, 1733, in-12, 13 vol., t. II,
p. 351) qui rapportent ce témoignage, en ont
rapproché une note de la Bibliothèque fran-
çaise de Du verdier, p. 241, où il est question
d'une Vie de saincte Catherine du Mont Sinay
en rime, imprimée à Paris pour Alain Lo-
frian; selon eux la Vie de sainte Catherine,
dont on ne retrouve plus d'exemplaire,
pourrait bien être le Jeu de YHistoire ma-
nuscrite de Metz.
De Beauchamps (Recherches sur les théâtres
de France; Paris, 1735, in-8", 3 vol., t. 1er,
p. 227) mentionne les Miracles de sainte
Catherine de Fierbois, in-fol., et la Légende
de sainte Catherine de Sienne, in-fol.
M. Magnin, (Journal des savants, cahier
d'octobre 1846) a retrouvé dans la chro-
nique manuscrite de Metz de Philippe
de Vigneulies, conservée dans les biblio-
thèques publiques de Metz et d'Epinal, la
mention d'un Jeu de sainte Catherine de
Sienne, représenté à Metz en 1468 aux frais
d'une darne Baudoicbe, et où joua une
«jeune iilletle aigée d'environ dix-huit
ans. »
En 1VS6, il y aurait eu encore à Metz une
autre représentation d'un mystère de sainte
Catherine.
Tout cela est fort incertain.
■CESAIRE (Saint), archevêque d'Arles. —
La Vie de saint Césaire, archevêque d'Arles,
n'est connue que d'après une liste de mys-
tères fort douteuse publiée par de Beau-
champs. (Recherches sur les théâtres de France;
Paris, 1733, in-8°, 3 vol., t. V, p. 228.)
CHCSNAYE (Nicole de la). — « Lacroix
du Maine et Duverdier ne parient point de
cet auteur dans leurs Bibliothèques; le der-
nier se contente de citer à la lettre N, p. 927,
l'ouvrage de Nicole de la Chesnaye parmi les
livres d'auteurs incertains. Le nom de l'au-
teur se trouve dans les lettres initiales des
dix-huit derniers vers du prologue de son
ouvrage intitulé : La nef de santé, avec le gou-
vernail du corps humain et la condamnation
des banquets, à la louange de diette et so-
briété, et le traité des passions de l'âme, in-V°,
1511, Paris.goth. avec ligures, Michel Lu
Noir, ach. d'imprimer le 17 avril.
« La même, sous ce titre : La condamnation
des banquets, à la louange de diette cl sobriété
pour le profit du corps humain, par person-
nages, en rime. Impr. à la suite de la Nef de
santé, en prose, avec un Traité des passions,
en rime, lu tout tiédie au roi Louis XII ;
Paris, in-4', Michel Le Noir, à la Rose blan-
che, le 17 avril 1516.
« L'auteur, dans son prologue, dédie
au roi Louis XI] son livre, qui contient
quatre ouvrages différents, quoique dépen-
dant les uns des autres : le premier est en
prose, La nef de santé; le second, aussi en
prose, Le gouvernail du corps humain; le
troisième est La condamnation des banquets,
en vers; enfin le quatrième est en vers,
Traité des passions dciâme. » (De Beauchamps,
Recherches sur Us théâtres de France; Paris,
1735, in-8°, 3 vol., t. 1", p. 30G.)
£ CHEVALIER (Le). — On ne connaît du
Mi/stère du Chemlier qu'une édition in-16do
cinquante-six pages, contenant environ qua-
torze cents v^r^, sans nom d'imprimeur, ni
date, mais qui pourtant peut être attribuée
avec assez de certitude à la première moitié
du xvr siècle.
Cette édition a été reproduile de nos jours,
in-8°, sur papier de couleur, en quarante-
huit pages.
Les frères Parfait ont donné de ce drame
une analyse très-imparfaite que nous n'avons
pas cru devoir adopter. (Hist. du théâtre
franc.; Paris, 15 vol. in-12, 1735, t. II, p. 555-
562.) De Beauchamps (Recherches sur les
théâtres de France, Paris, 1735, in-8, 3 vol.,
t. Ie", n. 232), et la Bibliothèque du théâtre
francois, ouvrage attribué au duc de La
Vallière (Dresde, 1768, in-8", 3 vol., t. 1",
p. 79) en ont fait aussi mention.
Le Chevalier nous semble une pâle imita-
tion du Théophile.
Le titre est ainsi conçu, et contient la listo
des personnages :
Le mystère du chevalier qui donna sa femme au dyable,
à dix personnages ; cest assauoir.
dieu le pere,
notre-dame.
Raphaël,
le 1 h valier.
SA FEMME.
amaclrt, escuier.
anthemor, escuier.
LE PII El R.
LE DlALLE.
Joueur, dissipateur,-' prodigue de son
avoir, malgré les sages avis de sa femme, le
Chevalier tombe dans la misère, et ne trouve
d'autre moyen de s'en tirer que de livrer sa
femme à Satan.
LE CHEUAMEK.
Or dois ie bien Iiayr ma vie,
Quant ainsi chaseun me liarie
Par mocquerie,
Oc mes servans suis dccl;assé,
Formne trop nie contrarie,
Noblesse est bien en moy perte,
Mon sens varie.
Las ! qu'ay-ie l'ail ! Le temps passé
l'avoye grand auoir amassé,
Tesloys en honneur, en Ivesse
Et n'ay cesse
De dissiper tout....
0 mort, mort, sur moy de ton daiJ
Antre chose u'ay esgard,
Quant se départ
Ainsi de moy eshalement.
LE DYABLE.
Qif as-tu, cheualier? Hardiment
Declaire-moy tout seulement
Lé fait qui tant te louche au tueur.
23!
CHS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
enn
25-2
LE GHELALJEB
Qui cs-îu qui viens soudainement ?
Esbaliy me fais grandement...
LE DYABLE.
Iay en moy le gouuernement
Ou monde...
Un parle est conclu enlro le chevalier et
Satan; d'immenses richesses roulent dans
les mains de ce nouvel adepte de l'enfer,
jusqu'au jour où le chevalier doit remettre
entre les mains du diable lo gage même du
pacte, sa femme calomniée, traîne et vendue.
Mais la dame a une vénération particulière
pour Notre-Dame; le jour où son mari la
mène, à son insu, mais pourtant toute
étonnée et tremblant»;, auprès de Satan, elle
rencontre, sur le chemin du bois où doit
s'accomplir la funeste tradition, une église
où elle se réfugie un instant pour trouver
quelque confort dans la prière. Sa divine
protectrice abaisse sur elle ses regards mi-
séricordieux, et pour la sauver, ne se résout
rien moins qu'a prendre la place de la dame
aux côtés du Chevalier impatient et furieux.
LE CI1ECAMEK.
le croy que meshuy cy feray
En attendant ceste bourgeoise.
Sang bien ! s'il fault qui g'y voisf,
Bien scay qu'il y aura butin.
Je la voy : elle est en chemin,
Sa Dame, sa, venez auant.
NOSTRE DAME.
Sus, mon amy, allez douant...
LE DYABLE.
Tar.lost ie me pourrai déduire
Du cheualier et de sa femme,
En enfer portera}' son aine ;
En despit qu'elle a Marie seruy ,
Mais, haro ! ie suis trahy....
f'aulx traître..
Que m'as-tu amené icy î
LE CnEUALIER.
Ma femme.
LE DYABLE.
Tu mens faulcement
LE CHEUALIER.
R; garde, vêla cy vrayment.
LE DYABLE.
Haro ! voicy grant mocquerie •
Tu amarues celle Marie,
Qui tant nous fait grief et ennuy...
Notre-Dame sauve la femme du Chevalier
des grilles de Satan contraint a résilier,
sans compensation, le pacte conclu, et le
Chevalier retrouvant dans l'église sa femme
encore en prière, lui confesse son crime, et
lui révèle le miracle qui vient de les sauver
tous deux.
Le mystère se termino par ces vers :
LA DAME.
Mon cher Seigneur, qui s'abandonne
A Dieu servir, ne peut périr
Leucz-vous. . . .
.... Tous de cueur vous supplie
Que chascun, selon son pouoir,
1)2 la seri'ir fasse deuoir,
Affin qu'au dur pas de la mort,
us face
Finis.
La Vierge nous face confort. Aine».
CHIVALET (Antoine), — Guy Alard, con-
seiller au parlement de Grenoble, auteur de
la Bibliothèque du Dauphiné (Grenoble,
L. Giliberl, 1630, in-16, de xn-224 p., p. 71),
a dit de l'auteur du Saint Christofle : « An-
toine Chivalet, gentilhomme du Viennois,
dont la famille porte de gueules au cheval
éehapé d'argent, fut un poète françois, et vi-
voit l'an 1530. » Les frères Parfait, s'appuyant
sur le titre du Saint Christofle qui, imprimé
en 1530, porte le nom de Chivalet, accom-
pagné de ta rubrique « jadis souverain mais-
Ire, » et sur les nombreux passages du livre
où l'auteur est loué d'une manière outrée,
concluentque Chivalet était mort avant 1527,
date de la première représentation de son
mystère. Nous ajouterons que le citoyen
Anemond Àmalberti (Ancelbert clans Duver-
dier) nous semble avoir Irôs-probableinenI
remanié le travail de Chivalet. (Les frères
Parfait ont écrit Chevalet.) »^ — Voyez Saint
Christofle.
CHOCQUET (Louis). — Auteur de Y Apo-
calypse, Louis Chocquet est classé depuis
longtemps parmi les auteurs dramatiques,
dans la Bibliothèque française de Duverdicr;
ou y lit :« Louis Chocquet a mis en lim-j
françoise par personnages les Actes des apô-
tres et Y Apocalypse de saint Jean, avec les
cruautés de Domilien l'empereur. Le tout a.
Paris en l'hôtel de Flandres, l'an 15il, et
imprimé in-fol par Arnoul et Charles Les
Angeliers. » (P. 799.) Les frères Parfait
(llist. du 'th. franc.; Paris, 15 vol. in-12,
1735, t II, p. 270,) relèvent l'erreur du
Duverdier, commise également par Dayle,
qui attribue h Chocquet les Actes des apôtres
des Gresban ; YApocalypse seule est de lui.
CHRIST (Jeu ou). — M. Raynouard (Jour-
nal des sert\, juin 1836, art. sur le Mystère de
saint Crépin, p. 367) répète la citation sui-
vante de Muratori tirée de la Chronique du
Frioul : « En 1298, le jour de la Pentecôte,
dans le Frioul, eut lieu une représentation
du Jeu du Christ qui comprenait la Passion,
la Résurrection, l'Ascension, la Descente du
Saint-Esprit, et le Jugement. » (Monum.
eccl. Aquiiii, p. 28, col. 1.) — Voy. Passion,
H", § 2.
CH1UST(Le meurtre du).— Les écrivains
italiens du moyen âge ont signalé un drame
grec qu'ils appelaient le Meurtre du Christ.
11 est difficile de préciser ce qu'était cetin
pièce. Lilio Gregorio Gyraldi, critique du
xvic siècle, a donné sur le Meurtre du Christ
h note qui suit : « 11 a existé un certain
poëte grec nommé Etienne, sabaïto, à qui
est attribuée la tragédie du Meurtre du
Christ. » (De poelar. Jlist., Dialog. vu, édi-
tion de Ferrare, 1551, in-8°, p. 865.)
Fabricius (Bibliotheca grœca, édition de
G. C. Harles, Hambourg, 1791, fn-4% t. Il,
p. 323) rappelle aussi, dans une notice des
tragiques dont les œuvres sont perdues,
cette même pièce du Meurtre du Chris;
d'Fl enne, moine sabaïle. « La mémoire de
233 cim
ce seclaleur oe l'hérésie do Saba, dit-il, est
encore honorée par les Grecs ie 28 octobre. »
Le peu de détails que donne Fabrieius est
emprunté à Lilio Gregorio Gyraldi, que Ton
connaît seul pour avoir attribué celte pièce
à cet auteur, et qui la distingue ainsi du
Christus Patiens de saint Grégoire de Na-
zianze.
11 nous semble infiniment probable que le
Meurtre du Christ n'est pas autre chose que
le Christ souffrant, intitulé aussi la Pas-
sion du Christ. — Voy. Passion (La).
CHRIST SOUFFRANT. — \oy. la Pas-
sion du Christ. (Orient.)
CHRISTINE (Suste). — De Beauchamps
mentionne la Passion de sainte Christine ,
imprimée à la suite du Mystère de Notre-
Dame et de la Passion de sainte Léocade. {Re-
cherches sur les théâtres de France depuis
1161; Paris, 1735, in-8\ 3 vol., t. 1", p. 226.)
-- Voy. Notre-Dame (Mystère de); sainte Léo-
cade ( ta Passion de ).
CHR1STOFFLE (Saint). — On ne con-
naît point de manuscrit subsistant du Saint
Christoffle. Ce drame date de la première
moitié du xvi' siècle.
Il eut pour auteur Antoine Chivalet, sur
lequel il est resté quelques renseignements
que nous avons réunis à son nom.
« La seule édition que l'on connaisse de
ce mystère, ont dit les frères Parfait ( His-
toire du Théâtre français; Paris, 15 vol.
in-12, 1745, t. 111, p. 1 ), est celle que cite
D\i\evd\cv-\auvrivaL(Ribliothèquefrançoise,
p. 161), et qui parut à Grenoble en 1530.
C'est un petit in-folio de 192 feuillets ou
386 pages , à deux colonnes , qui peut con-
tenir environ vingt mille leUres :
« En voici le litre : S'ensuyt la Vie de
sainct Christofle, élégament composée en rime
française et par personnaiges , par maislre
Chcvalrl, Jadis souverain maistre en telle
composilûre , nouvellement imprimée. » ( Frè-
res Parfait , ibid. )
On lit à la tin : Icy finistle Mystère du
glorieux sainct Christofle, composé par per-
sonnaiyes , et imprimé à Grenoble, le vingt
huict de Janvier, Van comptant à la Nativité
de Notre Seigneur , mil cinq cens trente, aux
dépens de maistre Anemond Amalberli , ci-
toyen de Grenoble. » (Ibid. )
Le sixain suivant qui est, à la fin de la
première journée, nous fournit la date de la
première représentation :
Quant Penthecostis furent de Juing le neuf.
m. d. vingt et sept, fut faict neuf
Ce présent livre; et, en ce lieu et terre
De Grenoble, fut joué son mystère,
(113) Ce langage singulier n'est autre chose que
l'argot en usage parmi les filous et les archers. Il
a eu le même sort que la langue française ; aujour-
d'hi'i nous entendons à peine le langage des xiv* et
xv siècles. L'argot ou le jargon a changé aussi, Vil-
lon s'en est servi pour composer quelques ballades
qui se trouvent page 170 et suivantes «le la nouvelle
édition des œuvres de ce poêle. Chevalet, auteur
{dus récent, le place ici très-convenablement dans
a bouche de deux fripons, qui, après une suite de
crimes dignes des derniers supplices , s'enrôlent
Dictions, des Mïsièrks.
DICTIONNAIRE DES MYSTEUES.
cim
in
Duquel finist la première journée
Nouvellement au dicllieu imprimée. (Ibid.)
La Bibliothèque du Théâtre f> ançois , ou-
vrage attribué au duc de La Vallière,
( Dresde. , 1768, in-8% 3 vol., I. I"r, p. 93 )
en fait mention. — Voy. Chevalet (An-
toine ).
Les frères Parfait ont donné de ce drame
l'analyse suivante :
MYSTÈRE DE SAINT CHRISTOFLE.
« L'empereur Dioctétien , à qui l'on vient
apprendre que Danus, roi de Lycie, de con-
cert avec plusieurs autres princes , cherche
à se soustraire à son obéissance, lui envoie
un messager, pour tâcher de le faire rentrer
dans son devoir. Danus, méprisant ses me-
naces, envoie Sautereau aux rois ses confédé-
rés. Dans son voyage , ce messager rencon-
tre un paysan qui maltraite sa femme, qui,
ainsi que celle du Médecin malgré lui de
Molière, est fâchée lorsqu'on empêche son
mari de la ballre, et le pauvre Sautereau
n'a pour récompense que des coups de bâ-
ton; il part avec cela, et suit la route de
Damas; de là il va à Tripoli , et dans le pays
de Chananée, et revient à Samos , ville ca-
pitale des Etats de Danus, lui rendre compte
du succès de ses négociations.
« Tandis que Dioclélien s'apprête è par-
tir à la tête d'une puissante armée, pour
punir la rébellion du roi de Lycie et de
ses alliés , Lucifer assemble les esprits in-
fernaux. Cerbérus et les autres démons
s'empressent à lui apporter les pécheurs
de toute espèce. On amène entre autres uno
femme de mauvaise vie, un avare, un dé-
bauché, et une malheureuse qui avait vendu
l'honneur de sa fille. Nous n'entrerons pas
dans un plus grand détail de celte scène
assez curieuse.
« Cependant Dioclétien s'avance vers Sa-
mos , suivi de son connétable , de l'amiral ,
du prince des Souysses , du duc d'Albanie,
et d'une nombreuse armée. Lorsque ces
troupes sont prêtes à camper sous les murs
de cette ville, deux soldats romains s'exa-
minent avec attention , et venant enfin à se
reconnaître , ils se racontent mutuellement
leurs aventures et celles de leurs anciens
camarades. Comme cette scène se passe
entre deux bandits , et qu'elle est écrite en
langage singulier (143), nous croyons devoir
l'insérer ici tout entière , pour ne point
priver les curieux des grâces de l'original.
barraqcin, premier tyran, commence.
Hé chouq, plais Dieu, et queschechy ?
N'aray-je jamais de Tauberl?
dans les recrues que l'empereur fait faire précipi-
tamment, et où on reçoit indifféremment tous ceux qui
se présentent. En comparant ce langage avec celui
de Villon, on s'apercevra qu il y a peu de différence.
Cependant le célèbre Marot, qui a donné une édition
de ce poète, avec ses corrections, n'a pas osé Icf
hasarder sur ce jargon. Au reste, Dioclétien pa:ai'
ici avec une suite telle que pouvai.1 alors avoir ur
roi de Fiance. Les anciens poèmes dramatique
fourmillent de pareilles bévues. Les lecteurs peuvew
aisément les remarquer.
255 €HR
Je suis en ce bois tout transy,
Dont j'ai faict endosse de vert.
Je porte le c.. descouvert.
Mes tirandçs sont desquiréesi
Les passans rompus, il y pert„
Et porte la lyme nouée.
brandimas, second tyran, commence
Tous mes grains ont pris la brouée :
Cap de Dio ! tout est despendu t
J'ay mon arbaleste flouée,
Et le galier pieçà vendu.
Le ront est pelé et tondu,
Mon comble est à la tarière.
Or ay, que ne suis-je pendu,
Mon jorget n'a pièce entière.
Barraquin, appercevant Brandimas
Quel mynois !
brandimas, appercevant Barraquin.
Quelle Hère manière?
BARRAQUIN,
Es-tu narquin ?
BRANDIMAS.
Ouy, compain.
BARRAQUIN.
Demeure.
BRANDIMAS.'
Tire-toy arrière.
BARRAQUIN.
A mort, ribaut.
BRANDIMAS.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
CHR
238
Rroues-tu ?
Rien de la main.
BARRAQUIN.
BRANDIMAS.
Je cours le terrain..
BARRAQUIN.
Où vas-tu ?
BRANDIMAS.
A mon adventure.
BARRAQUIN.
Tu es deschiré.
[brandimas.
Tout à plain
De dormir «niché sur la dure.
BARRAQUIN.
Et par Jupiter, je te jure,
Que j'en ay de même que ty.
BRANDIMAS.
Tout ung.
BARRAQUIN.
N'ayez paour.
BRANDIMAS.
Je t'asseure.
BARRAQUIN.
Ne me congnoys-tu point ?
BRANDIMAS.
Nenny
BARRAQUIN.
Gaullbier, où as-tu tant dormy ?
brandimas, embrassant Barraquin.
Hé, gueux, advance-moy la poùe.
BARRAQUIN.
Es-tu là, lié, liau, ebardemy ?
BRANDIMAS.
11 est bien force que l'on floue,
BARRAQUIN.
Où est Arquin ?
BRANDIMAS.
Il fait la moue
A la lune.
BARRAQUIN.
Est-il au JUC ?
BRANDIMAS.
II fust gruppé, et mis en roue
Par le deffault d'un allegruc»
BARRAQUIN.
Et toy ?
BRANDIMAS.
J'eus longuement le plue,
De pain et d'eau, tenant au gectz.
BARRAQUIN.
Comment eschappas-lu ?
BRANDIMAS.
Ce fust
Pour une anse, et l'aspergés.
BARRAQUIN.
Le Roùastre et ses subjeetz
Le mirent aux coffres massis
Par les piedz tenant aux gros septz-
BRANDIMAS
Y couchas-tu ?
BARRAQUIN.
J'estais assis :
Quant ce vint entre cinq et six
Dedans les septz laissay ma guestre,
bt de paour d'estre circoncis,
Des ances sautay la fenestre.
BRANDIMAS.
Cela fust bien ung tour de maistre.
BARRAQUIN.
Pourquoy ?
BRANDIMAS.
Hé, pauvre berouart,
Ta sentence estoit jà preste,
L'on n'attendait que le Télart,
Pour te pendre hault comme ung lart
Nonobstant tout ton babinage.
BARRAQUIN.
Je m embrouay au gourd piard.
BRANDIMAS.
El je demeuray au passage.
BARRAQUIN.
J'esehaquay.
• BRANDIMAS.
Et j'estais en cage.
BARRAQUIN.
Je pietonay toute la nuict.
BRANDIMAS.
Et l'Embourreur, pour tout potage
Me mist dehors par sauf conduict
A torches de fer.
BARRAQUIN.
Quel déduict !
Embuschons-nous sous la feuillée,
Pour attendre quelque Syrois.
BRANDIMAS.
S'il avait des grains à l'emblée,
On luy raserait le mynois.
« Pendant que ceci se passe d'un côté, de
l'autre Bardon , autre soldat de I armée de
237
cnu
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CHR
238
l'empereur, va a la découverte. 11 rencontre
Landurée, femme du paysan Landureau ,
dont ou a parlé au commencement de celte
journée , et s'arrête pour la cajoler. Le mari
qui fait le guet sur le haut de la tour de
Samos , s'apercevant de ceci , et voyant
que sa femme reçoit assez familièrement ses
caresses , entre dans une extrême colère , et
crie l'alarme de toutes ses forces.
LANDUREAU.
Allarme, bonnes gens, allarme,
Je.saulteray par ce créneau.
« Nycolin'et Pasquelon, sachant de quoi
ri s'agit , s'en mettent fort peu en peine , et
courent en diligence aux portes de la ville,
où se fait une escarmouche entre les Ly-
ciens et les troupes de l'empereur. Ces der-
niers sont repoussés avec une perle consi-
dérable , et le duc d'Albanie est fait prison-
nier. Pour le ravoir, Dioclétien fait appro-
cher son artillerie. Contre un péril si pres-
sant, Danus ne trouve pas d'aulre moyen
que de faire conduire le duc sur le rem-
part, et d'ordonner à des bourreaux de le
pendre dès l'instant que les ennemis se pré-
pareront à donner l'assaut. En effet, Dioclé-
tien, qui craint pour la vie du duc, propose
une trêve d'un an, que Danus accepte, en
rendant ce prisonnier. L'empereur ordonne
aussitôt un sacrifice , pour remercier les
dieux de ses heureux succès : et Sautereau
va de la part du roi de Lycie ordonner à
Antropatos de le faire préparer. « J'obéirai,
« répond ce grand-prêtre , quoique , ajou-
« te-t-il , je ne sois pas né sujet de Dioclé-
« tien. >;
SAITEUEAC.
J'entens assez, je sçai que c'est :
Il ne vous chault, soit gaing ou perte
Fors que vous en ayez l'offerte.
Adieu, jusqu'à demain matin.
« Antropatos dit à Ysengrin, son clerc,
de préparer le sacrifice avec soin : « Ne
« vous embarrassez de rien , répond Ysen-
« grin , je suis au fait, et je sais la manière
« de vous procurer une recotte abondante. »
Le lendemain la cérémonie se passe avec
magnificence , chacun des assistants pré-
sente son offrande, et le duc d'Albanie, par
reconnaissance , voue aux dieux le licol qui
devait servir à lui ôter la [vie. Lnsuite cha-
cun se retire chez soi.
« La première journée de ce mystère est
(144) Nous avons remarqué à quel usage nos
vieux dramatiques employaient les personnages de
fou et de folle, et en quoi consistaient leurs discours;
on croira aisément que ceux que l'auteur leur fait
ici tenir sont fort libres, puisqu'on regardait alors
ces obscénités comme un agrément nécessaire à ces
sortes de caractères, el que d'ailleurs elles étaient du
goût de Chevalet.
(145) Pour achever de donner une idée des opé-
rateurs du siècle auquel notre auteur vivait, et de
la façon dont ils attrapaient les dupes de leur temps,
nous joindrons les vers suivants, c'est Mauloue qui
parle, et appelle le peuple.
Seigneurs, voici la pourtraiclure
Du glorieux sainct A'l'ao'.iu
terminée par l'arrivée d'un puissant et
énorme [géant, appelé Reprobe , qui vient
offrir ses services au roi de Chananée , sur
les terres duquel il a pris naissance. »
SECONDE JOIKNÉE.
« Elle commence par les entretiens d'un
fou et d'une folle, personnages fort à la
mode au temps des mystères dont nous par-
lons^!*).Ueprobe, qui veul s'attacher au ser-
viceduplus puissantprincedu monde, quille
le roi de Chananée, et passe à Damas. La cour
brillante du roi, dont celle ville est le séjour
ordinaire, éblouit les yeux de notre aventu-
rier, et le détermine à accepter les offres avan-
tageuses qu'on lui fait pour s'y établir. Sur
ces entrefaites, un opérateur, courant de
province en province, vient enfin à passer
quelques jours auprès de Damas. Mauloue,
c'est le nom de ce charlatan , appelle Malas-
segnée sa servante, et son valet, à qui il
ordonne de dresser l'échafaud (145).
HVCI.OUE.
Basions, Bacins, Soufflelz, Timballe,
Les Cobeletz, les Noix de galle,
Le Synge, la Chievre, le Chien,
Et l'Ours : Que nous n'oublions rien
Avec le Mole (146) des ymages.
Pour courir Villes et Villages.
« Le hasard veut que pendant que Mau-
loue débite sa marchandise , le roi de Da-
mas , accompagné de Reprobe et de plu-
sieurs seigneurs de sa cour, vient prendre
le frais dans la plaine, au moment que ce
charlatan chante une chanson dont voici la
premier couplet :
Reveillez-vous, gentilz Galans,
Et entendez bien mon Latin ;
Gentilz Pions, mes bons Chalans,
Ne vous levez point trop matin.
Quant vous aurez beu uug tarin,
Cela vous reconfortera ;
Mais si vous mettez d'eau au vin,
Le Diable vous emportera.
«. Ce dernier vers, qui fait le refrain de
chaque couplet, produit un effet surpre-
nant : le roi de Damas, qui professe la re-
ligion chrétienne , fait le signe delà croix ,
toutes les fois qu'il entend prononcer le
nom de l'ennemi du genre humain ; Ileprobe
s'en aperçoit et lui en demande familière-
ment la raison : « C'est , répond ce pieux
« prince, pour me munir contre un si re-
Qui fut écorché d'nn palin,
Le jour de Karesme prenant.
Après voici sainct Pimponaiu,
.Avecques saincl Ti ibolanàeau,
Qui turent tous deux d'un sceau d'eau
Décollez, dont ce lui dommage.
Si vous avez iulention
De les avoir, je vous les baille
Les deux pour trois deniers el maille.
Mais toutefois argent content.
ling peintre B*«JD feroit pas tant
De bonnes couleurs, pour deux francs.
Avant, avant, |ielils entans,
\ ous n'en payez pas la façon.
(14G) Le moule.
2Ô9
CHR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CHU
240
« doutable adversaire. » A cette réponse,
qui fait connaître clairement le pouvoir du
démon, lleprobe ne balance pas à prendre
Je parti de suivre ce nouveau maître , malgré
les prières et les instances du roi de Damas.
Il rencontre en chemin Landureau; ce ma-
nant, pressé de lui enseigner ce qu'il cher-
che, répond en tremblant qu'il ne connaît
point le diable. « Mais, ajoute-t-il, en mon-
te trant sa femme, voici une diablesse à
« votre service. » Ce discours ne satisfait
j)oinl Reprobe , et attire au pauvre Landu-
reau une volée de coups de bâton , que sa
femme lui donne, pour se venger de ses
mauvaises plaisanteries.
« Reprobe, continuant son chemin, aper-
çoit une troupe de soldats qui , pour éviter
l'oisiveté, se battent avec excès. Il les sé-
pare sans peine avec son bâton. Landureau,
spectateur de cet exploit, en marque son
étonnement.
LANDUREAU.
Voilà ung terrible Milourt !
Quant je regarde son mynois,
Qu'il seroit bon à cueillir noys,
Il ne lui faulJroit point d'eschelle.
« A quelques pas de là , Satan, accompa-
gné de Cerbéfus , de Flégéas et de Belzébuth,
se présente à lleprobe , sous la ligure du
prince du monde, et l'engage à son service.
Par bonheur pour Reprobe, Dieu permet
qu'il se trouve une croix plantée sur le
grand chemin, par où Satan doit naturelle-
ment passer. Il veut l'éviter , et [(rendre
une autre route, lorsque lleprobe le force
à lui en dire la raison. « Le souvenir que
« j'ai, répond Satan, d'avoir été vaincu sur
« un bois taillé de cette manière, m'a donné
« une si parfaite aversion pour ceux qui lui
« ressemblent , que je les évite avec soin. »
A peine Satan a-t-il dit ces mots, que son
nouveau serviteur le quitte avec indigna-
tion , (tour chercher ce vainqueur redouta-
ble. Les malins esprits disparaissent , et re-
çoivent aux. enfers la peine de leur stupi-
dité. De son côté, Reprobe s'adresse à un
ermite, et lui fait un récit court et naïf de
sa vie. Le solitaire, saisissant ce montent
précieux, lui conseille, avant toutes choses,
de prier, et de mortifier son corps par le
jeûne. Le catéchumène est trop grossier
pour goûter ces avis.
REPROBE.
Quant je suis soûl, je suis content
De jeusner tant que j'aye fain.
« La réponse ne rebute point le solitaire;
en attendant que Dieu lui ouvre les yeux
de l'esprit, il lui enjoint pour pénitence de
passer tous ceux qui se présenteront au
fleuve voisin, qui est très-dangereux par son
extrême rapidité. Reprobe sent quelque ré-
pugnance à obéir, mais le respect qu'il a
pour l'ermite le fait consentir. Il se laisse
conduire aux bords du fleuve par un jeune
ermiton, et remplit exactement son devoir
envers plusieurs bourgeois de Nicomédie,
qui profitent de cet avantage.
« Sur le soir, et dans le moment que lle-
probe veut se reposer lias fatigues du jour,
le Sauveur, sous la figure d'un jeune enfant,
se présente pour passer le fleure. Quelque
las que soit noire pénitent, la tendresse de
l'âge de cet enfant l'emporte sur tout, il le
prend sur ses épaules et se met en devoir
de traverser la rivière. Etonné de trouver
une charge si pesante, il jette les yeux sur
le Sauveur, qui ['illumine uu même instant
de sa grâce, et disparaît, après lui avoir or-
donné de planter son bourdon sur le rivage,
lleprobe s'endort, et peu de temps après, le
fou dont on a déjà parlé, voulant l'imiter,
olfre à la folle de lui faire traverser le
fleuve, au milieu duquel il la laisse tom-
ber.
« A son réveil Reprobe, surpris de voir
son bourdon, qui a pris racines, chargé de
feuilles et de fruits, rend grâce au Seigneur,
et va trouver l'ermite, à qui il demande lo
baptême. Le saint homme, en le lui confé-
rant, lui impose le nom de Christofle.
« Ce nouveau Chrétien, continuant tou-
jours son pénible emploi, passe Brûlant,
bourgeois de Nicomédie; mais fâché d'être
toujours appelé Reprobe, il lui raconte son
histoire, et par quelle manière il a reçu un
nouveau nom. Ce récit convertit Brûlant;
il va trouver l'ermite, et en reçoit la même
grâce qui vient d'être accordée à Chris-
telle.
« D'un autre côté, Alpantin et Marragon,
Chrétiens de Damas, sont arrêtés dans Sa m 6s
par les ordres de Danus. Ce roi, pour faire
sa cour à Dioclétien, le prie de lui envoyer
des bourreaux qui, plus exercés que les au-
tres, sont plus habiles à tourmenter les Chré-
tiens. Le martyr d'Alpantin et de son com-
pagnon suit de près l'arrivée des bourreaux.
Christofle et Brûlant ensevelissent leurs
corps, et leur mort occasionne la conver-
sion de Pasquelon et de Nycolin. »
TROISIÈME JOURNÉE.
De sainct Christofle as la tierce Partie,
Cy ensuyvant, et la conversion
De deux fillettes, qui par lui adverlies
En Jesus-Christ souffrirent passion.
« C'est dans cette journée que commence
la passion de saint Christofle. Le prévôt et
les archers que lo roi de Lycie avait en-
voyés pour le prendre, viennent rendre
compte du peu de succès de leur commis-
sion. Christofle se laisse enfin lier et con-
duire avec Brûlant devant Danus. La fer-
meté que ces deux Chrétiens font paraître
touche le comte de Triple et quelques au-
tres, qui embrassent leur religion et en
donnent des preuves, par les aumônes qu'ils
font à un aveugle et à son valet Picolin. Lo
roi les fait arrêter, et ordonne à ses bour-
reaux de les faire mourir. On tranche la tête
au comte, Gracien est écorché vif, Florides
tiré à quatre chevaux : Broadas expire sur
un siège garni de pointes de fer, et Andro-
mades, que l'on fait mourir le dernier, est
étendu sur une table, où on lui coupe les
membres l'un après l'autre. Les quatre
bourreaux vont ensuite ou Cagnard dénen-
241
CHU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Ci III
2i<i
ser l'argent qu'ils viennent de gagner.
« Pendant ce temps-là, le roi de Lycie,
désirant conserver la vie à Chrislofie et se
rattacher, assemble son conseil, et, suivant
son avis, il envoie chercher des tilles pour
le séduire. Sautereau s'acquitte de cette
commission, et conduit à cet effet Aqueline
et Ny ce lie à la prison où est enfermé le ser-
viteur de Dieu. Elles ne sont pas plutôt in-
troduites dans son cachot, qu'elles emploient
leurs ruses et leur adresse, pour remplir
l'attente de Danus. Chrislofle ne répond
à leurs caresses et à leurs discours séduc-
teurs que par ce vers :
Et qu'esl cecy, estes-vous folles ?
« Enfin, pour achever, ces malheureuses,
bien loin de faire succomber ce soldat chré-
lien, se rendent à ses remontrances, recon-
naissent leur aveuglement, et, suivant ses
conseils, reçoivent le baptême de sa main.
C'est en vain que le roi par les tourments
veut les faire changer de résolution, elles
persistent jusqu'au dernier soupir. Aque-
line est jetée dans la mer, avec une pierre
attachée à ses pieds, et Danus, après avoir
♦enté inutilement de faire consumer Nycelte
dans un brasier, ordonne aux bourreaux de
lui trancher la tôle (147). »
QUATRIÈME JOIR.NÉE.
« Le martyre de Brulanf, et les tourments
que l'on fait endurer à Christofie, produi-
sent un ell'et contraire aux désirs du roi de
Lycie, en augmentant le nombre des nou-
veaux Chrétiens- De ce nombre est Epigra-
inus, favori de ce prince, qui paye ses ser-
vices par une mort cruelle. Chrislofle ressent
ensuite de, nouveaux effets de sa fureur :
après lui avoir attaché aux pieds une énorme
meule de moulin, on le fait ainsi traîner
par des chevaux indomptés, jusqu'à ce que
les bourreaux, croyant qu'il a perdu la vie,
l'abandonnent au milieu de la plaine, avec
celle meule sur l'estomac. Mais le Seigneur,
qui réserve ce martyr à de nouvelles souf-
frances, exauçant les prières de la sainle
Vierge, envoie ses anges qui le rétablissent
en parfaite santé. Une guérison si peu at-
tendue jelte le roi dans une fureur extrême :
on attache par son ordre Christofie à un pi-
lier, et là on lui déchiro le corps à coups
de fouets, el ensuite ou le perce de flèches,
Par la permission divine, une de ces flèches,
au lieu d'arriver au saint, vient frapper
l'œil de ce roi impie. « Vous ne pouvez re-
« cevoir de guérison, lui dit alors Chrislofle,
« qu'en arrosant voire plaie de mon sang. »
Soit rage, soit désir de voir l'cU'el de cette
prédiction , Danus ordonna aussitôt aux
bourreaux de lui trancher la tète.
[CIIIUSTOFLK.
Voi-nie-cy prest (l'offrir mon corps
A Dion, en cesle heure présente,
Afin que l'ame soit exempte
D'Enfer la puante maison.
barraquin, lui coupant la télé.
C'est bien riihmc, lu as raison.
« Des anges portent son âme au ciel, Ny
colin et Pasquelon ensevelissent son corps
que les bourreaux abandonnent aux oiseaux
de proie. Le roi revient un moment après,
accompagné de ses courtisans ; il se déses-
père, ne voyant plus le corps de saint Chris-
tofie, heureusement on aperçoit un peu de
son sang répandu à terre. Ce prince ne s'en
est pas plutôt frotté les yeux qu'il recouvre
non- seulement la lumière du corps, mais
encore celle de l'Ame, et, après avoir dit Fy
de ses dieux, il déclare qu'il veut mourir
Chrétien. Son exemple est suivi par la reine
et par les seigneurs et dames de la cour. Le
roi de Damas fait complimenter celui de Ly-
cie sur son heureuse conversion, et lui en-
voie un évêque ; d'un aulre côlé, les bour-
reaux, conjecturant qu'ils n'ont plus rien à
faire à Samos, retournent à Dioclélien, et
lui apprennent le changement subil de Da-
nus. La trêve accordée enire les rois eonfé-
dérés et l'empereur étant près d'expirer,
ce dernier assemble son armée, et marche
vers Samos. Le roi de Damas accourt avec
ses troupes, et celui de Chananée, quoique
païen, embrasse la querelle commune.
« Le danger pressant où se trouvent les
Lyciens n'empêche pas la reine de Samos
de commander une magnifique châsse, dans
laquelle on dépose avec cérémonie le corps
de Chrislofle. Les miracles opérés par son
intercession se répandent avec succès, et
occasionnent la conversion du roi de Cha-
nanée. Cependant l'armée de Dioclélien ap-
proche de Samos; on ordonne à Landureau
de monter sur la lour, et de se tenir au
guet. Mais, comme Landurée est hors de la
ville, il veut la faire rentrer, pour éviter la
violence des soldats. « Va, va, je ne crains
« rien, » répond-elle. — « Tes craintes sont
« ridicules, » ajoute Pasquelon en l'obligeant
à monter.
LANDUREAU.
Je sçai bien que je suis C,
Pour dire le cas tel qu'il est :
Mais je ne suis pas tout seulet;
J'ai des compagnons plus de mille,
Autant aux champs comme à la ville.
C'est maladie incurable.
« Les Chrétiens, se confiant aux prières de
saint Christofie, vont au devant des infidè-
les, et les taillent en pièces. Celle perte jetle
Dioclélien dans une telle fureur, qu'après
avoir invoqué toutes les puissances infer-
(iiT) L'auteur, qui s'est apparemment aperçu qu'il
avait rempli cette journée dXme infinité «le discours
que nous n'avons pu rendre dans col extrait, a voulu
faire connaître qu'il n'en avait usé ainsi que pour
inspirer plus d'horreur pour le vice qu'il y dépeint
avec des couleurs à la vérité un peu fortes; c'esl ce
que signifie le quatrain suivant qui se trouve à la
fin de celle troisième journée.
Ici Nuit la lierre Journée,1
nouvellement ii Grenoble imprimée,
Lai|uell" apprenl une chacun ail la euro
De t.e garder du vice de luxure.
94S
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CLO
2U
iiales, il ajoute que, las de gouverner l'em-
pire romain depuis une Irenlaine d'années,
il veut, pour changer d'état, être capitaine
des enfers. Les diables accourent à ses hur-
lements et à ses blasphèmes, et l'emportent
avec Barraquin, qui vient, par leur inspira-
tion, de se donner un coup de poignard. Et
la pièce Unit par les actions de grâces que
les Chrétiens rendent à Dieu, et au saint
martyr, par l'intercession de qui ils ont ob-
tenu une si belle victoire.
Voilà la tin du glorieux Mystère.
Sainct Christofle, qui pour Dieu tant souffrit,
Lequel triumphe, comme Martyr en gloire,
Pour ce qu'il fust ferme en Jesu-Christ. »
CLAIRE (Sainte). — La Vie de sainte Claire
est citée dans une liste de mystères publiée
par de Beauchamps. [Recherches sur les théâ-
tres de France; Paris 1735, in-8°, 3 vol.,
t. I", p. 228.)
CLOVIS (Le roi). — Le Baptême de Clovis
est un des drames du manuscrit des Miracles
de Notre-Dame, que conserve la Bibliothè-
que impériale, n° 7208, 4. B., folio 262
recto.
Ce drame du xive siècle a été longuement
analysé par M. O. Leroy, dans ses Etudes
sur les mystères (Paris, 1837, in-8°), et dans
ses Epoques de l'histoire de France. (Paris,
1813, id-8%)
Selon cet auteur, le catholicisme était
alors bien moins *puissant qu'on a pu le
croire; l'arianisme et d'autres hérésies, les
païens et les Juifs étaient fort influents; et
quoique le triomphe des Chrétiens, malgré
le nombre de leurs ennemis, fût assuré par
la profonde autorité de leurs dogmes, néan-
moins le baptême de Clovis marqua le jour
de la domination de l'Eglise, et ce baptême
ne fut pas l'œuvre des ressorts politiques de
quelques évêques, dont on rabaisse ainsi le
grand caractère et la foi ; tout est dû à sainte
Clotilde que Dieu' même inspira.
11 est probable que l'auteur du Miracle eut
sous les yeux des documents qui nous man-
quent aujourd'hui (Epoq., p. 139-lil), et
Dubos, dans son Histoire critique, a supposé
à tort et sans preuves que l'influence des
catholiques gaulois donna à sainte Clotilde
la force et Jes moyens d'amener Clovis au
christianisme.
En effet, dans le drame, la sainte reine,
sur qui roule toute l'action, n'apparaît pas
comme une héroïne; elle dit d'elle-même
qu'elle n'est que la chambrière de son sei-
gneur. C'est une simple et faible femme.
Mais elle est calquée sur le modèle de Marie;
elle est l'idéal de la piété. Aussi « pour en-
fanter, dit M. Leroy, suivant l'expression du
Pape Anastase, non-seulement une race de
rois, mais tout un grand peuple à Dieu...
elle ne s'appuie, pour cette œuvre immense,
que sur sa faiblesse, sur les lumières nù clic
est née, ou plutôt sur Dieu seul. » (Etudes,
p. 47; Epoques, p. H5.)
MM. Monnierqué et Francisque Michel,
dans leur théâtre français au moyen âge
(Paris, 1839, gr. in-8% p. 609-668), ont publié
le mystère de Clovis, avec une version
française.
o
Les personnages sont au nombre de trente-
six dont voici les noms :
ALRELIAN.
LE ROY CLOVIS.
PREMIER CHEVALIER.
2e CHEVALIER.
5e CHEVALIER.
mC.HON PASSE-PORTE, C"S-
cuier.
gieffroy, premier povre.
renier, 2e povre.
CLOTILDE.
ysabel, la damoiselle.
lienart, 5e povre.
GONDEBAUT, TOV.
PREMIER CONSEILLER DE
GONDEBALT.
2° CONSEILLER.
ytier, chamberlant.
PREMIER SERGENT.
2e SERGENT.
LES MENESTREZ.
robert, escuier,
Katherine, ventrière.
DIED.
nostre-dame.
GABRIEL.
M1CHIEL.
SAINT-JEHAN
l'.S PREVOST.
LE ROI DES AIES ANS.
PREMIER CHEVALIER ALE-
MANT.
l'esclier ALRELIAN.
2' CHEVALIER ALEMANT.
5e CHEVALIER ALEMANT.
Ae ALEMANT.
Rémi, arcevesque.
PREMIER CLERC.
2e CLERC.
La langue est déjà toute française, comme
on en peut juger par cet extrait :.
AIRELLYN.
Mon très chier seigneur redoublé,
Mahon, par la quelle bonté
Vous tenez le règne de France,
Vous maintiengne en reste puissance
Et, aussi qu'il l'ait les biens croistre.
Vous vueille-il en l'honneur accroislie
Et en bone vie tenir
Et de voz emprises venir ,
Sire, à bon chief!
LE ROY.
Et il vous vueille de meschief,
Amis Aurelian, defiendreî
Quoy qui soit, me faictes entendre
Comment se porte la besongne
De nouvel, amis, de Bourgogne.
Vous n'estes pas si mal senez
Que ne sachez, puis qu'en venez,
De Testât du roy Gondebaut ;
Quelque chose savoir m'en fauît
Ysnel le pas.
ALRELIAN.
Sire, ne vous mentira y pas',
Et je croy que bien le savez.
Selon ce qu'escript li avez,
Vez ci qu'il vous rescript, chier sire;
Toutes voies vous vueil-je dire
Une chose que j'ay véu :
J'ai tant enquis que j'ay scéu
Que Gondebaut a une nièce,
Et si vous jur qu'il a grant pièce.
Ne vi si sage damoiselle,
Ni gracieuse pucelle :
Biau maintien a en son aîer,
C'est tant courtoise en son pailer,
Que le monde s'en esmervcillo ;
De lis et de rose vermeille
Porte couleur entre-meslée.
Et monstre bien qu'elle fut née
De royal gent et de sanc hauli.
Combien que le roy Gondebault
Occist Chilperic son père,
Non obslant qu'ils fussent frère.
Vous atlenné-jc tout pour voir
Qu'elle est digne d'un roy avoir
Par mariage....
2J5
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CLO
24S
Le titre est ainsi conçu:
Ici commence un Miracle de Notre-Dame, comment
te roi Clovis se fit baptiser à la requête de Clotilde,
sa femme, à la suite d'une bataille qu'il avait contre
les Allemands et les Saxons, sur lesquels il rem-
porta la victoire; et à son baptême Dieu envoya la
sainte Ampoule.
Ce drame commence en ces termes :
SCÈNE I.
le koi clovis, aurélien, son confident,
SEIGNEURS DE LA COUR, VALETS.
(La scène se passe dans la partie de la Gaule
conquise déjà par les Francs.)
aurélien. Mon très-cher seigneur redouté, queMa-
homet, par la bonté duquel vous tenez le royaume
de France, vous maintienne en cette puissance ! et,
de même qu'il fait croître les biens (de la terre),
qu'il vous grandisse en honneur, vous garde en
bonne vie et vous mette, sire, heureusement à bout
de vos entreprises.
le roi. Ami Aurélien , je souhaite que Mahom
vous défende de tout mal! Cependant dites-moi
îles nouvelles de Bourgogne, car vous n'êtes pas si
maladroit, puisque vous en venez , que de rien
connaître de la situation du roi Condebaut; j'ai
besoin d'en savoir tout de suite quelque chose.
aurélien. Sire, je ne vous mentirai pas, et je
crois que vous le savez bien. Relativement à ce que
vous lui avez écrit, voici, cher sire, ce qu'il vous ré-
pond. (Aurélien donne à Clovis la lettre de Condebaut.)
Mais j'ai à dire encore quelque chose que j'ai vu.
Après bien des informations j'ai su que Condebaut
a une nièce, et je vous jure qu'il y a longtemps
que je ne vis une demoiselle
gracieuse. Beau maintien dans
gage si courtois que chacun
teint entremêlé de lis et de
bien qu'elle est issue de race
élevé. Bien que le roi Gondebaut ait tué son père
Chilpcric, nonobstant qu'ils fussent frères, je vous
affirme comme une chose vraie qu'elle est digne
d'avoir un roi pour mari.
clovis. Seigneurs , je veux
dessein hardi (que j'ai conçu}
moi, et écoutez, je vous prie.
le premier chevalier. Cher sire, dites sans hé-
sitation votre vouloir. Nous vous écouterons tous
de bon cœur, n'en doutez pas.
le deuxième chevalier. Oui, vraiment, et j'ajou-
terai que, s'il vous faut conseil, vous en aurez, sire,
à voire honneur.
clovis. Bien ; voici ce que je veux dire : je me
crois d'âge à me marier avec quelque femme dont
il me puisse venir une lignée royale qui dans l'ave-
nir gouverne et tienne mon royaume et le défende
et le soutienne comme sien après ma mort. Or, le
roi Gondebaut, dit-on, a une nièce belle et gentille;
j'ai envie de la demander pour femme, si vous me
le conseillez; je vous prie, que vous en semble?
LE PREMIER CHEVALIER, Al' TROISIÈME. Seigneur,
répondez pour nous tous, nous 'nous eïi rapportons
à vous; tout ce que vous direz sera fait.
le troisième chevalier. Seigneurs, ce dont vous
me chargez ne m'est pas trop facile; et pourtant,
en deux mots, voici mon avis : Si vous me Croyez,
roi Clovis, certes, vous voua marierez le plus' tôt
possible. Si Gondebaut vous donne sa nièce pour
femme de bon gré, prenez-la, c'est mon conseil sur-
tout à causecleson bon renom et du grand bien qu'où
en dit. Si, au contraire, il ne consent pas, il faudra
en chercher ailleurs une autre qui j>oil digne de
tous et de sang royal.
CHEVALIER. En vérité, ce conseil est
aussi sage et aussi
son allure , et lan-
s'eu émerveille ; le
roses. Tout montre
rovale et d'un sang
vous découvrir un
. Approchez tous de
LE DEUXIEME
bon et loyal.
le premier chevalier. Par mon âme ' cher sire , et
sans autre discours, il s'en est bien acquitté, nous
sommes tous de son avis, je vous assure.
clovis. Viens donc ici, Aurélien. 11 faut aller en-
core en Bourgogne pour cette affaire-ci ; car, où
trouver, pour la mettre en bon chemin, un meilleur
légat? Yoici ce que tu feras : D'abord tu entreras
de suite en relation secrète avec la demoiselle dont
tu m'as entretenu : n'y manque pas. Tu lui présen-
teras, comme don de noces, ces vêtements d'or; et
enfin, tu lui donneras cet anneau en mon nom. 11
n'y a point, en tout ceci, de manquement au devoir;
d'autant qu'elle sera ma femme : je le veux.
aurélien. Sire, en vérité, je ferai votre volonté le
mieux et le plus sagement que je pourrai. Je vais
donc prendre ici congé de vous et appeler mou
écuyer. — Avance , Huchon Passe-Porte ; tiens ,
emporte ce paquet-ci sous ton bras,
l'écuver. Volontiers, monseigneur ; je crois que
c'est de la toile.
aurélien. Quoi que ce soit, il ne faut pas en par-
ler, nous emporterons cela avec nous quand nous
nous en irons. Va toujours. — Cher sire, un dernier
mot : que Mahomet vous ait en sa garde ! Je m'en
vais; mais je reviendrai le plus tôt possible, sans
aucun doute.
clovis. Allons, va et reviens avec la réponse de
'a demoiselle : sache surtout s'il lui plaira bien
d'être ma compagne.
aurélien. Mon redouté seigneur et maître, n'ayez
pas d'inquiétude, tout ce qu'elle me dira sera écrit
en mon cœur , si profond que je n'en oublierai
rien, et je vous le répéterai exactement au retour.
clovis. Tôt , tôt ; n'arrête pas , en route, et à
l'œuvre.
SCÈNE II.
renier, pauvre; deuxième pauvre
(La scène se passe en Burgundie.)
le premier pauvre. Attends-moi, attends, Renier,
Renier ! arrête, que je le parle. Par ta foi! où vas-
tu si vite? Ne me ments pas.
le deuxième pauvre. Je presse le pas tant que je
peux et je suis en peine, malgré ma diligence, d'être
avec les autres à la distribution.
le premier pauvre. Par qui sera-t-elle faite, et
où?
le deuxième pauvrc Ne le sais-tu pas bien, dis,
nigaud. ClolilUe, la nièce du roi , sitôt hors do
l'église, donne de ses mains l'aumône aux pauvres
qui sont devant elle et qu'elle voit en besoin; aux
uns plus, et moins aux autres, suivant que son goût
et sa dévotion l'y portent? Et moi, je vais savoir,
c'est mon dernier mot, si j'aurai quelque chose
d'elle par charité.
le premier pauvre, henier , sache en vente
qu'elle n'est allée nulle part aujourd'hui; elle n'est
pas même sortie de son logis, j'en suis bien in-
formé; allons-nous-en donc tout doucement devant
l'église pour l'attendre, et tendons nos mains [aux
autres personnes pour demander.
le deuxième pauvre. C'est bien dit, et je n'y vois
rien à reprendre. Allons, amis !
SCÈNE III.
clotilde, sa demoiselle
(Palais en Btirgundie).
clotilde. Isabelle, prenez tout de suite mon livre
où vous l'avez mis, et venez-vous-en à
moi.
la demoiselle. Volontiers , madame , par (ma)
foi ! Je vais le prendre, je vous le dis bien. S'il von;
plaît, mettez-vous en route; je le tiens .le \0i.vp
dame.
église avec
m
Cî.O
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ri.OTiLOE. Allons-nous-en. Que Dieu soit débon-
naire et miséricordieux pour mon àme! Avant que
je m'éloigne davantage d'ici, je veux me signer et
me recommander à Dieu pour qu'il m'aide comme
j'en ai besoin.
SCENE IV.
LES MÊMES.
(Dans iinlérieur d'une église.)
clotilde. Demoiselle, puisque je suis à l'église,
donnez-moi mon livre.
la demoiselle. Tenez, dame, je vous le remets;
j'aurai la bourse.
clotilde. Gardez-la jusqu'à ce que je veuille
m'en aller d'ici.
la demoiselle. A vos ordres , dame. Je vais
m'asseoir derrière vous et dire mes patenôtres à
voix basse.
SCÈNE V.
RENIER, GEOFFROY, LIÉNARD, paUVreS ; AUTRES
PAUVRES RURGUNDES.
(A la porte de l'église.)
le troisième pauvre. Je ne Sais si je vais trop
tard à l'église : peut-être Clotilde, cette belle créa-
ture, a-t-cl!e fait sa distribution ; il me faut bâter
le pas. Eli ! je crois qu'elle n'est pas en ore partie,
puisque je vois Renier et Geoffroy debout là-bas.
J'espère qu'ils l'attendent; ils tendent les mains; en
voilà qui ne se font jamais faute de prendre. —
Seigneurs, je viens me ranger près de vous. Dites-
moi la vérité, s'il vous plait : Clotilde a-t-elle fait
sa distribution? Dieu vous garde!
le premier palvue. Ncniii , nous l'attendons ,
Liénard; vous arrivez à temps.
le troisième pauvre. Que Dieu vous soit miséri-
cordieux et doux, et qu'il vous donne du bien!
le deuxième pauvre. Mels-toi en rang comme
uous , viens ici, ami Liénard.
le troisième pauvre. Volontiers. Çà ! me voici
en place. Avez-vous maille ou denier? Dieu vous
protège! dites-le-moi, Renier.
le deuxième pauvre. Ma foi ! Liénard, d'aujour-
d'hui, je n'ai pas ombre de monnaie.
le premier pauvre. Ni moi non plus , Dieu me
garde! on ne m'a rien donné.
le troisième pauvre. Eb ! depuis que noussomnies
nés, grâce à Dieu, n'avons-nous pas vécu, tant bien
que mal, jusqu'à présent? Eli bien ! Dieu y pour-
voira encore : restons en paix.
SCÈNE VI.
AURÉLIEN, HUCHON.
(Une hôtellerie.)
m rélien. Huchon, il me faut tout à l'heure un
vêlement de pauvre pour me déguiser. (Huchon
sort et rentre.) Rien, ici même, aide-moi à nie dés-
habiller, afin quej'aieplustôt fait. Avisons à exécuter
mon dessein avec précaution et sagesse. (Ici il revêt
un habit de pauvre.) A cette heure dis-moi la vérité
et que Dieu te protège! sans détour, semblé-je
maintenant un homme auquel on ne doive point re-
fuser l'aumône?
l'écuyer. Oui, sire, Mahomet me protège! vous
ressemblez bien à un pauvre diable. Comment! vou-
lez-vous donc sortir en cet équipage?
aurélien. Oui; lu m'attendras ici jusqu'à mon
retour. J'emporte sous mon bras ce sac dont j'aurai
besoin; mais fais bien attention que je te trouve ici
en revenant.
l'écuyer. N'ayez pas peur; je ne quitterai ces
îieux qu'après votre retour.
CLO
SCENE VII.
243
CLOTILDE, LA DEMOISELLE.
(Dans réglise.)
clotilde. Ysabelle , qu'en pensez-vous? 11 est
temps de s'en retourner? En un mot, n'avons-nous
pas été ici assez longtemps?
la demoiselle. Oui , darne , car , avant que
vous ayez fait votre distribution, midi aura sûre-
ment sonné
clotilde. Tenez, gardez mon livre; j'ai à pren-
dre de l'argent pour ces pauvres gens sur mon pas-
sage.
SCÈNE VIII.
aurélien seul.
(A la porte de l'église.)
aurélien. Holà! Dépêchons, jusqu'à ce que je
sois confondu parmi tous ces déguenillés et tous ces
pauvres. Je vois Clotilde qu'ils attendent venir à
eux; et ils tendent tous les mains vers elle pour
avoir l'aumône. Je vais faire de même pour voir si
j'aurai une occasion quelconque de lui parler en
secret.
SCÈNE IX.
AURÉLIEN, CLOTILDE, PAUVRES.
clotilde. Tenez , bonnes gens , priez Dieu de
tout votre cœur, pour qu'il voie d'un bon œil ce que
je fais, et qu'il me tienne toujours en son amour et
en sa foi.
le premier pauvre. Amen! Dame, je l'en prie de
cœur très-humblement.
le deuxième pauvre. Dame, pour ce commence-
ment, puisse Dieu vous aimer pour assez mettre
votre âme dans sa gloire, qui est sans fin!
le troisième pauvre. Chère dame , pour celle
aumône, que Dieu vous accorde à la fin la gloire
des cieux !
:lotilde, à Aurélien. Toi que je n'ai pas appris à
voir, je le ferai plus de bien qu'aux autres : tu auras
ce denier d'or; liens, réjouis-toi.
aurélien. H faut que je baise cette main, et j'ose
tirer ce manteau en arrière; dame, puisse mon au-
dace ne pas vous déplaire!
clotilde, à sa suivante. Ce que je souhaitais est
terminé; partons à l'instant.
SCÈNE X.
CLOTILDE, la demoiselle.
(L'intérieur du palais de Clotilde.)
clotilde. Enfin, me voici chez moi. Isabelle, sa-
vez-vous ce qu'il nous reste à faire : allez dire à ce
pauvre-là qu'il vienne me parler un peu : j'ai grand
désir de savoir d'où il est natif. Dépêchez-vous, allez
le chercher, je vous en prie.
la demoiselle. Ma dame, j'y vais tout de suite.
SCÈNE XI.
LA DEMOISELLE, AURÉLIEN.
(Sur la place publique.)
la demoiselle. Ami, remuez d'ici ; venez parlera
ma maîtresse : Clotilde vous l'ordonne par ma bou-
che. Puisqu'elle vous demande, vous devez bien
venir à elle.
aurélien. Et j'irai volontiers, ma belle; marenea
devant.
là demoiselle. Je vais.
SCÈNE X!ï.
LA DEMOISELLE, CLOTILDE, AURÉLIEN.
(A la porte de la salle du palais.)
la demoiselle. Chère danif , parlez maintenant k
U9
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
il s'est rendu par
CLO
250
cet homme que je vous amène
votre ordre auprès de vous.
ci.otii.dk. Allons, Sire! avancez. — Isabelle, sor-
tez un instant : je veux parler un peu en particulier
à ce bi ave homme.
la demoiselle. Je m'en vais, à l'instant.
SCÈNE XIII.
AURÉLIEN, CLOTrLDE.
aurélien. \A la porte de la salle, à part.) Mettons
ce sac derrière celte porte. (// s'avance.)
ci. otii.de. Parlez, ami. Par quelle étrange cause
Ctes-vous sous ce déguisement de mendiant? et
pourquoi, à dire vrai, avez-vous tiré mon manteau
en arrière? Parlez.
aurélien. Chère dame, si vous voulez savoir notre
secret, conduisez-nous en un lieu sûr pour l'entre-
tien que vous nous accordez.
clotii.de. M'est avis que vous pouvez ici même
pailer tranquillement : vous n'y venez venir ni al-
ler âme qui vive.
aurélien. Dame, mon cher seigneur Clovis, guer-
rier très-puissant, et assez, pour être roi de France,
m'envoie vers vous. Il lui plaît de vous avoir pour
femme; et dans son désir de vous voir avec lui, voi-
ci, dame, qu'il vous envoie, comme don d'amour,
sans en dire davantage, son anneau d'or auquel il
tenait beaucoup, et les vêtements dont vous aurez à
vous parer à l'heure d'être son épouse. Je vais vous
donner toutes ces choses. (// va chercher son sac.)
Eh! gare! qui m'a pris mon sac? il était en cet en-
droit. Y a-t-il ici quelque ennemi? Ai-je tout perdu?
c.lotilde. Mon doux ami, je vous vois ébahi et
mo: fondu, ce me semble. Qu'avez-vous perdu? dites-
le-nous clairement.
aurélien. Ma dame, j'avais laissé ici un petit sac;
ei sachez bien qu'il renferme ce que je complais
vous présenter et ce que monseigneur vous envoie
par ce grand amour.
SCÈNE XIV.
LES MÊMES, ISABELLE, SA DEMOISELLE.
clotii.de. Venez ici, venez sans retard, Isabelle ;
avez-vons oté d'ici le sac de ce brave homme?
la demoiselle!. Oui, madame; en sortant de voire
hambre » car ie craignis, en le voyant, qu'on n'en
fil un £#» oht) i à pieds, tant il est sale et vieux,
irai je le chercher?
AiirjxiEîi Oui, m'amic. Hélas! quand je suis en
•ouïe, c>sl là que je mets mes vivres : rendez-le-
moi.
la demoiselle. N'aie pas peur, lu l'auras, mon
ami : je vais sur l'heure le chercher. — Tenez, je
n'ai pas tardé à l'apporter.
aurélien. Je veux oublier mon ennui, puisque
j'ai mon sac. — Grand merci! Dame, mon cœur est
redevenu calme, — et c'est par vous, m'amie.
clotii.de. Isahelle, je ne veux pas que vous soyez
davantage ici : pensez à vous en aller. Je veux en-
core parler un peu à cet homme.
la demoiselle. Dame, à votre volonté; je m'en
vais.
SCÈNE XV.
AURÉUEN, CLOTILDE.
aurélien. Chère dame, tenez et mêliez à part ces
vêtements, ce sont les atours du jour de votre ma-
riage : il plaît ainsi au roi.
CLOTU.de. Ami, laissez tout en ce sac; je sais bien
ce qu'il faut en faire. Voici, beau sire, ma réponse :
Allez au roi Clovis, vous le saluerez de ma pari et
vous lui répéterez ces paroles : i Clolilde dit qu'il
n'est point permis à une chrétienne d'être ta femme
••'un païen; ce sérail uni' chose infâme. > En atten-
dant, gardez le plus profond secret, car, à vrai dire,
ce qui plaira à monseigneur mon oncle sera fait.
aurélien. Il ne me reste, chère dame, qu'à pren-
dre congé de vous pour m'en retourner. Je saluerai
monseigneur de votre part, et je lui conterai de
point en point tout ce que nous avons dit cl fait. Je
oars aujourd'hui même.
clotilde. Ami, puissiez-vous aller voire chemin
en paix !
SCÈNE, XVI.
aurélien, seul, s'en retournant.
aurélien. J'ai mis beaucoup de temps à terminer
l'affaire que j'avais entreprise; maintenant qu'elle
est faite, j'en ai beaucoup de joie.
SCÈNE XVII.
AURÉLIEN, HUCHON, SOU VOllet.
(Intérieur d'une hôtellerie.)
aurélien. Huchon, il nous faut partir d'ici. Je
veux quitter cet habit-ci et me remettre en mon
costume ordinaire; il me faut vêtir mon autre robç
sans plus de retard.
l'écuyer. Sire, la voici sans faute; tenez, habil-
lez-vous.
aurélien. Allons! je suis prêt; prends cet habit
de pèlerin, et mettons-nous en chemin pour retour-
ner en France.
l'écuyer. Ne vous attardez pas pour moi, par-
tons : je prends tout ceci et l'emporte sous mon
bras avec nous.
SCÈNE XVIII.
AURÉLIEN, CLOVIS
En Gaule.)
aurélien. Mon cher seigneur, la grâce et l'amour
de tous nos dieux soient assez sur vous pour que le
monde entier vous fasse honneur en vous confessant
pour son roi !
clovis. Ami Aurélien, advienne que pourra, je ne
puis pas devenir roi de tout le monde ni en être le
seigneur : laissons cela; veuillez me dire, puisque
vous venez de Bourgogne, comment vous avez fait
mes affaires. Parlez.
aurélien. Volontiers, cher sire, ma foi! Je me
suis introduit auprès de Clotilde sous un déguise-
ment de mendiant, je l'ai longuement entretenue,
et lui ai laissé le don de l'anneau et des vêtements
de prix. Or, sire, elle a tout accepté; mais sa ré-
ponse, dont il faut que je vous fasse part, ne peut
être répétée que tout bas. Elle m'a dit qu'il n'est pas
permis (bien que ce soit chose possible), oui, qu'il
n'est pas permis à une chrétienne de se fourvoyer
jusqu'à épouser un païen, et, néanmoins, elie a
ajouté qu'elle fera ce que voudra son oncle, nui est
un homme d'une grande valeur. En outre, sire, la
bonne et la belle vous salue mille fois ; et certaine-
ment je crois qu'elle vous chérit fort.
clovis. Aurélien, c'est en dire assez. Pour le mo-
ment, silence. Asseyons-nous ici : je vais aviser.
SCÈNE XIX.
CLOTILDE Seule.
(En Bnrgundie.)
clotilde. Doux Jésus-Christ, roi débonnaire, è
Seigneur, qui connaissez les pensées présentes et pas-
sées, en consentant à me marier avec Clovis, c'est
dans le but unique de l'amener à se faire chrétien.
Ah! Sire, qui êtes toute perfection, je vous en prie,
accomplissez mon désir. S'il faut que ce mariage ait
lieu, Sire, par qui les bonnes choses se font, don-
nez-moi la grâce d'amener Clovis à se faire baptiser
et à garder votre loi. Je n'ai plus rien à vous de-
mander. — Maintenant cachons ces • vêtements;
quanta cet anneau d'or, mettons-le dans le trésor
de mon or.cle. Tout est donc accompli; cil bien! re-
posons-nous, tout est fait.
251
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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2b2
SCÈNE XX.
CLOVis, aurélien. huchon, son valet, avec le
cheval de son maître.
clovis. Aurélien, l'incertitude me fait trop de mal.
Il te faut aller encore, et vite, eu Bourgogne, parler
au roi Goudebaut et demander sa nièce pour moi;
je t'en prie, fais tes préparatifs de voyage, et en
route.
aurélien. Sire, par les dieux qui me firent naître,
volontiers ; et dès à présent je me mets en route,
selon votre bon plaisir.
clovis. Va, et avise à supprimer tout délai ; m'est
avis que ce mariage est mon bien.
auréliex. Je vous recommande à tous nos dieux,
et je làcbe les rênes (de mon cheval). — Huchon,
nous allons de nouveau dans le royaume de Bour-
gogne.
l'écuyer. Puisque vous y avez affaire et qu'il
vous faut y aller, mon doux seigneur, soit pour un
autre, soit pour vous, j'y vais de bon cœur.
aurélien. Allons-nous-en ; je ne m'arrêterai pas
que je n'y sois.
SCÈNE XXI.
CLOVIS, CHEVALII-RS.
clovis. Seigneurs, Aurélien gagne la Bourgogne
chargé de mes intérêts. Courez après lui et faites en
sorte de l'atteindre. Je veux que vous l'accompa-
gniez, car j'ai réfléchi qu'il mène trop peu de gens
avec lui ; suivez-le.
le deuxième chevalier. Cher sire, nous sommes
en mesure et prêts à faire ce que vous commandez;
demandez plus et ce sera fait encore.
le troisième chevalier. Sire, s'il plaît à Dieu,
nous coucherons dans la même ville que lui; et je
vous promets que, en quelque lieu qu'il veuille al-
ler, nous irons (avec lui), en bonne escorte.
SCÈNE [XXII.
LES CHEVALIERS.
le deuxième chevalier. En roule ! Yoici le che-
min ; c'est celui qu'il nous faut constamment tenir.
Allons ! marchons.
le troisième chevalier. Il me semble que je
l'aperçois dans le lointain devant nous; il marche
lestement; hâtons le pas pour l'atteindre.
le deuxième chevalier. C'est bien parlé, et je
B rends l'avance volontiers. (Ici ils marchent un peu.)
o, sire!.. Il va s'arrêter; nous sommes près de
lui, ne vous hâtez pas tant. — Aurélien, arrêtez-
vous, beau sire, et nous parlez, s'il vous plaît.
SCÈNE XXIII.
ALRÉLIEN, LES CHEVALIERS.
(Sur le chemin du nord de la Gaule en Burgundie.)
aurélien. Eh, mes amis '.que je suis aise, en vérité,
et joyeux de vous voir. Où allez-vous? dites-le-moi,
je vous en prie.
le troisième chevalier. Je vous le dirai sans
dillicullé; allons toujours notre chemin. Le roi nous
envoie avec vous et veut que nous allions ensemble.
11 a pensé , après vous avoir chargé de son affaire,
que vous vous étiez en route avec trop peu de
monde.
le deuxième chevalier. 11 a agi comme (un roi)
vaillant et sage ; n'en parlons plus.
aurélien. Seigneurs, nous approchons du but.
J'ai à parler au roi Gondebaut, homme sage et
rusé , c'est moi qui vous le dis.
le troisième chevalier. Eh , seigneur Aurélien ,
vous saurez très-bien vous en tirer et sans faire l.ct i
en rien à voire affaire da:;s vos paroles.
le deuxième chevalier. Mais , silence , voici le
priais. Entrons hardiment.
aurélien. Soit ! je vais devant.
SCÈNE XXIV.
LES MÊMES, LE ROI GONDEBAUT, SES CON-
SEILLERS, ytier, conseiller, sergents.
aurélien. Sire roi , que Mahomet, que vous avez
servi comme Dieu, vous accorde d'avoir mérité son
amour !
le roi gondebaut. Sois le bienvenu. Fais-moi sa-
voir qui lu es, de quel pays, et ce que tu viens
chercher ici; ne me mens pas.
aurélien. Je vous le dirai, Sire : Clovis, le roi de
France, roi très-puissant, vous demande de bonne
grâce en mariage Clotilde, votre nièce.
gondebaut. Seigneurs, Dieu vous garde de mal!
considérez l'intention de Clovis. Mais en quel pro-
pos demande-t-il en mariage ma nièce, qu'il ne con-
nut jamais de sa vie? II a envie de nous courir sus,
ce n'est rien autre chose, et loi, tu es venu espion-
ner le pays sous ce prétexte. Je ne sais trop quel
homme il est, mais va-t'en et dis-lui que tout ceci
n'est, à mon sens , que frivolités et que fourberies.
aurélien. Sire, je dois le répéter : mon cher
seigneur, le roi Clovis vous demande par ma bouche
en quel lieu il peut épouser Clotilde; et si vous re-
fusez , je vous dis de sa part que bientôl vous l'au-
rez id, lui et son armée, pour vous combattre.
gondebaut. Qu'il vienne, je lui résisterai et je ven-
gerai le sang de ceux qui sont tombés sous lui. Son
cœur est à tort rempli d'un immense orgueil.
le premier conseiller de gondebaut. Cher sire ,
je voudrais dire un mot. — Mais, seigneurs, retirez-
vous un peu jusque là derrière. — S'il vous plaît,
écoulez-moi : informez-vous auprès de vos minis-
tres, auprès de vos chambellans, si Clovis n'aurait
pas envoyé quelques dons, récemment ou autrefois,
par quelques députés, pour trouver l'occasion de
mettre à exécution ses desseins contre vous , qui
sont de faire de vous son sujet, et de soumettre votre
royaume. Tel est mon avis.
le deuxième conseiller. Eh quoi, l'ignorez-vous,
sire? quand Clovis s'irrite, il devient furieux, je puis
le dire, comme un lion excité; cl il n'est nul homme
qui ne le redoute.
gondebaut. Ytier, approche et écoule. Tu es de-
puis longtemps à moi. Saurais-tu, dis-moi la vérité,
que Clovis m'ait envoyé quelque présent? Si tu nie
mens, il est en vie : je saurai tout de lui.
le chambellan. Mon cher seigneur, je vous dirai
la vérité au sujet de ce vous me demandez, puisque
tel est votre ordre. Je vous jure, par mon dieu Ma-
homet, que je n'ai jamais été nulle part où Clovis
vous ait envoyé ou donné quelque chose de la va-
leur d'un pauvre hareng; et voici déjà plus de vingt
ans que, par votre grâce, je suis votre chambellan.
gondebaut. Beaux seigneurs , sachez sans relard
si dans mes trésors il y aurait quelque chose du
bien de Clovis qui y ait été mis d'une manière quel-
conque, et rapportez-moi les résultais de votre en-
quête.
LE PREMIER CONSEILLER. Cher Sil'C , VOUS Sd'CZ
obéi. — Alhms-nous-en faire sa volonté; nous ne
pouvons y perdre, au contraire.
le chambellan. Yous dites vrai , par tous nos
dieux ! Allons-nous-en d'abord regarder tous en-
semble au trésor lâ-derrière.
le deuxième conseiller. Allons, c'est le meilleur
parti. (Ils sortent.)
le premier sergent. Mon cher seigneur, vous êtes
plongé dans des réflexions fort tristes, à ce qu'il me
parait, depuis que vous éles assis là, cher sire.
gonderaut. Je pense à ce que j'ai ouï dire, qui
Clovis veut venir sur moi; mais, s'il vient , le mal
sera pour lui; c'est moi qui te le dis..
853
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CLO
234
le deuxième sf.rgent. Non, mon cber seigneur, il
n'y viendra pas ; n'ayez crainte , et s'il venait , écou-
tez : il ne l'emportera pas. Car vous aurez tant de
barons et de soldats allemands et bourguignons ,
que, à mon avis , il sera enchanté de pouvoir s'en
retourner sain et sauf.
gondebaut. Par Malioluet ! tu dis la vérité. N'en
parlons plus.
le premier conseiller. Cher sire , nous voici de
retour. Nous venons de fouiller votre trésor : et
nous y avons trouvé un anneau d'or où est écrit le
nom de Clovis, où son corps est représenté et où
son visage est bien sculpté; cet anneau , le voici :
regardez, sire.
gondebaut. Ah! que dire? je suppose , en vérité,
que ma nièce l'y a mis; que faire? la mander ici
devant nous, et savoir si elle a mis ou non cet an-
neau au lieu où vous l'avez pris.
le chambellan. Mon cher seigneur, vous avez
bien dit : ainsi soit fait.
gondebaut. Va me la chercher, va; dis que je la
mande.
le t-remier sergent. J'y vais
SCÈNE XXV,
LE SERGENT, CLOTILDE,
le sergent. Votre oncle vous demande, dame, il
vous envoie chercher; „ faites qu'il vous voie sur-
le-champ devantjlui.
clotilde. Je suis toute prête : allons
SCÈNE XXVI.
LES MÊMES, CLOTILDE
clotilde. Cher oncle, qui me demandez, me voici
prèle : commandez ce qu'il vous plaira.
gondebaut. Qui a mis en mon trésor un anneau
d'or où est l'image de Clovis et son nom, à ce que
l'on m'a dit? Sais-tu qui peut avoir fait cela? Je
suis étonné et frappé de crainte.
clotii.de. Mon cher seigneur, je sais tout et ne
cacherai rien. Il y a déjà plus d'un an que le roi
Clovis vous envoya en pur don, sans retour, des vê-
tements d'or par des messagers sûrs , qui me sem-
blèrent des hommes sages ; ils me mirent cet anneau
au doigt et me le donnèrent de sa part. Comme il
était d'or, je le mis en sûreté dans votre trésor.
gondebai t. Conduite niaise , mais sans prémédi-
tation. Tu aurais dû prendre conseil , si tu avais
eu quelque idée du bien. Enfin, puisque, sans me
consulter , tu en as agi ainsi, advienne que pourra.
— Faites venir ces messagers que je vois là-bas.
le deuxième conseiller. Volontiers, Sire, de tout
mon cœur. — Seigneurs, allons vite! venez promp-
leinent au roi, qui vous envoie chercher; dépêchez-
vous.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE CLOVIS. Puisque tel CSt
son bon plaisir, nous voici aussitôt.
le troisième chevalier. Sire, veuillez ne pas
prendre notre retard en mauvaise part.
gondebaut. Nenni, car vous venez assez à temps.
Prêtez seulement l'oreille à ce que je veux vous dire:
vous demandez ma nièce en mariage pour le roi
Clovis, qui lui a envoyé par ses gens, secrètement,
dans un but coupable et à mon insu, son anneau et
de riches vêlements dont la jeune fille a élé séduite;.
Néanmoins, seigneurs, je vous la livre etme décharge
tout à fait d'elle; emmenez-la sur-le-champ, et ne
vous al tendez pas à ce que ni moi ni personne de
ma maison nous lui tenions compagnie ; nenni ,
certes.
AURÉLIEN. Aussi bien, Sire, que nul ne s'en mette
en peine : c'est inutile , si cela ne vous est pas
agréable; et que votre volonté soit faite. Si tel est
votre bon plaisir, nous nous en irons et nous em-
mènerons la demoiselle au roi de France.
gundebai (• Faites-en ce une vous voudrez, je ne
veux plus me mêler d'elle; peu m'importe où elle
aille.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. Sire, SailS plUS de IllOtS,
nous prenons congé. Adieu donc ; nous vous recom-
mandons à Mahomet et à Apollon. (Ils sortent.)
SCÈNE XXVII.
CLOTILDE , ISABELLE, Sa Suivante , AURÉLIEN,
LES CHEVALIERS FRANCS.
le troisième chevalier. Notre requête est obte-
nue; en route ,donc; allons mettre en selle notre
épousée.
aurélien. Dame, votre monture est prête ; ne vous
inquiétez pas, vous avez en nous une bonne escorte.
clotii.de. Merci, mes doux amis; et un temps
viendra, j'espère, où vous serez récompensés ; je le
pourrai quelque jour.
aurélien. Seigneurs, écoutez-moi : depuis deux
jours j'ai appris par une voie sûre que le roi Clovis
a quille Paris et s'est rendu à Soissons. Laissons
donc le chemin de Paris, et avec nos chevaux, ga-
gnons tout droit la cité de Soissons.
le deuxième chevalier. Bien ; tout le monde y
consent. A cheval, pendant que nous pouvons en-
core.
le troisième chevalier. Il faudrait, afin qu'il ne
s'éloignât pas, donner au roi des nouvelles. Qu'en di-
tes-vous?
aurélien. Oui, ma foi! Mon doux ami, je vous
supplie de vouloir bien, sans lui faire d'autres let-
tres secrètes, vous en aller devant nous et lui dire
où nous en sommes.
le troisième chevalier. Soit, et je ferai en sorte
de prendre l'avance ; songez à arriver le plus tôt
possible.
le deuxième chevalier. Nous forons tant que vous
entendrez parler de nous peut-être avant d'avoir
fait vous-même votre message au roi.
LE TROISIÈME CHEVALIER. «Oïl, 1)011 ; fou OU Sage,
je vous le dis, je ne cesserai pas de marcher que je
ne lui aie parlé. Je vous laisse.
aurélien. En avant! A cheval, et suivons si bien
notre homme que nous puissions bientôt l'atteindre
et le trouver.
SCÈNE XXVHÏ,
LE CHEVALIER, CLOVIS.
le troisième chevalier. 0 Mahomet, grâces vous
soient rendues de m'avoir permis d'aller assez vite
pour trouver encore mon roi assis dans sa majesté :
ce dont j'ai grand'joie. Ah ! que cet état lui sied
bien! Je m'enhardis à lui parler. — Sire, que Ma-
homet et Tervagant vous donnent joie !
clovis. Sois le bienvenu ! Qui l'a conseillé de ve-
nir ainsi seul?
le troisième chevalier. Sire, Aurélien et ses hom-
mes m'ont envoyé en avant pour vous donner nou-
velle de ce que ion a fait.
clovis. Les Bourguignons vous ont-ils fait quel-
que mal, aux petits ou aux grands?
le troisième chevalier. Vraiment non, Sire.
D'abord on vit Gondebaut courroucé et mal disposé.
Ne prétendàit-il pas qu'on avait déçu sa nièce avec
cet anneau d'or qu'elle avait mis en son trésor, et
bien d'autres choses que Aurélien vous dira à son
arrivée. J'ajouterai seulement qu'il amène avec lui
la (jeune) fille que vous devez avoir.
clovis. El quand viendront-ils? Le savez-vous?
le troisième chevalier. Sire, ils" seront en celle
ville aujourd'hui ou demain, à la dinée. Si c'est vo-
tre bon plaisir, j'irai dans l'hôtel où ils doivent dos-
cendre voir tout de suite ce qu'il en peut être.
clovis. Oui, va t'en occuper ; va de suite, cl
amène-les tous auprès de moi, s'ils sont arrives.
le troisième chevalier. Je suis tenu de faire vo-
tre volonté. Site, j'y \;tis.
23S
CLO DICTIONNAIRE DE3 MYSTERES
«CÈNE XXIX.
clotilde , Isabelle , sa suivante, aurélien,
CLO
256
LES CHEVALIERS.
aurélien. Dame, je ne crois pas que depuis deux
mois et plus que nous sommes ensemble, vous ayez
eu une joie pareille à celle d'aujourd'hui. Et voici
pourquoi j'ose parler si librement; c'est que nous
tondions en celte ville où vous trouverez celui' dont
tous serez la femme, et qui vous fera le grand hon-
neur de vous recevoir comme reine de France. Or
ce royaume est, je vo'.is le dis en vérité, le plus re-
nom nié de toute la terre : c'est pourquoi, dame,
hàlons-nous tous.
cloth.de. Sire Auréiien, il me semble que je
vois là celui que vous avez chargé d'aller pour nous
auprès du roi.
le deuxième chevalier. Dame, c'est ma foi vrai!
Il a bien fait diligence. Je pense qu'il vient nous
chercher. Qu'allous-nous faire?
âurélien. Attendez, laissons-le venir ici, et quand
il sera avec nous, il nous dira de point en point ce
qu'il aura trouvé.
SCÈNE XXX.
LE CHEVALIER, LES MÊMES.
LE TROISIÈME CHEVALIER. Eh VOVCZ ! je VOUS trOUVC
bien à point : je viens tout droit de vers le roi, qui
m'a envoyé ici pour vous dire et vous annoncer de
vouloir bien, puisque vous êtes arrivé dans son
royaume, ne pas manquer de venir proniplement
auprès de lui dans son palais.
âurélien. Sire, nous étions en marche pour nous
y rendre en toute hâte : il faut que, sans un mot de
plus, vous vous en retourniez avec nous.
le troisième chevalier. Ne pensez qu'à aller vite;
je vous suivrai.
SCÈNE XXXI.
LES MÊMES, CL0V1S.
âurélien. Monseigneur, salut au nom de Maho-
met, notre véritable dieu, qui vous a prêté recours
en maintes occurrences! C'est raison.
clovis. Soyez le bienvenu en notre maison, et
avec vous tous ceux que je vois autour de moi. Çà!
je vous en prie, répondez vite : est-ce la nièce de
Condebaut que je vois ici?
le deuxième chevalier. Oui, sire, sans plus de
détours, c'est elle.
clovis. Demoiselle, soyez la bienvenue : j'ai une
grande joie de votre arrivée. Puisque vous devez
être à moi et que je serai votre mari, je vais vous
couronner reine et maîtresse de France.
clotilde. Cher sire, pour le salut de votre àme,
d'abord, et de la mienne ensuite, et non pas autre-
ment, que votre désir soit rempli.
clovis. Allons, vite, seigneurs! ayez soin qu'elle
«oit menée en sa chambre là-derrière et parée comme
une épousée doit l'être, car je veux l'épouser sur
l'heure.
âurélien. Sire , nous ferons sans délai ce qu'il
vous plaît de demander. — Dame , venez-vous-en
«ans tarder en votre chambre, où nous vous mène-
rons, et puis nous reviendrons ici.
clotilde. Mes chers amis, qu'il soit fait entière-
ment comme vous le dites. — Quant à vous, Isa-
belle, suivez-moi, ma chère amie.
la demoiselle. Volontiers , dame , et avec joie.
Passez devant, j'irai après; je vous aiderai à vous
habiller : c'est mon devoir.
SCÈNE xxxn.
CLOVIS, LE DEUXIÈME CHEVALIER.
clovis. Seigneur , je puis dire que mon bien et
mon honneur augmentent, et la joie s'en accroît dans
mon cœur, puisque j'aurai celle jeune vierge qui
m'a semblé merveilleusement belle de visage.
le deuxième chevalier. Dès l'heure du vovage ,
Sire, qui vous l'amenait, je ne me souviens pas d'a-
voir vu en elle une contenance, une conduite, des
manières, ou entendu une parole, je vous le jure par
mon âme, autres qu'il convient à une bonne, sage
et très-honnête dame.
SCÈNE XXXIII.
LES MÊMES, ÂURÉLIEN, SERGENTS, MÉNESTRELS.
âurélien. Mon cher seigneur , ma dame est prête,
et je viens vous l'annoncer; précipitons ce mariage,
car il en est temps.
clovis. Elle est prête, je le suis aussi. Allons.
Faites marcher les ménestrels devant nous.
le premier sergent. Tout de suite, Sire. — (Aux
ménestrels.) Dépêchez-vous , seigneurs , mettez-vous
en rang pour conduire le roi à l'autel ; il n'attend
que vous.
les ménestrels. Nous y allons, mon doux ami, le
plus vite que nous pouvons.
le troisième chevalier. Voici les ménétriers ; de-
bout! Allons-nous-en à cette heure, il en est temps.
clovis. Allons-nous-en sans plus de retard; je
vais devant.
le deuxième chevalier. Quant à nous, nous vous
accompagnerons tous.
(Ici le roi quille sa place, et, après un court inter-
valle, il revient dans la suite; et Aurélien lui mène
l'épousée, et dit :
aurélien. Sire , voici votre moitié que je vous
amène et vous laisse. Elle est désormais votre
femme , nul autre ne peut y réclamer de droits :
maintenant pensez à vous entr'aimer, car c'est une
très-noble et sage action dans le mariage de vivre
en paix et en amour.
clovis. Sans faire un plus long séjour ici, je veux
que vous alliez tous les trois au Louvre, et que là
vous prépariez ce qu'il faut pour faire ma fêle :
c'est un lieu commode et décent, et c'est près d'ici.
le troisième chevalier. Cher sire, nous sommes
tout prêts d'aller ordonner la fêle. — Allons-nous-
en tous trois sans plus de retard, partons d'ici.
aurélien. Allons-nous-en d'ici, aussi bien n'est-il
plus temps de muser.
SCENE XXXIV.
CLOVIS, CLOTILDE.
clotilde. Mon cher seigneur, à l'avenir, je ne suis
plus que votre servante. Mais , cher sire, je vous
prie, en ce moment, de m'octroyer un don, d'en-
tendre ma demande et d'être assez gracieux pour
me l'accorder, avant que je vous serve comme une
femme est tenue de le faire envers son mari sans
commettre le mal, à son plaisir.
clovis. Demandez , Clotilde : je le ferai sans hé-
siter.
clotilde. Sire, je vous exposerai donc ma re-
quête : ce n'est point de l'or que je souhaite, mais
en premier lieu je vous prie de croire en Dieu le
Père, qui règne sans fin au ciel dans la gloire , qui
vous créa, qui fit tout et qui jamais ne commit le
mal. Après, Sire , ne laissez pas Jésus-Christ ; mais
confessez-le pour vrai Dieu, lils de Dieu le Père, qui
voulut naître ici-bas d'une vierge, qui y fut envoyé
du Père pour nous ramener à Dieu , et qui nous a,
c'est chose véritable, rachetés par sa sainte mort.
En outre, je vous prie de croire aussi au Saint-
Esprit, qui illumine tous les justes et les confirme
dans la grâce divine; et que ces trois , le Père , le
Fils ei Te Saint-Esprit, ayez-en la foi, sont une seule
personne suprême, une seule essence, une divinité,
une puissance éternelle. Voilà ce qu'il faut croire
fermement ; délaissez vos idoles et cessez de les
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CLO
DICTIONNAIRE DES M /STERES.
CEO
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adorer, car ce sont des choses vames el trompeuses ;
mais , Sire , faites rétablir les saintes églises que
vous avez brûlées et abattues, et soyez fils et mem-
bre de Dieu. En second lieu, je vous prie de deman-
der ma part légale de la succession de mes père et
mère , tombés sous les coups cruels de mon oncle ,
qui se rendit coupable au point de tuer mon père et
de noyer ma mère pour avoir le royaume de Bour-
gogne; je vous dis vrai. Dieu veuille que je voie
l'heure où je, serai vengée de leur mort , et cela
bientôt!
clovis. Clotilde , soyez attentive à ma réponse.
Votre première demande est une chose trop uillicile
à faire, et quoique j'adore voire Dieu comme chré-
tien, je ne puis rien. La seconde, au contraire, sera
exécutée. Oui, je vous vengerai bientôt de Gonde-
baut, et je vous le mènerai si bien, qu'il viendra de-
mander merci, qu'il le veuille ou non.
clotilde. Auparavant je vous prie, cher sire , de
l'aire ce que je vous conseille : renoncez à vos idoles
el veuillez croire en Dieu et l'aimer; c'est lui qui lit
le ciel , l'air, la lerre et la mer, les femmes et les
hommes.
clovis. Je ne fais pas plus de cas de ce que vous
me dites que de deux pommes.
SC^NE XXXV.
LES MÊMES, ALRÉLIEN, CHEVALIERS.
le deuxième CHEVALIER. Cher sire , tenez-nous
quittes de vos noces, qui sont telles que jamais je
n'en vis de semblables.
clovis. Brisons là-dessus; silence, j'ai bien autre
chose qui m'occupe. Tous trois, sans faire d'objec-
tions , allez vers Gondebaut, et lui parlez ainsi :
t Sire, nous voici au nom de Clovis, de qui nous
tenons terres et liefs , pour réclamer le trésor de
Clotilde que vous gardez , tandis qu'il devrait être
entre ses mains , puisqu'il est de la succession de
ses père et mère : c'est raison. »
le troisième ciievai.if.r. Sire, sans plus de retard,
nous exécuterons vos ordres.
SCÈNE XXXVI.
AURÉL1EN, CHEVALIERS, LE TROISIEME
CHEVALIER.
le troisième chevalier. Allons, en avant , sei-
gneurs! partons tous trois ensemble.
le deuxième CHEVALIER. Il est convenable, ce me
semble, que nous nous donnions plus de peine pour
les affaires de notre cher seigneur que pour celles
d'un é! ranger.
adrélien. Ses intérêts diffèrent de tous autres et
sont bien plus nobles et plus élevés. Taisez-vous;
je vois là-bas Gondebaut. Allons vers lui, c'est moi
qui vais lui parler.
SCÈNE XXXVIÎ.
LES MÊMES, GONDERALT, SES CONSEILLERS.
aurélien. Sire, que Mahomet, qui fait croître les
biens de la terre, veuille vous faire monter en hon-
neur et en joie , et cela bientôt?
gondebaut. Qu'il te garde aussi de mal! Que
viens-tu chercher?
aurélien. Sire, nous venons requérir l'abandon
et la mise en nos mains de la portion de vos trésors
qui sont le bien et le droit de Clotilde, en tant sur-
tout qu'ils viennent de la succession de son père et
de sa mère; vous ne devez pas avoir l'esprit éloigné
d'en agir ainsi.
gondebaut. Eh quoi ! Clovis pensc-t-il avoir ainsi
mon royaume el mon bien? Nenni , tant que serai
vivant. Et toi-même, Aurélien, as-tu oublié l'heure
où je le défendis , il y a un an , de revenir en cette
terre pour demander ou réclamer ce qui esta moi?
Si tu ne t'en retournes point , et si à l'instant lu ne
remontes à cheval devant moi, je vais te tuer , j'en
fais serment; je n'attendrai pas d'autre personne
pour cela. Vide la place, va-t en.
aurélien. 0 roi, je vous le disais dès l'an passé,
tant que mon cher seigneur le roi Clovis , pour qui
je me donne du mal, sera vivant, je ne crains nulles
menaces; et je fais mon devoir, selon mon juge-
ment. Or, mon roi vous demande par ma voix le,
trésor de sa femme; il vous prie de vouloir lui dire
quand il l'aura. Donnez-lui un rendez-vous, et il
viendra où vous direz.
LE PREMIER CONSEILLER. Sire, s'il VOUS plaît, VOUS
ferez ce que je vous dirai.
gondebaut. Eh bien! parlez, je vous écoute : que
voulez-vous dire?
LE PREMIER CONSEILLER. SilC Aurélien , retil'CZ-
vous un peu à l'écart.
aurélien. Sire, très-volontiers. Allons! parlez
ensemble.
le premier conseiller. Cher sire , il me semble
que Clovis a raison dans ses demandes. C'est au
nom de sa femme ; il ne prétend avoir que ce qu'elle
possède réellement dans votre trésor; envoyez-lui
donc de votre or et de votre argent par son ambas-
sadeur, afin que vous soyez bons amis et que Clovis
ne vienne pas dans ce pays pour nous faire la guerre,
caries Fra:.cs sont très-belliqueux, et se condui-
sent toujours vaillamment, vous le savez.
le deuxième conseiller. Eh oui, Sire, ce n'est
que trop vrai : les Erancs sont habiles et courageux
dans la guerre, et ils ont gagné parieurs etforts
mainte ville et maint bon château ,*en sorte que
votre meilleur parti est de lui envoyer ce qui lui
appartient; il faut le satisfaire.
gondebaut. Soit; cela sera fait, puisque vous me
le conseillez. Veuillez faire approcher d'ici Auré-
lien.
le deuxième CONSEILLER. Il sera ici à l'instant
même, sans plus de distours, tenez cela pour vrai.
— Ami Aurélien, venez auprès de Gondebaut.
aurélien. Allons ; je ferai de bon cœur tout ce
que vous direz.
le deuxième conseiller. Sire, vous ferez votre
ami d' Aurélien que je vous amène ici, et je vous
conseille de lui donner de votre avoir comme à un
messager de Clovis : vous ferez sagement; en sorte
que ce roi se tienne pour content et qu'il ne vienne
pas vous guerroyer : c'est mon avis.
gondebaut. Puisque vous le diles, je le veux bien,
— Ami, vous serez satisfait à l'heure même. Tenez,
premièrement, je vous remets ces étoffes d'or et
celte vaisselle d'argent, qui est bonne et belle ; après,
vous ferez emporter sans délai cet or monnayé, ces
pots aussi, ces coupes d'or; mon trésor ne contient
plus rien. Maintenant, séparez-vous de moi ; car
vous portez à votre seigneur en joyaux et en biens
plus qu'il n'a gagné ou amassé, je puis bien vous le
dire.
aurélien. Sire, Clovis est comme votre fils : c'est
pourquoi vos biens seront communs; ainsi le diront
par le pays les gens raisonnables.
le troisième chevalier. Paix*! il est temps de s'en
retourner : sire, nous prendrons congé de vous et
nous nous mettrons en route pour la France, il en
est temps.
le premier conseiller. Monseigneur n'y met au-
cune opposition : allez-vous-en quand il vous plaira;
sachez qu'il ne vous gênera en rien.
le deuxième chevalier. Certes, sire, je le crois
bien.— Allons! sans nous amuser davantage, il
nous faut emporter ces joyaux-ci, et arrivé en notre
logis, nous les chargerons sur deux chevaux jusqu'en
France.
aurélien. Eh bien! faisons le sans délai, sans
parler ou songer davantage. — Cher sire, avec votre
permission nous nous en allons.
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gondebaut. Allez. -J'aime mieux leurs talons que
leur visage.
aurélien. Beaux seigneurs, agissons prudemment :
allons maintenant nous reposer et mettra ces joyaux
en sûreté, et demain matin nous les ferons charger
pour Paris et le roi Clovis.
le troisième chevalier. Allons ; car, à mon avis,
vous dites bien.
SCÈNE XXXVIII.
CLOVIS, CLOT1LDE, ISABELLE, SO, suivante.
clotilde. Eh! mon très-cher seigneur, combien
je vous prie souvent? N'aurez-vous pas bientôt la
volonté d'être au Dieu du ciel, de devenir chrétien et
d'embrasser la foi? Ne voulez-vous rien faire! Avez-
vous la crainte de commettre une action funeste?
Ah ! moi, je vous le dis, si vous ne vous y décidez
point et n'êtes pas baptisé, vous ne pourrez venir en
la gloire des cieux, ceci est chose véritable; mais
vous vous exposez à être sans fin en proie à un cruel
supplice. Je vous en supplie , sire , embrassez
comme moi la loi chrétienne ; je vous en sup-
plie.
clovis. Holà ! dame, ne m'en parlez plus ; je n'en
ferai rien.
clotilde. Bien, Sire? Soit; je me tairai, mais ar-
rive que pourra. Hem! certes, il faut, cher sire, que
je m'en aille d'ici dans ma chambre : je sens tant de
mal dans les reins que je ne puis le supporter. —
Isabelle, faites vite; allons-nous-en ensemble sur-le-
champ, je n'en puis plus ici.
la demoiselle. Allons-y, dame ; je ne contredis
jamais aucune de vos volontés. Certainement vous
êtes , à mon avis, en mal d'enfant. Voici votre
chambre : entrez-y pour votre bien.
SCÈNE XXXIX.
AURÉLIEN, LES CHEVALIERS.
aurélien. Seigneurs, portons sans retard à Clovis
les richesses que nous avons apportées de Bourgo-
gne, comme c'est justice.
le deuxième chevalier. C'est vrai; je suis tout
prêt à y aller, si vous l'êtes, vous.
le troisième chevalier. Vous dites bien, mon doux
ami; mais si, au lieu de lui porter les richesses,
nous allions l'informer, certes, cela suffirait ; et il les
enverrait chercher, si bon lui semble.
le deuxième chevalier. C'est vrai; allons-nous-
hq tous ensemble vers lui.
aurélien. Allons, seigneurs; je partage votre
avis.
SCÈNE XL.
LES MÊMES, CLOVIS.
aurélien. Cher sire, que Mahomet, divinité régnant
sans fin, soit assez bon pour accroître en vous hon-
neur, grâce et sens!
clovis. Mes amis, soyez tous les bienvenus. Eh
bien! comment vont les affaires? Que dit Gonde-
baut de Bourgogne? dites-le moi.
aurélien. Sire, par ma foi! il ne dit que du bien;
et il est revenu à la raison, car il vous a, sire, en-
voyé, à ce que je crois, la meilleure partie de son
trésor en vaisselle d'or et d'argent, en grands sacs
pleins de florins et en étoffes d'or et de soie riches
et fines.
le deuxième cnEVALiER. Et si vous m'écoutez, sire,
vous saurez tout au sujet de ce trésor et de cet
avoir : c'est que nous ne sommes point arrivés sans
l'avoir apporté avec nous.
le troisième chevalier. Cher sire, il dit vrai, et il
dous sera entièrement rendu sitôt qu'il vous plaira
ce le demander.
lovvis. Bien! Je le veux précisément tout de
suite.
aurélien. Certainement il sera donné à ceux que
vous enverrez. Prenez garde à ceux qui seront char-
gés de l'apporter ici.
clovis. N'en doutez pas , j'en agirai ainsi.
Maintenant je veux, sans discuter davantage, que
vous alliez souper et vous ébattre jusqu'à la nuit.
le deuxième chevalier. Allons-nous-en, qu'il ne
soit pas fatigué de nous voir longtemps ici.
SCÈNE XLI.
Isabelle, suivante de Clotilde, robert, écuyer
de Clovis.
la demoiselle. Robert, je vous trouve ici bien à
propos : il faut vous charger d'aller auprès du roi
à l'instant; dites-lui qu'il soit sur et certain que ma
dame a eu un fils. L'enfant est déjà si bien soigné
qu'il a reçu le baptême et le nom de Nigomire ; et
madame prie le roi de ne pas se courroucer.
robert. Mon amie, je serai volontiers le messager
de cette nouvelle. J'y vais.
SCÈNE XLII.
ROBERT, CLOVIS.
robert. Sire, que Mahomet tienne en honneur
vous et votre baronnie! Je viens vous dire de la part
de ma dame, qui se recommande fort à vous, qu'elle
a eu un fils; et elle vous mande qu'elle a voulu le
donner à son Dieu pour le faire chrétien; et, je puis
vous le dire, il a reçu le nom de Nigomire au bap-
tême, comme on dit.
clovis. Je ne puis mettre opposition à une chose
déjà faite. Retourne auprès d'elle, et dis-lui de ma
part qu'elle cherche à l'enfant une garde qui le
nourrisse et le veille bien soigneusement.
l'écuyer. Sire, je vais mettre à exécution votre
commandement.
SCÈNE XLI1I.
clovis, sergents.
clovis. Vous deux, je vous prie de cœur d'aller
tout de SHite dire à Aurélien qu'il vous remette ce
qu'il m'a apporté de Bourgogne, et revenez ici sans
délai ; allons ! faites vite.
le premier sergent. Très-cher sire, si lourds
qu'ils puissent jamais être, vos ordres seront tou-
jours obéis sur l'heure. (Ils sortent.)
SCÈNE XLIV.
LES SERGENTS.
le DEUxiÈMe sergent. Vous parlez bien ; mais
pourvu qu'il veuille nous le remettre. Allons savoir
s'il s'y résoudra.
le premier sergent. M'est avis qu'il le faudra
bien, puisque le roi nous y envoie. Eh regarde ! je
le vois là-bas en chemin avec deux chevaliers , il
n'est pas seul ; avançons-nous à leur rencon-
tre
SCÈNE XLV.
LES MÊMES, AURÉLIEN.
le premier sergent. Sire, que Mahomet soit votre
ami! le roi nous a envoyés auprès de vous; il vous
mande de nous donner ce qui est venu de Bourgo-
gne en vos mains, afin qu'on le lui apporte. Ne
manquez pas de nous le remettre sans délai.
aurélien. Mes amis, vous aurez tout. — Seigneurs,
allons sur-le-champ livrer à ces deux hommes ce
qu'ils viennent chercher, c'est-à-dire ce que Gonde-
baut nous a donné. Je vais devant. — Allons, mes
amis! tenez, chargez, portez au roi; nous nous
mettrons en marche pour vous suivre.
le premier sergent. Allons-nous-en , puisque
nous sommes prêts; je ne vois rien de mieux à
taire.
261
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CLO
202
le deuxième sergent. Tenez, sire; par tous nos
dieux! je n'ai jamais rien porté qui pesât autant que
ceci.
le premier sercent. Ni moi non plus ; j'en sue
en dedans et en dehors.
SCÈNE XLV1.
LES MÊMES, GLOVIS; — puis GLUTILDE.
le deuxième sergent. Cher sire, je veux que vous
sachiez que vous avez tous les trésors de Gonde-
baut rassemblés devant vous.
le troisième chevalier. Mahomet sait la peine
que nous avons eue pour les apporter; vous avez
beau jeu à vous réjouir longtemps.
clovis. Reaux seigneurs, écoulez : j'apprends que
la ville, le duché et la commune de Melun veulent se
révolter contre moi ; je veux tous vous y envoyer :
pensez à vous mettre bientôt en roule pour les sur-
prendre.
clotilde. Mon cher seigneur, je viens vous ren-
dre grâces de votre réponse... Mais l'ignorcz-vous ?
notre héritier, que j'aimais de tout mon cœur, Nigo-
mire, est mort et enterré.
clovis. Cette nouvelle me serre le cœur et me
cause une cruelle douleur. Mère, vous avez été trop
hâtive à le baptiser. Je suis convaincu, dame, que,
si vous l'eussiez consacré à nos dieux, quoi qu'on
en dise, il serait encore en vie; mais, en raison de
ce qu'il a reçu le baptême, il n'a pu vivre plus long-
temps : ce dont je suis chagrin.
clotilde. Cher sire, je rends grâces à Dieu, dans
cette circonstance, de m 'avoir honorée, moi qui suis
son humble servante , au point d'avoir daigné
prendre et recevoir dans sa gloire mon premier-né;
sachez-le, c'est la cause pour laquelle mon cœur
n'en est en rien douloureusement affecté.
clovis. Puisque vous le dites, allons, c'est bien ;
je n'en parle plus.
aurélien. Sire, nous prenons maintenant congé
de vous ; et nous allons, cher sire, faire sans ob-
jection ce que vous nous avez dit.
clovis. Allez, montrez-leur ce que nous valons et
quelles gens nous sommes en guerre; et s'ils veu-
lent demander la paix et devenir bons sujets, met-
tez lin aux hostilités par un traité, sous condition
qu'ils soient tous désormais en ma puissance.
le deuxième chevalier. Rien, cher sire; allons-
nous-en maintenant sans plus de débats.
clovis. Dame, avant le combat, je vais à Ville-
juif, pour mettre mes gens en ordre et de là m'en
aller à l'armée; je ne puis dire quand je reviendrai;;
adieu.
clotilde. Atlieu, mon doux seigneur, quoique
votre absence me soit pénible. Dieu vous conduise
et vous ramène sain et sauf d'âme et de corps,
comme je le désire.
clovis. Que mon dieu Mahomet me soit miséri-
cordieux! En avant, beaux seigneurs! allez devant
moi pour m'ouvrir la route, que je le voie.
le premier sergent. Hors d'ici! place! sinon je
frappe.
Lt deuxième sergent. Allons, devant! retirez -
vous en arrière; laissez-nous le chemin libre, ou,
certainement, je vous donnerai de ma masse.
SCENE XLV1I.
clotilde, Isabelle, sa suivante, puis robert,
é-cuyer de Clovis.
la demoiselle. Chère dame, je vous vois souvent
changer de couleur d'une manière alarmante : vous
éprouvez du mal ou quelque douleur, à ce que je
crois.
clotilde. Isabelle, mon amie, je sens dans les
reins une angoisse telle qu'il me semble qu'on me
brise et que ma chair soit rompue; c'est exactement
comme cela m'arriva, mon amie, lors de mon pre-
mier enfant.
la demoiselle. Dame, ne nous trompez pas;
veuillez mander la sage-femme, car je tiens, à n'en
pas douter, que vous des en mal d'enfant.
clotilde. J'ignore si c'est cela; mais, vraiment,
je suis bien mal. — Ah! Mère de Dieu, Vierge ho-
norée! secourez-moi.
la demoiselle. Ma daine, je vois bien d'une ma-
nière certaine que vous êtes en travail : je vais bien
vite envoyer chercher la sage-femme. — Robert,
puisque je vous trouve ici, hâtez-vous d'aller cher-
cher Catherine, la sage-femme, et dites-lui qu'elle
vienne auprès de ma dame sur-le-champ,
robert. Je cours m'en acquitter et je vous l'amè
lierai avant de m'arrèter. Je la vois qui va là-bas.
SCÈNE XLV1II.
ROBERT, CATHERINE
rouert. Holà ! Catherine.
Catherine. Quoi, beau sire! par (ma) foi? Que
me voulez-vous ?
rorert. Il faut que vous alliez auprès de la reine .
je viens vous chercher pour un besoin pressant. Ve-
nez-vous-en : ce n'est pas loin. Ma sœur, je vous
mènerai jusque-là. Entrez là dedai-.s; je vous laisse
rai, ici ma chère amie.
SCÈNE XL1X.
CATHERINE, ISABELLE, CLOTILDE.
la sage-femme. Dieu soit céans ! Qu'est-ce? quelle
mine, ma chère dame!
clotilde. Par mon âme! je souffre beaucoup!
mon amie, je n'ai envie ni de rire ni de jouer. —
Aidez-moi par voire grâce, douce Mère de Dieu.
la sage-femme. Ma chère dame, en peu de temps
vous serez délivrée de vos maux les plus grands.
Ne dites pas quej* sois ivre; il vous faut souffrir
encore un peu : je vois qu'à l'instant vous serez
sans faute délivrée.
clotilde. Dieu! quand sera-ce? Cette allégeance
tarde trop longtemps à venir. — Veuillez vous
souvenir de moi, Vierge Marie.
la sage-femme. Dame, ne vous tourmentez pas
davantage : vos grands maux sont passés. Deman-
dez quel enfant vous avez eu, vous ferez mieux.
clotilde. Puisque j'ai un enfant, Dieu soit loué,
quoique j'aie beaucoup souffert! — M'amie, parlez
donc, est-ce un (ils ou une tille?
la sage-femme. Ma chère dame, que votre cœur
soit suret convaincu que c'est un fils. Que Dieu lui
accorde le bien du corps et de l'âme !
clotilde. Allons! couchez-moi tout de suite;
puis vous emporterez ce fils et vous le ferez baptiser,
car je le veux.
la demoiselle. Nous ferons votre volonté en tout
point sur l'heure et de tout notre cœur. — Prenez
contre moi, Catherine, et mettons-la dans son Ut;
maintenant n'ayons plus de crainte à son sujet.
Puisqu'elle est couchée et couverte, pensons cha-
cune à faire donner tout de suite le baptême à cet
enfant et à le rendre chrétien : c'est raison.
la sage-femme. Qu'il soit fait ainsi sans retard.
Allons-nous-en à l'église. Je veux porter l'enfant;
c'est mon métier et mon oiliee.
la demoiselle. Je ne vous en blâme pas. Tandis
que ma dame repose, accomplissons sa volonté
promptement.
la sage-femme. Dame, j'y consens : allons-nous-
en droit à l'église.
(Ici elles vont par derrière, et puis elles rentrent (tons
la salit.)
263
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SCÈNE L.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CLO
264
Là DEMOISELLE, LA SAGE-FEMME , CLOTILDE.
la demoiselle. Catherine, si vous m'en croyez,
allons nous-en d'ici. C'est bien à propos : ma dame
doit et monseigneur aussi.
la sage-femme. C'est bien. Laissons-la donc jus-
qu'à ce qu'elle s'éveille.
la demoiselle. Je ne dis pas que je ne le veuille
de tout mon cœur.
clotilde. Eh ! sire Dieu qui êtes sans fin, puis-
que vous m'avez délivrée, quelque souffrance que
j'aie eue, je vous remercie en toute humilité de
cœur de l'enfant et du mal aussi que j'ai souffert.
la sage-femme. Chère dame, votre (ils le chrétien
dort couvert près de vous; et, je vous le dis bien, il
a nom Clodomir.
clotilde. Ah! que Notre-Seigneur soit loué de ce
qu'il a reçu le baptême! et pourvu qu'à l'avenir
Dieu le lienne en santé, cela me suffit.
la demoisslle. Ma dame, que celui qui le fit le
laisse bien vivre!
la sage-femme. Madame, puisque vous êtes débar-
rassée et que je n'ai plus rien à faire ici, ne vous
déplaise, je m'en irai.
clotilde. Bien! soit! Allez; je penserai, ma
chère amie, à vous envoyer une de mes robes tout
entière pour votre peine.
la sage-femme. Chère dame, que la vierge Marie
vousdonne de bons jours! Plus vous aurez pour moi
de bontés et plus je prierai Dieu pour vous. Chère
dame, je vous dis enfin adieu.
SCENE LI.
CLOVIS, SERGENTS.
clovis. C'est bien assez rester ici , je veux m'en
retourner, et avant d'achever, savoir comment va
la reine. Prenons donc ce chemin : et vous, sergents,
ne manquez pas de m'ouvrir largement la roule.
le PREMiEn sergent. Non, non, Mahomet me pro-
tège! Place, place devant nous, ou vous sentirez si
ma masse est légère!
le deuxième sergent. Ne méritez pas que l'on
vous frappe; retirez-vous.
clovis. Me voici donc en mon palais! Sergents,
holà! que quelqu'un m'apprenne on quel état est la
reine.
le premier sergent. Je suis le pius expédilif;
sire, j'y vais.
clovis. Allons, va vile, par la foi que tu me dois,
sans l'arrêter.
le premier sergent. Cher sire, je n'en ai pas en-
vie ; je serai bientôt allé et venu, le temps seulement
de lui parier; et sachez que ce ne sera pas long.
SCÈNE EU.
CLOTILDE, LE SERGENT.
le premier sergent. Ma dame , que Dieu vous
garde de chagrin! Le r:;i m'envoie savoir s'il pourra
être admis à vous parler.
clotilde. Oui, mon doux ami; dis-lui qu'il vienne
quand cela lui plaira : il me trouvera toute prête, à
son gré.
le premier sergent. C'est bien : je vais donc le
lui dire :
SCÈNE LUE,
LE SERGENT, CLOVIS.
le premier sergent. Sire, si vous~voulcz parler
à madame, vous pouvez bien y aller sans nul empê-
chement.
clovis. Allons! il faut que je me hâte. Al ez de-
vant.
le deuxième sfrcent. A votre gré , derrière ou
devant, sire.
le premier sergent. Et nous dirons aussi ce qui
vous plaira, cher sire.
SCÈNE LIV.
CLOVIS, CLOTILDE, ISABELLE, SEIGNEURS.
clovis. Dame , je viens apprendre ici en vous
voyant comment vos couches se sont passées , quel
enfant vous avez eu, et si, dame, il est taillé et
animé pour vivre.
clotilde. Cher sire, je suis troublée; sur mon
âme! tout ce que je sais bien, c'est que j'ai eu un
fils (je vous le jure, sire), qui a été baptisé, et auquel
on a donné le nom de Clodomire.
clovis. Dame , de grâce , que je le voie , sans en
dire davantage.
clotilde. Volontiers, cher sire, par mon âme!
— Isabelle , allez tout de suite le chercher , et ap-
portez-le bien vite ici emmaillotté.
la demoiselle. J'y vais , ma dame, en vérité. —
Le voici, Monseigneur, regardez. Par ma foi! regar-
dez-le bien, il vous ressemble.
clovis. Je vous dirai mon sentiment, qui est que
je le vois fort malade; il n'en peut èlie autrement,
puisqu'il a reçu le baptême au nom de votre Dieu.
J'ai peurqu'il nes'en aille tout droit à la mort, comme
fil son frère, sans ressource ; je vous dis vrai.
clotilde. 11 peut bien avoir une maladie ; mais ,
s'il plait à Dieu , il ne mourra pas. Je crois , sire ,
qu'il guérira; j'en suis persuadée.
clovis. Mis ainsi, comme le premier, en la puis-
sance de votre Dieu par le baptême que vous lui
avez donné, il ne peut éviter de le payer par sa mort,
de même que son frère. Càrdez-le-bien , je vous le
laisse. — En avant, seigneurs ! parlons d'ici bien
vite.
le deuxième sergent. Soit, cher sire, puisque
vous le dites.
SCÈNE LV.
CLOTILDE, ISABELLE.
clotilde. Eh! Mère de Dieu qui avez mérité de
porter le fruit de vie, et qui , vierge, enfantâtes
l'IIoinine-Dieu , soyez assez bonne pour donner la
santé à cet enfant, de manière à ce que je trouve le
père disposé à embrasser bientôt ia foi catholique el
à devenir chrétien. — Isabelle, vile, sans plus dis-
courir, reportez promplement cet enfant coucher.
la demoiselle. Dame, je ferai en tout votre com-
mandement.
clotilde. Eh bien! allez, et pendant ce lemps-là
j'irai prier Dieu avec mon livre. Venez auprès de
moi sans larder, quand vous aurez fait.
la demoiselle. Dame, je veux accomplir votre vo-
lonté.
SCÈNE LVI.
clotilde seule.
clotilde. Sire Dieu, qui , pour remplir les sièges
de votre paradis , dont les mauvais anges avaient
élé jadis précipités par leur orgueil, eûtes ensuite
la volonté de former l'homme pour occuper ces
places el jouir sans fin de votre gloire; vous qui êtes
seigneur, vie et chemin, rendez la sauté à mon en-
fant, en sorte qu'il soit sans maladie et que le père
ne dise plus que , parce qu'il est chrétien , vous ne
pouvez pas lui donner la vie aussi bien que la mort,
et qu'eu ceci son sort est malheureux. — Ah , Dame
des cieux ! veuillez, en cette circonstance, être ma
protectrice et entendre ma supplique; et je veux
m'appliquer à dire dévotement vos heures , avant de
m'en aller d'ici, que j'y gagne ou que j'y perde.
SCÈNE LVII.
DIEU, NOTRE- DAME, GABRIEL, MICHEL.
PiF.r. -Mère, et vous, Jésus, aV.ons-nous-en ; des-
cendez, sans rester plus longtemps ici. Je vois là-
ÏC5
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
im Clotilde qui se livre à une lamentation et à une
douleur telles que sa face est trempée de larmes.
11 faut que je lui accorde une grâce. — Allons, vous
tous!
notre-damf.. Mon Dieu, mon père, mon doux fils,
nous ferons votre volonté. — Holà, anges! soyez
prêts à descendre bientôt.
Gabriel. Dame, qui avez connu ce que les cieux
ignorent, chacun de nous est attentif à faire votre
volonté.
Michel. Et jamais ainsi nous ne ferons mal. —
Jean, allons-nous-en tous les trois en chantant,
aussi bien qu'en nous livrant à nos jeux : c'est mon
avis.
saint jean. Cela me plaît très-fort et je le veux.
Allons, commençons, mes doux amis.
Rondeau.
Reine des cieux, quiconque s'étudie à vous servir
fait une très-bonne œuvre, car il acquiert des ver-
tus et obtient la rémission de tous ses péchés; Reine
des cieux, quiconque s'étudie à vous servir, trouve
Dieu plein de douceur et se repaît de gloire dans le
séjour des suprêmes perfections.
dieu. Mère, mon intention n'est pas d aller là-bas
vers Clotilde, mais de descendre droit où son fils
est couché. — Tenez-vous ici en ce chemin , il suf-
lit de moi et de vous, Marie, pour le voir.
Notre-Dame. Cher fils, je ne mets ni opposition
ni obstacle à votre volonté; exercez votre puissance
comme il vous plaira.
dieu. Enfant, ma venue aura servi au moins à ta
guérison. Ton mal a disparu entièrement par la
prière humble et dévote de Clotilde, ta chère mère,
dont le zèle dans ses devoirs ne méritait pas moins
que ce don de ma grâce. Allons, mère, faites vite
marcher ces trois devant.
notre-dame. Volontiers, mon Dieu. — Allons, en
avant! anges, allez-vous-en comme vous vîntes; et,
en allant, achevez le chant que vous avez com-
mencé.
gabriei. Vierge excellente et sans prix , puisque
cela vous plaît, nous le ferons.
Rondeau.
L'on trouve Dieu plein de douceur et l'on se re-
paît de gloire dans le séjour des suprêmes perfec-
tions. Reine des cieux , celui qui s'applique à vous
servir fait une très-bonne œuvre.
SCÈNE LYIII.
Isabelle seule.
i.a demoiselle. C'est trop s'arrêter, rendons nous
auprès de la reine. Toutefois , d'abord , il est bon
d'aviser à ce que son fils Clodomire ne manque de
rien. Eh regardez! comme il se prend à rire! Dieu
merci ! il est en bon état. Je vais le lui dire sans
larder, avant de m'asseoir.
SCÈNE LIX.
CLOTILDE, ISABELLE.
clotilde. Isabelle, que vous êtes restée longtemps
à venir.
la demoiselle. Dame , j'ai été retenue dans la
chambre un peu longuement par votre fils; en vé-
rité, il m'a tant souri que vous ne pourriez le croire,
et d'un sourire si doux.
clotilde. Il n'est donc pas malade. Isabelle. Ah!
ne restons plus assises ici ; courons, je veux le
voir de suite.
la demoiselle. Soit ! Eh bien , madame , voyez
comme il ouvre doucement la bouche en souriant.
Je crois qu'il n'a aucun mal.
clotilde. Louée soit Notre-Dame! Au moins,
quand le roi viendra ici et qu'il le trouvera en
santé, il ne sera pas fondé à dire que par suite de
-.un baptême, il agpartfcn! à la mort.
Dicno.N de ... Mystlres.
CLO 2C5
SCÈNE LX.
CLOVIS, ALRELIEN, CHEVALIERS, UN PRÉVÔT.
aurélien. Mon cher seigneur, veuillent nos dieux
vous envoyer honneur et joie, et vous amener à une
noble et haute puissance!
clovis. En vérité, je suis convaincu que vous me
voulez beaucoup de bien. Soyez tous les bienvenus;
avancez ici près de moi.
le deuxième chevalier. Mon cher seigneur, quand
je vous vois , certainement j'ai le cœur joyeux de
vous voir si gai et si éveillé.
clovis. Que me direz-vous de nouveau ici?Qu'a-
vez-vous fait? où avez-vous été? Vous devez avoir
quelque chose à me dire.
le deuxième chevalier. La fortune est pour vous,
sire, comme si vous étiez le roi Darius; car votre
royaume s'étend aujourd'hui jusqu'à la rivière
d'Aire, et tout le plat pays s'incline à votre domina-
tion.
aurélien. Sire, j'ai garni tous les forts de gens
d'armes et de peuple pour les garder; vous possédez
le château de Melun-sur-Seine, qui, selon moi, est
solide et de valeur, et dont j'ai moi-même fait la
conquête nouvellement pour vous.
clovis. Aurélien, en vérité, je n'ignore pas qu'en
tout temps, vous ne songez qu'à mon bien et mon
honneur; aussi ai-je plusde confiance en vous, sa-
chez-le à n'en pas douter, qu'en tout autre qui hante
ma cour. Mon amitié est plus profonde que ne peu-
vent l'exprimer mes paroles.
un prévôt. Cher sire, entendez sans délai les
nouvelles que je veux vous dire. Cher sire, le?
Saxons et les Allemands sont venus en votre pays.
Nous sommes tout stupéfaits de les voir; car ils sonl
en très-grand nombre, et ils ne s'appliquent chaque
jour qu'à nous faire la guerre, à prendre les gens, à
piller le pays; et si vous ne nous secourez bientôt,
vous verrez que vous perdrez le pays et les nom
mes.
clovis. Seigneurs, il nous faut être diligents à se-
courir ma terre, et partir bien vite. — Mon ami, lu
t'en iras devant, et partout lu commanderas qu'on
les combatte vigoureusement, hors des villes.
le prévôt. Sire, je vais faire sur l'heure votre
commandement.
clovis. Allons-nous-en sans plus tarder, ne res-
tons plus ici.
le deuxième chevalier. Sire, s'il vous semble
bon, nous nous en irons par où est ma dame; nous
ne savons pas si nous la revenons jamais.
clovis. Tournez-y vos pas, cela me plaît fort
aurélien. Allons-nous-en donc par ici , car je
crois que c'est notre mieux. '
SCÈNE LXI.
clovis, clotilde, chevaliers francs,
l'akmée.
clovis. Eh bien, dame! comment va ce lils? di-
tes-le-nous.
clotilde. Mon cher seigneur, soyez le bienvenu ;
Dieu merci, il est bien portant. Mais, où allez-vous
ainsi, vous et tous ces guerriers?
clovis. Nous allons combattre et repousser les Al •
lemands, qui viennent détruire et saccager mon
pays.
clotilde. Hélas ! je n'ai pas de conseils à vous don-
ner, mais, certes, si vous m'en croyez, vous seriez
chrétien comme moi, vous auriez reçu le baptême
cl vous seriez oint d'huile et du saint chrême depuis
longtemps.
clovis. Là, là, je ne vous en veux point; mais
vous dépensez vainement vos paroles. Vous êtes trop
sage en cette circonstance; cessez pour le moment.
Je vous dis à Mahomet (à-dieu), et m'en vais.
(iotii.di:. Cher sire, que Dieu veuille vous inspi-
y
2C7
clo
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
el
CL»
SB
rer la volonté d'embrasser sa fui, pour que vous
moi, nous ayons la mémo croyance!
le deuxième cuevai.ier. Eh, chère dame ! puisse le
Pieu, en qui vous avez fiance, accomplir heureuse-
ment votre dôsln !
clotii.de. Mue amis, quelque part que vous alliez,
faites «ne besogne telle que chacun y acquière de
l'honneur |MMii son corps et pour son âme!
le deuxième chevalier. Madame, je vous recom-
mande à Mahomet; puisse-t-il vous regarder de ma-
nière à vois avoir toujours en st garde!
clotildk. Beaux seigneurs, que Dieu écarte de
vous tout ce qui pourrait vous être désagréable,
et qu'il dirige toujours vos affaires de bien en
mieux!
SCÈNE LXH,
LE nOI DES ALLEMANDS, SES CIIF.V ALIERS.
.le roi des allemands. Eli quoi, seigneurs, à
quelle oisiveté sommes-nous abandonnés? Nombreux
comme nous le sommes, ne pouvons-nous plus
courir sus aux hommes de ce pays, et piller el mas-
sacrer femmes et enfants; el si quelqu'un se révolte
contre nous, homme ou femme, le pisser au lil de
l'épëe?
LE PREMIER ( H VALlir, ALLEMAND. CllOl' Sil'C, VOUS
avez grandement raison; mais avant, si Ton avisait
tout de suite à préparer la retraite quand elle sera
devenue nécessaire.
le deuxième chevalier ALLEMAND. Nous nous re-
tirerons par ici ; il s'agit surtout de toujours al-
ler en avant, sans être forcés de retourner sur nos
pas.
le roi allemand. Voilà qui est bien. Allons, sans
plus de paroles, je suis de votre avis.
SCÈNE LX1IL
clovis, aurélien, chevaliers francs, l'ar-
mée des francs; le roi des allemands,
seignel'rs allemands, leur armée.
clovis. Seigneurs, a ce que je vois et pressens, il
nous faut absolument combattre. D'autres fois déjà
nous avons assistéà des batailles, sans être nj morts
ni pris : il nous faut encore, pour acquérir de l'hon-
neur, attaquer nos ennemis et venger notre pays de
ceux qui t'envahissent à tort.
aurélien. Sire, puisqu'ils se tiennent cois, c'est
que leurs affaires vont mal. Ils pounont bien nous
donner du tracas; mais vous verrez qu'ils feront
tant qu'à la fin ils seront, battus. Soyez prudent. En-
voyez savoir en quel lieu ils se trouvent, a un de les
attaquer à l'improviste, et qu'ils ne nous surpren-
nent point.
clovis. C'est bien dit. — Iluchon, mon doux ami,
Mahomet vous garde ! Allez aux renseignements,
ayez des nouvelles de ces allemands,
l'ècuïer d'aurélien. Cher sire, trop tôt vous en
aurez; néanmoins je veux obéir à vos ordres. Je
pars, et vous recommande à Mahomet. — Seigneurs,
c'est fini, me voici de retour. Je vous le disais bien,
je les ai trouvés flui viennent tout droit ici sans faute
pDur vous attaquer et vous combattre : c'est leur in-
tention.
clovis. Allons vite! rangeons-nous (en bataille)
sans tarder , et puis après nous marcherons sur
eux. Je compte les tenir si prl'set si court qu'ils
n'échapperont à la mort, qu'en se mettant à ma
merci.
le deuxième cuevaher de clovis. Cher sire, je
LiS vois venir ici ; serrons tellement nos rangs qu'ils
ne puissent nullement pénétrer parmi nous.
LE TROISIÈME CHEVALIER ALLEMAND. ReildeZ-YQUS,
rendez-vous sans combattre : c'est le mieux en vé-
rité; car nous sommes une si grande quantité de
gens qu'on ne peut nous nombrer, et que vous ne
pourrez jamais vous débarrasser de nous.
LE TROISIÈME CHEVALIER DE CLOVIS. Non , nOIl,
vous mourrez tons aujourd'hui. — Frappons sur eux,
sans quartier : ils sont venus ici marchander ce
qu'ils n'emporteront pas; ils ne l'achèteront pas-
moins qu'au prix de leur vie.
le roî' allemand. J'ai grand'envie de le tuerr eÉ
je le ferai incontinent. Tiens, va, je te ferai changer
ton regard menaçant.
aurélien. Mon cher seigneur, je vous dirai que s»
nous nous fions seulement sur nos forces, je ne vois
pour nous que perte et ruine. Ces gens ne sont nul-
lement las, et ils sont en bien plus grand nombre
que nous. Dans celte bataille, aucune vaillance hu-
maine ne nous sera de quelque utilité et nous em«-
pêchera d'avoir le dessous. J> vous le conseille,
veuillez prier d'un cœur humlfc la vertu divine (jo
dis le Dieu que la reine ma maîtresse vous prêche
si souvent) qu'elle vous délivre de ces guerriers; et
promettez incontinent à ce Dieu que, s'il vous
tire honorablement du danger , vous croirez eiv
lui.
clovis. Aurélien, que ferez-vous vous-même?
dites-le moi.
ai rélien. Par ma foi! je ferai comme vous, si
tant est que je sois vivant après le combat.
clovis. Jésus-Christ, fils un Dieu vivant, qui
changez les plus douloureuses extrémités des cœurs,
en douces joies; ô vous qui prêtez aide et secours iv
ceux qui mettent leur espoir et leur confiance en
vous, à ce que dit ma femme, Clotilde; Seigneur, je
vous prie humblement de me donner la victoire suî"
mes ennemis qui m'entourent, et s'il en arrive ainsi
sous mes yeux, je vous promets de nie faire bapti-
ser et de croire en Vous. J'ai bien invoqué mes dieux;
mais ii ne m'en c>! rien apparu de bon ; au con-
traire ils se sont éloignés de moi. C'est pourquoi je
je me déclare contre i ux, devant vous, en présence
des faits. .Mes dieux sont sans puissance, et nul ne
doiteroireen eux, puisqu'ils n'aident ni ne secourent
dans le malheur ceux qui les révèrent. C'est pour-
quoi j'ai le désir de croire en vous, mais livrez-moi
mes adversaires et faites que je me tire d'ici à
mon honneur.
le deuxième cmv.vLiER de clovis. En avant, sei-
gneurs! en avant! dès ce moment, ne songeons qu'a
fort combattre : allons! Nous avons le dessus, ci
l'avantage du combat; car j'aperçois là par terre
leur roi étendu mort.
LE QUATRIÈME ALLEMAND. Ail! (JUC dil'C? qiie COIll-
prendre? Eh quoi, nous avons le pire dans cette
guerre? lieras! comme nous serons honnis! Od
vraiment, je prends la fuite.
clovis. En avant, beaux seigneurs 1 aujourd'hui
songez â si bien faire que nouspuissions,vousctnioi,
acquérir encore de l'honneur.
le premier ALLEMAND. Sire roi , sans combattre
davantage, prêtez-non une oreille favorable 1 1 pro-
pice : nous vous supplions, ne laissez pas dans ce
combat périr plus de nos hommes; nous nous ren-
dons à vous, nous sommes entièrement à Votre"
merci, cher sire.
clovis. Holà, seigneurs! je mets ces gens-ci sous
ma protection : ne combattez plus contre eux; puis-
qu'ils cèdent à mes volontés et qu'ils me demandent
paix et merci, je veux qu'ils les aient.
le deuxième chevalier de clovis. Qu'ils il 'aient
pas peur, ils les auront, puisque vous le vou-
lez.
clovis. Seigneurs, retirez-vous donc; après avoir
oui mon conseil, je réglerai quel tribut je prendrai
sur vous comme mes sujets.
le deuxième allemand. Sire, nous vous hé paye-
rons désormais tous les ans tel qu'il sera fixé ; eu
vérité, nous ne nous y ref.isèrons on rien.
2G!>
Cl.O
aurélien. Allez, il vous fera savoir ce qu'il vou
dra que vous lassiez à son égard.
SCÈNE LX1V.
CLOVIS, SES CHEVALIERS.
unci.uN. Sire, il est bon que vous laissiez, ce
pays et que nous retournions en Fiance : nous y
serons bien mieux qu'ici.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE CLOVIS. C'est Vrai,
c'est aussi noire avis; nous serons avec nos com-
patriotes . ce qui fait que nous vivions le cœur
souvent plus joyeux.
CLOVIS. Eli bien, puisque vous le souhaiter, je
veux qu il soit fait selon votre demande : allons-
nous-en vile sans réplique par cette roule.
le troisième chevalier. Allons. Certes, lorsque
la reine vous verra, elle aura beaucoup de joie à
entendre raconter la victoire que vous avez rem-
portée.
c.LOvis. N'en doutez pas, cela lui sera bien rap-
porté; je vais auprès d'elle.
SCÈNE LXV.
CLOVIS, CLOTILDE, CHEVALIERS.
clovis. Dame reine, que Dieu vous conserve son
amitié!
ci.oiu.de. Cher sire, pour l'amour de Dieu, qui
vous a appris ce saiui, et où avez-vbus pris l'idée
de me le dire?
clovis. Mon amie, c'est notre Seigneur Jésus-
Christ, que je tiens pour vrai Dieu. Savez-vous
pourquoi? Je viens d'un pays où j'ai porté des guer-
res si terribles contre les Allemands et les Saxons
que c'est merveille à raconter. J'ai vu l'heure, n'en
doutez pas, où mes hommes étant en rang pour
combattre, avaient plus de quatre hommes contre un.
Alors je ne savais que faire? toutefois je ne reculai
pas. Ayant imploré de toute mon âme ic secours de
mes dieux, ayant eu recours à eux, comme ils ne
taisaient ni chaud ni froid, en celte extrémité; et
au milieu du massacre de mes gens, Aurélien, le
pieux, le noble, s'en vint médire : < Cher sire, im-
plorez l'ode et le secours de Jésus-Christ, » Dame,
j ■ le lis, et sur l'heure une partie de mes ennemis
s'enfuit ; les autres se rendirent. Ainsi je les conquis
du coup; et, puisque Jésus-Christ ne m'a pas oublié,
j.' ne l oublierai pas : je me ferai baptiser pour l'a-
mour de Dieu, cl ci la bientôt, dame.
cLOTiLDE. C'est ainsi, cher sire, que vous sau-
verez voire ame et aurez Dieu pour ami. Per-
mettez, je vais man 1er Rémi, qui a le titre d'arche-
vêque de Reims; il vous enseignera, pourvu qu'il
vous plaise de lui prêter attention. Car désormais
vous ue devez plus Jouter, mais il vous faut con-
naître et croire que Dieu le Père, Dieu le Fils et
Dieu le Saint-Esprit sont trois personnes, et que
néanmoins, dans cette haute Trinité, il n'y a qu'une
divinité unique : voilà; m'entendez-vous!
1 ' ovis. Dame, pour Dieu! mandez vite Demi; que
je le
clotilde. Qui voulez-vous que j'y envoie, mon
cher seigneur?
clovis. Envoyez-y ce chevalier, sans nul délai.
clotildè. Volontiers, sire. — Je vous prie de
m 'aller chercher l'archevêque de Reims; dites-lui
qu'il vienne bien vite ici vers moi.
le premier chevalier. Volontiers, dame, par ma
foi! J'y vais; sachez que je ne m'arrêterai pas que
•« ne I amène ici.
SCÈNE LXVI.
IN CHEVALIER, SAI.'.T REMI, CLERCS.
. LE PREMIER CHEVALIER. J' le vois là-bas, c'CSl
Lien à propos — (il snir.i Jlemi.) Sire, ne lardez
dictionnaire n::s mystères. Cfco îti»
point : je viens ici de la part de la reine, qui vous
prie, au nom de l'amitié, de venir auprès d'elle.
l'archevêque. Sire, allez devant tout de suite, car
je laisse tout pour vous suivre. — Vous deux, ve-
nez où je vais.
le premier clerc. Sire, tenez pour sûr que nous
le faisons.
le deuxième clerc. Certes, nous allons avec vous
dès maintenant.
SCÈNE LXV 11.
LES MEMES, CLOTILDE.
le premier chevalier. Chère dame, voici l'ar-
chevêque, ([ne je vous amène ; il n'a ni retardé, ni
attendu au lendemain.
clotildè. Or, qu'il soit le très-bien venu.
SCÈNE LXVIIÏ.
CLOTILDE, SAINT REMI.
c.lotilde. Ça, ça, archevêque Demi, asseyez-vous
à mes côtes sans plus de cérémonie.
l'archevêque. Dame, ne me priez pas de me placer
dans un siège aussi élevé ; il doit me suflire de.
m'asseoir ici en bas.
clotii.de. Eu vérité, vous vous asseoirez ici, sire,
■car'VOUS n'èles pas moins élevé en dignité que moi.
— Voici pourquoi je vous ai mandé : Monseigneur
a faim d'être baptisé et veut devenir chrétien ; mais
il ne sait pas quels sont les articles qu'il faut croire
et observer : c'est pourquoi je vous prie de vous
souvenir, quand vous serez admis en sa présence,
de lui montrer le vrai chemin du salut.
■.'archevêque. Certes, dame, c'est grand'joie, s'il
lui plaît de m'écouter. Non, non, certes, je ne l'ou-
blierai pas. Je m'en vais même tout de suite auprès
de lui pour lui dire toute ma pensée, puisque tel esl
son désir et telle son intention.
c.lotilde. Sire, vous êtes un homme sage : ins-
truisez-le de manière à ce qu'il ne ri tourne pas à ses
faux dieux.
l'archevêque. A. lieu, dame. Par la foi que je.
dois à saint Pierre! je ferai à cet égard le mieux que
je pourrai.
SCENE LX1X.
SAINT REMI, CLOVIS, CHEVALIERS.
l'archevêque. Que Jésus-Christ, Fils de Dieu le
Dèie, qui voulut souffrir en croix pour nous l'an-
goisse de la mort, accroisse vos honneurs, roi puis-
sant!
clovis. Sire, ce salut au nom de Jésus, me plaft
fort ; car voire D.eu m'a été très-utile et jamais je ne
l'oublierai; une autre fois je vous dirai plus à loisir
pourquoi.
l'archevêque. Sire, iaissez-moi vous parler un
peu? veuillez m'écouter avant que je m'en aille.
clovis. Oui, sire, parlez sans crainte : je vous
écoulerai volontiers, et je vous répondrai.
l'archevêque. Sire, voici ce que je vous annonce :
Il esl un Dieu sans lin, qui jamais n'eut de commen-
cement ; (le celui-ci est venu un Fi!s, de ces i\cu\
un Saint-Esprit; et ces trois, en vérité je vous le.
dis, ne so..t qu'un Dieu et qu'une volonté. Par ces
trois fut créé le monde et toutes choses dans les cieux.
11 est vrai que l'homme l'ut fait de terre. C'est lui-
même qui, par ses crimes, s'est mis dans lin escla-
vage si rigoureux qu'il s'est fermé le paradis; il a
contracté une dette telle que depuis il ne s'en e^t
nias acquitté, et il n'y avait nul homme capaïle i*e
iilérer le monde quand le F. h de Dieu descendit
dans le sein de la Vierge et y devint bon me. C'est
lui qui, par sa saint1 passion, a fait la . edempiou
du genre humain en offrant son corps à la mort.
Ah ! c'est le doux miséricordieux, qui jamais ne
manque dans la nécês itc ; ah '. < '■ ; Cch i qui ='--
971
CLO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CON
272
court de près de loin ceux qui l'aiment ou non, pour-
vu qu'on l'implore de bon cœur; il n'y a oas de
doute.
clovis. Saint père, je vous écoute volontiers, et
crois comme vrai ce que vous dites. — Seigneurs,
avez foi aux paroles de ce saint homme; recevons
tous réellement le baptême, et que chacun soit
bon chrétien : c'est moi qui vous le dis bien , nous
ne pouvons rien faire de plus noble.
le premier chevalier. Cher sire, veuillez in'en-
tendre : pour nous tous, je vous fais celle déclara-
tion : Nous sommes d'accord de laisser les dieux
mortels et de nous adresser au vrai Dieu des cieux
que prêche Rémi; désormais nous croyons en Dieu.
clovis. Rémi, sans plus attendre , baptisez-moi,
et me donnez tout de suile la qualité de chrétien.
l'archevêque. Sire, je ferai de bon cœur, de
loin et de près, ce qui vous plaira. Allons! voyez
les saints fonts prêts : dépouillez-vous.
clovis. Mon doux ami, je me déshabille à l'instant
d'un cœur joyeux. Allons! me voici déshabillé :
qu'ai-je à faire de plus?
l'archevêque. Pour refaire de vous un nouvel
homme, il faut que vous vous mettiez ici dedans à
genoux, non pas la face contre terre, mais les mains
jointes.
clovis. Sire, vous serez obéi en tout point : m'y
voilà mis.
(Ici vient un pigeon avec une fiole.)
l'archevêque. Ah! doux Jésus-Christ, ami véri-
table, comme vous conduisez vos œuvres de bien à
mieux ! Seigneur , vous avez vu du haut du ciel que
le chrême me manquait. Grâces vous soient rendues,
Seigneur, de votre envoi par ce pigeon!
clovis. Eh ! que sens-je de si bon? Sire, est-ce ce
que vous tenez entre vos mains? Jamais, depuis que
je suis né, je ne sentis une aussi noble odeur; elle
m'a mis le cœur en grande allégresse. Certes, je
suis convaincu que c'est une chose sainte, car il n'y
a ni violette, ni lis, ni rose, ni baume, ni cyprès, ni
térébenthine , ni fleur de cannelle , quelque pure
qu'elle soit, ni tout autre épice que je pourrais
nommer, que cette odeur ne surpasse et ne laisse
derrière elle.
l'archevêque. Sire , dites en un mot que Dieu
vous aime, vous ne mentirez point, puisqu'il veut
que vous soyez oint d'une liqueur aussi précieuse
et d'où vient cette noble odeur que vous sentez.
clovis. Hàlez-vous de me baptiser, je vous en
prie.
l'archevêque. Cher sire, vous serez délivré sur
l'heure et sans dilficulté; maintenant tenez-vous coi.
Dites-moi, renoncez-vous à Satan?
clovis. J'y renonce», n'en douiez pas, sire , c'est
vrai.
l'archevêque. Il me faut aussi savoir si vous re-
noncez à ses pompes et à ses œuvres, comme un
bon et parfait chrétien.
clovis. Oui, je suis très-décidé à y renoncer.
l'archevêque. Seigneurs, il faut, je vous le dé-
clare, changer ce nom de Clovis : comment le roi
aura-l-il nom ?
LE DEUXIÈME CHEVALIER. Louis : sil'C , C'CSt Ull
beau nom.
l'archevêque. Louis, croyez-vous en Notrc-Sei-
gneur. Dieu le Père, qui créa le ciel et la terre, vous
et moi? dites-le bien vile.
clovis. Oui, en vérité, sire, j'y crois certaine-
ment.
l'archevêque. Et que Jésus-Christ est son Fils
véritable, né de la Vierge, homme et Dieu, et ayant,
pour nous racheter, souffert sur la croix la passion
de la mort?
clovis. Sire, je suis convaincu que tout cela est
vrai, et je le crois ainsi.
:.'archevêque. Et, dites-moi, croyez-vous de
même que le Saint-Esprit soil Dieu? Croyez-vous à
l'Eglise catholique . a la communion des saints r à
la rémission des péchés, et à l'universelle résurrec-
tion , où les bons seront mis en corps et en aine
dans la gloire céleste, et les mauvais jetés au mi-
lieu des tourments éternels?
clovis. Je crois tout ceci véritable, et je n'ei»
doute point.
l'archevêque. Et à cette heure que demandez-
vous de moi? Parlez, révélez votre âme.
clovis. Je demande le baptême de sainte Eglise.
l'archevêque. Vous l'aurez. Eh bien ! je vous
baptise comme chrétien, soyez-en convaincu, au
nom de Dieu le Père, le Fils (un peu d'intervalle) et
le Saint-Esprit aussi. Que le Dieu tout-puissant,
qui vous régénère par cette eau, et qui vous donne
par le Saint-Esprit, la rémission de vos péchés au
moyen de celte onction que vous sentez sur votre
tète, veuille vous joindre à lui dans la gloire éter-
nelle!
clovis. Amen ! Je l'en prie bonnement de tout
mon cœur.
l'archevêque. Seigneurs, je vous demanderai un
grand drap pour envelopper sa tèle et son corps
jusqu'à terre.
le deuxième chevalier. Il ne faut point en ?.!ler
chercher : sire, je l'ai tout prêt.
l'archevêque. Donnez-le-moi , donnez : c'est
bien. — Sire, il faut être enveloppé de ce drap-ci
depuis le haut de la tète jusqu'à terre. — Seigneurs,
à vous tous, à l'instant même, levez-le haut entre
vos bras. Que l'un de mes clercs prenne ses habits,
dont il se revêtira de nouveau, quand ce jour-ci sera
passé. En avant ? ne tardez pas à l'emporter en son
palais. Mes clercs et moi nous suivrons et nous
chanterons les louanges de Dieu, dont la grâce a si
puissamment agi, que la sainte Eglise a gagné un
aussi noble champion. Or sus! chantons Te Devin
laudamus.
CONARDS (Les). — Les Couards, comme-
les lotis, les sols, les sclaffards , sont l'un
des noms qu'ont reçus, au moyen âge, les
sectateurs de la fêle des Fous. Il reste d'eus
des rits extrêmement altérés el ne conser-
vant plus nT caractère moral, ni caractère
religieux, q;u'a conservés Du Gange. (V
Abbas Conardorum ), et qu'ont cilés du
Tilliot et l'abbé d'Arligny. — Voy. Fête des
Focs.
CONCEPTION ( L'immaculée j, ou le
Triomphe des Normands» — Voy. Triosl-
piie des Normaivds (Le).
CONCEPTION (La). — Les frères Parfait
onl remarqué que deux éjJitions particuliè-
res de la Conception avaient été données
vers 1522 el 15Y0, par Alain Lotrian , sous
le litre de : Mystère de la Conception, Nati-
vité d'Annonciation de la benoistc Vierge
Marie, arec la Nativité de Jésus- Christ et
son Enfance. Ils ajoutent que l'auteur du
Mystère de V Incarnation , représenté à
Rouen, en 14.14, s'est évidemment servi
plusieurs l'ois du texte de la Conception. —
Voif. Passion, 11, S k.
CONDAMNATION DE BANQUET (La).
— AI. O. Leroy a signalé, dans les biblio-
thèques du nord , plusieurs manuscrits de
la Condampnation de Banquet.
Cette pièce date de la fin du xvc siècle, et
ne contient pas moins de six à sept mille
vers.
Les frères Parfait l'ont indiquée a la suile
des éditions de la Nef de Santé et du Gou-
S75
cor
DICTIONNAIRE DES HYSTERES.
CRE
274
vernail du corps humain , pièces en prose,
imprimées, pour la première fois, on 1507,
pour Anlhoine Vérard , et, plus tard, pour
la veuve (Je Jehan Tranperel et Philippe le
Noir (Histoire du théâtre français ; Paris,
15 vol. in-12, 17'i5, t. III, p. 124 132).
De Boauchamps intitule cette pièce la
Condamnation des Banquets, et J'attribue à
Nicole de La Chesnave, Rech. sur les Théât.
de Fr. ; Paris, 1735', in-8°, a vol., t. 1",
p. 306.) La Bibliothèque du Théâtre françois,
ouvrage attribué au duc de La Vallière,
(Dresde, 1768, in-8% 3 vol., t. I", p. 89) en
donne l'analyse sous le même nom de La
Ghesnaye, et sous le même titre, également
inexact, des frères Parfait ou de Beauchamps,
la Condamnation du Banquet ou des Ban-
quets.
M. 0. Leroy la considère comme flamande
d'origine (Etudes sur les Mystères; Paris,
1837, in-8°, p. 372), et en donne l'analyse
suivante que nous préférons à celle des
frères Parfait :
« Une bande de gens, menant joyeuse
vie, sous les noms de guerre de Maugeons-
Tout, La Soif, Bois-à-Vous, Sans-Eau, etc ,
sont traités h bouche que veux-tu , chez le
gros et splendide Banquet , qui les a reçus
avec quelques dames , et Dieu sait quelles
dames ! l'une est la Friandise, l'autre la
Gourmandise , une autre est la Luxure.
Tout à cou]), au moment où moins ils y
pensent, nos riants convives, assaillis par
une troupe d'ennemis effrayants, hideux, et
qui ont pour noms : La Colique, la Goutte,
la Jaunisse, Esquinancie, Hydropisie, etc.,
se mettent à pousser en chorus avec leurs
lidèles compagnes, des cris de possédés.
Une de ces demoiselles, Gourmandise, est
nouard, dans le Journal des Savants (Juin
1836, art. sur le Mi/st. de saint Crépin, p. 367).
date du xive siècle le mystère des Couches.:
de la Vierge, ainsi que celui de la Création.
(Voy. Passion, II, § 4.)
CREATION (La).— Mystère de la seconde
moitié du xve siècle, dont le manuscrit est
conservé à l'Hôtel de ville deTroyes, et dont
M. Vallet de Virivillc a, pour la première
fois, publié quelques extraits, en 1842, dans
la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (t. III,
p. 4'*8-475), sous ce titre, fort obscur : No-
lice d'un mystère par personnages représenté
à Troyes, vers la fin du xx° siècle. Selon
M. de Viri ville, la preraiôrejournée contien-
drait une scène de la Création, la seconde la
Nativité, la troisième la Résurrection. A par-
tir de la seconde partie, l'éditeur a cru re-
marquer une analogie étroite entre ce mys-
tère et la fameuse Passion d'Arnoul Gres-
ban, à tel point que le manuscrit de Troyes
devrait servir pour l'édition de l'œuvre de
Gresban. 11 n'y aurait donc d'original que la
première journée et une faible partie de la
seconde. En raison même de ces allégations,
que rien, du reste, ne justifie encore, il
semble que l'auteur de la Notice eût dû s'ap-
pesantir surtout sur la partie qu'il considé-
rait comme originale; c'est celle, au con-
traire, dont il a le moins donné d'extraits,
et, en général même, ces extraits sont si
malheureusement divisés, et l'ensemble do
son travail est si étrangement obscur que,,
dans l'impossibilité d'avoir le manuscrit
entre nos mains, nous bornons là celle note.
Il est à souhaiter que ce mystère trouve un
éditeur plus intelligent, et nous en appe-
lons de tout notre cœur aux érudits de
l'Aube.
De Beauchamps a mentionné vaguement
saisie à la gorge par Esquinancie, tandis (Jans ses Recherches sur leg Théâtres (Paris,
que Luxure, sa lillc (remarquons cette pa- 1733 3 vo| in.8o< t v% 227), on dialogue
rnnlf>l Inmhr» on rn oc mains nu lorn h a > , .• > . •' »t A J
renié), tombe entre les mains du terrible
La Goutte qui la met à la torture. Bois-à-
vous, Sans-Eau, et autres bons vivants, res-
tent sur le carreau. Le demeurant de la
bande joyeuse en est réduit à se jeter entre
les bras de Sjbriélé, qui appelle Remède a
son secours.
« Gros -Banquet, traduit devant Expé-
rience, est condamné à mort. La sentence
porte que la Diète fera l'office de bourreau.
Le malheureux demande à se confesser, il
harangue l'Assistance, tout le monde lo
plaint, le confesseur l'absou\ et la Diète
l'étrangle... (Ibid., p. 372-373). » — Voyez
Nicole dk la Ciiesnaye.
CONFLIT DES VERTUS ET DES VICES
d'Isidore de Séville.— En 1835, dans son
Cours professé à la Faculté des lettres,
M. Magnin citait, parmi les monuments du
sur la création, la vie de N.-S. en vers an-
ciens.
M. Raynouard attribue au xiv' siècle les
mystères de la Création, de l'Annonciation
de la Vierge, des Couches de la Vierge et de la
Passion. (Journal des Sav., Juin 1836, art. sur
le Myst. de Saint-Crépin, p, 367. Voy. Pas-
sion, II, § 4.)
CRÉPIS (Saint) ET SAINT CRÈP1N1EN.
Il exi.ste plusieurs mystères manuscrits de
Saint-Crépin et Saint-Crépinien.
L'un de ces manuscrits se trouvait dans
la Bibliothèque de M. de Soleinnes ; il est
resié inédit.
Un autre est conservé aux Archives do
r.Kmpire. Il date du commencement du
xv' siècle. Il a été publié, pour la première
fois, par MM. Chabailles el Dessales. (Mystère
de Saint-Crépin el de Saint-Crépinien ; Paris,
théâtre, au vu* siècle, le Conflit des Vertus Silveslie, 1836, in-8°, de xx-196 p.)
de saint Isidore de Séville. (Voy. Joum.
quot. de l Intr. publiq., 25 mars 1835, l'rse-
mestre, in' article, p. 190). Rien, dans cet
écrit de saint Isidore, ne nous a paru tenir
ni de près ni de loin au théâtre. Le dialogue
ne constitue pas le drame.
CQICUESVEI.A VIERGE Le^j. - M.Ray-
Dans l'introduction qui précède ce texte,
les éditeurs parlent ainsi du manuscrit et
du mystère qu'ils mettent au jour : « Celui
que nous publions se composait de quatre
journées. Les trois dernières seules sont
parvenues jusqu'à nous. » (p. xiv.) De la
première, il ne reste que le résumé fait, au
27.5
CI'.E
Dh'.TIONNAlKE DES MVbTEiŒS.
CRI
tii
276
commencement de la deuxième , par le
messager et un fragment découvert dans
l'intérieur de la couvei ture de l'un des li ois
cahiers du manuscrit. Mais la légende de
Saint-Crépin permet de la reconstruire aisé-
ment, car l'auteur est instruit, et très-pro-
l)al)leinent ecclésiastique, et il suit exacte-
ment les hagiographes. — « C'est seule-*
ment dans la quatrième et dernière jour-
née que l'auteur a donné quelque carrière
ii son imagination. Le sujet est l'inven-
tion ou la découverte des corps des deux
martyrs. On y voit figurer, entre autres,
saint Eloy qui, en etl'et, construisit la châsse
où leurs ossements lurent renfermés. S'eni-
parant des miracles dn la légende, notre au-
teur les a présentés sous un jour plus frap-
pant, plus dramatique, plus conforme à son
but, celui d'inspirer la vénération pour ses
héros... » — « Cette journée se distingue
surtout par les rôles du ladre, de l'aveugle,
du boiteux, où l'on remarque une véritable
sensibilité... » — « L'auteur fait ressortir,
avec assez de bonheur, la fermeté, la pa-
tience, la douceur des deux saints! n (lbid,
p. xv.) — « Le mystère de Saint-Crépin et
Saint -Crépinien avait cela de particulier,
qu'au lieu d'être joué par les confrères de la
Passion, comme la plupart des mystères
connus, il était représenté par une troupe
particulière, une société d'ouvriers qui, tous
tesans, se réunissaient pou rcélébrena gloire
de leurs patrons. Tel était en effet l'usage
de la confrérie des cordonnniers de Paris.., »
— « Le manuscrit qui contient le mystère
de Saint-Crépin et de Saint-Crépinien fai-
sait partie des litres et documents retirés
des archives de Notre-Dame par le bureau
du triage des titres créé en 1793. Il est ac-
tuellement conservé aux Archives de l'Em-
pire, section historique, série M, n° 906, et
se compose do trois cahiers in-folio, format
d'agenda, écriture du commencement du
xv* siècle... >• [lbid, p. xvm.)
M. 0. Leroy, dans ses Etudes sur les Mys-
tères , (Paris, 1837, in 8°, p. 274), a donné
j'analyse du mystère de Saint-Crépin et
saint Crépinien, d'après la publication de
MM. Dessales et Chabailles.
Enfin, o'i trouve la notice suivante dans
le Journal des Savants, cahier de Juin 1830,
dans un article de M. Uaynouard , sur la
publication de MM. Chabailles et Dessales
(p. 373):
« Il a existé a Soissons, et ailleurs sans
doute, des religieux nommés Crépiniens. Ou
trouve sur ces moines une singularité que je
ne crois pas indigne d.'étre rapportée ici. Leur
costume religieux ne leur permettait pas d'a-
voir la tête couverte -, il parait qu'ils récla-
mèrent un couvre-chef pour se garantir des
maladies auxquelles ils se trouvaient expo-
sés, puisqu'il existe une bulle inédite du
Pape 1 inocent IV, à la date de 1248, adres-
sée h révoque de Soissons, qui autorise le
prélat à permettre que les Crépiniens por-
tent désormais un chapeau. Cette réclama-
{ion fut adressée par le couvent de Saint-
Crépin mnjeur, ainsi que l'atteste la bulle.
Plusieurs chartes font mention d'un autre
couvent de Saint-Crépin, et d'un troisième,
également situé à Soissons, sous l'invoca-
tion de saint Crépin et suint Crépinien... »
LE MYSTÈRE DE SAINT CREPIN.
Première journée.
Saint Crépin et saint Crépinien sont en
prison pour avoir blâmé la loi romaine, mé-
prisé les dieux; leur mort a été commandée
par les empereurs. C'est ce qui résulte du
prologue du prévôt llictiovaire, au comme .-
cernent de la seconde journée.
Il semble qu'un des persécuteurs des deux
saints ait été atteint d'une maladie subite ,
foudroyante : il invoque probablement, et
en vain, les dieux dans le fragment ci-des-
sus , retrouvé par MM. L. Dessales et P.
Chahailies.
... Pour qui pu soutenu la loi, mo iaisserez-voua
périr ainsi? Me faut-il doncjéiir à celte heure, dans
le désespoir, accablé de douleur. Mm mal ne peut
d jà plus être combattu, je le vois bien. Hélas ! que
de souffrance '....
Et porte-Lucifer, je veuîl
Que l il à vous mes biens..
Haro sur nos dieux et sur tous, je renie tous nies
dieux, si je ne suis vengé du forfait commis contre
moi. Qui plus mérite châtiment ? Ah ! j'enragerai
toute ma vie
Se d'eux ne vincq lanlosl à cliief...
Deuxième journée.
PERSONNAGES.
diec. premier SOLDAT (tirant,
NOTRE-DAME, tyran).
GABRIEL. DEUXIEME —
RAPHAËL. TROISIEME —
SAINT CREPIN. QUATRIEME —
SAINT CREPINIEN, CINQUIEME — (AigreiliOl).
rictiovAire, prévôt, sixième — (Aigi apai lv.
PREMIER CONSEILLER. SATAN.
SECOND CONSEILLER, IiF.ELZEBCT, diable.
LE CELLIER. DESTOURBET, dialll '.
LE l'REYOT rictiovAire (aux persécu'eurs) • Sei-
gneurs amis, écoulez moi ; {aux conseillers) et vous,
conseillers, venez ici près de moi. Vous n'ignorez
pas que nous avons ici deux chrétiens en prison, qui
blasphèment contre noire loi, et l'ont mépris des
dieux, chose indigne. Ce nous soi ail nue grande
honte s'ils parvenaient à abuser le peuple. Il ne
manque pas de gens pervers pour dire qu'ils ont rai-
son. Vous n'ignorez pas non plus que j'ai ordre
des empereurs de les me lire ions deux à mort s'ils
ne veulent abandonner leur loi et servir nés dieux
de toute leur àme. Or que faire? Donnez -moi vos
avis. Je suis tort en souci, cl vraiment je vomir, h
m'ètre tiré de tout cet embarras à mon honneur.
premier conseiller. Examinez-les, ei s'ils résis-
tent à la loi de Mahomet, il n'est si cruel loiirnnut
qu'il ne faille leur infliger; car on ne doit ni soute-
nir ni laisser vivre au milieu de nous de si entrepre-
nants ennemis qui bientôt auraient détruit noire re-
ligion. Faites-les amener ici sans hruil et de suite
devant nous.
DEUXIEME c "Nseiller. En ne consultant que le de-
voir, il doil leur arriver mal, et leur Dieu n'aura
pas le pouvoir de les arracher à une mort terrible.
Car, par nos dieux, ils ont grand tort, et il faut que
ce soient des misérables de préférer tous deux la
n:o;i aux ordres de nos nobles empereurs. Aussi sera»
477
GRE
BICÏlONNAliiE DES UfSTGRES.
CiiE
278
l-on bien aise tic les nie! Ire ;;i,\ plus rudes tor-
tures.
rictiovaire. (Aux suliluis.) Soldais, recevez mes
ordres : atfea «le suite chercher les deux diffama-
teurs de noire loi, nos prisonniers. Allez, nous avi-
serons aussitôt aux tourments à leur infliger: s'ils ne
veulent se repentir de leurs fausses et mauvaises pa-
roles.
premier soldat. Ce ifesl pas moi qui y mettrai du
relard, s'il vous plail de les avoir. (.4 ses camarades.)
Or sus, camarades, faisons notre devoir de les aller
quérir; car nous devons délester de tels diffamateurs
des dieux. Allons les chercher, je vous prie, el de
suite, el sans hésiter.
deuxième soldat. Je suis certes content d'y aller
pour l'amour de Hicliovairc. Ne nous arrêtons pas
davantage. Allons les chercher, je vous prie. Par ma
loi, je ne les aime guère, el plût à Mahomet qu'ils
r.is:eii déjà morts , tant j'ai de répugnance à teur
parler. J'en suis, en vérité, tout ému de colère.
premier conseiller. Prenez garde, quand vous les
mirez avec vous, qu'ils ne vous échappent pas ; car
tenez pour sûr, el j'en fais serment, leur fuite retom-
be rai i. sur vous, ci vous paieriez pour eux.
deuxième conseiller Oui, prenez garde, quoi qVil
en pùi arriver, qu'Us ne vous échappent, car les em-
pereurs vous feraient d'abord nietlie à la lorlure, e*.
puis à mort.
troisième soldat. S'ils se sauveiil, nous voulons
mourir d'une mort terrible, el ce sera bien l'ail. Mais,
pour les amener ici, il faut les aller chercher de
suite. Soit maudit de Ions nos dieux, celui qui aura
pi'ié d'eux! el halons-nous de nous mettre en cho-
Jniii ; allons bon pas.
quatrième soldat. J'ai grande envie de vous suivre.
Par Mahomet et par Jupiter ! si c'est à nous qu'est
laissé le choix des tortures, 'lisseront mal tombés,
car, bien certainement, nous le ferons tous de grand
cœur. Mais, sans relard, en avant, ei allons les cher-
cher.
PRE HIER soldat. C'est leur mort qu'ils sonl venus
■quérir au mibeu de nous, dans ce pays; car ils v
sonl grandement détestés : je le dis devant lout le
monde.
deuxième soldat. Il faul qn'l y ait on eux une
bien grande perversité, el, par Mahomet* ce sont des
misérables de diffamer noire loi.
troisième soldat. Oui, oui, par le respect dû a
Mahomet! on n'eût pas dû les la ni garder: I! fallait
les mettre à mort de suite, dans îles tortures affreu-
s s el inouïes.
quatrième soldat. Quand nous les aurons m's aux
mains du bon prévôt Hieliovaire, s'ils ne se garent,
je crois qu'il leur donnera quelque occupa- ion.
saint (REPiN. 0 vrai Dieu, dont la lèle fut si cruel-
lement couronnée d'épines , qui, pour le salut uni-
versel, fûtes étendu sur la croix ; qui eûtes le cô é
percé pour la résurrection des hoinmes ei leur < éli-
vrai.ee hors des noirs abîmes el des souffrances de
-'enfer! Seigneur, do .1 la vie n'est que v rite, je
vo;is supplie de lout mon cœur! je vous demande se-
cours au milieu de nos ennemis, de nos peines, de
nos tribulations, de nos souffrances! — Dôme Vierge,
nous le prions de vouloir bien demander aide pour
nous a ion Fils. Puisse notre demande te plaire, très-
douce Vierge.
saint crepinien. 0 Dame, qui ouvrez les portes du
Paradis {Dame de Paradia concierge), je vous supplie
de tout mon cœur! je vous demande de prier pour
nous voire doux Fils, afin qu'il nous soit favorable.
Sans doute, ô Vierge, vous le vîtes, désespé ée, sur
la croix; mais il nous rachetait du péché d'Adam ;
sans doute, o Vierge parfaite, votre, çyur en fui dé-
chiré; mais il fallait que cela s'accomplit. Douce
Dame, piicz voire Fils, afin (pu: l'ennemi ne puisse
ions trouver faibles, afin que non- puissions endurer
les tortures que nous allons subir, afin que nous mé-
ritions <!t; le contempler dans le Paradis.
le geôlier. Par Maliom! Je suis surpris que Ric-
tiovaire laisse si longtemps ces misérables ici. Com-
ment ne les a-t-il pas dtjà mis à la lorlure? C'est
extraordinaire, Les aurait-il oubliée? Qu'est-ce que
cela veut dire?
Troisième journée.
Ricliovaire n'a pas oublié ses deux victi-
mes ; des tyrants (gardes) viennent les
chercher, le prévost les interroge, ils con-
fessent Notre-Seigneur Jésus-Chrisl :
PREMIER CONSEILLER.
F.oy que doy Mahom el Jupin!
Ils me l'ont trestout eshahir
De leurs paroles cy ouïr.
Ils sont livrés aux bourreaux, mais Notre-
Dame intercède pour eux :
Mon très chier Fils, accorde-moy
Cesle requeste, je le prie,
C'esl que l'angelical mesgnie (milice ungélîque)
Les voyx (aille) la jus conforter
El de Ion sainl nom exhorter.
En ce temps môme l'Enfer s'éJève contre
eux.
SATIIAN.
Enlraisner les voudrais granl erre (grand trerin)
El emporter desur mon col...
La passion des deux saints commence.
On les jette à Peau, mais
Ces deux qu'avons en la rivière
Celles, ils sonl à lie chiérs (avec un visage riant)
Oullrepassés...
On les laisse sans pain dans leur prison;
l'archange Gabriel leur porte « pain de con-
firmation. » Ils sont précipités dans un<!
fournaise ardente , les persécuteurs seuls
sont brûlés autour, Uictiovairo y périt. La
troisième journée finit.
Ces terribles nouvelles sont portées à.
Dioclétien qui s'écrie :
Haro! Mahom!! comment ave?
Souffert telle horreur advenir?
... Ils sont encore en vie
El si oui eu tant de hachie (lourmcnl)\
Comment peut ce fait advenir? .
Ordre de leur décollation est donné.. Sa-
tan s'émeut dans l'espoir de saisir au pas-
sage les âmes des deux saints. Mais Dieu
est là qui les reçoit. Leurs corps seuls res-
tent abandonnés à l'aventure; encore, par
l'inspiration du ciel, Puvie, bonne (hune,
Rogier le bon homme, leur donnent une
pieuse sépulture.
Quatrième journée.
La quatrième journée nous transporte dans
les cieux. Sur la prière de saint Crépin et
de saint Crépinien, les anges avisent saint
Cyr et saint Eloi du lieu où sont enfouis les
reliques des deux martyrs. Le Pape saint
Clément, l'archevêque, son chapelain, re-
çoivent les confidences de Puvie la bonne
dame et du bon homme Roger. Un ladre, un
démoniaque, le potenssi.cr, l'aveugle sont
279
DAN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
DAN
280
guéris. Il ne s'agit plus que dé demander au
roij de France une chapelle, le Pape s'en
charge
LE PATE.
Je vous promès bien que demain
Partiray pour a luy aler
- *^A
El faut voudray à lui parler
Que les osseinens en argent
Sera de mettre diligent...
Sus, be;\ux seigneurs, alons-nous-en
En louant île Dieu les venus,
Disons : Te Deum laudamus!
(Explicit).
D
DANIFL d'Hilaire. — Le Daniel d'Hilaire
est conservé dans le manuscrit des œuvres
de ce disciple d'Abailard, qui, connu depuis
1616, a passé, en 1837, de la Bibliothèque
île Rosny dans le riche dépôt de la Biblio-
thèque impériale. Cette pièce appartient à
la première moitié du xn* siècle. M. Cham-
pollion-Figeac l'a éditée, pour la première
l'ois, en 1838, parmi les œuvres d'Hilaire:
Il ii. \n 1 1 Versus et ludi; Paris, Téchener, 1838,
in-8\ de xv-61 pages.
L'éditeur, dans la Préface de cette publi-
cation, après avoir parlé du Lazare et du
Saint Nicolas du même auteur, a dit de Da-
niel: « Le sujet de Daniel est moins connu
dans l'histoire des pieuses représentions
mimiques du moyen âge; et s'il n'y a rien
de bien digne de remarque dans les pièces
de Lazare et de Saint Nicolas,... on accor-
dera plus d'attention à la pièce de Daniel,
qui est en deux parties, en deux actes, ou,
comme on dit et comme on fait aujourd'hui,
en deux tableaux. Celte composition a, en
effet, un caractère de gravité qui en a exclu
le refrain en idiome vulgaire... Celle pièce
est un ouvrage du genre, très-remarquable
par son étendue, sa division, la pompe du
spectacle qu'elle exigeait... » M. Champol-
lion a notéencore le titre « Historia de Daniel
representanda, qui n'est, on pourrait le dire,
ni en français ni en latin. » (P. xm.) Dans
un autre passage, le copiste a écrit : « Ado-
rare o liberare, » o pour tel ou id est, ayant
en effet mis le premier de ces deux mots
pour le second; et cette expression de o
n'est pas du tout latine, et pas beaucoup
française dans l'acception qu'on lui donne
ici. » (P. xiv.)
M. O. Leroy a cité cette pièce dans ses
Epoques de l'hist. de France ( Paris, Hachette,
1843, in-8", p. 78) ; il la considère comme
étrangère au théâtre national français. Nous
en donnons une traduction aussi littérale
que possible.
Le titre nous semble devoir être traduit:
Histoire de Daniel, mise en scène. — Voyez
Hil aire, disciple d'Abailard.
SCÈNE.
HISTOIRE DE DANIEL, MISE EN
PREMIÈRE PARTIE.
PERSONNAGES NÉCESSAIRES
HiN roi représentant bal-
THAZAR ;
LA BEINE ;
DAVID ;
quatre soldats :
quatre seigneurs
SECONDE PARTIE.
PERSONNAGES NÉCESSAIRES.
représentant
aux lions ;
Un autre ange pour em-
porter Ahacub dans la
fosse
Un troisième ange qui
chaule : Je vous ap-
porte la nouvelle
sous ion joug et sous ta puissance in vin -
L'N ROI
Darius.
DANIEL.
Soldats comme dans la
première partie;
Seigneurs ;
Un ange dans la fosse
PREMIÈRE PARTIE.
I.
Ballhazar paraît d'abord avec sa suite nom-
breuse et magnifique ; il s'assied sur son
trône; les soldats chantent devant lui cette
prose.
jordan. Chantons tous aux applaudissements du
peuple, chantons la puissance de ce prince illustre,
dont la grandeur est digne de lotit notre respect, car
elle s'étend au loin sur les terres et la mer. Soi»
père a pu triompher de l'ennemi, en enlevant les
vases de l'autel du Seigneur, en frappant Jérusalem
du glaive fatal, et en conduisant triomphalement
la population de cette cité misérable. Et loi, prince
superbe, fils du victorieux, non moins omnipotent,
dont le regard pénètre et glace de crainte, il est
juste que ion nom résonne en tous lieux, puisque lu
suis si bien les Iraces de ton père , en met la ni -les.
rebelles
cibles.
le roi à ses soldais. Qu'on apporte au milieu de
ces festins, les vases précieux dont mon père s,o
rendit maître dans la ruine de Jérusalem.
les soldats apportent les vases. Réjouissons-nous
aujourd'hui avec ce roi magnifique, dont la force et
la volonté font trembler lanl de peuples. Sa puis-
sance écrase tout cœur rebelle; elle fait frémir
jusqu'aux habitants de l'Asie. Pour rappeler à sa
mémoire les triomphes de son père, niellons sous
nos yeux les dépouilles de Jérusalem. Sa puissance
écrase tout cœur rebelle ; elle fait frémir jusqu'aux
habitants de l'Asie. Ses ennemis épouvantés, l'uni-
vers glacé d'effroi, loul comme autrefois à ton père,
est encore soumis. La puissance (de noire roi) écrase
lout cœur rebelle; elle fait frémir jusqu'aux habi-
tants de l'Asie. Tu es le véritable poitrail de Ion
père, el le plus grand roi des rois, successeur ter-
rible et Dieu même, selon nos cœurs. La puissance
de noire roi écrase loul cœur rebelle; elle fait fré-
mir jusqu'aux habitants de l'Asie.
IL
On voit une main qui écrit au-dessus de ta tête du
roi : » mane: teciiel: phares. »
111.
le roi, plein de terreur, à ses soldats. Vile, vite,
cherchez dans ce royaume tous les savants capahàts
d'expliquer le sens de ces mots écrits ici.
281
DAN
DICTIONNAIRE DES .MYSTERES.
DAN
282
IV.
Quatre mages approchent.
le roi. Sages babyloniens, si vous êies vraiment
savants, expliquez-moi le sens de celle vision et ce-
lui tle ces mois; le ponvçz-vous? J'ai vu une main
écrire ces mois inconnus, je l'ai vue remuant, et je
n'ai pu en voir davantage. L'étail la main droite.
Elle écrivait,. bougeait, mais qu'a-t-elle écrit? Je ne
sais. Lisez celle phrase écrite, dites-m'en et les mots
et le sens, el je vous comblerai de présents.
les quatre SEIGNEURS s'éiant retirés un peu à Vê-
carl et revenant bientô', répondent an roi. Nous ne
pouvons ni donner le sens de celle phrase, ni même
en déchiffrer l'écriture.
le roi. Que lotit le pays apprenne donc ma vo-
lonté suprême : celui qui aura expliqué ceci avec
certitude, sera couronné d'or, velu de pourpre, et
assis sur mon trône même, comme un troisième mem-
bre de ma puissance.
V.
niL.URE. Saint, ô épouse du roi, remarquable par-
mi toutes les femmes, dont la sagesse extrême con-
naît les choses les plus secrètes, et qui es la gloire
de loul Ion sexe. Viens auprès du roi, dans ses pa-
lais, afin de faire paraître aux yeux de noire prince
la science merveilleuse. Viens à l'instant donner un
conseil à (on mari. O loi qui, seule entre toutes tes
compagnes , n'as pas un défaut el dont la parole
laisse stupéfaits les savants, lu es bien la digne
épouse d'un roi; el ion génie surprenant suffit seul
à diriger cet empire. Viens donc rassurer le roi
dans ses incertitudes, et donner à l'instant les avis
à ton époux.
VI.
LA reine au roi. Ne soyez point troublé, Ballha-
zar, de celle vision imprévue : il y a ici Daniel à
qui rien n'est inconnu. Nous avons, lui el moi,
constaté quec'esl un miracle divin, et dans les temps
passés, les fails de celte nature ne manquent pas.
O Roi, donnez l'ordre <pic l'on cherche D.in el, el lir,
saura expliquer ces mots indéchiffrables.
le roi à ses soldats. Serviteurs, cherchez Daniel,
j'ai besoin de ses conseils.
Vil.
les soldats amenant Daniel. Au loin loul ennui
en ce jour, la joie seule a place ici, grâce à Daniel
dont la science prévoyante de l'avenir peut révéler
l'inconnu. Les choses futures ne lui sont pas plus
obscures ou incertaines que les choses passées. Il va
expliquer la vision subite du roi. Celui qui doit in-
terpréter ces lelires recevra , selon la promesse
royale, des présents immenses, el le Irône el la
pourpre. Mais, dans Babylone, nul encore n'a rien
compris à ce mystère. El c'est nous qui allons pré-
senter au palais du roi celui qui, sans nul doule,
va dévoiler le sens de la vision royale.
VIII.
Ensuite le roi à Daniel. Ce que nous avons ap-
fu-is esl-il vrai? Noire vision sera-t-elle interprétée?
/esprit des dieux esl-il en loi, et connais-tu I s
mystères impénéirables aux hommes? Eh bien, s'il
en est ainsi, révèle-nous, à l'instant, le sens île celle
phrase, el si lu peux l'expliquer, la fortune e3l
faite.
Daniel au lloi. O prime, ne pariez pas de ces ré-
compenses insignifiantes, je veux faire connaître les
merveilles de ces lieux sans en tirer de profit. N'a-
vez-vous pas, parmi les objets affectés au service
de votre personne, les vases sacrés de Dieu? Voilà
votre condamnation. Ces mots dont vous cherchez
le sens attestent voire ruine : Munc veut dire que
demain vo-s ne serez plus roi; Teckel indique que
le royaume esl déjà mis dans la balance et qu'il y
paraît bien léger; Phares, c'est sa division; et tout
ceci n'annonce que la volonté immuable do
Dieu.
LE roi couvrant Daniel de vêlements magnifiques
el le faisant asseoir auprès de lui. Celui qui nous a
expliqué le sens de ces mots recevra la pourpre, se-
lon ma parole, il sera assis à la droite du roi, el mê-
me il régnera avec nous, el sa sagesse recevra pour
récompense le tiers de noire royaume. (Aux soldats.)
Selon les paroles de ce vrai prophète, emportez loin
de nous ces vases, nous ne les emploierons pas,
comme autrefois, à de profanes usages, car il no
faut pas qu'ils soient pour nous l'occasion d'une si
éclatante ruine.
Les soldats emportent les vases et reconduisent la
reine.
iordan. Salut, épouse du roi, gloire de Babylone,
ô dame qui connais tout ce qui est utile à ton sei-
gneur, dont la sagesse conseille si bien, el dont le?
paroles sont plus douces que celles d'aucune autre
parmi toules les femmes. Tout l'empire repose sur
ta prudence, el aujourd'hui nous nous réjouissons
de ton bon sens si grand. Il y a trois éloges que lu
mérites : la beauté, la sagesse el l'esprit, qu'on ne
trouverait point réunis ailleurs ainsi. Oui, lu es di-
gne de la compagnie d'un roi.
(Aussitôt Darius, roi des Perses el des Mèdes, sur-
vient avec son armée, \il tue Battliazar] el, lui en-
levant sa couronne, il la place sur sa tête; il s'as-
sied sur son Irône. On entonne un chant en son
honneur.)
SECONDE PARTIE.
I.
hilaire. O Darius, il est séant de chauler en vo-
tre honneur, el nous sommes tons également joyeux
d'esprit en récilanl les louanges qui vous sont dues.
Les Perses craignent votre joug, el Ions les peuples,
car les plus grands, les plus petits, vous sont ('gaiement
soumis. Nous sommes joyeux en chantant les louan-
ges qui vous sont dues. Quiconque ne vous obéit
point, seul le poids de votre colère, ô roi si étrange-
ment puissant ! Nous sommes joyeux en chantant les
louanges qui vous sont dues. On éloignés ou voisins,
tous sont courbés sous votre sceptre, aussi nous en-
tourons voire personne royale, nous célébrons vos
hauts fails, el nous sommes joyeux en chaulant le*
louanges qui vous sont du. s.
II.
quelques-uns parlant à Dar'us de la sagesse de
Daniel. O roi plus puissant qu'aucun aulre, faites
chercher le très-savant Daniel ; loul le monde sait
combien il est habile, el Balihazar l'aimait beau-
coup.
III.
Les soldats au peuple.
jordan. Seigneurs de celle cilé, apprenez les vo-
lonlés du roi omnipotent et gardez- vous d'en faire
fi. Il y a un homme dans Babylone, inconnu, supé-
r.ciir néanmoins à tous les autres par sa science, el qui
a prédit la chute du irône de Ballhazar. Nous de-
mandons son attention ; que chacun le cherche pour
l'amener au palais, où il fera partie de la maison
royale.
IV.
Ceux qui «mènent Daniel chantent ainsi.
hilaire. Vive Daniel aujourd'hui! dont la sagesse
connaît loul. Il porte en lui l'Esprit qui sait le
futur comme le présent. Sa science peut donner La
283
DAN
DiCTîChNNAIRE DES 5IYSÏE&ES,
DAN
2:u
pais an Roi et nous le conduirons au palais, con-
vaincu d'y amener avec lui le bonheur et la joie.
V.
Daniel paraît devant le roi.
le roi. On a parlé devant nous de ta sagese à
découvrir les mystères, et si lu nie donnes d'utiles
avis, je mettrai sous la main des provinces à gou-
verner.
DANiF.t. 0 prince , je n'ai nulle envie de vos
dons, mais si vous avez besoin de moi, je mets
une condition aines services, c'est qu'ils ne seront
pas payés.
Le Roi Fait monter Daniel auprès de lui.
Les envieux, à celle preuve de bienveillance
du roi, et pour nuire à celui-ci, ne trouvant
rien a reprocher h Daniel, autre que sa loi et
son Dieu, se rendent auprès du roi.
VI.
LES ENVIEUX.
simon. 0 Roi , faTles observer les décrets portés
par des princes illustres. Parmi ces lois, il en est
hne qui défend d'ador r d'autre Pieu ijtie le roi,
Vous seul êtes Dieu au-dessus des dieux, roi des
Gentils et des Katdéens. Vous seul devez donc être
adoré, aussi longtemps que vous dominez sur les
peuples et possédez l'empire. Quiconque enfin
cherche hors de vous un autre patron , doil être
jelé en pâture aux lions.
le noi. Telle est aussi ma volonté, et tout ce que
la cilé a voulu, doil élre exécuté.
vu.
(Daniel se relire à l'écart pour prier son Dieu. On
le voit.)
les envieux au roi. 0 roi qui comiuandez dans
Babyloue , c'est en vain que l.i cité fait des décrets.
Aiisi elle avait onb né de vous adorer durant
trente jou sa l'égal d'une des divinités des cieux ;
cl Celui capahiu de faire risée des décrets royaux,
devait justement su' ir le supplice des lions.
le noi. C'est vrai, il y a eu un décret pour que
je fusse redouté comme un dieu, et tout le monde a
dû eél hier ma divinité.
les envieux. Nous avons pourtant vu Daniel ho-
norer un Dieu; qu'il soil donc jeié en pâture aux
iious pour avoir méprisé les décrets de Darius, roi
de Babylo.ie.
le noi. Si en effet il n'a pas obéi à mon ordre,
il sul.ira le supplice des lions, qu'il a mérité.
Vill.
{On conduit Daniel à In fosse aux lions. — Le roi
eu en fureur. — Néanmoins des gens consolent
Daniel, parmi ceux qui V accompagnent.)
ihlaire. Serviteur de Dieu , ne sois pas au déses-
poir (\u supplice qu'on l'n.flige; mais aie confiance
en ton D.eu, et le lion ne le louche: a pas.
IX.
Daniel prie en entrant dans la fosse. Dieu de la
terre. Dieu du ciel, e'« si à loi seul que je me
recommande; donne -moi un défenseur pour me
«farder dans ces extrémités.
(Un ange apparaît dans la fusse, armé d'un glaire et
défendant Daniel de Rapproche des lions )
X.
(Un autre ange approche d'Abacnb qui porte à dîner à
ses moissonneurs ; il parle ainsi : )
simcn. Abaeiih. voici une nouvelle céleste, rends-
loi auprès de Daniel , porles-lui dans Babylone
les vivres (pie lu as sur lôu épaulé, caria fureur
•les lions s'esl apaisée 'cv ,n: lui.
abacub. 0 Dieu , Ignorez-vous que je ne sais ni
où esl la fosse, ni où csl la ville dom vous me
parlez.
(L'Ange le prend par un cheveu et le porte à ta
fosse.)
XL
(Il est debout et parle à Daniel-)
Abacub. Bon homme , aimé de Dieu , épargne par
le lion, Dieu même l'a fait son élu ici-bas. Cher
frère, prends-donc ce qu'il t'envoie.
XII.
Daniel , rendant grâces à Dieu , s'écrie : l{\-
laire , oui cela esl visible, Dieu a voulu me
sauver, en daignant m'envoyer des vivres par un
messager; il a fait plus, il a calmé la rage des lions;
et il m'a accordé, ce que nul ne pouvait me garan-
tir, un ange pour défenseur.
XIII.
Darius, qui était si furieux, vient voir
Daniel.
darius. Bon homme, crois-tu que Ion Dieu , à
qui lu ne cesses d'3dresser des prières , le gardera
sain cl sauf des dénis du lion?
Daniel. Mon Dieu m'a envoyé un défenseur invin-
cible qui a su contenir la rage des lions.
le roi. Eli bien , quelle faute a-t-il donc commise?
vraiment arrachez de là cei homme juste, el quant
à son accusateur, jetez- le dans la fosse.
(Les Envieux sont précipités dans, la fosse et dévorés
par les lions )
XIV.
Le roi prend Daniel par In main, le con-
duit à son trône et l'y l'ait nsseoir. Il dit à
ses soldats :
le roi. Publiez partout ma volonté qui est que
chacun rende honneur au Seigneur Dieu de Daniel;
el si ce décret n'est pas obéi, il y aura punition à
l'instant.
XV.
les soldats an peuple Ecoulez : el ne faites pas fi
des ordres du roi : il veut que l'on honore le Roi
du ciel, créateur de tomes chose-, que lu -même
révère; et si quelque téméraire résistait, il périrait
affreusement • telle e»l la volonté de Darius.
JORDAN*....
XVI.
daniel prophétise ainsi : Fidèles , soyez tous
joyeux. Les maîtres de la Judée vonl tomber dans
le néant. Un Seigneur naîtra dont l'Empire abattra
les royautés el les droits les plus sacrés qu'elles
comportent. Quiconque aura la foi du roi Darius,
sera récompensé des joies éternelles.
XVII
Un ange apparaît qui chante le: Nuntium
vobis fero, etc., etc. Ensuite , à Matines, on
en Ion no le Te Deum tandamus, à Vêpres , le
Magnificat anima mca Dominum.
DANSE GÉNÉRALE (La). -Au milieu
tlu XIVe siècle, en Espagne, on trouve une
moralité intitulée: Dansa général en que
entran todos les eslados dr gentes. (La dense
générale de toutes les conditions du monde.)
Celle pièce a éié tirée d'un manuscrit de \;\
B bliolhèque île l'Escurial. Attribuée par
2Sr; BEF WûTiOXNAlRE UES MYSTERES. BES 2S8
quelques auteurs a Rabi l\ Sanlo.qui vivait et les jongleries îles hrwris'de déceninrd et de
dans le temps lie don Pô ire de Castilie, elle janvier dans les églises, et entre autres cou-
n été déclarée, après un nouvel examen du tûmes anciennes déslunnèles, celles du dé-
manuscrit, appartenir à un poêle absolument fruit. Le détruit était un repas que donnait
inconnu. D. Touias Sanchez l'a publiée dans au clergé tout personnage, laïque ou ecclé-
>a collection de poésies castillanes anté- siaslique, à qui, aux Vêpres, entre Noél et
Heures au xv' siècle (t. IeliV), et D. Eu- l'Epiphanie, était concédé, d'ordinaire par
gouîode Ochôa l'a signalée dans son Trésor l'offrande d'une branche d'oranger, le droit
du thédire espagnol, imprimé à Paris en 1838'. d'entonner le psaume Mémento, farci de
Ge dern er auteur déclare fort obscure la gloses françaises ridicules et sacrilèges. L'o-
question de savon si celte-pièce a jamais élé rigine de cette coutume anlérieuie au xin*
représentée ou si elle n'était qu'un chant de siècle, est restée des plus obscures el parmi
jongleurs. La Mort est le personnage prin- les étycuologies proposées du mot defmctus,
cipal de la pièce : « Je suis la Mort, dit-elle, il n'en est aucune qui mérite d'être rappor-
la Mort, maîtresse de toute créature pré- lée. On peut consulter, à cet égard, dans le
seule ou à venir dans ce monde; et jo Mercure de lévrier 1726, une lettre écrite
m'écrie : 0 homme, pourquoi tant de soins d'Auxerre.
pour une vie si rapide?... » Un prédica- DiîNIS (La conversion de saint). — La
leur, reprenant le thème lugubre de la né- conversion de saint Denis, de même que le
cessilé de mourir, y trouve une raison martyre du même saint, est conservée dans
loute-puisSanle de pratiquer en ce monde le manuscrit de la bibliothèque Sainte-Gene-
les bonnes œuvres.. . viève à Paris.
DANSES CONSACRÉES (Les). —L'usage Ce drame date du xv' siècle.
des danses, qui sont un des faits particuliers La Bibliothèque du Théâtre franc ois, ou-
à la lète des Fous, remonle à une très-haute vrago attribué au duc de La Vallière (Dresde.
antiquité. Les Pères de I Eglise et les cou - 1763, in-8°, 3 vol., t. I", p. 36), dans lequel
ciles les ont de tout temps poursuivies avec ou trouve la mention ou l'analyse de tous
force. Elles ont subsi-lé, néanmoins, dans les mystères contenus dans le manuscrit do
l'immixtion violenté etcontinuelledes laïques Sainte-Geneviève, n'a pas parlé de celui-ci;
aux choses ecclésiastiques. On dansait dans probablement à cause d'une mention à la
lescimetièr s, dans lechœur des é, lises, dans tin du texte qui relie, en troisième journée,
les cryptes mêmes où reposaient les corps cette pièce à celles du martyre de Sainl-
des saints. Les chanoines de Saint-Martial Etienne et de la conversion de Saint-Paul.
dansèrent dans le sanctuaire de la toasiliqute Nous cons;dé:ons néanmoins ce drame
abbatiale au xvme siècle même, comme au- comme parfaitement distinct et complet eu
trefois à la translation du glorieux confes- soi.
seur leur patron (Dom Marte ne. De ant. Le texte a été publié par M. Achille Juhi-
ecel. disc.,v\i. 28; Geoffroy du Vigeois); nal dans ses Mystères inédits du xv siècle,
à Cbâlons-sur-Saêne, c'était tantôt dans un (Paris, 1837, in-8", 2 vol., t. lrr, p. i2-91).
pré, tanlôt autour d'un monument consacré
(Gerbert, t. Il); à Constanlinople, c'était PERSONNAGES»
sous les voûles de la grande basilique. (Ce- saïst pol. l'aveugle.
DKENUS. ) pkemier PHILOSOPHE. ' DAMARis, femme île saiiit
A Besauçoti, dans les anciens rituels de puulius, second philos. Denis.
l'église collégiale de Sainte-Mai i -Madeleine, saint ôems, ô< philos. les enfants de S. dénis.
• m 'ret'Ouve ces danses grossières assignées g.(jMl pau] ar,.jvant de Grèce à Ronm,
au saiil jour de Pâques, et qui n'ont cessé, c0,mncnce tlv annoncer le christianisme; il
malgré la désolation de l'Eglise et ses déien- Bltftsle vis»à-vis de quelques philosophes, la
Ses réitérées, que dans les deux derniers siô- ,.- .,.,.„.. ,.•..,. pn
I / n w r "»r» \ ll.oLllll.lUUH Cl
cles (cf. Leber, p. 426 et suiv.) k ucrisï
Le jour de Noël, après Vêpres, les diacres ■* * "'
dansaient dans l'église en chantant « une Qui fil et lerre et firmament,
jnlientlé à saint Etienne.;» Le jour de la ^CTiS^
fôto de ce saint, celaient les prêtres; les Nanoii, mourut, ressuscita
entants de c œur, le jour de saint Jean I E- q„j l)i(Mli q„j |,omme :Uix cienx moula";
vangéliste; el les sous-diacres, le jour de la p„js j| vieillira dans sa majesté
Circoncision ou de l'Epiphanie. [Beletus, Jiger tous ceux qui ont ëié
LU), de div. o//'., c. 72 et 120; l'abbé «I'Arti- fcr ceux qui bout cl qui seronU
<;ny, mémoires de littérature, t. IV. Notice sur lk premier philosophe.
la fête des Fous; Leber, Collection des meil- Ll.s morlsl|0„c ressusciteront.
lettres dissertations; Paris, I8-Î8, 20 vol. in- _ . . ,
8°, t. IX, p. 230.) Sur le témoignage de saint Paul, les incre-
.M. Magnïn attribue à ces coutumes la dules se récrient :
naissance île la demie Macabre dans les arts. Homme, homme, vous êtes assolé.
[Journ. iién. de TJnstr. pubL.iSSo. 9 août, ... Ix , ,...• ,,.„ ,|..m!im|«
, Yis/ Mais saint Denis plus curieux demanue
DEFRDIT (Le). — Ce t une des piatiques (les P«'«"ves :
de la lète des Fous. Le concile provincial de S\;vr de.xis, le tiers {troisième) philosophe*
Jiarbonne, de l'ail 1551 , lié c; dit fes danses Ûiuu [beau) sire, vous devez savoir
587
DEN
DICTIONNAIRE DES HÏSTEltfcS.
DHN
28*
Qu'il ne sniifTrîsl (■•uffu) pas nuire rl-r* (r/crrs)
Dire ; mais dils sont vrais el rlers [clairs) :
Aincois (ainsi) il les convient prouver...
Saint Paul lui répond longuement : « Maî-
tre Denys, il n'est poi ut rie lia nature hu-
maine, do plonger au fond des secrets de
Dieu; sa parole fait notre loi, noire fui est
notre salui; « leroyde gloire » ne peut fa re
injustice, et les méchants, heureux dans ce
monde, seront punis dans l'éternité, tandis
que les bons, malheureux ici-bas, seront
heureux dans le ciel. »
Saint Denis est troublé :
Monllesl pleine de grand mystère
Sire Pol, votre loi nouvelle.
Saint Paul montre de loin les temples
païens, et demande :
Qui sont ces autels que je voy?
Ce sont ceux de Jupiter, Mercure, Mars, etc.
L'un est consacré «m un Dieu inconnu, à la pas-
sion duquel, un vendredi, la « nature se des-
natnra , » qui le monde renouvellera, « et
qui doit régner un jour. »
6AINT P'IL,
Maislre, c'est le Dieu que je presche
Saint Denis se retire chez lui ébranlé.
Un aveugle vient à rasspr, accablé de sa
misère, accusant les hommes, maudissant
sa condition funeste, mendiant, maladif, «lés*
espéré, affamé.
Hélas, bonnes gens, que feray-je?
Donnez-moi pour Dieu quelque chose
— Parlez bas, madame repose
— Au moins, me lemlez voslre main
— Oïl . oil, c'est a demain :
11 sera jeûne samedy
Saint Paul, ému, s'approche de lui, et lui
imposant les mains, lui rend la vue à la seule
condition d'aller se montrer à Denis.
I.e philosophe est converti par ce miracle;
lui, sa femme et ses enfants ronl baptisés
par saint Paul.
Saint Denis commence aussitôt d'écrire sa
Triple hiérarchie et sa Théologie.
DENIS (Le martykk de S.). — Le mystère
du Martyre de saint Denis est tiré du ma-
nuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève
à Paris.
Il date du xv' siècle.
Mentionné pour la première fois dans la
Bibliothèque du Théâtre français, il n'a été
publié que longtemps après, de nos jours,
par M. Achille Juhinal, dans les Mystères
inédits du xv' siècle (Paris, 1837, in-8°, 2 vol.,
t. 1", p. 100-169.)
M. O. Leroy s'e^ e.;t assez longuement
occupé dans les Epoques de l'histoire de
France. (Paris, 18'+3. in-8% p. 3&45.) Il at-
tribue a ce drame la date du commencement,
3t exprime le regret de n'avoir dit qu'un mot
le ce mystère dans ses Etudes, d'autant plus
que nul critique n'en a remarqué les grands
traits caractéristiques. Ainsi, dans les quo-
ibets très-fréquents de celle pièce, sciait
sensible ce caractère de ridicule déplacé pro-
pre au génie trop aisément rieur, aventureux
et ergoteur de la France. L'auteur du mys-
tère aurait probablement emprunté à quel-
que légendaire aujourd'hui imonnu, à Mas-
sus, par exemple, évoque de Paris au m*
siècle, ces principaux traits de ses raille-
ries.
Parmi les grossiers quolibets qu'a relevés
dans le Martyre de Saint -Denis, M. O.
Leroy (Epoq. de l'Hist. de France, Paris,
18V3, in-8°, p. 357), « un paysan dit, en
parlant du baptême administré par le saint
évêque :
Oyez que fait ce fol preslre :
Il prend de l'yaue en une escuelc,
El gèle aux gens sur la cervcle.
Et dit que parlant sont sauvez!
« Nous pourrions croire qu'il y a dans ces
vers et dans beaucoup d'autres pareils une
intention irréligieuse; non, ce n'était en-
core que pour reproduire l'esprit et les
mœurs des ancêtres, dans lesquels on n'é-
prouvait que trop le besoin de tromper, par
penchant à la raillerie... »
Le même ouvrage que nous citions plus
\n\i\. la Bibliothèque du théâtre françois,
attribué au duc de La Valbère (Dresde, 1768,
in-8°, 3 vol., t. 1", p. S-2-W), a donné de ce
drame le compte-rendu suivant :
a Saint Denis et saint Rieule viennent a
Rome, et de là ils partent avec d'autres
saints pour venir en France. Ils conviennent
entre eux d'aller dans les différentes pro-
vinces de ce royaume, pour y [rocher la
foi. Saint Denis et quelques-uns de ses
compagnons viennent à Paris. Dans une
conversation, ils nomment le Roi des rois.
Un Parisien leur demande si c'e.^t du roi de
la fève ou du pois qu'ils veulent parler.
Saint Denis s'engage alors dans une longue
dissertation sur les mystères respectables
de notre religion, et le Parisien se convertit.
Cependant l'empereur Domitien, irrité contre
les chrétiens, les persécute... il ordonne à
Fescennin, un de ses officiers, d'aller saisir
Denis en France et de le faire mourir dans
les tourments avec ses compagnons...
Fescennin fait arrêter saint Denis, on le
conduit en prison, on l'interroge, on le
tourmente par différents supplices, enfin il
est décapité. Le saint prend alors sa îête
dans ses mains, la porte tranquillement à
l'étrée (tout le long du chemin).
« Saint Sentin et saint Antonio, compa-
gnons de saint Denis, écrivent sa vie et
partent pour Rome. Ils arrivent dans une
hôtellerie où saint Antonio tombe malade.
Saint Sentin le recommande à l'hôte et
continue sa roule. Saint Antonin meurt;
l'hôte s'empare de sa bourse el jette son
corps dans la fosse d'aisances. Saint Senlin
averti par un ange de ce qui est arrivé à
son compagnon, letournc dans cette hôtel-
lerie, ressuscite saint Anlonin el reproche
à l'hôte son avarice. Ce mystère finit par la
paraphrase d'un texte de saint Grégoire
contre l'ingratitude. »
DENIS MïSTÈr.E de saint1. — De Beau-
283
DEN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Dl •;>
280
champs (Recherches sur les théâtres de France;
Paris, 1735, in-8°, 3 vol., t. 1", p. 227),
mentionne h mystère de saint Denis sous
le titre de Vie et passion de saint Denis; un
peu plus bas, p. 228, il cite : La vie de suint
Denis, apostre de France, avec figures, et la
Vie de saint Denis et autres, sans qu'il soit
possible de savoir s'il entendait des lé-
gendes, ou de nouveaux ^mystères, ou le
même.
Les frères Parlait ont donné dans leur
Histoire du théâtre français (Paris, 15 vol.
jn-12, 1735, 1. 11, p. 5il-5iG), l'analyse sui-
vante de ce drame :
Première journée du mystère saint Denis (148).
« Le commencement de cetle journée
est Tort ressemblant au second mystère
de la Conception ; Lucifer évoque tous
ses démons, qui sortent chacun par une
trappe, ou apparition : et lient conseil avec
eux sur les moyens de traverser les prédi-
cations des apôtres. Ensuite ils s'en retour-
nent tous aux enfers.
(Ici se (ait tempeste en enfer).
« Saint Denis étant en Athènes » va au
temple de Mars son dieu lutélaire, tandis
que Panopagès, philosophe péripatéticien,
et Apolofanès l'épicurien, vont adorer Pan
et Apollon. Ln sortant du temple, Denis
rencontre ces deux derniers, et s'entretient
avec eux de plusieurs questions de philoso-
phie, où il fait briller beaucoup de sa-
gesse.
(Ici se commence l'éclipsé, et Denis et ses compagnons
doivent foire grande admiration avant que parler,
et aussi les maître» de la loi d'Athènes).
« Denis et ses deux compagnons étonnés
de cette nuit subite, consultent avec les
maîtres de la Loi la cause physique qui peut
l'avoir occasionnée ; et n'en ayant su
trouver aucune, tous, sans en excepter
l'épicurien, concluent que cetle éclipse sur-
naturelle est au-dessus de leurs connais-
sances. Celte dispute les conduit à recher-
cher celte divinité supérieure, et enfin à lui
élever un autel.
(Pause, et doit- on chanter cependant que l'autel du
Dieu inconnu s'élèvera).
« Toute l'assemblée vient lui rendre ses
hommages; en suite de quoi chacun se re-
tire « en sa place, et cependant on chantera
« en Paradis Vinjo Dci genitrix. »
« La sainte Vierge, après avoir déploré
la mort de son ti.s Jésus, exliorte les
apôtres à aller annoncer sa sainte Loi.
MVIUE.
Prcscliez la irès-sainte Evangillc,
(148) Le manuscrit de ce mystère, Bibliothèque du
Roy, est assez bien écrit, mais il est si défectueux,
el il s'y rencontre tant de lacunes, qu'il nous est im-
possible d'en donner un extrait bien complet, ou de
marquer le nombre des journées qui le composaient.
Il est certain qu'il en contenait au moins trois. Les
vers ajoutés aux marge-, pour senir d'additions aux
rôles des acteurs, el leur catalogue que l'on voit à
la tète de la première journée, avec les noms des
Pour vraye; île, prednate
Evangelium, et cœtera :
« Pour faciliter leur prédication , la
sainte Vierge les instruit de ceitaines par-
ticularités qui regardent le Sauveur, et
qu'ils ne peuvent savoir; voici ce qu'elle
leur dit touchant l'Incarnation :
MARIE.
J'ay depuis apprys de mon Filz,
Qui m'a les f çoîis dénoncées,
Et lelz parolles prononcées,
Qu'en moy se mist le Saincl-Esprit,
El trois gouttes de mon sang prit,
(Du pur sang vital, il s'enlan',)
Et en tonna, en ung instant
Un corps, el dans cet instant-là,
L'àme divinement forma :
En cet instant, par unité,
Conjoignit la Divinité :
Aflin qu'entendra le vous donne.
C'esloytla seconde Personne
De la Trinité, etc.
« Les apôlres la remercienl.
(Ici se fait le dîner).
« Le reste de la journée, dont la fin
manque, contient l'élection des sept diacres,
et le martyre de saint Etienne. »
Deuxième journée.
« Saint Denis accompagné de Rustique et
d Eleuthère, vient prêcher le peuple de
Paris, qui attaché au culte de ses dieux,
porte ses plaintes aux échevins ; ces derniers
font arrêter saint Denis et ses compagnons,
et les interrogent sur le dieu qu'ils annon-
cent.
HE PttEHfER ESCHEV1N.
Voslre Dieu esl-il bomme ou femme?
Est-il venu, ou ad venir!
Est il mort, ou doil-il mourir?
Esl-il puissant, ou impuissant?
« Saint Denis sans être ébranlé, leur
prêche les mystères de notre religion, avec
tant de force, que plusieurs se convertis-
sent, et entre autres un pauvre homme ap-
pelé Lubie; les Parisiens se jettent avec fu-
reur sur lui, pour le conduire en prison,
mais ii disparait à leurs yeux.
(Ici se fait le dîner.)
« Lubie, non content d'avoir reçu la lu-
mière de.l'Evangile, en veut faire part à sa
femme; mais cette malheureuse, rejetant
ses discours, va l'accuser au prévôt Feste-
rnyn que Domitien vient d'envoyer à Paris;
ce prévôt fait conduire Lubie dans une
étroite prison, et ensuite arrêter saint Denis
et ses deux compagnons, à qui on fait en-
durer plusieurs tourments
La fin, qui est apparemment Je martyre de
saint Denis, manque. »
personnes qui les représentaient, nous font conjectu-
rer que le manuscrit est original, ou du moins une
copie rcrile du temps qu'il parut sur le théâtre. Voici
les noms que nous avons pu lire, car ils sont Irès-
mal écrits, et d'une autre main que celle du corps de
l'ouvrage.
Saint Barthélémy Pierre Gu<:rii>,
Saint Thomas Pierre Gauffi r.
Saint Pinaul, diacre hL. Clmbotv
291 iy\ DICT16NNAHIE DES MYSTEUKS TUA 502
DENIS (Mimes de saint)-. — Enguerrand rpnseignemen's que Tu i même ;i laissés
de Monstrelet (l. 11, p. 77) raconte qu'à l'en- dans ses vers. Duverdi r-Vauprivaz {Hiblio-
trée clans Paris d'Henri VI, rôi d'Angleterre, thègue française, p. 275) les a relevas; les
tut jouée, à la porte Saint-Denis, la légende frères Parfait {Hisi. du Théâtre français, t. 11,
de saint Denis. M. On es i me Leroy a cité celle 1735, p. 245; ont répété Duverdiep.
pantomime : « Le peuple de Paris, dit-il Duhnlle, Courlalon et Grosley. historiens
dans ses Epoques de l'histoire de France de la ville de Troyes, nous ont conservé la
(Paris, 18V3, in-8", p. 205), quand le roi au- mémoire d'une représentation de la Diable-
glais Henri VI y lit sa joyeuse entrée en qua- rie qui eut lieu dans leur cité au xvr siècle,
iilé de roi de France..., ou du moins une (Cf. Vallet df. Viliville , Arch. hist. de
confrérie (dramatique représenta sur son l'Aube ; Paris, 18V1, in-8', p. 329.)
passage, à la poi le Saint-Denis, le doulou- Kloi d'Amernal ou d'Amen rnal naquit à
loureux martyre de l'apôtre des Gaules, Béthune; il était prêtre, et maître des enfants
premier évoque de Paris. Y avait-il là une de chœur de la ville, lorsqu'il écrivit son
intention religieusement patriotique? Nous drame :
ne le croyons pas. « Ce mystère de h Dé- F, Jes & f de tob
« collation du glorieux martyr saint Denis Sill;jecl à Dien el h Fortmie
a lut moult volontiers veu des Anglois » Vivotant le moins mal qu'il petit,
nous, dit Moustreiet, an 1431. » Selon que Dieu disposer veuli
DESERT (Le). — Celle pièce est de la ce- Des humains à son appétit :
lèbre Marguerite de Navarre et date du xvi* Disciple, voire bien petit
siècle. Des chantres el musiciens,
Les frères Parfait, dans leur Histoire du Èiclerode tthétoricieiis;
Tkéâtxe français (Paris, 15 vol. iu-12, 1745, Presire iiKhgweei pouvre pescheur,
. m «m' ~. i • • i- i Des Lois Divines transgresseur.
V ?I,,P"«% L S° Une ri°UCe S0US la lll;!i^"1 e« l™1 l«"P» * Hcii
date de loio. D,; |;1 grace el iimm„. «ju Dieu
La Bibliothèque du Théâtre français, ou- Eldela grant miséikorde...
vrago attribué au duc de La Vamère (Dresde,
176:!, in-8", 3 vol., t. 1", p. 12!J, en donne ,U s'est expliqué dans le prologue de sa
l'analyse suivant u : piè; e d'une façon assez bizarre sur le motif
« Comédie du désert. La sainte Vierge ac- qu'il eut de l'entreprendre :
câblée de fatigue, s'élanl endormie uans le « Un jour, dit-il, étant couché seul dans
désert, Joseph va chercher des provisions, ma chambre, il me sembla qu'o i me trans-
Petnlanl .«-on absence, Dieu ordonne aux poitoit aux portes des Enfers et que j'en-
anges de changer ce désert en un jardin dé- lendois Salhan, qui conversoit lamihère-
licieux. A son réveil, la Vierge voit avec ment avec Lucifer, et lui racenoit toutes
surprise cette métamorphose. En même, 'es ruses qu'il employo t pour tenter les
temps, Dieu lui envoie Contemplation, Mé- Chresliens : car pour les hérétiques et ios
moire et Consolation. Contemplation lui infidèles, eontinuoit-il, connue ils me sont
montre un livre qui détaille toutes les mer- dévoués, je ne m'en embarasse gu. res. Le
veilles que le Seigneur opère journellement diable, croyant n'être entendu de personne,
sur la terre; Mémoire lui l'ail voir dans un découvioit à son maislie toutes ses r .ses
autre celles qu'il a opérées depuis la créa- sais déguisement. Et iorsque je fus de rc-
l[on; et Consolation lui dit que celui qu'elle l°ur chez moy, continue Eloy d'Amernal, je
lui donne est fait pour inspirer toute la re- pins promtement une plume, de l'encre et
connaissance que l'on doit ù Dieu pour lou- d i papier, et m'etanl mis à écrire, je cou-
les les grâces qu'il nous faut. Joseph arrive chai sur le papier, non tout ce que j'avois
alors avec quelques provisions, lesquelles entendu, mais seulement ce que ma foible
deviennent inutiles par l'abondance qui mémoire avoit pu retenir, afin «pie les Ghrer-
règne en ce désert, depuis qu'il en était liens, instruits d. s tours de Salhan, puissent
parti. Un ange vienl alors I'avertirdela mort les prévenir et les éviter. »
d'Hérode; il lui ordonne de la part du Sei- Naudé dans le Mascurat, p. 214 el 215,
gneur de retourner en Judée avec la sainte citait la grande Diablerie, avec bon nombre
Vierge el l'entant Jésus : Joseph en prend d'autres pièces du même temps, parmi les
aussitôt le chemin. » — Voy. Marguerite eu: ouvrages ridicules et ennuyeux dont le goût
Navarre. était alors répandu. Duverdier-Vaupi ivaz a
DIABLERIE (La). — La Diablerie d'Eloi mal daté dans la Bibliothèque française l'é-
Amernal n'est connue que par deux éditions dilion de Lenoir. Les frères Parlait (Hist.
qui en subsistent : la première, en 1507, du théâtre français; Va is, 15 vol. in-1-2,
chez Michel le Noir, à Paris, et la seconde, 17V5, t. III, p. 98-103;, en ont laissé une
peu après, chez la veuve de Jean Trapperel. analyse que nous reproduisons,
Le drame date donc du commencemciil . ' ,,,Q^
du xvie siècle au plus lard. Lv r,,;-vl{I-E'',L- ^tJ-
Il est intitulé tantôt La Deablerie, La Dia- . Le Livre de la Diablerie de Maislrc Eloy d'A-
blerie, tantôt La grant Dyublerie. mcrnal qui traicle comment Salhan faict
Hmonslrtm.ee à Lucifer de tous les inaulx
On n'a sur son auteur que les quelques dci
(149) « La Diub'erie, ou La grande Diablerie. On soil <1
'présentait autrefois à pinson moins de pcrsoniKi- jour L»
Sjcs, des pièces de dévotion, dans lesqucl'cs o:i l'ai- u». (les représentations s'appcîloienl pe'.tleov grand*
(149) « La Diub'erie, ou La grande Diablerie. On soil (l'ordinaire parniire ics diables qui dévoient nu
représentait autrefois à pinson moins de personn.i- jour u uni caler élernellenu ni les pécheurs endur
295 DIA DIC'HOMNAmE DES MYVIEUES. MA iH
que les mondains font selon leurs étalz^ va- «Pour redorer, continue Satan, la perte
rations, et mestiers : et comment il les lire « que la venue du Messie nous a causée,
à dampnation, Paris, Michel le Noir, Pri- « j'inventai l'iUulâlrie, Insu e, la mauvaise
vilege du 29 janvier 1507; in-folio gotin- « toi, et les sept péchés mortels. C'est moi,
(|ue. « par exemple, qui conduis les sorciers et
« Ce poëuie a élé compose vers Tannée « sorcières au sabbat sur des manches à
1500. Nous ne pouvons pas assurer qu'il ait « balay. » Comme Lucifer fait quelques
été représenté saraucun théâtre, néanmoins questions, auxquelles Satan ne veut pas
comirte il a élé composé dans celle intention, répondre, ce dernier s'excuse ainsi;
et que d'habiles gens (150) l'ont mis au sâtban.
nombre des poèmes dramatiques, nous Qui des fafclz de Dieu trrp avant
avons cru devoir en donne;1 une légère idée. S'enquiert, il est ! lui sçaviiul..
« La scène se passe entre deux acteurs Chaion aussi Docteur do bien,
seulement : Lucifer (151) et Satan, qui rend A son enfant le deffem bien :
compte au premier de tout ce qu'il a fait, Si fait l'Apostre ad Romanos,
depuis la création d'Adam, pour lâcher de 8 Ce n'est pas ton!, continuc-t-iî, j'ai si
''entraîner, avec, sa postérité, au plus pro- (( hien 0bsédé l'esprit de certaines femmes,
fond des enfers. « Voici, ajoute-l-il, |>ar « qu'aies croiraient avoir offensé Dieu rnor-
« quelle ruse je le lis tomber dans mes pie- „ lej;ement, si elles travaillaient le samedi
ges. Ce fut par le moyen de sa femme (( a,ni>s midi. »
« Kve. »
s.nmx
SATHAX.
■ .„„„,,, Je leur boule en 1 entendement
Je omis a In mec un» bernent, ,. . ,, r . ■ . ,,
Kl fa lemplay, s'on ne le peu! , Q»Ç S1 #« a,so,eilt «nllremeiH
A .elles enseignes, que la folie Ce jour-.a il leur mcscherroil,
Adjonslu foi à ma parollc , i.lcifer.
Et présenta à son niaiy „ .,,' . .
Le froid dont il fui puis marry, J0'1.'! f hff ÇfW0S P°lir f""6'
Quant il çougneul son grani i.vspas. Lsl"u do Lclz f;jill!S au ln0,ulc-
Diablerie. Petite, quand il v avoit moins de quatre personnages ae celle espèce. On peiil voir que pres-
mables : Grande, quand il y eu avoit quatre. D'où quêtons les mystères el les moralités sont remplis
csl venu le Proverbe : Faire le Diable à quatre. » (ltMTS S(eMes : »»e nouvelle preuve de ce goût est
(Le Dnchat, Note (I) sur le 4' Chapitre du premier ' a?enlure vraie ou fausse que Rabelais raconte du
Livre de Rabelais.) P°eie Villon (Rabelais, Iiv. v, ebap. lo. Voyez aussi
' (150) Le savant Naudé, qui connaissait assez Guillaume Rouehet S.rée, 2'), page 124 de l'édition
bien ces sortes d'ouvrages, n'a point hésité à le met- «,L* Lyon.) « Sus ses vieux jours, il se relira à Saine»,
ire au rang de nos anciens poèmes dramatiques. Maixenl en Poitou, soubs la laveur d'un homme de
Après avoir parlé de quelques pcéies français, vi- ''«en, abbe au lieu. La pour donner passe-temps au
vaut avant le régne de François 1», il ajoute : {Mas- peuple, entreprint faire jouer la passion en gestes et
curât de Naudé, pag. 214 ei 215) : < Si la Comédie langaige Pdictevin. Les roolles distribuez, le. joueurs
de Pailielin a eu plus de vogue, el que Pasquier en a recol'ez, le thealre prépaie, dit an maire cl esche-
rail un chapitre de ses Recherchés, voire meute v'ms< 'i110 k> ">y*iere pourra;! csire preàl à Pissuc
qu'elle ait eié traduite en latin per Alexandmm des forres'de.Hioil, resloil seulement Irouver ha-
Lonimbertum, ei imprimée à Pans, il y a plas île bilhunenls aptes aux personnages. Le maire
cenl uns, ça élé pluslosl à cause de la moralité, et el esebevins y donnèrent ordre. Luy , pour mig
des intrigues, des finesses delà femme et du ber- vieil paysan! habiller, qui jouoii D.eu le Père,
ger, cl de la diversité du langage, el autres cousi- requis! frère Eslicnnc, secrelaiii des Cordclicrs du
donnions semblables, que pour estre d'un style plus Heu, lui prester une chappe, el une estolc. Le se-
souieiiii que les précédons. Si tu cherchais l'anli- cretain le refusa, alléguant que par leurs statuts pro-
quiié de noire lui rlesque français, dans ces représen- vmciaux, es tu il rigoureusement dcflbiida de rien
talions que l'on f.iisoil autrefois par loules les bon- presler ou bailler pour les jouants. Villon repliquoil
nés villes, les Histoires du Vieil et du Nouveau Tes- «l"e '• sl»lul seulement coucernoil larces, inomuic-
t.ment, de la Passion de Noslre Seigneur, ou de ries, el jeux dissolus; et que ainsi l'a voit VU piali-
s.aincte Catherine, et autres saints, tu aurais beau- quer à Bruxelles, ei ailleurs... Adoncques faist la
coup plus de raiMHi : car il esl impossible de traiter monslre de la diablerie, parmi la ville, et le marché,
des matières de telle importance, avec une expies- (-L's diables éstoienl tous ca; arassonnez de peaulx de
sion plus basse ni plus ridicule. El je l'avoue n'a- !o"Ps » (|e veaux, el de béliers, passementées de
voir jamais lu le Mystère du Vieil Testament, joué lesies de moutons, de cornes de bœufs et de grands
à Paris, celui de lu Passion représenté moult triom- liavcsls de cuisine: ceints de grosses courraics,
plianlemehl à Angers ; Les Mies des Apostres, que esquelles pendoienl giosscs cymbales de vaches,
l'on s'eiouffoit pour voir en ce: le ville, «unis l'hôlèl tl sonnettes de mulet.-, à bruit hoirXicqne. Teiioienl
de Flandres, l'an 1541 ; La Vengeance de Noslre Sei- en '"••'"s auleuns basions noirs pleins de finies:
ijncur, T Homme pécheur, jouée à Tours, l'Homme aulnes porloient longz lizons allumés, sur lesquclz
'i uste el mondain : la Grande Diablerie et sembla- cl chacune arrefour jectoienl plcitcs poingnées de pa-
bles pièces, que Monsieur Brigadier a pris un soin rasinc eu poudre, dont sorioienl l'eu cl fumée ter-
particulier de recueillir, comme Du Uousiier faisait rible,.... Villon voyant advenu ce qu'il avoil pour-
les romans, que je ne me sois souvenu aussi de ce pensée, disl à ses diables, Vous jouerez bien, lies-
vers d'Horace : " sieurs les diables, vous jouerez bien, je vous allie:
SpMalu n admissi rhum lemealis, amici. » <*• Jl110 vous jpnerez bien; je despite la diablerie , e
Saubiiur, de Doue, de .Uonimorillou, <:c Langes!, de
(151) Les scènes où les diables paraissoicnl fai- Saincl Espaiu, d'Angiers, voire de pardieu, de Poic-
soienl tant de plaisir aux spectateurs, qu'on ne doit tiers, avec leur parlouoiie, au cas qu'ils puissent
pas trouver extraordinaire qu'Eloi d'Amernal ait être à vous paraugonez, > elc.
voulu composer un poème, où il n'introduit que des
295
D1A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
D!\
2«:6-
SATI1AN,
J'en conguois par loul à la ronde,
Mais relirons-nous, dit Lucifer, de crainte
qu'on ne nous écoule.
LUCIFER.
Sa (lia n, s'ilz l'escout oient bien ,
Ce se roi l peul-êlre leur bien?
Car lu dis cy des mois plusieurs
Bon pourculx, et pour lous pécheurs.
Mais il n'appartient puinl aux Dyables
De raçompter si lions notables.
DIALOGUE ENTRE DIEU, L'HOMME
ET LE DIABLE. — L'abbé Lebeuf (Remar-
ques envoyées d'Auxerre le G décembre 1728;
Mercure de France, 1729, décembre, p. 2985),
a attribué à Jehan Michel, qui reloucha la
Passion des frères Gréban, « une comédie
qui est un dialogue entre Dieu, l'Homme et
le Diable, qu'un manuscrit de Saint-Victor
de Paris coté 880 dit avoir été jouée l'an 142G
à Paris au collège de Navarre. » — Voy. Mi-
chel (Jehan).
DIEU (Le jeu de). —En 130+, dans le
Frioul, un Jeu de Dieu fut joué par des cha-
noines et des clercs, qui comprenait la
création, l'annonciation, l'accouchement de
Notre-Dame, et peul-Ôlre l'Antéchrist. (Cf.
la Chronique de Frioul, éditée parmi les
Monum. Eccles. Aquilii. p. 2 , col. 1; Du
Cance, Gloss. Inf. el tned. lut. , v° Ludus
Christi el Dei, édil. Henschell, Paris, Didot,
18V5. in-4", G vol., t. IV, p. 15G. — Voy.
Passion, H, § 2.
DOMINIQUE (Saint). De Beanchamps
(Recherches sur les théâtres de France, Paris,
1735, 3 vol. in-8% t. 1 r, p. 226), et la Biblio-
thèque du Théâtre Français, ouvrage atlribué
au duc de La Vallière (Dresde, 17G3; 3 vol.
in-8", t. 1er, p. 14}, ont menlionné et analysé
ce mystère.
Les Frères Parfait, dans leur Histoire du
Théâtre Français (Paris, 15 vol. in-12, 1735,
t. 11, p. 5^7-554-), en ont laissé le compte-
rendu suivant :
MYSTÈRE de saint dominiqle.
S'ensuit ung Mystère del'Instilutiondes Frères
Prêcheurs, et commence sainct Dominique,
lui estant à Rotnmevestu enhabit de Chanoyne
Régulier; à xxxvi personnages dont les
noms s'ensuivetit cy-après... Cy finit ce pré-
sent Mystère de sainct Dominique, nouvel-
lement imprimé à Paris par Jehan Trcppe-
(152) Nous donnons cel extrait avec d'autant puis
de plaisir, que le poème sur lequel il est (ail est
presque ignoré (n étant connu que par un pas-
sage peu correct de la Bibliotheqite Françoise de
Du Verdier (pag 275) qui n'en rapporte que le li-
tre, el le catalogue des personnages) el que l'exem-
plaire qui nous a éié communiqué est pcill-èlre
unique. C'esl un in 4° de 37 feuillets, ou 74 pages
à 58 lignes chacune, qui petit composer environ deux
mille vers. On ne sait pas le lems que ce mystère a
paru et encore moins le nom de fauteur; mais com-
me il se trouve relié avec un ouvrage en prose
composé sur le même sujel, cl dont voici le (iirc :
La Légende de Monseigneur Sainct-Dominique, Perc
et premier Fondateur de l'ordre des Frères Prescheurs
translatée de Latin en François, par vénérable llel.-
rel, Libraire el Imprimeur, en la rue Neuve
N -D. à l'Enseigne de l'Escu de France (152).
« Saint Dominique, brûlant de zèle pour
la gloire du Seigneur et de son Eglise, gémit
du désordre qu'il voit régner dans le monde,
Pendant ce temps-la, les trois Etais, Eglis.-,
Noblesse et Labour [labeurj, dirigés par Ob-
stination, s'abandonnent aveuglement à sa
conduite.
EGLISE.
Par discorde el giiefve efforce
Je vue 1 avoir des Bénéfices:
Dignités dix douze par force,
En commande, grandes Offices:
Des rouelles jaunes en coffre.
Oui ne veut vivre qu'à plaisance.
En lous plaisirs prenl ma passion ;
Car jeune chair, el viol poisson,
Si me donnent resjoiiisssance
LABOUR.
L'Eglise a Irop biens d'abondance:
Payer les disnies? Quel leçon?
Il faut user d'autre l'asson :
Ne faull il pas que Labour dance?
« Hérésie survient, et, conseillée par Sa-
lait, elle répand sur la terre :?on plus mortel
venin, ce qui irrite le Tout Puissant a un
tel point, qu'il menace les hommes des fléaux
de sa colère.
DIEU.
Vf, ve, ve habilantibus
Super (errant.
NOSTItE-ltAME
Bominibus
lia! mon cher Eilz, miséricorde.
« Pour apaiser le Seigneur, la sainte Vierge
lui présente saint Dominique, qui s'offre à
reprendre avec fermeté les défauts des hom-
mes, et à exterminer l'hérésie. Dieu accorde
cette grâce aux prières de sa sainte Mère.
Saint Dominique, sans perdre de temps, va,
avec ses deux compagnons, trouver le S. P.
pour lui demander la permission de prêcher.
(Saint Dominique à genoulx, et ses Itères, en parlant
au Pape.)
Pater Sancte, sâinclemenl triiiniphant,
llaull triuinplie d'Eglise militante:
Tenant les clef/, de la joyc triomphante,
Salut, honneur, comme au Chef Iriumphant.
LE PAIT.
F ili, quid vis
gieux, excellent Frère jean Martin dudit Ordre, et
du Couvent de Valenchesnes (Yalencienncs), imprimé
à Paris par. Jehan Trepperet, etc. — Nous croyons ces
deux ouvrages du même auleur. Ce qui fortifie nos
conjectures, c'esl qu'ils ont éié imprimés en même
lems el par le même imprimeur, et que les liues des
chapitres de la légende, sont en vers, de pareils
goûl cl mesure que ceux du mystère. Du Verdier-
Yauprivas p. 7"25 et Lacroix dû Maine, p. 243 de
leurs Bibliothèques françaises, parlent de < e Jean
Martin. Le dernier ajoute qu'il vivoil en l-nl 0. Mais
il y a une faute en ce qn'il a mis Valenrhens pour
V alenchenes. Au reste ceci se rapporte fou avec le
lems de l'impression, puisque, selon Laeail'c liv. n
p. 67 de son Histoire de l'Imprimerie, Jean 'I icrperel
imprimait dès 1 .95.
2-'»7
DOM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
DUL
'm
S. DOMINIQUE.
Souverain Héléphanl,
Voslre grâce, etc.
« Le Pape lui dit qu'il consultera cette af-
faire avec ses cardinaux : mais une vision
céleste, qu'il a la'nuit suivante, le détermine
à consentir aux désirs de saint Dominique.
Saint Pierre et saint Paul vont visiter ce
dernier, et lui promettent leur protection.
« Adonc saint Regnault abillyé richement,
« comme ung docteur en décret, demourant
« à Paris, appellera son Chappelain » et lui
dit qu'il va expliquer la sainte Ecriture.
« Tandis que saint Regnault est dans cette
occupation, inspiration divine lui commande
d'aller à Rome trouver saint Dominique. Ce
docteur, obéissant aux ordres du ciel, quitte
aussitôt ses écoliers, qui lui disent adieu les
larmes aux yeux, et prend le chemin de cette
ville, où il va visiter saint Dominique. Peu
de temps après il tombe malade, et demande
ce saint pour le confesser. D'un autre côté,
son cbapelain, qui le voit è l'extrémité, va
chercher un cardinal qui autrefois a été ca-
marade d'école avec son maître. Le prélat
alarmé mande aussitôt ses médecins , et les
conduit chez le malade.
m* avicenne, second médecin, en entrant.
Dieu soit céans*
s. Dominique, aux médecins.
Mais dicles-nioy, que vous en semble?
m» ypocras, premier médecin.
Plus morl, que vif.
S. DOMINIQUE.
Le cueur me tremble.
Mc AV1CENNE.
Quant à moy, je le liens pour mort.
« Les médecins, désespérant de la santé
Ce saint Regnault, sortent, et saint Domini-
que et les autres assistants implorent le se-
cours de la Mère de Dieu.
S. DOMINIQUE.
Vierge, nous metz-lu en défia u 11,
Quani nous perdons noslre secours?
LE CHAPELAIN DE S. REGNAULT.
Par un bien cruel sourbesault,
Vjerge, nous metz-lu en defiaull!
LE CLERC DE S. REGNAULT.
Conlre loy courray à l'assaull,
Veu que permelz si pileux cours-
SAINT DOMINIQUE.
Vierge, nous melz-lu en defiaull,
Quani nous perdons nostre secours?
« La Vierge Marie arrive à leur secours,
accompagnée de sainte Madeleine, de sainte
Catherine et de plusieurs anges ; elle rend
la santé à saint Regnault, et lui fait présent
d'un habillement blane, que ce saint, en la
remerciant, lui promet de porter le reste de
sa vie. Les médecins, étonnés de sa guéri-
son, n'en veulent croire aue leurs propres
yeux.
Dictionn. des Mystères.
M« AV1CENNE.
En vérité, j'yrai jusqu'au lieu,
Car ce seroil ung beau miracle.
« Saint Dominique, couvert d'un pareil
habit que saint Regnault, le quitte pour pas-
ser en Espagne.
S. DOMINIQUE.
En Espaigne je m'en iray ;
Pour consulter les Hérétiques
(Cy ne parlera plus sainct Dominique... Lors s'en ira
saincl Regnault à Boutongne.)
« On lui amène un pauvre Frère convers,
du monastère de celte ville, qui est possédé
du malin esprit : saint Regnault ordonne aux
religieux de lui donner la discipline.
S. REGNAULT.
Frappes fort.
LE CONVERS.
Haro, à la mort.
S. REGNAULT.
C'est le commandement de Dieu.
LE CONVEUS.
Hau Diables, venez à mon confor
S. REGNAULT.
Frappes fort.
LE CONVERS.
Haro, à la morl ;
Je cnide estre le plus fort.'
Bellement, ce n'est point de jeu.
S. REGNAULT.
Fraopes ic.ri.
LE CONVERS.
Haro, à ia morl.
S. REGNAULT.
C'est le commandement de Dieu.
« Satan, ne pouvant tenir contre un si sé-
vère châtiment, s'enfuit confus, et saint Re-
gnault, quittant ses frères de Boulogne, vient
trouver ceux du couvent de Paris qu'il con-
sole, et termine le mystère par un long ser-
mon qu'il fait en leur présence. » (Voy. Ins-
titution des Frères'Prêcheurs.)
DOMINUS REGIT (Le mystère de).— Les
registres de l'Hôtel de Ville font mention, à
Abbeville, à la fin du xve siècle et au xvi* siè-
cle,de la représentation d'un mystère tiré du
psaume Dominus régit. (Cf. F.-C. Loiundre,
Hist. d'Abbeville, 1834, in-8°, p. 238.)
DULC1T1US.— M. Magnin a dit de ce pe-
tit drame écrit au x' siècle par Hrolswilhe:
« Cet ouvrage, bien que composé comme
tous ceux du même écrivain, dans une pen-
sée d'édification et de piété est plus
qu'une comédie, c'est une farce religieuse.»
( Théâtre de Hrotsvitha ; Paris, 18i5, in-8°,
Préf., p. xl.) Nous ne saurions souscrire en-
tièrement à ce jugement très-sévère. Sans
doute le Dulcitius ne conserve pas, dans
quelques-unes de ses scènes, toutes les rè-
gles du goût, mais le lecteur doit se rappe-
ler que l'auteur écrivait au x1 siècle, dans
des temps très-barbares; et aujourd'hui
môme, combien ne sont pas licencieuses les
actions de notre théâtre, à une époque où
10
293
DHL
[DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
DIX
500
f ourlant la moralité publique a fait de réels
progrès sous l'impulsion de l'Eglise! De
plus, les deux ou trois scènes d'un comique
grossier que l'on rencontre dans cet ou-
vrage, ne doivent pas faire perdre de vue la
grande pensée religieuse qui le domine et
le justifie, et qui est la toute-puissance de
la foi dans les extrémités les plus terribles
de la vie. {Voy. Hrotswitha.)
Argument. — La passion des saintes vierges Agape,
Cliionie et Irène. Dans le silence de la nuil, le
gouverneur Dulcilius se rend furtivement auprès
d'elles, dévoré d'une cupidité qu'il brûle d'assou-
vir. Mais à peine est-il entré, 'il perd la raison,
et au lieu des vierges, il serre dans ses bras et
couvre de baisers des marmites et des poêles à
frire, en sorte que son visage et ses babils en sont
tout noirs. Ensuite, par ordre de l'empereur, il
livre au comte Sisiunius les vierges qu'on doit
punir. Celui-ci est le jouet d'étonnantes illusions,
et enfin il fait brûler Agape el Cliionie et tuer
Irène (153).
PERSONNAGES.
LA FEMME DE DULCITIUS.
HUISSIERS DU PALAIS IMPÉ-
RIAL.
SOLDATS.
SUIVANTES DE LA FEMME DE
DULCITIUS.
DIOCLÉTIEN.
ACAPE.
CHIONIE.
IRÈNE.
DULciTius, gouverneur de
Tbessalonique.
SIS1NNIUS.
SCENE Ir«.
DIOCLÉTIEN, AGAPE, CHIONIE, IRENE, SOLDATS.
dioclétien'. L'illustration de voire f;tmille, votre
liante naissance l'éclat de vos diverses beautés
exigent que vous soyez unies par les lois de l'hymen
aux premiers officiers du palais, et notre grâce vous
accordera ses faveurs, si vous voulez renier le
Christ et sacrifier à nos dieux.
agape. Loin de vous ces soucis, ne vous accablez
pas des apprêts de nos noces, car il n'est de puis-
sance au monde pour nous contraindre à nier un
nom confessé, ni à souiller notre purelé virginale.
dioclétien. Qu'est-ce que celte folie qui vous
agile ?
agape. Quel signe de folie découvrez -vous en
nous ?
dioclétien. Un signe évident et très-grave.
agape. Lequel ?
dioclétien. Surtout en ce que, abandonnant les
observances d'une antique religion, vous vous livrez
aux vaines nouveautés des superstitions chrétiennes.
agape. Vous êtes hardi dans vos calomnies contre
le Dieu tout-puissant. Prenez garde.
-dioclétien. Et à quoi ?
acape. A vous el à la République que vous gou-
vernez.
dioclétien. Celle fille exlravague ; qu'on l'é-
loigné !
chionie. Ma sœur n'est pas folle; elle reprend, au
contraire, très-sagement votre sottise.
(153) i Le sujet de la pièce est pris dans les Actes
du martyre des trois sœurs (Acla trium sororum),
légende fort répandue au moyen âge dans les églises
grecque et latine. Le recueil des Bollandistes con-
tient sous la date des 5 el 5 Avril (Apiïlis, t. I,
p. 245-250) : 1° une notice des divers agiographes
latins et grecs qui ont raconté en prose et même en
vers la passion des trois vierges, mises à mort a
Tbessalonique, l'an 290, par ordre de Dioclétien;
2* le récit latin de ce martyre, extrait des Actes
très anciens de sainte Anastasie. Hrolsvilha, dans
U drame qu'on va lire, a suivi pas à pas, selon sa
furieuse;
troisième
rebelle
dioclétien. En voici une autre plus
qu'on l'ôle aussi de mes yeux el que la
parle.
irène. Et la troisième ne sera ni moins
ni moins obstinée.
dioclétien. Irène, lu es la dernière en âge, deviens
la première en dignité.
irène. Montrez-moi comment, je vous prie.
dioclétien. Courbe la téie devant les dieux, et
sois pour les sœurs un exemple u'aiiienden.enl et
une occasion de salut.
irène. Se vautrent devant les idoles, ceux qui
veulent encourir la colère du Très-llaul ! Mo', je ne
déshonorerai pas mon front couvert des parfums
célestes, en l'abaissant aux pieds de simulacres.
dioclétien. Le culte des dieux n'a rien de dés-
honnéte; il est tout honneur.
irène. Quelle plus honteuse impiété ! quelle
immense impitude, de rendre aux esclaves l'hom-
mage dû aux maîtres !
dioclétien. Eh ! tai-je engagée à respecter des
esclaves? 11 s'agildes dieux des maîtres et des rois.
irène. N'est-il pas l'esclave du premier venu, ce
dieu qu'on paye à l'artiste, comme une marchan-
dise ?
dioclétien. En voici une dont il faut rabattre la
présomption et le caquet par des supplices.
irène. C'est notre souhait; notre désir ardent est
d'être déchirée dans les tourments, pour l'amour du
Christ.
dioclétien. Que ces femmes opiniâtres, insou-
mises à n»s décrets, soient chargées de chaînes et
gardées dans les horreurs des cachots, pour èlrit
examinées par le gouverneur Dulcilius !
SCÈNE 11.
DULCITIUS, AGAPE, CHIONIE, IRENE, GARDES.
dulcitius. Amenez, soldats, amenez ici vos prison-
nières.
les soldats. Voici celles que vous avez deman-
dées.
dulcitius. Dieux! qu'elles sont belles! les clyr-
manies, les remarquables filles!
les soldats. Parfaitement jolies.
dulcitius. Je suis pi is à leuis charmes.
les soldats. C'est facile à croire.
dulcitius. Je brûle de les entraîner dans mes feux.
les soldats. Nous te défions de réussir.
dulcitius. Et pourquoi?
les soldats. Parce qu'elles sont inébranlables dans
la foi.
dulcitius. Et si je les charme par des douceurs !
les soldats. Elles les méprisent.
dulcitius. Et si je les ellraie par des supplices?
les soldats. Elles les bravent.
dulcitius. Que taire ?
les soldats. Réfléchissez.
dulcitius. Mettez-les sous clef dans la salle inté-
rieure de l'ofiice, dans le vestibule duquel on met les
ustensiles de cuisine.
les soldats. Pourquoi dans ce lieu?
dulcitius. Pour que je puisse les voir plus sou-
vent.
les soldats. A vos souhaits.
coutume, la relation qu'elle avait sous les yeux.
Seulement elle insiste, avec une prédilection marquée,
sur tout ce qui pouvait exciter le rire, el développe
de préférence les suites grotesques de l'incontinence
du gouverneur Dulcitius. C'est, je crois, en raison
de celle prédominance de la partie comique, que
Hrotswiiha a donné pour litre à celte comédie, non
pas le nom vénéré des trois héroïques sœurs, mais
celui du malencontreux magistrat, dont les dé-
convenues jettent une si étrange gaieté dans celle
pièce tragique. > (M. Magnin.)
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
591 DLL
SCÈNE III.
DULCITIUS, LES SOLDATS.
dulcitius. Que font les prisonnières à celle heure
de la nuit?
les soldats. Elles chantent des hymnes.
ulcitius. Approchons.
les soldats. On entend de loin le son de leurs voix
argentines.
'dulcitius. Restez en observation à ces portes avec
vos flambeaux. Moi, je vais entrer, il faut que j'assou-
visse mes désirs.
les soldats. Entrez, nous attendrons.
SCÈNE IV.
AGA E, CHIONIE, IRÈNE.
agape. Quel est ce bruit à la porte?
irène. C'est ce misérable Dtilcilius qui entre.
ciuoNiE. Ah! Dieu nous garde !
agape. Amen!
chionie. Qu'est-ce que ce tapage de marmites, de
chaudrons et de poêles?
uiène. Je vais voir. Approchez, je vous prie, regar-
dez par ces feules.
agape. Qu'y a t-il?
irène. Voyez ! cet imbécile, privé de tout bon sens
qui croit que nous l'embrassons.
acape. Eh! que fait-il?
I irène. Tantôt il presse tendrement des marmites
sur son cœur, tantôt des poêles et des chaudrons à
qui il donne de doux baisers.
cittONiE. C'est drôle.
irène. Déjà sa figure, ses mains et ses habits sont
si sales el si couverts oue le voici tout noir comme
un nègre.
agape. Il est juste qu'on lui voie le corps aussi noir
que son àmc possédée du démon (154).
irène. Voici qu'il s'en va. Attention. Que vont faire
les soldats qui attendent à la porte?
SCÈNE V.
DULCITIUS, LES SOLDATS.
les soldats. Quel est ce suppôt d'enfer qui sort ?
C'est le diable lui-même. Sauvons-nous.
dulcitius. Soldats, où fuyez-vous? Restez, condui-
sez-moi au lit avec vos flambeaux.
les soldats. C'est la voix de notre seigneur, mais
c'est la ligure du diable. Ne nous arrêtons pas, cou-
rons plus vile, au contraire; c'est un fantôme qui
nous veut du mal.
dulcitil's. Je vais au palais el je dénoncerai cet
oulrage aux princes.
SCÈNE VI.
_ DULCITIL'S , LES HUISSIERS DU PALAIS.
DDLCITIUS. Huissiers, annoncez-moi dans le pa-
lais. J'ai à parler en particulier à l'empereur.
les huissiers. Qu'est-ce que ce monstre dégoûtant
et épouvantable, couvert de loques et de haillons
noirs. Rossons-le à coups de poings. Précipitons-le
du haut de l'escalier. Il ne faut certes pas qu'il pénè-
tre plus avant.
dulcitius. Malheur, malheur à moi! qu'est-il
arrivé (155) ? Ne suis-je pas vêtu d'habils magni-
fiques? Ne suis-je pas superbe du haut en bas? et
quiconque me regarde, recule comme devant un
monstre horrible.... Retournons voir ma femme. Je
saurai d'elle ce qu'on a machiné contre moi. Mais
la voici; elle sorl, les cheveux épais; loule la
maison en larmes la suit.
(154) Le rapprochement bizarre du corps noirci
de Dtilcilius et de la noirceur de son àme est pris
textuellement de la légende (M. Magnin).
(155) Toutes les mésaventures plaisantes qui
assaillent Dulcitius, la méprise des gardes, la colère
DULCITIL'S
DLL 302
SCÈNE VII.
LA FEMME DE DULCITUS, LES
SOLDATS.
la femme de dulcitius. Hélas neias ! mon sei-
gneur! Dulcitius, qu'avez vous? Vous êtes devenu
fou. Vous êtes la risée des Chrétiens.
dulcitius. Oui, je le sais enfin, j'ai élé le jouet
des maléfices de ces filles.
la femme. Ce qui me confondait lout à fait, co
qui m'attristait surtout, c'est que vous n'aviez pas
idée de voire mal.
dulcitius, aux soldats. J'ordonne qu'on expos«
en public ces filles impudiques, qu'on leur arrache
leurs vêlements, qu'elles soient mises nues devaet
tout le peuple , afin qu'elles connaissent , à leur tour,
nos jeux.
SCÈNE VIII.
dulcitius, endormi sur son tribunal;
les soldats.
les soldats. Nous voiei en sueur sans avoir rien
fait, nos efforts sont vains : c'est que les babils
tiennent aux corps de ces vierges, aussi ferme
que leur peau. Et notre président lui-même, qui
nous pressait de les dépouiller, ronfle sur le tri-
bunal , et ne peut pas être éveillé. Allons voir
l'empereur et racontons-lui ce qui se passe.
SCÈNE IX.
DIOCLÉTIEN, Seul.
dioclétien. Ces nouvelles sont désolantes. Com-
ment, le président Dulcitius joué, conspué, ca-
lomnié ainsi! Mais, pour que ces misérables fillettes
ne se vantent pas de se moquer impunément de
nos dieux et de ceux qui les adorent , ije vais
envoyer le comte Sisinnius, chargé de nos ven-
geances.
SCÈNE X.
LE COMTE SISINNIUS, SOLDATS.
sisinnius. Soldats, où sont ceséhontées, desti-
nées aux tortures?
les soldats. Elles gémissent dans cette prison.
sisinnius. Mettez à part Irène et amenez-moi les
autres.
les soldats. Pourquoi excepter l'une?
sisinnius. Par pilié pour l'enfance. Peut-être se
converlira-l-ellc plus aisément, quand la présence
de ses sœurs ne l'effraiera plus.
les soldats. Oui, oui.
SCÈNE XI.
LES PRÉCÉDENTS, AGAPE, CHIONIE.
les soldats. Voici celles que vous demandiez.
sisinnius. Agape, et vous Chionie, faites attention
à mes conseils.
agape. Le pourrions nous?
sisinnius. Offrez des libations aux dieux.
chionie. Le vrai Père éternel , son Fils coéter-
nel et leur saint Paraclel reçoivent sans cesse le
sacrifice de gloire.
sisinnius. Je ne vous conseille pas cela , je vous
le défends même sous peine...
agape. Vaine défense ! jamais nous ne sacrifie-
rons aux démons.
sisinnius. Chassez cette obstination de votre âme
et faites les sacrifices; sinon, je vous enverrai à la
mort, selon l'édil de l'empereur Dioclétien.
chionie. Il est juste pour vous, en nous mettant
des huissiers et jusqu'à l'imperturbable et risible
confiance qu'il montre dans l'élég:ince de sa toi-
lette, sont aillant de traits d'excellent comique
fournis par le légendaire (Id.).
505
I>(JL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
à mort, d'obéir aux ordres de votre empereur,
puisqu'il est évident que nous faisons fi de ses dé-
crets. Si vous nous épargniez, si vous mettiez du
relard , votre supplice serait juste aussi.
sisinnius. A l'instant, soldats, à l'instant prenez
ces blasphématrices et jetez-les vivantes au feu.
les soldats. Hàtons-nous de construire le bû-
cher et livrons-les aux baisers dévorants des
flammes, pour mettre terme à leur insolence.
agape. Non, Seigneur Dieu, non, il ne serait pas
impossible à votre puissance que le feu, vous obéis-
sant, fût sans force et mît de côté son essence.
Mais combien ces lenteurs nous fatiguent. Ah! nous
vous prions de briser les chaînes de nos cames, afin
que nos corps soient anéantis et nos esprits heureux
avec vous dans les cieux.
les soldats. Voici du nouveau. C'est à glacer de
stupeur. Ces femmes sont sans vie, et il n'y a pas
sur leurs corps trace d'une blessure : ni les cheveux
ni les vêtements ne sont touchés oar le feu, encore
moins leurs corps.
sisinnius. Amenez Irène ici.
les soldats. La voici.
SCÈNE XII.
LES MÊMES, IRÈNE.
sisinnius. Tremblez, Irène. Vos sœurs ont péri, et
prenez garde à subir leur sort.
irene. Je souhaite de leur ressembler dans leur
mort, pour obtenir avec elles les joies éternelles.
sisinnius. Cédez, cédez à mes conseils.
irene. Je ne céderai oas à des conseils crimi-
nels.
sisinnius. Si vous ne cédez pas, je ne vous accor-
derai pas une prompte mort: j'y mettrai du temps,
et chaque jour je multiplierai de nouveaux supplices.
irene. Plus affreux sera le supplice, plus glorieux
sera le triomphe.
sisinnius. Tu n'as pas peur des tourments, eh bien !
je te frapperai d'horreur. . .
irène. Quelque affreuse chose que vous méditiez,
je vous échapperai avec l'aide du Christ.
sisinnius. Je le f«-rai conduire dans un lieu de
débauche où ton corps sera profané honteusement.
irène. Mieux vaut à mon corps la tache de tous
les outrages, qu'à mon àme la souillure des idoles.
sisinnius. Abaissée au rang des courtisanes, et
déshonorée, compteras-lu jamais dans la phalange
des vierges ?
irène. Le désir mérite le châtiment, la force ma-
jeure donne la couronne du martyre. Il n'y a culpa-
bilité qu'avec le consentement de l'esprit (156).
sisinnius. Vainement je l'épargnais; en vain, j'a-
vais pitié de son extrême jeunesse.
les soldats. Nous le savions bien. Rien ne peut
la contraindre au culte des dieux. Nulle crainte ne
peut la briser.
sisinnius. Je n'aurai plus de pitié.
les soldats. Certes, oui.
sisinnius. Prenez-la sans miséricorde, traînez-la
barbaremenl, conduisez- la honteusement dans un
lieu de débauche.
irène. Ils ne m'y conduiront pas.
sisinnius. Qui pourra l'empêcher ?
irène. Celui dont la sagesse régit le monde.
sisinnius. J'en ferai l'épreuve.
irène. El plus tôt que vous ne croyez.
sisinnius. Soldats, ne vous intimidez pas des pré-
sages meilleurs de celle blasphématrice.
les soldats. Nous n'avons guère peur; cl nous
allons, de noire mieux, obéir à les ordres.
(156) Cette belle parole se lit dans les Acles.
(M. Macnin.)
(157) L'emploi des expressions tirées des super-
stitions païennes est assez fréquent dans les ailleurs
DLL
SCENE XIII.
'M
sisinnius; ensuite, les soldats.
sisinnius. Quels sont ces gens qui accourent de
ce côté? On dirait les soldats auxquels nous avons
remis Irène. Mais ce sont eux. . . (Aux soldats.)
Pourquoi revenez-vous si vile? Où courez-vous si
hors d'haleine?
les soldats. Nous vous cherchions.
sisinnius. Et où est celle que vous emmeniez.
les soldats. Au plushautsommel de la montagne.
sisinnius. De laquelle ?
les soldats. De la plus voisine.
sisinnius. Insensés ! Imbéciles , incapables de toute
chose raisonnable!
les soldats. Pourquoi celle colère ? Pourquoi
ces cris, ces regards, ces menaces?
sisinnius. Les dieux vous abîment!
les soldats. Que vous avons-nous fait ? Quel mal?
Quels ordres n'avons-nous pas suivis ?
sisinnius. Quel ordre vous ai-je donné? rie con-
duire la rebelle aux dieux dans un lieu de perdition.
les soldats. Oui vraiment, et nous étions en
train de vous obéir, lorsque sont survenus deux
jeunes gens inconnus, qui se sont dits envoyés par
vous, pour conduire Irène au sommet delà montagne.
sisinnius. Voici la première nouvelle.
les soldats. Nous le voyons.
sisinnius. Et quelle mine avalent ces hommes?
les soldats. Ils étaient magnifiquement vêtus, cl
d'un air tout à fait grand.
sisinnius. Vous ne ies avez pas suivis ?
LES SOLDATS. Si.
sisinnius. Qu'ont-ils fait?
les soldats. lis se sonl mis, l'un à droite, l'autre
à gauche d'Irène et nous ont envoyés ici, pour vous
informer de ce qui s'élail pas é.
sisinnius. 11 ne me reste plus qu'à monter à cheval
et à chercher qui se joue si audacieusement de nous.
les soldats. Allons-y tous.
SCÈNE XIV.
LES PRÉCÉDENTS , IRÈNE
sisinnius. Hem ! je ne sais pas tr.op ce que je fais.
Je suis ensorcelé par les Chrétiens. Me voici à tourner
autour de celte montagne, et à chaque sentier que
je trouve, je ne puis ni monter, ni retrouver mon
chemin.
les soldats. Voilà d'élranges choses. Nous
sommes tous le jouet des enchantements, la fatigue
nous accable, et si vous souffrez que celle folle vive
encore longtemps, vous vous perdrez et nous avec
vous.
sisinnius. Quelqu'un des miens ici ! Bande forte-
ment ton arc, décoche la flèche, et perce celte ma-
gicienne.
les soldats. C'est ce qu'il y a de mieux.
irène. Rougis, misérable Sisinnius, rougis ! Tu
es honteusement vaincu. Gémis! Avec toutes les
armes lu ne peux triompher d'une enfant, d'une
jeune fille.
sisinnius. Quoi qu il m'arrivede honteux, je le
subis aisément, parce que tu vas très-certainement
mourir.
irène. C'est ma joie suprême, et ton affreux
désespoir. Ta cruauté, la méchanceté le condamnent
au Tariare (157), et moi, en recevant la palme du
martyre et de la virginité, j'entrerai dans la couche
célesie du Roi éternel, à qui sonl dus honneur el
gloire dans les siècles.
(Elle tombe percée d'une flèche.)
ecclésiastiques. On en trouve des exemples jusque
«ans nos offices. Ce mélange, toutefois, ne se ren-
contre que rarement dans les écrits de Hrosïwilha
(I»0
enf
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ENF
506
ENFANT DONNÉ AU DIABLE (L'). —
L'Enfant donné au diable est conservé dans
le manuscrit 7208. k. A, fonds de Cangéde la
Bibliothèque impériale, datant du xive siè-
cle.
Il y est intitulé : Cy commence un miracle
de Nostre-Dame d'un enfant qui fu donné au
dyable quand il fu engendré.
Cette pièce est restée inédite.
Elle est accompagnée d'un sermon en vers
en l'honneur de !a Vierge, à la suite duquel
on lit
ENVOY.
Princes, vueillez par cesle voie amer
Celle qui Dieu vierge el mère norrit
Si qu'en s'amour vous face confernier.
La dame et le seigneur ont dessein, quoi-
que mariés, de vivre en toute chasteté et
Nostre-Dame les approuve; mais le diable
s'en mêle; la dame, contrainte de céder,
donne au démon, dont il est l'œuvre, l'en-
fant qui peut provenir de sa faiblesse. Un
enfant vient au monde, en effet; la dame
veut qu'il ait tantost creslienté. Le diable
apparaît, réclame son bien, s'écrie :
Vous en avez trop tost parlé,
Dame, cest enfens est miens.
Il ne sera ja cresliens.
Je remoorteray tout délivre...
LA DAME.
Salhan au mains le laisse vivre
Un années pour mon déduit
Avoir; car je n'ay plus de fruit,
Dont plus courrociée en soie,
tee cesluy-cy si losi perdoie.
Je t'en crie : laisse-m'en joïr.
PREMIER DYABLE.
Je Voltroy; mais que sans faillir
JeTaray au chief de un ans...
Le délai obtenu, la dame et le seigneur
mettent le temps à profit pour implorer la
sainte Vierge miséricordieuse. Us rusent
avec le diable, en obtiennent des sursis.
L'enfant croît; c'est lui bientôt qui, mûri
de bonne heure par une faveur spéciale, et
n'ignorant pas le sort dont il est menacé, se
(158) Celte histoire se trouve en original dans le
Livre des Abeilles, de Thomas de Canlipré. liv. n,
chap. 7, part. 4. 11 assure qu'elle arriva en Norman-
die, et que frère Jean de Grand-Pont, religieux do-
minicain, lui a afiirmé avoir vu dans sa jeunesse ce
misérable à Paris, portant sur son visage la terrible
marque de la justice divine; mais il ne parle point
de sa guérison. L'auteur anonyme du Miroir des
exemples, titre des pères et mères, exemple m, pa-
ges 787 et -788, rapporte la même histoire, d'après
l'auteur ci-dessus. Ajoutez que Césaire d'Heister-
bach, Hy. vi, chap. 22 de ses Histoires mémorables ,
en raconte une assez approchante, d'un jeune hom-
me nommé Henry, qui usa d'une semblable ingrati-
tude envers sa mère : mais au lieu du crapaud, il
ueiend contre l'enfer. Le diable s'est enfin
emparé de lui
Puissant Vierge, vueilbez m'aidier,
Roine descieulx souveraine,
Vers ce dyable qui me maine.
Dame, me vueilliez garantir.
Nostre-Dame intervient. Mais le diable
maintient son droit, et Dieu est appelé
juger la cause.
DIEU.
Le père fu-il au donner
De l'enfant? dites vérité...
Le vous otlroia-il de bouche?
Salhan, je vous dy...
Que la femme n'a-que donner
A chose qu'elle ait à garder
Sans le vouloir de son seignour.
Cest dons est de nulle valour
Quant son père ne l'ollroia.
C'est enfens si nous demourera.
Voslre paine y avez perdue.
ENFANT INGRAT (L'). — On ne connaît
aucun manuscrit de l'Enfant ingrat ; il en
reste une édition qui est du milieu du xvr
siècle, vers 1540, selon les frères Parfait.
(Histoire du Théâtre français; Paris, 15 vol.
in-12, 1745, t. III, p. 153-163.)
De Beauchamps, Recherches sur les Théâ-
tres de France/Paris, 1735, in-8°,3 vol., t. Ie',
n°230)donne pour auteur de ce drame, An-
toine Tyron.
La Bibliothèque du Théâtre français , at-
tribuée au duc de La Vallière (Dresde,
1768, in-8% 3 vol., t. Ier, p. 3 ) cite une édi-
tion de 1589, in-16, Lyon, Benoit Rigaud ,
et donne une courte analyse de ce mystère.
Les frères Parfait (ibid. , p. 154-162) ont
laissé sur cette pièce la notice suivante :
HISTOIRE DE L ENFANT INGRAT (158).
Mirouer et exemple des mauvais Enfans en-
vers leurs Pères et Mères, contenant encore
comme les Pères et Mères se destruisent ,1e
plus souvent par Vadvancement de leurs
Enfans, qui souventesfois se descongnois-
sent. Le tout par personnages ( 159).
« Après le prologue, le père et la mère do
l'enfant ingrat se félicitent mutuellement
sortit du pâté un serpent qui, s'entortillanl autour
de son cou et de ses bras, le pressait de telle sorte,
qu'il lui faisait sortir les yeux hors de leur place, el
lui ravissait le meilleur de ce qu'on lui présentait
pour sa nourriture. Césaire dit qu'il n'y avait quo
treize ans quece malheur était arrivé, et qu'on pro-
mena ce jeune homme dans une cbarretie par toute
la province de la Moselle, cherchant inutilement le se-
cours des saints. Sa pauvre mère le suivait partout
et excitait la compassion de tous ceux qui les
voyaient. ^»
(159) On ignore le nom de l'auteur; car de dire ,
comme on l'avance dans les Recherches des Théâtres,
que celle pièce est d'Antoine Tyron, ce serait assurer
un fait qui n'a aucun fondement.
307
ENF
DIGTIONNAIRL DES MYSTERES.
ENF
303
du iiJs qu'ils ont, et pour lequel ils amassent
du bien. Cependant , comme il est à propos
d'employer sa jeunesse, ils forment la réso-
lution de le mettre chez un marchand, pour
apprendre le commerce. Ce projet s'exécute
tout de suite, mais le jeune homme, accou-
tumé à faire ses volontés, ne veut point s'as-
sujettir aux soins qu'on exige de lui. 11
quitte le marchand, et, suivi du valet de ce
dernier, qu'il prend à son service , en cou-
rant le pays il trouve un seigneur de village
su-r la porte de son château, qui, le voyant
magnifiquement habillé ( car c'est la pre-
mière chose à quoi il songe en quittant son
marchand), l'invite à venir se reposer, et
l'engage à dîner avec lui. La femme et la
fille du seigneur assistent à ce repas.
LE SEIGNEUR.
Or çà, mon beau seigneur notable,
Vous n'estes point marié?
L ENFANT.
Non.
Mais je suis jeune compagnon
De ce faire une lois capable.
Si je trouve lien convenable,
Là où j'agrée selon moy,
El s'il vient partie agréable,
Ne doublez que j'ay bien de quoy.
LE SEIGNEUR.
Or me dictes, par votre fov,
Si cesle jeune damoiselle
Vous donnoye, par bonne l'oy
De mariage ; en noble arroy,
Si vous feriez refus d'elle?
l'enfant.
Par saincte Marie la belle,
Nenny, le mentir rien n'y vaut.
« Comme le jeune homme se vante que
son pore et sa mère lui feront un abandon
général de leurs biens quand il voudra, le
seigneur lui dit qu'il est nécessaire qu'il
les fasse venir pour cela , et pour consentir
i son mariage. Le jeune homme va trouver
son père et sa mère, leur fait part de la pro-
position qui vient de lui être faite , et ces
bonnes gens l'acceptent avec joie.
« Le seigneur reçoit avec beaucoup de po-
litesse le père et la mère de son futur gen-
dre; et après s'être assuré de la donation
entière de leurs biens en faveur de leur fils,
il ordonne à son maître-d'hôtel d'aller cher-
cher le curé.
(Ici le maislre d'hoslel va quérir le curé.)
LE MAISTRE D'ilOSTEL.
Curé, venez légèrement
Au ebasteau, car mademoiselle
A trouvé un mary pour elle :
Conjoindre ensemble les convient.
LE SEIGNEUR, OU CUré.
Çà curé, vous êtes venu,
Ces deux jeunes gens empoignez,
El l'un à l'autre conjoignez
Par bon mariage nouveau.
« La cérémonie étant finie,
LE SEIGNEUR dit.
Maistre d'hostel expressément
Que nous soyons bien festoyez,
V.n quoi qu'il soit, nous pourvoyez
De menestriers et farceurs,
Pour resiouir, et de danseurs.
Car je veux pour ce mariage,
Me resiouir.
LE MAISTRE D'HOSTEL.
Ce sera rage
Tant aurez d'esbats honorables.
« L'écuyer du seigneur va prier ses voi-
sins de venir au festin. On sert, et tous les
convives prennent place.
(Nota. Que les instruments sonnent ce qu'ils voudront.)
LE SEIGNEUR.
Sus, sus, menons joye phn.ere,
Voicy nostre esiouissement.
LE TÈRE.
C'est ma liesse singulière,
El l'espoir de mon sauvement.
UN VOISIN.
Quelque farcerie.
AUTRE VOISIN.
Feste ne vaut rien autrement,
S'il n'y a farce ou niommerie.
(Icy jouent une farce.)
« Ensuite de laquelle, après bien des com-
pliments, chacun prend congé des nouveaux
époux.
« Le père et la mère du marié se sont telle-
ment dépouillés de leurs biens, qu'ils se
trouvent forcés d'aller lui demanderquelque
secours pour les aider à vivre. Ils se ren-
dent à la maison de leur tils et lui exposent
leur misère. Ce dernier les reçoit avec du-
reté et ne leur veut donner au'un morceau
de pain bis.
LE PERE
Du pain bis! maudicte semonce
Est-ce mot jà sorly de toy?
LE K1LZ.
Corbleu, prenez en patience,
Et d'aller faicles diligence,
Autre chose n'aurez de mov.
« Cette cruelle réponse accable le père et
la mère de l'enfant ingrat ; ils reconnaissent,
mais trop tard, la faute qu'ils ont faite, et
se retirent en versant un torrent de larmes
et en maudissant leur fils qui , peu louché
de leur peine, forme le dessein de les mé-
connaître, s'ils venaient encore se présenter
devant lui. Il se fait apporter un pâté, et il
est prêt à l'ouvrir, lorsque son père, une se-
conde fois, vient lui demander quelque
chose pour manger. Le fils ingrat fait semblant
de ne le pas connaître, et le chasse avec in-
dignilé. Alors le désespoir s'empare de
l'âme du père : il sort en souhaitant toutes
sortes de malheurs à son fils ; et, après avoir
rendu compte 5 sa femme du traitement
qu'il vient de recevoir, il renouvelle avec
elle les malédictions qu'il a déjà pronon-
cées.
« Après le départ du père, le fils se fait
servir le pâté.
l'enfant.
De ce cousleau le vois ouvrir,
Pour sçavoir qu'on y a bouté.
309
ENF
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ENF
310
(Dfolex que icy ouvre le pasle, et^alors vient un cra-
pault qui luy couvre tout le visaye.)
LA JEUNE FEMME.
Qu'esse cecy ? Benedicite !
C'est homme est perdu en effett
LE MAISTRE D'HOSTEL.
Quel grand crapault ord et infect
Sur son visage s'est gecté?
« Le seigneur, qui entend un grand bruif
dans la maison de son gendre, vient en sa-
voir le sujet. Il aperçoit le crapaud qu
lui couvre le visage.
LE SEIGNEUR,
Allez tous les voisins hocher,
Pour regarder que ce peut estre.
l'escuyer.
Venez tost, voisins, nostre maistre
Est mort.
LE PREMIER VOISIN.
Allons voir qu'il y a.
LE SECOND VOISIN.
D'où procède ceste pitié?
LE MAISTRE D'HOSTEL.
Pugnition
Divine lui faict cet ennuy.
LE SEIGNEUR.
Et comment?
LE MAISTRE D'HOSTEL.
Il a anjourd'huy
Son propre père descongmi,
Qui pour le veoir est venu,
El la fait chasser devant tous.
« Tout le monde se récrie sur une si
grande ingratitude. On consulte comment on
tloit agir pour délivrer ce misérable du
tourment qu'il endure. Un voisin conseille de
le mener au curé ; mais comme il est hors
d'état de confesser son offense, le valet qu'il
a pris chez son marchand offre de faire le
récit de son forfait. Le curé ayant entendu
la déposition du valet, renvoyé à l'évêque,
et celui-ci au Pape, qui seul peut absoudre
d un crime aussi énorme. L'évêque même
accompagne le "jeune homme, et comme on
assure au Pape que le coupable est vrai-
ment repentant, le Souverain Pontife or-
donne au crapaud de se départir de sa
lace.
(Le crapault chel).
« L'enfant ingrat recouvre l'usage de la
parole, se jette aux pieds du Pape, confesse
toute I énormiié de son péché et le conjure
ue lui imposer une pénitence
LE PAPE.
Du mal lequel m'a confessé
Je Tabsouz, mais je lui enjoincl
Qu'à deux genoux joignant les mains.
Voise à père et mère crier
Mercy, et pour accomplir
La pénitence, il fera
Ce que l'c-vesque luy dira,
Qui de nous sera ordonné,
Après que le pardon donné
De perc ei mère luy sera.
l'enfant.
Je feray ce qu'il vous plaira.
« L'enfant ingrat, accompagnéaeson Deau..
père, de sa femme, de ses amis et de ses do-
mestiques, va trouver son père et sa mère,
et obtient le pardon qu'il demande. »
la mère du âls ingrat.
Au sens moral, père qui aura veu
Jouer cecy, au moins regardera
Comme à son filz, s'il a biens, les despart.
ENFANTS D'ISRAËL (Les). — L'abbé de
Larue, dans ses Essais sur les bardes, les jon-
gleurs et les trouvères normands et anglo-
normands (Caen, Manus., 1834, in-8°, 3 vol.,
t. 1", p. 166), fait mention d'un mystère des
Enfants d'Israël, représenté vers 1355, en
Angleterre, à Cambridge.
ENFANT MIS AUX LETTRES (L').— VEn
fant mis aux lettres est conservé dans le ma-
nuscrit de la Bibliothèque impériale, nQ
7268. 5., datant de la fin du xve siècle et con-
tenant en outre le Mystère deV Ancien Testa-
ment et de la Passion, et la Moralité de la
Croix Faubin. M. Paulin Paris, dans ses
Manuscrits françois de la Ribliothèque du
roi (Paris, 1848, t. VII, p. 216), en a dit :
« Moralité de l'Enfant mis aux lettres. Ce titre
n'est pas dans notre texte, et le commence-
ment de ce jeu dramatique a été enlevé.
C'est un père désigné comme le Villain, qui
exhorte son fils pour le décider à apprendre,
afin de devenir clerc. Le fils, nommé Jacob,
refuse; il est tancé, battu, poussé malgré lui,
et enfin il consent à ce qu'exige son père.
Premiers vers conservés, f° 271 :
LE VILLAIN.
Je te requiers que tu il goucte
Il me larde que lu y soye ja.
;acob.
Ja mauldit soit qui le sera,
El puis me diroient : cleribus. »
ENFANT DE PERDITION {L). — Celte
moralité date du commencement du xvi*
siècle.
Duverdier (Bibliothèque françoise, p. 327)
indique à Lyon, en 1540, in-16, chez Olli-
vier Arnoullet, une première édition de
l'Enfant de perdition sous ce titre : Moralité
de l Enfant de Perdition qui tua son père, et
pendit sa mère, et enfin se désespéra. « La
note de Duverdier,» dit M. deChateaugiron
d'après M. Van Praet, « est copiée à la page
« 153 du tome III de l'Histoire du Théâtre
« français par les frères Parfait; dans de
« Beauchamps, t. 1er, p. 231, et dans l'His-
m toire du Théâtrede toutes les nations, t. XII,.
« i" partie, p. 243. Les historiens n'y joi-
« gnent aucun autre renseignement. » Il
existe à la Bibliothèque impériale un exem-
plaire unique d'une autre édition, donnée à
Lyon chez Pierre Bigaud, en 1608; cet exem-
plaire faisait partie de la Bibliothèque de
Louis XVI, à Versailles. Le litre de cette
seconde édition est un peu différent du pre-
mier. Moralité, nouvelle très- fructueuse de
l'Enfant de Perdition qui-penait son père et
tua sa mère : et comment il se désespéra, à
sept personnages. C'est cet exemplaire si pré-
cieux que M. deChateaugiron a tait réimpri-
su
ENF
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ENF
31'2
mer avec la plus scrupuleuse fidélité, en
1828, pour la Société çles bibliophiles, chez
Firmin Didot, in-8°, 47 pages, et avec une
très-courte notice. Il en existe enfin une
autre réimpression sans date ni lieu, im-
primée chez Guiraudet, rue Saint-Honoré,
n° 315.
PERSONNAGES :
LE BOURGEOIS.
LA BOURGEOISE.
LE FILS DU BOURGEOIS.
LE PREMIER BRIGAND.
LE SECOND BRIGAND.
LE TROISIÈME.
LE QUATRIÈME.
Le bourgeois se ïamente amèrement des
vices de son fils, et la bourgeoise défend son
enfant.
Devez vous pas estre joyeux
S'il liante gens de renommée...
Devons-nous pas estre conlens
Veu qu'il est partout bien venu...
Cependant le fils du bourgeois est en so-
ciété de brigands qui cherchent aventure;
lui-même est des plus ardents.
Plus n'y a rien dans le bissac,
Il est saison d'y pourvoyer :
Je suis tout prest à «l'employer.
Quant à ma part.
C'est lui qui, se souvenant de ses parents,
propose à ses amis une expédiliun contre la
maison paternelle.
LE TROISIÈME BRIGAND.
C'est bien dit pour avoir à mordre
Allons quérir argent chez toy.
Ton père est riche, il a de quoy...
11 ne faicl plus que despenike [dépenser),
11 le faicl languir et attendre
En grand souffrette.
Ce seroit 1res belle délaicte...
Tous partent, l'enfant le premier. Il aborde
son père, lui demande de l'argent, le me-
nace; puis des menaces passant aux effets,
lui met la corde au cou, et finalement il
pend son père. Ce crime est insuffisant :
(160) On ignore le nom de l'auteur de celte mo«
ralité, aussi bien que la date de l'impression. Du-
verdier-Vauprivaz, page 32? de sa Bibliothèque fran-
çaise, en parle en ces termes : « L'Histoire de l'En-
fant prodigue par personnages, imprimée à Lyon
par B. Chaussant. » Comme l'exemplaire que
M. Gueuletle nous en a communiqué manque de
première page, nous n'avons pu distinguer si l'ou-
vrage dont nous parlons est le même mentionné
dans la Bibliothèque de Duverdier (et qui est anté-
rieur à l'arrêt qui a supprimé ces espèces de repré-
sentations) ou celui que Lacroix du Maine annonce
sous le même litre (Bibliothèque française, page 21),
de la façon d'Anioine Tyron, el qui parul en 156.4 ;
sans pouvoir précisément éclaircir ce fait, nous
croyons cependant ces deux ouvrages différants; et
celui-ci comme composé vers les dernières années
que les moralités ont été représentées.
(161) « En celte présente Histoire sont douze
Personnages, c'est assavoir :
« LE RUSTRE.
« LE PÈRE.
€ LE PRODIGUE.
« LE MA1STRE.
< LA MAISTRESSE.
reste la mère, non moins riche. 11 la dé
pouille violemment, et la tue.
Ces funestes richesses, acquises par de si
grands crimes, ne lui seront point profita-
bles : les brigands le dépouillent à leur
tour.
La moralité se termine par la désespération
du fils.
0 misérable faux truant
Où iras-tu
Que feras-tu
Sinon plorer
Et souspirer...
Diables d'enfer venez me querre
Accourez tous, venez grand erre (grand train).
Prenez de moy possession...
L'Enfant suis de perdition
Venez a grand confusion
Diables damnez marchez avant
A tous les diables et command.
ENFANT PRODIGUE (L'). — Les frères
Parfait, dans leur Hist. du Théâtre français
(Paris, 15 vol. in-12, 1745, t. III, p. 139-145),
ont laissé une notice très-complète de ce
mystère.
Après eux, la Bibliothèque du Théâtre
rançois, attribuée au duc de La Vallière
(Dresde, 1768, in-8°, 3 vol., t. 1", p. 4), a
donné l'analyse de ce mystère, et parmi les
modernes, M. Sainte-Beuve (Tableau hist. et
cr. de la p. fr. et du théâtre fr. au xvr siècle;
Paris, 1828, in-8", 2 vol., t. I", p. 217-234)
a fait mention de Y Enfant prodigue.
Nous reproduisons le travail des frères
Parfait.
MORALITÉ DE L'ENFANT PRODIGUE (160).
L'Enfant Prodigue par personnages (161),
translatée de latin en français, selon le texte
de l'Evangile (162).
« Le rustre et l'en.ant gâté ouvrent la
scène, par le conseil qu'ils tiennent sur les
moyens de gagner leur vie. La conclusion
de leur discours est que possédant plusieurs
t LA G0RR1ÈRE.
< FIN-COEUR-DOUX.
• l'enfant GASTÉ.
< LE FRÈRE AISNE.
« LE VALET DU PÈRE.
t l'acteur.
< L'AMY DE BONNE FOY. I
(162) Le sujet de celte moralité est pris de la pa-
rabole que Jésus-Christ rapporte à ses disciples,
chapitre xv, verset 11 et suivants de l'évangile de
saint Luc. C'est ce qui nous engage à abréger d'au-
tant plus cet extrait. A la fin de la pièce, qui peut
contenir environ quinze cents vers, l'auteur ajouie
un discours en prose, qui explique le sujet et le but
principal de sa pièce. « H est à noler, dit-il, que les-
dils personnages sont trois principaux : le père et
ses deux enfans : desquels le plus jeune est l'enfant
prodigue. Et moralement celui Père est Dieu, el ses
deux enfans sont deux manières de gens au monde:
les uns bons, et les autres pécheurs. Par l'enfant
aîné sont entendus les justes, qui tousiours demeu-
rent avec Dieu leur père, par grâce : et par l'enfant
prodigue} les pécheurs, qui despendenl les biens re-
ceuz de Dieu follement en volupté, et plaisance
mondaine, i
313
ENF
DICTIONNAIltE DES MYSTERES.
LPT
.11
talents, ils doivent s'attacher à celui qui
ieut les entretenir doucement, sanscraindre
es recherches de la justice. D'un autre côté,
e père de famille uniquement occupé du
chagrin que lui cause le cadet de ses fds, ne
peut goûter tranquillement la satisfaction
qu'il reçoit de l'aîné, et prie Dieu d'avoi.
pitié de* ce libertin, et de le préserver de
mauvaise rencontre.
LE PÈRE.
S'il ne s'amende, seurement,
11 sera cause de ma mort.
Prince du Ciel, vueillez permettre
Mon lits venir à meilleur port :
Car si lousiours esl en tel eslre
11 sera cause de nia mort.
0! quel réconfort!
Quel mauvais rapport
j'ay de luy, j'en suis
Navré si très fort,
El par tel effort,
Que plus je n'eu puis.
0 combien d'ennuis,
Par jour et par nuilz
Prend unpoure Père,
Pour ses mauvais fils,
En péchez confitz.
0 douleur amere,
0 fiere misère!
Je crois si la mère,
N'eust point enfanté
Enfant qui s'ingère
A tout vitupère,
Que bon eust esté.
«Pendant ce temps-là, le prodigue, conduit
par le rustre et l'enfant gâté, va dans une
maison de débauche, où il dépense bientôt
le peu d'argent qu'il a sur lui. Il court à la
maison paternelle, d'où il rapporte quelque
argenterie, et de la vaisselle d'étain qu'il
vient de dérober. Son retour surprend la
compagnie, qui ne comptait plus le revoir.
Cependant le père, apprenant le vol de son
fils, redouble ses soupirs. « Oubliez cet in-
« grat, » lui dit son fils aîné.
LE PÈRE.
Certes, mon filz, je n'en puis mais,
Car c'est ma génération :
Voslre mère, dont Dieu ait l'ame.
Ce me semble éloit preude femme;
Bien sçay que tous deux estes miens.
LE FRÈRE.
Père, vous estes abusé,
D'aimer si fort le Hoqueleur
Qui vous a du tout déprisé,
El faict au cœur lanl de dou eur.
« De son côté, le prodigue plus amoureux
que jamais, joue avec deux filous; ceux-ci
s'entendent avec la gorrièreet sa compagne,
qui, sous prétexte de le conseiller, lui font
perdre tout son argent. Il reste une dernière
ressource au prodigue; il va à son père, et
lui demande sa légitime. Le vieillard la lui
remet en pleurant; et ce misérable ne s'en
voit pas plutôt en possession, qu'il revient la
dissiper de la môme manière. Le lendemain
163) Gorrière, femme parée, fière de sa parure.
La grand'gorre , habit magnifique des dames, contre
lequel les prédicateurs du temps déclamaient vive-
matin, n'ayant plus d'argent, la maîtresse
du lieu et les deux fdles le dépouillent coup-
leur paiement.
la gorrière le cliassar.l.
Allez villain.
FIN- COEUR-DOUX.
Allez, Maraul,
Venez- vous chercher les Corrières (1G5)
Faire banquelz et bonne chère,
El vous n'avez de quoy fournir?
« Le prodigue se relire tristement, et
n'osant retourner chez son père, il prend le
parti de servir, et entre chez un maître, qui
Je prend pour garder ses cochons.
le prodigue habillé en valet d'écurie.
Sou,
Sou, Sou, Gorret, je m'en vois
Garder les pourceaux dans ces bois.
« Malgré son état, le maître soupçonnant
que ce valet peut être d'une condition plus
relevée, lui demande qui il est. Le prodigue
lui fait un fidèle récit de son malheur, et le
maître en honnête homme, lui conseille d'al-
ler se jeter aux pieds de son père, et de iui
demander pardon. En chemin, le prodigue
rencontre VAmy de Bonne Foy , qui, préve-
nant l'esprit du père, l'engage à oublier tou-
tes les fautes de ce fils, et à le reprendre
chez lui. Le père, en effet, le reçoit les lar-
mes aux jeux, avec d'autant plus de joie,
que cet enfant, vraiment repentant, déteste
si parfaitement sa vie passée, qu'il la donne
pour exemple aux spectateurs, en leur con-
seillant d'éviter d'y tomber et termine
ainsi la pièce. »
le prodigue aux speclaleurs.
\eu aussi avez les Mystères
Du vilain estai de luxure,
Les pauvrelez, el les misères
Qu'il faut enfin qu'on y endure.
ENTRÉE A JERUSALEM ( L' ). — De
Moléon, dans ses Voyages liturgiques en
France (Paris, 1718, kl-»*, p. W7), notait
en Orient, comme en Occident, les repré-
sentations avec personnages des principaux
mystères de Jésus-Christ... Ainsi, le jour
des Rameaux, le principal prêtre, monté
sur un âne, figurait à Jérusalem Noire-Sei-
gneur Jésus-Christ, faisant son entrée so-
lennelle. Selon M. Magnin, dans son cours
professé à la Faculté des lettres, ces repré-
sentations auraient commencé dès les v* et
vie siècles. (Cf. Journ. gén. de l'Instr. publ.\)
9 avril 1835, 1" semestre xivc art. , p. 208.)
EPTÙS PUOR (L'). — VEplus Puor en
Allemagne, ou épiscopat des enfants en
France, formule de la fôle des Fous, re-
monte au moins au xir siècle.
Le 17e canon du concile de Salzbourg,
tenu l'an 1274-, est ainsi conçu : « Quant à ces
jeux nuisibles, dénommés vulgairement les
Eptus Puor, c'est-à-dire l'épiscopat des en-
fants ( Q. episcopatus pucrorum), au milieu
ment, lsaheau de Bavière, reine de France el femme
du roi Charles VI, était appelée vulgairement là
giaiul'gorre.
315
F.TI
DICTIONNAIRE. DES MYSTERES.
ETI
5S 6
des choses
,0lises, et qui
très-incon-
sont cause
desquels il se passe
venantes dans les é
de fautes considérables et de graves domma
ges, nous les défendons absolument dans
les églises aux ecclésiatiques, à moins toute-
fois que les acteurs ne soient âgés de moins
de seize ans, et pourvu qu'il n'y ait aucune
personne plus âgée ni parmi les enfants ni
présentes. » (Cf. Labbe, Conc. sacro-s., t.
XI. p. 1004.; Mart. Gerbert, De cantu et mus
sacra. Saint Biaise, 1774, in-4°, 2 vol., t. H ,
p. 83. En 1340, celle coutume avait persisté à
Ratisbonne ; elle alluma, cette année même,
au milieu du tumulte de la fête, une querelle
entre un bourgeois de la cité et un chanoine
qui fut tué; ce malheur fit que peu après elle
disparut. (Haltausus, ex abb. Cœlestini
Mausoleo S. Emerani.) Dans l'édition de
Le Prevot du Johannis Abrincensis episcopi
liber de officiis ecclesiasticis cum notis
(Joh. Prevot ; Rouen, 1679, in-8°), ce savant
a donné VOfficedes enfants. (Cf. Mart. Gerb. ,
V et. lilurg. alemann., Saint-Biaise, 1776,
in-4°, 2 vol., t. II, p. 888.)
En 1137, dans une Chronique de Mont-
séran on trouve la mention d'un jeu des
Enfants où l'un des petits acteurs fut tué
par accident. ( Du Cange, Gloss. inf. et med.
lat., v° Ludus Puerorum, édit. Hensch;
Paris, Didot, 1845, in-4°, 6 vol., t. IV,
p 157.)
ERASME (Saint). — « Sainct Erasme. L'an
1438, le 1er septembre, fu fait le jeu de
saint Erasme, en change; et duroit deux
jours. (Chr. de Metz, ms. ) (De Beauchamps,
Recherches sur les Théâtres de France ; Paris,
1735, in -8°, 3 vol., t. I", p. 245.
ETIENNE (Saint). — Le martyre de
saint Etienne, est tiré du manuscrit de la
Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.
Il date du xv siècle.
La Bibliothèque du Théâtre français , ou-
vrage attribué au duc de La Vallière ( Dresde,
1768, in-8% 3 vol., t. I", p. 36), en a donné
une analyse très-succincte.
M. Achille Jubinal en a publié le texte
pour la première fois dans ses Mystères
inédits du xv' siècle; Paris, 1837, in-8" 2
vol. , t. I", p. 1-25.
M. J. Quicherat ( Procès de cond. et de
réh. de Jeanne d'Arc [pour la Soc. de l'Hisl.
de France]; Paris, Benouard, 1849, in-8°, 5
vol. , t. V, p. 311 ) a publié un fragment des
registres originaux des comptes et dépenses
de la ville d'Orléans, imprimés déjà, mais
d'une manière moins exacte, da-is les Re-
cherches historiques sur la ville d'Orléans, de
M. Lotlin, t. Ier, de la première partie, passim.
On y trouve, sous la date de l'an 1446, la
mention suivante :
« 1446. A Mahier Gaulchier, peintre, pour
don fait aux compaignons qui jouèrent le
Mis taire de Sainct Es tienne le vmc jour de
mars, pour leur aider a soustenir la despense
de leurs chappaulx et aultres choses ; pour
ce, 4 1. 16 s. p. »
Les « représentacions des martires saint
« Estienne, saint Père et saint Pol et saint
« Denis cl des miracles de madame sainte
« Geneviève, » commencent par une prière
à la sainte Vierge, dont la naïveté tendre
méritait place ici :
Dieu Père et Fils et Saint Esperit
Sauve et gart ceste compaignie!
Vous savez qn'onques ne périt
Qui servisl la Vierge Marie;
Car grant joye a et grant délit
Quant de bon cuer on la déprie.
Si pry <|ue chascun s'umilit
En disant une Ave Marie*
L'assemblée,
Ave Maria.
Dans
'ustilie
à genoux, dit en effet un
le prologue qui suit , l'auteur
le but de son œuvre, c'est
Pour les bonnes gens imiler
A bonnes euvres non pas faillies,
Et pour leurs cuers habiliter
Envers Dieu par doulces complaintes...
Dans un rapide historique, l'auteur rap-
pelle encore aux auditeurs attentifs les lé-
gendes des saints dont les martyres font le
sujet même du mystère. Alors entrent en
scène les acteurs. Des Juifs sont au fond du
théâtre, saint Pierre leur annonce que la
première Eglise, accablée de labeurs et d'é-
tudes, vient de s'augmenter de sept diacres.
Saint Etienne qu'il présente et bénit est l'un
de ces nouveaux élus. Mais dans la foule du
peuple, parmi les croyants, les indécis, les
sceptiques, sont en majorité de violents en-
nemis de la sainte religion naissante, des-
pharisiens, des docteurs de la loi, des prê-
tres du Temple de Jérusalem, un « évesque »
même, Annas, Caiphas, Alexander, et de ces
faux témoins que menaient à leur suite les
plus farouches ennemis de la loi nouvelle»
pour tromper les masses par des récits men-
teurs et les animer contre les apôtres et leurs
disciples. Saint Etienne remercie le Seigneur
descharges nouvelles que lui impose l'Eglise.
et implore Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Doulz Jhesucrist
A vous rens loenges et grâces
En vous suppliant humblement
Que ne me laissiez nulement
Cheoir en péché n'en négligence
Mais vueilliez qu'à grant diligence
Face m'otïice sans erreur
A noslre bien, à vostre honneur.
Les pharisiens s'élèvent contre le nou-
veau diacre implorant le vrai Dieu, racon-
tant sa légende. L' « évesaue » Annas s'é-
crie :
Qui me tient que je ne l'assomme
Meschanl trubert, coquin moquart.
Alexander accuse de blasphème saint
Etienne; il lui reproche de se servir des
vivants et formidables témoignages de l'An-
cien Testament. Caiphas commence à le me-
nacer.
Par foy ce sont cas criminauls
Et par raison doit mal fenir
Qui tels erreurs veult soustenir.
Devant l'orage qui gronde, le pasteur ne
reculera pas: « Gens félons, gens de dure
teste, » s'écrie saint Etienne irrité. Les eu-
il7
EZE
DICTIONNAIRE DES MYSTERE».
EZE
518
neinis du christianisme se précipitent sur le
saint diacre, l'accablent de coups. Parmi les
instigateurs les plus ardents des passions
des Juifs, sous le nom de Saulus, est saint
Paul lui-même, qui garde les manteaux des
lapidateurs. Le martyr tombe, il est frappé
d'un coup mortel; on entend sa voix faiblis-
sante prononcer une prière suprôme :
Doulz Jliesucrisl...
Pour ceulz qui ainssy me tourmenter
... vous supplie humblement
Que leur donnez avisement,
Et tout leur vueilliez pardonner...
Il expire. Ses bourreaux l'abandonnent.
... descliir
Et desrompu et martiré.
Ils l'ont laissé dans le champ désert en
patûre « aus oiseaulx et aus chiens... » Que
deviendra sa dépouille précieuse?...
Parmi les assistants quelques-uns, amis
timides encore, se sont enfuis épouvantés;
ils reviennent. Gamaliel, Abibas, Nichode-
rnus emportent le corps de saint Etienne, et
le jeu finit par un Te Deum laudamus et
l'acclamation des spectateurs.
La conversion de saint Paul fait suite,
comme seconde journée au drame de saint
Etienne.
EXUPÊHE (Saut).— Le mystère de saint
Exupère fut joué à Romans les 27, 28, 29
mai, aux fêtes de la Pentecôte de l'an 1509,
en même temps que ceux de saint Severin
et de saint Félicien, patrons de la ville, sous
le litre de Mystère des trois Doms.
M. Giraud a publié l'état des frais de la
représentation (Composition, mise en scène et
représentation du Mystère des trois Doms ;
Lyon, Perrin, 1848, gr. in-8° de 132 p.)
Le Journal de Paris de 1787, n° 264, p.
1143, donne une analyse fort obscure du
Mystère des trois Doms, "dans laquelle on ne
peut guère voir autre chose sinon que le ma-
nuscrit existait encore, et que le nombre
des personnages n'était pas moindre de 92.
EZECHIEL LE TRAGIQUE. —M. Magnin,
dans le Journal des Savants de 1849, criti-
quant l'édition des Poètes grecs chrétiens
donnée par M. Dubner dans la Collection des
Classiques grecs de Didot, a publié, sur Ezé-
chiel le Tragique, une étude dont nous re-
produisons les points importants. A quelle
époque vécut Ezéchiel ? se demande l'illustre
savant. Saint Clément d'Alexandrie (Stro-
mat., i. i, éd. Potier, p. 414) le distingue
ainsi : « Celui qui a composé des tragédies
« juives. » Ezéchiel était donc auteur de
plusieurs drames. Aristée donne le nom d'E-
zéchiel a l'un des soixante-douze interprètes
de la Bible (OEuvres de Josèphe, édit. d'Ha-
vercamp, à la suite du t. II, p. 109); mais
le traité d'Aristée est peu recommandable.
Néanmoins plusieurs critiques ont identifié
ces deux auteurs. Ezéchiel aurait vécu vers
l'an 283 avant Jésus-Christ. Huet (Démonslr.
évangél.,p. 49) et Bayle semblent y consentir.
Mais on sait combien les docteurs juifs eu-
rent de peine à se résoudre à une traduction
grecque de la Bible (Josèphe, Amtiq. Jud. I.
xii, c. 2); ils n'eussent jamais consenti à
mettre au théâtre une partie quelconque des
livres saints : une tradition raconte même
que le poète grec Théodole, rien que pour
on avoir eu la pensée, fut frappé de cécité !
Ezéchiel suit avec respect l'Ecriture sainte?.
Son style semble étranger; Galacker (De
nov. instrum. stylo) et M. Dubner ont relevé
les singularités de la grécilé de cet auteur.
Il y a donc présomption qu'il était juif; ainsi
l'ont pensé Dahne (Geschichtliche Darstel-
lung, t. 11) et plus récemment M. Séguier
de Saint-Brisson, dans sa traduction de la
Préparation évangélique d'Eusèbe. Tlrès-
probablement, il écrivait pour les Juifs hel-
lénisants de l'Egypte, de la Palestine et de la
Syrie. Huet et Bayle croient Ezéchiel anté-
rieur, au moins de deux siècles, à l'ère chré-
tienne; et cette opinion est partagée par
MM. Schoell, Gaisford , Séguier de Saint-
Brisson, Philipson de Berlin et Dubner. La
preuve, c'est que les fragments conservés
par Eusèbe auraient été pris par lui dans
deux citations, l'une d'Alexandre Polyhislor,
l'autre de Démétrius, tous deux antérieurs
d'un siècle à l'ère chrétienne. M. Eichorn
(De Judaeicor.re scenica, 1811, p. 19) consi-
dère, au moins pour Démétrius, cette asser-
tion comme une erreur, et M. Magnin s'y
oppose, relativement aux deux auteurs cités.
Eusèbe, de même que saint Clément d'A-
lexandrie, cite directement Ezéchiel; il no
dit pas en emprunter les fragments ni à Dé-
métrius ni à Polyhislor; il confirme ces deux
auteurs par le témoignage du poète ; les phra-
ses d'Eusèbe n'établissent point que ce sujet
soit l'un ou l'autre de ces écrivains; dans le
même livre ixde la Préparation évangélique ,
les extraits d'Alexandre Polyhislor sont
partout entremêlés d'autres citations de
Philon, de Flavius Josèphe, de Démétrius
et de Théodote, de même que d'Ezéchiel,
ce qui établit clairement qu'il n'y a pas une
cilation de Polyhistor non interrompue; en
vain on allègue de même, soit l'absence d'in-
dication au commencement du chapitre 28j,
et une des phrases qui servent de liaison aux
fragments, les meilleurs manuscrits donnant
une leçon préférable qui confirme pleine-
ment ce fait qu'Ezéchiel est cité directe-
ment, corameil a été dit plus haut, et que la
citation d'Ezéchiel, dans la pensée d'Eusèbe,
confirmait seulement Alexandre Polyhistor
et Démétrius. Si Ezéchiel est postérieur à
ces deux écrivains, sans doute aussi il l'est
à Josèphe , celui-ci n'en ayant pas parlé.
(Etienne Lemoyne, Guill. Cave, Joli. Chr.
Wolff, M. Jourdain.) Etait-il chrétien?
Marin de La Bigne (Magn. Bibl. PP. Veter.,
t. XIV, Index), et Thomas Ittigius (Lit), de
bibl. et caten. PP., p. 141) ont dit Ezéchiel
chrétien, mais sans en donner de preuves,
tant le fait leur a paru indubitable. Ils eus-
sent pu citer, au moins comme indices, le
nom de Verbe divin que Dieu se donne à
lui-même, le terme de Verbe, memra, pour
désigner Jéhovah, se trouvant pour la pre-
mière fois dans !a paraphrase chaldaïque
51'J
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEM
32C
d'Onkélos qui vivait après Jésus-Clirist. Di-
vers points sont donc acquis à l'histoire d'E-
zéchiel : 11 était Juif d'origine, il écrivait
pour les Juifs hellénisants de la Palestine et
de la Syrie, plutôt que pour l'Egypte, en-
nemie dès Hébreux ; très-probablement il
fut chrétien; il vivait dans le second siècle
de l'ère chrétienne; et il n'est resté de ses
écrits, plus nombreux très-certainement et
ayant trait au théâtre, que les fragments
conservés par Eusèbe de la Sortie d'Egypte.
— Voy. Sortie d'Egypte (La).
F
FÉLICIEN (Saint). —Le Mystère de saint
Félicien est une pprtie de celui des trois
Doms, représenté en 1509 à Romans, dans
le Dauphiné, et dont le manuscrit, signalé
en 1787 (Journal de Paris, 1787, n° 204,
p. 1143), ne s'est pas retrouvé depuis lors.
FEMME DU ROI DE PORTUGAL ( La ).
— La Femme du roi de Portugal est tirée du
manuscrit des Miracles de Notre-Dame, con-
servé à la Bibliothèque impériale, n° 7208,
4 A et 4 B, 1. 1", fOÏ 33-46.
Ce mystère date du \i\' siècle.
Par un hasard singulier et malheureux,
c< tte pièce, où l'élément dramatique domine
si fortement, a échappé absolument à l'at-
tention des critiques et des éditeurs moder-
nes. Non-seulement elle est restée inédite,
mais encore on n'en a nulle part dit un
mot.
Le roi de Portugal, dans une de ses chas-
ses, a rencontré la fdle d'un châtelain, dont
il veut faire une reine dans « l'espace d'un
moys. » En vain le sénéchal s'y oppose, re-
présentants son maître qu'un roi doit cher-
cher , avant son gré, dans son mariage ,
« plus d'amys et plus d'avoir. » Le roi s'obs-
tine. C'est alors qu'en bon serviteur, le sé-
néchal use d'une ruse de guerre : une nuit
de rendez-vous, il se substitue au timide
amant royal et abuse de la jeune fdle. Mais
celle-ci, se méfiant de la supercherie.se lève
doucement et éveille sa cousine, dont le lo-
gis n'est pas éloigné.
Chère cousine, je vous pri
Que vous viengnes avecques mi
On j'ay affaire.
LA DEMOISELLE.
v.niere cousine débonnaire
Vouïentiers iray avec vous.
Levée sui: on yrons-nous?
Dites-le moy.
LA ROÏNE.
Cousine, loy que je vous doy...
Monseignour avoit voulenle
De venir ave nioyjésir...
El de sa bouche me jura
Que sa voulcnte ne faisoic
Que ja à mari ne l'avoye....
Une autre est en son lieu venu/....
Si vueil de vous pour. Dieu savoir
Quel conseil j'en pourray avoir.
Je vueil !a chandelle allumer
l'our mieux congnoislre et aviser
Quels bonis il est.
LA DEMOISELLE.
Alons le voir, puis qu'il vous plaist :
Se c'est li roys, si le gardons;
Se c'est autre, si li eopons
Le cbiel...
LA ROYNE.
Ma cousine, bien dit avez...
Elle s'arme d'une lourde épée, cl toutes
deux regardent, l'amante dit enfin :
Mons a vis cler et plain
Et cilz l'a noir, viel et froncié...
Et ce disant, d'un cœur ému sans doute,
mais d'un bras ferme, elle coupe la tête au
traître endormi. Le roi accourt enfin au-
près de sa belle et l'épouse.
La nouvelle reine commence de tremoier.
Comment cacher son malheur? Elle avait
auprès d'elle, dans la nuit tragique qui
couvrit de ses ombres la vengeance de son
honneur, une sienne cousine, amie dévouée.
Elle voudrait maintenant, pour une pre-
mière fois, se faire remplacer par cette amie
dans le lit du roi. Mais le dévouement de
l'amie ne peut plus aller jusqu'au silence;
dans le lit du roi, elle veut être reine. Un
nouveau meurtre enfouit encore un nouveau
mystère dans les ténèbres de cette seconde
nuit d'hymen, et l'incendie allumé des
mains delà reine jalouse engloutit les traces
du crime commis.
Les années s'écoulent, l'énergie du cri-
minel faiblit; la reine confesse un jour ses
fautes, et son chapelain révèle tout au roi.
Celui-ci la condamne au dernier supplice,
mais la sainte Vierge, touchée du repenlir
de la malheureuse reine, s'interpose et l'ar-
rache au bûcher, pour la rendre aux bonnes
grâces du roi de Portugal.
FEMME SAUVÉE DU FEU (Lu).— Le
miracle de la femme sauvée du feu est tiré
du manuscrit de la Bibliothèque impériale,
n° 7208, 4. B, folio 39recloà50 verso,col.2.
(Ce manuscrit est celui connu sous le nom
de Miracles de Notre-Dame, qui date du xiv*
siècle.)
MM. Monmerqué et Francisque Michel en
ont publié le texte, accompagné d'une ver-
sion française, dans leur Théâtre français au
moyen âge (Paris, 1839 , gr. in-8°, p. 327-
365.)
M. O. Leroy avait déjà signalé fort inexac-
tement cette pièce dans ses Etudes sur les
mystères (Paris, 1837 , in-8°, p. 72) : « Une
femme, dit-il, dans un égarement inexpli-
cable, fait assassiner son gendre. A peine
a-t-elle commis ce crime, qu'elle va s'en
accusera un bailli; il la condamne à être
brûlée vive. La Vierge la sauve. »
521
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TEM
522
M. Fr. Michel (Ibid., p. 327) a dil : « Nous
n'avons pu découvrir dans quel ouvrage an-
térieur l'auteur anonyme de ce miracle a
trouvé le sujet qu'il a mis en action ; quoi
qu'il en soit, ce drame nous semble intéres-
sant par Ips détails qu'il contient sur les
mœurs populaires en France, au xiv' siècle.»
NOMS DES PERSONNAGES.
LE FRERE.
LE COUSIN.
cociiet, le bourrel.
DIEU.
GUILLAUME.
GUIBOUR.
LA FILLE
AUBERT, OU AUBIN.
uobert, premier voisin, nostre-dame.
cautier, second voisin. Gabriel,
le compère. michiel.
MANDOT, OU MONDOT, pre- LE PREMIER POVRE.
mier scieur. second povre.
senestre, second scieur. TROISIÈME POVRE.
aubeiu, premier sergent, saint jeiian.
gobin, second sergent. la première nonnf..
LE EAILLIF. DEUXIÈME NONNE.
LE PORTEUR.
Le titre est ainsi conçu :
Ici commence un miracle de Notre-Dame, com-
ment elle préserva une femme d'être brûlée.
SCÈNE 1"
Guillaume, maire, sa fille, guibour, sa
femme, aubin, son gendre.
Guillaume. Guibour, je veux vous faire part de
nies intentions : je vais, sans plus tarder, aux
champs visiter mes moissons, afin que, au jour de
la récolte, je sois sans faute pourvu d'ouvriers, en
homme sage. Je sais bien qu'il faut que je fasse
scier, et cela ne peut grandement larder.
guibour. Sire, c'est bien cela, en vérité; je ne
suis pas pour vous contrarier en rien, et d'ailleurs
convaincue que vous dites bien , je suis de votre
avis.
la fille. Ah! mon cher père, je vous en prie,
emmenez-moi avec vous sans difficulté, je prendrai
un peu de distraction : il y a longtemps que je ne
suis sortie d'ici, et je ne puis avoir meilleure com-
pagnie.
Guillaume. Je le veux bien, ma fille. Venez,
puisque cela vous plaît.
la fille. Allons! sire me voici prèle. — Adieu,
ma mère.
guibour. Gardez-vous d'aller dans quelque che-
min qui ne soit pas bien sur. — Certes, la femme
éprouve une grande joie d'aller avec son père, Au-
bin. Mon fils, je le prie de lout mon cœur de venir
avec moi jusqu'à l'église, cl de nie tenir compa-
gnie.
aubin. Si je vous le refusais, je ne me tiendrais
pas pour sage. Ma dame, allons ! c'est avec joie que
je veux faire votre volonté.
oiibolr. Marchons; pourvu que je puisse avoir,
sans trop de peine, une place près du prédicateur,
je serai bien aise, en vérité. Avançons.
SCÈNE II.
guiboub, femme de Gautier, aubin, son
gendre, voisins.
premier voisin. Eh! regardez, Gautier, voyez-
vous la femme du maire avec son gendre? L'on l'ail
entendre pour certain qu'ils sont loul un.
deuxième voisin. C'est le bruit public qu'il en use
comme de sa femme; il m'est avis que c'est une
grande infamie à tous les deux.
L8 premier voisin. C'est vrai; mais, quoi que
nous en disions ils ne cesseront point leur com-
merce. Allons chercher celle chopine de vin qu'en-
semble nous devons boire : nous ferons mieux, que
vous en semble? ai-je dil vrai?
le deuxième voisin. Je n'y mets pas opposition :
allons-y, Robert.
SCÈNE III,
guiboub , femme de Gautier , aubin.
guibour. Je veux m'agenouiller en cet endroit.
Mon fils, si vous ne voulez demeurer ici, el que
vous aimiez mieux allei vous ébatire dans la ville,
vous pouvez y aller hardiment, je ne m'y oppose
pas.
aubin. Dame, vraiment je veux y aller; je n'ai
pas appris à demeurer si longtemps à l'église pour
prier Dieu ou pour écouler un sermon.
(Ici commence le sermon.)
SCÈNE IV.
guibour , seule.
guibour. Ah! Dame du haut firmament, malheu-
reuse est la personne qui ne se dévoue pas à votre
service, et heureuse celle qui met en vous son coeur
et sa pensée; car nul ne se trouve tellement en
proie au mal que vous ne le secouriez; en sorte
qu'il se voit délivré de ses peines du moment quM
se livre à vous. Dame, qui êtes par excellence dans
les cieux, près de l'essence divine, élevée au-des-
sus de tous les saints; vierge, par votre grande
courtoisie, soyez (je vous en prie de loul mon cœur)
mon refuge, en sorte qu'avant ma fin vous purifiez
tellement mon àme que, quand cecorps devra finir, je
puisse éviter l'obscurité de l'enfer et avoir l'héritage
des cieux, que je désire beaucoup.
SCÈNE V.
LE COMPÈRE, GUIBOUR.
le compère. Commère, qu'il plaise à Dieu de
vous donner un bon jour!
guibour. Reau compère, et qu'il vous pardonne
vos méfaits, et à moi les miens! Comment se por:o
ma commère? je pense qu'elle va bien.
le compère. Oui vraiment, Dieu merci! Et vous,
commère?
guibour. Rien. Je me loue de Dieu, compère, car
il nous a fait une bien grande grâce de donner
notre fille à un si bon enfant, qu'elle ne pouvait
trouver mieux ; c'est mon avis.
le compère. Commère, je suis trop mal à mon
aise dans un lieu où j'entends diffamer ou blâmer
une personne que j'aime; je la défends de toul mou
pouvoir, el j'avise au moyen de l'informer oour son
honneur.
guibour. Pourquoi tenez- vous ce lan^a'e? dites,
compère.
le compère. Ma eommère, je vais vous le dire.
L'on répète par toute celte ville que votre gendre
prend ses ébats avec vous comme avec votre fille,
quand cela lui plaît, el sans difficulté, el que tous
deux vous ne faites qu'un : ainsi parle-l-on com-
munémeiil, el (l'on ajouie) que ce n'esl pas pour
rien qu'il esl si soigné dans sa mise, car i' ntre-
lienl commerce avec la mère el la fille.
guibour. Hélas! est-ce qu'il court sur mon
compte un tel bruit par la ville? Compère, parla
foi que je vous dois, jamais je ne l'épousai. Je ne
sais qui a mis un tel conte en avant, mais il a com-
mis un péché mortel. A Dieu ne plaise que je sois
jamais accusée d'un méfait pareil!
le compère. Commère, Dieu aide mon àme! je
vous en donne avis de bonne foi. Ne m'en donnez
ni louange ni blâme, belle commère.
guibour. Au contraire, je vous en sais bon gré,
compère, et vous prie, quand vous l'entendrez ré-
péter de soutenir hardiment que cela n'esl p.s.
c23
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEM
324
i.e compère. Je vous en crois bien, en vérité;
maintenant vous vous donnerez de garde. Que Dieu
vous conserve! Jusqu'au revoir.
guibour. Compère, puissiez-vous avoir un :our
rempli de bénédictions! Je vous remercie.
SCÈNE VI.
guibour, seule.
crjiBOUR. Douce Mère de Dieu, qu'est-ce ceci?
Qu'ont donc les gens dans l'esprit pour avoir, sans
cause et sans raison, pensé telle chose de moi? Par
ma foi! c'est une grande trahison. Je n'en puis
mais, et pourtant que j'en suis chagrine; j'en
pleure et je m'en lamente. Douce Mère de Dieu, que
ferai-je? Certes, jamais je ne cesserai de réfléchir
jusqu'à ce que j'aie trouvé le moyen d'étouffer le
bruit que l'on a fait courir sur mon compte.
SCÈNE VII.
MOISSONNEURS, ÉTRANGERS AU PAYS.
le premier moissonnecr. Seneslrc, compagnon
et ami, allons-nous-en sur la place savoir si nous
pourrons avoir un maître. Nous n'avons tous deux
ni croix ni pile; ne parlons pas d'ici sans gagner
quelqu'argenl.
deuxième moissonneur. Mandol, t« dis bien ; al-
lons-nous-en. Je suis prêt, voici ma faucille; prends
la tienne aussi. Marche droit vers la place.
premier moissonneur. Je^ m'en vai? ; loi, suis-
moi de près. Senestre, il est bien matin. Eh! vois,
il n'y a encore âme qui vive, excepté nous deux.
deuxième moissonneur. Mandot, ce n'est pas un
Ires-grand mal; il vaut mieux pour nous êire des
premiers que les derniers. S'il plaît à Dieu, il
viendra bientôt quelqu'un qui nous fera gagner de
l'argent.
SCÈNE VIII.
guibour, seule.
guibour. Jamais je n'aurai de joie au cœur jus-
qu'à ce que j'aie éieinl ce bruit; mais comment y
parvenir, si ce n'est par la mort de mon gendre?
Certainement il faut s'arranger pour qu'il n'aille pas
loin. Je ne chéris pas tellement mon argent que je
n'en donne assez et largement à une personne
étrangère pour qu'elle le tue de ses mains. Or main-
tenant la saison est plus propice que toute autre,
car, de toutes parts, il est venu des ouvr.ers étran-
gers qui se sont dispersés pour travailler aux
champs. Je m'en vais savoir sur la place, mal que
mal, si je verrai quelque garçon à qui je puisse en
parler. Eh! regardez; j'y vois deux grands ribauds
qui semblent forts et bons à faire proinplement un
coup dhbolioue.
SCÈNE IX.
GUIBOUR, les moissonneurs.
guibour. seigneurs, ctes-vous venus ici pour tra-
vailler aux champs?
premier moissonneur. Oui, dame; avez-vous be-
soin de l'un de nous?
guibour. Oui, j'espère. D'où êtes-vous? dites-le-
moi.
premier moissonneur. Nous sommes de vers le
Croloy, et nous savons bien scier et battre. Si vous
avez des moissons à cueillir, nous en ferons volon-
tiers marché, et nous vous les abattrons bien et
vile, dame.
guibour. Beaux seigneurs, je suis femme à vous
donner bon gain si vous êtes accommodants.
deuxième moissonneur. Par ma foi! daine, cela
va. Qu'y a-l-il à faire?
guibour. Avant de vous dire mon affaire, jurez-
moi sur tous les saints que vous ne répéterez mes
paroles à personne. Ensuite je vous exposerai mon
projet.
deuxième moissonneur. Quant à moi, je vous
jure, sans plus attendre, que nul ne saura votre sc-
crel, dame, à moins que ce ne soit de voire gré.
premier moissonneur. Dame, je vous assure aussi
que personne ne le saura par moi. Maintenant
veuillez nous dire ce que vous désirez.
guibour. Seigneurs, je désire que vous deux vous
mettiez à mort un homme, bien qu'il soit de mes
amis; el puisez largement dans ma bourse, je le
veux bien. Je suis sans raison diffamée à cause de
lui, un bruit court, j'en ai le coeur si triste et si do-
lent que rien ne vous le ferait bien comprendre.
deuxième moissonneur.. Dame, dame, peu im-
porte le tort ou la raison, Ça, nous deux, oh,
livrez, livrez! Il sera expédié en tous points, il n'é-
chappera pas.
premier moissonneur. Oui, vraiment; mais il faut
un peu de temps pour aviser à faire la besogne sans
être vus.
guibour. Je vais vous dire sans retard le moyen.
Je vous mettrai en mon cellier, et m'arrangerai de
manière à l'y envoyer pour chercher du vin. Quand
vous le tiendrez, expédiez-le de manière à ce qu'on
ne voie ni plaie ni sang à son ventre, à sa tète ou
à ses flancs: étranglez-le.
deuxième moissonneur. Cela sera fait sans délai;
à celle heure menez -nous dans ce cellier, el puis
pensez au reste.
cuibour. Volontiers, seigneurs; allons, en avant!
venez avec moi, par ma foi! je vous paierai bien.
Mettez-vous tous les deux là-dedans; je ne mange-
rai pas que je ne vous l'aie envoyé.
SCÈNE X.
guibour, seule.
guibour. Mon affaire est maintenant en bon train.
Qu'il vienne, je n'ai ici âme qui vive; mon mari es»
dehors ainsi que sa femme. Aubin ne peut man-
quer d'arriver bientôt. Advienne que pourra, je
l'attends.
SCÈNE XI.
AUBIN, GUIBOUR.
aubin. Je ne reste pas plus longtemps ici. L'heure
du dîner approche. Je vais manger ma part de ce
chapon que je vis mettre à la broche ce malin.
Mieux vaut arriver plus tôt (pie plus lard.
guibour. Faisons la malade. Mon gendre vient
tête baissée et les yeux fermés.
aubin. Madame, qu'est-ce que cela? Que Dieu vous
donne la santé de l'âme et du corps! Eh là ! n'éles-
vous pas bien, dame? diles-le-moi.
guibour. Par ma foi! je suis toute en frissons, e'
sens bien que je suis prise d'un accès de fièvre; je
suis si altérée que je n'en puis plus, mon fils Aubin.
Je le prie, prends un pot à vin, et va m'en chercher
un peu dans notre cellier; dépêche-toi, je veux
boire.
aubin. Dame, volontiers, bien que cela vous soit
contraire; néanmoins, je vais vous en tirer, puisque
cela vous fait plaisir.
guibour. Allons, va vite. — Ma besogne est faite,
j'en serai bientôt débarrassée. Maintenant il faut
penser comme je ferai quant au surplus.
SCÈNE XII.
GUIBOUR, LES MOISSONNEURS.
premier moissonneur. Dame, c'est fini. 11 n'est
plus temps de se dédire.
Guibour. Seigneurs, vous l'avez mis à mort9 De
quelle manière?
deuxième moissonneur. Nous n'avons point usé de
ruse, dame; nous l'avons si bien serré à la gorge
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
que nous savons, à n'en pas douter, qu'il est étendu
mort.
guibour. C'est bien, seigneurs, il me suffit; mais
sans plus vous amuser céans, il vous faut l'apporter
ici, nous le dépouillerons et le coucherons en son
lit, et puis je vous donnerai votre argent, et je
vous enverrai à la garde de Dieu.
deuxième moissonneur. Nous ferons ce que vous
désirez, tout à l'heure de grand cœur.
premier moissonneur. Dame, montrez-nous sans
retard où vous voulez qu'il soit couché; nous vous
en prions , dépêchez-vous avant que quelqu'un
vienne.
guibour. Pour ne pas vous tenir plus longtemps,
seigneurs, couchez-le sur ce lit, comme s'il dormait
par plaisir. C'est bien, il est à mon gré. Tenez, ne
soyez pas lents à décamper, afin que l'on ne vous
trouve pas.
deuxième moissonneur. Cela n'arrivera pas tant
que je pourrai me tenir sur mes pieds.
premier moissonneur. Certes, cela ne m'arrivcra
pas; non pas. Puisque nous avons de l'argent à dé-
penser, compagnon Senestre, allons-nous-en d'ici
sans plus attendre.
deuxième moissonneur. Allons-nous en, il n'y fait
plus bon. A vous Mandol!
SCÈNE XIII.
GUILLAUME, SA FILLE, GUIBOUR,
Guillaume. Dame, nous revenons de bonne heure;
apportez lu nappe, du pain et du vin. Ce manteau
est plus lourd qu'une chape :je veux l'ôter, c'est un
manteau d'hiver. J'ai faim, et veux déjeuner. Depc-
chez-vous, allez au vin, et vous, fille, pendant ce
temps-là, allez chercher Aubin, et nous dînerons.
Demain, je pense, nous moissonnerons, et je veux
nie pourvoir d'ouvriers. Je ne veux pas rester long-
temps assis, au moins pour le quart d'heure.
GLiu iur. Marie, Aubin est encore couché dans
son lit.
Guillaume. Il a pris ses aises, la grasse matinée.
Va l'appeler, va, folle, dis-lui qu'il se lève.
la fille. Aubin, Aubin! si cela ne vous chagrine
pas, veuillez me dire s'il est jour oui ou non. Dor-
mirez-vous toute la journée, beau sire? — Eh mais,
il ne me répond point. Approchons et je saurai, bon
gré maigre (ici elle le découvre), à n'en pas douter,
s'il don ou veille. — Or sus, sire, levons-nous s:ins
tarder! Dormirez-vous ici toute la journée? Qu'est-
ce que ceci, Dieu? Ah, mère, mère! voici une trop
triste nouvelle. Je puis bien me plaindre et pleurer
fort; le malheur m'accable. Je suis perdue.
guibour. Qu'as-lu pour être désolée et pour tant
pleurer?
la fille. J'ai bien raison de pleurer; mes bonnes
beures et tous mes bons jours sont passés, Aubin
est mort. Hélas! hélas! que ferai je? certes, je mour-
rai de douleur pour lui. — Ah, doux Aubin! notre
compagnie a par ce malheur duré bien peu de
temps!
Guillaume. Voici un chagrin et un malheur bien
grands; j'aurais mieux aimé perdre tout mon avoir.
— Fille, est-ce vrai, ce que je l'entends dire?
la fille. Il est déjà jaune comme cire. — Père,
ne nie croyez vous pas ? Hélas ! je suis sans ami,
amie pauvre et délaissée.
guibour. Ah, belle fille ! quelle perte ! Certes, je
dois bien tordre mes poings et accoutumer mes
yeux à pleurer, puisque j'ai perdu le doux Aubin
qui m'honorait de tout son cœur et m'aimait
tant.
la fille. Hélas ! mère, il ne m'appelait toujours
que son amie ou sa sœur. Si mon cœur est plein de
tristesse, j'en ai bien des molilo.
FEM 528
SCÈNE XIV.
LES MÊMES, VOISINS.
premier voisin. Que Dieu soit céans ! Qu'avez-
vous à crier et à vous lamenter? Est-ce à cause de
quelque grand malheur?
Guillaume. Oui, vraiment, Robert, doux voisin :
Auliin est mort.
premier voisin Eh ! Dieu miséricordieux ! Voisin
Guillaume, cela me fait de la peine. Par Notre-
Dame de Ponloise ! j'aurais voulu l'empêcher. Main-
tenant un mol : A quoi sert un si grand bruit ? cer-
tes, à rien. Je sais bien qu'il faut que la nalure
en ce cas paye son iribuf mais ayez douleur plus
petite, vous ferez bien.
la fille. El comment? Je liens, Robert, que
Dieu m'avait donné le plus courtois, le plus sage, le
plus amoureux, le plus doux et le plus libéral de
tons les hommes du pays. Ah ! si mon cœur se serre
de chagrin, il n'y a rien d'étonnant.
guibour. Certes, lu dis la vérité. Il n'y avait dans
tout le pays la pareille pour êlre bien mariée à un
homme bon et beau. Maintenant il est morl : que
Dieu, dans sa bonté, lui fasse miséricorde !
le premier voisin. Ecoulez : si vous avez quelquo
chose à me commander, dites-le-moi sans retard :
je le ferai.
Guillaume. Robert, alors je vous prierai de mo
faire venir un coffre. Une autre foisje m'offre à en
faire autant pour vous (à faire m'offre pour vous
autant).
le premier voisin. Je vais vous le chercher sur-
le-champ, quoi qu'il advienne.
SCÈNE XV.
VOISINS, SERGENTS, LE BAILLI.
deuxième voisin, nobert, Dieu vous tienne en
santé ! Où allez-vous?
le premier voisin. Gautier, mon doux ami , je
vais chercher un cercueil.
deuxième voisin. Cercueil ! pour qui ? est-ce p >ur
Conseil ? dites, voisin.
le premier voisin. Nenni , Gautier; c'esl pour
Aubin, le gendre du maire.
deuxième voisin. Aubin ! Dieu soit miséricordieux
et doux pour son àme !
le premier sergent. Gautier, Dieu te garde de
blâme ! Qui dil-il être trépassé? je n'ai pas eu assez
de loisir pour l'entendre.
le deuxième sergent. C'est Aubin, le gendre do
Guillaume, le maire de Chielvi. Je le vis encore ce
matin bien portant et allègre.
le premier sergent. Dieu ail pitié de son âme!
(."criaillement c'est grand dommage; car il étail
beau, jeune, sage et bien appris.
le deuxième voisin. C'esl un pas qu'il nous faut
tous passer. Adieu, amis !
le premier sergent. Gautier, que Dieu nous
mette aujourd'hui en bon jour et en bon mois ! Je
ne resie plus ici, je m'en vais à l'audience; il en est
temps.
le bailli. D'où viens-tu, Dieu le secoure? Ame
est- il sommé de nouveau ? Que dil-on par la ville?
reponds moi.
le premier sergent. Tout le inonde s'étonne
qu'Aubin, ce jeune homme bel cl fort, soit morl
depuis Prime.
le bailli. Par le Très-Haut ! que dis-tu ? Aubin
esl mort ?
le premier sergent. Ainsi le disent les voisina
généralement.
le bailli. Je suis tout étonné qu'il puisse êlre
morl. Assieds-loi, assieds-loi. Sans doule il a clé
blessé par quelqu'un : ce qui a causé sa mort aussi
soudainement.
J27
FEM
SCÈNE XVI.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEM
5-28
GUILLAUME, GUIBOUR, VOISINS, LE PORTEUR
DU CERCUEIL.
le premier voism. Maire, voici un coffre bel et
nei que je vous fais apporter, pour porter honora-
blement ce corps en terre.
Guillaume. Ami, que Dieu l'aide! mets-le à terre
tout doucement, qu'il ne se brise pas. — Voisin,
que cela ne vous déplaise ; vous deux , mettez
ce corps dedans. Sur le dos, sur le dos, et non pas
sur le ventre, mes bons amis !
le porteur. Attendez, il sera bien placé. — Sire,
portez par ce bout, et je prendrai celui-ci. Ob !
niellez à lerre.
le premier voisin. Voilà. Que Jésus soit courtois
el doux à son âme !
LE PORTEUR.
Qui de vous me payera mon por-
guibour. Moi, mon ami, et de bon cœur. Tu n'as
pas besoin de marchander. Prie pour lui, tiens,
va travailler : voici trois blancs.
le porteur. Que Jésus-Chrisl , qui est un roi
puissant, fasse véritablement pardon à son âme!
Si ma peine n'était jamais moins rétribuée, je me
verrais bientôt vêtu île robe neuve.
SCÈNE XVII.
LE BAILLI, LES SERGENTS.
le bailli. Tu es soucieu*, Gobin; d'où viens-tu
si renfrogné ?
le deuxième sergent. Vrai, sire, j'ai l'humeur
noire, je suis plongé dans des réflexions et tout
ébahi de ce qu'Aubin est mort.
le bailli. Il nous faul tous avaler ce morceau,
bon gré malgré.
le deuxième sergent. Je sais bien cela, sire,
mais je m'émerveille de ce que lanlôi encore, au
milieu du jour, il allait el venait par la ville, et
causait avec les gens en bonne santé el allè-
gre.
le premier sergent. Par ma foi ! c'est dommage
et pitié, s'il plaît à Dieu.
le bailli. Il n'est personne qui puisse me faire
accroire qu'il n'ait pas été frappé ou étranglé ou
renversé, ce qui aura causé sa mort subitement. Je
pense dire vrai; allons-nous-en. Je veux assistera
son inhumation. Quel qu'en soit l'auteur, il faut
savoir la cause de sa mort.
SCÈNE XVIII.
LA FILLE DE GUILLAUME
la fille. Ah, doux Aubin ! quand je me rappelle
tes bonnes qualités, l'amour que tu me portais, el
les belles manières, j'ai bien raison de le plaindre
el de déplorer la perle; car je suis privée de lous
biens et tombée dans une grande douleur. Ah, mort !
quelle dure séparation tu as opérée entre nous eu
peu de lemps ! Prends-moi aussi, dévore-moi el
ôte-moi de ce monde. J'aime mieux cela que de vi-
vre dans un pareil abandon.
SCÈNE XIX
GUILLAUME, GUIBOUR, LA FILLE DE GUILLAUME..
LE BAILLI, SERGENTS, LE FRÈRE d'aUBIN,
SON COUSIN
le bailli. Que Uieu lasse tomber sur vous lous
sa paix el sa grâce!
Guillaume. Monseigneur, que sa bonté en fasse au-
tant pour vous !
le bailli. Maire, en vérilé, j'éprouve du chagrin
de voire malheur; je désirerais pouvoir adoucir
celle perte funeste. Mais je veux vous demander
comment il a été sitôt enlevé. Elail-;1 en proie à
quelque mal intérieur ?
Guillaume. Sire bailli, depuis que nous lui avons
donné noire fille, personne, ni elle, ni autre, n'a pu
dire qu'il eût aucun mal nulle pari.
le bailli. Je ne m'émerveille que plus qu'il
soit mort ainsi. — El vous, femme, sur votre âme !
ne savez-vous rien? N'aurail-il pas élé dans une
compagnie où on l'aurait maltraité? dites le-
moi.
guibour. Nenni, sire bailli, par ma foi ! mais je
suis bien étonnée qu'il soit ainsi subitement tré-
passé. .
le bailli. Vous deux, passez devant; découvrez-
moi promplement celle «bière, el décousez son
suaire de manière à ce que je puisse le voir de la
tête à la cuisse, pour en être mieux l.ors de doute;
je ferai mon attestation du tout, avant qu'on l'en-
terre.
le premier sergent. Sire, vous serez promple-
ment obéi. — Eh ! levons ce couvercle, Gobin; en-
suite décousons-le, maire. C'est l'ordre.
le deuxième sergent. Or sus ! retirez-vous de là,
sans mot dire. Je veux défaire celle couture. —
Sire, ai-je assez décousu, à votre avis ?
le bailli. Découvre-le bien, visage, épaule, et
poitrine. — Holà ! arrêtez la mère, la tille et le
père. Il n'est pas à nier qu'il n'ait élé assassiné;
c'est évident. Voyez comme il a la gorge noire !
Quelqu'un l'a étranglé. Faites vile, sans plus de
paroles; liez-leur les mains en croix derrière le dos,
et emmenez-les en cet équipage comme chiens eu
laisse. Je saurai incessamment la vérilé au sujet de
celle affaire.
le frère. Que Dieu soil céans ! Hélas ! qu'est-ce
que ceci ? Frère, j'ai bien du chagrin de votre mon.
Vrai, quoi qu'on en dise.
le cousin. Mort qui l'as pris, que Dieu te mau-
disse ! Tu as pris le plus vaillant et le plus sage de
notre lignage. Hélas! être si bien élevé et mourir
si vile, c'est grand dommage.
le bailli. Seigneurs, il est clair qu'on l'a assas-
siné, je n'en doute point; mais, par les dents de
Dieu ! aucun de vous ne m'échappera, el je saurai
la vérité.
Guillaume. Sire bailli, miséricorde, pour l'amour
de Dieu ! Veuillez ne pas être si dur à notre égard ;
nous nous rendons el nous irons partout où vous
nous direz.
le bailli. Bon, bon. — Seigneurs, vous ferez ce
que j'ai dit.
le premier sercent. Sire, vous serez obéi sans
réplique. — Tandis que je lierai le père, Gobin, va,
el lie la mère. Allons! dépêche-loi.
le deuxième sergent. II ne faut pas trop m'en
presser : je m'en vais les expédier, sur mon âme!
— Allons! dame, donnez-moi ici vos deux bras, el
faites vile.
guibour. Hélas, malheureuse ! quelle peine el
rien ne peut m'y soustraire! Eh, voyez! faites de
moi votre volonté, sire.
la fille. Hélas! malheureuse! hélas! hélas! je
ressens une douleur bien plus amère quand je vois
la justice tellement maltraiter mon père el ma mère
pour la mort de mon mari, dont ils sont tristes et
chagrins au fond du cœur. Hélas ! peut-on ainsi les
lier et leur serrer les mains loul d'abord ?
le bailli. L'on ne vous en fera ni plus ni moins,
belle amie, el vous vous en viendrez avec eux sans
relard. — Lie-la, lie.
le premier sergent. Volontiers. — Allons, belle
amie, il me faul avoir vos deux mains pour les lier.
Le refus est inutile : bâtez-vous.
• la fille. Maintenant, suis-ie assez au comble du
malheur? Quelle femme peut J être plus? Mon mari
mort, mon père et ma mère en danger, la honte
elle supplice, moi-même prisonnière, 1 ée el con-
duite comme une femme jugée à uiorl ! AI», Dame
5Î0
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEM
133
des cieux ! que vos doux yeux me regardent en
pi lié !
le dailli. En avant, en avant! ne tardez pas da-
vantage.— Seigneurs, amenez-les devant moi. Par
le serment que j ai prêté au roi ! ils me diront bien-
tôt la vérilé, ou ils seront vilainement mis à la ques-
tion.
le deuxième sercent. Allons ! passez vile, sans
plus demeurer ici.
le bailli. Faites mettre ce corps en terre, sans
vous amuser.
le cousin. Cousin, je suis d'avis que nous le fas-
sions porter tout droit au cimetière, sans qu'il reste
p'us longtemps étendu sur la terre dans son cer-
cueil ; et puis, quand nous l'aurons enterré, nous
ordonnerons un beau service.
la fille. C'est bien. Veuillez, bonnes gens, y
mettre la main.
Guillaume. Vierge, mère du doux Roi des cieux,
voie et port des égarés, Dame, donne-nous tes con-
solations : nous en avons besoin.
le bailli. Gobin, allons, vite' va, mets-moi tout d'a-
bord la mère dans la Gourdaine, et puis mène la
Tille de l'autre côté, dans le Paradis. Pendant ce
temps-là, je vais questionner Guillaume.
le deuxième sergent. Sire, puisque vous le di-
tes, je veux l'y mener.
guibour. Sire, sire, mettez, francs et quilles, en
liberté ces deux innocents : quant à moi, faites jus-
tice. J'y consens: mon cœur ne peut leur voir en-
durer plus de maux. Sire, sachez qu'en celle affaire
ils ne sont pas coupables; je suis la seule qui aie
fait commettre l'action.
le bailli. Guibour, il vous faut dire comment ce
meurtre-ci s'est fait, et pour quelle raison.
guibour. Je vous confesserai toute la vérité. Du
moment qu'Aubin eut pris ma fille, je l'aimai hon-
nêtement, comme mon fils, soyez-en certain et per-
suadé, sire. Plusieurs s'aperçurent de celte affection
cl en conçurent de telles idées qu'ils firent courir
sur mon compte un bruit diffamatoire. Il en agis-
sait avec moi comme avec sa femme toutes les fois
qu'il lui plaisait; nous deux nous ne faisions qu'un,
disait-on. Ce bruit fut répété, non pas vingt fois,
mais cinq cents; et il courut tant qu'il advint que
celte triste renommée me fut révélée en secret. J'en
eus un tel courroux et une telle douleur que je ne
savais que dire. En ce moment, le diable me trou-
bla tellement l'esprit et la raison que depuis ma
pensée ne rêva plus que la mort de mon gendre,
quoi qu'il dût en arriver. 11 me semblait qu'Aubin
mort, le bruit qui courait sur mon compte cesse-
rait.
le bailli. Et comment l'as-tu tué , femme ? il
faut le savoir.
guibour. Je vous dirai tout, sans rien oublier.
Hier, sur la place, je m'adressai à deux jeunes
gens. Mais, sur mon âme, je ne sais qui ils sont, si-
non laboureurs et journaliers. En leur parlant, je
leur ouvris mon cœur et leur découvris que je vou-
lais celte mort. Ils s'accordèrent avec moi, moyen-
nant une promesse d'argent. Alors je les mis dans
mon cellier, où j'envoyai mon gendre, sous prétexte
d'une grande soif. Il descendit au cellier sur-le-
chamu. Quand il y fut, on le prit à la gorge ; il fut
renversé et laissé à terre sans vie. Alors je le fis ap-
porter bien vile et nous le couchâmes dans son lit,
comme s'il eût dormi à plaisir. Je payai très-bien
les deux jeunes garçons, et je les renvoyai tout de
su le. Voilà tout.
le bailli. C'est assez. — Emmène-la, Gobin, où
»e l'ai dit.
le deuxième sergent. Sire, j'y vais sans répli-
que. — Allons, dame, allons!
le bailli. Certes, voilà longtemps que je n'ouïs
parler de meurtre aussi horrible. — Maintenant,
je vous donne entièrement la liberté, à vous, Guil-
Dictionn. des Mystères.
hume, aussi bien qu'à votre ûile. Allez, allez, bien
vite.
Guillaume. Sire, nous ferons de bon cœur votre
volonté, c'est raisonnable. — Ah! ma fille, je n'en-
trerai dans nulle maison, jusqu'à ce que j'aie été à
l'église de Noire-Dame de Finistère, pour la prier et
requérir qu'elle soit l'amie de ta mère , car, certes»
je vois que sa vie est en danger.
la fille. Faites; quant à moi, sans retard, je
m'en vais droit à Limoges, et j'offrirai à saint Lié-
narl mon pesant de cire en cierges, afin qu'il prie
Notre-Seigneur de bien défendre ma mère et de la
préserver de mort amère et honteuse.
Guillaume. Que celle qui est pleine de grâce soit
son amie dans celte nécessité! Au départir, je te
donne ma bénédiction, ma fille; va à h garde de
Dieu. Je ne sais si je reviendrai jamais dans ce
lieu-ci.
la fille. Adieu, père; je ne m'arrêterai pas que
je ne sois à Sainl-Liénart. En vérilé, je vais me
mellre en pèlerine.
SCÈNE XX.
LES PARENTS d'aUBIN, GUIBOUR, LE BAILLI, LES
SERGENTS, LE BOURREAU, PEUPLE.
le frère. Cher sire, nous venons requérir, de
votre grâce bienveillante, justice au sujet de notre
ami.
le bailli. Est-il enterré, ou au milieu de la salle
où je vous laissai, lui et vous? Je sais toute la vérilé.
Que dites vous?
le cousin. Oui, mon doux sire, il est déposé au
sein de la lerre.
le bailli. Vous serez bientôt expédiés. — Aubri,
va chercher le bourreau , et dis-lui qu'il dresse
prompteincnl le gibet pour le supplice d'une femme.
Quand tout sera prêt, qu'il vienne toul de suite vers
moi. Allons! fais vile.
le premier sergent. Volontiers, sire ; en vérilé,
je le vois, c'est bien mon affaire. — Cochet, allez
vite, sans délai, de par le bailli, notre maître, dres-
ser et mettre un gibet au vieux logis en ruine. Al-
lons, vile, sans relard ! El silôt que vous aurez fait,
vous reviendrez au tribunal. Dépêchez-vous.
le bourreau. Mon doux ami, cela sera bientôt
fait. Dès à présent je vais m'en occuper. Dites-lui
que j'y vais.
le premier sergent. Ami Cochet, je le lui dirai.
Sire, j'ai parlé àCochet. Il a fourche, gibet, crochet,
cordes et tout ce qu'il faut. Il va venir ici, sans
faute, tout à l'heure.
le bailli. A présent, Gobin, amène sans retard
Guibour en ma présence. Je veux encore l'enten-
dre.
le. deuxième sergent. Sire, vous serez prompie-
meiâ obéi : j'y vais. — Allons! sortez dehors, Gui-
bour; il faut venir sans relard vers le bailli.
guibour. Douce Mère de Dieu, veuillez vous sou-
venir d'une malheureuse; car je ne crois pas que je
vive longuement : c'est pourquoi, douce Dame, je
vous prie d'avoir pitié de mon âme, quelque péche-
resse que j'aie été-. Ah , Dame! par votre bonté ré-
conforiez-moi.
le bailli. Guibour, belle amie, tu as confessé
toi-même avoir mis ton gendre à mort et à perdition :
lel a clé ton aveu. Tu as disculpé ton mari et la
fille , el nul autre que toi n'est coupable de ce
crime
guibour. Sire, c'est la vérilé, par ma foi ! Je vous
ai d'il pourquoi et comment; et je vois bien que je
suis amenée ici pour eniendre mon jugement. Ah !
que Dieu ait pilié de mon àme ; qu'il veuille l'attirer
vers lui, en même temps que la préserver el la reti-
rer de l'enfer, où il n'y a que tourment.
le frère. Cher sire, je requiers dès à présent
le jugement de celle vilaine meurtrière qui a si
11
1
ff: i
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FKM
355
traîtreusement assassiné mon frère. Veuillez m'en
faire justice sans délai.
le cousin. Sire, vraiment sa requête est juste.
Puisque le fait est confessé, la loi vous oblige à
accorder la requête.
le bourreau. Monseigneur, la besogne est prêle,
selon vos ordres. Maintenant, dites-moi, que voiile'z-
vous que je fasse de plus?
le bailli. Prends une hart et lace-la-moi autour
du cou de celle femme : il faut qu'elle meure igno-
minieusement. Liez-lui aussi les mains, et puis d'ici
nous nous en irons au lieu des exécutions.
le bourreau. Je veux travailler de mon métier,
puisque vous le dites.
guiboer. Alt, Dame! qui , par vos mérites dignes
et précieux aux yeux de Dieu, avez et aurez la su-
prématie sur louies les âmes glorieuses qui sont en
paradis et qui jamais pourront y èlre (c'est à vous
que je parle, Vierge Marie), réconfortez -moi dans
celle extrémité, et prenez soin et souci de mon
âme; car je vois bien que sans faute il faut que
mon corps meure honteusement et bientôt.
le frère. Cènes, meurtrière, on ne peut vous
faire trop de mal et trop de honte pour avoir fait
périr mon frère d'une telle manière.
le bailli. Je lui ferai expier son tort. — Aubri ,
va tantôt crier sur la place, n'y manque pas, que
nul ch 'f de famille ne se dispense de venir vile à la
justice (lieu des exécutions); et puis reviens.
le premier sergent. Sire, je vous obéirai ponc-
tuellement. — Or écoulez , lionnes gens ! A tons et à
chacun ma foi! je donne commandement, si vous ne
voulez l'orfaîre envers le roi, devenir promplement
assister à la justice que le bailli veut faire.
le premier voisin. Par ma foi! j'aime mieux y
aller que de payer l'amende.
le deuxième voisi.n. El moi aussi ; de peur qu'on
m'y condamne, j'y vais.
le bailli. Allons ! noire suileest assez nombreuse,
et il viendra encore assez de monde. — Toi et lui,
passez devant moi. — Cochet , il faut se dépécher :
le relard n'est bon à rien. Mouvez! Mouvez!
le bourreau. En avant! lâchez devenir, dame;
il ne faut pas «lire : Qu'est ce que c'est? Je vous
mènerai avec celte hait commme un chien en laisse.
guibour. Eh, Dieu! pourquoi mon cœur ne se
fénrVil pas, alin que je meure et que je ne boive plus
la honiede la terrible extrémité où je me vois? —
Sire bailli, oclroyeZ-moi un don, s'il vous plait : je
vous demande nn peu de loisir pour prier la Dame
de grâce; puisque je passe devant l'église, je vous
adresse celle requête.
le premier voisin. Eh, cher sire! accordez-lui ce
qu'elle vous demande pour l'amour de Dieu, sans
entrer dans le lieu saint ; vous ferez bien.
le deuxième voisin. Certainement , sire, je liens
que, si vous lui donnez un peu de répit, elle ne
pourra que mieux trépasser; et nous devons,
comme l'Ecriture le porte, vouloir le salul de toute
créature.
le bailli. Femme , allons! dépêche loi vile; je
te l'accorde, puisqu'on m'en prie; mais ne nous
liens pas longtemps ici. Mets-toi à genoux.
guibour. Volontiers, mon cher et doux seigneur.
— Ah, Dame de miséricorde! réconciliez mou âme
avec Dieu, votre cher fils ! Vous qui justifiez les
pécheurs, cl qui glorifiez les vôtres dans les cieux,
ayez pi lié de ma misère! Dame, qui êtes la douce
Mère du Créateur universel! Vous qui êtes si douce,
ayez pitié d'une malheureuse au comble de la tris-
tesse et de la douleur! Ah! j'ai grand besoin de
votre aide. Secourez mon âme, aidez-la; car le
corps sera bienlôt détruit, embrasé par le feu et
grillé : c'est pourquoi, pauvre pécheresse, je nie
confesse à vous de tous les péchés que je commis
jamais, et dont je me rendis coupable envers voire
lils, foil en paroles, soit en actions. Dame, faites-
m'en donner pardon de Dieu, qui seul en a h
puissance, cl qui voit clairement le repentir de*
cœurs!
le bailli. En avant, en avant! sus! allons-nous-
en. Je demeure trop longtemps ici. Pas tant de
relards. La plus grande partie du jour est écoulée.
Allons, vile, Guibour! passez, passez. — Cochet.
hàle-:oi de l'emmener. II faudra faire de son corps
un lison ardent.
guibour. Ah! Vierge! pierre précieuse! je re-
doute comme la foudre ce bailli qui s'irrite telle-
ment et tonne contre moi. Vierge pure et sang
tache, impératrice et dame du inonde entier , pai
le tourment de celle flamme, par celle mort terrible
et honteuse , Reine glorieuse du ciel, arrache et
préserve mon âme de l'enfer; garde-la comme 1.»
tienne : je le la livre.
le bourreau. Puisqu'il faut que je vous expédie ,
dame, menez-vous ici à genoux. Allons, je vais
vous lier parles côlés à ce poteau-ci; et puis j •
vous referai un nœud s.irle cou et sur la poitrine,
pour en finir avec vous.
guibour. Gens qui me reg rdez en face, priez
pour moi Noire-Daine ! El puisqu'on doit consumer
mon malheureux corps par le feu et la flamme ,
que mon âme puisse fuir le feu d enfer et n'eu
être pas touchée! Ah! bonnes gens ,- ne reprochez
jamais, je vous en prie, ma mort infamante ni à
mou mari, qui n'en est nullement coupable, ni à
sa fille. Hélas! ma mort les chagrine et les navre
fort; elle les met dans une grande tristesse; ils
participent à mon tourment, et ne peuvent autre-
ment s'en tirer.
le bailli. Cochel, songe à le hâter. Maintenant
qu'elle est attachée par de forts liens, couche lar-
gement sur elle de louies parts des bûches et de la-
paille, el puis mets-y le feu partout, sans ta.;i
al tendre.
le bourreau. Je ne veux ni boire ni manger jus-
qu'à ce que cela soit fait. Regarde/ , maître. Je ne
sache pas qu'on la puisse mieux disposer : elle est
de tous cô;és entourée de bois comme dans une
huche, et ça va vile s'allumer.
le bailli. Le feu, le feu, sans attendre plus
longtemps ! le feu, bien vile!
le bourreau. Sire, je vais tantôt le quérir.
Maintenant toui est prêt.
SCÈNE XXI.
LES MÊMES, DIEU, NOTRE-DAME, ANGES.
dieu. Mère, Mère, .voici le temps el l'heure de
descendre pour sauver Guibour, qui vous appelle
d'une voix si lamentable, et demande avec tant
d'insiances de voire miséricorde sa réconciliation
avec moi, et lepardon de son crime. Allez la défendre
efficacement, et, quelque feu qu'on lasse autour
d'elle, faites que la flamme n'attaque, ne détrube
ni ne maltraite son covps.
notre dame. Fils, je suis toute prèle à y aller.—
Allons! Gabriel, descendez, ainsi que vous, Michel;
cl chaulez en allant là-bas.
Gabriel. Dame , votre volonté sera faile. — En
ayant, Michel! — Amis, puisque nous nous
sommes mis en roule, chaulons mélodieusement et
d'accord.
Rondeau.
Dieu puissant, miséricordieux , votre grande mi-
séricorde réconcilie les pécheurs avec vous : c'est
un doux accord , Dieu puissant , miséricor lieux ;
et la vérité est que, par le souvenir de voire grâce ,
l'on arrache maint cœur à Satan. Dieu puissant, etc.
le bourreau. Je veux allumer ce feu avec une
telle force, puisque j'en ai la matière, qu'il faudra
qu'on recule de ions côtés.
NOTRE-DAjiE. Mes amis, éloignez ce feu si loin de
Oj'J
FEM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEM
Ti
faire do nwl.
n'auras, sois
feu
en
grâce a loti
esi encore
et ne saigne
ma loyale amie qu'il ne puisse lui
Guibour, rassure Ion cœur : lu
sûre, ni peine ni tourment par ce
appel si dévot»
guibour. Ali! Dame! qui, surlous les saints iiu
paradis, avez la grâce el la prérogative d'èlre Innée
débouche, de voix cl de paroles, puisqu'il vous
plaîi de me défendre, pauvre malheureuse que je
suis, d'une morl aussi cruelle, comment pourrai-jc
m'en montrer reconnaissante, Vierge Marie?
le bailli. Certainement, celle femme esl consu-
mée, le feu a jeté une flamme très-grande et irès-
pétillanle.'
le frère. Sire, les fagols étaient secs; et si elle
V a gagné , qu'elle le prenne. Je n'ai de sa moi l ni
remords ni courroux.
le bourreau. Holà! seigneurs, ses liens, ses
cordes et tous ses harls sont, rompus; il n'y a rien
qui ne soit entièrement brûlé; mais elle
en parfaite santé , elle n'a aucune plaie e
pas; au contraire, elle esl très-belle.
le ïrère. Par le sang el par les boyaux! meur-
trière, vous ne vous en irez pas ainsi; vous serez
brûlée tout de suite, vous ne réchapperez pas. —
Cousin, allons vile chercher dcséchalas, des buis-
sons , du chaume, des cosses de pois, afin que,
celle fois, elle n'échappe pas à la mort.
le cousin. El de bon cœur, cousin, allons.
le fiiere. Bailli, nous voulons que celle meur-
trière soil brûlée, et sa chair dispersée en pous-
sière; vous entendez.
le bailli. Jetez sur elle du combustible, per-
sonne ne s'y oppose, afin que le feu prenne vile,
el qu'il ne resle rien d'elle ni chair ni os.
notre-dame. Feu , je le détends el interdis de pas
ser sur celle femme et de lui taire le moindre mal.
— Belle amie, prends courage. — Allons nous-en,
seigneurs, vous et moi, là-haut dans les cieux.
miciif.l. Nous ferons votre volonté, Dame. — Al-
lons! Gabriel, chantons en mesure.
Rondeau.
Et la vérité est que, par le souvenir de volrc
grâce, l'on arrache maint cœur à Satan. Dieu puis-
sant, etc.
guibour. Beaux seigneurs, par miséricorde, je
vous prie humblement tous el vous requiers d'agir
avec douceur. Epargnez -moi, vous ferez bien. Je sms
gardée par la grâce de Dieu. N'ayez pas houle d'èlre
vaincus; car j'ai pour sauvegarde Noire-Dame,
Reine et dame des cieux , et Dieu m'a aussi protégée
avec elle.
le bailli. Seigneurs, seigneurs, certes, voici un
miracle bien merveilleux et sans pareil. Nous avons
méchamment péché contre Dieu en maltraitant ce
saint corps aussi indignement. — Guibour, chère
amie, sortez hors de ce feu. Par mon âme! je vous
le jure , je vois bien que vous èles une sainte femme.
N'ayez peur.
guibour. Sire, je ferai sans retard ce que vous
commanderez. Allons ! me voici sortie du feu; que
vous plaît-il , sire?
le bailli. Dame, je vous demande pardon, à ge-
noux et à mains jointes , du courroux el de la colère
que j'ai montrés centre vous, et de ma mauvaise
conduite à votre égard; ou, au moins, que je ne
sois pas maudit par vous, ni blâmé, ni conspué
dans le monde : je vous en prie.
guibour. Pour Dieu! levez-vous, sire, ne vous hu-
miliez point ainsi; car, en vérité, vous n'èlescoupable
de rien à mon égard. En effet, mon crime est si
grand que vous eussiez dû me brûler cenl fois, si
vous eussiez pu. Mais par la douceur de la Vierge
Marie, que j'ai invoquée de cœur el d'âme, je suis
sauvée ei garantie. Si vous m'avez lait oui rage, que
la Mère de Dieu vous le pardonne comme moi, cl
nous donne à tous une bonne lin !
le premier voisin. Maintenant, ne nous arrêtons
pas ici; mettons- noiis tous en roule avec elle el ac-
compagnons-la à l'église. Là elle rendra grâces à
Dieu et à sa Mère aussi . qui l'a si bien gardée.
le deuxième voisix. C'est chose très-bien vue et
qu'on doit l'aire.
le bailli. Ma chère amie débonnaire, ils disent
la vérité. Allez devant; nous vous suivrons de près
tous ensemble.
guibour. Sire, qu'il en soit ainsi, puisque bon vous
semble; aussi bien y avais-je pensé. — Amoureux
Jésus, qui avez garanti mon corps d'une mort igno-
minieuse, et vous. Dame, châtelaine de l'empire
céleste, sceptre de la gloire royale, fontaine et puits
de grâce, je vous remercie vous et votre fils autant
que je saisel que je puis, et je vous rends grâces de
toul mon cœur. Durant le resle de ma vie, je vous
servirai de toutes mes forces, et je ne m'occuperai
qu'à cela; c'est bien juste. — Sire bailli, puîs-je, s'il
vous plaît, m'en aller dans ma maison' Veuillez me
donner réponse à ce sujet, si c'est votre bon plaisir.
le bailli. Oui, Guibour; mais vous n'irez pas
seule, au contraire je vous escorterai cl vous tien-
drai compagnie, moi et mes gens.
premier sergent. Soyons diligents à nous mettre
en route. Je vais devant.
deuxième sergent. El moi avec vous, Allons, Cil
avant! — Plaie par ici, place!
guibocr. Seigneurs , que, pour votre bonté à m'ac-
compagner ainsi , Dieu vous donne à Ions la joie
éternelle! Maintenant, si vous m'aimez réellement',
laissez moi seule.
le bailli. Beioumons sur nos pas. — Adieu Gui-
bour.
SCÈNE XXII.
GUIBOUR, PAUVRES.
guibour. Sire, Dieu vous donne son amour! je
vous remercie.
le premier pauvre. Vierge, que Dieu a assise à
son côté, gardez lous ceux qui me font du bien. Le
corps me fond de pauvreté. Combien je suis malheu-
reux! Je ne sais, quand l'on me pousse, si ce sont
bêles ou gens; je ne puis non plus distinguer ni
l'argent, ni le plomb, ni le cuivre ni la monnaie d'or.
— Hélas! bonnes gens , quel noble trésor perd celui
qui perd la vue ! Donnez-moi, car en vérité personne
aujourd'hui ne m'a rien donné. Donnez , donnez au
pauvre aveugle! pour l'amour de Dieu !
guibour. Bonhomme, ne bouge pas ; attends, at-
tends, je vais à toi. Tiens, mon frère, prie pour moi
le Roi des cieux.
le premier pauvre. Ah dame ! que Dieu veuille
. vous meure el tenir en santé corporelle, el qu'a la
fin il soit miséricordieux pour voire âme !
le deuxième pauvre. Eli, Dieu, y a-t-il homme
ou femme qui me réconforte d'une aumône ? Que
Dieu, qui esl assis sur le Irône des cieux, aide qui
m'aidera et qui me donnera son aumône ! Dame
Guibour, donnez-moi voire aumône pour l'amour
de Dieu. Je suis un pauvre cultivateur, qui n'ai rien
à donnera mangera mes irois petits enfants. Sur
mon âme ! je ne sais comment leur porter du pain.
guibour. Non, ami, ne le tourmentes pas : lu ne
t'en iras pas avec un refus. Puisqu'il en esl ainsi,
tiens, emporte ce sac plein de blé, charge-le bien,
quitte vite le seuil de ma porte cl va à la garde de
Dieu!
deuxième pauvre. Dame, que Dieu, qui vol el ap-
précie pleinement l'intention du cœur, vous le rende
au grand jugement qu'il doilleuir !
guibour. Que Dieu s'en souvienne , ami, je le dé-
sire, el qu'il me donne sa grâce.
troisième pauvre. Ah ! par pitié ! que Dieu, bon-
nes gens, vous pardonne tous vos péchés, comme à
la Madeleine ! Vous voyez dans (fuel tourment je
vis; il n'y a point là de faux semblants. — Eh, dame!
par voire bonté, faîtes-moi du bien.
îoa
FEU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FEU
S5Ô
guibour. El que le donnerai-je de mon avoir, frère,
qui puisse servir à Ion corps? Par ma foi ! je n'ai ni
iienier ni maille, et pourtant j'ai grand'pilié de toi.
Allons! pour l'amour de Dieu, je vais savoir si je puis
le faire que'que chose. Tiens, tiens, mon bon ami,
fais-toi une casaque de ce manleau-ci ; je n'ai rien
autre. C'est de quoi je me couvre quand je vais de-
hors.
le troisième pauvre. Que Jésus, le doux, le misé-
ricordieux, et Mari*, sa douce Mère, vous rendent
au centuple votre grande courtoisie et vous pren-
nent avec les leurs, dame, à votre moil.
guibour. Amen. De tout mon cœur.
SCÈNE XXIII.
HABITANTS DE LA VILLE.
premier voisin. Gautier, par le corps de sainte
Agathe ! j'allais savoir si vous étiez prêt : il estlemps
d'aller à l'église pour la solennité du jour.
deuxième voisin. Oui, allons sans retard. N'est
pas prud'homme qui n'entend pas aujourd'hui le ser-
vice divin à l'église. C'est l'anniversaire du jour an-
quel le doux Jésus , mort pour nous sur la croix, fut
porlé au (emple par sa Mère, qui offrit pour lui deux
petites colombes.
premier voisin. A mon avis, c'est un des plus beaux
•ervices de toute l'année. Allons-nous-en sans re-
lard : l'église est loin.
deuxième voisin. Prenons le soin d'y être à temps.
Allons par mon hôtel sans plus de discours ; mon
cierge y est, nous le prendrons, et je l'offrirai.
premier voisin. Voici le mien, que je donnerai
aussi au prêtre.
SCÈNE XXIV.
gi'ibour, seule.
guibour. Ah ! Dame, de qui Dieu voulut naître,
rominc il y a longtemps que je n'ai entendu la messe
et loul votre oflice. Aujourd'hui, c'est le jour où
*ous allàîes parée faire très-dévotement votre pub-
lication et porter votre enfant au temple, i'en ai les
yeux remplis de larmes, certes, avec raison. J'avais
autrefois ici un prêtre qui me disait en particulier
la messe dans mon oratoire. Mais maintenant je i.e
puis plus, car j'ai donné loul mon bien. J'ai même
donné, pour l'amour de vous, Dame, le seul man-
teau que j'eusse pour sortir. Ah! si je demeure ici, je
ne dois pas en eue reprise de Dieu ; car, Dame, si
j'allais à l'église, on me regarderait et l'on se mo-
querait de moi en me voyant ainsi nue, moi vêtue
d'habitude assez richement et de beaux atours. Tou-
tefois, vous n'aurez sans doute pas moins pitié de
moi el votre fils aussi. Allons, je me liens enfermée,
et je vous prierai de cœur dévotement.
SCÈNE XXV.
DIEU, NOTBE-DAME, ANGES, SAINT JEAN, SAINT
VINCENT, SAINT LAURENT, GUIBOUR.
dieu. Allons, vous tous; allons, parlons! Dans ce
jour où je lus offert au temple, je veux réconforter
«l'une messe Guihour qui me sert là-bas; elle la
mérite bien. — Anges, vous deux, allez devant. —
Mère el vous, vous les suivrez; el nous, nous irons
après. — Anges, soyez prêts à chanter en route un
beau cantique.
Michel. Nous le ferons volontiers, Sire, et de cœur,
pour plusieurs raisons. — Gabriel, cher compagnon,
chantons d'un joyeux accord el sans tristesse.
Rondeau.
Humains, n'est-ce pas assez d'être tant aimés de ce
Dieu qui souffrit mort et martyre pour vous? oui,
humains, cela doit bien vous suffire. Et quand il
■vous fait dire par nous que vous l'aimiez de tout
votre cœur, humains, cela doit bien vous suffire, etc.
saint jean. Impératrice de l'empire de Dieu, s'il
vous platt, vous offrirez ce cierge. — Et vous aussi
ces deux pareillement. — Dame, je m'en vais là-
bas. — Tenez, ami Vincent, voici! — Laurent,
vous aurez ce cierge-ci, que vous irez offrir quand
on aura chanté l'offrande. — Tiens, femme, loue
Dieu de ce que tu vois ici, d'une volonté grande el
sainte.
Gabriel. Allons, commençons à haute voix 17n-
iroït sans rdard. Le Confileor est dit. — Michel,
allons!
(Ils chantent ici tous ensemble; puis Noire-Dame va
à l'offrande, el les antres après; ensuite Notre-
Dame dil :)
notre-uame. Michel, va dire à cette femme qu'elle
s'attire un grand blâme en faisant tant muser le
prêtre, et qu'elle vienne sans plus de faui-fuyanis
offrir son cierge.
Michel. Volontiers, Vierge glorieuse. — Dame,
venez sur-le-champ à l'offrande; le prêtre imiso
trop longtemps. Venez offrir. C'est mal à vous de te
faire attendre ainsi.
guibour. Ami, sachez que je n'offrirai ce cierg*-
ci à liii ni à nul autre. Je le garde précieusement.
Que le prêtre passe à l'oraison et achève sa messe
sans m'allendre.
michel. Je vais rapporter cette réponse. — Glo-
rieuse Vierge Marie, elle m'a dit qu'elle ne viendrait
pas, el que le prêtre peut passer à sa préface et
achever sa messe hardiment.
notre-dame. Gabriel, vas-y promplemenl, «
dis-lui qu'elle se hâte de venir, parce qu'en ce jour
c'est l'usage d'offrir un cierge.
Gabriel. Dame, j'y vais sans plus de relard. —
Femme, dépêchez-vous vile; voici ce que voïw
mande Notre-Dame: Apportez ce cierge à l'offrande.
\>us commettez une bien vilaine action en faisant
tant attendre le prêtre. Veuillez vous mettre vile eu
roule, venez l'aire votre offrande.
guibour. 11 peut Lien se passer de moi. En peu de
mots, qu'il dise sa me.-se; je ne songe point à aller
à l'offrande, el je n'irai point.
Gabriel. Puisque vous ne voulez p;is y venir, jî
le dirai à ma maîtresse. — Dame, elle veut garder
son cierge, el certainement elle ne l'offrira point :
voilà le loul en peu de mots.
notre-dame. Va encore à elle de rechef, el dis-
lui qu elle ne se refuse |kis davantage à venir
promplemenl offrir le cierge; si elle s'obstine à
faire le contraire, ôle-lui par force le cierge hors
des mains.
cabriel. Dame, c'est bien le moins. — Je reviens
à vous, belle amie. Venez à l'offrande, n'y man-
quez pas. ou je ferai ce dont on m'a charge, ç'esl-
à-dire «pie je vous ôlerai ce cierge des poings: en
vérité.
guibour. Ami, vous n'aurez pas assez de force
pour me l'ôler du poing, el je vous défends d'y lou-
cher.
gabriel. Puisque je le liens par le milieu, j'en
serai le maître.
guibour. Et j'y veux tellement mettre ma force
que certes il me demeurera; il ne sortira pas de
mes mains. Vous tirez vainement.
Gabriel. Bientôt vous direz toute autre chose. Au
moins j'emporterai ceci. — Dame des cieux, voici
loul ce que j'ai pu en avoir, et j'ai bien fait mou
pos>ible pour le lui ôler.
dieu. En avant! En vérité elle garde précieuse-
ment el avec beaucoup de dévotion ce qu'elle a. Al-
lons! achevons notre procession aux cieux; el vous,
anges, chantez ; c'esl ce que je vois de mieux.
micuel. Vrai Dieu, avec joie, sans vous contre-
dire.
Rondeau.
Et quand il vous f il dire par nous que vous l'ai-
n iez d'un cœur sincère, humains, cela, etc.
guibour. Ah! Dame, je vous remercie de votre
33:
FBI
DICTIONNAIRE
g.-ande bonté. Die ! où ?i-je été? Vraiment, il m'a
semble que j'étais clans une grande église où je vous
voyais comme reine. Il y av.iil une grande foule de
saints. Là, voire fils chantait la messe, dont saint
Vincent était le diacre et saint Laurent le sous-
diacre. A ce qu'il me sembla, un saint remit à cha-
cun un cierge. Il commença par vous tout d'abord
cl vint ea dernier lieu vers moi, avant VJniroit. Puis,
la messe dite à haute voix jusqu'à l\ fJramîe, vous
allâtes offrir la première, et tous les antres après.
Alors v.nl Votre ai ge qni me pressa d'offrir mon
cierge, que je souhaitais garder tout entier. Je refu-
sai, et il m'en a pris et emporté la moitié par force.
Cependant, Dame, je m'en console, attendu qu'il l'a
rompu et partagé de telle manière qu'il m'en a
laissé la plus grande partie; et je vois bien, vierge
Marie, que j'ai été ravie eu esprit. Je vous en
remorc e humblement, et je rends grâces à l'amou-
reux Jésus de ce qu'il ne m'a pas oubliée; au
contraire, il a eu la courtoisie de me faire ouïr la
messe aujourd'hui.
SCÈNF XXVI.
BONNES , GCIBOUll.
la première nonne. Guibour, certes, vous devez
bien réjouir votre cœur en Dieu, car je vous fais
6avoir que lui-même nous a envoyées à vous toutes
deux pour que vous vous mettiez en roule sans re-
tard , embrassiez notre ordre et preniez notre
habit.
la deuxième nonne. Dieu veut que vous laissiez
les vanités de ce monde pour le servir, et mériter
une plus grande gloire dans les c'eux.
guiboir. A la vérité, c'élail là tout mon désir.
Allons donc à la volonté de Dieu, puisque vous de-
vez in'emmener; je suis toute orêle à parlir avec
vous.
la première nonne. Eh bien! allons; mais toutes
trois chamons en chemin les louanges du Roi des
rois et de sa douce mère. — Vierge, on doit bien
vous louer, puisque, pour nous arracher à l'enfer,
Dieu se lit homme en vous, et nous acquitta de la
mort dont Adam nous avait rendus les débiteurs en
mangeant la pomme.
FÊTE DES FOUS (La). La Fête des Fous a
été, jusqu'ici, l'objet de dissertations incom-
plètes. Aux xvne et xviii' siècles, en général,
on s'est arrêlé à tel ou tel phénomène. Notre
temps, un peu plus compréhensif, a accepté
des bornes un peu moins étroites. Néan-
moins besucoup des grands faits originaux
de la fêle des Fous ont manqué d'examen.
Du Cange, au mot Kalendœ (Gloss. inf.
et med. lat., édit. Henschell, Paris, Didot,
in-i°, 6 vol.), a donné, sur la fêle des Fous
ou des Calendes , divers renseignements
très-curieux : — au xiv* siècle, les mystères,
les miracles, leurs représentations étaient
dils aussi fêtes. — Les Calendes portaient
dans le nord le nom de Kalcandach , et l'on
trouve à Marseille la Noël nommée les Ca-
lenes.— Ces réjouissances impies se sont
perpétuées des gentils parmi les Chrétiens.
— L'Eglise, tout entière, les conciles, les
Papes, se sont élevés en vain, durant le
moyen âge, contre ces folles pratiques. Non-
seulement les laïques n'abandonnaient pas
ces jeux, mais le clergé lui-même y restait
attaché.— Au xu* siècle, on les nommait la
liberté de décembre.— Le point principal, à
partir de cette époque jusqu'à leur aboli-
vion, fut l'élection de l'abbé et de l'évêque
DES MYSTERES. FET 338
des Fous, dont les formules nous ont été
conservées dans un cérémonial manuscrit de
l'église de Viviers, datant du xiv* siècle, 1365.
(V. ci-dessous). Ce fut seulement au xv* siè-
cle, en France, quand la Faculté de théologie
y tint sérieusement la main, que ces folies
disparurent. On ne les retrouve plus depuis
la Lettre circulaire des théologiens, en lk'*k.
— La fête portait divers noms, outre ceux
mentionnés plus haut : fête des Hypodia-
cres, des Sots, des Fous, des Innocents.
Le P. Théophile Raynaud {Soc. Jesu theol.
opéra; Lyon, Boissat et Resné, 1665, in-
fol., 19 vol., Helcroclita spiritual., sect. h,
punct. 8, §20, t. XV, p. 209), s'élevait aussi
contre la fête des Fous, des Innocents, les
jeux des enfants, les élections d'abbés, les
proses de l'une et du bœuf.
Du Tillot [Mémoires pour servir à l'his-
toire de la fête des Fous , Lausanne, 1751,
in-i°) et l'abbé d'Arligny (Notice sur la fête
des Fous ; collect. de Dissertations <ie Leber,
Paris, 1838, in-8% 20 vol., t. IX, p. 231),
©ni donné le n un de Fête des Fous à certaines
réjouissances que les clercs, les diacres et
les prêtres mêmes faisaient dans plusieurs
églises pendant l'office divin , en certains
jours , principalement depuis Noël jusqu'à
l'Epiphanie, et notamment le premier jour
de l'an : c'est pourquoi on appelait aussi la
fête des Fous fête des Calendes. — Pour
découvrir l'origine de ces cérémonies, il
faut remonter aux fêtes du paganisme, entre
lesquelles les Saturnales, les Lupercalcs et
les Calendes de janvier tenaient le premier
rang. — Quelque scandaleuses ,. quelque in-
sensées que fussent ces sortes de cérémo-
nies, elles subsistèrent, en tout ou en partie,
au milieu même du christianisme, malgré
les conciles, les prpes, les évêques, qui
mirent tout en œuvre pour les abolir. —
Ainsi, le jour de Noël, après vêpres, les dia-
cres dansaient dans l'église, en chantant une
antienne en l'honneur de saint Etienne; les
prêtres en faisaient autant, le jour de ce
saint, en l'honneur de saint Jean lEvangé-
liste ; les enfants de chœur ou les pelils
clercs, le jour de saint Jean l'Evangéliste, à
l'honneur des Innocents ; et les sous-diacres,
le jour de la Circoncision ou de l'Epiphanie.
Du Tillot et l'abbé d'Arligny citent encore,
et distinguent de la fête des Fous , celle de
l'Ane, les danses de Noël à Conslanlinonle,
et les élections d'évêques ou d'abbés des
Innocents.
L'abbé de Lame, dans ses Essais histo-
riques sur les bardes, les jongleurs et les trou-
vères normands et anglo-normands, (Caen,
Mancel, 1834, in-8% 3 vol., t. 1", p. 183),
considère un passage de Victor de Vite,
comme le témoignage que l'Eglise d'Afri-
que, dès le ve siècle, tolérait à ses lecteurs
une fête des saints Innocents, d'autant qu'au
xi* siècle, c'était une fête déjà très-ancienne
à Rouen, et qu'au x' siècle , Cedreaus en
prouve l'existence en Orient.
Dans son cours professé à la Facullé des
lettres, en 1835, M. Magniw considérait,
autant toutefois qu'il est permis de s'en
350
FET
DICTIONNAIRE DES MSÏERES
FÊÏ
540
rapporter s.ux comptes rendus, fort incom-
plets et très-souvent inexacts du Journal
général de l'Instruction publique (i octo-
bre 1835, 2e semestre, vu' article, p. 514),
comme particulier au xii" siècle le dévelop-
pement extraordinaire des liturgies satiri-
ques. 11 n'y eut pas une certaine fête de
VAne ou des Fous ; selon les temps et les
lieux, l'Ane joua un rôle plus ou moins
considérable, et fut admis dans les offices
(Rouen, Sens); dès le vne siècle, on plaçait
à Cambrai une ânesse peinte derrière l'autel ; évêques et des abbés
mettant Eulhymius à leur tête, fit de cet
homme le gardien du temple, et institua, par
son entreprise, des danses diaboliques, des
cris infernaux et des chansons ramassées
dans les carrefours. »
M. Magnin, dans Je second semestre de
son Cours (Journal génér. de l'Instr. publia. ^
30 août 1835, p. 4-55, 2e semestre, V article),
a cité ce curieux passage.
Les Fous eurent tout un clergé à part et
formèrent une église. Il y eut des papes, des
à Beauvais, le 14. janvier, une belle ûlle était
assise sur un âne près de l'autel pendant
les offices. Le Bœuf, la Vache grise, eurent
aissi, après le xne siècle, leur office. Les
fêtes des Fous, des Sots, des Lotts, des Sous-
Diacres, des Hypodiacres, les élections des
ro:s des Fous, de leurs évoques, de leurs
abbés, celles des évêques, des enfants, les
processions, les danses, les jeux de pelotte,
en Dauphiné. de boule, en Berry, l'Obit de
la Bouteille d'Evreux, cl bien d'autres céré-
monies licencieuses, ou pour le moins bi-
zarres de ce même xir siècle, que l'on re-
trouve encore plus extravagantes dans les
siècles suivants (Ibid., 13 déc. 1835, Cours,
xme art., p. 99), émurent le haut clergé qui
ne cessa de les poursuivre, et ne parvint à
Dans le diocèse de Toul, on élisait deux
évoques des Fous, dont l'un allait à cheval,
le jour de son intronisation, visiter les cou-
vents de Saint-Manuel et Saint-Apre. Après
le repas d'usage, on jouait des moralités, ou
des miracles, ou quelque farce. (Statutamss.
eccles. Tullens., ann. 1497, fol. 65, v°, cités
par Du Cange Gloss. Jnf. et med. lat., éd.
Henschell, Pari^ Didot, in-i", 6 vol., 1. 111,
v° Kalendœ, p. 960-961.)
A Vienne, le 15 décembre, la veille de
saint Adon, évêque du diocèse, les plus
jeunes clercs élisaient parmi eux un évêque
à qui l'archevêque était tenu de donner do
l'argent, du vin et du bois, et qui, aux fêtes
de saint Etienne, de saint Jean, des Inno-
cents, officiait, sauf la messe. (L'abbé d'Ar-
les anéantir qu'à la lin du xve siècle. Ainsi
Dubois, dans son Histoire de l'Eglise de 1\^y, Notice sur la fête des Fous dans ses
Paris, 1710, a faussé toutes les idées, en ^m. de /^er., t. IV, et dans Leber,£o//Cc/.
attribuant au «i' siècle les désordres des desmeill. dissert.; Pans, 1838, in-8% 20 vol.,
xivc et xv*, ii en repartant tous les termes l- ■*» P- ^°"-J
de la circulaire de 1444 deux siècles trop A Châlons-sur-Saône, on pratiquait à p*m
tôt. Tout le xvme siècle s'y est abusé. \rès les mêmes rites qu'à Vienne. (Le P.
La fête des Fous est aussi ancienne que Pef.ry, jésuite, Hist. civ. et ecclés. anc. et
l'Eglise et a été universelle. Les Agapes et moderne de la ville de Chdlons; Paris, 1654,
le Défruit appartiennent à l'histoire des pre
miers temps de toute l'Eglise. V Alléluia était
chanté en Espagne comme en France. L'A-
dam d'Alberstadt prouve que les pratiques
sacrilèges des fous avaient pénétré dans le
Nord, dès l'époque la plus reculée; il en est
de même des Eptus Puor. La Procession du
hareng, \eJour des merveilles, la Vache grise,
le l,oup vert, le Bœuf, la fête de VAne, les
Ca/ërtesde^larseille, le Jeudi saint d'Angers,
les Danses dans |es églises, les cimetières,
se rattachent certainement à des époques
antérieures au christianisme; et la fête des
Fous avait donné lieu à des usages impies,
non-seulement en Occident, mais aussi en
Orient.
Cédrénus raconte en ces termes que
ïbéophylacte, tils de l'empereur, nommé
patriarche de Sainte-Sophie, à peine encore
âgé de seize ans, établit, vers 1050, une
sorte de fête des Fous dans l'église qu'il
présidait :
* C'est à ce patriarche, dit Cédrénus, que
remonte l'usage qui a duré jusqu'à nos
in-fol., p. 435.)
En 1606, dans le diocèse de Viviers, il y
eut un procès entre les Fous et leur évêque
qui ne voulait pas faire les fêtes. L'oflioial
donna gain de cause aux Fous. (Cf. Lance-
lot, Recueil mss. de pièces, et Du Cange, v°
Kalend.)
Dans le même diocèse, au xive siècle, les
Sclaffards avaient leur abbé (Voy. Sclaf-
fards), qu'on élisait avec des cérémonies
que nous rapportons d'après Du Cange.
11 y eut, en même temps qu'une église,
une royauté des Fous. Le Loup vert est un
Roi, le ducUrbin, dans la procession de la
Fête-Dieu d'Aix, est le chef du peuple. Saint
Paul, dans la procession qui à Vienne porte
son nom, était reçu par un Roi.
La variété de ces formules est infinie. Tantôt
c'est une communion d'homme à homme
(Agapes, Défruit), tantôt une dérision de la
nature humaine, comme l'Adam, VObilde la
Bouteille, la Procession de la Fêle-Dieu d'Aix,
la Procession noire d'Evreux, la Procession
de saint Paul à Vienne, l'institut des Sclaf-
jours, de substituer dans les plus grandes fards, ou les Danses consacrées. D'autres
fêtes et les plus solennelles, consacrées soit fois, c'est l'animal qu'on appelle à la con-
à Dieu, soit aux saints, l'outrage de chan- naissance de Dieu ; et ailleurs on le repousse
sons indécentes, de rires et de cris insen- et on le maudit. L'esprit humain s'exalte à
ses, aux hymnes sacrées que nous devons la pensée d'être en communicaiion avec
offrir à Dieu pour notre salut. Ce pontife Dieu, ou perd l'espoir d'atteindre jamais
rassemblant une troupe de débauchés et aux sommités du Très-Haut. C est alors.
311 Fl\ DICTIONNAIRE DPS MYSILRE3. FIA 542
({u'on entend gémir si profondément les après paraît un vilain réfléchissant profon-
entrailles de Rachel (Innocents). dément 4 quoi? — à la bouillie qui l'al-
Le nord de la France, le centre et le sud- tend ptès de son foyer. Il se plaint du temps
est subissent surtout les exigences des Fous, qu'il a perdu à une messe Un sergent
Dans Vienne seule on trouve la Procession arrive qui se bat contre le brigand et a le
de saint Paul, l'élection d'un évéque des en- bras cassé. Le vilain , rendu à son village,
fants, et le Jour des merveilles. Mais ni y trouve sa femme au cabaret, disant de lui
l'extrême ouest ni le sud-ouest n'en gardent mille injures, et buvant à plein verre avec
d'aussi fortes traces. la femme du sergent, qui se réjouit du bras
Pour compléter ces notions et connaître cassé à son mari, attendu qu'il ne pourra
tout entière la fête des Fous, il faut lire, plus la battre. Le sergent, de retour, lui
dans ce Dictionnaire , les articles suivants : prouve qu'elle avait compté sans son hôte :
Adam d'Alberstadt (1'), — Agapes (les), — il la bat comme de coutume. Le vilain, qui
Alléluia (P), — Ane (la fête de P), — Boeuf a pris les devants, n'est pas en reste avec sa
^la prose du), — Galènes (les), — Danses femme, et les deux commères battues finis-
c.onsacrées (les), — Défruit (le), — Eptus sent par se battre entre elles et s'arracher
Puor (P), — Innocents (les), — Jeudi-Saint leurs coitfes. Dieu, cependant, au haut du
(le), — Jour des merveilles (le), — Loup ciel, s'occupe de la récompense et des hon-
vert (la procession du), — Obit de la Bou- neurs qu'il veut qu'on rende au bienheureux
Ti .lle(P), — Procession de l a Fête-Dieu d'Aix jeune homme, dont Pâme est arrivée à lui.
^la), — Procession du Hareng (la), — Procès- 11 appelle ses Anges et le mystère continue.
sjon noire d'Evreux (la), — Procession de L'auteur, en mêlanl aux plus hauts intérêts
saint Paul a Vienne (la), — Sçlaffards (les), la peinture de tout ce que la terre a de ma-
— Vache grise (la). tériel et de vil, a-t-il voulu relever encore
FETE DES MERVEILLES ( La ) — Voy. son héros qui s'est détaché d'une almo-
Jour des merveilles (Le). sphère impure, et nous transporter d'autant
FETE DFS M1RACLFS. — Voy. Jour des mieux dans les conseils suprêmes? — Non :
merveilles (Le ). ce profond contraste n'est très- probable
FIACRE (Saint). — Le mystère de Saint- ment qu'un plus grand emploi du ridicule
Fiacre est tiré du manuscrit de la biblio- amalgamé aux choses les plus graves.... »
thèque Sainte-Geneviève. Nous reproduisons enfin l'analyse altiï-
II date du xve siècle. buée au duc de La Vallière :
La Bibliothèque du théâtre François, ou- « Le père et la mère de saint Fiacre, fâchés
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde, do voir leur fils entièrement livré à la dé-
1768, in-8°, 3 vol., t. Ier, p. 38-42), a donné votion, désirant lui voir prendre un a»u*re
de ce drame une analyse que nous repro- genre de vie, se déterminent à le marier, et
(luisons ci-dessous. chargent un chevalier de lui chercher une
M. Achille Jubinal l'a publié dans ses femme. Celui-ci envoie une jeune fille...
Mystères inédits du xv' siècle (Paris, 1837, Mais le jeune saint... persiste... Dieu, tou-
in-8°, 2 vol., t. l'Vp. 30i-355), dans le temps chéde la ferveur des prières de saint Fiacre,
même où M. O. Leroy le mentionnait dans en parle à la Vierge, et pour conserver ce
si s Etudes sur les mystères (Paris, 1837, digne serviteur, il lui fait ordonner par
in-8°, p. 290). Plus tard, et bien après la pu- l'ange Gabriel d'aller en France. Le sainl
blication de M. Jubinal, M. O. Leroy est obéit, fait marché avec un batelier, passe la
revenu sur ce sujet. mer, débarque, prend le chemin de Mcaux :
« Dans ce mystère , a dit cet au- saint Faron le reçoit, lui assigne un lieu
tour dans ses Epoques de ÏHist. de France désert, et promet de lui donner toute la
( Paris, 1843, in-8D, p. 360-361 ), une pièce terre qu'il pourra bêcher en un jour. Saint
entière, une farce qualifiée telle, se trouve Fiacre se met au travail, il est interrompu
jetée dans une pièce grave et au milieu de par les cris d'une vieille femme, qui se plaint,
l'action, avec laquelle elle n'a aucun rap- à l'évêque qu'on usurpe son terrain. Lévê-
por( Un jeune homme, saint Fiacre, qui que, surpris de voir tant d'ouvrage fait en
regarde la pureté comme la plus belle des aussi peu de temps, apaise la vieille, exhorte
vertus , est livré à des tentations sous les- le saint à se bien conduire et se recommande
quelles il craint de succomber, et prie ins- à ses prières. Pour le soustraire désormais
'animent Dieu de l'enlever de ce val de aux pièges de l'ennemi, Dieu envoie à saint
misères. Dieu, voulant exaucer sa prière, le Fiacre une maladie : saint Faron lui admi-
nappe d'une maladie mortelle, et charge nistre les sacrements; il meurt. Saint Michel
saiut Michel et l'ange Gabriel d'aller dire à conduit son âme en paradis, et saint Faron,
l'évêque Faron de porter le viatique à son avec son chapelain et son clerc, enferrent
j -une serviteur et de l'aider à bien mourir, son corps.
Les deux célestes messagers s'étant acquit- « Une chose assez singulière, c'est que eo
lés de cet ordre, l'évêque vient apporter au mystère dont on va bientôt voir la suite,
jeune malade des consolations et les plus est interrompu ici par une farce. En cet en-
hautes espérances : il ouvre en quelque droit, on lit dans le manuscrit : Ici est in-
sorte à son âme les portes de l'éternité lerposée une farce...
La scène change. Nous sommes sur un grand ■ Après que cette farce , écrite Irès-libre-
< hemin où nous voyons passer un brigand ment, est finie, on recommence un autre
qui cherche la route de Saint-Omcr. Puis mystère, qui est la suite du précédent, et
5i3
FID
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FIL
544
dont le sujet est la translation du corps de
saint Fiacre : de nouveaux personnages y
sont introduits sur la scène.
« Saint Faron, par l'ordre de Dieu, expose
le corps du bienheureux sur un autel. Il s'y
fait une grande quantité de miracles : les
malades y accourent en foule, sont guéris,
et s'en retournent en chantant les louanges
du Seigneur. Saint Faron finit ce mystère
par ces trois vers :
Biaux seigneurs qui ces mots oyez
Chantons et ne soyons pas miez
De cuer : Te Deum laudamus... »
FIDÈLE (Le).— Morale à v personnages, da-
tant très-probablement du xvi* siècle,, éditée
d'aprèsle manuscritdu fonds LaVallière,n°63
de la Bibliothèque impériale, dans le Recueil
de farces, moralités, et sermons joyeux, par
MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel;
Paris,Techener,1837Jpetitin-8°ancien,4vol.;
t. II, n° 35. Il ne nous paraît pas que cette
letite pièce ait jamais été destinée à la re-
jrésentation. C'est un dialogue , imité de
'antique, entre le Fidèle, le Ministre, le
Suspens, [' Israélite, la Providence et la Vierge.
Il y a , comme on peut le remarquer, un
acteur de plus que n'en indique le titre,
mais cet acteur n'est autre que le Suspens:
Oparfaicl Israélite!
De la lignée d'eslite ,
A qui Dieu feist ses promesses
Ne le apelle plus Suspens
De toute génération
L'outrepasse...
Le sujet du dialogue roule sur ,a prédes-
tination.
LE FIDELLE.
Ministre saint de la bonne nouuelle
De Peuangile et parole éternelle
Qui conduises ce céleste troupeau
A la bonne herbe et la claire et viue eau
Laquelle rend par foy l'ame immortelle,
Apprenez nous pour consolation
Que c'est que la prédestination...
Cette petite pièce de 26 pages, dont le
style et les idées sont fort singulières, se
termine par ces vers bizarres dans la forme
et l'expression :
PROUIDENCE DIUINE.
Courage donc, Israélites I
LES ESLITES.
Du Dieu viuant par l'tiniuers
Vous esies tous au liure
Qui déliure
Les esleuz des tourmens dyuers.
L'aigncau, le grand dominateur
El salualeur
A ouuerl ce liure de vie
El deûurmé de doiglz royaulx
Les sept seaulx
De cesle lumière assouuie,
Sera venue et mis a part
A l'escart...
Plus n'y aura d'ennuys, de larmes
Ny alarmes
Qu'il uousconuyenl souffrir au monde
Pour estre faiciz tous uniformes
Et conformes
A l'image de l'aigneau mmunde.
FILLE DU ROI DE HONGRIE (La)»— Le
miracle de la Fille du roi de Hongrie est
extrait du manuscrit de la Bibliothèque im-
périale, n° 7208.4. B. folio h recto.
MM. Monmerqué et Fr. Michel, dans lour
Théâtre français au moyen âge (Paris , 1839,
gr. in-8", p. 481-542), en ont publié le texte
pour la première fois, avec une version
française. M. Fr. Michel remarque que le
sujet est tiré du Roman de la Manekine, de
Philippe de Reimes, trouvère du xin' siècle,
dont les œuvres sont restées inédites.
PERSONNAGES.
DE
DE
LE COMTE.
LE ROY DE HONGRIE.
PREMIER CHEVALIER
HONGRIE.
DEUXIÈME CHEVALIER
HONGRIE.
REMOND.
LE PAPE.
LE PREMIER CARDINAL.
DEUXIÈME CARDINAL.
JOUYE, OU LAFILLE ROYNE.
guyot, premier sergent.
Jourdain, deuxième ser-
gent.
cochet, le bourrel.
le prévost au roy d'Es-
cosse.
LE ROY D'ESCOSSE.
la mère du roy d'Escosse.
LEMBERT OU LEMBIN, eS-
cuier.
le premier chevalier
d'escosse.
deuxième chevalier d'es-
COSSE.
NOSTRE-DAME.
LE HÉRAUT.
LA PREMIÈRE DAMOISELLE.
yolent, deuxième damoi-
selle.
GODEFROY.
bon, secrétaire.
DIEU.
Gabriel, premier ange,
michiel , deuxième ange.
LE SÉNATEUR.
LA FEMME DU SÉNATEUR.
godeman, escuier.
l'enfant,
colin, le clerc
LE CHAPELLAIN.
TITRE.
Ici commence un miracle de Notre-Dame, comment
la fille, du roi de Hongrie se coupa la main parce
que son père voulait l'épouser, et un esturgeon la
garda sept ans dans sa mulelle.
SCÈNE I".
LE ROI, LE COMTE, BARONS, CHEVALIERS,
SEIGNEURS DE LA COUR.
le comte. Sire roi, écoulez-nous : à quoi pensez-»
vous? 11 nous semble à moi et à tous vos barons,
que vous attendez trop longtemps à vous marier.
Voyez à trouver une femme de qui vous puissiez
ivoir un héritier mâle; il le faut.
le premier chevalier. Il dit vrai , sire; il le faut,
et cela depuis longtemps , afin de nous laisser un
lils qui tînt la lerre après vous, et qui nous défendît
en guerre, s'il était besoin.
le roi. Seigneurs, sachez que jamais je n'épou-
serai femme, à moins qu'elle ne soit tout le portrait
de ma défunte (Dieu ail son âme!), par les manières,
l'esprit et le visage; car je lui jurai de ne nie rema-
rier et de prendre une compagne qu'autant qu'elle
lui ressemblerait d'extérieur, de caractère elde bon
sens. Si vous en connaissez une pareille, envoyez-
la-moi hardiment : je la prendrai.
le comte. Sire, je vous répondrai qu'il n'est guère
possible qu'on vous puisse trouver une femme res-
semblant à ma dame de beauté , de figure el de
mœurs. Renoncez à cela, car on n'y pourrait réus-
sir; où trouver? En vérité, je ne sais.
le roi. Comte, puisque j'en ai fait le serment,
cerlesje le tiendrai, quoi qu'il advienne.
le comte. Telleest donc votre dessein arrête ; soit,
vaille que vaille, je me tairai.
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FIL
546
SCÈNE II.
LE COMTE, BARONS, CHEVALIERS, SEIGNEURS
DE LA COUR.
le deuxième chevalier. Eh! lirons à l'écart; je
veux vous dire à vous deux ce que hou m'en semble.
Autrefois, vous et moi, l'ayant engagé à se marier,
il nous fil, alors comme aujourd'hui, la même ré-
ponse; et vous le savez, nous envoyâmes par le pays
des hommes adroits et réfléchis qui, ont élt en mainte
terre demander, chercher et trouver une femme res-
semblant à la feue reine; après bien du temps, ils
n'ont rien l'ail.
le premier chevalier. C'est vrai, je le sais bien :
mais aussi est-ce vraiment chose impossible. Bref, il
faut nous en aviser par quelque moyen.
le comte. Oui, il faut y pourvoir : ce serait pour
nous un grand malheur s'il mourait et que nous fus-
sions sans chef et sans héritier issu de son corps.
Je suis bien d'avis d'en délibérer, sans larder da-
vantage.
le deuxième chevalier. Seigneurs, je pense à un
moyen : sa fille est assez sage et belle ; c'est une
demoiselle déjà assez grande, et, sous le rapport des
mœurs et des trails, elle ressemble à sa mère mieux
qu'une peinture. Celui qui lui conseillerait de la
prendre commettrait-il donc une action trop répré-
hensible?
le premier chevalier. Je crois que non, certai-
nement, pourvu que Dieu n'en fût pas courroucé et
que l'on osât le lui dire? Qui le lui dirait?
le comte. Moi, et avec hardiesse, par la sainte
Croix ! Allons-nous-en tous les trois à lui; vous en
tendrez comment je lui parlerai.
SCÈNE III.
LES mêmes, le roi.
le comte. Sire, sire, je vous dirai que nous ne
pouvons trouver nulle part une femme pour vous; et
cependant , nous blâme qui voudra, nous avons fait
chercher jusque outremer. Puisque vous n'en vou-
lez une qu'autant qu'elle ressemblera à ma dame et
qu'elle lui sera pareille en tous points, je vous con-
seille (pourvu que Dieu le permette, et que sainte
Eglise y consente) d'épouser, en vérité, votre lille,
qui est une gentille demoiselle et assez grande; car
nous ne connaissons personne autre qui ressemble à
|a reine : il nous semble donc qu'il faut en agir
ainsi.
le roi. Seigneurs, plu;ôl que par ma faille mon
trône demeure sans héritier et qu'un roi étranger ne
s'en empare, je ferais ce que vous me dites ; maisje
ne crois pas que jamais vous ayez ouï parler d'une
lille devenue la femme de son père : néanmoins, si
Ton me montre la permission du pape, je consens à
la prendre pour femme sans difficulté.
SCÈNE IV.
les précédents, moins le roi.
le premier chevalier. En avant! puisqu'il a dit
cela, il ne nous faut qu'un homme sage qui remplisse
promplement ce message auprès du pape.
le deuxième chevalier. J'en fournirai un bon et
bel et assez habile, sans en dire plus ; il connail très-
bien celle cour éloignée.
le comte. Failes-le venir, je vous en prie.
le premier chevalier. Je vais le chercher sans
retard.
SCÈNE V.
LE PREMIER CHEVALIER, RÉMOND.
le premier chevalier. Rémond , je vous trouve
bien à point : venez-vous-en avec moi, sans retard.
rémond. Volontiers, Monseigneur, par ma foi!
inaiseuqucl endroit et pour quoi faire? Est- il quel-
qu'un qui veuille me maltraiter? Dites- moi la vérité.
le deuxième chevalier. Rémond.je ne viens vous
chercher que pour voire profil; soyez tranquille.
Venez-vous-en vile avec moi.
SCÈNE VI.
LES PUÉCÉDENTS, LE PREMIER CHEVALIER,
RÉMOND.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. Voici l'homme (lotit [e VOUS
ai parlé, seigneurs; dites-lui sans délai ce qu'il y a
à faire.
le comte. Il fniil,monbon ami, vous rendre pour
le roi auprès du pape, et obtenir une audience. Vous
direz à Sa Sainteté, premièrement, que le roi a fait
vœu de ne jamais prendre de femme en mariage à
moins qu'elle ne ressemblât de corps a celle que
jadis il épousa et qui est morte; en second lieu, que
les barons de Hongrie ont fait chercher et fouiller
par mer et sur terre , mais en vain; cl enfin, que
l'on ne trouve de semblable à la défunte que la lille
qn'ellc a laissée et qui esl fort belle. Alors vous ex-
pliquerez qu'il faut que Sa Sainteté consente à ce
que le roi épouse ainsi son propre enfant, puisqu'on
ne trouve nulle pari une autre dame ressemblant à
la reine défunte; et le roi sera dégagé de son vœu
en ayant sa fille. Voici la supplique qui contient
nos raisons. C'est tout. Faites votre devoir. Allez,
l'ami.
rémond. Messeigncurs , n'en parlez pas davan-
tage, je ferai à ce sujet tout ce que je pourrai. Je
vous recommande tous à Dieu, ei dès maintenant je
me mets en route.
SCÈNE VII.
RÉMOND, Seul.
rémond. Que Dieu et ma dame sainle Avoie me fas-
sent la grâce que, une fois auprès du pape et après
avoir adressé ma supplique, l'affaire réussisse de
manière à remplir les désirs du roi ! j'aurai bien
employé mon temps. Il me faut déployer mon habi-
leté. Maisje vois là-bas le saint l'ère, i! faut que je
paraisse devant lui, sans y mettre plus de relard.
SCÈNE VIII.
RÉMOND, LE PAPE, CARDINAUX.
rémond. Très-saint Père, honneur à votre sainte
révérence! veuillez ouïr une requête que j'ai à vous
faire.
le pape. Si tu l'as en écrit, remets-la-moi sans
parler davantage.
rémond. Oui, je l'ai: tenez, cher sire, et regar-
dez-la.
le pape. Beaux seigneurs, ne me refusez pas vos
conseils: voici une affaire importante. Telle esl la
teneur de celle requête : Le roi de. Hongrie eui au-
trefois une femme qui est morte. (Dieu ait son âme!)
Le roi a fail vœu de n'avoir jamais d'autre épouse,
à moins qu'elle ne ressemble à la défunte, de figure,
de corps, de manières. On ne peut en trouver une
pareille; mais quoi? il a, ce me. semble, une fille de
la défunte, ressemblant en tous points à sa mère. Il
me demande la permission de la prendre pour fem-
me : peut-il le faire sans offenser la foi ?
le premier cardinal. Quant à moi, je réponds
qu'un roi n'étant pas une personne commune, mais
un hommeen dehors de la règle, à tel pot telle cuiller,
il convient de lui accorder une faveur plus qu'à
un homme d'un autre état; et vous, qu'en dilcs-
vous?
LE DEUXIÈME CARDINAL. Oïl petit lui aCCOrder SI»
demande pour mieux le dégager de son vœu, mais
je demande une autre chose. — Amis, apprenez-le-
moi, a-l-il eu de son mariage d'aulres enfants q«e
la fillette?
rémond. Nenni, et c'esl ce qui chagrine le uemde
3i7
FL
D1CT103.NAIHG DtS MYSTERES.
FIL
51S
et le met en grand sonei; car, sire, s'il mourait en
cet étal, sans avoir d'héritier mâle de son sang, il
s'élèverait entre le peuple et les seigneurs des difli-
cullés, des tiraillements, des dissensions, des guer-
res, les pins grandes que vous sachiez.
le deuxième cardinal. Je suis donc d'avis, saint
Père, <p:e vous lui accordiez sa requête, puisqu'il
vous demande voire permiss on pour ce mariage.
le premier cardinal. Vous a\ez raison, sire, et
je pense de même; c'est ce qu'il y a de mieux, à
bien considérer, lani pour qu'il observe son vœu,
que pour qu'il f.sse son devoir en procréant, s'il
plaii à Dieu, des enfants qui gardent et défendenile
peuple contre les insultes et les agressions d'aucun
seigneur étranger.
le pape. Eh bien! que cela soil. Et, sans plus de
relard, je veux que l'on expédie et délivre une bulle
à ce sujet contenant mon assentiment.
le deuxième cardinal. Sire, votre volonté sera
faite. — Ami, rends grâces au saint Père, et en pre-
nant congé remercie-le sans retard.
rémond. Saint Père, que Dieu, par sa puissance,
vous octroie une vie longue et heureuse, ei veuille
aussi vous défendre des traits de l'envie !
le pape. Que la bénédiction de Dieu puisse des-
cendre sur loi! je te donne la mienne. Ami, à celle
heure, va l'en, aie soin de l'en retourner.
LE deuxième CARDINAL- Allons nous-eu là-bas dans
ce recoin, ami, je l'y expédierai el je le livrerai ta
bulle. Allons! liens, va-t'en.
rémond. Sire, que Dieu vous donne une bonne
année! avec votre permission, je m'en irai.
SCÈNE SX.
RÉMOND, seul
rémond. Maintenant je n'arrête pas que je nesoisen
Hongrie. Si des relards ne me donnent pas un démenti,
j'y serai assez prompleinenl; car j'ai le cceur à la
marche, étant porteur de bonnes nouvelles. C'est
l'ail. Je vois d'ici la porte du manoir royal lotit ou-
verte: entrons sans retard, bien que je sois ha-
rassé.
SCÈNE X.
BARONS, CHEVALIERS, SEIGNEURS, LE COMTE
RÉMOND.
rémond. Messeigneiirs, que Dieu, qui est au-dessus
de nous, vous comble tous de joie !
le deuxième chevalier. Rémond, sois le bienvenu!
lève-toi. Quelles nouvelles?
rémond. Quelles nouvelles, sire? bonnes cl belles.
Voyez cela. (// montre la bulle.)
le comte. Retirons-nous la plus à l'écart, et
voyons ce que c'est. C'est du latin. Tenez ; je n'y
connais pas plus qu'un vieux mâtin.
le premier chevalier. Allons, allons! je vais vous
dire ce qu'il y a; je vais le déchiffrer. Selon ce que
j'ai lu ici, le roi peut épouser sa lille; car le pape
donne son assentiment par cette bulle.
le deuxième chevalier. Allons le dire au roi, sans
nous arrêter ici le moins du monde.
le comte. Allons-y, sire, sans plus demeurer ici.
SCÈNE XI.
LE ROI, LA FILLE DU ROI, LES MÊMES que
précédemment.
le comte. Sire, en vertu de sa puissance, le saint
Père vous donne, par cette letlre, permission cl li-
cence de prendre voire fille pour femme.
le roi. Puisque c'est une chose qui peut se faire
avec le gré de l'Eglise, elle sera épousée par moi, je
vous le promets. Je la vois venir. — Ici, jeune lille !
parlez-moi: je suis pressé par tous les barons de ce
pavs de vous épouser; et cela sera fait.
LA fille. Père, s'il piail à Dieu, jamais il n'arri-
vera que nous engagions notre foi l'un à l'autre.
Ne suis-je pas née de vous autrefois? Et si vous
n'êtes pas mon père, comment avez-vous épousé
ma mère? Certes, vous devez savoir que vous ne pou
vez avoir la fille et ta mrre.
le roi. H faut que cela ait lieu, belle amie, je
vous le dis brièvement sans détour; el vous êtes une
solie de vous refuser à faire une chose que je veux.
la fille. Pour Dieu, mon doux père, gardez-vous
de faire une chose dont votre âme souffrirait après
la morl. Vous aurez pou de satisfaction avec moi, si
à la fin vous en dites: i Hélas! » el je liens que
vous n'en serez pas quitte, si vous menez ce que
vous dites à exécution. Comment faut-il que je m'u-
nisse avec vous? Comment serez-vous assez osé
pour être mon époux! Dites-moi la vérité.
le roi. Tout cela est inutile : je veux vous avoir
Et ne cherchez plus à me contredire; car personne
ne pourrait me retirer de celle détermination.
la fille. Père, puisque je ne puis nullement dé-
tourner ce mariage, il faut bien que j'aille faire
loilelle.
le roi- Vous dites vrai; allez vite. Vous avez
robes el bijoux des plus riches et des plus beaux :
faites en sorte d'èlre parée, el revenez vite ici ver*
moi.
la fille. Volontiers, sire, par ma foi!
SCÈNE XII.
LA FILLE DU ROI, SCllle.
la fille du roi. Eh, Dieu ! ou donc mon père a-
t-il pris l'idée de m'avoir et de me prendre pour
femme? Cela me semble une si grande infamie que
j'en aurai des reproches pour toujours. Conseillez-
moi ce que j'ai à faire, Vierge, dont la naissance
comme la vie dans ce monde fui sans péché. Vierge
pure et chaste, ne consentez pas que je sois la
femme de mon père; car j'aimerais mieux souffrir
la mort que d'offrir mon corps pour qu'il en soit
ainsi, tant celte chose me semble horrible! avant
que cela arrive, je préfère de nie couper celte
main et de la jeter dans la mer, afin qu'il ne se
soucie plus de moi. Mais je vous prie , Vierge pure,
de faire en sorte que je sois quitte par ce mal, et
qu'il me soit un mérite auprès de Dieu; car j'aime
mieux perdre une main que de contracter un ma-
riage qui, pour un peu de vaine gloire, me livrerait
au supplice éternel : c'est pourquoi, sans plus tar-
der, je vais m'en débarrasser tout de suite.
SCÈNE XIII.
LE ROI, BARONS, CHEVALIERS, SEIGNEURS.
le roi. Seigneurs, je crois ma fille fâchée de
ce que je veux la prendre, car elle me fait atlendre
ici, et jven suis ennuyé. Je vous en prie, allez sans
retard me la chercher.
le premier chevalier. Mon cher seigneur,
puisque lel est voire plaisir, j'y vais bien vile.
SCÈNE XIV
LA FILLE DU ROI. Seule.
la fille. Non , mon père ne me tourmentera plus
d'èlre sa femme; car, en vérité, comment agréerait-
il une épouse mutilée comme je suis.
SCÈNE XV
LA FILLE DU ROI , LE CHEVALIER
le premier chevalier. Dame , ne vous formalisez
point si je viens vous presser de venir : sachez, à
n'en pas douter, que le roi m'y envoie.
la fille. Sire, aussi bien je m'en venais auprès
de lui, tome pensive, à grands pas. Eh bien! allons -
y (ont de suite par ce chemin.
ilO
Fil,
SCÈNE XVI.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
F.L
5.')0
LES MÊMES, LE ROI, BARONS, CHEVALIERS,
SEIGNEURS, LE SÉNÉCHAL.
Fille, il nie larde que vous soyez
ma
LE ROI.
femme.
la fille. Vous demandez une cliose bien hou-
leuse el qui est irop contre la raison. Osen z-vous
prendre une estropiée? Regardez, j'ai perdu un
membre. Maintenant je vous prie, pour Dieu , de
vous souvenir (pie vous m'avez engendrée autrefois;
el si vous savez connaiire Dieu , vous craindrez ,
avant de me prendre, d'èlre puni par lui; ce qui
serait.
le koi. As lu commis cet acte pour ne pas êlre
ma femme? En vérité, tu en mourras honteusement.
Par ma lêle! entêtée coquine.
Sénéchal
j 01-
ferai
do. me qu'à l'instant elle soit brûlée. Je vous
pendre si mon ordre n'est pas exécuté.
le deuxième chevalier. Sire, n'en soyez pas en
peine, je ne veux vous dédire en rien; Mais pour
Dieu , retenez votre colère : c'est votre enfant.
le roi. Bref je n'en fais pas le cas d'une bille.
Ne lardez pas davantage; ôlez-Ia de devant moi;
allez el hrûlez-la sur-le-champ,
le deuxième chevalier. Sire , puisque lel est
votre plaisir, j'obéirai à voire commandement; je
ne vous contredirai en rien.
SCÈNE XVII.
LA FILLE DU ROI , LE SÉNÉCHAL , GUYOT,
Jourdain, sergents d'armes.
le deuxième chevalier. En avant, Guyot, el loi,
Jourdain! mettez la main sur elle; menez-fa là.
le premier sergent. Sire, cela sera bientôt fait.
— Jourdain, il faut que nous la prenions tous les
deux et que nous l'emmenions en cet endroit.
le deuxième sergent. Cela sera fait sans délai.
C'est fini, venez-vous-en, Madame. En vérité , c'est
pitié qu'une femme, fille d'un roi, meure mi.-éra-
blemenl ainsi que cela va vous arriver.
le deuxième chevalier. Holà , seigneurs, tenez-
vous toul cois. — Guyot, va quérir Cochet , le bour-
reau, el tu lui diras ce qu'il y a ici à faire, qu'il
fasse apporter ici , sans relard , ce qu'il lui faut , et
qu'il n'y manque pas. Allons, va vite.
le premier sergent. Sire, je ne cesserai pas de
le chercher que je ne l'aie trouvé. Je lirai chercher
d'abord dans sa maison.
SCÈNE XVIII.
LES MÊMES.
la fille. Vrai Dieu, qui sans commencement et
sans fin êtes en trois personnes une essence , une
divinité; vous qui files l'homme à voire image! 0
vous qui le miles dans le paradis terrestre, où il
pouvait à son aise vivre toujours en sanlé sans mou-
rir, mais d'où, par un crime, il se (il expulser! 0
vous qui , depuis, pour réparer le méfait humain,
avez donné votre Fils, lequel , animé par une cha-
ii!" inlinie, voulut déguiser sa divinité ici-bas pour
nous ouvrir rentrée des cicux el pour réconcilier
l'homme avec Dieu! ah! père de miséricorde , ré-
confortez la malheureuse affligée qui se plaint cl se
lamente el qui est dans une grande confusion et
dans une désolation profonde. Très-douce Mère de
Dieu , comment pourrait-il se faire que je ne fasse
pas dans une très-grande douleur? Je suis cou-
ilamnée au feu par mon propre père. Celui qui
naturellement devrait avoir davantage pitié de
moi , m'a prise tellement en haine qu'il me con-
damne à être brûlée, connue si j'éiais une misérable
homicide. Hélas! n'est-ce pas une cruauté? Certes ,
oui , et c'esl une chose bien inique d'un chevalier,
car je n'ai jaunis commis de mal, et ce n'est que
pour fuir un péché évident que je me suis coupe celte
main. Très-doux Dieu , j'aime encore mieux l'avoir
perdue que d'être connue par mon père et de co-
habiter charnellement avec lui; el s'il me faut mou-
rir pour cela, doux Dieu qui êtes là-haut, bien que
le corps soit mis en cendres , doux Dieu , veuillez
défendre mon âme des dénions.
SCÈNE XIX.
les mêmes, cochet, le bourreau.
le bourreau. Si j'ai lardé à venir ici, sire, ne vous
courroucez pas. De qui voulez-vous faire justice?
dites-le-moi.
le deuxième chevalier. Ne te hâte pas ; tiens-toi
coi. Seigneurs, je n'ai ni la v< loulé ni le cœur de
faire périr celle demoiselle. Dûl le roi me détruire
el brûler mon corps, ses plaintes et ses doux regrets
m'ont fait verser des larmes. Ainsi, je veux que, sans
la tenir ici davantage, vousla meniez dans ma prison.
Je m'arrangerai de manière à lui sauver la vie encore
aujourd'hui. Allez.
le premier sergent. Puisque tel est voire plaisir,
qu'il n'en soit plus question; je liens que vous par-
lez comme il faut, par mon âme! — Deboul! levez-
vous, dame, venez -vous-en.
la fille. Sire, j'obéirai volontiers à votre vo-
lonté.
le deuxième chevalier. Cochet, fais ce que je vais
te dire, et lu n'y perdras rien. Allume ici un grand
feu, comme si tu brûlais une femme; et si, par ha-
sard, quelqu'un te dit : « De qui fait-on justice ? i
ne sois pas embarrassé à répondre. Dis, soit tout haut,
soit tout bas, que c'est la lille du roi qu'on brûle pour
son méfait.
le bourreau. Sire, puisque vous me le comman-
dez, cela sera fait ainsi que vous le demandez. Al-
lons! je vais choisir mes bûches et les placer comme
il faut, afin que le feu aille el prenne partout.
le deuxième sergent. Sire, la fille du roi est en
sauvegarde en votre maison, tout ébahie el plongée
dans la tristesse.
le deuxième chevalier. Tandis que le bourreau
attise son feu, vous deux, tenez-vous ici, je vais, si
je puis, dissiper son chagrin ; je la ferai échapper
par mer, el, autant que je le pourrai, je lui donnera-,
de la joie au cœur.
SCÈNE XX.
le roi, barons, chevaliers, seigneurs,
rémond, le sénéchal.
le roi. Seigneurs, qifesl-ce que ce grand feu? Al-
lez, je vous prie, savoir, et sur-le-champ , qui l'on
brûle.
le premier CHEVALIER. J'y vais, sire, Dieu me
garde! — Sire, je désire savoir pourquoi on a fait
ici un si grand feu.
le deuxième chevalier. Le roi m'a commandé, à
tort ou à raison , de faire brûler sa fille, et je l'ai
fait. Jamais il ne la verra en face.
le premier chevalier. Ah! quel malheur! que
j'en suis triste el affligé! Je n'ai pas le courage de
le dire au roi. Ah! douce el courtoise Jouve, certes,
j'éprouve du chagrin de votre mort, el je voudrais
pouvoir y remédier. Que Dieu veuille pardonner ce
méfait ! Il le fera.
lk roi. Approche; dis -moi, loi qui y as été, qu'y
a^t-il?
le premier chevalier. Je ne puis en savoir la vé-
rité; mais voire sénéchal y est : mandez-le, il vous
dira de point en point ce que c'esl.
le roi. Toi qui as ce pourpoint doublé, va promp-
lement dire à mon sénéchal qu'il vienne sans faute
mè parler un peu.
klmond. Par ma foi! j'y vai-, mon très-cher sire.
*■ ■' I
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FIL
335
— Sénéchal, ne vous tenez plus ici; mais venez
prompleimnt auprès du roi : il vous mande.
le deuxième chevalier. Je m'y rendrai de Irès-bon
cœur, puisque c'est, ami, son commandement. —
Sire, je viens à voire ordre : j'y suis tenu.
le roi. Dis-moi la vérité, puisque lu es venu ici :
ma fille est-elle brûlée?
le deuxième chevalier. Oui, sire. J'eusse préféré
être prisonnier à Tarse plutôt qu'elle subît une pa-
reil'e mort; mais je n'osai vous contredire. Que son
àme soit en gloire avec Dieu, noire Seigneur!
le roi. Ah! Mère de Dieu. Vierge pticelle, Satan
m'a bien pris dans ses lacs! J'ai trop vilainement agi
en faisant mourir celle que j'eusse dû défendre cl
garantir de morl contre tous, si j'eusse eu en moi de
la raison et du sens. Combien nedois-je pas être dé-
so.'é ? Ah! je crains que le démon ne m'emporie loul
vivant en enfer. Je veux haïr celui qui me conseilla
de la prendre et qui m'en parla le premier.
le comte. Sire, sire, à quoi donc pensez-vous?
Voulez-vous toujours nourrir une douleur pareille?
Il faut en prendre voire parti, puisque la chose est
ii réparable. C'est tout dit, en un mol; laissez ce
chagrin , montrez- vous homme , et oubliez tout
cfla.
le roi. Comte, jamais je n'aurai de joie, et j'ai
bien des raisons pour qu'il en soit ainsi : j'ai com-
mis une grande iniquité contre Dieu, et comment ob-
tenir le pardon de mon méfait?
le comte. Sire, ce sera ce que vous pourrez faire
de mieux.
SCÈNE XXI.
le roi d'écosse, son prévôt.
le prévôt du roi d'écosse. Très-cher sire, avec
votre permission, je vous dirai des nouvelles très-
véridiqnes.
le roi d'écosse. Prévôt, je désire bien le savoir.
Dites, ami.
le prévôt. Hier, cher sire, j'étais allé, avec trois
ou quatre de mes gens, jusque sur le port pour m'é-
baiire. Pendant que j'étais là, il advint une nacelle
par mer qui, sans élre gouvernée par personne, ni
tir, e par un cheval ou un mulet, sans mat, sans avi-
ron, sans voile, ni de toile ni de soie, loucha néan-
moins droit au port. El moi, qui élais à m'amuser,
j : m'en allai là sans attendre, quand je vis qu'elle
était venue à la rive. Il y avait dedans une jeune fille
toute seule. Dieu me garde! Je crois que c'est la plus
belle créature qu'on puisse trouver en quelque en-
droit que ce soit. El richement velue! nulle reine
sur la lerre ne pourrait l'être davantage. Je remme-
nai dans mon logis, la questionnai sur sa position, et
lui demandai qui l'avait amenée ici et quels étaient
ses parents; mais elle n'a rien voulu m'en dire.
Sire, vous plairait-il que je l'amène ici; je vomirais
vous la présenter à cause de sa beauté.
le roi d'écosse. Prévôt, Dieu vous donne santé!
puisqu'elle est si belle que vous le dites, allez la
chercher; faites vite et ne me contredites pas.
le prévôt. Sire, pour acquérir votre amour, je
ferai ce que vous me commandez : je l'amène à l'ins-
tant.
SCÈNE XXII.
LES MÊMES, LA. FILLE DU ROI DE HONGRIE,
LA MÈRE DU ROI D'ÉCOSSE.
le prévôt. Voici celle que je vous ai annoncée,
sire; veuillez me dire votre avis : est-elle belle?
le roi. Debout! levez-vous, demoiselle ! soyez la
très-bienvenue. Dieu me protège! j'éprouve beau-
coup de joie de votre venue.
la fille. Mon cher seigneur, qu'il plaise à Dieu
de paradis de vous octroyer honneur, joie cl vie,
toujours de bien en mieux !
le roi d'écosse. Debout, debout! m'amie, j'ai le
désir de savoir où vous êtes née et qui vous a
amenée, en cette terre.
la fille. Pour l'amour de Dieu! très cher sire,
ne me demandez ni quels sont mes ancêtres, ni de
quelle race je suis. Si Dieu m'a mise en pays étran-
ger, une autre fois quand cela lui plaira, il me
traitera mieux.
le roi d'écosse. M'amie, certainement il le fera.
Au moins, vous me direz votre nom. Je tiens que
vous êtes née de gens illustres.
la fille. Bien que je sois maintenant devenue
étrangère, cher sire, j'ai nom Berlhekiue. A présent,
je vous supplie, par amour extrême, de ne pas
m'inierroger pins longtemps; car ni vous ni homme
vivant n'en saurez rien de plus.
le roi. Je m'en abstiendrai dorénavant, ne vous
en tourmentez plus. — Ma mère, je veux que vous
l'ayez en votre garde.
la mère du roi. Mon fils, si elle-même ne se
garde, je ne pourrai la carder ; qu'elle y fasse atten-
tion, si elle est sage.
la fille. Dame, s'il plaît à Dieu, mon cœur ne
tournera poinl à mal; mais je vous servirai en qua-
lité de chambrière.
le roi d'écosse. Non pas, ma chère amie; mais
vous serez sa demoiselle. En tous les cas, qu'une
bonne nouvelle vous puisse venir !
la fille. Que Dieu veuille s'en souvenir! cher
sire, j'en aurais bien besoin ; mais cela ne peut être,
car je suis trop loin de mon pays.
le roi d'écosse. De par Dieu ! si vous en êtes
loin, vous avez peut-être bien près de vous des amis
que vous ne connaissez pas.
la fille. Dieu les préserve donc tous de mal, de
peine et de tribulations ! et vous, cher sire, le pre-
mier, pour avoir bien voulu, à ce qu'il me semble,
me recevoir en vos bonnes grâces !
le roi d'écosse. Pour loul dire en un mot, il
n'est rien que je ne fasse pour vous, m'amie. J,e vais
prendre un peu de repos; demeurez céans avec ma
mère : sachez que vous ne serez pas traitée plus
mal qu'elle.
la fille. Je ferai ce qu'il lui plaira, et à vous,
sire.
SCÈNE XXIII.
les mêmes, moins le roi.
la mère du roi. Demoiselle, vous êtes une cou?-
reuse et une fille etlrontée. Comment vous vous
imaginez être aimée d'un roi renommé et puissant,
tel que l'est mon fils ? N'ai-je pas vu l'échange entra
vous de paroles, de regards et d'actions. Dame
manchoue et étrangère, personne ne sait ni quel
est voire lignage ni qui vous êtes, et vous vous
croyez digne de mon fils ! sortez, sortez !
la fille. Non, non, nia dame, ne craignez rien :
jamais ma pensée ni mes intentions n'ont visé à
cela. Hélas, malheureuse! je serais, certes, bien folle,
si. j'avais une telle pensée. Non, je ne suis pas digne
d'être aimée de lui ni d'être appelée son amie, et,
certes, jamais je n'y songeai elje ne vaux pas tant,
je le sais bien. Vous avez dit la vérité quanta ma
famille; elle vous est inconnue. Mais si j'ai perdu
une main, je n'en suis que plus pauvre, plus éper-
due et sans réconfort.
la mère. Eh ! pleurez ici et bien fort; cela m'est
nidifièrent. {Elle sort.)
SCÈNE XXIV.
les mêmes, moins la mère du roi , le roi.
le roi d'écosse. Je n'ai pu dormir tant j'ai chaud.
— Qu'y a-l-il? Qu'avez-vous, Berlhekiue, à pleu-
rer ainsi? Par amitié dius-le-moi.
la fille. Sire, j'ai bien sujet de pleurer cl d'étro
triste : je crois que l'on ne me chérit pas beaucoup
5.S5
Ml
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FIL
33i
le roi d'écosse. El qui ? dites-le-moi sur-le-
champ ; je veux le savoir.
la fille. Sire, je ne me plains de personne;
mais ma chère daine, votre mère, m'a demandé
fori aigremen» d'où me venait la présomption, à
moi, fille effrontée, de me croire aimée de vous.
Certainement, mon doux seigneur, jamais je n'y
pensai, Dieu le sait. J'ignore pourquoi ma dame me
hait; mais, bien en colère contre moi, elle m'a ap-
pelée manchoue et m'a reproché que l'on ne connût
pas l'auteur de ma race, qui il est ou qui il peut
être. Ces paroles me font un mal tel que le cœur
me fond en larmes tout entier au venire.
le roi d'écosse. Par ma tête ! avant que le terme
de huit jours, non pas de six, se pa^se, si je vis,
vous aurez une position et un nom à souhait. Oubliez
de grâce ce qu'elle vous a dit, douce Derlhekine;
je vous ferai reine d'Ecosse, par la foi que je dois
à Dieu !
la fille. Sire, je suis de trop basse extraction :
une position pareille n'est pas faite pour moi. Que
diront vos barons, si vous prenez une estropiée.?
ils diront que vous êtes fou.
le roi d'écosse. Dame, quel que soit celui à qui
cela déplaise, je vous aime d'un amour tel que cela
sera fait sans relard.
SCÈNE XXV.
le noi, lembert, écuyer.
le roi d'écosse. Approchez, Lernberl, je veux sa-
voir si vous êtes bon à quelque chose Allez vile,
sans être intimidé, dire à l'évèque de ce pays qu'il
se rende auprès de moi à l'hôtel de Chester, parce
que je veux être marié aujourd'hui.
lembert, écuyer. Sire, Dieu me garde de chagrin!
j'y vais, el je ne m'arrêterai pas que je ne l'aie mené
et fait entrer.
SCÈNE XXVI.
LE ROI, LA FILLE DU ROI, CHEVALIERS.
le noi d'écosse. Seigneurs qui êtes mes amis,
conduisez celle dame à l'hôtel de Chester, et, après
l'y avoir laissée, revenez ici auprès de moi. Allons!
dépèchez-vous, sans répliquer, je vous en prie.
LE PREMIER CHEVALIER D'ÉCOSSE. MOU cher SCÏ-
gneur, vous serez obéi sans retard.
le deuxième chevalier d'écosse. Allons, dame,
allons! s:ms discourir davantage, venez-vous-en,
puisque cela plaît au roi. Jamais on ne fil à une
femme plus grand honneur, car vous serez aujour-
d'hui proclamée reine par toul le monde.
le premier chevalier d'écosse. Voilà bien la
preuve qu'il l'a aimée de cœur et loyalement.
le deuxième chevalier. Nous avons terminé ici ;
allons-nous-en vers le roi.
le premier chevalier. Il faut nous mettre en me-
sure de le faire. Allons! en avant! pas de re-
tard !
SCÈNE XXVII.
LES CHEVALIERS, LE ROI D'ÉCOSSE.
les chevaliers. Sire, nous sommes, ce me sem-
ble, prompiemenl revenus vers vous.
le roi. C'est vrai ; maintenant allons ensemble,
jusqu'auprès de Chester. Je vais devant; suivez-
moi.
SCÈNE XXVIII
LA MÈRE DU ROI.
la mère du roi. Mon fils est fou de prendre en
mariage une femme inconnue, dont le lignage n'est
pas moins incertain, venue ici d'aventure, el estro-
piée d'un bras dont la main est perdue. Je suis na-
vrée. Comment a pu lui venir cet amour? Maudite
soit l'heure qu'elle fut en mer sans s'y noyer! Elle
sera reine, en dépit de tout. Pour mon honneur je
vais aux noces; mais, certes, avant qu'il soit un
mois, je les abandonnerai tout à fait et j'irai de-
meurer loin d'eux, puisqu'il en est ainsi.
SCÈNE XXIX.
LE ROI D'ÉCOSSE , SA MERE, CHEVALIERS
ÉCOSSAIS.
lembert. Eh bien, ménétriers ! êtes- vous prêts?
faites votre métier.
le premier chevalier. Sire, désormais il ne vous
faut que vous livrer à la joie; et vous aussi, ma
chère dame. Je vous dis la vérité.
le roi d'écosse. Pour mieux avoir les m>! les de
l'Ecosse à ma fêle, et afin qu'elle soil plus éclatante,
je veux la relarder de huit jours el mander partout
aux nobles qu'ils viennent ici.
le deuxième chevalier. Cher sire, c'esl bien dit
ainsi el c'esl fort sensé.
la mère. Mon cher fils, je me sens un peu mal :
je vous prie de ne plus me retenir ici ; mais de me
donner la permission d'aller au château de Gort me
reposer cl prendre de la distraction trois ou quatre
jours.
le roi d'écosse. Dame, je veux bien que vous al-
liez vous ébattre; mais n'y demeurez pas longtemps,
afin que, par amour pour moi, vous soyez ici à no-
tre fête.
la mère. Sire, ne soyez pas en peine à ce sujei :
je compte y être, s'il plaît à Dieu.
SCÈNE XXX.
LA MÈRE DU ROI.
la mère du roi. Puisque je suis hors du lieu où
il est, il ne m'y reverra pas de longtemps ; qu'il
fasse telle fêle qu'il voudra : je n'en tiens aucun
compte.
SCÈNE XXXI.
CHEVALIERS, D'ÉCOSSE, UN HÉRAUT.
le héraut. Ecoulez, seigneurs, Rois, Comtes,
Chevaliers, et ceux à qui cela importe, la cause
qui m'a conduit ici. Je vous fais savoir, el il n'y a
pas à en douler, que, dans la quinzaine de la Pen-
tecôte, un tournoi aura lieu près de Senlis. Il sera
tenu par un roi puissant, qui ne sera pas sans che-
valiers. Il y aura les Français et ceux qui se disent
de Picardie, el d'autres, quoi qu'on en dise; en sorte
que celui qui voudra acquérir de l'honneur peut ve-
nir, car il trouvera contre qui jouter, s'il a le désir
de lournoier el de disputer le prix.
SCÈNE XXXII.
LE ROI, SES CHEVALIERS.
lembert. Monseigneur, un tournoi est fixé après
la Pentecôte : il est donné par un roi qui a une
grande suite de gens, ainsi que l'a dit un héraut qui
lout à l'heure l'a crié bien haut là dehors.
le roi d'écosse. Dieu te secoure! dis-moi, se fera-
lil?
lembert. Oui, puisque le héraut le crie. Et il dit
que ce sera près de Senlis, en la terre des fleurs de
lis; je vous dis vrai.
le roi d'écosse. Je ne me priverai pas, quoi qu'il
m'en coûte, d'y aller; je veux y être dès le commen-
cement jusqu'à la fin.
le premier chevalier. Sire, je vous prie de tout
mon cœur de me faire la grâce de vous accompa-
gner : ainsi je verrai la France.
le roi d'écosse. Je le veux bien, mon ami, n'en
douiez pas; mais à condition que, dès maintenant,
vous irez faire préparer mes gens et que vous pour-
voirez aux choses qu'il me faut avoir pour ce
voyage.
le premier chevalier. Dussé-je mettre en gage
loule ma icrre, très-cher sire, ie ferai sans contra-
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FiL
Sué-
diction ce que vous dites. Sire, je vais commander
les gens, les équipages et lout ce qu'il faut.
le koi d'icosse. Et prenez bien garde que rien
n'y manque par votre faute.
SCÈNE XXXIII.
le roi d'écosse, la fille du roi de Hongrie,
CHEVALIERS , LE MAÎTRE d'hÔTEL , LE PRÉ-
VÔT.
la fille. Moucher seigneur, vous me mêliez en
bien grand souci et dans un grand effroi en voulant
aller au tournoi aussi loin qu'est le pays de France.
N'en doutez pas, je suis au moment où, s'il plaît à
Dieu, je dois enfanter. Je vous prie, pour Dieu, mon
cher seigneur, de vous en désister.
le roi d'écosse. En vérité, dame, cela ne peut
être : je l'ai dit, j'irai. Je vous laisserai mon maître
d'iiôlel et mon prévôt qui suffiront pour vous gar-
der.
le premier chevalier. Monseigneur, quand il
vous plaira, vous pouvez dorénavant vous mettre
eu roule. Vos équipages s'en vont devant bien es-
cortés.
le roi d'écosse. C'est bon. — Maître d'hôtel, ap-
prochez, et vous, prévôt. A partir d'aujourd'hui je
vous donne en garde ma compagne, qui est prêle
d'enfanter. Maintenant que chacun s'applique à faire
son devoir, afin qu'il en soil récompensé quand Dieu
m'aura ramené ici. Quand l'enfant sera né et que la
mère en sera délivrée, vous m'apprendrez par let-
tres closes ce qu'il en sera. C'esl lout. — Allons,
dame ! baisez-moi : je veux partir.
la fille. Certes, si ma volonté eût élé suivie,
sire, vous ne! vous en seriez allé que lorsque vous
auriez vu mon enfant sur terre.
le deuxième chevalier. Sire, au nom de tous, je
veux vous prier de ne pas vous courroucer si nous
vous accompagnons deux ou trois lieues, sire, au
moins, jusqu'à ce que vous ayez atteint vos gens.
Je le dis pour le bien.
le roi d'écosse. Amis, je ne vous le défends pas;
Allons-nous-en vile. Ilô ! seigneurs, c'est assez,
n'allez pas plus avant, je ne le veux point.
le prévôt. Puisque vous le voulez ainsi, sire,
nous vous recommanderons à Dieu ; nous irons
nous occuper de ma dame pour voire honneur.
le roi d'écosse. Vous dites bien. Allez, seigneurs;
adieu, vous tous.
SCÈNE XXXIV.
les mêmes, moins le roi
le deexième chevalier. Dame, le roi nous a priés
de vous garder soigneusement : nous vous prions
d'avoir confiance en nous et de nous faire savoir
hardiment tous vos désirs.
la fille reine. Seigneurs, soyez certains que je
me tiendrai, selon mon rang, mais le plus simple-
ment possible jusqu'au retour de monseigneur
ici.
le prévôt. Commandez, dame; nous ferons lout
ce que vous direz.
la fille. Seigneurs, s'il vous plaît, allez jusqu'à
l'église Saint-André, et demandez que sans relard
l'on célèbre une grand'messe pour monseigneur, afin
que Dieu le garde de mal. Je ne puis, à mon avis, le
meure en meilleure garde.
le deuxième chevalier. Ma chère dame, nous y al-
lons sans demeurer davantage ici.
SCÈNE XXXV.
LA FILLE DU ROI, SES FtSIMLS.
la fille. Demoiselles, sur mon àme! je crois que
je me meurs, lanl je suis malade! J'ai le cœur si
faillie el si affadi qu'il me manque , ce mal m'a
pris subitement ! Que ferai je ? Dieu ! les reins ! Dieu !
P.eeonfoi'iez-moi, Dame des cieux : je souffre trop.
l.% première demoiselle. Avant que ce mal n'aug-
mente, ma dame, appuyez-vous sur moi et venez-
vous-en vite : je vois que certainement vous êtes en
travail. AIIoms! entrez sans balancer et lout de suite
dans voire chambre.
la fille reine. Dieu, le venlre, Dieu, les côtés !
Je sens irop d'angoisses et trop de douleur. Ami de
Dieu, sire saint Jean, et vous, bonne Mère de Dieu,
lirez-moi de ce supplice. Certes, je meurs , j'ose
bien le dire. Dieu! maintenant le mal me prend au
dos. Que pourrai-je faire?
la deuxième demoiselle. Eli , douce el bonne
Vierge, port de salul pour les égarés, envoyez-nous
voire grâce el secourez noire maîtresse de lede sorte
que Dieu et vous, Dame, vous puissiez en èire ho-
norés.
la fille. Eh, Mère du très-deux Roi de? cieux !
maintenant je suis à ma fin, je le vois bien. Douce
Vierge, reconforlcz-moi, je vous en prie.
la première dehoiselle. Allons, paix, de par le
Fds de Marie! Dune, cessez de crier. J'ai haie de
parler. Savez- vous î Demandez quel enfant avez-
VmUS? car il est né.
la fille. Puisque Dieu m'a donné un enfant, je
désire fort savoir quel il est, fils ou fille: diles-m'en
la vérité, ma chère amie.
LA DEUXIÈME DEMOISELLE. DaillC, faitCS-HOUS 1)011
visage, car vous avez un très-beau fils, que votre
cœur en soil suret certain : regardez ici.
la fille. J'en remercie la Vierge. Certes, je l'ai
bien acheté. Couchez-moi vite, car, en vérité, je
tremble toute.
la première demoiselle. Voici tout prêl le lit (n'en
doutez pas, ma dame,) où je vous coucherai. — Tan-
dis que je l'endormirai, Yolande, allez sans relard
dire à Lembert qu'il aille tout de suite à Saint-An-
dré dire au maître d'hôtel que nous avons (qu'il
n'en doute pas) un fils nouveau-né.
la deuxième demoiselle. Je le ferai de grand
cœur.
SCÈNE XXXVI
la deuxième demoiselle, lembert, écuyer.
la demoiselle. Lembert, mon doux ami, allez
dire au maître d'hôtel qu'il nous est né un beau fils
de ma dame. Sur mou âme! vous lui causerez une
grande joie; je nVn doute pas.
lembert. Volontiers , Yolande , mon amie. Eh,
Dieu! qu'il en sera joyeux!
SCÈNE XXXVII.
lembert, le maître d'hôtel, le prévôt.
lembert. Je vous trouve bien à point tous deux :
j'allais vers vous.
le deuxième chevalier, Pourquoi, Lembert, mon
doux ami? ne nous le cache pas.
lembert. Je vous apporte de bonnes nouvelles, et
elles sont vraies, j'en suis certain : la reine a eu un
fils à l'instant même.
le deuxième chevalier. Sois le très-bien venu ;
j'éprouve une grande joie de ce que je l'entends
dire. — Prévôt, il nous faut aller écrire et envoyer
ces nouvelles au roi, pour réjouir davantage son
cœur.
le prévôt. Votre volonté est la mienne. Allons,
sire! je m'assiérai ici, j'écrirai les lettres moi-même;
il n'est pas besoin qu'on me les dicte. C'est fait ;
scellez à votre guise: cela suffira.
le deuxième chevalier. C'eal scellé; qui portera le
message ? avisons.
le prévôt. Je suis d'avis que nous y envoyions
Lembert; il est assez prompt. — Approchez, Lem-
berl ; venez nous parler.
lembert. Volontiers . sans aller ailleurs que vers
vous tout droit.
FIL
DICTIONNAIRE 1>F.S MYSTERES.
FIL
5SS
ta dfxxième chevalier, lembert, mon ami, il
vous faut partir de céans toul de suite el vous mettre
en route pour porter celte lettre au roi ; et quand
vous la lui donnerez, vous lui direz de la part de nia
dame qu'elle est accouchée d'un fils: elle le lui l'ait
savoir et se recommande fortement à lui, et nous
de même.
lembert. Aussitôt que je serai parti d'ici, sachez
que je ne cesserai de marcher que je ne la lui aie
donnée et mise entre les mains.
le prévôt. Nous vous prions d'y mettre soin et
diligence. '
lembert. Je vous promets qu'il n'y aura pas né-
gligence, autant que je le pourrai de mon fait; je ne
m'arrêterai pas que je n'aie trouvé le roi. Adieu,
vous tous.
le deuxième chevalier. Lembert, adieu, mon doux
ami. — Maintenant il s'en va.
SCÈNE XXXVIII.
lkmtîeut, en route.
lembert. Il serait hon, je crois, de passer chez la
mère du roi et de lui porter ces nouvelles? J'y ga-
gnerai sans doute quelque bon cadeau : c'est pourquoi
je veux y aller sans relard. Je la vois là-bas : c'est
bien à point; je vais lui faire la révérence.
SCÈNE XXXIX.
I.EMBERT , LA UlÉlUÎ DU ROI, GODEFROY, Son
ccuyer.
lembert. Ma dame, que Dieu, le Roi des cieux,
vous garde de mal!
la mère. Lembin, beau sire, en quel endroit al-
lez-vous et d'où venez-vous ? Je vous prie de nous
le dire, aussi bien que ce qui vous amène.
lembert. Chère dame, je m'en vais auprès du roi
mon seigneur lui annoncer la plus grande joie dont
son aine puisse être de longtemps touchée, car ma
dame est nouvellement accouchée d'un lils.
la mère. Dis lu vrai, Lembin ? J'en suis charmée,
par la foi que je dois à Siinle Balhilde ! Pour la joie
que j'en ai, il le faut aujourd'hui demeurer avec moi:
je veux le donner à souper. Portes-tu des lettres?
lembert. Oui, ma dame; les maîtres d'hôtel m'en
ont donné.
la mère. Sur mon âme! que je suis heureuse! mon
cœur est enchanté de ce que lu m'as dit. — Allons,!
si le souper csl prêt, Godefroy, je veux qu'il soupe;
et apportez-lui de ce bon vin dont je bois.
godefroy. Ma dame, paiienlcz un peu : c'est comme
si c'était fait. Voyez, je mets la lable. Allons ! je
veux m'occuper à le servir.
la mère. Si tu veux le hien servir à mon gré,
apporle-lui ici un bon mets. (.1 part à Godefroy.)
Approche, écoule : mels-lui dans son vin de ce que
je t'ai donné à garder, de manière à ce qu'il ne
s'en aperçoive pas.
godefroy. Volontiers, dame, et de tout mon
cœur ; voici la fiole.
la mère. Verse pour l'amour de moi. — Lembin ,
je veux que vous buviez, el vous direz si ce vin
est bon; il vous faut tout boire.
lembert. Chère dame , par saint Magloirc! il y a
longtemps que je ne bus d'aussi bon vin; je vais
boire ce reste, puisque cela vous fait plaisir.
la mère. Voici de la viande qui esl bonne et
appétissante; il vous faut en manger, Lembert.
Allons! montrez-nous que vous vous acquittez bien
de cet office.
lembert. Je ne ferai pas de difficultés , chère
dame; cl vous, que ferez-vous! (Ici il mange.) —
Ami, vous me donnerez à boire , si vous le voulez
bien.
la mère. Verse ici un plein banap, car telle est
ma volonté.
codefbov. Buvez : le banap, Lembin , esl plein
jusqu'à l'œil.
lembert. Voici de bon vin. Alions, votre main!
Je vous jure et vous assure, ma dame, que de-
main je ferai de vous ma femme par le mariage.
la mère. Oui vraiment, pourvu qu'il n'y ail li-
gnage...— Il est ivre, je le le. promets. Mèuc-le
coucher et mels-le dans un bon lit.
godefroy. Leuiberl , il vous faut par plaisir vous
venir coucher.
lembert. Oui, mon cher ami, ma dame et moi.
godefroy. Oui, en vérilé; aussi bien esl-ce votre
femme. Allons devant.
lembert. Allons, mon ami, en avant! — Ma
belle, venez aussi vous coucher; heurtez douce-
ment , je chancelle. Qui êtes- vous?
godefroy. Allons! mon doux ami , couchez-vous
dans ce lit, je vous couvrirai. — Avant de m'en
aller, je verrai sa contenance et ses grimaces. Par
mon âme! il dort fort bien; je vais le dire à ma
darne. — Madame, Lembin m'a fait rire; certes,
il esl bien pris. H n'a pas eu plus tôt la tète sur le
lit qu'il s'est endormi. Dieu! comme demain . à ce
que je crois , il sera étourdi !
la mère. Allons, paix , el liens-loi coi ! je veux
aller le visiter. Puisqu'il dort si bien , sans hésiter ,
je verrai de quelles lettres il esl chargé avant qu'il
repasse jamais ma porte. — Je les liens; laissons-lo
dormir, el emportons-.'es. — Godefroy , va me cher-
cher mon secrétaire tout de suite.
godefroy. Dame, volontiers, en vérité. — Maître
Bon, ne vous tenez plus ici ; mais venez bien vile
vers ma dame.
le secrétaire. Allons-y, puisqu'elle m'envoie
chercher.
SCÈNE XL.
la mère du roi, maître bon, son secrétaire.
maître bon. Dame , vous m'avez fait mander :
que vous plaîl-il de m'ordonner? dites-le-moi.
la mère. Je veux savoir en secret de loi ce qu'il
y a écrit dans celle lettre, sans omettre ni ajouter
ni un mol ni la moitié.
le secrétaire. Il y a : i Mon très-cher ami et sei-
gneur, je me recommande à vous, el vous transmets
autant de saints que je le puis. Je vous fais savoir
que vous avez un nouvel héritier mâle, que Dieu
fil naître de moi le jour qu'on écrit cette lettre, et
qui vous ressemble, quant aux traits, plus qu'au-
cune autre créature. Je ne vous parle de nulle
autre chose. Par le retour du messager , écrivez-
moi an sujet de voire santé. «
la mère. Là! puisse celle nouvelle race être de
courte durée! — Allons! fais-moi sans relard une
autre lettre comme je vais le dire. N'aie pas peur;
je te paierai bien ; fais ma volonté.
le secrétaire. Chère dame, je suis prêt à exé-
cuter de grand cœur votre volonté. Allons! dictez,
j'écrirai en assez grosses lettres.
la mère. Ecris : « Au roi d'Ecosse, notre cher
seigneur, respect, salut el obéissance entière. Nous
vous mandons que la reine, votre femme sort de
couches : ce dont nous ne faisons point de fêle ,
car nous ne savons dire ce qu'elle a mis au monde,
tant c'esi une hideuse créature! en vérité, jamais
cela ne fui cngemré par un homme. Assurément
nous eussions tout brûlé, la mère cl la portée, sauf
votre respect. Mandez-nous donc ce que nous de-
vons faire, el commandez : nous les brûlerons , car
il n'y a pas d'autre parli à prendre. De la part des
grands maîtres d'hôtel. Toul a vous. >
le secrétaire. C'esl fait.
la mère. C'est bien, mon doux ami. Allons, fer-
me-la sans relard, et mets la suscriptiou ; pms
donne-la-moi.
le secrétaire A l'instant. Daine, tenez.
359
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FR.
360
la mère. Vous êtes un gentil clerc el un homme
sensé. Allez sans crainte vous ébattre.
SCÈNE XLI.
LA MÈRE DU ROI, Seule.
la mère du roi. Celte missive sera scellée sans
difliculté avec le sceau qui est en celte lettre, et
j'irai la mettre en l'étui où je pris celle-ci tout à
l'heure. Mon affaire va bien. Pendant que Lembert
dort encore et ronfle bien el fort dans son lit, je
veux en finir. — C'est l'ait. Qu'il aille livrer sa lettre
a qui il voudra.
SCENE XL1I.
LEMBERT, LA MERE DU ROI.
lembert. Il est jour, levons-nous, et en route,
sans plus attendre. Je vais prendre congé de ma-
dame : c'est juste. — Chère dame, adieu! grand
merci! j'ai été très-bien traité chez vous.
la mère. Lembert, veuillez, je vous prie, venir
ici à votre retour; je veux vous faire un don. Mais
prenez garde que personne ne sache que vous êtes
venu ici , je vous en prie.
lembert. Ma dame , je le veux bien ; personne ne
le saura par moi. Adieu.
SCÈNE XLI II.
LEMBERT, SCuI.
lembert. Jusqu'à ce que je sois à Senlis et que
j'aie vu le roi, je ne cesserai de marcher. Je veux
mettre dans celle affaire tous mes soins. Je crois
que je vois le roi là-bas au milieu de celte plaine ;
oui , vraiment : je vais à lui. Plus j'approche de lui ,
mieux je le reconnais.
SCÈNE XLJVj
lembert, le roi d'écosse.
lembert. Monseigneur, que Dieu par sa bonté
vous donne joie, honneur, santé et bonne fin!
le roi d'écosse. Sois le bienvenu, Lemhin! Dieu
te donne une bonne semaine! Dis-moi la vérité :
quelle affaire t'amène par ici ?
lfmrert. Sire, je viens directement d'Ecosse. Vos
maîtres d'hôtel, vos amis , m'ont chargé devenir
vers vous et vous envoient celle lettre. Je ne sais
pas ce qu'ils ont voulu y meure dedans.
le roi d'écosse. Je veux l'ouvrir loui de suile, et
je verrai ce qu'il y a d'écrit. Ah! Jésus-Christ, mon
très-doux père, je dois bien avoir le cœur éperdu :
je suis déshonoré à jamais. Beau sire Dieu, comment
une chose si honteuse est-elle arrivée à une aussi
belle femme?
le premier chevalier. Monseigneur, je vous vois
pleurer, les larmes tombent de vos yeux; sire, que
pouvez-vous avoir? diies-le-nous.
le roi d'écosse. Certes, j'ai lanl de douleur el de
colère, que je ne sais le dire. Je veux écrire ici moi-
même; procurez-moi, mon cher ami, de l'encre, une
plume el du papier, dont j'ai besoin.
le premier chevalier. Vous en aurez assez, sans
faute. Voici de l'encre, une écriloire el du papier.
Tenez-vous en joie, pour l'amour de Dieu.
le roi d'écosse. Je n'ai jamais été autant cour-
roucé. Laissez-moi écrire toul seul; relirez-vous là-
bas.
le premier chevalier. Mon cher seigneur, je ferai
ce qui vous plaira.
(Ici le roi écrit.)
le roi d' Ecosse. Lembert, pour l'expédier promp-
tement, lu reporteras cet ordre à mes gens, et lu
leur diras qu'ils ne fassent rien autre chose que ce
qui est prescrit là-dedans.
lembert. Que je n'aie jamais mal aux dents! mon
cher seigneur, je le leur dirai bien. Ja ne reste plus :
je m'en vais, sire.
le roi d'écosse. Allons, va ! el sache bien leur ré-
péter ce que je t'ai dit.
lembert. C est ce que je ferai, sans y manquer.
SCÈNE XLV
lembert, seul.
lembert. Maintenant il me failli penser à marcher
foi tel ferme, elje ne veux m'arrèler qu'au chàleau
de Gorl, où je verrai la mère du roi, qui m'a pro-
mis un présent : ce qui m'a rendu joyeux. Avant
qu'il soil plus tard, je vais savoir ce qu'elle me don-
nera et à quel point elle sera libérale à mon égard.
Lh! j'y serai d'assez bonne heure. Je vois le château
devant moi : je vais y entrer; je liens pour certain
que j'y serai bien reçu.
SCÈNE XLVI.
le même, la mère du roi, godeeroy, son
écuyer.
lfmbert. Madame, que Dieu soil céans! me voici :
a lirai -je à boire?
la mère. Oui, Lembin, par sainl Magloire! Com-
ment se porte le roi?
lembert. Bien, ma dame, par la foi que je vous
dois! au moins il en était ainsi quand je le laissai.
Mais je ne sais rien de ce qu'il a fait à la fêle,
n'ayant eu, pour rester à la cour, que le temps qu'il
pril à faire ma lettre, à me la donner et à me dire
que je fusse soigneux el diligent à la reporter à ses
hommes de l'autre côlé du détroit.
la mère. Cela ne fait rien. — Holà, le vin, holà,
et des épices!
godf.froy. Ma dame, je serais un imbécile si je re-
fusais de vous obéir. Je vous en apporterai sur
l'heure; je vais les chercher.
lembert. Oh ! oh ! quoi donc? Voilà bien des mois
que je n'ai eu une envie de dormir aussi forle que
celle qui m'a pris depuis que je suis entré dans cet
appartement. D'où cela me vient-il? Madame, avant
lo il il me faut dormir.
l\ mère. Non certes. Auparavant vous boirez un
coup et vous mangerez des épices, par la loi que je
dois à mon âme !
codefroy. Madame, prenez les épices avant lo
vin.
la mère. Allons, j'en ai pris : maintenant, présente
à Lembin, il en prendra.
lembert. Je ne sais pas si cela me fera du bien,
tant j'ai sommeil!
la mère. Dès que nous aurons bu, je veux, Gode-
froy. que lu le mènes coucher, el que tu aies soin
de le couvrir, de manière à ce qu'il dorme à son
aise.
(Ici ils boivent sans rien dire.)
lembert. Chère dame, ne vous déplaise, si je reste
plus longtemps ici, je vais m'endormir. En vérité,
je n'en puis plus.
la mère. Eh bien ! allez Lembert ; que Jésus vous
donne un bon somme, mon ami! — Codefroy, allez
vite sans retard avec lui.
godf.froy. Volontiers, madame, par ma foi! — Al-
lons, Lemberl.
lembert. Travaillons des pieds, je vous prie, pour
y aller.
SCÈNE XLVII,
CODEFROY, LAMBERT.
sodefroy. Allons, reposez et taisez-vous, Lemberl,
puisque vous êtes couché el bien couvert, je vous
laisse ici.
561
FiL DICTIONNAIRE DES MYSTERES
SCÈNE XLVIII.
LA MÈRE DU «01, GODEFROY.
F1L
3!>2
la mère. Tu n'as pas fait une trop longue pause
avec Lembert.
godefroy. Ma dame , je l'ai couché el couvert :
n'esl-ce pas assez? Il est si las qu'il n'a besoin que
de repos.
la hère. C'est bien; maintenant, écoute-moi : j ai
besoin de maître Bon, mon seci claire; va le cher-
cher.
godefroy. Ma chère dame, j'y vais sans me tenir
plus longtemps ici.
SCÈNE XLIX
LA MÈRE DU ROI.
la mère, Et moi je vais savoir secrètement quelle
figure l'ail Lemberl. Tout va bien. Il dort tout de
bon. Je vais prendre sa boîte et ses lettres, el je sau-
rai bientôt, si je puis, ce qu'il porte.
SCÈNE L.
GODEFROY, MAÎTRE BON.
godefroy. Maître Bon, je vous trouve bien à pro-
pos Il vous faut encore venir sans tarder auprès de
ma dame, elle vous mande.
le secrétaire. Je vais y aller de bon cœur, Gode-
froy, car j'y suis tenu.
SCÈNE LI.
MAÎTRE BON, LA MERE DU ROI.
le secrétaire, Chère dame, je suis venu à votre
commandement.
la mère. Mailre Bon, je voudrais savoir ce que
celle leltre porte. Lisez-la moi, que je puisse en en-
tendre la loueur.
le secrétaire. Dame, volontiers, sans retard. —
« A nos féaux maîtres d'hôtel. Nous vous faisons ce
commandement : comme vous nous avez mandé que
vous ne savez nous dire positivement quel enfant la
reine a eu en couches, tant l'aspect du monstre est
hideux 1 faites-nous garder dans quelque lieu écarté
la mère cl le fruit, car nous désirons les voir à notre
retour. »
la mère. Est-ce cela? A l'instant même, moi el
vous nous en ferons une autre. Allons! écrivez
sans relard ce que je vais vous dicter. En vérité,
vous serez plus satisfait que vous ne le' pensez.
le secrétaire. Chère dame, j'aurai assez tant que
Dieu vous prêtera vie. Dictez ce qu'il vous plaira,
je suis prêt à écrire.
la mère. Mettez : < Le roiel sire d'Ecosse. Mailre
d'hôtel, ne lardez point, après avoir vu ces lettres,
de brûler la Benhekiue el sa progéniture sans at-
tendre un seul jour ni mène une heure; car, si vous
ne la brûlez pas, elle el son fruit, el si nous pou-
vons en apprendre nouvelle, sachez que, aussi (ôl
aue nous serons de retour, nous vous ferons pendre ;
n'en douiez point. >
le secrétaire. Ah ! Marie! voilà qui est fort.
la mère. Allons, pliez la missive sans commen-
taire ci fermes-la.
le secrétaire. Volontiers, puisque vous me l'or-
donnez. La voil i close.
la mère. Maintenant il n'y manque plus qu'une
chose ; c'est le sceau ; je l'y mettrai bien et je le pla-
cerai ici dedans. Voilà! el sans m'amuscr davantage,
je vais vite reporter le loul à Lcinherl. La Maue-
quine aura une joie de mauvais aloi, si je réassis.
J'ai fini à temps.
SCÈNE LU.
lembert, seul.
Si je ne vais pas plus vile en voyage, je pourrai
Diction >'. des Mystères.
bien mériter des reproches ; il me faut remplir mon
devoir en ce point.
SCÈNE LUI.
LEMBERT, LA MERE DU ROL
lembebt. Ma dame , je viens prendre congé ; je
vous reincri ie de ce que j'ai lui et mangé chez vous.
la mère. Lembert, lu pars donc de céans Je l'a-
vais promis quelque chose : voici ccnl florins, liens,
mon ami , fais-en usage.
lembert. Grand merci, ma dame! que Dieu vous
mette en bonne année !
la mère. Va-t'en, va ; je te donnerai plus ur e au-
tre fois.
lembert. Adieu, rna dame, je m'en vais.
SCENE LIV
LAMBERT, Seul.
lembert. Rien ne m'arrêtera jusqu'à ce que je sois
a Berwick. Je vois la ville, tant j'en suis près; ju
veux me hâter d'y entrer.
SCENE LV.
LE MÊME, LE PRÉVÔT, LE MAÎTRE d'hÔTEL.
lembert. Messeigneurs, que Dieu, qui de Marie
voulut faire sa mère et son amie, soit votre ami !
le prévôt. Lembert, mon ami, qu'il le mette au-
jourd'hui en un bon jour !
le deuxième cuevalier d'écosse. Lembert, dites-
nous sans relard comment si; porte monseigneur la
roi, el quelle chance il a au tournoi, si vous en sa-
vez quelque chose.
lembert. Quant au roi, messeigneurs, je vous as-
sure que je le laissai en bon état; mais relalive-
•menl au tournoi, je vous dirai en peu de mots qiM
je ne sais pas s'il a eu lieu ou non : car je n'ai été à
la cour de monseigneur que le temps qu'il mita faire
lui-même ma lettre, sans confier ce soin ànn autre.
Tenez, sire, je vous la donne. Il m'a chargé de vous
dire que vous ne manquiez pour rien au monde d'ac-
complir ce qui y est écrit.
le deuxième chevalier. Ah! très-doux père Jésus-
Christ, voici une leltre où il y a des choses bien
terribles. — Piévôt, venez, avancez; tenez, lisez.
le prévôt. Volontiers, si je le puis. Hélas! voici
un ordre irop dur : brûler le lils cl la mère! Eh ,
beau sire Dieu qui ie mens pas! je reste tout ébahi.
Que peut-il y avoir? Je m'en émerveille fort.
LE DEUXIÈME CHEVALIER D'ECOSSE. CeNCS, prévôt ,
à vous dire vrai, c'est notre mort qui est ici écrite.
Car, si nous différons à brûler la reine et son (ils,
el si nous n'exécutons pas son ordre, il nous fera
mourir honteusement. Si nous les brûlons, ce sera
pis, car le peuple courra sur nous. Je ne vois pas
comment nous garantir de la mort, si Dieu n'y pour-
voit pas.
le prévôt. Hélas! voici une dure sentence. En
verit ■, jt: plains le lils el la dame autant el encore
plus, sur mon âme, que s'il s'agissait de moi
SCÈNE LVI.
LES MÊMES, LA FILLE DU ROI DE HONGRIE.
la fille. Seigneurs, de quoi êles-vous si for! préoc-
cupés? Tout ne va-l-il pas bien dans ce pays? Je
vous vois tout siupéfailsel le visage morne.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. N()US ll'eil pOIIVOllS mais.
ma chère dame; el, en vérité, vous n'allez pas éiro
moins dans l'ennui que nous. Le roi nous mande,
soas peine de perdre nos biens et notre vie , de i.e
pas différer à faire brûler votre (ils el vous.
la fille. Ah, mère de Dieu, Vierge honorée!
mes amis, dites-vons la vérité? A-l-il mis un ordre
pareil dans cette lettre?
Ll trévôt. Oui , vraiment , chère dame; et il y
12
FiL
PK.TIONNAIRE DES MYSTERES,
FIL
Sii 4
a qu'il nous fera pendre, si nous n\iccompï:ssons
pas sans relard ce qu'il nous mande.
la fille. A quelle angoisse ne suis-je pas de non-
veau en proie? Eh! 1res- douce Vierge Marie, je ne
croîs pas qu'il y ail en vie u«e femme plus infortunée
que moi. Eh! doux roi d'Ecosse! pourquoi m'avez*
vous co.iianmée à mourir parle supplice du feu?
Orles, c'esl à lorl ; car je ne sache pas vous avoir
offensé en paroles et en actions, au point de mé-
riter que vous me mettiez ainsi à mort. Encore, si
je mourais seule, je n'éprouverais pas tant de cha-
grin (Ici elle baise son /ils); mais votre volonté est
que cetie douce rosée, cet innocent sans tache, soit
brûlé avec sa mère. Ali ! hon roi ! par ma foi ! ce nie
semble chose trop dure et trop douloureuse qu'un
tel innocent et sa mère so eut brûlés. Dieu! le cœur
me fend de douleurs. Ah! mon doux enfant! (Ici
elle le baise.) — Doux lils, est-ce par suite de vos
crimes ou des miens? Nenni, certes , ce n'est que
rage. — Eh ! heaux seigneurs, épargnez ma pauvre
vie, que je ne meure pas ainsi, ni cet enfant non
plus; je vous en prie pour l'amour de Dieu et de
moi. J'ai le comr bien marri. Mon enfant n'était-il
pas pour tenir le pays comme roi ? Quelle furie s'y
oppose? Ah! je vous en prie donc, au nom de la
pitié, souffrez que loin de cette terre je puisse aller
chercher mon pain comme une pauvre femme.
LU DEUXIÈME CHEVALIER. PlévÔI, (MlCS IllOÎ, Cn
ami, que. ferons-nous de celle femme; elle me fait
tant pitié par ses douces lamentations, que le cœur
me fond tout cn larmes; et vraiment, l'enfant pro-
duit sur moi le même effet: je vous en prie donc,
avisons.
le prévôt. Sire, nous nous en tirerons à no-
tre honn ur, si vous m'en croyez. Si je dis bien, na
repoussez pas mon avis.
lk deuxième chevalier d'écosse. Nenni ; an con-
tralre, je veux m'y ranger. Allons, prévôt, parle»,
le prévôt. Nous pouvons cire entièrement dé-
chargés de sa mon, en agissant de celle manière:
mettons -la en mer dans un bateau ou dans une vieille
nacelle, seule avec l'enfant, sans gouvernail ni avi-
ron; personne autour d'eux; qu'elle s'en aille ainsi
s;ii la mer au gré de Dieu qui la conduira où il lui
plaira.
le deuxième chevalier. C'est bien parlé; il cn
sera ainsi. — Dame, vos plaintes nous ont fait pitié.
Nous ne vous livrerons pas au feu; mais nous ferons
autre chose. Il vous faudra, que cela vous plaise ou
non, entrer dans ce baleau, vous et votre enfant;
et, quand vous serez en mer, vous n'aurez d'autre
protection que celle de Dieu. Ainsi vous aurez quille
lu pays. Consentez-vous ?
la fille. Puisque tel est votre plaisir, mes doux
seigneurs, je vous remercie les larmes aux yeux.
Condamnée à mourir, j'aime mieux que nous soyons
noyés dans la mer profonde que de périr par le feu
à la vue de tous.
î.r, prévôt. Dame, vous n'avez pas tort. Eh bien,
en avant ! prenez voire enfant, faites vile et venez
promplemenl.
la première demoiselle. Ah! ma chère el bonne
dame ! j'éprouve tant de peine de me séparer de
vous que peu s'en faut que le cœur ne me fende.
Certes, je ne vous abandonnerai pas; je veux vivre
ou mourir avec vous. Vous m'avez aimée de (oui
votre cœur; ei puisque je vois voire lin, certaine-
ment j'entrerai dans la nacelle aussitôt que vous, et
je mourrai si vous mourez : tant je vous aime d'une
amilié sincère ! Je veux entrer céans sans retard,
puisque vous y êtes.
le deuxième chevalier. Mon amie, vous êtes folle,
qu'est-ce qui vous entraîne? Si le vent s'élève et la
mer s'enfle, vous serez noyée tout de suite. Pour
l'amour de Dieu! n'y alnz pas; croyez mon avis.
la première demoiselle. Sire, je vux aller avec
elle el m'exposer pour elle à la mort, s'il me faut la
subir: tant je l'aime en vérité!
le prévôt. Mon amie, je vous liens pour une
soite, si vous faiies cela. — Menons ce baleau à
flot. Holà! la mer le sépare de nous. Sire, allons-
nous-cn d'un autre côlé vers nos logis.
le DEuxrÈME che"alier d'écosse. Allons ! Ad'reu,
gentille dame ! Le Seigneur vous aide el vous con-
sole, et, si lel est son plaisir, qu'il veuille vous con-
duire à bon port !
SCÈNE LVII.
LA FILLE DU ROI, LA DEMOISELLE
la fille. Mère de Dieu, ai-je sujet de m'affliger ?
Certes, oui, dans le danger de chavirer en mer à
chaque instant. Ah! fortune! que tu m'es contraire î
N'ai je pas droit de le faire des reproches et de me
plaindre amèrement? Ne in'as-tu mis au haut de la
roue que pour me jeter ensuite dans la fange? Qu'y
al il de pis ? Je suis abandonnée sans pilote à la
tourmente des flots qui courent terriblement sur
nous. — Cher fils, si Dieu ne nous secourt pas, ni
vous ni moi, nous ne pouvons résister ni endurer
celle mer ! Ah ! quand même nous serions en lieu
sûr, j'aurais encore bien des raisons de pleurer et
j'éprouverais assez d'angoisses et de douleur à cause
de vous, mon cher enfant. Comment vous lever,
vous coucher, vous nourrir? — Ah! Vierge de qui
Dieu voulut naître ! ne mettez pas de lenteur à nous
aider; réconfortez une malheureuse et menez-la au
pori »lu salut. Fleur dont le fruit eut tant de valeur
qu'il fut suffisant pour arracher le monde à la pro-
fonde prison, Dame, tirez-nous de ce péril, el agis-
sez en femme miséricordieuse. Vierge, ne me laissez
pas périr ; niais dirigez-nous droil au port de salut.
SCENE LVIII.
NOTRE-DAME, DIEU, ANGES.
notre-dame. Mon fils, au nom de la bonlé infinie
qui est en vous, conseillez à ce que nous allions ré-
conforter sur-le-champ celle dame, que lounnenl«
la peur d'être noyée dans celle mer.
dieu. Ma mère, vous devez l'aimer, car je vois
qu'elle le mérite : file prie el sert de (Osur vous et
moi, el supporte avec beaucoup de patience le mal-
heur, l'embarras el la rude infortune qui, sans l'abat-
tre, l'a frappée et la frappe encore. Debout 1 alloua
la soulager sans plus de retard.
notre-dam'e. Anges, pensez à descendre, el chan-
tez, en nous accompagnant, si haut que l'on entende
clairement ce que vous chaulerez.
le premier ange. Dame, nous ferons de bon cœur
loul ce (pie vous commanderez.
le deuxième ange. Gabriel, eh bien! que dirons-
nous en allant là-bas ?
le premier ange. Mon ami, nous dirons ce ron-
deau-ci loul d'une haleine.
Rondeau.
Très-aouce el bonne Vierge, séjour d'humilité
véritable, en qui Dieu prit humanité ! 0 vous, dont
le fils, pour rtiirer les nommes de l'enfer, souffrit
une mort ignominieuse ! 0 très-douce el bonne
Vierge, séjour d'humilité véritable, il doit vraiment
plaire à chacun el à chacune de vous servir et d«
dire avec charité : Très-douce el bonne Vierge,
séjour d'humilité véritable en qui Dieu prit huma-
nité. . . etc.
SCENE LIX
LES MÊMES, LA FILLE DU ROI, SA DEMOISELLE.
dieu. Relie amie, tu as réclamé mon secours dans
les extrémités; lu as prié ma mère de le garder
d'être noyée ; je veux accomplir la requête. Ne crains
plus la tempête de 'a mer rassure 'oi.
ses
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FIL
ÔG6
* la ni le. Sire, sire, n'ai-je pas raison de crain-
dre' Il n'y a pis à s'en étonner. Je vois que la mer
me pousse çï et là : mi moment elle m'élève, un
autre elle m'abaisse. La peur me donne une telle
tristesse que je ne sais que l'aire ni que dire. Qui
êtes vous, sire, vous qui parlez avec lant d'autorité.
dieu. Je suis celui qui iit le firmament, celui
nui lit toutes choses de rien ; je suis le père et le
fils de ma lilte et de ma mère; je suis celui, retiens-
le, qui souffrit pour toi sur la croix une mort dou-
loureuse ; je suis la fontaine de tout bien, sans fin
ni commencement, qui par amour et de tout cœur
viens ici pour te donner confort. Aie en Dieu un
cœur bon el ferme: lu as pas>é le plus fort de les
tribulations. Je ne l'en dirai plus rien, sinon que
lu sortiras bientôt de ce pas. — Anges cl vous, ma
mère, retournons aux cieux.
notre-daue. Belle amie, du courage ! je te le dis,
sois-en sûre; lu seras bientôt dans une position
aussi haute que celle où tu fus jamais. N'aie pas le
cœur ingrat envers Dieu. Adieu, mon amie.
le premier ange. Michel, en quillaiil ce lieu, il
nous faftt chanter.
le deuxième ange. Nous chanterons donc sans
v manquer. Allons, en avant ! chantons sans re-
tard.
Rondeau.
C'est pourquoi il doit vraiment plaire à chacun
rt à chacune de voi.sservir et dédire avec amour:
Très-douce cl bonne Vierge, séjour d'humilité véri-
lable, en qui Dieu prit humanité..., etc.
SCÈNE LX.
LA FILLE DU ROI, SA DEMOISELLE.
la fille. Sire Dieu, mon cœur brûle de célébrer
votre bonté suprême si vi.sible dans la grâce signa-
lée qui m'a été faite par vous. 11 vous a plu, Sire,
de vous montrer à moi, ainsi que celle qui vous a
porte. Elle el vous, Sire, vous m'avez si doucement
consolée qu'il me semble que mon cœur est ravi en
gloire. Je reconnais bien la vérité de ce que vous
m'avez dil, car je nie vois arrivée sur la terre
ferme.
SCÈNE LXI.
LA FILLE DU ROI, SA DEMOISELLE, LE SÉNATEUR.
le sénateur. Soyez la bienvenue, dame. Pour
quel motif venez-vous dans cette ville? Est-ce pour
vous éballre ou pour chercher quelque chose?
la fille. Sire, pour L'amour de Dieu, par pitié,
ne me trompez pas, ne vous moquez pas de moi!
Hélas! je n'.u pas sujet de rire ou déjouer. Depuis
peu j'ai fait trop de perles, el de si grandes que je
n'espère pas les réparer jamais, à moins que Dieu
n'en décide autrement.
le sénateur. Dame, je vous le dis en un mot, je
n'ai pas l'intention de me jouer de vous; car à voue
extérieur el al votre maintien, je crois que vous êtes
issue de haut lignage : el comme telle est ma pen-
sée, je vous mènerai en mon logis et vous héberge-
rai, si cela vous est agréable.
la fille. Pour l'amour de Dieu, sire! en quelle
contrée siiis-jc venue?
le sénateur. Dame , vous êtes descendue loul
droit à Rome.
la fille. Que Dieu veuille ici me conseiller et me
réconforter! — Mon (ils, nous avons à supporter
assez de tribulations.
LE sénateur. Je vois que vous êtes lasse. Venez
avec moi, la belle, vous el voire demoiselle ; vous
ne pouvez en être déshonorée : je suis sénateur de
la ville el j'ai une femme.
la fille. Que Dieu garde d'outrage vous el elle!
Ailoiis-nous-eii donc.
LE SÉNATEUR. VoUS ne cllVîlll ï (if 1C7. pas trop lon-
guement : dame, nous v serons lotit de suite. Voici
le logis où je demeure.
SCÈNE LX1I.
LES MÊMES, LA FEMME DU SENATEUR.
r.E sénateur. Dame, faites-nous bon visage :
je vous amène compagnie , regardez les per-
sonnes.
la femme du sénateur. Monseigneur, par la foi
que je dois à Dieu ! elles me Fêmbfent bonnes el
belles. — Dame, ainsi que vous, in'amie, soyez les
bienvenues en notre maison.
la fille. Dame, que l'humide Vierge Marie vous
garde, vous el votre mari! Certes, quand je pense
et regarde combien ma position est- changée el que
je suis dans un pays étranger, je ne sais comment
je puis vivre encore. J'avais coutume d'être servie,
cl il nie faut devenir servante, si je veux vivre, et
faire ce que je n'ai pas appris.
le sénateur. M'.tmie, je vous retiendrai volon-
tiers, si, pour gagner de l'argent, vous pensez à
servir. Qu'en dites-vous?
la fille. Grand merci. Doux sire, quel service
ferai-je?
le sénateur. Vous aurez des fonctions faciles,
comme cellérière de céans; service aisé el conve-
nable pour une femme. Vous pourrez nourrir voire
cnfanl. Quant à voire demoiselle, elle ira dans un
mien hôtel, dont elle sera la maîtresse, si elle veut
êlre honnête femme. En ai-je assez dil?
la première demoiselle. Sire, je n'y mets aucune
opposition, si cela plaît à ma dame.
la fille. Cela me plaît, mon cher seigneur, et,
sur mon âme! je vous servirai de toutes mes forces
le mieux que je pourrai, n'en douiez point.
la femme du sénateur. Puisqu'il en est aiiis;,
monseigneur , allons ! emmenez prompleincnl la
demoiselle où vous avez dit.
le sénateur. Allons, demoiselle, allons-nous-en
vite.
la demoiselle. Sire, je ne refuserai pas d'y
aller.
SCÈNE LXI II.
le roi d'Ecosse, godeman, son écuyer.
le roi d'écosse. Godeman, écoule : lu vas partir
pour l'Ecosse , aller trouver mes gens el leur faire
savoir mon retour; il faut que je les trouve.
godeman. Sire, selon mon pouvoir, je n'aurai pas
de repos que je ne leur aie répéé ce que vous me
diles. Adieu! je m'en vais bon pas.
SCÈNE LXI Y.
GODEMAN.
godeman. Dieu merci! j'ai lr.nl marché qu'à celte,
heure je suis arrivé en Ecosse.
SCÈNE LXV.
GODEMAN , LE PRÉVÔT ET LE MAITRE DUÔTEL.
godeman. Messeigneurs, je vous ai trouvés ici
Lien à propos. Le roi vous salue et vous fait savoir
son arrivée ; il est près o'ici.
LE DEUXIÈME CHEVALIER D'ECOSSE. Godeman, 110US
sommes près d'aller à lui.
le prévôt. Oui, nous le sommes tous. Allons, en
avant ! melions-nous en route. Je ne m'arrêterai
pas que je ne le voie. Esl-il en bonne santé?
godeman. Oui, sire, par saint Germain 1 Dieu
merci !
le deuxième chevalier. Prévôt, par ma foi! je le
vois ici; ne balaacez pas à venir promplemenl.
SCÈNE LXVI.
e roi d'écosse , chevaliers écossais, le
PRÉVÔT, LE MAÎTRE d'hÔTEL, LEMBEHT.
LE DEUXIEME CHEVALIER. Mon 1res CllCr ScigilCIir,
soyez le bienvenu, ainsi que tous vos gens.
557
PiL
DtCTlOïs.NAlHE DES MYSTERES
ML
S68
le roi d'écosîe. Matlre d'hôlel, avançons tant
que nous soyons en mon manoir. — Allons, vous
ileux, dites-moi la vérité : comment vont la reine
et son fruit? je veux savoir tout ce qui les con-
ferne.
le deuxième chevalier. Sire, en vérité, nous la
fîmes brûler, ainsi que vous nous l'écrivîtes. Et,
certes, j'en suis sûr, vous commîtes un grand péché
en la faisant brûler ; mais c'en fut un bien plus
grand relativement au (ils : tant c'était une belle
créature? 11 vous ressemblait mieux que peinture
qu'on sût faire.
le roi d'Ecosse. Mais je ne vous ai donné cet or-
dre; je vous dis de les tenir dans une tour tous les
deux très-bien garJés, jusqu'à mon retour.
le prévôt. Voici la lettre : regardez si nous di-
sons vrai.
le roi d'écosse Eli! Dieu! voilà une grande trahi-
sou ! Qui a osé s'en mêler? Que m'aviez-vous écrit?
N." «lisiez vous pas dans votre lettre que, dans l'im-
possibilité dédire au juste quel enfant avait la reine,
et sauf la crainte de m'offenser, vous auriez fait
brûler la mère ci le fiuit dans un brasier? Je vous
écrivis de suspendre l'exécution et de garder jus-
qu'à ma venue la mère et l'enfant.
le deuxième chevalier. Sire , au nom' de Dieu!
il n'y a pas de noire faute. A la vérilé nous vous
écrivîmes, mais seulement que notre dame avait un
héritier mâle vous ressemblant de figure, ce qui est
bien différent de ce que vous dites.
le roi d'écosse. Lemberl, dis-moi rentière vérité,
ou, certes, lu mourras dans les tourments. Quand
tu vins en message auprès de moi, par où passas-lu?
lemrert. Mon cher seigneur, Dieu me garde! je
ne me détournai pas du tout du droit chemin, sinon
que j'allai, sire, vers voire mère pour lui dirp que
ma dame avait un fils: ce qui lui rendit ma venue
si agréable qu'elle me fil très-grande fêle ; celle
nuit-là je couchai dans son logis. En revenant d'au-
près de vous, monseigneur, je lis de même.
le roi d'écosse. Ah ! vc'esi évident, c'est ma mère
qui a perdu et ma femme el mon fils. — Allez la
chercher, je vous en prie, maître d'hôtel, el vous,
prévôt, el amenez-la-moi ici bien vite, sans lui rien
dire.
LE DEUXIEME CHEVALIER. NoUS le ferons Volontiers,
sire. — Prévôt, allons-y.
le prévôt. Soit, sire! — En avant ! travaillons
des pieds tous deux ensemble.
le deuxième chevalier. Il me semble que je la vois
assise là-bas: nous sommes venus bien à propos.
SCENE LXVII.
t.E PRÉVÔT, LE MAÎTRE d'hÔTEL , LA MÈRE DU
ROI.
le prévôt. Dame, monseigneur est arrivé de
France, el il a le désir de vous voir: je vous prie
donc de ne pas différer à venir vers lui avec nous
comme une amie,
la mère. Je ne vous refuse pas cela, je veux ac-
complir votre requête. Allons, je suis joyeuse de le
voir.
SCÈNE LXVIII.
LES MÊMES, LE ROI, SES CHEVALIERS.
la mère du roi. Soyez le bienvenu, mon fils.
le roi d'écosse. Dame, approchez-vous de moi. Je
vous jure (pie, si vous ne dites pas la vérité, vous
serez brûlée. Comment s'est faite celle lettre, ainsi
qu'une autre que je n'ai ni tracée ni expédiée?
la mère du roi d'écosse. Est-ce pour cela que
vous m'avez fait prendre? Certes, je ne daignerai
pas mentir sur ce sujet : je vous dirai la vérilé.
J'ai eu beaucoup de chagrin quand vous avez pris
unefemme de bas étage , une coureuse.de famiHe
inconnue, jetée ici par.la mer, ctcriminelle sans dou-
te, car il lui manquait uns main. Mon ennui n'ayant
c ssé ni soir ni malin, j'ai comploté sa mort, car il
ne convient point à un roi d'avoir une telle femme.
Mon cher fils, vous pourrez désormais vous marier
plus hautement quand vous voudrez, puisqu'elle est
morte
le roi d'écosse. Esl-ce tout ce que je puis obtenir
de vous? Par ma tête! j'en serai vengé avant que
you= ne mangiez ou que vous ne buviez davantage ;
jamais vous ne ferez d'autre trahison. — Allez me
l'incarcérer; allez, faiies vile et sans relard. E ïe ne
sera pas élargie tant que je vivrai: c'est mon in-
tention.
le premier chevalier. Mon irès-cher seigneur, je
ne refuse pas de faire ce que vous commandez. —
Dame, demandez lui pardon de ce méfait.
le roi d'écosse. Dieu m'aide! il ne lui sera jamais
pardonné.
le premier chevalier. AI!ons-nous-cn donc, puis-
qu'il persiste si fortement dans ce qu'il a dit.
le roi d'écosse. Si elle l'échappe, je t'affirme qua
lu mourras à sa place.
la mère. Vous in'écoulcrcz une aulre fois, mon
fils.
le roi d'écosse an prêtât et nu maître (Vliôlel.
El vous, par la foi que je dois à sainte Foi ! puisque
vous avez mis en cendres ma femme cl mou fils, je
vous ferai pendre tous deux aussi.
le deuxième chevalier. Ah cher sire, miséri-
corde, pour l'amour de Die;;! notre mort seraii in-
juste. Ecoutez comment nous avons agi : Quand on
nous donna cette lettre qui nous ordonnait de met-
tre à mon ma dame et son (ils , nous fûmes tout
pensifs; mais le prévôl, plus sensé, avisa, au lie i
du feu, de mettre en mer el de laisser aller les con-
damnés sans agrès pour se gouverner, ni avirons,
voiles on mât. A leur départ, nous lûmes tous deux
bien tristes el chagrins.
le roi d'écosse. S'il en est ainsi que vous le dites-,
el que Dieu l'ait sauvée, je sursoirai à votre exécution,
el je vous mènerai avec moi pour chercher la reine.
le prévôt. Sire, de tout noire cœur ; mais où al-
ler pour avoir de ses nouvelles? C'est là le principal.
le roi d'écosse. Seigneurs, je prends courage en
Dieu, et je fais vieil, ainsi qu'à saint Pierre, d'aller
en pèlerinage à Rome, afin qu'il me mette sur la
voie de ma femme, si elle esi en vie ainsi que son
fils. Allons, en roule. Je suis convaincu que Dieu
m'aidera.
le deuxième chevalier. Si tel est son plaisir, e;i
vérité, il le fera; je n'en doute nullement.
SCÈNE LX1X.
LE ROI DE HONGRIE, SES DARONS ET SES
CHEVALIERS.
le roi de HONGRIE. Seigneurs, je veux aller me con-
fesser au Pape à Rouie, avant que la mort ne me
prenne et ne me happe. Je sens mon cœur Irop bour-
relé du péché que j'ai commis en faisant mourir
ma fille sans cause ; je veux en aller demander ré-
mission.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE HONGRIE. Sire, VOUS la
croyez morte; mais en vérité, je vous le dis, je n'eus
pas le courage de la faire brûler, el je me risquai
à la mettre seulement en mer dans un petit bateau,
l'abandonnant ainsi à la volonté de Dieu.
le roi de Hongrie. Est-ce vrai, mon ami?
le deuxième chevalier. Oui, vraiment; mais, sire,
depuis, personne ne m'en a donné de nouvelles; je
vous le dis bien.
le roi de Hongrie. Allons, cela va mieux. Mon
ami, peut-être Dieu l'aura-l-il sauvée, el peut-être
pourra-l-on la retrouver. — Holà' seigneurs qui tous
èies mes hommes, vous viendrez à Rome avec moi :
je l'ai décidé.
LE PREMIER CHEVALIER DE HONGRIE. Sire, je OOUSeilft
de bon cœur à y aller.
7,09 FIL
t.K roi »k homme. En avant! mettons-nous en
route sans plus parler ; il nie tarde que j'y sots.
SCÈNE LXX.
LE SÉNATEUR, LE ROI D'ÉCOSSE ET SA SUITE.
le sénateur- Sire, que Jésus vous donne joie! quel
esl ce seigneur qui vient ici? il s'avance et se montre
«n grand équipage. ....
Ï.R PREMIER CHEVALIER D'ÉCOSSE. Ami, C est 1C TOI
d'Ecosse.
le sénateur. Sire, je mets tous mes biens a votre
disposition. Puisque vous venez dans celle ville, je
vous en prie, prenez votre logement chez moi •.j'au-
rai soin, n'en douiez pas, de vous bien traiier, vous
et vos gens.
le uoi d'écosse. Doux sire, qui m'offrez ainsi vos
services, je vous tiens pour courtois Etes-vous mar-
chand, ou bourgeois, ou du peuple?
le sénateur. Sire, je suis l'un des sénateurs, c'est-
à-dire l'un des conseillers de la ville. Je vais devant
vous apprêter chambre et écuries.
le roi d'écosse. Puisque vous êtes si aimable pour
moi, allez donc; nous vous suivrons, et ni moi ni
mes gens nous ne prendrons d'autre hôtel.
SCÈNE LXXI
LE SÉNATEUIl , SA FEMME , LA FILLE DU KOI DE
HONGRIE.
le sénateur. Dame, allons! ne pensez a rien au
lie qu'à recevoir avec honneur un hôte que nous au-
rons tout à l'heure.
la femme du sénateur. Monseigneur, qu'il soit le
bienvenu! Site, qui esl-il?
le sénateur. Dame , je puis bien vous le dire :
c'est, n'eu douiez pas, le roi d'Ecosse; nous l'avons,
lui et tout son monde, à nos Irais.
la femme. De par Dieu! monseigneur, je pense
que nous supporterons bien ce l'aix, et que nous se-
rons tous contents, si l'on s'en rapporte à moi.
lb sénateur. Je sais que vous êtes suffisamment
pourvue de linge , de vaisselle et d'autres choses.
Comme vous savez ce qu'il faut à un tel seigneur,
prenez garde que rien de ce qu'il souhaitera ne lui
EIL
57!)
Monseigneur,
en vérité, rien ne lui
manque.
la femme.
manquera; n'en doutez point.
la fille du roi de iioncrie. Eh, très-douce Vierge
Marie! Dame, comment me tirer de là? Si le roi me
rencontre, je serai honnie, j'en ai grami'pcur. Il vaut
mieux m'enfermer en ma chambre et m'y tenir ca-
chéeque de me laisser voir. En vérité, j'ai trop grand'
peur de lui : c'est pourquoi je veux me hâter d'al-
ler me cacher à Tintant même.
SCÈNE LXX1I.
LE ROI D'ECOSSE ET SA SUITE, LE SÉNATEUR, LA
FEMME DU SÉNATEUR, LE FILS DU ROI DÉ-
COSSE.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
le sénateur. Sire, puisqu'elle le re< oniiall, je con-
fesse qu'elle dit vrai; mais elle me voulait avoir à
toute force.
la femme. Dieu ! (|uc vous autres hommes vous
êtes tins! certes, je n y pensais pas, sire. Ce fut une
de ses amies qui rechercha ceux de ma famille cl lit
tant «pie le mariage se consomma.
l'enfant. Eh, où est mon joujou? Oh! je le vois.
(Ici il jelle Vanneau el joue avec).
le roi d'écosse. Quel est cet enfant? Par nia foi!
il a un gracieux visage, el pour son âge il est éveillé.
De qui est-il lils?
le sénateur. On le met sur mon compte. — Femme,
dis-je vrai?
le roi d'écosse. Approche, mon enfant. Par mon
aine! lu es bel el doux, j'ose le dire. Allons! donne-
moi l'objet que tu tiens; viens ici.
la femme du sénateur. Donnez-le-lui, beau lils,
donnez. ___
l'enfant. Tiens; es' -ce beau?
le roi d'écosse. Oui, parla sainte Vierge! Eh,
Dieu! c'est l'anneau que je donnai autrefois à mou
amie que j'ai perdue; je le reconnais bien. Ah '.dame,
qu'es-tu devenue? Je suis triste el accablé de dou-
leur à ton sujet à la vue de ce gage.
le sénateur. Sire, qu'avez-vons pour que les lar-
mes tombent de vos yeux? Votre puissante est-elle
en péril? ,Quel mai avez-vous?
le roi d'écosse Ali! bel hôte! vous ne savez pas
à quoi je pense maintenant. Par votre foi! êles-vous
le père de cet enfant?
le sénateur. Mon cher seigneur, pourquoi le de-
mandez-vous?
le roi d'écosse. Par la foi que vous devez à Die.!,
el par votre qualité de chrétien, dites-moi la vérité
sans retard.
le sénateur. Volontiers, sire; el sans imntir. II
y a bien trois ans, voire même quatre, qi c, dans
u.ie promenade sur le bord de la mer, je vis
venir, vers le milieu du jour, dans une na-
celle, une très-lielle dame qui n'avait qu'une main.
D'où elle venait, je ne sais, il n'y avait ni aviron,
ni mât. Je fus luen étonné qu'elle ne se fût pas
noyée dans la mer. J'étais allé auprès d'elle, je la
trouvai dans l'égarement, chagiine, éplorée, tenant
entre ses bras cet enfant dont elle était nouvelle-
ment accouchée. Je ne pus rien tirer d'elle. Que lui
était-il advenu? Pourquoi était-elle en mer? Néan-
inoins, elle m'inspira une telle piiiéqtte je remme-
nai. Depuis, je l'ai gardée comme une dame qui nous
est très-chère; et, à vrai dire, sire, elle est grande-
ment femme de bien et peu parleuse.
le roi d'écosse. Pour l'amour de Dieu! si une
prière a quelque pouvoir sur vous, mon hôtesse, je
veux vous prier de l'aller chercher où elle est ci do
l'amener.
la femme. Pour l'amour de vous, je m'en mets eu
peine, cher sire, el je ne tarderai pas à vous rame-
ner. La voici, sire.
le roi d'écosse. Holà, bel hôle! je viens m'élablir
en votre logis, pourvu que cela vous convienne. Je
veux m'asseoir ici un instant : je suis las de mai-
ther. /
le sénateur. Monseigneur, par saint Nicolas!
soyez le très-bien venu, et ne vous niellez pas en
peine : si quelqu'un a rien de bon , vous en aurez:
je vous satisferai sur tout ce que vous demanderez.
la femme du sénateur. Cher sire, je m'appliquc-
r.ii aussi à vous servir.
le koi d'écosse. M'amie, je vous remercie! Main-
tenant, dites-moi la vérité, par votre àme! Eles-vous
la dame de céans? Je crois que oui.
. la femme. Si je répondais lien ni, je manquerais à
la vérité; car autrefois • site, il m'épousa d'un an-
neau bénit.
SCÈNE LXX111.
LES MÊMES, LA FILLE DU ROI DE HONGRIE.
(Ici le rvi ira embrasser sa femme sans rien dire, et
ils se pâmeront.)
le sénateur. Ni l'un ni l'autre ne peuvent dire un
moi, tant ils ont le cœur ému; mais tout à l'heure,
vous entendrez de douces plaintes.
le roi d'écosse. Ma douce compagne, mon amour,
mon bien, ma joie, ma consolation, pour Dieu! com-
ment vas- lu! llelas! tu m'as l'ail souffrir assez de
tribulations ; mais peu m'importe : j'en suis à bout,
puisque je te tiens.
la fille. Mais moi, mon cher seigneur, combien
pensez vous nue j'en aie eu ? Or. voulut me brûler
sans que je I cuv.se mérité, el faire aussi périr mou
lils; et puis, quand ma mort fut différée cl que je fus
371
FIL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
f;l
572
mise en mer sans pilote, croyez vo;ss que je n'éprou-
vasse point de peine? Souvent les ondes de la nier
jouaient avec moi comme avec une bonde et nie je-
taient de eôlé et d'autre. Pourtant Dieu m'amena au
port où nie prit ce seigneur, qui m'a montre plus de
bonté que je ne pourrais l'en récompenser; mais mes
pleurs sont changés en joie, puisque je vous vois.
le roi d'écosse. M'amie, il en est de même de
moi : c'est pourquoi je veux, s:ins attendre davan-
tage , m'en aller rendre grâce à Dieu et à saint
Pierre.
la fille reine. Je le veux aussi, allons-y bien
vile, monseigneur, nous y serons bientôt. Sachez
■•lue nous y trouverons le Pape; car il doit y célébrer
l<: service divin et y consacrer le saint chrême :
c'est l'usage, vu que nous sommes au jeudi saint,
où Dieu après la cène ceignit le drap dont il essuya
les pieds île ses apôtres qu'il lava. Le Pape doit
aussi donnera toute personne vraiment repentante
l'absolution de ses péchés.
le roi d'écosse. Allons, debout! sans plus de
retard, seigneurs, mettez-vous en route.
SCÈNE LXX1V.
LE ROI DE HONGRIE ET SA SUITE.
LE PREMIER CHEVALIER DE HONGRIE. SirC, VOUS"
devez avoir une grande joie d'être à Rome aujour-
d'hui; car le Pape, qui est prud'homme, ira à
l'église Saint-Pierre , où il fera l'absoute au peuple,
comme on le dit.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE HONGRIE. Comme Ce
jour- là , Jésus, ce grand inailre, ht la cène , où il
ordonna prêtres ses apôtres, le Pape fait aujour-
d'hui tout le service.
le roi de Hongrie. Ma volouié est de ni boire
ni manger que je n'aie élé au service : pensons à
y aller.
SCÈNE LXXV.
LE PAPE, COLIN, elcTC.
le pape. Approche, écoule-moi parler. Colin, va
chercher de l'eau et remplis les fonts de Saint-
Pierre. Allons, fais vite.
le clerc. L'ordre n'est pas bien sévère; j'y vais,
S.nnl-Père.
SCÈNE LXXVI.
L£ roi d'écosse et sa suite, la fille du roi
DE HONGRIE , LE ROI DE HONGRIE ET LES
SIENS.
la fille. Monseigneur, je vois mon père là-bas;
suivez-moi , certes , je vais à lui. — Très-cher
sire, je vous connais bien; regardez-moi.
le roi de Hongrie. Ma douce fille, Eh! Dieu! j'ai
souffert pour toi , ces sept dernières années , assez
de peines , de douleur, do mal , d'ennui , de cha-
gr n et de grandes contrariétés. Fille, presse-moi
dans les bras et baise -moi. Comment vas-tu?
la fille. Bien; mais depuis que vous m'avez
vue j'ai élé en maint péril , el depuis que vous nie
perdîtes j'ai acquis aussi une haute position. Le roi
u'Ëcosse, que vous voyez ici, m'a épousée : grâces
lui soient rendues! à cause de lui je suis appelée
reine el maîtresse d'Ecosse.
le roi de Hongrie. Sire, puisqu'elle est votre
femme, je veux vous regarder comme mon fils.
Savez vous de quelle race elle est issue?
le roi d'écosse. Nenni , par la Vierge honorée!
>e ne sais rnn de son extraction; mais, s'il vous
plaîl , je le saurai cette fois.
le roi de Hongrie. Mon cher fils , je suis roi de
Hongrie; sa mère en était aussi reine : c'élail une
femme de race noble, courtoise et sage.
le roi d'écosse. Sire , puisque je sais quelle est
«a famille, j'éprouve à son sujet plus de joie qu'au-
paravant, jusqu'ici je l'avais ignoré.
le premier chevalier d'écosse. Messseigneurs ,
hâtez-vous si vous voulez venir à temps pour eu-
tendre le service : l'heure est avancée.
la fii. le. Il dit vrai : allons-y sans retard, nous
nous en trouverons bien; (si nous continuons) a
parier, nous ne nous séparerons pas de sitôt.
LE PREMIER CHEVALIER DE HONGRIE. A Ce IfU'îl llie
semble , je vois le Pape assis là-bas. Nous arrivons
à propos. H n'a pas encore commencé son ser-
vice.
SCÈNE LXXVIf.
LFS MÊMES, LE PAPE, SES CARDINAUX ET SES
CHAPELAINS, LE CLERC.
le clerc. Ah! Saint-Père, j'ai laissé les fonts tout
vides, pour vous dire une chose qui me l'ail grand'-
peur. Quelque force que j'y aie mise, je n'ai pu
puiser à la rivière une Seule poulie d'eau. Une
main, qui toujours venait en Bottant jusqu'à ma
seille, m'empêchait d'en prendre. J'étais glacé d'ef-
froi, mais voyant qu'autrement je n'en viendrais
pas à bout r j'ai laissé la main entrer en mon seau ,
et je vous l'apporte, Saint-Père; la voici, je vous
l'apporte; dites, s'il vous plaît, sans retard, qu'en
faire?
le pape. Sans doute, Dieu éclaircira, par quelque
miracle au sujet de celte main, quelque aventure
inexplicable et ignorée ; mets-la ici.
la fille. Celle main que je vous ai vu donner
et que je vous vois tenir fut, Saint-Père, autrefois
la mienne ; je me la coupai de ce bras-ci à cause- dft
mon père, n'osant contredire sa volonté, qui était
de m'avoir pour femme; n'en douiez pas.
le pape. Viens- ïà, ma fille, et écoute. Dis-moi,
où es-tu née , quels sonl les parents et à quoi cou ■
nais-tu celte main?
la fille. Saint-Père, à la façon des doigts. Le
roi de Hongrie est mon père, et ma mère aussi fut
reine. Voyez-le là-bas, faites-le venir. Si je meus ,
faites-moi punir : je le veux bien.
le pape. Ma chère fille, écoule-moi bien : viens
ici. Tu le mis en grand danger. Combien y-a-l-i
que lu la coupas ?
la fille. Saint-Père, je ne mentirai pas : en vérité
il ya sepi ans passés; el sachez que j'aime infiniment
mieux que «elle mutilation paraisse sur mon corps
que d'avoir élé la femme de mon père, forcée de le
connaître et d'avoir des enfanls de ses œuvres.
le pape. Allons, paix, vous lous! faites silence,
et priez Dieu dévotement qu'il nous manifeste »i
c'est la main que celle daine se coupa, ainsi qu'elle
l'a dit. — Ça , le bras! allons , belle fille ! je veux
éprouver si c'est elle; je le verrai bientôt.
la fille. Sire, je vais délier mon bras vel veus
verrez d'où elle partit quand je me pris à la couper.
Voyez, Saint-Père.
(Ici le Pape touche la main au bras.)
le pape. Reine des cieux, Mère de Dieu, voici
un miracle bien éclatant : la main s'est rejointe, et
il ne parait en rien qu'elle ait jamais élé séparée du
bras. — Fille, à celle heure Ion cceur doit bien être
dans un grand plaisir.
la fii. le. Loué soit Dieu, le Roi des cieux ! En
compensation des grands malheurs el des chagrins
que j'ai supportés, il me donne aujourd'hui une no-
ble récompense. J'ai trouvé mon compagnon qui
me combla de tant de biens, qui m'épousa' par
amour, ignorant, quand il me prit, qui j'étais, quel
nom même je portais. Comment contenir ma joie.
Tout à l'heure encore j'étais domestique, à présent
on me servira comme reine. De plus, je vois près
d'ici mon père si empressé de me faire fêle qu'il ne
sail comment s'y prendre : c'est encore pour moi
un autre heureux événement, car je ne l'avais pas
vu epuis sept ans. Mais ce que je ressens davan-
tage cl qui me louche le plus au cœur, osl d'avoir
373
FIL
DlCïiON.NAME DES \l\SiLKLS.
FIL
37i
retrouvé ma main et de pouvoir m'en servir tout
aussi bien qu'auparavant : ce dont je remis grâces
an Roi de gloire, à sa irès-douce Mère et à tous les
saints.
ce premier cardinal. Sainl-Pèrc , il faut de joie
en faire sonner les cloches.
le deuxième cardinal. Dieu me prolége! vous di-
tes vrai ; et il faut aussi chanter d'une manière so-
lennelle.
le pape. Seigneurs, pensons à nous hâter d'aller
maintenant eu ma chapelle, tandis que la chose est
récente, et avant qu'il y ait presse : là nous pour-
rons chanter une hymne de joie, à notre aise et
dévotement. — Va dire, va tout de suite, à mes
Chapelains qu'ils viennent ici et qu'ils nous tien-
nent compagnie; ils chanteront en allant une belle
antienne à haute voix. Va me les chercher.
le clerc. Saint-Père, volontiers, j'y vais bien
vite. — Seigneurs, ne vous tenez plus ici ; venez tous
devant le Saint-Père : il vous mande.
l'un pour tous. Nous y allons, puisqu'il nous de-
mande : c'est bien le moins.
le pape. Vile, seigneurs ! En allant jusqu'à ma
chapelle, chantez-moi sans relard une belle hymne
à la louange de la mère du roi Jésus. En avant !
mettez-vous en or. Ire. Qui commencera ?
le chapelain. C'est moi oui commencerai, quand
il vous plaira, sire.
FILLES DOTÉES (Los).— Les Filles do-
tées son* tirées du manuscrit de Saint-Benoît-
sur-Loire, où, sous le lilre Premier miracle
de saint Nicolas, elles forment la [première
partie de ce précieux recueil.
Le manuscrit date du xne siècle et rien
n'empêche de croire que les drames qu'il
nous a conservés lui sont antérieurs ; on a
pensé, en effet, qu'ils pouvaient être re-
portés jusqu'au xir et même jusq'au xie
siècle.
Nous avons indiqué à l'article Saint-Be-
noit-scr-Loire [Manuscrit, de), les différen-
tes éditions des Miracles de saint Nicolas,
dont les Filles dotées font partie.
PREMIER MIRACLE DE SAINT NICOLAS.
PEUSONNAGES.
SAINT NICOLAS.
LE PERE.
LA PREMIÈRE FUIE.
LA DEUXIÈME PILLE.
LA TROISIÈME FILLE.
LE PREMIER CENDRE
LE DEUXIEME CENDRE.
LE TROISIÈME GENDRE.
LE CHOEUR.
le père. Le malheur et le désespoir ont remplacé
la joie que nous donnait autrefois la fortune. 0
misère! Hélas! hélas! le plaisir de la vie n'est
plus. La beauté, la naissance, la grandeur d'une
vie pure, l'éclat des jeunes ans, qu'est-ce, qu'est-ce
donc? Ce n'est rien sans argent. 0 misère! Hélas !
hélas l le plaisir île la vie n'est plus. Après les ri-
< hc-ses, (pie reslc-l il? Les larmes et les sou-
pirs.
lis jeunes filles, ensemble. Ah! noire père qui
pleure ses biens perdus emporte avec lui, nous l'es-
pérons, quelques débris de sa ruine. 0 misère! Hé-
las ! hélas! le plaisir de la vie n'est plus; Appro-
chons , écoulons; quels peuvent cire ses iios-
stins?
LE père, se plaignant à ses filles. 0 mes filles, chers
témoignages de mon passé, uniques biens d'un père
ruiné, consolations de ma détresse, donnez-moi vos
conseils dans ma douleur. 0 malheureux ! Riche au-
trefois, cl maintenant si pauvre, je suis encore vi-
vant, mais quelles nuits anxieuses! et combien celle
pauvreté inaccoutumée esi lourde à subir! 0 mal-
heureux! Ce n'est point tant ma détresse qui m'ac-
cable que la votre, et moi. le premier cevais-je
condamner ces corps charmants à de longs jeunes ?
0 malheureux !
la première fille à son père. Cher père, ne pleure
plus, les larmes appellent les nôtres, oui, j'ose par-
ler, et reçois de moi ce conseil, cher père. Ne nous
resle-l-il pas une ressource dans la home et l'oppro-
bre, et notre beauté ne peut-elle, livrée au publie,
soutenir notre vie, cher père? Moi d'abord, ô mon
père, si tu veux, je me livrerai, par tendresse pour
loi, à ce honteux trafic, et ces premiers combats do
la pudeur seront soutenus par celle à qui lu donnas
le jour la première, ô cher père.
ici onjelte de for à terre.
le père dit gaiement à ses filles : Vile, vite, ré-
jouissez-vous avec moi, mes enfants, le temps de la
misère csl passé, et voici, en lingots d'or, de quoi
parer à nos besoins. O bonheur !
les filles, debout. Oh! nous offrons nos actions
de grâces et nos louanges au Dieu unique qui a
dans les siècles louange et honneur, force et gloire,
cher père!
un cendre ah père. Homme d'une réputation con-
nue, suivant le témoignage public, je viens le de-
mander la fille, pour l'épouser en légitime mariage,
si lu me l'accordes.
le père « sa première fille. Parle, ma fille. Veux-
tu épouser ce jeune homme bien fait et noble?
LA fille à son père. Toutes mes pensées sont
conformes aux tiennes, dispose comme il le plaira
de ta fille, cher père.
le père oh gendre. Eh bien, je m'en remets à la
bonne foi, que les liens de la loi et de l'amour vous
enchaînent donc.
le père se plaignant de nouveau à ses filles. Ve-
nez, filles, chers témoignages, eie.
la seconde fille à son père. Non, cher père, non!
n'ajoute pas les douleurs à nos douleurs, el de faille
en faule ne nous induis pas à un crime irréparable,
6 cher père. Ne savons-nous pas qu'à quiconque fait
le mal est fermée la porte des cieux? O mon père,
prends garde, nous l'en supplions... Et de la propre
volonté, ne nous compte pas parmi les maudits. O
cher père! ô mon père, non, lu ne veux pas nous
abaisser à l'éternelle infamie, et nous précipiter de
notre pauvreté actuelle dans l'abîme de l'éternelle
misère. O cher père.
Onjelte encore de l'or.
le père dit à ses filles. Vile, vile, réjouissez-vous
avec moi, etc.
les filles à leur père. Oh ! nous offrons, elc.
le second gendre au père. Homme d'une réputa-
tion connue, elc.
le père à sa seconde fille. Parle, nia fil'e, elc.
la fille à son père. Toutes mes pensées, elc.
le père au gendre. Je livre celte entant à la pru-
dence, que les liens de la loi, etc.
le père, se plaignant de nouveau à sa troisième
fille. O ma fille, ô cher témoignage de mon passé, ce
n'est point tant ma propre misère qui m'accable que
la lienne. Je n'ai donc plus que loi dans ma ruine.
O malheureux !
la troisième fille à son père. O mon cher père,
aie la patience d'écouler aussi mon conseil, cl re-
cueil!es-en la (in en deux mots : Crains Dieu, ô
mon père, el aime-le, ô cher père. Car ceux qui
craignent Dieu ne manquent de rien ; ainsi l'indique
l'Ecriture, et le Toul-Puissanl fournil de toul ceux
qni l'aiment, ô cher père. Ne le désespère point de
la ruine, el ne suis point des fantômes : vois Job, fi
mon père, sa misère cl l'abondance qui s'ensuivit,
ô cher père.
o-a
FIL
DlCTlOm\llŒ DES MYSTEUES.
FIL
m
Saint Nicolas jetant de l'or pour la troisième fois,
if, père se jette avj pieds du saint et dit : Arrèle
<pù que lu sois, ô seigneur. Arrête, je l'en prie, el
dis-moi qui tu es, loi qui, m'arrachani à la honte,
à l'infamie, soulages aussi Je poids de ma misère. O
bonheur!
mcolas «H père. On m'appelle Nicolas. Remercie
Dieu de ses dons el de ses bienfaits. Ne veux-tu
point confesser la générosité el la grandeur de Dieu?
D s, mou frère.
le pere, se tournant vers sa troisième fille. O ma
fille, élève la voix joyeuse, le temps de la pauvreté
est passé, et voici, en lingots d'or, de quoi subvenir
à nos besoins, etc.
la fille à son père,. Oh ! nous offrons, etc.
1.1: troisième cendre au père. Iloininc d'une repu*
lotion connue, etc.
le pere à sa tille. Parle, ma fille, etc.
la fille à son père. Toutes mes pensées, etc.
le pere au gendre. Je livre celle enfant à la pru-
dence, que les liens de la loi, elc.
le choeur entier s'écrie. O Christi Dictas, etc.
FILS DE GETRON (Le). — Le Fils de
Gétron est un des dix mystères du xin' siècle
<|ue contient le manuscrit de Saint-Benoit-
sur-Loire , de la Bibliothèque d'Orléans
(cf. article Saint-Benoit-sur-Loire [Manus-
crit de}).
QUATRIÈME MIRACLE DE SAINT NICOLAS.
PERSONNAGES.
gétron, prince de la cilé femmes qui consolent Eu-
d'Excorande. 'rosine.
eufrosine, femme de Gé- clercs.
lion. lessatellitesi'uio'i Mar-
na enfant, fils d'Eufro- morin.
sine el de Gétron. un habitant de la ville
marmorin, roi des Agarè- d'Excorande.
nés. LE CHŒUR.
Pour représenter comment saint Nicolas sauva le (Us
de Gétron des mains de Marmorin, roi des Agarènes,
le roi Marmorin, avec ses hommes armés, sera as-
sis sur un siège élevé en forme de trône. On verra
ailleurs la cilé d'Excorande, capitale de Gétron, el
dans la ville, Gétron avec ses amis, sa femme Eu-
frosine el le fils que Dieu leur a donné. A l'orient
de la cilé, est l'église Saint-Nicolas, où l'enfant
sera enlevé. Les satellites du roi Marmorin s' appro-
chent, et soit parlant ensemble, soit par l'organe de
l'un d'eux, disent :
SCÈNE I".
cn soldat. Salut, prince, salut, ô roi très-bon! Si
•vous avez quelque chose à souhaiter, diles-le sans
larder à vos serviteurs; nous sommes prêts à exécu-
ter vos volontés.
le roi. Parlez à l'instant , et soumettez à mon
pouvoir tous les peuples que vous oourrez : massa-
crez ceux qui feront résistance.
[A ce moment, Géiron et Eufrosine , ayant autour
d'eux une multitude de clercs, se rendent avec leur
fils à l'église Saint-Nicolas , pour en célébrer la
fête. A t'approche des gens de guerre du roi Mar-
morin, el à la première découverte de la troupe ar-
mée, ils s'enfuient dans la ville, et. dans le trouble
commun, on oublie le fil.i de Gétron. Les gens d'ar-
mes de Marmorin le capturent, el retournent auprès
de leur roi ; ils parlent Ions ensemble, ou le second
d'entre eux.)
Si ÈNE 11.
le second soldat. O roi excellent, nous avons
exécuté vos ordres; nous avons soumis beaucoup de
nations, et parmi les choses que nous avons acqui-
ses, voici un enfant que nous vous amenons.
le troisième soldat (ou tous les soldats ensemble).
Ce bel enfant, de visage si gracieux, si gentil el du
grande famille, devrait, à notre avis, rester attaché
à votre personne.
le roi. Par Apollon, maître universel! louanges
et grâces vous soient rendues, pour m'a voir soumis
tant de pays et reçu d'eux ces tributs! (A l'enfant.)
Cher enfant, dis-nous ton pays, la famille, et la
religion des gens de ton pays/ Sonl-ils gentils ou
chrétiens?
l'enfant. Mon père domine sur les peuples d'Exco-
rande; il se nomme Géiron, el il révère le Seigneur,
créateur de l'Océan et de toutes les choses, de vous,
enfin, comme de moi.
le roi. Mais le dieu Apollon est le dieu qui m'a
créé; c'est un dieu de vérilé el débouté. Il gouverne
la terre, il règne sur l'air, nous ne devons croire
qu'à lui seul.
l'enfant. Votre dieu est menteur et méchant,
imbécile, aveugle, sourd el muet; vous ne devez pas
adorer un lel dieu, incapable même de se conduire
tout seul.
le roi. Enfant, ne dis pas de telles choses, ne
dédaigne pas mon dieu , car, en l'irritant lu ne
pourrais jamais sortir d'ici.
SCÈNE III.
(Eufrosine vient de découvrir l'absence de son enfant,
elle revient à l'église Saint-Nicolas, et, n'y trou-
vant pas son fils, jeUc des cris lamentables.
eufrosine. Hélas ! hélas! [hélas! ô malheureuse?
Que faire ? que dire? Par quel crime ai-je mérilé la
perle de mon enfant, el le supplice de la vie ? Pour-
quoi mon père infortuné m'a-l jl donné le jour? Com-
ment ma mère désolée m'a-l-clle pris dans ses bras?
quelle nourrice fui contrainte à m'allailer? Qui donc
m'a épargné la mort ?
ses femmes s'approchent. Pourquoi le plais- tu dans
ce mortel ennui ? Au lieu de pleurer ainsi ton fils,
invoque le Fils du souverain Père, afin qu'il lui soit
porté secours.
eufrosine, sans prêter attention à leurs paroles.
O mon enfant aimé, ô mon cher enfant, ô mon fils,
ô partie la meilleure de toute mon âme, tu nous
donnes aujourd'hui autant de chagrin qu'autrefois
lu nous causais de joie.
les femmes. Ne désespère pas de la grâce de
Dieu dont la miséricorde suprême l'avait donné cet
enfant; Dieu le rendra celui-là ou un autre.
eufrosine. Mon cœur est à l'agonie, pourquoi ma
mort tarde-l-elle donc? O mon fils, puisque je no
puis te voir, je préfère le trépas à la vie.
les femmes. Ces cris, celle douleur, ce désespoir,
te font du mal el ne servent de rien à ion lils. Au
contraire, fais un lot de tes richesses, distribue-le
aux clercs et aux pauvres, implore la clémence de
Nicolas ; il priera le Seigneur miséricordieux pour
ton enfant, el tu obtiendras une solution favorable.
eufrosine. O Nicolas, père très-saint ! ô Nicolas,
si aimé de Dieu! Si lu veux mériter plus longtemps
mes hommages, fais-moi rendre mon fils. O loi qui
as sauvé lant d'infortunés dans les naufrages, et
récemment ressuscité trois clercs (164), écoule les
prières d'une pécheresse el donne-moi l'espoir. Jo
ne mangerai plus de chair, je ne boirai plus de vin,
je ne goûterai plus aucun plaisir avant le retour d*
mou enfant.
$161) Allusion au second tnîraele de baint Nicolas.
37?
FIL
DlCTiONNAlRE DES MYSTERES.
FRA
S78
cétron. Chère sœur, arrête les larmes inutiles
encore, la proieciion d'un père Irès-piiissaul va
s'abaisser sur noire fils. Demain esl le jour (!e la fêle
de sainl Nicolas, saluée respectueusement, vénérée
et bénie dans tout le monde chrétien. Prends mes
avis, allons à la messe, célébrons ses grandes actions,
implorons son appui. Il nie semble qu'une inspiration
divine m'avertit pour notre enfant, cl que c'est sur-
tout , avec la faveur de Dieu, la clémence extrême
de saint Nicolas qu'il faul invoquer.
(Ils se lèvent, entrent dans l'église Saint -Nicolas,
et F.ufrosine tend tes mains au ciel.)
eufrosine. Souverain Roi de lous les rois, roi des
vivants et des morls, rends-nous notre fils, seide
consolation de notre vie. Ecoute nos prières, nous
nous écrions vers loi, Seigneur, dont le Fils envoyé
dans le monde nous a faits citoyens des cieux et
nous a arraches aux chaînes de l'enfer. Dieu le Père,
dont la main puissante fait largesse de bienfaits aux
bons, ne méprise pas une pécheresse, mais accorde-
moi tle revoir mon lils. 0 Nicolas, que l'on nomme
le sainl, si tout ce pour quoi l'on a foi en ton nom
.n'est que vérité, prie Dieu pour nous el noire en-
fant.
SCÈNE IV.
[Aussitôt après elle sort de réalise, rentre chez elle ,
fait dresser et couvrir des tables de pain el de vin
pour réconforter Us clercs el les pauvres; à peine
sont ils réunis et commencent-ils de manger, que
ilarmorin dit à ses satellites.)
marmorin. Mes chers amis, vraiment je n'ai ja-
mais eu aussi faim qu'aujourd'hui; je n'en puis plus.
Faiies-moi donc à manger, el vile, car je meurs.
Oue vous êtes lenls! Plus vite donc, plus vile!
Parlez-moi à manger.
les satellites s'en vont , rapportent des vivres et
disent au roi: Vos ordres sont accomplis, voici un
repas prêt que nous apportons. Maintenant, à vos
souhaits; vous pouvez en peu de temps apaiser la
faim qui vous lourmenle.
(On offre l'eau, le roi se lave les mains, il se met à)
manger.)
le roi. J'ai mangé et j'ai soif, apportez-moi du
vin, je veux qu'il soil versé à l'instanl par mon page,
le lils de Gélron.
l'enfant, à part, en entendant le roi, et avec un
soupir. Ilélas! hélas! hélas! malheureux que je
suis! J'aspire à la mort, car, durant ma vie, serai-
je jamais libre?
le roi, à l'enfant. Tu soupires, el pourquoi? Je
l'ai vu soupirer avec force. Qu'y a-l-il? Pourquoi
cela? Qui l'a fait du' mal ? De quoi te plains-tu?
l'enfant. Du souvenir de ma misère; mon père,
ma patrie se sont présentés à ma mémoire, j'ai
soupiré aussitôt cl gémi;, el je me disais en moi-
même : Voici un an accompli depuis le jour où, par
malheur, j'ai été fait prisonnier, cl depuis que,
soumis à vos volontés royales, j'ai dépassé le seuil
de ce palais.
if. roi. Ah! misérable! c'esl I.ï la pensée; c'est à
quoi lu je plais dans les angoisses de Ion cœur. Mais
nul ne peut te ravir à moi, aussi longtemps (pie je
le voudrai garder.
[A ce moment arrive l'acteur jouant le rôle de saint
.\icolas, il lire à lui l'enfant qui tient encore à la
main la coupe remplie de vin épicc, il le mène aux
parles du palais cl se relire invisible.)
lnJdf.s habitants d'excouande « l'enfanl. Enfant,
qui es-tu et quel chemin suis-lu? Qui donc a été
asst'z généreux puur te donner cette coupe pleine
encore de \in épicé?
l'enfant. C'esl dans cct'e cité même que je viens,
et je n'irai pas plus loin. Je suis le lils unique de Ce-'
lion. Honneur el gloire à sainl Nicolas, qui par mi-
racle m'a ramené. ,
l'habitant, courant à Gélron. Donlieur! Gélron.
Pins de larmes. Ton lils esl aux portes 11 bénit les
grandes actions de sainl Nicolas qui l'a ramené par
miracle.
EUFROSINE se précipitant an devant de son fils dès
les premiers mots du messager el l'embrassant mille
fuis. Honneur à Dieu! Gloire à Dieu! sa miséricorde
suprême a changé en joie notre deuil, par le retour
de noire fils. Louanges perpétuelles el merci à noire
père saint Nicolas, dont les prières auprès de Dieu
nous oui aidé dans celle extrémité.
tout le choeur. Copiosœ karitalis (iGo).
FRANCE (La). — On lit dans Duverdier,
Bibliothèque française, p. 899, 900: a Mys-
tère où la France; est représentée en forme
d'un personnage au roi Charles VII pour le
glorifier dos grâces que Dieu a laites pour
lui et qu'il a reçues de sa cause durant son
règne; et parient ensemble en forme de dia-
logue. Puis ses barons parlent l'un api es
l'autre, chacun en deux couplets, à savoir :
Le sieur de Barbaran, — le sieur d'Estou-
teville, le maréchal de Boussac, — le sieur
de Gaucourt, — Polhon de Xainlrailles, —
La Hire, — Armadoc de Vignoles, — Jean
de Breszé, — l'amiral de Crictini, — messiro
Robert de Floques, — le comte d'Aumale,
— le comte de Bokan, — le comte d'Onglas,
— le sieur de Gamaches, — le baron du
Coulonces, — Artur de Bretaigne, connéta-
ble de France, — le sieur d'Orval, — le
comte du Mayne, — messire René de Breszé,
— le comte de Dunois, le comte de Foy, —
le sieur de Buevii, — le sieur de Loëhac,— •
Joachim Rohauit. — Escrit à la main.»
Les frères Parfait ( Bût. du Théâtre
françois; Paris, 15 vol. in-12, 1733 , t. il ,
p. 539) ont ajouté à la note de Duverdier
les quelques renseignements suivants : * On
ignore l'année de la composition de ce mys-
tère... qui n'a jamais para imprimé. Sui-
vant toutes les apparences... il fut composé
sous le règne de Louis XI, et peut-être lut
a-l-il été présenté ; mais il est du moins
certain que l'auteur vivait sous la lin de
celui de Charles^'II, et depuis que ceptfin.ee.,
ayant chassé les Anglais usurpateurs de
ses Etats, se trouva paisible possesseur de
son royaume. C'est ce qu'on peut en juger
par les renseignements que nous en donne
Duverdier, qui avait eu Je manuscrit. On
peut assurer cependant, sur ce qu'il en dit,
que le poëme ne consistait qu'en un dialo-
gue entre le roi et la France personnifiée,
terminé par quarante-huit couplets, dont
chaque seigneur en récitait deux, dans l'or-
dre ci-dessus, et qui roulaient sur le môme
sujet.
En marge de l'exemplaire de VHistoire du
Théâtre françois appartenant à la Bibliolhè-
(165) • Ces deux mots paraissenlêlre le commen- dans IJ Jus saint Nicolai par Jehan Bodcl, imprimé
cernent d'une antienne qui faisait partie de l'office de pour la Société des Bibliophiles français; Pari-, 1834,
saint Nicolas, cl dont le chant terminait la représeii- in-8°, édile par MM. l'abbé La Bouderie cl Monmci-
l.ilion du miracle, i (Sole de M. l'abbé La Bouderie, que; l'ircrs jointes, de, p. i50.)
579
GAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CAL
350
que Sainte-Geneviève, Y, 2236, in-12, on
lit : a J ai une copie de ce mystère et je rata,
la faire imprimer, A. Jubinal. » M. Jubi-
nal , quoique jlusieurs années se soient
écoulées depuis lors, n'a ] as tenu parole.
FRANÇOIS (Saint). — De Beauchomps
(Recherches, sur les théâtres de France, Paris,
1735, in-8°, 3 vol., t. I, p. 2:>8) cite dans
une liste de mystères, fort vague ileslvrai,
la Vie de saint François.
G
GABRIEL ET MARIE. — Dans son Cours
professé en 1835 à In Faculté des Lettres,
M. Magnin signalait le Colloque entre Ga-
briel et Marie, d'un moine de Lîuny, parmi
1Ȕs monuments subsistants de l'ait dramati-
que au xne siècle fcf, Tourn. çje'n. det'instr.
publ., 13 sept. 1335,2e semestre, vrai t., p.
478.)
Celte pièce nous a paru ne se distin-
guer en rien du dialogue ordinaire, non
dramatique, et nous ne saurions admettre
qu'elle ait jamais fourni matière à une re-
présentation, ni même à une récitation par
person. âges.
GALLICAN (Le) — Le Gallican, do Hroîs-
vitha, écrit au xe siècle, contient deux scè-
nesd'un intérêt considérableetdivers. La scè-
ne ix, dans la première partie du drame, est
évid minent empreinte du souvenir des lé-
gendes relatives a la conversion de Clovis.
La scène v de la seconde partie, remarquée
par MM. Villemain et Magnin, à quelque au-
teur qu'en appartienne le fond, renferme des
éclairs d'un comique grossier et populaire
dont nous n'avons pas cru devoir ménager
l'expression, parce que les indices de ce
genre naïf d'esprit critique (plus naturel au
génie français) sont uniques dans la littéra-
ture allemande du moyen âge. Yoy. Hrots-
VITBA.
augurent. Conversion de Gallican, prince de la mi-
lice, qui, sur le point de porter la guerre aux
Scylh"S, obtint la promesse de la main de Con-
stance, vierge consacrée à Dieu et hlle de l'em-
pereur Constantin. Mais au plus fort de In mêlée,
Gallican, prés de succomber, fui converti par
Jean et Paul, piimiciers de Constance (loti); il
reçut le l,a;>lè:ne et se voua ;iu célibat. — Qu< 1-
qi;e> années plus lard, Gallican fut exilé par
Tordre de Ji.l en l'apostat, et recul la couronne
du mar.yre. En outre, Jean et Paul, par l'ordre
< u même empereur, furent lues en secret et en-
te, rés clandestinement dans leur ma son ; mais,
(lGfi) Le priinicier (primus m cera, ou le premier
sur le tableau) était, au Bas-Empire, le chef de la
chapelle impériale! Il en l'ut de même chez les prii -
ces francs ei saxons. Celle digniié répondait à celle
de l'oflicier appelé depuis grand aumônier. Aleuin,
dans sa 42e lettre, donne à Angelbci l le l'ire de pri-
inicier du pilais du roi Pépin. Hrolsvilha suppose
(S ) Paul ei (S.) Jean tous les deux priniiciers de ia
princesse Constance, quoiqu'il ne pût y avoir, ce
nous semhle, auprès d'une même personne qu'un
seul priinicier. Noire auteur n'a pas suivi dans ce
détail 1 autorité des Actes. Ceux-ci foui de (S.) Paul
le prervositus et d> (S.) Jean le primleerius delà prin-
cesse Constance (M. Magnin.) ■
(Ib7) L'histoire de la conversion deGalficanus par
(S.j Paul et (S.) Jeaa est consignes dans ies ric\ s de
aiiï.«iiôl après, le fils de l'exécuteur, possédé
du démon, ayant proclamé le meurtre commis
par son père el confessé le mérite des martyrs,
fut délivré du diable el recul le baptême avec sou
père (107).
PREMIÈRE PARTIE.
PERSONNAGES.
Constantin, empereur, seigneurs de la corn
GALLICAN. BRADAN, TOI des SeylheS.
constance, fille de Con • tribcns.
slanlin. soldats romains.
artéhia, | filles de Gai- soldats scythes.
attica, ) lican. Hélène , mère de GonsUD-
jean el paul, priniiciers lin, personnage muet.
de Conslance.
SCÈNE 1".
CONSTANTIN, GALLICAN, SEIGNEURS.
ONSTANTiN. Quei ennui, Gallican, dans loules ces
lenteurs ! Les Scythes , vous le savez, repoussent
seuls la paix romaine, téméraires, et rebelles à
nos ordres; que lardez-vous à les écraser? Vous n'i-
gnorez pas cependant qu'en considération de votre
valeur, je vous ai gardé le commandement de l'ar-
mée chargée de la défense de la patrie.
gallican. 0 Constantin Auguste , toujours fidèle,
incessamment préoccupé de votre service, j'ai fait
Ions mes efforts pour satisfaire par ma conduite et
des résiilials positifs aux désirs de votre excellence
auguste : Quand ai-je jamais reculé devant les af-
faires?
Constantin. Est-il besoin de me le rappeler? Je
le sais, j'en garde le souvenir. El mes paroles sont
moins des reproches que des exhortations à agir
selon mes vues.
gallican. Aussi, a l'instant même, je vais m'en
occuper.
Constantin. Très-bien.
GALLIC&N. Ce n'est pas le soin de ma vie qui pourra
m'en traîner à aucune action contre vos ordres.
Constantin. Encore mieux, celte bonne volonté
pour moi est digne de lous éloges.
gallican. Oui , mais ce zèle sans bornes, celle
servitude accomplie, attendent quelque compensa-
tion el une suprême récompense.
Constantin. Rien n'est plus juste,
gallican. Les difficultés soin moins grandes, le
pi îsieurs hagiographes que les Dollamlisles ont dis-
cutés et insérés dans leur collection, sous la date du
24 juin. Voyez Actn sanclorum Junii, l. V, p. 55.
On ne peut douter que llroslvilha n'ait eu m>us les
yeux une de ces relations. La légende ayant pour
litre: Acla prœfi.xa jiassioni SS. Johannis et Pauli,
piéacnle non-seulement une complète res-emhlance,
quant à l'ordre des faits, mais jusqu'à des phrase.,
eut. ères empruntées textuellement par notre auteur.
La seconde partie, qui se rapporte à la résistance
des deux frères (S ) Paul el (S.) Jean, et à la réac-
tion tentée par l'empereur Julien, est tirée d'une
relation qu'on peut lire dans les Bollandisies.sous la
date du -2o juin (p. 198). Ou la trouve également
dans le Martyrologe romain, dans Bède , l'snurdus,
Ado, etc. \h> )
381
CAL
DICTIONNAIRE DES MYSTEttES.
CAL
582
labeur est moins dur, quand on est sonleiiii pur l'es-
poir, p;»r l:i certitude d'un bienfait.
Constantin. Evidemment.
gallican. Eli bien; do grâce, ce prix de mon pro-
cbain danger, assurez-le dès l'instant. Dans ces
guerres imminentes, je ne tomberais pas épuisé par
la sueur du combat, je puiserais des loi ces dans
l'espoir de ma rétribution.
Constantin. Je ne vous refusai jamais le prix le
plus glorieux et le plus désirable aux yeux de loui le
sénat; jamais je ne le nierai : voas èies admis à
mon intimité, et vous avez les plus grandes dignités
du palais.
gallican. Sans doute. Mais aujourd'hui j'ai d'au-
tres vues encore.
Constantin. Quels désirs? dites-le.
gallican. Il me faut tant!...
CONSTANTIN. Et (|tloi ?
gallican. Oserai -je parler?
CONSTANTIN. El] bi'ill ?
gallican. Vous serez irrité...
CONSTANTIN. Poillt du lOUl.
GALLICAN. El Si...
Constantin. Mais non.
gallican. Vous serez furieux , indigné.
Constantin. N'ayez nulle crainte.
gallican. Je parlerai, vous l'ordonnez: j'aime
Constance, votre (illc...
Constantin. Pourquoi non?C'esi la fille de votre
maître. Quoi de plus convenable? Aimez-la avec
respect, respectez-la passionément.
Gallican. J'ai bien autre chose à dire, vous ne
comprenez pas.
CONSTANTIN. Continuez.
gallican, C'est votre fille même, si votre bonté
daigne y consentir, que je demande pour fiancée.
Constantin, aux seigneurs de In cour. Certes, la
récompense à laquelle il aspire n'est pas peu de
ebose. Comment, une faveur si inouïe, et mes sei-
gneurs, sans exemple parmi vous!
gallican. Hélas! hélas ! il me dédaigne. Jel'avais
prévu. (Aux seigneurs.) Insistez, je vous conjure,
demandez avec moi.
les seigneurs. Illustre empereur, il convient à
votre dignité, et en considération de son mérite, de
ne pas le refuser.
Constantin. Ai~je dit non, moi? Mais d'abord
il est bon que je m'informe avec soin et m'assure du
consentement de ma fille.
LES SEIGNEURS. Oll ! OUl' , OUÏ.
Constantin. J'y vais, et c'est à elle seule, Galli-
can , si :ela vous plaL, que j'en référerai de votre
souhait.
gallican. Ah! très-bien.
SCÈNE II.
CONSTANCE , CONSTANTIN.
constance, à part. L'empereur, notre maître,
vient à nous plus triste que de coutume. Que veut-
il? Je suis extrêmement surprise.
Constantin. Vous voici , Constance, ma fille, j'ai
quelques mois à vous dire.
< onstance. Je suispréle, mon seigneur; dites, que
voulez-vous?
Constantin. Je suis dans un grand ennui, mon
cœur est serré, j'éprouve une profonde tristesse.
constance. En vous voyant venir, de suite j'ai
vu celle tristesse, ei quoique les motifs m'en fus-
sent inconnus, j'ai été saisie de trouble el de crainte.
Constantin. C'est à cause de vous que je m'af-
Qige.
constance. De moi ?
CONSTANTIN. De VOUS.
c 'Nstance. Vous tifellYayoz, qu'y a-t-il, mon sei-
gneur ?
Constantin Je crains de parler, je vous ->flligerai
constance. Je serai plus triste si vous nepailcz
pas.
Constantin. Le duc Gallican que tant de triom-
phes ont, parmi les princes, nus au premier rang,
el dont l'aide nous esl si souvent nécessaire pour la
défense de la patrie. . .
constate. Quoi donc? 11. . .
Constantin. 11 désire vous épouser.
constance. Moi ?
CONSTANTIN. VOUS.
constance. J'aimerais mieux mourir.
Constantin. Je le savais.
constance. Il n'y a rien d'étonnant, puisque de
votre consentement, avec votre permission, j'ai fait
serment à Dieu de garder ma virginité.
Constantin. Je ne l'ai pas oublié.
constance. Non, il n'y a pas de supplice qui ja-
mais ail le pouvoir de nie forcer à ne pas tenir tout
entiers ni mon serinent ni mes desseins.
Constantin. Sans doute. Mais quel extrême em-
barras : si, en effet, suivant mes devoirs de père,
je vous permets de poursuivre votre résolution,
quels funestes effets n'en souiïrirai-je pas dans les
choses publiques ? El si, au contraire, ce qu'à Dieu
ne plaise ! je mels obstacle à vos projets, je suis
courbé sous les tourments de peines éternelles !
constance. El si je désespérais de Dieu et de son
aide, moi surtout, moi seule, je serais à plaindre. . .
Constantin. C'esl la vérilé.
constance. Mais il ne peut y avoir de place pour
la tristesse dans un cœur qui se fie en la boulé
divine.
Constantin. Que vous parlez bien, ma Constance.
constance. Si vous daignez prendre mon conseil,
je vo s indiquerai le moyen d'échapper a ce doubla
danger.
Constantin. Oli ! plût au ciel !
constance. Faites semblant, dès que la guerre
aura fini heureusement, d'être prêt à satisfaire aux
désirs de Gallican, et pour qu'il nie croie bien dispo-
sée et d'accord avec vous, persuadez-le de laisser
auprès de moi, pendant son absence, ses deux filles
Allica el Anémia, comme gages de notre amitié à
venir, et d'emmener avec lui mes primiciers Jean
et Paul.
Constantin. Et s'il revient victorieux, que ferai-
je?
constance. Invoquons déjà le Père de toutes
choses pour qu'il éloigne de l'esprit de Gallican les
projets qu'il médite.
Constantin. 0 ma fi 11 o , ma fille ! la douceur de
vos paroles a diminué l'amertume des chagrins de
votre père, à lel point que celte affaire me laisse
déjà sans émotion el sans peur.
constance. 11 n'y a pas lieu d'en avoir.
Constantin. Je m'en vais, je séduirai Gallican
par celle joyeuse promesse.
constance. Allez en paix, mon seigneur.
SCÈNE III
GALLICAN , SEIGNEURS.
6ALLICAN. O piinces, je mourrai de curiosité
avant de savoir ce que fait depuis si longtemps mon
seigneur Auguste avec sa (ille notre maîtresse.
les seigneurs. Il la persuade de se rendre à vos
désirs.
gallican. O! puisse- t-il l'emporter, persuader...
les seigneurs. Certainement il en ailca raison.
gallican. Silence, ne bougez, l'empereur revient
non plus le front soucieux, connue il s'en alla, mais
avec un visage tout à fait serein.
les seigneurs. Bon présage.
gallican. Certes si, comme on dit, le visage est le
miroir de Pàine, la sérénité de ses yeux annonce le
repos de son cœur.
les seigneurs. Dieu siïr.
383
CAL
SCENE IV
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
G AL
SSi
LES PRÉCÉDENTS, CONSTANTIN, GARDES.
Constantin. Gallican!
CA.LI.ICAN. Qu'a-l-'ll dil?
les seigneurs, à Gallican. Allez, allez, il vous
appelle.
gallican. Dieux propices, favoris-z-moi.
Constantin, Gallican, allez sans crainte aux com-
tois. A votre retour, vous recevrez le prix nue vous
désirez.
gallican. Vous ne nie trompez pas...
Constantin. Oh! vous lromperais-je?
gallican. Qic je serais heureux si je savais uno
chose...
c nstantin. Quelle est celte seule chose ?
gallican. La réponse.
Constantin. La réponse de ma fille.
callic\n. Oui, d'elle-même.
Constantin. Il n'est pas convenable assurément de
s'occuper de la réponse d'une vierge pudique dans
une telle occasion. La suite des événements prou-
vera son assentiment.
gallican. Sûr de son consentement, que m'impor-
terait" sa réponse.
Constantin. Mais n'en aurez-vons pas la preuve ?
gallican. Je l'attends avec passion.
Constantin. Elle a décidé que ses primiciers Jean
el Paul demeureront auprès de vous, jusqu'au jour
des noces.
gallican. El pourquoi?
Constantin. Pour que, dans leur conversation,
vous puissiez, connaître d'avance sa vie, ses mœurs,
ses habitudes.
gallican. Liée excellente et qui me plaît infini-
ment.
Constantin. Elle désire aussi qu'à voire tour vous
laissiez vos filles auprès d'elle pendant voire ab-
sence, pour qu'elle se plie dans leur société à voire
inférieur. ,
gallican. Ah! bonheur! bonheur! Tout répond à
mes vœux.
Constantin. Faites amener de suite vos tilles.
gallican, aux suidais. Quoi! vous n'êtes pas par-
tis, soldais? Allez, courez, amenez mes filles aux
pieds de leur souveraine.
SCÈNE V.
CON5TANCE GARDES ; eUSUÎte ÀTTÏCA el ARTÉ-
MIA.
les cardes. Maîtresse Constance, voici les illus-
tres filles de Gallican, bien destinées à votre intimité
par l'éclat de leur beauté, de leur sagesse el de leur
vertu.
constance. Bien. (Oh les introduit avec honneur.)
0 Christ, amant de la virginité, inspirateur de chas-
lelé. qui, par les prières de ta sainte martyre Agnès,
m'as sauvée à la lois de la lèpre du corps et des ci-
reurs des païens, et m'as donné l'envie du lit virgi-
nal de la Mère, où lu l'es manifesté vraiment Dieu!
loi qui, avant le commencement des choses, naquis
«le Dieu le Père, el qui dans le monde, es né, comme
un autre homme, du sein d'une femme, vraie sa-
gesse, co-éternelle à celle du Père, par qui tout a
été créé, tout est conservé, tout est gouverné ! je
le supplie! contrains Gallican , qui veut éteindre,
pour s'en emparer, mon amour pour loi, à renoncer à
son odieux dessein; prends ses filles pour épouses,
fais pénétrer goulle à goutté dans leurs pensées la len •
dresse de ton amour; en sorte qu'abhorrant tous liens
charnels, elles mé ri leni d'entrer dans la société des
vierges qui le sont consacrées.
artémia, Salul, Constance, noire augusle maî-
tresse.
constance. Salut, mes sœurs, Altica et Arlémit,
restez, restez debout; i.e vous prosternez point; don-
nez-moi piulôl le baiser d'amilié.
artémia. Nous venons avec joie vous offrir nos
hommages, madame; nous sommes lout à vous de
grand cœur, el sans autre vue que votre précieuse
bienveillance.
constance. Nous n'avons qu'un Seigneur dans les
cieux, à qui soit dû l'absolu dévouement de noire
servitude; c'est dans sa foi et son amour qu'il nous
faut tous persévérer, entièrement purs, pour obtenir
l'entrée du palais de la pairie céleste avec la palmo
des vierges.
artémia. Nous ne disons pas le contraire; nous
tâcherons certainement d'obéir à vos préceptes ,
surtout pour arriver à la connaissance de la vérité el
pour garder noire pureté virginale.
constance. Assez bien répondu , surlout pour
voire innocence, el sans doute, par l'inspiration. de
la grâce divine ; vous êles sur le poinl d'avoir la
foi.
artémia. Comment, nous, servantes des idoles,
aurions-nous aucune sage pensée sans l'illumination
de la boulé céleste?
constance. La sûreté de votre jugement me porte
à croire aux bons principes de Gallican.
artémia. Qu'on l'instruise seulement, el certaine-
ment il croira.
constance , aux gardes. Faites venir Jean el
Paul.
SCÈNE VI.
LES MÊMES, PAUL ET JEAN.
jean. Nous voici déjà, maîtresse : vous nous avez
mandés ?...
constance. Allez sur-le-champ auprès de Gallican,
cl vous attachant à sa personne, instruisez le peu
à peu du mystère de noire loi. Peut-être Dieu, par
noue intercession, daignera t-il se l'acquérir
PAUL. Dieu nous donne le succès! nous allons y
travailler sans cesse par nos exhortations...
SCÈNE Vil.
GALLICAN, PAUL et JEAN, LES TRIBUNS,
L'ARMÉE ROMAINE.
gallican. Vous arrivez à piopos, Jean, et vous
Paul; depuis longtemps cl très-inquiet, je vous at-
tendais.
jean. Au premier ordre de notre maîtresse, nous
avons volé vers vous pour votre service.
gallican. Je suis plus heureux de voire bonne vo-
lonté que de celles de bien d'autres.
pall. Non pas sans motifs, car, dil le proverbe :
celui qui accueille bien nos amis, esl noire ami.
gallican. Eh bien, oui.
jean. L'affection de la dame qui nous cnvo'e nous
assure voire intimité.
gallican. J'en conviens. — Venez, tribuns el cen-
turions, assemblez lous les soldats sons mes ordres.
Voici Jean el Paul, dont l'altenle seule me clouait
ici.
les tribuns. Allons, en marche. (Aussitôt on se met
en mouvement.)
gallican. D'abord moulons au Capitule, entrons
dans les temples el apaisons la majesté des dieux
par les sacrifices accoutumés, si nous souhaitons la
succès dans les combats.
les tribuns. Très-bien.
jean. Tenons- nous à l'écart el attendons.
paul. C'est ce qu'il y a de mieux à faire.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES.
jean. Voici le général dehors; moulons à cheval
cl allons A sa rencontre.
rviL. Sans perdre un instant.
gallican. D'où venez-vous? Où éliez-vou»!
m
6AL
BICTiONN URE DES MYSTERES.
CAL
5S6
MA». Nous avons préparé nos bagages, cl nous
les avons envoyés devant, pour pouvoir vous accom-
pagner en liberté.
gallican. C'est bien.
SCÈNE IX.
LES MÊMES. BIUDAX, SOLDATS SCYTHES (107*).
gallican. Par Jupiter! 6 tribuns ! j'aperçois les
légions d'une innombrable armée, hérissées Ue mille
armes diverses.
les tribun <. Par Hercule! c'est l'ennemi !
gallican.' En avanl! courage! et combattons en
hommes.
les tribuns. Que nous servira-t-il de coinbattro
contre une telle multitude?
■gallican. El que voulez-vous donc faire ?
les tribuns. Nous rendre.
gallican. Apollon ne le veuille pas!
les tribuns. Par Pollux, que faire? De tous cô-
tés, nous sommes enveloppés; nous voici blessés
tous ; c'est un massacre.
gallican. Ilclas! hélas! qu'en sera-l-il? Les tri-
buns méprisent mes ordres et se rendent.
jean. Faites vœu au Dieu du ciel de devenir chré-
tien, cl vous vaincrez (168).
gallican. Le vœu, je le fais et je le tiendrai.
les ennemis. Hélas! roi Beadan, le sort, qui nous
avait laissé espérer la victoire, se joue de nous. Nous
voici, les bras affaiblis, les forces épuisées, et en ou-
tre, sans cœur et contraints <ie mettre bas les
armes.
biîadan. Que dire? Le sais-je? Ce mal que vous
souffrez, je réprouve. 11 ne nous reste q :'à nous
rendre au général romain.
les ennemis. C'est là notre unique salut.
BiiADAN. Duc Gallican, conseillez à ne pas accom-
plir notre ruine ; épargnez-nous, et disposez de nous
à votre gré comme de vos esclaves.
gallican. N'ayez pas peur; ne tremblez point;
donnez-moi des olages, payez I ri bu l à l'empereur,
et vivez heureux sous la protection romaine.
bradan. 1! ne dépend que de vous de prendre pour
olages U Is ou tels au nombre qu'il vous plaira, et de
nous imposer le tribut.
gallican. Soldats, déposez les armes! ne tuez, ne
blessez personne; embrassons comme alliés ceux
que nous attaquions comme ennemis publics.
jean. Combien l'emporte une bonne prière sur
l'orgueil des hommes!
gallican. Cela est vrai.
paul. Combien est efficace la miséricorde sup-éme
pour ceux qui se recommandent à Dieu par leur
humble dévotion !
gallican. C'est évident.
jean. .Mais le vœu des heures de tourmente doit
être accompli sitôt le calme.
gallican. C'est mon seniinienl. Aussi désiré -je
d'être baptisé le plus tôt possible el de nie dévouer,
pour le reste de ma vie, au service de Dieu.
paul. C'est justice.
SCÈNE >
LES MEMES, GALLICAN.
r.vLLiCAN. Voyez, comme à notre entrée dans
(IG7')< Le lieu de la scène change ici brusquement;
nous passons en un clin d'œil des rues de Rome
dans les campagnes de la Thrace, près de Plriiippo-
polis. Là, suivant les Acles cl Eiisèbet Fif. Constant.,
I. îv, c. 5-7), cul lieu la bataille gagnée par Galli-
canus sur les Sarmales. On voit que llrolsvilha n'a
imité de Térence ni l'unité de lieu, ni l'unité de
temps. La nouvelle forme de drame qu'elle emploie
est, en quelque sorte, narrative et calquée sur les
légendes. Cette forme a commencé, chose remar-
quable, à se montrer dans les premiers essais dra-
matiques, tirés des traditions chré:ienn«-s ou bi-
Rome tous les citoyens secourent et nous apportent,
selon l'usage, les insignes de la gloire (1C9.)
jean. C'est bien le moins.
gallican. El pourtant, ce n'est ni à notre valeur
i aux dieux qu'est dû l'honneur du triomphe.
paul. Non, assurément, c'est au vrai Dieu.
gallican. Aussi mon avis est de passer outre à
tous les temples...
jean. Heureuse pensée.
Gallican. El d'entrer au contraire dans l'église
des Apôtres pour prier et confesser.
paul. 0 joie d'un tel avis! Vous vous affirmez dés
celte heure vraiment chrétien.
SCÈNE XI.
CONSTANTIN, SOLDATS ROMAINS.
Constantin. D'oùvient, ô soldats, que Gallican se
dérobe aussi longtemps à nos regards?...
les soldats. A peine entre en ville, il a couru à
l'église Saint-Pierre, et, agenouillé par lerre, il
rend grâce au Dieu suprême, qui lui a donné la vic-
toire.
Constantin. Gallican?
les soldats. Lui-même.
Constantin. C'est incroyable
les soldats. Il vient, vous pouvez l'interroger.
SCÈNE Xiî.
LES MEMES, GALLICAN.
Constantin. Depuis longtemps je vous attendais,
Gallican, pour apprendre de vous les détails et l'is-
sue du combat...
gallican. Je vous conterai lout avec soin.
Constantin. El encore c'est là le moins pressant,
il y a quelque chose à me dire que je souhaite en-
core plus.
gallican. Quoi donc ?
Constantin. Pourquoi, au départ, élcs-voiis allé
aux temples des dieux, et au retour, entré dans
l'église des saints A poires.
gallican. Vous le demandez!
Constantin. Avec curiosité.
gallican. Je vais le dire.
CONSTANTIN. Eli bit'l) ?
gallican. Empereur très-sage, je le confesse, à
mou départ, comme vous m'en faites le reproche, je
suis entré dans les temples el j'ai prié avec confiant a
les démons et les dieux.
Constantin. C'est une antique coutume romaine.
gallican. Coutume funeste.
Constantin. Déieslable.
gallican. Ensuite, les tribuns arrivèrent avec
les légions el accompagnèrent ma marche.
Constantin. Vous êtes sortis de Rome dans un
p impeux appareil.
gallican. i>ois allâmes en avanl, nous rencon-
trâmes lus ennemis, nous coml animes, nous fûmes
vaincus (170).
Constantin. Les Romains vaincus.
gallican. Complètement.
Constantin. 0 événement cruel el inouï au tr. vers
des siècles!
gallican. Je recommençai des sacrifices infâmes,
bliqucs ; cl elle est restée celle de Lope de Véga, de
Cahlcron, de Shakespeare et de Schiller. > (lu.)
(108) « C'est ici une aliusion au fameux labarum
de Constant in : lu hoc signo viiices. » (Id.) Remar-
quer l'étroite analogie de celte scène el de celle qui
précéda la conversion de Clovis.
(169) « llrolsvilha, loujoi,i\- préoccupée de pi: ire
aux yeux, nicii. gu aux spcilauuis l'appareil d'un
triomphe romain. > (lu )
(170) 'C'est le mot de Jult s-César renversé : Yenî,
ri'/i, net.) (Id.)
',%"!
GAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
GAL
Ô88
•t aucun dieu ne vint à mon aide. An contraire, le
combat était plus terrible, et beaucoup des nôtres
mouraient.
Constantin. Ce récit me confond.
gallican. Enfin, les tribuns me tournèrent le dos
et se rendirent.
Constantin. A l'ennemi?
gallican. A l'ennemi.
Constantin. Ab! qu'avoz-vous fait alors ?. . .
gallican. Que pouvais-je faire que de prendre la
fuite?
CONSTANTIN Non.
gallican. Hé! certes.
Constantin. A quelles angoisses était alors en
proie votre grande âme?
gallican. Aux plus affreuses.
Constantin. Et comment vous êles-vous tiré de
là?
gallican. Mes compagnons intimes, Jean et Paul,
me persuadèrent de me vouer au Créateur.
Constantin. Salutaire conseil!
gallican. Je l'ai bien éprouvé. A peine avais-je
ouvert la bouche pour mon vœu que je sentis le cé-
leste secours.
Constantin. Et comment.
gallican. Il m'apparut un jeune homme de haute
stature, les épaules chargées d'une croix, qui m'or-
donna de tirer l'épee et de le suivre.
Constantin. Quel qu'il fût, c'était un envoyé du
ciel.
gallican. J'en eus la preuve. A l'instant, il y eut
autour de moi, à droite et à gauche, des soldais ar-
més dont le visage m'était inconnu, mais qui me pro-
mettaient leur aide.
Constantin. Celait la célcsle milice.
gallican. Je n'en doute point. Je suivis avec con-
fiance mon guide, je me jetai au milieu de l'année
ennemie et je parvins à leur roi i otninc Bradai),
qui, saisi tout à coup d'une incroyable terreur, et se
jetant à mes pieds, se rendit avec les siens et s'en-
gagea à payer un tribut au chef du moule romain.
Constantin. Béni soit l'auteur de cet heureux suc-
cès, qui ne souffre pas que ceux qui mettent leur
espoir en lui soient confondus.
gallican. Je l'ai appris par expérienee.
Constantin. Je voudrais savoir ce que firent en-
suite les tribuns fugitifs.
Gallican! 11 leur press.it de rentrer en grâce.
Constantin. El vous les y reçûtes.
gallican. Moi! ces hommes qui m'avaient laissé
dans le danger, qui s'étaient abandonnés à renne-
mi ! Non, certes.
Constantin. El que filcs-vous ?
gallican. J'imposai une condition à leur grâce.
Constantin. Laquelle.
gallican. Ce lui que ceux qui embrasseraient la
religion chrétienne rentreraient dans leur gradée:
même plus haut; tout refus restait sans pardon et
excluait de l'armée.
Constantin. Juste condition, que vous aviez le
droit d'imposer.
gallican. Pour moi, mouille des eaux baptismales,
je me suis tout entier mis sous le joug de Dieu, à
tel point que je renonce à votre lille, auparavant
préférée à tout, pour plaire, loin du mariage, au
Fils de la Vierge.
Constantin. Approchez plus près, plus près, que
je tombe dans vos bras. Car, a celle heure, G.dii-
can, je dois vous découvrir un secret jusqu'ici ca-
ché avec soin.
GALLICAN. QUOI dOUC?
Constantin. C'est que ma fille et les vôtres sont
de la religion même que vous avez choisie.
gallican. Tant mieux.
Constantin. El elles ont un si orùlanl désir de
rester vierges, que ni la menace ni la douceur n'eus-
sent pu les arracher à leur résolution.
gallican. Qu'elles persévèrent! Je le souhaile.
Constantin. Entrons dans l'appartement qu'elles
occupent.
gallican. Passez, je vous suivrai.
Constantin. Les voici ; elles accourent Favec l'au-
guste Hélène, ma glorieuse mère. Elles pleurent
toutes de joie.
SCÈNE XIIL
LES MÊMES, CONSTANCE, ATTICA» ARTEMIA,
HÉLÈNE, PAUL et JEAN.
gallican. Vivez heureuses, ô vierges saintes! Per-
sévérez dans, la crainte de Dieu, gardez l'honneur
intact de la virginité, pour être trouvées dignes des
bras du Roi éternel.
constance. Cela nous sera d'autant plus aisé que
nous-mêmes nous ne vous aurons pas pour hos-
tile.
gallican. Je ne lutte pas contre vous, je ne re-
fuse ni n'empêche ; au contraire, je cède de si grand
cœur à vos vœux, ô ma Constance, acquise si pé-
niblement au prix de mon sang, que je ne demande
de vous que l'accomplissement de vos desseins.
constance. Voici bien, l'œuvre du Très-Haut,
callican. Si je n'élais pas autre et meilleur, con-
sentirais-je à l'accomplissement de votre vœu ?
constance. L'ami de la pureié virginale, l'instiga-
teur de toule bonne volonté, qui vous a arraché à de
mauvaises pensées, el qui a gardé pour lui ma cha-
steté, daignera, en retour de notre séparation cor-
porelle, nous léunir un jour dans le bonheur éter-
nel.
gallican. Puisse-t-il en cire ainsi !
Constantin. Le lien de l'amour du Christ nous
unissant dans une même communion, il convient
que, geiidro des Augustes, vous soyez honoré à noire
égal et que vous habitiez ce palais.
gallican. Nulle tentation ne doit être fuie davan-
tage que celle des yeux.
Constantin. Je ne dirai pas le contraire.
gallican. Aussi ne fa ut- il pas que je voie trop sou-
vent une jeune fille que j'aime, vous le savez, pins
que mes parents, plus que ma vie, plus que mon
âme.
Constantin. Comme il vous plaira.
gallican. Aujourd'hui vous avez quatre armées,
par la faveur du Christ et mes soins. Laissez-moi
soldat de cel Empereur, par l'aide duquel j'ai vaincu
el à qui je dois loin le bonheur de ma vie.
Constantin. A lui en effet la gloire et les actions
de grâces. Toute créature doit le servir.
callican. Mais surtout celles à qui, dans le besoin,
il a prêté si efficacement son aide.
Constantin. Comme vous diles.
gallican. Surf la pari de mes biens qui appar-
tient à mes lilies, el une autre que je garde pour le
soulagement des pèlerins, je donne loul le reste pour
enrichir mes esclaves mis en liberté, el subvenir
aux besoins des pauvres.
Constantin. Vous disposez sagcmcnl u'e vos biens,
el vous ne serez pas mis de colé dans le partage
éternel.
gallican. Quant à moi, je brûle de me rendre à
Osiie, auprès du prud'homme llilarien, ci de me
joindre inséparablement à lui, pour passer là le reste
de ma vie, dans la louange de Dieu et le soulage-
ment des pauvres.
Constantin. Que l'Etre unique, à qui loul est
toujours possible, vous accorde d'heureuses chances,
et une vie selon sa propre règle ! qu'il vous con-
duise p;.r la main au bonheur éternel, lui qui règne
el se glorifie uaus l'unité de la Trinité !
callican. A tien!
330
CAL DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
DEUXIÈME PAJITIE (171).
PERSONNAGES.
CAL
599
julien, empereur.
GALLICAN.
TÉRENTIEN.
JEAN et PAUL.
LES CONSULS.
SOLDATS ROMAINS.
UNE TROUPE DF. CHRÉTIENS.
LE FILS DE TÉRENTIEN,
personnage muel.
SCÈNE I.
JULIEN, LES CONSULS, GARDES.
julien. 11 est assez évident que le mal de nolr^
empire est la trop grande liberté dont jouissent les
chrétiens : ne se vantent-ils pas d'avoir le droit de
n'obéirqu'anx lois qu'Us ont reçues du temps deCon-
siantin?
les consuls. C'est une abomination. La subirez-
vous?
julien. Non , certes.
les consuls. Ah! très-bien.
julien. Soldais! aux armes! et dépouillez les chr '-
tiens de leurs biens propres, en leur objectant le
mot du Christ . Celui qui ne renoncera pas pour
moi à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple.
(Evang. xiv, 53 [172]).
les soldats. Ce n'est pas nous qui y mettrons du
relard.
SCÈNE II.
LES MÊMES.
les consuls. Ah! les soldats sont de retour.
julien. Revenez-vous contenis?
les soldats. Contents.
julien. El pourquoi si tôt?
les soldats. Voici. Nous avions résolu d'enlever
îes chàleaux-forts que Gallican s'est gardés, et d'en
faire proie à voire profit; mais dès que l'un de nous
y nieiiail le pied, il devenait lépreux ou frénétique.
julien. Ketournez et forcez Gallican ou à quiller
le pays, ou à saciilieraux idoles.
SCÈNE III.
GALLICAN, SOLDATS.
gallican. Soldats, ne perdez pas vos peines à d'i-
nutiles avis. Car, en comparaison de la vie et r.ielle,
je ne fais nul cas de tout ce qui est sous le soleil.
Aussi je quille ma pairie, et banni pour le Ch ri si ,
je pars pour Alexandrie, avec le désir d'y trouver la
couronne du martyre.
SCÈNE IV.
JULIEN, SOLDATS.
lf.s soldats. Gallican, chassé du pays selon vos
ordres, s'est relire dans Alexandrie: il y a élé ar-
rêlé par le comte lia u lin, el a péii par l'épée.
julien. C'est bien fait.
(171) < Le premier éditeur de IIrolsvilha, Conrad
Celles, a intitulé cette seconde partiede/us secundus,
ans y èlre autorisé par aucune indication du manu-
scrit. J'ai rejeté celle division, avant même d'avoir
eu sous les yeux la copie du manuscrit de Munich
(voy. Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 novem-
bre 1KÔ9, et Biographie universelle, Supplément, t.
LXVII, p. 588). Je pensais, comme M. J. Chr. Goll-
sched [aotlriger Vorrath zurGeschichte der deutschen
dramalitchen Dichlkuiut, i. Il, p. 10), que l'hisioire
de Gallicanus et le martyre de (S.) Jean el (S.) Paul
formaient deux drames s. parés, !» pareequd y a
dans le manuscrit, avant le martyre de (S.) Jean el
(S.) Paul, une nouvelle liste de personnage-.; 2" que
i« soi-disant premier acte se termine par la formule
finale amen, qui dans les pièces religieuses d > moyen
&ge correspond nu pluudite des lo.nedies païetl-
i.es soldats. Mais Jean et Paul vous sont enne-
mis.
julien. Que font-ils?
les soldats. Ils vont librement parlcui et distri-
buent les trésors de Constance.
julien. Qu'on les fasse venir.
les soldats. Us sont ici.
SCÈNE V.
LES MÊMES, PAUL el JEAN.
julien. Je n'ignore pas. Jean cl Paul , que dès le
berceau vous fuies attachés au service des empe-
reurs.
jean. Nous le fumes.
julien. Aussi csl-il convenable qu'auprès de ma
personne, vous comptiez parmi les Officiers de ce pa-
lais, où vous avez éle nourris dès l'enfance.
paul. Nous ne servirons pas.
julien. Est-ce donc moi que vous ne serviriez pas?
jean. C'est dit.
julien. Est-ce que je ne suis pas pour vous un
augusle?
paul. Si, mais trop différent des autres.
julien. En quoi?
jean. En religion et en mérite.
julien Je souhaiterais vous comprendre mieux.
paul. C'est-à-dire que les très-glorieux etlrès-re-
nommés empereurs Constantin, Cnnslans ei Con-
slanlius, aux ordres de qui nous étions, furent des
princes très-chrétiens, et qu'ils se faisaient gloire
d'èire les esclaves du Christ.
julien. Je lésais; mais je ne veux point les im'ler
en cela.
paul. Vous n'imitez que le mal. Ils fréquentaient
les églises, et déposant leur diadème ils adoraient
à genoux Jésus-Christ.
julien. Eh! laissez-moi libre sur ce point.
jean. Voici comment vous ne leur ressemblez
point.
paul. En honorant le Créateur, ils rehaussaient
la dignité impériale; ils la béatifiaient par l'éclat de
leur vertu et de leur sainteté; to:i leur réussissait
à souhait, el ils étaient des hommes forts.
; guLii n. Et moi, donc.
jean. Non pas de même : car la grâce de Dieu é ail
toujours avec eux.
julien. Niaiseries! N'ai-je pas jadis élé assez sim-
ple pour suivre de telles pratiques? J'ai été clerc dans
l'Eglise...
jean. Hé! Paul ! il est bon, le clerc!
paul. Chapelain du diable.
julien. Mais, m'apeicevant qu'il n'y avait là rien à
gagner, je me soumis au culte des dieux, el leur bonté
m'a élevé au faîte du pouvoir.
jean. Vous nous avez interrompu pour ne pas en-
tendre l'éloge des jnsles.
julien. Eh! que m'importe?
paul. Rien. Mais nous ajouterons ce qui vous re-
garde. Ainsi, le inonde n'étant plus digne de les pos-
nes. J'ajoute que les Aclcs de Gallicanus et de (S.)
Jean el (S.) Paul, qui sont réunis en une même
relation, ont élé cependant coupés dans les Acta
tanclorum et séparés par l'intervalle d'un jour dans
les cérémonies de l'Eglise. Je pense, en définitive,
que IIrolsvilha a tiré de celte légende complexe, non
pas un drame en deux actes, mais deux pièces qui
se suivent à peu près comme dans Shakespeare les
diverses parues de. Henri IV. Si mène je n'ai pas
l'ail de G'aMcamis el du Martyre de S. Jean el S. Vaut
deux œuvres entièrement distinctes, c'est que ces
deux pièces oui un argument qui leur est commun
el qui les lie, jusqu'à un certain point, l'une à l'au-
tre. > (Id.)
(172) « Celte r.iilleric sacrilège de l'empereur Ju-
lien est mol pour mol dans la légende. > (In )
591
6 AL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
GAU
9î
se 1er, ils oni été enlevés parmi les anges, el la mal-
heureuse république est restée sous voire commande-
nient.
julien. Et comment malheureuse à présent?
jean. A cause de son chef.
taul. Vous avez abandonné loulepiélé, vous avez
imité les superstitions des idolâtres : c'est à cause
de celle iniquité «pie nous nous sommes retirés de
voire présence el de la fréquentation des vôtres.
julien. Eli bien ! quoique en beaucoup de choses
vous m'ayez largement maltraité, néanmoins je fais
grâce à votre audace, el je désire vous élever aux
premières dignités de ce palais.
jean. N'ayez point ce souci, ni les menaces ni les
caresses ne nous vaincront.
julien. Je vous donne un délai de dix jours pour
venir enfin à nous, el rentrer en grâce devant notre
grandeur; s'il en était autrement, j'agirais pour n'é-
ire jamais plus l'objet de vos risées.
paul. Ce que vous avez à faire, faites-le mainte-
nant, car vous ne nous ramènerez jamais ni à vos
audiences, ni dans ce palais, ni au culle des dieux.
julien. Allez, retirez-vous el pesez mes avis.
jean. Si nous ne méprisons pas le délai accordé,
c'est <pie nous donnerons pendant ce temps-là tons
nos soins au ciel, et que nous nous recommanderons
à Dieu par le jeûne et la prière.
paul. Vraiment oui (1~3).
SCÈNE VI,
JULIEN, TÉRENTIEN.
julien. Allez, Térenlicn; prenez avec vous des
soldais, forcez Jean el Paul de sacrifier au dieu Ju-
piter. S ils s'obstinent , s'ils refusent, qu'ils soient
mis à mort, non pas en public, mais irès-secrèie-
menl, car ils ont été officiers du palais.
SCÈNE VII.
TÉRENTIEN, PAUL et JEAN, SOLDATS.
Térentien. L'empereur Julien, mon maître, vous
envoie à vous, Jean, et à vous, Paul, dans sa clé-
mence, celle statue d'or de Jupiter, à qui vous avez
à offrir de bonne grâce l'encens. Si vous refusiez,
vous seriez sous le coup de la mort.
jean. Puisque Julien esl voire maître, soye- en
paix avec lui et usez de sa faveur. Nous, nous n'a-
vons d'autre maître que Jésus-Christ, pour l'autour
duquel nous souhaitons la mort, aliu d'obtenir la
jouissance des joies éternelles.
térentien. Qu'allendez-voiis, soldats? Tirez l'épée
el tuez ces rebelles à l'empereur et aux dieux. Sitôt
morts, enterrez-les dans la maison, et ne laissez au-
cune trace de sang.
les soldats. El que dirons-nous, quand on nous
interrogera?
térentien. Meniez, pour qu'on les croie envoyés
en exil.
jean et paul. 0 toi, Christ ! qui règnes avec le
Père el le Saint-Esprit! Dieu unique ! nous l'invo-
quons dans ce péril , nous le bénissons dans la mort !
Oli ! prends nos ànies, chassées pour loi de leur de-
meure de bouel
SCÈNE VI! I.
TÉUENTIEN, TROUPE DE CHRETIENS.
térentien. Hélas ! hélas ! hélas! 0 chrétiens ! quel
mal a donc mon fils unique ?
(175) Celle scène a été fidèlement et élégamment
traduite par M. Villemain, dans son Tableau de. la
Jilléralure au moyen âge (Paris, 1850, t. II, p. 252).
C'est uri modèle achevé, que nous aurions élé heureux
île pouvoir suivre de loin. « lliotsvitha, dit l'éloquent
critique, fait habilement parler Julien. H y a là un
sentiment vrai de Ph1>loire. Julien ne se mon're pas
les chrétiens. Il grince des dents, il écume, il
roule des yeux furieux. Il est la proie du démon.
térentien. Malheur à son père! Et où est-il dan*
ces transports ?
les chrétiens. Devant les tombeaux des martyr*»
Jean el Paul. H se Iraîne à (erre. Il s'écrie que c'est
à leur demande qu'il doit ses tourments.
térentien. C'est ma faute, c'est mon crime. Car,
à ma voix , par mon ordre, l'infortuné a mis ses
mains impies sur les saints martyrs.
les chrétiens. Si c'est par vos conseils qu'il a
failli, vous souffrez avec le mal ses maux expia-
toires,
térentien. Moi, je n'ai qu'obéi aux ordres de Ju-
lien, le plus impie des empereurs.
les chrétiens. Ah ! c'est donc pour cela que lui-
même est frappé de la colère divine.
térentien. Je le sais, et n'en tremble que plu%
car je me souviens que nul ennemi des serviteurs de
Dieu n'échappe au châtiment.
les chrétiens. C'est vrai.
térentien. Mais si, à l'instant, dans le repentir de
mon forfait, je me jelais à genoux devant les saints
tombeaux?
les chrétiens. "Vous mériteriez grâce , surtout si
vous étiez purifié par le baptême.
SCÈNE IX.
TÉRENTIEN, LES CHRÉTIENS LE FILS LE
TÉRENTIEN.
térentien. Glorieux léuioins du Christ, Jean et
Paul, suivez l'exemple et les préceptes du Maître el
priez pour le péché des bourreaux. Ayez pitié des
angoisses d'un père, de la misère d'un enfant fréné-
tique. Tous deux, purifiés par l'eau du baplème,
nous persévérerons dans la foi de la sainte Trinité.
les chrétiens, Tércniien, plus de larmes, plus
d'angoisses du cœur. Voyez, voire fils revient à lui
et reçoit la santé par l'intercession des martyrs.
térentien. Grâces soient rendues au Roi de l'éler-
nilé, qui accorde la nt de gloire à ses soldais, que
non seulement leurs âmes sont heureuses dans le
ciel, mais qu'au fond du sépulcre leurs os inanimé.?
aient l'éclat des miracles comme témoignage de leur
sainteté, avec l'aide de Noire-Seigneur Jésus-Christ
qui vil dans les siècles des siècles. Amen!
GAUD1NE (La marquise de la) — La
marquise de la Gaudine est tirée du manus-
crit des miracles de Notre-Dame, I" volume,
{" 115. (Bibl. Imi)., u° 7208 k A et 4 B.)
Il y est intitulé: De la marquise de /<*
Gaudine qui, par Vaccusement de l'oncle de
son mari, auquel son mari l'avoit commise à
garder, fu coudampnée à ardoir. Dom Anlhé-
nor par le commandement de Noslre-Dame ,
s'en combat i à V oncle et le desconfit en champ.
Le manuscrit d'où ce drame est tiré en
contient quarante, et date du xive siècle.
Cette pièce est restée inédile.
Nous en donnons une analyse empruntée
à M. O. Leroy.
Tandis que son mari voyage au loin, la
marquise de la Gaudine reste, dans son
château sous la tutelle d'un oncle. Celui-ci
est un méchant homme, qui, pour tirer
un féroce el slupide persécuteur... > Je regrette d'a-
voir à atténuer un peu tel éloge donné à Hrolsvi-
llia par un aussi excellent juge; mais la vérité m'o-
blige à dire que les meilleurs traits du dialogue en-
lre Julien ci les deux mar./rs appartiennent au lé-
gendaire, (lo )
303
G AU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
G EN
3tU
vengeance de sa nièce, à qui on ne sait trop
ce qu'il reproche, lait cacher dans sa chambre
à coucher un*nain contrefait et va chercher
deux chevaliers à qui il dénonce l'infamie
prétendue de sa nièce. « Le nain est trouvé-,
dans la chambre, et le calomniateur, afin de
s'assurer de sa discrétion, le tue lui-même,
en présence de la marquise. N'ayant plus
alors que ses accusateurs et personne pour
la défendre, elle est jetée dans une prison
obscure, et au retour de son mari, qui finit
par la croire coupable, elle est condamnée
à être brûlée vive.
« Un chevalier, Anthénor, à qui elle a
sauvé la vie en lui permettant de la nommer
sa dame, arrive h la Gaudine. C'est le nom
du chûteau.... il demande a l'hôte chez qui
^descend, des nouvelles de la belle châte-
laine. L'hôte lui répond qu 'elje a commis
une grande faute.
El a ardoir (être brûlée) est condanipnée,
Dont le peuple, plus de cent mille,
Pleure et gémit aval la v'.lle,
Car un chacun de cuer l'ainoil
Pour les grans biens qu'elle faisoil :
N'avoitcure de nulle triche,
Ains csloit au povre et au riche
Ooulce et coarloyse...
« Anthénor, demeuré seul, et brûlant....
<le sauver au péril de ses jours, une femm^
qu'il ne peut croire coupable, s'adresse à la
Vierge qui le confirme dans sa résolution.
Pendant qu'il revêt son armure, il se couvre
le visage de sa visière, car il a.... des rai-
sons pour n'être pas connu, l'hôte lui vient
décrire le convoi funèbre...
Las! Sirej'ayveu madame
Bailler au hourrel en ses mains
El il n'en fait ne plus ne mains
Qu'il ferait d'une povie g....,
Mener la veult où sera aise (brûlée)
Tout le monde la plaint et pleure...
« Un peu plus loin, il nous la montre,
llaull assise
En la charrette et de ici guise
Que de louz puist eslre veue.
« Les chevaliers qui accompagnent l'in-
fortunée, lui disent de recommander son
âme à Dieu. Elle répond :
Puez Dieu qu'il me tiengne en foy,
Car je sui innocente el pure
Du l'ail pourquoy à tel laidure
Sui démenée.
« Aucun prêtre n'assiste au moment su-
prême de la marquise... nous sommes arri-
vés au lieu du supplice...
anthenob (aux chevaliers).
Je dy, sans plus avant aler,
Qu'à lorl condampnez ceslc dame. .
Qui ose dire du contraire
Je sui presl de l'espée traire
El moi combattre.
le marquis (à l'oncle).
BJanx oncles, il vous faut débattre
Ge qu'il dit. L'avez enlendu?
Respondez ; n'y ail attendu.
Le fait vous louche.
Dictionn. des Mystères.
CNCLE.
Diaux niez (neveux), il mcnl parmi lal)fiuche.
Qui es- lu? Dy.
ANTHENOR.
Oui je sui? Ne vous chaille qui.
Tant y a, je suis chevalier,
Et plus dire ne. vous en quier.
Mais vezci mon gage pour elle...
l'oncle
Je dy que lu mens
Et que bons est li jugemens
Vezci mon gant.
« Les deux champions... se battent sur la
scène. L'oncle coupable., se voyant terrassé
par son adversaire, crie que la partie n'est
point égale :
Il est jonnes, je sui jà viex!
« Avoue que tu as calomnié cette dam;>,
« lui dit Anthénor, ouje t'enfonce ce fer
« dans la gorge. »
« Après s'être bien débattu, le calomnia-
teur confesse son crime, et tandis que la
marquise est mise en liberté, il est, lui,
envové en prison... » (0. Leroy, Etudes sur
les mystères; Paris, 1837, in-8°, p. 90-102.)
GÈDEON. — M. Chabailles, dans son
édition des mystères de saint Crépin (Paris,
1836, in -8°) cite parmi les pièces apparte-
nant au théâtre religieux le Combat de Gti-
déon du P. Souffrand.
On trouve en effet, sous les dates de 1£10
et 1616, et non do 1626, un petit l'ivre
intitulé :
Levictorieux et triomphant combat deGédéon,
représenté à Paris au jour de la Passion du
Fils de Dieu, en l'an 1612, en l'église de St-
Séverin, en présence de la sérénissime reyne
Marguerite , par le R. P. Souffrand de la
compagnie de Jésus... Paris, 1616, m-16.
Mais ce combat de Gédéon... représenté...
n'est pas un drame : c'est un sermon.
Un sermon du temps, divisé en trois par-
ties : « En la première, vous avez le iracasse-
ment des cruches... En la deuxième, le son
cl le résonnement des trompettes.... » Ser-
mon bizarrre, alambiqué , mais qui ne
manque ni de force ni de pathétique.
GEFFROY ou Geoffroy ( L'abbé).— Voy.
Sainte Catherine (Le jeu de).
GENEVIÈVE (Sainte). -- Les miracles
de sainte Geneviève sont tirés du manuscrit
de la bibliothèque Sainte-Geneviève k Paris.
Ce mystère date du xv siècle.
Le texte en a été publié par M. Achille
Jubinal, dans ses mystères inédits du xv'
siècle (Paris, Téchener, 1837, in-8°, 2 vol.,
t. 1er, p. 1 69-304).
M. O. Leroy, dans ses Epoques de ïhis-
toire de France (Paris, 1843, iu-8", p. 269-
305) a considéré le Mystère de sainte Gene-
viève comme ayant les plus étroites analogies
avec l'histoire de Jeanne d'Arc. La date de
1 450 environ qu'indiquent la diction et
l'écriture du manuscrit, et qui esl celle du
commencement du procès en révision do
Jeanne d'Arc, contraignait le vieux (trama
liste à des ménagements tels qu'il a dû c^
13
3<n
cen
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CEN
530
cher sa pensée sous le nom de sainte Gene-
viève, mais les ravages d'Attila ne sont que
la peinture des dévastations anglaises et les
invocations de Geneviève aux saints patrons
de la France, sont celles que, dans son pro-
cès, on reprocha à Jeanne Saint Denis dé-
plorant le déclin de la France, s'entend
évidemment du xy' siècle et non du ve. Quel
serait le roi de Paris au v' siècle? Gomment
accuser d'ignorance sainte Geneviève dont
la légende célèbre la science; Jeanne d'Arc,
au contraire, de clergie ne scet lettre. C'est
pour la pucelle d'Orléans et non pour sainte
Geneviève, qu'est faite l'atroce proposition
du supplice du feu. Enfin tout porte à croire
que ce drame fut joué a Paris avant la réha-
bilitation de Jeanne d'Arc, d<ins le temps
où l'esprit public était le plus changé en sa
faveur; qu'il fut l'œuvre de quelque écolier
de Sainte-Geneviève, voulant relever ses
écoles de la défaveur de l'abandon qu'elles
avaient fait de l'héroïne ; on y sent le style
châtié et la diction d'un universitaire.
Auparavant la Bibliothèque du théâtre fran-
çois, ouvrage attribué au duc de La Valière
( Dresde, 1708, in-8% 3 vol., t. 1" p. 36), en
avait donné l'analyse suivante que nous re-
produisons en substance.
Le Mystère de sainte Geneviève est divisé
en onze miracles, qui ont tous une action et
ua sujet ditrérenls: les actions y changent,
et chaque miracle peut être regardé comme
un mystère particulier.
En voie' 'es sujets :
1° La mère de sainte Geneviève... accou-
che... Les anges chantent une hymne. Saint
Germain exhorte saint Loup et saint Rémi à
aile r en Angleterre poury détruire l'hérésie:
il leur fait voir sainte Geneviève, qui passe
déjà pour une fille fort dévote...
2° Sainte Geneviève demande à sa mère
Geronce la permission de la suivre à l'église:
elle la lui refuse, et lui donne môme un
soufflet : elle devient aveugle dans le mo-
ment. Sainte Geneviève se met en prières;
après, elle prend de l'eau de puits, la bénit,
et en frotte les yeux de sa mère, qui sur-le-
champ recouvre la vue.
3° Après la mort de son père et de sa
mère, sainte Geneviève part pour Paris: elle
s'arrête dans un lieu où était un autel avec
une image de la Vierge : elle s'y met en
oraison. Sainte Céline la trouve dans ce pieux
exercice et lui demande la permission de
vivre avec elle. Elle lui raconte que, depuis
deux ans, sa servante Margot est malade dans
son lit, sans en pouvoir sortir. Sainte Gene-
viève va voir cette fille, fait le signede la croix
sur elle, et lui dit de se lever. Margot se
lève, ne sentant plus de douleurs, et abso-
lument guérie. Elle fait vœu do chasteté.
4° Attila, qui désolait la France, marche
pour faire le siège de Paris. Les habitants
de celte ville sont dans le plus grand effroi.
Sainte Geneviève se met en prières, pour
implorer en leur faveur le secours divin.
Elle intéresse plusieurs saints, qui joignent
leurs prières aux siennes. La Vierge se fait
beaucoup prier pour être favorable aux Pa-
risiens; enfin, elle intercède pour eux au-
près de Jésus... Jésus-Christ, irrité contre
les vices des Parisiens, a bien de la peine à
accordera sa mère ce qu'elle lui demande.
A la fin, cependant, il lui promet de sauver
Paris des fureurs d'Attila. Sainte Geneviève
annonce cette bonne nouvelle aux Parisiens :
mais ceux-ci, au lieu de lui témoigner delà
reconnaissance, la prennent pour une sor-
cière et veulent la faire mourir. Ils disputent
sut le genre de mort qu'ils lui feront souf-
frir, quand tout à coui'1'archidiacred'Auxerre
arrive et les détourne de ce projet barbare.
5° Sainte Geneviève est malade et près
d'expirer. Dieu détache son âme de son
corps et lui fait voir les peines de l'enfer et
les délices du paradis; ensuite il remet son
âme a sa place. Sainte Geneviève guérie se
lève, remercie Dieu et raconte sa vision à
sainte Céline et à Margot.
6° Une nonain, de Bourges, vient visiter
sainte Geneviève, qui... lui conseille... de
faire pénitence. La nonain, sur-le-champ,
va trouver l'évèque... Elle témoigne le plus
sincère repentir, obtient l'absolution et fait
la plus austère pénitence.
T Un enfant, endormi sur le bord d'un
puits, y est précipité par les diables. La
mère a recours à sainte Geneviève, qui im-
plore la bonté de Jésus-Christ. Dieu oi donne
ù Michel et à Raphaël de retirer des mains
des diables l'âme de cet enfant,... et l'enfant
est ressuscité....
8° Nous empruntons à M. O. Leroy (Epo-
ques de l'Iiistuire de /<>., Paris 1843, iu-8",
p. 423) le compte-rendu de la scène sui-
vante :
« Un bourgeois d'Orléans, de l'humeur la
pms violente, poursuit un de ses esclaves,
dont il croit avoir à se plaindre, et prétend
le faire mourir. L'infortuné vient se jeter
aux genoux de la sainte, en la conjurant
d'arrêter la fureur de son maître. C'est ce
qu'elle tente... Elle s'adresse au m;iître ,
après avoir dit au pauvre serviteur de se
tenir en oraison:
GENF.VltVE.
Vaillant seigneur, adouciez
Pour l'amour de Dieu votre cole {co'h?)
Selon la divine parole,
Qui sans pitié tourmentera.
Sans pitié tourmenté sera :
Doncques pardon et grâce face (fusse)
Qui veut avoir pardon et grâce.
«Malgré la dureté avec laqmJle il lui
répond,
Daller faire ses presthemens
Ailleurs qu'aux bourgeois d'Orléans,
« La sainto continue, et bientôt après le
furibond... pardonne à son serviteur...
Chière dame, soiez certaine
Que jainez ne le gréveray,
Ainçois moult de biens ly leray
Pour l'amour de vostre personne ,
El dès maintenant ly pardonne.
« Sainte Geneviève s'adresse ensuite au
serviteur et lui rappelle ses devoirs:
59"
CEN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CEO
508
Avec voslrc maislre en yrez,
Et loyaumeni le servirez.
Soyez prest el obcdicnt,
Doulx et courtois el pacienl. ..
Honiiourez el maislre cl mai tresse
Oyez les sermons et la messe,
Quand vous pourrez, par leur licence
Dieu vous octroi l grâce el science
Eu toul bien. Adieu niez amis... >
9" S;iinte Geneviève veut bâtir une enlise
€n l'honneur de saint Denys. Elle y trouve
beaucoup de dilficultés. Entre autres, on lui
représente qu'on n'a point de chaux. Elle
ordonne aussitôt à deux hommes d'aller à
Paris, sur le grand pont, et de lui rapporter
ce qu'ils y entendraientdire. Ils y rencontrent
deux bourgeois, dont l'un disait à l'autre
nue, sous Montmartre, on venait de décou-
vrir deux fourneaux de chaux. La sainte en
envoie chercher el fait travailler les ouvrieis.
Ils se senleut bientôt pressés par la soif: on
*:■ chercher des barils d'eau ; sainte Gene-
viève ies change en vin...
10° Un boiteux, un hydropique, un bossu,
un fiévreux, un aveugle el quelques autres
malades font à sainte Geneviève le récit des
différents maux qu'ils souffrent. Par ses
[trières, elle obtient de Dieu leur guérison:
ils s'en retournent tous chez eux, en chan-
tant les louanges du Seigneur.
11° Une vieille débauchée vole les souliers
de sainte Geneviève, et devient aveugle pour
avoir commis ce crime. Elle vient demander
pardon à la sainte, et recouvre la vue par
son intercession : sainte Geneviève la prêche
ensuite, lui fail voir toute l'horreur de la
vie qu'elle mène, et enfin la convertit. La
vieille, pénétrée des sages discours de sainle
Geneviève, va se jeter aux pieds de l'évoque
de Paris, lui fait sa confession générale,
obtient l'absolution, et mène après la vie la
plus exemplaire. »
GENEVIÈVE [ Manuscrit de la Bibliolhè-
q»ie de SAINTE}. — M. Achille Jubinal a
publié en 1837, à Paris, chez Téchener, place
du Louvre, sous le titre de Mystères inédits
du xv' siècle (2 vol. in-8°), le contenu d'un
manuscrit, signalé en 1768 dans la Biblio-
thèque du théâtre françois, ouvrage généra-
lement attribué à la plume élégante du duc
de La Vallière. (Dresde, Michel Groell, 1768,
in-8% 3 vol.)
Le manuscrit el l'édition de M. Jubinal
contiennent: Saint Etienne (\Le martyre de).
— Saint Paul (La conversion de). — Saint
Denis {La conversion de). — Saint Pirrbb et
saint Paul [Le martyre de). — Saint Denis
(Le martyre de). — Sainte Geneviève (Les
miracles de Madame). — Saint Fiacre (La rie
de Monseigneur ) — Nativité de Nothe-Sei-
GNEin Jésis-Christ ( La ). — Tnois Uois (Le
jeu des ). — Passion de Notue-Seigneuh ( La ;
— Résurrection dk Notre-Seigni.lu ( La).
« M. Jubinal , a dit, avec sa légèreté ha-
bituelle, M. Villemain (Journ. des Sav. 1833,
Avril, p. 205 ), dans les deux volumes de
mystères inédits qu'il a... publiés , n'a com-
pris que des pièces du xv* siècle , et des
pièces tontes religieuses... Ces drames , cu-
rieux dans leur forme grossière, n'offrent
rien qui sorte du cadre de la légende dia-
loguée, rien qui se rapporte a la société
politique du temps, rien qui, de près ou
de loin , puisse donner l'idée de ia tragédie
nationale , comme on dit aujourd'hui. »
GEORGES ( Saint ). — On lit dans le Jour-
val général de l'Instruction publique ( n° 70,
2juillet 1835, p. 351) rendant compte ducours
de M. Magnin, professé h la Faculté des let-
tres , 1834-1836 , le fragment suivant d'une
scène dramatique ayant trait à saint Geor-
ges.
« Voici une de ces légendes telle qu'elle
était représentée dans le pays de Cornouail-
les à la fête de Noël :
(Entre le chevalier turc.)
le caEVALiER turc. Ouvrez vos portes et laissez-
nioi entrer; j'espère gagner votre faveur : que je
sois vainqueur ou que je succombe, je (Vrai de mon
mieux pour vous plaire à tous; saint Georges esl ici
el jure qu'il entrera; s'il le fait, je sais qu'il perce-
ra ma peau; si vous ne croyez pas ce que je dis,
que le Père Noël entre. Ouvrez le passage ! [Exi:.)
(Entre le Père Noël [l'allier Christuias].)
i.e père nof.l. Me voici le vieux Père Noël, tiien-
venu ou non ; j'espère que le père Noël ne sera ja-
mais oublié. Je ne suis pas venu ici pour riic ou pour
plaisanter, mais pour avoir plein ma poche d'argent,
et plein mon outre de bière. Si vous ne croyez pas
ce que je vous dis, que te roi d'Egyple vienne.; el
ouvrez-lui le passage !
(Entre te roi d'Egypte.)
le roi. Moi, le roi d'Egyple, je parais Hardiment.
Sainl Georges, saint Georges, entrez, vous, mon fils
unique, mon seul héritier. Entrez, mon fils Georges,
et jouez admirablement voire rôle; que lous ceux
qui sont ici voient votre art merveilleux.
{Entre S. Georges-.)
saint georges. Me voici moi, saint Georges. Je
viens de la Grande-Bretagne. Je combattrai le dra-
gon; pour commencer mes merveilles, je lui cou-
perai les ailes, il ne volera plus, je l'abattrai ou je
périrai.
(Entre le dragon.) é
le uraCON. Qui demande le sang du dragon ? qui
appelle si haut et avec fureur? Ce chien d'anglais
osera-l il tenir devant moi? Je l'abattrai de ma
main courageuse avec mes longues dents cl ma mâ-
choire scorbutique.
(Combat entre saint Georges et te dragon; celui-ci est
blessé mortellement. Le père Noét appelle un doc-
leur, le docteur guérit le dragon. Second combat
ilmis lequel ce dernier succombe de nouveau).
saint georges. Me voici moi, saint Georges!
digne el hardi champion, avec mon cpée et ma lance,
j'ai gagné Irois couronnes d'or. J'ai combattu la
fougueux dragon elje l'ai massacre; par là j'ai ob-
tenu la belle Sabra, la tille du roi d'Egyple.
(Le chevalier turc s'avance:)
le chevalier tcrc. Me voiei le chevalier litre,
venu de la Turquie pour combattre; ie combattrai
sainl Georges qui esl mon ennemi.
saint Georges. Où e?t le turc qui veut me résis-
ter? Je le renverserai de ma main courageuse.
(/7s combattent, le chevalier turc esl laincu, et de~
mande à être l'esclave de saint George»; ils cc.m-
baiteiil une seconde fois el le turc est niçl
(Entre le géant Turpin.)
TCRriv Me voit i !e hardi géant, Turpin e»t mou
799
cm
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CRI
400
non»; loules les nations J'alcnlour Ireniblenl à mon
nom seul.
saint ceorges. En voici mi qui ose le regarder
en face el qui l'enverra bientôt dans un autre
monde.
(Ils combattent, le géant est tué et resstiscilê comme
les deux précédents par le docteur auquel, pour
toute récompense, suivant l'usage du théâtre, on
donne un coup de pied et qu'on met à la porte.)
« Le père Noël finit par un appel à la
bourse des spectateurs. »
GERMAIN ( Le mystère de saint ). — Ce
mystère fut joué en 1452 aux fêtes de Pâ-
ques à Auxerre , dans l'église des Cordeliers,
en présence de toute la ville. (L'abbé Le-
beuf, Remorques envoyées d' Auxerre, le G dé-
cembre 1728. [Mercure de France, 1729, dé-
cembre', p. 2982 J.) M. Magnin, dans le ca-
hier de Juin 18i6 du Journal des Savants ,
examinant le théâtre du moyen âge, et ne
trouvant pas de preuves pour que les mys-
tères en langue française aient été repré-
sentés dans l'intérieur des églises, se de-
mande si celui de saint Germain était latin ou
farc i, c'est-à-dire mélangé de latin et de
français, ou tout écrit en français. «Peut-être,»
conjecture-t-il, « l'église des Cordeliers ne
servait-elle plus au culte? >.
GOLVERT D HUMANITÉ (Le).— Duver-
dier, (Bibliothèque françoise , p. 635), donne
la note suivante , répétée par les frères Par-
fait sous la date de 1538 ( Hist. du Théâtre
fr.; Paris, 15 vol., in-12, 1745, t. 111 , p.
151 ) :
Le Gouvcrt d'Humanité , composé par Jean
d'Abundance , el imprimé à Lyon.
Voy. Abundance ( Jean d' ).
GRESBAN t( Arnoul et Simon). —Le nom
des frères Arnoul el Simon Gresban est rat-
taché pour jamais à l'histoire des grands
drames de la Passion et des Actes des apô-
tres.
Leur temps est sinon incertain , du moins
ditlicile à préciser. Simon survécut à Ar-
noul ; l'un et l'autre ont vécu au milieu du
xv' siècle.
D'où étaient-ils originaires ?De Picardie?
nés à Compiègnes? Pasquier les croyait du
Mans.
Arnoul aurait été chanoine au Mans.
Simon , moine de saint Richer, en Pon-
thieu , fut secrétaire de Charles d'Anjou, duc
du Maine.
La rareté des documents sur les Gresban,
ou Gréban, fait qu'on croirait écrire l'his-
toire de quelque auteur mystérieux du vin*
ou du ix' siècle.
Arnoul a revisé la Passion; Simon a mis
la dernière main aux Actes des apôtres. —
Voy. Passion(£")- — Actes des Apôtres (Les).
GR1NG01RE (Pierre). — M. O. Leroy,
dans ses Etudes sur les Mystères, à propos
du saint Louis, a donné sur Gringoirc les
détails suivants :
« Pierre Gringore ou Griogoire, cet en-
fant sans souci, tour à tour saltimbanque
ambulant, et entrepreneur de farces et so-
ties sous Charles Vlll et Louis XII, héraut
d'armes du duc de Lorraine, dans le duché
de qui il était né, rimeur ascétique plus
lard et dévot sincère; à la fin poëte tragique,
mais connu seulement jusqu'aujourd'hui
par quelques farces de sa jeunesse, dans
l'une desquelles il avait joué lui-même aux
halles de Paris, le Pape Jules II, alors en
guerre avec la France... » (P. 304). Dans ses
écrits, « il n'épargnait personne, frappait à
droite, à gauche, partout... Dans une de ses
farces, intitulée le Jeu du Prince des sots.
où il jouait le premier rô'c, il dit, en s'a-
dressant au public :
Honneur, bieugard ïe< soiz et les solles:
Renedicitc ! que jen voy.l
« ... xWais ses traits sont lourd», il faut en
convenir... Il y a peut-être un peu plus de
finesse dans le dialogue de la Sotise du Nou-
veau Monde; mais le sujet, assez obscur au-
jourd'hui, demanderait un long et froid com-
mentaire...» (P. 305-306.)
« Les farces de Gringore, grâce aux tra-
vestissements des acteurs, et à la malignité
du public, obtinrent plus de succès que" leur
auteur d'estime. Il n'avait laissé que la ré-
putation d'un bouffon satirique... » (P. 308.)
« En vain, pour se débarbouiller de sou
plâtre et de sa farine, le Prince des sots se
plongea-l-il dans les sources pures de l'Ecri-
ture sainte; sa Paraphrase des sept très-pré-
cieux et notables pseaumes du royal prophète
David, et ses Heures de Nostre-Dame trans-
latées en franeoys et mises en rhytmes, ne sont
aujourd'hui connues que des amateurs de
livres rares.
« Il est probable néanmoins que ces tra-
vaux de conscience procurèrent à Gringore
(outre l'honneur d'être enterré après sa mort
a Notre Dame) d'estimables relations... »
(P. 309.)
M. O. Leroy appuie cette conjecture sur
la demande de la confrérie de Saint-Louis qui
donna lieu à Gringore d'écrire \avic monsei-
gneur saint Loys.
Le même critique, dans ses Epoques de
rhistoire de France (Paris, 1843, in-8°, ch.
9, p. 393-400. A propos de l'article consacré
par M. Villemain dans le Journal des Sa-
vants (Avril 1838) aux Etudes sur les Mys-
tères, est revenu sur l'auteur obscur encore
de la vie de saint Louis.
« II ne faut pas douter, » dit-il , « que le
nom de Gringore n'ait contribué à laisser,
plus de trois cents ans, dans l'oubli complet
où nous l'avoiis trouvé, le manuscrit de ce
long drame... »
Et un peu plus haut :
« Un devancier de Marot, un poêle qui,
avant son dernier ouvrage, qu'un hasard
heureux nous a fait connaître, n'était, par
ses premiers pas sur des tréteaux, arrivé
jusqu'à nous que sous des traits grotesques,
Gringore, qui avait eu aussi la prétention de
réformer son siècle, mais par le ridicule,
lui, ce poëte de Louis XII, s'était aussi
trouvé dans sa carrière satiriquemenl scan-
daleuse, associé aux enfants sans-souci. Le
vaurien qu'il a mis en scène (dans le mys-
m
I1ER
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IiER
40*
tère de saint Louis) y est peint d'après na- de saint Guillaume ermite n'est connue que
ture et avec un talent qu'on admirerait dans par une mention fort incertaine de de Beau-
Regnard... » (0. Leroy, Epoques de rhist. de champs. (Recherches sur les théâtres de
France; Paris, 1843, in-8% p. 370.) France; Paris, 1735, in 8°, 3 vol., T. 1", p.
GUILLAUME ERMITE (Saint). — La vie 228.)
HERESIE ET L'EGLISE. — Cette mora-
lité du xvie siècle a 616 éditée, d'après te
manuscrit du fonds La Vallière, n° 63 de la
Bibliothèque impériale, dans le Recueil de
farces, moralités et sermons joyeux..., tiré à
76 exemplaires..., par MM. Leroux de Liney
et Fr. Michel, Paris, Téehener, 1837, petit
in-8°, k vol., t. III. Nous ne saurions déci-
der si cette petite pièce a été destinée à la
représentation; peut-être serait-il plus exact
de n'y voir qu'un dialogue philosophique de
forme antique. Le titre est ainsi conçu :
Heresye et l'Eglise, morallite, a vi, person-
nages , c'est a scauoir ; Heresye , Frère
Simonye , Force, Scandale , Procès , l'E-
glise.
Elle n'occupe que dix pages de l'édition
Téehener.
M. O. Leroy a considéré comme hostile à
l'Eglise le drame d'Hérésie, et le rapproche
de la Farce des théologastres, pétillante d'es-
prit, et dont le b.ut serait à peu près le
même. « L'Eglise, dit-il, se renfermant sou-
vent dans sa puissante force d'inertie, se
contentait d'opposer 5 ses ennemis ses por-
tes d'airain, contre lesquelles l'enfer ne doit
point prévaloir. Et ce n'était pas seulement
en figure, mais en réalité, qu'elle avait fré-
quemment fermé ses portes et celles de ses
écoles à ses adversaires, quand elle avait eu
trop à s'en plaindre; de sorte que la pièce
allégorique, dont nous allons parler, pou-
vait être prise aussi au sens propre. » (Epo-
ques de l'histoire de France; Paris, 1843,
in-8% p. 377.)
11 est évident que M. O. Leroy a commis
une erreur : la Farce des théologastres est
une pièce toute protestante; nous ne voyons
rien dans la moi alité d'Hérésie qui ait un
caractère d'hostilité contre l'Eglise.
L'Eglise est attaquée par l'Hérésie, la Si-
monie, la Force, le Scandale et le Procès,
qui veulent pénétrer dans son sein ; elle se
défend avec douceur dans l'intérieur inex-
pugnable de son fort.
HERESYE.
Gy veuil entrer
EGLISE.
La clef y coniiycnl racouslrer
Car el est faulce. . .
BBBBSYB.
El est de fin fer d'Aiemaigne
La cLf, ie m'en rapuile a France
(17 i) M. l'abbé Lahouderie a fait observer que,
dans le pas&ige de S. Luc (il, 10, 11. 12) les mois
latins que nous r pportons en [»eiiics capitales m' se
L EGLISE.
C'est clef d'ininre, clef (l'oulirance,
Clef violente qui ront (oui;
Clef qui ne peull venir a boult
De ce qu'il a commence
Clef d'un fol, clef tfun inl'ence,
Clef d'ipocriles el de bigos,
Clef d'un grenier plein de fagos. . .
Pressée furieusement par ses ennemis,
elle ouvre l'huis el ne fait que se montrer:
déjà tous ont disparu ou se sont soumis.
S€AN»ALLE.
Nous sommes tous confus, ma dame;
Prenez nous en miséricorde.
l'église.
En concluant, ie vous l'accorde
Devant celle noble assistance;
Contre moy faire résistance
Entrer dedens par viollence,
11 ne se peull pas faire ainsy. . .
HÉRODE ou V Adoration des Mages. — Le
drame d'Hérode, du xir siècle, est l'un des
dix mystères du précieux recueil du xme siè-
cle, dont nous avons donné la description et
l'histoire, sous le titre de Manuscrit de Sainl-
Benoît-sur-Loire. — Voy. Saint-Beivoît sur-
Loike (Manuscrit de).
PERSONNAGES.
l'enfant JÉSUS.
l'ange,
premier mage.
SECOND —
TROISIÈME —
hérode, roi des Juifs.
LE FILS D'HÉRODE.
UN ÉCL'YER.
LE CHOEUR DES ANGES.
LES BERGERS.
LES INTERPRÈTES OU ORA-
TEURS.
LES SCRIBES.
LES FF. V MES.
LES NOURRICES.
LE PEUPLE.
LE CKOEUR.
LE CHANTRE.
Livret de la représentation d'Hérode.
SCÈNE V.
(Ilérode el les mitres personnages étant placés, un
ange apparaît dans les deux, environné d'une mul-
titude d'autres. A son aspect, les bergers sont saisis
de stupeur. Il leur annonce le salut au milieu d'un
profond silence.)
l'ance. N'ayez peur, Bergers, je vous apporte
une heureuse et grande nouvelle, propice également
à tous les hommes, c'est qu'aujourd'hui est né le
sauveur du monde, dans la cité de David, et recon-
naissahlc à ceci que vous trouverez l'enfant roulé
dans des langes el placé dans la crèche, enlre deux
animaux (in medio duum animatium) (171).
(Soudain toute la multitude des anges dit avec l'Ange.)
trouvent dans les textes ni des Evangiles, ni dos
évangiles apocryphes, ni des Pères de l'Eylisc.
403
Htn
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
HER
404
les angics. Gloire dans les cieux à Dieu et pair
sur la terre aux hommes de bonne volonté (S. Luc
h, 14).
SCÈNE II.
(Les bergers se lèvent, et approchent en chantant
transeamus, etc., jusqu'auprès de la crèche, dispo-
sée à la porte d'un monastère.)
(Transeamus usque Bethléem ut videnmus hoc Verbum
quod factum est quod fecit Dominus et ostendit
nobis. . . (Luc. Il, 15.)
deux femmes. (Qui gardent ta crèche, interrogent
les bergers). Que cherchez-vous, bergers? parlez.
les bkrgers. C'est le Seigneur Christ, le Sauveur,
qu'un ange en nous l'annonçant nous a dépeint
comme un petit enfant enveloppé dans des langes.
les rEMMES. Voici ce petit enfant, et Marie sa
mère, dont le prophète Isaïe a dit, il y a bien long-
temps : une vierge concevra et mettra au monde un
iils (/*. vu, 14).
les bergers & agenouillent et adorent l'enfant.
Salut, roi des Siècles ! (Ils se lèvent et parlant a ceux
qui les entourent, invitent la foule à adorer l'enfant.)
Venez, venez, venez ! Adorons le Seigneur qui est
noire salul.
SCÈNE 111
(A ce moment, les mages sortant de leurs coins, c'est'
à-dire de leurs royaumes, se réunissent devant l'an-
tel, au lever de l'étoile; en marchant le premier
dit :)
le premier mage. L'étoile est moins brillante.
le second. Le prophète avait annoncé le Sauveur
à venir.
(Rangés sur le côté, celui de droite dit à celui du
milieu : que lv paix soit avec toi, ô mon frère !
et celui du milieu répond : la paix soit aussi avec
toi! et ils s'embrassent; celui du milieu se tourne
alors vers celui de gauche et fait de même: celui de
gauche en agit de même avec celui de droite. Chacun
d'eux se salue.)
le mage de droite. à celui au milieu. Que la paix
soit avec loi, ô mon frère
(Chacun répond : la paix soit vw toi !)
(Ils se montrent l'étoile.) Voici i Etoile, l'étoile,
l'étoile.
(L'étoile se mettant en marche, ils la suivent.)
Allons, cherchons le roi des Juifs, pour lui offrir
nos présents, l'or, l'encens et la myrrhe, selon les
termes de l'Ecriture : Tous les rois l'adoreront et
tous les peuples le serviront. (Arrivés auprès du peu-
ple, ils font des questions.) Habitants de Jérusalem,
répondez nous ! où est celui qu'attendent les nations?
où esl ce roi de Jérusalem à peine né? où est celui
que des signes célestes nous ont invité à adorer ?
SCÈNE IV.
(lîérode en les voyant, envoie vers eux un héraut.)
le héraut. Quelle nouveauté, quels motifs vous
ont attirés dans ces régions inconnues? Où allez-
vous? quel est votre pays? en quel lieu habitez-
vous? apportez-vous la paix on la guerre?
les mages. Nous sommes Chaldéens, nous appor-
tons la paix, nous cherchons le Roi des .rois, dont
la naissance est annoncée par une étoile plus bril-
lante qu'aucune autre,
le héraut, retournant au roi et l'ayant salué.
!\'ive le Roi, à jamais !
iiérode. Ma faveur te garde !
le héraut. Seigneur, il y a ici trois hommes in-
connus, venusd'Orient, cl cherchant un roi nouveau-
né.
hébode, envoie ses mterprè.es aux Mages . Bons
'interprèles, cherchez quels sont ces rois, dont la
venue en ces lieux nous a déjà été annoncée par la
renommée.
les interprètes, aux Mages. O rois, sur l'ordre
de notre prince, nous venons vous demander pour-
quoi chacun de vous a quille son pays, cl d'où il
est venu.
les mages. Nous sommes venus chercher respec-
tueusement un Roi, auprès duquel une étoile nous
conduit, et à qui nous avons des présenls à offrir.
les interprètes, à Hérode, de retour auprès de
lui. Ce sont des rois d'Arabie, qu'un astre conduit
auprès d'un roi à peine né, avec tic triples présents.
hérode, envoyant le Héraut aux Mages. Ordonne-
leur de se présenter devant moi, afin que j'apprenne
on détail qui ils sont, pourquoi ils viennent, el par
quel étrange hasard ils nous cherchent.
le héraut. Roi illustre, ton vœu va s'accomplir
2 l'instant.
le héraut aux Mages. Les ordres du roi vous ap-
pellent auprès de lui, hàiez-vous.
le héraut conduisant les Mages à Hérode. Voici iC3
Mages, ils cherchent, sous la conduite d'une étoile,
un roi qui est né
SCÈNE V.
hérode aux Mages. Quel esl le motif de votre
voyage? Qui êtes vous? D'où venez-vous? Répon-
dez ?
les mages. Un roi est le but de notre voyage. Nous
sommes des rois d'Arabie. Nous sommes venus ado-
rer ici un roi inconnu aux rois, qui vient de navire
cl qu'allaite une vierge juive.
hérode. Par quel signe êles-vniis assurés de I.»
naissance de ce roi, objet de vos recherches?
les mages. C'est en Orient, par l'apparition d'une
étoile, que nous avons connu sa naissance.
hérode. Vous êtes bien sûrs que c'est un roi ?
Parlez?
les maces. Notre aveu de ce roi esl notre présence
céans, si loin de notre patrie, avec ces dons mysté-
rieux, ces triples présenls, pour honorer un troi-
sième Dieu.
(Ils montrent les présenls).
le PREMieR dit : L'or, au roi.
le second. L'encens, au Dieu.
le troisième. La myrrhe, à l'homme.
(Hérode commande alors aux dévoués assis attpièsde
lui en habits de pages de (aire approcher les scribes
dispersés çà et là, el reconnaissables à leurs longuet
harbes.
hérode. O mes dévoués, faites avancer les savants
dans la loi, afin qu'ils cherchent dans les prophètes
ce que signifie cet événement
les dévoués aux scribes, en les amenant et en ap-
portant les livres des prophètes. Docteurs de la Lot,
venez aussitôt auprès du roi qui vous mande avee
les livres des prophètes.
hérode interroge<i»l les scribes. Docteurs, je vous
demande ce que ces écrits peuvent contenir sur cet
enfant
(Les scribes feuillèlent longtemps le livre, ils tombent
enfin sur le passage prophétique, el montrant du
doigt le livre au roi incrédule, ils disent :)
les scribes. Seigneur, nous voyons dans ces lignes
des prophètes celte prédiction de David : Le Clirist
naîtra dans la cité juive de Bethléem.
le chœur. Bethléem non est minima..., elc. (Mi-
ellée, v, 2; Mauh. xi, 6.)
(Alors Hérode, transporté par la vue prophétique de
l'avenir, et enflammé de fureur, jette au loin le li-
tre ; son fils , au bruit qui s'est fait, s'avance porr
calmer son père, se lient debout devant lui et le sa-
lue. )
SCÈNE VI.
le fils d'hérode. Salut, ô mon illustre père ! salut,
ô grand roi, maître en tons lieux et tenant seul le
bo'pîre souverain.
405
lIEIV
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
IliL
446
hérode. 0 mon fils bien-aimé, si digne.du tribut
de 1.1 gloire, el dont le nom retentit avee éclat dans
les louanges royales, un roi est né, plus fort, plus
puissant que nous, et je crains qu'il ne nous préci-
pite en bas de notre trône royal.
le fjls, avec dédain, et accumulant les co'èressur
sa tête. 0 mon père, laisse ion fils poursuivre cet
enfant qui est né, et ce petit roi.
(Hérode renvoie les Mages chercher l'enfant, el il
s'engage vis à vis d'eux envers le roi qui est né.)
hérode. Allez, el faites avec soin des recherches
sur cet enfant, el quand vous l'aurez trouvé, an re-
tour, faites-le-moi connaître, alin que, moi aussi,
j'aille l'adorer.
(Les Mages, à peine dehors, sont précédés de l'étoile,
jusque-là invisible aux yeux d'Hérode; ils se la
montrent el se mettent en marche. A l'aspect de l'é-
toile, Hérode el son fils tirent leurs épées d'un air
menaçait!.
les mages chantant : Voici l'é:oile orientale dont la
lumière nous guide.
SCÈNE VU.
les bergers revenant de la crèche, chantent gaie-
ment : 0 Roi du ciel!
les ma«es aux bergers. Vous l'avez vu?
les bergers. Toul ce que l'ange nous avait dit
sur cel enfant s'est vérifié : nous avons i couvé l'en-
fant rouli dans des langes et dans ta crèche, au mi-
lieu de deux animaux.
(Les bergers s'en vont, et les Mages, suivant l'étoile,
approchent de l'étable.)
les mages chantant. Combien sont peu de choses,
dans leur immensité, le ciel, la lerre el les mers in-
finies! L'enfant est là, sorti du sein d'une Vierge,
couché dans uneélable, ainsi que l'avaient annoncé
tous les prophètes; auprès de lui, le bœuf el l'âne. El
l'étoile brillante apparaît, pour fournir ses services à ce
Seigneur que Ralaani avait prédit devoir naine de la
nation juive; cl l'étoile brillante inonde nos yeux de
i 'éclat de ses feux, pour nous conduire miraculeu-
sement, resplendissante, vers ce berceau.
les nourrices parlant aux Mages, dès qu elles les
ont vus. Qy.els sont ces hommes qui s'avancent vers
nous sous la conduite d'une étoile, el qui apportent
des objets inconnus?
les mages. Tels que vous nous voyez, nous som-
mes les rois de Tharse , d'Arabie et de Saba: nous
apportons des présents au Christ qui est né, au Sei-
gneur Roi, auprès duquel nous sommes venus, sons
la conduite d'une étoile, el pour l'adorer.
les nourrices, montrant l'enfant. Voici l'enfant,
voici celui que vous cherchez; adorez-le aussitôt,
car il est le Rédempteur du monde.
les mages. Salut! Roi des siècles! Salut ! Dieu des
Dieux! Salut! Sauveur des morts.
(Les Mages se prosternent, adorent l'enfant, el lui
ofjren'. leurs présents.)
le premier mage. 0 Roi, prends cet or; l'or est le
symbole des rois.
i.e second. Prends la myrrhe; la myrrhe est le
symbole des tombeaux.
le troisième. Prends l'encens, car tu es vraiment
Dieu.
(La cérémonie accomplie, les Mages s'endorment de-
vant l'étable, jusqu'au moment où un ange appa-
raissant au-dessus d'eux, les prévient dans leurs
rêves de s'en retourner dans leur pays par un che-
min autre que celui de leur venue.)
l'ange. Les prophéties sont entièrement accom-
plies. Allez, prenez un autre chemin, pour n'être pas
punis comme délateurs d'un si grand roi.
les mages s' éveillant. Dieu soil loué! Levons-nous,
et comme nous en avertit la vision de l'ange, chan-
geons de chemin, pour cacher a Hérode notre visite
à l'enfant.
les maces s'en vont par un chemin différent, pour
n'être pas rencontrés par Hérode. Ils disent : 0 mer-
veilleux rapports! ô création universelle! (S'adres-
sont au chœur). Frères, soyez dans la joie, le Christ
est né pour nous, un Dieu s'esi fait homme.
le chantre entonnant : Te Deum, elc.
HILAIRE, disciple d'Abailakd. — André
Duchesne publia, pour la première fois, en
1616, une pièce de vers tirée des œuvres
d'Hilaire (Abœlardi Opéra, p. 242.) Mabillon
donna, en 1713, dans les Annales ordinis S.
Benedicli, t. V, p. 315, la Vie de cet auteur.
Depuis lors, il n'était plus question d'/it-
laire, lorsque, en 1838, M. Champollion Fi-
geac en édita les œuvres complèles.
On n'a sur Hilaire d'autres renseignements
que ceux que lui-même a donnés dans di-
verses pièces de ses vers. Son nom n'est
ainsi connu que par lui-même. Mabillon l'a
fait anglais d'origine, en s'appuyant sur ce
qu'il raconte la vie d'une recluse anglaise,
qui mourut en Anjou, et sur ce que quatre
de ses Epîtres sont adressées à des person-
nages originaires d'Angleterre. Il serait venu
d'Angleterre en France, pour entendre Abai-
lard, dont il se dit le disciple, et qu'il cite
souvent. Il vécu» donc dans la première
moitié du xn' siècle.
Les conjectures de Mabillon ont été con-
firmées par l'autorité, soit de M. Champol-
lion-Figeac, éditeur des OEuvres d'flftaire,
soit de M. Paulin Paris, dans le tome XX de
P Histoire littéraire de la France (p. 627-
630)
M. O. Leroy, dans ses Epoques de l'histoire
de France (Paris, 18i3, in-8°), en a l'ait un
hérésiarque, en ce sens au moins que, clans
le temps môme des etforts de l'Eglise pour
maintenir la langue latine, il avait intro-
duit des mots français dans les pièces ri-
niées qui restent de lui, et môme parce que,
dans un de ses drames, il avait tenté de sa-
per quelques-uns des dogmes. ( p. 72. )
Les trois pièces de cet auteur auraient été
représentées. (Ib., p. 78.)
Les OEuvres d'Hilaire .sont restées très-
longtemps inconnues. Depuis 1713, époque
où Mabillon en avait consulté le manuscrit,
ce précieux recueil avait disparu. M. Gué-
rard le reconnut en 1837, et la Bibliothèque
du roi en lit l'acquisition, dans la vente de
la bibliothèque de Rosny. Il renferme :
1° Quinze pièces de Vers, parmi lesquelles
sont trois mystères : 1° le Lazare; 2° le Saint-
Nicolas ; 3° le Daniel.
2° Une Interprétation mystique du nom do
Jérusalem, attribuée a Hilaire par son édi-
teur.
3° Une Charte salyrique, écrite d'une au-
tre ma'n.
M. Champollion-Figeac en a donne une
édition unique jusqu'à présent, sous le titre
de Hilarii versus et ludi, Paris, Téchener,
1838, in-8°, de xv-61 pages
Celle édition ne contient que les 15 Piè-
ces de vers et Y Interprétation mystique; la
Charte satnrique, presque, contemporaine dea
407
IIOM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
HOM
m
OEuvres cTIIilaire, a été publiée par le môme
érudit, (î a n s la Collection des documents re-
latifs à l'histoire de France (Lettres des rois,
reines etc.).
HOMME FRAGILE (L'). — Celte pièce,
datant du xvie siècle, a été éditée d'après le
manuscrit, fonds La Val Hère, n°63, de la Bi-
bliothèque impériale, dans le Recueil de far-
ces, moralités, sermon* joyeux..., tiré à 76
exemplaires..., par MM. Leroux de Liney et
Fr. Michel ; Paris, Téchener, 1837, petit in-8b,
4 vol., t. III, n° 51. Il est difficile de décider
si jamais elle a été destinée à la représenta-
tion : néanmoins nous pencherions à croire
que, de même que beaucoup d'autres pièces
du même genre, elle n'est qu'une sorte de
dialogue de forme antique. Le titre est ainsi
eonçu :
L'homme fragille, morallile a iv. personna-
ges, c'est a scavoir : V Homme fragille, Con-
cupicence, la Foy, la Grâce.
Elle occupe dix feuillets.
La Concupicence tente V Homme:
3e sçay bien que vous fault, my dieul-x :
Plusieurs grans thrésors cl richesses,
Habis braves cl spéeieulx
Mains plaisans et délicieux
El tous plains d'aullre genlillescs,
Scavoir : cinq cent mille fineses
Pour aquerer honneur des dames...
l'homme.
Ma mignonne, que ie vous âmes
Voila loul ce que ie demandes.
Mais la Loy avertit l'Homme, le gour-
mande :
Tu scays que lu es créature
Du seigneur qui est tant puissant...
Conternne ses conimandemens,
Malédictions cl lourmcns,
Famyne, maulx sur toi viendront;
Tes besles, vignes, grandz forment^
Te seront pris et desfaudront.
Tes lerres plus ne porteront.
La Foy et la Grâce s'unissent à la Loy.
GRACE.
Cete foy de quoy ie l'exhorte
Ceste ferme foy chreslienne et vyue
Tousiours œuure sans estre oysiue...
Par ceste foy les saints prophètes
Onl chosses admirables faictes...
L'Homme s'humilie:
A tous ie prie
D'ensuyvre Jessus qui nous crye.
Et concluons que sans la foy
• Auecques la grâce de Dieu
Ne pouuons accomplir la loy
(175) On ne doit pas s'imaginer qu'une moralité
si longue ait jamais élé représentée dans un seul
jour. Il en était de ces pièces comme des mystères,
qui lorsqu'ils étaient plus étendus, se jouaient à dif-
férentes journées.
(176) Justice divine paraît ici armée de trois grands
dards, l'un vermeil, le second noir, et le troisième de
couleur pâle, signifiants Guerre, Mortalité, Famine.
Au reste Simon Bougoin, auteur de celte moralité,
n'avait fait que paraphraser le sujet de celle du Bien-
Advisé et Mal-Advisé. Voici ce qu'en dit Duverdier-
Yauprivaz, pag. H3(i. de sa Bibiollièque [rançaiçe.
Mais par la foy fermement ie croy
Qu'erons tous en paradis lieu.
En prenant congé de ce lieu
Une chanson pour dire adieu.
Finis.
HOMME JUSTE ET V HOMME MON-
DAIN (L').— Cette moralité composée dans
le commencement du xvie a pour au leur Si-
mon Bougouin et non Bourgoin comme l'ont
à tort imprimé Duverdier et Lacroix du
Maine. ( Cf. les frères Parfait , Hist. dit
Théâtre franc. ; Paris , 1735, 15 vol. in-lf ,
t. II , p. 247. ) Bougouin était valet de cham-
bre de Louis XII. Sa pièce parut en 1508 à
Paris, chez Anthoine Vérard. Il a composé
aussi le Traité de VEpinette du jeune prince
conquérant le royaume de Bonne Renommée ,
imprimé à Paris , chez Michel Lenoir, 1514,
in-folio goth. Duverdier critique le mauvais
goût de ce poète. La Bibliothèque du Théâtre
françois , ouvrage attribué au duc de La Val-
lière, (Dresde , 1768, in-8°, 3 vol., t. 1",
p. 81) a fait mention de VHomme juste.
Les frères Parfait (Loc. cit., 1745, t. III,
p. 112-124) ont donné de ce draine l'ana-
lyse suivante :
MORALITÉ DE L'HOMME JUSTE ET DE L'HOMME
MONDAIN.
« C'est un in-4° de 454 pages , et environ
36,000 vers , ou lignes de prose , a la fin du-
quel on lit ce qui suit (175) :
Cy fine ce présent Livre intitulé l'Homme
Juste , et l'Homme Mondain , avec le Juge-
ment de l'Ame dévote , et exécution de sa
Sentence : imprimée à Paris le XIX. jour
de Juillet mil cinq cens et huyt , pour An-
thoine Vérard , Marchant Libraire, démou-
lant audict Paris , devant la rue Ncufre
Nostre-Dame , à l'enseigne S. Jehan l'Evan-
gélisle.
« La Terre produit deux enfants qu'elle
conduit à Fortune et au Monde, pour en
prendre soin. Ces deux-ci , après leur avoir
donné un vêtement, les mènent à l'Eglise,
qui les fait baptiser, par son fils Baptême,
et les remet entre les bras d'Innocence , et
de ses deux filles Enfance et Adolescence.
Les quatre enfants jouent ensemble jusqu'au
moment que Connaissance les vient séparer.
Ceci ne se passe pas sans faire verser une
abondance de larmes aux uns et aux au-
tres.
« Ensuite Dieu prié par sa Bonté et sa
Justice (176), ordonne à deux anges de veil-
ler sur la conduite des Adolescents , et pour
leur faciliter le chemin qui doit les conduire
à salvation, il envoie en même temps toutes
« Simon Bourgoin, valel tte chambre du roi, a com-
posé l'Homme juste et l'Homme mondain, avec le Ju-
gement de l'âme dévote, et l'exéculion de la sentence :
le tout par personnages, en nombre quatre-vingt-
deux : imprimé à Paris, in-8% par Anlhoine Vérard
1508.» Duverdier se trompe- sur le format du livre
qu'il annonce in-8°, maison ne peut qu'approuver le
jugement qu'il donne des vers de l'auteur, qui non-
seulement composait, comme il l'accuse, en rime
gaffe, et mauvais termes, mais qui, lorsque sa verve,
toule basse qu'elle était, ne lui fournissait pas, ne
faisait auerne difflcalfê de s'exprimer en pi ose.
40»
HOM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
110.M
iiO
les Venus sur la Terre. Mais Lucifer qui ne
respire que leur damnation , fait sortir
promptement tous les vices des Enfers.
a Ces deux hommes prennent des routes
bien différentes, le Jusle suivant les con-
seils de Connaissance et de Raison, suit le
chemin du Salut : et le Mondain, ne vou-
lant pas les écouter, se laisse entraîner par
les vices. Quelquefois les Vertus s'appro-
chent pour lui représenter son égarement ,
mais ce misérable craignant qu'on ne l'arrache
aux plaisirs trompeurs qu'on lui promet de
l'autre côté, prie instamment les vices de le
délivrer des discours importuns des Vertus.
Les Vices obéissant avec plaisir, et repous-
sent leurs adversaires d'une manière ou' ra-
geante. Au bout de quelque temps , s'éiant
bien assuré de l'Esprilde l'Homme Mondain,
ils veulent essayer de corrompre le Juste,
qui déjà ébranlé , et incertain sur le parti
qu'il doit prendre , s'écrie en fondant en lar-
mos, et ccjublé de douleur :
l'homme juste.
Hélas 1 cl comment dois je faire?
Moi ponre el imschaul malheureux !
Je suis d'euuuy tant douloureux,
Et de souci laut langoureux ,
Que je ressemble un poure homme yvre.
<c Comme les Vertus s'avancent à son se-
cours , il les supplie de chasser ces Vices,
aux attraits séducteurs desquels il craint de
ne pouvoir résister. Les Vertus connaissant
sa faiblesse , frappent aussitôtsur les Vices,
et les font retirer honteusement.
« Les Vices prennent la fuite , et vont re-
trouver l'Homme Mondain qui excité par
folle Plaisance et Prodigalité, s'abandonne à
leurs conseils Ce misérable, aveuglé par
Ignorance et la Chair, commence par s'eni-
vrer avec Glotonnie. Perdition profite de ce
temps pour l'engage'- à passer la nuit avec
Luxure. Le lendemain Paresse, pour l'em-
pêcher de quitter la compagnie de cette im-
pudique, lui fait apporter par Satan un bon
déjeuner, aip.è'é par les mains de Glou-
tonie. L'après-diner , Folle-Plaisance et
Prodigalité, lui cherchant de nouveaux plai-
sirs, font présenter des cartes. Tromperie
s'offre pour jouer, gagne tout l'argent que
Prouigalité fournit au Mondain. Privé de ce
secours, ce dernier joue sa robe avec le môme
malheur, et alors, devenant furieux, Colère
lui fait vomr mille imprécations, et Envie lui
inspire la pensée de se jeter sur Tromperie,
pour lui arracher l'argent qu'il yienldo per-
dre. Comme il ne peut y réussir, il appelle
Avarice qui lui conseille, pour se rétablir,
de s'adresser à Usure et Symonie. Par leur
moyen, l'Homme Mondain est bientôt con-
duit à la roue do Fortune, et porté au lieu
le plus éminent.
a Alors les Vertus, prenant pitié de son
état déplorable, vont le trouver pour le re-
tirer, s'il est possible, du chemin de per-
dition : mais en vain, car les Vices l'obsè-
dent sans cesse, et l'empochent d'écouter
ies Vertus. Celles-ci, se voyant rebutées,
moment au Ciel et se jettent aux pieds du
trône du Tout-Puissant, p! fc supplient d'é-
tendre sa Miséricorde sur ce pécheur en-
durci. Comme la Justice divine traverse leur
dessein, elles s'adressent a la sainte Vierge,
el obtiennent cette grâce par son moyen.
Alors Dieu ordonne h Adversité, Nécessité
et Pureté d'aller trouver Mondain, et l'obli-
ger par une misère extrême, à chercher Re-
pentance.
« Lorsque le Mondain les aperçoit , il
implore le secours des Vices : Ceux-ci, loin
de le défendre, ne font que rire de son dés-
espoir, et, après l'avoir liéd'une grosse corde,
ils l'abandonnent à ses mortelles ennemies.
Le Démon, son conducteur, le lie aussi
avec sa corde, et descend aussitôt aux en-
fers rendre compte à son maître du succès
de ses tentations. Pour achever de perdre
cette âme, Lucifer dépêche en diligence Lar-
cin et Infâmeté, qui offrent leurs talents a
l'Homme Mondain, et chassent Adversilé et
sa suite. Celte dernière, avec sa triste com-
pagnie , va trouver l'Homme Jusle, qui la
reçoit avec beaucoup d'humilité, et prie Pa-
tience, Diligence et Labeur, de le consoler
dans son affliction.
« Enfin Larcin, Infâmeté et Reproche con-
duisent leur proie à la Reine de Perdition,
et lui déclarent Ions les vols et les actions
honteuses qu'ils lui ont fait faire. Les Vices
viennent aussi l'accuser de tous les péchés
qu'il a commis par leurs conseils. Le Mon-
dain au désespoir les accable de reproches
et de malédictions : mais eux peu sensibles
à ces discours superflus, se retirent. Il ne
reste plus auprès de lui qu'Impatience, Des-
confort , Désespérance, et Mallefin , qui lui
attachent une corde au cou.
«En cet état, Raison et Connaissance
viennent tenter un dernier effort, et prient
le Seigneur de regarder ce misérable en pi-
tié. Comme il s'abandonue entièrement h
Désespérance, Dieu commande à sa Justice
défaire mourir ce pécheur obstiné, et à Sa-
pience de le juger. La Justice divine or-
donne à la Mort d'exécuter l'arrêt du Très-
haut, la Mort obéit, la Terre s'empare du
corps de l'Homme Mondain, tandis (pie les
Diables emportent son Ame, qui entre aux
Enfers en vomissant un torrent de blasphè-
mes.
(Adonc tous les Dijables prennent ÏAme de l'Homme
moud ni il.)
« La Terre cl la Mort vont ensuite cher-
cher l'Homme Jusle, qui s'adresse d'abord
à Confession, pour être absous de ses pé-
chés. C'est dans ce moment que les Vices
lui livrent de cruels assauts : mais sans s'é-
branler, le Juste poursuit-sa confession , et
se jette ensuite ensuite dans les bras de
Bonne-fin , ou frappé parla Mort, il rend
son corps à la Terre, et son bon Ange con-
duit son âme au Ciel pour y recevoir son
jugement. C'est ce qui compose la seconda
partie de la moralité. »
(Fa à tout finela première Partie de ce Livre, et entltyt
In seconde, qui trnicte du Jnaement de l'Ame dévote t
c.vecques l'exécution de sa Sentence.
« L'âme du Jusle, conduite p-ir son Ango,
III HOM DICTIONNAIRE DES
arrive à ia porle du ç.!el chargée ae deux
besaces, chacune desquelles renferme un
livre : l'un contenant tout le bien qu'il a
fait dans le monde , et l'autre le mal qu'il y
a commis. Elle trouve saint Pierre assis
dans une chaire, assisté de saint Michel qui
tient les balances de la Justice divine, et
de sa Miséricorde. Le Diable vient aussi se
présenter comme accusateur.
a D'abord la Justice prend les deux livres
qui sont dans les besaces, et les met sépa-
rément dans les deux bassins de la balance.
Malheureusement Le livre du Mal se trouve
plus pesant. L'âme gémit et se déses-
père : Miséricorde la console, va la présen-
ter au trône de Dieu môme , dont voici la
décoration : »
(Miséricorde mayne l'Ame dévote ayant ses patinoslres
entre ses mains, en ta compagnie des Sainctz. Et est
à noter que Paradis sera faict au costé des Cieulx,
où sont les Juges, un peu assez loin. El dans ledict
Paradis (177) y aura la Trinité, ISostre-Dame, et
les Sain.ts suivant leur ordre (178) etc.... à qui
l'Ame faict ses Oraisons.)
« Lorsque l'âme a fait sa prière à chaque
«ai ut en particulier, Miséricorde la mène à
la Vierge Marie, qui obtient sa grâce. »
(Adonc Dieu baille à ISostre-Dame grâce de Dieu,' en
façon d'une Leclre scellée comme ung pardon.)
« Miséricorde fort satisfaile de ses soins,
ramène l'âme à saint Pierre , qui joignant
la lettre de grâce au livre des bonnes œu-
vres, trouve que ce dernier bassin l'emporte
sur celui du mal. 11 ordonne cependant,
qu'avant d'ôlre reçue au paradis, cette âme
ira expier le reste de ses péchés en purga-
toire. On la conduit dans ce triste lieu , où
Raison, Confort, Patience, et Espoir vien-
ne-il l'y consoler. Et son bon ange, par un
même motif , lui fait parcourir toutes les
parlies do ce lieu souterrain , et en premier
lieu l'enfer, où il lui fait remarquer des
damnés de tous étals. Les vois suivant»:
comprennent un petit abrégé de celle de
meure, et nous présentent en môme temps
(177) On voit par ce passage que nos anciens met-
taient une différence entre les cienx et le paradis,
et qu'ils regardaient ce dernier endroit comme le
séjour particulier de la majesté divine et des saints.
(178) Voici l'ordre et les noms des saints et des
saimes, à qui l'Ain. ; dévoie adresse ses prières. Les
anges Cher ibin, Gabriel, saint Jacques, saint Paul,
sami Jehan l'Evangéiisle, saint Audry, tous les apô-
tres saint Jean-Baptiste, saint Estienne, saint Sé-
bastien, saint Laurent, à Ions martyrs , saint Nico-
las, suint Claude, saint Anlboiuc, saint François,
Kainlc Anne, la Madeleine, sainte Marguerite, sainte
Katherine, sainte Barbe, sainte Apolline, sainte Ge-
neviesve, et à touz les saints et saintes.
(179) L'âme étant purement spirituelle, ne peut
avoir ne forme qui tombe sous les sens. Cependant,
CMiimc nos anciens p< êtes dramatiques en introdui-
saient assez communément, on leurpardonnera aisé-
ment de leur avoir attribué un corps capable d'être
aperçu des spectateurs. Nous avons des exemples
fréquents, que lésâmes bienheureuses étaient repré-
sentées par des personnages couverts d'un grand
voile blanc. Au lieu que celles des réprouvés parais-
saient sous de longues robes noires ou couleur de
feai. Cette idée leur parut apparemment la plus con-
venable, car ils ne pouvaient ignorer ce que leurs
MYSTERES.
HOM
41-2
un morceau de poésie assez difficile, et qui
est peut-être le seul endroit passable de
tout le poëuie.
l'ange
En ceste moniaigne et liaull roc
Pcnduz au croc
Abbé y a , et Moyne au froc ,
Empereur, Roy," Duc, Comte et Tape :
Bouleiller avecques son broc,
De joye à poc :
Laboureur aussy ô son soc.
Cardinal, Evesque , osa ebappe.
Nul d'eulx jamais delà n'esebappe,
Que ne les happe
Le Dyable avec un ardent broc
Mys ilz sont en obscure trappe
Puis fort les frappe;
Le Dyable qui tous les allrappe,
Avec sa rappe,
Au feu les mettant en un btoc.
k Après un détail particulier (179), l'Ange
fait passer l'Ame dévote par le limbe des
petits enfants. Elle paraît fort touchée de
leurs pleurs. Son conducteur la ramène au
purgatoire, où elle n'est pas plutôt entrée,
que l'Eglise arrive et apporte de la part des
fidèles qui sont sur la terre , Prière et orai-
son. Par ce moyen l'âme délivrée des tour-
ments, monte droit au séjour des bienheu-
reux. »
HOMME PÉCHEUR (L). — De Beau-
champs (Recherches sur les théâtres de Franee,
Paris, 1735, in-8°, 3 vol. t. 1", p. 232) a fait
mention de V Homme pécheur, \& Bibliothèque
du théâtre françois, ouvrage attribué au Une
de La Vallière (Dresde , 1708, in-8", 3 vol.,
t. 1", p. 12) , en donne une analyse ttès-
succincle. Nous reproduisons la notice lais-
sée par les frètes Parfait dans leur Histoire
du théâtre français (Paris, 15 vol. in-12, 17^5,
t. 111, p. 88-92j:
MORALITÉ DE L'HOMME PÉCHEUR.
(L'Homme pécheur par personnages, joué en
l,t Ville de Tours (180). C'est à scavoir la
Terre et le Limon qui engendrent l'Adoles-
prédécesseurs avaient écrit isnr ce sujet. Sans vou-
loir entasser des citations, nous nous contenterons
de rapporter le témoignage de Césaire, religieux du
monastère d'ileislerhach, qui vivait sous le règne de
S. Louis, et rpii dans son lents, tant par la sainteté
de sa vie, que par son érudition, passa pour l'orne-
ment de Tordre de Cileaux. Ce religieux, dis-je, rap-
porte qu'un certain ecclésiastique étant décédé, son
aine fut portée par les malins esprits aux lieux de-
stinés pour son supplice : mais que peu de temps
après, par la miséricorde de Dieu, elle fut remise
dans son corps, qui ressuscita dans le moment mê-
me, au grand élonncmcnl de tous ceux qui assi-
staient à ses obsèques. Je passe le surplus du récit,
pour venir à la question que fait à l'auteur le novice
Apollonius, qui paraît étonné que cet ecclésiastique
depuis sa résurrection, n'ait rien dit de la ligure, ni
des facultés de l'àme. C'est ce qu'il n'a pas manqué
de faire, répond Césaire : car il assura qu'une âme
est figurée comme une boule de verre de forme splié
rique, ayant des yeux sur toute sa circonférence,
possédant au reste une entière connaissance de tou-
tes choses. (Césaire dheisterbach. Histoires mémo-
rables, liv. i, chap. 52, pag. 45; liv. iv, chap. 51),
p. 2U; et livre vu, chap. 16, p. 479.)
( 180). La première édition île cet ouvrage fut
*l*
IIOM
DICTIONNAIRE Di:S MYSTERES.
1ION
i!l
cent, et est à soixante-quatre personnages
dont les noms s'ensuivent.)
LE LIMON DE LA TERRE AVARICE.
commence. i.lxure.
LA TERRE. ENVIE.
l'adolescent. CLOUTONIE.
LE MONDE. IRE.
FOY. PARESSE.
ESPÉRANCE. L'HOMME PÉCHANT.
CHARITÉ. COMPASSION.
DIEU. LE PÉCHEUR.
LES ANGES. CONCUPISCENCE.
SAPIENCE DIVINE. FINETTE.
MICHX. CONTRICION.
GaBIUKL. SATISKACION.
Raphaël. confession.
le b.1n ange. miséricorde.
raison. le prestre.
FRANC-ARBITRE lllbillé Cil PÉNITENCE.
Roger Bon-lents, humilité.
CONSCIENCE. LARGESSE.
ENTENDEMENT habillé eil CHASTETÉ.
Légiste. charité.
LUCIFER. AB-.TINENC-.
SATUAN. PACIENCE.
DÉMON. DILIGENCE.
DELPHEMOT. PERSÉVÉRANCE.
LE DYABLE. AULMOSNE.
PÉCHÉ ORU ON.
SENSUALITÉ. JEUNE.
désespérance de pardon, affliction.
HONTE. MALADIE.
crainte dédire ses péchés, la mort.
espérance de longue vie. espérance de longue lie.
orgueil. honte de dire ses péchés.
« Le fonds du sujet de cette moralité, est
le môme que celui du Biçn-Advisé et Mal-
Advisé. Ici le Limon de la Terre et la Terre
forment un adolescent, qui passe successi-
vement par tous les états de la vie, et suit,
sans discernement, les vertus et les vices
mentionnés dans le catalogue des person-
nages. Cet homme meurt enfin contrit, et
fort bien confessé. Les diables qui s'atten-
daient à enlever son Ame, crèvent de rage,
et la moralité finit parla tempête qu'ils exci-
tent aux enfers, pour tâcher de se consoler.
(\ûonc les Diables feront granlx (onnoires, el tour'
monteront lesdits vices, assavoir, Orgueil, Luxure,
Enoie, Ire, Paresse, elc.)
« Lorsque la pièce est achevée , Fadeur
qui est chargé de réciter leprologue, s'avance
vers les spectateurs, et lesexhorie à recueillir
avec soin le fruit de celle morale.
LE PROLOGUE FINAL.
Nous prirons la irinité liantie
Qu'un cliascun pécheur puisse faire.
Pénitence, qui sans deffaulte
donnée par Véraril, en 1481, a la fin de laquelle 0:1
lit ces mois. « A l'honneur el à la louange de Noue
Seigneur Jlicsus-Chrisi, el de sa très-digne Mère, et
de toute la Cour Céleslielle de Paradis, a été l'aicl
ce Livre appelé l'Oinine pécheur, n'agueres joué on
la ville de Tours, cl imprimé à Paris par Ànilioine
Verard, Libraire, deniourant à Paris sur le Pont
Noslre-Dame,à l'image Saincl Jehan rEvangéliste,o;i
au Palais au premier Pilier devant la chapelle où l'on
chante la messe de Messeigneurs les piésido.its t
In-fol. sur vélin avec tles miniatures.
Il fut imprimé ensuite aussi in-fol. sous le même
lilre: < A Paris, par le petit Lnnrens pour véné-
rable homme Gnilia-me Eus-aee, Libraire, demou-
Soyl poursiiyli! a cet exemplaire.
Seigneurs, ne vous veuille desplaire,
Si faille de faire, ou dedyre,
Avez appcrçetl, mais vous plaise,
Lft8 supporter, sans rien mosdi.c.
Faire ne von ld rions, ne destin vie
Chose qui ne fust à l'honneur
El louange, sans contredire ,
De Iliesu-Crisl Nostie Seigneur ,
Kl d'un ehascun poure pécheur ,
Son instruction sa u taire :
Extirpant péché, el erreur,
En charité très volontaire.
Et s'il vous plaisl. les faillies taire,
Du depanir sommes éuieuz ,
Allons, de par Dieu, nous reirayre,
Chantant, Te Dcum laudninus.
HOMME PRODUIT PAR NATURE IV).
— Du Verdier-Vauprivas, (Bibliothèque front*
çaise, p. 580), avait eu e'itre les mains un
exemplaire de l'Homme produit par nature.
Il en donna le titre :
MORALITE DE L'HOMME PRODUIT PAR NATURE.
Moralité de V Homme produit par Nature au
monde, qui demande le chemin de Paradis,
et y va par neuf Journées. — La première
est de Nature à Péché. — La seconde, de
Péché à Pénitence, passant par Libéral-
Arbitre. — La troisième, de Pénitence aux
Divins Commandemcns. — La quatrième,
des commandemcns aux Conseils. — La
cinquième, des Conseils aux Vertus. — La
sixième, des Vertus aux Sept Dons du Saint-
Esprit. — La septième, des Dons aux Béati-
tudes.- -La huitième,des béatitudes aux fruits
dudict Saint-Esprit. — La neufviéme, des
Fruicts au Jugement et Paradis. — Imprimé
à P. tis in-octavo par Simon Vos Ire.)
Les frères Parfait fixèrent la date de cette
moralilé à l'an 1492, s'appuyant sur ce que
Simon Vostre, l'éditeur, vivait à celte épo-
que, et avouèrent n'avoir pu en découvrir
un seul exemplaire. (Hist. du Théâtre fran-
çoit; Paiis, 15 vol. in-12, 1745, t. Ili, p.
92, 93.)
HONORAT (Saint).— De Beauchamps/(fo-
cherchessur les 'Théâtres de France, Paris, 1735,
in-8% 3 vol., 1. I,r, p. 228), a donné, dans une
liste de mystères, où se trouvent de nom-
breuses Indications de légendes, Irès-iilli-
ciles à distinguer des drames, la menlion
d'une Vie de saint Honorai en vers proven-
çaux.
HONORINE (Sainte).- L'abbé de Lnrue,
dans ses Essais historiques sur les bardes, les
jongleurs et les trouvères normands cl anglo-
ranl à Paris, tenant sa boutique en la Cranl Salle
du Palais, du costé de la chapelle de .Messeigneurs
les Présidons, ou sur les grands degrez par où '>n
monte audicl Palais du cosié de la Conciergerie, à
renseigne de Saincl Jehan l'Evangelisle. » La \euve
feu Jehan T reperd , et Jehan Jeannol, rue Neuve
Noslrc-Daine, à l'enseigne de l'Escn de France, ié-
imprimèrent celle moralité en 1529. Quoique ces
trois différentes éditions ne soient que le même ou-
viage, nous sommes obligés d'avertir, que quelques-
un? se sont avisés de les prendre pour trois poèmes,
différents: ce qui est nés-faux. An re-le, celle mo-
ralité peut contenir environ vingt mille vers. La
poésie en est irès-inntnratsc.
41o
n no
DICTIONNAIRE. DES MYSTERES.
IIRO
r.n
normands (Caon, Manuel, i 83 V , in-8% 3 vol.,
t. 1", p. 105), fait mention d'un Miracle de
sainte Honorine qui aurait été représenté à
Caen, vers 1513.
HOSTIF (Sainte). — Voy. Ste- Hostie (La).
HKOÏSWIÏHE.— Le monastère de Gan-
dersheim, ou Gandesheim, comme on disait
encore il y a un peu moins d'un siècle, fondé,
ou plutôt restauré, en 852, sous les auspices
de saint Benoît, par un des arrière-petiîs
neveux de Witikind, le comte Ludolfe, plus
tard duc de Saxe, qui entreprit celle œuvre
pieuse à la prière d'Oda, sa femme, princesse
de race franque ; sécularis j seulement au
commencement du xixc siècle, et éont la
magnifique église, ainsi que les principaux
corps de bâtiments, avec leurs dépendances,
subsistent encore, est devenu une des glo-
rieuses merveilles de l'Allemagne, depuis la
découverte, vers la fin du xv' siècle, des
oeuvres de la célèbre Hrolswiihe.
La stupeur de Conrad Celtes, ou peut-être
mieux Meissel, a qui le hasard mit sous la
main le précieux manuscrit, fut inexprima-
ble en lisant des vers de la prose latine d'une
femme germaine du xc siècle : Incredibili
diclu quanto slupore, etc. Deux choses arrê-
tèrent Conrad (ou Chunrard) : l'élégance du
style et la science de l'écrivain. Deuxrenais-
sances se renconlraient, s'admiraient et s'ef-
frayaient de leur exacte ressemblance ; la
dernière enviait à sa devancière les inintel-
ligibles arguties de Callimaque, de Paplinuce
.surtout, et de Sapiencc.
Le nom de Hrolswithe a élé orthographié
fort diversement depuis le xvie siècle jusqu'à
nos jours. Conrad Celtes l'écrivit Hrosvile,
Schurzfleisch lut Hroswitha, et Marlin-Frid.
Seidel lioswitha; les Bénédictins dans l'His-
toire littéraire en l]rcni\l{hotsvitha, el M. Ma-
gnin, en dernier lieu, s'appuyanl sur l'auto-
rité du manuscrit, avec plus'de poids pour-
lantqiieSchurzhVisch,(//rosicit/tac... opéra...
Vitemb. Sax., 1717, in-4% Prœf., p. 2), fait
connaître, en France, la célèbre saxonne
sous la forme germano-latine de Hrotsvitha.
Hrolswithe sortait à peine des ombres du
moyen âge , que J.-Chr. Gottsehed inter-
préta son nom sous la gracieuse rubrique
de Rose-Blanche, et le charme de ces mots a
eu assez de fortune, pour- parvenir jusqu'à
nos temps et partager les lettres, quoique
peu après on eut remarqué, avec plus de
perspicacité, que Hrolswithe elle-même avait
fourni de son nom une interprétation bien
.différente, confirmée d'une manière irrésist.-
b!c par Jacob Grimm.
F-go ci.\mok validus Gandesiieimensis,
Moi, la voix forte de Gandesheim.
Elevée à l'école de l'ancienne littérature
latine, et pourtant panégyriste des Othons,
chantre de Gandesheim, à quel pays Hrost-
withe devait-elle le jour, en quel temps
avait-elle vécu ?
L'Allemagne la proclama saxonne. Conrad
Celtes, et les membres de la Société celtique,
Johann. Dalburg, Henri e. de Bunau, Olik.
de Slein, Wilibald Bvrkhamer, lo. Tholoph,
Henr. Groninger, lo. Verrier, Martin Mel-
lerstadt, lo. Stab, Sébastien Sprenz émirent
cette opinion. Elle fut défendue ou adoptée,
durant les xvr et xvn" siècles, et vers le
commencement du xvm% en Allemagne, en
Angleterre et en France, par les deux Mei-
born, sur l'autorité de Honricus Bodo et de
Johann Tritheim, par lo. Caspinian, Lilius-
Gregorius Gyraldus, Georgius Fabricius ,
Caspar Bruehius, Antoine Possevin, Gabriel
Bucelin, Gérard-Jean Vossius, Boeder, Ca-
simir Oudin , William Cave et Elias du
Pin.
Mais tout en l'admettant comme saxonne,
Seidel, Saxius, Wachler la firent sortir d'une
famille qui ne remonte pas, à beaucoup près,
jusqu'au x' siècle, et la nommèrent Helenaa
liossoïc ou llossetc.
lo. Henr. Boeder et Christian. Korlholt
[Historia cccles., Nov. Testant., c. in, secl.x,
p. 392), la confondaient avec une abbesse do
Gandersheim, qui, sous le môme nom, avait
gouverné, bien des années avant qu'elle fût
née, le monastère où Hrolswithe ne fut ja-
mais que simple religieuse.
Enfin, l'anglais Laurent Humprhey suscita,
au delà du Rhin, la plus vive polémique en
tentant d'arracher à l'Allemagne cette gloire
nationale. 11 affirma qu'elle n'était autre que
Hilda Heresvida, dont le nom et la science
nous ont été rapportés par Béda, et qui, ds
race royale, fille du roi Elhwin, était morle,
au viic siècle, abbesse de Streanshale, (auj.
Witeby, Withby), après une vie remplie des
plus étonnantes vicissitudes qu'attestaient
sa présence momentanée à Gandersheim
comme religieuse.
11 n'était en effet, rien moins que certain
encore que Hrolswithe eût vécu au xe siè-
cle. Boeder et Korlholt avaient reculé son
âge aux dernières années du siècle précé-
dent, et parmi ceux qui voulaient qu'elle fût
morte à la tin du x% nul ne s'accordait sur
la date, Dupin fixant cette mort à l'an 973,
Onuphrius, Vossius, Gollfrid Olearius et
Oudin en 970, Possevin en 090; le vieux
Tritheim lui-môme, après avoir, dans ses
Annales Hirsauyienses, affirmé qu'elle n'a-
vait pas dépassé l'an 971, s'était contredit
dans son Catalogus illustrium virortim, où il
avait fait vivre Hrotswilhe après l'an 1000.
Enfin, Charles du Fresne soutenait que l'il-
lustre écrivain appartenait aux révolutions
littéraires du xne siècle, n'étant morte que
vers 1120.
Avant son entrée à Gandersheim, Hrols-
withe était absolument inconnue; ni sa fa-
mille, ni sa naissance, ni sa jeunesse ne
joui parvenues jusqu'à nous. Tout ce qu'on
sait d'elle, c'est qu'elle était à Gandersheim
vers l'âge de vingt-trois ans, et que ce fut
probablement vers ce lemps qu'elle com-
mença d'étudier. Ses études furent dirigées
par une autre religieuse, nommée Bikkarde
et par l'abbesse Gerberge II.
C'est à tort, selon M. Magnin, qu'on a
voulu, outre le génie littéraire, lui donner
le génie musical; car rien dans les écrits
de Hrotswilhe, ni dans les biographies an-
417
MRO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IIRO
418
cienncs qui subsistent d'elle , ne justifie
l'allégation de Schi'ling. (Universal texte on
derTunskunt... Encyclopédie musicale ; Stult-
gard, 183^-1839, 6 vol. in-8u.)
11 a été publié un portrait d'elle, qui n'a
rien -d'authentique, par Leucfeld et Sehurz-
lleiscl), dans le Eorlgesetzte sammlung von ni.
und neuen theolog sachen; Leips., 1732.
(Diarium theologicum) ; \Vieland,dans le Dcr
neue deutsche Merkur (Mercure allemand) ,
Weimar, avril 1803, t. 1er, p. 258, et Frédéric
Seidel [Icônes et Elogià) ont reproduit cette
image.
Hrotswithc a laissé huit légendes, six piè-
ces de théâtre, un panégyrique et un poëme
en vers. Ses légendes sont : l'Histoire de la
Nativité de la Vierge Marie, Y Histoire de
Y Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ ,
la Passion de saint Gandolfe, le Martyre de
saint Pelage, à Cordoue , la Chute de Théo-
phile, la Conversion d'une esclave, la Pas-
sion de saint Dcnys et celle de sainte Agnès.
Ses pièces de théâtre sont intitulées : Gal-
lican, Dulcitius, Callimaque, Abraham, Paph-
nuce, et Sapience. On a encore d'elle le
Panégyrique des Othons et un chant sur
Les origines de Gandesheim. — Casimir Oudin
s'est trompé en lui attribuant, en outre, 17-
tinéraire et la vie de saint Willibald ou
Vf unihald (cf. Suri us, décembre), et Schurz-
lleisch a relevé ces erreurs.
Un manuscrit principal de ses œuvres est
parvenu jusqu'à nous; il est conservé à la
bibliothèque de Munich. 11 n'y a pas à douter
que ce ne soit celui dont se servit Conrad
Celles, et dont il dit: «En visitant un couvent
de Bénédictins, j'y trouvai un très-ancien
manuscrit en lettres gothiques, et d'une
main de femme. » (Oper. Hrotv. ; Norunberg,
1301, in-fol.,p.2, verso.) Mais Conrad Celtes
avait caché avec soin l'origine du manuscrit.
Jean Aven lin supposa, dans sa Préface du
voyage de l'empereur Henri IV, que ce de-
vait être le môme qu'un autre existant de
son temps au monastère de Saint-Emmerand,
à Halisbonne, dans la bibliothèque duquel
Conrad avait puisé le plus grand nombre de
ses textes. Plus t:ird, on signala à Schurz-
fleisch un autre manuscrit de Hrotswithc
dans l'abbaye de Kiddaghusan. Ce manuscrit
ne s'y trouva pas. Un manuscrit plus récent
que celui de Munich, et qui, parmi d'autres
pièces, contient le poëme sur les Origines
de Gandesheim, a été et mis à profit par M.
Perlz.
La première édition des œuvres de Hrots-
withc, format petit in-fol., n'est point pagi-
née. On lit au premier feuillet : Opéra
Hrotsvite, illustris virginis et monialis, ger-
mane, gente saxonica orte, nuper a Cunrado
Celte inventa, titre qui est suivi de la table
des œuvres de Hrotsvitha. Au dernier feuil-
let : Impressum Norunbergœ sub privilcgio
sodalitii Celticœ a senatu Rhomani imperii
itnpctratœ. Anno quingentesimo primo supra
millcsimum. Au verso du premier feuillet, on
voit une magnifique gravure sur bois, qui
n'a point élé reproduite encore et qui re-
présente Conrad Celtes ou Meisel offrant son
édition des OE tares de Hrotsvitha à Frédé-
ric, duc de Saxo et électeur du Saint-Em-
pire romain. Le second et le troisième feuil-
let contiennent une préface do Celtes, écrilo
pour le duc Frédéric. Selon la coutume du
xvie siècle, on trouve ensuite diverses pièces
de vers adressées au savant auteur, soit par
le président de la société celtique, Johann
D.ilburg, évèque de Worms, soit par d'au-
tres membres do la société ou par des amis.
Ces pièces occupent le verso du troisième
feuillet et le recto du quatrième. Au verso
du quatrième feuillet, une autre gravure
sur bois, très-belle et très-curieuse, qui
représente évidemment Hrotsvitha elle-
même, offrant, en présence de l'archevêque,
lemanuscrit de sesœuvresauPapeJeanXIV,
avec qui elle aurait eu, suivant quelques-
uns de ses biographes, de longues relations.
Au cinquième feuillet, commencent les
œuvres de Hrotsvitha. M. Magnin a critiqué,
avec raison, Conrad Celtes pour avoir inter-
posé l'ordre du manuscrit de Munich, base
de toutes les éditions, et pour avoir donné
le Livre des comédies avant le Livre des lé-
gendes. Cinq autres gravures sur bois com-
plètent l'édition de 1501, que l'on trouve fo-
lios 10 recto, 12 verso , 15 verso, 19 recto,
23 verso. L'édition entière se compose de
82 feuillets; la bibliothèque de l'Arscn I,
3067 B, en possède un exemplaire qui a ap-
partenu à de Beauchamps, auteur des Re-
cherches sur les théâtres, dont la signaturo
se trouve au recto du prem er feuillet.
La seconde édition existante des œuvres
de Hroswitha porte pour titre : HnoswiTHyE,
illustris virginis natione Germanicœ, gente
Saxonica ortœ , in monasterio Gandeshei-
mensi quondam rcligiosœ sacerdotis, opéra,
partim soluto, parlim vincto sermonis génère
ab ea conscripta duobus abhinc sœculis a
Conrado Celle formis primum expressa, nunc
denuo, multorum rogatu, ad usum publicum
recognita, et ab inficeto scribendimore repur-
gata, cura et stldio Henmci Leonardi
Schurzfleischii. Accessit ejusdem Prœfatio,
cum adjecto indice. Vitem berge SaxoNlm,
apld Christian. Scurodterum, acad. typ.
anno mdccvii. M. Magnin a relevé l'incorrec-
tion de cette date, et l'a reportée à 1717.
Ce livre est dédié à Henriette-Christine, du-
chesse do Brunswich et abbesse de Gandes-
heim ; elle contient lvi- 232 pages, plus la
dédicace de 8 pages et un index de2i pages,
de format m-k°. On y trouve successivement
une préface de Schurzfleisch, la préface en
prose de Conrad Celtes, les pièces de vers
des savants amis de Celles, la Vie de Ros-
witha par Henri Meibome l'aîné, et un in-
dex grammatical des termes et des mots la-
tins singuliers employés par Hrotsvitha. Ce
travail de Schurtzfleisch reproduit, quant au
texte, sauf quelques variantes dont on n'a
pas la clef, l'édition de Celles avec une très-
grande exactitude.
Le Panégyrique des Othons a été imprimé,
en outre, dans le Collect. scr. Germanie;
Hanoviœ, 1619, cl Francol'urt., 1621 de Just.
Rcuber. ; dans le Hist . Widckind. ( inter pro-
.H 9 1IH0 DICTIONNAIRE
bntionesj de Henri Meibome l'aîné dans le
lier. Germanie., 1. 1", de Henri Vieil), le jeune
et enfin dons les Monum. Germanie, t. VI,
p. 317, de VI. Perlz.
Leucfeld (Antiquit. Gandesheim.), Leibnitz,
( Scr. rer. lirunswicar.) ont publié le poème
de Hrolswihe sur son abbaye; AI. Perlz
( loc. sup. cit.) en adonné une édition nou-
velle, collaliounée, comme nous l'avons dit
[.lus haut, sur un manuscrit jusque-là in-
coniiu.
M.GustaveFrevlag,en Allemagne.dansune
Notice sur Hrolswithe (De Hrotswilh poelr.,
Wratislawiac, 1839, iu-8°) a réimprimé la
comédie d'Abraham
VI. Magnin, en France, a donné en entier
le texte du théàtie de Hrolswithe, revu avec
soin sur le manuscrit de Munich, collatinnné
sur les éditions antérieures, et enrichi d'ob-
servations critiques d'une neltelé si rigou-
reuse qu'elles ont élé adoptées généralement
comme des conclusions inattaquables. Le
texle a élé traduit pour la première fois
avec une élégance ebaliée et unp exactitude
qui ne laissent rien à désirer et qui rendent
comme impossible tout autre travail de
même nature. (Chaules Magnin, membre
de l'Académie des inscriptions et belles-let-
tres, Théâtre de Hrotswilha, religieuse alle-
mande du x' siècle; Paris, B. Dupral, 18V5,
in-8° ). Celte édition reproduit presque tou-
tes les gravures sur bois de celle de Celles.
Une préface et des notes la complètent, et
en font un de ces précieux monuments scien-
tifiques, accessibles à toutes les intelligen-
ces et à toutes les éducations, tels que la
France seule a le secret d'en élever à toutes
les gloires.
Dix ans avant de donner le théâtre de
Hrolswithe, M. Magnin. dans son cours pro-
fessé à la Faculté des Lettres ( Journal gé-
néral de l'instruction publique, k décembre
1834. — 6 mars 1836, xvi', xvne et xviii' art.
du 1er semestre p. 25G, 275, 328) avait, pour
ainsi dire, révélé à l'Allemagne « ce rare
oiseau de Saxonie. » selon l'expression de
H' nri Bodo.
En 1839, un nouvel arlicle du môme sa-
vant maintint éveillée l'attention du monde
lettré. (Revue des Deux-Mondes, 1839, cahier
du 15 novemb e.
Déjà VI. Magnin formulait ses principales
opinions au sujet de ce théâtre si curieux.
C'était pour lui la preuve de la perpétuité
du théâtre des temps antiques aux temps
modernes, dans les siècles même les moins
littéraires du moyen-âge, et (iandersheim
reste comme « l'un des plus glorieux ber-
ceaux de l'art des Lope de Vega, des Caldé-
ron et des Corneille. »
Les œuvres de Hrolswithe furent d'abord
l'objet d'un doute injurieux.
Dom Maugerard, dans un article publié
par le Journal Encyclopédique de 1788 et re-
produit par VEsprit des Journaux français
et étrangers ( Paris, in-12, avril 1788, p. 257),
faisant connaître l'édition de Hrolswithe,
par Conrad Celte, était obligé de relu 1er
une opinion d jà fort répandue qui allli-
DF.S MYSTERES.
Il KO
420
uuait à Conrad Celles lui-même les œu-
vres de Hrolswithe, ou tout au moins son
théâtre
Depuis lors ses soupçons se sont anéantis.
L'année même où parut la traduction de
VI. Magnin, en 18i5, un autre critique (celui-
là écrivant pour les femmps et les gens du
monde, et ne visant que médiocrement au
labeur scientifique} examina le théâtre de la
célèbre allemande.
VI. Philaièle Chasles, dans l'article que la
Bévue des Deux-Mondes publia de lui (Hros-
vitha et ses contemporains, 1845, in-8", p. 707)
a expriméquelques-unesdeces opinionssin-
gulièresqu il estcurieuxderappeler. Suivant
ce littérateur ingénieux, l'église, plulôlque la
salle du chapitre de Gaudersheim, aurait été
le théâtre des représentions de Hrosvitha;
celle-ci a dû jouer le rô'e principal dans ses
drames; et très-cerlainement , quoiqu'en
aient dit quelques savants étrangers, entre
aulresM. Priée, éditeur de Warton, ces [dé-
cès de Hrosvitha ont été destinées à la re-
présentation et représentées en effet. C'est
ce que M. Chasles s'applique à prouver par
la réunion d'un grand nombre de faits qui
établissent très-positivement, en Allemagne
et au x* siècle, un très-grand mouvement
intellectuel inexactement appréciéjusq /.ci.
Mais ce qui donne à cet article de VI. Chasles
ai intérêt particulier, c'est la conviction
qu'exprime son auteur de pouvoir retrouver
sous la prose prétendue de Hrosvitha une
forme rhythmique et des vers rimes, libres,
de toute espèce de pieds, dont l'abbesse de
(iandersheim subit la loi, même dans des
phrases très-brèves. L'allitération et la rime
sont deux éléments européens appartenant
aux races barbares et illélrécs, et ne se rat-
tachent en rien ni à la civilisation ni à la
poésie païennes : d'autant que ce n'est pas
là qu'on les trouve, mais seulement parmi
œs plus anciens poêles du Nord. Hroswithe
écrivant dans le Nord et pour être entendue
des masses, a dû se servir au moins de la
rime; et pour en prouver l'usage, le spirituel
écrivain restitue deux ou trois fragments
Irès-courls tirés d'Abraham
Personne n'a répliqué, que nous sa-
chions. Dans la crainte d'avoir à taxer do
quelque légèreté le jugement de M. Phila-
rète Chasles, on a gardé un silence bienveil-
lant. Vlais, quoiqu'il soit difficile de porter
sur une époque et des choses encore si
obscures, un arrêt suffisamment motivé, il
est à craindre que, dans l'ardeur des nou-
veautés, le critique n'ait confondu avec un
système rhythmique régulier, l'évidente
abondance des assonances, des consonnan-
ces et des allitérations qui, au %' siècle, rem-
plissent tous les écrits en prose ou en vers.
Les prétendus vers libres de Hroswithe ne
seraient donc que l'inévitable retour de ces
sons analogues ou identiques. Ce qui con-
firmerait cette opinion, c'est que, nulle autre
part, Hrosvitha n'a employé la rime, et que
surtout, dans ces légendes, non moins popu-
laires que son théâtre, elle s'est servie non
421
ir.\
DICTI0NNAI1Œ DES MYSTERES.
IGN
422
pas du système (iin.- lui attribue dans ses
drames M. Chasles, el qui sans doute, lui
étant familier, lui eût été plus facile, mais
au contraire du système môme de l'ancienne
poésie laljne, dont la mesure devait bien
certainement la gêner davantage, quelque
habituée qu'elle y put être par l'étude. En-
tin, il serait impossible, malgré l'abondance
des assonances, de retrouver, constamment
ces prétendus vers rimes, et il n'y a pas lieu
de considérer comme altéré le texte qui nous
reste des œuvres de Hroswithe. Elle a donc
écrit son théâtre en prose; seulement, dans
cette prose, selon le goût de son temps,
abondent l'allitération, les assonances elles
consonnances.
M. Patin a dit de Hroswithe (Journal
des Savants, octobre 18U3J : « Hrosvitha avait
lu Térence el charmée... avait conçu l'idée
de tournera une fin pieuse l'art profane du
Ménandre latin... Si elle ne reproduit pas le
mètre (Je Térence, les rimes, les assonances
distribuées artisli ment dans sa prose, d'après
un procédé alors général, y introduisent une
cadence souvent assez agréable à l'oreille et
bien voisine de la versification.. Mais c'est
surtout dans la conformité des sentiments et
des discours de ses personnages avec leur
caractère, leur situation, dans l'expression
simple, naturelle, délicato même, des mou-
vements du cœur que Hrosvitha se montre
heureusement inspirée de l'esprit du poëte
latin... (P. 598, 99.) La matière ordinaire de
ses drames... c'est... l'ardeur de la foi, l'a-
version du monde et même de la vie, en vue
des choses de l'éternité, la joie, la volupté
du martyre... quand il s'agit des pécheurs,
la charité qui leur vieil en aide, la pénitence
qui les relève, la miséricorde divine qui les
accueille. » (P. 603.)
HYPODIACKES (Les). -La Vêle des Hypo-
diacrescsl un des noms qu'a reçus au moyen
âge la fête des fous. — Voy. Fête des Fous.
HYPPOLYTE (Sawt). — La vie de mon-
seigneur saint Hijppolile fait partie du mys-
tère de saint Laurent. — Voy. Laurent
(Saint).
IGNACE LE GRAMMAIRIEN. — Le gram-
mairien Ignace n'est connu que par le témoi-
gnage de Suidas (Fabkicii Bibliolk. grœca,
t. 1", p. 638.) Il vivait au commencement du
ix' siècle. D'abord diacre et gardien des
vases sacrés dans l'église de Constanlinople,
il s'éleva par son mérite à la dignité de mé-
tropolitain dans l'Eglise de Nicée. Il est resté
de lui des ouvrages en prose el en vers que
Léo Allatius avait eu l'intention de publier
( Euslhalliii Antioch. Hexacmer., p. 284), et
le drame d'Adam. — Voy. Adam.
IGNACE (Saint). — Le Miracle ae saint
Ignace est tiré du manuscrit de la Biblio-
thèque impériale, n° 7208. h. B. folio 16,
r8 col. 2.
MM. Monmerqué cl Fr. Michel, dans leur
Théâtre français au moyen âge (Paris, 1839,
gr. in-8°, p. 265-294), en ont les premiers
publié le lexte; leur édition est. accompa-
gnée d'une version en langage moderne, à
laque le la critique a reproché sa trop smi-
puleuse exactitude.
PERSONNAGES.
IGNACE. C.ONDOF0RE.
l/EMPEREUR TRAJAN. DiF.U.
PREMIER CHEVALIER. PREMIER ANGE.
DEL. MEME CHEVALIER MICHEL.
mvl-assis, premier scr- nostre-dame.
geill. GABRIEL.
couche . deuxième ser- l'ermite.
geiil. IESENAC.
ABBANES.
(Ici commence un miracle de saint Ignace.)
SCÈNE i",
SAINT IGNACE.
IGNACE. Dieu de gloire, pur esprit, qui n'avez ni
commencement ni lin, Soigneur, je vous en prie de
lout mongcœur: envoyez voire paix à la sainte
Egiise; el amenez à croire en vous, sire, les oeurs
de ceux qui nous méprisent, à cause de voire loi,
cl qui ne font aucun cas de vous, (aille de connais-
sance. Ah! sire Dieu, par voire puissance, leur ouvrez
l'entendement de leurs cœurs, en sorle qu'ils puis-
seul avoir foi en vous, pratiquer les bonnes oeuvres,
el cesser de servir les idoles.
SCÈNE IL
L'EMPEREUR TRAJAN , CHEVALIERS ROMAINS,
SERGENTS, MAL-ASSIS, GAMACHE.
l'empereur trajan. Seigneurs, où se tiennent les
écoles des chrétiens? le savez -vous? Je les hais fort,
je vous le dis bien ; car leur doctrine esl si per-
verse que personne ne les liante sans êlre alliré à
eux cl sans se retirer de notre loi.
premier chevalier. Je suis loul ébahi, par ma foi I
mon cher seigneur! qu'est ce que ce peut être? ils
disent que leur Dieu voulut naître d'une vierge où il
se mil, el puis qu'il ressuscita- après qu'il cul souf-
fert la mort; ils répèlent encore à grand bniii que
de sa propre puissance il monta aux cieux , et qu'il
viendra à la fin juger tout le monde, jeunes et
vieux.
deuxième chevalier. Oui, et qu'il n'y aura si fin
ni si bon qui ce joui -là ne iremble, chacun el tous
ensemble ayant à rendre compte de la durée de la
vie. il faudra un bien grand espace de temps pour
en finir avec chacun. — Sire, en voici un qui vient,
el qui, certes, se donne bien pour capable de dire
comment leur Dieu voulut naître homme el Dieu.
l'empereur. Par ma tête ! c'est un jeu difficile.
Quel nom a-l-il'r
deuxième chevalier. Je l'ignore. ; mais il esl si
subtil que dans leur loi il esl nommé évêque ; il a
plus de sens que n'en cul Sénèque de son vivant.
l'empereur. Je veux le savoir quoi qu'il en soit.
SCÈNE III.
LES MÊMES, SAINT IGNACE.
l'empereur. Toi qui vas là , parle-moi. Quel esl
ton nom, el quelle loi suis-tu ? Dis moi la vérité.
4i3
IGN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IGN
m
ignace. Sire, puisqu'il vous plaît d'en savoir lanl
il ost jusie que je no vous cache rien. Je suis chré-
tien, j'ai non) Ignace, et suis la loi de Jésus-Christ,
car c'est d'elle seule qu'il est écrit : Celui qui y per-
sévérera jusqu'à la fin tera suuvé. Que personne n'en
don le.
l'empereur. Et lu es venu en ce pays pour ame-
ner les païens à ta loi du Christ? Je le montrerai
que tu n'es qu'un sot. Seigneurs, je commande
qu'on le lie, et que vous deux vous remmeniez à
Rome, et l'y teniez en prison jusqu'à ce que j'y sois
de retour, car c'est 1110.1 plaisir. Là j'en forai ce
qu'il me plaira.
MA.L-A.ssis, premier sergent. Chacun de nous a
grand désir, mon cher seigneur défaire votre vo-
lonté.
SCÈNE IV.
MAL-ASSIS, GAMACHE, IGNACE. SEIGNEURS
ROMAINS.
mal-assis. Compagnon, il nous faut mettre les
mains à l'œuvre.
gamac :e, deuxième sergent. Moi, me voilà. —
Maître Ignace, ici ces mains, ici ! Certes, ce fui la
folie qui vous conduisit ici.
ignace. Ce fui la grâce, ami; et j'en remercie mon
créateur.
premier sergent. C'est hien, par Mahomet! nous
vous ferons docteur et vous ferez vos oraisons en
un pelil lieu où, il n'y aura pas de mauvais murs.
SCÈNE V.
ARGANES, GONDOFORE.
arcanes. Gondofore, j'ai grand pitié , mon cher
ami, de ce prud'homme ; ces sergents vont le mener
au supplice à Rome, d'après les ordres de l'empe-
reur Tr.qan.
gondofore. Ahbanes, mon cœur souflre aussi
beaucoup pour lui car je vois clairement qu'aujour-
d'hui Antioehe perd le maître de la vraie science ;
en effet, tous les jours il niellait diligence à nous
donner des vertus , ainsi que l'amour et la connais-
sance delà bonté de Dieu: c'est pourquoi sachez
«pie, en quelque lieu qu'on le mène, je le suivrai, et
saurai en quel état il se trouve.
abbanes. Je vous promets que je ferai de même.
gondofore. Si vous le voulez ainsi, je suis d'avis
que nous allions ensemble: c'esl le mieux à ce qu'il
me semble; qu'en diies-vous?
abbanes. Qu'il en soit ainsi, mon doux ami; et
maintenant paix !
SCENE VI.
SERGENTS d'aUMES , SAINT IGNACE.
premier sergent. Si nous sommes ici davantage ,
lions ne vaudrons pas deux boutons. En avant! mel-
lous-nous en roule. — Maître, passez.
deuxième sergent. Oui, s'il ne veut avoir les os
cassés de ce bâton. Nous lui ferons bientôt faire
connaissance avec les prisons de l'empereur. — En
avant! eu avant! Mellez-vous là. sans plus de ré-
flexions.
le premier sergent. A moins qu'il ne ronge les
murs avec ses dents, je suis sûr qu'il ne nous échap-
pera pas. Et loi, que dis-tu?
deuxième sergent. Je dis qu'il nous le faut garder
un certain temps jusqu'à ce que l'empereur soit
venu. A ce que je vois, il faii peu de cas des belles
gens.
SCÈNE VII.
l'empereur, seigneurs romains, sergents
d'armes.
l'empereur. Seigneurs, par les dieux en qui je
cois! je hais lanl ces chrétiens que je ne souffri-
rai pas qu'il en resle en mon royaume un seul vi-
vani, quoi qu'il arrive ; et de l'ail, je vous le prou-
verai aussitôt que je serai dans mon palais qui n'est
guère éloigné d'ici. Or ça! seigneurs, je veux parler
loui de suite à Ignace. Faites le venir ici toùl de
suite.
un sergent.. Mon cher seigneur, je me présente
pour aller dire à ses gardiens, de ne pas tarder à
l'amener.
SCÈNE VIII.
SORGUES, SAINT IGNACE, UN SERGENT.
un sergent. Eh vite, seigneurs, vile, amenez lotis
deux Ignace à monseigneur.
premier sergent. Ah ! c'est pour cela que vous
venez ici, allez, nous suivons vos pas. —Allons !
sortez de là dedans, Ignace, sur-le-champ.
ignace. Volontiers, en vérité, seigneurs. Allons!
me voici.
deuxième sergent. Par Maho-iiel! je veux moi-
même vous tenir, el bien, maître.
premier sergent. Allons ! en route, auprès de i em-
pereur.
SCÈNE IX
L'EMPEREUR TRAJAN, SAINT IGNACE, DIEU, SAINT
MICHEL, ANGES, CHEVALIEf.S ROMAINS, SER-
GENTS d'armes, PEUPLE.
le sergent. Monseigneur , nous vous amenons
votre prisonnier.
l'empereur à S. Ignace. Dis-moi pourquoi lu as
excité des rebellions contre moi dans la cité d'An-
lioehe ? car lu as tellement perverti les habitants
qu'ils sont presque tous convertis au christianisme.
ignace. Oh! pul ma volonté plaire à Dieu ! el je
vous convertirais vous-même. "Vous auriez laissé vos
idoles et prié Jésus Christ, de manière à posséder
un jour le royaume des délices perpétuelles !
l'empereur. Sornettes que tout cela ! Tais toi,
sacrifie à nos dieux ; et cri tous lieux lu seras le
maître el le prince de nos préires, et lu r< gneras
avec moi toute la vie.
ignace. Empereur, vos promesses n'excilent pas
mon envie. Je ne cherche ni «les honneurs ni des
dignités qui ne sonl que néant ; et il faut le «lire,
faites de moi selon vos caprices , car vous ne m'a-
mènerez pas au crime des sacriliceset de l'hommage
à vos dieux.
l'empereur. Seigneurs, allons, vite! dépouillez ic
ici toul nu en ma présence, el donnez-lui sur les
épaules lant de coups de lanières plombées qu'il ait
la chair meurtrie el les os rompus, puis dé< hirez-
lui les côlés avec des peignes aigus el acérés ; en-
suite frôliez forl les plaies avec des pierres tran-
chantes.
deuxième sergent. Monseigneur, j'ai grand désir
d'accomplir votre volonté. — Allons , maître dé-
pouillez-vous, mais non pas pour vous coucher.
ignace. Ami, je suis tout joyeux et content de le
faire.
premier sergent. Par ma foi! tu es bien mal avisé
de mieux aimer la peine et les tourments que le
commandement avec l'empereur. Nous verrons tous
la belle figure que tu nous feras. — En avant, Ga-
inache! il le fatil lier d'abord à ce poteau.
deuxième sergent. C'est vrai. Faisons vile. Liez-
lui les pieds, Mal-Assis : voici cinq ou six liens ;
quant à moi, je lui lierai les bras de manière à ne
mériter, je le crois, aucun reproche.
ignace. Mon Dieu, qui vous êtes laissé étendre et
clouer sur la croix pour délivrer les vôtres de feuler,
accourez pour affermir mon cœur, et secourez-moi
dans l'extrémité où je me trouve, en sorte que je ne
me sépare pas de vous, mais que je puisse attirer
ces mécréants à votre service.
deuxième sercent. Mal-Assis, il n'est pas temps
4i>5
ICN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
426
de muser, f.c voici lié, comme il convient, achevons
le reste, et commençons à le battre sans retard.
premier sergent. Méchant, liens, tu auras ce
coup île cette lanière plomliée. •
deuxième sergent. Et celui-ci. Par Ma foi due à
'.on Dieu! Sens-tu si ma lanière pèse? tiens, ju-
ges-en.
premier sergent. Il n'a pas encore la chair assez
bise ni assez rouge, Gamache. Frappe comme moi,
si bien que chaque coup fasse lâche.
deuxième sergent. Ainsi fais-je, par l'âme de
mon père! Regarde ; est-ce frappé bien fort? Il n'y
a pas, à ma connaissance, de vilain, quelque ro-
buste qu'il fût, qui n'en fût rompu.
[/EMPEREUR. 11 faut s'y prendre autrement, sei-
gneurs, ou vous ne l'aurez pas. Enfoncez-lui sur-le-
champ les peignes de fer dans les côtés, de manière
à lui déchirer la chair, tellement que le sang en
jaillisse : par ce moyen vous en viendrez sûrement
à bout.
premier sergent. Nous le ferons sans attendre.
— G imacbe, prenons nos peignes et grallons-lui-en
les côtés pour le restaurer.
deuxième sergent. Qu'il en soit ainsi sans relard.
Etrille ce côté de là; moi, de l'autre, j'étrillerai
aussi fortement ce misérable.
ignace. Doux Jésus, fils du Dieu vivant, soyez
ma consolation et mon réconfort en celle souffrance
amère, Seigneur !
l'opereur. Ignace, Ignace, dis-moi, que gagnes-tu
aux tourments de ce martyre? Il vaudrait mieux de-
mander grâce, et crier merci à nos dieux, que de
tant sonlfrir et de laisser ainsi honnir ton corps.
ignace. Non, Trajan, je suis si fort et si résolu
contre la souffrance, que vous n'aurez pas même
une plainte de moi, quels que soient vos supplices.
Pour Dieu! ne pensez qu'à vous; croyez-en ce Dieu
qui vous a fait, el qui vous défera de même, quand
il lui plaira : c est Jésus-Christ, c'esteelui dont l'Ecri-
ture dit qu'il est le plus grand des plus grands, le
seigneurdesseigneurs, et le roi des rois.
l'empereur. Me parles-tu de pareilles sottises? Je
le montrerai quelle est (a folie.
seigneurs, je
veux qu'on le délie sur-le-champ, n'attendez plus; et
élenilez des charbons ardents, sur lesquels nous le
ferons aller nu -pieds ; alors nous verrons ce qu'il en
pourra être.
premier sergent. Sire, à l'instant môme vous se-
rez obéi : je vais le délier du poteau. — Va nous
chercher du feu, Gamache, sur-le-champ.
deuxième sergent. Coiiipaguoii Mal-Assis, volon-
Vers. Allons j'en vais quérir.
iiitx'. Mésanges, sus! Secourez de suite Ignace et
que le feu, apprêté pour ses pieds nus, ne lui cause
ni mal ni frayeur. Dans son martyre pour moi, je ne
veux pas l'abandonner, pas lui manquer. Faites en
sorte, à son premier pas, d'éleindre le leu incon-
tinent.
premier ange. Sire, nous ferons volontiers ce que
vous dites : c'est juste. — Michel, allons sans retard.
MiciiEi,. Ce que Dieu veut doit nous plaire; allons,
ami!
deuxième sergent. Tiens! voici du feu que j'ai eu
beaucoup de peine à allumer ; celui pour qui je l'ap-
porte devrait m'en savoir gré.
premier sergent. Tu dis vrai; d'autant que. sans
plaisanter, cela fait bien son affaire. — Sire, vou-
lez-vous qu'on le fasse aller dessus?
l'empereur. El quoi donc? Sans plus parler, je
veux qu'il y aille loin nu -pieds, de sorte qu'il en ail
la plante cuite el brûlée.
premier ange. Ignace, ne redoute point le feu,
va sûrement sans retard : nous sommes venus le
garder, nous, anges des cieux; cl Dieu même nous
a envoyés ici pour te défendre.
ignace. Je dois bien lui en rendre grâces. — Em-
pereur, ne savez-vous point que je ne puis faire un
Diction*, des Mystères.
seul pas sans avoir â mes côlés mon bon Dieu qui
ne déçoit personne, qui me garde el me lient en vie,
et auquel vous ne portez que haine et que rage?
Certes, il n'est pas d'inventions, de tourments , ni
sur mon corps d'essais de supplices, que pour mon
Dieu je ne soutienne avec la joie dans le cœur, quoi
qu'il arrive. Non, les douleurs ou la crainte du feu
ardent, de l'eau bouillante ou des bêtes sauvages,
n'éteindront pas dans mon cœur la charité ou l'amour
de mon Dieu; non, je ne crains pas davantage de mar-
cher nu-pieds sur ces charbons ardents : j'y vais à
l'instant même. Maintenant, vois si j'y passe et re-
liasse et m'y tient dessus tranquillement. Voilà, dis-
je, des faits qui témoignent pour mon bon Dieu.
l'empereur. Prenez-le vite, et mettez-le, vous
deux, en une si rude prison qu'il raballe de son ca-
quet et de son éloquence.
deuxième sergent. Sire, je veux y mettre dili-
gence pour l'amour de vous.
premier sergent. Je ferai de même sans relard.
Allons, Ignace, avancez ! Certes, vous avez à subir
des moments peu gais.
ignace. Amis, je n'ai aucune crainte; car mon
Dieu , pour lequel je souffre, est avec moi ; il m'ai-
dera.
deuxième sergent. Je sais bien qu'il le fera, vrai-
ment. Allons, allons! entrez par celte porle; main-
tenant amusez-vous à votre aise !
premier sergent. Il peut bien dire vraiment qu'il
est dans un lieu obscur et noir, et où il ne peut
avoir clarté de nulle pari.
deuxième sergent. Mal-Assis, c'est un sot rado-
teur, il paye cher sa folie. Laissons-le ; allons ver;?
l'empereur. Je ne crains point qu'il s'échappe : la
porle el le pêne de la serrure sont trop forts.
SCÈNE X.
l'empereur, chevaliers.
l'empereur. Seigneurs, quels ennuis me cause
cet Ignace? Maigre tous les tourments que je lui ai
fait endurer, il ne cesse point de prêcher la loi et ne
renonce pas à l'amour de son Dieu : noire religion
en lombe dans le mépris et il convertit à la sienne
un grand nombre de nos gens.
premier chevalier. Cher sire, lui et lous les
Chrétiens ont des paroles si insinuantes, si douces
et si aimables, qu'en parlant il semble qu'ils oignent
le cœur des gens; ils arrivenl{ainsi à surexciter tel-
lemenl qu'ils font accroire ce qui n'est ni ne peu»
êlre vrai.
deuxième chevalier. Alors il faul mettre bon ordre
à ce que chacun évile les Chrétiens, alin que nul
ne s'empresse d'embrasser une pareille croyance.
l'empereur. Mais comment cet Ignace a-t-il la
force d'endurer les tourments qu'il souffre, el
comment peut-il tant vivre? En vérité j'en suis tout
ébahi; il semble qu'il ne sente pas le moins du
monde le mal qu'on lui fait.
premier chevalier. Peut-être a-l-il quelque secret
pour affaiblir et anéantir les tourments. Sire, je
crois qu'il lui faudrait un plus rude martyre, pour
abattre sa force el son caquet.
deuxième chevalier. Qui sait s'il ne connaît point
d'herbes par le moyen desquelles il ne n ssenle
aucun mal? dans tous les cas, il a, sans mentir, la
langue bien affilée.
l'empereur. Attendez , seigneurs ; avant que celle
semaine soit passée, je vous le promets, je livrerai sou
corps à de tels tourments que , faisant ii de son Jésus ,
il s'écriera : < Je veux tenir la loi des païens , el je
renie la foi chrétienne et le sacrement du baptême, »
ou je perdrai la raison. Asseyez-vous ici sans plus
y songer, moi je vais rêver au moyen de l'avoir
plus sûrement : si j'emploierai de bounes paroles ;'
son égard, ou si j'agirai autrement.
l'i
427 1GN DICTIONNAIRE
SCÈNE XI.
gondofore, abbanes, bourgeois cTAntioche,
SAINT IGNACE.
gondofore. Abbanes, le sort d'Ignace me fend le
cœur de pitié. Ce déloyal, pervers el mauvais em-
pereur l'a tourmenté comme vous et moi nous avons
vu; et j'ai été bien émerveillé de la douceur, de la
patience el de la joie de cœur du saint homme dans
ses maux.
abbanes. Gondofore, il l'a tourmenté beaucoup,
sans cause et sans raison, el puis il l'a fait mettre
en prison laide el obscure.
gondofoke. C'est vrai , el j'en prendrais soin
très-volontiers, si je savais comment lui parler;
s'il arrivait que je le visse, je m'enquenais de son
é;at.
abbanes. Mou cher ami , l'homme propose et Dieu
dispose, c'est la vérité. Allons-nous-en là tout
bonnement; peut-être le verrons-nous el pourrons-
nous lui parler.
gondofore. Vous dites bien, que Dieu ail l'œil
sur moi! Allons et examinons bien les êtres. Eh,
regardez! voilà une fenêtre qui, vraiment, me
semble donner de la clarté là -dedans. EU bien !
allons là.
abbanes. Allons ! je crois que ce jour donne où
on l'a mis.
ignace. Que Dieu vous garde de mal , mes amis !
je vous vois.
abbvnes. Ah! sire, que Dieu vous veuille mettre
prochainement hors ce lieu ! Et comment allez-
vous? pour Dieu , dites-le-nous.
ignage. Bien, s'il plaît à Dieu , mes doux amis;
néanmoins j'ai beaucoup à souffrir parce que je me
refuse à croire en Mahomet.
gondofore. Père en Dieu, c'est tres-vrai; nous le
savons : car sitôt que vous partîtes d'Aniioche,
nous vous suivîmes el nous nous en vînmes derrière
vous. Nous savons ce que vous avez souffert. Notre
désir serait d'affermir nos eœ;irs en Dieu; veuillez-
donc, sire, nous enseigner la doctrine précieuse,
afin que nous soyons empêchés d'errer dans lu foi
par ignorance.
ignace. Quand vous' n'aurez point de lié. leur
dans l'amour ardent du Seigneur , c'est-à-dire quand
vous en serez venus à ce poinl de l'aimer lani dans
votre cœur que, hormis son amour, vous négligerez
el vous mépriserez toute chose, même votre propre
personne, alors vous serez parfaits et proclamés
ses vrais amis. Et je vous dis que, si vous l'aimez
ainsi , la foi vous mettra à des épreuves qui vous
feront avancer de plus en plus dans la voie des
bonnes œuvres; alors vous serez purifiés du péché,
et vous connaîtrez que dans le monde il n'y a que
mécbancelé el malice ; alors vous haïrez le vice
pour aimer la verlu; les anges seront vos amis, et
vous aurez puissance el domination sur les dé-
mons; alors par contemplation vous pourrez réjouir
votre cœur en Dieu; car rien ne pourra vous nuire,
ni le ciel ni l'enfer, ni la terre ni la mer! C'est
pourquoi pensez à aimer avec foi ce doux Jésus, le
souverain des amoureux , le trésor de bien inépui-
sable, le maître inestimable qui peul loul, el qui n'a
ni commencement ni lin; el si vous l'aimez ainsi
que je vous le dis, je suis certain qu'il vous fera
régner glorieusement comme des rois puissants.
abbanes. Père en Dieu, quelle noble mémoire est
en vous! combien votre science est profonde! Quand
on commence une telle vie, sur quelle verlu doil-on
se fonder spécialement pour se purifier de ions pé-
chés? car celui qui n'a pas un bon commencement
ne peut bien unir. Veuillez nous instruire sur ce
point.
ig.wce. Mes amis, il faut fonder sa vie sur la
vertu d'humililé; sinon, je vous le dis, l'on ne fait
que néant. Ainsi celui qui rassemble des vertus en
DES MYSTERES.
IGN
HZ
lui sans y comprendre l'humilité , ressemble à
l'iiomme qui amasse de la poussière, que lèvent
enlève et détruit : c'est une chose vraie, et dite
par saint Grégoire. Au contraire , quand on est
humble de cœur cl que l'on a entièrement extirpé
de son âme l'orgueil qui la détruit et la confond,
alors l'on en vienl aux vertus qui enrichissent l*es-
prilde science, de conseil el de sagesse, de piété
el d'entendement, du don de force aussi bien que
de la crainte de Notre-Seigneur, qui n'est pas une
verlu moindre que les autres, ainsi que le dit mon
livre; car toujours elle fait bien vivre l'âme. Quand
vous agirez ainsi, je vous dis que vous serez béni»
de Dieu.
gondofore. Sire, il pourrait survenir ici quelque
personne qui vous blâmerait ou vous calomnie-
rait, ou qui s'effraierait de nous voir; nous allons
donc prendre congé de vous à l'instant, en vous re-
commandant à Dieu; une autre fois, nous nous ver-
rons plus à loisir.
ignace. Plaise à Dieu qu'il en soit ainsi ! Vous dites
bien : oui, allez-vous-en; mais, je vous en prie, quel-
ques paroles que vous prononciez, que toujours vo-
ire pensée ail pour but l'amour de Dieu. A celle
heure, je ne vous dirai rien de plus, mais je vous re-
commanderai à Dieu et à sa garde.
abbanes. Gondofore, quand j'examine et consi.lèro
la patience dans les faits, et la science dans les
discours que possè le cet homme, je liens que le Dieu
de paradis habile en lui.
gondofore. Aussi, certes, il est, suivant moi.d'up
grand mérite et d'une haute perfection devant Dieu.
Autrement, comment eût-il pu échapper au péril
qu'il a déjà couru?
abbanes. Gondofore, vraiment je ne sais; je suis,
certain que D eu le soutient. Allons, compagnon! il
faut maintenant nous séparer de lui, et prendre
notre repas pour soutenir notre vie. Allons dîner
loul de suite : il en est temps.
gondofore. Allons-y donc ; et puis, sans tarder,
nous reviendrons vers la cour savoir si on lui rcmlru
la liberté ou ce qu'on eu fera.
SCÈNE XII.
L'EMPEREUR, SAINT IGNACE, CHEVALIERS
ROMAINS, SERGENTS, PEUPLE.
l'empereur. Eb quoi, seigneurs. Ce sorcier sera-
l-il toujours vivant? J'en ressens un grand chagrin cl
beaucoup d'envie. Allez le chercher, vous deux ; je
veux recommencer son supplice: il m'en prend
faim.
premier sergent. Nousferonsenlièremenl votre vo-
lonté et votre commandement. — Gainacbe, compa-
gnon, allons-nous-en chercher Ignace.
deuxième sergent. Allons, Ignace! sortez vile de
là-dedans.
ignace. Que voulez-vous, seigneurs sergents? me
voici debors.
premier sergent. Vous n'avez pas la figure mau-
vaise; qu'avez-vous donc mangé? Venez avec nous,
sans tarder.
ign\ce. Sitôt que je vous verrai vous mettre en
chemin, je marcherai moi-même, et je serai toujours
avec vous, certainement.
deuxième sergent. Vraiment , vous viendriez de
bon gié ou non , n'en parlons plus. Allons-nous-en
tous trois de front. — Prends de là, prends
l'empereur. Ignace, quand je te reprends de ton
ignorance orgueilleuse, de la folle et mauvaise
croyance, pourquoi ne l'en corriges-lu pas? Tu se
rais noblement velu el puissant, en véri é, si lu vou-
lais croire à nos dieux. Méchant, pourquoi ne réflé-
chis-tu pas? N'est-il pas clair qu'il n'y a rien de vé-
ritable dans votre loi, et que, vous autres Chrétiens,
vous ne connaissez que les œuvres el les artifices du
diable.
429
IGN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IGN
430
ignace. Empereur, voilà une Lien fausse opinion ;
je vous le déclare, les Chrétiens n'ont poinl le tort
d'user de maléfices. Nous ne sommes pas davantage
soumis au pouvoir des dénions, el bien au contraire,
nous en sommes libres el exempts, et nous ne souf-
frons pas que celui qui en fait usage vive parmi nous.
Vous seuls, gens sans loi, vivant comme des
bêtes, vous êtes de vrais maléfices ; il n'y a pas à en
douter.
premier chevalier. Ta langue est bien hardie.
N'as-lu pas de boule de parler ainsi devant l'empe-
reur nolresire? Qui l'y pousse?
ignace. Eb ! dans quelle erreur n'êtes-vous pas,
vous qui méconnaissez pour vrai Dieu celui qui fait
croître les biens sur terre en abondance, qui seul
gouverne loul le monde, qui fait multiplier les blés,
fructifier les vignes, et qui produit tous les fruits.
deuxième chevalier. Tu es bien digne du feu, et
mérites d'être réduit en cendres. Comment veux-tu
nous faire entendre que nous ne savons ce que c'est
que Dieu? Goquart, nous le savons mieux que loi.
ignace. Il n'y paraît guère à vos actions, car vous
adorez les démons en honorant les idoles, en vous
inclinant devant elles comme devant Dieu : c'est
pourquoi vous êtes destinés aune mort perpétuelle,
si cruelle et si douloureuse que bouche ne pourrait
eu faire la description. Là vous souuïirez éternelle-
ment un rude martyre.
l'empereur. Tu es trop entêté pour ton Dieu';
sais-tu ce qui l'en adviendra? On le déclarera le
dos avec des ongles d'acier bien tranchants; et
quand lu seras dans ce misérable état, tes plaies
seront lavées avec du vinaigre et saupoudrées de
sel : tel est mon bon plaisir. — Allons , faites vile
ma volonté en loul poinl !
premier sergent. Cher sire, quoi qu'il m'en coûte,
je suis prêt à accomplir voire vouloir; je lui ferai
du mal assez tôt à l'os de l'échiné.
deuxième sergent. Ignace, sans que vous ayez de
servante, il faut ici vous déshabiller, el nous vous
grallerons le dos comme il faul : voici de q;:oi.
le premier sergent. Il se lait, Ga mâche, el reste
roi. Cela ne lui plaît pas, à ce qu'il me semble. Eri
avant, ami! travaillons ensemble, puisqu'il est nu.
deuxième sergent, PuisquM est venu entre nos
mains, il est arrivé à mauvais port. Regarde : je fui
enlève toute la peau hors du dos.
premier sergent El de mon côlê on peut lui voir
les os.
l'empereur. Malheureux! ravise-loi. Ne le laisse
pas supplicier ainsi, renonce à la folle croyance : tu
feras bien.
ignace. Non, non, empereur; j'ai encore bien des
forces; je ne crains rien, et je méprise vos tour-
ments ; je suis plutôt prêt à m'y présenter que vous
à nie les faire souffrir, pour l'amour du doux Jésus-
Christ. Savez-vous pourquoi? Il est écril que toutes
les tribulations et tous les supplices cruels que l'on
peut subir pendant celle vie ne peuvent êlre mis en
comparaison, c'esl chose véritable, avec la gloire
infinie qui m'en écheoira, quand je verrai Dieu face
à face, ainsi qu'il est.
l'empereur. Ah! ah! il n'y a donc ni douces pa-
roles, ni coups, ni menaces, ni supplices, ni tour-
ments capables de courber ta volonté jusqu'à l'a-
bandon de la mauvaise loi. Ah! lu n'adoreras point
nies dieux! Par Mahomet! je crois que lu le feras
avant que ce soit fini entre nous.
le premier chevalier. Il aime sincèrement son
Dieu ; mais il a tort.
le deuxième chevalier. Je suis tout ébahi qu'il
puisse tant chérir son Dieu.
l'empereur. Silence! J'ordonne que l'on tienne
cei homme dans une prison obscure, qu'on le lie de
fories chaînes el qu'on le nielle dans un cep; que
nul homme, quelle que soit son amitié pour vous,
n'aille ni ne vienne vers lui, et qu'ainsi ou le tienne
trois jours sans boire ni manger. Je veux venger nos
dieux de lui, et cependant j'aviserai aux moyens de
le faire mourir ires-ignominieusemeni.
le premier chevalier. Bel ami, change d'idée :
renie la foi chrétienne et vis suivant la loi des païens;
sauve la vie.
ignace. C'est ce dont je n'ai pas d'envie, sei-
gneur; excusez-moi.
le DEuxtEME chevalier. N'expose plus Ion corps
au martyre; crois un bon conseil, el lu feras sage-
ment : il pourra l'en venir grand honneur, cela ne
lient qu'à loi.
ignace. Mon bon Dieu a souffert la mort pour
moi, je veux aussi mourir pour lui. Mon àme est
déjà si embellie de gloire el tant illuminée qu'elle
est comme fondue tout entière dans l'amour de mon
Dieu.
le premier sergent. Nous nous arrêtons trop
longtemps ici, et vous vous déballez en vain. —
Maître, je mets la main sur vous ; passez ici.
ignace. Jésus, mon Dieu! je vous rends grâces de
tout ce qu'on me fait pour vous; et si je vous ai of-
fensé en rien, pardonnez-moi, je vous en prie.
le deuxième sergent. C'est bien ; entrez ici sans
retard. — Allons! Mal-Assis, bel ami, il faul qu'il
soil mis en ce cep, el puis nous le laisserons tran-
quille : ainsi nous exécuterons la volonté de l'em-
pereur.
le premier sergent. Je sais assez bien comment
m'y prendre; lu l'y verras bientôt mis. C'est fait.
Regarde, bel ami : hein! suis-je passé maître?
le deuxième sergent. Oui, vraiment. Laissons-le
ici, car il ne peut s'échapper ; allons-nous-en, sans
délai, vers la cour.
le premier sergent. Allons , Gamaclie , sans
plus de paroles : c'esl ce que nous avons de mieux
à faire.
SCÈNE XIII.
IGNACE, Seul.
ignace. Ah, sire Dieu! ah, sire Dieu! regardez-
moi dans votre miséricorde; car je n'ai confiance
qu'en vous, personne ne prenant ma défense, per-
sonne ne combattant pour moi, sinon vous, Père
tout-puissant, à qui mon âme espère aller comme à
son vrai Dieu et à son véritable père. — 0 Marie,
mère de Jésus, ô vous qui avez porté votre père et
voire Fils, et èles restée vierge, j'en suis convain-
cu, après avoir enfanté! Dame, par un effet de
votre sainte bonté, priez votre Fils qu'il m'en-
voie son aide et me pourvoie de sa grâce : j'en ai
besoin.
SCÈNE XIV.
DIEU, LA SAINTE VIERGE, L'ANGE GABRIEL,
S VINT MICHEL, UN ERMITE.
dieu. Je veux réconforter, sans attendre davan-
tage, celui qui nous aime, vous, ma mère, et moi,
de tout son cœur, et qui nous invoque doucement :
c'esl Ignace qui pour moi souffre un rude4 tour-
ment. Allons! vous tous, suivez-moi où je vais vous
mener.
notre-dame. Mon fils et mon Dieu, je suis de tout
mon cœur à vos commandements. — Allons, anges!
vous chanterez devant nous deux.
Gabriel. Certainement, nous le ferons la joie
dans le cœur. Reine de miséricorde, chacun de nous
esl d'accord pour faire votre volonté.
dieu. Ecoutez: dirigez votre routejvers'cei ermitage;
et en allant chantez, suivant l'habitude, de vos voix
d'anges, un cantique qui vous soit familier el bien
connu.
hichel. Vrai Dieu, loul ce qu'il vous a plu de
commander sera fait. — Sus, Gabriel! chaulons do
manière à ne pas mériter de blâme.
451
1GN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IGN
4"ï
Rondeau.
Vrai Dieu, on qui il n'y a point d'amertume, ce-
lui qui sert vous et votre mère mérite la gloire éicr-
nelle : aussi chacun doit-il vous aimer et en secret
et ouvertement. Vrai Dieu, etc.
Ni sur la terre, ni sur la mer, nul ne perd son
temps en vous le consacrant ouvertement. Vrai
Dieu, en qui, elc
dieu. Mère, découvrez, sans réplique, à noire
ami, ce que je vous ai dit e:i venant de mes vo-
lontés.
notre-dame. Je vais le lui dire, sans plus de dé-
liai. — Bon père, écoule ce que tu as à faire : lu vas
aller droit à la prison dans laquelle a élé mis le
saint homme Ignace, qui n'y est point sans la grâce
de Dieu; et comme il a élé rudement maltraité, ré-
ronforte-le doucement ; je t'en charge et l'en prie.
Tiens, voici un onguent dont lu l'oindras quand lu
seras auprès de lui. C'est ainsi que lu lui rendras la
santé; n'en doute pas. i
l'ermite. Et qui èies-vous, douce amie, qui venez
ici en lel équipage? je crois que vous êtes ffille de
roi. Je m'émerveille de votre beaulé, car de mes
yeux je n'en vis jamais de pareille; mais, dame, je
ne suis pas moins ébahi que vous m'envoyiez en un
pays et une conlrée qui me sont étrangers el où ja-
mais je n'enlrai : comment y p'jis-je aller?
dieu. Mon ami, je le le dirai. Ne l'effraye pas d'y
aller. Tu vas d'abord nous suivre au pas, ensuite
ces jouvenceaux le conduiront, aussitôt qu'ils nous
auront laissés. Ils vont porter au prisonnier de ma
part de la nourriture dont il a besoin.
l'ermite. Votre volonté sera laite, sire, du tout
au lout aveuglément. Je vois que vous êtes Dieu,
notre seigneur, el voici la Vierge Marie. Ah Dieu!
quelle noule compagnie m'esl arrivée ici !
notre-dame. Seigneurs anges, sans retard, re-
meitez-vous en roule; nous remontons aux cieux,
mon fils et moi.
Gabriel. Humble vierge, j'obéis. — Michel, mel-
tons-nous en roule, et ,en allant, chantons d'accord;
cela ne doit pas nous être pénible.
Rondeau.
Ni sur la terre, ni sur la mer, nul ne perd son
service en vous le consacrant ouvertement. Vrai
Dieu, etc.
dieu. Mes anges, allez-vous-en sur-le-champ en la
prison où Ignace a élé mis, el donnez-lui de ma part
ce pain cl ce pot de boisson. Diies-lui d'en apaiser
sa faim et de m'avoir toujours dans son cœur; et
ne lui manquerai d'aucune manière. Faites; puis
ineitez-vous en roule el conduisez sur-le-champ ce
prud'homme dans la prison.
Gabriel. Sire , nous accomplirons très-volonliers
votre commandement. — Allons, prud'homme 1 fai-
tes le troisième avec nous.
l'ermite. Certes, volontiers, mon doux ami, puis-
que cela plaît à Dieu.
micuel. Prud'homme, votre sainteté vous a mé-
rité que Dieu nous envoyât vers vous pour vous
conduire au lieu où est Ignace. Nous y serons bien-
tôt sans mensonge; vous le verrez.
Gabriel. Il dit vrai; et vous trouverez la prison
«inerte, c'esl certain; cl nous y entrerons lout droit
sans difficulté.
l'ermite. Seigneurs, j'éprouve une graii.îc joie de
ce que vous me dites.
michel. Voici la prison, saint ermite : cnirons-y
tous.
Gabriel. Je ne dirai pas : « Où èles-vous, .guace?»
Je vous vois assez. Vous êtes tourmenté de la faim,
cl le Dieu des cieux l'a bien vu : lui-même a pourvu
à vos besoins. Tenez, voici ce qu'il vous envoie.
Mangez donc et buvez gaiement, cl ayez toujours le
même amour pour lui : toujours il vous réconfor-
tera. Nous n'avons lien à vous dire do plus, cl nous
nous en allons tous deux; mais cet homme va rester
ici, el vous en dira plus long que moi.
ignace. Ah, mon bon Dieu ! je vous rends grâces
de la boulé que vous montrez à mon égard en me
rcpaissanl de vos mains si richement.
SCÈNE XV.
L'ERMITE, SAINT IGNACE.
l'ermite. Sire, entendez: certainement , Dreu
vous aime cl vous tient pour, un loyal serviteur; car
lui-même il m'esl venu chercher à plus de mille
lieues de dislance, lui et Marie sa mère, qui était
escoriéî d'anges, ne demandez pas comment ; il
m'a donné celte boîle d'onguent, el enjoint de vous
en oindre de manière à vous procurer guérison el à
fermer toutes vos plaies. Puisque t'est la volonté de
Dieu, sire, vous devez bien vouloir (pic je vous gué'
risse.
ignace. Ami , je suis sa créature : puisqu'P veut
me faire celte grâce, agissez à votre voloulé; j'y
consens.
l'ermite. Je veux vous oindre par lout le corps,
sans plus larder. Dieu ! comme cel onguent sent
bon! Jamais (en vérité, j'ose le. dire) je ne sentis ni
fleur ni autre chose aussi délectable.
ignace. Sire, sa venu esl encore meilleure que sa
dôme odeur :j'en suis déjà la preuve, car je n'ai
plus ni contusion, ni plaie, ni blessure, et je suis
tout à fait en bonne santé»
l'ermite. Que le souverain père des cieux en soit
loué!
ignace. Que la Vierge-Mère el son fils en soient
loués aussi!
l'ermite. Sire, avec voire permission, jepnis m'en
aller d'ici, puisque vous èlcs soulagé de tous vos-
maux.
ignace. Cher frère elcher ami loyal, je n'ose vous.
retenue par crainte du mal qui pourrait vous en ar-
river : c'est ce que je considère. Allez-vous-en à la
garde de Dieu; puisse-l-il vous donner sa gloire à
votre mort! Et pour l'amour de Dieu, souvent z-
vous de moi en vos prières.
l'ermite. Malheureusement, elles ont peu de valeur;
el j'ai plus besoin des vôtres, sire, que vous des
miennes. A la volonté d3 Dieu !
SCÈNE XVI.
L'EMPEREUR, SAINT IGNACE, CHEVALIERS, SER-
GENTS, le senac, gardien des lions, deux.
LIONS.
l'empereur. Seigneurs, Ignace me joue el se mo-
que de moi. Je n'ai pu encore ni le < danger, ni le
convertira notre loi. Mais, depuis trois jours, il est
en mon pouvoir, sans boire ni manger, el livré aux
angoisses de la prison. Allez le chercher sans re-
lard, et amenez-le ici.
premier sergent. Je ne sais ce qu'il a l'intention
défaire désormais. — Gamache, non ami, allons
tons deux le chercher.
deuxième sergent. Allons, fût-il misa mort ! Eh,
regarde quelle peine il nous donne! Allons, sire!
sortez, et que ce soit pour votre malheur*!
ignace. Mon ami , que Dieu, le roi des cieux, vous,
le pardonne!
le premier sergent. Ob'issez, obéissez sur ce
point et venez-vous-en avec nous. — Sire, tenez,
voici Ignace, tout nu en braies..
l'empereur. Maintenant écoute : Abandonne la
loi el consens à m'obéir, ou lu vas épuiser toutes les
peines cl les plus cruels tourments, au lieu de dé-
lices; choisis donc entre la mon, les pleurs ou la
joie. Que veux -tu?
icnace. Vos menaces, empereur, ne valent pas
un fétu. Je vous prie, pour Dieu, failes pour'lc
mieux ; mais vos plus grands tourments ne me chanr
geronl pas à l'égard de mon bon Dieu.
433
IGN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
*'•<
premier chevalier. Il a élé trop longtemps laissé
on repos. Eh ! gare! comme il parle achevai. On di-
rait Perceval ou Arthns. 11 a du cœur néanmoins.
deuxième chevalier. Je ne croirai jamais qu'il
n'ait pas quelques amis intimes qui l'eul reliennent
dans cet orgueil, c;ir, sire, il ne vous redoute nul-
lement. Il nie semble même que son corps est en
meilleur élat que je l'aie jamais vu. Est-il comme
les femmes méchantes qui engraissent d'être battue?
M a bien la chair revêtue de bonne peau.
icnace. Le Dieu que j'adore et invoque me nour-
rit et me renforce de telle manière que plus je souf-
fre, plus j'ai de force pour souffrir.
l'emperur. Je te ferai bientôt livrera un tel sup-
plice que lu diras, de bon gré ou non, ne pouvoir
en supporter les souffrances. Va dire au sénac qu'il
m'amène accouplés les lions qu'il garde par mon
ordre, et qu'il ne larde pas de venir.
premier sergent. Que Mahomet me tienne en
santé! Sire, j'y vais tout de suite. — Senac, sire,
ne lardez pas à venir auprès de l'empereur, et
amenez-lui tantôt les lions avec promptitude.
le se.vac Amis, je vais les chercher à l'instant
même; passez, allez-vous-en devant. — Sire, je
viens à votre ordre : voici les deux lions que vous
demandez. S'il vous plaît, commandez-moi ce que
j'en dois faire.
l'empereur. Senac, je vous le dirai tout à l'heure.
— Attendu qu'Ignace est trop orgueilleux et qu'il
inéprise et noire loi et tous nos dieux, qu'il s'en
moque en ma présence et en fait des gorges chau-
des, je veux qu'il soit dévoré par ces deux lions,
quoi quM advienne, et qu'il ne reste rien de lui, ni
chair ni os.
le senac. Sire, en vérité, j'ose vous le dire:
vous le leur verrez exterminer plus lot que deux
forts limiers ne viendraient à bout d'un lapin. Je
veux, sans en dire davantage, les découpler; puis je
les ferai fondre sur lui comme sur une charogne.
IGNACE aux chevaliers et au peuple. Seigneurs, qui
me regardez, dans l'extrémité où je suis et pendant
le supplice que je souffre pour Jj Dieu vivant, veui'-
Jez profiter de ce que je dis pour remettre vos cœurs
dans la bonne voie. Je n'ai pas travaillé sans salaire,
car ce n'est pas en raison de mes péchés que je
souffie, niais à cause de ma piété. Je suis le froment
de Dieu qui attend d'être moulu par les dents de ces
lions, pour ère fait pain; c'est chose certaine et
Dieu le veuille !
l'empereur. Beaux seigneurs, c'est étrange. Ces
Chrétiens plutôt que tous autres souffrent pour
leurs dieux. Où sont les Barbares ou les Grecs qui
en feraient autant ? En vérité, je ne sais.
Ignace. Empereur, je vous déclare que tous les
supplices que vous m'avez fait subir, je les ai souf-
ferts non par le secours d'une force humaine ni par
l'artifice du diable, mais par l'aide de mon ami
Jésus-Christ, mon Dieu, et par la foi. Maintenant
voici l'heure, je le vois bien, où je vais quitter ce
moud :. Ah ! Seigneur Dieu, source de tout bien, je
vois <e^ bêles accourir à moi : veuillez secourir mon
àmeà la lin de mon voyage, en sorte qu'elle jouisse
éternellement de votre vue.
le senac Hu ! bu! sur lui ! sur lui ! lions ! en
a va m, sur lui !
le premier chevalier. Il m'est avis qu'ils n'ont
pas manqué leur coup : du premier ils l'ont terrassé ;
ils l'auront bientôt logé dans leur ventre.
le senac Attendez, vous verrez dans peu de
temps ce qu'ils feront.
deuxième chevalier. Eh! là, ils n ont fait «pie le
flairer, le humer du grouin et le pousser d'un endroit
dans un autre, et il est mort.
l'empereur. Seigneurs, il est évident qu'ils n'ont
pasemie de rien manger de son corps: cela me
cause uu profond élonncment. Voyez, ils n'en man-
deront pas. Allons-nous-en, laissons-le en cet étal ;
et s'il est quelqu'un qui veuille le prendre el l'empor-
ter pour l'ensevelir, je ne veux pas l'empêcher
d'exécuter hardiment son intention.
le premier chevalier. Puisque tel est votre plai-
sir, sire, allons-nous-en : il en est temps.
le deuxième sergent. Bonnes gens, levez-vous
d'ici, faites place en avant à monseigneur el à sa
suite; retirez-vous.
le senac II me faut raccoupler mes lions el les
remmener; je ne les laisserai pas se démener à leur
volonté, de peur qu'ils ne fassent du mal ou ne cou-
rent parmi tout le peuple à leur gré.
SCÈNE XVII.
abbanes, gondofoke, bourgeois d'Antioche,
PEUPLE.
abbanes. Hélas ! c'est fait, mon cher Gondofore,
nous pourrions pleurer notre maître qui est mis à
mort, mais à quoi bon ? Voyons, que faire pour le
mieux ?
gondofore. Certes, il me monte du cœur des
larmes aux yeux quand je me souviens de lui. Il
nous faut tous deux le prendre el l'emporter de ce
lieu dans un autre endroit où ni chien ni autre bêle
ne lui fasse du mal.
abbanes. Le conseil est bon el convenable : qu'il
soit ainsi exécuté; car aussi bien l'empereur a dit :
< Que celui qui voudra l'ensevelir le prenne, il pourra
le faire en toute sûreté. »
gondofore. Eh bien ! faisons-le donc tout de suite ;
mettons-le sur nos épaules, Abbanes, el emponons-
le. Allons, courage, compagnon !
abbanes. Beaux seigneurs, donnez-nous un coup
de main pour lever ce corps sur nous. Que Dieu
vous soit miséricordieux ! Oh ! il est très-bien assis
sur moi. Seigneurs, merci bien de votre aide.
condofore. Il est bien aussi sur moi. En roule,
compagnon Abbanes, vile;el en allant, prions dé-
votement pour lui.
Gabriel. Michel, voici celui vers qui nous fûmes
envoyés; compagnon, escortons-le en chantant, non
pas un chanl de douleur, mais ce chant de joie, en
l'honneur de l'âme qui est déjà aux cieux : < Ce
saint dont nous célébrons la fête aujourd'hui, etc.
( Hic sanctus cujus hodie celebramus sotemnia ,
etc. . .) »
IMPÉRATRICE ROMAINE (V). — Lu
Miracle de V Impératrice romaine est tiré du
manuscrit de la Bibliothèque impériale,
n° 7208. k. B, folio 53, recto.
Le texte a été publié, accompagné d'une
version par MM. Monmerqué et Fr. Mi-
chel , dans leur Théâtre français au moyen
âge; Paris, 1839, gr. in-8° , p. 365-417.
M. Fr. Michel est d'avis que le sujet de en
drame est emprunté à un conte de Gaultier
de Coinsy (Cf. Nouv. Recueil de fabliaux el
contes inéd., publié par Méon , in-8°, t. II,
p. 50 et suivantes.)
PERSONNAGES.
i.'empereris. gonbert ou cobert, le
l'empeiuere. lourier.
brun, premier chevalier, le messagier.
morin, premier sergent dieu.
d'armes. nostrc-dame.
ysabel, la damoisclle. saint jeiian.
orry, deuxième cheva- premier ange.
lier. deuxième ange,
deuxième sergent d'ar- le uaistre marinier,
mes. la dame pelerine.
LE FRERE A L'EMPERIERE. l'esCUIER A LA PELERINE,
LE PAPE. OU L'ESCUIER A LA DAME.
PREMIER CARDINAL. L'OSTKSSC
DEUXIÈME CARDINAL. LE CONTE malade
Baudoin, l'escuicr. les clers.
435 1MP
Le titre est ainsi conçu :
Ici commence un miracle de Notre-Dame, tou-
chant l'impératrice de Rome, que le frère de
V empereur accusa pour la faire périr,
parce qu'elle n'avait pas voulu faire sa
volonté. Depuis il devint lépreux , et la
dame le guérit après qu'il eut confessé son
méfait.
SCÈNE Ie.
l'empereur, l'impératrice, chevaliers ro-
mains, DEMOISELLES, SERGENTS D'ARMES, EN
PRÊTRE.
L'rwpÉKATRrcE. Mo» cher seigneur, que Dieuloul-
pnissant vous rende la santé, ainsi que je le désire !
Combien je suis en peine de vous voir depuis si long-
temps alité par celle maladie. J'ai bien de l'ennui.
l'empereur. Daine, j'espère que Dieu m'enverra
bientôt du reconfort ei apportera allégeance à ma
cruelle maladie, je le sens et le vois bien. Agissez
sagement, prenez compagnie et allez à l'église. Là
■vous prierez Dieu de lout votre cœur qu'il mette
fin à mon mal et qu'il me donne la grâce de faire
necore quelque cbose qui me soit compté comme
un mérite et qui acquitte mon âme envers lui de
tous mes péchés.
brun, premier chevalier. Madame, il dit bien, et
sachez qu'en cela vous ne pouvez mal faire. On va
prononcer un sermon, bien à propos pour .vous.
Allons sans tarder, je vous le conseille.
l'impératrice. J'y consens de tout mon cœur. —
Allons ! Morin, marchez devant; faites débarrasser
le chemin, de manière à ce que nous puissions nous
mettre en route.
le premier sergent d'armes. Volontiers que Jé-
sus me voie ! — Allons, retirez-vous loin d'ici, (si
vous ne voulez) que nia masse ne vous frappe à
coups redoublés.
SCÈNE II.
L IMPERATRICE, SES SUIVANTES, CHEVALIERS,
SERGENTS d' ARMES.
( Ici commence le sermon, et, le sermon terminé, l'im-
pératrice parle et dit :)
Seigneurs, il y a longtemps que je n'ouïs un ser-
mon qui renfermât autant de bonnes choses; car
tout ce que le prédicateur a entrepris de dire, il l'a
très-bien traité. — Vsabelle, que vous en semble,
par voire foi ?
la demoiselle. Dame, par la foi que je dois à Dieu !
je crois que c'est un prud'homme autant que s'il
était cardinal romain ; il a prêché d'une manière
remarquable, et on ne peut pas mieux.
le premier chevalier. Que Dieu lui donne bonne
aventure ! dame, il a noblement prêché, et il s'en
est bien lire comme un habile maître qu'il est.
l'impératrice. C'est vrai. Or çà ! je veux me
mettre à genoux devant cel autel. — Doux el amou-
reux Jésus, et vous, Dame, fille et mère (mère de
qui ? mère de votre père, et fille de voire lils), Dame,
si jamais je (is chose qui vous fût quelque peu agréa-
ble (je parle avec beaucoup de hardiesse, mais un
ardent désir me pousse), Dame, qu'il vous plaise
m'octroyer comme récompense quelque œuvre de
Dieu envers mon mari, capable de lui rendre la santé
du corps, en le délivrant de la maladie à laquelle il
est en proie, douce Vierge ; el je vous promets de
vous servir autant que je le pourrai, tous les jours
de ma vie, de lout mon cœur cl dévotement. — En
avant, seigneurs ! allons-nous-en, il en est temps.
LE premier chevalier. Nous pourrions mal faire
en lardant davantage : allons-nous-en sans nous
arrêler vers l'empereur.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
456
le premier sergent d'armes. En avant ! rel'rez-
vous, videz les lieux, faites voie et place, dt; manière
à ce que madame puisse passer. En arrière tous !
SCÈNE III
l'empereur, orry, chevalier, l'impératrice .
orry, deuxième chevalier. Mon cher seigneur,
que faites- vous ? vous vous habillez ?
l'empereur. Oui vraiment, Orry, et je ne suis
pas hors de mon bon sens; je sais bien comment je
me trouve.
l'impératrice. Mon cher seigneur, qu'y a-t-il?
dites-le-moi. Quel bon visage vous avez !
l'empereur. Bonne dame, par la foi que je vous
dois ! sachez que Dieu m'a fait une grâce telle que
je suis loul à fait guéri, et comme je sais bien d'où
cela me vient, je tiendrai fidèlement la promesse
que j'ai faite à Dieu, el dans un courl délai. J'y suis
bien tenu. Allez-moi promplement chercher nun
frère, dites-lui qu'il vienne bien vile nie parler.
le deuxième sergent d'armes. Mon cher sei-
gneur, je veux y aller, puisque vous me le com-
mandez.
SCÈNE IV.
LE SERGENT, LE FRÈRE DE l'eMPEREUR.
le deuxième sergent d'armes. Sire, sire, ne
tardez plus : par ma foi ! voire frère m'envoie vite
vous chercher; venez auprès de lui.
le frère. Il me semble que tu as le visage lout
pâle : qu'y a-l-il ? est-il en danger de mort ? Ne me
mens point.
le deuxième sergent d'armes. Nenni; au con-
traire, il est en très-bon élat, Dieu merci !
le frère. Je remercie la Reine des cieux. Allons-
nous-en : je neveux plus rester ici, mais marcher
jusqu'à «pie je sois où il est.
SCÈNE V.
l'empereur, l'impératrice.
l'impératrice. Mon cher seigneur, si cela ne vous
contrarie pas, diles-moi, je vous prie, quelle pro-
messe vous avez faite à Dieu noire Seigneur.
l'empereur. Je vais vous le dire. Vous savez com-
bien j'ai été dangereusement malade: or je lui ai
fait le vœu, pour être bref, que, si Dieu m'envoyait
guérison, j'irais sur-le-champ visiter son saint
sépulcre. Sachez donc, dame, sans en douler, que,
sitôt après celle promesse, je me suis trouvé en
bonne santé : aussi je veux m'acquitler de ce voyage
ct faire le pèlerinage de la Terre-Sainte : esl-ce que
cela vous déplaît ?
l'impératrice. Nenni, cerles, mon cher seigneur,,
puisque tel est votre plaisir.
SCÈNE VI.
LES MÊMES, LE FRÈRE DE L'EMPEREUR.
le frère. Parlez-vous de quelque chose secrèle,
mon très-cher seigneur? dites-moi la vérité. Puis-
siez-vous avoir une bonne santé, comme je le vou-
drais!
l'empereur. Nenni, frère. J'ai à vous dire pour-
quoi je vous ai mandé. S'il plaît à Dien, le roi des
rois, je vais dévotement visiter Jérusalem sous l'ha-
bit de pèlerin. Pendant mon absence, vous aurez le
soin el la garde de ma terre, ainsi que des rentes el
du domaine. L'impératrice, ma femme, reslera sou-
veraine el maîtresse, comme régente de l'empire.
Faites votre devoir, je vous prie. — S'il vous faut
quelque chose pour augmenter votre étal, dame, je
veux qu'il l'ail sans compter ni rogner.
l'impératrice. Mon cher seigneur, si Dieu me
laisse vivre en sanlé, je vous assure qu'il aura de
moi lout ce qu'il voudra avoir pour son cial; je le
lui livrerai sans difficulté, soyez-en sûr.
457
IMP
DlCTIO.NiNAlUfc. DLS MlSTEKES.
IMP
ÂZS
li'Hîkreur. D;iiue, je m'en rapporte à votre pa-
role • si vous voulez, vous saurez bien le faire.
Maintenant, pour hâter l'exécution de mon projet,
je veux mVn aller droit au Pape pour prendre congé
et lui parler : c'est juste et je dois le Lire. — Vous
deux, accompagnez-moi jusqu'à <e que j y sois.
le deuxième rjiEVALiER. Mon cher seigneur, je fe-
lai avec joie ce que vous commandez.
LE deuxième sergent d'armes. Aussi bien ai-je un
plus grand désir de le faire que lui de l'ordonner. —
Lb! là-devant, marchez, écartez-vous.
SCÈNE VII.
l'empereur, le pape.
l'empereur. Saint Pète, je viens vers vous comme
un lils obéissant vers son père : c'est juste, et, ri-
che ou mendiant, on doit en agir ainsi.
le pape. Mon bel et cher lils, quelle affaire vous
amène? Estc-e quelque coup imprévu qui ne vous
soit ni bon ni agréable? je veux le savoir.
l'empereur. Nenni, saint Père; à dire vrai, je
viens demander votre bénédiction, car mon inlen-
iion est de faire le saint voyage d'outre-mer, soit
par terre, soit par eau : je l'ai promis à Dieu, saint
Père, et je ne veux plus tarder à l'exécuter.
le pape. Beau fils, puissiez-vous avoir, soit près,
soit loin, la bénédiction et la grâce que Dieu oc-
troya à l'apôtre saint Pierre, ainsi que la nôtre !
Des à présent , je vous donne celte croix que
vous poserez sur votre épaule et que vous porterez,
car ainsi doit faire tout pèlerin qui entreprend ce
Voyage; et avec ma bénédiction je vous accorde pleine
et entière rémission de vos péchés.
le prehier cardinal. Sire , agissez sagement :
niellez à voire place un gouverneur tel qu'il soit au
profit et à l'honneur de voire empire.
le deuxième chevalier. Ce gouverneur n'est pas
maintenant à élire ; il y est pourvu. L'empereur a
nommé régents son frère et.Madame.
LE DEUXIÈME CARDINAL. Sil'C, SUT II10I1 âme ! il lie
pouvait ini(ux choisir parmi tous ceux de sa race :
car son frère est doux, courtois, sage et équitable.
le pape. Puisque ce frère est tel (pie vous le dites,
l'empereur ne doit que plus l'avancer. — Mon fils,
mettez de la diligence à vous acquitter bientôt de
votre vomi, et prenez en patience l'adversité, si elle
vous vient; autrement votre voyage ne vous serait
pas profitable.
l'empereur. »e souffrirai de bon cœur tout ce que
Dieu m'enverra, l'on ne me trouvera jamais à mur-
murer ni à m'impalienier. Saint Père, donnez-moi
la permission de m'en aller.
le pape. Mon cher fils, je le veux bien. Allez, que
Dieu vous conduise en bonne santé, et vous ramène
avec grande joie et allégresse !
le deuxième sergent d'armes. En avant! ne vous
attroupez pas autour de nous, beaux seigneurs, re-
tirez-vous en arrière ; laissez-nous la roule libre par
ici, allons! vous ferez bien.
SCÈNE VIII.
l'empereur , l'impératrice, et SES FEMMES,
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR.
l'empereur. Dame, je reviens d'auprès du saint
Père, qui m'a donné l'absolution de tous mes péchés.
Sa Sainteté veut que par dévotion je porte celle
croix sur mon épaule jusqu'à ce que Dieu m'ait ra-
mené ici à bon port : puisqu'il l'a ainsi ordonné, je
la porterai volontiers. Donnez-moi un autre babil;
je ne mettrai pas celui-ci. Allons! dépèchez-vous,
mon amie : je veux partir.
l'impératrice. Mon cher seigneur, à voire gré. —
Donnez-moi celle houppelande, Isabelle : à ce que
je crois, c'est celle que l'empereur demande.
la demoiselle. J'v avais aussi songé. Tenez Ma-
dame.
l'empereur. Ma femme, c'est ce que je demande.
Allons, par voire foi ! attachez ici celle croix pour
l'amour de moi.
l'impératrice. Mon cher seigneur, je vais vous lo
faire de bon cœur, sans observations. — L'est fait;
elle y est on ne peut mieux placée.
l'empereur. Frère, c'est fini. Je vous prie de
prendre en tous lieux souci de mon honneur, do
garder ma compagne, et de tenir le peuple en paix.
— Dame, je ne sais si jamais je vous reverrai, Bai-
sez-moi, baisez. Eh! cessez de pleurer. — Messire
Orry, et vous, Huart , allons-nous-en; car j'ai haie
île sortir de celle terre. La pitié m'enveloppe et me
serre le cœur. Adieu, tous!
l'impératrice. Mon cher seigneur, mon doux ami,
adieu ! Dieu vous conduise, en sorte que rien no
vous puisse nuire ni faire mal.
lf frère. En vérité, mon cher frère, nous irons
jusque là-bas en vous accompagnant tous trois, puis,
quand nous y serons, nous vous dirons adieu.
l'empereur. Soit! nous le ferons ainsi. — Vous
deux, sergents, allez devant. — Oli? vous n'irez pas
plus loin; retournez sur vos pas.
le premier chevalier. Puisque tel est voire plai-
sir, nous vous laisserons ici. Adieu, cher sire!
le frère. Cher frère, je ne sais que vous dire :
que Dieu vous conduise sain et sauf, et soit assez
bon pour vous ramener en parfaite santé!
l'empereur. Que sa volonté soit entièrement faite!
Adieu, mon frère!
le premier sergent d'armes. Il nous faut retour-
ner en arrière auprès de Madame.
le premier chevalier. Oui vraiment, car ce n'est
pas une femme que nous devions laisser seule; il
faut donc nous hâter d'aller à elle.
SCÈNE IX.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR, L'IMPERATRICE,
SUITE.
le frère. Dame, puisque je suis nommé régent
de cet empire , mon cœur veut mettre tous ses soins
à toujours chercher votre bien-être, si vous me le
permettez et que cela vous plaise.
l'impératrice. Désormais il faut qu'il n'y ail entre
nous ni bruit ni dispute, mon frère; il ne doit ré-
gner entre nous deux qu'une seule volonté el un
seul amour; il n'y a pas de doute.
le frère. Daine, je suis (oui prêt à faire voire
volonté de bon cœur et sans opposition.
l'impératrice, Je vous remercie de cette assu-
rance.
le frère. Ma chère dame, il en est ainsi : gar-
dez-vous de croire le contraire; cl quand l'occasion
propice se présentera , vous reconnaîtrez la vérité
de mes paroles.
l'impératrice. Plus vous ferez pour moi plus je
vous serai obligée; et, certes, je m'efforcerai de
vous en récompenser.
le frère. Ma chère dame, il me faut aller cher-
cher un peu de distraction : la tète me l'ail mal et
me fend , el je ne me sens pas à mon aise; en con-
séquence veuillez, pour Dieu, ne pas trouver mau-
vais que je me relire, madame.
l'impératrice. Par mon âme! mon frère, je le
veux bien; mais ne deireurez pas trop, de manière
à <c que nous soupions de bonne heure; il esl déjà,
lard.
le frère. Bien madame. — Baudouin, venez
avec moi; prenez vile ma cape et mon chapeau.
l'écuver. Volontiers , sire ; en vérité , je ne veux
vous contrarier en rien. Ça! j'ai tout, allons-nous-
en, cher sire, où il vous plaira.
SCÈNE X.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR.
le trere. Sainte Marie! que va-l-il arriver? Me!
433
IMP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
la rare
suis un
IMP
4i(F
yeux ont tant de fois présenté a mon cœur
Leauté de madame (Impératrice que je
un homme mort si elle n'a pilié de moi , et si je ne
puis avoir son amitié. Son renom, sa bonté, sa
simplesse, sa courtoisie, sa douceur, sa largesse,
son honnêteté, son maintien, son affaqililé, sa
franchise, ses manières prévenantes, tous ces tré-
sors qu'elle possèile ont tellement épris mon cœur,
à force de la regarder, qu'il est enlacé et pris dans
les filets du désir , qui nie serre et m'enveloppe. Je
ne sais que faire; car Souvenir s'éteint dans mon
cœur, Plaisance accourt. Vouloir m'assaillit. Pen-
ser m'a rendu si stupéfait qu'en un mol je reste
éperdu de tous mes sens quand Regard conduit et
mène mon cœur à sa beauté souveraine! Alors je
ne suis pas débarrassé de ma soif, au contraire :
plus je suis ivre, plus je suis altéré; et plus je la
vois, plus je m'abreuve; en suçant je bois Plai-
sance, et plus je la bois, plus je me dessèche. Sans
relâche Ivresse m'excite, il me faudrait d'autres pen-
sées, et je ne sais comment me défendre maintenant.
Je Faillie-. Mais en vérité, ai-je raison? Nenni ,
vraiment. Je commets une grande faute , dont je
dois me haïr moi-même , en désirant trahir
mon frère et lui séduire sa femme. Quel affreux
déshonneur! oserai-je me proposer ce but, y mettre
et employer mon temps. Le devoir s'y oppose. 11
me faut anéantir cette ardeur insensée, ces désirs
criminels. Dieu! mon cœur fou et volage ne vient-
il pas de dire que je cesserais de l'aimer. Certes, je
n'en ferai rien. Puisque ma bonne étoile l'a placée
sur mon chemin, Dieu sans doute me l'a donnée;
et je mettrai mes soins à l'aimer. Si l'amour que je
ressens pour elle me change la douceur en amertume ,
que m'importe? Aimer sans peine ne vaut rien; l'on
aime d'autant plus la richesse, qu'elle a coulé plus
cher; et celui-là a bien employé son travail, qui
l'amène à bonne fin. Oh! certes, ma peine me sera
récompensée par l'accomplissement de mon désir.
Qu'ai-je dit! suis-je fou? La vertu est-elle vice? Ai-
le la présomption d'espérer ce que je ne puis attein-
dre : c'est-à-dire d'espérer pour amie une dame
pareille? En vérité, elle ne m'aimera pas; elle pré-
férera la mort à ce déshonneur. R faut donc que je
cherche quelque moyen, si je ne veux mourir de
mon mal. Ah ! Dame où tontes les qualités sont
réunies, voire beauté m'a tellement enflammé d'a-
mour pour vous qu'il faut que ma vie finisse, ou
que vous soyez mon remède.
SCÈNE XI.
écwjer.
le frère. Raudouin, il faut que j'aille me coucher
au logis.
l'écuyer. Qu'est-ce? qu'avez-vous, mon cher
soigneur? Je vous vois plongé dans de tristes ré-
flexions, et changer de couleur Dites-moi , qu'avez-
vous?
le fbère. Baudouin, menez-moi coucher ; car je
ne suis pas en bonne santé; au contraire , ami, je
me sens grièvement malade, n'en doutez-pas.
l'écuyer. Sire, volontiers, allons-nous-en. — A
présenlvoici votre lit fait. Couchez-vous, sire; je vais
vous couvrir comme il faut. C'est fait ; maintenant
restez un peu tranquille pour suer, et vous repren-
drez vos forces; vous serez guéri bientôt.
le frère. Allez à présent dire à l'impératrice
qu'elle soupe à son aise , et que , pour l'amour de
Dieu , elle ne trouve pas mauvais si je ne suis pas
avec elle.
l'écuyer. Volontiers, sire; j'y vais.
SCÈNE Xlf.
L'IMPÉRATRICE, BAUDOUIN.
l'ÉfUYER. Ma dame , que Dieu par sa puissance
chagrin !
Mon
seigneur
vous garde d'ennui et de
vous mande de souper sans l'attendre; car il est
occupé de telle manière qu'il ne peut venir aujour-
d'hui. Pour l'amour de Dieu, ne trouvez pas mau-
vais s'il ne vient pas ici.
l'impératrice. Dis-moi quelle affaire le relient,
et qui peut l'occuper au point de l'emoêcher de
venir souper avec moi. «
l'écuyer. Dame, par la foi que je vous dois,
puisque vous voulez que je vous le dise, il est cou-
ché dans son lit, comme s'il était atteint d'une
maladie grave. J'en ai le cœur navré. Il ressemble
à un déterré, tant il est fondu et amaigri! Ma
chère dame, j'en ai le cœur bien chagrin.
l'impératrice. Sur mon âme! le mien éprouve
tant de douleur de ces nouvelles que je ne puis l'ex-
primer. — Raudouin, ne demeurez plus ici; allez-
vous-en, et gardez soigneusement votre maître.
l'écuyer, Dame, je ferai de bon cœur votre vo-
lonté.
SCÈNE XIII.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR.
le frère. Eh, Dieu, pourrai-je jamais de ma
vie atteindre à l'objet de mon désir, ce qui me gué-
rirait à mon gré de celle maladie! Ah! Amour! lu
me fais souffrir et le cœur et le corps.
SCÈNE XIV.
FRÈRE
BAUDOUIN, LE
l'écuyer. Sire , prêtez 1
je viens de chez madame,
DE L EMPEREUR.
'oreille à mes paroles r
qui est bien ébahie et
loule chagrine de votie indisposition. Je tiens
qu'elle vous aime réellement d'un cœur loyal.
le frère. Ami, pour cela, que Dieu veuille la
garder de mal !
l'écuyer. Ne mangerez -vous rien, sire? Prenez
quelque chose qui vous soutienne.
le frère. Je n'ai pas plus envie de boire et de
manger oue de ronger ce mur-ci. Ainsi laissez-
moi.
SCÈNE XV.
l'impératrice, chevaliers, sergents
d'armes.
l'impératrice. Beaux seigneurs, levez-vous d'ici;
je veux aller voir mon frère, et aider à sa guérison.
Allons! dépêchons-nous, je vous en prie.
le premier chevalier. Dame, nous ferons sans
reiard voire volonté.
le premier sergent d'armes. En avant! et videz
promplemenl la place, videz, videz! ne pensez pas
que vous encombrerez ainsi le chemin.
SCÈNE XVI.
les mêmes, le frère de l'empereur,
baudouin.
-• l'impératrice. Que Dieu soit céans! — Raudouin,
que fait ton maître?
l'écuyer. Madame, par le Roi descieux! je n'en
sais que dire.
l'impératrice. Eh, qu'est-ce ? comment allez-
vous, beau sire ?
le frère. En vérité, je ne sais. Qui êles-vous?
l'impératrice. Eh ! mon très-cher frère, par nia
foi! je suis votre sœur et votre amie. Par sainte
Avoie ! ne me reconnaissez-vous pas ?
le frère. Certes, je ne savais à qui je parlais,
dame, ne vous déplaise. Ah, Dieu ! que je suis mal à
mon aise et malheureux!
l'impératrice. Dieu! comme il a la tête brûlante,
et comme ses tempes battent! elles se meuvent ci
s'agitent comme un poisson vivant hors de rivière.
— Allons ! retirez-vous tous en arrière : je veux lui
parler un peu. — Frère^ veuillez ne oas me le célor:
♦ H
IMP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMF
Âii
à voire avis, n est-il rien qu'on puisse se procurer
pour île l'argent, cl qui vous rendrait la santé? Si
vous connaissez un remède, je vous en prie, indi-
quez-le-moi sans retard; car s'il est rien que je
puisse taire pour vous, sans manquer à mon hon-
neur, je le ferai très- volontiers. Allons, cher sire!
pendant que nous sommes tous deux seuls, ouvrez-
moi hardiment votre cœur.
LE frère. Ah! madame, vous êtes le seul médecin
de ma maladie, bien que je sois blâmable de par-
ler.
(Ici il se pâme.)
l'impératrice. Sainte Marie, il est pâmé ! Je veux
lui soutenir la tète jusqu'à ce qu'il soit hors de cet
étal. Le voilà revenu de son évanouissement. —
Mon frère, sans larder, dites-moi, pour l'amour de
Dieu ! qu'est-ce à dire que je suis le médecin de vo-
tre mal ? Je ne vous comprends point.
le frère. Dame, puisque vous le voulez savoir,
l'amour que je ressens pour vous m'a mis en un tel
état que j'en suis tombé malade: car je vous aime
plus que moi, el je désire tellement vous posséder
que, si vous n'usez de miséricorde à mon égard, je
ne sortirai jamais d'ici (pie mort.
l'impératrice. Frère, pensez à vous rétablir, et
consolez-vous; prenez voire mal en patience, ne
vous en chagrinez plus; cl aussi pour que j'aie un
ami, délivrez-vous de celle inquiétude. Nous devons
naturellement nous entr'aimer, et nous donner l'un
l'autre le litre d'amis. Je n'en dis pas davantage,
pensez à vous. Je m'en vais; adieu, cher sire. —
Allons! parlons.
lf. premier chevalier. Allons, dame. Pour l'amour
de Dieu ! à votre avis, comment va-t-il? Il me sem-
ble être bien amaigri de la face.
l'impératrice. Son mal a jusqu'ici empiré plus
qu'il ne fera, je crois ; s'il plaît à Dieu, il sera bien-
tôt en bonne santé.
SCÈNE XVII.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR.
le frère. Amour, vous m'avez fail souffrir assez
de tourments; mais puisque celle qui soit d'ici a eu
pitié de moi et m'a accepté pour ami, je ne tiens
aucun compte de tous les maux que j'ai soufferts :
la douce réponse qu'elle m'a faite a guéri radicale-
ment lout mon mal, en sorte qu'il m'est avis
que je suis roi, tant j'ai de joie et ressens d'allé-
gresse!
SCÈNE XVIII.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR, BAUDOUIN.
l'éclver. Sire, voulez-vou* qu'on aille chercher
votre médecin? il fait bon avoir le conseil d'un
homme d'âge et de savoir.
le frère. Baudouin, veux-tu savoir la vérité? eh
bien ! je n'en ai nul besoin ; je sens mon cœur sain
el entier, et mon mal a subi une crise telle qu'il est
pas-é : je veux me lever.
l'éclver. Sire, vous ferez votre volonté; mais,
pour l'amour de Dieu! ne vous hâtez pas; car
une maladie est très-dangereuse après une re-
chute.
le frère. C'est vrai; mais tout le monde n'en
é| « ouve pas, et je sens bien que je ne guérirai point
jusqu'à ce que j'aille à la cour. Là, quand je serai
avec l'impératrice, je reviendrai lout à f.iit en
saille.
l'écuyer. Sire, puisqu'il en est ainsi, faites voire
volonté.
le frère. Allons, daudouin ! je suis prêt : allons-
nous-en à la cour, mon frère.
SCÈNE XIX.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR, I.'lMPÉR ATRiCE .
lf. frère. Ma chère dame, je vous salue, au nom
de Dieu le Père.
l'impératrice. Sire, sur mon ame, soyez le bien-
venu ! Que je suis heureuse de vous voir! Venez!
plus près, plus près encore de moi. Comment vous
trouvez- vous?
le frère. Dieu merci! je suis dispos, fort el par-
faitement guéri, n'en doutez pas. Dame, quand se
rez-vous mou amie, comme vous me l'avez promis,
de manière à ce que je sois voire ami de fail et
d'œnvre ?
l'impératrice (à part). Il ne faut pas qu'il rechute.
— (Haut.) Sire, patientez encore, ce n'est pas le
moment quant à présent ; attendez un peu.
le frère. Ah;! dame, à voire vue, une ardeur
amoureuse s'empare de moi ! Désir m'enlace et me
presse de lelle sorie que je perds toute manière, et
que je n'ai plus de contenance. Combien il me
tarde d'entendre de voire bouche : « Ami , main-
tenant lu peux jouir de moi comme de Ion amie, i
£ l'impératrice. Qu'est-ce? ne vous moquez-vous
pas? Ai-je l'air d'une éhonlée capable d'assouvir vo-
tre luxure? Nenni, cela ne sera cerles point. J'ai-
merai^ mieux être à Tarse, seule et égarée, voire
même être brûlée, que de violer mon mariage el de
faire un lel outrage à voire frère, mon mari. Par
ma foi! vous gardez maison honneur en sollicitant
de moi une chose pareille, el vous cherchez à vous
rendre coupable d'une bien grande infamie : ainsi,
je vous le dis, n'en parlez plus, car vous seriez
mon grand ennemi. Taisez-vous et lenez-vous
coi.
le frère. Dame, à présent je ne dirai plus rien.
? l'impératrice. Je veux achever de dire mes heu-
res.— Ysabelle, mon amie, prenez vile mes heures,
sans réplique, et venez-vous-en avec moi jusqu'à
l'église.
la demoiselle. Je le ferai de bon cœur, ma chère
dame, c'est juste. Allons-nous-en, sans retard, quand
il vous plaira.
l'impératrice. Que nul de vous, seigneurs, ne
bouge, car je ne le veux pas. — Allons-nous-en, Ysa-
belle, mon amie.
SCÈNE XX.
l'impératrice, ysabelle, sa suivante.
l'impératrice. Oh ! puisque je suis devant l'autel
el seule, donne-moi mes heures, c'esl le moment de
les dire ; le lieu est propice, qu'attendre davantage.
(Ici elle fail semblant de dire ses heures.)
la demoiselle. C'esl vrai : dites-les, de par Dieu !
je me retirerai là-bas
SCÈNE XXI.
ll frère de l'empereur.
le frère. Sainte Marie! que faire? comment at-
teindre au but de mes désirs? J'avais cru obtenir ma-
dame, et devenir son amant ; mais je n'ai pu y par-
venir, au contraire, lout est à recommencer. On dit,
il esl vrai : qui fait une promesse au fou, même sans
songer à la lenir, le met aisément dans la joie. J'ai
élé amant en promesse : ce qui m'a mis dans la
joie comme un fou ; car, quand je lui ai parlé en
particulier, je l'ai trouvée plus fière qu'un léopard,
et étrangement dure el méchante. Cruel souvenir,
qui me fait souvent pâlir el changer de couleur! La
laisser ainsi? Non pas. Je veux encore lui parler,,
puisque je la vois à genoux.
SCÈNE XXII.
LE FRÈRE DE LEMPERELR, L'IMPERATRICE.
le frère. Eh, ma chère dame! aurez-vous com-
N'aurai-je pas la paix? Qu'esl-cc-
passion de moi?
l'impératrice.
que ceci ? Sire, par ma foi! vous avez grand lort de
me parler ici de chose pareille.
le frère. Ali! daine, vous avez raison; mais mon
4i3
IMP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
-W»
i'iuour assiège tellement mon cœur nuit ei jour;
Désir qui toujours s'augmente de plus en plus, me
tyrannise tellement, que, malgré moi, je vous prie
et vous imp'ore. Si vous continuez à être fière à mon
égard et à me refuser le don d'amoureuse merci, je
suis condamné à mourir : il n'y a pas à en douter.
l'impératrice. Je vous divine; mais que faire?
Néanmoins, a liez jusqu'au louiïer qui garde celle tour;
dites-lui qu'il l'ouvre sans retard et que je veux y al-
ler sur l'heure pour parler avec vous de choses se-
crètes. Quand les verioux de la porte seront tirés,
soyez tout prêt à y enlr.r; et je me rendrai vers
vous à l'instant même, sans délai. Ami, allez.
le frère. Dame, puisque telle est votre volonté,
je la ferai de bon cœur.
SCÈNE XXIII.
LE FRÈRE DE l'eMPEREUR, LE TOURIER GOBERT.
le frère. Gobert, ouvrez vite celle tour, sans me
retenir davantage. L'impératrice va venir ici ; car
nous avons à parler tous les deux de choses secrè-
tes, el nous voulons être tout seuls.
oobert (le lourier). Sire, par le doux roi des
cieux ! je vous l'ouvrirai volontiers. — C'est fait; je
n'y laisserai entrer âme qui vive, hormis vous el
elle.
le frère. Baudouin, va-t'en et aide-moi à me ca-
cher : si quelqu'un aujourd'hui me demande, dis que
tu ne sais pas où je suis, et cela, jusqu'à ce que je
m'en aille.
l'ecuver. Volontiers, monseigneur , je n'y man-
querai pas, soyez sans inquiétude.
SCÈNE XXIV.
L'IMPÉRATRICE, LE TOURIER GOBERT.
l'impératrice. Ysahelle, suivez-moi de loin sans
souffler le mol. — Gobert, mon ami, dis-moi la vé-
rité : mon frère est-il entré céans? Je le le demande,
je n'ai pas besoin de le voir.
le tourier. Oui, dame, il est là-haut.
l'impératrice. C'est bien à point. — Allons, Go-
bert ! ferme - moi tellement ce guichet qH'il ne puisse
pas du tout sortir. Je veux qu'il reste là, et que nul
n'aille ni ne vienne auprès de lui : je le défends.
le tourier. Je me garderai bien de rien faire qui
•vous offense , dame, Dieu me garde! je n'y laisserai
entrer personne.
l'impératrice. Bien. — ïsabelle, rclournons-nous-
cn par ce chemin, il en est bien temps ; je ne veux
plus rester ici, il est assez tard.
SCÈNE XXV.
l'écuyer
, LE TOURIER.
vois mon maître d'au-
BAUDOU1N
l'écuyer. Eh quoi ! je ne
enn côté : où peut- il être, il faut que je le sache. —
Gobert, qu'est devenu mon maître? dites-moi la vé-
rité.
LE TOURIER. 11 CSl CHCOIC réailS
l'ecuver. El que peut-il y faire pour demeurer si
longtemps?
le tourier. Je ne pense pas qu'il soit à l'aise, car
il esl prisonnier.
l'écuyer. Prisonnier! hélas! pour quelle raison
peul-il l'être?
le tourier. C'est par ordre de l'impératrice; je
ne sais ce qui s'est passé entre eux deux. Ce serait
un grand malheur s'ils n'étaient pas d'accord en-
semble.
l'écuyer. Voilà qui est fort ! Lui seul a droit de
gouverner tout ('empire , comme régent, jusqu'au
retour de l'empereur.
le tourier. Il n'est pas moins dans celle position,
cl ma dame m'a défendu de ne laisser approcher de
lui âme qui vive, ni homme ni femme.
l'écuyer. A ce «pie je vois, je ne pourrai donc pas
iui parler?
le tourier. Non pas quant à présent, de bonne
foi! et cela nie chagrine.
l'écuyer. Alors je m'en vais d'ici. Adieu, Gobert!
le tourier. Puissiez-vous aller en un lieu où
vous ayez du bonheur !
SCÈNE XXVI.
L'ÉCUYER BAUDOUIN, UN CHEVALIER
l'écuyer. Si, au lieu de rester ici, j'allais vers la
cour savoir de quelle querelle, de quel tapage ou de
qu^l crime mon seigneur s'est rendu coupable pour
êlie mis en prison. J'y vais, sans plus me tenir ici.
Mais voici messire Brun, qui saura m'en donner de»
nouvelles. —Sire, que Dieu vous donne une bonne
vie el une bonne fin !
le premier chevalier. Baudouin, que Dieu le
donne un bon jour! Qu'est-ce que c'est ? où as-tu?
l'écuyer. Je marche comme un homme tout
abattu par le chagrin, l'ennui el la colère. Savez-
vons ce qu'a l'ait mon seigneur? Je crois que oui:
le premier chevalier. Ton seigneur ! pourquoi?
qu'y a-lil? Lui est-il arrivé malheur?
l'écuyer. Je ne pense pas qu'il soit coupable d'au-
cun méfait,; mais néanmoins, sire, ma dame le fait
si étroitement tenir en prison, que personne ne peut
arriver à lui.
le premier cheyalier. Viens l'en, j'irai savoir ce
que c'est.
SCÈNE XXVII.
L'IMPÉRATRICE, LE CHEVALIER, BAUDOUIN
SERGENTS D'ARMES, SUIVANTES.
le premier chevalier. Ma chère dame, est-il vrai,
comme n:e l'a dit cet écuyer-ci, que vous ayez mis
en prison son maître, qui naturellement esl le plus
sûr, le meilleur el le plus loyal de vos amis, el qui
seul connaît vos secrets. Si quelque parole ou quel-
que action vous a déplu, dame, je vous prie de lui
pardonner : par là vous augmenterez votre réputa-
tion el voire honneur.
l'impératrice. Je me garde moi-même de honte
cl de déshonneur. Notre sire ne sera pas relâché
d'une semaine, pas même d'ici à quinze jours. —
Morin, approche. Tu vas aller le garder, et en
môme temps lui procurer ce qu'il voudra boire et
manger. Fais en sorte qu'il ait tout en abondance
cl qu'il soil richement servi ; mais prends bien
garde qu'il ne s'échappe.
le premier sergent d'armes. Croyez que je. me
laisserais plutôt arracher les bras du corps. Puis-
que tel esl votre plaisir, j'y vais tout de suite, ma
chère dame.
le premier chevalier. A votre gré, mais il eût é;é
bien mieux, sur mon âme ! de le meure dehors.
l'impératrice. S'il n'eût pas été autant de mes
amis, je ne l'y eusse pas emprisonné; el si vous sa-
viez ce qui s'est passé, je crois que vous parleriez
autrement.— Baudouin, reste avec moi, cela ne doit
pas le faire de peine; el dès ce moment je le nomme
mon écuyer.
l'écuyer. Je suis bien reconnaissant de celte pa-
role. Très-grand merci, ma chère dame. Sur mon
àmc! je vous servirai très-volontiers.
l'impératrice. Maintenant, parlons d'autre chose.
Pour nous divertir, tandis que nous sommes ensem-
ble, s;re, dites-moi, je vous prie, quelle est la chose,
à votre avis, la plus délicieuse , qu'elle soil ou non
cause de dommage ou de profit.
le premier chevalier. Voici ce que je reponds:
la chose délicieuse est celle qui esl le plu-, désirée
soir et matin, du cœur de l'homme; ici esl mon
avis. . .
la demoiselle. Sur mon âme! voici une parole
bien dite, cl c'est la vérilé.
l'impératrice. Allons! par votre loyaulc! Isabelle,
145
IMP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
413
lequel vaut mieux de parler jusqu'à ce que Ton vous
impore silence, ou de se (aire ei d'écouler jusqu'à
ce que l'on vous commande de parler? Diles-le-
moi.
la. demoiselle. Voici mon opinion, et ma réponse
m voire demande : Il v.tut mieux se taire jusqu'à ce
que l'on vous commande de parler; car tant qu'on
s'en abstient, on lient sa parole en son pouvoir;
cala ne l'ait point l'ombre d'un doule.
SCÈNE XXVI1J.
LES MÊMES, UN MESSAGER
le messager. Que Dieu garde toute la compagnie,
spécialement ma dame, et vous ensuite pareillement,
chacun en particulier!
l'impératrice. Messager, sur ma foi ! sois le bien-
venu. Je vois bien que, s'il plaît à Dieu, j'aurai des
nouvelles bonnes et belles. Dis- moi la vérité : que
lait mon mari? Je suis plus affamé de sa vue que
de toute autre chose.
le messager. Demain, avant que Prime soit son-
née, il sera ici. Ma chère dame, il vous mande de
vous tenir en joie; et lui-même m'a envoyé céans
pour savoir aussi comment vous vous portez.
l'impératrice. Il faut que lu lui annonces que nous
sommes tous bien portants et dispos; n'en dis pas
davantage, seulement salue-le ei recommande-moi
à sa personne.
le messager. Très-chère dame, si Dieu me con-
serve la langue, votre message sera rempli avant
qu'il soil Noue : J'y vais en courant. (Il sort.)
SCÈNE XXIX.
les mêmes, hors le messager.
l'impératrice. Baudouin, va dire sur-le-champ à
Morin qu'il amène ici mon frère, et qu'il soit bientôt
arrivé.
l'écuyer. Volontiers, dame, en vérité. — Morin,
venez vers ma dame el amenez-lui son frère sans
retard.
le premier sergent d'armes. Cela sera fait, puis-
que tel esl sou plaisir.
SCÈNE XXX.
Le sergent, le frère de l'empereur
le premier sergent d'armes. Sire, je viens au
nom de ma dame, auprès de qui il nous faut aller,
car elle nous mande.
le frère (à part). Sans doute qu'elle veut me dé-
dommager de m'avoir l'ait tenir en prison sans que
je l'eusse mérité. Eh bien! allons-y.
le premier sergent d'armes. Ma chère dame, nous
voici à vus ordres.
SCÈNE XXXI.
l'impératrice, le frère de l'empereur
seigneurs et dames de la cour.
l'impératrice. Mon frère , allons , avancez sans
mot dire. Faiies votre devoir. Votre frère, mon
mari, revient, cl personne ne vous louchant d'aussi
près, soyez empressé d'aller à sa rencontre, de ma-
nière à gagner son.amilié. — Baudouin, tiens-lui com-
pagnie. Meitez-vous en route.
le frèi.e. Dame, dame, nous h: ferons. — En avant,
Baudouin ! suivez-moi. Par ma loi ! je ne m'arrêterai
pas que je ne le voie.
SCÈNE XXXI I
l'impératrice, seigneurs , dames , sergents
d'armes suivantes.
l'impératrice. Seigneurs, mettons-nous tous en
chemin pour aller au dvanl de mon époux; c'est
notre devoir à tous d'alkr à sa rencontre. Que ce-
lui qui m'aime, me le montre en venant avec
moi.
le premier cuevalier. Dame, croyez-vous que jo
me tiendrai ici pendant que je vous y vois aller ! Si
je le faisais, ce serait un déshonneur pour moi.
le premier sergent d'armes. Je ne saurais non
plus nsier ici. Je vais devant.
l'imi -ératkice. Vsalelle, venez à ma suite. Ces
hommes iront devant nous, el nous tiendront com-
pagnie; nous viendrons ensuite.
SCÈNE XXXIII.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR, l'eMPEREUR.
le frère. Je vois mon frère bien près d'ici : je vais
à lui : personne ne m'en empêcherait. — Cher sire,
soyez le bienvenu dans votre pays.
l'empereur. Mon cher frère, par Dieu! soyez aussi
le bienvenu. J'éprouve une joie bien grande de vous
voir en bonne sanié. Comment se porte l'impéra-
trice? dites-le moi.
le frère. Qu'elle soit damnée et confondue! Ah !
n'en parlez pas. Elle s'est conduite de la manière
la plus honteuse : elle a violé sa foi conjugale el
déshonoré son corps; elle a compromis votre auto-
rité et m'a, je puis vous le dire, tenu en prison jus-
qu'à présent, parce que je n'ai pas voulu consentir
à ses grands désordres, ni m'associer à ses vilaines
actions : ceci esl la vérilé.
l'empereur. Hélas! je me faisais joie d'elle à mon
retour d'oulre-iner. Comment m'a-t-elle réservé un
si grand chagrin et une si amère douleur. Certes,
elle a tramé sa propre mort.
SCÈNE XXXIV.
LES MÊMES, L'IMPÉRATRICE el SA SUITE.
l'impératrice. Mes amis, je vois là-bas celui q i
est mon désir et mon amour. Je vais à lui sans de-
lai. — Soyez le bienvenu ô vous que j'aime el que
j'appelle seigneur et époux : comme cVsi raison.
l'empereur. Ah fausse el déloyale personne! je ne
me félicite pas de l'avoir trouvée. Ta mauvaise con-
duite m'est connue. Certes , jamais plus tu ne me
feras déshonneur, car lu vas mourir ignominieuse-
ment pour les crimes ; c'est justice. — En avant,
seigneurs! vous trois allez, el débarrassez-m'en^; li-
vrez-la à une mort honteuse, en sorte que je ne
la voie jamais. Menez-la en quelque endroit que ce
soil, hors du chemin. Faiies vite.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE L'EMPEREUR. Eh, mOll
très-cher seigneur! comment ? c'esl votre femme.
l'empereur. Taisez-vous? elle m'a fait un si grand
déshonneur qu'elle ne mérite plus de vivre. Faites
que j'en sois délivré à l'heure même.
le deuxième chevalier. Dame, sans plus larder,
il vous faut quitter la place. Nous n'osons lui déso-
béir. Allons! parlons.
SCÈNE XXXV.
CHEVALIERS, L'IMPÉRATRICE.
le premier chevalier. Beaux seigneurs , puis-
qu'elle doit par nous recevoir la mort , arrangeons-
nous de manière à la pouvoir mener en un lieu où
nul n'habite.
Baudouin. C'est bien parlé ; mais, messeigneurs,
si vous m'en croyez, nous nous eu irons là-bas dans
ce désert.: c'est on ne peut mieux.
le deuxième chevalier. Dieu m'aide, c esl la vé-
rité. Ce lit u est bien solitaire el près de la mer, et
je liens que depuis longtemps personne n'y alla. Je
suis donc d'avis que, sans disputer davantage, nous
l'y menions.
II. PREMIER CHEVALIER. Soil ! j'y COUSCIIS dl lOUS
points.
SCÈNE XXXVI.
l'impératrice.
.LiMTÉrATtucE. Ali! Vierge en qui s'csl incarne le
Àil
IMP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
E.IP
4*S
Dieu créateur de touies choses, dont ia grâce s'est
répandue sur vous; 6 Vierge, qui êies eu corps et
en âme dans le paradis, où vous êtes honorée de
tous les saints, et servie et louée des anges comme
leur dame et leur maîtresse; Dame , je suis dans la
détresse et dans un déconfort sans mesure; Vierge
pure, regardez avec des veux de pitié mon amère
componction et mon afïliclion profonde. Je vais
souffrir une mort honteuse à tort; car jamais je ne
commis de crimes dignes de la mort : c'est pourquoi
je me plains et me lamente , et ne m'adresse qu'à
vous, Vierge, pour que vous purifiez mon âme, tel-
lement qu'elle ail par vous la joie du paradis.
SCÈNE XXXVII.
LES MÊMES CHEVALIERS, L'i VIPER ATUICE
LE DEUXIEME CHEVALIER. Eli HV.HU ï inCSSilC BtUU,
dans ce désert, faites mourir cette dame; dépêchez-
vous.
le premier chevalier. Très-cher compagnon et
doux ami, la piiié m'a gagné le cœur ; je ne saurai
prendre sur moi de la loucher.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. Et loi , Baudouin , en
avant, frappe! dépêche-loi.
Baudouin. Seigneurs, non, vraiment, medonnâSon
un comté, le meilleur qui soit d'ici au Caire, je
n'aurais pas le cœur de lui faire du mal ou des ou-
trages.
le premier chevalier. Ni moi non plus, je n'en
ai pas le courage; rien au monde ne me déciderait
à la voir mourir o.i à lui faire du mal. Cependant il
faut qu'elle meure par nos mains ; sinon ce sérail à
nous à mourir pour elle tous trois ensemble : c'est
sûr.
le deuxième cnEVALiER. Je vous dirai ce qui me
semble opportun); et, si cela vous plaît , nous le fe-
rons: no;:s la mènerons à celte roche qui est située
assez avant dans la mer; là nous l'abandonnerons.
Certes, elle ne pourra pas y vivre deux jours entiers
sans mourir d'angoisse. Quant à nous, nous nous
en retournerons, et nous dirons à l'empereur qu'elle
est mise à mort.
baddouin. Par ma foi! c'est bien trouvé, car tou-
jours l'orage y règne; mais vous le savez , il nous
y faut aller eu bateau. I
le premier CHEVALIER. Baudouin, vous en avez un
tout prêt: regardez ! — Entrons dedans tous quatre,
et dépêchons nous d'y aller. — Daine, entrez de-
dan-,
l'impératrice. Volontiers. — Hélas !. pauvre
femme, sous quelle é oile suis je née pour être
ainsi destinée à aller mourir ignominieusement? —
Eh, seigneurs.! si vous devez détruire mon corps,
pour l'amour de Dieu, faites que je meure promp-
lement, je vous en prie.
Baudouin. En avant! marchons sans relard , car
je vous mènerai bien tous. J'ai fait ce métier à mou
compte plus d'un an entier.
l'impératrice. Ah! Dame, qui êtes le vrai sentier
et le port de ceux qui sont égarés, secourez une
malheureuse pécheresse abreuvée de tribulations ;
accourez à mon aide! Vierge, je vous en prie de tout
mon cœur , et puisse ma mort tellement purifier
mon âme que j'obtienne la gloire éternelle.
le deuxième chevalier, llolà, seigneurs ! il faut
débarquer ; nous sommes arrivés à la roche. —
Dame, déshabillez-vous, sans pins de difficultés; les
choses en étant à ce point, il faut se résigner.
l'impératrice. Seigneurs, puisque cela ne peut
être autrement, je consens à ce que vous voulez : je
me déshabillerai ici dedans. — Ah! ah! empereur,
cher sire , comment pouvez-vous être dur el bar-
bare envers moi au point de me faire périr s ns
raison? Certes , vous avez élé poussé à celle action
par quelque trailre; je n'en doute point. — Allons,
iimi>! que Dieu vous pardonne' quant à moi je ne
vous eu veux pas.
le premier chevalier. Dame, nous ne pouvons
vous garder davantage avec nous. Il vous faut, sans
plus larder, descendre sur celle roche.
l'impératrice. Seigneurs, même pour mourir, je
veux y descendre sans résislance. Vous tous, priez
Dieu pour moi, je vous en conjure.
le premier chevalier. Dame, que le Roi de para-
dis vous soit miséricordieux, courtois et doux; qu'il
vous veuille pardonner aujourd'hui vos mauvaises
actions el vos mauvaises paroles, el puisse-t-il c'on-
i;er à voire âme la gloire éternelle!
Baudouin. Ame».' Ainsi soit-il ! Allons-nous-en
avant l'orage, lant que le vent est encore favorable;
je le conseille.
le deuxième chevalier. Allons ! je souhaiterais
que nous fussions sur le seuil du palais de l'empe-
reur.— Ma chère dame, nous vous recommandons
à Dieu: puisse-l-il vous donner des consolations!
prenez bon courage; et ayez soin, quelque chose
qui vous arrive, d'avoir toujours à la bouche le nom
de Dieu : c'est ce que vous avez de mieux à faire.
le premier chevalier. Seigneurs, si vous me
voyez les yeux pleins de larme-, n'en soyez point
étonnés : je suis, par Dieu ! saisi de piiié.
Baudouin. Holà ! descendons : voici le lieu où
nous nous sommes embarqués.
le deuxième chevalier. Oui vraiment, el où nous
avons trouvé ce bateau. Ici nous le prîmes, ici lions
le laisserons; et, si l'on m'en croit, nous irons droit
à l'empereur.
Baudouin. Vous ne m'y verrez pas le dernier. En
avant, allons.
SCÈNE XXXVIII.
l'empereur, le premier chevalier.
le premier chevalier. Mon cher seigneur, voire
désir esi accompli, dans un si profond secret, que
jamais vous n'en entendrez parler. Vous pouvez
vous remarier quand il vous plaira.
l'empereur. Brun, taisez-vous; jamais de ma
vie cela n'arrivera; asseyez-vous. Dieu m'aide! je
n'ai point d'envie d'une nouvelle femme.
SCÈNE XXXIX.
l'impératrice.
l'impératrice. Hélas ! si mon cœur se remplit
d'effroi , en puis-je mais , Vierge Marie ? habi-
tuée aux hommages comme souveraine du monde,
je nie vois au moment d'èlre par la force de la
tempête, abîmée dans la mer ! Ah ! Dame en qui il
n'y a point d'amertume, Vierge glorieuse, regar 'et
avec des yeux de pitié votre servante ! Dame, vous
êtes mon espérance, elmaconfianceeslen vous seule.
Dame, ne vous éloignez pas de moi, confortez-moi
dans celle nécessité, en sorte que dans celte mau-
vaise fortune je ne lombe ni je ne verse! Dame,
trésoricre de grâce, dame, auinonière de pitié, sou-
che et racine de vertu, dont la bonté ne finit point !
Dame qui seule éclairez et qui ramenez dans le droit
sentier les orphelins sans appui el les exilés égarés !
Dame, ayez compassion de moi; faites que je ne pé-
risse pas ici. Je veux me mettre en croix par lerre,
je ne puis plus me tenir sur pied par suite du ma-
laise que j'éprouve.
SCÈNE XL.
DIEU, NOTRE-DAME, ANGES.
dieu. Mère, l'impératrice est au comble des lour-
menis. C'est bien naturel, car la mer la heurte, la
frappe, et la bat de mainte onde, en sorte que peu
s'en faut qu'elle ne soit engloutie. Allez et recon-
foriez-la, el portez lui ces herbes-ci qui ont et au-
ront une venu telle que tous les lépreux qui en
boiront, s'ils sont confessés auparavant, seront
entièrement guéris el délivrés de leurs maux.
sotre-pame. 0 mon bis, puisque telle est voira
uo
imp
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
HO
volonté, je lui porterai volontiers cela ei en même
temps je lui donnerai de bons conseils. — Allons!
Jean, mon cher ami, venez là-bas avec moi sans
plus tarder.
saint JEAN. Dame je ferai de bon cœur ce qu'il
vous plaît décommander. Me voici tout prêt : allons-
nous-en, puisqu'il en est ainsi.
Notre-Dame. Allons ! anges, il vous faut, tous en-
semble partir d'ici, et venir avec moi là-bas où Dieu
m'envoie.
le premier ange. Dame, nous nous y rendrons
avec beaucoup de joie, et nous ferons tout ce qu'il
vous plaira; car sachez que c'est notre désir, Reine
vierge.
i.e deuxième ange. Michel, chantons joyeusement
ce rondeau-ci par amour extrême.
Rondeau.
Cœur humain, ne cesse de louer la bonté infinie
et vraie de la sainte Trinité et de celle en qui le
bis de Dieu se fit homme suis douleur. Cœur hu-
main, ne cesse de louer la bonté infinie et vraie par
qui tu as une noblesse telle «pie lu es le frère de
Dieu : or pour cette alliance, cœur humain, ne cesse
de louer la bonté infinie et vraie de la sainte
Trinité.
SCÈNE XL1.
notre-dame, l'impératrice (endormie).
notre-dame. Impératrice, les maux injustes que
tu as soufferts ici, cl la prière si douce cl si lou-
chante que tu m'as adressée, l'ont mérité une ré-
compense glorieuse. Je le mets sous ma protection,
et je le rendrai ton haut rang malgré Ion ennemi
qui paiera cher son crime. Je vais le dire ce que lu
as à faire. Au sortir de ton sommeil, prends sous ta
lèle ces herbes qui, je te l'apprends, le seront bien
précieuses; car il n'est pas de lépreux, s'il en boit
après s'être préalablement confessé avec sincérité,
qui ne recouvre sur-le-champ la santé aux yeux de
tout la monde : c'esl chose véritable. Souviens-toi
toujours de moi : moi qui le parle ici en amie, je
suis Marie la mère de Dieu. .Sers mon fils de tout
ion cœur, el lu auras une heureuse fin, et lu ac-
croîtras la réputation. — Mes amis, nous avons fini
ce que nous avions à faire ici : nous pouvons bien
nous en retourner — Allons ! anges, sans plus de
discours, allez devant.
saint jean. Eu vérité, je vous suivrai , puisque
je l'ai dit.
le premier ange. Dame, nous ferons sans relard
votre volonté, Cabriel el moi. — Gabriel, je vous
prie, chaulons d'accord en chemin. -
Rondeau.
Par qui lu as une noblesse telle que lu es le frère
de Dieu : or, pour celte alliance, cœur humain, ne
cesse de louer la boulé infinie et vraie de la sainte
Trinité.
SCÈNE XL1I.
l'mpératrice.
l'impératrice. Ah ! Vierge en qui par charité
Dieu se fil homme semblable à nous, c'esl vous
qui aujourd'hui venez à mon aide pour me délivrer
de la mort! Ah ! Daine, je vous le promets, j'en écri-
rai en mon cœur un livre tel que jamais je ne ces-
serai de vous louer ci de vous rendre grâces et de
remercier votre doux fils : n'aurai-je pas raison ?
ne sera-ce pas justice? Vous avez pris un tel soin
de moi que du moment de mon réveil, je n'ai plus
ressenti de douleur. Je me sens si bien repue je n'ai
ni soif ni faim. El c'est vous qui m'avez apporté des
cieux ces herbes que je liens à la main, el donl je
touche, ô Vierge ! ma bouche el mes yeux en vous
louant. Ah Dieu ! je vois une barque. Abordera-
l-elle ici ? Le vent va-l-il la pousser ailleurs au
loin.
SCÈNE XLIil.
LES MARINIERS ET LES PASSAGERS DU VAIS-
SEAU.
le maître MARINIER. Secourez-nous dans le péril,
D;tme souveraine des anges : le vent et l'orage noi.s
mènent trop fort hors de noire roule.
la dame pèlerine. Ah! saint Clément, pour qui
je me suis mise en chemin el j'ai entrepris ce pèle-
rinage, priez Dieu d'apaiser l'orage el le vcnl
qui souffle , en sorte que nous ne périssions pas ,
mais que par vous nous soyons défendus el garantis
du danger de mourir.
l'éceyer de la pèlerine. Maître , pour l'amour
de Dieu ! pensons à nous tirer du perd. N'allons pas
plus loin que ces rochers là bas Qu'en diles-vi us?
Jelons-y l'ancre, si c'est possible. Tenms-nous
pivls.
la pèlerine. Arrêtons vers celle roche, pour
l'amour de Dieu! arrêtons sans plus naviguer, jus-
qu'à ce que l'orage soil passé.
le maître marinier. Dame, c'esl à quai je m'oc-
cupe. A présent c'esl fait : en vérité, Dame , nous
sommes arrêtés, cl nous n'avons rien à craindre.
SCÈNE XL1V.
LES MÊMES, L'IMPÉRATRICE.
la pèlerine. Mailre, voilà quelqu'un qui nous re-
garde d'un mauvais œil; j'ai grand'peur qu'il n'y
ait des malfaiteurs aux environs.
l'éceyer. Que pourraient-ils faire ici? certaine-
ment je vais le savoir. — Eh, mon amie , dites-
moi la vérité : èics-vous seule ici? Pour l'amour
de Dieu, qu'y faites-vous, dans l'équipage où vous
êtes.
l'impératrice. Sire, je ne vous mentirai point :
la mer m'y a jetée et mise , après avoir noyé tous
mes amis , un frère el six cousins que j'avais. J'al-
lais avec eux outre-mer : ce que je puis appeler
une folie , car il a fait une si grande tempête que
noire navire s'est brisé en deux. Je ne sais com-
ment j'ai pu échapper. Mais la mer m a jetée ici ,
où je suis dans un tel dénuement que je n'ai p: s
mangé voici trois jours , el je suis demeuré,: dans
l'étal où vous me voyez.
l'écuyer. Dame , vous ne resterez pas ici , vous
viendrez avec nous cl, parla foi que je dois à
Dieu! vous serez rassasiée , revêtue d'une robe , et
l'on ne vous traitera que comme ma sœur; n'en
douiez pas.
l'impératrice. Sire , j'irai avec vous volontiers
jusque dans vetre navire : mais, montrez-m'en le
chemin.
l'éceyer de la dame. Volontiers, mon amie, sans
faute; venez par ici , donnez-moi la main. — Ma-
dame, j'amène avec moi cette femme , que j'ai trou-
vée là-bas seule et toul en pleurs. Elle m'a coi;le
au long son aventure, qui est assez triste et pé-
nible; car tous ses amis sont noyés, cl la mer l'a
mise là. C'esl pourquoi, dame, pour l'amour de
Dieu, ayez-en pitié : vous ferez bien.
la pèlerine. Hélas! sœur , approche, viens. La
pitié (pie tu m'inspires m'attendrit le cœur. Vêts
celte coite sans larder, el prends courage.
l'impératrice. Certes, chère dame, s'il plaisait à
Dieu, je voudrais être morte. Pauvre, nue, ayant
perdu tous mes amis, il n'y a rien d'élonnant à ce
que j'aie le cœur navré.
la pèlerine. Puisse Dieu vous réconforter! S'il
vous plaît de rester avec nous à terre , ve-
nez. En attendant je vais aisément vous trouver ,
pour l'amour de Dieu, à boire et à manger; n'eu
douiez-pas. ,
, l'impératrice. Dame, vous me pioposrz. i.e
4M
1MP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IMP
43 i
grands services; je n'bcsile p/\s à les acrepler , bien
(|iie je ne puisse vous en offrir aulanl. Dieu vous le
rende!
le maître marinier. L'orage est calmé, le lemps
se remet an beau : il faut partir. Daine, le vent
nous vient à souhait ; qu'en dites-vous ?
la pèlerine. Parlons donc, mon doux maître.
l'éccaer. Oui, vraiment ; et aussitôt que vous
pourrez mettre cette femme sur la terre ferme,
maître , pour l'amour de Notre-Dame , niellez-
r>.
le maître marimer. Mon ami , vous serez salis-
fait, pour l'amour de Dieu , aussitôt que j'en trou-
verai le moment. — Bonne femme, sans plus atten-
dre, vous pouvez descendre de ce navire, car je
vois une ville,
l'impératrice. Je vous remercie plis de mille fois
(et cela vous est bien dû, nia respectable dame)
pour le soin que vous avez pris de moi en me re-
vêtant de vos habits et en me repaissant de vos
vivres. S'il vous plaît, je descendrai ici , el je pren-
drai congé de vous, aimable dame.
la pèlerine. Si telle est voire volonté, allez;
que Dieu tienne votre cœur dans la joie et vous
amène à bon port, el nous aussi !
l'impératrice. Que Jésus le béni, par sa grâce ,
vous conduise en telle manière qu'il vous mène
lous, vous et vos gens, chère dame, à bon poil, et
vous ramène avec beaucoup de joie en voue pa-
trie !
l'éclyer de la pèlerine. Adieu, mon amie,
adieu, adieu! — Madame, c'est grand dommage
pour elle; car je crois qu'elle a été femme de qua-
lité.
la pèlerine. Oui vraiment elle a de l'éducation ,
et se lient avec modestie ; elle n'est pas bavarde,
cl elle ne parle qu'à propos.
le maître marinier. Dame, si nous restons ici
davantage, je crains que nous n'ayons tort; pen-
dant que le temps nous est propice , allons-nous-
en.
la pèlerine. Sire, j'y consens; maître, voguez
prompieinent.
SCENE XL Y.
l'impératrice.
l'impératrice. Sire Dieu, par qui Daniel fut ven-
gé de ses ennemis qui avaient machiné pour qu'il
fût jelé au milieu des lions sauvages; Seigneur qui
avejz délivré Susanne des faux témoignages îles vieil-
lards, au rapport de l'Ancien Testament; Seigneur ,
dans voire bonté, regardez la nécessité où je me
trouve el dont je ne sais comment sortir. C'est la
première fois que je subis de telles leçons. Mais
il fan' bien que j'apprenne, ou sinon je suis rési-
gnée a souffrir. Dans quelle perplexité douloureuse
suis-jo tombée? Je ne sais ni où loger désormais,
ni parmi quelles gens demeurer.
SCÈNE XLYI.
l'impératrice, l'hôtesse.
l impératrice. Eh, dame, pour l'amour du Roi
descieux! (pie ma requête ne vous déplaise : veuil-
lez me loger pour celle nuit seulement.
l hôtesse. Mon amie, vous m'en priée de si
bonne grâce, à ce qu'il me semble, que nous cou-
cherons ensemble toutes deux. Où ètes-vous née?
l'impératrice. Cela ne peut vous intéresser. Ma
destinée est douloureuse el pénible , mou coeur
navré; dame, sachez-le.
l'hôtesse. Par ma foi! vous me paraissez pour-
taut une femme issue de bon lieu. Dites-moi, pour
l'amour de Dieu , d'où venez-vous ?
l'impératrice. De la mer, où j'ai perdu tous mes
jmis par la violence d'une tempête. Dame, j'ai été
»rois jours entiers sur une roche comme une bêle,
cl je n'y ai ni bu ni mangé. Là vint par hasard
une dame (dont Dieu garde l'âme et le corps !) qui
m'emmena dans son navire el me donna cette robe,
car j'étais nue et en chemise ; el puis j'ai été des-
cendue par elle à ce port.
l'hôtesse. Mon amie, oubliez les maux que main-
tenant la fortune vous fait éprouver; car elle est
dure et bourrue pour les uns, et douce pour les an-
tres, c'est la vérité. Il n'y a point de stabilité en
elle: souvent elle change l'honneur en honte. Il y
parait bien par le comte de ce pays, qu'elle a frappe
el tellement abattu d'une lèpre incurable qu'elle l'a
rendu l'o! jet du dédain de tout le monde; personne
ne veut plus lui tenir compagnie : tant il est devenu
laidement lépreux ! et cependant on le tenait poui
un prud'homme, vaillani et sage.
l'impératrice. Dame, je vous le garantis, sachez
que je lui donnerais loul de suite un bon conseil
touchant sa maladie, s'il faisait ce que je lui di-
r.,i-,
l'hôtesse. Dame, s'il recouvrait la sanlé par vous,
il vous ferait riche à souhait. Je vous minerai à lui
par la main, si vous le voulez.
l'impératrice. Je le veux bi m ; mais allez de-
vant, je vous suivrai.
l'hôtesse. Volontiers, soe ir, par le vrai Dieu!
Allons, regardez, le voilà.
SCÈNE XLY1I.
l'impératrice, l'hôtesse, le comte.
l'hôtesse. Mon cher seigneur, comment vous va ?
el quelle mine?
le comte (malade). Mauvaise, en vérité, mauvaise
mine; mon mal empire de jour en jour. Si tel était
le plaisir de Dieu noire sire, je voudrais mourir.
l'hôtesse. Sire, pour Dieu ! ne dites pas cela ;
ayez espérance, au contraire, car je vous amène
une femme passée maîtresse, qui vous guérira de ce
mal, je vous le promets, si vous faites ce qu'elle
dira.
le comte. Si elle se mêle de me guérir, je lui
donnerai, en vérité, si elle le veut, la moitié de mon
comté; qu'elle n'en doute point.
l'impératrice. Sire, je n'en prendrai pas tant :
ce que j'en ferai sera pour l'amour de Dieu; et
maintenant, voici ce qu'il faut faire.
le comte. Ma bonne amie, dites ce que vous
voulez.
l'impératrice. Sire, il vous faut avoir un prêtre
à qui vous vous confessiez de cœur. Dites-lui lout,
n'oubliez aucun péché; car autrement vous ne
feriez rien, si vous en oineilhz sciemment un
seul.
le comte. Dame, ne vous déplaise, un peu avont
que vous vinssiez ici, je m'étais déchargé de mon
mieux par la confession (que Dieu me donne joie!)
de lous les péchés que je commis jamais, el dont je
me souvenais alors.
l'impératrice. S'il en est ainsi que vous le dites,
je le verrai loul à l'heure : sire, ne vous abusez
pas, faites-y bien attention.
le comte. En vérité, je ne sais rien que je n'aie
dit.
l'impératrice. C'est bien, attendez un peu : je
saurai bienlôl s'il en est ainsi. (Ici elle fuit infuatr
riieroe.) Tenez, sire; maintenant buvez ceci, et
avalez-le.
l'hôtesse. Sire, certainement tout le mal s'en est
allé de votre visage : vous n'avez plus en haut ni en
bas aucune pustule ni aucun boulon ; votre chair est
aussi nette que celle d'un nouveau-né. Par mon
âme ! voici une belle cure, noble el éclatante.
le comte. Dame, vous avez, certes, bien mérité
de moi une récompense. Allons! demandez, que
voulez vous avoir de moi? Puisque je me vois en
bonne santé el guéri, en vérité, vous aurez tout à
souhait.
455 IMP DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
^'impératrice. Sire, louez Jésus- Christel sa douce
1M1»
45 1
mère de vous avoir guéri si radicalement de celle
amère douleur. Je ne veux p;is d'autre récompense,
et il ne sérail pas j;isle que j'en eusse, car ceci
vient d'eux, lîelle hôlessc, allons-nous-en toutes
deux en voire lo^is.
l'hôtesse. Allons, mon amie, je le veux bien. —
Sire, nous nous en allons ensemble. Si vous le jugez
:'i propos, faites-lui (lu bien : c'e>t une pauvre étran-
gère; sur mon aine! je l'ai hébergée pour l'amour
de Dieu, je ne sais combien de jours.
le comte-. Je la ferai riche pour toujours, n'en
douiez pas, mon amie : el vous ne vous en trouverez
pas mal, je vous le promets. Gardez-vous de la lais-
ser aller, jusqu'à ce que j'aie réfléchi à ce que je
puis vous donner à louies i\mx selon mes dé-
sirs.
l'hôtesse. Monseigneur, certainement , pourvu
qu'elle le veuille.
SCÈNE XLV1II.
LE FRÈRE DE L'EMPEREUR
le frère de l'empereur. Hélas! je suis la proie
d'une lèpre qui m'a assailli Furieusement. Les pieds
me manquent; ils ne peuvent plus porter mon
corps, el ma carcasse est si pourrie el si puante que
chacun m'évite el refuse, d'approcher de moi. Hélas !
malheureux! que faire? Maladie terrible! je ne
trouve personne qui me dise, que je puis gu. rir,
quelque médecine ou potion que je puisse pren-
dre.
SCÈNE XLIX.
L EMPEREUR, CHEVALIERS, SERGENT DERMES.
l'empereur. Debout, beaux seigneurs! je veux,
sans délai, aller voir mon frère, el savoir si je pu, s
rien pour lui.
le deuxième sergent d'aumes. Sire, nous irons
tous avec vous sans y manquer.
SCÈNE L.
LES MEMES, LE
FRERE DE L EMPEREUR,
MESSAGER.
UN
vous porlez-vous , mon
l'empereur. Comment
frère?
le frère. Monseigneur mon frère, sur ma foi!
ma maladie est houleuse; jamais homme ne fut
frappé d'une aussi douloureuse lèpre, j'en suis lel-
lemenl aballu que jamais je ne relèverai d'ici. J'ai
grand'peuf de vous incommoder ; pour l'amour de
Dieu ! ne m'approchez pas : je suis lout infeclé d'un
venin puant.
l'empereur. El pensez-vous qu'il n'y ail nul re-
mède au inonde?
le frère. A ce que m'ont dit les chirurgiens, il
n'est personne qui puisse m'en guérir; el les méde-
cins aussi me.donnenl pour véritable que c'est une
maladie incurable de sa nature.
le messager. Mon cher seigneur, que Dieu, qui
fil toutes les créatures au commencement du monde,
accroisse el augmente voire honneur.
l'empereur. Eh bien! messager, qu'as-tu fait dans
ion voyage?
le messager. Cher sire, pour voire message, j'ai
été jusqu'à Naples. Là, sire, j'ai parlé au roi Robert,
elje lui donnai vos lettres. Il les a reçues avec joie,
el il vous envoie celles-ci; il se recommande bien a
vous, et vous mande mille fois salut el amitié.
l'empereur. Pour l'amour de Dieu el par pitié,
mon frère, si l'on ne petit apporter du remède à
votre mal el que les docteurs le disent ainsi, prenez
votre lèpre en patience el avec courage; je vous en
prie.
le frère. Sire, je consens à faire voire volonté,
ruianl que je pourrai.
le messager. Sire, ne vous dépuiisc, je voudrais
parler. Je vous vois accablé du mal que souffre votre
frère, et désespéré de ce que personne ne sail le
guérir el détruire sa maladie. Sire, dans les comtés
de Gélatine, de Malepel el de Fondi il n'y a plus de
lépreux, je vous l'assure; tous son! guéris par une
femme qui est là et que l'on lient pour sainte.
Elle a même guéri radicalement le comte de Male-
pel, qui était tout à fait pourri par la lèpre, el elle
l'a rendu lout net et tout sain; je l'ai vu.
le premier chevalier. Monseigneur, si vous m'en
croyez, vous la manderez sur l'heure el vous en-
verrez vers elle un messager sûr.
l'empereur. Je vous liens pour sage d'avoir dit
cela, el je le ferai maintenant. — Mcssire Orry,
avancez : allez-vous-en, sans rêver ici, où mon
messager vous mènera ; el faites si bien, quoi qu'il
advienne, que celle dame dont il m'a parlé lout à
l'heure vienne avec vous. Faites-lui un présent de
prix, grand, beau el riche.
le chevalier. Sire, je ne serai pas avare. Allons-
nous-en; je ne m'arrêterai pas tant que je l'aie ame-
née ici , si Dieu me prolége.
l'empereur. Frère, leiiez-vous en joie; s'il plaît à
Dieu, vous aurez bientôt de quoi être entièrement
guéri ; c'est mon espérance.
le frère. Hélas, frère ! j'ai bien peur que la for-
tune contraire empêche celle dame de venir ici.
l'empereur. Allons, ne soyez pas si désespéré,
cela ne vaut rien.
SCÈNE LI.
LES DEUX MESSAGERS, L'IMPERATRICE.
le messager. Messire Orry, je veux vous mon-
trer celle qui guérit les lépreux ; mes yeux la voient :
la voilà, sire.
le deuxième chevalier. Par saint Cyr! je vais lui
parler, puisque lu me dis que c'est elle. Honneur et
joie, demoiselle, vous soient donnés !
l'impératrice. El que Dieu, sire, vous donne aussi
une bonne destinée !
le deuxième chevalier. Dame , le noble empe-
reur de Rome m'a envoyé ici vers vous; et voki
pourquoi : son frère est tellement atteint du mal de
lèpre qu'il est lout blême, et il a déjà le corps dans
un tel état de putréfaction que ses plus fidèles ser-
viteurs craignent de l'approcher. L'empereur, qui le
chérit, a appris par la renommée que vous guéris-
sez de celle maladie : je vous prie donc d'un coeur
franc el loyal, de ne pas vous faire prier davan-
tage, el puisqu'un tel seigneur vous envoie chercher,
venez vers lui.
l'impératrice. Sire, jamais Dieu ne me manqua
et le peu que j'ai me sufiil. Mon Créateur en soit
loué! Jamais je n'ai quille ces l jeux. Gomment aller
à Rome ? Je ne sais personne à qui me lier entiè-
rement , supposé que je consentisse à y aller ; je vous
dis vrai.
le deuxième chevalier. Dame, vous irez en
ma compagnie, el ne craignez pas d'èlre en bulle
au moindre outrage : je vous le jure comme bon che-
valier, je me ferai tailler en pièces pluttô que vous
ayez du mal.
i/nirÉKATRiCE. Après une pareille assurance, je
consens à voire demande et cède à vos prières.
Sire, parlons.
le di uxième chevalier. Messager, va devant, el
dis que l'on lasse bonne el grande chère, car la
('aine et moi nous serons hienlôt arrivés.
le messager. S.rc Orry, volontiers, par mon àme!
j'y vais courant.
SCÈNE LU.
LE FRÈRE nE L'EMPEREUR.
if i hère. Hélas! l.i mort larde trop à terminer
ma vie, cl à me délivrer de mes tourments.
4?.$ IMP DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SCÈNE LUI.
LES MÊMES, L'EMPEREUR, LE MESSAGER.
le messager. Sire, réjouissez-vous en Dieu. Et
IMP
*S6
vous, sire, qui gardez ce lit avec peu de plaisir,
en vérité! C'est fini, réjouissez-vous : la sainte et
liumhle dame qui, s'il plaît à Dieu, vous guérira,
sera bientôt ici; je vous annonce sa venue. Elle est
Irès-limide.
l'empereur. Je suis d'avis qu'on aille sur-le-
champ le faire savoir au Saint-Père, afin qu'il voie
et reconnaisse qu'elle n'opère pas avec le secours
de la ni2gie. — Messire Brun, Dieu vous gardj! al-
lez le lui dire.
le premier CHEVALIER. Volontiers ; chcrsire, je
veux sur l'heure nie hàier d'y aller.
SCÈNE LIV.
LE CHEVALIER, LE PAPE, CARDINAUX.
le premier chevalier. Saint-Père , salut à votre
sainteté! Je viens, avec votre agrément, vous dire
qu'une daine que messire Orry est allé elierelier,
arrive sous peu comme monseigneur vous le mande.
Voudrez -vousbien venir voir comment elle opère, et
comment le frère de l'empereur recouvrera la santé
par son entremise.
le pape. Mon fils, je m'y rendrai de bon cœur,
car je n'ouïs jamais parler d'une créature qui opé-
rât une pareille guérison, si ce n'est Dieu.
le premier cardinal. Je tiens que nul n'en, peut
guérir, sans avoir une grande grâce de Dieu. —
Saint-Père, allons-y pour voir ce qu'elle fera.
le deuxième cardinal. Allons; certes, ce ne sera
<]iic bien lait.
SCÈNE LV.
LE PAPE, L'EMPEREUR, DR MESSAGER.
le pape. Beaux Seigneurs, que Dieu de paradis
veuille vous perfectionner en grâce, et vous par-
donne tous vos méfaits et vos mauvaises paroles!
l'empereur. Et qu'à vous, Saint Père, il vous
donne une vie qui soit home à votre âme!
le pape. La femme qui doit guérir voire frère
viendra-l-elle bientôt? en vérité j'ai grand désir de
la voir.
le messager. Messeigneurs , sachez que je la vois
là-bas : elle vient d'un bon pas; je vois aussi mes-
sire Orry qui est à côté d'elle.
l'empereur. Saint-Père, par ma foi! je daignais
qu'elle ne vint pas sitôt. Maintenant ne disons rien
jusqu'à ce qu'elle vienne.
SCÈNE LYI.
LE CHEVALIER L'IMPÉRATRICE, Voilée.
le deuxième chevalier. Dame, que Dieu me tienne
en grâce! vous pouvez voir là-bas le Pape et l'em-
pereur ensemble : il me semble qu'ils nous atten-
dent.
l'impératrice. Au moins, ils regardent de noire
côté; sire, je ciois que vous dites vrai. Allons faire
notre devoir en les saluant.
SCÈNE LVII.
LES MÊMES, LE PAPE, L'EMPEREUR, LE FRERE
DE L'EMPEREUR.
le deuxième CHEVALIER. Que Dieu veuille fortifier
de sa grâce toute la compagnie si noble et si digne
que je vois ici rassemblée !
l'impératrice. Que la reine des cieux soit votre
amie de près et de loin, messeigneurs, cl vous se-
coure dans l'adversité!
le frère. Chère dame, puisque vous avez daigné
venir ici pour moi, manifestez-moi sans délai votre
aide, dame !
l'impératrice. Volontiers, mon ami, sur mon
âme! Mais auparavant j'ai à vous dire qnYn vérité
personne n'est rétabli parfaitement du mal que vous
avez, à moins que Dieu n'y opère par sa grâce ; et
nul ne peut avoir la grâce de Dieu tant qu'il est en
état de péclié. Ainsi, ayez donc à vous confesser de
tous vos péchés d'un" cœur contr t et repentant.
Quand vous en aurez fini, je ferai tant, toutefois
avec la grâce de Dieu, que tout votre corps revien-
dra complètement à la santé.
le frère. Certes , dame , j'y consens, pourvu qr.e
j'aie un prêtre.
le pape. Pénitencier, allez vous mettre là-bas
pour l'écouter.
le premier cardinal. Volontiers, sire, sans hési-
ter.— Allons! dites ce qu'il vous plaira, sire; je
suis prêt à vous entendre avec bonté.
le frère. Cher sire , je me confesse d'abord à
Dieu et à tous les saints et les saintes, dont il y a
nu grand nombre, et puis à vous, de tous les péchés
mieje commis jamais en paroles et en actions; et
d'abord... Oh! je veux parler plus doucement, afin
que nul antre que vous ne m'entende. Bel et doux
père, je le ferai très-volontiers.
(Ici il fait semblant de se confesser, et C nuire de
donner rabsolu.ion.)
le premier CARDINAL. Dame, veuillez, maintenant
qu'il est confessé et véritablement repentant , lui
procurer quelque réconfort.
l'impératrice. Tenez, buvez, mon doux ami ; par
celte boisson je saurai sur-le champ si vous avez tout
dit dans votre confession.
le frère. Hélas! "non mal me tourmente encore
plus qu'avant que je fusse à confesse ; ce breuvage
ne l'a point fait cesser le moins du monde.
l'impératrice. Messeigneurs, je vous le dis, il n'y
a pas à douter que lui-même ne se soit déçu. — Cer-
tes, ami, vous avez dans votre confession tû quel-
que péché, ce qui empêche votre mal de cesser.
le frère. Est-ce pour cela? Amie , que la chose
aille comme elle pourra aller. J'aime mieux, pour
être bref, pourrir dans celle maladie et mourir que
de dire à nul homme, je vous le promets, une chose
que je liens cachée dans mon sein.
l'impératrice. Et c'est ce qui vous Ole la sanlé.
Je vous le dis, vous ne guérirez pas que vous ne
l'ayez révélée; n'en doutez point.
le frère. Eh bien! que le mal reste donc, je.mo ir-
rai, mais je ne révélerai rien à aucune personne
vivante.
l'empereur. Frère, vous êtes fou. Comment ai-
mez-vous mieux mourir ainsi que d'avouer votre
péché. Hé! pour l'amour de Dieu! ravisez-vous,
frère ; ôlez-vous de cet élal misérable , déclarez
tout.
le pape. Mon fils, si vous ne perdiez que le corps,
cela pourrait être indifférent ; mais vous perdrez
l'âme l'aile à l'image de Dieu. Vraiment , c'est trop.
Si elle va à damnation, le corps fera de même cer-
tainement lant que Dieu sera Dieu. Mon cher Gif,
je vous pr e donc de prendre un meilleur parti , et
de tout dire sans en rien rabattre: ainsi vous ferez
honte au diable, vous réjouirez les anges, et vous
vous sauverez par ce moyen.
le frère. Il faut donc que je me découvre. Soit,
je dirai devant vous tous l'énormilé de mon crime,
et croyez-le, mon frère, c'est terrible. Un jour de
l'Ascension, après votre départ pour la Terre-Sainte,
étant auprès de votre femme, elle me parut si belle
(et vraiment elle l'était) que je commençai de la con-
voiter. Je ne sus pas m'en défendre , et le diable
nie tenta tellement de désirs insensés, que, oubliant
le soin de votre honneur, je la requis plusieurs fois
de commettre une action vilaine et honteuse. Elle,
en femme de bien et sage, ne s'arrêta point à m'é-
couler, et me lit mettre en prison. Je fus bien traité,
mais à votre retour seulement , elle me rendit la
»S7
1MP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
INN
-4*i»
liberté. Alors, frère, je mis le comble à ma trahison
en vous trompant audacieusemenl el eti portant
contre file une accusation si grave que vous la
files sans raison descendre de sa dignité el mettre à
mort. L'infortunée élait complètement innocente.
Aussi je consens et me condamne à mourir de la
mort la plus cruelle, comme d'être écorché, biùlé
ou île subir tel supplice que vous direz.
l'impératrice. Maintenant, ami, si vous avez tout
confessé, vous boirez ceci. Voyez si vous n'avez
rien oublié ou celé.
le frère. En vérité, je ne me souviens de rien
que je n'aie dit.
l'impératrice. Eh bien! buvez donc hardiment et
sans réplique.
le pape. Dame, je tiens pour certain que Dieu
vous aime, el cela se voit bien alors que vous l'a-
vez guéri aussi promplemenl d'un mal pareil.
le premier cardinal. C'est une noble action : elle
doit bien en être récompensée.
le deuxième cardinal. Ceries, Oieu fait des mi-
racles en faveur de celle daine. Il n'y a ,pas à en
douter, puisqu'elle guéril et chasse dehors si tôt et
si bien un (el mal
l'empereur. Ah, frère! comment as-tu pu conce-
voir une pareille scélératesse pour assouvir n
luxure? Tu m'as accablé de bien des maux en me
privant d'une épouse si bonne et si dévouée, qui
faisait tant d'aumônes , qui soutenait les pauvres
de Dieu , cl qui me donnait de bons avis dans le
besoin.
l'impératrice. Mon cher seigneur, je suis de
loin , el veux m'en retourner dans mon pays- l'our
ma peine et comme marque de voire satisfaction,
je viens \o;is prier, sire, d'accorder à voire frère la
rémission el le pardon de son crime ; ne me donnez
pas d'aulre salaire.
l'empereur. Dame, comment pourrai -je le faire?
Je ne sais, Dieu me secoure! Je voudrais bien mou-
rir sur l'heure même ici devant vous.
l'impératrice. Mon doux sire, sur mon âme! il
n'est pas bon de se courroucer si fort. Si vous avez
perdu une femme, vous en aurez cent, si vous
voulez; je ne sais pourquoi vous vous désolez
ainsi.
l'empereur. Ma chère amie, que dites-vous? J'ai
perdu mon honneur et ma joie! Oui, ceries, car
j'avais la meilleure femme qui naquit jamais d'une
mère : c'est pourquoi je suis dans une douleur si
amè.e que pour elle je méprise et je hais moi-même,
mon empire el tout ce que j'ai ; et je vois bien que
par ses anus je puis à cause d'elle être malmené et
ancmli.
l'impératrice. Très-cher sire, puisqu'il en est
ainsi , dites moi : l'aimiez-vous autant , Dieu vous
garde ! que \ous en faites semblant?
l'empereur. Oui ; et je devais l'aimer ainsi, dame,
tant en raison de sa haute position que des bonnes
qualités qu'elle avait.
l'impératrice. Quoi qu'il en puisse arriver , je ne
puis plus vous voir; je vous défends de pleurer de-
vant moi. Je n'y tiens plus. Cher sire, je suis votre
amie ; ne me reconnaissez-vous pas? Allons ! regar-
dez-moi bien eu l'ace. Dieu par sa grâce m'a sauvée ,
lui ainsi que la Dame de majeslé en la douce garde
de qui j'ai depuis été.
l'empereur. Ma chère compagne , ma sœur , mon
amour, ma joie, à cette heure je suis heureux
puisque je le vois! Baise-moi , baise el embrasse-
moi.
(Ici ils se pâment)
le pape. Tous deux ils sont muets de joie , et en
pâmoison : allons el relevons les tout de suite.
le premier chevalier. En vérité, vous dites bien ,
sire, allons à eux.
le pape. Debout, de par Dieu ! debout . Ions deux!
vous avez élé assez longtemps par terre.
Dictionn. des Mystères.
l'empereur. Saint-Père, comment ni-je pu m'y
Iromper? L'impératrice ma femme était là , et, sur
mon âme, je ne la reconnaissais pas. Que la Trinité
soit limée! — Par Dieu! qu'èies-vous devenue depuis
si longtemps, mon amie ?
l'impératrice. Je ne puis déguiser la vérité. J'ai
souffert bien des maux. Eue fois mise entre les
mains de vos gens el livrée à eux pour la mort, ils
furent tous de si bon naturel qu'ils ne purent se ré-
soudre:! me faire du mal mais, ils me menèrent à une
roche dans la mer et m'y laissèrent. Je ne pouvais
bouger de là. J'y fus pendant trois jouis suis manger,
et tellement battue par la mer que je tombai sans con-
naissance sur la roche, et là je m'endormis. Au
milieu de mon sommeil survint la Dame des cieux,
qui'me réconforta bien mieux que je ne vous pour-
rais dire; elle me donna les herbes, sire, avec
lesquelles j'ai depuis guéri maints lépreux. Au troi-
sième.jour vint un vaisseau monté par des gens de
bien qui me recueillirent, m'emmenèrent avec euv
et me mirent sur la terre ferme. Depuis j'ai fait ainsi
mainte course dans le pays où j'ai habile , ramenant
à la santé tous les lépreux que je trouvais , aussitôt
qu'ils avaient bu le jus de l'herbe précieuse et rare
que la trésoriére de grâce m'apporta de son paradis
cl qu'elle mil sous ma lêle, pendant mon sommeil.
le pape. Tout cela n'est qu'heur et malheur.
Mais le miracle esl solennel, Allons, écoulez! il
n'y a rien de mieux à faire que de s'en aller lous
ensemble dans mon palais, et là nous ferons une
fêle magnifique , Allons et chaînons en rouie. Je
voudrais avoir ici mes clercs, pour qu'ils fissent
leur devoir en chaulant bien.
le premier sergent d'armes. En vérité, je vais
les chercher; sire, je les ferai vite venir. — Sei-
gneurs, sans vous arrêter ici davantage, venez-
vous-en promplemenl auprès du Saint-Père : il
veul que, vous lous, vous chauliez devant lui d'una
voix éclatante.
les clercs. Mon doux ami , nous chanterons 1res -
volontiers.
le pape. Vous savez ce qui vienl d'arriver, mes
chers amis? nous avons tous cause de joie : c'est
pourquoi chantez , et qu'on vous entende; car je le
veux.
l'un des clercs. Sire, nous ferons voire volonté
de bon cœur : c'est raison. — Allons! disons en-
sem'.de et d'accord ce molet-ci. 'Ils chantent.)
INCARNATION [V). — L'abbé de La rue,
clans ses Essais historiques sur les bardes, les
jongleurs et les trouvères normands el anglo-
normands (Caen, Mancel, 1834, in-8°, 3
vol., 1. 1", p. 166], fait mention d'un Mystère
de l'Incarnation, qui, en 1378, fut représenté
à Londres. — Voy. Passion, IJ, § 4.
INNOCENTS (Les). —Ce fragmenl do
mystère qui date du x* ou du xr siècle est
le dernier de ceux conservés dans le manus-
crit n* 1139 du fonds latin de la ILbliolbèquo
impériale, provenant de l'abbaye de Saint-
Martial de Limoges. (Voy. Saint-Martial.)
Ce morceau, placé tout au bas du feuillet
32 verso, a été publié par M. Magnin, dans
le Journal des Savants, cabier de février
18V6, p. 93. « Les vers de ce fragment dra-
matique, dit ce savant, sont d'une facluro
et d'une latinité tellement barbares, qu'in-
dépendamment de toutes preuves paléogia
pbiques, le mètre et la langue attesteraient
à eux seuls le x' ou le xr siècle. On lit dei
plaintesdeRachelapeu près semblables dans
un autre mystère des innocents, composé
un siècle et demi plus tard pour l'abbaye
15
*5«
1NN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
iNiN
4fi0
do Sainf-Benoît-FIeury-sur-Loire. Cette
œuvre, d'une meilleure époque, présente
des développements assez dramatiques, dans
un latin beaucoup moins corrompu ; mais
la barbarie même des débris de ce genre
leur assure, à défaut d'un bien vif intérêt
littéraire, une incontestable valeur histo-
rique. »
.... J'ai entendu sous l'autel de Dieu les voix des
sacrifiés qui disaient : Pourquoi ne défendez-vous
pas noire sang?
El il leur a été répondu : Ayez patience encore
un peu, jusqu'à ce que le nombre de vos frères soit
complet.
LAMENTATION DE RACHEL. ClldS CllfaillS, fl'UÎIS de
mon ventre, dont on m'appelait autrefois la mère,
gages prénenx qui m'avez fait surnommer la fé-
conde! Hélas! suis-je aujourd'hui celle infortunée
dépouillée de ses (ils? Malheur à moi malheureuse'
Gomment, je suis vivante, devant celle ruine des
miens, après ce massacre cl ces exterminations!
C'est l'Egyptien Uérode, qui, dans U rage dont il est
rempli el dans bon orgueil étrange, a condamné ma
race.
l'ange. Rachel, ne pleure pas ainsi tes enfants.
Plongée dans le désespoir, tu meurtris ton sein;
cesse de verser des larmes : réjouis-toi, au con-
tr.i ire, caries enfants oui une vie bien plus heureuse
Réjouis-toi! C'est de ce Eils du Père suprême et
éternel, dont ou cherchait h ruine, que vous rece-
vez la vie cieruelle. Réjouis-loi donc!..
Voyez Saint-Martial de Limoges (Manus-
crit de).
JNNOCENi'S (Le massacre des. — Les
Innocents sont l'un des dix mystères attri-
bués au xir siècle el même au xr, qu6
nous a conservés le précieux recueil duxiit"
siècle, dont nous avons donné la description
et l'histoire, sous le litre de manuscrit de
Saint-Renoîl-sur-Loire. — Voy. Saint-Be-
noit-sur-Loirê (Manuscrit de).
PERSONNAGES.
L ENFANT JESUS.
LA VIERGE JJARIE.
JOSEPH
l'Ange.
hérode, roi des Juifs.
archelaus, tils d'Hérode.
LA TROUPE DES INNOCENTS.
RACHEL.
LES FEMMES.
UN SOLDAT.
LE CHANTRE.
I.
Dans cette représentation, les Innocents
sont habillés de robes blanches. Il y a fête
au monastère et l'on prie Dieu en chantant :
Quam gloriosum, etc. L'agneau survient sou-
dain, chargé de la croix, il marche devant
eux de cùté el d'autre, et on le suit en
chantant :
Quam g oriosum est regnum !
bmitle agnum, Domine. (Isai. xvi, t.)
Un soldat offre à Rérode, dès qu'il .est
assis, le sceptre royal, en disant :
Super solium David.
Alors l'ange apparaît au-dessus de re-
table, pour avertir Joseph de s'enfuir en
Egypte avec Marie. L'ange se tournant de
trois côtés, s'écrie: Joseph!
l'ange. Joseph! Joseph 1 Joseph, fils de David!
(// reprend.) Prends l'enfant el sa mère, el reste là
jusqu'à ce que je l'avertisse de nouveau, car Uérode
est sur le poin de faire chercher reniant pour le
pjrdre.
joseph l'enfuyant, accompagne de Marie qui porte
l'enfant et sans voir Hérode. Egypte, cesse de pleu-
rer.
le soldat, annonçant que les Mages se sont retirés
par un chemin inconnu; il salue le roi et dit : 0 Roi!
soyez-vous éternel ! Seigneur, on se joue de vous;
les Mages se sont retirés par un chemin inconnu.
Hérode, furieux, li>e son cpée et va pour s'en per-
cer ; les siens l'arrêtent el le calment. J'éteindrai ma
colère dans mon sang.
les innocents chantent à la suite de l'agneau.
Agneau saint, destiné à la morl pour nous, ô Chris
sous ce symbole sacré de l'Agneau, nous l'offro
la splendeur du Père, l'éclat de la virginité; Hérod
irrité, cherche en tous lieux; sauve-nous avec l\
gneau, mourons pour le Christ.
le soldat donnant des avis à Uérode. Seigneur,
ta colère méconnaît sa vengeance : tire l'epée. mais
pour ordonner le meurtre de lous les enfants; peu! -
être parmi les morts périra le Christ.
hérode lui donnant son glaive. Brave soldai, mas-
sacre toi-même les enfants avec ce glaive.
(Les bourreaux arrivant, on soustrait habilement l'A-
gneau , à son départ, les Innocents le saluent.)
les innocents. S. dut! Agneau de Dieu ! Salut, ô
loi qui efface les péchés du monde! Alléluia!
les mères se jetant au-devant des bourreaux. Oh!
par grâce, épargnez les jours si tendres de ces nou-
veaux nés.
(Les enfants étant tous tombés, l'ange apparaît el
leur crie :) O vous lous qui n'êtes plus que pous-
sière, réveillez-vous et parlez.
les enfants à terre. Seigneur, notre Dieu, pour-
quoi n'as-lu pas défendu notre sang?
l'ange. Restez ici encore un peu de temps, jus-
qu'à ce que le nombre de vos frères soil com-
plété.
H
achel entrant, suivie de deux femmes qui la conso-
lent, debout d'abord, gémit sur les enfant s, puis s'afjais-
sant sur elle-même. Hélas! pauvres pctiis! donl 'e>
cadavres déchirés sont là sous nos yeux. Mêlas! si jeu-
nes, à peine nés el sacrifiés à la furie d'un homme!
llelas! rien n'a arrêté ce forfait, ni l'horreur, ni vo-
ire faiblesse. Ah! mères infortunées, contraintes à
subir ce spectacle! Ah! que faisons-nous ? et pour-
quoi n 'avons-nous pas subi un semblable destin?
Hélas! quel souvenir ! jamais nulle joie n'atténuera
nos douleurs, car nos chers enfanis ne sont
plus.
les femmes la recevant dans leurs bras dans sa
thute. Vierge Rachel, mère si tendre, cesse les
plaintes, sèche les larmes dans ce désastre des en-
fants; au lieu de ce désespoir et de ces pleurs, ré-
jouis-loi, car les enfants sont vivants el bienheu-
reux dans le ciel.
rachel, désolée. Hélas! hélas! hélas! comment
me consoler jamais ? comment chasser l'image <:c
ce massacre? Tout mon être en a élé pour jamais
ébranlé. Le souvenir rendra ma plainte éternelle.
O douleur! ô doux espoir déçu de tant de pères, Te
tant de mères! Dans ces lugubres scènes, pleurez,
pleurez, mes yeux, pleurez la Qeur de la Judée elle
ilésaslre de la patrie.
les femmes. Mais, ô belle Rachel, vierge mère,
que pleures-tu? Ton visage n'est pas moins aimé de
Jacob, cl la grâce d'une épouse si charmante le ré-
jouit encore. O mère, essuie les yeux mouilles et
ces belles larmes gracieuses sur la joue.
rachel. Helas ! hélas! hélas! osez -vous ac-
cuser ma douleur de mai-à-propos? N'ai je pas
perdu mon fils, mon seul abri contre la pauvreté, le
défenseur unique des faibles biens que Jacob avait
acquis pour moi, et qui, seul, pouvait cire utile à
ses frères insensés, si nombreux el si accablés de
maux.
431
JE A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
JEA
40«
les femmes. Doil-On pleurer sur celui qui possède
le royaume des cieux, el dont la prière incessante
porte secours auprès de Dieu à ses frères infortu-
nés.
rachel, tombant auprès des enfants. L'espoir est
troublé dans mon sein, et mon cœur est confus.
{Les femmes emmènent Rachel.)
III.
(l'ange, du haut des cieux, récite l'antienne : Si-
nite parvulos, etc. [ Malin, six, 4.] A- la voix de
Fange, tes enfants se lèvent, el se réunissent en chœur
en chantant.)
les enfants. 0 Christ! quelle armée pour Ion
père, amassée en prévision des guerres terribles,
dans celte docte jeunesse, missionnaire des peuples
et dominatrice de .la barbarie, après tant de fati-
gues?
Cependant Hérode disparaît et à sa place
son fils Arehélaùs, que l'on salue roi, monte
sur le trône de son pèro
IV.
(L'ange avertit Joseph réfugié en Egypte.)
l'ange. Joseph, Joseph], Joseph], lils de David!
Retourne dans la terre de Judée; ceux qui en vou-
laient à la vie de l'enfant sont morts.
joseph revient avec Marie el l'enfant et se relire
en Galilée en chantant.
Gaude, gai de, gaude
Maria virgo, cunctas hœreses .. e!c. (181).
le choeur. Te Peum laudamus, etc.
INNOCENTS (Comédie jjksJ. — Les
frères Parfait, dans leur Histoire du théâtre
franco is (Paris, 15 vol. in- 12, 17^5, t. III,
p. 65), ont laissé une notice de la Comédie
des Innocents. Celte pièce est de la célèbre
Marguerite de Navarre, et date de la pre-
mière moitié du xvie siècle. La Bibliothèque
du théâtre françois, ouvrage attribué au duc
de La Vallière (Dresde, 1768, in-12, 3 vol.,
t. Pr, p. 121) en a donné l'analyse suivante:
« Comédie des Innocents. — Pour évi-
ter à l'enfant Jésus la cruauté d'Hérode,
Dieu envoie un ange ordonner à Joseph de
l'emmener avec Marie en Egypte.| Joseph
obéit aussitôt et ils arrivent dans un désert.
Cependant Hérode, ayant appris la naissance
du Messie, ordonne aussitôt à ses soldats
de massacrer tous les nouveaux- nés à
Bethléem et aux environs. On vient bientôt
après lui annoncei que son ordre a été exé-
cuté. En môme temps la nourrice de son
fils vient lut dire que ce jeune prince a éla
compris dans le massacre général. La certi-
tude où il compte être de la mort du Messie
le console aisément de la perte qu'il vient
de faire;, et il se livre à la joie Dieu,ordonna
aux anges de conduire dans les cieux les
âmes des jeunes martyrs; et elles y montent
en chantant les louanges du Seigneur. »
INSTITUTION DES FRERES PRE
CHEURS. — Voy. Saint Dominique
JACQUES (Saint). — De Beauchamps,
dans ses Recherches sur les théâtres de Erance
(Paris, 1735. in-8°, 1 vol., t. I", p. 227)
donne, dans une liste de mystères la trans-
lation de saint Jacques et ses miracles, en
vers, in— fol.
JEAN-BAPTISTE (Saint). — Duverdier-
Vauprivaz (Bibliothèque françoise, p. 777}
cite :
La vie et mystère de monseigneur saincl
Jehan-Baptiste par personnaiyes : imprimés
à Lyon, in-k°, par Olivier Arnoullet, sans
date. (Vers 1535.)
Les frères Parfait (Hist. du tliéâtr. fr.;
Paris, 15 vol., in-12, 17i5, t. III, p. t2)
n'avaient d'autre renseignement que celui
de Duverdier. De Beauchamps (Recherches
sur les théâtres, Paris, 1735, in-8", 3 vol., t.
1", p. 225) n'a que mentionné aussi le Snint-
Jean-Baptistc. — On trouve, en Espagne, le
Baptême de saint Jean, auto d'un anonyme,
do il Sandoval fait mention sous la date de
1 327 dans son Histoire de Charles-Quint ,
livre xvi ; et la Conception de saint Jean,
aulre auto ou mystère espagnol d'Estehan
Martinez. Les personnages principaux sont
un berger, Zacharie, sainte Isabelle, 'l'ange
Gabriel, Joseph, Notre-Seigneur et un prêtre.
|I81) (iaude, Maria virgo, cunctas nœreses'sola
inieremisii in universo mundo (Antienne tdu Magnifi-
cat, tirée de saint Augustin.) — Note de M. l'abbé 1a-
Cette pièce a été imprimée à Purgos en
1528, sous lo titre de Auto de como san Juan
fué concebido, etc.
JEAN-BAPTISTE (Saint).— Un mystère
de saint Jean-Baptiste a été édité parM. Emile
Jolibois, d'après un manuscrit du xvr siècle,
existant à Cbnumont. (La diablerie de Chau-
mont ; Chaumont, 1838, in-8°.)
Cette pièce faisait partie des réjouissances
du Pardon ou de la Diablerie.
Elle commençait par un prologue où la
ville de Chaumont jouait un rôle; comme on
pourra le voir ci-dessous dans les extraits
que nous avons joints à cette notice.
LES VERTUS.
La moralité des Vertus est une sorte df
prologue à huit personnages que l'on jouait
devant la grand'porle de l'église
PROLOGUE.
CHAL'MONT.
Messieurs, au premier pas que ie veux vous faire
[veoir,
Mon les sœurs d'Hélicon , dont le plus grand sçavoir
N'enseigna iamais rien que de profane au monde,
Mais les filles du ciel, dont l'éloquente voix
Nous monstre le Sauveur et ses divines lois ,
Kl le moien seure où nostre salut se fonde.
Servez-vous du bonheur de ceslc occasion,
bgideric, Li Jus S. Nie. par J. Rodel, publ. par
la Société des bibliophiles français; 1834, in-8",
Pièces jointes, etc., p. 154.
405
JEA
DICTIONNAIRE DES MY5TLRKS.
JEA
M
Escoutez leurs discours avec attention,
Instruisez vos esprits, esclaircissez vos doubles.
Ces vertus quelquefois se peuvent séparer;
Vous pourrez bien ailleurs ne les pas rencontrer
11 n'y a que Chauinoni qui les possède toutes.
LA FOY.
le tien rang de princesse et suys de si bon lieu
Que ie peu me nommer la fille du grand Dieu,
Qui m'a voulu commettre afin de vous instruire
De ce que debvez croire et comment vous conduire.
C'«st luy qui lut ainsi sur la croix attaché.
Teincleen divers endroicts de son sang espanché;
Il communique encor dans le saincl sacrement
Et sa chair et son sang comme un médicament
Propre à tant de défauts qui noircissent vos âmes;
Mais, pour avoir l'effect de ce contrepoison.
Il faut croire et ne point consulter la raison;
Car le trop curieux périra dans les flammes.
l'espérance.
Pour du souverain bien vous rendre possesseurs,
Il faut estre attentif aux discours de mes soeurs,
Pour sçavoir l'art d'aimer comme celuy de croire ;
Etmoy, ie vousdiray qu'il faut bien espérer,
Et que si vous voulez ainsi persévérer,
Vous estes asscurés d'obtenir ceste gloire.
Dieu le veut, et sa mort vous le (ail ainsi veoir :
Il le peut; le défaut n'est point dans son pouvoir;
El puisqu'il a promis, sa parole est certaine.
Levez donc avec moy les yeux à ce Sauveur;
Espérez en luy seul, et non de la faveur
Du monde qui n'est rien qu'une espérance vaine
LA CHARITÉ.
Mon pouvoir est si grand que c'est la vérité
Qu'il s'est mesme eslendu sur la divinité,
Quand ie le fey du ciel sur la terre descendre.
Il est si grand encor que ie peu de mes mains
De ceste terre au ciel eslever les humains,
Si mes enscignemens ils veulent bien comprendre.
Le secret, c'est l'amour, dont le commencement
Va de toute sa force à Dieu fidèlement,
Puisàvoslre prochain, comme unaulre vous mesme;
Que si ce saincl amour rcigle vos actions,
Vous lirerei du ciel des bénédictions
Qui vous feront passer dans le bonheur extrême.
LA PRUDENCE.
Il faut considérer, pour bien vous maintenir,
Le passé, le présent et le temps advenir ;
Et ce sont les leçons que nous fait la Prudence,
Du passé iugez bien ce que vous avez fait;
Du présent qu'avez-vous qui ne soyt imperfaict ?
De là, qu'atleiidez-vous pour vostre récompense î
Qu'esl-ce que de tout temps Dieu n'a pas fait pour
[vous?
Que ne fait-il encore pour vous conserver tous?
De qui prétendez-vous une fin qui soyt bonne!
Regrettez le passé, corrigez le présent,
Vivez mieux cy-après, ainsi certainement
ous trouveiezau e.el l'immortelle couronne.
LA JUSTICE.
Ce que ie tien aux mains, ce qui voile mes yeux,
Ce sont les instruments que l'apporte des cièux.
Qui vous font bien sçavoir que ie suys la luslice.
le sçay différemment m'en servir au besoing,
Quand, d'un esprit audace, ie me donne le soing
D'honorer les vertus et de punir le vice ;
lesçai donner la forme aux bonnes actions ;
le sçay dresser les mœurs et les intentions ;
Sans moy tout l'univers iroil en décadence.
Mais, surtout, mon dessing se propose en tout lien
De porter les effects à la gloire de Dieu.
Avec moy donnez-lui ceste recognoissanco
LA FORCE.
C'est beaucoup de former un dessing généreux,
De suivre les vertus pour estre bienheureux ;
Mais, pour exécuter, la Force est nécessaire.
C'est donc à mon pouvoir qu'il faut avoir recours,
El de mon assistance attendre le secours.
Pour ne point succomber aux coups de l'adversaire.
Par moy le tentateur ne peut rien sur l'esprit
De celuy qui commet son cœur à lésus-Chris*
le le sçay préserver de tous les artifices;
Si la ruse n'y peut, encore moins l'elTorl
Et des cruels tyrans les menaces de mort,
Ne le feu, ne le fer, ne tous autres supplice»
LA TEMPÉRANCE.
D'où vient qu'un mouvement de folle passioi*
Vous surmonte d'abord sans faire résislance ?
Si vous me consultiez, qui suys la Tempérance,
Vous n'en auriez point de si forte impression.
Profanes partisans de l'amour impudique.
Vous ne pourriez sans crime ignorer que vos coeur»
Ne doibvent eslre prins de si fortes ardeurs
Que pour aimer son Dieu d'un amour héroïque ;
El si ce mesme Dieu, comme un père très-sage,
Vous envoyé du vin l'innocente liqueur,
Pour réparer vos forces et resiouir vostre cœur.
Vous n'en corrompriez par un meschanl usage.
Suivait le mystère :
SCÈNE I".
Zacharie, coiffé de la tiare et habillé com-
me les anciens prophètes, est agenouillé
devant un autel bien paré et se prépare h
sacrifier : il a pour assistants deux lévites
et quatre acolytes.
le premier acolyte, présentant de i'eneeut.
Recevez cet encens, souveraine bonté,
En odeur de suavité
Agréez ce petit service.
le deuxième lévite.
II u'esi rien de pelil qui serve au sacrifice.
Pour y contribuer de mon foible pouvoir,
le le pren, ie le rends et ie fay mon debvoir ;
Prenez-le de ma main pour l'offrir au grand presblre.
LE PREMIER LÉVITE.
Ainsi, chascun de nous servira le grand-maistre.
(// présente l'encensoir à Zacltarie et dit :)
Vénérable vieillard, prebstre qui va offrant
Les vœux de tout le peuple au grand Dieu lout-puis-
[saul.
Que ces vœux puissent avoir et prendre un tel essor
Que fera la fumée qui de cel encens sort !
Puisse-lu réussir en ta juste enlreprinse,
Impétrant la faveur du ciel pour son église!
L'ange s'avance alors : ses aîles sont do-
rées ; sont front est ceint d'un diadème; il
lient une palme de la main droite. Voici
l'écriteau qu'il porte :
Ne limeas, Zacharia, exaudita est deprecatto tua ;
Elisabeth, uxor tua, pariel tibi filium et voenbis
nomen eius loannem.
Il s'adresse à Zacharie : .
Rends grâce au tout-puissant de toutes ses bontés.
Qui gouste ton encens, qui reçoit la prière.
Il veut que par ma voix el par mon ministère
Tu descouvres auiourd'huy ses saincles volonlés.
Dienlost Elisabeth, de son ventre fécond,
Par l'effort d'une main qui n'est point raccourcie,
Accouchera d'un fils, précurseur du Messie,
Qui dans tout l'univers n'aura point de second.
Dieu seul de ses vertus verra la profondeur.
Tu le nommeras lean, qui veut dire la Grâce.
A celle du Sauveur il fera f.iire place,
El preschera partout son règne et s.? grandeur.
4C5
JEY
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
JEA
4GS
ZtCHAKIE.
Sacré légal du ciel, comment pourra-l-i estra
Qu'Elizabeth, ma femme, vieille el sexagénaire,
Puisse produire un fruicleu l'hiver de ses ans,
Puisque le feu d'amour est esieint au-dedans,
Que son temps est passé et qu'elle ne prétend plus
Ce que du mariage l'on souhaite le plus?
l'ange.
Incrédule! ose-m doubler de la puissance
De teluy qui régit le destin des humains,
Qui deslrûît, quand il veut, l'ouvrage de ses mains;
Qui fait et déliait tout par sa seule présence 1
Ce mol en mesine temps l'afflige et te console.
Des promesses de rien les yeux verront feffcct;
Puisque tu n'as pas cru lu deviendras muet;
Mais ton (ils, en naissant, le rendra la parole.
SCÈNE II.
L'ANNONCIATION
Le Myslère de VAnnonciation n'a que
d«ux personnages : l'ange et la vierge.
l'ange.
Thrésor de grâce ci de lumière,
Abrégé du bon el du beau,
C'est par le feu de Ion flambeau
Qu'il le faut br uster sans matière :
Que, par un prodige esionnaul,
Tu le feys dans le lirmament
La conquérante et la conqueste
Du plus illustre feu que le divin amour.
Que des esprits ardans dont il brusla la lesie,
le veux faire un buscher, et bruslera lousiour»
Celuy qui décora les cieux,
Cel esprit qui soutlie en tous lieux,
Qui du commeucemenl se feyt porter sur fonda
Prendra de ion sein virginal,
Pour former un corps sans égal,
Qu'animera celuy qui doibl sauver le monde.
LA VIERGE.
Eternel obiect de louange,
Quoy ! beau centre des beaux amours
Ksiendcz- vous des mesines cours
Vos feux sur moy que dessus l'ange 1
Vous descendez du haut des cieux,
Faisant un astre glorieux
De non cœur qui s'est laissé prendrel
Vous l'eslevez si haut dans un eslre divin!
Vous vous formez un corps dans un amas de cendre,
El changez mon argile au feu d'un séraphin !
Soubmise aux saincles volontés
De celuy de qui les bontés
Veulent porler mon nom de l'un à l'autre pol ,
En tesmoignage de ma foy,
le consens qu'il opère en moy
Ce qu'il l'a révèle par la saincle parole.
SCÈNE 111.
LA VISITATION.
Après VAnnonciation, on jouait le Mys-
tère de la Visitation, expliqué par cet écri-
leau :
le premier ANGE à la Vierge.
C'esl trop larder en Galilée,
Vierge, sortons de Nazareth
Allons visiter en ludée
Voslre cousine Elisabeth.
LE DEUXIÈME ANGE, à la Viag«
le vous serviray de conduite
Fidèle, jusqu'en la cité
Où ccsle princesse d'eslile
Passe ses ionrs en saincieté.
LA VIERGE.
Ah! que i'aggrée ce voyage!
Allons! c'esl mon consentement.
Sarrèie, sus! Prenez courage,
Et nous suivez habilement;
'traversons ces hautes montagnes.
LA vierge, saluant Elisabeth.
Que le ciel vous bénisse, ô ma chère cousine?
Les merveilleux effecls de la boulé divine
M'ont donné le subiect de venir en ce lieu.
ELISABETH.
D'où me vient ce bonheur que, sans aucun mérite,
le reçoive l'honneur d'une telle visite.
Et le doulx entretien de la mère de Dieu.
LA VIERGE.
Le bienheureux enfant dont vous estes encein
Sera le précurseur qui, de sa bouche saincle,
Doibl annoncer ce Dieu qui nous vienl racheter.
ELISABETH.
Adorons ce Sauveur que le ciel nous envoyé,
Ce fruict à sa venue a tressailli de ioye,
El bénissons la mère heureuse à le porter.
LA VIERGE.
Excile-toy, mon âme, aux hymnes que ie chant*
A sa grande bonté,
Qui ne dédaigne pas une pauvre servante
En son humilité.
De ces esprits bouffis d'arrogance el d'audace
Il abbaisse l'orgueil ;
Mais un cœur humble el pur il feslève à la grâca
El le voyt d'un bon œil.
Ceux a qui la disette apporte tant de oeine.
Il les comble de biens;
Et sçayl délaisser ceux donl fesiude trop vaine
N'aspire qu'aux moiens.
LA SERVANTE DE LA VIERGB.
Aux pieds de celle à qui ie sers
Il n'est monarque en l'univers
Qui ne soubmetle sa couronne;
C'esl régner, c'esl donner des loix
Que de servir à la personne
De la mère du roy des roj s.
Ce glorieux litre d'honneur
De la servante du Seigneur,
Que prend cesle mère charmante,
Me fait chérir la qualité
De la irès-pelile servante
Delà reine de pureté.
SCÈNE IV.
LA PREMIÈRE VIERGE.
Descendez de vos cieux, ô grand Dieu d« la lerrs!
Venez armé de fer, de feu el de tonnerre,
El faites retirer dans l'infernal cercueil
Le prince des ténèbres et le roy de l'orgueil,
Qui vomit sans cesser le venin de sa rage
Sur les pauvres mortels qu'il retient en servage,
Depuis le trisie iour que nostre père Adam
Fui chassé malheureux du palais esclatanl,
Pour avoir violé de sa dent criminelle
La charmante beauté d'une pomme nouvelle.
Invincible géant, accourez àgrans pas,
Essuyez de vos mains nos pitoyables larmes;
En nous donnant la paix faites cesser les armes.
LA DEUXIÈME VIERGE.
Quilez donc, ô grand Dieu! quilez donc promp-
[tement
Les lambris esloillés de voslre firmament.
La terre dès longtemps el gémit et souspire,
Attendant leséiour de l'immortel empire.
Elle ouvre son beau sein, el, au lieu de ses pleurs
loyeuse maintenant, nous répand mille fleurs
Sur l'aimable pourpris de sa chaste mamelle.
V«nez à ses appas, ô sagesse étemelle!
iC7
JEA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
JEA
4l'8
Flore »*a souhaité avec lanl desouspirs
L'aggn able retour des volages zéphirs,
Que vous esles auiourd'huy désiré, ô Messie?
Ceste allenie nos cœurs sainctement rassasie.
LANGE.
Voyez son précurseur qui repose a» berceau.
Que le ciel, nous fait veoir par miracle nouveau.
Vous le verrez bientosl hors de l'aage de l'enfance,
Prescher dans les désers la sair.cle pénitence,
El dedans cet employ n'aura pour veslement
Que le cuir du chameau, et pour tout aliment
Il se contentera, adorable merveille!
De prendre son repas aux dcspens de l'abeille,
Souffrant le chaud, le froid, sans veslure et sans feu,
Pénitence admirable que l'on n'a jamais ven !
Après, vous le verrez plein de zèle cl courage
Le clavier descouvrir de son divin langage;
Et d'une saincle ardeur animé, sans effroy,
Blasmer à haute voix la puissance d'un roy,
Qui souille, incestueux, la couche de son frère.
Sans craindre du grand Dieu la vengeance et colère
Qui desia le talonne, et quoyqu'à petits pas,
Luy fera ressentir la force de son bras
LE PREMIER LÉVITE.
Nous sommes ici venus, bon père, pscoiitez-moy,
Alïin que vous fassiez, suivant l'ancienne loy,
Voslre fils circoncire; partant ie vous exhorte
De nous dire le uom que désirez qu'il porte.
LE DEUXIÈME LEVITE.
El, comme de longtemps nous avons recogneu
Que p.ir l'arrcsl du ciel muet estes devenu
Pour avoir mesprisé la parole d'un ange,
Qui vous sembloil alors impossible et estrange:
Par signe apprenez-nous, si faire le pouvez,
Ce que Ton vous demande, ou pluslosi l'écrivez.
(A/ors on présente à Zucliarie une plume dorée
d"or fin.)
LA NOURRICE.
Dure et cruelle loy, ô circousion l
Déplorable subiectde mon allliclion.
Malheureuse! faut-il que moi, voslre nourrice,
Comme un petit agneau vous porte au sacrifice !
Pourrois-ie, sans mourir, veoir couler voslre sang!
Sur un corps si mignard, ô grand Dieu lotit* puissant!
Le moien que ie voye un si sanglant oultrage!
Hélas! i'ay plus d'amour que te n'ay de courage.
le vouldroye qu'il inclut sans fainlise permis
Souffrir le mai pour vous, mon cher petit amy.
Maisquoy ! ie pleure en vain, voy-iepas, misérable-!
Le bassin,* le Cousteau qu'on porlesurla table.
0 mon petit poupon ! ô divin précurseur!
Ceste crainle me rend sans parole et sans cœur.
Mais i'auray cependant, avant que l'on vous louche,
Mille Delis baisers oe voslre belle bouche.
LE SECOND LÉVITE.
Nourrice, apportez-nous cet enfant promptemenl.
LA NOURRICE.
Eh! monsieur, ie vous prie, iraiclez-Ie doulccment.
l'ange.
loannes et nomen ehts. (Par trois fois.)
ZACHARIE.
Dénissez à jamais le grand Dieu d'Israël,
Tout bon, tout glorieux, tout puissant, éternel.
Qui nous vient visiter de sa bénigne grâce,
Nous donnant un Sauveur qui sera de la racf
Du prophète David. Et loy, pelil enfant,
Du Très-Haut le prophète on ira te nommant.
PREMIÈRE MATRONE.
Vous avez grand subiect de ioye et d'allégresse
De vous veoir auiourd'huy mère en vostre vieillesse.
D'un beau fils qui sera un iour, en vérilé,
Le uiircir deà vertus et de la saincteté.
DEUXIEME MATRONE.
Madame est un peu foible ; il faut prendre courage,
Car on n'a iamais veu pour une femme d'aage,
Ce qui donne à chascun bien de reslonneinenl,
Avec moins de douleurs passer l'accouchement ;
Cependant il faudrait, pour la rendre plus forte,
Luy donner un bouillon : dites qu'on luy apporte.
LA SERVANTE DE LA NOURRICE.
{Elle apporte le bouillon, et s'adressavt aux
spectateurs, dit :)
Messieurs,
le vous diray avec raison
De quoy ie st-rs à la maison
Quand mon petit poupon sommeille,
le pren gar 'e qu'on ne IVsveille,
El si d'advcnlure il a faim,
Aussilosl ie pren dans ma main
Ma petite poale polie,
Pour luy faire de la boulie*
le la mels dessus le feu.
Ainsi ie fais ce que ie peu
Pour rendre aggréablc service
A madame la nourrice,
Que de moy ne se plaigne pas.
le m'en retourne sur mes pas.
Crainte que pendant ma demeure
le trouve le poupon qui pleure.
Pèlerins qui passez, bénissez, ie vous prie,
L'enfant d Elisabeth ei du bon Zacharie.
SCÈNE Y.
Jean, dans l'âge de l'adolescence, est an
désert, en compagnie de plusieurs sauvages,
et entouré de hideux serpents, de tortues el
d'autres animaux.
SAINCT 1EAN.
le suys la voix de celuy qui crie dans le désert :
Faites pénitence parce que le royaume des deux ap-
proche.
Examinez toutes ces paroles que ie vien de vous
dire : vous verrez qu'il n'y en a pas une qui ne vous
persuade la pénitence. Les premières paroles, < Je
suys la voix de celuy qui crie, » marqueni le principe
de la véritable pénitence, qui esl la grâce que vous
présente celuy de qui ie ne suis que la voix ; grâce
qu'il ne refuse à personne, de quelque qualité cl con-
dition qu'on soyt; grâce qui est une lumière qui es-
claire l'entendement cl eschaulle les volontés; grâce
qui nous prévient dans nos actions, qui nous accom-
pagne quand nous les faisons et qui donne le cou-
ronnement à leur consommation.
LE PREMIER SAUVAGE.
Que dites-vous de ce langage,
Mon pauvre compagnon des bois,
El que vous semble cesle voix
Et le regard de ce visage?
LE DEUXIÈME SAUVAGE.
L'astre dont lesjusles contours
.Composent reiglement nos iours
N'a iamais fait dans sa carrière
Un corps brillant si plein d'esclal,
Ne tanl entouré de lumière,
Quoyque petit el délicat.
LE PREMIER SAUVAGE.
Mais croyez-vous que ces supplices
El la cruaulé de ces maux,
El mesme que ces animaux
Soyent là ses plus grands délices ?
LE TROISIÈME SAUVAGE.
Il faudroil estre comme luy,
Avoir des grâces d'icchiy
Qui le rendent esmervcillablc,
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
JLA
£70
Do lous les hommes Patlmurahlte-,
Sage, poly, discret, charmant.
On le chercheroil vainomeui
Dessus la terre et dessus ronde,
Par lous les quatre coings du inoir'e,
Sans trouver en ces longs désunir»
Ce qu'on voyl ici lous les iours.
SAINT JEAN.
Amemlez- vous, changez de vie,
Bieutost viendra le Créateur,
Qui se dira le vray Messie
El dès hommes le Ré lenipleur,
Lançant tles carreaux sur les tesles
De lous ceux qui ne garderont
Ne sa loy, ne niesiue ses Testes,
El ceux qui les mépriseront.
SCÈNE VI.
Le lils deZacharie, qui est homme main-
tenant et qui sait que le temps où il «ioit
annoncer le Messie au peuple d'Israël est
arrivé, vient remplir sa mission. 11 est élevé
sur un tertre ; des princes de plusieurs pays,
des princesses, des pages et plusieurs
liommes du peuple, se groupe autour de lui.
Il proche :
SAINCT JEAN.
« Vax clamantis in deserto. t le suys la voix qui
crie dans le désert . Préparez le chemin du Sei-
gneur, le suys envoyé de sa part comme son hérault
cl son précurseur, pour vous advenir de sa venue,
comme il a esté prédit par les prophètes. Gardez-
vous bien d'attendre un antre Messie; c'est vosire
Dieu qui veut que vous marchiez par le sentier de
ses divines Iuix.
Princes nés dans les grandeurs de la terre, n'abu-
sez pas des biens qui vous sont donnés, pour se-
courir les pauvres qui soin les images de cel agneau;
vous n'en avez que l'usage, qui doihi estre employé
pour la grâce de Dieu.
Vous, princesses cl dames toutes couronnées des
biillants de la vanité, cessez d'offenser Dieu et met-
tez bas ces vains ornemens.
Toy, grand-prévost, obligé par le debvoir de la
charge de rendre la justice à un chascun, rends les
actions conformes à l'obligation que lu as de pren-
dre un soing particulier de La vefve et des orfelins.
Si lu as manqué à ion debvoir, amende-loi et fais
pénitence.
LE PREMIER PRINCE.
Page, allez dire au grand -inaislre qu'il vienne
parler à moy.
le premier pace, au grand -m ai sire.
Mon prince vous mande de venir parler à luy.
LE PREMIER PRINCE.
Grand-maislre, allez trouver de ma part le grand-
pontife, et lui ordonnez de s'informer de Testât et
doctrine de cet homme du désert.
LE GRAND-MA1STRE, OU pontife
Les princes messeigneurs, dont ie suys député,
Vous mandent, comme ils ont tous ensemble arreslé,
Que sçachiez de cel homme qui, dans ce verri bocage
l'reschc si baultement et d'un si fier courage,
D'où il est, ce qu'il est et ce qu'il dit, en somme
S'il n'est point le Messie oui vient uour sauver l'homme?
le pontife, à sainct Iean.
le suys envoyé de la part de tes princes, pour sça-
voir qui tu es. Fs-lu Elie?
SAINCT JEAN.
Non.
Es- lu prophète?
Non.
LE PONTIFE.
SAINCT IEAN.
LE PONTIFE.
Qui es-tu donc? afin que ie fasse un fidè'e rapport
à ceux qui m'ont envoyé auprès de loy.
SAINCT IEAN.
le suys la voix qui crie au désert : Préparez la
chemin du Seigneur.
LE PONTIFE.
Si tu n'es pas F.lie, pourquoi baptises-tu?
SAINCT IEAN.
le baptise en eau ; mais il y en a un auprès de
vous, lequel vous necognoissez point, qui vous bap-
tisera au Saint Esprit et en feu.
LE PONTIFE.
Monstre nous donc celuy que tu dis estre au mi
lieu de nous, et que nous ne cognoissons point.
SAINCT IEAN.
C'est l'agneau rie Dieu, agneau par sa pureié,
agneau qui n'est nourri qu'au milieu des loix. « Ecce
agnus Dei qui tollit pecenta mundi. > Voy là l'agneau
de Dieu qui efface les péchés du monde. C'est ceh:y
duquel ie vous disoy ; Il y en a un qui vient après
moy, duquel ie ne suys pas digne de deslier la cour-
roye de ses souliers; mais il est fait devant moy, il
purgera et nelloycra le grain d'avec la paille, et as-
semblera le froment pur et net, et bruslera la paille.
Engeance de vipères, 'qui vous a enseigné à fuir la
colère de Dieu? Faites pénitence, amendez-vous, la
voy desià la coignée mise à la racine : changez donc
vos mœurs.
SCÈNE VII
LE SAUVEUR.
.ci , mon précurseur, ie demande la main,
Pour recevoir de loy la grâce du baptesme.
Ce sont tous mes désirs, c'est le bonheur extrême.
Lave-moy , lave-moy dans ces eaux du lourdain.
SAINCT IEAN.
Mon toulaimableagneau.qu'altendez-vous rie moy?
Ces eaux ne purgent pas celuy qui les rend pures,
El la pureté .même a-l-elle des ordures ?
Ibptiser mon Dieu ! C'est donc vous que ie voy !
Qu'attend un grand soleil d'un Si sombre flambeau?
Les roys à leurs subiectsdoibvent-ils des hommages ?
Est ce par un captif qu'on sort de l'esclavage?
Et que peut emprunter la source du ruisseau?
(S1 adressant au peuple.)
Peuples, venez et accourez à mon Sauveur et
mon Dieu, et retirant vos espris des pensées basses
et ravallées des créatures, employez-les à méditer
et adorer la vie et doctrine de mon Sauveur; venez
aux eaux, mais aux eaux du baplême, venir l'agneau
sans tache, qui veust eslre lavé pour vous purifier
et vous laver. Voilà la vérité éternelle,
LE SAUVEUR.
Cesse de t'arresler dans ces humbles respecs,
Fais ce que ie le dis, ainsi lèvent mon père,
C'esl par trop discourir, puisque e'est le mystère
Que ie veux opérer en suy vaut ses décrets
(Le Sauveur entre dans le bain pour estre baptisé par
sainct Iean. Pendant ce temps, Dieu lt père laissa
tomber la colombe, et tes petits anges chantent ceci
en chœur : )
0 sainct, le sainct des saincls.ôle Dieu ries armées!
Que vosire maieslé remplit tous cesgrans lieux,
Que vosire maieslé remplit lous ces bas lieux
De gloire, de bonté, d'heureuses destinées !
471
JEA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
JEA
Ali
DIEl LE PÈRE.
Celny-ci est mon fils 1res aimable el très-cher;
Dans luy,dansson amour i'ayprins ma complaisance.
Escouiez donc, mortels, ce qu'il vient vous prescher.
Et recevez ses loix en toute obéissance.
POUR LA MONSTRE
LE SAUVEUR.
"Venez à moy tous, les pauvres ei petis,
Parce que ie suys humble el d'un abord affable
Et encore plus doulx el d'un cœur amiable,
Car ie veux soulager les corps et les espris.
LE PREMIER LÉVITE.
Puissant dispensateur du bonheur de mon sort,
C'esl loy de qui la main reigle nos destinées,
Et c'est loy qui conduis le cours de nos années :
Sers-nous donc au besoing el d'azile el de porl.
LE DEUXIÈME Lf.VITE.
Illustre souverain el prince de nos cœurs,
Ta voix nous fortifie, el ta saincte parole
Dans les afflictions m'asseure et me console,
Venant] faire cesser nos maux el nos rigueurs.
SAINCT IEAX.
Peuple, ne le fie point aux vanités du monde ;
Son esclâtesl un verre, el sa grâce esl une onde
Que tousiours les orages empeschent de calmer.
Quile ces vanités, ne t'allache à les suyvre.
C'esl l'agneau qui fait vivre,
C'est luy qu'il faut aimer.
C'est luy qu'il faut aimer : quile donc cesle envie
De passer près du roy tous les iours de la vie,
A servir de iouet et fléchir le genouil.
Son pouvoir est borné, bsse-ioy de le suivre.
C'esl l'agneau qui fait vivre,
Aime-le comme nous.
LE PREMIER ANGE.
Louecomme nous ion Dieu, homme nétie la terre,
iSon de préhension, ne crainte du lonnairre,
Dont il le louche el frappe quelques lois de ses mains ;
Mais parce que ce ion r, toul esclatanl en gloire,
Est le commencement de la plus belle histoire
De l'importante affaire du salut des humains.
LE DEUXIÈME ANGE.
Sa providence extrême est tousiours libérale;
Des eaux vives d'amour la source générale
Est tousiours dispose et preste à s'escouler
De celle du bapiesme, pour expier tes crimes,
Mesme pour appaiser ses courroux légitimes;
El ton iniquité ne la peut épuiser.
LE TROISIÈME \NGE
Peuples! peuples! venez adorer mon Seigneur;
Venez considérer sa doctrine el sa vie,
El ses abbaissemens. 11 faut qu'il glorifie
L'homme par son bapiesme ; il est son Rcdempleu-
LE QUATRIÈME ANGE.
Il veui eslre lavé quoyqu'il soyl le plus beau :
Quoyqu'il soyt innocent il veut porter vos crimes,
El de tous vos péchés en faire ses estimes,
Afin de vous sauver et tirer du tombeau.
LE TROISIÈME ANGE.
lésus! que la puissance a d'aflorls glorieux!
Homme, voylà la vie : tasche donc à bien vivre,
Mieux encore à mourir. C'est lésus qu'il faul suivre
Partout, dedans le monde el aussi dans les deux.
LE QUATRIÈME ANGE.
Voylà le bon pasleur qui cognoist son troupeau:
Son troupeau le cognoist aussi par sa parole,
El il entend sa voix de l'un à l'aulre pol.
Louons donc le pasleur et adorons l'agneau.
SAINCT 1EAS.
Voylà l'agneau de Dieu qui vient par sa bonté
Effacer tes péchés el appaiser son père;
C'est en luy, c'esl en luy qu'il faut que tu espères,
Et de toute ton âme et de la volonté.
LE PREMIF.R ANGE.
Peuples! le voyez- vous, l'agneau qui vienl des
[ci eux?
Qui vient, par des bontés dont l'excès nous eslonne,
Guarir le genre humain du mal qui l'environne
Et laver dans son sang ses péchés odieux.
LE DEUXIÈME ANGE.
Voylà le fils de Dieu, peuple, croy donc en luy.
C'esl pour loy qu'il descend de son throne suprême;
Adresï.e loy à luy dans ton malheur extrême,
Et ne l'attache plus qu'à son divin appuy.
SAINCT IEAN.
Voylà le précepteur el maistre des petits.
Apprenons donc de luy que son amour extrême
L'a fait humilier par sa bonté suprême,
En prenant des humains la forme el les habits.
(Puis saiuci lean récite deux sermons.)
SCÈNE VIII.
Saint Jean à Bérode. t Tu veux me faire mourir,
ie suys prest. Ouy, moriar, ie monrray, mais ce sera
pour vivre d'une vie éternelle dans le séiour «les bien-
heureux. ISon moriar sed vivmn. Ouy, ie ne mourray
que pour vivre plus heureux dans la félicité éter-
nelle. Mais sçache qu'après ma mort mon ombre
tiendra lousiours ce mesme langage à l'oreille de
ion cœur : y on licel libi liabere, uxorem fratris lui,
— Amendez-vous et faites pénitence. >
(Puis sera lean traîné avec violence en prison : le
geôlier faisant refus de le recevoir sera saisi par
deux gardes et conduit au roy. — Le prince de Ga-
lilée, gisant par terre, mort, sera déploré par lu
princesse.)
SCÈNE ]X.
LE GRAND-MAISTRE DE LA MAISON, à llérodi'.
l'obéy prompt ment suivant vosire désir.
(A part.)
Qu'à ce commandement mon âme est abhatlue;
Dieux ! que la volonté des roys est absolue !
Ton les fois, différer sur l'exécution ,
C'esl se rendre envers eux suspect Je trahison.
(Se tournant vers le capitaine des gardes.)
0 contrainte fâcheuse ! où par ma diligence
11 faut favoriser une iniusle vengeance.
(// lui parle bas à l'oreille, puis dit : )
Commandez tous vos gens, contentez son os|>rit ,
Et ne manqujz à rien de ce qu'il vous prescrit.
LE CAPITAINE DES CARDES.
Mais si i'achève enfin le dessing qu'elle Intime,
Hérodeen la croyant se comblera de blasme.
l'exécuie à regret, dans ceste extrémité ,
L'ordre que m'a prescrit par vous sa majesté.
(Aux soldas.)
Sohlas! à moy, soldas ! advancez vers la porle,
Pcn.lanl que ie feray ce que mon ordre porle.
(Au geôlier :)
Geôlier, c'esl le roy qui me fait l'advcrlir
D meure entre mes mains les clefs et de sortir.
LE geôlier, qui s 'es'.oit souvent approché près de la
table pour sscouier.
Meure à morî l'innocent! relirez- vous, infâme.
(V s'est happe.)
473 JEA
Non, ianiais laschelé n'entrera dans mon a:)ie.
(On le retient; il dit :)
Monsieur, quand son p'ché seroyl mesme infini,
Le tenant au eachos il est assez puni.
(A sainct lean, qu'on lient :)
Prophète, pleust à Dieu qu'il fût en ma puissance,
Eu ce malheureux iour, d'aider à l'innocence.
(Il parle aux soldats, se mettant à genoux et voulant
deslier sainct lean :)
Deschargez de ses fers le plus grand des humains,
Et, pour les recevoir, tenez, voilà mes mains.
Si mes soings le pouvaient à la fin secourir,
le seroys dans ce cas tousiours presl à mourir.
Celuy dont la vertu s'égmdoil au courage
Va sentir d'un tyran l'injustice et la rage.
Si£le ciel secondoil mon dessing généreux..
Mais Herode est le maistre, et suys trop malheureux,
SAINCT IEAN.
Ne tournez plus vers moy ne le cœur, ne les yeux.
Pour quelques cruautés que i'endure en ces lieux ;
Mais adorez du ciel l'a rr est irrévocable :
Pour estre rigoureux, il n'est p;:s moins aimable.
Que les mespris du roy me causent ce malheur,
Il verra mon esprit plus fort que ma douleur;
El, parmi ces rigueurs, tout ce qui me console,
C'est qu'au milieu des fers i';iye encor la parole,
Qui vous prouve du ciel les palmes méritées,
Pour le prix des vertus qui sont persécutées;
Que llérode a hien ouy parmi ceux de sa cour
Mespriser sa colère, ainsi que son amour;
Qui vous asseure enfin que le souverain bien
Repose en la vertu; que le vice n'est rien,
Et que les vicieux ont tousiours sur la leste
La fouldre espouvantable à tomber toute preste.
LE CAPITAINE DES GARDES.
(Pendant que quelques soldas tiennent sainct Jean,
il commande à deux autres d'aller chercher le spécu-
lateur.)
Allez à cet archer dire qu'on le demande.
Qu'il vienne! obéissez, puisque ie le commande.
(Les deux soldas entrent dans la tente du spiculateur
et l'en tirent malgré les difficultés qu'il fait.)
Arresle! approche ici, pren garde à ton dessing;
Veux-tu que ie le mette un poignard dans le sein.
LE SPICULATEUR.
le ne puis merésouldre à cet acte tragique.
Et de quelque vertu que mon esprit se pique,
Quand bien mesme il seroyt en estai d'obéir,
le sens bien que mon cœur n'y sçauroyt consentir.
DEUXIÈME SOLDAT.
Desuesche , encore un coup; ceste rigueur nous
[fasche.
LE SPICULATEUR.
Quoy ! messieurs, croyez vous que ie sovs ass z
[lasche?....
LE CAPITAINE DES GARDES.
Marche donc sans contrainte el advanec les pas.
Obéis, autrement il y va du trespas...
LE SPICULATEUR.
Grand sainct! c'est par ma main qu'Hérode vous op
[prime,
Qu'espanchant vostre sang i'augmcnlcray son crime.
(Après avoir donné le coup.)
le déleste mon son pire que le irespas.
Mourant avec vous, ie ne m'en plaindrais pas.
/1 82) Quoique ce poème contienne prés de sept
mille ver*, cependant comme l'auteur n'a fait que
DICTIGN.NAIKE DCS MYSTERES.
JOB
Mi
par une prière a Dieu et
(Aux soldas :)
Si vostre cruauté n'est pas bien assouvie,
Tigres, voylà mon cœur, arrachez -moi la vie.
LA KILLE D'ilERODIAS.
Donnez-moy dans ce plat ce précieux butin,
Comme il est don de roy, c'est l'honneur du festin.
JEHAN LE PALU (Saint). — Le drame
de sainct Jehan le Paulc est tiré du manuscrit
du xiv* siècle, des Miracles de Nostre-Dame,
II' volume, fol. 103. (Bibl. imp., n° 7208,
k A et k B.)
Il y est intitulé : De sainct Jehan le Paulc,
henni te, qui, par temptotion d'ennemy, occist
la fille d'un roy, et la jeta en un puiz, et de-
puis pour sa penance (pénitence), la resuscita
Nostre-Dame.
Sainct Jehan le Paule est resté inédit. On en
trouve seulement, parmi les auteurs qui ont
trailé du théâtre du moyen ûge, la mention
suivante :
« Dans le miracle de Jehan le Palu, le
saint commence
ajoute :
Il est meshuy temps que je tende
A aler ouïr le sermon
Que doil faire maistre Simon.
Soubliles si, coin l'on m'a conté.
Bien à point vieil, il est monte.
Je viieil ici prendre ma place,
Avant que sa prière face
Ne qu'il commence.
« Ici se trouve un long et froid sermon
sur Marie, sans aucun rapport au sujet,
qui est plus froid encore el plus obscur
que le sermon. » (O. Leroy, Etudes sur
les Mystères; Paris, 1837, in-8*. p. 72.)
JEU PASCAL. — On trouve, sous le titre
de Jeu pascal, un Mystère de la Résurrection,
(Voy. Réslrr., représ, dram., xm* s., Alle-
magne, Neubourg) , et le drame de I'Antk-
Christ.
JEUDI SAINT (Le) d'Angers. — Parmi
les usages de la fête des Fous, il en est un
qui laissait encore des traces à Angers,
à la fin du xvne siècle... Ainsi, le jeudi
sainl, dans une salle de l'évéché, dite la
Salle du clergé, l'évêquo recevait tous ses
clercs à qui l'on servait du vin blanc et du
vin rouge; on se levait ensuite pour dire
Complies en silence et chanter les Ténèbres.
(Cf. DkMoi.eon, Voyages liturgiques en France.
Paris, 1718, in-4°, p. 94.)
JOB (La patience de). — 1W8.— i.aBiolio-
thèque du théâtre françois, ouvrage attribué
au duc de La Vallière (Dresde, 1768, in-8",
3 vol., t. I ', p. 53), a fait mention de Job et
en a donné une courte analyse.
Nous reproduisons celle laissée par les fiè-
res Parfaiî, dans leur Histoire du théâtre
françois (Paris, 15 vol. in-12, 1785, t. H,
p. 532, 538), et qui commence en ces ter-
mes :
MYSTÈRE DE JOB (182).
« Les domestiques de Job se viennent ré-
pàraphraser le lexle de la sainte Ecriture, cet ex-
trait sera très-court, d'autant plus que les ^er^ eo
i73
JOB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
i-OB
476
jouir du bonheur de leur maître. Cependant
Gason, l'un d'entre eux, appelle vilain un des
bouviers de Job. Le Rustique, fâché qu'on
le traite ainsi, dit qu'il veut se faire passer
chevalier.
GASON.
Si lu veux bien le contenir,
Chevalier seras en peu d'heures.
LE RUSTIQUE.
Ce seroit moult grant adveiiture.
GASON.
Par Dieu, j'en ai l'aict puis n agure
De mes mains plus de quinze mille.
« Que faul-il faire pour cela, répond lo
« Rustique?— Une bagatelle, réplique Ga-
« son, souffrir seulement quelques coups de
« bâton. — Mais, continue le Rustique, qui
« saura que je suis chevalier. »
GASON.
Moy-mesme, je leur iray dire
A tous, de maison en maison.
« Essayons donc, » dit Rustique.
G A SON.
Or me pardonne donc la mort,
Et crie fort Chevallcrie.
LE RUSTIQUE.
Ma mort ! en despil de ma vie,
Et me veulx-lu (aire mourir?
GASON.
Nenny, mais je te vuei! ferir
Cinq ou six coups, car c'est la guise.
(ley Gason doit frapper le Rustique, et il doit crier
chevalerie.)
LE RUSTIQUE.
Hau ! Gason, hau ! il souflisl,
GASON.
Allen ung pou, c'est ion prouflist,
Encore mon amy, endure.
LE RUSTIQUE.
De chevallerie je n'ay cure;
Je m'en repens, j'en suis lassé.
GASON.
Le mal sera lanlosl passe :
Tu ne le doys point remuer.
(// te bai.)
LE RUSTIQUE.
Au meurtre ! lu nie veulx tuer,
Je renonce à la gentillesse.
(// cliet à terre.)
GASON.
Si tu n'es chevalier passé,
Par mon serment, je n'eu puis mais.
LE RUSTIQUE.
Pour Dieu, ne m'en parlez jamais :
Au deable la chevalerie,
sont fort mauvais. L'ouvrage fut composé en 1178,
et fini la veille de Sainle-Calherine, 24e jour de
novembre de la même année, par Guillaume "'.(Si
nous avions pu déchiffrer son surnom, nous l'aurions
ajouté avec plaisir) Guillom per/icit hune librum
cigiUa Santœ Kailierinw anno Doinini mill. uu°
iaxviii. Le manuscrit d'où nous liions celle noie,
«si un in-4° très-mal écrit, qui contient 364 pages à
53 vers chacune. [Bibl. du Roi.) H a clé imprime
depuis, avec quelques légères différentes, in i°,
Jamais je n'en auray envie,
J en ily fy : j'aymeroye trop mieulx
De la nioylié, garder les beufz.
Tu es ung inaisire, par ma ioy
Jamais n'auray fiance en loy,
Car tu le m'avoys conseillé»
GASON.
Tu eatois tant esveillé
Que l'on ne le pouvoit tenir ?
LE RUSTIQUE.
J'aymc mieux vilain devenir,
Et manger du lart, et des poix,
Que de mener le gentilloix.
Car pard. ... il m'en souviendra.
Lorsque tel bout de l'an vienra.
Tu m'as si hien anullé mes hosses (183),
Oncques ne fus à telles nopees :
Et pour maintenir la couslume.
Tu m'as si bien cherpy ma plume,
Que souvent me le faull sentir.
GASON.
Si lu l'en cuides repenlir.
Par ma foy, compains (184), c'est à lart.
LE RUSTIQUE.
Tu dis voir, le deable y ayt part
A la belle chevalerie.
N'en parlons plus, je l'en supplie,
Et face chascun son meslier.
« Cependant le Seigneur, qui veut éprouver
la palience de Job, appelle Satan et lui per-
met de le tenter.
satiian, en sautant de joyr.
De grant joyc, je leray ung sault.
« Le malin Esprit va aussitôt inspirer au
roi de Sabbée et aux Chaldéens le dessein
de piller les terres appartenant a Job. Le roi
de Sabbée, qui adore Jupiter et le dieu Ma-
honi, entreprend avec plaisir la guerre con-
tre Job, serviteur du vrai Dieu : et, suivi de
son chambellan et de son maréchal, il passe
dans la terre do Us et enlève une partie des
troupeaux de ce saint homme. Les Chal-
déens arrivent ensuite et dérobent l'autre.
On vient rapporter ces fâcheuses nouvelles
à Job, en même que les bergers lui appren-
nent que le feu du ciel a consumé ses trou-
peaux de brebis. A peine Job sait-il ces cho-
ses, que son messager lui raconte que la
maison, où étaient ses enfants, est tombée,
et les a tous ensevelis sous ses ruines. Ces
ma heurs n'ayant pu ébranler la constance
de Job, Satan demande au Seigneur le pou-
voir de l'affliger encore. Dieu lui accorde ce
qu'il demande, et Job ne ressent pas plutôt
les coups de ce démon qu'il se trouve cou-
vert de lèpre.
(/ci/ sa femme et ses domestiques le portent sur ung
fumier.)
« Ses amis viennent le consoler : cepen-
sans date. (Bibl. du Roi.) La dernière édition est un
in -16 de 256 pages dont voici le titre < La Patience
de Job, selon l'Hystoire de la Bible; comme il per-
dil ions ses biens par guerre, et par lorlune, et la
grande panvreté qu'il eul; et comme lout lui fut
rendu par la grâce de Dieu : et esl à xlix person-
nages. Paris, Nicolas Bonfons. 1579.»
(183) Le Rustique esl bossu el contrefait.
(184) Compagnon.
477
JOS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
JOU
m
dant Satan, enrageant de voir ses soins su-
perflus, vient aborder Job, sous la figure
d'un pauvre, et lui demande la charité. Job,
privé de tous ses biens, lui fait part de ce
que sa mauvaise situation lui fournit.
(Ici Job lui donne des vers.)
« Satan va trouversa femme, a qui il mon-
tre les vers que Job lui a donnés, et qui,
par son pouvoir, paraissent autant de pièces
d'or. La femme de Job, irritée à. celte vue,
vomit mille injures contre son mari, et lui
reproche que , possédant de l'or en abon-
dance , il la laisse périr de nécessité. Job
supporte ce nouvel assaut, et Dieu , touché
de ses souffrances et de sa fermeté, ordonno
à ses amis de lui fa re de riches présents,
qui le rétablissent en son premier état. »
JONAS (Mystèhk de). — Les registres de
l'hôtel de ville d'Abbevillefont mention d'un
Mystère de Jonas, joué au xvr siècle dans le
cimetière Saint-Jacques, lieu ordinaire des
représentations. (Cf. F. -G. Louandre, Hist.
d'Abbeville; 183V, in-8°, p. 238.)
JOSEPH. — On trouve, dans les Annales
de Corbie, la mention suivante :
« 1264. Les plus jeunes frères de Heres-
bitrg firent pieusement la comédie de Joseph
vendu et triomphant ; mais les grands digni-
taires de notre ordre en furent mécontents.»
(Cf. G. -G. Leibmtz, Scriptor. Brunswic;
Hanoverœ, in-fol., 3 vol., t710, t. II, p. 311.)
Dom Martin Gerbert (Decantuet mus. sacr.;
Saint-Biaise, 1774, in-i°, 2 vol., t. 1er, p. 82),
indique le Joseph vendu.
JOSEPH (La vendition de). — Il n'existe
de la Vendition de Joseph qu'un exemplaire,
appartenant à la Bibliothèque impériale, et
une réimpression, fac-similé, tirée aux frais
de M. le prince d'EssIing, à quatre-vingt-dix
exemplaires seulement, numérotés, dont '*
sur vélin, 86 sur papier de Hollande (de
l'imprimerie de A. Pinard, quai Voltaire,
n° 15.)
Ce drame dale du xvi' siècle.
La Bibliothèque du thédtrc fratirois, ou-
vrage attribué au duc de LaVallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. I", p. 31), en a fait
mention et en a donné le litre.
Celte pièce contient plus de quarante-
quatre mille vers.
Le titre est ainsi conçu •
MORALITÉ de la vendition de Joseph, fils du
patriarche Jacob; comment ses frères, es-
mus par envye, s'assemblèrent pour le faire
mourir; mais, par le vouloir de Dieu, après
l'avoir piteusement oultragé, le dévalèrent
en une cisterne, etc., comme plus ample-
ment est escript en la saincle Bible... Et
est le dict Joseph figure de la vendition de
nostre saulveur Jhesucrist...— On les vend
à Paris, en la rue Ncusve Noslrc-Dame, à
l'enseigne Saint -Nicolas.
A la dernière page on lit : Nouvellement
imprimée à Paris pour Pierre Sergent, demou-
rant en la rue Ncusve, etc.
Le roi Cordelamor se plaint d'avoir perdu
le pays égyptien, usurpé par Pharaon ; un
centurion, enlendant ces regrets, se fait fort
de débarrasser son maître de son ennemi,
sans qu'il en coûte aucune aventure, et en
effet il séduit « le boullangier » du roi. Ce-
lui-ci s'engage h empoisonner son seigneur.
Cependant Jacob, entouré de ses enfants,
témoigne à Joseph cette profonde affection,
celte « singulière fiance, » dont ses frères
sont jaloux
Miséricorde et Justice demandent à Dieu
l'accomplissement des prophéties ; Dieu leur
répond :
Joseph le doulx entre ses frères
Figurera jouxle l'escripi
La personne de Jésus Christ.
L'Envie excite les frères de Jacob; elle dit
d'elle-même :
Quand ie deslyc mon cacquet
Ma langue va comme ung iraquet
Sans nul arresl
Plustosl elle tourne que ung rouet
Plus souple que n'est ung fouet
Quand il me plaist.
En effet, Joseph est vendu par ses frères à
des marchands « gallatides et ismaélites » qi:i
se rendent en Egypte. C'est là que Putiphar
] l'achète trente deniers. Aussitôt ,éprisede lui,
lafemmede Pulipharlui déclare ses feux, que
Joseph repousse avec horreur. La calomnie
l'accuse pourtantdu crime qu'il n'a pas com-
mis : ilva périr, lorsque l'explication d'un
songe lui rend les bonnes grâces de Pharaon.
Il est devenu le maîtredel'Egyptepar la haute
faveur du roi ; il recueille les grains de sept
années fertiles pour parer aux malheurs de
sept années stériles. Le drame, suivant au
p!us près les saintes Ecritures, conduit en
Egyple les enfants de Jacob ses frères. Joseph
est reconnu, Jacob arrive et s'établit avec
les siens auprès de son fils bien-airné, dont
la main prévoyante nourrit les Egyptiens.
Après dix-sept ans, Dieu appesantit ses re-
gards sur son patriarche prédestiné, il le re-
tire du monde; ses enfants l'enterrent pieu-
sement, et Uuben termine ce long drame par
ces mois :
Nostre père a vescu sans hlasm
Reste prier Dieu au sonrplus
Que pardon il face a faine
Da il lires ly.ens il ne luy failli pn.s
Chantant tresious
Te Deum Laudamus.
ÏCy fmist la moralité de la Vendition de Joseph, \filt
du patriarche Jacob.)
JOSEPH (Les Histoires de ). — Les re-
gistres des comptes de l'hôtel de ville font
mention de la représentation 5 Abbeville,
durant lexvi' siècle, des llistoircs\de Joseph.
(Cf. F.-C. Louandre, Hist. d'Abbeville, 183V,
in-8°, p. 238. ) Peut-être s'agit-il d'une Ven-
dition de Joseph. — Voy. ce mot.
JOSSE (Saint). — On ne connaît la Fie
de saint Josse que par une mention fort in-
certaine de Beauchamps. ( Recherches sur
les théâtres de Erance; Paris, 1735, in-8",
3 vol., t. I", p. 228. )
JOUEL D'OR ( Le). — Ce mystère est un
do ceux que contient le manuscrit du x\'
479
Jlï
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
Jll
480
siècle, connu sous le titre de Miracles de
Notre-Dame par personnages, n" 7208 'A et
*Bde la Bibliothèque impériale. (Deuwol.
in-fol. parvo, I" volume, n8 x, f° 101. )
M. Paulin Paris ( Les manuscrits françois
de la Bibliothèque du roi, t. VI; Paris, Te-
chener, 18io, in 8°, p. 33i ) en a donné l'a-
perçu suivant :
« D'un evesque à qui Nostre Dame s'appa-
rut, et lui donna un jouel d'or auquel avoit
du lait de ses mammelles. » Inédit. Ce mys-
tère commence par la conversation d'un
évêque avec deux clercs. L'évoque regrette
que l'on ne fasse pas à la réunion des spec-
tateurs un petit sermon sur les perfections
de la Vierge; un prescheur arrive alors, et
tropose de le dire, il prend pour texte :
Plenius effusum nomen tuum. C'est à cet
évêque que la Vierge donne son lait.
JOUR DES MERVEILLES (Le). — La
Fête des Fous avait laissé dans le diocèse
de Vienne un usage qui semble remonter
à la plus haute antiquité, et dont parlent
ainsi le sieur de Moléon et l'abbé d'Ar-
tigny :
« Le second jour de juin, fête de sainte
Blandine et de ses compagnons martyrs, on
faisoit (au commencement du xyin' siècle)
une grande solennité à Vienne : elle s'a;>-
pelloit la Fête des Miracles. On faisoit de
grandes réjouissances dans des bateaux sur
le Rhône. Le clergé de l'église de Saint-Sé-
vère, clui de la cathédrale, les moines,
puis les religieux de Saint-André-le-Haut,
alloient tous en procession à l'église de
Sainte-Biandine » ( De Moléov, Voya-
ges liturgiques en France; Paris, 1718, in-8",
p. 33. )
A Vienne, « le dimanche, dans I octave
de l'Ascension, tout le clergé en surplis et
en chape se promenait sur le Rhône dans
des bateaux ornés de verdures et de fleurs,
pour représenter les anciens Chrétiens de
Vienne, qui, à pareille époque, cherchèrent
avec soin et recueillirent respectueusement
les sacrées reliques d'une infinité de mar-
tyrs, qui furent brûlés et jetés dans le fleuve.
On trouve l'histoire de ces martyrs dans la
lettre des Eglises de Vienne et ae Lyon aux
Eglises d'Asie et de Phrygie, qu'Eusèbe
nous a conservée.... La promenade en ba-
teaux a été abolie, et on se contente de faire
une procession ce jour-là, qui est toujours
nommé la Fête des merveilles, Dies miracu-
lorum. » ( L'abbé d'Artigny, Notice sur la
fête des Fous, dans ses Mém. de liltér., t. IV;
et dans Leber, Collect. des meilleures dissert. ;
Paris, 1838, in-8% 20 vol., t. IX, p. 261.)
JUIF VOLE ( Le ). — Le Juif volé est tiré
du Manuscrit de Saint-Benoît-sur-Loire, où
il forme, sous le litre de Troisième miracle
de saint Nicolas, la troisième partie de ce
précieux recueil.
Le manuscrit date du xm* siècle, et rien
n'empêche de croire que les drames qu'il
nous a conservés sont antérieurs ; on a
pensé, en effet, qu'ils pouvaient être re-
portés jusqu'au xir et môme jusqu'au xi*
siècle.
Nous avons indiqué h l'article Saint-Be-
noit-slr-Loire [Manuscrit de ) les différen-
tes éditions des Miracles de saint Nicolas
dont le Juif volé fait partie.
Le monologue du Juif ne nous paraît pas
sans quelque vague rapport avec celui
d'Harpagon dépouilié de sa cassette; et les
curieux de ces sortes de rapprochements
pourraient y étudier l'identité de l'esprit
humain au travers des temps.
TROISIÈME MIRACLE DE SUNT NICOLAS.
PERSONNAGES.
9. NICOLAS. DEUXIEME VOLEUR.
UN JUIF. TROISIÈME VOLEUR.
PREMIER VOLEUR. LE CHŒUR.
Argument. Autre miracle de saint Nkolas et d'un Juir<|iii
rendait toutes sortes d'honneurs à l'image du saint ca>*hée
chez lui. Ce Juif était tort rithe : un jour qu'il allait à la
campagne, il ne laissa chez lui pour garder sa maison que
saint N ico as. Cependant des voleurs emportèrent loutre
qu'il avait. Mais saint Nicolas ût tout restituer; les voleurs
eux-mêmes, sur l'ordre du saint, rendirent tout.
SCÈNE I".
I.E juif, à la statue de saint Nicolas. 0 serviienr
de Dieu , si la tradition écrite es-t un srtr garant,
los faits attesteraient, comme l'opinion commune,
que lu as survécu au tombeau. Sans douie, je crois
entièrement à les vertus. .Mais de combien de pro-
diges le douent les Chrétiens ? Les insensés relrou-
venl la raison, les aveugles à la suite confessent la
lumière, la proie de la mort est donnée à la vie ei
à une fortuite nouvelle; lu rends l'ouïe aux souris,
l.i voix aux muets et la force aux boiteux ; lu raffer-
inis les membres infirmes et les équilibres Combien
ne suis je pas heureux d'avoir choisi un patron si
précieux et de lui avoir confié ma vie? Aussi je le
remets la garde de tous mes biens. 0 mon excellent
patron, couche-toi même à la maison, durant mon
absence ; certes je veux laisser les clefs si lu gardes
ces lieux. Il n'y a pas de loris mieux gardés quo
par ta puissance, et sons ton inspection que pour-
rait-il manquer jamais sous mon loil? Je suis con-
traint par mes atfaires d'aller à la campagne, et je
ne crois pas pouvoir èlre de relour aussitôt que je
voudrais. Adieu : veille à ce que nul malfaiteur ne
nous fasse de tort; veille avec soin, pour qu'il n'y
ail pas de dommage dans nos trésors.
SCÈNE II
(Le Juif se relire. Aussitôt arrivent des voleurs qui
varient ensemble.)
les VOLEURS. Que devenir? où aller? quel parti
prendre ?
l'un d'eux. Il faudrait que quelqu'un remplit nos
bourses. Ecoutez, camarades; nue idée. Il y a céans
un Juif, dont les coures, si vous voulez bien, non»
tireront de tout embarras.
un autre. Eh ! vite, à l'ouvrage : enlevons les
serrures, enfonçons les pories; peut-être l'incurie
de ce Juif nous donnera-l-elle l'occasion de quelque
bon coup?
UN TROisÈME, à ses camarades qui se pressent trop.
Ou lis! camarades, plus doucement ! Regardez au-
tour de vous avec un peu plus de soin; un Juif
garde avec plus de précaution que personne les biens
pour lesquels il peut craindre, et sans doute on sur-
veille avec vigilance.
( Arrivés au lieu où doit s'accomplir le vol. on voit un
grand coffre autour duquel tous se baissent.)
le premier voleur. Enlevez le plus vite possible
ce coffre ; si c'est impossible, briscz-le et videz-le.
(Les voleurs font des efforts inutiles pour emporter le
coffre. )
481
m
DICTIONNAIRE BBS MYSTERES.
JLS
482
le seconb. Il faut le meure en pièces, puisqu'on
ne pont l'enlever en entier.
LE troisième Rapprochant el trouvant la terrine
non fermée. Ah! quelle joyeuse surprise! quel heu-
reux hasard! ce coffre nous veut du bien, et s'ou-
tre tout exprès pour nous.
{ Les voleurs prennent tout ce qu'il y a dans le coffre
et s'enfuient. Le Juif arrive el s'aperçoit du vol
commis. )
SCÈNE III.
le juif. Ah! je suis mort! j'ai tout perdu. Pour-
quoi ai-je vécu ? 0 ma mère, ô mon cruel père,
pourquoi m'avez-vous donné le jour? Hélas! à quoi
me sert d'être né ou de vivre? ô ma mère nature,
pourquoi as-lu conçu le dessein de mon existence,
toi qui pouvais prévoir mes malheurs el mes lar-
mes. Quel crime ai-je donc commis pour cire pré-
cipité dans une telle ruine? moi si riche il y a peu
de temps, à qui rien au moins ne manquait, ni l'ar-
gent, ni les vêlements précieux, ni l'or, me voici
dans la misère, et la pauvreté m'est d'autant plus
lourde, que tout va manquer à la fois à mes ancien-
nes habitudes, et que, n'en ayant jamais supporté
l'extrémité, elle sera pour moi plus funeste. Mais
quoi' combien ne m'élais-je pas trompé? moi, qui,
ce malin encore, adorais le nom de Nicolas! Lille
me coule cher, celle confiance vaine dans I opinion
des Chrétiens; j'ai là une belle preuve; ce Nicolas
ne devaii-il pas être un autre moi-même, et lont
surveiller sans moi ? J'ai bien sujet d'être dans l'af-
fliction et de pleurer, mais je ne pleurerai pas seul,
{au saint.) el crois-le, je ne me lamenterai pas sans
vengeance. Je veux l'assommer honteusement de
coups de fouet ; ce soir je suis fatigué, et je veux te
donner le répit d'une nuit, mais si, demain malin,
tu n'as pas réparé le mal arrivé par la faute, d'abord
je. l'accablerai de coups, el après le fouet, lu iras
au feu.
SCÈNE IV.
mcolas aux voleurs qui se partagent les dépouilles
du Juif. Eh bien, profanes, que cachez-vous là? ces
objets me sont connus. Insensés, que partages- tous
là? ^nl-ce vos biens? vous allez périr. (Ju'empor-
tez-YOUB? a qui sont ces trésors? c'est la ruse du dé-
mon qui vous a menés? vous serez ensevelis dans la
nuit du tombeau. Misérables! après ce vol, n'avez-
vous pas compris quel châtiment terrible vous vous
attiriez? Impudcnls! je sais tout, tout ce que vous
avez ravi était dans une maison à moi confiée. Vous
avez mis les marcs d'argent el ce lingot d'or dans
ces étoffes précieuses. C'esl sur moi que retombent
tos actions détestables el viles, ce son i vos forfaits
qui vont m'allirer des coups; el si, celle nuit même,
vous ne reportez loul au plus vile, je n'en éviterai
pas l'outrage. Mais aussi demain je vous dénonce,
vous livre au peuple, el vous subirez justement le
châtiment de la potence.
(Le saint se relire.)
SCÈNE V.
un des voleurs. Autant la mort que de lâcher de
tels biens! Helléchissez pour moi : je veux ma part.
un autre. L'affaire est grave, n'allons pas trop
vile. Quant à moi, je ne me pardonnerai jamais
d'avoir rendu loul cela.
le TitoisÈsiE. Eh ! il vaul mieux rendre et perdro
loul, que la vie à la potence.
tous, à la ''ois. Retournons donc et rendons.
SCiïNE VI.
lk juif, ayant trouvé son trésor. Ah ! mes amis,
(185) L'introït de la messe du Commun des pon-
tifes commence par ces mois, selon le riie romain,
qui était le seul en usage dans les monastères. (Noto
soyez contents avec nio'. Tout ee que j'avais perdu,
m'est rendu. Réjouissons-nous. Tout ce que mon
incurie avait laissé s'enfuir m'est reveau par la
grâce de Nicolas. Réjouissons-nous. Glorifions ca
serviteur de Dieu, abjurons nos inutiles idoles. Ré-
jouissons-nous. Que l'erreur soit chassée de nos es-
prits ! Méritons la protection de N colas. Réjouissons-
nous.
SCÈNE VII
tout le cnaEUR, ensemble. Staluitei Dominus (185).
JULIEN ( Saint ). — De Beauchamps ( Re-
cherches sur les théâtres de France; Paris,
1735,in-8\ 3 vol., t. 1", p. 227) donne, dans
une liste de mystères, 1° la mention de la
Vie de saint Julien, fol. 91, et 2° p. 228, un
peu plus bas, il cite la légende de saint
Julien.
JUSTICE ( La ). — On n'a pas de manus-
crit original du petit drame de la Justice.
L'âge de cette pièce est fort incertain; il
semble qu'elle remonte ou moins au xi*
siècle.
M. l'abbé de Larue en a cité une copie
du xii* siècle très-altérée, et qui, conservant
à peine la forme dramatique, a évidemment
été retravaillée par des mains étrangères ;
c'est celle de la Bibliothèque impériale qu'il
attribue à Guillaume Herman. Au xm* siè-
cle, on le retrouve dans un manuscrit du
Muséum britannique, sous le nom d'Etienne
de Langton. M. Paulin Paris, sous la date
de ce même xmc siècle, en cite une autre
copie de la Bibliothèque impériale, qu'il
veut être une œuvre originale de Robert de
Lincoln.
Parmi les œuvres de D. Eurique d'Aragon,
marquis de Villena, qui vivait au xv' siècle,
on trouve une pièce dramatique intitulée :
La Justice, la vérité, la paix et la miséri-
corde. Nasarre dans son Prologue aux comé-
dies de Cervantes, Velasquez dans ses Ori-
gines de la poésie castillane et D. Eug. do
Ochoa dans son Trésor du théâtre espagnol,
en ont fait mention d'après la chronique de
Fernand d'Aragon de Gonzalo Garcia do
San la Maria.
L'abbé de Larue n'hésite pas à croire que
Guillaume Herman est l'auteur du débris du
xii* siècle que conserve le manuscrit 2560
de la Bibliothèque impériale. « Ce poète,
dit-il, n'a travaillé que sur des sujets de mo-
rale et de religion; ses talents lui méritèrent
la protection de l'impératrice Malhilde,
tille du roi Henri I", et l'estime des hauls
dignitaires de l'Eglise d'Angleterre : du
moins il a traité plusieurs sujets à leur sol-
licitation, mais nous ne pouvons rien dire
de sa famille, parce que dans ses ouvrages
il ne fait connaître que son prénom En
nous nommant les personnages marquants
pour lesquels il écrivait, il nous appnnd
par là nièine qu'il vivait dans le xn* siècle.»
(L'abbé de Larue, Essais histor. sur les bar-
des, tes jongleurs et les trouvères normands
et anglo-normands ; Caon, Manuel, 183'+, in-
8°, 3 vol., t. il, p. 270.) Outre une Vie de
de M. l'abbé La Boudekm:, Li Jus saint ISicolai par
Jehan BoDLL, publié pai la >o ielé des bibliopli les
français; Paris, in b°, l'ièces join.es, etc., p- IKS.)
435
k »!
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
KAL
4GI
Tobie, les Joies de Notre-Dame, les Trois
mots de l'évêque de Lincoln, l'Histoire de ta
Madelaine de Marseille, et un poëme sur la
mort de la sainte Vierge, do.it le litre sem-
ble avoir été la Genesis et la mort de Notre-
Dame sainte Marie, et un Roman des Sibyl-
les, on a de lui une espèce de pièce dra-
matique dont le sujet est pris d'un passage
du Psalmiste
« Cet ouvrage du poêle Guillaume (Her-
man) est une espèce de pièce dramatique
qu'il travailla à la demande de Guillaume,
prieurde Kenilworth. Le sujet est pris d'un
passage du Psalmiste : La justice et la paix
se sont embrassées ; la miséricorde et la vé-
rité se sont réunies. Les quatre vertus sont
quatre sœurs suivant le poète ; après la
chute du premier homme, elles se réunis-
sent devant le trône de Dieu; la vérité et
la justice plaident contre le coupable, la
miséricorde et la paix prennent sa défense.
La promesse d'un Sauveur, qui satisfera
pour l'homme à la justice divine, met d'ac-
cord les quatre sœurs et termine la grande
question du salut du genre humain. » (L'abbé
de Lakue, lissais hist. sur les bardes, les
jongleurs et les trouvères normands et anglo-
normands ; Caen, Mancel, 1834, in-8°, 3 vol.,
t. II, p. 279. )
Mais ce fragment, tout en étant l'œuvre
évidente, selon M. l'abbé de Laruo, de Guil-
laume Herman, ne serait qu'un épisode,
retouché particulièrement, de la Vie de Tobie
du même auteur.
Quant au poëme conservé dans .e manus-
crit de la Bibliothèque de la Société royale
de Londres (Ils. de Norfolch, n" 292), l'abbé
de Larue lui donne pour auteur Etienne de
Langton qui vécut, enseigna à Paris, fut
archevêque de Cantorbéry en 1207, et dans
la suite cardinal du titre de Saint Cbrysogon.
Le même manuscrit renferme, outre le
poëme de la Justice, un sermon latin qui
débute par un couplet en langue romane du
Nord.
Ces deux attributions de l'abbé de Larue
sont infiniment spécieuses; néanmoins elles
ont été adoptées par de Roquefort, M. Ma-
gnin et M. O. Leroy.
L'abbé de Larue cite de l'œuvre d'Etienne
de Langton les deux fragments suivants:
FRAGMENT N° I.
Miséricorde ki esloit
Des liltes ke H rois uvoil
La pins duce el la plus amec,
K .il iiien scient la plus aiusnéc...
De maintenant sans retenu:
Est devant SU H père venue
Bel père, fel ele, merci ,
Tel dolur ai, jo vous alli,
Del hume inalerus dolent
A poi ke mun quor i.e se te ni ;
Rel père que volez vus lire!
Coinandez le de la mari livre;
S'il remaint en cesle mauere,
Dunke vusneslespas mon père.
Je suis voslre lille pur veir
Ma prière vus deit inuver
Si ma prière ne vus mot
Tut le monde failir estol.
Vus ne devez pas escundire
Ke ne li pardunez voslre ire;
J^e ne devez, ne ne poez
Ne par resun ne le volez ,
Kar vus ne volez mile chose
E je ne seies iule enclose.
n° 2.
Bel père, let miséricorde ,
Si paix ne fel nue concorde ,
Rel père, ke dune ferez vus
Si nus parlun issi de vus ,
Ki vus purra conseilles mes?
Si vus miséricorde et paix
Laissez issi île vas partir
Tul le munde convenl périr.
Le savant auteur des Manuscrits françois
de la Ribliothèque du roi, M. Paulin Paris, a,
comme nous l'avons dit, signalé dans !e
manuscrit de la Bibliothèque impériale,
li" 7268 SAS, vol. in-4° parvo de 162 feuillets
vélin et 10 feuillets papier, f* 99, exécuté en
Angleterre, à la fin du xme siècle, un autre
débris du drame de la Justice. Il y est inti-
tulé : Traité de la chute de V homme et de sa
Rédemption, d'après Hugues Grossetéte, étê-
que de Lincoln. 11 est plus complet dans le
manuscrit de Paris que dans celui du Muséum
britannique, M. de Larue n'ayant compté
dans ce dernier que 1740 vers, et M. Paulin
Paris en comptant plus de 1800. Quel est
l'auteur de ce poëme ou plutôt de ce drame,
dont il ne nous reste que des débris? Robert
de Lincoln qui mourut en 1133? L'abbé de
Larue, M. Daunou (Hist littéraire, t. XVIII,
p. 442), y ont consenti, quoique Robert soit
aussi auteur d'un poëme latin sur le même
sujet, dont celui-ci pourrait n'être que la
traduction française dramatisée. M. Paulin
Paris se range lui-même à cel avis, et rap-
pelle en terminant qu'on retrouve le même
sujet dès 1140, dans lesCommentaires lat ns
de Hugues de Saint-Victor sur le psaume xv
(V. Hist. lilt , t. XII, p. 9) ; il est déjà in-
diqué dans la chanson d'Antioche, et sans
doute il est « l'origine de ces belles scènes
de nos mystères du xiv* siècle, dans lequel
le procès de la destinée humaine est exa-
miné et décidé devant le trône du Très-
Haut. » (P. Paris, Mss. fr. de la R du roi;
Paris, 1848, in-8u, t. Vil, p. 201.)
Avant M. P. Paris, M. Onés. Leroy, dans
les Epoques de l' hist. de France (Paris, 1843,
in-8% p. 211), avait considéré celte « scène
imposante » comme une des pierres d'at-
lenle jetées ça et là du grand mystère de
la Passion. — Voy. Passion, II, § 4.
li
KALCANDACH (Le).— Le Kalcandach est
une des formulés de la fête des Fous et l'un
des noms ce la fêle des Calendes dans le
Nord. (Cf. Pu Gange, Gloss. inf. et med. lat..
éuit. Hen-chell; Paris, 18V0, in-4% G vol.,
V" Kalendiv.) — Voy. Fête ni:s Fols.
483
I.AU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
I.AZ
5 S':
LAS D'AMOUR DIVIN (Le). — x\i' siècle,
— « LeLas damour divin dialogue en rime,
où sont introduits parlant, Jésus, l'Ame,
Charité, Vérité, bonne Inspiration, les Pé-
cheurs, Justice, les Filles de Sion, in-4°, sans
date; Paris, Félix Balligault. » (De Beau-
champs, Recherches sur les théâtres de France,
Paris, 1735, iu-8", 3 vol., I. Pr, p. 230.)—
« Le Las d'amour divin, moralité avec un
prologue et à 8 personnages; Rouen, Tho-
mas l'aîné, in-8° golh. — Le même. Paris,
Félix Balligault, in-4-0 gotli.— Cet ouvrage
est divisé en deux parties. Dans la première,
Charité invite Jésus à épouser l'Ame. Jésus
y consent, et charge Charité d'aller la pré-
venir et de lui recommander de se préparer
par la pénitence et par d'autres vertus à le
recevoir. Charité s'acquitte de cette com-
mission* Justice veut s'opposer à celte union
qui lui semble dégrader la majesté divine.
Charité remporte la victoire, et Jésus déclare
a YAme qu'il est prêt de s'unir avec elle.
Dans la deuxième, l'Orne, désolée de ne
point voir Jésus, en demande des nouvelles
aux Filles de Sion, qui lui apprennent les
tourments qu'il endure pour elle, qu'il a été
conduit chez Pilate, qu'on le flagelle, etc.
L'Ame impatiente vole vers son bien-aimé,
et veut le dissuader de mourir. Les pécheurs
interrompent cette conversation et deman-
dent Jésus pour le crucifier. L'Ame t'ait de
longues et douleureuses complaintes sur la
passion du Sauveur; elle veut pénétrer jus-
qu'à lui, et trouve toutes les issues fermées.
Enfin Charité l'a conduit à Jésus qui la reçoit,
et s'unit pour toujours avec elle. » (Biblio-
thèque du théâtre français, ouvrage attribué
au duc de La Valliôre ; Dresde, 1768, in-8%
3 vol., t. 1", p. 15.)
LAURENT (Saint). — xvi* siècle. — De
Beauchamps attribue à Gaucher de Sainte-
Marthe le Martyre de saint Laurent. (Re-
cherches sur les théâtres de France ; Paris,
1775, in-8", 3 vol., t. 1", p. 291.)
On en trouve l'analyse suivante dans la
Bibliothèque du théâtre français :
« La Vie de monseigneur saint Laurent, à
50 personnages, avec le martyre de monsei-
gneur saint Hypolite; Paris, Alain Lotrian,
et Denis Janot, in-i° golh. — L'empereur
Philippe fait sommer le roi de France de
venir lui rendre hommage comme son vas-
sal Celui-ci refuse d'y souscrire, prétendait
qu'il ne tient sa couronne \pie de Dieu seul.
La guerre se déclare entre les deux prin-
ces, ils lèvent des troupes; leurs armées
se rencontrent auprès de Cologne et se li-
vrent une sanglante bataille. Les* Français
ont d'abord l'avantage; Les vaincus revien-
nent à la charge et remportent la victoire;
mais après celle action, chacun retourne
dans son pays. — Alors Servant etClaudie,
j'ère et mère de saint Laurent , lui donnent
\n maître d'école. Le Pape Sixte, oui voya-
geait en Espagne, vient les visiter..., dîne
avec eux, et emmène à Rome le jeune Lau-
rent, auquel il donne la confirmation, et
successivement les ordres saci es, jusqu'au
diaconat. Cependant Décius, général romain,
conspire contre l'empereur, l'assassine dans
son lit, fait tuer son fils , usurpe le tiône,
et persécute les serviteurs de Jésus-Christ.
Le Pape Sixte est condamné à mort, ainsi
que plusieurs autres Chrétiens. Laurent ,
enfermé dans une prison, y fait des miracles,
et convertit différentes personnes. Enfin il
soulTre le raarly; e le plus cruel. On le brûle
tout en vie, sur un gril. Les anges portent
son Ame en paradis. — Hippolyte, grand
prévôt de l'empire, qui avait été baptisé
par saint Laurent, soutire aussi le martyre
avec toute sa famille et plusieurs nouveaux
convertis. » (Bibliothèque du théâtre fran-
çois..., ouvrage atlribuéauduc de La Valliôie;
Dresde, 17(58 , in-8°, 3 vol. t. l",p. 16.)
LAZARE RESSUSCITÉ (Saint). — Le La-
zare ressuscité est tiré du Manuscrit de Sainl-
Benoît-sur-Loire, de la Bibliothèque d'Or-
léans. Voy. Benoît-sur-Loire (Manuscrit de).
Ce précieux recueil, qui da'e du xnr siècle,
nous a conservé dix. mystères, antérieurs
très-certainement à leur copie, et qu'on a
reportés généralement jusqu'au xi* siècle.
Dans son cours professé à la Faculté des
lettres en 1835, M. Magnin, examinant le
Lazare du Manuscrit de Saint- Benoît- sur-
Loire, exprima l'opinion que ce drame avait
dû être représenté surtout aux funérailles,
dans le dessein de rappeler fréquemment
aux esprits la croyance à l'immortalité do
l'âme (Cf. Journ. gén. de Vlnslr. publ., 13
sept. 1835, 2' semestre, vr article, p. 478.)
SAINT LAZARE RESSUSCITÉ,
PERSONNAGES.
JESUS-CHRIST.
SIMON.
MARIE MAGDE1.EINE.
de
LA7AKK.
LES DISCIPLES.
JUIFS.
MESSAGERS.
marie, | sœurs d
marthe, ( Lazare,
SCÈNE I \
Ainsi commence le poème de la résurrection de
Lazare.
Un voit arriver d'abord Simon avec quelques Juifs
.i entre d;ins sa maison. Jésus-Chri>l vient ensuite
sur l.i place . ses disciples chaulent: In Sapienti.t
disponena omnia,'clç. (Sap., xv, I), ou Mnne prima
Subbu i, elc. (Marc, xvi.) Simon s'approche de Jésus,
et l'invite à entrer dans sa demeure.
simon. Que votre grandeur daigne s'abaisser jus-
qu'à mon humble personne! Accordez-moi un bon-
heur bien souhaite; laites-moi la grâce de re evoir
ici-dedans mou hospitalité.
jésus à ses disciples. Vous avez entendu, mes chers
frères; il l'an l écouler la requête d'un ami dévoue.
Entrons sous son toit, et que le voeu de Simon soit
satisfait.
(Simon introduit Jésus dans sa maison. La table est
mise, lorsque arrive sur la place, en habit de cour-
tistntr.e, Marie qui tombe aux pieds du Seigntur.
487
LAI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Si HIC HOMO ESSET
LAZ
488
•Simon , indigné, dit tout bas
a Deo... [Luc. vu. 59.])
•jésus à Simon. Simon, j'entends que tu parles o il
bas, et je sais certainement la pensée.
simon. Maître, comme il vous plaira ; je suis prêt
à cnlendre vos paroles.
jesus. Un homme avait deux débiteurs ; l'un de-
vait plus que l'autre à leur commun créancier.
Comme ni l'un ni l'autre ne pouvaient p;iyer, il leur
lit à tous deux remise Je la dette. Maintenant, cher-
che dans ton esprit lequel des débiteurs dut avoir
Je plus de reconnaissance au créancier ?
simon. Docteur aimé, je suis d'avis que celui-là
qui devait plus eut d'autant plus de raison d'aimer
Sun créancier.
jesus. Tu n'as été que trop bon appréciateur. Eh
bien, Simon, en quoi ai-jc failli à ton propre juge-
ment? Tu le dis en toi-même que, connaissant celle
femme, je ne lui permettrais pas de m'approcher.
Mais, cher hôte de céans, elle n'a arrosé , ni d'eau
mes pieds, ni d'huile malëte; elle a baigné mes pieds
de ses larmes, elle a répandu sur ma tète les par-
fums les plus précieux.
jesus à Marie. O femme, tu as beaucoup aimé ;
mais les pleurs ont lavé les péchés; telles sont les
verlus de l'aveu de les lèvres et du repentir de ton
cœur.
(Marie ne lève et reste immobile. Jésus se relire avec
ses disciples. Il arrive en Galilée et s'arrête en un
lieu préparé pour lui. Les Juifs sont rentrés dans
Jérusalem, et Jésus devant revenir en scène, pour
consoler les deux sœurs, à peine a-l-il eu quitté In
maison de Simon, qu'on a mis à la place de ce lieu
celui de liithenie. Marthe paruil. Ces! le moment
oh Lazare est déjà gravement malade.)
SCÈNE II.
martue. Chère sœur , l'affreuse maladie de mon
trère, csl,.je le crains, sans remède ; pour lui ren-
dre la santé, il ne rcsle plus que nos prières à noire
l'ère. C'est notre seul protecteur, noire unique con-
solation, mais il n'est pas ici ; c'est-à-dire, son
corps n'est pas ici, car il a le pouvoir d'être partout
en même temps.
marie» Il faul lui envoyer un exprès, lui demander
secours ; il nous aidera. Si notre malheur parvient
jusqu'à lui , notre chagrin sera bien vite apaise.
Quoiqu'il n'y ail rien de secret pour lui nu Me pari,
il faut pour.anl qu'il voie bientôt notre exprès im-
plorant sa clémence, afin que lui-même paraisse
en personne auprès de nous. {Aux messagers.) Ex-
firès, allez de suite auprès de Jésus et portez-lui à
ui-iuême ce message: nous le pions de nous en-
tendre et de venir guérir son frère malade. C'est
par vous que ce bon père apprendra de quelle tris-
tesse est remplie sa famille, cl par sa puissance,
s'allégera le fardeau d'un si grand mal.
les exprès à Jésus. SjIui , Jésus, rédempteur
universel. Voici une nouvelle que nous apportons
jusqu'à toi; écoule. Considère le désespoir de ces
femmes, ne repousse pas leurs prières , exauce-les.
Leur fivre est au lil , gravement malade: guéris le.
Viens en personne auprès des lieux, chasse le mal ;
voici le sujet «le notre mission.
Jésus aux messagers. Oui, j'irai, mais l'heure n'est
pas venue, le mal ne louche point encore à la mort, et
Lazare s'en tirera. Quand je donnerai mon aide au
malade, le trouble et la stupeur pénétreront l'aine
de quiconque sera présent. (A ses discijites.) Je me
réjouis à cause de vous de la maladie de Lazare.
Combien de jours ne me suis-je pas plaint de. votre
manque de foi ! Eh bien, mettez bas la dureté de
votre cœur, et admirez la puissance du Chrisi.
SCÈNE III
les juifs en roule pour consoler es sœurs. Allons
auprès de Marie et de Marthe, pour entendre leurs
plaintes, partager leur douleur, el autant qu'il nous
sera possible, consoler leur désespoir à cause de
leur frère.
marie et Marthe, en présence des J uifs à l'agonie
de Lazare. Qu'il a lardé, notre unique refuge, notre
unique espoir! Il est trop tard! Hélas! hélas ! nous
Pavons attendu en vain. La volonté de Dieu était-
elle donc qu'il ne fût pas guéri? Notre frère se meurt;
son corps esl soumis à la loi de dissolution mortelle.
Quel malheur lombe sur nous, el comment suppor-
ter la vue d'une fin si pénible et si cruelle ? (Hier
frère, frère bien-aimé, tu as déjà subi la funeste loi "
delà mort, lu nous as laissées, et c'est à cause du
péché du premier homme que lu as mérité le tour-
ment de ce péché un versel.
les juifs, les consolant. Ne vous courbez pas sous
une telle infortune dans de tels événements, il y a
toujours quelque consolation. Nous sommes venus
nous 1 intenter avec vous, mais, à notre sens, ce n'est
point ain.-i que doit être pleuré le défunt. Nous
sommes tous mortels ; le glaive de la mort fait sen-
tir sa pointe chez tous les peuples. Nous n'arrivons
à la vie qu'à la condition de la mort, et il faut quit-
ter un jour la prison honteuse de la chair. Aussi
pourquoi pîeun-r le trépas d'un fiè:e aimé? il faut se
réjouir de sa délivrance. Il est quille de bien des
supplices, il vient d'échapper à tous les maux que
les autres ont encore à subir.
les soeurs. O bon frère! comme lu nous laisses
liistes et désolées aujourd'hui! Que dire? Nos en-
nemis vont nous assaillir sans cesse, nous dépouiller
de nos biens. Cher frère, Lazare aimé, nous pleu-
rons avec loi noue intérieur si dissemblable désor-
mais. Nous -sommes jalouses de la mort qui l'a ar-
raché à nous el ne nous a pas emportées avec loi.
les juifs. Sans doute voire frère ne lèvera plus
son bouclier pour vous dans les assauts de vos en-
nemis, mais il ne vous a pas abandonnées sans ap-
pui; le souverain Père sera désormais votre protec-
tion. Ne voyez-vous pas que tel était le bon plaisir
de Dieu, el que lui-même a voulu la mort de votre
frère. Que peut notre misère contre la volonté el la
puissance du Seigneur? Prions-le bien humblement
d'accorder la vraie vie à l'ànie de votre frère, alin
qu'il soit placé sur les trônes des cieux, dans la féli-
cité et L> repos éternels.
SCÈNE IV.
jésus, marchant, parle à ses disciples. Allons, cette
fois, en Judée, réveiller Lazare qui doi I, et rassurer
ses sœurs accablées de maux el de douleur.
les disciples. Pourquoi aller en Judée! Vous n'i
gnorez pas que les Juifs vous cherchent pour vous
perdre. Esl-ce votre humeur que tel ou tel se fasse
gloire d'avoir contribué à votre ruine.
jésus. Il ne vous appartient pas de me donner
des avis; c'est à vous d'obéir à mes paroles. La ver-
tu de Dieu dont le Christ esl encore couvert, sera
plus éclatante en Judée même parmi les Juifs.
Thomas. Suivons-le, el laissons-le à son libre ar-
bitre ; allons vile avec lui en Judce au risque même
de la vie.
(A l'approche de Jésut, un des messagers prend les
devants pour prévenir Marthe.
le messager. Votre bonheur arrive ; voici le sau-
veur des peuples; nous l'attendons; vos chagrins
vont s'adoucir, el le malade sera délivré par lui.
marthe accourt au-devant de Jésus et tombe à ses
pieds. Mon» frère a été pris auiiacieuscment par la
mort. Ah ! vous présent, il vivrait encore sous mes
yeux. Nous connaissons voire puissance, nos cœurs
ont foi absolue en vous: vous êtes Dieu. Nous sa-
vons que Dieu vous donnera tout ce que vous de-
manderez el tout ce cpie vous voudrez. Aussi , si
vous voulez vous employer, mon Ircre ressuscitera
du milieu des morts.
489
LAZ
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
LAZ
490
jesds. Espère la vie de Ion frère, tu dois et lu
peux croire à sa résurrection. Car, sache-le, qui-
conque aura foi en moi, ou nie cédera, ne mourra
pas.
marthe. Oui, c'est ma croyance profonde, mon
frère revivra prochainement, dans ce jour où, au
Iirnil du dernier jugement, la chair des nations sera
tirée de ses cendres.
jésus. Je suis voire résurrection, et jamais la dé-
sespérance n'entre parmi ceux dont l'esprit est tout
cnlier au service de mon Père. Va, appelle de suite
Marie, et conduisez-moi aussitôt au tombeau de vo-
tre frère. C'est, devant tout le monde, que doit pa-
raître plus éclatante la vertu supérieure de mou
Père.
marthe approche de sa sœur , et lui dit dans l'o-
reille: Le maître te demande.
(Marie sort de la maison.)
les juifs. Le sein de Marie est bien ngité : l'in-
fortunée va pleurer au tombeau. Il ne faut pas la laisser
dans celle désolation qui met ses jours en danger.
(Ils la suivent ; elle les précède et se jette aux pieds
du Seigneur.)
marie. 0 source très-douce de bonté, nos cœurs
sont bien tristes à cause de notre frère. En votre
absence, la mort a osé pënélrer ici et nous enlever
notre frère. Ayez pitié de nous, par grâce ; nous
n'avons de secours à attendre que de vous seul.
Ayez pitié de nous tous; ayez pitié, vous qui avez
charge de consolation.
jésus frémissant et pleurant. Conduisez-moi au
tombeau et montrez-moi l'endroit de la sépulture.
Je suis louché de votre malheur; vos soupirs, vos
ennuis m'ont ému.
un des juifs présents, frappé de surprise. JN'esl-ce
pas celui qui a rendu la lumière à l'aveugle? n'avait-
il donc pas aussi le pouvoir d'écarter la mort loin
du malade? Mais lui qui a établi une religion parmi
les peuples, comment a-t-il le ilessein de ne pas cé-
der aux prières des deux sœurs?
jésus entrant dans le tombeau. Ecartez de suite
celle pierre, ouvrez le cercueil. Vous verrez des
miracles, et dans un instant vous glorifierez le nom
de Dieu.
marthe. 11 y a déjà deux jours qu'il est là , son
cercueil exhale l'odeur fétide de la chair pourrie.
jésus. Ne désespérez pas, vous verrez la gloire de
Dieu le Père et la puissance de son Fils.
(Les yeux levés vers le ciel, Jésus prie.)
jésus. 0 Dieu, dont on m'affirme la Vertu et le
Fils éternel et non produit dans le lemps, il faut
que tu honores ton Fils, et que tu glorifies mon nom.
(A Lazare.) Je te dis à voix intelligible: Sors d'ici-
bas et réjouis le cœur de les parenis. Sois désor-
mais le désespoir de mes ennemis et le plus sûr
lemoin pour ceux qui doutent.
(Lazare se relève.)
Jésus à ses serviteurs: Il s'est levé, olez-Iui les
linges, pour qu'il puisse marcher. D'où vient votre
stupeur? Tout est possible à Dieu, et ceci n'en est
que h preuve.
le choeur. Te deum laudamus, etc.
LAZARE (La Résurrection de) d'Hilairc.
— La Lazare d'Hilaire, disciple d'Aboi lord,
esl conservédans le manuscrit des OEuvres
de cet auteur, qui, connu depuis 1616, a
passé, en 1837, de la Bibliothèque de Hosny
dans le riche dépôt de la Ribliolhôquc im-
périale.
Celie pièce appartient a la première moi-
tié du xir siècle.
M. Champollion-Figeac l'a éditée, pour la
Dictionn des Mystères.
premiôro fois, en 1838, parmi les œuvres
d'Hilairc : Hilarii versus etludi; Paris, Té-
chener, 1838, in-8% de x.v-61 pages.
L'éditeur a noté la singilarité précieuse
soit des didascalies, soit des farcitures du
langage mi-latin, mi-français.
M. O. Leroy, dans ses Epoques de Vhist.
de France (Paris , Hachette, 1843, in-8%
p. 79), en la cité un fragment. II est d'avis
que ce drame fut représenté et que les
rôles de Marthe et de Madeleine furent
joués par des femmes.
Nous en donnons une traduclion aussi
littérale que possible. — Voy. Hilaire, dis-
ciple d'Abailard.
(// faut pour cette représentation les personnages sui-
vants.)
LAZARE.
SES deux soeurs.
QUATRE JUIFS.
JESUS-CHRIST.
DOUZE APÔTRES,
moins.
I.
ou six au
(Lazare étant malade, ses deux sœurs, Marte et
Marthe, suivies de quatre Juifs, apparaissent en
pleurs; elles se placent auprès de son lit et chuntent
ainsi : )
marie et marthe. 0 sort triste , ô sort dur, que
ta colère est lourde! c'est loi qui accables de celle
maladie noire frère , noire amour. Noire frère est
malade, il nous inspire de sérieuses inquiétudes.
Mais, ô Dieu, aie pitié de nous, loi qui peux gué-
rir.
les juifs, pour les consoler. Très-chères sœurs,
ne pleurez pas, ce n'est pas ici qu'il ne fan i que
songer à pleurer , priez plutôt Dieu et demandez la
santé de Lazare.
marie et marthe aux Juifs. Frères , allez vers le
souverain médecin .allez vile vers l'unique roi; dites-
lui que notre frère est malade; qu'il vienne et qu'il
lui rende ses forces.
II.
les juifs, arrivés auprès de Jésus. C'est vous qui
aimez celui qui est gravement malade; on nous a
donné ordre de venir en toute hâte auprès de vous.
0 médecin souverain, visitez notre malade, et pour
voire service, rendez-lui santé.
Jésus. Celle maladie de mon frère ne sera pas
mortelle pour lui ; mais il faut qu'en lui je vous
montre manifestement Dieu.
III.
(A leur retour, Lazare est mort , deux des Juifs con-
[duisenl Marie auprès du cadavre. Elle chante.)
marie. La faute antique condamne tonte l'huma-
nité à la mort. 0 douleur! mon frèro est mort
maintenant; voilà le motif de mes pleurs! Un ali-
ment défendu nous coûte cette morl , fardeau énorme.
0 douleur! mon frère est mort maintenant ; voilà
le motif de mes pleurs! Quelle misère pour moi et
pour ma sœur dans le trépas de notre frère! 0
douleur! mon frère est morl maintenant, voilà le
moi if de mes pleurs! 0 mon frère, quand nia pensée
s'arrête sur toi , combien mon désespoir n'est-il pas
juste? ô douleur! mon frère est mort mainte aut ,
voilà le motif de mes pleurs.
les deux juifs, poui la consoler. Cesse de gémir
ainsi , suspends les ennuis, réprime tes soupirs, ce
désespoir extrême, ces cris, ces pleurs, sont vains.
Les larmes n'ont jamais rappelé l'àme dans aucun
cadavre. Reliens donc ces pleurs tout à fait inutiles
pour los moi is.
16
491
LA-Z DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ÎV.
(Survient Marthe avec les deux attires Juifs; elle
LOU
m
chaule.)
marthe. 0 mort exécrable! ô mort délestée! ô
mon qui fait couler les larmes. Qu'on me laisse! je
suis trop malheureuse ! Et puisque mon frère est
mort , pourquoi lui survivrais-je? c'est ce trépas de
mon frère, si terrible, si inattendu , qui m'arrache
ces cris. Qu'on me laisse! Je suis trop malheureuse!
Et puisque mon frère est mort, pourquoi lui survi-
vrais-je? Au lieu de mon frère, je ne refuse pas la
mort; je ne la crains pas! Qu'on me laisse! Je suis
trop malheureuse! Et puisque mon frère est mort ,
pourquoi lui survivrais-je? Puisque mon frère est
mort, je repousse la vie. Malheur à moi ! Malheur!
laissez-moi! Malheur! mon frère n'esl-il pas mort?
pourquoi lui survivrais-je?
les deux juifs pour la consoler. Nous l'en prions ,
tais toi , essuie les pleurs. Cela ne nous est d'aucun
profit de gémir ainsi. Il faudrait, sans doute, pleu-
rer , pleurer sans relâche, si nos larmes rendaient
la vie. Mais, lout en le faisant du mal, tu ne réflé-
chis pas que le mort n'en profile de rien. Pourquoi
ne réfléchis-tu pas (pie tout cela lui est complètement
iuulile pour vivre de nouveau?
V.
;ésus à ses disciples, il faut que nous rentrions
en Judée; j'ai dessein d'y faire quelque ciiose.
les disciples à Jésus, il n'y a pas longtemps que
l'on voulait te lapider en Judée , et lu veux si loi y
retourner?
Jésus. Lazare s'est endormi; il faut que j'aille le
■voir. Je vais y aller et je le réveillerai.
les disciples. S'il dort, il est sauvé; le sommeil
est compagnon de la santé.
jésus. 11 n'en esl point ainsi ; Lazare est mort,
mais nous le réveillerons au nom du Père.
Thomas , aux disciples. Eh bien parions et mou-
rons avec lui.
VI.
(Ensuite Marthe à Jésus.)
MARTHE. Si vous étiez venu plus tôt.... J'en ai
grand ennui.... Je ne pleurerais pus tant... O mon
bon frère, je vous ai perdu.... Mate ce que vous pou-
viez quand il vivait encore.... AH! qvrlle perte!...
faites-le, q uoiqu'il soil iworl... O mon bon frère, je
vous ai donc permit... Demandez au PèiC sa grâce...
Aii! quetle affliction!... elle Père se manifestera
aussiloi... O mon frère, faut-il que je vais aie perdu!
jésus. Sèche ces laitues, suspends ce désespoir qui
t'accable, ton frère esl mort, mais il sera bientôt
derechef vivant.
MARTHE. Je le dis aussi, mon frère ressuscitera et
vivra, mais seulement lors de la résurrection de
tous les hommes.
Jésus Non , non , ma sœur , ne sois pas ainsi sans
espoir. Ne suis-je pas, moi, la vie véritable? Et qui-
conque croira en moi , vivra en moi qui suis la vie;
et celui qui, dans la vie, aura cru en moi , ne sera
pas la proie de la mon. Marthe, crois-tu, comme
vérités, lous les mystères de ces paroles?
Marthe. O Lfirîsl, Fils de Dieu, je crois que lu
es venu dans noire exil pour noire bien seulement.
VII.
Marthe annonçant a Marie l'arrivée de Jésus. Ma
sœur bien-aiméc , Jésus est ici; calme la douleur,
arrête les pleurs, viens l'attendrir par la prière bien
humide, et il rendra la vie à noire frère.
VIII.
marie à Jésus. Nulle consolation ne pouvait ja-
mais apaiser mon désespoir ; mais, ô Fils de Dieu,
j'ai foi en toi et lu peux tout. O Tout-Puissant , si.
doux, si clément, viens au tombeau, et réveille
mon frère que la mort charnelle a ravi si jeune.
jésus. Je le veux bien, ma sœur; c'est tout mon
désir (i'ètre conduit au sépulcre pour rappeler à la
vie ce détenu de la mort.
(Marie conduit Jésus au sépulcre.)
IX.
marie. Seigneur, c'est là que nous l'avons mis,
celui pour qui nous t'implorons et dont nous deman-
dons la vie au nom du Pore.
jésus à ceux qui l'entourent. Enlevez la pierre qui
recouvre le lomlieau et Lazare va ressusciter aux
yeux de tout le monde.
les assistants. Il sëf:i impossible de supporter
l'odeur fétide de ce cadavre, car il y a au moins
quatre jours qu'il est là.
X.
Jésus , les yeux levés nu ciel et priant. O Père ,
manifeste ton Verbe, ci je t'en prie, ressuscite La-
zare. Fais par là connaître ton Fils an momie, ô
Père, el dans cet instant. Je n'ai point adressé vers toi
ma prière dans le doute , mais à cause de ces hommes
qui m'entourent , aliu qu'assurés éé' II puissance,
ils aienl la foi aussitôt. (An mort.) Lazare, sors du
tombeau , respire el vis ; par la grâce el la puissance
du Père, sors du tombeau el jouis de la vie. (La-
zare se levant.) Il vit, défaites tous ces liens el
laissez-le s'en aller librement.
lazari: debout uux assistants. Voici ia grandeur
de Dieu; vous le voyez, il a fait le ciel et l'océan;
el la mort tremble sous son empiie. (Se tournant
vers Jésus.) El toi, ô Maître , ô Roi , ô Seigneur!
El loi , tu effaces les fautes du genre humain. Ta
parole s'accomplit à l'instant, et ton règne sera
sans fin.
(Si on est à Matines , Lazare entonne : Te Deum
laudamus, et si c'est à Vêpres : Magnificat anima
mea Dominum.)
LEOCADE (La passion de sainte). — De
Beaueltamps, dans ses Recherches sur les
thcYdrcs; Paris, 1735, in-8% 3 vol., t. Pr, p.
226J, mentionne un Mystère de Notre-Dame,
en vers français, avec lequel sérail impri-
mée la Passion de sainte Léocade et de sainte
Christine. — Yoy. Notre-Dame (Mystère de),
Sainte Christine [La Passion de).
LIBERTÉ DE DECEMBRE (La). — On a
appelé la Liberté de décembre, Libertas de-
cembrica), le temps de la fête des Calendes
ou de celle des Fous. — Voy. Fête des
Fous.
LOTTS (Le»). — Les lotts, comme les
couards, les sots, les sclaffards, sont l'un
des noms qu'ont reçus au moyen âge les
sectateurs de la fête des Fous. — Yoy. Fête
des Fots.
LOUIS (Saint). — La Bibliothèque impé-
riale (n° 2191, gr. in-fol. vélin, de 352 pages)
possède le manuscrit du Mystère de Saint-
Louis par Pierre Gringore ou Gringoire,
auteur du commencement du xvr siècle.
Le premier et les derniers feuillets man-
quent malheureusement au manuscrit, et
nous n'avons que le texte incomplet de ce
drame.
Ce mystère est intitulé :
Cy comance la vie monseigneur saint Loys,
roy de France, par personnaiges, composée
par Pierre Gringoire, à la rrqucslc des
TP.aislres et gouverneurs de lu dicte con-
493
LOU
frairie du dit Saint-Loys, fondée en leur
chapelle de Saint-Biaise, à Paris.
Le Saint-Louis n'a pas été publié.
M. ©. Leroy, dans ses Etudes sur les mys-
tères (Paris, 1837, in-8°, p. 303-365], l'a con-
sidéré comme une « tragédie nationale; »
et M. Villemain a, dans le Journal des Sa-
vants (1838, avril, p. 217), adopté les opinions
émises par M. 0 Leroy.
« Voilà donc, dit-il, sous cette forme de
longue biographie, qui au théâtre est l'en-
fance de l'art, une espèce de drame pa-
triotique, offrant quelques traits remar-
quables. »
M. 0. Leroy, quelques années après, re-
venant sur le môme sujet, dans ses Epoques
sur l'histoire de France (Paris, Hachette,
1843, in-8°), a trouvé dans le Saint-Louis de
Gringoire, ce poète représentant des halles..
une touchante mais elJVayanle personnifi-
cation, le peuple de Pari.» venant offrir au
roi, contre les grands vassaux, son appui
formidable.. .« Depuis cet important ouvrage
de Gringoire, ajoute l'auteur, le peuple n'in-
tervient plus guère dans notre tragédie. »
(Ibid. Introd., p. 18.)
Le Saint-Louis a été écrit, comme l'in-
dique son titre, pour une confrérie. Du lemps
de Gringoire, c'était le corps des tapissiers
et merciers, qui avait le grand roi pour pa-
tron. Les réunions avaient lieu dans la
grande salle du palais, que le Parlement
avait concédée aux confrères, et qu'ils par-
tageaient avec les clercs de la bazoche :
c'est là que la oièce de Gringoire dut être
représentée.
« On se demande comment un ouvrage de
l'importance de celui que nous examinons,
dit M. 0. Leroy, composé dans la maturité
de l'âge par un homme aussi connu, est
resté tout à fa t ignoré. Peut-être à cause
de certains traits qui auront blessé quelques
hommes puissants. » (Etudes sur les mys-
tères, p. 313.)
« Quoi qu il en soit, écrit pour de bons
bourgeois du vieux temps et après avoir
été représenté par eux, ce grand drame
sera resté dans les archives de la confrérie;
de là aura passé à Saint-Germain des Prés,
car il porte aussi la marque de celte abbaye;
entin il est venu s'engloutir dans le dépôt
des manuscrits de la Bibliolhô|ue royale. »
Ce mystère est divisé en neuf livres.
« L'action commence à l'année 1226.
«Louis VIII, après de nombreux exploits,
venait de mourir sans testament, laissant la
couronne de France à l'aîné de ses tils, Louis
IX, âgé do onze ans, et la régence à la
reine Blanche, sa femme, mais verbalement,
en présence seulement de quelques évoques
et seigneurs. Plusieurs grands vassaux, no-
tamment les comtes de Champagne, de la
Marche et le duc de Bretagne, jaloux de
l'autorité royale et «'autorisant de l'absence
de dispositions testamentaires, veulent con-
tester à la reine-mère le droit de gouverner
son fils. Une éducation militaire sullit, selon
eux, à un jeune roi. Dès la première scène,
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. LOU 4îÙ
voici sur quel ton ils veulent parler à la
reine :
LE DUC DE BRETA1GNE.
Vous le faicies entretenir
A un tas de frères presclieurs,
Bigots, ses maisires et recteurs.
Cela certes ne nous peult plaire.
LE COMTE DE LA MARCUE.
En voullez-vous ung moine faire,
Qui preselie d'esglise en csglise?
Quelque chose qu'où eu devise,
Cela nous ilcsplaist, somme toute.
LE COMTE DE CHAMPA1GNE.
Ung prince doit aymer la jouzte,
Estre large et liahandonué :
Pour ce cas est roy ordonné
El en iriumphal estai mis.
LA R0YNE.
Il fault craindre Dieu, mes amys...
« La seconde scène se passe entre le jeune
roi et un frère prêcheur, son gouverneur,
qui lui dit entre autres choses : vous de-
vez
Vous faire priser et aymer
A vostre simple popullaire,
Atïïn que puissiez à Dieu plaire,
Car ung roy tier et orgueilleux,
Inconstant et avaricieux,
Ne peull régner longue saison.
« L'auteur ramène sur la scène les comtes
de Champagne, de la Marche et le duc de
Bretagne, qui ont résolu de s'emparer de
l'esprit du jeune roi, ou de s'armer contre
son autorité. Que trouvent-ils en entrant au
palais? Des pauvres à table, mangeant et
buvant à cœur joie, et sans façon aucune;
ils sont là comme chez tux.
« L'ébahissement des trois seigneurs re-
double quand ils voient passer devant eux
Louis, qui ne les remarque pas, eux grands
terriers 1 et qui s'approche des pauvres...
Les trois seigneurs sont stupéfaits.
DE LA MARCHE.
Peult-estre Dieu tant le prise
Qu'il veult qu'il vive en coniinance,
Sans avoir la prééminence
Sur les Franeoys, ne seigneurie.
LE DCC
Je croy que Dieu veult que le prie
Et qu'il laisse mondanité.
Aux armes n'est point usité,
Mais en toute bigoterie.
DE CHAMPAIGNE.
Dieu ne veull point qu'il seigneurie.
« Après avoir fait, en espérance, un moine
du meilleur de nos rois, ils sortent pour
lever contre lui leurs armes...
« Saint Louis et sa mère ont appelé à
leur secours trois personnages dont les
traits et le costume étaient sans doute allé-
goriquement caractérisés, suivant l'usage
de ce temps: l'un est Bonconseil, l'autre
Chevalerie et le troisième Populaire. Ce
dernier, qui n'est autre, que le peuple de Pa-
ris, dk au roi :
Ne soys de riens estonné :
m
LOU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
LOU
496
Je suis arme, embaslonnc
Pour combaire vos ennemys.
Sire je me suis eu point mis,
De bon cueur el de bon couraige.
« Nous entendons le duc de Bretagne dire
au comte de ia Marche:
Cousin nous ne sommes pas bien.
Penser nous faul! de notre affaire,
Car j'entends que le Popullaire
D^ Paris s'csmcul contre nous...
« Frédéric II, ..empereur d'Allemagne, au
milieu de ses démêlés avec le Pape, ne dou-
tant pas que le roi de France ne prenne la
défense du Saint-Siège, t'ait demandera saint
Louis, par un de ses agens, de se rendre à
un lieu fixé. Le roi consulte Bonçonseil,
qui reconnaît dans cet agent Oullraige (ou-
trage), et devine que l'intention de l'empe-
reur est de s'emparer de la personne du roi.
Saint Louis se rend au lieu indiqué, mais
accompagné de Chevalerie, ce qui déconcerte
l'empereur. Il se tourne alors vers l'Eglise,
veut lever sur elle un impôt et lui envoie
Oultraige. Elle ne répond pas.
Haullà! bollà! qui est icy?
Hau! Faictes-vous la sourde oreille?
l'esglise.
Et qui a-l-il?
| ; OULTRAIGE.
■■ Qu'on s'appareille
Tost du decyroc me bailler.
! l'esglise.
Quoy! me voullcz-vous travailler
Maintenant?...
« Dans la lutte de la puissance spirituelle
contre la force brutale, l'Eglise... se mon-
tra invinciblement opposée aux mauvaises
passions et aux envahissements de Frédéric
IL Pour éveiller les rois sur ses prétentions,
pour éclairer les peuples sur leurs vrais in-
térêts, il fallut tout l'éclat des foudres ecclé-
siastiques: c'était alors la seule lumière;
elle ne fit point faute.
« Louis fait foire à l'empereur de vives
remontrances, et s'efforce de mettre un ter-
me aux malheureux débats de l'empire et
du sacerdoce, lorsqu'il est frappé de la ma-
ladie au milieu de laquelle il promet è Dieu
de se croiser et d'aller délivrer les Chrétiens
d'Orient de leur dure captivité . . .
« Dans la scène suivaute,.. nous sommes
chez les Turcs.. . »
Saint Louis est captif.
« Les amiraux (les chefs ennemis) con-
sentent à mettre en liberté Louis et les
siens... Louis, mis en liberté avec ses pré-
lats et ses chevaliers, leur propose de visi-
ter à pied les lieux saints. . .
« Les derniers malheurs ne tardent pas
de frapper le saint roi. 11 apprend successi-
vement que les Anglais menacent d'envahir
la Normandie; que la régente, sa mère, l'il-
lustre Blanche, si digne de gouverner la
France en son absence, est morte; qu'enfin
les Turcs, aussitôt après son départ, au lieu
de rendre à la liberté, suivant les conven-
tions, les prisonniers chrétiens, les retien-
nent, et exercent sur eux les traitements
les plus barbares. Quelle est la douleur du
bon roi, do se voir forcé d'ajourner ses pro-
jets sur l'Orient et de se rembarquer pour
la France !.. .
« Le zèle religieux des grands vassaux
était ralenti. Il n'en était pas de même du
saint roi qui nourrissait le désir d'aller dé-
fendre nos colonies d'Orient et secourir les
Chrétiens qui y étaient restés. De nouvelles
atrocités commises par les Mamelucks, et
l'espoir décevant que lui donnait le roi de
Tunis d'embrasser le christianisme, le dé-
terminent à entreprendre une seconde croi-
sade. Chevalerie, qui représente la noblesse,
est prêt a le suivre; mais Populaire s'écrie:
Hellas ! lout le sens me defiault
Quant je pense à la départie
Du bon roy...
« Quant à Bonçonseil, quoiqu'il parle lon-
guement, on ne comprend pas trop s'il ap-
prouve cette expédition...
« Saint Louis, parti pour l'Afrique, après
avoir remporté sur les Sarrazins de rapides
succès, est atteint, près des ruines de l'an-
cienne Carthage, de la cruelle maladie qui
vint rompre tous ses projets, et ne lui laissa
que le temps de léguer, de son lit de mort,
à son fils présent, de hautes leçons, à tous
un grand exemple...
« Saint Louis, se sentant tout à coup dé-
faillir, laisse tomber ces mots:
Mon humaine fragilité
Déchet de tous point...
Et pour ce, vueillez tost entendre
El préparer ung lit de cendre,
Sur lequel je nie coucheray,
Et mon esprit à Dieu rendra)-.
Considérant, sans plus enquerre,
Que je suis venu de la terre,
El qu'en terre retourneray.
l'esglise.
Bien, sire, je prepareray
Ung lil de cendres pour vous mettre.
« Après qu'on l'a couché sur un lit de cen-
dres, Chevalerie et l'Eglise dépeignent ainsi
l'attitude du saint à son dernier moment :
Le bon seigneur a les mains joincles,
Eslevant ses corporels yeux
Très-humbleinent devers les cyeux
De pitié que j'ay, je m'en pâme.
l'esglise.
Il a rendu sa dévoie amc
Entre les bras du doux Jhésus...
CHEVA.LLERIE.
A rendue l'aine.
l'esglise.
C'en est fa ici.
« Philippe, présent au dernier moment
de son père, donne, avec l'Eglise et Cheva-
lerie, des ordres pour qu'on l'embaume et
qu'on le transporte en France.
« Après avoir entrevu le grand deuil de
l'ost (de l'arméej, suivons cette pompe-sainle
et funèbre, ou plutôt armons en France
avant elle, avec la nouvelle de la mort du
roi; nous allons entendre des regrets dont
l'histoire nous a parlé :
497
MAC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
MAC
108
LE POPDLLAIRE.
Ha le bon roy !
I! a observé la justice,
11 a soutenu la police
lionneslement, selon la loy,
Droit el raison.
BO.NCONSEIL.
Ha ! le bon roy
Toule l'Eglise niillitante
A été docte et florissante,
Paisible, vivant à requoy,
Durant son temps.
LE POPCLLAIRE.
Ha ! le bon roy !
11 supporloit bourgoys, marchans,
Mesine les laboureurs des champs,
Puguissanl gens plains de desroy,
Pillars, larrons.
BONCONSE1L.
Ha! le bon roy !
Simples, ignorans supporloit,
Pauvres, mendians conlorioit,
Observant de Jliésus la foy,
RedoubtantDieu.
LE POPULLAIRE.
Ha! le bon roy!
« Ce dernier vers résume bien cette orai-
son naïve... Nous ne pouvons mieux ter-
miner ce drame. » (0. Leroy, Etud. sur les
nystères, p. 303-304.)
LOUP (Le jeu de saint). — Duhalle,
Courlalon et Grosley ont consigné dans
leurs ouvrages quelques notes empruntées à
nos archives ecclésiastiques, sur les mystères
les plus importants et les plus anciens; c'é-
taient le Jeu de saint Loup, la Diablerie, la
Vengeance de Jésus-Christ , la Représentation
des trois maris; et quelques autres. M. A.
Vallet de Viriville (Archiv. itist. de l'Aube;
Paris, 18U, in-8°, p. 329J, a qui nous em-
pruntons cette note, indique les Miracles de
saint Maclou et les mystères de la Création,
de la Passion et de la Résurrection, conser-
vés encore aujourd'hui à Troyes, parmi les
archives de la maison commune, dans un
manuscrit du xvc siècle.
LOUP-VEUT (Procession du). — Parmi
les usages encore subsistants de la fôte des
Fous, M. Langlois, dans son Essai sur les
Enervés de Jumiéges (Rouen, 1838, in-8"),
donne, dans une note, quelques détails sur
une procession du Loup-Vert, qui se prati-
que encore à Jumiéges. Le Loup-Vert est
élu par ses compagnons et donne à coups
de poings le signal de divertissements gros-
siers que pratique toute la bande.
M
MACHABÉES (Les). — Le drame des
Machabées a pour auteur de Jean du Virey,
sur lequel les frères Parfait ont donné les
notes suivantes:
a Jean du Virey, sieur du Gravier, était
natif de la basse Normandie, aux environs
de Caen. Il suivit la profession des armes
dès l'année 1571, et s'étant attaché au ma-
réchal de Matignon, lieutenant général de
la province, ce seigneur le fit entrer dans
le service, et le protégea avec tant de bonté,
qu'il obtint enfin pour lui le commande-
ment de la ville etdu château de Cherbourg.
Du Virey remplit assez bien ce poste, et
passa le reste de ses jours 5 Valognes. Les
guerres civiles étant assoupies, il employa
ses heures de loisir à l'étude de la poésie,
pour laquelle il avait, à ce qu'il croyait,
beaucoup d'inclination, mais aucun talent.
Il entreprit une traduction en vers du livre
des Machabées, et excité par l'exemple des
poêles dramatiques de son temps , dont
plusieurs étaient ses compatriotes, il s'ima-
gina qu'en détachant quelques centaines de
vers de son poëme, il pourrait en composer
une tragédie, qui, à la vérité, n'a ni règle, ni
ordre, et qu'il intitula la Machabéc. 11 pré-
senta cet ouvrage à madame la maréchale
de Matignon, épouse de son bienfaiteur,
avec une épîlre dédicatoire datée du 25 mars
(186) L'auteur n'a fait encore ici que traduire
grossièrement le livre des Machabées. Celle (ragé-
die, non plus que celle de la Machabéc, ne présente
aucune distinction d'actes ou de scènes. Dans cell >-
ci, l'auteur introduit une Furie, qui, sortant des en-
1596. Enhardi par ce coup d'essai, Du Virey
créa une seconde tragédie, de la même ma-
nière que la précédente, sous le nom de
tragédie divine et heureuse victoire des Ma-
chabées sur le roi Antiochus (186), qu'il fit
paraître en 1600, après l'avoir présentée et
dédiée à M. l'évoque de Coûtantes: il avait
menacé le public, dans celte dernière épitro
dédicatoire, qu'il ferait peut-ôlre voir le
jour à son grand ouvrage en entier, si lo
conseil de ses amis le jugeait à propos. Il y
a lieu de croire que, dans leur nombre, il
s'en est trouvé quelqu'un pourvu d'assez
do jugement pour l'en empêcher; car Du
Virey n'a jamais fait paraître que ces deux
poèmes. »
Le drame des Machabées a subi de la part
des mômes auteurs l'examen suivant :
« Cette tragédie ressemble beaucoup aux
anciens mystères; on ne trouve aucune di-
vision d'actes ni de scènes. Comme personne
n'ignore le sujet qu'on y a traité, nous nous
en tiendrons h quelques passages qui feront
connaître que l'auteur était digne du siècle
de Jean Michel on de Parmeniier. Nous [tar-
ions de lui à l'article de la Tragédie divine,
et heureuse victoire des Machabées sur le roi
Antiochus.
« Le roi, irrité contre les sept frères, les
livre à ses bourreaux, qui leur font endurci'
fers, suggère à Antiochus tous tes mauvais conseils
dont il fait u^age contre les Juifs. Ce^tc Furie r.c-
compague toujours le roi jusqu'à sa mon effroyable,
et rentre avec lui dans lu sombre demeure.
499
MAC
DICTiONiNAlRE DES MYSTERES.
MAD
500
les tourments les plus cruels. On mel Ma-
chabée sur une roue.
LE TROISIÈME SOLDAT
S'il ne meurt prompiement par cesle rude entorce,
11 faut dire qu'il a son aine de travers.
« Comme ce supplice n'est pas assez fort
pour lui ôter la vie, on le jette dans une
chaudière pleine d'eau bouillante. Après
quelques tortures , Antiochus fait ouvrir
l'estomac d'Abas, le second des frères.
Horrible chose à voir! j'en ay le cœur transi,
« S'écrie un des soldats. Machir, le troi-
sième frère, expire par la rigucurd'un tour-
ment fait en forme ae rondeau. Ensuite le roi,
voyant ses soldats fatigués , s'offre a les
aider, et attache lui-môme Judas Machabée
sur une roue. Le cinquième, appelé Achar,
est rôti tout vif par l'ordre du tyran, qui
fait pendre par les pieds Areth, son jeune
frère.
LE ROT.
Pour mieux luy estourdir son esvenlé cerveau,
Par descentes d'humeurs froides et aquatiques.
LE PREMIER SOLDAT OUX SpCCldleiirS.
Oui voudrait bien purger des fluxions bacchiques,
En voilà le moyen.
« A peine Jacob, le dernier des sept frères,
et Solomone, leur mère, sont expirés, que
le tonnerre tombe, et réduit en cendres une
partie du palais d'Antiochus. Ce roi impie,
surpris dece prodige, s'en prend à ses dieux,
et vomit mille imprécations. »
LE ROT.
Garde le Ciel voûté ses flambeaux et la nuê,
Je ne veux plus detoy, car la paille est rompue
Entre nous, pour le seur : Je désire bien mieux
Commander aux Enfers, qu'estre second aux Cieux
Un jour aux lieux profonds, je ferai bien paroistre
A Pluion, où je suis, que je veux estre maislre.
La tragédie des Machabées a pour auteur
Jean du Virey; elle est fort courte et ne
comporte qu'un acte, a dit assez mal à pro-
pos M. C.-A. Sainte-Beuve (Tableau hist. et
crit. de la poésie française et du th. fr. au
xvic siècle; Paris, 1828, in-8°, 2 vol., t. I",
Hist. du théâtre franc, au xvi' siècle, p. 217-
334). en en donnant l'aperçu suivant {ibid.,
p. 299) :
« La scène passe tour à tour de la maison
des Machabées au palais d'Antiochus et du
palais à la prison. Les sept martyrs sont
étalés aux yeux des spectateurs avec tout
le détail des tortures. En veut-on un léger
échantillon?
« Le roi dit à son prévôt Sosander, qui
dirige le supplice :
Or sus, sus, compagnons; chacun de vous regarde
A l'esiriller si bien qu'il ne s'en moque point.
SOSANDf.R à set garçont.
Pour être mieux dispos, mettez-vous en pourpoint :
Vous en frapperez tous beaucoup plus à votre aise.
UN GARÇON.
Prévost, j'en suis content; je suis chaud comme
Tant je suis travaillé [braise.
(Ils le fouettent.)
UN AUTRE GARÇON
Et un et deux et trois.
t!N AUTRE.
El t'abuses-tu donc? Pour rien je ne voudrais
Compter autaut de coups tomme il faut que j'en
[donne.
UN AUTRE.
11 ne plaint ni ne deuil.
UN AUTRE.
C'est de quoi ]e m'eslonne.
On dirait à le voir qu'il ne sent point les coups.
UN AUTRE.
Si est-il bien frotté et dessus et dessous
LE ROT.
Ouvrez-lui l'estomac, car je veux qu'on lui voyc
Le poumon, intestins et les lobes du foye';
El puis que chacun prenne à sa main un couteau
Du col jusques aux pied- pour lui ôter la peau. >
(//s le font en la manière prédite.)
MACLOU (Saint) — En U08, l'évêque de
Langres accordait au doyen, au chapitre, aux
chanoines et à tous les clercs de l'église de
Saint-Maclou, de Bar-sur-Aube, la permis-
sion de représenter la Vie de leur patron. La
charte qui contient ce privilège a été publiée
en latin par M. Vallet de Vinville, dans les
Archives historiques de l'Aube ; Paris, 18il,
in-8°,p.l30, etdans la Bibliothèque de l'Ecole
des Chartes, 1. 111, Notice d'un mystère, p 450,
note k; l'original existe dans les archives
du département de l'Aube, liasse 116, B;
nous en extrayons les passages importants :
« A l'honneur, la gloire et l'éclat du très-
saint et très-grand confesseur et évêque
Maclou, votre patron, dans les première e*.
seconde octaves de la fêle de la Sainte-
Trinité, ou auparavant, si cela est plus
commode, vous et quelques-uns des bour-
geois de la ville d3 Bar, sur quelque place
convenable dans la ville ou en dehors, en
présence du clergé et du peunle, à haute et
intelligible voix, en langue latine ou fran-
çaise, vous pourrez, avee grand respect,
aidés d'autant de gens qu'il faudra, et sous
les costumes nécessaires, réciter et repré-
senter la vie et les miracles de l'illustre
confesseur, après avoir dit la messe sur un
autel élevé an lieu môme de la représenta-
tion Langres, l" mai 1108 »
On ne retrouve plus le Mystère de saint
Maclou, qui très-probablement n'a pas été
imprimé.
MADELEINE (Sainte). — Dans les pre-
mières années du mariage de Louis XII et
d'Anne de Bretagne, et après la conquête du
Milanais, vers 1499 et 1500, furent joués à
Lyon la Vie de sainte Madeleine, la Vie de
saint Nicolas de Tolentin, et le Myslère du
Vieil Testament. « Les confrères de la Pas-
sion, cjui étoient les acteurs et les poètes
dramatiques de ce temps-là, joûerenl, en sa
présence (d'Anne de Bretagne), la Vie de
sainte Magdelaine, qui fut applaudie de la
cour et de la ville. On voit encore dans les
archives de l'hôtel de ville un acte consu-
laire qui ordonne à Clément Trie de prêter
aux acteurs, pour orner leur théAtre, les
pièces de décoration qui avoient servi aux
entrées solennelles du roi et de la Reine...»
(Le IL P. de Colonia, Uist. litt. de la ville
50!
MAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
MAR
50-2
de Lyon; yon, 1730, in-4", 2 vol., t. il, p.
428.)
MADELEINE (La Vie de Marie-). — «Ce
mystère est à peu près de l'an 1500.
La Vie de Marie- Magdeleine, contenant plu-
sieurs beanx miracles, comment elle, son
frère, le Lazare et Marthe, sa sœur, vindrent
Marseille, et comme elle convertit le duc
et la duchesse; à vingt-deux personnages.
Lyon, Pierre de la Haye, 1605, m-12.
« Marie-Madeleine, Marthe et Lazare ven-
dent tous leurs biens et en distribuent le
prix aux pauvres. Le prévôt de Jérusalem,
pour les punir de prêcher la doctrine de
Jésus-Christ et de publier qu'il est ressus-
cité, les fait embarquer sur un vaisseau sans
mâts et sans avirons, et les livre à la fureur
des flots. Ils essuient une tempête et arri-
vent auprès de Marseille. Ils vont se mettre
à l'abri sous le vestibule <iu temple. Le duc
et la duchesse de Marseille ordonnent un
sacrifice aux faux dieux, et vont offrir des
victimes au temple. Madeleine leur reproche
leur idolâtrie; choqués de celte hardiesse,
ils veulent l'en punir : elle, sa sœur et son
frère. Ils ordonnent qu'on les rembarque le
lendemain sur le même vaisseau, sans vivres
et sans aucuns secours. Rentrés dans leur
palais, le duc et la duchesse se sentent pressés
de sommeil; ils se couchent ensemble. Ma-
deleine leur apparaît en songe. Ils se réveil-
lent et l'envoient chercher. Elle les prêche,
et leur prédit que la duchesse, qui jusqu'a-
lors avoit été stérile, seroit bientôt enceinte.
En effet, la duchesse se sent grosse, et en
avertit son mari. Ils bénissent l'un et l'autre
Madeleine, et promettent de faire un pèle-
rinage a Rome. Ils laissent Marseille sous la
protection ds la sainte et s'embarquent. La
duchesse accouche et meurt. On porte son
corps sur un rocher, et on laisse l'enfant
(nlre ses bras, parce qu'on ne peut le
nourrir. Le duc est reçu à Rome par le Pape,
qui le conduit en pèlerinage à Jérusalem. Le
duc, après avoir resté deux ans à son voyage,
revient à Marseille. En passant auprès du
rocher sur lequel il a laissé sa femme, il
veut la voir. On lâche de le détourner de ce
dessein; il persiste, et on le met à terre. En
approchant, il voit remuer son enfant, et
trouve sa femme en vie. La duchesse lui
apprend que c'est Madeleine qui l'a ressus-
citée, et qu'elle l'a conduiteen esprit a Rome
et a h terre sainte. Ils rentrent ensemble
dans le vaisseau et débarquent a Marseille.
Ils se jettent en arrivant aux pieds de Made-
leine, et embrassent le christianisme. » (Bi-
bliothèque du théâtre françois, ouvrage attri-
bué au duc de La Valliere; Dresde, 1768,
iii-8", 3 vol., t. 1", p. 19.)
MARGUERITE ( Sainte ). — Duverdier
(187) Nous ne prétendons point donner ici la vie
de la reine de Navarre, niais seulement rappor-
ter quelques faits, qui forment une espèce de liai-
son à notre dessein, qui cA de parler de ses p'èces
de théâtre.
(188) Floi-iniond deRcmond dit que c'étaient des
(Bibliothèque française, p. 891) cite un Ure-
tère de sainte Marguerite :
La Vie de sainte Marguerite, vierge et mar-
tyre, fille dcThéodosius,a quarante quatre
personnages. Imprimée à Paris , par Alain
Lobriun, in-octavo.
Les frères Parfait [Hist. du théâtr. fr.,
Paris, 15 vol., in-J2, 1735, t. II, p. 561) ont
répété la m>te de Duverdier et datent cette
pièce perdue de l'an 1518.
De Beauchamps, dans ses Recherches sur
les théâtres (Paris, 1735, in-8°, 3 vol., t. I",
p. 224), en fait aussi mention.
M \RGUERITE DE NAVARRE. — Lesfrères
Parfait, dans leur Histoire du théâtre fran-
çois■(Paris, 15 vol., ln-12, 1735, t. II, p. 270),
ont donné sur Marguerite de Navarre les
notes suivantes :
« Marguerite de Valois (187), sœur de
François, premier du nom, roi de France,
naquit à Anguulême, le 11 avril 1492, de
Charles d'Orléans et de Louise de Savoie.
Elle fut élevée à la cour de Louis XII, et
elle épousa, le 9 octobre 1509, Charles,
dernier duc d'Alençon, que Françoi 1" fit
reconnaître pour premier prince du sang.
Le duc d'Alençon mourut h Lyon en 1525,
du déplaisir de la prise de François Ier. Mar-
guerite, quoique extrêmement touchée de
ceile mort, se rendit à Madrid, auprès du
roi son frère, et sollicita vivement pour sa
liberté. François I", de retour en France,
maria Marguerite avec Henri d'Albret, roi
de Navarre; ce mariage se fit eu 1527. Celle
princesse avait beaucoup de conuaissai.ee
des belles-lettres, et elle composait assez
bien pour son temps, en vers et en prose.
Elle estimait les savants et se plaisait à leur
faire du bien. Brantôme, p<ig. 308 et 309 de
ses Dames illustres, dit « que la reine do
« Navarre composoit souvent des comédies
« et des moralités, qu'on appeloit en ce
« temps-là des pastorales, qu'elle faisoit
a jouer et reorésenler par les filles de sa
« cour. »
« Florimond de Rémond (Histoire de l'hé-
résie, livre vin, chap. 3, p. 849) dit « que
« le docteur Roussel mit celte princesse
« dans le goût de lire la Bible, et qu'elle s'y
a attacha avec tant de plaisir, qu'elle com-
« posa une traduction tragi-comique de
« presque tout le Nouveau Testament, qu'eilo
« faisait représenter en la salle, devant le
« roi son mari , ayant recouvert pour cet
« effet des meilleurs comédiens qu'elle put
a trouver (188). »
« Marguerite de Valois mourut au château
d'Odos, en Bigorre, le 2 décembre 1549, et
fut inhumée à Pau. Charles de Sainte-Marthe,
lieutenant criminel d'Alençon et maître des
requêtes de l'hôtel de cette reine, composa
comédiens italiens : mais quelle apparence y a-lit
que la reine de Navaire envoyai eliêrcher des étran-
gers pour jouer des pièces françaises, pendant qu il
y avait en France plusieurs troupes de arméniens,
qui couraient le royaume.
503
MAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
MAR
504
son oraison funèbre, qu'il publia en latin
et en français. Scévole de Sainte-Marthe a
placé son éloge entre ceux des hommes de
lettres fronçais. Ronsard, Dorât, Nicolas
Denisot, Brantôme, Lacroix du Maine, Du-
ver.iier, etc., font mention de cette reine. Il
reste même un volume d'épitaphes qu'on fit
pour elle. Anne, Marguerite et Jeanne de
Seimour, Anglaises, composèrent pour elle
plus de cent distiques latins, que Du Bellay,
Dorât et Baïf, et autres poètes célèbres,
mirent en notre langue.
« Voici les titres des pièces dramatiques
que Marguerite de Valois composa (189) :
Comédie de la Nativité. — ■ Comédie de V Ado-
ration des trois Bois. — Comédie des Inno-
cents.— Comédie du Déterl. — Comédie des
deux Filles, deux Mariées, la Vieille, le Vieil-
lard et les quatre hommes. — Farce de Trop,
Prou, Peu, Moins. »
M. 0. Leroy, dans ses Epoques de Vhist.
de France; Paris, 1843, in-8°, p. 389, a rap-
pelé les mystères de la spirituelle et belle
Marguerite de Valois, mais il les déclare si
ennuyeux qu'il n'en peut rien citer, quoique
joués au château de Béarn, selon l'autorité
de Brantôme. Ces mystères ont été impri-
més en 1544.
MARTIAL DE LIMOGES (Manuscrit de
Saint-). — Eu 174-1 , le savant abbé Lebeuf,
examinant Vétat des sciences en France de-
puis Robert le Fort, fit connaître l'existence
d'un manuscrit de l'abbaye de Saint-Martial
de Limoges, dans lequel il signalait un drame
de là Nativité {Dissertations sur ÏHist. ccclés.
et civile de Paris, 1741, in-8°, t. II, p. 65).
Les Bénédictins crurent devoir, sur celte
autorité, reculer jusqu'au xr siècle les
origines du théâtre, quoiqu'ils fussent d'a-
vis que les drames du Manuscrit de Saint-
Martial n'avaient pas été représentés. (Dis-
cours sur Vétat des lettres en France au xi*
siècle, dons VHist. littér. de la France; Pa-
lis, 1746, in-4.% t. VII, p. 127.)
Le xviii* siècle n'y attacha pas autrement
d'importance.
Par suite de la Révolution, le manuscrit
ayant passé de l'abbaye de Saint-Martial do
Limoges dans le riche trésor de la Biblio-
thèque impériale, il y resta assez longtemps
ignoré. De Roquefoi t-Flainéricourl (De l'état
de la poésie fr. dans les xii* et xui' siècles;
Paris, 1815, in-8°, p. 258), s'en tenait, au
commencement du xix' siècle, au jugement
incomplet de l'abbé Lebeuf; et dans le XVI*
volume de V Histoire littéraire de la France,
continuée par l'Institut (Paris, 182V, in-80),
M. Amaury-Duvai n'appréciait pas autre-
ment que les Bénédictins les fragments du
Manuscrit de Saint-Martial.
Enfin Raynouard publia le texte. (Choix
de poésies originales des troubadours, t. II,
]>. 139.) M. Fr. Mich.d en donna une réédi-
tion pour la Société des bibliophiles fran-
çais. M. Thomas Wright, en Angleterre,
(189) Ces pièces de théâtre sont comprises dans
le Recueil des œuvres de la reine de Navarre, impri-
mée* eu 1547, sous lo titre de Marguerites de la
reproduisit ces deux éditions. (Early Myste-
ries, Anciens mystères et poèmes latins des
xii' et xiii* siècles, publiés sur les manus-
crits originaux ; Londres, Nichol, 1838, in-8*,
de xxvm-135 pages.) Enfin on retrouve en-
core ce texte, accompagné de la traduction
de Raynouard, dans le Théâtre français au
moyen âge, publié par MM. Monmerqué et
Fr. Michel (1 vol. gr. in-8°; Paris, 1839).
Jusque-là les fragments, parfaitement dis-
tincts pourtant du manuscrit original, étaient
restés confondus. Ce fut M. Magnin, qui,
avec l'extrême sûreté de vue dont il a tant
de fois fait preuve dans ses écrits sur le
théâtre, mit en lumière trois morceaux, en-
tièrement divers, que rien ne rattache les
uns aux autres, et que avant lui personne
n'avait remarqué :
1° Un court fragment de Y Office du Sépul-
cre (ce qu'on a appelé un peu après le Mys-
tère de la Résurrection), dans lequel figurent
les saintes femmes.
2° Le Mystère de l'Arrivée de l'Epoux ou
des Vierges sages et des Vierges folles, dans
lequel, à cause de la vulgarité de certains
détails, la langue romane est introduite.
3" Enfin, un Office du Mystère de la Nati-
vité. (Cf. les Comptes rendus du cours pro-
fessé à la Faculté des lettres, quelque inexacts
qu'ils soient, dans le Journal général de
l Instruction publique, 1835. 12 juillet, p.
370, et 26 juillet, p. 395; et surtout le Jour~
nul des Savants, cahier de janvier 1846.)
MM. Jubinal, Francisque Michel , Mon-
merqué, Morice, O. Leroy, reproduisirent
ces observations.
Le Manuscrit de Saint-Martial fut d'abord
attribué au commencement du xu* siècle
par l'abbé Lebeuf, qui le data de 1131a
1161. Les Bénédictins en reculèrent l'âge
jusqu'au xi' siècle, et M. Raynouard le re-
porta, en s'appuyant sur des preuves philo-
logiques, à la première moitié du xi' siècle.
II en résulte qu'il est à peu près certain
que les drames du Manuscrit de Saint-Mar-
tial sont des restes, plus précieux encore
en raison de leur haute antiquité, non pas
môme du commencement du xi" siècle, mais
bien du x'; Raynouard n'était pas éloigné
de les faire remonter jusque-là, et M. Ma-
gnin les a fixés définitivement à cette
époque.
Très-certainement l'abbé Lebeuf croyait
que la pièce du Manuscrit de Saint-Martial
avait élé représentée. Les Bénédictins for-
mulèrent une opinion contraire. M. Magnin,
s'appuyant sur l'existence d'une rubrique
du mystère des Vierges, qui indiquait un jeu
de scène, et que Raynouard avait laissée
confondue dans le dialogue, fut d'avis que
ces drames avaient dû être, non pas seule-
ment récités, mais représentés dans l'église.
— Voy. Vierges sages (les).
Enfin, c'est au même érudit qu'est due la
publication du fragment de mystère des
Marguerite des princesses, ires-illustre roync de Na-
varre.
50;
.MAP
DICTIONNAIRE DSS MYSTERES.
MÀR
5tt6
Innocents, .que contient encore le Manuscrit
de Saint-Martial. — Voy. Innocents (les).
En résumé, datant de la première moitié
du xi* siècle, inconnu jusqu'au xvm% si-
gnalé par l'abbé Lebeuf, édité par Uay-
nouarl, et d'après lui, par M. Fr. Michel et
Thomas Wright, le précieux Manuscrit de
Saint-Martial de Limoges, et non d'Auver-
gne, comme le dit M. Jubinal (Mystères iné-
dits du xv' siècle; Paris, 1837, 2 vol. in-8°,
t. 1", préf., p. xv), contient quatre drames
distincts :
1° Un fragment d'un Office dialogué du
Sépulcre'on de la Résurrection, que nous
publions au mot Résurrection (la).
2° Le Mystère des Vierges; voy. Vierges
SAGES ET LES VlERGES FOLLES (les).
3° Le Mystère de la Nativité; voy. Nati-
vité (la). "
4° Le Mystère des Innocents, dont il ne
reste qu'un fragment ; voy. Innocents (les).
Ces quatre drames datent du x'siècleJ
MARTIN (Saint). — M. 0. Leroy, dans
ses Etudes sur les Mystères (Paris, 1837,in-8°,
p. 28V-303), s'est arrêté à la critique du
mystère de la Vie de saint Martin
Le manuscrit appartient a la Bibliothèque
royale, fonds La Vallière, n° 51.
L'auteur est cet Andrieude La "Vigne, au-
teur du Journal de Naples, mort en 1527,
né à la Rochelle, et dont les œuvres s'aug-
mentent de la Vie de saint Martin par per-
sonnaiges, et de deux farces.
Le Saint Martin de de La Vigne a été joué
a Seurre en Bourgogne, en 1496. Un pro-
cès-verbal de la représentation, écrit par
l'auteur, témoigne en faveur de la curio-
sité pieusedes Bourguignons et de la bonne
volonté des acteurs. Parmi ces derniers,
s'est rencontré le nom de la famille de Bos-
suel, bourguignonne, en eifet, d'origine.
« Dès le début du Mystère de saint Martin,
son père, qui était, dans le iv' siècle, un
de ces tyrans militaires que Rome imposait
a la Gaule, parle ainsi de son fils a sa femme,
d'un ton de matamore, dont le mauvais goût
n'est pourtant pas sans vérité :
Je veulx qu'il soit désormais aux vacarmes;
Carmes, nioyncs, pour ses rudes alarmes,
Larmoyer face (fasse); à noyse el à coniens
Tant qu'il ayl fait plusieurs gens mal coniens,
Tandis qu'il est en la fleur de jeunesse...
Bâtant, frappant, pour hanter combatans,
Bataillant fort, tant qu'il soit en vieillesse...
« Le jeune Martin... est au moment d'em-
brasser le christianisme; il en a déjà les
vertus, lorsque son père lui vantant les
plaisirs dont jouissent les gens du monde,
lejeunehoinme, aussi sage quele vieillard es»
fou, lui répond :
Tel aujourdliuy s'esjoysl de la fesie
Qui puis après petitement s'en loue,
El lel son biuyl aujourdliuy niagnifcsle
A qui demain mort baille sur la joue.
Fortune après du demouranl se joue
Me plus ne moins c'un chat d'une souris...
« Martin cependant a embrassé le métier
des armes, et il se trouve, au milieu de l'hi-
ver le plus dur, jeté parmi des militaires...
en butte aux railleries de ses compagnons
d'armes...
« Un jour, il donne à un pauvre la moitié
do son manteau... Pendant son sommeil,
Jésus lui apparaît revêtu du manteau dont il
avait donné la moitié au pauvre. Celte vision
le porte à se faire baptiser. C'est ainsi que
la première îles vertus chrétiennes, la cha-
rité, conduit à la foi...
« Des voleurs, entre les mains de qui il
est tombé en traversant une forêt... sont
sur le point de le maltraiter. Us l'ont atta-
ché à un arbre, mais ils n'ont pu enchaîner
sa parole, il s'en sert...
« Il s'est adressé au plus acharné des
malfaiteurs; le brigand commence à réfléchir
et se dit à lui-même :
Hellas?trop me suis déliclé
A faire des maux esscc.rables,
Dont après ma charnalilé
S'en yra à lous les grans diables.
0 appélis désordonnez,
Eu enfer vous serez dampnez !
SAINT MARTIN.
Mon amy. ne vous condampnez
Dieu est plaiu de miséricorde.
LE VOLEUR.
Laissez m'en paix! vous me tannez.
Que pendu soi-ge d'une corde!
« Le coquin, tanné des coups que son
âme reçoit, est plein de naturel. *
Dans ses Epoques sur l'histoire de France
(Paris, 1843, in-8% p. 430-456), M. O. Leroy
est revenu sur le Mystère de saint Martin
du manuscrit de Paris... « Le drame d'André
de La Vigne, dit-il, si supérieur à l'autre
mystère anonyme sur le même sujet; ce
grand drame , si remarquable , ne fut pas
seulement représenté à Seurre, il le fut
aussi à Tours, aux fêtes solennelles de Saint-
Martin... »
Au sujet de ces représentations h Tours,
et en en rapprochant la scène de l'évoca-
tion du brigand dont le tombeau avait été,
jusque-là, respecté comme celui d'un mar-
tyr, et que l'auteur du mystère a reproduite
d'après Sulpice Sévère, M. O. Leroy reste
convaincu que les paroles suivantes de
saint Martin purent n'être pas étrangères
au grand désastre dans lequel périrent les
autels et les reliques de saint Martin, de
saint Grégoire de Tours, et d'autres saints
non moins vénérables :
Il faut mettre à destruction
L'autel, afin que désormais
Personne n'ait affection
D'y venir s'y abuser jamais !
Une discussion s'élève entre saint Martin
et un évoque arien. M. O. Leroy en rappro-
che les débats entre le catholicisme et l'hé-
résie : « André de La Vigne, dit-il, a cher-
ché les faits et les peintures le plus en rap-
port avec l'esprit et le goût de son temps.
11 nous montre saint Martin déployant tout
son zèle contre l'aiianisme qui, défendu par
l'aristocratie... devait ressembler, sous bien
507
MAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
M AU
508
d'autres rapports, au protestantisme. L'in-
térêt politique vient donc se joindre à l'in-
térêt religieux et pr -longer le succès du
drame. L'attention qu'on y prêtait à ces
longs et violents débats n'annonçait que trop
le siècle de Luther et nos guerres de re-
ligion. »
MARTIN (Saint). — On lit dans les Etu-
gnes chacune. Les caractères
personnages
Bcauchamps (Recherches sur les théâtres de
France; Paris, 1735, in-8°, 3 vol., t. I", p.
2-27), mentionnait sous le titre de Vie de saint
Martin de Tours.
MAUVAIS RICHE ET LE LADRE (Le).
— Mystère du xvie siècle, écrit en vors fran-
çais, dont l'auteur et les manuscrits sont
restas ignorés. La première édition connue
dessilles Mystères (Paris, 1837, p. 301) de est in-"8° gothique, sans date, sans nom de
lieu ni d'imprimeur, sans chiffres ni récla-
mes, mais seulement avec les signatures A
et B, en tout 32 pages, dont la justification
est de k pouces 5 lignes de hauteur et de
2 pouces 7 lignes de largeur. Ce livre a été
reproduit, pour faire suite à la collection de
Caron, en avril 1823, par Augustin Ponlier,
imprimeur-libraire, à Aix, Bouches-du-
Rhône. L'éditeur s'est appliquée imitor exac-
tement l'original page par page, et jusque,
dans les fautes : il a fait calquer et graver
exprès sur bois, la vignette du frontispice,
qui a été détruit^ après le tirage. Il n'a été
tiré que 72 exemplaires de cette réimpres-
sion, dont 3 sur vélin, 6 sur papier vélin
bleu, 6 sur papier vélin rose, 12 sur papier
vélin d'Annonay, kO sur papier vélin blanc
ordinaire (couronne in-8°), et 5 destinés au
dépôt. Le titre de ce mvstère est ainsi
conçu :
MORALITÉ NOUVELLE DU MAUVAIS RICHE ET
DU LADRE. A DOUZE PERSONNAGES.
Suit une citation d'un verset tiré du xxn*
c. de saint Luc.
Le mauvais riche contient près de mille
vers
Les frères Parfait (Bist. du Théâtre fr. ;
Paris, 15 vol., in-12, 1745, t. 111, p. 9i) ont
rendu compte de ce mystère ; ils le datent,
on ne sait trop comment, de l'an 1500. De
Beauchamps (Recherches sur les théâtres de
France; Paris, 1735, in -8°, 6 vol., t. 1",
p. 230), et la Bibliothèque du théâtre fran-
çais (Dresde, 17G8, in-8%3 vol., t. 1", p. 18),
ouvrage attribué au duc de La Val li ère, ont
rendu compte de ce drame. Parmi les mo-
dernes, M. Sainte-Beuve (Tableau hist, et
cr. de la p. fr. et du théâtre fr. au xxi' siè-
cle ; Paris, 1828, in-8°, 2 vol., t. I", p. 217-
23i), a fait mention de cette moralité.
PERSONNAGES.
LE RÉC1TATF.UR lit] prolûg.
trotemknc, valet du mau-
vais riche.
M. O. Leroy
«Il existe un mystère de saint Martin, im-
primé vers 1500, dont M. Brunet a vu chez
M. Téchenerun exemplaire qui appartient à
la bibliothèque de Chartres... C'est un petit
in-4° de 7 pouces de bauteur et de 5 de
largeur, composé de 32 feuillets, à 2 co-
lonnes,
sont en petit gothique, et les
ou acteurs au nombre de 53. Le premier
feuillet est orné d'une gravure en bois, re-
présentant saint Martin à cheval, et un boi-
teux allant à sa rencontre. »
Le mystère est entièrement différent de
celui donj le manuscrit est conservé à la
Bibliothèque impériale.
11 est évidemmentd'unautreauteur, qui est
resté inconnu.
Parmi les preuves du goût du peuple fran-
çais pour le rire, et le rire déplacé surtout,
que M. (). Leroy a tirées du vieux théâtre
français, et qu'il a réunies dans ses Epoques
de l'histoire de France... (Paris, 18i3, in -8°),
il en est une fort singulière, en rapport avec
l'histoire qui, selon cet au leur, à ce double titre,
méritai td-'être remarquée, et que eite,eneffet,
M. Leroy. L'auteur du mystère nous montre
saint Martin célébrant la messe. Celte action,
la plus solennelle du christianisme, nous
semblerait déplacée sur la scène la plus
grave. Voyons comment le vieil auteur l'a
égayée, suivant l'expression de Boileau. Deux
femmes futiles, comme on en a yu de tout
temps, viennent à l'église, et Satan les suit;
il ne les quitte pas. Elles sont censées là
pour entendre la messe. Le diable, qui s'est
mis derrière elles, les voyant jeter ça el là
leurs regards, et, au lieu de prières, débiter
entre elles mille médisances, le diable, dis-
je, atin de n'en rien perdre, tire de sa poche
un long parchemin, et se met à écrire tout
ce qu'il entend dire aux deux babillardes :
il a fort à faire... Malgré sa sténographie, ne
pouvant saisir le torrent, il se démène comme
si l'eau bénite tombait 5 flots sur lui, ce que
le petit Brice, malin enfant de chœur (Grég.
db Tours, Hist. cccl.,\. h, c. 1), remarque en
riant aux éclats. Quand saint xMartin a dit sa
messe, il demande à l'enfant de chœur la
eausedeses ris. Celui-ci l'avoue... Le saint...
adresse à ses ouailles ces paroles pleines de
bonhommie :
Or regardés, tant bonnes gens,
Comme vous guette l'ennemy
Quand en l'église est venn cy
Escrire ce que l'on parloit.
Haa, bonnes gens, c'est mal faicl
De parler ainsi à l'églize,
Quanti on doit ouyr le service, (p. 558.)
Ce mystère est sans doule celui que do
LE MAUVAIS RICHE.
LA FEMME DL* MAUVAIS RI-
CHE.
tru-et, cuisinier du mau-
vais riche.
LE LADRE.
DIEU LE PtRE.
ABRAHAM.
RAPHAËL.
SATAN.
rahouart, diable
LUCIFER-
ACGRAPART.
Le mauvais riche a demandé son dîner.
Trotemenu, son valet, et Tripet, son cuisi-
nier, s'empressent de le servir. On entend
à ce moment la « cliquette » du ladre :
LE LADRE.
Envoyez-moy aucune chose,
Car plus avant aller je n'ose;
T restons les jours mon mal empire.
Hélas! comme mon cœur désire
D'estre saoule de miettes...
509 MAU
Qui ins de la table dégouttent...
Si vous prie amoureusement
Que me vueillez rassasier
Que Dieu vous vueille héberger
Lassus en son saincl paradis.
Envoyez-moi quelque chose, car je ne puis me
Soutenir plus longtemps; mon mal empire tous les
jours, flélas! combien je soupire, rien que des miet-
tes... tombant de la table... Aussi je vous conjure
ardemment de vouloir bien apaiser ma faim, et
Dieu vous recevra certainement à cause de cela,
dans son saint paradis.
Le riche, pour toute réponse aux lamen-
tations du ladre, fait lâcher sr.r lui ses chiens
de^arde; rouis les chiens, au lieu de se jeter
sur lui, lui font fêle, le lèchent, le caressent,
si bien que Trotemenu, ébahi, s'écrie devant
son maître :
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
MIC
MO
Et toute désolation
Or suis venu en la maison
Où me failli tant souffrir de maulx
Par la puissance aux infernaulx
Père Abraham je vous requier
Que vous me vueillez envoyer
Le povre ladre que tenez...
Helas! funeste spéculation! Comment ai-je passé
ma vie sans jamais faire de charité, sans jamais
avoir souci du bien. Je n'eus pour les pauvres qu'in-
jure et souffrance. Aussi suis je en ces lieux où
s'exercent les horreurs de tontes les tortures par la
puissance des infernaux. 0 père Abraham, je vous
conjure de m'envoycr ce pauvre ladre que vous
tenez...
^ Abraham refuse au mauvais riche la goutte
d'eau qu'il demande, au nom de la justice
éternelle, au nom de
Je ne sçay moy que ce peull estre
Je croy que Dieu y fait vertus.
Je ne sais ce que cela signifie, et je croisa que Dieu
y met de sa puissance.
LE RICHE.
Par Dieu, (u es bien maloslrus
Qui cuides que Dieu s'embesongne..
. . . De si ville créature.
Si seroil pour luy grant laidure...
Par Dieu, tu es bien malavisé de croire que Dieu
6'occupe... de si viles créatures... Ce sérail oour
lui une belle occupation...
Trotemenu est renvoyé. Il chasse douce-
ment le ladre, qui, désespéré, invoque le
Seigneur et lui demande la grâce de mourir.
Dieu le Père est ému, il a « et compassion et
pitié du pouro Lazare, » i! se résout à le rap-
peler dans le sein d'Abraham, et envoie Ra-
phaël chercher l'ânie de l'infortuné qui ex-
pire.
L'enfer essayed'enlever a Raphaël l'âme de
Lazare, mais en vain : Satan, Rahouart y
échouent, et Lucifer furieux les accable de
sa colère.
Le ladre est arrivé enfin dansle ciel joyeux
de son arrivée.
Cependant le mauvais riche est mort ; Sa-
tan et Rahouart, émissaires de Lucifer, qui
le guettaient, l'un aux pieds, l'autre au che-
vet de son lit, ont saisi son âme, et l'ont
plongée
. . . En la chaudière
Où il n'a elerté ne lumière.
Le tourmenté se plaint, supplie :
LE RICHE
Hélas! i'ay fait mauvais exploit
Quant j'ay ainsi n.on temps usé
Sans faire nulle charité
Oncque de bien taire neuz cure
Aux povres gens mais touic injure
Cil qui tout sçait et par tout voit
Qui vil el règne et régnera
In sa'culorum swcula.Amen.
ÏXPLICIT.
MEMBRES ET LESTOMAC (Les).— Les
membres et l'estomac sont contenus dans le
manuscrit anonyme de la Bibliothèque im-
périale, fonds La Vallière, n° 63.
Cette pièce date du xvi* siècle
M. O. Leroy, dans ses Etudes sur les Mys-
tères (Paris, 1837, in-8°, p. 373), en a donné
l'appréciation suivante :
« L'auteur anonyme du drame a pour but
de faire sentir aux communions séparées do
Rome que, privées du chef universel dont
l'autorité les guidait, elles doivent flotter à
tous vents de doctrine, comme dit Bossuet, et
périr dans leur foi. Telle est la moralité ré-
sumée dans ces rimes :
Nous sommes tous membres, branches ausy.
Grist, nosire corps cl tronce, par aiusy
Nousjoinct en luy. Pour nous fruict produyra,
Ou aullrement en douleur et soulcy
Membre du corps divisé périra.
« Cet ouvrage n'étaitpasjoué sans doute...»
MICHEL (Jean). — Jean Michel est l'un
des deux grands réviseurs du drame de la
Passion.
Son histoire est singulièrement incertaine,
comme celle des Gresban , du reste, qui
ont , avant lui , mis la main à la môme
œuvre.
Les uns ne savent de lui rien autre chose,
sinon qu'il était éloquent el savant ; les au-
tres veulent qu'il ait été évèquc d'Angers et
ait vécu dans la première moitié du xV siè-
cle ; pour d'autres, encore, c'est le médecin
de Charies VIII. On a dit que l'évoque et le
médecin étaient parents.
La Bibliothèque du théâtre françois , ou-
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde,
1703, in-8% 3 vol., t. I", p. 65), suppose
« que le Jean Sliehel.évéque, était l'auteur de
la Passion, connue vers 1W2 ; et que le Jean
5!i
M1R
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
M1R
512
Michel, médecin, corrigea, augmenta et fit
imprimer cet ouvrage. Il est incontestable
que c'est ce dernier qui est auteur du mys-
tère de la Conception, ainsi que de celui de
la Résurrection. »
On ne sait ni le lieu de sa naissance, ni
son temps. Ses ouvrages ne sont pas moins
incertains. Il a revisé la Passion, ceci est
incontestable. Les additions et les change-
ments d'une édition du drame de la Résur-
rection, suite inséparable et complément de
la Passion, lui appartiennent; et aussi un
drame entier de la Résurrection. La Vengeance
de Notre-Seigneur esi-ello son œuvre, c'est
ce qui devient plus incertain. Enfin l'abbé
Lebeuf lui attribue le Dialogue entre Dieu,
l'homme et le diable. — Voy. Passion (la);
Vengeance de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ
(la); — Dialogue, etc.
MIRACLES DE SAINTE GENEVIÈVE
(Les).— Voy. Sainte-Geneviève (Les mira-
cles de).
MIRACLES DE NOTRE-DAME.- De
Beauchamps (Recherches sur les théâtres; Pa-
ris, 1735, in-8%3 vol., t.I", p. 234-240), avait
signalé le manuscrit des Miracles de Notre-
Dame, et donné la liste des mystères qu'il
contient.
M. Magnin, dans son cours professé en
1835, à la Faculté des lettres, commença
d'appeler fortement l'attention sur les dra-
mes. Quoique toujoursaccompagnésd'un ser-
mon, il les déclara joués par des laïques,
hors de l'église, et peut-être par une confré-
riede la Viergedemi-laïque, demi-religieuse ;
enfin il les attribuait au xive siècle. (Journ.
gêner, de l instr. publiq., 19 nov. 1835, cours,
2' semestre, xr art., p. 43.)
M. Onésimc Leroy s'empara, pour les dé-
velopper, des opinions de M. Magnin. Dans
ses Etudessur les Mystères (Paris, 1837, in-8°,
p. 40-110) ; il consacra un chapitre entier aux
Miracles de Notre-Dame , qu'il intitulait
inexactement Mystères. Il se rangeait à l'o-
pinion qui attribue h la première moitié du
xiV siècle le manuscrit des Miracles; mais
non sans critique, celle date étant, à l'en
croire, incertaine, à un siècle près. A n'en
juger que par les sermons en prose qui ac-
compagnent chacune de ces pièces, on pour-
rait croire que « ces drames sont monasti-
ques » et que nous avons l'œuvre de quel-
que autre Hrotswithe; mais comme, outre
le sermon, il y a à la suite, ou en tête de
chacun d'eux, une pièce de vers qui a été
présentée a un concours, ou couronnée d'un
prix littéraire, il est probable que ce recueil
appartenait à une do ces confréries reli-
gieuses et littéraires, communes dans le
nord de la Franco dès le xnr siècle. C'est
aux princes, c'est-à-dire aux chefs de ces
sociétés, que s'adresse cet envoi :
Princes, servons de cuer el de pensée
L'Arche en qui fu ta sainte char (c/»flir) fou rmée
De Jésucrisi...
et ces mots : couronné on dit Puy, qu'on lit
après, un serrenloys, indiquent une de ces
sociétés du Puy (Pùys d'Amour, Puys de la
Conception, Notre-Dame du Puy) communes
à Valencicnnes, Arras, Amiens, Beauvais,
Bouen, Caen, Dieppe, etc.
Quelques année» plus lard , le même au-
teur, dans un autre ouvrage qui ne repro-
duit guère que le premier avec quelques
développements de plus {Epoques deVHist,
de France; Paris, 1843, in-8% p. 134-195),
attribuait aux débals sur l'immaculée Con-
ception, qui s'élevèrent dans les premières
années du xive siècle, le grand développe-
ment des confréries do Notre-Dame. Ce sont
ces confréries qui nous ont laissé les deux
volumes de légendes dramatisées de la Bi-
bliothèque impériale. — La plupart de ces
pièces sont profondément obscures. Marie
n'y intervient que plus heureusement; c'est,
suivant l'expression de l'Ecriture, «l'étoile
du matin, stella matulina, qui succède à la
nuit.» (P. 439.) Dans le Baptême de Clovis,
sainte Clolilde n'est point une héroïne, c'est
une simple et faible femme qui ne se tient
que pour la chambrière du roi. Dans un
autre sujet, qui est aussi de l'histoire, la
beauté morale de Théodore a frappé les sa-
vants. Tel de ces drames prouve que le sujet
de Tancrède esl tout français, et nous a été
emprunté par l'Italie. Beaucoup de ces dra-
mes, sans doute, sont loin de ces caractères
de grandeur; mais l'esprit delà Vierge y
respire la pureté, la piété, l'amour et la
résignation.
Enfin , M. Paulin Paris (Les manuscrits
français de la Bibliothèque du roi ; Paris,
Téchener, 1845, in-8% t. VI, p. 331-341), a
retracé en ces termes l'histoire des Miracles
de Notre-Dame.
« N° 7203 * A et '* B. — Les miracles de
Notre-Dame, par personnages. — Deux volu-
mes in-fol. parvo, vélin, à deux colonnes;
le premier de 262 feuillets ; le second de 298
feuillets; petites miniatures; commence-
ment du xv' siècle, lleliés en maroquin
rouge. — Fonds de Cangé, nor 13 et 14.
« Ces deux précieux manuscrits furent
achetés par Cangé pour la faible somme de
cent francs, comme ce somptueux amateur
nous l'apprend par une note de la seconde
feuille de garde de chaque volume, mais
sans nous dire le nom du précédent pro-
priétaire. De notre temps, MM. Magnin,
Francisque Michel, Jubinal et Onésime Le-
roy les ont consultés avec un grand soin ;
ils en ont fait ressortir l'importance litté-
raire, ils en ont eualysé, et M. Michel en
a même publié quelques morceaux.
«Ils contiennent quarante miracles, ou
jeux dramatiques fondés sur autant d'his-
toires dans lesquelles Notre-Dame joue le
rôle du Deus ex machina dans l'ancienne co-
médie. Il v en a vingt-deux dans le premier
volume, dix-huit dans le second. Ces his-
toires sont, en grande partie, fondées sur les
miracles rimes deux siècles auparavant, ou
plus anciennement encore, par Gautier de
Coiney, Butebeuf, Hermant, el autres trou-
vères." Les titres en onl été déjà donnés par
Beauchamps, dans les Recherches sur les théâ-
tres de France, Paris, 1735; et redonnés, en
513
MIR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
M1R
514
1837, par M. Achille Jubinal dans la préface
de son édition de Mystères inédits. Nous n'en
sommes pas moins tenu de reproduire cette
table, en l'accompagnant de quelques courtes
observations.
TOME I.
« I. Volume Ier, f° 1. Cy commence un mi-
racle de Notre-Dame , d'un enfant qui fut
donné au dyable, quand il fu engendre. » Iné-
dit, suivi ({'une chanson en cinq couplets,
avec un envoi aux Princes (du Puys).
« II. F" 13. Miracle de Notre-Dame, cornent
elle délivra une abbesse qui esloit grosse de
son clerc. » Inédit, précédé d'un court ser-
mon en vers.
« 111. F" 23. Miracle de l'evesque quel'ar-
cidiacre meurtrit pour estre evesque après sa
mort. » Inédit, précédé d'un court sermon
en prose, et suivi d'un chant royal sans
refrain.
« IV. F0 33. Miracle de Notre-Dame, co-
rnent la feme du roy de Portigal tua le senes-
chal duroy et sa propre cousine, dont elle
fut condampnée à ardoir (être brûlée), et Notre-
Dame l'en garanti. » Inédit, précédé d'un ser-
mon en prose.
« V. F" 46. Miracle delà Nativité de Notre-
Seigncur Jésus-Christ, cornent Salomé qui ne
créoit pas que Notre-Dame eust enfanté vir-
ginalement sans cuire d'omme , perdit les
mains, pour ce qu'elle le vouit esprouver ; et
tantôt après elle se repenti , et mit les mains
sur Notre-Seigneur, et elles H furent rendues
en santé. » Inédit, précédé d'un sermon en
prose, et suivi de deux serventois, l'un dé-
signé comme couronné audit Puys, le se-
cond comme estrivé.
« VI. F° 50. Miracle de Notre - Dame de
saint Jehan Crysosthomes et dcÀnthuresamère,
cornent unroy lui fit couper le poing, etNotrc-
Dame lui refit une nouvelle main. » Inédit,
précédé d'un sermon en prose.
« VII. F0 69. Miracle de Notre-Dame d'une
monie qui laissa son abbaye pour s'en aller
avec un chevalier qui ïespousa, et depuis qu'ils
avoient eu de beaux enfants , Notre-Dame
s'apparut à elle, dont elle retourna en s'abbaie,
et le chevalier se rendit moine. » Inédit.
« VIII. F° 79. D'un Pape qui par sa convoi-
tise vendit le basme dont on servoit deux
lampes en la chapelle de saint Pierre, dont
saint Pierre s'apparut à lui, en lui disant
qu'il en seroil dampné, et depuis par sa bonne
repentance , Notre-Dame le fist absoudre. »
Inédit. La vignetlo qui précède celle pièce
est curieuse , elle représente deux anges
donnant des coups de pied au derrière d'un
Pitjie dont le corps est couvert d'une simple
chemise, mais dont la tête est ornée de la
triple couronne d'or.
« IX. F° 89. De saint Guillaume du désert,
duc d'Aquitaine, que les dyables bâtirent tant
que le Guidèrent laissier mort pour ce qu'ilne
vouloil retourner au monde, dont Notre-Dame
le vint reconforter, cl le guérit.» Inédit, pré-
cédé d'un sermon en prose.
« X. F* 101. D'un ciesque a qui Notre-Dame
s'apparut, et lui donna un joucl d'or auquel
avait du lait de ses mammelles. » Inédit...
« XI. F° 108. Cornent Notre-Dame garanti
un marchant d'un larron qui l'espioil; et co-
rnent elle s' apparu au larron et au marchant,
et puis devint le larron hermilc.» Inédit, pré-
cédé d'un sermon en prose.
« XII F° 115. De la marquise de la Gau-
dinc, qui, par l'accusement de l'oncle de son
mari, auquel son mari l'avoit commise à gar-
der, fut condampnée à ardoir. Dont Anthenor
par le commandement de Notre-Dame , s'en
combati à l'oncle et le desconfît en champ. »
Inédit. — Ce précieux ouvrage a été appré-
cié avec beaucoup de justesse et d'agrément
par M. Leroy, Etud. sur les Mystères, p. 96
à 105.
« XIII. F° 127. De l'empereur Julien que
saiiit Mercure tua du commandement Notre-
Dame, et Libanius, son seneschal, qui cela vit
en avision, se fil baptiser à saint Bazille, et
devint hermite, et pour revenir en sa biautê
Notre-Dame souffri que on H crevast les yeux
et le rcnlumina Notre-Dame. » Inédit. l)ans
le corps du drame est intercalé un sermon
en prose.
« XIV. F" 139. D'unprevost queàlarequeste
de saint Prist Notre-Dame délivra du pur-
gatoire. » Avec sermon, suivi de deux ser-
ventois. Inédit.
« XV. F0 151. Cornent ung cnfant\ resu-
cita entre les bras de sa mère que l'on voloit
ardoir, pour ce qu'elle l'avoit noie. » Inédit.
Suivi d'un serventois.
« XVI. F" 165. De la mère d'un Pape qui
tant s'enorgueilly pour son fils Pape et pour
ses deux autres fils cardinaulx qu elle se rc-
puta greiqueur (plus grande) que Notre-Dame
dont elle ot depuis telle contriction et en fist
telle pénitence, que Notre-Dame la receul à
mercy. » Inédit.
« XVI 1. F" 179. D'un paroissien excom-
munié que Notre-Dame absolu, à la requeste
du bon Pol d'Alixandrie.» Inédit.
« XVI11. F° 197. D'une femme nommée
Théodose, qui, pour son péchié, se mist en
habit de homme, et pour sa penance faire de-
vant moine et fut tenue pour homme jusques
après sa mort » Inédit, mais analysé par
M.-O. Leroy [Etudes sur les my st., p. 73 à
87). Accompagné d'un sermon et do deux
servenluis.
« XIX. F" 211. D'un chanoine qui, par
l'exortement de ses amis, se maria, puis laissa
sa femme pour servir Notre-Dame. » Inédit,
avec sermon et deux serventois.
« XX. F* 223. De saint Seveslre et de l'em-
pereur Constantin , qu'il convertit. » Avec
deux serventois. Inédit.
« XXI. F° 235. De Barlaam, maislre d'oslcl
du roy Avenir qui convertit Josaphut, le fil
du roy, et depuis converti Josaphat sonpèret
le roy, et tous ses subjects. » Avec deux ser-
ventois. Inédit.
« XXII. F° 250. De saint Panthalcon, que
un empereur fiel dccoler avec IJcrmolaus, et
des deux cornpaignons qui lavaient baptisé.»
Avec sermon. Inédit.
$15 MIR DICTIONNAIRE DES MYSTERES. M1R 5i6
TOME II. sa mère fist entendant que Osanne, sa femme,
v-vni r-o a tt i a tv t avoit eu trois chiens et en avoit eu trois fils:
« XXIH.. F° *• Un.. mYaChi df -u ï6~ d°nt « '« condempna à mort, et ceulx oui la
Dame d Amis et d Amille. Lequel Annlle tua âtooimt £ ^^ m j
ses deux en fans pour garrir Amis son corn- trgum ,/ ^ m- sa ^ p 1 ,
païq.non, qui estoit mesel [lépreux , et depuis -j»-.,, ■ _ Thj/it*-* „,. „^„„v, a„» .. kk« »
les resuscita Notre-Dame. » Publié dans le f™ ,e Thedtre au moVm d9e> P- 551 et
Théâtre du moyen âge, t. I", p. 216 et suiv. 'vvvin r-„ 4»~ r. o j , / ^ ir
(IMIfr. /"ranfo.* au moyen âge; Paris, Didoi, « WXXXI1*/ £ lo/" .?« ^J?, /e ^'
gr. in-8°), avec de savantes recherches «Je £ d" duc rfe Normandie. «Publié en 1836,
l'un des éJiteurs, M. Michel, sur cette fa- SjfJ" «"H"*» de J- Edouard Frère à
meuse légende Rouen, par plusieurs membres de la Société
« XXIV. F- 15. Un miracle de saint Ignace, des ancres de Normandie,
publié dans le Théâtre au moyen âge, t. I", « XXXI V. F0 173. Un miracle de Notrc-
p. 265 et suiv. » Il est ici précédé d'-un ser- Dame et de sainte Bauteuch{Balhilde), femme
mon en prose et suivi de deux servent©!*. du roV Clodoveus, qui, pour la rébellion de
a XXV. F0 27. Un miracle de saint Valen- ses deux enfans, leur fist cuire les jambes,
tin que un empereur fist dccoler. Publié dans dont depuis se revestirenl et devinrent reli-
le Théâtre au moyen âge, t. 1", p. 2%. » Il gieux. » Publié, en 1838, par AI. Edouard
est ici précédé d'un sermon en prose et de Frère, à la suite d un Essai sur les Enervés
deux servenlois. de Jumiéyes,[)av AI. H. Langlois du Pont-de-
« XXVI. F° 39. Cornent Notre-Dame garda ] Alche-
une femme d'être arse. » Publié dans le « XXXV. F° 192. Cornent Notre-Seigneur
Théâtre au moyen âge, t. I", p. 327 ; accom- tesmoigna que un marchant qui avoit em-
pagué ici d'un sermon et de deux serven- prunsté argent d'un juif à paier à jour nom-
lois, nié, ravoit bien et duemenl paie; combien
« XXVII. F0 53. De Vempercris de Home que le juif lui rmiast; et pour ce se fist le juif
que le frère de V empereur accusa pour la faire creslienner. » Inédit.
destruire, pour ce qu'elle n avoit voulu faire a XXXVI. F0 204. D'un marchant nommé
sa volenté, et depuis devint mesel (lépreux); Pierre le Changeur qui, par lonc temp avoit
et la dame le guéri, quand il eut regehi son vesqui de mauvaise vie; qui fu si malade que
meff'ait. » Publié dans le Théâtre uu moyen il cuidoit mourir, et, en sa maladie, vil en
4yci PaSe 365; accompagné ici d'un sermon avision les dyables qui le voulaient emporter,
en prose. et Notre-Dame l'en garanti à la prière d'un
« XXVIII. F" 69. Cornent Ostes, roi d'Es- ange qui le gardait et depuis vint éi santé et
paingne, perdi sa terre pour gagicr contre fist tant de bien qu'il converti un Sarrasin. »
Bercngier qui le tray et li fist faux entendre Inédit.
de sa femme en la bonté de laquelle se jioit , « XXXVII. F" 221. De la fille d'un roy
et depuis l'en destruit Ostes en champ de ba- qui se parti d'avec son père pour ce qu'il la
taille. » Ce jeu est fondé sur l'excellente lé- vouloit espouser, et laissa habit de femme et
gende de la Violette, ou Gerart de Nevers. se maint eint comme chevalier, et fu soudoiez
Shaskspeare l'a traitée dans Cymbelinc, et on de l'empereur de Constantinople et depuis
la retrouve encore dans le roman de la fu ta femme. » Inédit. Accompagné d un Sëf-
belle Jehanne, publié par AI. Francisque Ali- mon en prose.
chel, ainsi que le Roman de la Violette. Le « XXXVIII. F" 2V6. De saint Lorens que
miracle figure aussi dans le Théâtre du Dacicn fist morir et Phelippe l'empereur fisl-
tnoyen âge, p. 417 et suiv. 11 est ici précédé il morir pour estre emperière. » Inédit,
d'un sermon en prose. « XXXIX. F* -262. Cornent le roy Clovis
« XXIX. F0 84. Cornent la fille du roy de se fist crestienner à la requestc de Clotilde, sa
Hongrie se copa la main por ce que son père femme, » etc. Publié dans le Théâtre français
la voulait espouser, et un esturgon la garda au moyen âge, t. 1", p. 609 et suiv.
Vii an S ètl sa mulele.» Miracle dont le sujet se « XL. F° 280. De saint Alccis qui laissa
retrouve dans le Roman de la Manelcine, pu • sa femme le jour qu'il l'ot espousée pour aller
blîé par M. Franc. Michel. Voy le miracle estre povre par le pais, pour l'amour de Dieu
dans le Théâtre au moyen âge , t. 1", p. 481. et garder sa virginité. Et depuis revint chiez
« XXX. F° 103. De saint Jehan le Paule, son père, et là morut soubz un degré et ne
fier mi te, qui, par temptacion d'ennemy, occift le cognut l'en devant qu'il fu mort. » Inédit.
la fille d'un roy. et la jeta en un puiz, et « Tel est le titre des quarante Miracles
depuis, pour sa penance (pénilcncé), la resu- dramatiques renfermés dans nos deux volu-
scita Notre-Dame. » Accompagné d'un ser- mes. Onze seulement ont éléjusqu'à présent
mon et île deux servenlois. Inédit. publiés, quelques aulres ont été signalés à
« XXXI. F° 117. De Berlhe , femme du l'intérêt de tous les littérateurs par M. O.
roy Pépin qui ly fu changée et puis la re- Leroy, dans ses Etudes sur les Mustères, et
trouva. » Précédé d'un sermon et suivi de par M. Magnin, dans son Cours de liltéra-
deux serventois. Inédit. AI. Fr. Michel avait turc dramatique (inédit). Il serait a désirer
promis de le publier : il a été fait d'après que les vingt-neuf miracles inédits fussent
le roman de Berte aus grans pies du roi bientôt l'objet d'une publication et d'un
Adenès. travail approfondi. Nous n'avons pas osé
« XXXII. F* 133. Du roy Thierry a qui nous arrêter sur ce qu'ils renferment d in-
517
MOL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
M UN
518
téressant et de curieux ; nous aurions eu
trop do peine à finir. »
Les lecteurs de ce Dictionnaire trouveront
tous ceux de ces drames dont le caractère
religieux ou moral a pu permettre l'analyse
ou l'insertion ; beaucoup de choses, soit
quant au fond, soit quant à la forme , qui ne
paraissaient que naïves à nos pères, ne peu-
vent plus aujourd'hui être imprimées.
MIRACLES DE SAINT-NICOLAS. — On
trouve çà et là dans les auteurs modernes
sous ce titre, vers le xi' siècle, la mention
des quatre miracles de Saint-Nicolas du Ma-
nuscrit de Saint-Benoît -sur-Loire, que nous
avons distingué sous les titres de : 1° les
Filles dotées: 2° les Trois clercs; 3° le
Juif volé ; 4° le Fils de Getron.
L'abbé Lebeuf y voyait une sorte de té-
tralogie antique. M. Magnin, en 1835, dans
son Cours professé à la Faculté des Lettres,
exprima l'opinion qu'ils n'avaient pas été
joués de suite, l'un venant au moins à l'of-
fice du matin, et l'autre à celui du soir. (Cf.
Journal général de l 'instruction publique,
13 sept. 1335, p. 478.) (Voy. Saint-Benoît-
s lu -Loi re ^manuscrit de).
MOLINET (Jean), ou Moulinet. — « Né à
Desvrennes, village auprès de Boulogne en
Picardie, il ht ses .études à Paris et devint
par la suite garde de la bibliothèque de Mar-
guerite d'Autriche, gouvernante des Pays-
Bas et chanoine de la collégiale de Valen-
ciennes, ville de Hainaut. Il composa, entre
autres ouvrages, un recueil de choses arri-
vées de son temps, depuis 1474 jusqu'en
1505, qui n'a point été imprimé.
« Adrien Hecquet, Carme et docteur en
théologie, parle de Moulinet et rapporte
quelques-uns de ses bons mois; il ajoute
que cet auteur était né pour les facéties.
« Moulinet mourut à Valenciennes l'an
1507 et fut enterré auprès de son précep-
teur, Georges Châtelain, gentilhomme et
historien célèbre. Voici son épitaphe:
Me Moliuet peperil Divernia Bolontensis,
Parisius docuil, atuil quoque Vallis Amorum,
El quamvis magna fueril mea farna per orbem,
Ilac mihi pro cunctis fructibus Aula fuil.
« Guicciardin,dans sa Description des Pays-
Bas, traduit en fiançais par Belleforôl, în-
fol., Amsterdam 1G09, pag. 433, à l'article
de Valenciennes, place Moulinet parmi les
hommes savants qui naquirent en cette
ville. « Maître Jean Moulinet, chanoine
« vertueux et grand poêle. » Guicciardin
n'est pas exact au sujet de la pairie de Mou-
linet et le témoignage de Valero André est
préférable au sien. Cette faute de Guicciar-
din a été copiée par Lacroix du Maine, p.
2^8 de sa Bibliothèque française. Nous ne
rapporterons point le passage, il suffit de
le marquer.
« Parlons présentement des ouvrages dra-
matiques de Jean Moulinet.
« Histoire du Rond et du Quarré à cinq
personnages, etc. , imprimée par Antoine
Blanchard, sans nom de lieu et sans date.
— Les Vigiles des Morts par personnages, etc.,
imprimées h Paris, in-16, par Jean Janol,sans
date. » (Frères Parfait, Ùist. du th. fr.; Pa-
ris, 25 vol. in-12, 1735, t. II.)
MONDE (Le). — Duverdier {Bibliothèque
française, p. 635) donne la note suivante,
reflétée par les frères Parfait, sous la date de
1538 (Hist. du théâtre fr.; Paris, 15 vol.,
in-12, 1745, t. III, p. 152) :
Moralité \nl\lu\ée Le monde qui tournoie dos
à chacun, de la composition de Jean d'Abun-
dance et imprimée à Lyon. — Voy. Adun-
dance (Jean d').
MOÏSE (La vie de). — De Beauchamps
(Recherches sur les théâtres de France; Paris,
1735, in-8°, 3 vol., l. 1", p. 228j mentionne
la Vie de Moyse,m-k°,en rimes, dans une liste
de mystères.
MVNDUS, CARO ET DEMON I A. — Il ne
reste de cette moralité que des exemplaires
imprimés.
Le drame daterait, selon diverses opinions,
de la tin du xv* siècle ou du commencement
du xvie.
La plus ancienne édition connue est pour
Pierre Sergent, libraire, entre 1531 et 1540.
Le format, petit in-4" long, permettait aux
amateurs du théâtre duxvi' siècle de porter
le livret aux représentations. La farce des
Deux savetiers présentant les mêmes singula-
rités typographiques, était reliée dans l'exem-
plaire unique qui, en 1743, à la vente du
cabinet de Barré par Je comte de Briihl, a
passé, « avec la bibliothèque de ce seigneur,
dans la biblio hèquero, aie de Dresde. » Les
deux pièces, « inconnues à Duverdier et à
Lacroix du Maine... ont été indiquées... par
les frères Parfait... » Elles ont été réimpri-
mées à Paris, chez Firmiu Didot, en 1827,
dans le formai primitif, et sur un calque, chef-
d'œuvre de patience et d'adresse procuré avec
la plus parfaite obligeance par M. Ebert, bi ■
bliothccfUre du roi de Saxe. La très-courte
préface de ce chef-d'œuvre typographique tiré
seulement à cent exemplaires, nous a fourni
la notice qui précède.
Moralité nouvelle de Mundus, Caro,Demonu.
En laquelle verrez les durs assauts et tenta-
tions qu ils font au Chevalier chrétien; et
comme, par conseil de son bon esprit, avec
la grâce de Dieu, les vaincra, et à lu fin aura
le royaume du Paradis. — // est à cinq
personnages. C'est à savoir : le chevalier
CtlRÉTIEN, L'ESPRIT, LA CBAIR, LE MONDE,
et LE DIABLE.
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre français (Paris, 15 vol. in-8°1745, t. III,
p. 100-1 12j ont donné de cette pièce l'ana-
lyse suivante :
« Le Chevalier chrétien, assisté de son bon
Esprit, prie Dieu de lui pardonner les pé-
chés infinis dont il se sent coupable. Le
Diable, le Monde et la Chair s'approchent
pour le tenter. Le premier, surtout, qui a
intérêt de se cacher, ne l'aborde que sous
un nom inconnu.
dyable qui s'appelle Démon
S'on vous demande qui je suis,
El de quel pays que je suis,
519 NAT DICTIONNAIRE DES
D'où j'ai si fort grand revenu?
Car du tout ne suis pas tenu
De dire tout soudain mon nom :
Toutesfois je suis démon.
« La Chair et le Monde s'avancent avec
Confiance, et lui conseillent de se bien ré-
jouir. « Saint Paul m'apprend, répond le
« Chevalier, que si-je suivais vos conseils,
« je perdrais l'espoir du paradis. — On peut
« concilier toutes choses, dit la Chair. — Il
« ne faut, ajoute le Monde, songer à tes
« plaisirs que lorsque tu auras rempli tes
« devoirs envers Dieu. » L'Esprit accourt au
secours du Chevalier et lui fait voir la faus-
seté de ces raisonnements'.
LE CHEVALIER, OU Monde.
Ne me liantes donc plus, trompeur,
Car l'Escriplure me faict peur.
l'esprit.
Parlant, oeffens-loy de ce Monde,
Par la parole simple et ronde
De la pure et saincte Escripture.
le chevalier, au Monde.
Ce n est pas chose à l'advenlure.
« Comme le Diable entend que l'Esprit
rapporte fréquemment des passages de
l'Ancien et du Nouveau Testament pour
confondre le Monde el la Chair, il allègue
en leur faveur celui de la Genèse, où Dieu
institua et bénit le mariage. « Tu dis vrai,
« réplique l'Esprit, mais il faut observer
« que la loi de Dieu ne soit pas blessée.
« Voyez, centinue-t-il, en s'adre.csant au
s Chevalier, les ruses de votre ennemi. »
LE CHEVALIER.
Il expose à son advanlage,
Comme font plusieurs hcrélicques
Adullaires, et y puériles,
Lesquelz extorquent l'Escriplure
Pour avoir plus grasse paslute;
0 le danger!
l'esprit.
0 la (empeste!
LE CHEVALIER.
C'est pour manger.
l'esprit.
La pauvre beste !
« Cepenoant le Démon et ses deux cama-
rades effrayent le Chevalier chrétien par
leurs tentations réitérées. I! s'en plaint à
l'Esprit qui le console, el représente qu'il
faut souffrir pour mériter.
MYSTERES.
NAT
l'esprit.
SÎO
Veux-tu avoir premièrement
La couronne, que batailler?
« La Chair lui cause plus de peines que
les autres, et proleste de mourir plutôt que
d'être séparée du monde. « Que je suis mal-
« heureux! » s'écrie le Chevalier.
l'esprit.
Il est vrai, lu n'as ennemy
Lequel le fasse plu d'ennuy
Comme la chair.
LE CHEVALIER.
C'est ung grand cas.
l'esprit.
Et te suit lousjours pas à pas,
Et boit et mange avecques toy,
Et couche aussi.
LE CHEVALIER.
0 quelle loy!
« C'est pour cette raison, ajoute l'Esprit,
« qu'il faut que tu la domptes. »
la chair , pleurant.
Ce sont icy dures devises ;
Bien voy qu'il faut que je me rende.
le monde, au chevalier, en s'en allant.
Je premlray donc une autre bende ;
Vous estes pour moy trop rusé.
a Songe plutôt à te convertir, répond le
« Chevalier. — J'aimerais mieux me pendre,
« réplique le Monde. - Laisse-le, dit l'Es-
« prit; mais comme tu ne peux quitter la
« Chair, pense uniquement à la réprimer,
« à la mortifier sans cesse, et lui refuser tout
« ce qu'elle le demandera. »
LE CHEVALIER,
Allons nous-en donc besongner,
De par Dieu, puisqu'il le commande.
l'esprit.
Allons-nous-en donc besongner :
Nos ennemis sont cslongnez;
Dieu nous veuille garder d'esclandre.
LE CHEVALIER.
Allons-nous-en donc besongner
De par Dieu, puisqu'il le commande.
(.4 rassemblée.)
El jnsques à tant qu'on nous mande
Ici ou en un autre lieu,
Nous nous dirons à tous à Dieu,
Qui doinl à Messieurs bonne vie,
El à loule la Compaignie.
N
NATIVITE DE NOTRE SEIGNEUR JÉ-
SUS CURIST ( La). — La Nativité n été l'ob-
jet, 1° de représentations ligurées dans les
rites ecclésiastiques, et 2° de jeux dramati-
ques hors de l'intérieur des églises.
1° RITES FIGURÉS.
Xe siècle. — Limoges.
Office de la Nativité.
Cà curieux office dialogué, qui date au
moins du x.' siècle, est l'un de ceux que
nous a conservés le manuscrit de Saint-Mar-
tial de Limoges. ( Bibliothèque impériale,
fonds latin, n° 1139.)
Ray noua rd l'a publié et traduit le premier;
MM. Fr. Michel, et Wright, en Angleterre,
ont reproduit l'édition ou la traduction de
Ray noua rd.
Le savant abbé Lebeuf l'avait signalé dès
1741 . « A Saint-Martial de Limoges, son i
311
NAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
NAT
82-2
roi Henri I", Virgile se trouve associé avec!
les prophètes qui viennent' à l'adoration du
Messie nouveau-né, et il mêle sa voix avec
la leur pour chanter un long Benedicamus
rimé par lequel finit la pièce. » ( Dissertations
sur l'histoire ecclésiastique et civile de Paris,
1741, in-8% t. II, p. G5. )
Les Bénédictins, de Roquefort, M. Amau-
ry-Duval, répétèrent la note de l'abbé Le-
beuf.
M. Magnin rapprocha de ce mystère les
oflices de la Nativité; c'est une remarque
que Du Gange avait faite le premier. Il sem-
ble, en effet, certain que YOrdre de la pro-
cession des ânes, tel qu'on le pratiquait à
Rouen au xn" siècle, n'est autre chose que
le mystère de Saint-Martial de Limoges qui
remonte deux siècles plus haut. — Yoy.
Saint- .Martial ; — Fête des Fous
PERSONNAGES.
LE CHOEUR.
ISRAËL.
AB.VCUC.
NABUCIIODONOSOR.
MOï.>E.
SI.ÏIÉON.
1SAIE.
ELISABETH
LA SIBYLLE.
JÉRÉMIE.
JEAN BAPTISTE.
DANIEL.
VIRGILE.
le choeur. Nations, réjouissez-vous. Chantez un
cantique d'allégresse! Dieu est fait homme. Il est
né aujourd'hui de la maison de David.
0 Juifs, qui niez le Verbe de Dieu, écoulez l'un
après l'autre chaque homme de voire loi témoignant
pour leur Roi.
Et vous, gentils, qui ne croyez pas à l'enfante-
ment de la Vierge, soyez convaincus par les témoi-
gnages de ceux d'entre vous.
(A Israël.)
Israël, homme doux, comment affirmes-tu le
Christ?
israel. Le chef n'est pas enlevé à Juda. Jusqu'à ce
qu'il y en ail un qui soit remarqué, les peuples
aueinironl avec moi le Verbe salutaire de Dieu.
le chœur à Moïse. Législateur, approche ici et
parle dignement du Christ.
moysE. Dieu vous donnera un prophète : prèlez-lui
l'oreille comme à moi. Celui qui n'entend pas celui
qui eniend est chassé de sa nation.
le cuoel'R, à haïe. Isaïe, loi qui sais la vérité,
pourquoi ne dis-tu pas la vérité ?
isaie. Il est nécessaire que la branche de Jessé
s'élève de la racine; puis il en sortira une fleur qui
est l'Esprit de Dieu.
le choeur , à Jérémie. Viens çà , Jérémie: dis la
prophétie du Christ.
jérémie. Voici : Celui-ci est notre Dieu. Il n'y en
aura point d'autre.
le choeur, à Daniel. Daniel, explique d'une voix
prophétique les actes du Seigneur.
daniel. Le Saint des saints viendra et l'onction
cessera.
le choeur, à Abacuc. Abacuc, montre mainte-
nant comment lu es le témoin du Roi des cieux.
abacuc El j'ai attendu , bientôt j'ai élé glacé de
la teneur des merveilles, tes oeuvres, enire les
corps de deux hèles.
le choeur, à David. Et toi, David, dis de ton
petii-iils les choses qui te sonl connues.
david. Tout le troupeau converti adorait le Sei-
gneur que tout le genre humain futur devait servir.
Le Seigneur a dit a mon Seigneur : Asseyez-vous à
ma droite.
le chœur, à Siméon. Maintenant que Siméon
Dictions, des Mystères.
arrive, a qui il avait été répondu qu'il ne mour-
rait pas avant d'avoir vu le Seigneur.
siméon. Maintenant, vous me permettez, Sei-
gneur, de finir ma vie en paix, parce que mes yeux
voient enfin celui que vous avez envoyé dans ce
monde pour le salut du peuple.
le choeur, à Elisabeth. Elisabeth, parle du Sei-
gneur au milieu de nous.
Elisabeth, Qu'est-ce ? la mère de mon mailic
me visite? A cause de lui, dans mon venue, mon
enfant joyeux bondit.
le choeur, à Jean-Baptiste. Dis, Baptiste, pour-
quoi donc, dans le ventre (!e ta mère, applau-
dissais-tu au Chrisi? Apporte ton témoignage pour
celui qui te mettait en joie.
jean-baptiste. Il vient un Ici soulier que je ne
suis pas même bon à oser en dénouer les cordons.
le chœur, à Virgile. Virgile Ma ro, déesse (dea)
des Gentils, tu es témoin du Christ?
Virgile. Voici qu'au pôle une nouvelle race est
descendue sur la lerre.
le chœur, à Nabuchodonnsor. Courage! dis, la
bouche à la bouteille, ce que lu sais vraiment du
Christ. Nabuchodouosor , la prophétie affirme l'Au-
teur universel.
nabuchodonosor. Lorsque je revis les (rois hommes
que j'envoyai au feu , je vis le Fils de Dieu parmi les
justes sauvés des flammes. J'envoyai les trois hommes
au feu: le quatrième, crois-le, est la progéniture de
Dieu.
le chœur , à la Sibylle. Sibylle , dis en vérité les
présages du Christ.
la sibylle. Signe du jugement, la lerre sera
trempée de sueur, le roi viendra du ciel, dans les
siècles futurs. Présent en chair, pour juger l'uni-
vers. Judée incrédule, comment es-tu encore sans
crainte?
Benedicamus-, etc.
2° MYSTERES,
xiv* siècle.
Bayeux. — L'abbé de Larue, oans ses Es-
sais historiques sur les bardes, les jongleurs
et les trouvères normands et anglo-normands
(Coen, Mancel, 1834, in-8°, 3 vol., 1. 1*' p. 106),
fait mention d'un mystère de la Naissance
de Jésus-Christ, ou de la Nativité, représenté
à Bayeux, en 1350. « Jean de Monldeserl,
curé de Saint-Maio de Bayeux, dit l'abbé do
Larue, fut mis à l'amende par le chapitre
de cette ville, pour avoir fait jouer dans
son église le mystère de la naissance de Jé-
sus - Christ, le jour de Noël, en 1351. »
{ Ibid., p. 167. )
xv e siècle.
1° Le mystère de la Nativité est tiré du
manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Gene-
viève, à Paris.
11 date du xv' siècle.
Il a été publié en 1837 dans les Mystè-
res inédits du xve siècle, par M. Ach. Jubi-
nal. (Paris, Techener, 1837, in-8% 2 vol.,
t. Il, pp. 1-79. )
Auparavant il avait été seulement men-
tionné dans la Bibliothèque du théâtre fran-
çois, ouvrage attribué au duc de La Vallière.
( Dresde, Michel Groell, 17G8, in-8% 3-vol.,
t. 1", p. 36. )
Après ['Invocation à Marie, et le Sermon
qui expose le sujet du drame, commencent
les scènes de la création d'Adam et d'Eve et
de la chute d'Adam. Les Drophètes prédi-
n
5-25
NAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NAT
52 1
sent déjà la Christ futur : Araos, Hélie. Ce-
pendant Adam meurt, et l'Enfer s'en em-
pare. Mais Cep, son tils, a planté sur son
iombeau, avec l'octroi de Dieu, un rameau
merveilleux :
Ce rain tant montcpliera
Que une croix faiele en sera
On la vie reeovrera mort
Qui aus âmes donra confort...
Isaïe, Daniel implorent la miséricorde du
Seigneur et le supplient de hâter le moment.
César l'empereur presse ce suprême ins-
tant. En effet, Notre-Dame, par l'intervention
de Dieu, est mariée à Joseph. Les prophètes
redoublent de prières, et les païens de va-
gues terreurs. Gabriel annonce l'Incarna-
tion du Seigneur. Honestasse, sage - femme,
préside à sa naissance. Les bergers vont le
saluer et l'on chante le Te Deum final.
2° Mystère de ï Incarnation et de la Nati-
vité de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Les Frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre français (Paris, 15 vol. in-12, 1735,
t. II, p. 4-94), ont donné l'analyse du mys-
tère de [Incarnation et Nativité. Avant eux
De Beauchamps (Recherches sur les théâtres
de France, Paris, 1735, in-8%3 vol., t. 1", p.
226 j en avait fait mention.
La Bibliothèque du théâtre franc ois, ou-
vrage attribué au duc de LaVallière (Dresde
1708, in-8% 3 vol., t. I", p. 54 ), a donné
aussi une analyse de ce mystère.
Parmi les modernes :
L'abbé de Larue, dans ses Essais histori-
ques sur les bardes, les jongleurs et les trou-
vères normands et anglo-normands (Caen,
Mancel, 1834, in-8% 3 vol., t. 1er p. 166),
fait mention d'un Mystère de Noël, qui, en
1474, fut représenté à Rouen!
AL de Sainte-Beuve a cité, parmi les mys-
tères qui, au xve et au xvie siècle, jouirent
d'une faveur éclatante, celui de l'Incarnation
et de la Nativité représenté à Rouen en 1474,
(190) Ce mystère est divisé en deux journées,
dont la première comprend ['Incarnation , et la se-
conde la Nativité de N.-S. J.-C. La seule édition
qu'on en trouve est in-fol. goihiq., Bibliothèques du
Roi et de Pabb. de Ste-Geneviève, sans nom d'im-
primeur, ni date de l'impression, et contient 2i8
feuillets, y compris la table de l'ordre des établis et
celle des personnages. Parmi les ma nus. de la Bibl.
de M. Dufay, il y avait un in-fol. contenant une par-
tie du mystère de [Incarnation. On ignore le nom
de l'auteur de ce poème, qui peut contenir environ
vingt mille vers, assez bons pour le temps. Il est
cependant à présumer qu'il fut compose avant 1474,
et peut-être joué avant ce temps ; mais nous n'en
avons aucune certitude. On peut seulement assurer
qu'il est de beaucoup postérieur au mystère de la
Conception, dont l'auteur de celui-ci a pris beaucoup
de choses, et surtout du procès de paradis.
(191) La partie septentrionale du marché neuf de
Rouen était occupée par les échafauds, dont le plus
orionlal était celui du Paradis, qui louchait l'hôtel
de la Hache couronnée, et sous lequel était placé
Natarelh,6l de suite ceux de Jérusalem, de Bethléem
et de Rome, qui, terminant le théâtre du côté du
couchant, se trouvait adossé contre l'hôtel où pen-
dait l'enseigne de l'Ange. C'est ainsi qu'on dres-
sait les échafauds, lorsque le terrain le pouvait per-
mettre; mais les confrères de la Passion renfermés
1478, 1479. (C- A. Sainte^Beuv», Tableau
hist. et crit. de la poésie franc, et du théâtre
franc, du xvr siècle; Paris, 1828,2 vol.,
t. I", p. 217-234. )
Les frères Parfait ont donné du mystère
de la Nativité l'analyse suivante que nous
reproduisons :
LE MYSTÈRE DE i/lNC ARNATION ET NATIVITÉ
DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST (190).
« Avant de donner l'extrait de ce poëme,
nous avons cru devoir joindre ici l'ordre des
échafauds qui furent construits à Rouen,
lorsque ce mystère y fut représenté en 1474.
«Ce passage mettra pleinement le lecteur
au fait de la forme et de l'arrangement de
nos anciens théâtres; on pourra aisément,
sur le plan de celui-ci, concevoir une idée
juste et certaine de tous les autres.
Ensuit l'Incarnation et Nativité de Nostre
Saulveuret Rédempteur Jésu-Christ, laquelle
fut monstrée par prrsonnaigrs, ainsi que cy-
après est escripte fan mcccclxxiv, les Fesi.cs
de Noël, en la Ville et Cité de Rouen : Et
estoient les Establies assises en la partie
Septentrionale d'iceluy (191) depuis Vllostel
de la Hache couronnée , jusqiien l'Hostet,
où peut l'Enseigne de l'Ange. Second (192)
l'ordre déclaré en la fin de ce Codicille. Mais
les Establies des six Prophètes estoient hors
des autres, en diverses places et parties d'i-
celui Neuf Marchié. — Ensuit l'ordre com-
ment estoient faicls les Establies. — Pre-
mièrement, vers Orient :
aiudis (193), ouvert, faict en man'ere de Throsne,
et reçousd or tout autour. Au miliiu duquel est Dieu
en une Cliaiere parée, et au «Mé d toc Ire de lui Paix,
et soubz elle Miséricorde : et au spneslre Justice, el
soubz elle Vérité : et tout autour d'elles, neuf ordres
d'Anges les uns sur les autres.
Nazareth (194). — 1° La Maison dns | arensNosire-Dame.
— 2° Son Oratoire. — ô°. La Mai->on de Elizabali en Mon-
taigne.
II Jérusalem (193). — 1° Le Logis de S.vmeoD. — 2* Le
Temple Salomon. — 3*. La demeure des Pucelles. —
par les bornes de leur théâtre de la Trinité, à Pa-
ris, étaient forcés à redoubler les rangs, lorsqu'il
y avait plus de trois échafauds, et par conséquent le
fond et les côtés se trouvaient remplis.
(102) Selon.
(193) Pour la commodité des spectateurs, des écri-
leaux( Voyez le prologue ci-dessous) attachés au-des-
sus de chaque échafaud, les instruisaient des lieux
qu'ils contenaient. Les acteurs qui représentaient
dans le mystère paraissaient sur les échafauds où ils
devaient jouer d'abord. C'est pour donner un exem-
ple de ceci que nous avons joint les noms des per-
sonnages, aux lieuxoù ils doivenlêtreau commence-
ment de la pièce. Voici ceux de ce premier écha-
faud : Dieu le Père. — Paix, Miséricorde, Justice,
Vérité. — Saint Michel. — Gabriel. — Raphaël.
— Lriel. — Cinquième, sixième, septième, hui.-
liènie el neuvième anges, el plusieurs non parlants.
(194) Nazareth. — Joseph. — Marie. — Elisa-
beth.
(195) Hiérusalem. — Syméon. — le souverain prê-
tre de Hiérusalem. — Samuhel.som clerc. — Maislre
GERSoy, scribe. — Maislre Ithamar, pharisée. — Abi-
sac, pucelle. — Thamar, pucelle. — Thesan, premier
du peuple payen. — Méraiotii, deuxiesme. — Abisve,
troyswsme. — Puînées, premier du peuple des Juijz.
— Sadoc, deuxiesme. — Josedech, troysiesme. —
Eliud, premier cousin de Joseph. — Achin , deuxiesme
5*3
NAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Nvr
620
4°. L'Ostel de Gerson Scribe. — b° Le lieu du peuple
Payen. — 6" Le lieu du peuple des Juifz.
Bethléem (196). — 1° Le lieu de Joseph et de ses deux
Cousins. — i° La Crache ez Beufz. — ô° Le lieu où l'on
reçoit le tribut. — 4° Le Champ aux Pasteurs contre la
Tour Ader.
Romme ( I90;.— 1". Le Chasteau de Sirin Prévost de Syrie
( 197). — 2° Le Temple Apollin — 3" La Maison de Sibille.
— 4° LeLogisdesPriuces delà Synagogue. — 5° Le lieu
où l'on reçoit le tribut. — 6° La Chambre de l'Empe-
reur. — 7° Le Turosne d'iceluy. — 8° La Fontaine de
Homme. — 9" Le Capiiole.
Enfer, faict en manière d'une grande gueulle, se cloant,
ei oivrant quant besoing est (199). Le Limbe des Pères
faict en manière de Chartre, et n'estoient veus sinon
au dessus du faux du corps. Les place des Prophètes ez
divers lieux horsdes autres.
PROLOGUE.
Pour relever l'humaine Créature
Des ors Enfers, et delà chartre obscure,
Où l'avoil sceu le mauvais Ange attraire :
Le Filz de Dieu, par sa charité pure,
Et amitié, nostre propre nature
A voulu prendre, et vray homme soy faire,
Et d'une vierge il a fait sonsacraire,
Puis en est né, en très-poure repaire,
Ainsi comme nous le démonstrerons,
S'il plaisl à Dieu; et pour ce mieux parfaire,
Mous vous prions tous, qu'il vos plaise taire,
Jusques à ce qu'achevé nous aurons.
Afin d'ennuy fuir, nous nous tairons.
Présent des lieux , vous les pouvez congnoislre
Par l'escript tel que dessus voyez estie ("200);
Nous requérons universellement
A tous Seigneurs d'Eglise (201) ou autrement,
Elan commun, bref à loule personne,
Se commettons fautes, qu'on nous pardonne,
Et chacun Dieu de prier d'humble cueur,
Que par sa grâce il nous soit adjuleur.
Donc Balaam, le Prophète gentil ,
Commencera le premier; et est cil
Qui Eliud est dit en livre Job.
PREMIÈRE JOURNÉE.
«r Après que Balaam, David (202) et les au-
tres prophètes, avec la Sibylle, ont prophé-
(196) Bethléem. — Zébel, femme de la ville de Be-
thléem. — Salomé, semblablemenl. — Pasteurs. —
Nachor, maistre pasteur. — Enos, prudent pusleur.
— Malaléel , prudent pasteur. — Ludin,/o/ pusleur.
Anatiiot, fol pasteur. — Abigail , sa mère.
(197) Syrie (a). — Cyrin, prévosl de Syrie. — Ab-
das, son secrétaire. Volant, son héraut. — Sa iroin-
pille.
(\V&) Romme. — Marcaboth, clerc du premier tem-
ple Apollin. — Sabatha, deuxiesme. — Sibylle. —
Sadeth , son clerc. — Octavian, empereur de Homme.
— Jedebos, son connestuble. — Joab, son séneschal.
— Elnathan, maistre des sénateurs — Asersval, pré-
vosl de Homme. — Jaribeth, son secrétaire. — Citus,
héraull de Octavian. — Thogorma, premier maistre
de la synagogue de Romme. — Riphat, deuxiesme.
— Elizer, iroysiesme. — Dercon , garde du Capiiole.
Gademath, son premier serviteur. — Megjjis, deu-
xiesme.
(199) Enfer. — Lucifer. — Sathan. — Astaroth,
messagier d'enfer. — Mammon, venant du Capiiole. —
Asmodéus dit temple Apollin.
Celle décoraiion et les suivantes n'étaient point
sur les échafauds. Au bas du ihcàtrc paraissait une
énorme léle de dragon, dont l'entrée (qui aboutis-
sait sous le théâtre) assez large pour y laisser
passer plusieurs personnes, s'ouvrait et fer mail lors-
que les diables voulaient y entrer ou en sortir.
< El esloit la bouche d'enfer très- bien faicle, car elle
(a) Cet echafaud était joint a celui de Rouie.
tisé, chacun à leur tour, la venue du Messie,
l'empereur Octavian monte au Capitule pour
offrir un sacrifice à la divinité qu'on y adore,
et lui demander qui sera son successeur. « Le
« Fils de Dieu, qu'une Vierge enfantera, sans
« cesser d'être Vierge, » répond le diable
Mammon caché derrière l'idole.
MAMMON.
Entendez ces molz, plus n'en dis.
« Pendant ce temps-la, la Sibylle va à la
fontaine de Rome, et, prête à puiser de l'eau,
un accès prophétique la saisit : « Attendez
« un peu, lui dit Sadeth, son clerc, que
« j'aille chercherl'emperetir. » Octavian (203)
arrive etappreni de la Sibylle que le Sauveur
du monde doit naître dans peu ; mais que
ce jour, qu'elle ignore, sera signalé par le
cours de cette fontaine qui alors jettera de
l'huile, au lieu d'eau. L'empereur s'en re-
tourne dans son palais, et fait construire un
autel à ce Dieu qui doit naître.
(Adonc s'en vont les seigneurs en leurs places, et ta
Sibyle en sa maison, sans mol dire- et est Enfer
ouvert, en une des parties duquel est le limbe des
Pères, comme une chartre et sont nudz [204].)
« L'arrivée de l'âme d'Hélie (205) console
les Pères ; il leur apprend que le sceptre de
Juda est passé dans une main étrangère, ce
qui leur fait espérer que le Christ descendra
bientôt sur la terre.
« Sur ces entrefaites, Thogorma, chef de
la Synagogue de Rome, va au temple Apol-
lin, et, charmé de la beauté de ce lieu, il
consulte la Divinité sur sa durée; le démon
Asmodéus lui répond qu'il ne finira que
lorsqu'une vierge enfantera. Thogorma, re-
gardant cette chose comme impossible, fait
attacher cette inscription à la porte du
temple.
Templum pacis œternum.
« CepenJarU Dieu, écoutant la prière que
ouvroit et clooil quand les diables y vouloient en-
trer, et yssir, et avoît deux groseulx (yeux) d'acier »
dit YàChronique manuscrite de Metz. Au resle, comme
les scènes des diables étaient tout à la fois diver-
tissantes et propres à inspirer de la terreur, on pla-
çait toujours la gueule d'Enfer vers le bord du
théâtre.
(200) Ceci prouve ce que nous avons avancé ci-
dessus, note 195.
(201) Bien loin que ces pieux spectacles fussent
interdits aux ecclésiastiques, c'est qu'une partie des
mystères est de leur composition.
(202) Celui qui faisait le personnage de David de
vail accompagner avec sa harpe une partie de son
rôle, qu'il élail obligé de chauler. El lorsqu'on ne
pouvait trouver d'acteur qui sût chanter ei jouer de-
cet instrument, on supprimait léchant. C'esl ce que
nous apprend la noie marginale. (Adonc, harpe, s'il
est harpeur, ou si non laisse celle derri.ine clause,
depuis ce lieu la Ces choses donc , etc. Oci doit ser-
vir d'exemple pour ions les jeux de th aire, qu'on
était forcé de supprimer, lorsqu'on ne pouvait pa> les,
exécuter. Au reste ces prophéties ne servent pour;
ainsi dire que de prologue au mystère.
(205) Octave Auguste..
(204) Les Pères des limbes sontenfermés dans une
espèce de prison, qui ne les laisse voir que jusqu'à
la ceinture.
(205) Père de saint Josepn.
K37
NAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NAT
528
Miséricorde lui fait en faveur de la nature
humaine (206), ordonne à Justice de parcou-
rir la terre, et d'y chercher un morlel, qui,
par la pureté de ses mœurs, soit digne de
faire la réparation nécessaire, pour effacer
le crime d'Adam. Justice, après bien des pei-
nes, arrive enfin à Jérusalem, où elle entend
/e grand prêtre qui, causant avec Samuel,
son clerc, lui avoue qu'il a été obligé d'a-
cheter l'office dont il est revêtu et qu'Hérode
le lui a vendu chèrement. Justice, voyant par
ces discours que le crime a pénétré jusque
dans le sancluaire, désespère de trouver ce
qu'elle cherche, et reprend la route du cie!.
Dieu, touché de la misère des hommes, dé-
clare que son propre Fils ira expier leurs
péchés, et ordonne à Gabriel d'aller annon-
cer à Marie, mariée depuis peu à Joseph,
que le Messie prendra naissance dans son
sein. Cette nouvelle cause une joie inexpri-
mable à tous les esprits célestes, et ils en
témoignent leur satisfaction par des chants
d'allégresse.
{Adonc chantent te premier vers de la Chanson qui
suit ; et jntis les Joueurs d'instrument derrière les
Anges répètent icetuy vers, et lundis les Anges qui
tiennent les inslrumens font manière de jouer.
Après les Anges chantent le second vers, et puis les
inslrumens répètent trois lignes ; après les Anges
chantent le tiers vers, et puis les inslrumens tout le
premier, el puis la fin [207].)
Au nouveau sceu de la Conception du Filz de
Dieu, pour la Rédemption ; Qui veull faire d'hu-
maine Créalu re ; Qui esioit cheiie en
pé — cilié el ordu--re : Chacun au Ciel maine
éxul lalion.
Faisons grand bruit, chansons multiplions.
Toutes nos voix ensemble despléous (20ô)
Nul ne se faigne, et chacun y ail cure.
Au nouveau Sceu.
Ténor. Au nouveau Sceu.
CONTRATENOR. Ail HOUVeaU ScCU.
Concoudans. Au nouveau Sceu.
Des inslrumens prenons ung million,
En encor plus, tiret tout y employon,
Car aujourd'hui a uni sa facture
Avecques soy le haull Dieu de Nature,
El à lousjonrs, sans séparation.
Au nouveau Sceu.
PROLOGUE.
Seigneurs , el toute 1' assemblée,
Nous vous remercions humblement,
Cy linons pour cesie journée,
Seigneurs, el toute l'Assemblée,
Demain sera à lin menée
La matière parfaictemenl :
Seigneurs, et louic l'Assemblée ,
Nous vous remercions humblement.
SECONDE JOURNÉE.
« Cyrin, prévôt de Syrie, fait publier dans
la Judée l'ordonnance de l'empereur qui en-
joint a ses sujets de se faire inscrire au pays
de leur naissance. Chacun obéit à ce com-
mandement, et Josephd Marie s'y conforment
aussi, et payent une pièce d'argent, suivant
ce qui est prescrit.
« Pendant ce temps-là, Thésan et Meraïolh,
ayant appris qu'il doit naître dans peu le
Sauveur des gentils, du nombre desquels ils
sont , en ressentent une extrême joie et
chantent cette chanson à deux parties, en
langage inconnu, peut-être à l'auteur même.
Ténor. En nog novet, en nog novet en malherisoth,
bislouarc lau en dirouy li gros. En nog novet : en
nog novet, en malherisoth, Bislouare lau en
dirouy li gros Lilelit home Platelil horne, dande-
lil, dandelit danser lamy Phallare, dandelil hau
ligrin.
Contratenor. En nog novet, en nog novet, etc.
« D'un autre côté le pasteur Nachor ras-
semble les bergers de la plaine de Bethléem,
pour faire la veillée ; on lui dit qu'une par-
tie de ceux qu'ii demande sont morts depuis
longtemps. « Prions Dieu pour eux, » répli-
que-t-il.
NACHOR.
Iïe-qui-e-scanl-in-pa-ct' .
« Ce chant lugubre plaît tant au rusliquo
Anathot, et il le recommence si souvent,
qu'Enos et Malaléel, ses compagnons, l'obli-
gent de se taire.
ANATHOT.
Se le mestier avoyc hanté,
Ung bien petit, j'en feroye rage.
« Sur ces entrefaites, la sainte Vierge,
qui n'a pu trouver de logement, et qui s'est
retirée dans une pauvre crèche à Bethléem,
donne la naissance au Messie.
(Adonc est Jésuchrist né.)
« Les anges par la clarté qu'ils répandent,
et par leurschants, annoncent celte heureuse
iaissance.
les anges chantent.
Au sainct naislre du sacré Roy des roys,
Qui de présent esl en lerre acompiy :
Soyons joyeulx, el soit ce lieu rempli
De mélodie, à baulte el clere voix.
« Ils chantent ensuite un autre rondeau,
dont le refrain est Loé soit Dieu. Zébel et
Salomé, réveillées par ce bruit et celte lu-
mière, viennent trouver saint Joseph qui
leur apprend la naissance de Jésus. Zébel,
ravie de joie, entre dans la crèche; mais
l'incrédule Salomé refuse d'ajouter foi à ce
récit. Pour punir son crime, Dieu permet
que ses mains deviennent sèches; elle im-
plore alors l'assistance du Seigneur, qui en-
voie Raphaël pour lui dire qu'elle sera gué-
rie en louchant le saint enfant qui vient do
naître. Pendant ce temps-là, les bergers de
Bethléem arrivent pour savoir la cause de
la lumière éclatante qu'ils aperçoivent, et,
lorsqu'ils sont entrés, ils adorent le Sauveur
el lui offrent des présents suivant leurs fa-
cultés.
(200) Nous passons le procès de Paradis qui est dans nos anciens poèmes dramatiques, et qui parait
presque la même chose que celui qu'on a déjà vu au tenir beaucoup du plain chant- On ne connaissait
Mystère de la Conception. point alors l'impression des caractères de musique,
||207) Ce rondeau, que nous avons figuré de la que l'on ajoutait à la main dans les espaces que les
même façon qu'on le trouve dans l'exemplaire sur imprimeurs laissaient exprès entre les lignes,
'equel cet' extrait est composé, n'est placé ici que. (208) Déployons.
pour dont.er nue idée de la musique qu'on insérait
523
NAT
DICTIONNAIRE DES M V STERES.
MAT
55')
« Au môme instant quo ceci se passe en
Judée , Mammon et Asrnodéus se retirent
avec précipitation des temples, où ils se fai-
saient adorer, qui s'embrasent. Lucifer, au
désespoir de ces nouvelles, demande où
sont les autres démons.
LUCIFER.
El Mars, qu'en Grec, on dit Arts?
ASMODÉUS.
Il régenle encontre Paris
En Montmartre, lieu de renom.
(Adonc crient tous les Déables ensemble, cl les labours,
et autres tonneres fuis par engins, cl (jcllenl les coul-
leuvrines, et aussi fait l'en ijelter brandons de feu
par les narilles delà gucullc d'Enfer et par les yeulx
et aureilles : laquelle se reclosl, et demeurent les
Deables dedans.)
« La Sibylle, qui reconnaît à cette clarté
brillante les marques de la venue du Messie,
ordonne à Sadctb d'aller à la fontaine; Sa-
delh revient avec une cruche remplie de
l'huile qu'il y a puisée; la Sibylle va aussitôt
en avertir l'empereur, et arrive au palais au
moment que Jédébos, le connétable, assure
ce prince que les Romains, charmés de ses
rares qualités, veulent lui dresser des autels.
Octavian', étonné de ce que la Sibylle lui
rapporte des eaux de la fontaine , et encore
plus lorsqu'il apprend la destruction subite
du temple Apollin et de celui du Capitule,
rejette la proposition du connétable; et la
Sibylle, pour le convaincre entièrement de
la naissance du Sauveur, lui fait voir sur un
autel la représentation de la sainte Vierge
qui tient son enfant entre ses bras. L'em-
pereur l'adore et lui offre un sacrifice, et le
mystère est terminé par les réjouissances des
bergers de Bethléem qui chantent une chan-
son dont voici le premier couplet (209) :
Nalure humaine en ses suppos
Chante liault et cler sans repos;
S'esjeùissanl de cueur non las,
Au naislre du vray Me-sias. »
xue siècle.
1328. — Espagne. — 1° Juan Pastor a laissé
un auto imprimé àSéville on 1523, intitulé :
A ulo nuevo^dclsanto nacimiento de Christo
Nucstro Senor. Les personnages principaux
de ce drame sont l'empereur Octavien , saint
Joseph, sainte Marie, des bergers , Miguel
Kccalcado, Anton Morcilla , Juan Relleno
et un ange.
2° Mystère de la Nativité de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, par B. A ne au.
On trouve ce mystère, que les frères Par-
fait analysent, sous la date de 1539, dans un
ouvrage intitulé : Chant natal.
La Bibliothèque du théâtre français , ou-
vrage attribué au duc deLaVallière (Dresde,
17 68, in-8% 3 vol., t. 1", p. 3 ), en fait men-
tion. Avant cet ouvrage, les' frères Parfait
(209) Il y en a sept.
(-210) Voici le liire entier de l'ouvrage, à la fin
duquel ce mystère se trouve : i Chant natal conte-
nant sept Noelz, ung Chant Pastoral, et ung Chant
Royal avec ung Mystère de la Nativité, par Pcrson-
naiges, conposez en imitation verhde, el Musicale
de diverses Chansons, recùcilliz sur l'Escripture
^aincte, et d'jcelle illustrez. Apud Sebaslianum Gry-
phium, Lugditni, 1539. in-K > Duverdicr-Yauprivaz,
es oblige à se re-
avaient donné dans leur Histoire du théâ*-*
françois (Paris, 15 vol. in-12, 174-5, t. llï,
]). 43), l'analyse suivante de la Nativité d'A-
neau :
MYSTÈRE DE LA NATIVITÉ (210).
Mystère de la Nativité de Nostre- Seigneur
Jésus-Christ, par personnaiges , sur divers
chants de plusieurs chansons (211).
Et premièrement le voyage en Bethléem , et
l'enfantement, sur le chant, le plus souvent
TANT IL m'eNNUYE.
« Pour obéir aux ordres de l'empereur ,
Marie et Joseph vont à Bethléem, lieu de
leur naissance.
(/ci/ vont en Bethléem.)
« Arrivés en ce lieu, ils ne peuvent trou-
ver de logement, ce qui
tirer dans une pauvre étable
JOSEPH.
Trouver logis n'est pas possihle
Sans argent, pour l'amour de Dieu.
La chose est notoire el visible,
Q 1e pourelé n'ha point de lieu.
Mais voici une Eslalile,
Aux gens inhabitable,
Où convient demourcr.
Le lieu n'est pas notable
Pour Roy, ou Connectable,
Il nous faut endurer.
« Peu de temps après, Marie enfante le
Sauveur du monde, et les anges annoncent
aux bergers celtu heureuse nouvelle.
(U Annuncialion aux Pasteurs, sur le Chant du se-
cond couplet, Extrait d'un ancien noel.)
l'ange.
Pasteurs, qui veillez aux champs (bis),
Oyez nies diciz, et mes chants (bis)
Je vous annonce la nouvelle
Joyeuse pour vous :
Dieu est né
Pour rachepter tous.
Allez, el l'adorez à genoux.
« Trois bergers et une bergère, obéissant
aux ordres du messager céleste, vont à la
crèche en chantant une chanson dont le
refrain est Gloria in excelsis Deo.
(La venue, el l'adoration des Pasteurs, sur le chant'
Sonnez-m'y donc quand vous irez.)
Chantons Noël, quand nous irons
Garder nos brebieiles sur l'herbe,
Sur l'herbe.
«t David, au son de sa harpe, annonce
l'arrivée des rois mages, qui présentent leurs
dons et chantent chacuu un huilain terminé
par ce vers :
Où est-il né, afin que je l'adore? t
3° Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
par Marguerite de Navarre.
Ce mystère, imprimé dans les Marguerites
de la Marguerite des princesses, très-illustre
pag. 109 de sa Bibliothèque française s'est trompé
en parlant de cet ouvrage, qu'il dit in-8».
(211) Ce mystère, de la composition de Barthé-
lémy Aneau, contient environ trois cents vers. Il y a
une chose à remarquer, qu'étant lout en chansons,
et sur des airs du temps, il se trouve le modèle de
cette espèce de poëme dramatique, a qui Ton n'au-
rait peut-cire |«\s donné une telle antiquité.
531
«AT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES,
NAT
532
reine de Navarre, ( in-8°, Lyon , Jpan de
Tournes, I5&7), cité par Duverdier, [Bibl.
/>•., p. 8i3) , analysé par les frères Parfait ,
sou*, la date de loio, a été mentionné aussi
par la Bibliothèque du théâtre françois, ou-
vrage attribuéau ducdeLa Vallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. I", p. 119).
Nous reproduisons l'analyse des frères
Parfait. [Histoire du Théâtre françois; Paris,
13 vol. in-12, 1745, t. I!l, p. 59-63.)
COMÉDIE DE LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST (212).
* Marie et Joseph vont à Bethléem s'y faire
inscrire, conformément aux ordres énoncés
dans Tédit de l'empereur Auguste. C'est en
vain qu'ils cherchent un logis pour passer
la nuit : les trois hôles à qui ils s'adressent
les refusent sur différents prétextes. Le
premier leur déclare qu'il ne veut loger quo
des gens riches. — « Ma maison, répond le
« second , n'est destinée qu'aux princes et
« aux rois. — Pour moi, dit le troisième,
« je voudrais bien vous rendre service ,
« mais toutes mes chambres sont occupées
« par de jeunes personnes qui doivent y
« passer la nuit à boire et h danser.» Après
quelques réflexions sur l'avarice et l'aveu-
glement de ces hôtes , Joseph, pressé par
la nuit, fait entrer Marie dans une pauvre
éiablo, et va à la ville chercher de quoi sou-
per. Pendant ce temps-là , Dieu ordonne à
ses anges d'aller servir Marie, et adorer le
Sauveur du monde. Joseph, en rentrant, se
prosterne à ses pieds , et les anges ne le
quittent que pour aller annoncer son heu-
reuse naissance aux bergers de la contrée. Ils
accourent sans s'inquiéter du soin de leurs
moutons, qu'ils laissent à la garde du Sei-
gneur, et vont avec joie adorer le Messie.
(Les Bergers et Bergères s'en vont chantons.)
SOPHRON el PHILET1NE.
Dansons, chantons, faisons rage,
Puisqu'avons grâce pour pardon :
Chaulons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don.
ELP1SON el CRIST1LLA.
Laissons Adam, et son lignage,
Plus avec lny ne demeurons :
Quittons Ions noslre vieil bagage,
Chèvres, Brebis, Chiens, el Moutons;
Chantons Noël de bon courage
Car nous avons Christ en pur don.
NÉPHA.LE et DOROTHÉE.
Allons voir Marie la Sage,
Avec l'enfant de granl renom :
Donl les Anges, en doux langage,
Nous ont fait un si beau- Sermon.
Chantons Noél, etc.
SOPHRON et PHILÉT1NE.
Portons^» leur pauvre nu-snage
De noz biens à grand abandon.
(212) Ce mystère, et les trois suivants sont de la
composition de Marguerite de Valois, reine «le Navarre.
Ils furent imprimés avec ses autres poésies, par les
soins de Simon de La Haye, sous le litre des Margue-
rites de !a Margueriiedes Princesses, très-illustre reine
de Navarre, in-S°, à Lyon, Jean de Tournes, 1547.
Voyez la Bibliothèque "française de Duverdier- Yan-
privaz, pag Siô. La versification de celte princesse
DOROTHEE.
Je luy porteray mon fourmage
Dans'ceste feisselle de jon.
Chantons Noël, ete.
CRIST1LLA.
El moy ce grand pot de la ctage,
Marie le louvera bon.
PHII.ÉTINE.
Je luy donray ma belle cagj.
Où pst mon pelil oysillon.
Chantons Noël, etc.
ELP1SON.
Ce fagot aura pour chauffage,
Il fait froid en cesie saison.
NÉPHALE.
Mon flageolet pour son usage,
L'enfant en aymera le son.
Chantons Noël, etc.
SOPHRON.
Et moy je ferai le message.
J'entends plus que vous la raison.
PH1LÉTINE.
Je le baiserai au visage.
CRISTILLA.
Non, c'est bien assez au talon
Chantons Noël, elc.
SOPHRON et PHILÉTINF.
Courrons lost à ce sainct voyage,
Plus ne failli qu'icy nous lardons,
Ne craignons nul mauvais passage.
Prenons hnnletle pour bourdon.
Chaulons Noël, elc.
ELPISON et CRISTILLA.
Et Dieu, dons ce petit image
Croyons, adorons, et aymon.
Faisons lui de nos cœurs hommage.
Car certes rien nous n'y perdon.
Chantons Noël, etc.
NÉPHALE et DOROTHÉE.
Mes frères, encore bien scai-je
Que si en lui nous nous fion,
En nous sera pour héritaige,
Et nous en luy tonsioars seron.
Chantons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don
« En revenant d'adorer le Fils de Dieu,
nos bergers rencontrent Satan qui, sous
l'apparence d'un grand seigneur, les inter-
roge et paraît incrédule sur tout ce qu'ils lui
racontent de la naissance du Messie. Con-
fondu de plus en plus par les discours des
bergers, le malin esprit disparaît et retour-
ne aux enfers. Le mystère finit par les
chants des anges qui remercient Dieu de sa
bonté envers les hommes. »
xviii' siècle,
Allemagne. — Vers 177i. — On représentait
de temps à au Ire, dans l'abbaye de Saint -Biaise
de la forêt Noire, un mystèrede la Nativité.
(Cf. Martin Gerbebt, Z>ecotH/it et mus. sacra;
Saint-Biaise, 177i, in-V, 2 vol., t. 11, p. 82.)
est assez bonne pour le siècle où elle vivait. Elle a
mis de l'esprit et de l'invention dans ces poèmes,
mais elle affectait si fort les allégories, que certaines
farces de sa composition en sont tout à fait iniiir
lelligibles. Nous croyons qu'elle avait, pour en agir
ainsi, des raisons, dans [lesquelles nous ne voulons
point -mirer, et qui sont étrangères à notre sujet.
533
NIC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NIC
va
xix' siècle.
Là NAISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS -
CHRIST,
Sorte de mystère joué de nos jours en Basse-Bretagne.
MM. L. Dessales et P. Chabailles, dans
l'Avant-Propns du Mystère de sainl Crespin
et de saint Crespinien (Paris, Silvestre ,
1836, in-8° de xx-196 p.), en ont cité quel-
ques vers qu'ils assurent tenir de l'un des
spectateurs :
On ne voit plus d'armées, on ne voit pins de guerre,
La paix universelle est par toute la terre.
Le grand César Augusie a soumis par sa main
Toules les nations à l'Empire romain;
Il a fait une paix éternelle et durable.
Puis le même auteur raconte l'arrivée de
la Vierge Marie et de Joseph à Bethléem, en
ces termes :
C'est une femme enceinte et prêle d'accoucher
Son mari la respecte et n'ose la toucher.
(P. XII-Xlll.)
Voy. Passion, II, §4(212*).
NATURE ET LOY DE RIGUEUR. — Celte
pièce datant du xvic siècle a été éditée, d'a-
près le manuscrit fonds La Vallière, n° 63 de
la Bibliothèque impériale, dans le Recueil
de farces, moralités et sermons joyeux, tiré à
76 exemplaires, par MM. Leroux de Lincy et
Fr. Michel... Paris, Técliener, 1837, petit
in-8° ancien, h vol., t. II, n° 45. Nous ne
pensons pas qu'elle ait été destinée à la
représentation ; ce serait plutôt, selon nous,
un dialogue à la manière antique" entre
Nature, Loy de Rigueur, Divin Pouvoir,
Amour, Loy de Grâce, et la Vierge.
Le titre est ainsi conçu :
Nature et loy de rigueur: morallile a. vi. per-
sonnages.
NICOLAS (t a statue de saint). — La sta-
tue de saint Nicolas est un des trois drames
qu'a laissés Hilaire, disciple d'Abailard. Le
manuscrit qui, parmi d'autres œuvres, con-
tient ces drames, connu depuis 1616, a passé,
en 1837, de la bibliothèque de Rosny dans
le riche dépôt de la Bibliothèque impériale.
Cette pièce appartient donc très-certaine-
ment à la première moitié du xne siècle.
Il n'en existe d'édition que celle donnée
en 1838 par M.Champollion-Figeac: Hilarii
Versus et ludi. (Paris, Téchener, 1838, in-8%
de xv-61 pages.)
L'éditeur en a dit : « Il n'y a rien de bien
digne de remarque dans les pièces de Lazare
et de Saint-Nicolas , à part les avertisse-
ments qui sont nécessaires pour la bonne
exécution de l'ouvrage, et surtout les refrains
en français dont le dialogue latin est abon-
damment assaisonné... » (Préf., p. xm.)
(212*) M. Edélestand Duméril (O)igiues latines du
inéâire moderne; Paris, 1849, in-8°, p. 354-390) a
édité le mystère contenu dans le manuscrit de la
Bibliothèque impériale, n° 7208, 4, A, fol. 4G, verso,
et l'a intitulé Mystère de la Nativité; il remarque
que le suj t en est lire du Prolevangelium Jacobi. —
Hiblioth. I.npér. n° 5i59 fonds La 'Vallière, 9« por-
tefeuille, une Pastorale sur la Naissance du Christ;
autre sur la ÎS'aiss. du Chr. de frère Claude Macée,
imprimée à Saint Malo, (Bovins, 1805, in-18: Avi-
g on, 1807). En 1510, la pièce latine d'Ambrosius
MM. Monmerqué et Fr. Michel ont fait
remarquer que le même sujet avait été traité
par le moine inconnu de Saint-Benoît-sur'
Loire, et par Jean Bodel.
Comparant le jeu de Saint-Nicolns d'Hilairfc
avec celui de Jean Bodel, M. O. Leroy, dans
ses Epoques de l'histoire de France (Paris,
Hachette, 1843, in-8°), y a trouvé le contraste
de deux siècles bien diiférents : le drame .le
Jean Bodel est le bégaiement de notrejeune
muse; l'autre, celui d'Hilaire, ce piquant
farcita qui n'est plus du latin et n'est pas
du français encore, est le véritable symbole
d'une transition religieuse et sociale; c'est
tout à la fois la langue de l'Eglise et son
autorité, que l'auteur, disciple d'Abailard,
semble vouloir secouer. On voit naître ici,
avec la langue, des germes d'opposition
religieuse, qui, plus tard, fécondés par la
corruption des temps, se développeront d'une
manière effrayante. (Ibid., Introd., p. 13-15.)
— « On trouve dans ce dramedes traits de ce
ridicule déplacé, propre au génie français,
et qui semble provenir de notre esprit aven-
tureux et ergoteur. » (Page 16, Appendice,
p. 37.) — « C'est une sorte de protestation,
dit le même auteur, quoique présentée sous
des formes burlesques, un protestantisme
contre le culte rendu par l'Eglise aux saints
et aux images... (P. 80.) Le libre penseur se
cache prudemment sous le nom d'un per-
sonnage qu'il nomme Barbants, par anti-
phrase, sans doute... » (P. 81.) En effet, c'est
le temps où saint Bernard avait « élé obligé
plusieurs fois de prêcher contre les brise-
images, dont le fanatisme venait d'être ra-
nimé par Bruys et par son disciple Henri... »
(P. 16.) Volé, malgré sa foi en saint Nicolas,
« Barbarus finit par prendre un fouet pour
en frapper l'image du sainl, car Yimnqe est
coupable, dit-il malignement. Saint Nicolas
va trouver les voleurs, à qui il tint un dis-
cours ridicule. Ceux-ci, effrayés... rappor-
tent le trésor. Barbarus, enchanté,... se
jette., aux genoux du saint qui le relève, et
lui dit avec un ton de raison qui est à la fois
la moralité de l'ouvrage et la satire du culto
décerné aux saints :
Soli Deo...
Mihi nullum merilum.
« C'est absolument ce qu'André de la
Vigne, en 1496, fait dire à saint Martin dans
le mystère de ce nom. » (P. 82.) Et pour
confirmer cette opinion, M. O. Leroy indi-
que en note (p. 300 et 329), l'apostrophe
d'Outrage à l'Eglise, quand il vient la piller
et la violenter. (P. 85.) M. O. Leroy carac-
térise le Jeu de saint Nicolas « un amalgamo
Ilellmich de Derlin, imprimée; en 1549, Eine Kurze
Commôdien von der Geburt des Ilerren Christ, impri-
mée à Berlin en 1839 et attribuée sans preuves à
Ceorges Pondo. M. de Ocboa apublié une Nativité en
appendice à sa réimpression de Sancbe/. ; de Juan de
la Encina, Egloga de la noche de Navidad, de Lucaz
Fernandez, Egloga o farsa det Naciinicnto de Jesu-
Chrtsto, et un Auto o farsa del Nacim. de ISuesiro
Senor, imprimé; de Torrcz Naharro, Dialogo del
Sarimienlo, imprimé à Naples en 1517 ; de Cil Vi-
cenle, Auto del Nacimiento.
«55 NIC
bizarre do deux langues et de croyances
incertaines, sans unité, sans nationalité,
sans héroïsme aucun; un triste farcita dans
lequel, seulement, est caractérisée cette épo-
que de controverse, d'où le protestantisme
devait un jour sortir. »
En dernier lieu, M. Magnin a dit à propos
du Lazare et du Saint-Nicolas d'Hilaire:
« Ces deux pièces où le latin domine, se
rattachent au théâtre français au même titre
que le jeu des Vierges sages et des vierges
folles, c'est-à-dire par le mélange de la
langue vulgaire et du latin. » [Journal des
Savants, 1836, janvier.) |
Le titre exact est Le Jeu de la statue de
sair.t Nicolas.
Nous en donnons une traduction aussi
littérale que possible. — Voyez Hilaire ,
disciple cTÀbaitard.
PERSONNAGES INDISPENSABLES.
le barbare qui donne à les voleurs an nombre
garder. de quatre ou de six.
LA STATUE. SAINT NICOLAS.
(Le Barbare ayant rassemblé en tas tous ses biens,
s approche de l'image et lui recommande sa maison.)
I.
le barbare. 0 Nicolas, j'ai mis tout mon bien
dans ce réduit étroit; je l'en fais le gardien, con-
serve tout ce qui est là. Jo l'en prie, fais bien atten-
tion à ce que je dis, veille à ce qu'il n'y ail rien de
volé, je le remets mon or et mes habits précieux.
J'ai une affaire qui m'appelle au dehors; c'est à loi
que j'impose le soin de tout ce qui est ici; et à mon
retour, rends-moi tout ce que j'ai laissé sous la
garde. Je suis plus tranquille que d'habitude de le
savoir maître de ton t céans, mais fais attention qu'à
mon retour je n'aie pas quelque jusle sujet de plainte.
II.
{Il s'en va ; des voleurs voient en passant l'huis ouvert
et personne au dedans; Ut; font main- bassesur tout.)
III.
(Le Barbare, àson retour, ne trouvant plus son trésor.)
le barbare. 0 fatalité cmielle, terrible! J'avais
laissé tant de choses ici, mais à quel mauvais gar-
dien. Ah! quel malheur! tout mon bien perdu! J'en-
DICTIONNA1RE DES MYSTERES.
N!C
5:6
rage ! J'avais mis
nrgenl ; et plus
mon bien perdu
•,\,
et- plus rien.
quel malheur!
Celle
Tout
là plus de cent objets et mon
rien. Ah ! quel malheur! tout
J'enrage! J'avais tout laissé ,
slalue en
mon bien
est j la cause
perdu '
Ah!
j enrage
t
(S'approchant de la statue et lui parlant :) J'avais
mis en tas lout mon bien, je le l'avais recommandé;
et je m'étais trompé. Ah! Nico'as, si lu ne me rends
mon bien, lu me payeras cela. J'avais mis là tout ce
(pie je l'avais conlié, el tout est perdu. Ah! Nicolas,
situ ne me rends mon bien, tu vie payeras cela. (Il
prend un fouet.) J'avais pour toi bien du respect;
niais cela ne se passera pas sans vengeance, el
maintenant je te somme d'avoir à me rendre tout ce
que j'avais déposé là. J'en jure par Dieu, si lu ne me
rends pas mon bien, je le fouetterai comme un cri-
minel; el maintenant je te somme d'avoir à me ren-
drelout ce que j'uvuis déposé là.
IV.
saint Nicolas allant aux voleurs. Malheureux ! que
faites-vous? Vous ne rirez pas longtemps autour de
ces objets perdus. C'est moi qui en étais le gardien,
je vous ai vus tout emporter. J'en ai eu toul le dé-
boire, quand je n'ai pu, selon mon devoir, rendre
ces biens. J'ai subi de durs reproches, et dos coups
avec les paroles. Aussi je viens en toute hâte vous
dire de rapporter toul ce que vous aviez volé, car
tout était sous ma garde. Si vous n'obéissez, vous
serez pendus au gibet, demain même, car c'est moi
qui ferai connaître à tout le monde voire infamie et
vos larcins.
V.
(Les voleurs, épouvantés, rapportent tout.)
le barbare, retrouvant son bien. Ai-je la vue
trouble? Ah ! quelle joie ! c'est mon trésor. Quel mi-
racle surprenant ! Toul esl revenu. Ah ! quelle joie !
et ce n'est pas moi qui ai rien retrouvé. Quel mira-
cle surprenant ! Ah ! quel bon gardien ! Ah! quelle
joie! Il m'a tout fait rendre. Quel miracle surprenant !
(Il s'approche de la statue et d'un air contrit :) 0 Ni-
colas: je viens à loi toul confus, c'est loi qui m'a
fait rendre tout ce que j'avais missous ta garde. 0 Ni-
colas! je m'étais relire bien triste, mais j'ai reçu,
sans qu'il y manque rien, toul ce que j'avais mis
sous ta garde. C'est ma lêle qui avait tourné, ô Ni-
colas! cl rien ne m'avait, sans doule, jamais man-
qué de tout ce que j'avais mis sous ta garde.
VI.
saint Nicolas apparaît au Barbare. Frère, ce n'est
pas moi qu'il faut remercier, mais Dieu seul. C'est
lui, le créateur des cieux, de la mer el de ce monde,
qui seul l'a rendu lout ce que tu avais perdu, pour
que tu ne fusses plus désormais ce que tu as été
jusqu'ici. Loue le nom seul du Christ, ne crois plus
qu'en ce Dieu dont lu as reçu tous les biens : moi je
n'en ai pas le mérite.
le barbare. Sans balancer, à l'instant, je me re-
tire de l'abîme de l'erreur, je quitte les rites des
Gentils et je crois en le Christ, Fils de Dieu, el au-
teur de tant de merveilles. Il esl le créateur uni-
versel du ciel, de la lerre, de l'océan; et c'e,--l en
lui que je sollicite la grâce de mon erreur. C'est en
lui «s ne s'effaceront mes fautes, en lui, Seigneur om-
nipotent, el dont le règne est sans lin.
NICOLAS (Le Jeu de saint), de Jean
Bodel. — Le Jeu de Suint-Nicolas esl tiré du
manuscrit de La Vallière. (Bibliolli. impé-
riale, n° 81, olim 273G, f* 60, recto, col. 1.)
Le grand d'Aussy en a donné un extrait
(Fabliaux ou contes du xn° et du xin* siècle,
édit. de Uenouard, Paris, 1829, in-8°, 5volM
t. II, p. 185-189). MM. l'abbé de La Boude-
rie et Monmerqué l'ont publié pour la pre-
mière fois, en 1834, pour la Société des
bibliophiles français, en un volume in-8%
tiré à trente exemplaires seulement, et au-
quel il manque encore aujourd'hui une No-
tice préliminaire et un Glossaire promis depuis
bientôt vingt ans par M. Monmerqué.
M. Daunou, dans VHist. litt. de la France,
t. XVI, Paris, 1824-, in-4°, Discours sur
Vélat des lettres en France au xnr siècle,
p. 213, niait le caractère dramatique du Jeu
de saint Nicolas, du Miracle de Théophile de
Jean Bodel et de Butebeuf ; et considérait,
comme de simples dialogues, la plupart des
pièces du théâtre français antérieures au
xv" siècle. Néanmoins, dans le même vo-
lume, Discours sur l'état des beaux-arts en
France au xiii* siècle, M. Amaury-Duval ex-
primait l'opinion contraire, et citait, comme
évidemment destiné à la représentation ,
entre autres pièces, ce même Jeu de Saint-
Nicolas.
Déjà, en 1815, de Boquefort avait expri-
mé l'opinion reproduite par M. Amaury-
Duval. (De Roquefort-Flaméricourt, De
l'état de lapoésie française dans les xii* et lin*
siècles; Paris, Fournier, 1815, in-8", p. 261 )
NIC
DICTIONNAIRE DES MÏSTEKES.
NIC
538
M. Onésirue Leroy, dans ses Etudes sur
les Mystères (Paris, 1837, in-8", p. 13-31),
s'arrêta à l'examen du Jeu de Saint-Nicolas
de Jehan Bodiaus. ou Bodel. Le manuscrit
conservé à la Bibliothèque impériale, fonds
La Vallière, n'81, in-8", peau vélin, contient,
outre le drame, des chansons et des vers
composés par des trouvères du Nord. Après
avoir critiqué avec force et justesse la légè-
reié deLegrand d'Aussv, l'auteur des Etudes,
émet les opinions suivantes : — Le sujet de
la pièce, le lieu de la scène, les passions
mises en mouvement, indiquent que l'au-
teur avait pour but de rappeler les faits de
l'histoire de son temps. — Ainsi, saint Louis
avait espéré convertir le roi de Tunis; dans
le désastre récent de Mansoura, le comte
Robert d'Artois, frère de saint Louis, avec
Mansoura, peut-ôtre présents; les rois bar-
bares de l'Afrique se courbant devant notre
roi ; et jusqu'aux grimaces risibles de l'idole
abandonnée, « tributs payés à la malice
française, mais sans aucun outrage au saint
que l'Eglise honore, » (ouï concourait à
rendre émouvante l'œuvre de Jean Bodel,
en qui revivait l'esprit de saint Louis, tant
l'esprit du saint roi se trouvait déjà répandu
dans son siècle! tant cet esprit animait les
plus humbles 1»
Une dernière étude, donnée par un grand
critique, nuisit quelque peu à ces données
bizarres. Celte 'étude est de M. Magnin.
Selon cet auteur, le Jeu de Saint-Nicolas do
Bodel a été qualifié à tort par la critique trop
bénévole de M. O Leroy de tragédicnalionale.
On y cherche oiseusement des allusions
un grand nombre de Français, avait péri historiques; M. Paulin Paris a prouvé que
victime de son imprudent courage. - ■ Ce
sont ces espérances et événements auxquels
s'est ajtaché ie poëte : le roi d'Afrique, en
etl'et, a'bjure le cul#te de Tervagan; les chré-
tiens sont envelo'ppés, faits prisonniers, et
périssent tous 1 Parmi eux est ce guerrier,
représentant de Uobert, à qui échappe le
mot si fameux mal attribué au Cid, et tout
français. Voilà de la tragédie nationale, con-
clut AL Leroy. (212**) «Quand celle-ci parut,
elle était toute de circonstance, ce que l'on
n'a pas vu. Si l'on eût remarqué la date qui
s'y trouve écrite 5 chaque page, non pas en
chilfres, mais dans les faits, cet opuscule
qui jette tant de clarté sur notre histoire,
serait dès longtemps mieux connu... » (P.
17.) Entin, peut-être Jean Bodel a-til pris
dans l'une des quatre pièces latines de Saint-
Nicolas, signalées dans le Mercure de Erance,
l'idée de sa pièce. « Mais ce qui est à lui
seul, c'est d'avoir su la rattacher, avec un
art bien remarquable, aux événements et
aux mœurs de son temps. (P. 31.) Lt c'est
ainsi que notre Artésien s'est assuré la
gloire d'avoir élevé le premier monument
dramatique dont puisse s'honorer la littéra-
ture française. » (P. 15.)
M. O. Leroy, dans ses Epoques de V His-
toire de Erance (Paris, Hachette, 1843, in-8"),
revient sur le jugement porté dans ses Etu-
des sur les mystères, à propos du Jeu de Saint-
Nicolas; il s'appuie de la Notice sur Jehan
Bodel pour constater l'exactitude de ses rap-
prochements entre les faits de l'histoire et
les faits du drame; et, comparant le Indus
sancli Nicolaili la pièce française, il y trou-
verait le contraste de deux siècles bien dif-
férents. L'œuvre d'Hilaire est le symbole
d'une transition religieuse et sociale; le
drame de Jean Bodel- est le début ?de notre
jeune muse. [Ibid., Inlrod., p. 13-15.) Mais
quel début ! « Voilà la tragédie nationale,
que Corneille et Racine eux-mômes ne pour-
ront traiter au xvn' siècle, et nous ne sommes
encore qu'au milieu du xm' 1 » (/&., ch. u,
j». 87.) Les témoins de l'atfreux désastre de
(212") Cf. aussi dans le journal Le Temps (1835,
•*» octobre) un article de M. I.croy où sonl exprimées
les mêmes opinions. - M. Arthur Dinaux [Trouvères,
jongleurs ci ménestrels du nord de tu France; Paris,
l'auteur vivait à la lin du xu' siècle, avant
les événements auxquels on rapporte ce
drame. M. Monmerqué, de même que M.
Leroy, a fait erreur en considérant ce drame
comme destiné à être représenté dans les
manoirs parmi les châtelains : la licence du
langage prouve qu'il était composé pour 1rs
carrefours. On y trouve une scène militaire
vraiment très-belle, et ce mot qui n'appar-
tient plus désormais au Cid : d'un grand
cœur en un corps petit, il n'est pas adressé au
Seigneur Dieu, mais aux seiqneurs chevaliers.
(Journ. des Savants, janvier 18V6, p- 1-16.)
LE JEU DE SAINT NICOLAS.
PERSONNAGES.
L'iDOLE DE TERVAGAN, per- UN CHRÉTIEN, OU te CHEVA-
LIER Cl LE prud'homme.
connart, le erreur.
LE TAVERMER.
caignet, son valet.
raoulet, au ire ciieur.
CLIQUET,
PINCE DÉ,
RASOIR, )
dui'.and, geôlier.
l'orateur, personnage du
prologue.
sonnage muel.
l'ange,
saint nicolas.
LE ROI.
LE SÉNÉCHAL.
l'émir d'Ieonium.
— d'Orkenie.
— d'Olil'erne.
— du Sec- Arbre.
auberon, le courrier.
LES CURÉ TIENS.
joueurs cl vo-
leurs.
PROLOGUE.
l'orateur. Ecoulez, écoulez, seigneurs et. dames,
el que Dieu soil garant de vos cœurs! Ne faites pas
fi de voire bien. Nous voulons parler aujourd'hui de
sainl Nicolas, ie confesseur, <|iii ■'» faillant de beaux
miracles. Des témoins veridiques oui raconté el on
lit dans sa Vie qu'autrefois un roi païen, étant li-
mitrophe d'un, pays chrétien, il y, 'avait toujours
guerre entre ces deux royaumes. Un jour le païen lit
cbezles Ch réliens une incursion sur un point où ils ne se
gardaient point; ceux-ci, trompés, surpris, eurent
beaucoup de inorls el de prisonniers. Les païens les
taillèrent aisément en pièces jusqu'à ce qu'ils eussent
vu dans une petite maison un bonhomme d'âge qui
priait devant une statue du baron saint Nicolas...
L'homme est pris, maltraité, mené au roi. « Vilain,
dit le roi au prud'homme, est-ce que tu as foi dans
ce bois? — Mais, sire, c'esl l'image de sainl Nicolas
que j'aime beaucoup, el si je le prie et l'invoque,
c'est que nul homme, Tayaut appelé de tout son
183fi-l(M3, in-8°, 3 v., i. III, p 2(i") s'est rangé à
l'opinion erronée de M. O. Leroy sur le caractère
liiïloiîquc du Jeu de Suint Nicolas.
539
NIC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NON
540
cœur, n'a jamais rien égaré ni jamais été volé
(rCierlja csgarés a nul puer)... — Vilain, je te ferai
larder, s'il ne multiplie et ne garde mon trésor... »
Le roi fil lui-même tenir à l'étroit le prud'homme et
mit la statue du sainl dans sou trésor. Mais, une
nuit, trois voleurs ayanl enlevé les coffres malgré
l'image de saint Nicolas, le roi se liàta de s'en pren-
dre au bonhomme et d'ordonner sa mort. Ce fui
avec bien de la peine que le vieillard put obtenir un
sursis d'un jour qu'il employa tout entier à prier
sainl Nicolas. Le saint écouta ses plaintes et, appa-
raissant aux larrons endormis, oblinl d'eux la réin-
tégration complète'de tous les biens ravis. « Sei-
gneurs, nous trouvons ces choses dans la vie du
saint dont la fêle tombe demain ; ne vous étonnez
de rien de ce que vous allez voir ; car toute l'action esl
la Irès-fidèle et très-exacte représentation du mira-
cle, tel que je vous l'ai raconté. C'est le miracle seul
de sainl Nicolas , dont ce jeu esl fait et composé.
Maintenant, faites-nous silence, et vous l'entendrez.
auberon le courrier. 0 Roi, Mahomet, dont tu es
né, sauve et garde la personne et ton royaume ; qu'il
le donne la force de le défendre de ceux qui le cou-
rent sus, qui dévastent et pillent la terre, qui n'ho-
norent ni ne prient nos dieux, c'est à-dire des Chré-
tiens, ces misérables.
us roi, au sénéchal. Ouais! par mon dieu Apol-
lon ! les Chrétiens sont-ils dans mon royaume, onl-
ils engagé la guerre, sont-ils si hardis, si audacieux?
auberon, au roi. 0 Roi, il n'y a eu si grandes for-
ces, et telle armée, depuis queNoélil l'arche, comme
celles qui ont envahi les frontières.
(Le roi s'emporte contre ses dieux, contre Tervagan
surtout; mais selon les avis du sénéchal, il s'apaise
et implore le dieu ; il lui demande un signe, l'idole
rit et pleure tout ensemble. Le roi reste frappé du
présage et en exige du sénéchal une prompte inter-
prétation. Celui-ci ne se résout à parler qu'après les
plus solennels serments de sauve garde; il a fallu
même que le roi, pour dem ère garantie, frappât sa
dent de son ongle. Le sujet craintif s'explique enfin:)
le sénéchal. Maintenant ma lèvre ne sera plus
paresseuse, je vais découvrir les mystères de l'ave-
nir : le rire du dieu, d'abord, est votre bien, vous
vaincrez les chrétiens dès que vous vous lèverez
contre eux; mais il eut raison de pleurer ensuite, car,
douleur immense et graiidepitié! vousabandonnerez
à la fin votre dieu, et cela arrivera prochainement.
le roi. Sénéchal, cinq cents maux tiennent celui
qui a dit cela ou l'a pensé ; mais sauf la foi due à
tous mes amis, et si le doigt n'eût été mis à la dent,
certes, Mahom ne l'eût pas empêché d'être par moi
misa mort. Mais, parlons d'autre chose. Assez, et
faites appeler l'année.
(Le sénéchal donne ses ordres au héraut d'armes,
Conuart, et le roi, dépêche le courrier Auberon vers
les émirs d'Iconium, d'Orkenie, d'Oliferne et du
Sec-Arbre. Chacun des émirs, nommé par Aube-
ron, fait ses préparatifs de guerre. Ils arrivent ,
toutes les forces du roi sont réunies, le sénéchal
donne le signal du combat. Les Chrétiens reçoivent
la visite d'un ange qui les réconforte, et néanmoins
ils sont taillés en pièces. Tous ont péri, hormis un
seul chevalier prud'homme que l'on trouve, en prières
devant un Mahoinmel cornu, selon l'expression des
infidèles étonnés de la mitre que porte la statue,
objet de la vénération du pieux chevalier. Cet uni-
que prisonnier esl cunduil devant le roi q7ti l'inter-
roge sur les vertus de son protecteur céleste.)
le prud'homme. Sire, c'est saint Nicolas, secoura-
ble à ions les maux, et dont les miracles sonl bien
connus: c'esl lui qui répare toutes les perles, remet
les égarés dans la voie, corrige les mécréants, rend
la vue aux aveugles, ressuscite les noyés, el rien de
mis sous sa garde ne se perd jamais, ni se détériore,
même sans qu'on y fasse attention. Ainsi ce palais,
fût-il plein d'or, si le saint était mis sur le trésor,
rien ne manquerait. Telle est la grâce que Dieu a
mise en lui.
(Le Roi, touché d'une secrète curiosité, se hâte de re-
commander ses trésors à sainl Nicolas, et pour
mieux éprouver la grâce de Dieu, de les faire ou-
vrir à tous venants el de faire annoncer partout que
personne ne garde plus les coffres précieux « sinon un
Mahommet cornu, fort bien mort, el ne remuant cer-
tes pas. » Celle nouvelle si gracieuse allèche trois maî-
tres fitoUS, CLIQUET, PINCE-DÉ et RASOIR qui fûM,
dans un cabaret, la partie d'aller dérober, à tous
risques de pièges, le bien du roi. Ils ij vont en effet,
et ne laissent rien que d'homme de bois. > Le séné-
chal s'en aperçoit le premier, il éveille le roi, on
lire de la prison le prud'homme, il est condamné à
la mort, l'ange le console, le rassure, saint Nicolas
s'occupe de le sauver.)
Ne te convient avoir mile doulanche
Sains Nicolais pourcache le delivranche...
(En effet le saint éveille les voleurs endormis, après une
nuit d'orgie, au milieu des richesses dérobées, dans
l'hôtellerie même oit le coup fut prémédité ; il leur
ordonne de remettre en place tout ce qu'Usant pris.)
pince-dé. Par le signe de la sainte croix ! Cliquet,
qu'en pensez-vous? et vous, qu'en dites-vous, Rasoir ?
(Ils se résignent à obéir. Une seconde fois le sénéchal
est averti dans son sommeil, el le premier il annonce
au roi la bienheureuse nouvelle. Celui-ci reconnaît
la tonte-puissance de saint Nicolas, met en libertéie
prud'homme, et se convertit avecses principaux cheva-
liers,àla honte el audésesy.oi) de son d: eu Tervagan.)
CHI FINE LI JEUS DE S. NICOLAI QUE JEHAN BODIAUST
F1ST. AMEN.
NICOLAS (Miracles de saint). — Voy.
Miracles de saint Nicolas, — Saint-Be-
noît-sur-Loire (Manuscrit de).
NICOLAS (Mystère de saint). — Duverdier
[Bibliothèque française, p. 927) indique l'édi-
tion suivante d'un Mystère de saint Nicolas :
Mystère et beau miracle de saine t Nicolas à
vingt -quatre personnages : imprimé à
Paris, in-k°, par Pierre Sergent, sans date.
Les frères Parfait (Hist. du th. fr., Paris,
15 vol. in-12, 1745, t. 111, p. 34), et do
Beauchamps (Recherches sur les théâtres de
France, Paris, 1735, in-8", 3 vol., t. 1", p.
22G), ont répété celte note.
On ne retrouve plus celte édition.
NICOLAS (Remontrance de saint). —
« Aulcuns joueurs faisoient auprès de la
chapelle Saint-Nicolas une belle remons-
trance a l'heure que le Saint-Sacrement pas-
soit, et après les vespres la jouoient par
personnaigesavec une farce joyeuse. » (Ex-
trait des Comptes de Bélhune, an 1552,
publiés par de Lafons-Méi.icocq, Annales
archéologiques, t. VIII, p. 159.)
NICOLAS DE TOLLNTIN (Saint). — On
lit dans Yllistoire littéraire de la ville de
Lyon, du B. P. Colonia, de la Compagnie de
Jésus (Lvon, 1730, in-4°, 2 vol., t. II, p.
429), sous la date de 1499 à 1500 :
« Un acte consulaire... permet aux Pères
Augustins de... faire bâtir un grand théâtre
aux Terreaux, sur les fossés de la porte de
la Lanterne, pour y jouer la Vie de saint
Nicolas de Tolentin, que ledit couvent des
Augustins voulait faire jouer. »
Eh 1836, dans son cours professé à la
Faculté des lettres. M. Mngnin signala cette
su
NON
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NON
54Î
S
représentation de Saint-Nicolas.' (Journ.
gén. de l'instr. public. ,28 janv. 1836, cours,
2* sem., xvi* art., p. "202.)
NONNE (Sainte). — M. Uaynouard, dans
le cahier de juin 1836 du Journal des Sa-
vants, annonçait ia publication du mystère
de Sainte-Nonne, Butiez Santez Nonn. (P.
374.)
Cette publication a eu lieu en effet.
Le manuscrit des Buhez Santez Nonn
date de la tin du xiV ou du commencement
du xv* siècle. Ecrit -sur papier, il forme un
ptlit volume in-8° de quarante-six doubles
feuillets. Signalé à M. l'abbé Marzin. acheté
lar lui, il est resté entre les mains de
I. l'abbé Sionnet.
Ce monument si précieux du théâtre bre-
ton a été édité, en 1837, sous le titre suivant :
Buhez Santez Nonn, ou vie de sainte Nonne
et de son fils saint Dcvij ( David), arche-
vêque de Mennevie en 519, mystère composé
en langue bretonne, antérieurement au xn*
siècle, publié- sur un manuscrit unique,
avec une introduction par Vabbé Sionnet,
et accompagné d'une traduction littérale
de M. Legonidec, et d'un fac-similé du ma-
nuscrit ; tiré à trois cents exemplaires ;
Paris, Merlin, libraire, quai des Augus-
lius, n°7, 1837 (in-8% de l-212 pages).
Ce drame est divisé en trois parties : 1" la
vie de sainte Nonne; 2" les miracles qui
s'opèrent sur son tombeau ; 3° l'épiscopat
et la mort de saint Devy.
:< Toutes ces parties, dit M. l'abbé Sionnet,
trouver Patrice. Qu'il (aille avec joie au loin; qu'il
abandonne le lieu qu'il habile. Donne-lui l'ordre de
parcourir promplemenl k pays; il ne doit pas res-
ter là. Dis-lui positivement qu'il est choisi de Dieu
juste et loyal pour (aire connaître ses ordres. Dans
trente ans d'ici, naîtra Saint Devvy ; il est prédit
qu'il sera engendré ici... >
Patrice ne reçoit pas sans (rouble l'ordre
du Seigneur: ;< M'envoyer à jeun au-devant
de quelqu'un qui ne viendra fias avant
trente ans, puisqu'il ne naîtra qu'à celte
époque, soyez-en sûr; m'en aller sans repos
d'ici pour habiter, sans doute, un autre pays,
et marcher à tête basse comme un aveugle;
ne pourrai-je m'en trouver mal ? Dieu réitère
son ordre et Patrice se met en roule. Dès
les premiers pas, son pied heurte le tom-
beau d'un vieillard, qu'il ressuscite pour se
donner un compagnon. L'un et l'autre arri-
vent en Hibernie, dans la petite île de Ro-
sita. C'est là que Nonila, conseillée par son
ange blanc, s'est enfermée dans un monas-
tère, auprès duquel le roi h'ereticus vient
prendre le divertissement de la chasse. Le
roi rencontre Nouita.
le roi à Nonita. Fille fraîche el courtoise, douce
et gentille, je vous présente un salut respectueux.
Ma lê.e s'incline devant vous, quand je vous vois
belle et sainte. Je veux vous demander d'abord, saiu
paraître trop timide, si vous vous portez bien, et
quels sont vos parents (212***).
nonita. Quoique je sois ici sur le chemin, mas
parents sont des gens honnêtes, gens fiers de la lire -
lagne, gens nobles et de maison riche (2l2""j.
La pauvre religieuse subil, dans le boi3
richement limées, pour l'ordinaire, quel- épais, les violences du roi. Un enfant est
quefois en simples assonances, sont écrites conçu, que le peuple accepte comme un
dans >4n breton qui diffère de celui de nos témoignage des volontés de Dieu, dont Mer-
jours par des désinences plus fortes, fera- lin prédit la vie miraculeuse, et qui, dès le
jou
flanc de sa mère, trouble le giand saint
Cildas dans ses prêches ; les magiciens tirent
avec stupeur son horoscope merveilleux ; le
diable s'en émeut, craignant qu'après sa
venue il n'y ait plus que des amis et de
bonnes gens ici-bas; les barons remuants
M
plui d'expressions tombées en désuétude
ou conservées avec une autre signification,
l'absence fréquente des liaisons grammati-
cales, etc. Il fourmille de mots latins avec la
forme alléréequ'emploienl les troubadours. »
( Préf n xv )
La "troisième partie du Buhez semble à et querelleurs du pays se mettent en cam-
. Sionnet postérieure aux deux premières ; P*g»je, pour occire la religieuse qui le porto
dans son sein.
Mais Dieu môme protège saint Davvy. La
foudre écarte de lui ces ennemis inconnus
qui s'acUainent contre sa naissance. Nonila
accouche de lui sur un roc qui se divise,
s'amollit pour lui former une couche; une
fontaine jaillit de terre pour fournir l'eau de
son baptême , les aveugles recouvrent la
vue, les infirmes sont guéris. Le sage Paulin
l'élève. A peine hors de l'enfance, les mi-
racles éclatent en lui : il rend la vue à son
maître, des troupeaux à une famille ruinée.
Nonila cependant, accablée de vieillesse,
est appelée par Dieu, qui lui envoie \aMort :
i C'est moi la Mort dans celle'vallée, qui tue moi
même sans pitié tout ce qui a pris naissance en c*
monde, roturiers, gentilshommes et gens d'église
bourgeois aussi bien que paysans... i
il aurait été composé dans la Cambrie.
Le poëme commence ainsi :
DEUS PATER.
A cl mal quae en slal man
Abreman voar an bel
ltede Patricius : joaeus gra escus net
Mont voar tech an lech bout
DezalT gra pronl coulct
Querzei cerlen dren bro
Luo ne chomo quel
Lauar dézalf parfet
Diuzet ezaedi : gant doc jusl ha laal
Ucal dre e aly : da peu liegonl bloaz co.
Et duy bto sanl Devvy
Aman da bout gancl
Proliciei cdy...
Traduction.
DIEU LE PÈRE.
< l'on ange, va sur-le-champ dans le mon !e, va
Ç*Jl2 '•*) RLX AD NOM TAM.
Merch Dour courtes douces plesaut.
Salud prudant a presanlafT
Aet olle pep quis peu ysel
Vaillant Daniel pa boz guclalf ..
(212"") NONITA.
Pan aedoll aman voar an lient
Ma querenl so tut anlenlic
Tut fier a brilonery
A noblanc a li piuisic....
543
OBI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OBI
SU
Nonita est enterrée « entre Daoulas et la
ville de Landernau. »
Ici se termine la première partie, ou Vie
de sainte Nonne.
Lesmiracles suivent. Henry et Julien com-
paraissent devant le Juge; Julien fait sur le
tombeau de la sainte un faux serment: il
meurt sur-le-champ; Rigoal, pour pareille
faute, perd l'usage des membres ; et Théo-
phanie, parjure comme eux, est dévorée par
un feu ardent.
La Vie de saint David termine ce drame
étrange. Devenu membre de l'Eglise, moine
de l'abbaye de Mennevie, fondée par saint
Patrice, archevêque de Léon, Dieu ne le re-
garde qu'avec plus de complaisance, et les
mincies éclosent à ses moindres désirs. La
mort lui est enfin envoyée du ciel, au milieu
des bienfaits qu'il répand autour de lui ; les
anges emportent son âme dans le paradis, et
les moines de Mennevie l'ensevelissent dans
l'abbaye qu'il n'a point voulu quitter, quoique
au comble des honneurs ecclésiastiques
NON QUM SUPER TERRAM. — On lit
dans la Bibliothèque du théâtre françois, ou-
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. 1", p. 125) :
« Autre dialogue moral à cinq personnages,
sur la devise de M. le révérendissime car-
dinal de Tcurnon : Non quœ super terrain,
joué à Valence devant lui, le dimanche de
mi-carême 15^9.
« Se trouve dans un volume intitulé : Re-
pos du plus grand travail dédié par l'auteur
à sa sanité, et imprimé à Lyon, chez Jean de
Tournes et Guillaume Garge.au, 1550, in-8°.
« Ciel raconte les bienfaits dont il a com-
blé les hommes. V Esprit, la Terre et la
Chair se disputent la possession de Y Homme.
Celui-ci se livre à la chair, et se fait ins-
truire par elle sur le genre de vie qu'il doit
mener. L'Esprit implore la clémence du
Ciel qui lui promet son secours, et lui con-
seille de faire une nouvelle tentative auprès
de Y Homme. La Terre et la Chair se dé-
battent longtemps avec V Esprit pour ne pas
lâcher leur proie, mais enfin ce dernier rem-
porte la victoire. L'Homme se rend à l'Es-
prit, et la morale est qu'il ne faut point
rechercher les choses de ce monde, mais
Uniquement celles du ciel, selon la devise
du cardinal : Non quœ super terram.
Maudite cliair! o chair maudite dite
Du Dieu qui a au ciel empire, empire
L'homme a, par loi el la poursuite, suite
De vil péché qui a martyre; lire.
Sou aine, hélas ! à sou navire vire
Il esl quasi condamné, condamné.
Et si Dieu veut sentence dire, dire
De malheur fut eslréné, d'être né.
NOTRE-DAME. — La Bibliothèque du
théâtre françois, ouvrage attribué au duc do
La Vallière (Dresde, 1768, in-8% 3 vol., t.
1". p. 115). donne la notice suivante :
« Beau mistère de Notre-Dame, à la louange de
sa très-digne Nativité, d'une, jeune fille, la-
quelle se voulut abandonner à péché, pour
nourrir son père et sa. mère en leur extrême
pauvreté, à dix-huit personnages ; Lyon,
Ollivier Arnoullei, 15V3, in-12 golh.
« On père et une mère accablés de mi-
sère..., appellent la mort à leur secours.
Leur fille partage leur douleur et cherche
des moyens pour les soulager. Satan lui en
indique un tout simple; c'est de profiler de
ses grâces et de sa jeunesse... Un marchand
qui passait par la s'approche d'elle; la fille
fait une prière à la Vierge, demande au
marchand quelques libéralités. — Cet
homme lui donne un signet d'or, la res-
pecte et passe son chemin. Un voleur dit
que celle fille débauchée l'a trouvé endormi
et lui a volé un signet d'or. On la fouille,
on lui trouve le signet d'or, et on la conduit
au prévôt, on la condamne à êire enterrée
vive. Le bourreau arrive, on creuse la
fosse. — Cependant la sainte Vierge im-
plore la justice et la clémence de Jésus qui
lui promet de secourir celle innocente. Et
effet, le marchand passe près du lieu du sup-
plice, reconnaît cette fille, et raconte l'his-
toire. On retourne au tribunal, le voleur
est convaincu et condamné à être pendu.
Après cetteexécution, quise fait sur le théâtre,
le prévôt, le seigneur et le marchand font
des présents à la jeune fille, et la renvoient
à ses parents. »
L'idée de celte pièce nous paraît emprun-
tée aux Filles dotées du Manuscrit de Saint-
Benoit-sur-Lnire.
NOTRE-DAME. — De Beauchamps a cité
un Mystère de Notre-Dame, dans ses Re-
cherches sur les théâtres de France (Paris,
1735, in-8°, 3 vol , t. I", p. 226), à la suite
duquel serait imprimée la Passion de sainte
Christine et de sainte Léocade. Un peu plus
bas (p. 227), le môme auteur cite une « Vie
de Notre-Dame, in-fol.., » et « la Vie de
Notre-Dame et la Passion de Notre- Seigneur
en vers anciens, s
NOTRE-DAME-DU-PUY. — Duverdier
[Bibliothèque française, p. 178), donne les
notes suivantes que les frères Parfait ont
répétées sous la rubrique de l'an 1518. [llxst.
du th. fr., t. II, p. 661.)
Le mystère de l'Édification et dédicace de
l'Eglise de Nostre-Dame-du-Puy, et trans-
lation de l'image qui y est, à xxxv person-
nages, par Claude d'Oléson.
« Claude d'Oléson a composé en rime le
mystère de Y édification et dédicace de
l'Eglise de Nolre-Durnc-du- Puy et transla-
tion de l'image qui y est, à trente-cinq per-
sonnages. An 1520 ou 1521. [Ibid., p. 261.)
O
OBIT DE LA BOUTEILLE (L') — La fête
d( s Fous, déjà célébrée à Evreux par la
Trorcssion noire,' s' était imposée dans cette
ville par un autre usage dont la révélation
a excité l'horreur de l'Eglise.
Ainsi, en 1270, un chanoine, un membre
545
OTII
DICTIONNAIRE DES MYSTERES;
OTII
K16
du haut clergé, chose singulière! car celui-
ci lutte contre les désordres du temps avec
grande énergie, ajoute aux saturnales de la
Procession noire un Obit de la bouteille, au
28 avril, où était attachée une forte rétribu-
tion pour le bas clergé et pendant lequel on
étendait au milieu du chœur cinq bouteilles
sur un drap mortuaire. (M. Magnin, Cours à
la faculté des lettres, dans le Journ. gén. de
iinstr.publ., 13 décembre 1835, p. 99.)!
ODILLON (Chant funèbre de saint). —
On a signalé parmi les monuments du théâ-
tre au xi' s ècle le Chant finèbre de saint
Odillon, en. le raproehant de celui de sainte
Radegonde. Nous avons consulté avec soin
la plainte du moine Jotsand à propos de la
mort de l'abbé Odillon. Rien, dans cette
pièce de vers, n'aie caractère dramatique.
(Jotsaldi monacfii planctus de transitu D. Odi-
lonis abb. Cluntac, dans le [Martin Marrier
et André Ducbesnej BtblioihecaCluniacensis ;
Paris, 1614, in-fol., p. 330.)
OFFICE DE L'ETOILE. - Le nom d'of-
fice de Tétoile a été donné, durant le moyen-
Age, aux représentations figurées dans les
rites du mystère des Trois rois. (Cf. Johann.
Ahrineens. episrop., Liber de off. eccles., éd.
Joli. Prévôt.; Roihom., 1679, in-Sv)
OFFICE DE LA NATIVITÉ. — M. Ma-
gnin, dans le cahier de janvier 18'iG du
Journal desSavants, p. 83, cite des fragments
du Manuscrit de saint Martial de Limoges,
comme un office du mystère de la Nativité.
Cette représentation figurée date du xi' siè-
cle. — Yoy. Nativité (la).
OFFICE DU SÉPULCRE. — On connaît
sous le nom d'Olfice du sépulcre, les rites
figurés de la Résurrection. — Voy. Résur-
rection, 1. Iii tes figurés.
OTHON ROI DESPAGNE. — Le Miracle
d'Othon, roi d'Espagne, est tiré du manus-
crit de la Bibliothèque impériale, n° 7208, 4.
B, folio 69, recto, connu sous le titre des Mi-
racles de Notre-Dame, et datant du xiv'siôcle.
MM. Monmerqué et Fr. Michel l'ont pu-
blié, accompagné d'une version française,
dans leur Théâtre français au moyen âge
(Paris, 1839, gr. in-8°, p. 417481). M.' Fr. Mi-
chel a remarqué que l'intrigue de ce drame
est la même que celle de Cymbeline, de
Shakspeare, du roman de la Violette, et du
Roman du Roi Flore et de la belle Jehanne.
PERSONNAGES.
L'EMrERlERE LOTA1RE. DEUXIEME bourgeois.
OSTES 011 OSTOH. TROISIÈME bourgeois.
CGiER, premier chevalier quatrième bourgeois,
l'empei iere. denïse ou la fille.
DEUXIÈME CHEVALIER l'eM- ROY DE GRENADE.
PER1ERE. SALOMON.
lemessagierl'emperif.re. LA DAMOISELLE , OU ES-
hOÏ AI FONS. CLANTINE.
PREMIER CHEVALIER AL- BÉRI.NG1ER.
FONS. DIEU.
DEUXIEME CHEVALIER AL- NOSTRE-DAME.
FONS. GABRIEL.
i.otar, sergent d'armes, hichel.
ernaut, premier bour- saint jehan.
geois. les clers.
Le titre est ainsi conçu :
Ici commence un Miracle de Notre-Dame,
comment Olhon, roi d'Espagne, perdit sa
terre en gageant contre Bcrangrr qui le
trahit et lui fit de faux rapports au sujet
de sa femme, en la bonté de laquelle Olhon
se fiait; et depuis celui-ci tua le dit Béran-
ger en champ-clos.
SCÈNE rv
l'empereur lotii aire, othon, son neveu,
CHEVALIERS.
L empereur LOTHAiRE. Otlion, cher neveu, quand
je pense à voire avenir, je considère surtout que
vous êtes sans compagne et sans héritier. V(luS
aviez une femme de renom , de bien et de vertu,
mais la mort, chacun le sait, vous l'a prise : cet état
m'ennuie et me déplaît fort : je vous conseille donc,
mon neveu, en un mol, de vous remarier.
othon. Sans vous dédire ni contrarier, cher oncle,
voire volonté, je n'ai pas le cœur très-enclin à cela;
et pour le moment, sire, je ne. connais aucune dame
que je puisse prendre pour épouse.
l'empereur. Neveu Olhon, j'en sais une Irès-con-
veiiuble, que nous irons chercher;- aussi bien me
faut-il avoir la guerre avec son père qui lient l'Es-
pagne. Si je prends et gagne le royaume, je vous
donnerai sa fille pour femme , et je vous ferai roi
d'Espagne et elle reine.
othon Si lellecst votre volonlé, chersirc, j'y consers
aussi. Quand voulez-vous partir d'ici pour y aller?
l'empereu». A l'instant même, sans parler davan-
tage; car ayant, je vous le déclare, depuis plus d'un
mois, fait prévenir mes hommes, j'ai déjà en avant
beaucoup de monde : c'est pourquoi il faut que je
me hàle de les suivre.
le premier chevalier. Nous vous suivrons de si
près, cher sire, n'en douiez pas, que nous serais
les premiers de votre armée.
l'empereur. Akns, mes chers amis, en roule.
SCÈNE II.
LES MÊMES.
le deuxième chevalier. Sire , je suis d'avis que
l'on envoie lotît de suile au roi d'Espagne un me»
sager qui lui signifie que vous êtes en guerre avec
lui, qu'il se garde de vous, et que partout où vous
pourrez lui faire du mal, vous lui montrerez votre
puissance. Voilà ce que je conseille.
SCÈNE III.
LES MÊMES, LE MESSAGER.
l'empereur. J'y consens volontiers. Messager,
viens ici Va au roi d'Espagne et dis-lui qu'à cause des
ennuis qu'il m' • causés, je lui lais la guerre, et je Mais
l'attaquer si furieusement qu'il en sera étonné. Dis-lui
que je le t\èi\c, et que je ne liens aucun compte
de toutes les forces qu'il opposera aux miennes.
le >^sager. Mon cher seigneur, si Dieu me per-
met de le trouver, je ferai auprès de lui mon mes-
sage dans la forme voulue, (pie cela lui plaise ou
non. J'y vais sur l'heure.
SCÈNE IV.
les mêmes, hors le messager.
LE PREMIER CHEVALIER DE L'EMPEREUR. SailS plus
nous arrêter ici, metions-iioiis en marche, et dès que
l'on saura certainement du messager qu'il a rem-
pli tout son devoir, la guerre commencera contre
l'Espagne sans délai ni retard, les châteaux pris et les
villes, et rien d'épargné, ni fils ni filles, ni bèlesni biens.
l'empereur. Non , l'on n'épargnera rien. Je ferai
meure le feu partout où je trouverai de la résistance.
Parlons dès aujourd'hui
SCÈNE V.
LE HÉRAUT DE LOTHAIRE, LE ROI d'eSPAGNE.
le messager de l'empereur. Roi d'Espagne, en
nia qualité de héraut, je viens vous annoncer de par
517
0T1I
DICTIONNAIRE DES M V STERES.
OTlI
6-18
l'empereur Lothaire, qu'il approche pour assaillir
voire pays et vous (aire une guerre lelle qu'il vous
ôiera la vie, si vous ne fuyez hors de celle contrée.
Dés ce moment, je vous le. dis positivement pour lui,
il ne fait pas plus de cas de votre pouvoir que d'une
maille, ou (pie d'une feuille de ronce : je vous no-
tifie ceci de sa part et vous défie.
le roi Alphonse. Quoi qu'il endise, il ne m'aura pas
aussi facilement qu'il le pense; car je mettrai dili-
gence à me garder.
le messager de l'empereur. Il ne fa ut pas que
vous lardiez. Certes, vous avez eu tort de le cour-
roucer; je vous l'annonce hardiment de sa part.
le premier cnEVALiER d'alphonse. Eh! que lu as
le verhe haul, et cependant lu es en notre pouvoir!
Si lu n'étais pas messager, lu serais piqué d'un épe-
ron lel qu'il ne le faudrait jamais avoir de cha-
peron.
Alphonse. H fail son devoir de messager : gardez-
vous île le loucher. — Mou ami , je désire que vous
sachiez que, quand l'empereur m'attaquera, le pays
me défendra bien, s'il plail à Dieu.
le messager de l'empereur. Je ne vous en dir i pas
plus long, puisque mon message est rempli. Nous
venons maintenant si vous serez sage. Je m'en re-
tourne.
SCÈNE VI.
LE ROI d'eSPAGNE, SES CONSEILLERS
Alphonse. Seigneurs, Lothaire, tel que je le con-
nais, esi proche d'ici, je n'en doule pas. puisqu'on
me délie de sa pari. Je me suis toujours lié eu vous :
je vous prie doue de ne pas in'ahandonner, main te-
nant; mais conseillez-moi ce que je dois faire.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. QllOIll à moi, sil C, je VOUS
dirai que l'empereur est si puissant que, s'il vient
avec louies ses forces, il ravagera certainement ce
pays et détruira tout voire monde. En outre, s'il ad-
vient qu'il vous prenne (ce qu'à Dieu ne plaise!),
vous èies mon.
I S PREMIER CHEVALIER D'ALPHONSE. Eli vérité , je
suis bien de voue avis; c'esi pourquoi je veux par-
ler des mesures bonnes à prendre ; sire, vous avez
peu de gens d'armes, et vous ne savez même pas
quand ils seront réunis. Or voici ce que l'on peut faire.
Riiiis trois, nous nous eu irons à Grenade prier tout de
sui.e voire frère qu'il vous donne aideelsecours; mais
auparavant vous manderez une partie de vos bour-
geois «le celle ville, et vous leur laisserez voire fille
en garde (il est de leur devoir de le taire} jusqu'à ce
que vous soyez revenu, en leur disant que pardessus
tout ils tiennent bien leurs portes closes, et que nul
n'aille ni ne vienne sans que l'on sache qui il est et
ce qu'il vient chercher.
Alphonse. Je le ferai tout de suite, — Lotarl, va-t'en
vile à la maison où les bourgeois de celle ville lien-
i.enl leur assemblée. Si lu y trouves Servant de Bis-
quarrel, ou Gilles le Marquis, ou Martin Drouarl. ou
sire Pierre le Monarl, ou sire Guyniar dit le Viau-
ire, ou quelque autre bourgeois, dis leur que, sans
aller ailleurs, ils viennent sur-le-champ me parler,
ci que je suis pressé
lotart, sergent d'armes. Je ne mangerai ni pain
ni paie, que je ne vous les aie fait venir. Sans me
tenir davantage ici, mon cher seigneur, je vais les
chercher.
SCÈNE VII.
LE SERGENT, LES BOURGEOIS.
le sergent. Je tiens ma course achevée, seigneurs,
puisque je vous trouve ensemble si à propos.
premier bourgeois. Lotarl , pourquoi dites-vous
cela? ne meniez point.
le sergent d'armes. Monseigneur vous mande à
tous que, sans aller ailleurs, vous veniez lotit de
suite lui parler. Et, si j'en trouve d'autres, je les
amènerai avec vous. Eh bien! allons-nous-en.
le deuxième bourgeois. Quant a moi, j'y 7ais de
bon cœur el joyeusement.
le troisième bourgeois. Par ma foi! je fais de
même. Puisque celui-là y est si décidé, j'en ai pareil-
lement le désir. — Allons, Loiarl. »
le quatrième bourgeois. Allons! je veux faire le
quatrième, puisqu'il nous mande.
le premier bourgeois. Ssil nous fait quelque de-
mande, concertons-nous.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES, ALPHONSE.
lotart, sergent d'armes. Mon cher seigneur, sans
plus de discours, voici une panie de vos bour-
geois qui lous sont venus en bàle à votre comman-
dement.
Alphonse. Seigneurs, vous allez savoir pourquoi
je vous appelle. J'ai dessein de vous laisser ma lille
en garde, pendant un voyage auprès de mon frère, à
Grenade, pour lui demander aide el secours contre
l'empereur Lothaire, qui vient sur moi en armes, et
qui, je ne puis le taire, m'a fail défier. Je vous prio
don • lous, quoi qu'il arrive, de garder soigneuse-
ment li ville, et ma fille aussi, spécialement.
le deuxième bourgeois. Sire, ne soyez pas inquiet
à ce sujet : nous garderons bien votre lille, cl nous
défendrons la ville contre quiconque.
le troisième bourgeois. Nous agirons comme
pruii'iionimes doivent agir.
le quatrième bourgeois. Sire, pour l'amour de
Dieu le débonnaire ! puisque vous nous laissez, ait
moins pensez à revenir ici promplemeril, si c'est
possible.
alphonse. Le plus tôt que je pourrai me mettre en
roule, mes amis, sans faule je reviendrai ici même,
quoi qu'il arrive.
le deuxième chevalier d'alphonse. Sire , allons-
nous-en à la garde de Dieu, sans plus séjourner ici ;
en sorte que nous puissious revenir bientôt en
force.
alphonse. Mes amis, soyez diligents à vous garder
el à bien vous défendre, s'il vient quelqu'un qui
veuille vous attaquer. Je n'ai maintenant plus rien à
dire, sinon que je vous recommande à Noire-Seigneur.
Adieu.
SCÈNE IX.
ALPHONSE, SA FILLE, j
la fille. Mon cher père el mon doux seigneur.
Dieu veuille vous conduire, en sorte qu'il n'y ait per-
sonne qui puisse vous nuire ou vous faire quelque
mal !
SCÈNE X.
LES BOURGEOIS, LA FILLE DU ROI ALPHONSE.
le premier bourgeois. Seigneurs, en peu de mots,
il nous faut mettre de l'activité dans notre affaire.
Nous avons ici un bon fort; si l'on m'en croit, nous
y demeurerons lous ensemble avec madame, el nous
nous garderons des ennemis.
la fille. B.'aux seigneurs , le roi mon père
m'ayani mise en votre garde, je veux suivre sans
réserve lous vos avis.
le deuxième bourgeois. Chère dame, allez de-
vant, nous vous suivrons; el une fois dans le fort,
nous le fortifierons bien.
la fille. J'y consens, mes chers amis. Je vais
devant; maintenant suivez-moi. Je ne veux pas que
pour moi vous ayez la moindre dispute.
le troisième bourgeois. Chère dame, vous parîei
bien.
SCÈNE XL
LES MÊMES.
le troisième bourgeois. Allons , en avant , puis
bïd
CTH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
550
que nous sommes dans ce fort, femmes et hommes,
tous ensemble fortifions-le.
le quatrième bourgeois. Vous parlez bien , je
suis de cet avis. C'est fait; désormais, je ne crains
pas plus qu'on nous attaque que je ne craindrais
une pomme ou une noix.
SCÈNE XII.
Alphonse, roi d'Espagne, son frère, roi de
Grenade.
le roi de grenade. Seigneurs , je vois là-bas le
roi d'Espagne, Alphonse mon frère; je le connais
bien. Je veux lui faire une l'été, puisque je le vois
venir ici. — Frère , soyez le bienvenu ! Quel vent
vous mène.
Alphonse. Frère, je vais perdre le gouvernement
cl le territoire de l'Espagne : ce dont j'ai le cœur
tout à fait désespéré, si vous ne m'aidez à les re-
couvrer : veuillez donc, je vous prie, me secourir
dans celle nécessité.
le roi de grenade. Mon frère, n'ayez à ce sujet
aucune inquiétude, mais dites-moi vite comment
il se fait que vous perdez l'Espagne , je vous en
orie.
Alphonse. Je vous le dirai sans retard , frère :
l'empereur île Rome m'envoya l'autre jour un des
hommes en qui il se lie le plus et qui me délia de
sa paît. Mais comme je n'ai pas assez de gens à lui
opposer, j'ai pensé à venir vous demander votre
aide , afin île détendre ma terre contre lui.
le roi de grenade. Miisebaiilt, va l-en sans at-
tendre au roi de Tarse et d'Almaria , et après au
roi de Turquie et à celui de Maroc; prie chacun
d'eux de rassembler ses forces pour me venir aider
à chasser proinpteinent mes ennemis hors de ma
terre.
musehault. Sire, pour acquérir votre amour je
ferai volontiers ce message; et, sans m'arrélcr plus
longtemps, sire, j'y vais.
le roi de grenade. El vous, Salouion l'Albi-
geois, \ous vous eu irez en Espagne; vous visi-
terez les bonnes villes, et m'en rapporterez l'état.
Allons, mon cher ami! en roule sans plus de re-
tard.
salomon. Sire, puisque lel est votre plaisir, j'y
vais sans plus de discours.
le roi de grenade. Cher frère, je vous porterai
bientôt un tel secours que l'empereur sera mort
avant de vous avoir enlevé l'Espagne. Nous verrons
s'il osera venir vous attaquer.
Alphonse. Ah! mon frère, il le fera, car il est
Irès-hardi.
le roi de grenade. Il n'est p is plus qu'un autre de
fer ou d'acier; ne vous inquiétez pas. Asseyez-vous
ici pour attendre que Musehaul: sou venu , el alors
nous ferons si bien que nous ne priserons pas plus
l'ennemi qu'un l'élu.
SCÈNE XIII.
l'empereur, l'armée, le héraut.
l'empereur. Eh bien! messager, dis, viens-tu
d'Espagne? as-tu vu le roi?
le messages de l'empereur. Oui, sire, Dieu me
récompense! Je l'ai délié de votre pari, lui noti-
fiant que vous éliez en guerre avec lui. Il me répon-
dit qu'il ne savait pas ce que vous feriez, mais
que vous ne l'auriez pas silôl que vous le pensiez.
l'empereur. El avait-il beaucoup de monde? dis-
le-moi?
le messager de l'empereur. Sire, quand je lui
parlai , sachez, en vérité, qu'il n'avait que les gens
attachés a sa personne el une jeune demoiselle fort
belle, qui est sa fille. En la ville où il était, sire,
il n'j avait pas un seul homme armé, soyez en
sur
le deuxième chevalier de l'empereur. Dans quelle
ville était-il?
le messager de l'empereur. A Burgos, qui est
une forte cilé; mais, qui, en vérité, n'est pas Irès-
peuplée.
LE DEUXIEME CHEVALIER DE L'EMPEREUR. Mon cher
seigneur, si cela vous agrée, nous irons l'assiéger
lous ensemble, et nous les sommerons de vous la
rendre.
l'empereur. Ob! cène sera pas si vile fait et
néanmoins vous avez bien dit. Allons-y prompte-
menl, sans réplique, tous ensemble.
le premier chevalier. C'est bon, ce me semble;
car plus tôt nous les aurons attaqués, plus grand
avantage nous aurons à combattre.
othon. Maintenant, sans plus de paroles , condui-
sons-nous bravement. Nous voici à Burgos, appelons
pour savoir si quelqu'un des bourgeois viendrait
nous parler. — Ouvrez, ouvrez! rendez-vous vite,
sans attendre davantage!
SCÈNE XIV.
l'empereur loth aire, so\ armée, les bour-
geois DK BURGOS.
le premier bourgeois. Qui êtes-vous, vous qui
nous commandez si fièrement de nous rendre?
Videz la place, car, si vous attendez davantage ,
nous vous enverrons quelque cadeau. Nous ne vous
épargnerons point: n'en doutez nullement.
le premier chevalier de l'empereur. Rendez-
vous, rendez-vous; ou, n'en douiez pas, nous vous
livrerons un assaut dur et fort el sur l'heure nous
vous montrerons quels gens nous sommes.
le deuxième bourgeois. Nous ne vous prisons pas
autant que deux pommes. Pourquoi nous menacez-
vous? Nous sommes assez de braves gens pour nous
défendre.
othon. En avant! en avant! sans attendre davan-
tage, lirez aux murs, seigneurs archers! et cepen-
dant nous irons attaquer celle porte-là. Sans faute
nous l'aurons bientôt.
le deuxième chevalier. Certes, oui. Savez-vois
ce qu'il faut faire? Eu lançant nos traits el en com-
battant, niellons le feu loul de suite el de la bonne
manière.
(Ici la bataille se lait.)
le troisième bourgeois. Puisque la balaillc s'é-
chauffe el qu'ils sont si acharnés contre nous,
lançons sur eux ces gros magonueaux el ces grandes
pierres.
le quatrième BOUGEOis. Fuyez , fuyez , pillards,
voleurs! Fuyez bois d'ici sur-le-champ. Videz les
I eux, ou vous mourrez honteusement! Fuyez, ca-
naille !
le deuxième chevalier. Je vais, sans y manquer,
mettre le feu el brûler celle porte , tandis qu'ils sont
occupés à combattre. C'est fait : elle brflle.
l'empereur. Désormais il csl trop lard pour qu ils
puissent se défendre chez eux. En avant un à un ,
deux à deux! Entrez tous dedans.
othon. A moi t ! à mort ceux de céans! Hommes
cl femmes, lous ceux qui ne voudront pas se rendre
à nous de bonne grâce , mourront.
le premier chevalier de l'empereur. Mêlions à
mort lotit Uniment grands et petits.
l'empereur. Non, non, je n'y consens pas : je
veux leur parler auparavant. — Seigneurs, voulez-
vous vous rendre de bonne volonté? Vous ne pouvez
plus vous défendre, vous le voyez bien.
le premier bourgeois. Ah, sire! veuillez ne pas
nous refuser votre grâce. Recevez-nous, la vie
sauve, pour vos prisonniers.
l'empereur. Je le ferai très- volontiers; mais àda
condition que vous me livrerez voire roi qui a élé
trop iQsoLnt à mon égard.
Soi
OTH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
5S2
le deuxième bolrgf.ois. Très-cher sire, en vérité,
en apprenant votre venue contre lui il a quitté le
pays et a gagné le royaume de Grenade. Il nous le
dit ainsi , du moins.
l'empereur. C'est bien. Maintenant répondez-moi
sur un autre point , car je ne fais pas plus de cas de
lui que d'une bdle. Sa fille, qu'est-elle devenue?
dites-moi la vérité.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE l'E.ÏPEREUR. Si VOUS ne
le lui apprenez pas, vous êtes morts ici même; car
l'on vous coupera la Lie.
le troisième bourgeois. Sire , vous la trouverez
céans, honteuse, morne et stupéfaite; et certes je
ne m'en élonne pas : c'est bien naturel.
l'empereur. Or, tôt, seigneurs! Allez tous deux ,
et sans lui faire de mal amenez-la moi : je veux la
voir.
LE PREMIER CHEVALIER DE L'EMPEREUR. SilC, nOUS
ferons voue volume incontinent, sans faute.
SCÈNE XV.
LES CHEVALIERS DE L'EMPEREUR, LA FILLE DU
ROI D'ESPAGNE.]1
LE PREMIER CHEVALIER DE L'EMPEREUR. Dame, il
faut venir avec nous. Allons, allons, vile, en
roule.
la fille. Ali Dieu! guerre funeste! A cette heure
je vois bien que je suis perdue. — Ah , beaux sei-
gneurs! que j'aie la vie sauve, pour l'amour de
Dieu !
le deuxième chevalier. Dame, n'ayez aucune
inquiétude : nous vous mènerons à l'empereur, qui
vous recevra d'un cœur bon et gracieux.
la fille. Ah Dieu! aura-l-il pitié de moi.
SCÈNE XVI.
l'empereur et sa suite, la fille du roi
d'espagne.
le premier chevalier. Sire , nous nous sommes
acquittés (de voire commission) : voici la fille du roi
Alphonse, que nous vous amenons tous deux comme
prisonnière.
l'empereur. Dites-moi la vérité; ma chère amie ,
où est votre père?
la fille. Dieu ait pitié de ma mère! Vous parlez
de mon père, sire; sans doute, il est allé en Gre-
nade, car il me dit qu'il y allait, sire, quand il me
laissa ; sinon , je ne puis en donner d'autre nouvelle.
l'empereur. Ollion , mon neveu , venez ici. Pre-
nez pour femme celle jeune fille qui devient ainsi
dame et reine. Vous serez roi d'Espagne, mais vous
tiendrez de moi votre royaume : c'est mon idée.
Allons! rendez-vous vile, sans attendre davantage,
dans la chapelle de céans et épousez-la : c'est ma
volonté. 11 y a des piètres tout prêts. — Et vous,
seigneurs, allez après eux; vous ramènerez ici
l'épousée, quand la messe sera finie. Faites vite.,
SCÈNE XVII.
OTHON, LA FILLE DU ROI.
OTHON. Dame, vous plail-il ainsi qu'il l'a dit?
la fille. Puisque cela lui plait, je n'ose y mettre
aucune opposition.
.otuon. Ça donc deparDieu, la main droite! Dame,
moi-même je vous mène à l'église où je vais vous
épouser et faire de vous ma compagne.
LE DEUXIÈME CHEVALIER DE L'EMPEREUR. Allons
avec eux, allons vile, messire Ogier.
le premier chevalier. Je ne vous ferai pas d'ob-
jections ; ami, allons-y.
SCÈNE XVIII.
L'EMPEREUR, LES BOURGEOIS DE BURGOS.
l'empereur. Beaux seigneurs, votre roi Alphonse
m'a courroucé; il a mal fait: il vous faut donc expier
sa conduile, el lui-même il y périra; car, certes,
tant que je vivrai, il n'aura pas en Espagne un pied
de terre. Je vous ai pris par la force des armes ; payez-
moi une rançon.
le quatrième bourgeois. Très-cher sire, que pou-
vons-nous? prenez tout noire av< ir en deniers et en
aulre propriété, il ny a personne qui ne vous la li-
vie volontiers; el laissez vivre nos pauvres corps.
le premier bourgeois. Sire, quant à moi, je de-
mande qu'un de vos hommes vienne voir mou mé-
nage. Je me fais fort de posté Jer deux cents marcs
de bonne et belle vaisselle d'argent, que j'avais mise
en réserve, avec deux miile florins o'or qui sont de
mon bien personnel, sai.s les meubles du lo«is :
sire, je vous livrerai lonl cela sans contestation, et
n'ayez point envie de ma mort; laissez-moi vivre, je
vous en prie.
le deuxième bourgeois. Très-cher sire, moi aussi,
je n'en demande pas davantage, et prenez tout ce
que j'ai vaillant: j'y consens trés-volonliers, el cela
m'arrange bien.
SCÈNE XIX.
LES MÊMES, OTHON, LA FILLE D'ALPHONSE,
ancien roi d'Espagne, chevaliers.
le deuxième chevalier. Mon cher seigneur, nous
ramenons noire épousée ; le mariage est terminé.
Reste la fêle.
l'empereur. Sûrement. Mais, si Othon me croit,
il assemblera à celle fêle les nobles de ce pays-ci,
el, comme nouveau roi , il la donnera belle el bril-
lante: je le désire ainsi, je le lui conseille pour sou
honneur, el le lui montre aussi pour sou bien. En-
core un mot de plus. — Belle nièce, comme gage
d'amitié, je vous donne celte couronne. Vouséies
désormais dame d'Espagne et reine, votre mari en
élanl de par moi chef, seigneur el roi. — Or, faites
attention à mes paroles, seigneurs: afin qu'il y ait
un plus grand amour entre Oihon votre roi et vous,
je pardonne à tous el vous liens quilles des rançons
que me devait voire mauvais vouloir. Maintenant
n'ayez pas le cœur lent à aimer votre roi.
troisième bourgeois. Cher sire, soit blâmé , et
même mis à mort connue fou el insensé, celui qui
ne confessera la grande faveur que vous nous faites;
à boa droit celui-là perdrait corps el Liens.
l'empereur. A celle heure je n'ai plus rien à ajou-
ter, sinon que je prends congé de vous ions el m'en
vais dans la campagne de Rome, sans ailendre da-
vanlage.
othon. Je vous retiens de ma maison, S' igneurs.
— El puisque vous voulez partir d'ici, cher sire,
nous irons avec vous cl nous vous ferons compagnie
Voilà tout.
l'empereur. Puisque vous le voulez, cela me plaît.
— Belle nièce, je vous recommande à Dieu; je ne
sais pas si vous me reverrez de longtemps.
othon. Sire, vous m'attendrez un peu.
SCÈNE XX.
othon, la fille d'alphonse, sa femme.
othon. Dame, venez ici, je vous en prie. Prenez
cet os, si mon ami lie vous est quelque peu chère;
car c'est celui de l'un des doigts de mon pied.
El gardez qu'il ne soit vu ni aperçu de nul homme,
quelque chose qu'il arrive; ce sera le signe secret
que nous aurons l'un à l'égard de l'autre.
SCENE XXI.
LES MÊMES, L'EMPEREUR, LES BOURGEOIS DE
BURGOS.
la femme d'othon. Maintenant nous pouvons nous
en aller, sire: j'ai fait.
l'fmpereur. Allons, seigneurs, en marche! allez
devant.
553
OTH
DlCTlONNAlRE.DEà MYSTERES.
OTH
bU
le troisième bourgeois. Très-cher.sire, nousobéis-
sons à voire commandewent
i.e premier chevalier. Comment l'aire? Voici. Ces
deux bourgeois viendront avec nous, ei ces deux
autres demeureront ici avec machine la reine et sa
demoiselle Eglantiue; cela suffira.
l'empereur. C'est bien dit, cela suffira, en vérité.
Restez, vous.
le premier bourgeois. Oui, très-cher sire, puisque
c'est votre volonté.
SCÈNE XXII.
LA FILLE DU ROI ALPHONSE, SO, SUlVOtUe
EGLANTINE.
LA fille. Eglantiue, je vous ai toujours dit et dé-
couvert mes secrets avant même d'être reine , vous
le savez.
la demoiselle. Chère dame, vous avez dit vrai ;
et, Dieu merci! je ne fus jamais insensée au point
d'en révéler un seul, quel qu'il fui, à personne,
bouline ou femme. Pourquoi ces paroles , Madame ?
la fille. Mon amie, je me fie à vous et je veux
vous dire encore un grand secret. Qu'est-ce que ceci'/
Voyons. Qu'est-ce, à voire avis?
la demoiselle. Dame, c'est un os ; mais je ne
puis vous dire si c'est d'un homme ou d'une bêle.
la fille. Eh bien, mais gardez-le en secret, c'est
l'os d'un des doigts du pied de mon mari, que, par
amitié, il m'a chargéedegardersoigneusemenl. Aussi
en vérité, je veux sans retard le placer parmi mes
joyaux pour l'amour de lui. Allons ''y mettre.
la demoiselle. Allons-y. Dame, 11 vaut mieux du
reste poumons d'être enfermées dans votre chambre
que de rester ici pour plusieurs raisons qui donne-
raient à penser.
SCÈNE XXIII.
l'empereur, bérenger, othon
bérhnger. Je me bâte d'aller à la rencontre de
monseigneur l'empereur , qui revient par ici. Eh
mais ! je le vois là-bas. — Sire, soyez le bienvenu
dans votre terre!
l'empereur. Bérenger, vous n'étiez pas avec moi
dans celle guerre. Aviez-votis peur des coups? Eh ,
Eh!
bérenger. Non, sur ma foi! très-cher sire ; mais
une maladie m'a l'ail longtemps garder bien ennuyeu-
senient le lit.
othon. Très-cher oncle, s'il vous sied, je pren-
drai ici congé de vous cl je m'en irai en Espagne
voir ma femme.
bérenger. Roi Olhoii, je vous jure sur mon ànie
que tel croit avoir une femme tout seul qui partage
avec plus de deux ; et celui qui, en ce cas, a confiance
en une femme, est un sut. Je vous le dis bien, je me
vante de ne connaître aucune femme vivante de la-
quelle, si je lui parlais deux fois, je ne pus à la troi-
sième avoir tout ce que l'on peut désirer d'une
femme.
othon. Par ma foi ! Bérenger, c'est mal de dire de
vilaines choses des dames. Et, celles, je ne vous
crois pas. Il en est beaucoup de bonnes, qui sont
en même temps de très-belles et très-gracieuses
personnes.
bérenger. Comme vous en parlez à votre aise.
Eh bien, si j'allais parler à la votre , je parie (pic
j'aurais son consentement dès le premier lèle-à-leie.
Voyons, pariez ou avouez-vous vaincu et restez
muet. Gagez-vous avec moi?
othon. Oui, par l'àme de mon père! et je consens,
beau sire, à perdre la couronne d'Espagne, si elle
s'abandonne au point de vous laisser jouir de saper»
sonne ; a la condition que vous me laisserez voire
terre en toute propriété, si vous ne \enez pas à
bout de celle chose-ci ; voici mou gage.
blrenger. Pour moi, j'y consentirais sans diflkul-
Dictionn. des Mystères.
les, si je savais un moyen de faire la preuve; mai*
comment?
othon. Vous l'aurez assez prouvé, si d'abord vous
êtes assez habile pour me décrire un signe qu'< Ile a.
el in'iudiquer la place où il se iionve (remarque!
bien cela) , et si, en second lieu , vous m'apportez
ce qu'elle me garde. Je jure qu'alors je vous laisse-
rai jouir tout à fait librement de l'Espagne.
bérenger. Othon, j'y consens volontiers el je vous
jure que, si j'échoue, je ne retiendrai pas de ma
terre îa valeur d'un ail, soyez en s-ftr. Je vous la li-
vrerai en entier. Mais toutefois, en attendant, vous
séjournerez ici jusqu'à ce que je sois revenu de
votre terre.
otiion. C'est convenu, allez vite, je demeure ici.
bérenger. J'y vais et je ne m'arrêterai pas que
je n'y sois.
SCÈNE XXIV.
LA FILLE DU ROI ALPHONSE, EGLANTINE.
la fille. Eglantiue, il faut aller jusqu'à l'église,
entendre le service divin et prier Dieu pour mon
mari. Parions, sans plus de retard.
La demoiselle. Je suis prête, Madame, à tcuies
vos volontés.
SCÈNE XXV.
bérenger, les mêmes.
bérenger. Réfléchissons à mon affaire. Comment
en venir à boni' Je n'ai pas fait tant de chemin
pour arriver en Espagne, et y rester embarrassé. Je
vois la reine qui vient ici : c'est bien à propos. Je
vais fui parler. — Chère dame, que Dieu vous octroie
une longue vie et le salut de votre aine!
la fille. Quelle affaire vous amené par ici, Bé-
renger? Beau sire, soyez le bienvenu. S'il vous plait
de parler, Je vous écoute.
bérenger. Madame, je vous le dirai: je me suis
rendu ici de propos délibéré. Je viens de Rome, ou
j'ai laissé votre seigneur, qui ne fait pas plus de e;ra
de vous que de la queue d'une cerise ; ii a formé une
liaison avec une fille qu'il aine tant qu'il ne peut
plus s'en séparer. J'ai quitté Rome poui vous pré-
venir, car j'en éprouve une grande peine el une
grande colère, mais tandis qu'il se conduit si mal,
je suis, moi, tellement épris d'amour pour vous que
je ne puis endurer davantage un tourment qui ne
cesse m jour ni nuit : tant celle passion , Madame,
me lait endurer de cruels maux !
la fille. Comment, Bérenger? Par voire âiiie!
Est-ce d'un chevalier vaillant de venir de Rome
jusqu'ici pour nie tenir un pareil langage! Certes»
ni vous ni votre race vous ne sauriez dire rien de
bien, sinon des méchancetés el des trahisons : c'est
pourquoi je ne vous crois nullement. Sortez, sortez,
de devant moi sur-le-champ.
bérenger. Dame, pour l'amour de Dieu! ne me
rebutez pas, si je me plains a vous : par suite de
l'amour que vous m'avez inspiré, je pâlis et rougis
souvent et j'ai le cœur éperon, en sonc que j'en ai
entièrement perdu le boire et le manger.
la fille. Allez-vous-en vile d'ici, flatteur men-
songer.
bérenger. Dame, je m'en vais sans dire un mot
de plus, puisque ce que je vous dis ici en secret
n'est pas à votre gré, el qu'au conlraiie cela vous
dépiail.
la fille. II me plait de retourner au logis ; je n'i-
rai pas plus loin. Retournez-vous-en vile avec moi,
Eglantiue.
la demoiselle. Madame, je ferai vos volontés de
tout mon coeur.
SCÈNE XXVI.
bérenger.
bérenger. Haro ! comment me titcr de là? La
555
OTH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
55?
reine ne veut pas m'écouler : ce qui me navre le
coeur trop fortement. Je suis expose à perdre entiè-
rement ma terre par suite de la gageure que j'ai
faite. Il est évident que je n'ai aucune chance pour
mou Je vois venir par ici sa demoiselle, je veux la
tester pour savoir vraiment si elle ne pourrait pas
m'aider.
SCÈNE XXVI.
BÉRENGER, LA SUIVANTE DE LA REINE.
berf.nger. Demoiselle, je voudrais vous dire en
secret un mol seulement, pourvu que vous me le
permettiez. Qu'en dites-vous?
la demoiselle. Doux sire, vous pouvez me dire eu
toute sûreté ce que vous vondrez, je n'en éprouve-
rai ni courroux ni colère. Au contraire, j'y con-
sens.
berenger. Si vous voulez répondre à deux ques-
tions que je vais vous faire, je vous donnerai plus
d'or et plus d'argent que vous ne m'en de-
manderez; et je crois que vous ferez bien ce que
je veux.
la demoiselle Je ferai de tout cœur, et non pas
malgré moi, ce que je pourrai pour vous, sire,
pourvu que vous me veuilliez dire, sans plus, ce
qu'il vous faut.
berenger. Ma bonne et chère amie, employez-
vous pour moi. J'ai besoin du joyau que la reine
garde et aime le plus. Je veux savoir si elle a un
ssigne, où il se trouve et toinnie.it il est. Si vous me
donnez le joyau et me dites le signe, je suis prêt à
vous donner trente marcs d'or dont vous pourrez
vous faire une dot: et, pour que vous me croyiez,
prenez d'abord ce sac-ci. Voyez, c'est de l'or
lin.
la demoiselle. Sire, je vous le promets : je vien-
drai à bout oe vous inlormer complètement de ces
deux choses demain, avant Noue.
berenger. N'y mettez aucun relard, mon amie;
quanta moi, je reviendrai ici demain, et je vous
apporterai tout ce que je vous ai promis; et certes,
moi et mes amis, nous serons à vous.
la demoiselle. Allez-vous en, nous ferons bien
les, choses.
SCÈNE XXVII.
LA DEMOISELLE.
la demoiselle. Maintenant, un peu d'adressse, et
je suis riche el heureuse. He ! je sais bien ce que je
ferai : je donnerai à boire aujourd'hui même a ma-
dame un vin tel que je pourrai voir tout à fait son
corps partout, pendant sou sommeil, sans la réveil-
ler, quand même je la remuerai ou la tournerai. Je
vais arranger mou affaire le mieux que je pour-
rai.
SCENE XXVIII.
LA FILLE DD ROI ALPHONSE, LA DEMOISELLE.
la fille. Eglanline, j'ai très grand'soif. Allez me
chercher sur-le-champ des pommes el du vin, el ap-
portez-les-moi vile ici, je vous prie.
la demoiselle. Madame, j'y vais sans relard. —
Voici du vin et des pommes que j'apporte. Mainte-
nant, dites, voulez -vous que je vous en pare une
que vous mangerez? el après, Dame, vous boirez
de ce vin-ci.
la fille. Oui, je veux le faire eomme vous l'avez
dit.
la demoiselle. Vous serez ohéie. Tenez donc et
mangez : elle est deCaleville blanc, el je l'ai bel et
bien parée de mon m eux.
la fille. Al.ons! je veux essayer si, quant à la
saveur el au goùl, elle est bonne. Verse, verse,
donne-moi à boire : j'ai très-grand'soif.
la demoiselle. Volontiers el de grand cœur. Te-
nez, Madame.
la fille. Sur mon ame! il y a longtemps que je
n'eus si grand'soif comme tout à l'heure.
la demoiselle. Je vous crois bien. Dieu me
garde! A voire santé, s'il plaît à Dieu! Si vous en
voulez davantage, je verserai.
la fille. Non pas; mais je veux aller reposer;
car, en vérité, je crois que ce vin m'est déjà monté
à la léie.
la demoiselle. Dame, à votre volonté ! venez, et
je vous accompagneiai. Allons! je vous laisserai
reposer tout à voire aise.
la fille. Vous dites bien : maintenait, laissez-
moi; allez- vous-en.
SCÈNE XXIX.
BÉRENGER.
bérenger. J'ai envie de retourner vers demoiselle
Eglanline savoir enfin si elle m'enseignera le signe
de la reine, sa maîtresse, et comment vont mes af-
faires.
SCÈNE XXX.
EGLANTINE.
la demoiselle. 11 esl temps «le songer à gagner ce
qu'on m'a promis, pour le joindre à ce que déjà
l'on m'a mis entre les mains. Quelle folie je com-
mettrais si je laissais échapper l'occasion de l'air*
un bénéfice de trente marcs d'or. Vi yons si ma-
dame esl endormie. Si elle dort, je ne coule pas que
je ne puisse lien exécuter mon dessein. Elle dort :
mon affaire va bien; je verrai pronipleinenl où son
signe se trouve, et j'aurai bientôt le joyau qu'elle
garde avec le (dus de soin. {Ici eue cherche le signe
et prend /'os.) C'est fait : je m'en vais vite vers le
comte Bérenger.
SCÈNE XXXI.
BÉRENGER, EGLANTINE.
églantine. Donnez-moi de bon cœur, sire, ce que
vous m avez promis. Vous êtes mon débiteur; voici
voire affaire.
bérenger. Chère amie, plus bas, approchez- vous
plus près de moi. Voici vos trente marcs tout prêts;
je vous les délivre comme bien gagnés. Diles-
moi maintenant, ei lout de suite, où est son
signe.
la demoiselle. Sire, je vous livre ce joyaH-ci :
c'est certainement la chose qu'elle gardait avec le
plus de soin <-l qu'elle aimait le mieux, car c'est l'os
de l'un des doigts ou pied de monseigneur : c'est
pourquoi elle y tenait. Ensuite, pour vous dépêcher
pronipleinenl, je veux vous dire où son signe se
trouve, mais c'est à l'oreille et en secret; je vous
dis vrai.
{Ici elle lui parle bas.)
bérenger. C'est lonl ce que je voulais savoir.
Maintenant je prends congé de vous, el ne vous re-
tiens plus ici. Adieu, mon amie.
la demoiselle. Puissicz-vous aller en un lieu tel
qu'il vous arrive du bien !
SCÈNE XXXII,
BÉRENGER.
bérenger. Je.m'en vais dnncpleinde confiance et de
joie, ayant ce que je voulais, el sachant ce que je dési-
rais le plus au monde. Je n'arrête plus et gagne «iroil
à Rome. Je vois là-bas l'empereur assis, et Olhon au-
près de lui. Dieu! comme il sera surpris quand il
entendra ce que je lui dirai ! mais ; eu m'importe,
que la chose aille tomme elle pourra, je ne me t..i-
rai point par égard pour lui.
SCÈNE XXXIII.
BÉRENGER, L'KMPEREUR OTHON.
bérenger. Que Dieu donne honneur el joie à celle
o7
OTH
noble compagnie! Roi Olhon, je me vante dYtre
roi d'Espagne, si vous tenez voire parole. Connais-
sez vous eel os? Eu vérité, j'ose le dire (sire, ne
vous courrouças pas), j'ai vu la daine de la tète
srnx pieds : quaiil a sou signe, je vous le dirai à L'o-
reille, si vous voulez.
otiion. Ali Dieu! quel malheur! J'ai perdu ma
terre. La colère me serre le cœur au venue. Ali!
femme perfide ! Ah ! déloyale ! comment m'as-lu fait
une honte pareille? Vraiment, je me fiais eu (a
boulé, je te tenais pour la meilleure des femmes.
Mais je n'aurai j.unais de repos que je ne l'aie mise
à inori honteusement.
l'empereur. Beau neveu, vous ferez autrement :
vous demeurerez ici avec moi jusqu'à ce que vous
ayez ailleurs une autre terre; je vous le con-
seille.
otuon. Certes, sire, c'est inutile. Oh ! ne m'en
parlez plus, cela ne peut être; j'nai la livrer à une
mort honteuse, avant que je cesse de vivre.
SCÈNE XXXIV.
Là FILLE DU ROI ALPHONSE, EGLANTINE.
la fille. Eglautine, allons nous ébattre un peu
au bas de cel.e maison ; car j'ai le cœur et le corps
pesants et sans force.
la PEMOistxi.E. Dame, votre volonté soit entière-
ment faite ! allons-y.
SCÈNE XXXV.
LES MÊMES, UN BOURGEOIS DE BURGOS.
le troisième bourgeois. Dieu merci I j'ai tant
niarche ei je me suis tellement liiUé que j'ai devancé
le roi et que je vois la reine sa femme . c'est bien à
point. — Ma thère liante, je viens vous bien préve-
nir d'une chose qui vous importe fort, il n'y a pas
de iloiite.
la fille. Lève-loi, mon ami, écoule; est-ce un
secret !
le troisième bourgeois. Oui, ne m'en sachez pas
mauvais gie; car c'est pour voire bien que je le dis.
Le roi vient ici tellement eourroucé que, s'il vous
prend à ion ou à raison, certes, il vous fera mourir
loui de suite.
Lv Fille. Hélas ! pourquoi ? en quoi ai-je méfait?
Ami, le sais-iu ?
le troisième bourgeois. L'autre jour, sans plus
de détails, il paria son royaume contre le comte lia-
venger, qui se vaniait à la cour, qu'il n'y avait pas de
fé ni nié dont il ne jouit, s il avait le loisir de lui par-
ler, disait il. Or monseigneur, Dune, vous tint pour
une si bonne ei si honnête femme qu'il paria son
royaume qu il ne pourrait en eue ainsi de vous.
RéVenger engagea sa (erré, de sou coté. Peut-être,
depuis, est-n venu par ici ? M.us il est rentré dans
Home, et s'est vanté en la présence de tous de vous
avoir véritablement possédée, ma Daine. Hélas! ce
de. non en a apporté de.; preuves qui ont paru dignes
de foi : ce dont je m'émerveille.
la fille. Ah ! très-doux Liieu ! si je m'afflige et
ressens nue grande douleur en mou cœur, en puis-
jemais? Peu s'en faut que je ne perde la raison
quand je pense qu'il court sur mou compte un bruit
si diffamatoire et cela bien à tort.
le troisième bourciois. Chère Dame, prenez
courage, et avisez aux. moyens de préserver votre
vie : je le conseille.
la fille. Il me faut croire votre conseil. Je m'en
vais un peu à l'église. Vous avez bien besoin de re-
pos : allez le prendre.
LE troisième BOURGEOIS. Dame, volontiers, sans
attendre ; car aussi bien ai-je beaucoup marché : il
y a six jours que je ne me suis déshabillé pour ve-
nir ici.
la fille. Mon ami, je pense vous en récompenser
avant peu. Allez-vous-eu au logis avec Eglautine.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
558
— Je vous le dis sans plaisanter, donnez-lui une de
nies robes toute entière.
la demoiselle. Ma dame, je ferai de bon cœ-i r
votre commandement. — Puisque cela lui >)lait,
sire, allons-nous-en tout de sui.e.
le troisième bourgeois. Dune,, allons-nous-en;
je ne veux vous dédire en rien.
SCENE XXXVI.
La fili e du roi Alphonse.
la fille. Ah ! Mère de Dieu, qui êies le trésor de
ions biens ei de toutes grâces, qui consolez les affli-
gés et conseillez ceux qui se trouvent dans l'embar-
ras, veuiiU-z me regarder avec des yeux de pitié et
réconforter ma malheureuse aine. Vous, Dame, vous
savez combien à tort je suis accusée d'un méfait que
jamais je n'eus dans l'idée ni ne commis. Ah ! Vierge
lies-haute, j'aurais mieux aimé tomber en un abîme si
profond qu'on n'enlcnJîl plus parler de moi. Vierge
glorieuse et pure, qui pûtes comprendre eu vous ce
que les cieux ne peuve.it embrasser, lorsque ia Sa-
gesse éternelle vous élut pour cire la mère de votre
père; très-excellente et souveraine Dame, qui n'eûtes
jamais ni n'aurez, avant ou après vous, de pareille!
0 vous qui éles el fuies appelée à juste litre Mère et
Fleur de virginité, ce qui est une gloire pour lout le
paradis ! ah, Dame ! par signe ou par paroles, ou
par une a- Ire inspiration, envc.yi z-moi des consola-
lions; car, je ne bouge d'ici, avant d'avoir reçu de
vous quelque réconfort.
SCÈNE XXXVII.
DIEU, NOTRE DAME, SAINT JEAN, ANGES.
dieu. Mère, je vois là-bas la reine d'Espagne au
désespoir d'être sans raison dans un affreux danger.
Elle ne cesse de vous prier. Mettez-vous en roule
pour aller à elle proiuplenienl.
notre-dame. Mou Fils , j'o. éis à voire commande-
ment :c'e.H le moins. — Allons salis ndiLs arrêter, auges,
où je suis tant priée. Accompagnez-moi tous les
deux en chant., ni a\cc allégresse.
Gabriel. L'est bien juste, douce el chère Dame;
nous ferons ce qui vous pian, avec zèle et atten-
tion.
Michel. Oui, en vérité, et Jean sera le troisième.
Ai-je bien dit?
sa, nt jean. Vous ne serez pas contredit par moi.
Allons, en avant ! chaulons eu musique ce premier
tour.
Rondeau.
Où la loyaulé prend elle son séjour, où est la
charité sans mesure, sinon en vous, douce el pure
Vierge ? Où la virginité a-l-elle conquis un rang
supéiiour à la nature? où la loyauté prend-elle son
séjour? où est la charité sans mesure, où uojt élre
aussi la ressource et le refuge de la créature pour
qu'elle jouisse delà globe éternelle ? Où la lo)auté
prend-elle son séjour, où est la chaîné sans inesuie,
sinon eu vous, douce el pure Vieige?
notre-dame. Mon aime, en raison du soin pieux
et constant que lu as eu de nie prier, je viens à loi
sans retard. Sois sans crainte. Revêts secrètement
un costume d'eeoyer, el va à Grenade chez ion
oncle : c est là qu'est ton père. Aie le cœur prél a
les bien servir, sans te faire (oimailre à personne;
et sache quesans tache à ton houncui , après bien des
peines, lu seras vengée eulin tie celui qui a ira.Uvii-
senienl mis sur Ion compte sa propre déloyauté pour
laquelle Olbon te poursuit. Pense a le mettre
proniplemenl en roule, cl que ce soit secrètement.
Je ne le dis plus rien. — Allons-nous-en, mes amis
dans la gloire célesie; je ne veux à présent plus
être ni demeurer ici.
saint jean. Reine, digne d'être honorée, nous fe-
rons votre eoinnianiieinenl; et néainoins nous chan-
terons d'accord tous trois ensemble.
559
OTH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
560
michel. 11 convient, ce me semble, que nous
el.aniions avec allégresse en la compagnie de celle
qui est notre gloire.
Gabriel. Vous avez dit une parole véridique : al-
lons ! chantons d'accord par amour.
Rondeau.
Où doit être aussi la ressource et le refuge de la
créature pour qu'elle jouisse de la gloire éternelle?
Où la loyauté prend-elle son séjour, où est la cha-
rité sans mesure, sinon en vous, douce et pure
Vierge ?
SCÈNE XXXVIII.
LA FILLE DU ROI, à iégllSC.
la fille. Ah ! Mère de Dieu, puisqu'il vous a plu
de prendre soin de moi, comme je le pense, et que
vous m'avez ordonné de me rendre a Grenade auprès
de mon oncle, Vierge aimante et courtoise, d'après
voire avis je vais, sans plus de retard, m'affubler
d'un habit qui me déguise assez pour que nul ne
me trouve.
SCÈNE XXXIX.
la même, en son logis.
la fille. Eh, Dieu ! je suis bien tombée! il n'y
a ici nul de mes gens : tous dorment à qui mieux
mieux. Il faut que je pense à m'apprèler, et puis je
m'en irai toute seule. C'est fait ; je prendrai ce che-
min et je penserai à bien marcher. — Mère de Dieu,
soyez mon réconfort dans ce voyage.
SCÈNE XL.
EGLANTINE, bourgeois.
la demoiselle. Eh bien ! par le corps de saint
Dominique, que fait donc ma dame pour tant rester
à l'église ! elle y est aussi long-temps que si elle
avait à réciter un Psautier. Eu vérité, je vais la
cheicher. Oh ! oh ! elle n'est pas devant l'autel, elle
n'est pas non plus au logis : où est-elle allée ?
Lt deuxième bourgeois. De quoi parlez-vous
seule, Eglauline, ma chère amie ? Je vous vois tout
ébahie. De quoi ?
la demoiselle. Sire, je m'étonne de ne voir ma
dame ni de ce eôié ni de cet autre. Depuis tantôt
quYUe alla à l'église, elle n'est pas revenue en son
logis : c'est pourquoi je la cherche tant que je puis,
en bas et en haut.
le deuxième bourgeois. Eh bien ! allons savoir
auprès d'Ernaul, que je vois là, s'il ne l'a point vue.
Je ne crois pas que qui que ce soit lui ait tendu de
piège.
la demoiselle. Ernaut, qu'un bon jour vous soit
donné ! Dites-nous la vérité, Dieu vous garde ! Avez-
vous vu ma dame aller quelque part ?
le premier bourgeois. Neuiii, Eglantine, sur mon
âme ! qu'y a-l-il ? qu'est-ce ?
la demoiselle. Par ma foi ! je la cherche partout
et je ne puis eu savoir de nouvelles : c'est ce qui me
navre terriblement le cœur.
le deuxième bourgeois. Haro! Dieu! taisez-vous!
Que dites vous ? ma dame est perdue ? S'il en est
ainsi, mainte âme en sera désolée.
SCÈNE XL1.
LES MÊMES, OTHON.
othon. Quelle conversation tenez-vous ici ? Sei-
gneurs, je vous vois le cœur triste et la mine abat-
tue.
le deuxième bourgeois. Mon cher seigneur, c'est
à cause de notre très-chère reine et maîtresse, votre
femme. Nous ne savons si elle s'est honteusement
comportée; mais elle est perdue, nous vous le disons.
Voilà pourquoi nous faisons une telle mine ; car nous
sommes .tristes et affligés, hommes et femmes, sans
en dire davantage.
othon. Ne vous en inquiétez pas, laissez-la aller;
elle m'a fait per;lre ma terre : ce qui me serre le
cœur au ventre. Je la croyais honnête femme; mais
elle m'a deshonoré, car Bérenger en a joui et s'en
est vanlé devint mou oncle en pleine cour. Comment
ne pas l'en croire sans difficulté, aux preuves qu'il
m'a données ? Certes, si je la tenais, elle mourrait
honteusement; mais je la chercherai tant qu'enfin
je la trouverai. Je m'en vais, vous ne me verrez plus;
vous avez Bérenger pour roi. Adieu tous !
SCÈNE XLII.
la fille du roi Alphonse, déguisée en écuyer,
SON PÈRE, SON ONCLE LE ROI DE GRENADE.
la fille. A!i Dieu ! j'ai tous les membres rompus
du voyage que j'ai entrepris. Je n'avais guère appris ?
tant marcher. Mais enfin arrivée à Grenade, peu im
porte ma peine. Je vois là bas mon oncle et mo».
père : il faut maintenant que je paraisse devant eux;
mais, heau sire Dieu, je vous prie dévolenieni et en
pleurant que, quand je serai venue la, je ne sois pas
reconnue d'eux. — Messeigneurs, que Dieu vous
don;;e honneur à tous ! Je viens ici savoir si vous
seriez assez bons pour me doner un emploi, quel
qu'il fût.
le roi de grenade. Ami, il faudrait qu'on sût à
quel service tu es propre pour mériter nos bonnes
grâces Qu'as-lu à dire?
la fille. S re, je sais porter lance et écu et che-
vaucher comme il faut, quand il enesi besoin, dans
les combats. Je sais aussi, mon cher seigneur, tran-
cher devant un homme riche. J'ai été plusieurs fois
proclamé maître en fait d'écliaiisonnene. En soumis,
je connais le service que l'on doit faire auprès d'un
homme riche, prince ou roi.
le roi de grenade. Tu demeureras donc avec
moi : lu nous serviras, moi et mon frère; et selon
ce que tu feras je t'avancerai.
la fille. Sire, s'il pi ait à Dieu, je ferai de mon
mieux suivant votre gré, et le vôtre, cher sire, et
celui de tous vos autres gens.
Alphonse. Si lu mets de la diligence à ton oflice,
tu pourras parvenir à de grands honneurs. Fais-loi
aimer du grand et du petit.
le roi de grenade. Frère, j'ai grand'faiin : en-
voyons vile cheicher à manger par cet écuyer-ci.
Aussi bien, je vous le dis, désiré je beaucoup voir
comment il fait son service.
Alphonse. Oui, nous allons voir. — Ami, viens ici.
Comment t'appelles-tu ?
la fille. Sire, on m'appelle Denis, et non autre-
ment.
Alphonse. Denis, dressez tout de suite une table
ici, et allez-nous cheicher à manger à la cuisine.
la fille. Sire, je ferai très-volontiers ce que vous
me commandez. C'est l'ail. Je m'en vais vite vous
chercher à manger. — Allons, Monseigneur! venez
vous asseoir, si tel est voire bon plaisir, en vérité :
sire, voici la table et les mèls apprêtés pour vous.
le roi de grenade. Je vais dmic m'asseoir, mon
doux ami. — Allons, cher frère ! asseyez-vous ici.
— En avant ! taillez, mon ami, et servez- nous.
SCÈNE XLIUi
OTHON.
othon. Ah ! je suis tellement hors de moi qu'il
s'en faut de peu que je ne devienne fou. J'ai fouillé
partout ce pay;, en haut et en bas, devant et der-
rière, et je ne puis trouver nulle pari celte coquine
que je cherche. Je crois que Dieu est son complice :
il l'est en vérité, je le vois très-bien. —Ah! mau-
vais Dieu, qne ne le liens-je ! Vraiment , si je te te-
nais , je le rouerais de coups ! Eh ! regardez, voyez!
je le renie, loi, ma croyance en la divinité et lout^
la puissance, et je m'en vais droit outre-mer y do-
501 OTH
meurer comme Sarrasin et y suivre la loi de Maho-
met. Oui, celui qui met sa confiance en toi fait une
folie.
SCÈNE XLIV.
LE ROI DE GRENADE, LE ROI ALPHONSE,
salomon, messager.
salomon. Que Dieu donne joie, plaisir et honneur
à cette noble compagnie! Pour Dieu, si je ne vous
honore pas convenablement, pardonnez-moi.
le roi de grenade. Salomon, sois le bienvenu,
par nia foi! Apportes-tu des nouvelles? je t'en prie,
ne diffère pas de parler.
Alphonse*. Salomon, avant de blâmer ou d'outra-
ger <|iii que ce soil, dis-nous (Dieu l'aide !) comment
est l'Esp.igue? Ne nous mens- pas.
salomon. Je m'en garderai bien, sire, n'en doutez
pas. L'empereur l'a conquise, et a donné Denise,
voire fille à sou neveu Olbon. Elle a élé couronnée
reine d'Espagne, et Oihon a été roi de ce pays. Mais
depuis il y a eu de si grandes dissensions intestines
qti'Olhon a mis à mort votre fille. Je ne sais s'il
avait tort; depuis Ton ignore ce qu'il est devenu.
Le roi d'Espagne actuel est Bérenger, qui, dit-on,
a gagné le royaume par une gageure.
Alphonse. Ab ! consternation! Toute ma joie est
passée, puisque ma fille est morte. J'use bien le dire.
le roi de grenade. Salomon, va le reposer, je
vois bien que lu es l'aligné. — Frère, un peu de
trêve à votre douleur. Puisqu'il en est ainsi, certes,
a\anl peu nous aurons tant de gens d'armes que nous
irons assaillir l'empereur, et il sera enchanté de pou-
voir faire la paix avec nous. — Denis, allez-nous
cheicher du vin. — Mon fr< re, une question; nous
ne sommes ici que nous deux ensemble : que vous
semble et que pensez-vous de cel écuyer?
Alphonse. Frère, voici mon avis. Il me semble
gracieux dans ses actions; il esl gentil de corps et
bien fait; et je crois qu'en une bataille il se condui-
rait bien en tout point, el saurait défendre lui et
son maître contre tout homme.
le roi de grenade. Par ma foi ! j'ai l'intention, si
cela lui plaît, de remmener à Rome avec nous et
d'en faire mon gonfalonier; c.ir il m'es', agréable
et me plaît, en un mot, plus que tous mes gens qui
sonl céans.
alpuonse. A dire vrai, nul de ceux qui y sont ne
fait aussi bien le service que lui, ni de la même ma-
nière. Il eM éveilié el ouvert; quelque chose qu'il
fasse, il semble qu'il n'y loucbe pas le moins du
monde. A mon avis, c'est Dieu qui vous l'a donné,
il n'y a pas à en douter.
SCÈNE XLV.
LES MÊMES, DENIS l'ÉCUYER OU LA FILLE
DU ROI.
le roi de grenade. Denis, allez vider ce vin dans
un autre vase, el donnez-moi de cet autre que vous
tenez.
la fille. Je serais peu sage et devrais être honni
si je vous le refusais. Tenez, cher sire.
SCÈNE XLV1.
LES MÊMES, LE HÉRAUT MUSEHAULT.
musehault. Mon cher seigneur, je viens vous dire
que les quatre rois que vous avez mandés sont tout
prêts à venir de grand cœur eux-mêmes avec leur
armée. Seulement mandez-leur quel chemin iis tien-
dront el de quel côié ils doivent aller : c'est tout ce
qu ils attendent.
le roi de grenade. Retourne vers eux,et dis-leur
qu'ils se dirigent el chevauchent sur la campagne de
Borne, chacun avec ses barons, car sur-le champ je
me meis en marche au-devant d'eux avec toutes
mes forces.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
5C2
musehault. Quant à moi, je vais faire mon de-
voir en me menant en roule.
SCÈNE XLVII
L'EMPEREUR, SON MESSAGER.
le messager de l'empereur. Cher sire, je viens
vous donner une nouvelle dont vous ne vous doutez
guère. Je vous apprends qu'avant peu six rois vien-
dront vous attaquer dans le dessein arrêté de vous
détruire.
l'empereur. Qui sont-ils? Veuille m'en instruire
et me les nommer.
le messager. Sire, je vous raconterai tout de
suite ce que j'ai su du messager qui est allé les
chercher ions les quatre. Le roi de Tarse et d'Al-
maria, celui de Maroc el de Turquie, ces quatre sont
prêts à venir. Le roi de Grenade esl avec eux, et
c'est celui, je vous le dis, pat qui cet appel esl fait,
car il a dans le cœur un grand ressentiment de ce
que vous avez dépouillé du royaume d'Espagne son
frère Alphonse, el de ce que vous avez mis le pays
dans une autre main : je vous conseille donc de
vous pourvoir de gens d'armes, si vous voyez que je
dise bien.
l'empereur. Ami, liens, voici cent francs pour les
nouvelles. Mais prends soin d'aller dire aux barons
de ma terre qu'ils viennent bien vile. Que ni roi ni
comte n'épargnent rien pour s'armer et se monter,
et qu'ils accourent à moi sans larder d'un seul jour.
le messager. Il ne vous faut point en être inquiet,
très cher sire, j'irai partout el je ferai bien votre
message, eu vérité.
SCÈNE XLVI1I.
LE ROI DE GRENADE, ALPHONSE, EX-ROI D'ES-
PAGNE, CHEVALIERS, LA FILLE DU ROI SOUS
le costume de /'écuyer dénis.
le roi de grenade. Il esl lemps, mon frère, de
part-r el de mettre en marche notre armée qui est
rassemblée, jusqu'à ce que nous soyons dans la
campagne de Rome. — Allons, tous!
ali-honse. Certes, j'ai au cœur un grand courroux,
mon frère, de me voir tellement bas que je ne puis.-*
pas mener avec moi autant de gens qu'il convien-
drait, si toute l'Espagne se tenait sons ma main.
Pourtant, je ne priserais certainement pas la valeur
d'une maille toute ma perte, n'était ma fille la belle.
Ah! ceci réveille en moi une grande douleur!
le premier chevalier d'alphonse. Soyez moins
affligé, sire, puisqu'il ne peut plus en être autre-
ment. Un peu plus de joie : c'est ce que vous avez
de mieux à faire.
le deuxième chevalier. Dieu m'aide! vous dites
vrai. Il faut oublier ce malheur et prendre le temps
tel qu'il vient.
le roi de grenade. Denis, je veux vous découvrir
mon secret et mon plan, afin que votre considéra-
lion s'accroisse. Vous avez élé un bon écuyer pour
moi, aussi vous fais-je mon gonfalonier : vous por-
terez ma b nniér- ; nous verrons comment vous vous
conduirez dans la bataille.
la fille. Grand merci. Monseigneur-! certaine-
ment, s'il faut livrer bataille, je pense que votre
bannière p issera devant tous.
le roi de grenade. Je vous verrai volontiers vous
comporter ainsi.
le premier chevalier. Sire, il serait bon d'en-
voyer devant savoir quelles gens l'empereur peut
avoir avec lui.
le roi de grenade. Lotart, personne n'est mieux
taillé que toi pour cela. Va donc pour l'amour de
moi, enquiers-loi avec soin, el reviens !e plus vite
que faire se pourra.
lotart. Mon cher seigneur, vous serez obéi : j v
cours.
/
553
OTh
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
SU
SCÈNE XUX.
L EMPEREUR, BERENGER.
bérenger. Très-cher sire, je viens à votre aide et
et secours, selon vos ordres. J'amène quinze cents
bons chevaliers, trois nulle très-bons archers et
mille serments.
l'empereur. Bérenger, je vous en r compenserai,
vous et eux. Asseyez-vous ici; nous attendrons tons
deux ceux qui vieilliront. C'est pour le coup que je
verrai quels sont ceux qui m'aiment.
SCÈNE L.
OTHON.
othon. Hélas! malheureux! que fais-je ici ? je perds
mon temps et mon corps, voire même je perds mon
âme, et la gloire des deux que je devrais acquérir.
Hélas 1 si mon cœur se serre de douleur, je n'en ai
que trop de misons. Je suis bien sol de ni'êlre mis
en tel servage et d'adorer Mahom I, qui n'jtJSt qu'une
véritable fanfreluche. Ah! tlo'ix Jésus, qui êtes sans
prix! d'où m'est venue celte grande folie ? Moi, fait
à votre image et à qui vous avez donné le nom de
chrétien, je n'ai pas su le reconnaître! Au contraire
j'ai commis un (rime affreux. J'ai renié, vous et
votre mère, dans l« désespoir et la colère? Ah! S:re,
qui, comme le dit l'Ecriture sainte, clés doux et
miséricordieux envers toute créature qui se repent
de son péché, je vous demande pardon de ce que
j'ai fait. Pardon! hélas! comment osé je le dire?
Certes, je demande une ebose que vous avez heau
jeu à ne pas m'acconler et raison de me refuser,
Sire : c'est pourquoi je m'asseoirai ici à terre, et je
pleurerai ici mon péché amè renient.
SCÈNE LI.
DIEU, NOTRE-DAME, ANGES.
dieu. Mère, et vous, Jean, allons là-bas, vers ce
pécheur d'Olhon, le tirer de sa douleur. Il gémit et
pleure d'un cœur contrit, tellement que je re veux
plus qu'il demeure en une pareille lame talion. Sa
dévote contrition, qui mouille sa face de larmes, me
contraint à lui faire grâce. — Or sus! trestons !
notre-dame. Mon Dieu, mon p re et mon doux fils,
nous lerons votre volonté. — Allons, anges! soyez
prêts à descendre bientôt.
Gabriel. Daine, qui pûtes comprendre ce que ne
peuvent embrasser les cieux, chacun de nous est at-
tentionné à (aire votre volonté.
micuel. En cela nous ne pouvons errer : mainte-
nant, Jean, allons-nous-en t mis lès trois en chaulant,
aussi bien qu'en nous livrant à nos jeux : c'est mon
avis.
saint jean. Cela me plaît aussi et je le veux. Al-
lons! commencez, mes doux amis.
Rondeau.
Reine des cieux, quiconque s'applique à vous ser-
vir fait une bonne œuvre, car il acquiert des vertus,
et obtient la rémission de tous ses vices, Reine des
c:.eux, celui qui s'applique à vous servir; et à la lin
il trouve Dieu si doux qu'il est repu de gloire en toute
perfection. Reine des cieux, celui qui s'applique à
vous servir fait une très-bonne œuvre.
dieu. Othon, à cause de la vraie contrition que je
vois en loi, lu es rentré en grâce. Tais-loi. Va tout
droit à Rome ; là, confesse ton péché, et comment
lu es venu à repenlance. Tu y es tenu, sinon rien ne
vaut, et comme lu as commis une grande faille, en
haïssant à tort la femme et en la poursuivant jus-
qu'à la mort, désormais lu la chercheras, et lu lui
demanderas pardon. Ne demeure plus en celle terre,
va t'en vile à Rome, et fais ce que je l'ai prescrit. —
Je l'ai assez bien conseillé. Debout! allons-nous-en.
notre dame. En avant! anges, et vous, Jean, pre-
nez le chemin par lequel vous vîntes, cl en allant,
achevez le chant que \ous avez commencé.
Gabriel. Vierge excellente et sans prix, puisque
cela vous plaît, nous le ferons.
Fin du rondeau précédent:
Et à la fin il trouve Dieu si doux qu'il est repu de
gloire en toute perfection. Reine des cieux, celui
qui s'applique à vous servir, fait une Irés-bonne
œuvre.
SCÈNE LU.
othon, seul.
othon. Père de consolation , compatissant,
et miséricordieux, ah! Sire, quand je me ra
doux
qtelle
((liant je
que vous êtes descendu des cieux et que vous vous
êtes montré à moi, et votre dôme Mère aussi, et
qu'ici je vous ai vu, ma bouche, mes mains et mon
cœur sont tendus pour vous louer et vous rendre
grâces. Je ne demeure plus, je m'en vais à Rome à
l'instant même.
SCÈNE LUI.
LOTART, héraut, LE ROI DE GRENADE, ALPHONSE,
l'écuyer denis (la fille du roi).
lotart. Selon ma promesse, Messeigneurs, je re-
viens auprès de vous pour vous raconl r de point en
point mon voyage à Borne. Il y a maints bons hom-
mes d'armes; l'empereur y est, et. un grand nombre
de nobles forment son cortège. Je l'ai vu assis sur
son trône, et près de lui se trouvaient le marquis
d'Ancône, le prince de Tarente, le comle de Sainle-
Renie, Bérenger le roi d'Espagne, et le comte de
Momlanger. Bref, il y avait, à mon compte, de vingt
à trente grands barons, avec une grande multitude
de gens, qui n'attendent que votre venue pour com-
battre.
la fille. Mes-eigneurs, avant d'engager davantage
celte guerre, je vous prie de me laisser aller parler
à l'empereur. J'estime certain que je vous mettrai
d'accord, si j'y vais; et je puis vous dire que vous
pont riez encore voir ( n'en doutez pas), sire, votre
fille que vous regrettez si souvent, à ce pie je sais.
Alphonse. Ah Dieu! verrai-jece moment? pour elle
codent me- pleurs et je soupire souvent, il n'est
rien dont j'aie un aussi vif désir et doul je sois si
impatient.
le roi de grenade. Frère, laissez en paix de tels
regrets, je vous en prie.
la fille. S'il vous plaît, donnez-moi la permission
que je vous demande.
Alphonse. Mon frère, par votre ordre, qu'il aille
où il dit.
le roi de grenade Qu'il aille ! je n'y mets nul
contredit. — Denis, allez.
la fille. Messeigneurs. avec votre consentement,
je ne puis pas aller seul : il me faut une suite. Vous
le savez.
Alphonse. Mon cher ami, vous avez dit vrai. Ces
deux hommes ci iront avec vous; ils vous tiendront
compagnie, si < ela vous Suffit.
la fille. Oui, sire, par le Dieu qui me fil ! — Al-
lons-nous-en, avanlqu'il s'écoule beaucoup de temps,
nous ferons bien la besogne, s'il plaît à Dieu.
SCÈNE L1V.
othon, seul.
otiion. Eh! Mère de Dieu! comme je regrette d'a-
voir si mal employé mon temps ! Le diable m'avait
bienlàlé; mais. Dieu merci, je ne suis pas mort.
Mou repentir et mes remords, et mes désirs de répa-
ration, ainsi que la peine que je prendrai, me sauvè-
rent, s'il plaît à Dieu. Je vois Rome, où je ne suis
pas entré il y a longtemps : maintenant, soyons di
îigeiil d'y aller avec ces gens (pie je vois venir.
g$g OTH DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SCÈNE LV.
othon, la fuie du roi sous le costume de
OTH
503
Denis, CHEVALIERS.
la fili.e. Dieu vous gaivle! Ami, diles-moi, d'où
venez-vous?
othon. Je viens d'oulre-mer, doux sire, et je vais
à Reine.
la fii.le. B aux seigneurs, prenez-moi cet homme
c. mime ez-le avec nous. Vous ne savez pas qui
vous tenez, je le connais plus qu'il ne pense; pre-
nez garde qu'il ne s'échappe el ne s'enfuie d'entre
vos mains.
le premier chevalier d'alphonse. Marie! il n'aura
rien de moins. Ça! rendez-vous, beau mailrc, si
V. us vous niellez en défense, vous èles mon.
li. deuxième chevalier d'alphonse. Ami, je le con-
seille de céder de bonne volonté : lu ne l'en trouve-
ras «rue mieux, je le le promets.
othon. Beaux seigneurs, je me remets entre vos
mains et je me rends à vous tous ensemble. A ce
qui me parait, vous èles de nobles personnes, et
vous n en valez que mieux.
la fille. C'esi bien; nous sommes qui nous som-
mes. Venez sans plus long temps nous arrêter ici.
othon. Je veux y •aller volontiers, sans balancer,
el je vous servirai : c'est raison. Ne m'emprisonnez
pas, je vous en prie.
le premier chevalier d'alphonse. En avant! venez
avec nous sans condition.
OTiio.N. Prenez le chemin que vous voudrez : je
vous suivrai.
SCÈNE LVI.
LES MÊMES, L'EMPEREUR, BÉRENGER, CHEVA-
LIERS DE LARMÉE DE L'EMPEREUR.
la fille. Sire empereur, que le vrai Dieu vous
donne honneur el bonne vie. à vous el à tous les
garons que je vois ici ! el qu'il n'en excepte aucun,
hors Bérenger, le roi d'Espagne! car, en présence de
lout ce baroiinage, je donne mou gage contre lui et
je l'accuse de trahison. Imposteur insensé, il s'est
vanté d'avoir cohabité charnellement avec ma sœur.
Elle en piil une frayeur, une peur el une douleur
telles qu'elle s'enluil hors du pays, el que je n'en-
tendis plus parler d'elle. Voire neveu, sire empereur,
qui élaii brave el hardi, en perdit l'Espagne, el le
chagrin l'égara tellement qu'on ne sait où il alla;
comme j'en ai le cœur serré, je veux vaincre le traî-
tre en champ-clos. Faites-m'en justice.
othon. Sue, je vous prie de me laisser entrer dans
la lice. — îs'e me reconnaissez-vous pas, mon oncle?
Je suis Othon, votre neveu, qui depuis ai souffert
mainte peine. J • viens d'outre-mer.
l'emplrelr. Othon, beau neveu, puisque je vous
liens, certes, mon cœur est soulagé. Embrassez-
moi vile el baisez-moi; soyez le bienvenu.
otho.n. Sire, je me plains devant tous vos barons
que je vois assemblés ici, de ce Iraîlre félon, el je
dis qu'd relient ma terre à tort : je veux le com-
baïue corps à corps el réfuter sou témoignage.
bérenger. Olhon, je crois qu'à la (in vous vous
trouverez déçu. La vérité esl que j'ai cohabité char-
nellement avec voire femme. N'en parlez pas si haut;
cai je vous prouver i en champ-clos que c'esl vrai,
si vous voulez le combat cl s'il faut qu'il ail lieu.
Ollmn, je me moque bien de vos menaces.
l'empereur. Allons, paix! terminons ce débat-ci.
— Bérenger, de bon cœur ou non, il faut que vous
vous luttiez avec l'un des deux.
bereng :r. Sire, ne discutez plus à ce sujet. Très-
vooiiinrs, pourvu que vims me disiez avec lequel
d'eux j'aurai affaire pour être qailic.
l'empereur. Auquel de vous deux adjugerai-je
celle affaire?
otuo.n. Sire, il esl juste que jo combatte, car
c'est mon fait. — Et je vous prie, cher sire qui
m'avez pris , de m'accorder celle grâce.
la fille. Puisque vous le voulez, je ne veux point
m'y opposer.
othon. Sire, grand'merci plus de cent fois pour
ce consentement.
l'empereur. Allons, vite! pour savoir qui a tort,
seigneurs; allez prompteinenl mouler à cheval, et
revenez en cet endroit.
othon. Puisque vous m'en donnez la permission,
sire, j'y vais.
bérenger. Regardez, fait-il de l'embarras! Il croit
m'avoir déjà vaincu sans doute. Ah! une fois tous
deux dans le champ-dos, je l'attaquerai de telle
sorte qu'il aura moins de caquet. Je vais monter.
la fille. Oui, sire, j'ouïs couler aux amis in-
times de ma sœur, qui savaient le mieux sa manière
d'être, qu'd n'y avait pas en Espagne de femme de
meilleure réputation. Quand le bruit de la gageure
lui parvint el qu'Olbon eut perdu l'Espagne, elle
eut le cœur brisé; elle se pâma contre terré; et la
nuit elle s'enfuit au plus vile, par l'inspiration du
ciel, car on lui avait annoncé que, si Olhon pouvait
la tenir, il la ferait périr honteusement , sans l'é-
pargne r.
LE PREMIER CHEVALIER DE L'EMPEREUR. QuYÛI-U
gagné à cela?c\ ùl élé une vilaine affaire; mainte-
nant, s'il plaît à D'eu, la chose esl venue à bien.
le deuxième CHEVALIER. CerUi i lu'iiien l , je le pense
ainsi, et tout est pour le mieux, Suivant mon opi-
nion; et Dieu veuille prêter son aide au droit encore
aujourd'hui !
l'empereur. Ne vous chagrinez point, nous ver-
rons ce qui pourra en êire.
SCÈNE LVII.
LES MÊMES.
othon. Dame de la gloire céleste , Vierge , en qui
tome grâce abonde, Mère, qui n'eûtes ni n'aurez
jamais de pareille, rose de lis, cyprès de beauté,
qui répandez un parfum de bonnes œuvres, ouvrez
vers moi vos yeux de douceur, regardez-moi dans
votre pilié el gardez-moi de mort vilaine, Dame,
dans ce combat que je vais livrer , donnez-moi sur
mon adversaire une victoire telle qu'il confesse et
qu'il lui sorte de la bouche comment il a traîtreuse-
ment et à tort tenu ma terre. Dame, en vous seule
esl mon espérance; Dame, j'ai eu vous une eonliance
si grande, et je me fie tellement en votre aide que
je fais C\ de ma force el de mes armes (Dame, écou-
tez-moi), en les comparant a l'aide que j'attends de
vous.
bérenger. Olhon , Olhon, puisque je vous vois
dans la lice, vous n'en sortirez jamais que mort avec
ignominie el par mes mains.
Othon. Ah, iraîlre! menace moins, lu agiras
sagentenl.
l'empereur. Allons vite, seigneurs! ma volonté est
que vous descendiez lous deux a lerre. Renvoyez vos
chevaux lout de suile.
Othon. Sire, je ferai de bon cœur ce qui vous
plaît.
bérenger. Moi aussi, je ne désire rien autre. C'est
fait, je suis à terre.
l'empereur. Beaux seigneurs, il faut, ce me semble,
qu'aujourd'hui voire prouesse se montre el que l'on
sache la vérité louchant voire Conduite. Il n'y a plus
à dire, allez ensemble el que chacun fasse son de-
voir, puisque vous ne pouvez avoir autrement la
paix.
othon. Je le défie, traître; dès à présent garde-
loi de moi.
bérenger. Je ne te prise pas le moins du monde.
Je me défendrai bien contre loi, el bientôt lu seras
prisonnier el vaincu.
667
OTH
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
OTH
568
othon. Non, non pas, tant que j'aurai écu ou
épee au poing.
Jci ils combattent.)
bérenger. Je ne puis plus résister : Olhon, je
vous remets mon épée et je me rends prisonnier.
J'ai mal agi et j'ai eu tort.
othon. Certes , je vous mettrai à mort , traître , à
l'instant. Vous ne commettrez jamais de trahison ; car
vous n'emporterez point d'ici votre tête sur son
corps
l'empereur. Otlion, Otlion , lio! je vous (défends
de le faire périr; avant do mourir, il nous dira tout
son méfait.
othon. Puisque tel est voire plaisir, qu'il en soit
fait ainsi. — Avoue, larron!
bérenger. Je le demande grâce, noble baron : je
vais déclarer tout mon méfait, et je ne mentirai pas
d'un seul mot. Ayant eu la présomption de giger
qu'il n'était femme sage dont je ne disposasse au
gré de mes désirs, pourvu <iue je pusse lui parler,
je m'entretins avec votie femme. Mais elle vil hien
qu'on me croyant elle pourrai! tomber dans un grand
déshonneur, et ne daigna plus me voir ni m'écou-
ter, comme bonne et belle qu'elle est. Alors je n:e
tournai vers sa demoiselle , qui avait nom Eglantine;
je lui promis et lui donnai tant q u'elle m'apporta les
preuves convenues, el surtout celle du signe que
porie voire respectable femme, et de la place où il est,
si elle n'esl pas morte. Mais je ne la vis pas nue et
je ne cohabitai jamais avec elle , bien que je m'en
sois vanté. Alors je mentis.
othon. Traître, lu m'as bien anéanti; par loi je
l'ai perdue, en vérité, car jamais je ne pus savoir
où elle alla.
la fille. Sire empereur, ce fourbe-là , ne souffrez
point qn'Ollion le lue; faites-le venir encore devant
vous : vous verrez bientôt une chose dont vous serez
fort émerveillé.
l'empereur Puisque vous me le conseillez, cela
sera fait. — Mon cher neveu Otlion, je veux que
vous veniez ici tous deux; mais Bérenger sortira le
premier, pour nous révéler encore quelque méfait.
othon. Sire, qu'il soit fait selon voire volonté. —
Debout, traîne, sortez du cbamp-clos; vous n'êtes
point cependant, ne le croyez pas, quille de la
mort.
la fille. Très-cher sire, veuillez me donner la
permission de dire en public pourquoi je suis venue
ici.
l'empereur. Je le veux bien : allons, dites vile,
mon citer ami.
la fille. Je suis venu ici comme messager pour
empêcber, si je puis, la guerre, et amener la paix
entre vous el vos ennemis, qui oui fait invasion
dans ce pays. Si cela vous plail , j'en demanderai
deux d'entre eux. Mais ils auront de vous un sauf-
conduit pour l'aller el le retour. Je le requiers.
l'empereur. Ami, mandez-les, je le veux , et j'y
consens.
la fille. Beaux seigneurs, je vous prie, allez
vile à nosseigneurs les rois, et faites tant que vous
leur parliez. Dites-leur que chacun vienne ici sans
retard : ils verront leur fille el leur nièce désirée
pendant si longtemps.
le premier CHEVALIER d'alphonse. Sire , nous obéis-
sons sans objection et sans retard.
SCÈNE LVIII.
LE CHEVALIER, LE ROI DE GRENADE, LE ROI
ALPHONSE.
le premier chevalier. Messcigneurs , n'attendez
plus ici; mais veuillez, tous deux, venir voir voire
■lièce et votre fille.
Alphonse. Nous joues-tu un tour de quille, par
moquerie?
le deuxième chevalier d'alphonse. Non , sire, par
sainte Guérie? Denis vous le mande par nous, après
avoir pris de l'empereur une sûreté pour vous.
le roi de grenade. Puisqu'il en est ainsi , frère,
allons-y.
Alphonse. Allons-y , frère', je vous en prie. Je ne
prise pas tout ce que j'ai perdu la valeur d'ime
bille, pourvu que je puisse voir ma fille , que je
désire tant.
le premier cnEVALiER d'alphonse. Vous l'aurez,
s'il plaît à Dieu. Suivez-nous, nous allons devant.
— Sire, avançons-nous, en avant! allons par ici.
SCÈNE LIX.
LA FILLE DU ROI ALPHONSE, ALPHONSE, OTHON,
L'EMPEREUR, LE ROI DE GRENADE, CHEVA-
LIERS, LES CLERCS.
la fille. Sire empereur, ces deux seigneurs étant
arrivés, écoulez, grands et petits, ce que je veux
dire d'amitié; el avant que nous nous séparions,
vous serez témoin d'un spectacle qui vous remplira
d'une joie et d'une pilié merveilleus s. Je m'adresse
à vous , sire Alphonse, moi qui me suis l'ail passer
pour homme en vous servant, vous cl voire frère.
J'ai bien vu que vous aviez le visage cl les yeux
tournés vers moi, sans relâche, occupés à me regar-
der plus que tout aulre, et sans me reconnaître;
mais c'est l'œuvre de Dieu même dans sa puissance :
ainsi , n'en ayez pas le cœur marri. Voici mon sei-
gneur, mon mari, Olhon, neveu de l'empereur. Je
sais à quel point vous me chérissez ; je suis voire
fille , laissée à Burgos, à votre dépari pour Grenade.
— Olhon, la trahison dont j'étais accusée à tort
élant prouvée, Dieu soit loué !
alph nse. Fille, en vérité, tu me fais pleurer de
pilié el de joie; et je ne puis m'empêcher d'avoir de
la joie quand je (e regarde.
othon. Ah , beau sire Dieu! tôt ou tard lu récom-
penses les bonnes actions , et tu ne manques pas de
punir les mauvaises. Aussi bien, ma très-douce
sœur, baise-moi : pour loi tout le cœur me fond en
larmes.
l'empereur. Ils me font verser des pleurs de pitié.
En avant, en avant! c'est as<ez. Cessez désormais
de pleurer: c'esi Dieu qui a voulu celle assemblée.
Pensons maintenant à effectuer le reste.
Alphonse. Cher sire, j'ai hien entendu comment
Olhon (je n'en veux pas sortir) a vaincu en champ-
clos le traître qui sans cause nous a mis en guerre ,
et dont je venais tirer vengeance par l'aide de mes
amis; mais je liens que Dieu nous a mis, ce me
semble, en voie d'accommodement. Voici comment :
dès maintenant, je délaisse en paix à Olhon el à son
épouse le royaume d'Espagne ; mais nous emmène-
rons le traître, el nous rechercherons la demoiselle
complice de son crime, puis nous ferons justice
de tous deux sur les lieux mêmes de leur trahison.
Vola, ce me semble raisonnable.
l'empereur. Alphonse, je suis de votre nvis. Mais
je vous donne le royaume de Mirabel qui m'est nou-
vellement échu, et le conté des Vaux-Plaissiez, en
échange de voire renonciation absolue à l'Espagne.
le roi de grenade. Quant à moi , je pense, avant
qu'un mois soit écoulé, le mettre en un étal tel qu'il
sera maître d'une terre dont il aura un revenu an-
nuel de trois mille livres, clair et net : telle esl mou
intention.
l'empereur. Maintenant, relirons-nous soit? p.us
de relard, puisque Dieu nous a réconciliés; mais
avant, vous dînerez tous avec moi. Voici Bérenger
que vous emmènerez ; je le mets à votre discrétion.
Oh, oui! je me dessaisis de lui, el vous le donne.
la fille. 11 n'échappera pas , je vous l'assure; je
veux commettre quelqu'un à sa garde. —Seigneurs,
je vous le confie et vous.fc livre.
LE PREMIER CHEVALIER D'ALPHONSE. Dame, HOU»
sommes entièrement à vos volonté*.
SGd
PAl>
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAP
570
l'empereur- Je neveux plus resicr ici; allons-
nous-en vile, «liner (ous. Aussi ltien je vois que l'on
nie vieil chercher: voici mes gens, il en esi leuips.
— Seigneurs, je veux que sans larder vous chauliez
en nous conduisant, un molel qui soit séduisant ,
plaisant et bel.
les clercs. Sire, nous le ferons tout de suite. —
En avant ! chantons.
P
PAPHNUCE. — Ecrit au x* siècle* et en
Allemagne, ce drame de Hrolswillie est
l'un de ceux dn l'illustre religieuse de Gan-
dersheim, où l'on a cru surtout trouver trace
du pédantisme et de la subtilité du moyen
âge. Sais doute l'accusation est fondée en
ce qui concerne la société leltrée du moyen
âge, et particulièrement Hrotswithe; mais
elle est exagérée. Je crois que faute d'avoir
remarqué que Paphnuce, de môme que Sa-
pience et Abraham , sont singulièrement
analogues aux pièces de distribution de
prix, on a méconnu le véritable caractère
de ces divers drames. Outre l'élément lit-
téraire, ils ont quelque chose de scolaire.
Al. Mag'iiti a été frappé de l'intention clas~
sique des citations de Hrotswitha. Après
avoir remarqué « qu'il est singulier que
Hrotswitha ne parle pas du trivium, » il a
dit a propos de l'étalage scientifique que
contient le Paphnuce : « Il f;d!a;l que ces
notions élémentaires fussent quelque peu
tombées en oubli à la (in du x° siècle, pour
que Hrotsvitha ait pensé qu'il pouvait y
avoir que'que mérite à les rappeler si hors
d • propos. » (Théâtre de Hrostvitha ; Paris,
18V5, in-8% p. 471, note 62.) Il me semble
plus probable que dans l'école que dirigeait
Hrotswithe, et qui, à la tin de ''année sco-
laire, répétait les leçons de sa directrice
dans les trois pièces ci-dessus indiquées,
pour passer en revue la somme (bs con-
naissances acquises, on n'étudiait que le
quadriiïum, les notions du trivium étant aban-
données à quelque maîtresse inférieure au
célèbre écrivain dramatique du x' siècle.
Argument. Conversion «le la courtisane Thaïs, que l'er-
mite l'apbnuce va trouver, comme Abraham, sons les
dehors d'un amant; ramenée au bien, livrée au repen-
l!r, du resie enfermée pendant cinq ans dans une
étroiie cellule; et quand elle est enfin, par cetie juste
expiation, réconciliée avec Dieu, elle s'endort dans le
Christ, qumze jours aptes avoir terminé sa pein-
te,, ce (213).
PERSONNAGES.
paphnuce, ermite. thaïs, courtisane.
Discu>i.F.s de paphnuce. jeunes gens, amoureux
de Th;iïs. de la Thebaïde.
ant. ine et paul, ermites UNE ABBESSE.
(213) Celle histoire... aélé brièvemen racontée par
un écrivain grec antérieur au v* siècle {Voyez Sin-
LF.i, Giov. menol., apud Canis., Antiq. Icctioii., t. II.)
Une version latine, dont on ne connaît pas l'auteur,
a pris place dans le recueil des Bollandisies, sous la
due du 8 octobre. ( Aci. Sanctor., oclobr., t. VI, p.
2i"».) L'action se passe pendant la première moitié
du iv« siècle, d'abord en Egypte, dans l'ermitage de
Paphnuce, à l'entrée du désert, puis dans une ville
que nom: auteur ne nomme pas, mais que plusieurs
géographes disent être Alexandrie. Plus tard Hrots-
vitha transporte la scène dans la Thebaïde, où saint
Antoine s'élait retiré avec quelques disciples. (M.
Magnin.)
SCÈNE I".
PAPHNUCE, LES DISCIPLES.
les di«ciples. Pourquoi ce sombre visage. Père?
pourquoi ne montrez-vous pas voire air tranquille et
-habituel, 'ô Paphnuce?
paphnuce. Quand le cœur est Iriste, le visage est
sombre...
les disciples. El pourquoi êles-vous triste?
paphnuce. Les outrages au Créaleur..
les disciples. Quels outrages.
paphnuce. Ceux qu'il subit de sa propre créature,
formée à son image...
les disciples. Vos paroles nous glacent de terreur.
paphnuce. Sans doule l'impassible majesté ne peut
être atteinte par des outrages; mais, à transporter
métaphoriquement en Dieu ce qui n'appartient qu'à
la faiblesse humaine, quelle injure plus grave est
possible, que celle, au milieu de la soumission el de
l'obéissance du monde majeur aux ordres divins, de la
révolte du monde mixeur seul contre l'empire de Die i?
les disciples. Qu'est-ce que le monde mineur. (214.)
paphnuce. L'homme.
les disciples. L'homme?
pApn.NUCE. Sans doute.
les disciples. Quel homme?
paphnuce. L'homme en général.
les disciples. Comment cela se peut-il faire?
paphnuce. Comme il a plu au Créaleur.
les disciples. Nous ne comprenons pas.
paphnuce. Ceci n'est pas accessible à un grand
nombre d'esprits.
les disciples. Expliquez-le.
paphnuce. Faites attention.
les disciples. Oui, de toute noire volonté.
paphnuce. De même que le monde majeur est
formé de quatre éléments différents, mais concor-
dant selon le vœu du Créateur dans une sage har-
monie, «le même l'homme est composé non-seule-
ment d'éléments identiques, mais aussi d'autres par-
ties plus profondément coniraires.
les disciples. El qu'y a-t-il de plus opposé que les
éléments?
paphnuce. Le corps et l'âme. Car, bien qu'adver-
ses, les éléments sont tous néanmoins matériels ;
mais 1 âme n'est pas mortelle comme le corps, et le
corps n'est un esprit, comme l'àmc.
LES DISCIPLES. Oui.
paphnuce. Cependant, à suivre les dialecticiens,
nous ne confessons même pas l'opposition si nette
de l'âme el du corps.
les disciples. Comment donc le nier?
paphnuce. Quand on sait disputer en dialecticien,
rien n'est contraire à la substance (oùo-ta), et la
(214) Les discussions dont celle scène est rem-
plie, nous monlreni beaucoup moins un paisible er-
mitage du iv* siècle, où un simple religieux ensei-
gne d'humbles disciples, qu'une bruyante école du
x« siècle, devant laquelle un subtil controversiste
étale les arguties les plus abruptes de la scolasHquc
naissante. En effet, Hrotsvitha , comme les auteurs
dramatiques de tous Ips temps, n'a guère peint que
son propre siècle, en croyant faire revivre les siè-
cles passes. Mais, à notre point de vue, de pareils
tableaux, vrais en eux-mêmes, et dont la date
seule est fautive, n'en sont pas d'un moindre inté-
rêt. (Id.)
57 I
PAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAP
572
substance n'est que le réceptacle de toutes les op-
position'
les disciples. 0"" comporte ce terme: dans une
sage harmonie (215).
paphnuce. Ee voici : Comme les sons aigus et les
sons graves (2i6)Vharmoniquemeni unis, produisent
un résulta musical, de même leséléinenis dissonants,
convenablement misd'accord.formenlun seul monde.
les disciples. C'est merveille que les choses dis-
sonantes puissent concorder, et qu'on dise concor-
dantes ces choses dissonantes.
paphnuce. Rien n'est composé de semblables, ni
de ces éléments qui n'ont entre eux aucun rapport
de proportion et qui diffèrent entièrement de subs-
tance et de nature.
les disciples. Quest-re donc que la musique?
paphnuce. Eue des sciences du quauïivium delà
philosophie.
les disciples. Qu'appelez-vous quadri vium.
paphnuce. L'ariihinétique , la géoméiie , la mu-
sique et l'as'ronomie.
les disciples. Pourquoi ce nom de Quailrivium.
pap :nuc.e. Parce que, de même que les chemins
d'un carrefour, parlent île l'unique principe de la
philosophie les lignes droites de ces quatre sciences.
les disciples. Nous n'osons pas vous questionner
sur les trois autres sciences; car à peine la faible
portée de notre esprit peut-elle atteindre à la hau-
teur de la discussion engagée.
paphnuce. Les choses sont difficiles à saisir.
les di-ciple>. Donnez-nous quelques notions su-
perucielles de la science dont nous nous occupons
en ce momie.
paphnuce. Je ne puis vous en dire que bien peu de
chose, car ede est à peu prèsMnconnue des solitaires.
les disciples. De quoi s'occupe-l-elle?
paphnuce. Ea musique?
les disciple-. Oui.
paphnuce. Elle traite des sons.
les disciples. Y en a-t-il une ou plusieurs?
paphnuce. Il y en aurait trois, dit-on; mais cha-
cune d'elles est tellement liée à l'autre par des rap-
ports de proportion que (ont ce qui est dans l'une
ne fait pas défaut dans l'autre.
les diciples. Et comment les dislingue-t-on tou-
tes les trois?
paphnuce. La première se nomme musique du
monde ou musique céieste ; la seconde, musique ku-
(215) Hrotsvitha prend prétexte du mot harmonie
jeté dans sa pédanlesque digression sur le monde
majeur et le monde mineur, pour faire montre de
loin ce qu'elle avait pu apprendre sur la musique,
telle qu'on l'enseignait dans les écoles monastiques
(M. Magnin.)
(21 G) Tous ces détails techniques ont été tirés
par Hrolsvilha des écrivains alors les plus autorisés.
On peu! voir l'explication des iiioissohi excellentes
dans Lé chapitre 9 de Marlianus Capella, el dans Re-
migius Aliisiodoreusis (ap. Gerbert., sa ipt. Demu-
sicu, t. I, p. 05). On trouvera la définition des mots
pressi sont dans le chapitre G du traité De muai cœ
disciplina d'Aurelianus Rcomensis, écrivain du w
siècle, recueilli par Gerberl (loc. cit. p. 55). Notre
auteur e i» ploie presque toujours textuellement les
expressions de Boece, qui traite de la musique non
seulement dans ses trois livres De mnsica , mais
dans plusieurs endroits de son arithmétique. (Id.)
(217) Celle bizarre division de la musique eélesle,
humaine el inslruiiieul le n'est peint, coin e on
pourrait cr< ire, une poétique fuit lisie de Hrolsvilha;
on la trouve dans tons les ce Eains ilogina hmes
alors acné Ués. Voyez, entre attires, Beéce (De mu-
ticn, ld). i, c. 2) el Aun lianus Reome.isis (ap. Ger-
Bert-, loc. cil., p. 52.) (Id.)
(218) Ici doctrine cl nomenclature sont lirées de
Marlianus Capella : Sonum, id est lonum, produclio-
maine ; et h» troisième, instrumentale (217 )
les disciples. En quoi consiste la céleste?
paphnuce, Dans les sept planètes el la sphère cé-
leste.
les disciples. Comment?
paphnuce. Parce qu'il en est de la musique céleste
comme de l'instrumentale : ainsi on trouve dans les
planètes el d ns la sphère le même nombre d'inter-
vall s, les mêmes degrés et les mêmes cousoniiances
que dais les cordes.
les disciples. Qu'est-ce que les intervalles?
paphnuce. Les espaces appréciables que l'on peut
compter entre les planètes ou les cordes.
les disciples. Et les degrés ?
paphnuce. La même chose que les tons (218.)
les disciples. Les Ions nous sont inconnus.
paphnuce. Le Ion résulte de deux sons, ei s'appuie
sur le raipuldu nombre epogdons ou sesquiociave,
c'est-à-dire de 9 à 8.
les disciples. Nos recherches rapides, les ques-
tions que nuits lâchons de vider, s'accroissent sans
cesse de propositions de plus en plus difficiles que
vous nous opposez.
paphnuce. C'est l'ordinaire dans ces discus-
sions.
les disciples. Dites-nous quelques mots des con-
sonnances en général, pour qu'au moins nous sachions
le sens de ce terme.
paphnuce. La consonnance est une certaine com-
binaison harmonique (^19.)
les disciples. Pourquoi?
paphnuce Parce qu'elle se compose tantôt de qua-
tre, tantôt de cinq, tantôt de huit torts.
les disciples. A présent que nous savons qu'il y
a trois consonnaiices, nous voudrions savoir les noms
de chat une d'elles.
paphnuce. La première se nomme diatessaron,
comme formée de quatre sons g elle est en propor-
tion épilrile ou sesquitierce (dans le rapport de 4 à 51.
La seconde se nomme diapetne, ou résultante de
cinq sons : elle est en proportion némiole ou sesqui-
altère (dans le rapport de 5 à 2). La troisième se
nomme diapason ; elle est en raison double (c'esl-à-
dire formée par l'union de la quarte et de la quinte)
(220) et, se compose de huit sons.
les disciples. La sphère et les planètes rendent-
elles des sons, pour qu'on puisse les comparer aux
cordes?
nem vocavi. (Lib. ix, § 955.) (Id.)
(219) Censorinus donne de la consonnance (sym-
phonia) une définition beaucoup plus claire que Hrnl-
svitha : i La symphonie, dit-il, csi l'accord doux de
deux voix à I unisson (De die nu ali, c. 10, § 5. >
Suivant Cassiodore : i La symphonie est la combi-
naison des sons graves avec les sons aigus ou de
ceux-ci avec les premiers, de manière à former har-
monie. > (De musica, p. 450, éd. 4559.) C'est évi-
demment de celle définition abrégée, que Hrolsvilha
a formé la sienne, qui a le double défaut d'êire obs-
cure et incomplète. — Le mol modutniio <ji»VUe inx*
ploie, a ici une signification loul à fait différente de
celle qu'a reçue chez nous le mot modulation. Celte
expression offre dans Hrolsvilha le même sens que
dans Marlianus Capella, quand il dit : « La modula-
tion esi l'expression d'un son multiple. > (Id.)
(220) Après avoir fait observer que celle théorie
rtr-i thématique des accords cl des intervalles est ti-
rée de Censorinus, Macrobe, Boèce, saint Isidore de
Séville, eic, etc., M. Magnin rapproche de ce pas-
sage un fragment d'une scène du Mystère de l'Incar-
nation et de la Nativité, joué à Rouen en 1474 et
imprimé, déjà cile par M. O. Leroy, dans ses Etudes
sur les mystères, el dont ou pouriail croire le des-
sein el les détails imités de Hrotsvitha, s'ils n'étaient
loul simplement puisés aux mêmes sources.
573
PAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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574
paphnuce. Oui, et (les sons très-forts.
les disciples. Pourquoi ne les entendons-nous
pas ?
paphnuce. On en donne plusieurs raisons. Les uns
pensent qu'on ne peut les entendre à cause de leur
continuité; les autres, à cause de la densité de l'air.
Quel ;ucs-uns prétendent qu'un aussi énorme volume
de son ne put pénétrer dans noire élroit conduit
auditif (221). On a dit même que li sphère produit
un son si enchanteur et si doux, que, pour l'enten-
dre, tous les hommes se réuniraient en foule; et,
s'oubliant eux-mêmes, négligeant toutes leurs affai-
res, suivraient le son conducteur d'o: ient en occi-
dent-.
les disciples. Il vaut mieux ne pas l'entendre.
paphnuce. La prescience du Créateur en a jugé
ainsi.
les disciples. C'est assez de la musique céleste ;
passons à la musique humaine.
paphnuce. Que voulez-vous en savoir?
I»es discipi.es. En quoi elle consiste.
paphnuce. Non-seulement elle consiste, comme je
vous l'ai dit, dans I association du corps et de rame,
ainsi que dans P mission de la voix tantôt claire et
taniô: aiguë, mais elle existe dans la pulsation des
artères et na:is la mesure de certains nombres, tels
que les articula lions des doigts, qui, dans leur lon-
lûêiués proportions que nous
gueur, nous offrent h
•S
.nous sigualéi-s dans les consonuances ; car la n usi-
que est nôu-seulemenl 1 1 convenance des voix, mais
e die celle de toutes les autres choses dissem-
blables.
les disciples. Si nous avions prévu que le nœud
de celle question dût être si difficile à dénouer pour
des ignorants, nous eussions mieux aimé ne rien
«avoir du monde mineur, que de soulever de telles
difficultés.
paphnuce. Qu'importe la peine, puisque vous sa-
vez des choses auparavant ignorées?
les disciples. Il est vrai ; mais no. s n'avons au-
cun goût pour les discussions philosophiques, d'au-
tant que notre intelligence ne peut atteindre à la
subtilité de vo:re argumentai ion.
paphnuce. Pourquoi vous moquez-vous? Je ne
suis qu'un ignorant, et non p:is un philosophe.
les disciples. El d'où avez-vous tiré ces con-
naissances, dont l'exposition seule nous a fati-
gués?
paphnuce. C'est une faible goutte de la science,
tombée des coupes pleines des sages, que, sans m'è-
tre assis pour la recueillir, j'ai trouvée par hasard
et sucée en passant, et dont j'ai voulu vous faire
pari.
les disciples. Nous sommes heureux de votre
Bienveillance, mais épouvantés de ce mot de l'Apô-
tre : « Dieu choisit les insensés suivant le monde,
pour confondre les prétendus sages (2i2). i
paph.nuck. Simple ou savani, quiconque fera le mal,
n'aura que confusion devant Dieu.
les disciples. Sans doute.
papiinl'ce. Ce n'est point l'acquisition des connais-
sances mises à noire porlée qui offense Dieu, mais
l'injuste orgueil de celui qui sait.
les disciples. C'esi bien vrai.
paphnuce El en l'honneur de qui serait plus con-
venablement, plus justement employée la connais-
sance des arts, que de celui qui a créé tout ce qu'on
peut savoir et nous a donné ainsi la science.
les di-ciples. De personne autre.
(£21) Paphnuce, ou plulôi Hrolsvitha , expose ici
l'opinion des py hagoriciens sur l'harmonie des sphè-
res célestes. Celle poétique hypothèse, adoptée par
Platon, a pénétré dans quelqu s écrivains ecclésias-
tiques (S. Basile, S. Anselme, S. Ambroise. etc.). Je
ne saurais dire si c'est par celle dernière voie qu'elle
est parvenue à llrolsviiha. (M. Macnin.)
(222) Allusion à ces paroles de saint Paul : Quce
vie
car
n'est în-
il ne lui
paphnuce. Car mieux l'homme sait par quelle loi
admirable Dieu a rég'c le nombre, la proportion de
l'équilibre de loulcs choses, plus il brûle d'amour
pour lui (223.)
les disciples. Et c'est avec jusiice.
paphnuce. Mais pourquoi «n'appesantir sur ce su-
jet, qui vous appo'le peu de plaisir ?
les disciples. Révélez-nous le moi if de vos en-
nuis, aiin que nous ne soyons pas accablés plus
longtemps sous le fardeau de la curiosité.
paphnuce. Quand vous m'aurez entendu, vous ne
serez pas gais.
les disciples. Trop souvent on ne trouve qu'un
chagrin au fond de la curiosité satisfaite (224).
toutefois nous ne pouvons surmonter la nôtre,
car c'est un défaut inhérent à la faiblesse hu-
maine.
paphnuce. Une femme impudique habile dans ce
pays.
les disciples. C'est un danger pour ies habi-
tants.
papunuce. Elle est d'une beauté éelatanle et mer-
veilleuse, et se souille des impuretés les plus horri-
bles.
les disciples. Quel malheur ! comment se nom-
me- i-el le?
paphnuce. Thaïs.
les disciples Thaïs, la courtisane?
paphnuce Eh bien, oui !
les disciples. Mais le scandale de sa
connu à personne.
paphnuce. Ce n'est pas surprenant,
suffit pas de courir à sa perle avec un petit nombre
d'amants, elle est toujours prèle à séduire qui que
ce soil des attraits de son visage et à entraîner tous
les hommes à leur mort.
les disciples. C'est désolation.
paphnuce. Non-seulement les étourdis dissipent à
sa gloire le peu qui leur reste de biens, mais même
des gens considérables dévorent mille objets précieux
et enrichissent celle femme à leurs dépens.
les disciples. C'est un récit affreux.
paphnuce. Des troupeaux d'amants affluent chez
elle.
les disciples. Ils se perdent eux-mêmes.
paphnuce. Les insensés se disputent, d'une ame
abrutie, l'entrée de la maison, entassant les inju-
res...
les disciples. Un
paphnuce. Puis
toi ils se cassent I
tantôt ils se repoussent les uns les autres par les
armes, et inondent de ruisseaux de sang le seuil de
celte demeure impure.
les disciples. Excès détestable!
paphnuce. Voilà l'outrage au Créateur que je dé-
plorais; voilà la cause de ma douleur.
les disciples. En effet, vous pouvez être iriste à
ce sujet, et certainement on n'est pas moins attristé
que vous dans la cité des cieux.
paphnuce. Si j'allais la trouver sous le déguise-
ment d'un amant, peut-être pourrais-je lui faire re-
nier ses coutumes débauchées.
les disciples. Que celui qui mit dans votre aine
ce dessein, vous donne le succès!
paphnuce. Prêtez moi cependant le secours de vos
prières assidues, afin que moi-même je ne sois pas
vaincu parles ruses du serpent maudit.
stulla sunt mundi eleqit Deus , ut confundal sapien-
les. il Cor. i, 27.) (In.)
(225) C'est là, il faut l'avouer, une assez belle
apologie de la science et bien imprévue dans un
siècle si généralement accusé de barbarie, (lil.)
(224) Celle réflexion, aussi fine qu'heureusement
exprimée, semble échappée à la plume d'un moraliste
moderne. (Id.)
vice en engendre un autre,
ils en viennent aux mains; tan-
i tèle et le nez à coups de poings,
575
PAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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576
les disciples. Le Dieu qui a terrassé le roi des té-,
nèbres vous donne la victoire sur l'ennemi!
SCÈNE II.
PAPHNUCE, LES AMANTS DE THAÏS.
paphnuce. Voici des jeunes gens dans le forum ;
abordons le> d'abord et j'en tirerai par mes ques-
tions le moyen d'approcher de celle que je cherche.
les jeunes gens. Regardez. Un inconnu s'avance
vers nous. Voyons ce qu'il veut.
paphnuce. Holà! jeunes gens, qui êies-vous?
les jeunes gejj:. Des habitants de celle ville.
PAPiiNucE. Je vous salue.
les jeunes gens, Nous vous saluons aussi, que
vous soyez du pays ou étranger.
PAPiiNucE. Je suis étranger et j'arrive à l'ins-
tant
les jeunes gens. Pourquoi venez-vous ici? Que
cherchez vous.
paphnuce. Ce n'est pas nue chose à dire.
les jeunes gens. Pourquoi?
paphnuce. (/est mon secret.
les jeunes gens. Le mieux serait de parler, car
n'éianl pas de la ville, vous aurez de la peine à faire
quelque affaire sans communication avec les habi-
tants.
paphnuce. Et si je parle, et qu'en parlant je ne me
cause que des embarras...
les jeunes gens. Ce ne sera pas de nous.
paphnuce Je cède à vos promesses bienveillantes
et me liant à votre loyauté, je vais révéler mon se-
cret.
les jeunes gens. Ce n'est pas parmi nous qu'il
vous serait manqué de foi, et qu'il vous serait élevé
des obstacles.
paphnuce. Les conversations de quelques person-
nes m'ont fait connaître qu'il y avait céans une
femme que tout le monde esl forcé d'aimer et qui
est affable pour tout le monde.
les jeunes gens. Savez-vous son nom ?
paphnuce. Oui.
les jeunes gens. Comment l'appclle-t-on?
paphnuce. Thaïs.
lf;s jeunes gens. C'est notre commune et ardente
passion.
paphnuce. On dit cette femme la plus belle et la
plus gracieuse des femmes.
les Jeunes gens. Les rapports ne sont point trom-
peurs.
paphnuce. C'est pour elle que j'ai supporté les
difficultés et la longueur d'un voyage et je suis
venu pour la voir.
les jeunes gens. Il n'y a ni obstacle ni empêche
ment à la voir.
paphnuce. Où dcmeure-l-elle?
les jeunes gens. Ici, la maison la plus proche.
paphnuce. Celle maison que vous montrez du
doigt?
LES JEUNES GENS. Oui.
paphnuce. J'y vais.
les jeunes gens. Si vous voulez, nous' vous ac-
compagnerons.
paphnuce. Je préfère y aller seul.
les jlunes gens. Connue il vous plaira. ,
SCÈNE III.
PAPHNUCE, THAÏS.
paphnuce. Eles-vousici dedans, Thaïs? C'est vous
que je cherche.
thaïs. Qui est là ? qui parle ? C'est un in-
connu.
paphnuce. C'est un homme qui vous aime.
thaïs. Quiconque m'honore de son amour, est
pavé par moi en amour.
paphnuce. 0 Thaïs, Thaïs, quel long et pénible
voyage j'ai accompli, pour avoir le bonheur de cau-
ser avec vous et de contempler votre beauté!
thaïs. Je ne vous cache point mes traits et je ne
Tepousse pas voire entretien.
paphnuce. Le mystère de celle conversation exige
le silence des lieux les plus retirés.
thaïs. Voici une chambre bien meublée, el où l'on
est agréablement.
paphnuce. N'y a-l-il pas un lieu plus retiré, où nous
puissions causer plus en secrel ?
thaïs. H y a bien un lieu plus caché et si secret
que rentrée n'en esl connue que de moi et de
Dieu.
paphnuce. Quel Dieu?
thaïs Le vrai Dieu.
paphnuce. Croyez-vous que Dieu sache quelque
chose ?
thaïs. Il esl certain que rien ne lui est caché.
paphnuce. Le croyez-vous indifférent aux acies'iles
pervers, ou qu'il leur réserve sa justice?
thaïs. Je pense que la balance de sa justice pèse
les actions de tous les hommes, el que chacun, se-
lon ses œuvres, a son supplice ou sa récompense mis
de cô:é.
paphnuce. 0 Christ, combien sont étonnantes en-
vers nous la bonté et la patience! Tu vois pécher
ceux qui te connaissent, el lu remets sans cesse à
les punir!
thaïs. Pourquoi tremblez-vous? vous êtes pâle?
Pourquoi coulent ces larmes?
paphnuce. Votre audace méfait horreur, jepleure
votre chute; car vous saviez ces vérités el vous avez
per lu un si grand nombre d'âmes !
thaïs. Malheur! malheur! 0 suis-je infortunée!
paphnuce. Vous serez damnée, avec d'autant plus
de justice que vous avez, avec une plus grande pré-
somption, sciemment offensé la majesté divine !
thaïs. Hélas! hélas! que dites-vous? Pourquoi
menacer une malheureuse femme?
paphnuce. Les tourments de l'enfer vous attendent,
si vous persévérez dans le crime.
thaïs. La sévérité de voire réprimande a frappé le
fond même de mon cœur épouvanté.
paphnuce. Oh ! plût à Dieu que vos entrailles fus-
sent si profondément ébranlées par la crainte que
vous n'eussiez plus l'audace de consentir aux dan-
gers du plaisir.
thaïs. El quelle place peut -il rester désormais
pour les plaisirs corrompus dans mon cœur où do-
minent sans partage l'amertume d'un chagrin im-
mense el la peur, jusque-là inconnue, d'une con-
science troublée.
paphnuce. il est un souhait que je forme : c'est
qu'après avoir coupé les épines des vices, vous puis-
siez abreuver votre âme dans les flots du repentir.
thaïs. Oh! si vous pouviez croire, oh ! si vous pou-
viez espérer qu'une pécheresse comme moi, enfouie
dans la l'ange épaisse de mille fautes, pûl jamais ex-
pier ses crimes, et par quelque pénitence que ce fût,
mériter son pardon !...
paphnuce. Eh ! il n'est point de péché si grave, point
de crime si énorme, qui ne puisse s'expier dans le
regret et le repentir, s'il y a en même temps des ef-
fets et des œuvres.
thaïs. Faites-moi connaître, je vous en prie, ô
mon Père, quels effets elquelles'omvres peuvent ob-
tenir le bienfait de la réconciliation?
paphnuce. Méprisez le monde el fuyez la compagnie
de vos amants dissolus.
thaïs. Et que me faudra-l-il faire ensuite?
paphnuce. Retirée dans un coin solitaire, la vous
pourrez faire votre examen intérieur, et pleurer sur
i'éiiorniilé de vos péchés.
thaïs. Si vous avez ainsi l'espoir de mon salut, je
ne larde pas un instant.
paphnuce. Je ne doute pas que cela nevoussauve.
thaïs. Laissez-moi seulement quelques minutes.
» - -.
PAP
DlCTfOiNiNAlUE DES MYSTERES.
PAP
578
pour réunir les richesses mal acquises que j'ai long-
temps conservées."
paphnuce. Ne vous inquiélez pas deces choses, il ne
manquera pas de gens qui s'en serviront , quand ils
les amont trouvées.
thaïs. Je ne songe à cela ni pour le garder, ni
pour le distribuer à nies amis: je suis contrainte
même à ne pas le distribuer aux pauvres, car je no
crois pas que le prix de ce qui demande une expia-
tion puisse être lion à une œuvre de bienfaisance.
paphnuce. Vous ave* raison. El à quoi destinez-vous
ces monceaux de richesses?
thaïs. Je veux les livrer aux flammes et les réduire
en cendres.
paphnuce. Pourquoi?
thaïs. Pour qu'il ne reste rien dans le monde de
ces biens mal acquis au milieu d'outrages au Créa-
teur.
paphnuce. Oh ! combien vous êtes différente de
celle Thaïs d'autrefois, dévorée de passions impures
et enflammée des feux de l'avarice-
tiiaïs. Je changerai peut-être en mieux, s'il plaît
à Dieu.
paphnuce. 11 n'est pas difficile pour l'Immuable de
modifier à son gré toutes les dépendances de sa sub-
stance.
thaïs. Je vais accomplir le dessein que j'ai conçu.
paphnuce. Allez en paix et revenez vite auprès de
moi.
SCÈNE IV.
THAÏS, SES AMANTS.
taaïs. Venez tous ici; accourez, amants pervers.
les amants. C'est la voix de Thaïs qui nous ap-
pelle. Approchons en toute hâte, pour ne pas l'offem
ser par nos retards.
thaïs. Accourez, venez ici, afin que je puisse vous
parler.
les amants. Oh Thaïs! Thaïs! que signifie ce bû-
cher que vous élevez? Pourquoi y entassez-vous c»
nombre infini d'objets précieux?
thaïs. Vous voulez le savoir?
les amants- Nous sommes irès-surpris.
TnAÏs. Je vais vous le dire sans déiai,
lf.s amants. Nous le désirons.
thaïs. Regardez. (Klle met le feu au bûcher).
les amants. Arrêtez, arrêtez, Thaïs. Que faites-
vous? Etes-vous folle?
thaïs; Non pas; au contraire, j'ai recouvré la rai-
son.
les amants. Et pourquoi meltre à néant quatre
cents livres d'or et tant d'autres richesses?
thaïs. Tout ce que j'ai arraché devons dans de
mauvaises actions , je veux le brûler, afin qu'il ne
vous reste plus aucune espérance de me voir jamais
plus céder à votre amour.
les amants. Demeurez un moment, demeurez! et
découvrez-nous la cause de votre trouble.
thaïs. Je ne resie ni ne parle plus avec vous.
..es amants. Pourquoi ce dédain, ce mépris? Quelle
infidélité nous reprochez-vous? N'avons-nous pas
toujours satisfait à vos caprices? et vous nous pour-
sucwz sans motif de votre injuste froideur...
thaïs. Laissez-moi, ne déchirez pas mes vêtements
en me retenant. Qu'il vous suffise que jusqu'à ce
jour, je vous aie cédé dans le péché. C'est du terme
de mes f;;uies que j'ai haie; le moment de noire sé-
paration presse...
les amants. Où va-t-elle?
thaïs. En un lieu où nul d'entre vous ne me verra
jamais.
les amants. Grand Dieu! quel est ce prodige!
Thaïs, nos délices, toujours occupée à entasser l'or
sur l'or, plongée sans cesse dans l'idée du plaisir, li-
vrée tout entière à la volupté; Thaïs a sacrifié sans
retour tant d'or et de pierreries magnifiques; elle
nous a n. éprises, elle a fait fi de ses conquêtes, et a
disparu tout à coup...
SCÈNE V.
THAÏS, PAPHNUCE.
thaïs. Me voiri, Paphnuce, mon Père. Je viens en
toute hâte pour vous obéir.
paphnuce. Vous avez lardéà venir, et j'étais inquiet»
dans la crainte que vous ne vous fussiez engagée de
nouveau dans les distractions du siècle.
thaïs. N'ayez pas celle crainte , car tout le con-
traire remplit mon âme. Mais j'ai disposé de ma for-
tune comme je le voulais, et j'ai renoncé publique-
ment à mes amants.
paphnuce. Puisque vous avez renoncé à eux, vous
pouvez désormais vous unir au céleste amant.
thaïs. C'est à vous de me tracer, comme avec une
règle, la conduite que je dois tenir.
paphnuce. Suivez-moi.
thaïs. Oui, je vais marcher sur vos pas, et, plût
à Dieu ! sur vos traces.
SCÈNE VI.
LES PRÉCÉDENTS.
paphnuce. Vous voyez ce monastère; là demeure
un noble collège de vierges consacrées à Dieu. C'est
dans ce lieu que je désire que vous passiez le temps
de votre pénitence.
thaïs. Je ne m'y oppose pas.
pahknuce. Je vais entrer et prier l'abbesse, direc-
trice de celte maison, de vous y recevoir.
thaïs. Qu'ordonnez -vous que je fasse, en atten-
dant?
paphnuce. Entrez avec moi.
thaïs. A voire gré.
paihnuce. Mais voici l'abbesse. Je ne comprends
pas qui lui a si promplemenl porté la nouvelle de vo-
tre approche.
thaïs. La renommée, que rien n'arrête.
SCÈNE VII.
LES MÊMES, L'ABBESSE.
paphnuce. Vous voici à propos, illustre abbesse;
c'est vous que je cherche.
l'abbesse. Vous êtes le bienvenu, vénérable Père
Paphnuce. Bénie soit votre arrivée, ô bien -aimé de
Dieu !
paphnuce. Que la béatitude de l'éternelle bénédic-
tion soit répandue sur vous parla grâce du Créateur
universel!
l'abbesse. Comment se fait-il que votre sainteté
ait daigné visiter mon humble demeure?
paphnuce. J'ai hesoin de voire assistance dans une
occasion pressante.
l'abbesse. Donnez vos ordres le plus brièvement.
Que voulez-vous que je fasse? Je vais m'efforcer d'ac-
complir vos commandements et de Satisfaire à vos
lésiis, selon mon pouvoir.
paphncce. Je vous apporte une chèvre demi-morte,
arrachée il y a bien peu de lemps aux dents des
loups, et je désire qu'elle soit réchauffée dans ie sein
de voire piété, et guérie par vos tendresses, en sorte
qu'elle rejette sa grossière peau de chèvre et prenne
la douce toison de la brebis.
l'abbesse. Expliquez-vous plus clairement.
paphnuce. Cette femme que vous voyez a mené la
vie d'une courtisane.
l'abbesse. O malheur!
paphnuce. Elle s'est livrée toute entière à la sen-
sualité.
l'abbesse. Elle s'est perdue elle-même.
paphnuce. Mais maintenant, à ma prière, et avec
l'aide du Christ, elle fuit avec haine les vanités, et
recherche la charité.
l'abbesse. Grâces soient rendues à l'auteur de
celle conversion !
î>79
PAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAP
580
paphnuce. Les maladies de l'âme, comme celles du
corps, peuvent eue traitées par remploi des con-
traires. Conséqueninient, relie femme, séquestrée
des agitations du siècle qu'elle commit, sera ren-
fermée seule dans une étroite cellule, afin qu'elle y
puisse pins à loisir méditer sur ses fautes.
l'abbesse. Rien n'est préférable.
paphnuce. Donnez des ordres alin qu'une cellule
soit le plu» prompte uenl construite.
l'abbesse. Ce sera bientôt fait.
paphnuce (bus à t'abbesse). N'y laissez ni entrée ni
sorue, mais seulement une étroite fenêtre, par la-
quelle elle puisse recevoir une maigre piiance, qu'à
des jours et des heures marqués vous vous ferez un
devoir d'aller lui donner avec épargne.
l'abbesse. Je crains (pie la mollesse d'une âme af-
faiblie ne supporte avec peine la rigueur d'une si
dure pénitence.
paphnuce. Soyez sans crainte. Une faute grave a
Les. du n'une énergique médieamentalion.
l'abbesse. Sans doute.
paphnuce. Je n'ai souci que des délais, dans la
peur qu'elle ne soit corrompue par la visite des hom-
mes.
l'abbesse. Pourquoi ces soucis? Que ne la renfer-
mez-vous? La tedule que vous avez demandée est
preie.
paphnuce. Tant mieux. (A Tliaïs, d'une voix sé-
vère). Entrez, Thaïs. Ce r. duit est assez bon pour
pleurer vos crimes.
thaï-». Que ce lieu est étroit, obscur, et immonde
pour une lande femme!
paphnuce. Pourquoi ces mots amers contre celle
cellule? Pourquoi frémissez-vous d'y entrer? lmiomp.j
lée jusqu'à ce jour, vagabonde, il faut que vous su-
bissiez enliu le irein et la solitude.
t'hais. Lame huDiiuéo à la mollesse est aisément
impatiente de sa première vie.
paphnuce. Aussi faut-il les rênes solides de la dis-
cipline pour la contenir, jusqu'à ce que la révoile ait
cessé.
thaïs. Les ordres de voire paternité ne sont pas
l'objet des résistances de mon humilité; mais il y a
dans celle habitation un inconvenant bleu ddliule à
supporter pour ma faiblesse.
paphnuce. Quel est cet inconvénient?
tuais. Je rougis de le dire.
paphnuce. Ne rougissez pas, et parlez sans détour.
thaïs. Qu'y a-l-il ne plus insnppoi laide, ne plus
affreux, qi.e d'être forcée de satisfaire en un même
lieu à tous les besoins du corps; certainement, ce
lieu sera eu peu de temps inoubliable, à cause de
l'excès de la puanteur.
paphnuce. Crains les douleurs de 1 éternelle gé-
henne, cl ne l'épouvante de rien de ce qui est pas-
sager.
thaïs. C'est ma faiblesse qui me force à craindre.
paphnuce. It faut que lu expies la douceur îles plai-
sirs et des caresses maudites par le supplice de celle
puanteur intolérable.
(// la conduit vers la cellule.)
thaïs (dans la cellule, dont on commence à murer
la porte). Je ne résiste pas, et je conviens que, selon
la justice, je n'aie, souillée d'impureté, d'abri que ce
trou impur el fétide. Mais tout mon lourmenl cruel
est qu'il ne restera aucune place pour invoquer dé-
cemment le nom de la redoutable Majesté.
paphnuce (plus sombre). El d'où vous vient celle
étrange hardiesse d'oser, de vos lèvres polluées, pro-
noncer le nom de la Divinité sans tache?
(225) La scène qu'on vient de lire où Paphnuce
recommande Thaïs pénitente aux soins de la supé-
rieure d'un couvent de femmes, ne retrace en rien
les usages monastiques du iv« sciècle. Mais cei en-
tretien nous offre en échange un exemple curieux
thaïs Et de qui pnis-je ecpérer mon pardon? De
qui mon salul? de qui la pillé, s'il m'c-l défendu
d'implorer celui contre qui seul j'ai péché, cl à qui
seul mes prières amen es doivent elle adressées?
paphnuce. Vous devez prier non pas par des pa-
roles, mais par des larmes; non par le son plaintif
de votre voix, mais le i aie de voue cœur repen-
tant.
thaïs. Et s'il m'est défendu de prier Dieu par des
paroles, comment puis-je espérer ma grâce?
paphnuce. Vous lohuendriz d'autant plus vite
que voue bumilit sera plus parla le. Dites seule-
ment : « 0 mon Créateur, ayez pitié tic moi ! »
thaïs. J'ai besoin de sa pitié, pour n'être pas brisée
dans cette épreuve incertaine.
paphnuce. Luttez avec force, afin d'obtenir une
heureuse victoire.
thaïs. El vous, priez pour moi, afin que j'acquière
la palme du triomphe.
paphnuce. Je n'ai pas besoin de recommandation.
thaïs. Je l'espère.
pahhnice, se tournant vers l'abbesse. 11 est temps
de rentrer dans les retraites aimées île ma solilmje,
el d'alh r visi;er mes chers disciples. C'e-t pourquoi,
vénérable abbes^e, je conlie à voire softicitnde et à
voire charité, celte captive, doni vous aurez a sus-
tenter le corps délicat du suicl nécessaire el res-
taurer abondamment l'âme des plus sabiiaires avis.
l'abbesse. Soyez sans inquiétude, j'aurai pour elle
une tendresse et des soins de mère.
paphnuce. Je pars.
l'abbesse. Allez en paix. (i25)
SCÈNE VI II.
PAPHNUCE, LES DISCIPLES
les disciples. Qui heurte à la porle ?
«aphnuce. Moi.
les disciples. C'est la voix de Paphnuce noire
Père.
paphnuce. Otez le verrou.
les disciples Salul. ô notre Père !
paphnuce. Salut!
les disciples. Nous étions bien inquiets de voire
longue absence.
paphnuce. Je me félicite de mon absence.
les OisciPLES. Qu'avez-vous fait de Tuais ?
paphnuce. Ce que j'avais projeté.
les disciples. Où csl-clle ?
paphnuce. Dans une étroite cellule où elle pleure
ses péchés.
l; s disciples. Gloire à la Souveraine Triniic!
paphnuce. El suit béni son nom redoutable, main-
tenant el dans tous les siècles.
les disciples. Amen.
SCÈNE IX.
paphnuce, seul, assis.
paphnuce. Voici trois ans que Thaïs subit sa pé-
nitence el je ne sais si son repentir a été accepté
par Dieu. Levons-nous et allons vers mon frère
Antoine, alin que, par son intervention, la vérité se
manifeste à moi.
(// se lève el se met en route.)
SCÈNE X.
PAPHNUCE, ANTOINE.
Antoine. Quel bonheur inespéré! quelle joyeuse
venue ! n'esl-ce pas mon frère el mon collaborateur
en solitude, Paphnuce ? C'esi lui-même.
paphnuce. C'est moi, en effet.
des formules de pieuse courtoisie, avec lesquelles
devaient s'aborder et converser un abbé el une ab-
besse dans le siècle el dans la patrie des Olhons.
(1d.)
b8i
PAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PÀP
Antoine. Vous êles le bienvenu, mon frère, voire
bonne arrivée me comble de joie.
paphnuce. Je ne suis pas moins heureux de vous
voir que von» de on arrivée.
Antoine. El quel motif si favorable, si agréable
pour nous, vous a lire de voire retraite?
paphnuce. Je vais vous le dire.
Antoine. J'attends.
paphnuce. Il y a plus de trois ans, il y avait, non
loin de nous, une couriisane nommte Thaïs qui,
iion-seulenieni s'elail donnée toute entière à la per-
dition, mais encore ne se faisait faule d'enirainei
bien des gens avec elle à la mort.
antoine. Q déplorable audace !
papunuce. J'allai la trouver sous les dehors d'un
amant. Tantôt j'amenais à moi son âme lascive par
de tendre* et douces remonlranc s. cl tantôt, par
de terribles représentations el des menaces mêmes,
je lui fais lis p;ur (V22G).
antoine. Ces tempéraments étaient faits pour sa
faiblesse.
papunuce. Elle faiblit enfin, et repoussant ses
réprehensibles habitudes, elle se voua à la chasteté,
et se laissa en fermer' dans une très-étroite cellule.
antoine. Ce récit me cause taul de satisfaction
que ton les les liures de mon cœur en oui liessailli
ite joie.
paphnuce. Renie soil voire sainteté! Pour moi,
je serais au comble du bonheur de cette conversion,
.si je n'étais troublé par quelque inquiétude. Je crains
que la dé ca.esse «le e ne femme ne puisse suppor-
ter une bien longue pénitence.
antoine. La vraie charité a toujours pour com-
pagne la pieuse compassion.
papunuce. Aussi je sollicite voire charité. Vous
el vos disciples, veuillez, unis de cœir avec moi,
prier jusq l'a ce que le ciel nuis lasse co ni me si
la bouté et la miséricorde «ic Dieu sont indulgentes
pour noire pénitente et attendries par ses larmes.
antoine. Noiio conseillons bien volontiers à voira
dom.iinie.
papunuce. Sans doute, Dieu vous entendra, dans
sa clémence.
SCÈNE XI.
les mêmes, ensuite PAUL.
antoine. Déjà la promesse évansélique s'est ac-
complie en nous.
pap.:nuce. Q .elle promesse?
antoine. Cède qui nous assure qu'en unissant nos
pneus nous pouvons tout obtenir l"227j.
1 -ai usuel.. (m'y a l-'i '•
ant une. Paul, mon disciple, a eu une vision.
papunuce. Appelez-le.
Antoine. Paul, approchez et racontez votre vision
à Piiphuuce
Paul. Dans ma vision, il y avait dans le ciel un
lit magnifique, tendu de blanc , auprès duquel
ci lient quatre jeunes vierges éblouissantes de lu-
mière, debout connue «les sentinelles. A peine vis-je
celle merveilleuse et réjouissanle splendeur que je
me dis en moi-même : « Une leîle gloire n'appar-
tient à personne autant qu'a mon père cl à mou
maître Antoine. >
antoine. Je ne me crois pas digne d'une telle
béatitude.
paul. A peine avais-je pensé, qu'une voix divine
me dil avec le bruit du tonnerre : < Non, ce n'est
(2ïb) En reportant noire pensée sur la scène à
laquelle il est fait ici allusion, nous ne pouvons nous
empêcher de remarquer que ce mélange de douces
remontrances el d'énergiques conseils se rappoile
avec beaucoup plus de vérité à la conversion de .Marie
par Abraham. C'est seulement, co iiflle nous le ver-
rons tout à l'heure, eu assistant la pécheiesse agoni-
sante, que Papunuce montrera envers elle toute sa
pas , comme lu le penses , pour Antoine , mais pour
la courtisane Thaïs qu'est réservée celle gloire. »
papunuce. Gloire à la douceur de voire miséri-
corde, ô Christ, Fils unique de Dieu, qui avez dai-
gne me consoler avec tant île bonté dans ma tris-
tesse.
antoine. Gloire au Seigneur.
papunuce. Je vais visi er ma captive.
antoine. Le temps est venu de lui donner l'espoir
du pardon et la consolation de l'éternelle béatitude.
SCÈNE XII.
PAPHNUCE, THAÏS.
paphnuce. Thaïs, ma fille adoplive, ouvrez votre
fenêtre, pour que je vous voie.
thaïs Qui me parle?
paphnuce. l'apiinuie, votre Père.
thaïs. D'où vieni tant de bonheur et de joie, el
comment daignez-vous me visiter, moi, péche-
resse.
paphnuce. Quoique, durant ces trois ans, j'étais
demeuré loin de vous, au moins de corps, néanmoins
je nie suis toujours préoccupé de votre salut.
thaïs. Je n'en liotile pas.
paphnuce. Tracez-moi le tableau de votre vie in-
térieure et les degrés de voire repentir.
thaïs J- ne pu s due qu'une chose, c'est que je
sais n'avoir ne.i fait qui soil digue du Seigneur.
paphnuce. Si D eu scrutait toutes nos iniquités,
nul ne soutiendrait son e amen.
thaïs. Si cependant vous voulez savoir ce que
j'ai fait : j'ai dans ma conscience amassé la mulli-
lu le de mes fautes, comme eu un faisceau, el je
nai pas cessé de les rouler dans mon esprit et de
les garder sous mes yeux; en sorte que, en même
lenip'. que montait sans ces.e dans me-> narines une
odeur infecte et insupportable, en mène temps était
visible pour mon cœur l'horreur de l'enter.
paphnuce. Punie par votre propre repentir, vous
avez oiilenu voire grâce.
thaïs. Oh ! plût au ciel !
paphnuce. Donnez-moi la main, que je vous aide à
sorlir.
thaïs. Non, mon vénérable Prc! non, ne me re-
tirez-pas, moi l'impute, ,*e ce fumier. Laissez-moi
en «e lieu convenable pour ma conduite.
paphntce. Le temps esi venu de vous alléger de
la crainte el de commencer une vie d'espérance,
car voire pénneiiee a clé agréable à Dieu.
thaïs. Que lofis les anges louent sa miséricorde,
puisqu'il n'a pas dédaigne l'humble contrition de
mou cour!
paphnuce* Persislez dans la crainte de Dieu et
maintenez-vous ans son amour, car d'ici à q'.dnze
jours, vous dépouillerez votre enveloppe humaine,
el votre course ici bas éiant heureusement terminée,
avec le secours de la grâce divine, vous émigrerez
pour les tieux.
thaïs. Oii ! puissé-je échapper aux lourmenls de
l'enfer, ou du moins n'être brulee que dans les flam-
mes les moins ardentes! car il n'est pas de mes mé-
rites n'obtenir la béatitude sans lin.
paphnuce. La grâce, le don gratuit de la divinité,
ne pèse pas le mérite des hommes; car, si elle n'é-
tait accordée qu'aux mérites, on ne l'appellerait
pas la grâce (228).
thaïs. Oh! que le concert des cieux, que tous les
arbrisseaux de la terre, que loules les espèce? d'a-
len dresse de cœur. (M. Magmn.)
(i27) Hroisviiha me parait s'élre plutôt rappelé
ici le sens que les paroles de saiul Mathieu... Il est
presque impossible de signaler lous les emprunts que
notre auteur fail au Nouveau el à l'Ancien Testa-
ment... (lu.)
(v228) On voit que notre auteur suivait les opi-
nions de saiul Augustin sur la grâce. (U>.)
583
PAS
DICTIONNAIRE DES ^STEKES.
PAS
584
moraux, et les .gouffres inconnus des eaux, louent
celui qui non-seulemenlsuppone les pécheurs, mais
qui ilonne encore des récompenses gratuites à ceux
qui se repentent.
papii.nuce. Il a, de toute éternité, préféré la misé-
ricorde au châtiment.
SCÈNE XIII.
LES MÊMES.
thaïs. Ne vous en allez pas, mon vénérable Père ;
restez auprès de moi pour me donner courage à
l'heure de ma mort.
paphnuce. Je ue m'en vais pas; je ne vous quille
point, jusqu'au moment où, votre âme planant au-
dessus des airs, j'aurai donné la sépulture à votre
corps.
thaïs. Ah! je commence à mourir.
paphnuce. C'est le moment de prier.
thaïs. 0 mon créateur, ayez pi lié de moi et per-
mettez que l'âme que vous âvea soufflée dans mon
sein retourne heureusement à vous !
(Elle meurl.\
SCÈNE XIV.
Paphnlce, seul.
paphnuce. Toi qui n'as point eu de'créateur, forme
vraiment immatérielle, dont l'essence simple a formé
de divers éléments l'homme qui n'est pas ce qui est,
permets que les diverses essences de celle créature
humaine rejoignent sans obstacle le principe de
leur origine, l'àtue venue du ciel participant aux
joies célestes, le. corps étant reçu paisiblement dans
le sein .le la terre, matière identique à lui, jusqu'au
jour où cette poussière se réunissant et le souffle de
la vie pénétrai! l de nouveau les membres ressuscites,
cette même Thaïs ressuscite, créature complète
comme autrefois, pour prendre place parmi les hl ri-
ches brebis ei entrer dans la joie de l'éternité (229);
6 toi, qui seules ce que tu es, qui règnes dans l'unité
delà Trinité, et qui es perpétuellement glorifié dans
les siècles des siècles. Amen.
PASSION (La). -La Passion a élé, en
Orient, du i" au ve siècle, ou même un peu
plus lard; en Occident, du v* siècle à la fin
du xvr, l'objet de deux grandes tenlalives
dramatiques :
L'une porte le nom de saint Grégoire de
Nazianze ; l'autre est anonyme.
LA PASSION.
Orient.
LE CHRIST SOUFFRANT (230).
Le dr.une du Christ souffrant ou de la
Passion du Christ, est attribué à saint Gré-
goire de Nazianze, et daterait ainsi du
ive siècle.
Les manuscrits grecs de ce drame sont
nombreux dans les grandes bibliothèques
d'Europe, et ont été tous consultés.
Le nombre des éditions n'est pas moins
considérable : la plus récente est celle de
M. Dtibner, dans les Classiques grecs de la
collection Didot.
(229) Celle théologie miséricordieuse, qui se re-
trouve dans toutes les pièces de ilrotsviiha prouve
que la barbarie des mœurs n'avait pas pénétre dans
les doctrines. iM. Magni.n.)
(230) Voy. Christ {le meurtre du).
(231) M.iVlagnin a remarqué que Fabrice, dans sa
préface, comptait avant lui deux traducteurs; or, ne
connaissant que l'édition de Culdebeck, antérieure
à celle de Fabrice, l'illustre membre de l'Institut
suppose que la date de l'éditio n de Roillet est ince
Il n'existe du Christ souffrant que des
traductions latines; les plus anciennes sont
celles de Gabriel Garcia, en 15W, de Sébastien
Guldebeek, en 1550, dans l'édition de saint
Grégoire, donnée à Bâles, et de Fabrice de
Ruremonde, en vers latins (231). M.Dubnera
retouché la traduction latine desBénédiclins.
Le Christus patiens a été, en 184-9, l'ob-
jet d'articles très-développés dans le Journal
des Savants des mois de Janvier, p. 12-26,
et de Mai, p. 275-288, dus à la plume sa-
vante et ingénieuse de M. Magnin. Le Chris-
tus patiens porte deux lities dans les ma-
nuscrits : tantôt %pi<nos wào-^wv, la Passion
du Christ; el tan tôt, mais plus rarement,
Tô jwg-aoTwTfljOiov n-«6of, la Passion du Sauveur
du monde. Inconnu en Occident jusqu'au
mi'iieu du xvie siècle, il n'a pu exercer au-
cune influence sur les mystères du moyen
âge. Le texte de cet ouvrage a reçu de ses
premiers éditeurs le nom de saint Grégoire
de Nazianze, que donnent presque tous les
manuscrits. tSes premiers traducteurs ne
semblent pas même avoir soupçonné que
l'attribution de ce drame à saint Grégoire
pût soulever la plus légère contradiction.
Ce sont deux théologiens protestants Wil-
liam Fulke et Robert Cooke, qui, très-pro-
bablement, ont les premiers refusé de re-
connaître dans le Christus patiens l'œuvre de
saint Grégoire de Nazianze. Ils furent bien-
tôt suivis dans cette opinion par leurs co-
religionnaires, Guillaume Cave, Perkins et
André Rivet. De leur côté, et dans le même
temps, les célèbres catholiques, Théophile,
Antoine Possevin, Bar onius, Bellarmin. Phi-
lippe Labbe, Adrien Baillet, dom Rémi Ceil-
lier se prononcèrent dans le même sens.
Enfin, dans le dernier siècle et dans le nô-
tre, Philippe Buonarotti , Mathias Sehrœck,
Daniel Triller, Casp. Walcket.aër, Richard
Poison, Daniel Beck, Schœll, Henr.-Chr.-
Abrah. Eichsladl, l'abbé Caillau, et M. Fréd.
Dubner ont adopté la même opinion. Ce-
pendant Juste Lipse, Jean-Gérard Vossius,
Isaac Casaubon, Daniel lleiusius, Lenaiu
de Tillemout, se sont renfermés dans les li-
mites du doute, tout en jugeant cette pièce
peu digne de l'orthodoxie et du talent de
saint Grégoire. Lntin, un petit groupe de
critiques ne trouve pas de raisons suffisan-
tes contre le témoignage unanime des ma-
nuscrits. Ce sont principalement Combetis,
Casimir Oudin, Pierre Lambecius, Yriarte,
J.-A. Fabricius, Warton, et plus récemment
M. J.-Chi .-Guill. Auguste
Les objections de ceux qui veulent rayer
le Christus patiens des œuvres de saint Gré-
goire sont de deux sortes : les unes lliéolo-
laine. Mais Martin Ballius indique en ces termes la
traduction de Garcia : « Gregorii tragœdinClir.slus Pa-
tiens, Gubriele Garcia Turrucouensi interprète, Pari-
siis, apud Weclielum, 1549. » Cf. le catalogue de Bal-
lius, intitulé : (/Eternœmemoriœ viri Ant. Atigus ini,
arcliiepisc. Tarracon.) hibliolliecœ grecœ mss. tatinat
mss. mixla ex libris editts vaiiarum liiujitarum ;Tur-
racone, apud Phiïippum Mey, 15*6, i«-4°, — Diblt
Mixt.i n» 229.
SS5
PAS
DlCTlONiNAlKE DES MYSTERES.
PAS
536
giques, les autres littéraires. Parmi les pre-
mières, la plus grave est, sans contredit,
la profonde altération qu'a subie le caractère
de la Vierge. Elle apparaît livrée aux vio-
lents paroxysmes de la douleur humaine,
menaçante, irritée, baignée de larmes, trem-
blant pour sa propre vie, ou livrée à des
projet» de suicide, empruntant ses impré-
cations à la Médée d'Euripide, ou sa réso-
lution de se donner la mort, à la nourrice
de Phèdre. Aussi, le cardinal Bellarmin fi-
t-il dit : Le Christus patiens n'a pas la. gravité
accoutumée de saint Grégoire de Nazianze,
surtout dans la description du désespoir de
la Mère du Christ, si prudente et si rési-
gnée. » Diverses traditions apocryphes y
figurent; entre autres, la nourriture mira-
culeuse de la sainte Vierge dans le temple,
et l'apparition miraculeuse de Jésus-Christ
à sa Mère aussitôt après sa résurrection ; et
ces traditions sont postérieures au temps
où écrivait saint Grégoire. Il y est question
du culte de la sainte Vierge , postérieur
aussi. Enfin, un certain nombre u'épithètes
laudalives adressées à Ja Mère du Sauveur,
ont paru aux Bénédictins être moins dans
l'esprit du iv* siècle que dans celui de saint
Jean Damascène, ou même accuser une épo-
que encore plus récente. En second lieu, la
lenteur et l'embarras de l'action, dont la
marche revient continuellement sur elle-
même, des vers cinq ou six fois répétés,
des tirades entières dont le sens fait double
ou triple emploi, des contradictions nom-
breuses, ni la force, ni l'os rotundum, le
tô c-po'/yOXov de saint Grégoire, le peu de
précision et l'impropriété du langage, l'em-
ploi de vers d'Eschyle, de Lycophron et
d'Euripide, à ce point que le drame en est
presque entièrement composé chez un au-
teur si discret à l'endroit des poésies païen-
nes dans les vingt mille autres vers qui
subsistent de lui, l'inexactitude du mètre
iambique, si exact dans toutes les poésies
du saint évoque, tendraient à prouver que
le Christus patiens ne saurait être compris
dans la liste des nombreux travaux de saint
Grégoire.
Baronius l'attribue à l'un des deux Apol-
linaires, ses contemporains, controversistes
et poêles aussi , mais d'une orthodoxie
suspecte. Adrien Baillet, Guill. Cave ont
partagé celte opinion. Casaubon et Vos-
s;us n'en sont pas éloignés. Ellies Dupin et
Ceillier l'ont réfutée en s'appuya nt sur ce que
le Christus patiens serait indigne du mérite
littéraire des Apolliuaires; leurs erreurs
sont d'un autre genre et beaucoup plus
graves que celles signalées. Quelques-unes
des vérités fondamentales du dogme chré-
tien, et notamment la croyance à la double
nature de Jésus-Christ ont été rejetées par
les Apollinaires. Dom Ceillier attribue celte
pièce à Grégoire, évêque d'Antioche, vers
l'an 572 ; Daniel Triller, à quelque moine
ignorant; Buonarotti, aux loisirs scolasti-
ques d'un écrivain moderne.
Mais, outre les manuscrits dont l'accord
est unanime, comme il a été dit ci-dessus,
Dictio.nn. ces Mystères.
la Vie de Saint Grégoire par un prêtre, son
homonyme, mentionne, dans ses ouvrages,
des comédies et des tragédies pieuses, et
Philostorge, presque contemporain de saint
Grégoire, cité dans Suidas, remémore nom-
mément le Christ us patiens dans les œuvres du
grand évêque. (Commentar. de Aug. Bibl.
L'œsar. Vindobon., éd. Kollar, I. iv, p. 4-7.)
Suivant Combelis, Casimir Oudin, Lambc-
cius, on a exagéré l'accusation d'hétérodoxie.
Le culte de la sainte Vierge avait reçu déjà
assez d'extension pour justifier tout ce qu'on
en trouve dans ce drame; et si celte pièce
est la seule qu'ait composée en centons saint
Grégoire de Naziance, ce n'est la preuve que
d'une concession d'un instant au goût des
hommes de son temps.
Telles sont les opinions, les objections,
les attributions diverses et les répliques qu'a
occasionnées jusqu'ici Je Christus patiens.
M. Magnin, après les avoir fait connaître
dans tous leurs développements, demande à
son tour place dans le débat pour son pro-
pre jugement. La critique, dit-il , peut re-
connaître à la fois, dans le Christus patiens,
le siècle de saint Grégoire et les vi', vu' et
vin' siècles; l'usage d'iambes réguliers et do
vers dont la facture présage ceux qu'on a
nommés vers politiques, c'est-à-dire où les
fautes sont systématiques ; et des passages
où se trouvent des opinions orthodoxes et
hétérodoxes, des doubles emplois, des con-
tradictions et des longueurs. Cela tient, selon
l'habile critique, à ce que celte pièce est (et
c'est là le mot de l'énigme) une réunion assze
malhabile de plusieurs drames, ou fragments
de drames, écrits en différents temps sur
la Passion, rapsodies cousues par quelque
copiste du x' ou du xi* siècle...
« La moins imparfaite et la plus ancienne
de ces pièces, celle qui a dû former en
quelque sorte le fondement et la pierre an-
gulaire de cet éditice de construction com-
posite, me semble être la tragédie même de
saint Grégoire de Nazianze, dont le nom il-
lustre a prévalu et est demeuré seul en lêto
de l'ensemble. Si l'on veut accorder quelque
chose à la conjecture , le second drame pour-
rait appartenir à cet autre Grégoire, évêque
d'Antioche en 572, dont parle Kemi Ceillier;
le troisième serait l'œuvre de cet Etienne,
(Slephanus , monachus Subaita), signalé à
Gregorio Giraldi, (De poelar. hist. dialogus,
ap. Opéra, t. 1", p. 288) , dont la pièce était
déjà si rare auxv* siècle, que cet infatigable
chercheur de manuscrits n'en put découvrir
aucune copie.
« Dans lesdeux mille six cents vers dont se
compose le texte actuel de Xpicrù? -niu/^v
(nombre qui serait excessif pour un seul
drame...) il est possible de reconnaître assez
aisément les fragments de deux ou trois tra-
gédies pieuses, sorties, à diverses époques,
de mains différentes et dont les principales
scènes ont été rapprochées et réunies en
corps, à peu près comme ont été accouplées,
dans certains manuscrits de nos chansons de
gestes, plusieurs rédactions successives des
plus célèbres épisodes d'un même cycle. »
19
.187
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
TfS
Ainsi, * le prologue de Ironie vers qui pré-
cède la pièce, dans son étal actuel, fait dou-
ble -emploi avec un second prologue de qua-
tre-vingt-dix vers que prononce ensuite la
Vierg''... et où l'on remarque, dès les pre-
miers vers, plusieurs centons d'Euripide...»
On peut noter, dansces deux morceaux qui se
succèdent sans intervalle, la même pensée, le
même mouvement, le même but. « Mais ce
n'est pas tout : les trois derniers vers du
premier prologue contiennent une indication
bien importante, ils annoncent, comme de-
vant figurer dans le drame, deux personna-
ges seulement : la mère sans tache et le dis-
ciple vierge, plus un chœur déjeunes filles,
compagnes de la Mère du Seigneur. Or la
pièce, telle que nous l'avons, est chargée
d'un bien plus grand nombre de personna-
ges. L'éditeur de Couvain en a dressé la liste,
que ne donnent pas les manuscrits, et qu'ont
reproduite tous les éditeurs subséquents.
Cette liste contient, outre la Vierge, le
chœur et saint Jean, lequel, pour le dire en
passant, est indiqué, toutes les fois qu'il p:i-
raîl dans la pièce, par son surnom de freoXôyoî
et non par celui de izapiiwç pûo-rnç, comme
dans le premier prologue; cette liste, dis-je,
contient le Christ, (que le prologue n'aurait
pas oublié de mentionner, s'il avait eu un
rôle dans la pièce,) Madeleine, Joseph, Ni-
codèrae, Pilate, les gardes du tombeau, les
prêtres, un jeune homme, plusieurs messa-
gers. On aurait pu y ajouter un aveugleguéri
par Jésus, l'ange qui annonce aux saintes
femmes la résurrection; et plusieurs person-
nages muets, entre autres, saint Pierre pleu-
rant sa faute au pied de la croix, et les onze
apôtres recevant, dans la maison de Marie,
la visite miraculeuse de leur divin Maître.
De plus, le chœur, que le prologue annonce
devoir être formé déjeunes filles, se trouve
en réalité composé de femmes de toui
Age... »
Selon M. Magnin, il serait aisé de recons-
truire les deux ou trois pièces contenues
dans le texte actuel du Christus patiens. La
pièce de saint Grégoire était évidemment la
plus élégante, la plus concise et la plus or-
thodoxe ; elle ne mettait « en relief qu'une
•seule figure, celle de la Vierge, qui passait
par tous les degrés de la douleur et de la
consolation, sous l'impression successive
•des récils des jeunes Galiléens, etdes exhor-
tations de saint Jean. La seconde pièce, plus
récente, et qui portait peut-être le titre déjh
plus recherché de Koa-poo-wnipiov Tràôo?, devait
être plus prolixe et plus déclamatoire. Nous
lui attribuerions volontiers le second pro-
logue, les messagers loquaces, les légendes
apocryphes, l'ange lumineux du sépulcre,
Jésus qui parle et meurt sur la croix. Cette
scène, mise en action et présentée aux yeux,
suffit pour assigner à la partie du Christus
patiens où elle se trouve, une date assez
postérieure à saint Grégoire. En effet, les
fidèles des premiers siècles ne représentaient
que sous une forme allégorique et symbo-
lique les redoutables mystères de la passion.
On ne voit apparaître, dans l'art chrétien,
le crucifix, c'est-à-dire la représentation oe
Jésus sur la croix, qu'au vi' siècle. Enfin,
un troisième drame, qui peut-être n'est pas
le dernier dans l'ordre chronologique, se
déiache du resie avec des caractères non
moins distincts. Dans celui-ci, le dialogue
et l'action prévalent sur la forme narrative.
A cette troisième pièce appartenaient, sans
doute, les scènes où l'on voit agir et parler
Joseph, Nicodème, Pilate, les prêtres, les
gardes du tombeau et ie jeune homme velu
de lumière qui annonce la résurrection à<i
Jésus-Christ. Je dois dire, à ce propos, que
l'apparition du jeune homme miraculeux
fait double emploi avec celle de l'ange, dans
ce que j'appelle la seconde pièce, et triple
emploi avec le récit que Madeleine fait à la
Vierge dans le plus simple et le plus épique
des trois drames, récit plus conforme aux
évangiles, mais qui contredit les deux scè-
nes précédentes en un point important; car
Madeleine raconte qu'elle a rencontré deux
anges au tombeau, tandis qu'on n'en a vu
figurer qu'un dans chacune des deux scè-
nes. »
Il est encore des preuves plus fortes de
cet « amalgame assez indigeste de deux ou
trois drames ou fragments de drames, écrits
entre le iv' et le vin' siècle, et cousus fort
négligemment ensemble par un lettré du
Bas-Empire, suivant la méthode de juxta-
position, généralement pratiquée au moyeu
âge. » Ces preuves ressortenl du rapproche-
ment de divers passages qui se répètent les
uns les autres.
Enfin, dans le court épilogue, édité pour
la première fois par M. Dùbner, ce philolo-
gue a cru reconnaître le siècle et même la
main de Tetzès. Cet envoi semble à M. Ma-
gnin un aveu formel, l'auteur invitant un
ami à compiler comme lui, mais des vers
extraits de Lycophron, et non plus d'Eu-
ripide.
En dernier lieu, l'auteur de ce long et sa-
vant mémoire, dont nous avons cru devoir
donner des extraits si étendus et une ana-
lyse si complète, se demande si Je Christus
patiens a été destiné à la représentation et
joué quelque part, soit dans son état primi-
tif supposé, soit dans son état actuel. Suivant
lui, le drame original de saint Grégoire n'a
été écrit que pour fournir aux chrétiens,
curieux des émotions théâtrales, une lecture
plus édifiante que celle des drames d'Es-
chyle ou d'Euripide. Quant aux deux autres
drames, ou fragments de drames, dont la
forme est évidemment plus dramatique, et
qu'on peut rapporter au vie et au vme siè-
cle, ils ont pu être joués dans les monas-
tères où ils ont été composés.
Nous mettons le lecteur à même de vider
ce procès en reproduisant en entier le drame
de saint Grégoire.
LE CHRIST SOUFFRANT.
ENVOI.
Voici un vrai drame, sans Relions, sans souillure dri
impures frivolités de li myilioloxte, ô vous qui aimez le»
paroles el les leçons pieuses. El s'il vous plat', je vous
PAS
dirai, sur ie 'ion de Lt)co,)hroi [ l'esprit du loup [252] ),
de\enu désorinaU a jiisie tiire Gh/cop/ifOt (l'esprit du
douceur), le reste des choses que vous nie demandez.
LISTE DES PERSONNAGES
DRESSÉE i'AR LES ÉDITEURS :
LE CHRIST. PILATE.
LA. MÈRE DE DIEU. LES GARDES DU TOMCl AL.
JOSEPH. LES PRETRES.
s. jean, le ihéologuo, le l'aveugle.
disciple vierge el failli, un ange.
madeleine. s. pierre , personnage
mcodeme. muet,
MESSAGERS.. LE; ONZE APÔTRES, pOISOn-
choëur de femmes. nages muets-
UN jeune homme.
ARGUMENT
Du drame de notre saint père Gréqoire le. Théofogue, à
la mante e d'Euripide, comprenant l Incarnai on de
nuire Sauteur Jésus-Christ, accomplie pour nous, et la
Passion subie po;>r lesulut du monde.
Puisque, après avoir écoulé pieusement des poèmes
(prolanes), vous voulez bien prêter aujourd'hui poéti-
quement l'oreille a des sujets pieux, accueillez ces vers
avec bienveillance; je vais dire, à la manière rtViiri-
[iide la l'assion, qui a sauvé le monde. Vous y appren-
drez, nos principaux mystères, de la bouche même de
la Vierge-Mère el de celle du Disciple le plus cher au
Seigneur. En effet, ce poème vous montrer,) d'abord la
Vierge, pleurant, comme il est naturel a une mère,
pendant tout le temps de la Passion, el gémissant «ur
l'origine de. la Mort, contemporaine du monde. Celte
Mort est la suprême cause du nom que la Vierge a reçu
de Mère du Verbe, et du spectacle actuel de l'inique
Passion. Car, n'ayant pas élé entraînés au péché par
notre lâcheté, nous n'aurions pas élé, dès le commen-
cement, frappés de la Vlort ; inaccessibles aux ruses du
serpent, le poison n'aurait pas eu accès, par les trom-
peries de la matière, dans le mon le ; nous n'aurions
pas subi la Mort pa< un équitable jugement, etcoulre la
persistance absolue du mal, il n'aurait pas élé besoin
«pi'il se lit homme et éprouvât la Mon, l'Auteur de la
vie, le Seigneur, le Dieu-Verbe, rendant de nouveau
incorruptible dans sa clémence, notre (essence) corrom-
pue, et revivifiant tout le genre humain ! el si le
Verbe ne s'était pas abîmé, la Vierge n'aurait pas été
la Mère du Seigneur, et maintenant à la vue des in-
jusles souffrances de son Fils, elle ne serait pas dans
les pleurs, dans les sanglots, dans l'allliciion, et dans
le plus profond désespoir. — Les personnages de mon
drame sont : la mère sans tache, le disciple viF.noK, et
les jeokes filles, compagnes de la Mère de Dieu.
(232) Lycopliron, poêle grec païen tin temps de
Plolémée Philadelphe, qui régnait à Alexandrie en
Egyple, auletir d'un très-grand nombre de tragédies
qui ne nous sont pas parvenues, d'un drame saly-
lique, d'un traité sur la comédie, et du poème iiui-
tulé V Alexandre (ou Cassandre), t véritable monstre
de bizarrerie, el de ténèbres plus que Uiiiinérieii-
nes, » suivant M. Boissonade (Biographie universelle).
On trouve dans un manuscrit ce curieux épilogue
dans lequel on voit que le poêle qui envoie à un pa-
tron inconnu le ceiilon d'Euripide (le Christ souf-
frant), en promet un autre de Lycopliron. AJais Tzet-
aès, car 11 n'y a pas lieu de cioiiier que ces vers
soient de lui, n'a-t-il d'autre intention que de re-
commander son commentaire sur Lycopliron? On
pourrait croire qu'il s'agilde versde Lycopliron in-
sérés dans le Chnslus pattens. Ce qui est sûr c'est
que Tzelzès avait lu le Christ souffrant, qu'il en
ignorait l'auteur el qu'il en Taisait l'envoi (M. Dub-
ker, Prœf).
(233) Baronius s'élève conlre le caractère de la
\ierge tracé dans le Christ souffrant (Annal, eccle-
siasl., ad ann. 34, n° cxxvin , cxxix ; Anvers, 1712,
in-fol., 1. 1, p. 182). Elle était présente, quand J sus
fut frappé du coup de lance, et recueillit elle-même
le sang précieux de son (ils, comme le raconte Mt>-
DICTIONN'AHŒ DES MYSTERES. PAS
PERSONNAGES DU DRAME
59ù
LE CHRIST. NICODEME.
LA MERE DE D1EC. DES MESSAGERS.
JO-EPH. CHŒUR DE JEUNES FILLES.
LE THÉOLOGUE (Si Jean). ON JEUNE HOMME.
MADELEINE.
SCÈNE 1°.
LA MERE DE IV.V.V (233), L\E femme do
CIIOEl'K, LE CHOEUll.
la mère de dieu. Plût au ciel que le serpent n'eût
jamais rampé dans le jardin, el que sous les épais
feuillages nul piége n'eùl élé dressé par le dragon
habile à changer de formes! Car celle qHi esl sottie
de la côle (de l'homme), la malheureuse mère du
genre humain , qui fui trompée, n'eût p;-.s <sé uu
crime au-dessus de louie audace, prise au cœur de
l'envie d'un arbre, et convaincue d'avoir ainsi part
à la nalure divine! Pour avoir persuade à son é| imjj
de manger du fruit qui, si rapideuii inl , devait ne
leur plus èlre utile à rien , clie n'eût p:.s é é exilée
du foi luné jardin, condamnée a la doueurelà la
cruelle mon. Elle n'eu i pas appris , sur un lit fu-
neste, les angoisses maternelles de l'enfaolemeul,
à demi morte des douleurs des couches. El e n'eût
pas , en sueur, fouillé le sein de la terre inféconde,
avec son époux et ses enfants frappés de la p'us
terrible malédiction , et qui, selon les décrets, de-
vaient naîlre au milieu des ples.rs el des gémisse-
ments, de générations en générations durant les
siècles, jusqu'au jour de la grande reconc lt iiion.
Le genre humain loui entier n'eût pas élé perdu.
Le Tnul-Paissant-, pour apporter un remède à mut.
de maux , n'eût pas élé contraint, dans sa bon lé, à
descendre sur la terre, à se faire homme d'une ma-
nière nouvelle et à subir la Mort. El moi je ne serais
pas Vierge-Mère, et je n'apprendrais pas, ù celle
heure , qu'on traîne devant des juges mon F.ls,
descendu îles cieux, hôle de celle lerre, cl né dans
des conditions si pures. El je ne serais pas glacée
d'horreur en le voyant exposé à larl d'oui rages.
Dans l'ombre? (de celle nuil), hélas! quelle crut lie
flamme je porle.qui me consume avec une telle
puissance, bouleverse mon âme cl frappe dans ma
poitrine envahie des coups non moins terribles que
ceux d'une machine de guerre! 0 via e prophétie
eu vieux Siméon dont l'œil clairvoyant plongé dans
l'avenir y lisait ! Salut suprême assurément pour la
femme, de n'avoir point d'autre opinion que celle
tapbrasle. Elle assista à la Passion lonie entière
avec force et constance , sans que rien pût, dans
ses gcsies ou ses paroles, blesser Jcs pli s suscep-
tibles convenances; mère sans doute, mais mère
d'un lel lils. Elle lendit ses mains maternelles à la
descente de la croix, elle recueillit les clous, et baisa
les membres sacrés de Jésus en les inondait do ses
pleurs. Elle ne dit que ces mois pleins de simplicité î
« Le mystère de ce monde s'est accompli en vous ,
ô Seigneur. » El à Joseph : < Vous aurez soin, pour
la sépulture, que tout soit convenable...» El Jo?e 11
même, qui n'était pas connu encore, ne fui soutei.u
et n'eut tant de hardiesse, que par les exhortations
de la mère de Dieu; ce fut elle <|tti le décida à aller
auprès de Pilate réclamer le corps de Jésus... Lé
porlrail IWeé par s.iinl Grégoire de Naziaize , ou
plutôt par Apollinaire, n'e»l donc, comme' les nom-
breux incidents racontés de la Passion par bien des
saints hommes ,ou les récits de saint Anselme, aune
chose que le résultat de pieuses méditations; l'his-
toire véritable n'a rien de commun avec ces opi-
nions, dont quelques-unes toutefois, comme celles
de saint Anselme, pou raient être des révélations de
Dieu , mais que nous n'avons pas à mêler parmi lv»
faits de l'histoire ecclésiastique.».
5f)l
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
59i
de son époux , complaisante pour lui en loule chose,
ainsi qu'il convient, sourde pour tout autre qui ne
saurait être qu'un trompeur, et n'ayant, avec son
guide naturel, qu'une même âme et une même vo-
lonté. Maintenant, au contraire, l'inimitié est par-
tout, la souffrance partout, depuis que la femme a
trahi l'homme et livré l'honneur de l'empire. Une
ancienne injure en amène constamment une nou-
velle, les Urmes découlent des larmes, sans raison
et sans nombre, et le mal, dans la lutte, vient du
mal. Aussi la nature bienfaisante, accablée par son
abaissement, gémit et pleure sur les cohortes infi-
nies des malheurs , sur la succession intolérable des
maux; sans cesse coulent ses pleurs, à la vue de
l'ennemi , au sentir des outrages, sur la souillure de
la première mère, cause de 1 antique chute, et sur
la séduction de ce père, qui prêta l'oreille à son
épouse, et de qui, sur celle terre, nous sommes
tous descendus. Elle crie à la foi jurée, elle en
appelle aux promesses faites et à la main (donnée) ,
elle alicsie Dieu. L'infortunée sait, au milieu des
calamités, combien il est doux de ne pas abandonner
la patrie. Elle liait le monde , et n'éprouve pas de
joie à sa vue. El moi , j'en suis à cet excès de dou-
leur d'avoir la concupiscence de ce monde, et venue
jusqu'en ces lieux, de dire au ciel les maux de la
nature, si misérable, ne cessant de pleurer! dans
l'enfantement, le repos ou l'abstinence. 0 malheur!
c'est moi, moi-même, dont je parle, en parlant de
loi , (ô nature) ! moi qui ai mis au monde, sans en-
fanter , cet Etre supérieur à la raison , moi accou-
chée sans couches, que dire? sans douleur et sans
corruption ! moi ignorante de l'ardeur et du souille
pervers de l'homme, comme l'airain non trempé,
et dont la fleur virginale n'a pas élé ravie! El mon
Fils, comment lui ai-je donné la vie? Chose incro-
yable! Et aujourd'hui comment le voir au milieu
d'un tel outrage? Pourquoi donc, inscienle des dou-
leurs d'une mère , mon cœur esl-il la proie des
angoisses? Pourquoi, autrefois, ai-je tressailli de
joie, lorsque le messager céleste vint m'annoncer
ma conception , signal de la défaite des ennemis du
genre humain? quelle joie étrange transporta mon
âme? Je ne voyais point alors le double sens des pa-
roles du porteur des célestes oracles , et j'avais pleine
foi , en ce qu'il me prédisait en mon Fils, non pas
une victime, mais le roi de la terre et du ciel entier.
Quels iransporis d'allégresse! Quel hymne tout fé-
minin jaillit du fond de mon cœur! quels cris! Mes
profondes aclions de grâces poursuivirent l'annon-
ciateur. J'allumai , pour dévorer les parfums, les
flammes sacrées, el je lis les sacrifices prescrits par
les saints prophètes : vive dévotion, esprit contrit,
ardeur impuissante à contenir ses élans, dans ce
pieux entraînement qui fut accepté comme louable.
Mais comment on malheur si cruel lrouble-l-il au-
jourd'hui mon sein ? J'étais accourue malgré la nuit
pour voir quels maux accablaient mon Fils, et voici
qu'on me conseille d'attendre le jour.
une femme du choeur. Dame, enveloppez-vous vite
dans vos voiles; j'aperçois des hommes qui courent
dans la ville.
la. mère de dieu. Qu'y a-l-il? Annoncez-vous la
présence secrète dans l'ombre d'une bande hostile?
une femme du choeur. Une troupe nocturne ap-
proche en désordre, avec tumulte; c'est toute une
armée dans ces lieux obscurs, qui s'avance avec des
torches el des armes.
la mère de dieu. El ne vienl-U pas quelqu'un
auprès de nous, d'un pas rapide, pour nous donner
peut-être la nouvelle de quelque événement encore
inconnu?
une femme du choeur. J'entendrai son récit, son
message... O vénérable, ô vénérable, ô très-chaste
Vierge, hélas! trois fois hélas! ô vous! si grande
parmi les hommes et sans tache, appelée chaste
oar toits les habiiauKde c>> monde sous toutes 't>s
latitudes! Oh! combien vous êtes malheureuse, vous
si heureuse autrefois!
la mère de dieu. Qu'y a-l-il? qui en veut à ma
vie?
une femme du choeur. Personne ; mais votre Fils
succombe sous les coups des meurtriers.
la mère de dieu. Malheur à moi ! qu'a-l-on dit?
vous m'avez perdue, ô ftmino!
une femme du chœur. Considérez votre Fils cornue
mort.
la mère de dieu. O méchante parleuse, ne fer-
merez-vous point vos lèvres, et ne cesserez-vous
point cesdiscours insolents? Comment? n'avez-vous
pas dit qu'il n'était déjà plus? L'Eternel! Prononcez
des mots sensés, et si vous avez quelque chose à
dire, dites-le en des termes tels que vous n'offen-
siez point Dieu. Mon rejeton a fleuri sur un trône
d'or, et ce serait chose étrange que le sang d'un
Dieu coulai sous la main des mortels! Non! l'Im-
mortel ne peut mourir! Je l'ai engendré , et je sais
comment...
le choeur. Infortunée! vous ignorez vos malheurs,
el vous repoussez el vous discutez nos avis. Mais ,
au lever de l'aurore, vous verrez voire Fils expi-
rant, caries meurtriers ont employé à son jugement
la nuit entière. Et je vois un des serviteurs de vot;e
Fils qui accourt, essoufflé, en toute hâte, auprès de
nous. On lit sur son visage quelque chose de nouveau
qu'il va dire.
la mère de dieu. Que vienl-il nous apprendre!
SCÈNE 11
LA MÈRE DE DIEU, LE MESSAGER, UNE FEMME
DU CHOEUR, LE CUOEUR.
le choeur. Je vois que le messager prend haleine
pour parler.
le messager. Ah! ah! hélas ! illustre, vénérable,
très-chaste Marie! Hélas! trois lois hélas! nous som-
mes perdus, et ce n'est pas comme on croirait;
aucun de nos ennemis...
la mère de dieu. Qu'avez-vous dit? quelles sonl
ces paroles? Eh bien? quoi? quèlïiou veau bruit vous
épouvante ?
le choeur. Vous l'avez entendu , hélas! Vous l'a-
vez entendu! Vous savez que quelqu'un... Quelqu'un
a livré votre Fils aux meurtriers.
la mère de dieu. El qui allez-vous nommer après
ce forfait inoui? Qui est celui-là? Est-ce quelqu'un
de ceux que l'on croyait fidèles?
le choeur. C'est celui qui recevait l'argent, c'est
ce mauvais disciple, dit [le messager], gardien de l.i
bourse, mais bien plutôt avide d'argent, dissipateur
el avare.
la mère de dieu. O désespoir! quel autre malheur,
après ce premier, est lancé sur nous par des mains
crues amies? Eh quoi! ce misérable a osé cel excès
de honte? et dans quel moment infâme a-l-il livré le
généreux dispensateur de tous les biens? quelle oc-
casion ce furieux a-t-il saisie pour son forfait?
le choeur. Ecoutez; on va tout vous dire.
le messager. Ecoulez, infortunée, auparavant si
heureuse; écoulez le cruel récit que je vous ap-
porte.
la mère de dieu. Ah! ah! nous sommes perdus..
J'entends, j'entends... Certes vous êtes un messa-
ger de malheur.
le messager. De malheur cl de vérité ! Comment
m'exprimer? Après avoir mangé la Pàque nouvelle,
selon la parole de Jésus, dans un repas au milieu
des disciples, un grand repas, où fui annoncé, sous
des mots couverts, le trahisscur du Verbe, et à la
lin duquel Jésus lava lui-même les pieds des disci-
ples, il sort, et se rend, selon la coutume, au mont
des Oliviers; là il annonce aux siens que tout est ac-
compli, il les réconforte tous dans leur initiation, el
parmi bien d'autres, il fait celte prière à Dieu ■
592
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
59i
0 Père, donnez-moi la souveraine gloire. Si je ne dé-
méritai jamais de celle que j'ai eue en vous, je\ vais
en acquérir une plus grande, dans la ruine de lennt-
uii du genre humain. 0 vous qui êtes le Maitre de tout,
donnez-moi les nations! Les ayant, et suspendu parmi
elles en trophée opime, je serai de rechef dépen-
dant de vos mains. Plus grand après ces faits écla-
tants, invitez aux festins ceux qui nous aiment. Vous
êtes le Saint, le Saint des saints, vous qui accomplissez
de si grandes choses! El en outre, comme au nom
lit) genre humain, il élève la voix, il allesle la gloire;
sa voix ébranle les airs: Je vous ai auparavant glo-
rifié, je vous glorifierai encore davantage. Les mots à
peine parvenus, sur ce ton de voix inhabituel, aux
oreilles des disciples, il est déjà au milieu d'eux,
auprès du Urrenl, où il se rendait le plus souvent.
Le vendeur n'ignorait pas qu'il était là cette nuit;
il conduit une cohorle de scélérats, de sicaires, qui
annoncent bâillement leurs meurtriers desseins. Il
s'approche en ami vers le Maîlre, lui dit: Salut,
Maître ! et l'embrasse perfidement..
Ci. Hère de Dite. Hélas! bêlas! quelle plus terri-
ble audace lut jamais ! et que répondit mon Fils?
le messager. Ces seuls mots : Ami, pourquoi êtes-
vous venu ! Aussitôt se portèrent sur lui des mains im-
pies. Nous, cependant, nous avions fui, loin de lui,
çà et là. L'illustre Pierre a renié Jésus. Celui qui
seul s»; fui jamais appuyé sur le cœur du Maître, l'a
suivi tranquillement. El moi, j'ai cru entendre une
voix qui, tout bas, apostrophait ainsi le misérable
vendeur de son maîlre: < Oh! Forfait impie! Miséra-
ble! necrains-tu pas Dieu? ne crains-tu pasla loi hu-
maine, et Adam, qui a ensemencé la terre, et les pair ar-
ches de la race élue?Toi, l'un desdisciples, tu couvres
ainsi déboute tous tescompagnons. Le Maître des mys-
léres, hélas! a-été. vendu par loi, pour de l'argent, et li-
vré an trépas entre des mains meurtrières. N'avail-
il pas parlé? Dans son inquiétude pour ton àme, ne
l'avaii-il pas donné lavis de dédaigner ces biens, par
l'ambition desquels tu as causé son malheur? Tu
n'y as fait nulle attention. Eh bien, reçois de brû-
lantes leçons. Ce n'est point chose ignorée pour loi:
son Père est divin. El sans les serments faits à Abra-
ham, jamais il n'eût suhi de (els maux sans colère
et son injure serait poursuivie parmi les hommes.
A*-tu pu cro re qu'il eût souffert de tels outrages,
s'il ne devait en résulter quelque immense profit ?
El dans l'avenir, après avoir quitté celle lerre, re-
monté d'une manière inouïe dans les deux, il gar-
dera en silence son jugement , pour témoigner un
jour au Père comre vous, contre ion forfait, et con-
tre l'audace de ces populaces sanguinaires, ainsi
qu'autrefois le prédit David, à qui rien n'était caché
bien avant que ces faits éclatants fussent accomplis;
ci il remplira loule la lerre du triomphe prodigieux
de la Foi, d'amours immenses et d'innombrables
miracles. Oui ! vous le verrez revenir dans la gloire du
Père, apportant le jugement aux vivants et aux morts,
etdislnbiianl à chacun selon ses mérites. Comment
alors soutiendrez-votis son regard, el loi el les
meurtriers? Et quel juste châtiment ne subirez-vous
pas? Mais encore, avant ce jour, vous paierez sans
doute votre délie, ei selon la justice, à moins de
laver vos mains sanglantes, sur lesquelles lui-même,
— et en ce jour sachez comprendre , — lui-même
ferait couler des torrents... Sans doute, aussitôt
«pie lu seras repu de ion audace, lu en auras cons-
cience ; el avec loi, toute ton exécrable bande.
Désormais donc, si lu veux attendre « allends un
jour encore; et puisses-tu n'être pas frappé des
maux que je crains tanl , el dont je l'ai, dans ce
sermon, révélé les mystères. Eh bien, fuis en quel-
que lieu secret, uniquement préoccupé de loi-même:
|l.e Maîlre] fera son œuvre. Mais toi, selon la jus-
tice, méchant ! lu périras mal, pende à une corde,
lancé dans l'abîme, précipité dans l'enfer , dévoré
aussitôt que tombe dans les gouffres brùlanlsl Dés-
espéré, trahisseur salarié, tu ne veux plus, en
effet, le soustraire à ton châtiment, et lu vas mar-
cher en avant... Telles sont mes prédictions! Non !
la lumière de Dieu ne le verra plus demain, el lu
ne conlcu p!eras pasla résurrection du Rcssusciiaiciir
«les morts, tant est profond ion aveuglement! Libre
encore, libre de quelque puissante résolution, dans
l'abandon de tout, de tomber aux genoux du Maître,
de répandre des larmes brûlantes, lu ne songes qu'à
la corde qui doit seivrà le pendre, et ton âme
égarée n'erre qu'au travers des lacs. Et pourtant,
dans cette désespérance el pour ces desseins, [le
Maître,] dont le regard est arrêté sur loi, ne te four-
nira point d'aide, car il ne peut, quelle que soit sa
bonté, faire œuvre de mort; il ne veut point non
plus faire, malgré toi, ton bonheur, caria force n'est
pas une des lois qu'il prescrit aux hommes, el dans
son âme, il n'y a rien du tyran. Tu vas perdre, brisé,
les entrailles perverses, et tu ne seras pas au boni.
Non, ne le crois pas : el loi el les meurtriers vous
serez soumis à d'autres épreuves. Des maux effroya-
bles que sentira tout ce peuple audacieux, vont acca-
bler, ou morts ou vivants, tous les coupables que
doivent recevoir en dernier lieu les torrents de feu.
TiTs sont les décrets, tel est l'infaillible oracle. Vois,
Judas, l'étendue de tes maux. Pour moi, qu'y nu-
rai-je gagné? L'autorité de la justice; car Dieu lui-
même ne le contraindrait pas à la raison. Le libre
arbitre de l'homme esl à même, en tous temps, de
faire la distinction des choses.» C'est ainsi que parla
l'envoyé au vendeur du Verbe. Etait-ce un homme l
Ou ne sait. J'ai dit. (// se retire.)
SCÈNE III.
LA MÈRE DE DIEU, LE CHOEUR.
la mère de dieu. 0 mère lerre ! Espaces descieux!
Qn'ai-j • entendu? quelle voix terrible? quels r.'cils?
0 mon Fils, peut-être le forfait est-il accompli; ac-
conijli par ce disciple que votre parole mystérieuse
alors désignait sans cesse à vos amis, car vous si'ui,
vous connaissiez le fauteur de vos maux. 0 monstre
d'infamie! Oui, je puis l'appeler ainsi, vo là Ion œu-
vre : la trahison de Ion bienfaiteur! 0 démon, c'est
toi! Et quel autre homme eûl agi ainsi, en eût eu
l'idée, dans sa haine? Oh! périsse le criminel ! La
justice a l'œil sur lui, et ce disciple subira la peine
due à sou infamie! Oh! argentier, quel profit auivs-
(ii lire de les ruses? Vis-lu encore, après ta faute
accomplie? es-tu enfoui dans les entrailles de la
lerre? car lel élait Ion destin, d'être enseveli dans
les abîmes de ce monde, ou anéanti sous les coups
des feux du ciel! 0 crime! ô mal prodigieux, détes-
table! Traître, qui as livré ton seigneur, m'enlends-
lu! Comment as-lu pu l'approcher de lui en ami ?
Tu es venu à lui, lu es venu, avec la haine la plus
furieuse, contre le Père, conlre Lui, contre le genre
humain. Comment l'as-lu nommé? comment as tu
embrassé la victime? De quelle voix parlais-tu, avec
le sacrilège dans le cœur? Et après ce sacrilège abo-
minable, oses-tu encore, ô monstre d'impiélé, veil-
la lumière et la lerre? Ce ne sérail ni de l'audace ni
du courage, ô traître; mais la plus horrible ('es in-
lirmilés humaines, l'impudence. Je garde ton souve-
nir, conlre loi, à la houle, où que tu sois, mort ou
vivant; car j'aurai quelque soulagement à te dire les
vérités. Tu ne m'entends pas, sans doute, mais les
épreuves sont proches, et lu sauras tout, quand lu
seras en face des punitions qui l'attendent. Je ve; x
commencer par le commencement : écoute, Ju< a,
(rémunération) des bienfaits que tu reçus de lui : !!
l'avait tiré des ténèbres de l'ignorance, cl sauve < n
le montrant la lumière du salut'; il t'avait accordé
le don perpétuel des miracles; lu aurais pu, par si
volonté, être encore du nombre de ses disciples, et
assis au jugement des familles de l'universel Israël.
I1 avait mis ions ses trésors dans les main-, aliii que
505
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
S9S
tu ne pusses prétexter de pauvreté. Tu n'as cessé
• ie le voler, et penses tu que ce fût un secret pour
lii? l'ourlant, cet exceMenl Maine, il ne l'accusait
pas. Fm-il mène irrité contre loi, lorsqu'il te con-
inl toiilenûer? Un instant avant ton audacieux sa-
crilège, il lavait encore tes pieds pervers, ei te don-
nait ta par. du pain sacro-saint El c'est après tant
■Je bienfaits r çus. ô le plus pervers des hommes!
qu II l';is ralr, el c'est au prix d.i m uitrequetyi
t'es acquitté de tan: de dettes sacrées si abondam-
ment contra lérfs envers Ui. Si e.;core lu n'avais
pas eu d'argent, peu -être trouverais-tu. dans la cu-
pidité, uaç sorte d'excuse; mais lu n'as pas même
ce prétexte; il n'est pas un mo if qui puisse sortir
de ies lèvres ouvertes, et expliquer ton action. Tu
ne le justifieras jamais, malgré même te secours de
Imite la race des démons, el de toutes les calomnies
dont la terre sera re upfie par eux. Car toute la terre
n'ignore p .s qu'il est le Juste, et à ses œuvres, mus
le connaîtront. Mais la corde de l'avariée, source de
presque tous les maux, l'a I risé la mâchoire, ei alors
»e soûl évanouis les derniers débris de ta foi, déjà
presque enliè. entent dissipée. El c'est sous un tel
aspect que tu oses, misérable! affronter les regards.
Penses tu donc que Dieu, i'Eiernel, a cessé sa domi-
nation? ou cniis-iu follement échapper aux plateaux
»le sa justice? O funeste production! jamais lu nVs
sortie d'une bouche humaine, mais lu as poussé, j'en
suis sûre, sur les racines amères, du diable d'abord,
puis d: l'Envie, du Meurtre, de ta Mort, et de tous
hs fléaux que nourrit la terre. Dir.ii-je que lu fus
jamais un enfant de Dieu, quoique, je le sais, rien
n'existe (pie par sa volonté el sa permission, et que
jamais Dieu ne violente aucune créature sursoit sa-
lut? 0 méchant ! ô pervers! ô affreux meurtrier!
unel crime lu as commis en vendant Ion bienfaiteur!
Ôii ! que c lui en qui j'ai foi , comme le Père du
Fiis, te foudroie el t'auéanl s>e! Meurs, perpeirateur
de boitte, violateur des lois de l'amitié! Ah! lu n'es
pas là pour m'en tendre! Je crache sur toi, el Dieu
l'a en abomination !
O mon Fils, n'avez-vous donc donné aux hommes
les brillantes monnaies d'or, de l'or trompeur, que
comme un moyen de discerner tes méchants, sur le
visage desquels on ne lit aucun signe? Vous qui les
connaissez, vous n'avez pas voulu qu'ils nous fussent
cachés. Périsse, selon voue exa< te justice, périsse
te scélérat! Meurs! meurs! infâme, horrible homi-
i }de, meurs ! Moi, je verrai mon Fils vivant! et si je
gémis ainsi sous les coups des aiguillons du déses-
p ir, désolée, éplorée , c'est (pie je suis mère el
femme, cl comme telle facile aux pleurs (234).
SCÈNE IV.
LLS .MÊMES, UN MESSAGER.
le chceub. Ah! ah! ah! ah! Taisez-vous, taisez-
vous; j ouais plus vous ne verrez voire Fils vivant.
la mère de dieu. Malheur! Pourquoi ces plaintes?
Quelle nouvelle calamité ? Quoi encore?
le choeur. Je ne sais, mais le messager va dire
en peu de mots ce «lui concerne votre Fils.
LE messager. Il csl arrêté, dans un décret (les scri-
be» cl de> anciens, qu'aujourd'hui même votre Fils...
mourra...
lv hère de dieu. O malheur ! le voilà do Kce coup
prévu, trop redouté depuis longtemps, el dans la
prévoyance duquel je la iguissais désolée!
le choeur. Mais, dais quel prétoire, pour quelles
paroles, parmi le peupla hébreu, 1 a-l-ou condamné
cl a-l-on volé la mon '
(23i) M, Magma a signalé les répétitions de récits
ou d'expressions si nombreuses dans ce drame,
comme des preuves de diverses mains. Quant aux
récils, étanl destinés, chacun, à contenir une expo-
sition de doctrine, ils ne se ré; ètenl qu'autant qu'il
est nécessaire pour étie complets. Leur ensemble,
i.a mere de dieu. O femmes, non défaillantes après
un tel malheur, je n'en puis supporter davantage; je
ne me soutiens plus, je vais tomber, je ne me sens
plus, je meurs, je meurs... Adieu, je ne suis plus de
ce monde...
Mais, ô messager, dites-moi à quel supplice a été
condamné mon Fils : sa condamnation porte-i elle
qu'il périra lapidé; te jugement lui aecoFde-l-iLle fer
pour arracher son âme [à son corps}?
le messager. J'arrivais de la campagne aux portes
[de la cité] dans l'in enlion de m'imfonner de votre
Fus, car j'ai toujours eu pour lui une grande ten-
dresse de cœur, soit au spectacle des miracles qu'il
a faits parmi les hommes, soit parce qu'il m'a rendu
la vue. Je vois le peuple coûtant en imite hàle vers
la citadelle. Frappé de ce tumulte, j'Interroge un des
citoyens : « Quoi de nouveau dans la ville? quelque
nouvelle de l'ennemi a-i-elle mis en rumeur la capi-
tale des Héhreux?,i On me répond : < Ne vois lu
pas Jésus, ici près, debout, et en danger de morl. >
Quel spectacle inattendu s'offrit à mes yeux! PbU
au ciel que je n'eusse jamais vu! Jésus, irislç et
silencieux, debout; autour de lui, on eût dit une
meule de chiens altérés de sang, courant de lois
côtés la gueule ouverte. Au milieu de la foule im-
mense des Juifs, te président intimidé, parlant en
ternies vagues, balbutiant des mots incertains dans
sa terreur. El pourtant il s'écrie, dans l'admiration
de votre Fiis, à la vue du calme de son innocence,
et après ses réponses rélléchies à lonies les ques-
tions. Il désapprouve ceux qui, au mépris des lois,
machinent la mort d'un homme contre qui il ne
pouvait découvrir aucuneaccusalioumorlidle.il dix
donc, ildil : « Quel est celui qui venl dire s'il fa ni
que Jésus meure ou non? • C'était pour qu'on le
laissai aller, au lieu d'un misérable voleur détenu
dans les prisons. Tout le peuple crie en tumulte :
« Il faut crucifier Jésus, et inelire hors te coquin de
voleur! » Le président leur paria encore dans te sens
contraire, mais il ne put rien sur la foule, quelque
bon sens qu'il y eût évidemment dans son discours.
il y eut même un homme qui lui riposta, se confiant
sur les acclamations avec une impudente audace. Le
président néanmoins désapprouvait. Mais contre lui
s'éleva avec fureur la foule entière, avec un bruit el
des cris effroyables, déchirant selon le droit la mort
de voire Fils. 11 l'emporta enfin , ce mauvais esprit
qui, an milieu de ces niasses humaines, avait jeté
ce mol : « Il faut que Jésus soit crucifié! » L'aurore
paraissait, la nuit s'effaçait, cl déjà on traînait vo-
ire Fils vers les portes, pour lui appliquer le juge-
ment porté contre ses jours, et en vertu duquel il
doit succomber : car c'est aujourd'hui même qu'il
perdra la vie...
la mere re dieu. Hélas ! hélas ! ces récils ravi-
vent lous mes maux. 0 infortunée ! le voici donc,
sans que le doute mémo soil possible, cet océan de
maux, si profond que je ne pourrai ja nais ni en
échapper à la nage, ni en dompter les flots désas-
treux. Mais tremblé, peuple hébreux, si ce dessein
s'accomplit ! Quel sera le résultat de celle léméiilo
el de celle audace, s'ils vont jusqu'à tenter le trépas
d'un Dieu ? O n'est pas de mon Fils dont je suis
inquiète, car jamais la mon ne triomphera de celui
qui a anéanti la mort. Ne l'ai-je pas engendré? Je
sais comment je l'ai mis au jour, moi qui n'ai pas
subi les douleurs cruelles des enfantements. Je ne
pleure que sur ce peuple en proie aux calamités. Car
il y aura, oui, il y aura une action vengeresse contre
ce "trépas, lenlé par des impies, par l'aveugle envie
et chacune de leurs parties est un historique de la
religion chrétienne. Quant :mx expressions, la répé-
tition constante el systématique des mêmes qualifi-
catifs, de termes identiques, prouve plutôt c;.corc
une même main que diverses factures,
3D7
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
51
el par l'injustice. Hélas ! trois fois hélas ! ce n'est
pas fà le premier désastre causé par l'envie. A com-
bien n'a-t-elle pas nui? Mais jamais elle n'avait
tant fait de mal aux siens, comme aujourd'hui à
celte race hébraïque, qui lui est vouée.
une femme du choeur. Pourquoi ces transports?
pourquoi ces discours? Votre Fils périt, et vous,
vous parlez encore...
la mère de DiEu. 0 femme, dont la voix ne fait
entendre que des mots affreux, ne fermerez- vous
pas vos lèvres ? croyez vous donc que le Sauveur du
momie périsse.
le choeur. Faites quelques pas, et vous verrez
voue Fils sous la croix, subissant l'arrêt porté con-
tre sa vie, et vous direz s'il est vivant ou mort '
SCÈNE V.
les mêmes, le christ passant, mut t.
la mère de dieu. Ah ! à moi ! que vois-je? Des
mains criminelles, ô mon Fils né de Dieu ! vous
emmènent, vous Ira tuent.... Vous, chargé de chaî-
nes !.. Et que ne fera-l-on encore ?.. Vous qui avez
brisé les chaînes de celle innuméraltle famille des
hommes qui en était accablée!.. Ah! ah! quelle
différence avec les premières promesses de l'ange,
cl que j'étais loin de prévoir ce jour, ô mon Fils.
le chœur. Mais ne sont-ee pas là les prophéties,
dans lesquelles lui-même avail annoncé d'avance
sa Passion entre des mains criminelles ?
la mère de dieu. Ah ! (|ue faire? Le cœur me
manque. (On voit passer le Christ, au loin, entouré,
inaccessible.) Où allez-vois, mon Fils, où allez-
vous? que ne puis-je mourir? Dans quel dessein
accomplissez-vous celle course rapide? Y a-l-il de
nouvelles noces à Cana, et y allez-vous pour chan-
ger si étrangement Peau en vin ? Vous suivrai-jc, ô
mon Fils, ou bien vous altendrai-je ici? Parlez,
parlez-moi, ô vous qui êtes le Verbe de Dieu le Père.
Voire silence esl-il du dédain pour votre mère qui
vous a élevé? Je souhaite tant d'entendre en cet
instant votre voix adorée, de vous parler, ô mon
Fds ! Par le Seigneur, votre Père, laissez-moi, ô
mon Fils ! toucher de mes mains votre corps sacré,
panser yos pieds, et vous entourer de mes bras...
(Le Christ passe muet.)
Ah ! à moi, mon cœur est arraché. Venez, amies,
venez. N'ayons plus de crainte. Approchez, entou-
rez moi, parlez-moi, lenoz ma main dans lesvôlre>.
Oh ! que je suis malheureuse ! transpercée de mes
larmes, glacée de crainte. Hélas, hélas ! infortunée!
je suis enlièrement anéantie.
O Femmes, depuis que j'ai vu le triste visage de
mon Fils, je souhaite la mort, et je ne supporte
plus la vie.
Malheur sur moi! que deviendrai-je ? comment
échapper aux mains de ce peuple ? mes ennemis dé-
nouent toutes leurs cordes conuc moi. Je n'ai point
d'asile sur contre leur perversité. Que faire donc?
que faire ? comment échapper à tant de lacs ?
une femme du ciioeur. Je ne sais, en vérité, très-
ci. ère sœur; j'ai peur aussi, el des larmes brûlantes
coulent de mes yeux. Suivez le Christ par derrière,
avancez sans bruit; marchez ver» le danger, avec
l'héroïsme de votre grand cœur, el nous vous sui-
vrons d'un pas tremblant. Car une troupe furieuse
oourl autour de lui, et il ne faut pas être trop près
de ces masses égarées. L'àme de ces hommes en-
gourdie, leur haine supporteraient mal notre pré-
sence; entêtés, sanguinaires, impétueux dans leurs
passions, tels, dans leurs mœurs sauvages, leur es-
prit el leurs idées, que les barbares. J'ai peur que,
d 'lis quelqu'une de leurs mobiles impressions, ils
ne vous accablent de quelque calamité plus terrible.
Plus mon regard s'arrête sur eux, plus je redoute
que quelque épée aiguô ne perce le cœur de Jésus,
eiqu'ensuile vous ne soyez sous le coup d'un mal-
heur imprévu <t pins affreux, le corps Bangl ni tic
iiS
votre Fils gisant sur la voie publique. Un peu à I e-
carlde ces scélérats, regardons les forfaits atroces
de cette race cruelle. Allons donc, allons jusqu'à ia
forèl.
la mère de dieu. Vous avez raison, vos conseils
ne sauraient déplaire à personne ; quittons ces lieux,
selon votre avis.
(Elles se mettent en marche.)
SCÈNE VI.
LES MÊMES.
le choeur. C'est d'ici que, comme d'un beffroi,
nous allons tout voir, cachées dans celle ombrp.
la v.ère de dieu. O malheureuse ! infortunée !
verrai-je mon Fils dans ces tourments douloureux,
el descendre ainsi au tombeau? El j'ai fui loin de ces
hommes, sous la crainte du mal ! Mais quelle joie
altends-je donc encore dans celle vie? Oui ! oui ! que
je meure à 1 instant, s'il ne m'est pas donné une
glorieuse vieillesse, jusqu'au jour (el ce jour, j'y
compte.) où mon Fils ressus ilé d'entre les morts,
assemblera tous les peuples pour les juger.
Ces Hébreux, si avides de sa mort, sont ceux de
sa race; c'est-à-dire de ma race, à moi, mère déso-
lée, el non de celle du Père, dont le Verbe a élé fait
homme, et que j'ai mis virginalement au monde,
par un mystère supérieur à la raison humaine, et
sans éprouver les douleurs cruelles de l'enfantement.
Oh ! j'ai la foi, j'ai la foi, malgré mes gémissements,
el malgré ma faiblesse à la vue de sa Passion : je
l'ai engendré, je sais comment je l'ai engendré, quoi-
qu'il me soit impossible d'en expliquer intelligiblement
les mystères. Il faudrait pourtant, à l'approche du
malheur, dénouer ma langue. Aussi vais-je raconter
d'abord les premières sensations maternelles de ce
corps encore vierge, ignorant de la volupté, de ses
lermeseldeses peintures, loin desquelles mes regards
étaient écartés par mon âme virginale. J'en atteste
celui qui sait tout clairement ! Je ne laissai jamais
les sentiments mondains envahir mon cœur. S'il n'en
est pas ainsi, que je périsse dans la honte et l'infa-
mie; que mon corps soit rejeté par h mer, la terre
el le ciel; que mon àme soit repoussée par les mains
de mon Fils qui souffre là; lous mes vœux brisés,
mon espoir anéanti, el ma lèle confondue ! Telle
j'étais... mais je ne puis, au milieu de mes lara es,
m'arrêter plus longtemps sur ce sujet; j'en ai dit
assez. Ah ! coulez, mes pleurs, sur les maux dont je
suis accablée, incertaine de ne pas sentir encore le
poids de revers plus funestes !
Je veux pourtant raconter les temps heureux de
ma vie, pour inspirer de mes maux une pitié plus
grande. Ignorante des hommes , vierge , je ne
connaissais que les devoirs d'une femme obscure.
Dieu m 'accordant abondamment les dons et les tré-
sors de sa grâce. Ainsi, les calomnies fondées ou non,
comme c'est toujours une cause de mauvaise renom-
mée que d'être souvent au dehors, je rejetais loule
envie de sortir, et je restais assise au foyer domes-
tique, dont j'écartai* les vains bavardages des voi-
sines, forte de la purelé de men cœur, el me SulK-
saut à moi-même. Instruite des avantages de la
modestie, du bon renom qu'elle répand autour d'elle»
je donnais l'exemple du silence el d'une humeur.
toujours égale. Je savais comment me distinguer de
mes compagnes, et non moins comment el dans
quelles choses elles l'emportaient sur moi. Mon mari,
me recevant pure des mains de Dieu, me laissa
vierge aussi et sans tache. Ce ne sont point là de vaines
paroles : les événenemenls vont en prouver la vérité.
Ce fut alors que je devins l'épousée de Dieu... Mais,
me direz- vous, commeul eûtes-vous un Fils ? aucune
femme ne pourra jamais dire qu'elle enfanta comme
moi...
le chœur. Excellente dame, Irès-cbastc Vierge,
nuits savon* que vous êtes la seule mère sans .jtQJ Itj
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PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
600
el sans époux, parmi toutes celles qui vivent ici-bas.
La main de l'accoucheuse qui n'eut rien à faire,
témoigne en faveur île voire divin enfantement. Un
ange vous am onça la conception d'un Dieu. Les
•einres de ce Dieu, déjà connues, sont supérieures
à l'homme et ce sera chose incroyable s'il subit des
tourments corom^un des mortels.
la mère be dieu. Bien dit, s'il plaît «à Dieu que de
t -lies faveurs soient accordées par lui aux hommes, car
pour eux il est le remède unique de la mort et l'unique
moyen de délivrance des maux dont elle lesaccahle.
El je veux vous montrer la grandeur de ceci :le Verbe
qui instruit les hommes a habité en moi, et il ré-
pand sa grâce. Quand l'homme eut été formé de
Inue par le Créateur, placé dans le Paradis pour en
cultiver les plantes, dans le dessein de l'introduire
au ciel, et que le serpent l'eut rapidement, parla
faute maligne de la femme, chassé du Paradis et
éloigné des d'eux , le Fils imagina de prendre vie,
quoique Dieu, dans le sein d'une femme, de devenir
homme tout en restant Dieu, et de renverser à ja-
mais par son sacrifice, le destructeur du genre hu-
main écrasé sous son pied.
Croyez-en mes paroles, ayez la foi, et considérez
«*omme un Dieu celui qui est venu sur la terre pour
montrer aux hommes le chemin des deux. Rendez-
lui hommage, célébrez-le dans vos chants et bénis-
S'z-le. Car on le verra une autre fois sur la terre; il
va sortir du tombeau, comme d'un lit, et monter
ensuite au ciel, selon ses prédictions et les prophé-
ties antérieures.
J'en ai l'espoir et la certitude. Sans doute, par-
tout où l'on peut le trouver encore, je puise l'espoir
qui me soutient; mais, non, mon esprit ne me
trompe pas : quelque grand honneur m'attend. Con-
s liante pensée! et quand l'espoir sera devenu certi-
tude, quelle joie! Ainsi, accablée de maux, jecompte
sur un prochain avenir, mais le chagrin domine
mes espérances.
le chœur. 0 glorieuse femme, 6 excellente Vierge,
à qui il a élé donné de porter un Dieu dans ses
lianes! ainsi que vous l'avez dit, vous avez annoncé
l'avenir, mais jetez les yeux sur le présent. Nous
vous savons plus sage qu'aucune autre femme , et
dans la sagacité de Votre esprit, capable de prévoir
la fin de ces choses, si pleines de mystères, si inin-
telligibles pour toutes les créatures humaines, sauf
pour vous , ô Mère de Dieu !
la. mère de dieu. Oh 1 que je suis malheureuse!
combien je suis ahreuvée de douleurs ! Je connais
l'étendue de mes maux , mais sais-je comment en
soutenir le poids ?0 stupeur! Lui! élevé sur la croix!
Je le vois, il va mourir, et de bonne volonté! Mal-
heur à moi! Hélas! ah! ah*
le choeur. Qu'y a-l-il? que faites-vous? Vous qui
avez supporté tant d'épreuves déchirantes?
la mère de dieu. Est-il une consolation dans mon
affreuse situation actuelle? En est-il une' Je ne sais.
La mort peut-être, immédiate? Je l'espère, je la
souhaite. Un seul jour, pas plus d'un jour, afin que
les ennuis dont je suis accahlée, aient une fin. Oui!
ô mon Fils bien-aimé, ne m'abandonnez pas seule
ioi-bas.
une femme du choeur. Ah! ah! vos lamentations
me troublent : tantôt vous prophétisez en remplis-
sant de crainte mes oreilles, et vos paroles m'em-
plissent de terreur, et tantôt vous relevez mon cou-
rage, mais par des paroles bien obscures...
la mère de dieu. Vous n'avez pas longlen ps à
attendre le terme de vos espérances.
SCÈNE VII.
LES MÊMES, PS AUTRE DEMI-CHOEUR , UN
disciple porteur de nouvelles.
use femme; du demi-chœur. Jamais, sans doute, je
ne mis le pied dans un vaisseau, mais j'en ai vu des
images et j'en ai ouï parler": quand l'orage est en-
core peu violent, les matelots se précipitent au tra-
vail, pour leur salut, tel au gouvernail, tel anx
voiles, tel autre à la cale pour épuiser l'eau; maïs
quand les mers, violemment soulevées, sont in-
domptable-, ils cèdent au destin , et s'abandonnent
aux violentes et capricieuses impulsions des flots :
et moi, de même, dans ce malheur terrible, à ce
spectacle, je reste silencieuse et n'ai point de paroles
sur la , lèvres. Caria fureur des flots triomphe, comme
s'il ne s'agissait pas de Dieu même. Mais plaise au
ciel que la certitude et l'espoir vous soutiennent, ô
D;mie toute-puissante, Mère du Seigneur!
Mais... la parole appelle la parole : qui vois-;e
encore accourant en ces lieux. Ah! ah! il approche»
je le vois maintenant, le visage sombre et en pleurs...
le messager. Dame Vierge, dame Mère du Dieu
Verbe, n'ayez point de colère contre moi. C'est
bien malgré moi, et pourtant avec zèle, que je vous
annonce, après les premiers, d'autres malheurs en-
core.
la mère de dieu. Qu'y a-l-il donc pour que vous
commenciez par ces funestes mots?
le messager. O dame Vierge! comment nf • x-
primer? comment vous parler? Je vous apporte un
récit rempli d'ennuis pour vous, d'une tristesse Vio-
lente et a'amères douleurs. O vénérable jeune fille î
ô très-chaste Vierge! combien je vous plains, moi,
misérable disciple, fidèle au Mail e pourtant, et
l'ayant vu souffrir.
la mère de dieu. Qu'y a-t-il? m'annoncez- vous
quelque nouveau forfait commis par les Hébreux?
le messager. Votre Fils n'est plus; c'est-à-dire
c'est à peine si, un instant encore, il voit le jour.
la mère de dieu. Comment? qu'avez-vpns dit?
que savez-vous? Parlez, parlez! De quelle mort
meurt-il? C'est bien du Christ que vous parlez, du
Fils du Père éternel? 11 y avait lieu de croire qu'il
pe serai! pas tributaire de la mort, en délivrant
tout le peuple d'Israël.
le messager. A peine avait-on passé les portes de
la capitale decepaysde Salomoa, et était-on parvenu
au Calvaire que la tourbe de scélérats q"ni entraînait
mon Roi, se mit précipitamment toute entière au
travail pour fixer droite dans le sol la plus haute
croix, et Jésus fui en un instant élevé dans les airs.
Non moins vite furent tirées, tendues, clouées ses
mains sur le poteau transversal, et cloués ses pieds
sur le poteau horizontal. Le Seigneur ainsi suspendu,
les uns lui enfoncent sur la tête une branche d épines
arrondie, avec le désordre de l'escalade d'une tour;
d'autres pressent sur ses lèvres une éponge trouvée
là, plongée dans de l'hysope et du fiel mélangés.
Ceux dont les oreilles n'avaient jamais compris ses
enseignements ou qui ne virent jamais ses miracles
parmi les hommes, étaient les plus hardis, approu-
vant de la tête et se frappant la poitrine dans leur
ignorante stupidité. Quant à moi, ayant suivi le
Seigneur, je m'arrêtai à l'écart, en un lieu fourré
d'arbres touffus, immobile, muet; j'ai tout observé,
tout vu , sans être aperçu par celte perverse el san-
guinaire bande. C'est de là que je vous ai aper-
çue céans debout el eu pleurs, et je suis venu vous
apporter ces funestes détails.
la mère de dieu. O malheur à moi! malheur! ah !
ah! que faire? Le cœur nie manque. Comment,
comment je vis encore el je supporte ces recils! el
comment, dans mon extiême accablement, pour-
rais-jc supporter la vue de ces supplices? Allez, ô
femmes, ô lilles de Galilée, saluer Jésus el suivons-
le hors de ce monde. Venez, mes filles, venez! Ban-
nissons toute crainte.
le cnoEUR. Mais ne rcculcrez-vous point devant ce
peuple, dans la crainte des lourmenls?
la mère de dieu. Et par quelle horreur pourrais je
encore être arrêtée? Allons donc, allons, que la peur
soit chassée loin de nous. D'ailleurs, quel bienest-co
60 f
pas
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
602
pour nous île vivre davantage? Marchons enfin , je
vais assister au supplice de mon Fils.
SCENE VIII.
i
fcES MÊMES, LE CHRIST.
la mère de dieu. Hélas ! hélas ! ô femmes, je ne
vois pas la joie sur le visage de mon Fils : comme il
est pâle! sa beauté s'efface...
O femmes, depuis ce triste regard de mon Fils,
j'envie le trépas et je suis lasse d« la vie. Relirez-
vous, retirez-vous, je suis lasse de la vie...
O vous, qui n'avez été que pour le bien universel
des hommes, ô mon Fils bien-aimé, quelle justice
vous frappe de ces maux? De quels péchés subissez-
vous les peines? Vos mains sont pures, pures de
sa ig. Vos lèvres sont pures; vous êtes entièrement
pur; pur est votre front et plus pure est voire âme;
vo.re cœur ignore le mal. Et c'est vous que je vois
pendu entre des larrons! Ce ne sont point vos en-
nemis qui dans leurs recherches vous ont surpris:
un ami, un disciple a accompli votre p»r:c, et vous
l'avez hien voulu : celui-là, vous l'aviez désigné aux
vôtres à propos d'un pain; vous avez voulu épargner
ce misérable, et pour l'anvcherau mal, vous l'aviez,
à son insu, entouré de vos filets. Mais comment le
Père, dont la grâce vous a envoyé sur la terre, a-
l- il voulu que vous fussiez sous le joug d'une mort
si ignominieuse! O calamité! de quel forfait ne suis-
je pas témoin? Crime intolérable et inouï! ah, je
meurs! ah! ah! mon Fils! quelle inique mort ! ah!
ah! Je le répète, combien vous êtes injustement mis
à mal, non pour vos péchés, mais pour effacer les
souillures et les fautes de la 'première femme. Je
sais, je vois tout, mais je ne trouve point de mots
pour parler, et pourtant ri n ne m'est inconnu des
résultais de tout ceci. Mais le désespoir surpasse
moull en moi l'espérance; et quoique j'éloigne de
mon àme l'idée d'un malheur, mes gémissements
sont innombrables, mes yeux sont pleins de larmes
brûlantes; sans doute parce que la femme cède ai-
sément aux soupirs et anx pleurs.
le christ. Voici, ô la meilleure de toutes les
femmes, voici votre nouveau fils vierge. El \o:;s,
ô disciple, voici votre mère Vierge. Eh quoi! ô
femme! eh quoi! vous pleurez. Vous détournez les
yeux et vous pleurez. El vous êtes là, pleine de
trouble, dans cet heureux moment, et vous ne sou-
tenez pas avec ardeur ma mauvaise fortune. Tout
ce qui se passe est conforme aux prophéties , soil à
mes propres prédictions , soil à celle des prophètes.
Le temps esl venu de la défaite de l'ennemi de
I'. omme. Pourquoi donc pleurez vous encore sur
votre Fils?
la mère de dieu. Non, c'est en pensant à ce
fieuple, c'est en rappelant en moi toute la force de
a raison et supérieure à mon malheur, que j'ai
pleuré, et que je pleure encore, mais sur ces
hommes, à la prévision des calamités qui menacent
ceux qui vous oui suspendu à cettecroix.ô mon Fils;
et je suis prête à tout événement, quoique la tris-
tesse domine encore en moi sur mon ferme espoir.
Oui , quelque terrible qu'elle soil pour la nature,
vous, vous dompterez et vous écraserez aisément
la mort, et bientôt ressuscité , vous prendrez ven-
geance de vos ennemis. Mais la lenune est d'une
essence prompte aux larmes -.c'est pourquoi je gémis
encore, et transpercée de tristesse, désolée, je
pleure. Je suis pleine de (m ce assurément, et néan-
moins je succombe en perdant voire présence vc-
l* réc. Oh ! Combien esl rude ce coup , qui triomphe
de mon espoir et terr.ssc mon àme! Oh! je meurs,
la faveur de la vie ne m'est de rien, cl j'envie la
mort , ô mon Fils! abandonnée, exilée dans mon
affliction; ni mère, ni frère, ni parenls; personne
pour me conduire au poil dans ce naufrage; ah ! si
je ne vyus revois bientôt, ô mon Fik! comment
soutenir la vie? Non, non, ô mon Fils bien-aimé ,
ne me laissez pas seule ici-bas.
le christ. Ayez confiance , j'aurai garde , et vous
êtes plus en paix que jamais : fiez-vous en Dieu;
vous ne pouvez juger encore de la grandeur de ces
événements. Je vous accorderai tics dons tels que
rien ne sera au-dessus de vous , ni au ciel , ni sur la
terre, ni parmi toutes les choses crées; et je
vous accorderai celle grâce en laveur de bien des
hommes.
la mère de dieu. J'ai foi; vos paroles ne me
trouvent pas incrédule; elles sont toutes bienveil-
lantes pour moi , je le vois bien. Je vous ai enfanté,
et je sais comment je vous ai enfané. Mais ma dou-
leur est plus grande que vos révélations. Oh ! je
vous en supplie par cette salutaire Passion , qm
délivre du mal la race humaine ! autant qu'il soit
possible à une mère, je me prosterne à vos pieds ,
ayez pitié! ayez pitié de mon malheur! ne me lais-
sez pas , abandonnée, privée de vous ! Donnez-moi
l'hospitalité dans les régions où vous demeurez. El
si vous n'avez point porié dans votre propre cause
un jugement trop rapide, si vos vœux , par la puis-
sance du Père sont accomplis à vos souhaits, faites
que je vous voie, après voire trépas, le troisième
jour, ressuscité d'entre les morts , selon vos pré-
dictions à ceux qui vous aimenl. C'est ainsi , ni
effet , que toutes choses seront pour moi plus assu-
rées, et que, bienheureux Fils avoué du Père bien-
heureux , vous serez célébré dans les chants de
toutes les créatures.
1 Sans doute je ne traînerai pas longtemps ma triste
vie, mais celte tourbe de scéléials sera punie pour
le meurtre du Seigneur de la terre et du ciel. Ses
forfaits seront frappés des maux réservés aux sacri-
lèges. Mais, sans souci d'eux, j'ai crainte pour
leur postérité! Ah ! que leurs cnfanls ne subissent
pas la peine des pères et n'expient point ce memtre
impie! El vous, ô mon Fils, lumière née de Dieu,
éloignez, adoucissez , repoussez la mort, loin au
moins des débris d'une famille aimée...
le christ O femme, j'accueille vos paroles ; cl je
ne m'élève contre aucune. Pour beaucoup de raisons,
je suis prêl à vous accorder la grâce que vous sou-
haitez; vous n'attendrez pas en vain. Je vous
aiderai , du haut des cieux , dans ce dessein , et voua
ferez l'épreuve d'une fortune contraire devenant
cause de félicité, quand vous aurez passé ces der-
niers et lamentables moments.
la mère de dieu. Ah ! combien voire cœur est
généreux et bon! O mon Fils , dans quelle calamité
vous êtes tombé , et pourtant voire âme supérieure
s'appartieul tout entière. Quels soins n'avez-vous pas
sans cesse de moi? C'est en y réfléchissant, que j'ai
reconnu ma suprême imprudence, et ma vaine
tristesse , et mes inutiles préoccupations sur mon
propre sort.
SCÈNE IX.
LES CHOEURS, Là MERE DE DIEU, LE CBRIST.
le choeur. Ah ! Ah ! j'entends le bruil de sanglots
déchirants, j'entends .une voix, j'entends des cria
lugubres. Qui esl- ce qui implore Dieu dans le plus
profond accablement?
la mère de dieu. C'est l'illustre Pierre qui ap-
proche, d'un visage désolé, mouillé de larmes,
contrit, invoquant Dieu comme un grand coupable.
Vous pleurez, Pierre? Voire conduite fut condam-
nable sans doute, mais vous pourrez néanmoins
trouver grâce ici. O mon Fils, ô bien-aimé , ô Verbe
de Dieu ! pardonnez! L'homme est coulnmier du
péché, ô mon Fils, el Pierre n'a fui la loule que
par crainte.
le christ* O Vierge-Mère, supportez le poids de
vos maux el retirez-vous. Je remets à Pierre sa
faute, à votre prière, et :e cède à vos inslan es , à
cause de voire piété et de votre bon cœur. Quant à
603
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
m
ce qui nous concerne, vous et moi , qu'il n'en soil plus
question. Les larmes m'arrachent bien des pardons ,
et dénouent les chaînes de ions les pécheurs. El je
vous le «lis en vérilé : n'avez point d'inimitié contre
per onne , pas même contre ceux qui m'ont inique-
ment cloué sur celle croix.
la mèhe de dieu. Hélas! combien votre âme est
toujours pleine de douceur! au milieu même de
votre Passion . vous êtes sans colère contre les
bomnvs , sans colère même contre ceux qui vous
ont cucilié. El pourtant, ô mon Fils, qui giippor-
teiait'le choc de voire ire, ou qui soutiendrait votre
indigna lion ?
le christ. Retirez-vous, retirez-vous en ce mo-
ment du milieu de ces hommes ennemis, dont vous
venez île me p rler ; pour les mis, loul est accom-
pli , j'aurai mémoire de certains , et ici , je vous laisse
le soin de ces détails.
SCENE X.
LE CïlOEUR, LA MERE DE DIEU
n mere de dieu. Tout esl accompli, à ce qu'il
semble! Ob'. eue je suis malheureuse!...
Ah! ah! quelle terrible parole ^vez-vous pro-
noncée, 6 vous, louie douceur, et votante de l'âine !
De quelle amertume avez-vous «lé abreuvé dans
vot-e soif? El vous avez répété encore combien vous
avi z soif!
le choeur. Quels bruits enlends-je. qui me glacent
d effroi? De quoi pleurez-vous, à celle heur»;? Je ne
puis !e deviner, el je voudrais l'apprendre de vous.
Parlez dmie, jetez vos reg.uds de mon côté. Ah!
quels malheurs! El «;uoi? voire regard esl sans vie
ei votre visage sans couleur?
t.A mère de aise. Silence , femmes ! Nous sommes
perdues. Baissez la voix. Je veux interroger mon
Fils. Je le vois, la morl esl dé.;à bien proche de lui.
Je vois sa lêle vénérés qui penche, ella voix lui fera
L.eiilôl défaut, même pour peu de paroles...
.SCÈNE XI.
LA MÈRE DE DIEC.
la mère de dieu. Grand Dieu! que vois-je? 0 mon
Fils, je vols votre corps devenu ia proie du irépas.
Chose étonnante, merveilleuse!
A l'instant , il a jelé un cri vers son Père , ei les
entrailles de. la terre ont été ébranlées de cène voix
immense; l'univers entier même, rempli de celle
clameur, en a redil h s terribles échos. To s ceux
qui le regardaient se soni semis impuissants à tenir
les yeux fixes sur lui...
iJe voici donc celui que je voyais^en ce moment
même, el qui si peu avant vivait encore. On! que
vous esl-il arrivé? Comment avez-vous péri , ô mou
Fils? Je veux le tenir de vous; car l'âme humaine,
dans son avidité de tout connaîlre, se surprend à
désirer même la connaissance du malheur!
llelas! trois fois hélas! combien ces choses son'.
autres que celles que j'attendais. Ali! ah! que de-
viendrai-je? le cœur nie manque.
O lemmes, ce n'est plus le pur visage de mon
Fils que je vois; comme il esl pâle; sa fr.ip-
panle beauté esl altérée. Spectacle affreux ' horreur
«lu contact de la mort! quels avertissements! les
astres en deuil, la terre ébranlée dans ses profon-
deurs, les rochers se brisant! Allez , allez , je ne
puis le voir davantage ! je cède à mes peines, fui
été avertie pourianlde >e qui allait arriver; mais
mon désespoir triomphe en moi de l'espoir de la
f„i ..
O Fils du Roi suprême, est-ce donc vous qui vi-
sitez aujourd'hui, dans les ahimes habités de l'en-
fer, toute la li0née anéantie de nos pères ? Comme
vous nous avez vile quilles, las déjà de la vie? Cel-
les, jama's la mort n'eûl eu raison de vous, si,
d'avance, vous n'eussiez remis voire csprii aux
mains du Père. J'ai entendu, j'ai entendu les paroles
du Père. Pourquoi le Père vous arrache-l-il à la
terre? quel dessein a-l-il dans votre mort ignomi-
rieuse? Pourquoi vous-même abandonnez -vous,
seule ici-bas, votre mère qui vous engendra? Mal-
heur à moi! ô mon Fils! je veux mourir avec
vous.
Vous mort, quelle cité m'accueillera ? Quel hôle
m'ouvrira, dans un coin inaccessible de ce inonde,
une reiraiie paisible, et protégera mes jours défail-
lants? Personne. Aussi je vous allends dans peu,
aux premières lueurs des astres de ce troisième jour
que vous-même, dans vos enseignements, avez mar-
qué pour voire résurrection. Voilà ma foi, et l'es-
poir que je nourris ! Car, à vous voir ainsi expiré,
el penchant sur cette croix, je suis plus inquiète, à
cause de votre absence, de mon son que du vôtre.
C'est moi qui suis frappée de la mort par voui.
plutôt que vous n'en êtes vous-même la proie. O
heureuse , ô mon Fils, si j'étais morle en voire
lieu! Je suis accablée du irépas, ô mon Fils, il ne
m'esl plus de goùl pour la vie! Ah ! déjà mes yeux
sont envahis parles ténèbres, je succombe el j'as-
pire aux entrées des enfers. C'est sous la terre, sous
la terre, dans l'horreur de l'obscurité, sortie enlin
de. celle vie, que je guette un asile* si voire vue
m'est ravie. O malheureuse! quelle douleur je res
sens, intolérable, inouïe. Certes je ne suis plus.
Mais comment, muet, l'ouïe éteinte, me viendra-
l-ilen aicie, ô mère accablée de maux ! C'est donc
en vain, ô mon Fils, que je vous ai élevé, vous qui
donniez si largement la nourriture à tout le monde;
en vain j'ai supporté bien des faligues, je succombe
aujourd'hui sous leur poids, après avoir fui loin de
ceux qui machinaient votre mon, ô mon Fils, depuis
votre naissance merveilleuse el votre berceau...
Non, non, loin de moi ces pensées, malgré mes
plaintes el mes pleurs. C'est moi qui vous ai engen-
dré el je sais comment je vous mis an monde. Sans
doute, quelquefois, Ô infortunée! j'avais londé en
vous* de suprêmes espérances: nourrie par vous
dans ma vieillesse, et ensevelie avec honneurs par
vos mains apràs ma mort; espérances précieuses
pour les humains. Mais, néanmoins, ce doux espoir,
ô mon Fils, n'est pas anéanti par voire mort...
O parole si suave, cause de tant de douces émo-
tions pour moi, ô visage bien-aimé, ô beauté inef-
fable, si désirée, telle que les hommes n'en avaient ja-
mais vue, image inexprimable d'une forme insaisis-
sable, quels sombres traits n'avez. vous pas en cet
instant :.je ne puis tenir mes regards sur vous! Eh
quoi! vous êtes sans voix? vos lèvres closes! Don-
nez-moi un mol, donnez-moi une consolation.
Parlez un peu à voire misérable mère, ô mon
Fils.
Certes, ô mon Fils, jeconnais mon Dieu, ella mort
cruelle que vous avez subie, celle morl me dole do
l'immortalité; elle m'enrichit de la gloire éternelle;
elle est la joie la plus grande du génie humain tout
entier.
SCÈNE XII.
LA MÈRE DE DIEU, SAINT JEAN.
saint jea.n. Ayez du courage, Darne de tous,
même dans l'ardeur de vos larmes. C'est de son
gré, de sa volonté même que Jésus a subi la morl;
c'est pour dompter la mort qui dévorait loul et
pour en venger les hommes. 11 esl le Seigneur, cl
l'universel bienfaiteur. Et pour recuire dans un vase
d'or celle mienne enveloppe matérielle, sa sagesse
prévoyante m'a miraculeusement rénové. Ainsi,
après avoir savamment effacé sur ma sombre vieil-
lesse la vieille tache de la perdition humaine, il me
montrera loul éclatant d'une aimable jeunesse!
Tue vieillesse tunesle nous accable tous encore, el
je suis loul courbé sous le poids du mai amï>p'.<v
co;
l'A S
DICTIONNAIRE I ES MYSTEUES.
PAS
106
des failles originelles, et de h» séduction de la pre-
mière mère. Mais lui m'a promis la (in de mes maux,
il rappelle à lui ma mère antique, et ce lieu, et ces
demeures, perdus par une trahison, et d'où, après
avoir cédé aux conseils de la bêle mauvaise, Eve
tomba sur celle terre, cause de tant de soupirs,
avec son mari, eu qui elle lut de suite sa condam-
nation. Insivii t par la misère, l'infortunée mesura
L'immensité de la perle de cette lerre féconde, sa
première habitation. C'est pour nous que le Christ
annonça dès l'abord sa Passion volontaire; il a subi
la mon de son gré; il doit, le tr isième jour, sortir
du tombeau ei apporter uni immense joie àj ses
disciples aimés. Toutes ces choses qu'il savait dès
longtemps, il les a répétées sans obscurité. Déjà tous
les f.iils annoncés se sont produits, il n'y a plus à
attendre que le jour de la joie; nous l'attendrons,
et il viendra, «elon ses pré. Initions; après avoir ré-
vélé le malheur avee tant d'exactitude, il nous don-
nera sa joie splcndide au troisième jour. Vous n'i-
gnorez pas le dernier mol de ces événements. A
cau>e de vos Minois et de vos chagrins, vous serez
l'Objet du culle le plus pieux sur la terre élan ciel;
l'univers entier sera rempli île l'éloge de voire il-
lustre mission; et des temples vous seront dédiés
parlons les hommes. Bientôt, à cause de eemenrir.;
épouvantable, des tètes vénérées seront célébrées
dans ces lieux, cl ce p.iys de Jérusalem sera devenu
la Terre sainte... Il ne faut donc pas pleurer trop!...
Ainsi, ô Dame, contenez vos gémissements exlrè-
uios, ne levez plis les yeux vers le ciel, comme pour
vous arracher à la terre, ne versez plus ces pleurs
abondants, Jusques à quand lien liez-vous voire
front courbé, en arrosant le sol de vos larmes ? Plus
hùre du regard vengeur du Dieu qui voit tout et qui
va von* apporter tant de joie, c'est sur lui, sur lui
seul que vous porteriez vos yeux. Vous savez ce-
pendant, Viius n'ignorez rien. Ces premiers- jours
v.uil être suivis d'un é hlauldénouemeni, d'un jour
de joie. C'est cel unique jour à venir qu'il faut at-
tendre, alin d'alléger voli e chagrin, dont je suis moi-
même troublé.
i.v mère de dieu. Vous êtes Un autre fils pour
moi, 6 disciple-vierge, selon la parole de mon Fils
unique! Vous possédez lotis les mystère*. Qif est-il
nécessaire de vous raconter comment je l'ai engen-
dré sans engendremenl, et mis au monde sans «Init-
ie irs, échappant ainsi aux dures souffrances des
couches; et le mot de l'ange qui m'annonça le Fils
de Dieu ; el toutes ses actions qui ne sonl que d'un
D.eu...
M lis comment, comment supporter le spectacle
de ce corps nu, tout attaché à ce bois ? Est-ce donc
là celui qui a élevé la lerre au-dessus des abîmes
des mers, pour qui disparut la lumière du soleis re-
plié sur lui-même, el s'obscurcit de ténèbres l'éclat
de la lune, cl se rendirent les rochers épouvantés,
el s'entrouvrirent les grands monuments, en signe
de la puissance du Créateur expirant.
saint jfan. ODame très-puissante, Mère du Verbe,
moi-même, je suis dans la stupeur et je supporte à
peine cet horrible spectacle de la mon de ce Dieu,
qui d'un souffle rendait la vie... J'ai de fréquents
gémissements el je verse des larmes anières, mais
"espoir vil en moi el je contiens mes soupirs. Par
je ne veux point montrer de doute dans la parole de
mon Seigneur! Le troisième jour, ce jour si beau,
si splemlide, il viendra justifier nos plus chères es-
pérances : que ce jour ne nous trompe point, el
puissé-je mourir!
i.a mère de dieu. J'entends bien , et non sans
vous comprendre ; dans ce troisième jour, son corps
sacro-saint doit èire arraché à la corruption. Mais,
aujourd hui, ne suis-je pas dans un jour ennemi?
Mon malheur n'est il pas aussi grand qu'auparavant
mon bonheur? C'csl (pie la vie humaine, n'est qu'un
vain fantôme ; et je le (lis avec conviction, les sages
ici-bas répuiés tels, les chercheurs, les orateurs ha-
biles, devraient être tous jugés et traités comme
coupables, nul n'étant, en effet, heureux dans les
conditions de ce monde : les richesses affluent, tel
est plus célèbre que son voisin ; mais de vrai bon-
heur? point,
SCÈNE XIII.
LES MÊMES, LES CHOEURS.
une femme du demi-choeur. De lotîtes les créaiures
animées el Années d'une Aine, nous, femmes, noiis
sommes les plus misérables; car, après les avoir mis
au monde, nous voyons mourir nos enfants. Oh!
j'aimerais mieux mourir irois fois, qu'aines avoir
enfanté, de voir le trépas de l'enfant que j'aurais
nourri! Mais entre vous el moi, quel aln'me! ô Dame
souveraine, ô Vierge bienheureuse! qui èles bien
au-dessus de toutes les créatures humaines! moi
j'ai connu les plaisirs des hommes, el à cause de
ces plaisirs, je nourris bien des maux dans la déso-
lation dont je soutiens le poids, n'ignorant pas que
je n'ai enfanlé que dans la mort, el qu'il faut que
l'homme supporte légèrement le malheur. Mais
vous, ô Vierge, vous n'avez pas connu la couche
nuptiale, les paroles d'un ange vous ont appris,
comme vous diles, la concepiion d'un Dieu, el
comment soutenez vous le speclacle de sa mort ?
la mère de dieu. Laissez-moi... Q'ielle bienveil-
lance trouver dans vos amers discours? Que vous
importe ce qui me fut pré lit? Le porteur de mau-
vaises nouvelles n'e^l point coupable à cause des
funestes événements dont il apporte les détails. Au-
rais-je élé trompée par le messager? Comment le
savoir? Mais j'ai des gages de sa bonne foi. Oui, il
faut que je pleure; car j'ai s uiffeil des tourments
où les larmes ne sont pas déplacées. Je veux gémir
el pleurer, aussi longtemps que je n'aurai pas revu
ressuscité celui qui est mort.
une a»t«e femme du DEMt citorur.. Jeune dame, il
faut pardonner. Si quelqu'une d'entre nous, trop
hardie dans son inexpérience, vous parle un langage
téméraire, faites sémillant de ne pas avoir entendu,
car vous êtes la plus sensée de toutes les femmes.
LA mère de dieu. Ah! je suis accablée de maux
dignes des plus grands éplorements. Oh ! deuil su-
prême, dont la vue même est insupportable ! O vous
dont les mains erinvnclles oui accompli le forfait,
qui poursuivîtes ce vainqueur superbe jusqu'aux re-
traites du malheur el des larmes, quel esl ce triom-
phe dont vous vous vantez, les bras encore san-
glants? Hélas! en lin mieux instruits de voire ou-
vrage, vous serez pressés d'un sombre regret; mais,
persistant jusqu'au bout dans la situation que vous
vous êies faite, vous pourrez vous croire 'heureux
dans voire ignorance du mal...
Mais non! (pie dis-je? vos actions ne seront pas
impunies. Comment les excuser? qu'y a-l-il qui, dans
vos forfaits, ne soit pascontre toute piété? Périssez,
périssez, cruels homicides! après le meurtre d'un
Dieu, ne sentez-vous rien au cœur? ne voyez-vous
pas l'effroi de toutes les créatures, dans votre or-
gueil de ('immensité du meurtre?
lé choeur. Le mal esl aussi grand que possible,
nul ne dit le contraire; mais la vie de l'homme n'est
que désolation, el quoique accablé de maux, il Situe
encore se^ jours.
O jeune lille, votre affliction n'est point de celles
ipie connaît l'homme, bien que d'autres, comme
vous, aient clé séparés de votre fils; votre enfante-
ment n'est point de ceux des mortels. Néanmoins
supportez lonies ces afflictions d'un cu'.ur ferme, el
avez la confiance cl la foi.
SCÈNE XIV.
LES MÊMES.
LÀ m(.ri. Dr DIEU. Ah! jeunes filles! ah! je vois ur
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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de ces soldais impies, après avoir brisé les jambes
des voleurs, élever sa lance vers le cote de mon (ils.
Je le crains, quelque dessein nouveau me prépare
encore d'autres douleurs. Mon Fds mort sein-t-il
outragé sous mes yeux? Malheur à moi, à moi seule!
Tableau terrible, inaccoutumé, développé à m»:s re-
gards' Voyez, voyez, le sang coule de son coté percé.
Voyez, voyez, deux ruisseaux s'épandenl, de sang
et d'eau qui ont jailli, sans se mêler, s»us le coup
de la lance du jeune satellite romain ! Ces «leux
ruisseaux bouillonnent encore, et celui dont la main
a fait la blessure, s'est écrié, dans sa stupeur: < Vé-
ritable nent, celui qui est mort est le Fils de Dieu'»
Le voici qui se précipite... Regardez!... Il est tombé
aux pieds de la croix, dominé, éperdu, les genoux
en terre, se frappant la poitrine, se roulant dans la
poussière, sur celte terre où est fiché le poteau et.
qu'arrose encore le [double] courant [du sa. g 81 (le
Peau.., Il trempe ses mains dans la hone , il s'en
couvre la tête, pour se purifier évidemment.
le choeur. 0 Roi, il senti le que, dans ce jour, de
gnnds maux soicui suspendus au-dessus des tueur-
lrijis. Car l'œil vengc:ir du Dieu, créateur de toutes
thoses, est fixé plein d'ire, sur ses ennemis. V.ciiuc
la vengeance ! vienne visiblement son glaive tour-
noya il et enflammé ! et que tout tombe en un ins-
tant sur les pervers!
Oh! oui, spectacle horrible! ce côté frappé de la
lance, et du milieu delà blessure, celle eau mer-
veilleuse coulant aussitôt, non mélangée au sang!
Spectacle horrible, dont la vue me lient toute trem-
blante !
la nature Hlc-même me donne ses leçons; et
ses entrailles soulevées, cl les rochers brisés, cl les
tombeaux des morts violemment ouverts ; et celui
dont la main porla le coup, tombant à terre, dans
sa terreur, et serrant la croix dans ses bras!
la mère dr dieu. 0 mon Fils! ô bien-aime! ô tèle
sacrée ! voilà donc les effets de votre pitié pour les
hommes, même pour vos ennemis ! ô trop déplorable
calamité! Voire sang répandu paie pour l'humanité.
Ils tremblent, vos ennemis, à l'aspect de tant de
i hoses éli anges; ils \ous proclament, à haule voix,
le Fils de Dieu; ils sont frappés d'effroi el n'ont plus
leur raison. El, au contraire, ce sont ceux qui vous
approchaient, dont l'aveugle envie a causé votre
trépas : vous eussiez dû recevoir d'eux une cou-
ronne, niais non pas celle dont on a ceint votro
chef, par dérision; el enfin, s'occupenl-ils d'un
tombeau pour vous renfermer?
Mais comment, moi, vous descend rai-je de la
croix? comment meilrai-jc votre corps dans un sé-
pulcre? De quels suaires vais -je envelopper vos
restes mortels? (M comment pourrai-je dire seule les
chants de vos funérailles ici bas? O mon fils! quelles
mains s'emploient pour vous à ces derniers instants?
0 malheur sur moi ! que faire? que devenir, infor-
tunée!
Mais pourquoi, ô mon âme, cet abattement!? 0
mon Fils, il n'y a qu'à avoir foi dans vos paroles, et
dans vos œuvres, témoins de vos paroles: loul ce
qui est de votre volonté, est possible. Dieu, contre
tout espoir, accorde bien des-gràces ; contre loul
• s;ioir , il accomplit bien des choses ; l'espérance
t encontre souvent la déception ; ei, puisque je n'ai
nul moyen à ma disposition, vous-même vous m'ou-
vrirez la voie.
(Elle s'éloigne.)
SCÈNE XV
LES MÊMES.
saint jean.Vo ci Joseph qui accourt, avec quelque
nouvelle ; el chose étrange el inespérée! le disciple
de cette nuit court non loin de lui, chargé des ins-
trnmenis propres à descendre le corps du haut de
la croix.
Heureux donc celui qui, instruit des mystères de
Dieu, menant une vie sainte, ne laissant à son aine
de soins que ceux de la pénitence, tenant son corps
pur de loute tache, et rachetant sa rédemption par
toutes les vertus, n'a d'autre passion que le culte de
Dieu! En effet, à mou sens, il n'est rien de plus
beau en soi que de se livrer an culte de Dieu dans
la simplicité; c'est la preuve d'une grande sagesse
parmi les hommes qui y sont voués.
SCÈNE XVJ.
LES MÊMES, SAINT JEAN, JOSEPH, NICODEME.
joseph. 0 bien-aime, votre voix frappant mon
oreille, m'a révélé la présence du Sage des sages.
J'ai fait un long chemin, el j'arrive, en toute baie au
bon moment. J'ai là lout ce qu'il faut pour enseve-
lir notre mort adoré. Cet ami, en loul temps si res-
pecté, il faut, selon nos moyens , même après sa
mort, lui faire encore honneur. Comment le des-
cendre? comment le fermer dans le cercueil? com-
ment le rouler dans les suaires? 0 jeune Vierge, ve-
nez avec moi ; je suis bien vieux , et vous seule sa-
vez toutes cl.oses; je ne puis me reposer, ni malin,
ni soir, avant d'avoir mis le corps mort dans mon
tombeau neuf. ÀIj ! quoiqu'il ne fût pas de ma fa-
mille, el qu'il ne ntfi comptât pas parmi ses disci-
ples , moi aussi , j'ai bien de la tristesse à cause ce
lui.
saint jean, montrant la Vierge au loin. Voici quel-
qu'un qui, sans fatigue, marchera devant vous, el
pourra vous prêter son aide, au moins pour les cho-
ses les plus faciles.
joseph, tourné du côté de la Vierge. 0 très-belle
œuvre de Dieu, nia Dame! Eh quoi! vous étiez de-
bout, non loin de votre Fils, dans ces lieux solitai-
res, portant auprès de lui vos chants douloureux?
Auprès de vous, il n'y a que le disciple-vierge? la
troupe des disciples consacrés a abandonné son
f ère? Tons ceux de sa suile ont fui en larmes; ils
n'ont rien vu des derniers désastres! Mais vous, votis
n'avez pas eu peur de la rage des ennemis. Je crains
bien pourtant quelque nouveau complot de ces tour-
bes ennemies, cruelles, sanguinaires; ear leur âme,
acharnée dans sa haine, ne peut souffrir que nous
donnions au mort une sépulture honorable.
saint jean. Ils ne sont donc pas encore assouvis,
el leur soif de ce meurtre affreux et de ce cruel car-
nage n'est pas élanchée?
joseph. Heureuse ignorance! Leur furie commence
el n'a pas atteint son milieu.
saint jean. Qu'y a - 1— il, vieillard? Ne nous cachez
rien, parlez.
joseph. J'ai ouï dire, et je faisais semblant de ne
pas éeouler, m'élanl approché du lieu des séances
des vieillards, auprès du temple respectable de S i-
loinon, que l'assemblée Irait auprès du préfet delà
province, pour que le mort ne fût pas enseveli. Qu'a
«le vrai ce bruit, je l'ignore, cl je voudrais bien qu'il
n'en fût rien ; car il ne m'a été accordé qu'à la prière
d'un ami de recevoir Jésus expiré.
saint jean. Tout est perdu , si de nouveaux mal-
heurs succèdent au premier, avant que la prédic-
tion soit accomplie, suivant laquelle le troisième
jour ne se passera pas sans qu'il y ait abondance de
joie dans nos cœurs. Non! le Père ne permettra pas
celle nouvelle injure au Fils! Les anciennes sépul-
tures sont préférables aux nouvelles, et il ne peut
favoriser ces arrêts; il les accablera sûrement; sa
colère ne sera plus contenue, el n'a-t-il pas élé pré-
dit que Jérusalem sérail livrée aux flammes par Dieu
même? Eh bien! c'est contre ses ennemis, et non
pas contre ses amis, que sera tourné le regard ven-
geur et ulcéré du Père! Oui! oui! par celle que j'ai
toujours vénérée et que le Fils m'a donnée pour
mère, nul des meurtriers ne terminera heureusement
sa vie. Jésus est Dieu, chose prouvée par ses mira-
cles, dont nous avons tant vu déjà, cl par ceux qui
se continuent encore! Les ténèbres des deux \ous
C'O!)
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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CAO
ont-elles échappé, au moment où il a baissé la tète
et rendu l'esprit. La mort n'eût pu en triompher, si
tai-mémc, en abaissant le front, ne lui eût com-
mandé son approche. Aussi le tableau n'en a été que
plus saisissant d'horreur : les entrailles de la terre
ébranlées, les rochers brisés, et les sépulcres des
morts ouveris à tous les regards. C'est alors que
l'un des bourreaux s'approche en élevant sa lance;
<Je la pointe, cet homme, tout jeune encore, frappe
le côté [du crucifié] ; — Ah ! ce coup profond, j'en ai
semii le déchirement, en voyant la plaie béante! —
Il enfonce sa lance, et aussitôt, du trou qu'il a fait,
jaillit une eau miraculeuse, le sang coule en même
temps sans mélange, un double ri. isseau... Speelade
terrible! Tous avaient eu peur d'y loucher: celui
qui avait frappé s'écrie stupéfait : < Véritablement
celui qui est mort est le Fils de Dieu. > Aussilôt, la
Mère infortunée, debout non loin de la croix, tombe
gémissante; elle serre le bois contre son sein,
elle gémit, elle embrasse les pieds de son Fils, elle
étanche de ses mains le courant des deux ruisseaux,
et, prosternée, elle parle en ces termes : t 0 divin
Maître, quoique mort, vous gardez cerla nemeut
souci des vivants ; et ce sang, cette eau répandus,
sont une expiation pour le genre humain; mais per-
sonne ne s'approche pour vous mettre au tombeau. •
Après ces lamentations douloureuses, et comme pour
rendre la v e à ce corps immaculé, elle s'allache à
son Fils, comme le lierre aux rameaux du laurier,
et, éplorée, elle dit encore : « Mais pourquoi, ô mon
âme, cet abattement? ô mon Fils, il n'y a qu'à avoir
foi dans vos paroles et dans vos œuvres, témoins de
vos paroles : tout ce qui est de votre volonté esl pos-
sible ; et, dans les choses désespérées même, Jésus
ouvre un accès. > Elle parlait encore, lorsque tout à
coup je vous ai aperçu.
joseph. Que de choses étonnantes dans ces ré. ils
dont tous les détails sont assurés néanmoi s! M is
silence! car ce n'est pas le moment de rien faire
connaître à la Dame qui approche. Silence donc.
Emmenez-la le plus tôt possible loin d'ici , et vous
tous, n'approchez pas de ces furieux, ne vous tenez
[)as près d'ici ; redoutez leurs mœ;irs cruelles et
eurs instincts sanguinaires.
SCÈNE XV il.
LES MÊMES, LA MEUE DE DIEU.
la mère de dieu. O généreux amis, courageux
vieillards, grâces vous soient rendues h. tous deux ;
à vous Nicodème; à vous, illustre Joseph. Vous è es
venus pour notre bien, et vous avez bien fait : car,
pour des amis fidèles, les maux des amis sont égale-
ment un malheur qui remolil la poilri e d'an-
goisses.
jlàlez-vous, hâtez-vous; descendez le corps. Je
vois que l'un et l'autre vous êtes venus dans ce des-
sein. Montez, montez de suite. Descendez-moi le
Mort, que j'embrasse le sein du Seigneur et tous ses
membres, que j'attache mes lèvressur ce corps que
j'ai vu grandir!
Joseph. Retirez-vous, retirez-vous, dans la crai te
de» meurtriers, qui ne souffriraient pas votre pré-
sence.
Nous, nous montons [à la croix] , comme vous
voyez, et nous allons dans peu avoir descendu le
Mort de nos propres mains'.
Allons, ami Nicodème, mettez le pied le premier,
el lestement, sur les bâtons serrés de l'échelle, et
ôiez de ces poteaux croisés le corps du Lion, sur
qui la plèbe s'est ruée en joie, comme sur une
proie.
Et vous, allez- vous-en promptement, quelque
triste que vous soyez, pour éviter des violences;
car vous ne pouvez rien à ce qui est accompli, ni
par vos gémissemcnls, ni par vos pleurs.
la mère de DiEti. Oh! que je vais èlre malheureuse,
désolée, jusqu'au moment où j'aurai vu mon Fils,
même mort, cl jusqu'à ce qu'il ait été mis au tom-
beau !
Néanmoins, je vais fuir celle plèbe, dans l'effroi
des outrages...
(Elle [ail quelques pns pour sortir et revient.)
Mais sans mon Fils, l'amour de ma vie?
Sans moi, on pleurera mon Fils mort, on l'ense-
velira, on touchera ses pieds, on embrassera ses
membres?
Allons, ma misérable main, louche au moins le
mort !
joseph. Non, non, n'avancez pas la main, ne lou-
chez pas au mort; non, non. Je viens moi-même, de
mes mains, l'ensevelir, avec Nicodème qui me prêle
le secours de son travail, et qui a apporté une grande
quantité de parfums.
Pourvu que personne de ses ennemis ne lui fasse
quelque nouvel outrage, n'arrache les suaires el ne
lire le corps du cercueil.
Autant qu'il est possible, je n'eus avec lui aucune
parenté, mais je respecte en lui un ami mort.
Quels derniers soins lui rendre ? que pourrait-on
faire pour [votre Fils] mort, qui plaise à voire es-
prit? rélléchissez-y. Mais suivez aussi mes conseils;
au moins, souffrez en silence. Tout va bien jus-
qu'ici.
Ce n'est pas moi que vous verrez malveillant pour
votre Fils sans vie. Je suis Juii, je ne le désavoue
pas, mais on ne me convaincra jamais que voire
Fils n'ait pas été un homme excellent : le contraire
soil dit par lout le monde, les bois monlueux soient
remplis de lettres, je sais qu'il esl le Juste.
Dame, étendez les mains avec ces jeunes filles et
recevez votre bien-aimé Fils qui est mort.
Et pleurez, à votre gré, et embrassez son corps.
la mère de dieu. Voici de bonnes paroles, el vous
compterez encore plus à l'avenir parmi ceux de nos
amis qui ont bien mérité de nous, comme un homme
qui a triomphé de bien des périls el dont la vic-
toire esl d'autant plus glorieuse.
Eh bien, Joseph, ami comblé d'âge, prenez dans
vos bras, prenez mon Fils, el tirez-le à vous...
Prenez, prenez à présent, élevez le corps, soute-
nez la tète, appuyez-la sur voire épaule droite, et
tenez le droit.
joseph. Dame, el vous autres, jeunes filles, étendez
les bras; recevez le mort qui donne la vie aux morts
et moi, selon mes forces, je le soutiendrai.
la mère de dieu. Courage! ô ma misérable main •
touche à ce mort! ah! que. vois-je? ah! qu'ai-je
i!ans les bras? qui esl celui-là que j'ai mort dans
mes bras? O trislesse! avec quel respect l'appuyer
sur mon sein! De quels mots lugubres m'exprimer?
ô mon Fils, donnez moi vous-même les expressions
dont je dois me servir envers vous, mort, et laissez-
moi embrasser vos membres! Salut! enfin, je vous
vois en vous parlant, vous qui , quoique né de moi,
n'eussiez jamais dû mourir, el que des pervers ont
mis à mal. Oh ! laissez votre mère embrasser votre
main droite! O main hien-aimée, que j'ai tenue tant
de fois, à laquelle je m'attachais comme le lierre aux
rameaux du chêne ! ô chers yeux, ô lèvres adorées,
ô beauté, ô grandeur des traits de mon Fils! ô suave
approche des lèvres! ô corps divin, ô Irès-douce
chaleur, ô parfums délicieux de ces membres divins!
accablée de maux, je vous sentais à peine, et déjà
mon cœur était soulagé. Pourquoi [avez-vous voulu
mourir si ignominieusement? Pourquoi votre mère,
qui vous a élevé, est-elle privée de vous ? O dou-
leur! ô mon Fils! que ne suis-je morte avec vous! Il
me valait mieux mourir que de vous voir expiré.
Comment celui qui esl là, muet, l'œil éteint, me
poriera-t-il secours? Comment supporter d'être en-
core? O douce chaleur de ce corps? C'est donc
en vain que mon sein , D mon Fils, vous a allaité
dans vos langes. En vain, j'ai eu tant de peines, et
j'en porte le poids depuis les premières heures de
«M
TAS
DICTIONNAIRE DES .MYSTERES.
votre naissance inouïe. Ali! voire vie agitée, votre
triomphe des enfers, ô Fils du Tout Puissant, ont ac-
cahlé mon âme!
Mais, dans mon récit , observons l'ordre de suc-
cession des faits.
L'orgueil, qui trompa la mère universelle et le
premier père, générateur du genre humain, et dont
la postérité est si innombrable, est la cause de votre
merveilleux enfantement, ô mou Fils glorieux; votre
Père avait trouvé ces choses lionnes bien avant moi
et même avant toute création. Engendrée moi-même
enlin, selon les desseins de votre l'ère, à ce que je
crois,. je ne fus point nourrie au foyer paternel , et
ma mère me donna un temple pour abri. C'est de là,
que, si étrangement élevée sons la garde d'un ange,
je fus, au temps prescrit, arrachée, pour un homme
honnête, par le Conseil entier [eu Temple] , sous la
responsabilité et la surveillance duquel j'éla's. En
tout cela, Dieu révélait sa prévoyance suprême, sans
doute pour que je fusse, dans un temps donné, une
preuve [pour son Fils], et pour donner un tuteur à
l'Enfant dont la conception est un mystère. Je de-
meurai donc vierge, après vous avoir enfanté : je
sais, en effet, moi, que je demeurai vierge, et vous
aussi, vous, à qui toutes choses sont révélées. Or, à
peine éliez-vous né, par mon intermédiaire, de Dieu
le Père, qu'il se répandit contre moi cent mots incon-
venants et perfides! Ou prétendait que j'avais en-
fanté avec un homme. El ce ne fut point assez de
ces outrages- Je pressai notre fuite en Egvple, où
j'eus bien des fatigues et où je fus accablée de tra-
vail. Mais je voyais les prodiges accomplis par vous,
elsans cesse émerveillée dans mes comparaisons [en-
tre vous et les autres hommes], je ne vous croyais
pas moriel et je n'avais pas la crainte que vous pus-
siez mourir. Sans doute, c'est en vertu de quelque
pacte avec Abraham, père [des Hébreux], ou de
quelque médiation; c'est pour les masses inlinies de
nos devanciers, ou en raison du serment fait par
vous pour notre salut, que vous avez été amené à
mourir afin de secourir le genre humain. Voilà pour-
quoi vous avez supporté la naissance et la mon ! Et
moi, est-ce là ma récompense pour tant de peines
intolérables, que de vous tenir mort, ô mon Fils,
dans mes bras? Oui , je me plains de vous aimer ; je
suis désolée, je pleure, je gémis, et personne, ca-
pable de. vous pleurer avec connaissance de cause,
ne sera attiré auprès de moi [par mes cris]. Vola
Joseph tout prêt à vous envelopper avec bienséance
dans ses mains, même à vous construire un sépulcre,
à répandre [sur vous] bien des parfums précieux
que Nicodèmc a généreusement et abondamment ap-
portés : légers services pour ceux que l'on aima ,
quand ils ne sont plus. Car, que servent aux morts
ces parfums répandus? Mais \olre Père veille à la
cause des morts. Vous, vous les précipitez tous,
comme un butin, vers les cieux, tous ces prison-
niers de l'enfer, enlevés, chargés de chaînes dans
l'horreur ténébreuse du Tartare. Enfin le Père ex-
pose aux yeux de tous les secrets du mystère, après
avoir imposé la mort à son Fils unique. Et ainsi l'a-
vait annoncé le disciple, votre cousin-germain, et
selon vous-même, le plus grand des prophètes, qu'a
massacré le peuple hébreu, homme grave, un homme
enfin en bien des choses, et qu'on a vu chaste, nu,
s'abslenanl de nourriture et vivant solitaire. Il n'u-
sait de rien qui pût être le prétexte d'une in-
culpation, velu des babils d'un suppliant, souillé,
hérissé, endurant une vie terrible, et dont pourtant
il était a vide, car ceux-là seuls fuient la vie, dont l'a me
«si dans les délices du monde, et n'ayant autour de
lui, de (ouïes parts, qu'une vaste solitude où coulait
le Jourdain dans son lit rapide. Comme il a montré,
dans des symboles évidents, votre ensevelissement,
ce prophète qui passa irois jours dans les profondeurs
de POcéan!
Ah! dans la révélation de ces faits, je suis enivrée
PAS
l'ailente de \oire
(M
sottie du
de bonheur, el dans
tombeau.
C'est donc ainsi, ô mon Fils, que vous avez déjà
subi votre mort cl voire passion [dans les prophètes],
el ce qui s'csl accompli n'a eu lieu qu'a cause des
hommes, pour qui il y avait liâle que vous fussiez
mort et que vous leur prélassiez ai«:e.
Mais ni Judas , ni ce misérable Pilalc n'éviteront
leur chàiiinenl, el ils seront atteints par l'œil reven-
dicateur et vengeur du Pèie; ci de même c< t:e ville
entère, et de même la tourbe des meurtriers.
O Ponce [Pilate], c'est loi, toi qui as fait le mal;
n'essaie pas de le cacher de l'œil de la justice qui
voil tout, quoique lu te sois lavé les mains, comme
étranger au crime.
Le Trahisses r aussi a jeté au loin le pria; du sang,
el déjà il faut que le glaive tombe sur sa tète, ou que
son gosier soilserré par une corde, on que les Ondes
bleuâtres [des mers] caclienl son corps jeté eu nour-
riture aux poissons.
Si encore vous n'aviez vendu qu'un homme, o
misérable ! (car il faut que j'en revienne à vous), si
vous aviez livré tout autre à la mort ; vous eussiez
justement subi les punitions des hommes. Mais c'est
celui qui vous avait comblé de tant de bienfaits,
l'envoyé du Père pour le salut de tout le genre hu-
main, que vous avez vendu, livré à la mort par en-
vie. Quelles punitions n'esi-il pas juste que \ous su-
bissiez?
Joseph. Le plus pervers «les hommes a déjà été
frappé par la plus sévère justice : on vient de voir
ce disciple infâme, traître à son Seigneur , pendu à
une corde, cl presqu'atissilôt tombant par le bris du
lacet d'une grande hauteur sur le sol, au milieu de
mille cris; le misérable ne s'esl même pas su si
proche de son sorl funeste. II est enfin jugé selon l<;
dioit et la justice ;el la veniigeance s'accomplit.
la mèue de dieu. O mon Fils , combien votre
Père n'esl-il pas grand! 11 a entendu , dans sa jus-
lice, mes imprécations! Sa main pesante a frappé
le traître, infidèle, impie, inique el méchant , vo-
leur et machinaient' delà mort de Dieu , rebelle ,
dans sa perversité, à toute résipiscence. Voilà donc
quelle mon il lui a fallu sabir! Périsse ainsi, pé-
risse misérablement , sous voire très-exacte justice,
lont pervers qui refuse les secours suprêmes de la
pénitence.
Il est un Dieu ; ce Dieu est fort el grand; il esl la
Providence el le Jugement de Dieu.
Malédiction sur l'impie; il esl l'ennemi de Dieu.
Prenez-le [mon Fis] et portez-le dans le sélpul< re
neuf; allez , enfermez-le dans le riche tombeau. Il a
tniis les suaires nécessaires au dernier séjour, et qui
consolent faiblement du trépas. El selon moi , il
n'importe pas beaucoup aux ini ris d'avoir de magni-
fiques funérailles! ce n'est qu'une vaine pompe de
ceux qui leur survivent. Cou\reZ donc à l'instant le
visage avec les voiles , placez les mains , ensevelis-
sez de suite le mort, ce Roi des Juifs tué par eux ,
cette victime qu'il faut emporter à l'instant.
O mon Fils , ô sublime coopéraient- cîm Père, qui
a toul créé , que peuvent donc les hommes sans vous?
Qu'y a-l-il qui ne soit soumis aux conseils de Dieu?
Hélas! ô Roi! hélas! comment vous pleurer? O
mou Dieu ! ô mon Dieu ! comment vous appe-
ler! comment mon cœur ardent chantera-t-il vos
louanges?
Est-ce donc vous, dans ces suaires, enveloppé,
gisant, vous, autrefois plié dans des langes?
SCÈNE XVIII.
LES MÊMES.
mcodèmf.. Eh bien, vieillard, arrangeons con-
venablement la léle du trois fois Bienheureux ,
étendons ce corps et l'accommodons avec tout le
soin possible!
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PAS
DICTIO.NNAIRE DES MYSTERES.
PAS
GU
josf.ph. O hien-aimé vidage! ô joues précieuses!
[0 Seigneur,] j'enveloppe voire lèle de celle toile
de lin; je couvre yos membres souillés partout de
voire sang de ces voiles neufs; cl voire côlé percé
cl sanglant.
la mère de dieu. Au nom de Dieu « hàtez-vous
donc : voyez , le crépuscule tombe déjà ! Placez
droit , avancez celle télé bienheureuse. C'esl un
petit service rendu à ce cher Seigneur. Portez-le,
afin (pie, connaissant le lieu où repose mon Fds, je
reste auprès de lui en pleurs, jusqu'aux premières
lueurs de ce troisième jour plein de joie pour moi.
0 mon Fils! quel lugubre événement ! quel deuil,
Certes i Celle douleur est commune à tous les mor-
lels, et ce chagrin universel les lient, sans qu'ils
aient l'espérance. 0 puissent-ils avoir lous celte
joie suprême.
SCÈNE XIX.
LES MÊMES.
josfph. Suivez-moi, emportons ce fardeau sacré,
que j'ai obtenu , après bien des supplications, ines-
pérement, de la bonne grâce du magistrat (romain)
el qu'on me donna nu , et encore attaché à la croix
par trois clous.
la mère de dieu. Eh! Eh! l'homme! louchez dou-
cement de vos mains le corps de l'Homme-Dieu ;
porlez«le décemment; lirez ensemble d'un même
effort. Mous voici enfin, à ce qu'il parait, au-
près du sépulcre.
Ah! femmes de Galilée, il est déjà dans le sé-
pulcre et la pierre est retombée sur lui...
Allons , venez , jeunes filles , el , auprès du corps ,
saluez, rendez vos derniers hommages sur celle
terre , car jamais, non jamais ! vous ne verrez un
autre libérateur du genre humain, quoi qu'en pensent
les Juifs.
Marchez, avancez , je ne puis en supporter da-
vantage. Dans ce tombeau, sous cette pierre, celui
qui donna à vos aïeux l'eau jaillissante du rocher ,
qui, du haut de sa croix, il y a si peu de temps ,
fendait les rochers, et dont le pouvoir ouvrait les
sépulcres des morts !
Arrêtez un peu : j'ai à parier au mort.
SCÈNE XX.
LES MÊMES.
0 mon Fils oien-aimé , vous descendez dans les
demeures de l'enfer, vous subissez, selon vos sou-
haits , l'horreur des abîmes, errant dans les re-
traites du lénébie ix séjour; mais quel coup terrible
ne portez- vous pas aux puissances infernales! vous
passez sous ces portes sombres, au travers de ces
demeures des morts, dans le dessein d'emporter,
dans voire gloire , l'humanité couverte de lumière
el de splendeur, et de tirer d'entre les ombres
Adam , le père des hommes sujets de la mort , pour
qui vous avez pris et vous portez la forme humaine.
Et vous êtes entré dans ces ténèbres compactes
de l'enfer, par le meurtre de vos ennemis, délais-
sant votre mère.
Voire liépas est une grâce de voire Père pour le
salut de nous tous, et ce bienfait du Père s'est appe-
santi sur vous, comme une chose inévitable.
0 mon Fils, la lerre en deuil vous a reçu doulou-
reusement, comme celui qui venait pour forcer les
portes des sombres demeures, el lancer sur les
noirs abîmes les flèches les plus aiguës.
C'est pour celle œuvre que vous èles descendu
seul . ei vous ferez voire proie des morls , cl vous
ne serez pas pris par les morls , el vous les délivre-
rez tous , vous ([ni seul êtes libre.
Isolé, homme, vous êles venu pour ces entre-
prises hardies , el seul vous supportez, pour toute
la nalure, le poids de tant de faits.
Mais ces travaux qui vous tenaient ici-bas louchent
à leur terme, déjà vous triomphez de vos ennemis ,
vainqueur omnipotent de l'Enfer, du Serpent et de la
Mon.
Oh! vous êles le Sage, le Sage, el vous avez avec
sagesse supporté le trépas, pour terrasser, dans ce
néant, le Irépas de lous; el encore, vous rendrez à
celle terre el sa joie el sa gloire, une fois que. hors
de ce monde, vous lui rapporterez le salut, ayant
changé d'aspect el à jamais sembla le au Père. Oh!
oui , vous reviendrez plein de gloire , après le salut
du genre humain, ô Roi, 6 Roi immortel, Dieu
éternel, qui, à voire substance , avez uni la subs-
tance humaine.
El maintenant vous êles descendu dans les en-
fers pour répandre soudainement dans leurs ténèbres
voire éclat el vos feux.
Mais vous allez quitter splendidement celle lerre
ennemie, où vous èles venu, dans la maison d'un
Israélite, avec le dessein de rendre la voie à vos bre-
bis égarée», el de remplir les promesses fa tes à nos
aïeux, eu pliant la nature humaine à la forme de
Dieu.
Car le Père vous engendre sans cesse , sans ta-
che; et moi aussi je vous ai cnfan:é sans tache cl
Vierge, quand vous reçûtes du Père la forme hu-
maine.
Néanmoins, les compatriotes mêmes de votre mère,
ceux pour qui ces dires étaient les moins opportuns,
après lanl de miracles faiis par vous pour eux-
mêmes, et dont les secrets échappent aux profanes
mortels, refusèrent de voir eu vous le Sauveur né
de Dieu, et attribuèrent plaisamment votre concep-
tion à une œuvre humaine, comme si, infidèle au
mariage , j'attribuais à Dieu les failles de mu cou-
che.
Et quelle précipitation, il y a si peu d'heures,
pour votre meurtre inique, consommé par l'envie!
Voilà les ruses de l'ennemi! C'esl à cause n'elles
el à cause de tous ses autres desseins perfides, que
vous allez l'anéanlir. Vous mettrez un terme aux
embûches dont il circonvient l'univers, el, en l'en-
veloppant dans des reis de fer, vous co ilraindrcz ,
ô mon Fils, dans celle action terrible, cet ouviL-r de
lerreur.
Oh ! vous précipiterez encore une fois les Juifs hors
de leur patrie, vous livrerez à des étrangers 1 ur
ville el leur e rpire, selon les paroles symboliques
qu'ont recueillies de vos lèvres vos amis! Vous
serez le dispensateur suprême de ces faits, et vo s
consommerez vos mystères, afin d'eue apeileincnt
Dieu pour les hommes, comme vous l'êtes dans
le ciel. Une autre région, où seront dans leur force
tous les éléments de celle-ci même, recevra le trans-
fert du sceptre royal. Il le faut, celle ville connaî-
tra malgré elle son ignorance présente de vos mys-
slères; el il en sera dé même deioul cet autre amas
d'hommes, contraire encore à Dieu en ce qui vous
concerne, vous repoussant dans ses libations [aux
dieux], el sans mémoire de voire nom dans ses
prières, car, les infortunés! ils ne vous ont pas re-
connu encore pour le Fils du Père venu du ciel en
ce monde. Oh! mouliez enfin que vous êles Dieu,
et ce sera évident quand la race des Juifs aura été en-
tièrement chassée de son sol natal par la force des
armes, dans voire colère el d'après voire aveu , en-
vahi sous voire inspiration, par les armées des Ro-
mains, dont la Judée a follement désiré l'empiit,
comme si elle eût mis un obstacle à votre domina-
tion, en proclamant César pour roi! Mais je vois déjà
le châtiment vengeur de voire mort vivifiante, les
maisons en feu , les édifices publics en ruines et
tombés dans leurs cendres, les flammes inextingui-
bles, au milieu de celle cité de Dieu, sans, cesse re-
vendiquée par lui. El je loue le jugement qui rei.d ce
sol inhabitable pour lous vos meurtriers, ô mon
Fds! vous qui, laissant de côlé les villes si illustre*
de Lydie, et les champs aimés du soleil de la Phry
615
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
6IG
gie el de la Perse, et les murs de Bactres, ei les
froides régions des Mèdcs, cl l'heureuse Arabie
(peuples lointains perdus dans l'ombre) , et toute
l'Asie, que l'on dit chez les Grecs el les Barbares,
située dans l'Océan, riche en villes bien garnies de
tours, êtes-veuii d'abord dans le pays des Hébreux
où vous avez été violemment mis à mon el réduit
au tombeau.
Ali! sanctuaire de Dieu, cité chérie, ville du
royaume de David entourée de belles louis! ô de-
meure des antiques prophètes, n'es-tu donc plus que
la caverne des meurtriers de Dieu !
Mais comment vous pleurerai-je [encore, ô mon
Fils]? Quelles plaintes faire entendre sur votre tré-
pas9
Et vous, qui avez quitté la terre de Galilée, pour
composer ma suite; vous qu'entraîne ici, pour m'ac-
compagner, el instruites des mystères, ce Mort,
hélas ! mis au fond du monument, cessez vos mo-
dulations accoutumées pour les morts. Tantôt pous-
sez en son honneur des cris déchirants, el tantôt an-
noncez ce Roi vivant par île joyeuses clameurs, car
l'espoir est en moi certitude.
Marchez, avancez, je ne puis voir davantage ce
tombeau et cotte pierre.
Relirons-nous donc, relirons-nous, ô chères jeu-
nes filles !
SCÈNE XXI.
LES MÊMES
Allez, allez, marchons d'un pas tranquille jusqu'à
la demeure de ceux qui sont nés d'une femme que
préfère Marie, mère de Marc, el où se fera, je pense,
l'assemblée des disciples. C'est là que nous atten-
drons la venue du jour désiré...
Mais plutôt allons dans la demeure de mon nou-
veau fils, de celui que mon Fils unique nfa donné
pour fils...
saint jean. Bien. Cela est convenable, et vous
n'avez pas parlé contre le bon sens. Dame, il faut
s'en aller à l'instant, se rapprocher du tombeau
pour loul voir, pour passer patiemment le jour de
demain, et pour, selon les ordres, attendre le cré-
puscule, le brillant crépuscule du troisième jour.
Nous viendrons alors sans brait rendre à voire Fils
les honneurs qui lui sont dus. Allons, allons donc,
«approchons- nous du tombeau, avant que quelque
ennemi n'arrive et ne puisse s'emparer de nous. Je
vous dirai en quel lieu passer la nuit.
la mère de dieu. O mon Fils, nous vous laissons
seul, nous nous en allons au lieu de la réunion des
femmes, dans la maison de ce (ils, ô mon Fils, au-
quel vous m'avez recommandée, parce qu'il faut que
nous soyons auprès de votre sépulcre, dans la pro-
fondeur des bois.
Joseph. O le plus aimable des hommes, loul morl
que vous êles, vous serez comptés parmi ceux que
j'ai le plus aimés. Adieu ! C'esl donc la dernière fois
que je vous uarle.
SCÈNE XXII.
LES MÊMES.
saint jean (le Théologue). Elre sublime, je veux
nf exprimer sans réticence! Jésus est homme cl Fils
de Dieu. Ses actions sont pour moi la preuve évi-
dente qu'il e*l Dieu. J'attribue sa mort à la sagesse
et aux décrets de la Providence ; celte mort est la
destruction de la moi l parmi le genre humain. L'en-
nemi des hommes, rampant sur la lerre, est frappé
du talon, écrasé, anéanti ; anéanti, el l'homme rendu
à la vie, tous les frères de Jésus, ce grand Roi des
cieux, et le premier père seront vengés; le vieillard
antique, première cause du mal parmi l'humanité
sur la ler»'e, chassé du jardin par les ruses du
trompeur serpent, sera placé par Jésus dans la plus
heureuse des cités. Telles sont les œuvres de la
morl de l'homme; voili pourquoi les hommes l'ont
vu, un instant, dans ce monde, au milieu de prodiges
incompréhensibles, dont vous-même vous ignorez
beaucoup. A peine apparu, le meilleur des bomu e;,
il est frappé de la morl, il va ressusciter et être
connu comme Dieu. A rester dans les cicux, sa
bonté eût été ignorée, les chœurs célestes seuls l'eus-
senlj célébré, et sa gloire n'eût pas été dans l'uni-
vers. Telles sont les causes de sa venue et de sa
mort, elles se résument dans ce mot ; le salul des
hommes.
Il a été livré en. effet à la mort par ceux-là mêmes
qui ne l'eussent pas dû (a quibus minime debebal),
el jeté dans les 1ers, il a entendu leurs malédic-
tions. Le peuple auparavant bien «-aimé a ainsi ré-
compensé son bienfaiteur, dans le feu de son envie;
et lui, de bon gré, il a tout subi. Mais les maux que
bientôt doit sentir celte même race, je ne les tairai
point : Jérusalem restera d sei le, sous les coups des
barbares, par la violence, dans l'esclavage des siens
traînés à 1 étranger. Tel est le décret de Dieu : les
Juifs seront dispersés dans tous les pays barbares,
vaincus dans les combats, victimes de tous les
maux. C'esl J sus qui dit à ceux qui l'< nt crucifié
de fuir ce pays, suivis de leurs familles, afin d'expier
le crime de sa mort ineffable et inspirée par l'envie:
nul ne reverra sa patrie. Car l'homicide ne doit pas
habiter le tombeau de sa viclime. Traîiés au tra-
vers de toutes les villes, mis sous le joug de la ser-
vitude, misérables, dominés par la violence dû
glaive, selon l'oracle de Dieu, dispersés en tous
lieux, nul espeir ne restera à ces infortunés de re-
voir leur pairie ravagée par l'armée innombrable
des Romains, dont les légions scionl conduites par
un monstre. El celui-là qui a fait ces prédictions,
n'était pas né de 1 homme mais engendré de Dieu;
c'esl celui même qui est mort qui a parlé dans sa
force, sans rien emprunter aux prophètes qu'au con-
traire lui-même inspirait.
Enfin je dirai quel supplice doit subir l'infâme dis-
ciple qui a vendu [son Maîlre]. Vous avez dit que,
dans sa douleur insensée, il s'étail mis la corde au
cou ; en tombant, son corps va crever, cl lui, il
verra le moment terrible. Car l'infortuné ne sera
pas à l'abri des maux, dans les abîmes de l'enfer, il
ne sera pas en paix, ses soupirs sont éternels, < l
ses cuisantes douleurs, el ses cris; un fleuve de leu
le reçoit dans ses (lois.
joseph. Ami, vous avez dit les malheurs affreux
où loul le monde va tomber; mais moi, el tous ceux
démon sang, infortuné, irai-je avec les barbares?
Que deviendrai-je, dans la ruine de ma patrie ? O
c;lé, autrefois si lière contre les barbares, seras-tn
sitôt dépouillée de ton illustre nom ? Adieu, ô mai-
son! adieu, ô patrie! Je vous laisse, je vous aban-
donne. Esclave infortuné, pris dans les coin' al-!
moi, je verrai la leire des barbares, à moins que la
mort ne m'enlève auparavant sous le faix de mes
années. Oh ! puissé-je la voir tant que je suis en-
core sur le sol de la pairie ! Car, je l'ai compris,
c'est Dieu lui-même qui a prononcé l'arrêt.
saint jean. Pour vous, pieux vieillard, il n'y a
que gloire. Mais celte race, à laquelle vous apparie-
nez, recevra ce châtiment, si 1 in dû, el qui cause
vos gémissements. El qu'elle n'attribue qu'à elle-
même son malheur. Dira-l-elle pour s'excuser que
[Dieu] est resté loin d'elle, qu'il l'a laissée sans se-
cours, sans soins, malgré les bienfaits passés et pré-
sents de sa boulé suprême? Quels prophètes ne lui
furent pas envoyés autrefois ? De quels dons mer-
veilleux ne fut-elle pas comblée? Tirée de la plus
dure servitude, pour être mise omnipotente au-des-
sus des peuples; autour de Bazan el de la terre des
Amorrhéens, quand elle envahit les plus fortes des
nations, qui, au premier choc, brisa les boucliers
ci livra l'ennemi sous le joug ? El c'esl celte races
qui, faisant fi de telles giàccs, l'a livré lui-même auxj
€17
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
C18
bourreau* pnur la mort. I! éiait venu lard sans
doute, mais pouriani encore assez à temps : les
Prophètes et la Loi, dans les longs jours de leurs
travaux, de leurs combats, n'ont pas réussi ; un seul
jour suffira au Clirisi pour bouleverser ces demeures
infernales, nu autre pour revenir encore sur la terre,
et les souffrances des hommes sont à leur (in. Car,
c'est pour eux que, sous riiahit du pauvre, il est
descendu dans l'enfer. Mais, chargé de dépouilles
innombrables, maître du sombre séjour, les gardiens
des issues et les portiers mis à mal, il reviendra, cha-
cun l'avouera le vengeur, dispensateur divin des
bienfaits, et maltraité par la colère d'un peuple en
qui éiail son alliance.
Et quant à ces peuples, auxquels nulle parenté ne
l'atlaclie, ils sont revendiqués par lui, 1rs uns sous
leurs tombeaux élevés de terres rapportées, les au-
tres sous les monts et les rocs, dans les gouffres de
la terre, subissant, ceux-ci les vents glacés, ceux-là
les feux altérants du dieu (soleil), et attendant tous,
non pas sous des vêlements bien chauds, non pas
sous des babils luxueux, ou couchés sur les lits de
palais dorés, mais fauchés parles glaives, l'épée et
le fer: et tous ces peuples donneront I exemple
d'une foi très-sûre; bien différent du traître [Judas]
et de ceux qui ont livré à la mort le Juste des jus-
tes, ce dont le châtiment sera tiré.
Quant à vous, le Ressuscité vous délivrera aisé-
ment, pour l'avoir mis décemment dans un tombeau
i c.if, et il vous mettra dans le lieu des bienheureux,
quand il se montrera, aux sons des trompettes, res-
suscité d'entre les morts.
Il vous faut donc luir celte cite ensanglantée et
chercher \u\ abri plus paisible, ô bienheureux, en
vous arrachant à ce monde, et en dépouillant l'é-
paisse et lourde enveloppe des mortels parmi les-
quels vous êtes lié par les ruses du Serpent.
Je n'ai rien appris de toutes ces choses par la
voix des prophètes, tout m'a été révélé dans mes plus
intimes entretiens avec le Maître. J'ai connu les
privilégiés de Dieu, incliné sur le cœur de ce Dieu,
et embrasé de la sagesse qui montait vers moi du
fond des abimes de son âme.
joseph. Le Sage seul peut donner les leçons «le la
sagesse. Espérez-vous voir encore Jésus ici-bas ?
SAINT-JEAN (lout bas.) Oui, après-demain est le
jour où va se manifester la gloire de Dieu, je n'ai
qu'un jour à passer.
joseph. Pour nous, Jésus n'est encore qu'un grand
homme, émané de Dieu, mort comme le vulgaire,
enseveli de même dans un suaire et des onguents,
né d'une mortelle, et qui, fils d une femme, devait
mourir. Mais si, à l'égal de Dieu, il triomphe de la
mort, il sera désormais, comme Fils unique de Dieu,
Dieu lui-même et honoré pour tel par quiconque
le connaîtra. Mes larmes ne sauraient donc couler
aussi longtemps à son sujet (pie sur l'enfant d'une
de nos femmes; car , fils d'une femme, il devait
mourir, «..'est ainsi seulement (pie jusqu'à présent
nous avions honoré cet ami. Mais s'il veut et s'il
peut agir en Dieu, le temps est. proche, le troisième
jour n'est pus loin, et tout va s'édaircir.
saint jF.A.v. Oui, oui, que chacun le sache, le jour
de la délivrance luira quand les rayons du soleil
apparaîtront à l'orient pour la troisième Fois.
JOSGPB. Oli ! que je voie ce jourdejoie! ami, plaise
à D.eu de me montrer ce miracle!
El maintenant, ô Nicodème, bon compagnon de
mon œuvre, relirons-nous; ami, prions pour ce
peuple, quelque coupable qu'il soii; prions pour la
pairie, alin (pie nul événement ne soit accompli par
Dieu, au moins durant noire vie.
(A S. Jeun.) Va vous, ami a qui hs femmes sont
inconnues, aviez nous, de même que la Vierge, car
nous avons pour vous respe. i c: amour.
Oui, Secourez -nous, malgré vos douleni déchl •
DlCiJOW. Dl.S Mïvlr.r.l\S,
railles, ô Dame, 6 Mè:e .le l'Homme Diee, au milieu
des prédictions du disciple-vierge, voire fils.
la mère ne dieu. Allez, et vous et Nicoocnie,
autrefois noir: disciple dans l'ombre des nuits,
maintenant notre ami au grand jour, comme vous ,
annoncez Ions deux les merveilles de la Puis-auce.
saint jean. Allez en p ix et sans crainte. Une vie
honnête et paisible, dans les pratiques de la vérité,
de la charité, de l'amitié, de la raison, du bon sens,
de la retenue et de la continence, assure un ave-
nir solide : car Dieu sait lout cl juge selon la sa-
gesse.
joseph. J'en suis convaincu, je crois à voire pa-
role, et sur celle assurance, je m'en vais libéré de
tout" crainte.
saint jean Allez , Dieu lui-même veille sur tous
ses amis, et vous verrez si je dis vrai.
SCÈNE XXIII.
LA MÈRE DE DIEU, SAINT JEAX, LES CHOEURS
saint jean. El vous, jeunes lilles, suivez-moi à
cette heure avec ma mère. Accompagnez-nous, et
le cœur cuirassé du Christ, marchez sans crainte
sur nos pas. Je vais vous montrer le lieu où vous
achèverez la nuit. C'est celte maison à droite, al-
lez-y, car je vois déjà la plus grande partie de la
nuit écoulée, l'aurore luit, les ténèbres s'effacent.
SCÈNE XXIV.
LA MÈRE DE DIEU SCUle.
la meue de niEu. Malheur à moi! malheur! mon
cœur dévoré de soucis, mon àme accablée! comment
le sommeil fermerait-il mes paupières ? Malheur à
moi !
O mon Fils ! combien voire mort n'esl-elle pas
inique! que suis je, malheureuse, parmi tant d'ad-
versités? Aucune de mes espérances n'a été réalisée
au milieu de ces événements, conformes, il est vrai,
aux prédictions. J'ai souffert bien des maux sans
doute, ô mon Fils, depuis votre naissance inouïe,
depuis voire berceau; mais au moins le plaisir s'en-
tremêlait quelquefois alors aux ennuis que dissipait
votre vue. Mais aujourd'hui, hélas! comment sup-
porter ce mal intolérable ! que faire? que l'aire donc!
Extrémité terrible ! Eh quoi! Le sommeil viendrait-
il appesantir mes yeux de ses charmes?
SCÈNE XXV.
LA MÈRE DE DIEU, LE CHOEUR.
le demi-choeur. O Dame, nous avons reposé stir
la terre, couchées, pêle-mêle, jeunes, vieilles, vier-
ges, nos lètes appuyées confusément sur le sein de
nos compagnes ou appuyées entre ros mains sur
nos genoux, et nous avons arraché au sommeil au
moins quelques heures. Mais vous, vous n'avez pas
dormi, votre corps n'a point [iris de repos; celle
nuit tout entière, vous l'avez consumée dans les gé-
missements, dans l'accablement de vos maux, et
l'œil ouvert, vous avez marché sans cesse autour
de nous. Et combien de temps encore voulez-vous
donc, demeurer ainsi, sans sommeil, le regard fixe.
L'aurore luit, la rue est foulée déjà par les pas des
habitants qui se répandent en tous lieux; le soit i',
s'éleva ut au-dessus de la terre, répand l'éclat tiu
jour, lance ses rayons el embrase le- sol.
la mère de dieu. Mon Fils mort . dans son sé-
pulcre, ne dois-je point pleurer et garnir, jusqu*à
ce que je l'aie vu hors du tombeau! Comment lo
fcommeil appesantirait-il ma paupière ?
SCÈNE XXVI.
LES MÊMES.
l'aitre t>:.vfi-r.noEi-R. Et moi aussi, l'esprit inquiel,
«ai. s sommeil, couchée surle sol, ou assise, Je n «
80
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TAS
DICTIONNAIRE t>ES MYSTERES.
PAS
C-20
ni sommeillé, ni dormi : j'écoulais, ô Vierge, vos
cris déchirants.
la mène de DiEc. Debout! debout ! qif il llendez-
vous, femmes? Sortez, prenez le chemin delà ville,
allez partout où il est permis, pcul-èire apprendrez-
vous quelque nouvelle. Vous êtes inconnues, vous
n'avez rien à craindre.
le chœur. Il me semble voir un de nos compa-
gnons s'avançant vers nous d'un sombre visage, et
porteur de nouvelles.
SCÈNE XXVI I.
LES MÊMES, UN MESSAGE».
le messager. Où aller? où trouver la mère de Jé-
sus? Dites-moi, femmes? le sauriez- vous? parlez.
Est-elle céans?
le choeur. La voici elle-même.
le messager. 0 mère du Maître que j'aimais tant,
je vous apporte une nouvelle qui, trop certainement,
vous rendra triste, et vous, et les disciples, et ces
chères femmes.
la mère de dieu. Soyez le bienvenu , malgré les
craintes que vous m'inspirez. Mais qu'y al il ? Quel
est ce nouveau malheur?
le messager. Une nombreuse cohorte armée oc-
cupe le tombeau. Quel est le dessein de ces hom-
mes? Je ne sais quelle conjecture faire! Je suis ac-
couru sur ce seul bruit, sans plus savoir. Le bruit
court parmi le peuple qu'ils sont allés là pour fouiller
le tombeau. Mais ce sont des on-dil de gens qui
n'ont rien vu. Qui a vu, parle autrement. Il doit sa-
voir le secret, mais ne vouloir pas l'ébruiter. Quel-
qu'un pourtant m'a dit que les scribes sont allés
trouver le gouverneur de la province pour obtenir de
lui des gardes et le scellé de la pierre du tombeau ,
dans la crainte que les disciples ne vinssent dérober
le corps. C'est là ce que je suis venu \ous dire.
la mère de dieu. 0 sénat des scribes et des an-
ciens, perpétraient* de tous mes maux les plus in-
tolérables, audacieux ouvrier de mort, macbinaieur
du meurtre du Seigneur, quel coup aigu ne recevras-
tu pas dans le coeur, quand lu connaîtras Ion im-
piété et ton audace? Quelle ne sera pas la violente
douleur? Mais si, jusqu'au dernier montent, lu per-
sistes dans le mal , comme en ce lemps-ci, si les cri-
mes ne t'apparaissenl pas dans leur perversité, à
cause de ta folie el de ta méchanceté , l'heure viendra
néanmoins où lu le jugeras enfin. Mais à quoi cela
le servira-t-il alors? Comment iraient-ils dérober le
mort, ceux qui ont fui devant les mains ensanglan-
tées du peuple? Comment convaincre d'approcher
du tombeau ces hommes frappés d'une peur si vive
et de tant d'horreur ? Va, garde ce monument. Bien,
bien ! Allez, cohorte, et regardez avec soin. Peui è re
est-ce vous , soldais, qui serez les témoins de la ré-
surrection.
Quanta nous, mes amis, nous allons rester ici.
le choeur. Sans doule, sans doule. Demeurons
en paix sous ce loil, et avant d'aller au sépulcre du
Seigneur, attendons la tombée de la nuit.
SCÈNE XXVIII.
LA MÈRE DE DIEU, LES CHOEURS.
la mère de dieu. Voici la chute du jour. Atten-
dons encore en paix ici, à cause des gardes. Car qui
oserait s'aventurer au milieu des rangs ennemis,
dans les ténèbres, pour aller répandre des parfums?
el qui arriverait sans péril? Pourtant, tel qu'un
éclaireur, quelqu'un des plus ardents disciples du
Seigneur a dû s'approcher du monument. Oui, cer-
tes, il faut que quelqu'un aille loul auprès. Car s'il
était certain que nul piège ne nous est tendu , de-
main, au lever du ji tir, nous irions auprès de ce
lombeau, prison de la vie, pour oindre, selon nos
usages, le corps du mort; nous irions ensemble : lel
esi mon avis. Mais si, au contraire, nous apprenons
uuclaue machination de nos ennemis , nous atten-
drons en paix un jour plus brillant. C r il n'est nul
lement besoin de parfumer ce corps étendu. Ce n'est
pas d ns les sombres horreurs du sein de la terre
que la corruption envahira le corps du Verbe. L'En-
fer, qui dévore tout, ne pourra retenir son esprit. H
a subi la mort de sa propre volonté, n'ayant rien à
se reprocher, pour enfermer justement la mort dan*
ses propres noirceurs! El comment cet Immortel, né
d'im Immortel, serait il sous le coup de la mort, qui
ne règne qu'aux enfers? A mon avis, c'est lui, au
contraire, qui va en emporter, comme son butin,
lotis les hommes qiu Ile y ;iva l conduits, el qu'elle
avait entrantes dans ce ténébreux séjour.
le choeur. Bien, lien. Mais d'abord il faut aller
aux informations. Envoyez quelqu'un au pins vite,
ensuite vous parlerez plus etr paix, et vous me ver-
rez prête à loul supporter à vos côtés.
la mère de dieu. Soil. Or, laquelle de vous, jeunes
filles, présentes ici, ose aller explorer dans l'ombre
les abords du tombeau? Laquelle me rendra ce ser-
vice ? Car il n'y a ici aucun des disciples du Seigneur,
tons ont fui la rage meurtrière du peuple. Mais pro-
bablement la fureur des Juifs n'est pas acharnée
ainsi cou ire nous lous; ils prisent peu notre sexe,
leur audace insensée persécute surtout les disci-
ples.
SCÈNE XXIX.
LES MEMES, MARIE-MADELEINE.
madeleine. Mêlée parmi vous, selon votre souhait,
à ces dangers, je demande- d'aller auprès du divin
tombeau. Instruite de ce qui se sera passé, je re-
viendrai, avant le retour du jour, je reviendrai hâ-
tivement. Je souhaite ce danger à cause de tous les
maux dont Jésus m'a délivrée. El peut-être le M. ni
sans mort nt'accordera-l-il quelque don plus pré-
cieux encore.
Mais il est bon de dormir, en attendant te jour.
Dormons, dormons donc. L'aurore n'est pis loin.
Et puissé-je, ô Roi universel, te voir plus tôt! Dès
que l'aurore aura lui, je partirai.
(Tout le monde s,eiulort.)
(A pari.) Peut-être renconlrcrai-je mes sneurs ac-
courues là. Elles devaient se tenir auprès du loin-
beau, surveiller. El, comme moi, leur espril n'était
rempli que d'une idée, celle de passer l<i nuit à ver-
ser des parfums auprès du Mort.
SCÈNE XXX.
LES MÊMES.
le choeur. Va-l'en, va-t'en ! Cours an loin devant
nous chercher quelque nouvelle pour raffermir nos
esprits. Nous le suivrons avec la Vierge, el accom-
pagnées de beaucoup d'autres femmes venues «le
Galilée. Toutes, je pense, sont d'accord d'aller au
tombeau derrière tes pas, pour voir l'issue de noire
attente el l'objet de nos espérances. IN us avons
dormi un peu, et l'aurore luit.
madeleine. Allons, de l'activité ! Et comme le tra-
vailleur peut songera ses récompenses, comme pour
celte veille il y a salaire, c'est faveur au double p or
moi, qui ayant tant teçu dej.i, y vais gagner encore
quelque chose.
la mère de dieu. Le sa'aire est juste, du reste,
mais vous portez un jugement, sûr, votre raison est
bonne, voire parole jusle; car vous appelez récom-
pense et faveur les bienfaits reçus avant. nul mérite
ou que vous recevrez. Mais quel prix si désiré allez-
vous demander? Jésus ne manquera de vous com-
bler de dons, précieux parmi les hommes, je lésais,
el vous serez heureuse à jamais, les possédant.
madeleine. Je pars à l'instant pour vos intérêts.
Puissé-je, la première d'entre les femmes, voir la
Résurrection! Voilà mon souhait pour mes peines.
Vous voyez... Ne voyez-vous pas ma joie?
la mère de dieu. Prenez garde de ne pas tomb'J
parmi les embûches de l'aine. ni.
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t'A S
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
G23
Madeleine. Je prendrai mes précautions, j'appro-
cherai sans bruit. Mais que j'aie ce bonheur! que
j'urrive, selon vo; souhaits, et vos souhaits sont de
voir bientôt voire Fils. A volve gré, je mets de côté
Joule crainte du danger, el je vole...
la mère be dieu. Allez vile el soyez la messagère
joyeuse de mes désirs. Tel est mon souhait.
madeleine. J'obéis, je suis en ro;ile. Vous clés ma
Dame, je me garderai de vous manquer en rien;
j'obéis.
la mère de dieu. Eh bien ! je veux vous suivre,
Marie. J'ai regret, oui, j'ai regret de rester derrière
vous. Après tant de souris, comment supporterais-
je quelque nouvel ennui?
madeleine. Allons donc ensemble, ô Vierge chérie!
votre compagnie me réjouit beaucoup. Mais voyez-
vous celles-là, si elles secoueront le sommeil. Debout !
debout! Qu'attendez vous, femmes? Déliez les nœuds
atlourdis de vos paupières. Ne vous liez pas à l'éclat
de la lune en son plein. L'aurore est proche. Voici
l'aurore, voici l'étoile du.malin.Le sommeil qui charme
vos yeux esl bien doux, puisqu'il a pu se glisser en
vous el s'emparer de vos âmes accablées de dou-
leur.
SCÈNE XXXI.
LE CHOEUR.
le choeur. L'àme inquiète, accablée de chagrin ,
j'ouvre loule la uuil un œil vigilanl.
SCÈNE XXXII.
LA MÈRE DE DIEU, MARIE-MADELEINE.
madeleine. Hâtons le pas, chère Vierge,;malgré les
tourments qui vous abattent. Marchons rapidement
auprès du tombeau. Quand ces femmes seront enfin
éveillées, elles nous auront bientôt rejointes d'un pas
assuré.
\a mère de dieu. Oui , avançons. C'est bien ! Je
le dis, les rayons du jour qui approche apportent
avec eux la délivrance. Allons donc, allons ! Oui ,
elles viendront après nous , au bruit de nos pas,
plus rapides assurément que des colombes, el légères
dans leur course. J'élève encore ma faible voix , je les
avertis de venir ensemble au sépulcre. Rien, les
voici debout , leur beauté esl merveilleuse.
SCÈNE XXX111.
LA MÈRE DE DIEU, MADELEINE, CM TOUtC.
la mère de dieu. Ah! ah! mon Fils! le voici ce
troisième jour désiré, ce troisième jour attendu de
vos amis. Que mon espoir soit satisfait , elque ce jour
soil le dernier des miens! O mon Fils, ô bien-aimé,
être divin, vais-je vous voir, après l'excès de mes
malheurs ? Quand vous verra i-jé , ô mon Fils? Dieu
veuille vous montrer à moi avec le jour! Accourez ,
laissez les retraites des morts cl les portes de ces
• eux, où le diable esl craint, et qui ont vu enfin ,
pour la première fois, la clarté des cieux, par votre
présence dans leurs profondeurs. Venez, venez.
Apparaissez, prévenez l'aurore. O Dieu, Dieu du
licl, vous èles présent partout.
madeleine. Al) I je vois le tombeau sans gardes !
Qu'y a l-il? Les soldais seraienl-ils cachés quelque
part en embuscade?
la mère de dieu. Peut-èire ont-ils méliié contre
nous quelque chose! Leur iroupe esl hardie, sir-
loul aujourd'hui qu'elle domine.
madeleine. Que faire, sœur? Nous ne trouvons
rien qui soit conforme à noire espérance. L'espoir
nous quille.
la mère de dieu. Confiance! avançons. Peul-èlrc
nous retrouverons le Mort reprenant ses esprils?
Celui qui a une sage confiame en Dieu esl le meil-
leur garde de sa sûrelé. Marchons donc!, Mais qui
nous roulera la pierre?
• Htiileleine court , In Mère de Dieu lu suit de loin.)
madeleine, 'reucnnnf. Ah! ah! Roi immortel! quel
événement terrible ! Comment a été en si peu de
temps roulée la pierre? J'ai vu le loin beau du Sei-
gneur vide. Je vous quille. Je. vais dire aux disciples
comment a été enlevé le mort. Je reviens à l'instant.
O Vierge, je vous retrouverai ici avec les femn.es.
(Elle s'éloigne.)
la mère de dieu. Rien , bien. Comme vous êl^s
revenue vite , amie? Moi, à la vue de celle pi< rr ;
roulée hors de sa place, je suis glacée d'effroi. Mais
voyons. Comment cette pierre a- 1- elle été roulée en
si peu de temps de la porte au devant du s»pulcre ?
SCÈNE XXXIV.
LA MÈRE DE DIEU, L'ANGE.
la mère de dieu. Ah! ah! silence, silence! Quel
est celui-là dont le visage esl si éclatant de splen-
deur et qui esl assis sur la pierre, merveilleux de
beauté, el si gracieux dans sa robe blanche? (I est
éblouissant comme une neige à peine tombée. Les
gardes sont étendus à terre comme des morts.
l'ange. N'ayez pas peur ; éloignez la crainte de
vos esprils. Celui que vous cherchez n'est plus dans
ce sépulcre. Jésus, qui fut crucifié, n'est plus étendu
sans vie dans s*m cercueil. Il esl ressuscité, el se
rend en Galilée; où, selon sa parole, il veut se mon-
trer à ses disciples. Enlrez, regardez, le tombeau
est vide. Retirez-vous maintenant, sortez, et diles
partout ce que moi-même je vous ai dit. Racontez
aux disciples, à Pierre, comment est tombée la puis-
sance de l'Enfer, comment le Christ esl ressuscité,
comment la pierre du monument a été puissamment
écartée. Les gardes des enfers, délivrés de toute
crainte, oui abandonné les portes. Les morts, sous
l'expansion de la lumière , ne font qu'un bond de
Feuler à la terre. Ils invoquent le Dieu Sauveur.
Tous sont sortis, leurs chaînes s'étant soudain bri-
sées.
SCÈNE XXXV.
LA MÈRE DE DIEU, S€Ule.
la mère de dieu. Oh ! voici donc , avec la lumière
éclatante du soleil , selon nos espérances, le terme
de nos maux. L'Ennemi esl tombé. Le Christ esi
sorti du tombeau. Quelle aurore lui jamais plus eni-
vrante? Quel bonheur fut jamais plus grand pour
moi? Mais, ô mon Fils! où allez-vous après avoir
foulé l'Enfer sous vospieds? Où allez-vous? où doi c'.
el quand, ô mon Fils! vous reverrai-je! Venez, ve
nez et montrez-vous sans retard à votre mère.
SCÈNE XXXVI.
LA MÈRE DE DIEU, MADELEINE.
mvdelene. Sansdoute, vous Le verrez avant toute
autre; c'est mon sentiment. Mais sortons, ainsi que
l'a dit celui qui portait les vêlements blancs, ei
donnons cette heureuse nouvelle à tous les disciples,
nos amis. Je vais d'abord auprès de Pierre et de Jean,
pour porter mon bonheur aux plus aimés. Car celui
qui m'est apparu m'a ordonné de donner avis à
Pierre. Je cours raconter le sépulcre vide, ma vi-
sion du maître , ses paroles. Ils se sont hâtés pour
visiter le inonuinenl, el, sans doute, ils ont loul
examiné avec soin.
SCÈNE XXXVII.
MARIE-MADELEINE.
marie-madeleine. Mais, oh! que vois-jc? Le Sei-
gneur sous une nouvelle lorme! Que sais-je? Com-
ment comprendre? El pourtant, plein de beauté,
quelqu'un esl là. . . .
SCÈNE XXXVIII.
MADELEINE, LE CHRIST.
LE CHRIST. Salut !
MADELEINE, Salut! ô Très-bon Fils du Très-Col),
€23
PAS
DICTIONNAIRE DE} MYSTERES.
PAS
til
Roi des'Toï*! 0 vous qui avez renversé la mort,
voire dernier ennemi! Roi, Roi immortel! Dieu
puissant, laissez-nous baiser vos pieds avec terreur.
Nous voici prosternées à terre pour les baiser, frap-
pées à la foi <!e joie et de crainte.
le chbist. Ne craignez point. Non , n'ayez nulle
crainte. Allez , el annoncez sur-le-champ à mes frères
qu'ils aient à partir pour la Galilée. C'est là qu'ils
nie verront, selon ma parole.
SCÈNE XXXIX.
LA MÈNE DE DIEU.
la mèrf. de dieu. 0 splendeur ineffable des rayons
du soleil! Stimulante aurore! Eclat inénarrable de
la foudre! 0 joie du monde en lier! ôjoie! 0 plaisir
plein de douceur! exaltation suprême! qui pourrait
dire, quels termes rendraient la jubilation de mon
âme!
Marchons, selon Tordre du Seigneur!;
SCÈNE XL.
LA MÈRE DE DIEU, MADELEINE.
madeleine. Voici près de nous, Madame, les
jeunes filles que vous aimez , el tontes vos com-
pagnes Galiléennes; elles courent au monument, pour
parfumer le mort , ignorantes encore de sa résur-
rection. Reloiirnons auprès d'elles au tombeau :
qui se lasserait jamais d'admirer des merveilles?
L'âme avide de science l'esl surtout des phénomènes
inconnus, el souhaite qu'ils se répèlent autour
«relie.
SCÈNE XLI.
MADELEINE, l'a.NGE.
MADELEINE. Mais quel est ce beau jeune homme
a?>sis en robe blanche à la droite du sépulcre. Je suis
saisie de peur à son aspect éblouissant.
le jeune homme. Ne craignez point. Non, n'ayez
nulle crainte. C'est Jésus de Nazareth , je le sais , ô
jeunes filles, que vous cherchez. Il n'est point dans
ce tombeau, il est ressuscité, et ce lieu-ci est vide.
Allez donc , dites aux disciples et à Pierre que Jésus
ne lardera pas à se montrer à eux en Galilée.
madeleine. Tremblante, frappée d'horreur, je vais
auprès de Pierre el des autres disciples , porter encore
telle heureuse nouvelle. Celui qui m'est apparu
m'a lionué ordre de parier à Pierre.
SCÈNE XLI!.
LA MERE DE DIEU, LES CHOEURS.
le chœur. O vierges! saisies d'effroi , nos esprits
bouleversés d'un spectacle si nouveau, fuyons rapi-
dement dans noire peur; fuyons de ce tombe tu.
Les spectacles offeris à nos yeux, les paroles re-
cueillies par nos oreilles, seront enfouies dans le
silence. iNons ne répéterons rien à personne.
Souvenons-nous des ruses du vendeur du Verbe,
nous avons à redouter la corde du supplice. Celle
qui parlerait de ce tombeau , de la robe , de la voix
de ce jeune homme, révélant ainsi les mystères,
deviendrait sans doute la risée de nos ennemis réu-
nis autour d'elle.
Fuyons. Sortons des profondeurs de ce sépulcre,
cl que nul ne dise rien à nos ennemis de ce que nous
avons vu : on ne peut parler qu'aux amis, qu'aux
disciples.
Certes, il n'y » point de mal d'avouer la vérité;
mais ce bonheur n est pas ordinaire aux messagers
véridiques.
Ne menions point , pourtant. Le mensonge doit
nous déplaire, à nous qui évitons les gens trop cré-
dules aux revenants et effrayés des récils d'appari-
tions, et qui , sous la conduite de Dieu, redouions
le péché.
Ainsi nulle de nous ne p ut parler en dehors du
monument. Je le répète, pas un mot du sépulcre, ni
«le l'état de Jésus mort ou vivant, car chacun, dans
le danger, doit peser ses paroles et savoir à qui il
parle.
Fuyons donc ces lieux, jeunes filles, et ne parlons
de ces merveilles à personne.
Le mal n'est pas, je le dis encore, dans l'existence
des faits; non, il n'y a là rien de mauvais, et il n'y
a point de mystère à en parler. Mais quel est celui
qui va découvrir son secret à son ennemi ? a-l-il
dessein de combattre la haine par l'amour? Ah! si
le jour triomphe de la nuit, la nuit l'emporte aussi
sur le jour, el le mensonge trahit la vérié (255).
Cependant, allons en toute baie auprès des disci-
ples. Nous ouvrirons à nos amis la joie secrèle de
nos cœurs en donnant celle bonne nouvelle.
Mais qui donc vois-je qui se précipite de ce côlé,
au milieu des ténèbres?
SCÈNE XLÏII.
LES MÊMES, LU MESSAGER.
le messager. Dame, mère d'un Fils tel «pie jamais
je n'ai ouï dire «pie femme en eût enfanté-..
la mère de dieu. Lequel de nos amis tes-vons*
L'étendue de ma vue est affaiblie par les ténèbres, el
je ne vous reconnais pas bien...
le messager. Je suis un ami toujours sûr pour vous
el votre Fils mort, à cause des miracles qu'il a faits
et de sa bonté.
la mère de dieu. Que m'annoiiccrez-vous de nou-
veau? Quoi? parlez vite.
le messager. Salut, Dame! tel est mon premier
moi. Joie et force! c'esl le plus I el exorde que ja-
mais personne ait pu dire; el j'apporte des récits
non moins remarquables. Quelle nouvelle j'apporte»
el pour laquelle je suis venu...
la hère de dieu. M'aniioncercz-vous que mon Fils
csl déjà de retour des enfers?
le messager. Vous l'avez dit ; me voici plus lég r
d'un discours de inoins. Il est ressuscité, il est b*.
Le bruit qui s'en répand le constate. Il a quit é les
enfeis el marche sur la terre. C'esl là ce dont je suis
venu vous informer.
la mère de dieu. Nous le savions. Mais, vous, d'oii
l'avcz-vous appris? Eh bien! parlez. Que dites- vous î
Comment dites-vous? Comment le savez- vous? Quel
indice assuré en possédez-vous?
le messager. La troupe des gardes,, qui, duraat la
nuit entière, était restée, et qui avail veillé sur le
tombeau avec le plus grand soin, s'enfuyant en lu-
uuille dans l'ombre, a couru vers les prêtres tout
épouvantée, el, dans son i rouble, n'a pas caché ce
nouvel événement. Les messagers delà nuit étaient
saisis d horreur, el ils ne tremblaient pas tous ainsi
sans raison. J'en ai appris par hasard les umiifs.
Celle nuit, étant entré dans la ville, dans 1 intérieur
«les murs, je les reconnus, et, marchant sans bruit,
j'écoulai, par derrière, les discours de tonte la co-
horte.
Dans leurs discours, longs et diffus, où la liberté
se mêlait à la crainte, ils racontaient les événements
effrayants du sépulcre.
[La garde] parla donc; |elle] dit aux anciens et
aux princes des prêtres, fauteurs du meurtre, qui
étaient réunis et qui se consultaient :
« O perpélraleurs de ce crime horrible, assemblée
des scribes el îles anciens, je viens von-, annoncer,
à vous el aux citoyens de celle ville, bien des cho-
ses surprenantes ; tous ces prodiges inouïs, étran-
ges, dont a frappé mes yeux ce Mort dont je m'étais
de bon cœur l'ait celle unit le gardien, me glacent
encore d'horreur. Ah I vous-même, avec nous là-
bas, vous qui nous avez envoyés pour garder le Mort
(255) V. 2170 —M. Dubner considère le passage qui suit comme intraduisible el inintelligible, et dé-
clare avoir suivi la traduction des Uénédiçlius. faute de mieux.
œs
ris
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
r.\s
ter.
dans son tombeau, vous lui auriez peut-être adressé
des prières au spectacle de tant de choses inconnues
encore. Mais je veux savoir d'abord si je puis dire
librement ce qui s'est passe, ou meure un frein à
mes paroles. J'appréhende surtout de faire le rapport
au terrible gouverneur; je redoute la violence de
son caractère, son irascibilité et son humeur hau-
taine. > C'est ainsi que celle soldatesque parla aux
anciens. Ceux-ci, s'étanl tournés les uns vers les au-
tres, se parlèrent entre eux et prirent enfin celle ré-
solution puérile : < Voici que, disaient-ils, l'injure
que nous avons commise contre Jésus s'allume
près de nous comme un incendie, et nous sommes
la proie d'une grande perplexité. Mais il faut qu'où
ne nous voie pas inquiets, et que nous fassions bon
accueil à ces gardes. » Alors se tournant vers les
gardes: c Ecoutez, soldats, dirent-ils. Voici noire
;ivis : gardez le silence sur tout ce que vous ne
pouvez raconter qui soit dans notre intérêt, et nous
mous faisons fort de vous faire reconnaître pour in-
nocents; dites seulement que les disciples ont subti-
lement deivlié le corps, et nous vous ferons de très-
beaux présents. Non, certes, il ne faut pas que vous
alliez couler au gouverneur ce qui est à la gloire de
l'Enseveli et à noire cuisante honte; ce serait en-
flammer la colère du peuple et exciter contre nous
l'universelle indignation, i Les soldats répondirent :
< Eh bien \ nous ne révélerons rien de ce que nous
savons, puisque cela vous plaît ainsi, et que vous
vous portez garants pour nous auprès du gouver-
neur. Mais il faut que vous, vous sachiez tout.
c Cel homme n'est vraiment pas moins qu'un
Dieu, à en juger d'après les miracles qu'il a faits
autrefois et qu'il vient d'accomplir. Il esl sorti de
son tombeau, dont un bloc de pierre fermait l'ou-
verture, laissant intacts , comme ils sont encore,
tous les sceaux, et pendant que nous veillions en cer-
cle alentour, tout s'est illuminé, el l'horreur dont
nous étions frappés nous a laissés comme morts.
L'édifice de la terre a tremblé dans ses fondements,
lu pierre du monument a roulé tout à coup, comme
il esl aisé de le voirel de le comprendre en exami-
nant le sépulcre. Une voix a reienti dans l'espace,
cl, sans doute, Dieu le père lui-même s'est lait en-
(236) M. Magnin ayanl supposé le Christ souf-
frant ■■ Itéré par divers compilateurs, a dit :
V. 2270. < Ici l'arrangeur, par une inadvertance
sans égale, oublie que nous sommes au milieu d'une
narration faite à la Vierge par un partisan de Jé-
sus, et il intercale deux scènes en action dans la
iranie même du récil que le messager reprendra
plus lard au point OÙ il l'a laissé. L'étourdi compila-
teur n'a pas même pris le soin facile de supprimer,
dans ce qui va suivre, les noms des nouveaux in-
terlocuteurs pour se rapprocher, tant bien que mal,
de la forme narrative. Les noms soûl rubriques dans
les manuscrits, et placés en vedette dans les édi-
tions imprimées. » (I*. 2278-279.)
Nous croyons, au contraire, qu'il n'y a pas là une
scène distincte. Le messager continue son récit, non
plus sous forme oratoire, mais sous forme drama-
tique. Si les anciens manuscrits et les premières
éditions ne portent pas de noms de personnages,
c'est cpie le moyen âge el les premiers tempe de la
Renaissance ont mieux compris l'intention de saint
Grégoire de Nizianze qui était, en interrompant l'ac-
tion propre du narrateur, de faire donner par lui la
pantomime des scènes auxquelles il avait assisté.
On ne peut dire non plus que le messager reprenne
son récil où il l'a laissé, car, eu le laissant, .s'il ne
donnait sous forme dramatique la réponse des prin-
ces des prêtres, c'est alors que le récit serait tron-
qué. Ce passage ne prouve qu'une chose, c'est que
le Christ souffrant a été represen'é.
M. Magnin cite comme une variante notable que
la p. crie du sépulcre < a roule... d'elle-même » el
tendre dans ce fracas étrange. En même temps, le
tonnerre a grondé, le <i I el la terre ont été enflam-
més de feux divins. Bientôt l'air s'est lu, les bois
ombreux ont suspendu en silence les frémissement)
de leurs feuilles; d'aucun côté on n'eut ndail plus
aucun bruit. Ainsi donc, ô amis, ne repoussez pas
cel homme, quel qu'il soit, car il esl bien grand. On
dil même, et je l'ai entendu, qu'il répand sur les
hommes une grâce qui éloigne le mal, et qu'en de-
hors de lui il n'y eut, il n'y aura jamais rien de bot:.
Si ces récits sont vrais, j'aimerais mieux lui offrir
des sacri lices que de regimber en furieux contre
l'aiguillon, et, faible mortel, lutter contre Dieu.»
1.
LA GARDE, LES PONTIFES (23fi).
« [les pontites.] Vous avez bien dormi el vous nous
contez vos rêves... Les disciples, pendant les dou-
ceurs de votre somme, ont dérobé le mort : dites
cela au gouverneur, el rien de plus.; el gardez le si -
lence sur ce qui nous esl défavorable. Si vous êtes
discrets, vous recevrez de nous des présents... Pro-
bablement, vous vous êtes entendus pour vendre le
corps... Si vous ne retenez pas votre langue, le gou-
verneur sera mis au l'ail...
« [la g\rde.] Il serait imposs.b'e devons donner
f ii dans mes p noies. Mais, si mal que vous les ayez,
reçues, je dir i que vous avez tort de vous empor-
ter ainsi , apaisez-vous. Sinon, ce serait intolérable.
Nous n'avons rien vendu; la présence du sceau suf-
fit pour le prouver. Vous n'avez nul sujet de nous
accuser, car les scellés sont intacts, la pierre d«
tombeau esl à sa place, et, prodige inouï! il esl soiu
dil sépulcre.
< [les pontifes.] Oubliez toui cela et recevez ce»
préseuls.
< [la carpe.] Quoique vous ne veuillez pas agir
selon mes vœux, je me conformerai aux vôtres.
Mais occupez-vous de me tirer sain el sauf de c :
mauvais pas auprès du gouverneur.
« [les pontifes.] Soyez sans inquiétude. Je lui
persuaderai d'autant plus aisément de n'avoir pour
que les soldats racontent que « au contraire... elle
est resiée à sa place. » Trois passages ont trait à ce
mirât le.
V.2247 et 2248.
. . . Qui de sepulcro, cui lapis erat impositus, tes*
exser eus, siijillis adhuc integris immanentibus...
V. 2255.
Aitpvyjf S'ô ),i0oç Èy.Y.i/.-ùlurroci xi'fou...
. . . Stalimque lapis a monumeulo reiohuus fuit...
V.2283, 2-184.
T^pO'Ufiévrjç yvp, xetpÉvou tô toû ),t0ov
iip.*i<jxn toû -ré^ov...
. . . Sigillo enim illœso, et posilo lapûlc..., e sepul-
cro surrexit...
Les trois passages concordent parfaitement . le
premier dit que Jésus est sorti du tombeau, laissant
les sceaux intact?; le second, que la pierre du monu-
ment a roulé sur elle-même el s'est écartée pour ne
pas s'opposer à sa sortie, el le troisième, (\\\"elle.
s'est replacée, el que les sceaux ont reparu intacts.
Il n'y a là aucune variante, et même M. Magnin
attribue à tort tantôt au messager, tantôt à la garde,
les prétendues versions opposées; car c'est partout
la garde qui parle, dans le récit du messager. Bien
loin de se contredire, ces passages se complètent, et
les répétitions de mois el de pensées ne prouvent
qu'une même main.
r^?
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
(£8
h!
ma
vi.iîs que des sentiments bienveillants, que vous
èies de son pays et qu'il est né sur le sol d'Ausonic.
Mais allons vile... Ne craignez rien. Vous lui direz:
Les disciples sont venus pendant la nuit ; ils ont
trompé notre vigilance et o.it enlevé le corps. »
Pautoaniuic.
II.
LA GARDE, P1LATE, LES PONTIFES (237).
« [la garde.] Hélas! malheur à mois! ali! ah!
i [pilate. 1 Qui est là? qui gémit et pleure à
porte?
< [les pontifes.] C'est le bataillon qui gardait le
corps du condamne, ô gouverneur ; et il se lamente
sous le coup d'une grande crainte.
« [pilate.] Ils sont les bienvenus, quoiqu'il y ait
quelque chose d'étrange à leur visiie. Pourquoi ces
pleurs? pourquoi ces cris, ces gémissements? D'où
v eut qu'ils ont peur? dites.
« [les pontifes.] Ils sont là, qu'ils parlent.
i la garde] Gouverneur, les disciples de Jésus
sont ve .us pendant la nuit; ils ont trompé noire vi-
gilance et ont enlevé le corps.
« [pilate] Comment, race de bandits, comment
les disciples se sont-ils approchés du sépulcre, y
sont-ils entrés, sans être vus, et ont-ils enlevé ie
mort? Vous ne les avez pas vus entrer dans le loin-
beau, ni sortir? Qui doit supporter la peine d'un tel
méfait, sinon vous? Vous aviez la garde du tom-
beau, n'est-ce pas? Vous vous êtes enlcn :us pour
me rendre la risée de tons, et, ouire la honte, je
p ier.iis pour le sang versé ! Ah! les voleurs se sont
joués de vous et se mopient à leur aise de moi. El
quel intérêt avait-on de dérober ce corps inani i.é?
Comment l'aurait-on osé, au milieu de lanl de gar-
des, munis de torches allumées, quand, d'ailleurs,
la nuit marche sous le disque au plein de la lune ?
Comment ces hommes intimidés ont osé et pu appro-
cher, rouler la pierre, quand toute une légion ne l'a
pas placée sans peine, et quoiqu'il y eût, en de-
hors, u.i sceau placé en voire présence par l'Assem-
blée même des anciens. Est-ce que je connais ces
«isciples qui, selon vos dires, ont dérobé le mon?
C'est vous qui êtes les artisans de tout, et je n'en-
tends à rien, puisque vous teniez de nf abuser par
vos discours artificieux. Croyez que vous auriez be-
soin de longs et solides arguinen's pour me mettre
dansla lêleque votre récit n'eslpasun mensonge. Vos
paroles n'oni rien de la vérité; les desseins dégui-
sent les discours, elles discours sentie jouet des des-
seins.
< [la carde.] Vous dites vrai, ô gouverneur ; an si
vont les choses. Mais, quant à nous, nous avons,
toute la nuit, tenu l'œil ouvert : ni somnolence, ni
assoupissement, nous en attestons votre l te, nous
avons toujours eu les regards partout, et nous ac-
courions ici pour vous tout révéler. Nous nous étions,
celte nuit même, mis en route en toute bâte, pour
vous parler et éviter le châtiment. Mais les sages
connaisseurs ries choses divines nous oui persuadés
d'attendre le brillait! éclat du jour... certes l'absence
des feux éclatants «lu soleil ne nous a pas retenus,
nous nous sommes précipités auprès de ces ponlifes,
nous leur avons dit ce que nous avons vu et enten-
du ; mais eux, non plus, n'ont pas eu foi dans nos
discours.
i [pilate] J'ai bien peur, soldais, que vous ne
me uébiliez de vaines fables. Car si les disciples
sont les voleurs [de celle nuit,] nous les connais-
sons bien mal; tout cela m'esl singulièrement sus-
pect; quelles preuves pourrez-vous fournir?
« [la garde.] O gouverneur, vous êtes prompt ;
(257) « L'arrangeur, oubliant de plus en plus la
situai ion critique du messager, qu'il a laissé, bou-
che beauté, au milieu de sa narra lion, prolonge im-
p-iiiiihablemeni celle monstrueuse parenthèse. Il
change même une seconde fois te lieu de la scène)
vous ne savez même pas ce qui s'est passé. Un vo-
leur de nuil a de grands avantages. Au reste, faites
comparaître d'abord les hommes du bataillon, et si
un seul d'entre eux, le plus lestement même possi-
ble, a quitté son poste celle nuit, qu'il soil arrêté,
m:s aux fers et battu de verges, pour apprendre son
devoir, car ce serait une honte et aussi un grand
ton, avec l'aide de Dieu, de ne pas punir et de ne
pas mettre la main sur ceux qui, à noue désespoir,
oui commis un si grand crime.
« [pilate.] Je ne crois pas à vos voleurs de nnif ;
non, je n'y crois pas ; (oui cela m'est suspect, très-
suspect. Comment ces gens en fuite ont-ils dé-
robé mort celui que, dans leur extrême épouvante,
ils ont abandonné vivant? Votre cohorte n'était pas
non plus accablée d'un sommeil tellement lourd
qu'elle ail oublié toute surveillance du tom! eau.
Non, ces hommes n'ont pas commis celte action, au
plus profond de leur abattement, et si près du ien>ps
où, dit-on, la simple question d'une servante les
amenait à renier leur maître par crainte...
j [les pontifes.] O vous qui êtes si f( rme en lotîtes
rencontres, vous voici bien troublé; et ces récits
vous donnent bien de vains soupçons. Plût à Dieu
que vous fussiez homme de conseil, comme vous
êles homme d'exécution ! Mais il n'y a pas d'homme
à qui la nature ail donné de tout. Les uns ont un
don, les autres un antre. Vous avez la bravoure; il
y en a qui ont la pénétration. Au récit de ces gardes
porteurs de torches, vous vous empotiez, vous ne
pouvez comprendre (pie le Séducteur [Jésus] ail élé
ravi par ses disciples. 11 y a un terme de guerre :
Il faut avoir la main armée...
« [pilate. J C'est vous qui avez débauché ces sol-
dais, et vous essayez maintenant de me tromper.
Tout cela est voire œuvre, vous en verrez les suites,
n'en douiez pis...
« [les pontifes.] Décidez-en donc, à votre fan-
taisie, puisque vous avez le pouvoir de tout dire et
tout l'aire... >
Instruit ainsi de l'audace de ces pervers qui veu-
lent étouffer ainsi par ruse le bruit de la Résureclion
du Christ, je suis accouru, Madame, pour vous pré-
venir. Ne refusez pas de nie croire, car tout ce que
vous avez entendu est vrai. Je suis sûr même que
le bruit en est répandu par toute la ville; car la plu-
pari des gardes publient sans crainte ce miracle ou
en font le récit dans des entretiens sccrels 11 va ve-
nir de tous côtés vers vous bien des gens, et vous
connaîtrez tout. Moi je suis venu en toute hâte vous
porter les premiers indices, pour avoir place dans la
joie de votre âme cl dans vos plus doux transports.
la mère de dieu. Soyez le bienvenu, et Dieu vous
bénisse en récompense! Soyez le bienvenu, pour
avoir dénoncé le crime ie plus affreux de ces mé-
chants vieillards remplis jusqu'au fond de l'àme de
fausseté et de vanité.
El comment un sépulcre, un sceau posé sur une
pierre, une cohorte de gardes, auraient-ils pu retenir
le corps du Verbe insaisissa! le retournant vers le
Père, dont il procède ? Retenir celui qu'on a vu autre-
fois fouler de ses pas les (lois de la mer, comme si
c'eût élé la terre; ce Maître qui est son principe à
lui-même et son propre créateur; celte Pierre an-
gulaire qui, se soutenant elle seule par son unique
vertu, porte l'univers; c< Dieu dont la grandeur a
paru en venant au jour sans faire v olei.ee au sein
qui I enfermait, et sans en altérer la virginité. Je l'ai
enfanté; et je sais comment. Mais une cohorle de
soldats a-l-elle pu comprendre la résurrection de
celui qui échappe même à l'intelligence des anges ?
et nous conduit de la synagogue dans le palais de
Ponce-Pilaie. > ( M. Macnin, Journ. des Suv., 18tl»,
mai, p. 280.) — V. noie 235. — Au lieu de deux
admis, le Messager en mime trois.
r.29
TAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
P.. S
63!)
De quelle manière son corps s'est-il formé d'un sang
mortel ? Comment cet Eue incorporel, ei qui, aupa-
ravant, était le Verbe, s'est-il fait chair? Comment,
ionien restant tout entier avec le Père dans le ciel,
et tout entier au milieu île l'univers, fm-il enfermé
dans mon sein ? Ce sont là les mystères qui ont
excité l'envie et la colère des pontifes.
(Au chœur). Mais maintenant, amis, courons au
sépulcre, allons-y de nouveau le plus prompiemenl,
examinons encore toutes choses avec soin, afin d'en
faire le rapport à nos amis; eux-mêmes, une fois
arrivés, vérifieront complètement.
le choeur. Pierre, avec Jean le bien-aimé, cou-
rant en toute hâte vers le tombeau qui enferme en
soi la vie, après avoir tout examiné, ont parlé aux
amis, dans les mêmes termes que Marie-Madeleine,
à qui toute foi est due, et qui, la première arrivée,
avait tout vu avec soin et avait fait connaître que
le tombeau était vide.
la mère de dieu. Oui, avant toute autre, Made-
leine était arrivée au monument, et moi j'étais
derrière elle, el nous avons vu vide le lieu où aupa-
ravant était le cercueil. C'est Madeleine qui a eu
l'idée qu'on avait enlevé le corps du mort bien-aimé,
pour le déposer en un autre lieu. Mais, aussitôt,
nous avons su ce qui s'était passé; el Marie l'a
prompteinent fait savoir aux disciples. Pierre, de-
bout à l'instant, a pris précipitamment le chemin
<iu sépulcre; non moins vite que lui s'est élancé le
disciple vierge, el tous deux ont vu ce qu'avait an-
noncé Marie. Et nous-mêmes, nous voici pour la
seconde fois sur la roule du sépulcre ; nous voici au-
près... Mais, Madeleine elle-même... Eh bien! qu'elle
nous raconte ce qu'elle a entendu et ce qui a été fait.
SCÈNE XLIV.
LA MÈRE DE DIEU, MADELEINE, LES CHOEURS.
Madeleine. Que dites-vous, dame Yierge, joie du
genre humain ?
la mère de dieu. Je racontais à ces jeunes filles
loulee que lu asditavoir vu la première, dans ion ré-
cit aux disciples...
Madeleine. Tout est, Madame, comme vous l'avez
dit ; el vous savez que j'arrivai la première au
tombeau; vous avez entendu tout ce que j'ai dit. Il
m'est donc mutile de répéter comment, accourue à ce
tombeau asile de tout bien, je fis, d'abord avec vous,
cl ensuite avec les deux disciples, au milieu d'une
abondante rosée de larmes, un examen et une re-
cherche minutieuse de toutes choses...
Je vis deux anges, vêtus d'aubes blanches, asns
au-dessus el au-dessous du sépulcre, l'un à la lêle,
l'autre aux pieds, entourés l'un el l'autre de rayons
[lumineux] comme des habitants des cieux, el je
restai immobile, toute tremblante de joie et de
crainte. Alors vinl frapper mon oreille une voix,
sans pareille; en me tournant épouvantée, soudain
j'aperçus le Christ, combien différent d'autrefois !
(u'ai-je pas dit qu'il m'apparul dans tout son éclat?)
je tombai sur le sol, n l'efforçant d'embrasser ses
pieds. Il me retint, et m'envoya vers les disciples.
J'ouïs alors mes plus curieux désirs, son retour dans
les cieux. auprès de son Père... Mais il n'y est pas
moulé encore. . Il nie dit encore qu'il devançait ses
disciples dans les terres stériles de la Galilée et qu'il
les v attendrait, selon ses promesses. Telles furent
les nouvelles que je donnai aux disciples bien-aimés.
Auprès d'eux mes discours furent de peu, car ils
coururent précipitamment au tombeau, pour n'y voir
que ce que vous savez. Il est inutile de répéter ce
t]ne, peu auparavant, ci en voire présence, [ô daine!]
j'ai entendu el demandé, car vous le savez aussi
bien que moi; cl vous avez entendu- ces récits, ainsi
que ces jeunes filles chéries. On sait qu'empêchée
par la crainte de marcher seule avec moi, ayant
(23S) M. Dûbner (Praef. , p. i.xxm) a f.iit remar-
quer que, dans le manuscrit de la bibliothèque du
pris les deux autres Marie, vous courûtes pour
voir ce que vous aviez appris, et vous avez tout vu,
même voie Fils, ainsi qu'il convenait. Mais je sais
encore à celle heure que deux des disciples qui
erraient au travers du pays ont vu le Christ et
n'ignorent plus rien de leurs plus chers souhait-.
Ils accourent pour parler de cela aux autres disci-
ples, c'esl pourquoi il nous faut nous remettre en
roule à l'instant. Peut-être verrons-nous de nouveau
le Seigneur. Voyez, le crépuscule du soir lombe déjà,
bâtons-nous, allons vile dans ces lieux, où les ténè-
bres de la nuit auront, je crois, réuni les disciples.
le choeur. Nous voici arrivées à la demeure de
Marie, c'est ici, je le sais, que sont les disciples ai-
més, derrière ces portes closes, car ils redoutent
encore tout de la part, des meurtriers. Mais que ces
portes sont fermées avec soin... Comment, malgré
cet buis si bien gardé, entrerons-nous?.. Eh! la
chère Marie a entendu déjà, elle ouvre tout douce-
ment et nous fait signe de passer... Entrons donc
d'un -pas léger, pour ne pas causer de nouvelles
craintes à nos amis effrayés...
[Elles entrent.)
SCÈNE XLV.
LES MEMES, LES DISCIPLES, MARIE, puis LK
CHRIST.
marie. Nous voici réunies aux onze disciples et à
tous ceux qui se sont glissés ici avec eux. Marie
ferme derechef avec soin les portes. Faisons silence
pour écouter Clcophas; c'esl lui, je le vois, qui ra-
conte bien des choses dites à plusieurs ou laites par
le Seigneur; il en en est.au moment où l'on recon-
nut le Seigneur dans la fraction du pain..,
Ah ! ah ! silence, silence ! Le Seigneur... Le
voici... Il est debout entre les portes !.. O merveille
sans égale ! Comment est-il ici ? comment? malgré
les portes closes... Sans doute, par la même venu
qu'il s'est arraché au sépulcre scellé, qu'il s'est tiré
autrefois du sein delà Vierge, sans altérer le ca-
ractère de celte chaste mère...
le christ. La paix soit avec vous!
Pourquoi êles-vous dans la stupeur? Voici mes
mains et mes pieds, et mon côté percé; regardez et
voyez, et me reconnaissez ; car, encore une fois,
c'esl bien moi. Les esprits n'ont pas de chair, ni
d'os non phis, comme moi que vous voyez. Appro-
chez vos mains, et voyez : j'ai chair el os.
Or, de même que le Père m'envoya, moi, de même,
je vous envoie parmi le monde, el je répands sur
vous l'Espril-Sainl, ô mes amis.
L'ayant reçu, annoncez en lous lieux et moi, et
mon Père, el le Sainl-Esprit.
Allez donc, allez, bien-aimés annonciateurs. Fai-
tes entendre le chant du triomphe dans lous les
lieux de la terre. En passant sous les palais des rois,
annoncez ce qu'a vu la ville entière de David, la
résurrection du Seigneur hors du tombeau, dans un
espace de temps si cou ri.
Vous serez mes témoins sur toute la terre. Celui-
là sera sauvé qui, ayant foi en vos paroles, recevra
le baptême, prix de mon sang. Mais quiconque aura
repoussé vos enseignements , homme sans foi, en-
courra la damnation.
«j'esi pourquoi je vous accorde abondamment la
grâce du Saint-Esprit : celui que vous aurez délivré
des chaînes du péché demeurera délié; le pécheur,
au contraire, que vous aurez resserré dans ses
fers, demeurera '"pour jamais enfermé dans leurs
nœuds indissolubles.
SCÈNE XLVI.
LE CHOEUR DES VIERGES (238).
le choeur. O Roi universel, ô briseur unique des
Roi, n" 1220, datant du xiv siècle, on trouve attri-
buée à Madeleine la prière finale (vers 2332-2tf' 5f;
C3I
TA 5
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
fc-51
chaînes, ô Sauveur, déhvrez-iï.oi de ces liens inex-
tricables, «loin , bêlas! nia lâcheté m'a entouré, el
do: l l'ennemi séducteur m'a accablé dans son envie,
quand il m'a vu, par ma foi en vous, el votre si
éclal aille benlé, délivré de ces fers auparavant in-
dissolubles.
Salut, ô Fils très-bon du Très-Bon, Roi suprême,
qui avez foulé aux pieds le serpent, auteur du mal,
Ri avez triomphé de la mort, ce tout récent ennemi!
Ne me laissez pas accablé encore une fois.
0 Roi! ô Roi immortel! Dieu suprême! Juge ab-
solument juste, venez-vous pour méjuger? 01»! com-
ment vous regarder en cet instant, ô Verbe! De
ipiels yeux fixer votre trône, moi qui ne me suis
montré jamais digne ni du ciel, ni de la terre, ni
de voire création?
L'ennemi s'est empare de moi, il m'a plongé dans
Pabî.ne, dans le Tarlare, dans l'immense ebaos. Ce
séducteur terrible, attaché à ma poursuite, m'a at-
teint; il m'a ploiigé tout entier dans les ténèbres <le
renier.
Ayez pitié de moi, Seigneur; tendez-moi la main,
soutenez-moi , ne permet lez pas que je sois le jouet
de ce meurtrier de l'homme.
Je suis votre image; punissez-moi vous-même, ô
Verl e, frappez moi vous-même, dans votre clémence,
mais ne me laissez pas aller dans la géhenne.
O Rédempteur, nous vous implorons! Nous avons
vécu dans l'iniquité, el de corps, el de coeur, el d'es-
prit; malheureusement, nous avons péché contre
vois, et nous vous avons beaucoup offensé; nous
avons eu trop tard l'expérience; nous n'avons rien
su au jour qu'il l'eût fallu, el encore n'avons-nous,
après ce jour, rien fait selon votre plaisir. Mais nous
reconnaissons nos pé. liés : remettez-les-nous. Ah!
nous savons que vous u'avez rien de commun avec
tei hommes dans voire colère.
Ayez pilié de moi, ô Sauveur, el ne me livrez pas
à la perdition en raison de mes péchés. Car je suis
votre lils, et le lils de votre servante, el c'est à cause
de moi , ô Verbe, que vous avez subi la mort. Ne
m'abandonnez pas à l'ennemi qui s'en réjouirait, châ-
tiez-moi de verges, avec boulé.
Ne repoussez pas, ô Verbe, l'intercession de votre
mère, ni de ceux à qui vous avez accordé la grâce
de remettre les pèches.
0 Vierge bienheureuse, digne de tous les respects,
el dont on doit suivre le* culte (colenda), ô vous
qui habitez les célestes demeures des bienheu-
reux, dépouillée de toute l'impureté humaine, pa-
rée du manteau de l'immortalité, cl délivrée du poids
des ans, dans l'éternité, comme Dieu : être des cieux,
soyez propice à mes prières.
Ou», Vierge illustre, écoutez mes paroles. Cet
honneur n'appartient qu'à vous, entre tous les hu-
mains, comme nière'du Verbe, mystère supérieur à
l'eiuendemeiil de l'homme. C'est fort de Lui, que
j'ose vous ott'rir, ô Dame, une couronne faite dans
un pré non foulé et tout éclatante de fleurs, pour
tant de bienfaits dont vous avez eu la bonté pour
n*oi. Oh! délivrez-moi de l'infinie variété des maux,
des ennemis visibles, el, plus encore, des invisibles.
Faites que la lin de ma vie soit digne du commen-
cement, sous votre bien désiré patronage pendant
toule ma vie, avec votre intercession auprès de vo-
tre Fils, et enfin parmi les vierges sacrées qui Lui
ont plu.
Ne m'abandonnez donc pas aux tourments pour
être le jouet de l'ennemi, corrupieur «les hommes.
Gardez-moi et lirez-moi, et \\u feu, el des ténèbres"
trouvez ma justification dans ma loi el voire grâce.
Eu effet, en vous luit pour nous la grâce de Dieu, el
ce même critique la considère comme une invocation
du poêle lui-même, sien* poelœ. Je crois plutôt que le
chœur des vierges prononçait celle invocation finale.
Kn effet, c'est ce que prouve évidemment le passage
de cette prière oit la personne qui la récite dc-
c'esl pour vous qu'eu ce temps même je lie les
nœuds d'une hymne eucharistique.
Saliil, ô jeune fille, ô joie de tous les hommes, 6
Vierge-mère, belle par-dessus toutes les vierges, su-
périeure aux cohortes célestes, maîtresse, reine uni-
verselle, charme du genre humain. Vous êtes ion-
jours portée en faveur de vos enfants, et en Ions
lieux vous êtes mon plus grand appui. Accordez-
moi, ma Dame, l'expiation de mes fautes el le salut
de mon âme.
LA PASSION.
Occident.
Dans cet article sur la Passion en Oc-
cident, nous avons examiné successive-
ment :
I. Les manuscrits et les éditions;
II. Le développement de l'idée du drame;
III. Son caractère propre ressortant des
analyses de la pièce;
IV. Les œuvres érudites auxquelles il a,
donné lieu.
I.
MANUSCRITS ET EDITIONS.
Les principaux manuscrits de la Passion
sont ceux :
1° Ceux de la Bibliothèque impériale, w*
7206 et 7206% mis aujour par M.Pauliu Paris*
qui sont les plus anciens textes connus, et
néanmoins ne datent que de 1474, étant
ainsi postérieurs au drame lui-mime do
plus de trois quarts de siècles.
2°Ceiuidela bibliothèque de Valencicnnes,
dont l'âge n'est pas bien précis, mais qui,
quoique du xvt' siècle, semble conlenir la
copie d'un texte d'une plus haute antiquité.
« Ce manuscrit,» dilM.O. Leroy, qui l'a fait
connaître (Etudes sur les mystères; Paris,
183J, in-8°, p. 101), « in -fol., sorti de la ville
de Douai où il paraît avoir été, vers le mi-
lieu du xvi' siècle, la propriété d'un nommé
Baudin de Vermelle, a appartenu à l'abbaye
de Saint-Amand avant de faire partie de la
bibliothèque de Valencienues... Quoique ce
manuscrit renferme dans un seul volume et
dans un seul ouvrage tous les sujets traités
depuis sous les noms de Mystères delà Con-
ception, de la Nativité, de la Passion, il est
néanmoins intitulé seulement : La Passiox
de Jesccrist en rime franc/toise; et c'est
avec raison qu'il porte ce seul litre, puisque
tout ce qui, dans l'Ecriture, précèle la mort
de Jésus, se rapporte à ce grand événe-
ment... »
Les expressions, les détails sont d'une
plus baule antiquité que les versions impri-
mées jusqu'ici connues et dont la 1", attri-
buée à Jehan Michel, ne date que de 14SG.
Le manuscrit contient en 40,000 vers ce qui
jusqu'alors n'était connu qu'en 07,000; et
pourtant « ce manuscrit est... loin encore...
d ôlte une copie exacte., de la Passion, »
telle quelle fut jouée en 1402. (P. 131.)
mande d'avoir place dans le ciel parmi les vierges
saintes (v rs 2590); car l'on n'ignore pas que l'un
des chœurs n\ si composé que île vierges, el leur
demande ne peut convenir ni à la pécheresse Made-
leine ni à saint Grégoire de N'zianrc»
«53
TAS
DICTIONNAIRE DXS .UYSTF.KES.
PAS
€54
Le dialecte est le rouchi employé par Frois-
s'.irt.
3°D'aulres manuscrits existent : à Cambrai,
par exemple. Le texte est entre les mains
de madame veuve Hurez, habitante de celle
ville. C'est un in-fol., orné de « peintures
d'autant plus précieuses, qu'elles nous
donnent une idée exacte de l'étendue et de
Ja disposition des théâtres à celte époque. »
(P. 128.) C'est peut-être ce manuscrit qui
servit aux représentations de la Passion qui
eurent lieu en vingt-cinq journées, à Va-
lenciennes l'an 1547, et dont parle d'Outre-
man, historien et prévôt de celte ville. La
bibliothèque de l'Arsenal, à Paris, possède
enliu aussi un manuscrit de la Passion.
Deux éditions principales de la Passion
absorbent loute l'attention des critiques :
L'une est celle de 1486 avec les révisions
de Jean Michel, que M. Brunet ne considère
pas, malgré son grand âge, comme Yédition-
princeps.
L'autre est celle de 1507, qui se rapproche
davanlagedes manuscrits de 1474- et semble
contenir la révision d'Arnoul Gréhan, an-
térieure évidemment à celle de Jean Mi-
chel.
II.
DÉVELOPPEMENT DU DRAME.
tv — La Passion commence par «les offices figures.
Il est infiniment probable que, de préférence
même aux autres grandes scènes fournies par
la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, la Pas-
sion a eu ses offices figurés. Mais il n'en reste
que des débris anciens, tels que les rites figu-
rés de la Nativité, ou de faibles traces dans
des temps modernes ou contemporains.
Ainsi, en Allemagne au xvnr sièc'e, dom
Martin ierbert, moine de Saiul-Blaise de la
Forêt-Noire, témoigne que l'usage n'était
pas encore absolument anéanti, dans son
monastère, de jouer de temps à autre des
scènes de la Nativité et "surtout de la Pas-
sion. (De cantu cl mus. sacr.; Saint-Biaise,
1774, in-V\ 2 vol., t. I", p. 83.)
Le chant de la Passion, alterné à trois
voix, serait, suivant M. l'abbé La Bouderie,
un débris des anciens usages relatifs aux
jeux des mystères dans les églises au moyen
dge. (Cf. Li Jeu Saint-rNicolai, par Jehan
IIodel, publié par la Société des biblio-
philes fr. ; Paris, Didot, 1834, in -8°, édition
due aux soins de MM. l'abbé La Bouderie
et Monmerqué , et encore incomplète ,
p. ni.)
M. On^sime L<'roy, dans ses Eludes sur
les mystères (Paris, 1837, in -8°, p. S6), fa t la
même remarque : « L'Evangile de la Pas-
sion, dit-il, est chanté encore aujourd'hui,
dans nos églises, sur des tons différents,
par trois prêtres, dont le premier dit les
paroles de Jésus-Christ, le second celles
des Juifs, et le troisième, la narration qui
interrompt le dialogue. » — « Dans de vieux
offices de la Semaine saint", » ajoute en note
M. Leroy, « les paragraphes de l'Evangile
de la Passion sont distingués par ces mar-
oues : t C. S. La croix indique les pj rôles
de Jésus-Christ; le C, celles dn chantre ou
narrateur; l'S, celle de la Synagogue (j'ai
dans nm bibliothèque un de ces offices ré-
imprimé à Douai, Derbaix, 1766). »
2°. — Origine de l'idée de ta Passion.
L'idée de la Passion ne semble pas fran-
çaise. C'est de l'étranger, de l'Italie sur-
tout, que vint le mouvement qui porta les
esprits vers ce mystère; car, dans un temps
où les représentations en étaient devenues
rares, même dans les rites, en France, Ro-
landino {Chroniq. de Padoue, I. i, eh. 10)
cite, sous la rubrique de l'an 1243, un mys-
tère de la Passion et de la Résurrection .
« Cet an, dit-il, à la fêle de Pâques, on re-
présenta solennellement et avec appareil ,
(ians le pré du Val, la Passion et la Résur-
rection du Christ. » M. Maguin, dans sou
Cours de littérature étrangère, a rappelé
cette indication. Dix-neuf ans [dus tard, il
existait à Padoue une confrérie, dont le but
était uniquement la représentation de la
Passion; à Home, la même année, s'établi-
rent les Gonfatons pour le même objet.
Dans une chronique de Frioul, éditée
dans l'appendice des Monuments de l'Eglise
d'Aquilée (Monum. eccles. Aquilej., p. 28,
col. 1), on trouve qu'en 1298, le jour de la
Pentecôte, il y eut une représentation du
Jeu du Christ, qui comprenait la Passion,
la Résurrection, C Ascension, la Descente du
Saint-Esprit, et le Jugement. — Du Cange,
Gloss. inf. et med. Lai., v° Ludus Christi,
édit. Henschell; Paris, Didot, 1845, ii -4°,
6 vol., t. IV, p. 150. — Muralori [Anliquit.
Italie, medii œvi, sire Dissert. ; Milan, 1772,
in-fol., t. II, col. 847-850).
En 1304, dans le Frioul encore, des cha-
noines et des clercs jouèrent le Jeu de Dieu,
qui comprenait la Création, l'Annonciation
de la Vierge, l'Accouchement, et peut être
l'Antéchrist; c'est ce dont nue chronique
de Frioul (éditée dans les Monum. eccles.
Aquilej., p. 28, col. 1), a conservé la mémoire..
(Cf. Du Cange, Gloss. inf. et med. Lai., v" Lu-.,
dus Christi et Dei, édit. Henschell, Paris,
Didot, 1845, in-4°, G vol. t. IV, p. loG.
3°. — Quand la Passion s'esl produite en France, elle a,
disparu partout ailleurs.
Quand la Passion s'est produite en
France, elle a péri en Italie; et l'Allemagne
l'a reçue, non pas de Rome, mais du génie,
français. C'est ce que laisse sans doute la
publication en allemand d'un mystère de la
Passion, datant du xve siècle, dont le ma-
nuscrit est conservé a Danaueschingen (F.-
T.-J. Monc Schauspiele des miltelaltcrs »
Karlsruhe, Machlot, 1846, 2 vol. in-8°, t. 11»
p, 183.)
4\— Elle est devenue une Somme dramatique-
4° Dès son apparition en France, la Pas*
sion a tout absorbé ; elle est devenue incon-
tinent une Somme dramatique.
Avant elle, s'étaient produits les mys'è-
res de la Création, c\e V Ancien Testament, do
Vlncarnalion, de Y Annonciation, de la l'on-
ccpliort, (les Couches de la Vierge, au XIV" sic*
Uôô
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
036
de. Les offices figurés de la Nativité remon-
tent jusqu'au delà du xe siècle. Au xi% on
; avait déjà le Mystère de la Justice ou de la
Rédemption.
Toutes ces données s'abîmèrent dans le
sein do l'idée supérieure que proclamait le
xve siècle ; et il est probable même que les
premières œuvres de la plus haute anti-
quité chrétienne n'échappèrent pas aux la-
borieuses recherches de l'esprit scientifique;
car certaines scènes du grand drame s'ap-
pellent VA dam d'Ignace, le Christ souffrant
de saint Grégoire dô Nazianze, ou même
la Sortie d'Egypte d'Ezéchiel.
b". — L'enthousiasme fui immense.
5° L'enthousiasme qu'excita la Passion, à
son apparition, fut universel et immense. Il
se forma spontanément un gymnase d'ac-
teurs dévols. On a pensé que les premiers
furent des pèlerins revenant de la terre
.sainte; il n'y a rien d'impossible à cela. Les
frères Parfait racontent ainsi les commen-
cements à Saint-Maur des Confrères de la
Passion :
« Leur premier essai se fit au bourg de
Saint-Maur, à deux petites lieues de Paris.
Ils prirent pour sujet la Passion de Notre-
Scigneur : ce qui paru! fort nouveau, et lit
grand plaisir aux spectateurs. Le prévôt cV?
Paris en étant averti il r une ordonnance, le
3 juin 1398, portant défense à tous les ha-
bitants de Paris, à ceux de Saint-Maur, et
autres villes do sa juridiction, de représen-
ter aucuns jeux de personnages, soit de Vies
des saints, ou autrement, sans le congé du
roi, à peine d'encourir son indignation, et
de forfaire envers lui (239). Cette ordon-
nance obligea les nouveaux acteurs de se
pourvoir à la cour, en fusant ériger leur
(239) Celle ordonnance fui faite à cause de la li-
berté que ces bourgeois prirent de jouer dans un
lieu renfermé, où peut-être ils exigèrent de l'argent
lies spectateurs; car, près de vingt ans avant celle
représentation de Salul-Maur, les mystères étaient
••il v.-gtïe à Paris, ei ces speeiacles de piété parais-
saient si beaux dans ces siècles d'ignorance, «pie
l'on en faisait les principaux ornements des récep-
tions des princes quand iis faisaient leurs entrées.
Les deux faits qui suivent prouveront ce que nous
venons d'avancer à ce su'el.
Le dimanche 1 1 novembre 1380, le roi Charles VI
(il son entrée solennelle dans Paris. Il était vêtu ce
jour-là d'une étoffa de soie toute semée de fleurs de
lys d'or. Les principaux de la ville allèrent à che-
val au-devant de lui jusqu'au village de la Cha-
pelle, sur le chemin de Sainl-Denys. Il trouva, à
sou entrée dans Paris, les rues el les places pub i-
ques ornées de riches tapisseries, de chœurs de mu-
sique d'espace en espace, des fontaines qui jetaient
l«: [ait, le vin et des eaux odoriférantes. Il vil aussi
avec plaisir cequ'on appelai! alors les Mystères, c'est-
à-dire les diverses représentations de théâtre d'une
invention toute nouvelle. (Histoire de la ville de Pa-
ris, livre xix, pages 087 et l»88.)
L'entrée de la reine Isaheau de Bavière, épouse de
Chai les VI, fui solennisée avec toute la magnificence
possible, en octobre 1385. (Histoire de la ville de Pa-
ri*, liv. xiv, p. 706 et 70".) Parmi les fêles .qu'elle
vil à Paris, il y avait enir'auires, devant la Trinité,
(a) C'ctail le pont ;ui Change.
société en confrérie de la passion de Notro-
Seigneur. Le roi Charles VI assista à quel-
ques-unes de leurs représentations , et ce
prince en fut si satisfait, qu'il leur accorda,
le k décembre li02, des lettres pour leur
établissement à Paris. Comme elle sert de
pièce fondamentale à cette histoire, il ne
sera pas hors de propos de la rapporter ici.
« CHAULES, par la grâce de Dieu, Roy de
« France, sçavoir faisons à tous présents et
« advenir, Nous avoir reçue l'humble sup-
« plication de nos bien amez et Confrères
« les Maîtres et Gouverneurs de la Confrai-
« rie de la Passion et Résurrection Notre-
« Seigneur, fondée en l'Eglise de la Trinité
« à Paris, contenant comme pour le fait d'au-
« cuns mystères, tant de Sa i nets comme de
« Sainctes, et mesmement du Mystère do la
« Passion, que derrainement (2i0) ont com-
te mencé , et sont prêts pour faire devant
« nous comme autrefois auroi(.nl faict, et
« lesquels ils n'ont peu bonnement conti-
« nuer, pource que nous n'y avons peu eslre
« lors présens : Duquel faict, et Mystère, la-
« dicle Confrairie a moult frayé (2'il) et des-
« pendu du sien, et aussi ont les Confrères
« un chacun proportionablement : Disans
« en outre que s'ils jouoient publiquement,
« et en commun, que ce seroit le profit d'i-
« celle Confrairie, ce que faire ne pourroient
« bonnement sans nostre congé et licence :
« ttoquerans sur ce nostre gracieuse provi-
« sion. Nous qui voulons et désirons le bien,
« profit, et utilité de ladicte Confrairie, et
« les droicts, et revenus d'icelle estre par
« nous accreus et augmentés de grâces et
« privilèges, afin qu'un chacun par dévotion
« se puisse et doibve adjoindre el mettre en
« leur compagnie à iceux maislres, gouver-
« neurs et confrères de la Passion Noslre-
un combat préparc el qui s'exécuta en présence de
la reine, des Français et des Anglais contre les Sar-
rasins. Toutes les rues étaient tendues de lapisse-
ries : on trouvait en divers lieux des fontaines d'où
coulaient le vin, le laitel d'aulrcs liqueurs délicieu-
ses : el sur différents théâtres on avait placé îles
chœurs de musique, des orgues, el des jeunes gens y
représentaient diverses histoires de fAneien Testiî-
iiicnt ; il y avait des machines par le moyen des-
quelles des enfants, habillés comme on représente les
anges, descendaient et posaient des couronnes sur
la îèle de la reine. Mais le tpeclacle le plus surpre-
nant qu'il y cul à celle entrée, fut faction d'un
homme qui, se taisant couler sur nue corde tendue
depuis le haut des tours de Noire-Dame, jusqu'à
l'un des pouls par où la reine passait («), entra par
une fente ménagée dans la couverture de taffetas
dont le pont était couvert, mil une couronne sur la
lèle de la reine, et ressortit par le même endroit,
comme s'il s'en lût relourné au ciel. L'invention
était d'un Génois, qui avait loul préparé depuis long-
temps pour ce vol cxlraordinaiie; el ce qui contri-
bua à le rendre encore plus remarquable, même loin
de Paris, c'est qu'il était fort lard, et que l'homme
qui faisait ce personnage avait à chaque main un
flambeau allume, pour se faire voir, cl admirer la
beaulé d'une action aussi hasardeuse que celle-là.
(210) Dernièrement.
(°2il) t'ail des frais
637
l'AS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
638
« Seigneur, av:ms donné et octroyé, don- « grâce Mccccif. Et sur le reply est escril,
« nous et octroyons de grâce espècial, pleine « PAR LK ROY. Messires Jacques de Bour-
« puissance et autorité Royal, ceste fois par « bon l'Admirai, le Bègue de Vieulaines, et
« toutesetà tousjours perpétuellement par la « plusieurs autres présents, signé, Moignon,
« teneur de ces présentes Lettres, autorité, « et appert avoir eslé scellées en lacs de
« congé, et licence, de faire jouer quelque
« mystère que cesoit,soit de ladite Passion, et
« Résurrection, ou autre quelconque, tant de
a Saincts, comme de Sainctes qu'ils voudront
« eslire, et mettre sus, toutes et qualités fois
« qu'il leur plaira, soit devant nous, devant
« nostre commun (24-2) et ailleurs, tant en
« recors (2i3) qu'autrement, et de ceux con-
« voqués, communiqués et assemblés en
« quelconque lieu et place licite à ce faire
« qu'ils pourraient trouver, tant en nostre
« dicte Ville de Paris, connue en la Prévoslé,
« soyes et cire verte. Et au dos des dictes
o Lettres est cscript ce qui s'ensuit : Le
« lundy xn jour de Mars mcccçii (2i5). Je-
« ban Dupin , Guillaume de Doisemont ,
« Maistresde la Con frai rie nommés en blanc,
« présentèrent ces Lettres à M. Robert de
a Ruiselier, Lieutenant de Monsieur le Pre-
« vost, lequel veuës icelles Lettres, octroyé
« que lesdicts Maislres, leurs Confrères et
« autres, se puissent assembler pour le faict
« de la Confrairie, elle faict des jeux, selon
« ce que le Roy nostre Sire le veut par i.cel-
« et Vicomte ou Banlieue (ficelle, présents « les Lettres. Et pour eslre présens avec eux
« à ce trois, deux, ou l'un de ceux qu'ils
« voudront eslire de nos Olïiciers, sans pour
« ce commettre olîence aucune envers nous,
a et justice, et lesquels Maislres et gouver-
« neurs, et Confrères susdicts, et un chacun
« d'iceux, durant les jours ezquels ledict
« mystère qu'ils joueront se fera, soi't devant
« nous ou ailleurs, tant en recors, coin me
« autrement, ainsi, et p;ir la manière que dit
« est, puissent aller, venir, passer, et rapas-
« ser paisiblement, veslus, habillez, et or-
« donnez un chacun d'eux en tel estât ainsy
« que le cas le désire, et comme il appartient
« selon l'ordonnance dudict Mystère, sais
.< distourbier, et empeschement. Et à grei-
« gneur (244) confirmation et seureté, nous
« iceux Confrères, Gouverneurs, et Maislres,
« de nostre plus abondante grâce, avons mis
« en nostre protection, et sauvegarde durant
« le cours d'iceux jeux, et tant comme ils
« joueront seulement, sans pour ce leur
« mélfaire ne à aucun d'iceux à cette occa-
* siori, ne autrement comment que ce soit
<( au contraire. Si donnons en Mandement
« au Prévost de Paris, et à tous nos autres
« Justiciers et Officiers présens, et à venir,
« ou à leurs Lieutenants et chacun d'eux, si
« comme il luy appartiendra, que lesdicts
« Maislres, Gouverneurs, et Confrères , et
c un chacun d'eux fassent , souffrent, et
« laissent joiiyr et user pleinement, et pai-
« siblement, de nostre présente grâce, congé,
« licence, don, et octroy dessus dicl, sans
« les molester, faire ne souffrir empescher,
« ores ni pour le temps a venir comment
« que ce soit chose ferme et estable à tous-
« jours, nous avons faict mettre nostre Scd
« à ces Lettres, sauf en autres choses nostre
« droict, et l'autruy en toutes : Ce fut fait
« et donné à Paris en nostre Hostel lez
« Sainct-Paul, au mois de Décembre l'an de
(212) Populace.
(-2i">) Musique.
(24f) Meilleure.
(245) Autrefois, lorsque l'année commençait à
Pâques, le mois de mars se trouvait postérieur à
celui de décembre.
(245*) L'hôpital de la Croiv de la Reine, depuis
dit de la Trinité, avait élé fondé par deux gen-
lilshonunes allemands frères utérins, nommés Gui
luuuie E-cuacol et Joan Je L;\ Pasii-', ipî avaient
« en ceste présente année, commet Jehan le
« Pu, Sergent de la Douzaine, Jehan de San-
« cerel, Sergent à verges l'un d'eux, ou le
« premier autre Sergent de la Douzaine, ou
« à verge dudict Chaslelet. Et audessous est
« pseript. Ità est. Signé Leginaut. Tiré d'un
« vidimus d'Anthoine du Prat , Chevalier
« Baron de Thiert, et de Viteaux, Seigneur
« de Nantouillet et de Précy, etc. Garde de
« la Prévoslé de Paris, du 20 Décembre
« imduv. »
« Premier théâtre français établi à V Hôpital
delà Trinité. — Peu de temps après avoir ob-
tenu ces lettres, les confrères de h- Passion,
qui avaient déjà fondé le service de leur
confrérie à l'hôpital de la Trinité (245*), for-
mèrent aussi le dessein de s'y établir. Les
religieux d'Hermières (2V6), qui étaient en
possession de cet hôpital, leur en louèrent
la principale pièce, qui était une salle de
vingt et une toises de longueur, sur six de
large, élevée au rez-de-chaussée et soutenue
par des arcades. Les confrères y tirent un
théâtre et donnèrent au peuple, l'es jours de
fêles (exeeplé les solennelles), divers spec-
tacles de piété, tirés du Nouveau Testament,
qui plurent tellement au public, qu'on avança
ces jours-là les Vêpres en plusieurs églises,
afin de donner le temps d'assister à ces
pieux amusements, il serait impossible de
donner un détail bien circonstancié de ce
premier théâtre français; tout ce qu'on peut
dire de plus positif est que ce nouveau
genre de plaisir devint extrêmement à la
mode, et que la ville de Paris ne fut pas la
seule qui le goûta; celles deRouen, d'Angers,
du Mans et de Metz, se signalèrent à l'envi,
et on y représenta différents mystères, avec
tout le succès possible.
« Les règnes de Charles VI, Charles VII,
et une partie de celui de Louis XI, quoique
acliclé deux arpents de terre hors la porte Sainl-
Denys, et y avaient fait bâtir une grande maison,
pour y recevoir les pèlerins, el les pauvres voya-
geurs qui arrivaient trop lard à la ville, cl dont les
portes se fermaient en ce temps. Les f'ondaicurs et
tous leurs pareille étant décèdes, celle lionne œu-
vre l'ut totalement abandonnée. (Traité de la Voice.)
(2i(>) llerniières est une abbaye en Brie, donl l<s
religieux sonl de l'or. Ire de Préaioiuié.
C"9 PAS DIÇTIOJiSCIRE DES MYSTERES, PAS 610
extrêmement agités de guerres civiles, ne Les confrères, lassés des dépenses qu'ils
dérangèrent point, autant qu'ils l'auraient étaient obligés de faire, tant pour le lover
dû, le spectacle établi par les confrères; non- des salles où ils jouaient que pour le trans-
seuleraent il continua durant ces temps ora- port de leur théâtre, se ré>olurent d'acheter
g"ux, mais il s'en éleva encore d'autres, tels une place et d'y faire bâtir ; de sorte qu'ils
f it en! ceux donnés par les Enfants savs souci s'accommodèrent d'une portion considérable
(t les Clercs de la Bazoche. Mais comme ce de l'hôtel de Bourgogne, consistant en une
so-'l des genres différents, nous avons cru masure de 17 toises de long sur 16 de
qu'il était à propos, pour ne point embarras- large, tenant, d'une part, à la rue Neuve-
ser la mémoire du lecteur, d'en faire des Saint-François, depuis peu dressée dans ce
articles séparés, où nous rendrons compte lieu, et qui avait issue dans la rue Mau-
de leur origine, de leur progrès et de leur conseil, et, d'autre paît, aux maisons des
décadence. veuves et héritiers de Matthieu et Fiacre
« Après un assez long temps, on se las-~a Houvet , situées dans cette rue Maucon-
de ces mystères, qui parurent trop sérieux ; sëil. Cette portion fut acquise de Jean
de sorte que les acteurs, pour satisfaite le Houvet par les confrères, à condition d'en
public et le rappeler, mêlèrent à leurs dévots payer au roi 1G livres de cens et rente par
spectacles des scènes tirées de sujets profa- an^ dont elle était chargée, et 225 livres
nés et burlesques, qui firent beaucoup de tournois de rente annuelle et perpétuelle
plaisir au peuple, qui aime ces sortes de di- à Jean Ilouvet et ses hoirs et ayant- cause,
vertissemenls, où il entre plus d'imagination Pour la sûreté du payement, la confrérie
que d'esprit. Ils les nommèrent, par un quo- obligea tous ses biens, et en particulier
libel vulgaire, Jeux de pois piles, et ce fut, 25 livres de renie rachetable pour 300 li-
selon toutes les apparences, à cause du mé- vres que devaient à la confrérie Henri
lange du sacré et du profane qui régnait Guyoil et Jean Olivier, dit Margot, sur la
dans ces sortes de jeux. Mais les confrères, maison des sots attendants sise rue Darne-
troj) pieux pour représenter eux-mêmes ces tal ; il fut aussi siipulé par le marché que
pièces qu'on appelait sottises (car c'est ainsi Jean Rouvet aurait une des loges ijui se-
qu'elles sont intitulées dans les imprimés qui raient faites dans la salie de l'hôtel de Buur-
nous en restent), confièrent ce soin aux En- gogne, pour lui, ses enfants et amis, leur
"unis sans souci, dont le chef prenait la qua- vie durant, sans en rien payer; et que la
(;
ité de Prince des sots ou de la sottise, qui rente de 225 livres serait rachetable pour 1 »
s'en acquittèrent avec applaudissement. somme de 4,500 livres qu'on lui compterait,
« Voilà de quelle façon les confrères sou- ou à ses héritiers, h un, deux, trois ou
tinrent leur théâtre jusqu'au règne de Fran- quatre payements égaux. Le contrat fut
çois 1", qui leur donna en 1518 d^s lettres passé le 30 avril 15i8. Nous croyons
patentes par lesquelles il confirmait tous les qu'on ne sera pas fâché de trouver ici une
privilèges qui leur avaient été accordés par copie du pouvoir que les confrères donnè-
Charles VI. Ils continuèrent leurs représen- rent aux maîtres et gouverneurs de la Pa*-
ta Fions jusqu'en 1539, alors que la maison sion , pour faire l'acquisition dont nous
de la Trinité fut de nouveau destinée à venons de parler : on y apprend d'ailleurs
un hôpital, suivant l'esprit de la fondation ; quelques usages établis parmi les con-
fie projet ne fut pourtant exécuté qu'en frères.
1547, mais les confrères furent cependant ;< Pardevant les Notaires du Roi nostn*
obligés d'eu déloger et de prendre à loyer « Sire, auChastellelde Paris, furent présens
une partie de l'hôte! de Flandre*, où ils firent « Jacques le Roy et Jehan le Roy, Maistres
construire leur théâtre, et y représentèrent « Maço is à Paris, Nicolas de Gendreville.
jusqu'en 15i3, époque où ils furent forcés « Courtier Juré de Chevaux, et Jambefort,
d'en sortir, attendu que François Ier ordonna « Maislre Paveur de Paris, tous a présent
la vente ei démolition de cet hôtel, aussi « Maistres et Gouverneurs de la confrairic
bien que de ceux d'Arias, d'Etampes et de «delà Passion et Résurrection de Nolre-
Uourgogne. « Seigneur, fondée en l'Eglise de l'Hospilal
« Les commissaires du roi, nommés « de la Trinité à Paris, Adrien Gervais,
pour cet effet, en firent la visite le 29octo- « Doyen de ladicte Confrairie, Marc-Antoine
bre 15V3 et les jours suivants, et en firent «Caille Maire-sotte, M. Pierre Hémon ,
le partage en plusieurs places; après quoi «Huissier du Roi nostre Sire, en la Cour
la vente fut criée les 10 et 19 novembre « des généraux de la Justice de ses Avdes,
suivants. Quelques-unes de ces places lu- « Jehan Louve t, Sergent à Verges au Chas-
rent aussitôt vendues, et les enchères de « tellet, Prevosté et Vicomte de Paris, Jehan
celles qui restaient à- vendre commencèrent « Fade, François Poutrin, Charles le Royer,
le 24 du même mois, et furent adjugées, « et Michel Lyon, tous anciens Maistres
après les formalités accoutumées, à divers « d'icelle Confrairie Toussaincts, de Fres-
particuliers, qui déclarèrent entin, le 8 dé- « nés, Nicolas de Compans, Jehan Dureau.
eembre de la même année, que les enchères «Guillaume Hochart , Martial Vaillant,
qu'ils avaient mises étaient au profit do « Pierre de Rue, Jehan Godefroy, dict Poi-
Jean Rouvet, bourgeois de Paris, déjà ad- «reaus, Jehan Joyau, Richard Georges,
judicataire de quelques autres (247). « Jehan d'Esguillicr", Denys le Boiteux, Ma-
(217) Celle acquisition de Joui Rouet ne fut fa:io en son nom que le mardi IS mars là il.
eu
PAS
DICTIONNAIRE DLb MYSTERES.
PAS
ti«
« thurin Darnois, Nicolas Hervé, dicl Ve-
« Dise, Jehan Bertrand, Pierre le .Vercier,
«• François Hueble, Pierre Fouquet, Pierre
«Royer, Jehan Reculé, Nicolas Scot , et
« Nicolas Gavant , tous Confrajres de la-
« dicte Confrairie, assemblés eu l'Eglise et
« Chapelle de la Trinité à Paris, rue sainct
«Denis, lieu aecoustuiné pour eux assem-
« hier à traiter, adviscr, conclure et déli-
« hérer des négoces et affaires d'icelle Con-
« frai rie par lesquelles Jacques et Jehan le
« Roy, Gendreville , erJambel'ort, à pre-
ssent niaistres d'icelle Confrairie, fut re-
« monstre, exposé et déelairéauxdicis Doyen
« et Contraires, qu'ils n'avoient plus du lieu
« et Salle ez quels ils pussent faire et ad-
« tninistrer le faict de ladict Confrairie,
« comme ils avoient aecoustuiné, au moyen
« que là Salle dudict lieu de la Trinité
« qu'ils souloient tenir et occuper, leur
« a voit et a esté ostée par Arresl ou Or-
« (lonnance de la Cour; et que depuis que
« ladicte Salle leur avoil été ostée , leur
« avoil convenu, et convenoit encores do-
« resnavent louer autre Salle et grand lieu
« à grosse somme de deniers par an, de
« la piellc Salle ainsi tenue, et qu'ils tien-
« droient à louage, ils ne seroient seurs
< ains pourroieni estre contraints en vui-
« der après les Baux expirez, et eux aceom-
« inoder ailleurs, et changer souvent de lieu
« et place, et qu'ils ne pourraient aisément
« trouver telle en assiete de Lieu, grande,
« spacieuse, ni commode comme il anpar-
« tient, et leur est nécessaire. En quoy faisant
« pourroient avoir, et encourir grande perte
« et dommage. A ceste cause leur estoit de
« néces>i»é et expédient, pour le bien, aug-
« mcniation, entretenement, et décoration
« de ladicte Confrairie avoir autre lieu en
« propriété. Et que leSire Jehan Rouvet, Mar-
« chaud, Bourgeois de Paris, avoit en l'hos-
« tel de Bourgogne, une masure et place de
« longueur de dix-sept toises et de seize
« toises de large, qui leur sembloil esire
« propre pour baslir, et faire grande salle et
« autres édifices nécessaires à ladicte Con-
« frairie, laquelle place, ledict Jehan Rouvet
« leur avoit pour ce faire accordé, baillera
« toujours à la charge de seize livres parisis
« de cens, et charge foncière envers le Roy
■ pour chacun an perpétuellement à toujours,
« et envers luy de cent escus d'or (2Ï8) de
«rente annuelle, racheptable pour quatre
« mille cinq cens livres tournois a certains
« payemens , à la charge de bastir le lieu
« sufiisanl pour la perception annuelle des-
« dictes charges. Mais ils n'avoient voulu
« faire ladicte prinse, sans avoir l'opinion,
•« consentement, et pouvoir desdicts Doyen,
« anciens Maislres'el Confraires dessus liom-
« niez ; après en avoir conféré enseinble-
« ment, et lu tout considéré, ont esté d'advis
« et opinion (pie ladicte prinse d'icelle place
« serait commode, utile et profitable a ladicte
« Confrairie, aux charges dessus déclarées.
« Partant , ont concordalement ensemble
« donné, et par ces présentes donnent plein
a pouvoir et puissance autdicts a présent
« Maistres et Gouverneurs d'icelle Confrai-
« rie, de faire ladicte prinse aux charges
« susdictes, et autres charges, et modilica-
« (ions, et autrement, parla meilleure forme
« et manière qu'ils verront bon estre pour
« le bien d'icelle Confrairie, etc.
« Fait et passé l'an mdxlviii, le mercredy
« seiziesme jour de Juillet. Ainsy signé ,
« Alart et Palanquin. »
« Il y avait déjà longtemps que le mélange
de morale et de bouffonnerie qui s'était in-
troduit dans les pièces représentées tant à
l'hôpital de la Trinité, qu'à l'hôtel de Flan-
dre, avait scandalisé les honnêtes gens. La
religion ne put souffrir davantage cette idée
de dévotion, qu'une pieuse simplicité des
temps plus éloignés avait attachée au théâ-
tre; et encore moins cette profanation de
ms principaux myslères, qui en faisaient lo
plus souvent la matière. Ainsi, lorsque la
sa'le, le IhéAtre, et les autres édifices furent
construits (tels qu'on les voit encore aujour-
d'hui à l'hôtel de Bourgogne), et que les
confrères eurent présenté leur requête au
parlement, pour obtenir la permission de
recommencer leurs spectacles, la Cour, par
arrêt du 17 novembre 154-8 , les maintint à
représenter seuh des pièces sur ce nouveau
théâtre, avec défense à tous autres d'en re-
présenter dans Paris et dans la banlieue, au-
trement que sous le nom, l'aveu, et au profit
de la confréiie; mais par le même arrêt, i'I
fut ordonné aux confrères de ne donner sur
ce même théâtre que des sujets profanes,
licites et honnêtes, avec défense d'y repré-
senter aucun mystère de la Passion, ni au-
tres mystères sacrés. Ainsi furent bannies
les pièces du premier théâtre français ; tou-
tes dévotes dans leur origine , mais qui
avaient dégénéré dans la suite en un mé-
lange monstrueux de moralités et de bouf-
fonneries, aussi désagréable aux gens d'es-
prit qu'injurieux à la religion.
« Celte défense du parlement obligea les
confrères de la Passion, à qui il ne convenait
plus, par le titre religieux qu'ils portaient,
de monter eux-mêmes sur le IhéAtre, pour
y jouer des pièces purement profanes , à
louer leur hôtel de Bourgogne et leur pri-
vilège à une troupe de comédiens qui se
forma pour lors, en se réservant néanmoins
deux loges pour eux et pour leurs amis,
qu'on appela les loges des maistres. »
La France entière appela les représenta-
tions de la Passion. Le clergé les patronait,
et y jouait les rôles périlleux et douloureux
du crucifiement ou de la pendaison deJudas,
portés quelquefois jusqu'à la réalité du
martyre.
Al. 0. Leroy rappelle dans ses Epoques
sur l'histoire de France (Paris, in-S*, p.
382), le zèle du chapelain de Métrange et
du curé de Metz, en U37, qui faillit leur
(Î48) Il sVnsiiU île ceci, et tic ce qne dessus, ilu S'ijet de celle renie spécifiée dc2-2X livres, o,u<' fécu
d'or valait quuraiite-ciiu} sous.
613
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
G4i
coûter la vie, dans le rôle des deux princi-
paux personnages de la Passion.
Le célèbre mystère fut joué en 1451, à
Abbeville, dans un emplacement situé der-
rière l'église Saint-Gilles, et que l'on dési-
gnait sous le nom de Camp Colart Perlris.
(cf. F.-C. Louandre , Hist. d' Abbeville;
Abbeville, 1834, in-8% p. 237-238). Le der-
nier jour de l'an 1452, le corps de ville ar-
rêta que la somme de dix écus d'or (111 iï.
60 c. au moins), qu'un certain Wille do
Bonnœuil avait payés à maître Raoul Gréban
à Paris, lui seraient remboursés des deniers
de la communne, et que ces jeux, clos et
scellés par les échevins, seraient mis en un
colfre en l'eschcvinage, tant et jusqu'à ce
qu'on les jouât. (Louandre, ibid, 239,) En
note, l'auteur ajoute que le manuscrit de R.
Gréban n'existe plus dans les archives de la
ville. En 1453, l'on représenta, sans parler, la
passion de Jésus-Christ, et la vie de plusieurs
saints, en réjouissance de la conquête de la
Guyenne et de la mort de Talbot. (Ibid.,
236.)
En 1451, les chanoinesavaient donné, pour
leur part, aux acteurs de la passion quatre
livres seize sous. (Tubul. S. Wulfr. AbbaviL,
p. 9 et 13, dans De Cange, Gloss. inf. etmecl.
lut., \°.Ludus Christi, édit.Henschell ; Paris,
Didot, 1845, in-4% 6 vol.. t. IV. p. 157.)
L'abbé de Larue, dans ses Essais histori-
ques sur les bardes, les jongleurs el les trou-
vères normands et anglo-normands (Caen ,
Mancel, 1834, in-8% 3 vol., t. 1", p. 166),
fait mention d'un mystère de la Passion, qui,
en 1474, aurait été représenté a Rouen, dans
le couvent dos Dominicains.
Mais ce qui fut surtout singulier, c'est
l'ardeur de l'Ouest, qui, non plus que le
Midi, sauf dans les régions étranges de la
Bretagne, n'a pas produit de mystères. A
Angers, à Poitiers, ce fut fureur, comme à
Monlmorillon, Saint-Espain, Doué, Sainl-
Maixent, Saumur. A Poitiers et à Saumur
le théâtre fut permanent.
M. de Sainte-Beuve a rappelé, à propos du
mystère de la Passion, el du grand succès
de ces représentations à Saumur, la 28e serée
de Guillaume Bouchet. (Sainte-Beuve, ta-
bleau hist. et cr. de la poésie française et du
théal. fr. au xvi" siècle ; — Paris, 1828, in-8"
vol. t. 1er, p. 217-234.)
M. Louis Paris (Toiles peintes et tapisseries
de la ville de Reims, Paris, 1843, in-4°. 2 vol.
t. 1", Préf., p. lvii, lxi) donne des extraits
des mémoires inédits de J. Foulquart, qui
nous apprennent qu'au sacre de Charles Vlll,
en 1484, fut joué le mystère de la Passion.
Les citations de Foulquart sont confirmées
par une autre du Livre des conclusions du
conseil de Reims, à la même année 1484. Un
chroniqueur duxvie siècle, Jehan Passot, rap-
porte, sous ladatede 1530, une série d'autres
leprésentationsde la Passion, où « le peuple
accouroit de toutes parts et y veuoit-oi: bien
de trente lieues à la ronde. »
6°. — Les auteurs du drame sont inconnus.
Les auteurs de la Passion sont inconnus.
Les frères Parfait, dans le premier volume
de leur Histoire du théâtre françois (Paris,
1734, in-12, p. 66,73), critiquent Lacroix du
Maine qui semble attribuer la Passion à Jean
Michel, tandis que le mystère était joué de-
puis 1402, et que tout prouve qu'il est de
plusieurs auteurs. « On commença par la
Passion, et ensuite ou rétrograda'jusqu'au
mariage de Joachim... » Le but des personnes
qui s'y entremirent comme auteurs ou
comme acteurs, était d'instruire et d'édifier
en amusant, et ce but fut en grande partie
atteint. — Dans le deuxième volume de ce
même ouvrage (1735, p. 283, 294), ils citent
les représentations de Metz en 1437, de Poi-
tiers en juillet 1486, d'Angers en août de la
même année, de Monlmorillon, Langest,
Saint-Espain, Doué, Saint-Maixent, Saumur
dans la première moitié du xvie siècle.
Onn'adenotions que surdeux des hommes
qui y mirent la main pour la réviser. Et en-
core ces notions sonl-elies des plus incer-
taines. Cependant, aujourd'hui, les Gresbans
paraissent antérieurs à Jean Michel.
L'abbé Lebeuf, qui ne connaissait d'édi-
tion de la Passion que celle de 1539, avec
les additions de M. Jeban Michel, remarquait
que rien ne distinguait ce qui était d'une
première main, pour lui inconnue, d'avec
ce qui était de Jean Michel. (Remarques en-
voyées d'Auxerre ; — Mercure, de France ;
Paris, in-12, 1729, décembre, p. 2981-2995.)
Le savant abbé ne connaissait donc que
Jean Michel , et il le croyait évêque d'An=:
gers.
« Ce n'est point un homme entièrement
indifférent , dit-il , puisqu'on remarqua en
lui tant de piété et de science, qu'il fut fait
évêque d'Angers. 11 mourut en odeur de
sainteté l'an 1447, et le chapitre d'Angers
fit même quelques poursuites pour sa cano-
nisation. Il étoit natif de Beauvais. Ce seroit
peut-être de sa plume que seroit sortie une
comédie qui est un dialogue entre Dieu ,
l'homme et le diable, qu'un manuscrit de
Saint-Victor de Paris, coté 880, dit avoir
été jouée l'an 1426, à Paris, au collège de
Navarre.» (L'abbé Lebeuf, Remarques en-
voyées d'Auxcrre, le 6 décembre H29 , Mer-
cure de France, 1729, décembre, p. 2985.)
Lacroix du Maine (Bibliothèque fravçoise,
p. 248) ne connaissait, de même que Lebeut,
que Jean Michel; mais ce n'était plus le saint
évoque mort en 1447.
« Jean Michel Angevin, poète très-élo-
quent et scientifique docteur. Il a écrit en
vers françois le Mystère de la Passion de
Notre-Seigneur. Ce mystère fut joué en la
ville d'Angers sur la fin du mois d'août
l'an 1486, auquel temps fleurissoit l'au-
teur »
Les frères Parfait observent, à propos de
cet article , que Lacroix du Maine sembla
croire Jean Michel l'auteur même de la
Passion, qui n'a été que remaniée par lui.
{Uist. du Th. fr., t. 1", p. 67.)
M. Louis Pans, de nos jours, a repris la
thèse de l'abbé Lebeuf. CVst à Jean Michel.
613 PAS
évêque d'Angers', Qiort en 1437, qu'il allii-
bue le drame de la Passion, tel qu'il fut
joué à Metz, en 14-37, à Reims, à Paris, à
Angers, avant même la grande représenta-
tion de 1486. Il donne toute une longue
série de preuves à l'appui de cette alléga-
tion. Il est certain que la Passion était jouée
sur les planes publiques dès lu xm' siècle,
et que, depuis lors, elle n'a cessé d'être
l'objet de remaniements et de refontes. La
pins ancienne édition est celle de 1486, con-
testée, mais sans preuve, par M. Brunet ,
comme édition princeps. Celte édition con-
tient la révision do maître Jehan Michel,
très-éloquent et scientifique docteur. « La-
croix du Maine dit que l'auteur éloit Ange-
vin, et «qu'il florissoit » à la date de cette
impression ; mais il est évident que cette
dern ère assertion n'était pour le biographe
qu'une all'airc d'induction » qu'il s'est
édifié seulement sur le litre des diverses
éditions publiées aux \vc et xvr siècles. »
B. de La Monnoie considère Jehan Michel,
auteur du mystère, comme l'évêque d'An-
gers, que le GalUa christiana dit natif de
Ueanvais, secrétaire de Louis II , roi de
Sicile et duc d'Anjou, ensuite d'Yolande
d'Aragon, sa veuve , chanoine de l'église
d'Aix , de celle d'Ang. rs en 1428 , évêque
de cette ville en 1435, el mort le 11 sep-
tembre 1447. Les frères Parfait arguent
d'erreur celte supposition , sur ce que La-
croix du Maine dit Angevin Jean Michel,
tandis que l'évoque était de Beauvais; que
l'on n'eût pas qualifié de « scientifique doc-
teur » un évêque, et que, en 1436, le révi-
seur de la Passion vivait encore , toujours
d'après l'autorité de Lacroix du Maine ; ils
veulent, en conséquence, que Jehan Michel
soit le médecin de Charles V11I. Mais il est
évident que l'édition de i486 est de beau-
coup postérieure aux révisions de Jehan
Michel, l'imprimerie, introduite à Paris seu-
lement vers 1V70, n'ayant dû s'occuper d'une
édition du mystère que longtemps après
son établissement ; ces révisions ont dû
être jouées à Metz, a Rouen, à Reims, à
Paris, à Angers, même longtemps avant
1486. On n'eût pas traité de très-éloquent un
médecin; ce litre convient mieux à un
évêque. Le mystère de la Résurrection
qu'analysent les frères Parfait à la suite de
la Passion, est très-certainement révisé par
Jehan Michel ; celui qu'ils examinent som-
mairement dans leur second volume , et
qu'ils confessent comme l'œuvre de Jehan
Michel, quoique très-différent du premier*
fut joué en 1480. La mystère de la Vengeance
semble très-sûrement être de la main de
Jehan Michel, et en tète de l'édition de
1480, on voit un évoque dont la lèle est
nimbée, signe de sainteté, qui se rapporte
très-bien à l'opinion qu'avaient les Ange-
vins de leur évêque. Enlin, preuve décisive,
Pierre Gervaise, qui vivait à la tin du xv"
siècle, dit dans une épitre :
Ce maislre Jehan Michel
Qui fol d'A.Mgicrs evesijuc ei patron ici
DICTIONNAIRE DES UYSTËKCS.
l'A»
Ci5"
Qu'on le «lit s:ii:ici. h feil par personnages
Lf Passion ci aulnes beaux ouvrages...
(Louis Paius. Toiles peintes et tapisseries
de la ville de Reims; Paris, 1843, in-4°, 2
vol., t. I", Préf., p. xlvii-lvii.)
Pour amener sans doute une conciliation,
et tout en annonçant un grand travail sur
la question, M. Vàllet de Viriville [Biblioth.
de l'Ecole des Charles, 1842, cahiers de mai
et juin) a fait, de son autorité privée, le
docteur Jean Michel neveu de l'évêque du
même nom.
M. Mngnin, avec plus de modestie et de
prudence, a prouvé par la production des
deux manuscrits de la Bibliothèque impé-
riale de l'an 1474 qui portent le nom de
Gresban, et qui sont les [dus anciens textes
connus jusqu'à présent, que les Gresban pré-
cédaient Jehan Michel comme réviseurs; en
effet le travail dé Jean Michel ne semble pas
antérieur à i486, date de l'édition imprimée.
Sans se préoccuper plusd'Arnoul Gresban
que de Jean Michel, M. O. Leroy attribue
la Passion a un homme du Nord, se fondant
sur les traits propres au Nord que l'on
rencontre dans le texte, sur le grand
nombre de manuscrits conservés dans le
Nord, etc., etc.
M, Villemain ( Journ. des Sav., 1838,
avril, p. 211.) s'est rangé à l'opinion de
M. O. Leroy, en l'appuyant de cette futile
observation que rien ne justifie : « Le Midi
et le Nord me paraissent, pour la poésie,
bien supérieurs aux provinces centrales, »
8°. — Les représentalionsde la Passion n'ont cessi qje par
arrèl du Pailenieut.
Los représentations de la Passion n'ont
cessé que par un arrêt du parlement. Cet
arrêt était ainsi motivé et conçu :
« Bu samedy 17 Novembre 1548, Veu par
la Cour la Requête à Elle présentée de la
part des Doyen, Maîtres et Confrères de la
Confrairie de la Passion el Résurrection de
Nostre Sauveur Jésus - Christ, fondée eu
l'Eglise de la Trinité, grande rué S. Denis,
par laquelle, attendu que par tems immé-
morial, et par privilèges à eux octroyez, et
confirmez par les Rois de France, il leur
étoit loisible faire jouer el représenter par
personnages plusieurs beaux Mystères à
l'édification et joye du commun populaire,
sans offense générale ou particulière, dont
ils avoient ci-devant joui lousiours, ils re-
queroient, d'autant (pie, depuis trois ans, la
Salle de la Passion avoit été, par l'Ordon-
nance de ladite Cour, prise , occupée, et
employée à l'hébergement des Pauvres, et
que depuis lesdils Supplians avoient recou-
vert Salle pour y continuer, suivant lesdils
Privilèges, la Représentation desdicts My-
stères, du profit desquels éloit entretenu
le Service Divin en la Chapelle de ladh le
Confrairie, qu'il leur fût permis faire jouer
en ladicte Salle nouvelle, tout ainsi qu'ils
avoient accoustumé faire en celle de la Pas-
sion ; et dépenses fussent faictes à tous
doresnavan!, tant en ladicte Ville, que Fau-
bourgs et Banlieue de celle Ville, sinon que
ce soit sous le tillre de ladiclc- Confrairie, el
647
IÀS
DICTIONNAIRE DF.S MYSTERES.
pas
es
au profil d'icclio
Et sur ce oùy le Procureur Général du Roy
ce consentant : La Cour a inhibé etdefï'endu,
inhibe et deiïend auxdits Supplions, de
jouer le Mystère de la Passion de Nostre
Sauveur, ne autres Mystères sacrez, sous
peine d'amende arbitraire; leur permettant
néant m crin s de pouvoir jouer autres Mystè-
res profanes, hounesles, et licites, sans of-
fenser ou injurier autres personnes : Et
deiïend ladicle Cour à tous autres de jouer
ou représenter doiesn.tvant aucuns Jeux ou
Mystères, tant en la Ville, Faubourgs que
Banlieue de Paris, sinon >ous le nom de
ladicle Confrairie, et au profit (ficelle, etc. »
9°. — le xvui' siècle a méprisé la Passion; opinions au xixe
du MM. 0. Leroy, Louis Paru, Uaguin,el Paulin Paris.
Depuis la fin des représentations de la
Passion, le draine n'a eu que peu d'historiens
et de critiques. Au xvin' siècle, les frères
Parfait, à peu près seuls, s'en sont préoc-
cupés; au xix', il n'a guère attiré l'at-
tention que de MM. Maguin, O. Leroy, Louis
et Paulin Paris.
La Passion, selon M. O. Leroy, appai tient
au nord de la France; c'est là que ses re-
présentations ont eu le plus de prolonga-
tion el de durée. C'est là qu'on trouve le
plus de manuscrits : Cambrai, Valencienne.s,
ïroyes en possèdent. Dans ces texles, une
multitude de singularités sont propres au
nord. Tel passage indique un sol inculte,
uiiu nature encore aride :
Ici r.e sont que racliinettcs
Heri'.eleiieâ
Lspineiies
Des fuMiillelles,
Liens dcsUtiils.
bous Lr.mchetles
Auielelles
PommeleUes
Kl poii elles
Sonl. les fruicl?...
(Etudes sur les mystères; Paris, 1837, in-8")
Dans d'autres on dislingue sans doute les
coutumes flamandes. « On peut se croire en
Flandre quand, aux noces de Caria, on entend
le maître dire aux convives:
Si vous ave7 peu à manger,
Si beuvez bien à l'avenant.
« Vous avez peu à manger, » est une for-
mule de modestie qu'un aniphytrion flamand
ne manque jamais d'employer quand Jn
table est couverte de mets. Quelquefois il
(fauteur) cite le texte môme de ce vieux
dicton du pays, uù l'invitation est formulée
en maxime générale :
Quand à manger ii a po (peu)
Faut se revenciier sur les pois.
« La Flandre a été, au moyen âge, un cen-
tre littéraire d'une grande activité, comme
•■n témoignent les rhétoriques, les confréries
Artistiques et les usages encore subsistants
de mimes des Trois-Rois ou de la Passion,
si nombreux qu'en 183V l'évêque de Cam-
brai a cru devoir les défendre.
« A considérer le drame en lui-mémo, « le
génie des arts et des lettres dans toute sa
splendeur n'eut point suffi à un pareil sujet,
mais dans la représentation du grand mys-
tère, lel qu'il fut joué d'abord, la foi, qui
peut tout agrandir, suppléait sans doute à
l'insuffisance de l'art... » (P. 166.) Supérieure
à l'idée d'Athalie, à celle du Paradis Perdu,
« la Passion est l'histoire du monde, de la
vertu, des vices et des misères. » [Jbid.,
p. 180.) Aussi les scènes pieuses, t uchai t s,
risibles, s'y entremêlent comme dans la vie
humaine.
« Le grand drame delà Passion, dit encore,
dans un autre livre, le même auteur, est
sorti des suprêmes enseignements du chris-
tianisme, sans doute, mais aussi des désas-
treuses leçons des dernières croisades, des
justes craintes des débordements de l'isla-
misme, du désespoir universel des esprits
glacés par de tristes présages, par |de sinis-
tres apparitions, par d'horribles tempêtes,
par une mortalité effrayante; du désir de se
reporter sans cesse, en idée du moins, sur
ces lieux tant de fois profanés depuis In
mort du Christ; de la haine de tous les per-
sécuteurs de la religion, et enfin de la nais-
sance d'une puissance nouvelle, indéfinissa-
ble, qu'on a nommée l'opinion et dont le
développement formidable renversera le
trône en 93. Les représentations de ce
mystère sont assurément la manifestation
populaire la plus hardie de la liberté chré-
tienne. »
Quel est l'auteur de la Passion ?
Déjà M. 0. Leroy, dans ses Etudes sur
les mystères (Paris", 1837, in-8°, Introd.,
P' xiv), était d'avis que le mystère de la
Passion était l'œuvre de plusieurs hommes
et même de plusieurs siècles. Il citait, 5
l'appui, la scène de la Justice du xn' siècle.
Dans ses Epoques de l'Iiistoire de France
(Paris, 18i3, in-8°), le même auteur poursuit
son hypothèse.
Aucun des auteurs, selon lui, n'c5t connu.
La Passion n'est pas l'ouvrage d'un seul
homme , plusieurs et plusieurs siècles ont
élevé ce monument. Avant lui, sonl jetées
çà et là des pierres d'attente, comme pour
le recevoir; l'une d'elles est le drame de la
Justice d'Etienne de Langlon, archevêque do
Cantorbéry. C'est ce jugement de Dieu, pro-
nonçant le sacrifice de son propre Fiis, que
continuent les Mystères de la Conceplian
et de la Nativité, qui forment, avec les pré-
cédents débats des quatre personnifications
divines, la Justice, la Vérité, la Paix et la
Miséricorde, la première partie du grand
mystère, comme l'ont prouvé les manuscrits
de Valenciennes, de Cambrai, de l'Arsenal
et autres, qui ne portent pourtant que ce
titre : Mystère de la Passion. La deuxième
partie du grand mystîre contient en subs-
tance le spectacle de l'égalité humaine, !< s
orgueilleux seuls humiliés et Dieu s'abais-
sant lui-même, non pas vers ces âmes si
hautes, mais sur les petits et les pauvres,
s'entouranl de leurs maux, consolant la
misère et n'admettant près de lui les rois
qu'après les bergers. Dans la troisième par-
lie de celte œuvre si diverse, ou seul toute
l'influence de l'opinion. Dès le début on
649 PAS DICTIONNAIRE DES MYSTERES. PAS 6S#
trouve la reproduction frappante et prolon- représentations de Reims, lors du sucre do
gée de tous les bruits répandus alors contre Charles VIII, en 1484, ce fut le texte révisé
la reine et le duc d'Orléans. Le duc de de Jean Michel dont on se servit, de même
Bourgogne se sert de l'émotion de ces pie- qu'à Metz, Rouen, Paris et peut-être même
mi ers spectacles piur captiver, abuser la à Angers avant les jeux triomphants de 148G.
laveur populaire. L'influence des ducs de (Louis Paris. Toiles peintes et tapisseries de
Bourgogne sur les confrères de l'a Passion la ville de Reims, ou la Mise en scène du théd-
lut considérable. Ces confrères étaient très- tre des confrères delà Passion; Paris, 18W,
probablement, selon l'expression de Boileau, in-4°, 2 vol., T. Pr, Préf. p. xlvii-lxi.)
dos pèlerins. C'étaient au moins des hommes M. Magnin s'est arrêté à l'examen de la
de divers états, venus du nord de la France, Passion dans un article sur le Théâtre Fran-
car ces manuscrits de leur drame, si rares cais au moyen âge de MM. Monmerqué et
aiMeurs, y sont singulièrement communs; Fr. Michel, publié dans le cahier dejuin
les lieux de leurs représentations à Paris 1846 du Journal des savants, p. 9-13. Parmi
portent les noms d'Hôtels de Flandre, d'Ar- les productions de la prolixe époque com-
tois, de Bourgogne; les noms des acteurs prise entre l'établissement des confrères de
appartiennent tous aux provinces du Nord ; la Passion à l'hôpital de la Trinité en 1402
et s; la bibliothèque des ducs de Bourgogne et la suppression, par arrêt du parlement,
ne contient pas un seul exemplaire delà detoutesles pièces tiréesdel'Ecrituresainte,
Passion, c'est probablement par suite de la en 1548, il y a une de ces œuvres colossa-
réaction de Philippe le Bon contre les vio- les, dont les développements n'exigent pas
lences de Jean-sans-Peur que remémorait moins quelquefois de 30 à 40 journées et
le drame, et dont on aura voulu anéantir de 60 à 80,000 vers, qui reste encore comme
les dernières traces. Celle troisième partie inédite, et dont il faudrait donner un texte
fut représentée, sans doute, dans le temps critique intégral où l'on se rapprocherait le
que la reine et le duc d Orléans étaient à plus possible de la rédaction primitive des
Mélun. «Qu'on juge de l'effet que devaient confrères: c'est celle de la Passion. Cet «
produire sur le peuple de Paris les mur- fameuse Passion qui, depuis 1398 et 1402
mures du peuple juif, lorsqu'il se plaint que jusqu'à la fin du siècle, a produit tant d'en-
le désordre règne partout, dans l'Etat, comme thousiasme, n'est pas perdue, malgré lelé-
à la cour; quand il s'élève contre Hérode moignage du P. Niceron. On peut, sinon re-
qui vient d'abandonner sa femme pour vivre monter au texte primitif, du moins en ap-
avec la reine Hérodiade, épouse de son procher. Deux manuscrits de la Bibliothè-
frère'.Quel remède apporter aux maux dont que Impériale, 7206 et 7206» contiennent
chacun souffre? et qui osera faire parvenir ce texte révisé par Arnoul de Gresban ;l'une
jusqu'aux oreilles du faible prince la vérité, de ces copies est de 1472 et semble anlé-
qu'une femme perfide en écarte? qui? Jean; rieure au texte de Jean Michel, d'autant
Jean, l'énergique écho de Jacques Legrand... que l'édition d'Arnoul contient un prologue
sorti du désert... » (P. 231.) Il n'épargne de la Création, le mystère de la Conception
personne, ni le peuple, ni le régent, apos- et Nativité, celui de la Passion et celui do
trophant de bas en haut, et imposant à Hé- la Résurrection. On ne trouve plus au con-
rode, ou plutôt au duc d'Orléans, précisé- traire que la Création et la Passion dans le
ment ce que les hommes sages attendaient remaniement de Jean Michel. Malgré lesuc-
de lui. Le duc d'Orléans périt enfin, assas- ces obtenu par celte dernière édition abré-
siné par le parti bourguignon; et sa mémoire gée, on revint de temps à autre au travail
est poursuivie par la calomnie; !e grand de Gresban, comme l'indique le manus-
éclat de la passion orléanaise tombe enfin crit de la Bibliothèque Impériale, N° 7206,
dans les afféteries de la coquetterie de Ma- qui date de 1507 à l'édition de Paris de la
deleine. C'est par ces puérilités qu'est clos même année, où le texte, remanié de nou-
.'e Mystère de la Passion; et «ce grand ou- veau et fort altéré, est néanmoins plus
vrage qui offrait d'abord sans doute, à défaut complet que celui de Jean Michel et suit
d'autres unités, l'unité catholique, l'intérêt évidemment de plus près le dessein même
tout religieux... après avoir été l'expression de ce grand drame. Ce n'est plus, en effet,
d'une foi naive,.. va s'allérant peu à peu... comme les mystères antérieurs, une suite
jusqu'au protestantisme... » (Ibid., Introd., d'une fête, c'est une représentation originale,
p. 20.) isolée, de longue durée, comme les mystè-
M. Louis Paris rappelle que dès le xm* res analogues des Actes des Apôtres des frè-
siècle on jouait déjà le mystère de la Passion, res Arnoul et Simon de Gresban, ou du
En 1402 le répertoire des confrères de la Vieux Testament, et il en résulte une révo-
Pastion se composait déjà de plusieurs beaux lution qui est l'établissemeut d'un théâtre
mystères, et la Passion avait été retouchée permanent. Outre les deux manuscrits si-
plusieurs fois, entièrement refondue. L'édi- gnalés plus haut, à l'édition de 1507, que
tion de 1486, révisée par Jean Michel, est les frères Parfait ont eu le tort d'attribuer
certainement antérieure à celte époque, car tout entière à Jean Michel, tandis que le
Jean Michel ne peut être autre que l'évô- milieu seul lui appartient, d'autres textes
que d'Angers qui'mourut en 1447; on a. at- que fourniraient Paris, Troyes, Valencien-
Uïbué, à tort, au médecin de Charles VIII nés , serviraient à éclaircir et compléter
une œuvre qui lui est bien antérieure. En- celui de 1472. (rass. N° 7206*), qui reste le
fin il est très-probable que dans les grandes meilleur connu,
Piciio.NN. des Mystères. 21
651
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
652
M. Paulin Paris, dans ses Manuscrits fran-
çais de la Bibliothèque du Roi (t. VI, 1845),
a dit, à propos des deux manuscrits les plus
anciens connus de la Passion, donl il donne
la description en ces termes :
(Msc-.) N«7206. N°7206'.
824. Le MYSTÈRE DE LA PAS- 825. Le mystère de la
SION PAR PERSONNAGES, PASSION PAR PERS0NN A-
tN VERS , PAR ARNOLL GES , EN VERS, PAR AR-
GRESDAN. NOLL GRESEAN.
"Volume in-f° , média- Volume in-f* médio-
cre vélin, de 277 feuillets cre, papier marqué à
à deux colonnes: minia- l'encre, terminé par une
lures, initiales et rubri- pointe, de 23b* feuillets;
ques; premières années une miniature, deux ini-
dii xvi« siècle. Relié au- liales , quelques rubri-
treroisenveaufauve.au- ques; xv« siècle. Relié
jourd'hui en veau racine, en veau racine, au cbiffre
au cbiffre de Cbarles X de Louis XVlil sur le dos.
sur le dos.
< Ane. bibliothèque de
Gaston , duc d'Orléans ,
n° i 4. Sainte Palaïe, not.
560.
Très-bonne écriture. Ce volume porte, dp.s
Les miniatures, qui n'ont les deux grandes ini-
qu'un ou deux pouces de liales des feuillets 1 et
hauteur, donnent une 4, les armes de celui pour
idée delà ligure et du cos- lequel il fut fait : (d'ar-
tume qui conviennent à gent au lion de gueules,
chaque personnage. La accompagné d'un lambel
première, placée au bas d'azur à trois pendants,
<le la première colonne parti de Savoie). L'écu,
du f» 1 , représente l'au- dans la seconde initiale,
leur à son pupitre. 11 est est supporté par deux
couvert d'une tunique ours. — Il doit rappeler
blanche, et son chapeau lenomdeLouisdeLuxem-
est retenu sur ses épau- bourg, comte de Saint*
les, ce qui semble ex- Paul et de Ligny, qui eut
dure l'idée d'un homme la tète tranchée, à Paris,
d'église. le 19 décembre 1475. 11
A la fin du mystère avait eu pour seconde
est la rubrique suivante : femme Marie de Savoie,
El sic esl finis mislerii cinquième liile de Louis,
Passionis, Resurvectiouis, duc de Savoie, qu'il avait
Ascensionis, el etiammis- épousée en 1466 , et qui
sionis Spiriius sanctiSal- mourut également eu
valons Domini nosiriJhu 1475. Il y a cependant
Chtisli. Scripta anno Do~ une difficulté dans cette
mini M" guinquagesimo attribution : la branche
seplimo, die sepiimo Ja- des comtes de Saint-Paul
nuarii; (avenu Altissimo, venait directement des
qui est trinus el umis in comtes de Ligny, qui por-
sœcula sœcttloium. A- taient m\ lambel d'azur
men . sup le lion de Luxem-
Sur le recto de la der- bourg; mais elle avait
•nière garde : le présent quitté ce lambel, et je ne
livre appartient à madame m'explique pas comment
la princesse de Rocliesur- on le retrouve encore
yon. 'ci.
Et sur le verso de la
même garde .• Marie de
Malingre, faine de noble
homme Hector de
a feest feres sete Pas-
éion.
La princesse de la Le second propriétaire
Roche -sur -Yon était fut Philippe de Clèves,
Louise de Rourbon, fille dont la signature est
<ie Gilbert de Rourhon, au lias de l'a vaut-dernier
comte de Monlpcnsier , feuillet. Immédiatement
mort en 1496. Elle avait après, le copiste Jacques
(2*9) M. Yallet de Yirivi'le dans sa Notice, fort
remarquable d'un mystère var versonnuges... a cité
Hic hc a ajoute sur 1»
feuille blanche qui suit :
Faict , escripl el accoui-
ply par moy, Jacques Ri-
che. Febre indique le
lundi xxn'jourde février,
l'an mil quatre cent
soixante el douze
épousé d'abord, en 149-2,
André de Chauvigny, sei-
gneur de Château-Roux,
et en secondes noces
Louis de Bourbon, fils de
Jean, comte de Vendôme
el prince de la Koche-
sur-Yon. Ce deuxième
époux mouriil vers 1520,
el elle lui survécut jus-
qu'au 5 juillet 1561. (Cf.
Larbe, Tableau généalo-
gique de la maison de
Bourbon; Paris, 1652,
p. 286 cl 501.)
« Contre notre habitude, nous réunirons
la notice de ces deux manuscrits, parce quo
le second fournit plusieurs renseignements
que nous demanderions en vain au premier.
Ils contiennent le même ouvrage: seule-
ment le premier, que nous désignerons par
la lettre A, est aecompagné de rubriques
nombreuses qui souvent complètent l'indi-
cation de la mise en scène déjà donnée
par les miniatures. Le second, B, répare ce
désavantage par la précieuse rubrique du
commencement : « Ce présent livre contient
« le commencement et la création du monde
« en brief par personnages; la nativité, la
« passionetla résurrectiondenoslreSauveur
« Jésus-Christ traitées bien au long selon les
« sainctes évangiles. Et devez savoir que
« maislre Arnoul Gresban, notable bache-
« lier en théologie, lequel composa ce pré-
ce sent livre, à la requeste d'aucuns de Pa-
« ris, (ist cesle création abrégée, seulement
« pour monstrer la différence du péché du
« déable et de l'omme; et pourquoi le péché
« de l'omme a été réparé et non pas celluy
« du déable (2r4.9). Et pourtantqui vouldroit
« jouer le présent livre par personnages,
« il fauldroit prendre et comtnancer à ce
« prologue qui s'ensuit; et, ce fait, delais-
« sier la dicte création abrégée et coinman-
« cer à Adam estant en limbe qui dit ainsi:
« 0 souveraine Majesté. En ce point l'ont
« fait ceulx de Paris qui ont jà par trois fois
« joué cette présente passion. »
« Cet avertissement et la date du manus-
crit B nous permettent d'affirmer :
« 1° Que le récit de la Création, par lequel
commence la transcription, ne fut pas des-
tiné à être joué par personnages, l'auteur
l'ayant fait en manière d'avani-propos, pour
y récapituler les causes premières de la
Rédemption.
« 2° Que pendant longtemps on donna le
nom général de mystère de la Passion à un
drame comprenant quatre journées. La pre-
mière journée renfermait la naissance du
Sauveur et son histoire, jusqu'au moment
où la sainte Yrierge le retrouve dans le
Temple enseignant les docteurs. La seconde
journée était remplie par sa prédication et
par les circonstances de sa tradition aux
Juifs dans le jardin des Olives. La troisième
jusque-là cette rubrique. {Bibl. de l'école desCharies,
t. Ul,p. 153.)
653
PAS
DlCilOSNAlKE DES MYSTERES.
PAS
fi ',4
racontait sa passion et sa mort ; la quatrième
sa résurrection.
« 3° Que le mystère de la Passion, ainsi dis-
tribué, avait été déjà joué trois fois à_Paris,
au commencement de l'année H73.
« kn Que l'auleurde la composition, ou du
moins de cet arrangement, était un bache-
lier en théologie nommé Arnoul Gresban.
« Voilà (ie nouveaux points acquis à l'his-
toire du Mystère de la Passion, et, comme
on va voir, ils ne sont pas étrangers à la vraie
connaissance des origines de notre Théâtre.
« C'est depuis quelques années seule-
ment qu'on a senti l'importance des anciens
manuscrits qui contenaient le Mystère delà
Passion. Les frères Partait n'avaient, de
leur aveu, consulté que les éditions impri-
mées dans les dernières années du xve siè-
cle (250), et ces éditions diffèrent du texte
de nos manuscrits parune foule d'additions
<>t omissions graves. Et puis la distribution
n'en est plus la même. Notre première jour-
née forme, dans ces imprimés, un mystère
à part (251), celui de « la conception, nati-
« vite, mariage et annonciation de la benoite
« vierge Marie avec la nativité de Jésus-Christ
« et son enfance. »
« Notre seconde journée y devient les trois
premières du Mystère de la Passion de Noslre-
Seigneur Jésus-Christ. .joué moult triompham-
ment à Angers l'an i486 (252).
« Notre troisième journée répond à la
quatrième du précédent mystère imprimé,
et notre quatrième a fourni la matière d'un
autre drame imprimé séparément sous le
ti tre de Mystère de la résurrection et ascension
de Nostre-Scigneur (253).
« Ainsi de ces trois mystères taillés dans
l'étoffe de notre grand mystère de la Passion,
le second a seul conservé ce titre primitif.
Les critiques et les bibliographes ont cru,
sur la foi de plusieurs éditions, pouvoir
attribuer à Jean Michel, docteur très-élo-
quent et scientifique, la composition du
troisième mystère et la révision des deux
autres. M.Onésime Leroy, dans ses précieu-
ses Etudes sur les inysteres, et mon frère
Louis Paris, dans son grand ouvrage sur
les Toiles peintes et tapisseries de Reims, ont
fortifié celte opinion. Mais d'abord, quel
était ce Jean Michel, à quelle époque vivait-
il ? Louis Paris et après lui M. Paul Lacroix,
ce savant et ingénieux bibliophile, ont sou-
tenu contre les frères Partait et contre Ni-
ceron, que c'était l'évoque d'Angers, sacré
en 1438, et mort vers 14V7 en odeur de sain-
teté. L'argumentation de mon frère est vi-
goureuse. Les champions de Jean Michel,
secrétaire et premier médecin de Charles
Vlll, s'appuyaient sur l'autorité de Lacroix
du Maine, qu i écrivait en 158k: Louis Paris
répond par celle de Pierre Gervaise, lequel,
dans une épitre adressée à son ami Jean
(250) Niceron va même plus loin : « Comme on
n'a, dit-il. aucun manuscrit ni aucune édition qui
précède les changements de Jean Michel, on no peut
savoir eu quoi ils consistent. » (T. XXXVII, p. 598.)
(251) Paris, sans date, ou 1532 cl 1539, à l'c\-
Uouchet, mort vers 1555, dit de Jean Michel,
évoque d'Angers, qu'il fit
Par personnages
La Passion et autres beaux ouvrages.
« On objectait que si le saint prélat avait
été l'auteur du mystère, les éditeurs n'au-
raient pas manqué de le saluer de ce titre
d'évêque d'Angers , au lieu de l'appeler
simplement très-éloquent et scientifique
docteur; Louis Paris répond que Michel
avait pu fort bien écrire avant d'être élevé à
l'épiscopat, et que le litre de très-éloquent
convenait mieux en tout cas à l'homme d'é-
glise qu'au suppôt d'Hippocrate. Certes, en
l'absence des manuscrits que mon frère
n'avait pas eu le pouvoir de consulter, il
était impossible de raisonner d'une façon
plus irréprochable et plus persuasive. Com-
bien il m'en coûte aujourd'hui de proposer
une solution différente! Je vais dire mes
raisons, et je ne demande pas mieux en vé-
rité que de perdre ma cause.
« Ici l'argument capital est le vers de cet.
ami de Jean Bouchet. Mais à la rigueur,
maître Gervaise ne pourrait-il pas s'êtn»
trompé? S'il jugeait vers 1530 que l'évêque
d'Angers était l'auteur du mystère, c'était
sur la foi des éditions imprimées ; mais ou
celles-ci gardent un parfait silence, ou bien
elles se contentent de signaler les additions
et corrections de maître Jean Michel. Et si
Michel, évoque ou médecin, n'a fait que des
corrections et additions adoptées pour la
première fois à la représentation d'Angers
en 1486, il n'est pas l'auteur du mystère, il
doit céder la place à notre Arnoul Gresban.
— L'évêque en est-il l'auteur ? Comment
tous les écrivains qui parlent assez longue-
ment de sa vie, de sa piété, de ses bonnes
œuvres, ne disent-ils pas un mot de son
admirable ouvrage? Comment les impri-
meurs, dans le temps même où son homo-
nyme, secrétaire et premier médecin du roi,
jouissait de la plus haute considération,
n'ont-ils pas averti que le réviseur dontiLs
adoptaient les corrections n'existait plus,
et jadis avait été évoque d'Angers? Comment.
Jean le Maire, Geotfroi Thory, Marot, La-
croix du Maine et Pasquier ne prononcenl-
ils pas même son nom? Comment prodi-
guent-ils leurs louanges aux deux frères
Gresban et surtout à notre Arnoul, qu'au-
cun autre grand ouvrage ne recommande-
rait. — Si l'évêque Michel en est l'auteur,
lui mort en 1448, comment en 1472 les Pa-
risiens demandent-ils cf Arnoul Gresban un
mystère de la Passion? Et comment entin
le plagiaire de Gresban, en livrant la plus
belle partie des vers de Jean Michel, pou-
vait-il espérer de leur faire accroire que
l'œuvre entière était sienne.
« Voilà des arguments plus nombreux et
plus décisifs que le distique de Pierre Ger-
ception de l'édition de 1507, que l'on n'a pas remar-
quée, et qui reproduit la distribution d'Arnoul Grès*
ban. Elle est extrêmement rare.
(-252) Paris, 149(1-1512, 1532, etc., etc.
("253j P;(ris, sans date, et 1541,
CS5
PAS
DîCTIOXN'AIRE DES MTSTEIAE3.
PAS
CSG
vaise; cependant ils tirent leur principale
force de l'examen et de la comparaison des
textes de Gresban et de Michel. De deux
choses l'une : ou le premier auteur du
mystère n'est pas l'évêque d'Angers, ou
nous avons perdu les copies de son ou-
vrage. On ne gardera plus sur ce point le
.moindre doute après avoir vu les manus-
crits. Mais il est aisé d'admettre avec tous
tes biographes que Jean Michel II, natif
d'Angers, se trouvait dans celte ville en
1486, quand on voulut y monter \e Mystère
de la Passion; qu'il revit alors l'ancien texte,
le coupa, allongea et modifia dans une foulo
d'endroits; que son travail fut générale-
ment approuvé; qu'on l'adopta môme à Pa-
ris, où bientôt après commencèrent les re-
présentations du vieux drame, et que ce
fut avec toutes ces nouvelles additions et
corrections que le mystère fut imprimé.
Le scientifique arrangeur était d'ailleurs un
homme de mérite. André de la Vigne a cru
devoir parler de sa mort dans VHistoire de
la conquête de Naples : « Le 22 août 1495,
« mourut à Quiers maistre Jehan Michel, pre-
« miermédecindu roy,très-excellentdocteur
représentations ue l'histoire du Sauveur,
chargèrent Arnoul Gresban d'en composer
le livret, de l'écrire et de le mettre en état
d'ôlre joué. Gresban lit alors le chef-d'œu-
vre de notre ancien théâtre religieux. Son
ouvrage eut un grand succès, puisqu'on le
transcrivait encore en 1507, et puisqu'on en
faisait à cette époque une édition assez
correcte. Mais en le composant, le désir
d'enchaîner tous les événements l'avait
parfois aveuglé sur l'inconvénient des lon-
gueurs. Par exemple, le tableau de l'enfance
de Jésus-Christ rompait l'uni lié d'intérêt,
et quand on voulut le jouer d'une manière
triomphante en 1486 dans la ville d'Angers,
on sentit ie besoin d'y faire des additions
et des suppressions notables. Cette repré-
sentation d'Angers eut dans toute la France
un grand retentissement; les Parisiens vou-
lurent larenouveler ; ils acceptèrent les chan-
gements que Jean Michel avait faits à
l'œuvre de leur Arnoul Gresban, et le mys-
tère fut rejoué chez eux tel qu'il l'avait clé
à Angers quelques années auparavant; alors
les éditions s'en multiplièrent, et dans les
litres on eut grand soin de rappeler la con-
en médecine, duquelleroy fustforl marry.» formitédu lexleavec la représentation d'An-
« Quoiqu'il en soit, le drame de la Passion gers et les additions et corrections de maî-
du Sauveur remontait aux premiers jours
du théâtre moderne. Cette sublime légende
réunissait toutes les qualités-, car elle était
vraie, édifiante et susceptible de tous les
etforts de mise en scène.... »
M. Paulin Paris indique parmi les épi-
sodes précurseurs de la Passion, le Lazare
d'Hilaire, les drames du manuscrit de saint
Martial de Limoges, le drame de la Résur-
rection du xir siècle et le Jeu du Christ
mentionné par Muratori.
La Passion est représentée d'abord par
•les bourgeois, associés des Puys et des Pa-
linods; il se forme ensuite des troupes
d'acteurs pour la jouer, tels que les fameux
confrères de la Passion, qui de Paris se ré-
pandirent dans la province.
C'est alors que, « dans chaque ville, dit
M. Paulin Paris, le récit de la Passion dut
subir des modifications nombreuses en rai-
son du temps, de la place et des acteurs
dont on pouvait disposer. Telle partie fut
abrégée, telle autre développée; on ajouta
cet tains épisodes, on supprima jusqu'à des
journées entières, ou d'une seule journée
on en fit deux, trois et même quatre... »
Ces conjectures si heureuses expliquent
!e grand nombre des textes tous légèrement
différents de la Passion que l'on trouve çà
et là. M. baron Taylor en a acquis un exem-
plaire, dans la vente de la bibliothèque de
M. de Soleines, que l'on dit des premières
initiées du xve siècle. Troyes en possède un
autre des dernières années du même siècle ;
Valenciennes un troisième du xvie siècle.
« Reste noire leçon 7206,» dit M. Paulin Paris,
« achevée cerlainementleââfévrier 1473. »
« Quel qu'ait été le livret des confrères
de la Passion en 1400, » conclut Ip sa gâte
critique, « il est certain que vers 1472 les
Pirisiens, ayant voulu jouir de nouvelles
tre Jean Michel.
« Dans ce remaniement de Jean Michel,
legrand travail d'Arnoul Gresban est, comme
nous l'avons déjà dit, divisé en trois ou-
vrages distincts, et le second des ouvrages»
coupé lui-même en trois journées, a été
fortifié d'une foule de nouveaux épisodes...»
111.
AMUSES B£ LA PaSSIOK.
Une analyse définitive du grand mystère
de la Passion était impossible. Entre 1398
et 1474, il y a soixante-seize ans, trois
quarts de siècle, que l'on doit désespérer
de dévoiler. La découverte d'un manuscrit
antérieur à celui de 1474, ou d'une édition
antérieure à celle de 1486, (détruirait tout
travail tenté aujourd'hui.
Pour donner une idée de ce drame, nous
n'avons trouvé de moyen que d'en fournir
trois analyses qui se complètent sans se
répéter :
La première est celle donnée par M. Pau-
lin Paris du manuscrit de l'an 1474, œuvro
des Gresban.
La seconde est celle qu'a publiée M. 0. Le-
roy, d'après le manuscrit au Valenciennes,
datant seulement du xvr siècle, mais re-
produisant évidemment un texte du xvc.
La troisième est empruntée aux frères
Parfait, partie d'après Jean Michel, et partie
d'après l'éditiou de 1507, qui reproduit Je
remaniement des Gresban.
Nous l'avons préférée au travail de M.
Louis Paris, d'après Jean Michel et l'édition
de 1486, son analyse n'occupant pas moins
de 584 pages in-4°.Outre.le défaut de son ex-
trême Jongueur, elle a celui bien plus
grave de ne donner qu'un texte altéré et
inférieur à d'autres que, malheureusement
pour M. Louis Paris, son frère même a décou-
657
PAS
DICTIONNAIRE DES MTSTEBE*.
TAS
65«
ogue
verts etn'a pas cru devoir celer à la science
(Cf. Toiles peintes et tapisseries de la ville de
Beim«; Paris, 1848,in-4*,3vol.,.t.I*r, p. 1-58&.)
1° Analyse de M. Paulin Paris.
« L'Introduction, ainsi que I'auleur nous en
n prévenu, ne doit pas être jouée; elle expose
en quinze cents vers la création du monde, la
chu te des anges et celle de l'homme, le meurtre
d'Abel et la mort d'Adam. Tout cela coup-é
par trois prologues, dont le premier com-
mence ainsi :
Ouvrez vos yeulx et regardez,
Dévoles gens qui entendez...
« Après cette introduction, un épi
annonce l'objet du véritable mystère :
An limbe nous commeneerong
El puis après nous traiterons
La hauliaine narracion,
Pour venir à In Passion
De noslre Saulveur Jésu-Crist.
Après, la Résurrection
Et l'admirable Ascension
Et mission du Saiiil-Esprit.
(Msc. B., p. U.)
9 Puis en rubrique : « Cy commence le
« premier livre de fa Passion de notre Saul-
« veur dont le prologue est tout au premier
« de ce livre. Wnveni. » Ce mot veni est en ef-
fet le premier mot du prologue ou sermon
en 220 vers, placé dans le msc. B avant l'in-
troduction, et dans le msc. A après elle. En
général la meilleure leçon du mystère est
dans le msc. R.
PREMIÈRE JOURNÉE.
« Début :
Veni ad liberandum nos,
Domine Deus virlutum,
Pour l'offense du premier père
Que tout le gendre humain compere.
« Après avoir indiqué le but qu'il veut
atteindre dans ce mystère, l'auteur ajoute :
Se la révérence de vous
Faillie y voit dessus ou dessoubs
Trop dit-on faillie de langaiges,
Soyez amiables et donlx,
El nous corrigez sans courroux,
J'en serons autre lois plus saiges,
(B., f. 1, verso, p. 5.)
« Le meneur du jeu, après un Ave Maria,
reprend le texle sacré Veni ad liberandum
nos. « Les assistants, dit-il, vont avoir sous
« les yeux le tableau des limbes et des an-
« goisses que les justes y souffrent par leur
impatience de la venue de Jésus-Christ.
On moralisera ensuite un petit, en intro-
duisant cinq personnages pour plaider de-
vant Dieu la cause de l'homme ; pais on
suivra Jésus-Christ dans les merveilles do
sa naissance et de ses premières années.»
Si vous prions, seigneurs et dames,
Conjointement, hommes ci femmes,
Que silence vneillez garder;
El brieï vous verrez procéder.
(A, f" 11, verso.)
« Dans la première scèn? paraissent Adam
et Eve, que les miniatures représentent nus;
Jsaac, Jéréraie, Ezéchiel, David, en man-
teaux.Tous conjurent Dieu de les arracher uu
séjour des ténèbre*. Premiers vers :
ADAM.
0 souveraine majesté,
Bon Dieu qui en Elernilé
Règnes, sans jamais prendre fin...
{A et B, f°. 1-4, verso.)
« Deuxièmescène : Icysont cinq personna-
ges enjparadis, et premier s'esleva une dame :
MISÉRICORDE.
Je ne me puis contenir
Que les humains ne pregne en cure.
(A, M 7.)
« Après un long examen dans tontes les
formes, les cinq dames, Paix, Miséricorde,
Justice, Vérité, Sapie.nce, conviennent que.
le seul moyen de racheter l'homme est de
décider Dieu à livrer à la mort des hommes
l'une de ses trois personnes. A cet arrêt
porté aux pieds du Très-Haut, Dieu gémit,
hésite, enfin se laisse vaincre par Miséri-
corde, sa bien-aimée. II charge l'ange Ga-
briel d'aller annoncer h Marie l'incarnation
du Verbe dans ses chastes flancs.
« A cet endroit commence le mystère de la
conception, mariage, etc., de la benoite
Vierge, etc., arrangé pour la représentation
d'Angers, et coopé dans la première journée
d'Arnoul Gresban. Les premières scènes
semblent avoir été refaites entièrement,
elles offrent une première supplique pour la
rédemption ; les premiers tableaux de l'en-
fer; une scène délicieuse entre Joachim et
ses bergers; les trois mariages d'Anne avec
Joachim, avec Cléophas, avec Salomé; les.
premiers tableaux delà courd'Hérode ; la nais-
sanredo Marie ; sajprésentalion au temple ; son
mariage avec Joseph et le procèsdu Paradis.
« Les acteurs du Procès sont les cinq da-
mes de notre première journée; et c'est \h
que le mystère imprimé de la Conception su
rejoint au texle d'Arnoul Gresban.
Miséricorde, bien savez
Que semence pour vous avez...
(Msc. A,l-fo22, verso. — B, f° 21, omc.tiupr.,
f. xxxix, recto, édil. d'AlainLotrian, 154t.)
« Mais il y a dans la suite un grand nom-
bre d'autres changements, additions ou sup-
pressions, dont nous ne pouvons tenir un
compte ; nous nous contenterons de signaler
le f" xi. v verso de l'imprimé. Lucifer, ayant
rassemblé tous les démons, leur dit :
Dyables, arrengez-vous trestoiis
En turbe et grosse quantité;
Au lieu de dire un Sileic
Ouvrez vos malignes cervelles,
Je vous vueil dire des nouvelles...
« Mais dans le texte d'Arnoul Gresban, ot
exécute le Silete, c'est-à-dire concert ou sym-r
phonie.
Dcables, arrengez-vous Irestous
En tourbe à grosse quantité
El me chantez un Sileie
En voslre horrible diablerie ..
(B, f- 28.)
650
PAS
DICTIONNAIRE DI.S MYSTERES.
PAS
fc60
«... La scène des bergers... diffère dons
Gresban du texte de Jean Michel et de la
scène que M. Vallet de Viriville a publiée
d'après Je manuscrit de Troyes. Dans les
trois leçons il y a beaucoup d'agrément et
de ta'ent poétique, mais la supériorité in-
contestable appartient à noire Arnoul Gres-
ban. Jean Michel a ajouté beaucoup d'obs-
cénités, au lieu d'en avoir supprimé dans
l'ancien texte, comme l'avancent les frères
Pariait sans preuves, puisqu'ils n'avaient vu
aucun manuscrit, et comme le répètent avec
une extrême légèreté Niceron, les annota-
teurs de Lacroix du Maine et bien d'autres.
Ces additions obscènes de Jean Michel ont
encore été rendues plus obscènes par le
grand calomniateur Duiaure, qui les a pré-
sentées comme « les passages les plus dé-
« cents de ces pièces. »
« Le manuscrit de Troyes a réduit à quel-
ques jolis virelais une longue tirade, rem-
plie de gracieuses pensées et d'expressions
pittoresques. Par exemple, Gresban seul a
l'ait ou conservé cette jolie chanson, digne
de Charles d'Orléans :
Est-il liesse plus série
Que de regarder ces beaulx champs,
El ces doulx aignelès paissans
Sauliansà la belle prairie!
On parle de grant scignorie,
D'avoir donjons, palais puissans :
Est-il liesse plus série
Que de regarder ces beaulx ebamps?
(M. A., f>36.— • B., r- 53.)
« Dans les imprimés, l'arrangeur nous
avfTlit que son mystère de la Conception est
terminé,... mais nos deux manuscrits, res-
pectant la division primitive en journées,
ajoutent :
Etalant fin du premier jour
Demain retournez s'il vous plaisl...
(A., f° 80.— R., f* GO.)
DEUXIEME JOURNÉE.
« Le manuscrit A renferme de plus que B
un prologue de soixante-six vers, dans le-
quel, après avoir récapitulé la première
journée, l'auteur continue ainsi :
Ores voudrons par bonne amour
Commancer noire second jour,
El monslrer en (emps cl lieu
Du benoist Raplisle de Dieu...
Jusqu'à la Résurreclion.
Là sera le second point fait.
Kl pour plus lot atteindre au fui»,
Jehan, venez vous advancer...
(A., f° 80, reclo.)
« Alors Jean-Baptiste s'avance et débile
un sermon en vers sur le texte : Pœnilentiam
agite...
« Il faut remarquer... l'analogie frap-
pante qui existe entre un passage de la Stisci-
laiio Lazari (V. Lazare d'Hilaiue), petit ou-
vrage dramatique d'Hilaire, disciple d'Abai-
lard, composé \ars 1120, et la même scène
de nofrfc mvsfère de la Patsion. Dans la
Suseitatio Lazari : Post hœc remet Martha
non aliis duobus Judœis contante*:
Mors execrabilis!
Mors (lelcslnbilis!
Mors milii flebilis
Lasse! cbailivc.
Dès que mis frère est mors.
Porque sue vivo!
(Milarii Versus et Ludi; Techener, 1838
p. 27.)
« Et dans notre mystère :
MADELEINE.
0 mort douloureuse,
0 mort rigoureuse.
Qui l'a fait emprendre
De si lost saillir.
Pour moi ja lollii
El mou frère prendre?
« La journée finit ainsi :
(R.,f° 103.)
DENT ART.
F y difpaillarl!
UOULLART.
Fy du vrai fui!
Reau sire, assiés-lui sur le col
Droiclemenl un beau baliplarl,
Tant qu'à ce vilain papelart
Face loule la char frémir.
DENTAKT.
Il nous faull ung petit dormir...
GADIFFEK.
Pendu soit à qui il tiendra !
Nous sommes las oultre mesure.
(A., f° 1G0.— P., f° 139
« Puis le prologue final. »
TROISIEME JOURNÉE.
« Elle commence par un nouveau prolo-
gue, dans lequel sont rappelées les deux
journées précédentes, et le sujet de la troi-
sième exposé...
« Dans la scène du repentir de Judas,
le calligraphe du manuscrit A représente
le costume de Désespérance noir comme le
corps de cette terrible personne. C'est la
fille chérie de Lucifer, envoyée par lui
dans Judas. Voici le commencement du dia-
logue :
l'esprit-
Meschanl, que veulx-tu qu'on le face
A quel port veulx-lu aborder
JUDAS.
Je ne sçay, je n'ai œil en facfl
Qui ose lès cieulx regarder.
l'esprit.
Si de mon nom veulx demander,
Rriefment en aras demonslrance.
JIDAS.
Dont viens-tu?
l'esprit.
Du parfont Enfer.
jrnis.
Quel eu ion nom?
C61
PAS
D1CTI0MSAIRE DES MYSTERES.
PAS
6C2
[.ESPRIT.
Désespérance.
JUDAS.
Approche! et me doues allégeance,
Se mort peut mon dueil allégier.
(A., f- 175.— B., f- 15-2.)
« Cela n'est-il pas digne de Corneille, de
Dante et de Milton ?...
« La réception de Judas en enfer est bien
autrement comique dans les manuscrits que
dans les imprimés. L'âme est d'abord en-
gloutie par Lucifer, puis, à la prière de ses
suppôts, le roi d'enfer les rejette, en di-
sant :
Tenez, mes petits dragonneaulx,
Mes jeunes disciples d'escole,
Jouez en nng peu à la sotte.
En lien de croupir au fumier,
BERICIt.
Ça, j'en doy jouer le premier, etc.
(A..M78.)
« Et tous les démons de relancer l'âme
de Judas de patte en patte...
« Quand tout est consommé, et immédia-
tement après la conversion du centurion, le
manuscrit A présente une scène que l'on
chercherait tout aussi vainement dans le
manuscrit B que dans les imprimés. C'est
un dialogue entre saint Denys d'Athènes et
Empédocles, relatif aux ténèbres qui cou-
vrent le monde. Saint Denys démontre a Em-
pédocles qu'elles annoncent les souffrances
d'un Dieu; Empédocles répond:
L'argument est bon et actif
Et la cause (chose) est assez prouvable (probable).
(A., f» 210, verso.)
« Le prologue final de celte troisième
journée est composé de vingt-deux vers
(lins A, et de dix- neuf seulement dans 15.
Voici les trois vers ajoutés dans A.
Dimanche, avons intencion
(Jue de la résurrection
Partie vous soit démontrée. >
(A., f° 221, verso.)
QUATRIÈME JOURNÉE.
« Cette quatrième journée est parfaitement
semblable au mystère imprimé de la résur-
rection, et par conséquent nous sommes
portés à croire que Jean Michel, l'arrangeur
îles éditions imprimées, a purement et sim-
plement accepté le livret d'Arnoul Gresban, »
(Paulin Paris, Les manuscrits françois de
ta Bibliothèque du roi; Paris, Techener ,
in-8", 18V5, t. VI, p. 293-311.)
2" Analyse de M. 0. Leroy.
M. 0. Leroy a cité les vers par où com-
mence le mystère de ta Passion, clans le ma-
nuscrit de Valencienrics :
Moy manant (stable) en éternité,
Dieu de inatlingihlc équité,
.le prie ensemble toute chose,
Pau ( lUnxion de h nié-
Lumière que à mon gré compose
Soil faicte en instant et sans pose,
Spirituelle et corporelle,
Première luisant plus que rose.
C'est angélicque que jalose,
Et fay toulle intellectuelle...
- J
« Il y a là, dit-il, un mot regrettable...
inattmgible, qui peut s'appliquer à tous les
attributs de Dieu, auxquels il n'est pas per-
mis a l'art humain d'atteindre...» (O Lepoy^
Etudes sur les mystères ; Paris, 1837,in-8°,
lutrod., p. xiv.)
« Le vin manque aux noces de Cana. Abias.
et d'autres convives s'écrient :
Il n'y a plus de vinez pois,.
Vecy très- mauvaise nouvelle!
— C'est assez pour perdre propos.
— Que dicles-vous? — Point ne le cèle:
e vous le déclaire à deux mol?» :
Il n'y a plus de vin ez pots.
— Vécy Ires-mauvaise nouvelle!
— Il y faut pourvoir. — Somme toute.
On n'en sauroil recouvrer goulie,
Pour l'heure présente. — La fesle
Sera honteuse et déshonnesle,
Et grand scandale en viendra
A l'espouse, dont il sera
A jamais honteuse mémoire.
abias, à Jésus.
Si les gens demandent à boire,
Haislre, que leur pourra-l-on dire?
NOSTRE-DAME, à JésUS.
Mon Fils, la leste fort s'empire,
El tourne à honte et à escande
Sur l'espoux, qui lui sera grande,
Si vons-mesme n'y pourvoyés...
(P. 156.)
« Ailleurs ce sont deux coquins, dont l'un,.
qui a plus d'un tour dans son sac, feignant
que le froid l'affole, se nomme Cla'quedent,
et l'autre Babin, mot qui, d'après le diction'
naire Rouchi, signifie niais, imbécile. Rabin,
malgré son nom et son air bote, est plus
rusé que Claquedent même, auquel il per-
suade de faire l'enragé et de se laisser lier
par lui, pour mieux exciter la compassion.
Claquedent, entouré de cordes par Babin,
se met à grincer des dents et à pousser des
crislamenlables... Babin... reçoit de l'argent..
Claquedent dit à Bahin : « Tost, desloye
« (vite, délie-moi). » Mais celui-ci voulant pro-
fiter, comme Raton, du mal qu'un autre
Bertrand s'est donné, lui dit :
Allends un peu, j'y aiivisoye :
T'as la robe (lu as ion compte), cl niy pararlgcnt»
Je garderay tout cesl argent
« Aumeurdre ! au voleur! s'écrie le coquin,
enchaîné ; tandis que l'autre sYnfuyant, dit
sans doute aux personnes qu'il voit venir
de ne pas s'approcher de Yenragic :
Ne le touchiez mye;
11 vous mordra !
« Enfin on vient au secours de Claquedent,
et comme on lui demande qui l'a mis en cet
état, il répond :
Un laroncheau plein de malfaict.
« Tout le cooiique de la scène est n'sutuô
063
l'A S
PICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
cm
dans ce mol : un laroncheau! Un diminutif
de larron, mettre dedans un double fripon
qui se croyait passé maître I » (P. 178-
180.)
M. O. Leroy cite encore, mais surtout
d'après l'édition de Jean Michel de 1486,
le dialogue entre la Vierge, âgée de trois ans,
et ses parents et tuteurs, les sermons sau-
vages de saint Jean-Baptiste, la description
du boudoir de Madeleine, les imprécations
de la mère de Judas, les peintures du pur-
gatoire et de l'enfer.
3° Analyse des frères Parfait.
Les frères Parfait (Histoire du théâtre,
français, Paris, 15 vol. in-12, 173V, t. 1",
p. 75-486 inclusivement) ont donné de l'édi-
tion de 1597 du mystère de la Passion l'a-
nalyse suivante qui comprend: 1° La Con-
ception, Nativité de la Vierge et Nativité de
Notre-Seigneur Jésus-Christ; 2n la Passion;
3° la Résurrection :
EXTRAITS
jjfcs mystères de la conception, passion et
résurrection de-notre seigneur jésus-
Christ.
PERSONNAGES
Du Mystère de ta Conception de la Vierge Marie, la
Nativité dlcelle, avec la Naissance de Jésus-
Chrisl.
Anges.
DIEU LE PERE.
JÉSUS-CHRIST.
le SAiNcr-ESPniST.en for-
me de Coulomb blanc.
LA SAINTE VIERGE MARIE.
SAINT MICHEL,
GABRIEL,
RAPHAËL,
U1MEL,
CHERUBIN,
SERAPHIN,
CHOEUR D'ANGES.
SAPIENCE.
PAIX.
MISÉRICORDE.
JUSTICE.
VÉRITÉ.
saint joseph, époux'de la
Sainte Vierge.
sainte anne, Mère de la
Sainte Vierge.
saint joachin, Père de la
Sainte Vierge.
cléophas, second Mari de
Sainte Anne.
salomé, troisième Mari de
Sainte Anne.
mvriejacobi, fille de Cléo-
phas et de Sainte Anne.
marie sai.ome, fille de Sa-
1 >inéei <le Sainte Anne,
ysacar, Père de Sainte
Anne.
zacharie, Père de Saint
Jean- Baptiste.
EI.UABETH, Cousine de la
Vierge , et femme de
Zacharie.
utan , Chamberiere de
Sajnle Anne, et ensuite
ri"E!i=a*«et1i.
abus, Cousin de Saint
Joachin.
BARBAPANTER, ) Oncles de
ACIIIN
MELCHY
SJOacii
pendan
danls (
joas, pauvre
malade,
UN PELERIN,
ARBAPANTER, fS.Joacllill.
Bergers des
ou peaux de S.
acbin, et ce-
t descen-
de David.
Pauvres
demandans
l'aumône à
S. Joachin
etdescendns
aussi du Roy
David.
SYMEON.
anne la Prophélisse.
isacar, surnommé ruben,
Grand Prêtre.
jechonias, Prêtre.
choeur de dix ou douze
Pucelles, desquelles il
y. en a deux qui par-
• lent.
PREMIÈRE PUCEI.LE.
SECONDE PUCELLE.
ZOROBABEL,
GAMALIEL,
Docteurs de
la Loy.
ROBOAM,
MANASSES,
NATHAN,
NATHOR,
ZOROBABEL, ) »„.- • „, .,
NAASson, Jérusalem.
jaspar, Premier Roy Mage.
melcyor , Second Rov
Mage. 3
falthasar, Troisième R< y
Mage.
ANTÏOCIIUS,
CELSANDER,
CA DORAS,
POLIDORUS,
Chevaliers de nie de Bethléem,
la suite de herode, Roy de Judée.
Jaspar. antipateu. Fils d'Hérode.
Chevaliers de salomé, Sœur d'Hérode.
la suite de cirinus. Prévôt de Judée.
Melcyor. adrascus, Chevalier d'ilé-
! Chevaliers de rode,
la suilede Bal- loncis, Capitaine de la
suite d'Hérode.
rapporte-nouvelle, Mes-
sager d'Hérode.
un trompette d'Hérode.
médusa , Nourrice d'un
jeune fils d'Hérode.
sarine, Chamberiere
Médusa.
AGRIPPART,
Bergers des
environs de
Bethléem.
de
Tyrans ou
Satellites
d'Hérode.
Esyp-
Diables.
LUCANUS,
PITRODES, l
iiS ' Jlnasar
ALORIS,
YSAMBART ,
PELA ON ,
RIFFL4RT ,
G ARMER,
GOMBVULT,
joas, Maître d'une Hôtel-
lerie à Bethléem.
aqueline, Femme de Belh- arfrappart,
iéem , voisine de la narinart,
Vierge. hermogenes,
priséus, Habilanljde Belh- réchine,
léem et voisin de la tiiéodat, Prêtre
Vierge. tien Idolâtre.
raphael, femme de Pri- TORyUATUS, Egyptien Ido-
séus. làire.
raab. Première femme de lucifer, Roy des Enfers.
Bethléem. satiian,
rvciiel', Seconde femme astaroth.
de Bethléem. belzébuth,
adormata. Troisième fem- bérith,
me de Bethléem. bélial,
herbeline, Quatrième fem- cerbérus.
Nota. Il est impossible de marquer le lieu où la
scène se passe, elle change trop souvent.
EXTRAIT du mystère de la conception.
(Cy commence le Mister e de la Conception de la glo-
rieuse Vierge Marie, et lu Nativité d'icelle, «irc-
ques la Nativité deJésucrisl, sa Passion, et Résur-
rection.)
I. La Supplication pour la Rédemption lut'
maine.
« Le théâtre représente le paradis : Dieu
paraît avec ses anges : saint Michel, Ga-
briel et Raphaël prient Dieu de pencher
vers sa miséricorde, et suivant les promes-
ses qu'il en avait faites parla bouche de ses
prophètes, d'avoir pitié des maux de la na-
ture humaine. La Paix et la Miséricorde se
jettent aux pieds de Dieu pour lui demander
Ja même grâce. Mais la Justice et la Vérité
s'opposent 5 leur dessein, et s'appuyant sur
la sévérité que la justice de Dieu exige,
elles demandent la damnation éternelle de
l'homme. Dieu les écoute les unes après les
autres. La Paix et la Miséricorde représen-
tent que Dieu étant essentiellement, infini-
ment bon, ne peut qu'user de clémence. La
Vérité et la Justice remontrent qu'il ne tient
pas pardonner à l'homme sans faire tort à
sa justice. Enfin, Dieu, après avoir pesé leurs
raisons, dit :
DIEU.
Parquoy faull en conclusion,
Aflin d'appaiser leur discord,
One soit f-iict une bonne mort :
C'est qoeJAilam meure; ainsy le fau't,
Pour obtenir par sou deffauli
Miséricorde à tous humains.
« Ajoutant qu'il fallait chercher un
homme qui fût sans péché, et qui voulut
605
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
66b
volontairement souffrir la mort pour le
salut des hommes. Ces quatre Vertus s'ac-
cordent à cet accommodement, et descen-
dent sur la terre pour tâcher de trouver ce
qu'elles cherchent.
(fe>l descend Vêrilêftandh que les Diables parlent et
se pourmainent faisant semblant de chercher le
martyre )
II. Enfer.
T.UCIFEK.
Piailles «l'Enfer norrihlcs el cornus,
Gros et menus, ors regardz liasili(|iies,
Infâmes chiens, qu'estes vous devenus?
Sa il lez tous Riiilz, vieulz, jeunes el cliamis,
Bossus lorlus, serpens diaboliques,
Aspidiques, rebelles lyranniques
Vos pratiques de jour eu jour perdez.
Traîtres, larrons d'Enfer, sortez, vuidez.
Parles tu point Sallian accusateur,
Persécuteur de tout humain lignaige :
Toy Bélial noslre grand Procureur
Eaulx rapineur, infâme détracteur,
El inventeur de larcin et pillaigc,
Diables d'Enfer à vous je me complains :
Ton courage Canin rempli de rage
De Cerhérus, iraistre chien à trois lestes,
Tes appresles fais de mauvaise sorle,
Esperiiz dampnez , desraisonuables hesles,
Plains de déceples, infâmes deshonnesles.
Faites vos quesies; saillez hors de vos portes
Grandes cohortes de nos diablesses sorles,
Droictes el tories avecques vous Iraisnez;
Venez à moy , mauhlis esperiiz dampnez.
« Un semhlahle appel l'ait accourir tout
l'enfer, chacun s'empresse de savoir ce que
veut le roi ; et de lui répondre sur le même
ton.
S*THAN
Que le failli il, maslin inrai~'onnable?
Ahliominable puant, villaiu iufaict,
Pansa, goulu, esperil insaciable,
Incrépable, infâme dampné diable,
Villénabie, quesseque talen fait (254)?,
Par toy avons encontre Dieu forfaicl,
Dont souffrons maulx plus qu'on nesçauroil dire.
Prens-lu plaisir â nous venir inauldirc
BELIAL.
Orde irongne, sac plein de pourriture,
Ta nature est de nous tourmenter;
Crapaux, aspilz le fault pour nourrilure,
Car ta cure esl que tousiours procure
Ta paslure pour humains espanler (253.)
« Après beaucoup d'autres injures, que
chaque diable vient vomir à son tour, et
dont Lucifer les remercie fort, les prenant
pour une marque d'honneur et de respect,
il leur apprend la résolution du conseil de
Dieu; chacun propose son avis pour lâcher
de le faire échouer; Cerhérus donne aussi
le sien, qui plaît si fort au monarque des
enfers, quril lui en témoigne sa satisfac-
tion.
LLCIFER.
C'est bien dit, esperil Cerbérique,
J'enrage de joye de te oûyr.
« Ensuite il dépêche ses diables pour exé-
cuter ses ordres.
« Continuation
pèlerin
la suite
David)
du procès pour In
n-
(<2;>i) L'on l'a fait?
demption humaine. — Les quatre Vertus
dont nous venons de parler, après bien des
peines et des perquisitions, n'ayant pu
trouver ce qu'elles cherchent, remontant au
ciel, où après avoir rendu compte de leur
mauvais succès, Dieu prend la résolution
de sauver les hommes, a quelque prix que
ce soit. Les anges en témoignent leur
joie. »
III. De Joachin et de ses Berr/icrs.
« Joachim, jeune homme « Agé de quinze
ans, » remercie Dieu des bénédictions qu'il
répand sans cesse sur sa personne et sur ses
biens. Pendant qu'il est dans une si louable
occupation, arrive Abias son cousin ; Joa-
chim lui propose d'aller visiter sa bergerie;
à son arrivée Achin et Melchy ses bergers
lui apprennent le progrès de ses troupeaux.
A cette nouvelle, Joachim se résout à par-
tager son revenu on trois parties égales. Il
destine la première pour être offerte au
temple; la seconde à l'entretien de sa
maison, el la troisième à secourir les pau-
vres. Après avoir chargé Abias de ce soin,
il se retire. »
IV. Des Aulmônes de Joachin.
« Joachim n'est pas plutôt parti que se
présentent sur la scène un pauvre
el un malade appelé Joas (qui dans
se- trouve être des descendants de
L'un et l'autre ne sont occupés que des
moyens de pouvoir subsister; el comme
Joas connaît les deux bergers de Joachim,
il les va trouver dès qu'il les aperçoit.
A Joas! estes vous malade?
Que vous avez la couleur fade !
Comment, estes vous degousté?
lui demande Achin. Joas lui apprend qu'il
est réduit à la nécessité de mendier son
pain. Sur cela Achin el Melchy lui ensei-
gnent la maison de Joachim, dont ils lui
disent les bonnes intentions. Ce pauvre
malade suit ce conseil et trouve Joachim,
qui lui fait quelques aumônes. Le pèierin
qui par hasard a vu en passant par là
cette charité, s'adresse à Joachim à son tour.
Ses espérances ne sont point trompées. En-
suite l'auteur, pour instruire le spectateur
des aumônes de Joachim, fait paraître Abias,
qui, chargé du tiers du revenu de son cou-
sin, va le remettre au grand prêtre; pendant
qu'il y va, se présente h la porte du temple
ce grand prêtre appelé Ysacar el surnommé
Ruben, qui se plaint fort de la misère du
temps et du peu de dévotion du peuple,
ce qu'il témoigne assez par ces paroles
aussi bien que le dessein qu'il a de ne pas
s'oublier.
rlben, Preslre incipil.
Si n'esloye, bien en langaige ,
Le Temple ne vaut Iroil pas la rît
Qu'il vaull aujourd'hui ; el pourtant
Il faut qu'il y ail preslres saiges,
Qui pourchassent leur advanlaigcs,
Car les gens sont de dures lesles :
El sy ce n'est au jour des lestes
A peine viennent en ce Temple.
(255) Epouvanter.
6C7
PAS
DICTIONNAIUE DES .MYSTERES.
PAS
6G3
Parquoi force est que je contemple
A faire valoir ce saincl lieu,
Eilitïié au nom de Dieu :
Supposé quej'aye acquest,
Et que je face mon pacquet.
Chacun vit de ce qu'il scet faire,
Dont requis et est nécessaire
De blasonner aucune foys.
« Abias, chargé des présents que nous
venons de dire, le surprend dans cette
pensée; Ruben le remercie et lui souhaite
touie prospérité. Comme il le connaît non-
nêle homme, il lui apprend les désordres
qu'avaient commis les soldats d'Hérode en
brûlant les livres des prophètes; Abias sort
fort triste de cette nouvelle. »
V. Le Traité du Mariage Joachin.
« Barbapanter et Arbapanter, oncles de
saint Joachim, songent à l'établissement de
leur neveu, qui commençant sa vingtième
année est dans l'âge d'être marié, pourvu
que ce soit à quelque fille de bon lieu.
Comme il est nécessaire de prendre une
fille de sa même tribu, ils jettent les yeux
sur celles d'Ysacar, Anne et Ysmérie. Sur
cela Abias vient leur apprendre la violence
des soldats d'Hérode. Cette nouvelle les
raffermit encore dans leur dessein, allendu,
disent-ils, que comme il est certain que de
Joachim ou de sa race doit naître le roi
promis aux Juifs, ces violences témoignent
le prochain avènement de ce Rédempteur.
Ils vont tous trois proposer l'affaire à Joa-
chim, qui l'ayant acceptée avec plaisir, se
joint avec eux pour aller voir Ysacar, qu'ils
trouvent s'entretenant avec sa fille Anne
de la naissance d'une Vierge, qui, selon les
prophéties, devait enfanter le Messie. Joa-
chim et ses deux oncles font leur demande
a Ysacar. Ce dernier la leur accorde, et or-
donne à Anne de suivre Joachim au temple,
dont ils prennent le chemin.
« D'un autrecôté, Achinet Melchy, qui ont
apparemment déjà appris toutes ces choses,
se réjouissent du mariage de leur maître et
de son bon choix. Leur conversation tombe
enfin sur la malice des femmes.
mei.chy à son compagnon.
Femmes ont les lesies ligeres,
El ne peut-on trouver manières
Leur faire garder la maison.
ACH1N.
Aucunes usent de blazon,
Et niellent de leur foy promise,
Après qu'ils ont fail niesprison,
Selon le temps el la saison, e'.c.
« Le prêlre Ruben vient aussi se prome-
ner à la porte du temple et moraliser en at-
tendant quelqu'un.
ruben, Prestre.
Qui ne vil en bonne espérance.
Est repmé pour une besle ;
El qui n'a aujourd'buy chevance,
11 est en peine el souffrance,''
Il n'est point repulé bonnesle.
Parquoy il faull que in'appresle
A amasser deniers, et prendre
Faisait! en ce Temple ma q-ic-lo,
De tout cela que je y acquesle
Compte à nully je n'en dois rendre;
Moudainemenl me faull despendre
Les biens qui de ce Temple viennent;
Mais en soy noter et comprendre
Que nourrir en fault et apprendre
Les Pucellellos qui si tiennent.
Ainsy doneques cenlx qui sousliennent
La Loy, déparient de leurs biens,
Que les Preslres par bons moyens
Déparlent à ceulx qui en ont,
Nécessité, voire el qui font
Service à Dieu le Créateur.
a Ce prêtre fait ensuite quelques réfle-
xions sur l'état présent de la race des rois de
Juda. Il trouve qu'elle se réduit au seul,
Joachim (l'auteur se dément par la suite au
xxir mystère). Voici son raisonnement.
Quant je considère et contemple
L'esiat de lignée Royalle,
Qui au temps présent se ravalle-
Autant du costé paternel,
Comme du coslé maternel;
Il me semble, pour Caire lin,
Qu'encore le bon Joachin
En est CTtraicl. Qu'il soit ainsy r
Je neuve en escript sur ceiy,
Que David eut (cela noton)
Deux fils, Nathan, el Salomon
C'est ce qui me" rend assouvy.
De Nalan est venu Levy,
Lequel engendra Pan (liera.
Et Panlhera Barpanler.i,
Dont esl Joachin descendu
Ainsy doneques, bien entendu,
Joachin esl de la lignée
Royaulx : Si quelqu'un le nye,
Je luy prouveray qu'il a lorl.
« Enfin arrive Joachim, Anne, Ysacar, les
deux oncles de Joachim et son cousin Abias.
Ruben marie Anne avec Joachim, et leur
souhaite mille bénédictions.
(Icy s'en vont chacun en sa place.)
« Après qu'on a reconduit les nouveaux
mariés chez eux, on se retire. Lorsqu'ils se
trouvent seuls, Joachim déclare à son épouse
la résolution qu'il a prise au sujet de ses
revenus. Anne l'en loue fort, et tous deux
)romettent de vouer à Dieu l'enfant qu'il
eur plaira accorder. »
VI. DeZ Hérode Ascalonite, et de ses sei-
gneurs.
« Hérode paraît avec son fils Antipater.
Ils sont accompagnés de Cirinus, prévôt de
Judée, d'Adrascus, chevalier d'Hérode, et
du capitaine Longis. Ce prince fait un détail
de sa puissance. Antipater lui dit que ces
heureux succès n'empêchent pas qu'Alexan-
dre et Arislobule, fils de ce roi et de Mari;:-,
mne, ne prétendent lui succéder. Cirinus
ajoute qu'il est certain que ces deux enfants
ont cherché les moyens de l'empoisonner.
Il n'en faut pas davantage pour déterminer
Hérode à punir ses fils : mais comme Lon-
gis lui apprend qu'ils sont à Rome, Hérode
prononce l'arrêt de leur exil. Rapporte-nou-
velle, son messager, est chargé de celte,
commission. »
VIL Le murmure des Juifs contre Hérode.
« Zorobabel, Manassès et Saasson s'entre*
C69
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
670
Donnent .ïes vexations d'Hérode, et des
cruautés qui se commettent journellement
par ses ordres. Toute leur espérance n'est
que dans la venue du Messie. Comme ils
sont dans celte pensée, ils entendent Rap-
porte-nouvelle qui, précédé par un trom-
pette, crie l'ordonnance d'Hérode au sujet
de ses enfants.
(Ici sonne la trompette par Irons foys, et puis dit le
Trompette.)
Or écoulez, etc.
« Ensuite Rapporte-nouvelle en fait la
lecture. Les Juifs l'ayant entendu, Zoroba-
bel dit à ses compagnons :
Qui ce cry sçauroil bien comprendre?
Il est cruel et oullragcux.
Oulirageux, mais Ires-scrupuleux
Qui l'honneur de Hérode honnit, etc.
répond Mariasses. « Il ne faut pas que ceia
« vous étonne, » reprend Zorobabel,
Payens ont toujours élé telz (256),
Qu'ils ont appelé la vengeance
De leurs malveillans.
« Enfin après avoir bien raisonné ensem-
ble, leur conversation se termine à conve-
nir tous trois qu'il faut attendre le Messie,
et cependant souffrir en patience. »
VIII. Le vœu et promesse de Joachin et
d'Anne.
« Joachim et Anne, fâchés de n'avoir point
d'enfants, promettent à Dieu de lui consa-
crer celui qu'il leur donnerait. Comme ils
sont dans cette pensée, Abias, Barba pan ter
et Arbapanter, qui allaient au temple de
Jérusalem, suivant la coutume, offrir leurs
présents au jour de la fête des Etrennes,
arrivent chez Joachim, pour l'emmener lut
et sa femme avec eux. Ils y consentent et
se mettent en chemin. On peut croire aisé-
ment que Ruben ne manque pas de s'y
trouver. Il y est effectivement de bonne
heure, et se réjouit, en se promenant de-
vant la porte, de la bonne recette qu'il s'at-
tend de faire ce jour-là ; et il reçoit les
présents des trois premiers. »
IX. Le refus de Voblation de Joachin,
« Joachim se présente à son tour pour
o(Trir le sien, Ruben le refuse et lui dit pour
s'excuser :
Vous êtes mauldit en la Loy ,
Excommunié, interdit.
« Ces paroles sont un coup de foudre pou-
Joachim.
JJACIIIN.
Las! quessc que vous avez dit!
Qu'ai-je fait?
RLBF..N.
Vous estes pi i vécu clïect
Ainsy qu'on voil d'avoir liguée, clc.
(25G) Il ne sera pas mal à propos de remarquer ici
l'ignorance de Tauleur de ce mystère; cela aidera
même un peu à le disculper des inepties Qu'il a ré-
pandues dans son ouvrage, au sujet de nos princi-
paux mystères. On voit* qu'il fait ici Hérode païen.
« Joachim déplore son infortune et se
retire. Ses amis discourent quelque temps
sur cette disgrâce, et n'y pouvant apporter
de remède, ils s'en retournent chez eux. »
(Ici s'envont en leurs places.)
X. Du deuil de Joachin à cause du refus de
son oblation.
« Joachim, toujours accablé de douleur,
croit pouvoir la dissiper en allant visiter sa
bergerie. Achin et Melchy, qui Je voient si
triste, lui en demandent le sujet, pour tâcher
de l'adoucir ; mais comme il est persuadé
qu'ils ne pourraient soulager sa douleur, il
se sépare d'eux. »
(Icy se départ Joachin d'avec les bergiers.)
XI. Les requestes de Joachim et d'Anne pour
avoir lignée.
« Anne et Joachim, au désespoir de leur
stérilité, implorent par leurs prières l'assis-
tance de Dieu, qui, touché de leurs maux et
voulant préparer la venue du Messie, charge
Gabriel de les consoler et de leur annoncer
qu'il leur naîtra une fille, à qui ils donneront
le nom de Marie. »
XII. De l'ange qui s'apparut à Joachin et à
saincle Anne,
(icy est l'Ange environné de lumière.)
« Gabriel annonce à Joachim que Di"u
veut accorder h ses prières une fille, qu'il
lui ordonne de lui imposer le nom de M .un-,
et que celte fille serait la mère de Jésus. De
peur que l'espace de vingt ans qu'il est déjà
marié n'ébranle sa foi, il la fortifie par les
exemples de Sara, qui dans un Age très-
avancé avait conçu Isaac; deRachel, épouse
de Jacob, qui après une longue stérilité fut
la mère de Joseph; et surtout de la mère
de Samson. Il ajoute qu'il ait à se souvenir
de la dédier à Dieu, et lui dit que pour-
preuve de la vérité de ce qu'il lui dit, qu'il
allât au temple et qu'il y trouverait son
épouse Anne à la porte dorée. Joachim re-
mercie l'ange fort humblement.
(Ici va l'Ange vers Anne.)
« Gabriel dit les mômes choses à Anne
en lui prescrivant les mômes ordres.
(Icy se départ l'Ange.)
« Anne, après avoir remercié Dieu de sa
bonté, va à la porte dorée, où elle trouve
son mari qui y est venu dans un pareil des-
sein.
ANNE
Joachin, mon amy très-doulx ,
Honneur vous fais et reverance
joachin.
Anne ma mye, voire présence
Me plaist très-fort, approchez vous.
ANNE.
Hélas! quej'ay eu de courroux ,
Et ComiCfl ii sait que Ci ri MIS éloit d'une religion
différente de celle d'Hérode, il s'est cru nidifié dé k
faire iiialion)éi3|i; comme on le verra au iienle-troi
sième mystère ci-dessous.
671
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
673
Kl de souey pour votre absence.
Joachin., mon ami très-doulx,
Honneur \ous fais et reverance,
JOACHIN.
Dieu a liny besogné sur nous,
Kl monstre s:i grand prélérance;
Cueur saoul ne scet que le jun pense ,
Leurs souhaits n'ont les hommes tous.
ANNE.
Joachin, mon ami très-doulx ,
Honneur vous fais et reverance.
JOACHIN.
Anne ma mye, votre présence ,
Me plaist très-fort, approche/, vous.
(Icy bniêent l'un l'autre.)
« Ensuite ils se rendenl compte récipro-
quement de la vision et des ordres qu'ils
ont reçui de l'ange. »
(Icy se retirent Joachin et Anne.)
XI II. De Hérode.
Hérode, suivi de sa cour telle que nous
l'avons décrite ci-devant au sixième mys-
tère, demande de quelle façon il doit en
user avec les Juifs; on lui conseille de les
traiter avec rigueur. Cet avis est fort de son
goût.
HÉRODE
Je les liendray comme en hoslaige
Snbgelz captis maugré lturs dens;
El en dépit de leur visaige ,
J'auray dessus eulx avanlaige,
Quelque lieu qu'ils soient résidens.
« Adrascus entre autres lui insinue do
changer la loi. Hérode ne se détermine à
rien, et ne prend d'autre parti que de suivre
en tout sa volonté.
t « Pendant ce temps-là, Achin et Melchy
s'entretiennent de la grossesse de leur maî-
tresse, et se réjouissent par avance du plai-
sir qu'ils auront pour lors : « Les brebis,
« disent-ils. iront paître aux meilleurs her-
« bages ; ce n est pas tout :
MELCÎ1Y
Les pastourelles chanteront.
ACHIN.
Pastoureaux getteroni œull.ules
HB1CHT.
Les nymphes les escouteront,
El les Driades danceronl .
Avec, les génies Oréades.
ACniN.
Pan viendra faire ses gambade*
Revenant des Champs Elvsées;
Orphéus fera ses sonnades ,
Lors Mercure dira ballades ,
El chansons bien auclorisées.
MELCHY.
Bergères seront oppressées
Soudainement sous les palis, etc.
XIV. Comme Anne enfanta Marie.
« Sainte Anne parait incommodée; Joa-
enim ordonne à la chambrière d'en avoir
soin.
(257) Servante.
(258) Ce jeu de théâtre servait pour voiler aux
spectateurs des détails qu'il n'était pas possible de
ui représenter, comme «st celui de ce présent mys-
LA CU.UIBR1ERE nommée L'TAX
Ne faicles plus cy de demeure, .
Dame, sans plus avant toucher,
De meilleur est de vous coucher;
A boul estes de votre terme.
ANNE.
Coucher m'en voys sans plus de terme
Puisque vous me le conseillez.
(Icy se couche Anne.)
a Pendant que Joachim, Barbapanler, Ar~
bapanler et Abias font des vœux pour son
heureux accouchement , on vient avertir
Joachim que son épouse vient de mettre au
monde la plus belle fille qui ait jamais parti,
Il vient aussitôt trouver sa femme, et en-
semble ils en rendent grâces à Dieu. Il l'a
fait souvenir que l'ange leur avait ordonné,
de la part de Dieu, de nommer leur fille
Marie; c'est en effet le nom qu'on lui im-
pose. Comme ils se mettent un peu à causer,
Utan, qui a peur que cela ne rompe la tête
à sa maîtresse, fait retirer tout le monde,
sans en excepter le mari :
LA CHAMBRIERE.
Joués de relraicte
Monsieur, s'il vous plaist, car Madame
D'elle-même est tendre femme;
El n'est point requis qu'on lempeste
A l'Accouchée ainsi la leste,
Et n'a que faire de Blazon.
JOACHIN.
Elan, vous n'avez que raison,
Sa santé voulez désirer,
Saison est de me retirer ;
Mais, mamye, entendez à elle.
(Icy se retire Joachin.)
« L'on" croit que la servante n'a fait sor-
tir tout le monde que pour laisser sa mai-
tresse en repos; point du tout, il semble
qu'elle n'a pris ce soin que pour avoir le
plaisir de causer seule avec elle; en effet,
elles ne cessent de s'entretenir des louan-
ges de la petite fille.
ANNE.
Tu es tant belle.
Jamais de telle
Ne fiil au monde;
Gente pucelle,
De D eu encelle (257)
Très-pure el monde ;
Tu es féconde,
Nulle seconde
Et n'auras doulce coiumbelle :
(Jar la grâce de Dieu redonde
Joue aux Cieulx, et superabonde:
Anges chantent de la nouvelle.
LA CHAMBER1ERE.
Ainsy que une lnysanle csloile,]
Sa face reluit, ma Maistresse :
Mais donnez luy votre mamelle
Afin que plaisir renouvelle
Votre cueur, et mette en liesse, etc. i
(Icy sainte Anne se recouche, et sont tirées les custj-
des (258), puis peu de temps après s'en yra secre
1ère, où sainte Anne semble accoucher derrière
cette custode; le même jeu de théàlre se répèle en-
core au trente-sep! ième mystère ci-dessous, à la
Nativité de Jésus.
CT5
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
«71
lemenl vers Joachin, el sera Marie en l'ange de
trois ans avec eulx.)
XV. Comme Marie fut présentée an temple.
« Le prêtre Ruben rond compte au spec-
tateur des soins qu'il prend pour le temple,
el déclare de quelle façon est administrée
une communauté de jeûnes filles qui sont
sous sa conduite, des saintes lectures qu'on
leur fait faire, des vers qu'on leur fait chan-
ter à la louange de Dieu, des ouvrages aux-
quels on les occupe, et de la bonne éduca-
tion qu'on leur donne.
ruben, prestre.
Or ay-je le gouvernement
De ce saincl Temple vénérable,
Là où je doy dévotement
Servir Dieu principalement,
Faire œuvre qu'il ait acceptable.
La chose plus recommamlable
Qui me soil donné en ce Temple,
L'est que je baille boue exemple
Aux pucelletles qui y sont :
Aussi je croy que toutes ont
Bon vouloir, dont je mercie Dieu ;
Hz (259) sont nourries en ce saincl lieu,
Eu toutes bonnes meurs apprinses,
S'ilz font mal, ilz en sont repriuscs,
S'ilz font du bien, c'est à leur gloire.
Au Temple peuvent veoir meinte histoire,
Comme des Patriarches sainciz,
Des Roys, et des Prophètes maintz,
Qui ont parlé de la venue
De Mecias, qui est conguûe
Par les escriplz de noz bons pères.
(Sota qu'il faut qu'il y ait dix ou douze filles, dont
il n y en aura que deux qui parlent.)
« Ces deux filles s'entretiennent des
louanges du Seigneur, Ruben les appelle
et leur donne de bonnes instructions et
elles le remercient avec beaucoup d'humi-
lité.
« Pendant ce temps-là Barbapanter, Ar-
bapanter et Abias veulent aller voir Joachim
et sa famille.
(Icy vont vers Joachin.)
« Joachim dit à sa femme qu'il est temps
d'aller présenter leur tille au temple; Marie
(;lgéc de trois ans ) leur dit que c'est son
plus grand plaisir; elle témoigne la même
disposition aux trois amis de son père qui
le sont venus trouver. Alors ils prennent
tous la résolution d'aller à Jérusalem pour
cela. Comme la chambrière croit que Marie
ne peut oas faire ce chemin à pied, elle lui
dit:
UTHAN.
Vous portera Yrje?
« Mais Marie réoond :
MARIE.
Je suis forte
Assez pour cheminer ung an :
Mais que soye en llienisalein
Humblement me reposeray,
Le saincl Temple visileray,
Si plaisl à Dieu, tout à mon aise.
(259) Hz pour elles.
(2'>0) On sent assez que la personne qui vient de
représenter la jeune Marie de trois ans n'est point
celle qui parait dans la suite ; el c'est ce que l'au-
« Peu après qu'ils sont arrivés au bas
des quinze degrés du temple, ils demandent
où est Marie, et sont fort étonnés de voir
qu'elle lésa montés toute seule. « C'est tout
« ce qu'à peine, dit Abias, aurait pu faire
« un homme de vingt-quatre ans. » Après
que chacun a fait son présent, Joachim eî
sa femme présentent Marie el se retirent
en priant instamment Ruben d'en avoir
crand soin
(Icy s'en vont en leurs maisons.)
« Cependant Dieu ordonne à Gabriel d'a-
voir soin de Marie. »
(Icy descend l'Ange el va vers Marie.)
XVI. Comme Marie besongne avecques les
Pucelles.
(Icy besongne Marie avecques les Pucelles, et ont
chacun ung petit mestier.)
« Pendant que Marie travaille avec ses
compagnes , ces deux filles ne cessent de
louer son adresse, et la propreté de son
ouvrage. L'heure du dîner arrive, Ruben les
appelle toules. La seconde pucelle avertit
Marie, qui lui répond :
MARIE.
Mes compaignes, je vous empnc,
Allez devant, car j'ay affaire
Icy pour un cas nécessaire,
Que suis contente de parfaire.
« Ensuite elle va prendre un petit livret,
qui est le prophète Isaïe. Elle tombe juste-
ment sur le chapitre où ce prophète parle
d'une vierge qui devait concevoir et enfan-
ter le Messie. Pendant ce temps-là, l'ange
Gabriel la vient visiter, et lui apporte « une
« viande céleste. » Après quoi il se' retire.
(Icy l'Ange se absente.)
« Ruben, qui s'aperçoit que Marie n'est
point avec ses compagnes, la demande:
elles lui répondent qu'elles l'ont laissée for'
occupée à lire. Lui et ses filles vont la clier
cher. Marie dit à Ruben qu'elle ne sent au-
cun besoin de manger, en le priant de lui
permettre de continuer sa lecture. Ruben,
qui la voit persister dans cette résolution,
lui laisse faire ce qu'elle veut.
(Icy retourne Marie en son Oratoire, el quant elle y
a été ung demi quart d'heure elle se absente, el fuit
fin, jusque! à ce que l'autre Marie de treze uns
s'apparesse [200].)
« Cependant, le bruit des vertus de Mario
pénètre jusqu'aux enfers. Satan vient en
faire un tidèle rapport à son roi, qui lui de-
mande s'il nepourrait point la surprendre:
« 11 est impossible, » dit Satan.
El est plus belle que Lncresse,
Plus que Sacra dévote el saige;
C'est une Judic en co:>raige,
Une llesler en humilité,
El Kachel en honneslelé;
En langaigeesi aussi bénigne
Que la Sibille Tiburtine (261),
leur insinue en disant, que celle-ci « fait fin i jus-
qu'à ce que l'autre paraisse.
(261) Ou croit qu'il est inutile de faire remarquer
le burlesque qui règne dans ce discours.
675
PAS
DICTIONNAIRE DLS MYSTERES,
PAS
6T>
Plysquc Palas a de prudence,
De Minerve » de loquence ;
C'est la nornpareille qui soit;
Et suppose (|ue Dieu pensait
Racheter tout l'Humain lignaige
Quant il la (tel.
LUCIFER.
Par ton langaige
Il semble que lu ayes peur d'elle.
« Malgré tout ce que peut dire Satan, Lu-
cifer ne perd point courage, et ordonne à
ses démons de faire tout leur possible pour
Jà tenter. »
XVII. Comme Anne fut mariée à Cléophas.
* Abias apprend à Barbapanter et à Arba-
panlerque Joachim venait de mourir. Comm«>
il voit qu'ils veulent s'aftliger, il ajoute:
Remède n'y a, il est mort :
Yelà nous sommes tous morielz.
ARBVPANTER.
On ne sçauroit trouver en lieu
Homme craignant redoublant Dieu
Plus qu'il faisait.
* Cbangeons de propos,» dit Abias.
Qui mecroyra, on mariera
Anne derechef.
« Vous avez raison, répondent les autres,
« il no faut pas perdre de temps. » Tout de
suite, voyant passer un de leurs parents,
appelé Cléophas, ils lui proposent ce ma-
riage. Cléophas y consent, et ils l'emmènent
avec eux chez Anne. En arrivant ils lui font
part de ce qu'ils viennent de résoudre en-
semble.
ANNE.
Guidez vous que j'aye le courage
D'elle mariée? nenny non ;
Las j'avais ung mary si bon,
Si courtoys, et si amiable,
Prudent, vertueux, charitable;
Jamais lel n'en reeouvreray.
« Point tant de raisons,» dit Barbapnnier.
Cléophas esl liomine d'honneur,
Nous le connaissons entre nous';
Et pour ce délibérez vous
De le prendre par mariage.
ANNE.
Nonobstant que je n'ay couraige
D'eslre mariée, mes amys,
Faicles ainsy qu'il est purinys
Selon la Loy.
ABIAS.
Ça Cléophas,
Mon ami, entendez le cas.
CLEOPHAS.
Mes Cousins, et amis parfais
Je n'y contredis nullement.
« Enfin, pour couper court, ils sortent
tous pour terminer ce mariage.
(Ici s'en va Cléophas, et finie ici [262].)
« Ensuite paraissent Achin et Melchi. Il
(•26-2) Cela veut dire que l'acteur qui jouait ce
personnage se relire tout à fait de la scène. Celle
semble qu'ils ne viennent guère sur lo théâ-
tre que pour former des espèces d'inter-
mèdes; on ne sait pas trop ce qu'ils veulent
dire, ni le sujet qui les amène. Ici ils s'en-
tretiennent des façons de faire des bergers.
ACHIN.
Le Dieu Pan soufrent on gracie
El semble qu'on soil en Asie
Avec Paris'el Zénona,
Qui à l'ombre sous la feuillie
Firent mainte chose jolye,
Que le Dieu Bacus ordonna.
MELCIIY.
Lorsque Pegasus s'euvolla
Par sur les aërs quant il portait
Perseus, Bergère es' ait
En grant bruit, c'esloil mélodie
Que d'oui r sur la reverdye
Chauler les Nymphes el Déesses.
ACHIN.
Pi est des Paslonres tant belles,
Mais ilz n'ont point geniiiz cotiraiges ;
J'en ay trouvé plusieurs rebelles,
Aussy je ne tiens compte d'elles,
Quant ilz viennent aux pastouraiges.
MELCIIÏ.
Bergieres bruneUes font raige,
llcrgicrs aiment d'amour parfaicle,
Kl laissent aller de couraige,
Quant humainement on les traicle. >
XVIII. Comme Hérode feist mettre l'Aigle
d'Or sur le Temple.
« Hérode, suivi d'Antipaler, d'Adrascus,
de Longis, el de Cirinus, ordonne à ce der-
nier d'aller faire poser sur le temple un
aigle d'or, pour marque de la domination
romaine; Cirinus et Adrascus sortent pour
lui obéir. »
(Ici vont faire mectre l'Aigle d'or sur le temple.)
XIX. Comme Anne fut mariée à Salomé.
« Abias, toujours rapporteur de mauvai-
ses nouvelles, vient apprendre à Barba-
panter et Arbapanter que Cléophas venait
d'expirer, et n'avait laissé de son épouse,
Anne, qu'une fille, qui portait le nom de
Marie, ainsi que celle de Joachim. « Eh bien 1
« il faut remarier promplement la veuve,»
dit Barbapanter.
ARBAPANTER.
Sans un chief
Masculin en une maison
il n'y a rien de rime, ne raison ;
Qu'il soil ainsi, je vous le preuve,
Il y a mainte femme veufve
Qui pert ses biens à la volée,
Par faillie d'eslre mariée.
Une femme seulle n'est rien.
« Ils consultent entre eux quel est lo
mari qu'ils veulent donner à Anne en troi-
sièmes noces; et ils s'arrêtent à Salomé.
Ensuite ils vont en faire la proposition à
Anne.
note une fois pour toutes les occasions oui se trou-
veront pareilles à celle-ci.
C77
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
XXII
TAS
67$
ANNE.
Vous sçavez que je <!oy entendra
\ faire voire bon plaisir,
Pour ce selon votre désir
Soit fait.
ARBAPANTER à Stllomé.
Appréciiez noslre aymé
salO'.:é, troisième manj de Anne.
Quesse qu'il vous plaisl?
« Barbapanter , qui paraît partout un
r.omme rude et brusque, dit à Salomé de
cuoi il s'agit. Salomé lui répond humble-
ment que, comme il est persuadé qu'ils ne
veulent que son avantage, il ne prétend pas
y contredire.
BARBAPANTER.
Ça Aune, que voulez-vous dire?
ANNE.
Tout ce qu'il vous plaist.
Moy aussy ,
ajoute bien vite Salomé.
Or ne débatons plus cecy.
dit Abias. Enfin , après quelques exhorta-
tions réciproques de la part d'Anne et de
Salomé, ils sortent tous pour conclure ce
mariage. »
XX. Comme les Juifz murmurent contre
Hérode.
« Cirinus et Adrascus , après avoir posé
l'aigle sur le pinacle du temple, font ré-
flexion que cela pourra faire de la peine aux
Juifs : « Cela est vrai, dit Adrascus, mais ils
« n'en oseront murmurer que tout bas : et
«ils redoutent trop la puissance d'Hérode. »
« Cela ne manque pas d'arriver ; Zoroba-
bel s'en apercevant, dit,
Quesse qu'on a posé là liault
Au Pinacle du Temple?
;e C'est un aigle d'or,» répond Naasson.
« Cela est assurément bien étrange,» ajoute
Manassès, « il est certain qu'Hérode se rit
« dé notre faiblesse. » Après de pareils dis-
cours, ils en reviennent à leur refrain ordi-
naire, qui est d'attendre le Messie. »
XXI. Comme Ruben print conseil des Juifz.
« Ruben, continuant ses soins auprès des
jeunes tilles de sa communauté, veut, sui-
vant la règle établie, renvoyer celles qui ont
plus de treize ans. Pour cet tlfet, il congédie
les deux pucelles dont nous avons parlé ci-
dessus, et Marie, qui est pour lors âgée de
quatorze, le supplie de la laisser au temple,
attendu qu'elle a voué à Dieu sa virginité.
Ruben, ne sachant comment se conduire dans
une affaire aussi délicate, et dont il n'a point
encore vu d'exemple, ne voulant pas égale-
ment entreprendre sur les règles prescrites,
ni gêner la volonté de la fille, va demander
l'avis des Juifs. Zorobabel, Naasson et Ma-
nassès, qu'il consulte, opinent à se mettre
tous en prière, et a demander h Dieu qu'il
veuillo leur interpréter sa volonté. »
Comme l'Ange révéla la Prophétie, que
Jésus naistroit de Marie.
« Dieu, qui prépare tout pour la rédemp-
tion du genre humain, charge Gabriel d'an-
noncer aux Juifs qu'ils aient à ordonner a
tous ceux qui sont de la liguée de David
de se trouver au temple chacun une verge
à la main : et que celui à qui la verge fleuri-
rait est destiné pour être l'époux et le gar-
dien de Marie. Les anges remercient Dieu,
et Gabriel va pour exécuter ses ordres.
(Icy descend l'Ange, el vient au Temple.)
« Pendant que Ruben et les trois autres
Juifs sont #en prières, ils entendent cette
voix de l'ange.
GABRIEL.
Egredietur Virga de radiée Jesse.
Ceste irès-noble prophétie)
Est au douziesuie de Ysaye, etc.
« Ensuite, il leur annonce les oidres de
Dieu, et se relire.
(Ici l'Ange se absente.)
« Les Juifs, que cette voix a déterminés,
ne balancent pas à suivre ce parti : Ruben
en avertit le peunle.
RUBEN.
On vous fait à sçavoir à tous
Qui de David estes yssus ,
Que venez sans allendre plus
Au temple d'ung vouloir humain :
El que chacun ail en sa main
Une Verge, car Dieu l'ordonne;
El il veut que Marie on donne
A celui à qui florira ,
Sa Verge. Qui refusera
A y venir sera blasmé.
« Barbapanter, Arbapanler et Abias, des-
cendants de David, se préparent pour cette
cérémonie. Achin et Melchi, quoique sim-
ples bergers, se ressouviennent qu'ils sont
du sang de ce roi , et prennent chacun une
verge pour s'y rendre. Joas, le malade dont
nous avons parlé au quatrième Myslère ci-
dessus, et qui est pour lors en santé , aussi
bien que le Pèlerin, son camarade, y vont
aussi. Ils trouvent en chemin Joseph que
le même dessein y conduisait, mais qui au-
rait voulu conserver sa virginité, et rencon-
trer une épouse de pareille humeur. »
(Ici vont an Temple.)
XXIII. Cotnme baillent leurs Verges au
Prestre de la Loy.
{Ici baillent leurs Verges l'ung après l'autre et les
mettent sur l'Autel.)
BARBAPANTER.
Vêla la mienne belle ei fresche,
Mais si n'est-elle poinl florie.
MELCIIY.
Je n'épouserai point Marie
La mienne nulle fleur ne rend.
ACHIN.
Soit bien content, ou mal content,
Je n'espouseray point la Belle.
673
TAS
DICTIONNAIRE DF.S M\STi.!\FS.
PAS
w>n
MAS.
Au regard d'avoir la Pucelle.
Certes je m m'y atlenda pas.
LE PÈLERIN.
Aussi ne fais-je moi . loas .
Car de l'avoir je suis trop niée (i€3).
N WSSON.
Je ne voy Verge aoi Botîsse.
MANA.SSÈS.
Remaniez dessoubz et dessus.
« Italien commence à manquer de foi.
ROBES.
JT \ paour que nous soyons deceuz.
■ Enfin, ne voulant pas demeurer plus
longtemps dans cette incertitude, il ordonne
à Joseph de montrer aussi sa verge, el lui
dit avec hauteur :
BIBEN.
Al) ! par ma f Df ,
Joseph, si la mons'oerez-vous
El sera et voue devant loas;
Monstrez-la tesi legieremea*.
JOSEPH.
Puisque c'est par commandement
Dieu est requis que je le t'aee. i
\L-y monstre Joseph sa Verge. • ; i ..:rest la
columbe sur la Verge forié).
XXIV. Comme Joseph espouse Marie.
« Un miracle si visible et si surprenant
ige toute l'assemblée à Gierles yeux sur
losepfa, et a lui faire des compliments. Le
prêtre lui dit que suivant l'ordre de Dieu,
apporté par son ange, ii est destiné pour
éiiouser Mare, en même temps i; renvoie
i bercher, et sans les quitter il les marie.
Ensuite, après leur avoir donné quelques
instructions, il se retire.
« Joseph, qui avait senti de la répugnance
à ce mariage, tant à cause de son veau, que
pour son extrême pauvreté, dit à Marie.
JOSEPH.
Suave el odoranle Ruse ,
Je fiça] bien que je suis in iigne
D'eponser Vierge uni bc. ligne ,
Nonobstant que soye descendu
!>e P.i\ id , bien entends :
liant je, je n'ay goerea de biens
MARIE.
> his Ironverons bien les moyens
De vivre , mais que y niellons peine ,
tu tixtnre de soye et laine
ile rongnoys.
J.'>EPH.
Si bien diet , Ma:i j
Aussy de ma Cbarnenlerie
Je gaigneni quelque eboseiie.
« Marie lui conseille de se retirer chacun
en particulier, pour penser à ses allai -
[ley te retirent.)
« Marie, qui ignore le dessein de losepb,
parait fort émue; elle prie Dieu de vouloir
l'assister de ses grâces. Joseph, de son el
[K3] Hit», simple.
se trouve dans un pareil embarras. KnGn
Marie, rompant le silence, lui avoue sa réso-
lution. Joseph est charmé de la trouver dans
des sentiments >i conformes aux siens: el
ils s', n vont dans une ferme résolution d'y
persister toujours. »
XXV. Comme VAngt annonça à Zackarie la
Mativiie de Sainci Jehan.
(Zacharie père de Sainct Js'tan-B h . . .'.i-, c
Temtptt .
« lacharie, touché des maux que les J . -
soutirent, prie Dieu d'envoyer promptemenl
son Christ pour les faire cesser. Dieu écoule
favorablement sa prière, el pour l'exaucer,
irdonne à Gabriel de lui déclarer, de sa
: irt, qu'il aurait de son épouse Elisabeth
un Gis, à qui il donnerait le nom de Jean;
£zr ce nom Jehan . qui bien le veuil noter,
Grâce de Pieu se peutl interpréter :
Ma grâce aussy dessus lui vueil estendre.
■joutant que cet enfant devait servir de pré-
curseur à son Christ.
[Icij dessenl l'Ange Gabriel, et va rers Zacliarie.)
« Les anges remercient Dieu de c«:tto
bonté
/ -y fait Emchtnie semblent d'er.sencer rAut ! , e:
i . .>.' à l*g.)
« A ia première parole de l'ange, Zael
tombe de frayeur sous l'autei: Gabriel le
rassure en lui annonçant ks ordres de Dieu.
G\BRIEL.
Mais premier un tîlz lu auras.
Que par nom Jehan tu nommeras;
Lequel préparera le euenr
Pu pnpnlaire a sa : Bantvenr.
Li sera par divine Loi
Prescliant pénitence el vraye foy .
Qui naistn devant le SanJvear
El se nommera sa liaulieiir,
Grandeur de conversacion,
Parfaode humiliai-ion .
De charité » i imb largeur.
Li pareillement en longueur, eie.
a Comme Zacharie parait incrédule, l'ange
lui dit qu'il demeurera muet jusqu'à b l i s-
sance de cet enfant; ensuite de quoi ii se
retire.»
(!cy t'en ta rAnje en Paradis.)
XXVI. Le Procès de Paradis.
« Le procès qui était demeuré pendant au
tribunal de Dieu, entre la V la Justice,
d'un côté, la Uïséricorde et la Paix de l'au-
I e. n'ayant pu être terminé, recommence
ici avec plus de chaleur que jamais. C -
quatre Vertus persistent toujours dans leurs
sentiments. Dieu leur déclare qu'il veut
al sauver l'homme. Po ir accorder
des choses si contraires, elles s'adressent à
la Sapience. La Paix demande que l'homme
. sse être reçu à pardon, après une [ éui-
tence ' née. « Non, répond la Jus-
■ tice, cent milliers d'années de pénitence
« ne me suffiraient pas, il faut sa mort éter-
?81
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
<m
« nellc. » La Sapienee paraît ébranlée des
« raisons de la Juslice.
SAP1ENCE.
Juslice a irès-bonne raison,
S'ell.- se lient liien difficile :
Regerg lez (2(34) en cause civille,
Si iiug malfaicieur pour son desroy (265).
Êsl saisy en prison de R>y,
El tant à mal faire la Mort
Que sa cause est digne de Morr ,
La repentante rien n'y faicl
Ne le juge en rien ne regarde.
Que son paiement il ne luy garde,
De la mort qu'il a desservie.
« Par cet exemple pris sur les lois humai-
nes, la Sapienee de Dieu prétend excuser
la rigueur de la Justice. Enfin , après bien
des contestations, Sapienee, pour accommo-
der loules les parties, déclare qu'il faut que
ce soit un Dieu fait homme, qui fasse celle
réparation. « Laquelle des trois personnes
« doit la faire ? lui demande la Miséricorde.
« — Le Fils, répond-elle. — Et pourquoi
« lui plulôl qu'un autre? réplique la Paix.
« — Par quatre choses, » dit Sapienee.
SAPIENCE.
Et premier je puis eslimer,
Selon que le Filz se faict nomer :
La set onde e-t qu'il est yniaige
De Dieu le Père noble et saige;
Tiercemeiit est parole et Verbe,
De Dieu qui est noble proverbe ,
A la quarte , qui bien en sonne
Il est la moyenne personne.
« Les quatre Vertus se rendent entin ; et
Dieu conclut au mystère de l'Incarnation.
Cependant il propose à la Juslice si elle ne
veut point prendre une autre victime à la
place de son propre Fils. Mais comme la Justi-
ce, après l'arrêt que la Sapienee vient de ren-
dre en sa faveur, demeure inflexible, Dieu
dépêche Gabriel vers la Vierge Marie.
(Ici descend Gabriel, ei va vers Marie.)
« Cependant Chérubin, Séraphin, Michel,
Raphaël et Driël se réjouissent du bouhour
dont les hommes vont jouir. »
XXVU. De la Salutation Angélique.
(Marie lisinl.)
GABIUEL.
Are pour salulacion.
Je le salué d'affection,
Maria Vierge tres-benigne
Gracia par infusion
[)■■. grâce acceptable el consigne :
Plenia par la vertu divine :
Pleine quant de dans toy redit*
Do<i:inu$ par dib-clion :
.N rstre Seigneur fait ung grunt signe
T'.cum d'amour quant il assigne
A\ec loy sa pennancion.
■ Marie est fort surprise à ce discours ;
ensuite Gabriel lui déclare que Dieu l'a élue
pour porter le Messie dans son sein. Comme
ie fait difficulté de croire cela, attendu
qu'elle veut toujours garder sa virginité ,
l'ange la rassure en ajoutant quo cela si;
ferait par l'opération du Saint-Esprit.
Marie veut bien y consentir à celte condi-
tion.
MARIE.
Eece anrilla Domini
L'Ancelle Dieu suis en effeci,
J';iy parfaicie cré lence en lui,
Ll selon Ion dicl me soit faict.
« Interlocutoire de Marie et de Joseph. —
Marie et Joseph se réitèrent encore leurs
vœux de chasteté : Marie demande à Joseph
la permission d'aller voir sa cousine Elisa-
beth, et celui-ci y consent.
« Elisabeth, de son côté, s'entretient
avec Ularj , sa « chambrière, >< de sa gros-
sesse. Elle a home, à son âge, de se trouver
enceinte; et craint que sa vertu ne soit
soupçonnée. Ulan la console. »
XXVIII. Marie et Elisabeth.
« Marie vient voir Elisabeth ; cette der-
nière lui dit qu'à son arrivée elle a bien
senti , aux mouvements de l'enfant qu'elle
porte, qu'elle parle à la Mère de son Sau-
veur. Ensuite Marie et elle se font beaucoup
de compliments. »
XXIX. Enfer.
« Tous ces préparatifs d'une rédemption
prochaine alarment les enfers. Lucifer en
convoque les esprits, qui, suivant leur bonne
coutume, le remercient par des torrents
d'injures.
6ATUAN.
Qui faicl cesle mulacion?
Lucifer R<>y des Eiinemys?
Vous huilez comme un loup famis,
Quand vous cuidez chauler ou rire.
« Lorsqu'ils sont tous rassemblés, Luci-
fer propose ses soupçons. Àslaroth dit qu'il
n'a rien à craindre.
AST1ROTH.
Délivrer ne se peull pas,
Ne doublet point de ce trépas , ele.
LL'CIFER le faisant taire.
Aslaroth , ne parle jamais,
Tu es encore trop novice.
« Il demande l'avis de Satan, qui, plus
expérimenté que son camarade , lui avoue
qu'il craint aussi quelque chose. Lucifer qui
a ouï dire que les patriarches qui sont rete-
nus dans les limbes, s'attendent à une dé-
livrance, fait avancer Satan.
LLCIFEB.
Approche ton propos, Sathan ,
Car je me liens a>sez des liens ,
Veu et cscoule les moyens .
Grant s'ipfcOii en moy je fonde.
Quant t;. < ours et vas pjr le monde,
Ne lis tu p.»int aux Cstriplures ,
Pour voir oe de nor adventures ,
Hz font aucune meuciou ?
* Oui, dit Satan, j'en ai lu queique chose ;
■ et elles parlont d?un Messie a naître qui
204) Regardez.
DiCTIOW vus
Mystères.
(265J Ecrire.
22
m
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
681
« doit délivrer les âmes des justes détenues
« aux limbes, et obtenir de Dieu miséri-
« corde pour les pécheurs. » Lucifer, qui
voit que l'affaire devient sérieuse, prend le
parti de faire tenter le Messie, lorsqu'il pa-
raîtra, et charge Satan de cette commis-
sion.
SATHAN.
Sans longue protestation
Je m'offre à faire tout debvoir :
Mais il fault avant le mouvoir ,
Avoir la benisson boussue (266)
De vosire ôrde pâte crossuë (267)
Bruslanie en feu par grant ardeur.
LUCIFER.
Or, va, que telle roideur
Te puissent les diables mener ,
Que gros dragons au retourner
Te ramainent tout à loti aise.
Aidant comme feu de fournaise,
Plains de souffre et de salpeslre.
« Satan part avec ce passeport. »
XXX. De V enfantement d'Elisabeth.
(Icy tend Marie l'Enfant d'Elizabelh, et le monstre.)
« Elisabeth, qui vient d'accoucher der-
rière la scène , paraît avec Marie et Utan,
-( chambrière. » On la félicite sur son heu-
reuse délivrance, et cependant on emmail-
lote l'enfant.
{Icy accouslrent l'Enfant.)
« Barbapanter, Arbapanter et Abias, vien-
nent rendre visite à Zacharie et sa femme.
Ils apprennent, en arrivant, la naissance de
l'enfant et la perte de la parole de son père.
Comme ils veulent circoncire l'enfant, il est
question de lui imposer un nom, et, pen-
dant qu'ils se débattent pour savoir lequel,
Zacharie, recouvrant l'usage de sa langue,
leur dit que l'ange lui avait enjoint de don-
ner à l'enfant le nom de Jean, et qu'il
fallait lui obéir. Ensuite, comme il a de
l'impatience de revoir son épouse, il con-
gédie ses amis et les prie de revenir une
autre fois, où il pourra les recevoir plus com-
modément. 11 va visiter Elisabeth, et après
quelques compliments, il sort pour aller au
temple. -- En s'en allant il dit adieu à
Marie.
(Zacharie fine icy.)
« Enfin Marie remercie Dieu de la nais-
sance de saint Jean, et prenJ congé d'Elisa-
betb. »
(Icy s'en va Marie par devers Joseph.)
XXXI. Le double de Joseph touchant l'In-
carnation du Filz de Dieu.
« Marie , de retour chez elle , apprend à
Joseph -l'heureuse naissance de saint Jean.
Après plusieurs discours, Joseph s'aper-
çoit que Marie est grosse; il ne peut croire
ce soupçon et veut s'en éclaircir.
« Marie lui proteste qu'elle a toujours
' (266) Ample bénédiction.
(267) Crochue
(288) .Nous mènerons.
gardé son vœu de virginité, mais Joseph a
bien de la peine à se rendre.
« Il lui dit de s'en aller coucher , et que
le lendemain il lui ouvrirait son cœur. Marie
après l'avoir quitté, prie Dieu de vouloir
bien apaiser l'esprit de Joseph, qui, de son
cÔlé, inquiet et ne sachant à quoi se dé-
terminer, tantôt croit Marie innocente, et
tantôt la croit coupable. Pour sortir de cet
embarras et n'avoir eh môme temps rien à
se reprocher, il se résout à se séparer de
son épouse. Dans cette pensée le sommeil
vient s'emparer de ses sens, et il va se cou-
cher.
(Icy s'en va dormir Joseph.)
« Dieu qui voit le trouble et l'agitation
de Marie et de Joseph , ne voulant pas les
laisser dans cette incertitude, ordonne à
Gabriel d'aller dire à Joseph que son épouse
Marie était enceinte du Christ, et qu'il ne
devait point avoir de mauvaise pensée contre
sa pudicité, attendu que ces choses avaient
été faites par l'opération du Saint-Esprit.
L'ange exécute cet ordre et le fait savoir à
Joseph pendant son sommeil.
(Icy se absente l'ange de Joseph.)
« Joseph à son réveil , honteux d'avoir
conçu de tels soupçons contre Marie, court
lui en demander pardon. »
XXXI i. Du mandement publié en Judée.
« Cirinus, prévôt de Judée, ordonne à
Rapporte-Nouvelle de publier le mande-
ment de l'empereur des Romains, qui, vou-
lant savoir le nombre de ses sujets, ordonne
à tin chacun de se retirer à la ville de sa
naissance, pour s'y faire enregistrer. Rap-
porte-Nouvelle lui obéit. »
XXXIII. Comme Marie et Joseph vont en
Bethléem.
« Quoique ce mandement vienne fort mal à
propos pour Joseph et Marie qui n'ont point
d'argent, cependant ils sont obligés de s'y
conformer.
JOSEPH.
El bien, Marie, puisque ainsi est
Mener nostre aune conviendra ,
Pour nous porter quant la viendra
Que nous nous trouverons fors las;
Àussy pour ce que n'avons pas
Tant d'argent que pourrions despendre,
Nous marrons (268) ce beuf cy pour vendre,
Si nous survient aucune affaire.
« En s'en allant, ils rencontrent Abias,
qui s'offre à les accompagner.. Cependant
Rapporte-Nouvelle vient rendre coiuj te à
Cirinus de son expédition.
Mabommet le grant Dieu vous garde (269)
El tienne en vosire auctorité : >
y-.\y le mandement exploicle .
Pubi.icqueuieni en muinte Ville. >
(269) Voici l'ignorance de l'anleSir, ifoirt nous avons
parlé au septième mystère ci dessus.
68S
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
use
XXXIV. Du logis de Marie et Joseph.
« Marie et sa compagnie arrivent à Beth-
léem. Abias fait ce qu'il peut pour trouver
un logement à Marie ; il s'adresse au maître
d'une hôtellerie, et lui demande une cham-
bre, si petite qu'il .voudra. Joas (c'est le
nom du maître de ce logis), les reçoit fort
rudement.
JOAS.
Vous n'y povez, croyez-vous pas;
El quant place pour vous auroye,
Ja ne vous y logeroye :
Ce n'est pas \c) l'Ospital,
. C'est Logis pour gens de Cheval ,
El non pas pour gens si ineschans.
Allez loger eniniy les champs (270),
El vuidez hors de ma maison.
« Enfin , après bien des pi lères et des
supplications, Joas, par importunité, leur
peruet de se loger dans un vieux appentis
à moitié découvert et qui ne ferme point.
Marie et Joseph sont forcés de s'en passer.
Us s'y accommodent du mieux qu'ils peu-
vent, et Marie dit à Joseph d'avoir soin de
leurs animaux.
JOSEPH.
Us sont très-bien lyez tons deux.,
Mais icy endroit cesle bresche
Leur fera y une belle creschc ,
Avanl que je face dépari,
Pour mettre leur inengaille à part :
Hz seront très-bien ordonnez.
Or vous tournez, bauldel, tournez
Le museau devers la înengoire,
Vous avez bien gaigné à boire
Car peine avez eue à foison.
XXXV. Des pastoureaux.
« Aloris , Pelyon , Ysambart et Hilîlart,
bergers des environs de Bethléem, se ras-
semblent pour se préparer à la veillée, ils
s'entretiennent de plusieurs choses, et enfin
tombent sur les affaires d'Etat, et raisonnent
sur l'édit d'Auguste.
ALORIS.
Mais à quel propos ?
Esse pour faire une bataille?
R1FFLAKT.
Voire pour payer une taille,
Peut-estre que nous sera dure.
« Cela est horrible, ajoutent-ils, et depuis
« le règne de David, on n'a jamais rien va
« de semblable. » Enfin après avoir bien
discouru, leur conversation se termine à se
bien défendre des loups.
XXXVI. Uoraison de Sijmeon,
« Siméon, accablé des ans, prie Dieu avec
ardeur de lui faire la grâce de pouvoir,
avant la lin de ses jours , avoir le bonheur
de voir son Christ. Le Seigneur envoie
l'ange Raphaël pour lui dire que sa prière
est exaucée. Siméon en remercie Dieu. »
XXXVII. De la Nativité de Jésus.
« Dieu qui a prévu le moment de la nais-
(270) Dehors.
(271) Sur le chemin.
sance de son Fils, envoie cette nuit ses an-
ges pour le servir d'abord qu'il sera né.
MARIE.
0 doulx Dieu , de moy le souvienne.
Comme y a parfaite crédenca
A ta haulle magnificence
El clere illumination :
0 riche trésor de clémence
0 divine Incarnation.'
Bien doy en cxallacion
En vertu de dévotion
Honnorer ce mislere en moy,
Quant sans quelque vexation ,
Sans fracture , ne corruption,
Le fruit de mon ventre recoy.
(Icy monstre Marie l'Enfant Jésus.)
« Saint Michel , Raphaël , Gabriel , Uriel,
Séraphin et Chérubin , chantent les louan-
ges de l'Enfant Jésus , et en remercient
Dieu. Joseph, qui était allé chercher quel-
ques provisions et qui n'était pas présent à
ce grand événement, revient au logis.
JOSEPH.
Puisque j'ay fait mes provisions,
Saison est que retourner doye :
Peut eslre se trop altendoye',
Marie auroit nécessité.
(Icy apperçoit Joseph r Enfant el Marie à genoulx.)
JOSEPH.
0 liés glorieuse Trinité ,
Quesse que que je voys de cesie heure!
Certes, c'est un enfant qui pleure
Tout nnd, sur le feure (271) gesaut
Et la mère à genoulx devant, etc.
(Icy se met à genoulx el chante avec Marie les louan-
ges de l'Enfant.)
MARIE.
Mon cher enfant, ma très-doulce portée ,
Mon bien, mon cueur, mon seul avencement
Ma tendre fleur que j'ay longtemps porlée,
Et engendré de mon sang proprement :
Virginalemenl en mes flancs le conceuz,
Virginalemenl ton corps humain receuz
Virginalemenl t'ay enfanté sans peine,
Tu m'as donné cognoissance certaine
Que à ton pouvoir ame ne se compère;
Parquoy te adore, et le clame à voix plaine;
Mon doux enfant, mon vray Dieu, et mon père,
JOSEPH.
Tu es le Saulveur du monde ,
Enfant où tout bien abonde,
Pur el monde,
Par pouvoir espicial
Car au ventre virginal,
As prinse le ceptre royal
Très loyal ,
Pour tout juger en la ronde,
Ce beau monde en général,
El comme juge féal
TraségaJ (272) ;
Te adore en crainte profonde.
« Après quelques discours pareils, pa-
raissent les anges.
(/ci/ fault une nuée où seront les Anges.)
« Gabriel dit aux autres anges qu'il va
(272) Très-c'gal, très-juste.
687
PAS
dictionnaire les mysteues.
PAS
css
avertir les bergers d 2 la naissance de l'en-
fant Jésus. Saint Michel el Raphaël s'offrent
à l'accompagner. »
XXXVIII. Comme l'ange s'apparut aux pas-
toureaux.
(Ici respandenl les Anges yrant lumière.)
« Les bergers qui, comme nous venons
de voir ci-dessus, passent la nuit à veiller,
surpris d'une telle splendeur, ne savent à
quoi l'attribuer : « — Est-ce que le jour
« commence? se disent-ils; la lune pour-
« rait-elle répandre une telle clarté ? » Pen-
dant qu'ils sont dans cet étonnemeut, Ga-
briel les rassure.
GABRIEL.
Rergiers, ne vueillez crainte avoirr
Eiumyl (273) esl accomply l'esprit
Car noire Saulveur Jésucrist
Sans «toute nous esl né sur lerrc
Et si du lieu voulez en qucrre.
C'est en Bethléem la cilé;
El en ligure de vérité
Silosl que au lieu arriverez
Gepelil Enfant trouverez
Couché détiens la Crèche aulx beuf*.
UR1EL.
Chantons un chant mélodieux.
(Icy chantent les Ange».)
Gloria in excelsis Deo,
Et in terra pax honiinibuz
Bonœ volunlatis.
MICHE]..
Gloire soit au hault Dieu donnée-
Qui à son plaisir tout ordonne.
tIBRIEL.
El aulx hommes la paix ordonne (274)
Qui sont de bonne voulenlé.
{Icy retournent les Anges en Paradis, et en demeure
aucuns avec Marie.)
« Les bergers obéissans
à des ordres si
favorables, prennent la résolution d'aller à
Bethléem.
(Icy vont les Pasteurs en Bethléem.)
« Marie et Joseph, après avoir chanté les
louanges de Jésus, font réflexion sur leur
misère, qui les empêche de le traiter plus
honorablement.
MARTE.
0 mon cher Filz, trop se humilie
Ta hauliesse pour ceste fois;
Trop simplement loger te voys,
Roy divin , pure Majesté,
Quant il fault que par povreté,
En la crèche des beufz te couche;
Ton indigence au cueurme touch*
El si ne la puis amander.
JOSEPB.
J'ay pitié de loy regarder,
El me faii mal que le ne puis
Mieulx faire, mon Enfant, je suis
Très indigne pour le servir
Ta grâce puisse déservir :
Excusa ma simplicité,
Je te laisse eu nécissiié,
(.273} Aujourd'hui.
^274) A présent.
Je l':iy fait, fais, el le feray
Tout du mieulx fjiie faire pnnrray,
Mais ma puissance est imparfaite.
MARIE.
La voulenlé de Dieu soil faicle.
Nous ne la povous irespasser (275). 1
XXXIX. Des trois rois et de l'estoille qui les
conduisoit.
« Jaspar, premier roi, ne sachant re que
peut signifier l'étoile qu'il voit brid. r à ses
yeux, lâche d'en découvrir la causi>.
jaspar, premier roy.
Elle esl vraye Estnilîe et parfa'.cte,
Clere comme seroit Vénus.
« Oui, ajoule-t-il, je ne me trompe point,
« c'est l'étoile dont le prophète Raraan a
« parlé, et qui doit présager l'enfantement
« d'une vierge et la naissance du roi des
« Juifs. — Vous avez raison, lui dit Anlio-
« chus , l'un de ses chevaliers. — Je suis
0 aussi de votre avis, » ajoute Celsander,.
autre chevalier de sa suite.
CELSANDER.
LEstnille qui cler resplendit
A cesle heure pas ne enlumine.
Si ce n'est par grâce divine,
El croy qu'elle nous monstre aussy
Quelque effet en ce monde cy
Qui soil de divine ordonnance,
Or il n'est pas nohle alliance
Que celuy Roy en terre naisse,
En qui gisl la plus grant hauliesse
Que jamais nul Roy puisse avoir.
jaspar.
Chevalier vous avez dit voir (27G) ;
Vous faicles très-bon Sîlogisme, etc.
« Allons, eonlînue-t-il, apprêtez tout eo
* qu'il faut pour mon voyage, car je veux
« trouver ce roi en suivant celle étoile. —
« Tout est prêt, Sire, répondent les deux
« chevaliers. — Marclions donc, dit le roi,
« el suivez-moi. »
(Icy se mettent en voye Jaspar et ses chevaliers.)
« La même étoile fait naître une sembla-
ble pensée dans l'esprit du second roi,
nommé Melchior. Cadoras, l'un de ses che-
valiers et homme prudent, lui conseille
de ne pas s'abandonner à ses premières
idées.
CADORAS.
Sire, c'est à prénosliquei hauft
En ce cas, gardez que vous dictes
Se ne sont pas choses petites.
De pronostiquer lels exploic:»
Don fail doubler aucune fois
Pour avoir plus granl certitude
El vaull mieulx bonne double el rude
Que savoir trop présomp.ueux.
» Non, non, je suis certain de ce que p?
« dis, répond Melchior, et vous, njoutt-t-t i
« en s'adressant à Cadoras et Polidorns,
« marchez sur mes pas el no tardons pas,
(273 Passer ouire.
(276) Vrai.
CS9 PAS DICTIONNAIRE
en suivant eu fidèle guide, h adorer ce
« roi des nations. »
(Icij départent Melcyor et ses Chevaliers.)
« Balthasar, le troisième do ces roif, fon-
dé sur la môme espérance et se confiant au
même conducteur , ordonne tout pour son
départ, et, malgré les remontrances de Lu-
cap us et Pitrodès, ses chevaliers, et les dan-
gers qu'ifs lui représentent, rien ne peut
l'empêcher de suivre le même chemin que
les deux précédents. »
XL. Des pastoureaux.
« Aloris, Rifllart, Ysambart et Pélyon ,
s'entretiennent, chemin faisant, des présents
qu'ils vont offrir à Jésus : « Que lui donne-
« ras-tu, dit llifïïart à Pélyon ; ta houlette
« ou bien ton chapelet ? — Non, dit Pélyon,
« j'en ai trop besoin. — Tu lui feras apparem-
« ment présent de ton chien, ajoute Uinlart.
« — Encore moins, répond Pélyon; qui
« garderait mes brebis? Mais je lui ferai un
« joli présent, c'est mon << flageolet » qui
« m'a coûté dernièrement deux deniers à la
« foire de Bethléem , et qui en vaut bien
« quatre.
J'ay advisé ung aullre don
Qui est gorgias ot douleel (277)
« dit Ysambart.
RIFFLART.
Quesse?
YSAMBART.
Mon hochet
Si 1res bien faict que c'est merveilles,
Qui dira clic olic aux oreilles
Au moins quant l'Enfant plorera
Ce hochet le rapaisera
El se taira sans taire pose.
ALORIS.
Je luy «lonray bien aullre chose.
Je (278) une beau Kalendrier de boys
Pour sçavoirles jours et les moys
El rognoisire le nouveau temps,
Il n'y en a, connue j'euleus,
Si jus'e au monde qn'H est ,
Chaque Saincl a son Marmouset (279)
Eseiïpi de lettre, etc.
« Cela lui servira quand il sera grand,
« ajoute-t-il, et lorsqu'il aura appris à lire.
« — Voici , dit Rifflart, ce que je lui don-
« ncrai. »
Lue sonnelle
Qui est pendue à ma comelle
Depuis le temps Robin fouette,
Puis une helle pirouette
Qui est détiens ma gibecière.
« En causant ainsi, nos bergers arrivent à
Bethléem. Il vont d'abord au' logis où est
Jésus, et se jettent à genoux pour l'ado-
rer.
{Icy met Marie l" enfant sur son qeron.)
« Après que chacun a offert soi) petit
présentais prennent congé de Jésus. Voici
leurs compliments :
(277) Joli.
.278) J'ay.
DE3 MYSTERES.
PAS
GpQ
Ai.or,is.
Adieu, enfant de noble gendre.
rÉLYON.
Adieu, filz de nobililé.
RIFFLART
Adieu, filz, pour bonne odeur rendre.
YSAMBART.
Adieu, trésor de Oéiïé.
ALORIS.
Chef de foy.
RIFFLART.
Chef de charité.
YSAMBART.
Chef d'honneur.
PÉLYON.
Chef de uiiliié.
Adieu, plus ne povons attendri.
ALORIS.
Adieu, très-noble humanité.
RIFFLART.
Adieu, liautle divinité,
Nous le adorons au congé prendre.
(Icy se départent les Bergiers.)
« En s'en retournant, ils se félicitent du
bonheur qu'ils viennent d'avoir. En leur
chemin, ils rencontrent Garnier et tioiu-
bault, deux autres bergers de leur hameau,
à qui ils racontent leur aventure. Ces doux
derniers s'empressent de se rendre à Beth-
léem.
COMBAULT.
Si en ma loge le lenoye,
Dieu sçait que je lui donneroye
llng morceau de rosli tout chaull
De bon cueur.
« Ha! si je n'étais pas si gros et si pe-
sant, ajoute-t-il, que j'y serais bientôt ar-
rivé. — Je te donnerai le bras, dit Gar-
nier : mais, conlinue-t-il, tu n'en peux
déjà plus. »
GOMBALLT.
Tay toy, lay loy :
Quand je voy dessous Parglantiôr
La Bergiere
GARNIER.
Ne le vante poinl.
COMBAULT.
Et pourquoyj?
GARNIF.R.
On te cognoislbien, Dieu mercy, etc.
« Gombault lui répond qu'il a fait bien
parler de lui dans le village : « Il est vrai,
« réplique Garnier, mais c'élait au temps
« passé, et ce temps n'est plus. » Apiès
quelques discours sur ce sujet, les bergers
se retirent sans qu'on puisse savoir s'ils
vont à Bethléem ou s'ils retournent à leur
village. »
XLI. Des Troys lioys.
« Joseph, qui voit arriver le huilièiuejour
£79) Image.
£91
PAS
DICTIONNAIRE DES M\STEHES.
PAS
6<y>
<le la naissance de Jésus, s'apprête à le cir-
concire el sort pour inviter ses amis à cette
cérémonie. Cependant les trois rois se ren-
contrent en chemin et s'apprennent mutuel-
lement le sujet de leur voyage, et comme
un même dessein les conduit, ils se joignent
ensemble. Joseph va trouver Barhapanter,
Arbapanter et Abias, et les prie de vouloir
bien lui faire l'honneur de se trouver à la
circoncision de Jésus: ceux-ci lui promettent
de s'y rendre avec plaisir.
(Icy cheminent vers Nostre-Dame.)
« Lorsqu'ils sont arrivés, la Vierge leur
demande pardon sur ce que sa pauvreté
l'empêche de les bien traiter.
Ncus n'avons pas force ûnance
leur dit-elle.
Or sus sans que plus on devise,
Qu'il soit clrconsis,
dit brusquement Barbapantcr.
(Icy se absconse VEstoille qui conduit les Rois.)
« Joseph , adressant la parole a Jésus,
s'excuse fort de ce qu'il est indigne de faire
une telle opération. Ses amis commencent
à s'ennuyer, et Barhapanter lui dit détermi-
ner promptement.
BARBAPANTER.
Nos préparatifz sont tons fars,.
Joseph, père très-vénérable,
Faictes conclusion finable,
Et abrégez car il est (art.
JOSEPH.
Or le tournez ung peu à part,
El je Pexpédiray grant erre.
{Icy le circoncisl. [280].)
« D'un autre côté, les rois, fort chagrins
de ne plus revoir l'étoile, ne sachant par
quel chemin ni à quel endroit aller, prennent
le parti de s'informer des habitants de Jé-
rusalem du lieu où vient de naître le roi
des Juifs.
BARBAPA.NTER.
L'on ne pourroit niieulx apprester
De circonsir plus genlement
Que l'Enfant est.
ABUS.
Dénignement
En soit loué Dieu noslre Père.
« Quel nom lui faut-il donner? » dit Ar-
bapanter à Marie. — « Celui de Jésus, » ré-
pond-elle.— «Soit, répliquent-ils, et que
« Dieu veuille qu'il soit notre Sauveur,
« comme ce nom le porte. »
« Lorsque les rois sont arrivés a Jérusa-
lem, ils s'adressent à Zorobabel, Naasson et
Manassés , pour leur demander ce qu'ils
roulent savoir.
{Icy s'en vont les iroys personnaiges en leurs sièges.)
« Ces Juifs, pour faire leur cour à Hé-
rode , se déterminent à lui amener ces
princes.
(280) Dans ce mystère, d'un côte du théâtre se
passe la circoncision, et de Pauire les trois rois
cuercbcDl le nouveau roi des Juifs : cela mérite at-
(Icy s'en vont devers Hérode. nota. Que ces trots
Jhï\z vont parler à liérode, el demeurent les Hors
arrière.)
MANASSÉS.
Trois Roys demandent à vous parler
Ils sont des royaulmes divers,
De Saba, Arabe, et de Tarse.
« Qu'on les fasse entrer, » dit Hérode:
ils entrent, et Hérode, qui paraît suivi de
toute sa cour, leur fait présenter des
sièges.
(le y se seyent près de Uércde.)
« Ces rois, après quelques civilités assez
mal digérées, font à Hérode la même de-
mande quils viennent de faire aux trois
Juifs. Hérode en est fort surpris et ne sait à
quoi tend ce discours.
HÉRODE.
Contes, Chevaliers, el Seigneurs,
Escoulez <y, quel dyablerie?
« Quoi donc? ajoule-t-il, n'est-ce pas moi
« qui suis le roi des Juifs, sous la protection
« du puissant empereur de Rome? »
JASPVR.
N^us ne voulons pas aller contre,
Mais du fait tant cuider savons
Que celuy Roy que nous quêtons
Est plus grant que vous, est plus fort.
« Cette réponse rend Hérode tout ù fait
interdit: il s'imagine que ces princes ont
perdu la raison.
HÉRODE.
Seigneurs; escoutez, quel erreur ?
Quel perte ! quel courons ! quel raige!
C'est le plus dangereux langaige,
Le plus lïer, le plus despaisanl,
Que oneques oûys, el plus cuisant.
Que dictes-vous de leur blazon ?
ajoute-t-il en s'adressant aux seigneurs de
sa cour. « Soigneur, » répond Zorobabel, en
voulant l'apaiser :
H ne faut pas tel dueil mener;
Qui Irop de courroux en soy prentr
Nature et raison l'en reprent :
Et comme Catbon nous afferme,
T te qui excède hors terme
Empesche fort l'entendement.
« Ensuite il lui explique comme tout se
peut concilier, attendu que ce roi que les
Mages demandent est apparemment le Chris-
lus, qui, selon le prophète Michéas, doit
naître à Bethléem. Hérode se rend à ces
raisons, et, après quelques politesses, il ap-
prend des rois le sujet de leur voyage, ce
qui fait qu'il les prie, à leur retour, de re-
venir lui dire ce qu'ils auront vu.
(L'Esioille marche.)
« Jaspar, Melchior et Balthasar, voyant
reparaître leur étoile, en ressentent une
extrême joie, et la suivent jusqu'à ce qu'elle
s'arrête sur le logis où est Jésus.
tention, et fait connaître retendue du lien où se fai-
saient ces représentations. Nous en parlerons plus
amplement dans la suite.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
C95 PAS
(Icy se arreste l'Esloille sur la maison.)
« A un signal si manifeste, les rois, con-
naissant que ce pauvre logement était le
palais du roi qu'ils cherchent, ne balancent
pas à y entrer. »
XLII. Des présents que les troijs Roys firent
à Jésus (281).
« Jaspar, Melchior elBallhasar, accompa-
gnés de leurs chevaliers, offrent leurs pré-
sents à Jésus ; chacun d'eux, en les lui
présentant, lui adresse une prière, qu'il finit
par ces deux vers :
Présent te fais d'or mierre, et d'ensens,
Toy démonstrans Dieu, Roy, et mortel homme.
(le y tient l'Enfant en son geron.)
« La Vierge leur fait beaucoup d'excuses,
si elle ne les reçoit pas selon leur dignité.
MARIE.
Vous voyez Iclieu mailienneste,
Qui ne duyt pas en faire fcsle.
« Ces princes la remercient et lui disent
que, comme ils ne sont venus que pour voir
et adorer son divin Enfant, ils se retirent,
trop contents d'avoir joui de ce grand bon-
heur. Joseph et Marie leur souhaitent mille
bénédictions à leur départ.
(Icy se déparient les troys Roys.)
« Comme il est tard, ils cherchent un
logement pour passer la nuit. Joas, le maître
de celui-ci, leur en offre un et leur promet
bon vin et bonne chère. « Cela n'est pas à
« mépriser, disent les chevaliers ; entrons
« ici, seigneurs, sans aller plus loin. » — Ils
entrent dans un bel appartement, et, après
avoir fait bonne chère, ils vont se coucher,
et le lendemain ils paient Joas si libérale-
ment, que celui-ci les assure qu'il est
content.
« La même nuit que les rois passent à
Bethléem, Dieu ordonne à l'ange Raphaël de
leur détendre de sa part de revoir Hé-
rode, et de leur dire de s'en retourner par
mer. Raphaël exécute les ordres de Dieu, et
les rois obéissent à ce commandement. »
XL11I. De Symeon.
« Siméon est dans une tristesse extrême
de ne point voir encore le Christ que Dieu a
promis. Pendant ce temps-là, Joseph fait
souvenir Marie qu'il est temps d'aller pré-
senter Jésus au temple. Marie lui répond
que cela est juste, mais qu'il faut avoir une
olfiande toute prête, deux tourterelles ou
bien deux pigeons. Barbapanter et Arba-
panler lui disent qu'ils n'ont que faire de
s'en embarrasser, et qu'ils se chargent do ce
soin.
« Cependant Hérode, ne voyant point
revenir les rois, en paraît inquiet; il ne sait
que penser de celte aventure.
cimnus.
Je double, Sire, qu'ils ne soyent
Deceuz de leur advision :
PAS
O.rt:
Et n'esloil que une illusion
De leur Estoille, et de leur compte :
F'ar quoy espoir ils oui eu honte
De retourner comme je tien.
HÉRODE.
A ! Cirinus, vous dictes bien, etc.
« Hérode s'arrête à cette pensée, et ne
songe plus au retour de ces princes.
« D'un autre côté, Marie, Joseph, Arba-
panter et Barbapanter arrivent au temple. »
(Icy se mettent à genoulx.)
XLIV. Comme Symeon reçeut Jésus un
Temple.
« Jechonias, prêlre de la Loi, apercevant
Marie, la fait approcher, et lui dit que l'Usage
établi par leurs pères ordonnait que les
premiers nés seraient consacrés à Dh u , à
moins qu'on ne les rachetât par une offrande.
La Vierge s'avance et présente la sienne.
Siméon voit Jésus et, le prenant entre ses
bras, il remercie Dieu de la grâce qu'il lui
fait.
SYMEON.
ISnnc dimitlis servum tuum :
0 Sire, laisse désormais
Ton servant demeurer en paix,
Car mes yeux ont veu ton salut, etc.
« Ensuite il prophétise les souffrances et
les ennemis que cet enfant aura un jour à
essuyer, et les tourments que sa mère en
doit ressentir. Joseph dit à Marie de faire
attention à ce que dit ce bon vieillard. Après
cela survient Anne la prophétesse, qui dé-
clare ce que Jésus doit être un jour; et enfin
chacun s'en retourne chez soi.
(Icy s'en vont en leurs premiers lieux.)
« Ces prophéties de Siméon et d'Anne
causent bientôt de grands désordres. Satan,
qui a été spectateur de tout ceci, descend
aux enfers pour en faire le rapport à son
maître, et c'est ce qu'on va voir dans le
mystère suivant. D'un autre côté, Zoroba-
bel, Naasson et Manassés demandent à Si-
méon et à Anne un éclaircissement sur ce
qu'ils viennent de dire. Siméon leur rend
témoignage qn'il a eu le bonheur de tenir le
Messie entre ses bras ; Anne certifie la même
chose.
(Symeon fine icy.)
« Zorobabel et ses deux compagnons, qui,
aucommencement, avaient paru si contraires
aux violences d'Hérode, et qui depuis, soit
par crainte ou autrement, sont dévoués à
ses intérêts, n'ont pas plutôt entendu le dis-
cours de Siméon qu'ils vont en instruire ce
prince. Hérode, en apprenant cette nouvelle,
entre dans une fureur terrible, il vomit
mille injures contre les trois Mages, qui
sont bien loin de ses Etats et à couvert de
sa rage.
« Pendant ce temps-là, Dieu charge l'ange
Gabriel d'ordonner à Joseph de passer en
(281) fauteur suit ici l'ordre des fêles que l'Eglise a établi, sans s'embarrasser de l'ordre historique.
Ç95
PAS
DICTIONNAIRE DKS MYSTERES.
PAS
6C6
Egypte et d'y rester avec Jésus et Marie,
jusqu'à ce qu'il en ordonne autrement.
(lcy s'en va Hérode et ses gens.)
«Gabriel s'acquitte de sa commission, et
Joseph se met en devoir d'obéir aux ordres
du Seigneur. »
(lcy montent Nostre-Dame sur VAsne, et C Enfant, et
s'en vont en Egiple.)
XLV. Enfer.
« Satan, de retour, apprend à Lucifer que
Marie a mis au monde un fds, qui doit un
jour racheter les fidèles. Ce fier monarque
des enfers en frémit de douleur. Pour l'a-
paiser un peu, il s'en décharge d'une partie
sur le messager qui vient de lui apporter
une nouvelle si contraire à ses intérêts, et
ordonne à ses démons de le mener au sup-
plice.
LUCIFER.
Que Belzebulh vient si le lye
Devant nioy de cliaisnes de fer,
Enfl;unbées de feu d'Enfer,
Plus ardens que feu de lempesle,
El le battez par tel mollesle,
()u'il soil bruslé de part en part.
SATHAN.
Ha mercy, Maislre.
BELZEBUTH.
C'est trop tard.
LUCIFER.
Chauffe- 1— il ?
CERBÉRUS.
Mais demandez s'il nrd
Comme brandons au vent esmus.
DERITH.
Voyez le galant bien camus ;
Je croy qu'il eu a bien sa part.
SATHAN.
Ha ! merci, Maislre.
LUCIFER.
C'est trop tard,
Vous aurex un punivimus :
Rifllea dessus grans et menus,
Le est abandonné.
BELZEBUTH
Les diables sont bien ramenez
Pour nous rapporter tel langaige.
LUCIFER.
Comment va Sa i ban ?
SATHAN.
J'enrage :
Helas, Maistre, miséricorde.
ASTHVROTH.
A dûeil ! passion ! a raige î
Comment on le tire et détordre !
LUCIFER.
Traynez le d'une grosse corde.
Tout par tout l'infernal menaigë
Affln que plus ne se y amorde (^82;.
CERBÉRUS.
J'ay si grant paour qu'il ne me morde
(?S2 Que plus il n'y retourne.
1283) llaul et bas.
(2$4) Voici encore Mahomet sur la scène, et d'une
Que je y prens bien ennuys voyage,
SATHAN.
Je meurs, je foi cène en couraige,
El n'esl aine qui se racorde.
LUCIFER.
Sallian, comment le va?
SATHAN.
J'enrage :
Hélas, Maislre, miséricorde.
LUCIFER.
Sa substance vilaine et orde
Tourne ton horrible figure,
Et me parcompte Padvenliire,
Que lu avoys encommeiicé.
SATHAN.
Ha Maislre, tant suis laissé
De mutiner, et lorchonner,
Qu'à p u se je puis mol sonner;
Le Dial.le y ait part au voyage,
Je n'en puis plus.
LUCIFER.
Si soyez plus saige, etc
« Hérode sait-il cela? » ajoute-t-il.
Oùy, Monseigneur;
Mais il est devers l'Empereur, etc.
répond Satan, que ce tourment a rendu plus
souple. '< J'ai commencé à le tenter. —
o Eh bien 1 dit Lucifer, va donc achever ton
ouvrage, et conseille-lui de massacrer les
Innocents. — Non, répliqueSatan, je ne me
charge point de cette commission : qu'As*
taroth la prenne. »
LUCIFER.
Tu yras, ne caquelics plus;
Tu te abuses de rebeller.
« Je vous demande donc une grâce, dit
« Satan; ordonnez à Bérilh de m'y accom-
« pagner. — J'y consens, répond Lucifer. »
(lcy s"en vont vers Hérode.)
XL Vf. De la fuite de Jésus en Egiple et du
trébuihement des Ydoles.
« Joseph, conduisant l'âne sur lequel est
Marie, tenant l'enfant Jésus, arrive en
Egypte.
(lcy s'en vont loger, et emprès doit estre ung Temple
où il y a plusieurs Ydoles, qui trébuchent en leur
venue.)
« Théodas, prêtre païen, accompagné d'un
autre païen nommé Torquatus. vient à ce
temple pour y offrir des sacrifices à ses
dieux; il est fort surpris, en y entrant, de
les trouver tous renversés par terre.
THÉODAS.
Tay bien regardé sus et jus (283).
Mais je n'ay y mage trouvé
Qui ne gisse sur le ftivé;
Je ne scay qui ainsy les n>el,
Voyey le grant Dieu Mahommel (284)
Qui a la lesle despecée,
Voycy Venus touie cassée.
Voycy Appollo et Jupin.
façon bien plis singulière, puisqu'il est au rang des
divinités du paganisme.
CS7
PAS
DICTIONNAIRE.
TORQUATUS.
\oycy Saturne et Adoyn,
Pana, Clnio et L idicsis,
Démogorgon avec Ysis
Mis par terre avec Ycarus.
Tiifr'n.vs.
Voycy Flora et Zopliirus,
Jiiid, l.'éTiôu el Minerve,
Et bref/veinent loute la Callierve (285)
Des Dieux qui sont ions ruez bas.
« Ils ne savent à quoi attribuer celte mer-
veille, et se retirent sans en pouvoir péné-
trer la cause. Comme dans la suite il n'est
plus question (Je ces autres, on ne peut
savoir les suites de leurs conjectures. »
XLVII. Du retour d'Hérode.
(laj se met Ilérode et ses yens en chemin, puis dit .')
Tantost en Judée serons, etc.
NARINART, tyran! .
J'ay grant fain que nous y soyons.
Pour incnger ces bons gras morceaux :
Nous ne uiengeons que pain el aulx
A passer ces liault.:s montaigiiës.
ADRASCUS.
Cela n'e-l pas peler chasteignrs,
Tu seienes du bec, Narinart :
Quel gueulx à porter l'Estendart,
Soubz une vielle cappeline!
NARINART.
Mais que re soit, à la cuisine,
Yi/us m'y verrez bon champion.
« Hérode, toujours rempli de fureur contre
Jésus et excité par Satan el Rérilh, ordonne
à ses tyrans de tuer tous les enfants qu'ils
rencontreront au-dessous de deux ans, sans
épargner qui que ce soit, sous peine d'èlre
pendus. »
(Icy demeure Adrnscns avec le Roy, el tous les au-
tres yens s'en vont.)
XLV1I1. De la Persécution des Innocents.
« Arfrappart , Agrippait, Narinart, Her-
mogènes et Reehine, tyrans et bourreaux
d'Hérode, courent exécuter ses ordres bar-
bures.
Ar.FRAPPAttT
Yoicv Agrippirt qui resongne,
Et dit qu'il ne lui chanli «les Pèies,
Mais il redouble bien les Mères,
Qui souvent sont de grahl couraige.
« Raisonnant ainsi et regardant comme
un divertissement cette sanglante expédi-
tion, ils rencontrent en chemin une femme
appelée Raab, qui porte un enfant enlre ses
bras llechine le lui demande. « Qu'en voû-
te lez- vous faire? » luidii-elle.
ACRIPPART.
Ne vous cliaill, vous le verrez,
Il ne le fait que pour esballrc.
lum.
A ce ne vueil point desbaltre,
Tenez le voylà bel et tendre,
Vuillez le lani doulceiuenl prendre ;
DES MYSTERES. PAS ofS
Tost luy feriez le cueur failli i*.
(Icy le lue.)
NARINART.
Or tenez, portez-le bouillir,
Roslir, ou faire des p.;slcz.
« Raab les accable d'injures, donl ils ne
font pas grand compte. Ensuite, chemin
faisant, voyMit passer une femme nommée
Raehcl, Agrippait dit à Arfrappart : « Tiens,
« voilà encore une femme qui porte un en-
« faut. »
Tasle ung lantel combien il poise.
« Rachel, qui ignore leur mauvaise inten-
tion, leur donne son enfant.
(Icy le tue.)
ARFRAPPART, à liiuliel.
Or luy demandez s'il le sent,
Tenez, portez à la cuisine;
Je luy ai donné Médecine,
Dont jamais ne sera malade.
RACHEL.
Ha faulx ebiens, el félons tyrans
Ha cueiirs durs, munlriers desloyaux,
Gens infâmes, luans boureaulx.
Puissiez vous mourir.
a Les bourreaux, sans écouter toutes les
malédictions que celte pauvre femme leur
donne, continuent d'exécuter leur commis-
sion. Arrivent Adtoinata, troisième femme.
et la quatrième, appelée Herbeline , qui
tachent do soustraire leurs enfants à la fu-
reur de ces tigres* Mais ces cruels, enten-
dant le cri des enfants, les cherchent, el, les
ayant trouvés, malgré la précaution de leurs
mères, les tuent, sans s'embarrasser du dés-
?S[ioir de ces deux femmes.
o Pendant ce temps-là, Médusa, nourrice
du fils d'Hérode, ignorant les ordres inhu-
mains de ce toi, ou croyant qu'ils ne pou-
vaient la regarder en rien, appelle sa cham-
brière Sabine.
SABINE.
Que vous plaisl-il, ma Maislressc?
Je me esbaloye ung petiot.
MEDUSA.
Apprestes moy le Cbariot
Pour apprendre à aller Monsieur.
« Elle ordonne ensuite à Sabine de prome-
ner le petit prince. Sabine lui obéit. Sur ces
entrefaites, arrivent les bourreaux, qui so
vantent de leurs prouesses: « Depuis un
« mois, dit Arfrappart, il faut que j'aie tué
« plus de deux mille enfants. — Pour moi,
« répond Narinart, j'ai cassé la cervelle à
« plus de trois milliers. — Eh ! ne vous van-
« le* pas tant, dit l'un des autres, voilà un
« enfant qui passe devant vos yeux, et vous
« le laissez vivre?- Il est vrai, répond un
« autre. » Aussitôt ils courrent après le nour-
risson de Médusa et l'assomment.
MEDUSA.
Ha ! faulx munlriers qu'avez vous fait?
Occis avez Villaincmcul
(2.S.'i) La troupe.
699
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
700
Le Fil/. d'Hérode proprement.
Quelle horreur vous est advenu?
« Médusa court promptement dire à Hé-
rode ce qui vient d'arriver. Ce prince on
paraît un peu fâché. Pour le consoler, arri-
vent ses satellites, qui, glorieux deleur belle
expédition, en viennent demander la récom-
pense.
ARFRAPPART.
Je ne sçay Ville ne Cilé
Par tout Belhléen contenue
Qui n'ait plouré nostre venue, etc.
« Hi'rode leur dit que, quoiqu'ils aient
enveloppé son propre fils dans le massacre,
néanmoins il leur pardonne, pourvu qu'ils
n'aient point laissé échapper « Christus.» —
« Cela n\st pas possible, dit Adrascus, puis-
« qu'ils ont tué tous les mâles. »
XLIX. De la mort d'Hérode Ascalonite.
« Hérode n'a pas plutôt satisfait sa ven-
geance qu'il se sent tourmenté par des
douleurs insupportables. « Qu'est-ce que
« vous avez, lui dit-on; quels sont les
« symptômesde votre mal ? » Hérode répond
qu'il sent des maux affreux par tout le corps,
et que ce mal a commencé au massacre du
premier enfant, et qu'à la mort du dernier
il a monté à son comble. Arfrappart lui con-
seille de se coucher pour reposer. Satan et
Astaroth accourent promptement se tenir
aux aguets, de crainte de manquer cette
proie.
ASTAROTH.
Salhan, garde bien qu'il n'eschappe
Ce fauix oppresseur d'innocens.
« Salomé, sœur d'Hérode, veut s'appro-
cher pour le consoler; maison l'en empêche.
ADRASCUS.
Ne aprochez point si près de luy,
Dame pour le mal sentent;
H put le plus horriblement
Qu'il n'est huy rien plus corrumptif.
HERMOGENES.
Ces vers le menguent tout vif,
El luy saillent parles conduilz.
« Hérode demande qu'on lui donne une
pomme et un couteau pour la peler. Salomé
la lui donne. Alors ce roi sent redoubler ses
maux.
HÉRODE.
Haro! mes piedz, Iiaro! ma teste,
Oespiie effrénée rage,
J : n'en puis si je n'enrage,
Veez-ey ma détresse où je rentre.
SATHAN.
Meschanl homme, fiers en ion ventre
Ce coustcau, sans tant endurer (286).
(2S6) L'auteur feint que Satan et Astaroth se trou-
vent à la mort d'Hérode, et que le premier lui con-
seille de se fourrer un couteau dans le ventre, pour
se délivrer des douleurs qu'il ressent. On sait que
de pareilles inspirations ne peuvent venir que du
diable. El c'est ce que railleur emploie ici avec as-
sez d'adresse; car il es! clair anc Satan cl son com-
HÉRODE.
Diables, je ne puis plus durer,
Il fault qu'à vous tous obéisse :
Ha mort, basie loy faulce lisse,
Veez la (287) fait pour loy advaneer,
De cueur, de corps, et de penser,
A tous les dyables me commandz.
(Ici) se tuê Hérode.)
SATHAN.
Sus, troussons nous deux saquemens (28K),
Ce faulx murdrier désespéré.
ASTAROTH.
Son logis est jà tout paré,
Portons le en enfer droicle voye.
« Ces deux démons amènent l'Ame d'Hé-
rode à Lucifer, qui ordonne qu'on la jette
dans du plomb fondu, pour le récompenser
de ses belles actions. »
(Icy font les Dyables îempeste.)
L. Du retour de Jésus de VEgipte.
« Djpu qui voit que te persécuteur de son
Fils est mort, envoie Gabriel à Joseph, lui
dire qu'il peut revenir en Judée.
(Pause.)
« Gabriel porte cet ordre à Joseph, qui
obéit aussitôt.
(Icy romaine Joseph, Nostre-Dame ei r Enfant sur
son Asne, comme devant.)
« Pendant ce temps-là, Salomé et les do-
mestiques d'Hérode lui font faire de magni-
fiques funérailles. »
LI. Comme Jésus est mené au temple de
Hiérusalem.
(Icy commence la grant Nostre-Dame (289).
« Notre-Dame et Joseph voulant aller au
temple par dévotion, y conduisent Jésus,
qui est âgé de douze ans.
(Jésus commence icy.)
« En chemin, ils rencontrent les deux
sœurs de la Vierge, Marie Salomé et Marie
Jacobé, avec Zébédéus, Aqueline, Esdras et
Eliacin , que le même dessein conduit.
Eliacin représente que, selon la loi, les
hommes doivent passer par un chemin, et
les femmes par un autre ; ce qui fait que la
Vierge prend Jésus avec elle et s'en va avec
les autres femmes; et Joseph et les hom-
mes vont par l'autre. En se quittant, Jo-
seph dit adieu à Notre-Dame et à Jésus.
JOSEPH.
Entiuy vous laisse, n'en doublez ;
Mais avant que vous déparlez,
Je vous donrai de mes chosetles,
De mes pommes et de mes noysellcs :
Tenez, velà pour vous déduire.
JÉSUS.
Mon cher Père, je le vous mire,
11 souffit bien, j'en ay assez.
paçnon ne sont visibles que pour les spectateurs, et
qu'Hérode et les autres acteurs ne les voient point.
(287) Voilà.
(288) Promptement.
(289) C'est-à-dire une personne d'un âge assez
convenable pour représenter la mère* de Jésus.
7M PAS WCTKKSMIRE DES UYSTEUES,
« Zorobabel, docteur, qui commence ici,
avec cinq antres docteurs, appelés Gamaliel,
Roboam, Manassès, Nathan et Nalhor, vont
au temple.
(Icy s'en vont an temple seoir en Imulles chaires).
« Marie et sa compagnie de femmes arri-
vent au temple.
(Icy s'en vont faire leurs offrandes.)
IMS
702
« Quelque temps après Joseph vient avec
la sienne.»
(Icy s'ch vont les hommes d'autre costé faire
leurs ablations.)
LU. De la Disputacion des Docteurs de la
Ntitivité de Jésus.
Ce mystère serait plus justement intitulé :
De la Disputacion des Docteurs de la Nati-
vité du Messie; car Zorobabel propose 5
ses confrères une dispute touchant la nais-
sance du Messie. « Que l'un de nous, dit-il,
« soutienne que le Christ est né, et qu'un
« autre combatte celte proposition. »
Cet avis plaît aux. docteurs, et ils l'em-
brassent avec joie.
(Icy se part le petit Jésus secrètement d'avec Nostre-
Dame, et s'en va vers les Docteurs.)
* Zébédéus, Esdras, Eliacin et Joseph,
après avoir fait leurs offrandes se retirent.
(Icy s'en vont les hommes ensemble.)
« Noire-Dame, Marie Salomé , Marie Ja-
cobé et Aqueline en font de même, et après
avoir cherché inutilement le petit Jésus,
elles sortent
(Icy s'en retournent les femmes en leurs loges.)
« Cependant les docteurs s'apprêtent à
disputer. Zorobabel entasse une multitude
de faits pour prouver que Christus est né;
Gamaliel combat son opinion avec chaleur;
Zorobabel répond à son adversaire, et sou-
tient que le Christ est sur la terre.
« Vous soutenez, lui dit-il, que le Christ
« n'est pas né, attendu, ajoutez-vous, que
'< sa naissance n'a fait aucun bruit, et qu'il
«n'a paru avec aucun éclat; or, je vais
« vous prouver- que cela n'est pas consé-
« quenl, ni nécessaire : Et je
ZOROBABEL.
Fonde deux argumens bien fors :
Le premier, si bien* m'en recors (59!))
Ksi qu'un R<;y lanl plus gr nul mai sire
El tant doit pins noblement naisirc?
Je vous nye cesle majeur.
El vueil dire, sauf voslre bonneur,
Qu'il n'est point de nécessité,
Que cecy soil pour vérité,
Prenons Romuluset Rémus,
Qui à lel loz furent promeuz
Que d'esire premiers fondateurs,
De Homme, ei haulx Impéraleurs,
El qui tant de proésses lirenl,
ïouiesfois simplement naquirent
Dune fille, qifl les conçeul :
Oncqucs leur père sceu ne fusl,
(2(IO'i Ressouviens.
1291)
Mais pour icenlx mienlx renommer,
Kilz de Mars se lirenl nommer.
Plusieurs en prendroye à garant,
Comme d'Alexandre le grant,
Qui tint tout le monde en possesse (291),
El loulesfois quant à noblesse,
Il fui d'ung bien petit Hoy né;
Encore l'ont aucuns répugné,
El a dit maint reeilaleur.
Qu'il esioii lilz d'ung enchanteur.
El dont pas néeessilé nesse
Que Christus si baullcmcnt naisse? ele.»
« Jésus arrive, el, sans se nommer, il
ies fait ressouvenir de ce qui est arrivé il y
a douze ans; et leur ayant demandé quels
sont les signes par lesquels on peut recon-
naître le Christ, il les oblige à convenir
que ce Christ est déjà né. Nathan, qui est
endormi, ou qui songe à autre chose,
s'écrie :
Et faiclez taire ce garçon ;
Son parler ne nous sert de rien.
« Non, non, dit Zorobabel, il parle très-
« juste. — Comment, répond Nathan, et de
« quoi s'agit-il donc? je n'y avais pas fait
« attention. » Zorobabel lui apprend que ce
jeune enfant veut leur prouver que, puisque
le Christnedoitpointavoir depère, il n a que
faire de naître sur le trône. Le bon vieillard
Gamaliel est si charmé de l'éloquence de
Jésus, qu'il en témoigne une grande sa-
tisfaction.
GAMALIEL.
Et deà, velà trop gentil filz;
Comment porte il scçhe (292) parolle!
S'il est maintenant à l'Eseolle
Il sera homme de bault fait.
« Que veut dire Christus? » dit Roboam a
Zorobabel.
ZOBOBABEL.
Christus vanll à dire comme unctus
«Christus signifie donc oint? réplique
« Roboam : cela étant, il faut qu'il soil roi;
« el c'est une conséquence nécessaire. » ici
la dispute recommence avec plus de chaleur,
et chacun s'empresse d'assaisonner ses dis-
cours de longs passages latins. Jésus les
ramèneencoreàsonsenliment enleur parlant
de l'étoile qui conduisait les trois rois qui sont
venus adorer ce Messie; il leur rappelle la
paix universelle qui régnait dans ce temps-
là par tout le monde, assujetti à un seul
empereur Les docteurs qui se voient con-
vaincus par tout, ont recours à une dernière
objection, qui est de demander à Jésus si
tout cela pouvait s'accorder avec le nombre
des semaines prédites pnr le prophète Da-
niel. « Oui, répond Jésus, et il est aisé de
« le supputer. » Les docteurs acceptent le
parti, et se mettent en devoir do l'ac-
complir. »
(Icy font semblant d'es'.udicr, ei les autres de
u ombrer.)
'292) Grave, précise.
703
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
704
LUI. Comme Joseph et Notre-Dame cherchè-
rent Jésus.
« Notre Dame prend congé des deux Ma-
ric< et d'Aqueline, et, sentant une inquié-
tude mortelle sur la p>rte de son fils, elle
court pour le trouver. Eu chemin, «die ren-
contre Joseph et lui demande s'il ne sait
point ce qu'il est devenu. « Je ne l"ai point
« vu, lui répond-il, depuis (pie je vous ai
« rpiittée. » Esdras et Zébédéus, en arri-
vant, prennent part a la douleur de la
Vierge, et vont avec elle chercher le petit
Jésus « Joseph a eu grand tort, dit Esdras;
« il ne devait pas le quitter. — Ce n'est pas
« sa faute, » répond Aqueline.
AQLEL1.NE.
Ha ! le poure homme n'en peut niais,
Il en pence comme «le soy mesmes ;
Il n midé quViilre nous Femmes
L'eu sions par deç» amené.
« Cependant on cherchn Jésus de tous cô-
tés; les deux Maries y emploient tout leur
soin; on s'en informa, mais en vain, à
Ad<>rmnla et à Herbeline, deux des voisines
de Marie. Joseph le demande à Priséus
et a sa femme Raphiel , et croyant qu'ils
pourront le reconnaître, il leur en fait le
portrait.
JO=EPH.
Il n douze ans. ou environ,
Nonobstant qu'il est grandellet,
Lng beau filz assez vermeille!,
Les yeulx vers, la chaire blanche el tendre,
Les cheveulx blonds à tout comprendre ;
Il a la boni lie vermeille,
Il esi bel Enfuit à merveille,
Hresvemenl le fault ainsi dire.
« Notre-Dame, accablée de. tristesse, fait
une longue complainte, et Joseph la con-
sole de son mieux. D'un autre côté, les
docteurs, que nous avons laissés occupés à
calculer, après bien des peinset des soins
ont la honte de se voir confondus par les
discours du petit Jésus, qui leur objecte de
si fortes raisons, qu'ils ne peuvent répon-
dre et restent dans l'admiration. Cependant
la Vierge apercevant Jésus, en avertit Jo-
seph , et court embrasser ce cher enfant.
(lcy vient Noslre-Dtime à l'Enfant el le baise, et dit:)
MARIE.
O mon doiilx Enfant gracieulx,
Filz de toute doiilceui parlait,
Mon cher (ilz, que nous as lu fait?
Qu'as lu fait à la poure mère ?
l)i u scel combien je, el Ion père
T'avons quis doulens el yrez.
ZOR0BABEL.
0
Chère Dame, je vous supplie.
Esl-il voire Enfant, ce beau Filz î
MARIE.
Oùy, Monsieur, c'csl mon Filz.
MANASSÈS.
Belle Dame, gardez qu'il n'entre
(v293) Ce prologue finable devait être in ti t nié :
Epilogue; mais il y a apparence que dans ce temps
on n'y prenait pas garde de si près.
(204} Ces quatre dernier» ver» nous apprennent
En oyseuse el jeunesse folle;
Mais 't'entretenez à l'Escolle,
Plus soigneusement que pourrez .
El au temps futur vous venez
Qu'il tiendra ung noble chemin.
« Après que les docteurs ont félicité Marie
d'avoir un enfant si charmant, et donné
mille louanges a Jésus, Joseph lui dit s'il
veut revenir. «Je le veux bien, » dil Jésus.
MARIE.
C'est parlé de tiès-lionne affaire,
Mon cher Filz.
JOSEPH.
El pour ce tenez
Du bon pain, el vous en venez
Avec nous loin rcsjouissanl.
(Ensuite ils se retirent tous.)
« L'auteur, qui n'a pas pu apparemment
placer un prologue à la tête de celte jour-
née, ne voulant rien perdre, en met un à la
fin, qu'il intitule : « Prologue finable. »
Comme il est très-court , nous le donnerons
tout entier, avec d'autant plus de plaisir,
qu'il sert de sommaire et d'instruction sur
ce que l'on vient de voir; le voici :
PROLOGUE FINABLE (2lJ3).
Seigneurs, en la déduction
De nnslre petil abrégé.
Il vous a esté prorogué,
A nostre possibilité,
La divine Nativité
De Jesucrist nostre Salveur;
La charité el granl faveur,
Qui a eu à I humain lignage,
Quant pour l'osier hors de servage,
A voulu en vie mondaine,
Soy couvrir de nature humaine,
E>ire suliget aux Passions,
Peines, et tribulations,
Poiiretez, ei nécessitez,
A quoy nous sommes incitez ;
Puis. avons fait ostencion,
Monslranl sa Circoncision.
Laquelle humblement veult souffrir*
Puis l'avez veu au Temple offrir,
Saincl Syméon le recepvoir.
Qui nioull le désirait à veoir :
Puis avez veu l'orrihie l.oy,
De Herode le très-cruel Roy,
Qui fisi mer les Innocents,
Dont- il mourut hors de son sens :
L'enfant Jésus veisles porter :
En Egiple, pour éviter
La fureur que antres encoururent.
Où imites les Ydoles cheurenl,
Quanl à la Terre fui entré.
Ilem, depuis avons monslré,
Comment aux Docteurs disputa,
En quoy sagement se porta.
Les inieiTOganl sans séjour;
Etalant fin du Premier Jour (29-i).
Demain retournez, s'il vous plais!,
Me seauiez eslre sitosl presi.
Que nous nevieugnons «courant,
Pour poursuirau deinouranl. »
Fin rt» premier jour de la Passion de Notre-
Seigneur Jésus-Christ.
pourquoi le mot de journée est employé jusqu'à
quatre fois dans lp mystère dont nous donnons
l'extrait, et dont nous avons parlé dans le discours
qui le précède.
705 PAS dict;onna:rë TES MYSTERES.
PERSONNAGES
De la première journée du mystère de la Passion
DIEU LE PÈRE.
IÉsUi-CHRls.T.
LE >»AINT E>>PRIT,
PAS
:oo
d'un
sous lu
Colomb
(orme
blanc.
IV SAINTE VIERGE MARIE
saint miciiel, ange.
GABRIEL, idem.
kaphael, idem.
lui ll, idem.
chérubin, idem.
séraphin, idem.
SAINT JEHAN-BAPTISTE.
SAINT PIERRE, pCScheill
SAINT ANDRÉ, SOI1 IlO-
ie, | escheur.
saint j vcules «.lit Ma-
JO , id m.
saint ji:h\n l'Evaugé-
lisie. id m.
SAINT PHILIPPE.
SAINT BARTHÉLÉMY ,
|»l ilICC.
saint tiiomas, char-
pentier.
saint simon, ouvrier
saint jlue, sou frère,
idem.
SAINT .MATHIEU, pllbli-
cain.
6AINT JACQUES, dit
Miuor.
JUDAS.
ZEBEDÉE ,
Jacques
JlMII.
V.ZARE.
varthe, sœur de Lazare.
li'lnasiont, page île La-
zare.
l'épousée des noces de
Cana.
ARCllITlUCLIN.IliailrcMl'Ilô-
ici oes noces de Cana.
ajUs. disciple de tainl
Jean Ltapiislc.
sopiionia-., idem.
Menasses, idem.
mcoi)E>me, Docteur de l.i
Luy.
jAihus, Archi>ynagogue.
i uabi i a, fille lie Jayrus.
tLLius, Domestique de
J yrus.
uoab, idem.
i'iami. Samaritaine.
CÉDÉON, Samaritain.
AijACLiii, idem.
j; llye, Veuve de la Ville
de M aï ni.
LE filz de Jullye.
m.ptali.n, llabilanl de la
1ère de saint
cl de saint
ville de Naïm.
malbhun, idem
CAIP1IE.
ANNE.
jéroboam, Pharisien.
iiardocuée, idem.
Naa-son, idem.
IOATHAN. idem.
ELiACiiiN, idem.
ban anus, idem.
iacob, Se' ibe.
i-ACiiAR, i em.
NAiiiAN, idem.
nachor. idem.
iiérode Telrarqnc do Ga-
lilée.
HÉiiODïAS feinnie de Phi-
lippe frère d'il rode et
enlevée p ir ce dernier.
Florence, Il Ile d'Iléro.ly as-
iiodigon, Comte de la Cour
dlleioile.
abiron, lu if attaché à Ilé-
ro.le.
andalus, Maître d'hôtel
d'iléroite.
grongnard, servi leur d'Ilé-
10 le.
riLATE, Prévôt de Judée.
BARRAQutN, conlidenl de
PiLle.
brayard , Tyran ou Sa-
tellite de P. laie.
drillart, id.
claquedent, id.
GRIFFON, id.
ruben. père de Judas.
cyiioréi-, femme de ruben,
ei uïére de Judas.
le filz du RiiYdeScariolh.
PREMIER BOURGEOIS lie Sca-
RIOTII.
DEUXIÈME BOURGEOIS deSca-
rioth.
rabanus, Changeur.
emelius, Oiseleur.
celcidon, Marchand d'A-
gneaux.
trouve de juifs assistant
au Sermon de S. Jean.
troupe de juifs témoins
de la Résurrection du (ils
de la veuve de Naïm.
l'ame de saint j< han.
troupe dames des lidèles
des Limbes.
Lucifer, Roy des Enfers.
sathan , Diable.
belzebutu, id.
bérith, id.
AS I A ROT II, >d.
lekbErus, id.
Donc pour dire molz de vpIiic,
Chacun dévoieinciit salué
De bon cueur la bcuoisie Dame
Ave Marui, gruiia plena, Domnus lecum,
elc.
EX.TnAIT DU MYSTERE DE l.A PASSUN.
PROLOGUE CAPITAL
au Mystère de la l'ussion de Jesuclirisl.
Vertu n caro faclu n esl.
Le Verbe a été fait ctlair,
o L'auteur fait ici un sermon snr ces qua-
tre mois latins; il commence par invoquer
k Saint-Esprit, puis i! demande les sudr-a^es
de la saiule Vierge,
« Sur chacun de ces mots latins, il dispose
les i oints de son sermon. Sur le premier
Verbwn, le Verbe, il traite de \r. général ion
éternelle du Fi's de Dieu. — 11. Caro. Chair.
« Chapitre du «second point; De la Géné-
« ration du Filz de Dieu fuit homme au ven-
« Ire de la Vierge Marie. » — Iil. Factum,
fait. « Chapitre du tiers point, qui est des
«faits de Jésus, lui éiant eu ce mo.de.»
« L'auteur déclare qu'il ne s'étendra pas sur
ce point, attendu, ajoule-t-il, qu'il va élre
expliqué tout au long dans le mystère de la
Passion.
« Le quatrième point roule sur ce mo!,
Est, il est, et l'on y tr-ile de l'essence é e -
ne le du Fils de Dieu. Pour achever en de ix
mots ce que nous avons à dire sur ce | rolo-
gue, nous ajouterons que l'auteur y l'ail l'a-
pologie de ce genre d'ouvrage, qui a été com-
posé, à ce qu'il d t, pour inspirer de In dé-
votion au pjuple ; car voici comment il
s'exprime :
Ce n'esl seulement qu'un motif
Non lepiinaut à vérité,
Qui sera cscripl et ditié
Pour es louvoie les simples gens,
Les ignorants ci négligens ,
Ressentir de Noslre Seigneur,
Le dont on peut cire meilleur
Par cxorlacion vulgaire, etc.
« Après avoir parlé, dans son qualrième
point, de la gloire et du bonheur tics bien-
heureux, il lin: L son sermon par ces mois :
A laquelle vous doinl venir
Apivs qu'auront tout laid et dit ,
Le Père, le Fils et le Sainct Esprit
Amen, »
Fin du Prologue Capital.
Cy commence le Mistere de la Passion de Nos-
lre Saulveur Jesu-Christ avec les addicions
et corrections [aides par très-éloquent et
scientifique Docteur Maislre Jehan Michel.
— Lequel Mistere fut joué à Angrers moult
triumphantement , et derrenieremcnl à Puaris
l'an Mit cinq cens et sept.
première; journée.
I. Sermon de sainct Jehan.
« Saint Jean parait, et fait un sermon au
peuple, dans le désert, qui roule sur ces pa-
roles du prophète Isaïe : Parate viam Domtni,
rectas facile in soliludine semilas Dei nostri.
(Isa., \l, i.) « Préparés la voie du Seigneur,
« aplanisses dans le Désert les sentiers de
« nôtre Dieu. » Ce sermon esl semé de vers
laliiis, que l'auteur rend souvent en fran-
çais. T>
il. Conseil des J ai fz.
* La prédication se répand d'une telle £i-
;07
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
708
pon, que les principaux Juifs s'assemblent
pour savoir ce qu'ils doivent faire à ce
sujet.
« Le conseil est composé de Caïphe ,
d'Anne, de six pharisiens, dont voici les
noms : Jéroboam, Mardochée, Naason, Joa-
ihan, Eliacin et Bananias; et de quatre scri-
bes, Jacob, Isachar, Nathan et Nachor. Caïphe
ouvre le discours, et dit qu'il lui parait que
le temps de l'avènement du Messie est ar-
rivé, suivant ce que les prophètes avaient
prédit. Anne prend ensuite la parole, et se
trouve du même sentiment; mais Jéroboam,
premier pharisien, en soutient un contraire,
attendu que les prophètes avaient prédit que
le Messie naîtrait dans un temps, qui, parla
description qu'il en donne, n'a aucune res-
semblance avec celui dans lequel ils vivent :
car, ajoute-l-il :
Premièrement l'Empereur soubz main dure
Nous lient subjeclz, loul le peuple murmure,
Rien n'est en paix, tout est mal gouverné,
Erreurs croissent , la Sinagogue endure,
Raynes puluient; et loul mal on procure,
Par quoy je dis que Messyas n'est pas né.
« Mardochée, second pharisien, appuie ce
sentiment, et décrit la venue du Messie sui-
vant l'idée des Juifs.
Quant Messyas, quant le Crisl régnera,
Nous espérons qu'il nous gouvernera
En forte main, eu union tranquille,
Couronne d'Or sur son chef portera ,
Gloire et richesse en sa maison aura
Justice et paix régira sa famille :
El si le fort le poure oppresse ou pnle,
Si le lyranl son franc vaosal exille ,
Quant Crisl viendra loul sera mis en ordre :
David le Saiucl, Salomou ou Siliille,
Sanson le for; . ou le subtil Virgile,
Sur sa prudence ne trouveront que mordre.
« Naason, troisième pharisien, combat les
raisons des deux précédents, et ne doute
point que le Messie ne soit né. Il en trouve
la preuve dans ['extinction de la race des
rois de Juda, et de leur sceptre passé en des
mains étrangères. « De plus, ajoule-l-il, la
« probité et la sainteté de Jean doivent rendre
« sa mission croyable.» Mais Joathan, qua-
trième pharisien, tâche de rabaisser l'honneur
de ce dernier.
N'est-ce pas Jehan (dil-il) dont vous donnes
l'enseigne ,
Filz de la vieille Elizabeth brahaigne,
El du vieillari bon homme Zaehane?
Quelque doctrine qu'il presche, ou qu'il cn«
seigne ,
Ce n'est qu'abuz qui voudra si la prengne,
Car quant à moy je n'en ay point d'envye,
El est à nous ce me semble lolye
De tolérer que ces paroles die,
Et qu'il baptise au lleuve de Jourdain?
Comme il a sceu la venue du Messye;
Jamais ne vil Lettre ne prophétie,
C'est ung abuz trop grant et trop vilain.
« Eliachin, cinquième pharisien, embrasse
le parti do Joathan, et va encore plus loin
que lui, puisqu'il opine à prendre des mesu-
res pour faire cesser les prédications de saint
Jean; mais Bananias, sixième pharisien, s'op"
pose à cet avis :
Eliachin, très-éloquent non sic,
Ne prenons pas la chose si au rie.
« 11 représente que c'est vouloir s'exposer
à la haine du peuple, en faisant quelque vio-
lence à une personne pour laquelle il s'inté-
resse. Jacob, premier scribe, l'interrompt en
lui disant que peut-être saint Jean est lui-
même le Messie. Ce sentiment estadopté par
lsachar, second scribe. Mais le troisième, ap-
pelé Nathan, les fait revenir de cette erreur
en leur représentant que Jean ne pouvait
être le Christ, puisqu'il était de famille sa-
cerdotale, et que les prophéties portaient
expressément que ce dernier devait descen-
dre de la race des rois. Pour terminer celte
contestation, Nachor, quatrième scribe, pro-
pose cet expédient, « que pour entendre lout
« le faict clerement il a advisé » un bon
moyen, qui était de le demander à Jean lui-
même. Cet avis est aussitôt approuvé par
Caïphe. chef de cette assemblée, qui ne man-
que pas de leur en faire de grands remercie-
ments. Et la conclusion est que l'on députe
Eliachin et Bannanias, pharisiens, avec deux
scribes, Nachor et Nathan, pour interroger
saint Jean; ensuite ces quatre envoyés vont
à la prédication de ce dernier dans l'inten-
tion de tirer finement de lui tout ce qu'ils
veulent savoir. »
111. Sermon de S. Jehan.
« Saint Jean vient prêcher les Juifs, et
les exhorte à la pénitence. Les quatre per-
sonnes, dont nous venons de parler, s'y
trouvent entre autres, qui lui demandent s'il
est te Christ.
Non suis , je ne suis pas Chrisius;
Mais dessoubs luv je me humilie.
répond saint Jean. Ensuite on l'interroge s'il
n'est pas Elle ou un prophète; et, sur ce
qu'il leur proteste qu'il n'est aucun d'eux,
ils le prient de dire qui il est; mais à peine
saint Jean leur a répliqué :
Ego
Vox clamantis in ae&erto,
Je suis voix au désert criant , etc.
qu'ils se retirent, et il semble qu'ils n'ont
plus rien à lui opposer. Celle prédication
n'est pus cependant infructueuse, car trois
Juifs, appelés Sophonias, Manassès et Abias,
demandent le baptême, et suint Jean le leur
accorde. »
IV. Dialogue de Je'sus et de Notre-Dame.
« Jésus paraît avec Noire-Dame et l'ange
Gabriel. Jésus s'entretient avec eux du su*
jet pour lequel il est descendu sur la terre.
Notre-Dame lui dit avec regret que sa vo-
lonté soit la sienne. Ensuite Jésus (rend
congé d'elle.
(El icy se dépari d'avec elle , et s Vu va vers S. Jehan-
Baptiste, et l'Ange Gabriel avec luy ;" et demeure
iV. D. comme en Oraison." ■ .
709 PAS DICTIONNAIRE
V. Baptême de Jésus.
« Jésus s'approche de saint Jean, à qui il
demande le baptême, ce dernier s'en défend
fort par humilité.
S. JEHAN.
Pas requérir ne nie (levés,
Car mon cher Seigneur, vous sçavés,
Qu'il n'affierl pas à ma nature,
Je suis Créature,
Et poure facture
De simple stature,
Humble viateur :
Ce seroil laydure
Et chose trop dure
Laver en eaiie pure
Mon haull Créateur.
Tu es précepteur,
Je suis serviteur;
Tu es le Pasteur ,
Ton oùaille suis,
Tu es le Docteur,
Je suis l'Auditeur,
Tu es le Ducieur ,
Moy consecuteur,
Sans qui rien ne puis, etc.
« Enfin Jésus le lui ayant commandé ab-
solument, saint Jean se met en devoir de
lui obéir. Pendant que Jésus se déshabille,
et que l'ange Gabriel le sert, Dieu le Père dit
qu'il veut honorer « par ung signe haultain
« ce baptesme vertueux. «Saint Michel chante
un cantique, « durant lequel Jésus entre
« dans le tleuve de Jourdain, et S. Jehan
« prend de l'eaue à la main, et en jecte sut
« le chef de Jésus ; » puis dit :
Sire, vous estes baptisé
Qui à vosire haulie noblesse ,
N'appartient, ne à ma siinplesse
Si digne service vous faire,
Toutes Ibis, mon Dieu débonnaire,
Yuiellés supplier le surplus.
lcy sort Jésus hors du Fleuve du Jourdain, et se jeele
à gënoutx devant Paradis. Adunc parle Dieu le
Père, et le Sainvl Esperit descend en [orme du Cou-
lant blanc sur le chef de Jésus : puis retourne en
Paradis. El est à noter que la loquence de Dieu le
Père se doit pronuncer enlendiblement , et bien à
traici en trois voix; c'est-à-sçavoir, ung liault dessus,
une Itaulle contre , cl une basse contre bien accor-
dées; et en cette armonic se doit dire toute la
clause qui suit (295).
DIEU LE PÈRE.
Hic est Filins meus diledus,
lit quo miclti bene complacui.
Cestuy-cy, c'est mon Fils aîné Jésus,
Qui bien me plaisl, ma plaisance est eu
luy, etc.
(!cy se lieve Jésus de genoulx , et revesl ses habille-
nwns, et S. Jehan cl Gabriel luy aident, cependant
quêtes Anges parlent en Paradis.)
« Ce dialogue des anges roule sur les grâ-
ces que Dieu a faites aux hommes par le
moyen du sacrement de baptême, et se passe
entre Raphaël, Uriel, Chérubin et Séraphin.
(295) Celte loquence ou discours de Dieu ie Père
exprimé par un trio dans le» (ormes , n'est pas sans
art de tu pari de l'auteur.
DES .MYSTERES. PAS 710
Après quoi « chante ung Silete en Para-
« dis (296). »
(lcy va Jésus au désert , cl IWnge se départ d'avec luy,
et retourne vers Notre-Dame.)
VI. Enfer.
(lcy sont Salhan et Berith au désert.)
« Ces deux démons s'entretiennent de
quelle façon ils pourront tenter Jésus ; Satan
dit à son compagnon :
SATHAN.
J'ay veu au désert entrer
Ne sçay quel homme que je crains,
Plus que tous les autres humains
Devant lequel de peur je tremble :
Nous ne pouvons durer ensemble,
Jamais je n'en vis de semblable,
Et croy qu'en Enfer n'y a Diable
Qui en sçeul venir au dessus
« Ainsi, se voyant sans moyen de venir
à bout de leur dessein, ils prennent la ré-
solution de retourner aux enfers prendre
conseil de Lucifer, leur maître. Berith y
consent, en disant :
BERITH.
Le Dyable nous veueille conduire,
Sans avoir meilleur saufeonduil.
« Lucifer est fort étonné de les voir de
retour si promptement, et Astaroth, toujours
prêt à faire du mal, offre charitablement son
ministère.
ASTAROTH.
Si vous voulés qu'ils soient torchés
Vecy les insirumens touts presls.
;< Mais Lucifer lui dit qu'il faut les écou-
ter auparavant. Satan, en arrivant, fait pa-
raître son désespoir, et le cœur gonflé de
rage, il dit avec peine ces quatre vers .
SATHAN.
Lucifer, je crevé de rage,
Des fortunes qui nous surviennent,
El si les Dyables ne me tiennent,
J'enragerai de desplaisauce.
LUCIFER.
Salhan, tiens un peu contenance,
Et compte les faicts par manière.
BELZEBUT.
Fay, fay hardiment bonne chère,
Car nous sommes plus d'un millier
De Dyables, pour bien l'estrilliér,
Si n'y a rapine, ou conquesle.
r Cerbérus, de son côté, fait
dents; mais Lucifer les apaise et dit :
Dyables, ung pelit silete, elc.
« Ensuite il interroge Satan, qui lui avoue
qu'il n'a pu tenter Jésus.
SATHAN.
Je l'ai de long-temps butiné
(290) C'est-à-dire que pendant un grand silence
que gardaient les acteurs, on entendait un couccil
d'instruments;
rage
des
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTEliES.
PAS
712
Il est si devol on prière
Que ung jour ne doudte qu'il soil Ange
Il semble, à son parler Prophète
Kn son contempler Séraphin
Et en charité Chérubin, eic.
Lucifer entre dans une fureur terrible,
et lui dit avec colère:
Comment ny as lu scen trouver
Quelque maie subtilité?
BEI.ZEBUT.
Voiilés-vons qu'il soil deserolé
Par manière de passe-temps?
ASTAROTH.
Deux ou Iroys infernaux lormens
Ni seront pas ir p mal assis.
LUCIFER.
Va hanlimeni jusques à six
Ou te. il, ou lieux cens loul content.
BELZF.BUT.
El son compaigimn ?
LUCIFER.
Tout autant.
Esluffes les en ce brasier.
Ung laiilei, pour inieulx les aysier.
Brilles ces Dyables pleins d'envye.
BERITil.
Ha! Salhan, vecy dure vie,
Puisqu'il convient eslre housses.
[hij les bastent en Enfer, et on les étouffe dans un
brasier [i91].)
SATUAN.
Haro Lucifer!
LUCIFER.
C'est assés,
Je leur pardonne la fortune.
as ta uo TU.
Passes, Rihamlaillcs, passés.
SATHAN.
Haro Lucifer !
LUCIFER.
C'est assés,
Dyables inauldils, cessés, cessés.
CEUBEBUS.
Encore auronl-ils celle prune.
SATUAN.
Haro Lucifer !
LUCIFER.
C'esl assés.
Je leur pardonne la fortune.
ASTAROTU.
Je pense qu'ils en ont pour une,
Ils sont sonnés à grosse cloche.
LUCIFER.
Comment le va Salhan?
SATUAN.
Je cloche,
Descendre ne puis, ne mouler;
Pourquoy me fais-tu lornionter T
Mauldii esperit abhominable.
(297) Ce jeu de théâtre ne se passait pas anx yeux
ces spectateur-. Satan et son compagnon entraient
dans l'enfer parla gueule du dragon qui en fermait
Iti porte, et là, on les entendait crier et demander
Je fais mon devoir de lempler :
Pourquoy me fais-lu lornieuier?
Où est cil qui se peul vanter
Des Dyables. tant soit cxénable,
Qui devÂiil loy, et en la lable
Kaee plus d'aines présenler.
Pourquoy me fais lu lorn emer,
Maiiliiil esperil abhominable?
« Tu sais, ïijoule-t-il, en sa Ircssant à Ln-
« cifer, que je ne puis rien sur lui; et que
« si nous n'y pourvoyons, il détruira notre
« enfer; c'est pourquoi il faut songera en-
« vo,)er quelqu'un pour le tenter.
Car quant à moy, je ne scauroye
Préseni y aller : cai je suis
Si lormenié que je ne puis
Aller ou venir plus avaul ,
Plus n'en serai le poursuivant,
Les gaiges y sont mal coin toys.
BELZEBLTII.
Si feras encore une foys,
Si le graul Dyahlo le commande.
LUCIFER.
Salhan répond à ma demamlc ;
Où lient ce Jésus sou menaige?
SATUAN.
Lucifer, hé uuel nyable scay-je?
H esi en ung désert logé,
Où il n'a m: lieu, ne mangé
Depuis l'eure qu'il y entra.
LUCIFER.
Il fault le lempler qui pourra,
Pr iroys ou quatre façons,
A (lin au moins, que nous saichons.
S'il est Dieu, homme, ou autre chose.
SATUAN.
Tosl y courrusse, mais je n'ose.
De peur que l'on ne nie lorchonne.
LUCIFER.
Si lu l'aulx je le le pardonne,
Pourveu que lu l'y eniploiras.
SATUAN.
Cà donc, le congé?
LUCIFER.
Tu l'auras.
Or va, que pour loy conformer
Tous ceulx dcJ'Airel de la Mer,
Te rainicnnent à sauve garde,
Pluslosl que pierre de bombarde. >
VII. De Pilate.
« Pilate, richement Iiabillé, arrive accom-
pagné de Barraquin et do quatre gai des, qui
sont Brayart, Drillart, Griffon et Claque-
dent. Pour ne point faire languir le specta-
teur, il rend compte, en entrant, du sujet
qui l'amène en Judée, et en quelle qualité.
riLATE.
Los el honneur, obéissance cl gloire,
Seigneurieuse iriumphante victoire,
Soil à lousiours à l'Empereur Romain,
Qui m'a commis en louice territoire
Prévost ci Juge de loul crime noioyrc,
San Lieutenant Criminel souverain.
grâce, pendant que leurs camarades disaient el fai-
saient semblant d'exécuter ce que Ton voit dans ce
mystère.
7Î5
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
m
« IP rappelle ensuite l'état présent de la
Judée, des princes qui y commandent et du
caractère des peuples qu'il se prépare fort
à tenir « soubz la verge ferrée, » ne voulant
pas, ajoute-t-il, imiter la mollesse et l'ava-
rice sordide de Valère.
Qui en l'Office fut mon prédécesseur,
Fit l'Evesché de Judée mettre à pris,
Au plus offrant dernier enchérisseur,
Oui plus en donne, il jouit de l'onneur.
« Enfin, poursuit-il, pour m'acquitter du
« devoir de ma charge, et en même temps
« faire respecter l'empereur Tibère, je veux
« faire publier deux ordonnances :
Et pour ce, je rne délibère,
Pour magnifier celle pompe,
Faire crier à son de trompe
Qu'on apporte de l'argent ; car
Grans liibulz sont deubz à César. »
« Voilà le premier article et le plus es-
sentiel. Le second est qu'un chacun soit tenu
de venir saluer Yymage de l'empereur. Bar-
raquin, qui paraît là comme son capitaine
des gardes et son confident, lui conseille de
persévérer dans ces nobles sentiments et de
se montrer homme. Pilale le charge du soin
de faire crier cette ordonnance, et Barra-
quin appelle ses quatre satellites, ou plutôt
ses quatre bourreaux (comme ils l'avouent
eux-mêmes, se vantant de n'aller jamais
sans cordes ni couteaux), qui sont ensemble
à causer, et leur dit :
Compagnons, c'est assez bave
Allons à cop faire ung explel (298).
« Ces tyrans accourent au plus vite, mais
ils sont bien surpris en apprenant qu'il ne
s'agit que de crier une ordonnance.
Le Dyable vous puisse deffaire,
Nous faut-il faire si grant feste
Pour ung cri?
dit Griffon fort en colère.
Y aller
Nous ne daignerions
réplique Brayart d'un air dédaigneux. .lin-
fin, pour couper court, il ne se trouve que
Claquedent, qui veut bien se prêter à cette
fonction, assurant que
Gens de bien en sa compaignie
Ne seront jamais tricotez.
« nncore, semble-t-il s'en repentir, car
après que le trompette a crié trois fois :
« Or escoutez, » etc. et que Barraquin a fait
la lecture de l'ordonnance de Pilate, Claque-
dent ne peut s'empêcher de dire
De cent mille têtes buées
On ne gaigneroit une maille;
Si j'eusse eu quelque paillardaille,
A décapiter ou à pendre,
Il y eust eu au moins à prendre
Quelque endose, pour les dépens.
(208) Expédition.
Dictionn des Mystères.
VIII- Le Conseil des Juifz.
(Icy tiendront les Cytoyens leur Conseil, et y présidtra
Nicodesme.)
« Ce conseil, où paraît aussi Jairus, chei
de la Synagogue, se tient au sujet de l'or-
donnance de Pilate, dont nous venons de
parler au mystère précédent, et surtout lou-
chant le second chef, en ce qui regarde les
honneurs que l'on doit rendre à la statue de
l'empereur. Les Juifs crient fort contre cet
ordre tyranniquR, et se résolvent à l'éluder
de tout leur pouvoir. »
IX. De Judas.
« udas paraît avec le fils du roi de « Sca-
« rioth. » Comme ce prince ne sait que faire,
Judas lui propose une partie d'échecs. Sa
proposition est acceptée et ils se mettent à
jouer. Le fils du roi avance un de ses échecs ;
Judas lui en oppose un des siens. Le fils du
roi lui dit : « 11 est perdu. — Non pas, ré-
« pond Judas. — Si fait, » dit ce prince.
Si en mentirez vous, Judas;
Jeje gaigneray devant tous.
JUDAS.
Et pourquoy me desmentez-vous?
Qui vous moult? Il me desplaist trop;
Corps bien, je vous donneray tel cop,
Qu'il y pareslra à jamais.
LE F1LZ.
Se me loucbe, je vous promais,
Que oneques ne feistes tel folie.
JUDAS
Tous noz puissans Dieux je regnie,
Se mettez la main dessus moy,
Nonobstant qu'estez filz du roy,
Par moy vous serez affollé.
LE F1LZ.
Paix, coquin, maraull avollé (299),
On ne sçail dont tu es venu ;
Tu es un incongnu,
En faiclz, en dilz oullrecuidé.
JUDAS
Se. devoye eslre lapidé,
Ou gecté en eaùe en ung sac;
Si aurez vous en estomac
Cecy planté pour reverdir ;
Nul ne me sçauroit refroidir
Que n'ayez le coup de la Mort.
(Icy le tue.
« Deux bourgeois de la ville de Scarioth
arrivent, et voyant le fils de leur roi mort,
ils en témoignent leurs regrets, et font des
réflexions sur le chagrin que le roi aura»
lorsqu'il aura appris celte fâcheuse nou-
velle. »
(Icy est Judas tout effrayé, et tient ung glaive tout
nud senglant comme se il venoist de faire meur-
tre.)
X. De Judas et de Pilate.
« Judas sachant bien qu'après avoir com-
mis un tel crime, il va être poursuivi, prend
le parti d'abandonner le pays et de chercher
*brtune ailleurs.
(299) Ecervelé.
23
713 PAS DICTIONNAIRE DES MYSTERES. PAS 7<*
(Icy s'en va Judas pourmener de loing devant le siège Venant de la bouche divfjie.
de Pilale.) Donc, si le pain matériel
« Pilale paraît avec sa suite; il demanae feDiSa lî'lre d-j!E!U
à ses tyrans ce que disent les Juifs de son Qni est V(,oinej el slIff,sanl
ordonnance, et s'ils y sont rebelles. «Ah! A parfaire le résidu.
« Seigneur, lui répond Griffon, les Juifs sathan
« sont trop sages, et les gens riches n'osent Cesl 80lilemeill répondll)
« se soulever ; il n y a rien à gagner pour El me aperçoy bien que tu scés
« nous. » Des cavillations assés.
bravart. « Après ce dialogue, Satan « se retire ung
Le plus habille « peu loing de Jésus, et ostant son habit
D'entre nous n'en a pas pendu « d'Armite » il dit :
Troys pour ung jour.
Haut Lucifer! que doy-je faire?
« Cela est très-fâcheux, seigneur, comme Legrant Dyable y puisse avoir part,
« vous le voyez, dit Claquedent, et si vous Et a Jésus, et à son art,
« n'avez la bonté d'y remédier, notre métier Tant il scet d'Hebrieu et Latin.
« va devenir à rien. «Cependant Pilate, aper- . A,ors Sat se sem t f lifié dps
cevant Judas de loin, commande à Barra- cours infernaux revient tenter Jésus d'une
quin de le lui amener. autre façon>
11 semble homme sage et sçavant, {Icy pmiJ Sathan ung habi, de Docteurj et puh re_
ajOUte-t-il. tourne lempler Jésus.)
(Icy vient Barraquin parler à Judas.) « 11 dit à Jésus qu'un si grand docteur
_ . ■•' . . . „., , . „„ que lui ne doit point laisser ses talents dans
« Barraquin amène Judas à Pi.ate, et ce roub|j et ,{f fau[ ,,, èche et
dernier lui dit qu il veut lui parler en par- ,ui donner*une [Aac^ commode et élevée,
ticulier. afjn (je pouvoir être entendu d'un plus grand
(Icy salue Judas, le Prévost Pilate.) nombre, il s'offre à porter Jésus sur le soni-
_..' . . , , . .. ., . met du temple.
« Pilate lui demande son nom et qui il est ; *
Judas, après le lui avoir dit, ajoute qu'il est (Ici se met Jésus sur les épaules de Sathan, et p«*
de l'île de Sc'arioth, où il était employé au un9 soudain contrepoys sont guindez tous deux à
service du roi. Pilate lui propose d'entrer mont sur te hauh du pinacle.)
au sien; Judas accepte la proposition, et ce « Lorsque Satan voit Jésus sur le haut du
prévôt, pour voir ce qu'il sait faire, le temple, il lui propose de se jeter en bas, et
charge de l'intendance de sa maison. » que les anges viendraient le recevoir, selon
vt T . . ■ . r, . „ qu'il est porté en l'Ecriture sainte. Jésus lui
XI. La lemptacion de Jésus. ?épond ^ egl flUSsi 6gp.| . Vous ne tmte_
(Icy commence les Temptacions de Jésus au désert, rez point le Seigneur votre Dieu. Satan est
et se liève de Oraison, et dit :) au désespoir de se voir encore confondu.
JÉSUS. SATHAN.
Quarante jours ay jeune plains, C'est bonne évasion trouvée,
Dont aucunement me complains, Et voy bien qu'en ton cueur empraincte
Car la faim me commence à prendre. Est toute l'Escripture saincle
Et la congnois de pas en pas :
« Dans l'instant « vient Sathan en habit Mais ainsi n'eschapperas pas,
« d'Armite, vers Jésus pour le tempter. » Tu auras encore ung assault.
sathan. (Icy descend secrètement Jésus et Sathan, et se trou-
Tu ne es ne larron ne murtrier. vent tous deux à bas assez loing l'un de l'autre, et
se met Sathan en habit de Roy.)
« " ' •'< \ ,\ p.",,» V«J-.;„*„ « Satan, voulant encore employer un der-
aSK: £2SP "1er effort pour .Ucher do M Jésus, le
Veu que tu n'as rien offencé vient trouver habillé magnifiquement, et,
Vers Dieu, etc après l'avoir mené sur une haute montagne,
,. , ' . . ., u...,j il lui promet que, s'il veut l'adorer, il le
« Le diable emploie ensuite ses subtilités rendra ,e ,us riche> le ,us vaiilant et )e
pour l'engager à ne plus jeûner, et lui de- lus puissant prince de toute ]a terre . . Jo
mande s'il n'y a pas dans le désert de quoi J possède tout, » ajoute-t-il ;
prendre « viande corporelle. » Et qu en tout '
jas s'il est vrai qu'il soit le Fils de Dieu, Mais afin de mieulx désigner
^u'il prenne des pierres et les change en Le bien que donner jeté veuil
paiû, Je le le veu'l monstrer à l'ueil :
Premier, voy en sommacion
Jésus. La terre de Promission,
I/Omme ne vit pas seulement Qui est Terre où tout bien abonde;
De pain que nature luy livre, Vecy tout le milieu du monde,
Mais aucunes foys peut-il vivre, Deçà est la Terre d'Europe,
En la saincle parolle et digne, Delà la Tcrce de Ethiope,
717
PAS
MCTION'NAIP.E DES MYSTERES.
PAS
ris
TousRoyaulmes de noble arroy,
Desquels je suis Seigneur et Roy.
Romme tiens, Grèce à inoy s'appliqua,
Arabe, Tliarse, Asye, Afrique,
Egiple, Calde, Babilonne,
Tout est à moy, et tout te donne,
Mais que devant moy lu te enclines,
Et m'adores, et me domines,
Comme tu scés que je le puis,
Et que ton Maistre, et Seigneur suis,
Jamais faulle de rien n'auias,
Se ainsy se fais.
JÉSUS.
Va Sathanas.
« Jésus ne pouvant plus supporter les in-
solents discours de Satan, lui ordonne de se
retirer.
{Icy t'en fuit Sathan comme tout enragé, et] demeure
Jésus tout seul sur la montaigne, jusqu'à la venue
des Anges.)
SATHAN.
Haro, haro, haro, j'enrage ;
Soubz Ciel, ne sur ierre ne tiens,
Je suis vaincu, je ne puis rien :
En mon faicl n'ay point de recours
Je m'en'voys en Enfer le cours
Plonger au fond de la chaudière.
« Dieu le Père commande aux anges d'al-
ler honorer Jésus et de le servir.
(Icy descendent les Anges de Paradis, et apportent
une couppe couverte, et du pain couvert d'une fine
serviette à Jésus, dont il pourra boire et men-
ger.)
« Lucifer, qui voit revenir Satan en dili-
gence, lui en demande le. sujet, et ce démon
lui raconte le mauvais succès de ses tenta-
tions.
(Icy arryvent les Anges devers Jésus, et se enclinent
devant luy en te adorant, et le ministrant.)
« Saint Michel, Raphaël et Uriel chantent
les louanges d'un Dieu si bon, qui veut
bien souffrir la mort pour le salut des
hommes. »
(Icy se retournent les Anges en chantant ; Jésus des-
cend de la montaigne.)
XII. De Jésus et de Nostre-Dame.
« Gabriel, qui est resté sur le théâtre, fait
un petit compliment à Notre-Dame, et cette
dernière fait une complainte sur les maux
que Jésus doit souffrir. »
(Icy arrive Jésus devers Nostre-Dame, et s'encline en
la saluant, et Nostre-Dame se jette à ses piedz, puis
se liève.)
NOSTRE-DAME.
Long-temps ay esté en absence
De vous; mais de vostre présence
J'ay le cueur hors de tout soucy.
JÉSUS.
Il me fault gouverner ainsy
Que Dieu mon Père le me ordonne,
Et que tout mon faict se consomme,
Ad ce que l'Escripture chante.
XIII. De Sainct Jehan et de Hérode.
« Saint Jean et ses nouveaux disciples
paraissent; Abias, l'un d'eux, le vient aver-
tir qu'Hérode ne se gouvernait pas bien.
« Pourquoi cela? lui demande saint Jean. —
« Parce qu'il tient en concubinage la femme
« de sou frère, répond Sophonias. — C'est
« laide chose et infâme, ajoute Manassès. —
« Vous avez raison, reprend saint Jean, et
« je vous sais bon gré de cet avis. »
Je luy voys remonslrer l'ouenee,
Avant que autre chose je face.
(Icy s'en va Sainct Jehan seul devers Ilérod«.)
« Saint Jean arrive chez Hérode : en l'a-
bordant, il commence par lui faire des re-
proches sanglants sur la façon dont il re-
lient chez lui Hérodias, femme de son frère
Philippe.
SAINCT JEHAN.
Tu voys bien les oyseaulx petils,
Qui en soy ont cueur si genliiz
Que chacun se tient à son per,
Sans l'autre fiauuer, ne tromper, etc.
« Hérode est fâché de cette sincérité; ce-
pendant comme il a dans Je fond de son
cœur du respect pour ce prophète, il le prie
de se taire, et veut bien excuser ses dis-
cours.
HÉRODE.
Me venir dire des injures,
Et reprendre publiquement,
Sans sçavoir entendre comment,
Il m'en desplaist trop en mon cueur;
Et pour ce, Jehan, sur vostre honneur,
Taisez-vous de ce que vous dictes :
Je sçay bien que entre vous hermites,
Entre vous poures ydyolz,
Ne prenez pas garde à vos molz,
Ne devant qui vous les couchez.
Mais quand est d'entre nous Seigneurs,
Qui avons nos plaisirs apprins,
Il nous faicl mal d'être reprins,
Et qu'on congnoisse nostre offence :
Et pour ce, prenez pénitence
Au commun et au populaire, elc.
« Comme saint Jean veut continuer ses
remontrances, Hérodias, qui est présente,
s'emporte fort contre lui.
hérodias, à Hérode.
Son cueur est de mal si garny,
Qu'il fait lousiours de pis en pis;
Assez esbahir ne me puis
De telz vieulx bigolz redoublez,
Comment ainsy les escoulez,
Veu qu'ils sont si irez-mal courloys.
Il a tant jeune par ces boys
Qu'il n'a pas demy de cervelle.
SAINCT JEHAN.
Ha! perverse femme cruelle!
Faulce serpente venimeuse!
Ta volonté libidineuse-
Machina la faulce entreprinse,
Quant ravie tu fus et prinse
D'avecques ton loyal espoux ;
Tu as bien monstre devant tou.
Que lue ne crains Dieu ne le monde.
Tu es lanl ville, tant immonde,
Que la fin en sera maulvaise;
El ay granl peur que la fournaise
DT.nfcr en face le départ.
719
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
720
rérodias, à Uéroéte.
Ha dèa ! ce mescbanl papelart,
Nous rompra cy meshuy la teste :
Monseigneur, nous estes bien besle
De tant ouyr, etc.
« Hérode, pour satisfaireHérodias, ordonne
i Grongnart d'arrêter saint Jean et de le con-
duire en prison. Grongnard obéit. »
Icy demeure Sainct Jehan en la Chartre >usaues à la
décolacion.)
.cy se retirent tes trois Juifz devers Archilriclin, et
commence icy la mort du père de Judas.)
XIV. De Iiuben et de sa femme.
« Ruben et Cyborée sa femme, père et
mère de Judas, se plaignent que, quoiqu'ils
aient des biens abondamment, cependant ils
sont prêts à mourir sans héritier; qu'à la
vérité Dieu leur a autrefois donné un fils,
mais que leur misère les a pour lors obligés
à jeter cet enfant dans la mer, et que depuis
ce jour fatal ils ne savent ce qu'il est de-
venu. Pour soulager un peu leur chagrin,
ils vont se promener dans leur jardin.
[Icy se départent d'ensemble, et va Iiuben en ung Jar-
din, où il y a un pommier fort chargé de belles pont'
mes.)
« Pilate arrive avec sa suite, en se prome-
nant. Jetant par hasard la vue sur ce pom-
mier, il en trouve les fruits si beaux, qu'il
ordonne à Judas d'en aller chercher, et de les
payer ce qu'on lui demandera.
(Icy s'en va Pilate, et Judas demeure pour cuillir des
pommes, et pour rompre l'arbre.)
(Icy abat Judas deux ou trois branches de l'Arbre.)
« Ruben, s'apercevant que Judas rompt
l'arbre, court pour l'en empêcher.
(Icy vient Ruben parler à Judas.)
« Prenez du fruit tant qu'il vous plaira,
« mais ne rompez point l'arbre, lui dit Ru-
« ben. — Il me plaît de le faire, répond Ju-
« das. » Ruben, fâché qu'on le vienne insul-
ter chez lui, lui réplique avec chaleur; ils
en viennent aux injures et ensuite aux
coups.
(Icy s' entrebattent, et enfin Judas frappe un si grant
coud sur la tête de Ruben, qu'il l'abat à terre.)
« Cyborée arrive, et trouvant son mari
assassiné, elle court en demander justice.
(Icy vient devers Pilate en criant, et dit :)
CVBORÉE.
0 Juge, Juge, Juge, Juge,
Je requiers vengeance, vengeance, etc.
« Pilate l'écoute; mais comme il aime Ju-
das, pour assoupir cette affaire, il propose
à Cyborée d'épouser son intendant. Il ap-
pelle ce dernier, et l'ayant tiré à quartier, il
lui dit: «Tu vois, Judas, que tu es sans
« bien, et que voici une veuve assez bien
« faite et à son aise; tu ne saurais mieux
a faire, mon enfant, que de l'épouser; tu
« termineras par là toutes contestations avec
(300) Calme.
« elle. » Judas accepte la condition, mais
Cyborée la refuse constamment, et proteste
qu'elle ne veut point épouser le meurtrier
de son époux. Barraquin leur dit d'aller se
consulter ensemble là-dessus.
(Icy prent Judas Cyborée'par dessoulz .e bras, et se
tirent à part ensemble.)
JUDAS.
Ça, mamye, allons y penser,
El vous vneillez réconforter;
Car je suis pour vous avancer,
Et pour voslre bien augmenter.
CYBORÉE.
Le dicles-vous pour me templer?
Ou pour sortir la chose effet?
« Je vous parle très-sérieusement, » ré-
pond Judas. Somme toute, cette veuve, qui
a paru si rétive lorsqu'elle a cru que la
chose était pour la tromper, y consent bien
vite quand elle voit qu'on lui parle tout de
bon; et ils sortent tous deux oour se ma-
rier ensemble. »
(Icy s'en vont Judas et sa Mère ensemble.)
XV. VEvocacion des Apostres, ou quelque-
fois rinvocacion.
(Icy commence l'Evocacion des Apostres.)
« Saint Pierre et saint André paraissent
occupés de leur pêche, qui ce jour-là n'est
guère abondante.
SAINCT PIERRE.
Si le vent tourne de Nordeth,
Ou de Seliu, frère, nous aurons
Du poisson plus que ne seau rions
Despendre pour nostre famille.
SAINCT ANDRÉ.
Semble la Mer assez tranquille,
Et le vent calle; fait-il corme (300)
Assea sur l'eauë?
SAINCT PIERRE.
Je vous afforme (501)
Qu'il fait oeau voguer sur la rive.
JÉSUS,
Enfants, que besongnez-vous là?
Quelles sont vos intencions?
SAINCT PIERRE.
Sire, mon frère et moy peschons.
JÉSOS.
Laissez cesopéracions :
Suivez-moy, soyez diligens,
Je vous feray pescheursde gens.
En lieu de pescher des poissons :
Je feray qu on orra vos sons,
Et vostre doctrine parfonde,
Par toutes les parties du Monde,
Pour le saluet des Créatures:
(Icy laissent Sainct Pierre et Sainct André leur nari
et leurs retht, et suivent Jésus en habit de Pescheun
jusques à la seconde Journée qu'ilz viennent en ha-
bit d'Apostre.)
« Pendant que Zébédée et ses fils, sain)
Jacques dit Major, et saint Jean l'Evangé-
liste, ne songent qu'à leur pêche, Jésus, ac-
(301) Assure.
721
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
722
compagne de saint Pierre et de saint André,
cppelle ces deux derniers, et leur dit :
Amis, ne vous occupez plus
A ce mestier que vous sçavez ;
Délaissez lout et me suyyez.
Je vous désire avoir ensemble.
« Saint Jacques et saint Jean quittent
aussitôt leur père, pour obéir aux ordres
de Jésus.
(Icy suivent S. Jehan et S. Jacques Nostre-Seigneur,
en habit de pescheurs.)
« Chemin faisant, Jésus trouve saint Phi-
lippe, à qui il dit :
Amy, vouldroys lu point venir
A moy, et estre de ma sorte ?
SAINCT PHILIPPE.
Sire, à vostre vueil m'en rapporte, etc.
(Icy suit Philippe Nostre-Seigneur, à tout en habit de
pescheur, comme les autres.)
« Ensuite Jésus aperçoit saintBarthélemy,
« habillé en filz de Roy; » il lui dit : « Bar-
« thélemy, quittez les vanités du monde et
« me suivez. »
Sire, vostre suis sans contraincte,
répond Barthélémy.
(Icy suit Saincl Barthélémy Nostre-Seigneur en habit
de prince.)
« Toujours en poursuivant son chemin,
Notre-Seigneur fait rencontre de saint Tho-
mas, charpentier, à qui il dit :
JÉSUS.
Thomas, homme d'activité,
Laisse tout, et fais ton devoii
De me suivre, pour grâce avoir,
Comme ces autres hom mes cy.
SAINCT THOMAS.
Humblement vous remercie,
El à vous servir me conclus.
(Icy suit Sainct Thomas Nostre-Seigneur en son nabit
de Charpentier, fors qiCil laisse tous ses oulilz.)
« Après cela, Jésus, voyant passer saint
Simon et saint Jude, son frère, les appelle,
et leur ordonne de le suivre. Ces deux frè-
res lui rendent grâces de l'honneur qu'il leur
fait.
SAINCT SïMON.
C'est lout noslre intention,
D'eslre avecques vous habilans,
Symon suis nommé de long- temps,
Homme simple, ignorant el rude.
El vecy mon bon frère Jude
Zélotès, etc. (302).
(Icy cheminent les Aposlres en leurs habis mécamaues
après Jésus.)
« Ensuite paraît saint Matthieu assis de-
vant une table, où il y a force sacs d'argent.
Il fait quelques réflexions sur sa profession,
et après avoir bien rêvé, il trouve qu'il a
embrassé un métier qui le conduit à la dam-
nation éternelle. Comme il est dans cette
pensée, Jésus tourne ses pas de son. côté, et
lui dit :
Mathieu, laisses tout, et t'en viens
Aprez moy, tu feras que saige.
sainct Mathieu,
Mon cher Seigneur, aussy feray-je.
« Il prie le Seigneur de lui accorder le
pardon de ses péchés, et Jésus le lui promet.
Saint Matthieu lui demande une seconde
grâce, qui est de vouloir bien venir manger
chez lui avec ses autres apôtres : Jésus y
consent. Pendant ce temps-là saint Jacques
Alphé, dit Minor, vient trouver Jésus, et
suivant la résolution qu'il a prise, le prie de
l'admettre au nombre de ses apôtres : Jésus
le reçoit et lui dit de le suivre. »
(Icy suit Sainct Jacques Nostre-Seigneur, veslu et
abillé près ou environ comme Nostre-Seigneur, et
après commence la séparacion de Judas el de sa
mère.)
XVI. De Judas et de sa Mère.
« Ce mystère serait mieux intitulé la Re-
connaissance de Judas, car, c'est en effet ce
dont il s'agit dans celui-ci. Cyborée se sent
inquiète de la tendresse qu'elle a pour Ju-
das. Pour tâcher de dissiper son trouble,
elle lui demande qui il est et son âge. Judas
lui dit qu'il a trente-cinq ans; mais qu'il
ignore à qui il doit le jour, et que tout ce
qu'il sait, c'est qu'on lui a dit qu'on l'avait
trouvé sur les bords de la mer. Il n'en faut
pas davantage pour jeter Cyborée dans une
consternation extrême: elle reconnaît alors
la triste confirmation de ses soupçons.
CYBORÉE.
0 que j'ay de rage en mon cueur!
0 Dieu tout-puissant, quel horreur!
Quelle terreur!
Quelle erreur!
Quel forfaict !
0 le très-haullain plasmateur,
Qui sera le réparateur
Du malheur,
Deshonneur
Que j'ay faict?
0 Dieu souverain tout parfaicl,
Je faict le faict et le defaict,
Par vil faict,
Et meffaict,
Douloreux :
0 venlre maternel infaict,
Très ort, très vil, très imparfaict.
Par le faict,
De ton faict
Malheureux?
Las Ciel a loy je me deulx :
Venge loy sur moy si lu peulx,
Des griefz d'eulx,
Vicieulx,
Que je porte.
Terre qui nous soustient tous deux,
Pour nos péchez libidineux,
En tes lieux
Ténébreux,
' Nous transporte.
(")02) L'Evangile saint Luc, chap. vi, y 15, donne Jacques, (ils d'Alphée. L'aulcur fait saint Simon et
oe surnom de Zélotès à saint Simon, et au verset saint Jude, frères, à cause que l'Eglise en célèbre li
suivant il nomme sainl Jndc comme frère de saint fête te même jour.
7»
PAS
« Judas, qui ne sait ce que tout cela veut
dire, lui demande le sujet de son affliction,
et C) borée l'instruit de tous ses crimes.
cyborée, en crtant et plorant.
Vous estes mon filz,
Vous estes mon filz naturel;
Et le vray ventre malcruel
Avez polu en mariage.
judas, en ayant.
Voslre fiiz? vostre filz? ho rage!
Rage de plaisir involu :
A'ostrc filz! hélas que feray-je?
A!-je eu ce vouloir dissolu?
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. PAS
XVIII. Murmures des Pharisiens.
7-24
« Dans cette affreuse situation, ils se sou-
viennent qu'il y a un prophète appelé Jésus,
qui accorde le pardon à tous les pécheurs;
et Cyborée conseille à son fils d'aller le
irouver, pour obtenir de lui le pardon des
siens. »
{Icy se étongne Judas d'avecqucs sa Mère, et cepen-
dant saincl Mathieu va inviter les Publicains.)
XVII. Le Convy de Sainct Mathieu.
« Saint Matthieu va inviter Rabanus, le
changeur, Emélius, oiseleur, et Celcidon,
marchand d'agneaux, de se trouver au festin
qu'il a fait préparer pour recevoir Jésus.
Ces trois Juifs lui promettent de s'y rendre.
{Icy s'en vont les troys marchons du temple en fOstel
de Saincl Mathieu ; et est à noter que Saincl Ma-
thieu est bien richement veslu, il fait vieil granl ap-
pareil de Vaisselle d'argent, de viandes et autres
choses.)
« Jésus et ses dix apôtres arrivent, on leur
présente des sièges ; mais avant de se mettre
a table, le Seigneur dit :
Benedicile
TOUS.
Dominus
JÉSUS.
Que sumbluri sumus
lienedical irinus et unus
TOUS.
Amen.
{Icy se assiet Jésus au milieu de la table et tous ses
Aposlres et marchans après.)
« Saint Matthieu n'oublie rien pour les
bien traiter: il leur sert des viandes, et les
invite à boire.
SAINCT MATHIEU.
Voire, mais vous ne dictes rien
Du vin?
SAINCT MATHIAS (305).
Il esl très-excellent :
C'est ung fort vin, et viollent,
Si doulx, qu'il se laisse avaller.
RABANUS.
C'est ung vin pour faire parler
Grec et Hébreu tout à la foys. »
(303) C'est une laute, car tout le monde sait que
saint Malhias ne fut appelé à l'apostolat que pour
succéder à Judas. Il parait même que c'est l'impri-
{Icy, durant le disner, murmurent les Scribes et Pha-
risiens contre Jésus.)
« Pendant le repas de saint Matthieu,
Joathan, Eliachin , Mardochée et Naazon
murmurent contre Jésus, de ce qu'il va man-
ger avec des publicains et des gens de la lie
du peuple. »
XIX. La Conversion de Judas.
« Cependant le repas de saint Matthieu
finit, et Jésus dit aux assistants de rendre
grâces.
{Icy se lieve Jésus et tous les autres de la table, et
puis dit :)
JÉSUS.
Rendons grâces à Dieu, mes amys.
D'humble vouloir bien disposé
Cantemus Domino gloriose, etc.
■{Icy dient grâces en silence.)
a Comme Jésus est prêt de se retirer avec
ses apôtres, Judas arrive et vient se jeter
d'abord à ses pieds; il lui déclare qu'il est
un misérable couvert de crimes, quia « vécu
« sans sçavoir pourquoi, tué le filz du Roy
« et de la Royne, » assassiné son propre
père, et épousé sa mère sans y penser; et
qu'enfin, ayant appris qu'il faisait miséri-
corde à tous les pécheurs, il vient la lui de-
mander humblement. Non-seulement Jésus
la lui accorde, mais après l'avoir agrégé au
nombre de ses apôtres, il l'établit gardien
de la bourse commune. Judas lui proteste
fort qu'il en usera bien et en assistera cha-
ritablement les pauvres. Alors Jésus, voyant
lo nombre de ses apôtres complet, prend
avec eux la route de Nazareth, pour y visiter
sa mère. »
{Icy s'en vont Jésus et ses douze Aposlres avec leurs
habis séculiers après Jésus : et après commence le
miracle, comme il mua l'eaué en vin, en la Chanane
de Galilée.)
XX. La mutacion de l'Eaue en Vin.
« Architriclin, maître d'hôtel, se donne
beaucoup de mouvement pour faire les pré-
paratifs d'une noce qui doit se faire à la
Chanane de Galilée, et pour envoyer inviter
les conviés. Il se repose de ce dernier soin
sur Abias, l'un des disciples de saint Jean.
Abias accepte cette commission avec plaisir;
Sophonias et Manassès, compagnons de ce
dernier et disciples de saint Jean, restent
pour préparer ce qu'il faut pour le festin.
(/cv vient Abyas inviter ISoslreDame aux Nopces.)
ABVAS.
Marie , pleine de sagesse,
Qui toute honnesteic tenez,
Je vous prie que vous venez
Aux nopces de Jehan Zébédée,
Pour introduire l'Espouséc,
En honneste et simple manière.
meur qui a mis saint Mathias au lieu d'un autre apô-
tre; et, ce qui le confirme, c'est que ce nom ne se
trouve que dans ce seul endroit.
ÏZ&
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
PAS
TiG
KOSTRK-DAME.
J'ay affection singulière
A Jehan mon nepveu...
« Abias prie aussi Jésus de se trouver à
cette noce, qui promet de s'y rendre le len-
demain. Mais à peine Jésus et Marie ont dit
quinze ou vingt vers,qu'Architriclin se pré-
pare pour recevoir les conviés. Abias est si
étonné de voir ces apprêts, qu'il s'écrie qu'il
n'en a jamais vu (Je si grands. Cependant
Jésus dit à Notre-Dame, qu'il est temps de
se rendre où ils ont promis de se trouver la
veille.
(Icy s'en vont Noslre-Dame, Jésus et ses douze apô-
tres aux Nopces.)
« Dès que les conviés se sont rassemblés,
Architriclin les exhorte à se placer prompte-
ment.
Voire, car les premiers assis
Sont tousiours servis les premiers.
dit Sophonias. Alors Jésus commence à dire
lienedicite, et tous les assistants répondent
Dominus, etc.
(Icy fait Jésus la bénédiction en tenant ung pain entre
ses mains, et le rompant par le milieu, et puis se
nssiet l'Espousée au meilleu, Noslre-Dame à costé,
Jésus à l'autre côté, et tous les Aposlres après. Et
Architriclin se assiet le derrenier au bout de la
Table. S. Jehan l'Evangélisle, vêtu d'une belle robe
blanche, et les trois autres serviteurs servent.)
« Après bien des compliments de part et
d'autre, les conviés s'excitent à boire.
Si vous avés peu à manger,
Si beuvés bien à l'avenant.
dit Abias;
Pour faire ces barbes nager
Faites ces* hanaps descharger.
répond Sophonias. Enfin ils boivent tant, que
le vin vient à manquer. Abias qui s'en aper-
çoit le premier (apparemment qu'il avait
plus soif que les autres) , le dit à son com-
pagnon, et celui-ci au troisième.
ABUS.
Il n'a a plus de Yinez potz,
Yecy irès-maulvaise nouvelle.
SOPHONIAS.
C'est assés pour prendre propos.
Si n'y a plus de Yin ez potz
Et on dira que sommes solz
Si le Maislre d'Hostel appelle.
U AMASSÉS.
Il n'y a point de Yin cz potz,
Vécy irès-maulvaise nouvelle.
« Que dites -vous?» dit Architriclin
élonné. « Qu'il n'y a plus de vin ez potz,
« répond Manassès. »
Vecy très-maulvaise nouvelle,
réplique le maître d'hôtel, qui ajoute en se
levant de table :
Je ne puis le cas bien entendre,
II y faut pourvoir.
Somme toute
d;t Sophonias,
On n'en sçauroit recouvrer goutte
Pour l'eure présente.
« Pendant ces contestations , Notre-Dame
qui s'aperçoit de ce manque de vin, le dit à
Jésus, qui ordonne de remplir d'eau des
Ydries de pierres.
Puisque le Vin des nopces fault,
II faut de l'Eaué comme vous dites,
dit bonnement Manassès.
Nous parfourniron
Plus d'Eauë que nous n'en beuron,
Jà ne pense moulier mes dens,
conlinue-t-il.
(Icy emplentde l'eau les Vaisseaux de terre, qui se-
ront de renc sur une selle haute.)
« A présent, » dit Manassès,
Ne plaignes pas nos peines,
Commandés, nous ne fauldron pas.
« Jésus fait le signe de la croix sur ces
vases, puis commande do porter de ce vin à
Architriclin.
SOPHONIAS.
Je suis seur quant il en beura
Qu'il n'aura du résidu cure,
Car ce n'est que eauë toute pure
Dont avons empliz les vaisseaux.
ABVAS.
Je croy que tels frianz museaux
Comme nous n'y feront pas presse.
« Manassès porte du vin de ces Ydries à
Architriclin, qui, le trouvant excellent, fait
venir l'épousé, qui est saint Jean, et lui re-
proche que contre la coutume ordinaire, il
avait fait servir le meilleur vin à la fin du
repas. Ce vin est trouvé si exquis, que ce
miracle jette un étonnement sans égal dans
l'esprit de toute l'assemblée; Sophonias ne
peut s'empêcher de le publier hautement,
et Abias entre autres en demeure tout ex-
tasié
ABVAS.
Si sçavoye faire ce qu'il fait,
Toute la mer de Galilée
Seroit en huyt en vin muée ;
Et jamais sur terre n'âuroit
Goutte d'Eauë, ne plouveroit
Rien du Ciel que tout ne fut vin.
« Le repas fini» ils se liëvent et dyrent
« grâces Cantemus, etc., puisse tire Jésus à
« part des autres, et prend saint Jehan par
« la main», et lui conseille de garder sa
virginité. Non-seulement saint Jean suit cet
avis, mais il s'offre à l'accompagner. Il est
bon de remarquer en passant que l'auteur
de ce mystère ayant déjà parlé de la voca-
tion de saint Jean, frère du grand saint Jac-
ques, et comme lui fils de Z'ébédée, en fait
deux personnes, l'un apôtre, l'autre évan-
géliste. Au reste, ce n'est pas la seule inep-
tie qui se trouve dans le cours de cet ou-
vrage , comme on l'a déjà vu, et qu'on le
verra dans la suite : des auteurs plus graves
et plus respectables que le nôtre scr.t d«
727 PAS DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
même que lui tombés dans des fautes aussi
PAS
728
grossières.
« Ensuite Jésus quitte Notre-Dame, pour
aller en Judée achever sa mission. »
(Icy demeure Nostre-Dame avec Gabriel, et Jésus et
ses Aposlres s'en vont en Jérusalem : et en allant
jait Jésus un fouet de cordes pour jecter les Mar-
chands hors du Temple.)
XXI. Des Marchans du Temple.
« Emelius, oiseleur , Celidon, marchand
d'agneaux et de chevreaux , et Rabanus,
changeur, paraissent dans le temple et s'en-
tretiennent sur la beauté du temps , et la
recette qu'ils espèrent faire ce jour-là.
(Icy vient Jésus à grande appresse chasser d'uHjf fouêi
les Marchans hors du Temple, et abbaltre et trébu-
cher la Table et la monnoye des Changeurs.
JÉSUS.
Dehors, dehors sans contredire,
Cessés de vosire œuvre vaine.
(Icy frappe dessus.)
RABANUS.
Jamais je ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanlé;
Ne jamais ne fui loùelté
Si trcs-vifpour une sepmaine.
ÉMÉL1US.
J'ay veu une suyeur soubdaine,
En sa face, et une clertc,
Qui m'a tellement hébété
Que j'en suis encor hors d'alaine;
Et jamais ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanté.
CELC1D0N.
Tous trois nous a mis en grand peine,
El a tous nos estaux jecté,
Mais dire pourquoy ça esté
Je n'en sçai la cause certaine
RABANUS.
Je n'ay sur moy membre ne veine
Qui n'en soit pire de santé.
celcidon.
Jamais ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanlé.
ÉMÉLIUS.
Jamais je ne fus fouetté
Si très-vif pour une sepmaine.
CELCIDON.
Vecy bien estrange fortune
Pour nous, et grande couardie,
Car nous avons tous de coustume
De vendre céans Marchandise,
Toutesfois à face hardie
C'est homme cy (ait ses efforts,
Et d'un grand fouet par maislrie
Nous a tous du temple mis hors.
RABANUS.
Je croy que jen suis enchanté ;
Je ne sçay d'où vient cet ouvrage ,
One ne lus si espovanlé
Que de voir Jésus au visage ,
Il a tum.be tout mon mesnage
Et m'a fait ma place quitter, .
Où j'ay bien grand perle el dor
El si n'en oze caqueter.
ÉMÉLIUS.
Nous ne devons point endurer
Les fais eJe Jésus, ne ses dis ;
*Iais (huit contre lui murmurer
Et eslre constans et hardis,
Car nous serions interdilz
De nous laisser vilipender
Et serons meschans et mauldits
Si ne Talions appréhender.
« Icy vont les Marchans à Jésus, » et lui
demandent raison de cette violence. Jésus
leur dit de détruire ce temple, et qu'il le
rétablira en trois jours. Eux qui n'entendent
rien à ce discours, qui est au-dessus d'eux,
prennent le parti de s'aller plaindre à la
justice. En s'en allant, Celidon dit :
Ce n'est que ung enchanteur parfait
A ce qu'il dit, el ung vanleur,
Qui nous cuide cy faire peur
Pour la puissance dont il ose. »
(Icy se départent les Marchans du Temple; et Jésus
demeure.)
XXII. De Jésus et de Nicodesme.
(Cy après commence te Mystère de Nycodesme, qui
vient à Jésus de nuyl.)
« mcoaeme, frappé des prédications de
Jésus, prend la résolution de l'aller trouver
la nuit. Jésus l'entretient sur la régénéra-
tion de l'homme par le moyen du baptême;
comme Nicodème n'est pas encore au fait de
ces discours pleins de mystères , il dit à
Jésus :
Je ne vous entens point.
« Alors Notre-Seigneur lui reproene qu'il
est honteux à un docteur de la Loi d'ignorer
ces choses : il les lui explique ensuite plus
au long, et plus ouvertement ; et Nicodème
sort, charmé de la beauté de cette doctrine.»
XXIII. La Mondanité du Lazare.
(Cy après commence ia mondanité du Lazare, qui sera
habillé bien richement en état de Chevalier, son
oiseau sur le poing : et Brunamont mainera ses
chiens après luy.)
« Après que Lazare a paru sur le théâtre
avec l'équipage ci-dessus , et tenu les dis-
cours d'un étourdi, il sort. »
(Icy pend sa trompe en son col, et son page maint ses
chiens, cl commence la résurrection de la fille d$
Jayrus.
XXIV. De Jayrus et de sa Fille,
« Jésus déclare à ses apôtres que le temps
est venu qu'il doit manifester sa puissance
à Génézareth et sur les bords de la mer. Pen-
dant qu'ils sont en chemin (ceci se passo
sur le théâtre), Jayrus, archisynagogue,
c'est-à-dire, chef d'une synagogue , et qui
possède de grands biens, implore le secours
du ciel, pour une fille unique qui fait toute
sa consolation et celle de sa mère, malade
à l'extrémité. Celius et Moab , deux Juifs,
qui selon les apparences sont de sa maison,
emploient toute leur éloquence pour le con
soler.
CÊLIUS.
Certes, sire, ce n'est pas feinte,
Toutesfois on en a veu mainte
Aussi malade, et encore vivre.
729
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
750
« Jayrus nonobstant ces raisons déses-
père de la santé de sa fille, ce qui lui fait
irendre la résolution d'aller trouver le pro-
)hète, pour le prier de la guérir. Il sort
iour cet effet. Ensuite paraît Thabite (c'est
e nom de la fille) couchée sur son lit, et se
plaignant beaucoup. Sur ces entrefaites,
Jayrus rencontre Jésus, àqui il fait sa prière,
et par ses instances l'engage à venir chez
lui. Pendant leur chemin , Thabite expire
sur son lit. Aussitôt Moab s'écrie :
Vecy bien piteuse demande :
Celius?je croy qu'elle est niorie?
Luy faull-il plus vin ne viande?
répond Celius, fort à propos , apercevant de
loin leur maître Jayrus; ils vont au-devant
de lui, et Moab lui apprend cette fâcheuse
nouvelle. Jayrus, qui avait devancé Jésus
de quelques pas, revient vers le Seigneur,
et implore samiséricorde. Jésus leur dit qu'il
leur suffit d'avoir delà foi, et que la fille
n'est qu'endormie. Les deux serviteurs de
l'archisynagogue n'en veulent rien croire.
Enfin « Jésus vient près du lit de la Fille, et
« n'y a avecques luy que Jayrus, S. Pierre,
« Jehan et Jacques, et tous les autres de-
« meurent assez loing : et Jésus dit à haulte
« voix :
Tabita cumy (30 i)
Entends ma parolle divine
Thabila fille très-bénigne,
Je veuil que mon vouloir acneves,
Je le commande que lu le lieves
Devant ceulx qui le voudront veoir.
« Icy se lieve la fille, et se met à genoulx »
et remercie Jésus. Jayrus et toute sa famille
lui en rendent grâces aussi : et Jésus, après
une courte exhortation , sort de ce logis,
chargé de mille bénédictions.
(Icy s'en vont Jésus et ses Aposlres.,
« Jésus leur dit qu'il ne veut plus de-
meurer en Judée, où le peuple a trop d'a-
version pour lui, mais qu'il va passer en
Galilée. »
(Icy cheminent Jésus et ses Aposlres.)
XXV. De la Samaritaine.
« Raab, Samaritaine, s'entretientavecdeux
Samaritains, Abacuth et Gédéon, de la diffé-
rence de leur religion avec celle des Juifs.
A la fin , Raab, ennuyée apparemment de
ces disputes où elle n'entend rien, quoique
cependant elle les ait entamées, dit:
RAAB.
Si la Loy de Dieu le raconte,
Entre nous simples ignorans,
Nous nous en rapportons aux grans
A débattre entr'eux de la Loy :
El entant que louctie pour moy.
Je suispoure Samaritaine,
Ignorant, ei trop peu certaine,
(304) Ces paroles ont été un écueil pour notre
ignorant auteur; el quoique le lexle de I évangile
de saint Marc (cbap. v, y il) d'où ce mystère est
lire, les explique ensuite par celles-ci : Petite
De la Loy, mes en ma simplcsse,
Moy poure femme peseberesse,
Yueil démon mesnage pencer;
Et affin de mieulx m'advancer
Aquerir ce qu'il me fauldra.
Aller au puis me conviendra,
Puiser de l'Eaue pour mon besoingj
El cesle belle buye au poing
Porleray, qui esl grande assés.
Kicy prend la Samaritaine ung pot el va à la fon-
taine.)
« Jésus, qui se sent fatigué du chemin,
vient se reposer auprès de la fontaine de
Jacob. Saint Matthieu et saint André tâchent
,1e l'en dissuader, en lui disant qu'ils sont
sur les terres des Samaritains, gens excom-
muniés. Jésus leur répond qu'il est venu
pour sauver tout le monde
(Icy s'assiet Jésus près du puis.)
« Les apôtres le quittent pour aller cher-
cher des vivres à la ville de Sychar, et lui
promellent de revenir au plus tôt.
(Ici s'en vont les Aposlres quérir des vivres, et la Sa-
maritaine arrive, qui tire de l'eaue au puis.)
« Après plusieurs discours , le Seigneur
dit ù cette femme d'aller chercher son mari.
RAAB.
Ha! Sire, je suis femme veufvc;
Présent de mary n'ay-je point.
JÉSLS.
Tu dis vérité sus ce point,
Cinq marys a eu d'ung tenant :
Mais cil que lu as maintenant,
Avecques lequel tu commet/.
Tes pécbez celez el secrelz,
N'est pas lient, dont lu les forfeieie.
« Raab, étonnée que Jésus connaisse l'in-
térieur de son cœur, se jette à ses pieds, et
lui demande le pardon de ses péchés.
(Icy arrivent les Aposlres, qui apportent du pain, el
se arrestenl de loing à regarder Jésus.)
« Les apôtres, en arrivant , sont fort sur-
pris de voir Jésus seul en conversation avec
une femme. Cependant Raab va trouver Gé-
déon et Abacuth, et leur parle de son aven-
ture. Ces deux Samaritains la suivent et vont
à Jésus, qui les instruit. »
XXVJ. Comment Je'sus envoya ses Aposlres
prescher
« Icy chemine Jésus et ses Aposlres et
« les Samaritains ung peu ensemble, et pois
« se arreslent. Et cependant parle Jayrus à
« sa fille Tabite » en s'entretenant du mi-
racle que leSeisneur vient d'opérer sur cette
fille.
(Icy déparlent Jésus cl ses Apostres d'avec les Sama~
rilains, et Jésus en cheminant se relorne aucunes
foijs vers les Apostres, en parlant à eux selon l'Evan-
gile escrtvte en sainct Matthieu, en son dixiesmt
Clinpitre, comme il envoyé ses Apostres par tes ci-
lés, prescher et yarir les malades.)
fille, levez-vous, notre poète, sans examiner tant
soit peu ce passage, el ne sacbani quel nom donner
à la fille, lui a in. posé celui-ci.
731 PAS ACTIONNAIRE DES MYSTERES
« A la fin, saint Pierre lui dit :
Maisire, bien avons entendu
Les enseignements que vous dictes,
El sans y mettre contredites
Nous sommes preslz iceulx parfaire
XXVII. La Conversion du Lazare.
(Ici chemine Jésus, el ses Apostres tous deux à deux
après lui. El est à noter que Jullye, Neptalin, et
Malbrun ensevelissent l'adolescent devant tout le
inonde, et puis le mettent en sercuel sur deux tré-
teaux; el cependant Lazare regarde de loing venir
Jésus, cl plusieurs Jnifz vers ladicte Jullye veufve.)
« Lazare, étonné de voir une si grande
foule, demande à Brunatnont ce que c'est.
Ce page lui apprend que c'est l'envie de
voir Jésus qui a assemblé tout ce peuple.
Cela fait venir à Lazare un tel désir de le
voir, qu'il proteste que quand il lui en de-
vrait coûter tous ses chiens et ses oiseaux
de proie, il veut se contenter. »
XXVIII. De la Veufve et de son Fils.
TAS
El prendrai souvent mon adresse
Vers son Chasleau de Béthanie
73*
(!cy se aproche Lazare devers la cité de Naïm, pour
veoir le miracle que Jésus fera, et commence le
viiracle, comme Jésus resuscita l'adolescent seul
fils de la Veufve, ainsi comme il est esctipl en l'E-
vangile S. Luc, en son sepliesme Chapitre, et y
êloil Lazare présent, parquot il se convertis! à Nos-
Ire-Seigneur, comme nous lisons en la Légende de
S. Lazare.)
« Ici paraît « Jullye veufve, mère de l'a-
« dolescent , qui après fust marchand du
« suaire de Jésus, » qui se désole de la mort
de son fils; Neptalin et Malbrun lâchent de
la consoler.
'lcy porte Neptalin et Malbrun l'Enfant mort estant
en uuq sarcuel, couvert d'un drap mortuaire, el la
mère les suyt comme fort desconfortée. Et est à no-
ter que la première foys que Jésus parle à elle , les
deux qui portent l'Enfant mort ne se attestent
point, jusque$ ad ce que Jésus commande qu'ilz ar-
resleni.)
« Jésus, prenant pitié de cette-veuve dé-
solée, fait arrêter le cercueil, et enfin or-
donne à l'enfant de se lever.
(Icy se liève l'Enfant de dans le sarcuel, enveloppé
d'un drap, et se met à genoulx devant Jésus.)
« Sa première action est de remercier son
bienfaiteur; il parle ensuite à sa mère, et
cette veuve, conjointement avec les deux
autres Juifs qui sont présents à sa résurrec-
tion, remercient Jésus du miracle qu'il vient
d'opérer.
« Suite de la conversion du Lazare. — La-
zare, sensiblement touché de ce miracle, se
jette à genoux aux pieds de Jésus , à qui il
demande pardon « de ses plaisirs mondains.»
Jésus le lui accorde, en lui disant:
JÉSUS.
Tu as, par foy, si bien cbassé,
Et si bonne venayson prise,
Que lu as en ton aine acquise
La grâce de Dieu aujouru liuy.
Désormais seras mon amy
El Marthe ta sœur mon liostesse,
« Sainte Marthe , qui ignore toutes ces
choses, déplore l'égarement de son frère et
de sa sœur.
MARTHE.
Je me travaille, et me débas
En fervente sollicitude,
Et à mesnager hault et bas
Songneusement melz mon estude;
La vie active est fort rude
Qui curieusement la niaine,
Mais Dieu en rend I éalilude
Lassus (305) en l'éternel domaine.
Ma seur Magdeleine
De fol désir plaine
En Liesse vaine,
S'esbal et pourmaine,
Chantant ses chansons.
Mon frère Lazare
Porte liaulte care (306),
Ses Chiens hue et hare,
Et souvent s'esgare
Parmy les buysons.
Ils n'ont soing en eulx
Fors d'eslre joyeulx,
En sont curieux
Desbas, et des jeux.
A leurs volontés
On les y souslient,
Rien ne les relient,
De Dieu ne souvient,
Fol désir les lient
En leurs volenlés.
« Brunamont de son côté veut empêcner
son maître de suivre le parti qu'il vient de
prendre; mais Lazare lui répond qu'il veut
absolument changer de vie. I! va trouver sa
sœur Marthe, à qui il apprend sa conversion,
et la bonté que Jésus a pour eux de lui pro-
mettre de les venir visiter. Marthe en rend
grâces à Dieu.
(Icyjecte Lazare son oyseau au vent, el oste sa trompe
de son col, el la jecle : et Brunamonl les reprend.)
«Ce page, surpris de la résolution subite de
son maître, prend celle d'aller offrir ses ser-
vices à Madeleine ; il fait réflexion que cette
condition est fort avantageuse, parce qu'elle
ne songe qu'à se réjouir parmi les danses et
la bonne chère, en son château de Magda-
lon. »
(Icy s'en va Brunamonl rendre [visite] à la Magde-
laine.)
XXIX. La Décolacion de S. Jehan.
« Hérode, qui se prépare à célébrer avec
solennité le jour de sa naissance, fait publier
par Grongnart que le lendemain il va tenir
ses grands jours, et qu'il y invite tous les
seigneurs de sa cour qui voudront s'y trou-
ver. Grongnart, après avoir obéi à cet ordre,
paraît être content de lui-même , ce qu'H
témoigne assez par ces paroles :
Pour parler pareil à pareil,
Il n'esl pas homme plus propice.
Que moy, pour bien faire ang office
Haulte ou basse quand je m'y rolle.
El aller quérir mon salaire.
(305) L i haut.
(300) Habillement, trais, équipa fie.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
vient trouver Hérode ,
de se défaire de saint
h qui
Je;!i),
733 TAS
« Hérodias
elle conseille
qui ne cesse, ajoute-t-elle, de leur reprocher
leur hymen. Le roi lui répond qu'il craint
la fureur du peuple. Sur ces entrefaites,
Grongnard vient annoncer que les tables
sont servies.
(Icy se lavent le Roy el la Royne à pari.)
GRONGNART.
Seigneurs, la viande se gasle;
Que or eusse-je le meilleur plat
Je tronçonneroye loi esclat
Qu'il y par est roi l an retour.
(Icy se assiet le Roy el la Royne, et la Fille : Ici se
ussient Rodigon, Jayrus, Nitodcsme, Phares et
Abirou, et en une autre table, et sonnent les Mènes-
triers.)
andalus, Maislre cTHostel.
Seigneur la viande se empire,
Vous vous y prenez laschement.
a Alors tous les assistants commencent à
manger. Vers la fin du repas, Hérodias com-
mande à Florence, sa fille, de danser, ajou-
tant que le roi lui accordera un don : à l'ins-
tant la fille obéit.
(Icy commence à danser et sonne le Tabourin une en-
trée de Morisque, puis cesse uny petit, et la fille
danse lousiours, cependant que les Seigneurs par-
lent : puis commence le Tabourin d'una cordéon.)
ARIRON.
Hardiment gente Damoyselle,
N'ayez point de vergogne lionlc.
« La danse finie, le roi jure à Florence de
lui accorder tel don qu'elle voudra deman-
der. Florence s'adresse aussitôt à la reine,
qui lui dit de demander la tôte de saint Jean-
Baptiste. Elle lui obéit; mais comme Hé-
rode a quelque peine à y consentir, Héro-
dias lui représente qu'un si vil objet ne mé-
rite pas qu'il ait à se reprocher d'avoir rompu
son serment. Grongnart se présente sans
peine pour exécuter cet ordre ; car, dit-il.
Si sa sentence n'est escriple,
Il n'en faull ja tant discuter,
Je l'yrai bien exécuter
Sans autre forme de procès :
El s'il appelle de l'excès,
Je relèvera son appeau
Si sanglant ement sur sa peau.
Qu'il n'en fera jamais de noise,
« Hérode lui donne celte commission : et
« icy vont Grongnart et Florence à l'uis de
« la Chartre pour décoller S. Jean. » On no-
tera encore en passant que maîlre Gron-
gnart fait toujours le mauvais bouffon
GRONGNART.
Ça, Maislre, çà, saillés dehors;
Vecy vostre derrenier mes,
Dont vous serez servy jamais :
Baissez-vous, vous estes irop liault.
« Saint Jean ne répond à ce discours que
pour demander la permission de
faire une courte oraison.
TAS
73i
pouvoir
« Saint Jean ayant achevé sa prière, Flo-
.rence dit :
Grognart, fait ton office, etc.
« Grongnart lui conseille de se retirer un
peu, de crainte, lui dit-il, que la vue du
sang ne lui fasse quelque peine. Ensuite,
s'adressatit à saint Jean, en lui coupant la
tête, il lui dit :
Or tien, ton procès est complet,
Prens ce cop si feras de fe»le.
FLORENCE.
Grongnarl délivre niny la (este,
Car je ne l'ose receuillir.
(Icy prenl Grongnart la Teste, el la met dedans le
plat.)
GRONGNART.
Or, tenez, porlés-là bouillir,
Rostir, ou faire des pastés.
« La fille apporte le plat, et le pose sur la
table des conviés , devant Hérodias, qui
comme une furie se jette dessus « et frape
le chef de S. Jehan, et
« d'ung cousteau sut
GRONGNART.
Fais-le donc court, qu'il ne se croie,
Je ne venil plus attendre à l'uis.
« le sang en sort. »
« Pendant ce temps-là, Dieu le Père dé-
clare que l'âme de saint Jean-Baptiste va
descendre aux limbes pour annoncer aux
justes leur prochaine rédemption. Les an-
ges chantent dans le ciel les louanges de ce
grand prophète.
(Silete en paradis.)
. « Le festin fini, ils « se lievent, et puis
« se départent chacun en son lieu, et Nyco-
« desme et Jayrus vont ensemble, » en s'en-
tretenant de la cruelle mort de saint Jean,
dont ils paraissent très-aftligés. Jayrus dit
à son compagnon :
0 ! le fol disner dont on disne,
Quant en disnanton se repaisl
De pasture qui tant desplaisl,
El est si dcsplaisanl à veoir. »
XXX. Les Limbes.
« L'Esprit de S. Jehan es Limbes » con-
sole à son arrivée les âmes des patriarches
et des autres fidèles, à qui il annonce la
venue du Messie. »
(Icy chantent es Limbes ung Silete.)
XXXI. Enfer.
« Lucifer, qui entend les cris de joie dos
patriarches, demande ee qui est arrivé de
nouveau. Berith lui apprend que c'est l'âme
de saint Jean qui vient de descendre aux
lymbes. Lucifer se désespère et ne reçoit
de consolation, que sur la promesse que lui
fait Astaroth de faire tomber aux enfers
une infinité d'âmes, pour le dédommager
de celle de saint Jean qui est bienheureuse.»
XXXII. Enterrement de S. Jehan.
«. Abias, Sophonias et Manassès, disciples
de saint Jean, et dont ou a parlé ci-dessus
en plusieurs endroits, ayant appris la mort
de leur maîlre, en vont chercher le corps, et
l'ensevelissent en chantant ses louanges. »
Fin de la première journée.
733 PAS DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PERSONNAGES
De la seconde journée du Mystère de la Passion.
dieu le père, tubal, Paralytique
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iésus-christ. jesabel, femme adultère.
LA SAINTE VIERGE MARIE. LA FEMME COURBÉE depuis
saint pierre, Apôlre. 18 ans.
saint andré, idem. THiMÉE,pèredeBarthimée.
saint Jacques, dit Major, la mère de Barthimée.
idem. barthimée, Aveugle-né.
saint jehan, idem. un sourd et muet, possédé
saint Philippe, iàem. du Diable.
saint Barthélémy, idem, lacédon Juif ayant soin de
saint thomas, idem. ce Sourd.
saint symon, idem. cepiias, idem.
saint jude, idem. abacuth, Samaritain con-
saint Matthieu, idem. verti à Jésus.
saint jacuues, dil Miiior, gédéon, idem.
idem. abias, Disciple de Saint
iudas, idem. Jean-Baptiste qui sui-
moyse. vent Jésus.
hélie. sophonias, idem.
Lazare. manassès, idem.
SAINCTE MARTHE. BENJAMIN jeune enfant, fils
saincte magdaleine. de Manassès.
perusine, Demoiselle de célius. Servit. deJayrus.
la Magdeleine. moab
pasiphée, idem. salmanazar, Juif.
brunamont, Page de la phares, idem.
Magdeleine. abiron, idem.
cayphe. nembroth, idem.
anne. célius, idem.
jéroboam, Pharisien. malbrun, Habitant de
mardochée, idem. Naïm, qui suit Jésus.
naason, idem. neptalin, idem.
joathan, idem. emélius, Oyseleur.
eliachin, idem. celcidon, Marchand d'A-
bananias, idem. gneaux.
jacob, Scribe. rabanus, Changeur.
isachar, idem. premier juif, sacrifiant
nathan, idem. eu Galilée, et lue par les
nachor, idem. Tyrans de Pilale.
mcodesme, Docteur de la deuxième juif, idem.
Loy. troisième juif, idem.
jayrus, Archisynagogue. quatrième juif, idem.
symon lépreux. malchus, Tyran ou Satel-
pilate, Gouverneur de lite de Cayphe.
Judée. bruyant, idem.
barraquin, Confident de dragon, idem.
Pilale. roullart, Tyran ou Sa-
urayart, Tyran ou Satel tellite d'Anne.
lite de Pilale. dentart, idem.
drillart, idem. gadiffer, idem.
claquedent, idem. maucourant, Messager de
griffon, idem. Cayphe.
HÉRODE, Tétrarque deGa- brayault, Geôlier.
lilée. barrabas, Meurtrier.
rodigon, Seigneur de la gestas, Mauvais Larron.
Cour d'Hérode. dismas, Bon Larron.
andalus, Maître d'Hôtel troupe de juifz suivant les
d'Hérode. Prédications de Jésus.
grongnart, Domestique lucifer, Roy des Enfers.
d'Hérode. sathan, Diable.
la chananéesirophénisse. belzebutii, idem.
la fille de la Chananée. bérith, idem.
la chamberière de la astaroth, idem.
Chananée. cerbérus, idem.
SECONDE JOURNÉE.
Cy commence la seconde Journée du Mystère
de la Passion Jesucrist. Et commencent les
Apostres, faisans une récapitulation des
fais de Jésus traictés en la Première Jour-
née. Neantmoins la fille de la Cananée
pourra commencer la Journée, en parlant
comme une démoniacle, jusques ad ce que
bonne silence fust faicte (307).
PROLOGUE.
« Saint Pierre, saint André, saint Jacques
Major, saint Matthieu, saint Barthélemi et
les autres, vêtus de leurs habits d'apôtres,
apprennent à Jésus la sanglante fin de saint
Jean-Baptiste. »
I. De la Chananée et de sa Fille.
{Icy cheminent Jésus et ses Apostres, et commence te
Mystère de la Chananée, et de sa fille Démoniacle.)
LA FILLE DE LA CHANANÉE.
Je voy tous les Dyables en l'air,
Plus espès que troupeaux de mouches,
Qui vont faire leurs escarmouches
Avec un las de sorcières;
Et ont pleines leurs gibecières
De gros tysons, el de charbons,
Pour faire rostir les jambons
El ung las de larrons pendus,
Qui se sont nagueres rendus, etc.
« Ceci n'est qu'un échantillon des dis-
cours de cette possédée, qui dit et fait en-
suite mille extravagances , toujours sur le
même ton; et encore plus fortes, dont on
ne veut point profaner ce sujet. Les auteurs
de ce mystère ayant mis daus la bouche de
cette fille tout ce que le menu peuple pense
touchant les discours qu'il attribue à ses
sortes de gens. « La Chamberière témoigne
« son affliction aussi bien que la » Chana-
néenne Sirophenisse. Cette dernière, voyant
passer Jésus, veut implorer son assistance;
Judas la repousse; mais comme nonobstant
ces difficultés, elle trouve le moyen de s'ap-
procher davantage, saint Jude demande à
Jésus la guérison de cette fille. Notre-Sei-
gneur lui répond qu'il n'est venu que ponr
les brebis d'Israël, et qu'il ne fallait pas
donner aux chiens le pain destiné aux en-
fants. « Sire, réplique la Chananéenne , qui
« a entendu ce discours, puisque vous vou-
« lez me comparer aux chiens, vous savez
« qu'ils ont les miettes de la table de leur
« maître. »
Ainsi si vous plaist m'eslargieres
Au moins une poure miette.
JÉSUS.
0 femme, ta foy est moult grande,
Va l'en, soit fait comme tu vculx.
{Icy sort une fumée el ung canon de dessoubz tu fille,
et Astaroth sort de la llle en pestant et en ju-
rant.)
LA FILLE.
0 Dieu d'Israël très begnin
Grâce te rend de ce grant don
Quant de mes maux me fais pardon
El que par puissance a mis hors
Le Dyable, el mis hors de mon corps,
Qui si long-temps m'a fait vergongne.
« La chamberière, qui ne sait à qui attri-
buer une guérison si subite et si miracu-
leuse, en paraît fort étonnée, aussi bien qu(
(307) « Bonne silence fust
que le Mystère commençait.
faicte, » c'est-à-dire le bruit que les spectateurs Lisaient dans le moment
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la Chananéenne qui, en entrant chez elle,
l'apprend de sa fille môme. Elle l'instruit de
son côté à qui ils en ont obligation, et tous
ensemble rendent grâces à Dieu et à son
saint Messie. »
II. Enfer.
« Pendant que ceci se passe sur la terre,
Astaroth qui, comme nous le venons de voir,
vient d'ôtre chassé honteusement du corps
de la fdle, revient aux enfers, où il apprend
à Lucifer le grand nombre de miracles que
Jésus opère tous les jours, et dont il vient
lui-même d'ôtre le témoin. Lucifer, forcené
de rage à cette nouvelle, pour punir ce dé-
mon de s'être laissé vaincre, le livre aux fu-
reurs de Belzébulh et de Satan, qui prennent
ici leur revanche, et restilueni à Astaroth
ce qu'il leur a prêté dans la première jour-
née de cet ouvrage, au sixième mystère.
« Après ce miracle Jésus retourne à Jéru-
salem. »
III. De la Mondanité de Magdalaine.
(Cy après commence la Mondanité de la Magdalaine.
et est à notter que'le pourra chanter de choses
laides à plaisance, ce qui s'ensuit, et après le
pourra dire sans chanter.)
« La Madeleine paraît à sa toilette, assistée
de ses deux demoiselles, Pérusine et Pasi-
phée ; elle ne cesse de se louer elle-même
sur tous les dons qu'elle a reçus de la na-
ture, sur les richesses qu'elle possède et sur
la vie gracieuse qu'elle mène ; ses demoisel-
•cs lui applaudissent en tout, et l'entretien-
nent (Lins celte pensée. Elle, de son côté,
semble vouloir continuer comme elle a com-
mencé.
magdalaine.
Je vueil eslre toujours jolye,
Maintenir estai hauli et lier,
Avoir train, suyvir compagnie
Encore liuy meilleur que liyer.
Je ne quiers que magnifier
Ma pompe mondaine, et ma gloire.
Tant me vueil au monde fier
Qu'il en soit à jamais mémoire.
J'ay mon chasteau de Magdalon,
Dont on m'appelle Magdalaine,
Où le plus souvent nous allon
Gaudir en toute joye mondaine.
El vueil estre de tous biens plaine,
Tant que au monde n'ait la pareille
El passer en plaisance humaine
Tout aulre qu'à moy s'appareille (308).
[M agdalaine quiert tous les sept péchés mortels, et
premièrement.)
ORGUEIL.
Je suis en Orgueil si haultaine.
ENVIE.
Que je ne vueil point qu'on me passe.
LUXURE.
El suis si charnelle, et si vaine.
PARESSE.
Qu'en oysiveié le lemps passe.
IRE.
D'autre part je lence ei menace.
(508) Se compare.
GLOTONME.
Après que en viandes habonde.
AVARICE.
El si m'esiouys quant j'amasse
Les grandes richesses du Monde.
« Après un semblable aveu, Madeleine em-
ploie ce correctif.
Si à tous deliclz je me donne,
Mon honneur pourtant n'abandonne,
Ne l'ordonne
A honte, ou à-reproche vil :
Ce que maintenant j'arraisonne
Soit entendu selon qu'il sonne
A part bonne,
Car mon souhait n'est que civil.
IV. Le Mistere du Paralitique.
(Icy commence le Mystère du Paralitique, lequel est
couché en son grabaton, près la Piscine.)
« Le paralytique, nommé Tubal , est cou-
ché près de la piscine, et se plaint de la mi-
sère où son mal, qui dure depuis trente-huit
ans, l'a réduit. Jésus s'approche de lui, et,
après l'avoir guéri, il lui défend d'en rien
dire à personne, ensuite de quoi il lui or-
donne d'emporter son lit et de s'en aller.
Jésus se retire. Tubal est si disposé à obéir
à l'ordre qu'on vient de lu-i prescrire, qu'il
n'a pas plutôt rendu grâces à Dieu, et ensuite
chargé son lit sur ses épaules, qu'il s'en va
en disant :
TUBAL.
Je suis chargé vaille que vaille,
A lout ma couche m'en iray
Le plus doulcemenl que pourray
Cheminant petit à petit :
Et si ay 1res bon appétit
De dire le cas à plusieurs.
« lsachar, Jacob et Nachor, scribes, veu-
lent empêcher Tubal d'emporter son lit, at-
tendu, disent-ils, que c'est un jour de sabbat.
Comme Tubal refuse de leur obéir, ils l'ac-
cablent de malédictions. Enfin, taisant ré-
flexion qu'une telle licence peut préjudiciel'
à la loi de Moïse, ils prennent la résolution
de questionner Tubal. Ce dernier trouve Jé-
sus dans le temple, et, l'ayant reconnu pour
son bienfaiteur, il croit ne pouvoir faire un
plus grand dépit aux Juifs que de leur nom-
mer celui à qui il est redevable de sa guéri-
son. Sur cela les Juifs prennent le parti d'al-
ler écouter les sermons de Jésus, dans le
dessein de le surprendre par ses propres
discours. »
(Jcy vont les Scribes au Sermon de Jésus et va Tubal
au Sermon, auquel seront les Scribes et tous le*
Juifz, fors les Pharisées.)
V. Sermon de Jésus.
« Jésus fait un sermon sur les récompen-
ses que Dieu promet à ceux qui posséderont
les vertus dont saint Matthieu fait mention
au ve chapitre de son évangile, et sur les-
malédictions que Dieu répandra un jour sur
ceux qui auront les vices contraires.
« Voici en deux mots l'arrangement de co
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sermon. Jésus dit en vers latins, de la même
mesure que les français, une des béatitudes,
et ensuite la paraphrase en un huilain fran-
çais. Le sermon fini, les scribes veulent l'in-
terroger au sujet de la guérison de Tubal,
et, se voyant confondus, ils se retirent, mé-
ditant une conspiration contre lui. »
VI. De Symon Lépreux.
« Simonie lépreux déplore sa triste situa-
tion, et se plaint de la maladie infecte dont
il est affligé. Jésus passant près de sa mai-
son, saint Simon, apôtre, touché de la misère
d'un homme qui portait un nom pareil au
sien, prie Jésus de le soulager. Jésus le gué-
rit et lui ordonne de s'aller montrer aux
prêtres de la Loi. Simon le remercie de
tout son cœur, et se prépare à lui obéir. »
VII. La Transfiguration.
x Jésus prend avec lui Pierre, Jean et Jac-
ques, et, après avoir ordonné aux autres
apôtres de l'attendre, il monte avec ces trois
le mont ïhabor. Les apôtres ont bien de la
peine à le suivre.
SAINCT PIERRE.
C'est peine de mouler si hault
A gens deschaussés comme nous.
SAINT JACQUES MAJOR.
A peine que le cueur ne me fault,
El (lue je ne lombe dessoubz.
SAINCT PIERRE.
Je suis hors d'haleine cl de poulz'
De monier si 1res grosse masse.
« Après ces discours, et autres pareils,
Jésus et ses trois apôtres parviennent enfin
au haut de la montagne.
(Icy entre Jésus dedans la Montaigne pour soy vestir
d'une robe la plus blanche que faire se pourra ; et
une face et les mains toute d'or bruny; et ung
(jranl soleil à raijs bruny par derrière, Puis sera
levé liaull en l'air par ung subtil coutre-poys. Et
tantôt après sortiront de ladicte Montaigne Hélye
en habit de Canne, et ung chapeau de Pro-
phète [r>09] a la leste. Et Moyse d'autre côté qui
tiendra les Tables en sa main. Et cependant par-
lera la Magdalaine.)
« Pendant que ceci se passe d'un côté, de
l'autre parait la Madeleine qui s'entretient
avec ses deux demoiselles, et qui leur de-
mande des « chansons nouvelles pour mener
« joyeuse vie. » Elles se mettent à chanter,
et un seigneur de la cour d'Hérode, appelé
Rodigon, s'étant trouvé à la toilette de la
Madeleine, apparemment en qualité de sou-
pirant, se môle de la partie, et chante aussi
sa chanson.
(Icy sort Jésus de la Montaigne, ainsy transfiguré,
comme dit est, Hélye à désire, Moyse à sénestre,
et se mettent les trois Apostres en grande admi-
ration.)
a Les apôtres, étonnés de cette merveille,
s'interrogent les uns les autres, pendant que
Jésus parle avec Elie et Moïse des maux
qu'il doit souffrir à Jérusalem.
^309) Chapeau pointu.
SAINGT PIERRE.)
Sire, ce lieu cy nous plaist tant
Que jamais n'en vouldron partir;
Et pour ce vueilles consentir
Que jamais d'icy ne parlons.
Trois Tabernacles y ferons,
L'un pour loy, l'autre pour Movse,
L'autre pour Hélye : Advise
S'il est bon de cy nous tenir.
(Icy descend une clere nuê sur Jésus.— icy parle
Dieu le Père en troys voix, ainsy comme il (isl au
baplesmede Jésus.)
« Après quoi « Jésus descend dedans la
« Montaigne, pour retourner en ses premie.s
« habillements. »
« Les trois apôtres, qui ont accompagne
Jésus, tombent à terre entendant la voix de
Dieu le Père. Pendant ce temps-là, les neuf
autres, qui sont restés au pied de la monta-
gne, ne sachant ce que leur maître est devenu,
sont dans une grande impatience de son re-
tour.
(Icy sort Jésus de la Montaigne en ses premiers lia-
billemens, et parle aux trois Apostres.)
« Ceux-ci sont fort surpris de ne plus voir
Moïse et Elie. Jésus leur ordonne de descen-
dre avec lui.
JÉSUS.
Or sus, dévalons la Montaigne,
Qui est bien pénible et bien granoe.
SAINCT PIERRE.
l evallon donc.
« Enfin Jésus leur défend de oatier à qui
que ce soit de cette vision. »
VIII. Assemblée des Juifz.
« Douze Juifs, nommés Abaculh, Moab,
Célius, Tubal, Gédéon, Salma'iazar, Phares,
Neptalin, Abias, Manassès, Célius et Nem-
broth , s'étant assemblés pour décider co
qu'ils vont faire, et sur ce qu'ils doivent
croire des miracles de Jésus, dont le bruit et
la renommée augmentent tous les jours, s'en-
tretiennent ensemble, et enfin, convaincus
par ses prodiges, ils prennent la résolution
de le suivre. »
(Icy vont les douze Juifz après Jésus, et tous les au-
tres Juifz hommes et femmes y vont après, fors les
Princes et Scribes.)
IX. La Mondanité de la Magdalaine
«Nous avons vu ci-devant que, pendant que
Jésus prend une figure nouvelle sur le mont
Thabor, la Madeleine paraît dans un autre
coin du théâtre avec ses deux demoiselles et
Rodigon. Elle est occupée à sa toilette, où
elle se lave et se farde Je visage, elle se re-
garde dans son miroir et consulte ses sui-
vantes sur son ajustement. La toilette finie,
elle fait répandre sur le plancher des fioles
d'eau de rose. Ensuite, pour se désennuyer,
elle propose à ce seigneur un dialogue en
forme de ballade: il roule sur la galanterie,
Madeleine interroge, et Rodigon répond. En-
fin ce jeune homme prend congé d'elle, et
m
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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comme.c'est un seigneur fort poli, il ne man-
que pas de dire adieu aux deux demoisel-
les. »
(Rodigon en prenant congé, pourra baiser Mngdalaine
el ses Demoiselles ; et après commence le miracle
de la multiplication descinq pains el deux poissons-)
X. Le Miracle de la Multiplicacion des cinq
Pains et deux Poissons.
(lcy se assiet tout le Peuple au Sermon.)
« Jésus, avant de le commencer, exhorte
tout le peuple à la prière.
JÉSUS.
Àfiln que puissiez plaire
A Dieu, el sa grâce impelrer,
Dictez lous Pater noster.
(lcy se agenouille tout le peuple.)
La prière finie, Jésus propose la paraboln
du semeur, et comme ses apôtres lui avouent
qu'ils n'entendent rien à ces paroles mysté-
rieuses, il les leur explique. Ensuite, faisant
réflexion qu'il y a trois jours que le peuple
le suit, sans prendre aucune nourriture, il
demande à saint Philippe comment on peut
faire pour rassasier celte multitude. « Sei-
« gneur, répond saint Jacques Minor, cela
« n'est pas aisé, car ils sont plus de cinq
« mille sans comprendre les femmes et les
« enlants. » Saint André dit qu'il y a un
enfant qui porte cinq pains et deux pe-
tits poissons : « Mais qu'est-ce que cela,
« ajoule-t-il pour une si grande quan-
« tité de monde? » Jésus lui ordonne de les
acheter; et cet apôtre, pour lui obéir, s'a-
dresse à Benjamin (c'est le nom de l'enfant)
qui lui répond qu'il veut bien les livrer,
pourvu qu'on le paye. «Combien vous faut-il?»
lui demande saint André. — « Tenez, voici
« mon père qui vous le dira, » répond Ben-
jamin. Manassès, c'est ainsi que s'appelle le
père de l'enfant, n'apprend pas plutôt que c'est
pour Jésus, qu'il oblige l'apôtre à les pren-
dre sans vouloir recevoir son argent- Saint
André revient à Jésus avec les pains et les
deux poissons.
(Icy présente les pains et les poissons à Jésus. — lcy
tient Sainct André les pains et les poissons devant
Jésus, et il fait la bénédiction.)
i ÉSL'S
Benedii ils
TOUS.
Dominus, elc.
« Après que Jésus a donné sa bénédiction
sur les cinq pains et les deux poissons, il
ordonne aux apôtres d'en distribuer à toute
l'assemblée.
(Icy s'asient six des Apôtres el départent le pain par
quartiers à grant nombre : et les autres six ser-
vent le peuple de pain et de plusieurs plan de pois-
sons. — lcy menguenl tout le peuple el tous les
Aposlres jusques à ce que Jésus die que l'on dé-
serve; el cependant y a interlocutoire.)
« Ces interlocutoires se [tassent entre La-
zare, Marthe et Madeleine. D'abord le pre-
mier s'entretient avec Marthe de la vie
scandaleuse de leur sœur. Marthe prend cette
chose si à cœur, qu'elle prend la résolution
de l'aller trouver et de lui remontrer vive-
ment l'étendue de ses crimes.
(lcy va Marthe parler à Magdalaine.)
« Celle dernière paraît à sa toilette. Commo
elle entend que Brunamont parle à quel-
qu'un à la porte, elle demande qui c'est. Ce
page lui répond que c'est sa sœur Marthe qui
vient pour la voir. « Faites entrer, dit Mado-
« leine. Ah! ma chère sœur, ajoute-t-elle,
« vousarrivezfortàpropos, venez voircommo
« je vais me divertir. » Marthe, qu'une inten-
tion bien différente amène chez elle, lui de-
mande la permission de lui dire un mot; et,
lorsque tout le monde est retiré, elle lui fc\l
de sanglants reproches sur sa conduite.
(lcy se lient Marthe et Magdalaine à part.*
MARTHE.
Vous vous donnez à tous péeliez,
De lotis villains fais approchez,
Et faites tant d'accueil à tous,
Que nous en sommes mal couchez,
El ions noz païens reprochez,
Seulement pour l'amour de vous.
MAGDALAINE.
Seulement pour l'amour de vous,
Ma sœur, je vouldroye à lous coups
A vostre voulenlé complaire :
Ceulx qui parlent de moy sont foulx,
El quand de parler seront soulx,
Au moins ne peuvenl-ilz que se taire.
MARTHE.
Velà le point où je me fonde ,
Péché tant dedens vous hahonde,
Que la fin en sera mauvaise.
MAGDALAINE.
Bonne ou malle, il faut qu'on responde:
Se par péché suis orde ou monde,
Ne me chaull, mais que soye bien aise.
MARTHE.
Hélas ! ma Sœur, ne vous desplaise,
Péché vous lient à grant malaise,
Pour Dieu retournez à Jésus.
Si mal vous vient ?
MACDALAINE
Prou vous face ;
Allez, allez.
PÉRUSINE.
Quel partemuse (510) !
Voise, ailleurs faire la grimace.
«Marthe, ainsi congédiée par la maî-
tresse et par la suivante, se retire assez mal
satisfaite.
(lcy s'en retourne Marthe en Béthanie.)
« D'un autre côté les Juifs remercient Jé-
sus de ses bienfaits, et lui en rendent grâ-
ces; Abacuth, Moab, Manassès, Abias, So-
phonias et Tubal en témoignent leur recon-
naissance.
(310) Ennuyeuse.
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(Icy recueille les douze Apostres la demourant en
chacun sa corbeille, et en emplienl douze corbeilles,
eiselieve le Peuple.)
« Jésus, après avoir donné la bénédiction
au peuple, se retire avec ses apôtres.
(Icy s'en va Jésus d'une part, et tout le peuple de
l'autre.)
DICTIONNAIRE DES MYSTERES PAS 744
XII. La Conversion de la Magdalaine.
« Le sermon achevé, le peuple se retire,
et chacun s'en retourne chez soi pénétré
d'une sainte frayeur, excepté les pharisiens
qui vont tenir Jeur conseil. La Madeleine
n'est pas la dernière à ressentir les effets de
cette prédication. Son cœur en est si fort at-
tendri, qu'elle fait une longue complainte
entre-coupée de pleurs et de sanglots, et dé-
« Phares, Abiron, Salmanasar, Nembroth,
Tubal, Gédéon, Abacuth, Sophonias, Abias, plore ses péchés et ses égarements. Elle est
Malbrun et Neptalin, pendant leur chemin,
s'entretiennent de ce miracle.
(Icy cheminent tous les Juif z par-devant le Chasteau
de Magdalaine, et y en a troys Juifs aui se arres-
tent à parler à elle.)
« Tubal, Gédéon et Abacuth, qui sont ces
trois Juifs, entrent dans ce château , et sa-
luent la Madeleine, à qui ils racontent les
miracles que Jésus fait tous les jours, et par-
ticulièrement celui des cinq pains , aussi
bien que les admirables sermons dont il édi-
iie le peuple. Ce rapport fait naître quelque
curiosité dans le cœur de Madeleine, qui leur
fait une infinité de questions sur la personne
du Sauveur.
« Après quelques autres discours , les
trois Juifs prennent congé de la Made-
leine.
(Icy se départent les troys Juifz.)
« Madeleine, se trouvant seule et désoccu-
pée, veut aller au sermon de Jésus. Comme
sa passion dominante est celle de briller
beaucoup et de plaire à tout le monde, elle
ne manque pas de bien consulter Pérusine
et Pasiphée sur le goût de ses ajuste-
ments.
(Icy s'en va au Sermon de Jésus.)
« Jésus, allant à Jérusalem, demande à
saint Pierre ce qu'il pense de lui. Cet apô-
tre, sans hésiter, lui répond que lui et ses
compagnons le croient fermement le Chri-
stus. Alors le Seigneur lui promet les clefs
accompagnée de ses deux demoiselles, qui
l'imitent aussi fidèlement dans sa pénitence
qu elles l'ont suivie dans ses désordres. »
(Icy se lieve tout le peuple, et se départ du SermGn; et
Magdalaine fait sa piteuse complaincte , et les
Pharisées vont tenir Conseil.)
XIII. La Prinse des Larrons.
(Ici est faicle la prinse des trois Larrons; et porte
Dismas une robe sur les épaules, comme s'il l'uvoil
emblée; ei Barrubas ung glaive senglanl, comme
s'il venait de faire ung martre. )
cestas, mauvais Larron.
Je ne crains ne Dieu, ne le Dyable,
Ne homme tant soit espovenlabte
Quanti je me despile une foys.
BARRABAS.
Je ne fais compte d'estrangler
Ung homme non plus qu'ung sanglier
De tnenger le gland par le boys.
dismas, bon larron.
Je deslrousse par les chemins
Tous bons marchans, et pèlerins.
Quant puis mettre sur eulx la patte.
« Avec ces louables intentions, ils conti-
nuent leur chemin. Gestas se vante de son
habileté à crocheter les portes, et Barrahas
de son intrépidité h commettre un meurtre.
Enfin Dismas, qui ne paraît pas leplus brave
des trois, leur dit : « Messieurs, il nous faut
« de l'argent. — Vous raisonnez fort juste,
« répond Gestas. » Pendant qu'ils sont dans
cette pensée et qu'ils rêvent à quelque ex-
des cieux. Ensuite cet apôtre, à qui cette fa- pédient, arrivent six tyrans ou valets appe-
veur a donné un peu de présomption, tâche
de le dissuader de la mort qu'il veut souffrir.
Mais Jésus lui impose silence, et le reprend
aigrement par ces paroles.
JÉSUS.
Va derrière moy, Salhanas.
En ccslc affaire me es csclandc, etc.
XI. Sermon de Jésus.
« Jésus arrive à Jérusalem ; son premier
soin est de monter au temple, et d'y conti-
nuer à prêcher et convertir les Juifs.
(Au Sermon de Jésus sont tous les Juifz et les Scribes
et Pharisées. El est la Magdalaine assise sur ung
carreau assés loing du Peuple; et à la fin du Ser-
mon elle fait manière el contenance de plourer.)
« Ce sermon roule sur les crimes et les
péchés des hommes, les peines qui sont dues
aux pécheurs, et la redoutable vengeance
que Dieu en prendra au jour de son dernier
jugement. »
lés Bruyant, Malchus, Dragon, Roullart,
Dentarl et Gadifer, dont les trois premiers
sont au service de Caïphe, et les autres à
celui d'Anne. Ces gens-ci, qui ne cherchent
que les occasions de pouvoir battre et as-
sommer, atin de profiter des dépouilles des
malheureux qui leur tombent sous la main,
ne font pas plutôt rencontre des voleurs
qu'ils se jettent dessus, deux à deux, et,
malgré leur résistance et leurs jurements, ils
les font prisonniers. Bruyant, ayant saisi
Dismas le premier, dit :
Cestny-cy n'est pas le plus fort,
Je festourdis comme ung poulet.
Allons mettre ces gallans pondre
Sur la belle paille jolye.
dit Gadiffer en les liant, et en les conduisant
en prison. Ils appellent plusieurs fois le geô-
lier Brayault, mais en vain, car il ne répond
point; à la fin, Malchus s'emporte contre
lui.
. *■>
PAS
DICTlOiNiNAlRE DES MYSTERES.
PAS
T4C
llault Brayault; le Dyao.e l'emporte,
Le paillaû nous (ait cy le souri ;
Brayault, Brayâiilt, il est si gourl (311);
Qu'il ne scet de quel pié marcher.
orayault arrive e-iiin, en jurant et pestant,
aussi bien que les voleurs qu'il lit entrer
dans la prison; ce qui termine ce mys-
tère. »
XïV. Conseil des Ja;fz.
(Icy se lient le Conseil des Pharisées, et commence
la Conspirucion et la Mort de Jésus.)
« Les pharisiens, qui ne cherchent que les
moyens de perdre Jésus, commencent par
mander les scribes. Lorsqu'ils sont tous as-
semblés, le conseil se trouve très-partage,
les uns en faveur de Jésus, et les autres con-
tre. Nicodôme et Jayrus se retirent, et le
reste de celte assemblée prend la résolution
de tenter Jésus; ce qu'ils font dans le mys-
tère suivant. »
XV. De la Femme adultère.
« Les pharisiens, pour exécuter le dessein
qu'ils viennent de projeter, vont à la pri-
son, et ordonnent au geôlier Brayault de
leur amener une femme appelée Jésabel,
qui est prête à être condamnée pour crime
d'adultère. Brayault leur obéit; et ils em-
mènent avec eux Jésabel qui, dans le che-
min, ne cesse de se lamenter et de pleurer
ses péchés. Lorsqu'ils sont arrivés au tem-
ple avec elle, ils cherchent Jésus. Et dès
qu'ils l'ont trouvé, Marduchée, l'un des pha-
risiens, prenant la parole, lui demande ce
qu'il juge à propos que l'on fasse de celle
femme. Jésus, au lieu de leur répondre, se
met à écrire sur la terre avec son doigt; en-
lin, voyant qu'on le presse de rendre une ré-
ponse, il commande à celui d'entre eux qui
n'a point transgressé la loi, de lui jeter la
première pierre, et il continue toujours d'é-
crire. Isachar, croyant que Jésus écrit sur la
lerre ses péchés secrets, se retire du tem-
ple, craignant de se les voir reproeber publi-
quement. Jéroboam, autre pharisien, s'en-
fuit aussi frappé d'une pareille idée; et peu
à peu, tous les autres Juifs, saisis d'un
mémo esprit, s'écartent et sortent du tem-
ple. Enfin Jésus, se trouvant seul avec ses
apôtres et Jésabel, lui pardonne ses péchés,
et les apôlrcs la délient. »
(Icy s'en vont Jésus et ses Apostrës d'une part, cl la
femme de l'autre.)
XVI. Le Convy de Si/mon le Lépreux, et le
Sindcrcse de la Magdaleine.
('.y après commence le Sinderese de Magdaleine.)
« Simon le Lépreux, qui a obligation de
son salut et de sa santé à Jésus, vient le prier
de lui faire la grâce de manger chez lui avec
ses douze apôtres. Jésus y consent et ne
manque pas de s'y rendre avec eux.
(Icy se assict Jésus au meilleu, suint Pierre à désire,
(311) Engourdi.
(ôl 2) L'auteur a voulu montrer iri inj'il a\ail lu
DlGTlONN. DF.S MYSTERES.
saint Jehan à Séneslre, et tous les antres après. El
est Symon Lépreux au bout de la Table, cl Judas
ayde à servir, puis se assiel : et est à noter qu'en
l'Ostel de Symon se treuvent Phares et Abyron.)
« Les pharisiens commencent par prendre
place le plus loi qu'ils peuvent; mais avant
toutes choses on dit Bcnedicitc (312).
(Icy rompt Jésus ung pain, cl se assienl tous.)
MALBRUN.
Chacun mcngiissc d'apelit
Et si de vivres à pelit
Si vous efforcées de bien hoir
C'esl le remède peremploire
A qui vit de promissioiv.
(Icy est Magdaleine habillée bien richement comme-
devant, fors que sur sa teste n'a que une guinple
bien konnesle.)
« Madeleine, par une espèce (Va parte, dé-
clare aux spectateurs que, pour obtenir la
rémission de ses péchés, elle a pris la réso-
lution de venir trouver Jésus, et que, sachant
qu'il est à dîner chez Simon, elle l'y a suivi.
Etant arrivée à la porte de cette maison,
elle se sent fort émue, la honte et le regret
combattent dans son âme; mais enfin, faisant
un effort sur elle-même, elle s'y introduit
sans que personne s'en aperçoive.
(Icy Magdaleine se met soubz la Table par derrière
Jésus, et tantôt après se lieve, et jecte l'Eau-Rose
sur son chef.)
« A peine les pharisiens qui sont à table
s'aperçoivent de son arrivée et de son action,
qu'ils "en paraissent fort surpris, ils en té-
moignent même leur indignation.
PHARES.
Cesle femme
Qui s'est mise cy entre nous
5>ous cesle lubie, et sçavons Ions
Comme elle est partout diffamée ?
ABIRON.
Elle est si très-mal renommée
Que c'esl grant horreur de son faict.
On la deust renvoyer de faict
Ailleurs l'aire telle fredaine
SIMON.
Esse la helle Magdaleine
Qui est si pleine de jeunesse.
THARÈS.
Oui, c'est cesie pcsclieressc.
Dont jamais ne lu si la pareille
« Comme Simon commence à se scandali-
ser, aussi bien que les autres pharisiens,
Jésus le fait revenir de son erreur, en lui
alléguant la parabole des deux débiteurs ;
ensuite s'adressant à la Madeleine, il lui dit
que ses péchés lui sont pardonnes. Madeleine
le remercie et lui demande pour seconde
grâce de la venir visiter, aussi bien que sa
sœur Marthe et son frère Lazaron.
(Icy s'en retourne Magdaleine.)
« Là Madeleine, en s'en retournant, fait
l'évangile où Jésus reproche aux pnarisiens d'aflVc-
Icr les premières places dans les fesiins
24
747
PA^
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
745
durant son chemin la confession des sept
péchés capitaux, auxquels elle a été adon-
née. Ses deux, demoiselles, Pasiphée et Péru-
sine, suivent son exemple et quittent leur,
pompe et leur mondanité.
(Icy s'en vont Magdaleine et ses Demoiselles en
Réthanie.)
« Après le dîner, Jésus et ses apôtres sor
tent de chez Simon, qui le prie de lui faire
souvent l'honneur de manger chez lui ; il fait
ensuite la même prière aux apôtres, en con-
sidération de leur maître; et ces derniers
reçoivent ses offres avec de grands remer-
ciements.
« L'arrivée de la Madeleine chez son frère
et sa sœur leur cause une surprise mêlée
nue aux oreilles d'Hérode, que, regardant
cette action comme une entreprise de Pi-
late sur ses droits, il vomit mille injures
contre lui.
HÉRODE.
.e .uy monslreray qu'il a tort :
Par mes Irès-liauh el puissans Dieux,
Je le déclaire mou hayiieux '313),
Et si le réputé inhumain
Fils de la fille d'ung Monnier (314),
Tel est-il, ne le peut nyer, etc.
« Andalus, Rodigon et Grongnart s'exha-
lent en beaux discours et en rodomontades,
pour seconder leur maître. Mais tout cela
est sans effet , car il n'est plus question de
d'étounement ; ils ne savent à quoi attribuer cette dispute, jusqu'au cinquième mystère
un si grand changement.
MARTHE.
Bien doiut qu'elle viengne pour bien,
Picçà ne la vis aussi simple ;
Ojii lui a baillé ceste guimple
Sur son paliol si terni ?
LAZARE.
J'ay si granl peur de sou cunuy
Que de courroux le cucur me l'ont.
« Madeleine à son arrivée dissipe ces
frayeurs, en leur apprenant son heureuse
conversion et les obligations qu'elle a au
Sauveur. »
XVII. De la dissension de Hérode et Pilate
« Pilate entre sur la scène accompagné
de Barraquin et de ses quatre satellites. 11
demande à ce confident si les Juifs obéissent
à l'ordonnance qui leur défend de sacrifier.
« Oui, Seigneur, répond Barraquin; mais ce»
« ordre n'est exécuté que dans la Judée : et
« ces mômes Juifs passent en Galilée, où ils
sacrifient tous les jours impunément, se
confiant en la prodeelion d'Hérode. —
Quoi! Hérode le souffre ! réplique Pilate:
lgnoie-t-il que ces sacrifices font autant
d'attentats à l'autorité suprême de l'em-
pereur ? — Eh bien 1 ajoule-t-il, allez en
Galilée, et massacrez tous les Juifs que
vous irouverez rebelles
ces ordres. »
échapper une
de piller, el
ce temps-là,
Irouverez rebelles à
J.es satellites ne laissent pas
.si belle occasion de tuer et
obéissent à Pilate. Pendant
Abias. Sophonias et Manassès, avec quatre
J.'.ifs, passent auisi en Galilée, pour y sa-
crifier en liberté.
(Icy sacrifient des besles.)
a Ces sacrifices sont interrompus par l'ar-
rivée de Grillon et de ses trois autres com-
pagnons, satellites de Pilate, qui, sans leur
donner le temps de se reconnaître, poignar-
dent inhumainement les quatre Juifs. On
ne sait pas trop pourquoi ils épargnent
Abias, Sophonias el Manassès, si ce n'est à
cause que l'auteur a voulu leur sauver la
vie, pour les charger du soin d'ensevelir les
Mitres. Ce qu'ils ne manquent pas de faire.
(Icy les entèrent.)
c. Celle nouvelle n'est pas plutôt parvç-
(3!Ô) Euucaii.
de la quatrième journée, où on verra que
Pilate et Hérode se réconcilient, sans qu'il
paraisse que ce dernier ait eu satisfaction
de celte insulte.
« Abias, Sophonias et Manassès vont trou-
ver Jésus , pour lui apprendre la triste
aventure des quatre Juifs, dont nous ve-
nons de parler. Pendant ce temps-là se pré-
sente une pauvre femme qui est courbée
depuis dix-huit ans, qui prie le Seigneur de
la guérir, Abias et les deux autres Juifs joi-
gnent leurs prières à la sienne.
«^ t JÉSUS.
Le mauvais esperil la lya,
Eu ce point comme elle est lyéc ;
Mais par moy sera deslyée,
En mettant la main sur elle.
(Icy met la main sur elle et se lieve et sort ung canon
de terre.)
« Celle pauvre femme remercie Jésus d«
sa bonté. »
XVIII. De l'Aveugle né.
(Icy commence le miracle de l'Aveugle né, qui
assis pies du Temple,
loimj pour le regarder.)
et s'arrestc Jésus
est
asset
« L'aveugle-né l'ait des plaintes sur son
affreuse situation. Il implore sans cesse la
charité des personnes pieuses , et ne paraît
pas être fort content des aumônes qu'on lui
fait.
l'aveugle né.
Je regarde sur mes drapeaux
Son y a jeelé quelque maille :
Oûy, lanlost : baille luy baille,
Y n'y a denier ne demy.
Ung poure homme n'a point d'amy, etc.
(Icy chemine Jésus sans dire mot.)
« Noire -[Seigneur ordonne à ses apôtres
de faire approcher ce pauvre homme.
(Icy (mains Sainct Pierre l'Aveugle devant Jésus, et
Jésus prcnl de la poudre à terre, et la met en sa
main, puis crache dedens, et mesle avec le doy,
puis en met sur les yeulx de l'Aveugle.)
« Ensuite il ordonne à Barlhimée (c'est le
nom de cet aveugle) d'aller laver ses yeux
avec de l'eau de la fontaine de Siloé. Bar-
(314) Meunier.
7*9
TAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
nt
Ihi-mée lui ooc-it, et ayant recouvré la vue,
il en rend grâces à Dieu. Tous les Juifs sont
surpris d'un élonnement sans pareil, lors-
qu'ils s'aperçoivent d'un si grand change-
ment. Les uns l'attribuent au pouvoir de
Jésus; mais les autres le nient, et disent
que ce n'est pas là la même personne qui
était aveugle. Celte contestation est portée
devant les pharisiens, à qui Barlhimée sou-
tient qu'il est ce même aveugle de naissance,
et que Jésus l'a entièrement guéri. La dis-
pute recommence alors. Pour éclaircir ce fait.
Jéroboam dépèche Maucouranl, avec ordre
d'amener le père et la mère de Barlhimée,
nCii qu'ils puissent reconnaître si cet enfant
leur appartient. Maucouranl exécute cet or-
dre, mais ce n'est pas sans peine, car ils
redoutent la fureur des Juifs. Cette crainte
leur fait prendre en chemin le parti de ne
rien dire, soit à l'avantage, soit au désavan-
tage du Sauveur. Dès qu'ils sont arrivés, les
pharisiens les interrogent, et leur deman-
dent si c'est là leur (ils. Oui, disent-ils,'nous le
reconnaissons et nous savons bien aussi qu'il
était né aveugle. Les Juifs furieux de cette
réponse s'adressent à Barlhimée, et veulent
l'obliger à dire que ce n'est pas Jésus qui
l'a guéri. Comme cet enfant refuse de se
prêtera ce faux témoignage, ils l'accablent
de coups et de malédictions, et enfin le chas-
sent du temple.
('ci s'en va l'Aveugle près de Jésus, et Nicodcsme,
Juyrus, Pliures, Abiron, Salmanazar cl Nembrolh
se déparient du Conseil, eJ s'en vont Nicodetme et
\Jayrus ensemble, el tes autres quatre d'autre pari.)
«Phares, Abiron, Nembrolh et Salma-
nazar se demandent l'un à l'autre qui peut
être Jésus? et par quel pouvoir il fait de si
grands prodiges? Nous ne le savons pas, ré-
« pondent-ils tous; retournons au temnle et
« sachons cela de lui. » Ils ne manquent pas
de l'y trouver, environne: d'une foule do
peuple. Là ils, l'interrogent, et sous prétexte
que le Seigneur se dit Fils de Dieu, ils pren-
nent des pierres pour le lapider. Mais Jésus
disparaît à leurs yeux, et va rejoindre ses
apôtres. »
(Icy s'en vont Jésus el ses Aposlresouitre le Fleuve de
Jourdain , el commence le iiessussiiement de
Lazare.)
XIX. La mort du Lazare.
« Lazare se plaint d'un grand mal de cœur.
Marthe et Madeleine lui conseillent de se
coucher, en lui disant oue le repos pourra
dissiper son mal.
(Icy se couche Lazare sur ung beau lit paré, et
Marthe est d'ung cosié, Magdaleiae de l'autre, et
lug mettent ung covrechef à ta lente.)
« Comme Lazare continue à se plaindre
q une grosse fièvre et d'une grande débilité,
Marthe lui offre des conserves et des confi-
tures pour lui relever le cœur : ce malade
les remercie , et se met à soupirer après
l'arrivée de Jésus. Madeleine, pour le satis-
faire, ordonne à Brunamont de l'aller prier
devenir. Lorsque Brunaraonl est parti pour
exécuter cet ordre, Lazare pousse de
grands soupirs de l'absence du Seigneur, et
après un nombre infini de plaintes, il expire.
Peu de temps après, Brunamont vient rap-
porter que Jésus lui a ordonné de dire que
celte maladie de Lazare n'est pas mortelle,
que l'on ne s'inquiète point , et qu'il va ar-
river au plus tôt. Pendant ce temps-là, So-
phonias et Abias, qui sont aulour du lit du
malade, s'écrient qu'il vient de rendre l'es-
prit. Les deux sœurs se mettent aussitôt à
pleurer.
MAGDALEINE.
Est-il mon?
MANASSÈS.
Sans plus de remorl
Il est trespassé, n'en doublez.
MARTHE.
0 grief el dolent liesconforl !
Esi-il mon?
SOPIIONiAS.
Sans plus de remorf,
Lever de cliarongne le mort,
Voslre cuenr aulne pari boulez.
MAGDALCINE.
Est -il mort ?
ABYAS
Sans plus de remorl :
Il est Ircspassé n'en doublez.
« Enfin, les deux sœurs, no pouvant plus
douter d'une si triste vérité, recommencent
leurs cris et leurs gémissements. Les autres
Juifs, que celte affliction touche moins, son-
gent à enterrer promptement le Lazare, qui
commence déjà à sentir mauvais : ce qu'ils
exécutent sans perdre de temps. »
(Icy quatre Jui[z ensepvelissenl Lazare, puis le por-
tent en terre, assez lohig de Béthanie, cepeudenl
que tous les autres Juifz se assemblent. Et \\ i eui-
on porter torches, armoiries el autres Iriumphes
mortuaires.
XX. Ressussilcment du Lazare
« Comme Lazare est un grand seigneur,
sa mort se répand bien vite par toute la
Judée, et surtout dans la capitale. Jairus,
Simon le Lépreux, Moab etCélius l'ayant ap-
prise, vont dès le lendemain en Bélhanie
pour consoler Madeleine et sa sœur, Jésus,
accompagné de ses anôlres, en prend aussi
le chemin.
(Icy s'en va une autre compaignie de Jui^z en Bétha-
ihanie vcoir Lazare.)
« Abiron, Phares, Nembrolh el Salmanazar,
que la curiosité y conduit, plutôt que toute
autre chose, forment celle troisième troupe.
Icy s'en vont ces quatre Juifz ensemble en Béihan:e,
el cependant la quarte compaignie s'assemble pour
y aller.)
« Celle aernière est composée d'Abacuc,
de Gédéon , d'Emelius , de Rabanus et do
Celcidon. Ces trois derniers sont les trois
marchands que Jésus chassa du temple, et
qui ne sont pas troo bien intentionnés en
sa faveur.
r «• ■
iOl
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
783
(/ci/ s'en vont ces cinq Juifz en Bélkank ; et cepen-
dant Abyas et ses compagnons retournent du tom-
beau.)
«.Simon le Lépreux , Jayrus et les (rois
autres Juifs de la première bande, étant ar-
rivés,ces deux-ci s'approchentde Madeleine
et de sa sœur pour les consoler.
(Jcy arrive Jésus assez loing de Marthe et de Magda-
leine, et se arreste : et Magdaleine se assiet à terre
près du lit : El est à noter que Noslre-Dame est en
Bélhanie, comme en oraison à part , et ne se trcuve
point en tout le mystère de la résurrection de La-
Z'ire , jusqu'au retour de Jésus, quand Hz parlent
ensemble.)
« Brunamont vient avertir que Jésus ar-
rive. Marthe court aussitôt au-devant; et
comme Jésus lui demande où est Madeleine,
elle revient la chercher. Madeleine la suit ;
et les Juifs croyant qu'elle va au tombeau
pour l'arroser de ses larmes, sortent, afin
de calmer son désespoir. Ils la trouvent
prosternée aux pieds de Jésus, le priant en
faveur de son frère ; ils joignent leurs
prières aux siennes, et supplient le Seigneur
de vouloir bien les assister. Alors toute
l'assemblée se met à pleurer. Jésus, qui se
sent attendri de leurs larmes, demande à
voir le tombeau, et lorsqu'il y est arrivé il
ordonne qu*on ôte la pierre qui le couvre.
Marthe veut l'en empêcher.
M AT. THE.
0 Benoist Sauveur Jésus,
Quatre jours y a maintenant
Qu'il y est; il est si puant
Qu'aine ne le pourroit sentir.
«Mais Jésus la rassure et lui dit de ne
rien craindre.
M\XA?SES.
(/(•y esloupent tous les Juifz leurs nez,
mettent à lever la pierre.)
abacith prend ung bout.
et puis se
Que la pierre soit donc ostee,
Messcigueurs, chacun s'y attire (ôlo).
gédéon prend d'ung autre coslé.
El fut rôdeur quatre foys pire,
Si lievrons nous cesle tombe.
sofuonias d'autre coslé.
Garde bien que sur toy ne tombe ,
Puis du demouranl enqueron (31 0).
makassés, d'ung bout.
Pensons de Poster si verron
De Jésus quel vouloir il a.
moac, d'ung coslé.
Sus levez.
abïas, d'ung bout.
Mes levez de là ,
Vous ne faicles que caquetler.
AEACUTH.
De force.
GÉDÉON.
He grant.
HOAB,
Aussy là.
Sus levez.
SOPHONIAS.
Mais vous de là.
ABYAS
Elle branle par ce bout
ABACl'TH.
Ha! Hat
11 ne tient plus cy , qu'à bouler.
GÉDÉON.
Sus levez,
M AD.
Mais levez de !à;
Vous ne faicles que eacuetler.
MANASSÈS.
Chacun pence ses piedz oster
Qu'il ne prengne un pinson tout vert
(Icy niellent la tombe d terre.)
« Jésus se met à genoux, et après avoir
fait sa prière, il ordonne au Lazare de sor-
tir du sépulcre.
(Icy sort Lazare du tombeau emeioppé d ung suaire ,
les bras liez et tout le corps, et se met à genoulx.
« Le Lazare remercie le Sauveur; ensuite
il est délié. »
(!cy se revest Lazare d'abillemens lotis nouveaux bien
simples et honnestes, et Brunamont lui aide, et s'en
va avec Marthe el Magdaleine. Et Jésus cl set
Aposlres se retirent vers Nostre-Dame; el les Juifx
s'en retournent après tous ensemble.)
XXI. Enfer
« La résurrection du Lazare occasionne
une vive contestation aux enfers; Cerbérus
a bien de la peine à éviter le châtiment, pour
avoir laissé échapper son âme; Les démons
entrent dans une si étrange fureur contre
le Sauveur, qui leur en ravit tous les jours
un si grand nombre, qu'ils se promettent
de tout employer contre lui; Luciferdépêche
tous ses esprits pour une affaire si impor-
tante, et c'est, selon toutes les apparences,
a leur suggestion que se projette la résolu-
tion que les Juifs vont prendre aux mystères
suivants. »
XXII. Conseil des Juifz.
« Les Juifs qui se sont trouvés à la résur-
rection de Lazare, rencontrent en s'en re-
tournant les autres troupes de Juifs, à qui ils
la racontent. Les uns ajoutent foi à ce récit,
mais la plupart n'en veulent rien croire:
entre ces derniers Abiron, Phares, Celcidon,
Emélius et Salmanazar prennent le parti
d'aller faire le rapport de ceci aux princes
de la loi.
(Icy vont ces quatre Juifz parler avx Pharisiens et
Scribes; el tous les autres Juifz s'en vont autre
part, excepté Jayrus et ISicodesme, qui viennent
avec Lazare.)
« Les scribes et les pharisiens , après
avoir remercié ces Juifs de leur avis, vont
d'abord annoncer cette nouvelle à Caïphe ,
(3.13) S'y emploie.
(316) Soignerons.
1»T
PAS
DICTIONNAIUE DES MYSTERES.
PAS
754
qui leur fait beaucoup de politesse; mais,
comme il no veut rien résoudre, sans pren-
dre le conseil d'Anne , il envoie Maucourant
pour le prier de venir.
(Ici) va le M essagier quérir Anne , et cependant y a
dialogue entre Jésus et Noslre-Dame, qui se tirent
eulx deux à part.)
« Le Seigneur s'entretient avec la sainte
Vierge des maux et des tourments qu'il doit
souffrir à Jérusalem. Cependant Maucou-
rant arrive chez Anne, à qui il rend compte
du sujet qui le conduit. Anne lui dit qu'il
ne manquera pas de se trouver chez Caïphe.
En etfot , il pari tout aussitôt et va s'y
rendre accompagné de ses trois estafiers, qui
restent à la porte. Dès qu'il est entré, on
tient conseil pour perdre.Jésus ; et le résul-
tat est que Caïphe et Anne ordonnent à leurs
satellites de se saisir de sa personne par-
tout où ils pourront le rencontrer.
(Icy s'en vont ces six tyrans au Temple pour cyder
prendre Jésus ; et Marthe , Muydaleine et Lazare
se tirent à part.)
« Lazare, qui revient d'un grand voyage,
où il a vu une infinité de choses surpre-
nantes , en a la tête si remplie, qu'il lui
faudrait un jour pour en donner un détail
un peu circonstancié. Madeleine le prie de
vouloir bien lui faire en gros le récit. Son
frère, pour la satisfaire, commence d'abord
par les instruire de « l'Enfer en général. »
Ensuite il fait la description « du Limbe des
« Pères , du lieu du Purgatoire , du Limbe
« des petits enfants, » et « du bas Enfer. »
Ce dernier lieu lui fournit une ample ma-
tière pour exposer à ses sœurs les tourments
affreux et les douleurs insupj ortables quo
souffrent' justement les malheureux qui se
sont attiré la colère du ciel. Un rapport si
tidèle, et fait par une personne qui a été té-
moin oculaire de tout ce qu'il dit, jette une
extrême frayeur dans leur esprit et les con-
firme puissamment danslarésolulion qu'elles
ont prise de mener une vie mortifiée, cl de
passer lo reste de leurs jours dans une péni-
tence continuelle. »
XXIII. Du Sourd et Muet possédé du Dyable.
(Icy est uncj homme sourt et muet possédé du Dyable.)
« Deux Juif-, appelés Céphas et Lacédon ,
amènent sur le théàlre un homme muet et
sourd, qui par-dessus tout cela est encore
possédé d'un esprit malin. Ils ont bien de
la peine a le conduire, car ce malade qui pa-
raît assez robuste, et dont le démon aug-
mente encore les forces, leur cause beau-
coup d'embarras, et s'agite d'une façon ex-
traordinaire.
LE MUET.
Ail! bc:i , b .11.
LACÉDON.
Si fori se lempesle
Que c'est une chose admirable :
Il se roni cueur, corps, membres, icsie.
LE M Ci. T.
Eli! lieu , I eu , heu.
« Ces deux Juifs prient le Seigneur de
vouloir bien accorder la santé à ce miséra-
ble. Jésus le fait, et ordonne à cet hommo
de no plus pécher; ensuite de quoi il se re-
tire. Les pharisiens arrivent avec Isachar,
Jacob et Nachor, Scribes, et malgré le té-
moignage de l'homme qui vient d'être guéri
et des autres qui l'aecompagnent, ils refusent
de croire ce miracle. »
XXIV. Murmure de Judas
« Simon le Lépreux vient prier Jésus de
lui faire l'honneur de souper chez lui avec
ses apôtres. Il invite aussi à ce repas Lazare
et ses deux sœurs, aussi bien que Jayrus et
Nicodème.
(Icy vont Jésus, Nostre-Dame, Lazare, Marthe, Jaij'
rus , Nicodesme, et les A].<ostres en ÏOstel de Symon,
et Muydaleine demeure derrière.)
« Les six tyrans rque nous avons laissés
cherchant Jésus au temple, se lassant entîn
d'attendre, sans l'y voir venir, s'en re-
tournent
(Icy s'en retournent les six tyrans devers les Princes
de la Loy, et Jésus et sa compagnie arrivent en
rOstel de Simon en Béthanie, près du lieu où esloii
Lazare ressuscité.)
« Avant que de se mettre à table, on dit
le Benedicite, selon que nous l'avons déjà
observé plus d'une fois.
{Icy se assiet Jésus au milieu, Noslre-Dame d'unq
coslé, S. Jehan de l'autre, et puis tous les Apoî'
1res. Lazare, Jayrus et ISicodesme se assient. Ju-
das sert, et ne s'assiel point, Marthe et Symon
servent, et puis se assient , cl Magdaleine n'y est
point.)
Madeleine, qui ne se trouve point à ce
repas, est occupée d'une pensée bien dif-
férente. Pour témoigner sa reconnaissance a
Jésus, elle prend une boite remplie du par-
fum le plus exquis, en intention de l'aller
trouver chez Simon, et de répandre sur lo
Seigneur cet aromate précieux,
(Icy s'en va Magdaleine ci tout sa boè'te songneusement
au souper de Symon, et cependant arrivent Us six
tyrans devers les Princes de la Loy.)
« Ces tyrans viennent rendre compte de
leur commission et de leur poursuite in-
fructueuse. Le conseil, ne pouvant se saisir
de Jésus, se résout à faire mourir Lazare,
dont la résurrection fait un si grand
bruit,
(Icy se départent tous les Princes delà Loy, et les
tyrans s'en vont.)
« Pour revenir au repas de Simon, Made-
leine arrive enfin chez lui, et répand sur la
têie du Sauveur l'excellent parfum qu'elle
vient d'apporter. Son odeur réjouit toute
l'assemblée, qui témoigne qu'on n'en peut
trouver do plus excellent. Cependant quel-
ques-uns des conviés murmurent de cette»
prodigalité, et, entre ces derniers, Judas
ne peut s'empêcher de s'en plaindre hau-
tement.
judas.
J ". slime 'iu'o.i l'eusi
icn vendu
&
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
755
La somme (ie troys cous dealers,
Desquelz, pour le-moios, j'en eusse eu
Trenle pour ma pari îles premiers.
« Il est à présumer que ces deux derniers
vers sont dits tout bas, et il est censé que
les autres personnages né les entendent pas.
Jésus le reprend fort aigrement, el ce traî-
tre en conçoit un si grand dépit que dès
ce moment il forme le dessein de se dé-
dommager de cette perte aux dépens de son
maître.
{Icy se lievent loua, et Miilbrun dessert, cependant que
Jésus el ses Apostres dyent grâces en silence ; puis
parle Jésus à Nostre-Dame.)
« Avant que de se retirer ils remercient
Simon de sa lionne chère; les apôtres sur-
tout en .sont fort contents, el saint Judo
«rntre autres n'en peut cacher sa satis-
faction.
S. JUDE.
Pour Dieu, ne vous vueille desplaire,
Si souvent céans revenons. >
XXV. De Jésus sur l'Âsne.
« Jésus ordonne h saint Pierre et à saint
Jean de lui amener l'ânesse et l'ûnon qu'ils
trouveront attachés aux murs du château
voisin. Ces deux apôtres vont aussitôt exé-
cuter ces ordres. Ils trouvent l'ânesse et
l'ânon comme Jésus le leur a dit, et comme
ils se mettent en devoir (ie les détacher,
Neptalin s'y oppose. Saint Pierre lui dit
qu'il ne faut pas s'en prendre à eux, et qu'ils
ne font qu'obéir au commandement de
Jésus. A ce nom, Neptalin n'insiste plus,
et leur répond qu'ils n'ont qu'à faire ce
qu'ils souhaiteront. Alors les deux apôtres
emmènent ces animaux , et les conduisent
à leur maître: ensuite voyant qu'il s'ap-
prête h monter l'ânesse, ils lui offrent de met-
tre leurs manteaux dessus. »
(Jetj monte Jésus sur IWsncsse, et y a quatre Apostres
qui vont devant; Judas mai te l'Asne par le licol,
el les autres Apôtres vont après. El est fin de la se-
conde Journée.)
Fin delà seconde journée du Mustèredc la
Passion.
PERSONNAGES
De la troisième journée du Mystère de la Pas-
sion.
s. symon, A poire,
s. jude , idem.
TUEU LE PERE.
JÉSUS-CHRIST.
LA SAINTE VIERGE.
saingt kiciiel, Ange.
Gabriel, idem.
raphael , idem.
driel', idem.
chérubin, idem.
séraphin, idem.
s. pierre, Apôtre.
S. André, idem.
s. Jacques d'il Major , ta
s. jehan, idem.
s. Philippe , idem.
S. BARTHÉLÉMY, idem.
s. Mathieu, idem.
$. tiiomas, idem.
s. Jacques , dit Minor , id.
judas, idem
LAZARE.
MARTHE.
MAGDALEINE.
pérusine, demoiselle de
la Magiialeine.
pasiphée, idem.
nicodesme , Docteur de la
Eoy.
jayrus , Archisymgogue.
symon lépreux, Pharisien
converti.
zachée, autrement nom-
mé LAM>ULPUE, Ct liis-
oinle orciillc de Jésus.
juj.lye, veuve ^e Naïni ,
convertie à Jésus.
yèronne, femme pieuse
que Jésus a guérie d'un
flux de sans.
abias , disciple de saint
Jean-Baptiste cpii suit
Jésus.
sophonias, idem.
manassès, idem.
benjamin, fils de Manas-
sès, E niant chaulant les
louanges
i Seigneur
à son entrée dans Jé-
rusalem.
ei.iud, idem.
JAPHET, idem.
a bel , idem.
abacuth, samaritain con-
verti.
gée-éon, idem.
neptalin, Habitant de
Naïm, converti.
malbrun, idem.
GÉi.ius, domestique de
J iJ'IUS.
moab, idem.
tubal, autrefois Para.y-
lique , el à présent
domestique de Za-
chée.
CAYPIIE.
ANNE.
jéroboam, pharisien.
mardocuée , idem
naason, idem.
joathan, idem.
lliachin, idem.
bananias idem.
jacob, scribe.
1SACHAR, idem.
nathan, idem.
naciior , idem.
phares, Juif ennemi de
Jésus.
abiron , idem.
salmanazar, idem.
nembroth, idem.
emélius. oiseleur.
rabanus changeur.
celcidon marchand d'a-
gneaux.
nÉDRoiT.servante d'Anne.
maucourant, messager
d'Anne.
griffon , Tyran de Pilale.
brayart, idem.
»rillart , idem
claquedent , idem.
roullart, Tyran d'Aune
dentart, idem.
cadiffer , idem.
bruyant, Tyran de Cay-
phe.
malchus, idem.
IjRagon , idem.
crongnart Domestique
d'ilérode.
brayault , Geôlier.
un charpentier.
troupe de juifs et me
JUIVES.
Lucifer, Roi des Eifers.
satiian , Diable.
BE&ZE8CTH, idem.
bérii il , idem..
aktarotii, idem.
cerbères, iitem.
TROISIÈME JOURNEE.
Cy commence la Tierce Journée du Mystère de
la Passion Jésuchrist : Et est à entendre que
Jésus vient sur l'Asnesse jusqu'au Parc, ct
se assemblent tous les Juifz en plusieurs
bandes pour aller au-devant de luy avec Ra-
meaux vers; et sus l'entrée du Parc y aura
en fans chantons mélodieusement , jusques
ad ce que bonne silence soit faicte au lieu
de Prologue.
1. L'Entrée de Hiérusalcm.
« Aussitôt que les fidèles habitants do
Jérusalem apprennent que le Sauveur vient
faire son entrée dans cette grande ville, ils
accourent au-devant de lui pour le rece-
voir et lui rendre les honneurs dont ils
sont capables. Dès la pointe du jour Nico-
dème, Jayrus, Abacuc, Gédéon, Simon le
Lépreux» Malbrun, Neptalin, Célius, Moab,
Sophonias, Abias, et une infinité de Juifs
de l'un et de l'autre sexe, témoignent le
même empressement; Manassès vient aussi,
conduisant le petit Benjamin, son lils, par
la main.
(Icy vont quérir Rameaux vers, et Manassès vest une
robbe ne.ttfve à benjamin son filz, el luy met uug
chapeau à la teste, et après se faicl rassemblée des
Femmes.)
« Jullye et Veronne, à la tête de quelques
autres 'femmes , ne voulant pas être les
757
PAS
DICTIONNAIRE DES MTSTERES.
PAS
Ï^S
dernières à témoigner leur reconnaissance,
courent au-devant du Sauveur.
[Icy vont les bonnes Dames qncrîr des Hameaux, et
te tient autre Conseil des Marchant de la Ville.)
« Pendant ce temps-la, Emélius, Rabanus
et Celcidon, dont nous avons parlé dans
les deux journées précédentes, sont réveil-
lés en sursaut par le bruit et les cris des
gens qui vont au-devant de Jésus. Ils s'irri-
tent du contre-temps qui interrompt leur
sommeil ; mais enfin la curiosité les en-
traîne, et ils sortent pour voir passer le Sei-
gneur. D'un autre côté un père de famille,
appelé Zachée, demande à son valet Tubal,
qui est le même paralytique du quatrième
Mystère de la seconde Journée, ce que si-
gnifie cette rumeur. Tubal lui apprend que
c'est le peuple qui est en mouvement pour
l'arrivée de Jésus. « Je veux le voir aussi,
« dit Zachée; allons-y. » Ensuite ils y vont
tous les deux.
(Icy est Jésus sur . Asne, et y a quatre des Aposlret
devant, et linyt après : et sont bien loing de la Cité,
et voyent venir ceulx de la Ville tous par ordre, pur-
t.ms rameaux vers.)
« Tout le peuple chante les louanges do
Jésus : lorsque le peuple a cessé, les apô-
tres commencent une hymne dont chacun
d'eux chante une strophe.
(Icy approchent Nicodesme, Jayrus , Symon, et tous
les autres au-devant de Jésus, et se tiennent assés
loinrj de lny, puis dijent par ordre chacun sa saluta-
tion, et se arreslent tous au-devant de Jésus.)
« Les femmes et les enfants nommés Ben-
jamin, Eliud, Japhet et Abel, s'approchent
du Seigneur et chantent des cantiques à sa
louange, qui finissent par ces mots : Osanna
Filio David.
{Icy s arreslent toutung peu loing de la Porte de Hié-
r usaient, cl chantent gloria lads, et est à noter,
que il se mettra une grande partie du peuple devant
Jésus, et le résidu derrière.)
« Pendant que Jésus enlredans Jérusalem,
Dieu le Père fait éclater par un signe l'in-
térêt qu'il prend à son fils
(Icy se faict un doulx tonnaire en Paradis de quelque
gros tuyau d'Orgue.)
« Ce bruit épouvante les Juifs, mais les
fidèles se rassurant redoublent leurs chants,
et Jésus, le long de son chemin, prophétise
les malheurs qui sont près d'accabler cette
malheureuse ville.
(Icy se descend Jésus dessus l'Asnesse, et chemine ung
pelil, et Judas lient l'Asnesse. Ensuite ramaine Ju-
das rAsnc et l'Asnesse quelque part bien loing.)
;< Lorsque Jésus est arrivé, son premier
soin est d'aller au temple prêcher au peu-
ple, pour les exciter à un prompt repentir,
afin d'éviter les maux qui vont fondre sur
fiux. Une foule innombrable de Juifs se
trouvent à son sermon, et surtout les pha-
risiens et les scribes, aussi bien que Caïphe
et Aune. Jésus leur reproche fortement
leur hypocrisie et leur mauvaise conduite,
(317) Suppî*Jc,v
par laquelle ils entraînent tout le peuple
qu'ils séduisent à une damnation éternelle.
Ces orgueilleux pharisiens sont outrés de
rage, et principalement les deux pontifes,
que les discours de Jésus attaquent encore
davantage que les autres, et ils ne peuvent
contenir leur fureur.
CAYPHE.
C'est homme-cy presche le diable,
El congnoisl noz cas si exprès
Qu'il nous touche au cticur île si prè$
Que je ne le puis endurer :
H me failli de dépit furer
Et crever de rage mortelle.
« Les Juifs se retirent et complotent en-
semble comment ils pourront trouver les
moyens de perdre Jésus, qui, ayant fini sa.
prédication, dit à ses apôtres qu'il veut al-
ler en Béthanie. Ceux-ci en sont d'autant
plus aises qu'ils sont fort fatigués et qu'il*
ont besoin de manger.
SAlNCT PIERRE.
Il est ltesoing que ainsi soit,
Car depuis que cy arrivasmes
Nous ne beusmes ne ne niangeastties,
Et est près que soleil couchant.
(Icy vont Jésus et ses Apostret en Béthanie rftf*
Marthe, et Judas demeure derrière.)
IL Le Murmure de Judos.
« Judr.s qui reste seul fait quelques ré-
flexions sur l'étal qu'il a embrassé en de-
venant disciple de Jésus. Comme ce n'est
pas les vues de son salutqui le conduisent,
et qu'il ne songe qu'à son intérêt temporel,
il comprend que les rapines qu'il exerce ne
peuvent pas beaucoup l'enrichir, <t qu'il
ne saurait amasser de grosses sommes en.
suivant ce parti ; c'est pourquoi il se ré-
sout à le quitter au plus tôt et à travailler
sérieusement à sa fortune. »
III. De Jésus et de Marthe.
(Icy est traictée la complainte que (il Marthe à Jésui
de sa sœur Magda'.aine, combien que selon le texte
de l'Evangile, ce fut avant le Dimenche des Ha-
meaux; et se atterra Jésus, et Marthe servira de
boire et de manger. Nostre-Dame et Lazare seront
assis à table, mais Magdaleine sera assise à terre
près de Jésus : cl est a noter, aue on ne i,erl <jite di
poisson et, de beure.)
« Jésus et ses apôtres font de grands re-
merciements à Marthe pour les peines et les
soins qu'elle prend; elle se plaint à Jésus
de ce qu'étant si occupée, sa sœur Made-
leine reste sans rien faire et la laisse char-
gée de tout l'embarras. Jésus la reprend
avec douceur, et lui dit que Madeleine a rai-
son d'en user ainsi : Marthe n'insisle pas
davantage.
MARTHE
Vive donc, comme elle vouldro,
Mais le plaise accepter sans vice
Le mien, comme le sien service;
El supplier (317) mon ignorance.
IN". Les Complaintes de Nostre-Dame.
(Icy se tievenl tous, et dyenl grâces : Après giaca
m
PAS
DICTIONNAIRE DES MïSTEKES.
PAS
7G0
aides, Jésus et yjstre-Damc se tirent eulx deux à
pais assez loing.)
« Notre-Dame a un long entretien avec
Jésus sur la mort qu'il veut endurer; elle
veut rengager, puisque la chose est en son
pouvoir, à diminuer ses souffrances; mais
Jésus, qui veut éprouver tous les maux aux-
quels noire nature est sujette, lui déclare
que rien ne peut changer sa résolution. »
{Icy se déparlent Jésus cl Noslre-Dame d'ensemble,
et vient Jésus aux Aposlres.)
V. Figuier.
(Icu demeure Noslre-Dame avecqv.es Marthe ci Slug-
dalcine, cl Jésus et ses Aposlres s'en veut en Hiéru-
salcm , et en allant va veoir le Fiquier vlain de
feuilles seulement.)
« Jésus, se sentant pressé delà faim, s'ap-
proche de ce figuier, et y ayant cherché du
fruit inutilement, il lui donne sa malédic-
tion.
(Icy s'en vont Jésus et les Aposlres, et après qiïilzsont
bien loinrj l'arbre demeure tout sec.)
« Les scrihes et les pharisiens se ras-
semblent encore et prennent la résolution
d'aller entendre Jésus, pour lâcher de le
surprendre en quelque erreur. »
VI. Interrogation de Jésus.
(Icy vont tous au Sermon de Jésus.)
« Lorsque Jésus a prêché quelque temps,
Caïphe, pour interrompre un discours qui
l'importune, lui demande, à dessein de l'em-
barrasser, par quel pouvoir il fait tous ces
miracles. Mais Jésus, qui connaît la malignité
de cetle question, lui dit qu'il le satisfera
lorsqu'il lui aura répondu si la prédication
de Jean vient de Dieu ou des hommes. Le
pontife interdit demande du temps pour ré-
pondre, et après qu'il s'est retiré, il va
consulter les docteurs de la Loi. La chose
souffre bien des difficultés, car d'un coté
s'ils reconnaissent la vocation de saint
Jean, ils se condamnent eux-mêmes; s'ils
la rejettent, ils se voient exposés à la
haine do tout le peuple, qui a une vénéra-
tion singulière pour ce grand prophète.
Ainsi, ne sachant quel parli prendre, Elia-
cliim, l'un des pharisiens, conseille de ré-
pondre qu'ils n'en savent rien. Caïphe suit
cet avis, mais il est bien étonné lorsque
Jésus lui réplique que, puisqu'il ne donne
aucune solution sur la question qu'il vient
de proposer, il se croit dispensé de répondre
à la sienne. Caïphe et les princes de la Loi,
voyant ensuite que Jésus continue à leur
reprocher leurs vices, se retirent, et Jéro-
boam, l'un d'eux, suggère un moyen pour
tenter le Seigneur, qui est de lui demander
ce que l'on doit faire touchant l'édit que
César vient de faire publier pour les tributs.
Ce conseil plaît à l'assemblée, qui dépêche
Nathan, Naehor, Joâthan Phares et Abiron
pour l'exécuter. Mais, bien loin d'y réussir,
ils sont contraints de s'en retourner rem-
plis de confusion. Lnsuile Jésus sort du
temple avec ses a; ôtres et prend le chemin
de Réihanie : en passant ils voient te figuier
sans aucune verdure, portant les marques
de la malédiction du Seigneur. »
VII. Enfer.
« Tant ne victoires que Jésus remporte
sur les scribes et les pharisiens, le nombre
de miracles qu'il opère continuellement,
jettent l'enfer dans une consternation ex-
trême. Lucifer s'en prenant à Satan, qu'il
soupçonne de n'avoir pas bien fait son de-
vi, ir, l'accable d'injures, et quoiqu'il affirme
par serment que ce n'est pas sa faute, ce
cruel monarque l'abandonne aux fureurs de
ses compagnons; il ne sort de ce tourment
qu'en promettant d'aller avec deux autres
démons tenter Judas et les pharisiens, et
les engager à perdre Jésus. Ces trois es-
prits sortent des enfers pour obéir à cet
ordre. »
VIII. La Trayson de Judas.
« Satan, Belzébuth et "Bérith ont trop
grand intérêt à exécuter leur commission
pour ne s'en pas acquitter de tout leur pou-
voir. D'abord ils s'adressent à Judas, et pro-
fitant des coupables intentions de ce scé-
lérat, qui a déjà envie de quitter son maître,
ils lui suggèrent le dessein de le trahir et
de se récompenser, par ce moyen, du profit
qu'il aurait retiré si on lui avait remis l'ar-
gent qu'a coûté le parfum répandu par Ma-
deleine. Ils lui représentent le bonheur dont
il jouira en acquérant ces richesses, et en
même temps que l'amitié des princes de la
Loi (qui ne manqueront pas de lui accorder
leur protection) est préférable à la vie pé-
nible et laborieuse qu'il a menée à la suite
de Jésus. Toutes ces promesses ne peuvent
que faire un sensible effet sur Judas; l'ava-
rice et l'espoir de se venger sont deux pas-
sions trop fortes pour ne pas entraîner un
cœur corrompu comme le sien; il enlro
dans les sentiments que lui inspirent ces es-
prits malins et se détermine aisément à les
suivre.
« Ces trois démons, satisfaits de celte pre-
mière démarche, ne tardent pas, pour ache-
ver ce qu'ils ont entrepris, d'aller trouver
Caïphe et les pharisiens, qui sont assemblés
et songent aux moyens de perdre Jésus à
quelque prix que ce soit, ne pouvant plus
soutenir les sanglants reproches dont il les
accable; Satan et ses deux compagnons les
fortifient dans celte pensée, et Judas en ai ri-
vant les y trouve.
(/cy arrive Judas au Conseil des Juifz, et snns faire
pause, vient parler à eulx.)
JUDAS.
Seigneur, jesçai liicn que vous flirtes,
Il ne fauli jà t;«ni sermonner :
Dictes que me voulez donner,
El je le vous baillcray.
A.VNC
judas !
Il semble que lu scès le cas.
« Tu le fais donc fort, conlinue-t-il, do
« nous livrer Jésus?— Oui, je vous le pro-
'G!
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTEKLS.
PAS
702
« mois, répond Judas. » Lo marché n'est
pas longtemps à se conclure. Ils conviennent
donc a trente deniers pour livrer Jésus.
Mais comme Judas veut être payé par
avance, Anne lui jette sa bourse où est jus-
tement cette somme, et que l'auteur a voulu
rendre recommamlable par les vers qu'il met
dans la bouche d'Anne :
ANNE.
Tien donc Judas, pian ceslc bource :
Velà (renie deniers d'argent
Qui ont passé par maint genl,
Dont Joseph fut jadis vendu.
« Judas relève celte bourse de terre et la
met dans sapoohe, en réitérant la promesse
qu'il vient de faire; pourvu, ajouta-t-il, que
de leur côté ils aient le soin de se munir
d'une bonne troupe de gens armés. On lui
dit qu'il n'a que faire de se mettre en peine
à se sujet et qu'on y pourvoira.
« D'un autre côté, Jésus et ses apôtres
quittent Béthanie après avoir pris congé de
Notre-Dame et des autres femmes, qui « se
vont mettre comme en oraison » et prennent
la roule de Jérusalem.
« Pour revenir à Satan, il est bon de re-
marquer qu'il reste toujours sur la scène
jusqu'à la mort de Jésus-Christ, excepté
quelques voyages qu'il fait aux enfers pour
instruire sou roi du succès de son entre-
prise. A l'égard de Belzébulh et de Bérith,
ils retournent aux enfers. »
IX. La Cesne de Jésus
;< Zachée père de famille, autrement
« nommé Landulphe, disciple occulte de
•< Jésus, » se prépare à faire la Pàque sui-
vant l'usage des Juifs. En môme temps il
ordonne à Tubal son valet d'aller chercher
de l'eau. Tubal va à la fontaine probalique,
et après avoir puisé de l'eau, il se ressou-
vient qu'étant paralytique depuis trente-
huit ans, il avait eu le bonheur de rece-
voir la guérison auprès de cetle même fon-
taine, et touché de reconnaissance, il en
rend grâces à Dieu et à son bienfaiteur.
(Icy puise Tubal de Te. ni, puis s'en retourne.)
« Saint Pierre et saint Jean, à qui Jésus a
ordonné de suivre une personne qu'ils
verront portant de l'eau, ayant aperçu Tu-
bal avec son vase, marchent sur ses pas et
entrent avec lui dans la maison de Zachée,
à qui ils disent que Jésus leur a commandé
de lui annoncer de sa part qu'il veut faire
ce même soir la Pàque avec lui.
Luy et ses douze commenssaulx.
" Zachée les remercie fort et dit qu'il re-
çoit cet honneur avec joie. Aussi toi les deux
apôtres se mettent en devoir d'apprêter lout
ce qu'il faut pour le repas.
(Icy dressent Sninct Pierre et Saificl Je/uni tu table el
la tonaiHe, et des fouasses dessus, avecques deslaic-
tues vertes en des plats lurquins, et ubillcnl l'Ai-
ijneau Pascal.)
Cependant Judas, craignant qu'on ne le
soupçonne, vient rejoindre les autres disci-
ples; « car, dit-il, si je m'éloigne, on se
« doutera peut-ôlro de quelque chose, et
« l'on pourrait bien à la tin découvrir ma
« trahison ; mais voici ce que je vais faire
« pour empêcher que cela n'arrive. »
JUDAS.
Et sonbzfainté dévocion
Celer ma traîtresse entreprise,
El pour ce, nie failli par fanilise
Simuler le «loti Ix, le bigot,
Le bon preiid'homine, le dévot,
Que l'on ne se deffie de moy.
Après que saint Pierre et saint Jean
tout préparé, comme ils ne voient point
ver Jésus, ils commencent à s'impalien-
«
ont
arri
ter.
SAINCT HERRF.
Viengné hardiment nostre Maistre.
Quant il lui plaira, tout est prest.
SAINCT JEHAN.
Je ne sçay d'où vient cet arrest
Qu'il n'est venu?
SAINCT P1FRRE.
I.a place est prin.se,
Le vin lire, la laide mise,
L'Aigneau rosty, la satilce faicie,
Il lie failli sinon qu'on se nielle
A table, elc.
« Enfin Jésus arrive, et Zachée fait servir
promptenient. Avant de se mettre à table, on
dit Dcnedicite.
(Icy rompt Jésus un g pain par le meitieu ; et est à
noter que ions 1er, Apostres se chaussent de sotiers
blancs, et se ccynent de baudriés, et ont unq bour-
don au poing : a sur la table n'y a point de pain,
sinon petites fouaces, el des laiaues en trois plalz,
el mangeront Itaslivement.
« Un peu avant que de manger la Pàque,
les apôtres moralisent sur cetle fôle mysté-
rieuse, qui leur rappelle la mémoire des
bonlés que Dieu a eues pour leurs pères
en les retirant de la servitude de l'E-
gypte. »
(Icy menguent Jésus , cl tous le Apostres l'Ai-
gneau.)
X. Assemblée des Tyrans.
« Anne, qui a promis à Judas de rassem-
bler un bon nombre de gens bien armés,
envoie son messager Maucourant pour en
amener le plus qu'il pourra. Pendant que
Maucourant va de côté et d'autre pour en
trouver, arrivent les six tyrans d'Anne et
de Caïphe cherchant à pouvoir faire quelque
capture. Heureusement pour eux le mes-
sager d'Anne les rencontre fort à propos :
il leur dit de venir avec lui pour quelque
chose de conséquence, et les emmène; en
chemin il aperçoit (Jrongnart, le serviteur
d'Hérode, le geôlier Brayault et un char-
pentier, qui lui demandent où il va si bien
accompagné, et s'il y a quelque chose à ga-
gner : « Oui, répond Maucourant, la [irise
« est bonne et sera bien payée. — Nous
7C3 PAS DICTIONNAIRE DES MYSTERES
x'en sommes, dit Grongnart. — Suivez-moi
i donc, » réplique Maucourant. »
XI. La Ccne de Jésus.
PAS
?SI
[Icy se lieve Jésus de table, et les Aposlres demeurent
assis.)
« Jésus se prépare à faire la Cène.
(Icy se despoil le Jésus de sa robe, et demeure en une
robe blanche qui est comme une longue jaquette, et
ceincl d'ung cuuvrecliej , puis verse de l\'aue dam
ung bacin.)
JÉSUS.
Je vuei! en ce bacin verser
De l'Eiiue pour vous laver à lotis
Les pietlz.
SAINCT JACQUES.
Sire, que faicies vous? etc.
[Icy se lièrent tous les Apostres de la table, et se as-
sieut de renc sur une longue selle, et oslent leurs
souliers, et se mettront tous en l'ordre qu'ils par-
lent ci-après. Puis se met Jésus j genoulx devant
Sainct Pierre pour lajer les piedz.)
«Sainl Pierre protesteà Jésus qu'il ne souf-
frira pas qu'il lui lave les pieds; le Seigneur
lui répond qu'il faut que cela se fasse ainsi, et
lui ordonne d'obéir. Saint Pierre reçoit avec
humilité l'honneur que Jésus lui fait. Voici
l'ordre dans Ipquel ils sont assis; saint
Pierre, saint André, Judas, saint Jean, saint
Jacques Majeur, saint Simon, saint Jude,
saint Jacques Mineur, saint Matthieu, saint
Philippe, saint Barthélémy, saint Thomas.
Après que Jésus leur a lavé et essuyé
Jcs pieds, il leur commande de se lever.
(Icy se lièrent tous les Apostres surboul, et Jésus
parle à eux.
« Le Sauveur leur ordonne de suivre son
exemple, et surtout d'imiter son humilité,
et d'en user ainsi les uns envers les autres;
ensuite il se dispose à leur donner des mar-
ques plus éclatantes de sa bonté.
(Icy failli entendre que les Aposlres osteront tout des-
sus la table, et tiy demourera que la touaille, et
puis y mettront ung Calice au milieu des Hosties ;
et est à entendre que les Aposlres se assiéront en
rentre qui est cy déduire.)
JÉSUS.
S. Jehan. S. Pierre. S. André.
S. Jacques Major. S. Symon
S. Matthieu. S. Jude.
S. Philippe. S. Thomas.
S. Jacques Minor. S. Barthélémy. Judas
« Après quelques instructions, Jésus se
lève.
(Icy prend Jésus une Hostie , et la lient à la main
gauche, et met la main dextre dessus.)
« Jésus donne la sain'e communion a
ses apôtres, qui chacun en particulier lui
en témoigne sa reconnaissance.
JÉSUS.
Je seray livré cesie imyt,
Et Pung »le vous qui estes assis
A cosie table, et qui a mis
La main au plat avec moi;
Me irayra.
SAINCT JACQUES MAJOR.
Esse poin moy?
SAINCT JEHAN.
Et moy aussy?
SAINCT PIERRE.
Ou moy qui suis icy assU?
SAINCT ANDRÉ.
Esse moy?
SAINCT SYMON.
Suis-je point celuy ?
SAINCT JUDE.
Esse point moy?
SAINCT THOMAS.
Ou moy aussy
JUDAS.
Nunquid ego sum Iîaby?
Nesse point moy, Maislre?
JÉSUS.
Tu le dis.
SAINCT BARTHÉLÉMY.
Esse moy ?
SAINCT JACQRES MINOR.
Ou moy aussy ?
SAINCT PHILIPPE.
Ou moy qui suis icy assis?
(Icy s" encline Sainct Jehan sur la poitrine de Jésus,
et Jésus baille ung morceau de pitin à JudasA
IÉSUS.
Judas Scarioth,
Ce que tu fais, fay le plus lost,
Car l'heure approche.
JUDAS.
De ta main
Je prondray ce morceau <le pain.
El mascheray cesle bouchée.
(Icy masche Judas una morceau de pain, eteepend ut
il se fait une lempesle en Enfer, et vient Sathan le
saisir au corps, par derrière, et luy sort ung diable
faincl sur les espaules.)
« Judas dit qu'il va à Jérusalem pour
quelque affaire importante et qu'il revien-
dra bientôt. »
(Icy va Judas en Jhérusalem.)
XII. De la Trayson de Judas.
« Judas sent quelques remords de cons-
cience que la coupable action qu'il va com-
mettre lui inspire; Satan, Belzébuth et Bé-
rith, craignant do perdre en un instant
toutes les peines qu'ils ont prises à cor-
rompre son cœur, redoublent leurs efforts,
et lui représentent qu'il s'est trop engagé
pour pouvoir se dispenser de remplir sa
parole, surtout ayant reçu le payement de
son salaire. Judas, après avoir balancé quel-
que temps, se raffermit dans le malheureux
parti qu'il a embrassé, et veut satisfaire a sa
parole quoi qu'il puisse lui en coûter.
11 ne me chault d'estre damné,
dît-il en s'en allant.
(Icy s'en va Judas guérir la cohorte des Juifx, tt
Sainct Jehan se lieve de dessus la poitrine de Jésus.)
« Le repas fini, Jésus et ses apôtres, après
705
PAS
DICTIONNAIRE DFS MYSTERES.
TAS
766
avoir dit grâces, Caniemw, etc., remer-
cient Zachée et prennent congé de lui. »
(Icy s'en va Jésus el ses Apostres.)
XIII. La prinse de Je'sus.
« Jésus déclare à sesapôlres qu'ils vont
bientôt l'abandonner; suint Pierre lui pro-
teste que la mort seule pourra le séparer
de lui,- tous les apôtres lui t'ont une pareille
protestation. Au bout de quelque temps,
Jésus leur dit qu'il veut aller au jardin
d'Olivet, et prenant pour l'accompagnet
Pierre, Jacques et Jean, il laisse les autres
derrière lui.
(Icij cheminent Jésus el ses trois Apostres ung petit
loing.)
« Le Seigneur dit à ces derniers de
le laisser seul, et qu'il veut l'aire sa prière.
(Icy chemine Jésus ung peu arrière de ces troys Apos-
tres, el se jette à uenoulx le visage contre terre,
jusques à ce qu'il face sit première Oraisun.)
« D'un aulre côté, Caïphe demande si
tout le monde est prêt à partir (318). On lui
dit que oui. Cette troupe est composée
d'Anne, des six pharisiens, îles quatre
scribes, de Phares, Nembrolh, Salmanazar,
Emélius,des six tyrans d'Anne el de Caïphe,
des quatre de Pi la te, de Grongnart, Brayault
et le charpentier; et enfin de Judas, qui sert
de guide. On demande à ce dernier s'il est
temps de marcher. Judas répoid qu'on n'a
qu'a le suivre, et qu'il faut aller au jardin
d'Olivet, où il sait bien que son maître ne
manquera pas de se rendre. Comme c'est la
nuit et qu'il faut des flambeaux, Grongnart
et Malchus courent en demandera Hédroit,
la servante d'Anne.
(Jcy s'enionl Grongnart et Malchus parler à la vieille
Hédroit.)
MALCHUS.
Hédroit, liaull?
HÉDROIT.
Qui va là?
HALCHOS.
Deux motz.
HÉDROIT.
Que diable vous faut il si tari?
Qui esse?
GRONGNART.
Malchns et Grongnart,
Deux des plus grans de vos amis.
HÉDROIT.
Pendu soit qui vous a là mis,
ot qui vous iiyinc mieulx que moy '.
Quelz a«ijg, pour faire ung desroy (319),
Loges lelz liosies pivs de vous?
GRONGNART.
Mon beau petit musequh) doulx
Ouvrez nous rimys, ma dmilce amye.
« Hédroit, perdant patience, répond par
(318) Cesie assemblée se fait à Jérusalem.
(3U)) Désordre.
(320) Nous avons vu ci-Jevant. au xiv irvslèrc
un torrent d'injures que nous ne jugeons
pas à propos de transcrire ici. Malchus et
son camarade, après avoir riposté par quel-
ques vives reparties, jugent bien, parla ré-
ponse d'Hélroit, qu'elle est fort en Irain de
leur dire des injures et qu'ils [tasseraient
là la nuit avant que de les épuiser, et
voyant d'un autre côté que le temps presse,
ils prennent le parti de l'amener parla dou-
ceur.
GRONGNART.
Ne faisons plus icy la lieslc :
Hédroit, ma doulce seur, ma n.yr>,
Entendez à moy, je vous prie? etc.
« Ensuite il dit qu'ils viennent chercher
des flambeaux pour éclairer la troupe qui
vase saisir de Jésus, Aussitôt qu'Hédroit
apprend que c'est pour Jésus, elle court
promptement.
(Icy s'en va Hédroit quérir torches, fullos el lanternes.)
« Et peu après elle revient avec cet
équipage, et s'offre même à les accompa-
gner et de marcher la première avec son
flambeau.
(Icy s'en vont devers tes Seigneurs, el aportent grant
nombre de torches, fallos et lanternes.)
« Lorsqu'ils sont arrivés, Judas les dis-
pose dans l'ordre où ils doivent être
(Icy fait mettre Judas les gens d'armes en bataille en
deux esles.)
« Lorsque les deux pontifes, les scribes
et les pharisiens voient tout en état, ils se
retirent, ne jugeant pas à propos de se
trouver à la prise do Jésus, craignant d'y
recevoir quelques coups.
(Icy s'en vont les Scribes el Pharisiens.)
« Judas avertit ceux de sa troupe, qu'en-
tre les apôtres de Jésus il y en a un qui lui
ressemble si fort, qu'ils pourraient s'y mé-
prendre (320) : c'est pourquoi, ajoute-t-il,
saisissez celui que je baiserai, et à qui je
dirai Ave Raby, et vous ne uourrez vous
tromper, car ce sera Jésus.
(Icy eheminent tons par ordre, comme secrètement à
la ville : à tout la lanterne va devant assez loing, Ju-
das va après qui a ung baslon à son poing, et tous
les autres par ordre, el Jésus est seul en oraison.)
(Icy se lieve d'oraison, et vient à ses trois disciples.)
« Il les voit endormis et leur reproche de
sôlre laissé abattre par le sommeil, et leur
ordonne de craindre les tentations qui les
peuvent surprendre pendant ce temps si fa-
vorable aux assauts du démon.
(Icy s'en retourne Jésus à son lieu faire la seconde
oraison.)
« Lorsqu elle est finie, il revient trouver
ses apôtres, et les apercevant dans la môme
situation, il leur réitère les mêmes con-
seils.
(Icy retourne à ses disciples qui aorment.)
de la première journée, (pie saint Jacques, t5t le Mi-
Bor, porte un habillement pareil à celui de Jésus, et
qu'il lui rcsseml le.
DICTIONNAIRI
Ibl PAS
« Jl leur dit de veiller, parce que le
temps ordonné approche; ces apôtres s'ex-
cusent sur le chagrin et la lassitude qu'ils
ont, qui leur cause un si grand assoupisse-
ment.
MYSTERES.
PAS
7G8
SAINCT PIERRE.
Le dormir si iresfort me grefve
Que à peine nie puis esveijlcr.
SAINCT JEHAN.
C'est d'ennuis et de desplaisir
Que ec graîit somme nous abal.
« Jésus fait sa troisième oraison, et après
qu'il a un peu prié, il « sue sang par le vi-
sage. » Dieu le Père entend sa voix, mais il
dit qu'il est nécessaire que toutes ces choses
s'exécutent. Saint Michel, Raphaël et Uriel
le supplient de vouloir modérer ces souf-
frances, et Dieu leur ordonne d'aller conso-
ler son tils.
(Icy descendent les Anges, et viennent devers Jésus.
Ces trois anges viennent consoler Jé-
, après quoi ils remontent au ciel.
«
sus
[Icy s'en retournent les Anges, et Jésus vient à ses
troys disciples.)
« Jésus leur ordonne de ne plus dormir,
t3;. leur dit qu'il est temps d'aller rejoindre
leurs compagnons. Il les ramène avec les
autres, et s'étant assis auprès d'eux, au
bout de quelque temps il leur dit de se le-
ver et de le suivre.
{Icy se lièrent tous les Apostres, et Jésus chemine de-
vant à rencontre de Judas, et vient Judas baiser
Nostre-Seianeur au Jardin ; et es! à noter que loue
la cohorte demeure assez loiug.)
JUDAS.
Ave Raby :
Maistre, en honneur soyez maintenu.
JÉSUS.
Amice ad quid venisli ?
Amy, à quoy es-lu venu?
Judas, par ung baiser polu
Tu trahis cy le Fils de l'Homme.
(Icy approche toute la cohorte près de Jésus.)
« Il leur demande ce qu'ils cherchent.
(Icy nimbent tous à terre à revers (52!), et Judas aussi
pareillement.)
« Jésus leur demande une seconde fois
ce qu'ils cherchent, et que si c'est Jésus,
c'est à lui-même qu'ils parient.
MALCHUS.
Voysent au gibet les Apostres,
Puisque avons empoigné le Malsire.
SAINCT PIERRE.
Si aurez vous pour me connoislre
Ce cop bien assis de ma main.
(Icy frappe Saincl Pierre sur la leste de Malchus, et
luy abat l'oreille.)
malcuus chet à terre.
Je suis blecé ; ho! le hauli Dieu'
A malleheure vins en ce Ken,
Car navré me sens à merveille :
Hélas! on m'a couppé l'oieille,
Hélas! j'ay l'oreille perdue,
Pas! on m'a l'oreille abattue.
Jésus
guéri I
ayant pitié du mal de Malchus
et fait une réprimande à saint
Pierre, en lui disant que ceux qui se servi-
ront de l'épée en périront.
(Icy s'approche Malchus de Jésus, et Jésus lui garit
r oreille.)
Jcy cheenl derecliief tous comme devant.)
« Enfin Notre-Seigneur leur ayant or-
donné de se lever, leur déclare que c'est
lui qu'ils demandent et qu'ils peuvent l'em-
mener. A ces mots ious ces archers se jet-
lent sur lui; et s'étant saisis du maître,
ils veulent en faire autant de ses disci-
ples.
BRAVART.
Ne reste plus que de frapper
Sus ces villains, ilz sont tous nostres.
(321) A revers, c'est à-dire à la renverse, couchés
qui est dans l'exemplaire que nous avons suivi.
)
« Cet ingrat satellite, au lieu de remer-
cier son bienfaiteur, lui promet de le battre
de toutes ses forces.
(Icy mainent Jésus tout lyé,et Hédroil va la première,
et ta moitié des Juifz devant Jésus • et Vautre
après.)
« En conduisant Jésus, ces archers l'acca-
blent de coups et d'injures. »
XIV. La Fuyte des Apostres.
(Cependant que on mai ne Jésus chez Anne, tes Apos-
tres sont dispars ça et là et font leurs plaintes.)
« La blessure de Malchus et la hardiesse
de saint Pierre, ayant ralenti l'ardeur de ces
satellites, donnent le temps aux apôtres de
s'enfuir les uns d'un côté et les autres de
l'autre. Cependant saint Jean, ne voulant
quitter son cher maître de vue que le plus
tard qu'il pourra, le suit de loin pour voir
ce qu'il va devenir; comme il veut s'appro-
cher un peu plus près, les Juifs l'aperçoivent
et courent après lui, mais il s'enfuit de
toutes ses forces.
(Icy chemine Saincl Jehan loin après Jésus couvert
de son manteau, et puis s'enfuyl.)
GRONGNART.
Prenez, prenez, c'esl une espie,
Qui nous poursuit sans dire mot.
(Icy laisse Sainct Jehan son manteau à Grongnart.
et s'enfuyl.)
« i^cs Juifs, voyant que leur poursuite est
inutile, retournent rejoindre leur troupe. »
Icy mainent Jésus comme devant est dit, et cepen-
dant Ilédroit va devant garder rituys de chez Anne,
et ulumer du feu.)
XV. De S. Jehan et de Nostre-Damc.
« Saint Jean ne sachant où se réfugier,
après la perte de son maître, prend le parti
d'aller trouver la Vierge Marie.
(Icy vient Sainct Jehan devers Marie en Delhanie.)
sur le dos. C'est ce que représenta la figure
/C'J
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
770
« Pendant que Noire-Dame, Madeleine et
sa sœur Marthe sont inquiètes sur ce qui
peut être arrivé à Jésus, arrive saint Jean,
jjui leur fait le récit de ce qui s'est passé,
sans en rien oublier. Ce discours fait éva-
nouir la sainte Vierge; les autres femmes
font beaucoup de plaintes ; enfin Madeleine,
s'apercevant de l'état où est saint Jean, dit
y sa sœur qu'il faut y remédier promple-
ment.
MAGDAI.E1NF.
Qu'ung veslement lui soil donne,
Ma seur, ne le laissons ainsi
De douleur cl de boit iransi.
(Icy apporte Marthe une belle robe blanche de Damas,
à Saincl Jean, ci il s'en test.)
« Notre-Dame, revenue de son évanouis-
sement, pousse une infinité de plaintes;
dans sa vive douleur, elle s'en prend à tout,
elle croit tous les hommes complices du
malheur arrivé à son fils, et fait une excla-
marion contre elle-même, ensuite contre les
disciples, qu'elle accuse d'une lâcheté ex-
trême, d'avoir abandonné leur maître. Con-
tre Judas, ce traître qui l'a livré après tant
de bontés qu'il en a reçues : enfin elle en-
gage l'assemblée dans ses intérêts , par une
Persuasion aux assistants, et finit par une
Exclamacion à Jésus.
(/ci/ s'en retourne Saincl Jehan en Uiérusatem, cl
rencontre Saincl Pierre.)
« Saint Jean, se trouvant en état de pa-
raître, propose à saint Pierre, qu'il rencontre,
de suivre Jésus, pour être témoins de tout
ce qui lui arrivera. »
XVI. En la Maison d'Anne.
(Icy suyvent Saincl Pierre et Sainct Jehan de (oing
Jésus, que Cou maine; et tous tes Juifz arrivent à
l'Ostel d'Anne.)
« Nous avons dit à la fin du quatorzième
mystère, que la servante Hédroit avait pris
les devants, et avait eu soin de faire un bon
feu. Comme il fait froid, Salmanazar etNem-
brolh viennent s'y chauffer; cependant les
tyrans d'Hérode et de Pilatc sont très-cons-
ternés de n'avoir pu piller. Ils s'en vont,
prolestant fort de ne plus se mêler de choses
de si peu d'importance. Sur ces entrefaites,
saint Jean, qui a froid, frappe à la porte
d'Anne, et comme il est connu de la ser-
vante (parce qu'autrefois, pendant qu'il fai-
sait son métierde pêcheur, il venait apporter
du poisson dans cette maison), Hédroit veut
bien le laisser entrer pour se mettre auprès
du feu. Saint Pierre vient se présenter à la
porte, mais tant s'en faut que cette servante
lui fasse' la même grAce , qu'elle le rebute
avec toute la hauteur et la dureté possible.
La nécessité où se trouve cet apôtre l'oblige
à passer sur toutes ces insolences sans faire
semblant de les entendre, et de renouveler
ses instances.
SAINCT PIERRE.
Vous plairoit-il point que j'entrasse,
Daine, par voire courtoisie ?
hédroit.
Que vous faut-il?
sainct pierre.
De vostre grâce
Vous plairoil-il que j'entrasse?
Il fait si fi oit, je nie chauffasse?
HÉDROIT.
Attendez là, si vous ennuyé.
SAINCT PIERRE.
Vous plairoil il point que j'entrasse
Dame, par yosU'C courtoisie.
hédroit.
Rien, rien, vous n'y entrerez mie,
Si de vous congnoissance n'ay :
Dcsquelz esies-vous ?
SAINCT PIERRE.
Je ne sçay :
En inoy n'y a pas grand aeqiicst.
SAINCT JEHAN.
Helas, Chambrière, s'il vous plaisl ,
Laissés l'entrer à ma rcquesle;
C'est ung vaillant homme et honneste,
Aussy bon que vous veisies huy.
HÉDROIT.
Le congnoissez-vous, Jehan?
SAINCT JEHAN.
Ouy :
Je vous répons de sa personne.
HÉDROIT.
Pour l'amour de vous >e luy donne
Congé d'entrer.
(Ici) entre Sainci Pierre dedans.)
SAINCT PIERRE.
Certes, Hédroit,
Oncques mes je n'eus si granl froil,
Je sens mon cucur si refroly,
Qu'à peine sçay-je que je dy ;
Je viens céans à l'avanlure.
(Icy s approche Saincl Pierre du feu, cl y sont tout
les Juifz auprès.)
PBARÊS.
Ce poure a si granl froidure,
Qu'il se met presque jusqu'au feu.
HÉDROIT.
Il m'est advis que je l'ay véu
Aller souvent par la Cité.
Homme, viens çà, dy vérité,
Es lu pas d'aveeques celuy
Jésus île Nazareth?
SAINCT JEHAN.
Qui luy !
HÉDROIT.
Voire luy, je enide qu'il est
Des gens de Jésus de Nazareth .
Des foys lui ay vu plus de dix.
(Icy la première interroyacion Sainct Pierre, cl le coq
citante assés bus.)
SAINCT PIERRE.
Femme, je ne sçay que lu dis :
Je ne congneus en ma vie,
Ne ne fus de sa compaignie,
Je ne sçay qui esl ce Jésus.
« D'un autre côlé, le pontife Anne oroonno
qu'on lui auiène Jésus, pour l'interroger.
(Icy vient Anne asseoir en une Chaire parée, et or
amené Jésus devant luy tout lyé.)
« Anno fait plusieurs questions a Jésu:
771
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
772
sur sa doctrine; il tâche de le iaire couper,
et de pouvoir lui imputer quelques erreurs:
comme il ne peut venir à bout de ses des-
seins, il prend le parti de le faire tourmen-
ter, et ordonne à ses tyrans de le lier à une-
colonne.
(Icy lyent Jésus au pilier tout vestu.)
« Pendant ce temps-là , saint Pierre est
fort embarrassé ; dans la crainte qu'il a que
l'on le reconnaisse, il veut se retirer, mais
son inquiétude ne sert qu'à le découvrir.
ilXCT PIERRE.
Je trembles de peur
El a y au cueur telle frayeur
D'esire congneu tel que je suis
Qu'il me vaut inieulx a;lviser l'iiis(522;.
Et m'en sortir dehors.
HÉDROIT.
Il semble
Que cet homme a tehe peur qui tremble,
Jamais ne vys homme si simple,
El croy de vray qu'il esl Disciple
De Jésus.
« Oui, assurément, il est de sos disciples,
« dit Nembroih. — Je croy que vous avez
« raison » répond Hédroit. Saint Pierre,
pour leur ôter celte pensée, leur proteste
avec serment qu'ils se méprennent.
SAINCT PIERRE.
Ce me serait trop grande injure;
Par ma conscience te jure,
lu par le Dieu de Paradis,
Je ne suis pas tel que lu dis,
Ne je n'en sçay chose quelquonqucs
Jésus ne COiignots, ne vys oueques,
Puisqu'il en failli jurer si hauli.
(Icy sortent Saincl Pierre et Saiiicl Jehan dehors, et
ne s'eslonynenl pas de là, le coq chante.)
« Les trois tyrans d'Anne, Uoullart, Den-
arl et Gadilfer, exercent toute leur fureur
sur Jésus; au bout de quelque temps, il
prend une curiosité à Anne, qui descend
pour voir à quoi ses gens s'occupent.
« Il les loue fort et leur permet, pour se
délasser, de passer le reste de la nuit à jouer,
pendant que, de son côté, il va se mettre
un peu sur son lit. Le jour venant les trouve
accablant d'outrages le Sauveur. Et Anne,
s'élant réveillé, leur ordonne de conduire
Jésus à Gaïphe. »
(Icymainent Jésus à Cayphe.)
XVII. En la Maison de Cayphe.
« Saint Pierre et saint Jean, inquiets du
sort de Jésus, le suivent chez Caïplie ; el,
tout de môme que chez Anne, ils vont pren-
dre place auprès du feu, avec les six tyrans
de ces deux pontifes.
(Icy demeure Jésus tout seul aevant Cayphe lié des
muins et le corps, el se tirent ses tyrans et Juifz
arrière.)
« Caiphe interroge Jésus ; mats voyant
qu'il ne répond point à toutes les demandes
qu'il lui fait, il appelle Maucouranl , el lui
(322) La porte.
oraonne de publier à haute voix, que si
quelqu'un a quelque sujet de plainte contre
Jésus, il peut librement s'adresser à lui, et
qu'il promet de lui en faire raison. Mau-
couranl sort pour exécuter cet ordre. Pen-
dant ce temps-là, saint Pierre, qui estaupiès
du feu avec les Juifs, souffre une étrange
peine, on l'examine beaucoup, on lui de-
mande s'il n'est point un des disciples de
Jésus, et enfin on le reconnaît justement
pour celui d'entre eux qui a cou| é l'oreille
à Malchus. Cet apôtre, pour démentir toutes
ces preuves, prend le parti de leur faire
croire le contraire à force de serme*" '
sainct pierre, près du feu.
Je puisse eslre excommunié
Anaihéinalisé de Dieu
El mourir en si; propre .îeu.
Maudisl avec les maudiz,
Si je sçay que lu dis :
Car p;ir le Dieu vivant Iassus,
Je ne sçay, ne congnois Jésus.
GADIFFER.
Croire le failli, en conscience,
Puisqu'il iure, cl qu'il se maudit
Si forl.
(A donc le toq chante bien hault.)
(Icy Sainct Pierre se part de la maison de Cayvtte
tout seul.)
« Pendant que saint Pierre va pleurer son
crime, Miucourant publie l'ordre dont il est
chargé. Aussitôt accourt un grand nombre
de Juifs, les uns pour accuser Jésus de mille
crimes imaginaires, et les autres pour le
défendre des calomnies des premiers. Dans
le nombre de ces derniers, se trouvent Za-
chée, Nicodème, Tubal, Gédéon, Moab, Aba-
cuc, Neptalin et Célius.
(Icy arrivent tous les Juifz ensemble chez Cayphe.)
« Pour être au fait de la forme de celte
procédure, il esl bon de savoir que voici
comment s'en fait l'instruction. D'abord un
des accusateurs se présente, el charge Jésus
de Quelque crime. Un des Juifs, zélateurde
la vraie religion, répond à son accusation,
soit en cndémonlrantlafausseté,ouen taxant
son adversaire d'une ingratitude extrême,
de reprendre Jésus pour des actions qui ne
vont qu'au profil de la nation. A ce fi Jèle
citoyen succède un nouvel accusateur; et à
ce dernier un second défenseur, et ainsi de
suite. Voici en deux mots de quoi les Juifs
l'accusent. Emélius lui fait un crime d'avoir
dit qu'il est né avant Abraham. Salmanazar
lui reproche qu'entre les guérisons, qu'il
prétend qu'il a opérées par enchantement,
il a rendu la vue à un aveugle-né. Uabanus
lui impute comme un mépris de la Loi, d'a-
voir fait des guérisons miraculeuses les jours
de sabbat. Nembroth soutient qu'il s'est dit
descendu des cieux. Abiron s'écrie haute-
ment que c'est un séducteur, qui veut se
faire chef d'une nouvelle secte, et introduire
une religion inconnue à leurs pères. Nem-
broth vient encore l'accuser de s'être vanté,
devant tout le peuple, 'de rebâtir le leinple
en trois jours. Ll Celcidon Jui objecte d'à-
I 10
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
774
voir tenu des discours séditieux, attenta-
toires à l'autorité de l'empereur, dans le
dessein de détourner le peuple de lui payer
le tribut ordinaire. Toutes ces calomnies et
ces fausses imputations sont bientôt détrui-
tes par les Juifs -fidèles : cependant, comme
Jésus ne répond rien, Caïphe qui ne cher-
che qu'à le .perdre, fait retirer l'assemblée,
et veut l'interroger a part, pour lâcher de
lui trouver quelque apparence de crime.
(Icy met Jésus tout seul devant Cayplie, et puis se
reculent de lui.)
« Caïphe le conjure, au nom du Très-Haut,
de lui dire s'il est le Fils de Dieu. « Oui, »
répond Jésus. A ce mot, ce pontife, entre
dans une fureur qu'il n'e^t pas possible d'ex-
primer.
caïphe eu criant.
lilasphemavit, blaspliemavil :
Qu'esl-î! besoin;,' d'aller plus loing ?
« Que nous faut-il davantage? ajoute-t-il
« avec transport; ne venons-nous pas d'ap-
« prendre de sa propre bouche l'arrêt de sa
« mort? Il ne reste plus, pour lui donner
« une formejuridique, qu'à lefaire prononcer
« par Pilale. » Tous !es Juifs, à l'exception
d'un très-petit nombre, applaudissentau sen-
timent du pontife; mais, comme il est en-
core trop matin pour parler à Pilate, Caïphe
ordonne à ses valets d'employer ce temps à
tourmenter Jésus ; les tyrans d'Anne s'offrent
à leur tenir compagnie.
(Icy les six tyrans prennent Jésus, et lui crachent au
visage, et Cayphe et tous les Juifs se retirent à
bart.)
« Lorsqu'ils sont las, ils le frappent avec
leurs butons.
(Icy le baient de basions.)
« Au bout de quelque temps, comme ils
s'aperçoivent que tous ces tourments l'ont
extrêmement détiguré, ils se retirent et lais-
sent Jésus tout seul. « J'ai mal au cœur
« quand je le regarde, dit Roullart. — Fai-
« sons autre chose , dit Dragon, couvrons-
« lui le visage, et en le frappant à grands
« coups de poing, nous lui dirons de iioqi-
« mer celui qui lui aura donné le coup. »
(Icy le bendenl et le laissent sur une selle basse.)
« Comme Caïphe voit qu'il esta peu près
l'heure de parler à Pilale, il descend, et trou-
vant ces six bourreaux dans l'occupation que
nous venons de dire , il leur dil de cesser,
et de conduire Jésus chez ce gouverneur,
où il s'apprête à les suivre avec sa troupe.
Ensuite il ordonneà Maucourant d'aller prier
Anne de s'y rendre aussi.
(Icy va Maucourant quérir Anne cl ses gens.)
(Icy s'en vont les tyrans les premiers, qui meinenl
Jésus lyé : et puis Cayplie vient tout seul, et les
Pharisiens, Scribes et Juifz après, chacun en son
ordre.)
« Maucourant arrive chez Anne. Ce pon-
tife, apprenant le sujet qui l'amène, lui dit
qu'il est prêt à aller chez Pilale, et ordonne
à ce messager de le suivre. »
(Icy s'en va Anne et Maucourant Messayier à l'Os'el
de Pilate, où il trouvera Cayphe et ses Pharisiens
et Scribes, qui mainenl Jésus. El est la fin de la
Tierce Journée du Mystère de la Passion Jésu-
Chrisl.)
Fin de la troisième journée du Mystère de la
Passion.
PERSONNAGES
De la quatrième journée
si 01
DIEU LE PERE.
JÉSUS CHRIST.
LA SAINTE VIERGE.
SAINCT MICHEL, Ange.
gabhiel. idem.
Raphaël, idem.
uriel, idem.
chérubin, idem.
séraphin, idem.
SAINT PIERRE, ApÔll'e.
saint andré, idem.
SAINT JACQUES dll M.ljor,
idem.
saint jeiian, idem.
saint Philippe, idem.
SAINT BARTHÉLÉMY, iddll
saint Matthieu, idem.
saint thomas, idem.
saint symon, idem.
saint jude, idem.
SAINT JACQUES, dit Minor,
idem .
judas, idem.
marie j\cob, Sœur de la
Vieige.
marie salomé, idem.
LAZARE.
MAGDAi.EiNE.Sœur de La-
zare,
Marthe, idem.
pérusine, Demoiselle de
la Magdeleine.
pasipiiée, idem.
nicodesme, Docteur de la
Loy.
JOSEPH d'arimathie, Olfi-
cier Juif commis par
l'empereur.
îavrus, Arehisynagogue.
SYMON LÉPREUX.
jullye, veuve de Naîm,
et marchande de Suai-
res.
véronne. Juive attachée
à la doctrine de Jésus.
bartiiimêe aveugle de
naissance , guéri par
Jésus.
LE FEMME COURBÉE.
LE DÉM0N1ACLE.
SÉMON CYRÉNÉUS, Char-
pentier.
CAYPHE.
ANNE.
jéroroam, Pharisien.
mardociiée, idem.
naason, idem.
joatiian, idem.
eliaciiin, idem.
bananias, idem.
jacob, Scri c.
du Mystère de ta Pas-
î t
isaciiar, Scribe.
nathan, idem.
naciior, idem.
phares, Juif ennemi de
Jésus.
abiron, idem.
SAL11ANAZAR, iddll.
nfmbroth, idem.
ceicidon, idem.
raranus, idem.
emélius, idem.
pilate. Gouverneur de
la Judée.
progilla, femme de Pi-
lale.
barraquin, Confident do
Pilale.
griffon, Tyran de Pilale.
brayabt, idem.
drillart, idem.
CLAQur.DENT, idem.
LE CENTURION.
rubion, Soldat du Centu-
rion.
ascanius, idem.
MARCHaNtonne, idem.
longis, Sol lai Romain.
hérode, Té ira roue de Ga-
lilée.
rodigon, Seigneur de la
Cour d'Hérode.
andalus, Maislre d'Hôtel
f d'Hérode.
groncnart, Domestique
d'Hérode.
DISMAS, bon Larron.
barrabas, Meurtrier.
gestas, mauvais Larron.
roullart, T.yran d'Anne.
deniart, idem.
GADiffer, idem.
bruyant, Tyrans de cay-
piie.
malchus idem.
dragon, idem.
hédroit, Servante d'An-
ne.
brayault. Geôlier.
UN CHARPENTIER.
TROUPE DE JUIFS, Fidèlcj
à Jésus.
troupe de juifs, ennemis
de Jésus.
l'ame-jf.sus , Aux Lim-
bes.
a m m, idem.
EVE,
moyse, idem.
D\vn>, idem.
iiéi.ye, idem
WKRÉMI3, idem.
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTEKES,
/ fa
bAl.NCT jr.HAN -BiSTlsTE, BÉR1TH , Diable.
idem., astaroth, idem.
l'ame du box LÀURON, cerbérus, idem.
idem. désespérance.
locifer, Roy (les Enfers, l'ame-judas.
sathan Diable, l'ame de malvais larron.
BELZEBOTH, idem.
QUATRIÈME JOURNÉE
Cy commence la Quatrième Journée du Mys-
tère de la Passion Je'su-Christ.
(Et est à noter que les tyrans de Anne et de Cayphc
mainent Noslre-Seigneur moult rudement, et les
Evesques, Pharisées.. Scribes, et autres Juifz le
suivent les ungs devant, et tes autres après. El Ju-
das qui les veoit de loing, commence.)
. La Sindresse de Judas.
« Quoique le démon se soit empare pour
toujours du cœur de Judas, ce malheureux
ne laisse pas de ressentir les reproches de
sa conscience, qui lui remet sans cesse de-
vant les yeux le crime afl'reux qu'il vient de
commettre, et dont il voit les tristes effets.
Comme il n'y a plus de remède au mal qu'il
a fait, il croit soulager sa conscience, et di-
minuer la punition qu'il mérite, en resti-
tuant le prix de sa trahison, et sort pour
exécuter ce dessein.
« Pendant ce temps-là, saint Jean arrive
en Bélhanie, et apprend à la sainte Vierge
■ tous les tourments que Jésus vient d'endu-
rer. Notre-Dame, ne pouvant plus résister à
l'impatience qu'elle a de le voir, part pour
l'aller trouver; les trois Maries, ne voulant
pas la quitter, s'offrent à l'y accompagner
et sortent avec elle. »
Icy vient iXoslrc-Dame vers Jésus, qui est en mains
des tyrans, et avecques elle sont Marie Jacob ,
Marie Salomé, Maydaleine, Pasipliée, Pérusine,
Saincl Jehan le Vierge.)
II. Devant Pilate.
« Caïphe arrive enfin avec sa troupe au
palais de Pilate : il envoie aussitôt un de ses
valets pour savoir si l'on veut parier à ce
gouverneur : Barraquin vient lui dire qu'il
n'estpas sûr qu'on puisse le voir de quelque
temps, parce qu'il croit que son mailre est
encore au. lit. Caïphe redouble ses instances,
et le prie de dire à Pilate que c'est pour une
affaire de conséquence. Barraquin , impor-
tuné des prières de Caïphe, va à la chambre
de son maître, et l'ayant trouvé éveillé, il lui
dilquelesdeuxpontifesel une IroupedeJuifs
l'attendent pour quelque chosede fort pressé.
Pilate lui ordonne de préparer son prétoire,
et qu'en attendant, il va s'habiller. Peu de
temps après il descend.
(Icy vient Pilate dedeus le Prétoire: cl est à noter
que il y a au milieu du jeu ung parquet tout clos
en carré : et dedens ce parquet il y a une chaire
haulte bien parée, et une autre seconde châtre : et
en celle seconde chaire se siet Pilaie pour faire le
procès de Jésus. Et ne se siet point à la haulte
chaire, jusgues ad ce quil donne sa Sentence con-
tre Jésus pour le crucifier, item, est à noter que
dedens le Parquet qui est le l'ictoire, ny a que
Pilule assis en la seconde chaire, et Jésus devant
luy lyé par le corps, et pur les bras de cordages, et
TAS
776
tous les Juifs scnl dehors au Prétoire asset
loing.)
« Pilate, assis dans son tribunal, et ayant
à la porte de son prétoire ses quatre gardes
et son confident, demande aux. deux pontifes
le sujet qui les conduit. « Seigneur, lui dit
« Caïphe, en prenant Ja parole pour toute
« l'assemblée, voici un homme chargé de
« crimes que nous amenons devant vous ; il
« mérite la mort, et je vais vous dire en peu
« de mots les principaux chefs dont il est
« accusé. En premier lieu, il séduit le peu-
« pie, et veut introduire une religion extra-
« ordinaire. Secondement , il prêche sans
« cesse contre nos cérémonies. Troisième-
« ment, il conseille au peuple de se sous-
« traire de l'obéissance qu'il doit à l'empe-
« reur, et de ne point lui payer le tribut.
« Et enfin, il se dit le roi des Juifs. Pour
« vous prouver qu^ ce n'est ni la haine, ni
« un esprit de vengeance qui nous force à
« vous porter nos plaintes, prenez ce papier,
« ajouie-l-ii, en lui remettant les dépositions
« des Juifs qui ont témoigné conlre Jésus,
« et vous y verrez les noms de ceux qui
« l'accusent, et les crimes dont ils le cliai-
« gent. » Pilate reçoit ce papier , en disant
que les deux premiers chefs ne le regardent
point ; qu'il n'y a que le troisième qui l'in-
téresse, et qu'à l'égard du dernier, il s'en
embarrasse très-peu. Cependant, pour con-
tenter les Juifs, il ordonne à Barraquin de
faire venir Jésus. Ce confident ne l'aperçoit
pas plutôt, qu'il le reconnaît pour la môme
personne qui a fait il y a quelques jours une
si triomphante entrée dans Jérusalem, aux
cris et aux acclamations de tous les habi-
tants ; il se ressouvient aussi d'avoir lui-
même jeté son manteau sous ses pieds, lors-
que a passé devant lui : il revient à Pilate,
et lui rend compte de celle aventure.
(Icy entre au Prétoire Jésus, cl les lances s'cncli-
nent.)
« Pilate csl fort étonné à la vue de ce pro-
dige, les Juifs soutiennent que les satelli-
tes de ce gouverneur favorisent le parti do
Jésus. Enfin, pour terminer ce différend,
Babanus, Abiron et quelques autres Juifs,
ennemis du Seigneur, s'offrent à tenir les
lances. Pilate veut bien encore une fois faire
rentrer Jésus.
(Icy vient Jétus dedens le Prétoire, et les tances
plient derechef.)
« Les Juifs continuent à dire que c'est
par art magique; et Pilate, qui commence à
s'apercevoir de leur animosité, lestait re-
tirer pour écouter le témoignage des défen-
seurs de Jésus.
' (Icy se tirent à part, excepté les bons tesmoings.)
« Pilate les interroge les uns après les
autres. Lazare, l'Aveugle-né, Simon le Lé-
preux , Joyrus, la démoniacle , la femme
courbée, et Véronique que Jésus a guérie
d'un flux de sang, font un rapport fidèle des
grâces qu'ils ont reçues de Jésus, cl des
777 PAS
miracles qu'il a faits en leur faveur; un grand
nombre d'autres Juifs certifient la sainteté
de Jésus.
tous les bons ensemble.
Cet homme icy est sainct Prophète.
ANNE.
Pylale, juge sans demeure
Cest homme à mort, il lault qui meure,
La conclusion en est faicle.
tous les bons ensemble.
Cest homme icy est saincl Prophète.
CAYPHE.
S'en criant (323) le peuple s'efforce
Pour le sauver, si est-il force
Que sa mort hrefvement on traicte.
tous les bons ensemble.
Cest homme icy est sainct Prophète.
*'Çnfin Pilate interroge Jésus, et lui ayant
ûémandé qui il est, le Seigneur lui répond
qu'il est la Vérité. Sur cette réponse, Pilate
fait tout ce qu'il peut pour sauver Jésus, et va
trouver les Juifs pour tâcher de les adoucir,
en leur remontrant qu'il n'est point cou-
p*Me.
\icy tort Pilate dehors du Prétoire, et vient aux
Juifz.)
PILATE.
Seigneurs Juifz et Gouverneurs
Qui pour punir les malfaicteurs
Suis icy Juge subrogué :
J'ay ce poure homme inlerrogué,
De qui la mort avez requis,
Et examiné, et enquis
De son faict au mieulx que j'ay peu :
Mais je n'ay trouvé tant soit peu
Qui soit coupable des péchez
Dont l'accusez, et empêchez.
a Les Juifs, sans écouter Pilate, persistent
à demander la mort de Jésus. Pilate, ayant
appris que Jésus est de Nazareth , et que
cette ville est située dans la Galilée , et du
ressort d'Hérode , tétrarque de cette pro-
vince, est fort aise de trouver un moyen
pour s'exempter de prononcer une sentence
si injuste, et déclare que puisque Jésus est
sujet d'Hérode, c'est à ce prince à le juger,
et que pour lui il ne veut point en connaî-
tre. D'un autre côté, les quatre satellites,
s'ennuyant de ne rien faire, se plaignent
d'être si longtemps oisifs. Heureusement
pour eux, Pilate les fait appeler par Barra-
quin, qui, les trouvant dans cesdispositions,
les en loue.
« Ensuite il leur dit que le gouverneur a
besoin d'eux. Ces quatre soldats accourent
au plus vite, et saluent leur maître en en-
trant.
GRIFFON.
I
Monseigneur ie Préposile
Bvna (lies en ce malin.
l'ILATE.
Comment dea, lu parle latin,
Maislre Griffon, vecy beaux mol/..
« Ces deux mois latins, sortant de la bou-
(323) Si en criant.
Diction n. des Mystères.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
778
che d'un soldat romain, qui ne sait que le
gaulois, causent de l'élonnement à Pilate.
Cela ne l'empêche pas cependant de leur
ordonner de conduire Jésus chez Hérode ;
il dit à Barraquin d'y aller [avec eux, et de
rendre compte à ce prince du sujet pour le-
quel il le lui envoie Caïphe et le reste des
Juifs se retirent, et vont au temple tenir
conseil sur ce qu'ils ont à faire. »
III. Conseil des Juifz.
« Pendant que les Juifs tiennent icur
conseil, Hérode s'entretient avec Rodigon,
Andalus, son maître d'hôtel, et son valet
Grongnart. La conversation tombe sur les
actions surprenantes de Jésus ; Rodigon et
Andalus en racontent quelques miracles,
qui font naître à ce prince une extrême en-
vie de lé voir.
« D'un autre côté, les Juifs délibèrent
quel parti ils vont prendre : comme ils sont
encore dans cette incertitude, arrive Judas,
qui, pressé des remords desa conscience, leur
déclare qu*il a livré le Juste, et « jecte la
;< bource contre terre » celte fatale bourse
où est le prix desa trahison, et s'enfuit. Les
Juifs tiennent un nouveau conseil, pour
savoir ce qu'ils doivent faire de cet argent;
comme on ne peut appliquer au profit du
temple un bien qui a été le prix du sang hu-
main, ils concluent entre eux de le remettre
entre les mains de Phares, pour le garder
jusqu'à ce qu'on puisse trouver moyen de
l'employer.»
IV. La Désespérance de Judas.
« Judas, pressé de plus en plus par ses
remords, entre dans un si grand désespoir,
que ne considérant pas la miséricorde infi-
nie de Dieu, il se met à invoquer tous les
démons, et même toutes les divinités infer-
nales adorées par les anciens païens et les
fameux damnés, dont les poètes de l'anti-
quité ont fait mention.
JUDAS.
Lucifer, envoyé sans demeure
Ton maling adhérant Salhan ,
El pour faire la ebose seiire,
L'oiguelleux ebien Lévialhan :
Belphégor aussy plein d'envie,
Cachodemon, Baal, Aslarolb,
Belberilh (524) plain de gloutonie,
Zabulon, Hur et Begcmoili,
; Belial, Galast et Malost
• • • • • - »
Les furies à vous je m'ingère ,
El conforme ma mauvaistié,
Thésiphone, Aletbo, Megere;
Juges des rigueurs infernales,
Radamente, Cacus, Minos,
Avec les Déesses fatales
Clolho, Lachesis, Alropos.
Amenez moy tous vos suppos,
Bryarye, Chimère et Gourgonne,
Cylcs, Centaure, fdra, Cacos,
Slimpbalide plein de vergongne.
Plusmauldit soye que Tanlalus,
Que les Bélkles, que Texion,
Que les Harpies, que Cysipbus, ,
(324) Beritli.
2*
77-9
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
780
Palamiius ou Yxion.
Plongez-moy de tiens Acheron,
DedensStix, Letes ou Cochile,
Car pire suis que Gercheon,
Par ma irayson très maukiite.
J'appelle Plu lo, Proserpine,
Et le baveur (525) Ascalaphus,
Tesmoing de ma fraude vulpine,
El de mon très-énorme abus,
Par le conseil de Cerbérus,
Chien d'Enfer hurlant à trois lestes;
Centiceps fera le surplus,
Qui en a cent de laides bestes.
Diables, Diables, venez avant.
Venez aider votre servant
Qui a haulte voix vous appelle.
« Lucifer convoque tous ses diables pour
les envoyer vers Judas. Désespérance se pré-
sente, et promet à ce monarque des enfers
de lui amener le corps et l'âme de Judas.
Lucifer lui donne son passeport, et ordonne
aussi à quelques démons de l'accompagner
pour l'aider en cas de besoin.
(Desespérance vient à Judas.)
« Cette redoutable furie lui dit d'abord
son nom, et ensuite elle lui annonce qu'il
faut qu'il soit damné. Un spectacle si terri-
ble et des paroles si effrayantes font frémir
Judas; il voudrait capituler avec elle, et lui
demande si par la pénitence il ne peut pas
effacer son péché, et si Diennehii accordera
pas de pardon? «N'espère rien, lui répond-
« elle; Dieu peut bien te l'accorder, mais
« certainement il ne le voudra pas, car tu en
« es trop indigne. — Hélas l continue triste-
« ment Judas, et si je priais la Vierge Marie?
« —Tous ces efforts sont inutiles, réplique
« Desespérance , tu las trop offensée , en
« trahissant son fils. »
Il faut que tu passe le pas.
ajoute-t-elle, en le regardant avec des yeux
menaçants ; « toute la satisfaction qui te
« reste à présent, c'est que je laisse à ton
« choix le genre de mort qui te fera le moins
« de peine. Tiens, choisis. »
DÉSESPÉRANCE.
Vecy dagues, vecy cousieaux,
Forcetles, poinçons, allumelles (326);
Advise, choisis les plus belles,
El celles de meilleure forge,
Pour te copper à cop (327) la gorge.
(Icy prent Desespérance une dague en sa main, et la
monstre à Judas.}
(Icy luy monstre ung cordeau.)
Ou si lu ayme mieulx te pendre,
Vecy las et cordes à vendre,
(325) Babillard.
(326) Lames de couteaux.
(327) Tout à coup.
(528) Joignons ici une remarque convenable au
sujet. Outre que peu de gens connaissent l'auteur
d'où nous la lirons, c'est qu'elle servira à justifier
les nôtres, qui, en qualité de poêles, pouvaient bien
employer quelque fiction dans ce mystère, puisqu'un
homme qui se donne pour un voyageur, et pour té-
moin oculaire de ce qu'il rapporte, Ta bien couchée
par écrit dans son livre. C'est le voyageur Jean
Pour le estrangler tout à cop.
Que allens-iu? tu demeure trop :
Ba Je fer tandis qu'il est chault.
« Judas, voyant que c'est une nécessité
inévitable, s'abandonne entièrement à Dé-
sespérance, et se détermine enfin, après bien
des discours, à suivre le second parti qu'elle
lui propose.
(Icy monte Judas au liautl d'ung arbre feullu de
bronches de Seur, et Désespérance monte avecques luy
pour luy aider, et les Diables demeurent au bas.)
« Ce malheureux, se sentant proche de sa
fin, veut profiter des instants qu'il a encore
à vivre, et ordonne à tous les diables de venir
reeevbir sa dernière volonté.
JUDAS.
Haro! mon maislre Lucifer,
Et tous les grans dyables d'Enfer,
En mon despit trespassement
Venez passer mon testament,
Ainsy que je deviserai.
« Ne t'embarrasse pas , » répond Satan,
nous sommes tous prêts.
Dy hardiment ; je signeray.
« Judas ayant déclaré ses dernières vo-
lontés, lcsduelles sont dignes de lui, se
pend.
(Icy se pend Judas, et les Diables sont dessoubz luy
[328].)
« D'abord que Judas s'est pendu , tous les
diables accourent pour se saisir de son âme.
Lucifer ordonne qu'on la lui amène promp-
tement. Aslaroth la cherche, mais inutile-
ment.
(Ici crevé Judas par le ventre, et ses trippes saillent
dehors, et l'Ame sort.)
« Cette âme en sortant répand une foule
de malédictions, et s'en va au lieu préparé
pour son tourment. Pendant ce temps-là,
Désespérance, qui a fait l'office de bourreau,
dépend le corps, et les diables l'emportent
aux enfers avec une extrême joie.
(Icy fait (empeste en Enfer.)
V. Devant Rérode.
« Barraquin, à la tête des archers qui con-
duisent Jésus, arrive enfin au palais d'Hé-
rode ; il va parler à ce prince, et lui dit que
Pilate, son maître, ayant appris que Jésus,
accusé par les Juifs, était né son sujet, n'a
pas voulu s'en mêler, et qu'il le lui envoie
comme à son juge naturel, pour en ordon-
ner ce qu'il souhaitera. Hérode reçoit avec
beaucoup d'amitié la politesse de Pilate, et
proteste à Barraquin , qu'en faveur de cet
de Mandeville, qui, en parlant des choses curieuses
qu'il a remarquées à la terre sainte, se vante d'a-
voir vu l'arbre où Judas se pendit. Voici le passage
tel qu'il est. i Item, à l'endroit de Natatoire Siloé,
y a une ymage de pierre i\ ouït anciennement ou-
vrée que Absalon îii faire, et pour ce est appellee
Absalon; et assez près est l'arbre de Such où Judas
se pendit, par despérance, pour qu'il avoit trahi
Noslre-Seigneur : Mais sçachez que ce n'est-il pas,
mais c'est ung autre qui rsi regérée dudict arbre. »
(Voyage de Mandeville, édition iii-40.)
781
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
honnête procédé, il veut bien oublier toutes
les altercations qu'il a eues avec lui, et le re-
garder désormais comme son ami. Barra-
quin, s'étant acquitté de sa commission, or-
donne aux satellites d'amener Jésus.
(lcy mettent Jésus tout seul devant Hérode.)
«Ce prince, qui est porté par son inclina-
tion aux choses curieuses, et qui a entendu
raconter des actions surprenantes de Jésus,
se sent une obligation infinie envers Pilate,
qui lui a procuré cet avantage, espérant que
rtatre-Seigneur fera quelque prodige devant
lui. Dans cette idée,,il fait paraître beaucoup
de bonne volonté pour lui, et se dispose à
l'interroger avec toute la douceur possible.
(lcy les Seigneurs sont encore ensemble au Temple, et
délibèrent venir après Jésus devers Hérode.)
« Les deux pontifes que nous avons lais-
sés assemblés avec les scribes et les phari-
siens, craignant qu'Hérode , de l'humeur
dont il est, ne prenne Jésus en amitié, et le
remette en liberté, se résolvent à traverser
ce dessein de tout leur pouvoir, et, pour ce
faire, ils vont chez ce prince , afin de l'en
empêcher.
(lcy viennent Cayphe et tous les Pharisées et Scribes
vers Hérode.)
« Hérode fait quelques questions à Jésus,
qui ne lui répond rien.
« Les Juifs entrent chez Hérode, qui leur
fait beaucoup d'honnêtetés, et les prie de
s asseoir.
(lcy se assient Anne, Cayphe, et tous les Juifz, cha-
cun en son ordre.)
«Hérode fait encore des demandes à Jé-
sus, mais, n'en pouvant tirer aucune réponse,
il reste fort étonné, et s'imagine que c'est
par mépris pour sa personne. Les Juifs, sai-
sissant cet avantage, le confirment par leurs
calomnies dans ce sentiment.
« Hérode ne voulant faire aucun mal à
Jésus, et cependant désirant le punirdu mé-
pris qu'il fait paraître par son silence, or-
donne à Grongnart de le revêtir d'un ha-
billement blanc.
(lcy Grongnart vest Jésus d'ung habit blanc sur sa
robe de pourpre, où il y a comme une cappe derrière,
et sera long jusques au dessoubz du gras de la
jambe, et pourra estre cainct de une cainclure
blanche.)
« Hérode ordonne qu'on le ramène à Pi-
late en cet équipage. »
(lcy remainent Jésus vêtu de blanc vers Pilate, et
tous les Juifs vont deux à deux après.)
VI. Les lamentacions de Nostre-Dame et des
Maries.
789.
trouver et
« Notre-Dame, les trois Maries, saint Jean
et les deux suivantes de la Madeleine, ayant
perdu de vue Jésus depuis quelque temps,
en paraissent fort alarmées. La sainteVierge
qui y prend un plus grand intérêt , en té-
moigne sa douleur et son inquiétude. Mal-
gré tous les risques qu'elle peut courir, elle (lcy vont les Bourreaux prendre Jésus qui est dedent
prend la résolution de l'aller
tous les autres la suivent. »
VIL Devant Pilate.
(lcy arrivent au Prétoire et mettent Jésus dedens : les
Juifz demeurent dehors, et cependant Griffon et Bar-
raquin vont parler à Pilate.)
« Barraquin vient lui rendre compte de
ce qui s'est passé chez Hérode, et de l'ordre
qu'il leur a donné de lui ramener Jésus,
avec pouvoir d'en faire ce qu'il voudra. Pi-
late, qui croyait être débarrassé de cette
affaire, est fort fâché de ce contre-temps :
les plaintes et les cris des Juifs recommen-
cent avec plus de force que jamais, et les
bons témoins ne cessent de justifier Jésus.
Dans ces circonstances , Pilate imagine un
expédient pour contenter les uns et les au-
tres : comme il sait que c'est la coutume que
l'on délivre un criminel pour honorer la
solennité de la fête de Pâques, et qu'il voit
cette fêle proche, il demande aux Juifs s'ils
veulent que Jésus profite de cette grâce.
Les Juifs rejettent sa proposition, et de-
mandent la liberté de Barrabas, l'un des
trois. larrons que nous avons vu prendre au
treizième mystère de la seconde journée; et
Pilate l'envoie chercher.
(lcy met Pilate Barrabas du coslé gauche, et Jésus
du costé droict.)
« Ce gouverneur, qui voudrait sauver Jé-
sus, tâche de leur faire changer de résolu-
tion mais ils y persistent toujours.
PILATE.
Et que feray-je de Jésus
Vostre Prophète qui cy est
TOUS.
Toile, toile.
PILATE.
Vostre Roy ?
TOUS.
Ce mot nous déplaist.
Toile, toile, etc.
« Enfin Pilate, voyant la fureur du peuple,
se prépare à le satisfaire.
(lcy monte Pilate à la haulte chaire du Prétoire, et
prononce la délivrance de Barrabam.)
« Ce meurtrier, ayant entendu son abso-
lution, prie les Juifs de lui ôter ses chaînes.
Quelques-uns d'entre eux le font, et Barra-
bas s'enfuit aussitôt qu'il se voit en liberté.
(lcy s'enfuit Barrabam, cl sort Pilate dehors du Pré-
toire, et parle aux Juifz, et demeure Jésus tout seid
dedens le Prétoire.)
« Pilate va trouver les princes des prêtres,
et leur dit que, ne pouvant se résoudre à
condamner Jésus à la mort , il va le faire
fouetter par ses bourreaux, et ensuite le lais-
ser aller. Comme ils ne répondent point,
Pilate prenant leur silence pour un consen-
tement tacite, ordonne à ses gens d'exécuter
ces ordres.
783
IPAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
784
le Prétoire, et Vameinent Iiors, et le despoullent,
puis le lient aupilter qui est assez près du Prétoire
de Pilote.
(Icy se assiet Malchus près des quatre bourreaux et
fait des verges.)
« Les bourreaux saisissent avec ardeur cette
occasion, à chaque instant viennent deman-
der des verges à Malchus, et ce dernier a
de la peine à Jes contenter. Pilate, s'aperce-
vant qu'ils commencent à se lasser leur en
fait des reproches, et leur conseille de se
servir de leurs fouets de cordes.
PILATE.
Avant garsons, vous vous rendez,
Reprenez alaine, et vertu.
(Icy prenne chacun son fouet que Malchus leur
baille.)
« Les valets d'Anne et de Caïphe s'offrent
à les aider, et se mettent aussi de la partie
avec eux. Au bout de quelque temps, Pilate,
voyant que Jésus est tout couvert de sang,
leur ordonne de cesser.
PILATE.
Ho ! il souffist pour ceste foys,
Compaignons, cessez au surplus :
« Seigneur, dit Griffon, il me vient une
« bonne idée? — Quest-ce? répond Pilate.
« — C'est que, puisqu'il se dit roi, ajoute
« ce satellite, j'ai envie de le revêtir en roy
« avec de vieux haillons. — Cela n'est pas
« mal imaginé », réplique Pilate.
PILATE.
Ton opinion
Me plaisl bien et me semble propre.
(Icy prenne ung vieil habit de rouge fouré comme de
martres décirées par aucun sort : et le délient de
rattache, et puis le veslent.)
DR1LLART.
Vecy ung roseau très bien fait
Pour faire un ceplre bien aposte.
(Icy lut) baillent ung roseau, puis assient Jésus sur
une basse selle assez près de festache, et assez
loing de Pilate.)
« Ensuite de quoi ils le frappent à grands
coups de roseaux, accompagnant cet indigne
traitement de paroles insultantes.
GRIFFON.
Hce : Ave Rex ludeorum,
Roy des Juifs je vous salue, etc.
(Icy apporte Malchus la couronne d'espines, et la
monstre aux autres.)
« Malchus, qui a promis à Jésus de le
bien tourmenter, pour reconnaître le bien
qu'il lui a fait, vient effectuer encore ses
promesses, et lui apporte ce triste pré-
sent.
MALCHUS.
Tenez, vecy ce qu'il vous fault.
Pour le couronner baullement.
(Icy lui asseoient la Couronne d'espine sur la teste,
et lui enferment avec basions, tant que le sang en
sort.)
(329) Sapprocne.
« Après lui avoir donné encore quelques
coups de roseaux pour diversifier leur amu-
sement ils veulent lui arracher la barbe.
(Icy luy arrachent la barbe.)
« Enfin, Pilate se lève, et croyant que
tous ces tourments auront pu adoucir l'es-
prit furieux des Juifs et assouvir leur insa-
tiable cruauté, il ordonne qu'on lui amène
Jésus; il espère qu'un pareil spectacle atten-
drira les cœurs de ces perfides.
(Icy ameine Jésus abillé comme dist est, à Pilate qui
est au Prétoire, et Pilate sort dehors du Prétoire,
et le monstre aux Juifz.)
PILATE.
Ecce Homo, vecy l'Homme :
Regardez bien, Messeigneurs, comme
Je le vous rends doulx et traictable;
Ecce Homo, vecy l'Homme,
L'Homme voire bien misérable.
Ecce Homo, véritable,
Ecce Homo, raisonnable,
Ecce Homo, l'innocent.
Peuple, soyez pitoyable,
Ecce Homo, ton semblable :
Regarde où ton pouvoir s'eslend.
Ecce Homo, qui ne lent
A orgueil, et rien ne prêtent
Qui vous puisse porter nuysance;
Ecce Homo, qui n'aient
Fors que Dieu soit de vous content.
« Pilate leur demande s'ils veulent don-
ner la liberté à Jésus. Malgré tout ce qu'il
leur peut représenter de plus touchant, ces
esprits endurcis persévèrent de plus eu
plus ,dans leur rage. «Non, non, il faut
« qu'il périsse, s'écrient-ils avec transport,
« puisqu'il s'est dit Fils de Dieu. — Ha ,
« ha! dit Pilate, ceci est autre chose, vous
« ne l'aviez pas accusé de ce crime? Je veux
« l'interroger sur ce fait. »
(Icy rentre Pilate dedens le Prétoire, et y ameine
Jésus, et puis se assiet en la petite chaire.)
« Réfléchissez bien sur ce que vous avez
« à faire, dit Pilate au Sauveur ; vous n'i-
« gnorez pas qu'il est en mon pouvoir de
« vous accorder la vie ou de vous livrer à
« une mort cruelle. — Il est vrai , répond
« Jésus, mais de qui tenez-vous ce pouvoir,
« si ce n'est du ciel? » Cette noble réponse
frappe Pilate, il va rejoindre la troupe des
Juifs et fait un dernier effort pour sauver
Jésus ; comme leur obstination rend ses
soins inutiles, il leur dit avec fureur qu'il
va les satisfaire.
PILATE.
Qui vouldra sa sentence ouyr,
Se tire (329) à la chaire Royalle. »
(Icy s'en va Pilate revestir d'une robe rouge bien ri-
chement, et Barraquin et ses tyrans vont avecqu.es luy,
et laissent Jésus tout seul au Prétoire.)
VIII. Les Limbes.
« Pendant que Satan instruit le roi des
enfers du succès de ses travaux, et lui ap-
prend qu'enfin, grâces à ses soins, Jésus va
785
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
786
être sacrifié h la fureur du peuple juif, et
est prêt d'être condamné par Pilale, pen-
dant, dis-je, que ce démon fait ce récit à
Lucifer, les saints Pères, renfermés dans les
limbes, prient Dieu avec ardeur de vouloir
bien hâter leur rédemption. Dieu le Père,
pour les soulager, envoie ses anges avec
ordre de les consoler et de leur annoncer
que Jésus allait les délivrer dans peu.
Moïse, Elie et saint Jean-Baptiste en témoi-
gnent leur satisfaction par des actions de
grâces. »
IX. Enfer.
« Progilla, femme de Pilate, n'ayant pu
dormir de la nuit, à cause du bruit et de la
rumeur que la prise, et ensuite le jugement
de Jésus ont causés, veut se jeter un moment
sur son lit pour se délasser de cette fatigue
et trouver le repos qu'elle a perdu.
(Icy se couche, la femme de Pilale sur nng beau lit ae
camp bien paré, et Barraquin se siet en une chaire
auprès du lit.)
« Lucifer, qui vient d'apprendre de Satan
que Jésus va être condamné, est fort surpris
d'enlendrepar les cris de joie des saintsPères,
que ce Jésus est le Messie qui va mourir
pour les délivrer ensuite. « Nous sommes
« perdus, maudit Satan, s'écrie- 1- il avec
« une fureur inconcevable; tes soins n'ont
« servi qu'à avancer notre malheur; mais,
« pour l'empêcher, il reste encore un moyen:
« vas trouver la femme de Pilate, elle est
« endormie ; inspire-lui, par un songe ef-
« frayant, le dessein d'empêcher son mari
« de prononcer cette terrible condamna-
« tion. » Satan , malgré le peu d'espérance
qu'il a de pouvoir réussir, part pour obéir au
commandement de son maître f»
X. Crucifiment de Jésus.
« Le songe que Satan procure à l'épouse
de Pilate produit en elle tout l'effet qu'il
peut désirer. Elle se réveille tout épou-
vantée et dans une agitation inexprimable.
Elle appelle aussitôt Barraquin, et lui or-
donne d'aller dire promptement à son mari"
de ne point juger l'homme innocent qu'il
est prêt de condamner.à la mort, parce que
cela lui causera des malheurs infinis, ajou-
tant qu'il a grand tort de s'être laissé sé-
duire par l'or que les Juifs lui ont donné.
Barraquin va aussitôt trouver Pilate qui est
assis dans son tribunal, prêt à prononcer.
Ce gouverneur, sachant que Barraquin vient
lui dire quelque chose en secret, fait éloi-
gner l'assemblée, et ce fidèle domestique
exécute ponctuellement sa commission. Pi-
lale, saisi de crainte, descend de son siège
et va parler aux Juifs, pour les engager à
prendre un parti plus doux. Cette dernière
tentative fait aussi peu d'effet que les pré-
cédentes sur l'esprit de ce peuple furieux;
enfin, Pilate continuant : « Puisque vous
« persévérez, leur dit-il, à me demander sa
« mort, je vais vous contenter, mais je vous
« déclare que je n'ai aucune part à ce juge-
(350) Nappe.
• !
I
« ment, que j'en rejette sur vous toute l'inir
« quilé, et que désormais vous répondrez
« de son sang. Approche , Barraquin , »
ajoute-t-il,
PILATE.
Aporle le pot à laver,
Et le bassin et la toùaille (530),
Puis à laver icy me baille,
J'ay grant baste, abrege-moy tost.
(Icy Barraquin donne à laver à Pilate.)
« Les Juifs disent à Pilate qu'ils consen-
tent qu'eux et leur postérité demeurent char-
gée de la mort de Jésus.
EMÉL1US.
Tout son sanc descende et redonde ' •
Sur nous et sur tous noz enfans.
RABANUS.
Tant que nous serons en ce monde
Et fusse jusqu'à dix mille ans,
Nous en serons participans,
Si fault que sa mort, nous confonde.
, CELCIDON.
Tout son sanc descende et redonde
Sur nous et sur tous noz enfans.
« Faites silence , » dit Pilate, étourdi de
leurs cris.
PILATE.
Nous Ponce Pilate,
Garde, par charte bien fondée,
De la Prévosté de Judée,
Juge criminel soubz la main
Du très-craint Empereur Romain.
Après les informations,
Charges et accusations,
Enquestes et tesmoings produis
De par la partie des Juifz,
Encontre Jésus qui cy est,
NOUS-le condamnons par Arrest
Quoiqu'en adviengne droict ou tort,
Souffrir et endurer la mort, etc.
« Comme me voilà tout prêt, dit Pilate
« aux deux Pontifes, voulez-vous que je
« juge les voleurs qui sont dans la Prison ?
« — Volontiers, » répondent Anne et Caï-
phe. On les envoie chercher aussitôt, et
Brayhault l'es amène. Ces larrons reçoivent
leur condamnation d'une façon bien diffé-
rente. Gestas ne l'entend pas plutôt pronon-
cer qu'il commence à vomir une infinité
d'imprécations; maisDismas, s'avouant cou-
pable de plusieurs crimes, envisage son
supplice comme l'expiation do ses péchés.
Lorsque tout cela est fait, Pilaledemandeaux
pontifes de quelle grandeur ils veulent les
trois croix. lis le prient d'en faire construire
une fort grande pour Jésus, et les deux
autres à l'ordinaire. Pilate donne ordre qu'on
les satisfasse; et Griffon va chez le char-
pentier pour les lui commander. Ce dernier
dit qu'il n'a pas de pièce de bois assez
longue pour faire celle de Jésus, à moins
qu'on ne lui permette de prendre une vieille
planche, qui est auprès du temple de Salo-
raon. Pilate la lui fait délivrer, et cet ouvrier
se met en devoir de fabriquer ces trois
croix, et d'y faire des trous pour iC passage
787
PAS
[DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
788
des clous. D'un autre côté, Brayard va chez
un maréchal pour les faire apprêter. Ne
trouvant personne dans la boutique, il se
met àjurer; le bruit qu'il fait attire la vieille
Hédroit, qui lui en demande le sujet; et,
lorsqu'elle l'apprend, elle dit à Brayarl qu'il
ne s'inquiète point et qu'elle-même va les
forger, ce qu'elle fait ensuite. Sur ces ^en-
trefaites, le charpentier ayant achevé les
croix, prie Griffon de l'aider à les porter ;
celle de Jésus est si pesante que ces deux
hommes ont beaucoup de peine à la traîner.
Enfin, lorsque tout est prêt, les satellites de
Pilate dépouillent Jésus.
(Icy commence à cheminer Jésus portant sa Croix sur
les espaules au meilleu des deux Larrons, et est
à noter que une partie des Bourreaux ae Anne et
de Caijplie vont devant et derrière, après luy Anne,
Cayphe, Pylale, les Pharisiens et Scribes, et tout
le Peuple ; et lantost arrive Centurion et les femmes.)
« Centurion, suivi de Rubion, d'Ascanius
et de Marchantonne, obéissant aux ordres
de Pilate, arrivent oour accompagner Jésus
au supplice.
« D'uu autre côté, Notre-Dame, la Made-
leine, Marthe, Julie, Vérone, Pérusine et
Pasiphée s'empressent pour voir Jésus ;
Joseph d'Arimathie prend part à leur peine,
et les conduit par un chemin détourné, mais
plus court, ce qui fait qu'elles arrivent bien
plus vite. Jayrus, Nicodème , Sophonias,
Simon le Lépreux et Bartbimée, qui est le
même aveugle de naissance que Jésus a
guéri, s'entretiennent de la mort injuste
porter sa croix, à moins qu'on ne lui donne
quelqu'un pour lui aider. Pilate commande
qu'on exécute cet ordre, et Griffon, qui en
est chargé, voyant passer «Symon Cyrénéus»
ce juste « comme ung Charpentier qui
« porte ces fermens au coul , » le saisit au
collet, et, malgré sa résistance et ses re-
présentations, l'amène à Pilate.
GRIFFON.
Sire, je vous commet et baille
Cest homme qui vous quiert et trace (331).
SYMON.
Ha! Messeigneurs, sauf vostre grâce,
Pas ne vous quiers en vérité.
« Je passais mon chemin, Messieurs ,
« ajoute-t-ii. — C'est en vain que tu pré-
« tends nous résister, répondent ces ar-
« chers ; il faut obéir aux ordres de notre
« gouverneur. »
« Enfin, après quelques coups, ils le for-
cent à se rendre à leur volonté.
{Icy porte Symon une partie de la Croys et Jésus
l'autre, et les bâtent les Sercjens.)
« Pendant ce temps-là, Dieu le Père, qui
veut soulager les tourments de son Fils,
ordonne à ses anges d'aller le consoler.
(Icy descendent les Anges de Paradis.)
« D'un autre côté, tout l'enfer se met en
mouvement ; l'approche du Messie alarme
mortellement le roi de ce lieu sombre ; ri
appelle tous ses esprits et leur ordonne de
que Jésus va souffrir, de l'inhumanité des se bien tenir sur leurs gardes, en s'apprê-
pontifes et des scribes et de la lâcheté du
gouverneur.
« Lorsque Jésus , succombant sous le
poids de sa croix, passe devant les fenmes
dont nous venons de parler, elles se met-
tent à pleurer; le Seigneur leur dit de ré-
server ces larmes pour elles-mêmes. Comme
il a le visage baigné de sueur, Véronno
s'approche un linge à la main pour le lui
essuyer.
(Icy approche Veronne ung couvrecef sur la face de
Jésus, et la Véronique y demeure.)
« Les fidèles Juifs qui se trouvent pré-
sents à ce miracle, après en avoir loué
Dieu ians leurs cœurs , conseillent à Ve-
ronne de conserver avec soin ce linge pré-
cieux.
« Les femmes recommencent leurs pleurs
et leurs plaintes à la vue des maux que
Jésus souffre, et Pilate ordonne à ses satel-
lites de hâter leur marche et de faire reti-
rer ces femmes qui les importunent.
PILATE.
Que ne les chassez-vous arrière?
Ce semble femmes forcenées.
(Icy demeure Jésus chargé de sa Croix, comme s'il
devoit lumber soubz le fais.)
tant à une vigoureuse résistance. Les démons
lui promettent de s'y employer de toutes
leurs forces, et Cerberus lui dit de ne rien
craindre.
CERBERUS.
Laissez le venir, s'il entre ens (332)
Je veux qu'on m'arde le museau.
« Lucifer, un peu rassuré par toutes ces
protestations, dit à Satan de remonter sur
la terre, pour être spectateur de tout ce qui
se passera, et lui enjoint, sur toutes choses,
de ne pas manquer à venir l'avertir au mo-
ment qu'il verra Jésus expirer. Satan part
pour obéir à ces ordres.
(Icy arrivent au Mont Calvaire, et demeure Sainct
Michel et les autres Anges avec Jésus.)
« Les bourreaux demandent qui est celui
que l'on veut crucifier le premier. Caïphe
leur ordonne de commencer par Jésus, et ,
avant toutes choses, de le dépouiller entiè-
rement.
(Icy te deveslent tout nu, et Nostre-Dame derrière
avecques les Maries.)
(Icy Nostre-Dame et ses seurs s'approchent de Jésus
et cainct Nostre-Dame Jésus d'un cuévrechef.)
« Après que l'on a fait retirer les femmes,
« Le centurion, qui s'aperçoit de la fai- les bourreaux étendent la plus grande des
blesse où Jésus se trouve, en avertit Pilate, trois croix par terre, et y attachent Jésus.
et lui dit qu'il est impossible qu'il puisse Lorsqu'ils ont cloué une main, il se trouve
(331) Qui vous cherche et suit,
(332) Ici dedans.
789
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
-fi
;so
que l'autre ne peut allèindré au trou que
l'on a percé, ce qui les oblige, pour plus de
diligence, à lui tirer le bras avec des cordes
pour lefàire Venir au point qu'ils demandent.
Le même inconvénient se rencontrant quand
ils veulent lui attacher les pieds, ils se ser-
vent d'un pareil moyen. Pendant ce temps-
là, les trois Maries, qui voient les tourments
inouïs que Jésus souffre, fondent en pleurs,
et saint Jean, qui les accompagne, ne peut
cacher ses larmes. Ensuite, lorsque l'on est
prêt à lever la croix, Caïphe prie Pilate de
composer une inscription pour l'y attacher;
Pilate y consent, et se retire à part pour la
l'aire.
(Icy escript Pilate.}
« Lorsqu'il l'a achevée, il la place lui-
même au lieu où elle doit être, et ordonne
aux bourreaux de poser cette croix à l'en-
droit du supplice.
(Icy lièrent Jésus crucifié, à force de gens, et de pi-
ques et basions tout bellement [555].)
« Silôl que les Juifs aperçoivent l'inscrip-
tion, ils en font leurs plaintes à Pilate et le
supplient de vouloir bien la changer. Ce
gouverneur, pour la première fuis, rejette
leur demande, en leur disant qu'il n'a pas
le temps.
PILATE.
Messeigneurs, quod scripsi, scripsi :
Et en murmure qui vouldra,
Car ce que j'ay escript icy,
Est escript et y demourra.
« Les Juifs se retirent tous confus, et
Pilate ordonne que l'on expédie les deux
larrons, qui sont crucifiés d'une façon un
peu différente de celle de Jésus
(Icy dressent les eschelles pour pendre les deux Lar-
rons.)
(Icy pendent les deux Larrons les tyrans de Pilate, et
les attires leurs aydent.)
« Satan, qui voit tout ce qui se passe,
maudit la facilité qu'il a eue à séduire les
Juifs.
La première parolle de Jésus en croix.
Père, qui tes servans eslis,
Et eu (jui toutes choses sont,
Tu voys de quelz gens je suis pris,
El le dur courage qu'ilz ont ;
Pardonne-leur s'ilz ont mespris,
Car ilz ne sçavcnt pas qu'ilz font,
« Gestas maudit avec imprécation le fatal
moment où il a été arrêté , et le bon larron, au
contraire, bénit le juste supplice qu'on lui lait
endurer. Cependant les princes de la Loi et
tous les autres Juifs ajoutent aux tourments
de Jésus des paroles insultantes.
(Icy tes Princes de la Loy se mocquent de Jésus.)
« Les bourreaux enchérissent encore sur
eux.
(Icy se moquent les tyrans de Jésus.)
« Gestas même , tout attaché à la croix,
(355) Tout doucement.
lui dit mille injures. Mais Dismas , après
l'en avoir repris, se tourne du côté de Jésus,
et le supplie d'avoir pitié de son Ame. Te
Seigneur l'exauce, et lui promet entière mi-
séricorde.
La seconde parolle de Jésus.
Et certainement je le dis,
Que pour le désir que en loy voy,
Ceste journée en Paradis
Seras colloque' avec moy.
« Ce pécheur pénitent le remercie de
celte grâce qu'il n'osait attendre. Noire-
Dame, qui est toujours au pied de la croix,
fond en larmes à la vue des maux que souf-
fre son Fils. Le Sauveur la console en lui
adressant ces mots :
Le tiers mot de Jésus.
Mulier ecce- filins tuus.
Femme, ayez cueur et pacience bonne,
Cessez ce ducil,si de mon suis perçus (554);
Prenez en gré le filz que je vous donne,
Voslre nepveu, qui de voslre personne
Songnera bien aprez mon gref irespas;
Prenez-la, Jehan, voslre maislie l'ordonne,
Servez la bien, et ne la laissez pas.
« La sainte Vierge et saint Jean lui pro-
mettent une obéissance parfaite. Cependant
les quatre satellites de Pilate se partagent
entre eux les habillements des deux lar-
rons.
(Icy fait Griffon quatre lots des robes des Larron»!)
« Lorsque chacun d'eux a pris son lot,
ils en veulent faire autant de ceux de Jésus;
mais, voyant que sa robe est toute d'une
seule pièce et sans aucune couture, ne vou-
lant pas la mettre en morceaux, ils se pro-
posent de la tirer au sort. Toute la difficulté
consiste à savoir quelle espèce de sort ils
choisiront. Après avoir rêvé quelque temps,
ils se séparent, dans la résolution d'en
chercher quelqu'un, et prennent des routes
différentes les uns des autres. Le hasard
veul que Griffon va du côté de Jérusalem ;
comme il marche tout rêveur, il se sent
tout à coup saisir par une personne dont le
visage lui est inconnu.
(Icy jeele Salhan un manteau sur ses espaules, et puis
arreste Griffon par te bras.)
« Ne crains rien, lui dit ce démon, je sais
« le dessein qui te conduit, et je veux te
« protéger; tiens, conticnue-t-il en lui don-
« nant deux dés à jouer, pour te montrer
« que je prends part à ce qui te regarde, je
« t'apporte un nouveau jeu, dont je suis
« l'inventeur. » Griffon reçoit ces dés, mais
ignorant leur usage, il le demande. Satan
lui en donne l'explication, aussi bien que
la manière de s'en servir; il lui recommande
sur toutes choses, que s'il veut y être heu-
reux, il doit jurer fortement, et que c'est là
le moyen le plus sûre pour réussir. Griffon
lui proteste de n'y pas manquer, et après
l'avoir remercié, il s'en retourne. A quel-
ques pas de là, Satan le rappel. « Ecoute,
(334) Frappé.
791
PAS
DICTIONNAIRE
« lui dit-il, si l'on te demande à qui tu es
« redevable de celte invention, dis hardi-
« ment que c'est le diable qui te l'a ensei-
« gnée. »
La quarte parolle de Jésus eu croix.
Hely, liely, lamazabalani :
Deus meus, ut quid rue dereiiquislil
Mon Dieu, mon Père de lassus,
, Comme quoy m'a lu lessé cy ?
• J'en souffre tant que n'en puis plus,
Et d'apre douleur suis transi :
Je né reconfort de nulli,
Non plus qu'ung poure homme oublyé,
Recoy la douleur de celuy
Que lu voys tant humilié.
(Icy retourne Griffon, qui apporte deux douloùeres.)
« Griffon, apportant ces instruments, de-
mande à ses compagnons s'ils n'ont point
trouvé quelque jeu. « Non, répondent-ils. —
« Oh bien, pour moi, dit ce satellite, j'en
« sais un qui fera justement notre affaire.
« — Qui te l'a donc enseigné, répliquent
« les autres? — Le diable, ajoute Griffon.
« — Le diable? répondent ceux-ci, cela
« doit être fort joli ; dis-nous-le donc promp-
te tement. » Griffon les instruit de la façon
dont il faut en jouer, sans leur déclarer ce-
pendant le secret dont Satan lui a parlé.
Mais il est trompé dans celte pensée, car
ses compagnons n'ont pas besoin d'ins-
truction sur cet article. Pour couper court
Brayart prend un dé, et en jurant amène
un as; Griffon le raille sur ce mauvais coup.
griffon. :
Il semble que lu soyez maistre ;
Que Dyable l'en a tant apris?
Drillard, suivant les tracesde son compa-
gnon, arrache le dé et jette un deux; Cla-
quedenl continuant sur le même ton, tourne
un trois ; et Griffon, renchérissant sur les
autres, amène un six et emporte la robe.
Les trois satellites' entrent dans une fureur
extrême, et vomissent mille imprécations
contre le jeu, l'inventeur, celui qui le leur
vient d'enseigner, et tous ceux qui s'en
serviront à jamais.
(Pause, — Icy se font ténèbres.)
« Lecentenicr et ses soldats sont fort
épouvantés de cette nuit subite. Anne pour
les rassurer leur dit que ce n'est qu'une
éclipse de soleil.
La quinte parolle de Jésus encroix.
Scitio, j'ay soif désirée,
De Paradis à l'homme rendre;
J'ay soif de ma mort bien eurée (535),
Pour la vie aux pécheurs eslendre ;
J'ay ma chair pour tous martirée,
Autant qu'elle se peult comprendre, etc.
« Abiron prend une éponge et la trempe
dans du vinaigre mêlé de fiel et où l'on a
fait infuser de l'hysope.
(Icy luy met une esponge au bout d'ung baston, et
donne à boire à Jésus.)
DES MYSTERES. PAS m
La sixième parolle de Jésus en croix.
Consummatum est, il suffist,
Toute l'Escripture sommée
Qu'oncques homme de moy escript
Est de cesle heure consommée :
Tanlost sera terminée i
Ma Mort et dure Passion,
Et de Dieu mon Père acceptée
Pour l'humaine Rédemption.
« La sainte Vierge continue ses plaintes
et ses pleurs.
La septième parolle de Jésus,
en criant le plus haut qu'il pourra
crier : In manus.
0 Pater; in manus tuas
Commendo spiritum meum.
Par la puissance que lu as
Mon Père, et par ton digne nom,
Je n'ay plus jour que cesluy non,
Et me pars du règne mondain :
El au partir par piteux son
Mon esperit commande en ta main.
(Icy se jera tremblement de terre, et le voile du Tem-
ple se rompt par lemeilleu, et plusieurs mors tous
ensevelis sortiront hors de terre de plusieurs
lieux, et yront deçà, et delà.)
« Ces prodiges, qui surviennent au mo-
ment que Jésus expire, sont suivis de plu-
sieurs désordres. Satan, qui reconnaît son
maître, frémit de rage, et descend comme
un furieux aux enfers, pour apprendre cette
nouvelle à son monarque. Notre-Dame
tombe dans un évanouissement d'où l'on a
bien de la peine à la faire revenir, et Pilate,
saisi de crainte , ordonne au centurion
d'avoir soin de tout, et se retire avec ses
satellites.
(Icy s'en vont Pylate et tous ses gens.)
« Le centurion est touché jusqu'au fond
du cœur, aussi bien que ses soldats. «Nous
« n'en pouvons plus douter, s'écrie le pre-
« mier, c'est là le Fils de Dieu. » Après cela
ils s'entretiennent ensemble sur tout ee
qu'ils viennent de voir. Pendant ce temps-là,
Dieu le Père ordonne à ses anges de célé-
brer par leurs chants le trépas de son Fils.
Ces esprits bienheureux obéissent et enton-
nent une espèce d'hymne latine, en forme
de chant royal, qui est une sorte de poésie
iort en usage au temps de nos auteurs.
(Chant Royal en latin, qui se pourra chanter bien
piteusement.)
« Nous n'en rapportons que la fin
MICHAEL.
Kyry penitenlibus.
RAPHAËL.
Eley languentibus.
UR1EL.
Zon libi credenlibus.
MICHAEL.
Christe, confidentibus.
(355) Bienheureuse.
. — ■»
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ï93 PAS
RAPHAËL.
Parce peccaloribus.
UR1EL.'
Pacem donans omnibus.
MICHAEL.
Tibique sit gloria.
In sempiterna secula.
'< Gabriel do son côté console la Vierge
Marie et lui représente qu'elle doit se res-
souvenir, que si Jésus est mort, il doit
aussi ressusciter dans trois jours, x
XI. Les Limbes.
«Satan, pour montrer à son maître le
zèle qui l'anime, ne voit pas plutôt Jésus
expirer, qu'il descend aux enfers pour l'ins-
truire de cette fâcheuse nouvelle. Lucifer
est très-surpris de le voir si effaré.
LUCIFER.
Comment le va, Sallian ?
SATHAN.
Très mal.
LUCIFER.
Qu'as-tu, quel giaut Dyable le lient?
SATHAN.
Veez cy l'Ame Jésus qui vient,
Pour nous despouiller cent contre ung.
LUCIFER.
Haro ! Dyables, tous en commun,
Fermez vos portes à puissance,
Mettez vous trestous en deffence,
Chargez barres de dix milliers,
Soyez plus fermes que pilliers ;
Vecy venir noire adversaire.
l'ame JÉSUS.
Attoltite portas principes vestras,
Et elevamini porte eternales, etc.
Pi ince d'Enfer, ouvre/ vos portes,
Si entrera le Roy de gloire.
LUCIFER.
Qui est ce Roy dont nous exortes?
l'ame JÉSUS.
Princes d'Enfer, ouvrez vos portes.
« Les démons font beaucoup de résistance,
enfin, après quelques discours, Satan s'a-
vance.
SATHAN.
Qui est ce Roy tant glorieux?
l'ame JÉSUS.
C'est un Seigneur fort et puissant,
(/ci/ chêenl les portes d'Enfer.)
LES DIARLES.
Haro, haro, haro, hélas !
Vecy ung terrible ebarroy.
« Les diables prennent la fuite et Jésus
prend par la main les âmes d'Adam, d'Eve,
de saint Jean-Baptiste et de Jérémie, et leur
dit de le suivre sans crainte.
(/ci/ les maine Jésus en Paradis terrestre, et cepen-
dant se fait tempesle en Enfer.)
« Lucifer, pour se dédommager de la perte
qu'il vient de faire, dépêche ses esprits
PAS
794
pour aller chercher les âmes des deux lar-
rons. »
Suite du crucifiment de Jésus. — « Caïphe
et Anne, se voyant à la veille d'un sabbat
très-solennel, et ne voulant pas que les
corps de ceux qui viennent d'être crucifiés
y restent exposés devant tout le peuple,
vont prier Pilale d'ordonner qu'on leur
rompe les os , afin qu'ils meurent plus
promptement. Pilale appelle ses satellites et
leur commande d'exécuter la volonté des
pontifes.
(Jeu prennent les quatre tyrans chacun sa douloùere,
et retournent à la Croix, el rencontrent Longis.)
« Ce soldat romain, qui est aveugle, leur
demande où ils courent si vile. Les satel-
lites satisfont sa curiosité, el ce misérable,
malgré son incommodité, se sent une haine
si violente contre Jésus, qu'il les prie de le
vouloir bien conduire a la croix du Sau-
veur, afin, leur dit-il, que je puisse avoir
le plaisir de lui donner un coup de ma
main.
« Les tyrans de Pilate, en arrivant, com-
mencent par expédier les deux larrons
(Icy monte Claquedent à reschelle,et va frapper sur
les cuisses, et sur les bras, et sur les jambes du
bon Larron, et en sort le sang.)
« Dismas expire en implorant la miséri-
corde de Dieu.
(Icy monte à l'eschelle, pour coupper les os du mau-
vais Larron.)
« Et celui-ci meurt le blasphème à la
bouche. Ils ne tardent pas l'un et l'autre a.
recevoir le salaire qu'ils méritent; car
l'ange Gabriel conduit l'âme du bon larron
au ciel, et Satan, d'un autre côté, se saisit
de celle do Gestas et l'entraîne aux enfers.
« Lorsque ces bourreaux vont à Jésus,
ils sont étonnés de le trouver sans vie :
« Tu es venu trop tard, disent-ils à Longis.
« — Au moins, répond ce dernier ; aidez-
« moi, je vous prie, à le frapper tout mort
« qu'il est. »
(Icy lui baille Brayart une lance, et lui ayde à la
mettre contre la cosle de Jésus.)
< Le sang sort en abondance mêlé avec
de l'eau. Ce spectacle surprenant touche le
centurion et ses soldats, qui embrassent dès
lors la doctrine du Sauveur; Emélius, Ra-
banus, Celcidon, Phares, Abiron, Salmana-
zar et Nembroth cessent d'être ses persé-
cuteurs, à cette vue, et témoignent le re-
pentir qu'ils ressentent d'avoir outragé celui
qu'ils reconnaissent à présent pour le Fils
de Dieu. Ils se retirent en gémissant et
frappant leur poitrine. Leur exemple occa-
sionne la conversion de Longis, qui se jette
à genoux el les larmes aux yeux, prie
Jésus de lui pardonner son crime.
(Icy met Longis du sang de Jésus dedens ses yeulx.)
« Pendant ce temps-là, les bourreaux dé-
tachent les corps des larrons. »
(Icy despendent deux cl deux ung Larron, et les lais-
sent à terre.)
79ë Ï>AS DICTIONNAIRE DES
Xll. Sépulture de Jésus.
«Joseph d'Arimathie, seigneur juif, et
revenu par l'empereur d'une charge considé-
rée, va trouver Pilate, dont il est fort
connu et qui est de ses amis, et le prie de
lui permettre d'ensevelir le corps de Jésus;
ce gouverneur lui accorde sans peine ce
qu'il demande.
PILATE.
Qui que s'en marrisse, ou s'en fume,
Pour l'honneur de vostre personne,
Joseph.. Jésus le corps vous donne :
Allez, et l'osiez hien en haste
« Joseph se retire fort satisfait , et va
pour exécuter ce qu'il a projeté. En son
chemin il rencontre Nicodème qui, appre-
nant son dessein, offre ses soins pour l'ai-
der en celte entreprise. « J'ai, dit-il à Jo-
« seph, des parfums précieux qui nous
« serviront, et il ne nous manque plus
« qu'un suaire. » Heureusement pour eux
se présente Julie, celle môme veuve de
Naïm, dont nous avons vu que Jésus a res-
suscité l'enfant. Nicodème et Joseph s'adres-
sent à elle et Ja prient de leur vendre un
suaire; Julie leur en livre un du plus fin
lin que l'on puisse trouver, et demande un
besan d'argent pour son payement; comme
elle n'en veut rien rabattre, assurant qu'elle
le donne à juste prix, Joseph lui paye ce
qu'elle demande et emporte le suaire.
(Icy emporte Joseph le suaire, el Nicodesme apporte
les boueltes aux ongnemens.)
« Ces deux Juifs vont encore prendre
quelques outils, et munis de tout ce qu'il
leur faut, ils prennent le chemin du Cal-
vaire pour descendre le corps de Jésus.
(Icy monte Nicodesme pardevant la Croix, el Joseph
derrière, et porte Joseph tes tenailles et marteau,
et Nicodesme porte le suaire.)
« Joseph a bien de Ja peine à détacher les
clous qui sont enfoncés si profondément,
que ce Juif est obligé de se reposer quel-
quefois.
MYSTERES.
PAS
796
(Icy le descendent de la Croix, et Sainct Jehan leur
pourra bien aider, el la Mugdalene.)
« Lorsque cela est fait, la sainle Vierge
demande que, pour dernière consolation, on
lui laisse la liberté d'embrasser un moment
son cher Fils.
(Icy s'assiet Nostre-Dame à terre, el prenl Jésus en
son giron, el les Maries sont auprès.)
« Madeleine, voyant la Vierge occupée
autour du corps de Jésus, va embrasser la
croix du Sauveur, et là continue ses pleurs;
Noire-Dame, Marthe et les Maries en font
de même de leur côté. Au bout de quelque
temps, Joseph, les interrompant, leur repré-
sente que la nuit approchant le force à
faire plus de diligence, et que c'est a re-
gret qu'il les prive de cette triste satisfac-
tion
(Icy oingnent le corps de Jésus après quoi ils l'ense-
velissent et ensuite ils le portent au monument.)
« L'ange Gabriel console la Vierge Marie;
pendant ce temps-là on met le corps de
Jésus dans le tombeau, et lorsque lout est
prêt, saint Jean, Joseph et Nicodème le
ferment d'une grosse pierre.
(Icy mettent la pierre à ïuys du monument.)
« La Vierge et les Maries, qui ont tou-
jours suivi le corps de Jésus, se retirent
en pleurant et prennent le chemin de Bé-
thanie; saint Jean les y accompagne, et
Joseph et Nicodème s'en retournent à Jéru-
salem.
« D'un autre côté, Caïphe, Anne, avec les
scribes et les pharisiens, se souvenant que
Jésus a promis de ressusciter le troisième
jour après sa mort, et craignant que ses
disciples n'enlèvent son corps pour faire
courir ce faux bruit, vont chez Pilate, pour
le prier de faire mettre des gardes à son
tombeau pendant quelques jours.
(Icy viennent les Scribes et Pharisiens devers Pilate.)
« Caïphe demande à Barraquin si l'on
peut parler à son maître. « Je n'en sais rien,
« répond celui-ci, car il est de fort mau-
« vaise humeur. — C'est pour quelque chose
« qui presse, réplique le pontife. — Pour
« vous contenter, dit Barraquin, je vais voir
« s'il peut vous donner audience.
BARRAQUIN
Monseigneur, les pharisiens
Viennent vers vous.
PILATE.
Maulgré ma vie,
Barraquin, tay toy, je le prie •
Car d'eulx, ne de leur fait n'ay cure,
En despisl du hanlt Dieu Mercure,
Quant oneques je fis rien pour eulx.
BARRAQUIN.
Haro ! que Dyable il est fumeux !
« Monseigneur, continue Barraquin, ils
« m'ont dit que c'est pour une affaire d'une
« grande importance. Eh bien, répond Pi-
« laie, fais-les donc entrer. » Caïphe ne
larde pas à se présenter avec toute sa com-
pagnie, et prenant la parole, il commence
un discours dont Pilate, ne voyant point le
but, s'impatiente fort.
PILATE.
Venez au point qui vousamaine;
Besoing n'est de interlocutoire
« Seigneur, réplique Anne, comme nous
« avons appris que ce Jésus que vous avez
« condamné à la mort s'est vanté de res-
« susciter au bout de trois jours —
« Eh bien 1 » dit Pilate en l'interrompant.
PILATE.
Et puis, quant il seroit ainsi,
Que voulez-vous qu'on vous y face ?
« La grâce que nous vous demandons ,
« ajoute Mardochée, c'est que, comme nous
« sommes persuadés que ce n'est qu'une
« imposture, vous vouliez bien nous accor-
« der des gardes, de crainte que ses disci-
« pies n'enlèvent son copps et ne fassent
707
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
798
« courir le bruit qu'il est ressuscité. — Je
« n'en ferai rien». répond Pilatè, et je n'ai que
« trop consenti à vos volontés; c'est vous
« qui m'avez forcé à prononcer l'injuste
« arrêt de sa mort. »
PILATE.
Après sa mort suffist-il mye
Qu'il ail en Croix perdu la vie;
Que diable, demandez-vous plus ?
Que luy feriez-vons au surplus?
En esl-on pas assez vengé?
« Vous avez vos gardes, continue-t-il ;
« prenez-les, car pour moi, je. ne, veux plus
« m'en mêler. » Les deux pontifes, remplis
de confusion, se retirent avec leur suite;
ils vont au plus tôt chercher des soldats et
s'adressent à ceux du centenier.
(lcy viennent parler aux gens de Centurion.)
« lUibion , Ascarius et Marchantonne
veulent bien se charger de cette commis-
sion, mais avant toutes choses ils deman-
dent l'ouverture du tombeau, pour voir si
véritablement le corps do Jésus y est.
Caïphe leur permet de lever la pierre" qui le
ferme, ce qu'ils font en présence de tous
ces Juifs; et qui, y ayant trouvé le corps du
Sauveur, font remettre la pierre, et pour
plus grande sûreté y posent chacun leur
sceau. Ensuite ils s'en retournent chez eux,
après avoir averti les soldats d'appeler du
secours en cas qu'on vînt pour les forcer,
et ceux-ci restent pour la garde du tom-
beau. »
PROLOGUE FINAL.
Puis qu'avons eu temps et espace
De réduire C:> brief par escript
La Passion de Jesu Christ,
Ayons-en recordacion,
Aflin que par compassion,
Puission mériter messoùen (336),
El en la (in gloire. Amen.
Cy finit le Mystère de la Passion ISostre-
Seigneur Jesuchrist.
EXTRAIT
DU MYSTÈRE DE Là RÉSURRECTION DE NOTRE-
SEIGNEUR JÉSLS-CIIRIST.
PERSONNAGES.
DIEU LE PÈRE.
JÉSUS-CHRIST.
LE SAINCT-ESPEUITCnsigne
de Lingues de feu.
LA SAINCTE VIERGE MARIE.
sainct 'iichkl, ange.
CABRIEL, idem.
raihaf.l, idem.
cricl, idem.
chérubin, idem.
séraphin, idem.
sainct pierre, apôtre.
sainct andray, idem.
SAINCT JACQUES (lit BtàjOf,
idem.
SAINCT JEHAN, idem.
sainct Philippe, idem.
(336) Désormais.
SAINCT BARTHÉLÉMY, lûem.
Sainct Mathieu, idem.
sainct thomas, idem
sainct s y mon, idem.
sainct JUDE, idem.
SAINCT JACQUES ALPIIAY,
d'il Minor, idem.
sainct MATiiiAs, idem
MARiE JACOB.
MARIE SW.OMÉ.
MARIE MAGDALEINE.
sainct Luc Disciple de Jé-
sus.
cléopiias, idem.
joseph barsabas, surnom-
mé le Juste.
nicodesme, Docteur de la
Loy.
JOSEPH d'ARI.MATIUE, Ol'fi-
cier Juif commis par
l'Empereur.
rubem, Disciple de saint
Jacques dit Minor.
gédéon, idem.
neptalin, idem.
moab, Juif suivant le parti
de Jésus.
abiron, idem.
tubal, idem.
celius, idem
UN ESPICIER.
L'osTEdu Bourg d'Einaiïs.
CAYPlIE.
ANNE.
jéroboam, pharisien.
mardochée, idem.
naasson, idem.
joathan, idem.
eliachin, idem.
bannanus, idem.
jacob, scribe.
ISACHAR, idem.
natiian, idem.
naciior, idem.
pilate, Gouverneur de la
Judée.
progilla, femme de Pi-
late.
•:.-
barraquin, Confident de
Pilate.
CENTURION.
ascanius, soldat.
rubion, idem.
MARCHANTONNE, idem.
roullart, Tyran d'Anne.
dentart, idem.
cadiffer, idem.
bruyant, Tyran de Cay-
phe.
mai. chus, idem.
dragon, idem.
BRAYAULT, Geôlier.
TROUPE de juifz.
adam, aux Limbes.
eve, idem.
david, idem.
isaye, idem
B1ÉRÉMIE, idem
EZÉciiiEL, idem.
SAINCT JEHAN-BAPTISTE ,
idem.
le bon larron, idem.
lucifer, Roy des Enfers.
sathan, Diable.
astaroth, idem.
fergalus, idem.
bérith, idem.
cerbérus, idem.
MYSTÈRE DE LA RESURRECTION.
Icy commence le Mistere de la Résurrection
etAssencion Nostre-Seigneur Jésus-Christ.
I. Des Chevaliers du Sépulchre.
« En finissant l'extrait de la quatrième
journée du mystère de la Passion, nous avons
laissé Ascanius, Marchantonne et Rubion,
auprès du tombeau de Jésus dont on leur a
confié la garde; nous les retrouvons ici dans
la même occupation, et s'entretenant ensem-
ble de leur valeur. Ils en paraissent telle
ment persuadés qu'ils protestent ne pas
craindre une vingtainede personnes qui vou^
d raient leur faire violence. »
II. Conseil des Juifz.
« Pendant ce temps-là, Caïphe et Anne
tiennent conseil avec les scribes et les pha-
risiens, pour délibérer sur la démarche de
Joseph d'Arimathie. C'est le scribe Jacob qui
le défère et qui soutient que, malgré la
charge dont il est revêtu, il n'a pas pu, sui-
vant sa religion, sur la seule permission de
Pilate, ensevelir le corps de Jésus qui a fini
sa vie par une mort ignominieuse. L'assem-
blée ne balance pas à déclarer Joseph cri-
minel, et Caïphe ordonne aux satellites de
se saisir de lui et de ramener.
BRUYANT.
Et après?
elyachin, pharisien.
Et, Sire, esse à vous
Que nous en devons rendre compte? etc.
bruyant.
Pardonnez-moy, je m'éjouye,
Et alloyc à la bonne foy. i
799
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
800
III. Des troys Maries.
« Madeleine, Marie Saloraé et Marie Jacobi
paraissent en pleurant la mort de Jésus :
comme elles n'ont point eu la satisfaction
d'embaumer son corps, elles se munissent
chacune d'une boîte, et prennent de l'argent
suffisamment pour aller acheter des parfums,
et ensuite les répandre sur lui. »
IV. Joseph d'Arimathie devant les Scribes et
les Pharisiens.
« Les satellites d'Anne et de Caïphe cou-
rent de tous côtés pour trouver Joseph d'A-
rimathie ; lorsqu ils le rencontrent, ils se jet-
tent tous sur lui, et le traitent avec beaucoup
d'inhumanité.
ROULLART.
Sa, Maislre, ne rebellez point :
Faictesvous icy du grobis?
Vous vendrez par devers nobis;
Passez avant légieremeut.
JOSEPH.
Seigneurs, menez-moy doulcement.
Quel ebose me demandez-vous?
MALCHUS.
Vous le sçaurez à vos cbiers couslz, etc.
« Ces malheureux, malgré leur nombre,
craignant que Joseph, tout désarmé qu'il
est, ne leur échappe, ils le lient avec de for-
tes cordes, sans écouter ses raisons, et ne
le regardant que comme un scélérat qui va
bientôt subir une mort cruelle.
JOSEPH."
Comment ? je n'enlens point cecy ;
Messeigneurs, que voulez-vous faire?
MALCHCS.
Vous le sçaurez par exemplaire,
Avant qu'il soit gueres d'espace;
Sus-lost, esebarissez la place,
11 n'est pas saison de preseber;
11 fault le païs despecher
De voslre sanglante ebarongne.
JOSEPH.
Vecy douloureuse besongne.
De moy si rudement traicter :
Vueillez moy nng peu supporter,
Larron ne suis, ne couveulx (337).
MALCHUS.
Et si tu ne vaulx gueres mieulx.
« En accompagnant ces paroles insultantes
d'une infinité de coups, ils l'amènent au
conseil des Juifs. Dès que Joseph se voit
devant eux, il se défend du crime qu'on lui
impute, et allègue un grand nombre de pas-
sages de l'Ecriture sainte, qui non-seulement
Eermettent de rendre aux morts ce charita-
le soin, mais même le commandent comme
une œuvre méritoire aux yeux de Dieu.
« Tout ce que vous dites est vrai, lui répond
« Caïphe, mais vous vous trouvez dans un
« cas bien différent. — Armez-vous de pa-
« tience, » ajoute Anne d'un ton charitable.
ANNE.
Vous avez la mort desservie,
Josepb, or la prenez en gré.
(337) Envieux.
(338) Quelles.
«Comment, réplique Joseph, quel mal
« ai-je fait en ensevelissant le corps d'un
« homme innocent ? » Cette dernière parole
inspire à l'assemblée une fureur inexprima-
ble; sans observer aucune formalité, les
deux pontifes ordonnent qu'on le conduise
en prison. « Je suis officier de l'empereur,
« s'écrie Joseph, et j'en appelle à son tribu-
« nal. » Les Juifs méprisent ces défenses,
et commandent aux satellites d'obéir promp-
teruent; ces derniers exécutent cet ordre
avec leur rigueur ordinaire, et amènent Jo-
seph au geôlier Brayault, qui l'enferme dans
un cachot affreux. »
V. Des Maries, et de VOingnement qu'ils (338)
achetèrent.
« Madeleine et ses deux compagnes, pour
accomplir le dessein qu'elles ont pris dans le
troisième mystère, vont trouver un épicier,
et lui demandent combien il lui faut pour
remplir les trois boîtes qu'elles portent du
parfum le plus exquis. « Je ne puis le faire,
« répond-il, à moins de cent besans (339). —
« La somme est un peu forte, répliquent-
« elles
MARIE JACOB.
N'en pourrait-on point rabaisser,
Cher maistre? Soyez-nous bénin
l'espicier.
En vérité, Dame, nennyn ;
Croyez, que je n'y gagne guère, ele.
« Je vous parle en conscience, ajoute-t-il.
« — Puisque cela est ainsi, disent les fem-
« mes, tenez, voilà votre argent, et donnez-
a nous de la meilleure marchandise que
« vous avez. » L'épicier leur livre des bau-
mes'précieux, et elles les emportent, en in-
tention d'aller au tombeau de Jésus, dès le
lendemain, a la pointe du jour. »
(Icy s'envont mcllre à point les oingnemens.)
VI. De Sainct Jacques le Mineur et de ses
Disciples.
« Rubem, Gédéon et Neptalin , disciples
de saint Jacques le Mineur, font tous leur
possible pour consoler leur maître qui pa-
rait dans une tristesse extrême. Tous leurs
efforts sont inutiles, et cet apôtre est si in-
consolable de la mort de Jésus, dont il
porte la ressemblance, que, malgré toufee
qu'ils peuvent dire, il persiste dans le dès-
sein qu'il a pris , de ne boire, ni manger,
qu'il n'ait vu son Sauveur. »
VIL De Sainct Pierre en la fosse.
(Icy doit eslre Sainct Pierre en la fosse tout seul.)
« Le regret que saint Pierre a conçu d'a-
voir renié son maître, lui ayant fait prendre
Ja résolution de s'enfermer dans le lieu où
nous le voyons ici, il y pleure amèrement
son crime. "Quelque temps après, faisant ré/-
flexion que les conseils de ses frères pour-
ront le fortifier, il sort de ce triste rédruit, et
va .pour les rejoindre. »
(Icy s'en va vers ses compaignvns.)
(539) Le besan vaut 50 livres.
801
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
802
VIII. Des regrelz des Apostres pour la mort
de Jésus
« Saint Pierre, en arrivant au logis des
apôtres, les trouve consternés de la perte de
leur maître. Chacun d'eux en témoigne sa
douleur, et saint Pierre lui-même ne peut
cacher le chagrin qu'elle lui cause.
SAINCT PIERRE.
Mes frères, bien devons mener
Grant pleur , et grant dueil démener;
Quant nostre fait bien considère
Quant sil qui nous souloit donner (340\
Doctrine, et refectionner
Nos âmes par divin mystère ,
Est mort à si grant vitupère (341)|;
Or, demourra nostre repaire (342)
Sans Pasteur pour nous gouverner
Ou ung Docteur qui nous appere (343) ,
(Si double que ne le compère [344]),
Nostre anie avant le deCîner (345).
« Dans cette triste situation, les apôtres
craignant la fureur des Juifs qui, après avoir
fait mourir le maître, pourront bien traiter
de môme les disciples, et, n'osant plus sor-
tir, prennent le parti de s'enfermer chez eux,
et de se tenir sur leurs gardes. »
IX. Des Chevaliers qui gardoient le
Sépulchre.
« Les trois soldats, dont nous avons parlé
au premier mystère, continuent leur fonc-
tion arec beaucoup de zèle; de 'peur d'être
surpris, ils visitent le contour du tombeau,
pour voir si personne ne s'y serait point ca-
chA Loisque-cela est fait, ils se mettent à
leurs places.
MARCHANTONNE.
S'il y a ribault qui cy s'embuebe,
Quel qui soit estrange ou privé ,
Et il y peult estre trouvé,
Il ne fauldra pas à la feste ,
Car les espaulles et la leste
Jeluy fendray jusques aux dens. i
(Icy se racienl leurs basions sur eulx.
X. Enfer.
« Lucifer, toujours attaché au fond de ses
cachots, sans en pouvoir sortir, est dans
une étrange inquiétude de savoir tout ce qui
se passe. Comme depuis Je moment que
Jésus est venu le dépouiller de sa proie, il
n'a entendu parler de rien, il appelle tous
ses démons d'une voix épouvantable, pour
être instruit de tout ce qui s'est fait sur la
terre, depuis la descente du Sauveur aux
enfers.
LUCIFER.
Diables de L'infernal déluge ,
En crueux (346) lourmens estendus,
Serpens dampnez, et confondus
A riufernale feu perdurablc
Mauldis soubs peine interminable,
Venez moy brefvement à secours, etc.
(340) A voit coutume.
(341) Honte.
(542) Retraite.
(543) Découvre.
SATIIAN.
tlaro ! Lucifer est entre
Ce m'est advis , en raige inlecle :
Escoutez-là quel cbaiisonnetle
11 nous cbanle au profleiat.
ASTAROTU.
Ainsi fait-il, quand il s'esbat,
Ce sont les beaulx jeux qu'il scel faire
Que de crier, hurler, et braire,
Comme un loup de rage affamé.
FEKGALUS.
11 ne huche (347) ne deux , ne troys;
11 a lout'd'ung coupappellée
La grant légion dèsollée
De tous ceulx qui sont en Enfer.
LUCIFER.
Commun mauldict, gendre infernal ,
Monstrez divers substances viles ,
Ors Serpens , hideux Cocodrilles,
Vielz aspiez, orribles dragons,
Vendrez-vous point?
SATHAN.
Nous nous hastons, etc.
« Comment donc ? dit Lucifer, on me laisse
«ici, sans m'apprendre aucune nouvelle?»
Satan lui fait le récit de tout ce qui s'est
passé sur la terre depuis la mort de Jésus ,
et Lucifer lui donne ordre d'y remonter pour
prendre garde à ce qui va arriver, afin de
l'en informer ensuite. »
(Icy s'en va Sallian vers le Tombeau.)
XI. Résurrection.
Dieu le Père, qui prévoit le moment que
Jésus va ressusciter, ordonne à ses anges de
se préparer à un si grand événement et d'ex-
citer un tremblement de terre ; en môme
temps.il charge Gabriel du soin de consoler
la sainte Vierge.
(Icy se doit faire une grande tempeste en Enfer, et
sus la Tertre, pour faire trembler.)
« Les gardes qui sont autour du tombeau,
se sentant fatigués, s'abandonnent à un
sommeil si profond, que le bruit que cause
le tremblement de terre ne les peut réveil-
ler.
(Icy s'endorment les Chevaliers; et doit venir l'Ange,
qui oste la pierre du monument , et alors se doit le-
ver Jésus du Sépulcre à tout une croix vermeille,
et incontinent se absconse.)
« Notre-Dame, qui ignore ce qui se passe,
est dans une grande affliction ; néanmoins
l'espérance qu'elle a de voir Jésus res-
suscité, jointe aux discours consolants de
l'ange Gabriel, apaise un peu sa vive dou-
leur.
MARIE.
Exurge gloria mca;
Lieve-loy ma gloire parfaicle,
Psalterinm et cylliara,
Ma mélodie très- parfaite
,344) Qu'on le trouve.
(345) Mourir. . ■',"
(346) Cruels
347) Appelle.
FM
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
80-'.
Ne laisse ta Mère deffaicte ,
Desolatam in seculo ;
Mais selon la voix du Prophète ,
Dis , exurgam diluculo.
JÉSUS
Ma très-ehère Mère , et loyalle ,
La paix du Ciel imperialle
Ayez en vostre humilité.
« La sainte Vierge se sent fort consolée à
cette. Vuu; Jésus lui apprend qu'il vient de
ressusciter, et que désormais il nel'abandon-
nera pius. Notre-Dame le remercie avec une
profonde humilité.
NOSTRE-DAME.
Loué en soit la Trinité,
Que mon cher Filz s'est présente
A moy; plus joyeuse en seray.
(lcy esvanoù'U Jésus d'elle.)
XII. Des troys Maries.
« Les trois Maries, poursuivant toujours
leur dessein, vont à la pointe du jour au
tombeau de Jésus, pour répandre sur son
corps les aromates qu'elles ont achetés.
(Nota. Que la pierre esl ôiée, et sont les Anges assis
dessus.)
(Icy entrent au monument en regardant.)
« Madeleine est fort affligée, lorsque regar-
dant le tombeau, qui est ouvert, elle n'y voit
point le corps de Jésus. Ses deux compagnes
en paraissent aussi surprises qu'elle, sitôt
qu'elles sont entrées; dans la croyance où
elles sont qu'on l'ait emporté, elles fondent
en larmes. Leur crainte et leur effroi redou-
blent en apercevant Michel et Gabriel qui
sont assis sur le tombeau. Mais ces bienheu-
reux esprits les rassurent en leur disant que
ce Jésus qu'elles cherchent avec tant d'em-
pressement est ressuscité, et que si elles
veulent le voir, elles n'ont qu'à aller en Ga-
lilée. Les trois Maries ne tardent pas à obéir
à un ordre si favorable, en prenant le che-
min de cette contrée. »
(Icy se mettent en voye.)
XIII. Des Chevaliers qui gardent le
Sépulchre.
« Nos gardes endormis sont fort étonnés
en s'éveillant de trouver le tombeau ouvert;
leur étonnement augmente, lorsqu'en s'en
approchant, ils n'y voient plus le corps de
Jésus. Comme ils ne savent? à qui atlribuer
ce prodige, ils se disent force injures, et
s'accusent mutuellement de n'avoir pas veillé
avec assez de soin.
ASCANIUS.
C'est par vous.
MARCHANTONNE.
Vous avez menty ,
Ne me imposez point lâcheté :
J'ay mieulx gardé de mon coslé
(348) Arrivé.
(349) Qui que ce soit.
(350) C'est par loi.
(351) C'était autrefois la coutume de jeter ungand,
ou autre chose, lorsqu'on défiait quelqu'un.
Que vous , et de meilleur parti.
RUBlON.j
Jamais il ne fust départy
Si vous eussiez songneux esté;
C'est par vous.
ASCANIUS.
Vous avez menty ,
Ne me imposez point lâcheté :
Tout ce mal nous esf reverly (348)
Par vostre grant nieschanselé ,
Vous avez prins et emporté ,
Qui que ait (349) le moyen basly,
C'est par vous.
RUBION.
Vous avez menty,
Ne me imposez point lacheié :
J'ay mieulx gardé de mon coslé
Que vous, et de meilleur par ty
Et qui me dira c'est par ly (550)
Je l'appelle le champ de gaige (351).
« Hé! de grâce, Messieurs, dit Marchan-
« tonne, ne nous échauffons pas davantage;
« quoi? voudrions -nous nous égorger? Il
« vaut bien mieux nous excuser envers les
« Juifs.— Et le moyen? répond Ascanius. —
« En leur disant, réplique Marchantonne,
« que Jésus est ressuscité. »
RUBION.
Voyre, mais vous ne comptez mye ,
Que nous les ferons crever d'ire ?
MARCHANTONNE.
Ne vous chaiile (552) que scachent dire.
« En un mot, ajoute-t-il, le meilleur parti
« que nous puissions prendre, c'est de dire
« la vérité; et puis, vous n'ignorez pas que
« c'est le ciel qui a opéré cette merveille, et
« que, ne pouvant résister aux dieux (353),
« il n'y a point de faiblesse à leur céder. —
« Il est vrai, reprend Ascanius, et je uj
« ressouviens de l'avoir vu ressusciter. »
ASCANIUS.
Oncques rien ne cuyday (354) veoir mieulx
Que je l'ai choisy à mes yeulz,
Issir du tombeau tout vivant (355).
x Je m'en souviens aussi , dit Rubion. —
« Puisque cela est, répond Marchantonne,
« ne lardons pas à aller trouver les Princes
« de la Loi. »
(Icy s'envont vers tes Pharisiens.)
XIV. Des Maries et des Apostres.
« Madeleine vient annoncer aux onze apô-
tres que le corps de Jésus n'est plus dans le
tombeau et qu'elle ne sait ce qu'il est de-
venu. Celte triste nouvelle les afflige; saint
Pierre et saint Jean, qui en paraissent plus
alarmés, courent au tombeau, Madeleine les
y suit.
(Icy s'en vont courant Sainct Pierre et Sainct Jehan
au monument, et vient Sainct Jehan tout premier.)
(Icy s'en va Magdaleine devant les autres Maries.)
■
(352) Ne vous importe.
(353) 11 est bon de remarquer que ces soldats
sont païens.
(354) Crus.
(355) Sortir.
805 PAS DICTIONNAIRE DES
« Marie Jacobi et Marie Salomé marchent
sur les pas de leur compagne, mais sans té
moigner un aussi grand empressement
(Icy s'en vont bellement (356) après.
« Saint Jean, qui arrive Je premier, ne
trouvant que les linges dont on s'est servi
pour ensevelir Jésus, le dit à saint Pierre;
ces deux apôtres sont fort sensibles à cetle
aventure, mais, ne voyant point de remède,
ils prennent le parti d'aller en avertir leurs
confrères; saint Jean qui est plus jeune de-
vance de beaucoup son compagnon. »
(Icy s'enva Sainct Jehan aux Apôtres , et Sainct Pierre
demeure derrière.)
XV. De l'Aparicion de Jésus à la Magda-
leine.
« Enfin la Madeleine arrive tout en pleurs,
mais avec plus de jsuccès; l'ange saint Mi-
chel lui demande le sujet de ses larmes.
« Seigneur, lui répond-elle , je cherche le
« corps de mon maître, qu'on a enlevé de ce
« tombeau. »
(Icy s'en vient Jésus par derrière en forme d'un Jar-
dinier.)
JÉSUS.
Femme, que quiers-lu là?
« Madeleine, trompée par ce déguisement,
lui fait la même réponse qu'à l'ange, et le
prie, si c'est lui qui a enlevé le corps de
Jésus, de lui enseigner où il l'a mis.
JÉSUS.
Marie?
« A cette parole, la Madeleine reconnaît
le Sauveur, et, remplie de respect et de re-
connaissance, elle va se jeter à ses pieds
pour les embrasser.
MAGDALEINE.
0 mon Maistre, etc.
JÉSUS.
Cesse, Marie, ne me louche.
« Madeleine, satisfaite de cette agréable
vue, obéit au Seigneur, qui disparaît à ses
yeux; elle va aussitôt faire part à ses
compagnes du bonheur qu'elle vient d'avoir.
MYSTERES.
PAS
f.Otî
MARIE JACOB.
Comment?
MAGDALEINE.
Jésus le débonnaire
Nostre Maistre est ressuscité.
MARIE SALOMÉ.
Jésus
MAGDALEINE.
Oui, en vérité, etc.
(Icy vient Jésus à rencontre d'eux.
« Les troies Maries embrassent les genoux
de leur Rédempteur, et arrosent ses pieds
des larmes que la joifl leur fait répandre.
(356) Doucement.
(357) En. puisse.
(358) Et croit.
(Icy se doivent incliner toutes trois , et luy baisent les
piedz.)
« Jésus leur dit d'apprendre aux apôtres
sa résurrection, et ensuite disparaît. t
XVI. De l'Aparicion de Jésus à Sainct
Pierre.
(Icy doit estre Sainct Pierre à part soy arrière des
[autres Aposlres.)
« Cet apôtre, accablé de douleur, se retire
seul pour y rêver plus profondément; la
crainte où il est que son offense ne le prive
du bonheur de voir son cher maître, redou-
ble encore sa peine. Comme il est dans cette
triste pensée, Jésus se présente tout à coup
à lui.
(Icy s'apparest Jésus à Sainct Pierre.)
« Le Sauveur l'assure qu'il lui pardonne
son prehé; saint Pierre embrasse ses genoux,
et le remercie de sa bonté ; pendant ce temps-
là Jésus s'évanouit à ses yeux. »
(Icy se part Jésus sublillement.
XVj'I. La difficulté des Apostres touchant la
Résurrection de Jésus.
« Les trois Maries accourent avec joie an-
noncer eux apôtres qu'elles ont vu Jésus de-
puis sa résurrection, et qu'elles lui ont parlé.
Ces derniers refusent d'ajouter foi à un ré-
cit, qui, n'étant appuyé que sur la déposi-
tion de quelques femmes, pourrait n'être pas
véritable.
MARIE JACOB.
Sans double quelconque ,
Pour vérité vous affermons
Qu'il est ressuscité, etc.
SAINCT ANDRAY.
Telz sermons
Ne sont pas bons à conliou c ,
Qui n'est bien scur de les prouver
Tellement qu'il est lout notoire;
Car par une telle invenloire
Plusieurs se pourroient abuser.
SAINCT JAQUES MAJOR.
Dames', ne vueillez pas user
De telles parolles soudaines,
Se vous n'en estes si certaines,
Qu'on ne' vous en puisl (357) accuser, etc.
MAGDALEINE.
Sur la foy qu'à mon Dieu je dois,
Mon Maistre , et mon bault Créateur
Il est tout vray.
SAINCT SVMON.
Sauf voslre honneur,
Magdaleine, irès-cliere Amye,
Nous ne vous en desdiron myc :
Bien povez dire, avons ensemble ,
Qu'ainsi est, ou que le vous semble;
(El cuide (558) qu'il fault là venir;
Car on voit souvent advenir ,
Quant ou perd ung amy léal (559)
Et pour ciuise qu'il en lait mal ,
On le requiert (300) par mainte voyc ,
Et semble lousiours qu'on le voye,
(350) Loyal.
(360) Cherche.
«07 PAS DICTIONNAIRE
El peut eslre qu'on ne voit rien :
Et •vient cela .par le moyen
D'une «bien forte fantaisie,
Qui lousiours songe, et fantaisie (361^
Ce qui lui touche au cueur plus fort.
« Je suis aussi de votro avis, » dit saint
Judc.
SAINCT JUDE.
Aux femmes de liger (362) courage
Qui en ung tel haull tcsmoignage
Ne sont creùes en quelque saison.
SAINCT MATHIEU.
Jude, amy , vous avez raison, etc.
« Pour moi, ajoute saint Philippe, j'entre
« fort dans votre sentiment. — Je l'approuve
« aussi, dit saint André, car,
SAINCT ANDRAY.
Leur rapport fin , ne raison n'a , etc.
SAINCT BARTHÉLÉMY.
Ce sont paroleâ féminines ,
Qui ne servent rien que pour rire,
On sçail que femmes sçavenl dire;
Ainsi que leur vouloir les meult.
« De quoi vous embarrassez - vous ,
« Messieurs ? » s'écrie saint Jacques le Ma-
jeur.
SAINCT JAQUES MAJOR.
Quand ad ce, il le croit qui veult;
> Jà n'en fault plus avant parler,
On ne les peult que oùyr parler,
Mais on n'y regarde ne compte,
« En un mot, les apôtres persistent à ne
rien croire du rapport des Maries, jusqu'à
ce qu'ils en soient convaincus par leurs pro-
pres yeux. Pendant ce temps-là, saint Jac-
ques le Mineur persiste de plus en plus dans
la résolution qu'il a prise, de ne boire, ni
manger, avant qu'il ait vu le Sauveur; les
remontrances de ses trois disciples sont inu-
tiles, et ne peuvent rien sur son esprit.
(Icy s'appart Jésus subtillemenl.)
« Le Seigneur, en se manifestant, leur
donne sa paix ; ensuite il commande aux dis-
ciples de dresser la table. Rubem, Gédéon et
Neptalin lui obéissent.
'Icy Jésus brise le pain, en faisant sus la bégnisson
[303] et en présente à Sainct Jaques.)
« Cet apôtre, satisfait au delà de ce qu'on
peut s'imaginer, rend grâces au Seigneur, et
lui promet de publier sa glorieuse résurrec-
tion par toute la terre. »
(Icy se part [364] Jésus subtillemenl.)
XVIII. De Jésus et de Joseph d'Arimathie.
« Pendant que Joseph se plaint des tour-
ments injustes que les Juifs lui font souffrir,
et qu'en même temps il bénit Dieu qui lui
donne la force de les endurer pour un sujet
si innocent, Jésus vient le consoler.
(361) Se représente un objet qui n'existe point.
(562) Léger.
(363) Bénédiction.
(364) Disparaît.
(365) C'est-à-dire, soulevant la tour à une cei-
DES MYSTERES. PAS 806
(Icy entre Jésus dans la prison.)
« Le fidèle Israélite, surpris à cette vue, le
prend pour Elie : « Tu te trompes, lui dit
« Jésus, reconnais en moi ce même Fils de
« Marie, à qui tu as rendu les derniers de-
«voirs;pour t'en récompenser, ajoute-t-il,
« sans lui donner le temps de répondre, et
« te faire connaître ma puissanee, tu n'as
« qu'à me suivre, et lu vas être délivré du
« péril que tu cours. »
(Icy se doit lever la Tour en estant [365], et depuis
Jésus le maine vers le Sépulchre.)
« Joseph, revoyant le lieu où il a enseveli
le Seigneur, le remercie de la bonté qu'il a
eue, de l'avoir choisi pour faire cette noble
fonction. Jésus, lui ayant rendu la liberté,
lui ordonne de se retirer à Arimathie, et d'y
rester quarante jours. »
(Icy se esvanouyt Jésus comme dessus.)
XIX. Des tyrans qui cherchent Joseph d*A-
rimathie.
« Les scribes et les pharisiens viennent
trouver Anne et Caïphe , et leur représen-
tent que la fête de Pâques étant passée, il
est temps déjuger Joseph d'Arimathie; cela
est juste, dit Caïphe. Il appelle Maucourant,
et lui ordonne de prendre quelques satelli-
tes avec lui et d'amener Joseph. Le messa-
ger obéit à ce commandement et va à la pri-
son. Le geôlier Brayault vient à la porte de
la tour qu'il trouve bien fermée; mais il est
fort surpris lorsque, l'ayant ouverte, il ne
voit plus le prisonnier.
MAUCOURANT.
II s'en est bien et beau foùy (366)
Croyez qu'il y a tromperie.
BRUYANT.
Vecy la plus forte farie (567)
Dont onc homme ouyl parler :
Je treuve l'uys sans desceller,
Je treuve l'iiuys tout veroùillé,
Serré, bandé et falroùillé,
El c'est mon homme transporté.
BIUYHAULT.
Les Dyables l'en ont emporté
Par enchantemens, soyez seurs>
« Ils viennent faire ce rapport aux Juifs,
qui leur ordonnent de le chercher partout
avec grand soin. »
XX. Des Chevaliers qui gardent le
Sépulchre.
(Icy vienent les trois chevaliers du Sépulchre.)
« En arrivant, ils trouvent Maucourant
à la porte, à qui ils souhaitent le bon-
jour.
4SCANIUS.
Dieu gard Maucourant,
Et le doint (368) d'argent plaine bource.
laine hauteur, afin que l'on cuisse passer dessous.
(366) Caché sous terre.
(367) Enchantement.
(568) Te donne.
809
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
810
« Je vous suis obligé, leur répond-il, quel
« sujet vous amène? — Nous voulons, disent
€ les soldats, parler à Anne et à Caïphe. —
« Vous venez fort à propos, réplique le mes-
« sager, passez là-dedans, et vous les trqu-
« verez assemblés avec les princes de la Loi. »
Lorsqu'ils sont entrés, Marchantonne leur
apprend que Jésus est ressuscité.
CAVPHE.
Escoutez-ey, quel diablerie?
Quel ducil, quel passion de raige?
Escouiez quel bydeui langaige,
Pour ung cueur humain embraser?
NATHAN.
Sire, vueillez vous appaiser :
II se joue, que vous pencez.
JACOB.
Hola! compagnons, c'est assez,
Coulez le cas ainsi qu'il va
« Ce n'est point une raillerie, répond As-
« camus, c'est la pure vérité que nous vous
« racontons. — Oui, certainement, » ajoute
Rubion. Ensuite, ils assurent les Juifs qu'ils
n'ont pu empêcher cette chose, ni appeler du
secours, attendu qu'ils ont été saisis d'un tel
effroi" qu'ils n'avaient pas la force de remuer,
ni de parler : que seulement, ils ont vu deux
jeunes hommes habillés de blanc et quelques
femmes qui cherchaient le corps de Jésus.
Les Juifs, consternés par ce discours, em-
ploient toutes sortes de moyens pour leur
faire tenir un autre langage; mais, ne pou-
vant en venir à bout, ils se retirent à part et
concluent entre eux qu'il faut corrompre ces
soldats è force d'argent, pour leur faire dire
dans le public que Jésus n'est point ressus-
cité, mais que les apôtres ont enlevé son
corps. « C'est le meilleur parti que vous
« puissiez prendre, » dit Nathan le scribe.
NATHAN.
11 n'est chose qu'argent ne face :
Argent courrousse, argent relessc (369),
Argent abat, argent redresse,
Argent donne, argent aust (570) office,
Argent corrompt droit et justice,
El d'autres choses cent milliers.
« Ils retournent vers les soldats, et après
leur avoir fait cette proposition, ils offrent
cinq cents hesans(371) pour l'accepter; cesder-
nierss'obstinentà vouloir le double; comme
c'est une affaire de conséquence, et que cette
somme est exorbitante, ils prient Caïphe, qui
est fort riche, de la leur prêter, et lui permet-
tent d'imposer une taxe sur les prêtres de la
Judée pour s'en dédommager. Caïphe compte
les mille besaus aux soldats qui se retirent
en jurant d'exécuter leur promesse.
(Icy s'en vont partir leur argent.)
« Nos avides soldats, n'étant point encore
satisfaits d'une si grosse somme, vont chez
(369) Adoucir.
(570) Ole.
(371) Le hesanl était une monnaie d'or valant cin-
quante livres, selon Borel. Ainsi les cinq cents be-
sar.ls font vingt-cinq mille livres, et les mille qu'ils
DlCTlONN. DES MYSTÈRES.
Pilate, pour y semer le bruit coniorme aux
désirs des Juifs, espérant, par ce moyen, ti-
rer quelque argent de lui. D'un autre côté
saint Luc et Cléophas (372), voyant le temps
serein, prennent chacun un bourdon, et se
mettent en chemin pour aller à Emails.
(Icy se mettent en voye, et les Chevaliers vont vers
Pilate.)
MARCHANTONNE.
Prévos!, le granl Dieu Apollin
Accomplisse vostre désir, elc.
« Pilate, qui est accablé de chagrin depuis
le moment qu'il a condamné Jésus, ne fait
pas d'attention à ce discours.
PILATE.
Ha ! fortune très-variable,
Variant variablemenl,
Tu m'as fait faire ung jugement
Dessus l'innocent et le juste,
Le plus faulx et le plus injuste,
Qu'oncques juge senlencia.
ASCANICS.
Taisez-vous, sire, c'est mal dit, etc.
« Vous ne savez pas ce qui se passe, di-
« sent-ils. — Quoi? répond Pilate. — C'est,
« répliquent les soldats, que les disciples de
« Jésus ont enlevé son corps. — Et pourquoi,
« dit Pilate, n'avez-vous pas appelé du se-
« cours? — Parce que, répondent-ils, iisont
« pris le temps que nous dormions. — Si
« cela est, dit le gouverneur, vous êtes en-
« core plus condamnables de ne point veil-
<■< 1er avec soin ; mais, ajoule-t-il, je ne crois
« point ces impostures, je saisquevousn'êles
« que des misérables , corrompus par les
« Juifs; et je vous assure qu'au premier
«jour je vous ferai tous pendre. » Les sol-
dats se retirent pleins de confusion.
MARCHANTONNE.
Or sus, que le Diable y ait part;
Quels moiz ^ela?
RUBION.
Il est joyeu x.
ASCANILS.
Esse-cy le vin gracieux,
Que nous avons pour nostre peine?
MARCHANTONNE.
Je n'y r'enlreray de sepmaine,
Il y gist un mauvais escol. »
XXI. Des Pèlerins (TEmaulx.
« Saint Luc et Cléophas s'entretiennent
pendant leur chemin de la mort de Jésus.
(Icy suroient Jésus en forme d'ung Pèlerin.)
« Le Seigneur, sous ce déguisement, se
joint à leur compagnie. 11 leur demande le
sujet de leur conversation, et prend celte oc
casion pour leur expliquer l'accomplisse-
exigenl en valent cinquante.
(57'2) L'auteur suit ici la tradilion vulgaire, qui
veut que le compagnon de Cléophas soit l'évangé
liste même qui nous rapporte celait.
26
m
pas
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
PAS
?r2
ment des prophéties; enfin, sans s'ennuyer,
nos pèlerins arrivent à Emraaùs.
(Icy faint Jésus d'aller plus loing et les deux Pèlerins
le retiennent.)
« Seigneur, dit Cléophas, demeurez avec
« nous, puisqu'il est tard; nous aurons l'a-
« vanlage de jouir plus longtemps du plaisir
« de vous entendre. » Jésus y consent, et le
maître d'une hôtellerie de ce bourg s'avance
peur ies prier d'entrer chez lui.
SAINCT LUC.
Vive tonsiours ung Hoste le!
Qui ainsi scel servir ses gens.
l'oste.
Se pain esl-il bon et bel?
CI.ÉOPHAS.
Vive tousiours ung Hoste leî.
l'oste.
Et vecy du vin, Dieu seet quel,
Il semble qu'on morde dedens
SAINCT LUC.
Vive lonsiours ung Hoste tel,
Qui ainsi scel servir ses gens.
« lorsqu'ils sont à table, Jésus prend un
pain, et, après l'avoir rompu en deux, il leui
dit de manger.
(Icy s'esvanoùit Jésus de leur compaignie. depuis quil
eut brisé te pain, en faisant la bénédiction.)
« O ciell s'écrie saint Luc, qu'est donc
« devenu ce pèlerin? — Mon cher frère, ré-
« pond Cléophas, c'est Jésus qui nous est
« apparu en personne. »
SAINCT LUC.
II n'en fault point doubler
Maintenant en suis reeordant.
« Sans différer davantage, ils paient l'hôte
et sortent en diligence pour annoncer aux
apôtres cette grande nouvelle; ils hâtent un
peu leur marche, parce que la nuit appro-
che. »
XXII. De Jésus et de ses Disciples
« Saint Luc et son compagnon ne tardent
pas a joindre les apôtres, qui, voyant leur ac-
tivité, demandent s'il est survenu quelque
chose de nouveau. « Oui, » répond saint
Luc, qui leur fait le récit de leur aventure, et
de quelle façon admirable le Seigneur leur
a expliqué les Ecritures sacrées.
SAINCT LUC.
Là nous commença à Moyse,
El de là vint à Isaye,
El de Ysaye à Hyérémie,
De Hyérémie à Daniel,
A David, à Ezécbiel :
El LotU. couclié en si bel ordre,
Qu'il n'est bonis qui y sceust que morare.
« Saint Thomas ne veut point ajouter foi
à ce discours, et quitte les apôtres, alléguant
ces deux raisons qui l'y obligent : l'une, de
la nécessité où il se trouve de gagner sa vie ;
et l'autre pour sauver sa liberté de la fureur
des Juifs
(Icy se pari Sainct Thomas des autres, et a.ors doit
venir Sainct Pierre, sainct Jehan, Sainct Jaques le
Mineur, et s'en doivent venir dix ensemble.)
« Lorsqu'ils sont ainsi rassemblés, le Sei-
gneur vient tout à coup.
(Icy vient Jésus invisiblcment au meilleu de eulx.)
« Les apôtres étonnés le prennent pour un
fantôme, mais Jésus, pour leur prouver le
contraire, demande à manger,
SAINCT PIERRE.
Je suppose
Sire, qu'il y en a voirement.
Mais ce n'est pas si largement,
Ni si bon qu'on sçauroit bien dire.
« On lui présente du miel, un petit pois-
son rôti et du pain, le Sauveur mange de
toutes ces choses, et donne le surplus aux
apôtres.
(Icy Jésus les aspire de son ait aine , puis s esvanoitit
comme dessus dit.)
« Pendant que les apôtres s'entretiennent
de l'honneur que Jésus leur vient de iaire,
ils entendent frapper à la porte à grands
coups redoublés; ,1a crainte des Juifs les
oblige à bien des précautions, ils n'osent y
alier; enfin, après beaucoup d'instances, oiï
ouvre à saint Thomas, qui, ne pouvant trou-
ver aucun repos, vient rejoindre ses frères
pour se consoler avec eux. Aussitôt on lui
fait part de l'apparition du Seigneur : mais
cet apôlre incrédule reiuse de se rendre à
leur témoignage.
SAINCT THOMAS.
Je vouldroye eslre plus subtil.
3 Je vous avoue, continue-t-il, qu'à moins
« quejenetâte les trousdeses plaies, je n'en
« croirai rien. »
(Icy se doit apparoir Jésus comme dessus, an meilleu
d'eulx urne, et dit :)
JÉSUS.
Pax vobis.
« Regarde, Thomas, ajoute-l-il, et reviens
« de ton erreur. » Saint Thomas, convaincu
par lui-même de la vérité, se jette aux pieds
du Sauveur, et le Drie de lui pardonner son
offense. »
(Icy s'esvanoïrii\Jésus.)
(Icy viennent les trois Maries à Nostre-Dame.)
XXIII. Des Apostrcs de Jésus.
« Comme les apôtres sont sans argent, ils
prennent la résolution qu'une partie d'entre
eux restera dans la maison, et que les autres
iront à la pêche.
(Icy s'en vont Pierre, Jehan, Jaques, Andray, Tho-
mas èl Barthélémy, et les autres demeurent.)
« Ces six apôtres vont au bord de la mer,
et, étant entrés dans un petit bateau, ils jet-
tent leurs filets.
(Icy posent ung peu.)
'( Comme ils ne prennent presque rien, ils
commencent à s'impatienter.
815
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
m
SAIXCT THOMAS.
Commenivcsse tout?
Le mesnage esl très-bien pugny
Il n'y a poisson ne demy
Dont ung clial se peuli desjeuncr. i
XXIV. De la Paricion de Jésus aux Apostres
qui pechoicnt.
(lcy survient Jésus sur le bord.)
« Jésus leur dit de jeter leur filet du côté
droit, et qu'ils trouveront une pêche abon-
dante,
SAINCT ANDRAY.
La chose esl ligere,
II ne cousle rien d'essayer.
« D'un autre côté, saint Matthieu et les
autres apôtres, qui sont restés au logis, font
des vœux pour le salut de leurs compagnons,
qui, ayant jeté leur filet suivant l'ordre du
Seigneur, sentent, en le voulant retirer,
qu'il est plein de poisson, ce qui les oblige
à y prêter tous la main.
SAINCT THOMAS.
Sus, compagnons, avant :
SAINCT ANDRAY.
Amont
Les poissons si Ires-aurs y sont,
Que toute l'eschine m'en ployé :
Sus, compagnons, amont.
SAINCT PIERRE.
Amont.
Chacun sa puissance y employé.
« Enfin, avec bien de la peine,
retirent leur filet.
(lcy s'en va sainct Pierre tout seul au port où Jésus
est.)
« Tous les apôtres viennent bientôt trou-
ver Jésus, et le remercient du succès de leur
pêche.
SAINCT JAQUES MAJOR.
J'ay noslre marée comptée,
Nous avons que Bars que Esgrephfns,
Que saulmons, que gros marsouins
Près de cent et cinquante mille.
« Jésus leur dit de venir manger; à la fin
du repas, il les invite à se trouver tous sur
le mont Thabor, après quoi il disparaît. Les
apôtres se retirent ensuite pour aller vendre
leurs poissons, et en faire île l'argent, »
(lcy s'en vont.)
XXV. Enfer.
SATHAN.
Dyables dcspis, dyahlcs félons,
Ennemis de gloire forclos
Ne me lenez plus vos huys clo-,
Ouvrez-moi prestement les portes,
Car telles nouvelles vous aporle,
Dont vous me devez festoyer.
ASTAROTIt
lay donc sans si
Conte lay donc sans si h au 11 braire,
Si orrons quel bout va devant.
« Jésus est-il ressuscité ? demande Luci-
fer.
«Quelles nouvelles? dit Lucifei
« viens vous
Salan.
Je
en dire de bonnes, » répond
SATHAN.
C<>sluy est jà vieu'x comme terre
S'il est suscité qui s'en doute,
El plus de cinq fois en louie
il esl à ses gens apparu,
Ou apparu, ou desparu
les apôtres XXVI,
Mais j'ay jà trouvé la manière
Que les Juis n'en croiront jà rien.
«Comment cela? dit Lucifer. — C'est,
« répond Satan, que j'ai engagé les Juifs à
« corrompre les soldats du sépulcre, pour
« leur faire tenir un discours contraire à la
« vérité. »
LUCIFER.
Par ma pale, lu es vaillant,
1! n'y a dyable qui le vaille :
Et ma grant couronne le baille,
Qui esl de Terpié tout ardent, etc.
« Ce n'est pas tout, dit Satan, je veux voir
« le succès de ceci, mais il faut que vous
« me donniez Astaroth et Berith pour
«. m'accompagner.
LUCIFER.
Allez, que des élernauiz lents,
Vous puist on le museau brûler, i
{lcy s'er «onteulx- trois.)
L'Aparidon de Jésus aux disciples
sur la Montagne de Tabor.
« Les apôtres, obéissants aux ordres du
Seigneur, prennent le chemin du Thabor;
saint Jacques le Mineur y conduit ses trois
disciples, Rubom, Gédéon et Neptajin ; saint
Mathias et Joseph Barsabas, surnommé le
Juste, y accourent promptement, aussi bien
qu'un bon nombre de Juifs zélateurs de la
vraie religion; entre ce? derniers se trou-
vent Moab , Abiron , TuDal , Célius et
Abacuth.
lcy montent amont et là s'appert Jésus derechef.)
« Le Seigneur leur donne sa bénédiction,
et en même temps il les instruit. Toute l'as-
semblée lui rend grâces de ce bonheur.
• Tl'BAL.
A loy venir, el loy remirei
Toul bon cueur se regarde et myre
Car lu es Médecin et Myre
Pour poures dolens cueurs myrer.
« Le Sauveur leur promet d'être toujours
avec eux en esprit et de ne jamais les aban-
donner ; ensuite il disparaît, et l'assemblée,
ne le voyant plus, se sépare, et chacun s'en
retourne chez soi. Les apôtres ferment bien
les portes et les! fenêtres de leur maison,
de crainte des "Juifs. D'un autre côté la
sainte Vierge dit aux trois Maries qu'il est
temps d'aller trouver les apôtres, parce que
Jésus doit dans peu monter au ciel. »
Iry se parlent.)
815 PAS DICTI0NNA1P%E
XXVII. Du déconfort de Pilate.
« Pilate, tourmenté de plus en plus oes
remords de sa conscience, demande à Bar-
raquin ce que le peuple pense de son juge-
ment. Comme il paraît extrêmement agile,
Progilla, sa femme, tâche en vain de l'apai-
ser ; Barraquin rompt enfin le silence et lui
apprend que Jésus est ressuscité : le cen-
turion qui se trouve présenta cette question
lui avoue avec sincérité que tout le monde
blâme beaucoup la conduite qu'il a tenue en
rendant cet injuste arrêt. Sa franchise ne
plaît point à Pilate.
PILATE.
Taisez-vous-en, Centurion, elc.
« Vous devriez, ajoute-il, en parier moins
« que les autres, après avoir prêté vos sol-
« dats, qui ont été capables de se laisser
« gagner pour faire courir un faux bruit.
« — Ce n'est pas ma faute, réplique le
« centurion, cependant il n'est pas moins vrai
« que Jésus est ressuscité. »
BARRAQUIN.
Jésus on confesse de bouche
Eslre vray Filz de Dieu le vif.
-« Ha ciel 1 » s'écrie ce gouverneur.
PILATE.
Velà ung mol pénélralif (373).
Qui nie donne peu de secours :
Je m'en suis bien doublé lousjours, elc.
« Voilà, continue-t-il, ce qui cause mon
« désespoir; car je suis persuadé que si
« l'empereur Tibère apprend ma faiblesse,
« il ra'ôtera la vie. » Joseph d'Arimalhie
arrive sur ces entrefaites et raconte les in-
dignes traitements qu'il a reçus des Juifs.
Pilate gémil au récit de ces violences et
l'interrompt à chaque instant par ces vers
qu'il dit alternativement.
J'ay fa il ung mauvais jugement.
Faulx Juifz, que in'avcz-vous fait faire?
« Enfin Joseph, sachant l'embarras où est
Pilate, lui con.seille de demander à l'empe-
reur la vérité de tout ce qui s'est passé. »
XX VIII. De Rostre-Dame ctdesAposlres
(lcy viennent les trois Marie aux AnostresA
« Leur arrivée les console et les réjouit
beaucoup. Comme ils sont prêts à se mettre
a tnble, ils les invitent d'y prendre place
et s'excusent sur la mauvaise chère.
« Saint Thomas et Rubem ne se mettent
point à table, mais restent pour servir.
NOSTRE DAME.
Pierre si duil (374) à voslre fait
Devant celle réfection,
Faictes la bénédiction :
Car mon filz Jésus en ses jours
L'avoil de couslume lousjours.
El nous le devons ensuivir.
SAINCT PIERRE.
Maislresse à vous vucille obéir,
(373; Pénétrant
DES MYSTERES.
TAS
S16
Nonobstant qu'il ne m'apai liengne.
(lcy fait la bénédiction en bas.)
(lcy s'apart Jésus devant eulx.)
JÉSUS.
Paix soil à vous.
\icy se doit soir Jésus au dessus d'eulx , et luy font
tous honneur: el après qu'il a mengé. fonl semblant
de dire grâces tout bas.)
XXIX. Des soudars qui cherchent Joseph
d'Arimalhie,
« Pendant que le Seigneur est à table
avec la sainte Vierge et les apôtres, Joseph
d'Arimathie s'entretient d'un autre côté
avec Nicodème de l'inhumanité des Juifs:
comme le premier craint la rencontre des
satellites qui le cherchent, il prend le parti
de ne point sortir de chez lui.
« Cependant, ce repas fini, Jésus déclare
u ses disciples qu'il va bientôt monter au
cieux , et comme {il veut qu'ils soient té-
moins de ce grand mystère, il leur ordonne
de se trouver tous au mont d'Olivet et de
ne pas manquer d'y conduire sa mèie. Les
apôtres lui promettent d'obéir avec joie et
se mettent en devoir de le faire. »
XXX. Des Pères des Limbes.
« Adam, Eve, Isaïe, Jérémie, David, Ezé-
ehiel, saint Jean-Baptiste et le bon Larron,
voyant approcher le moment que le Sei-
gneur va monter au ciel pour les conduire
à la béatitude éternelle, en témoignent leur
joie par des cantiques d'actions de grâces. »
DAVID
Jadis en esprit prophétique,
Fis de l'Assencion beaux dilz.
En prophétisant, quant jediu
Que Dieu ferc.it Assencio
En haulle jiibilacion,
En voix de trompes bien sonnaus,
Et d'inslrumens bien raisonnant;
Si liens qu'à ceslc mélodie
Toule la granl cbevallerie
Des haulx Cieulx sy emuloyera.
XXXI. Assencion.
« Les apolres el les autres fidèles, qui ont
été présents à l'Apparition de Jésus sur
le Thabor, ne manquent pas de se trouver
à celui d'Olivet ; outre ceux-ci les apôtres
ont le soin d'y amener la sainte Vierge et
les trois Marie; et Joseph d'Arimathie, se
trouvant en pleine liberté, s'y rend avec
Nicodème.
(lcy se appert Jésus comme dessus entre eulx.)
« Il leur donne sa bénédiction, et leur
déclare qu'un jour il descendra sur la terre
pour y juger tous les hommes. Rubem et
Neptalin lui demandent si ce jour est bien
prêt d'arriver.
JÉSUS
Amys, cessez vos questions.
« Qu'il vous suffise ajoute-t-il, de vous pré-
« parer à recevoir le Saint-Esprit avec toute
« l'humilité dont vous êtes capables. » En-
(374) Si vous le voulez bien.
sn
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
818
suite il recommande encore à saint Jean le
soin de sa mère, à qui il dit adieu.
JÉSUS.
Mère doulcc en f;iilz et en dilz,
El <les humides la plus bénigne,
Vers Dieu mon Père m'achemine, elc.
(Icy se monte Jésus au Ciel, à tout aucuns engins ; et
lors se doivent les Patriarches absconcer.)
« Pendant que ies fidèles étonnés ont ies
yeux tournés vers le ciel, l'ange Raphaël
se présente et leur annonce que Jésus des-
cendra un jour pour juger le monde. En-
suite l'assemblée se retire dans nne mai-
son, avec la résolution de n'en point sortir
qu'après avoir reçu le Saint-Esprit. »
XXXII. Paradis.
(Icy vient Jésus en paradis./
« Après avoir salué Dieu le Père, il s'as-
sit dans son trône.
DIEU LE PERE.
Mes Anges, voicy vos ire Sire, elc.
Venez, ei lui rendez hommaige, elc.
(Icy viennent les Anges adorer Jésus chacun en son
ordre.)
,SAINCT MICHEL.
Ilaulte préférence,
Et magnificence
Soil au bon Seigneur,
Qui à lel honneur
Vienl-cy en présence (375).
« Gabriel, Raphaël, Uriel et Séraphin vien-
nent ensuite lui rendre leurs hommages.
DIEU LE PERE.
C'est mon Filz, c'est ma Sapience,
Mon hoir parfail, et nalurel ;
Anges, par ung chant solempnel ;
Esmouvez-vous, elc.
« Les anges obéissent sans peine à ce com-
mandement. »
(Icy chantent ung Silete.)
XXXIII. Enfer.
« Pendant que le ciel et la terre retentis-
sent de cris de joie, les enfers sont rem-
plis de désespoir; Satan, qui a été présent
a tout ce qui s'est passé, en frémit de rage :
« Ne crie donc pas si fort, » dit Astarolh,
BÉRITH.
Il brait comuae ung loup affamé ;
Je ne sçay que dyable il lui faull.
SATHAN.
Si je peusse braire si hault,
Que je peusse eslonner ions ceiu
Qui sonlen gloire si joyeulx, elc.
« Mais, dit Astaroth, qu'esl-il arrivé? —
« C'est, répond Satan, que Jésus vient de
« monter au ciel,
Pour gloire parfaicle acquérir. »
« Cependant il est question de retourner
aux enfers, et ces malins esprits craignent,
(37,'>) En personne. ,
avec raison, que leur injuste roi ne les
fasse punir, en apprenant cette funeste nou-
velle qu'ils ne peuvent lui cacher. Fergalus,
qui les voit revenir avec un air triste, en
reçoit une noire satisfaction.
FERGiLUS.
Cerbérus, lost prens les hotilayes, (570).
Pour radoulcir un peu leurs veines.
CEKfcÉRUS.
Voyez en cy quelques deux douzaines
Singlant droiciement à l'essile, elc.
FERGALUS.
Hz eussent mestier d'Advocalz,
Pour playdoyer un peu leur cause, elc.
« D'abord que Lucifer apprend ce qui
s'est passé, il entre à son ordinaire dans
une fureur extrême, et commande qu'on
plonge ces trois démons dans les tour-
ments. »
(Icy tonne en Enfer.
XXXIV. Election de saine t Mathias.
(Icy se lieve Sainct Pierre pardessus tous (es autres
Aposlres.)
« Cet apôtre propose à ses frères de choi-
sir quelqu'un entre les disciples du Sei-
gneur pour remplir la place dont Judas
s'est rendu indigne. Toutel'asserablée, après
avoir approuvé cet avis, prie saint Pierre
de faire lui-même le choi-x des deux qu'il
croit les plus capables, afin qu'erisuilo le
sort décide de celui que Dieu appelle à
l'apostolat. Saint Pierre se défend quelque
temps de cet honneur, et enfin, pressé par
leurs prières, il présente saint Malhias et
Joseph Barsabas, surnommé le Juste. On
les fait tirer au sort, et le sort tombe sur le
premier. Tous les assistants rendent grâces
a Dieu d'un si heureux choix, et Joseph est
lui-même le premier à féliciter le nouvel
apôtre. »
XXXV. Du Sainct Esperit sur les Aposlres.
« Jésus prie Dieu le Père d'envoyer le
Saint-Esprit sur les apôtres [tour les rassu-
rer et leur inspirer la force qui leur est
nécessaire. Dieu le Père lui répond que
sa volonté s'accorde toujours avec la sienne.
(Icy se doit faire ung grant son en manière de ton-
nere,el doit descendre le Sainct-Esperil en signe do
langues de feu.)
« Les apôtres sont effrayés de ce bruit
éclatant, mais la sainte Vierge les rassure.
NOSTRE-DAME.
Mes amys, n'ayez souspeçon,
Vucillez vos cueurs arraisonner,
Car c'est Dieu qui nous veull donner,
Le Saincl-Esperit, il en esl saison.
« Les fidèles rendent grâces à Dieu de
ce qu'il a bien voulu, en leur communi-
quant son Saint-Esprit, raffermir leur foi et
leur accorder le don d'entendre les langues
étrangères. La sainte Vierge ne tarde pas
a en remercier Dieu.
(376) Fouels.
S!0 TAS
NOSTïlE-DAME.
Ilaulle Trinilé,
Parfaicte Unité,
Singulière Essence;
A la Magesiè,
Soil protesté
Los et préférence,
Car par la clémence,
En nostre présence
Nous a envoyé
L'Esperit de Science,
Qui nos ire crédence
A fortifié.
« Saint Pierre et les autres assistants, qui
composent la môme assemblée que nous
avons vue présente à l'Ascension, suivent
l'exemple de la sainte Vierge. Après quoi
saint Pic-rre et saint Mathias font une
courte exhortation aux spectateurs, ce qui
tient lieu de prologue final. »
C'y fine le Mister e de la Résurrection Jesu-
christ, par personnages (377).
IV.
TRAVAUX DES ERUDITS DE LA RENAISSANCE.
A coté de l'œuvre spontanée, sont nés des
travaux érudits et des pantomimes qui ne
méritent pas moins d'attention. Parmi eux
il faut compter :
I.
Le Mystère de la Passion, conservé dans
le manuscrit de la Biblioihèciuc Sainte-Gene-
viève, à Paris.
Il date du xv' siècie.
La Bibliothèque du théâtre françois , ou-
vrage attribué au duedu la Vallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. 1", ;>. 36) l'a mentionné
pour la première fois.
Il a été publié par M. Achille Jubinal,
dans les Mystères inédits du xve siècle.
(Paris, 1837,in-8°, 2 vol., t. II, p. 133-312.)
[577) Un manuscrit en lettres lonibardiqnes de la
bibliothèque Barberine, n° 1855, contient la (race
d'un rit dramatisé delà Passion. A Leipsick, chaque
personnage était joué par un acteur différent; dans
d'autres localités, il y avait un choeur de Juifs.
(Cf. Grif.shaceu, i'elier die Oslerseqttenz, p. 21 ,
M. Edele^tand Duhéril, Origines latines du théâtre
moderne ; Paris, 1849, in-8°, p. 47.)
Dans un manuscrit du xiv siècle île la Bibliothè-
que maz.irine, n° 2l(i, le récitatif de la Passion est
précédé d'un C en encre rouge (Clerus) ; la partie
des Juifs, de Pilule et de Judas y est marquée par
un S (subdiaconus); et le rôle du Christ est marqué
par une croix.
— La Passion fut jouée à Péronne en 1491, le jour
du grand vendredi (Cf. Lafons-Melicocq. Annales
archéologiques, t. Mil, p. 100); à Amhoise, en 1507,
dans l'église Saint-Thomas (Cf. Cartier, M m. dt
lu Soc. des aut. de l'Ouest, 1841, p. 246-247.)
On connaît eu langue bretonne une Passion qui
date au moins du x.ive siècle, dont les exemplaires
imprimés sont delà plus grande rareté. En voici le
li: r : Les mgstètes de la Passion et de la Résurrection
de Jésus-Christ, du trépas de la Sainte Vierge et de la
Vie di l'homme, imprimes à Paris chez Quitletere,
rite de ta Bùclierie, 1550;
— Un manuscrit du xni" siècle de la Bibliothèque
de Munich contient une Passion publiée par Docen,
*p. Areti.n. Beilragen zur Lilterutur mul geschichte,
l. Ml, p. 297. Hoitma.vn, Fundgruben.,1 11, p, -215
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAS
850
On peut remarquer, non sans quelque
étonnement, l'analogie, lointaine sans Joute,
de ce mystère avec la Passion de saint Gré-
goire de Nazianze. Les amateurs de vieilles.
choses n'y trouveront pas non plus, sans plai-
sir, l'énumération des objets qui, au xv' siè-
cle, remplissaient la balle d'un marchand
ambulant de soieries, et les rayons nom-
breux de la boutique d'un épicier. — Vcij.
Sainte-Geneviève {Manuscrit de.)
1° Le prologue nous donne un rapide ex-
posé d^ la vie entière de Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
2° Jésus, sous le nom de Dieu dans tout le
cours de la pièce, est rencontré de Marie-
Madeleine qui le eberebe, et à qui il remet
ses pécbés. Madeleine chante :
Dieu le tout puissans,
De tout bien cognoissans,
M'a, pour 1 petit don,
Rendu grant guerredon;
Bien me doy louer de luy
Douhlcnicni désert (578") à eelley
Qui le sert et qui l'onneurc!
3" Lazare meurt; il est ressuscité, Jésus
esl ému :
[>IEl\
Je pleure
Parce que je scay bien de voir '579
tju'cncor te convient recevoir
La mort que lu as jà soufferte;
Sy aras peine sans déserte (380)
De souffrir mon c'est dure chose!
4° Jésus entre dans Jérusalem
LE PREMIER enfant d'iskael chante sus ;
GLORIA IMS.
Tu viens cy au nom de Dieu, se savons :
Tu soie/ le bien venu/.
Nul ne puet estre maintenus
Sans loy. Sire. Sauve-nous.
5' Les princes des prêtres séduisent Judas.
SciiMi.M.Kit, Carmina burina , p. 95. Ficha nia publié
dans les Franckfurtischarchtv. t. III, p. 13; , un
1 1 1 \ stère de la Passion ; Moue, dans ses Altteutsche
Sehauspiels, p 142, donne le texte d'une autre Pas-
sion intitulée Ludus u'.ilis. — En Angleterre, 'c |»ro-
lestanl Baies avait écttil une Passion of Christ; $cr.
illustre, Hagnae Britnun. Jo. Bale, p. 702.) — Eu
1243, fu (alla la rappresentazione délia pas&ione e
resurrecione di Christ 0 nelprà délia val te (Cf. catalog»
de" podesla di Padova, dans Mckatori, Script, rer,
ital. I. VIII, p. 505). Il y eut une Passion en lai in df
Bernardo Campagna (Cf. Majefeï, Verona ilhtslrala,
P. ii, p. 20v2) ; Tominaso Dipralo et Trcviso en li-
mèrent aussi en vers virgiliens. (Cf. Ruth, (Jesciii-
clile der itulientselien Poésie, t. Il, p. I0U.) Enfin un
cite encore, en Italie, sur ce vaste sujet de la Pas-
sion, le drame composé vers le milieu du xve siècle
par Giuliano Dali, Bernardo di Maslro Antonio et
Mariano Pariicappo, intitulé : La reppresentuzione
del nostro signor Cesu Cristv, la qfiale si rapvresenla
net colliseo di Roma, il Vernerdi samo, con la sauta
Resitrrezionc istoriàia.
— Dans le Crilicon de M.Gallardo, p. 25 et suiv.,
on trouve une Représentation de. la Passion, datée des
premières années du xvi< siècle; ce drame était de
Liicaz Fernandez ; Juan de la Encina écrivit aussi
une Eglogn de la Pasion.
(578) Est utile.
(379) En vérité.
(380 Profit.
m PAS DICTIONNAIRE
Pinceguerre se charge de prendre Jésus;
il assemble Baudin, Mossé, Malquin, etc.
6° Jésus commande la Pûque; Ladre fait
le Fécit des ix tourments des âmes dans
l'enfer, qu'il a visité :
Le premier est de feu ardant
Qui lout le corps leur va lardant;
convoitise.
Ou seconl
Ils sont en feu et puis en glace
froide mallice
Le tiers tourmant est de vermine :
Cil qui ont pecliié par lieine
Ont compaignic de couleuvres
fît cil qui ont fait les œuvres
D'envie..
Le dragon les runge souvent
Les cuers et toutes lez entrailles;
La. crapout leur peut aus oreilles.
Ou quart, ils ont trop graiil lueur...
Ou quint, mil dyables les batenL..
Ou sixte, n'a point de seurlé;
Ils sont tous jours en obscurté.
Cil qui le bien pour le mal laissent
En celle obscurté Luit abaissent.
Ou vu. tourment ils lisent :
Les pechiés l'un l'autre devisent...
C'est pour ce qu'ils ne confessèrent...
Eu le vin. voient lez diables...
Ne von t pas [ceux qui] au mouslier orer (58 1 )
Ainçois ne cessent de plorer...
Le îx
. . . Tourmenté sont de la poigne
De tous les inaulx qu'en Enter sont...
Encore y a une autre estage
Qui est dessus celui ombrage,
Là est le l'eu du Purgatoire...
7° Au Jardin des Olives.
un a.nge citante sus : Eteiine.
Fils de Dieu, je le vien conforter...
Rien ne double ne petit ne graul,
Va à la mort Ion corps souffrir...
Judas livre Jésus à Pinceguerre et à ses
hommes.
8° S. Pierre renie Jésus:
LA BÉASSE.
A celle barbe blanchinasse.
Musars, que quiers en ceste place ?
N'es-lu des disciples ce maislre?
SAIN'CT PIERRE.
Par ecllui Dieu qui me fist neslre,
Ne cognoiz celuy que me dictes.
Les Princes des prêtres interrogent le
Sauveur, les soldats en font risée et le frap-
pent.
9° Judas se rspent. :
Au diable je me vois donner
Quant mon maislre ay ainssy grevez...
Quant j'ay osé mon Seigneur vendre
Sans remède je me vois pendre.
Diables, prenez mon esperit.
10° Hérode et Pilate se renvoient Jésus; la
femme de Pilate intercède en vain pour le
Seigneur, Pilate le livre aux Juifs. Les bour-
reaux s'en emparent, la dernière scène de
la Passion commence. La mère de Dieu,
DES MYSTERES.
TAS
82$,
En chantant, die :
Beau fils je doy bien forcener
Il n'est nulz qui nie conforlast :
Bien voudroie la mort m'emportas!.
Au cuergrant angoesse me point...
Or est bien du lout abessez
Le soûlas que vous nie taisiez
Quant en la bourbe ne besiez
Par doulceur pleine d'amitié...
11° Aussitôt après la Passion apparaissent
Sainte Eglizeel Vielle Loy, ou Synagogue, dis-
cutant ensemble : Vielle Loy se déclare vain-
rue.
SYNAGOGUE.
Je me rens vaincue ; or pourras
Désormais régner par tous règne
Chevauche à bandoti et règnes
Partout; plus ne m'ose vanter.
12° Pilate accorde à Joseph le corps de
*ésus. Joseph veut acheter d'un mercier col-
porteur passant « beaulx draps neuf soye. »
LE MERCIER.
J'ay soye rouge, Indes et Perses,
J'ay soie noire, soies fines
Plus blanche que n'est fleur d'espines.
J'ay beaulx poilles seur argenicz
A teilles d'or par my piaulez;
Draps vers de soye à or berniez
Et sy ay de plusieurs sendels,
Soye vermeille et puis morée
Et ay soye qui est dorée.
J'ay bougueren eteslamincs,
J'ay bources failes de eu vies fines,
J'ay saintures et gibecières
Courroyes de diverses manières,
Pourpres, samis tressierset guindés,
Voilles noirs et rouges et Indes,
Coeffes à or bonnes et riches
Queuvrechiez, crêpez cl aliches,
Espinglesd'argentsororées
Grosses courroyes d'argent dorées,
Cîiapiaus apellez et couronnes
Et pierres précieuses el bonnes
Noires el vers el rouges sarges,
Couverloers de sendal bien Liges.
J';iy paille de divers ouvrages :
' Pourtra.it sonl à bestes sauvages
Qui semblent lion et liéparl;
El en ay encore d'autre pari
De riches fais nouvellement
Qui sont pourlrait mesmement.
De blanches el de rouges roses
Qui sont parmy le drapl encloses;
Poilles roiez, couroyes à perles,
Draps à papegauls el à merles.
Le Christ est enseveli. Les gardes s'empa-
rent du sépulcre ; après mille vanleries, à loi
vue des anges, ils ne songent plus qu'à fuir
13° Satan s'enferme dans l'enfer. Jésus
frappe aux portes. David, Isaïe, saint Jean-
Baplisle s'écrient de joie. Jésus emmène
Adam et Eve.
ik° Marie-Madeleine, Marie Jacobi, Marie
Salomé vont chez l'épicier acheter des par-
fums : celui-ci, comme le mercier, fail l'énu-
méralion de ses marchandises :
l'espicier.
J'ay poivre, gingembre cl canclle,
(381) Prier à l'église
823
PAS
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TAS
8-21
Poudre de saffran bien nouvelle
Nois inugueltes, pouies gaina les
Giroifle, citonal el dates,
Garingat, folion, peniles,
Cubèbes, rasis, nois confines;
J'ay gingenbranl et pignolat,
J'ay trop bon sucre violât,
J'ay grosse et grêle dragie
De giroufïïe el d'anis glagie,
Poivre lonc, connu in, reguelice,
Amendes, ris et verdegrice;
J'ay gruel c'on n'a pas pillé,
Coton hatu, colon lillé;
J'ai sire jaune et sire vierge
J'ay du persin Massidoine ;
Je lineroye bien d'un siroiue;
J'ay bon candil gros el brisé
Et graine de paradis é
Sucre dur pour faire claré,
Gingembre blanc, coniitparé;
J'ay poudre pour bon pignemeul faire.
El ay séens bon laicluaire ;
J'ay pondre de sucre à cassons
Et alun plus cler que glassons
J'ay encens gales baie noire
Que je achelay en cesle foire,
Etay de lion mugueliet
Qui en cesle boîle cy est;
J'ay blanc de flour et roige mine
El aullre arquenele fine ;
J'ay vermeillon et teinture Inde,
Figues et raisin de Corinde;
J'ay yaue rose et oille d'olive...
J'ay brésil, miel et erremenl,
Et de quoy on fait oignement ;
Plusieurs herbes, bonnes espices...
En ces m boestes qui sont closes,
C'est ornement moult précieux
Qui est moult bon et glorieux
A plaies garir et blessures,
A gens malades el coupures,
A des-douloir ceulz qui se deuleni,
Se bien oingdre le corps se veullenl :
Fait est de mine et d'aloé.
15" La scène anliquo des offices figurés de
la Résurrection se renouvelle. Saint Michel
et les anges apprennent aux trois Marie que
le Seigneur est ressuscité. Jésus môme leur
apparaît, et elles annoncent aux disciples que
leur divin Maître les attend en Galilée. Les
disciples partent « droit sans arrester. »
Un centurion clôt le mystère par ces pa-
roles :
Vous devez bien mil appreslep
Voss cuers vers Dieu qui délivranc
Vous a faicle par sa puissance
Nous eslion luit mal bailly :
Diex ne nous a pas défailly.
Par sa mort a d'enfer gelté
Ses amis, c'est bien vérité.
Prions-ly luit que par sa grâce
De nos méfiais pardon nous face...
Sy vous diray que nous ferons :
Tuit à une vois chanterons
De cuer : Te Deum luudumus
El puis le Benedicamus.
Amen.
(Explicit.)
IL
La Bibliothèque du théâtre françois ,
ouvrage attribué au duc de La Vallière,
(Dresde, 1768, in-8° 3 vol., t. I", p. 117,)
donne deux titres différents du mystère,
qui suit :
Le premier est celui d'un manuscrit m-
fol.,sur vélin, de la première moitié du xvi*
siècle, il est ainsi conçu :
Moralité et figure sur la Passion de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, par personnages
bien dévoles.
Le second est celui d'une édition de ce
manuscrit :
Mystère, moralité et figure de la Passion de
Notre -Seigneur Jésus - Christ , nommée :
QUOD SECUNDUM LEGEM DEBET MORI, à XI
personnages. Lyon Benoît Rigaud, in-8".
(Vers 1600.)
Suit l'analyse du mystère :
« Dévotion explique le sujet dans un pro-
logue. Nature humaine, chargée d'infirmités,
se plaint de son sort malheureux au Roi
Souverain, qui lui dit que son état ne peut
être changé si VJnnocent n'est mis à mort
en faveur d'elle; et si elle ne se lave dans
.son sang. Nature cherche et trouve Daine
Débonnaire, et lui demande la mort de son
lils l'Innocent. Révoltée de celte proposi-
tion, la Dame va avec Nature chez le Juge.
Noé. Le patriarche lès ayant entendues, donne
gain de cause à Nature. La Dame appelle de
la sentence devant Moïse, qui confirme l'ar-
rêt. Nouvel appel de ce jugement à la Cour
Souveraine, ou au Parlement ; saint Jean et
saint Siméon, présidents de ce tribunal, dé-
cident comme Moïse et Noé. Il ne reste plus
à la Dame Débonnaire que le Roi Souverain,
auprès duquel elle va demander justice et
grâce. Le Roi prononce que VJnnocent doit
mourir, pour purger la nature humaine. En
conséquence, celle-ci invite Envie Judaï-
que et Gentil Trucidateur de se saisir de
Y Innocent, à qui on fait souffrir les tourments
décrits dans l'Évangile. Dévotion ferme le
spectacle par un sermon aux assistants.
Le corps s'en va, niais le cœur vous demeure...
VoiJ. QUOD SECUNDUM LEGEM.
(Pantomimes.)
La Passion a été, à la fin du moyen-âge,
le sujet de pantomimes que citent les vieux
historiens. Jean de Troyes (Chronique de
Louis XI ) rapporte qu'on la jouait « par
personnages sans parler » en 1461, à l'entrée
de Louis XI; elle fut représentée encore en
1484, à l'entrée de Charles VIII (Cérémonial
françois, p. 214) et en 1504 à l'entrée de la
reine Anne de Bretagne. ( Registres de VHô-
tel de ville.)
i;
On lit dans le Recueil des offices de France
ar Jean Chenu, qu'à l'entrée du roi C hai-
es VII à Paris, le 12 novembre 1437, « de-
vant la Trinité esloit un grand théâtre sur
lequel estoient représentez les mystères de
la Passion et Judas faisant sa trahison ; ains
représentoient ces mystères par gestes seu-
lement. »
« Devant le Sépuicre était un autre théâtre
825
TAU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAU
826
où furent représentées la Résurrection du
Sauveur et son Apparition à la Magde-
laine... (381*). »
PA UL ( Conversion de Saint ). — Le mys-
tère de saint Paul date du xi" siècle ; il nous
à été conservé dans le précieux recueil do
mystères du xme siècle, dont nous avons
donné la description et l'hisioire sous le litre
de manuscrit de Saint-Benoît sur Loire. —
Voy. Saint-BenoÎt-sur-Loike (Manusc. de).
Dans son cours professé à la Faculté des
lettres en 1835, M. Magnin, examinant le
Saint Paul, le considéra comme très-proba-
blement destiné à être représenté aux ordi-
nations ou prises d'habit. [Voy. Journ. gén.
de rinslruc. publ., 13 septembre 1835,2°
semestre, vie art., p. 4-78. )
M. Wright, en Angleterre, l'a rapproché
du mystère du môme nom édité par les
soins de M. A. Jubinal (Mystères inédits du
xve siècle; Paris, 1837, 2 vol. in-8°.)
MYSTÈRE DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL.
PERSONNAGES.
NOTRE-SEIGNEUR JHÉSUS-
CHRIST. ANAN1AS.
SAUL. LES APÔTRES.
LE PRINCE DES PRÊTRES. DES CHRÉTIENS.
LE CHEF DE LA SYNAGOGUE GARDES.
OE DAMAS.
Pour représenter la Conversion de saint Paul,, apôtre,
mettez en lieu convenable pour figurer Jérusalem, un
siégp, sur lequel s'assiéra le prince des Prêtres; sur
un autre siège, un jeune homme, faisant le personnage de
Saul, entouré de gardes; à quelque distance de ceux-ci,
de l'antre côté, les deux sièges de Damas, où seront Judas
sur l'un, et sur l'autre le Chefde la Synagogue ; entre ces
deux sièges un lit sur lequel est couché l'acteur représen-
tant Anauias.
saul, à ses satellites. Je ne puis garder en moi la
naine immense que m'inspirent ces Chrétiens dont
les artifices séduisent lotit ce pays. Allez, de suite,
empoigne/ Ions ceux que vous trouverez, enchaînez-
les, amenez-les
les ministres. (Partis svr l'ordre de Saul, ils ra-
mènent deux hommes à leur maître.) Nous avons trouvé
beaucoup de ces Chrétiens, en voici que nous avons
arrêtés, lotit le reste de ces séducteurs assemblés a
lui dans Damas.
sacl. (Il se lève irrité et va vers le Prince des prêtres).
Donnez-mondes lettres pour Damas, où les Chrétiens
séduisent le peuple par d'impudents mensonges.
le prince des prêtres donnant à Saul un bref scellé.
Jo vous donne commission pour Damas, contre les
Chrétiens; ne laissez échapper aucun d'eux.
une voix d'en haut. Saul, Saul, pourquoi me per-
sécules-lu? Je vois tous les maux que lu me fais.
Pourquoi nuis-tu au peuple que j'ai choisi. Tu regim-
bes en vain sous l'aiguillon.
saul (A ces mots il est comme à demi mort). Qui
parle ainsi? Qui es-tu. Seigneur? Pourquoi m'as-lu
privé de la vue? Quand ai je allligé ton peuple? Qui
es-tu? et quel est ton nom?
(Il tombe à terre en parlant.)
le seigneur. On me nomme Jésus, et je suis celui
que tu persécutes, dont lu affliges sans eesse les ser-
viteurs; lève-toi, rentre dans la ville, lu apprendras
là ce que tu dois faire.
(381 *) M. Douhaire, dans son Cours sur la poésie
chrétienne : cycle des Apocryphes, publié dans l'Uni-
versité catholique... (Paris, 1811, gr. in-8°, 61' li-
vraison , janvier , 15e et déni, leçon, p. 5"2, 53),
remarqua que, aujourd'hui encore, dans l'ouest cl
le midi ife la France, non-seulement la Passion est
dans le /familles l'objet de sortes de represcnl uions
(Saul se levé; ses hommes, >e voyant aveutjle, le condui-
sent à Damas, dans la maison de Juda.)
le seigneur se rendant auprès d' Anauias. Ananias,
lé'.e-toi vile, entre dans la maison de Juda ; là t'al-
lend un homme dont le nom est Saul, à qui lu don-
neras mes ordres.
an/vnias. J'ai souvent ouï parler de ce Saul; il a
fait bien du mal à les servileurs; il n'en est pas de
connu de lui contre qui ne se soil armée sa fureur
et qui n'ait succombé. Il a des lettres du prince (des
piètres) pour tuer tous les Chrétiens, aussi ai-jepeur
de ce Saul, je n'ose aller vers lui.
le seigneur. Ananias, lève-loi vile, cherche Saul
on toute iranquillilé d'esprit, déjà lui-même le prie
de venir et de lui rendre la vue; j'ai choisi Saul lui-
même pour me servir, m'honore r, (n'annoncer et
glorifier mon nom.
anan i as, se levant, entre dans la maison de Juda et voit
Saul. Saul, le Seigneur Jésus-Christ, Fiis du Toul-
Puissani, m'a envoyé vers loi ; c'esl celui même que lu
as vu dans ton chemin, de qui j'ai reçu l'ordre devenir
auprès de loi : lu annonceras son nom devant les puis-
sanlseiles peuples, el avant d'être ciloyen du céleste
royaume, lu subiras bien des maux au nom du Christ.
sa il se lève el nouveau néophyte il commence de prê-
cher. Juifs, pourquoi ne vous repentez-vous pas?
Pourquoi vous élever contre la vérité? Pourquoi nier
la Vierge Marie, mèie d'un Dieu el d'un homme? Jé-
sus Christ, lils de Marie, esi Dieu aussi bien qu'homme
charnel, il tient la divinité de son Père el reçoit la
chair du sein maternel.
le chef de la synagogue de damas, à ses satel-
lites. Gardez les porîes de la ville, les lèles des che-
mins, el aussitôt que vous verrez Saul, tuez-le.
(Les soldats parlent, ils cherchent Saul; celui-ci, avec
ses disciples, en ayant connaissance, descend dans la
campaqne dansun panier, en un coin du mur de la
ville. Arrivé à Jérusalem, Saul est rencontré par
l'homme jouant Barnabe qui, en le voyant, lui dit : )
barnabé. Le Fils de Marie l'a choisi pour compa-
gnon de nos frères; viens donc avec nous louer le
Seigneur ; voici notre assemblée. (Aux Apôtres). Mes
frères, réjouissons-nous dans le Seigneur, soyons
heureux d'un si bon compagnon. Celui-là même, au-
trefois le plus cruel des loups, est aujourd'hui le plus
tendre des agneaux.
tous les apôtres. Te Deum laudamns..., etc.
PAUL (Saint). — Cette aulre Conversion de
saint Paul est tirée du manuscrit de la Biblio-
thèque de Sainte-Geneviève à Paris. Ce
drame date du xv' siècle.
Mentionné et analysé dans la Bibliothè*
que du théâtre françois, ouvrage attribué
au duc de La Vallière ( Dresde, 1768, in-8%
3 vol. t. 1", p. 36), il a été publié seulement
de nos jours par M. Achille Jubinal, dans
ses mystères inédits du xv' siècle. (Paris,
1837, in-8°, 2 vol., t. I", p. 25-^2. )
Les acteurs sont nombreux ; ce sont :
SAUL et ses compagnons, saint pierre,
LES PHARISIENS. SAINT ANDRIK.U.
ANNAS. SAINT JACQUES LE GRAND.
CAYPHAS. SAINT JEAN.
ALEXANDCR. *A!NT THOMAS.
ANANIAS. SAINT BARTHÉLÉMY.
SAINT BARNABÉ. SAINT SIMON.
figurées, mais même, dans les foires, cl dans les as-
semblées de villages, il n'est pas rare de voir la Pas-
sion jouée par des marionnettes. Ces deux vers des
bateleurs sont cités par M. Douhaire :
Pierre, (.rends ton sar et ton épée
Païens pour la Guidée.
827
PAO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAU
82£
SAINT JL'DE t't SAINT MA- PEUPLE JUIF.
TIIIAS. PHARISIENS.
JI1ÉSUS Cl NOSTRE-DA'.ÎE.
SAULUS ET SES COMPAGNONS.
Dieu gari les maislres de la loy.
LES PHARISIENS.
Bien ve gniez, amis, par oj
saulus.
Mes Seigneurs, sachiez que Damasce
De folz crestiens a grant masse,
Oui noslre loy du tout confondent
El une loy nouvelle fondent
Qui noslre loy confondra toule.
Qui losl n'y pourverra, sans doubste.
Nous avons, i. <le leurs prescherres
Tué et lapidé à pierres.
Les autres plus en doubleront :
S'en les lient court ilz cesseront.
Sy me vailliez s'il vous plaisl lellre
Que je lier les puisse el ineclre
En vos prisons sans contredit.
ANNAS, CAYPHAS, ALEXANDER.
Benoisl soit il qui a ce dit.
Efi effet les Pharisiens remettent à Saul une
.... Commission
D'aler par cesle région.
Encerchier (chercher) ces faux cresliens...
(Lors Saulus monte à cheval en disant :)
A cheval, à cheval tout homme !
Nous ne valons pas une pomme
S'il y a nulz qui nous eschappe.
Se je ne les vous metsoulz trappe
Sy me couronnez d'un trépié.
SES COMPAIGNONS.
Chevauchiez, nous yrons de pié.
(Lors voisent (ils s'en vont en) passant par dessoulz
Paradis.
saulus en s'en allant
A Ion en ce Damas bon erre
Le cuer d'ire (colère) ou ventre me serre
De ce que ces faulz cresliens...
Sy vont noslre loy destruisant...
SES COMPAIGNONS.
Or tost, tost, penssons de l'aler.
Au moment où Saul passe par-dessous
Paradis, Jésus apparaît, un éclair échappé
de sa main toute-puissante renverse Saul.
jhésus die.
Saule, Saule, trop est lesln,
Dy pourquoy me guerroies-tu?
SAULUS.
Qui es-lu qui es cy venu
JHÉSUS.
Je suis Jhésus Nazaretnus.
Que lu poursuis, quant guerroianl
Vas ceulz qui en moy vont croi;n.t
Tu fais (pie fol el que félon
De regiber contre a quîl ion.
SAULUS.
Sire, que vcull-lu que je face?
JHÉSUS.
Lieve sus, va-t-en a Damasce ;
Sy orras (ouïras) que lu devras faire
ja toute-puissance de Jésus. Mais le Sauveur
a eu pitié de lui, sitôt après l'avoir frappé,
il lui envoie Ananias oui lui rend la lutine'"'
et le baptise.
Saint Paul revient a Damas. Il est a^sis
sur le bord de la route, tout poudreux, bien
las, mais animé déjà de l'ardeur invincible
de l'apostolat :
Loé soit Dieu qui m'a gelé
Hors d'erreur et de fausseté,
Qui m'a à sa grâce apellé
Qui m'a ses secrets révélé,
Qui en moy a tout mal sechié,
Qui m'a à lout bien alechié,
Qui m'a en doulz aignel (agneau) changie
De lou sauvage el enragié,
Qui m'a de persécucion
Eslen à prédicacion,
Qui m'a mis à salvacion
De voie de dampnation !
Je n'aray pas sa grâce en vain.
Je vueil loul mettre sous sa main,
Je vueil avant huy que demain
Sa loy prcschier à mon prochain.
L'âpre néophyte est entré dans Damas,
î. s'adresse anx premiers qu'il rencontre et
les salue du nom de Jésus. Nul d'abord ne
peut le reconnaître. Cependant l'un d'eux,
s'adressant à quelqu'un de la foule :
Sire, la char de moy soit arsse (brûlée)
Se ce n'est Saulolin de Tharsse
Qui est yssu hors de son sens...
Aussitôt les sectateurs de l'ancienne loi
prennent l'alarme.
Il est homme de grant courage,
Puisqu'il commance il fera rage :
Alons le montrer au prévost...
La scène est transportée dans le prétoire
du prévôt de Damas. Les dénonciateurs ont-
prévenu l'autorité, qui, dans ces jours de
grand trouble de l'esprit humain, s'émeut,
au moindre bruit ; Les Juifs cherchent
saint Paul , Ananias lui conseille de fuir :
ANANIAS.
Frère Pol, Dieu vous croisse honneur
Les faulz Juifz grant et meneur
Qui demeurent en ceste ville
De vous Hier onlprins concile (conseil) J
Por Dieu, alcz-en, n'y lardez!
SAINT POL.
Se vous dictes bien, resgardez
Qu'au premier assaullje m'enfuie,
Qui ne doy doubler vent ne pluie,
Roys ne princes, ne duc ne conte :
Sire, ce seroit trop grant honte...
ANANIAS.
Bien sçay, frère, qu'estes sy fermes
Que vous ne doublez point mourir ;
Mais, pour Dien, vueillez secourir
Au monde qui est en erreur!
Ce n'est estande ne horreur
S'un pou (si un peu) voslrc mon différez;
Mes granl bien et grant sen ferez
Por mielx (mieux) en la foy labourer...
Paul, touché de ces considérations,
Saulus se relève en effet; ce n'est plus Saint Paul,
le persécuteur farouche, l'ennemi implaca- se résigne à fuir, et pourtant il s assied tout
cable des Chrétiens, « toute malice est en pensif.
lui arsse (détruite) » il prie déjà, il implore Sa méditation profonde est troublée sou-
la miséricorde divine, il redemande la vue dain ; le bruit de la conversion miraculeuse
(pic lui avait ravie la présence redoutable et de saint Paul s'est répandu parmi les Chré-
820
fie
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PIE
8ÔO
tiens, et, curieux de tenir de lui les détails
merveilleux de l'apparition du Seigneur,
avides de presser sur leur sein le nouveau
frère, ils ont envoyé près de lui saint Bar-
nabe, qui le salue et l'emmène.
Nous touchons au dénouement, dont le
pnëte a laissé deux formules : ou le jeu
iinit au milieu de la joie des Chrétiens ser-
rant saint Paul dans leurs bras; ou il con-
tinue, et saint Pierre le présente à Notre-
Dame, dont il reçoit les félicitations. Un
dernier tableau montre les a poires disper-
sés selon la parole évangélique : saint Pierre
à Rome, saint Paul à Athènes.
C'est par là que le mystère ne la Con-
version de saint Paul se relie à celui de la
Conversion de saint Denis. — Voyez cetarlicle.
— Voyez aussi IcMautyr de saint Etienne.
PÈLERINS D'EMAUX ( Les ).— Un mys-
tère delà liésurrection fut joué en 15i8, h
Rélhune, le jour de la Fèle-Dieu, sous le
titre « des Pellerins d Emaux » (Cf. Lafons-
Melicocq, Annales archéol., I. VIII, p. 2G9;
et extraits de chartes dans les Mél. hist.
publiés par M. CnAMPOLLiox-FiGEAC, t. IV).
PENTECOTE {Lu}. — L'abbi de Lame,
dans ses Essais historiques sur les bardes,
les jongleurs et les trouvères normands et an-
glo-normands (Caen, Mancel, 1834, in-8°, 3
vol., t. 1", p. 166), a fait mention d'un Mys-
tère delà Pentecôte, réprésenté e:i Angleterre,
à Chester, en 1327.
PIERRE (Saint) ET SAINT PAUL.— Le
Martyre de saint Pierre et saint Paul est tiré
du manuscrit de la Bibliothèque Sainte-
Ceneviôve, à Paris.
Ce drame date du xvc siècle.
La Ribliothèque du théâtre françois, ou-
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde,
1768, in-8% 3 vol., t. 1er, p. 36), l'a men-
tionné pour la première fois et en a donné
une analyse trop incomplète pour que nous
puissions la reproduire.
M. Achille Jubinal, dans ses Mystères
inédits du xv* siècle (Paris, 1837, in-8% 2
vol., t. 1", p. 61-100), en a publié le texte.
Les personnages sont très-nombreux ; ce
sont •
L EMPEREUR NERON.
DOMITIEN.
AGRIPPA.
PAULIN.
m .v rus, bourgeois romain.
SECOND BOURGEOIS
PEUPLE ROMAIN.
HASQUEBIQUET,
HVPF.LOPIN,
iVrséeu-
ICIH'S
aux
gages
deNéron.
SERGIUS ET GARDES.
JHESUCRIST.
L'ARCHiNGE GABRIEL.
L'ARCHANGE MICHEL.
SAINT r PIERRE.
SAINCT POL.
SAINCT LUC.
TITUS.
SAINCT CLÉMENT, écolier.
SYM N LE MAGICIEN.
IN MORT.
PREMIER DIABLE.
SECOND DIABLE.
EUHBROUET,
MENJUUATIN,
H O BUÉ,
QASTËNIN,
RIFFLARS,
Saint Pierre reproche aux Romains le mé-
pris de Dieu; en vain s'en défendent-ils sur
ce qu'ils honorent les dieux « qui leur sont
propices, » leurs paroles ne démontrent (pie
mieux leur profonde et funeste ignorance.
Saint Clément, encore écolier, mêlé dans la
foule assemblée autour de saint Pierre, ne
peut entendre que la moit du Christ no
soit pas la preuve de son impuissance.
Saint Pierre essaie de lui faire compreudro
le sacritice formidable du Fils de l'homme.
Entre les assistants est Simon le magicien,
qui s'élève contre saint Pierre et réclame,
dans Rome môme et vivant, les honneurs
divins. Un enterrement vient à passer. La
foule demande des preuves. Simon, par les
plus terribles conjurations, parvient à obte-
nir le secours de l'enfer. Le mort remue la
tôle, mais saint Pierre lui rend la vie. Simon
s'élève dans les airs, soutenu par deux dé-
mons. Saint Pierre implore le Seigneur.
Lucifer lâche le magicien, qui se lue en
tombant. L'enfer rit de sa chute et l'emporte.
Les spectateurs de ces choses étranges se
jettent aux genoux de saint Pierre et lui
demandent le baptême. L'écolier saint Cié-
ment est élu par saint Pierre comme son
successeur futur.
La foule s'est retirée, animée de mille im-
pressions diverses, mais favorables à la reli-
gion nouvelle. Saint Pierre, saint Paul :-o
sont assis à terre.
Déjà le bruit de cette scène merveilleuse
est airivéjusqu'à l'empereur Néron. La scène
est transportée au milieu de sa cour; Domi-
licn, qui lui succédera, Agrippa, Paulin, sont
auprès de lui et reçoivent l'ordre de mettre
a mort quiconque se déclarera chrétien.
Titus se haie de [devenir saint Pierre.
Ci bii-ci, pressé par Titus, saint Luc, <aint
Clément, quittait Rome, lorsque, en son che-
min, il rencontre Jésus môme :
Pierres, Lien soies- tu venu !
SAINCT PIERRE, à geilOllIz.
Sire Jhésus, el où vas lu?
JHÉSUS.
Pierres, Pierres, à Homme vois
Pour mourir de recliief en croix.
Saint Pierre est touché de cedoux reproche.
Il éprouve une amère confusion, et se hâte
de rentrer dans Rome et do courir au devant
du martyre.
En effet, Agrippa a lâché contre lui les sup-
pôtsdclajusticeromaine,qui saisissent lesaint
apôtre et le mènent à Néron, avec saint Paul.
Néron reproche à saint Pierre la mort de
Simon :
Tu fais merveilles, lu Tus rages,
Tu es lotit plain de maléfices;
Syfaul faire de toy justice;
Raison, les drois, la loy le veulent.
Il donne l'ordre de mettre à mort les deux
« christicoles, » de pendre et lier saint Pierre:
A Pol, qui csl noble Romain,
Me faicles la teste couper.
Saint Pierre et saint Paul sont entre les
mains des bourreaux, qui, sur le théâtre
môme et devant les spectateurs accourus
aux représentations du mystère, décapitent
Paul et crucifient saint Pierre, la tête en bas.
Le martyre des deux saints a profondément
ému le peuple de colère, de douleur et de pi lié.
Des bourgeois romains, déjà convertis par
saint Pierre, ont voulu le délivrer; mais lo
831
PIE
DICTIONNAIRE DE3 MYSTERES.
PIE
832
pieux m.-rlyr expirait. Ses dernières paroles
ont été pour leur demander la «race d'ache-
ver « sa passion. »
Chiers frères, faictes-moy silence.
S'a' (si à) moy avez nulle (qite'que) amil'ié,
Je vous supply que, par pilié,
Vous ne donnez occasion
De retarder ma passion.
31a passion sy est victoire:
C'est i(un) pont pour saillir (sauter) en gloire.
Jhésucrist m'altenl, roy des roys,
A Dieu soiez, à ly (lui) m'en vois (je vais).
Saint Paul, en mourant, a convoqué le
peuple pour le lendemain à son tombeau;
les bourreaux et les sergents sont des pre-
miers à s'y rendre; ils y trouvent pourtant
Titus et Lucas, dont ils reçoivent le baptême.
Cependant l'émeute gronde dans Rome;
une conspiration s'est formée contre Néron ;
les bourgeois romains méditent sa mort; ils
se résolvent à l'attaquer dans son palais, et,
comptant sur le succès d'une surprise, ils
se précipitent soudain vers la demeure im-
périale.
De son côté, Jésus a envoyé ses anges
Gabriel et Michel recevoir les deux apôtres :
Tu Gabriel et toy Michiel,
Levez sus, descendez du ciel.
Alez-moy bonne alcure (ftesn Ue) «pierre (chercher)
Mes il (deux) Aposires Pol et Pierre
Et leur portez ces n (deux) cliapiauls
El ces vesleinens bons et biauls
Puis sy (ainsi) les montrez à Néron.
Les deux archanges revotent Pierre et Paul
de chaperons garnis de fleurs et de dalma
tiques rouges, et les emmènent. Saint Paul,
en [tassant, rend à Pautille le « cuevre-chief »
qu'elle lui pr^ta pour se bander les yeux, au
moment du supplice.
r-AUTlLLE.
Diex! (Dieu) j'ai vu monseigneur Saint Pol
Que les tirans lindrenl (firent passer) pour fo....
Fol n'estoit pas, mais fol esloit
Qui son Dieu et ly (lui) despiUnl.
En sa foy vueil mourir et vivre;
Dieu me vueille escripre en son livre
Saint Pierre et saint Paul apparaissent à
Néron :
Néron, nous vivons à honneur,
Mais lu mourras à déshonneur.
lit ils disparaissent avec les anges, qui les
remmènent « en paradis. »
Néron, dans le mystère, est si grandement
surpris, qu'au lieu des dieux romains, il in-
voque Mahomet, dont le nom ne sera connu
que six ou sept siècles après lui dans Rome,
longtemps après la chute de l'empire romain.
Ha Mahommet! dor-je ou je vueille? (veille.)
(382) < Se ensuit le Mislère de Monseigneur saine'
Pierre et sainct Paul , par Personnages, contenan'
plusieurs autres Vies, Marti res et Conversions de
Sainclz, comme de sainct Eslienne, sainct Clément,
sainct Lin, sainct Gelé, avec plusieurs grans mi-
racles faiclz p;ir l'intercession desdietz Sainclz, et la
mort de Symon .Magus; avec la perverse vie el manl-
vaise de l'Empereur Néron; comment il fil mourir
sa mère, et comment il mourut piteusement : el est
ledict Mislère à cent Personnages, dont les noms
s'ensuivent, ele .. Cy Quisl la vie de sainct Pierre et
Pierre cl Pol, dont j'ay grant merveille
Sont venus à moy par grant jre(engrandecolère).
Ces mots sontà peine échappésà ces lèvres
condamnées par Dieu, qu'un des bourreaux
des saints apôtres, se précipitant dans le
palais, arrive jusqu'à lui et lui annonce que
sa mort est résolue par les bourgeois ro-
mains, maîtres des lieux et le cherchant en-
core. Néron n'échappe à la juste fureur du
peuple qu'en se tuant.
L'enfer est ouvert | our l'attendre. Déjà
des démons l'y ont emporté. On le voit, au
milieu de grandes flammes, assis dans une
chaudière, tourmenté par des diables ; les
uns avivent le feu, les autres lui font boire
des liqueurs dévorantes. Tous lui reprochent
ses crimes. Il courbe la tête sous les huées
el les risses, et encore n'est-ce que le com-
mencement de ses tortures éternelles.
Néron encor pis le feron,
A Lucifer le porleron
Qui leeslraindra legavion
Sans fin et sans rédemption.
Le arame se termine par deux scènes:
dans le palais témoin de la mort de Néron.
Donatien est élu empereur, et peut être,
dans les catacombes, une assemblée chré-
tienne consacre saint Clément en la
. . . . Papal dignité
El général auctorité.
PIERRE (Saiht) ET SA] NT PAUL (mys-
tère de). — xvr siècle. — Ce mystère a été
mentionné par de Beauchamps, dans ses Re-
cherches sur les théâtres, (Paris, 1735, in-8%
3 vol., t. I", p. 225), et analysé dans la Bi-
bliothèque du théâtre français, ouvrage attri-
bué au duede La Vallière (Dresde, 1768, in-8°,
3 vol., t. I", p. 26). Les frères Parfait, dans
leur Histoire du théâtre français (Paris,
15 vol. in-12, 1735, t. II, p. 563-568), en
ont laissé la notice suivante :
«Ce poème (382) commence à l'élection des
apôtres (383). Jésus ordonne à Pierre, à
André et aux deux fils de Zébédée de quitter
leur occupation pour le suivre. Zébédée et
Marie sa femme, chagrins de perdre leurs
enfants, les prient avec instance de rester
chez eux.
ZÉBÉDÉE.
Hélas! el que voulez-vous faire?
Faire deussiez bien aullremenl,
Aullrement envers voslre père :
Père des auires plus dolent.
Dolent suis plus que nul vivant :
Vivant ne doy longuement eslre,
Eslre je doy en grant tourment;
sainct Paul par Personnages, etc., nouvellement im-
primé à Paris, par la veufve feu Jehan Tiepperel et
Jehan Johannot Libraire et Imprimeur demou-
rani en la rué Neufve N. D. , à l'enseigne de
l'Escu de France. > C'est un in-4° de 260 pages à
deux colonnes : qui contient environ vingt mille vers, '
suivant Lacaille, Hist. de rimpr., lib. u, page C8.
La veuve Trepperel imprimait vers l'an 1520
(383) Myst. xv« de la première journée de la Pat-
sion
853
PIE
DICTIONNAIRE
Tourment me vient mes douleurs croistre,
Croistre voy ma peine et douleur;
Douleur me vient en ma féblesse ;
Féblesse nie oste ma vigueur ;
Vigueur n'ay plus, ce fait weillessc :
Vieillesse, las! que feras-tu?
Toy poure viellart descends,
Desconfis que dcviendras-lu,
Quant ainsi le lessent tes lilz?
« Les apôtres, fidèles aux ordres du Sei-
gneur, ne tardent pas, après son Ascension,
à prêcher son saint Evangile et à choisir les
sept Diacres pour les soulager dans leurs
travaux. Satan descend furieux aux enfers,
rendre compte à son maître des progrès du
christianisme.
SATIUN.
Ilau ! Lucifer, nous sommes fris-
« Pour lâcher de les traverser, il monte
sur la terre, accompagné de Bérilh et de Bel-
zébulh, dans le temps que Simon Magus,
rejeté parles apôtres, de qui il veut acheter
le don du Saint-Esprit, prend un grimoire
et l'invoque. Leur appui ne peut empêcher
ce magicien de succomber dans une dispute
publique, qu'il a contre saint Pierre cl saint
Jean. D'un autre côté, Saul, changé en pré-
dicateur de la loi de Jésus-Christ, reçoit le
baptême des mains d'Ananie, ce qui jette les
Juifs dans un étonnemcnt sans égal.
ï'sMAF.L, juif.
Est Saul devenu hérétique .
« Cependant saint Jacques Majeur, reve-
nant d'Espagne, est arrêté par les ordres
d'Hérode, qui lui fail trancher la tête. Prêt
à faire périr saint Pierre d'un pareil supplice,
il est enlevé de sa prison par un ange. Cet
apôtre baptise ensuite saint Clément, que
saint Barnabe lui amène, et va prêcher le
peuple d'Antioche. Théophile, roi de celle
contrée, le fait mettre dans un cachot, d'où
saint Paul le relire. Les miracles que ces
deux apôlres opèrent dans cette ville con-
vertissent le roi et les habitants.
(Adonc préparent ung lieu en manière d'une église, et
une cliaize pour saint Pierre.
« Après quelque séjour à Anlioche, saint
Pierre passe à Home. Sur ces entrefaites,
Noiron (384), qui recherche en mariage
Octavie, fille de l'empereur Claudien (385),
envoie le messager Passevite à Théophile,
pour le prier d'engager l'empereur à con-
sentir à son mariage : le roi d'Antioche ré-
pond au messager qu'il ne veut point se
mêler de celte affaire, et que d'ailleurs Noi-
lon n'est pas d'une maison assez illustre,
pour pouvoir prétendre à une telle alliance.
Agrippine, pour faire monter son fils sur le
trône, fait présent d'une pomme et d'un
bouquet empoisonnés à Brelhaincus (386),
fils de Claudien, qui expire peu de temps
après; l'empereur meurt aussi la nuit sui-
vante. Cependant Pierre fait plusieurs mi-
racles dans Home; il ressuscite Thabita et
(r>8i) Néron.
385) Claude.
DES MYSTERES. PU! 83i
convertit par ses sermons Lini et Cleti, et
enfin les maîtresses du | révôl Agrippe.
Symon Magns, arrivé dans celte ville, féJuit
quelque temps le nouvel empereur Noiron ;
mais enfin, vaincu dans une dispute qu'il
entreprend contre saint Pierre et saint Paul,
e peuple se jette avec fureur sur lui et l'as-
omme a coups de pierres, pour se venger
de ses impostures. Noiron, très-fâché de sa
perte, ordonne que Ion ensevelisse son
corps.
NOIRON.
Soit enterré.
sathan, emportant le corps de Symon Magut :
Non sera niye;
Il sera porlé en Enfer.
« L'empereur commando à saint Pierre de
sorlir de Rome, et, sur le refus de cet apôtre,
le prévôt Agrippe le fait arrêter, et ensuite
attacher à une croix, tandis que, par ordre
de Noiron, on conduit saint Paul sur un
échafaud, où le bourreau lui enlève la tôle.
« Cependant ce prince, oubliant ce qu'il
doit a Agrippine, tâche de la faire em| oi-
sonner : ne pouvant réussir dans cette entre-
prise, il fait préparer, dans une île, un su-
perbe festin, pour régaler sa maîtresse
Pompée (387) ; il y invite cette misérable
princesse, et lui lait ouvrir le ventre avec
une extrême cruauté. La vengeance du ciel
poursuit enfin ces meurtriers : le prévôt
Agrippe expire en souffrant des tou ments
incroyables. Ses quatre satellites prennent
querelle en sortant d'un cabaret et s'égor-
gent mutuellement. Et Noiion, craignant de
subir un houleux supplice, se perce le sein
avec sa propre épée. Les diables viennent
ramasser les âmes tt les corps de ces
misérables, et les lidèles rendent grâce au
Seigneur. »
PLUSIEURS QUI N'A POINT DE CONS-
CIENCE.— Duverdier {Bibliothèque fran-
çaise, p. G35) :
« Moralité intitulée: Plusieurs qui n'a
point de conscience, composée par Jean
d'Abundance et imprimée à Lyon. »
Les frères Parfait ajoutent, sous la date
de 1538: « On pourrait s'imaginer qu'il y a
ici une faute d'impression, mais nouscroyons
que l'auteur a voulu personnifier Plusieurs
par un seul personnage. » (Hist. du théât.
fr.; Paris, 15 vol., in-12, 1715, t. 111, p. 152.)
— Voy. A«unda>ce (Jean d'j.
PRISE DE CALAIS {La). — La Prise de
Calais est tirée du manuscrit de la Biblio-
thèque impériale, fonds La Vallière, n° 63.
Ce petit drame dale de la seconde moitié
du xvi* siècle.
Il a été publié à Paris, chez Téchener, en
1837, format gr. in-12, par MM. Leroux de
Lincy et Francisque Michel; et réuni avec
soixanle-lreize autres pièces, parmi les-
quelles il porte le n° 8 ; il fait partie du
Recueil de farces, moralités et sermons joyeux,
qu'ont édile les deux précédents ailleurs,
(38G) Britaniiicus.
(387) Poppcc
$35
PRI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
sous le nom de
PRI
8->G
mais qui est plus connu
Collection Téchcncr.
Celte édition unique est très-défectueuse.
M. O. Leroy, dans ses Etudes sur les mys-
tères (Paris, 1837, in-8u, p. 373), a donné de
cette pièce une appréciation singulièrement
incomplète, accompagnée de quelques cita-
tions. '( C'est parce qu'ils ont abandonné leur
religion, dit-il, que les Anglais ont perdu
leurs possessions dans le saint royaume de
France. Toute la pièce aboutit à ce but. »
Sans doute ce point de vue n'est pas étran-
ger au drame de la Prise de Calais, mais il
est singulier que M. Leroy, qui a tant cher-
ché la tragédie nationale, ait laissé de côté
Je caractère principal de cette œuvre impor-
tante. Outre la profonde croyance en l'ave-
nir supérieur de la France, il y a, dans celte
petite pièce, l'idée de la puissance matérielle
énorme de l'Angleterre, et de la force morale
supérieure de la France :
Superbes mon la ignés
Aux humbles campaignes
On vont csgaller
Par grosses rivières
Bruyantes et fières
Qui les l'ont grouller.
L'Anglais ne croit qu'en la puissance hu-
maine ; la France cherche sa force en dehors
d'elle, dans le mouvement de l'éternité. C'est
ce qu'exprime celle belle slrophe, digne des
meilleurs temps :
Tu avoys fiance
A la grand puissance
Du superbe lieu;
Mais toute la force
Estoit sans escorce
Oubliant ton Dieu.
Nous croyons devoir reproduire tout en-
tière, dans son langage original, facile à
comprendre, ce singulier dialogue.
MORALITE NOUVELLE DE LA PRINSE DE CALAIS
(1552) A II PERSONNAGES, C'EST A SCAUOIR :
IN FRANCOYS ET
CS ANGI.OYS.
le francoys commence.
Dieu gard compaignon.
l'angloys.
Dieu vous gard.
LE FRANCOYS.
De grâce! dictes de quel part
Vous venes et où vous lires
l'angloys
De Calays.
LE FRANCOYS.
Quoy ! vous soupires
l'angloys.
Sy ie soupire quant à moy,
Compaignon, l'en ay le de quoy.
LE FRANCOYS.
El pouiquoy?
l'angloys.
Car peu esloys bourgnys
Au temps qu'on le disoyl Angloys.
Il y a plus de deulx cens ai:s
Que de père en (ils la dedens
Angloys y faisoyenl ieur demeure.
Mais maintenant à la maie heure
Y nous faull retirer grand erre
Chelis! en eslrangère terre.
LE 1RANC0YS.
Compaignon, certes passience
Comme l'on dict passe science.
Y failli donc, sans vous tourmenter,
Ce mal paciamant porter.
Saves vous pas bien qu'Edouarl
Tiers y planta son eslendarl
Apres ung siège douze moys
El qu'il en chassa les Francoys
Lesquelz y perdirent leur bien?
l'angloys.
Compaignon, cela ie say bien.
LE FRANCOYS.
Sy donques mon seigneur de Cuisse,
En excersant son entreprisse,
De Henry le baull roy de France
Reduicl soubz royalle puissance
Calais qu'on usurpait sur nous,
Vous faict y pas grâce à vous Ions
Oui dédaignant ce prince baull
l'iésuiner d'alendre l'asault
S' après la vicloyre ensuyvie
On void qu'i vous sauue la vye ?
Cela vous deut payer conlani.
l'angloys.
Esdouarl en feist bien autant.
Mais de Guisse en moingiz de buicl iouri
La reprist cl nos fortes tours.
Tant la fouille que le risban
Quant le second iour de cesl an
De furie estant canonnes
Furent soudain liabandonncs
El n'eûmes onques le loysir
De les deffendre ou secourir,
C'est pouiquoy maincl regret l'en fais.
LE FRANCOYS.
Ce sont du Seigneur Dieu les fais
l'angloys.
Nous auyons sy fortes murailles.
LE FRANCOYS.
Les hommes font bien les batailles
Et Dieu de. iusiice et gloyre
Donne à qui y plaist la vicloyre.
l'angloys
Ilclas! nous la gardions sy bien.
LE FRANCO YS.
Compagnon, cela n'y faict rien
Car si Dieu la cite ne garde
En vain posée y la garde
Ce n'est rien que des fortes poys ;
ivlaissi Dieu la garde une Poys *
En vain on y lende le siège.
l'angloys.
Nous disions que plus losl le liège
Sans floter fut fondu dens l'eau
El que de plomb ung grand fardea
Plus losl floter on eut peu voyr
Que d'asault ceste vile auoir
Voyre bien que d'esne assaillye.
LE FRANCOYS.
C'est le comble de la folye
O genl par irop ficre et superbe !
l'angloys.
A ! on nous a bien fauclic l'erbe
Desoubz le pie.
857
tri
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PRO
838
le rr.v.NCOYS.
Qu'aiioiis perd».
Quant aux Franeoys nues rendu
Cela que leur auies pille.
l'anglovs.
Yrayment voucla bien habille.
Pille le bien pris à la guerre!
Sy pour s'en servir on le serre
Ce" bien est y pas bien aquis?
LE FRANCOVS.
Sy les Franeoys ont reconquis
Par le vouloir de Dieu leurs biens,
Les Angloys n'y ont donc plus riens
El bien ferey. Qu'en dicies-vous?
LANCLOYS.
le ne présente tant de trous
Que ne trouve plus de chevilles
Pour bien raffiHer nos aguilles
Y me fault chercher autre lieu.
Adieu, compaignon.
LE FRANCOYS.
Or adieu.
i/àngloys.
Tu scmliloys, Calays, dont ic gronde
Menacer les iroys pars du inonde.
Bien en vain lu le sentz fier
A ton rampait superbe et lier
Par deulx cens dis ans imprenable.
Que ta perte m'est importable !
Tu t'esiouissoys du butin
Que l'on feisl dedens Saincl Quciilin
En démenant vue grand leste
Pour vue sy belle conquestc,
Car lu penses par cela veoir
France hors du Franeoys pour voit-
Mais tu rens ce butin au double
Pour vn petit denier vu double.
0 ! quel malheur a cesie foys!
Y le fault quicter aux Engloys.
Adieu Calays la forte vile !
Or adieu Guignes adieu mile !
Mile et mile maisons
Qu'au Franeoys bâtis auons !
Que pleust a Dieu que la lempeste
Du ciel luinbast desus ma leste '
Ou que ce deust la terre ouurir
Afin de soudain m'engloulir 1
Ou que pasionne de rage
le peusse venger mon courage !
le me sens naure jusque au sang
N'ayanl rien que ce baslon blang.
LE FRANCOYS.
0 fierté Angloisse !
La doulceur francoiss
Te deust contenter.
Or l'en va grand erre
A Ion Englelerre
Tes malheur conter.
L'Angloys se tourmente
Se pl.iincl et lamente
Pour auoir perdu
Calais que sans liltrc
Sans loy ne chapitre
Auoyi détenu.
Soublz la grande espasse
Du ciel le temps passe
Par vu cours léger,
El n'est si haull m iuce
Ciic ni prouince
Qui ne scayl changer.
Calais fui francoyssc,
Puys elle fui angloisse
Par deulx cens dix ans;
Puis Monssieur de Cuisse
Nous l'a reconquisse
En bien peu de temps.
0 Angloys ! courage !
Vys lu poincl l'orage
Teinpeste et meschef?
Vys lu poincl la perte
Fort grande et aperte
Menacer ton chef?
Non! la voyne enflée
Parorgueuil soufflée
Ne le l'a pcrmys,
Disant misérable
Calais imprenable
De tcseniieiiiys.
Tu auoys fiance
A la grand puissance
Du superbe lieu.
Mais loule la force
Estoyt sans escorce
Oubliant ton Dieu
Superbes montaigues
Aux humbles campaignes
On void esgaller
Par grosses riuieres
Bruyantes et fyercs
Qui les font grouler.
Ainsy la lempeste
Tonnant sur la tcsle
De ces liers Ang'oys
Fil qu'ilz s'abaissèrent
Et prendre laissèrent
Calais aux Franeoys.
Malureux donq l'homme
Qui se fye en somme
Au bras de la chair !
Heureux se doibt due
Qui de Dieu désire
Sou secours chercher !
De ceslc vicloyrë
Or donques la gloire
Fauli a Dieu donner
Qui Calais nous donne
C'est l'antique bourne
Pour la France bourner.
FINIS.
PRISE DE JÉRUSALEM (La). — Le mys-
tère de la Prise de Jérusalem , écrit en Kymri
comme la Vie de sainte Nonne et la Création
du monde, a élé cité par MM. Rilson , en
Angleterre , et Edelestand Duraéril , en
France. (Origines latines du théâtre moderne;
Paris, 18V9, in-8", p. 3k, note 3.)
PROCÈS DU DIABLE (Le).— Voici un
des rares exemples du mystère juridique.
Il date du commencement du xiv' siècle. Sun
auteur est connu : c'est Barthble même. On
trouve ce drame parmi 1rs œuvres de ce grand
jurisconsulte (Bartholi Opéra; Lugdnn. ,
1516, fol., 10 vol., t. VIII, fol. 93, verso-do
verso. L'abbé Tcrrasson (Met. d'Iust. de litt.
et de crit., in-12), l'a cité dans une Disser-
tation sur les indécences des anciens commen-
tateurs du droit; et Lcber, d'après lui (Coll.
des mille diss. ; Paris, 1838, in-8°, 20 vol.,
t. IX , p. 278, note.) En 183G , dans son
cours professé à la Faculté des lettres, M. Ma-
gnin n'oublia pas la comédie du Docteur
Barthole. (Cf. Jôurn. gén. de Finstr. pubt.,
5"»0
PRO
DICTIONNAME DKS MYSTERES.
rno
S41)
28janv. 183G, cours, 2* semestre, xvr art.,
p. 202.) Il n'est pas impossible que ce drame
juridique ait été représenté par les disciples
du grand maître. Le sujet en esl extrême-
ment singulier, et les développements, trop
nombreux malheureusement, ne le sont pas
moins ; nous regrettons d'èlre réduits à cette
courte analyse.
« Le diable, prétendant remettre les hom-
mes sous le joug auquel le crime d'Adam
les avait soumis , assigne le genre humain
devant le tribunal de Jésus-Christ. L'assi-
gnation, donnée aux termes du droit, psI à
trois jours : elle se trouve écheoir un ven-
dredi saint. Le diable cite à Jésus-Christ les
lois qui ne permettent pas d'assigner à un
jour de fête. Jésus-Christ dispense de celte
formalité, en vertu d'autres lois qui donnent
ce droit aux juges en certains cas. Alors le
diable comparaît et demande si quelqu'un
ose parler pour le genre humain. La sainte
Vierge se présente. Le diable la récuse
comme mère du juge et comme femme, ex-
clue, par son sexe seul, des fonctions d'avo-
cat. La sainte Vierge allègue les lois qui
autorisent les femmes à plaider pour les
veuves, les pupilles, et ceux qui sont dans
la misère. L'incident est viJé en faveur de
la sainte Vierge. Au fond, le diable fait va-
loir qu'd a été possesseur du genre humain
depuis la chute d'Adam, et veut user de la
prescription. La sainte Vierge soutient qu'un
possesseur de mauvaise foi ne peut acquérir
par la voie de la prescription. Enfin , après
force citations de textes, arguments , inci-
dents, dilatoires, déboutenients, intervient
le jugement délinitif. Le jour de Pâques,
Jésus-Ciirist rend une sentence par laquelle,
en déchargeant le genre humain des impu-
tations à lui faites par le diable , condamne
celui-ci à la damnation éternelle. Les té-
moins sont saint Jean l'évangéliste, saint
Jean-Baptiste, saint François , saint Domi-
nique, saint Pierre, saint Paul, saint Mi-
chel, etc. Les anges célèbrent le triomphe
de la sainte Vierge par le Salve Regina. Le
diable déchire de rage ses habits, et se retire
épouvanté dans les ténèbres et les horreurs
de l'enfer. »
PROCESSION DE LA FÊTE -DIEU D'A IX
(La). — La Procession de la Fête-Dieu d'Aix,
» si un des usages funestes qu'avait produits
ai moyen âge la fête des Fous.
Ou attribue aux premières années du xv'
siècle et au roi René d'Anjou cette proces-
sion, où étaient (igurées diverses des grandes
scènes de l'Ecriture. La musique, en tète de
la procession, jouant des airs de danse, était
suivie par des enfants déguisés en amours.
Les corps de métiers précédaient des ber-
gers et des nymphes. Les pauvres des hôpi-
taux, les enfants-trouvés, les ordres men-
diants, avaient derrière eux le chef du peuple,
accompagné de populace sautant au bruit
du fifre et du tambourin, et de Turcs prison-
niers, traînés la chaîne au cou. Puis Y abbé
des marchands et le prince des amoureux.
Au coin des rues et sur les places, sur des
échàfauds, on représentait, ici la Création,
ailleurs, la sortie d'Egypte, autre part, les
trois mages , les quatre évangélistes , saint
Michel, saint Chrystophe, et Notre-Seigneur
Jésus-Christ lui-môme. Le chef du peuple
portait le nom de duc Urbin. Les disposi-
tions et les scènes de ces processions impies
ont varié beaucoup. On y a vu des caval-
cades, des danseurs, le jeu ignoble des tei-
gneux, et de nombreux symboles des dieux
du paganisme. On a essayé d'expliquer l'his-
toire de ces folies, en les considérant comme
des imitations de tournois, comme le triom-
phe de l'adorable sacrement ou le sacre,
comme la punition, par un affront public,
de la lâcheté d'un certain duc Urbin, qui,
commandant pour René en Italie, lâcha pied
dans une bataille, ou enfin, comme une fêle
importée à l'imitation de ce même duc Urbin,
qui aurait régné en Italie au xiv' siècle. Il
faut consulter sur tout ceci Mathurin Nelré
(Querrlu ad Gasscndum... ex occasione lu-
dicrorum quœ Aquis-Sextiis...) ; Grégoire
(Explication des cérémonies de la Fête-Dieu
d'Aix ; Aix, 1777, in-12); Pierre-Joseph De
Haitze {Esprit du cérémonial d'Aix ; A'w,
1738, in-12), et Leber (Collect. des meilleures
dissert.; Paris, 1838, in-8% 20 vol.. t. X,
p. 77-125.)
PUOCESSION DU HARENG (La). — La
fêle des Fous avait, à Reims, donné lieu à
une pratique singulière qui so conservait
encore au xve siècle. « Le mercredi saint,
tout le clergé (de l'Eglise de Reims) se ren-
dait à Saint-Remi pour y faire une station.
Les chanoines, précédés de la croix, étaient
rangés sur deux files, et tous traînaient der-
rière eux un hareng qu'ils tenaient attaché
par un ruban. Chacun d'eux n'était occupé
que du soin de marcher sur le hareng qui
le précédait, et de sauver le sien des sur-
prises de la personne qui le suivait.» (An-
quetil, Hist. de Reims; Leber, Collection des
meill. dissert.; Paris, 1838, 20 vol. in-8%
t. IX, p. 2H. Note.)
PUOCESSION NOIRE dÉVREUX (La).—
Parmi les folies de la fête des Fous, il n'en
esl pas qui ait excité plus d'horreur que la
Procession noire d'Evreux, ou cérémonie de
saint Vital.
Le 28 avril, dans l'église de Notre-Dame
d'Evreux, le chapitre avait, à une époque
antérieure au xnr siècle, la coutume d'aller
au bois l'Evêque, qui est fort près de la
ville, couper des branches, au bruit de tou-
tes les cloches de lacaihédrale. Les chanoines
y assistaient d'abord; il n'y eut ensuite, à
cause des excès qui se commettaient, que
les clercs de chœur, les chapelains, les hauts
vicaires. Pendant l'office, le clergé jouait
aux quilles sous les voûtes de la cathédrale;
l'on y dansait et l'on y chantait. (Voir le
Mercure d'avril 1726, Lettre sur la saint Vital
et la procession noire d'Evreux. i
PROCESSION DE SAINT PAUL A VIENNE
(La). — La Procession de saint Paul est un
des rites restés fameux de la fête des Fous;
il était particulier au diocèse de Vienne. Lf
1er mai, dès l'aube du jour, se réunssaien'
dans le palais archiépiscopal, quatre hommes
841
QUE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Ql I
£42
nus et barbouillés cntièremen. de noir, qu'a-
vaient nommés pour ce qui va suivre l'ar-
chevêque de Vienne, le chapitre de Saint-
Maurice, l'abbé de Saint-Pierre et l'abbé de
Saint-André. Us sortaient aussitôt réunis,
couraient les rues et rentraient, après lo
dîner, à l'archevêché, où s'étaient réunis
les garçons bouchers, pour recevoir, du choix
de l'archevêque, un roi dont ils formaient
Ja garde à cheval. Les nègres, le roi, les
gardes allaient frapper aux portes de l'Hôtel-
Dieu, appelé hôpital Saint-Paul. Ils deman-
daient saint Paul. Quelqu'un de la maison
répondait : // dit ses heures. Le garde frap-
pait une seconde fois, on répliquait : Il monte
à cheval. Au troisième coup, on ouvrait la
porte, en disant : Vées-te ci tout prest. Et
saint Paul paraissait à cheval, vêtu en er-
mite, portant en bandoulière un baril de
vin, un pain, un jambon, et devant lui une
coupe pleine de cendres, pour jeter dans les
yeux des curieux. Le recteur de l'Hôtel-
Dieu remettait saint Paul eutre les mains du
roi, qui en délivrait un reçu et s'en reridait
caution. De l'Hôtel-Dieu on se rendait à
l'abbaye des Dames de Saint-André, où
l'abbesse fournissait une reine, parée et
ajustée comme le roi, et de là on courait la
ville, au travers des huées et des clameurs
de la foule. (Ancien missel mss. du viv* siècle,
consulté par Du TiiLioxet l'abbé d'Artic.ny.
Notice sur la fêle des Fous, dans les Mém.
delitt., t. IV; réimprimée par Leber, Collect-
ées meill. dissertai.: Paris, 1838, in-8°, 20
vol., t. IX. n. 261-265.)
PROPHÈTES DU CHRIST (Les). —
M. Edelestand Duméril, dans ses Origines
latines du théâtre moderne (Paris, 1849, in-8°,
p. 179), donne, sous ce titre , les rites dra-
matisés où interviennent les divers person-
nages de l'Ancien Testament pour porter
témoignage des prédictions relatives è Jésus-
Christ. Le même auteur signale un Proces-
sus Prophetarum dans la vi' partie du Tour-
neleij mgsleries ; dans le Ludus Coventriœ
un tableau est intitulé : The prophets.; un
jeu des prophètes à York, en 1415, dans
Mariott, Coll. of engl. miracles - play , or
myst., p. xvm.
PURIFICATION DE NOTRE-DAME (Les
jeux de la). — On trouve dans les Regis-
tres des comptes de l'hôtel de ville d'Ab-
beville la mention de jeux de la Purifica-
tion-Nostre-Dame, qui eurent lieu vers 14-52
dans le cimetière Saint-Jacques. (Cf. F.-C.
Louandre, Hist. d'Abbev.; Abb., 1834, in-8",
p. 238 [387*] .)
Q
QUENTIN (Saint). — On lit dans Claude
He'meré, chanoine de Saint-Quentin et doc-
teur en Sorbonne , ( Augusta Vcromanduor.
illustrata; Paris, 16V3, tn-4°, p. 194), sous
la rubrique de l'an 1206, ces deux passages
curieux : 1° Page 194.— « Une vieille tradi-
tion de Baïonvilliers raconte que cette, terre
avait été donnée par un certain Baion ,
propriétaire du lieu, à saint Quentin lui-
même, en reconnaissance d'un miracle par
lequel la santé avait été rendue à ce sei-
gneur. Saint Quentin était alors traîné sur
le chemin de Saint-Quentin à Amiens, et
Baion, affecté de la lèpre, s'étant essuyé
d'un linge trempé de la sueur du martyr,
fut guéri à l'instant. Ce miracle avait été
sculpté autour du chœur de l'église de la
ville avec beaucoup d'élégance, comme le
reste des travaux dont cette partie de l'é-
glise est entourée, et l'on y avait ajouté
des vers pour expliquer le sens des figures :
ces vers étaient tirés d'un très-long poëme
qui servait à nos compatriotes de Saint-
Quentin pourles représentations du martyre
du saint, qui avaient lieu sur un théâtre, en
treis ou môme en quatre journées. Le vo-
lume qui contenait ce ma.tyre était conser-
vé avec beaucoup de soin dans le trésor de
l'église, et il y en avait une copie à Saint-
Victor de Paris. Mais la tradition relative à
Baïon n'attestait dans l'esprit de nos pères
(387*)La Purification de Noire-Dame a été l'objet
d'un mystère imprimé à Florence en 1559 sons ce
titre : La reppresenlalione délia Curificalione di Xos-
Dictionn. des Mystères.
qu'une étrange confusion/car, du temps du
saint, il n'y avait point d'évêché à Saint-
Quentin, et c'est bien longtemps après, à
une époque inconnue, que le don de Baïon-
villiers avait eu lieu. Eu i288, ce lieu fut
vendu, » etc. 2" Page 3V0. «Le 15 novembre
1501, l'archiduc d'Autriche, Philippe, fit
son entrée à Saint-Quentin : les ordres
mendiants, les Franciscains, les Domini-
tains, le doyen et les chanoines de l'église,
allèrent au devant de l'archiduc et de l'ar-
chiduchesse... Les habitants de la ville il-
luminèrent... et l'on avait élevé, dans les
carrefours, des théâtres où fut représentée
la légende de saint Quentin... » L'abbé Le-
beuf (Remarques envoyées d'Auxerre le 6 dé-
cembre 1728, Mercure de France, 1729, dé-
cembre, p. 2983j, mentionne le Mystère de
saint Quentin, d'après Hémeré. Un auteur
plus moderne en a aussi parlé. En 1452, un
an après les représentations du mystère de
la Passion, de Raoul Greban, dans le temps
même où la cité achetait de l'auteur le ma-
nuscrit de la Passion, furent joués à Abbe-
ville les Jeux de monsieur saint Quentin.
(Cf. F.-C. Louanure, Ilist. d' Abbeville , Ab-
beville, 1834. in-8", p. 238.)
QUIRIN (Les jeux de monsieur saint).
— M. F.-C. Louandre (Hisl. d'Abbeville;
Abbeville, 1834, in-8°, p. 238) indique,
comme ayant eu lieu à Abbeville, les repré-
Ira Donna, che si fa per la (esta di santa Maria délia
candellaia, nuovamcnle ristampala.
27
643
RAI)
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RAD
844
tentations suivantes : En H51, le mystère
de la Passion, <le Raoul Greban, et la Puri-
fication de Notre-Dame, jouée dans le cime-
tière Saint-Jacques en 145*2, les jeux de la
Vie de monsieur saint Quentin, en 1458 , le
Mystère du viel Testament et du nouvel, ainsi
que les Jeux de monsieur saint Andrieu
(•André) , et en 1493 ceux de monsieur saint
Roch. Le môme auteur indique encore les
Jeux de monsieur saint Quirin, mais sans
date, et les mystères de Jonas, de la ven-
geance de Jésus-Christ, de la vengeance do
la mort de Jésus-Christ, des histoires de
Joseph et d'un mystère tiré dû psaume Do-
minus régit. Toutes ces indications sont ti-
rées des Registres des comptes de l'hôtel
QUOD SECUNDUM LEGEM DEBET
MOHI -Mystèke sur). — Duverdier (Biblio-
thèque françoise, p. 635) atlrbue à Jean d'A-
bundance un mystère intitulé :
Quod secundum legem débet mori.
Il indique ce mystère comme imprimé à
Lyon.
Les frères Parfait (ffist. du théâtre fran-
çais, Paris, 15 vol. in-12, 174.5. t. III, p. 4-9)
considèrent I impression nomma très-dou-
teuse.
« Le sujet du poëme est, comme on lo
voit, » disent-ils, « tiré du Nouveau Testa-
ment, et se trouve compris dans la quatriè-
me journée du mystère de la Passion. »
On lit dans la Bibliothèque du théâtre
françois , ouvrage attribué au duc de La-
vallière (Dresd, 1768, in-8°, 3 vol., t. I", p.
117) : « M. (leReauchamps croit que cet ou-
vrage n'a pas été imprimé ; MU. Parfait as-
surent qu'il ne l'a pas été. L'exemplaire que
j'ai vu est peut-être unique.,. » Et l'auteur
encore inconnu de la Bibliothèque donne
l'analyse de ce mystère,^»- l'gy. tU^siox,
IV% § 2.
Fi
RACHEL. — Les Lamentations de Rachel
étaient chaulées à Beauvais, au xuc siècle,
par un homme habillé en femme. (Cf. Jouvet,
Histoire de Beauvais, t. II, p. 297). — Voy.
Innocents [Massacre des), Hékode (388).
« y A qui, ômére, n(
« Mues? A qui, nous, désolées, nous recom-
« mandes-tu ? Nous avons abandonné nos fa-
ce milles, et nos biens, ei la patrie, et nous
« t'avonssuivie!^ A qui nous laisses-tu? Aux
RADEGONDE (Chant funèbre de sainte). « larmes éternelles, à une perpétuelle dou-
Eu 1835, dans son cours professé à la « leur I f Ah 1 jusqu'à présent, ce monastère
Faculté des lettres, M. Magnin signala,
parmi les monuments subsistants du théâtre
au vic siècle, les improvisations autour du
tombeau de sainte Radegonde, <!onl Grégoire
de Tours (De glor. conf., e. 106) nous a con-
servé la mémoire et des fragments. (Journ.
gén. de l'instr. publ., 29 mais 1835, 1e' se-
mestre, xiir art., p. 194-.) M, O. Leroy
(Elncles sur les mystères; Paris, 1837, in-8°,
p. 2) eu renouvela la mémoire en 1837.
Voici le passage de Grégoire de Tours :
« Suinte Radegonde..., api es les méritants
travaux de sa vie, se relira du monde.
Ayant reçu la nouvelle de cette mort, nous
nous rendîmes au monasière de la ville de
Poitiers qu'elle-même avait créé. Nous trou-
vâmes la sainte couchée dans un cercueil;
son visage sacré avait un éclat a elfacer la
fraîcheur des lis et des roses. Autour du
cercueil se tenaient un nombre considéra-
ble de sanclimonialcs, près de deux cents,
qui, dans des chants improvisés, récitaient
la vie île la sainte; parmi ces religieuses, il
y en avait d'issues, selon les dignités du
temps, non-seulement de sénateurs, mais
môme quelques-unes du sang royal, sous
leur habit consacré. Elles étaient debout, et
dans leurs chants disaient :
(38S) Le massacre des Innocents s'est rencontré
dans un manuscrit du \ic siècle de la bibliothèque
de Munich, n° G-204, fol. 27, verso. (Cf. Edel. Du-
MiiML, Origines lutines du tliéàt. rnod. , Paris, 184l>,
in 8°, p. 171.) Il l'orme la dixième pièce du Chesier
Wkiisun ptays, la vingtième du Ludus Coventriœ.
John l'a rire est auteur d'un Cnndlemas duy. (Ap.
Hawkins, The origin vf ihe English druma, t. 1",
a était plus vaste pour nous que les vastes
« villas ou les vastes cités; à chacun de nos
« pas, devant ta face glorieuse, nous trou-
« vions ici or ou argent; l'a, nous possé-
« diois des vignes magnifiques ou des mois-
« sons épaisses; ailleurs, des prés verdoyants
« de mille fleurs diverses. $ C'est de toi que
« nous recevions ces violettes; lu étais pour
« nous la rose enflammée et le lis blanchis-
« sant- y Ta voix était pour nous le soleil
« resplendissant.. , i^ Toile la lune; dans les
« ténèbres de nos consciences, tes paroles
« allumaient la claire lampe de la vérité.
« f Désormais toute la terre est dans l'om-
« bre pour nous, r) L'espace est resserré en
« ce lieu, depuis qu'on ne peut plus y voir
« ton visage, y Hélas! nous, abandonnées
« par la sainte mère! Heureuses celles qui,
« tant que tu vivais, ont quille ce monde!...
« Oui, nous le savons, tu lais partie des
« chœurs des saintes vierges; tu es dans le
« paradis de Dieu. Ivlais, dans cette consola-
« lion, il ne nous est pas moins à pleurer
« de ne pouvoir plus le voir des yeux de
« notre corps... »
« Au milieu de ces plaintes et d'autres, nul
ne pouvant retenir ses larmes, tourné vers
î'abbesse, je dis : « Ménagez un peu ces
p. 5, ei Mariott, Coll. of Enalish mîjrneles-plnys or
mysieries, p. 199-219.) A la suite de la pastorale s'ir
la naissance de Jésus Christ, par frère Glaude Ma-
cée, hermile de lu province de saint Antoine (saint
Malo, Hovins fils, 1805, in-18), est un Massacre des
Innocents qui se joue par personnages ' dlleinsius,
Herodes infanliciua, tragédie.
845
REL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
REiM
816
« pleurs, et tenez plutôt prêt tout ce qu il
« faut... » Mais, dès que, en enlevant le
saint corps, nous fûmes en marche en chan-
tant les psaumes, aussi tôt les possédés
crièrent, confessant la sainte de Dieu et se
déclarant tourmentés par elle. En passant
sous le mur, tout le troupeau des vierges,
par les fenêtres des tours ou sur le pignon
du mur, se mit à continuer, à loule voix,
les chants funèbres ci-dessus, si bien qu'au
milieu du tumulte des cris, des battements
de mains, nul ne pouvait retenir ses larmes,
et que les clercs, dont l'office élait de réciter
les psaumes, dans li urs sanglots et leurs
pleurs, pouvaient à peine poursuivre l'an-
tienne. » ( Lib. de qlor. confess., c. 108 )
RAMEAUX (Les). — M. l'abbé La Boude-
rie {Li jus saint Nicolai, publié par la So-
ciété des bibliophiles français, 1834, in-8%
Pièces jointes au jeu, Observation, p. 170) a
fait remarquer que, bien que
présentations théâtrales ait
longtemps dans les é«li
fôles, « il en
usage dvS re-
cessé depuis
es églises aux jours de
existe cependant un qui a
quelque analogie avec celui qui fait l'objet
de ces recherches: c'est l'espèce de dialogue
qui, au retour de la procession du dimanche
des Rameaux, s'établit entre le célébrant et
les choristes.
« Le célébrant frappe a .a porte principale
de l'église.
AllniUtc portas, principes, rentras, et elevamini porlœ
(éternelles, el introibit rex ytoiiw.
Les choristes. Quis est iste rex gloriœ.
te cÉLKBiu.NT. Dominus foi lis et polens; Dominus
païens in prœlio. Auolliie portas, etc.
i.f.s r.notusTES. Qui* est isle rex ijloriœ?
le ciixoiUNT. Dominus viriutum ipse est rex giO-
iiœ. »
REDEMPTION (L^). — En 1835, dans son
cours professé à la Faculté, M. Magnin, s'il
est permis toutefois de s'en rapporter aus
comptes-rendus du Journal général de l'ins~
traction, publique, fort incomplets el très-
souvcnl inexacts, aurait signalé, sous le lilre
<! e Mystère de la Rédemption, les mystères de
la Justice atlribués ù Guillaume Bermann
ou à Etienne Langlon. (Cf. Journal général
de l'instruction publique, 18 oct. 1833, â" se-
mestre, vin' art., p. 539.) — Voy. Justice.
REINE (Sainte). — Ou lit dans le Mercun
de France, 1729, décembre, p. 2985, Remar-
ques envoyées d'Auxerre par l'abbé Lebeuf,
0 décembre 1728, celle note curieuse : « De
ma connaissance, il n'y a plus de nos cotés
que la représentation du Martyre de sainte
Reine, qui se fait à la procession du 7 de
septembre dans le bourg de son nom...;
mais c'est un spectacle ou il y a plus d'ac-
tions que de paroles, et auquel les yeux
prennent plus de part que les oreilles : et
peut-être même que peu à peu ces vestiges
de l'ancienne représentation de la tragédie
de sainte Reine disparaîtront entièrement de
la cérémonie, quoique le tout ensemblo
setve admirablement à attirer chaque annéo
en ce lieu des milliers de pèlerins... »
RELIGIEUSE (La). — Le drame de la Re-
ligieuse est tiré du manuscrit des Miracles
de Noslre-Dame, I" volume, f° 69. (Bibl. imp.
n° 7208 k A et 4B.)
Il y est intitulé :
Miracle de N. D. d'une monie qui laissa son
abbaye pour s'en aller avec un chevalier
qui i'espousa, et depuis qu'ils avaient eu de
beaux enfants, N. D. s'apparut à elle, dont
elle retourna en s'abbaie et le chevalier se
rendit moine.
On sait que le manuscrit d'où celte pièce
est tirée en contient quarante, et date du
xiv* siècle.
Elle est encore inédite.
Nous en donnons l'analyse très-succincte,
en partie empruntée à M. 0. Leroy.
Séduile par un chevalier, neveu de son
abbesse, une jeune nonne consent à fuir le
couvent. Elle se lève la nuit, mais il faut
traverser la chapelle de .Marie, et elle ne
l'ose sans s'agenouiller aux pieds de la slaïuo
de la Vierge. Elle prie donc, puis se lève
pour sortir, mais au seuil môme est la
statue,
. . . Droit au travers de cest huis.
Impossible de franchir l'obstacle; la reli-
gieuse rentre dans son dortoir. Cette scène
se répète une seconde fois. Alors la nonne
prend parti
Dépasser parmi la chapelle,
Sans dire ave ne kyrielle
Devaiil l'image <ie Maiie.
se hasarde, en effet, encore, mais
prier. La porte reste libre; elle en ap-
Elle
sans
proche, elle la franchit, disant
Dame, dame, tenez-vous 15 !
Puisque passée su î de ça,
Je ne reiburneray mais Imy
Ne desmais ; car je voi celuy
Que j'aiiu de tueur el que je qtiier.
« Et elle se jette dans les bras
qui l'enlève et qui l'épouse. E
enfants, et ce n'est que longtem s api es
du chevalier,
le en a deux
qu'elle lui avoue qu avant de se donner à
lui, elle s'était vouée a Marie
que la Vierge,
jalouse do ^as droits, avait en vain, par un
double miracle, essayé de la retenir. Le
chevalier, enrayé de son triomphe sacrilège,
rend sa femme à son premier état, et se sé-
pare d'elle a jamais, en entrant lui-même
dans un monastère. » (0. Leroy, Eludes sur
les mystères; Paris, 1837, in-8°, p. 93.)
RÈMI(Smht). — M. O. Leroy, dans ses
Eludes sur tes mystères (Paris, 1837, in-8°,
p. Ci) a signalé le manuscrit du xW siècle
de la bibliothèque de l'Arsenal, in-fnl., ïlk,
qui contient le Mystère de sainct Rémi. « Cette
pièce, à peine lisible, est d'une fa. blesse telle
que je ne l'eusse pas mentionnée, si l'auteur
anonyme, qui, je crois, éta:t un piètre, ne
s'élevail tout à coup à la hauteur de son
sujet, dans ces instructions de saint Rend a
Clovis :
Vous devez croire,
Et le mêlez bien en mémoire.
Que leFilz de Dieu, proprement (cm pertome),
847
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
M 8
Venra, au jour du jugement,
Jugier les bons et les maulvais.
Là poriera chacun son fais ;
Là sera gardée équité,
Et déboulée iniquité.
Du juge nul n'appellera.
Qui ces articles ne croira
ïl cherra en perdition...
Or aiez cogilacion
De ce royaume gouverner,
De voz suligeiz bien ordonner,
El de si bien garder justice
Que le roiauuie ne périsse,
Car quant justice y périra,
En giant péril ruiaume yra.»
REPPREZZENTATIONI. — Muratori
(Anliquit. Italie, medii œvi, sive Dissertalio~
nés; Milan, 1732, in-fol., t. 11, col. 847-850)
remarque qu'au xme et au xivc siècles, il y
avait, en Italie, un genre de scènes pieuses
figurées qu'on nommait repprezzenlationi ,
et qui est resté très-obscur. C'est probable-
ment a une de ces représentations qu'arriva
l'accident dont parle Villani (VIII, 70), et où
il périt plusieurs personnes par la chute
d'un pont.
RESURRECTION (La). —La Résurrection
a été, durant le moyen âge, l'objet de repré-
sentations figurées dans l'intérieur des
églis s, qui, malgré les efforts contraires du
hautclergé, sesonlintroduites dans les rites,
et y ont persisté, au travers des siècles,
presque jusqu'à nos jours. En second lieu,
à partir au moins du xnc siècle, l'esprit
civil a tenié de s'emparer de l'élément
dramatique de ce miracle suprême, et d'en
transporter, dans un but pieux il est vrai,
les émotions au théâtre. Quoique ces deux
tentatives, également hostiles au fond à la
simplicité ecclésiastique, aient eu pour
mobile un même espritde licence religieuse,
comme l'Eglise a été contrainte d'y avoir
part, et que la sévérité des cérémonies
ecclésiastiques contint toujours les rites
dans des bornes rigoureuses, tandis qu'au
contraire il s'introduisit dans les représen-
tations des mystères beaucoup de choses
étrangères à la nature du sujet, nous avens
divisé cet article, en deux parties.
1° Les rites figurés.
2° Les représentations dramatiques.
I.
RITES FIGURÉS.
ixe siècle.
France. — 1° Poitiers. — On trouve dans le
De antiquis Ecclesiœ ritibus de dom Marlènc
(Antuerpiœ, 1736, in-fol., 4 vol., t. III, con-
tenant l'édition revue et augmentée du De,
disciplina ecclesiastica du même auteur,
col. 484) un rile figuré de la Résurrection,
que le savant Bénédictin dit extrait d'un
très-ancien rituel. Malheureusement les deux
tables du De ritibus ou du De disciplina, qui
fournissent la note des manuscrits consultés,
laissent quelque vague à l'égard de l'origine
de cette représentation figurée, et la date
peut paraître empreinte de quelque incerti-
tude. En effet, la liste des manuscrits de
Poitiers consultée ne contient que deux
missels du xve siècle, et un autre intitulé :
Liber Sacramentorum, titre qui ne corres-
pond pas exactement à celui de Rituale.
Malgré celte erreur, nous n'hésitons pas à con-
sidérer le rite dont nous donnons ci-dessous
la traduction comme extrait du Liber Sacra-
mentorum, et ce manuscrit datant du ixc ou
même du vnr siècle, le fragment de Poitiers
devient l'un des plus anciens monuments du
mystère de la Résurrection.
(Après les Matines, on se rend au sépulcre , avec des
cierges.)
marie commence. Où est mon Christ'
l'ange répond. H ifesl pas ici.
marie ouvre la poite du sépulcre et dit à voix haute.
Le Christ est ressuscité.
tous répondent. Deo qralias...
2° Metz. — On a pensé qu'au ix' s'ècle,
dans les rites de l'église de Metz, subsis-
taient déjà les premiers éléments d'une
scène dramatique. Le passage suivant, tiré
de Àmalarii Fortunali Mellensis diaconi, de
Ecclesiasticis officiis, 1. i, c. 31, {Ribl. max.
PP.; Lug I., *• X1Y, p. 961) a donné lieu à
celle opinion :
...On remit ensuite en mémoire la résur-
rection du Seigneur, le colloque des anges
et dis femmes, el l'émotion des femmes.
L'Evangile selon saint Marc raconte en ees
termes la réunion des femmes : « Après le
« jour du sabbat, Marie-Madeleine, Marie
« Jacob et Salomé achetèrent des aroma-
« les afin d'aller oindre Jésus... » L'ange
leur parla : N'ayez pas peur : vous cherchez
Jésus de Nazareth ! il est ressuscité et n'est plus
ici. Les femmes sont alors très-émues..., etc.
x' siècle.
1° Angleterre.— En Angleterre, au temps
du roi Edgar et de saint Dunstan, c'est-à-dire
vers le xc siècle, subsistaient encore d'an-
ciennes coutumes que le saint fut obligé de
respecter dans sa grande charte des couvents
anglais, et que le H. P. dom Martène a rap-
portées dans les anc eus rites ecclésiasti-
ques. Les mêmes coutumes que l'on trouve
en France dans ce même siècle subsistaient
donc en Angleterre, et y fiaient déjà très-
anciennes. C'est ce qui ressort du passage
que imus donnons ci-dessous (S. Dunstanus,
Reyular. concordia mon. sanclimorialium-
que Anylicœ nalionis, dans le De ontiquis Ec-
clesiœ ritibus... studio R. P. Edmundi Mar-
tène ; Anluerp., 1738, in-fol., 4 vol., t. IV,
col. 419, b, c.)
« Durant le récitatif de la troisième leçon,
quatre frères s'habillent. L'un d'eux prend
une aube, et, sortant sans faire semblant de
rien, gagne furtivement l'endroit où est Je sé-
pulcre. Il élève sa palme dans sa main et s'as-
sied d'un air tranquille.
«Pendant le troisième répons, les trois au-
tres s'approchent, couverts de chappes ,
ayant dans les mains des encensoirs enflam-
més, et faisant mine de chercher, ils arri-
vent à l'endroit où est le sépulcre.
« Tout cela, en effet, n'est que pour imiter
84'J
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
850
l'ange assis dans le tombeau et les femmes
accourant avec des parfums pour oindre le
corps de Jésus.
« Lorsque celui qui est assis voit venir les
trois autres q.ui cherchent de tous côtés, il
commence à chanter à mi-voix etdoucement :
qui cherchez-vous ?
« Celui-ci ayant terminé , les trois autres
ensemble : Jésus de Nazareth.
« Lui : Iln'est pas ici ; il eslressuscitc comme
il l'avait prédit ; allez annoncer qu'il est res-
suscité d'entre les morts.
«Les trois autres, pendant ce rhythmo,se
tournent vers le chœur, et disent à la fin :
Alléluia ! le Seigneur est ressuscité.
« Après ces mots, toujours assis, il les rap-
pelle, en chantant l'antienne : Venile et vi-
dete locum. Tout en parlant, il se lève, écarte
le voile, leur montre le sépulcre où manque
la croix, mais où restent les linges dont
elle était enveloppée. A celte vue, les trois
autres déposent leurs encensoirs mis aupa-
ravant dans le sépulcre, prennent les linges,
et les étendent devant le clergé, pour mon-
trer que le Seigneur est ressuscité et qu'il
n'y a plus rien. Ils chantent l'antienne : Le
Seigneur est sorti du sépulcre, et posent les
linges sur l'autel.
«A la fin de l'antienne, le prieur, réjoui du
triomphe de notre Roi, victorieux de la
mort et ressuscité, entonne l'hymne : Te
Deum laudamus. Aussitôt les cloches son-
nent... »
11° France.— Werdun.— Dans les ancien-
nes coutumes du célèbre monastère de Saint-
Viton, à Verdun, que l'on juge écrites au x°
siècle, et qui, tirées d'un manuscrit de Saint-
Viton par le R. P. dam Cal met (Auguste),
abbé de Sens, ont été pour la première fois
éditées par le R. P. dom Edmond Marlène,
de l'ordre de Saint-Benoît , dans l'appendice
de De antiquis Ecclesiœ rilibus; Anvers,
1738, in-fol., k vol., t. IV, col. 853, b, c, on
trouve ce précieux passage qui constate, au
x' siècle, l'usage déjà bien établi d'une re-
présentation scénique, le jour de la Résur-
rection, dans l'intérieur des monastères du
nord de la France. Une certaine obscurité
de style rend presque inintelligible ce [tas-
sage que dom Marlène n'a malheureusement
point tenté d'éclaircir ; nous indiquons nos
restitutions par ce signe : [ ]
« Aux premiers chants des oiseaux et au
point du jour, toutes les cloches sonneront
en l'honneur de la Résurrection de Noire-
Seigneur Jésus-Christ. Les frères, dès les
premiers coups des cloches, diront, chacun
à part, le Gloria tibi, Domine, qui surrexi-
sti, etc. D'instant en instant chaque cloche
sonnera. Le chantre sera debout dans le
chœur, revêtu du pallium ; il aura avec lui
deux frères, en chapes blanches, pour chan-
ter l'offerte.
« Après le troisième répons, quatre frères
vêtus d'aubes s'avanceront.
[deux] feront semblant de chercher dans des ca-
vernes sous terre.
Iles deux autres.] Qui cherchez-vous dans le sé-
pulcre, 6 chrétiens ?
les deux [premiers] salueront et feront doucement
celte réponse. Jésus de Nazareth, qui a été crucifié,
ô hahiianls des cienx.
les premiers [derniers?] répondront au lienet place
dérange. Il n'est pas i<'i, il est ressuscité, allez l'an-
noncer.
les derniers [vremiers] ?, à ces mots, et pendant la
durée du verset, entreront prompt emenl dans le chœur
avec les thuriféraires et la croix sans image, il$
s'écrieront : Le Seigneur est sorti du tombeau.
l'arbé, quand ils auront fini, entonnera le Te Deum
laudamus. »
« Les laudes du matin suivront ; on allu-
mera tous les cierges, et après l'antienne
Et valde morne et l'oraison, la messe com-
mencera. »
2° Limoges. — Le fragment suivant d'un
Office dialogué du Sépulcre, ou d'un mystère
de la Résurrection, est l'un de ceux que nous
a conservés le manuscrit de saint Martial do
Limoges, datant du xr siècle. (Bibliothèque
impériale, fonds latin, n" 1139.)
Publié par Raynouard, [Choix de poésies
originales des troubadours, t. 11, p. 139), par
M. Fr. Michel à deux fois, et par M. Wright,
en Angleterre, il a été, pour la première fois,
distingué du Mystère des Vierges sages et des
Vierges folles, par M- Magnin.
Antérieur au manuscrit, ce fragment re-
monte jusqu'au x.e siècle.
PERSONNAGES.
LES FEMMES. l'a.NOE GARDIEN DU SÉPULCRE.
les femmes. Où est le Clirisl, mon seigneur et
mon fils très-haut? Allons voir le sépulcre.
l'ange gardien du sépulcre. Celui que vous
cherchez dans le sépulcre, ô chrétiens, n'y est pas.
Il est ressuscité connue il l'avait pré lit. Allez, an-
noncez à ses disciples qu'il vous précède en G lilée.
En vérité, il est sorti du tombeau dans sa gloire. Al-
léluia.
Voyez Saint-Martial de Limoges (Manu-
scrit de).
xi' et xu« siècles
Iu France. — 1° Soissons. — Un rituel ma-
nuscrit de l'église de Soissons duxii' siècle,
cité par dom Edmond Marlène (De anliq.Ec-
cles. discipl.; Lyon, 1706,in-4°, 1 vol., p. W6,
et Deantiq.Eccles.ritibus; Antuerp., 1736, iu-
Pâques,fol.,4 vol., 1. 111, col. 500), contient, le
jour de une scène d'un caractère très-
a ff ai b I i déjà du drame de la Résurrection.
« ...La process on se rendait au sépulcre
dans l'ordre suivant : deux enfants portant des
sonnettes, d'autres avec des étendards, des
cierges, des encensoirs, la croix et quatre
sous-diacres en aubes; deux prêtres avec
chapes et manteaux; le chapelain ; au sépul-
cre on trouve deux diacres en aubes sim-
ples, l'amiet sur la tôle, et parés de dalma-
tiques blanches. Ils représentent les anges,
et se tiennent à la fenôt' e, l'un à droite, l'au-
tre h gauche. Tournés vers le sépulcre, la
tête baissée, ils disent doucement : Qui cher-
chez-vous dans le sépulcre, ô chrétiens! Deux
prêtres en chapes, figurant les deux Maries :
O habitants des deux, nous cherchons Jésus
de Nazareth. Les deux anges :ll n'est pas ici,
il est ressuscité comme il l'avait prédit. Allez
annoncer qu'il est ressuscité: Les Maries, plus
8>i
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
HES
haut : Alléluia ! le Seigneur est ressuscité
aujourd'hui ! Il est ressuscite' le lion fort!
le Christ, Fils de Dieu l Gloire à Dieu ! Eija !
Le chapelain prend dans le sépulcre le ca-
lice, on sonne les cloches, le chantre en-
tonne le Christusresurgens, etc., quatre sous-
diacres étendent un voile sur le corps du
Seigneur, les cierges, les étendards les en-
censoirs et les croix se remettent en mar-
che... L'évoque , debout, commence le Te
Deum Inudamus...
2a Rouen. — A Rouen, aux xic et xii' siè-
cles, d'après le témoignage de Jean d'Avran-
ches (Joawis Abrincensfsepisc. Liber de off.
ecctes,, édition de Joli. Prevot, 1679;, in-8"j ,
on célébrait aussi la Résurrection par une
représentation figurée. Dom Marlène remar-
qué que ces fêtes étaient surtout particuliè-
res à la Gaule. (Dont Edmond Martène, De
antiq Eeticsiœ disciplina ; Lyon, 1706, in-i",
1 vol. p. &80, et De anliq.'Eccles. ritibus ;
Antuerp., 1736, in-fol., k vol., t. 111, col.
Iiu -Allemagne. —Une représentation figu-
rée de ia Résurrection, publiée par Mous
(Schnuspiele des mitlelnlters ; [nièces du
moyen âge] ;Karlsruhe,Macklot. 1846, 2 vol.,
t. I", p. 12;, se pratiquait dans les églises
d'Allemagne, aux xie et xne siècles.
l'ange. Qui cherchez -vous. 6 servantes du
Christ?
les saintes femmes. Jésus Nazarenus le crucifié,
6 habitant du ciel.
l'ange. Il n'est pas ici : il est ressuscité, selon sa
Erédielion. Allez, annoncez, il est sorti du loin-
eau.
une femme, en elle-même. Et qui nous ôlera la
pierre île rentrée, oui bouche à nos yeux le saint
sépulcre.
l'ange cherchant. Qui cherchez-vous, ô femmes,
tremblantes, éplorées, dans ce sépulcre?
les femmes. Nous cherchons Jésus Nazarenus le
crucifié.
l'ange. Il n'est pas ici, il est ressuscité. Vile, allez,
dites aux disciples et à Pierre que Jésus est ressu-
scité.
les femmes *V« vont, en chaulant : Que les Juifs
disent donc, à cette heure, comment les gardes du
sépulcre ont perdu notre Roi scellé par eux sous la
pierre. La pierre de justice ét:iil-elle sans gardes?
Qu'ils rendent donc celui qu'ils ensevelirent ou
qu ils adorent avec nous le Ressuscité, et s'écrient :
Aliclu.a!
(lîtie.i disent aux disciple* :) Nous sommes allées
en pleurs au sépul-re, nous avons vu assis l'ange
du Seigneur, et il nous a dit : Jésus est ressuscité.
Le chœur. Te Deum laudamus !
111 Suisse. — Zurich.— Dans l'office de Zu-
rich, on trouve celle scène pieuse qui se jouait
encore lepur de la Résurrection, vers 1260:
les femmes, debout en face de l'anae, disent : en
récitatif. Qui roulera la pierre, etc.
l'ange. Qui cherchez-vous?
les femmes. J sus de Nazareth
l'ance. Il n'est pas ici.
les femm:;s s'en retournant tiers les clercs et chan-
tant. Vers le monument, etc.
(Quand elles ont fini, les clercs chantent à mi-voix.)
les clercs. Tous deux couraient ensemble, etc.
(Cependant les deux doyens d'âge cl les deux plus
respectables parmi les chanoines, en chasuble, font
852
semblant de courir vers Pou'.el des martyrs, pour
représenter Pierre et Paul. Le plus jeune gagne les
devants sur le plus âgé, le chanoine qui fuii le pei-
sonnage de l'ange prend alors des linges bien blancs,
tous trois les montrent au peuple et au clergé, et
chantent.)
saint pierre, saint paul et l'ange. Vous voyez,
bons compagnons, etc.
le choeur s'écrie alors à haute voix. Te Deum lau-
damus.
(Tout le clergé rentre dans l'intérieur du chœur de
l'église.)
(Martin Gerbrrt, Vêtus liturgia aleman-
nica ; Saint-Biaise, 1776, in-4°, 2 vol.,
t. II, p. 86i.)
xiii' siècle.
FnANCE. — Sens.— M. l'abbé La Bouderie a
donné, dans une Observation imprimée à la
suite du mystère do la Résurrection (du ma-
nuscrit deSaint-Benoît-sur-Loire du xm'siè-
cle), une autre scène pieuse tirée d'un ma-
nuscrit de l'église de Sens, datant du xin' siè-
cle, et dont une copie moderne, existant à fa
mairiedeMelun,aélécommuniquéeau savant
éditeur. (Cf. Li Jus saint Nicholai par Jean
Bodes, publié par la Soeiélé des bibliophiles
français; Paris, Firmin Didot, 1834-, in-8°, et
édité par MM. l'abbé La Bouderie et Mon-
merqué ; Pièces jointes au jeu de saint Nicolas^
p. 16a, 166, 167.)
PERSONNAGES.
LE CHOEUR.
UN ANGE.
LES TROIS MARIES.
DF.UX VICAIRES.
(Très-anciennement, aans l'église de Sens, après te
dernier répons : Et valde...., on chantait la prose
suivante :)
le choeur. Les décrets éternels avaient, pour le
court espace d'une semaine, choisi, non loin delà
cité glorieuse, un jardin, moins riche encore en
lions fruits qu'immense, magnifique, semblable £î
l'Elysée. C'est là qu'un grand décurion et un no-
ble centurion ensevelirent dans le tombeau qui leur
appartenait la Y leur de Marie; celle Fleur, fleurie
depuis les siècles, qui, le troisième jour, prit un
nouvel éclat dan. le tombeau, à la première aube
du jour.
(Un enfant, en habits d'ange, assis sur un siège éle-
vé, au coin gauche de l'autel, chantait.)
l'ange. Chrétiennes, qui cherchez-vous dans le sé-
pulcre?
les trois maries répondent ensemb)c , en s'age-
noudlaui. Jésus de Nazareth, le crucifié, ô habitant
du ciel.
l'ange soulevant la tapisserie de l'autel et faisant
semblant de regarder dans le sépulcre. Il n'y est plus,
il csi ressuscite comme il l'avait prédit. Allez, an-
noncez qu'il esl resssuscilé.
les trois maries s'en allant dans le chœur. Le Sei-
gneur esl ressuscité aujourd'hui ; il esl ressuscité
le lion puissant, le Christ, Fils de Dieu.
deux vicaires, revêtus de chapes de soie, chantent
au milieu du chœur. Dis-nous, Marie, ce uue lu as
vu dans ton chemin.
la première marie, à gauche, répond. J'ai vu le
sépulcre el la gloire du Christ vivant et ressuscite.
la seconde marie. Les anses portaient témoi-
gnage, ainsi que le suaire et les vêlements.
la troisième marie. Le Christ, noire espoir, est
ressuscité, il précède les siens en Galilée.
les deux vicaires, faisant le réoons. Il vaut mieux
853
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
8S1
croire en laivéridiqrte Marie tonte seule que dans la
tourbe lroui|ieuse t!es Juifs.
tout le choeur. Nous savons que le Christ est
vraiment ressuscité d'entre les morts; ô rot vain-
queur, aie pitié île nous.
(On dit alors te decm, etc.)
xiv* siècle.
1° Allemagne. — Saint-Biaise de la Forêt-
Noire. — Au xiv' siècle, le jour de la Ré-
surrection , d;ins un Rituel de l'abbaye
Saint-Biaise dans la Forêt-Noire, on trouve
les traces d'une représentation figurée de
la scène' du sépulcre que le temps semble
avoir tranformée et mitigée à cette dernière
époque. (Cf. Martin Gerbert, Monum. veter.
liturg. Alemann., pars altéra; Saint-Biaise,
1777, t 1", et 1770, t. II, p. 236-237.)
12° France. — 1° Toul. — A Toul, au xiv'
siècle, dans l'Ordinaire de saint Apre, on
trouve une coutume dont l'analogie avec
celle d' Angleterre et des rites consacrés par
saint Dunslan, au x' siècle, a été remarquée
pardon Martène. (In Tullcnsi S. Apri Ordi-
nario, dans le De antiquis Ecclesiœ ritibus,
studio H. P. dom Edmundi Martène ; An-
tuerp., 1738, iu-fol., 4 vol., t. IV, col. 420,
o, h.)
2" Strasbourg. — Un passage d'un Ordi-
naire du diocèse de Strasbourg, dont le
manuscrit date de l'an 1364-, et qu'a cité
dom Martène (De antiq. Ecries, disciplina;
Lyon, 1706, in-4°,l vol., p. 50'i-, et De anliq.
Éccles. ritibus; Anluerp., 1736,in-lb!., 4 vol.,
t. III, col. 507) prouve que l'Eglise de Stras-
bourg conservait aussi, dans les cérémonies
du jour de Pâques, une trace obscure de
quelque ancienne représentation figurée ;
mais il ne subsistait plus qu'un dialogue
enlre les prêtres et les diacres.
3° Laon. — Dom Martène {De anliq. Ecoles,
disciplina ; Lyon, 1706, in-4°, 1 vol., p. 478,
et De antiq. Eccles. ritibus; Antuerp., 1736,
in -fol., 4 vol., t. III, col. 482,) a cité,
d'après l'Ordinaire du diocèse de Laon, un
rite de ce diocèse sur la Résurrection datant
du \iy' siècle , qui se célébrait le jour de
Pâques.
Les clercs, les enantres, ies chanoines
se formaient en procession pour aller au
sépulcre.
les diacres arrivés à la porte du sépulcre. Le sé-
pulcre est illuminé.
le petit clerc dans le sépulcre. Qui cherchez-
vous ?
les diacres. Jésus de Nazareth.
le petit clerc 11 n'est pas ici.
le chantre et le sous cuantre. Le Seigneur est
ressuscite. Alléluia !
Ensuite le Victimœ paschali Laudes, » etc.
4° Tours. — L'Eglise de Tours, le jour de
Pâques, d'après un Ordinaire de ce diocèse,
datant du xive siècle et cité par dom Mar-
tène (De antiq. Eccles. disciplina; Lyon,
1706, in-4°, 1 vol., p. 501 et De anliq. Eccles.
ritibus; Antuerp,, 1786, iu-fol., 4 vol., t. III,
col. 505), célébrait encore, dans un dialo-
gue entre les cleics, le souvenir de quelque
antique représentation figurée de la Résur-
rection.
uri\ enfants, en aubes, l'un à droite, l'autre à
gauche de l'autel, chantent Qui cherchez-vous?
trois chapelains, en dalmatiques blanches, la tête
couverte, devant l'autel. Jésus de Nazareth.
LES INFANTS. Il llVsl p.lS ici.
(Les trois chapelains moulent à l'autel, regardent, se
tournent vers le chœur, e> à haute voix : Alléluia ! Le
Seigneur est ressuscité.)
xv siècle,
France. — {"Vienne. — Le diocèse de Vienne,
d'après do ru Martène (De anliqua Ecclesiœ dis-
ciplina, Lyon, 1706, in-4°, 1 vol., p. 504 et
536, et De ont. Eccl. ritibus ; Anluerp., 1736,
in-fol., 4 vol., t. III, col. 506) répétait encore,
au xve siècle, dans f office de Pâques et du
iour de l'Ascension, une scène de la Résur-
rection; mais il ne subsistait plus qu'un
dialogue entre deux chanoines et les chan-
tres, que l'on chantait aux offices des deux
solennités. M. de Moléon (Lebrun-Desma-
rettes) (Voyages liturgiques en France; Paris,
1718, in-4°, p. 28 et 31) observa que cet
usage antique se renouvelait deux fois dans
l'année : à l'Ascension, ainsi que l'avait
remarqué dom Martène, et à Pâques, où l'on
figurait la scène du sépulcre, outre que le
dialogue était dit entre les chanoines et les
chantres.
2° Narbonne. — L'Eglise de Narbonne
i d'après dom Edmond Martène, De antiq.
ïcclcsiœ disciplina ; Lyon, 170S, in-4°, 1
vol., p. 479, et De ant. Eccl. ritibus; Antuer-
piœ, 1736, in-fol., 4 vol., t. III, col. 483
et 484) gardait encore, au xve siècle, des
rites dramatiques de la Résurrection, le
jour de Pâques, qui furent continués pres-
que jusqu'à nos jours, où ils furent abolis
par le très-éminenl cardinal de Bouzi, ar-
chevêque de Narbonne.
Après le dernier répons, suit la petite
prose Almum te; ensuite s'avancent trois
clercs en chapes blanches, l'amict sur la
tête, et portant chacun un flacon d'argent.
Celui d'entre eux qui fait le personnage de
Madeleine prend le milieu. A l'entrée du
chœur, ils chantent ensemble : Omnipolens
Pater aliissime, etc. A la fin, 5 genoux, ils
disent : Hélas! quelle douleur est la nôtre!
Arrivés en face du pupitre : Nous avons
perdu notre consolation. À l'autel : Allons
acheter des parfums.
Il y a sur l'autel deux enfants parés d'au-
bes, d'amicts, avec des éto'es violettes, un
ruban rouge sur le visage et des ailes aux
épaules, qui disent : Oui cherchez-vous dans
le sépulcre ?
les trois maries répondent : Jésus de Nazareth.
LES ENFANTS. Il ll'esl pas ÎCÏ .
(Ils soulèvent le voile étendu sur les livres d'argent qui
figurent sur l'autel le sépulcre. Les trois Maries se
tournent vers le chœur et Madeleine chante seule :
Gloire à la victime de Pâques.)
marie jacor. L'Agneau a racheté ses brebis.
marie salomé. Mors et vila duello, etc.
decx CHtNOlNE se .sont placés auprès du pupitre. Die
tiobis. Marin, llC.
madeleine, seule. Sepulcrum Christi vivenlis, etc.
(Arrivée à angki.icos testes, elle montre de la main
les anges de l'autel, puis, se tournant vers te chœur;
855 RES DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Credendum magis soli, etc., et Scimus Chnstum
sunexisse, etc.
le choeur. Te Deum laudamus.
(Alors les Maries et les enfants rentrent au vestiaire
pour se déshabiller.
xvie siècle.
RES
8S«
France. — Troyes. — La représentation
figurée des trois Maries subsisiait encore à
Troyes auxvr siècle, d'après le témoignage
des historiens de cette ville. (Cf. Vallkt de
Viriville. Archiv. hislor. de VAube; Paris,
1841, in-8°, p. 329.)
xvn« et xvme siècles.
France. — i" Angers. — A Angers, à la fin du
xvn* siècle, le dimanche de Pâques, subsis-
tait encore une scène ûgurée de la Résur-
rection ; le dialogue ordinaire s'échangeait
entre les deux maires-chapelains du chœur
et deux corbeliers; chose très-singulière,
en entrant dans le sépulcre, les corbeliers
qui figuraient les Maries prenaient deux
œufs d'autruche enveloppés dans une étoffe
de soie. On trouve ces détails dans les
Voyages liturgiques en France, par M. de Mo-
léun ; Paris, 1718, in-4n, p. 98.
2° Bourges. — A Bourges, le malin du di-
manche de Pâques, avait lieu un petit spec-
tacle puéril, sous le nom des Trois Maries
(Cf. Fevret, Traité de Vabt*s\ qui fut sup-
primé par le parlement.
H
REPRÉSENTATIONS dramatiques.
xi* siècle,
France. — Saint-Benoît-sur-Loire. — La
Résurrection est l'un des dix mystères latins
attribués au xir siècle et même au xi% que
nous a conservés le précieux recueil du xm*
siècle dont on trouvera ici la description et
l'histoire au litre de Manuscrit de Saint-Be-
noit-sur-Loire. — [Voy. Saint-Benoît-sur-
Loire {Manuscrit de). — M. O. Leroy en fait
vaguement mention dans ses Etudes sur les
mystères (Paris, 1837, in-8°, p. 4) ; M. Ju-
bin^i dans ses Mystères inédits du xv* siè-
cle.
MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEI-
GNEUR JÉSUS-CHRIST.
.PERSONNAGES.
NOTRE - SEIGNEUR JÉSUS- LA DEUXIÈME MARIE.
CHRIST. L\ TROISIÈME MARIE.
le même, sous T habit d'un pierre, apôlre
jardinier. jean, idem.
DEUX ANGES. LE PEUPLE.
LA PREMIÈRE MARIE.
Devant le sépulcre du Seigneur, s'avan-
cent d'abord trois frères vêtus de manière à
représenter les trois Maries, marchant len-
tement et d'un air désolé; ils chantent tour
, à tour.
1 la première marie. Hélas.! le saint pasleur a suc-
combé, sans péché et sans tache. O douloureux évé-
nement t
, la seconde. Hélas! le vrai pasleur est mort, source
de vie pour les saints. O mort lamentable!
la troisième. Oh ! race des Juifs, mauvaise,
cruelle, furieuse ; exécrable population !
la première. 0 race impie, jalouse, pourquoi as-tu
condamné le pieux Jésus? 0 furie criminelle!
la seconde. Comment le juste avait- il mérité la
croix ? ô peuple condamné!
la troisième. Ah ! malheureuses, que devenir,
veuves de notre doux maître! Ah! déplorable extré-
mité!
la première. Hàlons-nous, accomplissons ce qui
nous est possible, d'une âme dévouée.
la seconde. Nous oindrons le corps très-saint des
plus précieux aromates.
la troisième. Le nard défendra de toute corrup-
tion, dans le cercueil, cette chair bienheureuse.
(Elles arrivent dans le chœur, cherchent dans le sé-
pulcre, et chantent ensemble.)
les trois maries. Mais comment ouvrir le sépulcre
sans aide, et qui ôtera la pierre de l'entrée?
(L'ange, assis au dehors, en avant du sépulcre, vêtu
d'une robe blanche dorée, une mitre sur la tête [elsi
deinlulatus,] tenant un branchage delamain gauche
et de la droite des cierges , parle.)
l'ange. Qui cherchez-vous dans le sépulcre, chré-
tiennes?
les femmes. Jésus de Nazareth, qui a été crucifié,
6 habitant des cieux.
l'ange , leur répondant. Chrétiennes , pourquoi
cherchez-vous, parmi les morts celui qui est vivant.
Il n'est pas ici, il est ressuscité, selon qu'il l'avait
dit à ses disciples. Souvenez-vous qu'il a dit en Ga-
lilée : Il faut que le Christ ait sa passion et sa ré-
surrection glorieuse au troisième jour.
les femmes regardant le sépulcre. Nous sommes ve-
nues éphiiées au tombeau du Seigneur, nous avons
vu assis l'ange de Dieu, et ii nous a dit que Jésus
était ressuscité d'entre les morts.
marie-madeleine, laissant les deux autres, s'ap-
proche du sépulcre et regarde plusieurs fois au dedans.
Oh ! douleur! oh ! cruelle angoisse! oh! douleur!
Suis je privée de la vue du Maître aimé? Hélas ! qui
a enlevé du cercueil ce corps chéri?
madeleine. (Elle va rapidement auprès de Pierre
et de Jean debout, s'arrête devant eux, et désolée s'é-
crie :) On a ravi mon Seigneur, et je ne sais où on
l'a placé; le tombeau a été trouvé vide, et le suaire
gisant à côté des linges?
(Pierre et Jean, à cette nouveue, se précipitent en
courant au sépulcre; saint Jean, le plus jeune, ar-
rive le premier, mais il s'asseoit à l'entrée. Saint
Pierre qui le suit, entre sans hésiter. Jean entre en-
fin. Tous deux sortent bientôt.)
jean. Quelle merveille avons-nous vue? Le Sei-
gueur a élé ravi.
pierre à Jean. Je crois le Seigneur ressuscité se-
ion sa parole.
jean. Mais pourquoi a-t-il laissé dans le sépulcre
le suaire et les linges?
pierre. A quoi lui eussent-ils servi, vivant, et
n'élaient-ce pas les indices de sa résurrection?
(Ils s'en vont, Marie s'approche du sépulcre en par-
lant.)
marie. Oh! douleur! oh! cruelle
oh
angoisse:
douleur! Suis-je privée de la vue du Maine aimé-
Hélas ! qui a enlevé du cercueil ce corps chéri ?
(Deux anges assis [en dedans] au pied du sépulcre
lui parlent.)
les deux anges. Femme, pourquoi pleurcs-iu?
marie. On a enlevé mon Seigneur et je ne sais où
on l'a mis.
l'ange, au dehors. Ne pleure oas, Marie, le Sei-
gneur est ressuscité. Alléluia.
857 RES iDICTIONNAIRE DES MYSTERES
uarig. Mon cœur brûle du désir-do voir mon Sei-
gneur. Je cherche en vain où on l'a mis. Alléluia,!
(On voit venir alors une espèce de jardinier qui s'ar-
rête à la porte du sépulcre.)
le jardinier.. Femme, pourquoi pleures-tu, et qui
cherches lui (Jean, xx, 13. )
. marie. Seigneur, si vous l'avez enlevé, dites- moi
où vous l'avez mis, et je remporterai. (Ibid., 17.)
le jardinier. Marie.
marie, tombant à ses viens. Maître!
jésl'3, se reculant pour tien être pas touché. Ne me
louchez pas, je ne suis pas encore monté vers mon
Père et le vôtre, mon Seigneur elle vôtre.
{Le jardinier disparaît, Marie se tourne vers les spec-
tateurs.)
marie. Réjouissez-vous tous avec moi, ô vous qui
aimez le Seigneur, car j'ai vu celui que je cherchais;
au milieu de mes larmes auprès du sépulcre, j'ai vu
le Seigneur. Alléluia.
(Les deux anges apparaissent alors 'à la porte du sé-
pulcre et se montrent.)
les deux anges. Venez et voyez le lieu où avait
clé mis le Seigneur. Alléluia! Soyez sans crainte;
ne gardez plus ce sombre aspeci ; annoncez Jésus
vivant, allez en Galilée, et, s'il vous est agréable de
voir le Maître, hâtez-vous. Dites néanmoins rapi-
dement aux disciples que le Seigneur est ressuscité.
Alléluia.
les femmes s'éloignant du sépulcre, au peuple [aux
spectateurs]. Compagnons, voyez; ce sont les linges
ih\ corps bienheureux, qui gisaient abandonnés dans
Je sépulcre vide.
(Elles mettent le suaire sur V autel, et en s'en allant
elles chantent tour à tour.)
la première. Aujourd'hui est ressuscité le Dieu
des dieux.
la seconde. En vain tu avais scellé le granit, ô
nation juive.
la troisième. Hàle-loi de l'unir au peuple chré-
tien.
la première. Aujourd'hui est ressuscite le Roi des
anges.
la seconde. La multitude des hommes pieux est
arrachée aux ténèbres.
la troisième. La porte des cieux est ouverte.
(A ce moment, au lieu du jardinier, apparaît le Sei-
gneur, enveloppé d'une dalmatigue blanche [candida
inlula infulatus], un philactère précieux sur la tèle,
tenant de la droite un étendard ou est peinte la
croix, et dans la main gauche le voile d'or qui enve-
loppe le calice. Il dit aux femmes)
christ. Soyez sans crainte, allez, dites à mes
frères de se rendre en Galilée: ils m'y verront,
comme je lo leur avais prédil.
le choeur. Alléluia ! Le Seigneur est ressuscité !
(A ta fin, TOUT LE MONDE dit .')
Le Christ, Fils de Dieu, est un lion puissant (Léo
fortis, Christus Filius Dei [388*].)
le choeur. Te Ueum laudamus, etc
xir siècle.
Angleterre ou Normandie. — Le Mystère
de la Résurrection du Sauveur est tiré du
manuscrit n* 72GS. 3. 3. A, format in-i°
parvo, de la Bibliothèque impériale; le ms.
est intitulé au dos et au catalogue : — Bible.
Il est malheureusement incomplet, la fin
étant pe rdue.
L'âge du manuscrit, fixé pas son écriture
au plus tôt au xne siècle et au plus tard au
(*388) Celle expression, usitée dans le diocèse d'Or-
léans, se retrouve dans les rites de la foie des Fous
du diocèse de Sens, (L. IL), — et dans ceux de la
RES 8f58
xur, ne permet pas de faire remonter le
drame plus haut que le xie siècle; il a semblé
plus sûr d'en fixer le temps au xir siècle
seulement.
Le mystère est écrit en langue d'oïl.
M. Achille Jubinal l'a édile, avec une tra-
duction en regard, pour la première fois sous
le litre de la Résurrection du Sauveur, fra-
gment d'un mystère inédit; Paris, Téeher.er,
1834-, in-8° de 35 pages. On le trouve, en
second lieu, dans le Théâtre français du
moyen âge, publié par MM. Momuerqué et
Francisque Michel (Paris, Delloye, 1839,
gr. in-8"); les seconds éditeurs ont repro-
duit la traduction de M. Jubinal, sauf quel-
ques changements, et après une nouvelle
collation du texle.
Dans son édition de la Résurrection du
Sauveur, M. Achille Jubinal a déclaré inso-
luble la question de savoir, « si l'espèce de
prologue ou plutôt ia description de mise
en scène, dont [ce mystère] offre le seul mo-
dèle [aussi ancien] connu jusqu'à présent,
était chose destinée à être récitée avant la
représentation, ou si elle n'a été ajouiée à
l'œuvre dramatique que lors de sa trans-
cription. »
M. Maguin, dans son cours professé à la
Faculté des lettres en 1835, considérait le
mystère de la Résurrection comme composé
en Angleleire et représenté par des laïques.
(Journ. gén. de l'instr. publ., 1" nov. 1835,
p. k.) Le même savant s'est, depuis lors, ar-
rêté de nouveau à l'élude de ce reste pré-
cieux des représentations théâtrales , non
écrites en latin, dont on ne connaît pas
d'exemple antérieur. Ce mystère est moins
français qu'anglo-normand. Toutes les indi-
cations scéntques ont été ajoutées après
coup et pour la lecture. Il est écrit en vers
de huit syllabes et presque toujours en ri-
mes plates, les tirades monorimes parais-
sant avoir été composées dans une inten-
tion rhythmique déterminée. L'âge du ma-
nuscrit est fixé par les indices paléogra-
phiques, qui dénotent une écriture anglo-
normande du xmc siècle, et par la rencontre,
dans le même manuscrit, d'une ballade re-
lative à Hugues de Lincoln, assassiné en
1255, dont l'auteur fait des vœux pour Henri
III, roi d'Angleterre, mort en 1272; mais
la rédaction du mystère anonyme, incom-
plet, ne portant ni le titre de jeu, ni celui
de mystère, d'une roideur et d'une conci-
sion liturgiques bien éloignées des libertés
prolixes qu'on remarque dans les ouvrages
laïques un peu plus récents, attestent son
antériorité et en reculent la date au moins
aux dernières années du xir siècle. Le
mystère a dû être représenté en dehors d-e
l'église, sur la place publique, et non pas
récité ou lu par quelque trouvère, comme
le prétendent quelques critiqués, entre
autres M. Onésime Leroy. (Etudes sur les
mystères; Paris, Hachette, 1837, in-8°, p. 35),
les distiques ou quatrains qui contien-
Résurreclion, diocèse de Soissons. — Voy. ci-det-
sut, Rites figurés, xie et xm siècles.
859
RES
nentdes indications scéniqucs ayant dû être
insérés a; rès coup pour la lecture du drame,
comme il a été dit plus haut. « On n'y ren-
contre aucune plaisanterie indécente... tout
au plus nolera-t-on un ou deux traits de
naïve ignorance, qui trahissent une main
laïque ou celle d'un clerc peu lettré. Par
exemple, une des sentinelles chargées de la
garde du sépulcre proteste que si quelqu'un
vient pour enlever le corps de Jésus,
N'averal membre que ne li loille,
Jà ne quer que prestrè me soille.
« Caiphe, le grand prêtre des Juifs, est
qualifié (ïévêque.
Veez ci l'evesque Caïphas... »
(Journal des savants, 184-6, cahier d'août.)
En effet, dans ses Etudes sur les mystères
(Paris, 1837, in-8% p. 35-39), M. 0. Leroy ne
trouvait dans la jR&Hrreo/ion du Sauveur rien
d'un drame; c'était une de ces récitations
comme on en trouve encore dans les ollices
de l'Eglise, où l'action n'entrait que pour
très-peu de chose, quoiqu'il y eût « du na-
turel dans les vers et de l'imagination dans
le sujet... » Un peu plus tard, le même au-
teur, changeant d'opinion, avouait dans ce
drame le premier monument du théâtre
français, en cela qu'écrit en langue vulgaire
et tombé en des mains laïques, il représentait
un point du développement de nos mœurs,
tandis que les pièces latines antérieures ne
rappelant que les traditions ecclésiastiques,
n'avaient rien des temps où elles furent
écrites et représentées dans les églises ou
les cloîtres. « Un fait remarquable, dit-il,
et qui tient à l'enfance de l'ait, c'est (pie
tout n'est pas dialogué dans ce mystère ; un
personnage chargé de la partie narrative an-
nonce le- sujet, et se mêle au drame, qui
probablement était débité par plusieurs in-
terlocuteurs et par ce narrateur. »(0. Leroy,
Epoques de rhist. deFr.; Paris, 18i3, in-8°,
p. 71.)
Enfin, le dernier critique qui s'en soit
occupé est M. Paulin Paris, dans 1rs Ma-
nuscrits j'rançois de la bibliothèque du Roi;
Paris, Techeuer, 18V8, t. Vil, p. 260. « Le
jnorceau curieux, dit cet érudit, a été pu-
blié deux fois : la première, par M. Jubinal,
in-8', Paris, Techeuer, 1834; la seconde, par
M. Francisque Michel, Théâtre français au
moyen âye, gr. in-8"; Paris, Delloye, 1831),
p. 10 à 20. Les deux éditeurs ont oublié do
l'aire remarquer la patrie du copiste de notre
volume... »
M. Magni.n, depuis 1835, en avait pour-
tant signalé l'origine anglaise ou normande.
Raynouard en toucha quelques mots dans
le Journal des savants, 1836, juin (p. 369).
M. Emile Morice, dans son Etude sur la
mise en scène des mystères, jmbliée par
la Revue de Paris, années 1833-1834-, et
MM. Chabailles et Dessales, dans V Avant-
propos de leur édition du Mystère de
saint Cre'pin, ont donné lieu, par leurs er-
reurs, à quelques critiques du détail.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. RES
LA. RÉSURRECTION DU SAUVEUR.
PROLOGUE.
800
Récitons de celle manière la sainte résurrection.
Premièrement , notons tous les lieux el les stations :
le crucifix d'abord et puis après le tombeau; il doit
y avoir une geôle pour enfermer les prisonniers;
l'enfer sera mis île ce eôié el les maisons de Parti ré ,
puis le ciel. — El sur les sièges, avanl lotit, Pilale
avec ses vassaux ; il aura six on sepl chevaliers, C ï-
phas.de l'autre côié; avec lui, « la juefiei (la juive-
rie, la nai ion juive). Puis Joseph d' A rimncliie. Quatriè-
mement donNiehodème. Chacun a auprès de lui les
siens. Cinquièmement les di>ciples du Cliri t. Sixiè-
mement, les ti ois Maries- — On pourvoir» à faire
Galilée au milieu de la place; el aussi Jéimiiis
(Emmaùs) où Jésus reçut l'hospitalité- — Quand tous
les gens seront assis, el la p.iix de tous côtés mise,
don Joseph, celui d'Ariuialhie , s'avancera vers
Pilaie et lui parlera.
SCENE IV
JOSEPH, PILATE, SERGENTS.
josf.ph.— Dieu, qui des mains du roi Pharaon sau-
va Moyse el Àaron , suive Pilale, mon seigneur, et
lui donne cl dignités el honneur.
pilate. Hercule, qui ina le dragon et détruisit l'an-
tique Gério i, donne biens el honneur à celui qui me
salue si aimablement.
Joseph. Sire Pilale, soyez vous béni. Dieu vous
aide de sa grande vertu ; ipie , par sa puissance, il
vous inspire pour moi de lionne grâce, et que ce Dieu
omnipotent m'accorde voue oreille, votre vouloir cl
voire honte.
pilate. Don Joseph, soyez le bien venu. Vous
devez être bien reçu de moi ; certes ce n'est pas de
moi que vous douteriez :, et si vous croyez ce «pie
vous disiez, c'esl simplicité. Sachez bien el dûment
que je vous écoulera j avec beaucoup de douceur.
josepb. Beau sire, ne vous emportez pas si je vous
parle du Fils de Marie, de celui oui esi là pendu.
Vous savez liés bien qu'il était prud'homme , el qu'eu
beaucoup de choses il était d'accord avec le Sei-
gneur Dieu. Tantôt vous l'avez mis à mon , vous
elles Juifs. Aussi devez-vous grandement craindre
qu'il ne vous en résulte de grands malheurs.
pilate. Don Joseph de Ariinarhic, je ne laisserai
pas que de vous le dire : les Juifs, en grande j.ilou-
sie, oui accompli ml grand alternat. J'y ai consenti
dans la visée de ne pas perdre mon gouverne cent,
car ils m'eussent accusé à R-mie ( < en Rouiantei),
mais quelque jour prochain , j'en pourrai perdre la
vie.
joseph. Ah! si vous voyez que vous avez mal fait,
demandez-lui pardon; vous ferez une bonne allai re.
Nul i.o crie vers lui sans rien avoir, pas même ceux
qui l'ont traîné à la mort. Mais je suis venu pour
quelque chose : donnez-moi seulement son corps.
Je vous en prie tant, faites-m'en la grâce : j'en ferai
ce que j'en dois faire.
pilate. Bel ami , qu'en voulez-vous faire? Pensez-
vous à le rendre à la vie? Il a subi de bien terribles
angoisses; croyez-vous qu'il puisse revivre?
joseph. Certes, nenni , beau sire Pilale, et pour-
tant il se relèvera loul entier. Mais, alin de nie
conformera nos coutumes, el pour l'amour de Dieu,
je veux l'ensevelir.
pilate. Il esi donc sorti de ce monde
joseph. Hélas! beau sire, sans doule.
pilate. C'esl ce que nous allons à l'instant savoir
par nos sergents.
jose»h. Appelez-les; voyez-en là lanl.
pilate aux sergents. Hé , sergenls ,
vile . allez toi là où il pend. Allez voir le crucilie ,
savoir , oui ou non , s'il est mort.
•?
levez-vous
811
LES SOLDATS
RES
SCÈNE II.
LE CHRIST
LONGIN L AVEUGLE,
sur sa croix.
« A. ors deux des sergents sVn allèrent,
portant avec eux des lances à la main, et
ils parlèrent à Longin, qu'ils trouvèrent sur
le chemin
l'un des soldats. Camarade Longin, veux-lu ga-
gner l:i journée?
longin Oui, beau sire, n'en douiez pas.
le soldxt. Viens, tu auras douze deniers pour
percer le côlé de l'Homme.
longin. J'irai très-vnlon tiers avec vous, car j'ai
grand besoin de gagner . je suis pauvre, j'ai «les be-
soins; je mendie bien, mais ça ne vaut guère.
« Quant ils furent arrivés devant la croix,
ils lui mirent une lance au poing.
l'un des soldats. Prends celle lance en la main ,
pousse bien profond el non en vain. Laisse-la glisser
Jusqu'au poumon. Nous saurons bien s'il esl mort ou
non.
« L'aveugle prit la lance et frappa Jésus-
Christ au cœur. Il en sortit du sang et de
l'eau, qui lui tombèrent sur les mains et
dont il eut le front mouillé, et quand il y
en eut à ses yeux, il vit soudain et s'é-
cria :
longin. Ali! Jésus! ab! beau sire, ali ! je ne sais que
dire! Mais quel bon médecin ii'éles-vous pus quand
vous changez voire colère en pilié? J'ai mérité la
mon envers vous el vous m'avez fait une si grande
grâce de nie faire voir avec des yeux qui jaunis n'a-
vaient vu. Je me rends à vous, je vous crie merci.
« Donc il se prosterna en pleurant, et dit
tout doucement ses oraisons. Los cheva-
liers s'en retournèrent, et parlèrent de cette
sorte :
SCÈNE III
LES DEUX SOLDATS, PILA TE, JOSEPH.
l'un des soldats. Beau sire, prince, sacbez tout
de point eu point : Jésus-Cbrisl esl bois de la vie,
nous avons vu un grand miracle. Ho, beau compa-
gnon, ne le vis-tu *
l'autre soldat. Ensemble et tous deux nous l'a-
vons vu.
pilate. Silence, sols, taisez-vous.
« Alors Pilate se tourna vers Joseph, qui
I admirait, lorsqu'il dit :
pilate. Don Josepb, vous m'avez bien servi,
prenez le corps , je vous l'octroie.
Joseph. Sire , c'esl une grâce suprême , et si ja-
mais je vous fus utile, j'en ai beau non.
SCÈNE IV.
PILATE, UN DES DEUX SOLDATS
« Quand Joseph eut pris congé et s'en fut
allé vers Nicodôiue, Pilate parla .iux sergents,
et dit à l'un d'eux , qu'il appela :
pilate. Holà, vassal; avance ici. Quel miracle
vis-tu là-bas? Dis vite comment lu avisas ce sur quoi
je l'ai loul à l'Iieure imposé silence.
le soldat. Longin l'aveugle, ayant frappé de la
(389) i A bon'bure à son os le fist > MM. Aeb.
Jtibinal et Fr. Mi bel rendaient ce vers par « ce
fui lanl mieux pour lui. » Le sens d'os, audace ,
Oser, leur a échappé.
(590) • N'est pas veir que lu veis ricn...> Quelque
clair que fui le sens, il n'a pas clé compris par les
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. RES i'.'2
lance le cô:é de ce pendu, prtj du sang ci le mil à
ses veux, et son audace lui porta chance (3î>9), car
auparavant il était aveugle et maintenant il voit.
Aussi ce nVsl pas merveille s'il croil en Jésus-t brisl.
PILATE. Tais-loi, vassal! Désormais que nul n'en
parle. C'esi pu e imagination , el n'y rioyea ras. Je
donne ordre que de snile on prenne Longin el que du
mêmepason lemelie sous clef. Eli vile, allez, mettez-
le eu prison, et qu'on ne le voit nulle part prêcher
un tel sermon.
« Alors on alla vite à Longin, là où il s'était
mis à terre, la tôte inclinée.
SCÈNE V.
SOLDATS, LONGIN.
Çà , l'ami, çà. Tu vas venir en prison, tu auras
un mauvais bôtel aujourd'hui. Il n'esi pas vrai que
lu n'y voyais rien (3911), c'élail mensonge, nous le
savons bien. Parceqne lu crois on un pendu , lu dis
qu'il l'a rendu la vue.
longin. El vraiment, il m'a rendu la vue, et je
crois parfaitement eu Jésus-Christ. Cet les, je crois
en lui : Qu'y a-l-il la? car il esl Seigneur ei Koi du
ciel.
un autre soldat. Déjà vous avez mal parié , et
maintenait! c'est pis ; pour cela vous irez en prison.
Marchez de snile, bientôt vous y serez,
longin. Ma foi! j'en suis content el joyeux.
« Arrivés à la geôle, on lui dit :
le soldat. Entre là- dedans. Tu n'en sortiras que
pour perdre tout f.e que In as, les membres el la vie,
si tu ne renies le fils de Marie.
longin. Le fils de Marie esl Roi el Seigneur ; je le
crois bien , el je veux bien îe dire. Je lui recommande
ma vie, el peu m'importe ce qu'aucun de vous peut
dire.
SCÈNE VI.
JOSEPH, NICHODEM.
« Durant cela, le preux Joseph était allé
vers Nichodem.
josepii. Don Nichodem , venez avec moi. Allons
dépendre noire Roi. Pas un mol contre. Toul mort
qu'il esl, il nous sera encore ne bon secours Portez
des tenailles et un marteau pour arracher les clous.
Quiconque aura fait honneur à Jésus-Chrisl en re-
cevra quelque chose, soyez-en sûr. C'est pourquoi,
bel ami, dépêchons. El si lu veux, faisons lui l'hon-
neur de déposer, comme il convient, son corps dans
un tombeau.
nichodem. Sire Joseph , j'ai bien vu que le Sei-
gneur qui esl là pendu fui un sainl homme, el voire
un prophète, plein de Dieu et de grande vertu. II
me le lit bien connaître, quand je fus vers lui pour
m'inslruire; et cependant je n'ose pas me risquer à
aller le dépendre avec vous, quelque convoitise que
j\.ie de lui rendre un grand service. Mais je crains
lanl la justice, que je n'ose le faire en aucune façon.
Ton el'ois j'irai bien avec vous vers Pilate, el quand
je l'aurai entendu, je ferai plus tranquillement ce
qu'il faut (391).
josepu. Venez à l'instant , je vous mènerai chez
lui.
SCÈNE VII.
J09EPH, NICHODEM, PILATE, VALETS.
« Ils s'en, vont tous deux, ensemble vers
précédents traducteurs qui ont rendu ainsi ce pas-
sage. : i 11 n'est pas vrai que tu vis quelque chose.
C'esl un mensonge.., > eic.
(391) ♦ Plus seulement idunl le frai. > Idunt ,
cloneum; ce qu'il faut.
t">
C3
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
Pilale, et deux vaietsavec eux, l'un ponant
ies outils, et l'autre la boile à onguents.
joseph, avec Pilale. Sire, il me faut un compa-
gnon , el je ne yiiis en avoir un que par vous. Dites
à celui-ci d'avoir confiance el d'aller avec moi bans
crainle.
pilate. Vous pouvez y aller, bel ami. 11 n'en sera
rien, au plus. Allez donc hardiment, je serai votre
garant partout.
SCÈNE VIII.
JOSEPH, NICODEME, LES VALETS.
« Arrivés devantla croix, Joseph criaàvoix
haule :
joseph. Ali ! Jésus, fils de Marie, vierge sainle,
douce et pieuse! quelle grande trahison (il Judas, et
diiis son audace quelle grande folie, de l'avoir ven-
du par ambition à les ennemis !
mchcdem. Son âme y a succombe, quand lui-
même s'est ôlé la vie. Ces misérables Juifs, mes
propres parents, peuvent, non moins que Judas,
être désespérés, car ils sont plus infortunés que tous
autres. Aussi vrai que lu ne mens pas...
« Nicoilôme prit ses outils et don Joseph
lui dit alors :
joseph. Allez aux pieds d'abord.
nichodem. Volontiers, sire, et doucement.
joseph. Moulez aux mains, ôlez les clous.
nichodem. Eli! seigneur, de tout mon cœur, tous
les deux.
« Quand Nicodème eut fini, il dit a Joseph
qui souleniit le corps :
nichodem Doucement, prenez-le enlre vos bras.
joseph. Oui, c'est ce que je fais.
« Ils descendirent le corps avec soin, et
Joseph (iit au valet :
joseph. Donnez-moi là les onguents, nous en oin-
drons tout ce corps.
« Tandis qu'on donnait l'onguent, Nico-
dème dit tout haut :
nichodem. Ah! Dieu tout-puissant! le ciel el la
terre et l'eau ei le vent, tout, sans faute, est sou-
mis à ion commandement, (oui ainsi, hormis sur la
terre les méchantes gens qui ont mis celui-c. aux
tourments, qui l'ont sans jugement livre à la mort.
Un jour la vengeance viendra; mais tu es un Sei-
gneur bien patient !.. Accorde-nous d'inhumer di-
gnement ce saint corps.
« Le corps oint, ils le mettent dans la
bière.
nichodem. Seigneur Joseph, vous êles l'aîné : allez
à la têie, je vais aux pieds. Allons vile l'ensevelir.
Avez vous quelque lieu où le déposer9
joseph. J'ai un très-beau sépulcre de pierre tout
neuf; allons-y sur-le-champ. Nous l'enterrerons là-
dedans.
SCÈNE IX.
CAÏPHE, P1LATE, SOLDATS, LÉV1 , PRÊTRE
JUIF.
« Quand il fut en terre et la pierre mise,
Caïphe s'ètnnt levé, dit :
caïpiie. Seigneur Pilale, écoulez mon avis : j'au-
rais tort de ne pas parler. Le traître Jhésu-Crisf,
le tricheur qu'on pcndil là comme un larron, osait
dire de son vivant (ce que plusieurs croient à tort)
qu'il ressusciterait le troisième jour. Mais bien fou
qui y croit. Faisons garder le sépulcre, pour que
les siens ne viennent pas l'enlever, car ils iraient
prêcher partout et annoncer dans le pays qu'il est
vivant et ressuscilé, ceia donnerait lieu aux peureux
de croire des sottises; car s'il en était ainsi, il n'y
aurait rien de plus mauvais.
px.vte. Vous avez raison, ce me semble.
« Là-dessus, un des sergents se leva et
parla ainsi à Pilale.
un certain soldat. Si l'on veut m'en donner le
soin, je garderai le sépulcre, et si par aventure quel-
qu'un des siens venait pour l'enlever, il ne s'en re-
tournera pas sans se plaindre, il n'aura membre sain
el peu m'importe l'absolution d'un piètre.
« Trois autres se levèrent et parlèrent ainsi
au premier :
un autre soldat. Beau compagnon, nous irons
avec vous et nous garderons le sépulcre; nul n'y
viendra sans eue pris, nul n'enlèvera rien à nuira
insu.
le troisième. Allons y tout de suite hardiment
el gardons bien le tombeau. S'il en vient un pour
l'enlever, nous lui ferons avoir grand'peur.
un quatrième. Par la foi due à Pilale, s'il vient
quelqu'un pour nous attraper, je lui paierai quinze
si bons coups que du premier je P étendrai.
pilate. Ce serment , le tiendrez-vous de bonne
foi ? Si quelqu'un est assez hardi, si à la vesprée
quelqu'un vient ici épier el guetter le moyen d'en-
lever le corps, qu'il l'ait avoué ou lent**, jurez-moi
ici que, quel qu'il soit, petit ou grand, (sauve la ga-
rantie des princes), vous le prendrez parmi vous, et
sitôt pris, vous nous l'amènerez. Jurez loyalement.
Où e^t le livre ? qu'on l'apporte.
« On vit alors un prêtre nommé Lévi avec
la loi écrite de Moïse :
lévi. Voici la loi de Moyse, telle que Dieu la lui
dicta. Elle comprend los dix commandements. Que
celui qui se parjurerait se taise.
caïphe. Maintenant jurez tous sur la loi de tenir
tout ce qui a élé dit.
un des soldats. Par la loi ci-présente, si quel-
qu'un vient mystérieusement, je m'efforcerai de le
prendre, selon mon pouvoir, el de vous le rendre.
un autre. Par la grande vertu de celte loi, je
tiendrai sûrement ce qui est dit.
le troisième. Je le tiendrai s'il plaît à Dieu, par
la sainle loi ci-présenle, et si elle m'est en aide.
caïphe. Quant à moi, je le tiendrai si bien, que
j'irai avec vous el vous guiderai en cette affaire. (.4
Pilale.) Consentez-vous, seigneur?
pilate. Volontiers, seigneur Caïphe.
SCÈNE X.
« Comme ils s'en allaient tous ensemble,
quelqu'un leur parla :
quelqu'un regardant sur le chemin Où allez -vous
en si grande hàle ?
un des soldats. Nous allons garder le tombeau
de Jésus, qui est enseveli et qui a dil qu'il ressusci-
terait le troisième jour.
le même. Pilate l'a donc commandé?
un autre soldat. Oui, en vérité, sachez-le. Voi-
ci le grand prêtre Caïphe qui vient avec nous de ce
pas el qui nous commandera. A présent vienne qui
voudra.
« Caïphe les ayant amenés, leur fit ces
recommandations :
caïphe. Vous êtes enfin au tombeau, gardez-le
avec soin. Si vous dormez et qu'on vous ravisse le
corps, jamais nous ne serons bons amis...»
( La fin est perdue. )
xur* siècle,
Allemagne. — Neubourg. — « Il y a aans
un manuscrit du chapitre de Neubourg un
605
MES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
860
Jeu paschal, dont le manuscrit date au
moins du xme siècle, et qui expose la
Résurrection du Seigneur en vers élégants
et avec une action dramatique.
« Commencement :
« D'abord s'avance Pi.ate.
«Etant entré, il s'asseoit dans un lieu
préparé d'avance.
« Ensuite.... les prêtres cnantent : « 0
« Seigneur, nous avons gardé bonne mé-
« moire de ces paroles de la foule; le sé-
« ducteur avait coutume de dire : Je veux
« ressusciter sous trois jours..-. »
« Pilate répondra : « Selon ce que veut la
« discrétion, » etc.
« A la (in, tout le peuple ayant vu le Sei-
gneur, le chantre entonne : Christ der ist
erslanden. »
( Dom Bernard Pez, Thésaurus anecdotor.
noviss., Augustœ Vindelicor., 6 vol. in-fol.,
t. II, 1721, Dissertât, isngogica, p. lui. )
xnie siècle {suite).
Allemagne. — Saint-Florian. — Dom Ber-
nard Paz (Thesaur. anecdotor. nov.; Aug. Vin-
dcl.,6 vol. in-fol., 1. 11, 1721. Dissertât, isagog.,
p. lui) signale ainsi une scène figurée de la
Résurrection pratiquée dans le monastère
de Saint-Florian à la fin du xmc siècle.
« Dans les notes du chapitre xxm de la
Vie de la vénérable recluse Wilburge ou
AVilbirge éditée par nous ( 1715, Augustœ
Vindelicor., in-V° ), nous avons été d'avis
que le Jeu paschal auquel la vierge de Dieu
regrettait si vivement de ne pouvoir assister,
ne pouvait être qu'une de ces scènes dra-
matiques relatives à la glorieuse Résurrec-
tion du Chri.st, et analogues à celles de la
Nativité et de la Passion que l'on représente
aujourd'hui en tant de lieux divers... »
On lit dans la Vie de sainte Vilburge :
« Une nuit du dimanche de la Résurrec-
tion, comme le clergé et le peuple jouaient
dans le monastère le Jeu paschal, la sainte,
empêchée d'y assister, fut prise du vif désir
de recevoir de Dieu quelque gulce spéciale
ou milieu des réjouissances par lesquelles
on célébrait la Résurrection... »
xnc siècle,
« On trouve h la Bibliothèque royale une
pièce manuscrite portant : « Charles... a
« nos amez et féaux les gens de nos comptes
« à Paris.... nous vous mandons que la
« somme de soixante francs d'or, que nous
« avons receuz comptant de Taque Hemon
« gênerai receveur des aides ordennés pour
« la guerre... les avons donnés et fait bai)-
« 1er et distribuer... assavoir quarante
« francs à certains chapelains et clercs de la
« Sainte-Chapelle... lesquels jouèrent de-
« vaut nous le jour de Pasques nagaires
« passé le jeu de la Résurrection Notre-
« Seioelr, etc., du 5 avril 1390. » (Jour-
nal des Savants, 1836, juin, art. de .M. Ray-
nolard sur le Mijsl. de saint Crcspin,
p. 309, note 2. )
xv* siècle,
Le mystère de la Résurrection ac Nôtre-
Seigneur est tiré d'un manuscrit de la
Bibliothèque de Sainte-Geneviève à Paris.
Il date du xv' siècle.
Il a été mentionné, pour la première fois,
dans la Bibliothèque du théâtre françois : ou-
vrage attribué au duc de La Vallière.
(Dresde, Michel Groell, 1708. in-8°, 3 vol.
t. I", p. 30.)
M. Jubinal l'a publié dans ses Mystères
inédits du xve siècle. ( Paris, Techcner, 1837,
in-8°, 2 vol., t. 1", p. 312-381.)
I. Le mystère débute par une invocation
h la sainte Vierge:
Eh royne et mère clamée
Des anges servie et aînée
Comme non pareil de value...
Braves gens, écoutez et regardez bien. Dans ce
pieux speciacle, dirigé contre Salan, vous allez voir
la vraie mère du monde, celle qui sans tache et
sans douleur porta le Juste crucifié, celle de qui
voudrait être née toute créature, la reine acclamée
de la fortune, la mère de la nature, qu'adorent et
que servent seuls les anges. Si j'ai bien dit, saluez-la
tous de ce salut sauveur pour nous que Gabriel
prononça en lui révélant les voloniés de Dieu, et
disons à genoux en son honneur un Ave Maria.
In pruteipio... Gènes, c. 1. Dieu a le premier for-
mé le monde, selon les récits de la Genèse, et David,
dans ses psaumes a dit: lpse dixit et facta sunt, —
Mandavit et creata sunt. Il fil Adam d'un peu de terre,
connaissant qu'Adam retournerait à la terre; il le
plaça dans le paradis et fil Eve d'une des côtes d'A-
dam. Eve fil le mal d'Adam, elle le tourmenta tant
pour le fruit défendu qu'Adam en prit enfin, en
mangea; et celle désobéissance fut pendant cinq
mille ans la cause de la chuie en enfer de lous les
nommes et des meilleurs, de ceux mêmes à qui Dieu
avait laissé connaître qu'un jour son Fils les rachè-
terait.
Je vous en prie de tout mon cœur, écoulez de
bonne volonté mes paroles, car lout ce que je vous
dis est traduit du latin en fiançais.
Rraves gens, voici de grandes vérités. Aussilôt
que le Fils de Dieu eut élu pour mère et pour amie
la Vierge dont il naquit, il prit chair dans son sein;
c'est ce que le prophète Jérémie avait annoncé en
ces termes que j'abrège : Malgré la mort de l'homme,
la vie s'échappera du milieu des morls, par l'effet
de la pitié L'homme ressuscitera après sa mort,
cl on le verra vivant dehors du lombeau. Celte pro-
phétie s'appliquait évidemment à notre salut.
Ce prologue se termine par l'annonce des scènes
principales du mystère. ,
IL La première est celle de la Créa-
tion.
Dieu apparaît et ouvre l'action : « J'ai
tout fait déjà autour de moi : le ciel, la
terre, la mer immense, les étoiles, le soleil,
la lune; j'ai rempli le monde d'animaux,
d'oiseaux, de poissons, j'ai donné des noms
à toutes choses ; il ne me reste à faire que
l'homme et la femme, et mon œuvre sera
entière. Faisons l'homme d'abord et ensuite
la femme. »
Adam est étendu par terre et caché sous
une couverture. Dieu le fait lever Le
premier homme remercie Dieu et s'endort.
Le Créateur fait lever Eve à son tour, la
donne à Adam et les place dans le paradis.
Le diable Bclgibus conseille à Eve de goû-
ter du fruit défendu, Adam et Eve sont
séduits, mais aussitôt le crime commis, le
premier homme s'écrie : « Hélas ! hélas ! que
m'as-tu fait faire?... Où aller? J'ai offensé
867
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
809
mon Seigneur, j'en mourrai. Je ne vois que
trop mon crime. » Dieu les appelle et les
chasse. Adam exprime sa douleur en ces
termes étranges : « Doux Jésus-Clu isl, tu me
v l'avais dit, mais j'ai méprisé tes commande-
ments... Hélas, Sire, ayez pitié de moi. » —
L'un et l'autre disparaissent en enfer.
III. Le sujet de l'action change brusque-
ment. Caiphe et Pihte font entourer de gar-
des le saint sépulcre.
IV. Adam, Eve, saint Jean-Baptiste, Noël
retenus eu enfer, implorent le secours de
Jésus. Les démons s'émeuvent de ces cris ;
et déjà le Seigneur, levé « du tombel »,
frappe aux portes du noir séjour.
V. Notre-Dame se plaint à saint Jean l'E-
vangélisle, aux. trois Maries, des conditions
terribles dans lesquelles s'est accompli le
mystère de sa maternité tout ensemble
douloureuse et glorieuse. Tous se rendent
au saint sépulcre.
• VI. Les gardes du tombeau s'entre-qucrel-
.ènl, se reprochant aux uns les autres d'avoir
manqué de vigilance.
Vil. Dieu apparaît aux trois Maries. Ma-
delaine s'écrie :
Toutes m sanz feindre depuis
Qu'il le nous a ainssy chargié
lirons, qnaiil c'est par sou congié
Sa résnreccion ammssaut
En général ei exaussanl ;
E vous prie que pour l'evellance
De s;1 loenge, sans cillancc,
Nous csmovons sans larder plus,
Chantent : Te Deum laudamus.
Amen!
Yoij. Sainte Geneviève [Manuscrit de).
xve siècle.
Il subsiste deux éditions imprimées à la
fin du XVe siècle, de deux mystères diffé-
rents de la Résurrection.
Le premier, de l'édition de li8G, porte
le nom de Jean Michel qui l'a remanié.
Le second est considéré comme une
(392) M. E ielesiantl Duméril signale comme dra-
matiques cpi. tire peiiis dialogues ue la Résurrection,
appartenant au xi' siècle, et conservés dans 1rs ma-
uiiscrils de la Bibliothèque Impériale, nos 9v)i), loi.
%l, verso, 11-20, loi. 20, verso, rliO, fol. 50, verso,
et Su peinent latin, n» 1S *, loi. 171), recto (Missel
de Cnrbie).
Du xiie siècle, on trouve encore une Résurrection
dans un manuscrit de la liiiiliollièque de Vienne
(Cf. Denis, Càdiceê m.inuscr. tlieolugtci Bibl. Paint.
Vindubonensis, l. Il, col. 2100); une autre dans un
inanusciii conservé à Einsiedeln, n° 79. publiée par
Mono. [Schauspiele des .Mittclal ers, l. Ier, p. 12.)
Le xme sic. le Fournil, outre les pièces ci-publiees,
un office de la Résurrection selon l'usage de l'église
canoniale de Dlosler-Neubonrg, publié par Vurz
(OEsierieicli miter Herzog Albrechl IV, T, II, p.
425-427); un office du Sépulcre, publié par Monc
(Schausp. T. L p. 15), d'après le manuscrit de la hi-
1 liolhèqiie d'Einsiedeln , n" 3U0, ei reproduit par
M. Cdelestand Duinéril dans ses Origines la.ines du
théâtre moderne (Paris, 1849, in -8°, p. 101); un can-
tique dialogué de la Résurrection. (Ci. Mone, ib., i. 11,
p. 19.)
M. l'abbé Desroches, dans son Histoire du mont
Sainl-Micliel, i. Il, p. 10b 107, a publié, d'après un
manuscrit du \iv< siècle, de la bibliothèque d'Âvran-
ches, n» inier. 14 et exler. 2524. un Office du Sé-
ceuvre originale de ce même Jean Michel.
L'un et l'autre appartiennent au mystère
de la Passion, et n'en sauraient être sépa-
rés, quoiqu'ils aient été représentés à part.
On trouvera l'.malyse du premier, d'après
les frères Parfait, au titre de la Passion. M.
Louis P;nis (Toiles peintes et tapisseries de
la ville de Reims ; Paris, 1843, in-i0, 2 vol.,
t. I", p. 385-605) a donné aussi l'analyse
de ce mystèie. Il remarque que ce n'est que
la reproduction du récit de l'Evangile, et
que le travail est excessivement médiocre.
xvie siècln (suite).
Onfai>aitVopieren 1337a Saint-Pierre d'isle
le Jeu de la Résurrection, moyennant trois
sous (Tabul. S. Pet. insul., dans Du Cange,
Gloss. ve.t , et med. lat., v° Ludus Chrisli,
édit. Henschell; Paris, Didot, 18i5, in-fol.,
G vol., L IV. p. 157.)
De Beauehamps (Recherches sur les théâ-
tres de France; Paris, 1735, in-8°, 3 vol.,
t. 1", p. 2-28) mentionne « la Résurrection
de Notre-Seigneur par personnages, par Eloi
Constantin, 2 vol. m-k" (392). »
Il nous reste, pour compléter cet article,
à reproduire le mystère de la Résurrection
qui a Jean Michel pour auteur au xv' siè-
cle; nous en empruntons l'analyse aux
frères Parfait. (Hist. du théâtr. français ;
Paris, 15 vol. in-12, 1735, t. II, p. 512-
532.)
MYSTÈRE DE Là RÉSURRECTION (393).
S'ensuit le Mistcre do la Résurrection de
Nostre-Seigneur Jésu-Crist, de son Ascen-
sion, cl de la Pcnlhccousle : duquel est ; re-
miercment à noter qu'il doit durer troys
jours ; et commencera le premier Jour, Jesn-
Crist estant en la Croix, qui finira quant
les Femmes auront acheté des oignemens ,
cl seront retournées de chez l'Àpoticaire
devers Nostre-Dame.
Nous laisserons le prologue, qui ne con-
pulcre.
Un manuscrit de la bibliothèque de Vienne, datant
du xve siècle, n° 2054. contient une Visilatiôseput-
criinnoele paschati. (Cf. Denis, Codices manusxripli
theolog. Ribliotli. Palatinœ Vindobon.; t. 11, col.
2054.)
En 1549, à Bciliuue, furent représentées, le jour
de la Fêle- Dieu, les Trois Maries. (Cf. Lafo.ns-Mi.l!-
cocq, Ann. archéo!., I. VIII.
(303) Ce mystère est entièrement de la composi-
tion (la docteur Jean Michel, nalif d'Angers, ci fut
représenté dans celte ville, devant le roi René,
comme nous rapprenons par le lilre de l'ouvrage,
que voici : « C'est le Mistere de la Résurrection de
N.-S. Jes.-Crisl, imprimé à Paris... Cy liuisl le Mis-
lére de la Résurrection de M. -S. Jhésu Crist, com-
posé par Ha i sire Jehan Michel, et joué à Ângicrs
Iriuinpbammenl devant le Roy de Cécile, imprimé à
Paris pour Antho'me Verar.l Libraire, demonrant
sur le Pont Nostre-Dame à l'enseigne de Sainet Je-
han rtvangéliste, ou au Palais au premier pilier de-
vant la Chapelle où l'en chante la Messe de Messev-
gneurs les Président » (Bibtiutiicque du Ro>). ) C'est
un in-fol. de 153 feuillets, ou 200 pages à deux co-
lonnes, chacune de 4-2 lignes, ce qui peut composer
environ vingt mille vers. Gotliiq. Ce mystère se
trouve aussi manuscrit sur vélin, avec des miniatu-
res. (Bibl. du Roy.)
809
RES
t.ent, suivant l'ordinaire, que l'argument
de la journée qu'on va représentai? (3%).
PREMIER JOUR.
« Lucifer, effrayé des cris de joie des Pè-
res des Limbes (395,, songe à la sûreté de son
inrder
empire, et ordonne à Cerbérus d'en
soigneusement l'entrée.
llcy l'Ame de Jésus, vesluè de blanc ("96l estant près
de sa Croix, se agenoitle devers Paradis el dit les
mains jointes ce qui s'ensuit.)
l'âme.
Créateur de toute nature,
Mon Dieu, mon l'ère, et mon Seigneur,
Qui m'a voulu faire Pollueur
i> estre au corps de Jésus posée :
Où, pas ne nie suis reposée
Longuement, sans adversité.
Je te mereye, en vérité,
De ma noble céaeion,
El de ce que ma Passion
De mon corps j'ay eu pacience;
Et de la divine science
Que m'a daigné communiquer;
Et de ce que, sans répliquer,
;Mon corps, qui gist maintenant mon,
{A eu victoire de la mort,
Maulgré le Dyahle, et son envie.
« Dieu le Père ordonne à ses anges d'aller
chercher l'âme de Jésus; pendant ce temps-
(394) Le tumulte el le bruit que chacun faisait
avaisKtL prendre place étaient cause qu'on perdait le
commencement de la pièce, et qu'on prêtait peu d at-
tention au prologue, que les auteurs ne composaient
guère que pour donner aux spectateurs l«' loisir de
se ranger. C'est ce que nous avons remarqué au
commencement de la seconde fournée du mystère de
la PasuioH, où il est marqué, qu'après le prologue :
< la Fille île la Chaiianée pourra commencer ia jour-
née en parlant comme une démoniacle, jusqu'à ce
que bonne silence fusl faicte. i
(59N) « Icy chantent Veni Hedcmptor Genchim. i
(396) Nous avons dit, secl. vu, de la Moralité du
Pien-Adrisé et M al- Ad visé que l'on représentait les
âmes bien lieu reuses vêtues de blanc, el celles des
damnés sous un habillement noir ou rouge : en
voici la preuve.
(597) Voir la note précédente.
(j'JS) Pendant celle pause, le bruit des tambours
cl des armes à feu lient lieu des concerts d'or-
gues, ou autres instruments musicaux.
(599) Voyez le ue mystère de la ivc journée de la
Passion.
(4U0) * ley les Pères des Limbes chantent Condi-
lor aime Syderum, > eic.
(101) i Noie/, que l'Ame de Jésus jecte Salban au
Puis, el crie inoull horriblement. El iceluy Puis doit
estre édifie jouxte le pallonrde dessus le Portai d'En-
fer, entre icelluy Portai et la Tour du Limbe, par-
aevers le champ du Jeu : pour mieux estre veu. El
doit esire fan.t ledicl Puis en telle manière, qu'il
ressemble par dehors estre massonné de pierres noi-
res de laille. El si doit eslre si large, qu'il puisse
avoir séparation entre les deux parties : en l'une
desquelles soit fait l'eu île souffre, ou autrement sail-
lant coii'ir.uellement hors dudit Puis. El doit esire
fait par soufflez, ou autrement, subtilement, qu'on
ne s'apperçoive. El en l'autre partie du Puis, en la-
quelle seia gecté Salban , n'aura point de l'eu,' el
s'en isra ledit Salban par une fenestre qui sera
faicte par devers Enfer, assez bas. El après qu'il
aura esté gecié, ledil feu doit gecter plus grande
flambe que paravaul. El doii-on tirer aucuns citions
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. RES 870
là les diables emportent l'Ame du mauvais
larron, qui est revêtue d'une chemisé noire
(397;. Enfin Jésus descend aux enfers, en-
chaîne Satan et brise les por.es de ce séjour
ténébreux
(Icy se doit faire pause [3'J8] el tous les Dit blés,
excepté Sullian, viennent tous à l'entrée d'Enfer; el
lors comme espoventei, feront signes amirulïfz en
mettant Coullcvrines, Arbalestes el Canons, pur ma-
nière de dt'ffence : et eulx esians sur le Portai,
l'Ame de Jesu-Crist, accom aignée de qua re An-
ges, et de l'Ame du bon Larron, viendra aux Portes
d'hnfer, traînant après elle Sullian enclicsné d'une
chesne [599 J.)
« Lorsque Jésus est entré (400), il pro-
nonce un arrêt contre les princes de l'en-
fer : Mammona, le démon de la convoitise
et de l'avarice ; Hasmodéus, de ia luxure ;
Belzébnth, de l'envie; Belphegor, de gour-
mandise; Baalderich, de la colère; Baalin,
de l'oisivt té ; Astaroth, le démon d'orgueil ;
Berich, d'inobédience; el Béhémolh, du dé-
sespoir; et enfin il condamne Salhan à demeu-
rer enfermé pour toujours dans le puits de
l'abîme (401). Le Fils de Dieu passe ensuite
au limbe des Pères (402), où Adam chante
pour lui et ses compagnons Libéra nie Do-
mine, et rompt leurs liens (403). De; là i! dé-
livre dix âmes prisonnières dans le purga-
toire (404), et sort de ce lieu souterrain sans
en ce faisant, el avoir tonneaux pleins de pierres et
d'autres choses, que l'on doit faire tourner, allii»
qu'ilz fassent fa plus horrible no.se el lempesle que
l'on pourroil faire, après lesquelles choses ainsi
faictes, silence doit estre imposée. *
(402) « Notez que le Limbe doit estre au coslé du
Parloér qui est sur le Portai d'Enfer, et plus battit
que ledicl Parioër, en une habitation qui doit esire
en la l'asson d'hile grosse Tour quarrée, environnée
de rez, et de liiez, ou d'autre chose elere, afin que
parmi les Assisians puissent voir les Ames qui se-
ront, quant l'Ame de Jésus aura rompu ladicte
porte, el sera entré dèdeiis. Mais paravaul la venue
de l'Ame de Jésus eu Enfer, ladicte Tour doit eslre
garnie tout à l'cnviron par dehors de rideaux de
loille noire, qui couvriront par dehors lesdils retz et
lileiz, el empesclieronl qu'on qu'on ne voyes, jus-
ques à l'entrée de ladicle Ame de Jésus; el lors, à sa
venue, seronl iceulx rideaux subtilement lirez à
cosié, tellement que les Assistons pourront veoir tte-
dens la lotir. Et notez que à la venue de l'Ame de
Jésus, doit avoir plusieurs torches el f'alolz ardans
deiiens ladicte Tour, en quelque lieu qu'on ne les
puisse veoir, qui feront grand clarté. Et derrière, la-
dicte Tour, en ung attitré lieu qu'oit ne puisse esire
veu, doit avoir plusieurs gens cria s cl ullans horri-
blement (a) tous à une voix ensemble : el l'ungd'en
lie eulx, qui aura bonne voix, et grosse, parlera,
après ce l'ait, pour luy, et pour les autres Ames
dampnées de sa contpaiguie,» etc.
(405) Adam, E\e, Ahel, Malnstalé, Noé, Melchi-
sédech, qui autrement esl appelé Sem, filas de iNoé;
Job, Abrahan, Sarra, Loth, Isaac, Jacob, Judas Pa-
triarche, Joseph, Moyse, Aaron, Josué, Sam-
son, Samuel, David , Tobie, Judich , llcsler, Isaye,
Hiérémie, Dan SI, Judas Machauéus, Z.chane, isy-
nicon, Joachin, Anne, Mère de iN. D. S. Jehan-Bap-
liste, quatre Innoeens, Joseph, niary de la sainte
Vierge, Carin el Leoncinus, (ilz de Sy.; éon.
(Mb) i II esl à noter que la cbarlre de Purgatoire
doit eslre au-dessoubz du Limbe, à cosié; auquel
doit avoir dix Ames, sur lesquels doil apparoir sem-
blance d'aucuns tournions de feu arliliciellcmeut
(a) C'est ici le lieu ou sont tourmentées lésâmes des damnés.
871
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RES
872
vouloir écouter les pleurs des enfants (4-05)
qui ont eu le malheur de mourir avant d'a-
voir été circoncis, et qui, par conséquent, ne
sont pas dignes de cette grâce.
c PendantqueCayphas et Annas, évéquesde
Jérusalem, vontposer des gardes autombeau
de Jésus, et qu'ils t'ont mener Joseph d'Ari-
mathie en prison, pour avoir aidé à l'ense-
velir, un aveugle, appelé Galleboys, arrèteà
sou service un garçon nommé Sauldret, sur
le pied de cent sois par an. Au bout de quel-
que temps il appelle ce valet : « — Hau!
« que me voulez-vous? répond Sauldret. —
« Comment, hau? réplique l'aveugle, je pré-
« tends que vous m'appélliez monseigneur
« ou mon maître. » Après s'être dit l'un h
l'autre bien des injures : « Ne nous fâchons
« pas, ajoute Galleboys, traite-moi de maî-
« ire, et je te paierai bien. » Le valet accepte
enfin cet accord, et ils chantent ensemble
des chansons.
Orescoulés mes bonnes gent,
El vous orés présentement
Une Chanson nouvelle
Des biens que l'on neuve souvent
En mariage vraymenl,
C'est chose bonne et belle;
Ce ne sont point mots controuvés,
Ne plains de menterie;
Mais sont certains, et esprouvés,
Je le vous certifie.
« Après cet exorde, qui n'est que pour
appeler les passants, ils récitent une chan-
son en douze couplets, dont voici le der-
nier (406).
Moull vaut femme en fais et en dis,
Soit riche, basse, ou haulle;
Mariés-votis grans et petis,
Si verrez se c'est laulle.
« Un messager qui passe par ce chemin
achèle de ces chansons, et raconte à l'aveu-
gle qu'il se fait tous les jours des miracles
au tombeau de Jésus; Galleboys dit à Saul-
dret de l'y conduire, mais ce dernier ne veut
obéir que lorsque l'aveugle lui a payé six.
mois d'avance, alléguant, pour ses raisons,
que l'aveugle-né(407j,au service dequi il a été
faits par eauë de vie, et d'icelluy Purgatoire l'Ame de
Jésus rompra la porte pareillement à force, et puis
entrera de.lcns, accompagné desditi Anges. »
(405) i Icy doit avoir ung autre Limbe député
pour les petits Enfaiis non circoncis, cl sans avoir eu
remède contre le péché originel. Lequel Limite des
petits Enf.ins doit être au-dessoubz de celuy des Pé-
rès, à costé : dont une Ame d'Enfant pour soy, et
pour les autres estans avecques elle, dil, > etc.
(4t6) Celle chanson roule sur le bonheur des gens
mariés.
(407) Voyez le xvm« myst. de la m journée de la
Passion.
i40S) Le porlocolle, ou porleroolle, comme Nicot
le nomme, élail aussi appelé meneur du jeu. C'était
lui qui lenail la pièce, pour souiller les acteurs, et
ordinairement se chargeait de réciter les prologues,
i Uncleredes Sepl de la guerre de Metz , dit la
Chonique manuscrite de celle ville, fut Maislre du
Jeu, el Pourtour de l'Original, i lorsque le mystère
de la Pussion fut joué auprès de celle ville au mois
de juillet 1437. Rabelais (a), en parlant d'une repré-
sentation de ce mèineMystère, ajoute que, de frayeur,
(a) Rabelais, liv. ni, ch. 27.
très-longtemps, n'a plus voulu lui payer ses
gages d'abord qu'il a été guéri.
« D'un autre côté, les anges demandent, à
l'âme de Jésus la permission d'aller visiter
son sacré corps.
sainct Michel, à l'Ame de Jésus.
Madame, vous nous donnerez,
S'il vous plaist, en ceste présence,
Gracieulx congié, el licence
D'aler vosire Corps visiter.
Icy vont visiter le Tombet de Jésus.)
« Les trois Maries vont chez un apothi-
caire, pour acheter des parfums.
(Icy est la fin de la première journée; el le Portocole
peut dire ce que ensuit ^408).
Ceulx qui de Jésus vouldront voir
Jouer le Resuscilement,
Si reviennent cy vislement,
Demain le malin (409), car pour l'eure
Plus ne ferons cy de demeure,
Ne de Mislere pour ce jour :
Mais nous en alons, sans séjour.
SECOND JOUR.
(Icy l'Ame, de Jésus accompagné de trois Anges, c'est
assavoir saint Michel, Raphaël, et L'riél prennent
l'Ame de Adam par la main; el Adam prent sa
femme, el ainsi de main en main jusques à la der-
nière, cl au dehors d'Enfer, elvonl le champ droit en
Paradis Terrestre [410]'
« Jésus ordonne au bon larron de prendre
sa croix, et d'aller avertir le séraphin d'ou-
vrir la porte du paradis terrestre où toutes
ces âmes suivent le Sauveur, en chantant
Hœc dies, quam fecit Dominus. Enoch et
Hélye viennent à la porte pour le recevoir.
« Le Seigneur ressuscite, et va visiter
sa sainte mère, et ensuite les apôtres,
et les trois Maries. Carinus et Léonci-
nus, fils de Siméon , sortent de leur tom-
beau, et vont trouver Joseph d'Arimalhie.
Cependant, les gardes du sépulcre de Jésus
arrivent chez Cayphas et lui certifient sa
résurrection. Cayphas et Armas leur donnent
quatre mille francs pour faire courir un
bruit contraire, el vont eux-mêmes l'assurer
le Portecole abandonna sa copie. On voit par tout
ceci que le portocole, ou le maislre et meneur du
jeu, n'était que ce que nous appelions aujourd'hui,
en tenues île théâtre, le souffleur.
(409) Nouvelle preuve de ce que nous avons
avancé dans les noies du septième liv. du Mystère
des Actes des Apôtres.
(41<'),<l«y l'Ange Séraphin garde Paradis terrestre,
el a vesiemens de rouge, et visaige rouge, tenant
une e>pée toute nue en sa main, et parle à l'Ame du
bon Larron par ung carneau du mur, endroit ledicl
guichet de Paradis terrestre. El icelluy Paradis ter-
restre doit eslre fait de papier, au-dedens duquel
doil avoir branches d'Arbres, les ungs fleuriz, les
autres chargésde fruits de plusieurs espaces, comme
Cerises, Poires, Pommes, Figues, Raisins, et 'e les
choses artificiellement faictes, el d'autres branches
vertes de beau May el des Rosiers, dont les Roses
et les fleurs doivent excéder la bailleur des Gar-
neaux; el doivent eslre de frais couppez, el mis en
vaisseaux plains d'eauë, pour les tenu plus fresche-
ment. >
873
RES
DICTIONNAIRE DES MYSTERE'.
RES
87-4
a Pilatc, qui mande aussitôt les gardes, et
apprend d'eux la vérité et la mauvaise foi
des pontifes. «Vous ôtes des scélérats, » dit
Pilate à ces derniers.
CAYPHAS.
Vous avez dit vray, nostre Maistre ;
Certainement bien le sçavons,
Mais, autre remède n'avons,
Pour couvrir nostre villcnye;
Aussi le Peuple n'entend inye,
Les subtilités de Clergise, etc.
PILATE.
El le Dyable emportera tout,
Et vous et moy : bien m'y a liens,
Avant que soit gaire de temps
Mais pour évader tous périlz,
J'en suis d'acorl et m'y consens.
« Joseph dit au messager qu'il trouve sur
la route de Jérusalem, que les deux fils de
Siraéon sont ressuscites; ce messager en
chemin chante cette chanson, et boit quel-
ques coups pour se désaltérer.
Verdure le boys, verdure
Je revenois de lure
Verdure le boys :
Tronvay une vieille dure,
Verdure le boys, verdure.
Qui avait une gianl bure,
Verdure le boys, verdure :
Plaine de toute l.iydure;
Verdure le boys, verduie.
« Sur le récit de ce messager, les deux
pontifes vont trouver Joseph do qui il le
tient; et ensuite ils ordonnent, de la part
de Dieu, à Carinus et 5 son frère, de leur
parler. Carinus et Léoncinus certifient, par
leurs écrits, la vérité de la religion chré-
tienne, et, disparaissant, vont rejoindre les
Ames bienheureuses du paradis terrestre,
où celle de Jésus vient les consoler.
« Cependant Galleboys et Sauldrct, en
sortant d'un cabaret, renouvellent leur an-
cienne querelle; et, après s'ôlre déliés l'un
et l'autre, ils prient un nommé Ficlus de
leur fournir des chevaux, des armes et des
lances : comme ils ne se sont jamais servis
de ces choses, Fictus a bien de la peine à
les mettre en état, ce qui fait un jeu de
(il i) Comme dans ce mystère, les diables, que
Jésus a renfermés dès le commencement de la pre-
mière journée, paraissent peu, l'auleur a inséré les
scènes de l'aveugle et de son valet, pour divertir
l'assemblée, qui (comme on le voit encore aujour-
d'hui) veut pleurer et rire au spectacle. Car ces scè-
nes tenaient alors la place de nos petites pièces dont
nos anciens, ignorant l'usage, se Irouvaient obligés
à mêler le sérieux avec le comique.
(412) Le Protocole.
(415) Les Patriarches visibles aux yeux des spec-
tateurs ne le sont pas pour les acteurs.
(414) < Ici soit Jésus vcslu de blanc et si doit
avoir ses cinq playes fort laiules de rouge et
sera tiré à part le premier loul en paix, et les deux
filz Syinéon ressuscites, et les xlix qu'il mènera
monter secrètement en Paradis par une voye, sans
que on les voye, mais leurs slalures de papier ou de
parchemin bien contrefaicles, jusques audit nombre
de li parsonnages, seront attachées à la robe de
Jbésus, et tirées à mont quant et quant Jhésus, cl
seront les eslabliz environnes de unes blanches. »
(115) « hy eu droit doivent (hanter les Ames
Dictions, de* My>tèhes.
théâtre assez plaisant (Mi). Malgré tout cela,
l'aveugle est si persuadé que, pour son
coup d'essai, il va renverser son adversaire,
qu'il dit :
L AVEUGLE.
Je n'auray point de déshonneur.
Ce croy-jc pour ceslc journée :
Car oneques César, ne Pompée,
Ne se monslrèrenl plus vaillans.
« Sauldret le jette cependant à terre, et
Galleboys, l'appelant à son tour monsei-
gneur et maître, est obligé de lui demander
la vie, et de lui promettre qu'il le traitera
bien dans la suite , et ils s'en retournent
ensemble au cabaret pour faire leur rac-
commodement. »
(Icy est la fin de la seconde Journée : et est à noter
que t'Aveugle et son varlel s'en vont, faisans ma-
nière d'aler boire, et conséquemment tout le monde
se doit départir. El celuy qui porte le Livre (412)
dira, clc.
TIEKS JOUR.
« Jésus vient visiter les apôtre?) qui sont
occupés à la poche, et leur ordonne de se
trouver tous sur le mont Thabor. Après le
repas, il les instruit de l'ordre et de la dis-
cipline qu'ils doivent prescrire aux fidèles,
ensuite de quoi, en présence de la sainte
Vierge , des apôtres, des disciples et des
trois Maries, il s'élève au ciel , accompagné
des âmes bienheureuses (M3), qui chantent
Mterne Rex allissime ; Jesu noslra Redemptio
et le Regina Cœli, lœtare alléluia, etc. (Mi).
Et lorsqu'il est entré dans le paradis, il les
fait asseoir sur les sièges qui leur sont
préparés, entre ceux des anges (Mo), qu'il
bénit ensuite selon les vertus qui leur sont
principalement affectées. Et les fidèles s'en
retournent au cénacle attendre l'arrivée du
Saint-Esprit.
« Peu de temps après , trois prêtres juifs
viennent trouver Cayphas, pour lui appren-
dre qu'ils ont vu monter Jésus dans les
mélodieusement ce respons; Omnis pulchritudo Do-
mini exaltala est super sidéra, etc. El ce fait Jésus
se liève et doit colloquer lesdiles Ames comme il
s'ensuit : c'est assavoir x en l'Ordre des Anges, vm
en l'Ordre des Archanges : vin en l'Ordre des Prin-
cipautés; vm en l'Ordre des Puissances, dont l'Ame
de Job en sera l'une. Et vi en l'Ordre des Vertus,
dont Carinus et Léoncinus frères soient les deux. En
l'Ordre des Dominations ni. En l'ordre des Thros-
nes m. En l'ordre des Chérubins m. El. deux, c'est
assavoir Abraham etsamel Jehan -Baptiste, en l'Or-
dre des Séraphins : sans les nommer et les nielle en
chacun Ordre. Et doivent eslre les Chaieres appa-
reillées selon le nombre desdieles Ames. Et est à
noter que en lesasséanl en leurs dictes Chaieres.
Jhésus leur doit metire sur leur chef une couronna
elles baiser. El au regard de Noé, de Melchisédeclt
et de Job, et de Abraham, et de Joseph, qui fureni
de la Loy de Nature; el semblablemenl île Mnysc, cl
de Aarou, et de Samuel, el de David, el de Daniel;
chacun doit avoir avecqnes sadicle couronne, uuu
chappe de docteur, Et baye cl Ily iréinio auront
double couronne. >
28
&75 ROB DICTIONNAIRE DES MYSTERES. ROB 87G
cieux. Le pontife consulte avec Annas quel Dame, il' volume, fol. 157, qui contient qua-
parli ils doivent prendre là-dessus. rante mystères, et date du siv* sièçlp.
ANNAS. Il y est intitulé : De Robert le Dyable, fils
_ • i j • „ du duc de Normandie.
Or ne voy-je plus de quoy nre. „ fl été ^ en m^ ^ |eg ÎCM
« Ils offrent deux cents francs à chacun deM. Edouard Frère, a Rouen, par plusieurs
de ces prêtres, à condition qu ils ne feront membres de la Société des antiquaires de
part de cette nouvelle à personne, et qu ils Normandie, et avec une préface de M. Deville
sortiront de Jérusalem. Les prêtres accep- et des notes de M. Paulin Paris,
lent la condition ; et, en quittant cette ville, M. q. Leroy en a donné une analyse dans
ils prennent une route détournée, dans la scs Etudes sur les mijslères (Paris, 1837, in-8%
rrainte où ils sont que Cayphas ne les fasse p> ioi) ; et dans ses Epoques de l'histoire de
voler sur le grand chemin. France (Paris, 1843, in-8°, p. 180) ; il a dit,
« Les apôtres rassemblés dans le cénacle, erî appréciant le même sujet une seconde
attendent le Saint-Esprit avec impatience. f0js :
« Je croyais, dit saint Jacques Mineur, que « nous serions tenté de regarder le héros
« nous le recevrions le dimanche qui a de notre drame comme le type de l'idéal de
« suivi son Ascension , parce que, à pare;! ,ous ces tyrans du moyen âge, sous lesquels
« jour, il a créé la lumière. — Et moi, le i'humonité gémissait trop souvent en vain ,
« lundi, répond saint Jacques le Majeur, h majs qu'un éclair d'en haut ou de la chaire
« cause que ce jour Dieu fît le firmament, et évangélique venait arracher à leur vie dé-
« divisa les eaux. — Je ne l'attendais que sastreuse, pour los faire entrer dans la voie
« le mardi, parce qu'il créa ce jour-là les de réparation...»
« plantes , réplique saint Barthélémy. — Avant M. Leroy, M. Berger do Xivrey
« Moi, le mercredi, jour qu'il a formé le So- avail donné de l'édition de M. Frère, et du
« leil , ajoute saint Matthieu. — Ou bien drame lui-même, une notice et une analyse
« plutôt le jeudi, continue saint Simon, qui que nous empruntons au Journal général
« était l'octave de son Ascension. — J'aurais àe l'instruction publique, 13 et 20 mai s 183G,
« plutôt cru le vendredi, qui est le jour de (p, 310.)
« sa Passion, dit saint Judo. — Pour vous « m. Deville, dans une savante disseria-
« prouver que nos sentiments sont bien tion..., a publié des recherches fort cuiicu-
« différents, je vous avouerai, reprend saint ses sur l'histoire de Robert le Diable, sur les
« Philippe, que je comptais fort que nous fajts historiques qui en sont la base, et sur
« recevrions celte grâce hier, attendu que ies compositions diverses dont elle a été le
« ce même jour nous allâmes visiter le sujet... L'auteurdu miracle que vient de pu-
« tombeau de Jésus le lendemain de sa jjher M. Frère, étant du xiv' siècle, a donc
« mort. » traité un sujet très-connu de son temps, et
sainct thomas. qui paraît avoir joui d'autant de popularité
Eije suis le poure Thomas, qu'en eurent, dans l'ancienne Grèce, les
Qui nesçaii souldre cesie double; malheurs des familles de Laïus et d'Allée.
Fors seulement que je me double 11 ne faut pas plus voir dans le vieux poète
Qu'il y ait quelque occasion. français un inventeur, que dans Sophocle et
« Les apôtres redoublent leurs prières, et dans Euripide. Ce qui lui appartient, comme
la sainte Vierge les console. } eux' c.?sl la combinaison dramatique, ç est
la manière de concevoir son sujet et de le
(Icy endroit se mectent tous et toutes en Oraison à ge- mettre en œuvre. Dans cette mise en scène
nolz, cesl assavoir les femmes (Tune part et les se rcflètent les mœurs (lu moyen âge, avec
hommes det autre en ladicle Maison du leaacle,lw une vérite quu fait ressortir... l'intérêt des
quelle doibt être dessoubz Paradis.) situations. » (P. 310.)
« Pendant que les fidèles chantent Veni, « Pour peu que l'on soit familiarisé avec
sancte Spiritus, etc., le Saint-Esprit descend notre ancienne langue, celte lecture offre
sur cette assemblée (4-16). l'entraînement de toute action bien conduite.
«Après avoir remercié le Seigneur, les Joignez à cela quantité de remarques cu-
apôtres composent les douze articles du rieuses sur le style, comme, par exemple, la
Symbole que saint Pierre récite en hébreu, règle du demi-vers qui, terminant chaque
en grec et en latin, et saint Jean évangéliste couplet, indique toujours la reprise à Fin-
en français. On charge ce dernier d'en faire terlocuteur, retour régulier qui donnait
plusieurs copies : ensuite de quoi ils pren- probablement à la déclamation théâtrale
nent tous congé de la sainte Vierge, et se d'alors une nuance particulière d'harmonie,
séparent pour aller annoncer l'Evangile en « Des archives silencieuses où la lecture
plusieurs endroits de la terre. » exclusive des livres imprimés relègue au-
ROBERT LE DIABLE. — Robert le Diable jourd'hui les manuscrits, on a extrait si peu
est tiré du manuscrit des Miracles de Nostre de pièces de théâtre, qu'on se demande en
(41G) « Icy en droit doitdescendre, ayant brandon soient gros tuyaulx bien concors ensemble, cl en
de l'en artificiellement faict par eau de vie, et doit doulceur su'rchascun d'eutx doilclioir une langue «te
visiblement descendre en la maison du Cénacle, sur l'eu aidant dudicl brandon : el seront xxi en nombre,
No>ire-Daine et sur les femmes elapostres, qui alors e: ce faict, ilz chantent Veni, Creator Spiritus, etc.;
doivent eslre assis, et tant comme il descendra, se Qui paraclytus, etc. ►
diiii l'aire uni," tonnerre d'Orgues au Cénacle, el qu'ils
877
rob
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
878
lisant un drame tel que le Miracle de Ro-
bert le Dyable, si ce morceau est une œuvre
d'exception, ou s'il a été choisi au milieu de
tout un vaste répertoire dramatique, dans
lequel nous aient été transmis, sous celte
forme vive et animée, la peinture de la so-
ciété d'alors, la tradition de ses croyances,
ses idées d'art et la manière de les appli-
quer. Alors on s'aperçoit que le mouvement
de la Renaissance, dans son excès d'admira-
tion pour les beautés simples et pures de
l'antiquité, a dépassé le but en nous pré-
parant celle éducation littéraire qui nous
fait sauter à pieds-joints par-dessus le moyen
âge, en passant, sans intermédiaire, de l'an-
tiquité classique au xvn\ou tout au plus au
xvic siècle. Or, la littérature dramatique du
xme et du xiv° siècle ne le cède pas en
abondance à notre moderne répertoire, dont
la classification peut môme s'y appliquer,
sauf toutefois pour la tragédie en style en-
tièrement soutenu. Une composition, comme
celle dont nous venons d'offrir l'analyse, a
de fréquentes analogies avec celles de Shak-
speare et des Espagnols. Pour une scène
plus rétrécie, M. de Montmcrqué a publié
deux volumes de Jeux du xmc et du xivc siè-
cle; ce sont des espèces de proverbes, de
pastorales, d'opéras comiques. Le fatalisme,
provenant de l'influence du diable, est une
«les idées les plus fécondes du moyen âge,
soit que le personnage soumis à celte mysté-
rieuse influence devienne, comme ici, par
ses forfaits, la personnification du génie du
mal;soit qu'il arrive, comme l'enchanteur
Weriin, à des sciences qu'il n'élait pas donné
à l'homme de connaître. Voilà certainement,
dans cette littérature, un trait saillant et
original qui a servi de motif, même à des
chefs-d'œuvre modernes. Mais jusqu'où doit-
on étendre l'originalité de celte littérature?
.11 est difficile que la tradition soit jamais
assez complètement interrompue, pour qu'il
ne reste pas quelques traces des grandes
civilisations qui ont péri. Cependant on peut
dire qu'entre le polythéisme de l'antiquité
et le christianisme du moyen âge se trouve
une des séparations les plus complètes que
présente I histoire de l'esprit humain; et
c'est l'opinion des hommes les plus versés
dans la connaissance de notre ancienne his-
toire littéraire, que celles des traditions de
l'art classique dont nos aïeux ont pu profi-
ter sans le savoir, leur étaient arrivées par
l'Orient. Là ils avaient trouvé une civilisation
vivante, supérieure par son élégance et son
instruction a celle de leur pays; et bien que
leur haine religieuse fût presque aussi ar-
dente contre les ennemis des Chrétiens d'O-
rient que contre les Sarrasins, cependant la
supériorité intellectuelle de ces peuples
exerça sur eux son ascendant et sema les
germes féconds de cette littérature si ani-
mée du un* siècle. L'instrument tout neuf
de la langue française s'y exerça d'une ma-
nière infatigable. De là, exubérance et pro-
lixité, défaut qui sans doute a trop vile éloi-
gné de celle étude tant d'esprils faciles à re-
buler. Mais que de choses à recueillir dans
ce laisser-aller de la poésie de nos pores 1 Ce
n'est pas tout : il s'y rencontre des écrivains
d'un goût plus sévère, qui, comme l'auteur
du miracle de Robert le Diable, en élaguant
les accessoires inutiles, savent renfermer
dans de justes proportions l'ensemble d'une
œuvre dramatique ; qui, en peignant aussi la
société au milieu de laquelle ifs vivaient, en
retraçant ses goûts el ses croyances, savent
faire "ressortir ce qu'elle avait surtout de
pittoresque et de dramatique. Nous devons
donc encourager de toules nos forces la pu-
blication intelligente des chefs-d'œuvre lit-
téraires du moyen âge...» (P. 325-32G.)
M. Rerger de Xivrey termine en signalant,
dans l'excellente édition de M. Edouard
Fi ère, le choix curieux de pièces et de noies
relatives à Robert le Diable, fait par M. De-
ville, et imprimé en tête du texte du mira-
cle. M. Deville semble incliner à croire que
parmi les héros auxquels les traditions ont
attribué le surnom de Robert le Diable, celui
qui y aurait le plus de titres serait le féroce
Robert de Bellême, de la turbulente famille
des Talvas, dont plusieurs membres s'illus-
trèrent en Italie. Les exploits des Normands
dans cette contrée auraient pu avoir quel-
que influence sur la dernière partie du mi-
racle de Robert le Diable.
Le môme volume contient la notice des
manuscrits relatifs à Robert le Diable, par
M. Paulin Paris, et celle de divers imprimés
sur le même sujet par M. Edouard Frère.
De l'œuvre des modernes éditeurs, passons
au travail du vieux poêle ;
« A l'ouverture de la pièce, dit M. de Xi-
vrey, le duc de Normandie reproche à son
fils Robert ses excès. Celui-ci répond en s'en
faisant gloire, et il ajoute :
Desoresniais, laissiez m'en (moi en) paiz,
Ailleurs m'en vois (je in en vais), el cy vous lais
Où j'ay des conipaigiions assez...
« On le voit ensuite au milieu d'une troupe
de brigands (ce sont le ses compagnons), oc-
cupé à projeter un des exploits qui leur sont
familiers, le pillage d'un couvent... Des pa-
roles, ces estimables associés ne lardent pas
à passer aux effets. Il y a beaucoup d'art
dans la manière dont Je poêle représente
Robert ne reculant devant aucun excès. Le
moine, forcé de montrer les trésors de l'ab-
baye, refuse longtemps d'ouvrir le coffre où.
sont les dépôts faits par les étrangers :
11 sert que nous y mêlions. Sire,
Les choses eslranges, sans faille (mensonge),
Qu'à garder souvent on nous baille
De bonne foy.
« Mais Robert dit à ses bandits :
Seigneurs, vous lous avant passez.
En besongne vous convient meltre
Sans plus longuement icy cslre.
Rrise-Godel, pren les premiers
Cesjoiaux; et loi ces derniers.
Lambin, et loi. Route-cn-Couroyc
Lèves toute celte monnoyc,
Et loi cesjoiaux, Rigolel
PrCn avec Brise-Godet.
Rien n'y laissiez.
«L'es barons de Norftlandie se plaignent au
879
ROB
D1CTIO.VNAIRE DES MYSTERES.
EOB
S80
«lac, quf se décide, d'après leur conseil, à
faire enfermer son fils. 11 lui envoie donc
deux messagers pour le mander. Mais Ro-
bert leur fait à chacun arracher l'œil droit, et
ne répond à leurs supplications que par des
plaisanteries... Le duc à cette nouvelle, et
d'après l'avis de ses barons, bannit Robert,
ordonnant que chacun lui courre sus.
« L'auteur, fidèle à la gradation qu'il met
dans les crimes de Robert, le représente bien-
tôt dans un tel état de fureur qu'il lue pour
le p'aisir de tuer. Il rencontre sept ermites:
... Qui vous a mis ensemble
Cy en ce lieu?
PREMIER ERMITE.
Sire, nous y sommes por Dieu
Prier el servir jour el nuit ;
El sommes, voir (?iroi) ne vous annuyt (sauf
[voire plaisir)
Povres hennites.
ROBERT.
Je n'y acoule pas deux milles.
Jamais cy plus ne demourrez
Mais en l'eure irelouz (sur Clieure tous) mour-
rez.
« Et il les tue tous. En ce moment passe
un valet; Robert lui demande d'où il vient;
le valet lui répond qu'il vient du château
d'Arqués,
Où dîner doit la duchesse.
« Robert s'informe si le duc y est aussi,
et sur la réponse négative du valet, il se rend
à Arques. A son approche, écuyers, demoi-
selles, tout le monde s'enfuit. Ici commence
une scène intéressante qui est le nœud de la
pièce...
« Robert, accablé de remords, aborde sa
mère avec des paroles de honte et d'horreur
de lui-même, et il ajoute :
Je vous déniant (demande) que mediez (disiez)
Se savez(si vous savez) dont (d'où) ce peul venir
Que je ne nie puis abstenir
De maulvaislié, tant m'en sens plein.
Je crois qu'aucun péché villain
En mon père ou en vous eusies
A l'eure que me conceustes.
t La duchesse, à ces mots, prie son fils do
la tuer : c'est d'elle que vient le péché.
ROBERT.
Mère, ce neferai-je pas.
Mauvais suis trop, mais je seroye
Pires encore se vousferoye(si < je vous frappais.)
Mais dites moy pour quel pècliié
Je sui de mal si entachié...
«La duchesse... apprend à R;>berl que, dé-
sespérée de ne pas avoir d'enfanis après un
assez long temps de mariage...
Par ire (en colère elle) dis : Puisque Dieu
[mettre
Ne veull enfant dedans mon corps
Sy li mette le dyable lors...
« Voi à pourquoi Robert est si méchant...
« La fin de la scène est fort touchante. Ro-
bert adresse à Dieu une prière pleine de re-
pentir; puis il annonce à sa mère qu'il va
aller à Rome se confesser au Pape; il la
charge de ses adieux pour sou père, et s'en
, *a. La duchesse tout éplorée apprend cello
nouvelle a son mari, qui, plus sévère, de-
mande si Robert est vraiment repentant...
« Robert, avant de partir, veut faire amen-
der ses compagnons; ceux-ci refusent... Alors
il les tue tous... Puis il veut mettre le feu à
son fort; mais comme tous les bons senti-
ments lui reviennent, il va trouver l'abbé,
iui remet la clef du fort, et lui dit •
Au duc mon père porterez
Ceste clef, et li requerrez
Qu'aies vous tiens en mon manoir :
La trouverez muli grani avoir
Qu'à vous et autres ay loin (enlevé).
Lequel je vueil (i'eua')que soil rendu
A tous ceulx que dire saront
Combien el quoy perdu a roue
De ce (je) charge vous dens en somme
Car des cy (de ce pus) ie m'envoie à
[Rome...
« L'abbé est si étonné que d'abord il ne
reut pas le croire.
« La duchesse, en apprenant le départ de
son fils, dit avec une naïveté de tendresse
prise dans la nature :
Par foy, j'ay de li grant pitié,
El pour Dieu s'en va-il à pie
Ou à cheval ?
l'abbé.
A pied, se Dieu me gart de mal,
S'en va pour plus sentir grevance.
Et vous dy , si grani repen lance
Ol(eul), quant de moy duhl de partir,
Que je cuyday le cuer parlyr
Ly deust en tiens vraiemenl;
Tant plouroil des yex fondammcnl
Ses melfaix, dame.
(P. 310-511.)
« La fin du drame montre les elfels sur-
prenants du repentir de Robert.
« Après que le duc et l'abbé ont rempli ses
intentions au sujet de son manoir, l'auteur
nous transporte tout de suite au moment où
il se présente au Pape. Les sergents île ce
pontife le maltraitent; un d'eux lui dit en
l'accablent de coups.
Es-tu de la place Mauberi?
Tien el lien, fuy de cy , Trubcrt,
Ou mal pour loy.
«... Le Pape arrête ses sergents et fait ap-
procher le pèlerin de son trône.
ROBERT.
Saint Père, je vous requier , sire,
Confession.
LE PAPE.
Dis rnoy de quelle nascion
Tu es, avant, ne de quel cslre,
Ne se chevalier, ne preslre
Ou homme lay.
« Robert lui répond :
Fil sui du duc de Normandie
Mais je me réputé, el scé bien,
Sire, que je vail pis qu'un chien
Tant suy a Dieu aldioininable;
Robert ay nom , siirnon de Dyabie.
«Le Pape, qui le connaît déjà de réputation,
commence par l'adjurer de ne pas lui faire
de mal; puis il écoute sa confession et le
renvoie à un ermite. — Celui-ci remet à
l'entendre au lendemain, et J'engage à sou-
881 ROB DICTIONNAIRE DES MYSTERES
per et à coucher dans l'ermitage. Mais Ro
ROB
m
berl refuse de manger, et veut passer la nuit
sans se coucher. L'ermite va prier Dieu de
roi indiquer la pénitence a imposer à Ro-
bert; puis, après sa prière, il s'endort.
« Alors arrive l'intervention des puissan-
ces célestes. Dieu vient avec Notre Dame,
saint Jean et deux anges pour répondre à
la prière de l'ermite pendant son sommeil...
« Voici la pénitence que Dieu indique à
l'ermite :
Tu li diras
Qu'il faut que le loi contreface :
N'en quelque lieu qu'il soil, n'en place,
Ne parle oient plus qu'un muel;
Et avec ce, pour faim qu'il ail,
Li enjoins qu'il ne mangera
Jamais , fors ce qu'aux chiens pourra
Tollir (arracher). Sanz celle peuiiauce,
Il ne me plais meure ordonnance
Plus legeretie.
« Robert accepte avec humilité celte pé-
nitence, et il se prépare à s'y conformer le
jour môme, quoiqu'il ne sache pas bien
Comment me pourray déguiser,
Pour le fol faire.
« Mais l'ermite répond que la sainte Vierge
le lui indiquera.
« Dans la scène suivante, Robert fait le
fou sans parler. Le colloque des autres per-
sonnages fait très-bien ressortir son jeu. Plu-
sieurs compagnons lui font une foule de tours
et de mauvais traitements qu'il endure en
riant d'un air hébété. L'empereur qui passe
par là et qui fait dresser sa table en cet en-
droit, l'aperçoit aussi, et veut le faire man-
ger, ruais il ne peut y parvenir. Pendant ce
temps-là, le prince appelle son chien et
lui jette un os. Robert se précipite sur le
chien, et parvient à lui arracher l'os. Celte
scène (pour laquelle il fallait un chien qui
fût bien dressé ) est habilement con-
duite.
l'emperere (à son chien).
Louvet, Louvel, lien, Louvcl, tien,
Mange cela.
PREMIER CnEYALIER.
Regardez, au chien s'en va là.
Osier li veult son os sans faille.
Et le chien aux denz, qu'il ne faille,
Le lient forment (fortement).
DEUXIÈME CHEVALIER.
A li osier lent durement;
Mais le chien le lire et débat;
Sans faille, vez ci bon esbal
El bien rire.
l'escuier.
Combien qu'ans deus le chien fort lira
Tire encore plus fort le fol;
El happe l'a si par le col
Que oslé li a.
« Ils se le montrent ensuite rongeant son
os. L'empereur, pour dédommager son
chien:
Tien, lu arras ce pain, Louvet,
Louvel , lien , lien.
PRI.MIKR CHEVALIER.
Le fol le va lollir au chien
Avant que point en ail gotislé;
C'eut f;i il; il li a lotit oslé,
Vucille ou ne veuille.
l'empf.rere.
Je voy de ecl homme merveille,
Et lieu qu'il est vray fol à plain;
Il a brisé en deux son pain
El s'en a au chien départi
La plus grand part.
« Il suit partout le chien. Il se couche avec
lui sous l'escalier: l'empereur lui fait poiter
un bon lit, mais il le repousse et se couche
dans la paille du chenil.
« Survient un messagerqui apprend à l'em-
pereur l'arrivée des païens. Ce prince fait
aussitôt crier Varrière-ban>
Aussi ben au clerc comme au lay.
« Dieu envoie alors l'ange Gabriel ordon-
ner à Robert de s'armer d'armes blanches
qu'il trouvera près d'une fontaine dans uu
pré et d'aller combattre les païens.
« Puis vient la représentation de la bataille.
Les guerriers s'excitent au combat. Le jar-
gon barbaredes païens divertissait sansdoula
beaucoup les spectateurs.
premier paie:».
Sabando! bahe fuzaille,
Draguilone, baragailer
Arabium malagnimm
Hernies zak)!
second païen.
Jupiter naquit Apolo
Perhegalis!
« C'est un fait curieux que ces traces du
polythéisme dans le langage que les auteurs
du moyen âge prêtent toujours aux maho-
métants. Cela venait de l'étude et de l'emploi
des anciens textes chrétiens où Ton n'aurait
pu trouver d'imprécations contre les maho-
métans qui alors n'existaient pas, mais où
l'on en trouvait beaucoup contre les païens.
En considérant comme tels les mahométans,
on avait contre eux une arme puissante sur
les esprits dans l'autorité des premiers doc-
teurs de l'Eglise.
« Les Romains remportent la victoire, après
laquelle l'empereur, devisant avec ses che-
valiers , remarque avec peine des blessures
au visage du fou, qui
A nid ne fait mal ne contraire;
Ains est un droit fol débonnaire.
« Il croit donc qu'on l'a maltraité ainsi
par un jeu cruel, et en témoigne son mécon-
len tentent. Puis on vient à parler du cheva-
lier inconnu qui a fait gagner la bataille et
cherche qui ce peut être. La fille de l'em-
pereur, qui est muette, montre le fou.
L'empereur demande à' la maîtresse ce que
sa fille veut dire : la maîtresse le lui expli-
que, mais l'empereur trouve celte exr iica-
lion si absurde qu'il s'écrie :
Diex vous envoit maie meschanec!
Esl-ce le sens dont l'cscolez?
En lieu d'enseigner, l'affolez.
SX3
ROC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
H03
884
« Puis il fait quelques réflexions satiri-
ques sur les femmes qui, dit-il ,
Sonl si limages,
Que vous verriez que les plus sages
Sonl les plus nices.
« 11 se met à table avec ses chevaliers.
Mais arrive encore un messager annonçant
le retour des païens. Nouveau combat, nou-
veaux exploits de Robert. L'empereur le
fait suivre par un chevalier, pour savoir
enfin qui il est. Le chevalier ne pouvant
obtenir de réponse de Robert, court sur lui
avec sa lance; Robert ne se défend pas et
reçoit un coup de lance dans la cuisse, où
la lance se casse. Il s'échappe et le chevalier,
tout affligé, vient raconter cela à l'empereur,
et pour parvenir à trouver ce chevalier
inconnu, il lui donne ce conseil :
Que qui à vous armé veura (viendra)
D'armes blanches s'apportera
Lo fer de ceste liante cy,
Mais que la plaie monstre aussy
Que du fer li a este faite,
Yostre fille gente et nonneste
A femme ara sanz contredire,
Et la moitié de vostre empire.
a L'empereur goûte ce conseil et fait aus-
sitôt faire la proclamation. Or le sénéchal,
qui était amoureux de la princesse, en en-
tendant cette proclamation, pense à se
faire passer pour l'invincible chevalier. 11
donne donc à son écuyer la commission
suivante :
Va l'en chez Jehan de Savoie
L'armurier, et dis qu'il m'envoie
Un parement à armer gent ,
Tout Manc, combien, qu'il coust d'argent;
Et tandis je me garni ray
De fer, et itel me feray
Coin' l'empercre a fait crier.
« Il se fait à la cuisse une blessure qui
lui cause beaucoup de douleur, puis il s'arme
de l'armure blanche que lui apporte son
écuyer et part.
« La scène suivante se passe au ciel. Dieu,
avec sa mère et deux anges, en descend pour
aller trouver l'ermite pénitencier de Rome,
et lui ordonne d'aller faire cesser la péni-
tence de Robert.
« Le sénéchal se présente ensuite à l'em-
pereur, lui débite sa fable et demande la
main de la princesse. L'empereur, fidèle a sa
parole, envoie aussitôt chercher le Pape pour
les unir. Le Pape reçoit l'envoyé de I em-
pereur et se rend auprès de lui. Les sergents
font ranger la foule.
Sus de cy , sus , allez arrière !
Que de ma masse ne vous fière.
« Un autre sergent leur fait la même me-
nace av?c un jeu do mot, par allusion à sa
masse d'argent :
Faites nous voyc cy devant...
Ou je vous donray de l'argent
Qu'en mon poing lien.
« Le Pape arrive chez l'empereur, et de-
mande au sénéchal s'il veut épouser la prin-
cesse.
Senescbal, diies, y avez
Bien le plaisir?
LE SE.NESCIUL.
Sire, je viens tant ne désir (e) *
Corn' la fillette.
LE PA.PC
Et vous savez qu'elle est muette...
LE SENESCIUL.
Sire ne me chant de ce point
Tout à un mol.
« C'est alors qu'a neu le miracle du dé-
nouement. La princesse recouvre la parole
pour démasquer l'imposture du sénéchal.
Le Pape demande quel est donc le chevalier
inconnu. La princesse raconte qu'elle l'a vu
s'armer deux fois dans le pré, à côté de la
fontaine, et ensuite tirer de sa blessure un
fer qu'elle a ramassé et qu'elle présente. Le
chevalier qui a blessé Robert rapproche co
fer du bâton de sa lance; il s'y rapporte par-
faitement. Le Pape demande où est cet
homme, et la princesse répond qu'on le trou-
vera avec le chien. Le Pape et l'empereur
vont donc chercher le prétendu fou. Le pre-
mier a beau lui dire :
De Romme sui P;>pe clamez;
Parlez à moy,
« Robert continue ses folies. Mais arrive
enhn l'ermite pénitencier qui lui annonce
son pardon. Alors Robert se jette à genoux,
et fait une action de grâces à Diem L'empe-
reur s'adresse h l'ermite :
Preudomme, tu qui scez ces fais,
Di, qui esl-il?
l'iiermite.
[I est haull baron et gentil ,
Très chier sire, soiez en fis;
Du dne de Normandie esl filz
Et son droil hoir (héritier.)
« Toujours repentant, Robert refuse res
hautes faveurs de l'empereur et veut >c faire
ermite; mais le pénitencier lui dit que Dieu
en a ordonné autrement, qu'il doit se ma-
rier, et que sa postérité sera la joie du para-
dis.
« Le prince normand obéit, et le Pape,
suivi de toute l'assemblée, les conduit au
palais, au son d'une chanson finale, en l'hon-
neur de la Vierge, qui, comme mère de
Dieu, a racheté l'homme du péché d'Adam.»
(P. 324-325)
ROCII (La vie de monsieur saint). — Lu
1493, à AbbevîHe, furent joués les jeux de la
Vie de monsieur saint Rock. (Cf. F.-C. Louan-
dres, Hist. (VÂbbevillc, Abbeviilo, 183V, in-
8°, p. 238.) Lo manuscrit ne semble ni Être
parvenu jusqu'à nous , ni avoir été im-
primé.
« A Réthune, en 1500, Jehan le Tardieu, Je-
han Rordel, Pierre le Maire, Guillaume Ra-
cheler, Colard Petit , Esticnne Héreng, et
aultres compaignons, en nombre de 30 à 3(5,
remonslroient sur le marché, par ysfôire, la
Vie monseigneur saint Rocq. » (De Lafon?,
baron de Mèlicocq, Extraits de chartes, dans
les Mélanges historiques, publiés pnrM.Cu.iu-
88:
SÀI
niCTIONNASKK DES MYSTEKES.
SAI
88(1
POLUON-FlGEAC, t. IV, |). 326; Coll. des do-
ruments inédits , relatifs à V Histoire de
France.)
KUTEBEUF.— « Rutebeuf est un des poètes
les plus remarquables du xiii' siècle. Pour-
tant il n'en est point peut-être sur lequel
J'histoire soit restée plus muette; nul de ses
contemporains, poètes ou chroniqueurs, ne
nous a transmis son nom. C'est à peine môme
si quelques érudits modernes ont essayé de
rompre la chaîne de cet injuste oubli; en-
core se sont-ils montrés presque tous inexacts
on trop sévères. » (A. Jubinal, Œuvres
compl. de Rutebeuf; Paris, 1839, in-8% 2
vol., t. I", préf., p. vi.) Fauchet, Lcgrand
<l'Aussy, Barbazan, Méon, Roquefort, Dau-
mon lui-même, ou méconnaissent le talent
de cet auteur, ou lui attribuent des dates,
des faits et des ouvrages qui lui sont étran-
gers. Rutebeuf, ou plutôt Rnlebuef, ou en-
core Rustebuef, Rustabucs, Rudebués, parle
la langue romane du centre, et naquit pro-
bablement à Paris, entre 1235 et 12W), de
gens de condition moyenne et malaisée. Sa
vie, sur laquelle on n'a d'autres renseigne-
ments que ceux donnés par lui-même, quoi-
que chargée d'ennuis et de misère, fut mê-
lée pourtant à celle des plus grands sei-
gneurs du temps; et, quoique poète, il ne
tut ni vielleur, ni faiseur de tours, ni mon-
treur d'ours, ni marchand d'herbes et d'or-
viétans, ni même voleur sur la chaussée du
Temple, comme la plupart de ses confrères.
On suppose qu'il mourut vers 1286. On a re-
marqué (pie cette rude intelligence, si émi-
nemment française, n'a rien écrit sur l'a-
mour, au contraire des fadaises do tous ses
contemporains et devanciers , et qu'il n'a
cité ni les Grecs ni les Romains.
Parmi les poésies de toute nature qu'il
écrivit, la Vie de sainte Elisabeth de Hongrie
lui fut ordonnée par Herart do Valeripour la
reine Isahelie de Navarre, et le Miracle de
Théophile, composé vers 1260, après divers
autres mystères à ce qu'il semble (A. Ju-
jwnal, t. Ier, ibid., p. n), eut un succès pro-
digieux-..- « Je fais plus signer de têtes que si
« je chantais Evangile, » dit-il de lui-même ;
« mes merveilles arrachent des signes de
« croix dans la ville, et on doit bien les
« conter aux veillées, car elles n'ont pas do
« rivales... » (A. Jubiinal, ibid., p. xvi.)
Une opinion sur Rutebeuf, qu'on no peut
passer sous silenco, a été émise par M. Oné-
sime Leroy, reproduisant dans ses Etudes
sur tes Mystères (Paris, 1837, in-8°, p. 33),
un article précédemment publié par lui-
même dans le journal le Temps.
« Rutebeuf, dit M. Leroy, semble s'êlro
peint lui-même dans Théophile. On voit que
ce n'est pas de nos jouis seulement qu'ont
existé des hommes dévorés du besoin d'une
vaine gloire et de jouissances matérielles ,
lesquels, pour se les procurer, se sont préci-
pités dans des voies infernales. Seulement,
au lieu du désespoir qui pousse aujourd'hui
dans l'abîme un infortuné, jadis la religion
le ramenait ordinairement. »
SACRIFICE D'ISAAC (Le).— Le Sacrifice
<l Isaac, par Feo Belcari, fut joué dans une
église de Florence, en 14H. (Cf. Libui, Cata-
logue de sa bibliothèque, p. 190.) Ce mystère
a été imprimé dans le Poésie del Feo Rclcari;
Florence, 1833, p, 3, sous ce titre : Larep-
presentazion « festa d'Abraam e d'isaac suo
figliuolo.
SAINTE HOSTIE (La;.— Il no subsiste
du Mistere de la Saincte Hostie qu'une édi-
tion du xv' siècle, imprimée en lettres gothi-
ques, de format petit in-8°.
Un exemplaire de cette édition ayant été
vendu parmi les livres do la bibliothèque du
duc de La Vallière, fut acquis par la biblio-
thèque de la ville d'Aix. En 1817, un impri-
meur érudit de cette ville, Augustin Pontier,
lit exécuter dans ses ateliers une réimpres-
sion fac-similé de l'original', qu'on tira à 02
exemplaires.
L'auteur de la Sainte Hostie est resté in-
connu.
Le litre porte seulement :
Le mistere de la Saincte Hostie nouvellement
imprimé. A Paris.
Au-dessous du titre , on lit ces quatre
vers :
Lise/, ce fait gratis et peiis,
Comment ung f.uilx et mauldii Juïfz
Lapida mouii cruellement
De l'Aulel le sainct sacrement.
L'ouvrage entier est écrit en vers français,
dont voici un spécimen :
LA FEMME DU IU1F.
Ilelas il seigne quel blasphcsme
lia par Mabom il est en vie.
la. fille, « ger.oulx.
Ilelas doulx père ie vous prye
Que vous ne le desperez pas.
le filz, en pleurant.
Ilelas il seigne helas helas :
Mon père pour Dieu cessez vous
Helas il est tant bel et doulx.
Baillez ca ie le gardera y.
le iuif, tout esbalnj.
Or paix ou ie vous baleray
Merdailles vous fanlt il parler
Paix tout quoy sans plus babiller
A ce coup ie vous frapperay
De ceste escourgee singlant
Tant que verray couler le sang
De vos flans et île vos coslez
Aussi bien que le temps passe
Fut onques Jésus croyez de vray.
LA FILLE.
Ifeîas mon doulx père ie voy
(•ou 1er le sang de lotîtes pars
Et pour Dieu ne le tuez pas
Yostrc fa< on si est trop licre.
m
SA!
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAI
88S
LE ILIF.
le m'en voys quérir la derrière
Mon granl cousteau que ce despece
La chair en feray mainte pièce
En preu i. n. m. mi. v. Il me semble
Par le grant Dieu qu'il se rassemble
Il est entier comme devant
le snys force ne maintenant
lenragc ie ne scay que dire.
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre français, ont donné une assez longue
analyse du mystère de la Sainte Hostie (Pa-
ris, 15 vol. in-12, 1735, t. II, p. 365-377). Us
fixent la dale de ce drame à l'an 1444, s'ap-
puyant sur deux mentions de représentations
du mystère celte même année. « Ce mys-
tère, disent-ils, est d'un genre singulier, et
o'est la raison pour laquelle nous nous som-
mes un peu étendus. »
De Beaucbamps (Recherches sur les théâ-
tres de France; Paris, 1735, in-8°, 3 vol.,
t. 1", p. 226), et la Bibliothèque du théâtre
français, ouvrage attribué au duc de La Val-
iière, (Dresde, 1768, in-8°, 3 vol., 1. 1", p. 13),
uni mentionné aussi ce mystère.
Négligé par les critiques modernes, il
nous a paru assez curieux pour mériter une
version complète en français, qui en mît la
lecture à la portée de tout le monde.
Il est basé sur un fait qui se passa à Paris,
en 1290, et dont parlent en ces termes dom
Fëlibién et dom Lobineau.
« Au commencement du pontifient de Si-
mon Maliphas, arriva dans la rue des Jardins
le miracle de l'Eucharistie, devenu depuis
si Gélèbre... »
[Ici le récit du miracle, d'après un monu-
ment contemporain, qu'a édité Labbe (Nov.
Biblioth., 10, 1, p. 663). Comme le drame ne
supprime ni n'ajoute rien, et suit exactement
la légende, nous supprimons la narration
des deux Bénédictins; toutefois, il est à re-
marquer qu'ils ne font nulle mention de la
mort de la Femme et que l'acte IV du mys-
tère semble tout à fait original. ]
« Tulle est l'histoire de la sainte hostie
que l'on conserve encore aujourd'hui dans
l'église de Saint-Jean en Grève, où elle est
portée en procession tous les ans, le jour de
l'Octave du Saint-Sacrement. Le miracle lit
bruit dans les pays étrangers, et Jean Vil -
lani, auteur du temps, le rapporte dans son
histoire de Florence. « Un Bourgeois de Paris,
nommé Bainier Flaming baslit au mesme
lieu où la chose estoit arrivée, une cliapelle
qui fut appelée la Chapelle des miracles,
en 1294. On la donna ensuite aux frères
hospitaliers de la Charité N. D. de Châlons-
sur-Marne, à la demande de Louis de Join-
ville, pour y fonder un monastère... »
« Les religieux qui « pot toient aussi le
nom des Billettes qui estoit peut-eslre celui
de la maison du Juif.» vendirent, le 24- juil-
let 1631 leur établissement aux Carmes. Les
Bénédictins ajoutent :
« Ils (les Carmes) ont conservé la fête so-
lennelle de la Quasimodo establie par leurs
prédécesseurs en mémoire du miracle de Ja
mainte hostie, et montrent encore !e canif
dont le Juif s'estoit servi pour son crime,
avec le vase de bois dans lequel i'hostie fut
portée au curé de Saint-Jean... » Histoire de
la ville de Paris; Paris, in-fol., 5 vol., 1725,
t. IX, § 64, t. !•% p. 458-460.
Acte ï".
SCÈNE I".
LA FEMME, Seule.
la femme commence. Mon Dieu ! je ne sais que de-
venir, que faire? La fortune m'est toujours enne-
mie. Hélas! je n'ai plus rien, sauf ma robe, à ven-i
dre. Jamais je n'en aurai d'autre. C'est à mourir de
désespoir. Plus rien, ni sou ni maille, rien à boire,
rien à manger. De quel cô:é tourner? Allons, sans
balancer davantage, droit à la rue des Jardins, trou-
ver un de ces maudits et pervers juifs, un de ces in-;
famés usuriers, aussi gros de péchés que d'écus.
J'emprunterai quelque argent pour vivre, car je n'o^
serais jamais mendier mon pain. Je ne suis pas d'as-
sez viie naissance. J'étais bonne marchande, et
joyeuse et jolie, à l'aise, ne manquant de rien jusque-là.
Mais j'ai si mal mené mes affaires que je suis lom-.
bée du plus au moins. Enfin j'y suis! Plus rien...
Nécessité fait loi ; allons-y donc : c'est ce que jYi
de mieux à faire.
SCÈNE IL
LA FEMME, LE JUIF.
le juif. Par le grand Dieu! il ne vient personne.
J'ai vu le temps où l'on venait de loin pour emprun-
ta mon argent. Je prêtais à tout venant, sur bon
gage, à bonne usure. C'est ma manière d'opérer,
c'est ma vie, c'est mon travail. Mais aujourd'hui ne
vieiulra-l-il donc personne pour emprunter?
la femme. Vraiment je suis toute troublée, allons
pourtant, et vite; il me faut engager ma robe et em--
prunler au Juif pour me tirer d'embarras et sortir
de celte misère. (Au Juif.) Jacob, je t'apporte ma
robe, prête-moi trente sous que je te rendrai sous
peu.
le juif. Avec plaisir, mais lu paieras l'escompte.
Voilà trente sons, compte-les. Voyons pourtant ta
robe. (// la regarde).
la femme. Le compte y est bel et bien. Merci.
Votre servante, à une autre fois.
le juif. Entre nous, je le dirai un petit mol : lou-
les les fois que tu. seras gênée, viens me trouver,
apporte-moi des vases de cuivre ou de l'argenterie
ou des objets d'or, du linge, des étoffes ou du bon
drap, et lu seras la bienvenue. Sois tranquille , n'aie
pas de craintes, quant! il y aura de l'argent à gagner,
ma porte te sera toujours ouverte.
la femme. Bien, bien. Jacob, c'est dit. Je revien-
drai certainement. A une autre fois. Adieu.
le juif. Adieu, in'amie.
SCÈNE III.
LA FEMME, SClllc.
la femme. Adieu. Qu'on te rompe le cou! sois tu
pendu! Enfin j'ai l'argent, et puisse-l-il faire bon
usage? Quand le moment de payer sera venu, ait
ma robe qui voudra. Usera mort d'ici-là, ou bien moi.
Je le paierai peut-être. Si je pouvais le tromper,
l'attraper. Au pis aller, je perdrai ma robe. Je met-
trai peut-être d'ici là la main sur une autre; il ne
faut qu'une occasion. El je trouverai bien moyen d\ n
avoir une autre. 11 m'en tombera une de quelque
pari.
SCÈNE IV.
LE JUIF, Si FEMME.
if. juif. Femme, fermez celte robe; j'y ai misuuq
889
SA1
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAI
830
carie. Ayez-en Lien soin, s'il vous plaît, car je ne
crois pas qu'elle sorte de nos mains.
la femme du juif. C'est aussi mon avis, Jacob. Li
robe csl bonne el vaut plus de trente sous. Voila,
certes, une brave femme.
SCÈNE V.
LE JUIF, LA FEMME, LA FEMME DU JUIF.
la femme, (A pari.) Je suis bien avancée. Nous voici
à Pâques, et je ne pourrai pas faire de toilette. Si je
reste si mal velue , on me regardera avec mépris,
on me tournera en ridicule, mais comment, com-
ment ?
le juif. (Aussi à pari.) Le commerce ne va guère.
Voici li Pàque des Chrétiens, et personne ne se
presse de venir m'emprmitcr ou m'appot ter de Par»
gent. Je n'ai pas de chance.
la FEMME. (A pari.) Mon Die»! ai-jede l'ennui ! II
y a de quoi se désespérer. J'ai emprunté à ce misé-
rable juif Irenie sous il y a quelque temps sur la
meilleure de mes robes. Il faut absolument que je
so s parée aujourd'hui, aussi bien que mes voisines,
mes cousines, ma famille, et je n'ai pas une robe à
mettre. Ma foi, c'est à maudire le jour de ma nais-
sance. Quelle vie! Un tel jour, sortir sans un sou,
sans ma robe, sans toilette! J'en crevé de dépit, rien
qu'à y songer. Mais, enfin, si j'essayais d'aller au-
près du Jnif. Je lui parlerai sérieusement, je le prie-
rai de me prêter ma robe jusqu'à demain malin de
bonne heure; je lui ferai serment de la lui rappor-
ter. Il f.ml voir s'il consentirait; peiil-èlrc. (Au juif.)
Que le Seigneur tout-puissant sur les hommes,
vous donne bonheur et profil, ainsi qu'à voire fa-
mille.
le juif. Dieu vous garde! Que demandez-vous?
Voulez-vous emprunter de l'argent?
la femme. Ilelas! non, sire. Au contraire, je ve-
nais vous prier, pour l'amour de Dieu, el par respect
pour ce saint jour de Pâques, où je dois commu-
nier, de me prêter ma robe. Vous l'aurez de nou-
veau dès demain ; sur mon honneur cl sur mon bap-
lè ne, je vous la rapporterai , cl je vous serai à ja-
mais reconnaissante. Je dirai du bien de vous à lout
le monde, étranger ou connaissance.
lejlif. Par Mahomet! vous ne l'aurez qu'après
m'a\or donné trente sous. Et vraiment, pourquoi
vous la donnerais-je, Madame? Je n'ai rencontre de
ma vie une femme si singulière que vous et si har-
die. Non-seulement vous n'aurez pas votre robe,
mais il eu tournera mal, si vous ne me donnez de
l'argent.
la f ti..WE. Impossible, je vous le jure. Au nom du
Dieu qui nous a remis nos péchés en soullranl pour
nous, je n'ai rien, jj i b'é, ni vin, ni rente. Je n'ai
plus que ce que je porte sur moi. Aussi, au nom de
Dieu e.i qui j'ai loute foi, pivlez-moi ma robe.
le ju:f. (.'est absurde. I! n'y a pas à en parler. Et
pouiianl, si lu veux faire quelque chose que je vais
le demander, pourvu (pie lu agisses loyalement et
tiennes la promesse, je le rendrai la ro je sans récla-
mer llll sou.
la femme. Parle, lu obtiendras tout, si je puis.
le juif. C'est chose possible pour loi, aujourd'hui
même, avant qu'il soii midi; je le sais. Il ne faut
qu'un peu d'adresse ci surtout de la h yaulé,
la FEMME. C'c>l promit». Il n'y a rien de si difficile
que je ne lisse pour loi, el pour ma robe.
il juif. Approche un peu. Ne m'as- lu pas dit
qu'aujourd'hui même lu devais communier. I il bit»,
je saurai si les Chrétiens ont un Dieu supérieur à
celui de ma loi. Si tu veux donc m'apporter l'hos-
tie entière, lu auras la robe graiis. Réfléchis. Le
peux-iu?Le vcux-lurCe s. ni trente sous à gagner
aisément.
la femme C'esl terrible! vendre mon Dieu ! Re-
commencer Judas ! Quelle abomination ! je serais
damnée L'.Vicr jour un peu d'argent l'hostie sacro-
sainte, qui est le corps môme de Jésus* Christ. Quelle
horreur!
le juif. Tu n'ignores pas que nous sommes au
bout du prêt, el si lu refuses, crois bien que je vais
vendre de suite la robe sans attendre un seul jour,
un seul instant.
la femme du juif. Tu es bien bêle de t'entèler
ainsi pour une religion si perverse el si peu iinpor-
lanle. Reçois l'hostie dans la bouche, n'y touche
point de la langue, mets-la vile dans la main el dans
la poche; reviens vile. Qui en saura quelque chose.
Au moins lu seras parée, sans avoir rien payé.
N'est ce pas une bonne affaire dans la détresse?
le juif. Si tu ne le fais pas, Ion babil sera vendu
à l'instant; au contraire, jj vais te le rendre, si lu
veux : choisis.
la femme. Je te le promets. Attendez-moi, je vais
revenir et le rapporter l'hostie, avant midi.
le juif. Va, je L'attends. Resle le moins longtemps
possible. (.4 part.) Si elle m'apporte l'hostie, celle-
ci en verra de dures; je veux que le diable m'em-
porte, si je ne lui donne à souffrir.
SCÈNE VI.
LE JUIF, SA FEMME.
la femme du juif. Par Mahomet, je suis conlentel
Au moins, celte fois, je verrai celte grande affaire
des Chrétiens dont ils font tant de bruit.
le juif. Si je liens ce Dieu des Chrétiens dans ma
maison, je le réponds qu'il n'en sortira pas, dès qu'il
y sera entré, sans avoir subi auparavant un rude
assaut.
SCÈNE VII.
LA FEMME, UN PRETRE, UN CLERC, BOURGEOIS.
la femme. Allons, du courage, il me faut accom-
plir ce que j'ai promis à ce misérable Juif, autrement
je suis perdue, je resle sans parure en ce jour do
Pâques. Voici l'église Saiul-Merry. Je vais y rece-
voir mon Dieu et je parferai l'œuvre à laquelle je
me suis librement engagée. (A un prêtre.) Mon cher
seigneur, s'il vous plaît, donnez-moi la communion,
puisque vous avez le lenips. J'éiais hier « au divin
plaisir > je me confessai le matin à vous-même, et
je me suis, de tout mon coeur, réconciliée dans la
maiinée. Je vous prie < que me déliurez preste-
ment. »
le prêtre revêtu. Donne dame, à l'instant, s'il
plaît à Dieu. Meilez-vons à genoux el dites voire
Lotifueor. (Aux clercs.) Clercs, allez à la sacristie et
allumez quelques cierges.
le clerc. < Liber, ça lost venez auanl, » vous
aiderez à donner la communion à une femme qui
la demande incontinent.
le premier bourgeois. Mes amis, allons au cloilrc
en l'honneur de la Vierge honorée, car nous ne sau-
rions jamais faire une meilleure action.
le second bourgeois. La communion csl instituée
pour le bonheur du monde entier : c'esl le corps
même du Seigneur vivant qui voulut mourir pour
nous.
la femme; elle fait semblant d'avaler. (Aux bour-
geois.) Beaux seigneurs, Dieu vous rende l'honneur
que vous me files. J'ai communié en bonne compa-»
griie. La Trinité en soit louée!
le premier bourgeois. Dieu vous donne la paix c|
la santé; je vous recommande à Dieu, ma sœur.
SCENE VIII.
LA FEMME, LE JUIF, S.V FEMME, SA FILLE, SON
FILS.
la femme. (A pari.) Je suis toute joyeuse, je puis
m'en vanter, je suis venue à bout de ma lâche, (.lu
Juif.) Tiens, regarde, le voici « le Saulueui de l'hu-
main lienaige. » Je l'ai conquis un esclave a>v ?
891
SU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAI
502
beau pour que lu me remercies. 11 y en a bien qui
auraie.il donné mille ftancs pour 1 obtenir. Certai-
nement, on ne peul pas mieux réussir.
le juif, à sa femme. Tiens, mets-le en lieu sûr,
et apporte la robe. Nous verrons plus lard ce qu'il
y a à en faire.
la fille du juif. Ab ! maman, comme il esl blanc
et tondre, laissez-le-moi un peu tenir.
le fils du juif. Non, à moi. ParMabomel! que
c'est joli! il esl blanc comme un agneau. Ah! mon-
tri'z-le moi, maman.
la femme du juif, cherchant la robe de la femme.
Taisez-vous, taisez-vous donc. Si votre père vous en-
tendait vous seriez battus. Laissez cela; McUez-le
ici. Voire père se fâcherait contre moi.
la fille. Eh ! vraiment, il n'y a rien au momie de
si beau à voir. Ah! ma sœur, quelle belle chose!
i.a femme du juif. Voici la robe et la pelisse, ainsi
que les marquent leurs caries. Tenez, faites-en ce que
vous voudrez.
le juif. M'amie, pour bien peu de chose, je vons
fais une grande concession. Cachez cela, allez-vous-
en sans bruit, et prenez garde d'èlre vue par vos voi-
sines.
la femme. N'ayez crainte, qui saurait ce qui s'est
pissé entre nous. Je vous salue, bonhomme. Adieu.
Au revoir.
le juif. Adieu...
SCÈNE IX.
LE JUIF, SA FEMME, SA FILLE, SON FILS, L'iIOS-
TIE SANGLANTE, LE CRUCIFIX.
le juif. Nous allons savoir si ce Dieu, objet de la
croyance des Chrétiens, et au nom de qui ils nous
méprisent tant, a vertu, force ou puissance. Rangez-
vous autour de ce coffre, el voyez la sollise de ces
Chrétiens qui croient dans ce pain, qui disent qu'il y
a là sang el vie, el que c'est Dieu même.
la femme De juif. C'est vrai, c'est là ce qu'ils pré-
lendent. Sur quoi se fondent-ils? Il est impossible
d'en savoir plus long que nous n'allons en connaî-
tre à l'instant.
le juif. Et vraiment, oui. Aussi je vais essayer de
ce petit couteau. (A Noire-Seigneur Jésus-Christ, re-
présenté sur Vhoslie.) Au mépris de votre puissance
comme Créateur, et des dires d'ici-bas suivant les-
quels vous auiiez pris chair dans le sein d'une Vierge,
tenez. (Il frappe rhoslie du couteau.)
la femme du juif. Ab! ah! Il saigne... Quel sacri-
lège! Ah! par Mahomet! il est en vie!
la fii. le, à genoux. Ah! bon papa, je vous en prie,
ne le frappez pas.
lb fils, en pleurant. Hélas! il saigne! Hélas! hé-
las!!! Mon père, pour Dieu! arrêtez! Ah! Il esl si
beau, si doux. Donnez-le-moi, je le garderai.
le juif, très-élonné. Silence, ou je vous bals. Im-
béciles ! Qu'avez-voua à crier ? Silence, ou sinon,
sans plus d'avis, je frappe, el durement, de ce bàlon,
jusqu'à ce que le sang coule de vos lianes. En atten-
dant, le temps passe. Comme s'il y avait jamais eu
un J/é.sus. Vous croyez cela, peut-èlre?
la fille. Ah! mon bon papa, je vois couler le
sang «le tous côtés. Pour Dieu! ne le tuez pas. Vous
êtes trop hardi.
le juif. Je vais chercher là derrière mon grand
couteau à couper la viande. J'en veux faire maint
morceau. Un, deux, trois, quatre, cinq. Par le grand
Dii'ii ! il me semble qu'il se réunit à chaque coup. Il
est entier comme devant. Je me sens furieux comme
mie bêle fauve. J'enrage. Je ne sais que dire. Mais
lu souffriras pis encore, si c'est possible.
la femme du juif. Eh ! Monseigneur, que vous
dire ? Mais pour l'amour de Dieu, laissez-là celte
hostie me veilleuse. Je suis épouvantée de ce sang
nui en est sorti : je n'en pourrai voir davantage. Ah !
rvjyr Dieu ! cessez.
le juif. Pourquoi vous mêlez-vo:is de mes pa-
roles ou de mus actions ?.. Je veux le mer. (A V 'hostie.)
Par le grand Dieu, maître, je n'ai pas oublié les
temps passés ni vos erreurs perverses. Vous avez
é;é crucifié à cause d'elles, vous le serez encore,
malgré tout, malgré Dieu, votre appui et voire père,
comme disent les Chrétiens.
(// prend l'hostie, et la cloue à une colonne, le sang
coule à terre.)
la femme du juif. 0 désespoir qui m'accable !
mon ami, quelle horreur ! quel spectacle! Pour
l'amour de moi, cessez, mon ami, je vous en sup-
plie.
le juif. Tu es folle, je pense. Je veux aller jus-
qu'au bout, je veux le brûler sur mon feu, el j'en
jure sur ta têle.
(Il jette au feu Vhoslie qui ny resle pas.)
la fille. Don papa, elle ne veut pas y rester;
pour Dieu, cessez, calmez votre colère. Je vous en
prie à mains jointes.
le juif. Ces femmes ne me laisseront pas de re-
pos, Dieu les confonde ! (// prend sa lance el pique
l'hostie sur le brasier.) En serai-je bientôt débarrassé?
Mais, malgré Dieu, malgré les cris de ces peureuses,
je frapperai ce Dieu des Chrétiens de ma lance.
(// prend ensuite un couteau de cuisine et hache l'hos-
tie au travers de sa maison.)
le fils du juif, pleurant. Ah ! la, la, bon papa,
arrêtez donc. Voulez-vous tuer ce bel enfant? Voyez
comme le sang coule. On ne vit jamais chose plus
pitoyable.
le juif. Silence ici, car, si je me fâche, les diables
emporteront tout. Ne ferai-je point ma volonté de ce
mécréant que j'ai acheté? (A riiostie.) Dieu ou non
vous allez être bouilli dans celte chaudière, j'en jure
par Dieu el sa loi.
la femme du juif. Hélas ! mon seigneur, restez
tranquille. Vous èlez bien pervers et bien cruel de
ne pas être ému d'un miracle si glorieux. C'est de la
furie, de la haine, du venin, de ne point voir Dieu
même, grand et lion, dans celle hoslie ruisselante
de sang. Vous devenez un monstre, un fou, un in-
fâme, un indigne persécuteur. Mon doux ami, apai-
sez-vous. Mettez- vous à gonoux, adorez Jésus,
priez-le, demandez-lui grâce pour voire crime.
le juif. Là, là, je vous prie, débattez-vous moins.
Jamais il ne sortira de mes mains que bouilli, brûlé,
mis en mille morceaux pour le vrai Dieu. Mes aïeux
l'onl combattu il y a des siècles. Taisez-vous. Nous
verrons bientôt s'il demeurera vivant ou non.
la fille. Hélas, hélas. Quelle abomination ! Dans
l'eau sanglante, je vois le noble et digne corps de
Dieu se jouer comme un enfant. Très-Haut puissant
et glorieux, faites témoignage de votre puissance,
arrêtez la fureur el la malice de mon père.
le juif. Hors, hors d'ici, sauvez-vous, ou vous
sentiriez les effets de moi colère. Par nia loi!
quelles imbéciles !
(On voit apparaître un crucifix dans la chaudière le
long de la cheminée.)
la femme. Doux Seigneur, quelle lutte. Roi glo-
rieux, Seigneur, vrai Dieu, voilà ton cher fils sous
la ligure d'un crucilix. Doux Seigneur, doux, grâce!
Vraie hostie du sacrifice, je le prie de lont mou
cœur avec une profonde piété.
le juif. Eh quoi, faut-il céder la place? Comment
rester ici ? Je ne puis tenir les yeux levés sur ce
Dieu. Démons d'enfer! qu'ai-je fait? Je reconnais
mon crime affreux. Je suis au désespoir de ma furie
sanglante.
L* fille. 0 précieuse image, injustement itèj-a
rondamiée à la mort, devais-iu souffrir une seconde
f lis ici la cruelle passion, objet d'un si indicible
désespoir. Oh ! ilaigttc pardonner ù ma mèr.\ à mat*
80
vo
SAl
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAl
8b &
frère et à moi qui la confessons, ci le reconnais-
sons pour le Sauveur du monde.
le fii.s. 0 crucifix divin et pur, je le demande
grâce. Je quille ces lieux que la Grandeur aliliorrc.
Maudit soil celui qui m'engendra et maudite la
femme qui t'a apporté ici pour y souffrir de tels
maux.
la femme nu juif. Je ne veux plus resier ici;
viens, nia fille; allons chez quelque parent chercher
un asile.
i a fille. Oui, ma mère, car avant la fin de ce
jour, mon père aura subi la punition de son forfait.
(La femme et les enfants s'en vont. Le Juif reste sur
■ son lit, dans le désespu r.)
la femme du juif. Ali ! ce n'est que Irop sûr, je
m'y attends. Aussi veux-je èlre loin de celle maison.
Ton père seul doit être puni de ses méfaits.
SCÈNE X.
Martine, servante, deux enfants de paris,
LE FILS DU JUIF.
(On voit un oratoire de Sainte-Croix et l'on entend la
cloche sonner /'a dieu leuer. )
maktinr, vieille femme reconnaissable à son costume.
Benedicile Dominus. Ah ! la grand'nnsse. Que va
('ir--, Madame ? La laide n'est pas dressée. Tant pis,
j'irai à l'église, car les offices passent avant tout,
puis je reviendrai vite à l'hôtel.
un enfant de paris. Vile, vile, Robinet. La clo-
che sonne à Sainte-Croix, Je veux aller à la inesse.
le second gamin. Attends-moi, Miclielel; je ne
veux pas y manquer non plus.
le fils du juif, les rencontrant. Enfants, où cou-
rez-vous si lestement? qu'allez-vous faire ?
le premier gamin. Nous allons voir ce Roi de
houle qui souffrit la mort pour nous et ressuscita
aujourd'hui même, pour le salut des hommes.
le fils du juif. Par ma loi, ne courez pas de ce
côlé, car il n'est pas au couvent (de Sainte-Croix).
le second gamin. Allons, marche, ne vois-tu pas
qu'on se moque.
Martine. L'nfanls, que vous a dit ce Juif? que
vous veut- il ?
le premier. Ce qu'il veut? Le sait-il lui-même?
Il nous a demandé où nous allions, et lorsque nous
avons eu fait réponse : auprès de Dieu, il nous a
dit que Jésus, noire Sauveur, n'était point au cou-
vent.
martine. Il veut rire. J'ai envie de lui donner un
coup i'e poing sur son chapeau.
le fils du juif. Mais oui, il est chez nous et non
pas au couvent. Aussi vrai que vous l'honorez, mon
père l'a percé d'un coup de couieau, crucifié, le
sang coulait; il a voulu le brûler, il l'a piqué de sa
lance, mis au feu, et enfin dans notre chaudière où
il csi devenu brillant comme un vil rail et s'est chan-
gé en un crucifix. Allez voir, si vous ne me croyez
pas; sur ma loi, c'est vrai. El c'est pourquoi j'ai dit
qu'il ne pouvait èlre dans voire couvent.
hartine. Mes durs enfants, restez ici auprès du
Juif. Je vais voir ce qu'il y a de vrai en tout ceci.
El par Dieu, à mon retour, je vous donnerai quel-
que chose. Mais ne dites rien à personne.
u second enfant. Revenez vile, nous allons vous
ai tendre. L'ami, joue avec nous. Voici des œufs.
Veux-Iu < bouler, i
i e fils du juif. Oui si vous voulez m'en donner,
car, pour le moment, je n'en ai pas.
le premier enkant. Eli bien, lu cil auras à l'ins-
tant « Boulons an long du cumetiète, i
martine. Bonne vierge, ma gardienne, mon cœur
est serré comme s'il portail une grosse ch:.iue .ic
fer. Je n'entendis jamais un récit qui me fil plus
d'horreur que celui de ce Juif. Dieu ! je vais prendre
ce plateau, propre et luisant, et -.ais fane semblant
d'être une servante qui va chercher du feu. Peut-
être saurai-je quelque chose devrai.
SCÈNE XI.
MARTINE, LE JUIF.
(Pause.)
martine (reprenant). Rose précieuse et sainte,
mère de mon Dieu immortel, quels lieux sanglants,
quelle scène funeste, quel spectacle affreux ! Dieu de
gloire! Roi de gloire! armé de voire signe de croix,
j'ose avancer (Elle se signe, prend du feu et l'hostie
saute sur le plateau.) Glorieux père spirituel, est-ce
vous dans celle extrémité ? Ah ! Dieu soil héni ! Les
désirs de mon cœur sont satisfaits, et je vais a l'é-
glise porter ton corps très-précieux, si sacré, si
plen d'une gloire ineffable. Loué soil le nom du Très-
Haut! Il l'a plu de l'humilier, de l'abaisser jusqu'à
ma main. Béni soit ce jour!
le juif. Haro ! haro ! quelle destinée ! Grand Dieu !
je suis perdu, perdu. Misérable, maladroit, impuis-
sant en mes volontés conlre ce Dieu, contre ce fils
de Marie que j'ai tourmenté... Mais il s'agit de la vie
pour moi, si l'on s'en doute. Aussi vidons promple-
menl l'eau de ma chaudière... Qu'est-ce? celte eau
est blanche, rouge, noire, ma maison est verte
comme un fruit... Il y a de quoi devenir fou... Je
vais jeter l'eau dans un lieu secret, afin que le jour,
le lieu, tout soit ignoré.
SCÈNE XII.
MARTINE, LES ENFANTS DE PARIS, LE FILS DU .
JUIF.
martine. Souverain Dieu de ma naissance ! Toute
créature raisonnable est soumise à mon Dieu, à ce
très-doux Seigneur, et ce Très-Haut descendu sur
moi ! Tu es venu, avec une suprême bonté, sur une
grande pécheresse, en état de grâce il est vrai, mais
bien indigne de te porter. Mais me voici au couvent,
josuis à bout de mes forces, il me semble que je
suis entourée de liens, j'ai un nuage sur les yeux,
que peut-ce être? Hélas! n'y a t-il pas un prêtre par
ici qui puisse venir me parler. Je veux tout raconter,
ne pouvant plus garder Un si grand secret.
le fils du juif. N'avais-je pas dit vrai ? avez-
vous trouvé voire Dieu ? H est certainement bien
mouillé et coupé en bien des morceaux.
LE PREMIER ENFANT DE PARIS. VenCZ-VOIIS, IllèrO
Jumeaulx, nous vous avons bien entendue. Avez-vous
trouvé le roi Jésus, comme le disait ce sol Juif ?
martine. Ma foi il ne ineniaii-pas, et je vous prie,
allez chercher le prêtre pour qu'il reçoive à genoux
mon trésor.
SCÈNE XIH.
MARTINE, LE FILS DU JUIF, LE CURE DE SAINT-
JEAN , UN PRÊTRE, PLUSIEURS ROLRGKOIS.
LE CURÉ DE SAINT-JEAN. Qu'y 3-l-il ?
martine. Seigneur, regardez. C'est Dieu même
qu'à l'instant je viens de trouver dans la maison
(l'un misérable Juif. On l'avait mis sur le feu, dan-;
une chaudière. En pénétrant dans ce logis, je fus si
glacée de crainte que, sans le signe de la croix, je
n'aurais pu faire un pas de plus... Mais j'avais l'in-
tention de pisser outre cette église cl de garder
pour moi mou Dieu... Les anges m'ont arrêtée, je les
sens encore autour de moi. Aussi, seigneur, je vous
remets, je vous livre celle bosiie. Ariélez le Juif, lui
seul peut dire ce qui b'esl passé.
ir. CURÉ, à genoux, ainsi que tous les assistants, et
prenant l'hostie. Très-glorieux , très-doux Jésus ,
soyez le hein venu dans votre église. Voici un très-
noble miracle. Seigneurs bourgeois, allez avec ni
enfant, et diles au prévôt de se rendre en toute ha^e
nie des Jardins, n<ju,r arrêter l'hoi ril.de scélérat qui
sy*
SA!
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAI
8G6
a tenté un crime si odieux contre no're souverain
créa leur.
le premier bourgeois. C'est juslc, j'y vais. (A un
nuire bourgeois.) Vous, allez auprès de l'évêque,
pour ((ue, sans autre relard, il vienne avec tons ses
clercs : il faut que ce Juif soit puni à l'instant même.
le fils du juif. Mon père doit dormir, chez
lions, sur son lil el vous allez tout surprendre, tel
que c'était, dans la maison.
le curé de saint-Jean. Je vais mettre sur l'autel ce
saint sacrement béni. Il faut que ce faii éclatant soil
connu.
un autre prêtre. Ce sera bien vu, el fera-l-on
bien de sonner. Chantons tous un Te Deum lauda-
mus.
ILrte II.
SCÈNE I".
LE PREMIER BOURGEOIS, LE PRÉVÔT, LE PRE-
MIER SERGENT.
le premier rourgeois. Monseigneur , au nom de
Jésus el de la Vierge Marte! si ma voix tremble, ne
vous étonnez pas. Il faut que vous vous hâtiez
avec vos sergents. Il y a plus de mille ans qu'il n'ar-
riva pareille chose à Paris ooinnie en ce jour : c'est
ce (pie tout tout le monde dit.
le prévôt. Quoi donc?
le bourgeois. Un misérable , qui demenre dans la
rue des Jardins , a tant frappé, torturé une sainte
hostie-, que le sang coule dans toute la maison. Une
1)0) ne el digne femme a rapporté l'hostie à Saint-
Jean, si émue, si troublée, que Dieu seul sait ce
qui s'esl passé. Sire, au nom de Dieu , allez vite
arrêter le Juif. Il est sur son lit. C'est ce que dit son
fils qui a tout révélé.
le prévôt. Eh! sergents, apprêtez-vous! Il y a
miracle évident. Courons prendre ce scélérat Itéré-
lique. On lui fera son affaire , ou que je sois à jamais
debout!
le premier sergent au nom de ses camarades. Mon-
seigiicur, nous ne manquerons pas à notre devoir ,
nous qui, à loules heures, sommes à vos comman-
dements.
SCÈNE II.
LE SECOND BOURGEOIS, L'ÉVÊQUE.
le second bourgeois parlant à l'évêque de Paris.
Souverain et révérend Père, il faut sans retard el
absolument venir à Saint-Jean pour être témoin d'un
miracle sans pareil : une sainte hostie a été lour-
inei'iée par un misérable Juif, selon la volonté du
Très-Haut. Enfin une femme l'a emportée pour son
propre bonheur, et suivant son devoir. Mais vous
saurez tout en venant de suite. Amenez du couvent
des clercs t mendiants ou possesseurs. > car vous
n'arriverez qu'après le prévôt qui , déjà averti , a dû
s'emparer du Juif et commencer l'enquête.
l'évêque. t Celuy qui vil en union » soil loué
pour ce jour! nous allons assembler nos clercs. V« us,
allez au-devant du prévôt pour qu'il nous attende.
le second bourgeois. Oui, monseigneur, Dieu vous
garde!
SCÈNE III.
l'évêque, l'official.
l'évêque. Officiai , réfléchissez qu'il nous faut de
6iiile des clercs sages, rusés, prudents cl expérimen-
tés pour ce procès. II faut qu'il soil habilement con-
duit el reste comme modèle.
l'official. Monseigneur, soyez sans crainte, nous
sommes pourvus au mieux; il n'y a qu'à faire dili-
gence au i.om de Jésus.
l'évêque. S'il en est ainsi, cl je veux le croire ,
ce sera loi l'ait : le Juif sera brûlé, ou que jamais je
ne goûte de pain
SCÈNE IV.
LE PRÉVÔT, Le SERGENT, LE PREMIER ET L3
SECOND BOURGEOIS, LE CURÉ DE SAINT-
JEAN, LE JUIF, SA FEMME ET SON FILS.
(Le prévôt, le bourgeois et le sergent se rendent en-
semble à Saint-Jean de Grève.
le prévôt. Allons, vite, mieux vaut aujourd'hui
que demain. Prenez cet imbécile de petit Juif et
qu'il nous mène à la maison de son coquin de père.
(En entrant an couvent.) C'est vrai, voici l'hostie.
le second bourgeois. Conservez-la avec bien du
respect, car l'évêque approche.
le curé de saint jean. Holà, sonnez à sa glorieuse
arrivée; lotit est connu, ce sera bientôt fait.
le fils. Voici la maison de mon père , la maison
du crime, Monseigneur.
le prévôt. Entrez, prenez femmes, enfants, avec
ce scélérat Juif. (Dans la maison.) Voici les instru-
ments de torture, saisissez-les.
le premier sergent. Je ne bougerai d'ici que tout
ne soit dehors.
le juif. Qu'y a-t-il? seigneurs, qu'y a-l-il ? que
demandez-vous?
le prévôt. Ah! scélérat, tu étais donc là?
la femme du juif. Qu'y a-l il? Messieurs, qu'y a-
t-il?
le premier sergent. Vous le saurez. Est-ce vous
qui avez commis ce crime?
le premier bourgeois. Ah! Dieu, combien de dou-
leurs a m ères a subies l'hostie divine en ces lieux!
Voyez celle eau sanglante qui bouillait sous leurs
yeux.
le second bourgeois. Prenez garde au prisonnier.
Voici une grande demi-lance dont le manche est
couvert de sang. C'est avec cela qu'ils ont frappé.
le second enfant de paris. 11 faut recueillir celte
eau si précieuse.
le juif. Vraiment, c'est incroyable, que deman-
dez-vous, mes beaux seigneurs? vous me dévalisez,
qui ma chaudière, qui mon trépied. Pourquoi ce
pillage? ai-je tué, ai-je blessé quelqu'un ?
LA FEMME DU JUIF. HcluS ! Olli.
la fille. Helas! oui.
le fils. Tout est connu, il n'y a plus de res-
source.
le prévôt. Enchaînez le prisonnier , el marchons
vite. Nous trouverons Monseigneur l'évêque à l'hô-
tel de ville.
le premier rourgeois. Avec la grâce de Dieu el de
saint Cille, je veux emporter ce couteau taché du san^
précieux qui jaillissait de l'hostie.
le second bourgeois. El moi j'aurai au moins celle
chaudière pour relique, car le miracle esl certain.
SCÈNE V.
L'ÉVÊQUE, LE CURÉ DE SAINT-JEAN, LE PRÉ-
VÔT, LE JUIF, SA FEMME, SA FILLE, SON
FILS, MARTINE, CLERCS, BOURGEOIS, PEU-
PLE.
le prévôt. Père en Dieu, Révérend et très-cher
Seigneur, el vous tous, sages clercs, cl tous vous aussi
laïques, je vous amène le scélérat Juif, coupable du
plus horrible forfait que jaimis Paris ail vu. J'ai fait
mon enquête, sa femme, son fils en témoignent.
Ces bourgeois honorables, dont la parole ne saurait
être l'objet d'un doute, confirmeront de leurs dépo-.
silions ces accusations irrésistibles. Enfin, j'ai à pro-
duire devant vous celle femme pieuse el héroïque
qui a reçu sur un plateau l'hostie sacrée au milieu
de son martyre. Tels sont les éléments de ce procès;
il vous reste à découvrir la vérité; quant à moi, ma
conviction esl foi niée et mon indignation es! piclc à.
s'appesantir sur cet hû'mmii
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l'évêque. Juif, avance jusqu'ici. Dis la vérité, on
te fera grâce. D'où t'est venu celte pensée sacrilège
cl comment s'est accompli le forfait?
le juif. Evoque, et vous prévôt, je vous dirai
toul. Un jour je prêtai trente sous sur une robe à
une chrétienne ennemie de mes dieux. Elle vint à
Pâques me demander sa parure, sans argent, ne
m'apporta ni que la promesse de me remettre une
garantie le lendemain sans faute. Je refusai net,
sauf le cas où elle voudrait m'apporter l'hostie de
sa communion. Elle l'appoila en effet de l'église de
Saint Méry et je lui rendis sa robe. Possesseur du
corps de votre Dieu, je voulus savoir s'il était vi-
vanl, et il se trouva que oui; c'est alors que je fus
saisi de fureur et (pie je commençai de le crucilier,
cl de le jeter au feu, persécuter, précipiter à terre,
frapper, lapider , plonger dans l'eau bouillante. Mais
il demeura entier néanmoins; et il se changea enlin
en un crucifix dont je ne pus supporter l'aspect. Ma
femme s'écriait, les lèvres pleines de blâmes, mes en-
fants avec elle; tous m'accusaient de rage et de folie.
Ma fureur devint telle que n'en pouvant soutenir le
poids, je me laissai tomber sur mon lit. Que savez-
vous davantage, seigneurs : c'est là toute la vérité.
Sans doule vous avez dessein de me faire un mau-
vais parti , mais songez qu'il csl écrit dans vos livres :
Je ne veux pas la mort du pécheur, mais sa conversion
el sa vie. El dans ma situation actuelle, je suis 'prêt
à recevoir le baptême , qui seul peut m'arracher au
dernier supplice.
l'évêque. Récit terrible , obstination surprenante!
Juif coupable, comment ne cédais-tu pas aux re-
proches de la femme? ne te souvenais-tu pas des
douleurs de la Passion? As-tu cessé un instant de
bonne volonté? clercs el laïques, vous avez entendu :
le fait est avoué, et ce criminel, par crainte de la
mort, demande le baptême.
le prévôt. Non, non! La mort. Sa demande n'est
qu'une fourbe, et il retomberait dans le même
crime, s'il ne faisait pis encore.
le premier bourgeois. Evidemment, car c'est un
scélérat consommé. Quant à sa femme etàsesenfauls,
s'ils veulent le b;ipleme , on peut le leur donner.
la femme du juif. Je veux servir et aimer Dieu;
ma. s je luirai mon mari toute ma vie, car c'est le
plus grand brigand du royaume.
le fils du juif. El moi aussi ; j'abandonne mon
père, car c'est un misérable , el je veux eue chré-
tien.
le juif. Vous renoncez la Loi ; quant à moi au
milieu de cet abandon universel, je choisis la
mort.
le prévôt. Révérend évêqué, prononcez. Qu'en
faire? Le crime est prouvé el avoué.
l'évêque. Laissez finir celle l'été de Pâques, je
vous en piie, Prévôt. Ensuite on s'en occupera.
le pre\ôt. A voire bon plaisir, Seig.ieur. Quand
vous aurez le temps on terminera,
l'évêque. Vous , ma chère amie, et vous, mes
beaux enfants, croyez-vous de bon cœur en Dieu
descendu ici-bas pour racheter les esclaves égares
par suite du péché du premier père; en sa nais-
sance du sein de la Vierge-Mère, en sa passion sur
la croix où l'eau el lesaug jaillirent deson côté, en sa
résurrection le troisième jour, en sou ascension glo-
rieuse à la vue des hommes, el en la transmutation
de ce pain après le saint sacrifice à l'autel?
la femie du juif. Père eu Dieu , je crois tout cela
el demande le baptême.
la fille. Père en Dieu, je crois tout cela d'un
cœur pur et loyal.
l'énêque. Comment les nommer?
le second bourgeois. Isabelle, Jean et Jeanne.
l'évêque. Croyez-vous avec foi?
le fils du juif. Père , en Dieu , je crois lotit cela ,
et vous demande le baptême.
l'£\eque. Au nom du Dieu tout- puissant je vous
baptise : In nomine Patris et Filii et spiriius Sancti.
El vous, amis, qui les avez nommés , vous avez
charge de leur enseigner la loi , de leur expliquer ce
que je leur ai demandé, et de les instruire le mieux
possible, sou» peine d'excommunication. Vous, res-
pectable curé, vous garderez cette boslie merveil-
leuse; nous accordons cent jours d'indulgence à lous
ceux qui se cotiseront pour lui faire une cbâsse cl,
pour y meure de l'ordre, nommez des majors. Sur
ce, je vous recommande à Dieu.
le curé de saint-ji:an. l'ère en Dieu, la Vierge
pure 'qui porta dans ses lianes Jésus-Christ , vous
ait en sa garde éternelle. Je vais mettre dans celle
armoire celle boslie sacro-sainie. Bonnes gens , lo
noble prélat ayant accordé cent jours d'indulgence
pléuierc à quiconque donnera pour la châsse de celle
relique précieuse , Dieu vous les remettra. Ne soyez
donc pas négligents. Vous avez vu tous ce grand et
sérieux miracle, gardez-en la mémoire; respectez
celte hostie, fondez el conservez une confrérie au
lieu même où ce fait s'est passé ;el que les confrères
se montrent pour la première lois autour du bûcher
de ce Juif pervers el obstiné. C'est ainsi que nous
obtiendrons le paidon et la grâce de Dieu. Amen.
Acic III.
LA CONDEMPNATION DU FAULX JUIF. COM-
MENT IL FUT AHS BIUJSLE DEHORS PARIS OU
MARCHÉ AUX POURCEAUX.
Comment il fut brûlé sur le marché aux porcs
de Paris.
SCÈNE I".
DE LA
L EVEQUE, L OFF1CIAL, UN SERGENT
COUR DU PARLEMENT.
l'évêque. Il faut qu'une punition éclatante montre
à tous le sort dernier de ce faux Juif, dont la folle
erreur et l'incrédulité ont donné lieu à un miracle
si grand. Officiai, il faut aviser à cela aujourd'hui.
l'official. Frappez le coupable, Monseigneur,
vous le pouvez , le cas étant manifeste.
l'évêque. Mais je ne puis.
l'official. Evidemment si , néanmoins le fait se
présente pour la première l'ois.
l'évêque. N'y a-t-il pas d'autre exemple?
l'official. Ou cherchera , ce sera bientôt fait.
L'ÉVÊQUE. Je vais mander l'inquisiteur; et l'on dis-
cutera sur ce point important. Je vais aussi mander
l'Université el le prévôt de Paris qui garde le Juif
dans ses prisons. On va aussi conclure sans discus-
sion ni plaidoyers. Faites entrer un huissier.
LE SERGENT DE LA COUR DU PARLEMENT. Monsei-
gneur!
l'évêque. Ecoulez. Allez à l'Université el priez le
recteur de se rendre auprès de nous avec ses pro-
fesseurs, parce qu'il s'agit d'une affaire importante
pour lui.
le sergent. Vous serez obéi très-volontiers.
l'évêque. Ensuite vous' irez auprès du prévôt de
Paiis le prier de venir ici accompagné de son con-
seil.
le sergent. Soyez sans inquiétude, Monseigneur;
vous serez ponctuellement obéi.
l'évêque. Attendez, vous êtes trop prompt ; dites-
lui aussi qu'il lasse conduire ici le Juif.
le sergent. Je n'y manquerai pas, Monseigneur,
sur mon honneur.
SCÈNE II.
LE SERGENT, L'UNIVERSITÉ, L INQUISITEUR.
le sergent (à l'Université), Noble assemblée, Dieu
vous garde ! Seigneurs el amis, l'évêque m'envoie
vers vous pour que vous l'alliez trouver ici près. Jer
vais en toute hâte vers le prévôl.
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SAI
DICTIONNAUŒ DES MYSTEKES.
SAI
990
i.e recteur. C'est, selon moi, pour l'affaire île «
misérable Juif.
l'inquisiteur. Le cas est certes merveilleux, par-
lons.
SCÈNE 111.
LE SERGENT, LE PRÉVÔT.
le sergent. Sire, Monseigneur de Paris m'envoie
vous quérir ; venez, s'il vous plail : il dit que vous
savez pourquoi.
le prévôt. C'est bon, je sais, on en parie assez;
je me rends auprès de l'évêque.
SCÈNE IV.
LE PRÉVÔT, MAIGREDOS, L'AFFAMÉ, LE JUIF
JACOR MOUSSE.
le prévôt. Sus, sergents, dépêchez : amenez de-
vant nous ce Juif qui est dans nos prisons, cl sans
plus de discours. Je veux l'interroger.
maigredos. Monseigneur, à votre désir. Vous l'au-
rez.
l'affamé. Dieu le maudisse! il nous cause plus de
peine qu'il ne vaut.
maighedos. Imbécile, maudit Juif, membre du
diable, sortez, sautez, venez dehors.
l'affamé. Soriez.Oii va habiller voire corps damné
d'un beau gibet à une branche. Gouffre d'enfer, c'est
aujourd'hui que votre àme sera accrochée.
mugredos. Hegardez. Quelle tournure. La lignée
en soit maudite.
le juif jacob mousse. La colère dicte vos paroles,
parce que je veux mourir daus la loi juive et non
pas dans la vôtre.
l'affamé. Noyez-moi cet apôtre, i C'est ung er-
reur inlinilif. >
maigredos (au prévôt). Seigneur, dépêchez ce Juif.
Nif juif, nif juif, nif juif, nif ! et voilà pour vous tous,
voilà!
SCÈNE V.
L'ÉVÊQUE, L'INQUISITEUR, LE PRÉVÔT, LE JUIF
JACOR MOUSSE, MAIGREDOS, sergotl.
;.e prévôt. Viens ici ; n'as- lu pas commis un hor-
rible forfait?
le juif. Eu quoi ai-jc péché, n'ayant altaoué que
voire Jésus ?
le prévôt. Prends garde, tu es en mes mains.
Marche, maître. Ni le droit ni la loi ne peuvent em-
pêcher un homme de faillir. Soit dit pour con-
clure.
le juif. Que voulez-vous conclure?
le prévôt. A la liberté.
. le juif. Vraiment.
le prévôt. Crois en Jésus.
le juif. Non, certes, il est inutile de m'en parler;
car enchaîné, torturé, je ne céderai pas à vos sug-
gestions insensées.
l'inquisiteur. Le diable le possède. Mousse, je le
demande, une seule chose : Tu vois celle hoslie, eh
bien, Jacob, dis la vérité . la reconnais-la?
le juif. Oui, Messeigneurs, d'autant que c'est la
seule (pie j'aie jamais vue.
l'évêque. Regarde mieux : ce n'est pas l'hostie.
le juif. C'est elle, c'esl bien elle, (pie j'ai coupée
avec mon couteau et dont les morceaux se réunis-
saient sans cesse.
i.e recteur. Tu fais un plein aveu. Mais, Juif, après
ce;te preuve si certaine de sa puissance, pourquoi
ne crois-tu pas ?
le juif. C'est que Jésus-Christ n'est pas le pain
de vie, et qu'il n'y a là qu'une œuvre du diable.
le prévôt. Obstination invincible ! Il ne chan-
gera pas de langage. Seigneurs, terminez sans plus
de discours.
l'inquisiteur. Maudit Juif, plein de rage, après
avoir tourmenté ainsi cette h is'.ift; peux-lu nier en-
core sa puissance? Ta LA n'est qu'une dérision dont
Jésus a fait justice.
l'évêque (au prévôt). Seigneur, PEgli-e vous remet
ce sorcier; prenez connaissance des faits et termi-
nez ce scandale.
le prévôt. Jacob Mousse, ton crime va subir sa
punition. Qu'as-tu à dire encore? Convertis-toi,
crois en Jésus et invoque. C'esl une question de vie
ou de mort. Choisis. Ilàie-loi, la cour attend.
le juif. Prévôt, en un mot : Jamais je ne me dé-
dirai.
le prévôt. Tu subiras le supplice du feu. Mcs>e"->
gnetirs, la cause est entendue. De mon pouvoir sans
conteste, et sans appel, je te condamne donc à être
brûlé au marché des porcs, à l'heure même. Ser-
gents, allez chercher le bourreau. < Froide ioie ayt
il de sa peau... i
maigredos. Il attend, je vais vers lui.
SCÈNE VI.
MAIGREDOS, LE BOURREAU, LE PRÉVÔT, LE
JUIF, L*AFFVMÉ.
maigredos. Manpileux.
le dourreau. Que veux-tu dire?
maigredos. Viens auprès du prévôt, à l'instant
même, brûler ce Juif.
le dourreau. Alors il me faut une chaîne.
maigredos. Il ne le faut qu'une charrcllc, car tout
est prêt, enlcnds-lu bien maître Hapart.
le dourreau (au prévôt). Seigneur, que le diable
ail sa part de ce Juif et de lotis les siens. 11 n'y n rien
de bon en tous ces gens-là. Les instruments, la char-
rette el la chaîne sont prêts. Tout sera bientôt ter-
miné. Montez là-dessus, l'ami, vous sentirez sous
peu le rôti.
le juif. Erreur profonde, prévôt. Fais-moi donner
mon livre, et bientôt je serai libre el hors de tes
mains. Ni Ion Jésus, ni sa puissance, ni loi, vous
ne pourrez me faire ni mal, ni douleur, ni tor-
ture.
le prévôt. Ce magicien, cet enchanteur veut une
épreuve. L'affamé, va chercher son livre pour le
confondre. Va vile devant. Bourreau, en marche et
mets le coupable sur le bûcher.
le juif. Mon livre ! mon livre!
le dourreau. Maigredos, de l'activité, mets du
bois, il ne faut pas laisser languir le Juif.
le juif. Mon livre! mon livre!
le bourreau. Je serre ses chaînes, je mets ces
bourrées el le feu ; la mort de ce Juif m'agrée.
le juif. Mon livre ! mon livre !
le prévôt. Misérable coquin de Juif, cs-iu ivre?
l'affamé. Voilà son livre.
le prévôt. Juif, voici ce livre que lu demandes
tant... Porlez-le lui de suite.
le juif. Oui, oui, c'est lui, c'est bien lui! Je suis
sauvé... Mais quoi, ô diable ! je brûle... Diables!
diables! je brûle, je brûle, je brûle... feu, flamme!
je vais périr... Corps, esprit et àme, tout eslen feu !
Diables! à la bâte! Diables! emportez-moi...
le prévôt. Vous voyez... ee|sorcier est brûlé avec
son livre, el on emporte déjà l'appareil;
l'affamé. Messeigneurs el mes chers amis, spee-
taieurs de ce beau mystère, maudit soit la nation de
ces Juifs scélérats.
maigredos. Pour conscrveiNla tradition dans Paris
de toutes ces choses, on va fonder un couvent dans
l'hôtel du maudit Juif.
le prévôt. Vrai Dieu débonnaire! quel éclatant
miracle! Grâces vous soient rendues, etque chacun
en lire profil pour sa foi.
l'affamé. Il l'a payé cher, ce coquin de Juif.
maigredos. Lui el son livre sont brûles : li de lui
et de ses arliiiccs! Il l'a payé cher.
Mi
SAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAP
902
Acte IV.
SCÈNE 1".
LA FEMME, SCule.
la femme. Il me faut chercher un autre abri. Je
suis née avec le malheur et je le porle avec moi.
Jinlas avait vendu son Dieu ; et moi ? Moi. j'ai vendu
mon Dieu à un Juif pour un bon repas. Femme du
diable! folle! quel espoir? quelles ressources? Je
ne sais. Je viens de Paris chercher à Senlis une
ploce de servante dans une hôtellerie, il me faut
demander.
SCÈNE II.
LA FEMME, L'HÔTELIER DE SENLIS, l'hÔTE-
L1ÈRE.
la femme. Seriez-vous assez bon pour prendre à
voire service, pour bien peu d'argent, une pauvre
malheureuse? Auriez-vous besoin de quelqu'un? Si-
non, il ne me reste qui aller plus loin.
l'hôtelier de senlis. Et combien voud riez-vous
gagner?
la mauvaise femme. Oh! bien peu.
l'hôtelière. Encore... Parlez.
la mauvaise femme. Peu m'importe, pour vous êlrc
agréable.
l'hôtelier. Voilà une bonne servante , nous ne
trouverons jamais mieux, etc., etc.
Los dérèglements de la Mauvaise femme
alliant l'attention; la voix publique l'accuse
d'infanticide, la justice informe, se convainc
et condamne la coupable à mort ; la sentence
est exécutée, et ce singulier drame, dont
nous avons donné de si longs extraits, se
termine enfin par un discours du bourreau,
dont voici les derniers vers :
Nous priions Jésus, le fruicl de vie,
Qui est la vraye et sacrée hoslie,
Dont e en faicl, tous les jeudis de l'an,
A Paris, en greue, a saincl Jehan,
Grand solempnité de la saincle hostie;
Toute femme grosse est begnie ;
Aussi sont toulcs gens gratis cl petits ;
Jésus nous doint à la fin Paradis !
Amen !
SAPIENCE. — Cette pièce de Hrolsvitha,
qui date du x° siècle, est empreinte de
traits de mœurs et d'idées du temps où vé-
cut la célèbre religieuse, plus qu'aucun au-
tre des drames qu'elle nous a laissés. Plu-
sieurs ont été signalés par les critiques qui
s'en sont occupés avant nous ; mais le plus
grand nombre et les plus importants leur
ont échappé. Parmi ces derniers, nous en
(417) « Au lieu du nom d'Hadrien, le manuscrit
porte ici le nom de Dioclélicn. J'ai pensé qu'il ne
fallait voir dans celte variante qu'une faute de co-
piste, et j'ai rétabli dans l'argument le premier nom
qu'on lit dans tout le cours de la pièce. Cependant
relie leçon acquiert un certain intérêt, quand on
\ oit dans la dissertation préliminaire des BollandisleS
i qu'on ne sait pas bien si le martyre des trois sœurs
Eoy, Espérance el Charité a en lieu à Home ou à
Nicomédie, ni même si cet événement s'est passé du
temps d'Hadrien ou sous le règne de Dioctétien. >
(M. Magnin.)
(•118) « Les noms significatifs des principaux ac-
teurs de ce drame m'avaient d'abord induit à croire
que foi/. Espérance et Charité, filles de Sapienee,
étaient une pièce allégorique du genre de nos an-
ciennes moralités , plutôt que la mise en action
choisirons quelques-uns des plus curieux.
Ainsi, scène VI, l'empereur Hadrien dit
à ses soldais : Vengez mon injure, tout
comme parlaient les barbares du y' siècle,
établis en Gaule, ou les farouches bâtons
allemands au temps de Hrolsvitha. Dans le
cours du drame domino l'idée de l'autorité
inviolable : on sent le mot populaire de la
France étranger à la société romaine : ah !
si le roi savait l En effet, ce n'est pas l'em-
pereur qui fait le mal ; s'il donnne des or-
dres, s'il est cruel, impitoyable, c'est An-
tiochus qui l'y pousse; le maître suprême
reste partout inconscient et non couj able.
— Voy. Hrotsvitha.
SAPIENCE OU FOI, ESPERANCE et CHARITÉ.
Argument. — Passion des vierges saintes, Foi, Espé*
rame el Charité, qui, sous les yeux de leur misérable
mère Sapienee, dont les entrailles maternelles les invitaient
à supporter les lorlures, turent soumises par l'ein, ereur
Hadrien (417) à divers supplices et périrent. Quand le
martyre fut consommé, la sainte mère recueillit les corps
de ses tilles, les embauma el leur donna, à cinq miles de
Home, une honorable sépulture, lille-mêine, au buut de
quarante jours, rendit son aine au ciel auprès de leurs
tombes, en prononçant les derniers mois d'une pieusa
oraison (418).
PERSONNAGES.
antiochcs, préfet deRome espérance, idem.
(419). charité, idem.
hadrien, empereur. matrones romaines,
saimence, princesse grec- soldats et bourreaux",
que. personnages muels.
foi, fille de Sapienee.
SCÈNE I".
ANTIOCHUS, HADRIEN.
antiociius. Tout ce qui vous concerne, ô empereur
Hadrien, votre repos, l'accomplissement de vos sou-
haits, votre puissance, le salut de {'empire, le bon-
heur des peuples, la paix des provinces, étant l'ob-
jet de tous mes soins, je m'efforce d'arracher pronip-
lemeni et d'anéantir loules les causes de troubles dans
la république, dont votre âme aurait à souffrir.
hadrien. Et vous n'avez pas tort; car votre bon-
heur esl attaché à notre prospérité : nous vous éle-
vons sans cesse d'années en années à de plus grands
honneurs.
antiociius. J'en rends grâces à votre bonté pater-
nelle. Aussi à peine vois-je surgir quelque obs-
tacle à votre pouvoir, que, loin de le dissimuler, je
vous le dénonce sans retard.
iiadrien. Bien, bien, vous ne serez pas accusé de
lèse-majesté, pour avoir caché ce qui ne devait point
l'être.
antiociius. Une accusation de celte nature est le
moindre de mes soucis.
d'une légende. Je m'étais trompé. Un assez grain!
nombre d'auteurs grecs el latins oui mentionné l'his-
toire de celle mère intrépide el de ses trois jeunes
filles. Les Hullandisles, à la dale du 1er août (Ac.a
Sanctor.; August., t. 1, p. 16), donnent une notice
des écrivains qui ont parlé de ces courageuses hé-
roïnes, et regrettent que, hors leur martyre , on
ignore ce qui les concerne. En effet, tous les agéo-
graphes, sauf le déclamaleur Mélaphrastc, n'ont ac-
cordé qu'un très-petit nombre de lignes à celle his-
toire. IJrolsvilha a eu rarement moins de secours. M
faut encore remarquer qu'elle a un soin particulier
de faire parler chaque personnage suivant le carac-
tère ipie son nom suppose. » (Id.)
(il'J) c C'est le litre que les légendes donnent »
Antiociius. » (Id.)
&03
SAP
DICTIONNAIRE DLS MYSTERES.
SAP
m
Hadrien. Nous le pensons. Mais dites-nous si vous
ne savez rien de nouveau.
antiochus. Une fetrimé étrangère- e?t arrivée depuis
peu dans Rome, accompagnée de Lrois jeunes enfanta
qui sont nés d'elle.
hadrien. De quel sexe sont ces enfants?
antiochus. Tous trois du sexe féminin.
hadrien. El l'arrivée de ces faibles femmes pour-
rait-elle causer quelque dommage à l'État,?
antiochus. Oui; un très-grand.
hadrien. Quoi donc?
antiochus. Le renversement de la paix publique.
hadrien. Comment cela?
antiochus. El qu'y a-t-il de plus capable de rom-
pre la concorde civile que les différences de reli-
gion?
hadrien. Rien n'est plus grave, rien n'est plus fu-
neste, en effet, comme le prouve assez la situation
du inonde romain, souillé en lous lieux par les flols
impurs du sang chrétien.
antiochus. Eli bien, celle femme, que je vous dé-
nonce, exborle les citoyens à abandonner le culte de
nos ancêtres, et à se vouer à la religion chrétienne.
hadrien. Et ses paroles soni-elles bien reçues?
antiochus. Trop bien; car déjà nos femmes nous
traitent avec tant de bailleur et de mépris qu'elles
ne daignent plus prendre place à nos tables, encore
bien moins partager nos lils.
hadrien. Vraiment, alors il y a danger.
antiochus. C'est voire devoir , empereur , de
veiller au salut de l'Etal (420).
hadrien. J'en conviens. Faites conduire ici celte
femme; c'est devant nous-mèine que celte affaire
sera vidée ; nous verrons si elle cédera.
antiochus. L'ordre m'en est-il donné? La ferai-je
Conduire ici?
hadrien. Oui, sans doute.
SCÈNE II.
ANTIOCHUS, SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCE
€t CHARITÉ.
antiochus. Qnel est votre nom, femme étrangère?
sapience. Je suis Sapience.
antiochus. L'empereur Hadrien vous ordonne de
Comparaître devant lui dans son palais.
sapience. Je n'ai aucune crainte d'entrer dans le
palais, pourvu que je ne sois pas séparée de mes en-
fants dignes de leurs aïeux; et je ne redoute nulle-
ment devoir de près le visage menaçant de l'empe-
reur.
antiochus. Celle odieuse race des Chrétiens est
toujours prête à résister aux princes.
sapience. Le prince de l'univers, l'invincible, ne
laisse p is les siens faibles devant l'ennemi.
antiochus. Trêve à ce flux de paroles et venez
sur-le-clmnp au palais.
sapience. Allez devant, montrez-nous la roule;
nous vous suivrons aussi vite que possible.
SCi^NE 111.
LES MÊMES, HADRIEN, GARDES.
antiochus (à Sapience). Voici l'empereur en per-
sonne, devant vos yeux, assis sur son trône : pesez
bien vos paroles.
sapience. La sagesse du Christ nous défend de
tels soins; lui-même nous a promis la grâce d'une
invincible raison (421).
iiADRir.N. Approchez, Anlioclius.
antiochus. Me voici à vos ordres, Seigneur.
hadrien. Soni-ce là ces femmes que vous m'avez
signalées comme chrétiennes?
antiochus. Oui, ce sont-elles.
hadrien. Je suis frappé de leur beauté, et je ne puis
surtout assez admirer la sage dignité de leur main-
lien.
antiochus. Cessez, ô mon seigneur, de les ad-
mirer, et forcez-les d'adorer les dieux.
hadrien. Si je débutais dans celle affaire par la
douceur, peut-être céderaient-elles plus volontiers?
antiochus. C'eslle meilleur moyen. Car la fragi-
lité de leur sexe ne cède jamais plus facilement qu'à
l'impression des douces paroles.
hadrien. Illustre matrone, je vous invile tout dou-
cement et sans colère à rendre hommage aux dieux,
afin que vous puissiez mériter notre amitié.
sapience. Je ne veux ni rendre hommage aux dieux,
ni satisfaire à vos désirs, ni contracter avec vous
aucune amitié.
hadrien. Ma colère est tout entière contenue,
et nulle indignation i\e s'élève encore contre vous
dans mon àme; au contraire, toutes les sollicitudes
de mon cœur paternel combattent pour vous et vos
enfants.
sapience (bas à ses plies). Prenez garde, ô mes
filles , n'ouvrez pas vos cœurs aux perfidies de ce
serpent salanique; faites en fi, à mon exemple.
foi (bas à sa mère). Il n'y a dans noire esprit que
dédain et mépris pour ces propos frivoles.
hadrien. Qu'avez-vous dit loul bas?
sapience. Quelques mois à mes filles.
hadrien. Vous semblez issu d'un sang considé-
rable, c'est pourquoi je souhaite apprendre de vous-
même votre patrie, votre famille et voire nom.
sapience. Quoique la naissance compte peu parmi
nous, je ne nierai pas néanmoins maa descendance
d'une souche illustre.
hadrien. Je le crois volontiers,
sapience. Les plus grands princes de la Grèce
comptent parmi mes ancêtres et je me nomme Sa-
pience (422).
hadrien. L'éclat de votre naissance est empreint
sur tome voire personne, et la sagesse dont vous
portez le nom (sapienlia) brille sur vos traits.
sapience (à pari). Flatteries perdues, nous ne cé-
derons pas à (|iielques vaincs paroles.
hadrien. Dites-moi le motif de votre voyage et
quelles affaires vous ont appelées parmi nous.
sapience. Nous n'avons d'affaire que la recher-
che de la vérité, la connaissance plus entière de la
religion dont vous êtes l'ennemi, el la consécration
de mes filles au Christ.
hadrien. Apprenez -moi le nom de chacune
d'elles.
sapience. La première s'appelle Foi, ia seconde
Espérance, et la troisième Charité.
hadrien. Combien onl-elies accompli d'années?
sapience. Ne vous plaîl-il pas,ô mes filles, que je
déroule cet esprit grossier par quelques problèmes
d'arithmétique |42ôj?
foi. Vraiment oui, ma mère, el nous vous prête-
rons l'oreille avec beaucoup de plaisir.
(420) < N'y a-t-il pas là un souvenir lointain de
l'ancienne formule caveanl comules. > (M. Magnin.)
(421) c Ce commandement est tiré de saint
Marc, ch. xn, 11 , el de saint Luc, ch. xn , H
12. * (Id.)
(422) i Celle circonstance semble prouver que la
légende de Sapience ou de Sophie el de ses filles est
d'origine hellénique. > (Id.)
(423) < llrosvitha retombe ici dans une de ces di-
gressions pc iantesques où elle aime tant à se jeter
en écolière émerveillée de son savoir de fraîche
date. Ce ne sont pas celle fois des lambeaux
de philosophie scolastique, comme à&iisGallimaque,
ni une exposition technique de la science musicale,
comme dans \Paphnuce. Nous allons assister bon
gré mal gré à une leçon sur la théorie des nom-
bres. 11 semble que Ilrolsvillia ail eu à cœur lia
prouver sa compétence dans presque toutes les
branches du tiïvium ou du quadrivium. » (In.)
905
SA?
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAP
900
sapience. Empereur, puisque vous désirez savoir
l'âge de ces jeunes filles, Charité a accompli un
nombre d'années diminué pairemcnt pair, Espérance,
un nombre aussi diminué, mais pairemcnt impair:
Foi, au contraire, un nombre suuerflu elimpuiremcnt
pair.
H.vDRiEN. Une semDiame réponse ne me fait nulle-
ment connaître l'objet île ma demande.
sanence. Et il n'y a rien là d'étonnant, car sous
l'apparence de ces définitions, il n'y a pas rien qu'un
nombre; il en lombe plusieurs.
hadrien. Expliquez vous avec plus île clarté ,
sinon toute mon attention est vaine. :
sapience. Charité a vu la révolution île deux olym-
piades, Espérance de deux, lustres et Foi de trois
olympiades.
hadrien. El pourquoi appelez-vous diminué le nom-
bre huit qui forme deux olympiades, ainsi que le
nombre dix qui compose deux lustres? Enfin, pour-
quoi le nombre douze, qui contient trois olympia-
des, est-il, selon vous, un nombre superflu?
sapience. C'est qu'on appelle diminué tout nombre
dont les parlies additionnées forment un total infé-
rieur au nombre qu'elles composent, comme 8, par
exemple; car la moitié de 8 est 4, le quart 2 et le
huitième 1 ; or 4, 2 el 1 réunis ne font que 7. De
môme la moitié de 10 est 5, le cinquième 2, le dixiè-
me 1, qui, additionnés, ne donnent que 8. Au cou-
traire, on appelle superflu un nombre dont les par-
ties additionnées forment un total supérieur à ce
nombre même, comme 12. En effet, la moitié de 12
est G, le tiers 4, le quart 3, le sixième 2, le dou-
zième 1, lesquels additionnés donnent 16. El pour
ne point passer sous silence le nombre principal, qui
lient le milieu entre les deux inégalités contraires,
ou appelle parfait le nombre que ses parlies addi-
tionnées reproduisent exactement, sans différence en
pins ni en moins, comme G, dont les parlies, c'est-
à-dire 3, 2 et 1, forment le même nombre. Ainsi, 28,
49G cl 8128 sont aussi des nombres parfaits (424L
HADRIEN. El les autres nombres?
sapience. Tous les autres nombres sont ou super-
flus ou diminués
Hadrien. Qu'est-ce qu'un nombre pairement pair?
sapie.nce. Celui qu'on peu! diviser en deux parties
égales, qui, elles-mêmes, pc.ivent se diviser en deux
autres parties, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on
atteigne l'unité indivisible, comme 8, 1G, et Jes nom-
bres qu'on obtient en doublant ceux-là.
hadrien. El qu'est-ce qu'un nombre pairement im-
pair?
sapience. Celui qu'on divise en parlies égales, qui
sonl elles-mêmes aussitôt indivisibles, comme 10 cl
ions les nombres qu'on obtient en doublant un nom-
bre impair; car ce nombre est d'une nature con-
traire à celui dont nous venons de parler, en ce sens
que dans le pairement pair le terme mineur est divi-
sible, et que dans le pairement impair, le terme ma-
jeur peut seul êlre divisé. De plus, dans celui-là,
toutes les parties sont pairement paires, quant à la
dénomination cl à la quantité des parties; cl dans
celui-ci, lorsque la dénomination esl paire, la quan-
tité des parties esl impaire, et si la quantité des par-
ties esl paire, la dénomination esl impaire.
hadrien. Je ne sais ce que signifie le mol terme que
vous venez d'employer, ni ceux de dénomination ou
de quantité des parties.
sapience. Lorsque des nombres aussi grands qu'on
voudra sonl rangés dans un ordre croissant, le pre-
(i2'»)« Toute celle théorie des nombres se retrouve
dans IJoéce... jusqu'à ces quatre nombres parfaits
cités pour exemples... » (M. Hagoiu.)
('ri:')) «41 esl nécessaire d'interpréter ici la défini-
lion de la dénomination. Quand on dit qu'un nombre
ésl la moitié, le tiers, etc., d'un antre nombre, cela
signifie que le premier entre exactement deux fois,
Dictions, nus Mystères.
mier est appelé terme mmeurjei le second terme ma-
jeur; et lorsque, faisant une division, nous disons que tel
nombre forme (elle partie d'un autre nombre, nous fai -
sons une dénomination (425) ; et quand nous énumé-
rons combien il a y d'unités dans chaque partie, nous
exposons ce qu'un appelle la quantité des parties.
hadrien. El que] est ce nombre impairemenl paii ?
sapience. Celui qui esl non- seulement divisible
une fois, comme le pairement pair, mais deux fois,
trois fois et plus, mais qui néanmoins ne peut des-
cendre jusqu'à l'unité indivisible.
hadrien. Ob ! quelle difficile cl inextricable ques-
tion s'est élevée à propos de l'Âge de ces petites
filles !
sapience. C'est en cela qu'il faut admirer la su-
prême sagesse du Créateur et la science merveil-
leuse de l'Artisan de l'univers, qui non-seulement,
an commencement des choses, a créé le monde du
néant, et en a disposé toutes les parlies avec nom-
bre, mesure et équilibre, mais qui encore, dans la
suite de» temps et des générations humaines, nous
a permis d'arriver à la connaissance des arts.
hadrien. Longtemps j'ai supporté vos dissertations,
dans l'espoir de vous amener à in'obéir.
sapience. En quoi ?
hadrien. Relativement au culte des dieux.
sapience. Certes non; je n'y consens point.
hadrien. Si vous résistez, vous serez mise à \.t
torture.
sapience. Vous pouvez briser mon corps par les
supplices, mais mon âme ne cédera pas a la force;
ne l'espérez pas.
antiochus. Le jour baisse, la nuit lombe; ce n'est
plus le moment de discuter, car l'heure du souper
approche.
hadrien. Qu'on enferme ces femmes dans la pri-
son attenante au palais: trois jours leur sonl accor-
dés pour réfléchir.
antiochus. Soldats, veillez soigneusement autour
d'elles, et ne leur laissez aucune occasion de s'é-
chapper.
SCÈNE IV
SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCE et CHARITÉ.
sapience. O mes tendres filles! chères enfants si
jeunes! dans cet étroit cachot d'une prison soyez
sans tristesse, et sous la menace imminente des
supplices, sans terreur !
foi. Nos faibles corps frissonnent à l'idée des
tourments, mais noire esprit n'a en vue que les
récompenses du martyre.
sapience. Triomphez de la faiblesse enfantine de
voire âge par la force et la maturité de la raison.
espérance. Vous, aidez-nous de vos prières, afin
que nous puissions vaincre.
sapience. Je prie sans cesse; je demande sans
cesse votre persévérance dans la foi dont je ne ces-
sai , au milieu même des jeux de l'enfance, de mê-
ler ie suc au développement de voire esprit.
charité. Les soins de la mamelle, les leçons du
berceau ne sonl pas perdus, ils ne le seront pas,
sapience. C'esl pour cela que mon lait maternel
coulait si abondamment, et vous nourrissait ; je
vous ai élevées si tendrement pour ce jour; je vous
livre, non à un époux d'ici-bas, mais à l'Epoux dans
les cieux, et je vomirais obtenir en vous le litre de
belle-mère du Roi éternel.
foi. Pour l'amour de cel Euoax. nous sommes
préparées à la mort.
sapience. Ces dispositions me donnent plus de
joie que les plus douces saveurs du nectar.
espérance. Envoyez-nous devant le tribunal du
trois lois dans ie second. Ce sonl tes nombres de
lois tpie llrotsviiha considère, quand elle dit (dus
haut que la dénomination des parlies esl paire-
ment paire, paire ou impaire. » (In.)
£9
9'J7
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAP
('08
juge el vous verrez combien l'amour ue i Hpoux
nous donne d'intrépidité.
sapience. Tout mon souhait est la couronne de
votre virginité el la gloire de votre martyre.
charité. Marchons les mains enlacées et faisons
rougir le front du tyran !
sapience. Attendez; l'heure est proche; on va
nous appeler.
koi. Les délais nous fatiguent; il faut ..attendre
pourtant.
SCÈNE V.
HADRIEN, ANTIOCHUS, ensuite SAPIE.NCE, FOI,
ESPÉRANCE et CHARITÉ.
iiadrien. Anliochus, donnez les ordres et faites
comparaître ces captives grecques.
a.ntio ..nus. Approchez, Sapieucc, et comparaissez
devant l'empereur avec vos filles.
sapience. Venez avec moi, mes filles. Du courage,
de la persévérance, une même âme dans la foi,
afin que la conquête heureuse de la palme s'accom-
plisse \
espérance. Marchons, nous aurons à nos côtés
pour compagnon celui oour l'amour duquel on nous
mène à la mort.
iiadrien. Trois jours cte délai vous ont été accordés
par Notre Sérénité, el si vous en avez tiré profit,
<:é lez à nos ordres.
sapie.nce. (le délai a été un grand bien pour nous,
un grand profit; car nous ne cédons pas.
antiochus [à Hadrien]. A quoi bon ces discours
avec cel'.e femme obstinée, qui vous fatigue de son
insolente présomption?
hadrien. La renverrai-jc impunie?
antiochus. Mais non.
iiadrien. Qu'en faire ?
ANTioc.nus. Invitez ces enfants, et si elles résis-
tent, sans pitié pour leur âge, faites-les périr. Leur
mère rebelle subira les plus horribles tortures dans
le dernier supplice de ses filles.
hadrien. Je vais faire ce que vous me conseillez.
ANTior.uus. C'est ainsi qu'en !in vous en aurez
raison.
SCÈNE VI.
LES MÊMES, HADRIEN, FOI.
hadrien. Foi, regardez celle image vénérable de
la grande Diane, el offrez des libations à la déesse
sacrée, afin d'obtenir sa protection.
foi. Quelle sottise! Cei ordre d'un empereur ne
mérite que mépris.
hadrien. Qu'avez-vous dit tout bas de cet air mo-
queur? De qui riez-vous, en fronçant le sourcil?
1 01. Je ris de votre sotlise, ei je me moque de votre
folie.
hadrien. Dama folie?
roi. De votre folie.
ANTiociius. De la folie de l'empereur *
roi. De qui donc?
ANTiociius. 0 crime!
roi. Quelle plus lourde sotlise ? quelle plus grande
folie? quoi déplus? 11 nous exhorte, au mépris du
Créateur de l'univers, à adorer un métal !
antiochus. Foi, vous êtes insensée.
foi. Anliochus, vous ne dites pas ce que vous
pensez.
antiochus. N'esl-ce pas le comble de l'extrava-
gance el du délire aue de traiter d'insensé le maître
du monde?
roi. Je l'ai dit, je le répèle, el je le redirai aussi
longtemps que je vivrai.
antiochus. Ce temps seracourl; vous allez mou-
rir sur-le-champ.
foi. Je ne souhaite que la mort en Jésus-Christ.
iiadrien. Que douze centurions, se relayant, la
frappent sans cesse de leurs verges sanglantes.
antiochus. C est justice.
hadrien. Braves centurions ! approchez el venges
mon injure.
antiochus. C'est la loi.
iiadrien. Demandez-lui, Antiochus, si elle veui
céder.
"^ antiochus. Foi, voulez-vous, avec ce langage in-
solent qui vous est familier, outrager encore l'em-
pereur?
foi. El pourquoi moins qu'auparavant
antiochus. Parce que les coups de fouet vous en
empêcheront.
foi. Les coups ne me contraindront pas au si-
lence, car ils ne me font aucun mal.
antiochus. 0 déplorable obstination! incorrigible
audace !
hadrien. Son corps succombe sous les supplices,
et son cœur est gros d'orgueil.
foi. Erreur, Hadrien; ne me croyez pas lasse de
tortures; ce n'est pas moi, ce sont vos faibles bour-
reaux qui succombent, qui sont trempés de sueur cl
qui sont épuisés.
hadrien. Anliochus, ordonnez qu'on lui coupe les
seins; peut-être la pudeur la domptera.
antiochus. Oh! plût aux dieux qu'il y eût un
moyen quelconque de la faire céder.
hadrien. Elle cédera peut -être.
foi. Mon chaste sein est déchiré, mais je suis sans
blessure. Voyez, an lieu d'un ruisseau de sang, il
jaillit une source de lait.
hadrien. Meilez-la sur les grils, allumez les bra-
siers, qu'on la biùle, que dans l'ardeur des feux elle
soit anéantie!
antiochus. Elle mérite cette fin miséraile, celte
fille qui résiste à vos ordres sans crainte.
foi. Tous vos apprêts ne sont pour moi que dou-
ceur el repos; je suis bercée sur ce gril connue sur
une barque légère
hadrien. Que ce brasier reçoive une chaudière
pleine de poix et de cire, et dans ce liquide bouillant
plongez cette femme rebelle.
foi. Je m'y précipite moi-même.
hadrien. Dali ! faites donc.
foi. "Eh bien, qu'est-ce que vos menaces ? Me
oiei sans blessure dans le liquide ardent, j'y joue,
je nage, el au lieu d'affreuses brûlures :e ne sens
que la fraîcheur de la rosée du malin.
hadrien. Anliochus? eh bien! que faire
antiochus. il faut veiller à ce qu'elle ne nous
échappe pas.
hadrien. Qu'on lui coupe la tète.
antiochus. C'esl le dernier moyen d'en triompoer..
foi. C'e.-a le moment de la joie, de la 'oie suprê-
me en Dieu.
SCÈNE VII
LES MEMES, SAPIENCE, FOI.
sapience. 0 Christ! ô invincible vainqueur du
diable, donnez votre force a Foi, à mon enfant !
foi. 0 ma vénérable mère! dites un dernier
adieu à votre fille, embrassez l'aînée de vos enfants,
et n'ayez pas de tristesse ni de désespoir dans le
cœur, car je suis sous le sceau de l'éternité.
sapience. 0 ma fille ! ma tille! je n'ai ni accable-
ment, ni désespoir ; au contraire, je le dis adieu
avec allégresse, et je baise les lèvres et tes yeux
avec des larmes de joie, car tout mon vœu est que,
sous le coup du bourreau, lu conseives intact le
mystère de ton nom.
foi. 0 mes sœurs sorties du même sein ! donnez-
moi le baiser de paix, el soyez prêles el fortes pour
le combat qui approche.
espérance. Aide-nous de les prières, prie sans
cesse, afin que tous puissions suivre tes liâtes.
foi. Soyez dociles aux conseils de noire sa nie
mèie, qui nous a toujours enseigne le mépris J.s
009
SAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAP
!0
choses d'ici-bas, par lequel on obtient pari aux
choses éternelles.
CftAïtlfÉ. Nous obéissons <lc grand cœur aux or-
dres (te noire mère, pour obtenir la jouissance des
biens éternels.
foi. Bourreau, viens ici et accomplis l'office que
l'on l'impose, en me donnant la mort.
SAPiEN'crc. Par celte lète coupée de ma fille morte
que j<? liens dans mes liras, et sur les lèvres de la-
quelle je pose mille baisers, je me réjouis en vous,
ô Christ, auteur du triomphe d'un» <■' faible enfant !
SCENE vin.
lES MÊMES, HADRIEN, ESPERANCE.
hadrien. Espérance, cédez à mes ordres; c'est
avec l'émotion d'un père que je vous donne ce
conseil.
espérance. Que voulez-vous? oucls sont vos con-
seils?
hadrien. Méfiez-vous de l'obstination, vous tom-
beriez dans les mêmes malheurs.
espérance. Oh! s'il m'était possible de l'égaler
dans sa Passion, pour obtenir le même prix quelle!
hadrien. Laissez-là celle dureté de cœur, concé-
dez quelque chose, offrez l'encens à la grande
Diane et je \ous traite comme une de mes filles, et
je vous fais grande et puissante par mon affection.
EsrÉR\NCE. Je repousse vos soiirs paternels et vo-
ire proleci ion, je n'ai nulle envie de vos bienfaits,
ei vous êtes le jouet de vaines illusions si vo""
croyez que je vais vous céder.
hadrien. Moins de mots, cela m'ennuie.
espérance. Ennui ou non, que m'importe?
àntioc.iil'S. Auguste, je vous admire. Comment
pouvez-vous supporter si longtemps les abomina-
tions de celle misérable petite iille? moi, je n'y liens
plus de fureur, en entendant ces téméraires aboie-
ments contre vous.
hadrien. J'ai fait jusqu'ici la part de son âge, mais
pas de grâce, je (ui infligerai le châtiment qu'elle
mérite.
antiochus. En soil-il ainsi!
hadrien. Licteurs, approchez, ei frappez cette
tille rebelle de vos nerfs de bœuf solides jusqu'à ce
que mort s'ensuive.
antiochus. C'est bon, elle seul ira le poids de vo-
tre colère, puisuu'elle dédaigne le bienfait de votre
indulgence.
espérance. Je suis avide de ces bontés, envieuse
de celle indulgence.
antiochus. O Sapicnce, que murmurez-vous, les
yeux levés au ciel el debout auprès du corps inanimé
de voire enfant?
sap.ence. J'invoque le Père universel, afin qu'il
donne à Espérance l'énergie el la ouissance qu'il ac-
corda à Foi.
espérance. Orna mère! ma mère! qu'elles sont
efficaces ! qu'elles sont bien écoulées, vos prières !
J'en fais l'épreuve. Voyez, tant qu'elles durent, les
bourreaux hors d'haleine me frappent à coups re-
doublés, el je ne sens aucune atteinte, aucune dou-
leur.
hadrien. Si vous ne sentez pas les fouets, il y a
des chàliniens plus rudes auxquels vous serez sou-
mise.
espérance. Employez, employez toute votre science
des cruautés et delà mon; plus le supplice aura
été affreux, plus grandes seront voire défaite et vo-
tre confusion.
uadrien. Suspendez-la en l'air, déchirez la avec
des ongles de fer jusqu'à ce que les entrailles arra-
chées etlesos mis à nu, elle exoire membre par mem-
bre.
ANTIOCHUS. Ordre digue de l'empereur et punition
assez convenable,
espérance. Antiochus, vous parlez avec la f.m ,se;<*
du renard cl il y a île l'astuce du caméléon da us vos
(laiteries.
antiochus. C'est bon, malheureuse, voire verbiage
ne durera pas longtemps.
espérance. Votre attente sera déçue, el votre
prince et vous, vous n'aurez que confusion.
hadrien. Que sens-jc? quel parfum inconnu?
quelle odeur d'une merveilleuse suavité?
espérance. Ce sont les lambeaux de mon corps
déchiré qui, dans leur chute, répandent .ces brû-
lants arômes du paradis, afin que, malgré vous,
vous confessiez l'impuissance de vos suDolices contre
moi.
hadrien. Antiochus, que faire?
antiochus. Il csl d'autres tortures qu'il faut mettre
en œuvre.
hadrien. Mêliez sur le brasier un vase d'airain
rempli d'huile et de graisse, de cire et de poix, liez-
la eljetez-la dedans.
antiochus. Enlre les mains de Vnlcain, elle ne
trouvera sans don le pas de voie de salut.
espérance. C'est une des vertus ordinaires du
Christ d'éteindre la puissance du feu et d'en altérer
l'essence.
SCÈNE IX.
LES MEMES, HADRIEN, ANTIOCIIUS.
hadrien. Qu'y a-l-il ? Antiochus, 'j'entends le bruit
'un liquide renversé.
antiochus Hélas! hélas! seigneur.
hadrien. Que nous est-il arrivé?
antiochus. Dans la violence de l'ébull.'lion, le vase
s'est brisé, vos serviteurs sont brûlés et cette sor-
cière est demeurée sans blessure.
hadrien. Je le confesse, nous sommes vaincus.
antiochus. Complètement.
hadrien. Qu'on lui tranche la tête.
antiochus. Aulicmenl. on n'en viendrait pas à
bout.
SCENE X.
LES» MÊMES, ESPÉRANCE Ct CHARITÉ.
espérance. O Charité aimée, ô non unique sœur
maintenant! Ne redoutez pas les menaces du lyran,
ne tremblez pis devant les châtiments, faiies sur
vous-même l'effort constant de la foi de vos sœuis
qui vous précèdent dans le palais du ciel,
charité. Tout m'ennuie: et la vie, et le présenl,
el celle terre, el ce corps, qni me séparent encore
de vous pour un peu de temps.
espérance. Chassez cet ennui, amendez la recoin*
pense, nous ne serons pas séparées longtemps, le
ciel va nous réunira l'instant.
'charité. Soit, soit!
SCÈNE XI.
LES MÊMES, SAFIENCE et ESPÉRANCE.
espérance. Courage et joie, 6 mon illustre mère !
Que n on martyre n'éveille point en vous le déses; o:r
maternel, laissez le chagrin pour l'espoir ; \ous le
voyez : je meurs pour le Chiisl.
sapience. Je suis joyeuse en ce moment, niais je
vais loucher au comble du délire quand j'aurai en-
voyé au ciel votre dernière sœur morte pour la
même cause une vous, el quand je vous suivrai tou-
tes enfin.
espérance. La Trinité éternelle vous rendra dans
les siècles votre comple d'enfants.
sapience. Courage! ma fille! le bourreau s'élance
sur nous, l'épée nue.
espérance O joie! Je sens le glaive. Et vous, 6
Christ, prenez mon âme qui, pour confesser voire.
nom es! chassée de son habitation corporelle,
0! I
SAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAP
OSi
SCÈNE XII.
LES MÊMES, SAPIENCE et CHARITÉ.
sapience. 0 Charité, illustre enfant, unique espoir
de mes flancs, n'affligez pas votre bonne mère (|iii
attend la consommation de votre épreuve, méprisez
le bien-être présent pour parvenir au bon Item* sans
fin, dans lequel vos sœurs resplendissent déjà cou-
ronnées de îeur'vireinilc sans tache.
charité. Soutenez-moi, ô ma mère, de vos sain-
tes prières, et j'obtiendrai ma place auprès de mes
sœurs et ma part de leur joie.
sapience. Je prie; vous irez jusqu'au bout pleine
de foi et de fermeté, et sans nul doute vous obtien-
drez le don des fêtes éternelles.
SCÈNE XIII.
LES MÊMES, HADRIEN et CHARITÉ.
hadrien. Charité, je suis excédé de l'insolence de
vos sœurs et on ne peut plus courroucé de leurs
prolixes arguties. Aussi, sans plus longue discussion
avec vous, ou vous allez obéir à mes ordres et je
vous enrichirai de mille biens, ou bien, si vous ré-
sistez, je vais vous accabler de maux.
charité. J'ai de tout mon cœur le désir du bien
et la profonde horreur du mal.
Hadrien. Voici < 1 1 1 i vaut mieux pour vous et me
plail davantage ; c'est pourquoi, dans ma clémence,
je n'exige de vous qu'une chose très-facile.
charité, Quoi ?
hadrien. Dites seulement : < Grande Diane! » et
je ne demande pas d'autre hommage.
charité. Non pas, certes.
hadrien. Pourquoi ?
charité. Je ne veux pas mentir. Mes sœurs et
moi, sorties du même sang, ayant reçu l'onction des
mêmes sacrements, nous n'avons qu'une même foi,
une même constance et une même force. Sachez
donc que nos volontés, nos sentiments, nos con-
naissances sont absolument identiques et qu'entre
elles et moi il n'y a aucune dissidence sur aucun
point.
hadrien. O rage ! celle faible créature se joue de
moi.
charité. Quoique lonle petite, je sais bien discu-
ter et je vous confonds.
iudrien. Emmenez la, Anliochus, failes-îa bisser
sur un chevalet et battre affreusement.
antiochls. Je crains que les coups n'en aient pas
raison.
hadrien. S'ils ne font rien , donnez des ordres
pour que, durant trois jours et trois nuits, on ait
une fournaise embrasée, et qu'on la jette dans les
flammes dévorantes.
charité. O juge impuissant ! qui craint de ne
pouvoir vaincre un entant de huit ans sans le se-
cours du feu'
hadrien. Anez, Anliochus, et tenez la main au
mandat dont vous êtes chargé.
charité. Votre cruauté sera satisfaite; il obéira,
mais il ne me fera aucun mal; ni les coups ne dé-
chireront mon pelil corps, ni les flammes ne pour-
ront roussir mes cheveux ou mes vêlements.
hadrien. On verra.
charité. Vous verrez.
SCÈNE XIV
HADRIEN. ANTIOCHUS
hadrien. Anliochus, quel mal souffrez-vous ? Pour-
quoi revenez-vous plus triste que de coutume?
antiochus. Quand vous connaîtrez la cause de ma
irislcsse , vous ne serez pas moins triste que
moi.
hadrien. Parlez ; ne me cachez rien.
antiochus. Celle fille impudente que vous m'aviez
donnée à torturer, a élé flagellée en ma présence,
mais l'épi derme même de la peau n'a pas éié déchi-
rée. Ensuite, je l'ai fait jeler dans une fournaise
que l'excès de la chaleur avait rendue rouge comme
le feu...
hadrien. Pourquoi bésilez vous à continuer? Ex-
posez-moi la fin de tout ceci.
antiochus. La flamme a jailli au dehoi's el il y a
eu cinq mille personnes brûlées...
hadrien. Et que lui est-il arrivé?
antiochus. A Charité ?
HADRIEN. Oui.
antiochus. Elle se promenait tranquillement au
milieu des tourbillons de flammes el de fumée cl
chaulait les louanges de son Dieu; on ne l'a pas per-
due de vue et l'on assure que trois jeunes gens vêtus
de blanc se promenaient avec elle...
hadrien. Je rougirais de la revoir, ne pouvant lui
faire de mal.
antiocuus. Il n'y a plus qu'à la faire périr par le
glaive.
hadrien. Failes-le sans différer.
SCÈNE XV.
ANTIOCHUS, CHARITÉ, SAPIENCE, LE BOURREAU.
antiochus. Charité, décoiffez voire lêle dure, pour
recevoir les coups de l'épée du bourreau.
charité. Pour cela, je ne résiste pas à vos sou-
haits, c'est de bon cœur que j'obé s à votre or-
dre.
sapience. Maintenant, maintenant, ma fille, ré-
jouissons-nous! Maintenant soyons joyeuses dans le
Chrisi! Je n'ai plus un souci, car je suis sûre de no-
tre triomphe.
charité. Donnez-moi un baiser, ma mère, et re-
commandez au Christ mon âme nui retourne à
lui.
sapience. Que celui qui vous donna la vie dans mes
entrailles reprenne celle âme qu'il souffla en vous
du haut des deux.
charité. O Christ, gloire à vous, qui m'avez appe-
lée auprès de vous avec la palme du martyre !
sapience. Adieu, ma fille très-douce, et quand lu
seras unie au Christ, souviens-loi de ta mère déjà
avancée en âge lorsqu'elle te donna le jour.
SCÈNE XVK
SAPIENCE, MATRONES ROMAINES, LES CORPS
DES TROIS JEUNES FILLES.
sapience. Accompagnez-moi, illustres matrones
et ensevelissez avec moi les corps de mes filles.
les matrones. Nous répandons les parfums sur
ces petits corps ei nous leur rendons les honneurs
funèbres.
sapience. Grande est la bonté el merveilleuse la
piété dont vous failes preuve pour moi et mes
mortes.
les matrones. Puisque c«la vous est ulile, nous le
faisons avec plaisir.
sapience. Je n'en doute pas.
les matrones. Où voulez-vous les ensevelir?
sapience. A trois milles de Ilome, si réloignement
ne vous rebute pas.
les matrones. Nullement, nous les suivrons volon-
tiers jusqu'au lieu choisi par vous.
SCÈNE XVII.
les mêmes.
sapience. Voici le lieu.
les matrones. 11 est convenable pour conserver
leurs restes.
sapience. O terre, je le confie le soin de ces ten-
dres fleurs de mes entrailles; réchauffe-les dans loa
sein matériel jusqu'au jour de la résurrection, où
elles reprendront leur verdeur avec un éclat plus
vif. El vous, ô Chrisi, comblez en attendant Lurs
913
SAP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SCL
011
âiiics de splendeurs cl donnez à leurs os la paix et
le repos !
LES MATUONES. AniCfl.
sapience. Merci «le votre bonté et des consola-
tions que vous m'avez données dans mon aban-
don.
LES MATRONES. VoilleZ-VOUS qUC MOUS l'CSliOllS ICI
avec vous?
su'jexce. Non.
les matrones. Pourquoi non?
smmexce. Vos soins pour moi vous deviendraient
à charge. C'est assez d'avoir passé trois nuits avec
moi. Allez en paix et rentrez chez vous avec ma bé-
né fiction.
les matrones. Voulez-vous venir avec nous?
saimence. Nullement.
les matrones. Quelle idée avcz-vous ? que ferez-
vous?
saimence. Je veux rester ici ; peul-èire ma dé-
ni; nde sera-t-elle accomplie et mes désirs exau-
cés.
les matrones. Quelle demande, quels désirs?
sapience. Seulement de mourir en Jésus-Clirist
an -sitôt que j'aurai iini ma prière.
les matrones. Eh bien, il Lui que nous 'atten-
dions pour vous ensevelir.
sapience. A votre gré. — Adonaï Emmanuel, toi
qu'avant les temps la divinité du Père universel
a engendré, et qui , dans les temps, es né d'une
vierge ! Toi dont les deux natures forment miracu-
leusement un seul Christ, sans que la diversité de
ces natures détruise l'unité de la personne, ni que
l'unité de la personne confonde la diversité des na-
lures ! Sois réjoui de l'aimable sérénité des anges et
de la douce harmonie des astres ! Sois loué par la
science de tout ce que l'on peut savoir et par tout
ce qui est composé de la matière des éléments! Car
seul avec le Père cl le Sainl-Fsprit, tu as une l'orme
immatérielle. Parla volonté du Père el la coopéra-
lion du Saint-Esprit, tu n'as pas dédaigné de te faire
homme, passible dans ta nature humaine el impas-
sible dans ion essence divine inattaquable. Pour
qu'aucun de ceux qui croient en loi ne périt, el pour
■que loul fidèle eùl la vie éternelle, lu n'as pas dé-
daigné le calice de noire mon, anéantie par ta ré-
surrection! Dieu parfait, homme véritable, je me
rappelle que tu as promis à Ions ceux qui, par res-
pect pour ton saint nom, renonceraient à l'usage
des biens terrestres ci le préféreraient aux affec-
tons de parenté charnelle, une récompense au cen-
tuple el le cadeau des couronnes de la vie éter-
nelle (426). C'est dans cet espoir, c'est sous l'in-
fluence de celle promesse, el selon tes ordres, que
j':i agi jusqu'ici el perdu sans murmure les enfants
auxquels j'avais donné le jour. Eh bien, ô Saint, ne
larde pas à dégager la parole; fais qu'au plus lot
délivrée des liens corporels, je sois reçue par mes
filles dans le ciel. Je n'ai pas hésité à le les offrir en
sacrifice, afin d'obtenir, quand elles le suivent, ô
Agneau de la Vierge, cl quand elles chantent le nou-
veau cantique, la joie de les entendre, ci afin d'avoir
ma pari de bonheur dans leur triomphe. El enfin,
quoique je ne puisse dire avec elles les chants des
vierges, je puis néanmoins le louer éternellement,
ô loi qui n'es point le Père, mais qui es de même
(12'>) « C'est ici une allusion aux paroles de saint
Matthieu, plutôt qu'une citation textuelle. Voy.
Evang. c. xix, v. 20. » (M. Macmn.)
(427) Ce dénouement me paraît avoir un frappant
caractère de solennité el de grandeur. Celle vieille
mère éplorée, celte llécube calme et chrétienne
qui, après avoir enterré de ses mains ses trois fil-
les offertes au ciel, se relire à l'écart el n'émet qu'un
vœu, celui de mourir après une courte el Fervente
prière, cl qui meurt comme elle l'a souhaité, me
semble rappeler un autre grand cl noble type de
nature que lui! ô mailrc de l'univers avec le Père el
le Saint-Esprit! ô régulateur unique du sysième su-
périeur, moyen el inférieur ! ô loi qui règnes el
domines durant les siècles infinis des temps immor-
tels (427). (Elleexpirel)
les matrones, liecevcz son àmc, ô Scigneurl
Amen,
SCLAFFARDS (Les). — L'élection de l'abbé
des Scia/fards , propre à la fête des Fous,
était pratiquée dans le diocèse de Viviers,
au milieu du xiv'siècle, avec des rites étran-
ges et sacrilèges que nous a conservés
Du Cange. Il dit avoir tiré ce fragment d'un
Ordinaire du diocèse de Viviers, datant
de 13G5.
«(Le 17 décembre , tous les Sclaffarns
el tout le bas clergé s'assemblent pour élire
Y Abbé. ) Quand il est élu, on chante le T-e
Dcum; les compagnons l'enlèvent ensuite,
et le portent avec des cris de joie en un lieu
où toutelacompagnie s'est réunie pourboire;
on le met sur une estrade préparée tout ex-
près pour lui, on l'y installe et on l'y fait
asseoir. A son entrée, tout le monde se lève,
môme l'évoque , s'il est présent... Après
boire, Y Abbé commence à chanter, ou son
premier chantre , accompagné par les Sclaf-
fards et les clercs... d'autres font les répons...
Cela dure jusqu'à ce que, a force décrier
(clamando, e fort cridar), l'un des deux par-
tis fasse taire l'autre... C'est un tumulte
elfrayant de cris, de sifflets, de quintes do.
toux, d'éclats de rire, de hurlements, a uxquels
se mêlent toutes sortes de mouvements de
mains... Le côté de Y Abbé dit: Héros ! Le
parti opposé : Et polie polierno. Le côté do
Y Abbé: ad fons sancti bacon. Les autres:
Kyrie eleison. Quand le tapage a cessé, le
Portier s'avance et dit cette formule : « De
« par Mgr. l'Abbé et ses conseillers, on fait
« savoir que tout homme doit suivre son
« Abbé partout où il ira, sous peine d'avoir
« sa culotte coupée. » L'Abbé et sa suite se
ruent alors hors du logis, les plus jeunes
chanoines et les enfants de chœur en tète, et
vont visiter avec YAbbé les chanoines et
l'évêque. Quiconque les rencontre, est tenu
de se découvrir. (Ces visites durent du 17
décembre à la veille de Noël.) UAbbé doit
porter un manteau ou un labard ou une
chape, avec un large chapeau. (S'il se passe
quelque chose d'inconvenant, c'est lui qui
décide et punit.)
« (A la fête des Innocents, on élisait un
Evéque.) Aussitôt élu, il était porté par les
Sclalïards, clochelles en tète, à l'évêclié, où,
soit que YEvéquc fût absent ou présent, les
oortes devaient être toutes grandes ouvertes;
maternité courageuse, la vénérable duchesse Oda,
qui consacra cinq de ses filles à Dieu, en vit mourir
quatre el, ne devançant la dernière que de peu d'an-
nées, descendit, en priant, dans la tombe. Ilrotsvi-
Iha, dans son poème sur la fondation du monastère
de Gandersheini a rappelé avec émotion la glorieuse
vieillesse d'Oda et les tombeaux de la mère et des
filles... Je me figure que llrotsvilba et ses compa-
gnes, en attendant la béatification de leur digne
fondatrice, aimaient à la glorifier par anticipation,
sous le nom cl sou, les traits de Sapience. » (In.)
<j:5
SIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SIK
SiG
on le niellait sur le balcon, et de là il don-
nait sa bénédiction.
« (A la fête de S. Etienne), VEvéque des
Fous assistait aux matines, à la grand'messe
et aux vêpres, avec son chapelain, pendant
trois jours de suite, assis sur la chaire de
luarhre épiscopale, parée à l'ordinaire... (On
lui donnait chapes de soie et mitre, prises
au vestiaire, son chapelain s'y habillait aussi,
il était précédé de cierges toutes les fois
qu'il marchait dans l'église...) Après les
matines, la messe et les vêpres, son chape-
lain disait : Silence , silence, silence. — Le
choeur. Deo gratias. — L'Évèquiï des Fous.
Adjutorium nostrum, etc. — Le choeur. Qui
fecit, etc. L'ÉvÊque : SU nomen, etc. Bene-
dicat vos divina majeslas, Pater, et Filius, et
Spirilus sanctus.On donnait les Indulgences:
De par Mossenhor l'Evesque
Que Dieus vos donne gran mal .ii oesc.e (jeun)
Avec una plena balasta de pardos
E dos das de raycha de sol lo nienlo.
« (Une autre formule d'Indulgences était
récitée à la Fête de saint Jean l'évaugélisle.)
Mossenhor ques ayssi presenz
Yos dona xx, balaslas de mal de dens
H à vos a titras donas atressi
Dona i* coa de rossi. i
(Du Cange , Gloss. Inf. et mcd. Lut.,
édit. Henschel; Paris, Diu'ol, G vol.
in-4°, v" Kalendœ.)
SÉBASTIEN (Saint). — L'abbé de Lame,
dans ses Essais historiques sur les bardes,
les jongleurs et les trouvères normands et
anglo-normands (Caen, Mancel , 183V, in-8°,
3 vol., t. 1", p. 105), fait mention d'un Mi-
racle de Saint Sébastien, qui aurait été re-
présenté a Caen, vers 1520.
SEMEUR (Le), En 1431, à l'entrée d'Henri
IV, roi d'Angleterre, à Paris, parmi les mys-
tères-pantomimes qui furent représentés
« par personnaiges , sans parler, » Enguer-
rand de Monslrelet cite le « Bon homin
qui semait son blé » à la porte Saint De-
nis. Le personnage du semeur est reproduit
dans divers myslères qui eurent les hon-
neurs do représentations publiques, et avec
beaucoup d'originalité et de force dans les
Trois Rois du manuscrit de Sainte - Gene-
viève. — Voq. Trois Rois (le geu des), IL 2°.
SEPT VERTUS ET LES SEPT PÉCHÉS
MORTELS (Les). —On représenta à Tours
e 25 juillet 1390, Le Gieus des sept vertus et
des sept péchiez mortels, (Congrès scientifiqw
de France, \V session, t. 1er p. 121.)
SE VERIN (SAiyT). — Le Mystère de saint Sé-
vérin est une partie de celui des Trois Doins
qui fut représenté les 27, 28 et 29 mai
Ï509 à Romans , et dont le manuscrit,
connu encore en 1787 (Journal de Paris,
1787, n° •liîï, p. 1143), est aujourd'hui perdu.
SIEGE D ORLEANS (Le Mystère du). —
^cvc 'siècle — « Cet ouvrage-, dont l'auteur est
inconnu n'a pas moins de vingt-cinq nulle
vers. Il est conservé à la bibliothèque du
Vatican parmi les manuscrits de la reine de
Suède, occupant à lui seul tout le manus-
crit 1022 do celte collection, qui est un
petit in-folio en papier, composé de 509
.euillets et écrit en cur>ive gothique du
.commencement du xvie siècle
« M. Paul Lacroix est lo premier, à ma
connaissance, qui ait signalé aux curieux le
mystère du siège d'Orléans et cela dans le
septième volume de ses Dissertations sur
quelques points curieux de l'histoire de
France (Paris, 1839). Depuis, un érudit al-
lemand, M. Adelbert Keller, en donna une
notice plus étendue, accompagnée d'extraits,
jans un livre qui parut à Manheim en 1844
sous le titre de Romrart. Enfin, j'ai moi-
même entre les mains un volumineux cahier
de notes prises sur le manuscrit du Vati-
can par M. Salmon, élève de l'école des Char-
tes. Grâce à ces notes, aussi bien qu'aux
indications de MM. Lacroix et Keller, j'ai
)u me faire une juste idée de la valeur que
>résente , comme document historique ,
'ouvrage en question.
« Cette valeur est nulle, je me hAte de lo
dire, non parce que l'auteur s'est éloigné de
l'histoire, mais au contraire parce qu'il l'a
suivie de trop près. Sa pièce n'est autre
chose que le journal du siège, dialogué et
mis en vers , avec une exposition dont
l'idée est empruntée à la Chroniuue de la
Pucelle.
« L'ouvrage commence ainsi sur le pre-
mier feuillet du manuscrit :
Le Mister e du Siège d'Orléans, composé et
compillé en la manière cy après déclarée.
Et premièrement Sallebry commance en
Angleterre et dit ce qui en suit :
Près lianlx et très pnissans seigneurs,
Vous remercy des gratis honneurs
Dont vous a pieu ainsi me faire,
Quant vous autres, princes greigneurs.
Qui esies les conservateurs
De tout p.osire leniloire,
Me vouloir faire commissaire
Eslre [etj lieutenant exemplaire :
C'est de ilomy noble roy de renom.
Pour le jour d'uy n'est de si noble affaire.
D.' France est roy, il en e«.l tout notoire,
Kl d'Engleterre qui est sou propre nom.
Or suis-je dont , par la vosirc sentence,
Son lieutenant par la vosire ordonnance
Esleti par vous, pour conduire s:i guerre;
Dont plusors sont de vosire appartenance
Plus sullisant et de magnificence
Pour besoigner miculx et savoir conqm-rre;
Mais puisquY.insi l'ave/, voiu requene
Obeyr veul à vous Ions sans enquérie
El y vaquer de tout mon pansement.
Sur les François nous devons Ions acqnerro.
Que de bon droit nous appartient leur lerre
El leur royauiine aussi entièrement, e.'c, etc.
« Ce discours tenu devant les lords est
fort long, et plus longues encore sont les
reparties qui le suivent. La un de tout cela
est d'amener en scène le duc d'Orléans,
alors prisonnier à Londres, qui conjure Sa-
lisbury d'épargner les villes et terres de son
domaine. Le général anglais promet, puis
change de propos aussitôt qu'il a mis le
pied en France. Telle est l'exposition.
« La Pncelle ne paraît qu'au tiers envi-
ron de l'ouvrage (f" 172 du manuscrit). On
017 S1E DICTIONNAIRE
ia voit « gardant les brebis de son père et
« gueusanl en linge. » Les orgues jouent et
l'archange Michel so présente devant elle
pour lui transmettre les ordres de Dieu.
On passe de là à Vaucouleurs, dans l'hôtel
de Baudricourt; [mis on retourne à Or-
léans pour assister a la passe d'armes qui,
selon le journal du siège, eut lieu a le der-
nier jour de l'an » entre deux hommes
d'armes français et deux anglais. On voit
après cela l'escarmouche où le Bour de Bar
fut fait prisonnier, puis l'arrivée des Auver-
gnats, .puis la bataille des Harengs, etc., etc.,
et ainsi so succèdent toutes les actions mili-
taires du siège, à grand renfort de trompet-
pettes et de clairons qui prennent la plupart
du temps la place des discours. L'étendue
des rubriques destinées à expliquer les
mouvements de scène montre que le spec-
tacle était plutôt pour les yeux que pour
les oreilles.
« Voici, par exemple, comment le dernier
assaut des Tourelles est expliqué aux feuil-
lets 339 et 3V0 du manuscrit :
« Lors les Irompetes sonneront do plus
« fort en plus fort et seront les Anglois tout
« esbayz de voir cette puissance revenir sur
« eulx; et y a un grand assault ; et ceulx do
« la ville sonneront et saudront pour venir
« secourir la Pucelle et gens d'armes, et fe-
« rôtit des planches de bois pour ve:iir aux
« Tourelles et passer sur les arches rom-
-< pues, et puis viendront ayderau bouloart
« île la Belle-Croix, etde si grant force, d'un
« couslé et d'autre, que les François gaigne-
« ront le bouloart des Tourelles et se re-
« [raieront Glasidas et autres cappitaines
« grantnombre d'Angloissur le pont, lequel
« avoyent rompu. Et tout à coup cherra ledit
« pont soulz lesdits Anglois et seront tous
« noyez : c'est assavoir Glasidas et le sei-
'< gneur de Pont, le sire deMolins, le bailly
« de Mente et plusieurs autres. Et fuient
« prises les Tourelles d'assault et tout tué,
« fors que ung peu de prisonniers qu'on
« amena en la ville. »
« Le mystère se termine par le retour
triomphal de la Pucelle et des capitaines h
Orléans, après la victoire do Patai. Talbot et
les autres prisonniers anglais marchent de-
vant le cortège aux cris de Noël! poussés
par la population entière. Jeanne s'arrête,
l'ait faire silence à la multitude, et débite
une harangue d'actions de grâces, dont voici
la péroraison :
Si vous encharge faire les processions
El louer Dieu el la Vierge Marie,
Donl par Anglois n'a point eslé ravie
Voslre ci lé ne ses possessions.
« J'ajoute... que la Pucelle avait un rôlo
dans une pièce jouée à Ualisbonno en H30.
C'est M. de Hormayr qui allègue ce fait d'une
manière tout à fait incidente dans son Jas-
chenbuch (p. 326). Le sujet de la pièce alle-
mande étant la guerre contre les hussites,
Jeanne n'y figurait «ans doute qu'à raison
de la lettre qu'elle adressa à ces hérétiques
le 3 m,vs 1430. » (Jules Qlicbeiut , Procès
DF.S MYSTMRF.S. SOU 9-l.S
de condamnation et de réhabilitation de Jeanne
d'Arc [pou ria Société de l'Histoire de France],
Paris, Bcnouard,in-8\3vol.,t. V, p. 70-83.)
Ou trouve dans le même ouvrage (mémo
volume, p. 309) la note suivante, extrait»
des registres originaux des comptes el dé-
penses de la ville d'Orléans, à la bibliothèque
de cette villft, imprimée aussi, mais d'une
manière moins correcte, dans les Recherches
historiques sur la cille d'Orléans, de M. Lollin,
t. 1" de la première partie, passim :
« A Guillaume le Charron et Michelet
Filleul, pour don à eulx fait pour leur aider
a paier leurs eschaffaulx el autres despenses
par eulx l'aides le vme jour de may mil
ccccxxxv que ilz firent certain mistère au
boloart du pont, durant la procession : trois
réaulx d'or. Pource, 72 s. p. »
Cette note reporte la date du mystère du
Siège d'Orléans, aux premières années du xv*
siècle.
SORTIE d'EGYPTE (La).— La Sortie
d'Egypte, d'Ezéchiel le Tragique, a péri,
sauf des fragments conservés pur saint Clé-
ment d'Alexandrie (Stromat., 1. i, p. 3ii),
par Euslatlie (Ad Hexaëmcr., p. 25), et par
Eusèbe, dans la Préparation évangétique du-
quel on trouve, outre les citations très-
courtes de saint Clément et d'Eustalhe, tous
les fragmens dont nous donnons ci-dessous
Ja traduction.
Les débris précieux de ce monument sont
les plus anciens restes connus du théâtre
religieux inspiré par les grandes traditions
juives et chrétiennes; en effet, il date très-
probablement du ne siècle, el a été écrit en
grée par le juif Ezéehiel, à qui l'antiquité,
admiratrice de ses œuvres, a légué le nom
d'E/.échiel le Tragique.
Les éditions en sont très-nombreuses ;
outre celles de saint Clément, d'Eusèbo et
d'Eustalhe, on trouve la Sortie dEgypte im-
primée deux fois, en 1500, chez le libraire
Presvoleau, la première en grec seulement,
et la seconde fois, accompagnée d'une tra-
duction en vers, par les soins de Fédpric
Morel, imprimeur du roi : 1° Ezechiel Tra-
gici... Educlio scu Liberatio... plerisque it}
locis castigata (Paris, Presvoteau, in-16, de
16 pages); 2" Ezech. Tr. Exagogc scu Edu-
clio... Latinis versibus oxpressa et nolis
illuslrata per Fed. Morei.l. (Idem.) Eu 1609,
elle fut rééditée dans les Poelœ christ, grœc;
una cum Homeri centonibus; Paris, Già.ude
Chapelet, 1600, in-8°; et un peu après dans
le Corpus Poetar. grœcor. irag. et comic,
Genev., 1604-, in-fol. ; enfin M. Diibner l'a
donnée dans la collection Didot, avec quel-
ques autres fragments de poètes chrétiens.
Les principales traductions latines sont
celles, en vers latins, de Féderic Morel, qui
appartient au xvr siècle; le P. Jésuite Fran-
çois Viger, dans son édition d'Eusèbe Pam-
phile (Paris, 1628, in-fol., p. 436-M7) en a
laissé une fort-belle version; et l'on puni se
servir non moins utilement du travail plus
récent de M. Dùbner.
Il n'existe de traductions françaises que
de for! modernes. La plus ancienne estcella
S 10
éou
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
soft
«Ji'O
de M. l'abbé M"*, Recueil des démonstra- malique, après les efforts de 1 école d'A-
tions évangéliques, Paris, 1812, in-8°, 1.1"; lexandrie, n'avait pius rien produit. Une tra-
M. Séguier de Saint-Brisson a publié une gédie sur un sujet biblique par un auteur
traduction complète dans la Préparation évan- juif, jouée devant des spectateurs juifs, dé-
ye'%ued'Eusèbe,en I8i6, Paris, 2 vol. in-8°; ment tout ce nu'
et M. Magnin en a donné des fragments dans
fe Journal des savants de 18i9.
Un théologien de Leyde, Etienne Lemoyne,
pensait que ce drameétait un reflet lointain
de la grande catastrophe qui dispersa la na-
tion juive. Jean Leclerc (Joann. Cleric,
qu on a dit de trop exagéré sur
la répugnance des Juifs pour le théâtre et
les représentations figurées, au moins à l'é-
poque d'Ezéchiel. Ce drame, fidèle encore
à l'iambe de Sophocle et d'Eschyle, n'a pour-
tant plus rien des anciennes formes tragi-
ques. Rien de la concentration habiie re-
Histor. eccles.; Amstelod.,1716,in-40, p. 797) commandée par Aristole , et pratiquée avec
s'est permis d'en douter. Cette opinion a
été relevée de nos jours par M. Magnin (loc.
sup. cit.). De même que Lemoyne, cet illus-
tre savant s'est appuyé sur l'analogie du
sujet et de la situation; toutefois , il a re-
porté les souvenirs évoqués par Ezéchiel,
.4'.,.. .,U.,_„„„ „». j' i:ur__i >. l_ i„
tant de succès par les maîtres de la scène
grecque. C'est une sorte de drame chronique,
écrit dans un système que la scène grecque
aborda vers ses plus hautes origines, mais
qui y disparut presque aussitôt, tandis qu'en
Europe plusieurs nations l'ont préféré jus-
d'un pharaon et d'un libérateur, à la grande qu'à nous, et qu'il a rendu possible, au moyen
insurrection qui éclata en Judée, sous Bar-
cochébas, l'an 136 après J.-C,, et au long
siège de Bither; Hadrien est le pharaon ;
Barcochébas, le Moïse. Mais, si grandes que
soient les autorités quenous citons, on peut
se demander si ces prétendues analogies
des travaux de la littérature fct des faits de
l'histoire, au moyen desquelles on a soulevé,
dans nos derniers temps, beaucoup de pous-
sière poétique, ne sont pas une pure illu-
sion. Quand la société est profondément
agitée, et que l'esprit humain branle en son
assiette, il n'est pas probable qu'on rétléchisse
beaucoup, et qu'on polisse des œuvres d'art.
L'homme observe, au contraire, et il met
de côté, pour les heures plus paisibles, où
s'élaborent enfin, dans le calme, les secrètes
tendances de l'âme.
M. Magnin a soulevé, à propos de la
Sortie d'Egypte, une question nouvelle et
grave : ce drame a-t-il été représenté? Si
Ezéchiel est antérieur à l'ère chrétienne,
dit M. Magnin, la pièce n'a pu être jouée,
ni à. Alexandrie, ville égyptienne et peu fa-
vorable par cela même aux Hébreux, ni en
Judée, les Juifs ayant horreur des specta-
cles, nul théâtre d'ailleurs n'existant dans
le pays, et la personnification de Dieu de-
vant y apparaître, aux yeux de tous, comme
un sacrilège. Malgré l'introduction des mœurs
grecques et la couslruction d'un gymnase à
Jérusalem, sous Antiochus Epiphane, il n'est
pas de représentation scénique connue avant
Hérode. C'est lui qui, au péril de sa vie,
Éleva, le premier, des théâtres a Sébaste.
On y jouait les pièces de son familier, Nico-
las de Damas. Mais si, au contraire, la Sortie
d'Egypte a rapport au siège de Bither et à
Barcochébas, ce drame a pu être joué dans
quelqu'une des villes révoltées, et jtrès-pro-
bablement dans Bilher même, ville savante,
remplie de professeurs et d'écoliers.
Enfin, M. Magnin considère la rencontre
de cette pièce à la fin du i" siècle , comme
un grand sujet d'étonnement. Le génie dra-
(428) M. Edelcsland Duméril a dit à propos d'Ezé-
chiel v « Il est impossible de ramener son Eçay^y» à
rimilalion d'aucun modèle classique; c'esl une œu-
vre toute juive, qui ne s'csl visiblement inspirée que
âge, les autos et les mystères. Cette pièce
constitue une époque dans l'histoire géné-
rale du théâtre ; elle a été le modèle, ou, sr
l'on peut parler ainsi, le précurseur de nos
jeux-partis, de nos moralités, et de nos mys-
tères (-V28). Voy. Ezéchiel le Tragique.
Elsèbe, Préparation Evangélique, livr. ix,
ch. 28.]
(Le pcëe tragique Ezéchiel raconte aut&i [dans la fic-
tion intitulée isagoge [la Sortie d'Egypte]), que
Moyse fut exposé sur un marais par sa mère, re-
cueilli là par la fille du roi et élevé : cette histoire
remonte jusqu'au temps de Carrivée, des Hébreux en
Egypte, avec Jacob auprès de Joseph. L'auteur fait
parler ainsi Moyse en l'introduisant sur la scène.)
PROLOGUE.
moyse. Depuis le jour où Jacob, quittant la terre
dcChanaan, vint en Egypte, avec une suite de soixante-
dix persounes, d'où sortit un peuple nombreux, mi-
sérable et opprimé, jusqu'à ces derniers lemps, nous
avons élé accablés par la perversité des hommes et
la puissance de leurs bras. En etTet, le roi Pharaon,
dans l'idée que noire race avait assez crû. médita
contre nous des desseins artificieux et funestes :
tantôt il écrasait le peuple de constructions en bri-
ques, de constructions immenses; tantôt il construi-
sait les murs des villes, crénelés et garnis de tours,
pour en l'aire usage contre des infortunés; et enfin,
dans une proclamation générale il ordonna aux Hé-
breux de jeter tous leurs enfants mâles daus le Nil
profond. En ce temps-là, ma mère, m'ayanl mis au
monde, me tint caché durant trois mois, comme
elle me l'a raconte depuis lors, et ne pouvant plus
me garder, elle m'enveloppa de ce qu'elle avait de
plus beau et m'exposa au bord du fleuve, dans un
endroit marécageux, bas et rempli d'herbes. Mais
ma sœur Marie se tenait en observation dans un lieu
voisin. Ce jour-là la fdle du roi descendit , avec ses
suivantes, pour baigner dans le fleuve son corps dé-
licat. Elle me vit, me souleva aussitôt de ses mains,
et reconnut que j'étais Hébreu. Ma sœur Marie ac-
courut auprès de la reine et lui dit : « Voulez-vous
une nourrice? Je vous en trouverai à l'instant une
pour ce petit hébreu? » La reine répondit : « Jetme
tille, hâtez-vous. » Ma sœur courut; elle dit tout a
ma mère, et celle-ci était déjà auprès de moi, me
serrant sur son sein. La fille éin roi parla ainsi:
i Femme, allaite cet enfant, cl je saurai moi-même
de VExode el que des idées du lemps. » (Origines la-
tines du théâtre moderne; Paris, 1819, in-8", p. 2,
note 2 )
.721
SoR
riCTIONNAIRE DES MYbîEUES.
o-ia
te récompenser, i Elle même me donna encore U
nom de Moyse, parce que elle m'avait relire dosbordi
humides du fieuve.
(Apres quelques attires détails, Ezéchiel ajoute en-
core, dans sa tragédie, les vers qui suivent sur le
même sujet; c'est toujours Moyse qui parle)
Le temps de. mon enfance écoulé, ma mère 'me
conduisit au palais de la reine, non sans m'avoir
(oui révélé et m'avoir appris la race de mes pères
et les bienfaits du Soigneur. La princesse, tant que
dura mon adolescence; me traita en roi et m'en lit
donner l'éducation, <le même que si j'eusse été le
fils de ses entrailles. J'avais atteint déjà làge
d'homme, lorsque je quittai le palais du roi : mi
élan intérieur me poussait à faire actes et œuvres
de roi. Je vis d'abord deux hommes qui se battaient :
l'un était Hébreu, l'autre Egyptien; nous trouvant
seuls et sans témoins, je délivrai mon frère, et je
misa mort 1 étranger, puis je l'enterrai dans le
sable, pour qucpersoiine nouons vît et ne révélât le
meurtre. Le lendemain, ayant rencontré encore
deux hommes aux prises, mais celte fois tous deux
de ma nation, je dis à l'un : Pourquoi frappes-tu cet
homme qui est plus faible que loi? II me répondit .
« Qui vous a envoyé pour juge entre nous, ou comme
surveillant ici? Allez -vous me luer comme l'homme
d'hier? > Alors, effrayé, je dis à part moi . « Coni-
n enl celte action est elle déjà connue?» Cependant
cet homme ne larda pas à tout dénoncer au roi et
Ptiar.ion nie lit chercher pourin'ôter la vie. J'en fus
instruit, je m'éloignai elmejvoici, depuis ce temps,
errant sur la terre étrangère...
Ensuite Moyse, à la vue des filles de Raguel, dit en-
core :
Mais j'aperçois sept jeunes filles...
SCÈNE 1".
SI oyse leur demande qui elles sont, Seppnora (i29)
répond :
sepphora. 0 étranger, toute cette terre porte le
nom de Lijbie ; des tribus de races diverses l'habi-
tent, entre autres les noirs Ethiopiens (450); elle
n'est soumise qu'à un seul homme, qui en est le roi,
le gouverneur et le chef ; mon père et celui de ces
jeunes filles est le grand- prêtre delà ville voisine;
il y commande et il y juge les hommes.
SCÈNE 11.
(Le yoële passe ensuite à la scène des troupeaux qu'on
abreuve, puis au mariage de Sepphora dont Chus
et elle parlent ensemble; c'est là que l'on trouve ces
vers )
SCÈNE III.
culs. Il faut pourtant, Sepphora, que vous me fas-
siez ce récit...
sepphora. Mon père m'a donné pour épouse à cet
étranger (-451).
SCÈNE IV.
[M. 29.
(Pémétrius (132) rappelle absolument comme VÈcri-
lure sainte, le meurtre de l'Egyptien, et l'issue de
la querelle nvec l'homme qui avait été témoin de ce
meurtre. En outre, Moyse ayant pris: la fuite chez
les Madianites, épousa la fille de Jothor, dont le
nom de Sepphora indique la race issue des enfants
de Cheltura, et par eux d'Abraham mente; car
Abraham reçut Jexane de Chettura ; il en cul Da-
(129) Sepphora, en hébreu, petit oiseau.
(450) La dénomination d'Ethiopiens se retrouve
dans les Nombres, xn, 1, traduction des Septante.
(431) Les citations d'un vers, d'un vers et demi,
piouveut combien la pièce était dans toutes les mc-
danp, père de Iiagnct,pcre de Jothor et d'Ababus;
enfin Jothor enl pour fille Sepphora , épouse de
M oyse. Les générations se trouvent concorder avec
'argumentation de Démet tins; en effet, Moyse est
compté comme la septième génération et Sepjiltora
comme la sixième après Abraham, celui-ci ayant.
déjà pour fils Isauc, duquel descendait Moyse, lors-
qu'à l'âge de cent quarante ans, il épousa Cheltura.
En second lieu, lorsqu' Abraham cul d'elle Isaac,
comme Isaac était né que son père avait déjà cent
ans, il avait an moins quarante-deux ans de plus
qu Isaac, de qui descendait Sepphora. On ne peut
donc pas dire que Moyse cl Sepphora n'ont pu vivre
à la même époque. En outre, c'est bien la ville des
M adiauiles 'qu'ils habitaient, car elle a reçu son nom
de l'un des fils d'Abraham. Abraham lui-même en-
voya les siens chercher vers l'orient, une contrée oit
il pût habiter, et dans la suite Aaron et Marie, se
trouvant à Haseroth, reprochèrent à Moyse d'avoir
épousé une Ethiopienne. Ce sonl-là les événements
que remet en scène Ezéchiel, dans su sortie d'Egypte ;
il ajoute en outre le récit d'un songe de Moyse que
son beau-père explique. On voit s'approcher Moyse
et son beau-père; ils parlent ensemble et Moyse
dit:)
SCENE V.
mo.^e. il me semblait que, devant mes yeux, au
sommet du mont Sinaï, était un trône immense et
perdu dans les deux. Sur ce trône était assis un
homme éminent, le front ceint du diadème et te-
nant un grand sceptre dans la main gauche. Il me
fit signe de la droite, et je me lins immobile devant
lui. Il me donna le sceptre et me fit asseoir sur ce
trône puissant; il me donna la couronne royale, et
de son plein gré quitta ces lieux élevés. Je vis alors
le globe entier du monde. Au-dessous de moi état la
terre; au-dessus, le ciel. Une multitude d'étoiles
tomba sur mes genoux, je les comptai toutes : elles
passaient devant moi comme une armée humaine.
Enfin, je me réveillai avec effort, dans une grande
terreur.
(Le beau-père explique le songe en ces termes :)
r.vgcel. 0 étranger, Dieu vous envoie une heu-
reuse prédiction. Puissc-je vivre encore quand ces
grandes choses s'accompliront. Sans nul doute, vous
renverserez un trône, cl vous gouvernerez vous-
même, et vous serez un conducteur de nations;
et de même que vous avez vu toute la lerre habi-
table en même temps que les immensités des cieux
qui appartiennent à Dieu, ainsi vous aurez la science
du passé, du présent cl de l'avenir.
SCÈNE VI.
(Ezéchiel met ensuite en scène le buisson ardent et
l'ordre que reçut Moyse d'aller trouver Pharaon. Il
introduit deux fois Moyse conversant avec Dieu)
moyse. Hé! quel signe ni'ollre ce buisson? Prodige
surprenant et incroyable aux hommes! Il vient de
s'enflammer tout à coup, et pourtant ses feuilles res-
tent vertes! Qu'est-ce que cela? Avançons pour ob-
server ce grand phénomène; non, non, cela n'est
réellement pas croyable.
SCÈNE Vil.
(Dieu commence alors de lui parler.)
dieu. Arrête, excellent homme. N'approche pas,
ô Moyse, avant d'avoir quitté la chaussure. La terre
que lu foules est sainte. C'est le Verbe divin qui
flamboie à tes yeux dans ce buisson. O mon fils,,
rassure-loi et écoule ma voix : les veux d'un mortel
moires du temps d'Eusèbe; elles rappellent des ti-
rades.
(152) C'est Eusèbe ici, et non Alexandre Poly-
. histor, qui remarque l'accord des récits de Deme-
uras avec l'Ecriture sainte.
9^23
SOR
niCTKHNAIKE DES MYSTERES.
SOR
CWU
lin peuvent contempler ma l.<ce, mais il l'est permis
(i'enlendre mes paroles; c'est pour cela que je suis
venu. Je suis celui que lu appelles le Dieu de les pè-
res, le dieu d'Abraham, d'isaac et de Jacob; je me
mis souvenu d'eux el de mes dons; el je viens dé-
livrer mon peuple, touché (te l'affliction el des souf-
frances de mes serviteurs. Va dune, «l retenant
mes paroles, déclare d'abord aux Hébreux assemblés
el ensuite a =i roi que je l'ai ordonné de conduire mon
peuple h rs do celte terre.
(Moyse récite alors quelques vers.)
moyse. Je n'ai pas la parole facile, ma langue esl
embarrassée ci ma voix trop faible pour que je puisse
parler devant le roi.
(A ces paroles, ûieu répond :)
dieu. Envoie promplemenl au roi Aaron loa fière,
à qui lu rapporteras loules mes paroles, l'.'esl lui
qui parlera devant Pharaon. Tu recevras m s or-
dres de ma bouche el Ion frère les recevra de la
tienne.
SCÈNE VIII.
(// y a ensuite un dialogue dans lequel il esl question
delà verge el des autres prodiges.)
dieu. Que liens-lu à la main? Réponds-moi sur-le-
champ.
moyse. Une verge, pour diriger les troupeaux el
les hommes.
dieu. Jelie-la à lerre el recule promplemenl; car
elle va se changer en un serpent terrible qui le gla-
cera d'clonnemenl.
moyse. Voilà, je l'ai jetée... 0 Seigneur, à mon
secours! qu'il esl terrible! qu'il est grand! Prenez
pi'.ie de moi! Sa vue me frappe d'horreur, el tous
nies membres sont tremblanls.
dieu. Ne crains rien. Etends la main, prends ia
queue de ce reptile, il va redevenir verge comme au-
paravant. Plonge maintenant la main dans Ion sein
cl reiire-la.
moyse. J'ai obéi; ma main esl blanche comme de
la neige.
dieu. Plonge-la une secondefois, elle redeviendra
telle qu'elle était.
(Dieu ajoute encore d'autres paroles à celles qu'il
vient d'adresser à Moyse.)
SCÈNE IX.
(Bien'ôl Ez*cliiel énumère dans son drame les pro-
diges qui doivent frapper l'Egitote et il introduit
Dieu, qui parle ainsi :)
dieu. Avec celte verge, lu produiras tous les maux.
D'abord, le fleuve routera des eaux pleines de sang;
cl ainsi les sources el les marais. Puis , j'enverrai
sur la terre une multitude île grenouilles et d'in-
sectes. Je répandrai des cendres brûlantes comme
d'un foui ne;. u, el il naîtra sur ces hommes des ul-
cères effrayants cl terribles. Ees mouches, qui tour-
mentent les chiens , viendront alors el accableront
un grand nombre de ces Egyptiens. A ees fléaux suc-
cédera la peste, et tous les hommes au cœur dur pé-
riront. J'armerai le ciel même; la grêle tombera
avec le feu, et des hommes périront/en même temps
que seront perdues toutes les récolles el succom-
beront les animaux. Pendant trois jours entiers, je
couvrirai l'Egypte de ténèbres. J'enverrai d'itmoiu-
brables sau'.ei elles qui dévoreront les blés et les
verts pâturages. Enfin, pour comble à ces maux, je
frapperai de mort les premiers-nés des hommes,
pour effacer [parma vengeance] l'injure que vous (il
ce peuple impie. Mais Pharaon ne cédera à aucun de
«nés avertissements avant d'avoir perdu son fils aîné;
alors seulement, frappé de terreur, il laissera s'é-
loigner mon peuple. Tu diras cependant à lous les
(435) M. Dùbncr considère comme une gbsc dans
Hébreux assemblés : « Ce mois- eat pour vous le pre-
mier de l'année, car, dans ce unis, j'emmènerai mon
peuple au milieu île ce; le terre promise à vos pères. >
Dis encore à ce peuple : « Lors de la pleine lune de
ce mois, et dans la première nuit, vous célébrerez la
pàqnes au nom de Dieu, et ensuite teignez de sang
vos portes, afin qu'à h vue de ce signe, l'ange ex-
terminateur passe outre; et, dans celle nuit même,
vous mangerez lous les viandes rôties. » Alors le roi
s'empressera dé congédier les Hébreux, et quand
vous en serez au départ, je ferai une grâce à mon
peuple". Toule femme demandera à une femme tons
les vases cl lous les habits doni usenl les hommes
(or, argent et parures), en récompense des travaux
faits pour les Egyptiens (433). Lorsqu'après sept
jours de marche, à compter de celui de votre départ
d'Egypte, vous serez entrés dans la lerre que je vous
accorde en propre, vous mangerez lous, et cela
chaque année, pendant mi nombre égal de jours,
le pain azyme (ou sans levain); c'est moi-même qui
l'ordonne, et, en sacrifiant les premiers-nés de lous
les animaux, vous consacrerez à Dieu lous les pre-
miers enfants mâles oui ouvriront le sein de leurs
jeunes mères.
(Kzécliiel s'arrête sur celle fêle et met dans la bouche
de Dieu les prescriptions les ptus détaillées pour la
célébrer.)
Chaque Hébreu , le dixième jour de ce mois , pren-
dra, autant qu'il en faul pour sa famille, des veaux
el des brebis sans défaut ; on les gardera jusqu'au
lever du quatorzième jour. Après les avoir immoles
et rôtis, y compris les entrailles, le soir, vous les
mangerez, les reins ceints, les pieds chaussés cl un
bâton à la main. Or le roi ordonnera de vous chas-
ser de dessus sa terre, cl chacun de vous aura à
répondre à l'appel. Après les sacrifices, prenez à la
main une brandie d'hysope, Irempez.-la dans te sang
el teignez les deux montants de votre porle, afin que
la mort passe et s'éloigne des Hébreux. Vous obser-
verez, pendant sept jours, celte fêle des azymes, à
la gloire du Seigneur, el vous ne mangerez rien qui
ail fermenté. Car c'est le temps de votre délivrance
de lous les maux, el Dieu vous mènera au loin pen-
dant ce mois même; qu'il soit donc pour vous le
commencement des mois et des temps.
(A ces commandements , Dieu en ajoute quelques
autres.)
SCÈNE X.
(Puis Ezéchiel, dans sa pièce de a sortie, amené un
messager qui expose el l'ordie suivi par les Hébreux
dans leur fuite el la destruction de l'armée égyp~
tienne.
LE MESSAGER
le messager. Lorsque le io i Pharon fut dehors de
son palais, au milieu de celle multitude, de tant de
milliers d'hommesarmés, avec sa cavalerie, sesch.rs,
ses généraux el ses gardes , celte armée rangée en bon
ordre offrait un aspecl terrible. L'infanterie el les
phalanges occupaient le centre, laissant par inter-
valles des places libres pour les chars. La cavalerie
fut rangée à droite et à gauche. Je nie suis informé
du nombre de ses troupes : il n'y avait pas moins
d'un million de bons soldais. Quand noire armée
découvrit celle des Hébreux, ils étaient lous rassem-
blés au bord de la mer Rouge, les uns couchés sui-
te rivage, les autres, malgré leur fatigue, apprê-
tant la nourriture de leurs femmes cl de leurs en-
fants. Prés d'eux reposaient les bêles de somme cl
les bagages. Tous étaient sans armes. A noire aspect
on n'entendit qu'une clameur lamentable : tous ces
bras si nombreux étaient levés au ciel; chacun in-
voquait le Dieu de sa race. La confusion etaii im-
mense. Au contraire, nous, nous étions lous joyeux.
4
le texte celle idée d'indemnité.
m
SOT
DICTIONNAIRE DES MÏSTEKES.
SL'Z
92G
Nos camps Cirent placés \is a-vis d'eux , non loin de
la ville que les nommes Oui nommé;; Béelzëphon ;
après le coucher ifu soleil ardent, nous nous repo-
sâmes, remettant lecomhat au lendemain matin ei
confiants dans noire nombre cl dans la force de nos
armes. Mais alors commencèrent sons nos yeux d'é-
Iranges prodiges : lout-à- oup une noire barrière
de nuées s'éleva de terre cl s'interposa entre notre
camp et celui des Hébreux; ensuile Moïse, leur
chef, prenant en main la verge divine dont il avait
cpndn lanl de maux prodigieux sur l'Egypte, frap-
pa le dos île la mer Rouge et ouvrit les abîmes des
iio's divisés de coté cl d'autre. Alors, les Hébreux,
en lignes sériées, s'élancèrent en toute haie dans ce
chemin salé. Nous nous pressâmes de suivie leurs
pas dans celle roule. Nous touchions à leurs cohortes,
en poussant <!c grands cris, échauffés de la courte,
lorsque , soudain, les roues de nos chars cessent de
tourner, comme allachées à des chaînes. Dans le ciel
une lueur inin ense, une flamme ardente s'étendent
au-dessus de nous, el selon toute vraisemblance,
c'est Dieu même, protecteur des Hébreux, qui se ma-
il rosit*. Ap i:ie sont ils hors de la mer, qu'une énorme
Il il mugit contre nous. A sa vue, une voix s'écrie :
« Fuyo. s en Egypie devant la main du Très-Haut qui
le ir p rie secours et prépare no re ruine! » aussitôt
la ri ule que i i mer Uouge avait ouvert.; se referme, et
l'armée csl engloutie (431).
SCÈNE XI.
(Un peu plus loin on les voil faire une. roule de (rois
jours, comme le rappelle Démélrius , d 'accord sur
ce point avec les livres sucrés.
[Comme le lieu delà halle manquait d'eau aouce.
Moyse, par Tordre de Dieu, jette un certain bois
diits l'eau suumâlre ci aussitôt Teau devient po-
table.)
SCENE XII.
(De là les Hébreux viennent à t'Aime où ils trouvent
douze fontaines el soixante-dix palmiers. Ezécliiel
fuit paraître dans son drame un homme qui vient
annoncer à Moyse cette découverte et décrit un oi-
seau qu'il a vu. Voici d'abord comment il parle des
palmiers et des fontaines.)
un ÉCLAiREim. Puissant Moyse, écoulez : nous
avons trouvé un lieu propice dans ces vallées, c'est
là même, so'S vos regards. Celle lumière l'illumine,
qui nous guide d.ms l'ombre des nuits sous l'as-
pect d'une colonne de feu. Il y a là une prairie om-
bragé •, des sources fraîches, un sol fertile et profond.
Douze fontaines jaillissent d'un seul rocher. Là s'é-
lnenl un grand nombre de palmiers chargés de
fiuits; j'en ai com;>té soixante-dix. L'herbe est épaisse
pour la nourriture des troupeaux.
(Un peu après , »7 reprend la parole pour décrire un
oiseau qui a été vu en ce lieu.
Nous y avons vu aussi un oiseau tout nouveau ,
que nul n'a jamais vu, admirable : deux fois plus
long que l'aigle, aux ailes de couleurs variées; la
gorge pourpre, les pâlies vermeilles, le cou orné
d'un duvet couleur de safran; la lêle semblable à
celles des coqs domestiques; la prunelle d'un jaune
pale enfermée dans une cornée ccarlate; le chant le
plus harmonieux qu'on pùl entendre. Il semblait
être le roi de ions les oiseaux, car tous volaient li-
inidcmenl à sa suile, et lui s'avançait à leur lèle,
superbe comme le taureau uui, d'un uas rapide, s'a-
vanc (Î3'.j.
SOTS (Les). — Les sols sonl l'une des
formules de la fêle des Fous; ils ont eu
leurs abbés et leurs odiees. Ils se sonl per-
(iô't) M. Magnin a remarqué que ce récit du dé-
sasire dos Egyptiens rappelle les Verses d'Eschyle.
(\7>-S) Eusiathe, évoque d'Aniioche (Cvmnunlar.
pétués au théâtre, vers le xvT siècle el la
Sottie a eu alors ses princes dont l'histoire
n'appartient [dus au génie religieux. —
Toi/. Fête des fols.
SUZANNE (Sainte). — Un drame de la
chaste Suzanne a élé écrit dans des temps
très-reculés ; il est perdu aujourd'hui; il
n'en reste qu'une courte mention ; et l'on
ne peut même dire quel en était l'auteur.
C'est Eustathe qui en a conservé le souve-
nir. En elfel, cet auteur a cité deux fois ce
mystère célèbre do son lemps. Il se con-
tente d'abord d'en rappeler le titre et d'at-
tribuer la, pièce à un auteur incertain pour
nous, qu'il nomme Damascène (In Dyonis.
v. 950, édition de Londres 1638, 1. ï", p.
179); dans un autre ouvrage, précisant mieux
son affirmation, il donne une faible idée de
la pièce el indique comme son auteur saint
Jean Damascène.
Voici le passage dont il est question :
« Ce drame était conçu, pour ainsi dire,
a la manière d'Euripide. Suzanne faisait le
compte des membres de sa race et se déso-
lait du malheur qui iui élait arrivé dans le
jardin ; assimilant alors son jardin à celui
du paradis, où la première mère fut trom-
pée: « Par quelle fatalité du mal, s'ecrie-
« t-elle harmonieusement, le serpent, au-
« leur du mal, devait-il s'efforcer de tenter
« encore Eve en moi ? » Les vers en sont
très-doux, très-coulants, pleins d'éclat, et
dans la manière sévère et pleine do clarté
de l'illustre Damascène... »
Les anciens critiques n'ont pas fait de
doule que ce fût en effet saint Jean Damas-
cône. Néanmoins, au xvti" siècle, Henri de
Valois s'y est opposé el a attribué à Nicolas
de Damas, auteur d'autres drames, et auteur
juif, écrivant pour des Juifs, cette pièce qui
serait antérieure ainsi à l'ère chrétienne, ou
du moins contemporaine, mais qui n'appar-
tiendrait pas à l'histoire du théâtre chrétien.
Celte opinion a élé suivie dansées derniers
temps par M. Magnin. (Journ. des Sav.,
1849.) Cependant il faut considérer que le
grand éditeur de saint Jean Damascène, le
P. Michel Lequin, n'a pas osé rejeler abso-
lument cette œuvre, et est reslé dans le
doule. (5. Joann. Dam. Opéra; Paris, 1712,
in-fol., 2 vol., t. Ier, Proletj., p. xlvii j
SUZANNE (Mystère de sainte).— xvVsie-
cle. — On lit dans la BiOliotlurjuc du théâtre
françois, ouvrage attribué au duc de LaVai-
liôre (Dresde, 17G8,in-8°, 3 vol., t. Ier, p. 29;:
« L'histoire de sainte Suzanne. Exemplaire
de toutes sages femmes et de tous bons
juges, à 14 personnages ; Troyes, Nicolas
Oudot, in-12.
« Joachim el sa femme Suzanne se réjouis-
sent de l'union qui règne entre eux; cepi n-
dant deux Juges, les mêmes que les deux
vieillards de l'Ecriture , s'avouent l'un à
l'autre la passion qu'ils ont conçue pour
Suzanne et cherchent des moyens pour eu
in Uexaemer.) répète à propos du phénix les vers
d'E/.échiel. Eustathe est mort en 357.
927
THE
DICTIONNAIRE DLS MYSTERES.
THE
«J-23
jouir. Ils prennent le parii (Je l'attendre
dans le jardin, de la surprendre lorsq.u'elle
sera dans le bain, et de la l'aire consentir
de gré ou de force à leurs désirs. Ils font
une visite à Joachim, qui veut les retenir à
dîner; ils refusent et se retirent. Joachim,
sa femme et ses enfants se mettent à table;
les deux Juges se cachent dans le jardin.
Suzanne y vient après le repas : elle entre
dans le bain, et envoie ses demoiselles lui
chercher des parfums. Les juges s'appro-
chent d'elle et lui l'ont l'aveu de leur passion :
elle refuse de les satisfaire; ils la menacent
de l'accuser d'adultère, si elle ne consent à
leurs désirs... Elle leur résiste cependant,..
elle crie au secours. Les valets accourent:
les juges disent qu'ils l'ont surprise avec
un jeune homme. Le mari, les enfants, les
demoiselles se désespèrent. On la conduit
au tribunal et on la condamne à mort sur le
témoignage des deux juges. Joachim la croit
toujours innocente... On mène Suzanne dans
les champs pour la lapider. Le jeune Daniel
rencontre la troupe qui la conduit, déclare
que Suzanne est innocente, rappelle le peu-
ple au tribunal, et confond les accusateurs,
qui subissent le môme supplice auquel Su-
zanne avait été condamnée. Le. tout est ter-
miné par quelques quatrains sur différents
sujets de morale. »
T
THEOBALDE (Saint). — Dans la vie de
saint Ayberl, prêtre du Tournaisis, qui vivait
à la fin du xic et d; ns la première moitié
du xu* siècle, écrite entre 1140 et 11-VS, par
l'archidiacre Robert pour Alvise , évoque
d'Arias, on trouve une indication précieuse
îles effets que pouvait ça et là produire la
mise en action de la vie des saints ou des
scènes religieuses , déjà condamnée pour-
tant par les conciles, mais seulement, il est
vrai, à cause des abus. Saint Ayberl avait,
dès l'enfance, accoutumé de suivre rigou-
reusement les pratiques chrétiennes, « crai-
gnant de se rendre l'ennemi de Dieu s'il
restait ami du monde... Il était encore bien
jeune et n'avait pas quitté la maison pater-
nelle, où, malgré la liberté de la vie laïque,
le retenait l'ardeur de la piété, lorsqu'un
jour il eut occasion d'entendre un comédien
ambulant qui déclamait sur un rhythme
mesuré la Vie de saint Tbéobalde, la con-
version et l'àpreté de celte existence qui,
poursuivie avec ardeur et sans relâche,
avait eu enfin pour prix la vie éternelle. Ces
récits percèrent le cœur de saint Aybert, et
il fut saisi dès-lors d'un si profond amour
de Dieu... qu'il commença aussitôt de mener
la vie d'une personne en religion, morti-
fiant son corps prr la faim, la soif, les
jeûnes, les veilles, et la fréquence des
prières, et fortifiant son esprit par la servi-
tude et le joug de la chair... » (C. Boll. ,
7 avril, Yita sancti Ayberti, 1. 1 ", p. 674-,
co., 2. c.)
THEODORE. — Théodore est tiré du ma-
nuscrit des Miracles de Nostre-Dame, 1" vo-
lume, f° 197 (Bibl. Imp. n° 7208, 4 A et
4 B.)
Il y est intitulé : D'une femme nommée
Théodore qui, pour son péchié, se mist en
habits d'homme, et pour sa penance (péni-
lence) faire, déteint moine, et fut tenue pour
homme jusques après sa mort.
On sait que le manuscrit d'où ce drame
est tiré, et qui en contient qi ■•ante est du
xive siècle.
Théodore n'a pas été publié
M. O. Leroy, dans ses Etudes sur les
Mystères et dans ses Epoques de l'histoire
de France, a seul jusqu'ici donné de cette
pièce une analyse très-complète, accom-
pagnée d'observations que nous reprodui-
sons :
« Une jeune femme, Théodore, en l'ab-
sence de son mari, s'est laissé séduire par
un amant et vit en sécurité dans l'adultère,
quand on vient lui parler d'un grand pré-
dicateur. Elle se rend à son sermon, auquel
l'auteur nous fait assister aussi. A peine
l'a-t-elle entendu qu'elle s'écrie :
Qu'ay-je fait! j'ay mon mariage
Crise el à perdition
Mis m'a me (mon) , et à destruction
Ma biaulé, mon honneur, mon corps.
Ha, très-doulx Dieu misericors !
Comment ay je eslé si surprise!
Lasse (hélas) l l:isse! à tort m'en av.*S3'
Certes du dueil morir voulroie.
Lasse! jamais jour n'aurait joye,
El a bon droit!
« .es triomphes de l'éloquence chrétien-
ne n'étaient pas rares dans les temps de foi
vive et profonde. M. Saint-Marc-Girardin
racontait l'an dernier, à son cours de poésie
française, qu'au xive siècle, un Messinois,
coupable d'adultère et d'empoisonnement,
entendant de la bouche d'un orateur chré-
tien les châtiments réservés dans l'autre
monde aux crimes qui n'ont pas été expiés
dans celui-ci , se leva épouvanté, et fit à
l'auditoire étonné le terrible aveu de tout
ce que lui reprochait sa conscience....
« Se jugeant désormais indigne d'appro-
cher du mari qu'elle a trompé, et ne son-
geant qu'à se cacher et à mater son corps
(la religion avait déjà ses Lavallière), Théo-
dore se dépouille de ces ornements dont
elle était si vaine et de ses cheveux mêmes.
Bésolue de faire pénitence, pour échapper à
toutes les recherches, elle prend des habits
d'homme, et, après avoir quitté le toit
conjugal, adresse ces adieux aux objets
qu'elle laisse, et recommande au ciel sou
époux :
Iloslels el meubles , je vous lais
Mes amis lous, et tiers el lais (laïques),
Le menilrc (moindre) coin le gréigtienr
[(plus grand),
929
tue
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
THE
95'}
Comanl (je recommande) à Dieu noslre
[Seigneur.
Mais sur louz , par cspccial,
A Dieu, mon cliier seigneur loyal,
Qui vous el moi ail en sa garde,
0 douce mère Dieu, regarde
En pitié cesie pescheresce,
Et prie ton Filz qu'il m'adresce
Et me setpieure (secourren) à ce besomg.
De mon pais sui jà si loing!...
Siquejesui toute esbahie.
« Elle aperçoit une abbaye d'hommes, et
à la faveur de son travestissement, va s'y
présenter, et demande si l'on veut l'y ad-
mettre. L'abbé, qui ne soupçonne pas son
sexe, après quelques questions, la reçoit en
qualité de frère mineur, chargé des commis-
sions au dehors. On la voit remplir par
humilité les emplois les plus bas, et l'on
assiste en même temps au désespoir de
son mari, qui la cherche en vain dans son
hôtel. La disposition du théâtre, qui... re-
présentait plusieurs lieux a la lois, permet-
tait ces rapprochements intéressants. L'au-
leur n'exprime pas mal dans les vers
suivants la cruelle irrésolution du mari :
La suiveray-je? que feray ?
Oil voir, mais où iray?
Las! je ne scé de queile part.
Le cucr de dueil pour li me pari.
Confortez moi, biau sire Diex!
« Dieu lui envoie alors l'ange Gabriel,
qui lui dit d'aller au chemindes martyr» saint
Pierre et saint Paul, s'il veut voir encore sa
femme. Pendant qu'il se dirige vers l'en-
droit qui lui est indiqué, Théodore, qui a
reçu du supérieur l'ordre d'aller chercher à
Rougeval de l'huile à brûler, dont les moines
ont besoin, s'arrête, fatiguée, au milieu do
la voie des Martyrs. Qu'aperçoit-elle?.. Lais-
sons-la parler :
Lasse ! je voy la mon mari.
Je croy pour nioy esl moult marri,
Car je le voy pensis et moine.
Ne sçay s'il vaull miex ipie rclorne
Ou qu'en passant a li nie monstre...
Saluer le vueil en passant.
Monseigneur, Dieu le loul puissant.
Joye vous doinl (donne)!
LE MARI.
Amen, dan moine, et si pardoiul (qu'il pa
A vous et à moy les péchiez {donne
Dont les cuers avons enlaichiez
Et enlaidiz.
THÉODORE.
lia! mon ban mari! comme en diz
Lien faiz de nuilct de jour
Je travailleray de labour
A fin qu'escliapper le menait
Puisse que j'ay contre loy fail
El conceu.
« C'est après s'être éloignée de son mari
qu'elle prononce ses regrets. Le malheu-
reux époux ne doit plus voir sa femme que
bien longtemps après...
« Cependant Théodore , obligée de sé-
journer à Rougeval, dont l'abbaye était assez
distante, à ce qu'il paraît, a hien innocem-
ment séduit, par sa jolie ligure la fille de
l'auberge, qui, la croyant un homme, vient,
sans façon, la requérir d'amour. Théodore,
indignée de cette impudence, la repousse.
La demoiselle jure de se venger... Sollicitée
par un de ses amants, elle devient mère. —
Et de qui cet enfant? lui demande son père.
— De frère Théodore, répond-elle.— Grand
scandale dans Landerneau ! L'abbé en est
informé par l'hôte lui-môme, qui apporte
l'enfant a l'abbaye, et dit goguenarde-
mcnl au père abbé, en lui présentant le
marmot:
D;ins abbes, (maître aooe) au'ici voy pré-
Tcnez, recevez le présent [sent,
Que vous apport.
l'abbé.
A moy, mon ami ? c'est à ton,
Portez-le ailleurs. Vous estes mees (niais)
En (ici) ne sommes-nous pas non ices
D'enfans peliz.
l'oste.
\oslre moine à mon pain feins
L'a fait, que le dyable y ait pari !
Si demourra, se Dieu me garl
A l'abbaie.
l'abbé.
Vous me faites toute esbaye
Ma pensée, et cslre en iristesce.
Pour Dieu ! Diles-moy : lequel est-ce?
Ne l'celez ore.
l'oste.
C'est vostre moine Théodore.
Or le gardez.
l'abbé.
Ha Théodore !.. Or regardez
Le honlage et le grand anui
Que par vous avons au jour d'ui...
Voi renient dit-on voir (vrai) : l'ahhil
Ne fait pas le religieux.
Comment avez si oultragcux
Esté, biau frère ?
THÉODORE.
Merci, merci, doulz abbés père
Merci, merci.
l'abbé.
Vous larez quelle vez la ci.
De (éens vous Ijoutcniy hors,
Si me soit Diex miscricors !
El vostre enfant emporterez;
Autre merci de moy n'aurez.
Tenez, de céens lôsl yssiez (sortez).
Alez, et si le norrissiez
De nous bien loing.
« Théodore... se garde bien de se justi-
fier. C'est là le sublime de l'humilité, de la
pénitence chrétiennes. Vous ne trouverez
rien dans l'antiquité profane de comparablo
à cette situation...
« Théodore est chassée de l'abbaye por-
tant son enfant; car c'est déjà le sien, elle
sera sa mère. Mais comment le nourrir,
l'abriter?..
Confortez-moi à ce besoing,
Fontaine de miséricorde '
Car je voy bien el me rceortfe
Que ceste fortune perverse
Qui ainsi me trébuche <>i verse,
Me vient à cause du méfiait
Qu'envers mon bon BeisucuraV fait...
931
« E
nuit. I
THE
le aperçoit un
anlr
ui servir de refuge.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
i[ui pourra , h
THE
932
El Dieu, s'il li plaist parfera
Ce qui parfaire y sera.
A ces gens m'en vois demander,
Puisqu'il me convient truander !
Donnez à ce povre pécheur,
Pour l'amour de nosire Seigneur,
Et à ce petit orphelin...
« Des années entières clans l'ignominie,
dans la fatigue et le travail dont elle nourrit
son enfant, elle endure tout. L'esprit Ten-
tateur vient lui-môme, en personne..., lui
proposer de la délivrer de ses maux. La
Chrétienne résiste. Quand enfin sa résigna-
tion est au comble, les cieux. s'ouvrent...
Nous nous sentons transportés sans effort
au milieu de la cour céleste : « Voyez-vous,
dit Marie au Dieu, Père des affligés, »
voyez-vous le poids de tribulalion qui grève
Théodore?
El si (pourtant), bcnigneinenl le porte
Pour voslre amour.
« Àlez, » répond Dieu à sa mère, « alez con-
forter Théodore.»
« Notre-Dame, accompagnée des anges,
et dans un rayon lumineux, apparaît à la
femme forte. — «0 qui estes-vdus? » lui dit
Théodore.
Qui esies-vous, dites-le moy
De la grain biaulé qu'en vous voy
Ai granl merveille.
« Marie se nomme, console son amie et
disparaît. Théodore se tait et demeure sans
doute en extase, pendant que des chants se
font entendre : c'est le chœur des anges,
que le poète qualifie rondes à voix bien mé-
lodieuses. La poésie antique est ici retrou-
vée avec tout ce qu'y aioute de sublimité le
christianisme...
« Sept ans se sont passés depuis l'expul-
sion de Théodore. L'abbé, informé de ses
soulfrances et de sa résignation dans le mi-
sérable gîte qu'elle habite, la rappelle au
couvent, de l'aveu de ses frères, et lui dit
que, touché de sa patience, il la fera moine
ainsi que son fils. Théodore se jette à ses
pieds pour le remercier, l'abbé continue :
Mes frères, sans arresloi>on,
Cest enfant coin moine vcsiez,
Puis vueil qu'a lettre le mettez,
El je vous ordene son ntaistre.
Or vueillez en li peine mettre
Par amour, Frères.
KtEMlER MOINE.
J'en ferai mon pouvoir Liau père,
Je vous promet.
« Théodore est enfin au terme d^ ses
souffrances. Dieu la rappelle à lui... Elle
expire et l'enfant, effrayé de sa perle, s'é-
crie :
Las ! Las ! seray-je orphelin filz !
Mon père, esies-vous lies passé!
« Tout-à-coup l'aurore se lève et l'abbé,
qui ne croyait pas môme Théodore malade,
accourt, assemble ses frères et leur fait part
d'une vision qui pendant son sommeil l'a
frappé : transporté dans la cour céleste, il
vient d'y voir des fêtes, une noce que les
anges y préparaient avec une magnificence
dont il n'avait aucune idée. Une femme
longtemps calomniée, couverte d'infamie,
mais en ce moment rayonnante de grâce et
revêtue de gloire, allait être couronnée; et
celte femme et celle reine n'était antre que
Théodore. «D'où vient, »|demande-l-on,'< que
« Théodore n'est pas levé?» Son absence ap-
puie les conjectures que l'on commence à
faire, on court à sa cellule, on rencontre
l'enfant : « Qu'as-tu? » lui dit l'abbé. Et
l'orphelin répond :
Sire, quej'ay assez perdu.
Ion père à n.oy orc parloir,
El m'aceoloit, et «se baisoil,
Eiprioilsi lié-, doulcement
De penser à mon sauvement,
El il csl mort.
« La vérité se découvre de plus en plus,
lorsque l'homme qui peut éclaircir tous les
doutes, l'époux de Théodore arrive a point
marqué ; et ici, pas d'invraisemblance : le
ciel conduit tout. Dans son désespoir le
mari se jette, en présence des moines sur
le corps de sa femme et s'écrie :
Chière Théodore, comment
T'es- tu vers moy si longueiiic"
Celée, quant céeus eslois?
La graul amour dont lu m'aimois
Que peut elle cslre devenue ?
Dieu, ce semble, la ma lolue [me /'« ètée)
El l'a prise à soy de tous poins.
Las ! je dois bien lortre mes poins
Et clamer sur loy de rcebief.
Suer [Sœur), lu m'as mis a granl meschief,
Longtemps, et lolue la lesec (olé le plaisir);
Mais or [aujourd'hui) double ci ma tristesse,
Quant lé vois morte.
« Sire, lui dit le premier moine, vous
devez èlre plutôt en joie ;
Car lanl a fait la bonne dame
One je lieug qu'en gloire est son ame
Certainement
LE MARI.
Pour Dieu ! diles-moy comment
Elle a vcscii ?
l'abbé.
Comment, dil< s, elle a vaincu...
Et ii raconte ses victoires sur l'orgueil,
sur le monde, sur elle-même. Cette répli-
que :
Diles comment elle a vaincu !
serait justement admirée dans Corneille
« Le récit de l'abbé louche si profondé-
ment le mari de Théodore, qu'il fait le ser-
ment de consacrer à Dieu le reste de ses
jours dans les lieux saints où sa compagne
est morte. Les religieux qui entourent le
corps entonnent, non un chant de deuil,
mais un chant de victoire, le Te Dcum, et la
pièce finit d'une manière aussi solennelle
que touchante. »
Le môme auteur a fait suivre celte aria-
935 THE DiCTIONiNAHŒ DES MYSTERES. THE 034
lyse de deux observations : 1° que le village Théophile de Rutebeuf, qu'on a surnommé
do Itougeval ne se trouvait nulle part, et à toi l le Faust du moyeu âge, a été prodi-
2U que l'aventure de Théodore n'avait d'à- gieusement réputé.
riàlogue (pie celle de sainte Marine, rap- Les légendes nous montrent Théophile
portée dans la Vie des Saints de Godescard. vivant vers l'an 518, vidame (ou selon Paul
(O. l.EROY,a Etudes sur les Mystères ; —Paris, Diacre, niais à lort, évoque) de l'église d'A-
1837, in 8°, p. 7J-87.J cjana en Cilicie. A la mon de son évêque,
THEOPHILE. (Le miracle die). — jl.6 Mt- tandis qu'il n'était encore que vidame, il
racle de Théophile est lire du manuscrit faillit être élu évoque. Mais ayant élé rc-
n° 7218 de la bibliothèque Impériale. poussé, maltraité par son ex-concûrrcut
Rutebeuf, son auteur, vivait au xm' devenu son supérieur, et expulsé de ses
siècle. fonctions, il s'abandonna à la colère contre
Le Théophile a été édile, pour la première i*iiijo*Eioe et la mauvaise fortune, el s'a-
fois, par M. Achille Jubinal : Le Miracle de d.ressant a un juif qui parlait au dmblequand
Théophile, par Rutebeuf ; Paris, 1838, in- il vloldal^ ù ™D» Jésus-Cbns , «t lit u ,
8° de 40 pages ; et dans les OEuvres de Rate- l,acte avec Satan, par lequel il livrait soi
beuh Paris. 1839, in-8% 2 vol. publiés par le ame e,n é^a^e d donneurs terrestres. A
même érudii. MM. Monmerque et Francis- peine tombé dans cet excès de désespoir et
que Michel ont reproduit l'édition de M. Ju- de faiblesse, il eut horreur de son forfait et
Binai, dans leur Théâtre Français au moyen- se repentit. La sainte Vierge qu il implo-
dge; Pans, Dellove et Didot 1830, gr. i$it sans cesse, touchée de sa désolation,
j^.go s interposa entin, et le diable lut contraint
'„,,,.. . , de rendre h Théophile le sous-seing passé
Les Bénédictins avaient pensé que ce entre eux.
drame n'était qu'un de ces dialogues précé- ' ,, , ..' , ,., , . P ,
dés et interrompus par des récits que Tau- hntychien (qu il ne faut pas confond; e
teur fait en son propre nom. (Bût. littér. de ? ve.c son d'sc,IjIc Eutych.us) Sunéon le Mé-
la France, t. X, p. 213.) Legrand d'Aussy en taphraste, écrivirent d abord en grec celte
donna une analyse très-vague. (Fabliaux, his oire. Paul Diacre de Naples, la traduisit
p. 180.) De Roquefort, au contraire, déclara f" latin. La fameuse abbessedebandersheam,
le Théophile évidemment destiné à la repré- H'?lsvitha, au x« siècle, la mil en vers. Elle
sefttation. (De l'Etat de la poésie française élait contenue dans le leeUonna.re manus-
dans les xn° et xm' siècles,; Paris, 1815, frlt 'iel église de Sa.nt-Omer, parmi les
in-8», i). 262.) Daunou, prenant dans eçons du septième jour de 1 octave de la Na-
V Histoire littéraire de la France, continuée {!v,le de ,a ,Vlerge. Sainl Damien, saint
par l'Institut, la thèse des Bénédictins, et Bernard, sain Bonaventure, Albert le Grand,
hi donnant une rigueur systématique que AJ '•'llhei?Cî Y,USS1,JS.' Zachanas Lipelous,
ceux-ci ne lui avaienlpas attribuée, nia de- Vincent de Beanvais, Lanisius, Bren.leba-
uchef le caractère dramatique du Miracle °hl,us' MbJnc. d,e Twus-l«ontaines, Martin
de Théophile; il n'y vit qu'un simple dialo- ^Unms, Sigebert et quelques autres en font
gue. [Uist. littér. t. XVI; Paris, 1824, in-V, mention. On la retrouve inédite dans les
fî. 213.) M. Jubinal lut d'avis que «cet manuscrits des bibliothèques Harléienno et
essai dramatique curieux... fut probable- aeGlascOw, en Angleterre; du roi, a Pans,
ment commandé à Rutebeuf par quelque e,1 du Mans' en Franfe" U,J 8rand, nombre
corporation religieuse et joué dans Tinté- de. Poemef nous sont r(iS[{s sur le môme
rieur de quelque couvent ou sur le parvis suJe ' en . axn.B«e vulgaire, a partir du xm'
de quelque église.» M. Chabailles ht re- siècle, soit édités soit manuscrits, cités par
marquer la supériorité dramatique de ce M_A- i"bl2J^ J^»%?%J\ *" L "»
mystère sur ceux des xiv* el xv< siècles. P.' 2W'2b5> 2bJ-d27, à'il-àdl.)
(Journal des Savants, 1838, avril.) 11 semblait La sculpture s'empara de celle tradition,
à M. O. Leroy que le Théophile préludait Elle est reproduite an flanc gauche de Notre-
en quelque sorte à cette longue suite de Dame de Paris, en deux endroits différents ;
drames qui portent le litre de Miracles de les verrières des cathédrales do Laon, du
Notre-Dame. Le Théophile indiquait un Mans el de Troyes la répètent; elle a élé
temps de désespérance de la foi et ce temps peinte sur les murs de la chapelle de la
était celui de saint Louis I (Epoq. delhist. Conception de la paroisse de Saint-Epvro
de Fr.i Paris, 1843, in-8", p. 123, 133.) (l'abbé Lionnois , llist. de Nancy, t. l'r,
Enfin M. Magnin fit le reproche au M. M iracle p. 234), non par Léonard de Vinci, mais
de Théophile, quelque proportionné et émou- bien plus avant, dans une manière qui se
vaut qu'il lui, de manquer d'imagination et rapproche de celle d'Albert Durer,
d'èlre copié sur les légendes nées en Orient Enfin, le drame de Rutebeuf semble avoir
au vic siècle. La conjuration, ajoutait ce sa- été imité plusieuis fois. En 138V, un jeu de
vant, nappai tient a aucun langage, quoi- Théophile eut lieu dans la paroisse d'Aunav
quon cioie y reconnaître quelques mots (DuCasge, G/om., V Ludus Christi), el uïi
hébreux. (Journal des Savants, 18'iG, p. 451.) miracle de Théophile fut donné au Mans, en
Le jugement singulièrement sévère de 1539. (Cf. M. A. Jcbinal, tôid., note B, t. IL
M. Magnin sur le Théophile, est le dernier n 262-357.)
de quelque importance qui ait élé exprimé.
Il est certain pourtant nue le Miracle de
m tue
LE MIRACLE DE THEOPHILE.
PERSONNACES.
pincegiere , valcl de l'é-
voque.
DICTIONNAIRE DES MVSTERES.
THE
'j3tî
IlOTRE-DAME.
LES ÉVÊQUI'.S.
THÉOPHILE.
SATHAN OU LE DIABLE
salatin, sorcier.
pierre el Tuons, cnm-
p;ignons de Théophile.
SCÈNE Ir\
THÉOPHILE, Seill
Théophile. Hélas! hélas! Dieu, roi de gloire, je
vous ai eu toujours si présent à l'esprit, (pie j'ai tout
donné, dissipé, partagé entre les pauvres, et qu'il ne
me reste rien de la valeur même d'un sac. L'évèque
m'a bien dit échec, il m'a maté dans un coin, et
m'a laissé tout nu sans avoir. Or il me faut mou-
rir de faim, si je n'envoie ma robe en échange d'un
pain. Et mes gens que feront-ils ? Je ne sais si Dieu
les nourrira. Dieu! oui! qu'en a-t il affaire? 11 me
faut les mener en un autre lieu, car Dieu méfait
la sourde oreille, il se soucie bien de mes ennuis.
Mais je lui ferai la moue à mon tour. Honni soit
qui se loue de lui ! Il n'est rien que je ne fasse pour
redevenir riche et je me moque bien de Dieu et de
ses menaces, liai-jeme noyer ou me pendre? Je ne
puis m'en prendre à Dieu, car on ne peut arriver
jusqu'à lui. Ah! celui qui, maintenant, pourrait le
tenir et le bien battre en retour, aurait certes fait
une bonne journée. Mais il s'est mis en si haut
lieu, pour éviter sesaniis, que ni trait ni lance n'y
atteint. Si maintenant je pouvais le disputer, me
battre et nf escrimer, je lui ferais frissonner la
chair. 11 est, à cette heure, là-haut dans sa béati-
tude, el moi, hélas! imbécile, je suis dans les filets
de la pauvreté el de la souffrance. Voici bien mon
illusion poétique brisée, on peut dire que je n'étais
qu'Un sol, et ce sera le mot de tout le inonde, Je
n'oserai voir personne ni nie montrer au public, car
l'on me montrerait au doigt. Mais que faire? Je ne
sais. Certes, Dieu m'a servi-là un bon plat de son
métier.
SCENE II.
THÉOPHILE, SALATIN.
(Théophile s'avance vers Salatin qui parlait au Dia-
ble quand il voulait.)
salatin. Qu'y a-t-il? Qu'avez vous, Théophile?
Pour le grand Dieu! quelle funeste pensée vous fait
si triste, vous d'ordinaire si joyeux?
Théophile. Moi qu'on appelait seigneur et maître
de ce pays, tu ne l'ignores pas, à cette heure, il ne
me reste plus rien, et j'ensuis d'autant plus accablé,
Salatin, qu'en français ou en latin, jamais je n'ai
cessé de prier celui qui, aujourd'hui, me veut tant
de mal el me laisse si dépouillé qu'il ne me reste
rien, mais rien au monde. Or il pas de chose n'est de si
rude, ni de si contraire à mes idées, que je ne lisse
de grand cœur, pour me tirer de là avec honneur!
Tout perdu, j'en ai houle el c'est dommage.
salatin. Beau sire, vous parlez comme un sage,
car pour qui a goûté de la richesse, il y a bien du
mal et de la misère à tomber sous la main d'autrui
pour le boire et le manger. 11 y a trop de gros mots
à entendre.
Théophile. C'est cequi me fait perdrelalèle. Sala-
tin, beau très doux ami, depuis que je suis sous le
pouvoir d'autrui, il s'en faut de peu que le cœur ne
me crève.
salatin. Je sais maintenant là où vous êtes blessé;
vous êtes tout à fait abattu, comme un homme de
quelque valeur; vous êtes bien maté, bien pensif.
Théophile. Frère Salatin, certes, il en esl ainsi.
Si lu connaissais quelque moyen pour recouvrer mon
honneur, mon gouvernement et ma fortune, il n'y
a rien que je ne fisse.
salatin. Iriez vous jusqu'à renier ce Dieu que
vous priiez tant autrefois, et lous ses saints et
toutes ses saintes? Vous feiiez-vous, la main dan9
la main, l'homme de celui qui vous rendrait votre
grandeur passée? El vous seriez plus honoré de res-
ter à son service que jamais vous ne le fûtes. Croyez-
moi, laissez votre maître. Eh bien, qu'en pensez-
vous?
Théophile. Je n'en ai que trop bonne volonté, et
bientôt je serai tout à votre discrétion.
salatin. Allez en paix, el malgré tout ce qu'on en
dit, je vous rendrai voire puissance. Revenez demain
malin.
Théophile. Volontiers, frère Salatin; et si tu res-
tes dans ces bonnes dispositions, que le dieu en qui
lu crois el que lu adores, le garde.
SCÈNE III.
THÉOPHILE, Seul
(Théophile quitte Salatin et pense que c'est trop fort
de renier Dieu; il dit :)
Théophile. Hélas! hélas! que vais je devenir? Le
cœur me faillira avant d'en venir à celle extrémité.
Hélas, que faire? Si je renie saint Nicolas, saint
Jean saint Thomas el Noire-Daine, que deviendra
mon ,imc chélive. Elle brûlera dans les fl mimes i\n
sombre enfer. C'est là qu'elle devra rester. Quel
hideux manoir! Cen'eslpas une vaine parole : dans
ces feux perpétuels, il n'y a personne qui ail le cœur
bon; lous sont mauvais. Ce sont des démons. Telle
esl leur nature. Leur maison esl si obscure qu'on
n'y vit jamais la lueur du soleil. C est un non ple.n
d'ordures. Irai-je là? Les dés sont bien autres, quand
pour le peu que j'aurai mangé, Dieu m'aura chassé
comme étranger de ses demeures; et il aura raison.
Fut-il jamais un homme aussi perplexe que moi?
D'autre côté, Salatin dit qu'il me rendra ma richesse,
mon avoir, que jamais personne n'en saura rien. Je
le ferai. Dieu m'a accahlé, je l'accablerai. Moi, le
servir jamais? Non! non!! Je serai riche, de pau-
vre que je suis. Si Dieu me hait, je le haïrai. Qu'il
s'avise, qu'il mette en mouvement ses escadrons, il
q toul en main, el le ciel el la terre. Eh bien, je lui
crie quille, si Salatin me lient ses promesses.
SCÈNE IV.
SALATIX, LE DIABLE.
salatin, au diable. Un chrétien se fie en moi,
et je me suis beaucoup occupé de celle affaire,
parce que je suis de les amis; entends-tu, Satan?
11 viendra demain. Allenus-ie. Je le lui ai promis
quatre fois; attends-le donc. C'était un homme très-
sage, et le cadeau ne vaut que mieux. Mcls les tré-
sors à sa disposition. Ne m'entends lu pas? Je te fe-
rai venir de suile, vraiment. Oui, lu viendras encore
aujourd'hui, car les longueurs m'ennuient. J'ai assez
attendu.
(Salatin conjure le diable.)
salatin.
Bagahi laça bachahé,
Lamac cahi achabahé ,
Karrclyos.
Lamac lamec bachalyos,
Cahahagi sahalyos;
Baryolas.
Lagozalha cabyolas,
Samahac et lamyolas,
Harrahya.
\(Le Diable conjuré parait.)
le diable. Tu as bien dit la formule, el celui qui
l'a instruit n'oublia rien. Tu me tourmentes fort.
salatin. Esl-il convenable que lu me négliges, el
que lu renverses mes desseins, quand j'ai besoin de
loi? Je l'ai donc bien rudement malmené? Venx-iu
nue nouvelle? Nous avons un clerc. C'est un bien,
537
THE
riCTIONNAlIŒ DES MYSTERES.
t;:f«
«.•58
comme nous savons, qui souvent nous Fait faute pour
nos affaires. Or, que comptez-vous faire pour celui-
ci , s'il consent à venir à vous?
le di\ble. Comment se nomme-t-il?
salatin. Théophile; c'est son vrai nom. Il a une
grande réputation céans.
le diable. J'ai toujours eu maille à partir avec
lui et jamais je n'ai pu le subjuguer. Puisqu'il veut
s'offrira nous, qu'il vienne dans ces vallées, seul à
pied. Ce n'est pas mal-aisé, c'est tout près d'ici.
J'aurai, moi, Satan, et les autres noirs démons,
raison de lui, s'il n'appelle pas par Jhésus, fils de
Marie. Alors, adieu mon secours. Je m'en vais.
Mais soyez plus courtois dorénavant à mon égard...
(Salqlin s'en va et le diable le suit en ajoutant :) Ne
me tour mentez plus pendant quelques mois, ni en
hébreu, ni en latin.
SCÈNE V.
THÉOPHILE, S AL ATI N
Théophile, venant à Salatin. Eh bien, viens-je de
trop bonne heure? n'avez-vous rien fait?
sala-tin. J'ai si bien conduit votre affaire, que
voire évèque réparera tout le mal qu'il vous a causé.
Il vous honorera davantage et vous fera plus grand
seigneur que vous ne fuies jamais, car, si vous refu-
sez voire position passée, vous aurez encore plus.
Soyez sans crainte. Descendez dans ces vallées sans
délai ; ne vous avisez pas d'y parler de Dieu, ni de
tous en réclamer, si vous aimez voire propre intérêt.
Vous avez trouvé Dieu trop dur, quand il vous a
délaissé; vous éles tombé dans un état funeste, et
dans quel abîme scriez-vous, si je ne vous aidais?
Allez, on vous attend. Marchez vite, et n'ayez souci
de Dieu.
Théophile. Je m'en vais. Dieu ne peut ni me nuire
ni m'aider en rien, aussi ne puis-je en parler.
SCÈNE VI.
THÉOPHILE, LE DIABLE.
le diable. Approchez, à grands pas, à grands pas.
Prenez garde d'avoir l'air d'un vilain qui va à l'of-
frande. Que vous veut et que vous demande votre
évèque ? il est bien fier...
Théophile, approchant du diable, trcs-effraijé. C'est
vrai, seigneur. Il a élé chancelier pourtant, et il
songe à m'envoyer mendier mon pain. Aussi je viens
vous prier, je vous demande votre aide dans celle
extrémité.
le diable. M'en requérez-vous ?
THÉOPHILE. Oui.
le diable. ÈIi bien joignez les mains, et devenez
ainsi mon homme: je vous secourrai plus qu'il ne
faudra.
Théophile. Certes je vous fais hommage, mais
pour recouvrer ce que j'ai perdu, beau sire, et pour
toujours désormais.
le diable. El je le repèle nos conventions : Je le
ferai si grand seigneur qu'on ne te vit jamais plus
grand; mais, pour qu'il en soit ainsi, apprends qu'il
nie f.uit de loi des lettres pendanz, bien nelles et fa-
ciles à entendre : car maintes cens m'ont atlrappé,
dont je n'avais pas pris des écrits; aussi me les faut-
il bien rédigés.
théohile. Les voici tout prêis.
(Théophile tend au diable un papier que celui-ci prend.)
le diable. Théophile, mon bel et doux ami, puis-
que lu l'es mis en mes mains, j'ai à le dicler la
conduite à venir: Jamais, tu n'aimeras homme
pauvre; si un pauvre en détresse le prie, tourne la
tète, poursuis ton chemin. Si quelqu'un s'humilie
devant loi, réponds-lui avec orgueil et mauvaise foi.
Le pauvre dcmande-l-il à ta porte, prends garde qu'on
lui fasse aumône. La douceur, l'humilité, la pitié, la
chaiité, l'amitié, !a pratique du jeune et la pénitence,
me mettent l'ennui au ventre. L'action de l'aumône
Dictionn. des Mystères.
et les prières à Dieu me tracassent et me tourmen-
tent. L'amour de Dieu et une vie chaste sonteonimo
des serpents et des guivres qui me rongent le cœur
et les entrailles. Les visilcsà l'hôpital, les regards
jetés sur les malades, me laissent l'âme si défail-
lante, si moribonde, que je n'en veux poinl subir
l'horreur. Quiconque fait le bien me tourmente.
Allez-vous-en : vous serez sénéchal, laissez le bien,
faites le mal, el dans celte vie ne pensez jamais à
la justice qui n'est que folie et qui est mon enne-
mie.
Théophile. Je ferai mon devoir; vous avez droit a
l'obéissance, pourvu que vous me rendiez le bon-
heur.
SCÈNE Vil.
l'évèqle, pince-guerre.
l 'évèque, envoyant chercher Théophile. Allons,
vile, lève-toi à l'instant, Pince-guerre, et va me
chercher Théophile; je veux lui rendre c sa bailiie. »
C'est une grande sottise que de la lui avoir ô'.ée.
car c'est le meilleur autour de moi, ce que je puis
dire sans erreur.
pince-guerre, répondant à l'évêque, La vérité est
sur vos lèvres, beau très-doux seigneur.
SCÈNE VIII.
PINCE-GUERRE, THÉOPHILE
pince-guerre. Va-l-il quelqu'un ici ?
Théophile. Holà qui ètes-vous ?
pince guerre. Je suis clerc.
Théophile. El moi prêtre.
pince-guerre. Théophile, beau et cher seigneur,
ne soyez pas maintenant si dur envers moi. Monsei-
gneur vous demande à l'instant, vous allez avoir
votre prébende, votre bailiie tout enlière. Soyez
joyeux, faites bonne chère, montrez votre sens et
votre esprit.
Théophile. Le diable en ait sa part ! J'aurais eu
l'évèché, je l'y mis, el j'eus tort, car à peine y fut-il,
que nous eûmes querelle, et qu'il médita de m en-
voyer mendier mon pain. Je me moque de sa haine,
el de ses querelles sans fin. Je vais y aller pour
l'entendre parler.
pince-guerre. A votre vue, il va rire el vous con-
ter que tout n'était qu'épreuve; il veut vous donner
une compensation, el vous serez amis comme de-
vant.
Théophile. Et les chanoines ont-ils maintenant
assez débité de contes sur moi ? Soient-ils à tous les
diables.
SCÈNE IX.
l'ÉVÉQUE, THÉOPHILE.
l'évêque, allant à Théophile et lui rendant lu
charte de son emploi. Sire, vous avez pu venir...
Théophile. Pourquoi pas? Ne sais-je plus marcher?
suis-je tombé en roule?
l'évêque. Beau sire, je m'amende de la méprise
commise envers vous, et je vous rends de irès-bon
cœur votre bailiie; prenez-la: vous éles un homme
sûr et sage, tout ce que j'ai est à votre service.
Théophile. Voici de beaux mois, comme je n'en
sus dire jamais. Aussi quand les vilains viendront
en troupe pour me prier, je les ferai pâlir. Nul n'est
rien, à moins qu'on ail peur de lui. Ah ! l'on croit
que je ne vois rien, eh bien, je serai félon et colé-
rique.
l'évêque. Théophile, qu'avez-vous dans l'esprit ?
ne songez, bel ami, qu'au bien. Voici désormais
votre appartient, ma maison esl la vôtre, nos ri-
chesses el nos biens sont désormais communs. Nous
serons bons amis, ce me semble, car loulest à vous
comme à moi.
THÉOPHILE. Ma foi ! seigneur, je veux bien.
30
'9Zd THE
SCÈNE X.
THÉOPHILE, PIERRE, THOMAS.
Théophile, allant à Pierre. Pierre, veux- Lu ap-
prendre une nouvelle ? La fortune t'est contraire, lu
• as amené double as; tiens-toi à ce que lu as, car m
as manqué ma place, l'évèque me l'ayant rendue.
Du reste, je ne le dois ni reconnaissance ni remer-
ciements.
pierre. Théophile, pourquoi ces mots amers?
Hier encore je priais monseigneur qu'H vous rendit
votre charge, el ce n'était que justice et raison.
Théophile. Eh ! c'était sans doute sans machina-
tion qu'on m'avait ainsi expulsé, el ce n'est pas
malgré vous que je rentre en mon bien... Vous avez
vite oublié...
pierre. Ma foi, cher el beau seigneur, suivant
mon désir, vous eussiez été élu évéque, après ta
mort du dernier; c'est vous seul qui avez refusé,
par crainte du Roi des eieux.
Théophile à Thomas. Thomas! Thomas! lu joues
de malheur, on m'a de nouveau fait sénéchal. Tu
laisseras de côté désormais ton humeur indépen-
dante (le regiber) el les disputes el les coups; lu
n'auras pas de pire compagnon que moi.
thomas. Sauf le respect qui vous est dû, Théo-
phile, on vous croirait ivre.
Théophile. Je serai demain en fonction, malgré
tous vos grands airs.
thojlvs. Par Dieu! vous n'êtes pas raisonnable:
je vous jiiuie et vous estime tant.
Théophile. Thomas, Thomas, je ne suis pas pris
de vin, je puis encore faire du mal et du bien.
thomas. On dirait que vous voulez quereller ;
Théophile, laissez-moi en paix.
Théophile. Thomas, Thomas, que vous fais-je?
Ah ! dans peu vous aurez de la pitié, je le crois, je
le sens.
SCÈNE XI.
THÉOPHILE.
(Il se repenl el entre dans la chapelle de Notre-
Dame.)
Théophile, seul. Hélas, misérable! malheureux!
que vais je devenir? Terre, comment peux-tu me
porter, renégat de mon Dieu, et sujet par mon seul
vouloir de ce seigneur et maître, auteur du mal.
Renégat de Dieu! comment le cacher? J'ai laissé le
baume et choisi le sureau. Il a pris la charte et
reçu le bref maudit, j'ai à lui rendre le tribut de
mon àme. Oh! Dieu, que feras-tu de ce misérable,
de ce malheureux, dont l'âme tombera dans l'enfer
brûlant, el sur qui les maudits passeront, en la fou-
lant aux pieds. Ah! terre, ouvre-loi et m'en-
gloutis.
Seigneur Dieu, que fera ce malheureux insensé,
repoussé par toi, haï par le inonde, tombé dans les
e nbûches des maudits, trahi par le diable, chassé
de tous côtés, poursuivi par tous? Hélas! insensé!
avoir renié Dieu pour un peu de bien! Les richesses
d'ici-bas que j'ai désirées m'ont précipité dans l'a-
bîme sans retour.
Satan, j'ai suivi la voie plus de sept ans : les
vins de ma cave m'ont fait passer de funestes heu-
res de joie, celui qui les paya s'en fera rendre un
compte terrible, les félons charpentiers charpente-
ront ma chair.
L'àme a droit à l'amour; mon âme sera-telle
aimée? Oserai-je demandera la Vierge mon salut?
C'est un mauvais grain jeté dans les semailles qu'une
âme tombée en enfer. Hélas! fou bailli, vaine bail-
lie, mon àme el moi sommes bien lotis. Encore si
j'osais me présenter devant la douce maîtresse, elsi
mon âme el moi en étions accueillis. Je suis souillé,
la souillure ne peul aller qu'avec la souillure. J'ai
moi-même accompli mon abaissement : qui le sait
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
T!iE
9i0
mieux que l'Eternel? Quelle mon effroyable ! Mau-
dit, vous m'avez mordu d'une cruelle dent. Quel re-
fuge ai- je nulle part, dans les cieux, sur la terre?
lïélas! quel lieu me cachera? L'enfer me fait hor-
reur; j'y suis allé de mon gré pourtant! Le parads
n'est pas pour moi, car je suis en guerre avec le
Seigneur. Je n'ose implorer ni Dieu, ni saints, ni
saintes... N'ai-je pas fait hommage au diable, les
mains jointes, le maudit n'a-t il mes lettres el mon
sceau? 0 fortune! pour l'avoir vu de près, que de
maux ! Je n'ose implorer Dieu, ni saints, ni saintes,
ni la très-douce Dame, objet de loin amour; et
pourtant, qu'y a-t-il en elle qui ne soit sagesse et
douceur, el qui me blâmerait d'implorer ma
grâce?
(A la Vierge.) Sainte Reine, belle, vierge glo-
rieuse, dame pleine lie.gràces, par qui tout bien
arrive, quiconque vous implore dans le malheur
est sauvé, quiconque vous donne son cœur obtient
la joie perpétuelle de l'éternel royaume; ô source
inépuisable de délices et de saute, ramenez-moi à
voire Fils. Mon âme fui autrefois à votre doux ser-
vice, mais je fus trop vite séduit par celui qui at-
tire le mal el anéantit le bien. Je suis le jouet du
séducteur; arrachez-moi à ses illusions, ô vous
dont la volonté seule suffit pour ma liberté, sinon
de quelles horribles plaies ne paraîtra point couvert
mon corps devant la justice suprême? Dame sainte
Marie, mon cœur bal ; reçois-le à ion service; car
autrement ses maux sont sans trêve ni fin. Mon àme
sera votre esclave. Quelle horrible situation si, avant
les affres de la mort, mon àme, cachée en vous,
n'est protégée par votre union. Laissez le corps au
mal, mais que l'âme soit sauvée. Daine de charité,
si humble en portant le Sauveur qui nous a tous ti-
rés de la douleur, de la bassesse et du bourbier de
l'enfer; Daine salutaire, qui m'as sauvé déjà et que
confesse de bon cœur, garde-moi du compagnon
aniale et d'une place dans les fureurs de l'enfer.
C'est là que mon âme doit s'enfuir, vers ces geuffres
béants ; ô péché! quelle ruine ! quelle évidente fo-
lie! est-ce là mon partage? Oh! Dame, je te fais
hommage, tourne les doux regards vers mon affreux
abandon, au nom de ton Fils divin ! Faut-il que tous
les témoignages de mon passé s'anéantissent dans
une telle misère! Semblable à ces vitraux où passe
el disparaît le soleil sans qu'il y ait trace, lu es res-
iée vierge, quoique Dieu, descendu des cieux, ait
fait de loi une dame et une mère. Ah! pe re res-
plendissante, tendre el pitoyable femme, entends ma
prière, arrache mon corps vif et mon àme à la flam-
me éternelle. Reine de bonté, rends-moi la vue du
cœur, efface les ombres en moi, pour te plaire et
faire la volonté. Accorde-moi la grâce, il y a trop
longtemps que je suis dans les ténèbres. Encore ces
esclaves de mal comptent-ils nf entraîner plus avant!
O Dame, s'il le plaisait qu'un tel outrage ne fût p s!
J'ai tant passé de jours dans l'abaissement, la cor-
ruption, l'aveuglement! Reine immaculée et pure,
prends soin de moi, guéris-moi. Que ta vertu di-
vine, toujours entière, illumine mon cœur de son
éclat magnifique et doux, dessille mes jeux impuis-
sants à me conduire. Le chasseur infernal a l'œil
sur moi ; je serai pris, emporté... Oh! dure an-
goisse ! oh ! Dame, prie ton Fils de me délivrer. Oh !
Dame, vous voyez les ruses, vous voyez les mau-
dits, lirez-moi de leurs lacs. Oh! Dame, là-haut a -
sise, dérobez leur mon àme, el que nul d'entre eux
ne la voie...
SCÈNE XII.
NOTRE-DAME, THÉOPHILE.
notre-dame à Théophile. Qui es-tu? Hé, qui va
là?
Théophile. Ah ! Dame, ayez pitié de moi! Je suis
ce misérable Théophile, ce possédé pris et lié par
t
941
THE
DICTIONNAIKE DES MYSTERES.
TIII
9H
l'enfer. Je viens vous prier, Dame, vous demander
grâce. Arrachez-moi à l'heure funeste où viendra
me dévorer celui qui est l'auteur de ma ruine. Au-
trefois vous me regardiez comme de vos enfants;
ô belle reine.
notre-dame. Peu m'importent les bavardages,
va-l'en , sors de ma chapelle?
Théophile. Dame, je ne puis. Fleur d'églantier,
lis et rose, en qui se repose le Fils de Dieu, que
ferai-je? J'ai un affreux engagement avec le diable
en fureur. Que devenir ? Jamais je ne cesserai de
crier. Vierge de bonté, dame d'honneur, mon âme
scra-t-elle dévorée, lombera-l-elle en enfer auprès
du diable?
NOTRErDAME. Théophile, je le sais, tu fus à moi il
y a longtemps... Eh bien, sache en vérité que je
rapporterai ton écrit insensé... Je vais le chercher.
SCÈNE XIII.
NOTRE-DAME, SATAX.
notre-dame. Satan, Salan, es-tu enfermé? ou si,
aujourd'hui lu es venu sur la terre pour commencer
guerre à mon clerc, c'est vain effort. Rends l'écrit
du clerc, car lu as fait là une abomination.
satan. Le rendre, j'aime mieux la potence. Na-
guère ne lui rendis-je pas sa prébende, et il me fit
don de sa personne, sans relard, corps, àme et
substance.
notre-dame. Je le frapperai au cœur.
SCÈNE XIV.
NOTRE-DAME THÉOPHILE.
notre-daml, rapportant l'écrit. Ami, je te rapporte
ta charte. Tu aurais pu arriver à mauvais port, sans
secours, sans repos. Eooiiie-moi. Va vers l'évêque,
sans larder, donne-lui l'écrit, qu'il le lise devant le
peuple, dans la cathédrale, afin que les gens simples
ne puissent èlre pris à semblable fourbe. C'est irop
aimer la richesse que l'acheter ainsi; l'àme n'y a
que honte et perle.
Théophile. Volontiers, dame. Car j'eusse péri
corps et àme, et je vois bien que semer ainsi, cVst
perdre sa peine.
SCÈNE XV.
THÉOPHILE, L'ÉVÊQUE, LE PEUPLE.
Théophile à l'évêque. Sire, écoulez-moi, pour l'a-
mour de Dieu! quoi que j'aie fait, je suis ici pour
vous apprendre les causes de ma détresse. Je fus
pauvre, nu, maigre, glacé. Le diable, assaillant
perpétuel de l'homme, fil choir mon àme dans
l'abîme de la mort. La dame qui guide ses amis
m'a tiré du mauvais chemin, et d'un tel pourvoie-
ment que j'étais attendu en enfer parle diable. Le
diable même m'avait fait abandonner Dieu, le Père
spirituel, el les œuvres de charité. Il eut de moi une
charte sanctionnant tout ce que je viens de dire,
scellée à sa requête. J'en fus accablé de repenlir, à
en mourir même. La Vierge, mère de Dieu, si bonne,
si pure, si éclatante, mè rapporte mon écrit, et je
viens vous prier, comme mon père, d'en faire lec-
ture, afin que nul ne soit déçu par ce piège encore
ignoré.
l'évêque, prenant la charte. Ecoutez, pour l'amour
«le Dieu, Fils de Marie : gens de bien, vous enten-
dez la vie de Théophile, jouet du démon. Ceci est
vrai comme Evangile el mérite un récil. Ecoulez.
i A tous ceux qui verront celte lettre rédigée
suivant l'usage, Salan fait savoir que, la fortune
ayant tourné naguère, et son évêqi.e n'ayant laissé
nul bien à Théophile, celui-ci en conçut de la co-
lère. Désespéré d'un tel outrage, il s'en vint à Sala-
tin, qui avait la rage au corps, el dit qu'il lui ferait
volontiers hommage, si, par sa puissance, il recou-
vrait son honneur et ses perles. Je l'avais combattu
sans relâche durant sa vie sainte, et jamaisje n'avais
pris d'avantage sur lui. Aussi, quand il vint nie
prier, j'eus grande envie de lui, el comme il se lit
mon homme, je lui rendis sa charge. Celte lettre
fut scellée de l'anneau de son doigl, écrite de son
sang, et non d'aucune encre, avant que je ne vou-
lusse m'employer pour lui el que je ne l'eusse fai*
rentrer dans ses dignités. >
Ainsi fil ce prud'homme.
La servante de Dieu l'a absolument libéré ; la
Vierge Marie l'a arraché à son malheur.
Chantons tous pour celle nouvelle
Debout donc.
Disons : Te Deum laudamus.
XIV« siècle
Le Jeu du miracle de Théophile. — Oi
trouve dans Du Cange (Gloss. inf. Lat., v*
Ludus, éd. Hensch. , Paris, Didot, 18i5,
in-4°, 6 vol., 1. IV, p. 157) cette mention,
datée de 1384 et tirée d'une ancienne clarté:
« Comme les habitants de la ville d'Aunay
et du pays d'environ eussent entrepris que
le dimenche après la Nativité S. Jehan Bap-
tiste, ilz feroient uns Jeux ou commémora-
tion du miracle qui à la requeste de la Vierge
Marie fust fait à Théophile ; ouquel jeu avoit
un personnage de un qui devoit getter d'un
canon »
XVP siècle.
M. Jubinal, dans son édition des Œuvres
de Rutebeuf, t. II, p. 260-357, note B, donne
l'indication suivante :
« M. Michelel (du Mans), dans la lettre
qu'il voulut bien m'écrire, m'apprend, mais
sans me citer son autorité, qu'un miracle
de Théophile fut joué au Mans, sur la place
des Jacobins, en l'année 1539. »
THIERRY (Le roi). - Le Roi Thierry est
tiré du manuscrit de la Bibliothèque im-
périale, n°7208. k. B, folio 139, recto, connu
sous le nom des Miracles de Notre-Dame, et
datant du xiy" siècle.
Ce mystère a élé publié , accompagné
d'une version française, par MM. Monmerqué
et Francisque Michel , dans leur Théâtre
français aie moyen Age; Paris, 1839, gr. in-8%
p. 551-609
PERSONNAGES.
OSANNE.
ROY THIERRY.
LA MÈRE DU ROY.
bethis, damoiselle.
renier, charbonnier.
LACHARBONMÈRE.
NOTRE-DAME.
DIEU.
SAINT JEHAN.
LE PREMIER ANGE
Mir.HiEL, deuxième ange.
ALIXANDRE.
RAINFROY.
GOBI».
LE PREMIER CHEVALIER.
LE DEUXIÈME CHEVALIER.
L'OSTELLIER DE JÉRUSA-
IEM.
dame sebille, osiellière.
LE PREMIER FIL.
renier, deuxième fil.
LE TROISIÈME FIL.
grossart, premier ser-
gent d'armes.
llbin, premier veneur.
rigaut , deuxième ser-
gent.
LE DEUXIÈME VENEUR.
LE MESSAGIER.
PU LE-A VAINE.
pierre le page, tabellion.
LE VALET ESTRANGE.
Ici commence un Miracle de Notre-Dame au
sujet du roi Thierry, à qui sa mère fit en-
tendre qu'Osannne, sa femme, avait eu trot*
chiens, tandis qu'elle avait eu trois fils : par
suite de quoi il la condamnaàmort;et ceux
9V3
THI
DICTIONNAIRE DES U\ STERES.
TK1
94 i
qui durent ta punir la mirent en mer; et
depuis le roi trouva ses enfants et sa femme.
SCÈNE Ie.
LE ROI THIEHRY, OSANNE, Sa femme, LA MÈRE
DU ROI, SA SUIVANTE.
osanne. Mon Irès-clier seigneur, s'il vous plaît, je
ne puis causer plus longtemps avec vous; veuillez
vous déciiler à partir d'ici et à aller en quelqu'aulre
lieu, car il me semble que mon corps va se séparer
en deux parties. Ah, Dieu ! en vérité, je suis en mal
d'enfant, cher sire.
le roi thieuiiy. Dame, que vous dire? Je ne sais.
Je m en vais sans plus Larder. Que la mère de Dieu
vous soit propice! — 53a mère, tenez-vous avec
elle, votre demoiselle et vous : vous le savez, il faut
beaucoup de personnes, dans une telle extrémité,
pour la garder.
la mère du roi. Cher (ils, vous avez dit vrai : on
lient nombreuse compagnie à de bien moindres da-
ines. Néanmoins, de grâce, ne nous envoyez per-
sonne pour être avec elle: ma demoiselle el moi,
ce sera suffisant.
le roi. Ah ! si vous vous en chargez, ma mère, je
ne vous enverrai plus personne ; mais comment,
dame, me fere'z-vons savoir quel enfant elle aura
eu? Si loi né, qu'on me l'apporte; je vous en
prie.
la mère du roi. C'est moi-même, sans tarder,
mon cher fils, qui irai vous porter la nouvelle. Al-
lez et tenez-vous en joie.
SCÈNE II.
les mêmes, moins le roi.
la mère du roi- Dame, eh bien! comment vous
sentez-vous ? Ce dos, ces reins et ces côtés vous
font-ils mal?
osaîsne. S'ils me font mal ? Certes, oui. Je souffre
tant, j'ai tant d'angoisses que Dieu seul peut le sa-
voir. Ali, Mère de Dieu ! secourez-moi. Dieu , les
reins' Dieu! je crois que je meurs, tant je sens de
peine el de faiblesse ! Ah, dame sainte Marguerite!
et vous, glorieux saint Jean! secourez-moi dans ma
douleur et cet akan.
la mère. Dame, contenez-vous au milieu de ces
maux cruels. Vous allez souffrir de plus en plus;
mais prenez en vous de la force et du courage, puis-
qu'il le faut.
la demoiselle. Très-chère dame.il faut que vous
souffriez encore un peu. Au moment où vous y
prendrez le moins garde, Dieu vous fera la grâce
de vous délivrer heureusement , j'en suis cer-
taine.
osanne. Certes, je souffre lani que la vie s'éteint
chez moi et que la parole me manque; en vérité, je
me meurs.
la mère du roi. Allons, Délbis, je vais mainte-
nant savoir si vous m'aimez. Il faut faire pour moi
ce que je vais vous dire.
la demoiselle. Qu'est-ce, dame? Dites, je ferai
tout ce que vous me commanderez; en sorte que,
je le crois, vous m'en saurez gré, si je puis le
faire.
la mère du roi. Celle femme ne peut me plaire et
ne me plui jamais de ma vie, bien qu'elle soit l'é-
pouse de mon fils. Je ne sais trop même si Dieu s'est
mêlé Je leur union. Mais elle n'est pas issue d'assez
bon lieu pour être sa compagne : j'en ai du chagrin
et de la colère au cœur, et il n'y a pas à s'en éton-
ner. Je veux, tandis qu'elle est en cel état, qu'elle
n'enlendo ni ne parle, que tu nie portes au bois ces
cnfanls-ci, el qu'aussitôt lu les étrangles el les en-
larres, en sorte qu'il n'en soit jamais plus question.
Par mon âme ! ce que je te donnerai à ton retour fera
de toi une femme riche à jamais.
la demoiselle. Dame, je ferai votre volonté ;
mais, pour l'amour de Dieu, tenez le fait bien se-
cret. Encore m'en saurez-vous gré plus tard.
la mère. N'en doute pas, ma chère amie; je nô
te manquerai jamais, j'tn fais lesermenl. En roule,
en roule sur-le-champ.
la demoiselle. Je pars loutde suite, je serai bien-
tôt de retour.
SCÈNE III.
LA REINE OSANNE, LA MÈRE DE THIERRY.
la mère du roi. Elle est partie, allons chercher
les trois chiens de ma chienne. Ah! si je réussis,
elle n'a pas longtemps à vivre, ma bru. Mon fils en
a i té trop épris : et le diable s'en est certainement
mêlé pour qu'il l'ait tant aimée. [Elle sort el revient.]
Eli, voyez! elle est encore évanouie comme je la
laissai : c'est bon, ce n'est pas moi qui la tirerai de
cet élat ni qui lui dirai rien.
SCÈNE IV.
BÉTIÎIS.
la demoiselle. Or çà, faul-il que ma main égorge
ces enfants, el puis les mette en terre? Je suis as-
sez enfoncée dans ce bois. Hélas! voyez! ces pau-
vres petits me font fêle et me sourient lous trois.
Quoi ! les mettre à mort, alors qu'ils me sourient si
doucement? En vérité, je n'en ferai rien, quand ils
me donnent signe d'amitié. — Doux enfants, j'en
pleure de pitié. Que faire de vous? Certes, je ne vous
mettrai pas à mort; car, si je vous luais, je serais
une indigne homicide. Vous reporter au logis? je se-
rais maltraitée el punie de mort. Eh bien, je ne
vous ferai pas de mal et ne vous reporterai pas ;
mais vous serez couverts ici par moi de fougère et
d'herbes vertes : je ne puis pour le moment rien
faire de mieux. C'est l'ail; que Dieu vous veuille
sauver! Je vous laisse el vais faire entendre à ma
maîtresse, afin d'acquérir davantage son amour, que
je. vous ai lues el mis en lerre. Allons ! retournons
sur nos pas.
SCÈNE V.
BÉTHIS, LA MÈRE DU ROI, OSANNE.
la mère du roi. Eh bien, Béthis?
la demoiselle. Toul va bien. Pour l'amour de
vous, j'ai fait ce que jamais femme ne fil. Cepen-
dant, que s'esl-il passé ici, madame? Dites, n'a-
t-elle ni bougé depuis ce moment, ni parlé? Peut-
être m'entend-elle?
la mère du roi. Béthis, elle n'a pas dit un mot
depuis. Tu la trouveras dans l'étal où elle était
quand tu l'en es allée : ce dont je m'émerveille.
osanne. Pour l'amour de Dieu ! montrez-moi le
fruit qui esl né de mon covps, je veux le voir; puis-
que Dieu m'a donné un enfant, que je le voie.
la mère du roi. Il faul bien qu'on vous le mon-
tre ; tenez ; miséricorde, bon Dieu ! dame, regar-
dez : le voici. Devons-nous en faire fêle el en avoir
bien de la joie. Par ma tête ! si j'étais le roi, je vous
ferais mourir sur un bûcher; el je promets à Dieu et
lui fais vœu que je ne m'arrêterai pas ici ni ailleurs
tant que je lui aie montré votre portée.
SCÈNE VI.
osanne, seule.
osanne. Eh, Mère de Dieu, Vierge honorée, se-
courez-moi ; je suis trahie! Il esl évident que l'on a
de l'envie contre moi. Mais pour quelle cause m'a-
t-on l'ail celte trahison? Non, non. H est impossible
qu'un bouime mette dans une femme ou engendre
une autre créature que celle que la nature lie naine
a ordonnée. Que m'a-l-on montré? Suis-je la mèie
de ces monstres, semblables à des chiens' Ah ! beau
sire Dieu ! vous savez bien que jamais je ne songeai
à être criminelle, que jamais je n'ai violé la foi con-
SIS
THI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
r;n
946
jubile; jo tciP en prends A témoin, Sire; el je vous
prie lien de me secourir el m'aider dans cette né-
c s>ité, car vous savez qm: j'en ai besoin, beau sire
Dieu.
SCÈNE VII.
LA MÈBK DU BOI, LE ROI.
la mère du Roi. Il y a bien du temps que je vous
disais, mon cher fils, «pie celui qui ne croit ni son
père ni sa mère ne peut que s'en mal trouver. Vous
avez pris une épouse, vous avez fait, une reine e(
maîtresse, au grand élonnenient de tout le monde.
Car elle n'allait de pair avec vous ni pour la nais-
sa ce ni sous le rapport de la fortune tl des mœurs
non plus.' Je ne cachai pas la vérité. Mais, quand je
vous parlais d'elle, vous me contredisiez toujours
el souvent vous me gardiez rancune. Je dus renon-
cer. Eh bien, tenez ! voici sa portée : en devez-
vous avoir beaucoup dj joie? Certes, elle mérite le
feu pour avoir donné naissance à ces trois chiens,
vils el dégoûtants, que je vois ici.
le roi. Ma mère, cachez-les, pour l'amour de
Dieu! Je veux aller avec vous auprès d'elle et lui
parler devant vous.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES, OSANNE, BETHIS.
le roi. Ah ! voilà donc île tes jeux! c'est là l'hon-
neur que lu me fais, trompeuse el méchante sodo-
miie! Tu n'en es pas quille, je t'assure. Jamais
femme ne lit pareil outrage à un roi. Est-ce parce
que je l'aimais au point d'avoir fait de toi ma com-
pagne, que lu m'as fait l'outrage d'enfanter ces pe-
tits chiens, au lieu d'une créature humaine? Femme
plus fausse que toute autre déloyale, s'il plaît à
Dieu, jamais je n'aurai avec loi de rapports en pa-
roles ni en action; je le renie.
osanne. Cher sire, veuillez avoir pitié de moi ;
certes, l'action que je me vois imputer par votre
mère ne peut pas cire vraie.
la mère nu roi. Ecoutez la menteuse! Celui qui
la croit est bien trompé : voici celle qui les a reçus.
— Dis-je vrai, dis ?
la demoiselle. Oui, nia dame; je ne vous dédis
pas. — Cher sire, sachez qu'elle les a mis au jour
avec beaucoup de peine el degrandesdouleurs qu'elle
a souffertes.
le roi. Ma mère, que ce fait-ci soit bien tenu ca-
ché, je vous en prie. Mais, quant à elle, je veux que,
pour son crime, vous la fassiez mettre dans la pri-
son la plus dure qu'on pourra trouver, car je ne
veux plus la voir. Je m'en vais d'ici et vous la
laisse : ordonnez-en, de manière qu'il n'en soit plus
parlé.
la mère. Puisque tel est voire plaisir, cher fils,
c'est moi qui vous en débarrasserai de manière à
garder votre honneur, el tellement qu'on ne saura ce
qu'elle sera devenue, je vous promets.
le roi. C'est bien dit; je vous l'abandonne el m'en
vais d'ici.
SCÈNE IX.
les mêmes, moins le roi.
la mère du roi. Osanne , croyez-vous avoir un
mois pour vous relever de couches? Debout, sans
plus tarder, ni sans plus demeurer ici ; il vous faut
venir dans un autre lieu où je vais vous mener.
osan.ne. Puisqu'il le faut, dame, j'y vais morte ou
vive. Aujourd'hui l'envie triomphe de moi, j'espère
qu'il viendra un autre lemps, s'il plaît à Dieu, où mes
ennemis seront vaincus el où mes affaires iront
mieux. Allons-nous-en, allons sans relard; je m'en
ronicls à Dieu.
la mère du roi. Allons, en avant ! Entrez ici de-
d ..ns tout du suite.
osanne. Que peut-il m 'arriver de pi? Rien, quar.»
à présent. Néanmoins que Dieu soit loué.
la mère du roi. Je ne sais si vous êtes pie ou
geai, alouette ou pigeon ramier; mais, m'amie, vous
voici en cage. Je ferme celle porte à clef. J'emporte
cette clef afin que nul ne vienne auprès d'elle. Je
m'en \ais. Qu'elle se tienne ici, et qu'elle ronge la
mur si elle a faim; <ar désormais elle n'aura qu'un
peu de pain et qu'un peu d'eau pour sa nourriture
de chaque jour, afin que j'en sois plus tôt débar-
rassée.
SCÈNE X.
LE CU A P. BON M EU.
le charbonnier. Eh, holà ! n'eiilonds-je pas des
enfants crier par ce taillis ? Allons voir sans délai.
D'où viennent-ils, pour être à celle heure en cel en-
droit du bois? Ils sont plus d'un, et à leur voix, que
j'entends venir de là. il semble que ce soient de tout
petits enfants. Certainement, avant la nuit, j'en sau-
rai la vérité. Ecoulons. Comme ils crient fort ! Il est
évident qu'il n'y a avec eux ni père ni mère. Je ne
m'arrêterai pas que je n'en sois sûr et que je ne les
aie vus en face. Je crois qu'ils sont en cel endroit :
j'y vais; ce sont eux; les voici, el ils sont
trois , miséricorde du bon Dieu ! Ils sont cou-
verts de fougère. Voyons si de ce côté ou de celui-ci,
près ou loin, quelqu'un ne se montre pas. Personne;
ni homme ni femme. — Enfants, vous n'avez guère
d'amis, puisqu'on vous a déposés en ce lieu. Par ma
foi! j'ai grandement pitié de vous, tellement que,
peur l'amour de Dieu, je vous emporte tous trois, je
vous nourrirai, moi. Vous ne demeurerez certes pas
en ce bois. Je vous prends, el en route.
SCÈNE XI.
LE CHABBONNIEB, SA FEMME.
le charbonnier. Ma femme, je vous trouve bien à
propos. Eh ! regardez, dame, ce que je vous apporte ;
je vous les donne tous trois.
la charbonnière. Vous avez donc fait fortune, Re-
nier, pour m'apporter ici trois enfants. El, pour l'a-
mour de Dieu, d'où viennent-ils?
le charbonnier. Le voulez-vous savoir?
la charbonnière. Oui, je vous en prie.
le charbonnier. Je vous le dirai sur l'heure.
Comme je passais par le bois pour m'en venir \ers
le laillis, j'entendis les voix de ces enfants; el, pour
être bref, j'y allai, car ils criaient très-forl. Je les
trouvai là où ils étaient, tous trois couverts de fou-
gère, couchés à l'envers l'un à côté de l'autre et ar-
rangés sur l'herbe verte. Alors, craignant qu'ils ne
fussent mangés des bêtes sauvages ou qu'ils ne mou-
russent de misère, je n'ai vraiment pas balancé à les
apporter.
la charbonnière. Dieu soit loué! Renier. Eh bien!
puisqu'il en est ainsi, nous en ferons nos enfants el
nous les nourrirons ; quant à moi, je le veux bien,
car nous n'en avons pas : ce sera une bonne œuvre,
pour l'amour de Dieu.
le charbonnier. Vous dites vrai. Mais je crain-»
qu'ils ne soient pas chrétiens : je suis donc d'avis
que sur-le-champ vous et moi nous les portions à
l'église pour qu'on les baptise. Je vous le demande
el vous en prie, n'y manquons pas.
la charbonnière. Je ne refuse pas, sire Renier :
c'est bon conseil. Prenez-en un, j'en prendrai deux;
allons-nous-en; en roule!
le charbonnier. Allons ! loul est pour le mieux ;
passez devant.
SCÈNE XII.
OSANNE.
Osanne. Ali, Mère de Dieu! combien suis-je acca-
blée de peine, de maux, dans celte prison, sans avoir
mérité le sort que je 6iibis. — Beau sire Dieu, c'ebl
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TIU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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9J8
à vous mie Je m'en plains. Pardonnez à ma douleur.
J'élais accoutumée à êlre reine, et il n'y a pas dans
le monde de fille aussi pauvre que moi ni qui ait au-
tant (te peines et de chagrin que j'en souffre dans
cette prison. Chaque jour, l'on ne m'y donne pour
aliment qu'un peu de pain et d'eau. Ah, Mère du
doux et souverain Roi ! quelle petite provision ! Je
suis livrée, pour être punie, à la personne de ce
monde qui me hait le plus et qui est ma plus grande
ennemie. Que Dieu la confonde ! Ah, roi Thierry ! en
quoi ai-je donc mérité que vous fussiez si cruel à
mon égard , jusqu'au point de charger de me punir
celle qui me hait tant et sans raison, Dieu le sait!
celle qui est si acharnée contre moi, et qui me fait
tant souffrir d'outrages depuis un an. A-t-elle cessé
un seul jour de m'accahler d'injures et de mauvais
traitements? Ne dit-elle pas qu'elle n'agit ainsi que
pour me faire périr? Ah! Mère de Dieu , je me re-
commande dévotement à vous u'un cœur plein d a-*
mour, et je vous prie tant que je puis de ne pas me
refuser votre aide dans celle peine cruelle et dans
cette lutte.
SCÈNE XIII.
DIEU, NOTRE-DAME, ANGES, SAINT JEAN.
notre-dame. Cher Fils, avant que le jour et l'heure
ne s'écoulent davantage, si tel est voire plaisir, nous
irons, dans cette prison , réconforter celle femme
innocente qui me tend si dévotement son cœur et
son corps, et qui attend mes secours.
dieu. Je le veux bien. Allons-y sans retard , Mère ;
je veux ce que vous voulez. D'ailleurs celle malheu-
reuse est vraiment trop accablée de maux injustes.
— Allons, anges! descendez bon pas, Jean et vous.
saint jean. Vrai Dieu . Père de gloire , nous ferons
tous sans contredit votre volonté; mais dites-nous
où aller.
dieu. Suivons ce chemin devant nous. — Anges ,
allez tous deux devant , Jean viendra à votre suite et
nous après.
le premier ange. Sire Dieu, nous sommes tout
prêts à faire vos volontés.
notre-dame. Il ne faut pas vous taire; je ve.ix que
vous chantiez en allant un gracieux cantique avec
vos voix d'anges.
le deuxième ange. Puisque telle est votre volonté ,
nous le ferons, ma chère Dame. — En avant! disons
avec allégresse et amour ce rondeau-ci.
Rondeau.
Vierge sans prix , celui qui vous sert avec soin de
cœur et de pensée, emploie bien sa peine car il dé-
livre son âme de la peur du ténébreux séjour. Vierge
sans prix, celui qui vous sert emploie bien sa peine,
car il acquiert l'amour de Dieu. Votre miséricorde
lui gagne la vie glorieuse des cienx , Vierge glo-
rieuse, il emploie bien sa peine , celui qui vous sert
avec soin de cœur et de pensée.
SCÈ^JE XIV.
LES MÊMES, OSANNE.
dieu. Femme , n'aie pas peur de nous voir auprès
de loi en ces lieux. Sans doute, lu ne nous connais
pas encore, néanmoins suspends pour nous les en-
nuis. Je viens pour le donner des consolations, moi
lils, frère, ami, époux et père de ma G. le et de ma
mère. Si tu entends bien ma parole et que lu y arrêtes
la pensée, lu pourras me connaître un jour el com-
prendre qui je suis; il n'y a pas à en douter.
notre-dame. Osanne, mon amie, lu as mis en moi
ion espérance, tu as eu confiance en moi dans tes
tribulations; aussi je viens l'apporter des consola-
lions el réjouir ton cœur. Apprends que, sans que
tu l'en occupes, tu seras vengée de ceux qui l'ont
mise en celte peine. En vérité , Dieu sera toujours
ton ami, si lu l'aimes bien; et si tu as d'autres ad-
versités, souflre-Ies avec résignation pour l'amour
de Dieu : lu feras par là grandement ton profit. Je
n'ai plus rien quant à présent à te dire. — Allons!
répétez tous trois ce chant que vous avez f il en-
tendre en venant , et allons-nous-en sans plus rester
ici.
le premier ange. Volontiers , Dame de la gloire
céleste , puisque bon vous semble. — Allons, Michel,
commençons ensemble et ne demeurons plus ici.
Rondeau.
El il acquiert l'amour de Dieu. Votre miséricorde
lui gagne dans les cieux une vie glorieuse. Vierge
sans prix , il emploie bien sa peine celui qui vous sert
avec soin de cœur el de pensée.
SCÈNE XV.
OSANNE.
osanne. Oh! douce el glorieuse Vierge, trésor da
bonté infinie, en qui Dieu, mû par une cliariié vé-
ritable, se fit homme semblable à nous. 0 vous qui
aujourd'hui m'êtes secourable au point d'être venue
me consoler et m'exborter si doucement à avoir de la
patience, en vérité, je dois bien m'efforcer de vous
louer el de vous rendre grâces et de remercier voire
doux Fils; aussi le ferai-je en vérité, d'un cœur dé-
vot, plus ardemment que je ne l'ai fait, el avec une
plus humble affection que je ne le fis jamais.
SCÈNE XVI.
LA MÈRE DU ROI.
la mère du roi. Si les mauvais traitements ne
l'ont bientôt mourir ma bru dans sa prison, je crains
qu'elle puisse encore me nuire. Mais, à bien réflé-
chir elle ne peut guère vivre longtemps encore avec
le peu d'eau et de pain que je lui donne chaque
jour. Autant que je le puis, je tâche qu'elle n'ait de
consolation de personne, pour qu'on ne puisse la
réconforter , je porte moi-même sans cesse la def
de son cachot. C'est moi seule aussi qui vais lui
porter sa pilance; je ne veux point qu'aucune autre
personne y aille, afin qu'on ne lui donne rien auire
chose que du pain et de l'eau. Plût à Dieu qu'elle fût
à présent morte de faim! Je veux entrer dans l'en-
droit où elle est.
SCÈNE XVII.
LA MÈRE DU ROI, OSANNE.
la mère du roi. Es-tu ici , misérable : tiens,
mange, et puisses-tu en crever! Plùl à Dieu que ton
corps puant fût à celle heure enfoui en terre!
osanne. Si Dieu , qui est miséricordieux el doux ,
ne m'eût soutenue, ce que vous désirez, madame,
fût arrivé depuis longtemps.
la mère du roi. Je prie Dieu que l'âme de celui
ou de celle qui apporta le premier à mon fils la nou-
velle que tu serais sa femme, soit damnée éternel-
lement, car jamais une aussi grande honte n'arriva
à un roi.
osanne. Dame , que le Roi des cieux , si tel est
son bon plaisir, vous pardonne les outrages et le
mal que vous me faites!
la mère du roi. Tiens-toi en paix ; tu as trop de
caquet : cela l'a nuit el le nuira.
SCÈNE XVII I.
LA MÈRE DU ROI, Seule.
la mère du roi. Non , jamais plus elle ne verra
personne, quelque chagrin que cela lui fasse. Je suis
vraiment étonnée que, malgré toutes ses peines et
ses souffrances, elle n'ait rien perdu de sa beauté;
au contraire elle a la figure plus polie el plus fraîche.
11 me faut un autre moyen de m'en débarrasser. En
vérité, je n'en viendrai à bout qu'eu la faisant jeter
à la mer; mais je l'ai déjà trop longtemps soufferte
*9
Till
DICTIONNAIRE
et endurée, et aussi bien elle a trop vécu : je veux
m'en débarrasser sans retard.
SCÈNE XIX.
LA MÈRE DU ROI, SES OFFICIERS.
la mère du roi. Venez ici , venez , Alexandre, et
tous, Rainfroy , cl vous , Gobin. Je veux voir en ce
moment si vous eûtes jamais de l'affection pour moi.
Eles-vous prêts à m'obéir, quels que soient mes com-
mandements?
Alexandre. Ma chère dame, je crois qu'il n'y a
personne de nous qui n'exécute vos ordres avec joie;
je le liens pour certain.
kai.nfroy. Pour ce qui est de moi, vous parlez
bien et dites vrai, mon ami.
gobin. Je le ierai, certes, dussé-je être mis à
mort.
la mère du roi. Chacun est donc ainsi prêt à exé-
cuter toutes mes volontés; eb bien, je vous ordonne
d'aller jeter dans la mer celte misérable Osaune , qui
n esl plus digne de vivre; celte mauvaise et impu-
dique coquine qui a bien mérité d'être brûlée, tanl
elle a commis de crimes!
Alexandre. Chère dame, vous serez obéie volon-
tiers et promplemenl, si vous prenez la responsabi-
liié de tout et nous protégez.
la'mère du roi. Oui ! je vais vous la livrer, et je
prends la responsabiliié de l'action. Je vous f;iis
serment de vous en décharger tous : cela vous suflii-
il?
rainfroy. Si cela nous suffit? oui, dame. C'est
dit, nous vous obéirons; nous en délivrerons ce pays
pour l'amour de vous.
SCÈNE XX
LES MÊMES, OSA N NE.
la mère du roi. Venez dehors, ma bonne! sortez
un peu, ma belle. Je mens, sans aucun doute en vous
nommant ainsi. — Tenez, seigneurs , je vous la
livre; emmenez-la vite où vous savez, et faites
promplemenl votre devoir.
gobin. Bien.
SCÈNE XXI.
les mêmes, moins la mère du roi.
f.oBiN. Allons, dame! avancez. Nous ne restons
pas ici. Venez avec nous pour vous distraire un
peu.
osanne. Seigneurs , soyez assez bons pour me dire
où vous nie menez véritablement.
Alexandre. Dame, nous ne sommes dans ce monde
«lue pour mourir un jour; tous lant que nous sommes
il nous faut en passer par là. Or, il ne plaît ni au
roi ni à ma dame sa mère (si je vous liens un lan-
gage désagréable, pardonnez-le-moi, je vous prie)
que vous viviez davantage; c'est pourquoi il vous
faill mourir aujourd'hui sans faute. Quant à nous,
nous ne pouvons rien pour vous sauver , dame.
Puisqu'il en est ainsi , implorez de tout votre cœur
la miséricorde de Dieu , afin qu'il voifs pardonne
tous vos péchés et donne la gloire à votre âme; je
ne vois rien de mieux.
osanne. Hélas, beaux seigneurs! miséricorde! que
Dieu soit compatissant pour vous tous! Epargnez
n. on corps par pitié; ne m'ôtez pas la vie; car si l'on
m'a livrée à vous pour être mise à mort, c'est par
h;iine et par envie, sans cause et sans que je l'aie
mérité. Si par pitié vous ne me faisiez pas mourir,
certes, Dieu vous le rendrait et vous en récompen-
serait bien; je n'en doute pas.
rainfroy. Seigneurs, tout le cœur me fond en
larmes de la pi lié que je ressens pour celle femme.
Par Noire-Dame! j'ai bien peur, si nous la mettons»
à mort, que nous ne nous en repentions à la fin.
DES MYSTERES. THI 9o0
gobin. Après ce que je lui ai ouï dire, certes, je
ne suis point d'avis non plus de la mettre à mort ,
Dieu me protège!
Alexandre. Mais comment la sauver de la mort
sans manquer à notre parole? Voyons.
rainfrov. Je ne sais... Si fait Lien. 11 y a un moyen
que je vais vous indiquer. Nous nous sommes engagés
à l'abandonner à la nier ; mettons-la donc dans un
bateletsans pilote, n'ayant avec elle ni perches, ni
voiles, ni avirons; laissons-la aller ainsi où la mer
la voudra porter. Les (lots l'éloigneront bientôt, qu'on
ne la trouvera pas, et, si elle doit être sauvée, Dieu
fera sa volonté à cet égard. Quant à nous , nous se-
rons quilles de noire mission.
gobin. Alexandre, c'est vrai : qu'il soit donc fait
comme il a dit.
Alexandre. Soit! je n'y mets pas d'opposition. En
avant! allons chercher un bateau. Ah! en voici un
bon et bel que j'ai trouvé ici.
gobin. C'est bien, lu t'en es habilement lire. Il
nous faut penser au reste. — Dame, voici tout ce
que nous pouvons pour vous garantir de la mort.
Vous avez le désir de vivre , entrez dans ce batelet,
cl nous vous laisserons aller au bon plaisir de Dieu
où la mer vous mènera. S'il plaît au Seigneur, vous
serez aisément sauvée. Si non , il ne vous reste qu'à
vous noyer ici , sans larder davantage. Ainsi dites-
nous ce que vous voulez, lequel des deux vous choi-
sissez.
osanne. Seigneurs, de deux maux on doit choisir
le moindre. Dieu soit loué du mal que vous m'épar-
gnez. Quant à ce que j'aime mieux, c'est de des-
cendre dans le bateau et d'attendre les accidents
qui pourront me venir de la mer.
rainfrov. Allons vile! appiélez-vous donc à y
entrer.
osanne. Volontiers, seigneurs, sans difficulté. J'v
suis, voyez.
Alexandre. Dame, au moins sachez-nous gré de
cette action. Nous nous en allons, en vous recom •
mandant à Dieu ; qu'il vous donne aide et consola-
lion, et qu'il veuille vous mener au port de salut !
gobin. Ainsi soit-il ! Maintenant allons-nous-en.
Nous avons bien besoin de nous en aller vite.
Eh ! regardez comme la mer l'a déjà portée loin de
nous!
rainfrov. Gobin, c'est l'habitude de la mer. Si lu
restais encore un peu de temps ici, je le dis que
bientôt lu ne verrais ni bateau ni femme.
SCÈNE XXII.
RAINFROI, GOBIN , ALEXANDRE, LA MÈRE DU
ROI.
Alexandre. Ho ! attention. Voilà madame qui
nous attend, je n'en doute point. Pressons un peu
le pas pour aller à elle.
rainfrov. C'est ce que nous faisons tous, à ce
qu'il me semble.
la mère du roi. Soyez tous irois les biei.venus.
Comment va notre affaire !
gobin. Bien, ma chère dame; nous venons d'en
terminer selon vos ordres. Je vous le promets.
la mère. C'est bon; et puisqu'il en est ainsi, je
vous défends (nul autre que vous ne m'écoule), si
vous m'aimez quelque peu, de parler de ce qui s'est
passé enlre nous. Sur la foi que je dois à mon âme,
je ferai de vous de riches hommes.
Alexandre. N'ayez crainte, chère dame. Nul n'en
saura rien.
la mère du roi. En attendant que je me sois pro-
curé ce dont je pense vous enrichir,* que chacun de
vous retourne chez lui
rainfrov. Dame, nous ferons ce qui vous plaira;
nous prenons congé de vous. — Allons-nous-en, ne
rêvons pas davantage, parlons d'ici.
551
TH1
SCÈNE XXII!.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ÏHI
953
LA MERE DU ROI, BETHIS.
la mère. Enfin, ma bru a donc péri d'une mort
honteuse. C'est moi qui veux être la messagère de
ceile nouvelle. J'irai moi-même annoncer sa mort
au roi. — Bélhis, venez avec moi ; dépêchez-vous.
la demoiselle. Volontiers, dame. Où allons-nous?
la mère du roi. Vous et moi, nous allons de ce
pas vers mon fils, l'informer d'une chose qu'il ne
sait pas, de la santé de son amie Osanne.
SCÈNE XXIV.
LES MÊMES, LE ROI.
le roi. Soyez la bienvenue, ma mère. A quel su-
jet venez-vous ? dites.
la mère du roi. Cher fils, vous êtes délivré et dé-
barrassé de votre femme Osanne, que j'ai pour
son crime gardée en prison, comme vous me l'avez
permis. Grâce à Dieu, elle a si peu bu et mangé
qu'elle est morte. Je l'ai fait enterrer en secret et
sans bruit.
le roi. Hélas! ma mère, ce sont tontes les perfi-
dies dont vous l'avez poursuivie qui sont causes que
j'ai fini par la haïr et la persécuter jusqu'à la mort.
Je ne sais si vous avez tort ou raison; mais sur
mon àrne ! je l'aimais beaucoup. Aussi est-ce en
pleurant des yeux et du coeur, que je prie Dieu et
Noire-Dame, si vous l'avez fait périr à tort, de ne
pas tarder longtemps à vous en punir. Nous verrons
bien comment vous avez agi à son égard. Sur ce, je
ine lais.
la mère du roi. Mon fils, je prends à l'instant
rongé de vous. Vous vous courroucez contre moi,
parce i|iie je ne me suis occupée que de votre bien.
Cessez, cessez.
SCÈNE XXV.
LA MÈRE DL" ROI, SA SUIVANTE.
la mère du roi. Par saint Georges ! un jour vien-
dra, si l'occasion se rencontre, qu'il me souviendra
de ceci.
(Ici elle tombe.)
la demoiselle. Douce Mère de Dieu, comment ma-
dame peut-elle être tombée? Dieu! qu'est-il arrivé?
«es traits sont tout changés, son visage tout noir.
Hélas! elle se meurt bien cruellement.
SCÈNE XXVI.
LA SlIVANTE, LE ROI, SEIGNEURS.
la suivante. Venez ici vers votre mère, monsei-
gneur le roi.
le roi. Qu'y a-l-il, Bélhis? Par saint Pierre!
qu'a-t-elle, dis?
la demoiselle. Je ne sais; je n« vis jamais femme
choir aussi lourdement. Pour l'amour de Dieu,
seigneur! venez voir c« qu'il vous en semble.
le premier chevalier. Allons-y tous ensemble ,
sans tenir ici de plus longs discours, et nous ver-
rons. Je le conseille.
le deuxième cuevalier. Cher sire, le conseil est
bon à suivre; allons vile sans plus tarder : c'est
chose à faire.
le roi. Allons, nous venons comment elle va. —
Sainte Marie! qu'est-ce que ceci? Dieu! comme son
visage et tout son corps sont noirs!
le premier chevalier. Qu« Dieu, par sa bonté
infinie, lui soit doux et miséricordieux ! Certaine-
ment elle est morte dans de grandes souffrances.
le deuxième chevalier. Beau sire Dieu, que veut
dire ceci? Comment, pour être tombée dans une si
Lelie place, sa face et son corps peuvent-ils être
devenus si noirs! En vérité, j'en ai le cœur étonné
et effrayé en même temps.
le roi. Seigneurs, puisqu'elle est étendue morte
ici (plus je la regarde, plus j'ai de frayeur), faite- .
vous aider, emportez.-la et procurez-lui un cercueil.
Qu'on l'enterre d'abord, plus tard nous ferons les
cérémonies funèbres tout à' loisir!
le premier chevalier." Cher sire, nous ferons
sur-le-champ tout ce qui vous plaira.
SCÈNE XXVII.
les mêmes, moins le roi.
le deuxième chevalier. Je vais chercher deux
ou trois hommes qui remporteront hors d'ici et qui
l'enterreront tout de suite pour un peu d'argent;
tous et moi nous ne sommes pas gens à nous char-
ger d'une pareille besogne.
le premier chevalier. C'est vrai. Allez-y donc
tout de suite, mon doux ami.
le deuxième chevalier. Allons , je viens; sei-
gneurs, metlez-vous en mesure et ne vous amusez
pas, apportez-moi et- corps jusque là- bas, et faites
vile.
Alexandre. Prenez vous deux vers la tète; pour
moi, je porterai les jambes. Allons, debout! tournez,
j'irai devant : c'est comme il faut.
GOBiN. Nous savons bien qu'il faut que les pieds
s'en aillent devant. Nous sommes tournés; allons !
va devant, sans l'amuser.
uainfroï. Jamais je n'aidai à porter un corps
aussi pesant que l'est celui-ci, ni loi non plus, ûa
crois. Dieu en ail l'Ame '
GoBiN. Non vraiment, par Notre-Dame! Si nous
avions à aller un peu loin, je perdrais bientôt ba-
leine assurément.
Alexandre. Eh ! cessez de vous plaindre ainsi :
nous eu serons débarrassés dans l'instant. Voici le
lieu où nous la déposerons : venez bon pas.
SCÈNE XX VI II.
le roi, chevaliers.
le premier chevalier. Sire, un peu de calme.
L'agitation ne vous avancerait en rien. Dieu, s'il lui
plait, peut nous traiter tous de même.
le roi. Mes amis, je n'ai pas qu'un sujet d'ennui,
non-seulement à cause de ma mère morte si sou-
dainement, sans doute par un juste jugement de
Dieu, mais encore à cause de la mort injuste
d'Osanne, ma très-chère épouse. Il n'y avait pas
d'ici jusqu'à Lausanne une dame plus vertueuse
qu'elle : elle jeùnail et ne portait point de linge ,
mais ceignait la corde autant qu'elle le pouvait;
elle niellait la paix et la concorde entre les gens,
et toujours elle était diligente à repaître ei à sou-
tenir les pauvres. J'ai été fou de la mettre à la dis-
crétion de ma mère qui ne l'aima jamais : mainte
fois elle l'avait diffamée auprès de moi, ei sans
doule elle seule aura causé sa mon ; ce donl je
Buis affligé, n'en doutez pas. — Ali, Osanne, ma
chère amie! je regrette et regretterai voire mort
aulanl que je vivrai : c'est bien juste.
le deuxième chevalier. Sire, j'ai tellement bâté
les choses que votre mère est couchée dans une
bière, là-bas en la chapelle; demain l'on fera son
service, et on l'enterrera lout de suite, si vous
voulez.
le roi. Ma foi! je suis si chagrin que cela n'im-
porte peu : qu'elle soit mise en lerre, ei débarras-
sez-\ous-en bien vile.
le deuxième chevalier. Sire, je ferai de lout
mon cœur voire commandement.
SCENE XXIX.
DIEU, SAINT MICHEL.
dieu. Michel, écoute ce que j'ai à le dire : Je veux
que lu ailles tout de suite vers ce bateau, ouest
celle dame toute seule. Je l'aime, car c'est une
honnête femme. Ne lui dis pas un mol; mais sans
retard mène-la et conduis- la jusflu'-ai P*>' > -QUI est
9Î3
TIII
DICTIQNNAIIIE DES MYSTERES.
TIII
951
le pins près de Jérusalem : cela fait, reviens do
guilt'. Pas un mol.
MiciiiL. Sire, je vais sans retard faire ce que vous
me commandez.
SCÈNE XXX.
OSANNE.
osanne. Ali Dieu! comme je tremble! que j'ai
peur de sombrer dans cette mer profonde! Faut-il
donc que j'y meure. Rien pour conduire ce bateau.
Et quand même j'aurais quelque chose, à quoi bon?
par ma foi ! Ab ! ma vie est bien aventurée. Eh ,
leiume, pauvre créature! le monde te fuit avec tous
ses biens, la Fortune le nuit autant qu'elle peut, la
mer se gonfle contre loi; il n'est rien qui ne veuille
le nuire. J'aurais grand besoin de pain, bêlas! Fa-
mine me presse si fort, pour se venge.- de moi, que
je crains qu'il ne me faille manger mes mains par
nécessité. Ab, Mère de Dieu, bonne Vierge qui êtes
firèle à toute misère, qui secouiez de près et de
oin ceux qui espère. il en vous, Dame, puisque j'ai
confiance, ne m'abandonnez pas entièrement; veuil-
lez prier pour moi votre doux Fils qu'il nie console;
aussi bien sait-il que je ne suis pas plongée avec
justice dans ces maux affreux. Ab! n'ai-je plus que
la mort à attendre? Devais-je la recevoir de la main
même de la mère de mon mari. Ab, Thierry, bon
roi d'Aragon ! combien est loin l'amour que vous
aviez pour moi! Votre mère n'esl-elle pas assez
vengée de moi, depuis que Ton m'a mise par ses
ordres en un danger pareil. Adieu, tous ce ix que
j'ai aimés, nous ne nous verrons plus ; car, certes, je
ne sais ni ne vois de quel côié an secours me vien-
drait, et qui m'arrachera à la mort. Oh ! comme
mon cœur est serré de douleur. (Ici elle se lait un
peu.) Eb, beau sire Dieu ! je vois la terre, où ce ba-
teau va tout droit tomme s'il y était attiré. Ab, sire
Dieu ! je vous remercie , puisque je suis venue à ce
port. Je veux descendre bien vile d'ici. — Douce
Hère de Dieu, en quelle terre suis-je maintenant.?
certes, je ne sais. Comment éprouver de la haine
pour celle qui m'a trahie ainsi? Ah! je suis ici
aussi ébahie qu'une bête, et il n'y a pas à s'en
étonner. Mais que Dieu veuille me diriger! Puisque
je suis dans un pays étranger, il faut que je change
d'allures comme de position , car si je puis être
chambrière el avoir pour maître un prud'homme,
ce sera assez pour ma vie.
SCÈNE XXXI.
OSANNE, UN HÔTELIER.
l'hôtelier de Jérusalem. Dame, Dieu vous bé-
nisse! où étes-vous née el qui vous a amenée ici ?
Vous êtes toute seule?
osanne Sire, laissez-moi en paix. Point de ques-
tion, s'il vous plaît ; seulement, dites-moi en quel
pays je suis : vous ferez ainsi une grande charité.
l'hôtelier. Mon amie, en bonne vérité, je' vous
le dirai sans relard : sachez que vous êtes an port
le plus prochain de Jérusalem. Je vous dis vrai, par
saint Jean. Comme souvent il arrive par ici des
esclaves el d'autres gens qu'on appelle épaves, j'é-
tais venu m'ébatlre pour trouver quelqu'un qui
voulut nous servir, ma femme et moi, cl gagner de
bons el gros gag s. Dame, n'auriez-vous pa-> le
soeur désireux de servir?
osanne. Ne vous déplaise, oui, sire, par mon âme!
je servirai volontiers de tout mon cœur el sans ré-
pugnance pour gagner mon pain ; el je crois que
vous vous tiendrez satisfait de mon service.
l'hôtelier. Certes, vous y êtes bien propre. En
avant! ne restez plus ici, venez avec moi : je de-
meure dans le plus beau quartier de la ville.
SCÈNE XXXI I.
LES MÊMES, l'hÙTESSI:.
l'hôtelier. Dame Sibylle, étes-vous là? Faites-
nous bonne et joyeuse mine. El regardez ! vous ne
manquerez plus de chambrière.
l'hôtelière. Ma chère amie, soyez la bienvenue.
Là, sérieusement, est-ce pour nous servir que vous
venez ici ?
osanne. Oui, dame, si cela peut vous êlre agréa-
ble.
l'hôtelière. Soyez la très-bien venue, je crois
que je vous aimerai beaucoup; car à votre visage
il me semble que vous ne pourrez que bien vous
conduire. Si vous m'êtes utile, jamais vous ne quit-
terez de chez nous que vous ne soyez riche el com-
blée de biens ; je vous promets.
osanne. Dame, je me mets en votre grâce, et je
ferai tant, s'il plai l à Dieu, que vous n'aurez par
moi ni bruit ni querelle; je vous servirai tout à (ait
selon votre humeur, aussitôt que je la connaî-
trai.
l'hôtelière. Allons, venez, je vous montrerai à
quoi vous vous emploierez. Hegardez : vous ferez
les lits, ensuite nettoyez la maison. Mais, m'amie,
voire nom?
osanne. Je ne vous le tairai pas : dame, s'il vous
plaît, appelez-moi Osaunette; vous direz bien : c'est
mon vrai nom.
l'hôtelière. Faites bien, tant que je puisse don-
ner un bon témoignage sur voire compte. Je m'en
vais travailler ailleurs; allons! conduisez-vous
bien.
osanne. Dame, ne soyez en peine d'ancu; e chose :
quand je sortirai d'ici, je n'y laisserai rien à arran-
ger ou à nettoyer.
SCÈNE XXXÎ1Ï.
LES ENFANTS DU ROI.
le premier fils. En roule et marchons jusqu'à
ce que je sois au logis, puisqu'aussi bien j'ai vendu
tout mon charbon. Holà, enavani, holà !
le deuxième fils. Voici longtemps que je n'avais
vendu mon charbon comme aujourd'hui. Retournons
donc joyeusement au logis : ma journée est faite.
Mou cheval va lestement étant sans charge
le troisième fils. Je ne pense pas avoir aujour-
d'hui de mon père une mine renfrognée : je lui
porte de l'argent dans ma bourse, il ne me gour-
inandera pas. Eh! je vois mon frère. — Ho, Renier,
arrête, arrête !
le deuxième fils. Est-ce toi, mon frère, allons,
viens-tu ?
le troisième fils Un moment. Me voici. J'ai été
bientôt ven'u? Dieu l'aide! combien as-tu vendu la
charge?
le deuxième fils. Combien? Trois sous, à un
brave homme qui me semble doux et courtois, car
il m'a fait boire un grand coup de son vin.
le troisième fils. En vérité, lu dois en être aise
cl joyeux.
le deuxième fils. Je ne suis pas le moins du
monde fatigué, il ne faut pas en parler. Allons! son-
geons à nous en retourner, c'e^l notre meilleur
parti.
SCÈNE XXXI V.
LES MÊMES, LE CHARBONNIER.
LE premier fils. Père, que Dieu vous donne uno
belle soirée! Faut-il mettre le cheval-ci à l'écurie et
lui donner à manger avant tout?
le charbonnier. Oui, mon fils ; mais ne le cou-
vre pas : il n'en a pas besoin.
le premier f/ '.s. De par Dieu ! il ne le sera
point, au moins. \r moi.
le troisième f.ls. Eh regardez ! je vois là-bas no-
tre frères qui mène son cheval à l'écurie : il f;"11
aussi rentrer les noires, cl puis nous pourrons re-
venir tous les trois ensemble.
le deuxième ni. s. Allons donc ; puisque cela.
9
oO
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
THI
P^fi
vous semble bon, j'y, consens. — Père, nous so-.n-
n es ici lous les trois, el nous méritons la bienve-
nue, car nous avons vendu nos trois charges tle
charbon ; je vous dis vrai. Ah! si vous saviez quel
beau cheval gris j'ai vu tout à l'heure. Par mon sei-
gneur saint Vincent ! cher père, si j'en avais un pa-
reil, je ne le donnerais pour aucun trésor.
i.e premier fii.s. Et moi, mon père, j'ai rencon-
tré lanlôl dans ma roule un écuycr qui portail un
faucon sur son poing. Par mon àme, si j'en avais
un pareil, je le préférerais, je puis l'affirmer, à cent
muids de bon charbon.
^ le troisième fils. El moi, j'ai rencontré aujour-
d'hui un lévrier si bel el bon, si gentil et si propret,
qu'un valet menait en dexlre assez matin. J'ai de
suite souhaité d'avoir pour lors cent livres el d'être
obligé de les donner à la condition que le chien lui
à moi ; car, certes, il les valait bien.
le charbonnier. Mes enfants, cessez voire conver-
sation : ce sont choses où vous ne pouvez atteindre
maintenant. Asseyez-vous, vous vous reposerez. Vous
aurez votre dîner dès qu'il sera prêt.
SCÈNE XXXV.
LE ROI ET SA CHASSE.
le roi. Seigneurs, il s'agit d'aller chasser ; don-
nez ordre aux veneurs de biei mener la chasse.
le premier sergent d'armes. S re, vous plaîl-il
que je fasse ce message? Je vais sur le-cbauip y al-
ler, el je leur répéterai toul de suite ce que vous
avez dit, sire.
le roi. Oui ; lu parles bien : va leur dire ce que
je leur mande.
le premier sergent. Je vais faire votre commis-
sion. — Seigneurs, il faut chasser au bois; mettez
lous les chiens en état et venez, car le roi l'or-
donne.
le premier veneur. Nous ferons de suite ce qu'il
commande. Allez hardiment lui dire que nous y
serons avant que noire sire se melie en che-
min.
le premier sergent. Volontiers, seigneurs; al-
lons, en avant! — Cher sire, mettez-vous en roule :
vous trouverez au bois les veneurs el les chiens tout
prêts, quelque célérité que vous nielliez à y venir ;
dépêchez-vous.
le roi. C'est bien dit. — Allons, à cheval, vous
lous ! Allons monter.
le deuxième sergent. Laissez le chemin libre,
sans larder; sinon je vous appliquerai sur le dos
de grands coups de celle masse-ci. Allez en ar-
riére.
SCÈNE XXXVI.
LES VENEURS.
le deuxième veneur. Lubiii, allons-nous-en par
la traverse avec les chiens, de manière à arriver
avant le roi en la forêt.
le PiŒMiER veneur. Allons ! j'y consens : c'est
dit et ce sera fait.
SCÈNE XXXVII.
LES MÊMES, LE ROI.
le roi. Seigneurs, il faut partir, puisque nous
sommes montes; hâlez-vous d'aller devant moi tous
ensemble.
LE PREMIER CHEVALIER. Allons! je VOIS là-bas, CC
nie semble, les veneurs dans ce carrefour : ils
nous diront s'ils n'ont rien vu aux alentours
d'ici.
le deuxième cnEVALiER. C'est vrai ; nous le sau-
rons bientôt; allons à eux.
le roi. Auparavant, dites-moi votre avis, sei-
gneurs : en quel endroit faul-il que nous pénétrions
pour ne pas manquer la grosse bêle cerf ou san-
g ier?
le deuxième veneur. Sire, Dieu me veuille aider l
Vous en trouverez assez si vous allez par ce cue-
min ; mais n'abandonnez pas le senlier.
le roi. Nenni, ce n'est pas mon intenlhn. J'en
vois, beaux seigneurs; en avant! allez par ici au-
devant, et si je vous envoie quelque chose, barrez
le chemin tant que vous pourrez.
le premier chevalier. C'est ce que nous ferors,
vous le verrez bien, s'il s'en trouve l'occasion.
le deuxième chevalier. Pour ma part, je n'y
manquerai point, mon cher seigneur.
SCÈNE XXXVIII.
LE ROI.
le roi. Eh! Eh! je vois ici le plus grand sanglier que
je vis jamais. Je ne sors pas de ce bois qu'iï ns soit
pris. Approchons plus près de lui pour lui faire sen-
tir mon épée. Oh! silôt qu'il m'a vu, il s'est m fui
dans cette vallée; mais je n'abandonne pas la par-
lie : je m'en vais après lui.
SCÈNE XXXIX.
LES SEIGNEURS.
le premier chevalier. Holà ! ho ! je n'entends
dans ce bois aucun bruit qui annonce monseigneur.
Au moins, si je voyais quelque grosse bêle s'élancer
par ici, j'espérerais (pie sans manquer il dût bientôt
venir après; mais je n'entends rien ni près ni loin,
ni la voix d'un homme ni le bruit de la course d'une
bêle. Je vous le jure sur ma tête, je crains qu'il ne
soi! égaré.
le deuxième chevalier. Moi aussi : courons vile
après lui, pour l'amour de Dieu !
le premier chevalier. Mais, sans nous en aller
de ce lieu, donnons du cor pour savoir s'il entendra
ou s'il n'appellera point; c'est mon avis.
le deuxième chevalier. Vous avez bien dit : je
veux sonner du cor aussi fort que je pourrai le
faire; cornez aussi comme moi, afin qu'il nous en-
tende.
le premier chevalier. Toute la tête me tourne
d'avoir corné si fort el si longtemps, el je crois
que je perds ma peine : je n 'entends âme qu»
vive.
le deuxième chevalier. Ni moi non plus, par
Notre-Dame! Maintenant que faire? Irons-nous
plus avant? 11 esl bien lard.
LE PREMIER CHEVALIER. Si I10US Savions OÙ il est,
je dirais, « Allons-y; > mais nenni, et il n'y a per-
sonne qui ne s'expose ; allons-nous-en, car la nuit
sera obscure el noire.
le deuxième chevalier. Certainement, c'est sûr,
el nous serions mal arrangés. D'ailleurs, il esl sans
doute retourné au palais. Je suis donc d'avis que
nous retournions aussi, droit à la ville.
le premier chevalier. Ce parti est le meilleur;
par Saint-Gilles ! allons-nous-en.
SCÈNE XL.
LE ROI.
le roi. Eh Dieu! où suis-je? Je puis bien dire à
présent que c'est moi qui suis attrapé. Je croyais
avoir happé une proie ; mais, à en juger par mon
embarras, je puis dire que c'est moi qui suis pris eu
chassant, ce qui me rend tout éperdu. Je suis tout
seul, j'ai perdu mes gens. Par où retourner pour les
trouver? Vraiment, je crois que Dieu m'a égaré el
envoyé ce malheur pour l'amour de nia femme
Osanne, qui était une dame vertueuse el que je re-
mis aux mains de ma mère, qui a été si dure el si
cruelle à son égard qu'elle l'a fait mourir sans qu'elle
eût mérité en rien son sort. Oui, c'est là mon opi-
nion; car il n'esl pas vrai qu'elle ait porté des
chiens, comme ma mère me le fil entendre. Je
crois bien, au contraire, que Diev n'a fait mourir
ma mère d'une mort si honteuse qu'à cause du pé
957
TI1I
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
THI
938
ché qu'elle commit alors. Mais comment se put-il le roi. Volontiers, puisqu'il faut que je fasse ici
i]ue je me prêtai à la croire et que je consentis qu'elle mon souper.
fil souffrir ma femme? Doux Dieu, Père miséiïcor- le charbonnier. Cher sire, vous n'en eûtes jamais
dieux, je requiers de vous pardon et merci; veuillez un pareil, j'en suis bien persuadé. — Dame, appor
me guider ici de manière à ce que je trouve quelque
habitation où je puisse me retirer, caria nuit est
pleine d'obscurité. Eh, Dieu! je vois là bas briller
du feu : il doit y avoir du inonde; dirigeons-nous de
ce côté. — Ouvrez, ouvrez celle porte, valet ou
maître ; ouvrez.
SCÈNE XLI.
LE KOI, SES ENFANTS, LE CH AIIUONNIER, SA
FEMME.
LE premier fils. Qui est là ? qui? — Père, atten-
dez, tenez-vous coi ; j'irai savoir ce que c'est. — Sire,
voulez-vous avoir du charbon?
le roi. Je saurai bientôt le le dire. Mon cher fils,
puisque je suis descendu, Dieu soit céans! je veux
aujourd'hui coucher ici.
le charbonnier. Très-cher sire, nous feronscequi
vous plaira : c'esl notre devoir. Soyez le très-bien
venu; nous nous appliquerons à vous servir. Sainte
Marie! sire, qui vous amène ici à celte heure?
le roi. Je vous le dirai lout de suile. J'ai aujour-
d'hui tellement poursuivi un sanglier que j'ai laissé
en arrière tous mes gens et que je me suis égaré
dans le bois, tant je l'ai vivement traqué, et encore
sans le prendre!
la charbonnière. Renier, apprenez-moi quel est
cel homme.
le charbonnier. Dame, par saint Pierre de Rome!
c'esl le roi noire cher seigneur. Failes-lui lout l'hon-
neur possible.
le fremier fils. Sire, je veux vous ôter vos épe-
rons dorés.
le deuxième fils. Le beau surcot! Mon frère, re-
garde : dis-jela vérité? Par mon àme! j'en voudrais
un pareil.
le troisième fils. Moi aussi, par ma foi ! je le vê-
tirais demain. — Qu'evl-ce que vous avez dans la
main, sire, qui est si beau ?
le charbonnier. Je donnerai une taloche à chacun
de vous si vous ne vous éloignez pas de lui. Vous
êtes trop ennuyeux : allons! sortez d'ici.
le roi. Prud'homme, souffre-les, pour l'amour de
Dieu ; voici plus de trente ans entiers que je n'ai
pas vu des enfants aussi volontiers que je vois
ceux-ci.
le charbonnier. Sire, je me lais donc, puisque
vous y prenez plaisir. Eu vérité, je craignais que
cela ne vous fût désagréable el que ce qu'ils font ne
vous déplût.
le roi. Nenni, car cerlainement ils sont on ne
peut plus gracieux : je ne puis assez rassasier mes
yeux à les regarder.
la charbonnière. Très-cher sire, laissez-les là;
venez souper, si cela vous esl agréable : les mets
sont apprêtés.
le roi. Dame, j'accepte avec plaisir votre sou-
per. *
la charbonnière. Cher sire, je vous étendrai une
nappe blanche : elle vaudra un mets. Je crois que
vous voudrez bien agréer ce qui sera préparé. Ja-
mais je n'eus le cœur aussi joyeux comme je l'ai de
votre venue, el il n'y a pas à douter que je doive
naturellement en avoir de la joie. — Tiens, mon fils,
tiens celte serviette; — et loi, lu lui donneras à laver
avec ce pol que lu lui verseras sur les mains.
le premier fils. Je le ferai bien comme vous me
le dites; bon, bon.
le roi. Puisque loul estprèi, j'irai me laver. —
Versez. Que Dieu et saint Pierre de Ruine fassent
un prud'homme de vous! Ho ! cela suffit.
le charbonnier. Celles, jamais il n'en fit tant ;
excusez-le, sire, pour l'amour de Dieu. Allons, sire,
asseyez-vous ici : c'esl votre place.
tez vile ici à manger.
la charbonnière. Bientôt; attendez un peu. Te-
nez, Renier.
le charbonnier. C'est bien. Allons! je veux décou-
per devant vous, sire : c'est juste, sans aucun doute.
Voici un oison fin, gras el tendre.
le roi. Puisqu'il est si bon, j'en veux prendre;
mais auparavant vous en ferez l'essai : vous man-
gerez ce morceau premièrement.
le charbonnier. Cher sire, vous l'ordonnez : je le
mangerai.
le roi. Je tàlerai de ce morceau-ci, et puis j'en
dirai mon avis. Il esl très-bon, je vous assure : j'en
veux manger.
le charbonnier. Bravo ! sire, sans façons. La bêle
naquit dans ce log.is; et voici de ma réserve dont
vous boirez, quand il vous plaira; mais aujourd'hui
vous n'aurez point d'autre vin, car je n'en pourrais
trouver sans faire trois lieues de chemin.
le roi. Hôte, loul esl bon quand on a besoin. Ne
vous embarrassez point de moi. Versez. Holà ! lenez,
essayez; je boirai ensuite.
le charbonnier. Très-cher sire, j'obéirai à votre
volonté.
le roi. Allons, versez! je veux boire, celte fois;
mais il y en a trop peu, el cet oison m'a donné
soif.
le charbonnier. Cher sire, cela esl bien croyab'<\
Tenez, buvez, à votre santé! C'est pour m'èlre fa-
miliarisé avec lui qu'il me semble bon.
le roi. llôle, je vous liens pour prud'homme d'a-
voir une provision d'un vin pareil : il esl sain et net,
clair el lin. Allons, du vin! Assez.
la charbonnière. Très-cher sire, aujourd'hui co:i-
tentez-vous en, tel qu'il esl, pour l'amour de Dieu;
car il n'y a aux alentours aucun endroit où l'on ei.
trouvât d'autre, quelque argent que l'on donnât; je
vous promets.
le roi. Bel hôte, il est bon el net el me suffit,
soyez-en sûr; mais, par saint Amant! où sont vos
fils?
la charbonnière. Les voil'i. — Allons' avancez vite
tous trois sans relard et tenez-vous bien, mellez-
vous à côté l'un de l'autre, el ôiez-moi ces chape-
rons : il ne fait pas froid.
le roi. M'amie, desservez : j'ai assez pris ici mon
repas.— Bel hôte, ne me mentez point : quels sont
ces enfants? Sans mentir, mon cœur ne peut jamais
croire que vous les ayez engendrés, que vous soyez
leur père véritable, ou qu'ils soient nés du corps de
votre femme; je vous jure par mon àme que je ne
puis le croire.
le charbonnier. Très-cher sire, Dieu me donne
joie! je vous dirai une chose vraie : Il y a bien douze
ans, ou environ, que je revenais de Sarragosse, où
j'avais vendu du charbon. Quand je fus dans ce bois,
j'entendis les voix de ces enfants, qui élaienl cou-
chés sur un peu d'herbe; à peine venaient-ils de naî-
tre. Avaient-ils des amis? je ne sais. Ils étaient cou-
chés el placés l'un à côté de l'autre à la renverse, et
assez couverts de fougère. En les entendant crier,
je m'en allai en suivant la direction de le;ir voix, et
je cheminai jusqu'à eux. Je les trouvai comme je voirs
l'ai'dil; ému de pitié, je les emportai, el je les fis
baptiser tous trois; bientôt après, pour leur bien, je
cherchai une nourrice à chacun d'eux : ce dont je
ne me repens pas, bien qu'ils m'aient coûté beau-
coup d'argent, plusieurs personnes le savent; et de-
puis qu'ils furent sevrés, je les ai nourris el élevés :
c'est pourquoi ils m'appellent leur père. Dieu veuille
que je puisse bientôt savoir d'une manière certaine
s'ils onl père, mère ou tante ! car si je pouvais le sa-
voir, en vérité, j'en aurais une grande joie. Eh quoi,
9.S1
T1II
D1CTI0.\NA!RE DES MYSTERES.
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6ire, je vous vois pleurer. (Ici il tombe aux genoux
du roi.) Pour l'amour de Dieu! pardonnez-moi, si
j'ai rien dit ou rien fait contre Votre Majesté; car,
en vérité, je ne pensais nullement à mal.
le roi. Nenni; mais il nie revient en mémoire un
événement d'autrefois et dont je ne me souviens ja-
mais sans pleurer de désespoir. Allons! je veux que,
sans plus de relard, ces enfants se mettent en roule,
et qu'eux et t i vous m'accompagniez jusqu'à ce
que je sois à Sarragosse. Là, par saint Josse! je
v sus ferai un bel et grand présent.
le cHAnBONMF.ii. Tès-oher sire, je ferai vol"C
commandement de tout mon cœur. — Allons, en-
fants! allons-nous-en tous; nous conduirons le roi
au travers du bois, et nous le mènerons droit à Sar-
ragosse.
le premier fils. Père, si je trouve en allant au
travevs du bois prune ou beloce, poires, pommes,
nèfles ou noix, j'en mangerai.
le charbonnier. Cher ti I s , je le veux bien. Allons!
en route. — Sire, par ce sentier à droite ; je le con-
seille.
le roi. Allez devant ; je veux vous suivre, mon
cher ami.
SCÈNE XLII.
LES CHEVALIERS, IE ROI.
le deuxième chevalier. Sire, je suis d'avis que
nous allions battre haies et buissons par le bois,
jusqu'à ce que nous trouvions le roi quelque part.
le premier chevalier. Allons y, sire; car certes,
il nie tarde de le voir. Où a-l-il couché celle nuit?
j'en suis fort en peine.
le deuxième chevalier. Je ne sais; j'en suis in-
quiet. S'il n'a pas trouvé quelque retraite où il ait
clé. par mon âme! il y a de quoi prendre une grande
maladie : c'est pourquoi je ne sais qu'en dire jus»
qu à ce que je le voie.
le premier chevalier. Je le vois venir par ce che-
min, avec lui est un charbonnier. Mon cher ami, liâ-
lons-noiis d'aller vers lui.
le deuxième chevalier. Sire, il n'y a personne de
nous à qui vous n'ayez fait verser des larmes. Par
saint Georges ! j'aimerais mieux que celte chasse lût
à commencer. Eles-vous resté dans ce bois celle
nuit? je crois que oui.
le roi. lîeaux seigneurs, je vous demande pardon ;
non pas. Ne parlons pas davantage ici ; mais allons
au palais sans plus de relard.
le premier chevalier. Allons, de par le Roi des
cieux! Aussi bien, à ce qu'il me semble, c'est le
mieux. Car' là nous pourrons parler à notre aise.
SCÈNE XLI11.
LE ROI, SERGENTS D'ARMES.
le roi. Grossart, cl toi, Rigaut, ne manquez pas
d'aller vous deux quérir promplement Bélhis, que
ma mère lit sa demoiselle; dites-lui qu'elle se dé-
pêche de venir nie parler un peu, et demandez-lui
d'où vient que je ne lu vois pas plus souvent.
le premier sergent. Très-cher sire, j'y vais bon
pas, sans plus me tenir ici
le deuxième sergent. Je vais avec vous; puisque
le roi l'a commandé, ce serait mal à moi de ne pas
y aller.
le pbemier sergent. Savez-vous le chemin de son
logis, dites, Rigaul?
le deuxième sergent. Oui, Grossart, ou à peu
près. Allons ensemble par celle rue. Eh ! regardez !
Grossart, il me semble que je la vois là-bas.
le premier sergent. Vous dites vrai, par saint
Eloi ! Vous la connaissez bien : c'e.sl elie.
SCÈNE XL1V.
LES SERGENTS, BÉTU1S.
le premier sergent. Demoiselle Bélhis, que Dieu
vous garde ['âme cl le corps !
la dfmoiselle. Et Dieu vous soit miséricordieux
quand vous en aurez besoin, Grossart! Dites-moi la
vérité : Dieu vous garde! quel vent vous pousse?
le deuxième sergent. Bélhis, vous allez le savoir:
le roi vous envoie chercher, venez bien vile auprès
de lui. Ma chère amie, nous irons avec vous et nous
vous tiendrons compagnie.
la demoiselle. Seigneurs, ce n'est certes pas mon
intention de ne pas y aller. Marchons sans plus lar-
der, n'attendez plus.
le premier sergent. Sire, voici Bélhis que vous
demandez; elle s'esi empressée de venir aussitôt
qu'elle nous a entendu dire que vous la mandiez.
SCÈNE XLV.
LE ROI, BÉTHIS.
le roi. Demoiselle, soyez la bienvenue. J'ai quel-
que chose à vous demander. Levez la main; jurez
sur les reliques que vous me direz la vérité , et je
vous donne nia parole qu'il ne vous arrivera rien de
mauvais. Même je vous tiens quille de tout méfait,
si vous nie dites la pure vérité. Mais, si vous men-
tez, sachez, 'à n'en pas douter, que je vous ferai trai-
ter très-ignominieusement.
la demoiselle. Cher sire, dussé-je en perdre la
vie, certes, je ne vous mentirai point; je dirai la
vérité autant que je la saurai.
le roi. Eh bien, dites-moi comment se comporta
ma mère quand ma femme Osanne enfanta, car je
ne puis raisonnablement croire qu'il n'ait pas été
alors commis une trahison. Qui y était!
la demoiselle. Ah! cher sire, il n'y avait à l'en-
fantement que madame votre mère et moi ;'mais,
sire, usez de pitié à mon égard : je vois bien que,
si je vous dis et découvre la vérité, suivant votre
bon plaisir, je suis une femme morte.
lï; roi. Parle hardiment; el je te jure, par ma
foi, que lu n'auras de moi aucun mal. Je te le jure.
la demoiselle. Sire, je me mets à votre merci.
Au moment où la reine en travail enfantait, elle
éprouva des souffrances si cruelles, il n'y a pas à en
douter, que je ne sais comment elle put les endurer,
si ce n'est par la permission de Dieu; ce n'était pas
étonnant, car-, chose sans pareille! elle s'élail déli-
vrée de trois bis. Elle nous donna beaucoup de
peine; elle resta pendant fort longtemps étendue
et sans connaissance, privée de mouvement, et sans
prononcer un seul mol, comme si elle fùl morle.
Alors, votre mère me commanda de prendre les en-
fants, de les porter sur-le-champ, sans attendre da-
vantage, dans la forêt, de les y étrangler tous trois,
et puis de les couvrir de terre. Or, cher sire, crai-
gnant de m'allircr son ressentiment, je pris sans
retard les trois fils, je les emportai au bois, et je
ne cessai point de marcher jusqu'à ce que je vins à
la houssaie. Là je m'arrêtai el je voulus les meure à
mort; mais au moment que je les regardai, ils com-
mencèrent à me sourire. Alors je me dis à moi-
même : t En vérité, il faudrait être insensée pour
faire du mal à ces innocents qui sourient et font
si bonne mine. Reviendrai-je sur mes pas avec
eux? Nuii, je les laisserai ici après les a voi recouverts
de fougère, i C'est ce que je fis, et je les laissai;
mais je ne sais ce qu'ils sont devenus depuis. Je
vous dis seulement que la reine, ma chère mailresse,
dont Dieu ait l'âme! a souffert à tort une mort cruelle
par suite delà haine de votre mère; croyez-le, cher
sire.
SCÈNE XLVI.
LES MÊMES, LE CHARBONNIER.
le charbonnier. Certainement, seigneurs, je puis
bien dire que voilà les trois enfants; car, parcelle
croix, je vous le jure, lorsque je les levai de lerre, ils
étaient près de la houssaie. J'ai voulu les élever, et
maintenant ce sont de beaux enfants : je n'en do*
9G1
THl
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
THI
9ni
pas, suivant ce qu'il me semlile, en valoir moins à
vos yeux : qu'en 'dites-vous?
le premier chevalieb. Vous diles vrai, mon doux
ami; ce ne serait pas juste.
le deuxième chevalier. Oui vraiment, sire, ce
ne le serait pas; au contraire, il devra en être ré-
compensé, et je crois que c'est aussi tla volonté du
roi.
le roi. Prud'homme, n'aie à cet égard aucun
souci : je reconnaîtrai bien ce que lu as fait. Je te
donnerai tant du mien, avant qu'il s'écoule trois
jours entiers, que lu n'auras plus besoin de vendre
du charbon.
le charbonnier. Dieu veuille vous rendre tout le
bien que vous me ferez !
le roi. Vous aurez tous les jours dix livres à dé-
penser : C'est le premier point; cela ne vous man-
quera pas. Après je ferai de vous l'un de mes gens,
et je vous donnerai robes, chevaux et autres biens.
le premier chevalier. Prud'homme, considère-toi
comme riche désormais.
SCÈNE XLVII.
LES MÊMES, UN MESSAGER.
le messager. Il faut que je vous parle de suite.
Cher sire, j'apporte des nouvelles. Les Sarrasins
sont arrivés au port de Rance, à Perpignan et à
Valence et jusqu'au port de Gironde. Us sont en si
gran I nombre que c'est un monde; en un mot, on
ne peut les compter. Ils font grand mal au pays, cl
ils veulent le conquérir par les armes. Il faut, sire,
ou que vous veniez en délivrer le royaume et qu'on
leur livre bientôt bataille, ou que les gens se ren-
dent. Sans en dire plus, ils attendent voue réponse.
Voici les lettres du pays; ils sont de jour en jour
plus fortement harcelés par les Sanasins.
le roi. Messager, retourne sans l'arrêter. Dis
aux bourgeois de se défendre tant qu'ils pourront, et
de m'attendra en loule confiance : je ne leur man-
querai pas dans cette nécessité, et je serai prés d'eux
dans une quinzaine, au plus tard.
le messager. Je ferai le message; adieu, cher
sire.
SCÈNE XLVIII.
LES MÊMES, LE HÉRAUT D'ARMES.
le roi. Seigneurs, il laut se tenir prêts àdéfendre
le pays contre les Sarrasins qui veulent le conqué-
rir si Ton n'y apporte remède et secours. J'ordonne
de faire proclamation par les carrefours que nul ne
se dispense de venir sur-le-champ après moi; je
parle de ceux qui seront en âge el qui pourront
porter les armes. Allez me chercher lout de suite
Pille-Avoine, qui est chargé de fairede ces missions.
le deuxième sergent. Sire, me voilà en roule ; je
ne m'arrêterai pas que je ne l'amène. Je le vois là-
bas. — Holà, Pille-Avoine! le roi vous mande d'al-
ler partout crier sur-le-champ que tous ceux qui
pourront porter les armes se rendent à l'armée sans
relard.
pille-avoine. Sire, je le ferai lout de tuile, n'en
douiez nullement. — Petits et grands, écoulez : Le
roi vous fail savoir que les Sanasins sont venus en
force sur sa terre : il commande à tous, faibles el
forts, de marcher immédiatement et sans retard ; car
son intention est de livrer bataille pour en débar-
rasser le pays. Et celui qui différera de le suivre
après que celle proclamation aura élé faite, sera à
la merci du roi : niellez-vous donc tous en mesure
sur-le-champ.
le DEUXIÈME sergent. Sire, quand il vous plaira,
allons-nous-en, la proclamation est faite.
le roi. Seigneurs, pour que dans celle occasion
Dieu veuille me rendre victorieux à son honneur et
à sa gloire, je lui fais le vœu et la promesse ,
s'il me donne la victoire, d'aller en pèlerinage au
Sjiint-Sepulcre.
LE PREMIER CHEVALIER. Sire , 11101 lOMS-tîOI! S dT\
roule pour aller, si nous le pouvons, à Valence; car
j'ai l'idée que Dieu nous donnera la victoire; et dé-
fera complètement les païens.
le roi. S'il plaîl à Dieu, nous en viendrons à
bout. Holà! allons -nous-en sans délai, el sans mus
effrayer de rien : c'est ce (pie nous avons de mieux
à faire.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. AlloilS, Cl que Dieu I101IS
conduise dans ce voyage!
SCÈNE XLIX.
L'HÔTELIER, SA FEMME
l'hôtelier. Je veux vous dire une pensée que j'ai ;
ma femme, écoutez-moi un peu; voici hr^iemps
que j'ai le désir <le parler.
l'hôtelière. S'ie, dites ce qui vous p,aira : je
vous é oulerai volonlieis, el ne vous contredirai eu
rien de ce qui vous semblera bon.
l'hôtelier. Nous sommes seuls. Je veux vous de-
mander un avis. Par voire foi, que pensez-vous d'O-
sanne?
. l'hôtelière. Sire, parla foi que je vous dois! on
ne peut la blâmer en rien; au contraire, nous devons
tous deux l'aimer; car il nous est arrivé beaucoup
de bien depuis le jour qu'elle vint demeurer céans.
Sire, pourquoi me demandez-vous cela? Veuillez,
s'il vous plait, nie le dire; je vous en prie.
l'hôtelier. Je vous le dirai sans retard. Je me
vois sans enfants, ni lils ni fille, quoique je n'aie pas
laissé passer le temps sans amasser du bien. Mais
j'ai fait peu de bonnes œuvres pour Dieu, 'en sorte
(iue, quoique je sois au lieu où Jésus souffrit sa pas-
sion, je vous déclare que mon inlen ion esl d'aller
jusqu'à" Rome la grande; voici longtemps que j'en
ai le désir : c'e>i pourquoi je veux me mettre en
mesure, donner tous mes biens à Osanneelen faire
mon héritière; car, dame, en vérité, il me semble
qu'elle le mérite bien.
l'hôtelière. Monseigneur, votre inteniion esl bonne,
car la pauvre créature a toujours employé ses pei-
nes el ses soins à garder soigneusement nos biens el
à nous servir lidelemeni ; elle a reçu si gracieuse-
ment les hôtes que nous avons eus, que l'on s'en-
voyait céans à l'envi pour les bonnes qualités qu'on
remarquait en elle; el puisque nous n'avons pas d'eu-
fanls el que depuis plus de douze ans elle nous ser*
sans salaire, il esl juste qu'elle, soit récompenser.
Dieu merci! nous avons assez. Mais quant à vol/e
résolution d'aller à Rome, si lel esl votre plaisir,
j'irai avec vous et je lui laisserai ma pari des biens,
comme vous lui laissez la vôire, en sorle qu'elle
sera maîtresse de noue avoir, si nous trépassons
en ce voyage. Je la connais {femme à ne pas le
garder à noire retour; et en nous attendant, elle fera
des aumônes à noire intention.
l'hôtelier. Dame, si vous passez la mer, je crains
qu'elle ne vous fasse mal; car il n'y a presque per-
sonne qui la passe sans rejeter, en vomissant jus-
qu'au sang, ce qu'il a dans le corps.
l'hôtelière. Avec un ami aussi franc que vous,
je ne crains rien; je supporterai très-bien la fatigue,
n'ayez pas peur.
l'hôtelier. Eh bien! écoutez moi. 11 faut parler
à Osanne avant notre dépari el lui faire un acie de
donation, autrement le juge pourrail-y mettre la
main.
l'hôtelière. Sire, pour l'amour de Dieu, faisons
cei acle aujourd'hui plutôt que demain.
SCÈNE L.
LES MÊMES, OSANNE.
l'hôtelier. Nous nous en allons pour quelque?
instants : Osanne, ne bougez pas d'ici, s'il vient
quelqu'un, recevez-le, ma chère amie.
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TIII
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TIH
9U
osanne. Sire, volonliers, a bras ouverts «l comme
il faut.
l'hôtelière. Eu vérité, nous ne larderons point.
SCÈNE LI.
L'HÔTELIER, L'HÔTELIÈRE , LE TABELLION.
l'hôtelier. Dame, allons tout droit chez maître
Pierre le Page : c'est un homme sage et subtil, et il
est tabellion île Rome. Nous lui exposerons som-
mairement notre affaire, et il nous en dressera un
acte qu'il nous rendra fait et signé.
l'hôtelière. Mais, à cette heure, ne sera-t-il pas
à dîner ?
l'hôtelier. Nous le saurons tout de suite. Cela va
bien, je le vois qui se tient à sa porte. Allons. —
Maître, que Dieu vous donne un bonjour! Il fau-
drait que vous nous fissiez, sans retard, un peu de
besogne que je vous dirai.
le tabellion. Dites, et je vous la ferai sans
délai.
l'hôtelier. Ma femme et moi, nous avons résolu
d'aller à Rome, s'il plaît à Dieu; c'est une chose
arrêtée. Or nous voudrions un. acte par lequel fût
héritière et maîtresse absolue de nos biens notre
chambrière Osanne, en sorte que personne ne pût
élever de discussion à ce sujet. Maître, vous m'en-
tendez assez bien dans celte circonstance.
le tabellion. Oui vraiment, n'en doutez pas ; je
vais vous en dresser un bon et bel acte que je vous
porterai : est-ce suffisant?
l'hôtelière. Bien dit, maître Pierre, oui. Soit !
nous_vous attendrons, et pour le moment nous pre-
nons congé de vous.
le tabellion. Allez, j'irai chez vous.
l'hôtelier. C'est bien, et je vous payerai très-
volontiers ce que vous voudrez, sans qu'il soit be-
soin d'arbitre entre nous.
l'hôtelière. Nous avons donc fini. Adieu, maître.
Retournons-nous-en, sire.
l'hôtelier. Aussi voulais-je le dire. Allons, en
marche !
l'hôtelière. Volontiers, sire, et sans difficulté,
sachez-le.
SCÈNE LU.
l'hôtelier, l'hôtelière, osanne.
l'hôtelier. Osanne, nous n'avons pas demeuré
trop longtemps où nous avons été. Hein ? je crois
que nous revenons assez promplement : qu'en dites-
vous?
osanne. Mon doux seigneur, en vérité, vous n'êtes
pas restés longtemps. Mais pour l'amour de Dieu !
où êies-vous donc allés?
l'hôtelier. Dame, asseyez-vous ici près de moi.
— (A Osanne.) Approche, j'ai à le parler. Depuis
longtemps j'avais l'intention d'aller jusqu'à Rome
en pèlerinage à Saint-Pierre pour obtenir le pardon
de mes péchés. Ta dame veut venir avec moi.
Comme nous t'avons à noire service reconnue hon-
nête, tranquille el discrète, aussi bien que loyale,
si je ne me trompe, nous te laissons indivis tous
nos liiens, nous te faisons notre unique héritière, el
nous le remettrons un acte relatif à celte donation,
afin de mieux te mettre en possession tant des meu-
bles que des immeubles. Maintenant songe à faire
en sorte, par de pieuses pratiques, des aumônes,
des messes, des prières, et des bonnes œuvres d'au-
ires espèces, que nous puissions, si nous sortons de
ce inonde, venir au repos d'en-haul, être délivré du
purgatoire et voir Dieu.
osanne. Je vous promels d'y pourvoir, si cela esl
nécessaire; mais je désire que cela n'arrive pas, el
vous remercie beaucoup.
SCÈNE LUI.
les mêmes, le tabellion.
Ui TàUtLLlON. Dieu soit céans! Je vous vois assis:
oh ! ne bougez pas de votre place. Je vous apporte
votre acte; tenez, sire.
l'hôtelier. C'est bien, vous venez fort à propos.
Or ça! combien vous donnerai-je? dites, etje payerai
volontiers, en vérité.
le tabellion. Je ne puis en avoir moins d'un
franc : c'est bon marché.
l'hôtelier. Je m'étais muni en conséquence;
tenez, mon maître.
le tabellion. Que Dieu veuille vous mettre en
bonne année! Je m'en vais ailleurs.
l'hôtelière. Eu vérité, il me semble assez cour-
lois.
l'hôtelier. Dame, il est bon diable, par (ma) foi t
— Tiens : voici ion acte. Osanne. Maintenant, si
nous le faisons du bien, fais-nous-en aussi.
osanne. Monseigneur, je vous remercie. Certaine-
ment, j'en ferai tant que vous devrez être satisfait
quand vous reviendrez.
l'hôtelière. M'ainie , nous nous (ions à vous
pour faire bien : c'est pourquoi nous laissons tout
en vos mains, n'en douiez pas.
l'hôtelier. C'esl vrai, dame; nous laissons tout.
Mais ne parlons plus de cela ; dépêchez-vous, et
niellons-nous en voyage.
l'hôtelière. De bon cœur. C'est fait. Dites-moi
en ami, ressemblé-je bien àunepèlerine en cet équi-
page?
l'hôtelier. Oui. Sus, sans plus de relard, par-
lons : il en esl lemps. — Adieu, Osanne. Eh, bon
Dieu ! ne pleure poini après nous.
osanne. Si, mon doux seigneur; certes, je ne
puis m'en empêcher. Laissez-moi vous accompagne?
un peu?
l'hôtelier. Nenni, en vérité, je ne le veux point ;
demeure, demeure.
osanne. Certes, sire, cela me fait de la peine.
Mais puisque vous le voulez, adieu.
SCÈNE LIY.
osanne, seule.
osanne. Maintenant il me faut penser à gouver-
ner la maison de mon mieux. Je ne la laisserai pas
déchoir, elje m'efforcerai d'en maintenir l'achalan-
dage, comme depuis douze ans; j'en ai l'habitude et
c'esl bien mon intention.
SCÈNE LV.
LE ROI, SES FILS, CHEVALIERS, SERGENTS
D'ARMES, MÉNESTRELS.
le roi. Seigneurs, rentrons sans relard en mon
palais, dont nous partîmes quand nous vînmes dé-
fendre ce pays des Sarrasins, et faites venir tout de
suile les ménestrels : ils feront ce qu'il faut pour
nous amuser et nous exciter à la joie ; en vérité, je
le veux pour l'amour de la grande victoire que nous
avons remporlée.
le deuxième sergent d'armes. Je vais les chercher
sans retard. En avant, seigneurs ! mettez-vous tous
en mesure de venir auprès du roi; que chacun se
hâte. — Très-cher sire, voici les ménestrels que
j'amène.
le premier chevalier. Allons ! f.iiles votre mé-
tier, sans un mot de plus, pour mettre le peuple en
joie, et prenez par ce chemin sans plus arrêter.
le roi. Beaux seigneurs, je ne dois pas oublier le
vœu que j'ai fait : ce serait une trop vilaine action.
La victoire que nous avons obtenue, certes, n'est
pas venue de nous, mais de Dieu : j'en suis persuadé
pour ma pari. En effet, nous étions à peine deux
contre une douzaine. Comme il esl certain aussi
que je promis à Dieu, si je remportais la victoire
sur mes ennemis, d'aller le prier et le remercier au
Saint-Sépulcre ; je veux accomplir mon vœu sans
retard. Désormais donc, je vous le promels, je ne
m'arrêterai pas que je ne sois au lieu où Dieu fut
%l
TU!
battu au poteau et où il souffrit sa passion. Telle,
est mou intention, mes enfants; et je veux aussi
que vous y veniez et que vous me teniez compagnie.
Le ferez vous ?
LE premier riLS. Oui, mon très-clier seigneur,
nous irons tous les trois.
I.E DEUXIÈME CHEVALIER. Polir I10US, IlOUS UC VOUS
laisserons pas ; moi, au moins.
le premier chevalier. Très-cher sire, moi de
Biènie, en vérité, sachez-le.
le premier sergent. Certes, (lussé-je n'y avoir
pour vivre que du pain et de l'eau, je veux y aller,
si Dieu me donne la santé.
le deuxième sergent. Mon très-cher seigneur, je
le ferai, pourvu que cela vous plaise.
le roi. C'est liien, que chacun se taise et se
tienne coi. Ail z-moi chercher Pille-Avoine : il a élé
dans un grand nombre de pays, à ce qu'on me dit.
LE PREMIER SERGENT. Tlès-CllCr SÎTC, j'y vais. —
Holà, holà, Pille-Avoine! holà, hien vile! le roi
vous envoie chercher, il vous demande.
pille-avoine. Je vais y aller de grand cœur.
SCÈNE LVI.
LES MEMES, PILLE-AVOINE.
pille-avolne. Que désirez-vous, sire?
le roi. Pille-Avoine, j'ai ouï dire que vous avez
vu maints lieux sauvages, que vous savez plusieurs
langues et que vous êtes allé en mainte terre. J'ai
la volonté de passer la nier, et veux, en vous em-
menant avec moi, vous donner un nouvel office : je
vous fais mon fourrier; vous aurez donc à relenir
des logis pour moi et mes gens. Ja crois que vous
remplirez mieux cel emploi que nul autre homme de
ma cour : c'est pourquoi je vous prends.
pille-avoine. Cher sire, je ne vous dédis pas : je
m'en vais donc dès l'heure prendre des logements
pour vous et pour vos gens; vous y descendrez au-
jourd'hui, sire, et vous vous y reposerez jusqu'à
demain.
le roi. Seigneurs, je vous mène dans un pays
lointain : nous n'aurons pas toutes nos aises; con-
tenions-nous de loutce que nous pourrons avoir.
LE DEUXIÈME CHEVALIER. SailS dOIllC, il le faut,
sire, et c'est raison.
SCÈNE LVII.
LN VALET, OSAÎSNE.
le valet étranger. Dites, m'aniie, n'est-ce pas ici
la maison d'un prud'homme qui est allé à Rome avec
sa femme et qui avait pour chambrière une nom-
mée Osanne. C est là le nom.
osanne. Oui, mon ami, soyez le hien venu. C'est
moi qui suis Osanne. Pour l'amour de Dieu, quelle
nouvelle apportez- vous?
le valet. Dame, ils sont trépassés tous deux.
Voilà ma nouvelle. Si vous ne croyez pas que je
dise la vérité, voici des lettres que je vous apporte
et qui marquent comment ils sont morts à l'issue
d'un port qui est en Chypre. Mais avaiy. leur mort
ils me louèrent pour vous apporter ces lettres et
pour vous dire et vous prier d'accomplir votre pro-
messe, afin que Dieu les relire de la tristesse et les
nielle dans les cieux.
osanne. Certes, j'en ferai tant que Dieu m'en
saura gré»
le valet. S'ils en éprouvent du hien, il ne vous en
sera que mieux. Dante, je ne veux plus en parler ;
mais aoicu; je m'en retourne au lieu d'où je viens,
dame.
osanne. Mon cher ami, que Dieu vous guérisse le
corps et Pâme !
SCÈNE LV11I.
LE ROI, SES FILS et SES GENS.
pille-avoine. Seigneurs, vrai comme Evangile, la
DICTIONNAIRE DES MYSTKRES. Tïîl 9:>fi
première ville dans laquelle vous enlrerez sera Jé-
rusalem. J'y vaux pour vous un drogman, pirsque
j'entends hien le latin et que je parle le sarrasin et
le luic.
le premier chevalIer. Dieu soit loué ! cela va
hien, puisque enfin, après une si longue roule, nous
en sommes prés, comme in dis.
le roi. Allons, va-t'en doucement savoir où nous
nous logerons; pendant ce lemps-la nous le suivrons
à notre aise; dépèche-loi.
pille-avoine. Très-cher sire, j'y vais, par ma foi '
SCÈNE LIX.
er ici,
PILLE-AVOINE, OSANNE.
pille-avoine. Daine, si nous voulions lo
potirriez-vous nous procurer des vivres et des lus
pour dix hommes dont se compose notre compa
tr
O
doux ami ; et vous
dix hommes dont se ce
nie? qu'en dites-vous ?
osanne. Oui, certes, mon
pourrez dire, sans tromperie, que vous serez logés
dans le meilleur hôtel de la ville.
pille-avoine. C'est hien, ne hougez d'ici : je re
viendrai tout à l'heure.
SCÈNE LX.
PILLE-AVOINE , LE roi.
pille-avoine. Mon cher seigneur, j'ai pris loge-
ment pour vous dans la meilleure hôtellerie de loule
la ville. C'est ce que l'on m'en a dit. Venez-vous-en.
le premier chevalier. Sire, allons d'ahord au
temple pour rendre grâces à Dieu et le remercier
dévoiemenl : c'est noire devoir.
le deuxième chevalier. C'est raison de la part
d'un seigneur tel que vous. Pendant ce lemps-là,
loi, Pille-Avoine, va, prends les chambres les plus
décentes et les plus agréables, fais faire les lils et
mets les labiés pour le dîner.
pille-avoine. Je saurai bien m'en acquitter. J'y
vais sur-le-champ.
SCÈNE LXI.
LES MÊMES.
le roi. En avant! Poussons jusqu'au lemple;je
ne veux m'arrèler nulle part avant d'y être entré.
le premier sergent. Mon cher seigneur, entrez.
Le lempleesl ouvert, et surl'auiel il y a des reliques
découvertes.
le roi. Doux Jésus, qui dans les cantiques êles
appelé 1 époux et l'ami des saintes aines, au milieu
de voire saini temple, je vous remercie, doux Roi
des cieux , de lous les bienfaits dont vous m'avez
comblé et que vous me prodiguez sans cesse de jour
en jour. Ah , Seigneur! veuillez diriger mes actions
ici-bas de manière à ce qu'elles profilent à mon sa-
lul. Je veux ici terminer mon oraison. — Seigneurs,
il est lemps d'aller dîner ; demain nous reviendrons
ici , s'il plaît à Dieu , et nous y entendrons la messe.
Allons-nous-en.
le deuxième sergent. Par sainle Hélène! je n'ai
pas envie de vous dédire.
le premier chevalier. Je vois là-has Pille-Avoine
qui vient commue un homme pressé.
pille-avoine. Votre dîner se gale, monseigneur :
ce-sez de rêver. — Seigneurs, engagez-le à venir;
en avant, en avant!
le deuxième chevalier. Nous y allons ; va toujours
devant jusqu'à la porte.
pille-avoine. C'est ce que je fais tant (pie je peux;
je n'ai pas envie de rester ici. — Dame, voici venir
nos gens lous ensemble.
SCÈNE LX1I.
LES MÊMES, OSANNE.
osanne. Ce sont donc eux , sire , qui vous suivent!
iillk-avoine. Je vous promets qu'ils ne s'attendent
961
TIll
m'importe; \a sans délai, fais-la
vous prie de
pas, être aussi bien qu'ils seront dans leurs chambres.
— Cher sire, c'est ici. — tu avant, seigneurs, cu-
irez ions ici et mettez-vous à table.
le premier sergent. Pour être plus agréable au
roi , je veux servir.
le deuxième sergent. Moi aussi , et je veux des-
servir, quand il en sera Ismps.
le roi. Tous vous dînerez aujourd'hui à ma table.
Hrolà, de l'eau! Holà! Je veux me laveries mains
avant de m'asseoir.
le premier sergent. Certainement, sire, vous al-
lez en avoir en abondance.
osanne, sans être vue. Beau sire Dieu, miséri-
corde! comment me tirer de là? quel déguisement
prendre? Eh quoi ! le roi d'Aragon lui-même. Je le
reconnais très-bien à sa figure et à sa voix. Certes ,
je suis mo le s'il m'envisage. Courons dans ma
chambre m'affubler d'un grand bonnet et me rat lier
la tète et la ligure de telle sorte qu'il ne puisse me
reconnaître.
le premier sergent. La vcz-vous ; sire, (pie Dieu
veuille vous combler de grâces.
le roi. Seigneurs, je veux qu'on fasse venir ici
mon hôte el mon hôtesse pour dîner : il serait ridi-
cule que je :ie les eusse pas avec moi. — Pille-
Avoine, allons! mets- loi eu mesure d'aller les cher-
cher.
pille-avoine. Je ferai tout de suite voire comman-
dement; mais vous n'aurez que la dame.
le roi. Pourquoi ?
pille-avoine. Parce que c'est une veuve; je vous
l'ai dit.
le roi. Peu
venir.
pille-avoine. Dame, monseigneur
dîner à sa laide avec lui; venez.
osanne. Je viens de déjeuner à l'instant même , et
. il faut que je surveille ici. Remerciez-le de ma part ;
je n'irai point.
pille-avoine. Si fait , car, si vous ne veniez pas ,
il vous en saurait très-mauvais gré ; mais que ce que
je vous dis soit secret.
osanne. Sire, j'ii'ai donc, puisqu'il pourrait m'en
savoir mauvais gré. Je ne veux pas m'atlirer sa
haine : eh bien donc! j'y vais.
le roi. Allons , mon hôtesse! Je veux que, pour
celle fois, vous soyez assise devant moi; car, Quand
e vois une femme à ma table , j'en suis plus joyeux.
osanne. Sire, je vous prie de vouloir bien me dis-
penser de m'y asseoir.
le roi. Cn vérité , vous serez assise aussi long-
temps (pie nous; ne faites pas de cérémonies. Allons!
pensez à manger , el faites bonne min»! , dame. Par
votre ime! comment vous nommez-vous? dites-le
moi .
osanne. Servante, sire, en vérité, attendu que
je sers volontiers grands el petits , libres et serfs ;
je m'appelle Servante.
le roi. Voilà un noble renom el qui devra de plus
en plus vous être profitable. Eh , quoi? daine, Dieu
vous protège! pourquoi pleurez-vous?
osanne. Certes , sire , je voudrais mourir quand
je me souviens de mon mari , qui est mort : c'est
pourquoi j'ai le cœur chagrin, je ne puis me retenir.
le roi. Dune , je n'en parlerai plus désormais : je
\ois que vous n'êtes pas en joie ; votre oîiagri ;• m'af-
fecte, et il ne peut que vous faire du mal. — Allons!
apportez-moi de quoi me laver; desservez.
le deuxième sergent. Toul de suile, cher sire.
Çà ! toul esl prêt : lavez-vous.
le roi. Vous avez bien l'ail liédir cette eau. Verse,
verse! Dieu! quelle est bonne! Allons, donnez-en
.* mon hôlesse. — Lavez-vous, mon hôtesse.
osanne. Sire, bien qu'il n'y ail pas de graisse à
mes mains , j'obéiraià votre commandement ; mais
auparavant je mettrai cet anneau ici devant moi.
le roi. Daine . vous plairait-il de me vendre cet
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. TIII H53
anneau que je vois ici ? M'amie répondez sur-le-
(hamp : si cela vous plaît, je vous rachèterai , et
sachez que je vous en donnerai plus qu'il ne vaut.
osanne. Sire , je vous prie, r.e veuillez plus le
marchander ainsi; car je le garderai pour l'a. iour
d'un chevalier, qui, en vérité, me l'a donr.é, sre,
et qui est encore dans celte ville. Certes, je ne le
vendrai jamais de ma vie.
le roi. Je ne sais pas d'où il lui vint; mais autre-
fois je le donnai à une dame que j'aimais foi tel qui
est passée de ce momie en l'autre Que son âme soit
en paradis nourrie de gloire avec les sai. ts! car
c'était une brave dame : malheureusement ma mère
la fit mourir traîtreusement el sans rai on, en lut
imputant par haine une action très-honteuse qu't lie
n'avait pas commise el en me donnant de fans avis
sur son compte. C'est elle qui, je vous le dis bien, por-
ta neuf mois entiers ces trois fils , el les enfanta tous
en un 'jour, la bonne et la belle ! Certes, quand il
me 'souvient d'elle, men cœur se serre el se d cidre
tellement que je suis forcé de pleurer. — Ah, Osanne,
très-chère sœur? ah ! mon amie, que de fois je sens
pour vous une grande douleur au cœur.
osanne. Ah, sire roi ! je vous défends de pleurer:
je nepuis le souffrir. Je veux vous montrer mon vi-
sage à découvert , et à vous tous tant que vous êtes.
Suis-je Osanne ? que vous en semble ? dites-le moi.
le roi. Chère amie , puisque je vou-> vois , je suis
délivré de mon amère douleur. — Mes enfants, voici
voire mère, elle ne peut être blâmée de personne.
Eh Dieu ! elle s'est pâmée d'attendrissement. —
Osanne, ma très chère amie, je- l'en prie, baise-
moi. — Je ne sais si elle m'entend.
le premier chevalier. Sire , elle ne peut dire un
mot , auiani/le joie que d'attendrissement ; laissez-la
par amitié, revenir à elle.
le roi. Je ne puis plus m'empècher de la baiser
cl de la serrer entre mes bras. — Ma sœur, faites
trêve à voire chagrin cl parlez- moi.
osanne. Ah! mon très- cher seigneurie roi! que
j'ai eu sans cause d'amères peines, et le tout par
voire mère , vous le savez.
le roi. Dame, c'esl vrai , el vous en avez été tel-
lement vengée que Dieu , qui par ses jugements
équitables donne à chacun ce cèu'il mérite , l'a frap-
pée de inoil subite. Son corps devint aussi noir que
de l'encre, je vous dis la vérité. Maintenant nous ne
nous arrêterons plus ici; mais nous vous emmène-
rons avec joie en Aragon, notre patrie. Faites
promptemenl venir mes ménestrels pour jouer , et
mes clercs pour bien chanter, pendant la route. Ja-
mais je n'eus une aussi grande joie , personne ne
doit en douter.
le deuxième chevalier. Les voici . ils so: t déjà
venus. Allons loul droit par ce sentier. — En avant ,
seigneurs! faites votre métier p.mr nous ébattre.
(Icy les ménestrels jouent, el le jeu s'en va.)
TOMBEAU DE NOTRE-SEIGNEUR (Le).
— Le Hrob Basij, écrit en bohémien, a été
publié par Hanka, dans son Starobyla Skla-
danic, I. in, p. 82-92, et t. V, p. 198-219,
d'après un manuscrit qu'il prétend être du
xme siècle. Ni l'authenticité, ni la date n'en
sont pas certaines; il n'en a point été donné
de traduction.
TRÉPASSEMENT DE NOTRE-DAME
(Le). — Le Trépas Notre-Dame fut joué en
1501 à Bélhuue. (Cf. De Lafons-Méucocq,
Extraits de chartes, dans les Mél. hist.., pu-
bliés par' M. Clïampollion Figeac , t. IV,
p. 32G , Coll. des Doc. inéd. de Vllist. de
France)
De Reauchamps [Recherches sur les théâ-
tres ; Paris 1735, in-8°, 1 vol., t. Ier, P. 22a),
PC9
TRE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES,
TKO
970
et la Bibliothèque du théâtre françois , ou-
vrage attribué au duc (In La Valliôre (Dresde,
1708, in-8°, 3 vol., t. I", p. 53), ont fait men-
tion d'un Mystère duTrespassemcnt.
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre. françois (Paris, 15 vol. in-12, 1735,
t. II, p. 471-475), en ont laissé la notice
suivante :
mystere du trespassemem nostre-
dame(43G.)
S'ensuit le Trespnssement Nostre-Dame, la-
quelle fut visitée par l'Ange Gabriel , et
clamée des Anges.
DIEU LE PERE.
Do'ilce Marie, Vierge Dame
Royne de Paradis et Dame,
Dieu ion Filz à loy se m'envoye,
Kl ilicl que de rien ne l'esmoye
Des choses que lu oye parler.
Je connoisl la vie finel
Eu ce monde , plaiit de discours;
Tu n'y seras plus que trois jours ,
Au tiers , tu te ordonneras,
Li à cely trespasseras
De ccsiuy monde indurable :
Prendras Royaulme perdurable.
Je l'apporte cesluy rameau
De Palme, lequel est moult beau :
De Paradis je le l'apporte ;
El te dis, quant lu seras morte,
Devant loy porter le feront
Les Aposlres qui là seront ,
Afin de ton corps importer.
MARIE.
Loué soit Jésus mon doulx Seigneur,
Eutens à moy, mon loyal amy
El irès-cher Amour, je te prye
Les Aposlres fay assembler ,
Llque soyenl à mon Trespasser.
« L'ange Gabriel vient consoler la Vierge;
pendant ce temps-là, l'acteur annonce l'arri-
vée des apôtres.
S. I'IERRE.
Dame , je le vueil demander :
Dis-nous pourquoy nous a mandez
Sl-iosl venir eu ta maison?
Dis-nous si c'est pour trayson?
« La sainte Vierge leur dit qu'elle ne craint
lien, mais qu'elle va quitter ce inonde.
En ceste nuilz , à la tierce heure.
jesi:s. '
Pax vobis.
t'aix soit a vous lotis,
Ma doulec mere, etc. barrasse , dans son Traité des Images , du
« Jésus ordonne aux apôtres d'ensevelir <bre pourquoi l'on représente auprès de
Je corps de la Vierge dans un tombeau neuf, saint Nicolas une cuvette d'où sortent trois
dès que son âme en sera séparée, et d'y
veiller jusqu'au troisième jour.
marie.
Je le gracie mon Créateur,
Père, Eilz,ei mon Seigneur,
Je requières ta benisson.
« L'acteur rend compte aux spectateurs de
la mort de la sainte Vierge, dont les anges
ont enlevé l'âme, et du miracle qui arrive à
un Juif à son tombeau. Au bout de trois
jours, Jésus survient, emporte son corps au
ciel, et bénit les apôtres. Le mystère finit
par une prière à la Vierge Marie. »
TRIOMPHE DES NORMANDS (Le). —
Duverdier (Bibliothèque françoise, p. 512],
indique l'édition suivante:
Le Triumphe des Normands traictant de V im-
maculée Conception Noslre-Dame escrit en
rimes par personnages par Guillaume Tas-
serie. — Imprimé à Rouen, in-octavo,
sans date.
Les frères Parfait (Hist. du théâtre fran-
çais, Paris, 15 vol. in-12, 1735, t. II, p. 261,
et 562, ont répété la note de Duverdier.
En marge de l'exemplaire de leur ou-
vrage, appartenant à la BibliolhèqueSainte-
(ieneviève (V, 2256), on lit cette note:
Guillaume Tasserie « a composé aussi
beaucoup do ballades; je n'ai jamais pu
trouver son mystère que manuscrit, et je ne
le crois pas imprimé. En tous cas, je vais
l'éditer.» a. j. — M. Achille Jubinal n'a pas
encore rempli cet engagement.
TROIS CLERCS (Les). Les Trois Clercs
sont tirés du Manuscrit de Saint-Benoît-sur-
Loire, où ils forment, sous le titre de Second
Miracle de saint Nicolas, la seconde partio
de ce précieux recueil.
Le manuscrit date du xine siècle , et rien
n'empêche de croire que les drames qu'il
nous a conservés sont antérieurs ; on a
pensé, en effet, qu'ils pouvaient être re-
portés jusqu'au xn* et même jusqu'au xi'
siècle.
Nous avons indiqué à l'article Saint-Be-
noit-sur-Loire (Manuscrit de), les différen-
tes éditions des Miracles de saint Nicolas,
dont les Trois Clercs font partie.
L'abbé Lebeuf (Remarques envoyées d'Au-
xerre, 6 décembre 1720 ; Mercure de France,
1729, décembre, p. 2986) a fait, au sujet do
ce drame, quelques réflexions parmi les-
quelles nous notons la suivante : « Mole-
nus, docteur deLouvnin, dit-il, est fort em-
(i3G) Ce mystère, qui n'a jamais paru imprimé ,
n'a de recommamlable que sa rareté. On ignore la
date de sa composition et de sa première représen-
laiion , eu cas qu'il en ait eu , ce que nous n'oserions
assurer. Il est repend ml certain qu'il lut composé
vers le milieu du xv« siècle. Ce qui nous le prouve,
est que la copie manuscrite qui nous en a été com-
muniquée à la Bibliothèque du Roi , cl qui en même
temps est la seule dont on ail connaissance, est sui-
vie d'un petit poème écrit de la même main, dont
Diction n. des Mystères,
voici le titre] et la date de l'année qu'il fut composé.
« S'ensuit une excellente Méditation des looir-
mens , lamentations , et complaincles que faist la glo-
rieuse Vierge Marie , des peines, doienrs. Mort et
Passion que soullïisl pour nous Nostre Rédempteur,
son très-cber Enfant : composé par ung Charlrem
de Paris n'aguéres de temps, c'est assavoir m if
cccclx cl huit. > Ce mystère au reste est in-4° con-
tenant 13 feuillets ou 2tf pages à 23 vers chacune -,
tenant \a ieuillels ou zb pages
et peut avoir environ fîOO vers.
31
071
TttO
D1CTIOSNAIUE DES Ml STERES.
TKO
973
jeunos gens... Mais il semble que Molanus
n'aurait pas dû hésiter à dire que la repré-
sentation des trois jeunes gens tout nus au-
près de ce saint vient de ce que souvent on
t représentait au public réellement et sur le
théâtre l'histoire de la résurrection des trois
jeunes gens, qui fut faite par le saint prélat.
Il était naturel qu'ils figurassent ensuite les
choses comme ils les avaient tu représenter
sur le théâtre. Les traditions populaires
avaient un peu varié là-dessus, puisqu'en
certains pays on disait que c'étaient trois
enfants dont les chairs avaient été taillées
en morceaux et salées... »
SECOND MIRACLE DE SAINT NICOLAS.
PERSONNAGES.
SAINT NICOLAS. LE VIEILLARD.
LE PREMIER CLERC. LA VIEILLE FEMME, épouse
le deuxième — du vieillard.
LE TROISIÈME — LE CHOEUR.
le premier clerc' Nous que le désir d'apprendre
a conduits parmi les peuples étrangers, lundis que
le soleil étend encore ses rayons, cherchons un
asile.
ce second clerc. Le soleil a déjà conduit son
char au rivage, il va le plonger dans les ondes, el
ce pays nous est inconnu ; il faut donc chercher uu
abri.
le troisième clerc. Nous avons ici devant les
yeux un vieillard d'a-spe t grave; peul-ètre louché
de nos prières, sera-t-il noire hôle.
les clercs, parlant ensemble au vieillard. Cher
liôlo, nous avons quille noire pays pour étudier, el
nous sommes arrives jusqu'ici ; donne-nous l'hospi-
talilé, seulement pendant l'espace d'une nuit.
le vieillard. (jue le Fauleui' de Tout vous loge,
moi je ne vous donnerai point l'hospitalité; quel
profil en relirerais-je? Je n'y vois nul avantage.
les clercs, à la vieille femme. Chère dame, fais-
nous obtenir ce que nous demandons, quoiqu'il n'y
aii nul profil ; peul-ètre, pour ce bienfait, Dieu vous
lionneru-t-il un enfant !
la femme, au vieillard. La charité seule nous
oblige au moins, ô mon époux, à donner asile à
ceux qui voyagent ainsi pour l'élude; il n'y a ni
perle ni profit.
le vieillard, à 6a femme. Je cède à ion désir, et
je les recevrai dans mon logis. (Aux clercs.) Appro-
chez donc, écoliers ; voire demande vous csl accor-
dée.
le vieillard, à sa femme, pendant le sommeil des
clercs. Vois donc, quelle bourse; il y a là bien de
l'argent, el ce trésor pourrait nous appartenir sans
que nul en sût jamais rien.
la vieille femme. Mon ho'nine, nous avons sup-
porté le poids de lu pauvreté toute noire vie; en
tuant ces clercs, nous pouvons, à notre gré, éviter
la pauvreté. Tire donc de suite ton épée, car lu peux,
en égorgeant ces gens couchés, être riche tout le
(137) Daniel (Thésaurus Injmoloyicus... L'psi;o,
184M846, 3 vol. in-8°, t. H, p. JbO) a publié un
Dialogue entre Madeleine et le Christ, reproduit par
M. Edèlcsiand Duméril dans ses Origines lutines du
théâtre moderne. (Paris, 1841), gr. iu-8°, p. 45,
uole G.)
madeleine. O juste douleur, éclate enfin. C'>mmoni. me
consoler? ne chenlié-je pas eu vain? Jésus u disparu.
Ali ! qui me l'a enlevé? celle fleur, mon amour 1 Sia,
sanglots! larmes brûlâmes! mou cnur tsl brisé d'amour,
brisé pur la douleur eo mille éclats.
le cubist. tli quoi, femme, pourquoi lombr-s-lu épui-
sée daus les champs? errante dans les jardins, dam, les
prairies, quelle fkur cherches-tu ? Pourquoi ces bonnes
reste de les jours, et nul ne saura ce que lu auras
l'ail.
nicolas. Voyageur fatigué du chemin, je ne pui*
aller plus loin, donnez-moi donc, je vous en prie,
l'hospitalité pour celle nuit.
le vieillard, à sa femme. Recevrai-j'e celui-là au
logis? ma chère femme, qu'en penses-tu?
la vieille femme, Son air en impose étrange-
ment, il est convenable de lui donner l'hospilaliié.
le vieillard. Voyageur, approche davantage; tu
parais un homme considérable. Si tu veux je te
donnerai à manger et je m'efforcerai de satisfaire à
tous les désirs.
nicolas, à table. Je ne puis rien manger de toiu
cela, je voudrais de la chair fraîche.
LE vjF.rLLAûD. Je le donnerai la viande que j'ai,
mais je n'ai rien de plus fiais.
nicolas. Tu as certes proféré un mensonge, (il
n'as que irop de chair fraîche ; n'as-tu pas celle de
ce grand crime accompli pour l'amour de l'argent.
le vieillard et la femme ensemble. Aie pitié de
nous, nous l'en supplions, car nous te confessons
comme un saint de Dieu. Notre forfait abominable
n'est pourtant point encore en dehors de pardon.
nicolas. Apportez les cadavres des victimes, et
que vos cœurs soient contrits! Ils vont ressusciter
par la giâce de Dieu, et vous, vous chercherez voire
grâce dans le repentir.
PRIÈRE DE SAINT NICOLAS.
Dieu de bonlé, auteur de toutes choses,
Du ciel, de la terre, de l'air et de l'océan,
Ordonne la résurrection des victimes
Et prèle l'oreille aux plaintes des meurtriers.
tout le choeur s'écrie :
Te Deum laudamus, etc.
TROIS DOMS (Les). — Ce mystère, joué
à Uomans les 27, 28 et 29 mai, aux fêtes de
Pentecôte de l'an 1509, comprenait les mys-
tères de saint Séverin, saint Exupère et saint
Félicien, patrons de la ville.
Le manuscrit existait encore en 1787, et
le Journal de Paris de celle année, n° 264,
en donne une analyse très-mauvaise el très
incomplète ; aujourd'hui on ne retrouve
plus le texte original.
• M. Giraud, dans son livre intitulé : Com-
position, mise en scène et représentation des
Mystères des trois Bonis (Lyon, Perrin, 1848,
gr. in-8° de 132 p.), a donné les comptes
écrits dans le temps môme des représenta-
tions, des sommes qui furent dépensées. —
Voy. Saint Séverin , — Saint Exlpère, —
saint Félicien.
TROIS MAGES (Les). — Voy. les Trois
Rois.
TROIS MARIES (Les). — On connaît sous
le nom d'office des Trois Maries, les rites li-
gures de la résurrection (437). — Voy. Ilé-
surrection : I, Rites figurés.
qui mouillent, et ces p. s qui dévastent cet étroit es-
pace ?
wadei.eke. On a enlevé mon maître. Dis-moi, où Pa-
t-on niis?Ofi I qui me montrerait ce lis, ce dis de Dieu,
mon bien aimé. Est-ce toi qui m'as ravi celte fleur. Parle,
où lus-tu déposé. J'y cours, je vais rejoiudre mon époux
avec la joie d'une mère.
le christ. C'est moi, Marie, moi qui suis celle fleur
de délices : Je suis Jésus le Nazaréen, ion bieu-amié
l'unique élu, l'élu des dix mille.
Madeleine. O Jésus, mon bon maître, combien votre
vue me réjouit. Accorde a ma passion les faveurs de les
cliastes el étroits euibrassemeols.
jksds. Ces baisers le seront refusés Ici, mais dans las
cieux, a ma vue, dans la splendeur des feux, tu jouiras
de plus près du fracas de ma gloire.
9.5
TRO
TROIS ROIS (Les). — Les Trois Rois ont
été, pendaut le moyen âge, l'objet «le rites
figurés, de scènes dramatiques et de pan-
tomimes qui se sont continuées dans l'in-
térieur des églises ou sur les places publi-
ques, presque parallèlement, depuis le xi"
siècle jusqu'à nos jours.
Il est resté de ces représentations figu-
rées et de ces drames un certain nombre
de débris plus ou moins considérables, dont
nous donnons ci-dessous les principaux :
I.
RITES FIGLRÉS.
xu* siècle.
Solcure, Fribourg, Besançon. — Dans son
cours professé à la Faculté des lettres, en
1835, M. Magnin fit remonter jusqu'au xu'
siècle l'usage de la représentation figurée
des Trois Rois, dont M. Moléon avait signa-
lé les vestiges. (Cf. Tourn. gén. de VJnstr.
publ., 13 sept. 1835, 2e semestre, vie art., p.
478.) Il affirma en avoir trouvé dans d'an-
ciens rituels d'analogues sur tout le chemin
des reliques fameuses transportées de Milan
à Cologne, en 116*2; Soleure, Fribourg, Be-
sançon, célébraient l'Office de l'Etoile; dans
celte dernière ville , cet office était autre
que celui de Rouen.
xiv* siècle.
1* France. — Rouen. — DomMarlèneaédilé
en ces termes, d'après des manuscrits du
xive etdu xv' siècle, un office des Trois Rois.
(Cf. De ant. Ecoles, discipl.; Lyon, 1706, in-
4°, p. 3, et De anliq. Eccles. rilibus ; An-
tuerp., 1736, in-fol., 4 voL, t. 111, col.
122.)
Il y a dans les anciens Livres des Offi-
ces du diocèse de Rouen un Office des
Tnois Rois, que nous ne pouvions dérober
à la piété des fidèles, sans encourir le re-
proche de mauvaise grâce. On trouve dans
Jean d'Ayrancbe ( Joann., Abrinc. ep., liber
de off. eccl., cum nolis Job. Prevotii ; Rouen,
1G7U, in-8") la mention singulièrement obs-
cure d'un Office de l'Etoile, qui, néanmoins
pourrait passer pour le même que celui des
Trois Rois ci-dessous, reproduit d'après les
manuscrits :
Office des Trois Rois selon l'usage de l'église
de Rouen. 4
Le jour de l'Epiphanie, après la tierce,
trois chanoines des premières stalles, parés
de chappes et de couronnes, et dont les
noms sont portés au tableau, arrivent de
1 rois cotés devant l'autel, avec leur suite
revêtue de tuniques et d'amicts, et chargée
de présents, (dont les membres ont été
pris dans les stalles du second rang et ins-
crits au tableau, au gré du scribe).
Celui des trois rois qui est au milieu et
qui vient du côté est de l'église montre
l'étoile avec sun bâton.
[le premier'.] L'étoile est étrangement, brillante.
le BECUKB noi qui vient du côté droit. Elle nous
montre q:ic le Roi dos rois esl ne,
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. TRO 974
le troisième not qui vient de gauche. Les an-
tiennes prophéties avaient annoncé sa venue.
_._. „{ I . /',.„.„/ c'
les trois mages, réunis devant l'auiel, s'embras-
sent et chantent ensemble. Marchons, rherchons-le,
pour lui oîTrir les présents, for, l'encens cl la
myrrhe.
A la fin, le chanlre entonne le répons :
JUlagi veniunt, etc., et la procession se met
en mouvement. On dit, s'il le faut, le second
répons : Inlerrogabat magos , etc. La pro-
cession, arrivée dans le vaisseau de l'Eglise.
on fait halte ; mais dès qu'elle a commencé
d'envahir la nef, on allume les cierges [«la-
cés au milieu d'une couronne qui est de-
vant l'autel, et pour figurer l'étoile. Les Ma-
ges se montrent l'étoile, ils vont d'abord
vers l'image de sainte Marie, posée sur l'au-
tel de la croix, et ils chantent ainsi :
[les trois mages.] Celle étoile vue en Orient
avant (le Clirisi] marche encore, élincelante, devant
nous. C'est celle étoile, dis-je, qui annonce celui
qui esl Né et dont Balaam av;>.it dit : Uneéloile sor-
tira de Jacob et un Homme dTsfaël s'élèvera, et ce-
lui-là brisera sous lui tous les conducteurs des
nations étrangères, et toute la terre sera en sa puis-
sance.
(A ces mots, deux chanoines du premier rang, en dal-
malique. debout de chaque côté de l'autel, deman-
deront doucement :)
[deux du premier rang des stalles.] Qui sont
ceux-là qui, sous la conduite d'une étoile , viennent
à nous et parlent une langue étrangère.
les mages, répondant. INous que vous voyez, nous
sommes les rois de Tarse, de l'Arabie el de Saba.
Nous apportons des présents au roi Christ, au Sei-
gneur qui esl né; nous venons, sous la conduite
d'une étoile, pour l'adorer.
les deux [chanoines] en DAL5IA.TI0UE, ouvrant la
courtine. Voici l'Enfant, voici celui q,*.e VOUS ' her-
chez, liàlez-vous de l'adorer, car il esl le Rédemp-
teur du monde.
les rois se prosternent à terre el saluent ensemble
l'Enfant. Salut, prince des siècles.
in homme de leur suite, prenant l'or. 0 Roi, re-
çois cet or. El il r offre.
le second roi parle ainsi, en offrant l'encens. 0 toi
qui es vraiment Dieu, prends cet encens.
le troisième dit, en offrant la myrrhe, qu'elle est le
symbole des tombeaux.
(Cependant on fait l'offerte au clergé el au peuple,
après en avoir réservé deux parts aux deux cha-
noines. Les Mages sont en prière, et font semblant
de dormir. Soudain un enfant, au pupitre, vêtu d'une
aube el l'amicl sur la tête, figurant l'ange, dit celle
antienne :)
[l'ange.] Toutes les prophéties sont accomplies;
allez-vous-en par un autre chemin, afin de ne pas
trahir un si grand Roi, el de n'être pas punis.
[A la fin, les liois se retirent du côté de l'église oit
sont les fonts baptismaux; ils rentrent dans le chœur
par le côté gauche, la procession les y suit, comme
à l'ordinaire des dimanches ; les chantres com-
mencent s'il le faut, le répons: Tria suiil numéro.
y Salmis, etc., les Rois mènent le chœur et l'on
chante le Kyrie, fons bonitaiis, alléluia, Sanclus,
el /'Agnus.)
2° Limoges. — L'église de Limoges répé-
tait annuellement, dans ses rites du jour
des Rois, une scène que les anciens ordi-
naires du diocèse ont conservée, et que d<>m
Marlène a citée d'après des manuscrits da-
tant au moins du xiv* siècle. (De antiq. Ec-
cles. disciplina; Lyon , 1706, p. 1H, et /)«
TRO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TIIO
973
tint. Eccles. ritibus ; Antuerp., 1736, in-fol.,
i vol., t. III, co!. 124.)
» L'ordinaire de l'église de Limoges pres-
crit ce rile.
(Après le clian! de V Offerte, et avant de s'y présenter,
TKOIS DES SERVANTS DU CHOEUR, portant
des habits en soie, sur ta tête des couronnes d'or,
dans les mains des ciboires dorés ou quelqu autre
vase précieux, représentent les trois rois venant
adorer le Seigneur. Ils entrent par la porte princi-
pale du chœur, s'avancent avec majesté enchantant
celle pelile prose :)
< 0 jour précieux, magnifique el célèbre ! jour de
l'annonce du Christ qui est né, de la paix sur la
lerre, de la gloire dans les cieux ! Un signe répand
la nouvelle de l'enfantement dans les régions orien-
tales; les Rois d'Orient aecourenl sous la conduite
d'une étoile ; ils accourent ces Rois, el adorent Dieu
dans i'étahle ! Trois Rois l'ont hommage à un seul;
et l'offrande est triple ! >
le premier, en élevant le ciboire (scyphum). L'or,
en premier lieu.
le second. L'encens, en second lieu.
le troisème. La myrrhe est le troisième présent.
(Ensuite, debout, au milieu du chœur, l'un d'eux
élève la main pour montrer l'étoile qui les précède
(elle est suspendue h une corde), el il chante d'une
intonation plus forte. Voilà le signe du grand
Roi.)
Tous les trois vont vers le grand autel en chantant.
Allons, cherchons-le, offrons-lui les présents, l'or,
l'encens et la myrrhe.
(Ils vont à l'Offerte et placent sur l'autel leurs vases
précieux.)
Aiors, derrière le grand autel, un enfant, au lieu
de l'ange qui parla au Roi, entonne ce rhyihme. Je vous
apporte une nouvelle du haut des cieux : le Christ
est né; il est né en Judée, dans Bethléem, selon les
prophéties antérieures, le Dominateur de l'Univers !
(A cette voix, les Rois sont saisis d'élonnement el
d'admiration. Ils s'en retournent par la porte qui
conduit à la sacristie en chantant l'Antienne : In
Bethléem nalus est Rex Cœlorum.)
Italie. — Milan. — Muratori (Antiq. ital.
weed œvi, XII, 1017) fait mention d'un
ollice de l'Etoile, qui, en 1336, subsistait
encore dans le couvent des frères Prêcheurs
de Milan, à l'Epiphanie.
\vine siècle.
Orléans, Jargcau, Angers, Clermonl-Fer-
rand. — Au commencement du xvnr siècle,
de Moléon (Lebrun-Desmareltes), dans ses
Voyages liturgiques en France (Paris, 1718,
in-i°), retrouvait encore les usages de l'of-
fice figuratif dos l'rois Rois, à Orléans, à
Jargeau, près d'Orléans, à Angers et à Cler-
mont. — A Orléans, un bréviaire manuscrit
du xivc siècle, consulté par le même au-
teur, parlait , « au jour de l'Epiphanie , des
trois mystères de l'Adoration des Mages, du
Baptême de Jésus-Christ et de son Miracle
aux noces de Cana. » (P. 193.) — A Cler-
mont, « à la messe de minuit, la Pastourelle
se l'ait encore par cinq prêtres et par un prê-
tre qui conclut la cérémonie... Les paroles
sont à peu près les mêmes qu'on, disait au-
trefois à Rouen. » [lbid.y p. 76.)
IL
MYSTÈRES.
1° — xie siècle.
Limoges. — Le litre du mystère des Trois
Rois du manuscrit de Saint-Martial de Li-
moges, intitulé : Ilérode ou l'Adoration des
Mages, nous a contraint de reporter ce drame
h Hérode.— Voy. Hérode, — Saint Martial
de Limoges (Manuscrit de).
2» — xvc siècle.
Le geu des Trois Rois.
Le geu des Trois Rois est tiré du manus-
crit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, à
Paris.
Il date du uv' siècle.
La Bibliothèque du théâtre français , ou-
vrage attribué au duc de La Valiière (Dresde,
1708, in-8°, 3 vol., t. I", p. 30), l'a men-
tionné pour la première fois.
Il a été publié par M. Achille Jubinal,
dans les Mystères inédits du xv* siècle (Paris,
1837, in-S°, 2 vol., t. II, p. 79439).
Les acteurs sont au nombre de douze :
baltazar, roi d'Arable, notre- dame,
melchion, roi de Sézile. joseph.
jaspah, roi de Tarée: l'enfant Jésus.
trotemenu, messager. dieu le père.
IIEUODE. GABRIEL.
Hermès, conseiller d'Ile- le semeur.
rode.
Premièrement le sermon. L'auteur se place
sous la proleclion de Marie, et raconte lon-
guement la légende des trois rois.
Deuxièmement. L*a<;tion s'ouvre par le dé-
part des trois rois d'Arable, de Sézile et de
Tarcc, pays tributaires de Cologne, selon le
puëte; longtemps ennemis, les trois chefs,
en se rencontrant sur le chemin de Beth-
léem, oublient leurs anciennes querelles et
lient; initié. Tout en marchant sous la con-
duite de l'étoile merveilleuse qui les pré-
cède, un doute s'empare de leur esprit; sou-
mis à l'omnipotence du puissant Hérode,
« grant hoins entre lez homes, » ils ne peuvent
[tasser près de lui sans lui rendre leurs de-
voirs, ni faire la démarche très-grave, dans
les idées du \\' siècle, d'un nouvel hom-
mage, sans lui donner avis. Le messager
Trotemenu a vu les trois rois dans le che-
min; en sujet fidèle, il court prévenir son
seigneur Hérode, qui le renvoie sommer,
comme suzerain, les feudataires de se ren-
dre à sa cour. Ils comparaissent en cll'ct, et
racontent comment ils vont adorer le Roi
des rois. Cette déclaration laisse Hérode
étrangement surpris. Hermès, son conseil-
ler, lui apprend que les prophètes annon-
cent ce Roi des rois. Epouvanté , Hérode
dissimule. Il feint, auprès des trois rois, de
voufoir aussi faire hommage à Tentant, et
leur demande de revenir auprès de lui quand
ils auront a trouvé l'enfanl, de cuer prié et
« aouré, servi, amé el honouré... »
Troisièmement. Les trois rois ont promis,
sont partis et arrivés devant Notre-Dame qui
lient Jésus dans ses bras. liallhaz.r d Ara-
ble offre de l'or, « car or sy apaitienl à
077
t:.o
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TRO
973
smgu-
roy; » Mclchion, lYncens ; Jaspar, la mirre,
oignement de grande vertu. Noire-Dame con-
jure son fils de garder mémoire des trois
rois, et de les avoir en sa miséricorde fu-
ture ; et Joseph leur promet, en retour, la
fortune et la santé en termes assez
Jiers :
JOSEPH.
Traveillez sont de tant aler;
Ey prie Dieu dévotement
Qui lez conduise à sainement,
Car ilz n'ont mie estez avers.
Certes beans dons ly ont nffers;
Sy leur sera bien guerJonné.
JOSEPH.
Ils doivent être las d'un si long voyage. Aussi je
prie Dieu de tout mon cœur pour qu'il les reconduise
sains et saufs. Eh ! ils n'ont certes pas été avares,
et nia toi! ils ont f:iil là de beaux cadeaux. Sûre-
ment ils en seront un jour récompensés.
Les Mages se remettent en roule, et re-
prennent d'abord le chemin du palais d'Hé-
rode. Mais Dieu leur envoie, dans leur som-
meil , l'ange Gabriel pour les avertir de
prendre une route opposée. Ils obéissent et
disparaissent.
Quatrièmement. L'action continue néan-
moins. Un personnage austère, le Semeur,
symbole populaire du travail, de la sagesse
et de la foi, apparaît, labourant, semant,
suant, souffrant, courbé sur le sillon; il
prend la parole :
LE SEMEUR.
Grant temps ce que je oy dire
i. proveibe à i. grant sire,
Et sy disoit, bien m'en souvient :
Qui vcult manger ouvrer convient
Sy n'a renies qui le souslicgne
Dont blé et vin souvent ly vieugne,
Il n'est roy, duc ne emperière
Tant soit sage de granl manière
Qui sans peine povist avoir :
Pour ce faull faire son devoir.
Qui louz jours en quoy se tend roi t
Oiseure, sy l'afamineroil.
Diex dit : « Aide-toy, je te ayderai,
« Ou se senon je le fauldray... >
LE SEMEUR.
Il y a longtemps que j'ouïs ce proverbe de la bou-
che d'un grand seigneur; il disait, et }e m'en sou-
viens bien : Celui qui veut manger doit travailler.
Quand on n'a ni rentes pour vivre, ni du blé ni du
vin qui se renouvellent souvent, il n'y a ni duc, ni
p lisse rien avoir sans travail. Chacun a son devoir
à i emplir. Celui que l'oisiveté tiendrait Ions les
jours inutile, serait bientôt affamé. Dieu a dit : Aide-
toi, je t'aiderai; sinon, je le ferai défaut... »
Cinquièmement. Hérode a donné l'ordre du
massacre des Innocents, l'enfer s'en éb.t;
mais Dieu a envoyé déjà Raphaël prévenir
Joseph et Marie. Ils fuient; le Semeur leur
indique la route d'Egypte, et cache leur pas-
sage aux meurtriers qui cberchent la trace
des fugitifs. L'enfer excite Hérode au sui-
cide, et s'empare de son âme; Joseph et Ma-
rie reviennent à Nazareth, et l'assemblée en-
tonne le Te Deum final.
5° — xvi* siècle ( lre moitié).
La Bibliothèque du théâtre françois, ouvrage
attribuéauduc de La Vallière (Dresde, 1768 ;
in-8°, 3 vol., t. I", p. 119), fait aussi men-
tion de ce mystère. Les frères Parfait, dans
leur Histoire du théâtre françois (Paris,
1745 ; 15 vol., in-12, t. 111, p. 47, 48), en ont
laissé la notice suivante :
LE JOYEUX MYSTÈRE DES TROIS ROIS. A dix-
sept Pcrsonnaiges, composé par Jehan d'A~
bondance, Bazochien, et Notaire Royal de
la Vilte du Pont Saint-Esprit (437*).
« Ce serait ennuyer le lecteur que de lui
donner un extrait circonstancié de cette
pièce. Il suffit dédire que l'histoire est sui-
vie assez passablement; mais pour qu'on
puisse juger de la versification de l'auteur,
nous allons en extraire quelques endroits.
« Un ange défend aux trois rois de repas-
ser chez le roi Hérode, comme ils l'avaient
promis, et leur ordonne de prendre un autre
chemin.
l'ange.
Du hault Dieu, Roy allilonanl,
De Paradis, suis Messagier;
El pour vous garder de daugier,
llelournez par aultre chemin :
Car Hérode, félon, malin,
Tasche de vous faire mourir.
Pour son ire non encourir,
Vous fault autre voye choisir.
S'il vous tenoyl en son pouvoir, etc.
« Voici comment Hérode débute.
Hault Empereur, Monarque primitif,
Sublimalif, partout dommatif,
Sur lous vivants je suis impératif,
Superlatif, si puissant, ne chelif
N'est contre moy, ele »
roi, ni empereur, tel sage et savant soil-il, qui Voy. Abundance (Jean d).
(437*) Ce mystère des Trois Rois n'est point im-
punie, quoi qu'en ait dit Duvcrdier ( page (J35 de
sa Bibliothèque). Il n'exisle que manuscrit; nous
n'avons pu le trouver que dans le cabinet curieux
de M. le marquis de C"*, à qui nous sommes rede-
vable de plusieurs pièces rares. A la tête de cet ou-
vrage e>l la noie suivante que nous transcrirons
ici avec plaisir, en faveur des amateurs du théâ-
tre.
< Ce mystère est aussi rare qu'aucun de tons ceux
qu'on recherche avec lanl de soin; j'ai tire celui-ci
u'un manuscrit presque indéchiffrable. Le farceur de
celte pièce (car il en fallait toujours un suivant le
génie de ce lemps-là), est un vilain ou un paysan,
à qui l'auteur fait toujours parler un mauvais pa-
tois languedocien, qui donne lieu à beaucoup d'é-
quivoques, avec les serviteurs des trois Mages.
i 11 n'y a nulle division particulière en différents
aclcs, mais seulement des pauses qui annoncent or-
dinairement l'arrivée de quelqu'un des personnages,
et qui doivent par conséquent tenir lieu de scènes.
La "devise ou le dicton de Jean d'Abondance était
Fin sans fin. C'élail parmi ces ouvriers une espèce
de signalement. >
979
VAC
DICTIONNAIRE DE3 MYSTERES.
VAL
380
4° — XTi'Jiède U"" moitié).
La Comédie de l Adoration des trois rois, de
la reine Marguerite de Navarre, contenant
près de seize cents vers, a été mentionnée
dans la Bibliothèque du théâtre français, ou-
vrage attribué au duc de La Yallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. 1er, p. 120) ; et analy-
sée par les frères Parfait dans leur Histoire
du théâtre français, (Paris, 1745, 15vo!.in-12,
t. 111, p. 63, 64.)
COMEDIE VZ L'ADORATION DES TROIS ROIS
A JÉSLS-CHRIST (438j.
« Pour étendre ses grâces sur les na-
tions les plus éloignées, Dieu ordonne à
Philosophie, ïrihulation et Inspiration, d'a-
mener les trois mages à la connaissance du
Messie rpui vient de naître. Balthasar, éclairé
par Philosophie, se détermine aisément à
l'accompagner. Tribulation fait périr tous
les parents et amis de Melchior, et par ce
moyen le force à la suivre; et Gaspard, ne
pouvant résister aux conseils d'Inspiration,
s'abandonne à sa conduite. Ces trois puis-
sances mènent, de cette manière, les mages
a l'intelligence divine; elle les instruit et
leur donne l'étoile pour guide. C'est en sui-
vant ce conducteur, que les trois rois arri-
^enl à la crèche pour y adorer le Maître du
monde, et lui offrir des présents.
GASPARD.
J'.!}' créa, j'ay yen ; mais, D.r.ne, ta parole,
M'a c ulirmé lanl que m'y veux tenir.
Par loy je sens que mon ame s'envole
A son Espoux, sans plus vouloir tenir,
Au inonde bas; parce que retenir
Elle a bien sceu ta parole, et tes dits.
Pour à son Dieu pouvoir fost parvenir.
Mu ri el tourment luy semblent Paradis.
-< Les mages se retirent, et, suivant l'aver-
tissement des anges., ils s'en retournent
sans passer chez Rérode. »
Yoy. Marguerite de Navarre.
5° — iwii" siècle.
Allemagne.— On lit dans Martin Gerberf,
moine de l'abbaye de Saint-Biaise dans la
Forêt-Noire [De eantu el musica sacra a
prima ecclesiœ œtate usque ad prœsens tem-
pus, auctore Martin G'erb....; San-Blasianis.
J774, in-4%2 vol., t. II, p. 82) : «Notre mo-
nastère possédait encore en 1768, où tout pé-
rit dans un épouvantable incendie, le manus-
crit d'un Jeu des trois Mages. Dans ce mys-
tère, qui jouissait d'une grande réputation,
les rôles des trois mages étaient d'ordinaire
joués par les représentants des plus grandes
familles des environs, soit parle comte de
Lupfen, soit par le comte deFurstenberg. »
III.
Pnniosnimes.
Les trois Rois, dans le cours du moyen
âge, ont été le sujet de pantomimes aux en-
trées des rois à Paris, que rapportent divers
historiens. En 1378, le continuateur de Guil-
laume de Nangis raconte que, le jour de l'E-
piphanie, le roi de France allait,' à l'instar
des Mages, offrir l'or, l'encens et la myrrhe.
Godefroi de Paris (Chroniq. métrique, p. 190,
191) rapporte un fait analogue. Ln 1431, ou
les représentai! « par personnages, sans par-
ler » à l'entrée d'Henri VI, roi d'Angleterre.
Le même spectacle se retrouve, en 1504, à
l'entrée de la reine Anne de Bretagne {Regis-
tres de l'Hôtel dv Ville), à Paris (439). ' ■
y
VACHE GRISE (La).— Une ancienne re-
devance attribuait un nombre assez considé-
rable de mesures de blé aux principaux
membres du clergé d'Auxerre, et au célé-
brant la messe le jour de la fête de saint Ai-
gnan; cette redevance portant le nom de la
Vache grise (Vacca varia) , on en a conclu
qu'il existait, dans les usages de la fête des
Fous, un Office de la Vache, comme de Y Ane
ou du Bœuf. (Cf. Dv Casge, Gloss. inf. et
(iô8) Ce mystère contient environ seize cents
vers.
(17)91 Un office des Mages du xi* siècle est con-
servé dans un manuscrit de la bibliothèque de Mu-
nich. n0 6-20 i. A, fol. t. (Cf. M. Edelesland Doié-
bil, Origines latines du théâtre mod.; Paris, 1849,
in-8', p. 15(3.) M. Denis [Codie. man.iheol. bibt. pa-
iat. vindab. t. Ier, col. 5049 ) signale tin Office des
Mages dans un manuscrit de la bibliothèque de
Vienne. n° 941, datant du xiv siècle • nous y re-
marquons ce passage :
l'étoile. Apportez au Fils de Dieu le? parfums de
Saba, il joiui à l'Arabe, peuples èlraugers, en avant, l'or,
la myrrhe,..
le r-nftTECR d'ob. O'i'esl-ceque cette étoile ?
LE PORiEL'H DE PARFUMS. O Sllipetirl
i.e P'IRtei r de mvrrhf.. Lumière nom elle !
mcd. tat., éd. Henscheil ; Paris, 184G, in-4°
G vol., t. VI, p. 714, V Vacca varia.)
VÂLENTiN (Saint). — Ce mystère, du
xvi' siècle, est tiré du manuscrit"de la Bi-
bliothèque impériale, n° 720S, 4. B., intitulé
Miracles de Notre-Dame.
MM. Monmerqué et Fr. Michel, dans leur
Théâtre français au moyen âge (Paris, 1839,
gr. in-8°, p. 29V, 327), en ont donné une édi-
le premier. Que! éclit.
le DEiMi.ME. Le soleil eu pâlit.
ls troisième. La lune s'eiiace.
le premieii. Quel feu! etc.
On trouve les Trois Rois dans la huitième el la
neuvième pièce du Chester )Yhilsi<n plays , la dou-
zième du Towneley mysterics, el la dix-huitième dn
Ludus copentriœ. Collier (Annals of thé stage, I. I«%
)». 52) mentionne, sous la date de 1508, une repré-
seniation des Trois Rois à la cour d'Angleterre.
(îtialvaneo de la Flaniina (De rébus gesns Azonis
vicecomiiis) a conservé le souvenir d'une représen-
tation figurée des Trois Maget en 1320 el eu Italie.
(Cf. Miratori, Rer. Italie. scriplor., t. XII, col. KM?.)
En Portugal, VAu'.o de los reges inag<>$ île Gil VI-
reute.
S81
VAL
DICTIONN'AIUE DES MYSTERES.
VAL
98*
tion unique jusqu'ici, et une version en fran-
çais moderne.
Les personnes sont au nombre de vingt-
deux.
VAl.ENTIN.
l'empereur.
PREMIER SERGENT.
DEUXIÈME id.
CHATON.
LE FILS DE L'EMPEREUR.
LE CHEVALIER.
I.E FILS DE CHATON.
JO-IAS, PREMIER ÉCOLIER.
DORECH, DEUXIÈME.
JOSEPH, TROISIÈME.
buzi, quatrième,
le cinquième,
l'innermien.
DIEU.
NOTRE-DAME.
LE PREMIER ANGE.
DEUXIÈME ANGE.
GABRIEL.
vide-bourse, geôlier.
PREMIER DIABLE.
DEUXIÈME id.
Le titra est conçu dans les termes sui-
vants :
Ici commence un miracle de Saint Valentin
qu'un empereur fit décoller devant sa ta-
ule, et aussitôt le dit empereur fut étranglé
par un os gui lui traversa la gorge; et les
diables l'emportèrent.
UN MIRACLE DE SAINT VALENTIN.
SCÈNE V
l'empereur, sergents d'armes
l'empereur. Beaux seigneurs.
les sergents. Que vous plaîl-il, cher sire?
l'empereur. Allez- moi dire toiil de suile au s.ige
<lalou que je le demande, el que pour cause je lui
yiande qu'il vienne ici.
le premier sergent. Cel i lui sera dit lexlm'lle-
menl, sire, comme vous le commandez, et que vous
le demandez en loule hàle.
SCÈNE II.
sergents d'armes, caton, le premier.
SERGENT.
le premier sercent. Allons le chercher.
deuxième sergent. Allons, prcnor.s par ici : m'est
avis que c'est le plus court. Je le vois là au milieu
(te sa cour, c'est bien tombé.
premier sergent. Sire, que Mahomet vous donne
un bon jour! L'empereur vous emoie chercher : ve-
nez donc bien vite vers lui, puisqu'il vous mande.
caton. Seigneurs, j'obéirai de grand cœur à son
ordre; je suis tout prêt : allons, parlons!
SCÈNE III.
caton, chevaliers , l'empereur, son fils.
CATON.
caton. Sire, que nos dieux, vous liennenl en hon-
neur cl vous donnent des jours heureux!
l'empereur. Qu'il en soit ainsi ! je le désire. —
Maître Caton, voici pourquoi je vous ai mandé au-
près de moi : j'ai l'intention de vous donner mon
fil«, pour que vous l'instruisiez. Il esl, dès à pré-
sent, assez grand pour recevoir vos leçons. Ainsi,
emmenez-le, car je veux qu'il soil lettre. Je vous prie
de lui consacrer tous vos soins el loule votre alleu*
l'ion.
caton. Cher sire, pourvu qu'il y consente el qu'il
s'en donne la peine, je le ferai bientôt clerc. — Mais
d les-moi, mon doux enfant, travaillerez-vous bien
I o ir être clerc?
le fils de l'empereur. Oui, maître , sans négli-
gence, suivant mes forces.
le chevalier. En vérité, il répond sagement pour
un euf.uit.
caton. Veuillez me donner la permission de me
retirer; très-cher sire; car je crains de larder trop
kmglemps à aller lire.
l'empereur. Matlre, allez- oonc sous de bons aus-
pices ; prenez soin de mon «ils. — Vous deux, accom-
pagnez tout de suite.
deuxième sergent. Sire, nous exécuterons vos or-
dres de bon cœur.
SCÈNE IV.
CATON, SON FILS.
le fils de caton. Hélas! que je m'ennuie d'être
couché! Hélas! sous quelle étoile suis-je né ! Hélas!
suis-je destiné à supporter longtemps encore cette
langueur, celle souffrance el celle maladie qui me
consume el me hrise! Hélas! il m'est avis que l'on
me rompt el que Ton me tranche les nerfs. Jamais
personne ne Supporta un mal aussi cruel (pie celui
que je souffre, .le n'ai plus ni joie ni plaisir. Ah,
père! je ne sais que dire : je souffre trop el ressens
un trop grand mal dans le corps.
caton. Cher fils, que nos dieux te soient doux,
miséricordieux el propices, et qu'en vertu de leur
bonté el de leur puissance ils le guérissent bientôt
de ce mal cruel! car mon cœur en éprouve plus de
chagrin que j<: ne puis dire. Chose étrange, incroya-
ble! Comment ne peut-on trouver un médecin qui
connaisse ta maladie. J'ai en vain fait chercher par~,
tout une consultation pour loi.
SCÈNE V.
C VTûN, ÉCOLIERS, JOSIAS, BORECH, JOSEPH,
IilZI.
le premier écolier. Maître, voudriez-vous m'écon-
ler au sujet de votre lils, qui esl mon maître, el que
personne ne sait comment traiter? Par nos dieux!
c'est grand dommage. Je veux vous découvrir ma
pensée. Dans la Nervie, où je suis né, il y a nn
homme (tenez ceci pour vrai cl certain) qui esl plein
de si grande sainteté , si juste el si pur de lout pé-
ché, qu'il n'esl mal dont homme ou femme soient af-
fligés, qu'il ne renvoie guéris, après les avoir vus.
C'est ce qui esl arrive envers nn grand nombre de
personnes, et il ne prend ni salaire ni argent. Sire,
laites donc mener votre fils auprès de lui, et je suis
convaincu que le saint homme, l'ayant vu, le ren-
verra radicalement guéri.
caton. Josias, son mal esl si violent qu'il ne pour-
rail supporter le voyage. Penscs-lu qu'il vive en-
core longtemps?
premier écolier. Maître, n'en doutez pas. Après,
tout, il vit, à moins qu'il ne soit trépassé seulement
depuis deux jours.
dorech, second écolier. Maître, vous êtes assez ri-
che ; je vous dirai ce que je ferais (à votre place) :
j'enverrais un beau et riche joyau au nervien, en le
suppliant de venir ici. S'il lient à garder le joyau,
il viendra, je n'en fais aucun doute; dans tous les."
cas, il peut donner par écrit, de point en point, le
traitement nécessaire pour rendre la santé à voire
lils. Maître, n'hésiiez pas.
Joseph, troisième écolier. Dorech a dit ce qu'il eu.
peut être el ce qui doit naturellement arriver : ou
vous le verrez venir ici, ou il ne recevra pas le pré-
sent. Envoyez-y donc tout de suile : vous, agirez
sagement.
caton. Seigneurs, je m'en rapporte à vous. Mais
il me faut un homme sage, capable de faire cette
coin mission et de bien parler.
buzi , quatrième écolier. Maître, je m'offre volon-
tiers à y aller, par amour pour vous, si vous ne pou-
vez trouver mieux; je vous dis vrai.
le cinquième éqolier. Maiire, s\l vous plaît, je
ferai de bon cœur et Irès-volontiers ce voyage pour
vous.
caton. Je vous remercie, mes écoliers, de l'offre
que vous me faites; .maintenant allendez-moi nu
peu ici, et je reviens à vous sur l'heure sans le moin-
dre retard. —Mes bons amis, me voici! Prenet ca.
9S1
VAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VAL
<j9\
sac de florins et ce joy;iu, qui est bel et riche, et je
vous prie, niellez tous les deux de la diligence à al-
ler chercher cet homme. Vous le requerrez douce-
ment qu'il lui plaise de prendre la peine de venir ici
guérir mon fils. S'il veut venir en ce pays, qu'il ne
s'embarrasse de rien; il aura robes et avoir en abon-
dance. Enfin, pour le déterminer, vous lui présen-
terez de ma pari, tout en lui parlant, le sac et le
joyau que je vous remets.
le quatrième écolier. Maître, je vous jure par la
ioi que je liens, cl par tous nos dieux, que je ferai
tout ce que je pourrai le mieux possible.
le cinquième écolier. El moi aussi, en vérité.
SCÈNE VI.
LES ÉCOLIERS, JOSIAS, BORECH, JOSEPH, BLZI.
le cinquième écolier. Mais puisque nous avons à
faire ce message, Josias, faites-nous maintenant sa-
voir le nom de ce prud'homme que vous vantez et
louez tant.
josias, premier écolier. Il se nomme Valenlin, sei-
gneurs. J'ose bien dire que, arrivés au pays, vous en
trouverez plus que je n'en dis.
le quatrième écolier. Allons-nous-en. Avant qu'il
soit jeudi je pense faire si bien que je saurai de lui,
de manière à n'en pas douter, ce qu'il voudra faire.
SCÈNE VII.
BUZI, €t LE CINQUIÈME ÉCOLIER.
le cinquième écolier. Duzi , cher et bon compa-
gnon, je fais ce voyage de bon cœur ; Mahomet
veuille qu'il soit prolilubJe à ceint pour lequel nous
l'entreprenons ! C'est pitié qu'il soit en proie à une
pareille maladie.
le quatrième écolier. C'est vrai , d'autant plus
qu'il est jeune et sage, et profond clerc; je le pense
ainsi. Allons, allons! nous serons bientôt en Nervie,
et nous nous empierrons du lieu où nous pourrons
trouver Valenlin que nous venons chercher.
le cinquième écoi ier. Nous sommes entrés dans
le pays : il nous faut lâcher de savoir où nous pour-
rons le trouver. Voilà loin.
le quatrième écolier. Paix! voici venir un prud'-
homme, je ne sais s'il est de celle terre : je veux
prendre des informations auprès de lui.
SCÈNE VIII.
LES MÊMES, UN PRUD'HOMME NEKVIEN.
le quatrième écolier. Sire, où demeure en celte
terre un homme qu'on appelle Valenlin? Le savez-
vous? Dites; vous ferez bien, si vous le savez.
le nervien. Je ne sais trop quelle affaire vous
avez avec lui, beaux seigneurs; mais c'est un saint
qui ne se prise pas la valeur d'une pomme, et qui
est humble, doux et compatissant. Il a rendu hou
nète maint homme pervers et endurci. Nul malade
ne va à lui qu'il ne le guérisse radicalement, quel-
que maladie qu'il ail, sans user d'herbes ni de raci-
nes; il fait de si belles cures qu'il est appelé le saint,
et il est aimé de tout le inonde à cause des bonnes
choses qu'il enseigne et montre. Voyez-vous cette
loge là-bas? Là, vous apprendrez des nouvelles de
lui; vous l'y trouverez la nuit, n'en doutez pas.
LEçtNQUiÈME écolier. Nousy allons. Voici lesenlier.
Beau sire, nous vous remercions. Nous avons eu du
bonheur de vous trouver.
le quatrième écolier. Allons-nous-en. Eh , re-
gardez! il m'est avis que voilà le saint de-
bout devant sa porle, ou c'est un autre qui attend
l'instant de lui parler.
le cinquième écolier. Il nous faut marcher sans
relâche jusqu'à ce que nous soyons là.
SCÈNE IX.
LES DEUX ÉCOLIERS, VALENTIN.
LE Cinquième écolier. Sire, c'eil à vous que nous
allions; enseignez nous, s'il vous plaît, un homme
de ce pays nomu é Valenlin. Nous sommes de la cité
de Rome, et nous sommes envoyés vers lui. Répon-
dez-nous, s'il vous plaît, par bonne amitié.
valentin. Beaux seigneurs, Dieu vous comble
d'honneurs! Je ne sais ce (pie vous voulez; mais je
dois dire de bonne foi que je ne connais en ce pays
aucun autre homme que moi qui porte le nom de
Valenlin.
le cinquième écolier. Sire, puisque nous sommes
arrivés, nous allons vous dire pourquoi nous sommes
envoyés auprès de vous. Le sage Caton, dit la fleur
de science de Rome, vous fait présent de ce joyau
et de cet or que voici. Il vous supplie en amilié d*a-<
voir pitié de son (ils qui est grandement malade, ce
qui est grand dommage, car ce jeune homme est
merveilleusement savant. La maladie l'a entièrement
contrefait, il a les nerfs comme tout retirés. Ayant
entendu raconter, sire, les grandes cures que vous
avez faites cl que vous opérez de jour en jour, il
vous prie, si c'est voire bon plaisir, de venir sans
retard guérir son enfant; son intention est de recon •
naître ce service et de vous en récompenser de lelle
manière que vous serez étonné, tant il vous don-
nera!
valentin. Seigneurs, il me faudra réfléchir à celte
affaire, avant que de vous donner plus ample ré-
ponse. En attendant vous pouvez aller vous ébattre dans
celte ville , et faire connaissance avec le pays, puis-
que vous êtes venus me chercher jusqu'ici. Quant à
vos présents , j'e n'en ai que faire , el la vue ne m'en
causerait que de la peine,
le cinquième écolier. Gardez-le néanmoins, sire ,
ne fût-ce que pour l'amour du prud'homme qui de
Rome vous l'envoie pour vos ébats.
valentin. Non , qu'il n'en soil plus question ; certes
il ne me restera point, rendez le au prud'homme;
et allez, comme je l'ai dit, vous ébattre un peu on
la ville. Pendant ce temps-là j'aviserai si j'irai avec
vous, ou non. Allez, seigneurs.
le quatrième écolier. Rien, sire , puisque vous
le voulez. — Eh bien! allons- nous-ci».
SCÈNE X
valentin, seul.
valentin. Père tout-puissant des cieux, qui avoj
créé le monde de rien, et l'avez, malgré la chule
de l'homme, recréé par la mort du béni Jésus; Sei-
gneur, j'ai eu par votre bonté la grâce do guérir
plusieurs maux , et aujourd'hui le sage Caton de
Rome m'envoie chercher. Je prie, Seigneur, voire
saint nom avec toute l'ardeur dont je suis capable,
de me faire savoir s'il m'est bon , vrai Dieu , d'y
aller, si le peuple en deviendra meilleur, el si la foi
chrétienne ne s'en accroîtra point. Sire, entendez-
moi ; vous voyez ma dévotion . répondez à ma prière;
que ferai-je pour vous plaire?
SCÈNE XI.
DIEU, notue-dame, anges.
dieu. Allons, mère-, allons! sans plus attendre,
descendez sur la lerre el allez-vous-en vers Valentin;
dites-lui de ma part qu'il s'en aille à Rome sans dé-
lai. Là par sa prédication il amènera plusieurs du
pays dans la voie du salut , et il les arrachera au
service des faux dieux.
notre-dame. Mon Fils, j'ai bien retenu toutes vos
paroles de point en point; je les lui redirai fidèlement,
n'en douiez pas. — Seigneurs, ne vous tenez plus ici;
venez-vous-en avec moi en chantant tous deux.
le premier ange. Douce mère du roi de gloire,
nous exécuterons votre ordre, et nous irons devant
vous en chantant joyeusement.
deuxième ange. Gabriel, disons ce rondeau avec
allégresse en partant d'ici.
f$5
VAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VAL
9.^6
Hondeau,
Dame, par qui les cœurs repentants obtiennent
grâce el merci, quand véritablement ils gémissent
des fautes commises ici-bas , et qu'ils s'adressent à
vous, par qui, etc.
Nous savons bien qu'il en est ainsi, el nul n'en
doit douter; car votre puissance est grande, Dame ,
par qui, elc.
SCÈNE XII.
NOTRE-DAME, ANGES, VALENTIN.
Notre-Dame. Valculin , va sans crainte à la cité de
Rome; car en vérité, je le le dis, par les prédica-
tions plusieurs abandonneront le paganisme el em-
brasseront la loi chrétienne, et tu en verras plus
d'un se convertir à Dieu qui m'envoie ici : ainsi
mets-loi en roule tout de suite : Dieu le le com-
mande. Je m'en vais. — Seigneurs, chaulez à liante
voix en parlant d'.ci.
cabriel. Dame, nous faisons volontiers ce qui
vous plaît, sitôt que vous le souhaitez.
Rondeau.
Nous savons bien qu'il eu est ainsi, et nul n'en
doit douter; car voire puissance est grande, Dame,
par qui , elc.
SCÈNE XIII.
LES DEUX ÉCOLIERS.
le cinquième écolier. Je ne sais si Valenlin est
satisfait de nous. Compagnon, je vous en prie de
tout mon cœur, allons savoir sa volonté. Peut-être
aurons-nous tardé trop longtemps.
le quatrième écolier. Alloue donc promplemcni
vers lui , sans plus de débals.
SCÈNE XIV.
VALENTIN, Seul.
valentin. Père des cieux , puisqu'il vous plaît
que. j'entreprenne ce voyage, je le ferai de bon
cœur, el je m'y regarde comme obligé; je n'attends
plus que les messagers.
SCÈNE XV.
LES DEUX ÉCOLIERS, VALENTIN.
le cinquième écolier. Sire, veuillez nous rendre
réponse. Venez-vous à Rome avec nous? reiourne-
rons-nous sans vous, et rapporterons-nous à notre
ami un bon remède.
valentin. Seigneurs, je pars avec vous, quoi qu'il
advienne; n'en douiez point.
le quatrième écolier. Alors, si cela vous est
agréable, il serait bien temps de se mettre en roule.
valentin. Oui, sans plus de relard allons nous-
eu tous les trois ensemble. C'est ce qu'il y a de mieux
à faire , ce me semble.
le cinquième écolier. C'est le mieux , el, de mon
côté , j'y consens.
le quatrième écolieu. La chose ainsi réglée , m'est
avis de prendre les devants pour savoir comment se
trouvent nos amis et pour montrer quelle diligence
nous avons déployée en cette affaire.
valentin. Je le veux bien. Quant à nous deux ,
nous suivrons tout doucement el irons plus à notre
aise. — Allez, l'ami.
le quatrième écolier. Je m'en vais, puisque vous
y conseillez; et je veux hâter le pas.
SCÈNE XVI.
LE QUATRIÈME ÉCOLIER, CATON. ÉCOLIERS.
LE QUATRIÈME ÉCOLIER. Pour réjouir VOlIC CCCUT ,
maiire, je viens devant.
caton. Tu csi le bienvenu. Quelles nouvelles?
LE QUATRIÈME ÉCOLIER. Quelles IlOUVelicS , lUailIC?
de bonnes et de belles : le prud'homme Valenlin
vient; il faut le bien recevoir, car il le mérite
bien.
caton. Que Mahomet t'aide ! à quelle distance
peu i- il être?
LE QUATRIÈME ÉCOLIER. A moillS d'tillC lidie, clitr
maiire; n'en doutez pas.
caton. Je m'en vais sur-le-champ à sa rencontre.
— Seigneurs , accompagnez-moi , je vous prie.
premier écolier, naître, volontiers.
deuxième écolier. Je me tiendrais bien pour une
bêle, si je n'y allais pas.
le troisième écolier. Par Mahomet! moi aussi.
En avant , en avant !
le quatrième écolier. S'il vous plaît, j'irai un peu
devant, maître; el sitôt que je le verrai , sachez
que je vous le montrerai à vue d'oeil.
caton. Allons , va devant, je le veux; et montre-
le-moi.
le quatrième écolier. Volontiers. Voyez-vous lo-
bas mon compagnon qui vient ici? Cel homme qu'il
tient par la main , c'est lui , sans aucun doute.
caton. Il saura aujourd'hui toute ma pensée.
SCÈNE XVII.
LES MÊMES, VALENTIN, LE CINQUIÈME ÉCOLIER.
l'écolier. Cher sire, je vous souhaite tout hon-
neur el. une vie bonne el longue qui ne soit jamais
troublée par l'envie.
valentin. El à vous bonne destinée , sire; el s'il
vous plaît, faites-moi savoir qui vous êtes, vous qui
me présentez ce bonjour-
caton. Je ne le cacherai pas, d'autant que vous
me l'avez demandé : je suis Caton qui vous ai prié
de-venir; el puisque vous êtes venu pour moi , je
suis tenu de vous honorer , comme de justice et de
raison. Allons-nous-en , entrons! au logis : là je vous
ferai Pèle, là je vous dirai quels sont nies désirs.
valentin. l'.hbien! je m'y rendrai de bon cœur
pour vous entendre et pour prendre un peu de re-
pos, car je viens de loin.
SCÈNE XVIII.
LES MÊMES, LE FILS I>E CATON.
caton. Sire, vous ayant ici, si loin déjà de voire
pays, voici ce dont je veux vous requérir : prenez, je
vous prie, la moitié de lonl mon avoir, laol en ar-
gent qu'en bijoux, en rentes, en étoffes, en ch-vaux;
je vous les offre de bon cœur , el guérissez lût mou
(ils du mal dont il souffre depuis longtemps.
valentin. Caton, écoule-moi, s'ii le plaît : je ne
me soucie point vraiment des biens, temporels que
lu m'offres, et que tuas dans tes huches et dans
les bahuts. Ce sont des biens passagers qui n^:
durent pas plus que la fleur des champs. Biou que
lu aies le nom de sage, je ne sais encore si cYsl
d'un bon cœur el sincèrement que lu veux le salut
de ton fils. Je n'ai à le demander qu'une chose a>Sf $
f.icile et brève, et non pénible à faire; je m'en-
tends.
caton. Sire, demandez sur-le-champ ; je vous eu
prie.
valentin. Je vous requiers, loi et ton fils tout
d'abord, et pareillement tous les liens, de croire
sans balancer au sainl Fils de Dieu qui nous a faits
et créés, et qui est appelé Jésus Christ; à celui dont
il est écrit qu'il naquit d'une vierge sans tache
homme el Dieu en toute nature, qui pour nous ra-
cheter souffrit sur la croix une cruelle passion (je dis
cruelle, car il y mourut), et qui laissa mettre son
corps au sépulcre, où il habita li ois jours el d'où il
ressuscita , personne n'en doute.
caton. Sire, quel est ce Jésus-Christ au sujet du
quel vous me pressez de celle manière? Munirez-
moi, je vous prie, comment ce que vous me dilcs
e>l vrai, et pourquoi je dois croire qu'il en esl ainsi.
valentin. La raison, Caton, la voici : sans «Joule
lu la connais en la qualité de clerc, toi qui es si sa-
vant : ne lis- lu pas il ans la prophétie qulsaiea
087
VAL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VAL
9S0
écrite pour tons : Ecce Virgo , et cetera? c Voici
(fii'il sera une vierge qui, sans cesser de l'être, en-
fantera le Fils de Dieu le très-haut, lequel sera nom-
mé Jésus; car il sauvera son peuple du péché. »
caton. Sire, j'ai bien vu clairement dans le livre
d'isaïe ce que vous me prêchez ; mais comment
sra-t-il possible qu'une vierge puisse concevoir et
«niant t, tout en restant vierge? C'est un point qui
fait naître des doutes trop forts.
valentin. Non pas, et je te dirai comment : tu
dos savoir qu'il est la-haut, dans le ciel, un Dieu
eu trois personnes, qui n'est qu'une divinité, un:
essence, une majesté unique; et cependant nous sa-
vons qu'il y a (rois personnes en ce Dieu par qui le
monde fui créé. Mais revenons à no're (ait. Le pé-
ché du premier homme nous accabla d'une IftHe
délie que l'homme ne put acquitter selon la loi,
pour apa'sir Dieu le Père. H en advint que Dieu la
Fils se lit homme, uniquement pour nous. Tout se
consomma en l'Esprit-Saint qui prit une partie du
sang le plus pur dans le corps de celle vierge
mè e, donc la divinité se couvrit de noire humani-
té, en sorte que Dieu fut homme et l'homme Dieu.
Désormais, tu peux entendre mieux ce que tu as lu
cans Isaïe, et lu n'ignores plus quel est celui qui
acquitta la dette et répara le crime du premier
homm3. A n i ce Fils, lu dois en être persuadé, a
fait le monde el tout ce qu'il contient; et quand nos
corps mourront, ils seront ressuscites par lui; el
alors nous serons tous invinciblement emportés au
tribunal suprême pour le jugement au dernier jour.
caton. Sire, vous dites de votre plus grosse voix,
afin que je lïn'emle mieux, que ce Jésus est Dieu,
à ce qu'il me semble
valentin. C'est vrai , il est ensemble Dieu cl
homme; il esl époux, lils et père. De qui? de sa
fille cl à sa mère, li Vierge dont il naquit. Comme
lils, tant qu'il fui vivant, il lui obéissait ici-bas;
comme père, il l.i nourrissait; comme époux, il la
revêtit de foi, quand elle consentit à croire ce qui
ne pouvait arriver naturellement. Ainsi le Créa-
te ir se daigna faire créature, pour n us amener
davantage à l'aimer.
caton. Sire, que sur-le-champ ce Jésus-Christ à
v tire requête cl prière, donne par sa puissance
santé complète à mon (ils; el en vérité, soyez-en
certain, tous i\eu\ nous nous ferons chrétiens aus-
sitôt qu'il sera guéri. Oui, je croirai qu'il esl mon
Sauveur, qu'il voulut naître d'une vierge el subir sa
passion sur la croix pour notre rédemption, el qu'an
troisième jour il ressuscita, qu'après il monta aux
saints cieux, ci .qu'il jugera les vivants elles morts.
Je consens à croire tout, si mon lils recouvre la
santé.
valentin. Ali! sire Dieu plein de bonté, je vous
rmds grâce d'un cœur humble de ce que vous pre-
nez ces gens-ci dans les lilels de voire miséricorde ;
car je vois que leur cœur incline à croire en vous,
à vous aimer el à vous servir pour mériter à la fin
votre gloire ! Vendiez, Seigneur, la leur accorder.
— Vite, Calon ! allez sans hésiter vous mettre là à
genoux, et vous tous aussi, beaux seigneurs, et
priez Jésus que par sa grâce il nous donne de la
joie au sujet de cet enfant; quant à moi, je demeu-
rerai ici avec lui, et je prierai Dieu dévotement
aussi.
caton Sire, je vais accomplir votre commande-
ment.
deuxième écolier. Nous ferons de même de grand
cœur. Seigneurs, melions-nous à genoux ici et
consacrons nos pensées à Jésus le fils du Roi des
cieux, pour qu'il accorde la santé au fils do notre
maître.
valentin. Doux Jésus, qui, dans toute votre con-
duite, eûtes loujou'-s voulume d'user d'amour et de
charité, de même que vous avez guéri le paralyti-
que par un mira» le puissant, authentique, de voire
volonté seule, et que vous avez arrêté le flux de
fcang de la veuve, selon ce que dit saint Marc, par
voire grâce, avant que je m'en aille d'ici, guérissez
eel enfant et faites cesser en tous points le mal au-,
quel il esl en proie. — Beau fils, tends-moi un peu
les mains : je veux les tenir.
le fils de caton. Ah! je suis si fai'ile et si souf-
frant que je ne le puis, si vous ne m'aidez. Je vou-
drais mourir, croyez-le bien.
valentin. Je vais donc les tirer doucement de-
hors. Allons! que Dieu les signe et les bénisse, et
que la douce Vierge Marie y nielle sa grâce!
le fils de caton. Père, voici un homme honnête,
juste, saint et serviteur du vrai Dieu. Venez voir,
mes bonnes gens, combien nous devons le chérir :
il ne m'a fait, sans rien de plus, que loucher de sa
main droite, et voici que je suis, grâce à lui, sain
comme une pomme.
caton. Disciple du vrai Dieu, saint homme, com-
ment pourrai-je vous récompenser de ce qu'il vous
a plu guérir mon fils, que je vois ici debout? Je ne
sais; car si j'avais dix fois aulanl de richesses que
je puis en rassembler, en vous les donnant, je ne>
serais pas encore convenablement acquitté du ser-
vice que vous m'avez rendu ; il n'y a pas à en
douter.
valentin. Calon, écoule-moi maintenant, s'il le
p'aîl : si j'ai fait du bien à Ion lils, ce n'est pas par
moi-même, mais en vertu de la puissance de Jésus-
Chrisl. Aie en lui ferme croyance : il n'en sera que
mieux pour loi.
caton. Je ne sais ce qu'un autre fera; mais tant
que je vivrai, je servirai Jésus comme mon Dieu, et
je renie tous les autres pour lui ; car je liens et
( rois que c'est celui qui a conjoint si divinité sans
tache à l'humaine nature, qui a souffert mon et
passion pour la rédemption de l'homme, et qui nous
viendra juger à la lin cl purger de lous maux par
le feu el les quatre éléments aussi. Je liens cela
pour vrai, el le crois et croirai ainsi.
le fils de caton. Père, je suis el serai de votre
opinion, certes, n'en douiez pas : il m'a montré par
des miracles évidents qu'il esl le vrai Dieu.
premier écolier. Nous lous aussi, et c'est pour le
mieux, nous renonçons à la loi païenne pour tenir
désormais la loi des Chrétiens.
valentin. H vous faut encore à loul jamais le
ferme propos dans le cœur de persévérer, malgré
les dons, les caresses, les menaces, les coups, les
supplices. Rien ne doit effacer de votre comr la
croyance que Jésus le Fils de Dieu le Père, esl Dieu
cl né d'une mère vierge, qu'il n'eut jamais de com-
mencement et qu'il n'aura pas de fin en divinité.
LE TROISIÈME ÉCOLIER. NoilS I10US accordons lOUS
ensemble à croire celte vérité; car il me semble
qu'il n'y a rien de plus vrai sous le ciel.
valentin. Que chacun se souvienne donc de le
servir el de l'aimer sans réserve, de manière à ce
qu'il puisse mériter sa gloire qui n'a pas de terme.
le fils de caton. Pour le servir, je renie lous les
autres dieux ; car je vois clairement que ce sont
tous de fausses idoles sans aucune puissance.
caton. Seigneurs, dans mes écoles je n'ai donné
des leçons que de logique, de lences, de dialectique
et d'autres sciences mondaines, auxquelles je me
suis fort appliqué ; sachez que j'y renonce. Désor-
mais je ne vous apprendrai rien, sinon hi théologie
et cette nouvelle loi; car je sais el vois clairement
que toute autre science esl vainc, tandis que celle-ci 4
mène à la connaissance du premier principe, c'est-
à-dire de Dieu; elle enseigne comment Dieu esl tout
bon sans qualité, comment sans quantité il a la
grandeur, el comment sans être mu il meut toutes
choses comme il veut, à sa guise.
989
VAL
SGii&E XIX.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VAL
930
l'eUPEKEI.K, CHEVALIERS, SERGENTS d'aRMES.
l'empereur. Soigneurs, j'ai grand désir de voir
mon (ils, ei je suis fori contrarié de ne pas le pos-
séder souvent. Depuis que Caton l'emmena, il n'est
pas revenu- auprès de moi. Que veut dire cela ?
in chevalier. Sire, il n'en a peut-être pas la per-
mission.
l'empereur. Vous deux, allez bon train ; prenez
l'autorisation de son maître, et amenez-le-moi ici
eu personne : je veux le voir.
deuxième sergent. Sire, nous ferons votre vo-
lonté incontinent.
premier sercent. Allons le chercher promplcmenl,
ne lardons pics.
SCÈNE XX.
LES SERGENTS, CATON, ÉCOLIERS, LE FILS
DE L'EMPEREUR.
premier sergent. Que Mahomet vous garde, sire
Caion, et tous les vôtres !
catom. Or çà, seigneurs, soyez les bienvenus.
Qu'avez-vous de nouveau? Gomment se porte mon-
beigneur? Bien, Dieu merci?
deuxième sergent. Oui; il nous a ordonné de ve-
nir ici pour que vous envoyiez son fi!s auprès de
lui avec nous ; il le demande.
caton. Ge serait à moi une faute grave si je le
refusais ou si je disais le contraire. Il va y aller. —
Josias, allons ! et vous, Doreeh et Joseph, apprêtez-
vous à vous mettre en roule pour accompagner cet
enfant-ci, que son père demande. Recommandez-
moi à lui Irès-humbleinenl.
deuxième écolier. Maître, nous ferons de bon
cœur votre volonté.
premier sergent. Allons-nous-en sans plus lar-
der; nous demeurons Irop.
le troisième écolier. Allons ; nous serons lanlôl
vers lui : il n'y a d'ici là que deux pas; mais il faut
nous garder de p irler en sa présence.
premier écolier. Oui, certes, cl pas un mot non
plus à l'enfant.
SCÈNE XXI.
LES MEMES, I.'eMPERELR, CHEVALIERS.
deuxième sergent. Sire, que nos dieux , par leur
courtoisie, veuillent vous donner tout ce dont vous
avez besoin, c'est-à-dire loyal conseil et joie royale,
cl avec cela vous pourvoir de longue vie!
i.'empi relu. Fils, j'avais grand désir de vous voir:
soyez h' bienvenu. Comment avez-vous pu rester si
longtemps sans venir? Je m'en élonue fort. El com-
ment vous portez-vous?
le fils de l'empereur. Bien, très-cher sire et doux
père; je vous remercie de voire demande. — (Au
sergent) Avance, je veux rectifier Ion salulàmon
père; car il y a vice el méfait dans ce qfie lu as du.
l'empereur. Beau lils, en quoi a-t-il mal parlé? il
a i rès-bien dit, à mon avis. Je veux connaître par
toi en quoi il a erré.
le fils de l'empereur. Sire, il a dit dans son dis-
cours nos dieux; el c'est une bévue, un mensonge
el une bourde. Il n'y a qu'un Dieu.
i. iMn.r.Ei r. Eli : non pas!.. Mais comment donc
ne nomme, beau fils, ce Dieu dont vous me parlez?
Veuillez me le dire tout de suite
le fils de l'empereur. Mon cher seigneur, n'avez-
vous pas entendu parler de l'homme sainl el juste
qui est venu pour un peu de temps dans cette ciié
de Rome, homme paisible cl sans esprit de dispute,
disciple du vrai Dieu infini, el qui s'appelle Va-
leniin ? Ne vousa-l-on pas dit comment il a guéri
d'un mal cruel le lils du sage Galon par la puissance
el la verlu de Jésus-Christ Noire-Seigneur, qui
dans les cieux a un père sans mère, el sur la terre,
nne mère sans pere ? C'est de lui que nous (enons
celle foi, celle croyance el celte loi, qui consistent,
à proprement parler, à croire qu'il n'est qu'un seul
Dieu, Jésus, Fils de Dieu le Père.
le cnEVALiER. Ce n'est pas une vérité bien claire;
car an moins le l'ère devrait être de droit Dieu
plulôl que le Fils, s'il était ainsi qu'il eût en loi
cause à devoir être appelé Dieu.
le f;ls de l'empereur. Beaux seigneurs, répondez
sur-le-champ à celle objection : vous êtes clercs, et
ce chevalier n'est que laïque.
premier écolier. Sire, vous avez dit que le Père
devrait être appelé Dieu plutôt que le Fils, supposé
qu'il dût êlrc Dieu. Pour confondre el anéantir, si
je le puis, cel argument, je réponds, sire, qu'il faut
qu'il y ail eu d'abord au commencement un principe
par qui tontes les choses ont été créées el ordon-
nées en leur place; el quelques anciens sages, doc-
leurs, logiciens cl philosophes l'appelèrent premier
moment, auteur de louies créatures; ainsi font vos
écritures mêmes, qui le disent pareillement.
le fils de l'empereur. Aliendez. C'est vrai, ils ne
ie nient pas ; le philosophe le montre ainsi; mais je
veux ici aller plus loin : pourquoi le nommèrent-ils
principe, et l'appelèrent-ils premier moment? c'est
que le temps n'était pas encore venu pour lui de
faire son apparition et de demeurer ici-bas sur
terre ; c'est pourquoi, quelque recherche qu'ils fis-
sent, ils ne le connurent pas clairement comme
nous à celte heure, qui l'appelons une essence en
divinité, une majesté. Dans celle unité dont nous
parlons, nous établissons une irinilé : le Père, le
Saint-Esprit et le Fils; cependant ils ne foui qu'un
Dieu, soyez-en convaincus. Nous niellons de la
différence, non quanta l'essence divine, mais quant
aux personnes, c'est chose certaine; Car le Fils,
sans en dire davantage, se revêtit de notre humani-
té pour nous donner gloire dans les cieux : c'est
pourquoi nous disons qu'il csl homme et Dieu, el
que Dieu esl homme.
l'empereur. Seigneurs, par les dieux en qui je
crois! je ne prise pas mon pouvoir la valeur d'une
pomme si je ne fais pas mourir très-ignominieuse-
ment ceux qui tiennent celle loi et la sèment par la
cilé. Emprisonnez ces trois individus-ci, et après,
allez-moi chercher aussi ce Valenlin.
premier sergent. Sire, nous ferons de bon cœur
(ont ce que vous nous commanderez. — Passez.
Vous serez emprisonnés lous Irois ensemble.
SCÈNE XXII.
LES SERGENTS, VIDE-BOURSE, LE GEÔLIER.
deuxième sergent. Il nous les faut livrer, ce me
semble, à Vide-Bourse le geôlier; par là nous en
serons débarrassés. Menons-les-y.
premier sergent. C'est .bien dit. — Geôlier, çà !
voici trois prisonniers que nous vous livrons :
tenez, nous nous en débarrassons; gardez - les
bien.
le geôlier En avant! enlrez ici. — S'ils man-
geril du mien, ils le payeront. N'ayez pas peur, ils
ne m'échapperont pas.
SCÈNE XXIII.
LES SERGENTS, VALENTIN.
deuxième sergent. Beau compagnon, il faut
maintenant nous aller mettre en qnéie el nous effor-
cer de trouver Valenlin en quelque endroit qu'il
soit.
premier sergent. Attends; s'il ne me donne le
change, je le le mettrai euire les maies : c'est ce
qui me donne le moins de souci. Je le connais un
peu. Eh, regarde! cel homme que tu vois venir là
le visage en lerre, c'est lui : il ne nous faut plus le
chercher ; allons le prendre.
deuxième sri.cr.NT. Çà, maître! il vous faut sans
991
Y\>L
DICTIONNAIRE DES 11 Y STERES.
VAL
09?
peu s'en faut que
yeux ici même. Un
ainsi à l'empereur
retard venir devant l'empereur. Et tôt! sans nous
lenir ici davantage, passez lion train.
valentin. Déjà! je ne suis meurtrier ni voleur.
Seigneurs, menez-moi doucement, sans me lenir
u'une manière si pesanle; je vous en prie.
premier sergent. Allons, vile ! passez donc sans
raisonner.
SCENE XXIV.
LES MÊMES, L'EMPEREUR, LE FILS DE I.' EMPE-
REUR , LES TROIS ÉCOLIERS , LE GEÔLIER,
CHEVALIERS ROMAINS, PEUPLE, DIEU, NOTRE-
DAME, ANGES.
premier sergent. Cher sire, nous avons si bien
cherché Valentin que nous vous l'amenons déjà.
Parlez-lui.
l'empereur. Comment, maître! c'est vous qui avez
exhorté le peuple à croire en un Dieu né d'une vierge
comme vous dites? Par mes dieux! vous n'en serez
pas quitte. Ou vous déferez ce que vous avez
l'ait, ou vous serez bientôt livré à une mort hon-
teuse.
valentin. Empereur, premièrement, vous qui
soutenez une loi damnable, si vous cherchiez de qui
vous tenez vos dignités et votre grandeur; si vous
faisiez effort pour aimer, mieux que vous ne le faites,
mon Dieu, par qui vous lûtes formé, le créateur
de toute créature et Dieu de la nature, il n'y a pas
de doute...
le chevalier. Par Mahonicl !
de mes doigts je ne le crève les
homme comme toi doit il parler
de Rome? Malheur à loi!
l'empereur. Alterniez. — (A un sergent.) Va, et
tantôt amène ici devant moi ces trois compagnons
que pour leur crime lu as incarcérés aujourd'hui.
le deuxième sergent. Sire, par la foi que je
vous dois! volontiers, sans rechigner. • — (Au geô-
lier.) Allons! je reviens, Vide-Bourse. Prenez ces
trois prisonniers : il faudra que vous veniez avec
moi pour les mener jusqu'à la cour. Tenons-les ser-
rés et près de nous.
le geôlier. Mon doux ami, n'ayez à ce sujet au-
cune crainte; — Allons! sortez, vous trois. — Oh!
il nous les faut lier enscinple par le corps.
le deuxième sergent. C'esl bien dit : car, ce me
semble, nous les emmènerods avec plus de sûreté,
liés ainsi que lu le dis.
le geôlier. C'est ainsi que toujours je mène court
ceux que je sais avoir méfait. Eu avant! allons-
nous-en. Tiens, c'est fait : ils sont accouplés.
deuxième sergent. C'est vrai : ils ne peuvent pas
s'échapper. — En avant, canaille! iroltez en avant,
si vous ne voulez pas être frollés de ce bâton-ci.
le geôlier, à l'empereur. Voici, mon cher sei-
gneur et maître, les prisonniers que vous deman-
dez. Maintenant, s'il vous plait, ordonnez ce qu'on
en fera.
l'empereur. On te le dira bientôt. — Truand,
attendu que lu as converti ceux-ci et que lu les as
pervertis par ta doclrine, ils seront décollés devant
loi : c'esl le profit qu'ils en retireront. — Allons!
coupez-leur vite la tète, puis laissez les bêles sau-
vages manger leurs corps.
valentin. Mes frères et mes chers amis, ne vous
occupez pas de la mort du corps, soyez de forts
lutteurs contre le serpent ; car je vous le dis, vous
acquerrez une gloire qui durera toujours el une vie
qui ne finira jamais. Oui, par ce bref el court mar-
tyre vous verrez sans lin Dieu, notre
comme il est.
troisième écolier. Homme de Dieu, nous som-
mes prêts à faire tout ce que iu nous recomman-
des ; prie donc Dieu qu'il melle nos âmes en para-
dis.
valentin. Votre volonté sera faite de bon cœur:
Seigneur,
nies chers amis, je veux, sans plus tarder, adresser
ici à Dieu celte prière.
le geôlier. Tu seras mis à mort le premier.
Passe en avant, agenouille-toi. — C'esl fait; il n'y
a plus de quoi jamais dire un seul mol.
valentin. Doux Jésus, recevez ces personnes en
la compagnie de vos sainls anges, et donnez-leur
votre gloire ; en sorte qu'ils voient votre Mère et
vous, Fils, comme ils vous ont vus par les yeux de
la foi ici-bas sur la lerre.
dieu. Mère, je veux que vous alliez bien vite à
mes amis que je vois là-bas, el que l'on veul mettre
à mort pour mon nom. — Anges, conduisez là vous
deux, el 3ii chemin récréez-là d'un Yteau can-
tique.
le premier ange. Sire ,votre volonté doit nous
plaire; c'esl juste.
deuxième ange. Nous nous en irons par là quand
nous serons en bas.
le geôlier. Allons, seigneurs! allons! quand j'au-
rai ici travaillé sur vous de mon métier, vous n'au-
rez, certes, jamais besoin de chaperons.
premier ange. Michel, dites avec moi ce chant ci ;
vous n'en aurez pas de reproches.
Rondeau.
Venez-vous-en , bienheureux , là-haut dans le
royaume divin ; vous serez au milieu de la gloire
éternelle; venez-vous-en, bienheureux, et vous vi-
vrez toujours sans mourir tant le lieu est délec
table. Venez-vous-en, etc.
le geôlier. Maintenant je sais bien que vous ne
prêcherez jamais en aucun lieu une nouvelle loi. il
m'est avis que chacun dort bien tranquille.
notre-dame. Allons vite, mes amis ! sans plus
chanter, prenez ces âmes; el en avant! J'ordonne
que chacun se mette en route el qu'on reprenne le
chemin que nous avons suivi pour venir ici.
deuxième ange. Dame des cieux, dame des hom-
mes, fontaine de miséricorde, chacun de nous con-
sent à faire votre volonté.
premier ange. C est vrai. Mon doux ami, conti-
nuons notre chant jusqu'à ce qu'il soit fini.
Rondeau.
Et vous vivrez toujours sans mourir, tant le lieu
est délectable. Venez vous-en, etc.
l'empereur. Seigneurs, écoulez : D'où vient ce
chani mélodieux? jamais de ma vie je n'en ouïs de
pareil.
le chevalier. Mon cœur en a ressenti un vif phi-
sir ; mais d'où cela vient-il? Je m'en émerveille fort,
car de mes yeux je ne puis apercevoir qui chante
aussi mélodieusement. A leur chant, il semble qu'ils
soient près de nous.
valentin. Empereur, sache, à n'en pas douter,
que ce chant que tu as ouï de les oreilles, c'esl (ne
t'en émerveille pas) celui de la douce mère du roi
Jésus el de ses anges qui sont venus chercher les
âmes de ces corps, gisant ici, misa mort par loi.
Ils les emportent vers Jésus-Christ, el en les em-
portant, ils leur font fêle, comme lu as ouï.
l'empereur. Comment? ne te tairas lu pas devant
moi au sujet de ton Jésus-Christ? Voici ce q;:e j'or-
donne de loi : ou lu adoreras nos dieux, ou lu mour-
ras par divers tourments, je te promets.
valentin. Je me mets entièrement en Jésus-
Christ, en sorte que lu ne peux me tourmenter, je
dois te l'apprendre ; car quelque peine que tu me
fasses subir, lu ne pourrais surmonter la grande
joie que je ressentirais. Mais, moi aussi, j'ai à te
dire une chose : si lu abandonnais et laissais tes
idoles fausses et vaines, pleines du démon, et si lu
adorais seulement le vrai Dieu, dans l'ennui, dans
la détresse, tu trouverais une joie sans mélange, un
repos durable sans peine, el un règne éternel et
sans fin. Je te dis la vérité.
l'empereur. A les paroles on peut bien voir que
!>'j3
VAL
tu es possédé du démo.i. — Allons, vite, seigneurs '.
vile, dépouillez-le au milieu de celle place. Quand
Usera tout nu, liez-le debout à ce poteau; ei puis
battez-le jusqu'à ce qu'il n'y ail plus sur son corps
ni lâche blanche ni lâche v. rie, majs qu'il soit tout
couvert de sang pour son châtiment.
(Oit met alors la table pour le dîner de rempereur.)
i.e premier sergent. Mon cher seigneur, il sera
fait connu.; vous l'avez dit.
SCENE XXV.
VALENTIN, LE GEÔLIER, SERGENTS, PEUPLE,
LES ÉCOLIERS DE CATON.
un sergent. Allons, maître! il faut ici vous dé-
pouiller en entier.
valentin. Volontiers, seigneurs, sans y manquer.
Suis-je comme vous voulez? que vous en semble?
Ne craignez pas que je m'échappe de vos mains : ce
n'est pas mon intention.
le geôlier. Je veux, sans retard, vous le lier de
la manière que j'ai apprise. Est-il solidement atta-
ché? dites-le-moi.
le deuxième sergent. II sera battu, comme un
fou qu'il est, depuis le bas des reins jusqu'au cou.
En avant! que chacun prenne sa verge, et ne man-
que pas de bien frapper sur ce robuste dos.
le premier sergent. Quand même sa chair serait
entièrement ossifiée, j'en ferai jaillir le sang. Je
veux d'abord le ballre sur ce flanc.
le deuxième sergent. El moi sur celui-ci, telle-
ment qu'il y paraîtra.
le ceôlier. Je serai le troisième qui frapperai
le long du corps.
valentin. Spectateurs, prêtez attention à mes pa-
roles. Ne balancez plus, je vous en prie pour Dieu,
à croire en celui qui me garde, qui voit tout et re-
garde partout, qui créa le monde, et qui par sa
mon nous créa de nouveau, qui daigna naître d'une
vierge et se melire à notre image pour racheter le
genre humain que Satan retenait dans la servilude,
qui eut tant de soin et de souci de nous, bien qu'il
n'en eût pas besoin, que pour nous il inourui sus-
pendu à la croix, et par là nous rendit la vie. Re-
connaissez le donc, reconnaissez le, et délaissez
vos idoles trompeuses qui ne sont pas des dieux,
mais des dénions ; ne les ayez pas pour agréables,
servez seulement le vrai Dieu pour lequel je souffre
ce tourment qui n'en est pas un pour moi : au con-
traire, c'est un bain; car il m'est avis que ceux qui
m'arrangent ainsi me frottent d'un doux parfum
Vous pensez quMs me martyrisent, tandis qu'ils ne
font que nie purifier et qu'ils glorifient mon corps
et mon finie.
le quatrième écolier. Père, bénie soit la femme
qui t'a nourri ! Tu as arraché tout ce peuple à l'en-
fer et lu l'as gagné à Dieu par la vérité de les pa-
roles. *
le cinquième écolier. Père, écoute : ces gens
en foule demandent le baptême, pour effacer leurs
méfaits envers Dieu.
vuentin. Qu'ils soient fermes en cette volonté,
cela suffira à Dieu, jusqu'à ce qu'il se soit passé un
peu de temps; alors on le leur donnera.
le premier sergent. Par Mahomet! monseigneur
saura à l'instant même ces nouvelles-ci.
SCÈNE XXVI.
LE SERGENT, i/EMPEREUR , CUEVAL1ERS.
le premier sergent. Sire, je viens vous «lire que
sept mille personnes ont quille noire loi, converties
par Valentin pendant qu'on le bailait à ce poleau-
ti. tu un mot, tout le peuple croit sincèrement au
Dieu île ce Valentin, je vous l'a->sure.
l'empereur. Va, fais-le amener ici devant moi,
sur l'heure.
DICTIONNAIUE DES MYSTF.UF.S. VAL 994
LE PREMIER SERGENT. Sil'C, Jlahomet IRC SCCOlire !
j'y vais.
SCÈNE XXVII.
LE SERGENT, VALENTIN, LE GEOLIER, SOLDATS,
PEUPLE.
le premier sercent. Holà, seigneurs ! ne frappez
plus, il nous faut mener le condamné à l'empe-
reur.
le deuxième sergent. Nous l'y mènerons arrangé
comme il esi ; seulement déliez-le. Aussi bien, plug
il reste ici, plus il égare de gens.
le geôlier. C'est vrai , de plus il nous fait tort
et nous empêche de faire ailleurs du profit; enfin
lui-même est tout déconfit. Il est délié, allons-nous-
en et emmenons-le. Nous restons trop longtemps
ici.
le premier sergent. Allons.
SCÈNE XXVIII.
LE SERGENT, L'EMPEREUR, VALENTIN, LE
GEÔLIER.
le premier sergent. Mon cher seigneur, voici ce
que vous demandez.
l'empereur. Eh bien! ne t'es-lu point amendé?
Dis-moi la vérilé à cœur ouvert. Au moins, je te vois
tout couvert de sang. Pourquoi ton Dieu n'a-t-il
pas jeté les yeux sur toi? Pourquoi ne l'a-l-il pas
gardé de ce tourment, de cette peine? Je le le dis
(et ce n'est pas en vain), si je vois que lu persistes
à ne pas adorer mes dieux, je ferai mettre ici un
terme à les jours. Oui , je le répèle , je le ferai cou-
per la tète.
valentin. Tes jours sont plus courts que les miens.
Pourquoi me menacer ! Fais ce que lu pourras do
pis.
l'empereur. Par mes dieux! tu mourras sur
l'heure. — Vide-Bourse, sans plus attendre, va-le-
moi mettra à mort là dehors; et si lu vois qu'il
y survienne aucun qui se tienne pour Chrétien, traite-
le de même.
le geôlier. Sire , volontiers, par mon dieu Apol-
lon! il n'en aura pas moins.
SCÈNE XXIX.
VALENTIN, LE GEOLIER, ÉCOLIERS DE CATON.
le geôlier. Allons, maître, allons! puisque vous
êtes entre mes mains, vous ne serez pas longtemps
envie. Passez, vous mourrez bientôt ignominieuse-
ment.
le quatrième écolier. Courage, père! soutenez
vigoureusement ce dernier combat comme un bon
et loyal chevalier ; par la mort que tu souffriras,
lu gagneras une couronne dans la vie éternelle.
le cinquième écolier. Père, loi qui es la cause
et l'auteur que nous sommes Chrétiens et tenons la
même loi que toi, montre-nous ici ta perfection.
Sache-le, c'est notre intention de le suivie ions les
deux comme compagnons et amis, en quelque lieu
que tu ailles.
SCÈNE XXX.
L'EMPEREUR, CHEVALIERS, SERGENTS, DIABLES,
l'empereur. Holà! j'ai avalé un os. Il s'est arrêté
dans ma gorge, ici dans ce cou. Seigneurs, cer-
tainement, j'étrangle el suis un homme mort.
le premier diable. En av.inl, vile ensemble ! Sa-
tan, prenons cet empereur. H a tant fail depuis
longtemps qu'il est à nous de droit. Je me suis lon-
guement en«;.uis de ses gestes, il est bon à livrer à
l'enfer. Débarrassons-nous-en bien vile : emportons-
le hors d'ici.
le deuxième diable. Il ne reviendra pas> hi ccllî
99j
VAL
dictionnaire; des mystères.
YEN
»I96
année ni jamais, tanl ses crimes sont grands; c.
puisque nous l'avons saisi el pris , je l'emporte.
SCÈNE XXXI.
LE FILS DE L'EMPEREUR, CHEVALIERS.
le fils de l'empereur. Seigneurs, je suis plein de
tristesse de la mort honteuse et terrible de mon
père. Eh quoi! il s'est étranglé en mangeant, el
nous sommes tellement aveuglés qu'aucun de nous,
à ce qu'il me semble, ne sait ce qu'est devenu son
corps : c'est bien étonnant.
le chevalier. Que Mahomet veuille en avoir pitié!
car je suis fort ébahi à son sujet. Je crois que nous
sommes les victimes d'un enchantement.
le fils. Laissez, cela ne tient pas à celle cause. Je
ne demeurerai plus ici, j'irai chercher ailleurs une
résidence où je serai plus en sûreté. Pensez à vous
meure lous trois en roule. Allons vile ! accompa-
gnez-moi : je vais au château de Bel-le-Voy.
le deuxième sergent. Allons, sire, sans plus de
paroles, puisque lel esl voire plaisir.
SCÈNE XXXII.
VALENTIN, LE GEÔLIER.
le geôlier. Yalenlin, il faut que je le coupe la
tête sans plus de répit, si lu ne renies entièrement
Ion Dieu pour les nôtres.
valektin. J'aime bien mieux , te dis-je encore,
que lu me coupes le chef sans retard; mais donne-
moi un peu de temps (je ne veux le demander rien
de plus) pour que je puisse recommander mon àmo
à mou Dieu.
le geôlier. Allons? dépèche-loi vile ici, en ce
lieu même.
SCÈNE XXXIII.
DIEU, GABRIEL.
dieu. Allons, Michel, el toi, Gabriel! allez-vous-
en là bas sur la lerre chercher l'àme de mon bon
ami, qu'on veut décoller parce qu'il m'aime. Je
veux qu'elle ail éternellement son séjour dans la
gloire.
garriel. Sire, sans plus nous tenir ici, nous y
allons.
SCÈNE XXXI Y .
VALENTIN, LE GEOLIER, PELPLE.
le geôlier. Maintenant que lu es à genoux, n'es-
père poinl le relever jamais, el je n'attendrai pas
aujourd'hui davantage. Tu as assez prié Ion Dieu,
el tu m'as suffisamment retardé; étends le cou,
baisse la tête, el pleure, si tu veux, ou sois dans la
joie : lu ne me causeras aucune peine. Tiens, sois
chevalier en gaigne : lu as eu de moi le coup sur le
cou. — Mettons maintenant mon épée en lieu sûr.
— Mahomet, hélas! où suis-je? autour de moi je ne
vois que diables hideux, furieux... Ils me saisissent.
Est-ce pour m'emporler dans un lieu de lerrihles
louriuenls?
le deuxième diarle. Nous te donnerons bientôt
pour toujours un hôtel neuf. — Satan, mon compa-
gnon , il n'y a pas à dire, il m'est égal qu'il soit clerc
ou laïque; emportons-le vile, sans délai, avec sou
ir.ailrc.
le premier diable. H fera bon de. les mettre en-
semble ; aussi bien sont-ils d'une même clique. —
Eu avant, achemine-loi sur-le-champ avec moi.
SCÈNE XXXV.
ÉCOLIERS, UN ANGE.
le cinquième écolier. Buzi, à celle heure Dieu
venge le saint homme sous nos yeux. Je suis d'avis,
sans plus rêver ici, que lous deux nous remportions
bien vile, el nous le ferons meure en lerre comme
Chrétien*
le quatrième écolier. Certes, cela me plaît fort.
Allons! peu m'importe qui nous voie, allous-nous-cu
loui droit parce chemin au logis.
le deuxièeme ange. Gabriel , sans larder, potions
aux cieux celle sainie aine, el en la ponant a mu-
sons-nous à chanler ce doux chant: Ordres angéliqaes,
citoyens apostoliques et martyrs, réjouissez-vous! mir
un heureux sort, saint Yalenlin a pris le nom d'âme
de Dieu; clianiez.
Ordines angelici,
Cives aposiolici
El mariires, letlale
Ab islo qui j'elici
Sorte uomen amici.
JJei cepil; cantate.
VENGEANCE DE JERUSALEM(La).-Cq
drame du xvic siècle, imprimé, mais dont
ies exemplaires sont devenus singulièrement
rares, est intitulé :
La vengeance et destruction de Jérusalem, exé-
cutée par Vespasien et son fils Titus.
M. O. Le Roy en a dit dans ses Etudes sur
les Mystères ( Paris, 1837, in-8°, p. 261} : Vous
trouverez, dans celle pièce qui est très-
rare, Pilate vivant encore, et toujours le
môme, toujours dans sa place, et tremblant
toujours qu'on ne la lui ôle. Rien de plus naît
que cette espèce de confession qu'il l'ait à un
île ses amis, et que le sang d'un Dieu, versé
par sa faiblesse, semble lui arracher:
Vous scavez que je refusay
A le juger, el m'exciisay
Tanl que je peu. Mais toutefois
Les Juifs ciioienl à plaine voix
Contre moy , je ne le jugoye
Ennemi de César seroye.
Lors craignant queue lusse oslé
De l'office de prevoslé,
A eux me voulut condescendre,
Et condamnay Jésus à pendre
Entre deux larrons en la croix
Coude la loy , contre les drois
Car je scavoye certainement
Qu'il esluil pur el innocent.
« Effrayant aveu, inspiré par la crainte ;
car il craint surtout qu'on ne revienne sut-
son arrêt et qu'on ne le metle sous les .veux
du nouvel empereur...
0 iraislre maulvais que je fus
De le juger! Las ! que dira
L'Empereur, quand il apprendra
Que j'aurai laid celle injustice?
Bref, il m'oslera mon ollice...
VENGEANCE DE NOTRE-SEIGNEUR-
JESUS-CHR1ST (La).— Ce drame fut joué
àTroyesau xvr siècle, d'après le témoignage
des historiens de celle ville. Duhalie, Cour-
talon, Grosley. (Cf. A de Viriville, Arcfiiv.
hisl., de l'Aube; Paris, 1841, in-8°, p. 329.) —
A Abbeville, dans ce môme temps, on la re-
présentait au cimetière Sailli-Jacques. (Cf.
Registres des comptes de C Hôtel de Ville. —
C.-F. Louandre, Hist. d'Abbcville; 1834, i;i-
8% p. 238.
M. Louis Paris ( Toiles peintes et tapisse-
ries de la ville de Reims; Paris, I8i3, in-4",
2 vol., t, I, Préf., p. lxi), donne un extrait
de Jehan Pussol, chroniqueur du xvt' siècle,
qui témoigne de la représentation à Keiuis,
99"
YEN
NCTIONNAIRE DES MYSTERES.
YEN
998
en l'année 1530, du Mystère de la vengeance.
Le même auteur (Ibid., t. Il , p. 007 )
accuse de négligence et d'inattention les
frères Parlait et"M. O. Le Roy, à propos du
Mystère de la vengeance de Noire-Seigneur.
Ce drame seraill'œuvre de Jean Michel, évè-
que d'Angers, auteur du drame de La Passion;
car les principaux, personnages de ce grand
mystère, réapparaissent dans celui de La
Vengeance, qui, joué à Metz en 1437, ne peut
être attribué au docteur Jean Michel, mort
seulement en li93, et dont le frontispice
dans l'une des meilleures éditions représente
nn évoque. L'analyse que donne M. Louis
Paris occupe 305 pages in-4.°.
La Bibliothèque du théâtre françois, ou-
vrage attribué au duc de La Vallière (Dresde,
17G8, in-8°, 3 vol., t. I, p. 06), donne une
analyse très-succincte de ce mystère.
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre françois (Paris, 15 vol., in-12, 1735,
t. 111, p. 352-355), en ont laissé la notice
suivante :
MYSTÈRE DE LA VENGEANCE (440).
La Vengeance de Notre-Seigncur Jésus-Christ
par personnages bien au long (441). Paris,
Jehan Petit, in-t'ol., gothique sans datte
(442) contenant 176 feuillets, ou 352 pages
à deux colonnes : environ trente mille
vers.
« Cet ouvrage est divisé en quatre jour-
nées, comme celui de la Passion; avec un
prologue à la tète de chacune. Comme la
versification en est fort mauvaise, nous don-
(440) Le mystère de la Vengeance fui représente à
Metz dés l'année 1437 connue nous rapprend Tau-
leur de l'histoire manuscrite de Metz. < Item en la-
dicle année (1437) le 17 jour de septembre, fust laid
le Jeu de la Vengeance Noslre-Seigneur Jesu-Clirist
au propre Parc que la passion avoil été l'aide : et
fust irés-gen liment la cité de Uierusalem, et le port
«le Jalfé, dedans ledit parc; et fui Jehan Mathieu le
Plaidons Vespasien, ci le Curé de S. Victour, qui
avoit esté Dieu de la Passion, l'ut Titus, cl dura en-
viron quatre jours. > Ce passage se trouve écrit à la
main à la tète de l'exemplaire sur lequel nous avons
l'ail cet extrait.
Dans la suite on fil quelques changements à ce
mystère, cl il lin joue de celle sorte à Paris devant
le roi Charles Ylll, avec un prologue qui lui est
adressé.
PROLOGUE.
Pour présenter au plus noble vivant,
Très-Cbrestien bien curé Roy de France,
A esté laicl ce Livre, contenant
Le Mystère comme Dieu priât Vengence
Des Iruislres Juil'z, qui |>ar leur arrogance
tirent mourir le beuoisl Jesu-Clirisl.
Nous prierons Dieu, et la Vierge Marie,
(jmi le Imiii liuy Charles liustiéme de ce nom,
Uu'il au lousiour» joye iuliuie,
El de ses faiclz bonne protection, etc.
(441) La plus ancienne édition de cel ouvrage,
in-fol. gothique, est imprimé à Paris, chez. Anloine
Yérard, le 28 mai 141)1. La note manuscrite nui esl
à la léle de l'édition de Petit, qui nous apprend ceci,
ajoute qu'elle csi préférable à celle de Vérard. Comme
nous ne l'avons poim vue, nous ne pouvons assurer
te l'ail. Depuis l'édition de Petit, Trepperel imprima
ce mystère iu-40 gothique sous le lilrc suivant :
lierons en peu de mots l'extrait de ce mys-
tère, ne nous attachant qu'aux endroits h s
plus singuliers.
PREMIÈRE JOURNÉE.
« Quelque temps après la mort du Fils do
Dieu , les habitants de Jérusalem aperçoi-
vent dans les airs des signes menaçants.
Aunas et Cayphas, ne les envisageant que
comme des phénomènes, productions natu-
relles et de nulle considération, méprisent
ces présages, dont les gens les plus sensés
sont mortellement alarmés. Pilate etsa femme
sont de ce nombre. Ce n'est pas tout (443),
Laucius et Carius, morts depuis quelque
temps, se montrent aux Juifs, et leur appor-
tent des lettres pour leur attester de la vérité
de la résurrection. Les honnêtes gens trem-
blent de frayeur a la lecture de ces lettres.
D'un autre côté, Vespasien attaqué d'une
ati'reuse lèpre, et abandonné des médecins,
n'attend que la mort. Un ange, sous la ligure
d'un pèlerin, vient lui raconter les miracles
de Jésus. Titus, quoique païen aussi bien
que son père, demande au pèlerin si celui
dont il parle n'est pas le Messie et le répa-
rateur de la nature humaine. Sur sa réponse,
Vespasien écrit à Pilate pour le prier de lui
envoyer quelque chose qui ait appartenu à
Jésus. Sur ces entrefaites Pilate apprenant
queMételle, soldat païen, possède la robe
de Noire-Seigneur et la conserve avec une
vénération particulière, feint d'être malade,
et la lui ayant empruntée ne veut plus la
Juirendre, espérant queceprécieux vêtement
le garantira des périls qu'il craint.
< La Vengeance et Destruction de Jérusalem par
personnages, exécutée par Vespasien et son fils Ti-
tus, contenant en soy plusieurs Chronicqucs roni-
maines, tant du règne de Néron Lu pereur, que do
plusieurs autres belles Histoires, à I honneui et à la
louange de N.-S. J.-C. et de la Court de Paradis, el
a eslé imprimé ce présent Livre intitulé de la Yen-
geance, eic, le 17. jour de Juing l'an 1510, par
Jean Trepperel Libraire et Imprimeur, demouanl à
Paris en la rucKeufve Noslre-Dame, à renseigne de
l'Lscu de France. > (Bibliolli. de M. de Sardiere.)
Sa veuve associée avec Denis Jehannot, le réim-
prima ensuite sous un pareil titre, cl de la même
forme, sans date. (Diblioili. de M Barré.)
(44"2j Jean l'élit imprimait vers l'on i478.(Lacaille,
Ilisl. de l'Imprimerie, p. 71.)
Duverdier pp. 899 et 1189 de sa Dibl. franc.,
parle de cette édition, el n'en connaissait point
d'au ires.
(445) De crainte qu'on révoque en doute une par-
lie des laits qui sont dans ce mystère, l'auteur a eu
la précaution d'indiquer à la lin de la quatrième
journée les sources où il les a pris.
De la Passion Jesncrisl.
Icy termine la Vengence,
Comme Josepttus la escript
D« dans les Livres eu substance.
Aiecqucs cela concordance
De Kgésippus, qui grandement
Lncscripl; et semblablemcnl
De I'Vstoire Ecclésiastique,
Ll aussy île la Scolaslique
A esté la sul slanre pruise.
Pour part qui esi ici couiprinse :
Sur tous autres Ue lliéréiiiye,
(jui esl approuvé de l Kghse.
Lu ce ca>, il ne inei.toii ucje.
f.i
39
YEN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
YEN
1,00
'< Cayphas et Annas écrivent à l'empereur clui-ci à Néron. Les Juifs se révoltent contre
Tibère pour se justifier delà mort de Jésus, ce prince, qui envoie Vespasien avec une
et accompagnent leur lettre d'un riche pré- forte armée pour réduire ces rebelles. Vis-
sent. Pilate dépêche de son côté Centurion pasien arrive au port de Jaffet, et cette jour-
et Mételle dans le même dessein (44&). » née finit par quelques escarmouches entre
les troupes romaines et juives. »
SECONDE JOURNÉE.
« Mételle et son compagnon présentent à
l'empereur les lettres de Pilate, dans les-
quelles ce gouverneur lui fait récit de la vie
et des miracles de Jésus. Tibère (44-5), saisi
d'étonnement, convoque le Sénat pour lui
en faire part. Cependant les chevaliers de
Vespasien arrivent en Judée, et s'adressent
à Cayphas qui les renvoie avec menaces.
Pilate, qu'ils vont trouver ensuite, les ins-
truit sur la sainteté de la vie de notre Sau-
veur, mais il ajoute qu'il ne peutcontenterles
désirs de leur maître. Les chevaliers déses-
pérant de pouvoir trouver ce qu'ils cher-
chent, vont au Temple de Jérusalem, où i's
rencontrent Véronne qui, obéissant aux or-
dres de Dieu, leur dit qu'elle possède la
Véronique et qu'elle veut bien les accom-
pagner. Vespasien, guéri par l'attouchement
de celte sainte relique, remercie Jésus et
promet de venger sa mort. Il sort ensuite
pour apprendre sa guérison miraculeuse à
l'empereur. Cette nouvelle irrite ce prince
contre Pilate; il ordonne à des archers d'aller
Je prendre chez lui, et de l'amener à Rome,
où il le fait aussitôt enfermer dans un ca-
chot. Le démon Forgibus vient trouver ce
prisonnier, et lui conseille de se pendre.
Pilate résiste à cette tentation. Sur ces
entrefaites Sabin son valet lui apporte de
l'argent et la robe de Noire-Seigneur, que
Pilate met aussitôt. Par l'effet de cette robe,
Tibère lui fait beaucoup de caresses lors-
qu'il l'en voit revêtu, mais dès qu'il n'est
plus deyant lui il veut le faire mourir. On
soupçonne enfin l'artifice du criminel, et
après l'avoir dépouillé de sa robe, Tibère,
de l'avis du Sénat le condamne à l'exil. Ou
Je conduit à Lyon, où on l'attache aussitôt
au Pilori avec un éctiteau devant, et un
autre derrière : et de là on le ramène dans
la prison de cette ville. Pilate désespérant
de sortir jamais de ce lieu obscur, suit les
conseils du démon Fergaius et se tue d'un
coup de poignard : on jette son corps dans
le Rhône.
« Tibère meurt, Caius lui succède, et par
sa prompte mort laisse l'empire à Claude, et
(444) Chaque journée de ce mystère est précédée
par un discours que t'ait le meneur du jeu, sur ce
que Ton vient de voir, et ce qui va être représenté;
cl est terminée par une autre où il congédie l'as-
semblée, et la prie de revenir le lendemain.
(445) Les auteurs des mystères se sont tous ac-
cordés pour nous représenter Tibère comme un bon
prince, et assez porté en laveur de ta religion chré-
tienne. Il y a toute apparence que la juste sévérité
qui lui lit exiler Pilate en est la seule cause.
(446) « Nota, qu'ilz la lien" icy sur ung long banc,
le ventre dessus; et faull avoir un corps fainl pour
ouvrir. > Pendant qu'on dssèque ici le corps faint
d'Agrippine, la personne qui joue ce rôle, est cachée
derrière le théâtre et parle à Néron et aux bour-
TROIS1ÈME JOURNÉE.
« Néron, importuné des remontrances de
Sénèque, ordonne qu'on lui tranche la tête,
et se résout à faire mourir Agrippine. Lu-
cifer instruit de ses desseins, envoie un dé-
mon qui, sous l'habit d'un médecin, conseille
à ce prince de faire ouvrir le ventre de cette
princesse (446). -Pour accroître encore le
crime de Néron, l'auteur suppose ici qu'A-
grippine perd la vie dans l'opération ; elle
vomit, en expirant, mille injures contre co
filsdénaturé. Les sénateurs, informés de cette
cruauté, conspirent contre l'empereur; qui
cependant t'ait mettre le feu dans Rome, et
écorcher deux sénateurs. Le peuple se sou-
lève, et Néron se tue enfin à la suggestion
des malins esprits qui emportent son âme.
D'un autre côté Vespasien remporte quel-
ques avantages sur les Juifs, et prend Jota-
pate. Joseph, jeté dans une fosse, en est
retiré miraculeusement par un ange que
Dieu envoie exprès pour lui sauver la vie. »
QUATRIÈME JOURNÉE.
« Galba n'est pas plutôt élevé à l'empire,
qu'il se voit disputer cette dignité par deux
compétiteurs Vilelle et Othes. (Vitellius et
Othon). 11 succombe sous les coups du der-
nier, qui devient par là son successeur.
Othes ne conserve pas longtemps sa nouvelle
dignité : poursuivi par Vitelle et ses adhé-
rents, il s'arrache la vie et laisse le Irôue à
Vitelle. Au bout de quelque temps les Ro-
mains, las des débauches de ce dernier empe-
reur, l'assassinent et jettent son corps dans
le Tibre. Les diables emportent son âme en
triomphe aux enfers. Cependant Vespasien
presse les Juifs de plus en plus, et fait ar-
borer trois étendards, l'un blanc, le second
rouge et le dernier noir (447). La résistance
des rebelles l'oblige à donner un assaut gé-
néral. Cayphas et Annas sont faits prison-
niers, et Vespasien, seressouvenantdela pro-
messequ'il a faite au Seigneur, les condamne,
comme auteurs de la révolte, à être pendus
par les pieds. On attache aussi avec eux des
reaux. II faut remarquer qu'on appelle ici tailleur
celui qui l'ait cette opération.
(447) Si l'on en croit les auteurs chrétiens qui ont
parlé du grand Tamerlan, ce prince avait coutume,
lorsqu'il assiégeait quelque ville d'importance, de
faire tendre en premier lien un pavillon blanc, pour
signifier que si les assiégés voulaient se soumettre,
ils éprouveraient les eflels de sa clémence. Si la
ville refusait de se rendre, il faisait poser le lende-
main un pavillon couleur de feu, signal de sa colère :
et enfin lorsque les habitants persévéraient à se dé-
fendre, il leur annonçait par un pavillon noir qu'il
les abandonnait à la fureur de son armée. Noire au-
teur fait imiter ici ce trait de Tamerlan par Vespa-
sien.
1031
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
1002
Shiens, des chats et des singes pour les dé-
vorer. On vient apprendre à Vespasien que
le sénat l'a proclamé empereur. Sur celte
heureuse nouvelle, ce prince charge son fils
Titus du soin de l'armée et de cette guerre,
et" s'en retourne à Rome. Titus exécute les
ordres de son père avec beaucoup d'ardeur,
ce qui jette les rehelles dans une extrême
consternation. Une femme appelée Marie,
pressée par une faim cruelle, met son jeune
enfan'%à la broche comme un cochonde lait. Ce-
pendant les Romains, par un dernier elfort,
entrent dans la ville; on met le feu au tem-
ple, et les vainqueurs exercent mille cruau-
tés, violant les femmes et les filles, en pré-
sence de leurs maris et de leurs mères, qui
sont emmenés en esclavage. »
VIC (Saint). — On lit dans les Recherches
sur les Théâtres de France de De Beau-
champs (Paris, 1735, in-8", 3 vol., t. Ier, p.
251):
« FRÈRE GEOFFROY MUNSTER.
« Saint Vie.
« L'an 1420, le jour de la fête Saint-Privey,
fut fait le jou (jeu) de saint Vie par frère
Geoffroy Munster, qui fi les personnages,
lui fi le curé de saint Vie, xi sols davan-
tage. »
VICTOUK (Saint). — On trouve dans les
Recherches sur les Théâtres de France de De
Beauchamps (Paris, 1135, in-8°, 3 vol., t. 1",
p. 242) la note suivante :
". Saint Vie tour.
« L'an 1425, le premier jour du mois
d'août fut fait le jeu de saint Viclour, et fut
M" DidierGerbin maître des echolles de saint
Vie, saint Victour, et duroit le dit jeu trois
jours et fu fait un chanci. » (Chr. de Metz,
ms.)
VIERGE (Dialogue de la). — M. Edéles-
tand Duméril considère la forme du drame
comme complète dans le Dialogue de la Vierge
de saint Anselme (Cf. S. Anselimi opéra; éd.
de Paris, 1721, p. 488-493; Ed. Duméril.
Origines latines du théâtre moderne, Paris,
1849, in-8°, p. 3). Ce dialogue n'a jamais élé
destiné a la représentation.
VIERGES SAGES ET LES VIERGES
FOLLES (Les). — Ce beau mystère qui
date au moins du xie siècle et qu'on peut
sans exagération faire remonter au x% ainsi
que l'a indiqué Raynouard, est l'un de ceux
dont le manuscrit de Saint-Martial de Limo-
ges, appartenant à la Bibliothèque impé-
riale, n° 1139, nous a conservé des frag-
ments. (Voy. Saint-Martial.)
Raynouard (Choix de poésies originales des
troubadours, t. II, p. 139) l'a publié le pre-
mier. M. Fr. Michel en a donné, pour la so-
ciété des bibliophiles, une édition repro-
duite en Angleterre, par M. Thomas Wright
(Early mysterics, anciens mystères et poèmes
latins; Londres, Nichol , i838, in-8°, de
xxvni-135 pages), et en France, dans le
Théâtre Français du moyen âge (Paris,
1839, gr. in-8°), de MM. Monmerqué et Fr.
Michel.
M. Magnin, dans son cours professé à la
Faculté des Lettres en 1835 (Cf. Journ. gén.
Dictionn. des Mystères.
de rinslr. publig,, 26 juillet 1835, p. 395),
et dans le Journal des Savants, cahier dejan-
vier 1840, a signalé cet office dialogué comme
le plus ancien drame connu jusqu'ici, où ap-
paraisse au milieu du latin expirant l'emploi
d'un idiome moderne. C'est un monument
bilingue et même trilingue, le latin et l'an-
glo-normand y étant associés à la langue ro-
mane. Ce drame a dû être non pas seule-
ment récité mais représenté dans l'église;
ce qu'indique la rubrique prœcipitentur in
infernum...
Ces conclusions, si pleines de sagacité, ont
été universellement adoptées; il n'y a guère
que M. O. Leroy qui s'y soit soustrait pour
rapprocher le mystère des Vierges... de quoi?
— Du bel opéra de la Vestale. (Etudes sur
les mystères; Paris, 1837, in-8°, p. 7.
Nous n'avons qu'une observation à faire :
il nous a semblé que ce que M. Magnin con-
sidère comme un Mystère de l'arrivée de Té-
poux, n'était que le prologue des trois scè-
nes du mystère des Vierges, et ne pouvait
être nullement considéré à pari. — Voyez
Saint-Martial de limoges (Manuscrit de).
PERSONNAGES
UNE VOIX D EN HAUT.
L'ANGE GABRIEL.
LES VIERGES SAGES.
LES VIERGES FOLLES.
LES MARCHANDS.
LE CHRIST, OU L'ÉPOUX.
LES DÉMONS.
PROLOGUE.
UNE VOIX D'EN HALT, L'ANGE GABRIEL, LE»
VIERGES SAGES et LES VIERGES FOLLES.
une voix d'en haut. Voici l'Epoux qui est le
Christ. Veillez, ô vierges. A son approche les hom-
mes se réjouissent et se réjouiront. Car il est venu
ôler leurs liens aux herceaux des nations tombées
par la faute de la première mère sous le joug des
démons. 11 est le second Adam du prophète, par qui
le crime du premier est détruit en nous. 11 a élé mis
en croix pour nous rendre à la céleste patrie et nous
libérer du diable. 11 vient, l'Epoux qui a lavé la
souillure de nos péchés par la mort et souffert le
supplice de la croix.
l'ange Gabriel. Ecoutez , vierges, ce que je vais
vous dire à l'instant, et vous commander : Atten-
dez un époux, Jésus Sauveur a nom : Guères ne
donnait, cet époux que vous attendez.
11 vient sur celle terre pour vos péchés. H naquit
de la Vierge en Bethléem. Au fleuve du Jourdain il
fut lavé et baptisé. Guères ne donnait, cet époux que
vous attendez.
Il fut battu, gabé et là renié, en haut sur la croix
battu, au clou fiché : et sous le monument il reposa.
Guères ne donnait, celui que vous attendez.
Il est ressuscité, l'Ecriture le dit.
Je suis Gabriel, moi placé ici.
Attendez-le ; car, bientôt, il viendra par ici.
Guères ne donnait, cet éuoux que vous attendez.
SCÈNE I".
LES VIERGES SAGES, LES VIERGES FOLLES.
*es vierges folles. O vierges , nous venons à
vous. Nous avons versé l'huile avec peu de soin. O
sœurs, nous vous prions avec ardeur, nous avons
espoir en vous. Indolentes! misérables ! nous avoua
trop dormi !!
Compagnes du même voyage, sœurs de 1 1 même
famille, sans doute le malheur est juste aux misé-
rables, mais il csl en votre pouvoir de nous rendre,
au ci«u
32
1003
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
1004
indolentes! misérables! nous avons trop dormi!,!
Parlagez avec nous la lumière de vos lampes, ayez
pitié de notre inexpérience. Ah ! serons-nous à la
porte ; et vous, au contraire, appelées par l'Epoux
dans la maison.
Indolentes ! misérables ! nous avons trop oormj ! !
les sages. Cessez vos prières, nos sœurs; nous
vous en conjurons; car il ne «ms servira de rien, de
nous prier plus longtemps à ce sujet. Ce que vous
nous demandez, le don de notre huile, vous ne l'ob-
tiendrez point. Allez-en acheter de ces marchands
que vous voyez là-bas.
les folles. Indolentes ! misérables ! nous avons
trop dormi ! !
les sages. Allez donc, allez vite. Priez douce-
ment les marchands. Paresseuses, ils vous donne-
ront de l'huile pour vos lampes.
les folles. Indolentes ! misérables ! nous avons
trop dormi ! !
Hélas ! Hélas! que faisons-nous ici ? ne pouvions-
nous veiller? le désespoir dont nous sommes acca-
blées, c'est notre œuvre à nous-mêmes.
Indolentes! misérables! nous avons trop dormi!!
SCÈNE IL
LES VIERGES FOLLES, LES MARCHANDS.
les folles. Hé ! à nous, marchand. (A pari.) Vite,
qu'il nous donne ce qu'il aura, lui ou son compa-
gnon. (Aux marchands.) Nous venons chercher de
l'huile, en ayant versé par accident. (A part.) Indo-
lentes ! misérables! nous avons trop dormi ! !
les marchands. Dames gentilles, il n'est pas con-
venable que vous soyiez ici ; n'y restez pas plus
longtemps. L'avis que vous cherchez, nous ne pou-
vons vous le donner; cherchez-le de qui peut vous
conseiller.
les folles. Indolentes ! misérables! nous avons
trop dormi ! !
les marchands. Allez arrière à vos sages sœurs,
et priez-les par la gràee de Dieu, de venir à votre
aide pour de l'huile. Dépêchez ■ car, à l'instant,
va venir l'Epoux.
les folles. Indolentes! misérables! nous avons
trop dormi ! !
Hélas! Ilélas ! que sommes-nous là? qu'y a-t-il
que nous cherchions? 11 a été prophétisé et bientôt
nous verrons... Nous n'enlrerons jamais aux noces.
Indolentes! misérables! nous avons trop dormi!!
(A la porte de la maison.) Ecoule, Epoux, nos voix
éplorées. Fais-nous ouvrir l'huis, et de même qu'à
nos compagnes, donne-nous du secours...
(L'Epoux paraît.)
SCÈNE III.
LES VIERGES FOLLES , LE CHRIST, LES DÉMONS
le christ. En vérité je vous le dis : Je ne vous
connais pas. Où sont vos lumières? Ceux qui mar
client, marchent loin à la lumière des cieux.
Allez, misérables! allez, malheureuses ! Four tou-
jours, désormais, vous êtes la proie du mal... En
enfer, à l'instant, qu'elles soient précipitées!..
(Aussitôt les démons s'en emparent et elles sont jetées
en enfer.)
VIERGES SAGES ET LES VIERGES FOL-
LES (Les). — On trouve clans le Cronicum
Sampctrinum (Erfurt, Mencken , t. III , p.
32G), la mention d'un mystère des Vierges,
joué à Elsenach, le 14 avril 1322, devant le
margrave Frederick. La plupart des auteurs
ui se sont occupés du mystère des Vierges
u Manuscrit de Saint-Martial, ont rappelé ce
fait
VIEUX-TESTAMENT (Mystère du). —Il
D'existé plus du Vieux- Testament que di-
3
verses éditions fort rares, qu'ont citées les
frères Parfait. Ce mystère fut joué en 14-58,
à Abbeville, selon M. F.-C. Zonandre. (His-
toire anc. etmod. d 'Abbeville et de son arron-
dissement; Abbeville, 183i,in-8°, p. 236.)
Vers 1540, un bourgeois de Lyon, nommé
Neyron, fit jouer dans sa ville natale le ravs-
• 1ère du Vieil Testament. Le P. Colonia, qui
cite ce fait , donne une sorte d'analyse du
mystère qu'il attribue à Louis Choquet. (Le
R. P. de Colonia , Hist. litt. de la ville de
Lyon; Lvon, 1730, in-4% 2 vol., t. II, p. 429-
433.)
DeBeauchamp (Recherches sur les théâtres
de France; Paris, 1735, in-8°, 3 vol. , t. 1er,
p. 226) l'a mentionné.
La Bibliothèque du Théâtre françois , ou-
vrage attribué au duc de LaVallière (Dresde,
1768, in-8°, 3 vol., t. I", p. 69), et M. Louis
Paris, en ont donné l'analyse d'après la plus
ancienne édition de Paris, par Geoffroy de
Marnef, contenant environ 60,000 vers. (Toi-
les peintes et tapisseries de Reims; Paris, 18i3,
in-4°, 2 vol., t. II, p. 921-1027.)
M. Sainte-Beuve a noté , dans le mystère
du Vieil Testament, quelques rares et cour-
tes réminiscences classiques (Sainte-Beuve,
Tableau hist. et crit. de la Poésie française et
du théâtre français au xvi' siècle; Paris, 1828,
2 vol., t. I", p. 217-224.)
M. 0. Leroy, dans ses' Etudes sur les Mys-
tères; Paris, 1837, in-8°, introd., p. xxm et
xxiv, en a cité diverses scènes, entre autres
celle dans laquelle « deux vieillards » dès le
temps de Jacob, regrettaient déjà le bon
temps , dans ce dialogue d'un naturel par-
fait :
Le bon temps, qu'est-il devenu,
Jelhau ? il n'en est plus nouvelles.
— A cesie heure, il est (îescognu
Le bon temps ! — Qu est il devenu?
Plus n'est comme je l'ai cogna.
Est-il ange, ou s'il a des aeles,
Le bon (emps ! qu'esl-il devenu,
Jelhau ? — 11 n'en est plus nouvelles...
Le même auteur est revenu, dans ses Epo-
ques de l'Histoire de France (Paris, 1843, in-
8°, p. 123), sur « l'excellent dialogue entre
deux vieillards..., lesquels, dès le temps de
Jacob, regrettent déjà Je bon temps qui ne re-
viendra plus. »
Enfin M. 0. Leroy a cité encore la scène
du mystère du Vieil Testament où il est ques-
tion « d'Aman gonflé de sa colère, se parlant
à lui-même, ne voyant plus rien que Mar-
dochée qui ne l'a pas salué, et n'entendant
pas Zarès, sa femme, qui lui dit :
ZARÈS.
Qu'avez-vous ? dictes, je vous prie.
AMAN.
Vers moy tout chascun s'humilie!
zvrÈs.
Vostre cueur est un grand eslrif ?
AMAN.
Un povre malheureux chestif 1
ZARÈS.
Le cueur avez si fort troublé ..
1005
VIE
AMAN.
Ung estrangier, ung avolle !
Z.UiÈS.
El qui esl-il a qui a-i-il meffakt?
AMAN.
Voire qu'on ne scait dont il csl.
ZARES.
Vous estes niallenienl esmu.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES. VIE 1006
très. Plusieurs toiles cachent les établis ou
échafauds aux yeux des spectateurs : l'acteur
qui représente Dieu paraît d'abord seul (450),
et crée le ciel (45i) et les anges (452). Ces
derniers remercient le Seigneur : mais bien-
tôt Lucifer, aidé de quelques auges, conspire
contre son Créateur, qui le précipite aux
enfers avec'ses complices, en prononçant ces
terribles paroles :
AMAN.
Ne dou grant dyable il est venu.
ZARÈS.
Mais qui dictes voslre pensée.
AMAN.
C'est ce paulonnicr Mardocliée
Qui -jamais ne me fist honneur.
Kl il n'y a si grant seigneur
En cour ne me chaperonne
Comme appartient à ma personne.
Les frères Parfait ont donné, dans leur
Histoire du Théâtre français (Paris, 15 vol.
in-12, 1725, t. II, p. 307-351), l'analyse sui-
vante :
MYSTÈRE DU VIEIL TESTAMENT.
Le mystère du Vieil Testament par personna-
ges, joué à Paris, hystorié, et imprimé nou-
vellement audit lieu, auquel sont contenus
les Al y stères cy après déclair ez.
« C'est un petit in-folio gothique, avec des
figures en bois, contenant 336 feuillets, ou
f'72 pages à deux colonnes, de 50 vers cha-
cune ; ce qui peut composer environ soixante
deux mille vers. On lit ces mots à la tin
Cy finist le Vieil Testament parpersonnai-
ges, joué à Paris, et imprimé nouvellement
audit lieu, par Maistre Pierre le Dru, pour
Geoffroy de Mamcf (4-4.8), Libraire Juré de
l'Université de Paris, demourant en la rue
S. Jacques, à l'Enseigne du Pellican (44-9).
I. La création du ciel, de la terre et
des anges.
« La décoration du commencement de ce
mystère est absolument différente des au-
(44S) Geoffroy de Marnef imprimait vers l'an
1498. (lacaille, Hist. Hp. ï Imprimerie, liv. n p. 70.)
(449) Ce mystère fut réimprimé in-4° gothique eu
oeux parties ; en \ oioi le. litre : < S'ensuit le Mystère
du Vie'l Testament par personnages, hyslorié, joiié
à Paris, cl imprimé nouvellement audit lieu, auquel
sont contenus les Mystères comment les Enl'ans
d'Israël parurent d'Egypte, et passèrent la Mer
Rouge, et conquirent la Terre Saincle, avec plu-
sieurs aunes belles Hysloires, comme il est ci-après
déclairé en la Table de ce présent Livre Cy
finist le premier Volume du Viel Tesiament.par per-
sonnages, joiré à Paris, et imprimé audit lieu par la
veuve feu Jehan Trepperel et Jelian Jehannot Li-
braire et Imprimeur, demourant en la rue Neufvft
N. P. à l'Enseigne de l'Escu de France. » (Diblioth.
du Roi.)
Celte première partie contient 114 feuillets.
« S'ensuit le second Volume du Viel Testament
par personnaiges, contenant liuvi llysioires de la
Bible; c'est assavoir, l'IIysloi rè de Job, l'hysloire de
Tobie, l'IIysloire de Daniel, l'IIysloire de Susannc,
l'Histoire de Hester, l'IIysloire de Ociavieu Empereur,
et de la Sibille Tbibunine, et les Prophéties des
DIEU.
Non ascendes, sed descendes.
(Adoncques doivent Iresbucher Lucifer et ses Anges, le
plus soudainement qu'il sera possible : et doit avoir
autant de Diables tous prêts en l'Enfer, lesquels en-
mcnanl grande temveste, et gettenl feu dudit En-
fer.)
« Dieu crée ensuite le jour et la nuit; que
nos anciens représentaient de cette ma-
nière:
(Adoncques se doit montrer un drap peint, c'est assa-
voir la moylié toute blanche, et l'autre noire.)
« Après cela, il forme le soleil, la lune ,
les étoiles, les arbres, les animaux, et le
paradis terrestre.
(Adoncques se doivent monstrer quatre ruisseaux, à
manière de petites Fontaines, lesquelles soient aux
quatre parties de Paradis Terrestre, et chacun jd'/-
ceulx escriplz et ordonnez.)
« Le Seigneur crée enfin Adam, qui, après
avoir regardé de tous côtés avec admiration,
remercie son Créateur, qui , pendant le
sommeil de notre premier père, forme Eve,
d'une de ses côtes, et la lui donne pour
épouse; à peine ces nouveaux époux se
sont-ils promenés quelque temps, que Satan
lente Eve et l'engage à manger du fruit
défendu. Eve en porte à son m«ri.
(Icy prenl Adam la Pomme que Eve lui baille, ei
mort dedens, puis se pvent par la gorge.)
« Ils reconnaissent bientôt leur crime et
vont se cacher. Miséricorde veut parler en
faveur de l'infortuné Adam; mais l)ieu n'é-
coutant que Justice divine, descend sur la
terre, et après lui avoir donné sa malédiction,
douze Sibilles, et plusieurs autres manières, » etc.
Ce mystère fut corrigé ensuite, et imprimé aussi
in-4°. « Le très excellent et saincl Mystère du Viel
Testament par personnages, auquel sont contenus
les llysioires de la Bible, revu et corrigé de nou-
veau, et imprimé avec les ligures pour plus facile
intelligence ù Paris 1542. par Guill. le Bret au
(dos Bruneau. 504. feuillets, » Quelques exemplaires
portent, rue S. Jacques cbez Vivant Caulberot. Peut-
être ces deux imprimeurs étaient associés.
« S'ensuit le second Volume, etc.. . . revu et cor-
rigé oullre la précédente impression imprimée à Paris
nouvellement par Jean Real 15-iâ. » 115 feuillets.
(450) Nota que celuy qui joue le personnage de
Dieu, doibl eslre au commencement tout seul en Pa-
radis, jusqu'à ce qu'il ait créé les Anges.
(loi) Adoncques se doit tirer ung Ciel de couleur
de feu, auquel sera escripl celum empireum.'
(45"2) Adoncques se doivent monslrer tous les Anges,
chascun par ordre, comme dit le texte, et au milieu
d'eulx l'Ange. Lucifer, ayant ung grant Soleil resplen-
dissant darriere lug Adoncques le doivent este-
ver Lucifer et ses Anges par une roue secrètement (aide
dessus un pivot à vis.
1007 VIE DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
il ordonne à Chérubin de chasser Adam et Eve
du paradis terrestre; les herbes sèchent sous
les pas des deux coupables, et les arbres
perdent leur verdure. »
II. D'Adam et d'Eve.
VIE
1008
ver Enoch, et ordonne à Noé de construire
une arche et de s'y retirer avec sa famille.
Noé obéit promptement.
« Adam marie Caïn et Abel avec Calmana
et Delbora leurs sœurs. Le premier, pour
conserver une autorité sur son frère , fait
construire par Enoch, Irard, et ses autres
enfants, une ville à qui il donne le nom de
l'aîné. Adam vient visiter leur nouvelle de-
meure, et leur ordonne d'offrir au Seigneur
la dîme de leurs biens. Abel obéit en sacri-
fiant un bel agneau ; mais Caïn murmure
contre le commandement. A quoi bon ces
sacrifices, ajoute-t-il
Je croy que mon père radoute.
« Enfin, par complaisance pour Adam, il
Hûet le feu à une botte de méchante paille.
CAYN.
Icy ne prens point plaisance
Qu'on me vienne brusler ma paille.
« Comme les holocaustes d'Abel sont fa-
vorablement reçus du Seigneur, Caïn en con-
çoit une si vive jalousie qu'il l'assassine. La
voix du sang d'Abel porte ses plaintes à
Justice divine, et Dieu maudit le meurtrier.
Calmana et la veuve Delbora vont apprendre
ces tristes nouvelles à Adam et à Eve. Cette
dernière meurt, et Adam, se sentant proche
do sa fin, ordonne à Seth d'aller h la porte
du paradis terrestre, lui chercher quelque
soulagement. Le chérubin qui en garde l'en-
trée donne, suivant l'ordre du Seigneur, trois
grains de l'arbre de vie à Seth, en l'avertis-
sant de mettre ces trois grains dans la bou-
che d'Adam, lorsqu'il sera expiré, parce
qu'ils doivent produire l'arbre qui doit un
jour servir à la rédemption des hommes.
Selh exécute ce commandement, et partage
la terre avec son frère Caïn. Lametli, des-
cendant de ce dernier, quoique privé de la
vue, veut aller à la chasse et s'y fait conduire
ar son fils Tubalcaïn : mais se confiant trop
son guide, il blesse mortellement Caïn. »
III. Du déluge.
«Pendant ce temps-là, Cainan, Mathusaël,
et quelques autres descendants de Seth, de-
viennent amoureux des filles sorties du sang
de Caïn; et oubliant la défense de leur pre-
mier père, ils les recherchent en mariage.
MVTHUSAEL.
Les filles (le Cayn sont belles,
El ne demandent autre chose,
Fors que avecques elles on repose
Par desordonnée volupté.
« Dieu , pour punir les hommes de leurs
péchés, se résout à les exterminer par un
déluge d'eaux; il envoie un ange pour enle-
(455) C'est-à-dire le plancher de la salle, ou du
lieu dans lequel sont construits les échafauds.
(454) Ces nudités n'étaient pas effectives.
(455) Pour conserver la vraisemblance, nos an-
ciens faisaient jouer un même rôle par plusieurs ac-
{Icy surmonteront les eaues tout le lieu là oh l'en joue
[453] le Mistere, et y pourra avoir plusieurs hommes
et femmes qui seront semblants d'eulx noyer, et qui
ne parleront pas.)
« Lorsque le déluge cesse, Noé sort de
son arche et offre un sacrifice au Seigneur.
Après quoi il plante la vigne, et exprimant
le jus de deux ou trois grappes, il boit celte
liqueur.
(Icy boit Noé, et puis s'endort tout déeouverl [454])
« Cham se moque de son père, qui maudit
la race de cet ingrat, » etc.
IV. De la tour de Babel.
« Pour éviter un second déluge, Cham con-
seille à ses enfants de bâtir une tour dont
la hauteur puisse les en défendre. Ils choi-
sissent Nembroth pour leur chef, à cause de
sa férocité et de sa taille avantageuse ; Dieu
dissipe leur dessein et les furce d'abandon-
ner cet ouvrage. Ensuite Nynus, fils de Bel-
lus, forme, sans qu'on sache pourquoi, le
bizarre projet de faire adorer l'idole de son
père. Mais ce qui est plus singulier, c'est
que non-seulement Nembroth se soumet à
cet ordre, mais qu'il s'offre même à le faire
exécuter. Nynus, charmé de celte aventure,
lui en confie le soin avec plaisir, et Nem-
broth, pour lui donner des preuves de son
zèle, veut obliger Aram et Abraham à ren-
dre hommage à la nouvelle divinité. Ces
deux frères refusent d'y consentir, et Nem-
broth les jette dans un brasier ardent. Aram
y est consumé, mais Abraham en sort sans
aucun mal ; et, pour se mettre à couvert de
ces violences, il passe en Egypte, où le roi
Pharaon devient amoureux de Sara, qu'il
croit sœur d'Abraham , et l'enlève, mais il
est obligé de la lui rendre. »
(Cy fine la jeune Sarra [455].)
V. D'Abraham et de Melchisédech, et de la
délivrance de Loth.
«En quittant la cour du roi d'Egypte,
Abraham passe dans la Palestine et la par-
tage avec son neveu Loth , qui choisit la
contrée de Sodome. Cordelamor, roi des
Elamites, ravage le pays habité par le der-
nier, et emmène le peuple en captivité.
Abraham vole au secours de son neveu, dé-
fait ce roi victorieux et en rend grâces à
Dieu par un sacrifice qu'il fait offrir par
Melchisédech. Cependant Sara, fâchée de
n'avoir point d'enfants, propose à son mari
de prendre Agar, pour se procurer un héri-
tier. Abraham y consent, et Sara ayant tiré
celte fille à part, lui déclare son intention,
et lui ordonne d'obéir sans répliquer.
leurs, selon les différents âges des personnages
qu'ils introduisaient. Comme dans cet endroit, où la
personne qui venait de paraître se relirait, et Cnsuile
arrivait un autre d'un âge plus avancé.
1009
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
iOîÔ
SA Rit A.
Accomplissez à son désir,
Obtempérez à sa demande.
Se quelque cliose vous commande,
Gardez-vous bien de l'esconduire.
« Agar lui promet une pleine soumission.
lcij prenl Abraham Agar, et la maine en sa chambre.
« Celte fille apercevant qu'elle est en-
ceinte, devient insolente et parle à sa maî-
tresse avec mépris.
AGAR.
Au moins ne suis-je pasbrehaigne,
Comme vous
SAURA..
Un jour vous vous repentirez. . .
AGAR.
Et quesse que vous me ferez,
Je ne vous crains, ne vous double.
« Sara porte ses plaintes à Abraham, qui
ordonne à Agar de se retirer. L'ange du Sei-
gneur console cette dernière, et après lui
avoir commandé de retourner chez son maî-
tre, il parle à Abraham et lui promet la nais-
sance d'un fils. »
VI. De la destruction de Sodome et de
Gomorrhe.
«Le Seigneur, justement irrité des crimes
des habitants de Sodome et de Gomorrhe,
se prépare à en tirer une vengeance écla-
tante.
JUSTICE DIVINE.
C'est ung péché trop diffamable,
Plus infaict que celui du Dyable,
Qui transgressa voslre vouloir.
« Miséricorde veut en vain excuser leur
aveuglement.
DIEU.
Sans tenir plet (456)
Leur péché si fort me desplest,
"Veu qu'il n'y a raison, ne rime,
Qu'ilz descendront tous en abisme.
« Cet arrêt prononcé, le Seigneur ordonne
à un ange de l'exécuter, et de faire retirer
Lolh et sa famille de cette ville criminelle.
Loth remercie l'ange et se met e» devoir de
lui obéir. Cependant des habitants de So-
dome courent après Je messager du ciel et
veulent lui faire quelque violence : Lolh s'y
oppose de tout son pouvoir.
LOTH.
Or je vous diray,.j'ay deux filles,
Autant Vierges que femmes furent ;
Prenez-les. . . .
(450) Plaids.
(457) Ce mystère fut joué à Paris à l'hôtel de
Flandres devant le roi François Ier l'an 1539, et se
trouve imprimé séparément in-8.° gothique, avec le
titre suivant : < Le- sacrifice d'Abraham à huyt per-
sonnages, c'est assavoir Dieu, Miséricorde, Raphaël,
Abraham, Sarra, Isaac, Ismaël et Kliezcr. nouvel-
lement corrigé et augmenté, et joué devant le roy en
l'hôtel de Flandres à Paris l'an mil dxxxix. . . .
On les vend à Paris en la rue Ncufve N. D. à Pen-
« L'ange aveugle ces malheureux , ce qui
donne à Lolh le temps de s'enfuir.; pendant
ce temps-là le feu du ciel tombe sur les deux
villes et les réduit en cendres. »
VIL Le Sacrifice d'Abraham (457).
« Sara, suivant la promesse de l'ange, met
au monde un fils, à qui Abraham donne le
nom d'Isaac.
(lcy fault ung enfanl nouveau-né.)
« Pendant qu'Isaac, devenu grand, va se
réjouir avec Ismaël, son frère, et Eliézer,
jeune garçon qu'Abraham leur a donné
pour camarade, et qu'il joue à la fossette et
a Pique- Romme , le Seigneur ordonne à
Abraham de lui sacrifier ce cher fils. Isaac,
à son retour, est fort étonné lorsque son père
lui commande de le suivre, et lui déclare
ensuite le commandement de Dieu, auquel
il ne peut se dispenser d'obéir. Isaac, quoi-
que entièrement soumis aux ordres du Sei-
gneur, a cependant quelque regret à quitter
la vie; les remontrances de son père le dé-
terminent enfin.
ISAAC.
Mais veuillez-moy les yeux cacher,
Afin que le glaive ne vove :
Quant de moy vendrez approebe-,
Peut-estre que je fouyroye.
ABRlBAM.
Mon amy? si je te lyoye?
Ne seroit-il point dé-hontnste?
ISAAC.
Hélas! c'est ainsi que une beste
Dans le moment qu'Abraham s'apprête à
ôler la vie à son fils, Miséricorde obtient
du Seigneur la révocation de cel arrêt san-
glant. Cependant Isaac et son père, ignorant
les secrets du ciel, se disent un tendre
adieu.
ABRAHAM.
Adieu, mon filz.
ISAAC.
Adieu , mon père,
Bendésuis, de bref je mourray,
Plus ne vois la lumière clere.
ABRAHAM.
Adieu, mon filz.
ISAAC.
Adieu, mon père,
Recommandez-moi à ma mere,
Jamais je ne la reverray.
ABRAHAM.
Adieu, mon filz.
seigne de la Rose Ronge, et sainct Jehan FEvangé-
liste, devant saincte-Geneviefve des Ardents. > (Bi-
bliolh. du collège Mazarin.)
Le privilège accordé par le parlement à Gilles Pa-
quol, libraire, en date du il juin 1559, nous prouve
qne ce mystère fut représenté avant ce temps.
A quelques vers près, qui ont été retouchés,^ et
que l'on retrouve aussi dans l'édition de 1542, c'est
la même chose que le mystère inséré ici dans le
Vieux Testante)!'.
loti
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
{012
isaac. dessein de le vendre la somme de v-mgl de-
Adieu, mon père, niers à des marchands gallatides et, hismaé-
. Rende suis, de bref je mourray. lites, et ceux-ci le revendent ensuite à Puti-
« L'ange arrête le bras d'Abraham, prêt a Pnar-
percer le sein de son fils, et lui apprend
que Dieu est satisfait de son obéissance.
Abraham et Isaac se retirent fort contents,
vont faire part de cette aventure à Sara, qui
en reçoit une joie inexprimable. »
VIII. Le Mariage de Isaac et de Rebecque.
Comme Jacob et Isaii furent nez. Comment
Isaac bailla la bénédiction à Jacob en lieu
d'Esaii.
« Nous ne nous arrêterons pas sur ce mys-
tère, qui, ne contenant que la vie d'Isaac et
la naissance de Jacob etd'Esau, ne présente
rien de singulier que la rencontre que ce
dernier fait à la chasse. Nous venons de voir
ci-dessus, que lorsqu'Adam fut enterré,
Seth lui mit dans la bouche les trois grains
de l'arbre de vie, qu'il a reçus de Chérubin.
Ces trois grains ont germé ', et produit trois
arbres sortant d'un seul tronc; c'est ce
qu'Esau aperçoit ici avec étonnement. »
(Icy voit les Arbres de ta Croix et les Oy&eaux qui
tes adorent, et parlent lesditz troys Arbres d'une
même souche et tige , et portent divers feuillages et
fruiclz.)
IX. De la Servitude de Jacob.
« Jacob craignant la fureur de son frère, son, et avertit le roi de né point'manger de
passe en Mésopotamie et devient amoureux ces mets dangereux. Pharaon fait aussitôt
de Rachel. Laban, son père, la lui promet arrêter son bouteiller et son panetier. Le
en mariage, à la charge de le servir pendant médecin, par son art de « nygromancie, dont
sept années. L'amoureux Jacob accepte celte « il sait un chapitre, » découvre que le pa-
condition, et la remplit fidèlement. Cet heu- netier est seul coupable. Le roi, inquiet des
reux jour arrivé, Laban ordonne à Lia, sa songes qui le tourmentent, fait appeler son
fille aînée, d'aller se coucher au lit destiné
pour l'épouse,* et après avoir averti Zelpha,
sa chambrière, de souffler la chandelle aussi-
tôt que J'acob sera entré dans sa chambre, il
fait servir un magnilique souper et invite
son nouveau gendre à boire. « Allez-vous
(Fin du petit Joseph.)
« L'épouse de Putiphar, devenue amou-
reuse de Joseph, le fait entrer dans sa
chambre.
LA DAME.
Joseph ?
JOSEPH.
Que vous plaist-il, Madame?
LA DAME.
Mon amy, veuillez approcher
De moy, et nous allon coucher
Ensemble, toul secrelemenl?
JOSEPH.
Quesse-cy, Madame, comment?
Le fàicles-vous par l'arcerie,
Ou autrement?
« Joseph la quitte avec indignation, et elle
l'accuse à son mari, qui fait jeter l'innocent
Joseph dans une prison. Sur ces entrefaites,
Cordelamor, roi d'Assyrie, voulant s'emparer
de l'Egypte, envoie des émissaires pour cor-
rompre les domestiques de Pharaon, et
)es engager à empoisonner les viandes que
l'on sert à ce prince. Heureusement pour ce
roi un de ses médecins (458) s'aperçoit du poi-
médecin pour les lui expliquer. Le bouteil-
ler voyant que ce sage ne peut satisfaire le
roi, lui conseille de se faire amener Joseph ;
Pharaon suit cet avis, et prend tant d'amitié
pour le fils de Jacob qu'il lui confie le soin
de son royaume. Le reste de ce mystère ne
reposer avec votre épouse, » dit-il à Jacob contient que la suite des aventures de Jacob
à la fin du repas
JACOB.
Puisque Dieu veult que soit ma femme,
Aussy feray-je, si je puis.
« Mais quel est son étonnement lorsque,
le lendemain malin, il s'aperçoit de la
et de ses enfants en Egypte jusqu'à la mort
de Joseph. «
XL De Pharaon, roi d'Egypte, et de sa
cruauté. De la nativité de Moise.
« Après la mort de Pharaon, .les Egyptiens
choisissent pour leur roi Cordelamor, second
tromperie de son beau-père ; îi court lui en pharaon (459). Ce nouveau monarque igno-
faire de vives plaintes : mais Laban le con- ranl les obligations que son Etat avait à la
sole en lui promettant Rachel au même prix maison de Jacob, persécute ses descendants
qu'il vient d'obtenir son aînée. Jacob y con- avec une dureté incroyable. Moïse craignant
sent, et n'a pas plutôt épousé Rachel qu'il la fureur du roi se retire auprès de Jéthro,
e en Palestine, » etc. s'offrant à garder ses troupeaux. Jéthro ac-
quitte Laban et retourne
X. De Joseph qui exposa les songes , et de sa
vendit ion.
« La jalousie que les enfants de Jacob
conçoivent contre Joseph leur fait former le
(458) Nos anciens confondaient assez souvent les
noms de médecin, de physicien, d'asti ologue, de ma-
gicien, etc.
(459) L'auteur, qui n'a pu s'imaginer qu'un roi
aussi bon et affectionné à la famille de Jacob, que l'a
cepte sa proposition avec plaisir, et Moïse
lui raconte qu'ayant été retiré des eaux, et
élevé*par Thérimit, fille de Pharaon, il a
passé ensuite à la cour du roi d'Ethiopie,
dont il a épousé la fille appelée Tarbis ;
été le premier Pharaon, ait laissé pour successeur
un prince aussi cruel et barbare que celui-ci, a élé
obligé de feindre, sans aucune autorité, que ce der-
nier était un roi étranger, monté sur le trône d'E-
gypte par ses brigues et ses artitices.
1013
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
1914
qu'enfin Aaron et Marie, ses frère et sœur,
l'ont obligé 'à quitter ce pays barbare pour
revenir en Egypte y consoler les Israélites,
et que, dans ce dernier pays, il a eu le mal-
heur de tuer un Egyptien qui maltraitait un
Hébreu; ce qui cause son exil. »
XII. Du buisson ardent. De la mer Rouge, où
passèrent les enfants d'Israël, et de la mort
de Pharaon.
« Moïse ne songeant qu'à garder avec soin
les troupeaux de Jétbro, va vers le mont
Horeb.- Là, un ange du Seigneur, sous la
figure du Fils de Dieu, lui parle derrière un
buisson « qui brûle, et qui est vert, » et lui
ordonne ce qu'il doit •exécuter pour la dé-
livrance des enfants d'Israël. Moïse, rempli
d'admiration, va faire part de cette nouvelle
à Aaron, et ils vont ensemble avertir les
Hébreux de se tenir prêts.
{Icy fault ung désert.)
« Moïse ordonne aux Hébreux de manger
l'agneau pascbal et de le suivre.
{Icy s'aparest l'Escu au Ciel [460].)
« Les Israélites, ayant Moïse à leur tête,
quittent l'Egypte, et suivent le chemin que
l'écu leur montre. Ils passent ainsi la mer
Rouge à pied sec, et jouissent de la satis-
faction d'y voir périr leur persécuteur aVce
son armée. »
XIII. Des dix commandemens\de la Loy baillez
à Moyse. Du Veau d'Or que les Enfans
d'Israël adorèrent. De Choré, Datan, et
Abiron que la terre engloutit. De Balaam
Prophète, et de son Asne qui parla.
« Comme les Hébreux n'ont emporté avec
eux aucuns vivres, Dieu y pourvoit, et leur
envoie une multitude d'oiseaux et de la
manne.
pour les retirer de cette pensée, de leur
composer un veau de l'or qu'ils avaient
amassé avec tant de soins et de peines.
(Icy font [462] le Veau d'Or.)
ROBEN.
Etquesse-cy?
AARON.
Que c'est? Soyez bien tous records
Que c'est le Dieu de voz trésors.
Regardez, c'est ung Dieu nouveau.
JUDA.
El comment, Aaron, c'est ung Veau!
AARON.
Voyez que c'est.
SIMÈON.
Il suffit
Nous en ferons nostre prouffit,
Pour Dieu le voulons recongnoistre.
AARON.
C'est u»g Veau?
JUDA.
Vous ne dittes rien (463).
Ung Veau soit, pour Dieu nous l'aurons.
« Moïse, à son retour, fait punir les cou-
pables. Choré et ses complices ressentent
ensuite à leur malheur la protection du ciel
sur ce saint législateur, qui meurt enfin, et
Josué est élu à sa plaGe. »
XIV. De Sanxon Fortin (464). De Samuel. Du
règne de Saiïl. De Goullias.
« Helcana, et Anne son épouse, vont offrir
Samuel, leur fils, au temple du Seigneur;
le grand prêtre Héli le reçoit et l'élève avec
soin.
Icy fine le petit Samuel , et Hely dort, et le
grant Samuel est couché près de l'autel.
« Samuel vient de la part du Seigneur
dire à Hely que sa maison sera détruite.
L'accomplissement de cette prophétie arrive
bientôt. Samuel succède au grand prêtre, et
« Josué combat contre Amalec, ligué avec pour contenter les désirs du peuple il sacre
Saùl, qu'Israël reconnaît pour son roi. Saûl,
par sa désobéissance, perd bientôt la grâce
{Icy chet la Manne du Ciel, c'est assavoir pain
et blé [461].)
les Ismaélites, et le met en fuite.
{Icy s'en vont hors de l'Eschafaut.)
« Le peuple d'Israël va vers le mont Sinaï :
Moïse monte sur celte montagne, «malgré les
éclairs redoublés qui partent de ce lieu.
{Icy se tourne vers le Peuple, et on gecle du feu.)
JÉTRO.
Et me semble que soit cornu
Et qu'on voit ses cornes reluire?
du Seigneur, qui ordonne au prophète d'al-
ler trouver David, qu'il a élu pour régner
sur les Hébreux. Cependant le malin esprit
tourmente le misérable Saul et le rend fu-
rieux.
SAUL.
Le Dyable me vient pourchasser
Je cuyde qu'il me mangera.
« Pendant que Moïse reçoit de l'ange les « On amène David, qui, par le son de sa
tables du Décalogue, le peuple, impatient harpe, suspend les maux de Saul. Les Phi-
de ne plus le voir, s'adresse à Aaron, et le listins arment contre Israël, et Goliath paraît
force de lui faire un dieu; Aaron, après leur à leur tète. Le généreux David s'offre à Je
avoir remontré inutilement leur devoir et combattre, et, prenant cinq pierres, il mar-
ie crime dont ils vont se souiller, s'avise, cho contre cet énorme géant, et lui en lance
(460) Cet écu tient lieu de la colonne de feu qui
autrefois servit de guide au\ Israélites.
(461) On voit que l'auteur ne s'est pas seulemeut
contenté d'ajouter au texte sacré des traditions in-
certaines el souvent ridicules, mais qu'il a voulu
aussi l'interpréter.
(462) Font, pour fond ; c'est d'Aaron dont il est
question.
(463) Vous ne dites rien qui vaille.
(464) De Samson le fort.
1045
VIE
DICTIONNAIRE
une. Goliath ressent une vive douleur, mais
n'apercevant pas David il ne sait -à qui en
attribuer la cause.
COULLIAS.
Dyable ! quesse qui m'a piqué?
Oncques ne. sentis tel douleur.
« David lui jette une seconde pierre, et
enfin le renverse d'un troisième coup, et lui
coupe la tête. *
(Icy vient David In ieste portant de Goullias.)
XV. De la mort Saiil, et du règne de David.
« Saùl persécute toujours David, mais se
voyant pressé par les Philistins, il demande
pardon à Dieu, et va consulter une devine
sur son sort.
(Icy fait tin las de mynes, et conjuremens... Une ap-
paricion [465] pour Samuel.)
« L'ombre du prophète déclare au" roi
qu'il va perdre la vie. 11 est tué dans le
combat qu'il livre aux Philistins, et Jonathas
est mortellement blessé dans une autre ac-
tion. David se voyant paisible possesseur de
la couronne, ordonne à Joab d'aller faire la
guerre contre les Ammonites, dont il veut
châtier l'insolence. Pendant ce temps-là ,
Bersabée, accompagnée de ses deux demoi-
selles, va à la fontaine pour se baigner : le
roi /aperçoit d'une des fenêtres de son palais,
et en devient éperduement amoureux.
NATHAN.
David
Garde loy bien de le forfaire?
Si tu veuix â nalure complaire,
Dieu à loy se courroucera.
damd, à part.
Doy-je croire Nalhan? Nenny...
Et si fais, très-bien me conseille.
Mais j'ay tant la puce à l'oreille
De ceste femme icy présente,
Qu'il faut que mon esprit conlenle,
Et que je la tienne accolée
Enlre mes bras.
(A Nathan.)
Ne vous en rompez plus la leste.
« Architophel obéissant aux ordres de
David, lui amène Bersabée, qui rejette d'a-
bord les caresses de David. Mais enfin elle y
consent, et le roi la fait conduire dans « son
« secret. »
david, à Bersabée.
Si ayse suis, quant je vous liens,
Qu'il m'est advis, je vous le dis,
Que soye en ung droit Paradis.
« Bersabée se sentant enceinte va trouver
le roi et lui l'ait part de ses inquiétudes. Da-
vid mande Urie, et lui ordonne d'aller se
coucher chez lui. Gomme Urie s'en défend,
le roi le fait souper et tâche de l'enivrer.
Toutes ces précautions ne pouvant lui ser-
vir de rien, il donne une lettre à Urie, qui
porte ainsi son arrêt de mort à Joab. Le pro-
(465) Les apparitions n'élaient autre cbose que les
trappes de nos ibéàlres d'aujourd'hui, et servant aux
DES MYSTERES. VIE 1016
phèle Nathan vient voir David, et lui apprend
les menaces du ciel. David pleure son péché,
et en voit bientôt les tristes effets. Amon,
amoureux de sa sœur Thamar, feint d'être
malade. Thamar le va voir par ordre de son
père, et Amon saisit ce moment pour décou-
vrir sa passion. Sa sœur rejette sa proposition
avec horreur.
AMON.
Jo ver-ray se j'ay la puissance
Plus for'le que vous.
« Il la couche, » et ensuite la chasse bru-
talement.
THAMAR.
Hélas! bêlas! je suis dçstruicte,
Après que ay esté viollée?
Encores s'il m'eust consollée.
« Elle raconte son infortunée Absalon, son
frère utérin, et ce dernier, surprenant Amon,
le poignarde. Un chevalier de la suite de
David vient lui faire, en peu de mots, le ré-
cit de ce qui vient d'arriver
I.E CHEVALIER.
Amon a Thamar viollée,
El puis Absalon l'a occis.
« David bannit Absalon de sa présence.
Ce perfide se révolte contre son père, et perd
la vie dans un combat. David se désespère
lorsqu'il apprend sa mort.
DAVID.
Mon filz Absalon,
Absalon mon filz,
Las! perdu t'a von,
Mon filz Absalon,
Il faut que soyon
En grief deuil confis,
Mon filz Absalon,
Absalon mon filz.
« David remet le jeune Salomon entre les
mains de Nathan, et en même temps il or-
donne à Joab de faire le dénombrement de
son peuple. Joab exécute cet ordre avec
beaucoup de répugnance. Gad, le prophète,
vient de la part de Dieu offrir au roi le
choix des trois fléaux du ciel, la famine, la
guerre et la peste. David se détermine au
dernier , et aussitôt l'ange exterminateur
frappe quatre hébreux qui ne songent qurà
se divertir. Le Seigneur s'apaise enfin. Peu
de temps après, le prophète Nathan vient
apprendre à David que Joab et Abiathar veu-
lent placer Adonias sur le trône.
NATHAN.
Hz crient, en faisant leurs sabas,
Vive le roy Adonyas.
« Le roi commande à Sadoc de sacrer
promptement Salomon. On promène ce
jeune roi sur une mule, au son de la butine.
Joab s'enfuit de frayeur, et Adonias se ré-
fugie à l'autel et obtient sa grâce. David
meurt et laisse sa couronne à Salomon. »
(Fin du petit Salomon.)
mêmes usages; soil pour faire sorlir des acteurs de
dessous le théâtre, soil pour les y faire descendre.
1017 VIE
XVI. Du règne de Salomon. Des Jugemens de
Salomon. De Salomon, et de la Royne de
Saba.
« Thamar et Jézabcl, jeunes femmes de
Jérusalem, se réjouissent par avance du
bonheur dont Je peuple va jouir sous le
nouveau roi, qui paraît ne songer qu'à le
rendre heureux.
JÉZABEL.
Car nous avons ung nouveau Roy clos Juifz,
Saige, counois, en tous les ars inslruys,
Bel, advenant, qui aime lesdéduys;
Parquoy puis dire,
Que les Juifves ont maintenant beau rire.
« Elles vont coucher ensemble, avec leurs
enfants. Cependant Salomon fait massacre.
Adonias exile Abiathar, et ordonne à Bana-
nias d'ôter la vie à Joab. Bananias va avec
ses tyrans ou satellites pour obéir à cet or-
dre, niais trouvant Joab à l'autel il n'ose
l'exécuter, et ce n'est que sur l'ordre réitéré
du roi et l'approbation du prophète Nathan
et du grand prêtre Sadoc qu'il retourne
l'assassiner.
« Salomon demande à Dieu le don de sa-
pience, et en donne aussitôt des preuves
danslejugement qu'il rend aux deux femmes
dont nous venons de parler, dont la der-
nière a étouffé son fils. Trois frères se pré-
sentent ensuite, chacun prétendant que le
testament de leur père le regarde seul. L'aîné
représente à Salomon que son père ne pos-
sédant pour tout bien qu'un seul arbre, lui
en avait laissé le droit et le tort. Le second,
soutient que le testament est entièrement
en sa faveur, puisqu'il lui lègue le vert et le
sec du même arbre; et le troisième prétend
3ue son père lui ayant fait don du dehors et
u dedans, l'arbre doit lui appartenir. Pour
terminer une dispute si épineuse le roi or-
donne qu'on déterre le corps du défunt, et
dit aux contendants que celui qui tirera une
flèche le plus près du cœur gagnera l'héri-
tage. Les deux premiers emploient toute
leur adresse pour atteindre ce but, mais le
troisième refuse d'obéir, et déclare qu'il re-
nonce à un bien qu'il ne peut obtenir que
par une action si inhumaine. A ces mots, où
Salomon reconnaît la voix de la nature, il
adjuge l'héritage à ce dernier comme le mé-
ritant a plus juste titre que les deifx autres.
SALOMON.
Tu es son enfant naturel,
Tu es son filz, le cas est tel,
Et les autres deux sont bastars.
« La reine de Saba entendant parler de la
sagesse de Salomon veut voir un roi si cé-
lèbre, et après avoir écouté un grand nom-
bre de ses sentences elle s'en retourne fort
contente. »
FIN DU PREMIER VOLUME DU VIEIL TESTAMENT.
XVII. L'Histoire de Job.
XVIII. L'Histoire de Thobie.
« Dans le dessein d'exterminer la nation
Juive, Sennachérib, roi d'Assyrie, défend à
(iGG) Emmij, au milieu.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIE
1018
ce peuple d'enterrer ses morts. Gabellus,
fuyant une ordonnance si tyrannique, em-
prunte 500 livres à Tobie, et se retire en
Médie. Des meurtriers entrent chez Tobie
et pillent sa maison. Tobie se sauve de
leur fureur avec sa femme et son jeune fils.
Sennachérib va cependant au temple de ses
dieux, et promet de l^ur sacrifier ses fils.
Ces derniers, à qui on a donné avis de cette
résolution, assassinent ce prince, et se re-
tirent dans « la belle cité d'Arménie. »
Tobie va enterrer les corps de Lubin et de
Sadoc, qui viennent de périr par le fer des
Assyriens. D'un autre côté Raguel console
sa fille Sara.
RAGUEIL.
Comment va, fille?
SARRA.
Tout esplorée.
En moy n'y a ne jeu, ne ris :
Vous sçavez que tous mes marys
Sont mors la première nuitée :
Je ne suis en rien viollée
El si fort je m'en dest onforle,
Que bref, je vouldroie estre morte.
(Icy se siet Thobie sur une pierre, tout nu leste, et
les Arundelles lui crèvent les yeux.)
« Pen lant ce temps-la Sara gronde Del-
bora, sa servante, qui lui paraît un peu trop
coquette
SARRA.
Mais venez ça,
Delbora, quand je vous regarde,
A voslre fait faull prendre garde;
Vous esies nng peu trop dissolue;
L'autre jour emmy (46(î) cesle rue,
Je vous vis faire plusieurs tours, etc.
DELBORA.
Me reprenez-vous ? Quessecy?
Vous estes une vaillante femme!
Parlez de vous, parlez, infâme :
Sans faire lelz charivaris.
Vous avez tue sept maris.
« Sara se met à pleurer, et cependant
l'aveugle Tobie retourne chez lui : « Que
« vous est-il, arrivé, mon père, » lui dit son
jeune fils?
THOBIE.
Ung las d'Arundelles
M'ont fienlé sur le visage.
« Anne gronde son mari, qui ordonne au
petit Tobie d'aller à Ragez, chez Gabellus,
recevoir les cinq cents livres qu'il lui a
prêtées ; l'ange Raphaël s'offre pour conduire
ce jeune homme, lui enseigne les moyens
d'épouser la belle Sara, et le ramène en
bonne santé. »
XIX. Le Livre de Daniel.
XX. L'Histoire de Susanne.
« Nabuchodonosor, inquiet sur les songes
qu'il a eus la nuit précédente, et dont il ne
se souvient plus, envoie chercher ses méde-
cins pour en avoir l'explication. Ne pouvant
lui répondre sur une chose qu'ils ignorent,
le roi .ordonne qu'on les fasse mourir et fait
4019
VIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
appeler Daniel, qui ne demande qu'un jour
pour satisfaire sa curiosité. Pendant ce
temps-là, Susanne, épouse de Joachim, ac-
compagnée de ses deux pucelles, prend
le chemin du bain, en causant avec elles,
et leur donnant d'excellentes instructions.
SUSANNE.
Et pourtant une fille sage,
Se doit montrer doulce et honnesle,
Sans souffrir qu'on la laste ou baise :
Car baiser attrait autre chose.
« Daniel vient trouver le roi, lui raconte
le songe qu'il a eu, et le lui explique. Na-
buchodonosor en est si content qu'il lui
donne toute sa confiance. D'un autre côté,
deux juges Israélites, amoureux de la belle
Susanne, vont chez elle, et en chemin se
font mutuellement confidence de leur pas-
sion. Daniel, cependant, découvre au roi
d'Assyrie l'artifice des prêtres de Bel, qui
lui faisant accroire que ce Dieu mange tou-
tes les viandes qu'on lui présente, les empor-
tent secrètement pour s'en nourrir avec
leurs servantes. Une de ces dernières, par
un à parte, rend compte aux spectateurs de
cette friponnerie.
LA CIIAMBÉK1ÈRE.
Ce qu'on apporte sur l'Autel,
De ce irès-liaull puissant Dieu Bel,
Les Preslres en font bonnes cberes
Avec entre nous Chainbérieres
Nous dévorons l'Oblacion.
« Le roi fait mourir ces prêtres; Daniel
délivre ensuite le pays d'un dragon énorme
que le peuple adore, ce qui oblige Nabu-
chodonosor à consentir que le fidèle pro-
phète soit enfermé dans la fosse aux lions.
Dieu le tire de ce péril, et peu de temps
après Daniel sauve l'innocente épouse de
Joachim, que les deux vieillards, dont
nous avons parlé, étaient prêts à faire pé-
rir, »
XXI. L'Histoire de Judich.
VIE 1020
remettre ses clefs. Mais Béthulie se met en
défense. Le général assyrien enire dans une!
telle fureur contre les habitants de cette
ville, qu'il fait pendre Achior, Mésopotamien,
qui veut parler en leur faveur. Comme cette
exécution se fait auprès de Béthulie même,
deux espionsjuifs sauvent ce misérable, et
le font entrer dans la ville; Holopherne fait
donner l'assaut, et est repoussé.
TURELUTUTU (468).
C'est une rudequoquinaille,
El sont courageux à merveille.
GRANCHE.
Je n'y ay perdu qu'une oreille.
TURELUTUTU.
Et moy un œil, tout simplement.
« Je ne vois qu'un moyen pour réussir,
« dit le maréchal. — Ce serait ajoute-t-il,
« d'arrêter les eaux du fleuve. »
HOLOFERNES.
C'est bien dit
S'il est possible qu'on le fist.
« Ce projet, tout difficile qu'il paraît,
s'exécute pourtant, et les Béthuliens sont
forcés de promettre qu'ils rendront la ville
dans cinq jours. Judith apprend celte nou-
velle, et ordonne qu'on redouble les prières
au Seigneur.
(/cy sera licite d'avoir des en fans qui chanteront
quelque dit pileux, comme domine, non si.cundum
peccata nostra, qui se dit en Karesme, et pareil-
lement avoir certains personnages tout nuds, en
MANIÈRE DE PÉNITENS.)
« Judith, habillée richement, sort de Bé-
thulie, suivie d'Abra, sa chambrière. Les
soldats assyriens l'arrêtent, et la conduisent
à leur général.
(Icy en lieu de pose [469], on pourra chanter en Bé-
thulie quelque dit pileux; ainsi que dessus est die,
en priant Dieu pour Judich et les Pénilens tout
nudz.)
« Holopherne se réjouit avec les chefs de
« On vient, rapporter à Nabuchodonosor son armée de la prise prochaine de Béthulie
ue plusieurs villes de la Judée refusent Jl eur donne un grand repas. On ia.t entrer
Judith et sa suivante, et lorsqu elles sont
assises à la table, Judith demande la per-
que p
d'adorer sa statue.
nabuchodonosor.
Quel outrage !
Oullrageuseincnl oultragcuse
Oullrage main si somptueuse !
Somptueux bras victorieux!
Victorieux Roy glorieux,
Glorieusement triumpliant !
« Il ordonne à Holopherne de marcher avec
son maréchal et le grand maître de l'artille-
rie, et de massacrer tous ceux qui se trou-
veront rebelles à cette ordonnance. Holo-
pherne prend d'assaut le château d'Esdrelon ;
la ville de Mésopotamie (467) lui vient
mission de pouvoir aller et venir où bon lui
semblera. L'amoureux Holopherne lui ac-
corde celte grâce, et cependant, lui et sa
compagnie, boivent h longs traits. A la fin
du repas le général dit à Vagar, son valet de
chambre, de venir le déshabiller, et ensuite
de lui envoyer Judith, avec qui il veut pas-
serla nuit. Vagar, en déshabillant son maître,
le félicite sur sa bonne fortune.
VAGAR.
Ung beau petit Ilolofernès
Ferez ceste nuyl?
(467) On emploie ici le nom d'une province, pour (469) Ces poses ou interruptions de spectacle,
" "î bê- étaient autrefois employées pour les marches ou dif-
\*\J I I V/II GlIIJMWIt IVI 1C 1IUI1I II UIIU piUïlIICt;,
celui d'une ville. Nous avons vu une semblable
ceiui (i une viuu. nous avons vu une semmaoïe ne- étaient autrefois employées pour les inarcnes ou uu-
tise de l'auteur du mystère de Thobie , ci-dessus, férenlsjeux de théâtre des acteurs, qui pendant ce
mystère 18, qui fait retirer les fils de Sennaebérib temps-là cessaient de parler. On suppléait ordinai-
dans la ville d'Arménie. renient à ceci par des concerts d'orgues , ou d'au-
i WiSM T nwllll 11 I II t't lir'Hkj-lu* CAnl licko cr\l/l..lc nt> !«,-.,. InolnunlÀnlfi. /mi , . i . . . I . . i t , . I'i \ î c ïvlr .l»w i li-ml*.
(468) Turelulutu et Grandie sont des soldats as-
syriens.
1res instruments; ou quelquefois par des chants ,
comme on le voit ici.
1021
YIE
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
VIO
1022
HOLOFERNÈS
Point n'en double.
Comme sucre fault avaller
Ta poison!
« Judith entre/ dans la chambre d'HoIo-
pherne, et Vagar s'étant retiré elle coupe la
tête du général des Assyriens, et appelant
Abra, lui ordonne de la suivre.
JUDICH.
Dors-tu?
ABRA.
Nenny, mais je sommeille.
« Elles s'en retournent à Béthulie, et cau-
sentune joie inexprimable à ses habitants.
De l'autre côté, les Assyriens s'apercevant
de la mort de leur chef, disent beaucoup
d'injures aux Béthuliens, et prennent hon-
teusement la fuite. »
XXII. L'Histoire de Hester.
« Pendant que Vasthi est à table avec les
dames de sa suite, Assuaire régale les sei-
gneurs de sa cour.
ASSUAIRE.
Je suis eu plaisir fort esmeu.
BARATHA (470).
Assuaire à ung petit beu :
Bien voy, ineâluit vino.
« Pour rendre la fête plus complète, ie
roi ordonne qu'on fasse venir la reine et les
dames de sa compagnie. Vasthi refuse d'o-
béir, ce qui cause tant de chagrin a Assuaire
que, de l'avis des seigneurs qui sont à sa
table, il la répudie et épouse Hester : il
prend ensuite Mardochée pour son portier,
et choisit Aman pour premier ministre.
assuaire, à Aman.
Nous voulons aller le premier,
Mais nous voulons, parfais exprès,
Que soyez le second après.
Et gardez que n'y faillez înye.
AMAN.
Cher Sire, je vous remercye.
« Mardochée, exerçant son emploi à la
porte du palais d'Assuaire, entend Tharès et
Bagathan qui méditent d'étrangler le roi
pour venger l'affront qu'il vient défaire à
Vasthi. Il court en averf'r Esther, qui Je
fait aussitôt savoir à son mari. Le roi or-
donne à Aman de lui faire justice de ces
deux criminels. Aman les interroge, et en-
suite commande au bourreau de les pendre.
Micet, valet de l'exécuteur, le prie assez
plaisamment de lui permettre d'en expédier
un. Gournay (c'est le nom du bourreau) le
refuse; Micet se plaint à Aman qui, par
compassion pour lui, lui permet d'enlever
les corps, et ordonne à Gournay de l'aider.
Peu de temps après le roi se ressouvenant
des obligations qu'il a à Mardochée , le fait
monter sur un beau cheval, et oblige Aman
à le conduire ainsi par toute la ville.
AMAN.
Faulce fortune forcennée
(470) Domestique du roi.
« Assuaire apprenant ensuite la conspira-
tion de ce ministre contre les Juifs ordonne
au bourreau de le pendre; Gournay exécute
cet ordre, et Micet, son valet, prend, à
l'insu de son maître, les habits du mal-
heureux Aman, et les va vendre à la frip-
perie. »
XXIII. De Octovien, et des Sibilles.
« On vient de raconter à l'empereur Oc-
tavien (471) les prodiges qui ont paru à la
mort de Jules César. Il mande aussitôt la
sibylle Tiburte pour les lui expliquer.
Arrive aussi un peintre, qui offre de faire la
statue de l'empereur. Avant que de lui ré-
pondre, ce prince demande à la sibylle s'il y
a dans l'univers quelqu'un plus puissant
que lui, et s'il peut se faire adorer, comme
tout son empire le demande avec instance.
La sibylle, pour le tirer de cette erreur, lui
fait voir la sainte Vierge tenant l'enfant Jé-
sus entre ses bras. L'empereur l'adore, et
renonce pour jamais à satisfaire le désir des
Romains. Enfin paraissent les douze sibyl-
les, qui chacune à leur tour viennent pro-
phétiser la venue du Messie. »
VIGILES DES MORTS. — xv< siècle. —
Duverdier ( Bibliothèque françoise, p. 827 )
donne la note suivante : « Les Vigiles du
morts par personnages
A savoir :
CREATOR OMNIUM;
VIR FORTISSIMUS;
HOMO NATUS DE MULIEREJ
PAUCITAS D1ERUM
Imprimées à Paris, in-16, par Jean Janot.
Sans date. — « Je m'esbay, ajoute cet auteur,
comme il nomme les personnages en latin,
vu qu'il les fait parler en françois, mais
possible etoit-ce trouvé beau de ce
temps-là. »
Les frères Parfait déclarent ne connaître
aucun exemplaire de celte édition. ( Hist.
du théâtre fr.; Paris 15 vol. in-12, 1745,
t. III, p. 85. ) — Voy. Molinet ( Jean).
VIGNE ( André ou Adrien de la ). —
La vie de saint Martin par personnaiges, que
contient le manuscrit de la Bibliothèque im-
périale (fonds La Vallière, 51) est précédé
d'un procès-verbal de la représentation du
drame, en 1496, à Seurre, ville de Bourgo-
gne, qui a bien perdu de son importance,
en tète duquel on trouve que, le 9 mai,
maistre André ou Adrien de la Vigne, natif
de la Rochelle, commença de faire copier
sous sesyeux dansla cure delà ville, la pièce
dont il est l'auteur de façon à ce qu'on pût
procéder à la réprésentation. M. 0. Leroy
a observé que l'auteur de l'article de la
Vigne, Biographie universelle, n'a eu con-
naissance ni du manuscrit de Saint-Martin,
ni de deux farces dont de la Vigne est éga-
lement auteur. — Nous allons apprendre
(471) L'empereur Auguste.
i02S
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1024
par de La Vigne lui-même, qu'il élait de VOIA1GE DE EMAUX ( Le). — Un mys-
La Rochelle. Connu jusqu'aujourd'hui par 1ère de V Apparition fut joué à Béthune, en
quelques poésies légères et par son Journal 15i9, le jour de la Fête-Dieu, sous le titre
de Naples, qu'il entreprit a la demande de de « Voiaige de Emaux. » ( Cf. Lafons-
Charles VIII, A. de La Vigne mourut en Mélicoq, Annales archéologiques , t. VIII,
1527. » ( O. Leroy, Etudes sur les mystères ; p. 270. )
Paris, 1837, in-8°, p. 285. ) — Ses biogra- VOYAGEURS (Office des). — Du Cange
phes ont jusqu'ici ignoré aussi qu'il fût né à ( t. V, p. 201, col. 1) a publié un office
La Rochelle. des voyageurs, dans un Ordinaire de Rouen,
VINCEM (Saint). — L'abbé de Larue, que conserve aujourd'hui la bibliothèque
dans ses Essais historiques sur les bardes, de celle ville, n° 4829, Y. M. Edelestand
les jongleurs et les trouvères normands et
anglo-normands (Caen, Mancel, 183^, in-8°,
3 vol., t. Ier, p. 165), fait mention d'un Mi-
racle de saint Vincent qui fut joué à Caen5
en U22.
VISITE DES PASTEURS. — M. Philibert
Duméril, dans ses Origines latines du théâtre
(Paris, 18W,in-8° p. 117), voudrait lire Of-
fice de V Etranger (peregrini).
VYE MERÔN (La). — « A Péronne, on
représentait au commencement du xvr siè-
cle, le Mislère de la vye méron, le Mistère et
Leduc, dans ses Noëls bressans (p.1, noie), a passion du bancquel. » ( Cf. De Lafons-Mé-
signalé une Visite des pasteurs ( 4-72). licoq, dans les Mélanges historiques, publiés
VITAL ( Cérémonie de saint. ) — Voy. par M. Champollion-Figeac, t. IV, p. 329,
Procession noire d'Evreux (La). noie 3. )
Y
YSAUDE. — « L'ystoire d'Ysaude for-
geant les doux Dieu fut représentée par per-
sonnaiges, en 15V6, à Béthune. (Cf. de La-
(472) M. Clément a publié les fragments d'un
Office des Pasteurs dans les Annales archéologiques,
l. VII, VIII cl IX; VOrdinaire tus. de la bibliothèque
de Rouen (probablement) d'où il les lire , dale du
x?ii« siècle. Cetle même bibliothèque, ms. n° 48, Y,
du xiv siècle, et n° 50, Y, du w siècle, offre deux
autres types du même office. On en trouve des traces
dans le Diurnale Andegavense (Paris, 1754, p. 1GG)
fons-Mélicoq , dans les Mélanges histori-
ques publiés par M. Champollion-Figeac,
t. IV, p. 331. )
et dans le Diurnale secund. consuelud. Roman, curiœ,
fol. 157, verso. Le Cliesler Yhitsun plays, le Toivne-
ley mysleries, el le Ludus Coventriœ offrent chacun
un exemple d'un mystère des pasteurs. En Espagne,
on a de Juan de la Encina une Egloga... entre cualrs
pastores; Gil Yicenle avait écrit un auto pastoris del
JSacimicnlo.
NOTICE
PAR ORDRE ALPHARETIQUE
SUR
LE THEATRE LIRRE
DEPUIS LES PREMIERS SIÈCLES DE L'ÈRE CHRÉTIENNE JUSQU'AU XVIIe SIÈCLE.
POLEMIQUE DES DERNIERS SIECLES,
POUR ET CONTRE LE THEATRE.
Outre les querelles sur les origines du de pamphlets oubliés aujourd'hui, mais qui
théâtre, et sur les rapports de l'Eglise avec néanmoins méritent d'être replacés sous
lui, il en est d'autres qui n'ont pas moins les yeux des hommes studieux , comme
profondément remué les esprits. La plus bases de toute histoire du théâtre en
importante est celle qui , à partir surtout France
du xvie siècle, donna lieu à une multitude Le théâtre, condamné par les conciles et
025
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1026
)ar les Pères, s'était imposé, sans se dé-
fendre; cène fut guère qu'à partir du xvie
iiècle, nous l'avons remarqué déjà, qu'il
mtreprit de se justifier, et il semble que ce
ut la licence des idées de la Renaissance
it de la Réformation qui lui donna l'audace
l'aborder cette tâche difficile.
Il eut ses apologistes, ses adversaires, et
:n même temps un parti de médiistes ou
ransactionnaires put se former et se sou-
enir au travers des passions surexcitées
>our et contre le théâtre.
L'esquisse de ces violents débats, bien
lu'ils soient ultérieurs à l'ensemble des
nonumenls publiés dans ce Dictionnaire,
it bien que nous n'ayons l'intention de
ious y arrêter que depuis la Réformalion
usqu'à la Révolution, nous a semblé néan-
noins indispensable ici, en cela que cette
lispute, touchant au fond même du théâtre,
iclaire la conduite de l'Eglise vis-à-vis de
ni , justifie la réprobation dont elle n'a
:essé de l'accabler; en second lieu, l'ex-
>osé des témoignages pour et contre le
béâtre que nous avons empruntés à Dés-
irez de Roissy , montrant toute la société
eligieuse aux prises avec ceux qu'elle qua-
itie de sceptiques, d'athées ou d'abusés, au
noment du triomphe du théâtre libre, ap-
)artenait en propre à la notice sur les nio-
mments de ce théâtre , en même temps
ju'il continuait presque jusqu'à nos jours
histoire des rapports de l'Eglise avec le
héâtre de notre premier Avant- Propos.
Les esprits reljgieux, les philosophes, les
uristes, les auteurs dramatiques, les poètes,
outes les diversités du monde littéraire se
leurtent confusément dans ces singuliers
lébats>
Les apologistes font appel à la religion
jui s'est servie, durant tout le moyen âge,
les représentations théâtrales pour exposer
»es vérités. La philosophie enseigne qu'on
ie doit point exclure de plaisirs , dans une
fie si rapide. Quant aux mœurs, les simples
îe risquent rien, les sages gagnent, et les
bus n'ont rien à perdre. D'ailleurs le
béâtre n'est-il pas l'école des mœurs? Sans
loute à lui seul, il n'a pas Ja prétention de
es réformer, mais il joint ses efforts à peux
le la religion et des gouvernements. 11 faut
listinguer avec soin la comédie nouvelle
le l'ancienne : celle de Molière, par exem-
)le, n'est-elle pas parfaitement propre à
mseigner !a vertu; et si l'on objecte enfin,
;ur cette question des mœurs, les désordres
le la vie des personnes de théâtre , le
héâtre lui-même n'en saurait être accusé
ju'à tort , parce que la vie dépravée des
icteurs est un accident indépendant de leur
irofession et sans doute passager. 11 faut
lire même qu'il serait loisible à la société
l'y porter les remèdes , si les lois obli-
geaient aux représentations de la comédie
outes les personnes des deux sexes, durant
a jeunesse (473). La cause des progrès de
(473) Celle étrange idée est île Rabelleau.
(414) Le mot est de Dorai.
l'esprit n'est pas moins intéressée que celle
des mœurs au maintien et au triomphe du
théâtre. Son éclat est la preuve de la gran-
deur de la civilisation. C'est là enfin que les
masses populaires pourront seulement ap-
prendre l'art dépenser, d'écrire et d'agir;
le théâtre est ainsi, chez toutes les nations,
une sorte de sauvegarde pour la langue
nationale. Aussi , chaire populaire du
dogme , gymnase de philosophie, école de
morale, appui du progrès, le théâtre n'a
d'ennemis qu'une frivole minorité , et
s'avance gardé par les gros bataillons (474).
Tels sont les principaux arguments des
défenseurs du théâtre, au nombre desquels
sont Hédelin d'Aubignac, Scudéri, Samuel
Chapuzeau, le P. Calfaro qui désavoua,
Royer, de Sautour, François Gacon, Fagan;
les Encyclopédistes, de Campigneules, Do-
rât, l'abbé Gros de Resplas, l'abbé Talbert,
Nougaret et Rabelleau, pour n'en citer qu'un
petit nombre.
Durant les trois siècles au milieu desquels
nous sommes transportés, les critiques du
théâtre sont infiniment plus nombreux que
les apologistes : la gloire est de leur côté;
ils ont le mérite de la science et celui du
bien dire.
Le moyen âge tout entier est condamné
par eux ; les scènes légendaires qu'il a
mises en actions, et qui ont trait aux mys-
tères et aux dogmes, n'auraient pas dû être
employées à des représentations théâtra-
les. Dans les vieux mystères, comme dans
les pièces modernes qui attirent la foule
frémissante, les passions humaines sont éga-
lement soulevées ; il en résulte, en morale,
des dérèglements perturbateurs que con-
damne la loi chrétienne, que les conciles
ont anathématisés et que les Pères ont cin-
glés du fouet vengeur de leur puissante pa-
role. La Genèse a dit : Sub te eril appetitus,
« sous toi Je désir ! » et le désir règne au théâ-
tre. La vertu y est constamment offensée,
le désordre y est canonisé (475). L'âme hu-
maine ne sort pas du spectacle sans blessu-
res; le théâtre ne convertit pas, il pervertit;
il est un obstacle à toutes les vertus, et une
entrée à tous les vices. L'oisiveté, le luxe ,
des désirs impossibles à satisfaire s'empa-
rent de l'homme, Je maîtrisent, l'entraînent,
il va jusqu'au crime : duel, vol, assassinat
ou homicide. C'est dans les salles de comé-
die que se réunit tout ce qu'il y a de plus
vain, de plus frivole dans les deux sexes.
Qu'attendre d'une pareille assemblée ? Les
comédiens qui vont paraître devant elle
sont avec justice notés d'infamie par les lois
et les mœurs. Les œuvres théâtrales aux-
quelles se prête leur art perfide se vantent
faussement de propager la vérité et la mo-
rale, car quel progrès a fait la morale de-
puis la multiplication des théâtres? Les
hommes sont-ils devenus plus appliqués à
leurs devoirs ? leslemmesse respectent-elles
davantage? les enfants sont-ils plus sou-
(475) Forte expression échappée à la fougue de
l'espagnol Dom Ramira.
1027
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1028
mis? l'union dans les familles est-elle plus
grande? la patrie est-elle mieux défendue?
et qui voudrait avoir pour filles ou pour
femmes les héroïnes de théâtre? Enfin, si la
comédie a pour elle les préjugés du monde
suet, le P. Souciet de l'ordre de Jésus, le
prince de Conli , Jean de Longuy , de La
Roque, Simonet, Gachet, Jean La Placelte,
le poëte Arcère , le savant espagnol Don
Ramira , François- Daniel Concina, Zuc-
poli, c'est que ce monde n'est pas, dans les chino Stephani, l'abbé Clément, Trebuchet,
sociétés, celui qui donne le plus d'exemple le P. Joseph-Romain Joly, l'abbé Secousse,
de la pureté dans les mœurs. Aussi, com-
bien sont funestes les habitudes du théâtre
parmi les hommes 1 La grossièreté des vieux
siècles qu'on en efface, n'en augmente que
le péril. Toutes choses s'y jugent par les
sens, on s'y ennuie de tout ce qui est sé-
rieux, cet ennui devient insupportable; on
cherche un remède dans les dissipations
les frères Parfait, le professeur Garnier,
Desprez de Boissy , Gresset, Boileau, Ra-
cine, le P. dominicain Richard , Fléchier,
et Fénelon, théologiens , philosophes, mo-
ralistes, hommes d'Etat, historiens, poètes
ou artistes, tous renient également le théâ-
tre.
Les protestants s'associent à cette doc-
brutales ; en sorte qu'en même temps que triue ; c'est pour eux une occasion de dia-
le moral s'affaiblit, le physique se dégrade, tribes contre la complaisance prétendue de
et la jeunesse décrépit , qui fréquente les l'Eglise romaine. Bodin, demande sa sup-
Ihéâlres. Ce monde, vieilli avant l'heure, pression; André Rivet, Louis Fabrice, Sa-
dans ses aspirations malsaines , n'a plus inuel Werenfels, Philippe Vincent, Jean-
d'idée que celle d'une indépendance ruons- Gérard Voss, en Allemagne; Charles Po-
trueuse, et il met sans cesse en péril le gou- wey , Jérémie Collier, répètent contre lui
vernement des sociétés , parce qu'il n'a
qu'une maturité illusoire, et qu'une trom-
peuse précocité. Contre tous ses intérêts, le
pouvoir civil peut tolérer le théâtre, mais
la tolérance ne rend pas licite la chose tolé-
rée, la coutume ne prévaut pas contre la
raison de tous les siècles et contre la tra-
dition des sages dans les sociétés chrétien-
nes, et même dans l'antiquité : aussi, de
droit et dans le for intérieur, le théâtre est-il
condamné ; et comme dernière conséquence,
toute transaction avec le mal étant illogi-
que et impossible, nulle réforme n'étant
possible dans la comédie, il est bon et ur-
gent de fermer les spectacles, et de mettre
à néant le théâtre.
Les catholiques ne varient pas sur ces
conclusions depuis le xvr siècle ; Chesnot,
François Estienne, le moine sicilien Frau-
cisco-Maria, Ottonelli, Nicole, Voisin, Bour-
delot, Nicolas Harres, le P. de La Grange;
les savants Fromageau, Durieux, Blanger,
Lhuillier, de La Coste, Bonnet, docteurs en
Sorbonne; de Levai, le P. Lebrun de l'Ora-
toire, Jean Gerbois, le P. Caffaro, dans son
es arguments des catholiques.
C'est entre les apologistes et les critiques,
que les médiistes ou transactionnaires es-
saient de poser leur scepticisme éclecti-
que. Les uns désirent un théâtre chrétien
destiné à êlre une récréation des exercices
de piété, une distraction du travail. C'est
le système de Juillard^du Jarry. Les au-
tres voudraient un théâtre sans passions;
ainsi, Pierre deVilliers, de l'ordre de Cluny.
Le P. Porée, auteur d'un grand nombre de
tragédies latines, est d'avis que, par sa na-
ture, le théâtre pourrait êlre une école de
mœurs, et que s'il ne l'est point, c'est par
la faute des hommes. Il devrait y avoir des
spectacles dignes du citoyen, de l'honnête
homme et du chrétien. Mais quelque cor-
rompu que soit le théâtre, encore faut-il le
supporter par considération pour la tran-
quillité publique, et à cause de la dureté
ie cœur des hommes. Le Franc répète le
P. Porée. J.-J. Rousseau, Grosley, l'abbé de
Saint-Pierre, Aluratori , Maffei (Scipion),
Darnaud , Saint-Evremond , Louis Ricco-
boni souhaitent une réforme dans les spec-
désaveu; l'évêque Guy-de-Sève de Roche- tacles, qu'ils considèrent comme indispen-
chouart, Bordelon ; les comédiens italiens sables à la correction des mœurs, à la con-
Andreino-Lelio, Barbieri , et Bdtrame-Cec- servation des belles-lettres , et à l'amuse-
chino; le P. Soanen , Bourdaioue et Bos- ment du peuple.
ECRITS
RELATIFS A LA POLÉMIQUE MODERNE
POUR ET CONTRE LE THEATRE.
NOTICE PRELIMINAIRE.
Dans les premiers siècles de notre mo- point alors d'autres divertissements publics
narchie, nos rois, occupés à conserver ou à que ces fêtes que des auteurs ont appelées
étendre leurs conquêtes, négligèrent long- des fêtes nationales, parce qu'elles étaient
temps les jeux et les plaisirs. 11 n'y avait données à l'occasion d'événements intéres-
4029
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1050
sauts, et qu'on y invitait majores, c'est-à-
dire les grands de la nation. Telles étaient
celles qui avaient lieu lorsque nos premiers
rois tenaient leurs cours plénières, où, rela-
tivement à la forme primitive de noire
gouvernement, les prélats étaient obligés
d'assister.
Ces fêtes n'avaient rien de ce goût de
galanterie que l'esprit de l'ancienne cheva-
lerie introduisit, ni de celui qu'on a connu
dans les siècles suivants : mais elles avaient
un ton de grandeur et de majesté. Elles
s'ouvraient ordinairement par une messe
solennelle qui était suivie d'un repas
splendide. Les évoques et les ducs avaient
j'honneur d'être à la table du roi, et il y
avait des tables pour les abbés, les comtes
et les autres seigneurs. On faisait des dis-
tributions d'argent au peuple. Les amuse-
ments de l'après-dîner étaient la pêche, la
chasse, le jeu et le spectacle d'animaux,
comme d'ours, de chiens, de singes qu'on
avait habitués à différents exercices.
On vit ensuite paraître successivement
les poètes provençaux, mimes, histrions ou
farceurs, les troubadours, jongleurs ou mé-
neslriers, etc. Les jeux de ces mimes con-
sistaient en récils bouffons et en gesticula-
tions. Ceux qui faisaient des tours d'adresse
et de force avec des épées ou bâtons, furent
appelés balatorcs et en français bateleurs.
Ils allaient de ville en ville; et lorsque dans
leurs routes ils avaient à payer des péages,
ils étaient autorisés par les ordonnances à
satisfaire le péagcr par leurs jeux ou par les
tours de leurs singes; ce qui a donné lieu à
ce proverbe populaire : payer en monnaie de
singe ou en gambades.
Il y a dans les Capitulaires des rois de
Fiance une ordonnance de Charlemagne de
l'an 789, qui comprend parmi les personnes
notées d'infamie tous ces farceurs et his-
trions : Omnes infamiœ maculis aspersi, id est
histriones, ut viles personœ non habeant po-
testalem accusandi (V7G). On voit dans ces
mêmes Capitulaires, (pie les gens vertueux
évitaient de voir et d'entendre ces farceurs,
bateleurs, etc. La défense en était expressé-
ment faite aux ecclésiastiques, et on leur
faisait un devoir d'en détourner par* leur
exemple et par leurs conseils les fidèles (V77).
Il y a des écrivains .qui ont donné comme
des images des anciennes fêtes nationales,
les tournois et les carrousels, dont on sait
quel était l'appareil. Ils passèrent de mode
après celui où le roi Henri II fut blessé à
mort en 1559. Un envoyé du Grand Seigneur
sous Charles YU disait très-sensément de
ces fêtes militaires, que si c'était tout de
bon ce n'était pas assez, et que si ce n'était
qu'un jeu, cen était trop (478).
'La cour abandonna ces divertissements
(476) Capit. reg., lib. m.
(477) Qiiaecunque ad aurium et oculoruni perti-
nent illeeebras unde vigor aninii emolliri possc ue-
ilaïur, ut de aliquibus generibus musicoruin aliisquc
nommllis reluis seuliri polesl, ab omnibus Dei si-
ce idoles se abslinerë debeul : quia par aurium ocu-
loruinque illeeebras viliorum Inrba ad animum in-
où il arrivait toujours malheur; et en les
vit remplacés par les jeux de théâtre et les
ballets où le roi, les princes et les seigneurs
étaient acteurs: mais ce n'étaient que des fêtes
extraordinaires qui n'avaient lieu que dans
des événements qui rassemblaient à la cour
les personnes d'état à y paraître.
On sait que lorsque les grands seigneurs
ne furent plus, comme le dit le président
Hénault (479), que des courtisans que le
plaisir et l'ambition fixèrent à Paris, on vit
cette capitale parvenir successivement à une
grandeur colossale. Elle n'a pu y arriver sans
être de plus en plus surchargée d'une mul-
titude de citoyens désœuvrés dont on crut
devoir occuper le loisir, selon le goût des
temps, par des représentations pieuses qui
furent l'enfance et le bégaiement de nos
tragédies, de nos opéras et de nos comé-
dies.
On s'accorde assez pour rapporter l'ori-
gine de l'établissement des spectacles de
Paris à Tannée 1398, que des bourgeois de
celle ville se réunirent pour donner les re-
présentations des mystères de la Passion de
Jésus-Christ, et pour vivre aux dépens de
leurs spectateurs. Le caractère de ces repré-
sentations dont les pèlerins de la terre sainte
avaient donné l'idée, procura à la compagnie
de leurs inventeurs le privilège d'être érigée
en confrérie pieuse :
De nos dévols aïeux le lliéàlre abborré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré ;
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
En public à Paris y monta la première ;
El, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les saints, la Vierge et Dieu par piété.
(Despréaux.)
On pourrait bien faire remonter vers
l'année 1313 l'époque de ces sortes de repré-
sentations publiques; mais alors elles n'é-
taient pas ordinaires, 11 y en eut, par exem-
ple, à l'occasion de la chevalerie des lils de
Philippe le Bel, Louis le Hutin, Philippe le
Long et Charles le Bel. Enfin si l'on voulait
avoir une trace plus ancienne de ces jeux
de théâtre, on la trouverait en 1179. Un
moine nommé Geoffroi, qui depuis fut abbé
de Saint-Alban, en Angleterre, chargé de l'é-
ducation des jeunes gens, leur faisait alors
représenter avec appareil des espèces de
tragédies de piété, dont la première eut pour
sujet les miracles de sainte Catherine. On
doit présumer que ce drame répondait au
mauvais goût du xne siècle.
Ce fut sous le règne de Charles VI que les
confrères de la Passion établirent leur théâ-
tre dans la grande salle de l'hôtel de la Tri-
nité. Les sujets de leurs espèces de poèmes
étaient tirés de l'Ecriture sainte et des lé-
gendes des saints. Voici les titres de quel-
gredi solct. Histrioimm quoque hirpium et obscae-
noiuin iusolenlias jocorum et ipsi anima effugere
cneleiïsquc effugienda pnedicarc debent. (Capitulaires
des rois de France, l. Ier, pag. 1170.)
(478) Histoire de France , par le président Ut-
nai;lt.
(479) lbid.
1031
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1032
ques-uns : Le Mystère de la vengeance de souci. Le chef de celte troupe s'appelait le
la mort de Jésus-Christ; — le Mystère de la prince des Sots, et leurs draines étaient in-
Conception et de la Nativité de la Vierge,— titulés la Sottise. Ces comédiens, pour se
la Passion, etc. Leurs auteurs les plus con- mettre en honneur, commencèrent à donner
nus étaient Jean Petit, d'Abondance, Louis sous le règne de Charles VI quelques mora-
Choquet, etc. lités burlesques, comme le Fief ou Châlel de
Mais dès le crépuscule du rétablissement joyeuse destinée, le Débat du cœur et de l'œil,
des lettres, c'est-à-dire, sous le règne de l'Amoureux au Purgatoire, de VAmour, etc
Les clercs des procureurs au parlement
transigèrent avec les Enfants sans souci ,
pour donner au public de pareilles repré-
sentations. Ils s'appelaient Basochiens. Les
clers de la Chambre des comptes qui prirent
Je titre de Jurisdiction du saint Empire, et
ceux du Châtelet élevèrent aussi des théâ-
tres; mais ils furent moins fréquentés. Les
basochiens et les enfants sans souci eurent
la préférence. Ils avaient pour auteurs les
meilleurs poètes du temps, comme Clément
Marot, et avant lui Corbueil dit Villon dont
Boileûu a dit
Villon sut le premier dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers.
(Art. ipocl.)
La plus célèbre des anciennes farces est
celle de Patelin. Le principal personnage,
dont celte pièce porte le nom , était un
nommé Patelin. Ses fourberies, ses impos-
tures et ses intrigues étaient si connues,
les défendit par ses arrêts des 9 décembre qu'on en fit le sujet d'une pièce de théâtre.
1541 et 10 novembre 1548, et on ne vit plus C'est ce qui a donné lieu de se servir de ces
représenter que des sujets profanes. mots : patelin, palelinage, pour exprimer le
Le concile de Trente défend aussi défaire caractère d'un homme de mauvaise foi.
jamais servir l'Ecriture sainte à des sujets Celte farce, si vantée par Pasquier dans le
de divertissement; et il ordonneaux évoques livre vin de ses Recherches de la France, a
de punir des peines de droit ou arbitraires servi de fond et de canevas à la comédie in-
les téméraires violateurs de son décret, tilulée V Avocat Patelin, qui se joue encore
aussi bien que de la parole de Dieu (481). sur le Théâtre-Français.
Les protestants même reconnurent la né- Les auteurs et les acteurs les plus fameux
cessité de réformer un pareil abus. Ils firent des anciennes farces sont Tabarin, Turlupin,
à ce sujet une loi qui se trouve dans le Gaultier-Garguille , Gros-Guillaume, etc.;
recueil intitulé : De la discipline des protes- leurs noms ont été admis dans la nomencla-
tnnts de France, chap. 14, art. 28. En voici ture française pour signifier un bouffon, un
les termes : « Ne sera loisible aux fidèles baladin et un farceur,
d'assister aux comédies et autres jeux joués
en public ou en particulier, vu que de tout : : . ; ■• • Les Turlupins restèrent,
temps cela a été défendu entre les Chrétiens, lns,Pldes Posants, bouffons infortunes,
François I",
Le savoir à la fin dissipant l'ignorance,
Fit voir de ce projet la dévole imprudence.
(Despréaux.)
L'ignorance avait répandu les ténèbres les
plus épaisses sur tous les ordres de l'Etat.
Néanmoins dans le cours de cette nuit, il
parut assez de lumières pour conduire les
vrais philosophes (480). Ces temps ténébreux
nous offrent une multitude de canons de
conciles, de statuts synodaux et de mande-
ments d'évèques pour Je rappel des bonues
règles. Ces réclamations ne furent pas sans
effet pour ceux qui dans le temps y furent
attentifs, et par la suite elles produisirent
de plus grands fruits.
Le parlement de Paris reconnut l'indé-
cence qu'il y avait à faire servir au plaisir
du peuple les mystères de la religion, d'au-
tant plus que, pour plaire au plus grand
nombre, on les déshonorait par une mixtion
de farces scandaleuses. Cet auguste tribunal
comme apportant corruption de bonnes
mœurs , mais surtout quand l'Ecriture
sainte y est profanée. Et si en un col-
lège il élait trouvé utile à la jeunesse de
représenter quelque histoire, on ne pourra
le tolérer qu'à condition qu'elle ne sera pas
tirée de l'Ecriture sainte qui n'est pas baillée
pour être jouée, mais pour être purement
piêchée. »
Lorsque les confrères de la Passion ne
D'un jeu de mois grossiers partisans surannés,
Apollon travesti devint un Tabarin.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux prinees.
(Despréaux, An. poét.)
Ces anciennes farces, dont le mérite con-
sistait en pointes, en équivoques et en bouf-
fonneries, devinrent des satires; et, dans
tous les ordres, il y avait des gens attaqués
purent plus représenter les mystères, ils de la manie d'en faire les représentations,
cédèrent leurs privilèges à une troupe de Le parlement de Paris réforma cette licence,
comédiens qu'on appelait les enfants sans et il n'y eut que les enfants sans souci qui,
(480) Nunquam defuit veritas Dei in sanctis ejus
modo paucioribus , modo pluribus ut se lem-
poram veritas habuit et liabebit. ( Saint Au-
gustin.)
(481) Temeritalem illam reprimere volens qua
ad profana quseque converlunlur et lorquenlur
verba et seutenlice sacra Scriptura, od scurrilia
scilicet, fabulosa, vana, et mandat et pracipit ad
tollendam hujusmodi irreverentiani et contemptum,
ne de c.Ttero qnispiam quomodolibel verba Scriptu-
ra sacra ad haec et similia audeat usurpare, et
omnes bujusinodi homines temeratores et violatores
verbi Dei juris el arbitrii pœnis per episcopos coer-
ceanlur. (Concil. Trident.)
1033 NOTICE SUR I.E THEATRE LIBRE. 105.
pendant quelque temps, demeurèrent seuls chefs-d'œuvre de ce poêle, on obtint do
en possession de divertir ic public. Louis XIII la déclaration du 1G avril 16VJ,
Jodelle (mort en 1573) fut le premier qui dont les comédiens s'autorisent tant. Il en
rappela les idées de l'art dramatique par ses est parlé dans la seconde Lettre sur les spec-
tragédies de Cléopdtre et Didon. tacles de Desprez de Boissj. (Voir plus
Les représentations qui se faisaient par loin.)
les enfants sans souci, rue des Malhurins, à Les drames de Racine (né en 1639), ne Mo-
l'hôlel do Cluny, parvinrent à mériter d'être lière (né en 1622), et de llcgnard (né en
défendues par arrêt du parlement de Paris, 1647) ; les représentations des tragédies ly-
du 6 octobre 1584. riques de Lulli (né en 1633) et de Quinaull ;
On vit paraître, vers l'année 1588, deux en'in 'a gaieté de la Comédie italienne aug-
nouvelles troupes do comédiens. Les uns monta lil séduction des partisans des théâ-
étaient Français et les autres venaient d'Ita- lJes- On soutint que, en égard aux progrès
lie. Ces derniers se nommaient li Gelosi. Le "e ' art dramatique, il n y avait rien à crain-
parlement de Paris refusa de consentir à dre P°ur Ies mœurs. Il fallut combattre les
leur établissement. Desprez de fBoissy en a défenseurs de ce iaux préjugé. C'est ce qui
rapporté les motifs dans sa première Lettre occasionna les écrits polémiques dont on va.
sur les spectacles, que nous donnons plus donner l'histoire.
loin. Les apologies de nos théâtres y étant mi-
Ce ne fut qu'au commencement du xvn' ses en opposition aux écrits qui les ont
siècle, sous Henri IV et Louis XIII, que combattues, elles n'y paraîtront que comme
Hardy et Rotrou tirèrent, dit-on, du milieu des ouvrages dangereux dont il faut éviter
des rues et des carrefours, la tragédie et la l'illusion. On verra qu'elles tendent toutes,
comédie. Mais les poètes étaient encore ce plus ou moins, à favoriser l'empire de la vo-
qu'ils ont presque tous été et ce qu'ils se- lupté, et que les défenseurs des théâtres doi-
ront toujours. « Non-seulement, dit le pré- vent succomber sous les armes de la raison
sident Hénault (482), ils se ressentaient de et de la religion. Ce sera toujours en vain
la corruption du siècle, mais encore ils l'aug- qu'on emploiera éloquence, astuce et so-
menlaient et ils gâlaienl l'esprit et le cœur phisuies contre la vérité. II suffît qu'elle se
des jeunes femmes par des vers libertins et montre pour triompher et ramener à son
des chansons licencieuses. » drapeau les cœurs droits qui auraient eu la
La troupe, qui était alors chargée des rc- faiblesse de s'en écarter. 0 magna visverila-
présentations dramatiques,1 se qualitiait de tis quœ contra ftominum ingénia, calliditatem,
comédiens de ['Elite royale. Corneille (né en solertiam", contraque fictas omnium insidias
1606) la mit ensuite tellement en faveur, facile et per seipsam defendal ! (Ciceu., Pro
que, dans l'enthousiasme de l'admiration des M. Cœlio)
{482) Dans son Abrégé de V Histoire de France.
HISTOIRE DES OUVRAGES
POUR ET CONTRE LES THEATRES PURL1CS.
Il parut sur la fin du dernier siècle un li- des conciles et des Pères de l'Eglise sur ia"
vre intitulé : Histoire et abrégé des outrages comédie.
latins, italiens et français , pour et contre L'auteur cite de l'Ecriture sainte le livre
la Comédie et V Opéra; Orléans, 1697. des Proverbes, c. iv, y 23, le Livre de YEc-
M. Lalouette, qui en est l'auteur, y a clésiastique, c. ni, y 27, c. ix, y 8 et 9; l'in-
compris tous les écrits qui, dans le temps, vangile do saint Matthieu, c. v, y 28, c. xvm,
firent le plus d'impression. Comme co livre y 6; YEpître de saint Paul aux Ephes., c. v,
intéressant est devenu rare, on va y sup- y 3 et 4, etc.
pléer par un extrait qui, à l'égard du der* On sait que le mot de comédie n'est pas
nier siècle, donnera des notices exactes sur nommé dans l'Ecriture sainte, parce que les
les ouvrages dont il s'agit de donner l'his- jeux scéniques n'étaient pas en usage chez
toire. le peuple juif Mais comme ils n'ont d'autre
Le livre de Lalouette est dogmatique et fin que d'inspirer des passions déréglées
historique. qui, selon môme la philosophie païenne,
L'auteur donne dans la partie dogmatique sont les maladies des âmes; ils se trouvent
un exposé de la doctrine de l'Ecriture sainte, implicitement condamnés (483) par ce pre-
(183) Veritas, si ad hrce iisque descenderet, pes- cra eoniicuit. Probibuit speclari quos proliihel geri.
sime ;lc (idelibus suis sensisset. Plorumque in prœ- Oninia isia speclaculorum gênera damnavii quand»
ceplis qusedam utilius lacciiinr. Pneceplorum loco idololalriam sustulit unde hase vanilalis ci évitât1»
severilas loquilur, ci ratio ilocel quae Scriplura sa- monstra vencruni. (S. Cypr., De speci.)
Diction», des Mystères* 33
1035 DICTIONNAIKE
mier précepte do la morale sacrée: « Régnez
sur vos sens et vos passions : Sub te crit ap-
petitus, tu dominaberis illius (484); » pré-
cepte dont un Sénèque, par les seules lu-
mières de la raison, reconnaissait la néces-
sité pour conserver à l'âme la supériorité
qu'elle a sur le corps. « L'âme, dit-il, lient
dans le corps le même rang que Dieu dans
l'univers, que le corps obéisse donc à l'âme,
comme l'univers à Dieu; elle est trop éle-
vée par sa nature pour que je veuille la dé-
grader jusqu'à la rendre esclave du corps,
en me livrant au langage des sens (485). »
C'est par une conséquence de ce principe
que ce philosophe était si sévère à l'égard
des spectacles dramatiques , comme on le
verra dans la première Lettre de Desprcz
de Boissy.
Lalouette passe des citations de l'Ecri-
ture sainte aux canons des conciles. Il cite
les canons 62 et 67 du concile d'Elvire, tenu
l'an 305. Le canon 5 du premier concile
d'Arles, tenu l'an 314, et ce canon fut con-
firmé par le deuxième concile d'Arles, tenu
l'an 452. Le sixième concile général, tenu à
Constantinople en 680, est aussi très-sévère
contre les théâtres publics; le quatrième ca-
non du concile de Bourges, tenu l'an 1584,
ne l'est pas moins.
Et, depuis qu'on n'a plus tenu de conciles
aussi fréquemment, la doctrine de l'Eglise,
a l'égard des spectacles, se trouve constatée
par les Rituels ou les Actes des synodes des
diocèses. Lalouette cite entre autres le
Rituel de Châlons-sur-Marne de 1649, celui
de Paris de 1654 et 1674, ceux de Sens, d'A-
leth, de Langres, de Goutances, de Bayeux,
Reims, etc.
Quant à la tradition des Pères de l'Eglise,
Lalouette rapporte des passages du livre de
Tertullien sur les spectacles, du traité de
saint Cyprien sur le même sujet, de la qua-
trième homélie de saint Basile in Hexaeme-
ron, de la quinzième homélie de saint Jean
Chrysoslomc au peuple d'Antioche, de la
troisième homélie du môme Père sur Saul
et David. On cite encore de saint Ambroise
le premier chapitre de son Traité de la fuite
du siècle, le troisième livre des Confessions
de saint Augustin, etc.
Enfin Lalouette indique un bref du Pape
Innocent XII, auquel on peut ajouter ceux
des Papes Clément XI, Benoît XIV et Clé-
ment XIII, qui sont autant de décisions con-
tre les spectacles publics, et qui sont citées
dans la première. Lettre de Boissy.
Voilà ce qui concerne la partie dogmati-
que du livre de Lalouette. La partie histori-
que contient les notices des ouvrages qui
parurent dans le siècle dernier, pour et
contre les théâtres. On va les indiquer dans
l'ordre de leurs dates.
Lalouette nous apprend que Hédelin d'Au-
bignac est le premier auteur français qui,
dans le dernier siècle, ait osé entreprendre
l\U) Gènes. îv.
(•iSS) Quein in hoc mundo locnm Dons ohlinel ,
huue animua in homme; semant ergo détériora
DES MYSTERES.
lO
de justifier les théâtres publics. Il le fit oon.i
deux ouvrages qu'il donna en 1657, le pre-
mier intitulé : Pratique du théâtre. Le se-
cond a pour titre : Projet pour le rétablisse-
ment du Théâtre-Français. Ce dernier est de-
meuré imparfait. Hédelin y avoue les diffi-
cultés de justifier les théâtres. « On a contre
soi, dit-il, 1° la créance commune des peu-
ples, que c'est pécher contre les règles du
christianisme que d'y assister; 2° l'infamie
dont les lois ont noté les comédiens. »
Cet aveu accuse et condamne la témérité
de cet auteur... Habemus con filent em reum.
D'ailleurs, c'était un poëte de théâtre, il dé-
fendait sa propre cause.
D'Aubignac n'est pas le premier de nos
dramaturges qui ait écrit en faveur du théâ-
tre. Il parut en 1639 un ouvrage intitulé :
Apologie du théâtre, par Georges de Scudéri ;
Paris, Aug. Courbé, 1639, in-4°. Georges de
Scudéri, qui mourut à Paris vers 1666, est
le versificateur infatigable dont Boileau Des-
préaux a dit :
Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume
Peut tons les mois, sans peine, enfanter un volume;
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du hon sens.
Scudéri avait composé seize pièces drama-
tiques : ainsi il était, comme d'Aubignac,
intéressé à soutenir la cause du théâtre, dont
il s'était fait aussi une ressource contre la
faim : Magis fami quarn famœ inserviebat.
En 1666 on vit paraître une apologie de
la comédie sous ce titre : Dissertation sur la
condamnation des théâtres.
On l'attribua à Hédelin d'Aubignac.
Le Théâtre Français, divisé en trois livres,
où il est traité : 1° de] l'usage de la comédie;
2° des auteurs qui soutiennent le théâtre ;
3° de la comédie et des comédiens, par Samuel
Chapuzeau, à Lyon, 1674, in-12.
« Samuel Chapuzeau, dit M. l'abbé Gou-
jet (486), s'est montré très-zélé pour les théâ-
tres. Il s'en est déclaré l'apologiste, et il a
voulu les venger contre ceux qui ont de
bonnes raisons pour les condamner. Des
trois livrs, dont son ouvrage est composé,
il aurait pu en retrancher le premier, où il
ne dit rien, enfaveurdes spectacles, qui n'ait
été cent fois réfuté. »
Néanmoins Chapuzeau convient, pages 40
et 131, que, depuis la mort du cardinal do
Richelieu, notre théâtre s'était beaucoup amé-
lioré sous le rapport des mœurs.
En 1694, les partisans du théâtre imaginè-
rent de donner le fameux et pitoyable écrit
intitulé : Lettre d'un théologien illustre par
sa qualité et par son mérite. Cette lettre,
avec un si beau titre, n'eut pour approba-
teurs que des poètes dramatiques, et elle ne
put être imprimée qu'à la tête et qu'à la fa -
veur d'un recueil de pièces comiques. On
l'attribua au P. Calïaro, mais on doit s'vn
tenir au désaveu qui en fut fait par ce reli-
meliorihus. Major sum quarn ut mancipium sim e©f-
poriS nici. (Sf.nf.c, ep. G5.)
(48(5) lliblioi. (ranç., tom. VIII, pag. 358.
1037
NOTICE SLR LE THEAT1Œ LIBRE.
1055
gieux (4-87). Aussi ne la vit-on plus paraître Tous les efforts de l'auteur pour donner
sous son premier titre, mais seulement sous quelque couleur à une mauvaise cause, ne
celui d'un homme d'érudition et de mérite, tendent qu'à essayer d'embrouiller la rna-
Co dernier titre ne lui convient pas mieux, tière qui en est l'objet; et les raisons, dont
(487) RETRACTATION DU PÈRE CAFFARO.
Soin. L'abbé Meusy observe avec raison dans le
second tome du Code de la religion et des mœurs,
page 583, que Tailleur de l'ouvrage inlilulé: Querelles
litéruires (l'abbé lrailii, ebanoinede Monislrol) dont
il sera parlé < aurait dû y dire quelque ebose de la
rétractation du Père Caffaro. i Mais que pouvait en
«lire l'abbé Irailb , après avoir loué le Père Caffaro
d'avoir fait l'apologie des tbéàtres, et l'avoir appelé
pour relie raison, un religieux philosophe? (Toin. Il
des Querelles littéraires.) Néanmoins il a hasardé ces
mots : « L'archevêque de Paris, Noailles, exigea du
Père Caffaro un rétractation authentique. » Irailh
laisse à douter si elle a eu lieu. Il parait qu'il ne s'est
pas intéressé à s'instruire du fait. Cependant, comme
historien, il y était obligé. Il aurait appris que le
Père Call'aro ne lit que suivre l'inspiration de sa
consciente en donnant sa rétractation, et qu'ayant
satisfait à Ce devoir le 1 1 mai 1694, c'était M. de Har-
layqui était alors archevêque de Paris, et non M. de
Noailles, qui ne lui succéda qu'au mois d'août 1693.
Irailh paraît si attaché à l'erreur rétractée par le
Père Caffaro, qu'il a osé avancer dans le même lome,
page 595, que « si Racine et Quinault eussent déposé
leurs scrupules dans te sein d'un casuiste tel que le
Père Caffaro, ils n'eussent jamais abandonné le
théâtre. » L'abbé Irailh aurait dû plu tôt conclure
que ces deux poêles célèbres auraient eu le plus
grand mépris pour un casuiste qui aurait voulu les
détourner de leur juste repentir. Mais on a beau-
coup d'autres erreurs à reprocher à l'ouvrage inti-
tulé : Querelles littéraires. Elles onlelé relevées dans
un recueil de neuf lettres imprimées, dont huit sont
de l'abbé Baral , et une est de D. Clémencet, Béné-
dictin. Celle-ci commence à la page 42. II est parlé
de ces lettres dans VHisloire littéraire dé la congré-
gation de Saint-Maur, que dont Tassin a donnée en
1770, et qui est aussi intéressante pour la littéra-
ture qu'honorable pour celle célèbre congrégation.
LETTRE FRANÇAISE ET LATINE DU RÉVÉREND PÈRE
FRANÇOIS CAFFARO, THÉATIN.
A Monseigneur l'archevêque de Paris (a),
Imprimée en 1694, in-4°.
A Monseigneur, Monsei- lllustrissimo domino D.
gneur l'archevêque de
Paris , duc et pair de
France , commandeur
des ordres du roi, pro-
viseur de la maison de
Sorbonne, et supérieur
de celle de Navarre.
Monseigneur,
Je n'ai pu apprendre
qu'on me croyoit dans le
monde auteur d'un libelle
f.iii en faveur de la comé-
die, sous le titre de Lettre
d'un théologien, etc., et
voir en même temps le
scandale qu'a donné cet
ouvrage, sans en être sen-
siblement affligé; et j'ai
cru même qu'il éioit de
mut devoir, pour l'édifi-
cation de l'Eglise et pour
l'honneur de mon minis-
tère, de déclarer publi-
quement que celte Lettre
{a M. de Ilarîay.
archiepiscopo Parisien-
si, duci et pari Fran-
ciœ, regiorum ordinum
commendulori , Sorbo-
nteprpvisori, reçue Na-
varrœ superiori.
Libelli cujusdam gallice
ad comœdia: dejensionem
compositi, et sic inscripti,
Lettre d'un théologien ,
etc. , même vulgo aucto-
rem circumferri audire,
simul et natam ex eo of-
fensionem nossenonpotui,
archiprœsul illustrissime,
quin acri inde Oolore per-
cellerer, mihiqne tum ad
Heipablicœ Christianœ uli-
litatem, tum ad sacri quo
fungor muneris honorent
censui incumbere , publi-
ée, ni pro/ffererEpùslolam
n'est point de moi, et que
je n'y ai aucune part, que
je n'en ai rien su qu'a-
près qu'elle a paru , et
que je la désavoue absolu-
ment. Mais je ne puis me
dispenser de reconnoîlre
humblement, comme je
le dois, ce qui peut avoir
donné lieu à me L'attri-
buer, d'avouer ingénue-
menl les senlimens que
j'ai eus sur ce qui en fait
le sujet, et de marquer
en réparation ceux où je
suis Sur cela présente-
ment.C'est, Monseigneur,
ce qui me fait prendre la
liberté d'écrire à Votre
Grandeur , vous recon-
noissant pour mon juge-
né et d'institution divine
en matière de doctrine,
comme vous l'êtes aussi
de tout le troupeau qui
vous est confié , donl je
me fais honneur d'être ,
et auquel le Saint-Esprit
vous a donné pour pas-
leur, établi par Jésus-
Christ même, et me te-
nant par celle raison obli-
gé de faire cette déclara-
lion de mes senlimens
entre vos mains, pour la
rendre publique sous vo-
tre autorité , si vous le
jugez convenable.
Je lis* il y a douze ans,
un écrit latin sur la co-
médie, où, sans avoir
mûrement examiné la ma-
tière, et par une légèreté
de jeunesse, je prenois le
parti de la justifier de la
manière que je me figu-
rois qu'elle se représen-
toil à Paris , n'en ayant
jamais vu aucune, et m'en
faisant, sur les rapports
que j'en avois oui j une
idée trop favorable, et je
ne puis que je ne recon-
naisse à ma confusion ,
que les principes cl les
preuves qui se trouvent
dans la Lettre qui s'est
donnée au public sans ma
participation , sont les
mêmes que dans mon
écrit particulier; quoi-
qu'il y ait quelques en-
droits de différons entre
les deux où railleur de la
Lettre dit ce que je ne dis
pas, et parle autrement
que je ne fais moi-même
dans mon écrit, comme
en ce qu'il apporte sans
raison en faveur de la co-
hanc non esse meam, meas-
que in ea partes esse nul-
tas, eam , pri.tsqnam ede-
relur, meam ad notiliam
non pervenisse , et plane
omnem quœ in me conji-
ceretur de ea scripla sus-
picionem, a meipsojam re-
pclli. Ab hac lamen dé-
laissa, ut par est, conj'es-
sione, me nolim immuKem,
qua ipse aperiam , quid
causœ esse potueril, cur ea
mihi adscriberetur, pristi ■
uam meam de ipsius argu-
tnentosentenliamdetegam,
et hodiernam quasi in pria-
ris expialionem patej'a-
ciatn. Facilhoc, Archi-
prœsul illustrissime , ut
tuant ad Celsitudinem sert-
bam, cum te meum, ul et
univers'/ gregis tibi creditij
ex quo esse honori duco,
in doclrina Judicem jure
divino naium, a Sptrilu
sanctuposilum, et a Chri-
sio ipso conslitutum ha-
beam , meque eo nomine
obslriclum sentiam , ul
hanece meœ mentis expli-
caÀonem pênes le depo-
num , quam ipte , si tibi
expedire videbitur publi-
blicam in lucem prodire
jubeas.
Ab annis décent aul duo-
decim talinum mihi in co-
mœdiam scriptum excidit;
in quo, prœvio non habita
rei , de qua agerem , mn-
turo examine , juvenilis
animi levilaie elatus , ab
itlius vindicandœ parlibus
slabant , quo eam more
Parisiis haberi mihi finxe-
ram , cum nulli unquam
adfuissem , et ex aliorum
relalione nonnunquam au-
dita illiits mihi in mentent
efpZgiem induxissem purio •
rem. Et vero pudore suf-
fusus non possum non fn-
leri, quin epislolœ me in-
consulto editœ capila et
momenta , illa ipsa sint ,
quœ et meo inprivatoscri-
pto haberenlur ; elsi duo
hœc in quibusdam diffé-
rant, ubi hoc habet Epi-
sloUe auclor quod ego non
atligi, et alia ille ratione
loquitur , quam qua meo
sim in scripto usus : que-
madmodum cum, in co-
mœdiœpalrocinium,tuuni,
Archiprœsul illustrissime,
de ea habenda silentiuiu
î;>39
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1010
il se sert, sont si frivoles, qu'elles ne peu-
vent éblouir que des personnes faciles à
tromper sur ce qui les flatte. Cette Lettre
excita avec raison la plus grande cla-
meur
nicJie; voire silence sur
sa représentation, Mon-
seigneur, pour en inférer
un consentement et une
approbation tacite dévo-
ile pari; ce que je n'ai
point fait dans mon écrit,
où je ne dis rien du tout
qui puisse regarder per-
sonnellement Voire Gran-
deur, iiinsi <|ue l'illustre
M.Pirol,qui \\\ vu depuis
peu par voire ordre, vous
en pe.ii rendre témoigna-
ge, aussi bien que de la dif-
férence d'expression qu'il
y a enlre la Lettre el mon
écrit au sujet des Rituels,
que la Lettre semble trai-
ter d'un air qui ne mar-
que pas d'assez grands
égards pour des livres
aussi dignes de respect
que le sont des Rituels,
en parlant de celte ma-
nière, certains Rituels, an
lieu que je dis simplement
dans mon écrit, quelques
[iiluels : Nonnulla Ritua-
Lia aliquarum diœceseum.
Je ne puis disconvenir
qu'à comparer la Lettre
avec mon écrit, il ne soit
visible qu'elle en est tirée
presque de mot à mot, et
que par-là ce que j'ai fait
avec précipation a donné
malheureusement, et con-
tre mon dessein , ouver
luro à celle Lettre. Je n'ai
jamais fait étal d'impri-
mer mon écrit : 11 n'éloil
pas composé avec assez
d'exactitude p iur préten-
dre le rendre public; je
ne m'élois pas assez ins
trait du sujet que j'y
traiiois, ni des autorités
que j'apporloisou pour ou
contre, enlre autres de
celle de S. Charles dont
je me faisois fort; je ne
sçavois pas bien même ce
que c'éloil que la comé-
die française, de la ma-
nière qu'elle se joue à
Paris, n'ayant jamais lu
de comédies de Molière,
et n'en ayant lu que fort
peu d'autres, el sans ap-
plication, n'ayant d'ail-
leurs qu'entendu parler
des Rituels sur les comé-
diens, sans avoir même
lu celui de Paris. C'esl ce
manque d'attention cl de
réflexion qui m'a voit en-
gagea prendre dans mou
écrit particulier, el que
je n'ai jamais voulu ren-
dre public, la défense (h; la
temere adducit , unde il-
tant a te , tacilo sallem
consentit probari inférât,
cui simile ni/iil meo in
srripto prœslilerim, in quo
nequicquam dixerim quod
tuam nominalim celsitu-
dinem ultaienus spectare
possit ; cujus quidem inler
ulrumque discriminés, exi-
mius tir D. Pirot qui hoc
non ita pridem jussu tuo
exploruvit, (idem libi fa-
cere poteril ; non minus
quam et alterius , ritua-
lium,ul vacant, occasione,
quippe quee ita Epistola
videlur excipere, quasi mi-
nus iis exhiberel observan-
liœ, quam ad hoc librorum
genus lanta dignum reve-
rentia par esse possit , de
quibus sic illa loquilur,
certains Rituels, cum meo
in scrtplo candide tant uni
ita Itabeam, Nonnulla Ri-
(ualia aliquarum diœce-
SUUIII.
Non est quod negem,
quin, si semel Epistola
meo cum scripto confera-
tur, ex hoc illa prope ad
verbum collecta, alqueila
meo ex prœcipili scripto,
prœtermeam mentem orla
infeliciler Epistola perspi-
cialur. Scriptum meum
nunquam slalui apttd me
prœlo mandandum; ne-
que vero accurate adeo
elaboralum illnd crat, ni
juris ipsum publici jieri
contenderem. Quod in eo
tractabam argumentum ,
mibi non sat erat explo-
rntum ; neque auclorum,
quos allerutram in par-
tent afferebam testimo-
nium salis comperlum ;
imprimis vero quod ex
divo Carolo pelebam, cu-
jus in auctoritale, periiute
ac si meœ senlentiœ suf-
fragarelur, vim faciebam.
Imo nequidem noveram
quoniam more comœdia
l'arisiis d retur, cum co~
miea Motieri carmina
nulla unquam , aliorum
paucissima, nec attenta
animo, evolvissem, et ali-
unde nna ex lama Ritua-
lium notiliam haberem,
nec ipso etiam Parisiensi
lecto. Hoc atlentionis el
recognitionis vilio conti-
nu, ut meo in scripto,
quod palam edere mihi
uftnquam fuii in animo.
On opposa à toutes ces apologies du théâ-
tre un grand nombre d'écrits lumineux,
qu'on va indiquer dans l'ordre de leurs da-
tes, en commençant par faire connaître deux
bons ouvrages qui avaient paru en Italie,
comœdiœ causant agerem.
llujus me consilii vehe-
menter pœnilet ; nihilque
non prceslurem lubens ,
quo suborlum inde im-
provisum offendiculum a-
moverelur. Gravis non
fuit operœ ut primœvum
meum de comœdia sensum
deponerem, et ejus loco
alium caperem , quem
deinceps sequar. Re peni-
tus excussa mihi plane,
persuasum est quidquit!
altéra ex parte ad coma-
diam excusatam haben-
dam afferlur , levé esse
prorsus ac frivolum; &la-
bile vero el inconcussum
quod e contrario tend
Ecclesia , non nimiriun
iis, quos in morbo a sacio
viatico arcendos decernis
ni vitœ ante aclœ institu-
tœ penitus abdicalo im-
pactam eo poputis offen-
sionem eluunt, comœdos
annumerat, nec ad san-
ctos ordines, si quand*
eos ipsi postulent, sus,i-
piendos, vnlladmilti. #>j)
ha'c sunt prœ cœleris de
illis hominibus in Pari
siensi Riluum volumine,
aliisque per mullis ezte-
nus consonis, sancita ca-
pita. Ilancce F.cclesiœ di-
sciplinant, dorlrinamqui
qua leges hujusmodi ni-
tuntur loto animo, loin
obtemperalioneanipleclor,
eaque omnia sine ulla ex-
ceptione subscriberemqua>'
tno in Riluali habenlur.
cum qua: in comœdos
quomodocunque incidunt,
sive eos recla spectent, sive
ad ipsos oblique referan-
lur, tum quœ aliud quid
quodeunque sit, attingunt.
Id equidem, Archiprœsul
illustrissime , omni àsse-
veratione Tuœ Celsitudiui
religiose con/irmo, ad cx-
sequendum paralus quid-
quid imperes, ut mesensa-
que mea Reipublicœ Lhfi-
slianœ probem, el ei fiai
satis. bumma sum re e-
rentia,
Archiprœsulillusirissime,
Tuœ Celsitudiuis
comédie. J'en ai un très-
grand regret, el il n'y a
rien que je ne fisse volon-
tiers pour réparer le scan-
dale qui s'en est suivi, et
que je ne prévoyoispoini.
Il ne m'a pas été difficile
de changer mou premier
sentiment sur la comédie,
el de prendre celui où
je suis présentement. Je
suis très-convaincu après
avoir examiné la chose à
fonds , que les raisons
qu'on apporte d'un côté
pour excuser la comédie
sont toutes frivoles, et
que celles qu'a l'Eglise
au contraire sont très-
solides et incontestables,
quand elle met les comé-
diens au nombre de ceux
à qui elle refuse dans la
maladie le viatique , à
moins qu'ils ne réparent
le scandale qu'ils ont don-
né au public en renon-
çant à leur profession, et
qu'elle ne les veut pas
admettre à recevoir des
ordres, s'ils s'y présen-
loienl. Ce sont deux arti-
cles entr'autres, qui sont
marqués dans le Rituel
de Paris, el en un très-
grand nombre d'autres
qui y sont conformes. Je
reçois, Monseigneur, de
tout mon cœur el dans un
esprit de parfaite soumis-
sion, celle, discipliné ec-
clésiastique, et la doc-
trine qui en fait le fonde-
ment; el je souscrirois
sans réserve tout ce qui
est dit dans voire Rituel,
soiteontre les comédiens,
directement ou indirecte-
ment, soit en toute autre
matière. C'est, Monsei-
gneur, ce que je prolesie
à Votre Grandeur, avec
une entière sincérité, prêt
a faire tout ce que vous
m'ordonnerez pour édifier
l'Eglise.
Je suis, avec un irès-
profond respect,
Monseigneur,
De Voire Grandeur,
Le très-humble et très-
obéissant Serviteur,
François Caffaro,
clerc régulier.
A Paris, lel I mai 1691.
» Enfin, dit Bossuet
Iluniillimus et obsequen-
tissimus servus,
Franciscus Caffaro-,
cleric. regul.
Parisiis die Maii M 1G94.
dans ses Maximes el r«/>
1041
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1053
uelques années avant les écrits scandaleux
de l'abbé d'Aubignac.
In adores el speclolorcs comœdiarum Pa-
rœnesis, auctore Francisco Maria del Mona-
(îexions sur la comédie , le PèreCafTaro, à qui l'on
avait attribué la Lettre ou Dissertation pour la dé-
fense de la comédie, a satisfait au public par un dé-
saveu aussi humble que solennel. L'autorité ecclé-
siastique s'est fait reconnaître, et la vérité a été
vengée.
j Qui que vous soyez qui plaidez la cause des
théâtres, vous n'éviterez pas le jugement de Dieu.
Cessez de soutenir ce genre d'amusement où la
vertu et la piété sont toujours ridicules, la cor-
ruption toujours excusée et la pudeur toujours of-
fensée.
« Qu'on nous dise, comme du temps de saint
Chrysostome, que condamner les théâtres, c'est
contredire le gouvernement civil qui les tolère.
Nous leur répondrons que lout ce que nous sommes
de prêtres, nous devons imiter l'exemple des Chry-
sostome et des Augustin, et dire que l'esprit des
lois civiles même est contraire à tous ces spectacles
qui, en Dallant les yeux et les oreilles, introduisent
dans l'âme une troupe de vices, per aurium oculo-
rumque illecebras ad animum turba vitiorum ingredi
solet. El si la coutume l'emporte, si l'abus prévaut,
ce qu'on en peut conclure, c'est tout au plus que 1rs
spectacles dramatiques doivent être rangés parmi
ces maux, dont un habile historien (Mézerai) a dit
qu'on les défend toujours et qu'on les a toujours. El
si l'Eglise ne prononce pas contre ceux qui fréquen-
tent les théâtres les mêmes censures dont les comé-
diens ont toujours été frappés, c'est que, comme le
dit saint Augustin, elle n'exerce la sévérité de ses
censures que sur les pécheurs dont le nombre n'est
pas grand, afin de ne pas troubler l'ordre de la so-
ciété. Severilas exercenda est in peccata paucorum.
t Quant à ceux qui voudraient qu'on réformât le
théâtre pour, à l'exemple des sages païens, y ména-
ger à la faveur du plaisir, des exemples et des ins-
tructions sérieuses pour les rois et pour les peuples ,
qu'ils songent que le charme des sens est un mau-
vais introducteur des sentiments vertueux. Les
païens, dont la vertu était imparfaite, grossière, su-
perficielle, pouvaient l'insinuer par le théâtre; mais
il n'a ni l'autorité, ni la dignité, ni l'efficace qu'il
faut pour inspirer les vertus convenables à des
chrétiens. Dieu renvoie les rois à sa loi pour y ap-
prendre leurs devoirs. Qu'ils la lisent tous les jours
de leur vie; qu'ils la méditent nuit et jour comme
David ; qu'ils s'endorment entre ses bras, et qu'ils
s'entretiennent avec elle en se levant confTne un
Salomon (<i). Mais pour les instructions du théâtre,
la touche en est trop légère, et il n'y a rien de
moins sérieux, puisque l'homme y fait à la fois un
jeu de ses vices et un amusement de la verlu. .
Rien ne devait êlre plus imposant que les maxi-
mes et réflexions de Rossuet, dont ou vient de don-
ner un extrait. On sait que ce prélat savait toujours
mettre la vérité en évidence et l'erreur en déroule.
Cependant les défenseurs des théâtres osèrent encore
élever la voix.
(488) 11 y eut en Italie, vers l'année 1650, trois
fameux comédiens appelés Andreino, dello Lelio;
(a) L'Ecriture sainte, dit l'abbé Gros de Besplas, est le.
code des rois; c'est le livre du gouvernement de l'Etal.
On sait que Bossuet composa, par ordre de Louis XIV, m
ouvrage intitulé : Politique tirée des paroles del' Ecriture
sainte, Des causes du bonheur public, pag. 211.
(b) Sicilien d'une illustre famille, dont il est parlé dan^
le Diclionaire de Morghi, i. VII, p. 51 i, éilit. de. 17o9, à
l'occasion de Thomas del Monaii'" el Jacques del Mona-
clio.
(c) Jésuite espagnol, mort à Tolède va 1621. « Quod
t;,» dil-il, i non obtincuius ut ludi scouici pendus auio-
eno Siculo ; Patavii, 1G30. Cel ouvrage se
trouve à la Bibliothèque du roi. Son objet
est de soutenir celte asseriion de 3V!a-
riana (V88) : Censeo licentiam theatri affererre
Barbieri, dctlo Bellrame ; el Cecchino. Us firent l'a-
pologie (les théâtres dans des écrits qu'ils donnèrenl ;
le premier, sous le litre de Haijionnmenti, eic; le
second sous celui de la Supplicadi Nicole flarbieri,
dello Bellrame; et le troisième, sous celui de Dis-
corsi a favore délia virluosa e modesta comedia.
Les comédiens n'y sont pas flallés, surtout dans
le troisième écrit, où il est dit, p. 17, que leur état
est de vivre de la fange des vices : Specie infâme, la
quale in altro non studia, ne d' allro si compiace, b
vive, che di corrultele di costumi, di cbbrobrii palesi,
e di aperteimmonditic. Non insullans, sed gemens et
dolens hœe dico.
Ce fut à l'occasion de ces trois écrits que Mona-
cho (b) donna l'ouvrage intitulé : D. Francisci-Mariae
del Moxacho. Siculi Drepanilani, etc., In adores et
speclatorcs comœdiarum nostri temporis Parœnesis.
On en a fait en France une édition, et il s*en trouve
quelques exemplaires à Paris, chez Billard. Il y a
dans la Bibliothèque du roi un exemplaire de l'édi-
tion originale, coté D, 1130, n° 10.
Le P. Jean-Dominique Ouonelli , Jésuite , de la
ville de Tagnane en Italie , donna ensuite son ou-
vrage en quatre lomes in-4°, qui parurent successi-
vement à Elorence, en 1645, 1649 el 1652, el qu'on
a à la Bibliothèque du roi en trois volumes colés
D, 4533, D, 4554, D, 4535. En voici les titres abré-
gés : Délia Cristiana Moderalione del teatro; libro
dello la Qualilà dette Comédie lecile , etc.; — Libro
dctlo la solulione dé1 nodi, etc.; — Libro detlo /' am-
monilioni a' comedianli , etc.; — Libro detlo P in-
stanza per supplicare a' signori superiori che si mo-
deri christianamenle il teatro dalf oscenità, e da ogni
altro eccesso net recilare, etc.
Le P. Oltonelli a épuisé son sujet : il l'a traité
dans le plus grand détail el avec la plus vaste éru-
dition. 11 n'est point de cas ni d'objections qu'il
n'ait prévus; le tout y est décidé par les auteurs les
plus respectables.
Quant au traité de François-Marie del Monacho,
il ne contient qu'un 1res petit volume; mais il est
fait avec une telle méthode el avec une précision si
énergique, qu'il pourrait tenir lieu d'un corps de
doctrine sur celle malière.
Quelques auteurs, persuadés, comme le P. Olto-
nelli, de la difficulté d'obtenir la suppression totale
des théâtres, ont proposé du moins les moyens de
les rendre conciliables avec la vertu chrétienne.
Mariana (c) s'en étail déjà occupé; mais désespé-
rant du succès, il pensait que le ton scandaleux des
théâtres ne pouvait cire susceptible d'aucune ré-
forme, comme ces vers de Térence le disent de la
folle passion de l'amour :
Hère. Quœ res in se neque consilium neque modum
Uubel ullum, eam consilio regere non potes.
(Terent., Eun., act. i, se. 1.)
Néanmoins Louis-Antoine JVIuratori (d) eut aussi
le désir de rendre moins pernicieux les théâtres; et
l'on trouve ses vues sur cel objet dans les chapi-
tres 14 et 26 d'un de ses ouvrages intitulé : Délia
publica félicita; in Lucca, 174'J; in 8°, 460 pages.
veantur impetrare cerie cupimus ut legibus ceriis
circumscribanlur el linibus quos neino impune transgre-
diatur. Ouid eniin juval leges scriherc, quarum nulla
l'ulura est obser\aniia? tanielsi nullis legibus puiab;>rn
l'urorem buuc salis frenari posse. » (De iiimil. reg., c. Ici,
De speel.)
(d) Savant célèbre, né dans le territoire de Boulogne.
mon en 1750. Ses ouvrages mentent à- 4i> vol. in- fol.,
H vol. in -4°, 13 vol. iii-8°, el plusieurs aunes volumei
in'-li
10 ;3 DICTIONNAIRE DES MYSTERES. 10U
cerCissimam pestem moribus Christianis ; Délia Moderazione Chistiana del tcatro, da
c'est-à-dire j'estime que la liberté, qu'on se Ottonelli; Florenza, 1645 et 1652, 3 vol.
donne d'assister aux spectacles du théâtre, in-4°. Cet ouvrage italien se trouve aussi à
est assurément une peste pour les mœurs la Bibliothèque du roi. Le résultat de cet
des Chrétiens. ample traité est de prouver qu'il serait plus
Le marquis François Scipion Maffei (a) s'en est
également occupé, dans la prélace d'un recueil in-
li Lulé : Tealro ilaliano o &ia scella di tragédie per uso
délia scena ; vol. in-8°.
Il parut encore à Rome, en 1755, un ouvrage
italien en un vol. in-4% sur les vices et les défauts
du théâtre moderne, et sur les moyens de le cor-
riger. L'auteur, qui était de l'Académie des Arcades,
l'a donné sous ce titre : Dei vizi e de i difelli del
modemo tcatro e del modo di correqqergli e d' emen-
darli Itagionamen'i vi, di Lauriso Tragiense Pastore
Arcade in Roma, 1753; nella slamperia di Pallade;
in-4°, 315 pages.
Tous ces savants s'eflorcent de soutenir l'iion-
neur de l'art dramatique en lui-même. // lealro, dit
Muiutori, in se stesso non è illecito, ma taie lo fan
div entre le oscenità de comici e le comédie di cultivo
costume. — Il lealro, dit le nnrquis Maffei , mode-
rato, e corrello dagli abusi pub essere mile al buon
costume.
Nous convenons, avec ces littérateurs, qu'effecti-
vement l'art dramatique ne devient condamnable
que par les sujets des drames , par la qualité des
acteurs et par le lieu de la représentation.
Ou sail que cet art doit avoir pour objet de con~
tribuer aujtanl à la correction des mœurs et à la con-
servation des lettres qu'à l'amusement du peuple.
C'est même à celte condition que le gouverne-
ment est censé en tolérer l'usage. Or, noire théâtre
remplit-il cet objet? Oui, répondent atlirmalivement
nos comédiens et leurs partisans. Mais quand celte
assertion serait donnée par l'organe même de l'au-
torité publique (b), ce serait moins un éloge pour
nos comédiens qu'une injonction qui leur serait
faite de se conformer aux règles primitives et es-
sentielles de l'art dramatique.
Si, suivant une réflexion de Montesquieu (c), l'é-
lévation et la cbule des empires prouvent que ce
n'est peint la fortune qui régit le monde, mais que
c'est la vertu; que n'aurait-on pas à craindre pour
un gouvernement qui se dégraderait jusqu'à honorer
des acteurs, chanteurs et danseurs de spectacles',
c'est-à-dire, des gens qui, comme l'a observé de-
puis peu un lilléraleur estimable (d), sont dans l'un
et Vautre sexe des membres inutiles à la société, des
pierres d'achoppement et de scandale.
Néanmoins c'est à ces ge,ns-là que nos poêles sa-
crifient l'honneur de l'art dramatique; ils s'en ren-
flent honteusemenl les clients, ei ils en reçoivent la
loi pour leurs poèmes.
Sous la verge du comédien,
Esda\e, la muse se range (e).
« 11 y a, dit Le Franc de Pompignan (/"), une
grande différence entre composer des tragédies pu-
(fl) Né d'une famille illustre à Vérone en 1675, connu
par sa tragédie de M e'rone, sa Verona illustrala, et par
un grand nombre d'autres ouvrages, dont un sur les usa-
ges des anciens pour terminer les différends des particu-
liers. I! y (ait voir que le prétendu point d'iionneur, et le
duel en lui-même, sont opposés a la religion, au bon sens
et a l'intéiêl de la vie civile.
(b ) Comme dans les lelires patentes du ô0 juillet 1773,
pour la conslrncion des bâtiments devant, servir à la Co-
médie française.
{O Considérations sur les causes de m qrandeur et de
h décadence des Rmiains.
(d) Giosleyt associé de l'Académie des inscriptions et
nelles-lettres, tome III de ses Observations sur / Italie,
dont il paraît une nouvelle, édition en i vol , *-ous la date
de Tannée 1774 ; à Paris. eh>z de Hansy le jeune.
(e) Epure aux comédiens, sur le théâtre et les causes de
ta décadence ; par Billard, auteur du Suborneur
res, et les faire représenter par des acteurs gagés
et publics, dont l'état est le centre de la corruption.
N'aurions-nous pas besoin qu'on exécutât en France
ce qui avait été proposé à Londres par le docteur
Swifit, qu'on ne doit p;*s accuser d'une morale trop
sévère?
< 11 aurait voulu qu'il y eût des censeurs éclairés
et vertueux, qui fussent en droit de retrancher des
pièces anciennes et nouvelles toute grossièreté,
toute équivoque, tout détail capable d'offenser la
modestie et la pudeur. Jusque-là, ajoute Pompignan,
il sera vrai de dire que dans nos spectacles, le bon
est trop mêlé, trop confondu avec le mauvais, pour
qu'on puisse se reposer sur une jeunesse inconsi-
dérée et bouillante, du soin d'en faire la séparation,
et de profiler de l'un sans ressentir l'impression de
l'autre.
« 11 faudrait donc (continue le respectable acadé-
micien) réformer le théâtre : il faudrait des règle-
ments faits par des théologiens et par des magistrats
unis ensemble pour les concerter. Ces règlements
revêtus de l'autorité du prince, et dont on empêche-
rait que le crédit ni la faveur n'altérassent jamais
l'exécution, rempliraient, si je ne me trompe, cet
objet important. Je les réduirais à ces deux points :
t A l'égard des pièces, supprimer totalement cel-
les dont le fond est vicieux ou impie ; car nous en
avons de ces dernières, soit dans le tragique, soit
dans le comique : corriger celles qui ne pèchent que
dans les détails ; en ôter les expressions libres ,
grossièrement indécentes, n'y rien laisser en un mot
qui sente le libertinage du cœur, encore moins celui
de l'esprit.
< A l'égard des acteurs, n'en point recevoir don»
la conduite et les mœurs ne fussent irréprochables ;
les punir sévèrement, les priver même de leur em-
ploi, quand ils tomberaient dans des désordres pu-
blics; car il est des fautes secrètes et cachées qui
ne sont pas du ressort de la police. >
Ces idées de Pompignan seront peut être trailées
de rêves édilianls, dulcia semnia. Rare vox virtutis
sitiiur. Au reste elles ont pour objet de réconcilier
l'art dramatique avec la vertu ; et l'on doit savoir
gré à Fréron de les avoir exposées dans le 18e ca-
hier de l'Année littéraire de 1773; l'éloge qu'il eu
fait répond à son zèle contre nos faux philosophes,
qui , plus aveugles que ne l'étaient de s;iges païens (g)t
ne veulent point convenir avec un Senèque, que
sans religion il ne peut y avoir de bonheur pour
l'homme :
fida Pi, las est cornes ;
Nec illa vivwn deserit, nec mortuum.
(Senec.)
C'est aussi par un effet de ce zèle si estimable
(f) Dans sa Lettre à Louis Racine, sur le théâtre en
gêner*), et sur les tragédies de Jean Raciue sou père.
Celte Lettre tut imprimée pour la première fois en 1752 :
sa dernière édition a été donnée en 1773, pour, dit avec
justice l'éditeur, remettre sous les yeux ce. qui a paru de
plus sagement pensé et de mieux écrit sur les productions
elle génie de Corneille et de Jean Racine.
(g) Les sages païens rejetaient cette philosophie in-
sensée, qui méconnaît? l'autorité divine. Horace paraît,
d:;ns une de ses odes, s'être repenti de s'être livré à cette
folle philosophie :
Par eus Deorum cidlor, et infrequew
Insamenlis dum sapienlia'
Comultus erro : nunc retrormm
Vêla dare algue iterare cursus
Çogor relie tos.
(Lin. r, nd, 28 eu 31.)
lui.")
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
104G
sûr et plus utile de défendre absolument les et virorum accuralior cultus, ipsa constnsio,.
speetaclesque d'entreprendre deles réformer, ipsa in favoribus aut conspiratio aut dis-
Et cette thèse est établie surcette maximed'un sensio, inler se de commercio scintillas libidi
ancien auteur : In omnispcctaculonullum ma- num conflabellant. Nemo denique in specta-
gis scandalum occurit quamille ipse mulierum culo ineundo prius cogitât nisivideri etvidere.
que dans le premier cahier de la même Aunée litté-
raire, Fréron a reproché à La Harpe d'avoir avancé
que le célèbre Jean Racine cessa de travailler pour
la scène, parce qu'il fui découragé par les critiques
qu'on faisait de ses pièces. « Rien de plus faux, dit
Fréron, ni de moins vraisemblable! Racine n'était
pas d'une trempe d'esprit à céder si facilement le
champ de bataille à ses ennemis, il était né avec
le talent de l'épigramme, et plus d'une fois il em-
ploya cette arme avec succès contre ses ennemis.
Est ce que les critiques ont arrêté dans leur vol les
Corneille, les Molière? Ne voyons-nous pas tous les
jours qu'elles ne peuvent même écarler de la lice
les auteurs les plus médiocres, qui, toujours chassés,
y rentrent toujours avec une inflexible opiniâtreté?
Pourquoi dissimuler le véritable motif delà retraite
de Racine? Pourquoi? La raison en est simple.
Dans ce beau siècle de philosophie, on croirait avi-
lir un littérateur illustre si l'on citait la religion
pour le principe de ses démarches. On aime mieux,
en faire un homme faible et pusillanime, que d'en
faire un Chrétien. Ce serait une tache trop hon-
teuse à sa mémoire. Mais la vérité, dont la voix
é ouffera toujours celle de la philosophie, la vérité,
qui s'annonce clairement dans l'histoire, nous dit
que les grands sentiments de piété que Racine avait
puises dès son enfance à Port-Royal, où il avait été
élevé, se réveillèrent dans son âme, et qu'il re-
nonça pour toujours au théâtre , quoiqu'il n'eût
que trente huit ans; sa ferveur alla même jusqu'à
vouloir se faire Chartreux : son confesseur, qui
trouva ce parti trop violent et trop peu conforme
à son caractère, l'en détourna, lui conseilla de res-
ter dans le monde, et l'engagea même à se marier
avec quelque personne vertueuse. C'est d'après l'a-
vis de ce sage directeur qu'il épousa Catherine de
Romanel, fille d'un trésorier de France.
< 11 était possible que l'injustice des hommes
l'eût rapproché de Dieu. Ce ne serait pas la pre-
mière fois qu'on eût vu celte espèce de miracle
s'opérer; mais toujours était -il certain que ce fut
la religion qui se fit entendre au cœur de Racine ;
cl la conduite qu'il tint depuis son changement le
prouve. Voilà, dit Fréron, en finissant cet arlicle,
ce que La Harpe ne devait pas laisser ignorer. »
Bayle, en parlant de la vie du pieux et célèbre
Pascal, a dit : « Cent volumes de sermons ne va-
lent pas celle vie-là, et sont beaucoup moins capa-
bles de désarmer les impies. L'humilité et la dévo-
tion de Pascal mortifient plus les libertins que si on
lâchait sur eux une douzaine de missionnaires. Ils
ne peuvent plus dire qu'il n'y a que de petits esprits
qui aient de la piélé; car on leur en fait voir de
la mieux poussée dans l'un des plus grands géo-
mètres, des plus subtils métaphysiciens, el dei plus
pénétrants esprits qui aient jamais été au monde.
On fait bien de publier l'exemple d'une si grande
venu; on en a besoin pour empêcher la prescrip-
tion de l'cspril du monde contre l'esprit de l'évan-
gile \a). »
Ce que Bayle a dit de Pascal no doit-il pas èlre
également dit de Jean Racine? Quel poids l'exemple
édifiant de ce grand poète n'ajoule-i-il pas à loul
ce qu'on a écrit contre les théâtres 1
Mais comme dans ce siècle, loul ce qui parait
(Ire émane de la piété est attribué à des opinions
de dévols illuminés, il n'y a rien de moins suspect
{a) Nouv. de la répull, des lettres, décembre 108fc,
gage 531.
(b) Cet ouvrage est de Chaudron.
ni de plus fort à opposer aux spectacles, que le
jugement qui en a é é porté par quelques-uns de
nos philosophes anlichrélicns. Quel succès, par
exemple, n'a pas eu la Lettre de J.-J. Rousseau?
Nous rapporterons, plus loin ce qu'il y a de plus
frappant. Nous allons ajouter ici le témoignage
qu'un auteur protestant, Antoine-Jacques RoustanI,
en a donné dans un ouvrage imprimé en 1769,
sous ce litre: Offrande aux autels et à la patrie;
in-8° de 215 pages. « Je suis témoin , y est -il dit
page 80, que la Lettre de M. Rousseau a éclairé sur
les mauvais effets des théâtres une foule de gens
à Genève. Il a démontré que les charmes trom-
peurs des spectacles ravissent à la fois aux ci-
toyens leur subsistance, leur temps, leur santé et
leurs mœurs. Les arts voluptueux, tels que la musi-
que, la comédie, etc., ne prouvent poinl l'augmen-
tation et la durée du bonheur d'une nation ; ils
prouvent le nombre des fainéants el leur goùl pour
la fainéantise. Enfin ces amusements frivoles infec-
tent l'Etat entier, et amollissent les âmes jusqu'au
point, comme l'observe M. de Montesquieu , liv. m
de l'Esprit des lois, que les Athéniens, peu d'années
avant leur défaite à Chéronée , firent une loi qui
condamnait à mort le premier qui proposerait de
convertjr aux besoins de la guerre l'argent destiné,
aux théâtres. Qu'importe en effet de n'avoir poinl
de liberté, pourvu qu'on ail des comédiens! »
Nous le répétons, faut-il que la cause des specta-
cles ait été soutenue ex professo ou incidemment,
par quelques ministres de la communion romaine?
Nous pourrions en citer plusieurs, tels que Leslrade,
Hédelin d'Aubignae, Irailh,etc. Nous nous y sommes
crus obligés, afin qu'on ne nous reprochât pas d'i-
gnorer les apologies que [lesj partisans du théâtre
ionl le plus valoir. Au resle, elles sont en si petit
nombre, qu'il faut en juger comme l'on juge des
exceptions, qui, par leur rareté, confirment la règle.
C'est une réflexion judicieuse, qui se trouve sur
ce même objet, dans un Recueil intéressant d'entre-
liens, imprimé en 1774, sous ce titre : L'Homme du
monde éclairé (b). Le huitième de ces entretiens
regarde le théâtre; el il y est donné comme le ré-
sumé d'un ouvrage qui y est indiqué sous le litre
de Réflexions morales, politiques, historiques el litté-
raires, sur le théâtre; en 5 volumes. Qu'on ne se
prévale donc pas du scandale qu'ont donné quelques
ecclésiastiques, en écrivant en faveur du théâtre!
Nous y répondons en plusieurs endroits de ce tra-
vail. On ne doit les citer que comme des littérateurs
séduits.
C'est par celle considération que nous refusons
d'admettre les témoignages du cardinal de Richelieu,
de Fénelon , archevêque de Cambrai, etc., que
l'abbé Gros de Besplas a cités (c) en faveur de nos
spectacles, cl nous opposerons son opinion à celle de
Bodin. Nous sommes persuadés que Gros de Besplas
n'aura point prévu l'abus qu'on pouvait faire de
quelques-unes de ses idées sur cet objet. Il n'hésite-
rait pas sans doute à conseillei de leur préférer le»
Maximes et Réflexions de Bcssuel sur la comédie.
C'e.->l en effet un excellent ouvrage , nous en
avons parlé. Mais nous avons omis d'observer qu'il
ne fallait pas adopter le jugement que l'abbé Tal-
berl, chanoine de Besançon, en avait porté dans un
Eloge historique qu'il a fait de Bossuel, el qui rem-
porta, en 1772, le prix de l'Académie de Dijon. Tal-
ie) Ibns un livre intitule : Des causes du bonheur py
''<!.", page 563, édit, de 17G8. in-b\
1047
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
§018
Ce passage cïpose tous les risques que l'on
court pour les mœurs dans des spectacles,
où, comme le disait Ovide , les hommes et
les femmes ne sont excités à aller que par le
désir de voir et d'y être vus, et de s'animer
ri y a parlé de oel ouvrage de manière à faire
aire que le prélal s'élait chargé d'une ea'isc équi-
beri
croire que le prélal s'élait chargé d'une ea'isc éqi
voque, el qu'on ne doil y admirer que Varl avec
lequel il en a tiré paru, par son adresse à saisir le
côté faible de notre scène , si elle en a un. Talberl
ajoule que la sévérité de Bossuel trouvera des con-
tradicteurs éclairés ; qu'il y parle du théâtre en
homme qui fa fréquenté; qu'on assure qu'il n'a cessé
d'y aller que lorsqu'il fut dans les ordres sacrés ;
qu'il y avait reçu des leçons pour se former à l'action
oratoire ; qu'on peut opposer à cet ouvrage l'éloge que
ce même prélat a fait de Térence dans sa lettre à In-
nocent XI ; qu'au reste, en lisaiit les Maximes sur
la comédie, il ne faut pas oublier que c'est un évoque
qui parle.
L'abbé Talberl devail donc lui même ne pas l'ou-
blier ; et, au lieu de s'abaisser jusqu'à paraître par-
tager l'intérêt que les gens du siècle prennent au
théâtre, il devait conserver à renseignement de
Bossuel, sur ce point de morale, loule son autorité ;
il devail enfin ne pas contribuer à en augmenter
les futiles contradicteurs, en leur suggérant des
sophismes inconciliables avec une lumière pure et
dégagée des nuages de l'illusion. Le Discours de
l'abbé Talberl n'aurait pas moins mérilé d'être cou-
ronné par les académiciens, qui ont rendu justice à
son éloquence.
Nous pouvons assurer que les gens du monde
qui, pour l'intérêt de leurs passions, paraissent
accueillir dans les ecclésiastiques ct's sortes de fai-
blesses, n'en sont pas moins scandalisés intérieure-
ment, et quelquefois ils le manifestent. En voici un
exemple :
Les habilans de Marseille ont fait construire, hors
de l'enceinte de leur ville, un cirque qui, eoinine le
Vaux-Hall (a) ou le Colysée de Paris, est destiné à
des bals, comédies, opéras, cafés, et autres specta-
cles. La nouveauté de cet établissement voluptueux
excita plusieurs ecclésiastiques à se permettre de le
fréquenter. On en fit des plaintes. De Belloy, évèque
de Marseille, donna, le 13 octobre 177-2, une or-
flonnance imprimée, précédée du réquisitoire de
Long, chanoine, promoteur général, pour réformer
une licence qui, y est-il dil, avait scandalisé les gens
du inonde. Celle ordonnance défend la fréquenta-
tion du cirque , et enjoint d'exéculer l'article 5 du
litre premier des Statuts synodaux du diocèse, par
lequel « il est défendu même aux simples clercs, el
à l'égard des prêtres séculiers el réguliers, sous
peine de suspense ipso facto, de se trouver aux bals,
comédies, opéras el aulres spectacles, si contraires
à la sainteté de leur étal et à l'esprit du christianisme.!
Cet acte de zèle et de vigilance de l'évèque de
Marseille fut annoncé dans quelques écrits pério-
diques. Il est en effet très-intéressant, dans un
siècle où les incrédules osent insulter la pureté de
la doctrine évangélique, connue l'a f;iit un d'entre
cuv, dans un ouvrage imprimé en 1773, sous le litre
de Système social.
Cet écrivain a la témérité d'y soutenir, dans le
chapitre 3, que la religion, loin d'éclairer et de fa-
ciliter la morale, ne fait que l'affaiblir et l'obscurcir ;
que le Dieu des chrétiens n'est pus un guide sûr
pour nous cauduirc à, la vertu réelle, que la nature,
/'expérience et la raison sont les seuls guides auxquels
nous devons nous adresser pour découvrir ce que nous
(a) binguel reconnût qu'il s'était trompé en prenant lr>.
mot Hall pour un nom d'homme; que ce mol anglais
signifie salle; que le- mot Vaux la caractérisait; que ce
moi a pour et jmolegie vax, qui en anglais signifie ?tj fji-,
réciproquement aux passions qui résultent
nécessairement d'un pareil motif.
Traité de la comédie. Nicole (né à Char-
tres le 13 oclohre 1625, et mort à Paris le 16
novembre 1695), en est l'auteur. Ce Traité
nous devons à nous-mêmes, el ce que nous devons à la
société.
Il est évident que ces guides ont très-mal en-
doctriné sur la religion cet écrivain , mais ils l'ont
très-bien instruit sur les spectacles.
c On voit, y esl-il dil chap. 10, part, ni, que dans
des nations corrompues, et surtout dans les grandes
villes, qui sont communément des senlines infectées
par le vice, les usages, les lois, les institutions hu-
maines, loin de chercher à rendre les citoyens plus
sages et plus heureux, contribuent très-souvent à
les rendre insensés cl misérables. Leurs folies et
leurs maux sont encore aggravés et multipliés par
le luxe, la vanité, la passion du plaisir. Dans un
pays où les esprits sont ainsi disposés, la contagion
du vice entre, pour ainsi dire, par toutes les portes.
Toul invile à la débauche el à la dépravation. Quels
funesles effets ne doivent poinl produire des specta-
cles dans lesquels toul conspire à nourrir ou à faire
éclore des passions amoureuses, qui sont le plus
souvent une source intarissable de peines? Que
penser des gouvernements qui, non-seulement to-
lèrent, mais encore donnent ouvertement leur pro-
tection à des amusements qui sont évidemment
pour la jeunesse les écoles du vice; des lieux pri-
vilégiés, destinés à irriler les passions ; des écueils
où l'innocence, attaquée par les yeux cl les oreilles,
séduite par les maximes d'une morale lubrique, ré-
chauffée par la musique el par des danses lascive»,
s'expose à des naufrages continuels?
« On nous dit chaque jour que le théâlre, épuré
par le goût cl la décence, est devenu pour les mo-
dernes une école de mœurs. Ne sulTn-il pas d'ou-
\rir les yeux pour se détromper de celte blàe ?
L'objet de la plupart des drames les plus eslimés
n'esl-il pas de nous peindre sans cesse des intri-
gues amoureuses, des vices que l'on s'efforce de
rendre, aimables, des désordres fails pour séduire
la jeunesse inconsidérée, des fourberies capables de
suggérer mille moyens de mal faire? Le ridicule
destiné à corriger les hommes de leurs extrava-
gances n'est il pas souvent jeté sur la droiture, l'in-
nocence, la raison, la vertu même, pour lesquelles
toul devrait inspirer le plus grand respect? Enfin,
peut-on prétendre de bonne foi que ce soit pour
prendre des leçons de sagesse que tant de désœuvrés
vont journellement courir à des spectacles, où, peu
attentifs à la pièce, nous les voyons perpétuelle-
ment volliger autour d'une troupe de sirènes, qui
vivent du trafic de leurs charmes, et qui mettent
loui en usage pour entraîner dans leurs pièges ceux
dont elles ont irrilé les désirs? Après avoir vu la
tendresse conjugale tournée en ridicule dans un
grand nombre de comédies, une femme renlre-t-elle
donc chez elle bien pénétrée des devoirs de son
étal el des sentiments qu'elle doil à son époux?
Quelles impressions peuvent faire sur le cœur novice
el tendre d'une jeune fille les exemples séducteurs
que lui montrent tanl de drames, à la représen-
tation desquels ses parents ont eux-mêmes la folie
de la conduire? A combien d'éeueils une ànte sen-
sible n'esl-elle pas continuellement exposée par
l'imprudence de ceux qui devraient la garantir des
dangers ? ,Si quelques auteurs illustres el chers
aux nations ont connu le vrai but de l'art drama-
tique, combien d'autres n'ont fait qu'alliser des
et qu'ainsi Vaux-Mali signifiait une grande salle bien
é< lairéft ( Votiez la Réponse de l.inguet aux docteurs mo-
dernes, part, i, rage (U9 )
13ii>
NOTICE SIK LE THEATRE LILR!
IDiiO
se trouve dans le tome III do ses Essais de
morale. Il fut fait, vers 1658, pour réfuter les
écrits d'Hédelin d'Aubignac.
Pensées sur les spectacles. Elles sont aussi
de Nicole, el elles se trouvent dans le tome V
de ses Essais de morale. On sait que tous
ses Traités de morale ont produit des biens
innombrables. On y trouve un enchaînement
continuel de preuves et de raisonnements si
suivis de principes en principes, et de con-
séquences en conséquences, qu'un fameux
incrédule disait de cet auteur : Quand on le
lit, il faut prendre garde à soi; si on lui passe
quelque chose, il arrache le consentement, et
on est bientôt confondu.
Le début du Traité de la comédie fait con-
naître que ce n'est guère; que dans le siècle
dernier que l'on a entrepris de justifier la
fréquentation des théâtres. « Les autres siè-
cles, dit Nicole, étaient plus simples dans le
bien et dans le mal. Les personnes quiavaient
la passion du théâtre reconnaissaient au
moins qu'elles ne suivaient pas en cela les
règles de la religion chrétienne; mais dans
ce siècle on ne se contente pas de suivre le
vice, on veut encore qu'il soit honoré, et
qu'il ne soit pas flétri par le nom honteux
du vice qui trouble toujours un peu le plai-
sir que 1 on y prend par l'horreur qui l'ac-
compagne. »
Toutes les pensées de ce grand philoso-
phe sur les spectacles sont intéressantes:
on n'en citera que celles-ci du tome V de
ses Essais de morale.
« C'est un effet du premier péché , et la
source de tous les autres, de n'avoir point
de goût pour les biens spirituels, et de n'en
avoir que de faibles idées. La religion et la
foi tâchent de remédier à ce désordre; mais
les spectacles rendent le dégoût des vrais
biens encore plus grand, et en affaiblissent
encore plus les idées. On y apprend à juger
de toutes choses par les sens, à ne regarder
comme bien que ce qui les satisfait, el 5 ne
considérer comme subsistant et réel que ce
qui les frappe. Au lieu de travailler à guérir
les plaies qu'ils ont faites à l'âme, et à la
délivrer de la dépendance où elle est à leur
égard, on fortifie les liens qui l'asservissent,
on les multiplie, et on la contraint en quel-
que sorte à être toute dans les yeux et dans
les oreilles. On l'attire du dedans au dehors,
où elle avait déjà tant d'inclination à se pro-
duire et à se répandre; et on la fait sortir
de son cœur, où elle avait déjà tant de peine
à rentrer. On lui cache son véritable bon-
heur; on l'amuse par des choses frivoles :
et au lieu de satisfaire sa faim par une nour-
riture solide, on la trompe en ne lui donnant
que des viandes peintes, ou en l'empoison-
passions nuisibles, cl alimenter des folies dange-
reuses, également contraires au vrai bonheur de la
société! i
La nature, la raison el Vexpéricncc, que les déisles
reconnaissent pour leurs seuls guides, oui égale-
ment éclairé le marquis d'Argcns sur les funestes
eHV-ls de la passion pour le théâtre. « Elle est por-
tée, dit-il. à un (cl cvcès, qu'on a vu de uns jouis
une armée marchant avec Jeux ou nuis iroupes de
nant par l'erreur el le mensonge. On apprend
aussi aux spectacles deux choses également
funestes : l'une, à s'ennuyer de tout ce qui
est sérieux, el par conséquent de tous ses
devoirs; l'autre, à trouver cet ennui insup-
portable, et à en chercher le remède dans la
dissipation. Le premierde tous cesdésordres
est un obstacle à toutes les vertus, et le se-
cond est une entrée à tous les vices;
mais l'un et l'autre sont certainement la
suite des spectacles, el toujours dans la même
proportion qu'on les aime et qu'on y est
assidu. »
On trouve les cinq ouvrages suivants in-
diqués dans VElnt actuel de la musique du
roi et des trois spectacles de Paris; 1768:
Traité des danses, auquel est démontré qu elles
ne doivent pas être en usage parmi les chré-
tiens, par Thomas Chesnot; 1754-, in-12. —
Traité des danses, auquel est amplement réso-
lue la question s'il est permis aux chrétiens
de danser, par François Estienne; 1759,
in-12. — David Vethery, Discursus exhibent
très sermones de comœdiis ; quorum primus
comœdias laudat, altcr vitupérât et damnât,
tertius districte respondet; Basileœ, 1619,
in-i". — Lettre sur les désordres qui se com-
mettent à Paris louchant la comédie , et sur
les représentations qui s'en font dans les mai-
sons particulières, par M. Bourdelot, avo-
cat; 1660, in-12. — Réflexions morales sur
les spectacles, par M. Diî Jean, prieur de
Longwy; 1760, in-12.
Traité contre les danses et les comédies,
composé par saint Charles Borromée ; Pa-
ris, 1664. Cette traduction fut imprimée à
Toulouse en 1662, el elle fut dédiée à la
princesse de Conli.
Il a paru depuis un très-bon ouvrage, où
l'on trouve des armes de toute espèce pour
combattre avec succès les apologistes de la
danse et de la musique voluptueuse Voici
le titre de cet ouvrage : Traité contre les
danses et les mauvaises chansons, dans lequel
le danger et Je mal qui y sont renfermés,
sont démontrés par les témoignages multi-
pliés des saintes Ecritures, des saints Pères,
des conciles, de plusieurs évoques du siècle
passé et du nôtre, d'un nombre de théolo-
giens moraux, de casuistes, de juriscon-
sultes, de plusieurs ministres protestants,
et enfin des païens mômes; Paris, Boudet,
1769.
Traité de la comédie et des spectacles, par
le prince de Conti ; Paris, 1666.
Défense du Traité de M. le prince de Conti
sur la comédie et les spectacles, par Voisin,
prêtre, docteur en théologie, conseiller du
roi ; Paris, 1672.
Traité de la comédie, inséré dans YEéu-
comédiens, el le maréchal général des logis aussi
occupé de la place et du logement des troupes
comiques, que le commandant de l'armée du parc
d'artillerie. Or, quand on esl parvenu à pousser la
corruption, ci l'amour du théâtre jusqu'à un tel
point, ne doit- on pas craindre, que les nations où
cet usage s'est introduit, aient le même sort que
les Grecs cl les Romains, qui ne furent détruits que
poui s'êlrî livrés à t.» mollesse? »
1CM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1032
calhn chrétienne des enfants; Paris, 1672.
Nie. Harrf.s Libellus de comœdiis et tra-
<jœdiis occasione , libri xi , tit. xl, Cod. de
spectac, in quo duae qurestiones de ludorura
scenicorura apttd Christianos et in scholis
u ilitate et noxa ; Francofurti ad Mamum,
H91, in-8°.
Les apologistes des théâtres publics ne
seraient pas fondés à réclamer pour eux cet
ouvrage.
Réponse à la lettre d'un théologien, défen-
seur de la comédie ; Paris, 169V, dans le Cata-
logue de la Bibliothèque du roi, n° D, 45i3.
On attribue cette réponse au sieur de Ble-
VAL.
Réfutation d'un Ecrit favorisant la comé-
die; Vans, 1694.
On y a mis cette épigraphe : Donare res
suas hislrionibus, vilium est immane : Donner
son bien aux comédiens, c'est un vice
énorme. Le P. de La Grange, chanoine régu-
lier de Saint-Victor, est l'auteur de celte Ré-
futation.
Décision faite en Sorbonne touchant la co-
médie; Paris, 1694. Cette décision est du 20
mai 1694 ; elle est signée de six docteurs
dont voici les noms: Fromageau, Durieux,
de Blanger, l'Huillier, de Lacoste, et Bonnet.
Celte décision, qui contient 132 pages in-12,
est un t roi té intéressant sur la matière qui
en est l'objet.
On donna, en 1731, une nouvelle édition
de ces Discours , et, a cette occasion, il parut
dans le Mercure du mois d'août de la même
année, l'écrit suivant : Lettre écrite de Mar-
seille le 1" juillet 1731, à M. de La reçue (au-
teur du Mercure) au sujet des Discours du
P. Lebrun sur la comédie. Laroque, en ren-
dant compte, dans le Mercure du mois de
mai 1731, de la nouvelle édition des Dis-
cours du P. Lebrun, avait dit : « qu'il avait
raison de dépeindre notre théâtre comme
l'école de l'impureté, la nourriture des lias-
sions, un assemblage où les yeux sont en-
vironnés d'objets séducteurs , et où les
oreilles sont ouvertes à des discours sou-
vent obscènes et toujours profanes, qui in-
fectent le cœur et l'esprit. »
Ce témoignage était d'autant plus impo-
sant, que c'était le suffrage d'un littérateur
qui, par une suite de ses fonctions de jour-
naliste, était l'historien des spectacles pu-
blics.
Un partisan fanatique des théâtres en fut
si irrité, qu'il adressa à l'auteur du Mercure
la lettre qu'on vient d'indiquer. En voici un
échantillon : « Je n'ai pu lire sans étonne-
nient, Monsieur, les éloges avec lesquels
vous annoncez dans votre Mercure du mois
de mai dernier, les Discours du P. Lebrun
sur la comédie. Si vous dites qu'il a réfulô
si solidement la Lettre du P. Caffaro, qui a
Réfutation des sentiments relâchés du nou- justifié la comédie; pourquoi, homme pieux
veau théologien, touchant la comédie; Paris, et rigoriste comme vous Je paraissez dans
1694. L'auteui de ce solide ouvrage déclare
(pag 133) avoir été amateur des spectacles.
« Je ne conuais point, dit-il, d'esprit plus
opposé à l'esprit du christianisme que l'es-
prit de la comédie. J'en ai été peut-être aussi
entêté qu'un autre; mais j'avoue, à ma con-
fusion, que je n'ai jamais été moins chré-
tien que pendant cet entêtement. On se
trouve dans un certain relâchement, dans un
je ne sais quel vide de Dieu, dans une in-
disposition et une inapplication si grande
dans les exercices de la religion, que quand
même on ne serait pas engagé dans de grands
désordres, on peut dire que l'on vil parmi
les chrétiens d'une manière toute païenne;
et c'csl un mal qui ne vient pas tout d'un
coup, mais peu à peu , d'une manière im-
perceptible et par degrés; car le crime aies
siens de même que la vertu L'harmonie
de l'âme est entièrement dissipée à la co-
médie, pnisqu'on y perd ordinairement les
sentiments de la pudeur, de la piété et de
la religion, si l'on y va souvent; et elle y
est fort ébranlée pour peu qu'on y aille, en
ce qu'elle excite et réveille les passions,
qu'elle fait ou doit faire cet effet dans tout
I ô monde ; parce que c'est son but, sa fin et
son dessein, et que ce n'est que par acci-
dent qu'elle ne le fait pas toujours. »
Discours sur la comédie; Paris, 1694.
Le prétendu théologien défenseur de la
comédie, est réfuté dans cet ouvrage parles
tenliments des docteurs de l'Eglise, depuis
h' i" siècle jusqu'à présent. Le P. Lebrun,
d ; l'Oratoire , est l'auteur de ces discours
dont il y a eu plusieurs éditions.
votre extrait, nous donnez-vous dans vos
Mercures des analyses de toutes les pièces
de théâtre, si vives et si expressives, que
vous engagez la plupart de vos lecteurs à
aller participer à ces spectacles , que vous
d des, avec le P. Lebrun, être si pernicieux?..
Sachez que Ton serait mieux fondé à deman-
der au P. Lebrun une rétractation, s'il vivait
encore, qu'on ne l'a été à en exiger une du
P. Caffaro?» L'auteur du Mercure n'hésita
pas h insérer celte lettre dans son journal.
Il n'y ajoula aucune réflexion, persuadé qu'il
se trouverait vengé par le peu de cas que le
public ferait de cette lettre. Mais , quelque
inépris qu'elle méritait, il y eut un homme
de lettres (Simonel), qui observa que « la
plupart des partisans des spectacles sont
portés , plutôt par inclination que par lu-
mières, à juger favorablement d'un écrit fait
exprès pour justifier les théâtres. » El, en
conséquence, il se chargea de faire à celle
Lettre une réponse, qui fut imprimée sous
le titre qui suit : Dissertation sur la comédie,
pour servir de réponse à la Lettre insérée
dans le Mercure d'août 1731, au sujet des Dis-
cours du P. Lebrun sur la même matière, par
M. Simonet; Paris, 1732.
Cette Dissertation fut insérée dans le
Mercure du mois de février 1732. Simonet y
démontre qu'il ne faut pas prendre pour une
apologie des théâtres les jugements favora-
bles que les journalistes portent dés pièces
dramatiques.» Une même chose, dit-il, con-
sidérée sous différents rapports et sous diffé-
rents points de vue , peut être bonne «f
mauvaise, louable et repréhensible en même.
4035
NOTICE SUIl LE TIIEATIŒ LIBRE.
10."Ï4
temps; et tels sont les spectacles 1 Ils ont
leur beauté, et môme leur bonté en un sens.
On dit tous les jours, et avec raison : voilà
une bonne pièce, en parlant d'une comédie
qui plaît; c'est un ouvrage d'esprit qui est
lion en ce genre, mais souvent très-perni-
cieux par rapport au cœur : et rien n'em-
pêche qu'on ne le roue d'un côté, et qu'on
iie lu blâme de l'autre.»
Un journaliste estimable montre siraple-
m ni dans ses analyses ce qu'on a trouvé de
beau ou de bon dans les pièces de théâtre;
« mais cela ne regarde que l'esprit , sans
toucher aux mœurs et à la conscience, dont
alors il n'est point question. D'ailleurs , le
dessein de ces analyses n'est pas, comme on
le suppose, d'attirer les lecteurs aux spec-
tacles, mais seulement de leur en donner
une légère teinture qui peut avoir son uti-
lité pour plusieurs, et qui ne fera pas une
grande impression ni sur les personnes por-
tées d'elles-mêmes à y participer, ni sur
celles qui en ont de l'éloignement. Au reste,
quelque bien qu'un journaliste dise des piè-
ces dramatiques, il n'en est pas moins vrai
que notre théâtre, tout épuré qu'on prétend
qu'il soit, est très-dangereux a fréquenter,
parce que si les pièces présentent quelque-
fois des leçons de vertu, on n'en rapporte
cependant que les impressions du vice.»
Sentiments de l'Eglise et des saints Pères,
pour servir de décisions sur la comédie et sur
tes comédiens, avec cette épigraphe : Nolite
communicare operibus infructuosis tenebra-
rum, magis autem redarguite. (Ephes., v, Il .)
Paris, 1G94, dans le Catalogue de la Biblio-
thèque du Roi, n° D, 4540. On attribue cet
écrit à Cou tel.
Lettre d'un docteur de Sorbonne à une
personne de qualité, sur le sujet delà comé-
die, par Jean Gerbois ; Paris, 1G94.
Lettre française et latine du P. François
Caffauo, à M. de Harlay, archevêque de Pa-
ris; IGO'i-.
Ce religieux y désavoue la lettre du pré-
tendu théologien, qu'on lui avait attribuée.
Cette rétractation éditianle est imprimée à
la lin de ce volume, elle donna lieu a l'ou-
vrage suivant: Maximes et réflexions sur la
comédie, par Jacques-Bénigne BosscET,évê-
oue de Meaux, né à Dijon le 27 septembre
1G27, et mort a Paris le 12 avril 1704; Pa-
ris, 1G94.
Voici le jugement que l'auteur du Journal
des Savants, Ue l'année 1G94 , porta de cel
ouvrage: « Cesraaximesel réllexions pleines
de principes de religion, découvrent avec
une entière évidence le mal que font ceux
qui assistent à la comédie, et le scandale
qu'ils y donnent. On y voit les dispositions
dangereuses et imperceptibles qui s'y ap-
portent et qui s'y prennent, la concupis-
cence qui s'y répand par tous les sens dans
l'esprit et dans le cœur. »
Cet écrivain périodique cul à pendre
(i89) Voyez les Mém. de M. de Monlchal, loin 1",
p, 107; ol loin. Il, p. 59 cl 215.
(190) Infaiilc d'Espagne qui, n'étant pan encore ma-
riée, dit Bossuel, faisait vuraUie vins de belles quiilï-
compte d'ouvrages fort opposés les uns aux
autres sur la matière des spectacles. Il sou-
tint le caractère d'un bon el judicieux jour-
naliste. On ne le vit pas dans ses extraits
prêler du secours aux partisans de l'erreur.
Et il manifesta son respect pour la vérité
dans le compte qu'il rendit des écrits où l'on
soutenait la bonne cause.
Que ceux qui citent comme favorable
aux théâtres la réponse que Bossuel,
évoque de Meaux, fit à Louis XIV, et que
l'on trouvera dans la première Lettre do
Boissy sur les spectacles, lisent les maximes
et les réflexions de ce prélat sur la comédie.
Ils ne reconnaîtront dans celte réponse
qu'une instruction donnée ingénieusement
et avec prudence à un grand monarque. Et
alors ils ne s'autoriseront plus du préjugé
vulgaire sur le banc qu'on dit que les évo-
ques avaient autrefois aux spectacles de la
cour, et dont il sera parlé dans la seconde
Lettre de Boissy.
Il est vrai qu'il est rapporté dans les Mé-
moires de Montchal que le cardinal de Riche-
lieu fit exécuter à la cour et dans son palais
plusieurs représentations de drames et de
ballets. Et comme dans ces ballets, les prin-
ces elles seigneurs étaient acteurs, on y
invitait toutes les personnes de lacoursans
en excepter les prélats; mais ce que nous
devons penser de la faiblesse de ce cardinal
nous est suggéré par les mômes Mémoires.
« Le cardinal de Richelieu, y est-il dit, au-
torisait la comédie par sa présence aux spec-
tacles de la cour, et l'introduisant dans son
Palais-Cardinal, en quoi il se conduisait par
un esprit bien contraire à celui de tous les
Pères de l'Eglise, qui l'ont rejetée el con^
damnée comme la corruption des mœurs, et
une école publique de libertinage. »
Convient-il de s'autoriser de faits rappor-
tés comme des scandales? Aussi Montchal
nous apprend que les prélats vertueux éle-
vèrent leur voix contre cette licence, tel fut,
entre autres, Godeau, évêquedeGrasse (489).
Un amateur zélé des spectacles en a donné
une Histoire sous ce titre : Lettres histori-
ques sur tous les spectacles de Paris; 1719.
Cet auteur cite comme des anecdotes avan-
tageuses aux théâtres, que le cardinal Ma-
zarin, en 1G47 et 1G60, fit venir d'Italie des
acteurs pour représenter les opéras italiens,
Orfeo è Euridice, et Hercolc amante, et qu'il
doit ôlre regardé comme l'instituteur de
l'Opéra en Fiance.
Cependant cet historien convient que si
ce cardinal avait prévu les abus qui se sont
introduits dans ce spectacle, il ne l'aurait
pas établi.
Mais ces anecdoles de 1647 et de 1GC0
n'ont pour objets que des fêtes de cour ex-
traordinaires. L'opéra par exemple, Hercolc
amante, orné de ballets magnifiques, fut re-
présenté à l'occasion du mariage de Louis
XIV avec Marie-Thérèse d'Autriche (490).
tés quelle n'attendait de couronnes'. Elle mourut le
50 juillet 1083. Le roi,. qui honorait sa vertu, dit
eu apprenant sa mon : S'oHà le premier chagrin
qu'elle m'ait jamais camé;
*C25
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
I0.V6
Mais , de l'appareil cl dos cliquettes des
fûtes de la cour, il ne faut rien conclure en
faveur des théâtres publics.
Ainsi c'est sans fondement que l'auteur
des Lettres historiques sur les spectacles,
donne le cardinal Mazarin pour l'instituteur
de l'Opéra, c'esl-ii--dire, de ce spectacle pu-
blic de Paris, que Sainl-Evremont appelle
« une sottise chargée de musique, de danses,
de machines, de décorations, une sottise
magnifique, mais toujours une sottise, un
travail bizarre de poésie et de musique , où
le poète et le musicien, également gênés l'un
par l'autre, se donnent bien de la peine à
luire un méchant ouvrage (4-91). »
Quand il serait vrai que le cardinal Ma-
zarin eût été l'instituteur de ce spectacle,
oa aurait à observer que si l'on a à citer
quelques ecclésiastiques élevés en dignité,
qui se sont déclarés en faveur du théâtre,
ils n'étaient pas alors la bonne odeur du
clergé.
On peut aussi remarquer en général que
le zèle des apologistes du théâtre a toujours
été assez en proportion avec le plus ou le
moins de respect qu'ils ont eu pour la re-
ligion chrétienne. Quand, par exemple,
Chamfort dans Y Eloge de Molière, ne réduit
les cérémonies funèbres de la 'sépulture
ecclésiastique qu'à un peu de terre qu'on
jette sur le cercueil, et qu'on doit accorder
indifféremment, il n'est pas étonnant qu'il
soit surpris de ce qu'on l'a refusé à Molière
(492). Mais il ignore donc que les prières et
les cérémonies sacrées des obsèques des
Chrétiens n'ont toujours été censées être
accordées qu'à ceux dont les fautes publi-
ques ou secrètes sont présumées avoir été
réparées par un repentir sincère. Si M. de
Chamfort en avait eu cotte idée, il ne se se-
rait pas sans doute permis une expression
qui insulte à cet égard la religion du mo-
narque et de la patrie, comme le fit Voltaire
à l'occasion d'Adrienne Lecouvreur. Il en
est parle aux Lettres sur les spectacles de
Desprez de Boissy, que nous donnons plus
loin. On sait que cette actrice qui mou-
rut le 30 mars 1730, n'ayant voulu donner
aucun signe de repentir sur sa profession,
(491) Œuvres de Sainl-Evremond, tome III, édition
de 1739.
(492) i L'homme le plus extraordinaire de son
temps (Molière) meurt. Ses amis sont forcés de ca-
baler pour lui obtenir un peu de terre. On la lui re-
fuse long-temps. On déclara sa cendre indigne de se
mêler à la cendre des Harpagons et des Tartufes dont
il a vengé son pays. El il faut qu'un corps illustre
(l'Académie française) attende cent années pour ap-
i r ndre à l'Europe que nous ne sommes pas tous des
barbares. » (Eloge de Molière, par Chajifort, cou-
ronné par l'Ac. franc, en 1709.) Fréron, en relevant
dans le 31e cahier de son Année littéraire de 1769
les défauts littéraires de YEIoge de Molière, par
(Ihamforl, laisse ingénieusement entrevoir sa sur-
Jtrise de ce que l'Académie française a proposé l'é-
oge d'un poète comédien après ceux des Sully, des
d'Aguesseau , des Saxe, des Duguay-Trouin, des
Qescarles. On doit en être d'autant plus étonné, que
Molière, dit Fiéron, parut faire si peu de c:»s (l'une
place dans l'Académie française, qu'il ne voulut pas,
Languel, curé de Saint-Sulpice, tpji l'avait
exhortée avec le plus grand zèle, lui refusa
constamment la sépulture chrétienne (493).
Elle fut enterrée sur le bord de la Seine, et
c'est du lieu qui renferme ses cendres, que
Voltaire a dit: Voilà mon Saint-Denis. Tels
sont les écarts de ceux qui sont plus ama-
teurs de la volupté que de la sagesse, et qui
étant dans l'erreur s'y fortifient de plus en
plus en y faisant tomber les autres. Leur
commerce est à fuir, parce qu'il ne peut
conduire qu'à l'impiété. Leur conversation
et leurs écrits sont comme une gangrène
qui se communique insensiblement à ceux
qui s'y exposent témérairement. Yolupta-
tum magis amatores guam Dei, mali homines
et seductores proficient in pejus errantes et
in errorcm mittentes profana et vanilo-
quia eorum devila, multum enim proficiunt
ad impietatem; et sermo eorum ut cancer ser>
pit. {I Timot., II, 16, 17; III, 13.)
Mandement de M. Guy-de-Sève de Itoche-
chouart, évéque d'Arras, du 4 décembre 1695,
contre la comédie. — Mandement du même
évêque, du 25 septembre 1698, au sujet des
tragédies qui se représentent dans les collèges.
Réponse à la préface de la tragédie de Judith ;
Paris, 1695.
Boyer, auteur de cette tragédie, préten-
dait faire illusion par le sujet de ee drame,
et rendre légitime la fréquentation des théâ-
tres; mais l'auteur de la réponse qui lui
fut adressée démontre qu'en exposant des
sujets saints sur le théâtre, la piété s'y
trouve profanée: que d'ailleurs la plupart
des pièces saintes ne le sont que par le
nom; et que la liberté que les poètes prennent
toujours d'ajouter à la vérité historique les
incidents propres à amuser les spectateurs,
en fait des drames doublement scandaleux,
comme dans la tragédie de Judith, on a in-
venté l'intrigue de Mizael. Les auteurs de
ces prétendues pièces saintes
Pensent faire agir Dieu, ses saints et ses prophètes,
Comme les dieux éclos du cerveau des poètes.
(Despréaux, Art poétique.)
« Puisque M. Boyer, dit l'abbé d'Olivet
(494), avait du génie, de l'inclination au
pour se la procurer, renoncer à jouer les rôles de
valet. Au reste, il n'y avait eu que quelques acadé-
miciens qui individuellement avaient eu la pensée
de l'avoir pour confrère. Mais il y a lieu de présumer
qne si la proposition en avait été faite au corps
académique assemblé, elle aurait été rejetée, parce
qu'on n'était pas encore parvenu à manquer facile-
ment aux égards qu'on doit à la religion et aux
mœurs.
(493) Rosimond, comédien, étant mort subitement
en 1691, fut enterré sans clergé, sans luminaire et
sans aucune prière, dans un endroit du cimetière de
Saint Sulpiceoù l'on enterre les enfants morts sans
baptême. — Floridor, fameux comédien, étant atta-
qué d'une maladie dangereuse, Martin, curé de
Saint-Euslaclie, ne lui administra les derniers sa-
crements qu'après qu'il eut promis de ne plus re-
monter sur le théâtre s'il recouvrait la santé. Floridor
revint de celle maladie, el il renonça à sa profession.
(494) Dans VHistoire de C Académie française, pag.
5(31
mi
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
Î0o8
travail etqu'il portait l'habit ecclésiastique,
n'aurait-il pas dû choisir une autre route
plus convenable à ses talents et à son hon-
neur que celle du théâtre? »
Boyer éprouva la difficulté de faire goûter
longtemps aux spectateurs les prétendues
pièces saintes: Periculosœ plénum opusalcœ.
Sa tragédie de Judith fut à la vérité applau-
die pendant un carême . Mais quelque
égayée qu'elle fût par les intrigues de l'a-
mour profane, elle fut sifflée à la rentrée
d'après Pâques. Il y eut même à ce su-
jet un de ces impromptus malins qui
échappent quelquefois au parterre. L'actrice
Champmeslé, qui représentait le rôle do
Judith, témoigna sa surprise de ce qu'on
avait tant différé l'affront qu'on faisait à
cette pièce: « C'est, lui répondit-on, parce
que les sifflets étaient à Versailles aux ser-
mons de l'abbé Boileau. »
La plupart de ceux qui ont des talents
pour la poésie voudraient que cet art con-
servât son honneur sur le théâtre. Il y a
quelques poètes qui en ont formé le vœu
avec les meilleures intentions.
Pierre de Villiers, de l'ordre de Cluny,
mort en 1728, prieur de Saint-Taurin, était
du nombre de ces honnêtes littérateurs.
On a dans le recueil de ses dissertations sur
les tragédies de Corneille et de Racine^ un dia-
logue, dont l'objet est de prouver la possi-
bilité de faire avec succès une tragédie
sans amour.
Mais ses prétentions à cet égard tiennent
un peu du ton impérieux qui dominait dans
son caractère, et qui avait donné lieu à
Boileau Despréaux de l'appeler le Matamore
de Cluny.
Le prince de Conti, dans son Traité sur
la comédie, convient queHeinsiusavait réussi
à faire une pareille tragédie dans son
Hérodc; mais il assure que la représentation
en aurait été très-ennuyeuse sur le théâtre
public.
L'abbé Juillard du Jarry était aussi dans
le cas de s'intéresser à l'honneur des muses
poétiques. Il remporta à l'Académie fran-
çaise plusieurs prix de poésie, et entre autres
celui do 171i, qu'il eut de préférence à
Voltaire qui avait aussi concouru pour le
même prix.
Il donna, en 1715, un, Kecueil de poésies
chrétiennes, morales et héroïques. On voit
dans la Préface, que dans un moment d'en-
thousiasme pour la tragédie de Polyeucte, il
désira que l'on pût établir un théâtre chré-
tien.
Le détail dans lequel il entre pour dési-
gner les citoyens a qui il croyait que cet
établissement serait utile, est assez singu-
lier. Il le proposait, 1° pour les personnes
d'une santé délicate, qui, après avoir donné
une heure ou deux à une forte application,
sont forcées do passer le reste du jour à ne
rien faire; 2° pour des pécheurs nouvelle-
ment convertis, qui, pour persévérer dans
un changement de vie, veulent remplacer
les plaisirs criminels par des plaisirs per-
mis; 3° pour certains tempéraments, qui,
même dans l'exercice de la piété, ont besoin
d'une récréation innocente. Et pour lors il
voulait que dans les pièces il ne fût ques-
tion que de nos mystères et des vérités mo-
rales, sans aucun mélange qui pût les al-
térer. On peut présumer que s'd avait été
question de réaliser ce beau rêve, l'abbé
du Jarry aurait aussi exigé qu'un eût choisi
les acteurs dans l'ordre même des personnes
qu'il se proposait d'amuser. On ne disci-
tera pas si dans un siècle aussi corrompu
que le nôtre, il serait possible d'exécuter ce
projet dans toute la régularité proposée par
l'auteur. Mais en admettant celte possibilité
serait-il décent de faire de nos mystères et
de nos dogmes sacrés un sujet de diver-
tissement? N'est-il pas vraisemblable que
par l'habitude de s'en amuser, on n'aurait
plus h leur égard toute la vénération qu'ils
doivent inspirer?
Gérard -Jean Vossius , célèbre écrivain
prolestant, mort en 1669, a fait un Traité
sur l'art poétique. Il y demande si l'Histoire
sainte peut fournir un sujet au poëme dra-
matique. Il n'était point du sentiment de
Boyer. Il conclut que le plus sûr est de ne
l'y pas employer.
Jacques Bernard, autre savant calviniste,
cul occasion de parler de cet ouvrage de
Vossius, dans le mois d'août 1702 des Nou-
velles de la République des lettres. Il y adopte,
page 189, le sentiment de ce savant. « En
ell'et, dit-il, il est bien difficile que les poètes
ne corrompent point par des opinions in-
certaines et par des fables, une histoire
pour laquelle on doit avoir le plus grand
respect. »
Lettre de M. Bordelon; Paris, 1699.
L'auteur prouve que si l'on exige de ceux
qui vont au spectacle une aumône pour
l'Hôpital général, elle ne justifie en rien
l'opéra ni la comédie.
On voit par tous ces ouvragrs, que dans
le dernier siècle les défenseurs des théâtres
furent frappés de toutes parts: Gravibu»
confixi vulneribus. On les réduisit enfin au
silence, en leur disant: Malheur h vous qui
appelez bon ce qui est mauvais, Vœ qui di-
citis malum, bonum, et bonum, malum. (Isa.
\.f 20.) Et les chaires sacrées, dit le P. Poréef
continuèrent de tonner contre les théâtres.
Pergunt quidem sacri oratores eloquio tonare
de suggeslu, et sua fulmina in théâtrales con-*
ventus extcnlo brachio jaculari.
Cependant une guerre où les passions-
sont intéressées ne se termine pas comme1
celle de Troie, par la chute d'Hector ou
par l'incendie du palais de Priam. In sua
sententia persévérant theatri asseclœ et illitd
densa corona protegunt. Il y a eu encore
dans notre siècle de nouvelles attaques do
la part des partisans du théâtre. On sait que
ce qui n'est pas permis a toujours des appas,
et on se séduit pour s'en permettre l'usage:
Nilimur in veliluin semper, cupimusque negata.
Sautour fit le nouvel acte d'hostilité, en
donnant un écrit intitulé: Dissertation sur
le poème dramatique; 1729. — L'auteur y
î 059
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
UtdO
montre un grana zèlo pour les comédiens;
mais il se condamne lui-même, lorsqu'il se
plaint' de ce que Houdard de La Molto,
poé'e dramatique, avait refusé d'approuver
celte dissertation dont il avait été nommé
le censeur.- elle fut en effet imprimée clan-
destinement. On ne doit pas être surpris du
refus de La Motte, ce que rapporte Desprez
de Boissy dans sa premièrele//re sur les spec-
tacles, prouve qu'il connaissait trop les dan-
gers des spectacles pour donner son appro-
bation à une apologie aussi mal fondée.
On n'a point cru devoir parler ici de Fran-
çois Gacon. II mit à la tête de sa traduction
des Odes d'Anacréon et de Sapho, qui parut
en 1712, une longue dissertation sur la poé-
sie, où il fait une apologie outrée des théâ-
tres. Quelle autorité pourrait avoir l'auteur
du Poète sans fard, et d'une multitude de
libelles décriés par les satires et les obscé-
nités qui les animent ?
On hasarda de donner en 1720, dans le
tome VU de la continuation des Mémoires
de littérature, une lettre sous le nom de
Despréaux, pour la justification des théâtres,
et on joignit une réponse à cette lettre;
mais on reconnut qu'on avait abusé du nom
de ce grand poète. C'était une fiction que
l'auteur même de la Réponse avait imagi-
née, avec intention de se défendre si fai-
blement, qu'il se mettrait dans le cas de
rendre les armes à son prétendu adversaire.
C'est en effet la conclusion de sa Réponse.
Si Despréaux avait vécu, il aurait désavoué
la Lettre qu'on lui attribuait.
Observations sur la comédie, par L. Yart ;
174-3. Ces observations sont insérées en
totalité dans le Mercure du mois de mars
17i3 : elles ont pour objet l'apologie des
théâtres Mais l'auteur hésite à accorder à
la comédie l'honneur de la devise : Ridendo
castigat mores; c'est-à-dire : « Elle corrige
les mœurs en riant. »
« Le vice, dit-il, ne se corrige pas si ai-
sément. L'avare, dont le caractère est si
ridicule dans Molière, n'a point corrigé
d'avares. Notre théâtre ne se réformera pas
non plus sur la passion de l'amour. Comme
elle est la première de toutes les [tassions ,
il est raisonnable qu'on la fasse entrer dans
toutes les pièces. C'est pourquoi on n'y
verra toujours que des amants qui se décla-
rent leurs inclinations en secret, qui trou-
vent mille obstacles à leur amour et qui ne
parviennent enfin au mariage qu'après mille
difficultés. Voilà le fond de presque toutes
nos comédies. »
Cette apologie ingénue prouve que tout
se traite sur nos théâtres non sublato jure
nocendi ; c'est-à-dire, toujours au préjudice
des bonnes mœurs.
Fagan s'est présenté plus ouvertement. Il
donna, en 1751, un écrit intitulé : Nouvelles
observations au sujet des condamnations pro-
noncées contre les comédiens. Elles se trou-
vent insérées dans la collection de ses
OEuvres.
Observations sur le théâtre, dans lesquelles
on examine avec impartialité l'état actuel
des spectacles de Paris, par Chevrier ; Paris,
1755, in-12. Ce n'est pas l'utilité morale de
nos théâtres qui est examinée avec impar-
tialité dans ces Observations ; l'auteur y
traite de préjugés odieux les jugements de
nos moralistes contre les spectacles. La bi-
goterie, dit-il, voudrait proscrire des spec-
tacles, où, pour 20 sous, on apprend l'art
de penser, d'écrire et d'agir. »
Au reste,, cette opinion répond à cette
maxime voluptueuse que l'auteur a choisie
pour servir d'épigraphe à ses Observa-
tions :
.... Vous èlcs des plaisirs.
11 n'en est poinl qu'on doive exclure;
(Voltaire, Temple du Goût.)
Lettre à M. Jean-Jacques Rousseau , au
sujet de sa Lettre à M. d'Alembert, par
madame Bastide; 1758.
Lettre à M. Jean-Jacques Rousseau, sur
tçjfet moral du théâtre, par M. de Xime-
nès ; 1758.
Marmontel rassembla dans les volumes du
Mercure de novembre et décembre 1758 et
janvier 1759, tous les sophismes de l'art
dramatique pour éluder les coups redouta-
bles que J.-J. Rousseau venait de porter
contre les auteurs, les acteurs et les Specta-
teurs scéniques.
Considérations sur Vart du théâtre, D***
à M J.-J. Rousseau, citoyen de Genève; à
Genève, 1760.
Critique d'une Lettre contre les spectacles,
intitulée : J.-J. Rousseau, citoyen de Ge-
nève, a M. u'Alembert ; Amsterdam, 1760,
ii!-8°.
J.-J. Rousseau ne s'est pas ému à l'occa-
sion de toutes les critiques de sa Lettre
contre les spectacles. I) les a considérées
tomme des débals d'ennemis terrassés, et
irrités de ce qu'il avait arraché à la poésie
dramatique le masque des vertus.
Huer ne de La Mothe, avocat au parlement,
fil imprimer en 1761, sur les censures ecclé-
siastiques prononcées contre les comé-
diens, une consultation dont il eut lieu de
se repentir. Son ouvrage a pour titre : Li-
bertés de la France contre le pouvoir arbi-
traire de l'excommunication ; Paris, 1761.
Observations sur les spectacles en général,
et en particulier sur le Colysée ; par L. Ca-
chet; Paris, 1772; in-8°. — Essai sur les
moyens de faire du Colysée un établissement
national et patriotique ; Paris, 1772, in-12.
Les auteurs de ces deux écrits trouvent
dans la fureur de notre siècle pour les spec-
tacles de tout genre, le pronostic du retour
des délices de l'âge d'or.
L'un voudrait que tous ceux qui fréquen-
tent nos spectacles y prissent l'idée d'une
vie pleine de joie et de délices, exprimée
par ces deux vers d'un poète du xvi* siècle :
O pleiia gaudiorum,
O vita plena nectarh!
L'autre fait dépendre de la perfection du
Colysée le bonheur et la durée de l'empire
français, en y appliquant ce que l'oracle
1031
NOTICE Sl'R LE THEATRE LIBRE.
\GCA
avait (Jit du Colysée de Vospasien .' Quandin
stabit Colysœus, stabil et Roma; quand o cadet
Co'lysœus, cadet et Roma; quand o cadet Ro-
ma, cadet et mundus : « Tant que le Colysée
subsistera, Rome subsistera ; quand le Co-
lysée tombera, Rome tombera; et quand
Rome tombera, l'univers s'écroulera. » C'est
à cette durée, dit M. Gaclict, que j'augure
que parviendront Paris et le Colysée. Ce
sont là les vœux désintéressés et sincères
que je forme pour l'agrément, la gloire et
le bonheur de ma patrie.
« Mais, dit un auteur (495), ne sait-on
pas que la fureur des spectacles, en fomen-
tant la mollesse, a produit l'oisiveté et le
luxe; que ces causes réunies ont occasionné
le débordement d'une licence effrénée; que
celle-ci a enfanté l'impiété et l'irréligion ;
qui à son tour a fait pulluler les meurtres,
les duels, les suicides, et enfin une indé-
pendance monstrueuse, toujours funeste au
gouvernement. »
Les encyclopédistes se sont aussi ralliés
pour défendre la cause des théâtres publics
dans leur Dictionnaire, aux mots Genève,
Comédien, etc. ; et ils l'ont soutenue avec un
zèle digne de la doctrine hétérodoxe qu'on
leur a si souvent reprochée.
Enlin, Campigneulles s'est rangé sous leur
drapeau, et, pour preuve de son adhésion
à leurs principes en faveur des théâtres, il
donna en 1758, au public, un imprimé sous
le litre de Réponse pour M. le chevalier
de *** à la Lettre de M. Desprez de Boissij,
sur les spectacles. Celte Réponse se trouve
dans une brochure intitulée : Essais sur
divers sujets.
Mais on a vu théologiens, magistrats, ju-
risconsultes , académiciens , philosophes ,
rhéteurs, poêles dramatiques, et môme un
ancien et fameux comédien, prendre avec
zèle les armes littéraires; et ils ont com-
battu tous ces apologistes des jeux scéni-
ques par des ouvrages qu'on va indiquer
dans leur ordre chronologique. Plus apud
nos valeal vera ratio quam vulgi opinio :
que sa saine raison ait plus d'autorité sur
notre esprit que les faux préjugés de Ja
multitude.
Mandement de M. Bonnin de Chalucct ,
évéque de Toulon, du 5 mars 1702 , contre
les spectacles.
Il y est ordonné aux confesseurs, sous
peine de suspense, de dilférer l'absolution
aux ûdèles qui, au mépris de son mande-
ment, auront assisté aux spectacles.
Réflexions sur divers sujets de morale, par
Jean La Placette ; Amsterdam, 1707
On sait que cet auteur est célèbre par ses
Traités de morale, et qu'à cet égard on le
regarde comme le Nicole des protestants. 11
démontre, dans les chapitres 12 et 13 de
ses Réflexions sur l'usage du temps, combien
les spectacles sont pernicieux aux mœurs.
« L'un des plus justes, dit-il, et des plus
raisonnables soins que nous puissions
prendre, est celui de nous rendre maîtres
de nos passions quelles qu'elles soient, do
les mortifier, de les réprimer, de les étoulfer
môme si nous le pouvons, et de nous mettre
dans un tel état , que nous nous condui-
sions, non par ces mouvements brutes et
aveugles, mais par la vive lumière de la
raison ; c'est à quoi les philosophes même
du paganisme exhortent le plus fortement
leurs lecteurs. Or, il n'y a presque point do
passion qui ne paraisse sur le théâtre, et
qui n'y soit excitée. On y voit l'orgueil,
l'ambition, la colère, le désir de vengeance,
la haine, la jalousie, et surtout l'amour. La
poésie dramatique ne s'occupe qu'à les far-
der et qu'à accoutumer l'esprit à les regar-
der sans horreur..... On y voit un certain
esprit de coquetterie, très-éloigné non-seu-
lement des règles sévères du christianisme,
mais encore de celles de la vertu philoso-
phique et païenne Si le théâtre est purgé
des anciennes grossièretés, il n'en ,est que
plus dangereux. On y reçoit tout sans dis-
tinction, en sorte que les semences du mal
qui y sont répandues pénètrent jusque
dans le fond de l'âme, et trouvent le moyen
d'y germer et d'y fructifier
Mandement de M. Esprit Fléchier, évéque
de Nîmes, du 8 septembre 1708, contre les
spectacles.
« Nous voyons avec douleur, dit cet élo-
quent prélat à ses diocésains, l'affection et
l'empressement que vous avez pour les
spectacles, que nous avons si souvent dé-
clarés contraires à l'esprit du christianisme,
pernicieux aux bonnes mœurs et féconds et
mauvais exemples, où, sous prétexte de re-
présentations et de musiques innocentes par
elles-mêmes, on excite les passions les plus
dangereuses; et par des récils profanes et
des manières indécentes on offense la vertu
des uns et l'on corrompt celle des autres
Cessez d'aller repaître vos yeux des agré-
ments affectés et du pompeux ajustement do
quelques femmes licencieuses, et de prêter
l'oreille à la voix et aux récits passionnés
de ces sirènes dont parle Isaïe, qui habitent
les temples de la volupté... Evitez les pièges
funestes que le démon vous a tendus; no
fournissez pas à vos convoitises de quoi se
soulever conlre vous. Ecoutez la voix du
pasteur qui vous exhorte et vous sollicite,
et qui aime mieux devoir votre obéissance
à ses charitables conseils qu'aux censures
que l'Eglise lui a mises en main. »
De theatro oratio, discours sur les specta-
cles, prononcé, Iel3mars1733, parleP.Porée.
Ce célèbre rhéteur y discute cette ques-
tion : Si le théâtre peut être une école capable
de former les mœurs. L'orateur élait par
état client de Melpomène et de ïhalie qu'il
avait cultivées avec succès, et il était chargé
de les faire connaître aux jeunes gens qu'il
avait pour disciples : il ne traita pas la cause
avec la gravité du théologien, ni môme du
philosophe; mais il n'oublia pas qu'il était
citoyen, puisqu'on doit toujours l'être, cujus
mania ubique servare decel, ni qu'il était
(495) Dialogue sur les spectacles, imprimé sous le litre d'Amsterdam, l""v2.
I0C3
DX'lïO.NNAIRE DES MYSTERES
1061
chrétien, parce qu'on ne doit jamais en ou-
blier les devoirs, cujus officia nunquam licet
deserere. Il prit donc le parti de démontrer
que le théâtre par sa nature pourrait être
une école capable de former les mœurs,
mais qu'il ne l'est point par notre faute.
Theatrum schola informandis moribus idonea
natura sua esse potest, sed culpa nostra non
tst. Cette cause est traitée avec tant d'art
par cet orateur, qu'en sauvant l'honneur de
Melpomène et deThalie, il fait sentir que le
mauvais goût des spectateurs, la faiblesse
que les auteurs ont de s'y prêter, et la cor-
ruption des acteurs , feront toujours du
théâtre l'école la plus pernicieuse. Et il est
évident que s'il avait eu à parler en théolo-
gien, en censeur ou en philosophe, il aurait
conclu, non pour la réforme, mais pour la
destruction de nos spectacles dramatiques.
On peut en juger par cette dernière phrase
de sa harangue: « S'il est vrai, dit-il, qu'il
faille tolérer des théâtres dans des empires
chrétiens, rendez donc ces spectacles dignes
du citoyen, de l'honnête homme et du chré-
tien. Si quod in republica christiana haben-
dum est Ihealri speclaculum, illud et bono
cive et hotnine chrisliano dignum habeamus. »
Ainsi les défenseurs des théâtres ne peuvent
citer en leur faveur ce discours du P. Porée.
Le danger des spectacles, ode de M. Ar-
cère, qui remporta le prix de poésie en l'an-
née 1748, à l'Académie des Jeux-Floraux de
Toulouse.
Triumpho sagrado de la concicncia, c'est-
à-dire, le Triomphe sacré de la conscience,
par D. Kamire; à Salanianque, 1751, 1 vol.
in -4°.
Le P. Berlhier était surpris de ce qu'on
n'avait pas traduit en français cet excellent
ouvrage espagnol. C'est pour y suppléer que
cet estimable journaliste en donna, dans le
Journal de Trévoux, du mois d'avril 1753,
un ample extrait, terminé par une anecdote
qui fait l'éloge le plus complet du livre de
D. Ramire. On a cru devoir donner ici une
partie de cet extrait.
Ce traité de D. Ramire est une réponse à
trois questions qui font tout le plan de son
ouvrage. 1° Dans le spectacle dramatique,
qu'y a-t-il de licite? 2° Peut-on l'autoriser?
Quelle confiance peut-on prendre dans les
sophismes des apologistes des Uiéâtres?
Pour prouver que Us jeux scéniques ne
sont pas aussi innocents que le prétendent
leurs défenseurs, D. Ramire remonte à leur
origine : ce qu'il en dit est trop connu pour
nous y arrêter. Passons aux accidents qui
en font le vice et le crime : 1° Le concours
des assistants. Ce no sont pas les sages qui y
font la foule, c'est tout ce qu'il v a de plus
vain, de plus frivole, de plus oisif, de plus
libre dans les deux sexes. Est-ce là une as-
semblée où l'on puisse se confondre sans
scrupule et sans péril ? N'est-ce pas plutôt
un théâtre où la vanité et la galanterie éta-
lent le luxe des modes profanes, et dé-
ploient les ressorts de la coquetterie mon-
daine? Point de riche taille, point du jeunes
attraits, qui n'y viennent mesurer ou mon-
trer leurs av-«.nlages avec une complaisance
de mauvais .lugure. — 2° Les acteurs et les
actrices. — Leur vertu n'est rien moins que
rigide. Leur parure n'est guère plus hon-
nête que leur intention. Leur air n'annonce
que trop leur caractère et leur profession. —
3° Le sujet. — C'est toujours quelque intri-
gue galante ou honteuse. Tout y tend à la
séduction: messages secrets, billets furtifs,
présents, etc. Rien n'est oublié pour trom-
per la vigilance des époux, des mères et des
domestiques. — '*" La représentation. — Sur
la scène on ne parle que de prison, de chaî-
nes, de captivité', on ne vit que de soupirs
et de larmes ; le soleil, les astres, les fleurs
les plus brillantes fournissent à peine des
métaphores assez nobles ; on divinise son
objet pour l'adorer, on encense ses autels
et on s'immole dans son temple; envie, ja-
lousie, soupçons, haine, vengeance, dépil,
rage, fureur, désespoir, etc. En un mot,
toutes les passions s'emparent du théâtre.
Pour se peindre, elles empruntent des cou-
leurs allégoriques; à l'ombre des allusions
ingénieuses, sous le voile des équivoques
fines, elles exhalent une contagion pestilente,
elles canonisent jusqu'à leurs déseriies.
Ycnena non dantur, nisi melle circumlita, et
vitianon decipiunt nisi sub specie, umbraque
virtutum, dit saint Jérôme.
D. Ramire peint et déplore ces scandales
et leurs ravages avec les couleurs et les lar-
mes de tous les saints Pères : son zèle,
comme le leur, se fonde sur l'Ecriture, qui
nous ordonne de fermer les yeux dès qu'une
femme folâtre paraît, de peur de tomber
dans ses filets; et qui nous avertit que les
artifices d'une actrice ou d'une danseuse
sont encore plus puissants pour nous per-
dre : Ne respicias millier em multivolam, ne
forte incidas in laqueum illius. Cumsaltatrice
ne assiduus sis, vel audias illam, ne perças m
efficacia ejus. (Eccli., ix, 3.) D. Ramire.
après avoir prouvé sa thèse, se propose des
objections et les résout. La première avec
sa solution est tirée de saint Chrysostome.
Les partisans des spectacles disaient à ce
Père : Nous y assistons sans en recevoir au-
cune impression : Spectamus quidem sed nil
movemur. Ahl reprenait le saint docteur,
vous croyez-vous donc invulnérable : Et tu
putas non posse lœdi? Etes-vous donc un
rocher? Nunquid lapideus es? Quoi! les
grottes de la Thébaïde n'ont pas toujours
été pour l'innocence des asiles inviolables ;
et vous, au sein de la jouissance théâtrale,
vous seriez inaccessible à la tentation, ou
impénétrable à celte vapeur empoisonnéu
qui s'exhale de la scène?
Mais ce n'est pas à mauvaise intention
qu'on va aux spectacles; on n'y cherche
qu'une honnête récréation.— Pour montrer la
fausseté de cette excuse, D. Ramire se sert
des moyens et des raisons les plus sensi-
bles. Retranchons, dit-il, du spectacle tout
ce qui en fait le péri I , aura-t-ii alor^ les
mêmes charmes pour récréer? Si les dames
n'y trouvaient que des acteurs et des specta-
teurs de leur sexe, auraient-elles le même
-1065
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1066
empressement à s'y rendre (496), ete. ? Pour
•ne prendre qu'un honnête délassement à
une scène dont le jeu réunit tant d'objets si
capables de faire des impressions contraires
•à l'honnêteté, quelle violence ne faut -il pas
.•faire à ses sens el à son imagination! Qu> 1
■plaisir peut-on donc trouver à se contrain-
dre si fortement?
On a beau dire qu'on en sort sans bles-
sure, on ne le persuadera jamais a saint Jé-
rôme, qui proleste qu'il n'ajoute point foi à
quiconque se vante de n'avoir point été
ïblessé de ces spectacles : Se nulli crederc
viro, si dicat se illœsum evasisse a spectacu-
lis talium. Dès qu'il s'agit, dit saint Cyprien,
de pedre quelque chose des intérêts et des
plaisirs du siècle, quelque ignorant qu'on
soit, on est toujours assez habile à trouver
•des raisons et des arguments pour s'en dé-
fendre : Quam sapiens arqumrnlatrix igno-
ratifia humana, cum aliquid ejusmodi de gau-
diis et fructibus sœculi meruit amittere.
■iVt'tullicn va plus loin :« Quelque gracieux,
-dit-il , quelque simples, quelque honnêtes
que paraissent ces accords, ces jeux de
théâtre, les impressions agréables qui en
dérivent ne sont que les goulles d'un miel
qui coule d'une liqueur empoisonnée : Sint
dulcia licet et grata et simplicia, et eliam ho-
nesîa, seu sonora, seu canora, seu subtilia,
perinde habe ut stillicidia mellis de tibaculo
nenenato. »
Nous ne croyons pas que la plupart des
Chrétiens assidus aux spectacles puissent
lire, sans se sentir troublés et alarmés, tout
•ce qu'un zèle éclairé et véhément dicte à
notre auteur espagnol conire leur fausse
sécurité. L'Ecriture et les Pères lui fournis-
sent toujours ses couleurs les plus vives et
ses traits les plus pathétiques : il emprunte
jusqu'au langage des païens pour faire sen-
tir le danger aux Chrétiens qui s'y exposent.
Le théâtre, leur dit-il, est un champ pe;ûde;
pour être douces, les blessures qu'on y re-
çoit n'en sont pas moins meurtrières, per-
tiicies delicala, etc. La vue en eût-elle été
innocente, le souvenir ne le sera pas. Quel
désordre ne porte pas dans une ville l'arri-
vée et le séjour d'une troupe de comédiens!
On en trouve ici de vives peintures tracées
d'après les plus graves auteurs. On ne re-
vient point du spectacle comme on y était
allé; l'innocence n'en sort point sans tache,
ni le vice sans crime : quos attulisti mores,
nunqwtm réfères, etc. {Cet. Rod., 1. vin ,
c. 7.)
Après avoir fait éclater son zèle en orateur
Chrétien, notre auteur reprend le ton d'un
profond moraliste et examine encore de
plus près la nature des spectacles : il re-
cueille, sur celte matière, les définition des
docteurs les moins accusés de rigorisme et
îlen conclut que, si l'on ouvrait une école
dont l'affiche annonçât les leçons qu'on
donne et qu'on prend au théâtre, tous les
magistrats et tous les citoyens, jaloux des
(496) Si fueran (aies las companias, que solo hu-
biera farsas de mugeres , para solas mugeres sin que
Diction . des Mystères.
mœurs publiques, s'uniraient pour la fermer
et pour en proscrire les maîtres pernicieux.
L'Evangile et le théâtre opposés, leurs
maximes contraires forment ici un con-
traste frappant, dont l'auteur profite pour
rappeler aux Chrétiens la sainteté de leur
profession et surtout l'obligation où sont
les pères et mères d'instruire leurs enfants
dans la foi, de les former a la piété, de
veiller sur leur innocence et d'eu écarter
tout ce qui peut la séduire et la corrompre,
soit en affaiblissant les attraits vertueux par
le ridicule qu'on y attache, soit en fortifiant
les penchants vicieux par l'honneur qu'on
en lire. Conduire ses (ils et ses filles aux
spectacles, c'est les conduire aux autels des
démons et les y immoler : lmmolaverunt
fil ios snos et (ilias suas dœmoniis.
Les défenseurs des spectacles opposent à
leurs adversaires l'autorité de saint Thomas
et de quelques autres docteurs très-respec-
tables : c'est là le plus fort de leurs retran-
chements. D. Ramire le renverse sans peine,
et il y trouve des armes dont il se sert
contre ses ennemis avec le plus grand avan-
tage. En efl'et , ces docteurs n'ont jamais
permis que des amusements où la pudeur et
la décence chrétienne ne peuvent rien aper-
cevoir qui les alarme : ils onl anathématisé
tout théâtre, toute assemblée qui pourrait
donner la plus légère atteinte aux bonnes
mœurs. Leurs lexles, qu'on nous rapporte,
sont si formels, qu'on ne conçoit pas com-
ment on ose les citer en faveur des specta-
cles. Ils n'approuvent donc Vart dramatique
dans son essence que pour le réprouver dans
ses productions.
Ici l'auteur reprend de nouvelles forces,
il se met à la tête d'une légion innombrable
de docteurs ; il s'arme de canons et de lois,
de décrets pontificaux et d'écrits impériaux;
il s'en sert pour foudroyer les partisans des
spectacles. A la vue de tant de décisions, de
censures et d'anathèmes contre les théâtres,
on ne peut s'empêcher de gémir sur l'endur-
cissement ou l'aveuglement des Chrétiens
qui les fréquentent.
Pour rendre ces autorités aussi efficaces
que convaincantes, D. Ramire y joint encore
de ces grands traits d'éloquence qui ont
signalé le zèle des Basile et des Chrysos-
toiue. C'est, nous disent-ils, c'est du théâtre
que la volupté assiège tous les sens du corps
et toutes les facultés de l'âme. De là, elle
souffle la licence parmi la jeunesse , elle
réveille l'impudicité dans la vieillesse, elle
jotte le trouble dans les maisons, elle sème
l'opprobre dans les familles. De là tant de
séductions, d'adultères, de divorces, de
brigandages, de larcins, de dépenses rui-
neuses, etc.
Mais après tout, dit-on, si le désordre et
le scandale étaient aussi énormes que D.
Ramire le prétend, comment les tolère-t-on?
Comment ont-ils passé en coutume ? Com-
ment des ecclésiastiques osent-ils y paraître?
se permutera en ellas la meicla de esfos dos sexos,
etc.
34
1067
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1068
A cela il répond : 1° Que ces ecclésiastiques
en sont plus coupables, et que les specta-
cles n'en sont pas plus innocents. Il ne
craint point d'avancer que ces abbés qui
suivent les spectacles n'ont pas les vertus
que leur état exige. 2" Quant à la tolérance ,
il avertit qu'elle ne rend pas licite la chose
tolérée, qu'elle n'ôte pas, aux raisons tirées
de la règle des mœurs et de l'Evangile, la
force qu'on ne peut y méconnaître quand
on est de bonne foi. 3° Pour la coutume, il
dit que dans le monde, elle prévaut souvent
sur les préceptes de Jésus-Christ et que c'est
ce qui en fait une excuse si faible et si peu
recevable. Toute cette doctrine est ici soli-
dement et formellement appuyée sur l'au-
torité des Pères, des docteurs et des con-
ciles.
Mais n'est-ce pas aux vices que le théâtre
fait la guerre? On répond que les comédiens
n'en sont pas assez exempts pour les cor-
riger. Ce ne sont pas de pareils organes qui
doivent nous prêcher la justice. Jamais ils
n'ont converti personne; combien en out-
ils perverti ? Dans les sujets les plus édi-
fiants, dans leurs scènes les plus religieuses,
le pécheur s'attendrit sans se repentir; on
sent le plaisir de la compassion sans sentir
l'amertume delà componction; ce n'est pas
une pluie qui tombe du ciel, c'est une rosée
qui s'élève de la terre; elle ne nourrit que
des feuilles maudit<*s; à l'ombre de l'arbre
qu'elle rafraîchit, le vice s'engraisse et la
vertu se dessèche.
Sans ncus arrêter avec D. Ramire à dé-
truire les autres prétextes qu emploient les
partisans des spectacles, [tassons à la se-
conde question: Peut-on autoriser les théâ-
tres? On peut aisément deviner la réponse
qu'y fait notre auteur: des principes qu'il
vient de nous exposer, il conclut qu'on ne
peut ni permettre ni favoriser aucun spec-
tacle indécent : qu'aucune raison de bien,
même plus grand, ne peut l'autoriser, et
qu'on est obligé de s'y opposer de tout son
pouvoir: en un mot, D. Ramire met les
spectacles au rang des poisons dont on doit
empêcher le débit. Pour persuader le lecteur,
S'.n zèle joint toujours à ses exhortations
la même abondance Je doctrine.
L'auteur entre dans la troisième question
par une exposition de la doctrine qu'on lui
oppose ; savoir: 1° que dans le christianisme
ces jeux scéniques sont un plaisir indillé-
rent, où les simples ne risquent rien, les
sages gagnent et les fous sont les seuls à
perdre; 2° qu'ils sont nécessaires comme
un remède contre l'oisiveté de la jeunesse
et ses dangers. Des principes si relâchés
forment une trop faible défense pour ré-
sister à la force des raisons et des grandes
maximes que leur oppose D. Ramire; il y
ajoute une réflexion dont la vérité et la
simplicité do. vent frapper ses adversaires:
c'est qu'en plaidant pour les spectacles, ils
en| montrent le danger; leur langage favo-
rise trop les passions pour ne pas trahir
leur cause : le spectacle est pour la jeu-
nesse ce qu'est un peu d'eau pour un bra-
sier ardent, elle ne susj end d'abord l'ac-
tivité du feu que pour la rendre bientôt plus
vive.
Mais enfin, dit-on, les Pères n'ont éclaté
avec tant de force contre les spectacles qu'à,
cause de l'idolâtrie et de l'obscénité qui
régnaient alors sur le théâtre : or, entre
ces spectacles et les nôtres, il y a autant
d'opposition qu'entre le jour et la nuit. Si
nos drames, réplique D. Ramire, étaient
aussi dévots que les Méditations de saint
Bernard, ou aussi apostoliques que les
Sermons de saint Vincent Ferrier, on n'en
parlerait pas plus avantageusement. En-
suite, il prouve que la plupart des anciens
anathèmes lancés contre les spectacles por-
tent sur des raisons communes et transcen-
dantes, qui sont que tout le drame est une
occasion de chute et une école de liberti-
nage, et il soutient avec Lactance que i'élé-
ganceet la politesse qui régnent aujourd'hui
sur les théâtres ne font que rendre plus
aigus et plus pénétrants les traits qu'on y
enfonce dans l'âme des spectateurs.
Enfin, dit le P. Berthier en terminant cet
Extrait, on nous assure que cet ouvrage de
D. Ramire a suffi pour engager les magis-
trats de Burgos à abattre le beau théâtre
de leur ville, qui avait coûté vingt mille
ducats.
Essai sur lacomédie moderne; Paris, 1752.
On y réfute les nouvelles Observations do
Fagan au sujet des condamnations pronon-
cées contre les comédiens.
Danielis Concina, ordinis Prcedicato-
rum, Collectio dissertationumde spectaculis ;
1752.
Ce fut le Pape Benoît XIV qui engagea ce
religieux à composer cet ouvrage.
Vert senlimenti di San Carlo Borromeo
inlorno al teatro tratti dalle sue Leltere; in
Roma, 1753.
S. Caboli RorromjEi, arehiepiscopi Medio-
lanensis, Opusculum de choreis et spectaculis
in festis diebus non exkibcndis. Accedit Cul-
lectio selectarum 'sententiarwn cjnsdem ad-
versus cfioreas et spectacula ex ejus slalulis,
ediclis , institutionibus , homiliis ; Romœ,
1753.
Consultazione theologico-tnorale se chi in-
terviene per nécessita ai teatri publici vi possa
intervenire legittimameitte; in Roma, 175V.
Lo Speccfuo del disinganno , aulore Zuc-
chiiso Stefani.
Ce traité de morale, dit l'abbé Ri-
chard (V97) , dévoile avec une hardiesse
étonnante tous les dangers des spectacles
pour les mœurs. On y condamne les plaisirs
qui sont en usage à Rome dans le temps
du carnaval, de même que les Festini et
les villégiatures, et les autres passe-temps
scandaleux de la noblesse et du peuple de
Rome.
Veri senlimenti di S. Francesco di Sales
(497) Description de l'Italie, lom. V.
m» NOTICE SUR LE
vescovo di Genevra intorno al teatro ; in
Roma, 1755.
Veri senlimenli di S. Philip po Neri intorno
al teatro ; in Roma, 1755.
Ces sept derniers ouvrages, imprimés à
Rome, prouvent 1° que c'est sans aucun
fondement, comme on le verra dans la se-
conde Lettre de Desprez de Boissy sur les
spectacles, qu'on s'autorise de saint Charles
Borromée etdesaint François de Sales pour
justifier les théâtres publics ; 2° que si des
personnages illustres par leur piélé et par
Jour doctrine, et même canonisés par l'Eglise,
ont paru être moins sévères sur quelques
abus, ils ont h cet égard plus besoin (J'excuse
que d'apologie; ce sont des fautes qui auront
été couvertes par l'abondance de leur cha-
rité, nœvus qitem tegebant ubera charilalis.
On sait, dit Benoît XIV, que la canonisa-
Lion, en établissant 1 3 culte des saints, n'ôte
pas la liberté de condamner avec la prudence
convenable, ce qui leur serait échappé de
réjiréliens ble. Servi Dci doctrina débita cum
reverenlia polest élira ullam temeritatis no-
tam impugnari, si modesta impugnatio bonis
rationibus innixa sit , etiam postquam Dei
servus qui scripsil inter beatos a ut sanctos
fuerit relatus ab humano guident exem-
ptas est judicio, ne de gloria ejus dubitemus,
sed non ut minus de ejus dtetis dispute-
mu s (498). 3° Enfin, ces écrits manifestent
qu'on connaît à Bonté les dangers des spec-
tacles, et (pièces sortes de divertissements
y sont condamnés in foro conscientiœ, quoi-
que, par considération pour la tranquillité
publique et propter durit iam cordis, on les
tolère dans un temps d •• l'année, minoribus
id guod majus est émeutes quietem et securi-
tatem, comme on le verra dans la première
Lettre sur les spectacles de Boissy, que nous
donnons plus loin.
La Description de l'Italie que M. l'abbé
Richard a donnée au public en J7G6 et celle
qui a paru en 1769 (4:)9) font connaître
« que je peuple de Rome a un goût outré
pour tout ce qui est divertissement et spec-
tacles. » C'est une maladie qui, dans celle
ville, a ses accès périodiques, et, dans cer-
tains temps de l'année comme dans le car-
naval, c'est une frénésie épidémique.
Ou a vu les Souverains Pontifes prendre
souvent des moyens pour diminuer les scan-
dales des divertissements pubics, et leur
conduite à cet égard a varié suivant leur
manière de spéculer en politique. Les uns
avec les mêmes intentions ont alternative-
ment rétabli ce que d'autres avaient hasardé
de supprimer, lin voici un exemple re-
mar uable :
« Clément XIII avait fait fermer le théâtre
Aliberti et il avait supprimé les Feslini ou
assemblées de danses qui étaient de cou-
(408) De servomm Dei beatificalione, auclore Sttmmo
Pomifice Benedieto XI V.
(499) Ces deux bonnes descriptions, dont une er,
6 volumes, par l'abbé Richard, el l'attire en 8 vol.,
par Lalande, doivent faire oublier la Description in-
iklelc de Misson.
\500) V. le t. V de la Descrip. de l'Italie, par Lalande.
THEATRE LIBRE
Î07O
tume parmi la noblesse, les veillées de la
place Navonue, et même le carnaval en
1707 (500). » Clément XIV a cru devoir en
tolérer le rétablissement pour contenter un
peuple à qui il ne faut que du pain et des
spectacles, pancm et circens<>s. Ce ne serait
pas rendre justice aux lumières et aux émi-
nehtes qualités de ce Souverain Pontife, si
l'on n'attribuait pas à des vues qu'il croiyat
être <le prudence les irrégularités morales que
son gouvernement civil pourrait présenter
sur quelques objets. L'avantage qu'on pré-
tend pouvoir tirer de ces irrégularités est
souvent cause qu'on s'empresse à les Caire
annoncer dans les gazelles, quelquefois in-
fidèlement et presque toujours sa.is en ex-
poser les motifs et les circonstances qui en
diminueraient les mauvaises impressions;
mais les gens ii struits et bien intentionnés
savent y suppléer.
Ils considèrent qu'un pays qui change si
souvent de maître est moins susceptible
d'un gou7ernement uniforme et nerveux.
Eu ellet, comme l'observe Lalande (501), « on
voit à Rome chaque nouveau règne y ,ime-
ner de nouveaux principes et un nouveau
plan de conduite. Chaque Pape tAche tou-
jours d'éviter les excès qui ont dép u dans
son prédécesseur. Mais il ne peut guère évi-
ter de tomber dans quelques autres. »
Au reste, Clément XiVa manifesté à toute
l'Eglise qu'il donnait toute l'étendue de la
charge du suprême apostolat qui lui a été
imposé. Sa lettre circulaire du 12 décembre
1769 (502) à tous les évoques à l'occasion de
son élévation sur le Stfint-Siége donna les
plus grandes espérances sur son gouverne-
ment. Les avis <pie Sa Sainteté y donne aux
prélats supposent son zèle h s'occuper du
soin d'éloigner du peuple chrétien toute con-
tagion du mal, toute séduction d'erreur. C'est
à l'Ecriture sainte et à la tradition que le
saint Père veut que l'on puise tout ce qu'on
doit croire et tout ce qu'on doit pratiquer,
« parce que, dit-il, c'est dans ce double dé-
pôt également sûr et fidèle qu'est renfermé
tout ce qui concerne le culte de la religion.
la discipline des mœurs, la manière de bien
vivre et qu'on y apprend nos sublimes mys-
tères, les devoirs de la piété, de la justice
et de l'humanité. »
Or, en nous envoyant à cette école, c'est
nous défendre implicitement de nous auto-
riser de quelques tolérances qu'arrache la
corruption d'une multitude aveugle et eifré-
née; « puisque, comme l'a dit un ancien,
rien ne peut prescrire contre la vérité de la
doctrine évangélique, ni la longueur du
temps et la succession des années, ni |a qua-
lité des personnes qui autoriseraient certa ns
abus, ni les privilèges d'aucun pays (503). »
(501) Dans le tom. V du Voyage d'un Français en
Italie; Paris, 1709.
(502) Elle a nie traduite en français et imprimée.
(503) i Verlali nemo prescrit ère polest, non
spalium lempormn, non palrocinia persoitarttm, no;i
privilégia regionuiii. » (Tektul.) — « Ectlesia Dei
1071
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1072
On ne peut refuser d'attribuer cette inten-
tion à Clément XIV qui a si souvent dé-
claré vouloir employer tout ce qu'il a d'ac-
tivité, de lumière, de force et d'autorité pour
opposer une digue au torrent de l'impiété et
de l'erreur.
Ce Souverain Pontife a donné une nouvelle
preuve de son zèle actif et lumineux en
adressant au roi de France, un bref daté du
21 mars 1770 pour engager ha Majesté très-
ehrétienne a seconder les prélats de son
royaume qui, étant assemblés à Paris, en
1770, pour les affaires générales du clergé
de France, délibéi èrent entr'eux. « pour (est-
il dit dans ce bref, traduit en français et im-
primé) trouver un moyen capable d'arrêter
et de repousser, avec le secours de Dieu, la
contagion de ces hommes impies qui ne rou-
gissent pas de produire chaque jour une
foule d'écrits, monuments, non de leur sa-
voir mais de leur folie, pour détruire, s'ils
le pouvaient, jusqu'aux premiers principes
des bonnes mœurs, aux fondements de la
religion, aux droits de l'humanité et de toute
société, et pour séduire ces âmes simples en
leur insinuant, comme par une espèce de
charme, leurs dogmes pervers et corrom-
pus. » Il semble, en effet, que nous soyons
revenus aux premiers temps du christia-
nisme, où toutes les sectes de philosophie,
sans compter le polythéisme, é aient liguées
contre lui. Mais alors notre religion se dé-
fendait mieux par les mœurs de tous eux
qui la professaient que par tous les raison-
nements humains. « Nous penserons tou-
jours, dit Querlon (504), que la sauvegarde
la plus sûre de notre religion est dans sa
pratique môme et dans les mœurs qu'elle
a formées. »
Essai sur la comédie moderne, où l'on ré-
fute les NOUVELLES OBSERVATIONS (le M. Fa-
gan, au sujet des condamnations prononcées
contre les comédiens; Paris, 1752. iu-12.
Fagan est convenu dès le commencement
de ses nouvelles observations (pie toutes les
apologies qui avaient paru jusqu'alors en
faveur de la comédie étaient assez faibles.
Comme il s'est flatté que celle qu'il a donnée
est la plus parfaite, il a paru convenable de
donner un extrait un peu étendu de la réfu-
tation qui en a été faite- On va commencer
pardonner le résumé que Fagan a fait lui-
même de ses nouvelles observations qui,
de son aveu, contiennent tout ce cjue l'on
peut dire à ce sujet. Et ce tout se réduit aux
trois assertions qui suivent : 1° Que les rai-
sons que l'on arapportées jusqu'à présent pour
prouver que la comédie condamnée n'est point
celle qui existe aujourd'hui n'ont point été
exposées avec assez de soin. — 2U Que la co-
médie, telle quelle a été traitée par Molière,
est suffisamment bonne pour les mœurs. —
'S" Que les désordres que ton pourrait repro-
cher aux personnes du théâtre sont indépen-
dants de leur profession.
Voilà donc une apologie annoncée avec
la plus grande confiance. Mais qui est-ce qui
n'est point prévenu pour sa propre cause?
Fagan est un poëte dramatique, ainsi il n'est
pas étonnant qu'il paraisse sensible auxana-
thèmes défavorables à un art pour lequel il
a des talents reconnus, n'aurait-il en safiveur
que le succès de sa petite pièce, VHcureux
retour où. il a si bien caractérisé les tendres
et légitimes senlimen s des Parisiens péné-
trés de joie en revoyant le roi que la mort
avait presque enlevé en 17i4, et que le ciel
avait rendu aux vœux de toute la nation?
Néanmoins quels que soient les talents
dramatiques de Fagan, peu t-i J se flatter d'ê-
tre plus intéressé à la cause des théâ res pu-
blics que ne l'était Jean Racine? Si un aussi
célèbre poëte s'est vu forcé de l'abandonner
après en avoir été l'honneur et le défenseur,
est-il probable que Fagan ait mieux vu dans
cette même cause ? C'est ce qui lui a été con-
testé par V Essai sur la comédie moderne,
dont on va donner l'extrait, en suivant pres-
que toujours sa diction.
Il parait que l'auteur n'a pas été ébloui
par les Observations de Fagan.
« Je ne suis, dit-il dans sa Préface, ennemi
déclaré ni de la comédie ni des comédiens.
Je n'ai point pris la plume précisément pour
attaquer les spectacles, mais les nouvelles
observations de M. Fagan ont percé jusqu'à
moi; il m'a paru si facile de les réfuter que
je l'ai fait. Voilà tout. Plus une apologie est
faible, plus la critique est aisée. Cela n'est
pont brave; mais cela est commode. »
Tous les censeurs du théâtre pourraient
tenir ce dernier propos. Ils n'ont que des
sophismes à combattre, et ils ont les meil-
leures armes à leur choix. Mais tous ne ma-
nient pas leurs armes avec autant de dexté-
rité et de succès que l'auteur de ['Essai sur
la comédie moderne.
1° Quoi qu'en dise Fagan qu'il n'y a ja-
mais eu avant lui d'habiles défenseurs de
la comédie, notre écrivain lui rappelle que
les requêtes que les comédiens de France
présentèrent aux Papes Innocent XII et Clé-
ment X, pour se plaindre de ce que les con-
fesseurs leur avaient refusé les sacrements
aux jubilés de 1690 et de 1701, s'ils ne re-
nonçaient à leur état, contenaient les mêmes
motifs que Fagan a employés dans ses nou-
velles Observations.
On y disait aussi que « la comédie, con-
damnée dans les derniers siècles, n'était point
celle qui existe dans celui-ci, que l'on était
en droit dès lors d'espérer de l'Egb'sc l'ab-
solution des comédien, et que les motifs
qui ont occasionné les respectables déci-
sions des conciles n'existaient plus. »
Voilà ce que ces requêtes disaient et
s'efforçaient de prouver avec tout l'art pos-
sible.
Pouvait-il y avoir circonstance où ces
moyens de défense pussent être mieux pe-
inler niuUam palcani mullaque zizania constilula, (S. Aucustinus, ton). II, episl. 55, adJanuar.)
multa lolerat, el tamen qaae suni contra fidem, vel (504) Tienie-deu.vièuie Feuille hebdom, des prov.t
bonum viiam non approbai, nec lacet, nec facil. > de l'année 1770.
107$
NOTICE SUR LE
ses? Us furent examinés dans une assemblée
de prélats tenue à Rome où le peuple a la
plus grande fureur pour les théâtres.
Néanmoins ces requêtes furent rojetées
par les Souverains Pontifes; et, parée refus,
c'était déclarer qu'ils condamnaient ce qu'ils
se voyaient avec peine obligés de tolérer
dans leurs Etats.
Nous rappellerons ici à celte occasion que
ce futccntie toute vraisemblance qu'on ha-
sarda d'annoncer dans la Gazette d'Amster-
dam, du 25 février 1735 : « que le Pape, à la
sollicitation de M. le duc de Saint-Aguan,
ambassadeur du roi de France à Rome, ve-
nait d'accorder un bref qui relevait de toutes
censures ecclésiastiques les acteurs de la co-
médie et de l'Opéra, leur permettant l'usage
des sacrements.
Nous avons déjà ci-devant observé que les
gazettes étaient toujours très-suspectes sur
ces sortes de bruits, et qu'elles se char-
geaient de toutes nouvelles vraies ou faus-
ses ; Tarn dicli pravique tenax, quair* nuntia
veri.
Le fait que la Gazette d'Amsterdam an-
nonça en 1735, et dont il est ici question,
est une imposture qu'on attribua avec rai-
son aux ennemis de la communion romaine.
Ils auraient en eti'et souhaité avo r à repro-
cher au Souverain Pontife un bref aussi
scandaleux, qui d'ailleurs n'aurait pu pres-
crire contre les bonnes règles.
« Les communions dissidentes de la ro-
maine, dit M. Grosley, académicien libre
de l'Académie royale des inscriptions et bel-
les-lettres, s'épuisent en clameurs contre la
tolérance des Papes à l'égard des spectacles
et des théâtres. Elles opposent avec complai-
sance Genève à Rome; mais l'oisiveté du
peuple et des grands de Rome détruit cette
comparaison. Rome moderne, Rome chré-
tienne a conservé tous les goûts de Rome
païenne; et le Roi-Pontife auquel elle est
aujourd'hui soumise ne peut ne pas tolérer
ce que ne purent déraciner les Conslanlins,
les Théodoses (505;. »
Dès le temps du célèbre Laurent de Mé-
dicis, surnommé le Grand et le Père des
Lettres, moit en 14-92 à quarante-quatre ans,
Rome était si décriée par la corruption des
mœurs qu'il l'appelait un égout de tous les
vices. Celte expression se trouve dans une
lettre, qu'il écrivit à son jeune fils Jean,
qui fut depuis le Pape Léon X (506). Il y
donne à ce jeune prince les meilleurs con-
seils pour le préserver des écueils auxquels
Je séjour qu'il allait faire à Rome expose-
rait ses mœurs.
Est-ce donc bien justifier les théâtres,
que de nous citer pour exemple ceux de
Rome? Leur établissement y a été comme
(505) Dans 1rs Nouveaux Mémoires sur l'Italie ,
imprimés en 176i en 3 vol. in- 12.
(5UG) < Conosco che, andaiido voi à Roma , cite l
seutina de tutti li mali, enlraie in magidor dilïieolià
di tare quanlo vi dico di soprà à conservarsi nella
gr.izia di Dio, perche non solamcnle gli essenipi
nniovono, ma non vi maneheranno partieelari inci-
laionè cwrullori. i Celte lettre est imprimée dans
THEATRE LIBRE. 10.71
partout ailleurs le fruit de la corruption;
et h proportion de la fureur avec laquelle
on s'y est livré, ils ont donné lieu à de
nouveaux désordres. Les tempéraments
mêmes dont ont a prétendu user pour les
concilier avec les bonnes mœurs sont d'au-
tres scandales. Tel est dans la plus grande
partie de l'Italie J'usage de faire représen-
ter par des femmes les rôles d'hommes. Tel
est à Rome l'usage de faire jouer les rôles
de femme par des hommes dégradés par
une opération inhumaine, qu'un empereur
païen , et lequel ! un Domitien avait dé-
fendue sous les plus grandes peines (507).
Mais quels que soient les scandales du
peuple de Rome, Grosley, en observateur
éclairé et judicieux, remarque « que de tout
ce qu'il a observé et recueilli, il ne résulte
rien qui puisse justifier les injustes préju-
gés répandus dans certains pays contre la
régularité de mœurs et de conduite qui ho-
nore la très-grande partie du Sacré-Collège
et de la haute prélature. *
Dès que la corruption est devenue si gé-
nérale et si impérieuse qu'elle fait taire
toutes les lois, les Souverains P',ntifcs, à
l'exemple de saint Charles Borromée, se
sont vus obligés de réduire leur zèle à de-
mander au ciel la patience pour supporter,
en gémissant, les scandales qu'ils ne peu-
vent abolir,
Ustos zelo domvs tuœ,
Da mitlis obsistere :
Queis non possumus mederi
Da ferenles getnere (508).
Mais revenons à notre auteur de VEssai
sur la comédie moderne. Il appréhendait que
sa critique ne fûl traitée de cagotisme par
Fagan. C'est pourquoi il a jugé à propos de
se caractériser. « Je suis, dit-il, un homme
étranger, pour ainsi dire, à la piété, sans
vocation décidée, en un mot un homme du
monde. Amateur des spectacles, je désire-
rais peut-être plus que qui ce soit que l'on
pût les rendre tels qu'on les fréquentât sans
scrupule et qu'on nous les procurât sans
rougir. Dans l'état où ils sont aujourd'hui,
il y aurait bien du chemin à faire. »
L'impiété, dit-on, la grossièreté, l'indé-
cence n'y régnent plus tant : a Mais, dit
notre écrivain, le danger y est plus grand.
Cette politesse, cette élévation de sentiments,
ces grandes leçons pour les mœurs, sont des
fleurs agréables sous lesquelles le serpent
est caché. »
11 est bien éloigné de croire avec Fagan,
que si la comédie eût toujours été telle quelle
est aujourd'hui, elle ne se serait pas attiré
les censures ecclésiastiques. Et en le suppo-
sant pour un moment, il croit que s'il était
vrai que l'Eglise n'eût pas alors assez de
le second volume des Nouveaux Mémoires sur l'Italie.
(507) < Velerem landare jnv.it Domiiianum, qui.
licet pairi fralrique dissîmilis, memoriam nominis
sui inexpiabrfi deieslalione peiiudii, tamen receptis-
sima inclarnit lege, qua minaciter interdixerat ne,
inlra icrminos jinisdichonis Romamc, qiiisqnaiû
pueriim easlrarcl. » ( Amjiif.n Marcem.in, 1 ï v. xviii.)
(508) Dernière strophe de la prose de S. Charles.
4075
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
4076
motifs pour- lancer l'analhème; il n'est pas
moins certain qu'elle n'en a pas assez à
présent pour le retirer.
2° C'est au temps de Molière que Fagan,
dans sa seconde Observation, soutient que
les pièces sont devenues suffisamment bonnes
pour les mœurs. C'est là, selon cet apolo-
giste, la première époque d1 la pureté et
de l'utilité de la comédie; utilité si grande,
quelle compense le danger quelle pourrait
causer.
Mais, répond noire critique judicieux,
que l'on jette un coup d'œil sur le théâtre
de Molière, ce grand précepteur des mœurs.
Depuis la première de ses pièces jusqu'à
la dernière, on ne le verra combattre ipie
des faiblesses indifférentes, des ridicules,
des petits riens, qui déparent l'intérieur,
sans dégrader et altérer le fonds; et à
cet égard il entre dans le détail qui suit :
« Quelles bonnes leçons, par exemple,
peuvent donner au cœur: « L'Etourdi. — Un
jeune homme dont l'indiscrétion et la viva-
cité retardent le succès d'une intrigue
amoureuse qui l'intéresse et dont un va-
let fourbe a la direction.
« Le Dépit amoureux. — Deux amants
qui se brouillent pour un mal entendu, afin
de se procurer, ainsi qu'aux spectateurs, le
plaisir du raccommodement
« Les Précieuses ridicules. — Des femmes
romanesques, qui affectent un langage à la
mode.
« Les Femmes savantes. — C'est-à-dire des
femmes follement entêtées d'être savantes
et de le paraître,
« L'Ecole des Maris, les Fâcheux, V Avare,
etc. — Des vieillards amoureux , surveil-
lants sévères, incommodes, intéressés.
« Le Festin de Pierre. — Un libertin dé-
cidé, dont la punition théâtrale ramène
moins à la vertu que sa conduite n'ins-
pire le vice par les couleurs qu'il lui prête.
« George Dandin.— Des maris scrupuleux
ou dupes de leur simplicité et de la coquet-
terie de leurs femmes.
« Le Bourgeois Gentilhomme. — Des bour-
geois copiant ridiculement Jesgens de qua-
lité.
« Le Médecin malgré lui. — Une querelle
de ménage qui produit un incident plus
fastidieux que comique.
« Amphitryon. — Une fable du paganisme
mise en action; fable qui n'a pour objet que
l'intrigue la plus licencieuse et la passion
la plus criminelle.
« Le Misanthrope. — Une espèce de phi-
losophe, ou pour se servir des termes de
Fagan, un faux philosophe rempli de lui-
même, qui se complaît dans le mérite sauvage
de délester l'humanité , mais qui ne la dé-
teste que sur de vains prétextes, et qui ne
reproche à son siècle que des défauts super-
ficiels, plus intéressants pour la société que
pour les mœurs.
« Le Tartufe. — Un fourbe, dont l'intrigue,
les maximes et les démarches, de l'aveu
même des sectateurs de Molière, sont dan-
gereuses à tous égards. »
Voilà un tableau des pièces de Molière.
« Les vices, continue notre auieur, n'y sont
jamais peints avec des couleurs qui les
rendent odieux et méprisables. Les tableaux
y sont ménagés de façon que les préceptes
sont un badinage qui attire plus au mal
qu'il n'en éloigne; et on y répand sur les
défauts un certaiu ridicule trop plaisant
pour en donner de l'horreur; où les carac-
tères y sont si chargés qu'ils n offrent que
des vertus au-dessus de la force humaine
ou des vices rares à trouver. Or, si l'on re-
présente desdéfauts qui surpassent de beau-
coup les nôtres, au lieu de chercher à nous
corriger, nous nous applaudissons de ce pré-
tendu avantage. »
Nous ajouterons ici, pour fortifier ce que
dit notre auteur, le sentiment de l'abbé de
Saint-Pierre, qui, en politique, voulait que
l'on tolérât les théàres; mais il ne les croyait
pas toi érables dans le prétendu état de pu-
reté dont Fagan se contente. On trouve
dans le second tome de ses OEuvres diverses,
qui parurent en 1730, un Projet pour la ré-
formation du théâtre. Ce projet est analogue
à ses autres idées, que le cardinal Dubois
appelait les rêves d'un homme de bien. Il
voulait en effet que les pièces de théâtre,
soit tragédies soit comédies, ne tendissent
dans toutes leurs parties qu'à inspirer l'hor-
reur «lu vicp et l'amour de la vertu ; et pour
rentrer dans notre sujet, voici ce qu'il dit
de Molière : « C'est un grand peintre; mais
il n'a point eu assez de soin de peindre tou-
jours eu estimable ce que les hommes
avaient d'estimable, et en méprisab'e ce
qu'Ut avaient de méprisable: et c'est celle
confusion qu'il a laissée dans ses peintures,
qui fait que ses comédies sont plus perni-
cieuses qu'utiles au perfectionnement des
mœurs. »
Notre auteur de YEssai sur la comédie
moderne trouve que c'est le défaut, non-
seulement des comédies de Molière, mais
de toutes celles qui paraissent journelle-
ment sur le théâtre; telles que celles de He-
gnard, qui est le poêle qui a le mieux imité
Molière; celles de Scarrou, Mntilfleurv, Ba-
ron , Dancourt, Poisson, Dufresny, Le-
grand, etc.
Noire critique convient que les pièces de
La Chaussée, citées par Fagan pour un mo-
dèleront, sans contredit, les moins impures :
« Mais, ajoute-l-il, en est-il une seule dont
l'amour ne soit le mobile et où il ne soit
point caractérisé avec des traits et des dé-
tails d'autant plus dangereux qu'ils sont
mieux ménagés? Tout y est si tendre et si
touchant que le cœur est affecté dès les pre-
mières scènes. L'intérêt qu'on y prend est
si vif qu'il peut être très-funeste, et qu'elles
perdent par là l'avantage qu'elles auraient
sur toutes les autres d'être plus capables de
corriger les hommes et de les rendre meil-
leurs. »
Quant aux tragédies, notre auteur leur
reproche que les leçons du vice, commode
l'ambition, de ia vengeance, etc. ,y sont
données d'une manière d'autant plus dan»
1077
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1«78
gereose qu'elle 'est plus pleine d'élévation,
sinon de cœur et de sentimerls, m;iis du moins
des rit et de pensées.
Les poètes draop i tiques, en général, se
croient toujours obligés de céder à la néces-
sit ■■''. Pourquoi, peuvent-ils dire, faut-il que
tout ce qu'où expose sur les théâtres ait
pour pouvoir plaire à la multitude un air de
débauche et (Je libertinage?
3° Quant à celte opinion que les désordres
que l'on pourrait reprocher aux personnes
du théâtre, sont indépendants de leur pro-
fession, notre auteur est bien éloigné de l'a-
dopter.
Il pense qu'indépendamment de leur con-
duite, leur seule profession contribue à
rendre le spectacle très-dangereux. Les co-
médiennes, en effet, fussent-elles vertueu-
ses, pourrait-on croire qu'elles peignissent
si bien les passions si elles n'étaient pas
habituées à les sentir? Ajoutons : voilà,
comme l'a observé Voltaire, pourquoi les
acteurs jouent infiniment mieux les rôles
de tendresse que les rôles héroïques. « Vous
trouverez, dit-il, vingt acteurs qui plai-
ront dans Andronic et dans Hippolyte, et
à peine un seul dans Cinna et dans Ho-
race (509). »
Or, comment des actrices, toutes dévouées
a la volupté et la prêchant sans cesse, ne
l'inspireraient-elles pas? On les voit si ten-
dres et si passionnées qu'on désire être
l'objet de celte sens.bilité et réaliser des
ticiions si séduisantes. Leur réputation, Je
peu de risque de l'entreprise, la facilité de
l'exécution, l'habitude du succès fournissent
des armes au vice.
Nous ne suivrons pas notre auteur dans
ce qu'il dit conire les sophismes et les para-
logisraes usités, pour interpréter en faveur
des théâtres les textes de quelques écrits de
personnages respectables, comme de saint
Thomas d'Aquin, de saint Charles Borromée,
de saint François de Sales, de Bossuet, etc.
Desprez de Boissy, dans sa seconde Lettre
sur les spectacles, démontre à cet égard le ri-
dicule des prétentions des apologistes des
spectacles.
Nous passons à la conclusion de notre
auteur. En voici la substance :
Il est impossible que le théâtre subsiste
sans êlre mauvais, et par conséquent sans
être condamnable. On ne doit donc point
traiter (Je rigueur non méritée les censures
que l'Eglise a prononcées si souvent contre
les comédiens.
L'extrait que nous venons de donner pa-
raîtra peul-etre un peu lo ig ; mais il fallait
démontrer que l'écrit donné par Fagan, pour
la meilleure apologie des spectacles drama-
tiques, n'était pas dans le cas d'avoir plus
de succès que toutes celles qui l'avaient
précédée, ou qui ont paru depuis
On sait que d'Alembert, avec son génie
(509) Lettre de M. de Voltaire à M. de Laroque ;
elle se trouve tlans le Mercure du mois d'août 175-2.
(510) Les trois siècles de notre tiltéralure, depuis
François 1" jusqu'à Vannée 1772. Cei ouvrage, im-
géométrique, n'a pu triompher des arguments
de la Lettre de M. J -J. Rousseau contre
les spectacles. « Cette Lettre, est il dit, dans un
ouvrage nouveau (510), n'a pu êlr* réfutée
par aucun de ceux qui ont osé l'attaquer.
On ne pouvait mieux faire sentir la surémi-
nenee des talents de M. Rousseau, qu'en
plaçant à côté de sa Lettre, la Réponse qu'y
a faite VI. d'Alembert. La nuance est trop
sensible pour qu'on ne s'en aperçoive pas.
Cette Réponse, comme toutes les autres, ne
co nient q le de faibles arguments exprimés
encore plis faiblement. »
Au moins Fagan a témoigné conserver
quelque respect pour les censures ecelé-das-
ques, puisqu'il est convenu j[ue « Cor-
neille et Racine ont eu raison de gémir
d'avoir passé leur vie dans une occupation
condamnée. »
Mais devait-il traiter de cruelle la religion
qui leur en a l'ait un devoir? « N'est-il pas
bien cruel, dit-il, que les auteurs de Cinna,
û'Héraclius, de Phèdre, aient été fondés à
verser des larmes d'un juste repentir? »
Ce repentir, qui avait pour objet la séduc-
tion de leurs drames, aurait eu également
lieu, quand il n'y aurait pas eu de censures
ecclésiastiques contre les comédiens. L'E-
glise, en humiliant les acteurs des théâtres
publics, n'a fait que se conformer au mépris
que les sociétés profanes avaient toujours eu
pour eux. L'Eglise pouvait-elle ne pas trai-
ter en infâmes des gens avec qui l'on ne
peut contracter honnêtement dans le monde
aucune liaison, et que les voluptueux mêmes
n'admettent chez eux que pour les faire
servir d instruments à leurs plaisirs?
La cause des théâtres a été tant de fois
plaidée et perdue au tribunal de la raison,
que de droit et de fait la justice de leur
condamnation est une vérité incontestable,
suivant cet axiome : Res judicata pro veri-
tate habenda est.
Le gouvernement civil pourra bien avoir
toujours des raisons pour les tolérer; mais
de droit et dans le for intérieur, ils seront
toujours défendus : Semper vetabuntur , et
semper retinebuntur.
Ils auront toujours contre eux la tra-
dition des sages, tant anciens que mo-
dernes.
On sait que,Cyrus demandant à son con-
seil quelle était la meilleure méthode pour
retenir sous le joug une nation vaincu»; et
amortir son courage, un de ses conseillers
lui répondit qu'il suffisait d'y envoyer des
troupes de danseurs et de chanteuses. « Qu'on
y fasse, ajouta-t-il, élever la jeunesse au
milieu des spectacles et des plaisirs. C'est
l'ennemi le plus funeste qu'on puisse y in-
troduire : Luxuria omni hoste pejor. »
Un Spartiate observant à Athènes la pro-
digieuse dépense qu'on y faisait pour les
jeux et l'air de gravité avec lequel le magis-
primé sous le litre d'Amsterdam en 1772, en 3 vol.
in 8°, est ailribùé à Pal)i)é Sabaiier de Castres , au-
teur d'un Dictionnaire de liitéraiure, imprimé en 1770
en trois vol. in-8*.
Î07Ô DICTIONNAIRE
irai môme entrait dans ce soin, s'écria : «11
reste bien peu dé sagesse dans une ville où
l'on se fait une sérieuse occupation de ces
bagatelles ! »
« Si nous considérons, dit Plutarque, les
meilleurs même des spectacles, qui étaient
les tragédies, de quel avantage étaieni-ils
pour la nation? Thémistocle entoura la ville
d'excellents murs. Périclès l'embellit avec
beaucoup de magnificence et de goût. Mil-
tiade assura la liberté des Athéniens par son
courage. Conon, par la modération de sa
conduite, leur acquit le gouvernement de
tonte la Grèce. Si les sages poèmes d'Euri-
pide, le sublime langage de Sophocle et
l'esprit d'Eschyle, ont été aussi utiles à la
patrie, je consens, ajoute Plutarque, que
les pièces dramatiques soient comptées au
nombre des trophées de la République. »
Mais laissons les théAlres des anciens pour
ce qu'ils étaient. 11 est certain que les nôtres
n'auront une apologie parfaite que lorsque
la nation sera dans le cas de 'a faire par la
pureté de ses mœurs. Or, à cet égard, le
caractère de notre siècle ne fait pas l'éloge
de l'école de Melpomène et de Thalie.
En voici une preuve toute récente dans le
jugement qu'on a porté d'un roman de Do-
rat, dont il paraît une seconde édition (511).
L'héroïne de ce romain est la vicomtesse
de Senanges. Elle se trouve engagée dans
les liens d'un mariage malheureux ; elle n'y
connaissait que les frémissements de la
crainte, les terreurs de l'antipathie et la ri-
gueur des devoirs. Elle s'en dédommagea
en se livrant à une forte inclination pour le
chevalier de Versenai ; mais à condition que
leur bonheur réciproque ne parviendrait à
son apogée qu'après la mort du mari, que
l'auteur fait arriver à volonté pour opérer le
dénouement de cette galante intrigue.
Or, ce roman a été critiqué. Est-ce parce
que l'auteur l'ayant donné sous la forme de
lettres, l'action y est tournée en sentiment,
et est par conséquent présentée d'une ma-
nière plus séduisante? non. Est -ce parce
que l'amour, qui est le sujet de la fable de
ce roman, présente d'abord l'image du
crime? non. La critique a porté sur ce que
l'auteur a donné trop de vertu à son héroïne,
en lui faisant tenir la conduite d'une Sabine
ou d'une farouche Gauloise.
« Celte critique, dit Dorât, prouve singu-
lièrement à quel point nos mœurs sont dé-
pravées. On a crié à l'invraisemblance ,
parce qu'une femme, malgré sa passion,
respecte ses liens, est fidèle à ses devoirs
et se défend de consommer une faiblesse....
li est étrange qu'on ne puisse plus supporter
dans notre siècle une résistance de six mois,
sans scandaliser la moitié de Paris. »
Telles sont les influences respectives des
mœurs sur les écrits et des écrits sur les
mœurs. Voilà comme les auteurs dramali-
(511) Les Sacrifices de V amour, ou Lettres de la
vicomtesse de Senanges et du chevalier de Versenai,
par Dorât; Paris, 1772; 2 vol. in-8°.
(512) Dans une de ses Lettres à M. de Laroque ;
elle se trouve dans le Mercure du mois d'août 1732.
DES MYSTERES.
1080
ques, de même que les compositeurs de ro-
mans, se voient obligés de se conformer à
ce qu'on appelle la facilité et V aménité des
mœurs modernes; c'est-à-dire, au goût cor-
rompu du plus grand nombre.
« Je croyais, a dit Voltaire (512), que
l'amour n'était point fait pour le théâtre tra-
gique; et dans l'âge même des passions les
plus vives, je ne regardais cette faiblesse
que comme un défaut qui avilissait l'art des
Sophocles. Les connaisseurs qui se plaisent
plus à la douceur élégante de Racine qu'à la
force de Corneille me paraissaient ressem-
bler à ceux qui préfèrent les nudités de Cor-
rège au chaste et noble pinceau de Raphaël.
Mais le public qui fréquente les spectacles
est aujourd'hui plus que jamais dans le
goût de Corrège. Il ne lui faut que de la
tendresse. Il 4 doinc fallu me plier aux
MOEURS DU TEMPS ET COMMENCER TARD A.
PARLER D'4M0UR. »
Quelle faiblesse dans un homme de lettres,,
que ses sectateurs appellent le poète philo-
sophe l Ne aevail-il pas dire avec le patrio-
tisme d'un ancien romain, Quinlius Capito-
linus : « Mes chers concitoyens, quand mon
naturel ne me ferait pas préférer le vrai ai
1 agréable, j'y serais forcé en celte occasion :
j'ai grand ; envie de vous plaire , mais
dussé-je encourir la rigueur de vos cen-
sures, j'aime mieux sauver vos mœurs : Me
vera pro gratis, et si meuin ingenium non mo-
ncret, nécessitas cogit : vellem quidem vobis
placcre, Quiritcs ; sed multo malo vus salvos
esse qualicumque erga me anîino futur i estis. »
(ïit. Liv., dec. i, I. m, c. 67.)
On <i du P. Souciet, Jésuite, une Lettre
imprimée (513), dont l'objet est de prouver
que pour faire une excedente tragédie, il
faudrait du moins être aussi philosophe que
poète. « Mais, dit-il, comme ces deux caraC'
tères ne se concilient pas ordinairement,,
c'est pour celte raison que le théâtre sera
toujours une école du vice. »
On en peut dire autant des romans. Néan-
moins, Dorât est si enthousiasmé de ce
genre d'écrits, qu'il va jusqu'à soutenir (514)
que « le roman est une des plus belles pro-
ductions de l'esprit humain, parce qu'il en
est une des plus utiles ; il l'emporte même
sur l'histoire. L'histoire n'est le plus sou-
vent qu'un tableau monotone de vices sans
grandeur, de faiblesses sans intérêt; qu'une
collection de faits piquants pour la curiosité
seulement, et en pure perte pour la morale ,
au lieu que le roman est pris dans, le sys-
tème actuel de la société où l'on vit. C'est,
osons le dire , l'histoire usuelle, l'histoire
utile, celle du moment. »
Mais comme le lui a observé un critique
très-éclairé, Querlon (515). « N'est-ce pas
dire que la fiction l'emporte sur la vérité?
Le roman le mieux fait n'est qu'une belle
fable, dont le principal effet, ou du moins
(513) Dans les Hêm de Trévoux, année 1709.
(514) Dans l'Avaiil-Propos de Sacrifices de l'A-
mour.
(515) Dans la Feuille hebdomadaire des provinces,
du 12 novembre 1772.
4061
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1082
celui qu'on ne veut pas manquer (comme
dans les drames), est d'agiter, d'émouvoir,
de nourrir et d'augmenter môme la sensibi-
lité naturelle; entin, de relâcher, d'amollir
et de détremper rame, en quelque sorte,
sans laisser à l'esprit aucun fondement so-
lide, sans fournir à la raison d'autre appui
que des possibilités idéales. L'esprit humain
n'est-il donc pas assez porté de lui-même
au merveilleux, au mensonge, sans lui pré-
senter continuellement des fictions et le
nourrir de viandes peintes, comme dit Ni-
cole? Le fruit le p'us évident et le plus
réel de nos compositions romanesques est
de tout dénaturer parmi nous et de nous
former insensiblement un esprit et des
mœurs factices, dont d est aisé d'apercevoir
les progrès, qui sont assez sensibles. Quant
à l'histoire, que l'on veut subordonner au
roman, une grande partie du mal est faite.
Les histoires les plus goûtées aujourd'hui
sont celles où tous les temps sont assimilés,
où les plus éloignés de nous, les mœurs les
plus étrangères aux nôtres, sont peintes de
nos propres couleurs, où notre génie est la
mesure de l'esprit de tous les siècles et de
tous les âges. C'est ce qu'on nomme la phi-
losophie de l'histoire ; grand nom sous lequel
on comprend l'art de tout romaniser pour
le bien des hommes et la plus grande gloire
de l'auteur 1 Concluons que les romans,
quels qu'ils soient et quoique nous ne puis-
sions pas nous-mêmes nous défendre du
plaisir que nous font certains écrits de ce
genre, gâteront toujours plus de têtes et
d'esprits, qu'ils n'en pourront jamais for-
mer. »
Rien n'est plus solide que ces réflexions
de Querlon : elles sont dignes de ce sa-
vant journaliste qui, avec le laconisme au-
quel la forme de son écrit périodique l'as-
sujettit, en dit toujours assez pour faire
connaître ce que les ouvrages nouveaux ont
d'honnête et d'utile, de vicieux et de nui-
sible :
Qui qui l sit pulclnnm, qttid turpe, quid utile, qitid non
Plunius ac melius : . dicit.
On le voit, pour l'honneur des lettres,
protiter de toutes les occasions pour venger
les insultes et les torts que les littérateurs
corrompus font à la religion et aux mœurs.
La même feuille, par exemple, d'où l'on a
tiré les réflexions qu'on vient de citer sur
les romans, contient les pensées les plus lu-
mineuses sur la domesticité, dans le cours
desquelles on trouve celles-ci : « L'établis-
sement du christianisme a l'ait cesser parmi
nous l'esclavage; et c'esi d'abord un bien
qu'il a fait, dont on ne lui tient pas assez de
compte. Mais est-ce le seul qu'on lui doive?
C< Ile religion, si méprisée de nos prétendus
philosophes, combien a-t-elle intlué sur les
mœurs? Combien lui doit-on d'institutions
raisonnables? Que d'ordre, de règle, de prin-
cipes , (pie toute la philosophie païenne,
toute la sagesse et la raison des hommes
n'avaient pu gagner sur eux , comme le |iar-
(5IG) Né le 6 janvier 1G47, et mort à l'abbaye de la
don dos injures, l'amour de nos ennemis:
effort d'un courage au-dessus <ie tous ceux
dont l'humanité peut être capable, » etc.
Mous ajouterons qu'on conçoit de l'éloi-
gnemenl, ou plutôt de la haine, pour celle
religion si bienfaisante, à proportion qu'on
se livre à la morale des théâtres et des ro-
mans. C'est à toutes leurs lictions qu'on doit
attribuer cet esprit de frivolité et d'enfantil-
lage qu'on ne pardonnait pas autrefois,
même à la jeunesse, et que tous les âges
affei tent aujourd'hui. Ou pourrait appliquer
à la fréquentation des théâtres et à la lecture
des romans ce (pie Dorai dit de l'air enve-
nimé de Paris : « Le désordre y est autorisé
par l'exemple ; la faiblesse, ou piulôt le vice,
s'y trouve en quelque sorte indispensable.
On s'y sent [tressé a suivre la pente: on s'y
laisse entraîner et l'abîme est au bout. Les
bons naturels luttent quelque temps; mais
à la fin le torrent les emporte et ceux qu'il
entraîne sont d'autant plus à plaindre, qu'il
se joint au remords du vice quelques retours
impuissants vers la vertu qu'ils ont perdue.
Corrumpere et corrumpi; corrompre et être
corrompu, disait Tacite voilà ce qu'on ap-
pelle le train du siècle. 11 semble qu'en
écrivant cette sentence foudroyante le pein-
tre des Néron et des Tibère ait deviné la
plaie incurable de nos mœurs et i'étal actuel
de notre société. Tons les liens y sont rom-
pus, tous les principes renversés. A force
de généraliser la vertu , on parvient à l'a-
néantir. Sous prétexte d'être philosophe, on
n'est ni père, ni époux, ni citoyen. L'adul-
tère n'est plus qu'un vieux mot de mauvais
ton : ce qu'il désigne est reçu, accrédité,
affiché même en cas de besoin. La probité
pleure, la vertu se cache, la scélératesse
lève le front, et il n'y a plus de frein à atten-
dre pour la corruption, quand une fois la
pudeur du vice a disparu. »
Enfin, de degrés en degrés, comme le dit
un Anglais qui a fait des dissertations sur
Tacite, « nous sommes parvenus à l'empor-
ter sur la corruption de Rome ; et nous pou-
vons dire avec Juvénal : Nîlulterius, etc. La
postérité ne peut rien ajouter à notre disso-
lution ; ce qu'elle peut faire de pis est de
nous imiter. Et ce qui prouve que nous
sommes au comble, c'est que ces descrip-
tions mêmes sent si éloignées de nous cou-
vrir de honte, qu'elles ne servent qu'à nous
faire rire , comme il arrive aux représenta-
tions dramatiques, où l'on s'amuse des por-
traits de ses propres vices. »
Maximes pour se conduire chrétiennement
dans le monde, par l'abbé Clément, prédica-
teur du roi; Paris, 1753. On y trouve, arti-
cle 17, de solides rétlexions contre les spec-
tacles.
On vient d'imprimer les sermons de cet
orateur, dont on connaît la réputation. Le
tome II contient un excellent Discours con-
tre les spectacles.
Il a paru un recueil de sermons du célèbre
P. Soaneu (516), dont l'éloquence fut admi-
Cliaise-Dieu le 25 décembre 1740.
1085
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1084
rée et récompensée par Louis XIV. Ce re-
cueil contient contre les théâtres un sermon
qui fut prêché à la cour, eu 168G et en 168S.
Le maréchal de La Feuillade le trouva
trop sévère, et il prit la liberté d'en dire son
sentiment au roi. Mais ce grand monarque
lui tit cette réponse judi< ieuse el imposante :
«Monsieur de La Feuillade, le prédicateur a
fait son devoir; tâchons de faire le nôtre
(517). »
Ce courtisan ne devait pas, à cet égard,
trouver moins sévère le premier modèle des
prédicateurs en Europe, c'est-à-dire le
P. Bourdaloue (518), qu'on a caractérisé en
l'appelant Nicole éloquent.
Bourdaloue, invincible en ses raisonnements,
Des passions en nous confond les arguments (519).
Voilà pourquoi ses sermons imprimés
plairont toujours. Aussi Louis XIV voulait-
il entendre, tous les deux ans, ce prédica-
teur aimant mieux ses redites que les choses
nouvelles d'un autre. On a de cet illustre ora-
teur, un excellent sermon (520) contre les
divertissements publics, qui fiassent pour
légitimes, et que l'opinion commune auto-
rise, mais que le christianisme condamne,
et qui ne peuvent s'accorder avec 1 intégrité
et la pureté des mœurs.
La comédie contraire aux principes de la
morale chrétienne; Auxerre, 1754.
On y a joint un mandement que le cha-
pitre d'Auxcrre donna, le 15 novembre 175i,
contre la comédie.
Lettre de M. Lefranc, de l'Académie fran-
çaise, ancien premier président de la Cour
des aides de Montauban, à M. Louis Racine,
sur le théâtre ; Paris, 1755.
Cet académicien considère les spectacles
dramatiques sous le même point de vue que
le P. Porée l'a fait dans son Discours. Il y
p;trle en homme de lettres, en philosophe et
en chrétien.
Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève,
à M. d'Alembert, sur le projet d établir un
théâtre de comédie à G entre ; Amsterdam,
1758. Cette lettre combat supérieurement les
théâtres publics ; mais on y trouve sur d'au-
tres objets une empreinte contagieuse des
égarements de l'auteur.
Première lettre de Desprez de Boissy, avo-
cat au parlement, à M. le chevalier de ***, sur
les spectacles ; Pans, 1756; on en donna, en
1758, une seconde édition, et une troisième
en 17f>9.
« Vous me paraissez bien prévenu, Mon-
sieur, contre mon peu de goût [tour ce qu'on
appelle commerce de galanterie. Vous regar-
dez mes sentiments à cet égard comme une
suite de mes préjugés contre les spectacles.
Vous ne voudriez pas que le théâtre me pa-
rût une école où les cœurs les plus indilfé-
rents apprennent à devenir, sensibles , et
à ne connaître que trop la passion sur la-
(517) Mêm. du temps.
(318) Ne le 20 aoûl 1652, el mort le 15 mai 1704.
(519) Linanl, dans son |»oëme des Progrès de l é-
toquence , couronné en 1759 par l'Académie fran-
çaise.
quelle vous me reprochez d'être si réservé.
Vous pensez que je m'attire un ri iicul ■ en
me privant de ce qui fait, selon vous, l'amu-
sement et le plaisir des honnêtes gens. Exis-
ter sans aimer vous paraît impossible. Vous
avez raison.
On n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer.
(Despreaux.)
« Mais quoique l'amour soit la vie du cœur,
il mesemble que c'est de tous les sentiments
de l'àme celui dont on doit le moins se faire
un jeu. Lorsque ce sentiment n'a d'autre ob-
jet que ce qui peut tlalter les sens, on perd
de vue ce que Cicéron renferme sous l'idée
de l'honnête, c'est-à-dire, les principes
qui doivent assujettir notre conduite à la
raison.
«Selon cet ancien moraliste, qu'on ne peut
accuser de rigorisme, on ne doit se prêter
aux objets sensibles qu'avec une extrême
réserve. En effet, les impressions qu'ils f(;nt
sur nos organes agissent assez souvent sur
notre cœur avec une telle violence, q.e nous
en sommes tyrannisés,
«Vous savez, Monsieur, à quel s excès <e por-
tent ceux qui fonl consister leur bonheur à
réunir le plus d'honneurs et le plus de riches-
ses qu'il est po sible. Je suis de moitié avec
vous dans le mépris que vous avez pour c 'S
gens qui, s'aimant eux seuls, s'abandonnent
aux passions que nous ne pouvons satisfaire
qu'au! dépens de nos i concitoyens; car un
ambitieux, un avare heureux, s'il en pei t
être, ne le sont qu'en possédant ce qui pou -
rait faire le partage et la félicité de plusieurs
familles. Vous réprouvez donc, avec raison,
ces passions qui portent un caractère si nui-
sible à là société. Mais ce qui s'appelle là
ten ire passion vous parait être celle de fhu-
maniié ; et en conséquence vous no sauriez
me pardonner de ne pas en suivre les at-
traits. Vous m'adressez cette maxime du
Sage : Ne soyez ni trop juste ni plus sage
quil convient (521). La connaissance que j'ai
de votre zèle pour m n bonheur ne me per-
met pas d'être indifférent à vos conseils. Je
les attribue à cette noble inclination qui
vous porte à souhaiter et à communiquer
à vos amis tout ce qui leur est avantageux.
« Vous voudriez donc me rassurer sur les
risques qui me semblent être attachés à la
galanterie, et me persuader de la grande uti-
lité des spectacles. Mais j'ai a vous opposer
d'anciens préjugés d'autant plus difliciles à
détruire, que je les crois très-équivaients à
des raisons homologuées du tribunal de la
prudence. Souffrez que je vous les expose.
<".e n'est pas un discours moral que je pré-
tends vous adresser. J'ai seulement inten-
tion de vous faire confidence des principes
qui me dirigent sur ces objets. Je vais d'a-
burd vous exposer en peu de mots ce que
je pense sur cette tendre et voiage passion
(520) Dans le tome II de ses Sermons sur les di-
manches de Vunnée.
(5-21) iNoli esse juslus mullum, neque plus sapias
quam necesse est.
S 085
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1086
dont le terme de galanterie nous présente
l'idée.
« L'amour qui se rapporte à l'union des
deux sexes adonné heu à beaucoup d'évé-
nements, dont le récit ne serait pas à son
avantage (522.)
o Celte pas»ion est, dit-on, si naturell»1, que
les (h ux sexes semblent se faire une prière
réciproque pour s'unir l'un à l'autre. Je
conviens qu»1 cel allrait, qui depuis la dégra-
dation de l'homme a dégénéré en une ré-
volte des sens contre l'esprit (523,', est si in-
séparable de notre être, que la sagesse ne
consiste point à ne pas en ressentir l'im-
press on, mais à l'assujettir à la retenue
qu'exige le devoir (524).
« Plus on est assuré du pouvoir impérieux
de celle passion, plus ou est obligé de la
CDU ire lire ou de ne s'y prêter que selon les
lè- des établies parla religion et par les lois,
en ne se permettant qu'une alliance légi-
time (525), dont on peut dire avec M. Gres-
Sct.
, . . . L'union de deux cœurs vertueux,
L'un pour l'autre fermés, eil'un par l'autre heureux,
Peut adoucir les maux, peut embellir la vie.
« Si la raison n'oppose point de digues à
l'impétuosité de ce penchant, il n'est point
d'excès où l'on ne puisse être entraîné ; et si
l'on n'est pas en garde contre les attraits qui
peuvent nous séduire , ou l'on se prépaie
des touimenis inévitables par la contrainte
dans laquelle le devoir vous retiendra, ou
l'on s'expose à se salbfaire jusqu'au point de
de ne respecter aucunes lois. Ces mésallian-
ces indécentes dont il résulte quelquefois
un contraste humiliant de condition, sou-
vent une extiême indigence, et ces unions
clandestines où les droits sacrés de l'hymen
se trouvent violés, ne sont que les suites de
l'imprudence avec laquelle on s'est livré aux
objets séducteurs.
« Je sais que si je communiquais mes
idées sur celle passion que l'on croit enno-
blir en l'appelant le faible des grands cœurs
et des héros, je m'exposerais à être laxé de
misanthropie. On me jetterait dans la classe
de ces censeurs de mauvaise humeur, qui,
s'aimant eux seuls sans rivaux, critiquent
tout ce qui n'est pas assorti à leur goût et
condamnent les plaisirs dont ils ne veulent
point faire usage.
« Je suis trop ami du genre humain pour
ne pas redouter les effets de ce caractère cha-
grin qui fait le plus d'ennemis dans la so-
ciété. 11 y a plus de sûreté a recevoir des
leçons qu'à vouloir en donner (526). Je
m instruis donc par les écarts de ceux qui
abusent de l'inclination que la nature nous
inspire pour le sexe. Ils me continuent qu'il
n'est pas prudent de se faire un amusement
ue la passion de l'amour.
Ce n'est point à Cydière
Qu'il faut chercher et les jeux cl les ris.
(Rousseau, liv. î, Ep. 2.)
« On peut en juger par les plaintes qui
échappent quelquefois a ceux dont la vertu
a été y faire naufrage. Quinauit les a assez
heureusement exprimées dans quelques-
uns de ses poëmes. Ce sont comme autant
de maximes dont je me suis fait sur cet ob-
jet une espèce de code. Quelle idée, par
exemple, peut-on se former de notre pré-
tendue belle et héroïque passion, lorsque
d'après le sentiment on nous dit :
Garaons nous de souffrir que l'amour nous engage
Dans ses trompeurs enchantements.
Gantons-nous des embarquements
Où le repos du cœur fait un fatal naufrage.
^Phaélon, act. i, se.
Ah! qu'il est dangereux
De s'engager sur la vaine assurance
Des serments amoureux !
•)
•)
(lbid., act. il , se.
Quel tourment ne fuit point souffrir
Un malheureux amour que l'on ne peut éteindre
Et que l'on n'ose découvrir !
[Versée, act. u, se. 5.)
Plus on connaît l'amour et plus on le déleste.
Détruisons son pouvoir funeste,
Rompons ses nœuds, déchirons son bandeau,
Brûlons ses traits, éteignons son flambeau.
(Armide, act. i, se. 4.)
Redoublons nos soins, gardons-nous
Des perds agréables.
Les enchaînements les plus doux
Sont les plus redoutables.
(Ibid., act. iv, se. i.)
Ce que l'amour a de charmant
N'esl qu'une illusion qui ne laisse après elle
Qu'une boule éternelle
(Ibid., se. 5.)
Fuyons les douceurs dangereuses
Des illusions amoureuses :
On s'égare quand on les suil ;
Heureux qui n'en est pas séduit!
(Ibid., se. 5.)
Dans l'empire amoureux
Le devoir n'a point de puissance.
(Alliis, act. m, se. 2.)
L'amour trouble tout le monde,
C'esi la source de nos pleins,
C'est un feu brûlant dans l'onde,
C'est l'écueil des plus grands cœurs.
(Ibid., act. iv, se 5.)
(522) Sxvus amor docuit natorum sanguine matrem
Conimacuiare mantis. (Vino , Ej,\. 8 )
;52r,) E\ ami uo Décote hoc u alum (stimulus
carms) accidil. (S. Aug. Lib. ami. lu .)
Id24) Virlus est mors concupiscentiarnni aut ea-
rum quies secundum quo.l oportet. (Aristote.)
(525) lllam concupiscentiani carnis, qua caro con-
cupisrit adversus spirilum, in usum juslitiae couver -
IiiiiI lidelium nupli:e. Proinde Duplise quia eliam de
illo malo (Mituulo carnis) aliquid boni laciunl glo-
riantur, quia sine illo tieri non potest, erubescuui.
(S. Aug., De nupl.. lib. i.)
(526) Tutius verilas auditur quam pradicatur.
1087 DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Le chagrin suil toujours les cœurs que l'amour blesse,
1038
Dans les beaux jours le doux zépbir
Fait inouïs naître d^ fleurs
Que le cruel amour, dans son funeste empire,
Ne fait verser de pleurs.
(his, act. m, se. 7.)
« Que résulte-t-il, Monsieur, de ces belles
pensées? J'en conclus qu'il faut sérieuse-
ment réfléchir avant que d'aimer, de peur
que la raison ne devienne en un instant la
dupe du cœur.
Un pas hors du devoir peut nous mener bien loin.
(Corneille.)
« La Fontaine nous dit que
Lorsque l'amour prend le fatal moment
Devoir et tout et rien c'est même chose.
« Je pousse peut-être la pusillanimité jus-
qu'à l'excès, mais elle fait ma sûreté. Ovide
nous avertit que l'amour s'empare des cœurs
qui ne pensent pas à s'en défendre (527).
La connaissance du péril ne m'enhardit pas.
Craindre tout et ne rien hasarder me paraît
le plus sûr. C'est pourquoi , aussi craintif
qu'un pilote sur une route qu'il n'a pas en-
core pratiqué1, je me donne bien de garde
d'approcher de trop près des écueils signalés
par des naufrages.
« Nous arrivons novices à chaque âge de
notre vie. Je crois qu'il n'est qu'un moyen
de remédier à cet inconvénient, c'est de s'en
rapporter à ceux qui ont fait part de leur
expérience à la postérité. M. de Bussy-
Rabulio mérite à cet égard notre reconnais-
sance. Cet ingénieux courtisan, dont le nom
est si célèbre dans les faites delà galanterie,
nous dit que la "passion de l'amour est la
plus dangereuse de toutes les faiblesses et
qu'on revient plus aisément des sottises de
l'esprit que de celles du cœur. En effet, Mon-
sieur, le cœur s'attache, au lieu que l'esprit
rie s'occupe point toujours des mêmes idées.
Il réfléchit et peut apercevoir ses extrava-
gances; mais lorsque le cœur est enflammé
par l'enchantement des sens, la raison ne
tarde pas a être sédui e et l'esprit trouve
son poison dans ce qui charme le cœur. Or,
selon Cicéron, un pareil trouble est un dé-
sordre honteux (528) ; et je ne le trouve pas
moins funeste qu'humiliant. Dès que la ga-
lanterie exclut de son commerce la pru-
dence et la raison, elle doit être plus propre
à firmer un engagement indécent qu'à pro-
duire un mariage heureux,
Où l'honneur ait son lustre, où la venu préside.
(Corneille.)
« Voilà ce qui donne lieu à mes préjugés
contre ce qui excite la passion de l'amour.
Vous comprenez que ces préjugés doivent
beaucoup influer sur la prévention que vous
me reprochez d'avoir contre les spectacles,
et dont je vais vous entretenir. Peut-être
goûterez-vous les motifs qui m'ont déter-
miné à ne point les fréquenter?
« On m'a prévenu dès mon enfance contre
les dangers des théâtres. On m'a dit qu'ils
n'étaient propres qu'à allumer, fomenter et
nourrir les passions. Mais cette leçon m'a
paru fort contredite dans la pratique , et
même par plusieurs de ceux qm par état
devaient le moins se permettre les spectacles.
Il est vrai qu'en fait de morale pratique,
l'exemple du plus grand nombre est une
autorité assez équivoque. Cependant j'ai cru
devoir examiner si mes idées, qu'on traitait
de préjugés inspirés par des précepteurs,
étaient fondées sur de bons principes. Je
n'ai pas pensé pour cela qu'il fallût commen-
cer par aller aux spectacles, j'aurais offensé
la prudence. C'aurait été juger avant les in-
formations. On me dit qu'il y a dans cette
rivière un tel endroit où l'on court risque
de se noyer. Je n'y vais pas pour l'éprouver,
mais j'emploie les moyens usités pour m'en
assurer.
« C'est ce que j'ai fait par rapport aux
spectacles. J'ai été aux enquêtes. Je ne me
suis [tas adressé à ceux qui fréquentent les
théâtres. Je les ai réservés en preuve de ce
que j'apprendrais à ce sujet. De plus , leur
partialité me rendait suspect le bon témoi-
gnage qu'ils auraient pu m'en donner. J'ai
consulte ceux qui ne les fréquentaient plus;
ce qu'ils m'en ont dit m'a fait conjecturer que
le théâtre, quelque idée que l'on s'en forme en
spéculation, est l'école et l'exercice des pas-
sions, puisque son objet est de les excUer,
et que c'est de cet effet que dépend le succès
de toute pièce dramatique. J'ai poussé plus
loin ma conjecture : j'ai pensé qu'il était
impossible d'y avoir aucun plaisir, si l'on
n'était animé de quelque passion, ou si l'on
n'était disposé à en recevoir les impres-
sions.
« Si je me préviens contre les spectacles,
parce que les passions y sont excitées, il ne
s'ensuit pas que je sois du nombre de ces
stoïciens outrés qui proscrivaient les pas-
sions, même les plus innocentes. Je sais (pie
ce serait détruire l'homme que de vouloir
ôter à l'âme les sentiments du plaisir et de
la douleur, à quoi se .réduisent toutes les
passions. Mais pour faire un bon usage de
ces liassions, il faut qu'elles se rapportent
toujours à des objets légitimes ; et lorsque,
pour une fin honnête, on veut les exciter
dans les autres, on doit le faire d'une ma-
nière qui ne soit ni vicieuse ni dangereuse.
Or, mes préjugés contre les spectacles sont
fondés sur ce que le théâtre n'offre presque
toujours que des passions folles ou crimi-
nelles, et que les plus légitimes y devien-
nent répréhensibles et dangereuses par la
manière dont elles sont présentées : c'est
relativement à ce principe que j'ai cru ne
pouvoir me permettre d'aller aux spectacles,
quelque intention que j'en pusse avoir.
« En effet, qui sont ^eux qui croient les fré-
(527) Affluit incaulis insidiosus amor.
(528) Peiturbatio ipsa mentis in a more fœda per se est. (Cicer., Tusc, lib. iv.)
1089
NOTICE SUR LE THEATRE L1RRE.
1090
quenier avec le plus de droit, et avec les dis-
positions lesplus innocentes ? Ce sont ceux
qui prétendent y aller pour juger du mérite
de la pièce. Ils ne sont pas en grand nombre,
parce (pie celte vue suppose du goût et des
connaissances; mais cette intention ne ga-
rantit pas des mauvais effets des passions
qui triomphent le plus sur le théâtre. C'est
toujours le cœur qui prend le plus de part
au spectacle: il en est même pour cette rai-
sou le premier juge, puisque ce n'est que
relativement à l'émotion qu'il y éprouve
qu'on applaudit plus ou moins à la repré-
sentation (52(-)).'Si on se sent fortement ému
par le vif intérêt que l'on prend à l'action,
si l'on se croit transporté sur le lieu de la
scène et comme dans la situation du per-
sonnage qui nous attache le plus, si on
l'3nten-l parler et si on le voit agir, comme
on parlerait et comme on agirait soi-même
étant animé de la même passion, alors le
cœur prononce que le poète et les acteurs
ont bi«n réussi à intéresser les spectateurs.
La nature, dira-l-on, est bien exprimée; mais
un bon juge de spectacles ne s'en tient pas
seulement à ce que lui suggère le sentiment;
il a un jugement de plus à porter.
« Il doit examiner si les règles de l'art
ont été bien observées. Si le poète a été li-
d'èle à l'unité d'action, qui consiste pour la
comédie dans l'unité d'intrigue ou d'obsta-
cle au dessein des principaux acteurs; et
pour la tragédie, dans l'unité du perd, soit
que le héros y succombe, soit qu'il en sorte
victorieux ; si l'action est complète et ache-
vée, c'est-à-dire, si dans l'événement qui la
termine, le spectateur se trouve parfaite-
ment instruit des sentiments de tous ceux
qui y ont quelque paît, ou du sort du prin-
cipal personnage. Il faut examiner dans la
tragédie si le héros qu'on a vu dans le péril
en est sorti, ou comment il y a succombé;
et dans la comédie, si les oppositions à l'in-
trigue ont été levées ; si dans Tune ou dans
l'autre le dénouement s'opère par quelque
événement et non simplement par la volonté
du poète; si le nœud de l'action est formé
d'une suite de ce qui s'est passé hors du
théâtre avec le commencement de l'action
qui s'y passe ; si l'action a une juste éten-
due soit pour le temps soit pour le lieu, ce
qui constitue les deux autres unités, c'est-
à-dire, si elle ne passe point la durée de
vingt-quatre heures et si elle paraît se pas-
ser dans le même lieu ; s'il n'a point paru
ou disparu quelque acteur, sans qu'on ait
su pourquoi ; si les sentences, ou les pen-
sées morales ne sont pas trop multipliées et
comme détachées du tissu de la pièce ; si les
mœurs des personnages se trouvent bien
exprimées et ont été annoncées à propos;
si les caractères sont bien soutenus et si
toutes les parties de l'action sont traitées
selon le vraisemblable ou selon le nécessaire,
c'est-à-dire comme elles ont pu ou dû se
passer.
(529) Omne speclaculum sine coimnolionc spirilus
oon.esi.
(550) Amoveanlur, si ficri polest, si minus cène
« Il faut ensuite juger la poésie , c'est-à-
dire le choix des pensées, leur disposition,
la manière dont elles sont énoncées, la va-
leur des rimes, le mécanisme du vers. Il
faut enfin décider sur la dignité du dialogue
dans la tragédie et dans la comédie sur ce
que les Latins appellent cm comica , c'est-à-
dire, le sel attique.
« On conviendra aisément qu'il n'y a pas
beaucoup de spectateurs qui soient capables
de s'occuper de tant d'objets et qui puissent
par conséquent se glorifier de n'aller aux
spectacles que pour les juger. Mais quand
j'aurais assez de mérite pour pouvoir en
porter mon jugement, devrais-je y aller?
J'ai fait réflexion que je devais m'en dispen-
ser, parce qu'il faut que l'âme y sorte de
son assiette pour se livrera la passion qu'on
veut représenter.
« Il n'en est pas de même du jugement
que l'on porte d'une pièce imprimée. Le
lecteur est privé de la partie la plus tou-
chante, qui est celle de la déclamation. On
sait ce qu'on doit , à cet égard attendre de
nos acteurs dont on n'a coutume de n'ad-
mettre les talents qu'après avoir éprouvé
l'énergie et les grâces de leur jeu. La décla-
mation, dans de pareils acteurs, est un lan-
gage des plus éloquents. Par elle les cœurs
peuvent se parler immédiatement sans le
secours des mots, et un geste seul peu! pro-
noncer dans toute sa force un sentiment
passionné que le poète n'aurait que faible-
ment exprimé. La passion ne peut donc être
parfaitement excitée que par le jeu de la
représentation. Cela est si vrai, que le sénat
de Meljiomène et de Th'alie ne se chargera
pas d'une pièce sur la simple lecture. Il faut
qu'elle soit déclamée dans ce sanhédrin où
l'on juge si elle peut être exposée au public
ou non, c'est-à-dire si l'on a lieu d'espérer
que les spectateurs se sentiront fortement
affectés des sentiments passionnés que le
poète s'est proposé d'exciter. Voilà l'objet
de toutes les pièces dramatiques. Et c'est ce
qui en rend même la lecture souvent perni-
cieuse. Vous savez ce que Quintilien pen-
sait de ces sortes de productions. Il voulait
qu'on ne hasardât d'en permettre la lecture
aux jeunes gens que quand leurs mœurs se-
raient en sûreté (530). Il serait à souhaiter
que ce célèbre rhéteur nous eût appris t^n
même temps à quel âge il les croyait hors
de danger; mais en attendant la solution du
problème, je crois que les mœurs ne peu-
vent jamais être en sûreté aux spectacles;
les risques qu'elles y courent sont plus cer-
tains que les avantages qu'elles en retirent.
La corruption s'y communique par plus d'un
moyen. Tous les spectateurs ne sont pas
attirés par le seul objet de la pièce. Le nom-
bre de ceux qui pensent n'est pas si grand.
« Combien de gens qui ne fréquentent
les théâtres que pour se réjouir du coup
d'œil éblouissant des femmes que la cou-
tume y conduit, afin d'y disputer entre elles
ad fninius aclatis robur reserveuLur cura mores in
lulc- fuerinl.
1091 DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
à qui l'emportera sur la richesse des pierre-
ries, sur le luxe des habits, sur les grâces,
1092
sur la beaulé, sur l'adresse à suppléer aux
agréments que l'a nature a refusés, enfin sur
Je nombre des adorateurs!
'< Et combien d'autres ne sont excités à
aller au spectacle que pour y admirer les
actrices qui, par !es talents de leur profes-
sion, relèvent tellement les grâces de leur
sexe qu'elles semblent être des divinités ,
qui intéressent d'autant plus qu'on a plus
de discernement pour juger le mérite de leur
jeu! Leurs riches et pompeux ajustements,
plus eu moins indécents, suivant que l'exige
\a scène, donnent encore un tel pouvoir à
leurs charmes qu'on ne peut guère les con-
sidé.er sans être tenté d'exprimer, par ces
vers d'Ovide, les violents sentiments qu'elles
inspirent :
Auferimur cullu : gemmis, (invoque leguntur.
Decipil liac oculos œgide dites amor.
« Je comprends , Monsieur, quelle doit
êlre l'influencé et la tyrannie de tous leurs
attraits sur le cœur des spectateurs : scintil-
las libidinum couflubellant, et combien, par
conséquent, elles doivent faire de martyrs,
parce qu'à l'exception des courtisans de la
première volée et de quelques favoris de
Plu tus, il faut se contenter d'admirer en se-
cret leurs appas séducteurs, sans espoir de
satisf lire la coupable passion dont on brûle
pour elles. Qu'en arrive-t-il ? Une fougueuse
jeunesse va chercher ailleurs à se dépiquer,
muni animum alio conferunt (531). Or, ces
etfets sont-ils bien capables de détruire mes
préjugés contre les spectacles?
« Il est vrai qu'il y en a qui voudraient
faire croire qu'ils n'y vont que pour se dé-
lasser de leurs occupalions et qu'ils en
sorient sans y avoir ressenti aucunes mau-
vaises impressions.
« Je conviens que si l'on n'avait aucun
reproche a faire à nos jeux de théâtre, les
citoyens occupés y auraient plus de droit
que cette foule de spectateurs qui n'y vont
que pour se délivrer du dégoût que leur
cause leur désœuvrement. Mais je ne crois
pas que des gens occupés (missent y trouver
un délassement cou vriiab ei t même physique.
11 ne leur faut pas de ces plaisirs tumultueux
qui ébranlent l'esprit et le cœur, en inspirant
des pensées et des sentiments capables
de dégoûter de toute occupation sérieuse.
D'ailleurs, je n'ai jamais pu concevoir qu'on
puisse se délasser en allant se renfermer
pendant trois ou quatre heures dans une
salle dont l'air, par les haleines et le désa-
gréable luminaire, ne peut être que préju-
diciable à la santé et par conséquent peu
(SM) Térence.
(532) Septa pudicilia agunt. Liilerarum sécréta viri
pariier ac l'cmiiise ignorant. Nemo enim illic vilia
ridet, nec corrumpere el corrumpi syeculum vocalur.
Paucissima in lara numéros;» gente adulleria quo-
rum pœua pryesens. (Tac, De mor. Gernian.)
(533) » Qui eiiam modeste spectaculis fruiiur pro
digmtatis vel aelatis, vel eliam nature suae conditio-
gue amoureuse ; toule
était en horreur et ne s excusait
propre à affecter utilement des organes fati-
gués du travail-,
« Au reste, j'ai pensé que le temps que je
sacrifierais aux spectacles pourrait être beau-
coup mieux employé en le destinant à la
compagnie de quelques amis avec lesquels
on multiplie, pour ainsi dire, son être, eu se
communiquant réciproquement tout ce qui
peut intéresser de louables affections.
« Une lecture, une promenade sont assu-
rément très-capables de délasser, ainsi que
quelques jeux d'usage. Et si l'on veut des
plaisirs délicieux, ne peut-on pas s'en pro-
curer en fréquentant ces sociétés choisies
où l'on a le spectacle de tous les talents et
de toutes les vertus, et où l'on rencontre des
femmes qui ont l'avantage de plaire et même
de charmer par leur mérite, mais qui savent
en même temps inspirer tout le respect qui
est dû à leur sexe? Ces compagnies sont, à
cet égard, aussi sévères que fêtaient les an-
ciens Germains, chez qui, selon Tacite (532),
on ne plaisantait point sur les vices, on
ignorait ce que c'était que de mener sour-
dement une intri
licence y
point en disant : Tel est le siècle ; et par ce
moyen 'a vertu des femmes élai- à l'abri de
toute occasion. J'aime ces sociétés où ces
bonnes mœurs de nos a-miens Germains
sont encore de mode. On n'y manque point
de tous les amusements que la décence
peut permettre; on y jouit au moins de
quoique avantage réel, au lieu que les spec-
tacles ne nous fournissent que des plaisirs
et des idées chimériques dont il résulte mille
désordres. Je trouve qu'il n'y a rien de plus
dangereux pour les mœurs que d'aller voir
ce qu'on ne veut pas êlre; car on se con-
forme aisément à ce qu'on regarde avec
plaisir, puisque c'est le plaisir qui dispose ou
cœur.
« Or, quel est l'objet de ce prétendu dé-
lassement qu'on va chercher aux spectacles 3
C'est d'y sentir son âme se livrera l'illusion
des passions qui y sont représentées. Il laul
v éprouver ce plaisir, ou s'y ennuyer, à
moins qu'on n'y assiste que comme des au-
tomates.
« J'avoue que la plupart prétendent n'y
ressentir aucune mauvaise impression. M os
quelle est la cause de leur insensibilité!
N'est-ce point parce que leurs passions son'
déjà en mouvement avant qu'ils y entrent, el
qu'elles se trouvent à l'unisson de celles que
l'on représente (533)? Est-il étonnant qu'é-
tant habitués à mener une vie molle et vo-
luptueuse, ou à s'amuser de tout ce qui en
est l'expression, ils ne se sentent pas offen-
sés de ce que le spectacle offre de conta-
gieux? xMais le plaisir qu'ils y goûtent est
ne, non tamen immobilis animi est, sine lac'ta spi-
ri tus passione : nemo ad voltiptatem venit sine aflè-
clu. i Cette pensée , qui est de Tefiullien, paraît
moins sévère que celle de Sénèque : « Qui minios
in speclaculis fréquentât , non est oliosus, hic apger
est, imo morluus. i (Senkc, De beala i>ùu,cap.
13.;
1095
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1094
une preuve qu'ils en éprouvent réellement
toutes les mauvaises impressions.
« Leur insensibilité à cet égard serait
même un reproche fort humiliant pour le
poêle et les ac eurs, puisque les succès de
leur art ne sont pariai s que lorsque les
spectateurs paraissent devenir autant d'ac-
teurs qui annoncent dans leurs yeux que
l'action représentée se passe dans leur unie.
« Les amateurs des spectacles ne sont donc
satisfaits, ou mécontents, que selon qu'ils y
rencontrent plus nu moins ce qu'ils y vont
chercher, et ce qu'ils n'y trouvent que trop,
c'est-à-dire l'agitation de l'esprit et du
cœur; disposition indigne d'un véritable
philosophe (534) et encore plus d'un Chré-
tien. Pourquoi ne te dirais-je pas? Je con-
nais, Monsieur, votre respect pour la reli-
gion. Vous m'avez dit assez souvent que
vous la regardiez comme le premier li n
qui doit unir les hommes, comme le meil-
leur garant que nous puissions avoir de
nol e probité, et comme étant st-ule capable
de faire des citoyens, de former de grands
hommes et de conserver la gloire et le bon-
heur d'un Etat. Vous méprisez la supersti-
tion, mais vous respectez la piété; ceux qui
attaquent la religion ne vous prouvent point
la Supériorité de leur esprit, mais le dérègle-
ment de leur cœur; et vous dites avec La
Bruyère : « Je voudrais voir un homme so-
« bre, modeste, chaste, équitable, révoquer
« en doute la vérité de la religion chré-
« tienne, il parlerait du moins sans inlé-
« rêt ; mais cet homme ne se trouve point. »
« Quand on dit que les vices ne sont re-
présentés sur nos théâtres que pour y paraî-
tre plus hideux, je n'en crois rien. On a
grand soin de soustraire au spectateur tout
ce qui pourrait le blesser. Ainsi les vices
son toujours en masque sur la. scène. On se
croit obligé de les représenter avec une cer-
taine convenance qui dépend des modes, des
usages et du goût du temps. Enfin toute
l'adresse de l'auteur est de rendre aimable ce
qui doit déplaire.
Qui pense finement et s exprime avec grâce
Fait tout passer, car tout passe
Quanti le mot est bien trouvé;
Le sexe en sj faveur à la chose partonnç.
Ce n'est plus elle alors, c'est elle encor pourtant.
Ainsi chastes sont les oreilles,
Encor que le cœur soit fripon.
(Rec. dépensées.)
« Mais si pour nous rendre meilleurs il
faut nous représenter les vices , de quoi
nous servirait d'être plus cultivés que les
Scythes? Nous penserions moins parfaite-
ment que ces barbares. Ils croyaient, dit un
ancien, qu'il était plus avantageux d'igno-
rer les vices que de connaître les ver-
tus (535).
« Je me rappelle à ce sujet une pensée
ingénieuse de ce célèbre poêle (536; , qui
illustra ces talents en les consacrant à la
(534) lnlemperanlia quœ est a tola menle et a
recta ratione defeclio. (Cicer., Tnscut., lit), iv.)
(555) Plus prodest apud Scythas ignoratio vitio-
religion et qui répondit si parfaitement
aux derniers sentiments d'un père dont le
plus grand regret a été de ne devoir l'im-
mortalité de son nom qu'à ces ouvrages
que le Théâire-Krançais s'estime si heureux
de posséder. Ct-t académicien, dont les pro-
ductions sont si intéressantes , compare les
poètes dramatiques à des médecins qui don-
nent par insertion la petite vérole pour la
guérir plus efficacement; de même, dit-il,
les poêles dramatiques donnent par inser-
tion les maladies de l'âme pour les guérir
ensuite.
« Mais, Monsieur, si l'inoculation dn la
petite vérole se pratique assez heureuse-
ment, je suis encore à apprendre les bons
effets de l'insertion des vices.
« J'entends souvent dire que les intrigues
amoureuses qui se représentent sur le
théâtre ne peuvent être nui ibles , dès
qu'elles se terminent par une allian.-e qu'on
voudrait faire servir de modèle à tous les
mariages. Quel modèle I
Un hymen qui succède à ces folles amours,
Après quelques douceurs a bien de mauvais jours.
(Corneille.)
« D'ailleurs, la plupart de ces intrigues
se traitent sur la scène sans aucune bien-
séance. Le poète, il est vrai, doit prescrire
des bornes à la passion de ses personnages,
il n'a besoin que d'un trait de plume; mais
est-il le maître d'en imposer aux specta-
teurs? Ceux-ci reçoivent l'impression de
l'amour, en suivent-ils la règle qui consiste
à n'avoir pour objet que le mariage? C'est
ce que peut concevoir l'esprit, mais le cœur
est affecté et ne s'occupe que de l'impres-
sion qui l'a agité. Voilà ce qui fait assez
ordinairement courir du spectacle au temple
de la divinité qu'on s'est choisie.
« Qu'il y ait des personnes qui ne se
livrent poiiit à ces excès et qui mettent des
bornes h leurs passions, il me sufîit d'eu
connaître qui ne doivent qu'à la fréquenta-
tion des spectacles l'origine et la continua-
tion de leurs désordres.
a Je regarde le théâtre comme le berceau
des passions. On se trouve au sortir du
collège dans un inonde où les bons princi-
pes qui nous ont été inspirés ne sont pas
fort accueillis. On croit devoir se procurer
une nouvelle éducation. On se regarde
comme des lames d'acier qui, au sortir de
la trempe, ne paraissent guère être propres
à l'usage auquel elles sont destinées. On
s'imagine qu'en fréquentant les spectacles
on se polira et que l'on apprendra les
belles manières et les grands sentiments;
mais y réussit-on? C'est une question que
nos yeux peuvent décider. Vous savez qu'en
morale comme en physique , l'expérience
est utile. J'ai considéré de près les disci-
ples de nos théâtres, et je me suis attaché à
ceux qui avaient commencé à fréquenter les
spectacles avec les dispositions les plus
mm quam cognirio virlulum. (Quinte-Cduce.)
(530) Louis Racine, mort en 1703.
1095
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1096
éloignées du vice. J'ai vu (tour l'ordinaire
leurs vertus disparaître , leurs mœurs se
corrompre, leurs manières décentes et natu-
relles se métamorphoser en affectations ri-
dicules, en frivoles compliments, en jargon
théâtral, qui les annoncent pour des petits—
maîtres, que M. de Voltaire appelle avec
raison l'espèce la plus ridicule qui rampe
avec orgueil sur la surface de la terre. Et
s'ils sont sincères, ils peuvent dire avec
vérité : J'ai vu et j'ai été vaincu, Vidi et
perii.
« Et combien de femmes dont on peut
dire avec Martial : « Elle y est entrée Péné-
« Jope, et elle en est sortie Hélène. »
Pénélope venu, abit Hélène.
(Lib. i, cp. 63.)
« Ce n'est donc pas en fréquentant les
spedacles qu'on peut apprendre à mettre
dans ses vertus une certaine noblesse, dans
ses mœurs une certaine régularité, dans ses
manières une politesse aisée et naturelle.
Les mauvais effets que j'en vois résulter ne
me donnent pas la présomption de croire
que je saurai résister à des charmes si
puissants. Les exemples trop communs de
ceux qui s'y laissent séduire accréditent
dans mon esprit ce qu'en ont pensé, non
des casuites, mais des courtisans, des hom-
mes d'un génie supérieur qui ont fait part
au public de ce qu'ils avaient éprouvé.
Tels sont entr'autres un duc de La Roche-
foucauld, un La Bruyère, un Racine , un
Bussy-Rabutin , personnages qui passent
assurément pour avoir connu le monde et
Je cœur de l'homme.
« Ils ont écrit qu'il est impossible d'ai-
mer nos théâtres , si l'on n'a jamais eu
d'amour ni d'aulre passion. « Tous ces
« grands divertissements, dit M. le duc de
« La Rochefoucauld , sont dangereux : on
« sort du spectacle le cœur si rempli de
« tontes les douceurs de l'amour et l'esprit
« si persuadé de son innocence qu'on est
« tout préparé a recevoir ses premières im-
« pressions, ou plutôt à chercher l'occasion
« de les faire naître dans le cour de quel-
« qu'un pour recevoir les mêmes plaisirs et
« les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien
« représentés sur le théâtre. »
« Qu'on préconise tant qu'on voudra la
décence de notre théâtre , les meilleures
pièces peuvent bien donner quelques leçons
de vertu, mais elles laissent en même temps
l'impression de quelque vice.
« Je n'y comprends pas Athalic et Esther.
Ces deux pièces sont des chefs-d'œuvre ca-
pables d'affecter utilement l'esprit et le
cœur. La (iction y a si peu de part que ce
n'est presque que l'histoire même enrichie
des ornements de la poésie. Et ce caractère
de vérité les rend infiniment plus touchan-
tes. On n'y trouve point de passions frivo-
les, peintes de façon à en faire goûter le
plaisir. L'art n'y est employé que pour ins-
pirer de l'horreur pour le crime et de
l'amour pour la vertu.
Mais, ces deux pièces se trouvent comme
dénaturées, lorsqu'elles sont représentées
par des acteurs qui sont habituellement les
organes de la volupté. Ce qu'il y a de plus
pur se corrompt par leur jeu et devient nui-
sible. Or, si des drames aussi intéressants
ne peuvent se voir sans risque sur un
théâtre, qui est le trône des vices, que n'a-
t-on pas à craindre de cette multitude de piè-
ces où la raison nesl pas moins offensée que
la pudeur (537)? Et même dans celles qu'on
nous donne pour les plus pures et qu'on
qualifie de saintes, ne s'y rencontre-l-il pas
toujours quelque personnage d'un caractère
vicieux, dont les plus mauvais sentim rits
se trouvent pour l'ordin;:ire exprimés d'une
manière qui les rend contag eux ?
« Nous ne sommes pas si scrupuleux
qu'on l'était à Athènes du temps d'Eu-
ripide, où l'on ne tolérait sur le théâtre
aucun mauvais propos qui pût alarmer la
vertu, pas même sous "prétexte d'y faire
parler les personnages selon leur caractère.
On sait qu'Euripide ayant fait dire à Be!Ié-
rophon : Les richesses font le souverain
bonheur du genre humain, et c'est avec raison
qu elles excitent l'admiration des dieux et des
hommes; tous les spectateurs se soulevè-
rent, et ce poète aurait été aussitôt chassé
de la ville s'il n'avait représenté qu'à la
fin de la pièce, on verrait périr misérable-
ment le panégyriste des richesses. Combien
sur notre théâtre ne hasarde-t-on po nt de
discours infiniment plus pernicieux? Le
poêle s'y croit autorisé sous prétexte de
soutenir le caractère des personnages, et
de donner du relief à la vertu de son
héros.
« Mais quelle est la vertu de ces héros de
théâtre? Quel en est l'objet ? En quoi pa-
raît-elle consister? C'est le plus souvent à
triompher de ce qui s'oppose à une con-
quête amoureuse, à s'exposer au plus grand
péiil pour la mériter, à se livrer tour a tour
h ce que peut suggérer un amour violent et
à ce que prescrit le devoir. Et lorsque l'obs-
tacle ne cède point à la passion, le héros,
réduit au désespoir, se porte aux dernières
fureurs; ce qui donne lieu à quelque catas-
trophe, qui amène le dénouement de la
pièce.
« Tel est le spectacle qu'on donne le plus
fréquemment sur notre théâtre, où l'amour
a été érigé en vertu héroïque qui doit do-
miner dans tous les ouvrages dramat ques.
C'est une opinion que les partisans du théâ-
tre des Grecs traitent d'hétérodoxe, et que
les philosophes censurent avec raison. Mais
elle est trop analogue au caractère de la
nation, pour qu'on puisse en espérer la ré-
forme. L'amour rè^ne jusque d*ns nos
graves tragédies avec une telle indiscrétion,
que le Père Rapin les appelle des comédies
un peu rehaussées.
« M. de Voltaire se plaintaussi de ce désor-
dre dans la Dissertation qui précède sa tra-
gédie de Sémiramis. « D'environ quatre cents
(537) M. de Boissy, poète dramatique. {Mercure de mars 1750, p. 108.)
1007
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
hKkS
« tragédies, nous dit-il, qu'on a données au
« théâtre depuis qu'il 'est en possession de
« quelque gloire en France, il n'y en a pas
« dix ou douze qui ne soient fondées sur
« une intrigue d'amour. C'est presque tou-
« jours la môme pièce , le même nœud
« l'orme par une jalousie et une rupture, et
« dénoué par un mariage.... C'est une co-
« quetterie perpétuelle. — Les femmes, dit-il
a ailleurs, qui parent nos spectables ne
4 veulent point souffrir qu'on leur parle
« d'autre chose que d'amour. »
« Mais quand notre théâtre deviendrait
plus réservé à l'égard de cette passion,
n'est-il pas encore pernicieux pour les au-
tres sentiments du cœur? Il faut en juger
par nos pièces où il n'.y a point d'amour,
c'est-à-dire où il n'entre point de ces dis-
cours tendres et passionnés,
Que dicte la mollesse aux amants ordinaires.
(Voltaire.)
« Quels sont les héros de ces tragédies?
Un usurpateur, un tyran, un fanatique, un
rebelle, à qui on ne fait respirer que les
sentiments les plus violents d'ambition, de
vengeance, de colère, de cruauté et de per-
fidie. Et le poëte ne doit-il pas, selon les
règles de l'art, donner à ces caractères
poussés à leur plus haut point, un air de
noblesse et d'élévation qui les embellisse et
les présente comme des effets de la gran-
deur d'âme? Aussi ces passions ne parais-
sent-elles jamais aussi hideuses qu'elles le
devraient paraître 1
« On ne s'occupe que de ce qua le spec-
tacle offre de plus flatteur, et l'on n'aperçoit
;>as tout ce qu'il contient de vicieux. Ce que
l'esprit y trouve de plus admirable est as-
sez souvent ce que le cœur doit le moins ap-
prouver. Telles sont ces pensées énergi-
ques et éblouissantes, qui donnent aux sen-
timents les plus passionnés un faux bril-
lant qui séduit et attire des applaudisse-
ments à ce qui n'est que le transport d'une
ambition excessive ou d'un amour violent,
passions si honorées sur le théâtre, qu'on
y entend souvent annoncer avec pompe ce
que Messala dit à Titus :
Eh bien! l'ambition, l'amour el ses fureurs,
Sonr-ce des passions indignes des grands coeurs?
« Nos pièces de théâtre peuvent-elles donc
sérieusement nous être données pour des
leçons de vertu, de raison et de bienséance?
Tout le mystère dramatique nous a été ré-
vélé par M. de Lamolte. Voici l'aveu que
ce poêle a fait au public dans son Discours
sur la tragédie : « Nous ne nous proposons
« pas d'éclairer l'esprit sur le vice et la
« vertu, en les peignant de leurs vraies cou-
« leurs. Nous ne songeons qu'à émouvoir
« les passions par le mélange de l'un et de
(558) Quisquis Flaminiam teris, viator,
Noli nobilft praeterire mnrmor
Orbis delicia?, salesque Nili,
Ars el gralia, lusus et volupias,
Romani decus et dolor ibealri,
Dictionn. des Mystères.
« l'autre; et les hommages que nous ren-
« dons quelquefois à la raison, ne détrui-
te sent pas l'effet des passions que nous
« avons flattées. Nous instruisons un mo-
« ment, mais nous avons longtemps sé-
« duit; quelque forte que soit la leçon de
c morale que puisse présenter 'a catastro-
« phe qui termine la pièce, le remède est
« trop faible et vient trop tard. »
« Faut-il, Monsieur, après cet aveu, s'é-
tonner des_mauvais effets que l'on voit ré-
sulter de toutes nos pièces dramatiques ,
surtout lorsqu'elles sont représentées par
des acteurs dont les efforts ont pour objet
celui de charmer tous les spectateurs et de
mériter, s'il était possible, les éloges ridi-
cules que les Romains accordèrent à un fa-
meux comédien? Us mirent sur son tom-
beau uneépilaphe qui invitait les passants
à rendre leurs hommages à ce qui renfer-
mait, s.elon les expressions de Martial , tou-
tes les grâces, toutes les amours, toutes les
voluptés, la gloire du théâtre et les délices
de Rome (538). N'est-ce pas un excès de
folie qu'on a vu renouveler de nos jours
dans une épître impie , adressée par un
poëte aux mânes d'une de nos plus célèbres
actrices (539)? Rien n'est donc plus dange-
reux que toutes nos représentations théâ-
trales; et l'on peut leur appliquer ce qu'un
auteur a dit de toutes les notions roma-
nesques : « Elles mettent du faux dans l'es-
« prit; elles échauffent l'imagination, affai-
« blissent la pudeur, mettent le désordre
« dans le cœur, et pour peu qu'on ait de la
« disposition à la tendresse, on en hâte et
« en précipite le penchant, on augmente le
« charme et l'illusion de l'amour, qui est
« d'autant plus dangereux qu'il est plus
« adouci el plus modeste. »
Le péril le plus à craindre
Est celui qu'on ne craint pas.
(Rousseau.)
« Comme l'on ne représente sur Je théâ-
tre que des galanteries el des aventures ex-
traordinaires, et que les discours des per-
sonnages qu'on y fait parler sont assez éloi-
gnés de ceux dont on use dans la vie com-
mune, je ne suis point surpris qu'on en
remporte une disposition d'esprit romanes-
que et même licencieuse. Les femmes sont
extrêmement flattées des adorations qu'on y
rend à leur sexe; elles s'habituent à être
traitées en nymphes et en déesses. Qu'en
arrive-t-il? Elles dédaignent de s'abaisser
jusqu'à s'occuper du soin de leurs maisons;
elles abandonnent à la bourgeoisie ces con-
naissances de détail que les mœurs ancien-
nes réservaient aux mères de famille; elles
préfèrent d'exercer tous ces talents séduc-
teurs dont Salluste fait un sujet de honte à
Sympronia, comme de savoir danser et chan-
ter mieux qu'il ne convient à une honnête
\lque omnes vénères, cupidinesque
Hic sunl condila, quo Paris, sepulcro
(Mart., lib. xi, ep. 14.)
(530) La Lcccuvreur.
35
WM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Il 00
femme (540) ; les jours ne leur paraissent
pas assez longs pour orner et embellir leur
personne, afin de s'attirer le plus d'hommage
et le plus d'encens. La gloire d'avoir une
cour qu'elles se flattent ne devoir qu'à leurs
charmes est le seul objet dont elles s'a-
musent, et les maris sont négligés, oubliés
et assez souvent méprisés, parce qu'il n'est
ni de la décence ni d'usage qu'ils aient
pour elles toutes ces fades et ridicules com-
Klaisances que nos petits-maîtres ont pourles
éroïnes de coulisses et pour ces femmes
qu'une affaire de cœur n'effarouche point.
« Les écarts amoureux de nos jeunes gens
et toutes leurs autres folies ne sont aussi
que des imitations de ce qu'ils ont vu sur
les théâtres où il est d'usage de découvrir
aux spectateurs ce qui dans le monde ne
s'opère que mystérieusement.
« Qu'ai-je donc besoin d'aller m'exciter
h ce que je dois éviler ou d'aller apprendre
des mystères que je dois ignorer? Je pense
3ue c'est là un motif suffisant pour détourner
e la fréquentation des spectacles. Vous sa-
vez ce que dit à ce sujet l'empereur Justi-
nien. 11 ne pouvait regarder comme un di-
vertissement ces jeux dont il résulte tant de
mauvais effets (541).
« Tous les sages de l'antiquité n'en ont
pas eu une meilleure opinion. L'on sait que
le célèbre législateur d'Athènes s'opposa
fortement a leur établissement. Il disait que
si on les tolérait, on les verrait bientôt con-
tredire les lois et corrompre les mœurs;
conjecture qui n'eut que trop son effet par
I.? suite. Plutarque attribue la corruption et
\ù porte des Athéniens, à leur passion ou
piulôt à leur fureur pourles spectacles.
« Le gouvernement de Lacédémone était
plus sage. On n'y représentait ni tragédies
ni comédies , « parce que , dit un historien,
« ils ne voulaient point, même par amuse-
« ment , se permettre les moindres propos
« contre les bonnes lois. » Vous voyez ,
Monsieur, que ce n'est pas êlre si rigoriste
que de désapprouver ce qui a offensé tant
de philosophes.
« Je suis étonné que M. de Voltaire, qui
est appelé par ses clients, le poêle philosophe,
ne regarde la condamnation des spectacles
que comme une suite des disputes qui agi-
tent depuis plus d'un siècle le clergé 'de
France et le divisent en deux partis assez
renommés. Si l'on en croit ce grand poète,
il ne faut attribuer les déclamations contre
les spectacles qu'au faux zèle de l'un de ces
deux partis, qui, mécontent des cardinaux
de Richelieu et de Mazarin, voulut s'en ven-
ger en anathématisant des plaisirs innocents.
Il suffit, dit-il, d'être novateur pour être
austère (542).
« Si cet académicien n'a point d'autre rai-
(540) Psallere el saltare eleganlius qiiam necesse
est prolKfi jocum movere, seriuoiie uti vel molli,
vel procaci, vel nui lia faeeliu quae instrumenta
luxuria: ei cariora quam riecus atque pudicilia fuit,
pecunix an fam;i> nimis parcere baud facile discer-
ueres. (Sallust., Bel. Caiil.)
(541) Quis ludos appelle! eos ex quibus crimina
son pour défendre ce qu'il a intérêt de sou-
tenir, je doute qu'il se Halte sérieusement du
succès de sa cause. Qu'on attache l'idée que
l'on jugera à propos à ce parti dont le nom
paraît si fort annoncer l'austérité, il faut
avouer qu'en condamnant les spectacles , il
ne soutient à ce sujet que la doctrine qui est
annoncée par les plus réguliers du parti qui
lui est opposé. Avant la naissance de leurs
disputes, les chaires chrétiennes n'étaient
pas plus favorables à ces sortes de diver-
tissements.
« Les luthériens et les calvinistes, auxquels
notre poêle historien reproche aussi de s'être
déclarés avec éclat contre les spectacles sous
Léon X, n'innovèrent pas en cela dans la
doctrine , ils ne firent que soutenir une
ancienne pratique de la discipline de l'Eglise
catholique.
« Vous savez, Monsieur, qu'il y a encore
des protestants qui les proscrivent très-sé-
vèrement. La république de Genève ne tolère
aucun spectacle. Les comédiens qui oseraient
aller s'y établir, en seraient chassés comme
corrupteurs, et le poëte le plus célèbre ne
pourrait se flatter d'y en introduire l'usage.
Tous les citoyens de cette république étant
occupés, on n'y redoute point, comme dans
d'autres Etats, les désordres de l'oisiveté.
L'on craindrait que les spectacles n'y dimi-
nuassent le goût du travail et n'y introdui-
sissent la licence. En effet, Tacite attribue
une des causes de la pureté des mœurs des
Germains à leur opposition pour les specta-
cles, qui rendent le vice aimable et réveillent
les passions (543). Il n'est donc pas étonnant
que les spectacles ne puissent se concilier
avec les grands principes de la religion chré-
tienne.
« Notre poëte philosophe ne rend point sa
cause meilleure en citant des prélats et des
docteurs, qui ont eu la faiblesse défavoriser
le théâtre par leur présence, par leurs suf-
frages et môme par leurs compositions. L'on
sait que> si l'on veut bien profiter de leur
exemple pour autoriser ce que l'on souhai-
terait êlre permis, on les en blâme assez
intérieurement. D'ailleurs, s'il y a de grands
exemples pour les speclacles , comme le
dit un jour Bossuet à Louis XIV, il y a
de plus fortes raisons contre.
s Et s'il était possible qu'il y eût quelques
évêques ou quelques docteurs qui parussent
penser autrement que ce grand évêque, on
pourrait bien les défier de déposer leur
avis dans un écrit muni de leur signature.
Un ecclésiastique de distinction, dont la mé-
moire est respectable par la piété avec
laquelle ij vécut à la cour, et par la retraite
austère qui termina sa vie (544), proposa un
jour à une auguste el vertueuse prin-
cesse (545) de faire ce défia quelques pré-
oriuntur.
(542) Siècle de Louis XIV.
(543) Nullis speclaculorum illecebris corrupli.
(Tac, Lib. demor. Verni.)
(544) M. l'abbé de Puntac.
(545) Marie-Cbai lolte-Sophie-Félieité l'Eszeinska,
princesse de Pologne, reine de France et de Na-
1101
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1102
lats qui avaient paru reconnaître la préten-
due innocence des spectacles. Mais celte
princesse regarda le défi comme indécent à
leur proposer, présumant avec justice que
ces mêmes prélats, consultés sérieusement,
auraient été plus sévères.
« II ne faut donc pas.sur ce point s'en
laisser imposer par l'exemple de ces ecclé-
siastiques dont la conduite est si équivoque,
que M. de Voltaire les appelle des êtres in-
définissables. Leur faiblesse n'est pas une
autorité : Canone régit ur Ecclesia, non exem-
plo. C'est la réponse que fit à ce sujet un
ancien évêque de Noyon (546) à Louis XIV,
et ce monarque en fut d'autant plus satisfait,
qu'on sait combien il était jaloux que le
clergé de son royaume ne dégénérât pas de
la grande réputation où il avait toujours été,
tant par rapport à la science que par rapport
aux bonnes mœurs.
« Pourquoi ne pas convenir que le goût
des spectacles se rencontre toujours avec la
licence, ou avec la pente quo l'on a à la
tolérer, ou avec la faiblesse que l'on a de ne
pas résister au torrent de la coutume.
Le grand monde esl léger, inappliqué, volage;
Sa voix trouble el séduil : est-on seul, on est sage.
« J'admets bien cette maxime :
Il faut des hochets pour tout âge.
« Mais si les spectacles sont de ces plai-
sirs dont l'innocence n'est point équivoque,
pourquoi donc ces personnes qui doivent à
leurs années, ou à d'autres motifs, un. goût
pour la vie sérieuse, D'osent-elles plus con-
tinuer de s'y montrer? N'est-ce point parce
qu'en y allant elles croiraient se permettre
ce qui n'est qu'une suite des folles passions
de la jeunesse, et par là s'attirer un ridicule
qui donnerait lieu de leur adresser ce que
Martial dit à Caton : « Pourquoi venez-vous
« en ces lieux profaner votre sagesse? » (547)
Or peut-il être quelque âge où il soit per-
mis d'entretenir et d'exciter nos passions ?
On nous exerce dès notre enfance à les con-
tredire et à les combattre.
« Ne doit-on exiger que des personnes
âgées la régularité et l'assujettissement des
liassions à la raison ? N'est-on pas forcé
d'admirer ces jeunes gens d'un naturel heu-
reux, qui n'emploient la vigueur de l'âge
qu'à remplir tout devoir avec plus de force,
et qui, possédant en même temps toute la
prudence de la vieillesse , s'interdisent ce
varre, morte à Versailles le 24 juin 1768, âgée de
soixante-cinq ans. Celle princesse, qui mérite à tant
de titres nos regrets, eut pour vertu dominante la
modestie. Que d'auteurs dont elle {mit l'obéissance
à l'épreuve en leur ordonnant de taire ce qu'elle
seule se plaisait à ignorer et ce qui faisait l'admira-
tion et l'amour de ses sujets! Elle exigea ce sacrifice
du célèbre annaliste M. le président Hénaull. Mais
«omme le dit cet académicien, dans l'épilre dédica-
loire de Y Abrégé de l'Histoire de France : « La mo-
désiie n'est pas comme les autres vertus. Elle a cela
f!e particulier, que sa récompense esl de n'obtenir
jamais ce qu'elle demande. Plus elle veut se cacher,
plus elle se découvre. »
qu'ils seraient un jour obligés de quitter?
Ou les loue intérieurement de leur sagesse,
lors même qu'on semble les condamner :
Eamdem virtutem admirantes cui irascuntur.
(Tac.it., lib. i Hislor.)
« On admire les effets d'une bonne édu-
cation (548), et l'on prévoit que ces jeunes
gens recueilleront les fruits de leur retenue,
lorsque dans un âge avancé la bienséance
n'aura pas à exiger d'eux la privation d'un
plaisir dont on quitte avec peine l'habi-
tude (549). Ainsi ce que le poids des années
exigede la vieillesse, la prudence le demande
des autres âges. Il n'en est aucun où l'on
puisse sans danger se livrer à toutes les
productions que la fiction enfante pour le
théâtre.
« Ce n'est pas, Monsieur , que je me pré-
vienne conlre tout ce qui est fiction. Je sais
qu'il y a des ouvrages de ce genre qui doi-
vent être regardés comme des chefs-d'œu-
vre capables d'instruire et de plaire. Tels
sont les poèmes épiques, les odes de Rous-
seau, les fables de La Fontaine et quelques
autres productions semblables. Ce serait
renoncer à une source de plaisirs honnêtes
que de rejeter ces ouvrages de génie. Mais
les inconvénients inséparables des représen-
tations des meilleures pièces sur nos théâ-
tres publics me rendent un peu austère
pour l'art dramatique.
« L'histoire de cet art est beaucoup plus
« la liste des fautes célèbres et des regrets
« tardifs, que celle des succès sans honte et
« de la gloire sans remords. » C'est l'idée
que nous en donne M. Gresset, qui, après
avoir apprécié dans sa raison ce phosphore
qu'on nomme l'esprit, ce rien qu'on appelle la
renommée, et avoir écouté la voix solitaire du
devoir, annonça par une lettre, imprimée en
1759, sa retraite du service de Melpomène
et de Thalie, et son repentir d'y avoir acquis
de la célébrité.
« Je conviens que les poètes dramatiques
qui ont travaillé avec le plus de succès, ont
mérité leur réputation. J'admire la fécondité
de leu-r génie, mais je pense qu'il aurait été
à souhaiter qu'ils l'eussent employée à des
productions plus utiles, et dont le mérite ne
consistât pas à nous faire perdre la tranquil-
lité de l'âme.
« Telle est notre faiblesse. Un auteur nous
dit que nous sommes presque tous comme
des enfants qui ne haïssent rien tant que la
tranquillité; c'est ce qui fait que la poésie
(546) M. de Clermont-Tonnerre.
(547) Cur in thealruin, Calonc severe, venisli?
(Mart., lib. xxxvn, ep. 3.) •
(548) Sensere quid métis rite, quid indoles
Nutrila faustissub pcnelialibus
Possel.
(Horat., lib. iv, od. 4.)
(549) Virtutes in omni state cultae , cuin diu mul-
tumque vixeris, mirificos cITerunt lïucius non solum
quia nuuquamdeserunt, ne in exlremo quidem teni-
pore ;elaiis (quanquam id maximum esl), verum
etiam quia conscienlia bene acire vit* , muliorum-
Îue benefaclorum recordalio jucundissiuia esl. (Cic-,
ai, Maj.)
1103
DICTIONiNAIRE DES MYSTERES.
HOi
dramatique cherche à nous amuser en nous
arrachant à cette tranquillité qui fait notre
ennui. Elle y réussit dans la tragédie en nous
ébranlant par la terreur ou par la pitié, et
dans la comédie en excitant nos ris; mais
de manière que dans l'une et dans l'autre
les spectateurs éprouvent les passions qu'on
leur représente : c'est ce succès que je re-
doute infiniment.
« Les poêles dramatiques prétendent nous
instruire en nous exposant le jeu des pas-
sions; mais ils ne nous représentent que ce
que nous avons assez souvent sous les yeux.
Tous les chefs-d'œuvre du théâtre ne nous
offrent que des copies. Nous voyons les ori-
ginaux dans le spectacle que nous donne la
conduite de nos concitoyens. Qu'ai-je donc
besoin d'aller chercher des fictions? Nous
nous suffirons les uns aux autres, satis ma-
gnum aller alteri Iheatrum sumus , c'est ce
tjue nous dit Rousseau dans une de ses meil-
leures épigrammes:
Ce monde-ci n'est qu'une œuvre comique
Où chacun fait des rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et dés grands rebutée,
Par nous d'en bas la pièce est écoutée:
Mais nous payons, utiles spectateurs;
El quand ia farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.
« Le bal môme n'est qu'une copie do ce
qui se passe dans le monde. Un auteur l'a
tort bien dit depuis peu :
Ce monde-ci n'est qu'un grand bal
Où chacun cherche à se connaître.
On paraît ce qu'on devrait être,
El l'on cache l'original :
Theisile est souvent sous un casque.
L'air dévot cache des Phrinés.
Plusieurs s'en vont avec leurs masques
Sans avoir élé devinés.
« Presque tous les hommes sont dominés
par quelque passion ou par quelque fai-
blesse, dont l'excès est souvent le principe
d'un ridicule qui les caractérise. 11 n'est
point de ville ni même de quartier qui n'en
offre plusieurs exemples. En observer les
effets n'est point hors de propos. Les fautes
d'autrui sont les miroirs de nos défauts, et
c'est une sorte'd'instruclion que l'on peut
étendre sans avoir recours à la fiction. Si le
théâtre du monde, dans la sphère duquel je
me trouve, ne m'offre point assez de ces ob-
jets, j'ai recours à l'histoire.
C'est un théâtre, un spectacle nouveau
Où lous les morts, sortant de leur tombeau,
(550) Nulla capitalior pestis quam corporis volu-
plas : cujus voluplalis avidre libidines temere et ef-
frenate ad potiuudum incilanlur. Hinc palriae pro-
diliones, hinc rerum publicarum exlorsiones, hinc
cuni hoslibus clandeslina colloquia nascunlur : nul-
lum denique scelus, nullum malum facinus est ad
quod suscipiendum non libido voluplalis impelleret :
siupra vero et adulteria et omne taie flagilium,
nullis alHS illecebris exciianiur, nisi voluplalis...
Nec libidine dominanle lemperantiae locus est : iin-
pedit enim consilium voluptas rationi inimica, ac
Viennent encor sur une scèiie illustre,
Se présenter à nous dans leur vrai lustre,
Et du public dépouillé d'intérêt,
Humbles acteurs, attendre leur arrêt.
Là retraçant leurs faiblesses passées,
Leurs actions, leurs discours, leurs pensées,
A chaque état ils reviennent dicter
Ce qu'il faut fuir, ce qu'il faut imiler.
(Rouss., 1. u. ép. 6.)
« Ce spectacle n'esl-il pas préférable à ce-
lui de toutes nos pièces de théâtre, qui n'ont
pour objel ou que d'inspirer une fausse gran-
deur d'âme, ou que d'augmenter l'attrait na-
turel que nous avons pour la volupté?
« On sait que les anciennes tragédies des
Grecs étaient assez graves, puisque chez
cette nation, il fut un temps où elles in-
fluaient beaucoup sur le gouvernement po-
litique. Cependant Platon en prévit les dés-
ordres. Il les réprouvait comme des jeux
qui tendaient à faire des hommes passion-
nés et à fortifier le libido sentiendi, c'est-à-
dire les agréables impostures de cette partie
animale et déréglée qui est la source de
toutes nos faiblesses (550). Combien ne de-
vons-nous pas , à plus forte raison , nous
prévenir contre nos tragédies où il n'est
question, selon M. de Voltaire, que de vio-
lentes passions et de sottises héroïques con-
sacrées par de Vieilles erreurs de fables ou
d'histoire.
«Pouvons-nous avoir une meilleure idée de
nos comédies. Il est vrai que le grand Corneille
croyait que le genre comique était plus utile
pour les mœurs que la tragédie; mais que
cette opinion soit vraie ou fausse, je doute
que la comédie soit fort utile dans un pays
où, selon M. de Voltaire, la dissipation, le
goût des riens, ia passion pour l'intrigue
sont les grandes divinités.
« Les poêles se croient obligés de se con-
former au goût de la nation. Or quelles le-
çons peuvent recevoir les mœurs sur un
théâtre où ce qu'il y a de plus licencieux est
accueilli, pourvu que par la manière dont on
l'exprime, on laisse à l'esprit le plaisir de
s'en occuper plus longtemps ? Nos acteurs
ne sont pas plus réservés que l'étaient ceux
des Romains. Vous savez , Monsieur, que
Cicéron nous donne à entendre qu'on voulait
de son temps que les comédiens lussent aussi
exacts que les orateurs à ne rien exposer qui
pût offenser les bienséances. « Cardons-
« nous, dit-il (551) , de tout ce qui choque
« les oreilles et les yeux. En quelqu'état que
« nous soyons, debout ou marchant, assis
« ou à table , que la bienséance s'annonce
« toujours sur notre visage , dans nos yeux
« et dans nos gestes. Evitons également sur
mentis, ut ita dicam prreslringit oculos i ec liabet
utluin cuni virtnte coimncrciuin. (Cicer., Cal. Jfa/>,
46, 47, 48, 49.)
(55t)Omne quod abhorrel oculorum auriumque
approbatione fugiamus. Status, incessus, sessio, ac-
cubilio, vulius, oculi, manuum motus teneamus illud
décorum; quibus in rébus duo maxime efliigienda
sunt, ne quid effeminalum an t molle et quid duruni
aut ruslicum sit. Nec vero hislrionibus, oraioribus-
que concedendum est ut iis hœc apta sint, nobis dis-
soluta. {De Off., lib. I, cap. 3.)
1105
NOTICE SUR LF, THEATRE LIBRE.
110*
« cela tout ce qui parait efféminé et qui lien-
« drait delà mollesse, ainsi quetoutcequi est
« rude et grossier, et ne disons pas que c'est
« AUX ORATEURS ET AUX COMÉDIENS A OBSER-
« VER CES SORTES DE BIENSEANCES , et qU6
« nous n'avons que faire de nous y assu-
« jellir. »
« Cependant, quelque réservés que dus-
sent être alors les comédiens , Cicéron re-
gardait les speclacles comme un divertisse-
ment obscène, dangereux et presque toujours
funeste (552).
« Ce n'est donc pas en fréquentant nos
spectacles qu'on réformera ses mœurs. On
n'y va pas pour se réformer. Aussi , pour
l'ordinaire, y est-on lynx pour apercevoir
les vices et ies ridicules que l'on n'a pas, et
taupe à l'égard de tout ce qui pourrait re-
présenter ce que l'on a:
L'avare, des premiers, ril du tableau fidèle
D'un avare souvent tracé sur son modèle,
El mille fois un fat finement exprimé,
Méconnaît le portrait sur lui-même formé.
(Despréaux.)
«Bayle, cet écrivain dont les ouvrages
seraient utiles si, pour leur donner plus de
cours, il n'y avait souillé l'érudition par l'in-
décence et par l'impiété; cet auteur, dis-je,
trop fameux et qui est si cher à tous ces li-
bertins dont le cœur est comme dissous dans
la corruption, a avancé dans un des volumes
de sa République des Lettres, au mois do mai
i68i, qu'il ne croyait nullement que la co-
médie fût propre a corriger les crimes et les
vices de la galanterie criminelle, de l'envie,
de la fourberie , de l'avarice, de la vanité et
d'autres choses semblables. Il ne croit pas
que Molière ait fait beaucoup de mal a ces
désordres; et l'on peut même assurer, dit-
il, qu'il n'y a rien de plus propre 'à inspirer
la coquetterie que les pièces de ce comique,
parce qu'on y tourne continuellement en ri-
dicule les soins que les pères et mères pren-
nent de s'opposer aux engagements amou-
reux de leurs enfants. Il se moque , avec
raison, de- ces personnes qui disent fort sé-
rieusement que Molière a plus corrigé de
défauts à la cour, lui seul, que tous les pré-
dicateurs ensemble. Il croit que l'on ne se
trompe pas, pourvu « qu'on ne parle que de
« certaines qualités qui ne sont pas tant un
« crime qu'un faux goût et qu'un sot entê-
« tement, comme vous diriez l'humeur des
« prudes, des précieuses, de ceux qui ou-
« tient les modes, qui s'érigent en marquis ,
« qui parlent incessamment de leur noblesse,
« qui ont toujours quelque poème de leur
« façon à montrer. » Voilà les désordres dont
il pense que les comédies de Molière ont pu
arrêter le cours.
« Si le théâtre s'est encore épuré depuis
Molière, c'est que nos mœurs sont devenues
plus polies. Je conviens que sur notre théâ-
tre ou veut à présent des expressions moins
(552) Genus jocandi petiilans, flagitiosum, obscœ-
Ailih, rerum lurpitudini adhibelur verborum obscoe-
nilas.
grossières; mais en revanche l'esprit de
corruption n'y est-il pas ordinairement ré-
pandu d'une manière infiniment plus pi-
quante? (553) Ce poète sait que ce n'est pas
tant un voile qu'on exige , qu'une gaze lé-
gère qui laisse. le plaisir d'apercevoir et de
sentir ce qui, présenté trop à découvert,
choquerait le goût de notre siècle. J'ai pour
garant de mon opinion un auteur assez mo-
derne et nullement suspect.
« Le fameux Riccoboni , après être con-
venu que, dès la première année qu'il monta
sur le théâtre, il ne cessa de l'envisager du
mauvais côté, déclare qu'après une épreuve de
plus de cinquante années il ne pouvait s'em-
pêcher d'avouer que rien ne serait plus utile
que la suppression entière des spectacles..
« Je crois, dit-il, que c'était précisément
« à un homme telque moi qu'il convenait d'é-
« crire sur cette matière ; et cela par la même
« raison que celui qui s'est trouvé au milieu
« de la contagion et qui a eu le bonheur de
« s'en sauvor, est plus en état d'en faire une
« description exacte... Je l'avoue donc avec
« sincérité, je sens dans toute son étendue
« le grand bien que produirait la suppres-
« sion entière du théâtre, et je conviens sans
« peine de tout ce que tant de personnes
« graves et d'un génie supérieur ont écrit
« sur cet objet (554). »
« Le théâtre, selon lui, était dans son
commencement le triomphe du libertinage
et de l'impiété, et il est depuis sa correction
l'école des mauvaises mœurs et de la cor-
ruption.
« C'est relativement à ce sentiment qu'il
a proposé son plan de la réformation du
théâtre pour la tragédie et la comédie. Il ne
prétend pas y pouvoir comprendre l'Opéra.
Il pense que ce- spectacle est si dangereux
dans toutes ses parties, qu'il mériterait plu-
tôt d'être supprimé que d'être réformé. La
musique et la danse, qui en sont l'âme, lui
paraissent être des écueils où la modestie et
la pudeur échouent presque toujours.
« Je vous avoue, Monsieur, que le témoi-
gnage d'un si grand praticien m'a fort pré-
venu contre ce spectacle. Je l'ai considéré
en philosophe, et il m'a paru qu'il n'y en
avaU point où les sens pussent être plus
fortement frappés , puisque , comme le
dit La Bruyère, son caractère est de tenir
les esprits, les yeux et les oreilles dans un
égal enchantement.
« La fiction lui appartient encore plus
qu'à tout autre spectacle. Aussi y emploie-
t-on tous les ressorts, toutes les machines et
toutes les décorations qui peuvent le plus
l'augmenter et l'embellir, afin que le mer-
veilleux, qu'on s'attache à y faire briller,
[misse soutenir les spectateurs dans la douce
et charmante illusion. qu'ils viennent y cher-
cher.
« Vous avez, sans doute, remarqué dans
le poème de la Henriade la belle descrip-
(553) Admitiunl occulta dedecoris.
(554) Préface de son Traité de ta ré formation du
théâtre. . . • ■ ■
1107
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1108
tiondu temple de l'amour, où M. de Voltaire a
cru devoir, à l'imitation de Virgile, faire
chanceler la vertu de son héros. Ne pour-
rait-on pas appliquer plusieurs vers de cette
belle description à notre théâtre lyrique,
qui mérite bien d'être appelé le temple de
l'amour : Sacrarium Veneris et ars omnium
turpitudinum?
... On entend le bruit de concerts enchanteurs
Dont la molle harmonie inspire les langueurs :
Les voix de mille amants, les chants de leurs maî-
tresses
Qui célèbrent leur honte et vantent leurs faiblesses.
Par des liens secrets on s'y sent arrêter;
On s'y plaît, on s'y trouble, on ne peut les quitter.
On y boit à longs traits l'oubli de ses devoirs.
Tout y paraît changé, tous les cœurs y soupirent;
Tous sont empoisonnés du charme qu'ils respirent.
Tout y parle d'amour.
(Henriade, chant ix.)
« Un grand évêque de France (555) voulut
un jour éprouver quel pouvait être l'effet
de ce jeu d'instruments que l'on appelle le
premier coup d'archet. Il fit venir chez lui
les meilleurs musiciens, et leur dit d'exécu-
ter ce que tout le public regarde, avec jus-
tice, comme un chef-d'œuvre de la musique
instrumentale. Le premier essai fut suffisant
pour l'ébranler de manière qu'il congédia
sur-le-champ ces habiles artistes. El, par ce
prélude, il jugea des funestes impressions
de tout le spectacle de l'Opéra.
« En effet, on n'y entend retentir que des
airs efféminés et lascifs de ce genre de mu-
sique, auquel Quintilien reproche de con-
tribuer à éteindre et à étouffer en nous ce
qui peut nous rester encore de force et de
vertu (556).
« Mais, quoique tout bon philosophe doive
gémir sur le goût de corruption qui exerce
son empire sur les sciences et sur les arts,
il ne faut pas pour cela nous rejeter dans la
barbarie d'où les lettres nous ont tirés. On
leur doit les plus grands avantages (557). Un
peuple ne date, pour ainsi dire, son exis-
tence que du temps où le flambeau des
sciences a commencé à l'éclairer; il serait
seulement fort à souhaiter que l'éclat de ce
flambeau ne fût jamais obscurci par l'im-
piété et par la corruption, et que l'on fût
aussi scrupuleux à cet égard que l'était le
célèbre Erasme : ses paroles à ce sujet sont
remarquables (558).
« Il ne faut donc pas imputer h la musiq.ue
les abus que l'on en fait. C'est un art agréa-
ble, et même ses triomphes sur nos organes
sont quelquefois salutaires. Vous savez ,
Monsieur, que pour certaines maladies l'on
(555) Bossuet, évêque de Meaiix.
(556) Musica nunc in scenis effeminata, et impu-
dicis modis fracta non ex parle miiùma, si quiri in
nobis virilis roboris manebat, cxcidit. (Quint., lib. i,
cap. tO.)
(557) Ipsa mullarum arlium scient ia eliam agentcs
nos ornât, atque ubi minime credas, eminet et ex
eellil. {Dial. de Orat., cap. 52 )
a recours à l'agitation qu'elle a le pouvoir
de causer dans notre cerveau.
« Je ne voudrais pas proscrire un art pour
lequel la nature nous a donné un penchant
dont nous devons lui savoir gré (559). Je
m'intéresse au contraire à sa perfection.
L'harmonie des sons me plaît et me délasse
infiniment : c'est même un motii qui excite
ma mauvaise humeur contre le dangereux
de toutes nos pièces d'opéra, que La Bruyère
regardait, fort judicieusement, moins comme
fies poèmes que comme des vers rassem-
blés. L'asservissement de la poésie à la mu-
sique y rend nécessaires les fautes les plus
ridicules ; ce qui déplaisait tant à cet auteur
que tous les charmes de ce spectacle, plus
propres à flatter les yeux et les oreilles qu'à
plaire à l'esprit, ne pouvaient l'erapêcherde
s'y ennuyer; mais c'est le moindre défaut
de ces drames, qui ont le plus ordinairement
pour objet la représentation d'une action
merveilleuse. Us sont composés de manière
qu'il n'en est presque pas dont les vers n'ex-
priment ces lieux communs demorale lubrique
dont parle Boileau.
* C'est ce qui fait le principal mérite du
théâtre de Quinault; car vous savez, Mon-
sieur, qu'il ne doit pas sa réputation aux
belles sentences dont je lui ai fait tant d'hon-
neur. La morale licencieuse, qui règne dans
ses ouvrages, est tellement uniforme que les
versqueje vousai cités sont presqueles seuls
que l'ondoiveretenir/maisilsse trouvent dis-
persés et perdus parmi tant d'autres si pas-
sionnés, que si on les lisait dans les OEuvres
mêmes, ils ne seraient point capables de
produire l'effet pour |lequel je les ai em-
ployés. Si c'est à ce prix qu'on obtient des
brevets de poète des gr'âces dans le temple du
goût, il faut renoncer au titre et, dût-on
n'être qualifié que de poète de la raison, il
vaut mieux dire avec Louis Racine :
Ah! périsse notre art, que nos lyres se taisent
Si les sons de l'amour sont les seuls qui nous plaisent.
Ce feu toujours couvert d'une trompeuse cendre
S'allume au moindre souffle et cherche à se ré-
pandre.
Gardons-nous d'irriter ce perfide ennemi :
Dans le cœur le plus froid il ne dort qu'à demi.
« Riccoboni a donc eu raison d'exclure
l'opéra de son plan de réformation. Mais ce
qu'il propose pour la réforme de la tragédie
et de la comédie est trop peu favorable à la
licence des mœurs pour faire espérer qu'on
en fasse jamais usage (560).
« Le célèbre Mariana prouve, dans un de
ses ouvrages, que les spectacles devraient
être abolis. Il y dit que le théâtre ne pourra
jamais se réformer, parce que, s'il se réfor-
mait, il serait désert.
« Il ne faut donc pas être surpris si les ac-
(558) Ipse mihi persuasi ut semper incruentas et
imioxias haberem litteras, nec eas ullius inali no-
mine coniaminarein.
(559) Musicam natura ipsa videtur ad lolerai.iias
fa» ilius labores velul muneri nobis dédisse. (Quint.,
lit), i, cap. 10.)
<3(j0) Multo eitius munda corrumpuntur quant
cornipla mimdautnr.
nos
NOTICE SIR LE THEATRE L1BKE.
1110
(eurs de notre Théâtre-Italien n'ont point
ciéiéré aux conseils de Riccoboni, leur an-
cien confrère. Leur fortune aurait été com-
promise. Ils savent que, pour attirer le pu-
blic, il faut flatter la corruption du cœur.
Et, en elFet, pourquoi leur théâtre est-il si
fréquenté? N'est-ce point parce que la bouf
fonnerie, [qui en fait le caractère domi-
nant, y donne lieu à une plus grande li-
cence ?
« Ce spectacle, qui pourrait être comparé
à celui des mimes des anciens, me rappelle
un trait de Valère Maxime. Cet historien
nous dit que les anciens habitants de la ville
de Marseille, que l'on sait avoir été une il-
lustre colonie grecque, ne voulaient point
admetlrecetle sorte de spectacle qui, n'expo-
sant aux yeux que des objets obscènes et des
gestes indécents, ne pouvait qu'introduire
un mauvais goût et que corrompre lus
mœurs (561).
« Il me semble que le jeu de nos comé-
diens italiens tient beaucoup de ce specta-
cle. Autre trait do ressemblance. Ces mimes
des anciens avaient un acteur qu'on appelait
Planipes chez les Romains, parce qu'il mar-
chait sans brodequins; et, selon un passage
d'Apulée, il était vêtu d'un habit formé de
différentes pièces, centunculo vcstitus, ce
qui convient à cet Arlequin des Italiens, le
plus intéressant de leurs acteurs. On saitque
son mérite consistait à exciter les ris par ses
propos, par ses gestes et par ses mouvements
indécents et ridicules, de manière qu'on en
peut dire ce que Cicéron dit d'un pareil ac-
teur : Ore, vultu,motibus, voce, denique cor-
pore ridetur ipso. C'est par ce ton excessif
de bouffonnerie que le Théâtre-Italien plaît
à tani de personnes. Tout le monde ne se
l'ait pas un divertissement d'aller verser des
larmes sur des malheureux en peinture.
Aussi les comédiens français, qui ont la li-
berté de satisfaire les différents goûts du
public, ne manquent point de terminer le
spectacle d'unetragédie par celui d'une pièce
comique ou bouffonne.
« On vient, dit un respectable académi-
« cien (562), de jouer Polyeucte, le théâtre
« change : on joue l'Ecole des Maris. En
« esl-ce une d'amour conjugal ? Et cette sa-
« lire du mariage achèvera-helle les beaux
« sentiments que la vertu de Pauline aurait
« commencé d'inspirer? On vient de repré-
« senter Athalie. J'ai vu la maison du Sei-
« gneur, les livres de la Loi, les cérémonies
« du sacre des rois de Juda. J'ai la tête
« remplie de nouvelles prophéties des gran-
« deurs et de la puissance de Dieu, tout cela
« m'a pénétré d'une terreur religieuse et
« d'un respect profond pour le Roi des rois.
(561) Massiliensis civitas, severilalis cuslos acer-
riina, iiulluin adilum in scenam minus dando quo-
rum argumenta majore ex parle sluprorum comi-
nenl aclus, ne lalia speclandi consueludo eliam
imitandi liccntiam sumal.
(502) M. Lefranc, ancien premier président de la
Cour des aides de Monlauban , Lettre à Louis lia-
âne.
(563) Nimium risus prelium est, si probilatis ira-
« Les violons jouent, George Dandin paraît ;
« et, dans le même lieu où était le temple
« de Jérusalem, je vois le rendez-vous noc-
« turne d'un jeune homme avec une femme
« mariée... Je voudrais savoir si les effets
« de ces différents contrastes peuvent jamais
« tourner au profit de la religion et des
« mœurs. » On est donc exposé à acheter
trop cher le plaisir du spectacle, commo
Quintilien le disait des comédies d'Aristo-
phane (563).
;< Cicéron, dont les Œuvres philosophi-
ques sont si propres à former l'honnête
homme, pensait aussi sévèrement à ce su-
jet. « O la belle école, s'écrie-t-il, que la
« comédie et la tragédie' Si l'on en ôtait
« tout ce qu'elle offre de vicieux, il n'y au-
« rait plus de spectateurs (564).
« Aussi M. de Voltaire nous dit-il « que
« bien en prit au grand Corneille de ne s'ê-
« tre point borné dans son Polyeucte à faire
« casser les statues de Jupiter par les néo-
« phytes.»Il nous avoue aussi que «tous ceux
« qui vont au spectacle l'avaient assuré que
« si Zaïre n'avait été que convertie, elle au-
« rait peu intéressé; mais elle est amou-
« reuse de la meilleure foi du monde, voilà
« ce qui a fait sa fortune. Telle est la eor-
v< ruplion du genre humain. »
Pe Polyeucte la belle âme
Aurait faiblement attendri,
El les vers chrétiens qu'il déclamo
Seraient lombes dans le décri ,
N'eûl-ce été l'amour (te sa femme
Pour ce païen son favori,
Qui méritait bien mieux sa flamme
Que son bon dévol de mari.
(Œuvres de M. de Voltaire, lom. V.)
a J'applaudis en cette occasion, à la bonno
foi de cet auteur. C'est nous, apprendre par
son propre exemple à n'user d'aucune po-
litique dans la littérature et à dire toute
vérité.
« Les spectateurs exigent donc qu'on parle
à leurs passions plus qu'à leur raison. « C'est
« pourquoi, suivant M. de Fontenelle, tout
« ce qui est régulier et sage aurait je ne sais
« quoi de froid sur le théâtre, et pourrait
« même donner prise au ridicule. Les ca-
« ractères qui flattent le plus sont ceux où
« la force l'emporte sur la raison et le
« courage sur la prudence. Ladislas, par
« exemple, dans Vinceslas paraît aimable ,
« tout fougueux, tout impétueux et tout
« violent qu'il est. » Vous savez que le
terrible Abramane, dans Zoroastre2 plaît
plus par sa fureur, par sa haine et "par sa
ïage, que le caractère de Zoroastre qui n'a
que la vertu pour briller : c'est ce que nous
dit un célèbre journaliste, sans doute, d'a-
pendio constat. (Quint., Mb. vi, cap. 3.)
(564) O praeclaram emendatricem vitae poeticam
(|u:e amorem flagilii et levilatis auclorem in concilia
deorum collocandum esse putal! Decomœdia loquor,
qn.i' si flagitia non probaremus nulla essel omnino.
Quid autem ex tragœdia princeps ille Argonolariim,
lu me amoris magis quam honoris servavisti gratial
{Tutc. lib. iv.)
JIM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
4 ï 12
prés le jugement du public. De mode un
Caton, une Sophonisbe, un Ajax réduits au
désespoir, et n'ayant pas la force de se sou-
tenir dans le malheur (565), se donnent-ils la
mort? Ils paraissent, dit M. de Fontenelle,
mourir noblement en faisant eux-mêmes
leur destinée, suivant cette maxime que
M. de Voltaire met dans la bouche de Mérope:
Quand on a toul perdu , quand on n'a plus d'espoir,
La vie est un opprobre, et la mort un devoir.
« Croyez-vous qu'il n'y ail pas autant d'in-
convénients à exposer de semblables héros à
notre admiration (566), qu'il y en aurait à ne
point soustraire à la vue des spectateurs une
Médée égorgeant elle-même ses propres en-
fants? (567) N'est-ce point nous accoutumer
à prendre souvent le change en fait de gran-
deur d'âme? Pour moi, je pense que ces hom-
mes tourmentés par la fièvre de l'ambition
ou par la soif de la vengeance, n'en peuvent
devenir que plus animés dans leurs pas-
sions, lorsqu'ils entendent dire à un Abra-
mane (ce qui ne se passe que trop réelle-
ment dans le cœur de tout ambitieux) :
Osons achever de grands crimes,
J'en attends un prix glorieux.
Leur nom change s'ils sont heureux.
Tous les succès sont légitimes.
« Cependant ce sont là, comme vous sa-
vez, les caractères les plus féconds pour des
tragédies. Ou bien, si l'on expose des vertus
sur la scène, l'usage est d'en présenter les
excès sous prétexte de donner de la vigueur
et de la chaleur aux caractères : et pour lors
ce ne sont plus que des vices, puisque les
vertus finissent où commencent les excès.
« M. de Montesquieu nous dit que si nos
mœurs ne sont pas pures, c'est que chez nous
l'honneur (ce sophiste, qui justifie tous les
vices) nous donne pour quelque chose de
noble la galanterie, lorsqu'elle est unie à
l'idée de conquête : or ce faux préjugé
n'acquiert-il pas encore tout un autre em-
pire sur notre théâtre, par les heureux suc-
cès dont le vice y est si souvent couronné ?
C'est ce qui arrive dans toutes ces comé-
dies où l'on voit les intrigues des amants
les plus indiscrets et les plus téméraires,
terminées par le mariage : dénoûment qui
tend à inspirer que, pour être heureux dans
(565) Rébus in angustis facile est contemnere vitam,
Fortiier ille facit qui miser esse potest.
(Makt., ep. lvh, lib. il.)
(566) Lxempla fiunt quai esse jam facinora deslile-
[ runt.
(567) Nec coram populo natos Medea trucidet.
(568) Nihil est lam damnosum bonis moribus quam
in aliquo speclaculo desidere. Tune enim per volu-
ptaletn facilius vilia surrepunt. Quid me existimas
dicere ; avarior redeo, ambitiosior, Iuxuriosior
quia inter homines fui? Nemo nostrum ferre impe-
tum vitiorum tam magno comitatu venientium potest.
(Sen. èp. 7.)
(569) Lascivus quidem in heroicis quoque Ovidius
et nimiuin arnator ingenii sui, laudandus lamen in
parlibus.
(§70) Ille locus casli damna pudoris fiabet.
sa passion, il faut tout hasarder. C'est donc
avec raison que Cicéron se moque d'une pa-
reille école, et l'on pourrait douter qu'il eût
adopté la devise Castigat ridendo mores.
« Comment en effet pourrait-on attribuer
aux spectacles la gloire de corriger les
mœurs? « Je n'ai jamais entendu, dit M. de
« Fontenelle à ce sujet, la purgation des pas-
« sions par le moyen des passions mêmes. »
Ne serait-ce point, Monsieur, dans l'ordre
moral un phénomène fort singulier? Je vou-
drais au moins qu'on me citât quelqu'un
qui se fût purgé par cette voie-là, c'est-à-
dire que le théâtre eût rendu meilleur.
« Sénèque n'était pas moins incrédule à
cet égard. Il vous paraîtrait même un peu
trop sévère. Il pensait que personne ne pou-
vait jamais assister à aucun spectacle* sans
s'y corrompre (568). Mais je laisse ce phi-
losophe pour consulter Ovide.
« Ce célèbre poëte, que Quinlilien a ca-
ractérisé d'une manière si énergique en peu
do mots (569), pouvait connaître ce qui était
le plus capable de séduire le cœur. Vous
savez qu'il déclare qu'il n'y a rien de plus
funeste pour la pureté des mœurs que \es
spectacles (570) ; c'est en quoi je trouve
qu'il mérite d'être loué, laudandus tamen in
parlibus.
« Croyez-vous qu'il eût été plus indulgent
pour les spectacles de notre temps ? Nous
avons, avec raison, rejeté ces jeux sanglants
de l'amphithéâtre, qui étaient si contraires à
l'humanité : mais nosjeux scéniques sont-ils
beaucoup moins dangereux que ne l'étaient
ceux du temps d'Ovide.
« Je sais quelle était l'impureté du théâ-
tre des anciens, et, par conséquent, quelle
horreur nous devons en avoir. Mais s'il fal-
lait ne le juger que par les effets qu'il devait
produire sur les spectateurs, peut-être ne
paraîtrait-il plus si éloigné du nôtre 1 La ré-
formation dont nous nous prévalons si fort,
ne tombe presqueque sur des obscénités qui
étaient comme honorées dans la religion
païenne, et entraient même souvent dans le
culte public. Elles pouvaient donc ne point
fairesur le'peupleautantd'impressions qu'on
voudrait le faire connaître.
« Je fais celte observation pour répondre
à un écrit imprimé ou pour soutenir la pré-
tendue pureté de nos spectacles; l'on m'a
ftespiciunt, oculisque notant sibiquisquepuellam.
Quw vult, et lacito peclore multa movent.
Elige eux dicas: Tumihi sola places.
Ces vers ne font-ils pas bien le portrait de nos
jeunes coureurs de spectacles, qui ne sont presque
occupés qu'à y rencontrer leurs dulcinées, ou qu'à
s'en choisir une à qui ils puissent dire avec succès :
Vous êtes la seule qui me plaisez.' Est-il facile de
sauver sa vertu au milieu de ce tourbillon? Aussi,
que de jeunes sujets en qui l'on avait admiré les
germes des talents les plus intéressaulspourla patrie,
ne sont devenus des citoyens inutiles ou dangereiT,
immolés à l'oisiveté ou au libertinage, que pour avoir
été respirer imprudemment aux théâtres cet air de
frivolité et de corruption qui pervertit le jugcmeal,
et fait perdre le goût de toute application !
1113
NOTICE SFR LE THEATRE I.ICRE.
1111
objecté la différence qu'il y avait à cet égard
entre nos pièces d'aujourd'hui et celles des
anciens.
« On n'y a pas omis de les comparer aussi
avec les farces grossières qui amusaient nos
pères. Je pourrais répondre également, par
rapport a ces dernières , qu'elles pouvaient
ne point faire sur les spectateurs les mômes
impressions qu'elles feraient présentement
sur nous. Une nation varie dans son langage,
dans le goût de ses plaisirs, comme dans la
manière de s'habiller.
« Vous savez, par exemple, que dans les
neuf premiers siècles de notre monarchie,
les femmes portaient des robes si haut mon-
tées que leur gorge était entièrement cou-
verte. Ce ne fut que sous Charles VI qu'elles
commencèrent à découvrir leurs bras et
leurs épaules. Or, de même que les femmes
qui se prêtent avec réserve à l'usage pré-
sent, ne passent point pour immodestes, ne
doit-on pas aussi présumer que, dans nos
siècles d'ignorance , l'on ne se choquait pas
de la plupart de ces farces, qui nous parais-
sent aujourd'hui si monstrueuses? Mais
n'est-ce pas humilier la nation que de nous
les rappeler encore? Les progrès que nous
avons faits dans l'art dramatique doivent les
faire oublier.
« Il ne faut donc plus comparer le théâtre
français qu avec ceiui des Grecs et des Ro-
mains. On sait le jugement qu'on en doit
porter comme littérateur ; mais il n'est ques-
tion ici que de ses effets sur le cœur. Or
notre théâtre, pour être purgé de ce qui ne
pouvait êlre supporté que dans la corruption
du paganisme, en est-il beaucoup moins à
craindre ? Il mo semble que la force des
agents qui y sont employés est assez bien
proportionnée à l'inertie ou à la résistance
des spectateurs qu'il s'agit d'émouvoir. N'y
représente-t-on pas toujours les passions
les plus vives ? Et si les personnages qui en
sont animés ne touchent plus de si près au
moment de se satisfaire, le jeu ne laisse-l-il
pas assez entrevoir ce qui ne doit plus se
passer que derrière la toile? Notre théâtre
est donc réellement toujours aussi dange-
reux (571).
« En effet, pour en revenir pleinement sa-
tisla.t, ne faut-il pas encore y porter un cœur
exercé dans la milice des passions (572)?
C'est un préalable toujours nécessaire pour
bien juger du jeu d'une pièce, parce que
l'esprit connaît mal les passions que le cœur
n'a point senties. Ainsi, je crois que celui
qui irait aux spectacles avec une humeur
philosophique, c'est-à-dire avec une inten-
(571) La maxime de Catulle est toujours de mode.
Le sage l'iine l'admettait bien lui-même. Nous per-
mellonsaiix poêles d'être cliasles dans leur conduite;
mais nous voulons que, pour nous amuser, leurs
vers soient assaisonnés de ce poivre que Rousseau
reproche à Catulle d'avoir un peu trop prodigué.
Nam casliim esse débet pium poelam
Ipsum versiculos nihil necesse est.
Qui tune denique habent salem elleporem,
Si sutit mollicuti et parum pudici.
(Cil CL.)
tion de s'y défendre contre les charmes de
l'illusion et de la commotion, serait souvent
dans le cas de s'y ennuyer et de désapprou-
ver ce qui serait le plus universellement ap-
plaudi.
« Les rôles d'Amélile et de sa rivale, par
exemple, dans Zoroastre (573), ne plairaient
pas à ce philosophe. Cependant, comme ledit
un de nos fameux aristarques , qui, en cette
occasion fait la fonction d'historien, ils ont
charmé par le feu de leurs passions et ont
procuré aux spectateurs les sensations les pi us
agréables. « On a été, dit cet écrivain, jus-
te qu'à les plaindre toutes deux, parce que
« toutes deux sont malheureuses , l'une en
« faisant des crimes, l'autre en les souffrant,
« et que toutes deux y sont forcées par leur
« passion. »
« Je ne doute point que les spectacles no
pussent peut-être me flatter par certains ob-
jets; mais,
Il ne faut pas tout voir, tout sentir, tout entendre.
L'occasion fait un cœur différent.
« D'ailleurs, quand je me proposerais
de ne m'y occuper que des beaux senti-
ments que la pièce peut contenir, ne sont-
ils pas souvent débités en pure perte sur le
théâtre? Le bon y est toujours trop mêlé,
trop confondu avec le mauvais, pour qu'on
puisse être assuré d'en faire la séparation,
et de profiler de l'un sans ressentir l'im-
pression de l'autre.
« De plusBiccoboni, cet homme si expert
et si distingué dans son art, nous assure
« que Jes sentiments qui seraient les plus
« corrects sur le papier, changent de nature
« en passant par la ;bouche des acteurs, et
« deviennent criminels par les idées cor-
« rompues qu'ils font naître dans l'esprit du
« spectateur même le plus indifférent. » Je
ne crois donc pas qu'il soit prudent de se
permettre des spectacles, où il n'y a de
triomphes assurés que pour le vice.
« Je sais qu'on y rencontre quelquefois
des personnes dont la gravité pourrait don-
ner lieu de croire qu'elles n'y vont que pour
se délasser d'une longue ou pénible applica-
tion , ou pour dissiper un ennui vaporeux
qui leur noircit les objets les plus riants ; et
il me semble leur entendre dire :
Je puis du moins admettre une folie
Qui sert de cure à ma mélancolie.
(Rouss., Ep. à Th.)
« Mais ces personnes refuseraient-elles
d'avouer que si le remède dont elles usent
(572) Eo magis eis movelur quo quisque minus al,
eis saniis est.
(575) On sait qu'une tragédie chantée ne diffère
d'une tragédie déclamée que par une plus grande
rapidité dans sa marche, et par une plus parfaite
concision dans son langage. Le plaisir do spectateur
ne consiste toujours dans l'une ou dans l'autre q« a
éprouver une continuité vive de passions qui l'em-
pêche de sentir que ce qu'on lui expose n'est qu'une
lielion.
4215
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1113
ifallère point leur verlu , il n'en est pas
moins, pour le plus grand nombre, un. poi-
son funeste? Elles désapprouvent sans doute
tout ce que le spectacle offre de licencieux :
cependant leur présence est censée en faire
l'apologie. On la cite comme une autorité
décisive ; et parmi ceux qui ont la faiblesse
de céder aux influences de celte autorité,
combien en est-il qui, au lieu d'imiter le
discernement de ces graves spectateurs, ou-
vrent leur cœur à toute la contagion du
spectacle et adoptent ce que Corneille fait
dire à Cornélie :
0 ciel ! que de vertus vous me faites haïr !
(Pompée.)
ou ce que Molière met dans la bouche d'Or-
gou :
C'en est fait, je renonce à tous les gens de bien ;
J'en aurai désormais une horreur effroyable.
(Tartufe.)
« Est-ce donc nous donner une bonne
caution de la puielé de nos théâtres que
de citer les personnes graves qu'on y ren-
contre? Cette autorité peut-elle balancer
celle de nos respectables citoyens qui oc-
cupent les hautes places de la judicature et
qui en ont les mœurs? Pourquoi ces sages
magistrats ne vont-ils pas à nos spectacles?
N'est-ce point parce qu'il y a quelque in-
compatibilité entre leur fréquentation et
la pratique de la vertu 1 M. de Voltaire a bien
senti cette conséquence si défavorable à
nos jeux de théâtre ; et pour l'affaiblir , il a
eu recours au ridicule. « Il y aura toujours,
« dit-il, clans notre nation de ces âmes qui
« tiendront du Golh et du Vandale.... Un
« magistrat qui, parce qu'il a acheté cher un
« office de judicature, ose penser qu'il ne
« lui convient pas d'aller voir représenter
« Cinna, montre beaucoup de gravité et bien
« peu de goût. » Croira-l-on jamais que
M. de Vollaire (574) ait pensé qu'il y a des
juges qui prennent pour tarif de leur gravité
la tinance de leurs offices? Au reste, quelque
fausse que soit son idée burlesque et sati-
rique, elle constate au moins la régularité de
nos sages magistrats. Je suis persuadé, Mon-
sieur, que vous ne vous offensez pas de la gra-
vité de leur conduite. Vous savez que l'état
de judicature est une espèce de sacerdoce,
dont le caractèreexige toutes les vertus et ex-
clut tous les vices. Ainsi l'on pourrait y
appliquer ce que Cicéron dit de la philoso-
phie : Dux vitœ , virlulis indagatrix, expnl-
trixquevitiorum. C'est, en effet, ne pas trop
exiger de tous ceux qui, dans un degré plus
ou moins éminent, partagent l'auguste fonc-
tion de décider de la fortune, de l'honneur
et de la vie des citoyens, et qui à cet égard
ont l'honneur d'être les organes du souve-
rain, radiis régis coruscant. Ne sera-t-on
pas toujours intéressé qu'ils puissent se
reconnaître dans ce beau portrait que Méze-
i ai fait du Parlement de Paris, sous Charles
(574) Œuvre» de M. de Voltaire, Lettre à un pre-
mier commis.
(575) Abrégé de Mézerai, lom. IV, page 48, -Million
VIII ? « Cette grande compagnie était comme
« un sanctuaire de toutes sortes de vertus,
« de tempérance, de continence, de modestie,
« de zèle pour le bien de l'Etat et du pu-
te blic. Sa religion se laissait rarement sur-
« prendre et jamais corrompre. On ne lui
« demandait point d'injustices, parce qu'on
« Je connaissait incapable d'en commettre.
« Ses arrêts étaient reçus comme des ora-
« des, d'autant qu'on savait que ni l'inté-
» rêt, ni les parentés, ni la faveur, quelle
« qu'elle fût, n'y pouvaient rien. Les mœurs
« innocentes de ces magistrats et leur ex-
« térieur même servaient de loi et d'exem-
« pie. La gravité de leur profession les
« éloignait des vanités du grand monde, du
« luxe, des jeux, de la chasse, de la danse»
« encore bien plus de la dissolution et de la
« débauche. Ils trouvaient leur plaisir et leur
« gloire a exercer dignement leurs charges.
« Un grand fonds d'honneur, d'intégrité et
« de suffisance faisait leur principale ri-
« chesse, et la frugalité leur plus certain
« revenu. N'aimant point le faste et la dé-
« pense, ils n'avaient point d'avidité pour
« les grands biens, et ils croyaient leur for-
« tune juste et honorable quand elle était
« médiocre et juste. Ainsi se rendant vé-
« nérables par eux-mêmes, ils étaient en
« vénération à tout Je monde. Et on les res-
te pectaità la cour, parce que, n'y ayant au-
« cunes prétentions, ils n'y allaient jamais
«s'ils n'étaient mandés par les ordres du
« roi ou pour son service (575). »
« L'intégrité de toutes ces vertus a pu
par la suite éprouver quelque altération,
néanmoins celte auguste cour, réunie dans
son sanctuaire, n'en a pas été plus favo-
rable à nos théâtres. Elle leur refusa sous
Henri III un établissement légal. « Le luxe.
« dit Mézerai, appela du fond de l'Italie
« une bande de comédiens surnommés Li
« Gelosi, dont les pièces toutes d'intrigues,
« d'amourettes et d'ihvenlions agréables
« pour exciter et chatouiller les passions,
« étaient de pernicieuses leçons d'impudi-
« cité. Us obtinrent des Jeltres-patentes
« pour leur établissement, comme si c'eût
« été quelque célèbre compagnie. Le parle-
« ment les rebuta comme personnes qua
« les bonnes mœurs, les saints canons et
o les Pères de l'Eglise avaient toujours
« réputées infâmes, et leur défendit de jouer
« ni de plus obtenir de semblables lettres,
« sous peine de dix mille livres d'amende
« applicable aux pauvres. »
« Ce fut sans succès qu'un avocat osa, en
1761, dégrader son ministère jusqu'à vou-
loir dans [une consultation imprimée inno-
center la profession de comédien et la faire
relever de toutes les flétrissures dont elle
avait été tant de fois frappée. Le parlement
prononça contre cette consultation et contre
l'auteur un arrêt qu'on avait lieu d'attendre
de son zèle pour les bonnes mœurs (576). Il
d'Amsterdam de 1723.
(576) Cet arrêt est du 22 avril 1761. Nous le pu-
blions vers la fin de la présente notice.
1111
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1113
fut précédé du vœu unanime de l'ordre des
avocats, qui s'empressèrent de rejeter de
leur sein un confrère qui s'était si fort
écarté du respect que ce premier barreau
du Foyaume a toujours eu pour les lois de
la religion et de l'Etat.
« Le parlement reconnut à cette occasion
tout ce qu'on avait a craindre du goût ex-
cessif de notre siècle pour les théâtres, et,
afin de nous préparer à cet égard une pos-
térité moins passionnée, il a ordonné que
dans les collèges il ne sera, en aucun cas,
représentéaucune tragédie ou comédie (576*).
Les amateurs des spectacles s'autorisaient
de ces sortes de représentations ; cependant
ils ne s'appuyaient que sur un abus dont
lus bons instituteurs de la jeunesse dési-
raient la réforme. Ces drames étaient à la
vérité ordinairement assez purs, mais ce
qui avait été toléré par des motifs illusoir
res introduisit plusieurs licences, et d'ail-
leurs on habituait les jeunes gens à avoir
moins d'horreur des théâtres publics. Enfin
cette coutume, qui s'était établie contre
les sages statuts de l'Université, était une
vieille erreur à détruire (577).
« Est-il doncétonnant que nos respectables
magistrats s'interdisent les spectacles comme
un plaisir incompatible avec la sagesse?
Or ne devons -nous pas aussi soutenir
l'honneur de notre vertu? S'ils paraissent
singuliers en se privant des spectacles, c'est
parce qu'ils soni plus exacts à observer ce
qui est d'une obligation universelle. Us
croient que leur exemple serait encore plus
pernicieux que leur faute (578), s'ils usaient
d'une licence qui n'est tolérée que parce
qu'il y aurait des inconvénients à la sup-
primer. Aufer merelrices de rébus humants,
turbaveris omnia libidinibus (579).
« C'est là le motif qui engage même le
chef de l'Eglise è souffrir dans ses Etats
l'usage des spectacles. Comme cet abus
existait avant que la souveraineté tempo-
relle fût unie à la puissance spirituelle, les
Papes, pour maintenir la tranquillité dans
l'ordre civil et politique, tolèrent ce qu'ils
souhaiteraient pouvoir supprimer.
« Ce n'est point par négligence, ni par
« relâchement, disait le Pape Gélase, que
« mes prédécesseurs ont usé de tolérance
« à l'égard de ce scandale que j'espère abo-
« Mr. Je suis persuadé qu'ils ont fait les plus
« sincères tentatives pour le détruire et que
« leurs bonnes intentions furent alors tou-
« jours traversées (580). »
(576*) Art. 49 de l'arrêt du parlement du 29
janvier 1765. ponant règlement pour les collèges.
(577) Gonsucludo sine veritate erroris vetustas est.
J (S. Cypr.)
(578) Plus exemplo quam peccato nocent. (Cicer.)
(579) S. Aug.
(580) Ego negligenliam accusare non audeo prae-
decessorum, cuin magis credam tentasse eos ut hsec
praviias tollerelur, et quasdam exslilisse causas et
contrarias volunlales quœ eorum intenliones praïpe-
dirent.
'5bl) Ces requêtes furent lues et examinées dans
la congrégation du concile, comme une affaire qui
regardait la discipline et les décision* des conciles.
« Il n'est donc pas douteux que les Sou-
verains Pontifes ont toujours réprouvé les
spectacles; mais que peuvent-ils contre lo
torrent qui s'y porte? Ils n'ont à y oppo-
ser que des décrets qui puissent les ren-
dre moins contagieux et en préparer l'aboli-
tion.
« Innocent XI défendit aux femmes do
montersurle théâtre, Innocent XII rejeta la
requête que les comédiens de France lui
tirent présenter en 1696, pour être relevés
de la rigueur des canons à leur égard. 11
les renvoya à l'archevêque de Paris pour
qu'ils fussent traités suivant le droit, ut pro-
videat eis de jure. Clément XI eu usa de
même en 1701 sur la nouvelle requête qu'ils
osèrent lui adresser à l'occasion du Jubilé,
auquel ils prétendaient pouvoir participer
sans renoncer à leur profession (581). Be-
noît XIV donna, le 1er janvier 17'i8, une
déclaration authentique par laquelle il pro-
testa qu'il ne tolérait U'S spectacles qu'à
regret. Aussi diminua-t-il à Rome lo nom-
bre des théâtres (582). Et après les avoir
précédemment combattus dans plusieurs de
ses ouvrages, dont la collection est pré-
cieuse, il engagea le célèbre P. Concina,
Dominicain, à composer sur les spectacles
le traité latin que ce religieux fit imprimer
à Rome en 1752. C'est avec le même zèle
que Clément XIII renouvela en 1759 la dé-
lense faite aux ecclésiastiques d'assister aux
représentations qui se font sur des théâtres
publics (583).
« Au reste, ce n'est que dans les derniers
jours qui précèdent le carême, que les
théâtres sont ouverts à Rome (584).
« On ne connaît point dans l'Italie l'usage
des spectacles pendant toute l'année. Les
troupes de comédiens y sont ambulantes,
et restent plus ou moins dans les Etats qui
les admettent. C'est sans doute par cette
raison qu'on n'y publie pas les peines pro-
noncées par l'Eglise (585) contre leur état;
maiselles n'y sont pas moins connues. Ainsi,
comme il a élé judicieusement observédans
un ouvrage moderne de jurisprudence (586) :
« La distinction que quelques personnes
« font entre l'es comédiens français et les
« italiens, est regardée avec dérision parmi
« les gens sensés et instruits. Il faut au cen-
« traire se renfermer dans ce principe in-
« contestable qu'où les lois du royaume et
« de l'Eglise ne distinguent point, il ne
« faut pas distinguer. » On. sait que les
plus grandes licences étant passées en cou-
(llist. des ouvrages sur la Com.)
(582) Voyez le Dictionnaire- des sciences ecclésias-
tiques, par le P. Richard et autres religieux Domini-
cains, au mot Spectacles, tome V.
(583) Voyez la Omette de France du 10 fé\rier
1759.
(584) Voyez les Réflexions historiques et critiques
sur les différents théâtres de l'Europe, par Louis Ûio-
COBOM.
(585) De theatricis et ipsos placuit quandiu agunt
a communione separari. (Canon du concile d'Arles
tenu en 314.)
(586) Collection de décisions de jurisprudence, par
Demzart, au ir.ot Comédien, edit. de 17<>8.
1119
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1120
tume,on s'habitue non-seulement à ne plus
s'en offenser, mais même à en faire l'apolo-
gie; et pour lors, quoique toujours réprou-
vées, elles parviennent à forcer l'autorité
publique de les tolérer (587).
« Tels ont été les progrès de rétablisse-
monarque fut si sévère a leur égard, n'y
a-t-il pas à présumer que s'il eût vécu dans
notre siècle, il ne l'aurait pas moins été
pour nos théâtres? Le respect pour l'autorité
publique qui les tolère, doit nous tenir
dans l'incertitude sur la conduite que ce
ment des spectacles chez les anciens comme prince aurait tenue sur cet objet
chez les modernes.
« Ovide, devenu sensé dans le cours de
ses disgrâces, avait représenté è Auguste,
que le moyen le plus capable de réformer
les mœurs de Rome était d'y détruire tous
les théâtres (588). Marc-Aurèle voulut exé-
cuter cet avis, mais il ne put y parvenir,
puisque, pour avoir seulement modéré la
licence des comédiens, avoir réduit leurs
gages et le nombre de leurs jeux, toute la
multitude des désœuvrés se répandit en
« On connaît les changements arrivés
dans nos mœurs depuis que les grands sei-
gneurs, devenus oisifs dans leurs terres
par la privation de l'exercice de la justice
et des autres privilèges de l'ancien droit
féodal, commencèrent à être attaches à la
cour et à la capitale, autant par le plaisir
que par l'intérêt et l'ambition.
« Du temps de saint .'Louis, ces seigneurs
ne quittaient point leurs terres où ils vi-
vaient en bons pères de familles, et ils y
murmures et lui reprocha de vouloir rendre jouissaient de presque tous les droits de la
philosophes tous les sujets de l'empire (589).
« Théodoric,roi d'Italie, éprouva en pareil
cas la même résistance. Il était persuadé
que la fréquentation des spectacles était in-
compatible avec lagravitédesbonnes mœurs,
que les propos licencieux s'y trouvaient
toujours excusés; néanmoins, il se vil forcé
de condescendre à la folie de la multitude,
atin d'en contenir les accès (590). *
« Cosme 111 grand duc de Toscane (591),
qui dans sa jeunesse avait été grand parti-
san des représentations dramatiques, en re-
connut le danger. II voulut ensuite les
proscrire, mais ce fut sans succès. 11 se
contenta d'adopter le règlement du Pape
Innocent XI (592).
« On croirait que saint Louis eut à cet
égard plus d'autorité, puisque, suivant
souveraineté. Ainsi, lorsque l'on dit que ce
saint roi chassa de son royaume tous les
comédiens qu'on appelait en ce temps les
auteurs de la science gaie , les troubadours
ou les trouvères, il faut entendre qu'il ne
les chassa que des provinces et des villes
de son domaine, puisque, entre autres exem-
ples, Alphonse, comte de Toulouse, son4frère,
les soutirait à sa cour.
« Il eu fut de même lorsque saint Louis
voulut abolir la pratique barbare des épreu-
ves et des combats judiciaires où il suffisait
de succomber et d'être vaincu pour être
déclaré incontestablement criminel ou usur-
pateur, et quelquefois même pour faire
décider des questions de discipline ecclé-
siastique. Ce saint roi ne put détruire cet
usage monstrueux que dans les tribunaux
quelques airteurs, il chassa de son royaume de ses domaines. II ne lui fut pas possible
tous les comédiens. C'est un fait qui serait
à discuter. Y avait-il alors des théâtres
publics? Les Alains, les Suèves, les Vanda-
les, les Goths et les Francs à qui l'art dra-
matique était inconnu, en avaient fait cesser
l'usage dans les pays qu'ils avaient conquis.
Il n'est pas douteux que les prétendus co-
médiens qu'on dit avoir été chassés par
saint Louis, étaient de ces poètes proven-
çaux qui allaient de château en château
réciter des espèces d'héroïdes au son de
quelques instruments. Mais, dira-t-on, si ce
(587) Peceala,quamvis mngnacl horrenda, cum in
consuelutlinem venesunt, aul parva aul rutila cre-
(lunt, usque adeo ni non solum occullanda verum
eliain pradicanda videantur Sic noslris lempori-
lius milita mala ita in apertam consiieliidinem vene-
rinil, ut pro Ii is non solum excoinmuuicare aliqucm
laicum non aiideamus, sed nec clericum degra-
dare... inusitala pecoala sola exhorrescimus : usiiaia
vero saepe videndo oniiiia lolerare, sajpe lolerando
nonnulla eliain lacère coginiur. (S. Aie, loin. VI,
p. 227.)
i588) Ut tamen hoc fatear: ludiquoque seminaprœbenl
Nequitiœ : tolti theatra jubé.
(589) Temperavii scenicai donaliones : fuit populo
liic sermo qnud populum sublalis ludis vellet cogère
ad philusopliiam.
(590) Voici les propres paroles de Tliéodoric :
i Mores graves in speclaculis quis rcquiral? ad cir-
« uni ncsciiinl convenire Calories. Quidquid illic gau-
oenii populo dicilur, injuria non pulalur. Locus est
de le supprimer par tout le royaume, parce
que la France se trouvait alors divisée en
une infinité de seigneuries qui ne recon-
naissaient qu'une dépendance féodale. Mais
cela ne regarde point le sujet do cette
lettre.
% Je crois, Monsieur, avoir assez justifié
mes idées sur les spectacles. Elles sont
soutenues d'autorités si peu suspectes que
vous me reprocheriez peut-être présente-
ment un ridicule, si j'avais la faiblesse do
m'en écarter. D'ailleurs, re vincimus] ipsa,
qui défendit excessum... Spectaculum expelïit gravis-
simos mores, invitât levissimas coiitenliones, est
evaenalio honeslaiis, fous irriguus jurgiorum , quotl
velustas quidam ha!niit sacrum, posteritas fecilèsse
liidibrium... lue nos l'oveinus nécessitante populorum
imminenlium quibus volum est ad lalia convenire,
dum cogilationes sérias delectanlur abjieere. Paucos
enim raiio capitel raros probabilis obleclal intestin,
ad illud polius turba duciiur quod ad curarum remis-
sionem conslal invenlum, nain quidquid œslimat vo-
Itipluosum, hoc ad bealiliidinein temporum judicat
applicandum. Quapropler largiamur expensas, non
semper ex judicio demus. Expedil inlerdum desipere
ut. populi possimus desiderata gaudia contineie. »
(Apud CAssioD.Jib.i VariarumEp., p. 27, Theodor.,
cl lib. in, epi.-l. 53. Theodor.)
(591) Mon en 1(188.
(592) Voyez les Inflexions historiques et critiques
sur les différents théâtres de l'Europe, par Louis
Hiccobom.
1121
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
1122
ces idées sont fondées sur les principes de
la plus exacte philosophie, puisqu'elles ne
désapprouvent que ce que la religion con-
damne.
« Je conviens que c'est une autorité fort
peu respectée par tous ces beaux esprits li-
cencieux que Rousseau appelle des écuoueurs
de dogmes arbitraires ; mais
Pour moi qu'en saule même un autre monde étonne,
Qui crois l'âme immortelle et que c'est Dieu qui
[tonne,
(Despréaux.)
il me semble que la religion, qui fixe notre
foi , doit aussi régler nos mœurs.
« C'est pourquoi dût-on me compter parmi
ces gens qui tiennent du Goth et du Vandale,
je ne saurais regarder le spectacle de U *ra-
gédie comme l'école de la grandeur d'âme, ni
celui de la comédie comme l'école de la vie
civile. Ce sont de ces plaisirs qu'il faut fuir
quand on craint l'inquiétude.
Curam horrescenti non est quœrenda voluptas.
« Et je ne pense pas que, pour soutenir
cette maxime, on puisse, tout bien pesé,
me déclarer ennemi de la patrie (593). Ce
serait une espèce de fanatisme que je serais
en droit de dénoncer au tribunal de la rai-
son. Philosophia non tollit affectus. On peut
ôtre bon patriote sans cesser d'être philo-
sophe , pourvu qu'on prenne ce dernier
mot dans son véritable sens; car vous savez
combien on en abuse aujourd'bui. Ce ne
sera plus un nom honorable , s'il continue
d'être usurpé et comme profané par ces in-
crédules qui s'efforcent d'ébranler tous les
fondements du raisonnement humain , dans
l'espérance de pouvoir contester avec plus
de succès les preuves de la religion. Le
système de ces prétendus inconvaincus vous
parait aussi insensé qu'impie , et vos sen-
timents à cet égard répondent à la justesse
de votre esprit et à la droiture de votre
cœur , dont j'espère éprouver les effets dans
le jugement que vous porterez de cette
lettre.
« Je suis , etc. »
Seconde lettre de M. Desprez de Boissy ,
sous le titre de : Lettre de M. le chevalier
de*** à M. de Campigneulles , membre de
plusieurs académies des sciences et belles'
lettres, au sujet de la lettre de M. Desprez de
B* , sur les spectacles; Paris, 1759; elle
fut réimprimée en 1769.
« Je suis fort surpris , Monsieur, que de
(593) Qualification odieuse que M. de Voltaire a ap-
pliquée, sans doute dans un délire poétique , aux
censeurs des spectacles , sous prétexte qu'ils s'oppo-
sent au bien des pauvres. 11 ne savait pas apparem-
ment que la taxe dont il veut parler a pour origine
une imposition de 800 livres parisis, que les acteurs
de la Passion furent obligés de payer par un arrêt du
parlement de 1511, pour que les pauvres fussent in-
demnisés del'exlrèuie diminution des aumônes depuis
l'établissement des spectacles. Au reste, est-il éton-
nant que l'on s'écarte toujours de la raison dans les
ouvrages faits pour le pur amusement et pour exci-
ter au plaisir? Si l'on trouve quelquefois à y récla-
votre noble office vous vous soyez chargé
de répondre (594) pour moi à la lettre que
M. Desprez (le Boissy m'a écrite sur les
spectacles. Vous êtes si fort éloigné du
point de vue dans lequel j'ai considéré cette
lettre et des impressions qu'elle a faites sur
moi , que je me crois obligé de donner un
désaveu public à votre réponse.
« La lettre que vous critiquez est un ou-
vrage philosophique qui ne m'a jamais paru
capable d'offenser personne. Son objet est
de prouver l'évidence du danger de nos
spectacles pour les mœurs et surtout pour
les jeunes gens. Et il m'a semblé qu'il était
fort propre à fournir des armes défensives
à ceux qui , élant dans de bons principes ,
sont souvent exposés à lutter contre ces
tourbillons d'esprits follets pour qui le
langage de la religion est trop sublime.
« Quoi que vous en disiez , Monsieur ,
la thèse que M. de B*** soutient est trop
établie par l'expérience; et, s'il n'a pas jugé
à propos de fréquenter nos spectacles, pour
y faire l'épreuve à laquelle je l'avais plus
d'une fois excité et que vous lui reprochez
de ne pas avoir faite , je n'ai pu que l'ap-
plaudir, dès que j'ai su la sagesse de ses
procédés (595) pour se faire une règle de
conduite.
« On dirait que vous auriez adopté le
système de ce livre pernicieux (596) qui
réduit l'homme à la seule faculté de sen-
tir. Vous prétendez que M. de B*** ne pou-
vait être en état de bien prouver la thèse
qu'il soutient que par les sensations qu'il
aurait éprouvées en fréquentant les specta-
cles, parce que l'on ne voit jamais bien par
les yeux des autres.
« Il s'ensuivrait donc aussi que pour
avoir une juste idée de ces lieux consacrés
au plus honteux libertinage et pouvoir en
persuader le danger aux autres, il faudrait
les avoir fréquentés. A combien d'incon-
vénients ne serions-nous pas exposés, s'il
fallait , comme vous le dites, n'acquérir la
sagesse qu'en se livrant aux écueils où
l'on sait qu'elle échoue presque toujours 1
Vous entendez mal ce vers de Corneille que
vous citez :
A vaincre sans péril, on triompbe sans gloire.
« Cette maxime est fort belle , lorsqu'on
l'applique aux efforts que l'on est dans le
cas de laire pour remplir mieux son devoir ,
et non à la témérité de ceux qui se permet-
tent tout ce qui peut irriter les passions.
mer des pensées favorables à la saine philosophie,
l'on sait bien que l'or a son prix partout où il se
rencontre, mais qu'il n'en donne jamais à l'impureté
qui fait son alliage.
(594) Cette réponse se trouve dans une brochure
qui porte pour litre : Essais sur différents sujets, par
M. de C" (Cbarles-Claude-Florenl Thorf.l de Cam-
pigneulles). Il est auteur de quelques écrits indiqués
dans la France littéraire, tome I, p. «205, édition de
1709, et à la page 208 du tome 1 des Trois siècles de
notre littérature, édition de 1772.
(595) Voyez la première Lettre.
(536) Dt l'Esprit.
1123
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1124
I
Et assurément Corneille n'a pas eu l'inten-
tion de contredire , comme vous le faites
indécemment , cette maxime : Qui amat pe-
riculum, in illo peribil (597) ; qui aime le
péril y périra. Un homme sensé ne peut
compter sur sa vertu que dans les périls où
l'imprudence ne l'a pas conduit.
« Vous reprochez à M. de B*** de donner
sa décision sur une matière qu'il ne connaît
pas ; mais le ton dogmatique n'est point ce
qui domine dans sa Lettre. On n'y trouve
que les motifs et les principes qui ont déter-
miné son sentiment , et il m'a paru qu'ils
étaient fondés sur la connaissance de la na-
ture, du but et des effets de nos théâtres.
L'exposition que M. de B*** fait des règles
de l'art dramatique prouve bien qu'il con-
naît la matière qu'il traite (598).
« Mais je vous accorde qu'il eût ajouté
sa propre expérience aux preuves que la
raison , la connaissance de l'art et le récit
des autres lui ont fournies, n'aurait-on pas
encore eu l'injustice de lui reprocher déju-
ger du cœur des autres par la sensibilité du
sien ?
« Je ne trouve rien de plus décisif que
les autorités qu'il rapporte de Bussy-Rabu-
lin , de Lamotte , du duc de La Rochefou-
cauit , de La Bruyère , de Fontenelle , de
Riccoboni. Et, lorsque j'y ai vu les aveux
de M. de Voltaire sur les pièces (599) qui,
après Alhalie et Esther , passent pour les
)lus chrétiennes , il m'a semblé que vou-
oir se charger de faire l'apologie des spec-
tacles au tribunal de la raison, c'était s'ex-
poser à s'y faire siffler.
« Quelque partisan que vous m'ayez sup-
posé des spectacles , je n'en ai pas moins
approuvé la Lettre de M. de B***. J'ai re-
connu l'erreur où j'étais en voulant engager
cet ami à changer de sentiment , et j'ai eu
la satisfaction de voir le public ratifier le
jugement que j'avais porté de cet ouvrage.
Tous les journalistes (600) l'ont annoncé
avantageusement. Il est vrai que M. de
Boissy , l'ancien auteur du Mercure, a un
peu critiqué l'austérité de la morale , mais
de manière à faire sentir l'intérêt personnel
qu'il avait à la querelle Nous lais-
sons à d'autres, dit-il, le soin de faire l'a-
pologie \de la comédie , de peur qu'en nous
récusant , on ne nous réplique : « Monsieur
Josse , vous êtes orfèvre. » ( Mercure de
mars 1756. )
I (597) Ecc//., ni, 27.
(598) Voyez la première Lettre.
(599) Polyeucle cl Zaïre.
(000) Voyez les Journaux de l'année 1756, savoir,
de Trévoux el Verdun, avril; le Journal des savant*,
septembre; le septième cahier du Journal chrétien;
la onzième Feuille hebdomadaire des provinces, du
17 mars 1756, et la cinquième Feuille du 14 décem-
bre 1757.
(601) Trente-huitième cahier de l'année 1757.
(602) Sous le titre de Lettre de M. D..., licencié en
droit, à M. Fréron, directeur de /'Année littéraire
et du Journal étranger. Voici quelques-unes de ces
règles qu'on ne saurait trop faire connaître dans un
temps où les journaux littéraires se sont si fort mul-
« M. Fréron s'est chargé de faire cette
apologie dans l'extrait qu'il a donné de la
lettre de M. de B¥** dans V Année littéraire
(601), lorsque la seconde édition parut.
Mais cet extrait est fait contre toutes les
règles que doit suivre un journaliste, et que
l'on trouve si bien exposées dans une
Lettre que M. de Querlon donna au public
en 1756 (602).
« Quelle idée peut donner de lui Fréron
lorsqu'il ose profaner l'autorité de saint
Thomas, de saint Antonin, pour en faire
les apologistes du théâtre en abusant de
certains passages dont on a mille fois ex-
posé le véritable sens? L'idée la plus favo-
rable qu'on puisse avoir de lui, est de le
croire fort ignorant en matière de morale.
Du vieux Zenon l'antique confrérie
Disait • Tout vice est issu d'ànerie.
(Rouss., liv. i, épit. 3.)
« Mais n'est-ce pas encore avoir trop
d'indulgence, lorsqu'on le voit manquer
aux égards que tout honnête homme doit
avoir pour les ministres de la religion? Il
s'autorise des abus que ce corps respectable
a condamnés dans tous les temps; et non
content de tirer avantage de la licence de
ces ecclésiastiques qui, par leurs mœurs,
appartiennent plus au siècle corrompu qu'à
la religion, il ose remuer les cendres d'un
des plus illustres prélats du "clergé de France,
pour en souiller la mémoire. Il ne craint
pas enfin d'accuser Bossuet d'avoir sou-
tenu par une réponse équivoque et par sa
présence, l'innocence des spectacles. Et
vous, Monsieur, vous allez jusqu'à avancer
que cet illustre prélat a fait un écrit en fa-
veur de la comédie. Qui croirait qu'au lieu
d'aller chercher la lumière dans les admi-
rables écrits de ce grand homme, on n'au-
rait pas honte d'en faire l'apologiste de la
licence 1
« On a négligé de relever dans le temps
l'extrait que l'on a donné de la Lettre de
M. de B*** dans VAnnée littéraire, parce
que l'on a présumé que les fausses alléga-
tions qui y étaienî employées, tomberaient
comme des absurdités. Mais par la réponse
que vous venez de faire indiscrètement
pour moi à la Lettre de M. de B***, M. Fré-
ron peut s'applaudir d'avoir suivi le conseil
qu'un fameux délateur donnait aux courti-
tipliés. t La critique, cet art si nécessaire et si mile,
ne doit avoir pour fondement et pour principe que
l'amour des lettres et le goût du vrai. Or, suivant
celte maxime, un journaliste qui sait respecter ses
lecteurs, ne prostitue point sa plume pour accréditer
des principes faux el dangereux. Il n'affecte point de
déprécier des écrits donl le plus grand défaut est de
con! redire son goût el ses idées propres. Jl ciie avec
exactitude; il ne déguise et n'allère rien. Il ne se
pare point des expressions d'aulrui, il se garde bien
de rapporter de longs textes sans les distinguer, el
sans avertir que c'esl un autre qui parle; il ne pro-
duit point du ridicule où il n'y en a pas, el quand il
y en aurait, il ne le montre que quand l'intérêt du
goût ou de la raison l'exige nécessairement. >
11*5
NOTICE SLR LE THEATRE L1DRE.
4126
sans de Philippe, roi de Macédoine, en leur
disant :
Messieurs.
Quelque grossier qu'un mensonge puisse être.
Ne craignez rien, calomniez toujours.
Quand l'accusé confondra il vos discours,
La plaie est faile; et, quoiqu'il en guérisse,
On en verra du moins la cicatrice.
(Rousseau.)
« Oui, Monsieur, l'imposture ne fait que
trop de prosélytes. Et la calomnie n'a mal-
heureusement que trop son effet, lorsqu'elle
rencontre des gens intéressés à la croire lé-
gèrement.
« On a souvent relevé les imputations que
l'on a faites à saint Thomas et à saint An-
tonin. Cependant ceux qui cherchent à se
séduire eux-mêmes dans leurs passions, les
réclament toujours en leur faveur. Il en
sera de même de ce que l'on attribue à
Bossuet; on ne cessera de l'entendre répéter
par ceuxqui, en proieà leurs mauvais désirs,
saisissent sans la moindre réflexion tout ce
qui peut être favorable à leurs penchants.
Mais pour rendre moins contagieux les au-
teurs qui osent reproduire ces impostures,
on doit, non répéter tout ce qui a été écrit
à ce sujet, mais leur donner un démenti
public et se contenter d'annoncer de nou-
veau les ouvrages qui ont délruii ces fausses
imputations.
« Qu'on lise les discours du P. Lebrun,
l'ouvrage du prince de Gonti , les Ré-
flexions de Nicole sur la Comédie , et
celles que Bossuet a faites, non comme
vous le prétendez faussement pour la justi-
fier, mais pour la réprouver, on verra tom-
ber les fausses idées que les partisans des
spectacles donnent sur la doctrine de quel-
ques illustres personnages.
« On y apprend que parmi les écrivains
ecclésiastiques des douze premiers siècles,
l'on n'en peut citer aucun qui se soit ex-
primé d'une manière équivoque sur cette
matière. Et si depuis l'établissement de la
méthode scolastique l'on croit trouver quel-
ques théologiens qui paraissent avoir été
favorables aux spectacles, on se trompe,
faute de connaître le langage ou plutôt la
méthode des scolasliques ; et pour en bien
juger, voici un principe qu'il faut savoir.
« Ces théologiens ne se contentent pas de
résoudre les cas par rapport aux circons-
tances qui les accompagnent ordinairement ;
ils vont au devant des objections qu'on
(603) In omni eo quod est dirigibile secundum ra-
tionem, superfluum dicilur quod régulant rationis
cxcedii... diclum est aulem quod ludicra, sive jo-
cosa verba, vcl facla, sunt dirigibilia secundum ra-
lioncm, et ideo superfluum in lu ilo accipilur quod
excedil... régulant rationis. Quodquidein polest esse
dupliciler. IJno modo ex ipsa specie aclionum quœ
assumunlur in ludum, quod quidem jocandi geuus
secundum Tullium dicilur esse illiberalc, pelulans,
flagitiosum, obscenum, quando scilioet ulilur aliquis
causa ludi lurpibus vertus, vel factis, vçl eliam bis
quae vergunt in proximi nocunientum, quae de se
Mut peccala mortalia Alio aulem modo pott-st
ess.e excessus in ludo secundum defecluin debitanuu
pourrait leur opposer. Ils examinent quel-
quefois les difficultés par rapport à plusieurs
suppositions abstraites et métaphysiques.
« Il suit de là qu'ils approuvent on cer-
taines hypothèses ce qu'ils condamnent
dans la pratique commune. Or on est sou-
vent induit en erreur, lorsqu'on ne sait pas,
ou plutôt lorsqu'on ne veut point distinguer
les décisions absolues, d'avec celles qui ne
se rapportent quà des suppositions méta-
physiques.
« Saint Thomas, par exemple, pose pour
principe que tout ce qu'on fait devant être
réglé par la raison, les mots pour rire et
tous autres jeux deviennent condamnables:
1° lorsque dans les jeux on mêle des actions
ou des paroles déshonnêtes ou nuisibles à
la réputation du prochain; 2° lorsque le jeu
étant de soi-même indifférent, il se trouve
joint à des circonstances qui le rendent
mauvais, comme si l'on voulait jouer des
ieux que l'Eglise aurait défendus (603).
« Je ne crois pas que jusqu'à présent vous
soyez fondé à réclamer ce saint docteur en
faveur des spectacles, puisque vous conve-
nez qu'ils sont défendus par l'Eglise. Il est
vrai que vous pensez que celle défense ne
devrait plus avoir lieu présentement, eu
égard à la prétendue perfection de nos théâ-
tres. Mais pour être purgés de termes obs-
cènes et grossiers, ils n'en sont pas moins
dangereux, et il ne faut n'avoir de chaste
que les oreilles pour les trouver aussi
purs qu'on le prélen.l. « Il est faux, dit
« Bossuet, que les Pères n'aient blâmé dans
« les spectacles que l'idolâtrie et les impu-
« dicités manifestes. Ils y ont blâmé l'inu-
« tililé, la dissipation, la commotion de l'es-
« prit, les passions excitées, le désir de
« voir et d'être vu, les choses honnêtes qui
«enveloppent le mal, le jeu des passions et
« l'expression contagieuse des vices. » Cha-
que siècle a eu sa manière de couvrir les
idées propres à flatter la volupté. Nous en
avons une preuve dans Duchesne (604). On
y voit que dans les spectacles des anciens
temps de notre monarchie, on ne se propo-
sait d'exciter les passions qu'avec les égards
qu'exigeait le goût de ceque nous appelons
communément les honnêtes gens, c'est-à-
dire, des personnes de la cour et de la ca-
pitale.
« Je passe à l'endroit de saint Thomas
dont les partisans du théâtre ont le plus
souvent fait usage. Ce grand théologien se
fait cette objection : « Si l'excès dans le jeu
circumstantiarum, pula cum aliqui ulunlur ludo, vel
temporibus,veI locis indebilis, aut eliam praetercon-
venienliam negolii scu personne. El boc quidem
quandoque polesl esse peccalum rnorlale propler
vebemenliam afleclus ad ludum, cujus deleclationem
preeponit aliqnis dileclioni Dei, ila quod contra prae-
ccpium Dei, vel Ecclesix, lalibus ludis uli non ré-
fugiai. (-2-2, quaesi. i(38, art. 3.)
(tiM) Verba joculatoria omnes delidas cl lepnres
et risu (lignas urbauiiaies et cœleras ineplias buccis
Irucînanlibus in médium eruclare non erubescunl.
(Higord., in Phil. Aug. De jocul.; Duchesne, Mit.
loin. V.)
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
11*8
« est un péché, les histrions, dont toule la ait des hommes qui puissent nous divertir
« vie.se rapporte au jeu, seront donc dans en jouant de quelqu'instrument, ou en nous
-■ un état de péché; et il faudra (remarquez récitant divers contes agréables;©! qu'ainsi
.« la conséquence) condamner de même ceux ils ne peuvent être en état de péché. Mais
« qui se servent de leur ministère, ou qui
•< leur donnent quelque secours. Cependant
« saint Paphnuceeut révélationqu'unjoueur
<i de flûte jouirait avec lui du même degré
« de gloire dans le ciel. »
« Le P. Lebrun que les seuls préjugés ne
dirigeaient pas, mais qui était versé dans
la connaissanceded'antiquité, remarque que,
voici les conditions. « Pourvu, dit-il, qu'ils
« ne disent et ne fassent rien d'illicite; que
« le jeu soit modéré; qu'il ne dérange pas
« les affaires et qu'il ne se rencontre point
« dans des temps défendus (607). »
« On voit que par cette décision saint
Thomas laisse le cas dans la supposition
métaphysique, qui n'est pas certainement
pour bien entendre la réponse à cette ob- celle où se trouvent nos spectacles (608),
jection, il faut observer qu'il n'était pas qui sont de la nature de ceux que ce saint
question de spectacles tels que les nôtres du docteur a condamnés, parce qu'ils excitent
temps de saint Thomas; que ce saint en
tendait par histrions ceux qui n'avaient
d'autre emploi que de divertir quelquefois
les hommes, ou par la récitation de quel-
ques contes agréables, ou par des instru-
ments, comme faisait le joueur de flûte dont
il parle.
« Ces histrions pouvaient être ce qu'on
appelait troubadours ou chanteurs; et parmi
aux vices les spectateurs. Il n'est pas ques-
tion ici de l'art dramatique considéré en
lui-même. M. de B*** déclare assez dans sa
Lettre le jugement qu'on en doit porter
comme littérateur. Mais quant à l'effet mo-
ral de la représentation de nos drames,
quelle différence entre notre théâtre et ce-
lui des anciens Grecs! Tout, jusqu'aux jeux
scéniques, dans ies beaux jours d'Athènes,
eux, les poètes provençaux étaient les plus se rapportait a l'utilité publique. Les poêles
estimés. Les princes elles grands seigneurs
les faisaient venir à leur cour pour s'en
amuser. Deux ou trois de ces poètes s'asso-
ciaient quelquefois, et allaient de chAteau
en château s'offrir à réciter au son de quel-
qu'instrument (605), lespièces qu'ils avaient
composées. Elles avaient pour objet, tantôt
de récréer par des plaisanteries, tantôt de
louer les exploits des princes ou des sei-
gneurs qui les avaient mandés, comme on
le voit dans l'Histoire de Louis VIII, père
de saint Louis. Ces histrions n'avaient point
de théâtres publics. Il en était d'eux comme
ûe ces comédiens dont parle Pline le Jeune,
que l'on faisait venir pour être récréé pen-
dant le repas par quelques récits amusants
ou instructifs (606) ; et ceux-là n'étaient
point regardés infâmes à Rome, comme l'é-
taient ceux qui montaient sur des théâtres
publics et comme le font nos comédiens,
« Cela posé, comment saint Thomas ré-
pond-il à l'objection qu'il s'est faite? Il dé-
cide que Le divertissement étant quelque-
fois nécessaire, il n'est pas défendu qu'il y
(605) Ceux qui jouaient des instruments se nom-
maient jongleurs.
(6u6l i Fréquenter comœdis Jcœna distinguilur, ut
voluplales quoque sludiis condiantur. (Plin. lib. m,
ep. U)
(607) Ludus est necessarins ad conversalionem
humante vite. Ad omnia auiem quse sunl ulilia con-
versation'! lmmaïuw deputari possuiU aJiqua officia
licita, et ideo eiiam ofiicium hislrionum, quod or-
dinalur ad solatium hominibus exhibendum, non est
secundum se illicilum, nec sunt in statu peccati,
dummodo moderale ludo ulanlur, id est non ulendo
aliquibus illicilis verbis vel faclis ad ludum , et non
adhibendo ludum negoliis et temporibus indebilis.
(2-2, qusesl. 168, ail. 3, ad finem.)
(608) Inspeclio speciaculorum viliosa redditur in
quantum bo:no Pu pronus ad vitia lascivia? vél cru-
deliiàlis, per ea quae ibi repraesentanlur. (2-2
q. 167, art. 2.)
(609) Aurait-il échappé une vérité à M. Frérot) ?
IL de B*", en parlant des femmes qui vont à nos
dramatiques et les acteurs étaient considé-
rés comme des hommes d'Etat, des philoso-
phes, des censeurs même chargés d'instruire
et de réformer le peuple, en rendant pres-
que toujours leurs drames relatifs ou à la
religion ou au bien de la patrie, ou à l'his-
toire de la nation; et on ne leur laissait
rien avancer qui pût offenser le goût de
l'ordre, l'amour de la vertu, ni l'intérêt des
mœurs publiques et particulières . Les
femmes ne montaient point sur le théâtre.
Or quel contraste n'aperçoit-on pas dans
nos spectacles du côté d*es poètes, qui en
font une école où l'on présente presque tou-
jours les vices colorés en beau et la vertu
rendue ridicule; du côté des acteurs, dont
la^ie scandaleuse n'inspire que la volupté;
du côté des spectateurs qui, pour la plupart
(609), n'aiment à y goûter que des pensées
libertines et qu'un jeu indécent, incitati-
vum ad lasciviam? Est-ce là ce que M. Fré-
ron prétend faire appeler par saint Antonin,
comédie de bonnes mœurs? Je profite, Mon-
sieur, de l'aveu que vous faites, que si les
spectacles, dit dans sa lettre, page 56 : « Combien
en est- il dont on peut dire avec Martial : Elle y est
entrée Pénélope, el elle en est sortie Hélène. » Notre
journaliste soutient que M. de B *' se trompe. // est
pins vrai, dit-il , de dire que la plupart des femmes
qui vont à la comédie, y entrent comme M. de B"
prétend qu'elles en sortent, c'esi-à-dire qu'elles y
entrent déjà toutes corrompues. M. Fréron paraii
êlre moins zélé pour l'honneur du sexe que pour
l'Arlequin de la Comédie-Italienne, dont il voudrait
taire un héros de vertu. L'inimitable Carlin , dit-il,
est bien éloigné, avec raison , de se croire un person-
nage capable de corrompre les mœurs. Cet éloge liii
ôierait le caractère de son rôle, dont l'objet consiste
non à ébranler le spectateur par c»s passions qui
causent la terreur et la pitié, mais à exciter et à
flatter le libertinage dans presque toutes les scènes
bouffonnes el licencieuses dont il est l'àme, et qui
certainement sont d'un ton plus fort que ce qui se
passe dans les bonnes compagnies.
U'29
NOTICE SUR LK THEATRE LliiUE.
U3J
comédiens ne jouaient que des pièces telles
que souhaiteraient les honnêtes gens, leur
salle serait souvent déserte, et qu'avec d'e.i-
ccllentes pièces, les meilleurs comédiens mour-
raient de faim. Or, saint Antonin décide for-
melleraent que si les histrions représentent
quelquefois des pièces honnêtes et quel-
quefois des déshonnêtes, on doit /es aban-
donner et n'assister à aucune do leurs re-
présentations (010). Ces histrions sont pour
lors dans le cas de ceux dont saint Thomas
déclare le gain aussi illicite que celui des
femmes prostituées (011), et- auquel, par
conséquent, il n'est point permis de contri-
buer. Mais n'est-ce poinl parler à un homme
qui dort, que d'entrer avec vous dans ces
discussions, dès que vous vous dites (012)
engagé dans les délires de l'amour et de la
poésie? Cum dormienle loquilur qui enarrat
stu'.to sapientiam. [Eccti., XXII, 9.)
« Je crois encore que vous rêvez quand
vous citez saint Charles Borromée comme
une autorité favorable aux spectacles. C'est
un reproche qu'on a à faire à tous les apo-
logistes du théâtre. Ils ne s'autorisent que
trop souvent d'auteurs graves : mais ils ne
citent jamais, ou, s'ils citent quelquefois, ils
sont toujours intidèles, soit parce qu'ils tron-
quent les passages, soit parce qu'ils les in-
terprètent ma1, soit parce qu'ils ont la mau-
vaise foi de taire ce qui pourrait découvrir
l'esprit des au leurs dont ils font usage. « Les
« personnages, disent-ils, les plus recom-
« mandates ont regardé le théâtre comme
« étroitement lié à l'ordre public. Saint Char-
« les Borromée corrigeait de sa propre main
« des pièces destinées à la déclamation. Ki-
« cheheu s'occupa de réformer la scène ;
'< Fénelon avait les mômes vues : M. Lan-
* guet, archevôquede Sens, dans son discours
« pour la réception de M. de la Chaussée à
« l'Académie française, dit à ce poêle dra-
« matique : Je puis donner, non aux spec-
« TACLES QUE JE NE PLIS APPROUVER, mais à
* des pirces aussi sages que les vôtres, une
« CERTAINE MESURE DE LOUANGES. Le Sacré et
« le profane, le sérieux et le comique, la
« chaire et le théâtre doivent se liguer pour
« rendre le vice odieux: ainsi, disent nos
«< apologistes des spectacles, les saints -les
* politiques et les sages, ont cru que le
« théâtre méritait une attention particulière
« du gouvernement. » Ces autorités ne sont
pas d'une bonne valeur. Le cardinal de Ki-
(610) Cum liislrionus ulunlur indifferenier tali
excrciiaiione ad rcprxseiiiamlum eiiam lurpia, ii!i
cita ars, et cum oporlel dimiiieie, et prccaiiini «M
«ali» aspiccre, et talibus pro illu opère aliquid dure.
(Smm., lit. 8.)
(611) Quaedam vcrodieunlur maie acq.dsita , quia
arquirunttir ex lurpi causa, sicul de mercliicio ci
hislnnualu. (2-2. quaest. 87, ail. 2.)
(tii2k D.iiis une pièce inlilulée : Rêve à mademoi-
seiledà'".
(013) Principes et magislralus commnncndos esse
duviiinis, ni hisiiiones et uiiiiios càeterosqne circu-
lalores el ejus generis perditos hommes é suis li.ii-
bus ejciaui; ei caiiponés et alios quiconque eo> ré-
c»>periul acriier an imad venant..... Omnes heqaitte
tCHlinas e provincia lollendas curent. (Vonc. proc ,
DlCTIOX.W DES MxSTERES.
chelieu tolérait, par des considérations poli-
tiques, ce qu'il devait désapprouver comme
ministre ecclésiastique. Le sentiment de M.
de Fénelon ne doit être regardé que comme
une faiblesse de littérateur. Et celte mesure
de louanges que H. Languet accorda a M. d«
la Chaussée, manifeste l'embarras où il était
de eoncilierle devoir ecclésiastique avec l'é-
tiquette de la cérémoire du moment. 11 me
semble que prétendre lirer avantage de celte
anecdote littéraire pour le théâtre, c'est man-
quer aux égards qu'on doit à la bonne idéo
que l'on avait des mœurs canoniques de ce
prélat.
« Quant à saint Charles Borromée, cet il-
lustre cardinal était bien éloigné d'approu-
ver les spectacles. On peut en juger par ses
ordonnances pastorales qui se trouvent dai s
les actes des conciles de Milan. « Nous
« avons, dit-il, jugé à propos d'exhorter les
« les princes et les magistrats de chasser
« de leurs provinces les comédiens, les far-
« ceurs, les bateleurs et autres gens sem-
« blables de mauvaise vie, etde défendre aux
« hôtelliers et à tous autres, sousdegrièves
« peines, de les recevoir chez eux. » 11 or-
donna aux prédicateurs de reprendre avec
force ceux qui suivent les spectacles, et du
ne pas cesser de représenter aux peu pi < s
combien ils doivent les avoir en horreur (013;
Enfin en 10G2, on lit imprimer à Toulouse
Un livre que saint Charles avait fait compo-
ser pour prouver que les spectacles drama-
tiques sont mauvais à cause des circonstan-
ces qui les accompagnenl et de leurs effets.
Ce vénérable cardinal rappela sur cet objet
les principes de l'Eglise, que les abus avaient
fait oublier; mais il se conduisit avec ht
prudence d'un pontife éclairé,
« On sait que l'Eglise est souvent obligée
de tolérer des abus dont la suppression
pourrait causer de plus grands désordres,
ou qu'elle ne peut détruire sans le concours
de la puissance séculière (014). Et alors les
ministres de la religion ne peuvent que les
déclarer mauvais, en détourner les tidèles
par tous les moyens possibles et proposer
les tempéraments qui peuvent les rendra
moins contagieux. Ce l ce que fit saint Char-
les. Les désordres de son diocèse étaient
extrêmes et la réforme ne pouvait s'en faire
que pa: degrés. -Il obtint du gouvernement
de Milan an ordre qui défendit de représeï -
ter aucune pièce qui n'eût été examinée 1 1
I, part, il.)
Publicorum peccalonim illeccbras quas homme*
depravalap consueiudinis errore dècepti pro nibilo
pulanl, concionuior perpelno reprebendel alquc in
summum odium addueere*conlendet , osiemleiqu»
quaiu graviter Deum offeudaïu... Scenicaî persona-
laqne aciiones, onde ta-nquam qiiodam seminanu
semina malcfacloriim ac flagiiioruui pt*ne omnium
existant, quam a cbrtsliana: disciplina: ollieiis adhu-
re.ites, quam valde cum paganorum titsti tittis con-
vi'iiieules alquc diaboli astu inventa , onini ollicio a
populo chlisliano cxlerminandrc sint, quam maxime.
poieril îeligione conlendet. (Acior., pari, iv, pajj.
483.)
v!3 1 4-) Ecclesia multa loleral quai non probai. (S.
At'c.)
20
U7A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
ir-2
trouvée conforme à la morale chrétienne.
Mais, comme ledit l'historien desa vie, cette
loi parut si sévère aux comédiens qu'ils ai*
nièrent mieux quitter la ville. Et quand il
•H- rail vrai que saint Charles eût corrigé des
pièces destinées à la déclamation, on doitsup*
l>oser que l'examen en était si sévère qu'il
ne pouvoit tendre qu'à la destruction des
spectacles. C'est du moins l'effet qui en
résulterait si l'on don îait des censeurs
aussi scrupuleux à nos théâtres, de même
qu'il n'y aurait plus de spectateurs s'il fal-
lait n'aller aux spectacles qu'aux conditions
que saint François de Sales en permettait
l'usage.
«Il y a des gens qui ont de faux préjugés à
l'égatd de ce saint évoque, ils le supposent
si complaisant qu'ils le feraient presque le
patron des casuistes relâchés; c'. r.ette opi-
uion les porte à taire de saint Charles Borro-
mée le patron des casuistes rigoristes. Néan-
moins ces deux saints ne diffèrent que dans la
ma îièi-e dont ils ont annoncé la doctrine de
l'Eglise, et dans le fond ils sont tous deux
aussi rigides; Saint François de. Sales no
l'esi-il pas assez lorsque pour le choix d'un
confesseur il veut qu'on en choisisse, non un.
entre mille, comme l'avait dit Avila, mais
un entre dix mille? Il permet, dit-on, d'aller
aux biset autres divertissements dange-
reux. Mais comment le permet-il ? C'est en
exigeant des disposilions qu'on ne pourrait
essayer de garder avec tidelilé sans renon-
cer à tous ces plaisirs, il compare ces di-
vertissements aux champignons dont les
meilleurs ne sont pas salubres. « Toutes ces
« assemblées, dit-il, attirent ordinairement
« les vi.es et les péchés qui régnent en
= « une ville, les jalousies, les bouffonneries,
« les railleries, les querelles, les folles a-
« uiours: parce que leur appareil, leur tu-
« multe et la liberté qui y dominent, éciiauf-
« lent l'imagination, agitent les sens et oc-
« eu, eut le cœur au plaisir; si le sev-
« peut vient souiller aux oreilles une pa-
ît rôle sensuelle ou quelque cajolerie , si
« l'on est surpris des regards de quelque
« basilic, les cœurs sont tous disposés à en
« recevoir le venin. Ces ridicules uivertis-
« semenis dissipent et affaiblissent les forces
k de la volonté pour le bien et réveillent en
« l'âme mille sortes de mauvaises disposi-
« lions. C'est pourquoi l'on ne doit jamais
« se les permettre dans la nécessité môme,
« qu'avec de grandes précautions et sans
« avoir ensuite recours à quelques eonsidé-
« rations saintes et fort vives, qui préviennent
« les dangereuses impressions que les plai-
« sirs pourraient faire sur l'esprit; et voici
(615) Œuvres de saint Fruncoh de Suies.
(626) Censeo licenliam theatii aile ire certissJmam
peslem montons clirislianis. EUcxcal nimiriim prava
«Dnsucliiilo animas, et qinepassini fieri viderons e!e-
fâihtere coiianni!- quidam licencia? patroni... Popnlus
iulelligal histrion es non prohari a republica, se<i po-
pali obleclalioni al\jue importants precibus darj;
q;ue, emo non potest qiix meli-na suni ohiinere, so-
. )î'i alnpiaihlo minora inala Loferai"*1, ei populi le.viI.Vli
al).|Uiu confédéré. (Makiana, li'j. ni, De fetfe et ityi»
« celles que je vous conseille. En mon o
« temps que vous étiez à ces divertissements
<* que je suppose avoir été b:en réglés dai.s
« toutes leurs circonstances pour la bonn»
« intention» pour la modestie, pourla dignilé
« et la bienséance, pensez, dis-je, qu'en m£-
« me temps que vous y étiez, plusieurs âmes
« brûlaient dans l'enfer pour des péchés
« commis dans ces divertissements ou par
« leurs mauvaises suites. Plusieurs religieux
« et personnes de piété él aient à la môme
« heure devant Dieu, chantaient ses louanges
« et contemplaient sa divine bonté. ^Plusieurs
« personnes dans ce môme temps sont moi-
« tes dans une grande angoisse; mille et
« milliers d'hommes et de femmes onlsouf-
« fert les douleurs des maladies les plusfio-
« lentes en leurs maisons et dans les liôpi-
x taux : Hélas! ils n'ont eu nul repos et vous
« n'avez eu nulle compassion d'eux : ne
« pensez-vous pas qu'un jour vous géiiiftèi
« comme eux, tandis que les autres seront
« à ces mômes divertissements. Nolre-S -i-
« gnour, la sainte Vierge, les anges et les
« saints vous voyaient à cesdivertissemeuts.
« Ah ! que vous leur avez déplu en cet état l
« Enfin tandis que vous éliez là, le temps
« s'est écoulé, la mort s'est approchée. Çon-
« sidérez qu'elle vous appelle à ce pas-
« sage atfreus du temps a l'éternité, niais h
« l'éternité des biens ou des peines. Voilà
« les considérations que je vous suggère;
« mais Dieu vous en fera naître d'nutn s
« plus fortes si vous avez sa crainte (615). »
« Croyez-vous, Monsieur, que ce soi'i Ri
permettre Ci'S divertissements? N'est-il pas
évident que ce saint évoque cache sou zôfe
sous une indulgence apparente, qui en mô-
me temps inspire le plus grand mépris du
monde corrompu el l'aversion la plus héroï-
que de ses maximes et de ses théâtres ? Con-
sequentia isla adeo lucuîenta ut nullti valcat
lergiversalione eludi?
« Quelle vrais uiblancey a-l il a attribuer
à des personnages dont la sainteté esi si
bien établie, des opinions que les Pères Cus-
man el Mariana (G16) déclarent n'avoir ja-
mais été soutenues que par ceux qui appel-
lent bon ce qui est mauvais et mauvais
ce qui est bon? Et quand môme on trouve-
rait dans des siècles d'ignorance quelques
auteurs respectables aqui l'on pourrait repro-
cher d'avoireutropde complaisance pour cer-
tains abus, leurautorité ne ferait point loi, et,
par conséquent, l'exempledes ecclésiastiques
qu'on dit rencontrer aux spectacles, ne d.oii
pas en imposer (617). C'est un scandale humi-
liant pour les Etals catholiques, puisque les
protestants se piquent à cet égard d'une plus
instituiione, cap. De spectacidis.)
(617) Atcum lliealra fréquentant, non probi, sel
suaiprofessionis violalores oinninosunl. Non ad vu gi
opinionein sed ad regtilam mares snos coiifor» are
débet»! An ne facimn quodpiam a lege severnma
vetilUin ideirco de criinine purgare deb'inus qr.oJ
boulines non uiideqiioque scelesii illiul perpetuuu.
(Francis. Daniel. Co.ncina. ordin. prajdicaior. Col en.
dissert, de speclac.)
1!33
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
t'.Zl
grande régularité. Si, dit un auteur luthérien
cité dans un ouvrage du P. Concilia, quel-
ques princes évangéliques tolèrent dans leurs
coursées sortes de divertissements* ou ne
pourra pas du moins reprocher à nos mi-
nistres de se les permettre, ils savent trop
ce que la sainteté de leur caractère exige et
quelle i fluenee leur conduite a sur les laï-
ques. Quodsi tamen in aulis evangelicorum
principum lucc gandin admittuntur, haud fa-
cile clericis el verbi Dri ministris jure dedecus
hoc poterit objici. Oplime enim inlelligunt.
qnid décent veneranda/n hune ordinem, quan-
lumque suo exempio proficial vcl noceul (G 18).
Au leste, suivant l'observation du P. Con-
cilia, que les hérétiques ne se prévalent pas
dm mauvaises mœurs de ceux qui ne pro-
fessent que de bouche notre religion. La
sainteté de notre uocli ineel la puretéde notre
morale n'en sont pas moins inaltérables. C'est
de Dieu et non des hommes (pie l'Eglise a
reçu ses lois : ainsi elle ne dépend point des
exemples (6I9J. Rien n'est plus satisfaisant
(pie les réponses laconiques et énergiques que
M. liossuetet uii évéquo de Noyon liront à ce
sujet à Louis XIV. M. de B***, a fait usage
de ces anecdotes (620) pour réfuter ce que
vous révélez d'après AI. de Voltaire au sujet
du banc que les évoques avaient à Versailles
sous Louis XIV dans la salle de la comédie.
Ce prétendu banc dont M. Fréron s'autorise
aussi, ne subsiste plus; c'était donc un
abus qui c'aurait pas été loiérablc, nonob-
stant la différence qu'on prétend mettre
fe'\lre les spectacles de la ville et ceux de la
cour.
« Je conviens que ceux-ci ne sont que des
représentations tlomes tiq nés qu'on regarde
comme d'étiquette. La présence de la ma-
jesté du monarque doit y tenir en respect
lousjesspeciateurscl attirer tous les regards.
Mais quoiqu'il en soit, les acteurs, pour sep-
tir à ces amusements de cour, ne peuvent
en rien conclure en faveur de leur profes-
sion envers le public. Elle n'en parait pas
moins odieuse aux permîmes vertueuses île
la cour. M. l'abbé Clément [621) nous a con-
servé à cet égard un illustre témoignage. Cet
orateur dont l'éloquence a toujouis éié con-
sacrée au saint ministère, rapporte dans un
de ses ouvrages (622) un trait qui caractéri-
sera à la postérité la vertu de madame An-
ne-Henriette de Fiance, morte à Versailles
le 10 lévrier 1752 : « Celle excellente prin-
« cesse disait un joirà une personne qu'elle
« honorait de auelque confiance, qu'elle ne
(018) Celle citation se trouve dans une dissertation
du F. Concina, De&peclac.
.019) LHiiiani sahcni vel ab ipsa nalura insilus dc-
fendendi prnprix religiouis décorent inslincius se-
vocarel calboliros clericos ah iis inanissimis falmlis
el (ornipit lis quas vel ipsi iiaereiici lampiam clerieali
sialui iniesius deleslaulur. li omues, q'tiibûs vera
calholica relig'mcc-rdi est, batld possunl non suinino-
pere conunoveri el lubore perfnidi el iiMBSfîtia arigt
dum lalia in hanclicis legmil. Quoniam bine disenut
lùlforiius liaereiîcoruiu couverskHiein remoran qttam
eaiiiolicorii'ii cl maxime clerieontm pessiums urores
isioiuii) y i lia in errure oLîirinaiit bouiiues a vera do-
« concevait pas comment on pouvait goûter
« quelque plaisir aux représentations du
« théâtre» (pie pour elle c'était un vrai sup-
« plice. La personne à qui elle parlait ainsi,
« ne put s'empêcher d'en marquer de l'élou-
« nemeiit et prit la liberté de lui en de-
« manier la raison. — Je vous avoue, ré-
« pondit la princesse, que quelque gaie que
« je sois en allant à la comédie, sitôt que je
« vois les premiers acteurs paraître sur la
« scène, je tombe tout à coup dans la plus
« profonde tristesse : Voilà, me dis-je à moi-
« même, des hommes qui se damnent de pro-
« pos délibéré pour me divertir. Celte ré~
« flexion m'occupe et m'absorbe tout entière
« pendant le spectacle. Quel plaisir pourrais-
« je y goûter? »
« Celle princesse n'ignorait pas Ions les
grands et frêles raisonnements des apolo-
gistes du théâtre; mais elle savait que toutes
leurs vaines prétentions étant approfondies,
paraissent puériles cl dépourvues de sens. «Les
« sopliismcs, comme le dit M. Gressel, les
« noms sacrés et vénérables dont on abuse
« pour justifier la composition des ouvrages
« dramatiques et le danger des spectacles;
« les textes prétendus favorables, les anec-
« dotes fabriquées, lout cela n'est que du
« bruit et un bruit bien faible pour ceux
« qui ne refusent point d'écouter les récla-
« mations de la religion et qui reconnaissent
« que lorsqu'on est réduit à disputer avec
« la conscience, on a toujours tort.
« Tous les suffrages de l'opinion, de la
« bienséance et de la vertu purement hu-
« maine fussent-ils réunis en faveur de nos
« théâtres publics, on aura toujours à leur
« opposer la loi de Dieu qui les défend.»
On ne pourra jamais acquérir de prescrip-
tion contre celte; loi. Los partisans de spéc-
ial les manqueront toujours de la condition
la plus essentielle, c'est-à-dire de la posses-
sion de la bonne foi. Comment en effet
pourraient-ils l'avoir ? La raison, indépen-
damment de la perfection qu'exige le ebris-
tianiMne, a-t-elie jamais cessé de protester
contre cette sorte d'amusement, dont l'effet
est de nuire aux mœurs en donnant sur plu-
sieurs crimes des idées opposées à celles que
donnent la raison et la religion ? « il est par
« exemple, dit l'abbé Desfontaincs, défendu
« sur le théâtre n'ensanglanter la scène mê-
« me en le faisant suivant les règles de la
« justice et de l'honneur et il est permis
« néanmoins de s'ôler la vie à soi-même, co
« qui hors du théâtre ferait horreur. La rai-
vios religions, enjus lamen verilali niliil m'ali eveniru
poicsl ex malilia eorum qui illam piofuerrtur
Sciants alitinde religiouis veriialem (piain ab eorum
qui i 1 l.i i il prolilenlur motions iiauriendaui esse.
Accessits ad llicnira omnibus lirctimslaniiis inspe-
ctes resesl simple nalura periculoruni pleua omnium •
que laxiialuui el dissolulioniim occasio vcl ipsis sa-
ciil.nibus lioniïnibtis. (Conci.n. ibid.)
(Ii20) Voyez la première Lettre.
(G2I) Prédicateur .-lu roi
(U2"2) Maximes four se. conduire ckri lennemcr.^
duns le monde i édition de 174.5,
f!53
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
t 133
son nous (lit que c'est une vraie faiblesse
de ne pouvoir survivre a son malheur, et
qu'il est bien plus noble de braver la tfor-
lune et de ne jamais s'abandonner lors-
qu'elle nous abandonne. D'ailleurs notre
religion nous représente cette action de
désespoir comme le plus grand et le plus
funeste des péchés qu'un chrétien puisse
commettre: comment oublie-t-on ainsi la
morale et la ridisyinnan IhiVflfre?
re
igion au théâtre? De même
que la lecture des romans rend l'esprit ro-
manesque, l'assiduité au théâtre rend
aussi l'âme tragique. Parmi les spectateurs
il se peut trouver un malheureux réduit
au désespoir, ou qui sera au premier jour
dans cette affreuse situation ; l'exemple de
tant de héros qu'il a vus se délivrer de la
vie, se retracera dans son imagination et
le portera peut-être à cette fatale extré-
mité. Enfin nos lois ont attaché des pei-
nes infamantes à une action que nous
osons regarder comme très-belle et très-
glorieuse sur le théâtre (623). »
« L'abbé Desfontaines savait assez res-
pecter la religion pour ne pas comparer,
comme l'a fait indécemment M. Fréron(§24),
la parole de Dieu avec la parole empoison-
née du théâtre, ni pour juger des effets d*
l'une par ceux de l'autre. L'émotion causée
par un bon sermon ne s'opère que par l'es-
prit divin dont le prédicateur est l'organe,
quelle que soit la durée de cette émotion ;
au lieu que rien n'est plus naturel que les
impressions des représentations d'ama tiques,
elles sont même inévitables, mais pour le
mal. Kl si le drame contient quelques bon-
nes pensées morales , c'est d'elles quel
M. Fréion devait dire que leurs impressions
ne laissent pas plus de- traces dans l'âme qu'un
vaisseau en fendant (a mer, parce quelles
sont déplacées sur des théâtres où il n'y a
de victoires assurées que pour le vice. Ses
attraits y sont toujours efficaces parce qu'en
général lecœurdef hommeeslfort combustible
par sa nature et tout disposé à s'enflammer
à la moindre éi incelle des [tassions dont il pos-
sède tous les germes. N'en déplaise à M. Fré-
ron, il me paraît qu'il n'a pas aussi bien étu-
dié l'homme que Va fait La Bruyère.
Ce journaliste ne se montre pas meilleur
connaisseur en ouvrages de casuistes. Il
nous donne pour un écrit judicieux et rai-
sonnable, fait par un habile casuiste et un ce-
ec
vouée, produclion indiscrète d'un jeune
hommequi n'avait presqueaucune iué.'de nos
spectacles, qui n'avait pas seulement lu Moliè-
re, quis'était laissé séduire par de faux expo
ses, qui confondait les usages d'un tempsavei
ceux d'un autre, qui ignorait enfin l'esprit
des auteurs dont il avait fait usage pour
s'autoriser dans son illusion? Voilà les ca-
suistes dont on veut se prévaloir quand on
s'oublie, comme M. Fréron, jusqu'à traiter
de divines et de justes idoles du public (626) r
des créatures dont la profession est incom-
patible avec les bonnes mœurs. S'il en était
de la question des spectacles, comme de ces
points de doctrine sur lesquels on voit les
théologiens disputer ouvertement pour ou
contre et chaque parti s'applaudir d'un
triomphe indécis, le P. Calfaro se serait-il
cru obligé de donner la rétractation la plus
authentique de la Lettre dont M. Fréron os»
s'autoriser? Mais est-il facile de détromper
des gens qui, à force de s'être figuré que ce
qui tlalle leur goût pour la v.dupté est per-
mis, s'en font une espèce de convielion ?
L'on sait que l'ignorance de l'esprit de l'hom-
me, comme le dit un grand génie de l'auli-
quilé, n'est jamais plus présomptueuse, ni
ne prétend jamais mieux philosopher ni rai-
sonner que quand on veut lui interdire l'u-
sage de quelque divertissement onde quel-
que plaisir dont elle est en possession (627).
« On voit quelquefois la vérité recevoir
des hommages de ceux même qui n'en soi.t
pas les fidèles disciples. On en a un exemple
dans la Lettre que M. Jean-Jacques Rous-
seau de Genève a adressée à M. d Alemberl
pour réfuter les ridicules reproches que les
auteurs encyclopédistes avaient faits à la ré-
publique de Genève, sur ce qu'elle n'a pas
de théâtres publies. Je conviens que le ca-
ractère de cet auteur est de paraître plein
du langage philosophique sans être vérita-
blement philosophe, qu'il est livré aux pa-
radoxes d'opinions et de conduite; qu'en
même temps qu'il peint la beaulô des ve. tus
il l'éteint dans l'âme de ses lecteurs. C'est ce
dernier effet que sa Lettre à M. d'AIcmb. rt
paraît avoir produit sur vous, Monsieur,
puisque vous rejetez tout ce qu'elle contient
du vrai à l'égard de l'état de comédien, de
la morale qui se débite sur le théâtre et de
ses funestes impressions sur les spectateurs.
Mais quoique cet écrivain insinue dans cet
lèbrc directeur de conscience, ta Lettre que le ouvrage le poison de la volupté en paraissant
P. Cafïaro fît pour prouver qu'il était permis Je proscrire ; quoiqu'il y soit dangereux soi
non-seulement de composer des pièces de théâ- quelques points très-importants de doctrine
tre, mais de tes jouer et d'y assister. Ce jour-
naliste en aurait sans doute porté un autre
jugement, s'il avait eu connaissance de la
rétractation. (625). 11 est vrai que l'écrit qu'il
donne pour uueauioriîôreeevable, est fort peu
imposant parlui-même; mais combien de gens
qui, faute de raison elde lumières, s'aulorbe t
u'après notre journaliste de cette Lettreàésa-
(6Î1») Esprit de l'abbé Desfontaines, t. II, p. «59.
(oii) Dansta 30« cahier cie l'Année tiltérn tre 17*>8.
^îi;jj Nous l'avons reproduite (tins liaul.
(tizti) Année littéraire, 57' cahier de t7;*iS.
Ifciïi i Miiiwu qu ppe qtiaiu sapiens aigumeuluir x
et de morale, néanmoins les vérités qui Jut
sont échappées n'en sont pas moins respec-
tables, elles doivent être recueillies comme
de l'or que les honnêtes gens onl droit de
réclamer. On sait combien est pernicieux le
plan d'éducation que ce même auteur a
donné sous le titre d'Emile (628). Loin de
s'accorder avec le christianisme, il n'est pas
sibi videiur ignoranlia huinana, cuiu aliquid de Im-
insmodi gaudiis ac IVuclinus verelur admiltere (Ter-
TUL1.1EÎ*).
(028) Condamné par t* arrêt <!u parlement de Paris,
du 9 juin 170-2, par te uutuJeiueul de M. de beau-
1137
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
1138
t?ï-?mc propre à former des citoyens et des
bommes; cependant faut-il rejeter cet hom-
mage admirable qui y est rendu à l'authen-
ticité de l'Evangile. « J'avoue, dit-il, que la
a majesté de l'Ecriture m'étonne; la sain-
t tetéde l'Evangile parle à mon cœur. Voyez
« les livres des philosophes avec toute leur
« pompe; qu'ils sont petits près celui-là!
« Se peut-il qu'un livre à la fois si sublime
« et si simple soit l'ouvrage des hommes?
« Se peut-il que celui dont il fait l'histoire
« ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce
« là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambi-
« tieux sectaire? Quelle douceur, quelle pu-
« relé dans ses mœurs ! Quelle grûce tou-
« ch.mle dans ses instructions! Quelle élé-
« vation dans ses maximes! Quelle profonde
« sagesse dans ses discours ! Quelle présence
« d'esprit, quelle finesse et quelle justesse
« dans ses réponses ! Quel empire sur ses pas-
« sionsl Ouest l'homme, oùestle sage qui sait
« agir, souffrir et mourir sans faiblesse et
« sans ostentation? Oui, si la vie et la mort
« de Sociale sont d'un sage, la vie et la
« mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons-
« nous que l'histoire de l'Evangile est in-
v< ventée à plaisir?... Ce n'est pas ainsi qu'on
« invente; et les faits de Socrate, dont per-
« son ne ne doute, sont moins attestés que ceux
« de Jésus-Christ Il serait plus inconce-
« vable que plusieurs hommes d'accord
« eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est
« qu'un seul en ail fourni le sujet. Jamais
« les auteurs juifs n'eussent trouvé ce ton
« ni celle morale. Et l'Evangile a des carac-
<' léressi grands, si frappants, si parfaite-
« ment inimitables, que l'inventeur en se-
« rait plus étonnant que le héros. » Ce té-
moignage, Monsieur, doit certainement faire
autorité, quoique l'auteur ait refusé de se
.'O'imetlre à la doctrine de ce saint Evangile
et qu'après en avoir bien établi les augustes
caractères, il en rejette la révélation divine et
se dit ami de toute religion où l'on sert l'Eslrt
étrmel, selon la raison quil nous a donnée.
Tels sont ces beaux esprits du temps. Us se
piquent de raisonner en philosophes et vi-
vent en insensés. Ils sont souvent en con-
tradiction avec eux-mêmes; et ils n'ont que
quelques moments lucides où ils parlent le
langage de la vérité; mais ce n'est que de
la plénitude de l'esprit ou de l'imagination,
et non de l'abondance du cœur, C'est dans
de pareils moments que M. J.-J. Rousseau
a dit avoir reconnu, qu'on ne pouvait être
vertueux sans religion et qu'il a porté un
aussi bon jugement sur les théâtres pu-
ulics.
'< Il parle d'après sa propre expérience et
eu observateur sensé des influences des
spectacles sur les mœurs. Ainsi vous ne
pouvez point dire qu'il esl l'écho do ce qu'on
appelle indécemment déclamations de pré-
dis.
« Il ne pense pas comme ces modernes
Arisdpes dont vous paraissez avoir adopté
l'école, que des spectacles et des mœurs
puissent jamais être choses compatibles. 1*
nie que les représentations théâtrales soient
nécessaires pour former le goût des citoyens
et leur donner une finesse de tact et une déli-
catesse de sentiment (629), ou qu'elles puis-
sent jamais être utiles aux mœurs quand
même Ton y verrait toujours le vice puni et
la vertu récompensée, Et afin qu'on ne me
soupçonne pas d'exagérer, je vais le faire
parler lui-même. Ouvrez donc vos oreilles.
Erigant aures oblusas qui compressis labiis
mussitant nostram senlentiarii non esse
certam.
, « Demander si les spectacles sont bons ou
« mauvais, il suffit pour décider la question.
« de savoir que leur objet principal a ton»
« jours été d'amuser le peuple, Voilà d'où.
« naît la diversité des spectacles, selon les
« goûts des diverses nations. Un peuple in-
« trépide, grave et cruel, veut des fêtes meur-
« trières et périlleuses, où brillent la valeur
« et lesang-froid. Un peuple féroce et bouil-
« lant veut du sang, des combats, des passions
« atroces. Un peuple voluptueux veut de la
« musique et des danses. Un peuple galant
« veut de l'amour et de la politesse. Un peu-
« pic badin veut de la plaisanterie et du ri-
« dicule. Trahit sua quemquevoluptas. Il faut,
« pour leur plaire, des spectacles, non qui
« modèrent leurs penehanîs, mais qui K*
« favorisent et les fortifient... Il n'y a que
« la raison qui ne soit bonne à rien sur la
« scène.
« Une bonne conscience éteint le goût des
« plaisirs frivoles ; c'est le mécontentement
o de soi-même, c'est le poids de l'oisiveté,
« c'est l'oubli des goûts simples et naturels
« qui établissent la prétendue nécessité des
« spectacles... Attacher incessamment son
« cœursur la scène, c'est annoncer qu'il était
« mai à son aise au dedans de nous. L'on
« croit s'assembler au spectacle et c'est là
« qu'on s'isole ; c'est là qu'on va oublier se.»
« amis, ses voisins, ses proches, pours'inté-
« resserà des fables, pour pleurer les raal-
« heursdes morts, ou rire aux dépens des
« vivants, de manière qu'on pourrait dire de
« ceux qui les fréquentent : N'ont<ls dont
« ni femmes, ni enfants, ni amis, comme ré-
« pondit un barbare à qui l'on vantait les
« jeux publics de Rome ?...Le théâtre purgo
* les passions qu'on n'a pas, et fomente cel-
« les qu'on a... J'entends dire que la tragédie
« mène à la pilié par la terreur; soit, mais
« quelle esl cette pitié? Une émotion passu-
« gère ei vaine, qui ne dure pas plus que l'illu-
« sion qui l'a produite ;un reste de sentiment
« naturel, étouffé bientôt par les passions,
c une pilié stérile qui se repaît de quelques
'< larmes, et n'a jamais produit le nioindie
«acte d'humanité... On s'attendrit plus vo-
« lonlier* à des maux feints qu'à des maux
« véritables. Les imitations du théâtre n'exi-
« gent que des pleurs, au lieu que les objets
« imites exigeraient de nous des soins, du
nimil, archevêque de P;iris fin 20 aoiH 1762. r>l par même rmnc>.
t.» («'ii-tno do I.» Faculté de l néologie <lo Paris «)<■ la ('••^'•,) Kvjwt
•vous df* nti!f>urB encyrlnpc !i«'<:s.
UÔ9 DICTIONNAIRE
o soulagement, des consolations dont on veut
« s'exempter.
« La vertu dans la tragédie ne paraît que
« comme un jeu de théâtre bon à amuser le
« public; mais qu'il y aurait de la folie à
« vouloir transporter sérieusement dans la
« société... On me dira que dans les bonnes
* pièces dramatiques, le crime est toujours
« puni, et la vertu toujours récompensée.
«Je réponds que quand cela serait, la plu-
« part des actions tragiques n'étant que de
« pures fables, des événements qu'on sait
« être de l'invention du poêle, ne font pas
« une grande impression sur les spectateurs...
« Je réponds encore que ces punitions, et
« ces récompenses s'opèrent toujours par des
« moyens si extraordinaires qu'on n'attend
« rien de pareil dans le cours nature! des cha-
ises humaines. Enlin je réponds en niant le
« fait : Il n'est, ni ne peut être générale-
« ment vrai; car cet objet n'étant pas celui
« sur lequel les auteurs dirigent leurs pièces,
« ils doivent rarement l'attendre; et souvent
« il serait un obstacle au succès. Vice ou
« vertu, qu'importe pourvu qu'on en impose
« par un air de grandeur. Aussi la scène
« française n'est-elle pas moins le triomphe
« des grands scélérats, que des plus illus-
•* très héros, témoins, Catilina, Mahomet,
« Atrée, etc.
« Quel jugement porierons-nous d'une tra-
« gédie, où, quoique les criminels soient pu-
« nis, ils nous sont présentés sous un aspect
« si favorable, que tout l'intérêt est pour
«eux? où €alon, le plus grand des Romains,
« fait le rôle d'un pédant; où Cicéron, le
« sauveur de la république, est monirécoiume
« un vil rhéteur, un lâche, tandis que l'infâme
« Calilina, couvert de crimes qu'on n'ose
« nommer, fait leroled'un grand homme, et
« réunit par ses talents, sa fermeté et soncou-
« rage, toute l'estime des spectateurs A
« quoi donc aboutit la morale d'une pareille
« pièce, si ce n'est à encourager des Caiili-
« na, et à donner aux méchants habiles le
« prix de l'estime publique due aux gens de
« bien? Mais tel est le goût qu'il faut flatter
« sur la scène. Le savoir, l'esprit, le courage
«ont seuls notre admiration, et toi, douce et
« modeste vertu, tu reste toujours sans bon*
« neur 1
« Atrée et Mahomet n'ont pas même la fai-
« ble ressource du dénouement. Le monstre
« qui sert de héros, dans chacune de ces deux
« pièces, achève paisiblement ses forfaits,
« en jouit, et l'un des deux ledit en pro-
« pies termes au dernier vers de la tragé*
« die :
El je jouis enfin du prix de mes forfaits.
« Mahomet, aux yeux des spectateurs, di-
« minue par sa grandeurd'âme l'atrocité de
a ses crimes. Celle pièce peut faire plus de
« Mahomels que de Zopires.
« L'art du théâtre ne consiste plus qu'à
« donner une nouvelle énergie et un nou-
« veau coloris à la passion de l'amour. On
« ne voit plus réussir que des romans sous
« le nom de pièces dramatiques. Et comme
DES MYSTERES..
H 40
« l'amour est le règne des femmes, un effet
« naturel de ces pièces est d'étendre l'empire
« du sexe, et de donnerdes femmes pour les
« précepteurs du public. De là les jeunes
« gens que les parents ont l'indiscrétion
« d'envoyer à celle mauvaise école, remar-
« quenl que le seul moyen de se former
« dans le monde, est de chercher une maî-
« tresse, c'est-à-dire, une femme sans hon-
« neur.
« L'amour qu'on expose au théâtre y est,
« dit-on, rendu légitime. Son but est liran-
« nèle ; souvent il est sacrifié an devoir et à la
« vertu, et dès qu'il est coupable, il est puni.
« Fort bien ; mais n'est-il pas plaisant qu'on
« prétende ainsi régler après coup les mou-
« vemenls du cœur sur les préceptes de la
« raison, et qu'il faille altendre les événe-
« ments pour savoir quelle impression l'on
« doit recevoir des situations qui les amè->
« nent, Quand le théâtre n'inspirerait pas
« des passions criminelles, il dispose au
« moins l'àme à des sentiments qu'on salis-
« fait ensuite aux dépens de la vertu.
« Si dans la comédie on donne un appa-
« reil plus simple à la scène ; et si l'on rap-
« proche le ton du théâtre de celui du monde,
« on ne corrige point peur cela les mœurs.
«On les peint, et un laid visage ne paraît
« point laid à celui qui le porte. Que si l'on
« veut les cortigerpar leur charge, on quitte
« la vraisemblance delà naîure, et le tableau
« ne fait (dus d'effet. La charge ne rend pas
« les objets haïssables, elle ne les rend que
« ridicules. Comœdia détériores, tragœdia
« meliores quamnunc sunt imitari conantur,
« nousdit Àristotte. Ne voilà-!-il pas une imi-
« talion bien entendue, qui se propose pour
« objet ce qui n'est point, et laisse entre le
« défaut et l'excès, ce qui est comme une
« chose inutile ?
« Rien n'est plus ordinaire que de vo^r sur
« le théâtre la malice triompher de la sim-
« plicilé; ce qui, pour n'être que trop vrai
« dans le monde, n'en vaut pas mieux à
« mettre sur la scène avec une espèce d'ap-
« prob.ition, comme pour exciter lesamisper*
« tides à punir sous le nom de sotlise, la can-
« deur des honnêtes gens. Dut veniam cor-
« vis, vexât censura columbas. Les poètes
« dramatiques sontdes gens qui, tout au plus
« raillent quelquefois les vices, sans jamais
« faire aimer la vertu ; ils sont de ces gens,
« disait un auteur, qui savent bien moucher
«la lampe, mais qui n'y mettent jamais
« d'huile.
« La tragédie, telle qu'elle exisle, est si
« loin de nous, nous représente des ôlies si
« gigantesques, si boursouflés, si chiméri-
« ques, que l'exemple de leurs vices pour-
ce rail être moins contagieux. Mais il n'en
<» est pas ainsi delà comédie, dont les mœurs
« ont avec les nôtres un rapport plusimmé-
« diai, et dont les personnages ressemblent
« mieux à des hommes. Tout en est mau-
« vais, pernicieux, tout tire à conséquence
« pour les spectateurs; et le plaisir même
« du comique élaut fondé sur un vice du
« cœur humain, c'est une suite de ce priu-
1141
NOTICE SUU LE THEATP.E LIBRE.
1141
« ripe, que pitts a comédie est agréable et
« parfaite, plus son effet est funeste aux
« mœurs,
« Qn'ap;)reud-t-on dans Phèdre et dans
« OEdipc, sinon que l'homme n'est pas libre,
«et que le ciel punit des crimes qu'il lui
x fut commettre ? Qu'apprend-l-on dans
* Médée, si ce n'est jusqu'où la fureur de la
c jalousie peut rendre une mère cruelle et
s dénaturée? Suivez la plupart des pièces du
« Théâtre-Français, vous trouverez presque
« dans toutes des monstres abominables et
o des actions alroces, utiles , si l'on veut, à
* donner de l'intérêt aux pièces, mais dan-
« gereuses certainement en ce qu'elles
« accoutument les .yeux du peuple à des
« horreurs qu'il ne déviait pas môme con-
« naître, et à des forfaits qu'il ne devrait
« pas supposer possibles. Il n'est pas même
« vrai que le meurtre et le parricidey soient
* toujours odieux. A la faveur de je ne sais
« quelles commodes suppositions , on les
« rend permis ou pardonnables. On a peine
« à ne pas excuser Phèdre incestueuse, et
« versant le sang innocent. Syphax empoi-
* sonnant sa femme, le jeune Horace poi-
t gnardanl sa sœur, Agameinnon immolant
« sa fille, Oresle égorgeant sa mère, ne lais-
« sent pas d'être des personnages iniéres-
* .sauts L'un tuo son père, épouse sa
•< mè;e, et se trouve le frère de ses enfants;
« un autre force son fils d'égorger son père,
u un. troisième fait boire à son père le sang
i de son lils. On frissonne à la seule idée
a des horreurs dont on pare la scène fran-
« çnise Je le soutiens, et j'en atteste
« l'effroi des lecteurs, les massacres des gla-
« dialeurs n'étaient pas si barbares que ces
« affreux, spectacles. On voyait couler du
« sang, il est vrai ; mais on ne souillait pas
« son imagination de crimes qui font frémir
« la nature.
x Quel est l'esprit général de Molière, des
« alents duquel je suis plus l'admirateur
o que personne? Il tourne en dérision les
« respectables droits des pères sur leurs en-
« fjnts, des maris sur leurs femmes, des
« maîtres sur leurs serviteurs. Il fait rire,
« il est vrai, et n'en devient que plus eou-
« pabJe en forçant, par un charme invinci-
<« ble, les sages mêmes de se prêter à des
« railleries qui devraient attirer leur indi-
« gnatioi. J'entends dire qu'il attaque les
■ vices; mais je voudrais bien-que T'on com-
« parât ceux qu'il .iliaque avec ceux qu'il
« favorise. Quel est le plus blâmable d'un
« bourgeois sa^sespritet vain, qui fait sotle-
« ment le gentilhomme, ou du gentilhomme
« fripon qui le dupe? Dans la pièce dont
« je parle, ce dernier n'esl-il pas l'honnête
« homme ?N'a-t-il pas pour lui l'intérêt , et
« le public n'applaudit-il pas à tous les louis
« qu'il fait à l'autre? Quel est le plus cri mi-
« nel, d'un paysan assez û»u pour épouser
(-■ une demoiselle, ou d'une femme qui cher-
« che à déshonorer son époux ? Que penser
« d'une pièce où le parterre applaudit à l'in-
* fidélité, au mensonge, à l'impudence de
* r elfe-ci, et rit de la bêlisedu naana: t puni?
« C'est un grand vice d'être avare et de prê-
« ter à usure ; mais n'an est-ce pas un plus
« grand encore a un fils de voler son père,
«de lui manquer de respect, de lui fairo
« mille insultants reproches; et quand ce
« père irrité lui donne) sa malédiction , de
« répondre d'un air goguenard, qu'il n'a que
o faire de ses dons? Si la plaisanterie est
« excellente, en est elle moins punissable?
« et la pièce où l'on fait aimer le fils inso-
« lent qui l'a faile, en est-elle moins une
<t école de mauvaises mœurs? Le Misait-
« thrope est la pièce où l'on joue le plus le ri-
« diciile de la vertu. Alcestedans celte pièce
« est un homme droit, sincère, estimable,
« un véritable homme de bien ; l'auteur lui
« donne un personnage ridicule : cependant
« c'est la pièce qui contient la meilleure et
« la plus saine morale. Sur cclle-la jugeons
a des autres, et convenons que l'intention
a de l'auteur étant déplaire à des esprits
« corrompus, ou sa morale porte an mal, ou
a le faux bien qu'elle prêche est plusdan-
« gereux que le mal même, en ce qu'il fait
« préférer l'usage et les maximes du monde
« à l'exacte probité ; en ce qu'il fait consis-
« 1er la sagesse dans un certain milieu entre
« le vice et la vertu; en ce qu'au grand sou-
« lagement des spectateurs, il leur persuade
« que pour être honnête homme, il suffit
« de n'être pas un franc scélérat.
« J'aurais trop d'avantage si je voulais
« passer de l'examen de Molière à celui
« de ses successeurs, qui n'ayant ni son gé»
« nie, ni sa probité, n'en ont que mieux
« suivi ses vues intéressées, en s'attachent
« à flatter une jeunesse débauchée et des
« femmes sans mœurs Regnard plus mo-
« deste, n'en est pas moins dangereux. C'est
« une chose incroyable qu'avec l'agrément
« de la police, on joue publiquement au mi-
« lieu de de Paris une comédie, où dans l'ap-
te parlement d'un oncle qu'on vient de voir
« expirer, son neveu, l'honnête homme de
« la pièce, s'occupe, avec son digne cortège,
« de soins que les lois paient de la corde,
« faux acte, supposition, vol, fourberie,
« mensonge , inhumanité, tout y est, et tout
« y est applaudi Belle instruction pour
« des jeunes gens, nesciiaurœ faliacis, qu'on
« envoie à cette école où les hommes faits
« ont bien de la peine à se défendre de la
« sé'duclion du vicel
« Tous nos penchants y sont favorisés, et
« ceux qui nous, dominent y reçoivent un
« nouvel ascendant. Les continuelles émo-
« lions qu'on y ressent nous enivrent, nous
« affaiblissent, nous rendent plus incapables
« de résister à nos passions, détruisent l'a-
« mour du travail, découragent l'industrie,
« inspirent le goût de subsister sans rien
« faire. On y apprend à ne couvrir quod'un
« vernis de procédé la laideur du vice, à
« tourner la sagesse en ridicule , a substi-
« tuer un jargon de théâtre à la pratique des
« vertus, à mettre toule la morale en méta-
« physique, à travestir les citoyens en beaux
«esprits, les mères de famille <n petites
JU3
DICTIONNAIRE DF.S MYSTERES.
nu
« maîtresses, les liMes en amoureuses de co-
■ médies.
« Enfin, quelle idée peut-on seformerdes
« spectacles, si Ton en juge parle caractère
« des personnes qu'on s'y propose princi-
« paiement d'y amuser, et qui abondent dans
« les grandes villes? Ce sont des gens intri-
« gants, désœuvrés, sans religion, sansprin-
«« cipes , dont l'imagination , dépravée par
« l'oisiveté, la fainéantise et l'amour du plai-
« sir, n'engendre que des monstres, et n'ins-
« pire que des forfaits. Ce sont des personnes
« qu'il faut empêcher de mal faire r d'où l'on
<« conclut que deux heures par jour dérobées
« à l'activité du vice, sauvent la douzième
« partie des crimes qui se commettraient. Et
« tout ce que les spectacles vus ou à voir
« causent d'entretiens dans les cafés et au-
« très refuges de fainéants et de libertins, est
« encore autant de gagné pour les pères de
« famille, soit sur l'honneur de leurs filles
« ou de leurs femmes, soit sur leur bourse
« ou sur celle de leurs fils. Or, sied-t-il bien
« à des personnes veidueuses d'aller se con-
« fondre avec ces gens oisifs et corrompus,
* à qui il n'est pas bon de laisser le choix
" de leurs amusements, dé peur qu'ils ne
« les imaginent conformes à leurs inclina-
« lions vicieuses, et ne deviennent aussi
« malfaisants dans leurs plaisirs que dans
« leurs affaires?»
a Quel cri contre les spectacles, a dit un
auteur (630) ! Ce çri est parti d'un homme
fuit connaisseur dans le genre dramatique,
grand admirateur de Racine, de Molière Ht
des autres héros de la scène, d'un homme
«niin qui ne peut passer pour un émissaire
•fe ce que dans le monde on appelle dévots,
enthousiastes , êtres superstitieux , esprits
qui ne pensent point, et gens sans consé-
quence (63î). Ce cri est le vrai armé de tous
les traits de l'éloquence ; c'est la patrie qui
venge les bonnes mœurs sacrifiées aux li-
cences de la scène; c'est la philosophie qui
emprunte la littérature d'Athènes, pour fou-
droyer Sophocle, Euripide , Aristophane, et
tous leurs descendants. C'est enfui un coup
formidable qui ressemble à l'attaque brus-
que et impétueuse de ces guerriers u 'Ho-
mère, qui terrassaient quiconque osait pa-
raître sur le champ de bataille.
« Qui pourrait donc, Monsieur, fût-il un
Démostoène, se charger présentement de
luire l'apologie de nos théâtres, et de sou-
tenir, comme vous l'avez fait, que la vertu
n'y court pas plus de risques que dans la
fréquentation du monde? Tout est capable
dans le monde, dit-on, d'exciter les passions.
Quelle conséquence faut-il en tirer? Tout
est plein d'inévitables dangers, même à l'é-
glise; donc il faut en augmenter le nombre;
(636) Le P. Berlhier, Journal de Trévoux av. il
fïoih
(65i) Toutes ces qualifications n'ébranlent pas un
Chrétien fermement allaché à l'Evangile; et en les
Méprisant, il se montre supérieur aux faux sages qui
l'iitsulient. Qunm mutti ubicunque invenerntChrisiia-
rmm soient insultarc , vocare hebeiem nullins cordis,
m-vZ/îki peritice, et dicvnt : tu faeiurtn e$, quod tiemo
la conséquence est belle î On sait bien qu'il
y 8 partout mélange de bien et de mal, mais
a divers degrés. On abuse de tout, il est
vrai, mais on sait la règle : quand le bien
surpasse le mal, la choso doit être admise
maigre ses inconvénients ; et quand le mal
surpasse le bien, on doit la rejeter même
avec ses avantages. C'est lorsqifon a la vo-
Jonté d'observer celle règle, dont la raison
nous fait un devoir, qu'on peut admettre
la pensée de M. de Crébiilon> que vous citez :
Pour être vertueux, on n'n qu'à le vouloir.
« Mais rien n'est plus capable de nous
ôter cette volonté d'être vertueux, que tout
l'ensemble du spectacle.
« Un de nos poêles tragiques dont les ta-
lents sont connus, a entrepris (63*2; de défen-
dre nos théAtres contre l'attaque de M. Jean-
Jacques Kousseau. Il s'appuie sur les lieux
communs ordinaires, c'est-à-dire sur les
beaux sentiments, les pensées éblouissantes,
en un mot, sur la meilleure face de plusieurs
de nos drames. Mais les partisans des théâ-
tres ne sont-ils pas dans le cas de lui repro-
cher de s'être chargé de leur cause? 1° Parce
que, comme le pensait M. de Boissy, l'an-
cien auteur du Mercure, les poètes drama-
tiques ont besoin de lettres de créance pour
être reçus à faire l'apologie de nos specta-
clesi et que de droit ils sont recusables.
2° Parce qu'il lui est échappé des aveux qui
ruinent la cause qu'il défend, ne serait-ce
que celui-ci. Il convient que s» un poète reut
gagner la faveur du public, il doit ménager
et flatter les passions nationales, comme était
chez les Homains l'amour de la domination,
et à Cartilage l'amour du gain ; comme serait
l'amour de la piraterie à Tunis , et parmi
nous l'amour de la galanterie, cl cette an-
cienne fureur des duels, que M. Marmontel
appelle un tisagt établi et une opinion adhé-
rente au principe fondamental de la monar-
chie, que Corneille a eu raison de flotter dans
le l'id. Mais ignore-l-i! que nos rois ont
proscrit ce prétendu usage qui avait pour
origine la barbarie des anciens peuples de
la Scandinavie, et qui s'était introduit avec
lesVisigolhsdans l'Italie et ensuite dans tous
les Etats de l'Europe? La France s'y était
livrée avec un tel excès, que Henri III,
Henri IV et Louis XIII ne purent parvenir
à le détruire avec toute la sévérité de leurs
édils; mais Louis XIV y porta les derniers
coups par les édits de 16i3, 1651, et 1679,
ef par l'établissement d'un tribunal pour ju-
ger les querelles de la noblesse. Le projet
en avait été donné par le comte de La
Noue, dont Henri IV fit ce bel éloge, en di-
sant que c'était un grand homme de guerre,
fat il? Tu solus eril Chrislianus? quisquis Chrixliprœ-
ceplti implere^votnerit, iucidii in lioniimun qui nolun'
converti sacritegam dicacitatem , ab Us qui sanari
nolun'., vocalur instants ; sed divinœ miserieordia: tv«-
nere adjutus, inter eorum verba rersalur qvtii.ûie, et
non exil de itinere prœcepiorum Dei. (S. Aigist.)
(632) M. à°, Marmontel , <I3DS le ÙlKnfe du tuoift
de ii.oveffîbr? 1738.
■ {!«
va .NOTICE SI II LE
tt rvcore plus un grand homme de bien (633).
o La cause de la fureur des duels (dit ce
« héros, loué par un roi connaisseur en cou-
« rage) gît en nos erreurs et folies, et en un
« faux honneur. Si Ja noblesse continue de
« marcher ainsi égarée tant en paroles qu'en
« faire, elle ira toujours profanant la vertu
« et les armes en se consumant.il serait bon
« que le roi, les princes et les seigneurs hlâ-
« massent en public ceux qui auront ainsi
« ensanglanté leurs armes; et montrassent
« qu'ils les abhorrent comme gens qui n'ont
« autre plaisir que de s'exalter par la mort
« d'aulrui. Il serait besoin que Sa Majesté
« fil assembler les maréchaux de France et
* les plus vieux capitaines, pour faire (\3
* bonnes ordonnances sur ce fait. Faudrait
« aussi être soigneux qu'elles fussent bien
a observées à la cour, à Paris, et aux lieux
« où il y a corps de gens de guerre. Il n'y a
* pas de doute que les bons exemples et les
* punitions montreraient comme on doit se
4 gouverner au vrai point de l'honneur. C'est
« aux guerres qu'on doit montrer sa valeur
i et hasarder libéralement sa vie. Les gens
« d'honneur doivent servir généreusement
* leur patrie, et ceux qui exposent leur vie
a ions les jours pour elle, ne doivent pas à
h son service ô'.re chîches des biens de for-
- tune. Pour moi, tandis que j'aurai une
« voutte de sang et un arpent de terre, je
« l'emploierai pour la défense de l'Etat au-
< quel Dieu m'a fait naître. Garde son argent
« quiconque l'estimera plus que son hou-
* neur, comme le font ceux qui semblent
a n'être nésque p.our l'oppression du peuple,
* et pour s'enrichir aux dépens de l'Etat.
* Mais quant h ^eux qui vont précipitant
« leur valeur dans les querelles personnelles,
* ils font croire qu'ils ne l'estiment pas de
« grand prix. »
« Tels étaient lessentimentsdecebrave offi-
cier, que son courage, dit M. deThou (63i),
son habileté consommée dans la guerre, et
sa prudence faisaient aller de pair avec les
plus grands capitaines de son siècle, mais
qui remportait sur la plupart d'entre eux
par l'innocence de ses mœurs, par sa modé-
inlion, par sa droiture et par sou équité. Il
savait qu'il devait à Dieu fidélité et service,
et qu'en acceptant un duel , on combattait
'le iront le commandement de Jésus-Christ.
« Quelle fureur, dit un auteur célèbre, et
* quel désespoir que celui d'un duelliste,
« qui va de sang-froid se livrer a son juge,
« chercher son bourreau, et se jeter dans la
* prison éternelle, en se faisant tuer, ou par
THLATUL LIUUK.
ll'ifi
« l'engagement d'un faux honneur, ou par
a une sotte vanité, ou en suivant le torrent
« d'une coutume "détestable, ou môme riais
« le moment actuel d'une haine mortelle, et
« le cœur tout occupé et tout enflammé du
« désir et du dernier effet de la vengeancel
« Le comte de Sales (C35) attaqué par un faux
« brave dont il avait repris les blasphèmes,
« lui répondit qu'après avoir osé défendre
« la cause de Dieu, il ne devait pas la trahir
« pour les maximes d'un honneur mal en-
« tendu. »
Il no faut pas confondre l'abus du cou-
rage avec le courage môme. Il est de l'inté-
rêt de l'Etat qu'on ne se livre pas à de faus-
ses idées sur la valeur. « Il arrive, dit l'il-
>< lustre Philippe de Mornay , que par la
« témérité si familière à notre nation, les
« meilleurs de notre noblesse se trouvent
« cueillis tous verts, el se perdent avant
« que 'de connaître où le devoir ies appelle,
« c'est-à-dire, avant que de savoir éviter le
« péril sans reproche , ou le défier avec
« louange (f>3G). » M. de Mornay voulait
qu'on imitât les Grecs et les Romains, chez
qui, dans les beaux siècles de leur empire»,
le courage ne consistait pas seulement à
braver les périls pour la gloire et ia défense
delà patrie, mais encore à oser être ver-
tueux, el en soutenir constamment le carac-
tère contre le torrent du plus grand nom-
bre : Heroem enim non un a virlus efficil, sed
multiplex. On sait que les héros dont les
talents se trouvent relevés par le coloris
de Ja vertu, sont placés au temple de mé-
moire dans un degré supérieur. L'historien
Paterculus en louant la grandeur de César
dans ses projets, sa rapidité dans la manière
de faire la guerre, et sa hardiesse intrépide
à i'.'f'onier les dangers, le compare à Alexan-
dre le Grand , mais, dit-il, Alexandre en-
core sobre et maître de sa colère (G37).
Si le même historien nous dit que Pompée
était un général très-habile dans la gueire,
il relève son mérite en assurant qu'il avait
des mœurs très-pures, une probité irrépro-
chable; qu'il était citoyen très-modéré, ami
constant, facile à pardonner les injures, de
bonne foi lorsqu'il se réconciliait , el n'exi-
geant point de satisfactions à la rigueur
(638). Mais si le paganisme a eu d'aussi
beaux modèles en ce genre, le christianisme
en a formé de plus parfaits. Chaque siècle
a eu les siens, dont on peut dire comme
de Scipion Emilien (639), qui réunissait les
mœurs de Caton d'Ulique (6V0) avec les
vertus militaires : ils sont recommandables
(033) Vie du comte de La Noue, dit Bras de fer.
( >îi) Histoire universelle, tome XI.
(635) Frère de sainl François de Soles.
(!>5(>) Lettre de Phi!, de Mornay à M. de Hnr'a'j,
*an»n de Dolol, morl en 1(>{7.
(G37) C;esar... nugnitudiue consilionmi. celorilalc
heli.imii, paiiemia peiieulonim, Maguo illi Alcxan-
<lr<>, sed sobrio neqoe iracundo simillimiis : <|ui de-
nique seiupcr cl soumn et cibo in vilain non m vo-
tuplaietn uterelur. (Patkrc. lit), u, cap. 41.)
(b3S) Dnx liello perilîsstmtis , innoreniia exiinius,
fctuctilate prxcinmis, amicitiaruin lenax, in oftensis
exorabilis , in reconcilianda gralia fidcîissimns, in
Bccipiei.da saiistadione facrllimrrg. (Paterc, lil>. Il,
cap. 18 )
((>3'.>) Pub. ScipiovEmiliaims vir avilis P. Africain
paiernisque L. Pauh virlulibus simillimus, omnibus
belli ac loga: dotibus... qui niliil in vila nisi laudan
diiin aul d'cii, ant dixit ac sensil. Nequc enim «inis-
quam hoc Scipionc eleganlius inlervalla negolmrmii
olio disputait, semperque aul befli aul pacis sèryfis
ariibis, senipêr inler arma aut stadia et officia cin-
lia versalns. (Lib. i, r»p. 12 et 13.) .
(fi.iO) Homo \i;nni similTîmtis péi'orifnîà îifghrri*
nn
MGTI0MNÀ1RE DES MYSTERES.
H **
par toutes les qualités qui peuvent illustrer
ia robe et l'épée. On ne voit rien que de
louable (tans leurs actions, leurs discours
et leurs sentiments. Ils ne font rien de ver-
tueux pour le paraître, mais parce qu'ils
ne doivent pas l'aire autrement; ils ne trou-
vent rien de raisonnable que ce qui est
juste; ils entremêlent le repos et l'action;
ils mettent à profit les vides que leur lais-
sent leurs emplois. Ils partagent leur temps
entre les armes et les livres, entre les tra-
vaux militaires et les devoirs d'une société
honnête.
« Mais sera-ce sur le théâtre qu*on expo-
s"ra sans altération ni déguisement toutes
<;es vertus? Il faudrait pour cet effet, comme
io dit le P. Porée , « que les spectateurs,
« c'esl-à-dire, ces esprits légers, vrais papil-
« Ion* voltigeants, ces oisifs de toute es-
« pèce , ces paresseux de profession, ces
« hommes enfin esclaves de la coutume et
• spectateurs de toutes choses , excepté
« d'eux-mêmes, cessassent d'être plus avi-
« des de mets nuisibles et dangereux que
« de choses saines et profitables ; qu ils
« contraignissent les auteurs de ne point
« peindre les vices avec tout le cortège des
« grAces, avec tout les pièges des senti-
« ments délicats , et avec tout le venin de
« l'enchantement; qu'ils défendissent aux
« acteurs de faire rougir un front vertueux;
« qu'ils tirassent eniin l'art dramatique,
« innocent en lui-même, de la cruelle né-r
« cessité où on l'a réduit d'être coupable
« des crimes d'aulrui et de la perle des
« cœurs. » Ainsi, Monsieur, tant que notre
nation continuera d'être caractérisée par le
goût de la frivolité et du plaisir, nos théâ-
tres seront toujours en mauvaise réputation
auprès du sage. Ils sont non-seulement la
source de la licence des mœurs: mais en-
core de ce prétendu bel esprit, dont la con-
tagion a dégradé tous les genres de littéra-
ture, et qui du théâtre commence à gagner
1rs chaires, et des romans a passé dans les
traités de dévotion ((5 VI).
a Les spectacles n'ont eu jusqu'à présent
diis qnam hoininilms propior, qui nunquam rerlc
IVcil, ut lacère videretur, sel quia aliter lacère non
paierai; cniqtie id soltim visiiin est raiionem haltère,
«pioil haberel jusliiiam, omnibus humanis viliis im-
inunis. (Patehc, tib. ii, cap. 35 )
(i>4!) Ce>i le reproche que M. L'abbé Clément»
prédicateur du roi, fait à l'éloquence chrétienne de
n Ue siècle El il pense qu'on ne pourra y remédier
c;u en s'orcup int davantage «les Pères de l'Eglise,
(ioni il croil qu'on ne saurait trop déplorer l'espèce
d'oubli, où, depuis quelque temps, on les laisse. < il
.emhle. dit-il, qu on se fasse un point d'honneur de
les néglige-. Le clinquant du siée e a, pour ainsi dire,
obscurci à nos yeux l'or purel solide des premiers
ministres île la religion. » [Ils prêchaient avec le
/,e|e des apôtrt s, non Arislotelico more sed piscalorio<]
< Je crois que si les personnes pieuses, surtout, les
dames chrétiennes; commençaient à s'en occuper un
peu sérieusement, bientôt on en ramènerait !a mo.'e i
On lit les sermons des prédicateurs modernes, cl à
peire connaîl-on ceux des premiers prédicateurs de
r ^v.votzile. Je conseille de lire les traductions des
EtKi nio-v3 de saint Chrysos'ome, de ceux do saint
pour défenseurs que ceux qui en so; t par-
tisans, soit par affection, soit par intérêt.
Je. voudrais qu'on me citât de bons philo-
sophas (reconnus pour tels) qui, après avoir
balancé le pour et le contre, se déclarassent
en leur faveur. Mais il faudrait (ce qui serait
un grand phénomène) qu'ifs convinssent
d'admettre dans un Etat policé et chrétien, la
nécessité de renforcer des vices dont l'honnê-
teté païen ne a lirait eu honte, el qui ne cessent
point d'êtres vices pour être qualifiés de pas-
sions nationales et constitutives qui vivifient In
monde moral : n'en déniaisa à nos Raison-
neurs \ petite cervelle. Passez-moi cette
expression; elle est d'un d>e nos plus célè-
bres poètes : et peut-elle être mieux appli-
quée qu'à fous ces ingénieux pijgmées, qui,
tout bouffis et fiers de leur corruption, véu*
lent , sans craindre D-ieu ni respecter les
hommes, élever sur les ruines de la religion
un trône à cette philosophie insensée dont
les principes dégradent l'homme, a Glissent
son être, bornent ses espérances et rédui-
sent, son bonheur à l'esclavage du la vo>
lupté, dont l'empire, comme le dit Cicéron,.
doit nécessairement miner sourdement tou-
tes les vertus et les écraser (642)? Esl-it
étonnant que depuis le temps que ces so~
phistrs (643) nous prêchent que le feu des
passions est le moteur unique et universel et
le germe productif de tout sentiment , on ait
vu paraître un livre (644) où l'on a réduit
en maximes toutes les conséquences qui
résultant de ce monstrueux principe? Il
sied à de pareilles gens qui travestissent les
vices en vertus et qui soutiennent que les
hommes sensés ne peuvent jamais être que des
hommes médiocres, et que les plaisirs physi-
ques du genre le pltis lascif devraient être
la seule récompense des actions utiles à
l'Etal; il sied à de pareilles gens, qui, sui-
vant l'expression d'un ancien, ensevelissent
dans la boue ce soufie divin qui anime leurs
corps et qui est comme une portion de la
divinité (645); il leur shd, dis-je, d*èlre
zélés défenseurs du théâtre, où la volupté
qui fait leur béatitude est si fort excitée.
Augustin, enfin de leurs homélies sur le Nouveau
Testament, c'est-à-dire sur ce livre des livres où tous
les docteurs se S'Uit instruits, dont je voudrais qu'un
chrétien ne quittai la lectire que quand il lésait
toul entier par cœur. Encore faudrait-il qu'il le re-
li'iî., t0 pour ne pas l'oublier; 2° pour y apprendre
quelque chose, de nouvca.u i [M.iximes pour vivre
chrétiennement dum le monde; édition de 1753.)
(942) Maximas virilités jacere omnes oporlel do-
minante volupiate. (De (inib.)
(6i3) Les Grecs donnèrent ce nom à une secte de
corrupteurs de la morale el de l'éloquence qui s'é-
tait élevée parmi les philosophes. L'eiait une foule
de discoureurs ipii ne cherchaient qu'à briller; ils
abusaient de leur esprit, ne remployant qu'à soute-
nir des paradoxes, el à donner aux vertus les appa-
rences des vices, el aux vices la fausse ressemblance
des vertus. La Grèce ne voulut appeler philosophes
que les sages dont la doctrine ne servait qu'à l'appui
des lois divines el humaines.
(64i) De l'Esprit.
i6i.;)) Afiigil limiii divin* parlicnlain unnr.
i 1 40
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
« Mais qu'ils no prétendent pas que ceux
qui réprouvent les jeux scéniqnes comme
nuisibles aux bonnes mœurs, cessent d'être
de vrais Français et d'être animés de l'amour
des arts (6V6). L'Académie des Jeux Floraux
de Toulouse n'offensa ni la pairie, ni les
Muses, lorsqu'elle proposa pour sujet du
prix de poésie de l'année 1748, le danger des
spectacles (6V7). On ne peut que lui savoir
gré d'avoir prévenu les citoyens contre les
abus qui obscurcissent l'honneur des belles
lettres, et dont les funestes effets donne-
raient lieu de croire que le rétablissement
«les sciences et des arts a contribué à cor-
îompre plus qu'à épurer les mœurs. Mais il
ne faut pas imputer aux sciences ce qu'on
ne doit attribuer qu'à la corruption de ceux
qui les éloignent de leur fin légitime. Elles
ne doivent avoir pour objet que de procurer
aux hommes leur bien moral et physique;
et de leur faire mieux connaître l'auteur de
toutes choses en l'annonçant comme la
source de toutes les vérités. C'est aux aca-
démies littéraires à s'élever contre tout ce
qui tend h décréditer la littérature. Us y
sont obligés par le caractère de leur établis-
sement. « Ces compagnies, dit M. Rousseau
« de Genève (648) , doivent se regarder
« comme chargées, non-seulement du dépôt
« des connaissances humaines, mais encore
« du dépôt sacré des mœurs. Il en résulte
« qu'il faut qu'elles aient l'attention d'en
« maintenir chez elles toute la pureté, et
« de l'exiger des membres qu'elles reçoi-
« vent. Elles serviront de frein aux gens'de
« lettres, si l'on ne peut mériter d'y être
« admis que par des ouvrages utiles et des
« mœurs irréprochables. Celles de ces com-
« pagnies, qui pour le prix dont elles hono-
« rent le mérite littéraire, font un choix de
« sujets propres à ranimer l'amour de la
« vertu dans le cœur des citoyens, montrent
« que cet amour règne parmi elles. Et elles
« donneront au peuple le plaisir si rare et
« si doux de voir des sociétés savantes se
« dévouer à verser sur le genre humain,
« non-seulement des lumières agréables ,
« mais aussi des instructions salutaires.
« Elles en imposeront à cette troupe de
•t charlatans qui crient chaoun de son côté
« sur une place publique : Venez à moi.
« C'est moi seul qui ne trompe point. L'un
« prétend qu'il n'y a point de corps, et que
« tout est en représentation; l'autre qu'il
<t n'y a d'autre substance que la matière, ni
« d'autre Dieu que le monde. Celui-ci
<« avance qu'il n'y a ni vertus ni vices, et
« que le bien et le mal moral sont des cbi-
c mères. Celui-là , que les hommes sont
(616) Ces injures sont sans doute échappées à
M. de Voltaire dans des momente de fermentation
d<- hile On en a relevé i!e pareilles dans la première
Le: lie.
(647) M. Arcère fil sur ce sujet une ode qui fut
couronnée.
(648) Dans son discours qui remporta le prix de
Pacadémie de Dijon en 1T50, et ilom le sujet était si
le. rétablissement des sciences .et des arts a épuré les
léonins. On sait oue M. Ji'au-Jjcouc» Rousseau sou-
îtSO
« des loups et peuvent se dévorer en sûreté
« de conscience. Le paganisme livré à tous
« les égarements de la raison humaine, a-
« t-il laissé à la postérité rien qu'on puisse
« comparer aux monuments honteux que
« lui a préparés l'imprimerie, sous le règne
« de l'Evangile? On en peut dire autant de
« la sculpture, de la peinture et de la gra-
« vtire, dont le ciseau, le pinceau et le bu-
« rin ne sont occupés qu'à tracer les images
« des passions, pour n'offrir aux yeux que.
« des modèles de mauvaises actions. Et ne
« sont ce pas les premières leçons que l'on
« donne aux enfants avant même qu'ils sa-
« sachent lire? *
« C'est dans la classe de ces corrupteurs
qu'il faut ranger ces écrivains amateurs des
spectacles , jusqu'au point d'employer la
mauvaise foi et l'imposture pour communi-
quer leur aveuglement et leur passion à
ceux qui ne sont pas épris du môme goût,
et qu'ils voudraient séduire par le ridicule
dont ils les chargent. Comme ils veulent res-
ter dans leurs erreurs, ils rejettent la vérité
qui les condamne, et ils voudraient qu'elle
n'existât pas. Elle leur paraît si amère, qu'ils
haïssent même ceux qui la leur présentent
pour les engagera se rendre à sa lumière
et à prévenir le temps qu'ils l'auront pour
juge. Ils se soulèvent contre ceux qui leur
rendent ce bon olfice, et la plupart sont des
aveugles qui crient sans savoir pour qui ni
contre qui ils s'emportent (649).
Les hommes, à tout prendre.
Ne sont méchants que parce qu'ils sont fous.
Ce sont enfants moins dignes de courroux
Que de risée
(Rousseau, liv. i, cp* i.)
« Je passe à l'idée singulière où vous êtes
de trouver la lecture des pièces dramatiques
plus dangereuse que leurs représentations
sur des théâtres publics. Cicéion et Quitili-
lien n'étaient pas de votre sentiment. Ils
pensaient qu'il y avait autant de différence
qu'il y en a entre un corps vivant et un
corps mort, qui a des yeux sans feu, des
pieds sans mouvement, des membres sans
action. Telle est la comédie sur le papier.
On y voit le corps des passions sans âme.
Néanmoins je conviens que la lecture de la
plupart de nos drames a ses dangers , et
qu'on doit se l'interdire suivant le conseil
d'Ovide :
Teneros ne lange poêlas.
Mais soyez persuadé, Monsieur, que c'est
aux spectacles que le poison des pièces
dramatiques se glisse par degrés des sens au
tint la négative.
(640) Cuin esse volunt mali, iiolunt esse verita-
tem qua damnautur mali ; amant eam lucentem,
oderunl cani redarguonlcui... nolunl eam esse quod
est, cnm seipsos deheani nulle esse quod sunt ut
ipsa manenle miilcntur, ne ipsa judicanlo damnen-
tur... quibns panis verilalis ita atnarus est, ut inde
os vera dicenlis oderint... Lalranl mulii «a'.cis nerç»
lis iiescienlcs pn> quilius aui contra qiiOS lalranl.
(S. Aggsstis I
1IM
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
«•,»
coeur, et du cœur à ta raison. Rarement en
reçoit-on d'aussi mauvaises influences dans
!e sang-froid du cabinet, à moins que vous
ne veuillez parler de ces possédés d'une im-
portune verve, dont parle Rousseau, qui
. . . Pour de don! eux succès,
tassant leur vie dans d'éternels accès,
Toujours troublés de fureurs couvulsives.
De leur plancher ébranlent le.-, solives.
«Ce ne peut être que riansd^ pareils accès
que vous avez imaginé la réponse que vous
avez faite pour moi à M. de B***, Il faut ea
effet être dans le délire pour avoir entrepris
la défense de PEpîlre aux mânes de la Le-
« ouvreur, où le poëte (650) abjurant la vé-
nération que tout Français doit avoir pour
l*apôTre de sa nation , a l'impiété d'appeller
son Saint-Denis la terre qui renferme les
viles cendres d'une méprisable créature qui
a vécu et est morte infâme. M. Rousseau de
C-encve prouve que ce n'est point par pré-
jugés de bourgeois, mais avec raison, que
les comédiens ont toujours été regardés
comme des objets de mépris. Il y avait à
toute» exemples d'impuretés et de parolrt
lascives ou a double entendre; il veut eu*
leur exercice ne puisse leur être imputé à
blâme , ni préjudiciel' à leur réputation dam
le commerce public. Ce que nous faisons, dit
le prince, afin que le. désir qu'ils auront d'é-
viter le reproche qu'on leur a fait jusqu'ici ,
leur donne autant de sujet de se contenir dans,
les termes de leur devoir, des représentations
publiques qu'ils feront, que la crainte des
peines qui leur seraient inévitables. Mais cette
déclaration que vous citez en leur faveur,
et qui se trouve dans le Code pénal , ne les
décharge nullement de leur noie d'infamie,
puisque l'objet principal de cette déclaration
était d3 modérer la licence de leurs jeux, et
de prononcer des peines contre leurs excès.
Elle ne fait que constater encore plus l'opi-
nion du public à leur égard, et prouver quo
la bonté du prince cédait à la nécessité où,
il paraissait être de les tolérer, mais avec
l'intention de les rendre moins malfaisants.
Au reste, il est certain qu'il s'en faut do
beaucoup qu'ils aient rempli la condition
qui leur ét.iit imposée, puisqu'on a, depuis
Rome des lois expresses qui les déclaraient celle époque, une tradition de plaintes sur
infâmes, et mettaient les actrices au rang
des prostituées : Quisquis in scenam prodie-
rit, ait prœtor, infamis est. Celte loi ne re-
gardait que les acteurs des théâtres publics,
et cette distinction était fondée. L'on ne di-
vertit la multitude qu'en flattant la licence %
dont le goût est partout celui du plus grand
nombre. Les confrères de la Passion établis
vers l'an li-02, qui succédèrent à nos trou-
badours, les Enfans sans souci , les clercs de
la licence de leur profession; aussi n'a-t-on
jamais cessé d'exercer les peines ecclésias-
tiques prononcées contre leur état (633). Et
comme l'observe l'auteur de VEssai sur la
comédie moderne (651-55), « quand il serait vrai
« que l'Eglise eût dans l'origine prononcé
« légèrement cet anathème (ce qui ne doit
« se supposer), elle n'aurait pas cerlaine-
<c ruent à présent assez de motifs pour le
« lever. Amateur des spectacles, dit le même
la Basoche, ne tardèrent pas à s'apercevoir «auteur, je désirerais peut-être plus quo
que ce ne serait point en ne jouant que dos « qui que ce soit que l'ont pût les rendre
moralités , ou en ne représentant que des « tels qu'on les fréquentât sans scrupule , et
mystères de la religion, qu'ils amuseraient « qu'on nous les procurât sans rougir; mais
le peuple; ils y joignirent des farces asscr- « j'ai de la peine a croire ce que nous dit le
lies au goût corrompu du temps, ce qui al- « P. Porée, qu'on pourrait faire du théâtre
tira contre eux plusieurs arrêts du parle-
ment. Et depuis que Jodelle, qui vivait sous
Henri II , nous a fait connaître et goûter la
forme des anciens poèmes dramatiques, les
romédiens n'en sont pas moins les ministres
du vice; et si le gouvernement a cru depuis
devoir tolérer , on en voit le motif dans la
déclaration du 16 avril 16V1 (651) qu'ils ob-
tinrent de Louis X1I1 dans les circonstances
qui leur étaient les plus favorables. Il y est
énoncé que c'est pour divertir (65*2) les peu-
ples de diverses occupations. Il est vrai qun le
« une très-bonne école pour les mœurs. » Ne
doit-on pas en effet, Monsieur, savoir par
l'expérience des anciens, que les spectacles
qui, dans leur commencement , furent les
plus purs, tombèrent toujours dans la plus
grande licence. Ab sano initio ad insaniam
vix tolerabilem (656)? Pub. Cornel. Scipion
Nasica prévoyait les inconvénients de ces
sortes de divertissements publics , lorsqu'il
proposa de faire abattre le superbe théâtre ,
que les censeurs Messala et Cassius avaient
commencé de faire constrnireetqui était déjà
monarque y ajoute qu'en cas qu'ils règlent presque fini ( 657 j. Ïite-Live donne les plus
lentement tes actions du théâtre qu'elles saisit grands éloges au sénatus-consulle qui , sur
publici usnrariî, conrubinnrii, coince li Nisi
pUblicae offensioni prout de jure saiislaeeiïnl. (Ri-
tuel de Paris.)
(G5i-55> Imprimé en 1752. pour réfuter los Nou-
velles observations île M. Eagui, au sujet des con-
damnations prononcées contre tes comédiens.
(056) Tit. Liv,
(657) Mulluin prospexisse sapienlissînii viri Stn-
pionis aniinum sequoniis «Vl vecordia démons! ra-
vil, cum ingenli ci vi la lis dedecorc ac dnniiio tliea-
tralilms ludis quidquid enervarc virilem indulcm,
quidquid imbuerc fiagitiis, impudenlia, scdilionibiis
liomiites poiesi. spectenrfnm publier nique per hoc
imi!;indnui pr«»poRcrrtUir. Tuw intern aectiutti wlco
(650) M. «le Voltaire. Je ne l'aurais pas nomme si
vous aviez imité la discrétion de M. de B" à cet
égard.
(651) Dans la Collection de décisions nouvelles de
jurisprudence, par Uenisart, édition de 1768, au mol
Comédien, roue déclaration y est ci:ée sous la dale
de 1741. C'est une faute (Fimprcssiou, il faut lire
1641. Ce (fui donne lieu de relever cette faute, c'est
que dans la première Lettre, on a cité cet article de
: p-ie collection.
(652) C'est-à-dire détourner; on sail que le mol
divertir, pris en ce sens, n'es! plus d'il âge.
(655) Cavcndum imprttiiis ne viaticum ad iiult-
Çmw cum nlionim s~aiidalo deferalitr, «inales sunt
HS5
NOTKL' SUR LE THEATRE LÎBIŒ.
mt
la proposition do Scipion, avait ordonné la
démolition de ce théâtre , et il observe que
c'était le seul moyen de conserver les mœurs
des anciens Romains, dont Valère-Maximc
fait un si beau portrait: « Dans ces temps,
« dit-il, la chasteté des femmes ne courait
t aucun risque; les deux sexes se regar-
« daient toujours modestement, s'inspiraient
« un respect réciproque et vivaient dans une
« pureté de mœurs inaltérable. Le gouver-
« nement fut alors très-heureux, parce que
« l'on avait en horreur la licence , et que
« l'on était persuadé que les familles, les
« villes et les empires n'ont point d'autre
« principe destructif à craindre que la vo-
« lii| té, dont le règ'e Suppose toujours le
« désir insatiable de l'argent, et est par eon-
« séquont le germe de tout mal (658}.»
M. J. -J.Rousseau a-t-il donc eu tort d'élever
avec tant de force la voix pour persuader à
sa patrie de ne consentir à l'établissement
d'aucun théâtre? Documentum illustre dédit
cum efficaci fncundiâ summœ auctoritatis ,
comme Tile-Live l'a dit de Scipion. Vous
n'êtes pas mieux fondé à critiquer ce zèle
que vous l'êtes lorsque, pour justifier Ravie,
vous dites qu'il était lié avec des gens de
mérite. Ne sait-on pas qu'il en est des gens
de lettres comme des négociants? L'inlérét
des sciences et des arts, comme celui du
commerce, exige qu'on soit lié avec des
personnes de toutes religions, de tout état
et de mœurs bien différentes. Ce ne sont
pour lors que des liaisons d'intérêt et non
de ces liaisons intimes qui ne peuvent être
fondées que sur la conformité de religion ,
de sentiments et de mœurs : Ad connecten-
das amicitias , tel tenacissimum rinculum
morum similitudo (659). Quel que soit le mé-
rite de Rayle à l'égard de certaines parties
de littérature, la plus juste idée qu'on aura
de sa personne sera celle que M. Joly de
Fleury nous en a donnée dans son réquisi-
toire du 9 avril 1756. « Il est, dit ce grand
« magistrat , l'apologiste du pyrrhonisme et
« <Je l'irréligion. Ami de toutes les sectes ,
« dont il fait également l'éloge, il apprend
« à suspendre en tout son jugement, parce
u qu'il n'admet aucune certitude. Toujours
« en garde contre ses ennemis redoutables
« qui combattaient ses impiétés, il répand
« comme furtivement ses erreurs Les
* demi-savants enfant trouver dans ses ou-
« vrages des preuves invincibles contre la
dcgcneranlibusapristinaiule;;niaiemenlibuspersua-
siiin eslut(lcstniialTcrliiiiH)|)us, subhaslaiiqueomiiia
quse comparata theatio tuèrent, juberentur senalus-
eonMÉta digno quodinter uubilissima Uomamc gv.ui-
l.ilisargumenlanolan'lur. (Tit.'I.iv. lib. xlviivc. 27.)
(t>58) Nulli lune subsessores alicnorum maliimo-
nioruin occ'.i metuebauiur , sed panier el videre
sanele cl aspici muluo pudore custodiebanlur
li pénales, ea eivitas, id regnum seterno in gradu
latrie sleteril, ul»i n> tiitiiiimi viriuin veneris, pecu-
ni.eque cupido sibi vindicaverit. Nain quo isu; ge-
neri's Iminani pestes pciielra\erint, ibi injuria iîo-
ininalur, infainia Ilagral. (Valhii. Maxiu., hb. u,
i -i. 5; . iv.lib c. 5, ail. 1.)
r^5>) Pli.n., lïb. iv, ep. 15. .. . .
(wQJ Voyez {'Eloge de il. de Henteiqnieé, par
« religion , méprisent ces hommes dociles
« et prudents, qui font un usage légitimcdo
« leur raison et qui pensent avec justice
« qu'une raison droite conduit à la foi , et
« qu'une foi pure perfectionne la raison. »
« Vous convenez avec M. Desp. de R¥*r
que la profession de comédien répugne à
l'esprit de l'Evangile, et vous prétendez
concilier avec cet aveu les assertions éma-
nées de votre enthousiasme : Ne noua décla-
rons pas, dites-vous, les ennemis de Melpo-
mène et de Thalic, tandis que presque toute
l'Europe leur dresse des autels, et songeons
que le plus grand tort qu'on puisse faire à
l'homme est de lui ravir ses plaisirs , et celui
qui le fait mérite de subir la rigueur des lois
connue malfaiteur. Je ne badiw point : crin
est plus sérieux quon ne pense. Notre théâtre
est vraiment utile, il anime l'esprit et nourrit
h cœur; cessons donc de mépriser les comé-
diens qui prêtent leur organe aux auteurs.
Pourquoi laisser dans l'opprobre celte pro-
fession ?
« Mais permettez-moi de vous demander
quel degré d'autorité a sur votre cœur el
sur voire esprit la morale du saint Evangile
que M. de Montesquieu a déclaré être une
excellente chose, et le présent le plus estima-
ble que l'homme pouvait recevoir de son Créa-
teur (660). Cette déclaration est imposante
eu égard au moment qu'elle fut faite. Cet
académicien louchait alors au derniers ins-
tant de sa vie. Il commençait à ne plus
apercevoir la céléb.ilé de ses" ouvrages (661)
et toutes les choses de ce monde qu'à la
lueur de ce crépuscule, qui annonce évi-
demment l'approche d'un Dieu rémunéra-
teur ou vengeur. Ce flambeau ne fait sentir
que trop tard au plus grand nombre « que,
« pour que l'homme soit quelque chose et
« ne demeure point dans une espèce d'avi-
« lissement et d'anéantissement, il faut qu'il
« se tourne vers son Créateur; que quand il
« s'en est écarté, il est comme dans un état
« de mort; que quand il s'en rapproche , il
« reprend toute sa vigueur; que quand il
« s'en éloigne, il tombe dans les ténèbres;
« que quand il s'en rapproche, il rentre dans
« la lumière, et qu'il ne reç/oit le bon être
« que de celui même duquel il tient l'ô-
« tre (662). »
Or, Monsieur, ces véiités que lanl de per-
sonnes n'apprennent presqu'au dernier
moment de leur vie, et pour en être trou-
M. de Maupehtuis; imprimé à Hambourg en 1755.
L'auteur de cet Eloge assure « que M. de Montes-
quieu, avant que de mourir, déclara à tous ceux qui
étaient autour de lui, el en particulier à madame la
duchesse d'Aiguillon, que c'était l'idée qu'il coure -
vail de l'Evangile, i
Celle anecdote se trouve ainsi rapportée à la fin
dn troisième tome d'un ouvrage qèr vient de pa-
raître sous le litre de Nouvelle démonstration évàvgéii-
que, pirJ. LeL.vnd, docteur en théologie, * vol io-t2.
(Ml) Mois maie coloraCe gloiiaî, niloiein dclel.
{(i6i) Ut bomosil aliquid convertit se ad illum a
quo ereatus est. Reeedendo eiiim lYigcscit, acce-
deudo ferveseil ; reeedendo tonebreseil , acec-
<lendo clarescil. A quo enim h ibel tu sil, apïnl il'cin
babet utei bene sh. li t>o::i siuiiis, Deu indiquais.
1153 nïCTiONN.MUR DES MYSTERES.
blées (663), nous sont inspirées par l'Évan-
gile ; «ce divin livre qui étant le seul
v nécessaire à un chrétien et le plus utile de
« tous à quiconque même ne le serait pas,
« n'a besoin que d'êlre médité pour porter
UNS
« dans l'âme l'amour de son auteur et la
«volonté d'accomplir ses préceptes.» Ce sont
encore les expressions de M. Jean-Jacques
Rousseau (66i). Il vous en parait peut-être,
[dus inconcevable dans ses égarements. Il
est vrai que n'aimer que l'éclat de la lumière
de l'Evangile, et ne pas en l'aire la règle de
sa vie, c'est en abuser contre le dessein de
Dieu et commettre une injustice contre lui ;
c'est s'exposera en être privé, et à tomber
dans les ténèbres et l'aveuglement du cœur,
jusqu'à parvenir a ne pi us connaître Dieu
d'une connaissance salutaire (663). Mais
n'est-il pas étonnant de vous voir justifier
la profession de comédien en même temps
nue vous reconnaissez qu'elle répugne à
J esprit de l'Evangde?
« Je ne serais pas surpris qu'un Hotlentot
à (pii l'on reprocherai! son attachement aux
infâmes usages de son pays, répondît qu'il
convient qu'ils répugnent à l'esprit du
christianisme, qu'au reste, il n'est pas dans
le cas de se conformer à la morale de cette
religion
Mais
qui lui est étrangère.
un Chrétien ne manque-t-il pas
aux égards qu'il doit à ce qu'il y a de plus
sacré , lorsque convenant de ce que l'esprit
de l'Evangile décide sur un objet, il ose sou-
tenir publiquement une opinion qui y est
contrait ietoi rement opposée? et n'est-il pas
encore infiniment plus coupable, si on lui a
démontré que cette mauvaise opinion qu'il
soutient, a toujours été condamnée par la
seule sagesse humaine, c'est-à-dire par les
philosophes païens et par plusieurs de ceux
qui étaient intéressés à se croire excusables
dans les faiblesses de leur conduite sur
l'objet en question (666).
« Il me >emble que quand on ne croirait
pas de cœur le saint Evang.lt> que l'on pro-
fesse de bouche, on devrait, suivant les
principes des déistes, respecter la religion (te
la patrie, et ne point marquer pour elle le plus
grand mépris, en refusant publiquement de
recevoir de celte religion la règle des
mœurs (667) Tel estl'ex ..ès<>ù voire zèle pour
les théâtres vous a porta. Il faut donc que ce
quela sagesse appelle V ensorcellement des ba-
gatelles (668) ail répandu des ténèbres sur
votre esprit pour que vous vous soyez chargé
de défendre une cause tant de fois con-
damnée au tribunal de la raison isolée de
la religion chrétienne.
« Vous finissez votre lettre par ce sophisme
dont Jean Racine avait fait usage : Saint
Augustin s'accuse de s'être laissé attendrira
la comédie ; qu'est-ce que vous concluez (i: là ?
Dites-vous qu'il ne faut point aller à la co-
médie? Mais saint Augustin s'accuse aussi
d'avoir pris trop de plaisir au chaut de l E-
glise : est-ce à dire qu'il ne faut point aller à
'l'Eglise ?
« C'est un faux raisonnement dont M. Ra-
cine sentit bien par la suite tout le ridicule.
Voici la réponse qu'on y lit et qu'on trouve
dans deux lettres qui furent écrites à ce
célèbre poëte , l'une par M. Dubois, l'autre
par M. Barbier d'Aucourt : « Ce raisonne-
« ment prouve invinciblement ce que vous
« dites six ou sept lignes plus haut, que vous
« n'êtes point théologien
« douter après cela
« êlre si vous êies
; mais on
chrétien ,
On ne peut pas en
doutera peut-
puisque vous
« osez comparer le chant de l'Eglise avec les
« déclamations du théâtre; qui ne sait que
« la divine psalmodie est une chose si bonne
« d'elle-même, qu'elle ne peut devenir mau-
« v.isc que par le même abus qui rend
« quelquefois les sacrements mauvais? <jt
« qui ne sait au contraire que la comédie
« es! naturellement si mauvaise, qu'il n'y. a
« point de détour d'intention qui puisse la
« rendre bonne.
« S'il faut quilter les choses qui sont
« mauvaises et dont nous ne saurions lairo
« un bon usage, faut-il aussi quilter les
« bonnes , parce que nous en pouvons faire
* un mauvais ? »
« Je crois devoir aussi ajouter la réponso
que lui firent les mêmes personnes au sujet
du reproche qu'il avait fait à I égard îles
traductions de Téreuce et d'autres poêles,
destinées à l'instruction de la jeune&se.
« Vous voulez abuser du mot de comédie et
« confondre celui qui les fait pour les Uiéà-
« tresaveccelui qui leslraduitpoui les écoles.
« Mais il y a tant de différence entre eux,
« qu'on ne peut point tirer de conséquence
« <le l'un à l'au ro. Le traducteur n'a dans
(6 iô) A paucis ermiitis corde major Dei ira inlel-
tigitur. (S. Augustin )
(6>>i) Dans ses Observations sur la réponse qui
:»;vaii, été fa i le à son discours qui avait remporté le
prix à l'Académie de Dijon en 1750.
(63-">) Evangelio contra Dei ennsilium abnlilur et
h;ju>vliliam advcrsns Deiim cbmmiltii. qui non amat
lifel liiminis ipsins splendorcm, nec illud pro regnl.i
xitiesmercipsababel. Primm-pumiionisgradus est lu-
men am'illerv. qno abul'nnur, et in le.ebias ac cae-
cii.item vordis prolam, eo tisque ni nec Deun ani-
plius cognos» amns notai;» saluiari. Secundos gradus:
i!on astipliiiscogiioscere seipsum, imsque eredere eo
simieulKiies, qno insipienliores sunius. Kvangelinin
salvai non enui qui istwd legit vel audit, sed qui re-
cipil, amat et fide vivu ;kJ pmxiin redigit. Qmc
sliilliiia, et quant commuais, Dei justifiant cogno-
scsre, oi site lanquam jusuiia non essel vitam iusli-
tucre! Exspec'.m Deus qnia lwnus est et .•cternu»;
sed puiiiei quia sanclus est cl jnstns. Qui aures cLn -
dit vnce miséricorde.», dum vivit, ferre deltebti, du n
morietnr et misciïcoidiaio cir teiuplam et jusltliam
irritalam. (Conipènd. mor. Ep. S. P.)
(606) Mniti verum iutell g uni nec il>i pormanrnl,
am^mlo ea qn:e aven uni a vero. (S. AuGUsTlN.)
(0(i7: Alind est quando qiiisque conalur aliqnl I
intvlligere et per infii mitaient carni& non polest.
Allud (ptando pernieiosins adversum seipsum agit
cor bumanum ui quod possel intelli<;ere si bona vu~
hmias acce ■ieret, mm inlelligal, non quia difficile est,
sed qnia voluuias advçtsa est. Hoc auletu ht ctiin
atuaui pecca»a sua et odetiul piaecepla Dei'...... Cre-
dere in Deum esl eredendt» adluerere ad bene cin>-
perandum bona «peranti Deo. (S. Augustin.)
(668) Fascinait» nug.icilaîis obscaral bona. (&tp.
iv, 12.)
H57
NOTICE SUK LE THEATRE LIBRE.
118
« l'esprit que des eègles de grammaire qui
« ne sont point in.iuv.uses par elles-mêmes,
« et qu'un bon dessein peut rendre Irès-
<* bonnes; m;iis le poëte a bien d'autres
« idées dans l'imagination : il sent toutes
<• les passions qu'il conçoit et il s'efforce
« môme de les sentir, afin de les mieux con-
« Devoir. Il s'échauffe, il s'emporte, il se
« flatte, il s'offense, i! se passionne jusqu'à
« sortir de lui-même pour entier dans ce
« sentiment des personnes quM représente.
« Il est quelquefois Turc, quelquefois Maure,
« tantôt homme, tantôt femme, et il ne quitte
« une passion que pour en prendre une
« autre. De l'amour, il tombe dans la haine;
«de la colère, il passe à la vengeance, et
« toujours il veut faire sentir aux autres les
« mouvements qu'il souffre lui-même II est
« fâché" quand il ne réussit pas dans ce
« malheureux dessein et il s'attriste du mal
« qu'il n'a pis fait.
« Quelquefois les vers du poëte peuvent
« être assez innocents, mais la volonté du
« poëte est toujours criminelle; les vers
« n'ont pas toujours assez de charmes pour
« empoisonner, mais le poëte veut toujours
« qu'ils empoisonnent ; il veut toujours que
« faction soit passionnée et qu'elle excite <Ju
« trouble dans le cœur des spectateurs.
« Quelle différence donc entre le poêle et
« celui qui le traduit pour l'instruction de
« jeunesse et qui en ôte tout le venin , aiin
« de conserver la pureté et l'innocence de
* ceux qui ne cherchent dans les ouvrages
* des anciens que ce qu'on y doit chercher,
« qui est d'y prendre une teinture de l'air et
« du si} le de ces auteurs , et d'y apprendre
« la pureté de leur langue... Vous obligez
« toutes les personnes justes de vous dire
« avec saint Jérôme, qu'il n'est rien de plus
« honteux que de confondre ce qui se fait
« pour le plaisir inutile des hommes, avec
« ce qui se fait pour l'instruction des en-
« fants, et quod in pueris necessitatis est,
« erimen in se faccre voluptat s. » Au re>le,
dans quel temps de sa vie Jean Racine lit-il
ce taux raisonnement dont vous vous pré-
valez? N'est-ce pas dans celui sur lequel
il a vevsé des larmes? J'aime bien mieux
considérer ce célèbre poëte dans cet âge, où
connaissant et aimant la religion , son cœur
était aussi parfait que les productions de son
génie avaient été éclatantes. Le respect que
l'on doit à sa mémoire m'oblige de détruire,
par l'expression de quelques-uns de ses
sentiments, l'abus qu'on pourrait faire des
écarts de sa jeunesse que vous osez rappe-
ler et dont il aurait souhaité pouvoir faire
perdre le souvenir. Ecoutezde : c'est un pèra
qui, éclairé par les lumières de la vérité,
désire de procurer le même bonheur à se*
enfants, en faisant tourner h leur propre
instruction les écueils dont il avait connu lo
danger. M. son fils, qu'on appellera à jamais
le poète de la religion, non content d'avoir
profile du zèle d'un si bon père, a bien
voulu le rendre encore utile h d'autres, en
donnant au pubilc ce recueil de lettres si
propre à faire connaître le cœur de ce grand
homme. Voici ce que Jean Racine écrivit à
un de ses lils et qu'on peut adresser à tous
ceux qui voudraient s'autoriser de ce qui
lui était échappé dans l'ardeur des passions.
« Ci oyez- moi, mon fils; quand vous sau-
« rez parler île romans et de comédies, vous
« n'en serez guère plus avancé pour le
« monde et ce ne sera point par cet endroit là
« que vous serez plus estimé... Vous savez
« ce que je vous ai dit des opéras et des co-
« médies; on doit en jouer à Marly. Le roi
« et la cour savent le scrupule que je me
« fais d'y aller et ils auraient une mauvaise
« opinion de vous, si à l'âge où vous êtes
« vous aviez si peu d'égards pour moi et
« pour mes sentiments.
« Le plus grand déplaisir qui puisse m'ar-
« river au monde, c'est s'il me revenait que
« vous êtes un indévot et que Dieu vous est
« devenu indifférent.
« Je sais bien que vous ne serez pas
« deshonoré devant les hommes en allant
« aux spectacles, mais comptez-vous pour
« rien de vous déshonorer devant Dieu ?
« Pensez-vous vous-même que les hommes
« ne trouvassent pas étrange de vous voir
« pratiquer des maximes si différentes des
« miennes ? Songez que M. le duc de llour-
« gogue, qui a un goût merveilleux (G69)
« pour toutes ces choses, n'a encore été à au-
« cun spectacle. »
a Tels étaient les sentiments de ce célèbre
poëte, lorsqu'il n'écouta plusque la religion,
c'est-<wlire celte vraie philosophie qui ap-
prend à l'homme ce qu'il a été, ce qu'il est
et ce qui peut le rendre tel qu'il doit être.
Ce fut à cette école que, dès l'âge le plus
critique pour la vertu et les talents, l'illustre
M. le chancelier d'Aguesseau, avait appris
ce qu'il fallait penser des spectacles. Les
idées qu'il conçut de leurs dangers, sont
déposées dans la collection de ses excellents
ouvrages , où il continue d'être, lex lo-
quens (670) ; 'c'est-à-dire la lumière • et le
modèle de la magistrature (671] ; je vous les
(669) On peut donc connaître et goûter celle par-
tie <le littérature, quoiqu'on n'ait pus fréquenté les
llicairrs put. lies.
(G70) Yerc clici potest inagislratum legcm esse lo-
quentciu, legein auteui inuium inagislratum. (GlC,
De leg., lib. vin.)
(07 1) Que cet ordre (de la magistrature) soit sans
reproches, et qu'il serve de modèle à tous les ci-
toyens. Celle loi e.->t belle et d'une gratifie portée.
Cardés qu'elle exige une exeinpion de tous vices,
aucun vicieux n'osera donc se présenter pour eue
revu dans cet ordre. Et si celle loi exige aussi que
chaque membre soit le modèle des citoyens, nous
avons tout gagné. Car comme une ville entière se
laisse corrompre parles dissolutions et les vices de
ses chefs et de ses juges, de même elle est corrigée
et réformée par leur régularité. Je conviens que cria
est difficile dans la pratique, mais si nous n'y re-
connaissons pas les hommes d'à piéseut, une sage
éducation et l'exactitude à eu suivre les principe»,
pourront en préparer pour l'avenir. Is oroo vitio
CAItETO, C/ETKRIS SPECIMEN ESTO, Piaclul» esl Uu li'X
el Iule palet; num cum omne viliu ennre lex ntOeni,
ne venut quidem in rtim ordinem qmsciuam vitii / «r-
1159'
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
H CD
indique pour vous désabuser sur la fausso
opinion où vous êtes, que la voie la plus
sûre pour connaître l'utilité morale des
spectacles, est de les fréquenter; vous êtes
étonné de ce qu'on s'est servi du nom et de
l'autorité de M. Jean Jacques Rousseau pour
proscrire les théâtres. Il avait cependant pris
la voie la plus sure, selon vous pour en bien ,
juger, puisque vous citez l'aveu qu'il a fait"
de n'avoir jamais manqué volontairement la
représentation d'une pièce de Molière; mais
eu égard aux vices de sa conduite, vous
dites que c'est un philosophe qni se moque de
nous, en faisant semblant de nous instruire.
Vous aurez donc peut-être plus d'égard au
témoignage de l'immortel chancelier que je
viens de nommer. La pureté et l'uniformité
de, ses mœurs, la gravité de sa conduite, son
zèle [tour le bien de l'Etat , son respect et
son amour pour la religion étaient comme
une censure publique, qui apprenait aux
personnes élevées en dignité ou distinguées
par leur naissance, à en soutenir le lustre
par une vie régulière (672), fortifiait dans la
pratique de tous devoirs les âmes les plus
faibles, animait les plus indifférentes, faisait
rougir les moins vertueuses, instruisait
enfin les bons citoyens et condamnait les
méchants. Son autorité est donc à citer.
C'est en effet par de pareils organes que la
vérité se manifeste avec plus de succès.
Consultez ses savantes Remarques sur les
causes métaphysiques du plaisir que l'âme
goûte aux représentations des drames, prin-
cipalement des tragédies (673), vous recon-
naîtrez que pour n'avoir jamais été aux
spectacles, il eu connaissait mieux les objets
et les effets que la plupart de leurs plus zélés
partisans, que l'amour des bagatelles nui-
sibles éloigne de la saine raison (674).
« 11 appelle cette production littéraire une
douce et dangereuse rêverie, qui, dit-il, a tant
abusé de mon oisiveté , que je rougis presque
d'être devenu prodigue pour le théâtre d un
temps que je n'y avais jamais perdu. Il ne la
regardait comme dangereuse, que par la
crainte qu'il avait qu'on abusai de ce qu'il
y dit en faveur de la tragédie, considérée en
elle-même dans sa plus giande perfection,
telle enfin que les philosophes anciens la
concevaient,
« Ces sages, peut-être plus sévères, dit
« M. d'Aguesseau , que nos nouveaux ca-
« suisles, nous ont appris que la tragédie,
« aussi bien que le poëmc épique, ne devait
« cherchera plaire que pour instruire. Ils ont
• cru que l'une et l'autre n'étaient vérilable-
ticeps. Cœleris spécimen eslo. Quod si est, tenemus
omnia.llt enim cupidilaiibus priucipum et vitiis in-
(ici solet ipta civitas, sic emeuduri et corrigi con'.i-
nentitu Id tiuic.m, difficile faci-u est nisi ettucalione
Hiuuiatu et disciplina, non enim de hoc senalii, nec
Itis de fiomiiiibv&% qui nunc sum, sed de futuris, si
qui <[one liis legibus parère voluerint (Cic, De (eg.,
ldi,iu.) s ,
V"»7i) ÇicérQii, Cujus (ère omîtes mirautur linguant,
eciusnon ita% dit que pour corrompre ou réformer
es moeurs de toute une ville, il ne faut que irès-peu
de personnes, mais de celles qui sont élevées au
i
« ruent qu'une fable plus noble, à la vérité»
« plus étendue, plus ornée que celle d'Esope,
« mais du même genre et qui avaient le
« même but , c'est-à-dire d'employer lu
« secours et l'agrément de la fiction pour
« faire entrer plus aisément dans l'esprit et
« pénétrer plus avant dans le cœur, une
« vérité morale qui en est J'âmc et qui en
« doit animer tout le corps. L.? le poëte tra-
« gique entrait bien dans son art, il fallait
« que toute la conduite, toute l'économie de
« sa pièce, tendît uniquement à établir, à
« développer, à mettre dans tout son jour,
« le point de morale qui en était le véri'tablo
« sujet. Il ne prenait la route des sens que
« puur aller à !a raison. L'imagination par-
« lait sa langue, non pour séduire l'imagi-
« nation des spectateurs, mais pourla rendre
« plus attentive, plus docile à la raison. Il
o n'est pas douteux que de pareils poëme*
« renfermaient une espèce de philosophie,
« si les poètes pouvaient être philosophes. »
«Je crois, Monsieur, qu'il pouvait y en
avoir dans les temps héroïques ; mais, comnra
lu pensait M. le chancelier d'Aguesseau, il
ne serait pas facile d'en rappeler la modo
dans des temps où l'esprit est préféré à la
raison ; cependant si
Raison sans sel esl fade nourriture,
Sel sans raison n'est solide pâture :
De tout les deuv se forme esprit parfait.
(Rousseau, liv. i, ep. 5.)
Nous avons bien vu dans Jean Racine un
poète qui devient philosophe, et plus véri-
table philosophe qu'on ne pouvait l'être dans
le prétendu âge d'or du paganisme. Il nous
a donné, dans. ilhalie elEsther,ûeux modèles
de la plus grande perfection, tant pour le
drame que pour la morale. Un homme, alors
très-connu par sa piété et par son esprit,
écrivit dans l'enthousiasme « que ce poêle
« était devenu l'apôtre des Muses et le pré-
« dicateur du Parnasse, dont il semblait n'n-
« voir appris le langage que pour leur prê-
« cher en leur langue l'Evangile et leur an-
ci noncer le Dieu inconnu. »
« Mais vous savez quel fut le sort de ces
deux chefs-d'œuvre. Le public se prévint et se
déclara fortement contre eux. Ce n'était, di-
sa.i on, que des sujets de dévotion propres
à amuser des enfants , et Racine mourut
très-persuadé que ces deux tragédies n'au-
raient jamais de succès sur le théâtre pu-
blic ; son intention au reste était qu'elles n'y
fuissent jamais représentées. Et il obtint
qu'on l'énonçât dans le privilège qui fui ac-
ilessus des aulres par leur naissance on par Ictus
charges. Puuci algue admodum pauci honore et g!o-
ria amplificati vel corrumpere mores civilalis, vet cor-
rnjere possunl.... nobilium rita viatique mutato mu-
res muiuri civitatum puto. {De leg ., Iil>. v.)
(673) M. le chancelier d'Aguesseau fit, dans nu
séjour à Fresnes, ces remarques sur un discèiirs
de M. de Yaliiteourl, qui avait pour litre : De Fimi-
talion par rapport à la tragédie.
(674) Inquisi ores nugarum qui lanqnam Auvics
a crealove suo averluntur et la! untur in hujus
safCiili amaricaiitem Diaiitiaiu (S. Accu tin.)
1161 NOTICE SUR LE THEATRE EliiUE. !'!«
cordé en 1G89 (675) aux Dames de Saint-Cyr, que des fables et des frivolités qui leui plai-
nour qui ces deux drames avaient été corn- sent, ils se livrent à toutes opinions nouvel-
posés. Ce fut une dispute littéraire qui les. Us méconnaissent la vérité, cette raison
donna lieu à l'infraction de cetto clause, souveraine, cette loi universelle que Pin-
pour la tragédie il' Athalie. Despréaux avait dare disait être la reine des dieux et des
été presque seul à soutenir contre tout le hommes, et que les Chrétiens, dit saint Clé-
public, que celle pièce était le chef-d'œuvre ment d'Alexandrie, appellent la lumière de
et du roële et de la tragédie. M. Philippe, la vie (680). Les poètes sont persuadés que,
duc d'Orléans, régent du royaume, voulut pour plaire au plus grand nombre, il iaut
faire juger cette ancienne querelle acadé- moins les instruire que flatter les écarts de
rnique, et il ordonna aux comédiens français leur cœur et de leur esprit (681).
do représenter Athalie sur leur théâtre; elle « C'est pourquoi les mœurs, dit M. le
fut applaudie, mais la représentation, qui en « chancelier d'Aguesseau, le caractère des
avait déjà été faite à la cour par les mômes « personnages mis sur la scène, leurs pen-
acteurs, avait préparé cet accueil. Comme * sées, leurs sentiments, leurs expressions,
Louis XV était alors à peu près de l'âge de « tout conspire à réveiller ou à flatter les
Joas et portait sur son front le présage du « inclinations que nous avons tous pour la
surnom de Bien-Aimé, on ne pouvait, sans « gloire, pour la grandeur, pour l'amour,
s'attendrir sur le jeune monarque, entendre « pour la ^vengeance, qui sont les mobiles
quelques vers comme ceux-ci : « secrets du cœur humain. Les passions
„.-..-. . . « feintes que nous y voyons nous plai-
Voila donc votre roi, voire unique espérance, ^ gent par*Jes roêmeg rais()-$ quQ ,es rée,_
j'ai'pris soin jusqu'ici de vous lé conserver,' ' « les, parce qu'en effet elles en excitent de
. . . . « réelles dans notre âme, ou parce qu elles
Du fidèle David, c'est lé précieux reste," « nous rappellent le souvenir de celles que
« nous avons éprouvées : Rapiebanl me spe-
Songez qu'en cet enl'aut tout Israël réside. « ctacula theatrica plena imaginibus miseria-
« Les circonstances du temps contribué- « riu™ mca™m «.Ce sont ces misères
rent donc beaucoup au succès <ie cette Ira- « mômes V °" ainm-eo \ J™ «* * * f enJ»;
gédie sur un théâtre si peu convenable à un « 0n l .foû le e°c?F£ Jg ïltî
sujet aussi saint et traité avec tout le respect « ses faiblesses justifiées, autorisées, enno-
dû à l'Ecriture sainte * blies' S0lt Par ,,e Srands exemptes, soit
« D'ailleurs, dit madame la comtesse de « P*r le tour ingénieux et la morale sédui-
« Caylus (676), M. Racine y aurait vu celle « jante dont le poète se sert souvent pour
« tragédie aussi défigurée qu'elle m'a paru « les déguiser, pour les colorer, pour les
« l'ôlre par une Josabeth fardée (677), par « Peindre en beau et les faire paraître au
« une Athalie outrée (678) et par un grand « ,noins PluTs d'lnes do compassion que de
« prêtre (679) si peu digne de représenter la '( censure.. Le charme du spectacle les ac-
« majesté d'un prophète divin. » - « De « ^ns qui y sont représentées, artifice de
« pareils sujets, dit aussi madame de Sévi- « ,a P,oésie ,et 1 enchantement des paroles
« gné, ne conviennent pas à de tels acteurs. « par lesquelles elles flattent la corruption
« Il faut' des personnes innocentes pour « du cœur, étouffent peu à peu les remords
« chanter les malheurs de Sion et des âmes « df la conscience, en apaisent les scrupules
« vertueuses pour en voir avec fruit la re- « 9l effacent insensiblement cette pudeur
« présentation » * importune qui fait d abord qu on regarde
« Voilà sans' doute ce qui a donné lieu « le crime comme impossible, qu'on en voit
à M. le chancelier d'Aguesseau de traiter « ensuite non-seulement la possibilité, mais
de rêverie sa lumineuse Dissertation. Il « 'a facilité. On en apprend le chemin, on en
croyait qu'il était moralement impossible * é.tudie, le langage et surtout on en re-
aux poètes, non de composer des drames « ilent ,es excuses. Quelle impression ne
vraiment philosophiques, mais de les faire « falt Pas. Phfre s,ur, ' âme dune jeune
goûtera la multitude des spectateurs, à qui « spectatrice lorsciu elle charge Vénus de
l'on pourrait appliquer te qu'un prêtre égvp- « toute la honte de sa passion, lorsqu'elle
tien disait des Grecs, en parlant à Solon : a Prend les dieux à témoin :
Ce ne sont que des enl'anls, on n'y trouve Ces dieux qui dans son flanc
point de vieillards par les mœurs, il n'y a Ont allume ce feu fatal à tout son sang,
(675) Ce privilège est du 5 février 1089; il y est halienles opinionem ; nec disciplinant ullani cauani
dit: « Ayant vu nous-mêmes plusieurs représenta- tempore; nec legem qua.', inqui t Pindarus, regina
lions desdils ouvrages dont nous avons éle salis- est omnium morlaliuin et immorlalium; luccrna
f;iiis, nous avons donné par ces présentes aux Dames aiilem est prœccplum lionum, ut vult Sciiplura san-
de Sainl Cyr, avec défenses à lotis acteurs, > etc. cia, lex est lumen vita? (S. Clem. Alex., lib. i Stro-
(C7ti) Dans son ouvrage intitulé : Mes souvenirs. matum.)
(677) C'est-à-dire la Duclos. (081) Slullorum infinilus est numerus... stullilia
(078) La Desmares. aiiiem est rerum appeiendarum et vilandarum ,vi-
(079) Beauhourg. — Les fameux acteurs du temps, liosa ignoranlia. ÎSon per mores quos sapieniia
(680) Apml l'Ialonem, in Timœo, pulciierrime juuet, pervenire volunl ad lucem Dei, sel tanlum
sacerdos iÊgyplius : O Solon, inquil, ex Grœcis nul- ad laudes hominum quod est vanilas et insipienlia.
lus eslsenex; vos Graci semper eslis pueri nullam (S. Augustin.)
penilusin animisper veterem audilionem antiquam (082) S. Âogvst., Confès., lib. m, c. 2.
Dictionn. des Mystères. 37
Hu5
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1164
Ces dieux qui se sonl fail une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une faible mortelle.
« Il est vrai qu'on n'accuse plus les dieux
« du dérèglement de son cœur et qu'on ne
« cherche plus à l'autoriser par leur exem-
« pie, comme ceux dont saint Cyprien a dit :
« peccant exemplo deorum; mais on l'attri-
« bue à l'étoile, à la destinée, a la nécessité
« d'un penchant invincible; on retrouve avec
« plaisir ses mauvais sentiments dans ceux
« qu'on appelle des héros, et une passion
« qui nous est commune avec eux, ne pa-
« raît plus une faiblesse. On se répète en
« secret ce qu'OEnone dit pour apaiser le
« trouble de sa maîtresse :
Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.
« On s'étourdit au moins de ces pensées
« vagues et confuses qu'on n'approfondit
« jamais. On sort du théâtre rassuré contre
« l'horreur naturelle du crime (683) ; ce
« même plaisir y ramène souvent ceux qui
« l'ont une fois goûté. Ainsi, soit que le
* spectacle ne cause aucun trouble et une
« émotion passagère, qui faussement paraît
« d'abord innocente , soit qu'il excite ou
« qu'il rappelle des passions plus durables
« que l'action et le langage du drame auto-
« risent et justifient , c'est sans doute dans
« ces deux effets que consiste principalement
« le grand plaisir que les hommes y pren-
« nent. Enfin, avoir montré pourquoi les
« spectacles sonl dangereux, c'est avoir fait
« voir combien ils sont agréables , parce
« qu'en effet ce qui en fait le plaisir est ce
« qui en fait le danger, et qu'on peut dire
« presque toujours que la meilleure pièce
« en un sens est en un autre sens la plus
« mauvaise. »
« Que conclure, Monsieur, d'après cet ora-
cle? je crois ne pouvoir mieux vous faire
goûter la conséquence qui en résulte, qu'en
vous les présentant sous les grâces de la
poésie. Je vais donc vous citer un poète ly-
rique, qui pourra vous rendre ce bon
olliee.
Qu'à jamais le théâtre se ferme ,
Les dogmes qu'il contient, les leçons qu'il renferme, '
Loin de nous corriger, de nous rendre meilleurs,
Séduisent l'innocence et corrompent les mœurs.
Sa Morale suspecte est un faible antidote :
C'est vainement qu'Horace appuyé d'Aristole,
Nous dit qu'en celle école ou apprend, on s'inslruil :
De ces instructions quel peut cire le fruit?
Les sentiments qu'elle aime et qu'elle nous inspire,
Des folles passions affermissent l'empire :
Par ces principes faux les crimes déguisés,
Sous le nom de verlus sont métamorphosés.
J'y vois l'ambition , l'amour el la vengeance,
En tyrans suborneurs faire agir leur puissance,
Nourrir notre faiblesse, et sur noire raison
Jeter un voile épais el verser leur poison.
J'y vois avec horreur Clylemneslrc perfide,
OÊdipe incestueux , Oresle parricide ,
L'innocent Hippolyle à la mort condamné,
Et Néron triomphant d'un frère empoisonné.
Corneille du théâtre abjurant les maximes,
Eût voulu n'en avoir jamais souillé ses rimes :
(685) In thealris congaudent amanlibiis qui seso
fruuulur per flas'Uia. (S. Auc, I. m Conf.)
Racine en gémissant, comme lui détesta
Le vol pernicieux dont l'essor l'y porta (6S4).
« Je tiens à ces principes. Ils sont soute-
nus d'autorités imposantes et en grand nom-
bre. Maisje vous invile moins h les compter
qu'à les peser avec équité. Elles dissiperont
sans doute le nuage de l'illusion qui couvre
à vos yeux les dangers des théâtres. Si jus-
tics es, non numéro, sed oppende. Non respicias
ad theatrum insaniw ; mendax est. Noli imi-
tori turbas concurrentes. (S. Aug.)
« Je suis, etc. »
Lettre de M. Grcsset, Vun des quarante de
V Académie française, à_M. ***, sur la comé-
die; Paris, 1759.
« Les sentiments , Monsieur, dont vous
m'honorez depuis plus de vingt ans, vous
ont donné des droits inviolables sur tous
les miens; je vous en dois compte et je
viens vous le rendresur un genre d'ouvrages
auquel j'ai cru devoir renoncer pour tou-
jours. Indépendamment du désir de vous
soumettre ma conduite et de mériter votre
approbation, votre appui m'est nécessaire
dans le parti indispensable que j'ai pris, et
je viens le réclamer avec toute la confiance
que votre amilié pour moi m'a toujours
iuspirée. Les litres, les erreurs, les songes
du monde n'ont jamais ébranlé les princi-
pes de religion que je vous connais depuis
si longtemps : ainsi le langage de cette let-
tre ne vous sera noint étranger, et je
compte qu'approuvant ma résolution , vous
voudrez bien ru'appuyer dans ce qui me
reste à faire pour l'établir et pour la ma-
il ifes 1er.
;( Je suis accoutumé , Monsieur, à pen-
ser tout haut devant vous; je vous avouerai
donc que, depuis plusieurs années, j'avais
beaucoup à souffrir intérieurement d'avoir
travaillé pour le théâtre, étant convaincu,
comme je l'ai toujours été, des vérités lu-
mineuses de notre religion, la seule divine,
la seule incontestable; il s'élevait souvent
des nuages dans mon âme sur un art si peu
conforme à l'esprit du christianisme, et ju
me faisais, sans le vouloir, des reproches
infructueux , que j'évitais de démêler et
d'approfondir; toujours combattu et tou-
jours faible, je différais de me juger, par
la crainte de me rendre el par le désir de
me faire grâce. Quelle force pouvaient avoir
des réflexions involontaires contre l'empire
de l'imagination et l'enivrement delà fausse
gloire? Encouragé par l'indulgence dont le
public a honoré Sidney el le Méchant, ébloui
par les sollicitations les plus puissantes, sé-
duit par mes amis, dupe d'autrui et de moi-
même, rappelé en même temps parcelle
voix intérieure, toujours sévère et toujours
juste, je souffrais et je n'en travallais pas
moins dans le même genre. Il n'est guère
de situation plus pénible, quand on pense,
que de voir sa conduite en contradiction
avec ses principes et de se trouver faux à
soi-même et mal avec soi. Je cherchais à
(«84) M. Lebrun , connu par plusieurs odes.
1165
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ii<W
étouffer cette voix des remords à laquello
ou n'impose point silence, ou je croyais y
répondre par de mauvaises autorités que je
rne donnais pour «bonnes ; au défaut de
solides raisons , j'appelais à mou secours
tous les grands et frêles raisonnements des
apologistes du théâtre ; je tirais môme des
moyens personnels d'apologie de mon at-
tention à ne rien écrire qui ne pût être
souruis à toutes les lois des mœurs, mais
tous ces secours ne pouvaient riea pour ma
tranquillité. Les noms sacrés et vénérables
dont on abuse pour justifier la composition
des ouvrages dramatiques et le danger des
spectacles, les textes prétendus favorables,
les anecdotes fabriquées, les sophismes des
autres et les miens ; tout cela n'était que
du bruit, et un bruit bien faible contre ce
sentiment impérieux qui réclamait dans
mon cœur. Au milieu de ces contrariétés et
<!e ces doutes de mauvaise foi, poursuivi par
l'évidence, j'aurais dû reconnaître dès lors,
comme je le reconnais aujourd'hui, qu'on
a toujours tort avec sa conscience, quand
on est réduit à disputer avec elle. Dieu a
daigné éclairer entièrement mes ténèbres
et dissiper à mes yeux tous les enchante-
ments de l'art et du génie; guidé par la foi,
ce flambeau éternel , devant qui toutes les
lueurs du temps disparaissent, devant qui
s'évanouissent toutes les rêveries sublimes
et profondes de nos faibles esprits forts, ainsi
que toute l'importance et la gloriole du
bel esprit; je vois sans nuage et sans en-
thousiasme que les lois sacrées de l'Evan-
gile et les maximes de la morale profane,
le sanctuaire et le théâtre sont des objets
absolument inalliables; tous les suffrages de
l'opinion, de la bienséance et de la vertu
purement humaine fussent-ils réunis en fa-
veur de l'art dramatique, il n'a jamais ob-
tenu , il n'obtiendra jamais l'approbation
de l'Église; ce motif sans réponse m'a dé-
cidé invariablement : j'ai eu l'honneur de
communiquer ma résolution à Monseigneur
l'évêque d'Amiens et d'en consigner l'en-
gagement irrévocable dans ses mains1 sa-
crées; c'est à l'autorité de ses leçons et à
l'éloquence de ses vertus, que je dois la fin
de mon égarement; je lui devais l'hom-
mage de mon retour, et c'est pour consacrer
la solidité de celte espèce d'abjuration, que
je l'ai faite sous les yeux de ce grand prélat
Si respecté et si chéri ; son témoignage saint
s'élèverait contre moi, si j'avais la faiblesse
et l'infidélité de rentrer dans la carrière : il
ne me reste qu'un regret en la quittant, ce
n'est point sur la privation des applaudisse-
ments publics, je ne les aurais peut-être pas
obtenus, et quand même je pourrais être
assuré de les obtenir au plus haut degré,
tout ce fracas populaire n'ébranlerait point
ma résolution ; la voix solitaire du devoir
doit parler plus haut pour un Chrétien que
toutes les voix de la renommée. L'unique
regret qui me reste , c'est de ne pouvoir
point assez effacer le scandale que j'ai pu
donner à la religion par ce genre d'ouvrage,
et de n'être uoint à nortée de réparer le mal
que j'ai pu causer sans le vouloir j le moyen
le plus apparent de réparation, autant qu'elle
est possible, dépend de votre agrément pour
la publicité de cette lettre; j'espère que vous
voudrez bien permettre qu'elle se répande
et que les regrets sincères que j'expose ici
à l'amitié, aillent porter mon apologie par-
tout où elle est nécessaire; mes faibles ta-
lents n'ont point rendu mon nom assez con-
sidérable pour faire un grand exemple; mais
tout fidèle, quel qu'il soit, quand si s égare-
ments ont eu quelque notoriété, doit en pu-
blier le désaveu et laisser un monument de
son repentir. Les gens du bon air, les demi-
raisonneurs, les pitoyables incrédules peu-
vent à leur aise se moquer de ma démarche ;
je serai trop dédommagé de leur petite cen-
sure et de leurs froid'es plaisanteries, si les
gens sensés et vertueux, si les écrivains di-
gnes de servir la religion, si les âmes hon-
nêtes et pieuses que j'ai pu scandaliser,
voient mon humble désaveu avec cette sa-
tisfaction pure que fait naître la vérité dès
qu'elle se montre.
« Je profile de cette occasion, pour rétrac-
ter aussi solennellement tout ce que j'ai pu
écrire d'un ton peu réfléchi dans les baga-
telles rimées dont on a multiplié les éditions,
sans que j'aie jamais été dans la confidence
d'aucune. Tel est le malheur attaché à la
poésie, cet art si dangereux, dont l'histoire
est beaucoup plus la liste des fautes célèbres
et des regrels lardifs que celle des succès
sans honte et de la gloire sans remords ; tel
est l'écueil presque inévitable, surtout dans
les délires de la jeunesse : on se laisse en-
traîner à établir des principesqu'on n'a point ;
un vers brillant décide d'une maxime har-
die, scandaleuse, extravagante : l'idée est
téméraire, le trait est impie; n'importe, le
vers est heureux, sonore, éblouissant, on
ne peut le sacrifier; on ne Yeut que briller,
on parle contre ce qu on croit, et la vanité
des mots l'emporte sur la vérité des choses.
L'impression ayant donné quelque existenco
à de faibles productions auxquelles j'attache
fort peu de valeur, je me crois obligé d'en
publier une édition très-corrigée, où je ne
conserverai rien qui ne puisse être soumis
à la lumière de la religion et à la sévérité de
ses regards; la même balance me réglera
dans d'autres ouvrages qui n'ont point eu-
core vu le jour. Pour mes nouvelles comé-
dies (dont deux ont été lues, Monsieur, par
vous seul), ne nie les demandez plus; le
sacrifice en est fait, et c'était sacrifier bien
peu de chose. Quand on a quelques écrits à
se reprocher, il faut s'exécuter sans réserve,
dès que les remords les condamnent ; il se-
rait trop dangereux d'attendre ; il serait trop
incertain de compter que ces écrits seront
brûlés au flambeau qui doit éclairer noire
agonie.
« J'ai cru, pour l'utilité des mœurs, pou-
voir sauver de cette proscription les princi-
pes elles images d'une pièce que je finissais,
et je les donnerai sous une autre forme que
celle du genre dramatique: celte comédie
avait pour objet la pciuturo et la critique
U67
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1168
d'un caractère plus à la mode que le Méchant
même, et qui, sorti de ses bornes, devient
tous les jours de plus en plus un ridicule et
un vice national.
« Si la prétention de ce caractère, si ré-
)andue aujourd'hui, si maussade, comme
'est toute prétention, et si gauche dans
ceux qui l'ont malgré la nature et sans suc-
cès, n'était qu'un decGS ridicules qui ne sont
que de la fatuité sans danger, ou de la sot-
tise sans conséquence, je ne m'y serais plus
arrêté; l'objet du portrait ne vaudrait pas
les frais des crayons ; mais outre sa comi-
que absurdité, cette prétention est de plus
si contraire aux règles établies, à l'honnê-
teté publique et au respect dû à la raison,
que je me suis cru obligé d'en conserver les
traits et la censure, par l'intérêt que tout
citoyen qui pense doit prendre aux droits de
la vertu et de la vérité ; j'ai tout lieu d'es-
pérer que ce sujet, s'il doit être de quelque
utilité , y parviendra bien plus sûrement
sous cette forme nouvelle que s'il n'eût paru
que sur la scène , celte prétendue école des
mœurs, où l'amour-propre ne vient recon-
naître que les torts d'autrui, et où les véri-
tés morales le plus lumineusement présen-
tées n'ont que le stérile mérite d'étonner
un instant le désœuvrement et la frivolité,
sans arriver jamais à corriger les vices et
sans parvenir à réprimer la manie des faux
airs dans tous les genres et les ridicules de
tous les rangs.
« Je laisse de si minces objets pour finir
par des considérations d'un ordre bien supé-
rieur à toutes les brillantes illusions do nos
arts agréables, de nos talents inutiles et du
génie dont nous nous flattons. Si quelqu'un
de ceux qui veulent bien s'intéresser à moi
est tenté de condamner le parti que j'ai pris
de ne plus paraître dans cette carrière, qu'a-
vant de me désapprouver, il accorde un re-
gard aux principes qui m'ont déterminé ;
après avoir apprécié dans sa raison ce phos-
phore qu'on nomme l'esprit, ce rien qu'on
appelle la renommée , ce moment qu'on
nomme la vie, qu'il interroge la religion,
qui doit lui parler comme à moi ; qu'il con-
temple fixement la mort, qu'il regarde au
delà et qu'il me juge. Cette image de notre
lin, la lumière, la leçon de notre existence
et notre première philosophie, devrait bien
abaisser l'extravagante indépendance et l'au-
dace impie de ces superbes et petits disser-
tateurs , qui s'efforcent vainement d'élever
leurs délires systématiques au-dessus des
preuves lumineuses de la révélation. Le
temps vole, la nuit s'avance, le rêve va finir :
pourquoi perdre à douter, avec une absurde
présomption, cet instant qui nous est laissé
pour croire et pour adorer avec une sou-
mission fondée sur les plus fermes principes
de la saine raison? Comment immoler nos
jours à des ouvrages rarement applaudis,
souvent dangereux, toujours inutiles? Pour-
quoi nous borner a des spéculations indif-
férentes sur les majestueux r hénomènes de
h» nature? Au moment où j'écii-, un corps
céleste, nouveau à nos regards, est descendu
sur l'horizon ; mais ce spectacle, également
frappant pour les esprits éclairés et pour le
vulgaire, amuse seulement la frivole curio-
sité, quand il doit élever nos réflexions.
Encore quelques jours, et cette comète que
notre siècle voit pour la première fois va
s'éteindre pour nous et se replonger dans
l'immensité des cieux, pour ne reparaître
jamais aux yeux de presque tous ceux qui
la contemplent aujourd'hui. Quelle destinée
éternelle nous aura été assignée, lorsque
cet astre étincelant et rapide, arrivé au ternie
d'une nouvelle révolution, après une mar-
che de plus de quinze lustres, reparaîtra sur
cet hémisphère? Les témoins de son retour
marcheront sur nos cendres.
« Je vous demanderais grâce, Monsieur,
sur quelques traits de celte lettre, qui pa-
raissent sortir des limites du ton épistolaire,
si je ne savais, par une longue expérience,
que la vérité a toute seule par elle-même le
droit de vous intéresser, indépendamment
de la façon dont on l'exprime ; et si, d'ail-
leurs, dans un semblable sujet, dont la di-
gnité et l'énergie entraînent l'âme et com-
mandent l'expression, on pouvait être arrêté
un instant par de froides attentions aux
règles du style et aux chétives prétentions
de l'esprit.
« Je suis, etc.
« A Amiens, le \k mai 1759. \>
Celte lettre est un témoignage du repentir
de Gresset d'avoir travaillé pour le théâtre.
Desprez de Boissy donne celte lettre en
appendice ; nous la rétablissons ici en son
entier.
Les partisans du théâtre ont beaucoup
murmuré contre cette lettre lumineuse et
édifiante de Gresset. Il en est très-mal parlé
dans le deuxième tome d'une Histoire infi-
dèle et dangereuse, intitulée Querelles lit-
téraires (085). Elle y est donnée comme
une déclamation qui a moins paru le langage
du remords que celui de l'amour-propre. La
Lettre de J.-J. Rousseau contre les spectacles
n'y est pas mieux traitée. Le panégyriste de
l'ignorance et des brutes, y est-il dit, devait
être le censeur du théâtre, Vécole de la poli-
tesse et du goût.
L'abbé Irail, à qui cette Histoire des que-
relles littéraires est attribuée (686), ne donne
pas une meilleure idée de son jugement et
de ses lumières, lorsque, dans le même en-
droit, il loue (687) le P. Caffaro d'avoir eu le
courage de s'élever au-dessus des préjugés de
son état, en écrivant en faveur de la comédie
avec ce ton de force et de véhémence qu'il n'ap-
partient qu'aux gens persuadés d'avoir.
(685) VHistoire des querelles littéraires parut en (6S6) Dans la France littéraire, et depuis dans le
1701. L'abbé Baral en donna dans le temps une cri- Dictionnaire littéraire de la France, édition de 4709,
tique sous ce titre : Lettre à M. sur l'ouvrage inti- t. 1, p. 303, et t. Il, p. 184.
(uU : Qjitr.ELLES littéraires. (68") Querelles littéraires, loin. II.
1169
NOTICE SLR LE THEATRE LIBIŒ.
1170
Il paraît qu'Irail n'a pas , sur les de-
voirs de l'état ecclésiastique , les mêmes
idées que Charlemagne en avait. « Nous
souhaitons, écrivait cet empereur aux évo-
ques de ses Etals, nous souhaitons que vous
soyez comme doivent l'être des soldats de
l'Eglise, c'est-à-dire des hommes pieux et
savants, que vous viviez bien, que vous
parliez bien et que vous soyez instruits
dans les lettres saintes. Car, quoique ce soit
une meilleure chose de faire le bien que
de le connaître, il faut cependant le con-
naître avant que de le faire (688). »
Si Irail avait connu l'Ecriture sainte, il
n'aurait pas avancé qu'elle est favorable au
P. Caffaro, quelle n'a rien tant en recom-
mandation que les jeux, la danse et les spec-
tacles, et quelle fait un mérite à quelques-uns
de ses plus saints personnages d'avoir dansé
au son du tambour (689).
L'abhé Irail n'aurait pas sans doute répété
ce sophisme suranné, s'il avait su que, du
temps de saint Cyprien, on avait osé s'auto-
riser de l'exemple de la danse de David
pour justifier les théâtres, mais que saint
Cyprien répondit à ces faux raisonneurs :
« Ne vaudrait-il pas mieux que ces gens-là
n'eussent jamais appris à lire que de faire
un tel usage de leur lecture? Qu'ils sachent
que l'exemple de David, qui a dansé devant
l'arche, ne favorise en rien les Chrétiens qui
assistent aux théâtres, parce qu'il n'y a
rien, dans l'exemple de David, qui soit hon-
teux ni qui ressente la licence des scènes et
des fables dramatiques (690). »
C'est à la rétractation du P. Caffaro qu'Irail
aurait dû donner des louanges. C'est alors
que ce religieux montra du courage. On
pouvait lui appliquer ce que saint Ambroise
disait d'un grand roi : il a eu des faiblesses
qui ne sont que trop ordinaires aux rois,
mais il s'en est repenti, ce qui leur arrive
rarement: erravit quod soient reges,pœnituit
quod non soient.
(088) < Optamus vos, sicul decet Ecclesiac milite s,
et interius devolos et exlerius doclos, caslosque bene
vivendo et scholaslicos bene loquendo. Quamvis
oiin melius sil benefacere quam nosse, prius lamen
est nosse quam facere. » Ceci est extrait d'une let-
tre que Charlemagne écrivit à un abbé du monastère
de Fulde, et elle devait être communiquée à tous les
cvèques et abbés de la province, comme l'ordonne
telle dernière phrase : « Hujus epislolœ exemplaria
ad omnes sufl'raganies luosquecoepiscopos et per
universa monasteria dirigi non negligas si graliani
noslrain habere vis. i Celle lettre est rapportée dans
le tome V du Recueil des Histoires de Fiance, donné
par les Bénédictins, pag. 021.
(689) Querelles litiéruires, lom. II , pag. 396.
(690) i Pudor me tend prœscriptiones eorum in
bac causa et patrocinia referre, ubi inquiunl scripla
sunt isla, ubi sunt prohibila? Anle arcam David ipse
saltavit. Nabla cynares, aéra, lympana, tibias, c-ytha-
ras, clioros legimus. Cur ergo homiui Chrisliano li-
deli non liceal speclarc quod licuil divinis liiteris
scribere? Hoc in loco non immeriio dixerim longe
melius fuisse, islis nullas lilleras nos quam sic li lie-
ras légère. Verba enim et exempta qu;e ad exhorla-
lionem evangeliesc virlulis posita sunt ad viiiorum
patrocinia translerunliir.... 0,,o<l David in conspeclu
Dci choros egii, itibiJ adjurât in Thealro scdenlcs
Au reste, il a échappé à Irail un aveu
très-défavorable aux théâtres, lorsqu'il dit
(691-92) que la religion etlalégislalion ont tou-
jours réprouvé la profession des comédiens,
et que cet accord des magistrats et des casuis-
tes pourrait donner lieu à de sérieuses ré-
flexions.
M. l'abbé Irail puisse-t-il en faire d'assez
bonnes, pour imiter le repentir du P. Caffaro!
car il faut aimer les hommes et ne haïr (pie
leurs erreurs. Diligite homines, inlerficite
errores.
Lettre d'un ancien officier de la reine à tous
les Français, sur les spectacles, par M. Tré-
blchet; Paris, 1759.
Lettre d'un curé du diocèse de***, à M. de
Marmontel, sur son Extrait critique de la
Lettre de M. Jean-Jacques Rousseau à M. d'A-
lembert: Paris, 1760.
L'auteur de celte Lettre est M. Secousse,
curé de la paroisse de Saint-Eustachede Pa-
ris. Cet écrit intéressant est à joindre aux
autres monuments du zèle avec lequel le
respectable corps des curés de cette capitale
a si souvent combattu les moralistes re-
lâchés.
Lettres historiques et critiques sur les spec-
tacles, à Mlle Clairon, actrice de la Comédie
Française, dans lesquelles on prouve que les
spectacles sont contraires aux bonnes mœurs ;
Avignon, Paris, 1762.
Ces Lettres sont une bonne critique de la
consultation que M. Huerne do La Moite
avait adressée à mademoiselle Clairon ; on y
a fait imprimera la fin l'arrêt du parlement
de Paris, du 22 avril 1761, qui condamne la
consultation.
L'auteur de ces Lettres est le P. Joseph-
Romain Joly. Il en a donné tout le fond
sous une forme différente dans le troisième
tome d'un autre de ses ouvrages quia pour
titre : Conférences sur les principaux sujets
de la morale chrétienne ; Paris, 1768.
Le Dictionnaire universel des sciences ecclé-
Chrisiianos fidèles. Nulla enim obscaenis motibus
membra dislorquens desallavit Graece libidinis fa-
bubm. INabulae, cynarae , tibise, tympana, cythara»
Domino servierunl non voluptalibus. » ( S. Cïpu. ,
De specl. )
< Non prœcipil Scriptura nisi charilalem, non cul-
pal nisi cupiditatem, et eo modo mores hominum
informat.... Omnis morbus anima: habet in Scriplu-
iïs medicamenlum suum.... > Il faut lire les Ecri-
tures saintes comme le faisait S. Augustin, en de-
mandant à Dieu qu'elles ne Ini servissent jamais pour
se tromper ni pour tromper les autres, « nec fallar in
eis, nec fallam ex eis. » El pour lors elles nous de-
viennent un miroir qui nous montre nos défauts et
les moyens de nous guérir. « Utere lectione divina
vice speculi. Scriptura enim est spéculum fœda os-
lendens, et corrigi docens. > Ceux qui osait faire
autoriser, par l'Ecriture sainte, un usage licencieux,
ne néritenl point d'autre réponse que celle que saint
Augustin fil souvent à Julien : Ce que vous dites n'ai
pas vrai, vous êtes un séducteur et un insensé, i Mon
est verum quod dicis, lingua tua amplexa est dolo-
silalem erras et tibi consenlienles millis alios
in errorem. Ista non diceres si lu sanum animiiui
haberes. » (S. Ait.., Cont. Jul.)
',694-92) Querelles littéraires, lom. II
117»
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
UTÎ
siastiques, parle R. P. Richard et autres
religieux dominicains, imprimé chez Jom-
bert, en 6 vol. in-fol. On y trouve au mot
Spectacles, une suite méthodique des meil-
leurs principes sur cette matière.
De l éducation civile, par M. Garmer, pro-
fesseur au Collège noyai et de l'Académie
royale des inscriptions et belles-lettres;
Paris, 1765.
Le troisième chapitre de ce solide ou-
vrage contient les réflexions les plus justes
contre la prétendue utilité morale de nos
spectacles. On sait que les poètes dramati-
ques attribuent à leur art la gloire d'avoir
triomphé de la barbarie et d'avoir adouci
n'oserais nommer parleur nom et qui sem-
blent n'avoir d'autres fonctions que de cor-
rompre ceux qu'ils conseillent Quels
modèles osez-vous offrir aux femmos, des
Phèdres, des Cle'opâtres, des Hermiones, des
Roxanes , des Eriphiles, etc. Voudriez-vous
avoir de pareilles héroïnes pour filles et
pour femmes? Enfin, que peuvent faire de
mieux ceux qui vont vous entendre, que
d'armer leur cœur contre des impressions
funestes à leurs repos et d'oublier si parfai-
tement ce qu'ils viennent d'apprendre, qu'il
ne leur en reste aucun souvenir en rentrant
dans le sein de leur famille? Mais on ne
peut espérer cette modération de celle foulo
les mœurs publiques. M. Garnier est bien déjeunes gens que l'on voit si ordinaire-
éloigné d'en convenir. ment se pâmer au doux chant des sirènes,
a C'est véritablement un grand service, Ils passent bientôt de l'image à la réalité et
leur dit-il , si en adoucissant les mœurs vous finissent par s'énerver l'âme et le corps. Les*
les avez rendues meilleures et plus pures, moins coupables sont ceux qui cultivent la
Mais si vous ne les aviez adoucies qu'en les musique et la danse, qui sont idolâtres de
amollissant, si votre magie n'avait servi leur figure et qui veulent plaire aux femmes
qu'à transformer des tigres et des lions en en s'ell'orçant de leur ressembler ; et cepen-
(les renards et en des singes, le beau secret dant ces gens sont pourvus de charges, sans
que vous auriez trouvé 1... Vous vous van- qu'ils songent aux moyens de les bien reni-
iez d'être les précepteurs de la nation. Eh plir.... Qui consolera la patrie en proie h
LienI dites-nous donc depuis plus d'un siè-
cle que nous prenons de vos leçons, avons-
jious fait bien des progrès dans le chemin
«le la vertu? Les hommes parmi nous sont-
des âmes de boue? Qu'un cordonnier, qu'un
tailleur fassent mal une chaussure ou un
habit, c'est un malheur facile a réparer et
qui retombe à la fin sur eux-mêmes; mais
ils devenus plus appliqués à leur devoir et qu'un homme en place se conduise mal, la
plus délicats sur leur réputation? Les fem- patrie entière s'en ressent et souvent la
mes se respectent-elles davantage? Les en- plaie devient incurable.... Qu'on ait donc
fauta sont-ils plus soumis à leurs parents? soin d'inculquer de bonne heure aux jaunes
L'union règne-l-elle davantage dans les fa- gens qu'ils ne sont point faits comme de vils
railles ? Les droits de l'amitié sont-ils mieux animaux, pour se procurer des sensations
connus et plus respectés? La patrie a-t-elle voluptueuses, que leur raison est le flam-
ncquis un plus grand nombre d'illustres beau qui doit les éclairer ; que cette raison,
défenseurs? Enfin ceux qui vous fréquentent épurée par la religion, dicte des devoirs;
valent-ils mieux que ceux qui vous négli- que la satisfaction qui provient des actions
gent? Tâchez surtout de nous prouver bien vertueuses est le plus grand de tous les
clairement ce dernier point; car j'observe plaisirs et le seul permanent; qu'un homme
que les parents qui s'occupent de l'éduca- qui néglige sa raison est plus à plaindre que
tion de leurs enfants, vous redoutent étran
gement; que 'es personnes à qui leurs places
prescrivent de la gravité et de la décence
craindraient d'être surpris dans les temples
où l'on débite si pompeusement vos maxi-
mes; que bien des gens sensés s'y ennuient,
que vos prêtres et vos prêtresses ne jouis-
sent pas encore des droits que les lois ac-
cordent au dernier des citoyens.... J'ouvre
vos livres et je ne trouve partout que cer-
taines amours romanesques, dont l'absur-
dité et la triste uniformité sont encore les
moindres défauts. Le devoir et la vertu sont
dans vos pièces de malheureuses victimes que
celui qui renoncerait volontairement à l'u-
sage de ses yeux ; qu'il est aussi impossible
d'être heureux avec une âme souillée de
vices, que de se bien porter avec un corps
couvert d'ulcères; que la science est la
source des biens, comme l'ignorance est la
source de tous les maux. »
Des causes du bonheur public , par M. l'abbé
Gros de Resplas; Paris, 1768. Cet ouvrage
intéressant contient un chapitre sur le dan-
ger des théâtres et la nécessité de les ré-
former.
Bodin, cet écrivain du xvie siècle, qui pa-
rait avoir fourni à M. de Montesquieu l'idée
vous parez de quelques fleurs pour faire à de VEsprit des lois, et celle de ce système
l'amour un sacrifice plus éclatant. Comment qui règle sur l'échelle des climats les mœurs
avez-vous remplacé le chœur des anciens ? et la religion des peuples (693) ; Bodin qui,
Par des confidents et des confidentes que je dans ses rêveries politiques tolère toutes
(G93) Ce système a paru merveilleux aux malé
rialisles qui n'attribuent nos faculiés intellectuelles
qu'à des modifications de la matière, de sorle que,
selon eux, l'existence des âmes est une chimère, et
l'homme ne diffère du singe que par l'organisation
matérielle. Ce n'est pas après avoir été endoctriné
{>ar une pareille philosophie qu'on d,ra ce que lecé-
èbre Bouchardon, enthousiasmé de la lecture d'Ho-
mère , disait à l'illustre antiquaire, M. le comte de
Cavlus : Depuis que y ai lu ce livre, les hommes ont
quinze pieds, la nature s'est accrue pour moi. Mais
c'est la religion chrétienne qui nous rehausse réel-
lement et bien davantage lorsqu'elle nous enseigne
que notre âme est, non une vapeur déliée, ou un air
subtil, mais une subsiance spirituelle et immortelle,
qui, comme un miroir, doit recevoir et réfléchir l'i-
1173
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1171
les religions, excepté la religion chrétienne
dont il était ennemi , désirait plutôt la sup-
pression que la réformation de* jeux de
théâtre. Il pensait sur cet objet comme les
anciens législateurs des Grecs.... « Les jeux
scéniques, dtt-il (694), sont une peste de la
république des plus pernicieuses qu'on sau-
rait imaginer. Car il est d'expérience qu'il
n'y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs,
la simplicité et la bonté naturelle d'un peu-
ple. Ce qui a d'autant plus d'efficace et de
puissance que les paroles, les accents, les
gestes , les mouvements et actions conduits
avec tous les artifices qu'on puisse imagi-
ner, laissent une impression vive en l'âme
de ceux qui tendent là tous leurs sens; et
i>our faciliter encore plus cette impression,
l'on met toujours à la tin des tragédies
comme un poison es viandes, la farce ou
comédie. Quand les jeux de théâtre seraient
lolérables aux pays méridionaux pour être
d'un naturel plus pesant et plus mélancoli-
que, et pour leur constance naturelle moins
sujets à changer, si est-ce que cela doit être
défendu aux peuples tirant plus vers le
septentrion pour être de leur nature san-
guins, légers et volages, et qui ont presque
toute la force de leurâme dans l'imagination
du sens commun et brutal. Mais il ne faut
pas espérer que ces jeux soient défendus ou
empêchés par les magistrats, car ordinaire-
ment on en voit qui sont les premiers à ces
jeux (695).
C'est sans doute relativement à l'impos-
sibilité morale de supprimer les théâtres,
(jue M. de Besplas en demande au moins la
réformation. Elle est nécessaire à plus d'un
égard, car pour se borner au genre qui
aurait dû être le moins dangereux, combien
chez tous les modernes la tragédie a-t-elle
toujours été éloignée de ce qu'elle était dans
les beaux jours d'Athènes, qui finirent sous
Alexandre ! Elle ne se proposait alors que
l'instruction des citoyens. Elle avait même
des rapports avec la religion et l'adminis-
tration politique du pays, comme on l'a ci-
devant dit. C'est par cette considération que
les magistrats de l'Aréopage pouvaient com-
poser des tragédies, au lieu qu'il y avait une
loi expresse qui leur défendait de faire des
comédies. M. Le Franc de Pompignan nous
a donné une belle idée (696) de ces tragédies
anciennes composées par des philosophes
mage de toutes les perfections de Dieu; c'est-à-dire,
« que la vie de l'âme, comme le dit Bossuet, doit
être une imitation de celle de Dieu, qu'elle doit vivre
comme lui de raison et d'intelligence, et qu'elle est
desiimic à lui être unie, en le contemplant et en l'ai-
mant > (Disc, sur rtlist. univ.) Tarn. magnum bonuni
esl nature ralionalis, ut nullum sil bonum quo beala
$it, nisi Ueus.
(694) D;*ns le vi« livre de sa République.
(695) On a ci-devant vu, page 158, que sous
Charles VIII les magistrats ne méritaient pas le re-
proche que Bodin faisait à ceux de son temps. Mais
chaque siècle a £u ses Calons et ses Scipions. On sait
avec quelle chaleur ce dernier, qui était Scipion
l'Africain, s'élevu contre l'usage où l'on était de son
temps de se ser*ir des comédiens pour apprendre
aux jeunes gens a danser, à chanter ou à déclamer,
et par des hommes d'Etat (697). Et en com-
parant ces drames avec ceux de notro
siècle qui a prostitué les lettres et les arts à
la mollesse, au luxe et à la volupté, cet
académicien fait des réflexions dignes d'un
poète philosophe.
« Je ne pense point sans étonnement,
dit-il , au prodigieux avantage que les
païens ont sur les Chrétiens à l'égard de la
morale du théâtre... Tout ce qui pouvait
avilir l'âme était banni des anciennes tragé-
dies grecques. VHippolyte d'Euripide est,
à proprement parler, la seule où l'amour
agisse; on ne l'employait pas pour exciter
la terreur et la pitié. Les auteurs drama-
tiques mettaient en œuvre d'autres ressorts.
Ils n'exposaient sur le théâtre les malheurs
et les crimes de l'humanité, que pour ren-
dre les hommes plus sages et plus vertueux.
Les mœurs de nos tragédies, opposées aux
mœurs de la tragédie athénienne, ont uu
caractère mou qui se fait jour à travers le
pathétique et la (erreur dont nos meilleures
pièces sont remplies. C'est que le théâtre a
pris les mœurs de la nation , comme il con-
tribue à son tour à les amollir et à les éner-
ver.
« Il n'y a point en cela d'exception a
faire de nation, ni d'auteur. Français, An-
glais, Espagnols, Italiens, habitants du
Nord, Corneille, Racine, tous se réunissent
pour consacrer à l'acr.our la muse de la tra-
gédie.
* Il y a toujours de la conformité entre
l'humeur d'un peuple et le genre de ses
spectacles. Où les deux sexes sont galants,
frivoles, voluptueux, il faut que le théâtre
enseigne et respire le plaisir, qu'il nour-
risse les passions, qu'il les rende intéres-
santes jusque dans leurs égarements, et
qu'il fasse de l'amour la faiblesse des grands
cœurs.
« La conjuration de Cinna sera échauffée
par l'amour d'Emilie; Pauline sera fidèle à
son époux, mais elle aimera Sévère. César
mènera de front le renversement de la répu-
blique et le concubinage de Cléopâtre. Le
vieux Sertorius voudra séduire une jeune
femme éperdument amoureuse de son mari.
Voilà les mœurs de la tragédie chez le plus
grave et le plus sublima de nos poêles. Nous
donnons àMelpomèuela ceinture de Vénus...
Pour purifier notre théâtre, nous disons que
exercices, dit-il, qui auraient paru honteux à nos
ancêtres, qui n'auraient pas voulu pour la moindre
partie de l'éducation , confier leurs enfants à des
gens décriés parleur profession ou par leurs mœurs.
lîrunt in lutlutn Inslrionum, discunt cantare et sal~
lare quod majores uostri ingenuis, probro duci volue-
runl. (Macrob., Salurn., lib. il, c. 8.)
(096) Dans sa Dissertation en forme d'averlisse-
menl, qui est au commencement de sa traduction
des tragédies d'Eschyle, qui a paru en 1770.
(G97) Eschyle avait été disciple de Pylhagorc, et
il servit dans les batailles de Marathon et de Sala-
mine. Sophocle fut magistrat et militaire, il fut as-
socié à Périclès d4ns la guerre contre les Lacédé-
moniens. Euripide, élève de Soerule, Ut le voyagu
d'Egypte avec Platon.
Ii75
DICTIONiNAlUF, DES MYSTERES.
f 17£
les faiblesses y sont combattues par le re-
mords, condamnées par la raison, convain-
cues par l'honneur, punies par l'événement,
que le contre-poison marche à côté du venin,
et que la vertu triomphe toujours. Mais ce
raisonnement n'est que spécieux. Quels pré-
dicateurs ont jamais canonisé le vice? Et
cependant parmi nos prédicateurs» combien
n'en voit-on pas qui le couvrent de fleurs;
en croyant l'accabler de foudres, lui ôtent sa
difformité, l'embellissent presque, et par
des portraits passionnés et par des descrip-
tions fleuries, ils le font rentrer dans des
cœurs d'où la parole évangélique devrait
l'arracher. Si tel est l'effet de ces instruc-
tions trop peu chrétiennes, quel sera celui
d'un théâtre où l'on prête à nos faiblesses
les attraits séduisants de la poésie et la
chaleur de l'action ? Avec de pareils re-
mèdes, on rend incurable le mal qu'on pré-
tend guérir, »
Nos jeux de théâtre ne sont pas seulement
vicieux dans leur constitution morale, ils
ont aussi de gra;,ds défauts dans leur consti-
tution littéraire. Et leur imperfection à ce
àernier égard a son avantage en ce qu'elle
doit diminuer les regrets de ceux qui, pour
conserver leurs mœurs, nese permettent pas
la fréquentation des spectacles.
Le célèbre Fénelon, archevêque de Cam-
brai, donne à entendre dans sa Lettre à
l'Académie française, que, par une considé-
ration philosophique, il ne s'intéressait pas
à la réforme des fautes graves que les litté-
rateurs éclairés ont à reprochera la plupart
de nos meilleurs poëmes dramatiques. « Je
ne souhaite pas, dit-il, qu'on perfectionne
les spectacles où l'on ne représente les
passions corrompues que pour les allumer.
Nous avons vu que Platon et les sages lé-
gislateurs du paganisme rejetaient loin de
toute république bien policée les fables et
les instruments de musique qui pouvaient
amollir une nation par le goût de la vo-
lupté. Quelle devrait donc être la sévérité
des nations chrétiennes contre les specta-
cles! Loin de vouloir qu'on perfectionne les
théâtres, je ressens une véritable joie de
leurs défauts littéraires. Nos poètes ont
rendu les spectacles languissants, fades et
doucereux comme les romans. On n'y parle
que de feux, de chaînes et de tourments.
On y veut mourir en se portant bien. Une
personne très-imparfaite est nommée un
soleil ou tout au moins une aurore. Ses yeux
sont deux astres. Tous les termes sont ou-
trés. Tant mieux. »
L'art dramatique ne s'est pas perfectionné
depuis Fénelon. Et afin qu'on n'attribue
pas cette opinion a un préjugé d'une philo-
sophie cynique, on va citer les historiogra-
phes et les maîtres de l'art.
« Notre comédie, disent les frères Par-
fait (G98), n'est pas propre à amuser les
personnes sensées et à corriger le ridicule
(008) Dans VIHsloire du Théâtre français.
((•99) Dans son nouveau Théâtre anglais,
(700) Feuilles hebdomadaires des provinces, île l'an-
des hommes. Elle n'offre que du faux mer-
veilleux, que des scènes décousues, que des
intrigues compliquées, que des événements
qui ne sont pas amenés, ou que des farces
dignes tout au plus d'avoir le peuple pour
spectateur.
« On ne voit pas une imagination sage
en inventer les sujets, un jugement bien
réglé en tracer les desseins ; on n'y voit pas
les grâces naturelles et piquantesj'enjoue-
ment tin et délicat tenir le pinceau ; enfin
notre comédie n'est pas un tableau vrai et
animé. »
« Egarés par l'imagination, dit Madame
RiccolK>ni (699), nousiperdons les traces du
sentiment et de la vérité. Et si nous ne
retournons sur nos pas, il est à craindre que
le goût dominant ne nous replonge dans lu
barbarie des premiers siècles.
C'est où nous conduiront ces merveil-
leux, qui, selon M.deQuerlon(700), « croient
avoir fait des découvertes pour nous avoir
apporté le goût faux, maniéré, petit, pué-
rile ou sauvage, atroce, slravaganle, s/rr-
nato, et les nouveaux genres de pantorai
mes.... La corruption du goût tient plus
qu'on ne pense aux mœurs. Et l'influence
qu'on attribuait à la musique sur celle des
Grecs, tous les arts l'ont aujourd'hui sur les
nôtres. Us ne portent aux yeux, aux oreilles
et à l'esprit que l'image et le sentiment de
la volupté qu'ils respirent. »
« Il est prodigieux, dit Darnaud (701),
combien nous sommes livrés à tout genre
d'imposture. 11 est des bornes dans tous les
arts au delà desquelles se trouvent le gigan-
tesque, l'extravagant, l'absurde, en un mot
le faux et l'opposé du naturel. Et ces bornes
si sages, nous les avons passées. Nous res-
semblons précisément à ces femmes qui, à
leur entrée dans le monde, mettent si peu
de rouge qu'on peut douter si ce ne sont
pas leurs propres couleurs. Ensuite leurs
yeux s'accoutument à cet éclat étranger, et
elles eh abusent au point qu'elles se défigu-
rent. Tout meurt sous les efforts d'un art
corrupteur. Nos pièces de théâtre sont dé-
fectueuses. Les développements y sont vi-
cieux. Les scènes ne sont qu'indiquées. Les
entrées et les sorties, une des premières
règles de l'art dramatique, sont totalement
négligées. Les coups de théâtre n'ont jamais
été amenés avec plus de maladresse. La
nature est partout affichée au bel esprit, et
l'on crai'H surtout d'être simple et de ne
pas entasser les ornements. Nos poètes sont
des espèces de jongleurs qui amusent la
populace aux dépens les uns des autres....
Le public se laisse abuser par des talents
factices, et il est la dupe de la fausseté du
bel esprit. Ut omnium rerum sic litterarum
intemperantia laboramus. Or, dès que le goût
du public est corrompu, rien n'est plus
rare que de trouver un littérateur qui aiflo
couraged'aimer la littérature pour elle-mêm*
née 1770. ,'..««. , ,
(70t) Dans sa Lettre sur sa trneedie d tuphmte ,
dont la deuxième édition parut en 1708
un
iNOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1178
et de s'exposer à déplaire à la multitude. Un
tel homme ne confond pasle bruit avec la ré-
putation. Il «ait supporter jusqu'à l'obscu-
rité et l'indigence. 11 est prêt à immoler la
richesse et les emplois à ses talents. Il fuit
le monde pour courir s'enfoncer dans le
silence de la solitude. Il se redit sans cesse
que l'éclat littéraire n'est rien san's l'amour
de la vertu ; que le plus honnête homme est
toujours celui qu'on doit le plus estimer, et
il n'oublie jamais ces paroles de Montaigne:
La vertu est plus jalouse des loyers d'honneur
que des récompenses où il y a du gain et du
profit. Ce n'est pas merveille si la vertu re-
çoit et désire moins volontiers cette sorte de
monnaie commune que celle qui lui est propre
et particulière. »
C'est sans doute conséquemment à cette
morale que Darnaud déclare (702) n'avoir
pas voulu se traîner sur les pas àe ses maîtres
au théâtre.
Il est vrai que ses tragédies de Comminge
et d'Euphémie, énergiquement rembrunies,
ont tout le sérieux du cothurne. Mais n'au-
rait-il pas été à souhaiter que Darnaud eût
donné la préférence à des sujets profanes
plutôt que de mettre, comme il le dit, la
religion aux prises avec la passion de Va-
mour (703), et de placer le lieu, la scène do
tes drames dans des monastères?
Le sacré sera toujours défiguré dans les
poèmes dramaliques qui ne sont applaudis
qu'autant, comme le dit Darnaud, quon y
fait jaillir et éclater les grandes passions
dont la fougue est si nécessaire à l'action
théâtrale (704), et où, pour intéresser les
spectateurs, il faut présenter les images
les plus vives des faiblesses, des fautes et
des crimes qui sont la honte de l'huma-
nité (705). Voici à ce sujet le sentiment de
Saint-Evreraond :
« L'esprit de notre religion, dit-il (706),
est directement opposé à celui du théâtre.
L'humilité et la patience de nos saints sont
trop contraires aux vertus des héros drama-
tiques. Le théâtre paraît toujours, à la
plupart des spectateurs, perdre de son agré-
ment dans la représentation des choses
saintes; et les choses saintes perdent du
respect qu'on îeur doit quand on les repré-
sente sur le théâtre. C'est inutilement qu'on
y opposerait la doctrine la plus sainte, les
actions les plus chrétiennes, et les vérités
les plus utiles pour produire cette purga-
lîon (707) qu'Aristote avait eu la simplicité
d'admettre comme un remède propre a
arrèterles mauvaisesimpressionsdes poèmes
dramatiques. Ce rhéteur philosophe est à
cet égard en défaut: car y a-t-il rien de si
ridicule que de former une science qui
donne sûrement une maladie qui travaille
incerlainement à la guérison d'une autre;
y a-t-il rien de si ridicule que de mettre
(702) Dans sa Lettre sur Euphémie.
(703) Lettre sur la tragédie d'Euphémie.
(704) Ibid.
(705) « Colhurnus est Tragicus prisca faeinora
carminé recensere. > (S. Cypr.)
(7C0) Œuvres de Saint-Eircinond , toni. III, d'uù
la perturbation dans une âme pour lâcher
après de la calmer par des réflexions qu'on
lui fait faire sur le honteux étal où on l'a
mise ? » Enfin comme Despréaux le dit aux
poètes dans son art poétique :
De la foi d'un chrétien les mystères terribles.
D'ornements égayés nf sont point susceptibles.
L'Evangile à l'esprit n'offre de Ions côtés
Que pénitence à faire et tourments mérités i/G8) :
El de vos fictions le mélange coupable,
Même à ses vérités donne l'air de la fable.
La nécessité de réformer la licence de nos
spectacles est donc bien connue. Mais celle
réformalion est-elle moralement possible?
On a ci-devant rapporté une opinion mo-
tivée qui décide négativement la ques-
tion.
En effet, il a paru des projets de réfor-
mation. Quelque peu sévères qu'ils soient,
ils ont été regardés comme des spéculations
vaines et impraticables.
Néanmoins, comme ces ouvrages, qu'il
reste à indiquer, ont été composés par des
auteurs attachés, par état ou par goût, aux
théâtres, ils ont un caractère singulier
d'autorité pour la peinture qui y est faite
des vices et des dangers des représenta-
tions théâtrales: Hoc est argumentum rei.
Il n'est pas surprenant que l'art drama-
tique n'ait presque toujours enfanléque des
productions folles et dangereuses. Cet art
est né de la folie et de l'ivresse que le Dieu
des raisins inspirait. En voici Ja généa-
logie:
La tragédie informe et grossière en naissant
N'était qu'un simple chœur, où chacun en dansant,
El du Dieu des raisins entonnant les louanges,
S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges.
Là le vin et la joie éveillant les esprits
Du plus habile chantre un bouc était le prix.
Thespis fut le premier, qui barbouillé de lie,
Promena dans les bourgs celte heureuse folie;
El d'acteurs mal ornés chargeant un tombereau
Amusa les passants d'un spectacle nouvoau
Eschyle dans le chœur jeta les personnages;
D'un masque plus honnête habilla les visages;
Sur les ais d'un théâtre en public exhaussé.
Fil paraître l'acteur d'un brodequin chaussé.
Sophocle enfin donnant l'essor à son génie,
Accrut encore la pompe, augmenta l'harmonie,
Intéressa le chœur dans toute l'action,
Des vers trop raboteux polit l'expression,
Lui donna chez les Grecs celte hauteur divine
Ou jamais n'atteignit la faiblesse latine.
(Desfréaux, Art poétique.)
Mais quels chants pourrait-on attendre de Thalie,
Lorsque d'Aristophane épousanl là folie,
El par son impudence assurant ses succès,
Elle s'abandonnait aux plus honteux excès.
(Lotis Racine, Epîl. à M. de Vuliucouri.)
La poésie ne devait pas être profanée pap
de pareilles fictions. C'est la dégrader que
de ne pas lui conserver la pureté de sa
l'on a aussi tiré ce qui a élé dil sur l'Opéra, afin (te
continuer l'idée qui en avait élé donnée dans la pre*
mière Lettre.
(707) Il a élé ci-devant parlé de celle purgalion .
dans la première Lettre.
(708) Flore comniissi, cl llenda non commillcrt.
1179
divine institution. Elle a pour titre primor-
dial de sa naissance le cantique qui. fut
composé par Moïse après le passage de la
mer Rouge. « De là, dit Bossuet, est née la
« poésie. C'était Dieu et ses œuvres mer-
ci veilleuses qui en étaient les sujets. Dieu
« les inspirait lui-même. Et il n'y a propre-
« ment que le peuple de Dieu où la poésie
« soit venue par enthousiasme. »
Moïse, le plus ancien des poètes, con-
sacra donc la poésie à la vérité éternelle. Et
plusieurs siècles après on vit Homère la
consacrer au mensonge. Elle devint l'instru-
ment des passions.
Elle osa nous prêcher le vice effrontément :
Elle rail en tous lieux sa gloire à nous séduire.
Et corrompit d«îs cœurs qu'elle devait instruire.
Homère le premier, fertile en fictions,
Transporta dans le ciel toutes nos passions,
t.'esl lui qui nous fit voir ces maîtres du tonnerre.
Ces dieux dont un clin d'œil peut ébranler la terre,
Injustes, vains, craintifs, l'un de l'autre jaloux.
Au sommet de l'Olympe aussi faibles que nous.
Ei c'est lui-même encor dont la main dangereuse,
A tissu de Vénus la ceinture amoureuse.
Les feux qui de Sapho consumèrent le cœur,
Dans ses écrits encore exhales! leur chaleur.
Pour chanter les exploits des héros qu'il admire
Le faible Anacréon en vain monte sa lyre,
Les cordes sous ses doigts ne résonnent qu amour.
bans ces temps malheureux Vénus avait des lem-
[ples,
Le crime autoris.é par d'augustes exemples,
Ne paraissait plus crime aux yeux de ces mortels,
Qui d'un Mars adultère encensaient les autels.
Sur une terre impie et sons un ciel coupable,
l^e chantre des plaisirs pouvait être excusable.
Cependant aujourd'hui les enfants de la foi
D'un plus sage transport ont-ils suivi la loi?
Hélas! dressant partout un piège à l'innocence,
bes Romains et des Grecs ils passpnt la licence.
Je pleure avec raison tant de rares esprits
Qui pouvant nous charmer par d'utiles écrits
De ces précieux dons oubliant l'avantage,
Ont souillé des talents dignes d'un autre usage,
bes discours trop grossiers le théâtre épuré
Est toujours à l'amour parmi nous consacre.
Là, de nos passions, l'image la plus vive,
Frappe, enlève les sens, tient une âme captive.
Le jeu des passions saisit le spectateur;
Il aime, il hait, il craint, et lui-même est acteur,
b'un héros soupirant là chacun prend la place,
Et c'est dans tous les cœurs que la scène se passe.
Le poison de l'amour a bientôt pénétré,
D'autant plus dangereux qu'il est mieux préparé.
L'homme est longtemps trompé par de fausses
[images ;
Mais la mort qui s'approche écarte les nuages.
Captive jusqu'alors, enfin la vérité
Sort du fond de nos cames et parle en liberté
On écoute sa voix, on change de langage :
De l'esprit et du temps ou regrette l'usage;
Regrets tardifs d'un bien qui n'est jamais rendu :
L'esprit est presque éteint, et le temps est perdu.
Ne perdons point le nôtre. Heureux dans sa jeu-
[nesse
Qui prévoit les remords de la sage vieillesse :
Mais plus heureux encore qui sait les prévenir,
El commence ses jours comme il veut les finir.
Ainsi quoique à mes yeux le théàlie ait des char-
nues,
Je fuis et ne veux point me préparer des larmes.
(Louis Racine.)
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Al tant) tibi fit non, indulyeie lliealris
use
Enervant animas cilharœ, cantusque lijrœque,
El vox el numeris brackia mola suis.
(Ovide.)
Traité de la Réformation du Théâtre, par
Louis Riccobom, ancien acteur italien, nou-
velle édition; Paris, 1767. Cette édition est
pareille à celle de 1743. Cet auteur dit dans
la préface que son plan de réformation ne
devrait avoir lieu que dans le cas qu'il ne
serait pas possible de supprimer, sans des
inconvénients, les théâtres dans une grande
ville.
Mais ce plan de réformation se ressent de
la difficulté de réformer des théâtres, dont,
dit Riccoboni, les pièces les plus modestes
sont fort au-dessous de la pureté des meil-
leures pièces de Plante. Aussi cet auteur
croil-il avec raison que son plan est encore
susceptible de réformation. « J'exclus, dit-il,
tout à frtit la passion de l'amour des pièces
qu'on écrira pour le théâtre réformé. Je
prétends aussi abolir entièrement la danse
des femmes. Mais mon système, toute pro-
portion gardée, pourrait être comparé à celui
de Platon par rapport h sa république. 11
aurait fallu, pour la peupler, que ce philo-
sophe eût créé des hommes nouveaux; et
pour fonder le théâtre que je propose, il
faudrait pétrir des hommes d'une pâte toute
nouvelle. Il est impossible que des specta-
teurs qui n'ont jamais connu d'autres spec-
tacles (pie ceux où l'amour sert de base, où
celle passion anime les inlrigues, où elle
détermine presque les caractères, où enfin
les épisodes et la diction ne respirent que
l'amour; il est impossible, dis-je, que de
tels spectateurs adoptent précisément le
contraire et ne soient pas révoltés par mon
système. »
Au reste, cet auteur indique la voie la
plus sûre pour faire tomber le goût de nos
spectacles tels qu'ils sont; c'est d'élever les
jeunes gens de manière qu'ils ne s'exposent
jamais à y aller. C'est en effet à la mauvaise
éducation qu'il faut attribuer la corruption
des mœurs.
« Communément jusqu'à l'âge de dix ans,
dit Riccoboni, les enfants sont très-hion
élevés ; depuis dix ans jusqu'à quinze,! édu-
cation faiblit, et les enfants commencent à
être gâtés, souvent môme par leurs pères et
par leurs mères: enfin depuis quinze ans
jusqu'à vingt, les jeunes gens, maîtres de
leurs actions, achèvent eux-mêmes de se
corrompre.
« Les parents sont, pour l'ordinaire, plus
occupés de l'apparence, de l'extérieur, que
du fond et de l'essentiel de. l'éducation de
leurs enfants. On ne s'attache à leur ap-
prendre que la politesse, les belles manières
et l'usage du monde; en sorte qu'à dix ans,
ils sont en état de paraître dans ce qu'on
appelle les meilleures compagnies où on a
grand soin de les présenter. C'est là qu'ils
entendent parler de toutes" sortes de ma-
tières qui peuvent ou exciter leur curto-
silé, ou développer les germes de leurs.
Uët
NOTICE SUR LE TiihATRb MURE.
1182
passions. El c'est la que clans un âge encore
tendre et .c-i susceptible des impressions du
vice, ils commencent à le connaître et à se
familiariser avec lui.
« Ces principes de corruption reçoivent
une nouvelle force des spectacles publics,
où les pères et les mères ont l'imprudence
de s'empresser de conduire leurs enfants de
l'un et l'autre sexe. Or, quelles atteintes
mortelles ne doivent pas donner à leur in-
nocence le nombre intini de maximes em-
pestées qui se débitent dans les tragédies,
dans les opéras, et les expressions et les
images licencieuses que présentent les co-
médies. Ils ne les effacent jamais de leur
mémoire.... Ils y voient des grands, des
personnes élevées en dignité, des vieil-
lards, etc. , y applaudir. Ils s'imaginent que
tout ce qu'on leur expose est à retenir.... J I s
agissent enconséquence lorsqu'ils jouissent
de leur liberté, et les voilà corrompus dans
le cœur et dans l'esprit pour le reste de
leur vie.... Mais, dit-on, quel inconvénient
y a-t-il qu'ils entendent parler de la passion
de l'amour, il. faut bien qu'ils la connais-
sent tôt ou tard? C'est ce que je suis très-
éloigné de croire. On doit toujours ignorer
le libertinage. Mais quand cette passion
serait traitée avec plus de réserve sur le
théâtre, il n'y aurait pas moins d'inconvé-
nient, et, si j'ose le dire, moins de cruauté à
leur donner, surune matière si délicate, des
leçons prématurées et infiniment dange-
reuses, et à leur faire courir le risque de
perdre leur innocence avant même qu'ils
sachent quel est son prix et combien cette
perte est affreuse et irréparable. Mais les
parents s'inléresseront-ils à leur conserver
cette vertu, s'ils n'en connaissent pas eux-
mêmes le prix ? Néanmoins, ils sont ensuite
au désespoir quand leurs enfants donnent
dans des désordres préjudiciables à leur for-
tune. »
Essai sur les moyens de rendre la comédie
utile aux mœurs, par M. B*; Paris, 1767.
Cet écrit se trouve joint à la dernière
édition de l'ouvrage précédent. L'auteur
soutient que toutes nos comédies n'ont pas
atteint le véritable but de la comédie, qui,
dans son essence, est une satire des mœurs
capable de les corriger. Il propose des
moyens de réformera cet égard notre théâ-
tre, mais en même temps il convient de
1 impossibilité d'y réussir relativement au
mauvais goût de notre nation, « qu'on ne
peut, dit-il, amuser qu'en n'introduisant
sur le théâtre que des personnages plutôt
semblables à des marionnettes qu'à des
hommes. »
Causes de la décadence du goût sur le
théâtre; Paris, 1768.
Il n'est question dans cet ouvrage que
d'observations littéraires; néanmoins, elles
font connaître que l'auteur n'ignore pas
qu'il y a des risques pour les mœurs à fré-
quenter les spectacles. Il pense que la plu-
part des spectateurs ne s'y portent que pour
y perdre, par une foule de distractions et
d'amusements, un temps qui est pour eux
un fardeau insupportable. Il impute aux
comédiens d'être la principale cause de tous
les reproches que les moialistes font aux
théâtres publics. Il déclame contre l'en-
thousiasme avec lequel presque tous les
amateurs des spectacles parlent des comé-
diens. H ne pense pas qu'un étal qui, rela-
tivement à ses fonctions, ne saurait être
embrassé que par l'indigence et le liberti-
nage, puisse jamais cesser d'être honteux.
Et à l'égard de ce qu'on dit vulgairement
qu'on peut exercer cette profession sans
déroger, il répond qu'il en est de même de
plusieurs autres actions qu'un gentilhomme
a la faiblesse de se permettre sans qu'il en
résulte une dérogation légale, mais qu'il
n'encourt pas moins le mépris des gens
honnêtes; que c'est ridiculement que des
personnes prétendent relever la profession
de comédien, sous prétexte que Louis XIV
joua dans sa jeunesse avec les acteurs do
l'Opéra quelques rôles dans des ballets;
que d'ailleurs ce monarque, comme ledit
M. de Voltaire, en reconnut les inconvé-
nients quand il eut conçu l'idée de la véri-
table grandeur.
De l'art du théâtre en général, où il est
parlé de différents genres de spectacles et de
la musique adaptée au théâtre; Paris, 1769.
Nougaret, à qui l'on attribue cet ouvrage
didactique, paraît très-amateur des specta-
cles. Il exagère beaucoup leurs avantages,
lorsqu'il dit .
« H est démontré que la tragédie et la co-
médie sont l'école des mœurs ;; les hommes
viennent s'y instruire en s'amusant. On leur
doit les progrès de l'esprit et peut-être ceux
de la vertu. Lorsqu'un peuple est plongé
dans la barbarie , il ignore ce qu'on entend
par spectacle; mais à mesure qu'il se polit ,
on le voit caresser les muses et courir en
foule au théâtre. »
Ces assertions dérivent d'une passion fa-
vorite qui trouble J'équilibre et l'harmonie
du cerveau. Cependant cet auteur ne se
livre pas à son zèle jusqu'à s'aveugler sur
les défauts , les dangers et la corruption
actuelle de nos théâtres. Il convient que ce
qu'il appelle gens à préjugés , c'est-à-dire les
ennemis des spectacles , ont quelque appa-
rence de raison. Voici quelques-unes de ses
réflexions.
« On sait , comme le dit M. Nadal dans
la Préface de la tragédie de Marianne ,
qu'on ne peut faire réussir une pièce dra*
matique qu'en flattant les passions des cœurs
corrompus. Peut-être même qu'en recher-
chant la mécanique de celles de nos pièces
qui ont fait le plus de bruit, on trouvera
que c'est en elles un fond de ce môme liber-
tinage qui produit dans la représentation je
ne sais quelle espèce d'illusion et d'ensor-
cellement; et, si l'on se plaît aux specta-
cles les plus tragiques, quelque déchirement
qu'ils fassent éprouver à l'âme sensible ,
n'est-ce point, comme le dit l'abbé Dubos,
parce q.ue le cœur est ennemi du repos qui
le fait tomber dans l'indolence, dans une
langueur insipide ? Et alin de s'occuper, il
#183
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1134
se remplit de passions tristes ou enjouées , Puisqu'on tolère de telles licences , que ne
peu lin importe, pourvu qu'elles le retirent devons-nous pas attendre à voir représen-
du désœuvrement
« La magie du spectacle, dit Nougaret ,
la vue des actrices, les femmes qui remplis-
sent les loges , tout nous porte assoz à l'a-
mour sans qu'il soit nécessaire de composer
des drames dont l'intrigue agréable et ga-
iante , Je style léger et délicat nous invitent
à nous* livrer à cette passion. Je fais une
remarque : je suis un des premiers poêles
qui , en parlant de drames , ait averti d'en
bannir la licence.
Je ne puis estimer ces dangereux auteurs,
Qui de l'honneur en vers, infâmes déserleurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice ai-
[mahle.
(Despréaux, Art poétique.)
« Il faudrait que les auteurs , surtout
ceux qui travaillent pour le théâtre, n'eus-
sent rien à voiler. La comédie et la tragédie
mettent toujours l'amour en jeu ; mais le
spectacle moderne, c'est-à-dire le Théâtre-
Italien (709) , met dans ses opéras bouffons,
dans ses comédies à ariettes, l'indécence eu
action, ou du moins peu s'en faut.
« Tout , dans les drames de ce théâtre ,
conspire à faire rougir la pudeur. Le sujet
est contre la décence. L'intrigue et l'action
forment des images révoltantes, les détails
respirent la passion même ; en un mot ,
tout peint et célèbre la volupté. On la fait
pénétrer par les yeux et par les oreilles
jusque dans le fond de l'âme. L'harmonie
d'une musique voluptueuse achève de por-
ter i'ivresse dans les sens des spectateurs.
Je doute que les sybarites aient eu des
spectacles plus dignes de 'leur mollesse et
des passions auxquelles ils s'abandon-
naient On met dans les scènes ces petits
airs coupés qui , dit M. de Voltaire , inter-
icmpent l'action et font valoir les frétions
d'une voix efféminée, mais brillante aux
dépens de l'intérêt et du bon sens. On y
multiplie ces ariettes qui , comme le dit M.
J.-J. Rousseau , ne sont qu'un misérable
jargon criminel qu'on est bienheureux de
ne pas entendre, une celleclion faite au
hasard d'un très-petit nombre de mots so-
nores que notre langue peut fournir, tour-
nés et retournés eu toutes les manières ,
ter (710) ? »
Le même auteur se plaint aussi du ca-
ractère de nos opéras.
« Les héros de la scène lyrique, dit-il,
sont trop tendres et trop langoureux; ils
sont remplis de maximes d'amour qui ré-
voltent les gens scrupuleux. »
On sait que Boileau a bien peint la sé-
duction de ce théâtre, lorsque, dans sa di-
xième satyre , il en décrit les funestes et
inévitables influences sur la femme la plus
pure qu'on y conduirait. Personne n'ignore
cette description , mais peut-on se refuser
de la comprendre dans cette nuée de témoi-
gnages qu'on a rassemblés ici contre les
théâtres ?
Par toi-même bientôt conduite à l'Opéra,
De quel air penses-tu que ta sainte verra
D'un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse,
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse;
Entendra ces discours sur l'amour seul roulants,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,
Saura d'eux qu'à l'amour, comme au seul Dieu su-
[prême ,
On doit immoler tout, jusqu'à la vertu même.
Qu'on ne saurait trop tôt se laisser enflammer,
Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer;
Et tous ces lieux communs de morale lubrique,
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique?
Mais de quels mouvements, dans son cœur excités,
Senlira-t-elle alors tous ses sens agités?
Je ne te réponds pas qu'au retour, moins timide,
Digne écolière enfin d'Angélique eld'Armide,
Elle n'aille à l'instant, pleine de ces doux sons,
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.
L'auteur de VArt du théâtre , en parlant
de la musique voluptueuse de nos specta-
cles , donne incidemment aux femmes un
avis très-sage.
« J'ose , dit-il , conseiller aux dames ,
malgré tous les avantages qu'elles en reti-
rent, de ne se livrer qu'avec réserve à l'é-
tude du chant. Mézerai a dit qu'Anne de
Boulen , femme de Henri VIH , savait trop
bien chanter pour être sage. Cet historien
avait-il si grand tort de faire un tel juge-
ment d'Anne de Boulen ? Il est désagréable
de s'exposer à de pareils soupçons. Il est vrai
qu'on peut avoir une très-belle voix et ai-
mer la vertu. La musique n'est pas tout à
fait incompatible avec la sagesse ; mais les
excepté de celle qui pourrait leur donner dangers auxquels elle expose une jeune
du sens. C'est sur ces impertinents amphi- femme doivent la lut faire craindre. Celle
gouris que nos musiciens épuisent leur qui possède un organe flatteur en tire bien-
goût et leur savoir, et nos acteurs leurs tôt vanité. Les applaudissements qu'on lui
gestes et leurs poumons. C'est sur ces mor- prodigue la remplissent d'orgueil. On s'a-
ceaux extravagants que nos femmes se pâ- perçoit de son faible , on la loue avec en-
menl d'admiration. Voilà quel est ce théâ- thousiasme; l'éloge séduit, et la tête tourne,
tre qu'on fréquente chaque jour, qu'on ap- D'ailleurs, à force de répéter des chansons
plaudit , qu'on élève jusqu'aux nues.... tendreset voluptueuses, le cœur s'enflamme;
(703) On sait que ce théâtre fut dès son origine
fort enclin aux indécentes bouffonneries. 11 est rap-
porté dans la Gazette de France du 17 mai 16'J7
« que Louis XIV le proscrivit, parce que l'on n'y
gardait pas les règlements, que l'on y jouait des
pièces licencieuses, ci que l'on ne s'y élait pas cor-
rigé des obscénités et des gestes indécents; que
quelques personnes de la première qualité, protec-
teurs de la Comédie Italienne, avaient agi auprès
du roi pour la révocation de son édit contre elle,
mais que leurs démarches furent inutiles.
(710) Celle peinture du Tlicâlre-llalien juslilie ce
qui a été dit dans la première Lettre.
i |83 NOTICE SUR LE
l'on est moins révoltée de s'entendre adres-
ser ce que l'on prononce tous les jours avec
sentiment, et il arrive souvent que la mou-
rante sagesse d'une jeune personne jette le
dernier soupir lorsqu'elle ne croit encore
que fredonner une chanson. »
« La musique, dit Corneille Agrippa, est
des plus propres et chéries chambrières du
vice; avec la douce voix et le venin em-
miellé des chants, sons et accords volup-
tueux de ses instruments, elle enflamme les
désirs déréglés et *ôte toute force et toute
vertu à l'esprit , et corrompt en toute las-
civeté et délices; pervertit les bonnes mœurs,
excite impétueusement les cupidités et af-
fections déshonnêtes. »
Au reste, on s'est expliqué sur l'.nom-
mage que l'on doit à !a musique , dont l'in-
vention doit être môme considérée comme
un présent que l'Auteur de la nature nous
a fait pour l'employer à chanter sa gloire,
à lui exposer nos besoins , à le remercier de
ses dons , à manifester notre joie dans la
prospérité, à dissiper nos chagrins dans
nos afflictions , à soulager nos peines dans
nos travaux , à exciter enfin l'ardeur mar-
tiale dans le cœur des combattants : Quid
autem aliud in nostris legionibus cornua ac
tubœ faciunl ? Quorum concentus qnanto est
vehementior tanto Romana in bellis gloria cœ-
teris prœstal (711). 11 est vrai que l'abus do
la musique, presque aussi ancien que son
invention , a fait , dit Rollin , plus d'imita-
teurs de Jubal (712) que de David ; mais il
faut reconnaître avec Plutarque que tout
homme de bon sens n'imputera jamais aux
sciences mêmes ce qu'on ne doit attribuer
qu'aux dispositions vicieuses de ceux qui
les corrompent.
Dissertation sur les spectacles , par M.
Rabelleau; Paris, 1769. — Cet auteur pro-
pose sérieusement do faire de la profession
de comédien une espèce de milice que
chaque citoyen serait obligé d'exercer avant
d'être admis à aucune place publique à la
cour, dans le ministère et dans la magistra-
ture. Ce projet, tout ridicule qu'il est, a
pour motif l'impossibilité de réformer les
comédiens de profession. Rabelleau leur re-
proche d'être seuls la cause de la corruption
actuelle des théâtres. « Une troupe de gens,
dit-il , faisant métier de renoncer à tous pa-
rents , à toute patrie et de courir de ville en
ville, jouant la comédie pour de l'argent ,
tous les jours indistinctement devant des
gens que le désœuvrement, la dissipation
et le hasard y conduisent. Ces comédiens,
ne jouassent-ils d'abord que des pièces les
plus épurées, entraîneront nécessairement
avec eux le désordre, la licence et le re-
lâchement des mœurs qui règne toujours au
milieu de la multitude. Eu vain les souve-
rains rendront dos édits en leur laveur, ils
n'en profiteront pas. »
TI1EATHF. LIHUE.
U8o
Mais on peut assurer à Kaholleau que ,
quand son projet serait exécutable , le théâ-
tre n'en serait pas moins nuisible aux
mœurs. Il serait toujours question d'y amu-
ser la multitude des désœuvrés; ainsi la
cause première de la corruption des specta-
cles subsisterait.
Les poètes dramatiques, comme l'observe
Garnier (713) , ne veulent point travailler
sans succès. « Us savent que l'accueil do
« leurs drames dépend du suffrage déjeunes
« femmes ou de jeunes gens inappliqués,
« qui n'accourent au théâtre que pour se
« procurer des sensations agréables. Les
« choses sérieuses leur paraîtraient froides,
« et les vérités fortes les écraseraient. »
Jean Racine était bien capable de se met-
tre au-dessus des idées de son siècle et de
ne travailler que dans un goût qui pût lui
mériter dans tous les temps l'approbation
des sages. Néanmoins il eut pendant plu-
sieurs années la faiblesse de vouloir plaire
aux personnes futiles. On sait la réponse
qu'il fit au célèbre Arnaud qui lui taisait
des reproches sur ce qu'il avait l'ait JJip-
polyle amoureux : Eh ! Monsieur , lui dit
Racine, sans cela qu'auraient dit nos petits
maîtres ?
Voilà pourquoi nous voyons nos poètes
dramatiques mettre en usage toutes les res-
sourcesde leur génie, pour retracer aux spec-
tateurs les moments les plus agréables de
leu-r vie licencieuse. « On aime, dit Gar-
nier (71i) à se retrouver dans leurs peintu-
res, à comparer ce qu'on a quelquefois
senti au dedans de soi-même. On se livre
aux impressions qne la magie dramatique
fait éprouver. On apprend par cœur 'les
poèmes, on dresse des théâtres et op. de-
vient des comédiens. Ainsi ce qu'un auteur
satyrique disait d'un peuple s'est réalisé
de nos jours : Natio comœda est. »
Cette réllexion de Garnier n'est que trop
véritable. La passion pour les représenta-
tions dramatiques n'est -elle pas portée
jusqu'au point qu'une salle de théâtre est
presque devenue comme un besoin, au
moins à la campagne ?« Cette sorte d'amu-
sement, dit l'abbé Clément (715), est un
nouvel artifice mis à !a mode dans notre
siècle, sans doute pour arracher tout à fait
un reste de répugnance qu'on avait jusqu'à
présent conservé pour le théâtre et ses ac-
teurs; mais surtout infaillible moyen de
remire la séduction plus certaine encore
et plus prompte, en imprimant pins forte-
ment des passions dans lesquelles on est
obligé de mieux enlrer pour- les représen-
ter soi-même, en donnant plus de liberré
et de hardiesse à parler le langage de la
volupté, en mettant dans l'occasion la plus
prochaine d'inspirer et de prendre des sen-
timents, mieux réglés peut-être dans leur
objet, mais aussi déréglés dans leur prin-
(711) Qli.ntiv., .'ih. i, cap. 10.
(512) Jubal, l'un des descendants du chef des im-
pies, ccsi-à-dirc île Caîn, esl donné po.ir l'invenleur
de ce genre de musique., asservi ans objets des lias-
sions.
(715) Dans son Traité de Vêdvtciitïon civile.
(7 IV) Dans son Z'raiiè de {'éducation civile
(715) Dans son Sermon sur Us spectacles.
«187
DICTIONNAIRE DES MYbîEKES.
1188
cipe et communément plus dangereux dans
leurs suites , désordre qui fut déploré par.des
du paganisme comme le présage le
sages
plus certain de la prochaine et de l'entière
décadence.
contre le privilège que l'ordre du clergé»
toujours eu d'occuper dans l'Etat le pre-
mier rang. Il attribue les censures de l'E-
glise contre les spectacles a une jalousie
des prêtres qui, dit-il page 309, ne devaient
Tout projet de réformation de nos spec- pas laisser partager le droit de représenter
qui leur appartient éminemment dans tous
les temps et dans tous les cultes.
On sait que l'autorité des rois est une
participation de l'autorité de Dieu , de
même que celle de leurs ministres poli-
tiques et judiciaires est un écoulement de
l'autorité royale. On sait aussi que le mi-
nistère sacerdotal est un moyen choisi de
Dieu pour transmettre son autorité à l'E-
glise, pour être le canal de ses grâces et
pour lui porter nos vœux, nos prières
et nos sacrifices.
Ces pricipes incontestables et précieux à
tacles sera toujours sans effets dans des
temps où i. n'y a que les objets licencieux
qui enchantent et qui séduisent. Le carac-
tère du siècle où nous vivons est suffisam-
ment élabli par la témérité avec laquelle
on offre au public les ouvrages les plus
scandaleux et les plus impies. En voici un
de celte espèce sur la matière des spec-
tacles. C'est un arsenal d'impiété, arinenta-
rium impielatis. 11 a pour titre : Le Mimo-
graphe, ou Idées d'une honnête femme pour
la réformation du théâtre national; Amster-
dam, 1770.
C'est une espèce de roman épistolaire conserver dans toute leur intégrité pour le
bonheur des peuples, sont niés et insultés
dans le Mimographe, pag. 302 et 305. On
y donne comme des établissements odieux
le sacerdoce et la royauté. L'Ecriture sainte
y est profanée et tournée en ridicule.
Est-il étonnant que l'autorité royale et
les dépositaires de la puissance ecclésiasti-
que soient insultés dans des ouvrages qui
méritent d'éprouver la sévérité des lois (719)?
La cause des théâtres ne peut certainement
que paraître encore plus mauvaise à des
dont le principal personnage est une comé-
dienne. Cet ouvrage est aussi ridicule, bi-
zarre et ennuyeux dans sa contexture et
dans son néologisme que monstrueux par
la licence des idées et par leur contradic-
tion. C'est enfin un ouvrage digne de celle
foule d'écrivains obscurs, qui, ne pouvant
s'illustrer par l'éclat des talents, tentent
de se faire une réputation par la licence do
leurs écrits.
L'avertissement préliminaire est terminé
parcette proposition extraite de Y Apologie gens sensés, quand ils voient ses défenseurs
de la religion, par l'abbé Bergier : « L'ex-
périence nous apprend qu'il faut des spec-
tacles pour attacher le peuple. Vue reli-
gion, dépouillée de tout culte extérieur, ne
peut ni l'affecter ni l'instruire. Les pro-
testants ne s'aperçoivent que trop aujour-
d'hui des inconvénients d'un culte trop dé-
charné. »
Cette proposition est relative à la néces-
sité d'établir un culte extérieur (710) qui
soit l'expression et l'image d'un culte in-
térieur digne du christianisme, « qui est
une religion véritable, chaste, sévère, en-
nemie des sens et uniquement attachée aux
biens invisibles (717.) »
Mais le Mimographe ose abuser de la
proposition de Bergier jusqu'à en faire un
principe pour établir la nécessité d'avoir
des spectacles voluptueux, comme si nous
étions dans l'idolâtrie « qui, dit Bos-
suet (718), étant faite pour le plaisir, faisait
consister une partie du culte diviu dans
les divertissements, les spectacles, et dont
les fêtes étaient des jeux d'où l'on avait
soin de bannir la pudeur. »
Le Mimographe confondant les ministres
de notre religion avec les prêtres des ido-
donner dans des excès aussi odieux. C'est
pour cette raison qu'on a cité quelques-
unes des assertions de ce Mimographe.
11 n'est pas surprenant que cet auteur
y déclare, page 311, avoir été révolté par
tous les écrits faits contre les spectacles;
aussi , en conséquence, traite-t-il d'mfer-
prèles atrabilaires de la religion Nicole, Bos-
suet, le P. Lebrun, l'abbé Clément, Gres-
set, etc., etc. Cependant il convient, page
373, que « un Chrétien ne peut se dissimuler
que la représentation d'Athalie et de Po-
lyeucte est viciée sur les théâtres actuels, et
qu'en condamnant les spectacles, le Chré-
tien raisonne conséquemment. »
Le projet de réformation qu'il propose
ne rend pas les théâtres plus conciliables
avec la morale chrétienne. Il trouve impra-
ticable la sévérité de celui de Biccoboni. Il
voudrait, comme Babelleau, que nous fus-
sions tous des comédiens, et, quant aux
pièces dramatiques, après en avoir exclu
quelques-unes comme licencieuses, il re-
vient à les tolérer, pour donner, dit-il, aux
pères et mères de famille le moyen de
connaître le cœur humain, d'autant plus
que, selon lui, les peintures de l'amour ne
les, les compare à des comédie-is. Il déclame sont pas dangereuses.
(716) < Ciim lanlo cœremoniarum apparaît] célé-
brai Ecrlesia divinum ofïiciuin ni excilelnr ellicacius
clirisliaua plelts ad Dei cullur.i. > (Insiii. calhot.,
pari, m, secl. 2, rap. U.)
(717) Bossuet, Disc, sur Mist. utiiv.
(718) Bossuet, Disc, sur CHist. unie.
(719) Celle sévérité a souvent été réclamée par les
premiers magistrats chargés tTarimitter le roi de ses
devoirs J'évêquo extérieur de ses Euils, connue saint
Rémi appelait Clovis. On en trouvera des preuves
récentes dans des extraits de deux réquisitoires de
MM. Joly deFleury el Séguier, avocats généraux du
parlement de Paris. Ce sont des témoignages qui
manifestent le zèle des magistrats à protège/ cl à
venger, au nom du roi, les lois fondamentales <-!c la
religion et des mœurs. Tutores sumut vetus'.ulis cl
vinAices, disait l'empereur Jusùuicn.
1139
NOTICE SUR l-t: THEATRE LIBRE.
1100
Cette doctrine épicurienne est réellement
celle de nos théâtres, et on l'adopte plus ou
moins en les fréquentant. On peut s'en
procurer la preuve par le poërne des Saisons
que M. de Saint-Lambert donna en 17<i9;on
y trouve la description la plus naïve de
tous nos spectacles. Ils paraissent avoir été
peints d'après nature; il y a môme lieu de
croire que M. de Saint-Lambert tenait le
pinceau dans le moment de l'ivresse de
leur séduction. C'est sans doute cette sé-
duction qu'il a voulu exprimer lorsqu'il
dit dans le quatrième chant :
L<>s Muses, les amours, unis pour me séduire,
M'enlèvent à l'instant dans un monde enchanté,
Où tout vante, respire et peint la volupté.
0 spectacles divins, écoles respectables.
Du véritable honneur, des vertus véritables!
ils nous ont délivrés des gothiques usages.
Des antiques travers, du vernis des vieux âges.
Us corrigent en nous ces défauts, ces erreurs,
Qui pourraient altérer les chai nies de ros mœurs.
Quels sons harmonieux, quels tableaux ravissants!
Tous les arts à la fois séduisent tous mes sens.
L'auteur se ressentait encorede ce funeste
enchantement, lorsque dans des notes de son
poërne fpag. 86 et 168, etc.) il soutient que
les spectacles tels qu'il les a peints, sont
une véritable école oiï ion reçoit des leçons
de vertu, où l'on apprend la saine philoso-
phie et les vérités d'usage ; qu'il faudrait éri-
ger des statues aux inventeurs de ces plai-
sirs qui font jouir tout à la fois tous nos
sens, et qu'on doit dire avec Bernier, que la
privation d'un seul plaisir innocent est un
grand péché.
Il faut présumer que M. de Saint-Lam-
bert n'a fait que prêter son génie poétique
à cette morale sensuelle, et que de cœur il
tient à la philosophie de Despréaux, dont
on va citer quelques vers pour faire oppo-
sition.
Le seul honneur solide
(''est de prendre toujours la vérité pour guide,
De regarder en tout la raison et la loi.
El ce n'est qu'en Dieu seul qu'est l'honneur véritable.
(Desi\, salir. 11.)
Car qu'est-ce, loin de Dieu, que '.'humaine sagesse?
[Ici., salir. lw2.)
Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant,
Dieu n'est beau que par la vérité.
C'est par elle qu'on plaîl cl qu'on peut long-temps
| plaire.
(ld., épilre 9.)
Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ou-
vrages,
N'offrent jamais de vous que de nobles images.
Un auteur vertueux, dans ses vers innocents,
Ne corrompt point le cœur en chatouillant les sens.
Son l'eu n'allume point de criminelles flammes;
Aimez donc la vertu, nourrissez-en voire àme,
Eu vain l'esprit est plein d'une noble v'gieur,
Le vers se seul toujours des bassesses du cœur.
(Art poé.ique.)
Jean Racine prêtait l'oreille aux instruc-
tions de ce grand poëte qui était pour lui
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur ses fautes jamais ne le laissant paisible.
En voici une preuve. Jean Racine avait eu
la faiblesse de composer en faveur des théâ-
tres une lettre où il avait mis toute la cha-
leur d'un poëte intéressé à défendre ! hon-
neur de ses lauriers. Despréaux, à qui il
Pavait communiquée, lui fit cette réponse :
Votre lettre est très-bien écrite, mais vous
défendez une très-mauvaise cause. Racine
reconnut qu'il est d'une belle âme de no
jamais compromettre sa réputation par nuciu
écrit dangereux : Negligere quid de se homi-
nes (val. présentes, vel posteri) sentiont
dissoluti animi est. (Cicer. De off.) Et no-
nobstant toute l'ardeur de son ressentiment
contre les moralistes qu'il avait alors pour
adversaires, il déchira sa lettre en présenco
de Despréaux.
Tel aurait été le sort de toutes les apolo-
gies des spectacles, si leurs auteurs avaient
sincèrement consulté des gens de lettres
qui eussent une teinte de ce qu'on appelle
présentement le vernis des vieux âges, c'est-à-
dire un jugement sain, un respect pour les
lois divines et humaines, en un mot, du
zèle pour les mœurs.
Toutes ces apologies ne sont établies que
sur la coutume et l'amour du plaisir. Tout
l'art de leurs auteurs ne consiste qu'à éblouir
par des subtilités et des sophismes. On sait
que l'erreur n'a pas d'autres armes à em-
ployer. Il n'en est pas de même des écrits
qui combattent le théâtre, lis sont fondés
sur la raison, sur l'intérêt des bonnes mœurs
et sur la religion, trois sources d'arguments
invincibles. Ne pourrait-on pas encore citer
en preuve le témoignage intérieur d'un
grand nombre de ceux qui fréquentent les
spectacles? On en voit qui ont assez do
bonne foi pour se condamner eux-mêmes,
plutôt que la vérité, et qui disent ingénu-
ment : je désapprouve ce que j'ai la faiblesse
de me permettre :
Video meliora, proboque.
Détériora iequor
Enfin, concluons: « Le spectacle tel qu'il
est, » dit Le Franc (720), « n'étant pas à beau-
coup près un lieu sûr pour la sagesse et pour
la vertu ; et les acteurs de ce spectacle étant
toujours dans les liens de l'excommunica-
tion, un auteur élevé dans la morale chré-
tienne ne saurait, sous quelque prétexte
que ce soit, ni par quelque ouvrage que ce
puisse être, concourir au soutien du théâ-
tre, sans se rendre lui-même responsable
des inconvénients et des abus qui y sont at-
tachés, ni contribuer à l'entretien des ac-
teurs, sans partager le mal qu'ils causent et
(720) De l'Académie française.
Lettre à L. /(«< ine.)
ancien président de la Cour de» aides de Montauban. (Voyez sa
s m
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
H92
celui qu'ils font.... On s'efforce depuis long-
temps de réduire en problème théologique
cette question : si c'est un péché d'aller à la
comédie. On ne manque pas d'appuyer la néga-
tive de toutes les distinctions possibles, de
toutes lesconditionscapablesde rassurer.On
exige qu'il n'y ait rien de déshonnête, ni de
criminel dans la pièce; que celui qui va au
spectacle n'y apporte point de penchant au
vice, ni uneâmefacile à émouvoir ; qu'il y soit
maître de son cœur, de ses pensées, de ses re-
gards; que rien de ce qu'il entend, que rien
de ce qu'il voit ne soit pourlui une occasion
•Je chute ni de tentation. Cette théorie est
certainement admirable. Qui me répondra
de la pratique? Sera-ce notre casuiste? Qu'il
aille plutôt à la comédie. Au retour je m'en
rapporte à lui. »
Le Franc propose le défi avec trop de con-
fiance pour qu'il soit prudent de l'accepter.
Il faut donc conclure pour l'affirmative du
problème. Bussy-Rabutin en résolut un au-
tre du même genre, dans une lettre qu'il
écrivit à M. de Hoquette, évoque d'Autun.
Il est question des bals. On sait qu'il avait
titre pour avoir autorité consultative sur
cette matière. Sa lettre ne sera pas ici une
pièce disparate ; on va donc la rapporter.
Kl le se trouve dans le quatrième tome du
recueil de ses Lettres, édition d'Amster-
dam, 1738.
« De Chaseu ce 25 juin 1677.
« J'ai lu, Monsieur, l'avis sur les bals que
vous m'avez envoyé ; et puisque vous sou-
haitez de savoir ce que j'en pense, je vous
dirai que je n'ai jamais douté qu'ils ne fus-
sent très-dangereux. Ce n'a pas été seule-
ment ma raison qui me l'a t'ait croire, c'a
encore été mon expérience et quoique le
témoignage des Pères de l'Eglise soit bien
loi t, je liens que sur ce chapitre celui d'un
courtisan sincère doit être d'un plus grand
poids. Je sais bien qu'il y a des gens qui
courent moins de hasard en ces lieux-là que
d'autres ; cependant les tempéraments les
dIus froids s'y réchauffent, et ceux qui sont
assez glacés pour n'y être point émus, n'y
ayant aucun plaisir, n'y vont point. Ainsi il
n'est pas nécessaire de les leur défendre ; ils
se les défendent assez eux-mêmes. Quand
on n'y a point de plaisir, les soins de sa pa-
rure elles veilles en rebutent et quand ou
y a du plaisir, il est certain qu'on court
grand hasard d'y offenser Dieu. Ce ne sont
d'ordinaire que des jeunes gens qui compo-
sent ces assemblées, lesquels ont assez de
peine à résister aux tentations dans la soli-
tude, à plus forte raison dans ces lieux-là,
où les beaux objets, les flambeaux, les vio-
lons et l'agitation de la danse échaufferaient
des anachorètes. Les vieilles gens qui pour-
raient se trouver dans les bals sans intéres-
sai) Nemo sallat fere sobrius, nisi forte insanit.
[Orttt. pro Mur.)
(724) La danse en général «l'est pas en elle-même
lin vice; mais elle est devenue pernicieuse paire
qu'on l'a éloignée de la noblesse de son origine. Elle
fui d'aboi d l'expression de l'enthousiasme des sen-
ser leur conscience, seraient ridicules û'y
aller; et les jeunes à qui la bienséance le
permettrait ne le pourraient pas sans s'ex-
poser à de trop grands périls. Ainsi je liens
qu'il ne faut point aller au bal quand on est
chrétien et je crois que les directeurs fe-
raient leur devoir, s'ils exigeaient de ceux
dont ris gouvernent les consciences, qu'ils
n'y allassent jamais. »
On peut joindre à ce témoignage la pein-
ture suivante que Saint-Lambert a faite des
bals dans son poëme des Saisons , mais
avec une intention bien différente de celle
de Bussy-Rabutin. Celui-ci nous dit avec une
sincéritéadmirable:/u(7iYe/îœc,fuyezlacoupe
empoisonnée de Circé, au lieu que Saint-
Lambert nous dit : accurrite, accourez.
... Le bal va s'ouvrir cliez Hébé, chez Alcine,
L'or et l'émail des fleurs, les perles et l'hermine
De la foule élégante orne les \ éléments.
L'incarnat des rubis, le feu des diamants
Répandent un jour doux sur les charmes des beiles,
El les yeux avertis vont se fixer sur elles.
Le désir de tout vaincre, et l'espoir du succès
Brillent modestement dans leurs yeux satisfaits.
Le feu de leurs regaids s'anime avec la danse
L'amour, suis se montrer, fait sentir sa présence,
El plein d'un sentiment vif et délicieux
Chacun sent le plaisir qu'il voit dans les yeux.
A la mélancolie
Opposez, s'il ie faut, les jeux de la folie
Opposez des excès, bâiez-vous de saisir
En seul instant de joie, un moment de plaisir.
Entrez dans ces salons où de brillants Prolées
Changent en rianl leurs formes empruntées,
Où la nuit, le tumulte, el les masques trompeurs
Font naître à chaque instant d'agréables erreurs.
Là le maintien décent, ta froide retenue,
Là les sexes, les rangs ; les âges confondus
Suivent en se jouant la folie el Momus.
Il paraît que Saint-Lambert ne s'était pas
muni d'antidote contre le venin de la coupe
qu'il nous présente. Il loue la danse parles
effets pour lesquels Cicéron (721) l'attribait
à une espèce de délire. Et, selon jËmilius
Probus , les Romains vertueux rejetaient
l'usage de la danse, comme un vice qui ré-
veille et fortifie une passion dont le senti-
ment inévitable est à combattre, dont le sou-
venir est incommode et fâcheux, la modéra-
tion difficile, la tentation violente et l'atta-
chement criminel : Scimus saltare eliam in
vitiis poni (722).
Sui /ons donc les sages conseils de Bussy-
Rabutin. Ils sont fondés sur des principes
qui peuvent en général s'appliquer à tout
ce qui est inventé dans les grandes villes
pour amuserla multitude des citoyens oisifs,
fastueux, vains, légers et voluptueux. Tout
divertissement qui occupe leurs passions,
est certainement conforme à leur goût dé-
pravé....
limenls, soit de reconnaissance envers Dieu , soit
d'une joie légitime. Enfin on en fit un exercice pro-
pre à former te corps ei à donner à toute la personne
ce que Kollin appeHe une certaine politesse d'exté-
rieur.* Omnia majorum instituas judicentur.) (Con*.
Nep.)
1 193
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
♦194
Tels sont -les cflVls do la passion épidé-
niique pour les théâtres, comme l'a fort bien
observé deQuerlon, toujours intéressant, ju-
dicieux et énergique dans ses notices pério-
diques. « Les spectacles, dit-il, ont répandu
un esprit de frivolité dans tous les états
dont aucun âge n'est exempt : ils remplis-
sent l'imagination d'idées fausses et super-
ficielles, qui ne font que des turlupins. Ils
ont enfui introduit des licences et des ri-
dicules dans les mœurs (723).
N'en résulle-t-il pas aussi des influences
sur le physique? « La volupté, dit Plutarque
par l'organe d'Amyot, son traducteur, dis-
sout les corps, les amollissant de jour à au-
tre par délices, dont l'usage fauche le cœur,
éteignant ses forces tellement que les fai-
blesses et les maladies viennent en foule, et
dès la jeunesse on commence à faire appren-
tissage des infirmités de la vieillesse.... »
La jurisprudence fournit une multitude
d'ordonnances et d'arrêts concernant les
spectacles, soit pour les supprimer, soit
pour en réformer la licence.
On peut consulter à ce sujet un livre
utile qui a paru à Paris chez Humblot en
1770, sous ce titre : Code de la religion et
des mœurs, ou Recueil des principales ordon-
nances depuis rétablissement de la monarchie
française, concernant la religion et les mœurs,
par M. l'abbé Meusy, prêtre du diocèse do
Besançon, 2 vol. in-12.
Ce recueil sur les deux ressorts les plus
précieux d'un gouvernement fixe et stable,
a été annoncé par de Querlon (724) comme
une exposition abrégée de la religion de
l'Etat, ou comme la profession de foi natio-
nule.
On y voit, comme Meusy le dit dans la
préfacé, que, depuis l'établissement de la mo-
narchie en France, la religion et la vertu ont
toujours trouvé dans nos rois des protecteurs,
des défenseurs, et les mœurs des censeurs et
des juges.
La législation semble avoir tout prévu ; il
n'y a point d'abus qu'on ne pût réprimer en
réveillant quelques lois tombées en désué-
tude : Lex Julia. dormis. En effet, combien,
par exemple, n'y a-t-il pas de lois somp-
luaires pour arrêter les progrès du luxe,
qu'on appelle avec raison une fièvre politi-
que, qui donne aux Etats travaillés de ce
funeste mal un faux éclat, une vigueur pas-
sagère, suivis tôt ou tard d'un épuisement
réell
Meusy n'a pas omis l'article des specta-
cles. Ou trouve dans le second tome de son
recueil un chapitre qui contient à ce sujet
plusieurs extraits d'ordonnances et d'arrêts.
Ces sortes de divertissements ont mérité
l'attention do tous les bons gouvernements,
et ils ont toujours été regardés comme in-
compatibles avec l'exercice véritable de la
religion chrétienne. C'est pour cette raison
ou'ils sont au inoins défendus dans les
*
(723) Douzième Feuille hebdoni. de 17(59.
(1-ii) Feuille hebdomadaire des provinces, du 5
septembre 1770.
Diction n. r>ES Mystères.
temps plus particulièrement consacrés au
culte divin et a la célébration des saints
mystères.
Cette police est observée dans tous les
Etats chrétiens avec plus ou moins de ri-
gueur. L'abbé Meusy a donné sur cet objet
une notice d'un Règlement que l'illustre
impératrice Elisabeth, reine de Hongrie, fit
pour ses Etats en 1754. « Les comédies,
opéras, concerts et autres spectacles pu-
blics y sont défendus, 1" tous les vendredis
de l'année; 2° dans l'A vent, à commencer
au 14 décembre ; 3° le jour de Noël, le jour
des Rois, tout le Carême, le jour de Pâ-
ques, les jours des Rogations ; 4° les jours
de la Pentecôte, de la Trinité, toute l'octave
de la Fête-Dieu; 5° les fêles de la sainte
Vierge et leurs veilles, quai <1 même ces
dernières ne seraient point fêtées; 6° les
jours des Quatre-Temps, le jour de la Tous-
saint, celui des Trépassés; 7° le 1" octobre
et lo 14 novembre, jour anniversaire de la
naissance et du nom, c'est-à-dire du bap-
tême de l'empereur Charles VI. Le 28 août
et le 19 novembre, jour delà naissance et
du nom de l'impératrice Elisabeth, et le 20
octobre, jour do la mort de l'empereur
Charles VI. »
Voici une des réflexions de l'abbé Meusy
sur les spectacles : « Les apologistes du
théâtre ne font pas d'honneur à leur esprit,
peut-être même à leurs mœurs, quand ils
en prennent la défense. Ils conviennent
eux-mêmes ;de la nécessité de réformer I<î
théâtre, et conséquemmenl ils le condam-
nent, et il sera condamnable tant qu'il sera
dans l'état actuel. » (Code de la Religion et
des mœurs, loin. II.)
Il n'est pas douteux que l'abbé Meusy
reconnaît que la licence et la multiplicité
de nos spectacles démontrent qu'on est bien
éloigné de se réformer sur cet objet. Com-
ment en effet y parviendrait-on, lorsque le
plus grand nombre prétend avec Le Cendre
de Saint-Aubin (725) « que c'est à tort
« qu'on a reproché à nos poètes tragiques
« d'avoir amolli la scène et abaissé la tra-
« gédie, en rapportant toute l'action du
« théâtre à l'amour; que les poètes en cela
« ont suivi une voie plus sûre pour aller
« au cœur, qu'ils ont mieux connu oue les
« tragiques anciens ? »
Celle opinion de Saint-Aubin est établie
sur le mauvais goût de notre nation, dont
la passion excessive pyur les jeux de théâ-
tres a donné lieu à de Lalande de rappor-
ter dans son Voyage d'Italie, tom. V, les
deux vers suivants d'un poêle anonyme :
Mais au Français plus que Romain
Le spectacle sullii s.ms pain.
Jatuque eadem suinmis panier minim:sque libido.
(Jlven., lit), il, sat. G.)
C'est pour réprimer un accès outré do
celle oassion épidémique que le parlement
(725) Dans le i" livre de son Traité de l'opinion ,
chap. 5 de la Poésie, p. 219
38
HS5
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1196
de Pans a donné l'Arrêt qui suit, et dont on
a ci-devant parlé. Il sera précédé des ex-
traits des réquisitoires de Joly de Fleury et
Séguier, des 25 janvier 1759 et 18 août
1770, dont il aaussiétéci-devant parlé. La li-
cence des mauvais écrits a fait tant de pro-
grès, que les magistrats ont été forcés de
dire avec saint Augustin : « Empressons-
nous de réprimer des excès que nous avons
dû prévoir. Sed nos tardiores vel experti
corrigamus quod provider e debuimus. »
Extrait du Réquisitoire de M. Joly de Fleury,
du 25 janvier 1759 (726).
« La société, l'Etat et la religion se pré-
sentent aujourd'hui au tribunal de la jus-
tice pour lui porter leurs plaintes. Leurs
droits sont violés, leurs lois sont mécon-
nues, l'impiété qui marche le front levé pa-
raît, en les offensant, promettre l'impunité
à la licence qui s'accrédite de jour en jour.
« L'humanité frémit, le citoyen est alar-
mé; on entend de tous côtés les ministres
de l'Eglise gémir à la vue de tant d'ouvra-
ges que l'on ne peut affecter de répandre et
de multiplier que pour ébranler, s'il était
possible, les fondements de notre religion.
« Il suffirait d'être homme et citoyen
pour être sensible à tous ces maux; mais
vous, Messieurs, magistrats et chrétiens,
défenseurs des lois et protecteurs de la reli-
gion, de quel œil regarderez-vous des ten-
tatives aussi téméraires?....
o Qu'il est triste pour nous de penser au
jugement que la postérité portera de noire
siècle en parlant de ces ouvrages qu'il pro-
duit
« Telle est la philosophie des faux: sa-
vants de notre siècle. Ils se donnent gratui-
tement le nom d'esprits forts, et appellent
lumière ce qui n'est que ténèbres.
« Comment des hommes que l'on croit
si profonds et d'un génie si distingué des
autres, ignorent-ils jusqu'à la définition de
l'esprit fort? Qui établit en effet la vérita-
ble force de l'esprit? ne sont-ce pas les prin-
cipes, les témoignages, les autorités sur
lesquelles il se fonde, les vertus que lui
mérite le bon usage qu'il fait des lumières
que lui accorde le Dieu qui est le Seigneur
de toutes les sciences'! (I Rois, II, 3.)
« Un esprit (véritablement fort est un es-
prit éclairé [par la lumière supérieure, et
qui connaît la vérité par des principes cer-
tains. Soutenu au-dehors par des témoigna-
ges qu'on ne peut récuser, jamais le dérè-
glement des passions ne l'affecte, ni influe
sur ses connaissances et ses jugements. Le
tidèle seul possède celte force d'esprit, l'er-
reur et l'aveuglement sont le partage de
l'incrédule guidé par son sens particulier et
par sa fa-ble raison.
« L'esprit docile, dit un auteur célèbre
(La Bruyère), admet la vraie religion ; et l'es-
(7 26) Ce réquisitoire est imprimé avec l'arrêt du
23 Janvier 1759, pour la condamnation des ouvrages
suivants, intitulés : De l'esprit, le Pyrrhonisme du
sane, la Philosophie du bon sens , la Religion natu-
relle, Leitr/>$$cmi-vhilosoi>liiques, Etrenncsdes Esprits
prit faible, ou n'en admet aucune ou en ad-
met une fausse; or V esprit fort ou n'arpoint
de religion, ou se fait une religion : donc l'es-
prit fort, c'est l'esprit faible....
« La conséquence est juste; quelle plus
grande faiblesse que de vouloir être sanscer-
titude sur le principe de son être, de sa vie,
de ses sens, de ses conna ssances, de la na-
ture et la destination de son âme? L'idée
d'un premier être parfait, éterne1, de qui
tous les autres tiennent leur existence, à
qui tout se rapporte, qui nous a faits à son
image, cette idée ne prouve-t-elle pas plus
de force et de noblesse dans l'homme qui
l'adopte, qui la croit et qui la prenJ pjur
la règle et le terme de ses actions?....
« Dieu est visible dans tous ses ouvra-
ges... La lumière de son visage est gravée sur
nous. [Ps. IV, 7.) Nous portons en nous-
mêmes les caractères ineffaçables de sa di-
vinité et les gages précieux des biens éter-
nels qu'il nous destine. L'insensé a dit dans
son cœur : Il n'y a point de Dieu. (Ps. LU,
t.) Mais son âme naturellement chrétienne
dépose souvent malgré lui en faveur de la
vérité de cet Etre suprême, dont l'existence
renferme celle d'une religion. C'est contre
cette religion que nos philosophes s'élè-
vent; ils ont formé une sorte de ligue
pour la faire disparaître du milieu de nous,
pour inspirer l'indépendance et nourrir la
corruption des mœurs.
« Eh 1 quel mal leur a fait cette religion
sainte pour exciter leur fureur? Si ses dog-
mes, ses cérémonies et sa morale les offen-
sent, s'ils ne peuvent en être les disciples,
pourquoi troubler l'Etat et vouloir dispu-
ter aux autres la liberté de suivre les maxi-
mes de la catholicité?
« Ils déchirent le sein de l'Eglise qui les
a adoptés pour ses enfants; <t comme si
l'Etat était coupable à leurs yeux, parce
qu'il est chrétien, ils conjurent la perle de
1 un et de l'autre, et cherchent à les saper
par les fondements.
« Enfants ingrats et rebelles, ils mécon-
naissent l'Auteur de tous les dons , et sem-
blables à ees insensés dont parte un écri-
vain sacré (Job.. XXI, 14) : Relirez'ious de
nous, lui disent-ils, nous n'avons pas besoin
de vos lumières. Nous ne connaissons ni vos
promesses ni vos miracles, Dans celte folle
présomption ils sont comme dans une sorte
de délire et marchent en plein jour comme
des aveugles au milieu des ténèbres. (Deut.,
xxviii. 28-29.)
« Tel sera dans tous les temps le sort des
écrivains profanes qui refuseront de subor-
donner la science des mœurs è celle de la
religion. Le caractère de la vraie philoso-
phie est de terminer les siennes par des ac-
croissements de sainteté et d'amour envers
l'Etre suprême; celle delà fausse philoso-
phie est de terminer les siennes uar des
forts, Lettre au R. P. Derlhier sur le matérialisme ,
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et
des arts et métiers, publiés par MM. Diderot et d'A-
lembcrl.
1137
NOTICE SUtt LE THEATKE LIBKE.
llfJ8
systèmes impies, par un accroissement de
présomption et d'ignorance, et de rendre le
philosophe vain, plus superbe et plus aveu-
gle qu'il n'était avant ses recherches.
« Des hommes qui abusent du nom de
philosophe pour se déclarer par leurs sys-
tèmes les ennemis de la société, de l'Ktat
et de la religion, sont sans doute des écri-
vains qui méritent que la Cour exerce con-
tre eux toute la sévérité de la puissance que
le prince lui confie, elle bien de la religion
l'exige de l'attachement de tous les magis-
trats à ses dogmes et à sa morale.
« Vos prédécesseurs, Messieurs, ont con-
damné aux supplices les plus affreux, comme
criminels de lèse-majesté divine, des au-
teurs (727) qui avaient composé des vers
contre l'honneur de Dieu, son Eglise et l'hon-
nêteté publique; ils ont môme déclaré soumis
à la peine des accusés ceux qui s'en trou-
veraient saisis, et les libraires furent dé-
crétés de prise de corps et poursuivis sui-
vant la rigueur des ordonnances. »
Extrait du Réquisitoire de M. Séguier, du
18 août 1770 (728) , imprimé par ordre
exprès du roi.
« Jusques à quand abusera-t-on de notre
patience? s'écriait l'orateur romain, dans
un temps où la république, exposée à tou-
tes les fureurs d'une faction prêle à éclater,
comptait au nombre des conjurés les ci-
toyens les plus illustres, môles avec la plus
vile populace.
« Ne pouvons-nous pas aujourd'hui adres-
ser les mêmes paroles aux écrivains de ce
siècle, à la vue de cette espèce de confé-
dération qui réunit presque tous les au-
teurs en tout genre contre la religion et le
gouvernement? Il n'est plus possible de se
le dissimuler, cette ligue criminelle a trahi
olle-même son secret. Son but principal est
de détruire l'harmonie établie entre tous
les ordres de l'Etat et maintenue par la re-
lation intime qui a toujours subsisté entre
la doctrine de l'Eglise et les lois politi-
ques....
« Depuis l'extirpation des hérésies qui ont
troublé la paix de l'Eglise, on a vu sortir
des ténèbres un système plus dangereux
par ses conséquences que ces anciennes
erreurs, toujours dissipées à mesure qu'el-
les se sont reproduites. Il s'est élevé au
milieu de nous une secte impie et auda-
cieuse. Elle a décoré sa fausse sagesse du
nom de philosophie; sous ce titre imposant,
elle a prétendu posséder toutes les connais-
sances. Ses partisans se sont élevés en pré-
cepteurs du genre humain. Liberté de pen-
ser, voilà leur cri; et ce cri s'est fait enten-
dre d'une extrémité du monde à l'autre.
D'une main ils ont tenté d'ébranler le trône,
de l'autre ils ont voulu renverser les autels.
(727) Voyez entre autre l'arrêt du 19 août 1G23,
contre Théophile, Berlelol, etc.
(728) Pour la condamnation de sept ouvrages im-
pies, savoir: La contagion sacrée, Dieu et les hom-
mes, Discours sur les miracles de Jésus-Clirisl, Exa-
men critique des apotog'nlcs de la religion clirélienne ,
Leur objet était d'éteindre la croyance, de
faire prendre un autre cours aux esprits sur
les institutions religieuses et civiles, et la
révolution s'est, pour ainsi dire, opérée
Ils se sont acharnés à déraciner la foi, k
corrompre l'innocence et à étouffer dans les
âmes tout sentiment de vertu.
« Ceux qui étaient le plus faits pour éclai-
rer leurs contemporains se sont mis à là
tête des incrédules; ils ont déployé l'éten-
dard de la révolte, et, par cet esprit d'indé-
pendance, ils ont cru ajouter à leur célé-
brité. Une foule d'écrivains obscurs, ne pou-
vant s'illustrer par l'éclat même des talents,
a fait paraître la même audace, et ils n'ont
dû leur réputation qu'à la licence de leurs
écrits et au funeste appareil du pyrrhonismo
qu'ils ont présenté.
« Tantôt ils ont fait de l'irréligion le
fond même de leurs ouvrages, tantôt ils
l'ont mêlée dans des écrits obscènes et
voluptueux, comme pour l'insinuer dans
l'esprit de la jeunesse, avec le charme des
peintures lascives, et pour faire tourner au
profit de l'impiété le désordre même qu'ils
portaient dans les sens.
« Les cœurs purs, les âmes honnêtes ont
été attirés par des maximes insidieuses
qui semblaient dictées par la bienfaisance,
et la droiture de leurs sentiments leura fait
illusion sur des principes d'autant plus
dangereux qu'ils paraissaient tendre au
bonheur de l'humanité.
« Avec les esprits graves, on a pris le
ton de la méthode et de la réflexion. On a
présenté des écrits légers et agréables aux
esprits frivoles et superficiels. On a semé
des doutes que le simple n'était pas en état
de résoudre; et Je ridicule a achevé d'en-
traîner ceux que les faux raisonnements
n avaient pu persuader.
« Cettesecte dangereuse a employé toutes
les ressources, et pour étendre la corrup-
tion, elle a empoisonné, pour ainsi dire,
les sources publiques. Eloquence, poésie,
histoire, romaus, jusqu'aux dictionnaires,
tout a été infecté ; et nos théâtres eux-
mêmes ONT RENFOUCÉ CES MAXIMES PERNICIEU-
SES, D iNT LE POISON ACQUÉRAIT UN NOUVEAU
DEGRÉ DACTIVITÉ SUR L'ESPRIT NATIONAL,
PAR l'AFFLUENCE DES SPECTATEURS ET l'É-
nergie de l'imitation. Enfin la religion
compte aujourd'hui presqu'autant d'enne-
mis déclarés, que la littérature se glorifie
d'avoir formé de prétendus philosophes;
et le gouvernement doit trembler de tolé-
rer dans son sein une secte ardente d'in-
crédules qui semble ne chercher qu'à sou-
lever les peuples sous prétexte de les
éclairer.
« Nous n'ignorons pas à quelle haïno
nous nous exposons, en osant déférer aux
magistrats une cabale aussi entreprenante
par M. Fiéiel; Examen impartial des principales
religions du monde, le Christianisme dévoilé, et le
Système de la nature. L'arrêt du parlement intervenu
sur ce réquisitoire le 18 août 1770, a condamné
tous ces ouvrages à être brûlés.
1199
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1200
qu'el.e est nombreuse. Mais quelque ris-
que qu'il puisse y avoir à se déclarer con-
tre ces apôtres de la tolérance , les plus
intolérants des hommes dès qu'on se refuse
à leurs opinions, nous remplirons le mi-
nistère qui nous est confié, avec l'ntrépi-
dilé que donnent la défense de la vérité et
l'amour du bien publie...*
« Non, il ne nous est plus permis do
garder le silence sur ce déluge d'écrits
que l'irréligion et le mépris des lois ont
répandus depuis quelques années L'im-
piété féconde les esprits, elle fait lever
chaque jour des semences nouvelles non
moins pernicieuses «pie les premières et
toujours répandues avec la môme impu-
nité. Elle dédaigne déjà la précaution de
s'envelopper sous des voiles ; ses blasphè-
mes éclatent, les dépôts d'irréligion sont
dans toutes les mains , on les met a plus
haut prix pour exciter la curiosité et leur
donner plus d'imporlance et plus d'attrait.
Les femmes elles-mêmes s'initient à ces
connaissances d'impiété ou de scepticisme ;
et négligeant les devoirs qui leur sont
propres et qu'elles seules peuvent remplir,
elles liassent une vie oisive dans la médita-
tion de ces ouvrages scandaleux.
« A peine sont-ils devenus publics dans
la capitale, qu'ils se répandent comme un
torrent dans les provinces et dévastent tout
sur leur passage. Il est peu d'asiles qui
soient exempts de la contagion ; elle a pé-
nétré dans les ateliers et jusque sous les
chaumières^: bientôt plus de loi, plus de
religion et plus de mœurs: l'innocence
primitive s'est altérée, le souffle brûlant de
l'impiété a desséché lésâmes et a consumé
la vertu. Le peuple était pauvre, mais con-
solé; il est maintenant accablé de ses tra-
vaux et de ses doutes. Il anticipait par l'es-
pérance sur une vie meilleure, il est sur-
chargé des peines de son étal et ne voit
plus de terme a sa misère que la mort et
l'anéantissement...
« S'il n'était que des esprits nés droits et
bons, incapables d'être séduits par les so-
phismes, nous aurions peut-être gardé le
silence sur des écrits aussi monstrueux
Mais les esprits qui ont leur sauvegarde en
eux-mêmes sont trop rares, les passions
dont la plupart des hommes sont le jouet,
leur ignorance ou leur faiblesse, l'indépen-
dance mêmTî qu'on a voulu leur inspirer et
à laquelle ils ne sont que trop enclins, tout
les entraînerait en foule dans l'abîme ca-
ché dont l'impiété leur aplanit la pente.
« Dans la situation actuelle, une sévé-
rité salutaire peut seule remédier à la témé-
rité des auteurs, à la frénésie d'une secte
dangereuse, à l'avidité même dus impri-
meurs et à la fermentation qui se renou-
velle sans cesse dans les esprits... Quelques
menaces que puisse faire l'impiété, elle ne
trouvera qu'un ennemi redoutable et vigi-
lant dans le corps dépositaire des lois.
Rien ne pourra suspendre le cours de la
justice. Le poison ues nouveautés profanes
ne peut corrompre la sainte gravité de
mœurs qui caractérise les vrais magistrats.
Tout peut changer autour d'eux, ils restent
immuables avec la loi. »
Dans ces réquisitoires, comme le dit de
Querlon en rendant compte de celui de
Séguier (729), « on reconnaît le caractère
des magistrats publics chargés de la cen-
sure des mœurs, obligés conséquemmtnt
par état d'avoir sans cesse les yeux ou-
verts sur tout ce qui pourrait les corrom-
pre et troubler l'ordre civil. Ils ne peuvent
donc rien dissimuler. Il faut qu'ils éclatent,
qu'ils tonnent, qu'ils dénoncent avec cou-
rage, avec force, sans aucun de ces ména-
gements inconnus dans les tribunaux de
justice, et que l'intérêt public ne comporte
point tous les abus, tous les excès qu'il
importe de réprimer. »
L'arrêt intervenu sur le réquisitoire de
Séguier en a aussi suivi les conclusions sur
h nécessité « de prendre les mesures les
plus efficaces pour arrêter la contagion, dé-
concerter les progrès de cette fausse et
allière philosophie qui ne veut s'emparer
des esprits que pour les mouvoir à son
gré, qui ne cherche à les instruire que pour
les égarer, et qui ne réclame la liberté do
penser que pour s'affranchir de toule dé-
pendance civile et politique. »
Ces vices de l'incrédulité sont bien expo-
sés et combattus dans l'instruction pastorale
que le clergé de France, assemblé à Paris en
1770, a donnée sous le titre d'Avertissement
aux fidèles du royaume.
Un peu de ph losophie, dit Bacon, peut
éloigner de Dieu, mais une connaissance
approfondie ramène à la religion. Les incré-
dules ne sont donc que de faux philoso-
phes, puisqu'ils sont discordants entre eux
sur la nature de Dieu, de l'âme humaine et
du monde. Il n'est pas d'artisan chrétien,
qui, sur ces objets ne soit meilleur philo-
sophe qu'eux, puisqu'il connaît Dieu et
qu'il peut le faire connaître aux autres.
Deum quilibet opifex Chrislianus et invenit
et ostendit. (ïertul. , Apolog. ,c. 46.)
Arrêt du parlement, du 22 avril 1761.
« Ce jour, les gens du roi sont entrés,
et M' Orner Joiy de Fleury, avocat dudit
seigneur roi, portant la parole, ont dit:
« Que M" Etienne-Adrien Dains, bâton-
nier des avocats, demandait d'être entendu.
« Lui mandé et entré avec plusieurs an-
ciens avocats, ayant passé au banc du bar-
reau, du côté du greffe, a dit:
« MESSIEURS,
« La discipline de notre ordre, l'honneur
« de notre profession, notre attachement
« aux véritables maximes et notre zèle
« pour la religion, ne nous ont pas permis
« de garder le silence ni de demeurer dans
a l'inaction au sujet d'un livre pernicieux
« qui a pour titre : Libertés delà France con-
« tre le pouvoir arbitraire de /' ' excommunica-
(729) Dans la feuille du 10 septembre 1770.
1-201
NOTICE Slïl LE THEATRE LIBRE.
12<fc
« tion, et qui est terminé par une consul-
« talion signée Hcerne de la mothe.
« A cette signature est ajouté (contre
« l'usage ordinaire) la qualité d'avocat au
« parlement: il en a abusé pour parvenir à
« faire imprimer un ouvrage scandaleux,
« dont J'approbation et la permission lui
« avaient été refusées.
« La question touebant i exeommunica-
« tion encourue par le seul fait d'acteur de
« la comédie (730), suc laquelle il appartient
« également au théologien et au juriscon-
« suite de donner son avis (mais qui doit
« être traitée par l'un ou par l'autre avec au-
« tant de sagesse que de lumières;) cette
« question, disons-nous, est soutenue aflîr-
« mativement et décidée audacieusement
« en faveur des comédiens par la Consulta-
it lion, fondée uniquement sur les faux prin-
« cipes avancés dans deux Mémoires â con-
« sulter, et sur des maximes odieuses, ha-
« sardées dans les autres pièces qui la pré-
« cèdent, notamment dans sa Lettre à l'ac-
« Irice, conçue en termes les plus outrés et
« les plus scandaleux: l'uni fortuite- du style,
« la répétition fréquente d'expressions sill-
et gulières, l'adoption des mêmes idées a sa
« propre lettre, font connaître évidemment
« que le tout est l'ouvragedu môme homme,
« suivant qu'il en a été convaincu dans la
« première assemblée.
« Du moins il a avoué avoir vu et retouché
« les Mémoires à consulter, et autres pièces,
« avoir écrit le tout de sa main, avoir cor-
« rigé les épreuves.
« Enfin, il a ratifié le tout, en le faisant
« imprimer sursa minute restée a l'impri-
" meur et sous sa signature, sans en rien
« improuver dans sa Consultation.
« Par ce détour artificieux, l'auteur s'est
« ilonné la coupable licence de hasarder les
« propositions les plus contraires à la re'li-
« gion et aux bonnes mœurs, et de con-
« tondre la nalure elles bornes des deux
« puissances.
« 11 n'y a, Messieurs, aucune de ces pièce s
«où il n'y ait du venin; nous oserions
« môme assurer qu'à chaque page, pour
« ainsi dire, il y a des propos indécents, ou
« des erreurs, ou des impiétés: j'en citerai
« seulement quelques traits
« On annonce que l'ouvrage est fait (731)
« pour tous les citoyens qui en ont besoin si
<■ souvent, surtout dans ces temps de nuage et
« d'obscurité que les contestations du clergé
« élèvent fréquemment contre la liberté du cï-
« toijen fidèle, en le rendant esclave d'une do-
!■ initiation arbitraire.
« Le début audacieux'découvre l'applica-
« tion fausse et injurieuse qu'on entend
« faire de ce qui sera établi dans tout l'ou-
« vrageau sujetde l'excommunication contre
« les comédiens. ■
(730) Page première du Mémoire a consulter.
(751) Page première de l'Avis de l'éditeur.
(752) Page 25 du second Mémoire.
(755) Page 12 de l'Avis de l'éditeur.
(731) Page 13.
(73.5) Ibid.
» En abusant de maximes sages (732), et
« en confondant les objets, on attaque l'au-
'< torrlé de l'Eglise, et on fait injure à celle du
« souverain.
« On assure que la Consultation renferme
« en peu de mots la certitude des principes
« de l'auteur du Mémoire (733;, et qu elle
« couronne le zèle d'une actrice digne de l'é-
« loge de l'Eglise même.
« On ajoute: elle ne trouve de vraie gloire
« (734-), qu'à répandre dans le sanctuaire de
« la religion quelle professe, celle, que la
« France lui défère.
« Il y a plus: la nation (735) et la religion
« doivent â Venvi former réloge de cette
« femme forte, qui seule prend en main la dé-
« fense du citoyen fidèle.
« Elle nous fait voir (73G), dit-on, que
< c'est depuis peu seulement que les ministres
< de l'Eglise usent envers elle et sa société
- d'une autorité arbitraire.
« Enfin, on tire une fausse conséquence
« de cette maxime vraie en matière crimi-
« neile, Non bis in idem. Si l'acteur et l'au-
« teur sont infâmes, dit-on, dans l'ordre
« des lois, il résulte de cette peine d'infa-
« mie que la peine de la loi contre un dé-
« lit détruit toute autre peine; parce que
« la règle est certaine, qu'on ne doit jamais
« punir deux fois pour le même délit.
« Ainsi l'infamie prononcée par !a loi
« contre les comédiens les mettrait à cou-
" vert de l'excommunication de la part de
« l'Eglise.
« La mémoire du vénérable prélat (737)
« qui pendant nombre d'années a gouvernné
« ce diocèse avec autant de sagesse que
« d'édification, est traitée avec mépris et
« même calomnieusement offensée. Son rc-
« fus du sacrement de mariage aux comé-
« diens est traité de scandale, ainsi que
« celui de la sépulture de l'Eglise.
« On applaudit (73S) à la noblesse des sen-
« timents de l'actrice, qui la porte à rompre
« des fers que les seuls préjugés ont pris soin
« de forger.
« On ajoute que l'Eglise ne peut que com-
« hier d'éloges son courage mâle, vraiment et
« héroïquement chrétien, qui l'anime à récla-
« mer les droits qui lui sont acquis, etc.
« On annonce (739) qu'elle ne peut manquer
« de parvenir à établir sa société en titre d'a-
'i cadémie, et que dès l'instant elle ensevelira
« pour toujours l'ignominie que l'ignorance et
s une super slilieuse prévention ont élevée contre
« l'état des comédiens.
« On lui fait espérer (740) que l'Eglise
« elle-même, bien loin d'autoriser ses ministres
« à user d'une autorité arbitraire, s'élèvera
« ou contraire contre la sévérité de ces zèles
« amers que la charité ne connut jamais,
(75G) Page 54, ibid.
(737) Page 51 du premier Mémoire, e! 10'i .1 i se
coud Mémoire,
(758) Page 53.
(75911V;. 51.
(740) Ibid.
1203
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
« On invite le public (741) à lire cet ou-
« vrage, en assurant que les gens instruits
« seront charmés d'y retrouver leurs prîn-
'. cipes, et les autre* seront charmés de s'y
« instruire.
« Les moments précieux de la cour ne me
-< permettent pas, Messieurs, de faire IV-
« nalyse du second Mémoire à consulter,
« contenant 220 pages. C'est une critique in-
« décente de tout ce qui condamne la co-
« méuie et frappe sur les acteurs. Ce n'est
« qu'un tissu de propositions scandaleuses,
« de principes erronés, de fausses maximes
« et de propos injurieux à la religion, con-
« traires aux bonnes mœurs, attentatoires
« aux deux puissances.
« On oppose ce qui est toléré dans les
« Etats du Pape par rapport aux comédiens,
« aux usages de l'Eglise de France a leur
« égard, qu'on impute au pouvoir indiscret
« d'une anarchie effroyable.
« On fait la comparaison blasphématoire
« de la comédie, non-seulement avec les
« panégyriques des saints, dans les chaires,
« mais encore avec les cérémonies de l'E-
« glise dans la semaine sainte, et à l'usage
« de certaines églises où la Passion est
« chantée à trois voix.
« Outre ces blasphèmes, les maximes vi-
« cieuses sur les mœurs sont poussées jus-
« qu'au point de dire que la conduite des
■' comédiennes qui vivent en concubinage
« avec celui qu'elles aiment n'est pas dés-
«• honorante, qu'elle est seulement irrégu-
« lière; que ce concubinage était autorisé
« chez les Romains, et môme dans les pre-
« miers siècles de l'Eglise; qu'elle est to-
« lérée dans nos mœurs, et qu'il n'y a que
« celles qui mènent une vie scandaleuse
" qui doivent être rejetées.
« Enfin on dégrade toutes sortes d'états,
« à l'exception du militaire, pour mettre les
* comédiens au pair et de niveau avec tous
« les autres citoyens, marchands, avocats
« et même avec la magistrature.
«Voilà, Messieurs, le précis du système
« confus et odieux adopté par la Consulta-
« tion. Le tout est un ouvrage de ténèbres,
« qui part de la même plume.
« La conclusion outrée de la Consultation
« achève de révolter les esprits et d'exciter
« l'indignationcontrele livre entier et contre
« l'auteur.
« Le cri public qui s'est élevé contre ce
« livre, à l'instant qu'il a paru, nous a
« porté a en faire un prompt examen, avec
« plusieurs de nos confrères, et à prendre
« l'avis de l'ordre dans une assemblée gé-
« nérale qui, pour manifester la pureté de
« nos sentiments et la sévérité de notre dis-
'< cipline, a, d'une voix unanime, retranché
« du nombre des avocats l'auteur, et m'a
« chargé de dénoncer son ouvrage à la
« Cour, dont le zèle, en matière de religion,
« de bonnes mœurs et de police publique,
c se manifeste en toutes occasions.
« Ainsi, Messieurs, c'est pour remplir le
[ 1204
« vœu de l'ordre des avocats, nue.) 'ai rhon-
« rieur de dénoncera la Courte livre inti-
« lu lé : Libertés de la France contre le pou-
« voir arbitraire de i excommunication. »
i Ledit Bâtonnier entendu ;
« Les Gens du Roi, Me Orner Joly de
« Fleury, avocat dudit seigneur roi, por-
« tant la parole, ont dit:
« Que l'exposé qui vient d'être fait à la
« Cour du livre intitulé : Libertés de la
« France contre le pouvoir arbitraire de
« i 'excommunication, ne justifiait que trop la
« sensation que sa distribution avait excitée
«dans le public; qu'ils se seraient même
« empressés de le déférer, il y a plusieurs
«jours, s'ils n'avaient été instruits des me-
« sures que prenaient à ce sujet ceux qui
« se dévouent, sous les yeux de la Cour, à la
«profession du barreau; que leur délica-
« lesse , leur attachement, à l'épreuve de
« tout, aux maximes saintes de la religion
« et aux lois de l'Etat, ne leur avaient pas
« permis de garder le silence; et que, dans
« les sentiments qu'ils venaient d'exprimer,
« on y reconnaissait cette pureté, cette tra-
« dition d'honneur et de principes, qui dis-
tinguent singulièrement ce premier bar-
« reau du royaume.
« Qu'ils n'hésitaient pas a requérir que le
« vœu unanime des avocats sur la personne
« de l'auteur, qu'ils rejettent de leur sein,
« fût confirmé par l'autorité de la Cour, et
« que le livre fût flétri.
« Que dans .ces circonstances ils croient
« donc devoir proposer à laCour d'ordonner
« ipie le livre en question sera lacéré et
« brûlé par l'exécuteur de la haute justice,
« au pied du grand escalier du Palais; qu'il
« sera fait défenses à tous imprimeurs, li-
« braires, colporteurs ou autres, del'impri-
« mer, vendre, colporter ou autrement dis-
« tribuer, à peine de punition exemplaire.
« Que ledit François-Charles Huerne de
« La Mothe sera et demeurera rayé du la-
« bleau des avocats étant au greffe de la
« Cour, en date du 9 mai dernier, et que
« l'arrêt qui interviendra sur leurs présentes
« conclusions sera imprimé, lu, publié et
« affiché partout où besoin sera. »
« Eux retirés;
« Examen fait dudit imprimé, la matière
« sur ce mise en délibération;
« LA COUR ordonne que le livre en ques-
tion sera lacéré et brûlé par l'exécuteur de
la haute justice, au pied du grand escalier
du Palais; fait défenses à tous imprimeurs,
libraires, colporteurs ou autres, de l'impri-
mer, vendre, colporter ou autrement dis-
tribuer, à peine de punition exemplaire:
ordonne en outre que ledit François-Charles
Huerne de la Mothe sera et demeurera rayé
du tableau des avocats étant au greffe de
la Cour, en date du 9 mai dernier; comme
aussi ordonne que le présent arrêt sera im-
primé, lu, publié et affiché partout où be-
soin scn.
(741) Page 53.
1205
NOTICE SUR LE THEATRE LlhRE
1206
« Après quoi le bâtonnier, accompagné
desdits anciens avocats, étant rentrés-, Mon-
sieur le premier président leur a fait en-
tendre l'arrêt ci-dessus, et adressant la pa-
role au bâtonnier, leur a dit: « Qu'ifs trou-
« veraient toujours la Cour disposée à con-
« courir avec eux pour appuyer de son au-
« torité le zèle dont ils étaient animés pour
« tout ce qui intéresse l'ordre public et la
« discipline du barreau. »
« Fait en Parlement, le vingt-deux avril
mil sept cent soixante-un.
« Signé: Isabeau. »
« Et le vingt-trois avril audit an mil sept
cent soixante-un, à la levée delà Cour, récrit
mentionné en l'arrêt ci-dessus a été lacéré et
brûlé dans la cour du Palais, etc.
« Signé: Isabeau. »
Huerne de la Mothe fut insensible à cet
arrêt flétrissant. Il osa encore donner en
1762 une brochure scandaleuse, intitulée:
Apologie du théâtre adressée à Mlle Clairon,
actrice de la Comédie-Française. 11 s'y donne
(p. 5) pour un écrivain obscur; il aurait dû
ajouter et téméraire, puisqu'il avait si peu
de respect pour l'esprit des lois sur la pro-
fession de comédien. On a sur cette matière
une tradition de jugements. En voici un qui
était récent.
Deux particuliers s'étaient associés en
17G0 pour une entreprise de spectacles.
L'un des deux y renonça par un motif de
conscience. L'autre n'y eut aucun égard, et
il en résulta une instance judiciaire. L'avo-
cat Elie de Beaumont se chargea de défendre
Ja cause du dernier, et hasarda de prouver
que l'état de comédien était légitime et
honnête. Il perdit honteusement sa cause
par lejugement qui intervint.
L'arrêt du 9 décembre 1541, ci-devant
cité page 4-17, fut aussi rendu contradictoi-
iement. On y voit que les entrepreneurs
des jeux de théâtres eurent la liberté de se
défendre, et que leurs futiles arguments
succombèrent sous le poids des raisons qui
leur furent opposées par M. Le Maistre,
qui dans celte cause parla pour M. le. pro-
cureur général.
Il est vrai qu'il n'y était encore question
que de nos sotties ou farces pieuses, et des
premiers rudiments de notre théâtre. Mais,
lorsqu'après avoir abandonné ces spectacles
indigènes, nous avons imité, bien ou mal,
le génie soit du théâtre des anciens Grecs et
Romains, soit de celui de nos voisins,
comme des Italiens, Espagnols, etc. , les
mœurs n'en ont pas été plus en sûreté.
C'est contre ce nouveau genre de specta-
cles que le 10 décembre 1588, sur le réqui-
(742) « Jusgo convenir mas dcslerrar estas co-
inctlias, conio cl calliolico rey Don Phelippe H, lo
rùzo, cig. > (Pedro de Gu.vmAn, dise. G, § 8, c. 4.)
i Philippns IV, coinxdius ab H'ispaniui regnis lioc
anoo I i4>, ni coininiiiH'in pcslem regio ablegavit
edirlo. » (Ant. de Esc, Mor., iract. 5, c. 4.)
(74">) « Quaeque crescenlia perniciosa suni, eadem
sitoire d'Antoine Séguicr, a. ors avocat gé-
néral, il intervint un arrêt qui défendit à
tous comédiens italiens et fiançais de jouer
des comédies soit aux jours de fêtes ou ou-
vrables, quelque permission qu'ils eussent
impélrée ou obtenue.
Les comédiens espagnols éprouveront
aussi les mêmes échecs sous Philippe H et
Philippe IV, qui les chassèrent d'Espa-
gne (742). « Ces deux monarques, disent
Mariana et Gusman , s'y déterminèrent,
parce qu'ils reconnurent que ce qui est es-
sentiellement mauvais dans son objet ne
peut jamais devenir bon. » Tout établisse-
ment, en effet, qui, comme le dit Cicéron,
est pernicieux dans ses orogrès, est mauvais
en naissant (743).
Art. 49 de l'arrêt du parlement de Paris, du
29 janvier 17G5, portant règlement pour les
collèges qui ne dépendent pas de l'Univer-
sité.
« La distribution des prix se fera dans
chaque collège à la fin de la tenue des clas-
ses, au jour qui sera réglé par le bureau ;
elle ne pourra être précédée que d'un exer-
cice de rhétorique ou d'humanités, sans
qu'il puisse, en aucun cas, conformément aux
statuts de l'Université de Paris, être représenté
dans les collèges aucune tragédie ou comé-
die. »
Extraits des statuts de l'Université.
Omnes collegiorum prœfecti et moderato*
res caveant ne in suis gymnasiis satyrae et
declamationes recitentur, aut tragœdiœ, co-
mœdiœ, fabule?., aut alii ludi latini vel Gal-
lici cxhibeanlur, quibus lascivia, petulantia,
procacitas excitetur. (Statut 35.) « Tous les
principaux et recteurs des collèges pren-
dront garde qu'on ne récite pas dans leurs
écoles des satires ou des déclamations, et
qu'on n'y représente point des tragédies ni
des comédies, ni. des fables, ni d'autres jeux,
soit en latin, soit en français, ces sortes
d'exercices étant dangereux pour les
mœurs. »
Ut omnis occasio tollatur scholasticos a
studiis avocandi, aut ad nequitiam adducen-
di, omnes hislriones ab Academiœ finibus mi*
grenl, et ultra pontes ablegentur. [Ibid., Stat,
29.) « Afin d'ôter aux écoliers toutes sortes
d'occasions qui» les pourraient détourner de
leurs études et les porter au mal, que tous
bateleurs comédiens soient chassés du quar-
tier de l'Université, et qu'ils soient relégués
au-delà des ponts. »
« Qu'on lise, dit de Voisin (744), tous les
écrilsqui nous restentde l'antiquité, louchant
les exercices des écoliers dans les collèges,
on ne trouvera pas que dans les plus beaux
snnl viliosa nascenlia... Qui ciiam \iliis modtim
apponit , is parlera suscipit viiiorum. i l Cic,
Tus. 4.)
(744) Dans son ouvrage intitulé : Défense du
Traité de M. le prince deConti contre ta cotnédi? ,
cic; Paris, 1071.
1207
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1208
siècle* de la république romaine , on ait
exercé les entants à représenter dus tragé-
dies et des comédies. »
On sa\\ que Néron porta le dernier coup
aux mœurs, en communiquant aux jeunes
gens sa passion pour les théâtres. « De Ici,
dit Tacite, vinrent des désordres honteux;
et Ton vit jusqu'aux grands de l'Etat se des-
honorer en mantant sur le théâtre, sons pré-
texte de s'exercer à la déclamation (745). »
Il convenait donc de défendre d'occuper
.es enfants à des exercices qui leur donne-
raient du goût pour des amusements qu'un
Tcicile traite de honteux. Il n'est que trop
ordinaire de s'engager insensiblement dans
belles-lettres, nous a donné, sur le môme
ohjet , les réflexions les plus solides, dans
son ouvrage intitulé : Principes de la litté-
rature..
« C'est assurément, dit cet habile rhéteur,
une perte de temps pour les jeunes gens,
que de leur donner des rôles dramatiques à
représenter. Cet exercice n'apprend rien que
le goût et la lecture ne leur apprissent suf-
fisamment sans cela. Ils perdent le Irain de
leurs études et prennent du goût pour la
dissipation. Et cet inconvénient, tout gnnd
qu'il est, est peut-être encore le moindre
qui puisse en arriver. »
Quant à ceux qui disent qu'on ne fait
la milice des passions, lorsqu'on en étudie le jouer aux jeunes gens des pièces de théâ-
langage, comme on le fait dans les jeux scé- Ire que pour leur bien et pour les former,
niques. D'ailleurs, quelle perte de temps Batteux démontre qu'on n'en prend pas les
danslesétudes classiques n'en résulte-l-il pas moyens.
pour les acteurs des exercices dramatiques 1 « Les maîtres, dit-il, qui distribuent les
Enfin, disait Du Vair, on n'envoie pas les rôles, n'ont pas toujours ce but. Comme ils
enfants aux écoles pour en faire des corné- veulent se faire honneur de l'exécution d'une
diens. Aussi ce grand magistrat, dès qu'il fut pièce, ils font la distribution des rôles selon
élevé à la dignité de garde des sceaux (745 ce point de vue. Ainsi, ils choisissent ceux
bis), fit défendre aux principaux et recteurs qui peuvent le mieux rendre les caractères
des collèges les représentations des comédies des personnages de la pièce, qui ont poul-
et tragédies (746); et il les obligea den'exer- cela une disposition déjà naturelle; ce qui
cer les jeunes gens dans l'art de la pronon- assure aux enfants un défaut, quelquefois
ciation que selon la méthode des anciens même un vice pour toute leur vie. Frequens
rhéteurs. imitalio transit in mores.
« Je ne veux pas, dit Quintilien , que le « Par exemple, un jeune homme est petit
disciple à qui j'apprends l'art de prononcer maître, précieux, on le choisit pour relie
déguise sa voix en celle de femme, ou la raison pour faire le petit marquis, le fat. Il
rende tremblante comme celle des vieillards; est paresseux et indolent, on lui fera jouer
je ne veux point aussi qu'il contrefasse les l'indolence et. la paresse. Il est haut, il fera
vices des ivrognes ni le libertinage des le glorieux. Il est menteur, il fera le prin-
valets, ni qu'il apprenne les passions d'à- cipal rôle dans la comédie de Corneille. 11"
mour, d'avarice ou '.de crainte, qui ne sont est dur, il jouera Atrée. S'il est dissipé, po-
point nécessaires à un orateur, et qui peu- lisson, étourdi, il fera le valet, de manière
vent corrompre l'esprit tendre des enfants que des défauts et des vices qu'on devrait
dans leurs premières années ; car, ce qu'on corriger par l'éducation se concentrent par
imite souvent passe en coutume et en ha- ce moyen dans le caractère,
bitude; et même toutes sortes de gestes et « L'éducation chrétienne, l'éducation
de mouvements de comédienne doivent pas mondaine, même si elle est sérieuse et dé-
être imités; parce qu'encore que les gestes conte, a-t-elle besoin, pour être parfaite, de
elles mouvements conviennent à l'orateur leçons de comédiens ? Ne peut-on point trou-
en quelque manière, ils doivent toutefois ver d'autres moyens d'exercer, de former
être fort différents de ceux des acteurs de la les jeunes gens et de leur donner des grâ-
scène; il faut que dans le mouvement de ces? Ne peuvent-ils s'essayer devant le pu-
son visage, et dans les gestes de ses mains, blic, sans prendre la voix aigre d'un vieillard
et dans ses digressions, il n'y ait rien qui quinteux, ou les airs impertinents d'un fa-
ne soit modéré; car, s'il y a quelque art à quin? En un mot, ne peuvent-ils entrer dans
observer en es choses, c'est de prendre le monde honnête qu'en descendant du
garde qu'il n'y paraisse rien d'artifi-
ciel (747). »
Batteux, professeur au collège royal, et
de l'Académie royale des inscriptions et
(745) c Nero instiluit ludos.... inde gliscere fla-
giiia el infamia... vix anibtisboneslispudor reline-
tur, nedum, inler cerlamiaa vilioruin, pudicilia ,
aut modeslia, aut quidquam probi nioris reservare-
tur... dégénérât juventus el otia el turpes amores
exercendo; et proccres Romani specie oraiionum et
carminum scena polluunlur. • (Annal., lit», xit.)
(745*) En 1616.
(746) Ce fait est rapporté page 286 du livre de
M. Voisin, cwdevant eilé.
(747) « Non enim puerum, quem in pronunliandi
scienlia insliluinms, aul feminx vocis [exililale
fj.angi volo, aul sembler iremere. Ncc vilia ebric-
théâtre? »
On peut ajouter à ces réflexions de Bat-
teux l'anecdote suivante, rapportée dans le
uremier tome du Dictionnaire des passions,
lalis eiTingat, nec servili vernililale imbuatur : nec
anioris, avarilix, motus discal afloclum : quse neque
oraiori sunt necessaria, et mentem praecipue in
xlale prima leneram adbuc el rudem inliciunt. Nain
lïcquens imilalio transit in mores. Ne gestus quidem
omnis, ac moins a comœdis pclendus esl. Quam-
quam enim ulrumque eorum ad qucmdam mort uni
praeslare debcl oraior, plurimum (amen aberit a
scenico, nec vullu, ncc manu, nec excursionibus
nimius. Nain si qua in bis ars esl dicenlium, ea
prima est, ne ars videalur... i (QoiNT., Institut
oral., lib. i, cap. 1 1.)
1209
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1210
des vertus et des vices, imprimé en 1769.
« M. Hébert, curé de Versailles, et en-
suite évêque d'Agen, disait à madame de
Mainlenon que les divertissements du théâ-
tre devaienl être proscrits de toute bonne
éducation. Voire grand objet, Madame, lui
disait-il, est de porter vos élèves de Saint-
Cyrà une grande pureté de mœurs. N'est ce
pas détruire cette pureté que de les exposer,
sur un théâtre, aux regards avides de toute
la cour? C'est fortifier ce goût qu'il est si
naturel à leur sexe d'avoir pour la parure,
que souvent les femmes les plus chastes,
comme le dit saint Jérôme, ont cette fai-
blesse, non, à la vérité, pour plaire aux
yeux d'aucun homme, mais pour plaire à
elles-mêmes (748). C'est leur ôter cette
honte modeste oui les retient dans le devoir.
(7-i-S) « ©àox05'fjtov genus feminenm est. Mullas-
que eliam insignis padicilise, quamvis nulli viroruiii,
l.mi'jii sibi scitnus libenter ornari. .. Ad quae ardent
Une fille redoutcra-l-clle un tôle-à-tête avec
un homme, après avoir paru hardiment de-
vant plusieurs? Les applaudissements que
les spectateurs prodiguent à la beauté, aux
talents de ces jeunes personnes, ne doivent-
ils pas produire les plus mauvais effets? »
Tous les exemples qu'on pourrait citer
pour contredire ces principes de morale ne
peuvent faire autorité contre des règles sug-
gérées par la raison, et prescrites par la re-
ligion. Il ne faut 'point se livrer aux cou-
tumes licentieuses qui tendent à détruire les
germes des vertus et à y substituer les vices
contraires. Corruptela malœ consuetudinis
igniculi extinguuntur a natura dati, exoriun-
turque et confirmantur vilia contraria.
(Cicer. , lib. ii De leg.)
et iiisaniiinl stndia inatronanim. » (Iîierom., Epist.
ad Gaudent. et ad Demetr.)
ADDITION
On a eu ci-devant occasion d'avancer que
les ministres de l'Eglise protestante con-
damnaient aussi les théâtres publics. Il a
paru convenable d'ajouter ici, en preuve de
cette assertion, les notices de quelques ou-
vrages faits sur ceUe matière par les écri-
vains de cette communion.
On en vit plusieurs s'élever contre les ef-
forts que l'on fit dans le dernier siècle pour
justifier les spectacles dramatiques, sous
prétexte que du côté de l'art ils étaient de-
venus plus intéressants.
Martin Buccr, célèbre ministre luthérien,
mort en Angleterre vers 1551, avait attaqué
vivement les spectacles de son temps, dans
son traité De regno Chrisli. Cependant, ce
ministre, qui établit le premier la prétenduo
réforme à Strasbourg, ne devait pas avoir
des mœurs bien austères. Il avait été domi-
nicain ; et il paraît qu'il ne déserta de son
ordre et de TEglise catholique, que pour
satisfaire sa passion pour une religieuse,
dont il eut treize enfants. Au reste, son té-
moignage contre les spectacles en doit avoir
en cor a plus de force.
André Rivet, ministre calviniste de France,
mort a Breda en 1651, donna, en 1639, l'é-
crit qui suit, et qui se trouve aussi en latin
dans le recueil de s<'S OEuvres, qui forment
3 vol. in-fol. Cet écrit e.«-t intitulé: Instruc-
tion touchant tes spectacles publics des comé-
dies et des tragédies, où est décidée la ques-
tion, s'ils doivent être permis par le magistrat,
ci si l'on peut y assister en bonne conscience,
avec le jugement de l'antiquité sur le même
objet : par André Rivet, docteur en théolo-
gie ; à La Haye, chez Théod. Le Maire, 1639.
Dreux Du Radier en a donné un extrait
dans le troisième volume d'un de ses ouvra-
ges, intitulé : bibliothèque historique et cri-
tique du Poitou. 5 vol. in-12. Ce savant phi-
lologue y paraît surpris de ce que cet écrit
de Rivet n'est pas aussi connu qu'il le mé-
rite. Ses regrels à cet égard sont une preuve
de l'intérêt qu'il prend aux bonnes mœurs.
On a lieu de penser que les lecteurs ne trou-
veront pas mauvais qu'on insère ici en en-
tier son extrait.
« L'ouvrage de Rivet, sur les speclacles
publics, est divisé en dix chapitres. Rivet
y parle, dans le premier, de la nécessité
qu'il y avait de publier son Traité contre la
comédie, dans un temps où l'on va jusqu'à
ériger les comédiens en docteurs et les corné
dies en leçons morales propres à réformer
le vice. Il ajoute, en répondante ceux qui
prétendent qu'il ne se trouve point de dé-
fense expresse dans l'Ecrilure sainte Je fré-
quenter les spectacles ; que quand cela se-
rait, ces défenses sont si nécessairement
conséquentes de la pureté évangélique,
qu'elles doivent être regardées comme bien
disertement exprimées.
« Il déclare dans le second chapitre, qu'il
n'entend parler |que des speclacles usités,
tels que la comédie et la tragédie, qu'il croit
également dangereux jour les mœurs.
« Dans le troisième chapitre, il examine
la fin des acteurs et celle des spectateurs.
La première consiste dans le désir d'uu gain
peu honnête, et fondé sur le plaisir du spec-
tateur dont on cherche à irriter les passions
par la voie des sens, et surtout par celle do
l'ouïe et celle des yeux. La fin que se pro-
pose le spectateur est la volupté. Il prouve
(pie l'une et l'autre sont presque toutes fon-
uées sur la ruine des mœurs et de l'inno-
cence du cœur et de l'esprit.
« Il ajoute que si le spectacle n'offrait
qu'une morale saine et sérieuse, le théâtre
serait bientôt abandonné. Et il faut coinrii-
nir qu'il a raison. Phèdre, tout incestueuse
qu'elle est, touche plus qu'elle n'instruit.
Les tons, les regards, le geste, l'âme (pie
l'auteur donne à toutes les [lassions, sont ia
source de la volupté et du plaisir qui affecta
5211 DICTIONNAIRE DES MYSTERES. 1212
le spectateur ; et la volupté n'est guère ani- Qu'on joigne à cela les enchantements et
logue aux préceptes de la vie vertueuse, l'ensemble du spectacle; on conviendra de
C'est ce qu'il prouve dans le quatrième cha- la différence d'une lecture tranquille à la
pitre, qui fait la suite du précédent. représentation animée d'une pièce.
« 11 s'élève fortement dans le cinquième « L'auteur emploie le dixième et dernier
contre ceux qui emploient des sujets tirés chapitre à prouver que la dépravation des
de l'Ecriture sainte pour le théâtre. Il se mœurs ne justifie que trop son Traité. »
fonde sur le respect dû à la majesté des tex- On doit savoir autant de gré à Dreux du
tes sacrés, qu'on ne saurait faire servir aux Radier d'avoir donné cet extrait, qu'on en a
passe -temps sans la profaner. Il cite le su au P. Berthier, lorsqu'il a donné celui de
sentiment du Jésuite Marianna daus son l'ouvrage de D. Ramire, qu'on a ci-devant
Traité des spectacles, sur l'indécence de Pu- rapporté. Ces deux extraits établissent que,
sage où l'on était en Espagne de représcn- dans les communions romaine et protes-
ler des comédies dans 1rs églises, et ce que tante, il y a toujours eu, de la part des gens
dit le même auteur sur la sainteté des sujets, sensés, une ligue offensive contre les
qu'il ne convient pas que les actions des théâtres.
saints soient représentées par des infâmes. Jl y en a eu quelques-uns qui, s'intéres-
II rapporte ce que dit le même Mariana sant, comme littérateurs, à l'art dramatique,
d'une comédienne qui représentait la Ma- en ont parlé avec éloge; mais ils n'ont pas
deleine et qui fut surprise derrière le théâ- prétendu faire l'apologie des théâtres pu-
tre, dans une action bien opposée à la di- blics, tels qu'ils sont et qu'ils seront tou-
gnité du rôle, avec un acteur qui représen- jours, pour être capables d'attirer et d'amu-
tait celui du Sauveur, Il parle de l'abus des ser la multitude.
drames appelés mystères, et de ces farces, Louis Fabrice, par exemple, auteur pro-
en personnifiant ties êtres métaphysiques, testant, professeur en théologie à Heidel-
on mettait des principes de morale en action, berg, a donné un petit traité sur les jeux
Il termine ce chapitre par la défense que scéniques, intitulé : De iudis scenicis. On
fit de ces pièces le Pape Innocent III. pourrait abuser de ce qui y est dit en fa-
« Dans les 6, 7 et 8e chapitres, l'auteur vcur de l'art dramatique. Mais Bayle, en
prouve les Jangersdes spectacles. La prohi- rendant compte de cet écrit dans les Nou-
b tion expresse que l'Eglise en a faite aux telles de la République des lettres, du mois
chrétiens dans tous les temps et l'infamie de juillet 1G84, y déclare, page 478, que
allachée à la profession de comédien. On « Fabrice n'a eu en vue que les poésies
trouve dans ces chapitres tous les passages dramatiques qui n'ont pour but que d'exer-
les pi us décisifs de l'Ecriture, des Pères, cer la jeunesse et de l'instruire agréable-
des conciles et des législateurs. ment par des exemples bien représentés.
« Il répond dans le neuvième chapitre aux Ce n'est, continue-t-il, que de celte sorte
objections qu'on peut faire en faveur des de comédies qu'il se rend le protecteur, et
théâtres. Les réponses sont les plus solides, nullement de celles où l'on fait entrer des
« Il faut, 'dit-on, quelque amusement au raffinements de coquetterie et de médi-
peuple. Mais est-ce pour le peuple que sont sance. »
faits nos théâtres? et ne sont-ils pas le plus On a vu ci-devant, première lettre de Des-
o dinairemeit fréquentés par une classe de près de Boissy, que Bayle pensait sensé-
personnes su, érieures à celles à qui l'on ment sur cette malière.
donne le nom de peuple? Un pareil amuse- On voit aussi, dans le cinquième tome de
ment est p'us'propre à donner de l'activité la Bibliothèque ancienne et moderne, que Le-
aux passions qu'à Ijs amuser. Il inspire la clerc, aussi protestant, était du sentiment
paresse et les autres défauts aussi dange- de Bayle contre la prétendue utilité qu'on
reux. à la société. La comédie, dit-on, cor- attribue aux théâtres pour la correction
rige les vices. Plaisante correction du v ce des mœurs. Il y rend compte d'un ouvrage
que celle qu'en font des gens qui y sonties italien de Paul Matthias Doria, intiulé : La
plus livrés 1 On évite de plus grands désor- Vie civile, imprimé à Augsbourg, en 1770.
dres; mais n'est-ce pas plutôt le moyen de 11 y est parlé des spectacles publics,
les inspirer ou de les entretenir? Eh*! d'ail- Doria, eu politique, en admet la tolé-
Seurs, un mal en excuse-t-il un autre? Enfui, rance; mais il observe que les drames mo-
dit-on encore, on met Piaule, Térence, An- dénies devaient être réformés, parce que,
stophane, Sophocle, Euripide, dans les mains dit-il, on y tlattede fausses vertus, et qu'on
des jeunes gens; mais la ditférence n'est- y fait passer des vices grossiers pour des
elle pas infinie entre la lecture et la repré- choses très-pardonnables,
sentalion d'une pièce? Le lecteur n'est sen- Cet auteur voulait qu'on se rapprochât du
sible qu'aux grâces du style, qu'à la beauté goàt des Athéniens, chez qui le théâtre séi-
des pensées, au lieu que le spectateur est vait non-seulement à encourager la vertu,
exposé à tous les charmes d'une déclama- mais encore, en des cas particuliers, pour
tion animée, d'un geste vif, d'une voix se- des vues politiques, et il en cke cet exemple:
duisanle, des attitudes d'une actrice qui « Les tyrans d'Athènes, craignantla grande
n'épargne rien pour séduire le cœur, et s'at- vénération que le peuple avait pour Socrate,
tirer tout le tribut qu'on peut rendre aux et voulant le condamner à la mort, comme
grâces et à If. beauté d'un sexe qui n'a pas coupable d'avoir découvert au peuple les
besoin de tant d'art oour nous séduire ornières les dIus cachés de la philosophie.
12-13
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
1414
?ie se hasardèrent point à le faire, avant
qu'Aristophane ne l'eût tourné en ridicule
en ces comédies, afin qu'après l'avoir décré-
dité dans l'esprit des gens, ils le pussent
faire mettre en prison et le condamner à la
mort sans danger. »
Leclerc fait, à ce sujet, celte réflexion :
« Cet exemple est plus propre a décréditer
l'usage des spectacles qu'à l'appuyer, puis-
qu'ils servaient à perdre la plus pure vertu
autant qu'à amuser le peuple. Ces tyrans
haïssaient la vertu de Socrate, et ne le firent
mourir que parce qu'il n'approuvait pas leur
conduite, sous prétexte qu'il enseignait des
choses contraires à la religion de leurs an-
cêtres, et qu'il corrompait la jeunesse.
« Je croirais qu'au lieu des théâtres, un
des meilleurs moyens pour établir de bon-
nes habitudes serait l'observation rigou-
reuse des bonnes lois. On s'accoutume par
là à bien faire, plus que par toutes les leçons
du monde. Et sans cela, les lois sont inu-
tiles, selon ce mot d'Horace :
Qttid leges sine moribus
Vanœ pruficiuiit ?
(Od. 24, lib. in.)|
« C'est donc aux princes et aux magis-
trats de faire en sorte qu'elles soient cons-
tamment observées, s'ils ne veulent point
voir leurs Etals tomber en décadence en
très-peu de temps. Ils doivent constamment
récompenser ou protégerau moins la vertu,
et punir ou décourager le vice sans accep-
tion de personnes. »
On doit conclure de ces réflexions que
Leclerc était du nombre des censeurs des
théâtres publics:
On peut encore y admettre Samuel We-
renfels, célèbre protestant, professeur d'élo-
quence, mort à Bâle en 1740. L'ouvrage qui
donne lieu de parler ici de ce rhéteur est
vu discours latin qu'il fit sur l'art drama-
tique. Il se trouve dans le second volume
du Recueil de ses Dissertations.
Werenfels n'avait pas vingt ans quand il
lecomposa.il paraît qu'il avait alors beau-
(749) Nemo veslrum vilio niihi verlct si in hoc
humanissiniorum bominum concurs» ego non mer-
cede condnclonim liistrionum , non vilissiniorum
pantoiuinioriiin, non vagorum circumforaneorum,
'sed adolescenliuin ingenuorum, el ipse adolescens
pairocininm snscipio, qui a viris discrlis et ingenio-
sis ex aMis regulis elaborala dramala, casia, bo-
nesla, plena utilissimarum pnrcepiionum , plena
gravissimarura senlenliarnm, convenienii rébus el
voce etgeslu agcre consueveriinl. ... Al liic vereor
ne qui Si ni inier vos, qui ex nie quxrunl : Quid agis,
adolescens? Tu ne coinœdos, hisiiïones, ininios, ex
eloquenlia; sludiosis facere paras? Ego ne bisirio-
«es? Quos? An viles illos, qui in scenain prodeunt,
mercede conducli ? Qui, qu;eslus c.iu^a, quamlibel
persouam induunl? Qui passiin per urbes vaganles
arlem suam venaient habcnl ? Qui Roinano jure
inf.tinia nolanlur? Qui non nisi spurcos aniores,
lurpissimas merelrices, impuros hallioncs produ-
cmii? Qui obscenis alquc impudu is diclis, I scivis
niolibus risuin spcctalorum caplanl? Qui virtuleiri
rident, vltiis applaudunif Quibus fur la, adullcria,
siupra, fraudes, cavdei, pcrjuria, udi jcciquc suhtï
r
coup de goût pour les jeux do Thalie et de
Mclpomène : néanmoins, l'éloge qu'il en fait
ne s'étend pas aux théâtres publies.
Ce discours, qu'il prononça dans une as-
sembléeacadémique,estétabli surles mêmes
principes que celui du P. Porée, dont il a été
ci-devant parlé.
« Je ne prétends point, dit Werenfels,
ilaider la cause de ces vils histrions que
'intérêt dévoue au divertissement du peuple.
Je ne m'intéresse que pour les jeunes gens
de mon âge qu'on exerce à apprendre et à
déclamer des drames que des savants et
vertueux littérateurs ont composés, et où
tout se rapporte à la formation du cœur et
de l'esprit.... ISe croyez pas que je veuille
vous conduire aux théâtres publics, où des
histrions, du genre de ceux que Rome
païenne notait d'infamie, n'exposent à leurs
spectateurs que des amours illégitimes, des
obscénités, des adultères, des parjures; où
l'on traite de folie el d'imbécillité la mo-
destie, la candeur, la retenue, la pudeur,
la probité scrupuleuse, la religion.... Ne
croyez pas que je veuille vous exciter à des
spectacles dont l'effet réel est de nous faire
passer des mœurs du christianisme à celies
du paganisme, en nous donnant pour des
actes de grandeur d'âme a l'ambition , ia
cruauté, la vengeance, les duels, le sui-
cide, etc. Dieu me préserve de vous inviter
à fréquenter une école d'impiété, sous pré-
texte de vous perfectionner l'esprit I 11 vaut
mieux bégayer et même être muet, que de
s'exposer à de si grands risques pour de-
venir plus éloquent.... Quand je loue les
drames, j'entends ceux où de jeunes in-
génus se trouvent comme forcés à con-
tracter des mœurs honnêtes, à aimer la
vertu et à concevoir de l'horreur pour le
vice (74-9). ©
Un pareil discours est une censure évi-
dente de tous les théâtres publics et de tous
ces spectacles dont la perfection, selon Ga-
chet, consiste à flatter tous les sens. C'est la
définition qu'il en donne, dans un écrit
qu'il vient de donner sous ce titre : Obset-
Quibus moileslia, candor, caslitas, frdes, probiîas,
religio, esl slullilia ? Qui nos ex Cbrisliana Ectle-
sia in paganisnium idenlideni iraducunl ? Nil nisi
deos deasqne crepanl, hos invocanl, bis vola fa-
ciuiil, per hos dejeranl, borum flagilia lam'anl,
lioi uni cxenipluin sceleribiis suis praeiexum . . .
Qui superbiam qui immanilatem, qui duella, qui
Rvroxst/Mun lanquain niagni el geueiosi aninii signa
depingunl. . . . Absil a me ! absil ul iu bac iinpie-
lalis schola lenerosadolescenliuni animos eloquenlia
iinbui vcliin ! Quanlicunque eani fado, lanli lameii
non esl. Salins esl el balbuiiie, imo salius muluin
esse, quain non sine suinmo aniuii periculo eloquen-
liani discere. Hoc prelio si eloquenlia enierelur,
niagno niinis enierelur.... Coniœdias probo, non
condiK'loruin liisli ionuin , sed iiigenuorain adole-
srenliuiu. .., Coniœdias probanius, sed caslas, gra-
ves, boneslas : sales commendanuis, sed non scur-
liles, non obscenos. . . . Lepores | laccnl, sed ur-
bani; joci, sed pudici ; dramala quorum loin œvo-
uomia lendil ad ir.oruni elegunliam, ad virlnlil
amorem, viliurura boirorcni.
1215
DICTIONNAIRE DES MÏSTEKES.
1216
valions sur les spectacles en général, et en
particulier sur le Colisée. Paris, 1772. « Je
crois, y dit l'auteur, page 22, que le specta-
cle qui flattera le plus sera celui qui frap-
pera plus les sens. Tous nos sens, dit l'in-
génieux auteur du livre de V Esprit, sont
autant de portes par lesquelles les impres-
sions agréables peuvent entrer dans nos
âmes : plus on en ouvre à la fois, plus il y
pénètre de plaisir. Donc toutes les fois
qu'un spectacle en sera susceptible, on
doit y admettre tout ce qui peut augmenter
la sensation, l'illusion, le ravissement;
c'est par là que l'Opéra l'emporte sur les
autres spectacles. » C'est aussi par cette
considération que Cachet prétend que le
Colisée, dont on a ci-devant parlé, mérite
de grands éloges en le regardant comme
une espèce de Panthéon consacré aux plai-
sirs.
Quanu on se livre à des idées aussi épi-
curiennes, on ne doit point se flatter de
pouvoir persuader que les théâtres publics
n'ont pour objet que la correction des
mœurs, comme on a essayé de le faire dans
un livre qui parut dans Te dernier siècle et
qu'on a omis d'indiquer page 430; il a pour
titre : Le théâtre françois, divisé en trois
livres ; à Lyon, chez Michel Mayer, 167i.
Quelques années avant que ce livre parût,
il y eut à La Rochelle un discours de pro-
noncé contre les danses et les autres specta-
cles de ce genre, par Philippe Vincent, mi-
nistre protestant.
Le P. d'Estrade, Jésuite de la même viile.
s'otfensa de voir un hérétique attaquer des
Claisirs que des catholiques avaient la fai-
lesse d'excuser et de se permettre. Il eut
la témérité d'adresser à Philippe Vincent
une lettre où il lui reprochait à cet égard
une austérité déplacée.
Vincent y ût une réponse où il mit en
évidence le scandale de la doctrine relâchée
du Jésuite.
Néanmoins ce dernier ne se déconcerta
point. Il soutint sa mauvaise opinion par
une seconde lettre.
Ce religieux fut couvert de honte pr.r une
réplique que son adversaire lui lit. On
y trouve la philosophie chrétienne et même
la sagesse profane réunies, pour manifester
et combattre la turpitude des faux raison-
nements que le P. d'Estrade avait employés
au soutien de sa cause. Ce sont les mêmes
sophismes que les partisans des théâtres ne
cessent de répéter.
Ce P. d'E>lrade avait d'autant plus de tort
de soutenir avec tant de chaleur les jeux de
théât;e, que, dans le début de sa première
lettre, il n'avait pu s'empêcher de dire qu'il
était éloigné de conseiller de tels divertis-
sements.
, On peut présumer qu'il ne se chargea d'en
faire l'apologie que pour complaire au car-
dinal de Richelieu, dont, comme en l'a ci-
devant dit, on connaissait la passion pour
les théâtres.
Le P. d'Estrade ne manqua point de don-
ner comme une autorité imposante l'accueil
qu'on faisait à ces sortes d'amusements dans
les cours de plusieurs princes souverains.
« Mais, lui répondit Philippe Vincent,
est-ce là un bon argument en matière de
doctrine? Certes, je ne crois pas que les
princes eux-mêmes le voulussent dire, ni
qu'il y eût aucun d'eux qui voulût donner
les pratiques de sa cour pour règle de la
conscience. En tout cas je vous fais juge :
auxquelles de ces cours y a-t-il lieu de
donner plus d'approbation :ou à celles dont
vous vous appuyez, qui admettent ces spec-
tacles; ou à ceile de saint Louis, dont Du
Haiilan et -Nicole Giles disent qu'il chassa de
sa cour les comédiens, bateleurs, farceurs, et
toutes ces sortes de gens qu; ne servent qu'à
donner plaisir et à corrompre les mœurs?»
Les écrits polémiques de Vincent et du
P. d'Estrade, dont on vient de parler, ont
été recueillis en un volume in-12, imprimé
sous ce titre :
Le Procès des danses et théâtres, débattu
entre Philippe Vincent , Ministre, du saint
Evangile en l'Eglise réformée de La Rochelle,
d'une part; et aucuns des sieurs Jésuites de
la même ville, d'autre part ; et se vendent à
La Hochelle par Jean Chappin, 16V6.
Philippe Vincent dédia ce recueil 5 ma-
dame Marie de la Tour, duchesse de la Tré-
moille. L'Epître dédicatoire fait honneur à
la vertu de celte princesse, qu'on peut citer
aussi en témoignage contre les spectacles.
Voici les premières phrases de celte épitre.
« Si je m'enhardis, Madame, de vous appe-
ler en la cause que je défends, c'est que j'ai
considéré que bien souvent le bon droit a
besoin d'aide. J'y attaque des plaisirs, qui,
à la vérité, portent contre eux-mêmes de
grands reproches, mais d'ailleurs aussi sont
appuyés [tarde très-ccnsidérables partisans.
Ainsi j'ai désiré me fortifier contre eux de
la gloire de votre nom ; vu qu'il est notoire
à tous que vous les combattez encore mieux
par la sagesse de vos exemples, que je ne le
puis faire par tous mes raisonnements. »
On voit avec satisfaction, à la p. 166 de
ce Recueil, que Philippe Vincent ne put
s'empêcher de témoigner son étonnemenl
de voir un ministre de la communion ro-
maine prendre la défense des théâtres pu-
blics. Il en résulte que ce protestant était
persuadé que l'universalité morale de nos
docteurs les condamne.
11 savait sans doute qu'en 1581, il y eut
un traité imprimé contre ces divertissements
dangereux, au nom des pasteurs de l'Eglise
gallicane, sous ce titre : Tractalus contra
saltationes et choreas ; per pastorcs Ecclesiœ
gallicanœ; 1581, in-8°.
Si J.-J. Rousseau a eu aussi pour contra-
dicteur de sa célèbre Lettre contre les spec-
tacles un ministre de l'Eglise romaine (750),
on sait que ce prolestant l'a regardé comme
une voix discordante, étouffée par le juge-
(750) L'abbc bail, dont il a clé ci-devant parlé.
1-217
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
12! 8
mont que l'Eglise universelle a porté dans
Ions les siècles contre les théâtres.
Le P. Vincent Houdry., Jésuite, a rassemblé
sur cet objet, dans le tome huitième de la
Bibliothèque des prédicateurs, une quantité de
témoignages qui réclameront toujours effica-
cement contre les déserteurs de la sainte
morale.
Seraient-ils revêtus du caractère et des di-
gnités les plus respectables, on sait que
leurs opinions ne doivent être pesées qu'a-
vec le poids de la vérité et non avec celui
des titres qui décorent leurs personnes.
On a déjà observé qu'on n'ignorait pas
qu'il y a eu quelques ministres ecclésias-
tiques du premier ordre qui ont eu la fai-
blesse, non-seulement de ne pas élever
la voix contre les scandales des théâtres
publics, mais encore de paraître les tolé-
rer,
M y a quelques années qu'on en vit une
nouvelle preuve dans un écrit périodi-
que (751), qui exposa les principes dange-
reux que contenait un édit qu'un prélat,
gouverneur de Rome, venait de donner pour
la réforme des abus des théâtres : Editto so-
pragliabusi de leatri.
Au reste ces écarts éclatants donnent
souvent lieu à des actes de zèle, qui rappel-
lent les bonnes règles.
Nous en avons rapporté un exemple. En
voici un autre qui n'est pas ancien et qui
py ses circonstances, mérite d'avoir ici sa
place. Il est tiré du même écrit périodique
qu'on vient de citer (752).
Paul Caisotli, évêque d'Asti dans le Pié-
mont, entreprit, dès le commencement de
son épiscopat, d'attaquer vivement tous les
faux préjugés des partisans des spectacles.
Il ordonna à tous les prédicateurs de son
diocèse de seconder son zèle; et lui-même,
dans les catéchismes et instructions qu'il
fait avec la plus grande édilication dans sa
cathédrale, il ne cesse d'exposer sur cet
objet les principes qui ont toujours fait
proscrire les théâtres comme une école du
vice.
Un seigneur de la ville osa publier un
écrit en faveur des spectacles, L'évêque
d'Asti ne s'est point laissé -ébranler par
toutes les contradictions qu'il essuyait; et
sa fermeté n'a pas été sans succès.
Un seigneur de la même ville, le comte
de lîeslag'io, longtemps sourd aux remon-
trances de son évêque, louait un théâtre
qu'il avait fait construire dans une de ses
maisons. Il eut le malheur d'avoir les deux
jambes brisées sous les roues de son car-
rosse. Réduit à l'extrémité par les suites de
cet accident, il reconnut entin, avec beau-
coup de larmes, la vérité qu'il n'avait pas
voulu voir jusqu'alors.
Par son testament du 6 octobre 1767, il
ordonna à son héritier de détruire ce
théâtre aussitôt oue le bail passé avec le di-
recteur de l'Opéra serait fini; et, dans le
cas où cette clause ne serait pas exécutée,
il veut et ordonne que la maison et toutes
ses dépendances passent en toute propriété
à l'évêque, pour en être fait par ce prélat
tel usage qu'il jugera à propos. Il défendit
aussi de construire jamais dvs théâtres
dans aucune de ses maisons.
Les adversités font donc souvent tomber
le bandeau qui rendait invisible le flambeau
de la vérité.
On a également vu plus d'une fois, en An-
gleterre, les littérateurs sensés prendre les
armes.
On a de Charles Powei, écrivain anglais,
un ouvrage politique qu'il donna en 1701.
sous ce titre : The unhappines of Englar.d
as to ils trade by see and land Irulysladed,
etc., c'est-à-dire Le malheur de l'Angleterre
par rapport à son commerce tant de mer que
de terre, véritablement représenté avec une
vive description de la misère des pauvres,
de la pernicieuse conséquence qu'a fia cou-
tume de porter l'épée, des irrégularités des
théâtres.
Ce dernier objet est traité de manière
qu'on y trouve le théâtre anglais chargé des
mêmes chefs d'accusation que le nôtre :
« On y voit, y est-il dit, la gravité méprisée,
la vertu avilie, le vice applaudi., la religion
profanée, le clergé quelquefois injurié, le
mariage déshonoré, les infirmités humaines
tournées en plaisanterie, la vieillesse rendue
ridicule, les plaisirs de la débauche mis en
honneur, » etc.
Quelques années auparavant on avait vu
Jéréinie Collier, Anglais de la secte des non-
conformistes, mort en 1726, se déclarer en-
core plus vivement contre les théâtres de sa
nation.
Cet écrivain, comme l'a dit depuis peu un
auteur (753), « réunissait l'esprit du Chré-
tien avec la politesse du gentilhomme. Ega-
lement profond dans la philosophie, la théo-
logie, l'éloquence, les antiquités sacrées et
profanes, il a enrichi sa nation de plusieurs
ouvrages estimables, dont deux critiques du
théâtre anglais sont du nombre. »
L'une parut en 1698, sous ce titre : A short
view of the immorality and profanenes of 0>e
English stage, etc , c'est-à-dire, De l'impu-
reté et de l'impiété du théâtre anglais , 1698 ;
in-8° de 288 pages.
L'autre fut donnée en 1699, sous ce titre :
The ancient and modem stages surveyed, etc.,
c'est-à-dire : Réflexions sur la comédie an-
cienne et moderne, etc., 1699 in-8° de 367
pages.
LeP.de Courbeville, Jésuite, nous a donné
la traduction d'un des ouvrages de Collier
contre les théâtres; elle parut en 1715, sous
ce litre : La critique du théâtre anglais
comparé au théâtre d'Athènes, de Rome et de
France; et l'opinion des auteurs tant profa-
nes que sacrés touchant les spectacles ; tra-
(751*) Xouv. Ecclés., Feuille du 26 juin 1762,
pag. 101.
("52) Feuille du 6 février 1768, p;ig 2.
(75") Dici. hislor., par une Société de gens de
lettres, édition de 1772.
1210
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
1i'20
duit de 'anglais de M. Collier; Paris, 1715: mais on veut qu'ils puissent servir de uio-
in-12 de W3 pages. dèles. On prend plaisir à voir ces spectacles
On ne donnera pas ici le détail de tous impurs, parce que l'on aime à voir ce qu'on
les reproches que Collier fait au théâtre de a fait et à apprendre ce que l'on peut faire.
sa%nation ; mais on croit y suppléer par la Ou y fait des leçons publiques de galante-
.seule citation qu'on va faire, en se servant rie. Une femme y étaitentrée vertueuse, elle
des expressions du traducteur.
« Je me lasse, dit-il, de glaner après nos
poëtes dramatiques et de recueillir leurs
profanations, objet d'horreur pour moi.
J'ai presque envie d'y fermer désormais les
yeux et de les dérober à la vue des autres.
Cependant exposons-les au public dans le
même esprit qu'on expose au grand jour les
criminels, non pour la pompe, mais pour
l'exécution. Il faut quelquefois lancer un
regard sur les serpents et sur les vipères,
pour s'animer à les détruire ; car justement
indigné au point que je le suis, je ne sau-
rais obtenir de moi de m'exprimer sans
quelque chaleur. Et quel est l'homme rai-
sonnable qui puisse envisager d'un air
tranquille tant de désordres inouïs? Qui
peut enflammer le zèle à plus juste titre?
C'est pour de tels sujets que l'auteur de la
nature a donné au sang qui coule dans les
veines l'usage de se soulever. »
Un morceau aussi véhément nous en rap-
pelle un autre du même ton, qui se trouve
en sortie crime et l'adultère dans le cœur,
Et n'est-ce pas de là que naissent tant de
désordres dans les familles, tant de divi-
sions et de querelles, tant de guerres intes-
tines? On rentre chez soi avec un cœur
blessé, qui porte encore le trait empoi-
sonné. On a perdu le goût de la vertu et de
la pudeur; les plaisirs légitimes deviennent
insipides, le libertinage devient un assaison-
nement nécessaire pour les rendre agréables
et piquants. On méprise tout ce qui ne
porte pas écrit sur le front le caractère du
vice; on n'ose découvrir ses propres sen-
timents, on n'ose montrer ses plaies; mais
0:1 affecte une indifférence extrême, on
cherche divers prétextes pour s'éloigner de
ce qui est permis, on prête une oreille at-
tentive à la voix de la volupté qui semble
encore se faire entendre. »
Quel fonds de vérité? s'écrie le journa-
liste en finissant cet extrait. Quel tour!
quelle véhémence 1
On n'est pas surpris, comme l'a dit Bas-
rapporté comme un modèle dans le Journal nage (755), de voir la nation des poëtes s'ar-
des savants, du mois de février 1728. 11
frappa l'abbé Bignon (75i), qui avait alors
la direction de ce journal.
Il y était question d'un livre intitulé : Ré-
flexions sur les principales vérités de la reli-
gion; dédiées à madame la duchesse d'Or-
léans, première princesse du sang; Paris,
17*28, vol. in-12 de 509 pages. Voici ce que
le journaliste en a cité sur la matière des
spectacles :,'
« Je vous conjure d'éviter les spectacles
et d'en éloigner tous ceux pour qui vous
vous intéressez. Tout ce qui s'y fait est la
mort de l'âme. Ce ne sont point des diver-
tissements; ce sont des meurtres; ce sont
des sources de crimes et de remords. Les
fassions humaines débitent sur le théâtre
es maximes de tous les vices. On prend le
cothurne, on se pare avec des habits magni
mer contre de pareils censeurs. « Mais,
« continue-t-il, si un Jérémie Collier a eu
« contre lui presque tous ceux qui aiment
« la joie et les plaisirs, il a eu de son côté
a tous les gens graves, sérieux et sages. »
On dira peut-être que le théâtre français
est moins grossièrement corrompu que
celui des Anglais, mais on sait que les
bons littérateurs ne cessent de reprocher à
nos dramatiques modernes de trop copier
les mœurs anglaises. Elles sont devenues à
la mode sur notre théâtre, comme les mœurs
espagnoles y ont été fort longtemps. « C'est,
dit un auleui (756), chez les autres nations que
nous prenons le plus souvent les caractères
originaux, comme les dramatiques latins le
firent en représentant toujours des mœurs
grecques. » Un Anglais nous a définis à cet
égard, en disant que nous étions des piè-
fiques pour retracer dans l'esprit des hom- ces de monnaie dont l'empreinte est usée par
mes la mémoire des crimes passés. On y
représente des incestes, des parricides, des
traîtres, des conjurateurs, qui devraient
être ensevelis dans un éternel oubli. Il sem-
ble qu'on craint que les hommes venant à
oublier ces forfaits, ne fussent plus tentés
le frottement. Or, en imitant les moeur» an-
glaises, n'est-ce pas leurs vices plutôt que
leurs vertus qui nous servent de modèles?
N'avons-nous pas adopté plusieurs de leurs
licences scandaleuses? Combien de fois, en
effet, la scène n'a-t-elle pas retenti des scan-
de les commettre. Ces crimes ne sont plus; dales de nos pièces dramatiques?
(754) Bibliothécaire du roi, mort à l'Islc-Bel, le
14 mars 1744.
(755) Mois 1699, de V Histoire des ouvrages des
savants.
(750) De Querlon , Feuille 'tebdomad. des pro~
vinces, du 50 janvier 1771.
V2i\
ACT
NOTICE SDK LE TltEATUK LIBRE
ACT
I22i
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
AVIS.
Le théâtre libre est à peine indiqué dans celle Notice; il nous était impossible, soit à cause des
bornes fixées à retendue de ce volume, soit à cause des convenances à y observer, de donner le pins sou-
vent autre chose que le litre, quelquefois un aperçu des pièces; nous avons lâché d'édiler dans leur entier
les plus-curieuses.
ACHILLE (La mort »), — Voy. Mort
d'Achille (La).
ACTEURS. — I. Epoque romaine. — Orelli
(Jnscr. lat. ampliss. collecl., n° 88k, 262i,
2625) donne les trois inscriptions suivantes
relatives à des auteurs antiques :
M. AUR. AUG. LIB. || AG1LIO
Seplenlrio |j ni pantomino sui ||
lemporis primo sacerdoli synhodi
Apollinis parasilo alumno Fauslinae
Aug. produelo ab Imp. M. |j Aurel.
Commodo Auloni || no pio felice
Auguslo |] ornamenlis decurional ||
decreloordinis exornato || et allecto
!n'.er iuvenes | S. P. y. Lanivinus.
Idus Commodas
Eliano Cos (757).
(Lanuvii Gruter, 330, 5,)
N° 2621.
VERONE. — DATE INCONNUE.
Lvria privala J| mima v. A.
XIX. BleptusH fecit.
N° 2625.
AN DE J.-C. 169.
L. Acilio L. F. Pompl Eutycluc || nobili
archimimo coinmun.|i758) miner || adleclo
diurno parasilo Apoll. tragico || comico
primo sui lemporis et omnib. ||corporib. ad
scaenam Honor (759) || Decurioni bovillis I
quemprimum omnium adleci. paire (76l); |
appellârunl || adlecli scamicorum ci aère
(75") Septembre de l'an 184 ou 187.
(758) Le corps des mimes, commune idem quod
eolleqium corpus, etc. (Orell.)
(759) Omnibus corporibus ad scœniun honorants.
(Idem.)
(760) Adlectorum palrem. (Orell.)
(761) benurios. (Id.)
(762) Mulieres honoratœ alibi vix reperiuntur. (Id.)
(763) Chr. 169.
(761) Nota iMtmerum adeo insignem corporis scœ-
nicorum Bovillis, ut videtur, consiiluti. (Id.)
(765) Edelestand Duméril, Origine» latines du
théâtre moderne; Paris, 1849, in 8°, p. 19-24.
(766) On trouve son nom dans la solie de 1511,
où il écrit de celte dernière façon et jouait un lôle.
(767; Pour rentrée de la reine Eléonor d'Au-
triche, seconde femme de François Pr, les prévois
des marchands el échevins de Paris mandèrent les
maîtres de la Passion de la Trinité, etc., maître
Jean du Ponl-Alais, les invcnlions «les Italiens,
messire Maillée et ses compagnons (licgistres de
collalo j| ob munera et pielalem ipsius erga
se || ciiitis ob dedication. spot tulas dedil II
adleclis sing. x.(761)-xxv îlecur. bovid. ||
sing. xv. augustal. sing. x-m || muhrr.
honor. (762) sing. vi || dedic.iu Idas Aug.
Sossio PriscOMel Cœlio Apollinari cos.
(763) curalore|| Q. Sosio Augustiano. —
ordo adleciorum (sequuntur
no mina lx (764).
Burman (Anlhologia latina, t. II, J. iv,
p. 20) rapporte une épitaphe qui semble
païenne et dont tous les termes ont paru
singulièrement exagérés aux adversaires de
l'idée historique de la continuité du théâtre
ancien dans le moyen Age (765).
M. Edelestand Duméril remarque, à pro-
pos de ces inscriptions, que si le théâtre se
fût poursuivi depuis sa chule de J'empire
romain jusqu'aux temps modernes, il est
impossible qu'un plus grand nombre de mo-
numents de celte nature n'ait pas survécu
il. — xvt' siècle. — Les frères Parfait
o. t recueilli quelques documents sur les au-
teurs du xvie siècle (Cf. Bist. du théâtr. fr. ,
t. II, p. 259, 275 et suiv.); nous reprodui-
sons ces remarques curieuses:
JEAN DU VONT-ALAIS, OU DU PONT-ALLETZ (766).
An 1510.
Contemporain et camarade de Gringore,
fut également comme ce dernier, auteur et
acteur, et devint par la suite entrepreneur
de mystères par représentations (767). 11 y
rHôtel-de-Ville insérés dans le Cérémonial français,
p. 783, sous l'année 1330).
Ont élé mandés au bureau (de l'Hôtel-de-VilIe^,
par mondil sieur le gouverneur, maître Jean du Pont-
Alais el maître André Italien, étant au service du
roi, auxquels mondil sieur gouverneur a enjoint
laire tl composer farces el moralités les plus ex-
quises, el le plus bref que faire se pourra, pour ré-
jouir le roi el la reine, à l'entrée de ladite dame,
lesquels ont promis ce faire, el outre ledit Pont-
Alais a dit qu'il veul être sujet audit maître André
cl lui obéir (Le même, p. 789).
Maître Jean de Ponl-Alais a baillé par écrit en
ma présence au receveur de la ville, Philippe Macé,
l'intelligence pour le sens moral des mystère* qu'il a
joués es portes St-Uenis et porte aux Peintre», el
au Ponceau, le jour de l'entrée, lequel receveur
Macé ne me les a voulu bailler pour faire ce présent
registre, au moyen de quoi je n'en ai pu écrire plus
au long (Le même, p. 800).
«223
ALT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ACT
12-24
a grande apparence que le nom sous lequel
il est connu lui avait été donné par le pu-
blic, ou qu'il l'avait pris lui-même pour se
distinguer des autres joueurs de farces qui
parurent de son temps (768).
Les bons mots de Pont-Alais, (car comment
le nommer autrement) et la façon dont il les
débitait, lui procurèrent l'avantage d'être
reçu chez les personnes les plus qualifiées
de la cour. 11 eut même l'honneur d'appro-
cher souvent des rois Louis XII et Fran-
çois Pr. Un seul trait fera connaître à quel
point on tolérait ses plaisanteries.
Pont-Alais était bossu, un jour il aborda
un cardinal qui l'était aussi, et mettant sa
bosse contre la sienne, « Monseigneur, lui
dit-il, nous voici en état de prouver que
deux montagnes aussi bien que deux hom-
mes peuvent se rencontrer, en dépit du pro-
verbe qui dit le contraire. »
On trouve dans Bonaventure Despériers
le récit d'un tour que Pont-Alais joua à un
barbier- éluvisle, qui mérite d'être placé
ici.
« Il y avoit un barbier d'étuves qui éloit
fort glorieux, et ne lui sembloit point qu'il
y eût homme dans Paris qui le surpassât en
esprit et en habileté, et quoique dans une
extrême indigence il disoit à ceux qu'il étu-
voit : « Voyez-vous ce que c'est que d'avoir
« d'avoir du génie! tel que vous me voyez,
« je me suis avancé moi-même, jamais pa-
« rent, ni ami que j'eusse, ne m'aida en rien.»
Or, Pont-Alais. qui connoissoit cet original,
en faisoil bien son prolit, l'employant à tou-
tes heures à ses farces et jeux, et lui disoit
qu'il n'y avoit homme dans Paris qui sçut
mieux jouer son personnage. « Et n'ai ja-
« mais honneur, continuait Pont-Alais, si-
a non quand vous êtes en jeu, et puis on me
« demande quel étoit celui-là quijoùoil un
« tel rôle î Oh qu'il joue bien ! mon ami,ajou-
« toit-il, vous serez tout ébahi que le roi
« vous voudra voir. » Ne demandez pas si
le barbier augmentait de suffisance; et d'ef-
fet, il dit un jour à M' Jean du Pont-Alais :
« Savez-vous qu'd y a, Pont-Alais! Je n'en-
« tens pas que d'ici en avant vous me met-
« liez à tous les jours, et ne veux plus jouer,
« si ce n'est en quelque belle moralité, où il
« y ait quelque grand personnage, comme
« roi, prince, ou seigneur : et si je veux
« avoir le plus apparent lieu. — Vraiment,
(768) Parmi les artisans on est assez dans l'usage
d'appeler les filles el les garçons du nom qu'on leur
a imposé au bapième. Celui de Jean fui donné à
l'auteur dont nous parlons. Dès sa [plus tendre jeu-
nesse il joua el composa des farces; ces deux ta-
lents réunis, et qu'il posséda parfaitement pour le
siècle où il vécut, lui attirèrent une grande réputa-
tion, el comme il demeurait peut-cire auprès du
petit portail de l'église de St-Euslache, on qu'il y
faisait ses jeux, on le distinguait des autres farceurs
par l'épiihete du Pont-Alais, espèce de ponl ou égoui
qui était autrefois en cet endroit, qu'on fil ôler en
1719, el que Duverdier (Biblioth. [ranç., p. 749),
sur la foi d'un oui-dire, assure avoir été construit
pour servir de sépulture à Jean du Pont-Alais; mais
il est visible que cel auteur s'est trompé, el qu'il a
confondu celui dont nous parlons avec Jean Alais,
« lui répondit M* Jean du Pont-Alais, vous
« avez raison, et le méritez ; mais, que ne
« m'en avisiez-vous plutôt! Mais j'ai bien
« de quoi vous contenter d'ici en avant, et
« pour commencer, je vous prie ne faillir
« dimanche prochain, que je dois jouer un
« fort beau mystère, auquel je fais parler
« un roi d'Inde la Majeure. Vous le jouerez.
« N'est-ce pas bien dit? — Oui, oui , dit le
« barbier, et qui le joûeroit, si je ne lejoùois
« point? Baillez-moi seulement mon rôle. »
Pont-Alais le lui donna le lendemain. Quant
ce vint le jour des jeux, mon barbier se pré-
senta en son trône, avec son sceptre, tenant
la meilleure majesté royale que fit oneques
barbier. Cependant Poiit-Alais, qui faisoit
volontiers lui-même l'entrée des jeux qu'ii
jouait, quand le monde fut amassé, vint tout
ilerrière sur l'échatfaut et il commença tout
le premier, et va dire :
Je suis des moindres le mineur,
El n'ay pas vaillant un lésion;
M. lis le Roy d'Inde la majeur
M'a souvent razé le menton.
« Et disoit cela de telle grâce, qu'il étoit be-
soin, pour faire connoître la forte vanité du
razeur; et si avoit fait son jeu en telle sorle,
que le roi d'Inde ne devoit quasi point par-
ler, seulement tenir bonne mine, afin que si
le barbier se fut dépilié, que le jeu n'en cY.
pas moins valu.
« Un dimanche matin Ponl-Alais eut l'im-
pudence de faire battre le tambourin (769)
dans le carrefour qui est proche de l'Eglise
de saint Eu.-tache, pour annoncer une Pièce
nouvelle qu'il devoit donner le même jour.
Le curé qui faisait alors le prône, interrompu
par le bruit qu'il enlendoit et voyant ses au-
diteurs sortir en foule pour aller entendre
Pont-Alais, descendit de sa chaire, se ren-
dit dans le carrefour, et s'approc haut de Ponl-
Alais : « Qui vous a fait si hardi, lui dit-il,
de tambouriner pendant que je prêche? —
Et qui vous a fait si hardi de prêcher pen-
dant que je tambourine? reprit insolemment
Pont-Alais. » Cette réponse fit juger au curé
qu'il ne lui convenoit pas de [tousser plus
loin la conversation, mais il porta ses plain-
tes au magistrat qui fit mettre Pont-Alais en
prison. Et ce ne fut qu'au bout de six mois
que ce dernier oblint sa liberté et la permis-
sion de continuer ses jeux.
que les auteurs qui ont traité des antiquités de Paris
disent avoir commencé la fondation de l'église de
Sainl-Euslaclie, et s'èlre fait enterrer dans l'endroit
appelé de son nom, le Ponl-Alais.
(769) Avant que l'on fût dans l'usage d'afficher le
tilre des pièces au coin des rues, on faisait battre le
tambourin par les carrefours de la ville, el lorsqu'un
cerlain nombre de gens s'était assembre, un acteur,
qui accompagnait le joueur de tambourin, faisait
l'éloge de la pièce et invitait le public à la venir
voir. Cet éloge ou annonce était le plus souvent en
prose, el au choix de l'acteur, mais quelquefois
c'était une pelite pièce de poésie en forme de bal-
lade, qu'on appelait le Cry. Les confrères de la Pas-
sion el les Enfauls-Sans-Souci en faisaient souvent
dans ce dernier genre.
ar
ACT
NOTICE SUR LE THEATKE LIBRE.
ACT
1526
il ne nous reste aucun ouvrage de Pont-
Alais; cependant Duverdier assure qu'il y
en avait d'imprimés. « Jean du Pont-Alais,
chef et maître des joueurs de moralitez et
farces h Paris, a composé plusieurs jeux,
mystères, moralitez, satyres et farces, qu'il a
fait réciter publiquement sur eschalfaut en
ladite ville, aucunes desquelles ont été im-
primées, et les autres non. » Le surplus de
l'article que nous venons de citer contient
deux faits qui ne sont guère vraisemblables.
« On dit (c'est toujours de Pont-Àlais que Du-
verdier parle) que par son testament, il or-
donna son corps être enseveli en un cloaque,
en laquelle s'égoûte l'eau delà marée des hal-
les de la ville de Paris, assez [très de l'église
Saint-Eustache, là où il fut mis après son dé-
cès, suivant sa disposition et dernière vo-
lonté. Le trou qu'il y a pour recevoir ces im-
mondices, est couvert d'une pierre en façon
de tombe; etest ce lieu appelle du nom du tes-
tateur, le Pont-Alais (770). J'ai oui dire que
la repenlance qu'il eut sur la lin de ses jours,
d'avoir donné l'invention d'imposer un de-
nier tournois sur chaque manequin de ma-
rée arrivant aux belles, de tant que cela ve-
noit à la foule du peuple, l'occasionna de
vouioir être ainsi enterré en tel puant lieu,
comme s'eslimant indigne d'avoir une plus
honnête sépulture. »
JEAN DE SEP.RE.
Environ l'an 1500.
ïcan de Serre, excellent joueur de farces,
mourut sous le règne de François Ier. Clé-
ment Marot a fait passer jusqu'à nous son
nom et le détail de ses talents pour le théâ-
tre par l'épitaphe suivante :
Epitaphc de Jean de Serre, excellent joueur
de farces.
Cy-dessous gist et loge en serre
Le irès-gcnlii fallol la Serre,
Qui tout plaisoit alloil suivant,
Kl granl joueur en son vivant :
Non pas joiïcur de dez, ne de quilles,
Mais de lielles Farces gentilles;
Auquel jeu, jamais ne perdit,
Mais y gagna bruit et crédit;
Amour cl populaire estime,
Plus que d'escuz, comme j'estime.
Il lui en son jeu si adexlre,
Qu'à le voir on le pensoil cslre
Yvrogne, quand il s'y preuoil,
Ou badin (771) s'il l'entreprenoil;
Kl n'eusl sceu faire en sa puissance
Le sage; car en sa naissance
Nature ne lui fist la trogne
Que d'un Badin, ou d'un Yvrogne.
Touicsfois, je croy fermement
(770) On a déjà fait voir (pie ce fait est absolu-
ment faux. A l'égard du second qui regarde l'impôt,
dont Pont-Mais donna la premièrre idée, Duverdier
n'en parle que sur un onï dire. Une pareille autorité
n'impose guère aux gens sensés.
(771) Badin, ce nom se donnait à l'acteur qui
remplissait les rôlesles plus comiques ei prononçait le
peiii compliment, qui se faisait ali commencement mi
à la fin delà farce. Guillaume Bouclietquairième Sé-
téc di( : < On convia ce soir-là les Enfjus saus-
Dictionn. des Mystères.
Que ne fit onc si vivement
Le Badin qui rit, ou se mord,
Comme il fait maintenant le mort.
Sa science n'estoit point vile ,
Mais bonne, car en cesie Ville
Des trisies trisleurs des tournoi t,
Kl l'Iiommc aise, en aise lenoit.
Or bref, quand il cnlroit en salle
Avec une chemise sale,
Le front, la joue, et la narine,
Toute couverte de farine,
Elcoëffé d'un béguin d'enfant.
Kl d'un liant bonnet triomphant,
Garni de plumes de chapons (774).
Avec tout cela je réponds
Qu'en voyant sa mine niaise,
On n'estoit pas moins gay, ni aise,
Qu'on est aux Champs Klisiens.
0 vous humains Parisiens,
De le pleurer, pour récompense,
impossible est : car quand on pense
A ce qu'il souloit faire et dire,
On ne se peut tenir de rire.
Que dis-je? On ne le pleure point :
Si fait-on, cl. voicy le poinct.
On en rit si fort en maints lieux ,
Que les larmes sorten» des yeux;
Ainsi en riant on le pleure.
Or pleurez, riez vostre saoul,
Tout cela ne luy sert d'un 3011I.
Vous feriez beaucoup mieux en somme,
De prier Dieu pour le poure homme.
LE CO.UTF. DE SALLES.
Acteur, dont on ignore le véritable nom.
jouait quelquefois avec les clercs de la Bazo-
che. Il mourut d'une maladie épidémique
qui courut à Paris sous le règne de François
1er, et fut enterré à Saint-Laurent. L'épitaphe
suivante, qu'on trouve dans les poésies at-
tribuées à Clément Marot, nous apprend les
particularités que nous venons de rappor-
ter.
Epilaphe du comte de Salles, en forme de
ballade.
S'oncques à pitié il le convient mouvoir
El d'autruy-eas, ou malheur, te douloir,
O vialeur, ne le desdaisme niye
Veoir cesl escripl, et pyleuse omélye :
Si gémiras le grief despari d'ung Comte ,
Qui vivant pleusl en toute compagnie,
Mais on n'en laict mise, recopie, ou compte.
Je suys celuy, comme lu dois sçavoir,
C*oinlède Salles, assez plaisanta venir;
Qui par mes gestes, brocards et Tragédie,
Mainte assemblée ay souvent resjonye,
Kn entretient, ayant plus grâce que honte.
Kl en accord/., et doulz cbanlz armonie,
Mais on n'en faicl mise, receple, ou compte
Cuydant fuir le naturel devoir,
Mort au passaige m'arresler cul vouloir,
soucy, avec leur badin , qui promit de bien ba-
diner. »
(772) Sans trop donner aux conjectures, on peut
supposer que l'habillement dont Clément Marot nous
donne ici la description, était commun à Ions les
acteurs qui jouaient dans le genre comique adopté
par Jean de Serre. Le caractère et l'habillement de
lèle du Cille semblent avoir été pris d'après celui dont
nous parlons.
39
v-m
ADA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
l«îS
El n'est amy qui à m'aider s'emplye (773)
Parquoy laissay, pour bon gaige, ma vie,
Donl j'ay quittance, sans faillie, ne inescompte,
Escrile au rolle des Moriz d'Epidémie,
Mais on n'en faicl mise, recepie, ou comple.
Prince, iiiuiil est mon ramenlevoir,
Pourquoy vous dis adieu jusques au revoir.
Iles bonnes parlz, la meilleure ay choysie;
Fol esl pour vray, qui au moindre se fie;
Car lel esl liien haut juché, qu'on démonte ;
L'homme prudent à ici jeu ne l'envye,
Maison n'en faicl mise, recepie, ou comple.
Complaintes de dame Bazoche sur le trépas
dudit comte.
0 sort ineple de lubrique repos,
0 lil couppé par la dire (774) Atropos,
Que Lacbésis en commençoit Piller.
Les Destinés de irop ferme propos,
M'ont losl osié mon plus plaisant supposl,
Par le vouloir de celuy qui fait l'Aër.
Pas ne falloilsi soubdain affiler
Poincie à la mort, pour chose si Irès-tendre,
Que Ton pouvoit sans plus tordre cnliller;
Plus l'arc esl foiblc, moins de force à le tendre.
S'cshahit-on si mon cueur triste rendy,
Quand voy mon Comlc au Cloislre Saint Lau-
[rens,
Ainsi, de peste, soubdainemenl mourir?
Ha! mes suppolz, geliez vous sur les ranes,
Pour, avec moy, eslre rémémorans
La perte grande qu'il nous convient souffrir.
Jadis le veistes à tous voz faicts souffrir,
El en vosjeulx faire florir son nom :
lie fatalle ores le faicl pourrir.
Par faulx esteuf on perl souvent le bon.
Vous, Baroiiai (775), qui fustes son Seigneur,
El vous, Guisiaud (77(5) de son bien en seigneur,
Voicy, pour vous, pileuse chansonnette.
Vous, Compaignon, qui l'aimasles de cueur,
Avez point eu tristesse du malheur
Qui succomba si simple personnelle?
Chacun de vous à lamenter se mené,
Le passe-temps, la joye, et le confort,
Que son vivant pert sa façon, et gesle,
A ung chascun plaire faisoil effort ele
JACQUES MEKNABLE.
Il n'est connu que par l'épilaphe suivante
de la composition du fameux Ronsard. Elle
s'explique assez sur la misère du person-
nage, sans qu'il soit besoin d'en parler
ici.
Epilaphe de Jacques Mernable , joueur de
farces.
Tandis que tu vivois, Mernable ,
Tu n'avais ni maison, ni laide,
El jamais, pauvre, lu n'as veu
En la maison le pot au feu ;
Ores la mort t'est profitable ;
Car lu n'as plus besoin de laide,
t Ni de pot, el si désormais,
Tu as maison pour tout jamais.
ADA, Y AIDA ou VAUDE (L'). — De Ro-
quefort cite l'Aida de Guillaume de Blois,
frère de Pierre de Biois (770*). (Cf. De l'état
(7*'3) S'emploie.
(774) Dire, cruelle.
(775) Acteur baznehien.
(776) Autre acteur bazoehieu.
de la poésie fr., dans tes xii' et xnf siècles :
Paris, Fournier, 1815, in-8°.) M. Amaury
Duval mentionne aussi cette pièce. (Cf. His-
toire litlér., delà France, t. XV; Discours
sur l'état des beaux-arts en France au xm* siè-
cle, par M. Amauby Duval. p. 276.) L'abbé
de Larue remarque que le clergé ne fut lias
hostile jaux pièces profanes au moyen âge,
puisque Pierre de Blois (L., de Balli.), dans
une de ses Lettres, félicite son frère du suc-
cès de la tragédie de Flaura et de la comédie
de l'Aude, ces pièces châtiées étaient écrites
en latin; il se pourrait néanmoins qu'elles
n'eussent été que des récits et des contes,
comme la Divine Comédie de Dante, qu'on
pourrait croire une pièce de théâtre si elle
était aujourd'hui perdue. (Cf. L'abbé de La-
rue, Essais hist., sur les bardes, les jongleurs
et les trouvères normands et anglo-normands ;
C-ien, Mancel, 1834, in-8% 3 vol., t. 1er., n.
186-187.)
M. Magnin attribue à la renaissance de la
littérature érudite au xne siècle Ja comédie
(YAdda de Guillaume de Blois, aujourd'hui
perdue. (Cf. Journ., gén. de Vhist.. publ.,
1833, 29nov, p. 67.)
M. Edelestand Duméril en nie le caractère
dramatique. (Cf. Orig., lat., du th., mod.;
Paris, 1849, in-8% p. 33-34.)
L'Addane s'est pas relrouvée. Voy. Guil-
laume de Blois.
ADAM DE LE HALE ou LA HALE. —
M. Monmerqué a fait précéder le Jeu Adam,
le jeu du Pèlerin et celui de Robin et Marion,
d'une longue notice sur leur auteur, dont
il écrit le nom Adam de La Halle.
Il le considère comme un des fondateurs
de l'art dramatique en France, ce qui est
méconnaître toutes les pièces antérieures au
xme siècle, qui sont assez nombreuses pour-
tant et dont le mérite est assurément su-
périeur. Il remarque que les jongleurs et
les trouvères étaient souvent des bossus,
assertion bizarre dont il n'y a pas de preu-
ves.
« Adam, dit-il, naquit à Arras vers 12^0 ;
maître Henri, son père, était bourgeois do
celte ville alors féconde en poètes. Adam
passa ses premières années à l'abbaye de
Vauxcelles, située sur l'Escaut, à peu de dis-
tance de Cambrai. Il y prit l'habit des clercs
et y étudia les sept arts : c'était le grand
cours des études. A peine fut-il revenu chez
son père, qu'il s'éprit d'un vif amour pour
Marie, jolie personne, plus riche d'agré-
ments que des avantages de la fortune. Le
père d'Adam (il de vains efforts pour le dé-
tourner de ce mariage. Le cœur du jeune
homme battait d'amour pour la première
fois: sourd à la voix de la raison, il de-
manda et il obtint la main de la jeune fille ;
mais à peine l'eul-il épousée, que rassasié
de courtes délices et effrayé des dépenses et
des embarras du ménage, ses illusions se
(776') Il faut ajouter archidiacre do Ra h, pour le
distinguer d'un autre Pierre de Blois. (ttvA. litt. de
la France, t. XV.)
M 29
À!)A
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
iîoO
dissipèrent, et ne voyant plus dans Marie
qu'une femme ordinaire, foulant aux pieds
ï>es devoirs d'époux, Adam abandonna celle
dont i! avait tant désiré la possession. On
connaissait peu dans ces vieux temps les lois
des convenances, dont nous sommes rede-
'frbiès â la politesse de nos mœurs et aux
progrès de la. civilisation ; non content de
délaisser sa femme, Adam ne craignit pas
de l'immoler à la risée de ses omis....
« Adam. sortait de l'abbaye de Vauxeelles,
lorsqu'il se maria, et il projetait de quitter
sa femme pour venir continuer ses éludes à
Paris :
Sacliiés (dit-il), je n'ai mie si chier
Le séjour d'Arras, ne le joie
Que l'aprendre laissier en doie :
Puis que Diex m'a donné engien,
Tans esl que je l'alour à bien ;
J'ai cbi assés me bourse escousse ("77).
« Adam vint-il à Paris comme il en annon-
çait le projet? Changea-t-il d'avis, comme
semblerait l'indiquer le don de la fée Ma-
glore?
De l'autre qui se va van tan
D'aler à, 'l'école à Paris,
Yoeil qu'i soit si alruandis
En le compaignie d'Arras,
Et qu'il s'ouvrît entre les bras
Se femme qui esl mole et tenre,
El qu'il perge et hache l'aprenie
El mèche sa voie en respil (778).
« Nous ne déciderons pas cette question,
sur laquelle les ouvrage* du vieux poêle ne
nous ont rien appris. Nous ferons seulement
observer que Maglore, dans le poëcne, est
un mauvais génie qui ne donne que malé-
dictions, tandis que les deux autres fées
viennentde combler de biens le jeuneAdam.
Ainsi Morgue dit
El de l'autre, voeil qu'il soit teus
Que che sois li plus amoureus
Qm soit trouvés en nul pais (779).
« Et Arsile ajoute
Aussi Vieil- je qu'il soit jolis
El bons faiscres de canchons (780).
« On pourrait penser que les prédictions
favorables étaient les seules qui, dans la
pensée du poëte, devaient se réaliser...
« Adam composa le Jeu du mariage vers
1262 ou 1263.
« Ce fut vers ce temps qu'Arias, ville de
luxe et de plaisirs, devint le théâtre de dis-
cordes à la suitedesquellesémigra une partie
des habitants. M. Monmerqué pense que
Adam se retira à Douai.
« L'exil d'Adam ne fut pas éternel, il re-
vint dans sa patrie; l'époque de ce retour
est incertaine, Sa trente-deuxième chanson
nous le fait voir sur le chemin de sa ville
natale :
De lanl coin plus apioime mon pais,
Me renovele amours plus et espreni;
El plus me sanle en aprochanl jolis,
El plus li airs et plus truis douche gent...
« Notre poëte finit par s'attachera la mai-
son de Robert, deuxième du nom, comte
d'Artois, neveu de saint Louis. Ce prince,
en 1282, suivit en Italie le comte d'Alençon.
que Philippe le Hardi envoyait au secours
du duc d'Anjou, roi de Naples, son oncle, et
il y fut déclaré régent du royaume en 1284.
Adam de la Haie accompagna ce prince, et
il composa, pour le divertissement de sa
cour la jolie pastorale de Robinet Marion.
C'est encore un poëte du temps qui nous
fait connaître ces détails. L'auteur du Jeu
du Pèlerin les met dans la bouche de son
principal acteur.
Par Puille m'en reving, où on tint maint concilie
D'un clerc nelet soustieu, grascieus et nobile
Et le nomper du mont. Nés fu dece&le vile;
Maislre Adans li Bochus esloit chi apelés.
« Le comte d'Artois, suivant le P. An-
selme, revint de Naples en 1289. Maître
Adam y était mort pendant son séjour, et
sa sépulture avait été entourée des hon-
neurs dus à un grand poëte. On place ainsi
la mort d'Adam de la Haie vers 1286. M. Pau-
lin Paris a fait connaître un document
qui vient corroborer cette opinion. Ce sont
des vers écrits en 1288, à la fin d'un exem-
plaire du Roman de Troies, par un neveu
d'Adam de la Haie, nommé Jehan Mados,
qui, ainsi que son oncle, était trouvère et
Mais cisqiii e'escril, bien saciés,
N'esloit mie irop aaissiés,
Car sans colele et sans surcol
Estnit, par un vilain escot
Qu'il avoil perdu et paiié
Par le dé qui l'ot engignié.
Cis Jchanès Mados ot non.
Qu'on lenoil à bon compaignon;
D'Arras estoil; bien fu connus
Ses oncles, Adans li hoçus,
Qui pour revel cl pour compaignie
Laissa Arias : ce fu folie,
Car il iert cremus et amés.
Quand il morut ce fut piles,
Car onques plus engignex lion
Ne morul, pourvoir le sel-on...
Ensi coin vos oi l'avés,
Cis livres fu fais el fines
Eu l'an de 'l'Incarna lion
Que Jhésus soufri passion
Qualre-vingl et mil et deus cens
El wit; biax fu li tans el gens.
Fors tant ke ciex avoil trop froit
Qui surcot ne rote n'avoit, etc.
« Adam de la Haie tient un des premiers
rangs parmi nos anciens trouvères d'Ar-
ias. Il était à la fois poëte et musicien; feu
Bottée de Toulmon, très-versé dans l'his-
toire de la musique, a bien voulu se char-
(777) Li Jus Adan, vers 28.
(778) lbid., vers 683.
(779) Li Jus Adan, vers 0G0.
(780; lbid.
4251 ADA J)ICT10iNNAIUE DES MYSTERES.
ger de faire connaître Adam sous ce dernier
rapport (781).
ADAN. — Li Jus Adnn, dit aussi de la
Fueillie, ou du Mariage, qui dale du xm"
siècle et a pour auteur Adan de la Haie ou
de le Haie, se trouve dans le manuscrit de
la Bibliothèque du roi, fonds de La Vallière,
n° 81, olim 2736, fol. xxx recto-xs.wiu verso.
Le manuscrit n° 7218, ancien fonds, en con-
tient les 174. premiers vers. Le langage y est
plus moderne. On en trouve auss-i le com-
mencement dans le manuscrit du Vatican,
n° H90, fonds de Christine, dont la biblio-
thèque de l'Arsenal possède la copie dans
le recueil de Sainte-Palayo, intitulé : An-
ciennes Chansons francoises, avant 1300, t. 1er,
fol. 290.
Le Jeu Adam a été imprimé par M. de
A!) A
i*:>2
Monmerqué pour la première fois, en 18*28,
a trente exemplaires seulement, pour ia société
des Bibliophiles français.
11 est reproduit dans le Théâtre français au
moyen âge de MM. Moutmerqué et Fran-
cisque Michel (Paris. 1839, gr., in-8u).
Adan ou la Vueillie était connu de Roque-
fort. (Cf. De l'état de la poésie fr., dans les
xne et xnic siècles ; Paris. 1815, i:i-8°, p. 261).
« M. Daunou n'y voyait qu'un dialoguent
nullement une pièce destinée à la repré-
sentation. (Cf. Histoire lit ter. de la France,
t. XVI, Discours sur Vétat des lettres en
France, p. 213.) Enfin, M. Magnin a men-
tionné aussi dans son cours à la Faculté des
Litres, sous la date du xme siècle, le Jeu
d'Adan. (Cf. Journ., gén., de l'hist., publ.,
1836, 3 janv., p. 150, et l'i- janv., p. 172.)
LI JUS ADAN, OU DE LA FEL'ILLIE.
PERSONNAGES.
ADANS.
K1KECE AHURIS.
HANE LI MERCIERS.
RIK1ER6.
ClU LOS II PETIS, Oïl CIL-
LOT.
MAISTRE KF.NRIS, OUIIENR'.S
iie le hale, père d*A-
dans.
M flSlSClENS.
bAME DOUCE, OU LV.GROSSE
FEME.
RA1XNELÉS. CROKESOS.
LI M'INES. MORGUE,
WALÉS. MAGLORE,
LI KEML'MS. ARMLE,
1.1 PERES AL' DERVÉS. LI OSTES.
LI DERVÉS.
focs.
SCÈNE l".
ADAM, RIKECE-AURIS, IUQUIKRS, GUILLOT LE PETIT.
ADANS.
S*»i
Cignciir, saves pour (pioi j ai mon abil cangietr
J'ai esté avœc feme, or revois au eieigiel ;
Si avertirai cliou que j'ai pieclia songiet ;
Mais je vœil à vous ions avant prendre congiel.
Or ne porronl pas ilire aucun que j'ai anlés
Oue d'à 1er à Paris soie pour nient vaines ;
'.h.iscuns puet revenir jà tant n'ierl encuilés;
Après grant maladie ensieul bien grans saules.
D'autre part je n'ai mie clii nien tans si perdu
Que je n'aie à amer loiauinenl entendu.
Encore pcrt-il bien as lés quels li pos i'u ;
Si m'en vois à Paris.
RIKECES AliRIS.
Cailis! qu'i feras-lu?
Onques d'Arias bons tiers n'issi,
Et lu le veus faire de ti !
Che seroit grans abusions.
ADANS.
N'est mie Rikiers Aillions
lions clers et soutiex en sen livre?
HANE Ll MERCIERS.
Oïl, pour deus deniers le livre :
Je ne vois qu'il sache autre cose ;
Mais nus reprendre ne vous ose,
Tant avés-vous muante chief.
RIKIERS.
Cuidics vous qu'il venist à cliief,
Biaus dons amis, de che qu'il dist?
(781) Feu M. de Toulnion. dans la Notice sur
Adam, musicien (Le th. fr. au moyen âge, p. 49),
remarque qu'au xin" siècle lout musicien elaii poêle,
tout poêle musicien. La musique, souvent mélodique
pour la chanson, devenait incompréhensible lorsque
le musicien voulait réunir des notes d'une exécution
simultanée. Ainsi Adam, dans ses Jeux populaires,
choisit parmi les modes ecclésiastiques ceux qui se
rapprochent le plus de la tonalité indiquée par la
ADAM.
Seigneurs, gavez-vous pourquoi j'ai changé d'ha-
bit? Après avoir eu femme, je reviens -ju clergé.
Ainsi, mes vieux songes s'en vonl, et je \eux d'a-
bord prendre congé de vous tous. Désormais, aucun
de ceux que j'ai hantés ne pourra dire que je me
sois vanté pour rien de mon voyage à Paris. Chacun
peul revenir, même des plus grands délires : grande
sanié vient bien après grande maladie. D'aune pari,
je n'ai pas tellement perdu mon lemps ici, que je ne
me sois bien entendu à aimer loyalement. II parai;
bien aux tessons ce que fut le pot (782). Oui! je
m'en vais à Paris.
RIKECE ALRIS.
Malheureux! qu'y feras-tu? Jamais bon clerc ne
sortit d'Arras, et loi, lu veux l'aire un bon eltr^.
Oh ! la bonne folie!
ADAM.
Rikiers Aillions n'est- il pas un bon clerc cl subtil
en fait de livres?
HANE LE MERCIER.
Bah! j'en donne deux deniers, sans savoir ce qu'il
sait. Mais nul n'ose vous reprendre, tant vous avez
la tète chaude.
RIKIERS.
Pensez-vous qu'il viendrait à bout, beau doux
ami, de ce qu'il dit?
nature. Les phrases sont chantantes. Au conlraire,
la musique destinée aux claies supérieures n'est que
pédanlisme, confusion et discord.
(7S2) Bien pert au leesl quil li pot furent,
Ce d'il li Vilains.
(De Proverbes e< du Vilain, manuscrit de la Bi-
bliothèque du roi, fonds de Saint-Germain des Prés,
1259, olim n» 1850, fol. 71, redo, col. 2 et 3.)
1-2-3
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBBE,
ADA
liai
ADVNS.
Chasnms mes paroles despisl,
(Mie me sanlc, et giele inoll loue ;
Mais puis que clie vient an besoing,
El que par moi m'esluel aidicr,
Sacbiésje n'ai mie si chier
Le séjour d'Arras, ne le joie,
Que l'aprendrc laissicr en doie;
Puisque Diex m'a donné engien
Faut est que je l'a tour à bien;
J'ai clii assez me bourse escouse.
GUILLOS 11 PETIS.
Que devenra dont li pagoussc,
aie commère dame Maroie?
ADANS.
Biaus sire, avœc men pèreerl chi.
GUILLOS.
Maislres, il n'ira mie ensi
S'ele se puel mètre à le voie ;
Car bien sai, s'onques le connui,
Que s'ele vous i savoil liui,
Que demain iroil sans respil.
ADANS.
El savés-vous que je ferai?...
GUILLOS.
Maislres, tout ebe ne vous vaut nient,
Ne li cose à clie point ne lient.
Ensi n'en poês-vous aler;
Car puis que sainte Eglise apaire
Deus gens, cbe n'est mie à refaire.
Garde estuet prendre à l'engrener.
ADANS.
Par foi ! lu dis à devinaillc,
Aussi corn par chi le me taille :
Qui s'en fust vardés à l'emprendre?
Amours me prist en ilel point
Où li amans .ij. fois se point,
S'il se veut contre li deffendre
Car pris fu au premier boullon,
Tout droit en le varde saison,
El. eu l'aspreehe de jouvent,
Où li cose a plus grant saveur ;
Car nus n'i cache sen meilleur
Fors chou qui li vient à talent.
Esté faisoit bel et seri.
Doue et vert et cler et joli,
Delilaule en chaus d'oiseillons,
En haut bos, p>ès de fontenele
Courans seur maillie gravele;
A dont me vint avisions
De cheli que j'ai à feme ore,
Qui or me saule pâle et sore,
llians, amoureuse et deugie;
Or, le voi crasse, mautaillie,
i riste et tenchans.
RIKIF.RS.
C'est grans merveille.
Voi rement estes-vous muaules
Quant failures si delilaules
Avés si brié nient ou \ liées :
Bien sai pour coi estes saous?
ADANS.
Pour coi?
RIKIF.RS.
Ele a fait envers vous
Trop grant marebié de ses denrées.
ADAM.
Chacun méprise ma parole, ce me semble, el la
rejette fort loin. Eh bien ! puisque cela devient né-
cessaire, el qu'il me faut aider par moi-même, sa-
chez que je ne liens pas tant au séjour d'Arras el à
la joie pour laisser à cause (Vcmx l'élude. Puisque
Dieu m'a donné de l'esprit, il est temps que je la
mène à bien; j'ai assez secoué ma bourse ici.
GU1LL0T LE PETIT.
Que deviendra donc la payse, ma commère dame
Marie?
ADAM.
Beau sire, elle restera ici avec mon père.
GU1LL0T.
Maître, que non pas, si elle peut se mettre en
chemin; je sais, moi qui la connais, qu'aussitôt
qu'elle vous saura en route elle s'y mettra file -
inêjiie sans répit.
ADAM.
Et savez-vous ce que je ferai?...
GU1LLOT.
Maître, lout cela ne vaut rien, et les choses ne
sont pas si aisées. Vous ne pouvez pas vous en aller
ainsi ; car une fois que sainte Eglise a accouplé deux
individus, ce n'est plus à refaire. 11 faut prendre
garde avant de s'engager.
ADAM.
Ma foij! tu parles à devinaille; et que me. tailles -
tu ici? Qui s'en fut gardé au commencement? Amour
me prit dans un coin où l'amant se pique deux fois
s'il veut se défendre : je fus pincé au premier bouil-
lon, justement dans la verte saison et dans la fougue
de la jeunesse, où la chose a plus grande saveur.
El qui donc garde son mieux, el le refuse au plai-
sir? Il faisait un été bel et serein, doux, vert et gai,
délicieux par le chanl des petits oiseaux. Dans un
bois de haute futaie, près d'une fontaine qui courait
sur un gravier entaillé, j'entrevis à demi celle que.
j'ai actuellement pour femme : maintenant pâle et
satire (78r>); mais alors riante, amoureuse et déli-
cate, autant qu'aujourd'hui grasse, mal taillée, trisle
et chicanière.
RIÛ.U1ER.
C'est grand' merveille. En vérité, vous êtes bien
changeant d'avoir oublié si tôt des traits si délicieux:
je sais bien pourquoi vous êtes saoul.
ADAM.
Pourquoi?
r.iQiJiEii.
Elle vous a fait trop bon marché de ses déniées.
f7S3) C'est de là que vient l'expression de harenrj-
toie, pour le hareng fumé :
Il j en a de deux manières.
L'un s)r, et l'autre est blanc.
{La vie de mini llarenc, glorieulx martyr, ;\
la suite du Début dm deux dhmoyselte* ;
Paris, Firmin Didor, I825,pa|. 61.)
12
•J»
ADA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
H5i>
AblNS.
fia ! Riquier, à < lie ue tient point;
Mais A mors si le gent en oint,
Etchascune grasse enlumine
En famé, et fait sanler si grande.
Si c'on cuide d'une truande
Bien que cite soit une roïne.
Si crin sanloienl reluisant
D'or,roilel crespé et fremianl :
Or sont kéu, noir et pendic.
Tout me saule ore en li mué ;
Ele avoit front bien compassé ,
Blanc, omni, large, feneslric :
Or le voi cresté et estroit ;
Les sourcliiex par saillant avoit
En arcant, souliex et ligniés,
D'un brun poil pourirait de pinchcl,
Pour le resgart faire plus bel ;
Or les voi espars et drechiés
Con s'il voellent voler en l'air;
Si noir œil me sanloienl vais {sic)
Sec et fendu, presl d acaintier,
Grosdesous; déliés faucbiaus
A deus petis ploçons jumiaus;
Ouvrans et çloans à dangier,
Et regars simples, amoureus ;
Puis si descendoil entre dons
Li luiaus du nés bel et droit
Qui li donnoil fournie et figure,
Com passé par art de mesure,
El de gaielé souspiroit.
En tour avoit blanche maisselc,
Faisans an rire .ij. foisseles
J. peu nuées de vermeil,
Parans desous le cuevrekief;
Ne Diex ne venisl mie à cbiest (sic)
De faire un viaire pareil
Que li siens adont me sanloit.
Li bouche après se poursiévoit
Graille as cors et grosse ou moilou,
Fresehe, vermeille comme rose ;
Blanque denture, jointe, close;
En après four-chelé menton,
Dont naissoil li blanche gcrgele
Dusc'as espaules sans fosseie,
Omni et gros en avalant ;
Haleivl poiirsiévanl derrière
Sans poil blanc et gros de manière,
Seur le cole un peu reploiant;
Espaules qui point n'enermmoient,
Dont li lonc brac adevaloienl,
Gros et graille ou il afferoil.
Encor esloil (oui che du mains,
Qui resgardoit cbes b[l]anchcs mains,
Dont naissoienl chil bel lonc doit,
A basse jointe, grade en fin,
Couvert d'un bel ongle sangin ,
Près de le char omni et nci.
Or verrai au moustrer devant
De le gorgele en avaianl ;
El premiers au pis camtispl,
Dur et court, haut et de point bel.
Enlrecloant le rivolel
D'Amours quichieien le fourohele;
Bouline avant et rains vanliés,
Que manche d'ivoire entaillés
A che couliaus à demoiseïc :
Plate banque, ronde gambele-
Gros braon, basse quevilleue;
Pié vautic, haingre, à peu de char.
En li avoit itel devise :
Si quit que desous se chemise
N'aloit pas li seurplus en dar;
Et tle perchut bien de li
Que je l'amoie miex que mi,
Si se tint vers moi fièrement,
Et con plus fieic se tenoit ,
ADAM.
Ah! Riquier, ce n'est point cela; mais Amour
fascine tellement les gens; il donne un tel éclat à
chacune des grâces dans une femme, et fait sembler
celle grâce si grande, qu'on arrive à croire qu'une
truande est une reine. Ses cheveux semblaient re-
luisants d'or, roides et bouclés et frémissants : main-
tenant ils sont plats, noirs et pendants. Aujourd'hui
tout me semble changé en elle; elle avait un front
bien régulier, blanc, uni, large, ouvert, qui me pa-
rait maintenant ridé et étroit; elle avait, à ce qu'il
me semblait, les sourcils arqués, déliés et alignés,
bruns et peints avec un pinceau, pour rendre le re-
gard plus ardent, et maintenant je les vois épais ei
dressés comme s'ils allaient s'envoler. Ses yeux
noirs me semblaient vairs, secs et fendus, prêts à
caresser, gros dessous; ses paupières déliées avec
deux petits plis jumeaux, ouvrant et fermant à vo-
lonté; et son regard bon et amoureux. Puis descen-
dait entre les yeux le tuyau d'un nez bel et droit,
qui complétait la régularité de la figure. Le tout
plein de gaieté. Autour de sa blanche joue, lorsqu'elle
riait, deux fossettes un peu nuancées de rouge, et on
l'apercevait dessous la coiffe. Non! Dieu ne viendrait
pas à bout de faire un visage tel que le sien me
semblait alors. El la bouche après, mince aux coins,
grosse au milieu, fraîche, vermeille comme rose; et
une denture blanche, jointe, serrée, cl un menton à
fossette
a •
* •
• •
• •
• •
• •
•
* •
• •
La voilà belle comme elle était... Elle aperçut
bien vite que je l'aimais plus que moi-même, elle me
traita avee fierté; mais plus elle était fiere, plus
croissaient en moi l'amour, le désir et la passion;
à ces sentiments se mêlèrent la jalousie, le déses-
poir et le délire, et l'amour que je ressentais pour
elle s'embrasa de plus en plus, si bien que je perdis
1237
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
i-203
Plus et plus croislre en mi faisoit
Amour et désir et talent;
Avœc se merla (sic) jalousie,
Desesperanche et derverie ,
Et plus en plus fui en ardeur
Pour s'aniour, et mains me connui,
Tant c'ainc puis aise je ne fui,
Si eue fait d'un maistre .i. segneur.
Bonnes gens, ensi fui-jou pris
Par Amours, qui si m'eut souspris;
Car failures n'ut pas si bêles
Comme Amours le me flst sanler,
Et Désirs le me fisl gousler
A le granl 6aveur de Vaucheles.
S'est drois que je me reconnoisse
Tout avant que me feme angroisse,
Et que li cose plus me cousl;
Car mes fains en est apaiés.
tout empire sur moi, si bien que je n'eus d'aide qu'en
devenant de clerc mari.
Bonnes gens, par fascination ; ainsi me prit par
Amour, car elle n'avait pas les traits aussi beaux qu'il
me les avait fait apparaître, et Désir me lit venir l'eau
à la bouebe à ma sortie de Yauxelles. Il est donc
convenable que j'ouvre les yeux, avant que ma
femme devienne enceinte, et qu'il ne m'en cuise.
Ma foi ! ma faim est apaisée.
RIKIERS.
Maistres, se vous me le laissiés,
Ele me venroil bien à goust.
MAISTRE ADANS.
Ne vous en mesquerroie à pieclie
Dieu proi que il ne m'en mesquieche;
N'ai mestier de plus de mehaing,
Ainsvaurrai me perte rescourre ,
Et pour aprendre à Paris courre.
MAISTRE HENRIS.
A! biaus dous fiex, oneje le plaîng,
Quant tu as cbi tantstendn,
El pour feme len tans perdu ;
Or fai que sages, reva-t'enl.
GUILLOS LI PET1S.
Or li donnes dont de l'argent;
Pour nient n'esUon mie"- à Paris.
MAITRES HENRI S.
Las! dolans! où seroit-il pris?
Je n'ai mais que .xxix. livres.
HA.NE Ll MERCIERS.
. . . . Etes- vous ivres?
MAISTRES HENRIS.
Naie, je ne bui liui de vin!
J'ai tout mis eu canebuslin;
Honnis soit qui me le loa!
MAISTRES ADANS.
Quia, kia, kia, kia?
Or puis sur chou eslre escoliers.
MAISTRES HEXRIS.
Biaus fiex, fors esles et légiers,
Si vous aiderés à par vous,
Je sui .j. vieus boni plains de tous,
Enfers et plains de ruine, et fades.
SCÈNE II.
les mêmes, HENRI, père d'Adam.
UIOL'IER.
Maître, si vous me laissiez voire femme, elle se-
rait bien à mon goût.
MAÎTRE ADAM.
Je n'ai pas de peine à vous croire. Je prie Dieu
qu'il ne m'en mésavienne pas; je n'ai pas besoin
de plus de chagrin, mais je veun recouvrer ce que
j'ai perdu et courir à Paris pour apprendre.
MAÎTRE HENRI.
Ah! beau doux fils, que je le plains d'avoir tant
attendu ici et d'avoir perdu ton temps pour une
femme. Maintenant, agis en sage, va l'en,
GUILLOT LE PETIT.
Or, donne-lui donc de l'argent : on ne vil pas
pour rien à Paris.
MAÎTRE HENRI.
Hélas! malheureux que je suis , où le prendrais-
je? je n'ai plus que vingt-neuf livres.
HANE LE MERCIER.
. . . . Eles-vous ivre?
MAÎTRE HENRI.
Nenni! je n'ai pas bu de vin d'aujourd'hui. J'ai
tout mis en gage; honni soit qui me le conseilla!
MAÎTRE ADAM.
Quia, kia, kia, kia? Sur ce, je puis maintenant
êlre écolier.
maItre HENRI.
Beau fils, vous êtes fort el léger, vous vous aide-
rez par vous-même. Je suis un \ieil homme plein
de toux, infirme el plein de rhume, el languissant.
SCÈNE III.
LES MEMES, LE MEDECIN.
Ll FIS1SCIENS.
Bit n sai de coi esles malades,
Foi que dois vous, maistre Henri ;
Ben voi vo maladie cbi :
L'est uns maus c'on claime avarice.
S'il vous plaist que je vous garisce,
Coiement à mi parlerés.
Je sui maistres bien acanlés,
S'ai des gens amont et aval
Cui je garirai de cest mal ;
Noinméemcnl en ceste vile
En ai-jo bien plus de ij. mile
LE MÉDECIN.
Je sais bien de quoi vous êtes malade. Oui da !
maine Henri ; je vois bien votre maladie : c'est un
ma! que l'on nomme avarice. S'il vous plaît que je
vous guérisse, vous me parlerez tranquillement. Je
suis un maître bien achalandé, et j'ai des pratiques
en haut et en bas que je guérirai de ce mal; nom-
mément j'en ai dans celle ville plus de deux mille
qui n'ont ni espoir de guérison ni réconfort. Halois
en est déjà à l'article de la mort, lui et Robert Cosiel
et ce Bielu le Faveriel. II eu est ainsi de toute leur
lignée.
!2J9
ADA
Où i! n'a respas ne confor!.
llalois on gist ià à le mort
Entre lui el Robert Cosiel,
Et ce Bietu le Faveriel.
Aussi l'ait irestous leur lignages.
GUILL0S LI PET1S.
Par foi ! che n'iert mie damages
Se cliascuns esloit niors tous frois.
LI FISISCIENS.
Aussi ai-jou tiens Ermenfrois,
L'un de Paris, l'autre crespin,
Qui ne l'ont fors traire à leur fin
De ceste cruel maladie,
Et leur enfant et leur lignie ;
Mais de Haloi est-clie grans hides,
Car il est de lui omicides.
S'il en muert c'ert par s'ocoison
Car il acale mort pisson ;
C'est grans mervelle qu'il ne criève.
MAISTRES HENRIS.
Maistres, qu'cst-clie chi qui me liève?
Vous connissiés-vous en cest mal?
LI FISISCIENS.
Preudons, as-tu point d'oriiial.
MAISTRE HENRIS.
Oïl, maistres, vés-ent chi un'
LI FISISCIENS.
Feis-lu orine à engun?
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
iî-ti)
MAISTRE IIENRÎS.
Oïl.
LI FISISCIENS.
Chà dont, Diox i ait pari !
Tu as le mal Sainl-Liénart,
Riaus preudons, je n'en vœil plus uir.
MAISTRE IIENRIS.
Maistres, m'en esluet-il gésir?
LI FISISCIENS.
Nenil , jà pour chou n'en gerrés.
J'en ai .i.ij. ensi atirés
Des malades en ceste vile.
MAISTRE IIF.NRIS.
Qui sont-il?
Ll FISISCIENS.
jehans d'Autevile,
Willaumes Wagons, et li tiers
A à non Adans li Anstiers.
Chascuns est malades de cliiaus,
Par trop plain emplir lor boucliiaus;
Et pour cbe as le ventre enfle si.
GUILLOT LE PETIT.
Ma foi ! ce ne serait pas dommage si chacun d'eus
était mort tout roide.
LE MÉDECIN.
J'ai aussi deux Ermenfrois, l'un de Paris, l'autre
de Crespy (en Valois), qui ne font que tirer à leur
fin de celle cruelle maladie , eux, enfants et lignée.
Mais quant à Haloi, c'est une horreur, car il est ho-
micide de lui-même. S'il en meurt, ce sera de sa
faute, car il achète du poisson mort. C'est grande
merveille s'il n'en crève pas.
MAÎTRE HENRI.
Maître, qui est-ce qui me soulagerait ? Vous con-
naissez-vous à ce mal?
LE MÉDECIN.
Rrave homme, n'as-lu point d'urinal?
MAÎTRE HENRI.
Oui, maître, en voici un.
LE MÉDECIN.
Fis-tu urine à jeun!
MAÎTRE HENRI.
Oui.
LE MÉDECIN.
Eh bien! Dieu y ait pari! Tu as le mal de Sainl-
Léonard. Reau prudhomme , n'en parlons plus.
MAÎTRE HENRI.
Maître, faut-il me meltre au lit?
LE MÉDECIN.
Nenni, vous ne vous alilerez pas pour cela. J'ai
déjà trois malades en pareil état dans celte ville.
MAITRE HENRI.
Qui sont ils?
LE MÉDECIN.
Jean d'Aotevillc, Guillaume Wagon, el le troi-
sième a pour nom Adam le Anslier. Chacun d'eux
est malade, parce qu'ils remplissent trop leurs bou-
cauts; el c'est pour cela que tu as aussi le ventre
enflé.
SCÈNE IV.
LES MÊMES, DOUCE-DAME, HANE.
DOUCE DAME.
DOUCE DAME.
Riaus maistres, consillie-me aussi,
Et si prendés da men argent,
Car li ventres aussi me lent
Si fort que je ne puis aler.
S'ai aporléc pour mouslrer
A vous de .iij. lieues m'orine.
Ll FISISCIENS. *
Chis maus vient de gésir souvine ;
Dame, ce distchis orinaus.
DOUCE DAME.
Vous en mentes, sire rihaus;
Je ne suis mie lel barnesse.
Onques pour don ne pour promesse
ici niesticr faire je ne vauc.
Reau maître, conseillez-moi aussi, et prenez de
mon argent, car le ventre aussi me tend si fort que
je ne puis aller. J'ai apporté de trois lieues mon
urine, pour vous la montrer.
LE MÉDECIN.
Ce mal vient de coucher sur le dos; dame, cest
ce que dit l'urinai.
DOUCE DAME.
vous en avez menti, sire ribaud; je ne suis pas
une femme de ce genre. Jamais ni pour don ni pour
promesse je ne fis pareil métier.,..
1211
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NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
ADA
«2-të
Il FI51SC1ENS.
El j'en ferai warder ou pane,
Pour acomplir vosire fnenchongne.
Rainclet, il convient c'on oigne
Ten pauc, liève sus j. peiil;
Mais avanl esteul c'on le nit.
Fait est. Rewarde en cesle crois,
Et si di chou que lu i vois.
douce dame.
Bien vœil, certes, c'on die tout.
RAlNNCLÉS.
Dame, je voi ehi c'on vous f....*
Pour nului n'en clielerai rien.
LI PISISC1ENS.
Enhenc, Dieus ! je savoie bien
Comment li besoigne en aloit.
Li orine point n'en mcnloil.
DOUCE DAME.
Tien, honnis soit le rouse tesle !
RA1NNELÉS.
Arma! che n'est mie chi fesle.
LI FÎSISCIENS.
Ne l'en caul, Rainelet, biaus fiex.
Dame, par amours, qui estchiex
De cui vous chel enfant avés?
DOUCE DAME.
Sire, puisque tant en savés,
Le seurpius n'en chelerai jà :
Chiex viex leres le vaegna.
Si puisse-jou esiie délivre!
R1K1ERS.
Que dist celé feme? est-ele yvre?
Me mcl-ele sus son enfant?
DOUCE DAME.
Oil.
RIK1ERS.
N'en sai ne tant ne quant :
Quant fusl avenus chis afaires?
DOUCE DAME.
Par foy ! il n'a encore waires;
Che fu .j. peu devant quaresme.
GU1LLOS.
Ch'est trop bon à dire vo feme ;
Rikier, li volés plus mander?
R1UIERS.
Ha! genliex hom, laissiés ester ,
Pour Dieu n'esmouvés mie noise,
Elle est de si maie despoise
Qu'ele croit che que point n'avicnl.
GUILLOS.
A di foy bien ail cui on crient ;
Je tieng à sens et à vaillanche
Que les femes de la waranche
Se font cremir et rcsoignier.
1IANE.
Li feme aussi Mahieu l'Anslier
Qui fu feme Ernoul de le Porle,
Fait que on le crient et déporte ;
Des ongles s'aïe et des dois
Vers le haillieu de Vermendois;
Mais je tieng sen baron à sage
Qui se laist.
RIKIERS.
Et en che visnage
A chi aussi .ij. baisseleies,
L'une en est Margos as Punictes,
Li autre Aéilis au Dragon;
DOUCE D.UIE.
Honnie soit la lête rousse!
RAINELET.
Anwa ! ce n'est pas ici fête.
LE MÉDECIN.
Ne t'en émeus pas, Rainelel, beau fils. Dame, par
amitié, (diies-moi) quel est celui de qui vous avez
cet enfant.
DOUCE DAME.
Sire, puisque vous en savez tanl, je ne cacherai
pas le surplus: ce vieux larron l'engendra. Puissé*je
en être débarrassée!
R1QUIER.
Que dit celle femme? esl-elle ivre? met-elle so:j
enfant sur mon compte?
DOUCE DAME.
Oui.
RIQUIER.
Je n'en sais ni peu ni prou ; quand advint celle
affaire?
DOUCE DAME.
Par ma foi ! il n'y a pas encore longtemps; ce fut
un peu avant carême.
GUILLOT.
C'est trop bon à dire à voire femme; Riquier,
voulez-vous lui mander plus?
RIQUIER.
Ah! gentilhomme, laissez cela; pour Dieu r.a
faites pas de bruit; elle est de si méchante humeur,
qu'elle croil ce qui n'arrive point.
GUILLOT.
Ah ! je dis qu'il faut lenir sa foi envers qui Poft
craint. II est bon que les femmes par leur défense se
fassent craindre et respecter.
11 ANE.
Ah ! c'est la femme de Mathieu l'Anslier, veuvo
d'Arnoul de la Porle. qu'on craint et qu'on supporte;
elle s'aide des ongles et des doigts vis-à vis du bailli
de Yerinandois , cl son mari fut sage de s'être m.
RIOUIER.
Et dans ce voisinage il y a aussi deux femmes :
l'une d'elles est Margot aux Pommeliez, cl l'autre
Aélis au Dragon; et l'une lencc se-' mari, l'aulis
parle quatre fois autant.
1243
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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12il
El Finie lenohc scn-barnu,
Li autre '.iiij. tans parole.
GUILLOS.
A! vrais Diex ! aporte une estoile !
Chis a nommé déus ancmis.
IIANE.
Maislre, ne soies abaubis
S'il me convient nommer le voc.
ADANS.
Ne m'en eant, mais qu'ele ne l'oe ;
S'en sai-je bien d'aussi lenebans :
Li feme Henri des Argans,
Qui grale et resproe c'uns cas,
El li feme maistre Tlioumas
De Darneslal qui maint labors.
H A NE
Cesles ont .c. diables ou cors,
Si je fui onques fiex men père.
ADANS.
Aussi a dame Eve vo mère
H ANE.
Vo feme, Adan, ne i en doit vaires.
GU1LLOT.
Holà! vrai Dieu! qu'on apporte uneétolc! celui-
ci a nommé deux diables.
HANE.
Maître, ne soyez pas étonné s'il me faut nomme;
la vôtre.
ADAM.
Il ne m'importe, pourvu qu'elle ne l'entende. J'en
sais bien d'aussi querelleuses : la femme d'Henri des
Argans, qui gratte et se hérisse comme un chai, et
la femme de maître Thomas de Darnestal qui mène
les travaux.
IIANE.
Celies là ont cent diables au corps, si je fus onc-
i| nos le fils de mon père.
ADAM.
Dame Eve votre mère en a autant.
HANE
Votre femme, Adam, n'est guère en reste avec
elle.
SCENE V.
LES MEMES, UN MOINE.
LI MOINES.
Segneur. me sires sains Acaires
Vous est cbi venus visiter;
Si l'aprochiés tout pour ourer,
El si mesche chascuns s'offrande,
Qu'il n'a saint de si en Irlande
Que si blés miracles fâche ;
Car l'anemi de l'orne encache
Par le saint miracle devin,
Et si warisl de l'esverlin
Communément et sos et soles;
Souvent voi des plus ediotes
A Haspre, no mouslicr, venir,
Qui sont liai lié au départir :
Car li sainsesl.de granl mérite,
Kl d'une ahenguelc pelite
Vous poés bien faire du saint.
MAITRE HENRI,
MAISTRE HENRlS.
Par foy! dont lo-joil c'on i maint
Walel ains qu'il voist empirant.
RIKIERS.
Or chà, sus, Walel! passe avant : \
Je cuit plus sol de li n'i a.
WALÉS.
Sains Acaires que Diex kia,
LE MOINE.
Seigneurs, monseigneur saint Acaire (784) vous
est venu visiter ici. Approchez tous pour prier, et
que chacun mette son ollrande; car il n'y a pas de
saint d'ici en Irlande capable d'aussi beaux mira-
cles : en effet il chasse le diable hors de l'homme
par le saint miracle divin, et il guéril de la démence
les fous et les folles; souvent je vois venir à Haspre,
notre monastère, des plus idiotes qui sont guéries à
leur départ; carie saint esl de grand mérite, et
avec une pelite aumône, vous pouvez tirer bien des
avantages de notre saint.
Donne-me assés de poi piles
785),
SCENE VI.
RIQUIER, WALÉS» LE MOINE.
MAÎTRE HENRI.
Par (ma) foi! je suis d'avis alors qu'on ■ y mène
Walel avant qu'il aille en empirant.
RIQUIER.
Or ça! sus, Walel! passe avant : je crois qu'il n'y
a pas plus fou que loi.
WALÉS.
Saint Acaire, donne-moi mon saoul de pois piles,
c'est moi qui suis appelé fou. Je suis lrès-J oyeux >!e
(78i) Sainl Macaire, disciple de saint Antoine.
(785) Pois piles : pois écrasés, purée. Celte ex-
pression, qui semble devoir être prise dans le sens
naturel dans le vers 3i2 du Jeu Adam, a diverses
significations chez nos vieux écrivains. On appelait
ainsi les farces el les soties à cause du mélange de
folies et de choses sérieuses qui s'y rencontrait. On
donnait aussi ce nom au lieu où ces pièces burles-
ques étaient représentées, comme dans ce passage
îles Aventures du baron de Fœneste, liv. III, chap. 10 :
« Nous estions à la comédie aux poids pilez, un Pa-
risien beslu de biolel se leboil à' tous coups et m'em-
peschoil la bue des youurs, » etc. (T. II. p. 51 de
l'édition de mdccxxxi.) On lit aussi dans le Moyen de.
parvenir, sous le n° xxx, l. 1, p. 150^ de l'édition de
1757. « Vous m'avez empêché défaire le comte de
madame des Manigances, que vous avez nommée
reine des pois piles, parce qu'à la cour elle éloit bien
plus chichement habillée que les autres- » Nicolas
joubert, sieur d'Angoulevent, prince des sols, pre-
nait le titre d'archipoéte des pois piles. Un passage
d'une lettre de Malherbe à Peiresc, du 21 mars
1007, donne le véritable sens de ce mol, qui s'était
pour ainsi dire perdu comme celui de beaucoup
d'expressions populaires : « C'esl assez, monsieur;
il faul finir mes fâcheux discours, qui sont plutôt
pois piles, c'est-à-dire une purée, un salmigondis,
qu'une lettre. » (Lettre de Malherbe à Peiresc;
Paris, Biaise, 1822, in-S° p. 2k) [«. Fr. Michel.]
«••S
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NOTICE SUIl LE THEATRE LIBRE.
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124G
Car je sui, voi, un sol clamés;
Si sui moull lié que je vous voi,
El si t'aport, si con je croi,
Biau nie, .j. bon froumage cras :
Ton mainLenan le mengeras ;
Aulre fesie ne le sai faire.
MUSTRE HENRIS.
Walei! foy que dois sainl Acaire!
Que vauroies-lu avoir mis,
Et lu fusses mais à loudis
Si bons menestreus con les père ?
WALÉS.
Biau nié, aussi bon vielere
Vauroie ore estre comme il lu.
Et on m eust ore pendu,
Ou on m'éust caupé le teste.
LI MOINES.
Par foy ! voiremenl est chis beslc,
Droil a s'il vient a saint Acaire.
Walel, baise le saintuaire
Errant pour le presse qui souri.
WALÉS.
Baise aussi, biaus niés Walaincourt.
LES MOINES.
Ho! Walet, biaus niés, va le sir.
vous voir, et je l'apporte, beau neveu, un bon fro-
mage gras à tout de suite manger; je ne sais le faire
aulre fêle.
MAITRE HENRI.
Walet! par la foi que lu dois à saint Acaire! que
voudrais-tu avoir donné pourêtre toujours aussi bon
inénéirier que ton père?
WALÉS.
Beau neveu, je voudrais être aussi bon joueur de
vielle que lui, dussé-je êire bientôt pendu, ou avoir
la tète coupée.
LE MOINE.
Par ma foi! celui-ci est vraiment une bêle, il
doit venir à saint Acaire. Walel, baise le reliquaire
lotit de suite à cause de la foule qui s'avance.
WALÉS.
Baise-le aussi, beau neveu Walaincourl.
LE MOINE.
Ho! Walet, beau neveu, va l'asseoir.
SCÈNE VII.
LES MEMES, DOUCE DAME.
DAME DOUCE.
Pour Dieu, sire, vocillés me oïr :
Clii envoient défis eslrelins
(lolars de Bailloel et Heuvins,
Car il ont ou sainl granl fianclie.
LI MOINES.
Ben les connais 1res k'es enfanche,
C'aloient tendre as pavillons.
iMelé-; clii devons cbes billons,
El puis les amenés domain.
WALÉS.
Wes-ebi pour Waulier Aleniain,
Faites aussi prier pour lui :
Aussi est-il malades bui
Du mal qui H tient ou chcivel.
IIANE.
Or en faisons tout le vieel,
Pour chou c'on dit qu'il se couiecbe.
S<
LES MÊMES, LE
LI KEWJN6.
LI MOINES.
DAME DOUCE.
Pour Dieu, sire, veuillez m'enlendre : Colars de
B.iilleul el H eu vin envoient ici deux esleilings, car
ils ont une grande conliance dans le sainl.
LE MOINE.
Je les connais bien depuis l'enfance, qu'ils allaient
tendre aux pavillons. Meltez-ici ces pièces de mon-
naie, el puis amenez-les demain.
WALÉS.
Voici pour Waulier Aleniain; faites aussi prier
pour. lui : il est malade aujourd'hui d'un mal au
cerveau.
HANE.
Maintenant faisons toute sa volonté, car, dit-on,
il se courrouce aisément.
:ène vin.
commun (peuple), le fou.
Moie'
Ma volonté?
LE COMMUN.
LE MOINE.
N'esl-il mais nus qui mcclic?
Avés-vous le sainl ouvlié ?
IIFNRIS DE LE IIALE.
Et ves-chi .j. meneau l de blé
Pour Jehan le Keu, no serjanl;
A saint Acaire le commanl.
Piecha que il li a voué.
LI MOINES.
Frère, lu l'as bien commandé :
El où esl-il, qu'i ne vient clii?
HENR1S.
Sire, li maus l'a rengrami,
Si l'a on .j. petit coukicl;
Demain revenra cbi à piel,
So Dic\ plaist. et il ara micx.
N'y a-t-il plus personne qui nielle? Ave/.-vous ou
blié le saint?
HENRI DE LA HALE.
Et voici une mesure de blé pour Jean le keu,
noire serviteur; je le recommande à sainl Acaire.
Voici longtemps qu'il lui a fait un vœu.
LE MOINE.
Frère, lu l'as bien recommandé : et où est-il.
qu'ilnc vient ici ?
HENRI.
Sire, le mal l'a rendu plus malade, cl on Ta un
peu couché ; demain il reviendra ici à pied, s'il plali
a Dieu, el il at»ra mieux.
12*7
AD A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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12*8
LI TERES.
Or chà! levés vous sus, biaus fiex;
Si vends le saint aourer.
LI DERVÉS.
Que c'est? me volés-vous tuer?
Fiex à putain, lcres, érites,
Créés-vous, lâches ypocriles.
Laissie-me aler, car je suis rois.
LI PERES.
A! biaus doux fiex, séés-vous cois,
Ou vous ares des enviaus.
LI DERVÉS.
Non ferai; je sui uns crapaus
Et si ne inengue fors raines.
Escouiés : je fais les araines.
Esl-clie bien fait? ferai-je plus?
LI PERES.
Ha ! biaus flous fiex, séés-vous jus ;
Si vous metés à genoillons,
Se che non, Uobers Soumillnns,
Qui est nouviaus prinche du pui,
Vous ferra.
LI DERVÉS.
Bien lue de lui :
Je sui miex prinches qu'il ne soit.
A sen pui cam bon faire doit
Par droit maislre Watiliers as Paus,
El uns autres leur paringaus,
Qui a non Thoumas de Clari :
L'auslrier vanter les en oï.
Maislre YVausliers jà s'entremet
De chanter par mi le cornet,
El disl qu'il sera couronnés.
MAISTRE HENRIS.
Dont sera chou an ju des dés,
Qu'il ne quierenl autre déduit.
LI DERVÉS.
Escoutés que no vache mnil ;
Maintenant le vois faire prains.
LI PERES.
A ! sos puans, oslés vos mains
De mes dras, que je ne vous frape.
LI DERVÉS.
Qui est cliieus clers à celé cape?
LI PERES.
Diaus fiex, c'est uns Parisien*.
LI DERVÉS.
Che saule miex uns pois baiens,
H au !
LI PERES.
Que c'est? Taisiés pour les dames
LI DERVÉS.
Si li sousvenoil des bigames,
H en seroil mains orgueilleus.
RIKIERS.
Enhencl maislre Adan, or soni .ij.;'
l'ie.i sai que cesle-chi est veç.
ADANS.
Que set-il qu'il blâme ne loe?
Point n'a conie à cose qu'il die;
Ne bigames ne sui je mie,
El s'en sonl-ils de plus vaillans.
MA1STRE Ï1ENRIS.
Cerlesli meffais fu Irop grans,
Et chascuns le pape encosa
Quant tant de bons clers desposa.
Ncpourquant n'ira mie ensi,
LE PÈRE.
Or cà, levez-vous, beau fils, et venez prier le
saint.
LE FOU.
Qu'est-ce? me voulez-vous tuer? Fils de lar-
rons, hérétiques, croyez-vous , lâches hypocrites.
Laissez-moi aller, car je suis roi.
LE PÈRE.
Ah! beau doux fils, asseyez-vous tranquillement,
ou vous aurez des enviaus.
LE FOC.
Non, non, je suis un crapaud, et je ne mange que
des grenouilles. Ecoulez : je fais les araignées. Est-ce
bien fait? ferai-je davantage?
LE PÈRE.
Ah ! beau doux fils, asseyez-vous; mettez-vous à
genoux; sinon Roben Soumillons, qui est nouveau
prince du puy, vous frappera.
LE FOU.
Je me moque bien de lui : je suis plus prince qu'il
n'est. Maître Wautiers aux Pouces doit faire chanson
Îar droil à son puy, et un autre leur égal, qui a nom
'boutas de Clari : l'autre jour je les entendis s'en
vanter. Maine Wauliers se mêle déjà de chaîner
dans le cornet, et dit qu'il sera couronné.
MAITRE UE.NRI.
Ce sera donc au jeu des dés, car ils ne cherchent
d'autre amusement.
LE FOU.
Ecoutez que notre vache mugit; maintenant je
vais la rendre pleine.
LE PERE.
Ah! sol puant, ôlez vos mains de mes h?bils,
sinon je vous frappe.
le fou.
Quel est ce clerc avec cène cape?
le père.
Beau fi's, c'est un Parisien.
LE FOU.
Celui-ci ressemble mieux à un pois noir. Bau !
LE PÈRE.
Qu'est-ce? Taisez vous pour les dames.
LE FOU.
S'il lui souvenait des bigames, il en serait moins
orgueilleux.
RIQUIER.
Enhenc! mailre Adam, elles sont deux a présent;
je sais bien que celle-ci est la vôtre.
ADAM.
Que sait-il de ce qu'il blâme ou loue? qui croit à
ce qu'un fou dit? Je ne suis point bigame, quoiqu'il
n'y ail guère de plus vaillant.
MAÎTRE HENRI.
Certes, le méfait fui irop grand, el chacun accusa
le pape quand il déposa tant de bons clercs. Cepen-
dant cela n'ira pas ainsi , car quelques-uns des
meilleurs et «tes plus riches se sont roidis; ils ont
IU9
AOV
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ÂDA
1250
Car aucun se sont aali
Des plus vaillans ei des plus rikes,
Qui ont trouvées raisons Cliques,
Qu'il prouveront tout en aperl
Que nusclers, par droit, ne désert
Pour mariage estre asservis;
Ou mariages vaut trop pis
Que (leniourer en soignantage.
Comment, ont prêtas l'avantage
D'avoir fenies à remnier,
Sans leur privilège cangier,
Et uns clers si perl se frauqiiise
Par espouser en sainte Eglise
Eame qui ait autre baron!
Et li lil à putain laron,
Où nous devons prendre peulure,
Mainenlen pecliié de luxure
Et si goent de leur cleigie!
Homme a bien le lierche partie
Des clers fais sers et anialis.
GllILLOS. ,
Piumus s'en est bien aalis,
Se se clergie ne li tant,
Qu'il r'avera «:he c'on li laul ;
Poura mètre .j. peson d'esloupes.
Li papes, qui en cliou eut coupes,
Est eueccux quant il est mors ;
Jà ne fusl si poissans ne fors
C'ore ne l'éusl desposé
Mal li éusl oneques osé
ïolir privilège de clerc,
Car il li éusl dit esprec
El si éusl fait l'escarbole.
Il ANE.
;>îonl est sages, s'il ne radote ;
Mais Mados et Gilles de Sains
Me s'en atisseut mie mains.
Maislres Gilles ert avoias ;
Si mêlera avant les cas
Pour leur privilège ravoir,
El disl qu'il livrera s'avoir
SeJebans Crespins livre argent;
lu Jebans leur a en couvent
Qu'il livrera de l'aubenaille ;
Car mont ert dolans s'on le taille.
Chis fera du frail par tout lin.
MA1STKE HENRI S.
Mais près de mi sont doi voisin
Eu cite qui sont bon notaire;
Car il s'alissenlbien de faire
Pour nient tous les escris du plail;
Car le fait iierient à irop lait,
Pour ebou qu'il sont andoi bigame.
UC1LL0S.
Qui sont-il?
MA1STRE IIENR1S.
Colars l''ousedante„
Et s'est Gilles de Douviguies ,
Chisl noteront par aalies,
Eusaide plaideront pour tous.
GDILLOS.
Enhenc! maistre Henri, et vous,
Plus d'une feuie avés eue;
El s'avoir volés leur aieuc
Mètre vous i couvienl du voe.
MA1STRE HENR1S.
Gillol, me faites-vous le moe?
Par Dieu! je n'ai goule d'argent;
Si n'ai mie à vivre granmeni,
Et si n'ai meslier de plaidier,
Point ne me convient nsoignier
Les tailles pour cliose que j'aie.
trouvé de bonnes raisons par lesquelles ils prouve-
ront clairement que nul clore, suivant le droit , ne
mérite pour se marier d'ëlre réduit en servit :t îe;
sinon le mariage esi pire que le concubinage. Eli !
quoi, les prélats auraient l'avantage d'avoir des
femmes à rechanger sans changer leur privilège, et
un clerc perdrait sa franchise en épousant en sainte
Eglise femme qui ait autre mari! et les lits de ,
les larrons, sur lesquels nous devons prendre mo-
dèle, ils demeurent dans le pét-hié de luxure et se
jouent à ce point de leur caractère de clere ! Home
a bien réduit la troisième partie des clercs à l'état
de servitude et de main morte.
GC1LLOT.
Plumus s'est bien décidé, si sa science de clerc
ne lui manque pas, à ravoir ce qu'on lui enlève. 11
pourra mettre une eh ,rgc d'étoupes. Le pape qui
en cela esl coupable, est heureux d'être mort. Il
n'eût pas été tellement puissant ni l'on que celui-ci
ne l'eût déposé. H lui serait advenu malheur d'oser
lui enlever son privilège de clerc, car Plumus lui
aurait dit eaprec el aurait fait Vescarbote.
hane.
11 est sage, s'il ne radote pas; maisMados et Gilles
de Sens ne s'en roidissenl pas moins. Maître Gilles
l'avocat mettra en avant les cas pour ravoir leur
privilège, el il dit qu'il livrera son avoir si Jean
Crespin donne âe l'argent; el Jean est convenu qu'il
livrera de Wiubenaille; car il sera très-fàché si on
l'impose à la taille. Celui-ci fera du bruit de toute
manière.
MAITRE HENRI.
moi sont deux voisins
Mais près de moi sont deux voisins en ville qui
sont bons notaires, car ils ée proposent bien de faire
pour rien tons les écrits du procès : ils ont horreur
du débat, car ils sonl tous deux bigames.
GU1LLOT.
Qui est ce donc?
MAÎTRE HENRI.
Colars Fouscdanic, cl Gilles de Bouvignies. En
voilà qui rempliront leur olliee de notaires avec ar-
deur; à eux seuls, ils plaideront pour tous.
GUILLOT.
Enhenc! maître Henri, et vous, n'avez-vous pas
en plus d'une femme; si vous voulez avoir leur aide,
il vous faut y mellre du vôtre.
maItre HENRI.
Guillot, me faites-vous la moue? Par Dieu! je n'ai
goutte d'argent. Je n'ai pas grandement à vivre, cl
je n'ai pas b'esoin de plaider, je n'ai point à craindre
les tailles pour chose que j'aie. Qu'ils prennent Mario
la Jaie : aussi sait-elle assez de chicane.
a:,\ ada
II prengnent Ma rien le Jaie :
Aussi set-ele plais assés.
CUILLOS.
Voire, voir, assés amassés.
MAISTRE HENRIS.
Non fai, loin emporte li vins.
J'ai servi lonc lans eskievins,
Si ne vœil point eslre contre ans;
Je perderoie anchois .c. saiis
Que g'ississe de leur acort.
CUILLOS.
Tondis vous tenés au plus fort,
Chc wardés-vous, iraisire Henri
Par foi! encore est-clie bien chi
Uns des trais de le vielle danse.
LI DERVÉS.
Ahai! chis a dit comme Hanse
Le Geule : je le vois tuer.
LI PERES AU DERVÉ.
A! biaus dous lies, laissiés este» :
C'est des bigames qu'il parole
LI DERVÉS.
Et vés me chi pour S'aposloile!
Faites-le donc avant venir.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
Iî5i
GUILLOT.
Vraiment, vraiment, vous amassez assez.
MAÎTRE HENRI.
Non pas, le vin emporte tout. J'ai servi long-
temps échevins, je ne veux point être contre eux. Je
perdrais cent sous plutôt que de me brouiller avec
eus.
GUILLOT.
Toujours vous tenez au plus fort.de ceci vois
prenez garde, maître Henri. Par ma foi? encore
esl-ce bien ici un des traits de la vieille danse.
LE FOU.
Ahai ! celui-ci a dit comme Manse la Gueule : je
le vais Hier.
LE PÈRE DU FOU.
Ah! beau dous (ils, laissez tomber cela : c'est des
bigames qu'il parle.
IF. FOU.
Et me voici pour le pape! Faites-le donc avant
venir.
SCÈNE IX
LES MEMES, LE Pi:RF. DU FOL'.
LI MOINES.
Aimi, Dieus! qu'il fait bon oir
Che sol-là, car il dist merveilles'
Preudons, dist-il tant de bn.beilles
Quant il est en sus de le g-.iiil?
Ll PERES.
Sire, il n'est onques autrement :
Toudis rede-il, ou cante, on lirait;
Et si ne sel oneques qu'il fait.
Encore sct-il mains qu'il dist.
Il MOINES.
Combien a que li maus li prist?
Ll PERES.
Par foi? sire, il a bien .ij. ans.
Ll MOINES.
El dont esles-vous?
Il PERES.
De Duisans.
Si l'ai wardé a granl meschief.
Esgardés qu'il hoche le chief!
Ses cors n'est onques à repos.
II m'a bien brisiet .ij.c. pos,
ar je sui potiers à no vile.
Ll DERVÉS.
J'ai d'Anséis et de Marsile
Bien oï canler Hessclin.
Di-je voir, tesmoins ce latin ?
Ai-je emploie bien .xsx. saus?
II me bal tant, chi grans ribaus,
Que devenus sui uns choies.
LI PERES.
II ne sait qu'il [fait] li variés,
Bien i pert quant il bal sen pères.
Ll MOINES.
Bians preudons, par l'ame te mère,
Fai bien : maine l'eut en maison ;
Mais fai chi avant l'orison ,
Et offre du lien, se lu' l'as;
Car il est de veillier trop las,
Et demain le ramenras chi
LE MOINE.
Ah, Dieu! qu'il fait bon entendre ce fou-là, car
il dit merveilles! Prud'homme, dit-il autant de sot-
tises quand il est hors de la présence du public?
LE PÈRE.
Siie.il n'en est jamais autrement : toujours il
rêve, ou chante, ou brait; et s'il ne sait pas ce qu'il
fait, encore moins sail-il ce qu'il dit.
LE MOINE.
Combien y a-l-il que le mal le prit?
LE PÈRE.
Par ma foi! sire, il y a bien deux ans.
LE MOINE.
Et d'où èles-vous?
LE PÈRE.
De Duisans. Je l'ai gardé a mon grand souci. Re-
gardez comme il hoche le chef! Son corps n'est
jamais en repos. II m'a bien brisé deux cents pots,
car je suis polier dans notre village.
LE FOU.
J'ai d'Anséis et de Marsile bien ouï chanter Hes-
selin. Dis-je vrai, témoin ce talin? Ai-je bien em-
ployé trente sous? II me bal tant, ce grand ribaud,
que je suis devenu un marlyr.
LE PERE.
Il ne sait ce qu'il fait, le jeune homme; il y parait
bien quand il bat son père.
LE MOINE.
Beau prud'homme, par l'âme de ta mère, fais
bien : emmène-le en la maison; mais fais iri avant
tes prières, et offre du lien, si lu en as; car ii est
un peu las de veiller. Demain tu le ramèneras ici ,
quand nu peu il aura dormi : aussi ne fait-il que
rabâchages.
1253
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
A m
«:;•
Quanl un peu il ara dormi :
Aussi ne faii-il lors rabâches.
LI DERVÉS.
Disl chiex moines que tu me bâches?
LI PERES.
Ncnil, hiaus liex. Anons-nous-enl.
Tenés, je n'ai or plus d'argent.
Biaux (les, alons dormir .j pau ;|
Si prendons eongié à tous.
LI DERVÉS.
Bail!
IUQUIÈCE-AÙR1S,
RIQUECE AURR1S
Qu'est-che? Seront hui mais riolcs?
N'arons hui mais fors sos et soles?
Sire moines, volés bien faire?
Mêles en sauf vo sainluaire.
Je sai bien, se pour vous ne fust,
Oue piecha chi endroit éust
Granl merveille de faërie :
Dame Morgue et se compaiguie
Fusl ore assise à cesle taule;
Car c'est droite coustume eslaule
Qu'eles vienenl en cesle nuit.
LI MOINES.
Biaus dous sires, ne vous anuil;
Puis qu'ensi esl, je m'en irai ;
Offrande hui mais n'i prenderai;
Mais souffres voiaus que chaiens soie,
Et que ches grans merveilles voie.
Ne's querrai, si verrai pourcoi.
RIKECE.
Or vous laisiés dont trcsloul coi,
Je ne cuit pas qu'ele demeure;
Car il esl aussi que seur l'eure
Eles sont oie eus ou chemin.
GU1LLOS.
J'oi.le maisnic llielekin ,
(78G) M. Fr. Michel renvoie, pour Ilellequin, au
Livre des Légendes do M. Leroux «le Lincy (p. 148) ,
«•l y joint ici une curieuse tradition conservée dans
la Chronique de Normandie :
Comme Charles te Quint, jadiz roy de France, et ses
yens avec tmj s'aparurenl après leur mort au duc
llichurd sans-paour.
« Une autre moult (sic) merveilleuse aventure ad-
vint au duc Kichard-sans paour. Vray esl qu'il esloit
en son chasteau deMoulineaux-sur-Saine,el une fois
ainsi comme il se alloil esbaue après souper au bois,
luy et ses gens ouyrenl une merveilleuse noise et
horrible de granl multitude de gens qui estaient en-
semble, se leur sembloil , laquelle noise approchoil
lousjoiirs de eulx ; et si comme le duc et ses gens
ouyrenl la noise aprocher ilz se resconsèrenl delez
ung arbre, ei là le duc Richard envoia de ses gens
espier que c'esloit. El lors ung des escuiers an duc
vil que ceuly qui faisoicnl celle noise s'esloient ar«
restez dessoubs ung arbre , et commença à regarder
leur manière de faire et leur gouvernement , et vit
que c'esloilung roy qui avoitavec lui granl compai-
gnie de toutes gens; et les appclloit-un la Mesguie
lleni. juin en commun langaige; mais c'esloit !a
Mesguie Charles Quint, qui lui jadiz roy de France.
Quant celuy roy et sa iiiesgnie qui celle noise fai-
saient lurent partis, l'escuyer vint au duc Richard cl
luy coma loul l'affaire et le gouvernement que il
avoil veu de la mesguie Charles Quint qui telle noise
laisoient. El continuellement venoil celle avanlure
en la foresl de Moulineaux près du ebasieau, irois
LE IOU.
Ce moine dit-il que lu nie battes?
LE PÈRE.
Nenni, beau fils. Allons-nous-en. Tenez, je n'ai
maintenant plus d'argent. Beau fils, allons dormi;
un peu; ainsi, prenons congé de tous.
LE IOU.
Rau !
2 X.
LE MOINE, GGILLOT.
RIQUIÈCE AURRIS.
Qu'est-ce? y aura-l-il aujourd'hui davantage de
disputes? IN'aurons-iious aujourd'hui que fous et
folles? Sire moine, niellez en sûreté votre reliquaire.
Car, sans vous, il y a longtemps, il y aurait déjà ici
grand' merveille de féerie : dame Morgue el sa com-
pagnie seraient maintenant assises à celle table;
laiil c'est une vieille coutume qu'elles viennent dans
celle nuit.
LE MOINE.
Beau doux sire, ne vous fâchez pas... je m'en irai;
je ne recevrai plus aujourd'hui d'offrande. Ah!
pourquoi ne me pas laisser céans, pour que je voie
ces grandes merveilles. Je n'y croirai qu'en les
voyant.
RIKECE.
Bon. Taisez-vous et tenez-vous tranquille. Je ne
crois pas qu'elle larde; car certainement, à celle
heure, elles sont en chemin.
GUILLOT.
J'entends la suite d'Hielekin (786), à mon escienl,
fois la sepmaine. Adonc pensa le duc Richard que,
s'il povoil, il sauroit quelz gens c'esioienl qui sur la
terre venaient faire telles assembleez sans son eongié.
Lors assembla de ses plus privez chevaliers jusques
au nombre de cent à six vingtz des plus preux el
hardiz qu'il peut finer en '.ouïe Normendie, et leur
conta comme en sa terre, jouxte son chasteau de Mou-
lineaux, en la foresl, advenoil par plusieurs fois à
l'asserant ung roy qui estait acompaigné de plusieurs
manières de gens qui merveilleusement granl noise
el horrible laisoient, et se reposoient dessoubz ung
arbre qui là esloit. Si leur commanda qu'il/, s'armas-
sent el allassent avec luy guetter el ouyr quelz gens
c'esioienl. Et le? chevaliers respo:idirent que 1res
voulenliers ilz iroicnl avec luy, et que pour vivre
ne pour mourir ils ne le laisseraient. Si advint que
le dit Richard sans-paour et ses chevaliers s'en vin-
drent à Moulineaux, et là firent dedens la foresl
leur emhusche jouxte cl joignant de l'arbre sonhz
lequel le roy el sa mesgnie s'arresloieni. Et inconii-
nailt comme à heure d'entre chien el leu, à l'aves-
pranl, ilz vont ouyr une si très grant noise el si h* i-
rihle que merveilles, elveirenl comme deux hommes
prindrent ung drap de plusieurs couleurs, scieur
sembloil, nue ilz cslendirenl sur la terre el ordon-
nèrent par sièges comme s'ils vouloient ordonner
siège royal. El puis après veirenl venir ung roy acom-
paigné de plusieurs manières de gens, qui merveil-
leusement grant noise el espovanlable laisoient.
Celui roy se seoil en siège royal, el là le saluoient
et sçr voient ses gens comme roy; mais tous les
chevaliers, gens du duc Richard, eurent si liés grau'
(253 ADA DICTIONNAIRE DES MYSTERES
Mien ensianl, qui vient devant
Et mainte clokcle sonnant;
Si croi bien que soienl chi près.
LA GROSSE FEME.
Yenront dont les fées après?
ADA
fi
00
qui vient devant en sonnant mainte cloche! te. i"
crois bien qu'ils sont ici près.
LA GROSSE FEMME.
Les lees viendionl donc après?
Fréetir et horreur depaour qu'ilz s'enfuyrent ça et là
et laissèrent le duc Richard tout seul. Adonc le
duc Richard vil que tous ses chevaliers s'en esioient
fuys sans arroy comme gens esperdus, si disl en son
cueur que ja reproche ne luy seroil qu'il s'en fiist
enfuy; mais voit que le roy esloil assiz sur le drap
en siège royal avec sa mesgnie dessoubz le grant
arbre. A donc le duc Richaid-saiis-paour saidt à
deux piez sur le drap, et disl au roy qu'il le conjure
de par Dieu qu'il luy die qui il est, et qu'il vient
quérir sur sa terre, e< queiz gens sont avec luy. Et
lois le roy Charles Quint et toute sa mesgnie, quant
ilz se voient ainsi contrains de par Dieu et conjurez
de dire qui il est el quelz gens ce sont avec luy, lors
dit au duc Richard : i Je suis le roy Charles Quint
« de France, qui de ce siècle suis Irespassé, et f.tis
« ma pénilance despéchez quej'ay lais en ce inonde;
« el icy sont les aines des chevaliers et autres ge:;s
« qui me servoient, lesquelz par les démérites de
i leurs péchez font leur pénilance. » — « Où allez-
< vous? » dislle duc Richard. Dit le roy : « Nous allons
« nous combalre sur les mescréans Sarrasins et
« aines danneez pour nostre pénilance faire. » Or » dit
le duc Richard: « Quant revemlrez-vous? > Dit le roy :
« Nous revendrons environ l'aube du Jour, el toute
i nuyl nous comhalrons à eulx. Laisse-nous aller. >
— < Non l'eray, dit le duc Richard; car pour vous
< aider à combalre veuil-je aller avec vous, i Or dit
la roy : < Pour quelque chose que lu voies ne laisse
« allerce drap sur quoy tu es, el le lieu bien, i — « Si
feray-je, » dit le duc Richard. « Or parlons, t Adonc
partirent le dit Riehard-sans paour, Charles-Quint
el sa mesgnie faisans grant noise et icinpesle; et
comme vint à heure de inyuuyl, ledit Richard ouyt
son. ter une cloche comme à une abbaye ; el lors de-
manda où c'esloil que la cloche sonnoil el en quel
pais ilz esloienl. El le roy lui dit que c'esloient ma-
tines qui sonneient en l'église de saincie Katherine
du monl Sinay. El le due Richard, qui de tout temps
avait acoustumé d'aller à l'église, dit au roi qu'il
y vouloit aler ouyr matines. Lors le roy disl au
«lue Richard : c Tenez ce paon de ce drap, cl ne
« laissez poini que tous jours vous ne soiez dessus,
« et allez à l'église prier pour nous, el puis au
« retourner nous vous revendrons quérir, i Lors
vinl le duc Richard à lout son paon de drap que
le roy luy avait baillé, el entra en l'église de saincie
Katherine du Mont Sinay; el quand il eut son
oroison linée, il tourna parmi l'église, el là vil de
inonlt belles richess^s el de moult belles reliques
et merveilleuses choses, comme de carquans et au-
tres ferreniens de prisonniers. Et ainsi comme il vint
à entrer en la chapelle fondée de la glorieuse vierge
Marie mère de Dieu, il vit ung sien chevalier, son
parent, lequel esloil léans el servoil pour gaigner
sa vie, car il y avoil sept ans qu'il estoit prisonnier
es mains des Sarrasins; mais ung religieux de l'é-
glise l'avoii pleigé de tenir prison léans. El adonc
le duc Richard vinl à luy el luy demanda connue il
le faisoil et de quoy il servoil léans. El adonc le
chevalier respondil au duc Richard qu'il y h voit
sept ans passez que il avoil esté prius en la bataille
des Sarrasins; niais ung des religieux de léans l'avoit
pleigé de tenir prison pour le servir et gaigner sa
vie, car il n'a voit par qui il peusl mander que oit le
déhvrasl par rançon ou ung homme pour homme.
El adonc le duc Richard luy demanda s'il vouloit au-
cune chose mander à sa femme el à ses gens. Et il
luy dit qu'il se recoinmandoit à elle. Et adonc le
<Juc Richard luy dit que sa femme esloil fiancée cl
qu'elle devoit espouser dedens trois jours, el il y
seroil, s'il plaisoil à Dieu, car il luy avoil enconve-
n.tnlé et promis. Et adonc le chevalier pria au due
Richard comme il dis! à sa femme qu'il vivoil <mco-
res. « Elle ne me croira pas, » dit le duc Richard,
c Sifera,» dit le chevalier ;i cl luy direz pour voir en
« icelles enseignes que quand je partiz d'elle à venir
t par deçà en bataille où je fus prins, que l'anel de
i son doy dont l'espousay, je le partyz en de ix
< pièces dont une partie luy demoura, elj'ay l'autre
« que veez cy, nue vous luy poilerez pour enseignes. ,
— «Or bien, • dit le duc Richard,» ainsi sera l'ail, et
« luy dira y au sourplus, se Dieu plaisi, que je mel-
« Iray peine à voslre délivrance. > Et ainsi, comme
le chevalier demandoit au duc Richard qui léans
l'avoit amené, el comme il y estoit venu, el quant
il parti du pais, et comme il relourneroit, si brief
comme il disoil el aussi parloienl de plusieurs choses
ensemble comme à la fin de matines. Après ces cho-
ses parleez le duc Richard ouyt et entend venir le
roy el sa mesgnie, si prend congié an chevalier et
is't hors de l'éjlise saincie Katherine du monl Sinay,
el tr uve le roy el sa mesgnie qui s'en veunieul si
travaillez, si bains el si navrez que à merveilles. Et
lors le duc Richard prenl son paon de drap et saull
avec le roy Chai les Quint el sa mesgnie, et s'en vio-
drent singlanl comme vent cl tempeste. El quant
vint aussi comme à l'aube du jour le duc se apl'oinma
pour dormir, qui las el travaillé esloil; et p.iis s'es-
veilla et se trouva au bois de Moulmeaux dessoubz
l'arbre où il avoil premier trouvé le ri=y Charles
Quint cl sa mesgnie, sans plus rien veoir ne trou-
ver; el se trouva tout seul, el lors mer ci a Dieu qui
grâce luy avoil donnée d'eslre retourné sauvéinent.
Adonc le duc Richani-sans- paour s'en vînt au
chasleau de Moulincaux, el là trouva partie de se»
chevaliers qui fuys s'en esloienl, el partie en esloienl
encores dedens les bois uiucez pour paour de ce que
ils avoient veu et ouy et aussi pour double qu,^ leur
seigneur, le duc Riehaid, ne fusl mort. A donc partit
le iluc Richard de Moulincaux el s'en vinl à Rouen;
el là esloil la dame qui espouser devoit le second
jour ensuivant, laquelle estoit femme du chevalier
qui esloil prisonnier cl lequel le duc avoil trouvé en
l'église de saincte Katherine du mont Sinay. Lors dit
le duc à la dame que son seigneur de mari vivoil
encores et qu'il se recominandoil à elle. El elle res-
pondil au duc Richard : < Sire, mon seigneur de
« mary esl mort el enfouy passé a vii. ans, car
« ceulx qui le veirenl mort le me ont dit et lesmoi-
« gué pourvray; et ainsi le croy : Dieu lui face
t pardon à l'aine! ^ Adonc peint le dnc Richard
sans-paour à couleur muer et dit : 4 Daine, par n a
« foy ! hier au soir à myenuUje le viz el p.nlay à
i luy en l'église de saincie Katherine du mont Sinay,
< et vous manie par moy que vous l'attendez 1 1
< gardez voslre foy, comme vous luy promettes au
• département «le luy, en iceiles enseignes do l'anel
« de vosire »!oy et de quoy il vous avait espomée il
s (ist deux pailies, dont l'une il vous laiss.i el l'ai:-
t ire il emporta. El pour ce veuil que la partie
« que vous avez, pré.-e.iicmenl me baillez. » Et la
dame va à son escrin cl prenl la partiede l'ami
qu'elle avoil, et la bailla au duc. El le iiin' Richard
la prinl el lire l'autre partie de l'anel que le che-
valier lui avait baillée. El lors dit devant la dame
cl ions les chevaliers et escuiers qui là esloienl :
« Doulx Dieu, si comme c'est vray (pie le chevalier
« vil qui cest anel partyl en deux, en. souvenance
« de vraie foy de mariage puisse rejoindre prése.i-
12»>7
ADA
NOTICE SUR LF THEATRE LIBilË.
ADA
1255»
CIII.LOS.
Si m'aïl Diex, je croi c'oil.
RAI.NNELÉS A aDANS.
Aimi ! sire, il i a péril;
Je vauroie oie estre en maison.
ADANS.
Tais-le, il n'i a fors que raison ■
Çhe sonl bêles daines parées.
RAINNF.LÉS.
En non Dieu, sire, ains sonl les fées,
•e m'en vois.
ADANS.
Sic- loi, lïbaudiaus.
CUII.L0T.
Si Dieu m'aide, je crois que oui.
RA1NNELET A ADAM.
Hélas! sire, il y a péril; je voudrais maintenant
élre en ma maison.
ADAM.
Tais-loi, il n'y a que raison : ce sonl belles dames
parées.
RAINNELET.
Au nom de Dieu , sire , mais ce sonl les fées. J«
m'en vais.
ADAM.
Assieds loi, petit ribaud.
SCENE XI,
LES MÊMKS, CROQUESOS.
CROQESOS.
Me siel-il bien li hurepiaus?
Qu'esl-che? n'i a-il clii autrui?
Mien ensient, dechéus sui
En che que j'ai trop demouré ,
Ou eles n'on (sic) point clii esié.
Diles-me, vielles reparée,
A clii esté Morgue li fée,
Ne ele ne se compaignie?
DAME DOUCE.
Nenil voir, je ne les vi mie :
Doivei t eles par clii venir?
crokesos.
Oïl, cl mcngier à loisir,
n lemenl! • Et ainsi fut fait par le plaisir de Dieu.
Adonc dit la dame qu'elle attendrait son mari et
seigneur, puisque Dieu luy en avoit donné par son
plaisir grâce d'en avoir vraie congnoissance. El lors
le duc Richard demanda aux chevaliers qui fuys
s'en estoienl que esloienl devenus leurs conipai-
gp.ons; ei eulx, qui honteux furent, respondirent
qu'ilz ne savoienl. Adonc les fisl cerclier et quérir
paimy le bois, et puis leur coula son aventure
comme il avoit trouvé le roy Charles Quint de
Erance et sa mesgnie, el comme ilz s'en alloient
rombatre aux aines danneez pour leur pénilanee
faire, et comme il s'en alla avec eux, el quant vint
à mymtil il ouyt sonner une cloche el lors demanda
en quel pais il es toit; el le roy Charles Quint el sa
mesgnie lui dirent qu'ilz esloienl sur le monl Sinay
el que c'esloit en l'église de saine le Kalherine; el
lors le duc y alla el là trouva le chevalier prison-
nier, cl quant vint comme à la fin de matines, il
ouyt le roy el sa mesgnie venir, el prinl congié du
chevalier, el issil hors de l'église el puis s'en vinl à
eulx. El quant vint comme à l'aube du jour le sommeil
le pri ut, et se aplomina el puis s'esvcilla el se trouva
tout S'iil à l'arbre de Moulmeaux , et ne sceusl que
te roy Charles le Quint, jadiz roy de France, el sa
mesgnie esloienl devenus. Adonc le duc Richard-
sans-paour, en L'honneur de Dieu le créateur et de
la glorieuse vierge Marie et de la glorieuse sainte
Kalherine servie eu mont de Sinay, el pour alléger
la péni tarée de l'aine du roy Charles le Quint et de
sa mesgnie, fisl moull de biens en saincle église, et
fisl faire le service moult solennellement pour le
roy et sa mesgnie que l'en disoil la mesgnie Charles
Quint, qui jadis fut roy de France, comme devant est
dit. El aussi le duc Richard avoit en sa maison ung
admirai sarrasin, qu'il délivra pour son chevalier
lequel estoil prisonnier es mains des Sarrasins et
lequel servoit en l'église de saincle Kalherine du
mont du Sinay pour sa vie avoir seulement, lequel
chevalier fut délivré pour l'admirai sarrasin, et s'en
vinl en Nonnendie, el fut avec la dame sa femme
Diction*, des Mystères.
CROQUESOS.
Me va-t-il bien le chapeau? Qu'esl-ce? N'y a-l-il
ici personne? Suis-je joué? Ai-je trop tardé, ou ne
viennent-elles point ici? Diles-moi, vieille réparée,
Morgue la fée est-elle passée par ici, elle el sa com-
pagnie?
CAME DOUCE.
Nenni vraiment, je ne les vis pas : doiveni-elles
venir par ici?
CROQUESOS.
Oui, et manger à loisir, ainsi qu'on me l'a fait en-
qui sept ans l'avoil attendu, laquelle se vouloit re-
marier de nouveau quant le duc Richard luy dil que
son seigneur vivoil, el par lanl délaissa du tout son
nouveau espoux ou fiancé, el attendit son loyal
seigneur, et vesquirenl plus longuement ensemble. >
Les Croniques de Nurmeiidie imprimée z el acomplies
à Rouen le quatorzième jour de may mil. cccc. qua-
tre-vingtt et sept, eic, in-folio, chapitre lvii, feuille
signée eiii.
Le passage suivant, écrit en patois qui approche
du flamand, nous semble aussi contenir une allusion
à llcllcquin :
Syggeur, or escoulés, que Dex vos sot amis
Van rui de sinte glore qui en de croc fou mis !
Assés l'avés oîi van Gerbert, van Gefin,
Van Willeme d'Oeuge qui vail de ciel haiclio,
Van coule de Boni 'igné, van conte H< .lequin
El van Froiiiont de Lens, van son til Frctnondiii,
Van Karleiname d'Ais, van son pè e l'aipin ;
M»isjodir3 liiuns mos qui bien dol estre emprifl.
Le vi r istronl bien fat, il ne sonl pas frurins,
Ains sont de tons estuires, si com dist li escr ns :
Ce fut van Kovison que de lans fu saerins,
Que d'alusete cauie van soir et van malin,
Le losele. est kiie, ce fu à put eslius,
Por aler sour Noevile le casiel asahr ;
Le vile sont sloumie là jus en ce gardins,
Flatnenc se sont saidlé plus de Iros liés.xx
Maquesai Kaquuioghe el se m s iioidekiu
KtHues Audenare cl Simon M n^sekin,
ltiqueiore du Pré et Wisiasse Stalin
El Vineanlde Darbier .i. autre Roelin,
Fl si vinl Escouarl courant *or se palin,
J. a\ilre Sparoare Gili-lteri Dicrekin,
Fl loin le tJoc?rdenl cascuu dist esquielic.
Si fn escauveçani Willeme Scoueliu,
F si fu Hoitd remarc .i. aulre Claicquin ;
(Jne pareni de Qucnmze el (pic l'Armanl cousin
Il l'ureui bien nos mile, ce le&qioigue lYscrin.
(Manuscrit du Roi, supplément français, ng 184,
folio "213 recto, colonne 2, v. 51.)
40
1259
ADA
Ensi c'on m'a fait à entendre.
Chi les me convenra atendre.
rikece.
A! cui ies-lii, di, barbuslin?
crokesos.
Qui?jou?
RIKECE.
Voire.
CROKESOS.
Au roy Hellekin*
Qui chi m a tramis en mesage
A me dame Morgue le sage,
Que me sire aime par amour :
Si ralentirai chi enlour,
Car eles me misent chi lieu.
RIKECE.
Séés-vous dont, sire courlieu.
CROKESOS.
Volentiers, tant qu'eles venront.
0! vés-les chi!
R1KIERS.
Voi rement sont :
Pour Dieu or ne parlons nul mol.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES: ADA 1260
tendre. Allons c'est bien ici qu'il faut les attendre.
RIKECE.
A qui es-tu, dis, homme d'armes?
CROQUESOS.
Qui? moi?
Oui vraiment.
RIKECE.
CROQUESOS.
Au roi Helleqnin, qui m'a envoyé en message ici
à ma dame Morgue la sage, que mon seigneur aime
par amour. Je l'attendrai ici, carie rendez-vous est
ici-même.
RIKECE.
Asseyez-vous donc, sire courrier.
CROQUESOS.
Volontiers, en attendant qu'elles viennent.
Oh
les voici !
RIQUIER.
Vraiment ce sont elles. Pour Dieu , ne disons
mot.
SCÈNE XII.
IES MÊMES , Cachés, MORGUE, MAGLORE, ARSILE, CROQUESOS, LA FORTUNE; — ERMENFROI»
crespin, louchard, sur la roue de la Fortune; — thomas de bourrienne, dessous ; —
ENFANTS.
MORGUE.
A! bien viegnes-lu, Croquesot
Que fait les sires Hellequins?
CROKESOS.
Dame, que voslres amis fins;
Si vous salue. 1er de lui mui.
MORGUE.
Diex benéie vous et lui !
CROKESOS.
Dame, besoigne m'a carquie
Qu'il veut que de par lui vous die ;
Si l'orrés quant il vous plaira.
MORGUE.
Croquesot, sié-te .j. petit là
Je l'apelerai maintenant.
Or chà, Maglore, aies avant;
El vous, Arsile, d'après li.
Et je méismes serai chi
Ençostevous en che debout
MAGLORE.
Vois, je sui assie de bout
Où on n'a point mis de coutel.
MORGUE.
Je sai bien que j'en ai .j. bel.
ARSILE.
Et jou aussi.
MAGLORE.
Et qu'es-che à dire?
Que nul n'en i a? Sui-je li pire?
Si m'ait Diex, peu me prisa
Qui estavli ni avisa
Que toute seule à coutel faille.
MORGUE.
Dame Maglore, ne vous caille;
Car nous dechà en avons deus.
MAGLORE.
Tant est à mi plus grans li deus
Quant vous les avés, el je nient.
MORGUE.
Ah! sois le bien-venu, Croquesos! Que fait ion
seigneur Hellequin?
CROQUESOS
Dame, il est votre ami sincère. 11 vous salue. Je
l'ai quille hier seulement.
MORGUE.
Que Dieu le bénisse !
CROQUESOS.
Dame, je suis chargé d'une commission de sa
part; vous l'enlendrez quand il vous plaira.
MORGUE.
Croquesos, assieds-toi un peu là, je t'appellerai
tout à l'heure. Or cà , Maglore, retirez-vous ; el
vous, Arsile, avec elle; je vais ici, à côté de vous
dans ce coin.
MAGLORE.
Vois, je suis assise en ce coin où l'on n'a point
mis de tapis.
MORGUE.
Je sais bien que j'en ai un beau.
ARSILE.
Et moi aussi.
MAGLORE.
El qu'est-ce à dire ? qu'il n'y en a pas ? Suis-je la
pire? Si Dieu m'aide, il me prisa peuceiui qui établit
et fut d'avis que toute seule je serais sans tapis.
MORCUE.
Dame Maglore, ne vous inquiétez pas; car nous
deçà nous en avons deux.
MAGLORE.
Mon deuil est d'autant plus grand q-ue vous les
avez el que je n'en ai pas.
1261
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
1262
ARSILE.
Ac vous caul, dame; ensi avient;
Je cuit c'on ne s'en donna garde.
MORGUE.
Bêle douche compaigne, esgarde
Que chi fait bel et clerel net.
ARS1LE.
S'est drois que chiex qui s'entremet
De nous appareillier tel lieu
Ail bîau don de nous.
MORGUE.
Soit, par Dieu!
Mais nous ne savons chi chiex est.
CROKESOS.
Dame, anchois que tout che fust presl,
Ving-je clii si que on meloit
La taule et c'on appareilloil,
Et doi clerc s'en enlremetoient;
S'oï que c!»es gens apeloient
L'un de ches deux Riquece Aurri,
L'autre Adan filz maislre Henri ;
S'estoit en une cape chiex
ARS1I.E.
SVsl bien drois qu'i leur en soit roiex,
El que chascune .i. don i mèche :
Dame, qtu donrés-vous Riqueche?
Commenchiés....
MORGUE.
Je li doins don gent :
Je vœil qu'il ail plenté d'argent:
El de l'autre vœil qu'il soil leus
Que che soit li plus amoureus
Qui soil trouvés en nul pais.
ARSILE.
Aussi vœil-je qu'il soil jolis
El bons faiseres de canchons-
morgue.
Encore faut à l'aulre .j. dons.
Commenchiés.
ARSILE.
Dame, je devise
Que loule se marchéandise
Li viegne bien et monleplit.
MORGUE.
Daine, or ne faites lel despit
Qu'il n'aient de vous aucun bien.
MAGLORE.
De mi certes n'aront-il nient :
Bien doivent falir à don bel
Puis que j'ai fali à coulel.
Honnis soil qui riens leur donra !
MORGUE.
A ! dame, che n'avenra ]ï
Qu'il n'aient de vous coi que ce soit
MAGLORE.
Bêle dame, s'il vous plaisoit,
Orendroit m'en deporteriés.
MORGUE.
11 convient que vous le fachiés,
Dame, se de rien nous amés.
MAGLORE.
Je di que Riquiers soit pelés
El qu'il n'ail nul cavel devant.
De l'autre qui se va vantant
D'aler à l'escole à Paris,
Vœil qu'i soil si airuaudis
En le compagnie d'Anus,
ARSILE.
Ne vous tourmentez pas, dame; s'il en est ainsi,
c'est, je pense, simple oubli.
MORGUE.
Belle douce compagne, regarde comme il lait ici
l>el el clair et nel.
ARSILE.
Il esl justice que celui <rui se mêle de nous pré-
parer un lel lieu ail beau don de m>us.
MORGUE.
Soil, par Dieu ! mais nous ne savons qui c'est.
CROOLESOS.
Dame, avant que tout ceci fût prêt, je vins ici
pendant que l'on niellait la table el qu'on se prépa-
rait, el deux clercs s'en mêlaient. J'entendis ainsi
que ces gens appelaient l'un de ces deux Riquece
Aurri, l'autre Adam fils de maître Henri. Celui-ci
était en cape.
ARSILE.
11 est bien justice qu'il leur (■■: soil mieux, el que
chacune y melte un don : dame, que donuerez-vous
à Uiqueee? Commencez.
MORGUE.
Je lui donne gentil don : je veux qu'il ail abon-
dance d'argent; quanta l'autre, je veux qu'il soit
lel que ce soit le plus amoureux qui soit trouvé eu
aucun pays.
ARSILE.
Aussi veuxje qu'il soil gai et bon faiseur de
chansons.
MORGUE.
Il faut encore un don à l'autre. Commencez.
ARSILE.
Dame, je décide que sa marchandise lui vienne à
bien el multiplie.
MORGUE.
Dame, maintenant ne faites tel dépit qu'ils n'aient
de vous aucun bien.
MAGLORE.
Certainement ils n'auront ri°n de moi. Oui (là !
quels beaux dons, moi qui n'ai pas eu 'de tapis!
Honni soit qui leur donne quelque ciiose!
MORGUE.
Oh ! dame, il faut bien qu'ils aient de vous quelq ie
chose.
MAGLORE
Belle dame, s'il vous plaît, dispensez-m'en.
MORGUE.
11 faut que vous le fassiez, dame, si vous nous ai-
mez le moins du monde.
MAGLORE.
Eh bien! que Riquier soil pelé cl qu'il n'ail nul
cheveu devant. Quant à l'autre qui se va vantant
d'aller à l'école à Paris, je veux qu'il soit acocmiue
avec la compagnie d'Arias, el qu'il s'oublie entre
les bras de sa femme, qui esl molle el tendre; jt.
iîi'tô
ADA
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
1264
Et qu'il s'ouvlit entre les bras
Se feme, qui est mole et lenre,
Et qu'il perge el .hache l'aprenre
El mèche se voie en respit.
ÀRSILE.
Aiini ! dame, qu'avés-vous dit!
Tour Dieu ! rapelés ceste cose.
MACLORK.
Par l'âme où li cors me repose !
11 sera ensi que le di
MORGUE.
Certes, dame, che poise mi :
Moul me repenc, mais je ne puis,
Conques hui de riens vous requis.
Je cuidoie par ches deus mains
Q'il déussent avoir au mains
Chascuns de vous .i. bel jouel.
"MAGLORE.
Ains comperronl chier e coutcl
Qu'il ouvliercni chi a mètre.
MORGUE.
Croquesol!
CROKESOS.
Dame?
MORGUE.
Se l'as lettre
Ne rien de ton seigneur à dire.
Si vien avant.
CROKESOS.
Diex le vous mire!
Aussi avoie je grand hasle :
ïenés.
MORGUE.
Par foi ! c'esl paine wastc .
Il me requiert chaieus d'amours ;
Mais j'ai mon cuer tourné aillours :
Di-lui que mal se paine emploie.
CROKESOS.
Aiini ! daine, je n'oscroie :
11 me geteroii en le mer ;
Nepourquanl ne poés amer,
Dame nul plus vaillant de lui.
MORGUE.
Si puis bien faire.
CROKESOS.
Dame, cui?
MORGUE.
Un demoisel de ceste vile
Qui est plus preus que lex .c. mile
Où pour noient nous Iraveillons.
CROKESOS.
Qui est-il?
MORGUE.
Kobers Soumeillons,
Qui sel d'armes el du cheval;
Pour mi jousle amont cl aval
Par le pais à taule ronde.
Il n'a si preu en loul le inonde,
Ne qui s'en sache miex aidier;
Rien i parut à Montclidier,
veux qu'il perde son temps, qu'il laisse l'élude, et
qu'il mette son voyage en répit.
ARSILE.
Hélas! dame, qu'avez-vous dit? Pour Dieu! re-
traciez celle chose.
MAGLORE.
Par l'âme qui repose en mon corps ! il sera ainsi
que je dis.
MORGUE.
Certes, dame, cela m'atirisie : je me repens fort,
mais je n'y puis rien, de vous avoir requise de quel-
que chose aujourd'hui. Je pensais par ces deux mains
qu'ils dussent avoir au moins chacun un beau joyau
de vous.
MAGLORE.
Au conlr.tire, ils payeront cher le lapis qu'il*
oublièrent de înellre ici.
Croquesos !
Dame?
MORGUE.
CROQUESOS.
MORGUE.
s lettre ou quelque chose à dire de la part
1 1 1 » 1 1 t vmne 'i v < i r 1 1
Si lu ..
de ion seigneur, viens avant
CROQUESOS.
Dieu vous en récompense! aussi avais-je grande
hàlc : tenez.
MORGUE.
Par (ma) foi ! c'est peine perdue : il me requiert
céans d'amour; mais j'ai tourné mon cœur ailleurs :
dis-lui qu'il emploie mal sa peine.
CROQUESOS.
Hélas! dame, je n oserais : il me jetterait dans
la mer; néanmoins vous ne pouvez aimer, dame,
personne qui vaille plus que lui.
Je le puis.
Dame, qui ?
MORGUE.
CROQUESOS
UORGUE
Un damoiseau de celle ville qui est p:us preux que
cent mille où nous travaillons pour rien.
CROQUESOS
Qui csl-il
MORGUE.
Robert Soumeillons, qui sait d'armes et du che-
val ; il joule amont et aval par le pays aux lables-
rondes (787). Il n'y a si preux dans le monde entier,
ni qui sache mieux se tirer d'anVre. Il y parut hien
à Monldidicr, s'il jouta le mieux ou le pire. Il s'en
ressent encore à la poitrine, aux épaules et aux bras.
(787) Espèce de tournoi. Tristan, t. H, p. 185,
186; la Storia ed Analhi degli anliclii romanzi di
C.avalleria e dei poemi romanzescHi d'Itatia del doi-
lorc Giulio Ferrario. Mi la no, dalla lipografia dell'
sulore, M. dccc. XXVIII XXIX, quatre volumes in-8°,
t. Il, p. 82-84 ; — Vues générales sur les tournois et la
'fable- Fionde. — Histoire de l'Académie royale des
inscriptions et Belles-lettres, t. XVIII, p. 511 315;
Recveil des antiqvilez et privilèges de la ville de Bour*-
geset de plvsievrs autres Villes capitales du Royaume.
Par lean Chenu. A Paris, chez Nicolas Duon, mdcxxi.
in-4°, fol. 179. (M. Fr. Michel.)
:sr,5
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
t£8Q
S'il jousta le miex ou le pis.
Encore s'en dieul-il ou pis,
Eus esuaules cl eus es bras.
CROKESOS.
Est-clie nient uns à uns vers ciras
Roiics d'une vermeille rote?
MORGUE.
Ne plus ne mains
CROKESOS.
Bien le savoie.
Mesire en esl en jalousie,
Très qu'il jousla à l'autre lie
En cesle vile, ou marchié droit*
De vous el de lui se vantoil,
El lantosl qu'il s'en prisl à courre,
Mesircs se mncha en pou ne
Et fisl sen cheval lcgambei.
Si que caïr h'st le varlel
Sans assener son compagnon.
MORGUE.
Par foi ! assés le dehaignon ;
Nonpruec me sanle-il trop vailluns,
Peu parliers et cois et chelans,
Ne nus ne porte meilleur bouque.
Li personne de lui me touque
Tant que je l'amerai, que-vau-che
ARSILE
Le cuer n'avés mie en le cauclie,
Dame, qui pensés à tel home :
Entre le Lis voir el le Somme
N'a plus faus ne plus buholas,
Et se veul monter seur le las
Tanlost qu'il repaire en un lieu.
MORGUE.
S'est ieus ?
4RS1LE.
C'est mon.
MORGUE.
De le main Dieu
Soie-jou saiunie et benile!
Mont me tieng ore pour despile
Quant pensoie à tel cacoigneur,
Et je laissoie le gringneur
Prinche qui soit en faérie.
ARSILE.
Or estes-vous bien conseillie,
Dame, quanl vous vous repenlés
MORGUE.
Croquesot !
CROKESOS.
Madame"
MORGUE.
Amistés
Porle len segnicur de par mi
CROKESOS.
.Madame, je îous en merchi
De par men granl segnieurle roy.
Dame, qu'csl-che là que je voi
En chele rode? Sont che gens?
MORGUE.
Nenil, ains esi esamples gens,
El chele qui le roc lient
Chascnne de nous aparlient;
El s'est très doni qu'ele lu née,
Vuiele, sourde el avulée.
CROKESOS.
Comment a-ele à non?
CROQUESOS.
N'est-ce pas un (damoiseau) aux babils de couleur
verle rayés d'une raie rouge?
MORGUE.
Ni plus ni moins.
CROQUESOS.
Ali! je le savais. Monseigneur en estjaloux.de-
puis qu'il vint l'autre fois en celte ville, droit au
marché. Le damoiseau se vantail sur voire compte
et sur le sien. Aussi lorsqu'il se prit à courir, mon-
seigneur se cacha dans la poussière et fil buicr son
cheval, tellement qu'il fil cheoir le jeune homme sans
atteindre son compagnon.
MORGUE.
Par ma foi ! nous n'y tenons pas beaucoup : ce-
pendant il paraît beaucoup valoir, peu parleur, tran-
quille et discret; personne ne porle meilleure
bouche. Sa personne me louche tant que je pourrai
en venir à l'aimer. Mais à quoi bon?
ARSILE.
Vous n'avez pas le cœur en repos. Quoi! dame,
penser à un tel homme : vraiment enlre la Lys et
la Somme il n'y a plus faux ni plus trompeur, et il
veut jouir d'une femme aussitôt qu'il esl avec elle.
Est-il Ici?
C'est la vérité.
MORGUE.
ARSILE.
MORGUE.
De la main de Dieu sois-je signée el bénite ! je suis
folle d'avoir pensé à un pareil trompeur, et de lais-
ser pour lui le plus grand prince qui soit en féerie.
ARSILE.
Vous êles bien conseillée, dame, maintenant que
vous vous repentez.
MORGUE.
Croquesos!
CROQUESOS
Madame?
MORGUE.
Fais des amiliés à ton seigneur de ma part
CROQUESOS.
Madame, je vous en remercie pour mon grand
seigneur le roi. Dame, qu'est-ce que je vois dans
celle roue? Sont-ce (des) gens?
MORGUE.
Nenni, mais c'est une belle allégorie, el celle qi.i
lient la roue appartient à chacune de nous; elle est
depuis qu'elle fut née, muette, sourde et aveugle
CROQUESOS.
Comment a-l-clle nom ?
12(i7
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DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
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1208
MORGUE.
Fortune.
Ele est à toute riens commune
El tout le mont lient en se main ;
L'un fait povre liui, riche demain;
Ne point ne set cui ele avaiielie.
Pour chou n'i doit avoir fianche.
Nus, tant soil haut montés en roclie ;
Car se chele roe bescoche,
Il le couvient descendre jus.
CROKESOS.
Dame, qui sont cliil doi lassus
Dont chascuns sanle si grans sire?
morgue.
Il ne fait mie bon tout dire :
Orendroil m'en déporterai.
MAGLORE.
Croquesot, je le te dirai.
Pour chou que courechie sui,
Huimais n'espargnerai nului,
Je n'i dirai huimais fors honte :
Chil doi lassus sont bien du conte,
El sont de le vile signeur ;
Mis les a Fortune en honnour :
Chascuns d'aus est en sen lieu rois
CROKESOS.
Qui sonl-il?
MAGLORE.
C'est sire Ermenfrois
Crespins et Jaquemes Louchars
CROKESOS.
Bien les connois, il sont escars.
MAGLORE,
Ai! mains regnent-il maintenant,
Et leur enfant sont bien venant
Qui raigner vauront après euls.
CROKESOS.
Li quel?
MAGLORE.
Vés-enî chi au mains deus t
Chascuns sieut sen père drois poins.
Ne sai qui chiex est qui s'cmbrusque.
CROKESOS.
Et chiex autres qui là trcbusquc,
A-il jà fait pille-ravane?
MAGLORE
Non, c'est Thoumas de Bouriane
Qui soloil bien estre du conte;
Mais Fortune ore le desmonte
Et tourne chu dessous deseure :
Pourtant on li a couru seure
Et fait damage sans raison,
Meesmemenl de se maison
Li voloil-on faire grant tort.
ARSILE.
Pechié fisl qui ensi l'a mort-
Il n'en éusl mie mestier;
Car il la laissié son meslier
De draper pour brasser goiulale.
MORGUE.
Che fait Fortune qui l'avale :
il ne l'avoit point deservi.
CROKESOS.
Dame, qui est chis auslreschi
Que si par
croquesos.
Fortune. Elle est commune à toute chose et tien:
tout le monde en sa main; l'un pauvre aujourd'hui,
riche demain; et l'on ne sait point qui elle avance.
Aussi, personne n'y doit avoir confiance, tant haut
soit-il monlé; car si celle roue baisse, il lui faut
descendre.
CROQUESOS.
Dame, qui sont ces deux là-haut dont chacun
semble si grand seigneur?
MORGUE.
Tout n'est pas Don à dire. Chui*
MAGLORE.
Croquesos, je le le dirai. Je suis en colère, au-
jourd'hui je n'épargne personne; je ne veux dire
que du mal ; ces deux là-dessus sont bien du compte,
et sont seigneurs de la ville; Fortune les a mis en
honneur ; chacun d'eux est chez lui un roi.
Qui sont-ils?
CROQUESOS.
MAGLORE.
est nus et descaus?
MORGUE.
Chis' c'est Lèurins li Canelaus
Qui ne puet jamais relever.
Ce sont sire Ermenfroi, Crespm el Jacques Lou-
chard.
CROQUESOS.
Bien les connais ils sont avares.
MAGLORE.
Au moins règnent-ils maintenant, et leurs enfants
viennent bien , qui voudront régner près eux.
CROQUESOS.
Lesquels?
MAGLORE.
En voici au moins deux : chacun suit son père
en tous points. Je ne sais qui est celui qui se cache.
CROQUESOS.
El cet autre qui là trébuche, a-l-il déjà fait/;i//e-
ravane ?
MAGLORE.
Non, c'est Thomas de Bourienne qui avait cou-
tume d'être du compte; niais Fortune aujourd'hui le
monte et le tourne sens dessus dessous : on lui court
dessus et fait dommage sans raison , si bien qu'on
lui fait tort, même de sa maison.
ARSILE.
Celui qui ainsi l'a fait mourir fil péché. Pourquoi!
Il a laissé son métier de drapier pour brasser de la
bière.
MORGUE.
Fortune l'abaisse; il ne l'avait point mériU
CROQUESOS
Dame, quel est cet aulre ici qui est si nu et dé-
chaussé?
MORGUE
Celui-ci ? c'est Leui in le Canelaus, qui ne peut ja-
mais se relever.
12M
ADA
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
ADA
1270
ARSILE.
Dame, si puel bien parlevcr
Aucune bêle eose amont.
CROKESOS.
Dame, voleniés me semonl
C'a men segneur lost m'en revoise
MORGUE.
Croquesot, di-lui qu'il s'envoise
Et qu'il fiicbe adés bêle chiere,
Car je li ierc amie chiere
Tous les jours mais que je vivrai.
CROKESOS*
Madame, sour cbe m'en irai.
MORGUE.
Voire, di-li hardiement,
El se li porte cbe présent
De par mi; lien, boi anchois viaus.
CROKESOS.
Me siel-il bien li hielepiaus?
ARSILE
Dame, il peul bien encore élever quelque belle
chose.
CROQUESOS.
Dame, volonté me somme qu'à mon seigneur tôt
m'en retourne.
MORGUE.
Croquesos, dis-lui qu'il s'amuse et qu'il fasse tou-
jours bonne chère, car je lui serai amie chère lous
les jours que je vivrai.
CROQUESOS.
Madame, sur ce m'en irai.
MORGUE.
En vérité, dis-le lui hardiment, et porte-lui co
présent de ma pari : riens, bois avant de le mettre
en route.
CROQUESOS.
Me sied -il bien le chapeau?
SCÈNE XIII.
ARSILE, MAGLORE, MORGUE, DAME-DOUCE.
DAME DOUCE.
Reles dames, s'il vous plaisoi
Il me sanle que tans seroit
D'aler-ent ains qu'il ajournas!.
ARSILE.
..Ne faisons clii de séjour,
Car n'aller! que voisons par jour
En lieu là où nus boni trespasi;
Allons vers le pré esraument,
Je sai bien c'on nous i aient.
MAGLORE.
Or tost alons-ent par illeuc.
Les vielles femes de le vile
Nous i atendent.
MORGUE.
Est-chou gille?
MAGLORE.
Vés, Dame Douche nous vient pruec.
DAME DOUCE.
Et qu'est ce ore chi, bêles dames?
C'est grans anuis et grans diffames
Que vous avés tant demouré.
J'ai annuit faite l'avan-garde,
El me fille aussi vous pourwarde
Toute nuit à le crois, ou pré.
Là vous avons-nous atendues,
Et pourwanlées par les rues;
Trop nous i avés fait veillier.
MORGUE.
Pour coi, la Douche?
DAME DOUCE.
On m'i a fait
Et dit par devant le gent lait.
Uns hom que je vœil manier ;
Mais se je puis, il erl en bière,
Ou tournés che devant derrière
Devers les pies ou vers les dois.
MORGUE.
Je Tarai bientost à point mis
En sen lit, ensi que je fis,
L'autre an, J;ikemon Pilepnis,
El l'autre nuilGillon Lavier.
MAC.LORE.
Alons! nous vous irons aidier
Présidés avœc Agnès, vo fille,
DAME DOUCE.
Belles dames, s'il vous plaisait, il serait temps de
s'en aller avant le jour.
ARSILE.
Ne restons plus ici, car il ne convient pas quo
nous marchions de jour dans des lieux où quelqu'un
passe; allons sur-le-champ vers le pré; on nous y
attend.
MAGLORE.
Allons-nous-en vile.
ville nous y attendent.
Les vieilles femmes de la
MORGUE.
Est-ce tromperie?
MAGLORE.
Voyez, Dame Douce vient auprès de nous.
DAME DOUCE.
El quoi, belles dames? c'est grand ennui et grande
honte que vous ayez tant resté. J'ai celte nuit fait
l'avant-garde, et ma fille aussi vous garde louie la
nuit à la croix, au pré. Là nous vous avons atten-
dues, et gardées par les rues ; vous nous y avez trop
fait veiller.
MORGUE.
Pourquoi, la Douce?
DAME DOUCE
On m'y a fait et dit par-devant le monde outrage.
C'est un homme que je veux faire passer par mes
mains; mais si je puis, il sera en bière, ou tourné
sens devant derrière vers les pieds ou vers les doigls.
MORGUE.
Je l'aurai bientôt à point mis en son lit, ainsi que
je fis, PatM.ro année, à Jacques Pilepois, et l'autre
nuit à Cu^s Lavier.
UAGLORC.
Allons! nous vous irous aider. Prenez avec vous
1-271 ADA
Et une qui maint en cliilé
Qui jà n'en avéra pilé.
MORGUE.
Famé Waulier Mulel?
DAME DOUCE
C'est chiite
Aies devant, et je m'en vois.
(Les fées cantenl :)
Par chi va la mi-giio-ti-se, par chi où je vois
H72
DICTIONNAIRE DES MYSTERES ADA
Agnès, voire (iile, et une femme nui demeure en
ville, qui n'en aura pas pitié.
MORGUE.
La femme de Waulier Mulet?
D.VME DOLCE.
C'est elle. Aile? devant, et je m'en vais*
(Les fées chantent :)
Par ici va la mignardise, paruioù je vas
SCÈNE XIV
LE MONTE, ANNE LE MERCIER.
J.1 MOINES.
Aimi, Dieus! que j'ai somneillié !
HANE Ll MERCIERS.
Marie! et j'ai adés veillié.
Faites, alés-vous-ent errant.
Ll MOINES.
Frère, ains arai iiiengic avanl,
Par le foi que doi saint- Acuire !
HANE.
Moines, volés-vous dont bien Faire?
Alons à Raoul le waidier.
Il a aucun rehaignet d'ier :
Rien puct eslre qu'il nous donra.
Ll MOINES.
Trop volentiers. Qui m'i menra?
HANE.
Nus ne vous menra miev de moi ;
Si trouverons laiens, je croi,
Compaignie qui là s'embnt,
Failiche où nus ne se combat :
Adan, le fil maislre Henri,
Veelet et Riqueche Aurri
EtGillot le Petit, je croi.
LI MOINES.
Par le saint Dieu! el je l'olroi,
Aussi est chi me cose bien,
Et si vés-chi un crespei, tien !
Que ne sai quels cailis olïïi ;
Je n'en conterai point à ti,
Ains sera de comnienchemenl.
HANE.
Alons-ent donc ains que li genl
Aient le taverne pourprise.
Esgardés, li lauleesljà mise
El vés là Rikeche d'encosle.
LE MOINE.
Eh Dieu! que j'ai sommeillé!
HANE LE MERCIER.
Marie ! et j'ai toujours veillé. Faites, allez-vous-en
sur-le-champ.
LE MOINE.
Frère, mais j'aurai mangé auparavant, par la foi
que (je) dois à saint Acaire!
HANE.
Moine, voulez-vous bien faire ? allons à Raoul le
garde chasse. II a quelque petit vesle d'hier : peut-
être bien il nous (en) donnera.
LE MOINE.
Très volontiers. Qui m'y mènera?
HANE.
Personne ne vous mènera mieux que moi. Nous
trouverons là, je crois , compagnie agréable qui
s'amuse et dans laquelle nul ne se bal : Adam, le li:s
de maître Henri, Veelet el Riqueche Aurri et Gillol
le Petit , je crois.
LE MOINE.
Par le saint Dieu ! el je l'ociroie, aussi est-ce bien
mon affaire, el voici un cresiiei, tiens! que je ne
sais quel malheureux offrit ; je n'en compterai point
avec toi, mais il sera pour commencer.
HANE.
Allons-nous-en donc avanl que les gens aient rem
pli la taverne. Regardez, la table esl déjà mise cl
voilà Riquece de côlé.
SCÈNE XV.
LES MÊMES, RIQUECE, l'kÔTE.
Rikeche, véisles-vous l'oste ?
RUvtERS.
Que, il est chaiens. Ravelel!
Il OSTES.
V ces me chi.
HANE.
Qui s'entremet
Dou vin sakier? 11 n'i a plus,
LI OSTES.
Sire, bien soiés-vous venus!
Vous yœil-je fesler, par saint Gille
Sachiés c'on venl en ceste vile
Tastés, je l'venc par eschievins.
LI MOINES.
"Yoleniiers. Chà dont.
Riquece, viles-vous l'hôte.
R1QIIER.
Oui, il est céans. Ravelel !
l'hôte.
Me voici.
HANE.
Qui se mêle de tirer du vin? II n'y en a plus.
l'hôte.
Sire, soyez le bien venu! je vous veux fêler, par
saint Cilles! Sachez qu'on vend dans celle ville
tastés, je le vends de la part des échevins.
le moine.
Volontiers. Çà donc.
12
< j
ADA
NOTICE SUT» LE TIIEAT11E LIBRE.
ADA
1274
Ll OSTES.
Esl-che vins?
Tel ne boit-on mie en couvent,
El si vous ai bien en couvent
Qu'aven ne vint mie d'Auchcurc
RIKIERS.
Or me prestes donqucs .j. voirrc
Par amours, et si séons bas
Et cite sera cbi le rebas
Seur coi nous mêlerons le pot.
GUILLOS.
C'est voirs.
t UOTE.
Quel vin ! On n'en Doit pas de tel dans les cou-
vents, et je vous garantis bien que jamais pareil no
vint d'Auxerre.
RIQLIER.
Maintenant, un verre, l'ami, et asseyons-nous.
Voici le rebas sur quoi nous incluons le p<"
GLILLOT.
LES
C'est vrai.
SCÈNE XVI.
MÊMES GLILLOT.
RIKIERS.
Qui vous mande, Gillos?
On ne se i»uct mais aaisier.
GUILLOS.
Che ne In s tes- von s point, Rikicr
De vous ne nie doi loer waires.
Que c'est? mesires sains Aeaires
A-il fait miracles cliaiens?
Ll OSTES.
Gilloi, est es- vous hors du sens?
Taisiés. Que mal soies venus!
GUILLOS.
Ho ! biaus hosles, je ne rlî [dus.
Hane, demandés Ravelct
S'il a cliaiens nul reltaignet
Qu'il ail d'essoir repus en mue.
LI OSTES.
Oï
herenc de Gerncmue,
Sans plus, Gilîot, je vous oc bien
GUILLOS.
Je sai bien que vés-chi le mien
Hane, or Ii demandés le voe.
L! OSTES.
Le ban fai que l'ostes le poe,
El qu'il soit à tous de commun ;
11 n'alïïert point c'on soit enfrun
Seur le viande.
GUILLOS.
Bé ! c'el jeus
Ll OSTES.
Or mêlés dont le herenc jus
GUILLOS LI PETIS.
Yés-le-clii, je n'en gousierai
.M lis .j. petit assaierai
Che vin, ains c'on le par essiaue.
II fu voir escandés en yaue,
Si sent .j. peu le reboulure.
LI OSTES
Ne dites point no vin laidiirc
Cillot : si f<'iés courtoisie;
Nous sommes d'une compagnie,
Si ne le blâmés point.
CUILLOS Ll PETIS.
Non fai-je.
RIQUIER.
Qui vous mande, Guillol ? On ne se peut davan-
tage mettre à l'aise.
CUILLOT.
Ah! c'est comme cela, Riquier : je n'ai guère à
me louer de vous. Monseigneur saint Acaire a-l-il
fait miracle céans?
l'hôte.
Guillol, ctes-vous hors du sens? Taisez-vous, le
mal soyez-vous venu !
WILLOT.
Ho ! bel hôte, je ne parle plus. Hane, demandez a
Ravelet s'il a céans quelque reste d'hier soir, serra
au garde-manger.
l'hôte.
Oui, un hareng de Gerncmue, mais rien de plus,
Guillol je vous assure bien.
CUILLOT.
Bien, c'esl à moi. Hane, parlez maintenant à vô-
tre tour.
l'hôte.
Tout beau ! ôte Ion pouce, le hareng est à tous en
commun ; il ne convient pas qu'on soit chiche sur la
nourriture.
CUILLOT.
Bé! c'est un jeu.
l'hôte.
Maintenant mettez donc le hareng en bas.
GUILl.OT LE PETIT.
Le voici, je n'en goûlerai ; mais j'essayerai un peu
ce vin, avant qu'on le lire. Il fui vraiment échaudâ
en eau, il sent un peu le rebut.
Ne dites point d'injure à notre vin, Guillot: vous
ferez courtoisie; nous sommes compagnons, ainsi
ne le blâmez point.
GLILLOT LE PETIT.
J; ne le fais pas.
ÏNE XVM.
LES MEMES, ADAM, HENRI, LE MOINE, eilllormL
M ANC LI MERCIERS.
Vois que maislre Adans fait le sage
Pour che qu'il doit e>lre cscolierx
•I.- vi qu'il se sisl volenlicrs
^vœ.cques nous pour desjuner.
HANE LE MERCIER.
Ah ! voici maîlre Adam qui fait le sage par la rai-
son qu'il doit être écolier. II faut toutefois qu'il s'as-
soie volontiers avec nous pour déjeuner.
1273
AD A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
t<27G
ADANS.
Biaus sire, ains convient m'éurer
Par Dieu ! je ne le fac pour el.
MA1STRE HENRIS.
Vai-i, pour Dieu ! lu ne vaus mel ;
Tu i vas bien quant je n'i sui.
ADANS.
Par Dieu ! sire, je n'irai hui,
Se vous ne venés avœc mi.
MA1STRE HENRIS.
Va dont, passe avant, vés-me-chi.
HANE LI MERCIERS.
Aimi, Diex? con fait escolier!
Clii sont bien emploie denier.
Fontensi li autre à Paris?
RIQUECE.
Vois, cbis moines est endormis.
LI OSTES.
Et or me faites lout escont :
Melons-li jà sus qu'il doit tout
Et que liane a pour lui yué.
LI MOINES.
Aimi, Dieu! que j'ai demouré!
Osles, comment va nos affaires?
LI OSTES.
Biaus ostes, vous ne devés waires
Vous finerés moult bien cliaiens
Ne vous anuil mie, g'i pens.
Vons devés .xij. sols à mi :
Mercbiés-ent vo bon ami
Qui les a chi perdus pour vous.
LI MOINES.
Pour mi?
Ll OSTES
Voire.
LI MOINES.
Les doi-je tous?
LI OSTES.
Oïl, voir.
LI MOINES.
Ai-je dont ronquiel?
J'en eusse aussi bon marchiet.
Che me sanle, en langanerie;
Et n'a-il as dés jué mie
De par mi, ni à me requesle.
HANE LI MERCIERS.
Vés-chi de cbascun le foi preste
Que cbe fu pour vous qu'il joua.
LI MOINES.
Hé, Diex ! à vous con fait jeu a
Biaus ostes, qui vous vaurrait croire?
Mauvais fait cliaiens venir boire,
Puis c'on cunkie ensi le gent,
LI OSTES.
Moines, paies cbà men argent
Que vous me devés; est-che plais?
LI MOINES.
Dont deviegne-jou aussi fais
Que fu li bordussens ennui ti
LI OSTES.
Bien vous poist el bien vous anuit,
Vous wailcres chaiens le coc,
Ou vous me lairés cbà cbe froc :
Le cors ares, et jou l'escorcbe.
LI MOINES.
Ostes, me ferés-vous dont forclie,.
ADAM
Beau sire, auparavant il faut m'écouter; par Dieu!
je ne le-fais pas pour autre chose.
MAÎTRE HENRI.
Va. Va, pour Dieu ! lu ne vaux pas mieux ; lu y
vas bien quand je n'y suis pas.
ADAM.
Par Dieu ! sire, je n'irai pas aujourd'hui, si vous
ne venez avec moi.
MAÎTRE HENRI.
Va donc, passe avant, me voici.
HANE LE MERCIER.
Hélas! Dieu! quel écolier! ici deniers sont bien
employés. Les autres font-ils ainsi à Paris?
RIQUECE.
Vois, ce moine est endormi.
l'hôte.
Et maintenant écoutez-moi lous : mctlonc-hii i.cs-
sus qu'il doit loul ci que liane a pour lui joue.
LE MOINE.
Hélas! Dieu! que j'ai demeuré! Hôte, comment
va notre affaire?
l'hôte.
Del hôte, vous ne devez guère : vous finirez très-
bien céans; qu'il ne vous ennuie pas, j'y pense.
Vous me devez douze sous; rcmcrcicz-c:i votre bon
ami qui les a ici perdus pour vous.
LE MOINE.
l'hôte.
LF MOINE.
L'l!ÔTE.
Pour moi ?
En vérité.
Les dois- je lous?
Oui, en vérité.
LE MOINE.
Ai-je donc ronquiel"! J'aurais eu aussi bon marché,
ce me semble, avec les premiers fripons venus; et
il n'a pas joué aux dés de ma part, ni à ma requête.
HANE LE MERCIER.
Voici chacun prêt à engager sa foi qu'il joua pour
vous.
LE MOINE.
Ah! Dieu, comme l'on vous joue! bel hô'e, qui
vous croira? il fail mauvais de venir boire céans,
puisqu'on dupe ainsi le monde.
l'hôte.
Moine, payez ce que vous me devez; est-ce dis-
pute?
LE MOINE.
Fussè-je le fou aujourd'hui !
l'hôte.
Coûte que vous coûte , l'avare ! vous attendrez ici
le chant du coq, ou vous me laisserez votre froc :
vous aurez le corps, et moi l'écorce.
LE MOINE.
Hôte, me ferez-vous donc violence?
1277
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
1273
LI OSTES.
Oïl, se vous ne me paies.
LI MOINES.
Rien voi que je sni cunkiés,
Mais c'est H darraine fois.
Par mi eliou m'en irai-je andiois
Qu'il reviegne nouviaus escos.
MAISTRES HENRIS.
Moines, vous n'estes mie sos,
Par mon chief ! qui vous en aies.
I. HOTE.
Oui, si vous ne me payez pas.
LE MOINS,
Je suis attrapé; mais c'est la dernière fois. Sci-
ée je me sauve avant qu'il revienne de nouveaux
écols.
MAÎTRE HENRI.
Moine, vous n'êtes pas fou , par mon chef! de
vous en aller.
LI IISISCIENS.
Certes, segnieur, vous vous tués,
Vous serés tout paralelique,
Ou je tieng à fausse fisique,
Quant à ceste eure estes cliaieus.
GL'ILLOS.
Maistres, bien kaiés de vo sens,
Car je ne le pris une nois.
Sées-vous jus.
LI FISISCIENS.
Chà! une fois
Me donnés, si vous plaisl, à boire.
GUILLOS.
Tenés, et mengiés ceste poire
LI MOINES.
Riaus ostes, escoulés un peu :
Vous avés fait de mi vo pieu ;
Wardés .j. petit mes reliques,
Car je ne sui mie ore riques;
Je les racaterai demain.
LI OSTES.
Aies, bien sont en sauve main.
GL1LLOS.
Voire, Dieus !
LI OSTES.
Or puis pree.-chier :
De saint Acaire vous requier,
Vous, maistre Adan et à vous, Hane;
Je vous pri que ebascuns recanc
El taché granl sollempnité
De cbe saint c'on a abevré.
(Li compaingnon cautenl .')
Mais c'est par j. estrange tour.
A ! ja se siet en haute tour...
Riaus ostes, est-ch~ bien canté:
li ostes respont :
Rien vous poés esire vanté
C'onques mais si bien dit ne fii.
SCÈNE XVIII.
LES MÊMES, LE MEDECIN.
LE MÉDECIN.
Holà! seigneurs, vous vous tuez, vous serez tous
paralytiques, ou je liens pour fausse la médecine.
GU1LI.OT.
Maître, bien tombez de votre sens, car je ne la
prise pas une noix, asseyez vous.
LE MÉDECIN
Ça! une fois me donnez, s'il vous plaît, à boire.
GLILLOT.
Tenez et mangez celle poire
LE MOINE.
Rel liôle, écoulez un peu : vous avez fait de moi
voire dupe; gardez un peu mes reliques, en ce mo-
ment je ne suis pas riche, mais je les racheter»!
demain.
l'hôte.
Allez, elles sont en main sûre
GUILLOT
Vraiment, Dieu !
l'hôte.
Maintenant je puis prêcher : je vous requiers de
par saint Acaire, vous, maître Adam et vous, Hane
je vous prie que chacun ricane et face grande solen-
nité de ce sainl qu'on a abreuvé.
(Les compagnons chantent :)
Mais c'est par un étrange lour
Ah ! déjà il s'assied en haute tour..
Bel hôte, est-ce bien chanté?
l'hôte répond :
L'on peul bien vous vanter que jamais l'on ne dit
si bien.
SCÈNE XIX.
LES MEMES, LE
Il DEUVÉS.
A hore le fu, le lu, le lu !
Aussi bien canté -je qu'il fonl :
LI MOINES.
Li chenl dyable aporlé vous oui;
Vo.is ne me faites fors damage.
Vo père ne lieng mie à sage.
Quant il vous a ramené chi.
LI PERES AU DERVÉ.
Cerles, sire, die poise mi;
D'autre part, je ne sai que faire ;
Car, s'il ne vient à sainl Acaire.
Où ira il ouerre santé?
KOLT, SON PÈRE
LE FOC.
(Il y) a dehors le feu, le teu, le feu!
Je chaule aussi bien qu'eux, vraiment.
LE MOINE.
Les cent diables vous ont apporté; vous ne nie
faites q-ie dommage. Voire père n'esl point sage de
vous avoir ramené ici.
LE PÈRE M IOU.
Certes, sir», cela me chauvine; d'autre pari, je lu1
sais que faire; car, s'il ne vient à sainl Acaire. où
ira-l il quérir sanlé? Cerles, il m'a déjà tant coù'e
qu'il me faut demander mon pain.
!'i7i) ADA DICTIONNAIRE DES MYSTERES
Certes il m'a jà tant cousté
Qu'il me convient querre mon pain.
Ll DERVÉS.
Par le mort Dieu! je muir de fain.
Ll PERES AU DERVÉ.
Tenés, mengiés dont ceste pâme.
LI DERVÉS.
ADA
n.so
Vous i meules, c'est une plume-
Aies, ele est ore à Paris.
LI PERES.
Biaii sire Diex ! con sui honnis
Ll perdus, et qu'il me mescliiel !
LI MOINES.
Certes, c'est trop bien emploie!;
Pour coi le ramenés-vous chi?
LI PERES.
Hé, sire! il ne feroit aussi
En maison fors desloiauté ;
1er le trouvai tout emplumé
El mucliié par dedens se keule.
le rou.
Par la mort de Dieu ! je meurs de faim.
LE PÈRE DU FOU
Tenez, mangez donc celte pomme.
LE FOU.
Vous meniez, c'est une plume; allez, elle est
maintenant à Paris.
LE PÈRE.
Beau sire Dieu ! comme je suis honni et perdu, et
qu'il me mésadvienl!
LE MOINE.
Certes, c'est très bien fait ; pourquoi le ramenez-
vous ici ?
EE PÈRE.
Hé! sire, il ne fait à la maison que des dégâts ;
hier je le trouvai tout emplumé et caché dans sa
couverture.
SCÈNE XX.
les mêmes, moins le moine.
MAÎTRE HENRI.
Dieu ! quei est celui qui là se cache ? Bois bien.
Le glouton ! le gloui^n! le glouton!
GUILLOT.
Pour l'amour de Dieu ! ôlons tout, car si ce fou-
là nous court dessus... Prends la nappe; et toi,
tiens le pot.
R1KECE.
Par la foi que je dois à Dieu ! je suis de cet avis.
Avant qu'il mésadvienne prenons chacun noire
pièce : aussi avons-nous trop veillé.
BIAISTRE I1ENRIS.
Diex! qui est cbiex qui là se keule?
Bci bien. Le glout ! le gloul! leglout!
GLII.I.OS.
Pour l'amour de Dieu ! osions tout,
Car se chis sos-là nous ceurt scure...
Pren !e nape; et lu, le pot lien.
R1KECE.
Loi que doi Dieu ! je le Io bien.
Tout avant que il nous meskieche
Chascuns de nous prengne sa pieche :
Aussi avons-nous trop villiet.
SCÈNE XXI.
LES MEMES, LE MOINE, de retour
LI MOINES.
Osles, vous m'avés bien pilliel,
Et s'en i a chi de plus riques ;
Toutes eures chà mes reliques!
Vés-chi .xij. sols que je doi.
Vous el vo taverne renoi ;
Se g'i revieng dyable m'en porche!
LI OSTES.
Je ne vous eu ferai jà forche
Tenés vos reliques.
LI MOINES.
Or chà !
Honnis soit qui m'i amena!
Je n'ai mie apris tel afaire.
LE MOINE.
Hôte, vous m'avez pillé , et il y en avair ici de
plus riche; toutefois çà mes reliques! Voici douze
sous que je dois. Je renie vous el votre taverne; si
j'y reviens, que le diable m'emporte!
GUILLOS.
Di, Hane, i a-il plus que faire?
Avons-nous chi rien ouvlié?
HANE.
Netlil, j'ai tout avant oslé.
Faisons l'osle que bel li soil.
GLILLOS.
Ains irons anchois, s'on m'en croit,
Baisier le fierlre Nostre-Dame,
Et che-chierge offrir qu'ele flame :
ISo cose nous en vcnia miex.
LI PERES.
Or chà! levés-vous sus, biaus fies,
J'ai encore men blé à vendre.
L HOTE,
Je ne vous y force pas; voici vos reliques.
LE MOIME.
Or çà! honni soil qui m'y amena ! je n'ai pas ap-
pris telle affaire.
GUILLOT
Dis, Hane, y a-t-il davantage à faire? avons-nous
ici oublié quelque chose?
HANE.
Nenni , j'ai tout auparavant ôlé. Faisons que
l'hôte soit content.
GUILLOT.
Mais nous irons auparavant, si l'on m'en croit,
baiser la châsse de Notre-Dame, et offrir ce cierge
pour qu'il brûle : noire affaire ira mieux.
LE PÈRE
Or çà! levez-vous, beau fils, j'ai encore mon blo
à vendre.
1^31
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
12S2
Ll DERVÉS.
Que c'esl? me volés mener pendre,
Fiex à putain, lercs prouvés?
LI PERES.
Tnisiés. Cor, fussiés enterés,
Sos puans! Que Diex vous lionnisse!
LI DERVÉS.
Par le morl Dieu ! on me eompisse
Par là deseure, ciie me saule.
Peu faut que je ne vous eslranle.
LI PERES.
Aimil or lien cbe croquepois.
LI DERVÉS.
Ai-je fait le noise don prois?
LI PERES.
Nient ne vous vaut, vous eh venrés.
LI DERVÉS.
Allons, jesui li espousés.
Ll MOINES.
Je ne fai point de men pieu chi,
Puis que les gens en vont ensi,
N'il n'i a mais fors baisscletes,
Enfans et garchonnaille ; or fai,
S'en irons; à Sainl-Nicolai
Commcnclie à sonner des cloqiicles.
Expticit li jeus de la Fuellie.
LE FOU.
Qu'est-ce? me voulez-vous mener pendre, fils
de , voleur prouvé?
LE PÈRE.
Taisez-vous. Fussiez-vous enterré, fou puant, !
Que Dieu vous honnisse!
LE FO0.
Par la mort de Dieu! ... Peu s'en faut que je ne
vous étrangle.
LE PÈRE.
Hélas! maintenant liens ce croquepois.
LE FOU.
Ai-je fail le bruit du prois?
LE PÈRE.
Rien ne vous vaul vous vous en viendrez.
LE FOU.
Allons je suis l'épousé.
LE MOINE.
Je ne fais point de profit ici, puisque les gens s'en
vont ainsi, el il n'y a plus que bachelelles, enfans
el garçonnaille. Parlons donc, d'autant qu'à Saint-
Nieolas l'on commence à sonner les cloches.
Fin du jeu de la Feuillée (78S\
I.
LE JEU ADAN LE BOÇU D'ARRAZ (780).
Seignour, savez por qoi j'ai mon abil ebangié?
J'ai esté avoec famé, or revois au clergié;
Or avertira ce que j'ai pieça songié;
Por ce vieng à vous toz ainçois prendre congié.
Or ne porront pas dire aucun qui j'ai banlez
Que d'aller à Paris soie por nient vantez ;
Chascuns puet revenir jà n'en si enchantez,
Quar bien grant maladie ensuit bien granz sautez.
D'autre part je n'ai pas ci si mon tems perdu
Que je n'aie à amer leaumenl entendu,
Si qu'encore perl il ans lès quels li pos fu.
Or revois à Paris.
Chelis! qn'i fer as -tu?
Onques d'Arras bons clers n'issi,
El tu le veus ferc de li !
Ce serait granz abusions.
N'est mie Riquiers Amions
Bons clercs cl soutiex en son livre?
Oïl, per .ij. deniers le livre :
ie ne voi qu'il sache autre chose;
Mes nus reprendre ne vous ose,
Tant avez-vous muante chief.
Ciiidiez-vous qu'il venist à (bief,
Biaus douz amis, de ce qu'il disi?
Chascuns mes paroles despist,
Ce me samble, el gelé moult loins;
Mes puis que ce vient au besoins,
Et que par moi m'csluet aidier,
Sachiez que je n'ai mie si chier
Le sejor d'Arras, ne la joie,
Que l'aprendre lessicr en doie;
Puis que Diex m'a donné engien,
(788) M. Francisque Michel a réuni, à la suilc du
jeu Adam, quelques fragments extraits de divers
manuscrits, dont les variantes peuvent servir à
Tans est que je le (orne à bien ;
J'ai ci assez ma borse escoussc.
El que devendra la pagouese,
Ma commère dame Maroie ?
Biaus sire, avoec mon père erl ci.
Mestrcs, il n'ira mie ainsi
S'ele se puel mètre à la voie;
Quar bien sai, s'onques la connui,
Que s'ele vous i savoit bui,
Qu'ele irait demain sans respil.
El savez-vons que je ferai ?
Por li espaenter, métrai
De la moustarde...
Meslre, ton f ce ne vous vaul nient,
Ne la chose à C3 point ne lient.
Ainsi n'en poez-vous aler;
Quar puisque sainle Yglise apairc
.ij. gens, ce n'est mie à refaire.
Prendre esluet garde à l'engrener.
Par foi! cil disl par devinaille
Ausi coin par ci le me laiile,
Qu'il s'en fust gardez à l'emprendre.
Amors me prist en un lel point
Que li auianz .ij. foiz se point,
S'il se veul donl vers li desfendre .
Quar pris sni au premier bouillon,
Tout droit en la verde seson,
El en l'aspresce de jovent,
«Quanl la chose a plus grant saveur,
El nus ne chace son meilleur
Fors ce que micx vient à talent.
Estez l'osait bel el seri,
Douz el clcr el vert et flori,
Delîlable en chanz d'oiseillons,
En haut bois près de fonlenele
éclaircirle texte, et que nous reproduisons â ce litre.
(7S9) Bibliothèque royale, n« 7218, ancien fonds,
fol. 250 verso col. 1.
1237»
AD A
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ADA
îm
Clere sor maitlie gravele:
Atlonc nie vint avisions
De celi que j'ai à faîne ore.
Qui me samble ore et pale et sore,
Qu'ele était donc blanclie et vermeille,
Rianz. anioreuse et deugie,
Or, samble crasse et mal laillie,
Triste et lençans.
C'est granz merveille.
Voirement estes vous muables
Quant fêlures si delilables
Avez si briefmenl oubliées :
Ne sai por qoi estes saouls.
Por qoi?
Elle a fel envers vous
Trop grand marcliié de ses denrées.
Trop, Ricliece! à ce ne tient point ;
Quar Amor la genl si enoint
Que cbascune grâce enlumine
En famé, et fet sembler plus grande,
Si e'on cuide d'une truande
Que ce soit bien une ruine.
Si crin sambloienl reluisant
D'or, crespé, cler et bien luisant :
Or sont ebéu, noir et pemlic.
Tout me samble ore en li mué ;
Ele avoit Iront bien compassé,
Blanc, ouni, large, fenestric :
Or le voi cresté et estroil;
Les sorciex par samblance avoit
En arçans, souliex et lingniez
De brun poil, cou trais de pincel,
Por le regarl fere plus bel ;
Or les voi espars et drcciez
Coin s'il vueillcnl voler en l'air;
Si noir oeil me sambloienl vair,
Sec et fendu, près d'aeointier,
Crus dessouz, déliez fauciaus
A .ij. peiiz ploiçons jumiaus,
Ouvranz et cloanz a dangier,
En simple regarl amourcus;
El si tiescendoil entre .ij.
Li luiaus du nez bel et droit,
Porsivanl par art de mesure,
Qui h donoit forme et ligure,
El de gayeté souspiroil.
Entor avait blancbes maisseles,
Fesanz an rire .ij. foisseles
.j poi muées de vermeil,
Paranz parmi le cuevre-cbief;
Ne Diex ne vcndroil mie à cbief
De 1ère .j. viaire pareil
Corn li siens adouc me sambloit.
La boucbe après le porsivoit
Graisle au cors et grosse ou moilon,
Frescbe et vermeille plus que rose,
Blanche en denture, jointe et close;
Et après forcelé menlon,
Dont naissait la blanclie gorgetc
Dusqu'aus espaulcs sanz foissele,
Ounie et grosse en avalant;
Haterel porsivant derrière
Sanz poil, blanc, et ert de manière
Sor sa cote .j. poi reploianl;
Espaides qui pas n'encrunclioient,
Dont li loue braz adevaloienl,
Gros et graisle où il aferoit.
Mes encore estoil-ce du mains,
Qui regardoit ses blanches mains,
IDwit nessoient si bel loue doit,
A basse jointe cl gresle en lin,
Couvert d'un bel ongle sanguin,
Près de la char ouni et net.
Or vendrai au monstre devant.
Puis la gorgete en avalant;
El premiers ar pis cainuset,
Dur, cort cl haul de point et bel,
Lnlrecloant le ruiolel
D'Amors qui chiet en la forcele ;
Bouline avant et rains voutices,
Que manche (Pyvuire enlaidies
A ces couliaus à dainoiselc;
Plaie jambe, ronde jambeie,
Gros braon, basse chevilleic;
Pié vauliz, haingre, à peu de char
En li me sambloli tel devise :
Si croi que desouz la chemise
N'aloil pas li sorplus endar;
El ele perçut bien de li
Que je l'amoie plus que mi,
Si se tint vers moi chiei entent-
El corn plus chierc se lenoil,
En mon cuer plus croistre lesoil
Amor et desir ci talent ;
Avoec s'en mcsla jalousie,
Désespérance cl derverie,
El plus cl plus ert en aidant
Por s'atnor, et mains me commi,
Tant c'onques à aise ne fui,
Si oi /cl du mestre scignor.
Boue genl, ainsi fui -je pris.
Par Amors, qui m'avoit sorpris;
Quar fêlures n'ot pas si bêles
Comme Amors le Mies fisl sambler;
Mes Désirs le me fisl gousicr
A la grani saveur de Yauceles.
S'est lens que je m'en reconnoisse
Tout avant que ma finie engroisse,
JNe que la chose plus me eousl;
Quar mes fains en est rapaiez.
Explicil uns gens.
II.
c est li coumencemens du jeu adan le
boçu (7901.
Seignour, saves pour koi j' ai men abil cangié?
j'ai eslé aveuc feme, or revois au clergié;
Or avertirai çou que j'ai pieça songié.
Ancoi Slli à vous lous venus prendre cougié.
Dire ne porront mie aucun que j'ai anlés
Que d'aler à Paris soie pour nient vanlés;
(790) Manuscrit du Vatican n° 1490, folio 132 recto.
Nous le reproduisons ici d'après la copie de M. de
Sainle-Palaye, insérée dans le recueil intitulé : An-
ciennes Chansons françoises avant 1300, t. I, folio
290, Bibliothèque de l'Arsenal, in-folio, n° 6 .', bel-
les-lettres françaises. M. de Sainle-Palaye avait fait
le voyage de Rome, pour veiller lui-même à I'exac-
liiude de ses copies. (Préface des Poésies du roi de
ISavarie, pages xiv, xv.)
Cascuns puet revenir jà si ifert cncanlés :
Car en grani maladie gisl souvent grans sautés
Nepourcant n'ai-jou mie ci men lans si perdu
Que j'ou n'aie en amer loiaument entendu,
Si k'encore en pcrl il à lès qieus li pos fu.
Or revois à Paris.
(Or se lieve un personnage et respont :)
Cailis ! ki feras-tu ?
Onques d'Arras boins clers n'isi (791)
(791) Jamais bon clerc n'est sorti d'Arras...
M. Fr. Michel fait à ce sujet les réflexions sui-
vantes :
< Celle imputation fut renouvelée, en 1739, par !e
sieur de Gouve, dans le Mercure de celle année, vol unie
d'avril, p. 092, 693. L'abbé Lebeuf réponrtil dans le
même recueil, juin 1739. premier volume, p. 1156-
1159, et à la suite de sa dissertation sur lEtat des
sciences en France, depuis la mort du roi Iloberl,
1485
ADA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ADA
I2S6
El lu le veus faire de li !
Ce seroil grans abnisions.
(Or resportt Adans:)
N'est mie Rikiers Amions
Roins clers et soutiexen sen livre ?
(Et uns autres respont :
Ouail, pour .iiij. deniers le livre :
Je ne voi que sace autre cose;
Mais nus reprendre ne vous ose,
Tant avés-vous mule chief.
(Or respont uns austres a ccli: )
Cuidiés-vous k'il venisl à kief,
Biau dons amis, de çou qu'il disl?
(Or respont Adans:)
Chascuns mes paroles despit,
Ce mesamble, et jeté molt loing;
Mais puis que venroitau besoing,
Et q'il in'esluet par moi aidier,
Saciës je n'ai mie si chier
D'Aras le soûlas et la joie,
Que l'aprendre laissier en doie;
Puis que Dieus m'a donné engien,
Tans est que jou l'alourne à lui;
J'ai ci assés me bourse escouse.
(Or H responluns austres :)
Et que devenra li pagouse,
Me coumere daine Maroie?
(Et Adans respont :)
Biau sire, aveuc men père iertei.
(El cieus li respont :)
Maislre, il n'ira mid ensi
S'ele se puet metre à le voie ,
Car bien sai, s'onques le counui,
Que s'ele vous i savoit bui,
Qu'ele iroit demain sans respit.
(Et respont Adans :) ■>:
Et savés-vous que j'en ferai?
Pour li espanir, mêlerai
De le niouslarde
( Et cieus li respont : )
Maislre, tout çou ne vous vaut nient,
Ne poi;:t li cose à cou ne lient,
N'ensi n'en poés-vous aler ;
Car puis que sainte Eglise apaire
.ij. gens, ce n'est mie à refaire.
Eusiés pris garde à l'engrener.
(Et Adans li respont :)
Pqr foi ! cts disl par devinaille,
Ainsi que par ci le me taille :
Qi se fust wardés à l'emprendre ?
Amours me prinl en un tel point
(792).
S'il se veut contre li desfendre :
Car pris fui ù premier boullon,
Tout droit en le verde saison,
Et en l'asprelé de jouvent,
U li cose a plus grand saveur.
Ne nus ne qace sen meilleur
Fors çou ki li vient à taienl.
Eslcs faisoit bel et seri,
Vert et cier et fiés et flouri,
En baul bos, prés de fonlenele
utiivêe en 1031 , jusqu'à celle de Philippe le Bel, arrivée
en 1514. (Dissertations sur l'Histoire ecclésiastique
".t civile de Paris; à Paris, rue Sainl-Jacques, chez
Lambert et Durand, m.dcc.xli, in-8°, tome II, p. 284-
293.) Pour détruire ce reproche, le bon abbé cite
les noms des quatre à cinq ccclésiasiiques qui, dans
les xi* et xii* siècles, oui écrit sur l'office divin. Outre
Clere sus maille gravelc;
Adonl me vient avisions
De celi que j'ai à ferne ore,
Qi or me samble pale et sore :
Adonl esloit blanche et vermeille,
Rians, amoureuscl deugie;
Or, saule crase et maulaiilie,
Trislre et tançans.
(Or respont li personne de devcinl :)
C'est grant merveille.
Voirement estes-vous muaulee
Qant failuros si délilaules
Avés si briémenl oubliées :
Bien sai pour qoi eslcs saous.
(Et respont Adans :
Pour koi?
(El cieus lui :\)
Ele a fait envers vous
Trop grant markié de ses denrées.
(Et respont Adans :)
Troutp (sic), Riqueee, à çou ne tient point;
Mais Amours si le gent emonl,
Et de grase si enlumine
Em feme, et fait samblcr plus grande
Si c'on cuide d'une truande
Que ce soit bien une roïne.
Si cring samhloient reluisant
D'or, crespe et roil en fourmiant :
Or sont kéu, noir et pendic.
Tout me sanle ore en li mué
Eleavoil front bien conpassé
Blanc, ouni, large, fcneslric :
Or lo voi crelé cl estroit.
Les sourcieus par samblance avoit
En arcans, soutiens cl ligniés
De brun poil, con irais de pinccl,
Pour le rouart (795) faire plus bel;
Or les vois espars et dreciés
Con s'il veulent voler en l'air.
Si noir oel me sembloient vair;
Sec cl fendu, prest d'acoinlier,
Gros desous; delié fouciaus
A deus petis ploçons jumiaus,
Ouvrans cl cloans à dangier
En rouars simples, amoureus;
Et se descendoit entre deus
Li luiaus du nés bel et droit,
Poursievans par ars et mesure,
Qi li dounoil fourme et figure,
Et de geclé soupiroit.
Enlour avoit blanques maissailes,
Faisant au ris .ij. foisselcs
Un peu nuées de vermeil,
Parant par mi le ccuvre-kief ;
Ne Dicus ne venroil mie à kief
De faire un viairc pareil
Que li siens adonl me sanloil.
Li bouque après se poursievoil
Graile à cors et grosse ù nioilon,
Fresque et vermeille plus que rose ;
Blance entenlure, jointe et close
El après foucelé menton,
Dont naissoil li Manque gorgele,
Trusk'as espaules sans fosele,
Ounie. cl grosse en avalant;
llarlerel poursievanl deriere
Sans poil, gros el blanc de manière,
cet Adam de Le Haie, on compte parmi les
de cette ville au xin« siècle, Jean Bodel el
lois. »
(792) 11 manque ici un vers au manuscrit du Va-
tican. Voyez le texte d'après les deux manuscrits
du Roi.
(793* Regard. (Nvte de M. de Sainle-Palaye.)
12S7
A MO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
AMO
Seur se coie un peu reploian ;
Espaules qi point n'encruçoienl,
Dont li loue brac adevaloient.
Gros el graile ù il aferoit,
Et encor esloi-cc du mains,
Qi rewardast ses blances mains,
Dont naissaient li biaus lonc doit,
A basse jointe, graille en fin,
Couvert d'un bel ongle saugin,
Près de le car ouni et net.
Or venrai au monstre devant,
Puis le gorgeteen avalant;
Tout premier au pis camuset,
Dur, corl et baul de point el bel,
Entrecloant le ruiotel
D'Aamours qi qiel en le fourcele;
Bouline avant et rains van liés,
Coin menées d'ivoire entailliés
A ses coulians à deniiseles;
Plaie banque, ronde ganbeie,
Gros bran, basse quillele;
Pie' vaulic, baingre, à peu de char.
En li me sambloil icus devise,
El croj que desous le queinise
N'aloit point li sourplus en dar (701).
Bêle genl, ensi lui-je pris
Pour Amour qi si m'eut soupris;
Car failure n'eut point si bêles
Q'Amours me les iisl sambler;
Mais Désirs le me fist gousler
A le grand saveur de Vaucclcs.
Explicit.
ALIONE D'ASTI. — MM. Monmerqué et
Francisque Michel , dans leur Théâtre au
moyen âge ( Paris, Delloye, 1839, grand in-
8° ), signalent la réédition chez Silveslre, à
Paris, en 1836, des Poésies françaises de J.-G.
Alionc d'Asti, composées de 1494 à 1520,
qui contiennent deux farces dont suivent
les titres : 1° Farsa de la dona chi se eredia
havere una roba de veluto dal Franzoso alo-
giato in casa soa. — 2° Farsa del Franzoso
alogialo a lostaria del Lombardo a tre per-
sonagii (795).
ALIT1UA ET PSEUSTIS. — Dans son
cours professé à la Faculté des lettres,
M. Magnin cite le colloque iïAlithia et Pscus-
tis de théodule, sous la date du xe siècle.
(Cf. Journ. gén. de llnstr. publ., 1833, 7 mai,
p. 256.) M. Ach. Jubinal répète M. Magnin
( Myst. inéd. du xve siècle; Paris, 1837,2 vol.
in-8°, t. 1er, préf., p. vin. )
M. Fdélesland Duméril est d'avis qu'Ali-
thia n"a rien de dramatique et n'indique que
la tendance constante du moyen âge vers la
forme dramatique. (Cf. Origines latines du
théâtre moderne; Paris, I8i9, in-8°, p. 3. )
ALLAMANDA (L) — Yoy. Parasols
(B. de).
AMOUREUX ( La farce des DEUX. ) —
La farce des deux amoureux recreatis el
ioyeux, c'est à scaroir :
Ï.F. PUEMiER AlIOl'RElIX.
Li: DEUXIEME 1D.
(794) H manque ici douze vers qui sont dans les
deux autres manuscrits.
(795) M. Magniii, dans son Cours professé à la
Faculié des lettres, signale, sous la dale du xvi°
siècle, en Italie, {'Orphée d'Ange Policier, traduit
récemment du laiin, le Ccphatc de Nicolas da Cor-
rigio le Pliilosiraie el le Demelrius d'Antonio da
1288
Tel est le litre d'u:ie farce conservée
dans le manuscrit de la Bddiothèque impé-
riale, fonds La Vallière, n° 63.
Cette pièce dale du commencement du xvr
siècle; on l'attribue à Pierre Taserye.
Elle a été éditée dans la Collection Techo-
ner. (Voy. Recueil de Farces...)
Les amoureux se confient leurs amours et
font le portrait de leurs belles
Elle vous auoyt un corset
De fin bleu lasse d'un l;>sel
latine...
... Puys après
Mancherons d'escarlalte verte,
Robe de pers large elouuerle..
Chausses noires, petits patins,
Linge blanc, sainclure houppée,
Le (•bapperon faicl en ponppee,
Les clicueux en passe sillo:.-,
El l'œil gay en esmerilloi;,
Souple et droicle comme une gaule...
AMOUREUX ET LE JEUNE {LE VIEIL).
— Le vieil amoureux et le jeune amoureux,
farce à 11 personnages, c'est à sauoir : Le
vieil amoureux et le jeune amoureux , est
conservé dans le manuscrit de la Biblio-
thèque impériale, fonds La Vallière, n°63.
Celte pièce dale de la première moilié
du xvie siècle; il est probable qu'elle fut
représentée à Rouen ; elle parait appartenir,
comme toutes celles du même recueil, à
Pierre Taserye.
Elle a élé éditée dans la Colhclion Teche-
ncr. ( Voy. Recueil de farces, moralités et
sermons joyeux, par MM. Leroux de Linct
cl Francisque Michel; Paris, 1831-183*/,
Tochener, 4 vol., petit in-8°. )
Le vicl Amoureux commence en chantant.
Vray Dieu! qu'amoureux ont de peine.
Par Dieu jaymase mieux la morl.
Sur moy n'y a ne nerf ne vaine
Oui ne se sente de remorl..
Pour soûlas désolation,
Poursagriu toute amarilude,
Pour gloire malédiction,
Desplaisir pour mondanité,
Vouela la rétribution
D'Amours...
Le jeune Amoureux.
D'amour vieut physance infynie...
Le vicl.
Femmes nous foui besles
Et rompre les lestes,
Par cris et lempesles,
Et lousiours sont prestes
Nous esircs nuysantes.
Le jeune.
Eemmes sont segresles,
En amour discrètes,
Doulces niygonnelcs,
Et tant bien parlantes...
Toute la pièce est sur ce ton.
Pisloia, les tragédies de GyraKIi, la Sophonisbe <!e
Trissino el la liosemunde de Rmcelai ; le Timon mi--
sa:ilbrope de Boiardo, les pièces de TAriosle, la C'a*
landria du cardinal Bibiena, Ja Mandragore, Ceccki,
et Asainola de Machiavel et la Courtisane de l'A-
rclin.
4289
ARB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
A VA
1-290
AMPHYTRION ou le Gela (L). — Voy.
GÈTA.
AJSDR1ASSE (L). — Voy. Parasols
(B. de).
ANDROMAQUE. — M. Magnin, dans son
Cours professé à la Faculté des lettres* en
183i-1835, citait au vc siècle Andromaque et
Hélène, d'après Sidoine Apollinaire (Descrip-
tion des jeux de Narbonne).
ANER1E. — Voy. Science et Anerie.
_ ANTECHRIST (L). — La farce nouuelle de
T Antéchrist et de trois femmes : une Rour-
geoiseet deux Poissonnières, à quatre person-
nages. C'est à scavoir :
Hamelot, première poisson- L'Antéchrist,
nière, La Bolt.geoise.
Colechon, deuxième idem,
Celte pièce du xvic siècle a été mise en
meilleur langage, en 1612, par Nicolas Rous-
set, éditeur, qui en donna à Paris une réim-
pression.
Le ton en est extrêmement licencieux;
et l'esprit en est fort éloigné de la reli-
gion.
L1 Antéchrist nous fournit les vieux pro-
verbes suivants :
Cil gaigne r.ssez qui a sa vie,
Après le beau temps vient la pluie,
Après Pasques viennent les veaux...
ARRALESTRE (Là farce de i:). — La
fnree de l'arbalestrc, a il. personnages, est
conservée dans le manuscrit du xvr siècle
de la Bibliothèque impériale, fonds La Val-
] ière, n° 63, attribué sans preuve à Pierre
Taserye.
Elie a été éditée dans la collection Téche-
ner (Paris. 1837, in-8°, k vol.
le Mary commence :
Je ne say qui me confila
Qui mesmemenl me barbouito
De m'aler mecire en mariage...
ne say rien faire
Qui plaise ni qui soyl utile
A ma femme sage sébile.
Marye fus a !a maie heure,
Quant ie luy ris. elle m^ pleure
Quant ie pleure, elle s'en rit; i
Quant ie me ioue, el se ma rit ;
Quant ie me maris, el se ioue;
Quar.t ie me ioue, el faicl la moue...
la femme.
Qui espousc un sot de nature
Ne seroyl son plaisir auoir...
C'est un sol ie plus desplaisant
Plus yiliol, plus mal plaisant
Que iamais la terre ne porta...
L'un et l'autre continuent ainsi en échan-
geant des injures.
LE MARY.
Femme ne doit point entreprendre
De vouloir son mary reprendre
Deuanl les gens que bien a poinct...
Et un peu plus bas, ce mot qui ne manque [
pas de malice.
... L'homme faict la femme telle
Qu'i la veuli ou douce ou rebelle...
Diction n. des Mystères
ASES ET LES WOLFLNGEN (Les). —
M. Van der Hagen (Eddalicdcr, préf. p. xi),
pense que les anciennes traditions des Ases
et des Wolfungen auraient pu être repré-
sentées dans l'Hippodrome de Constanti-
nople.
M. Edclesland Duméril critique cette opi-
nion; il n'en voit point de preuves. (Cf.
Orig. lat. du th. mod. ; Paris, 18i9, in-8" p.
10, note 5. )
AUCASS1N. — De Boquefort est d'avis
qu'Aucassin et Nicolelle fut représenté. (Cf.
De l'état de la poés. fr. dans les xue et xm"
siècles; Paris, 1815,in-8°, p. 259.)
AULULAIRE (L') — VAûluluire ou le
Querolus a été daté comme le Gèta du xu*
siècle.
Ce poëme semble appartenir également à
Vital de Blois.
On n'en signale pas les manuscrits.
La plus ancienne édition qui en existe-
est celle de Jérôme' Commelin; Ritter-
shus l'a donné de nouveau; puis MM. O-
sann, en Allemagne, et Wright, en Angle-
terre.
M. Osann pense que ce poëme fut com-
posé d'après le Querolus du ive siècle, attri-
bué à Plaute par Vital de Blois; le style en
est absolument celui du Gi'ta.
Ce poëme n'aurait pas plus que ce dernier
été destiné à la représentation.
M. Edelestand Duméril considère VAulu-
laire de Vilalis, qu'il date du iii" siècle,
comme une refonte du Querolus dont la date
ne remonterait qu'au vu" siècle au plus tôt.
(Cf. Origines lat. du th. mod.; Paris, 1839,
p. ik et 15); c'est le produit de la renais-
sance des lettres du xne siècle : on remet
alors des intentions littéraires dans les
compositions dramatiques, mais on se sert
du vers élégiaque, on amalgame les indica-
tions scéniques avec le dialogue et on les fait
môme entrer dans le vers. (16, p. 33, 34. )
— Voy. Gèta.
AVÀNTUREULX ( V ). — L'Avuntureulx,
farce nouuelle à iim. personnages, c'est àsca-
uoir :
L'AUANTUREULX,
GbERMON'SET,
CuiLLOT,
Et RlGNOT.
Cette pièce est conservée dans le manus-
crit de la Bibliothèque impériale, fonds La
Vaiîière, n° 63.
Eile date de la première moitié du xvi*
siècle.
L'unique édition très-fautive qui en existe
est celle donnée dans la collection Téchener
(Voy. Recueil de farces).
l'auantureulx commence :
Qu'esse d'homme qui s'aventure,
Qui son bruicl et honneur procure,
Et qui est louiours sur les rens,
Sans iamais dire : ie me rens?
, Son fils Guefmonset lui demande bénéfi-
ces cl cures, surtout
Le bénéfice de Rignot,
Qui est fils Guillol le maire.
kl
1291
BAB
DICTIONNAIRE DES MY STERES.
BAC
1295
Le grand Avantureulx envoie Guermonset
sommer Rignot d'abandonner son bénéfice.
Guillot défend son fils. L' Avant ureuix doit
soutenir le sien, il se prépare à l'attaque :
Mais arme moy bien par derière
El que mon barnoys soyt bien clos.
GUERMONSET.
Quoy ! vonlez-vous tourner le dos.
l'auantureulx.
Nenin pas, mais quant nous fuyons,
Y fault craindre les borions,
Autant deuanl come deriere...
Les deux champions sont en présence,
aussi émus l'un ^jue l'autre de leur futur
combat.
GUILLOT.
Jésus qu'esse sy que i'o ?
L'auantureulx aproebe fort.
Jauantureulx.
A mort, vilain, à mort, à mort.
GUILLOT.
A! Rignot, il est eourageulx,
Pour un home et auanluieulx-...
l'auantureulx.
Or sa, Guillot, nous sommes pies,
louslons a qui esse qui lient.
GUILLOT.
Dictes-vous a bon esient
Yraymeni ie ne vous fauldray pas.
l'auantureulx.
A! dea.dea, ne me frapes pas;
Combien que rien ie ne vous crains.
GUILLOT.
Sang bien! se g'y boute les mains
le m'en raporle bien a loy ;
Ne l'aproche pas près de moy,
Sy tu veulx que ie me deffende.
l'auantureulx.
"Vaull y poincl mieux que ie me rende?
Guermonset que s'en semble bon.
GUILLOT.
Y vault mieux que nous apoincton
Colin, les coups sont dangereulx...
Les deux poltrons, après mines de combats,
finissent par s'accorder; le récit vantard de
leurs exploits passés égayé la fin de celle
farce que termine la conclusion suivante :
De soles gens sole raison,
De les hanter on ne doibt poincl,
Mais l'uyr en toute saison.
Prendre ausy de Dieu la maison
Les biens ei la diuine office...
C'esl un pesche contre l'esprit...
AVENTURE (Le jeu d' ). — Li jeus d'a-
venture sont conservés dans le manuscrit
de la Bibliothèque impériale, ri° 7218.
Legrand d'Aussy semble y voir une pièce
dramatique (Cf. Fabliaux; Paris, Renouard,
5 vol. in-8% t. IV, p. 2W) ; M. Ach. Jubiual
est d'avis que c'est une erreur et que ce pe-
tit poëme n'a rien de dramatique; toutefois
pourrait-il appartenir au théâtre de famille
ou de feslins du moyen âge. (Cf. Œuvres
complètes de Rulebeuf recueillies par M. A.
J. . . .; Paris, 1839, 2 vol. in-8°, p. 131.)
M. Trébutien a publié un Dit d'Aven-
tures dont le but est de se moquer de la che-
valerie.
M.YVright (Anecdota literaria, Lond., 1844,
in-8°;f, donne un jeu d'aventure d'après un
manuscrit de la Bibliothèaue Bodléienne qui
commence ainsi :
RAGEMON LE BON.
Deu vous dorra granl honour,
E granl ioie et grant vigour,
la de çeo ne fauderez,
Taunl cum vous viverez...
Cette pièce appartient au xv* siècle.
AVEUGLE (L'). — L Aveugle, son valet et
vue tripière, farce joyeuse à .m. personnages,
■c'est à scauoir :
Vn aveugle.
Son varlet.
Et VHE TRIPIERE.
Tel est le titre d'une farce conservés dans
.e manuscrit de la Bibliolhèque impériale,
fonds La Vallière, n° 63.
Celte pièce date du commencement du
xvr siècle; on a pensé qu'elle avait pu être
représentée à Rouen et sortir de la [ilumo
de Pierre Teserye.
On la trouve éditée dans la Collection Te-
chener. (Voy. Recueil de farces, moralités, etc.;
Paris. 1831-1887, k vol. petit in-8°. )
Le Varlet de l'Aveugle et la Tripière se
querellent, le varlet renverse les « pié de
beuf et boudin... »
LA TRIHERE
... Je vaulx, mieulx loy
Ne que fusl onq ion père
Me vien tu faire lanl d'esmoy?
Par l'ame de ton grand-père!
Huy ie le desuisageray.
LE VARLET.
Au ! ma douce saincte Agate !
Elle m'a baille de sa pâte,
Et sy m'a rompu le visage.
LA TRIPIERE.
Ne reuiens plus se lu es sage.
LE VARLET.
Lesser y nous fault le caquet,
Car nous ferions fy la ferye.
Prenes eu gre la compaignye.
AVEUGLE ET LE BOITEUX (L' ). —
La Moralité de l'Aveugle et du Boiteux, at-
tribuée à André de Lavigne, a été éditée par
M. Francisque Michel, en 1831, chez Sil-
vestre, à Paris; elle fait partie des Poésies
des xve ef xvie siècles (Paris, 1830-1832, grand
in-8°.)
M. Raynouard a critiqué ce livre dans le
Journal des Savants ( cahier de juillet 1833,
p. 385 ).
B
BABIO. — Le Babio daterait, selon ses
éditeurs au plus tôt du xne siècle ; cette date,
indiquée seulement par les manuscrits, est
contredite par tous les détails de mœurs de
la pièce.
L'auteur du Babio est inconnu ; on a at-
1293
r.AB
NOTICE SUtt LE THEATRE L1BUE
BAB
1294
tribué celle pièce à Vital de Blois, auteur du
(lèlabi daQuerolus, se basant sur trois faits
également insignifiants : le premier qui est
l'analogie de la facture des vers.; le second
qui est une certaine ressemblance d'idées
et de connaissances; et en dernier lieu, la
rencontre dans deux manuscrits, du drame
et du poëme. La simultanéité de copie au
xnc siècle du Babio et du Gèta ne prouve
qu'une chose, c'est le goût très-répandu des
vieilles pièces de théâtre, dont on recher-
chait également, sans plus de critique, les
remaniements et les originaux. Le mode des
vers est celui qui fut le plus répandu depuis
l'invasion des barbares; au vr siècle, no-
tamment Forîunat, en use presque constam-
ment. Quant au style, les rapports d'idées
et d'expressions que l'on remarque en',re Jo
Gèta , rAululaire et le Babio, ne peivent
que témoigner de la haute antiquité du der-
nier, puisque le Gèta et YAidulaire, comme
on en convient, sont des poëmes exécutés
sur d'anciennes pièces dont les didascalies
mit passé dans le récit, et que l'une de ces
pièces, le Querolus date au moins du vie ou
du vnc siècle, a contester la date inûnimen
probable pourtant du ive siècle.
Les Anglais n'osent s'attribuer complète-
ment le Babio; mais ils profitent encore du
peu d'éludé que l'on a lait de cette pièce.
De nombreuses et positives informations ne
permettent pas de croire qu'elle ait été
écrite en Angleterre ; le Soloen et le Trans-
Alpes qui y sont répétés, indiquent un point
plus rapproché de l'Italie. Le Babio est fran-
çais, gaulois si l'on veut, et l'Angleterre l'a
imité. (Gower. Voy. plus bas.)
On n'en connaît que trois manuscrits qu'un
hasard qui reste à expliquera réunis en An-
gleterre :
Le premier, à la Bibliothèque Cotton-
rxienne de Londres, Titus A, xx, où la pièce
est enfouie a coté du Gèta dans un recueil
de poésies anglaises et latines des xn*, xine
et xive siècles, datant du règne d'Edouard Ier,
et très-difficile à lire, à ce qu'assure M.
Wright. Il contient des indications margi-
nales relatives aux personnages, qu'a relevé
le savant anglais.
Le second appartient à ia Bibliothèque Bo-
(790) « Threc manuscripls areknown oi luis poonu
One is in llie Coltou ins. Titus. A. xx. which,
amongsl a vasl mass of anglo-la lin poctry of ihe
Iwolfih, thirleenlh, antl fourieenlh centuries, con-
lains also a copy of llie Gela, m imperfect copy of
llie Dcscripiio Norfbléensium and the only copy (
liavc tnel witli of John of S. Orner's answer lo il. lt
is a roanuscript of ihe reign of Edward III of En-
gland, and is very diflicult lo read, boolli onaecount
of llie hand-wriling, and of llie unusnal contractions
which somelimes occur. The style of the Babio, and
niany of the phrases and ideas, resemble so closely
those of the Gela, lhai 1 am almosl inclined lo iliiuk
il may be the work of the sanie anlbor.
c The two olher ms. of Ihe Babio arc preserved
in ihe.Bodleiau Library al Oxford; one of which,
ms. Bold., n° 851 (3041 of llie old Catalogue) con-
tins also the Gela. The ollier, marked Diglty, n» 55,
appears to be miist llie best manuscripi ol ihe three.
1 am indcbted for the description of thèse ms. lo
dléienne d'Oxford ( n° 831, 3041 du nouveau
catalogue); le Gèta s'y rencontre égale-
ment.
Le troisième se trouve également dans la
Bibliothèque Bodléiennc ( Digby, n° 53); M.
Wrigth, assure que c'est le meilleur des
trois, le seul qui contienne le prologue en
prose et les deux derniers vers du Ba-
bio ( 7%).
Il n'a été publié du Babio qu'une seule
édition complète dans le recueil de mystè-
res et de poëmes latins de M. Thomas
Wright, intitulé : Early mysteries and olher
latinpoems oftwelfth and thirlhenth centuries.
(London, Nichols, 1838, gr. in-8\)
M. Bruce-Whyte ( Histoire des langues ro-
manes et de leur littérature. (Paris, 1841,
in-8n, 3 voi. [annoncés, mais deux publiés
seulement], t. Ier., p. 408.) a donné quelques
fragments du Babio; il attribue au manus-
crit de la Bibliothèque Cottonnienne la liste
suivante des personnagesaveedes gloses, qui
contiennent de nombreuses erreurs inexpli-
cables pour le temps où fut écrit le manus-
crit et qu'on est contraint à supposer mo-
derne, M. Bruce-Whyte ne donnant pas à
leur sujet les indications nécessaires :
PERSONNAGES.
Babio, pauvre vieillard, amoureux do Viola, méfiant
et soupçonneux, dont les habitudes d'ava"rice ei
les tourments font le fond principal de la comédie.
Croceus, jeune homme riche et libéral, également
amoureux de Viola, dont il obtient la main au dé-
triment de son rival.
Fodius, serviteur de Babio, intrigant avec Peouli,
cl dupant sans cesse son mr.îlre.
Viola, jeune femme confiée aux soins de Babio, el
parfois appelée fille de Pécula.
Pecul a, parfois appeiée sœur de Babio; mais, d'a-
près le litre et le dénouement de la pièce, il sem-
blerait qu'elle est sa femme.
Fama, caractère allégorique, fréquemment intro-
duit sur la scène dans l'enfance de l'art drama-
tique en Angleterre, el n'agissant probablement
dans celle pièce que parce que l'auteur n'a point
trouvé d'aulre moyen d'amener la calastrophe.
Eustalus, Gulius, Bavo, serviteurs de Croceus.
La plus ancienne opinion formulée à
propos du Babio est celle de Boston Bury ;
le nom de Babio rapproché par lui du nom
the exlrein kindness of the Bev. William Curelon,
assistant Keeper of the manuscripts in the Brilish
Muséum, who, during a very transilory visil io Ox-
ford, collaled wilh the Digby ms. a few passage in
the poem which were so corrupt in the Colton ms.
as lo be quile (inintelligible. 1 regret much thaï i
bave notbeen abletoobtain a more carofu! collation.
« In the Digby ms. Ihe poem is introducled by the
following préface in prose; Incipit liber, elc. The
poem ends in ibis ms. wilh ihese two Unes :
Qui scripsil, valeal : Babio tristis eat,
Explicil comedia de Domino Babione.
c In llie second Oxford ms. (Bodl. 851.) the poem
bears ihe following tille : t De Babione, et croceo
domino Babionic, et Viola (iliastra Babionis, quant
Croceus dilexit invita Babione, el Pecula uxore Ba'
bionisel Fodio servo ejus. > tWiuciiT, Eatly niyatc*-
ries, Préf > p. xiv-xvi.)
1295
BAB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAR
1206
du théologien anglais Pierre ou Ci. Babyon, selme, on le croit île Pierre Babion qui, au
lui a fait supposer que le titre de Comœdia rapport de Posseviîi ( Appar., sacer., t. II,
Babionis se rapportait à cet écrivain duxiv' p. 240.), florissait vers 1360. Il est facile de
siècle. Baie s'exprime ainsi d'après lui : s'en assurer, car on trouve à la Bibliothèque
« Pierre Babion, écrivain très-élégant et royale de Paris, manuscrit n° 4123, un com-
poëte remarquable, se distingua parmi les mentaire sous le nom de Babion, qui com-
savants, de manière à mériter l'admiration mence par les mêmes mots que celui sur
de tous les âges. Très-jeune encore il excel- l'Evangile de saint, Matthieu. Babion a écrit
lait dans la poésie... D'esprit vif, d'invention
heureuse, plein de grâce et de majesté, il a
laissé un nom parmi les théologiens par ses
discours et ses commentaires. Ses écrits sont,
d'après le catalogue de Boston de Bury : Ex-
position sur saint Matthieu; — 70 sermons;
— une comédie en vers; — Sur l'office de la
Messe; —quelques homélies ; — et diverses Thomas Smith et avec lui Warton, le grand
poésies. » historien de la poésie anglaise, répètent celte
Boston pense qu'il vécut auxiv'siècle (797). absurdité (800).
John Pits ( De illustr. anglic. scrip. , Le temps môme où ces critiques anglais
p. 406.) reproduit les erreurs de Baie; supposent que vécut le prétendu Babyon de
Tanner (798), dit : la Comœdia Babionis est une erreur, ainsi
encore des sermons sur divers sujets, dont
les copies subsistent dans les Bibliothèques
d'Angleterre. Il vivait vers 1320. Jean-Pit-
seus (De illustr. Angliœ. scriptor.) en fait
mention ( œtate xiv, Adam, 1317, scriptore
462, p. 406).
Enfin, outre Bury, Pits, Baie et Oudin,
« Babyon (Pelrus) Anglais de nation, rhé-
teur et poète remarquable, a écrit :
« Un commentaire sur saint Matthieu qui
commence au livre I, par ces mots: « Domi-
nus ac redemptor noster, etc. »
« Des sermons...
« Unecomédieen vers...mss.,l° Bibl.Bodt.
que le prouve la note suivante
« Bibliothèque de Laon.
«109, in-4° sur velin. — (Glossœin No~
vum Testamentum)x\i' et xm° siècles. — Pro-
vient de l'abbaye de Vauclair. Sur les feuilles
de gardes, au commencement et à la fin du
volume, sont les pièces suivantes : n" 7, In-
Arch. B. 52.— 2° M. Cotlon, titre A, XX,30, cipiunt glose G. Babionis super Matheum Do-
« Un livre sur l'office de la Messe.
« Quelques homélies.
a Des vers.
« Il vivait en 1317.
(Cf., Bal. vi, 23 v. Pits, p. 406.)
Le savant C. Oudin n'échappe pas aux
mêmes erreurs (799).
« Pierre Babion, dit-il, Anglais, qui vécut
au xive siècle, fut élevé dès la plus tendre en-
fance par les meilleurs précepteurs dans le
commerce des lettres ; il se fit un nom dans
minus ac redemptor noster. Commentaire im-
primé parmi les œuvres de saint Anselme,
t. III. j). 799, Oudin nomme l'auteur Pierre
Babion, et le fait vivre au xiv' siècle (801) »
En Allemagne, Possevin(802),Leyser (803),
reproduisent les indications erronées des
savants anglais.
La critique moderne évite le piège. Avant
même que Je texte du Babio ait été publié
et sur la seule indication du titre. M. Ma-
gnin, dans son cours professé a la Faculté
la suite par son habileté dans l'explication des lettres, en 1835, citant la pièce deBabion,
des livres saints. Boston Bury, dans ses l'indique comme une œuvre mal attribuée h
écrits, restés manuscrits, sur les écrivains l'Anglais Babion; évidemment l'on a prisa
d'Angleterre, lui attribue le Commentaire sur tort le nom de l'un des personnages de la
l'Evangile de saint Matthieu, commençant par comédie pour celui de l'auteur. (Cf. Journ.,
ces mots : Dominus ac redemptor noster, qui gén., de l inst.,publ., 1835, 29 nov., p. 67.)
a été imprimé à "Cologne en 1573, chez Ma- Mais il semble douteux au savant critique
terne-Cholin, avec les œuvres de saint An- que cette pièce, née au milieu de la renais-
selme de Cantorbéry, et dans toutes les an- sance de la littérature érudite du xui'' siècle,
ciennes éditions du même saint, jusqu'à ait pu être jouée, sauf peut-être dans les
celle donnée à Lyon parle P. Théophile Ray- universités.
naud, in-fol., 1630, purgée de tous les mé- En 1838, M. Wright donne enfin le texte
moires étrangers. Ce commentaire n'ayant du Babio, d'après les trois manuscrits con^
ni Je style ni le caractère du commencement nus. 11 indique la fausse attribution du Ba-
du xn* siècle, époque où vivait saint An bio au théologien anglais Babjon (804), mais
(797) loann. Bale., Sudovolgio Anglo, Ossoriensi
ap. Hibern. episcope, Scriptorum illustrium maioris
Brytannie.... Calalogus; Basileae, loann. Oporiii.,
4559, in-fol., cenluna vi, n° 25, p. 467.
(798) Thomas Tannerus, episcop. Asapliens. Bi-
bliotheca britannico hibernica , sive de scr.... Com-
menlnrius, Londini, Guill. Bowyer, 1748, in-fol.,
\° Babyon.
(799) Casimir Oudkn, Commentai-, de scr. Ecclesiœ
antiq. ; Francforl-sur-le-Mein, 1725, in-fol., 3 vol.,
I. III, col. 799.
(800) Cf. Thom. Sm., Catalogus ; Warton's, Ris-
tory of Engl. poelr., t. Il, p. 65, 3e édition.
'80IÏ Calai, gén. des Bibl. des Dép.; Paris, 1849,
in-4», t. 1er, p. 95.
(802) Apparatus Sacer, t. II, p. 240.
(805) llist. poel. med. œvi, p. 1144.
(SQiÎThcComœdia Bab;o)iis,asirel\ ;is Ihe Geta,ha\e
frequenlly been looked upon, by those who had not
examined lliem closely, as dramalic pièces, and Iiavc
been more ihen once a snbject of controversy. Ail
doubt inusl now be exlinguished by iheir publica-
tion. But tbe lirst oi thèse two pièces bas been the
snbject of a slill grealer niislake. John Bale, and
aller him Pils, and olhers, look the lillle of this
poem liom the Cotlon nis. wilhoul reading^any far-
llier, and inlerpreted ComvBdia Babionis as meaning
a comedy written by Babio; and the naine of Pelrus
$297 BAB
il émet l'avis que ]eBabio et le Gèta sont du
même auteur.
M. Bruce-Whyte constate que le Babion
n'est point une copie ou une refonte d'une
pièce antérieure ; le Gèta au contraire, est
calqué sur Y Amphytrion de Piaule. « Le
Babio , ajoute-t-il , pour l'humeur comi-
que et la netteté avec laquelle les carac-
tères sont dessinés, est peu inférieuràPlaute
et surpasse considérablement la plupart des
productions du moyen âge sons le rapport
delà latinité.» Après cet éloge, M. Bruce-
Whyte remarque que ce drame, quoique
original, présente un grand nombre d'imita-
tions serviles de Piaule et de Térence. Mais
la scène entre Babio et Fodius, à propos des
préparatifs du festin, est écrite avec une
verve humoristique inimitable. Le Dimidium
gallinœ n'aurait rien d'égal dans Piaule
bu Molière. Quant à la date, il déclare im-
possible de la fixer: toutefois il faut noter
que Gower, qui écrivait vers l'an 1380, donne
uno esquisse du Babio dans sa Confessio
umantis et que, dans la table de ses poëmes,
édition Berthel (London, 1532, in-foL), il est
fait mention de Babio en ces termes: Hoive
(lie Romayne nigarde called Babione was de-
ceyved ofliis fayre love Viola by the liberatie
and gentelnesse ofCroceus. Au xvi* sièc'e, l'é-
diteur de Gower rapportait donc l'histoire
de Babio à une époque romaine.
L'Histoire littéraire de la France (t. XXII)
en dernier lieu s'est occupée du Babio. L'ar-
Babyon, who is sa'ul lo have been an Englishman ami
a ibeologian, is lurnecl very uneëremoniosly inio
lliat of a poet also. < (Earlu mysteries, Prêt.,
p. xiv-xvi.)
(805) COMOEDIA BABIONIS.
(«)
Me dolor infestai foris, inlus, jugiter omnis,
{Jllra si doleam, non ego ferre queam.
Causa quid est, laceo : sed ohesl lacuisse dolorem ;
Quîc laiet, ut référant, plaga salule caret.
Cui relegara(o') non est, non eslcui fidere possum ;
Alba nec est cornix, lida nec alla (kles.
Hein delegi (b) limeo, timeo ne fabula fiam.
In capuii (c) hoc malo clava trinodîs cat.
Rem releram (d) mecum, soli miclii (e) lidere possum ;
Sed quis bic est? sonuii vox sua, cerno virum.
Profuit liin lacuisse (f) miebi, tenuisse dolorem (g);
Profuil, uldidici, lendere colla grui.
Sed (/<) quis adesl? fallor. Fallit dolor ipse do-
[lenles : —
Acccdam propius (i), est canis, ecce latrat!
Care Melampe, lace ; slipis hesternae memor eslo;
Babio suin :lalra,care Melampe, minus.
Ecce canis transit, sed adliuc dolor isie remansit;
Est individuus, mobilitate carens.
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAB
MD8
411.)
(a) BABIO.
(a*) Hcferam. (Leçon de M. Bruce Whyte, p.
lu) Dflpgi. (Leçon de M. B. W., ibid.)
(c) l'.apul. (B. \V., ibid.)
(d) Relevai, dans le Ms. Bodléien. M. Bruce W'hytc,
en la donuani, déclare celle leçon mauvaise.
(e) Milii pour michi, partout où le mot se rencontre.
(B. \V., passim.)
(/") Milii lenuisse dolorem. (B. W.. p. 412. )
(g) ïacuisse loquelair,. (Ms. B. ) Leçin déclarée mau
%ai>>e par M. B. W., ibid.)
(h) Si. (Idem.)
(«) Accédât proprius. (Idem.)
(j) De siola. (Id.)
ticle est de M. Leclerc. Cet écrivain débute
par remarquer qu'au moyen Age, de même
qu'aux anciennes époques des Grecs et des
Latins, les remaniements de pièces de théâtre
ne sont pas inconnus, ce dont YAulularia, le
Gèta sont la preuve. Le Babion toutefois ne
paraît pas venir de l'antiquité; mais si elle
y était pour quelque chose, elle serait sin-
gulièrement défigurée. Ce n'est qu'un récit,
nullement un drame, quoique les scènes y
occupent une grande place, et que, dans le
manuscrit Cotlonnien, les noms des person-
nages soient indiqués à la marge. Pour con-
clure, M. Leclerc jette cette phrase dédair-
gneuse : « Tout cela est fort insipide : un
style qui ressemble, mais avec plus d'incor-
rections, à celui du Gèta, non moins de fau-
tes de prosodie, une copie très-altérée,
ajoutent encore à l'ennui de ce mauvais
drame. » Il est évident, par la légèreté de ce
jugement queM. Leclerc, versé, si l'on veut,
dans la connaissance du latin des bons temps,
ignore la langue de la barbarie, en fait natu-
rellement fi sans la connaître, et n'a pas pu
lire le Babio.
Sous ce titre, il y a deux actions distinc-
tes qui forment un drame en deux journées,
ou deux parties.
PREMIÈRE ACTION (805^
PERSONNAGES.
n
Babio, Croceus
Vue! Viola 0')! Doleo, non aller id audiat ullus:
Eu (k) ! petit banc Croceus, cor petit ille meum.
Non dabo , nec dabitur ; Croceus petit , hanequo
[negabo;
Sed formido preces principis esse minas.
Banc dabo, si dicam, morior (l); rapui miclii vi-
[tam (m) :
Si dala non fuerit, mors (n) michi finis erit.
En (o)\ moriar, miclii sit limor, hinc amor,, Ilinc
[homicida.
Sed (p) non sum (</) limidus, prastat amure mori.
Sed, Babio, lepus es, et mers, si te bene novi :
Amens, si libi mus parvus oberrat (s), eris.
Egi miraïamen; fuimus très, parait umbra, —
Spes erat esse lgpum, mus erat ille brevis.
Fitiuga, percurrunt, sequor hos limido pede clau-
[dus :
Laus est dum fugimus tardius esse michi.
Qua rationequeam Viola caruisse sodali;
Ejus(0 in ore favum mellilicalis apes;
Skiera sunt oculi ; quales fers, Pboebe, capilli ;
Pbillis inest digitis, in pede pes Tbelidis (u)
Feil Ilclenye faciem , gracilem praicincta (v) Co-
[rinnam,
leçon non admise. )
sed melius : rapilur
(k) « Eu. {Id.)
(/) Moriar. (B., ibid
(m) Sic uterque mss
(W.)
(n) C.rux.
\o) Ku.
(P) |-m
(r) Babio ad seipsum. (Ms. Coiton.) — (M. Wn.)
Is) Oberret.
(t) Cujus.
(«) Taidis. (Tliaidis.) (B.) .
(v) Dubiuslocus. In B. legitur precuncla; in l*
mihi vila.
n ugfr.
Î299
EtTALI
C.UL1
Bavj
BAB
serviteurs de
| Croceus.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAB
1300
Pecula, femme de Bubio.
Viola, sa belle-fille.
Fodius, son serviteur.
Le vieux Babio s'est épris c. amour pour
ceus décide de son sort en l'arrachant ù la
la belle Viola, qui favorise en secret l'amour
de Croceus, propriétaire du domaine que
régit Babio. Obligé de lutter de ruse avec son
beau-père qui veut disposer d'elle, Viola ne
repousse point les tendres épancbemenls
du vieillard atrabilaire, et attend que Cro-
Meridiem risu, dente eoequal ebur.
Talem cum videat, felix cui langere l'as csl;
Tîiura die redolel, balsama nocte sapit.
Tota nilet, Viola; niteat si peclore fida!
Sed (a) mecum nianeal; si procul ire negct.
Dum Croceo Violœ sunl convenienlia nulla,
'4jt color est inipar, sic fore corda precor.
Ibo (b), loquar, nilar fragilem fmnare puellam,
Sed solidum fragile non eril esse levé.
Flos Viola (c), Viola? floris viror inviolali
Effigies veris, meridiane décor;
Gemma lui generis, felix genilura parcnlis.
Si non invideanl nnmina, pêne dea.
Plus Viola florens, Viola, plus flore reccnti,
Pins precio piscslans, plusque décore dccens.
Et quid Denoneo Croceo plus inclyla flore?
Cujus si spernas nomina. salvus ero.
Cum te non genui, geuito michi carior omni,
Filia cum non sis, filia plusque michi.
Stabis (d), an abcedes (e)? Si slas, tune vivere pos-
fsum:
Si cedis (/")» nequeo : — Tu mea fala tenes
Pulcra liccl Croceo , deformis sil michi forma ,
Non Paridem superat, non ego mouslra sequor,
Et piper cligilur, et vellera nigra legiintur,
Etnix cum maneal (g), esse molesta solet.
Esto mictii domina , salvo libi subdar (li) honore ,
Vult fore rex Croceus , Babio servus eril.
(0
Quid michi cum Croceo? Sibi quam vult cligai (j)
[iHe;
Vi, prece, vel prelio, non ero pignusei.
Auro si pascal, Tyric (k) si me tegat oslro ,
Orbem si michi det, non michi carus erit.
Occidt't ante polus.'pelagus siccahilur ante,
Ouam Babio, Viola derytel esse tua.
v c W
Vita foret sine te, mors est michi vivere lecum ,
Nunc utinam rapiar, est mora pœna michi.
INox mea nunc abiit, michi nunc in mente diescU(«),
Jaclatum pelago me modo (o) poilus habei.
Dos michi nulla (p) deest, Croesi sum dives ad
[instar,
Liber ut Augustus, plus Jove pêne potens.
Sum lotus felix , si nox la^ est ista tidelis ;
(a) Si.
(b) Ho.
(c) Babio Violœ. (M. Wright, Didascalie des Mss.)
(<t) Babio.
(e) Abscedes.
(/") Cèdes.
(g) Etnix cum nileat. (Ms. Cotton.) — (M. Wbight.)
(//) Subter.
(i) Viola Babioni. {Didascalie donnée par M. Wn. i
(;') Eligit.
(fc) Tirio.
Il) Viola ad se. (Didascale M.Wn.)
(m) Babio ad se.
(«) Babion... irompé.. donne un libre cours à sa joie,
dans un discours, adressé, comme cela esl indiqué en
marge dans le manuscrit, en partie à lui-même, en par-
lie à Viola, qui prolile de l'occasion pour s'esquiver. —
(M. B. W., p 414.)
(o) Meus. Sic in ms. mendose.
(p) Nulli.
(g) Mox.
(r) A Viola dont il n'a point remargué la fuite. (M.
B. W. )
(*) Quis.1
Sum felix lotus , si libi par sit opus.
(0
Osc.ila multa dabis , data ssepius hic iterabis :
Oris turribulum spar^it aroma lui.
In lare quid (s) soiniil? Michi lit prurilus in aure;
Bumores aderuni : det Deus esse bonos! (t)
(K)
Multa satis numéro michi nunc gradiunlur aralra,
Ad libitum fiant amodo seela michi.
lloslis abil Viola, Peculam securus habebo,
Post Violam poiero liber adesse dolo.
Ha ne odi, nosiros nam semper comperit aclus
Jam non insidias qui michi tendat crit.
Rem referam Peculœ
M
Croceo ma filia nubet.
Vi iota sit ut id nilere; nitarego.
Ilostia (x) rétro steti , Violam lestudo ht) lenebat,
Sic Babio Vioke, sic ea dixil ei.
Inlulii ad noslra la li tans audiia recepi
Del Deus hinc lollat! plus gemo morte moram.
Ecce domus lenel hune; quidnam gérai, ibo , videbo,
Audio murinur ibi, murmura pondus habeut.
(*)
Ecce venit Croceus, Violam vult ducere nuplam,
Ducere vull Violam, me premal ense prias.
(aa)
Fide Fodi, propera; bovis, hinc procul eice {bb) IW
| muni ,
Spargat mundalam (ce) rite papirus liumum;
Ligna slruanl ignem, circumdant (dd) fœna coronani,
Hinc sedem cumulam (ee)t fultra {(f) deinde
[•loca.
Accelerate coquos (gg),hc splendida cœna parclur,
Macia galliiiain ; sed nimis esse pulo.
Dimidium serva , Croceo pars altéra delur,
Quale soles sociis fac oins alquc fabas.
Ecce bonus quadrans, eme panes, pocula , pisecs;
Non opus esl tanlum promere, prome lamen.
De thalanio Pecula facexeal, liosque salutel;
Fac laleal Viola, silqne reclusa sera.
Oicurram, vullusque bonos conabor habere ;
llospitibus vullus quis scil habere bonos?
(//A)
O Babio ! bubo bubonc perosior omni !
Cum quadrante luo fœda sub an ira fores (»')
(l) Il sort. (M. B. W.)
(«) Fcdls. (,Vs. Cott. — M. Wr.) —Fodius q'i, ca-
ché derrière la porte a loul entendu, entre. — (M. B.
W.)
(d) Pecula entre ou plutôt se rapproche de Fodius. M.
B. W.)— Fodius Petulœ. {Ms. Cou.) — M. Wa.)
(x) Ustia.
(y) Teslitudo. (Cott.) — (M. Wr.)
(z)'Babio. (Ms. Coll.) — (M. Wn.) — M. Bruce Wliite
explique ainsi ce jeu de scène, « Là-dessus, ils guitten'.
scène, et l'on voit Babio et Fodius en conversation dans w
autre coin du théâtre, rcpréseniani l'intérieur de la mai
son de Bubio.
(aa) Babio Fodio. (M. Wa.)
(bb) Ejice.'« Eice. in ms. de more. » (B. W.)
(ce) Mundalum. (Velus consueludo pavinientum jun cis
sternere. » )
(dd) Circumuent.
(eej Ciuulam , in mss., Forsilan pro slridulam. ( B.
W.)
(ff) Fulcra.
(gg) Accelerare cocos
(hh) Kodhis Bnboni. (Cott.) — (M. Wn.
(ii) SubaDlur fores mendose.
1301
BAB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAB
130Î
tutelle de Babio. G'est ce qui arrive en effet:
sa maison est envahie par Croceus et ses
serviteurs, qui déguisent d'abord leur des-
sein, puis finissent par enlever Viola, au
suprême deuil de Babio, qui reconnaît alors
0 quales epulae! brevis aies (a) dimidiatur ;
Caufibus aique fabis quam bene slabit hymen!
Semper eris quod eras, tribiilus non defereluvas!
Cum fueril largus fiel asellus equus (b).
En video Croceum; praeil Euialus , hune que se-
[quunlur
Venlripotens Gulius et Bavo vasa vorans.
Bis duo (d) ! quis l'eret haec ? legio sil ! vse Babioni !
Euialus et Croceus, Gulius atque Bavo
Dent digili numerum ; ni fallor, unus el aller
Terlius et quarlus: vix numerare queo.
(«)
Domne meus, Croceus, valeas! valeantque cohor-
tes!
Heu (/") michi! duo va'e dicere posse velim.
Os animum sequitur (g), Salhanœ sinus esse re-
feuso ;
L)et Deus ul prosit, sitque faceta salus.
Pax lihi! paxque luis! lelix sors vos lulit ad nos,
Est bene; non adeo ruslicus est Babio.
Non parce , doleo vos hue tain rafo venisse.
(Tràns Alpes vellem vos modo ferre gradum.)
Inlreinus ; sedile ; maie dixi; dico sedete;
Erre per insolitum grammalizare volens.
Nosco tainen logicam ; bene pnemediiando probabo
Quod Socralcs Socrates(/«) et quod homo sil homo.
Caie inagisler , ades, ait unus falsa loculus ;
Dicere quod docui, care magister, veni.
Deuluraquae (i) manibus; infuudiie; ponitemensam :
Doitipne, sedete, precor ; plebsque deinde tua.
Fei te fabas el olus ; sociis sinl fercula lanla
G.allinse Croceo crus sit el ala cibi (j)
Cum salîatus erit , sibi quisque superflua sumat ,
Euialus el socii , Gulius aique Bavo.
Eulale, quando bibes?
Bavo , non bibis ;
Ebibe Guli.
Quam maie vos bibilis?
(In mca dampna loquor.)
(k)
Domne meus, comede ; quia agis? Facilo prior (/)
(m) [olïas.
(FIlimus oro cibi (n) offa sit ista libi !)
Tollite; suffecit, datelympham, morefaceto, '■
Vull medicus lavacrumprandia^quœque sequi.
(°)
Quam polis, repelo, Violam volo, nolo negelur,
Introeat; venial ; cur Iatet ? (p)
iEgra jacet.
Non limor esl; venial; veniat, pax est el abibil.
jEgrajaces, Viola? Si pôles, intro veni.
(«) Sales, in mss., mendose.
(b) Equs, pro equus, al semper, in mss.
(C) Babio. (Coll.) — (M. Wr.)
(d) Aisduo?
(e) Bab.o Croceo.
(f; Clam. (Didascalie du Ms. C.) — (M. Wr.)
(g) Os anuin seq. Coilon.
(U) Q'iod sortes sortes. {Coït.)— (M. Wr.)
(i) yKquae.
(;) (Sibi?)
(k) Babio Croceo, (Wr.)
(I) Facilo, precor.
(m) Clam. (Wr.)
(n) Cibus.
(o) Cro, eus Bab'oni.
(p) Glose de M. Bruce Win te -.Croceus s'informe de
Viola qu'il faut supposer dans une chambre conligue à
celle du repas, 1 1 Babio répon-1 :
(q) Viola entre el Babio lui dit. (B. W.)
les ruses de celle dont il s est quelquefois
cru aimé; il lâche de se consoler en se ra-
battant sur les vertus de Pécula sa femme.
Là s'arrête la première action.
Non venies ulinam; sis quolibet ;egrior œgro ;
Sed non ibis habeal femina si qua (idem.
M
Sil Croceo Viola ; flos hune, fins dénotât illam;
Sic similis simili, consona nulla magis.
Non negal hoc Pecula : non hoc nego, prospéra nuWa
Sinl nobis; mulier fœdida , serve nequani.
(')
Vis Croceum, Viola?
(0
Volo, si vis.
(")
Quid michi velle?
Quod vis ipsa velis, hoc michi velle nolo (v)
(x)
Fumus obest oculis noslris , hinc tollite fumum;
lias lacrymas , Viola , lu facis esse michi.
(y)
SurgUe, sancla domus, molœ subternile mulum;
Pax libi sit, Babio! te que valere precor!
O) t
O maie, pax non est cegro (aa), vale Babioni;
Vix vivo; lalis passibus intro necem.
(bb)
Hoc paleris Pecula? rapilur libi filia; substas ?
Tu 1er (ce) Amazonia forliter arma manu,
(dd)
Curre, Fodi , pugua, fuuda (ee) stans eminus ular :
Cominus hos premite, saxa roiando sequar.
Sislile, nonnisi très sumus hue; mulier maie fortis,
Pêne puer Fodius , pêne senex Babio.
Quam procul a jaculis convicia sunl Babionis!
Nun didici facile vulnus habere minas.
Ilostes si laies sentisses Troja , maneres ;
Nec râpèrent Danai Tyndaridem Paridi. —
(If)
Jam Violam violât Croceus, ludumque ibi pareil;
Abdila jam traclat; pelle nefanda nephas.
(99) r
Vi pateris, Viola : sed vis est facla voluntas
Non procul esl eliam quodque sil inter eos
Quodposui, tulit hic; sévi sala; messuit aller ;
Excussi dumos , occupai aller aves (hh)
Vivo carens anima ; lulii hanc,detollituu illa : (ii)
Miror quod vivo non animalus homo.
Babio sum : non sum ; perii dudum, loquilur quis?
Babio, more novo , non ego sum quod ego.
In nil ex nichilo redii, vellem nichil esse ;
Esse queror quicquam, nec querar esse nichil.
Fœmina feeminei cordis non desinit esse,
Non cor, at omnis habet fœmina corda duo.
Fœmina quœque vecors , linguam gerit ore bifur-
|cam ;
(r) Fodics. (Coït.) — (M. Wb.)
(s) Babio. (Coll.) — (M. Wr.)
(0 Viola. (Coin
(u) Babio. (Coll.)
(v) Volo.
(x) Babio lacrifmans. (Coll.) — (M. Wr.).
(y) Croceus. (Coll.) — (M. Wr.) Croceus se lève et
emmène Viola ; Babio appelle alors Pecula". (M. B. W.)
(2) Babio. {Coll.) — (M- Wr.)
(aa) /F.gruro. Ms. (M. Wr.)
(bb) Babio Peculœ. (Coll.) — (M. Wr.)
(ce) Inler.
(dd) Babio Fodio. (Ms. Coll.) — (M.Wr.)
(ee) Fundo.
(ff) Babio secum. (M. Wr.)
(gâ) Babio Violœ. (M. Wr.)
(tin) livas.
(ii) Babio, enfin convaincu de laduplicité de Viola, dé-
bile une violente Urade contre le beau sexe. ..'M. B.^ .)
1303
BAB
DICTIONNAIRE DES M\'STERES.
BAB
1304
SECONDE ACTION.
PERSONNAGES.
La Renommée,
B A BIOS,
Fodius,
Pecula,
Amis de Babion,
Serviteurs.
SCÈNE I
BABION, FODR'S.
babion. Or ça ! Fodius, il faut mourir. Ne bouge
d'ici. Mets-toi la corde au cou.
Ex Viola dupliei lalia disco loqui.
Quis Violse credet, et quis non crederct illi ,
Non credat Croceus, si michi crédit, ei.
Ut lumen tenebris sub noclibus obviât alris
Sic alie (a) Peculam prœposuere sibi.
Nec Violam sequitnr; haec fallax, illa fioelis:
Haec nox , illa dies ; lisec rubes, iUa rosa;
Haec lupus , illa bidens ; haec serpens , iila columba ;
Haec levis , illa gravis; haec dolor, illa decus.
Senlibus (b) in mediis genuii lupus, edidit aspis,
In inedio baralri fovil Erinnys eam.
0 quain dissimiles! haec junior, illa senescens,
Trila magisque recens, plusque minusque decens.
Non genus utgenitrix; oleum sic promit amurcam,
Vina luem, lineam lela (c) latex laticem.
Pénélope Pecula non aliera , pêne sed ipsa,
Ipsa pudicilia, peneque major ea.
Sic peculam Pecula ; nil mobile ; nil levé sentit ;
Pêne vir esse poiest , fœniina plena viro.
Pénélope Pelula (sic) pielate , pudore Sabina ,
Labia munda situ , Marcia fida fuie.
Hanc, Babio , recolas, buic fœdera débita solvas ,
Totus in bac plaudes amodo fidus ei...
(d)
(806) Plebs (e), Babio, récital Fodio Peculam pa-
[luisse],
Ilosque (f) genu quarto connumerasse genus.
Pristina si memores, si menle moderna volutes,
A Fodio Fodium res probat esse procul.
Pauper erat Fodius, facie tennis, pede nudus
Crine malus, liitcus corpore, veste lacer.
Mutatur subito, facie pinguis, pede complus (g),
Crine decens, mundus corpore, veste nitens.
Splendidus incedit, bumeros lâna ardua spécial,
Verbis magniloqnus, arlibus est minimus.
Lnde tôt buic sunipius? lot svmbola? fercula tanla ?
Tôt merilo prelio tanta quîd esse facit?
Hoc tua sunt, Babio; lua non libi Pecula servit:
Hoc deservit ei ; dona satelles habet.
(h)
Dum sic servit ei, maie servilur Babioni ;
Servilii talis sit maledictus bonor.
Prava nimis Viola, Fodius pejora palravit;
Nescio quis pejor, pravus uterque nimis.
Implumes alui, nec deglutire (i) scienles,
Nnnc michi sit cucullus illa, sit ille Nero.
Abdila thesauri sic latro rémunérât hospes,
(a) Alis-ali. (Coll I — (M. WB.)
(b) Dentilms. (Cuit.)— [il. Wr.
(c) Tela lineam. (Co'.t.) — VinaMevem lineam. (Diqb.)
— (M. Wr.)
(d) Fama, veniens ad Babionem. ( Ms. Cclt. ) — (M.
Wr.)
(e) Bleps. (Ifss.)— (M. Wr.)
(f) t'sqoe. (D gb.) — (M. Wr.)
(g) Compertus, m mss. iM B. W )
(h) Babio r, s ondens. (Ms.Coli.) — (M. Wb.)
(i) Implumes aliuunduiu glulire. (Coton. M. Wr.)
(/) Sinu. (Mss ) — (M. WR )
(k) Trix. Mss.) —(M. Wr.)
(I) Faetent. (Collon.) — (M Wr.)
(m) A celle révélation surnaturelle, dit M. Bruce
Whyle, Babio devient presque furieux; il menace de
pendre les deux coupables, et au moment où U mauifcsle
sa résolution, Fodius l'aborde. — (M. Wr.)
• (n) Babio Fodio. (Coït.) — (M. We \
fodîcs. Eh ! pourquoi mourir?
babion. C'est là ce qu'on ne doit pas dire. Tiens-
toi en paix et laisse-moi l'emmener.
fodius. Et ou m'emmener?
babion, A la potence.
fodius. Là , là, pourquoi? "La raison avant la
mort.
babion. Tu as commis un adultère.
fodius. Non pas ; je le nie. Je me réclame des
lois; il n'y a pas d'arrêt contre ma réclamation.
babiok. L'adultère t'est commun avec PécuVa.
Mus peram, gremium vipera, flamma sinumfj).
Sic trux (k) OEdippus, sic Jupiter invictus cgil;
Hic gladio secuit, expulit ille palrem.
Dum concinna michi fataha fala dedisti,
Desque michi Lachesis police frla truci.
Quaeque luenda michi, nec me loca luta luenltir;
Dum meus hic hoslis, quis michi (î Jus eril.
0! peculans Pecula, Fodius fœdissimus ille;
Sic inea consumunt, — ullor amarus ero.
Judicium sic lit; fur scande, mcecba premelur
Fur cruce, Mœcha rogis; hic prius, illa sequens.
Mille patel cubitus michi fraxinus, arbor in bortis,
Antra sedenl (/) subtus, intro profunda palus.
Fune capudvinclus dabit hic speclacula plebi,
Hic avibus discet pendula prseda fore.
Ipse traham sursum; forsan, si traxerit aller
Fraus eril, el laxo fune perire nequil;
Si funem linquo, quoniam michi non bene fido^
Babio semper eris, virque bovinus erit.
Milis ero PecuUe; deerit fraus, fure perempto;
Yerbere corripiens, hanc superesse «inam (im).
(«)
En moriere, Fodi! suhsla, funem cape collo.
(°)
Cur moriar?
Cat^as ila reJerrc velat
Siste, irahi paiere.
Quo sic irabor.
(')
In cruce pendo.
(s)
Causa quid est debel ssusa praire neccm
Mœchus (u) es.
(f)
Lsst nego. Michi da me lege lueri*
Legem quamque sibi curia nulla velat.
(x)
Mœchus es in Peculam (y).
Nichil est.
(a.)
vis ne igné probare?
(bb)
Igné volo, aut aqua, si magis illa placet (ce).
(u) Fodîcs. (Coll.)
(p) Babio. (Cotl)
(q) Fodîcs. (Cotl.) - (M. Wr.)
(r) Babio. (Coll ) — (M. Wr.)
(s) Fodcs. (M.B.-W.)
(/) Babio. (Cotl) — (M. Wr.)
(m) Mœcus. (M. B. W.)
(V) Fodîcs. (Coll.) — (M. Wr.)
(x) Babio. (Cutt.) — (M. Wr.)
(u) lu Pecula (Mss.)t
(i) Fodius. (Coll.) —(M. Wr.)
laa) Babio. [Coll.) — (M. Wr.)
(bb) Fodids. (Coll.)'— (M. Wr.)
(ce) «Fodius dit M. Bruce Whyte, proteste de sod inno
cence; Pecula entre, et il lui fait part de l'accusation
dont on charge son honneur. Elle prend un air de Ter-
tueuse indignation el adresse les reproches suivants au
oauvre Babion. »
nos
BAB
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
BAB
1306
fodius. Non, non pas.
babion. Veux-l» l'épreuve par le feu?
fodius. Si je veuxîPar le feu, par l'eau, à voire gré.
0 venu de Fodius. esi-ce là la récoin oense. Mais le
saule ne porte point de grenades.
Par l'étendue des terres, par la hauteur des cieux,
je le jure ; et je- le jure encore par les saints :inlels ?
Fodius n'a point eu Pecula. Ma main droite €ft
Clara fides Fodii, non sic meruisse putabal :
Sed non fruclilical punica ma la salix.
Per terne planum, per cœli culmina juro,
Juro sacras per aras, non fodil liane Fodius.
Dexlra del inde fidem ; poleril michi sic salis esse.
(«)
Accipe, pande manum ; dextra dal inde fidem.
(*)
0 Deus aile levi quam magna pericula vici :
Scil ne(|ue bu ne lia Babio lingua bovis.
Pro lima patinant, Babio, Fodius tibi vendit;
Non Fodius fodil banc, fodil eam Fodius.
Terra nec est terra, cœli mous ccelica nescil;
Est ara porcorum, respicil ara deos.
Fallitur afiirmans, sed nesçil fallere virtus
Hoc virluliseral fallere fure michi.
(e)
L'tsibi prœvideai, Pecula} loqnor, ni mala tanla,
Expeclala minus, pungere dampna soient.
(d)
Tanla luli.Pecula : vix est vixissc remissum;
Fie, rivare, geme, ne patiaris idem.
(e)
Mœcha tibi videor : lia me das pabula fama? ;
Forsilan bas et eas, qualis es (/'), esse putas.
De Viola laceo, ne fœdel numina sterno.
Proh facinus! meus est ejus uterque p^.rens.
Thaïs ego videor; sludui magis esse Sabina.
Me similem similis tarde (g) gravare putas.
Aut frenesi premeris, aul le lelargus abegil,
Aul furis, aul Lelbes infaluaris aquis.
Mens tua zelolipa le non sinil esse quietum ;
Nec spem née requiem suspiciosus babel.
Fama lide caret (/<), quae cum vull, aira nitescunl,
Cum volet hœceadem, Memnona (i) veslil olor.
0)
Lœdem quœso minus, populi loqnor illud ab ore,
Mos babel hoc mullis, quod placet, esse ratum.
Non falli doleo; decuil sic fallere faniam ;
Non volo non falli, non b'en'e fallor ego.
Ficla ruina mali monral mala vera caveri,
Pal ma fuisse michi non eril absque fore.
Est ea rcs : venia mullis dedil ausa malorum.
Ausa dedil Niobœ lardior ora dere (/).
Non scelus obturai, ea quœ gémit, hœc sacra jurai;
Posl sacra poslque fidem fur scelus audet idem.
Fallere quis nolit, redimens discrimina vitae?
Ut vivat, dubital perdere nemo fidem.
Nnlla verciiir, amor imperat, borret, obedil^
N'I impossibile ni grave lerrorci.
Non Paridi ilaminas clades niinuere lot enses,
Non patris, aul Troja?, sive ruina sni.
Quod juval omne libet (m), nec abil tibi 'sacra
[voluplas,
Slal tibi docta sni semper habere famem.
Rem seniel (n) experlos nil exterrebit ab illa ;
Quudquc magis cupio, copia ftirla As cit.
Qmc nio o luna noval, cum corniia plena coibunl;
Aile nova funclus (o) criminis ulior ero.
(P)
Ibo michi Soloen , sit cura, Fodi, tibi rerum.
Eslo vigil, pasc.il languida cura hipiim.
Qnando queam redeam.(<ji)
Ncquas, rogo, mille per annos,
Nil nisi nomeneal, Babio, relro luum.
Hic michi sit requies inter dumela sub bonis (r).
Donec in Antipodes sol cadal atque dies :
(*)
Tune michi surgenli sil iler relro nocie sub alra ;
Tuncopus est solita callidilate frui (/).
(a)
Nox fil : adest <v) Babio; cessil prope; mane re-
[dibil :
Non (x) fit iners tempus, dummundo cuncia
[liceni.
Nox iter (y) ingeminel, noctem Tilana reducal,
Quam dedil Almen* duni favet illa Jovi (z).
(aa)
Noclis adest médium, su ni somma silenlia rébus
Nunc luli recubant, nunc michi fala fa vent.
Ibo: foramen eril (bb) ; speculabor ; luna juvabil.
En! video loculus non babel ejus euni.
Sunl simul, et quid eril arcanum porto fidelem (ce):
Del Deus ausa michi prœsiel acumen ei.
Caplus eril Fodius; caplus non tutus abibil;
Meuni devenienl fiinda petrae (dd) que simul.
Omen eril , sierruio (ee), seinel, negat esse sc-
[cundo;
Non limeo levia. nain levé pondus habent.
07).
Quid foris est, Pecula? strepil; auli; naribus (g g)
leffiat;
Numquid adest Babio? Non ego fallor, adesi.
Tula cuba; surgain; ferel ui parai, et munietur
Sordida barba pilis aique cruore latus.
Quis slrepit exlerius secus ostia? currile" fur est.
(u) Fo. ius Babioni. (Coll.) — (M. Wb.)
(b) Fodius. (Coll.) — (M. Wr.)
(e) Fodius. (Mss. Cvtl ) — (M. Wb.)
(d) Fodius l'eculœ. (Mss. Coll.) — (M. Wb.)
(e) l'KDLi Babioni (Coït ) — M. Wb.)
(f) Eas qualis es. (M. R. W.)
(g) Sic mendose. (M. B. W.)
(h) Careat.
(i) Nigra Memnonis statua Thebis, in templo Scrapi-
dii (Mole de M. B. W.)
j) Babio. (Coll.) — (M. Wr )
H) Babio. (Mss. Coll.) — (M. W».)
(/) Ausa dédit Viola lardior ira Dea?. (Coll.)— (M. Wb.)
(m) Qui juval libet. (Coll.) — (M. Wb.)
(n) Non semel (Coll.) — (M. Wb.)
(0) FïctiJDiqb.) — (M. Wr.
(p) Babio Fodio. (Coll.)— (M. Wb.)
(g) Fodius.(CoH ) — (M. Wr. )
(r) Subortus. (M. Wb.)
(«) Babio rediens.
(1) M. Bruce Whyte analyse ainsi ce passage : « Pe-
cula continue... accusant pour sejuslitier, ei parvient a
iminiider Babio qui se voit obligé de se détendre lui-
même... Trop heureux de se défaire a tout prix de la
dame et de son galant; il les renvoie lous deux, leur en.
joignant de veiller convenablement à sou ménage. Après
s'être consolé de la sorte, dit M. Bruce Whyie, il quille
la scène, et nous trouvons Fodius qui prolile de son ab-
sence pour mener à lin son intrigue avec Pecula. » Il y a
ici ineiaciilude, Babion ne se console pas, il inédile ven-
geance, l'intrigue de FoJius se poursuit tele qu'elle a
élé conçue dès le commencement.
(ii) Fodius. (Coll.) (M. Wb.)
(») Abesi. (M. B. W.)
(x) Nuin. (Id.)
(y) Tune. (Id.)
(i) Use retire dans un autre coin du théâtre, dil M.
Bruce Whyte, et bientôt après on l'aperçoit couché avec
Técnla.
(a<i) Babio secum. (Coll.) — (M. Wr.1
(bb) Fst. (M. B. W.)
(ce) Prolidcle. (M. B. W.)
(dd\ Petra que. (Coll.) — (M. Wb )
(ee) On doit lire SlerntUo semel. Sternuto manque
dans le Ms. Coll. (M. Wr.)
(ff) Fomus Pecuioe. (Coll.) — (M. Wr.)
(qg) Narribus. (M. B. W.)
(ftli) Fodius. (Coït) - (M. Wb.)
1507 BAB
donne l'assurance; comment? n'est-ce point assez?
Tiens, ouvre la main , ma main droite te donne
assurance.
SCÈNE II.
fodius, seul.
fodius. 0 Dieu, comme, avec un peu d'artifice,
j'ai vaincu un grand péril! 0 Babinn ne sait la
lingue du bœuf, ni Bu ni Ba. 0 Babinn, au
lieu d'une lime, c'est une bassine que Fodius t'a
vendue. (Imitant son geste précédent.) Non Fodius n'a
pas en Pécula... (Reprenant sa voix naturelle.) Fodius
l'a eue. La terre n'est pas la terre, la grandeur des
cieux ignore les choses célestes, il est un autel pour
les porcs, l'autel a la connaissance des dieux. Toute
caulion est dupée, mais la vertu ne sait point duper.
Tour moi c'éiait vertu que de feindre en eselave.
Je vais parler à Pécula, pour qu'elle se tienne sur
ses gardes, et pourtant de tels méfaits portent le
plus souvent avec eux leur châtiment trop peu at-
tendu.
SCENE III.
FODIUS, PÉCULA.
fodius. Quel coup, Pécula! A peine vis-je, et par
rémission. Pleure, crie, lamente-loi alin d'échapper
au môme perd.
(// s'enfuit. Babion entre.)
SCÈNE IV.f
PÉCULA, BABION.
técula. Je le semble adultère. Est-ce donc ainsi
que tu me livres en pâture aux méchantes langues?
Peut être penses-tu que toutes les femmes sont
comme loi.
Je ne dis rien de Violette. Silence, passons là-
dessus, dans la crainte d'offenser les dieux. Oh !
abomination !...
C'est moi qui, selon vous, suis Thaïs, moi qui
ne m'appliquai jamais qu'à être une Sabine.
Slrngiile (a) rompe moras; effugit, olla prrei.
Fiircifer hue cèdes; nellus (b) michi barba relin-
[quil;
lslud, avelo, cape; postera flagra dabunt.
(.lava salulel eum, laleri servi te ilagellis;
Nos lurhare volens ni silit ipse bihal!
Ultra quam salis est; Babio sum; parcilc. — Non es.
Ksi Soloen (c) ; esse nequit et siinul hic et ibj.
— Babio suin; redii. — Cur stas foris? — Hic re-
[quievi, (d)
Vos lurbare cavens, et maie turbor ego.
Cautus eris nunquam, semper, Babio, sapis ccque,
Possel ab ignaris nunc libi vila rapi.
El nisi cessarem, fieret ; sed parcius egi
Celle quam poteram ; non minus acer cram.
Semper cum lacrymis nialefacla domuin redierc :
Baro fraus nocuil, postera nulla gemens.
Surge; subi lhalamum : requiem cape : credulus
[eslo;
Et qua nemo viget snspicione carc.
Frustra venaris; labor est, sed caplio nulla;
Nodus erat cirpi fraus mea facla libi.
Felle columba caret, et olor.nigredine corvi,
Et cirpus nodis, et mea facta dolis. (g)
Non nocuisse libel; dum non nocuisse licebil;
Bcs non posse minor, ouando licebil eril.
fa) Tegole. (Digb.) Hollo f I (Cotton.) — (M.Wr.)
(b) I.e ms. C'iUon donne Vellus. (Ib.)
(c) Solven. (Digb.) — (M. Wr.)
(d) Babio (Coll.) — (M. Wr.)
(e) Fodius Babioni. iColt.) — (M. \Vn.)
(() Fodics Babioni. (Mst. Coll.) — (M. Wr.)
ig) Uadio. (Cou.) — ;(M. Wr.
DICTIONNAIBE DES MYSTERES.
BAB
1508
Vous seul ressemblez à Thaïs, et "c'est moi que
vous chargez , dans mes derniers jours de celle
odieuse ressemblance.
< Vous êtes l'on, quelque songe vous poursuit, vous
délirez; vous êtes tombé dans les flots de l'oubli du
Lélbé. Votre âme jalouse ne vous laisse donc plus
de repos. Ah ! les jaloux n'ont plus ni espoir ni paix.
Mais les on-dit ne sont pas articles de foi, Tantôt,
les bavards blanchissent, selon leur caprice, ce qui
est noir; et tantôt, les noirs oiseaux des bûchers de
Memnon reprennent l'éclat du cygne.
babion. Eh! je ne tiens pas tant à faire moi-même
mon malheur. Ce que j'en ai dit, m'est revenu de
bruits des voisins. C'est une habitude pour bien des
gens de croire surtout ce qui leur plaît. Je ne me
plains pas d'être abusé; il a plu aux bavards de me
tromper ainsi. Je souhaite d'être trompé , mais je
ne suis pas bien attrapé. Un malheur faux apprend
la crainte d'un vrai malheur; le renom n'est pas
sans qu'il y ait quelque chose.
(Pécula sort.)
SCÈNE V.
BABION , SClll.
babion. C'est un fait. Le pardon a donné plus d'une
fois le courage du crime. La tardive colère de la
déesse favorisa la hardiesse de Niobé. Le crime ne
rend pas imbécile; et quiconque est dans un mau-
vais cas, est prêt à jurer par ions les cieux ; ce qui
n'empêche pas, après l'attestation des dieux et les
serments, le voleur d'oser le crime. El qui ne sait
pas ruser, pour se tirer d'une crise où il s'agit de
la vie? pourvu qu'on vive, qui donc hésiterait à
livrer sa foi ? On ne craint rien, l'amour commande;
on a horreur, on obéit; il n'y a rien d'impossible a
l'amour; rien ne lui p'se trop, ne lui fait peur.
Qu'importaient à Paris les flammes, les carnages,
lanl d'épées ; la ruine de son père, de Troyes et de
lui-même? Tout ce qui séduit plaît
Expericre dolos si stas invictus ad ictus (h),
Par virlute putovineere et. absque dolo.
Sive sues au/0, seu lestas cinxeris oslro,
Nec sus corde caret, nec lue lesta luli.
Nec mitis serpens, nec est vulpecula simplex,
Nec Fodium credo posse carere dolo.
Quœ dolco duo sunt : pudor uxoris, mea dampn.v
Me (îoleo plagas, banc subiisse nepbas.
Nunc michi more novo plaeet ullio, meuse peracto,
Nunc volo cum sociis forlis adesse dolis.
Haerenl sola melu, sont aginina lula viarum,
Victuseram (i) soins, agininc victorcro.
0')
Vado.Fodi, Soloert, redilurus ad orgia Bachi •
Eslo vigit, s'il agri, sil libi cura domus.
Illa quibus redeas lune fient orgia Bachi,
Cum clarus fidicen (k) nosler asellus eril.
Curent fata domum, dominant curabo tucri ;
Dum dees, incultus non eril ejus ager.
En! veniunt (m) socii, opus est nunc ferre ju va -
[men;
Quid sit amicilia scire necessc facit.
Hic iter, hic lalebroe; loca sunt incognila nulli;
Sitlocus hic melior quam fuit ille michi.
Ante rui, pressus que fui, labor bine, dolor inde.
De capto capior, pnedoque praeda trahor.
Repulil ars arlein; foveam fecique lulique ;
(h) Experire dolos si stas vertute adutus. (Coil ) —
(M. Wr.)
(j) Tutus rro. (Coll.) — M. Wr.)
(;) Babio Fodio (Coll.)— (M. Wr.)
(k) riarius fulicem (Mss.) — (M. Wr.)
<l) Babio. (Cott.) — (M. Wr.)
{m) Inveniuiit (Cttt.i —Eu veniunt comilis res est
1309
BAB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAB
SCENE VI.
BABION, FODIUS.
babion. Je vais à Solocn, Fodius, aie soin de lonl
ici, surveille bien; l'inattention esl la pâture du
oup. Je reviendrai quand je pourrai.
SCENE VII.
fodius , seul.
fodius.Ei je souhaite que lu ne le puisses pas d'ici
mille ans, à moins, ô Babion, que ton nom n'aille en
arrière!
. Je vais donc me donner du loisir, au milieu des
bois, sous l'ombre des jardins jusqu'à la dispari-
tion du soleil aux antipodes et msqu'à la chute du
jour.
SCÈNE VIII.
babion, revenant , à part ; fodius, à part.
babion, à part. Et maintenant, debout! En mar-
che! retournons au milieu de l'obscurité de la nuit.
Voici le moment de cueillir les fruits de ma linesse
naturelle.
fodius, à part. Voici la nuit; Babion est loin. . .
Il reviendra demain. Que ce temps soit
employé, puisque tout nous favorise. Que la nuit
passe deux fois son chemin , que Diane ramène les
ombres dont elle fit largesse à Alcmène pour favori-
ser Jupiter.
(// rentre dans la maison.)
SCÈNE IX.
BABION , SCUI.
babion. Voici le milieu de la nuit; tout esl dans le
plus profond silence. Ils sont couchés bien tran-
quilles. Moi, le hasard me favorise. Allons, il y a bien
quelque irou; regardons, la lune me donne sa lu-
mière.
Oh ! que vois-je? Le lit de Fodius est vide. Ils
sont ensemble. . . .
Dum volo fraudari, corruo fraude péri :
Nu m ausler borea; succedit,el aura procéda;,
Et risus lacrymis, et bona fa la malis.
Persequor mœchnin, libi mililo casta Diana,
Prolege, si qua potes, militis acta lui.
Cède potens ccelo, slyge, si I vis, ordiuc irino ;
Cède soror solis, lilia cède Jovis.
Surgi le; lergalli Ixium carmen cecincre;
Proxima nos mater Memnonis ire monet.
Jam ludo fessi sompno cubuere repressi,
Fiam Vulcanus, Mars hic, et illa Venus
llinc di.ili.ir, hinc plausus ; plausus michi, si t dolor
[illi;
Cum duo de trinis planget adempta sibi.
Hic firmale gradus; caulus moderabor agenda;
Incerlos casus impelus oinnis babet.
Intima quaeque iioias,.oculis scrulabor et aure;
Insidias oculus quas nequil, auris babet.
Surgo; moror ninus : hic vir adest mus et plebs;
Nunc ulinam michi sinldolia pleua dolis.
jEger ego morior ! ulinam Babio rediisscl!
Plus gemo mori nnlla locutus ei. (b)
lieu! heu! quam fragilis esl noslra (c) gralia
[vitœ;
Spuma, sopor, fumus, flos, cinis, aura sumiis.
Nunc sial, et abslat homo; fiai et efflal; fiorel et
Jaret;
jla, ferte. (Digb.) — (M. Wn.)
(«) Fodius. (Coll.) — (M. Wn.)
(b) Fodius infirmons (Coll.) — (M. Wr.)
(r) Noslra;. (M. B. W.)
(d) Badio ad soc ion (Coll.) — (M Wn)
(e) Hypocrisis ducius. (Coll.) —<\\. Wr )
Dieu me donne du courage à mo:, et à Fodius de
l'embarras. Fodius va être pris, et une fois pris, il
ne m'échappera pas sain et sauf. La fronde ei la
pierre s'en mêleront. (Hélernue.) Holà! ils vont être
avertis; j'éternue... Eue fois! eh non, deux fois!...
SCÈNE X.
fodius, pécula, dans i intérieur de la
maison.
fodius, s'éveillent. Eh! Pécula, qu'y a-t-il dehors?
J'entends quelque chose. Ecoule. On élcrnue. Esl-ce
que Babion est ici? Je ne me trompe pas, il esl ici.
Reste tranquillement au lit; je vais me lever, el lui
travailler sa sale barbe cl le dos jusqu'au sang.
SCÈNE XI
BABION , FODIUS STROGILE, DOMESTIQUES DE
LA VILLA.
fodius. Holà qui fait du bruit là dehors, le long de
la porte? Au secours! c'est un voleur!
Strogule, vile ,3 vile ! 11 se sauve, barre-lui le
chemin.
Coquin, tu mourras m... (Babion, pris par la barbe,
s'échappe.) Il m'a laissé le* poils de sa barbe. Tiens
ce coup... Bon... ce coup de lanière aura bren sou
son effet, Ce bâton noueux va le saluer; servez-lui
les côtes avec vos foucis. Ah! il veut porter le
désordre ici ; eh bien! qu'il boive à sa soif.
babion. Holà! c'esi assez, c'esl irop. C'est moi,
Babion. Là, là, lenez-vous tranquille.
fodius. Toi, Babion? Babion est à Soloen ; il ne
peut être tout à la fois ici el à la ville.
babion. C'est bien moi ; je suis revenu sur mes
pas.
fodius. Alors que faisiez-vous dehors?
babion. Je me reposais, dans la crainte de vous dé-
ranger, el vous , vous ne m'avez pas mal arrangé.
fodius. Ne serez-vous donc jamais prudent; voilà
de vos louis ordinaires, Babion. Comme on n'était
prévenu de rien, ne pouvait -on vous ôier la vie? Si
lucipil el leritur; sunt ea penc simul.
Febre premor nimia Babio cum cessit aborla,
Exlunc absque modo me lenel isle locus.
(d)
Ile domiim luti ; subit uliiina, nil nisi mors esl ;
Vcnimus ad lerelrum; vicimus; ile doniuni.
Esl bonus isle dolus ; evasi ; fallitur boslis,
llypocrisini dolus (e) hic religionis habel.
•'A
Sum felix ; dives non rex ila, non ila cives;
Quem lue plus odi, cui moriere, Fodi.
Decadis, ascendis; premeris, de morte revixi ;
Dum raperis, redii; crux lua palma michi.
Quod volo, nunc video; conlra spem sunio quod
[oplo.
Amplector quod amor; quod cupio leneo.
Nunc ri sum flebis; lenebras, lenebrose, forebis (g) ;
In palria Lethes nunc, prave, fa ta mêles.
Vel Tilyi volucrem, vel âges Ixionis orbem, (h)
Vel sub aquis siliens Tanlalus esse feres (i).
Babio, mine i u lies ; sunt oinnia lula deinceps;
Quidquid âges fasesl, insidialor abest.
Surge, soror, Fodio sudaria lac morienli (j);
Surge, morare nichil; Fodius efflal, abest;
Praîslolare, precor; nain lam cito lam prope non
[esi ;
Verbiim quod noies eloquar anle tibi.
(/) Babio de Fodio (Coll.) — (M. Wn.)
(g) Favebis ( Coll. ) — (M. Wr.)
{h) Slatii, Talii, Orionis (Coll.) — (M- B. W.)
(i) (Entrant duns la chambré à coucher) — ( M. B. SV.)
(/') Moriemli. (M. B. W.)
(k) FuuiL-s Bubioni. {Coll.) — (M. Wn )
1311
BAB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAB
1312
je ne me fusse contenu, ce sérail arrivé. J'ai bien
sïtr agi avec plus de modération que je ne devais; et
ce n'est pas que je fusse moins décidé.
Ah! quand on fait mal, on ne rapporte au logis
que du mal; et il est rare que la ruse ne nuise pas);
elle cause toujours quelque mésaventure.
Allons, levez-vous, gagnez votre lit , prenez du
repos, ayez l'esprit en paix, et mettez de côté les
soupçons, car ils ne font de bien à personne.
SCÈNE XII.
BABION, Seul.
babion. Cliassc inutile; bien du mai, pas de prise.
(Se tournant du côté où Fodius est sorti.) Ma ruse
contre toi était mal combinée.; la colombe n'a pas
de fiel, le cygne n'est pas noir comme le corbeau, le
jonc n'a pas de nœuds, il n'y a pas eu d'habileté
dans mon fait. 11 me va de ne leur avoir point fait
de mal, puisqu'il ne leur a pas été possible de m'en
faire à moi-même. Il est évident que tout cela n'a-
boutit à rien; il en sera ce qu'il pourra. Ils ont
éventé mes ruses. Mais si....
Moi aussi, je suis résolu del'emporler par la force,
sans plus de ruse. Entourez les codions d'or ou
les huîtres de pourpre... et l'hui'lre sera couverte de
boue. Le serpent n'est pas un animal domestique,
le renard n'est pas une bête, et je ne crois pas plus
que Fodius manque de ruse. Il y a deux choses dont
je me plains : de la vertu de ma femme, et du dom-
mage fait à mon bien. Je ne suis pas trop coulent
de mes coups...
J'ai un nouveau moyen de vengeance dans la tête.
Laissons finir le mois, et je veux (pie, avec le secours
de mes amis, làler encore de la ruse...
J'ai été battu seul, mais en compagnie je serai le
donneur de coups.
SCÈNE XIII.
BABION, FODIUS.
babion. Fodius, je vais à Soloen; je reviendrai
après les fêles de Bacchus. Sois vigilant, aie soin
au dehors el au dedans.
SCÈNE XIV.
fodius , seul.
fodius. Ces fêles de Bacchus, après lesquelles tu
dois revenir, auront lieu lorsque noire âne sera dc-
Posl le concludam, dabil enlimema sophisina;
Et quod non faites (a), laie sophisina ferel.
W
Surge, quis es? — Babio. — Quis Babio? — Vir luus
1 hic est.
Quis meus? Hic fur est; perdor : adeslo, Fodi.
Et quis hic est fur est. — Babio sum. — Babio
[non es.
Mœchns es, et ferro pendilla membra dabis.
Desine : sum Babio. — Non : desun! orgia Bachi ;
Tune Babio rediel. Mœchns es; ausa lues.
Lumine fac videas. — Non est epus addere lumen,
Id scio (c) corde tenus; Babio nullus adest
Nunc eris eclipsis, non bides amodo servis (d)
Symhola (e) sola dabis, nolo nocere magis. —
Vae michi! nunc morior. — Fur est ; accendiie lu-
fmen
(f)
Proli dolor! est Babio. Slulie vir; undevenis?
Quando miser sapies? nec erit citharœdus asellus,
Nec bos docia loquens, nec Babio sapiens.
(a) Allas. (M. B. W.)
(b) Hic allercatio inter Fodium et Babionem.(Cott.)
— (M. vYr.)
(c) Id suo. {Coït. ) — (M. Wr.)
id) Erit. Cervis.(Co«.) — I M. Wr.)
(e) Cimbala. (Coll.) — (M. Wn.)
([) Fodics. {Coït.) -(M. Wr .)
venu un bon joueur de lyre. Que le hasard ait soin
de la maison, moi j'aurai soin de protéger ma dame;
et en ton absence, son champ ne sera pas inculte.
fcSCÈNE XV.
BABION, SES AMIS.
babion. Ah ! celle fois, voici mes amis; il est bien
temps de porter remède au mal; il est bon de sa-
voir ce (pie c'est que l'amitié. Voici le senlier et
voilà le gite. Chacun connaît les lieux. Puisse fcet
endroit vous être plus agréable qu'il ne me fuujC'esl
là qu'autrefois je tombai ; je fus accablé; coups par-
ci, coups par-là. Mon prisonnier me prit, la proie
malmena le chasseur, l'artifice fut opposé à l'arti-
fice, je fis la fosse ely fus mis : pour avoir voulu ru-
ser, je succombai sous la fraude et j'y péris. Mai:,,
aujourd'hui, l'Ausier a fait placeau Borée, le calme
à la tempête, le rire aux larmes el le bien au mal.
Je poursuis cet adultère. 0 chaste Diane, c'est pour
loi que je combats, et prolége, si lu peux, les hauts
f;ii(s de ton guerrier. Montre tes œuvres, ô triple,
puissance du ciel, du Slyx el des bois ; montre les
oeuvres, ô sœur du soleil, et fille de Jupiter!
Holà ! debout! Les coqs ont chanté trois fois leur
chant joyeux ; la mère de Memnon est très-près de
de nous, el nous avise de nous mettre en roule.
C'est l'heure où, las de leurs jeux, ils sont tombés
sous le poids du sommeil. Je vais être Vulcain, Fo-
dius sera Mars el Pé .nia Vénus. Il y aura des grin-
cements de dénis et des fous-rires; que la joie soit
pour moi, el^le mal pour ce Fodius; et je veux qu'il
pleure deux fois au moins les choses qu'il a el qu'il
aura perdues.
Marchez avec précaution; c'est moi qui, avec
toute ma eau telle, vais mener toute l'affaire, car i.t
piécipitalion entraîne loujours l'incerlilude. Tous
ces laits particuliers que vous allez remarquer,
c'est moi qui les vais peser de l'œil et de l'oreille,
car l'embûche qui échaope à l'œil tombe dans J'o-
reille.
(Ils entourent la maison.)
SCÈNE XVI.
LES MÊMES, FODIUS.
fodius. Levons-nous. Il est bien lard déjà. Eh, lou
maître el du monde. Plût au ciel que j'eusse à celle
heure des tonneaux de ruses...
(Contrefaisant soudain le malade.) Ah ! que je suis
Forlunatus eras quod le non laïsimus ultra.
Ultra quis laedat; est minus (h) ista quacri. (t)
Tanlula dampna gémis? inedicus sum doclus in-
[arle;
Sanalum leviier lam levé vulnus erit.
Est levé quaeque loqui; sed non (;') bac icge pro-
[balur,
(*)
Non sapit incolumes triste quod aeger habet.
O rea res merelrix! res rernni pessima leno!
Non est qui caivat iinus in orbe dolo.
Tain mala nulla mala , quant copia uulla malorum;
Angue d i u socio nemo pericla cavet.
Prado michi conjunx; liclor meus et (/) michi
[se r vus;
llaeclabor, ille dolor; haec lupus, ille leo.
Haec lenet, ille ligat; haec eicit (m) ille coartaï ;
Ha:c premil, ille feril; haec necat, ille terit.
Currus et auriga michi nunc sint ad loca sarcia.
Facta priora volo claudere fine bono.
(g) Babio. (Coll ) — M. Wr.)
(h) Nimis. (M. B. W.)
(i) Fodius (Coït.)— (M. Wr.)
(j) Nunc. (Cotl.) — (M. Wr.)
(k) Babio. [Coll.) — (M. Wr.)
J/) Est. (M. B. W.)
(nV Dieu. 'M. B. W.)
1313
BAB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAB
1311
malade! Je meurs ! Ali! plût au ciel que Babion fût
de retour. Ça me l'ait bien plus de peine de mourir
avant que de lui avoir parlé. Hélas! hélas! que c'est
peu de chose que la faveur de la vie ; nous ne som-
mes qu'écume, sommeil, fumée, fleur, cendre el
souffle. Aujourd'hui debout, demain à bas : voilà
l'homme! il aspire cl expire ■ il fleurit et se fane ;
il se développe cl est anéanti ; loulcela comme spon-
tanément. Cette terrible lièvre dont je suis accablé
a commencé au départ de Babion cl depuis lors je
suis cloué là sans repos.
babion, à ses amis. Aile?, chez vous en paix ; no-
ire homme esl à l'extrémité, et il ne s'agil rien
moins que de la niorl. Nous sommes arrivés pour son
enterrement. Nous l'emportons; rentrez chez vous.
• bodius, à i>arl.~h;\ fourbe esl bonne;-je l'échappe
belle; l'ennemi esl dépisté; l'habileté de mon débit
oratoire a eu tin plein sucres de confiance.
SCÈNE XVII.
BABION, Seul.
Babion. Suis-je heureux ! Il n'y a pas de roi plus
riche, pas d'homme s la ville. Ce Fodius que je liais
plus que la peste, meurt donc.|Ah ! Fodius, tu baisses
el je monte, lu es sous le coup de la mort et je
renais à la vie; lu es pris, je rentre, la 'croix esl
mon triomphe. Mon vœu, j'en jouis, contre lonle es-
pérance; mon souhait esl rempli, mes baisers sonl à
l'objet aimé, el mon dé:>ir est satisfait. C'est main-
tenant que tu pleureras les dérisions. Homme de
ténèbres, lu vas ouvrir les ténèbres. Méchant! lu
vas mesurer le temps dans le pays du Lélhé. Tu au-
ras l'aigle de Tilhys, ou la pierre ronde d'Ixion, ou
lu subiras au milieu de l'eau la soif comme Tantale.
Entre à présent, Babion ; l'avenir esl assuré en
tout ; tome action l'esl permise, car le tendeur de
pièges est bien loin. (// entre dans la maison.)
SCÈNE XVIII.
BABION , PECULA , FODIUS , AUTRES DOMESTI-
QUES.
babion à Pécula. Lève-loi, ma sœur; fais un
suaire pour Fodius mourant. Lève- toi en louie hâle.
Fodius expire, il esl mort.
fodius, à part. Eh! un moment de grâce ; cela ne
va pas si vile, el je ne suis pas si bas'; si encore
aurai-je auparavant deux mois à vous dire, quoi-
qu'il vous déplaise. Je tirerai la conclusion après
vous...
babion. Deboul !
pécula. Qui es-luî
babion. Babion.
pécula. Qui, Babion?
b\bion. C'est moi ton mari.
pécula. Qui, mon maril? C'est quelque voleur. 4e
suis perdue. Au secours! Fodius!
fodius. Et qui esl là ?
pécula. C'est un voleur.
Babion. C'est moi, Babion.
fodius. Non, lu n'est pas Babion, lu es quelque
galant el lu laisseras ici sous cette épée lous les os.
babion. Arréle, je suis Babion.
fodius. Non pas, c'est à la lin des fêles de Bac-
chus que? Babion reviendra. Tu es quelque adul-
tère et lu vas payer ion audace.
— Tarn cilo nos linques. — Doleo vos sero relinqui,
Nain modo malo fugam, quam magis arcta pâli.
(«)
Fie, domus et Pecula; monachus fil Babio; flete.
(*)
Donec eum revocem non red'.lurus cal.
0 (rater Babio! quantum michi flcmlus abibis;
Hos flelus faciunt gaudia magna michi. (c)
babion. Aie de la lumière cl lu4 verras.
fodius. El quel besoin encore de lumière? Je le
sais du fond du cœur : il n'y a ici aucun Babion.
Tu ne nous échapperas pas, ce n'est pas ainsi que
l'on se joue de ses serviteurs. Tu ne payeras que ton
cent, je neveux pas te faircd'auire mal. (7/ le frappe.)
babion, blessé. Hélas! hélas! je suis mon.
fodius. C'est un voleur. Allumez de la lumière !
(Peignant Tâtonnement.) 0 douleur! C'est Babion!
Et, imbécile, d'où venez-vous ? pauvre sol, quand
serez-vous sage ? Notre âne ne jouera jamais de ci-
thare, noire bœuf ne pérorera pas en docteur, et
jamais Babion ne sera raisonnable. Vous clés bien
heureux que nous ne vous ayons pas mis à pis.
bABiON. Et qui frapperait encore, quand il n'y a
plus lieu que de gémir?
fodius. Pour si peu de chose, gémir! Je suis mé-
decin cl docte dans cel art, une blessure si légère
sera bieniôi guérie.
babion. 11 y a de la hardiesse à parler de tout, et
c'est ce que, dans ce moment, prouve ce proverbe :
« Ci lui qui n'a pas le mal, ne sait pas tout Ce que
souffre le malade. >
SCÈNE XIX.
BABION, Seul.
babion. 0 coupable chose ! femme de mauvaises
mœurs ! la pire des choses ! ô séducteur ! Il n'y en
a pas un. dans loul le monde, qui ne soit un rusé.
Mais de si grands maux ne sont plus dès maux ;
leur multitude les réduit à rien. Quand on vil avec
le serpent depuis longtemps, ou ne craint plus le
danger.
Ma femme esl une scélérate; mon esclave est mon
liOtirretu; ennui de ce côté, douleur de l'autre; elle
est le loup, lui, le lion ; elle lient, il lie ; elle donne
la chasse el il étrangle ; elle serre de près et il frap-
pe; elle crie : à mon! el il tue.
SCÈNE XX.
BABION, PÉCULA, FODIUS
babion. Tenez-moi prêls un char cl son conduc-
teur pour aller de nuit aux saints lieux; je veux
mettre à ma vie un lerme pieux.
tous ensemble. Vous nous laissez sitôt.
babion. Je nie plains de vous laisser si lard, el je
décamperai plutôt d'ici en mauvais point que se sup-
porter plus longtemps vos méchancetés. Pleurez,
gens de ma maison, pleure, ô Pécula, Babion se fait
moine, pleurez!
pécula. (A pari.) Qu'il attende que je rappelle, et
marche toujours en avant sans songer au retour.
(Haut.) O frère Babion, quels regrets, ;qne de lar-
mes me cause ton dépari! (A pari.) Ces pleurs me
font grand plaisir.
babion à Fodius. Eh, Fodius, je le donne Pécula.
Ne me remercie pas, crois à mon expérience el re-
doute notre sort.
Que Croceus et Violette se portent bien, et vous
aussi, porlez-vous bien. Soyez heureux dans voire
vie, vos enfants et vos biens. Moi, Babion, je vous
l'ai teste, et retenez bien ces derniers mots: 11 ne
faut se fier ni à sa femme, ni à la fille qu'on a «le-
vée, ni à son client (80o'-7.)
Ecce Fodi, Peculam libi do, nonutere votis ;
Experte crede, noslraque fala lime.
Croceus el Viola valeant! cl vos valeaiis !
Feliccs sevo, germine, diviliis.
Bdbio leslis adesl, h:ec ulliina verba leneto :
Soin iucredibiles uxor, aluinpna, (liens.
(Explicit comœdia liabionis.)
(80G-7) M. Bruce Wry te analyse ainsi les vers 3*^i à
(a) Pecula.
vers suivant.
'M. B. W.l II. Wright ne lil Pecula au'au
Ib) Pfcula. (Cott.) — (M. Wn.|
(c) Habio l'odo (Coll.) — [il. Wh.)
iZib
RAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAV
1310
BARBIER ET DE CHARIOT (La dispute
du)-. — La Dispute du Barbier cl de Chariot a
été considérée comme un monument dra-
matique. (Cf. Legband d'Aussy, Fabliaux,
Contes, Fables, etc.; Paris , Ken >uard, 1829,
5 vol. in 8", t. Il, p. 203.)
M. Achille Jubinal a édité celle pièce dans
les Olùiv; es complètes de Ruiebeuf, trou-
vère du xme siècle (Paris, 1839, 2 vol. in-8°,
t. I", p. 212). Il y voit une satire person-
nelle contre un certain Charles ou Chariot,
ménestrel qui avait suivi saint Louis en
terre sainte, et qui semble avoir été son ri-
val ou même son ennemi.
Il n'est pas d'avis que cette pièce ait pu
donner lieu à une véritable représentation
théâtrale, mais il pense que le moyen fige
put avoir un théâtre de famille et de festins,
où se rangent tous les dicts et les disputoi-
sons de celle nature. [Ibid., note Q, p. 423-
425.)
BATARDS DE CAUX (Les).— Les Bâtards
de Caux, farce nouuelle et ioyeuse a v. per-
sonnages, c'est a scauoir :
LES BATARS DE CAUX,
LA MÈRE,
L'AINE QUI EST HENRY,
le petit colin,
l'escollier,
et la fille.
Celte pièce est conservée dans ie manus-
crit de la Bibliothèque impériale, fonds de
La Vallière, n° 63.
Elle date du commencement du xvi' siècle.
L'unique édition qui en exisle est celle
de la collection Téchener (Recueil de
Farces...)
La mère se lamente avec ses enfants de la
morl de son mari ; Henri l'aîné , hérite de
tout le bien, ses frères réclament :
colin.
Sommes nous plus balars que iiiy
Jamais n'en gaigna un denger.
LA MÈRE.
Mes enfans, c'est te couslumyer
Qui esi faict passes trois cens ans...
LA FILLE.
Il auoyl bin le deable au corps
Qui cesle loy institua.
La querelle se termine par un procès.
571 : «Fodius se lève, demande qui est là, et crie aus-
sitôt : Ah voleur! au voleur! 11 éveille les autres do-
mestiques, et feignant de ne pas reconnaître Rabion,
il le bal sans miséricorde. Rabion est obligé de dé-
cliner son nom : j Vitra quam salis est, Uabio, sum;
parcile! » Fodius lui reproche sa lâcheté eH ajoutant
<pic ses indignes et injustes soupçons auraient pu lui
coûter la vie. Le maître cependant n'est ni con-
vaincu ni apaisé. (P. 421.)
Le critique cite les quatre vers 5*7 1 à 575 et re-
prend s < il (Rabion) son, et revient à (Instant où
'Fodius, pour le mieux tromper, prétend être dange-
reusement malade ; à cet effet Fodius s'écrie (sui-
vtnl les deux vers 415 et 410).
c Babion qui entend ces mots, se réjouit en son-
geant que le traître est si près de sa fin. (M. B.-W.
cite les vers 432-442, moins le 440'). Fodius, qui
n'est oas si pressé de rendre visite à Plulon, répli-
LA MÈRE.
Entre vous qui voulles aquerre
Des biens mondains à vos enfahs,
Faicles leurs pars en vos viuans,
Pour euiter entre eulx la guerre...
BATELEUR (Le). — Le Bateleur, farce
ioyeuse a \. personnages, c'est a scauoir.
LM BATELEUR, B1NELE,
SON VARLET, ET DEULX FEMMES.
Le manuscrit du xvie siècle, conservé à la
Bibliothèque impériale, fonds La Vallière,
n° 03, édité par MM. Leroux de Liney et
Francisque Michel (Voy. Recueil de Farces...},
contient celle farce que le varlel termine
oar ce conseil aux spectateurs :
Hardiment faisons nous valloir,
Soucy d'argent n'est que l'abil...
BATELIÈRE (La fille). — La Fille basle-
lière, monologue nouueau et fort récréatif,
est conservée dans le manuscrit de la Bi-
bliothèque impériale , fonds La Vallière,
n° 63, attribué sans preuve à Pierre Taserye.
Elle a été éditée par MM. Leroux de
Liney et Fr. Michel, dans le Recueil de far-
ces, moralités et sermons joyeux (Paris, Té-
chener , 1837, in-8°, 4 vol.); ce Recueil,
très-peu soigné typographiquement, n'a été
tiré qu'à 76 exemplaires.
Un bateleur instruit sa chambrière, et
celle-ci qui le remplace, débite au lieu et
place du charlatan :
Icy apporte doygnemenU, pouldres, racines,
Pour faire grosses médecines
A ceulx qui en eronl besoing...
Ehe cite un grand nombre de villes où
elle a passé; tout cela est entremêlé de ma-
lice, de plaisanteries, de grossièretés et
d'indécences : c'est une pièce de foire.
BATON (Martin). — Voy. Martin Bâton.
BAVARDAGE DU MONDE (Le). — Li
Riole de V monde, ou le Bavardage du monde,
da'e du xve siècle.
Celte pièce , en prose et anonyme, est
conservée dans le tus. de la Bibliothèque
impériale, n° 7595.
Elle a été publiée par M. Francisque Mi-
chel, à Paris, chez Silvestre, en 1834.
On la retrouve en vers dans le ms. de la
Bibliothèque harléienne à Londres, n°2253,
sous ce titre : Le Jongleur d'Ely et le roi
d'Angleterre. Cette version a élé éditée à
que à part. (V. 439,431, 442). (P. 422.)
i Alors il quitte le lit, et, ayant rencontré B.ibion
au milieu des ténèbres, une rixe s'engage entre eux.
Fodius, comme auparavant, prétend ne pas le con-
naître, l'accuse d'être un débauché, et malgré les
protestations réitérées de son maître, il lui porte
un coup mortel. Enfin, comme s'il venait de recon-
naître Rabion, il affecte de la surprise, et exhale en
ces termes son prétendu désespoir. (Vers 454 à
459.)
Alors Fodius propose de guérir la blessure incura-
ble qu'il a faite :
... Medicus sum... (Vers 459.)
t Babio, connaissant son état et trop convaincu de
la perfidie de son serviteur, refuse le secours qu'il
lui offre, cl la pièce se termine par les lignes sui-
vantes (vers 403,404, 405 adftnem\
I3i7
BAZ
NOTICE SUR LL THEATRE LIBRE.
BAZ
\j\S
Londres, en 1818, par M. Francis Palgrave,
et en "France par l'abbé Dolarue (Ilist. des
bardes, jongleurs cl trouvères normands et
anglo-normands, t. 1er, p. 283).
M. Achille Jnbinal cite celte petite pièce
dans le Pr vol. de son édition des OEnvres
complètes de Rutebcuf (Paris, 1829,2 vol.
in-8°, t. 1er, p. W3).
La Iiiote del monde a été classée par
M. Edélestand Duméril parmi les poésies
empreintes de l'esprit du moyen âge à tout
dramatiser. (Cf. Origines latines du théâtre
moderne, Paris, 1849, in-8°, p. 3.)
Elle appartient probablement à la fin du
xve siècle.
Voici le commencement du texte en prose :
le me chevauchoie d'Amiens à Corbîe; s'encon-
trai le roi et sa maisnie :
— A cui es-lu? dist-il.
— Sire, je suis à mon signor.
— Qui est les sires ?
— Li barons, nie dame.
— Qui esl la daine?
— La famé mon signor... etc
BAZOCHE (La). — Dans leur Histoire da
théâtre français, t. Ier, 39, et t. 11, p. 78) les
frères Parfait ont donné sur la Bazoche les
notes suivantes :
HISTOIRE DE LA BAZOCHE.
« Cène sont plus ici de grossiers pèlerins,
ni de bas ouvriers qui jouent des pièces en
public, c'est un roi , accompagné de son
chancelier, de plusieurs maîtres des requê-
tes, d'un procureur général et autres per-
sonnes revêtues de titres éminenls dans la
robe, qui prennent ce soin eux-mêmes. Mais
pour expliquer ce fait qui paraît assez sin-
gulier, il faut remontera l'origine de ce roi
et de ses sujets.
« Le pouvoir de la Bazoche s'étend su"
tous les clercs qui ne sont ni mariés ni pour-
vus d'offices de procureur. Quelques auteurs
voulant nous donner l'origine de ce nom,
l'ont tiré de deux mots grecs qui signifient
répandre des discours , parce qu'une des
occupations les plus importantes des clercs
delà Bazoche était autrefois de représenter
au palais des pièces de théâtre dans le goût
de l'ancienne comédie. Mais sans donner la
torture au mot Bazoche, il suffit de remar-
quer que tous les lieux qui s'appellent dans
les titres latins Basilica, ont porté en fran-
çais, deouis plusieurs siècles , le nom de
(808) Noua sommes obligés de suivre deux ail-
leurs qui sont les seuls qui aient parlé de la Bazoche
un peu inélliodiipiemenl, et qui cependant se sonl
plus attachés à rendre compte de l'origine et des
usages établis entre les clercs, que des jeux repré-
sentés par ces derniers. Le premier esl Miraumonl,
qui a l'ail un Traité des juridictions royales étant
dans l'enclos du l'uluis , cl le second un particulier
qui prend la qualité d'avocat de la Bazoche, à la lète
d'un liecueil de statuts, ordonnances, règlements, an-
tiquités, prérogatives et prééminence du royaume de
la Bazoche, imp. en 158(i.
(809) Ce titre «le roi, donné à un simple clerc,
ne paraîtra extraordinaire qu'à ceux oui ignorent
Bazoche, Bazoge, ou Bazouges. Or, le pre-
mier usage que les Romains aient fait du
terme Basilica a élé pour désigner les audi-
toires spacieux où les préteurs adminis-
traient la justice. Jamais auditoire n'a mieux
mérité ce nom, que la grande salle du palais
de Paris, et le terme basilique, c'est-à-dire
royal, convient encore ajuste titre au palais
où nos rois ont si longtemps demeuré. C'est
sans doute de ce nom de basilique que la
Bazoche a pris le sien.
« Cet établissement se fit, vers l'an 1303,
par le roi Philippe le Bel, qui donna même
Je nom de roi au chef de celte juridiction,
dont les officiers furent appelés chancelier,
maître des requêtes, avocat et procureur
général, grand référendaire, grand audien-
cier de la chancellerie, secrétaires, greffiers,
huissiers, etc. Il permit aussi à ce roi de la
Bazoche de porter la loque royale, et au
chancelier de porter la robe et le bonnet. Il
ordonna que les plaidoiries ordinaires se
tiendraient deux fois la semaine; à savoir*
le mercredi et le samedi, sur les cinq heu-
res de relevée : et que tous les ans, le roi de
la Bazoche ferait faire montre à tous les
clercs du palais, avec tambour et trompette,
accompagné de tous les clercs ses sujets,
sous la conduite d'un colonel et de douze
capitaines...
« Ou dit (Statuts et Règlements du royaume
de la Bazoche) que, sous le règne de Philippe
le Bel (808), le nombre des procès augmen-
tant de jour en jour, les procureurs se trou-
vèrent obligés ile représenter au parlement
qu'ils ne pouvaient vaquer aux affaires dont
ils étaient chargés, sans être aidés dans leur
ministère. La cour ayant délibéré sur cette
demande, permit aux procureurs de recevoir
des jeunes gens pour travailler sous eux,
qui par ce moyen s'instruiraient dans leur
profession, et deviendraient capables dans
la suite de parvenir aux mêmes emplois.
Ces jeunes gens, à qui on donna le nom de
clerc, qui revient à celui d'étudiant, se ren-
dirent si utiles au public, que pour récom-
penser leur vigilance et leur exactitude,
Philippe le Bel, vers l'an 1303, voulut non-
seulement qu'ils eussent un roi entre
eux (809), à qui il [terrait de porter une
loque pareille à la sienne (810), mais encore
un chancelier, des maîtres des requêtes, un
avocat et un procureur général, un procu-
reur de la communauté des clercs, un grand
qu'il y avait alors à Paris plusieurs particuliers qui
le portaient. Tels étaient le roi des merciers, qui:
le grand chambellan (a) nommait; et qui avait au
lorilé sur sa communauté. Celui des ribauds, ayant
Inspection sur les mauvais garçons de la cour et de
Paris, et enfin le roi des arbalétriers, etc. (Voy.
Miiut'MONT, p. 615, de son Traité des jur. dictions
royales étant dans rendus du Palais.)
(810) Les bonnets de chambre ressemblent beau-
coup à ces loques dont on peut voir la ligure dans
les anciennes tapisseries, surtout celles qui furent
fabriquées sous les règnes de François I", Henri U,
etc..
(a) On l'appelait autrefois le çrand chambrier.
1319 BÀ£ DICTIONNAIRE DES MYSTERES. BAZ 1320
référendaire et rapporteur en chancellerie, des clercs. Ces deux derniers se présentent
un grand audiencier et aumônier , qui se- à la communauté des procureurs, qu'on ap-
raient niaiJLres des requêtes extraordinaires, pelle l'ancien conseil (où préside toujours le
et autres officiers dont nous parlerons plus chancelier de la Bazoche), et demandent
amplement; et, pour gratifier davantage cette deux commissaires (qui sont deux anciens
nouvelle société, le même roi, Philippe le procureurs) pour les aider à procéder à la
Bel, leur concéda le droit de justice souve- nouvelle élection. Leur réquisitoire accordé,
raine, qui s'exercerait au palais sous le nom les deux commissaires, le procureur géné-
et autorité de la Bazoche (811), laquelle jus- rai et le procureur de la communauté des
tice serait seule et sans appel pour tous les clercs, se rendent au parquet de messieurs
clercs, sur les différends qu'ils avaient et les gens du roi du parlement, où, pendant
pourraient avoir à l'avenir, soit les uns con- trois jours consécutifs, ils y recueillent les
tre les autres, Ou avec d'autres particuliers; voix de tous les clercs. Ensuite, ces quatre
et pour donner plus d'étendue à la puissance personnes et tous les officiers de la Bazoche
du nouveau roi de la Bazoche, il lui fut se transportent à l'ancien conseil. Le rap-
permis de faire frapper une monnaie qui port fait, le chancelier de la Bazoche, qui
aurait cours parmi les clercs et les marchands est à la tête de cette assemblée, va aux opi-
fournissant cette société , mais de gré à nions, en commençant par les procureurs
gré. au parlement, et finissant par les officiers
« Par la suite, la Bazoche obtint une pleine de sa juridiction : et après avoir compté les
autorité, non-seulement sur tous les clercs voix, il nomme par un arrêt celui qui en a
du palais et du Châlelet, mais aussi sur tous le plus grand nombre. On lui fait passer le
ceux des juridictions ressortissantes au par- barreau et prêter serment, elc. (Quelquefois
lement de Paris (812). le chancelier est continué dans son emploi
« Comme il serait difficile d'entendre plu- encore un an ; mais alors c'est la Bazoche
sieurs faits particuliers des jeux de la Bazo- seule qui proroge ce temps, sans être obli-
che, sans connaître le nombre et les fonc- gée d'y appeler les procureurs au parlement.)
tions des officiers de ce royaume, nous allons Ensuite on lui remet les sceaux (814) sur
parler de ces derniers. lesquels sont gravés les armes de la Bazo»
« Le plus considérable officier de la Bazo- che (815) timbrées de casque et morion,
che, après le roi de cette juridiction, était le pour marque de souveraineté. Ce chancelier
chancelier (813), qui ne porte ce titre et n'en préside aux audiences, et prononce les ju-
exerce les fonctions qu'un an. Il est élu huit gements qui s'y rendent, et ses arrêts sont
jours après la Saint-Martin, et voici corn- exécutés comme ceux du parlement, nonobs-
ment on y procède. Lorsque le temps d'é- tant oppositions et appellations quelcon-
lire un chancelier approche, le procureur ques (816).
de la communauté des clercs requière à la « Les maîtres des requêles ordinaires,
juridiction qu'il soit nommé quatre conten- dont le nombre fut fixé à douze, rendent la
dants, pour faire choix parmi eux d'unnou- justice conjointement avec le chancelier,
veau chancelier. Le procureur général con- « Le grand référendaire et rapporteur en
dut aux mêmes fins, et la Bazoche rend un chancellerie, le grand audiencier et le grand
arrêt qui nomme le nombre de sujets re- aumônier, portaient le titre de maîtres des
ouis. Il est à remarquer que ce choix roule requêtes extraordinaires. Le premier était
sur les quatre plus anciens maîtres des re- chargé du soin de présenter les lettres de
quêtes ordinaires, l'avocat général , le pro- provisions d'office accordées par la Bazoche,
cureur général, et celui de la communauté le second, celles émanésstdu chancelier; elle
(811) Ce mot Bazoche vient du latin Basilica. Les Bazoche dattéas de l'an 1586, sçavoir les villes de
clercs s'en servirent sans doute à cause qu'ils s'as- Loches, Chaumonl, Lyon, et autres lieux. Plusieurs
semblaient dans la grande salle du Palais. (Voir poursuites sur appellations des sentences du prévôt
plus haut.) Au reste, il y a tout lieu de croire qu'ils hazochial de Lyon, et un règlement l'ail en la Ba-
avaient déjà établi certaines règles entre eux, et zoche l'an 1599, par les officiers de la Bazoche de
que les privilèges que Philippe le Bel leur accorda Verneùil. » (Recueil des statuts, ordonnances, règle-
ifen lurent que la confirmation. menls, antiquités, prérogatives et prééminences du
(812) « La Bazoche a toujours été auclorisée par royaume de la Bazoche, pp. 29 et 50.)
les roys de Fiance, et approuvée par les arrêts de (815) Lorsque Henri III eut abrogé le titre de roi
nos seigneurs du Parlement; et si on en voit encore et de royaume de la Bazoche, le chancelier devint
aujourd'huy deux anciens, l'un en dalle du mardy et est encore la première personne de la juridiction
ik juillet 1528, et l'autre du 3 avril 1545, dans les dont nous parlons,
registres de la cour, dans lesquels on reconnoil l'an- (81 i) Ils sont d'argent.
cienneté de la Bazoï lie et leurs beaux privilèges. Et (815) Les armes °de l'a Bazoche" sont trois écri-
il se remarque dans celui de 1528, qu'il est porté toires d'or en champ d'azur,
que les Bazochiens de Poicliers tiennent eu fuy et (810) Qu'on ne nous blâme point de ce que nous
hommage du roy de la Bazoche, et que de ce il se parlons des officiers de la Bazoche, tantôt au pré-
trouve une complainte en manière de nouvellelé de sent, el tantôt au passé : c'est un moyen qu'on a
1500, laquelle est signée en queue par monsieur le employé pour distinguer ceux qui subsistent actuel -
president Guillard, lors étant maître des requêtes lement au Palais, d'avec ceux dont les droits et les
du roy, parce qu'ils n'eloient tenus de répondre ail- fonctions sont supprimées. Par là on évite des répé-
leurs qu'en la Bazoche. Celle même Bazoclie a donné titions inutiles, et même étrangères au sujet que
des lettres d'érection de Bazoche à plusieurs villes; nous traitons,
on en voit la preuve dans les lettres du roy de la
r>2i
BAZ
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAI
I3if
dernier de la distribution des aumônes : ce
qu'ils ne faisaient cependant qu'en présence
du chancelier et du procureur général. Ces
maîtres des requêtes extraordinaires ne pou-
vaient assister en qualité de juges aux affai-
res qui se décidaient aux audiences, qu'au
défaut du nombre compétent des maîtres
dos requêtes ordinaires (817), ou lorsqu'ils
étaient mandés.
« Le procureur généra, ne peut être des-
titué de son emploi qu'au cas de mariage ou
d'achat d'une charge de procureur. L'avocat
du roi et le procureur de la communauté
des clercs, doivent tenir la main à l'exécu-
tion des ordonnances, règlements et statuts
établis par la Bazoche, jet de plus assister à
toutes les plaidoiries ordinaires et extraor-
dinaires, et aux assemblées qui se font « pour
« empêcher qu'il ne s'y glisse quelque abus
« dans l'ordre établi par la société, qui a
« toujours^observé et observe encore aujour-
« d'hui très-exactement l'ordonnance qui
« fait deffense à tous les officiers de la Ba-
« zochc de prendre aucun salaire pour la
« Visitation des procès, charges et informa-
tions qui leur sont communiquées , pour
« sur iceux prendre conclusions civiles et
«. criminelles. »
« Les trésoriers ou receveurs, au nombre
de quatre (818), qu'on élisait deux jours
avant le chancelier, étaient obligés de faire
assembler le conseil pour les audiences, qui
se tiennent le mercredi et le samedi à onze
heures (819) « de recevoir tous les Becs-
« jaunes (820), et bien venue accoutumée
« être prise sur tous-les clercs indifférem-
« ment entrant au Palais, qui sont d'un tes-
« ton de roy (821) pour l'ordinaire, et le
« double pour les nobles à cause de leur
« qualité plus relevée.»
« Ces trésoriers , qui sont toujours du
nombre des maîtres des requêtes, reçoivent
les gratiticatioiis faites à la Bazoche par le
N817) Ces maîtres des requêies devaient être au
moins sept pour rendre un jugement.
(818) Depuis irès-longleinps il n'y en a plus que
deux.
(819) Le mercredi qui suit la rentrée du parle-
ment, la Bazoche ouvre ses audiences en la chambre
de S. Louis. La première séance est employée au
iceil d'une harangue prononcée ordinairement par
Irt procureur de !a communauté des clercs, par la-
quelle il exhorte ses confrères à remplir dignement
les places qu'ils occupent. Ensuite on fait la lecture
du tableau des avocats bazoehiens.
(820) Métaphore prise des oiseaux quionllchec
jaune avant que d'avoir de la plume. 11 y a grande
apparence que l'einharras où se trouvaient les nou-
veaux clercs, en répondant aux questions qui leur
étaient faites par les trésoriers, a donné lieu à ce
fio.iiquet. Au reste, depuis plus de cinquante ans,
les clercs ne payent plus ce droit.
(821) Monnaie d'argent du poids de 7 deniers
12 grains 1/2 de fin, que l'on commença de fabriquer
sous Louis XII, en 1513, qui fut évaluée à 10 sous.
Sous les règnes suivants, celte monnaie augmenta
jusqu'à 3 livres.
(822) L'anonyme qui a fait un Becueil des statuts
et règlements du royaume de la bazoche, nous ap-
prend que ces gratifications (qui sont évaluées pré-
sentement à 150 livres chacune) furent accordées
Dictionn. des Mystères.
parlement. La cour des aides, et la cha i-
cellerie (822) qu'ils emploient aux dépenses
que la juridiction fait pour élever dans la
cour du palais un arbre qu'on appelle le Mai.
Comme cette cérémonie s'est conservée de-
puis son origine (qui suivit de près ceile
des clercs), il est nécessaire d'en parler.
« Tous les ans, au mois d'avril, le procu-
reur général de la communauté des clercs
se présente à l'audience de la Bazoche, et
demande qu'il plaise à la juridiction nommer
deux commissaires pour faire la recette et
la dépense ordinaire de la fête de Mai; l'a-
vocat général prend la parole, conclut à la
nomination requise, et la Bazoche donne un
arrêt qui nomme les deux commissaires.
« Ces commissaires sollicitent et touchent
la gratification du Parlement et celle de la
Cour des Aides. Ces sommes reçues , ils se
transportent dans la cour du Palais, à la
maîtrise des eaux et forêts et conviennent,
avec les officiers de celte juridiction, dujour
qu'ils se trouveront à Bondy, pour y choi-
sir dans la forêt lés deux arbres qu'on leur
a permis d'y faire couper, ce qui se fait
quelque temps après.
« Le mercredi qui précède le dimanche
que la Bazoche en corps va à Bondy, pour y
faire marquer les deux arbres déjà choisis,
le chancelier en habit de cérémonie et les
deux commissaires, accompagnés d'un tim-
balier, de quatre trompettes , de trois haut-
bois et d'un basson, se rendent au palais
pour aller ensuite donner les aubades et
réveils accoutumés au premier président ,
aux présidents à mortier, aux procureurs et
avocats généraux, aux officiers des eaux et
forêts, et enfin à la Bazoche. Le même jour,
a midi, ils recommencent ces aubades et
réveils à la porte du parquet des gens du
roi , à celle de la Grand'Chambre , au bas de
l'escalier de la Cour des Aides, aux requêtes
de l'hôtel, à la chancellerie où leur est déli-
par François Ier aux Bazoehiens, pour les récom-
penser d'un service important qu'ils rendirent à ce
prince. Voici comment il rapporte ce fait dont nous
ne nous rendrons point garants : « En 1547, il y
eut quelque révolte en Guienne, occasionnée par
des impôts qu'on avait été obligé de mettre sur
celle province. Le roi de la Bazoche, à la tète de
six mille de ses sujets, vint offrir ses services à
François 1" pour lui aider à punir les mutins. Le
roi accepta ces offres, et les Bazoehiens, ayant joint
les autres troupes qui étaient en Guienne, se com-
portèrent avec tant de valeur et de sagesse, qu'ils
aidèrent beaucoup à remettre le calme dans tous
les lieux qui voulaient se soustraire à l'obéissance
due à leur souverain. François 1", pour faire con-
naître combien il était content des Bazoehiens, leur
fil don i d'un lieu de promenade, contenant cent
i arpens de pré, qu' on appeloit le Pré de la Seine,
« et qu'on nomma depuis le Pré aux Clercs. A ce
c don, il ajouta la permission de faire couper dans
i l'une de ses forêls deux arbres, pour en élever un
e dans la cour du Palais, et pour fournir aux frais
« qu'ils étoienl obligez de faire le jour de celle cé-
i rémonie, il leur accorda une somme à prendre
« sur les amendes ajugées au roy, tant au Parlement
« qu'en la Cour des aides ; et à l'instant, il leur e»
i fil expédier des lettres qui furent enregistrées'uit
< parlement en 1548. >
k-1
1523
BAZ
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAZ
1324
vrée la gratification d'une lettre de quatre
sceaux simples.
<( Le matin du dimanche arrêté pour aller
à Bondy, tous les officiers de la Bazoche, à
cheval et habillés le plus magnifiquement
qu'il leur est possible, ayant avec eux un
timbalier, quatre trompettes, etc., vont
prendre à sa demeure leur chancelier et le
conduisent dans la cour du palais. Un clerc
fait un discours sur l'antiquité et les privi-
lèges de la Bazoche; ensuite, au son des
instruments guerriers, la cavalcade prend la
route de Bondy, où elle trouve en arrivant
tous les officiers des eaux et forêts à cheval
suivis des gardes qui l'attendent. Après un
déjeûner assez simple, les officiers des eaux
et forêts et les gardes se rendent à la forêt,
dans un lieu indiqué. Le chancelier et ses
suppôts se remettent en marche, et à une
portée de fusil de l'endroit désigné , la
troupe fait halte et le premier huissier, par
ordre du chancelier, vient avertir les offi-
ciers des eaux et forêts que la Bazoche en
corps arrive, etc. On lui répond qu'on est
prêt, etc. Aussitôt les deux troupes se joi-
gnent et le procureur général de la commu-
nauté des clercs prononce une harangue,
où ,il rappelle les droils et les privilèges de
la '«juridiction bazochiale; ensuite il fait
l'éloge du roi régnant, passe au mérite du
chancelier en place et finit enfin par deman-
der la permission de faire marquer les
deux arbres choisis. Cette demande accordée,
les timballes et les trompettes se font en-
tendre ; tous les officiers des eaux et forêts
et ceux de la Bazoche vont de compagnie,
font marquer les deux arbres par le garde-
marteau et se séparent. Le chancelier et sa
compagnie viennent dîner au même endroit
où ils avaient déjeûné; quelques jours après
cette cérémonie, le charpentier avec lequel
les commissaires ont conclu un marché, va
à Bondy, y fait couper les deux arbres mar-
qués, les conduit à Paris dans la cour du
Palais et en donne avis aux commissaires
(823) Tout le monde sail que l'arbre appelé le
Mai est dans la cour du Palais, et fait face d'un
côté à la rue de la Vieille-Draperie, et de l'autre à
l'escalier qui conduit au milieu de la salle Mercière.
Les armes de la Bazoche, qu'on attache à cet arbre
et qui sont entourées de lierre, porient au bas de
l'écusson les noms du chancelier et des deux com-
missaires en exercice.
(8*24) Celle montre générale est aussi ancienne que
l'érection de la Bazoche, puisque Philippe le Bel en
autorisa l'exécution. Voici les termes du compila-
teur anonyme du Recueil des règlements du royaume
de In Baxoche : « Philippe le Bel ordonna que tous
les ans le roy de la Bazoche feroit faire montre à
ions les clercs du Palais et du Chàlelel, et autres
clercs ses suppôts, elsujeis. »
(825) Les clercs qui s'enrôlaient sous ces capi-
taines, s'obligeaient de suivre leurs engagements, à
peine de dix écus d'amende. « En 1528, un clerc
qui a voit pris parti, ne voulant p;is satisfaire à son
engagement, fut condamné à l'amende prescrite
par l'arrest du chancelier de la Bazoche, et en exé-
cution, saisie fut faite du manteau du défaillant, qui,
pour se soustraire à la jurisdiction de la Bazoche,
lit citer son capitaine devant l'official de Paris. Là-
Uc-ssus appel comme d'abus au Parlement par les
qui s'y rendent; on abat l'ancien Mai et
l'on élève le nouveau au son des timballes,
trompettes, haut-bois, etc. (823).
« Cette fête ou cérémonie du Mai, nous
en 'rappelle une autre plus célèbre qui fut
supprimée par Henri III. On la nommait la
Montre générale (824). En peu de mots
voici de quoi il était question.
« Une fois l'année, vers la fin du mois de
juin ou au commencement de juillet, tous
les clercs, tant du Parlement que du Châ-
telet, s'assemblaient et se distribuaient en
douze compagnies ou bandes, commandées
par autant de capitaines. Ces capitaines
avaient à leur tête le roi de la Bazoche, et
sous leurs ordres, chacun un lieutenant et
un enseigne. Chaque clerc enrôlé portait
sur son habit, indépendamment du jaune et
du bleu, couleurs adoptées par la Bazoche,
celle désignée par le capitaine, qui pour cet
effet la faisait peindre sur un morceau de
vélin , qui s'attachait au drapeau de la
compagnie (825). Les trompettes, les haut-
bois et les tambours de la ville accompa-
gnaient la Montre générale des Bazochiens;
ces derniers se rendaient tous en bon ordro
dans la cour du Palais, et après avoir passé
en revue devant leur roi, au son des tam-
bours, trompettes, etc., ils allaient accom-
pagnés de ces derniers « donner des au-
« bades et réveils accoutumés à messieurs
« les premier et second présidents de la
« Grand'Chambre, procureur général, chan-
« celier, messieurs les gens du roi et plu-
« sieurs conseillers (826). »
« Quelques jours après cette fête , les
Bazochiens donnaient la représentation d'une
moralité ou d'une farce, autre usage établi
parmi eux, et pour lequel nous n'avons
rapporté les précédents , que pour donner
plus de clarté à ce dernier, qui fait le prin-
cipal objet de cet article.
« Le succès des mystères représentés à
l'hôpital de la Trinité, excita l'envie et l'é-
mulation des clercs de la Bazoche (827),
officiers de la Bazoche, pour lesquels plaidèrent de
Thou, Poyet et Berruyer : Morin pour le promoteur
de l'oificial, dit qu'il se désislail de la citation, et
Favier pour le défaillant, demanda pardon de sa
faule. La Cour, par son arresl du 14 juillet de la
même année 1528, renvoya le défaillant pardevers
le roy de la Bazoche et son conseil, et ordonna à
ce roy de traiter aimablement ses sujets. > {Hist.
de la ville de Paris, liv. x, pp. 502 et 503.)
(826) Statuts et règlements du royaume de ra
Bazoche.
(827) Il serait difficile de marquer exactement le
temps où les clercs de la Bazoche commencèrent à
représenter des moralités et des farces, mais il est
certain qu'ils tardèrent peu après l'établissement
des confrères de la Passion, puisqu'en 1442, on
trouve qu'ils étaient en possession des moralités, des
farces et des soties ousoilises, et que le Parlement
fut obligé d'interposer son autorité pour réprimer la
licence qui régnait dans leurs pièces. Voici ce qu'en
dit l'abbé d'Anbignac : « Or en France la comédie a
commencé par quelques pratiques de piété, étant
jouée dans les temples, et ne représentant que des
histoires saintes. Mais elle dégénéra bientôt en sa-
tire et bouffonnerie, autant contraire à l'honnêteté
des mœurs qu'à la pureté de la religion. Elle fui
152a
BAZ
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAZ
15SS
mais arrêtés par le privilège exclusif des
confrères de la Passion, ils furent obligés de
chercher une autre route. La morale parut
un fonds inépuisable à leur dessein, ils
personnifièrent les vertus et les vices, et
dépeignant louto l'horreur des derniers, ils
faisaient voir l'avantage que l'on retire en
suivant les premiers. C'est ce qui fil donner
aux pièces dressées sur ce plan Je titre de
moralité. Cette idée, assez heureuse, fit tout
l'effet que ceux qui l'avaient employée
pouvaient en attendre, et ce nouveau genre
de spectacles (qui ne paraissait que trois ou
quatre fois l'année [828]) fut estimé par
beaucoup de personnes , supérieur à celui
des mystères (829).
;< Cependant le succès des moralités fut
peu considérable en le comparant à celui
des farces qui parurent ensuite, et dont l'in-
vention est due également aux poètes Bazo-
chiens. Ces pièces, travaillées dans un goût
singulier, n'étaient pas sans mérite. Elles
ridiculisaient d'une façon vive et plaisante,
dvs vices qui ne sont que trop répandus
dans le monde et que l'on a la bonté de ne
qualifier que du nom de défauts; tels que
ceux d'avarice, de fourberie, de débau-
che, etc. Mais ce fonds excellent, qui ca-
ractérise la bonne comédie et que Molière
sut depuis si bien faire valoir (830), fut
gâté dès qu'il fut découvert; la sale équi-
voque, la satire grossière et personnelle
tinrent pendant plus de deux cents ans la
place du galant badinage et de la fine raille-
rie (831).
« Les farces que la Bazoche représenta
pendant un certain temps, ne satirisèrent
que des tours de jeunesse de quelques
clercs de la société ou des gens d'un ca-
ractère méprisable; mais peu à peu des
personnes d'un état plus relevé furent dési-
gnées et même nommées. Ce chemin une
fois tracé, il ne fut plus de rang ni de nais-
sance à l'abri des médisances ou des calom-
quclqiic temps ainsi maltraitée par les Bazocliiens^
qui furent comme les premiers comédiens en ce
royaume; et enfin parmi les baieleurs publics, parmi
lesquels elle a demeuré pendant plusieurs années,
avec autant de honte que d'ignorance. » (Pratique
du Théâtre, loin. I, p. 549.)
(828) Les clercs de la Bazoche ne jouaient ordi-
nairement que trois fois Tannée. La première fois,
le jeudi qui précédait ou qui suivait la féic des Mois,
car celle représentation variait entre ces deux jours;
la seconde, le jour de la cérémonie du Mai dans la
cour du Palais; et la troisième, quelque temps après
la montre générale. Mais lorsqu'il se faisait des ré-
jouissances publiques à Paris, comme aux entrées
des rois et des reines de France, etc., la troupe des
Bazocliiens prenait part à ces événements, et don-
nai) !' divertissement de son spectacle.
(820) Tout contribuait aux applaudissements que
recevaient les clercs de la Bazoche : ils élaient au-
teurs et acteurs ; ajoutez que ces derniers qui, sans
doule, avaient plus d'éducation que ceux qui repré-
sentaient les myslèrcs, menaient plus d'art et de
convenance dans leur déclamation et leurs jeux de
théâtre.
(850) Molière ne s'y conforma peut-êire que trop,
du moins Despréaux lui a l'ait ce reproche dans le
troisième chant de son Art voétiaue. Voici le pas-
nies répandues dans ces pièces. De plus, les
Bazocliiens joignirent aux représentations
des farces, celles des soties ou sottises, que
le prince des sots et ses sujets, jouaient sur
des échafauds en place publique, et qui
ressemblaient moins à des comédies qu'à des
libelles diffamatoires (832).
« Les guerres civiles et étrangères dont
la France fut déchirée sur la fin du règne
de Charles VI et le commencement de celui
de Charles VII , suspendirent toutes les
règles prescrites et donnèrent occasion à la
licence qui s'introduisit dans les farces et
sottises. En vain le parlement aurait voulu
s'opposer à la témérité des poètes qui don-
naient de pareils ouvrages; les lois n'étaient
plus écoutées, et celles du plus fort en fai-
saient l'équité. Un roi étranger était presque
le maître du royaume, l'héritier présomptif
n'avait que peu de gens qui lui fussent de-
meurés fidèles; les princes de son sang
unissaient tous leurs efforts pour lui faire
ùlcr une couronne qui lui appartenait; la
ville capitale était tyrannisée par des gens
de la lie du peuple, qui s'étaient rendus les
arbitres de la liberté et de la vie, non-seule-
ment des simples particuliers, mais même
des personnes du plus haut rang. Parmi tant
de factions différentes, chacun suivait le ca-
price ou l'intérêt qui le conduisait. Les
partisans du dauphin n'étaient pas fâchés
de ce qu'on découvrait au public les défauts
et l'ambition des princes, qui s'étaient em-
parés du gouvernement par la faiblesse du
roi régnant, et le peu de respect que les Pa-
risiens portaient à celui d'Angleterre. Les
princes et le roi d'Angleterre, à leur tour,
étaient charmés de faire répandre des dis-
cours offensants contre l'honneur du Dau-
phin : de sorte que toutes les pièces qui
parurent alors, n'étaient remplies que d'in-
jures grossières contre les trois partis dont
nous venons de parler, et ceux qui les
avaient composées ou récitées, bien loin de
sage, qui ne peut manquer de faire plaisir, même à
ceux qui le possèdent de mémoire :
Etudie? la cour, et connaissez la ville;
L'une et l'autre est toujours en modèles fertiles;
C'est par l'a que Molière illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté les prix,
Si moins ami du peuple, en ses doctes peintures,
Il n'eut pas fait souvent grimacer .ses ligures,
Quitté pour le bouffon, l'agréable et le fin,
El sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule, où Srapin s'enveloppe,
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.
Si Despréaux dit, peut-être en parlant de Molière,
quel terme aurait-il employé pour ceux qui sont ve-
nus après ce grand homme?
(851) Le mot adjectif que l'on joignait toujours
au nom de farce, faisait connaître le genre dans le-
quel elle avait été composée. Ainsi l'on trouve farce
joyeuse, Itistrionique, fabuleuse, enfarinée, morale,
récréative, facétieuse, badine, française, etc. Les notes
qui suivent ces farces dont nous donnons des ex-
traits, expliquent ces différents termes.
(852) Le prince des sots donna la permission aux
clercs de la Bazoche de jouer ses sofics ou sottises, et
en échange il reçut de ces derniers celle de repré-
senter des larces. (Voyez l'article du Prince des Soit
et des Enfants sans Soucy.)
J5-27
BAZ
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BAZ
1328
subir une punition rigoureuse, étaient ré-
compensés.
« Charles VI étant mort en 1422, le dau-
phin, son fils, qu'on nomma Charles VII,
conquit avec autant de bonheur que de cou-
rage les Etats que son père et la mauvaise
intelligence des princes du sang avaient
laissé prendre aux Anglais. Il força ces der-
niers à se retirer du royaume, et revint à
Paris, vainqueur de tous ses ennemis, où il
fut reçu avec des acclamations univer-
selles (833).
« La paix qui suivit des exploits si glo-
rieux donna les moyens de réprimer les
abus qui s'étaient introduits pendant les
troubles passés. Ceux des théâtres ne furent
pas mis au dernier rang. Le parlement, en
accordant aux clercs de la Bazoche la per
nonça un autre, dont le motif était ton t con-
traire , puisqu'il ordonnait à la Bazocho
l'exécution de ses jeux, et à ne se départi*
de cet usage, que par une permission ex^
presse de la cour.
« Nous ignorons les causes qui firent in-
terdire à la Bazoche la continuation de son
spectacle, mais nous trouvons un arrêt du
parlement en date du 15 mai 1476, qui dé-
fend à tous clercs, tant du Palais que du
Châtelet, non-seulement de représenter des
jeux de farces, sottises et moralités , mais
même d'en demander la permission (834-).
Jean l'Eveillé, roi de la Bazoche, ne laissa
pas l'année suivante de demander cette per-
mission au parlement, qui, par son arrêt du
19 juillet 1477, réitéra les défenses, sous
peine, aux contrevenants, d'être battus de
mission de continuer les jeux de farces et verges par les carrefours de Paris, et bannis
de sottises y leur enjoignit d'en retrancher
les termes contraires à la pureté des mœurs,
et tout ce qui pouvait offenser ou préjudi-
cier à la réputation de qui que ce fût. Ces
défenses n'ayant pas été observées aussi
exactement qu'elles auraient dû l'être , on
les renouvela, et on y ajouta qu'à l'avenir
les Bazochiens ne représenteraient leurs
pièces qu'après en avoir obtenu l'ordre du
parlement
du royaume (835). Cette suspension du spec-
tacle de la Bazoche s'étendit jusqu'à la fia
du règne de Charles VIII, qui mourut en
1497.
« Louis XII, qui lui succéda et qui fut
nommé à si juste titre le Père du peuple,
rétablit tous les théâtres et les libertés dont
ils avaient joui avant les règnes des rois
Louis Xi et Charles VHJ, et, par une raison
particulière, il permit aux poètes de repren-
o En 1442, les clercs de la Bazoche ayant dre dans leurs pièces les vices et les défauts
représenté leurs jeux malgré la défense qui de toutes les personnes de son royaume,
leur en avait été faite, le parlement, pour sans aucune exception (836). Les Bazochiens
lunir cette désobéissance, rendit un arrêt ne furent pas les derniers à éprouver les
e 14 août de la même année, qui condamna bontés de Louis XII; entre autres grâces
es acteurs à quelques jours de prison, au qu'il leur fit, il leur accorda la permission
iain et à l'eau. do dresser leur théâtre (toutes les fois qu'ils
« Le 12 mai 1473, le parlement en pro- joueraient) sur la table de marbre (837) qui
(833) Alain Chartier, dans son Ilistcire de Char-
tes Vil, p. 109, dit (parlanl de l'enirée de ce roi à
Paris en l'année 1437) que < foui su Icng de la grande
rttë S. Denis, auprès d'un jel de pierre l'un de l'au-
tre, éloienl fails eschaffaultz bien el richement len-
duz, où esloienl faicls par personnages l'Annoncia-
tion Noslre-Dame, la Nativité Noslre-Seigneur, sa
Résurrection, el Pentecosle, el le Jugement qui scoil
très-bien ; car il se joùoil devant, le Chaslelei, où
est la justice du roy, el emmy (a) la ville avoit plu-
sieurs jeux de divers mystères, qui seroienl trop
longs à racompler; et là venoienl gens de toutes
parts criants Noél, el les autres pleuroieni de joye. >
(834) « La Cour, pour certaines causes à cela
mouvans, a deffendu et deiTeml à tous clercs el ser-
viteurs, tant du Palais que du Cliasielel de Paris,
de quelque estât qu'ils soient, que doresnavant ils
ne jouent publiquement audicl Palais ou Chastelct,
ni ailleurs en lieux publics, farces, soties, moralités,
ne autres jeux à convocation de peuple, sur peine
de bannissement de ce royaume, et de confiscation
de tous leurs biens; el qu'ils ne demandent congié
de ce faire a ladille Cour, ne autres; sur peine
tl'eslre privez à tousjours. tant dudict Palais, que
«ludict Cliasielel. Faict en Parlement le 15 may
4476. »
(835) < Du samedy 19 juillet 1447. Vu au Conseil,
en la Grand'Chainbre, les Chambres assemblées,
vue par la Cour la requeste baillée à Scelle par les
.clercs des présidens et conseiller;; de ladicle Cour,
et aussi les avocats et procureurs d'icelle, la Cour a
défendu et défend à Jehan l'Fsveillé, soy disant roy
delà Bazoche, Martin Houssy, Thcodarlde Coaluan-
'a] Emmy, au milieu.
pran, et autres ayans personnages, de jouer farces,
moralités ou sotises au Palais de céans, ne ailleurs,
jusques par ladietc Cour en soil ordonné, sur peine
d'eslre battus de verges par les carrefours de Paris,
el de bannissement de ce royaume. A aussi deffendu
et deflend audicl l'Esveilié, soy disant roy de la Ba-
zoche, et Martin Iloussy, à leurs personnes, qu'ils
ne soient si hardis de jouer farces, moraiilés, publi-
quement au Palais, ne ailleurs, sur peine d'eslre
balius de verges par les carrefours de Paris, el ban-
nissement de ce royaume, i
(856) < Le bon loy Louis XII, se plaignant que de
son lerns personne ne luy vouloit dire la vérité, ce
qui étoit cause qu'il ne pouvoil sçavoir comme son
royaume esloit gouverné. Et pour que la vérité put
parvenir jusqu'à luy, il permit les théâtres libres, et
voulut que sur iceux on joùast librement les abus qui
se commelloienl, tant en sa cour comme en son
royaume; pensant par-là apprendre et sçavoir beau-
coup de choses, lesquelles autrement il luy esloit
impossible d'entendre. > (Guillaume Bouchcl, trei*
zième série , pag. 18 el 19 de l'édition in 8° impri-
mée à Rouen chez Louis Lauilct en 1035.)
(837) Celle table de marbre que Louis XII prêla
aux clercs de la Bazoche, av;iil éié construite et
posée dans la grande salle du Palais pour un usage
bien différent, puisqu'elle servait aux festins somp-
tueux que les rois de France donnaient aux empe-
reurs el rois étrangers. Sauvai parle de celte table
de marbre dans les termes suivants : « Autrefois
dans la grande salle du Palais, qui fut consumée en
1618, il étoit dressé une lable qui en occnpoU près
queiouiela largeur, et qui de plus portoil tant de
1329
BAZ
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BAZ
1550
existait pour lors dans la grande salle du
Palais, et qui fut détruite par l'incendie qui
y arriva en 1618 (838). Avant celte permis-
sion de Louis XII les Bazochiens n'avaient
point eu de lieu fixe pour faire leurs repré-
sentations, elles se passaient tantôt, au Pa-
lais, tantôt au Châtelet et quelquefois dans
des maisons particulières (839).
« Le parlement ne se montra pas moins
favorable que le roi aux amusements des
Bazochiens, et leur accorda souvent des
gntifications pour les indemniser des frais
qu'ils éteienl obligés de faire pour leurs
montres et jeux
«L'année 1514 fut remarquable parla mort
de Louis XII et l'avènement de François de
Valois à la couronne, sous le nom de Fran-
çois 1er. Le nouveau roi, ayant réglé des af-
faires importantes, fit son entrée à Paris et,
suivi de toutes les personnes de l'un et de
l'autre sexe de sa cour, il se rendit le même
jour à l'Hôtel-de-Ville, où, après un magni-
fique souper qui lui avait été préparé par le
prévôt des marchands et les échevins, les
Bazochiens furent introduits, qui représen-
tèrent une farce et exécutèrent des danses
dont le roi fut très-satisfait. Flattés d'un si
heureux succès, nos acteurs se préparèrent
à donner de nouveaux jeux, mais l'exécution
en fut arrêtée par le parlement, attendu que
le deuil du feu roi n'était pas encore expiré.
Cette opposition dérangeait les projets de la
troupe : pour la faire lever, elle s'adressa
à François I" et lui présenta VEpîlre sui-
vante, que Clément Marot avait composée.
longueur, de largeur el d'épaisseur, qu'on lient que
jamais il n'y a eu de iranclie de marbre plus épaisse
plus large, ni plus longue. » Sauval, livre vin, p. 5.
(838) L'incendie du Palais arriva la nuit du 5 au
6 mars 1618 : le feu prit d'abord à la charpente de
la grande salle, el comme il faisait beaucoup de vent,
loul le lambris, qui était d'un bois sec el vernissé,
s'embrasa en fort peu de temps. Les solives et les
poutres qui soutenaient le comble , tombèrent par
grosses pièces sur les boutiques des marchands, sui-
tes bancs des procureurs, el sur la chapelle, remplie
alors de cierges, elde torches, qui s'enflammèrent à
l'instant, el augmentèrent l'incendie. Les marchands
accourus au bruit du feu , ne purent presque rien
sauver de leurs marchandises. On sauva seulement
les registres de quelques greffes qui n'étaient pas dans
la grande salle. L'emhrasemeut, augmentant par un
venldumidi fort violent, consuma en moins u'une de-
mi-heure It s requêtes île l'nôlel, le greffe du Irésor,
la première chambre des enquêtes, elleparquel des
huissiers. Le l'eu prit incontinent à une tourelle près
de !a Conciergerie et des greffes , dont les papiers
lurent brûlés : alors s'éleva une clameur des pri-
sonniers qui crièrent que la fumée les étouffait. Plu-
sieurs se sau-èrcnl malgré les geôliers; mais le pro-
cureur général lit conduire les principaux au Chàtc-
lel et dans les autres prisons de Paris. Le vent
devint si violent, qu'il porta des ardoises jusque vers
Saint- Eus tache. Lorsque le re.-ae du comble de la
grande chambre vint à tomber, un brandon de feu
enflammé, emporté par le vent, alla mettre le feu à
un nid d'oiseau au haut de la tour de l'Horloge, qui
courut un grand risque, si on n'eùi promptemeni Aé-
couvert la tour, pour couper le cours au feu. Le
premier président, le procureur général, le lieute-
nant civil, el le prévôt des marchands donnèrent de
>i bons ordres, que l'on fut redevables à leur pru-
LA BAZOCUE AU ROY FRANÇOIS I.
Pour implorer votre digne puissance,
Devers vous, Syre, en loulc obéissance,
Bazochiens à ce coup sont venuz,
Vous supplier d'oùir par le menuz,
Les poincls et traits de noslre comédie :
El s'il y a rien qui pique ou mesdie,
A vostre gré l'aigreur adoucirons;
Mais à quel juge est-ce que nous irons,
Si n'est à vous? qui de toule science
Avez certaine el vraye expérience ;
El qui loul seul d'auîhorilé pouvez
Nous dire, enfans, je veux que vous jouez.
0 syre, donc, plaise vous nous permettre
Sur le théâtre, à ce coup cy, nous mettre»
En conservant nos libériez et droits ,
Comme jadis firent les autres roys.
Si vous tiendra pour père la Bazoche,
Qui ose bien vous dire sans reproche,
Que de lant plus son règne fleurira
Votre Paris tant plus resplendira.
« Celte Epître fut très-favorablement re-
çue et le roi promit d'avoir égard à la de-
mande des Bazochiens qui, encouragés par
cette espérance, présentèrent requête au par-
lement et demandèrent une gratification pour
les dédommager des frais qu'ils avaient faits.
La Cour, par arrêt du 1er février 1515, leur
en accorda une, à condition qu'ils joueraient
et danseraient (84-0). Ces mêmes profitèrent
d'une pareille faveur, le 14 mai 1521, pour
les monstres et jeux qu'ils avaient faits co
même mois (841). Ce serait abuser de la pa-
tience du lecteur que de rapporter tous les
arrêts que le parlement rendit tantôt pour
suspendre et tantôt pour permettre les jeux
dence aussi bien qu'à la hardiesse et à l'adresse des
ouvriers, de la conservation de la grande chambre,
de la Cour des aides, de la galerie aux merciers, et
des autres appartements du Palais, qui furent ga-
rantis de l'incendie. Pour avoir de l'eau eu abon-
dance, le prévôt des marchands ordonna aux habi-
tants des ponts les plus voisins, el à ceux des rues
de la Cité aux environs du Palais, de tirer de l'eau
de la Seine et des puits, el de la répandre dans le
ruisseau, pour la faire couler de là dans la cour du
Palais, où il se forma en moins de rien un lac, q;ii
fournil abondamment loute l'eau dont on eut besoin.
On se servit aussi de quantité de foin mouillé el de
fumier. Mais tout cela ne put empêcher que les mu-
railles ne t fussent fort endommagées. La table de
marbre fut réduite en pièces, el toutes les statues des
rois, depuis Pharamond jusqu'à Henri IV, élevées
contre les murs, brisées et perdues. (Journal P.a-
nuscrit de Hautei:?.)
(8Ô9) Voyez ci-dessus les arrêts du Parlement en
date du 15 mai 1476 et 19 juillet 1477. >
(840) Manè. « Sur la requeste baillée à la Cour
par le receveur de la Bazoche, par laquelle ilsrequé-
roient que pour aider à supporter les frais qu'il Kmt
avoit convenu faire pour les préparations par eux
faites pour jouer et danser la veille des Kois der-
niers, qu'il ne leur avoit été permis faire par la Cour,
au moyen du décès du feu roi survenu , il plûl à la
Cour leur faire délivrer par les receveurs des aman-
des d'icelle Cour, une, ou deux amandes de 60 liv.
parisis, ainsi qu'il étoil accoutumé par cy devant. La
Cour a ordonné et ordonne que en jouant par ceux
de la Bazoche, et dansant, ainsi qu'il est accoutume,
l'amande de 60 liv. parisis leur sera baillée el déli-
vrée, pour les aider à supporter lesdits^ frais. Faicl
en Parlement lejemly premier rétrier 1515, >
(841) i L>u 14 may l'o±2. La Cour du parlement
1551
DEK
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BOB
iz:
elles représentations de la Bazoche; nous
nous contenterons de parler des plus impor-
tants. Le 16 juin 1526, la Cour de parlement
ordonna « une somme de 60 livres aux Ba-
« zochiens, pour leurs jeux et sottises en fa-
ce veur du retour de François Ier (842). »
M. Mommerqué n'y voit qu'une récitation
dramatique; M. Ach. Jubinal qu'une pièce
du théâtre de famille et de feslins du moyen
âge (Cf. OEurr. compl. de Rutebeuf. t. 1",
p. 424.)
BON' PAYEUR (LE).— Le bon payeur et le
un personnages, c est a scauoir :
Lucas, sergent bouelt ix el borgne
Le bon payeur
Fixe mv.ne, femme du sergent ,
Et le vert galant.
Cette pièce est conservée dans le manus-
crit du commencement du xvr siècle de îa
« Le soin que prenait le parlement de ne sergent boiteux et borgne, farce nouuelle a
rien laisser passer dans les pièces que jouait
la Bazoche qui pût offenser la réputation et
les mœurs, engagea ceux-ci à mettre des mas-
ques qui représentaient les traits du visage
«tes personnes qu'on désignait, et quelque-
fois on ajoutait des écr.iteuux, pour donner
le véritable sens à plusieurs discours obs-
curs répandus dans les farces et qui étaient
justement les endroits cyniques. Pour arrê- Bibliothèque impériale, fonds La Vallière, n°
1er ces nouveaux abus, le parlement manda 63, attribué sur de faibles preuves à Pierre
le chancelier et les trésoriers et leur fit dé- Tasserye.
fense « de faire monstrations de spectacle, MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
« ne écriteaux taxans ou no tans quelques chel en ont publié l'unique édition qui
« personnes que ce soit, sur peine de prison existe encore (Voy. Recueil de Farces).
« et de bannissement (843). » Le sergent Lucas redemande de l'argent
c< L'obéissance que la Bazoche marqua aux prêté au bon payeur; celui-ci semble peu dis-
ordres qu'elle avait reçus, fut cause que le posé à s'acquitter :
parlement, en 1538, lui permit de jouer en la
manière accoutumée, avec ordre pour l'ave-
nir de remettre à la cour les manuscrits de
leurs pièces quinze jours avant la représen-
tation (383¥). L'année 1540 lut très-différente
pour les Bazochiens, puisqu'on leur défendit
déjouer leurs jeux sous peine de la hart (844).
Une maladie, qui se répandit à Paris en 1545,
et qui y fit beaucoup de progrès, obligea le
parlement à refuser aux Bazochiens la per- Lucas surprend en effet Anceline Fine, mais
Lucas le borgne, hélas! lu voyes
Que ie nie leue el mon ami,
Je suys encore tout endormy,
Que je ne seay ou est ma bource.
Ce serovi chose bien rebource
Que de bailler argent sy malin
Au lieu d'argent, il donne à son créancier
un avis qui est que sa femme le trompe.
mission de représenter leurs jeux (845). Ce
dernier arrêt nous conduit presque au temps
où les confrères de la Passion cédèrent leur
théâtre de l'hôtel de Bourgogne à une troupo
de comédiens... »
BERGER ET DE LA BERGÈRE (Le jeu
du). — Le Jeu du Berger el de la Bergère a
celle-ci, mettant la main sur l'œil de Lucas
qui est borgne, fait échapper le vert ga-
lant.
BORDEORS R1BAVZ (Les ii).— Le Fabliau
dus deux Ribauds date du xine siècle (846).
Il est conservé dans les mss. de la Biblio-
thèque impériale, n° 1830 Saint-Germain, et
été signalé parmi les monuments dramati- n°72l8, sousle litrede laGengle au Ribaul'et
ques du moyen âge (Cf. Legra.no d'Alssy, la Contregengle.
Fabliaux, contes, fables, etc.; Paris, Be- M. Ach. Jubinal l'a édité dans son Recueil
nouard, 1829, 5 vol. in-8", t. II, p. 203.) de contes et Fabliaux.
a ordonné el ordonne à Hervé de llaërquesinon, re
ceveur des exploits et amandes d'icelle Cour, bailler
el délivrer aux receveurs de la Bazoche C0 liv. pari-
sis pour les aider à supporter les frais ci mises qu'il
leur convient taire pour les monstres el jeux qu'ils
ont faicts en ce mois de may. >
(842) Registre Gl du Parlement.
(843) « Du samedy 20 may 1536. Ce jour, la Cour
a mandé les chanceliers el receveurs de la Bazoche,
elle chancelier avec l'un desdicls receveurs venus,
leur a fait deûenses de ne jouer à la montre de la
Bazoche prochaine, aucuns jeux, ne l'aire monstra-
lion de spectacle, ne eserileaux, taxans ou nolans quel-
que personne que ce soit, sous peine de s'en prendre
à eux, el de prison el bannissement perpétuellement
du Palais ; el s'il y a quelques-uns qui s'efforcent de
faire le contraire, les escrivenl, et baillent parescript
leurs noms à ladicle Cour, pour en faire les punitions
telles qu'il appartiendra. »
(845*) t Du mercredy 23 janvier 1558. Après avoir
\ù par la Cour le cry ou le jeu présenté à icelle, par
les receveurs de la Bazoche, pour jouer jeudy pro-
chain ; ladicle Cour a permis audicls receveurs iceluy
cry ou jeu faire jouer à la table de marbre en la
mau'cre accoustumée, ainsi qu'il est à présent ;
hormis les choses rayées ; leur a lail deffenscs, sous
peine de prison, el de punition corporelle , de taire
jouer autre chose que ce qui est hormis lesdictes
choses rayées. Et pour l'advcnir à ce que lesdicis
receveurs ou leurs successeurs ne se mettent en frais
frustra loi rement, Ladiçtf. Coub leur a inhibé cl dé-
fendu faire faire aulcun cry ou jeu que première-
ment ils n'ayenl la permission de ce faire de ladite
Cour ; el à celte fin baillé quinze jours auparavant
leur requcsle à ladicle Cour. »
(844) Registre 81 du Parlement.
(845) « Du H mars 1545. Ce jour, après avoir vu
par la Cour le jeu présenté à icelle parles receveurs
el trésoriers de la Bazocbe, cl pour aucunes consi-
dérations à cela mouvans,|LA dicte Cour leur a def-
fendu et inhibé procéder à l'exécution d'iccluy , at-
tendu l'indisposition du teins, el péril des maladies
ayant de présent cours : cl ce sur peine de s'en
prendre à eux, et de punition telle qu'il appartiendra, i
|846) On peut rapprocher de ce poème le Pater
nostre au ribaus. (Barbasan, Fabliaux, (.IV, p. 445.)
Li diz des Ribaus de Greives de Rutebeuf (Œuvr. compl.
de Rut., par M. Ach. Jub., t. I" p. 2G9L Le Puter
nostre aux gouliardois (Wright, Waller Mapes,
Inlrod., p. xl), el Vexcommunicalion des Ribauds
(Wright, Anecdota lilteraria; Lond., 1844, in-8»,
p. 60).
*333
BOU
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BRO
1534
Le même bibliophile^ reproduit, d'après
le ms. de la Bibliothèque n° 1830 Saint-Ger-
luain, les deux Troveors Ribauz,\& Responce
de l'un des deux Ribauz, et d'après le ms.
273g, fonds La Vallière, ch'esi du llonleus
Ménestrel (Cf. OEuvrcs complètes de Rutc-
beuf, publiées par M. A. J.; Paris, 1839, 2
vol. in-8°, p. 331-345.)
M. de Roquefort est d'avis que les Bordeors
Ribauds furent représentés (Cf. De l'état de
la poés. fr. dons 1rs xne et xnr siècles; Paris,
1815, in-8°,p. 259.)
M. Edelestand Duméril n'y voit que la
tendance constante du moyen Age à tout dra-
matiser. (Cf. Orig. lat. du th. mod. ; Paris,
1-8V9, in-8' p 3.)
BORNES (Eloge des).— Wilhelra -Ernest
Tenlzelius a publié, dans le Supplementum
Hisloriœ Gothanœ (Primum Conr. Mutiani
Rufi.. epist., carm. et elogia. complectens;
leiMn, Joann. Bielcb, 1701, in-4°, p. 230) [847]
une sorte de Jeu littéraire, (848) écrit sous
les auspices du jurisconsulte Elirebord Mar-
garit, intitulé Eloges des Bornes; l'auteur de
celle pièce classique fort singulière, où com-
paraissent Beta, Tiro, Xénophon, Ovide, Cor-
nélia, Lyciscus et l'Hercule des Muses, est
l'érudit jurisconsulte Conrad Mutianus Ru-
fus, frère de Jean, chancelier des princes de
Hesse, qui vécut chanoine de Gotha et dans
la faveur des électeurs de Saxe, et mourut
au commencement de l'année 1526. Ce pe-
tit drame rustique, qui a bien pu être l'objet
d'une représentation pédantesque, dans Fin*
térieur de quelque école, roule tout entier
sur le caractère sacré des limites agraires
et se termine par ces deux vers :
Ergo renidenli custos ponatar in agro
Separet expressa qui lapis arva (ide.
110UTE1LLE (La). — La farce de la bou-
teille, farce nouuelle a m ou iv personnages
c'est a sauoir :
Que voulez-vous, c'esi la couslume
Des jeunes gens de maintenant...
La mère du badln ,
Le vocf.sin,
Son filz,
La bergère.
Cette pièce est conservée dans le manuscrit
de la Bibliothèque impériale, fonds La Val-
lière, n° 63, datant de la première partie du
xvic siècle, et édité par MM. Leroux de Lincy
et Francisque Michel. (Voy. Recueil de Far-
ces.)
la mère du badin commence :
Mon Dieu ! qu'est une femme heureuse ,
Quant il advient que Dieu lui donne ,
lin enfant, et puys qu'il s'adonne
A estre sage et bien aprins...
Mais son fils ne lui donne pas tant de sa-
tisfaction; il arrive sur la scène la bouteille
à la main, et débite mille propos inter-
rompus.
LE FILZ
Beaucoup de gens pensent voler
D -liant qu'ils ayent aulcuncs plumes;
(847) Add. Secundum de vario arcis, urbisque
llatu nec pauca conférais... (Ibid., 1702, in-4").
La mère , lo vouesin passent en revue les
divers états qu'on pourrait lui donner. Mais
qu'en faire ?
11 ne respont à nulle chosse
Que nul.... luy imposse...
Le fils veut être prêtre pour avoir au
moins part au bien de Dieu, car Police est
morte, et Justice n'y voit goutte. Le vouesin
termine par ce conseil :
Fuyon nouuelle inuenlion
Qui est dangereuse et peruerse,
Ce n'est que toute abusion.
BRETOG (Jean). —M. Georg»s Duplessis
a publié une réédition de la tragédie de
Brelog sous ce titre :
Tragédie françoise , à huicl personnages :
traiclarH de l'amour d'vn Seruiteur entiers
sa Maislresse, et de tout ce qui en aduint.
Composée par M. Jean Bretog, de S. Sau-
ucur de ï yue. A Lyon, par Noël Grandon.
1571 (Imprimerie de Garnier fils, h Char-
tres, 1er avril 1831). Petit in-8° de 42 feuil-
lets, plus un feuillet contenant une note
signée par l'éditeur G. D. (G. Duplessis),
et trois pages, renfermant une petite pièce
de vers.
Cet ouvrage a été tiré à soixante exem-
plaires sur divers papiers.
BROSSE ( Pierre de la ) — Le jeu de
Pierre de la Broche, qui dispute a Fortune par
devant Reson, est conservé dans le manus-
crit de la Bibliothèque impériale n° 7218,
fulio 138.
II date du xm* siècle.
Celte pièce a été éditée par M. Achille Ju-
binal (Paris, Teshcner , 1835 , in-8° de 76
pages, plus un feuillet do titre), et par MM.
Montmerqué et Francisque Michel, dans le
Théâtre Français au tmyen âge (Paris, 183D,
gr. in-8°, p. 208).
Legrand d'Aussy en parle en ces termes:
« Dans le manuscrit de la Bibliothèque
du Roi n° 7218, folio 138, est une pièce dia-
loguée que je crois une vraie pièce drama-
tique. Celle-ci est tout entière divisée par
strophes de huit vers; chaque strophe sur
deux rimes croisées. Elle roule sur l'aven-
ture de Pierre de La Brosse, qui, de barbier
de saint Louis, devenu le favori du roi son
fils et son successeur, fut convaincu de ca-
lomnie, et pendu, en 1276, pour avoir accusé
la reine, Marie deBrabant, dont il redou-
tait le crédit, d'avoir voulu empoisonner nu
fils du premier lit qu'avait le roi.
« Les interlocuteurs de ce drame sont :
dame Raison, dame Fortune et La Brosse,
ou plutôt La Broche; car c'est ainsi qu'il
est appelé dans le manuscrit. Celui-ci se
plaint des soucis et des chagrins qu'il eu-
dure. Il murmure contre la Fortune, qu'il
accuse de lui avoir vendu trop cher les ri-
(848) Elogium sacrosanrti Termini, Ludi lilfraîi
diversoruni acli exercendi ingenii gratia...
Î-SS5
MtO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
DRO
15~6
chesses et les honneurs qu'elle lui a procu-
rés. Raison exige que Fortune se disculpe;
et elle l'amène devant La Broche. D'abord
grandes invectives de la part de ce dernier.
Mais dame Fortune, l'accusant à son tour,
lui reproche d'avoir abusé de tout ce qu'elle
avait fait pour lui; d'avoir, sans motif,
déshonoré une reine pleine de mérite;
d'avoir presque avili le roi et sa cou-
ronne, etc. Dame Raison prononce sa sen-
tence, et, faisant droit aux plaintes de For-
tune, déclare que La Broche a mérité, non
seulement les peines dont il se plaint, mais
encore d'autres tourments qu'il ne tardera
pas d'éprouver. (Cette pièce fut faite proba-
blement pendant la détention et le procès
de La Brosse.)
« Enfin, je ne sais si l'on ne devrait pas
regarder comme de vrais jeux ces sortes de
scènes que les ménétriers débitaient quel-
quefois dans les fêtes auxquelles ils étaient
appelés, et qui représentaient des querelles.
J'ai trouvé dans les manuscrits trois de
ces pièces. La première est une querelle
entre deux femmes de mauvaise vie. Les
deux autres sont des querelles d'hommes :
l'une sous le litre de Dispute du Barbier et
de Chariot, l'autre sous le titre de Disput*
de Renard et de Peau-d'Oie (sobriquets de
deux ménétriers). Toutes trois sont divi-
sées par strophes ou couplets en rimes
croisées, et, alternativement, chacun des
querelleurs disait un des couplets. Très-
probabiementc'élaient là des farces dramati-
ques, qui, comme nos proverbes d'aujour-
d'hui, n'étaient composées que do quelques
scènes détachées.
« Peut-être pourrais-je dire la même chose
du Dict de VHerberie. »
(* Fabliaux ou Contes , Fables et Romans
du xii* et du xme siècle. Paris, Renouard,
mdcccxxix, cinq volumes in-8°, t. 11, p. 201-
203. Notes au Jeu du Berger et de la Bergère.)
M. Magnin considère le Jeu de Pierre de La
Broche comme une espèce de moralité demi-
tragique chantée par des ménétriers dans
les foires et les marchés du Brabant et du
nord de la France , pendant la détention et
le procès du favori disgracié ; celte opinion,
comme le remarque l'illustre critique, est
en partie celle de Legrand d'Aussy.(cf. Jour-
nal des Savants, 18k6, janvier, p. 7.)
[ Ci parole pierre.]
[Ici parle pierre.]
Trop ai chier achalé l'avoir,
La richece et le seignorage
Qif ele m'a fet et lonc lens avoir :
Tome le m'a a grant domage.
Tels liom riches , plains de savoir,
Ne fu aine mes à lel honlage.
Dame Reson , dame Reson
Ma grant dolor ne puis refraindre:
Toz jors me iruis en la meson
De Plorer, de Crier, de Plaindre.
Fortune m'a longue seson
Fei en grande seignorie maindre;
Or m'est venue en tlesreson
Ma joie el ma clarté esiaindre.
Eslaindre, ce puis je bien dire
Quar amorlis sui el esiains.
Du roiaume sui en l'empire,
De mes anemis sui elalains.
Tels me soloil dire : « Biaus sire. »
Qui me dit : < Traîtres alains. >
Or ne me prent latent de rire;
De dolor sui noircis el tains.
Tains sui de lainlure perverse
El de dolor tristre et amere ;
Ma robe m'est vestue envtrse,
Quar celé est noire qui blanche erc.
Or voi-je chasse trop diverse ,
Quar Fortune est marraslre et mère ;
Trop s'est à moi mal fere aerse :
Si vous pri , droit m'en vueilliez fere.
( Ci parole reson. )
Pierres, Fortune est en présence
Por dire ce qu'il li plera ,
El cliascuns par droite balance
Son loial droit enporlera.
Selonc les moz el la sentence
Cliascuns ici proposera.
[pierre.]
Dame , bien le vueil sanz doulancc .
Mal ait qui s'en descordera !
(Ci parole fortune.)
Avoi «Pierre! bien nuis entendre :
J'ai acheté trop cher la Fortune , ses trésors et la
seigneurie qu'elle m'a laissés pendant long-temps :
tout a tourné à mon dommage. Y eut-il jamais m
homme riche el savant comme moi qui fut l'objet de
la haine de tous?
Dame Raison, dame Raison, je ne puis mettre
un frein à ma grande douleur : je me trouve toujours
dans la maison de Pleurs , de Cris el de Plaintes.
Forlunc m'a fait pendant long-temps rester en
grande seigneurie; maintenant elle est venue à tort
éteindre ma joie et mon éclat.
Éteindre, je puis bien le dire ; car je suis amorti
et éteint. Je suis des plus malades du royaume, el
atteint par mes ennemis. Tel avait coutume de me
dire: < Reau sire, » qui me dit (maintenant) :
« Traître avéré ! > Aussi je n'ai pas envie do rire ;
je suis noir el livide de douleur.
Je suis leinl de mauvaise couleur et de douleur
triste el amère; ma robe m'est vêtue à l'envers,
blanche autrefois , aujourd'hui noire. Combien varie
maintenant ma chasse. Combien Fortune est marâtre
et mère; elle s'est trop attachée à me faire du mal :
el je vous*prie de m'en faire justice.
( Ici parle raison. )
Pierre , Fortune se présente pour donner ses
raisons. Chacun également obtiendra loyale justice,
selon les mots cl le plaidoyer qu'il prononcera.
[pierre.]
Dame , j'accepte sans hésiter : malheur à qui s'y
refusera !
(h'< parle fortune.)
Holà ! Pierre ! ou va m'cnlendre : celui aui fait le
1337
DUO
iNOTiCE SLR LE THEATRE LIBRE.
imo
1538
Qui bien fcl le Lion irovcra.
Tu le plains ! Or mesluet desfentlre
Tout ausi coin droiz le dira.
Or puis je bien dire et entendre
Que li proverbes voir dira :
< Qui le larron tome de pendre ,
Jà li lerres ne l'amera. >
Je le (ornai de povrelé
Quant je te vi premièrement;
Je le donnai la riclielé
Où tu as est.i longuement.
Or as faussement esploilé ,
Dont tu reçois le paiement :
Se lu pers en la fausseté ,
Je ne l'en puis mes vraiment.
Pierres, bien voi , quoi que nus die,
Que lu viens en ta reverdure ;
Quar qui melroit loule sa vie
A servir mauves paine et cure
El si lessast à la foie
l'or son mesfel soufrir ledure,
Tantost serait l'amor faillie;
Quar mauves est de lel nature.
Pierre, Pierre, se lu penssoies
Où je le pris ne en quel point,
Bien croi que jamès ne feroies
De moi fere clamor ne plaint.
Povres boni et noient esloics
Quant je te mis en si baul point :
Or me mesdis et me guerroies !
Ainsi serl mauves tout à point.
Povres hom , ce di-je, et despris ,
Sanz ricbelé et sanz poissance ,
Quaiit je te mis en si baut pris
Que sires esloies de France.
Or as par ton orgueil mespris :
Se droiz en a pris la venjance
El la fausseté t'a repris,
Por qoi m'en fez noise ne tance
( Ci parole pierre. )
Hé ! Fortune fausse et vilaine,
Vessiaus plains de niai et d'amer,
Escorpie de venin plaine ,
Au premier fez samblant d'amer
Et en la fin mesaise et paine
D'envenimer et d'enflamcr.
Jà nus hom ne t'aura cerlaine;
Plus es muablc que la mer.
Tu me méis au commencier
Plus aise que poisson qui noe
Encore por moi plus essaucier
Me moulas en baut sus la roe.
Or m'es jà venue enchaucier
Et m'as si gelé en la boe
Que tels me soloit descbaucier
Qui maintenant mcfet la moc.
Quant doné m'eus tel bautcce ,
Porqoi ne m'i as areslé ?
Por moi fere plus de irislccc
Le féis, (c'esl la ) vérité ;
Quar [ hom qui n'a plu ] siïchece
Quant il dechiel c povrelé ,
A plus dolor, bonieel destrece
Que s'onqucs n'éusl riche esté.
Trop esl fols qui en toi se fie,
Quar en la fin chier le compère :
Tu me fus au premier amie
El norricc loiaus et mère ;
Or m'es en la fin anémie
Et marrastrc dure et amere.
Tu es ausi com lescopie
Qui oint devant et point derrière.
Trahison fu cl faussetez,
Ce voit-on bien aperlcmcrt
bien trouve le bien. Tu le plains , il faut que je me
défende selon le droit. D'abord je citerai ce pro-
verbe : i Celui qui arrache le larron du gibet n'en
sera jamais aimé, i
C'esl moi qui l'arrachai à la pauvreté tout d'abord
que je le vis ; je t'ai donné les richesses au milieu
desquelles tu as vécu longuement. Mais à celle
heure, après avoir agi en traître, et sur le poinl de
recevoir le payement de ion crime, si lu perds tout
par ta félonie, qu'y puis-je, en vérité?
Pierre, je vois trop, quoi qu'on en dise, que lu
n'as jamais oublié ton premier élal de vilain ; et,
après avoir pris peine et soin loule sa vie à servir
un méchant, si une seule fois , on le laisse en bulle
aux outrages à cause de ses méfaits , on a lotit aus-
sitôt perdu son amitié ; car telle esl la nature du
méchant.
Pierre, Pierre, rappelle-toi où je le pris et en
quel point , et jamais tu n'élèveras ni réclamation
ni plainte contre moi. Tu étais un homme pauvre
et (de) rien quand je le mis en si haut poinl : main-
tenant tu me maudis etfme guerroies C'esl ainsi
que le méchant sert dans l'occasion.
Pauvre, dis-je, méprisé, sans richesse el sans pou-
voir, quand je le mis en si haut lieu que lu étais
seigneur de la France. Mais l'orgueil l'a égaré : si
la justice en a pris sa vengeance et l'a repris de la
félonie , pourquoi me cherches-iu noise , el me fais-
tu des reproches?
( Ici parle pierre. )
Eh ! Fortune félonne el vilain vase rempli de mal
01 d'amertume, scorpion plein de venin, sous sem-
blant d'aimer, lu ne m'as causé que malaise et peine
envenimés el enflammés Qui peut êlre certain de
loi ? Tu es plus changeante que la nier.
Au commencement tu me rendis plus aise que
poisson qui nage, et pour m'élever encore davan-
tage, lu me moulas en haut sur la roue. El déjà lu
m'es venu chasser et lu m'as tellement jeté dans la
boue que tel avait coutume de me déchausser qui
maintenant me fait la mine.
Après m'avoir placé à une telle haùteui, pour-
quoi ne m'y as-tu pas fixé? Tu le fis un instant pour
me causer plus de tristesse, c'est la vérité; cr.r le
riche, quand il tombe dans la pauvreté , a plus de
douleur, de honte et de détresse que s'il eût tou-
jours été pauvre.
Trop est fou qui en loi se fie, car, à la fin, il le
paye cher : lu fus d'abord pour moi une amie , une
nourrice loyale et une mère, maintenant lu m'esenfin
ennemie, dure et a mère marâtre. C'esl ainsi que le
scorpion esl doux par devanl et pique derrière.
Trahison el fausseté, on le voit clairement , quand
lu me montras au commencement lant de bicnveil-
i"jd
DUO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
BRO
\Mb
Q tani lant de biens et (Tamisiez
Me monsiras au commencement
Et me donas les richetez ,
Les honors et le tenemenl.
Dont je sui en la lin gelez
Et chaciez trop honteusement.
Ci parole fortune.
Pierres, moult très grant félonie
Me dis et moult très grant outrage
Tu dis que je t'ai vilonie
El trahison Cet et domage;
Non ai , Pierres , mes corloisie
A toi et à tout ion lingnage;
Mes si mauves n'esloies mie
Quanl je le mis en seignorage.
Bons ei loiaus et preus esloies ,
Près cl de bien fere et d'entendre;
A loul servir l'abandonoies,
Le granl , le petit et le mendre.
Dieu et trestoz ses sainz servoies
Piteusement et de cuer tendre
Et quant Diex vil qu'ainsi fesoies
Si l'en vout le guerredon rendre.
Eors le pris en humilité
Ou commandement Dieu le père ,
El te fis par granl amislé
Ta meson sus ma roe fere.
Or as en la fin esploité
Mauveseinent de ta matere :
Orgueil as pris cl vanité,
El lessié la voie première.
Ta fausselez et les orgueus
T'a fet en cesle doloreslre;
Traîtres as et desloiaus
Esté vers ion seignor terrestre.
Li lerres privez esl trop maus ,
El lu savoies tout son eslre :
Or as esté coin li chaiaus
Qui runge les sollers son mestre.
Tu pooies Irop bien savoir
Qu'en ma roe s'a ,i. tel arl
Qu'il i covienl si droit seoir
Que il ne pende mile pari ;
El qui peut , il l'estuel cheoir :
Et lu pendis (se Diex me garlï )
Vers le faus et lessas le voir :
Or l'en repentiras à larl.
(Ci parole pierre.)
Hé ! Fortune dure et sauvage,
Bien m'as ore por fol tenu !
Je voi moult bien que cil domage
Me sont par toi luit avenu.
Tu me méis au haut estage,
El ne m'i as pas maintenu ;
En dolor m'a mis et en rage :
Par loi me sonl cil mal venu.
Son ami puet-on au besoin
Essaier, ce seut-on retraire;
Quar li ami bon et certain
Aident de ce qu'il pueenl faire.
Li tricheor fans cl vilain
Si ne finiront jà de brere;
Tels dit : « Je vous aim >,
Qui point et cunchie derrière,
Se tu fusses loiaus amie,
De do'or m'eusses gelé;
Mes lu m'es mortel anémie,
Ce voit-on bien par vérité;
Quar il ne le soulisoil mie
A lolir ta properilé,
Ainz m'as loin et. mort et vie,
Et fet morir à granl ville.
Au premier si haut me méis
Que loz li nions m'esloil amis,
lance et d'amilié et me donnas les richesses-, le»
honneurs et la lenance dont je suis à la fin arraché
et chassé honteusement.
( Ici parle fortune. )
Pierre! ta parole n'est que félonie et outrage:
tu disque je l'ai fait vilenie, dommage et trahison.
Non ! Pierre; j'ai fait courtoisie à loi et à loul ton
lignage. Ah ! lu n'élais pas si mauvais quand je t'é-
levai au pouvoir.
Tu étais bon, loyal et preux , prêt à bien faire et
à entendre; lu te niellais loul entier à servir lout
le monde , le grand, le petit et le moindre. Tu ser-
vais Dieu el tous les saints pieusement et de coeiiF
tendre; el quand Dieu vil que lu agissais ainsi, il
voulut l'en récompenser.
Alors je te pris dans un étal humble par le com-
mendement de Dieu le Père, et te fis par grande
amitié élever ta maison sur ma roue. C'est dés lors
que lu as malversé dans l'exercice de les fonctions :
lu as pris de l'orgueil et de la vanilé, el laissé la
voie première.
Ta fausseté et ton orgueil l'ont seuls fait tomber
dans cet abîme; lu aséié traître el déloyal envers
ion seigneur terrestre. Le voleur domestique esl .le
plus dangereux. Qu'iguorais-tu de ce qui concernait
ion seigneur? Eh bien! lu as élé le petit chien qui
ronge les souliers de son maître.
Ignorais-tu que sur ma roue il faut être assis
parfaitement droit el ne pencher nulle pari; celui
qui penche tombe, el loi lu as penché (que Dieu me
garde! ) vers le faux; tu as laissé le vrai : mainte-
nant il esl trop tard pour l'en repentir
(Ici parle pierre. )
Eh! Fortune dure et sauvage, me crois-lu fou?
Je ne vois que trop que tous ces dommages me sont
arrivés par toi. Tu m'as mis en haute position, el ne
m'y as pas maintenu ; lu m'as mis en douleur el en
rage : par toi me sont venus ces .maux.
C'est dans la nécessité qu'on éprouve son ami, lel
est le proverbe. Alors, les amis bons et sûrs aident
de ce qu'ils peuvent faire; mais les tricheurs, félons
el vilains crienl haro; tel d'entre eux dil par devant:
< Je vous aime », qui pique el conspue derrière.
Si lu eusses élé (une) loyale amie, je serais à l'a-
bri du malheur, mais lu es mon ennemie mortelle,
évidemment : car il ne l'a pas suffi de me retirer ta
prospérité, tu m'as enlevé el morl et vie, el lu me
prépares une mort ignominieuse.
Tu me mis d'abord si haut que loul le monde élù\
mon ami , et à la fin lu me mis si (bas) que loul le
1341
BUO
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
BRO
\U2
El on la fin tant me fois
Que loz li mous m'est ancniis.
Au mains, quant tu me desméis
Du lieu où tu m'avoies mis,
En Testai où lu me pris
Porqoi ne Hl'i as-tu remis'
Se en mon premier estai fusse;
En boue grasse le préisse;
Quar le cors ei la vie eusse
El avoir dont je me vesquisse,
El me gardaiss?, el per* eusse
Comment loiaument me tenisse :
Or est ma vie si confuse-
Quc chascuns me liet et despise.
Fortune, ceste desrcson
M'as-lu fête et cesle durlé
Venuz sui de clore meson
En dolor et en obseurlé.
Perdu ai ma bone seson,
Chéus sui en maléurlé :
Droit m'en féist, dame Reson,
De ce que ainsi m'a hurlé.
(Ci parole fortune.)
Pierres, je ne t'ai pas oslée
Ta richeee ne la poissance;
Mes ta grant fausseté pvovée
T'as mis en coste mescheance.
A poi que lu n'as vçrgondée
La corone et le roi de France,
El sanz reson as disfamée
La ruine où tant a vaillance.
Garder déusses loiaumenl
Ton seignor lige et maintenir,
Et lu l'as servi faussement :
Fere le cuidoies niorir;
S'as-lu fet à ce jugement
A la mort maint homme venir :
Bien doit avoir mal paiement
Qui mal œvre veut maintenir.
Tu as fet trop d'iniquitez,
Droiz l'en fet le guerredon rendre :
Se tu pers en ta faussetez,
Tu ne l'on dois pas à moi prendre.
C'est ma droite properilez
Que de monter et de descendre
Jà mes estas n'en aresloz :
Or le faz grant, or le faz mendie.
Porqoi sui Fortune nommée,
Quar je faz bien le fort lumber
El irebuchîer en la valée;
El quanl d'eus me vueil aprismer
Je les remet en la montée,
Et si les faz seignors clamer.
Ainsi est ma roe tornée,
Quar je faz haïr cl amer.
Ainsi, Pierres, le plains à tort,
C'ï voit-on bien par vérité;
Tu méismes t'es mis à morl
El de richeee l'es gelé.
Or n'i a autre réconfort,
Fors que je pri par amislé
A Reson que droit nous aporl
Selonc ce qu'il estdespuié.
(Ci rend reson sentence.)
Pierres, bien as Fortune oie,
Qui se desfent moull'sagement,
Et tiisl que lu ne sivis mie
La voie du commencement,
Et que lu as de tricherie
Ton scigner servi faussement
Et qnc c'est ses droiz et sa vie
De lorner tost isnclemenl.
Ainsi, Pierres, à tort le plains,
E1 je crois bien qu'clc dil voir :
inonde est mon ennemi. Au moins, quand tu nie
déplaças du lieu où lu m'avais mis, pourquoi ne
m'as-tu pas rendu à l'état dans lequel lu cr>e pris?
Si j'étais en mon premier état , je prendrais la
chose de bonne grâce; car j'aurais corps, vie et
avoir dont je pourrais vivre, el j'aviserais à me tenir
loyalement : maintenant ma vie est si confuse que
chacun me hait et me méprise.
Fortune, c'est toi qui es l'auteur de celle iniquité
et de celle infortune : je suis venu de claire maison
en douleur et en obscurité. J'ai perdu ma bonne
saison, je suis tombé dans le malheur. Faites-moi
justice, dame Raison, de ses mauvais traitements à
mon égard.
(Ici parle fortune.)
Pierre, je ne l'ai pas ôté la richesse ni ta puis-
sance; mais c'est ta grande félonie prouvée qui t'a
mis dans celte infortune. Il s'en faut de peu que lu
n'aies avili la couronne el le roi de France; sans
raison tu as diffamé la reine, dont le mérite est si
grand.
Tu aurais dû garder loyalement ton seigneur lige,
et lu n'as été qu'un traître : tu pensais le faire mou-
rir, el par ce jugement tu as fait venir maint homme
à la mort : celui qui veut maintenir mauvaise œuvre
doit bien avoir mauvais payement.
Tu as commis trop d'iniquités, Dieu t'en fait don-
ner la récompense; si lu perds par ta fausseté,
lu ne dois pas l'en prendre à moi. C'est mon vérita-
ble bonbeurque de mouler el de descendre; jamais
mon élat ne sera lixe : tantôt je le fais grand, tantôt
je le fais moindre.
C'est pour cela que je suis appelée Fortune, car je
fais bien tomber et trébucher les plus forts en bas ;
puis, qu'il me plaise de me rapprocher, je les remets
en la montée , el les fais appeler seigneurs. Ainsi
tourne ma roue; car >e fais haïr el aimer.
Oui, Pierre, lu te plains à tort , véritablement.
C'est toi seul qui t'es mis à mort et privé de riches-
ses. A celle heure il n'y a pas à s'en consoler au-
trement, sinon que je prie par amitié Raison qu'elle
nous rende justice suivant les débals qui ont eu
lieu.
(Ici raison rend sentence.)
Pierre, tu as bien oui Fortune, qui se défend tres-
sagemenl, en ce que lu n'as pas suivi la voie que lu
pris d'abord. Tu as traîtreusement triché ton sei-
gneur, et, d'ailleurs, c'est le droit et la vie [de For-
tune] de tourner rapidement.
Ainsi, Pierre, tu le plains à tort, et je crois bien
qu'elle dit la vérité ; lu es atteint (et convaincu) de
'345
CES
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CI1R
1544
De les niaiivesiiez es atains,
Ce puei chascuns moult bien veoir,
Et par jugement es contrains
A cesle paine recevoir :
Li anemis ne s'est pas fains
Qui te tenoil en son pooir.
Li haras son seignor enrichie,
Jà si ne le saura farder;
Et cil qui sert de tricherie
Ceh;i que il devroil garder,
Je di, par la virge Marie,
Qu'il seroit dignes de Tarder :
Por ce t'est la peine ajugie,
Une m recevras sanz larder.
Droiz le condampne par droiture,
Ei je le confenn la sentence;
Mes sachiez que ce n'est coinlure
De lerriene penitance;
Mes la morl vient diverse et dure
Là où Diex vendra sanz doutance.
Qui mal fet, ce dist l'Escr'rplure,
Mal trovera : c'est ma créance.
Explicit de Pierre de la Bruche qui despute à Fortune
par devant Re*on.
crimes, chacun le peut très-bien voir, et par juge-
ment m es contraint à recevoir celte peine : le dia-
ble, qui te tenait en son pouvoir, ne s'esl pas dissi-
mulé.
Tout fourbe trouve son maîire; la iromperie ne
peut entièrement se masquer, et l'homme, qui use de
tricherie envers celui qu'il devrait garder, je dis,
par la vierge Marie, m^ple d'être brûlé : voilà la
condamnation , et lu recevras le châtiment sans
larder.
Droit le condamne justement, et je le confirme la
sentence; mais sache que tes peines ne seront pas
bornées à celle pénitence sur !a lerre; car la mort
vient sévère et dure, là où Dieu viendra sans doute.
Qui mal fait, dit l'Ecriture, mal trouvera : c'est ma
foi
Fin de Pierre de La Brosse qui dispute contre For-
tune par-devant Raison.
BRUS (La fauck des). La farce des Brus manuscrit du xvi* siècle, conservé à la Bi-
a v personnages, c'est a scauoir : bliothèque impériale , fonds La Vallière ,
n« AS
TROIS BRL'S
et DEUX UERMITES.
Cette pièce a élé éditée par MM. Leroux
de Lincy et Francisque Michel dans leur
Recueil de Farces [Voy. ce mot), d'après le
n°6c.
Les Hermites veulent s'emparer des Brus,
mais celles-ci ne cèdent qu'après finance :
LA VIEILLE DRU
Qui a argent, il a des brus.
C
CALPURN1US. — M. Magnin est d'avis
qu'il y avait au ive siècle des représenta-
tions figurées des églogues de Calpurnius,
qui se poursuivirent jusqu'au xr siècle,
dans les monastères. (Cf. Revue des Deux,
Mondes , 1835, juin , p. 633 67i, La Comédie
au ive siècle.)
CAP1FOL (Le jeu du). — LejeuduCapi-
fol , moralité a mi personnages , c'est a
scauoir
LE MINISTRE DE L'ÉGLISE, Lr, LvBOUREUR,
NOBLESSE, COJJML.N.
Celt3 pièce conservée dans le manuscrit
du xvie siècle de la Bibliothèque impériale,
ionds La Vallière, n° 63, a été éditée par
MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel,
dans leur Recueil de Farces (Paris, Techener,
1831-1837,4 vol. pet. in-8°).
commun commence.
le suys le commun populaire,
Marchant sur le climat polaire,
En peine et pleur, en crainte et fain.
Noblesse est sur moi si colère,
Laheur me fait quérir mon pain;
J'ey eu corps malade, cœur sain.
Je suys ainsy qu'vn pouiv exain
Qu'on chasse volant d'arbre en arbre;
le n'ay plus sur moi chair ne sain ,
Chasiun me descouure le sain,
Me rendant plus froid que marbre.
CÉSAR (Jules). — On trouve dans les
Mémoires de la Société des antiquaires de
l'Ouest (1841, p. 2>3, 2i5) le Mistaire de Ju-
lius César.
M. Edélesland Duméril cite ce dramo
comme preuve que le théâtre échappe au
xv' siècle, à l'Eglise qui l'aurait fondé, et
devient profane. (Cf. Orig. lat. du th. mod. ;
Paris, 18i9, in-8% p. 56.)
CHASCUN. — La moralité a iv personna-
ges, c'est a scauoir :
CHASCON,
PLUSIEURS,
LE TEMPS QUI COURT ,
LE MONDE.
Celte pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Francisque Michel dans leur
Recueil des Farces (Paris, Techener, 1831-
1837, k vol. pet.in-8°), d'après le manuscrit
de la Bibliothèque impériale (Fonds La Val-
lière , n° 63) datant de la première moitié
du xvi" siècle.
Et puys'
chascun commence.
plusieurs entre.
Comment?
CHASCUN.
Mais quel vent court?...
PLUSIEURS.
Quand ie m'avise et prens a souvenir
Du temps pase auprès du temps qui court,
Tout esbahis me laict devenir,
Voyant que tout va en mauais decourl..
On va, on vient, on diet, on faicl merveilles,
On taille, on rongne, on baille, on coupe et court,
El lousiours gros ânes ont oreilles.
CHRYSARGYRE. — On lit dans Suidas ,
iu motTiué9ioj : « Timotheus de Gaza, grain-
1345
COL
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
COL
1343
roairien qui vivait dans le temps de l'empe-
reur Anastase, auteur d'une tragédie sur
l'impôt public , connuo sous le nom de
Chrysargire... »
Fabricius.(ffj'6l. gr., t. II, p. 325, et t. VI,
p. 380) a signalé cette mention!; M. Edeles-
tand Duméril l'a relevée de même dans ses
Origines latines du théâtre moderne (Paris,
1849, in-8°, p. 10, note 5).
CLYTEMNESTRE |— Une tragédie de
Clytemnestre a été retrouvée au commence-
ment de notre siècle et publiée à Riga. M.
Ivlelestand Duméril la cite sous la date du
vi* siècle; (Or. I. du th. m., p. 10, note 5);
M. Magma en parlait, il y a dix-huit ans,
dans son Cours. Ni l'antiquité, ni l'existence
de cette tragédie ne sont encore suffisam-
ment [trouvées.
COLIN, FILS DE THENOT LE MAIRE
(La farce de). — On treuve dans une col-
lection de farces malheureusement mises
au xvn* siècle « en meilleur langage qu'au-
paravant » la farce en vers de Colin, fils de
Thenot le maire, sous ce titre : La Farce de
Colin fils de Thenot le maire gui reuient de
lu guerre de Naples , et ameme un pèlerin
prisonnier, pensant que ce feust un turc, a
quatre personnages, cest à scauoir :
THENOT,
LA FEMME,
COLIN,
LE PÈLERIN.
Cette farce singulière semble faire suite à
Y Aventureux.
Nous en extrayons les passages les plus
remarquables :
thenot commence.
Vive Thenot monsieur le maire
El aussi mou grand fils Colin;
lMeust-il a Dieu qu'il pleust (peust.pûl?) tant
[faire
De mettre le grand Turc afin (à fin)...
COLIN.
Le diable y ail pari à l'armée
Mon pai! Haut ie suis venu.
THENOT.
Tu ne l'es guère au combat tenu.
Comment se porte la babille.
COLIN.
frayez pas peur que plus Paille
Tant que i'auray la vie au corps.
THENOT.
En y a-il beaucoup de morts?...
Ma minent ! lia! lu l'as perdue,
N'est-ce pas?
COLIN.
Quelqu'un la happa...
El ne sçay ce qu'elle devint...
. . . J'ay un prisonnier
Par moy pris en passant chemin
le crois que c'esl un Sanazin,
Car il parle baragouinois.
le le trouvay pies une croix
En venant de Naples à Rome...
LE PELERIN.
long dulain mislrande.
THENOT.
Faut chercher autre qui l'entende ,
De moy ie n'entends ce iargon,
Parle-il Limosia ou Breton?
le ne scay sur ma conscience...
LE PELERIN.
Haon mar god mis tri namboust
Tizon graccrac liourlirauconlre...
THENOT.
Seroil-ce point un pèlerin?
LE PELERIN.
Ouel, ouel.
THENOT.
Le grand diable ait part a la prise,
l'eusse eu une pièce de frise,
Pour m'ahiller : aussi la mère,
S'il éloil du parti contraire.
Mais, puisque c'est un pèlerin
Ne cherchant qu'a passer chemin»
Il le faut laisser en aller...
Tu as la faict un bel exploicl...
V07. YAvanturcux, Collection Curon, et
Recueil de Farces de Roussel.
COLLECTION CARON. — Càron ( Pierre*
Sioctéon ). Collection de différents ouvrages
anciens, poésies et facéties, réimprin.és par
ses soins (Paris, 1798-1806 ). 2 vol. petit
in-8°.
Tirée seulement a 5G exemplaires, celle
rarissime collection ne contient de pièces
anciennes intéressant le théâtre que :
1° La Sottie a x personnages , jouée a Ge-
nève l'an 1523, Pierre Rigaud ;
2* La farce de la querelle de Gaullier-Gar-
guille et de Perine, sa femme ; à Vuugirard, à
l'enseigne des Trois-Raves;
3° Le jeu du prince des Sots et mère Sotte;
1511;
4° Le mystère du Chevalier, sans date.
5° La Nouuclle moralité d'une pauvre
villageoise; Paris, Simon Calvarin, sans
date.
Caron a réimprimé le Recueil de Nicolas
Roussel, en 1612 (vol. du 14-0 p. ), qui con-
tient :
6° La Farce nouuclle (en vers) et récréa-
tive du médecin qui gtiarist de toutes sortes
de maladies et de plusieurs auslres a iv
personnages, c'esl à scauoir :
LE MÉDECIN,
LE BOITEUX,
LE MARY,
LA FEMME.
7° La Farce (en vers) de Colin, fils de
Thenot le Maure, qui reuient de la guerre de
Naples et ameinc un pèlerin prisonnier pen-
sant que ce feust un Turc ; a iv pers., as-
sauoir :
THENOT
I \ FEMME,
COLIN,
LE PELERIN.
8° La Farce nouuelle (en vers) de deux
savetiers, l'un pauvre et l'autre riche. Le
Riche est marry de ce quil void le Pauvre
rire et se resiouyr, et perd cent escus et sa
robbe que le pauvre gaigne a ni per-
sonn
LE PAUVRE,
LE RICHE,
LE SAGE.
9° La Farce nouuelle (en vers) des Fem-
mes gui ayment miculx suiure et croire F cl-
151'
COL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
(.ON
4348
conduit, et vivre a leur plaisir, que d'ap- Nostradamus, pour savoir certaines nou-
prendre aucusne bonne science, a iv person- uelles des clefs de Paradis et d'Enfer que le
nages, c est a scauoir :
PROMPTITUDE,
TARDIVE A BIEN FAIRE.
LE MAISTRE,
FOLCONOUIT,
10° La Farze nouuelle de ï Antéchrist et de
trois femmes, une bourgeoise et deux Pois-
sonnières ; a iv personnages ; c'est a scauoir:
hamelot , première [pois- la bourgeoise ,
sonnière, l'anteciirist.
colfchon, deuxième id.
11° La Farce ioyeuse et récréative d'une
Femme qui demande les arrérages a son ma-
ry ; a v personnages ; c'est a scauoir :
LE MARY,
LA FEMME,
LA CHAMBRIERE,
LE SERGENT,
LE VOISIN.
12° La Farce nouuelle contenant le débat
d'un ieune moine et d'un vieil gen-d'arme,
par deuant le dieu Cupidon, pour une fille.
Fort plaisante et récréative. A iv personna-
ges, c'est a scauoir :
CUPIDON,
LA FILLE ,
LE MOINE,
LE GENDARME.
On y joint les farces suivantes, publiées
aux frais de M. Montaran :
13" La Farce nouuelle qui est très bonne et
très joyeuse à îv personnages, c'est à sca-
uoir
LA MÈRE,
IOUART,
le compère,
l'escolier.
Troyes, Nie. Oudot, 1624.
14° La Farce ioyeuse et récréative de Pon-
cette et de l'amoureux transi; Lyon, Jcan-
Marguerite, 1595
15° La Farce nouuelle du Munier et du
gentilhomme; Troyes, Nie. Oudot, 1628.
16" La Farce ioyeuse et profitable à un
chacun, contenant la ruse , meschancelé et
obstination d'aucunes femmes, par person-
nages ; 1596.
17° Le Discours facétieux des hommes qui
pape auoit perdues; Nismes, 1599.
23° La ioyeuse Farce d'un Curia qui
trompa par finesse la femme d'un laboureur;
Lyon, 1595.
21° S'ensuyt un beau mystère de N. D. à la
louenge de la très-digne Nativité, d'une jeune
fille qui se voulut habandonner pour nourrir
son père et sa mère en leur extrême pauvreté ;
Lyon, 1545.
25° La Moralité nouuelle et très-fructueuse
de l'Enfant de perdition ; Lyon, 1608.
Quelques exemplaires du recueil de
M. de Montaran portent le litre suivant :
Recueil de livrets singuliers, etc. (Cf. Brunet,
Manuel du Libraire [Caron]. )
COLLECTION MONTARAN. — Voy. Re-
cueil de livrets, par Al. De Montaran.
COLLECTION ROUSSEL. — Voy, Recueil
de Farces de Roussel.
COLLECTION SILVESTRE. — Voy. Poé-
sies des xv" et xvie siècles, etc.
COLLECTION TÉCHENER. - On entend
par Collection Téchener le Recueil de Farces,
moralités et sermons joyeux, publié par
MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel
(Paris, 1831-1837, petit in-8, 4 vol., 76 piè-
ces). — Voy. Recueil de Farces, etc.
CONFRÈRES DE LA PASSION. — Les
frères Parfait, dans leur Histoire du théâtre
français ( t. III, p. 225), tracent ainsi l'his-
toire des Confrères de la Passion , à partir
du temps où il leur fut défendu, par arrêt
du parlement, de représenter des scènes
religieuses (1548) :
« Les Confrères, disent-ils, restreints à
ne faire usage que des pièces profanes, eu
représenteront dans ce genre pendant plus
de trente ans, et ce ne fut que vers 1588
qu'ils louèrent leur privilège et leur hôtel
à une troupe de comédiens.
« Ce fait que nous prouverons par les
lettres patentes des rois Henri II, Fran-
çois II, Charles IX, Henri III, et par plu-
sieurs arrêts du parlement où les confrères
font saller leurs femmes par ce qu'elles sont y sont nommés seuls, et exécutant des piè-
trop douces; Rouen, Ahr. Cousturier, 1558, ces tirées de l'histoire et des romans. Ce
18° La Tragi-comédie plaisante et face- fait, dis-je, n'a pas été éclairci par les his-
lieuse intitulée la subtilité de Fanfreluche et toriens, qui n'ont point mis d'intervalle en-
Gaudichon ; Rouen, Abr. Cousturier. tre l'arrêt du parlement du 17 novembre
19° La Tragi-comédie des enfans de Tur- 1548 et l'accommodement des confrères
lupin, malheureux de nature; Rouen, Abr.
Cousturier.
20° La Farce plaisante et récréative sur un
avec cette troupe de comédiens (849). Ainsi,
rien n'est plus sûr que les confrères conti-
nuèrent leurs spectacles par eux-mêmes,
trait qu'a ioué un Porteur d'eau le jour de mais à la vérité avec moins de succès que
ses nopees dans Paris ; 1632. par le passé : les gens de goût depuis long-
21° La Farce de la Cornette, à v person- temps méprisaient les productions qui pa-
nages, par Jehan d'Abundance ; 1545. raissaient sur leur théâtre. Ajoutons que
22° La Comédie facétieuse et très plaisante peu d'années après l'établissement des con-
du voyage du frère Fecisti en Provence vers frères à l'hôtel de Boureogne, il parut tout
(849) Les confrères de In Passion, ne pouvanteux-
inèmes exécuter les nouvelles pièces, qui ne conve-
naient plus au titre religieux qui caractérisait leur
compagnie, acceptèrent les offres d'une troupe de
comédiens, qui se forma pour la première fois, cl
qui prit à loyer le privilège de l'hôtel de Bourgo-
gne. Les confrères s'y réservèrent seulement deux
loges pour eux cl pour leurs amis : elles étaient les
plus proches du théâtre , distinguées par des bar-
reaux; on les nommait les loges des maîtres, (flis-
toire de la ville de Paris, tome II, liv. xx.) En met-
tant un intervalle de plus de trente ans, entre l'ori-
gine de l'hôtel de Bourgogne ei celle troupe de
comédiens dont on parle ici, tous les faits sont
vrais; c'est ce que nous éclaircirons plus bas.
1349
CON
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
CON
1350
d'un coup cinq ou six poêles, qui firent con-
naître aux Français le véritable genre de
ce spectacle, en composant des tragédies et
des comédies sur le modèle des poètes grecs
et latins. Malheureusement pour les progrès
de cet art, les Latins remportèrent sur les
Grecs, et Sénèque fut préféré à Euripide.
Les sentences et le langage ampoulé du
premier étaient plus à la portée de l'esprit
de l'idiome français de ce temps. Ronsard, qui
avait francisé le grec ctlelalin[dansses ouvra-
ges (850), donnait le ton aux beaux esprits,
qui étaient si grands admirateurs de ce
poète, qu'on étudiait la langue dans ses
vers (851). De sorte que les barbarismes de
Ronsard et le style entlé de Sénèque, étaient
]es bases sur lesquelles toutes les tragédies
furent taillées, non-seulement pendant le
cours de ce siècle, mais encore plus de trente
années dans le suivant.
« Malgré les défauts qui régnent dans les
ouvrages dramatiques des poètes dont nous
venons de parler, il faut cependant avouer
qu'ils ouvrirent une route fort utile à de
grands hommes. Sans Jodelle et Grevin,
peut-être que Garnier et Théophile n'eus-
sent jamais pensé à devenir auteurs tra-
giques ; et, sans ces derniers, Mairel ,
Rolrou et Duryer n'auraient pas tant donné
(850) Ronsard, qui lo suivit, (a) par une autre méthode,
lléglanl tout, brouilla loul, lit un ail à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français , parlant grec et latin,
Vil dans l'âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mois le faste pédantesque.
(Despréaux.)
(851) Jean de La Taille, poëte dramatique qui
vivait du temps de Ronsard, va nous apprendre le
respect que l'on avait pour ses poésies. < Mais, pour
revenir à mon frère, voyant en lui un entendement
el sçavoir plus grand que le commun, et qu'aussi par
son destin commençant à suivre Apollon et les Mu-
ses, faisant déjà vers latins et frariçois, je lui voulus
ouvrir davantage l'esprit, et lui donnant gousl de la
poésie, par les œuvres de Ronsard , je lui communi-
quai loul ce que je sçavois de l'art poétique. > Par
coque nous apprend La Taille, on doit juger que les
autres poètes pensaient à peu près de même.
L'invention n'est poin du vieux Ménandre,
Rien d'estrauger on ne vous tait entendre
Le style est noble, et chacun personnage
Se dit aussi eslre de ce langage.
Sans que brouillant avecques nos farceurs.
Le sainct ruisseau de nos plus sainctes sœurs,
On moralise uu conseil, un escrit,
Un temps, un tout, une chair, un esprit,
Et tel fatras , dont maint et maint folasire,
Faii bien souvent l'honneur de son theastre.
(S52) Grevin, dans le prologue de sa Trésorière,
s'explique encore plus clairement.
Non ce n'est pas de nous qu'il (ault ,
Tour accomplir cet eschaltaull,
Attendre les farces prisées,
Qu'on a tousiours moralisées :
l'.ar ce n'est nosire intention,
De mesler la religion
Dans le sujet des choses feinrtesj;
Aussi jamais les lettres sainctes
Ne furent données de Dieu,
Pour en faire après quelque jeu.
Celui donc qui voudra complaire
Tant seulement au populaire,
Celui choisira les erreurs
Des plus ignorans basteleurs
(a Marct.
d'émulation au grand Corneille. C'est ce
que nous ferons voir dans l'ordre chronolo-
gique des pièces de théAtre.
« Ce fut en 1552 que Jodelle, par une har-
diesse, substitua aux spectacles ridicules de
son temps la comédie et la tragédie dans le
goût des anciens. Ce nouveau genre de
pièces eut tout le succès que l'auteur pou-
vait s'en être promis. Le roi Henri II ho-
nora plusieurs fois de'sa présence les piè-
ces de Jodelle qui, aidé de ses amis, les re-
présenta luirmême. Les confrères de la
Passion ne furent pas oubliés dans le prolo-
gue de la comédie û'Eugène (852). Le public
approuva la critique, et c'est ce qui com-
mença à donner du discrédit au théâtre de
l'hôtel de Bourgogne, d'autant plus que les
antres poètes, tels que Baïf, la Péruse et
Grevin suivirent Jodelle dans le môme
genre.
« Cependant, malgré le peu de cas qu'on
faisait du spectacle des confrères, ils ne
laissèrent pas d'obtenir du roi Henri II dé
nouvelles lettres patentes (853) en faveur de
leur confrérie. François 11 leur en accorda
.de pareilles au mois de mars 1559. Charles
IX fit plus, il leur remit ses droits de lots
et ventes du terrain de l'hôtel de Bourgo-
gne, tant du passé que de l'avenir (85'*),
Quoi? demandez-vous ces romans.
Jouez d'une aussi soite grâce,
Une sotte est cette populace.
De qui tous seuls ils sont prisez?
Vous estes bien mieux advisez
N'attendez donc en ce théâtre
Ni farce, ni moralité,
Mais seulement l'antiquité.
Qui d'une face plus hardie
Représente la comédie, etc.
(853) En janvier 1554.
(854) Lettres d'amortissement accordées par le roy
Charles IX aux confrères de la Passion, pour Vac-
quest d'une portion de l'Hoslel de Bourgogne. —
i Charles, par la grâce de Dieu, roy de France, à
tous présens el à venir, Salut. Sçavoir faisons, Nous
avoir reçu l'humble supplication de nos cliers et
bien amés les doyens, maistres et gouverneurs de la
confraitie de la Passion de N. S. J. C. conicnant
que feu de bonne el louable mémoire, le roy Char-
les VI, nosire prédécesseur, que Dieu absolve, pour
certaines bonnes causes à ce le mouvant, créa el in-
stitua dès l'an 1402 ladicle confrairie, à laquelle il
donna el concéda plusieurs beaux privilèges, fran-
chises et libériez, à plein contenus et déclarez par
les lettres de Chartres de nosire dicl prédécesseur,
qui leur auroienl successivement par nos prédéces-
seurs rois estez duemenl confirmez et continuez,
inesme par le feu roy Henri nosire irès-honoré
Seigneur et Père, que Dieu absolve, du vivant du-
quel, el dès le 30 aousl 1548, lesdicts supplians au-
roienl pour le bien et augmentation d'icelle confrai-
rie, acquis d'un nommé Jehan Ronvci, marchand,
demeurant en nostredicle ville de Paris, une belle
mazurc, et place assize en icelle ville en l'IIoslel de
Bourgogne, contenant dix-sept toises de long, sur
seize de large, tenue el mouvant de nous à la charge
de payer par chacun an à nosire receple ordinaire
dudici lieu la somme de seize livres parisis de cens
et rente, elc, ainsi qu'il est plus au long déclaré par
le contract; pour raison de laquelle vente el acqui-
sition, el des lots el ventes qui nous en peuvent estre
deubs à cause d'icelle, nosire suslilut de nosire pro-
cureur général en la Chambre de nosire ihrésor à
Paris, les auroit puis certain temps mis eu procès
1351
CON
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CON
K5i
pour lesquels le substitut du procureur gé-
néral de la Chambre du Trésor les avait fait
assigner et saisir tous leurs effets.
«Cette affaire finie, les confrères, quel-
que temps après en essuyèrent une autre,
qui fut encore plus fâcheuse. Le curé de
Saint-Eustache. Messire René Benoît, obtint
de la Chambre séante au Châlelet, que les
confrères n'ouvriraient les portes de leur
spectacle qu'après Vêpres dites. Il fallut
obéir à l'arrêt et le théâtre de l'hôtel de
Bourgogne devint presque désert. Les con-
frères représentèrent au parlement « que
« cette ordonnance rendoit leur privilège il-
« Jusoire, et sans effet, parce qu'il leur se-
« r oit impossible, les jours étant courts, de
« vacquer à leurs dits jeux, pour les prépa-
« ratirs desquels ils avoient fuit une infinité
« de frais. » Ils ajoutèrent dans cette même
requête « qu'ils payoient cent écusde rente
« à la recette du rby, pour le logement et
« trois cent livres tournois de rente aux
« enfans de la Triniîé, tant pour le service
« divin que pour l'entretien des pauvres : »
Et conclurent « qu'il leur fût permis d'ou-
« vrir les portes de leur jeu, pour les allans
« et les venans, à la manière accouslumée,
« à la charge toutefois qu'ils ne commence-
« roient leurs jeux qu'à trois heures sonnées,
« a laquelle heure les Vêpres avoient ac-
« couslumées d'estre dilles. » Le parlement,
par arrêt du 17 novembre 157i, accorda ces
demandes; mais le curé de Saint-Eustache
ayant fait de nouvelles oppositions, suspen-
dit encore près de trois ans, l'effet de cet
arrêt. Enfin en 1577, les confrères obtinrent
en ladicte Chambre.... Pour ce est-il que Nous dé-
sirons le bien el augmentation d'icelle confrairie,
et autres bonnes considérations à ce Nous mourons,
avons permis, accordé et octroyé, permettons, ac-
cordons el octroyons, voulant, et Nous plaist de
grâce spéciale, pleine puissance et aulborité royale,
par ces présentes, que lesdicls supplians el leurs
successeurs doyens, maislres el gouverneurs de la •
dicte confrairie, puissent en leur loy se tenir el pos-
séder perpétuellement el à tousjours, iadicle mazure,
ensemble les bastimens el édifices susdicls, jouir el
posséder par iceuk supplians, et leurs dicts succes-
seurs à quelque valeur et estimation que le tout se
puisse mouler, comme choses admoriies et indem-
nées, el lesquelles nous admortissons et indemnons
du tout dès-à-presenl, et à tousjours, el icelle dé-
dions à Iadicle confrairie; el laquelle finance el in-
demnité, pour le regard d'iceluy admorlissement,
ensemble ions el chacun les droits de relief, lois el
ventes, el autres droicls seigneuriaux qui nous peu-
vent ou pourroienl eslre deubs, tant pour raison
dudil admorlissement, que de la dicte acquisition, à
quelque somme, valeur et estimation que le ionise
puisse mouler el revenir, Nous avons auxdilcts sup-
plians, en faveur que dessus, donné, quille et remis,
donnons, quittons et remettons par ces présentes,
à la charge de nous payer, el continuer ladicte
somme de seize livres parisis de cens et rente seu-
lement. Si donnons en mandement, etc.... Donné à
Moulins au mois de janvier l'an de grâce mil cinq
cent soixante el six, et de nostre règne le six.
Signé, Cuarles, el sur le reply : par le roy. de l'Au-
bespinf., el scellé de cire verie sur lacs de soye rouge
el verte, rcgisltées en la Chambre des comptes le
vingt-cinq (ouvrier 1567. >
(S35) bu vendredy vingt septembre 1577. « Vu
un nouvel arrêt du parlement qui permi* ce
qu'ils demandaient, mais à condition qu'ils
répondraient des scandales qui pourraient
arriver à leurs jeux (855).
« Pendant que les confrères disputaient
pour leurs privilèges, il s'élevait une foule
de. poètes qui, sur .les traces de Jodelle,
composaient des tragédies et des comédies.
Le nombre de ces pièces devint si considé-
rable et si fort à la mode, qu'il se forma
plusieurs troupes d'acteurs, sous le titre de
comédiens, pour les représenter. Ces comé-
diens coururent pendant un assez long
temps les provinces, le privilège des con-
frères les excluant de jouer a Paris. Cepen-
dant en 158i, une de ces troupes, flattée par
les applaudissements qu'elle avait reçus en
plusieurs villes du royaume, vint de sa
propre autorité s'établir à Paris à l'hôtel de
Cluny, rue des Mathurins, où elle loua un
jieu propre à ses représentations. Cette
troupe eut tout le succès que la nouveauté
donne ordinairement, mais ce succès fut
court : à peine avait-elle joué une semaine
que le parlement, averti de son entreprise,
rendit un arrêt pour en arrêter le progrès.
11 « fait défenses à ces comédiens de jouer
« leurs comédies, ni de faire aucunes as-
« semblées, en quelque lieu de la ville ou
« des fauxbourgs que ce soit, et au con-
« cierge de l'hôtel de Cluny de les y rece-
« voir, à peine de mille écus d'amende. »
Cet arrêt leur fut à l'instast signifié, et ils se
retirèrent (856).
« Les deux autres troupes parurent a
Paris quatre ans après, et firent de nouvelles
par la cour, la requeste à elle présentée par les doyen
et maislres de la Passion , fondée en celle ville de
Paris, par laquelle, attendu que plusieurs privilèges
des rois, confirmés par arrests de laditle Cour, leur
auroit été permis exhiber au peuple certains jeux
anciens, romans el histoires aux jours accoustu-
mez, après le service divin, ils requeroient leur eslre
permis exhiber lesdits jeux en la forme el manière
accouslumée à eux prescrite par les arrests de la-
dille Cour, en tieflendant à tous de les troubler, ni
empescher, à peine de mille livres parisis. Vu aussi
l'arresl obtenu par lesdits supplians, le 17 novembre
1574, ensemble les conclusions el consentement du
procureur général du roy, et tout considéré : la
cour ayant égard à ladilte requesle, et conformé-
ment audit arrest, a permis el permet aux supplians
de jouer en la manière accouslumée, pourveu aue
ce ne soit peint pendant le service divin, et à l'heure
qu'on ne le puisse empêcher ; et à la charge qu'ils
ne commenceront qu'à trois heures sonnées, et qu'ils
répondront des scandales qui y pourront advenir,
suivant ledit arrest. »
(856) Du samedy 6 octobre 1581. < Ce jour ouy, le
procureur général du roy en ses conclusions et re-
monslrances, a été arresié ei ordonné, que présen-
tement tous les huissiers d'icelle se transporteront
au logis des comédiens el du concierge de l'hoslel
de Cluny, près les Mathurins, ausquels seront
faictes deffenses par ordonnance de la Chambre des
vacations, de jouer leurs comédies, ne faire assem-
blée en quelque lieu de celle ville, et fauxbourgs
que ce soil ; et au concierge de Cluny les y recevoir,
à peine de mille escus d'amende; et à l'instant a
a été enjoint à l'huissier Bujol aller faire ladilte si-
guificalion el deffenses. >
1533
CON
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
CON
1354
tentatives pour s'y établir. L'une était do
Français et l'autre d'Italiens (857). Ceux-ci
introduisirent des pantomimes dans leurs
pièces, en sorte qu'à l'imitation des anciens
histrions, c'était un mélange de récits et de
gesticulations, ou de tours de souplesse;
cela leur attira d'abord un fort granj con-
cours, mais l'ordre public ne put pas les
soulFrir longtemps. Le parlement rendit un
arrêt, le 10 décembre 1588, par lequel il fit
défense à tous comédiens, tant iialiens que
français, de jouer des comédies ou de faire
des tours de suolilité, soit aux jours de
fête ou aux jours ouvrables, à peine d'a-
mende arbitraire et de punition corporelle.
« Nous voici eutin arrivés à l'époque où
les confrères furent obligés de louer leur
privilège et leur hôtel à une troupe de co-
médiens. Le jeu et le genre des pièces que
ces derniers représentaient avaient pris lo
dessus des moralités et des mystères profa-
nes. De plus, ces confrères occupaient bien
les mômes places que leurs prédécesseurs,
mais ils n'en possédaient pas les talents;
et, depuis plusieurs années, les honnêtes
gens avaient abandonné leur spectacle, et
même on s'en était plaint très-sérieuse-
ment (858); au lieu que les comédiens
étaient souhaités, et méritaient de l'être par
les pièces qu'ils représentaient, dans les-
quelles, si on ne trouvait guère [dus d'art,
du moins y trouvait-on plus de bon sens.
Voilà ce qui engagea, sans doute, les con-
frères à se retirer du tbéAtrc. Les plus fins
répandirent dans le monde que le litre
religieux qui caractérisait leur société ne leur
permettait pas déjouer des pièces profanes.
« Sans avoir des mémoires particuliers,
on peut assurer que cette première troupe
française fut souvent interrompue dans ses
représentations par les guerres civiles et
étrangères, qui désolèrent le royaume, par-
ticulièrement la ville de Paris, depuis 1588
jusqu'en 1593. Mais lorsque le roi Henri IV
lut devenu paisible possesseur de ses Etals,
tont reprit une face riante, les plaisirs revin-
i eut en foule, et les comédiens ne furent pas
les derniers à ressentir la douceur du règne
et les bienfaits de ce grand monarque (859).
« Les toire;» ont une prérogative de fran-
(857) Ces Italiens étaient depuis longtemps en
France. Henri III les avait fait venir de Venise.
On les appelait les Gelosi. Ils jouèrent d'abord aux
Etats de Mois en 1577, ensuite I Paris à l'Hôtel de
Bourbon en 1588, où ils représentèrent, malgré l'ar-
iti du Parlement du 10 décembre de la même an-
née. Celle troupe trouva le moyen de rester en
France jusque vers 1601) : mais comme ceci ne re-
garde point notre histoire, nous ne suivions point
les progrès et la lin de celte troupe.
(858) Voici ce qu'on trouve dans un livre inti-
mlè : Hemonslrances très-humbtes au roy de France
el de Polongne, Henry III du nom, imprimé en 1588,
a l'occasion des Etals généraux (pie ce prince ve-
nait de convoquer, el qu'on appelle communément
Ils seconds Etats de Blois. « H y a encore un autre
grand mal qui se commet el tolère en vostre bonne
ville de Paris, aux jours de dimanches et de testes;
ce sont les jeux et spectacles publics qui se font les-
dils jours de lestes el dimanches, lanl par des es-
Dicnosx. des Mystères,
chise que nos rois leur ont accordée en fa-
veur du commerce, ce qui fait cesser, pour
un temps et en certains lieux, tous les pri-
vilèges des corps ou communautés. Sur ce
fondement, quelques comédiens de province
élevèrent un théâtre à Paris, dans les lieux
et dans les temps de la foire Saint-Germain.
Les propriétaires de l'Hôtel de Bourgogne
s'en plaignirent au lieutenant civil, et ti-
rent assigner devant lui les comédiens fo-
rains. Ils cessèrent aussitôt leurs représen-
tations, en attendant que le magistrat eût
levé cet obstacle; mais, pendant l'instance,
le peuple, toujours impatient el amateur des
nouveautés, entreprit do s\'n venger sur
l'Hôtel de Bourgogne, et il s'y fit des attrou-
pements et des insolences aux jours ordi-
naires de la comédie. L'affaire, discutée en
peu de jours, fut enfin jugée par sentence
du 5 février 159G. Le magistrat n'estima pas
(jue le privilège exclusif accordé aux maî-
tres de l'Hôtel de Bourgogne fût plus fûrt
que les staluis des corps des marchands et
des arts et métiers de Paris, dont l'effet est
suspendu en faveur des forains pendant la
foire. Ainsi, appliquant ce motif au sujet
qui se présentait, et voulant aussi calmer lo
peuple et maintenir la tranquillité des spec-
tacles, il permit, par sentence, à ces comé-
diens forains de jouer pendant la foire
Saint-Germain seulement et sans tirer à
conséquence, à la charge de ne représenter
que des sujets licites et honnêtes, qui n'of-
fensassent personne, comme aussi à condi-
tion de payer, par chacune année qu'ils
joueraient, deux écus aux administrateurs
delà Passion, maîtres de l'Hôtel de Bourgo-
gne; et par la même sentence, faisant droit
sur les conclusions du procureur du roi, il
fit défense à toutes personnes, de quelque
condition qu'elles fussent, de faire aucune
insolence en 1 Hôtel de Bourgogne, lors-
qu'on y représenterait quelques jeux; d'y
jeter des pierres, delà poudre ou autres
choses qui pussent émouvoir la sédition, à
peine de punition corporelle, et que cette
sentence serait publiée à son de trompe de-
vant l'Hôtel de Bourgogne un jour de co-
médie, et aux lieux que besoin serait; ce
qui fut exécuté.
trangers italiens, que par des François, ci par dessus
tous, ceux qui se l'ont une cloaque el maison il--
Satan, nommée l'iloslel de Bourgogne, par ceux qui
abusivement se disent les Confrères de la passion
de J.-C. En ce lieu se donnent mille assignations
scandaleuses au préjudice de l'honnestelé, cl pudi-
cilé des femmes, cl à la ruine des familles des pau-
vres artisans, desquels la salle bisse est toute pleine,
el lesquels, plus de deux heures avant le jeu, passent
leur temps en devis impudiques, en jeu de dez, en
gourmandises el yvrogneries, lant publique lient,
d'où deviennent plusieurs querelles et batteries. >
(859) Nous tirons la preuve de ce que nous avan-
çons ici des lettres-patentes du roi Henri IV, don-
nées aux confrères de la Passion au mois d'avril
lo!)7, el de l'établissement d'une seconde troupe
française au Marais du Temple, dans une maison
dile ïllôlel d'Argent. C'est de quoi nous parlerons
plus bas.
i3
1» »•».
CON
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CON
HBa
• Celle ordonnance, quidevint dans la suite
une espèce de loi, porta un coup terrible
aux confrères : ils le sentirent, et crurent le
parer en présentant une requête adressée
au roi Henri IV, dans laquelle, non-seule-
ment ils le suppliaient de leur accorder la
continuation de leurs privilèges, mais encore
la permission de représenter des mystères tels
que ceux qui avaient paru sous les règnes
des rois Charles VI , Charles VII , Louis XI ,
Charles VIII, Louis XII et François 1".
« Henri IV, par ses lettres du mois d'avril
1597, en confirmant les lettres de ses prédé-
cesseurs, permit aux confrères de la Pas-
sion de donner les mystères de l'Ancien et
du Nouveau Testament, et toutes autres
pièces honnêtes et récréatives, avec défense
à tous autres de les représenter ailleurs que
dans la salle de l'Hôtel de Bourgogne. Ces
lettres furent portées au parlement, qui ne
les enregistra le 28 novembre 1598 qu'à
i'égard des pièces profanes, licites et honnê-
tes, avec défense de représenter la Pas-
sion, ni aucun autre mystère sacré (860) ; de
sorte que le projet des confrères fut anéanti
par cet arrêt, puisqu'il les mettait dans le
cas de jouer eux-mêmes des pièces pour
lesquelles le public depuis longtemps mar-
quait un fort grand mépris, et qu'ils étaient
hors d'état de représenter, attendu que de-
puis dix ou douze ans ils n'avaient point
exercé une pareille profession.
« D'un autre côté, une troupe de comé-
diens de province, qui peut-être était venue
à Paris pour y jouir des franchises de la
foire Saint-Germain, forma le dessein de
s'établir dans celte ville. Il faut croire qu'elle
avait de fortes protections; car, malgré une
sentence contradictoire du 28 avril 1599 (861)
qui.défendail a tous bourgeois de louer aucun
heu pour y représenter la comédie, elle
ne laissa pas de paraître l'année suivante
« (8G0) Du 28 novembre 1598. Vues par la cour les
lettres patentes du roy, données à Paris au mois
«l'avril 1597, par lesquelles ledit seigneur inclinant
à la supplication des maislrcs, gouverneurs de la
coitfraùrie de la Passion ci Résurrection, delà Tri-
nité à Paris, Jenr confirme, ratifie, et approuve les
privilèges, libériez el exceptions à eux octroyez
par leu rois ses prédécesseurs, pour en jouir et user
comme ils en oui ci «levant bien el ducinent el jus-
tement joui et usé, et encore sont a présent.; sieur
donnant de ce nouvel ^en tanl <|iie besoin seroii)
congé el licence de l'aire jouer les mystères delà
Passion et Résurrection de N. S., des saincts ci
saiuctes, el meure loutesfois et «piaules qu'il leur
plaira, ensemble autres jeux bonnettes el récréa-
tifs, sans offenser personne, en La salle de la Passion,
dilte l'Hoslel de Bourgogne, ou .autre lieu el place
licite à ce faire, qu'il» pourraient trouver plus
.commode, si bon leur semble, avec dellivnscs à tous
antres jouer, ni représenter dans la ville, banlieue, el
iauxbourgsde Paris, a illeurs que en lad iliesalle.au pro-
Jil et sonsle nom de ladille confrairie, suivant l'arrêt
tin 17 novembre 1548. Ladille Cour a ordonné que
■leadilles lettres seront enregistrées en icelle, ouy le
proonreiM1 général du roy, pour unir par lesimpéira.-is
«In contenu en icelle, pour le regard des mystères, et
jeux profanes, honnesles et Uciies, sans offenser ni in-
jurier personne, sans pouvoir jouer les mysie-
Ài's sacrés, ce que ladille Cour leur déffend sui-
1600 sur un théâtre qu'elle avait fait bâtir
au quartier du Marais du Temple, en une
maison nommée l'Hôtel d'Argent (862). H
est vrai que ces comédiens furent obligés de
payer aux confrères, toutes les fois qu'ils
jouaient (863), un écu tournois.
« Chupuzeau va nous rendre compte de
l'établissement, des progrès et de la fin de
ce théâtre, dont nous aurons souvent sujet
de parler dans le cours de cet ouvrage :
« Les accroissements de la ville de Paris
« donnèrent occasion à une troupe de comé-
« diens (mais avec le consentement de celle
« qui représentait à l'Hôtel de Bourgogne),
(t d'élever un théâtre dans une maison noiii-
« mée l'Hôtel d'Argent, au quartier du Ma-
« rais du Temple. Celte troupe s'y est main-
'« tenue jusqu'en 1673, et a toujours été
« pourvue de bons acteurs et d'excellentes
« actrices, à qui les plus célèbres auteurs
« ont confié la gloire de leurs ouvrages. Elle
« n'avait qu'un désavantage, qui était celui
« du poste qu'elle avait choisi a une extré-
« mité de Paris et dans un endroit de rue
« fort incommode ; mais son mérite parti»
« culier, la faveur des auteurs qui l'ap-
« pu^aient, et ses grandes pièces de machi-
« nés, surmontaient aisément les dégoûs
« que l'éloignement du lieu pouvait donner
« aux bourgeois, surtout en hiver, et avant
« le bel ordre qu'on a apporté pour tenir les
« rues bien éclairées jusqu'à minuit , xA
« nettes partout et de boue et de filous.
« Cette troupe allait quelquefois passer l'é ô
« à Hou en, étant bien aise de donner celte
« satisfaction à une des premières villes du
« royaume; de retour à Paris de cette petite
« course dans le voisinage, à la première
« affiche, le inonde y courait, et elle se
« voyait visitée comme de coutume.
« il est arrivé de temps en temps de pe-
« tites révolutions dans cette troupe, et lou-
vant l'arrest du 17 novembre 1548, à peine d'amende
arbilraireeide privation de>dils privilèges. Kl outre
faildetl'enses à tous autres jouer ou représenter aucuns
jeux ou mystères, tant en ladileville, fauxbourgs
et banlieue, sous autre nom que de ladille conlrairie,
el au profil «ficelle, conformément audit arresl. »
(Slîl) Par sentence contradictoire du 28 avr.l
15'J9, défenses sont faites à Léon Fournier, menui-
sier, et à lous autres bourgeois, de louer aucunes
cours ni autres lieux aux comédiens François ni
étrangers, pour y représenter; el à lous comédiens
de représenter ailleurs qu'à l'Hôtel île Bourgogne.
(8tr2) Ce lieu occupé par ces nouveaux comédiens
fui nommé le Théâtre du Marais, qui subsista pen-
dant soixante-treize ans, mais en deux endroits
diûéreiils : te premier, nommé rilôtel d'Argent,
éiail an coin de la rue de la Poterie, près la Grève.
En 1020, les comédiens translérèrenl leur tbéàire
dans un jeu de paume, au baul de la vieille rue du
Temple, au dessus de l'cgoul.
(8(35) Par sentence contradictoire du 15 mars
1010, et pour les causes y contenues, Matthieu Le
Fèvre, dii La Porte, Marie Vcrnier, sa lemme,
el leurs compagnons comédiens, représentants ea
l'Uoiel d'Argent (l'Uôiel de Bourgogne étant alors
occupé par d'autres comédiens), sont condamnés
de payer aux doyen, maîtres el gouverneurs, trois
livres tournois par chaque jour île ivpivsen ation,
et. aux dépens.; laquelle sentence a élè exécutée.
j-J (
CON
NOTICK SLR LE THEATRE LlkRE.
CON
IS3S
« jouis causées par quelques mécontente-
« menls particuliers, ou par quelques inlé-
« rets nouveaux. Il y a eu de bons comé-
« d;ens qui ont quille le Marais où ils étaient
« estimés, sans nulle nécessité el de gaieté
« de cœur, le poste de Paris leur plaisant
« moins que la liberté de la campagne. Mais
« la plus grande révolution de la troupe du
« Marais a été l'abandonnement du lieu, et
«> sa jonction avec la troupe du Palais-Royal,
« dont le spectacle fut interrompu par la
« mort de Molière, qui arriva au commen-
a cernent du carême, le vendredi 17 février
« 1673. La troupe de ce di mier s'attendait
w de continuer après Pâques les représenta-
it lions du Malade imaginaire, que tout Paris
« souhaitait de voir, niais quatre personnes
« de cette troupe s'étanl engagés avec l'Hô-
« tel de Bourgogne, et se trouvant en pos-
« session des premiers rôles de beaucoup de
'■. pièces, ceux qui restaient lurent hors
* d'étal de continuer. Il se fit de part et
« d'autre des voyages à la cour, chacun y
« eut ses patrons auprès du roi ; le Marais
« se remuait de son côté, et comme Etat
« voisin, songeait à profiler de cette rupture,
« le bruit courant alors que les deux an-
« demies troupes travaillaient à abattre en-
-: tièrement la troisième qui voulait se re-
<i lever.
« Sur ces entrefaites, le roi (Louis XIV)
r ordonna que les comédiens n'occupe-
« raient plus la salle du Palais-Royal, et
« qu'il n'y aurait plus que deux troupes
« françaises dans Paris. Les premiers gentils-
« hommes de la Chambre eurent ordre de
« ménager les choses dans l'équité et de
« faire en sorte qu'une partie de la troupe
« du Palais-Royal s'étanl unie de son chef
« h l'Hôtel de Bourgogne, l'autre fût jointe
« au Marais de l'aveu du roi. L'affaire fut
« quelque lemps en balance, les intérêts des
« comédiens étant difficiles à démêler par
« des personnes qui ne peuvent entier dans
«ce détail, el n'ayant pu être terminée
« avant le départ du roi, Sa Majesté ordonna
« à M. de Colbert d'avoir également soin de
« la troupe du Marais et du débris de celle
u du Palais-Royal, en faisant choix, comme
« il le jugerait à propos, des plus habiles de
« l'une et de l'autre pour en former une
« belle troupe. Ce grand ministre d'Elat,
t chargé du poids des premières affaires du
« royaume, se déroba quelques moments
« pour régler celles des comédiens. Il nomma
« les personnes qui devaient composer la
« nouvelle troupe, ordonna des parts, des
« demi-parts, des quarts, el trois quarts de
« paît; lit défense, de la part du roi , aux
« comédiens du Marais en général de paraî-
(81)3') Celte déclara lion du roi, du 23 juin 1 073,
que nous rapporterons parla sniie, portail que les
comédiens du M. irais ne joueraient plus sur leur
théâtre, el qu'ils s'établiraient avec cens qui étaient
ci-devant an Palais-Royal, dans le jeu de paume de
la rue de Seine, ayant issue dans celle des Fossés
de iV-sle, vis-à-vis la rue Guénégaud. El a cet effet,
Sa Majesté leur ordonnait d'y Faire transporter les
lufjes, théâtre et décorations qui étaient da:.s la
« Ire jamais sur ce théâtre, et en tira des
« particuliers, selon qu'il le trouva bon,
■s pour les unir à ceux du Palais-Royal (363*],
« qui ne fil plus qu'une seule troupe, sous
« le nom de la Troupe du roi. »
« Revenons présentement aux comédiens
de l'Hôtel de Bourgogne, donl nous sui-
vrons l'histoire préférablement à celle de
leurs camarades, avec d'autant plus de rai-
son qu'ils furent les premiers établis 5 Paris,
qu'ils obtinrent les premiers le litre de co-
médiens du roi, avec une pension de douze
mille livres, et que successivement les uns
aux autres, avec les mêmes titre et préroga-
tives, ils ont passé de l'Hôtel de Bourgogne
au théâtre de Guénégaud, et de ce dernier
dans un hôtel bâti à leurs dépens, rue des
Fossés-Sainl-Germain, où ils représentent
tous les jours.
« Pendant que la troupe du Marais s'éta-
blissait, celle de l'Hôtel de Bourgogne con-
tinuait ses représentations. Elle n'avait au-
cun sujet de se plaindre de la permission que
les coméd.ens du Marais avaient obtenue,
puisqu'elle en tenait une pareille des con-
frères de la Passion ; et ces derniers sejlrou-
vaient trop heureux de recevoir de deux,
endroits de quoi payer leur dépenses néces-
saires, et fournir encore à d'autres qu'ils
faisaient pour leur propre satisfaction ; mais
ce bonheur dura peu, Ja société des Enfants
sans youci, qui subsistait encore sous le titre
de la Sottise, leur fit essuyer un procès qui1
dura plus de cinq ans; ensuite les comé-
diens du Marais s'élevèrent contre eux et
les réduisirent à recevoir simplement le
loyer de leur hôtel. Ce règlement fut fait
en 1620. C'esl par où nous finissons l'article
des confrères de la Passion. Rendons compte'
présentement deecqui se passa depuis 1600
jusqu'en 1629.
« Ce fut en 1603 que commença le procès
du prince de la Sottise contre les confrères de
la Passion et les comédiens qui représen-
taient à leur hôtel. Ces derniers, sous pré-
texte de la défense qui avait été faite à la
Société des sots attendants (c'est le titre
qu'ils prenaient), de faire une entrée dans la
ville, leur refusèrent celle de leur spectacle,
avec la collation le jour du Marui-Gras,
ainsi qu'ils en étaient convenus el qu'il
avait été d'usage jusqu'alors : disant que
celle Société n'étant reçue à l'Hôtel de
Bourgogne qu'en vertu de son entrée, les
confrères et ceux qui représentaient n'é-
taient plus tenus aux mêmes conditions,
cette entrée leur ayant été interdite. Le
prince des Sols allégua, pxjttr évincer ce re-
fus, qu'à la vérité le roi avait suspendu la
permission de faire Mardi-Gras une entrée
salle du Palais-Royal. De sorte que celle troupe,
avec celle du Marais, n'en fil plus qu'une sous Je
nom de la Troupe du roi , ce qui était gravé en lei-
Ires d'or sur une pierre de marbre noir, au-dessus
de la porte de leur bôlel. lille lit l'ouverture île son
théâtre le dimanche 9 juillet 1673, et elle subsista
jusqu'au 21 octobre IG80, que la troupe de L'Hôtel
tie Rourgogue y l'ut réunie, jusqu'en 1088, qu'elle
vint s'élublir où elle est présentement,
1350
CON
DICT.ONNAIRE
solennelle avec sa troupe dans la ville de
Paris, mais que celle défense n'était point
relative aux droits qu'il avait sur l'Hôtel de
Bourgogne, dont il était chef avec les con-
frères, puisqu'il avait été caution et pre-
neur avec eux lors de leur acquisition de
cet hôtel, ainsi qu'il le justifiait par les titres
de possession. Malgré celte réponse, les
confrères refusèrent de remplir leurs enga-
gements, et môme usèrent de main-mise
contre le prince des Sols et ses suppôls. En-
fin en 1608 intervint un arrêt du parlement,
qu'il nous a paru nécessaire de placer ici en
entier :
« Du 19 juillet de relevée. Entre Nicolas
« Joubert, prince des Sols, chef de la Solise
« do l'Hostel de Bourgogne, demandeur en
« exécution des arrêts de la Cour, selon sa
« requête du 3 juillet 1600, d'une part; et
« les inaistres de l'Hostel de Bourgogne,
« et Valleran Le Comte, comédien audit
« théâtre duditHostel, et Jacques Besneau,
« défendeurs et opposans d'autre : Veu par
« la Cour, les demandes, deffenses, appoin-
te tement en droiet, productions desdietes
« parties ; arrest du 7 février 1606 entre le-
« dict Joubert, appellant de la sentence
« donnée par le prevost de Paris le 19 mars
« 1605, et demandeur en requeste du 10 mai
« audit an, d'une part ; et Macloud Poullet,
« guidon de la Sotise, et Nicolas Arnault,
« hérault de ladite Solise, et les maistres du-
ce dit Hostel de Bourgogne, intimés et def-
« fondeurs d'autre; par lequel sur ledit ap-
« pel, les parties auroient esté appoinctées
« au conseil cl ordonné que les arresls se-
« roient exécutez, et à eux enjoint d'y obéir
« à peine de punition. Autre instance d'en-
« Ire ledict Joubert, demandeur et reque-
« rant l'entérinement des lettres par lui ob-
« tenues le 30 aoust dernier, tendant à fin
« d'eslre dispensé de faire entrée dans cette
« ville de Paris, ainsi qu"i! y estoil tenu, et
« nonobstant qu'il n'ait fait ladilte entrée,
« qu'il jouiroit des droits et profils à sa
« charge appartenans, d'une part : cl lesdits
« gouverneurs et administrateurs dudit Hos-
« tel de Bourgogne, deffendeurs, d'autre.
« Productions et contredits desdiltes parties
« sur ledit au conseil. Autre production dudit
« Joubert, en ladilte instance de lettres.
« Forclusion de produire par lesdits mais-
« 1res, administrateurs en ladite instance.
« Information faite à la requeste. dudit Jou-
te bert les 15 décembre 1603, 14 et 28 jan-
« vier 1604. Autre information faite par
« Cordelle, buissier en ladite Cour, à la re-
« queste dudit Joubert les 2G lévrier el 9
« mai audit an. Procès-verbal de Toussaint
« de Chameau, sergent, du 23 janvier J605,
« voulant mettre ledit Joubert en posses-
« sion de sa loge audit Hostel de Bourgo-
« gne, contenant l'empeschement, el injures
(861) < El puisque la vanité les emporte si avant,
, ils parlent des confrères) si l'on épluche leur con-
Irairie, on trouvera qu'anciennement le chef se qua-
liiioit Maire Solle, el depuis prince des Sols, jus-
'eveul, qui a «a : l encore dipuis
ne d'Amro'.i
DES MYSTERES. CON i3S0
« à lui ditles. Antres informations aussi
« faites à la requeste dudit Joubert, par les
« commissaires Oudet, Boudyer et Jacquet,
« et par Gaultier, aussi huissier en ladite
« Cour, les 4 avril el 12 aoust 1604, 14 mars
« 1605, H février el 4 mai 1606, el 29 sep-
« tembre 1609. Conclusions du procureur gé-
« néral du roi. Tout considéré : il sera dit :
« Que ladilte Couk faisant droit sur ladilte
« demande à exécution d'arrest, a ordonné
« el ordonne que les arrêts du 2 mars et 27
« octobre 1604, et 5 février 1606, el 19 fê-
te vrier 1608, seront exécutés, et conformé-
« ment à iceux ; a maintenu et gardé, main-
te tient el garde ledit Joubert en la posses-
« sion et jouissance de sa' principauté des
« Sols, et des droits appartenans à ieelle,
« même du droit d'entrée par la grande
« porte dudit Hostel de Bourgogne, et pré-
« séance aux assemblées qui s'y feront, et
« ailleurs par lesdits maistres et administra-
« leurs, et en jouissance et disposition de
» sa loge, a lui adjugée par lesdits ar-
te resls; a condamné et condamne lesdits
te administrateurs lui en rendre et restituer
« les fruits depuis son installation, sauCàdé-
te duire ce que ledit Joubert aura reçu. Et
et fait inhibition et delfenses ausdits admi-
« nistrateurs de le troubler, et empescher
te en la possession et jouissance de ses
« droits, de lui mesfaire, médire, ni injurier,
« sous peine de punition. Et pour les con-
te traventions ausdits arresls, condamne
« lesdils administrateurs en quatre- vingt
te livres parisis, qui seront distribués aux
et pauvres, et es dépens pour ce regard. Et
« sur l'appel de ladilte sentence du 19 mars
te el incidens de lettres, a mis et met l'ap-
« pellation et ce dont a esté appelle au
a néant, sans amende et sans despens, lant
«de la cause principale que d'appel; en
te émendant, ayant égard ausdittes lettres, a
« deschargé et descharge ledit Joubert de
« faire son enlrée en cette ville de Paris,
« jusqu'à ce que par la Cour en ait esté or-
« donné, et conilamne les dits administra-
is teurs es despens de ladilte instance. Et
« pour le regard desdils Valleran Le Comte
« et Besneau, a mis et met lesdites par-
te Iïe« hors de Cour et de procez, sans des-
te pens »
te L'arrêt que nous venons de rapporter
n eut apparemment qu'une exécution de
peu de durée; car, depuis, il n'est plus fait
mention du prince des Sots, ni de sa société,
et même, en 1612, quatre ans après ce même
arrêt, dans la requête que les comédiens
présentèrent au roi Louis XIII, pour lui de-
mander l'extinction des privilèges des con-
frères de la Passion, on .y parle du prince de
la Soltise comme d'un titre méprisable et
qui n'existait plus (864).
« Depuis plusieurs années lcscoméuicusde
nuinze ans éclater hautement ce titre dans le Par-
lement, avec ces heaux éloges que son avocat lui
donna, disant que c'éloil un prince qui porioit la
la pesie el la ruine des poêles el mainiiies; qu.ri
éluil ne el mouiri dans la conlrairic des grasses
iîi:»
CON
NOTICE SUft LE THEATRE LIBRE.
CON
1362
l'Hôtel de Bourgogne cherchaient à s'affran-
chir du droit qu'ils payaient aux maîtres et
gouverneurs de la Passion, pour avoir celui
de représenter sur leur théâtre. Ces pre-
miers ne voulaient plus dépendre d'une so-
ciété qui, par succession de temps, était
devenue le réceptacle des plus vils artisans,
plus méprisables encore par leurs débau-
ches que par leur profession. Ils se crurent
d'autant plus autorisés à taire éclater leurs
mécontentements, que le roi (Louis XIII)
las avait nommés ses comédiens, et que,
ronséquemment acelto grAce, ils affichaient
flans Paris avec le litre de Troupe royale.
C'est pourquoi ils ne balancèrent plus a de-
mander la révocation des privilèges accor-
das aux confrères-, par une requête qu'ils
présentèrent au Conseil, que nous allons
rapporter en son entier, comme une pièce
nécessaire à l'histoire du théâtre :
Remontrances au Roi et à Nosseigneurs de
son Conseil, pour l'abrogation de la con-
fruirie de la Passion, en faveur de la troupe
royale des comédiens.
« Après un préambule qui contient un
éloge de la comédie, ils continuent :
«Ainsi, vos comédiens, Sire, qui, par
« leurs bonnes qualités, ont acquis des amis
« assez puissants pour leur faciliter l'entrée
« de votre cabinet, classez zélés en leur inté-
« rêt, pour les favoriser de leur présence, ils
« s'adressent de plein vol à Vostre Majesté,
« sans aucune autre recommandation ni as-
« sistance que leur bon droit, dans lequel
« ils ont establi l'espérance de leur vic-
« toire.
« Leurs prétentions, Sire, à présent, ne
« sont autres que celles mêmes qui ont
« donné lieu au différend qui se mût, il y a
« quelque temps à votre Conseil, entre vos
« comédiens et les soy-disans maislres de
« la confrairie do la Passion, lors duquel
« Vostre Majesté trouva bon d'adjuger à
« ceux-là l'Hostel dit de Bourgogne, pour
« trois ans seulement, par provision, etaus
« charges portées par l'an est, attendant la
« décision du principal (8G5), laquelle vos
« comédiens poursuivent aujourd'hui ; et
hèles, qu'il n'avoil jamais élud'é qu'en la philoso-
phie cynique, qu'il u'éioil sçavant qu'en la faculté des
bas souhaits; que c'étoil une leste creuse, une cou-
cou rde éventée, vuide de sens, connue une canne,
un cerveau démoulé, qui n'avoil ni ressort, ni roue
dans la leste, qui se changeoit comme une lune;
bref, qu'il éioii si »ol, que l'on en pouvoil faire le
Dieu des Stoïciens. >
(8Go) Nous n'avons point de renseignement au su-
jet du procès doni il esi ici parlé, et antérieur à la
requête que nous rapportons, de trois ani.ées ; nous
trouvons au contraire une confirmation des privilè-
ges de la confrérie de la Passion, donnée an mois
de décembre 101-2, par le roy Louis XIII, registres
au Parlement le 20 janvier 1015, dans lequel enre-
gistrement il est dil que < Veu par la Cour les let-
tres patentes du roy, signées Louis, el sur le reply,
par le IL//, la reine régente sa mère, présente. I)i.
Lomk.me, ele, par lesquelles, el pour les causes y
«nulcnues, ledit seigneur continue, cl confirme tous
et chacun Jes p: iv leçes, libertés, exemptions, el
« pour cet effet, supplient humblement Vostre
« Majesté, en exécutant les ordonnances de
« nos rois, vos prédécesseurs, qu'il lui plaise
« abroger celte confrairie de la Passion,
« comme inutile, préjudiciable et scanda-
« le use à la religion, à l'Etat et au particu-
« lier, avec deffenses aux soy-disans confiè-
« resdela continuer, à peine d'être convain-
« eus de leze-majesté, et en conséquence,
« ordonner que les biens et revenus de la-
« dite confrairie seront unis et incorporés
« au domaine des pauvres, ou de l'Hôtel-
« Dieu, ou des Petites-Maisons de Paris, à
« la réserve néanmoins dudit Hostel de Bour-
« gogne, lequel demeurera perpétuellement
« affecté à la troupe de vos comédiens, en
« payant par eux annuellement touies les
« réparations, rentes et charges foncières,
« dont ils demeureront chargés, la somme
« de cinq cens livres, ou telle autre que
« Vostre Majesté arbitrera es-mains du rc-
« ceveur à ce commis, de quartier en quai-
« lier, et à la charge de bailler par eux et
« leurs successeurs bonne et sûre caution,
« pour assurance desdits payements et char-
« ges. Il est vrai que d'abord cette requëstô
« semblera aucunement estrange; mais Vos-
« tre Majesté, qui pesé les intérêts cotu-
« muns d'autre sorte que ne font les parti—
« cuiiers, qui ne s'attachent jamais à l'utilité-
« publique, sinon en tant que la leur s'y
a trouve raeslée, jugera que cette demande
« est raisonnable et juste, puisque l'exécu-
« tion d'icelle est utile et nécessaire. Juste,
« d'autant qu'elle est fondée sur tant de
« saintes ordonnances et de si bons exeut-
«ples; utile, d'autant que les pauvres
« en tireront tout le profit, qui leur est
« beaucoup mieux deub qu'à ces gorges de
« Diotime(866); nécessaire, parce que c'est le
« vrai moyen de retirer de la débauche tant
« de malheureux artisans, qui ayant sou-
« vent mis femmes et enfans en chemises,
« pourarriveracesmaîtrises,où leurviesem-
« ble assurée, négligent tout à fait le soin de
« leur pauvre famille Il est même sans
« difficulté que la comédie a l'avantage du
a tems sur cette confrairie, laquelle encore
« n'a jamais obteuu aucun establissement ni
fragilises cy-devanl donnez el oclroyez par ses pré-
décesseurs rois, aux maislres et gouverneurs de la
confrairie de la Passion : laditle cour a ordonné el
ordonne que lesditlcs lettres seront enregistrées es
registres d'icelle ; Ouy le procureur général du roy,
pour en jouir par les impélrans de l'elfel el conte-
nu en icelles connue ils en ont cy-devant bien cl
dûment joui, et usé, jouissent et usenl encore de
piésent. »
Ccl arrêt ne r;iit aucune mention des coinédiei s
qui jouaient à l'Hôtel de Bourgogne ; ainsi il est a
présumer que ces derniers ne présentèrent leur re-
quête au Conseil qu'a la majorité du roi Louis XIII.
On en voil la preuve par le lilrede celle même re-
quête, qui n'est point adressée à la reine mère.
(866) Oiotime est le nom d'un fameux ivrogne
d'Athènes que l'on surnommait l'entonnoir, à cause
que souvent il se faisait mettre un entonnoir dans la
bouche, et ensuite on lui versait une prodigieuse
quantité de vin qu'il avalait ainsi tout d'une halei-
ne. (Kiir-N, Histoire» diverses, liv. n, chap. 4L)
1563
CON
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
CON
i:Gi
« privilège dont elle ne soit redevable à la
«comédie, puisqu'ils n'ont été accordez
« qu'aftn d'entretenir le peuple, par les re-
a présentations qui se faisoient en ce temps-
« la, et pour donner courage à d'autres
« d'entrer dans la confrairie, et monter sur
« le théâtre. »
« Ensuite, les comédiens rapportent diffé-
rentes ordonnances dos rois François I",
Henri II, Charles IX et Henri III, et plusieurs
arrêts du parlement, qui ont abrogé diffé-
rentes confréries, comme illicites, et ajou-
tent, au sujet de celle de la Passion :
« Cette confrairie est du tout piéjudicia-
« ble aux mœurs et au bien des familles.
« ils ne peuvent sçavoir beaucoup d'hon-
« neur, ni de civilité, comme dit Aristoie;
« par conséquent sont incapables des hon-
« neurs et des charges publiques, et indi-
« gnes du titre de bourgeoisie, par la raison
« des anciens qui faisoient marcher les es-
« claves de pair avec les artisans. »
« Cette requête, qui paraîtra sans doute
assez mal arrangée, mais qui était passable
alors, fut assez favorablement écoutée. Les
comédiens furent maintenus à jouer sur le
théâtre de 1 Hôtel de Bourgogne, sans crain-
dre d'être dépossédés par les confrères , ot
les premiers continuèrent le procès qu'ils
avaient commencé. Enfin, en 1G29, ils pré-
Aux mœurs, pour autant qu'en elle re- semèrent une nouvelle requête, à laquelle
« pose le fondement de la débauche de tous
« ces prétendus confrères, lesquels despen-
« sent inutilement l'argent qu'ils amassent
« sans peine, et dissipent librement le fonds
pour lequel ils n'ont jamais beaucoup
sué; car il est vrai qu'ils mangent annuel-
lement entr'eux quatre h cinq mille li-
vres qu'ils ont de revenus, à la réserve
seulement de ce qu'il faut pour l'enlrete-
neinent d'une messe tous les dimanches;
«
«
« de prétexte, ou pluslôt de rendez-vous,
« pour passer aux débauches tout le reste
>' de la semaine; cependant que la plusparl
« des femmes et des enfans de ces confre-
« rcs, à l'imitation de ceux dont parle Jé-
« renne, demandent inutilement du pain
« pour sustenter leur vie ; au reste, entre- les
« pots et les tréteaux, Dieu sait si les es-
« cols se passent sans médisances, sans blas-
« phêmes, sans jeux et sans ivrogneries.
« Au bien des familles, parce qu'aujour-
« d'hui l'avarice a corrompu les lois et les
« plus saiptes ordonnances, en sorte que
* pour arriver aux maîtrises de celle con-
« IVairie, il faut faire tant de dépenses, de
« beuvettes et de festins, que tous, ou la
« pluspart demeurent incommodez le reste
« de leur vie. »
« Après cela on trouve un éloge de la co-
médie et des acteurs qui la composaient
alprs, et la roquêto finit par ce qui suit ;
« Celle confrairie, au contraire, n'a ja-
« mais reçu ni produit que de gros artisans,
<< comme on le voit par leur institution, et
« dans le contrat d'acquisition de l'Hostel
« de Bourgogne, quelque vanité qu'ils se
« donnent par leurs escriplures, en se qua-
« lilians honestes gens et bons bourgeois,
« honorez, la pluspart, des charges des pa-
« roisses ei du quartier ; aussi tels honneurs
« répugnent-ils à leur profession, qui les
« oblige la pluspart de mendier leur vie du
les confrères répondirent, et sur lesquelles
intervint un arrêt du conseil.
« Au Roy el à Nosseigneurs de son Conseil.
« Sike,
a Robert Guérin, dict La Fleur; Hugues
Guéru , dict Fleschelies; Henry le Grand,
dict Belleville; Pierre le Messier, dict Belle-
rose, et leurs associez, tous comédiens de
Voslre Majesté, Vous remonstrent très-hum-
et laquelle, s'il est permis de le dire, sert blement que depuis qu'il <.uroit plû au feu
Boy, que Dieu absolve, et à Vous, Sire, les
retenir pour leur représenter, et au public,
la comédie, ils se seroient, à l'exemple de
leurs prédécesseurs, servis d'une maison
seize en vostre ville de Paris, vulgairement
appelle*! l'Hostel de Bourgogne, qu'ils avoient
louée de quelques particuliers prenants la
qualité de maîtres de la confrairie de la
Passion et Résurrection de N. S. J. C, qu'ils
disent leur appartenir, lesquels ayant fait
croire que par quelque laps de temps, que
c'éloit le lieu seul destiné pour représenter
loules histoires et comédies; et ont souvea-
tes fois empesché, non-seulement les sup-
plians, mais leurs devanciers, et autres co-
médiens estrangers de représenter ailleurs,
pour s'attribuer de grands profits et deniers
qu'ils tirent et exigent, tant pour ledit loua-
ble de ladicte maison, que pour la réserve
de plusieurs loges qui sonl en icelle, en
sorte qu'il se rencontre ordinairement que
lesilicts prétendus maislres profitent du tra-
vail desdiets comédiens, qui bien souvent se
sont trouvez sans profit, toutes charges fai-
tes et payées , et non contens de ce et du-
dict profit qu'ils tirent de leur bail, elle s'est
encore trouvée ainsy louée par les comé-
diens italiens, et autres estrangers, qui en
payent grande somme outre les exactions }
ils Ont, par sentence, fait defïVndre le t,héîk
treauxdicls supplians, qui s'accommodoiei.t
en autres lieux, s'il ne leur esloit par eux
« ministère' de leur main, au moyen de quoi payé un écu par jour (867), lesquelles çon-
(867) Par sentence contradictoire du 16. février
1622, el pour les causes y contenues, Etienne Ru*
lin dit La Fontaine, Hugues Gucru dit Fle&che!lesx
Robert Guérin dit La Fleur, Henry le Grand dit Bel-
leuille, el autres leurs compagnons comédiens re-
préseulans à l'Hôtel d'Argent (l'Hôtel de Bourgo-
gne étant alorsjoccupé par d'autres comédiens), sont
«oihlamnés j payer aux doyen, maîtres, et gou-
verneurs de la Passion, trois livres tournois oar cha-
cun jour de représentation, et aux dépens. Laquelle^
sentence a été exécutée. Pré'édeminent à cette se n
lence, les confrères en avaient obtenu une autre, le
15 novembre 1621, portant défense à tienne Ro-
bin, mailre «lu jeu de paume >!n Moutardier, rue
du Rourg-l'Abbé, de louer son jeu aux comédien*
pour y représenter: et en cas de coniravonlionv
permis (rabattre le théâtre. Le A mars 16*22, aulre
sentence oui défend audit Hobin el a tous a» 1res
tsôs
CON
NOTICE Sltl LE THEATRE LIBRE.
CON
ncu
damnations lestlicts supplians oni eslé for-
cez d'exécuter par le peu ou point do con-
noissance qu'ils avoient de l'usurpation des-
dicts lieux, et des mauvaises actions qu'un
grand gain qu'ils exigent, produisent jour-
nellement: ce qu'ayans appris lesdicts pré-
tendus maistres, et que les supplians avoient
tiré quelque lumière par plusieurs person-
nes qui n'ont pu souffrir la mauvaise appli-
cation de si grands deniers, quoique levez
sous prétexte d'œuvres pies, ils ont, par une
pure malice, et au préjudice de la parole
qu'ils avoient donnée auxdicts supplians
pour la continuation de leur bail, convenu
avec quelque compagnie de comédiens nou-
vellement venus à Paris pour chasser les
Supplians qui sont près de Vostre Majesté,
nour satisfaire à ses commandemens, afin de
leur osier l'envie de faire connoislre le
mauvais employ desdicls deniers; dequoy
eslans advertis, ils se seroient plaints à Klle,
qui auroit eu agréable d'y interposer son
aulhnrilé; et d'autant qu'il est juste que
Vostre Majesté commisse comme icelle pos-
session n'est qu'une pure usurpation, ou
quoique ce soit soubz un tiltre spécieux et
simulé, ils ont recours à Vostre Majesté, à
ce qu'il leur soit pourveu. A ces causes,
Sire, et attendu ce que dessus, il Vous plaise
ordonner que dans huiclaine lesdicts mais-
tres de ladicte prétendue confrairie, appor-
teront leurs libres et contracts, en vertu
desquels ils s'attribuent ledict lieu nommé
l'Hostel de Bourgogne, lesquels ils seront
tenus de mettre par devers lel de Messieurs
qu'il vous plaira commettre et députer, dont
les supplians pourront prendre communica-
tion, et contre iceulx dire ce qu'ils verront:
ce faict, prendre telles conclusions qu'il ap-
partiendra. Et les supplians prieront Dieu
iour Vostre Majesté, Signé Rousseau, après
es supplians.
« Il est ordonne que la présente requeste
sera signifiée ausdicls maistres de ladicte
confrairie, et à eux enjoinct de mettre ez-
niains du sieur de Pommercu, conseiller du
roy, et maistre des requestes ordinaire de
son Hostel, dans quinzaine pour tout délay,
les libres et pièces justificatives du d roi et
prétendu, pour les communiquer auxdicts
supplians, et rapport faict au Conseil, estre
faict droict, ainsi que de raison. Faict au
Conseil du roy, tenu à Fontainebleau le 12
octobre 1029. Signé Poim.
Réponse des confrères de la Passion.
« A la requeste des doyen, maistres et
gouverneurs de la confrairie de la Passion,
Maison et Hostel de Bourgogne, soit déclaré
et signifié pour réponse à la requeste pré-
sentée au roy en son Conseil, par Hubert
(îuérin, dict La Fleur; Hugues Guéru, diçt
Flcschel'es ; Henry le Grand, dict lielleville;
Pierre le Messier, dict liellerose, et leurs as-
sociés, comédiens de Sa Majesté, à ce que
lesdicts doyen , maistres et gouverneurs
soient tenus de représenter, et leur eommu-
ptnimiers de louer leurs jeux de paume à aucuns
': ;* i uv"» l.°s !u> muiulers.
niquer les libres et contracts en vertu des-
quels ils jouissent de ladicte Maison et Hos-
tel de Bourgogne, el ordonnance dudict
Conseil, mise sur ladicte requeste, le douze
du présent mois d'octobre; que lesdicts co-
médiens ne sont parties capables pour leur
faire telle demande, n'eslans propriétaires,
possesseurs, ni créanciers de ladicte Mai-
son, et n'ayant aucun droit ni intérest quel-
conque d'en voir les libres el contracts; et
quand ils seroient capables de ladicte de-
mande, il la faudroit intenter par-devant le
prévost de Paris, ou son lieutenant civilr
juge ordinaire des parties el de ladicte Mai
son et Hostel de Bourgogne, et par-devant
lesquels ils feront, lorsque besoin sera, et
à qui il appartiendra, l'exhibition et commu-
nication de leurs libres , et monstreront
qu'eux, ou leurs prédécesseurs, esdietes.
charges, ont légitimement acquis la place
sur laquelle ladicte Maison est bâtie; icelle
fait bâtir à leurs propres cousts et despens,..
el qu'au surplus, ce qu'on leur impute par
ladite requeste a esté par eux légitimement
faict, et en vertu des jugements, sentences
el arresls contradictoires, à ce que lesdicts
Guérin et associés n'en prétendent cause
d'ignorance. Signé: Réveillon , Philippe
BllISSE, J. COUILLARD, J. FONTENY, MARTIN
Boyvin, Bertrand-Guillaume, Javelle. Si-
gnifiée le 20 octobre 1629. »
Arrest du Conseil, au sujet de la contestation
entre les comédiens et les confrères de la
Passion.
« Sur la requeste présentée au roy en son
Conseil, par Robert Guérin, dict La Fleur i
Hugues Guéru, dict Fleschelles ; Henry le
Grand, dict Belleville; Pierre Le Messier,
dicl Bcllerose, et leurs associés, comédiens
ordinaires de Sa Majesté, tendante à ce que,
p -ur les causes y contenues, il plaise à Sa
Majesté, sans s'arrêter à la réponse faicte
par quelques particuliers, se disans maistres
de la confrérie de la Passion et Résurrection
de Noslre Sauveur et Rédempteur J, C, et
qui, sous cette qualité et aultres ti lires spé-
cieux, se sont emparés de la maison seize à
Paris, vulgairement appelée l'Hostel de Bour-
gogne ; ordonner (pie lesdicts prétendus
maistres satisferont à l'arrest du Conseil du
10 octobre dernier. Cependant, attendu que
les supplians payent le prix convenu pour
le louage d'icelle maison, de laquelle lesdicts
prétendus maistres se réservent la meilleure
partie des loges et galeries autour d'icelle,
par des puissances comme absolues; ordon-
ner pareillement qu'ils jouiront de toute la
totalité d icelle maison , sans réservation
d'aucunes loges, avec defî'enses auxdicts
prétendus maistres de commettre ni prépo-
ser aucun à la perception des deniers qui
se reçoivent aux portes, aux jours que les-
dicts supplians représentent la comédie, à
peine de cinq cens livres d'amende contre
chacun desdicts prétendus maistres, et de
prison contre ceux qui seront commis pour
ladicte réceple. Veu la requeste signée
comédiens, pour ▼ représenter : ladite défense 6Ï-»
1357
COR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
COR
1308
Rousseau, odvocat; autre requcste présen-
tée au Conseil par lesdicts supplians le 10
octobre, à ce qu'il fût ordonné que dans
huictaine lesdicts prétendus maistres appor-
teront leurs tiltres et contrats, en vertu (les-
quels ils s'attribuent le lieu nommé l'Hostel
dé Bourgogne, au bas de laquelle est l'arrest
du Conseil dudict jour, par lequel est or-
donné que ladicte requeste sera signifiée
aux maistres de ladicte confrérie, et à eux
enjoinct de mettre ès-mains du sieur de
Pommereu, conseiller du lloy et ma'stre des
requestes ordinaire de son Hoslel , dans
quinzaine pour tous délais, les tiltres et
pièces justificatives du droict par eux pré-
tendu, pour iceux communiquer auxdicts
supplians, et rapport faict au Conseil, eslre
faict droict, ainsi que de raison. Significa-
tion d'icelui, du 12 dudict mois d'octobre;
acte contenant la réponse desdicts maistres
de ladicte confrérie à ladicte requeste, par
laquelle ils demandent leur renvoy par-de-
vant le prévost de Paris, et que lesdicts sup-
plians ne sont parties capables. Signifié le
26 dudict mois d'octobre dernier. Ouy le
rapportdudict sieur de Pommereu, commis-
saire à ce député, et tout considéré. Le Roy
estant en son Conseil, conformément au-
dict arrest donné en icelui le 10 octobre, a
ordonné et ordonne (pie lesdicts maistres de
ladicte confrérie mettront entre les mains
du commissaire à ce député dans huictaine
pour tous délais les tiltres et pièces justifi-
catives dudict droict par eux prétendu en
l'Hostel de Bourgogne, autrement et à faute
de ce faire, sera faict droict sur la demande
desdicts comédiens, sans aucune forclusion,
ni signification de requeste. Faict au Con-
seil privé du Roy, à Saint-Germain-en-Laye,
la sept novembre 1629. Signé, Le Tenneur.
Signifié le 8 novembre 1629. »
CORNETTE (La). — Les frères Parfait ,
dans leur Histoire du théâtre français (t. III,
p 193), datent de l'an 1535 la farce delà
Cornette.
Ils en donnent ainsi le litre :
Farce de la Cornette (868) , nouvelle, très-
bonne cl fort joyeuse, à v personnages ,
c'est assavoir :
le mary. finet varlel.
LA FEMME. LES DEUX NEPVEUX.
« La pièce ouvre par la femme qui de-
mande à Finet s'il a fait le message dont
elle l'a chargé.
FINET.
Très-bien.
LA FEMME.
Que dit-il?
FINET.
Il se maudit
Au cas qu'il ne vous aime plus
Que luy-mesine.
(8F8) Celle farce de la Cornette n'existe qn'-en ma-
nuscrit. Elle nous a été communiquée par M. le
marquis de C**\ qui la croit de Jean d'AImndance.
Nous n'avons trouvé au surplus aucune tlale, ni ren-
çcigiiemcui sur celte nièce. — Une édition ancienne
LA FEMME.
Au surplus?
FINET.
Q'eirtoul temps il vous servira,
Et fera ce qu'il vous plaira.
Par mon serment, il est mignon.
LA FEMME.
N'esl-il pas gentil compagnon,
Finet?
FINET.
C'est un fin affiné.
De soupirer il n'a fine
Tant qu'on luy a parlé de vous.
LA FEMME.
Ton maislre n'est-il point jaloux?
A ton ad vis?
FINET.
Je croy que non.
Posé qu'ayez mauvais renom,
Pas n'entend que luy faicies lorl.
LA FEMME.
II se fie en moy le plus fort
Du monde.
FINET.
11 a bien raison.
LA FEMME.
Femmes sçavenl une oraison
Pour endormir maris.
« Cette scène finie, les deux neveux du
mari arrivent dans l'intention d'avertir leur
oncle des mauvais déportemcnls de sa
femme; Finet, qui entend leurs discours ,
en instruit la femme, qui prévient son mari,
de façon que, lorsque les deux neveux com-
mencent à lui parler contre elle, il les fait
taire, ajoutant qu'il connaît la vertu de sa
femme, et qu'il prétend qu'elle fasse ce
qu'elle voudra.
LE MARY.
Elle ira darriere, delà,
Tout par-tout, à mont, et à va.,
Son aller ne m'est pas travail :
Allez, et ne m'en parlez plus.
LE PREMIER NEVEU.
Elle ira doneques?
LE MARY.
11 est conclus,
Il ne s'en faull plus esehauffer.
je donne à l'ennemy d'enfer
Le premier qui m'en parlera.
CORPS ET DE LAME (Dispute du). —
L'abbé Delarue mentionne parmi les pièces
dramatiques des jongleurs normands la
Dispute du Corps et de VAme. (Cf. Essais
Jiist. sur les bardes, les jongl. et les tr. norm.
et anylo-n. ; Caen, Mancel, 1834, in-8", 3 vol.,
t. 1, p. 189.)
COUST CRIER ( Le ). — La Farce nouvelle
à v personnages, c'est a scavoir :
LE COUSTL'RIER. DEULX JEUNES FILLES.
SON VARLET. Cl UNE VIELLE.
de la Cornette est indiquée sous le lilra suivant : La,
farce de la Cornette v. personnages, pai Jmian d'A-
ru.nhance. M. de Monlaran a réimprimé celle pièce
du xvi« siècle. — Yoi/. Collection Caron, cl Re-
cueil DE LIVRETS PAR M. DE MONTARAN.
1369
EGL
NOTICE SUR LE THEATRE LIHRE.
EGL
1370
Coite pièce, conservée dans le manuscrit
du xvi' siècle de la Bibliothèque impériale
(fonds La Vallière, n° 63) , a élé éditée par
MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel,
dans leur Rcueeil de Farces. (Paris, Techener,
1831-1837, 4 vol. pet. in-8°).
Est il soûl) l la machine ronde,
Cnusiiirior qui ouvrage nieiris
En habis que moy? Je nie fonde
Qu'i n'en est nul debsoublz les cieulx.
Je fais tant aux jeunes qu'aulx vieuli,
Prcstres, laïques femmes mequines
El Biles, habis a basqnines,
Feys colles, robes et pourpoinclz
A bien souvent remplir mes poinclz.
Auilre foys ai ge faicl sans poinclz.
Sans pièce cl sans cousluie habit
Qui ne me faisoyl grand labil...
CROISÉ ET DECROISE, (Dispute de).—
De Roquefort cite comme ayant été repré-
senté parmi les vieux monuments du théâtre
du moyen Age la Dispute du Croise' et du
Décroisé. (Cf De F Etat de la poésie fr. dans
les xii' et xiii' siècles. Paris, 1815, in-8",
p. 262. )
On peut consulter celte pièce très-souvent
analysée, imprimée ou traduite, dans l'édi-
tion des OEuvres complètes de Rutebeuf,
donnée par M. Ach. Jubinal (Paris, 1839,
2 vol.i n-8°, t. I , p. 124-).
M. Mommefqué n'y voit qu'une récitalion
dramatique; M. Ach. Jubinal compte celte
pièce dans le IhéAtre de famille et «le festins
du moyen Age. (Cf. OEuvres compl. de Rute-
beuf, t. I, p. 424.)
D
DEBAT DU JEUNE MOINE ET DU
GENDARME (Le). — La grossièreté du
Débat du jeune moine et du gendarme ne nous
permet aucune citation.
Réimprimé à Paris, en 1612, chez Nicolas
Roussel ; on trouve cette farce du xvi' siècle
reproduite dans la collection Caron. — Voy.
Coii.ection Caron et Recueil de Rogssel.
DELIRUS (Le).— Voy. Extravagant (L').
DIALOGUE ENTRE TERENCE ET UN
ENTREPRENEUR DE SPECTACLES. —
Voy. Entrepreneur de spectacles (L')
DIDIER et OG1ER. - Le Dialogue de
Didier avec Ogicr dans la Chronique de
Notker (Perlz, Monum. Germ. Hist. , t. II ,
[>. 517-759) apparaît à M. Edélestand Dumé-
ril comme une des fortes preuves de la ten-
dance du moyen âge à tout dramatiser, sans
toutefois qu'il y ait l'idée du véritable drame
et du théâtre. (Cf. Origines latines du théâtre
moderne. Paris, 18i9, in-8", p. 3.)
DIRE ET FAIRE. — Les frères Parfait,
dans leur Histoire du théâtre français (t. 111,
p. 187), donnent les notes suivantes sur
Dire et Faire :
La farce dont on parle ici parut, pour la
première fois, le mardi -gras de l'année
1511, sur un théAîredressé aux halles à Paris;
à la suite d'une sotise et de la moralité de
V Homme obstiné.
Ces trois pièces étaient de la composition
de Pierre Gringore, qui y représenta un rôle
aussi bien que le fameux Jean de Pontalais :
voici en doux mots l'extrait de la farce (869) :
« Doublclte, femme de Raoullet Ployart,
vigneron fort Agé, se plaint que ses vignes
demeurent en friche faute d'être façonnées.
« Taisez-vous, » lui dit le mari.
RAOl'Ll.ET.
Qui la vouldroil
Servir à son gré, il fauldroil
Hoùer la vigne jour et nuyl.
« A peine Raoullet s'est retiré qu'arrivent
deux ouvriers, dont l'un se nomme Dire et
l'autre Faire. Doublette appelle le premier;
mais comme tout son mérite ne consiste qu'à
jaser, elle le congédie, et, sans perdre de
temps , elle ordonne à Faire de prendre sa
place. Faire entreprend l'ouvrage et l'exé-
cute avec succès. Sur ces entrefaites, Raou'
lot arrive , et fAché que sa femme, malgré
ses défenses, emploie des ouvriers, en porto
ses plaintes au seigneur de Vallotreu. Le
valet Mausecret tâche h. éviter un éclat entro
les deux époux :
MAUSECRET.
Elle est bonne femme, mon maître
El aussi vous estes bon homme.
« Le seigneur de Valletreu... décide en
faveur de Doublette... Raoullet déclare qu'il
en appelle, mais le seigneur persiste dans
son jugement... »
DRAME DE MICHEL PLOChiAE (Le\
— Voy. Paysan ( Le ).
E
ECBASIS. — Dans ses Origines latines du
théâtre moderne ( Paris , 18V9 ? in-8°, p. 3 ) ,
M. Edélestand Duméril considère VEcbasis
comme un des monuments du moyen âge
où, sans qu'il y ail un drame, se montre
très-ouvertement la tendance du temps à
tout dramatiser.
EGLISE, NOBLESSE et PAUVRETÉ
(L'). — L'Eglise, Noblesse et Pauvreté qui
(SG9) ACTEURS.
raoullet rLOYART , w- doiriette , femme de
çncron. ["loijtut.
font la lesiue , moralité nouvelle a troys per-
sonnages, c'est a scavoir :
l'église. pourete.
noblesse.
Editée par MM. Leroux de Lincy et Fran-
cisque Michel, dans leur Recueil de farces
(Paris, Techener, 1331-1337, petit in-8' h
d'après le manuscrit du xvi€ siècle de la,
mauslcr'^t, valcldcPloijnrt. faire.
LE SLIG.M.IR DE VALI.EREU. DIRE.
t57l
L>f
DlCllOMNAlUL DES M\SJEHES.
ENï
1375
Bibliothèque impériale (fonds LaVallière,
il" 63 j.
POLKETE.
Noblesse bat sansestre bastue ; dame,
Au moins de moy qui ne m'en puys venger.
Sy !e m'en venge, en prison, lieu infâme,
Il me fera soubd;iinement loger.
Devant mes yeulx je voy guerre et famine;
Même la mort que le corps ronge et mynne
Apres je voys l'église qui m'opresse.
Noblesse aussy qui touiours bal sans cesse
En me faisant journellement esiendre...
EGLISE ET LE COMMUNE ).— L'Eglise
et le Commun, moralité a deulx personnages,
c'est a scavoir :
l'église.
LE COMMUN.
('elle pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Francisque Michel , dans le Re-
cueil de farces, moralités et sermons joyeux
(Paris , Teehener , 1331-1337, i vol. petit
ri-80), donné d'après le manuscrit du xvr
siècle île la Bibliothèque impériale ^fonds
La Valiière, n°G3).
l'église.
Puys qu'il est ainsy,
One dame noblesse
Vous a pour soucy
llemis en leesse,
Nous débitons sans cesse
Tousjours parvenir
lu parfaicie hnmblcsse
De luy suuenir.
LE COMM.IN.
Je veu'ix mainienir
Tant que je viuray,
Partout soutenir
Son 1res noble aroy...
ENEANS -SANS-SOUCY (Les). —Les
frères Parfait se sont arrêtés h l'histoire
des Enfants Sans-Soucy dans leur Histoire
du théâtre français ( t. 111 , p. 198).
Ils s'étonnent que cette histoire n'ait pas
été tracée avant eux; ils conjecturent que,
vers le commencement du règne de Char-
les VI, quelques jeunes gens de famille,
instruits, amoureux de plaisirs, riches,
eurent l'idée badine, mais morale, « disent-
ils, » d'une principauté établit; sur les dé-
fauts du genre humain , que ces jeunes gens
nommèrent sottise, et dont l'un deux prit la
qualité de prince (870).
Celte plaisanterie était neuve, les moyens
qu'on employa pour la faire connaît! e ne
le furent pas moins. Nos philosophes en-
joués inventèrent, mirent au jour et re-
présentèrent eux-mêmes, sur des échafauds,
en place publique (871), des pièces drama-
tiques qui portaient le nom de sottise,
(870) Ce prince des Sols, ou de la Sottise, niar-
cbait avec une espèce de capuchon sur la léle, et
des oreilles d'âne. Il faisait lous les ans une entrée
à Paris, suivi de tous ses sujets.
(871) C'était à ia balle que ces représentations se
faisaient.
(872) « Il faut parler d'une Sociélé appellée la
Sotise qui a subsisté à Paris jusque dans le siècle
nasse. Le chef s'appelait le prince des Sols ou de la
Sottise. Ils avaient nue maison dans la rue Darneul,
qui, en effet, peignaient celles de la plupart
des hommes. Ce badinage passa de la ville
à la cour et y fit fortune. Les- Enfants sans
souci (car c'était ainsi qu'on nomma ces
jeunes gens lorsqu'ils parurent en public)
devinrent à la mode. Charles VI accorda
au prince des Sots des patentes qui con-
firmèrent le titre qu'il avait reçu de ses ca-
marades. Celte première société se renferma
dans de justes bornes : une critique sensée
et sans aigreur constitua le fond des piè-
ces qu'elle donna ; mais cette sage atten-
tion eut un court espace. La guerre civile
qui s'alluma en France, et dont Paris res-
sentit les plus cruels effets, occasionna du
relâchement dans la conduite des Enfants
sans souci : les plus prudents se retirèrent,
et cette société devint celle de tous les
fainrants et des libertins de la ville... Le
prince des Sots donna la permission aux
clercs de la Basoche de jouer des soties,
ou sottises, et en échange il reçut de ces der-
niers de celle représenter des farces et des
moralités... Cet arrangement en lit naître
un autre avec les confrères de la Passion,
qui, pour soutenir leurs spectacles, dont
le public commençait à se lasser, associè-
rent à leurs jeux le prince des Sots et ses
sujets (872).
ENT LIÉES DES BOIS ET DES BEINES.
— Les entrées des rois et des reines de
France ont donné lieu à un grand nomore
de représentations dramatiques ou de pan-
tomimes dont l'histoire a été recueillie en
ces termes par les frères Parlait :
Mytères représentés aux entrées des rois et
des reines de France à Paris.
Si l'histoire que nous traitons était plus
connue, nous ne serions pas obligés de
parler des mystères qui s'exécutaient sur
des échafauds aux entrées des rois et des rei-
nes de France, puisque ces sortes de re-
présentations n'étaient que des espèces de
tableaux qui donnaient l'idée de quel-
ques traits de l'Ancien et du Nouveau
Testament. Mais tant de personnes les
confondent avec ceux qui parurent sur le
théâtre de la Trinité, qu'il nous a paru im-
portant de détruire cette erreur. Nous
croyons en avoir trouvé les moyens, en
rapportant exactement les propres termes
des auteurs qui ont parlé de ces sortes de
mystères : par là on jugera si nous devons
les mettre au rang des poèmes de la Pas-
sion, des Actes des apôtres, du Roi Ave-
nir, etc. (873).
Entrée de la reine babeâa de Pavière, à Paris le 20
juin 15S9 (874).
« A la premier porte Sainl-Denys, ainsi
appeltée la Maison des Sots Attendons. »
(873) Ce fut vers la fin du règne de Charles V que
les mystères représentés sur des échafauds fu-
rent introduits : ils lirent partie des cérémonies qui
s'observaient aux entrées des rois et îles reines de
France, jusqu'à François 1" inclusivement. Henri II
les supprima, et on y substitua les arcs de triom-
phe.
(874) FROISSA»? et Cérémonial français, p. 638,
059.
1373
KNT
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.ENT
KHT
1371
qu'on entre dans Paris, avoit un ciel tout
étoillé, et dedans ce ciel jeunes enfans ap-
pareillez fl mis en ordonnance d'anges, les-
quels enfans chanloient moult mélodieu-
sement et doucement ; et avec tout ce, il
y avoit une image de Noslre-Dame qui te-
noit par figure son petit enfant, lequel
enfant s'ébatoit par soy à un petit moulin
fait d'une grosse noix; si étoit haut le ciel
et orné moult richement des armes de
Fiance et de Bavière : à un soleil d'or res-
plendissant et donnant ses rayons, et le
ciel d'or rayonnant étoit devise du roy.
« A pi es, dessous le moustier de la Tri-
nité, sur la rue, avoit un échafaut et sur
1 échafaut un chatel, et au long de l'écha-
i'aut éloit ordonné le pas (875) du roy Salha-
din et tous faits de personnages les Chré-
tiens d'une part et les Sarrazins de l'autre,
et là étoient par personnages (876) tous les
seigneurs de nom, qui jadis au pas de Salha-
din furent, et armoyez de leurs armes ainsi
que pour le lems d'adonc (877) ils s'ar-
moienl,et un petiten susd'eux étoit par per-
sonnage, le roy de France, et autour de luy
les douze pairs de France, tous armoyez
de leur armes. Et quand la reine de France
fut amenée si avant dans sa litière jusque
devant l'échafautoù ces ordonnances étoient,
le roy Richard se départit de ses compa-
gnons et s'en vint au roy de France, et
lui demanda congé pour aller assaillir les
Sarrazins, el le roy luy donna. Ce congé
pris, le roy Richard s'en retourna devers
ses compagnons, et lors se mirent en ordon-
nance et allèrent incontinent assaillir le roy
Salhadin et ses Sarrazins; et là y eut pour
eshatement grande bataille, et dura une
bonne espace, el tout fut vu m ult volon-
tiers, puis passèrent outre et vinrent à la
seconde porte Saint-Denys (878) et là avoit-
on ordonné, comme à ia première porte,
un ciel nué et estoillé très-richement, et
Dieu par figure séant en sa majesté le Père,
le Fils et le Saint-Esprit ; et là dedans
le ciel petits enfans de chœur chaniaint
moult doucement en forme d'anges (laquelle
chose on voyoit moult volontiers) et ainsi
que la reine passa dedans sa liciiere sous la
porte de paradis, d'amont (879) deux anges
issirent hors en leur avalant (880), et te-
noient en leurs mains une très-riche cou-
ronne d'or garnie de pierres précieuses, et
ia mirent les deux anges, et l'assirent moult
doucement sur le chef de la reine, en chan-
tant moult doucement tels vers :
Dame enclose entre Fleurs de Lys,
Reine esles-vons de paradis.
De Fiance, cl de toul ce Païs.
Nous en r 'allons (881) en Paradis.
« Après trouvèrent les seigneurs et da-
mes devant la chapelle Saint- Jacques (882)
un cschafaull fait moult richement et très-bien
ordonné, séant au côté délire', ainsi
comme ils s'en alloienl; et estoit ledit
èschafaut couvert de drap de haute-lice
et encourliné en manière d'une chambre, et
dedans celle chambre il y avoit des hommes
qui sonnoient orgues moult doucement. A
la porte du Chastellet de Paris y avoit un
chaslel ouvré et charpenté de bois et de ga-
riles (883) faites aussi fortes que pour durer
quarante ans: et là y avoit à chacun des
crenaux un homme d'arme armé de toutes
pièces, et sur le chastel un lit paré, ordonné
el encourliné aussi richement de loules
choses comme pour la chambre du roy, et
estoit appelle ce lict le lici de justice; et
là en ce lict par figure et par personnage
se gisoit madame sainte Anne. Au plein
de ce chastol (qui estoit contenant grand
espace) y avoit une garenne et grande
foison de ramée, et dedans la ramée grande
foison de lièvres et de lapins, el d'ovsil-
Ions qui voloient hors el y revoloient à
sauf garant, pour la doubte du peuple
qu'ils voyoient. Et de ce bois et ramée,
du côté que les dames vinrent, issit un
grand blanc cerf (88i) devers ledict lict de
justice : d'autre part issit hors du bois et
de la ramée un lyon, et un aigle fait très-
proprement et approchoient fièrement ce
cerf et le lict de justice. Lors issirent hors
du bois el de la ramée jeunes pucelles
environ douze, très-richement parées en
chappellets d'or, tenant épées toutes nues
en leurs mains, else mirent entre le cerf
et l'aigle, et le lyon, et monsliercnt qu'à
l'épée elles vouloient garder le cerf el le
lict de justice, etc. (885). »
Représentations faites à Paris à l'entrée de Henri VI,
roi d'Angleterre (88(3).
« L'an 1431, environ l'issue de septembre,
Henry VI, roi d'Angleterre, fit son entrée à
Paris... Si avoit au ponce Tel Saint-Denis un
èschafaut, sur lequel éloit comme une
manière de bois, où étoient trois hommes
(875) Le sujet de celle représentation est pris de
l'histoire des croisades.
(870) Il esl bon de remarquer que ces personna-
ges ne parlaient point.
(877) D'alors.
(8"8) Il semble qu'on la nommait la porte aux
Peintres, qui fui abattue du temps de François I"
tic ce nom.
(879) D'en haut.
188O) En descendant.
(881 ) H. 'loin nous.
(88-2) Sailli-Jacques de l'Hôpital.
(883) Guérite.
(884) JuvciiaJ des Ursins nous apprend que ce
çei fêtait tellement fait et composé, qu'il y avait
homme « qu'on ne voyoit, -qui luy faisoil remuer
les yeux, les cornes, la bouche, el lous les membres,
et avoit au col les armes du roy y pendans, c'est à
sçavoir l'escu d'azur à trois fleurs tic lys d'or, bien
richement fait; el sur le licou près le cerf, avoil
une grande espée toute nue, belle et claire ; el quant
ce vint à l'heure que la reine passa , celuy qui
ijouveinoit le cerf au pied du devant dexlre, luy lil
prendre l'espée, cl la tcnoil toute droite, cl la
faisoil trembler. »
(S8o) .Nous supprimons le resle de celle descrip-
tion.
78
(8S0) LNGltRVND DK Mo.NsTUtil.E T, lOIII. II, p. *Ï7»
1575
ENT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
F NT
1576
sauvages et une femme, qui ne cessèrent
de combattre l'un contre l'autre lant que le
roy et les sHg'ieurs fussent passez : et avoit
dessous ledit éehafaut une fontaine jettant
hypocras, et trois seraines dedans, et étoit
ledit hypocras abandonné à un chacun. Et
Jepuis le poncelet, en tirant vers la seconde
porte de la rue Saint-Denis, avoit par per-
sonnages sans parler (887) de la Nativité Nos-
ire-Dame, de son Mariage, et de l'Adoration
Jes trois rois, des Innocens et du Bon
Homme qui semoit son bled ; et furent
ces personnages très-bien; jouez : et sur la
porte Saint-Denis fut jouée la Légende
Saint-Denis, qui fut volontiers vu des An-
glois, >■> etc.
llrpré^entations faites à Paris a l'eniréedu roi Char
les VII, le mardi 12 no\eiubre 1437 (888).
« Après les prevost des marchands et
eschevins, le prévôt de Paris, etc., suivoient
«les personnages représentons les sept flé-
chez mortels et les sept vertus, Foy,
Espérance, Charité, Justice, Prudence, Force
et Tempérance, montez à cheval, habillez
selon leur propriété.
« I.e roy, ayant passé la porte Saint-
Denis, vint au Ponceau , où d'un artifice
éloit une fontaine, et sur icelle un pot
couvert d'une fleur de lys, laquelle du
haut de ses trois feuilles jeltoit nypocras,
vin et eau en abondance. Dans cette fon-
taine se promenoient deux dauphins ; des-
sous celte fontaine éloit l'arcade pour pas-
ser, peirde en azur, semée de fleurs de lys ;
et dessus une terrasse l'image de saint Jean-
Baptiste monstrant VAgnus Dei, tout entouré
d'un chœur de musiciens habillez en forme
d'anges, chanlans en toute mélodie.
« Dexant la Trinité étoit un grand théâtre,
sur lequel estoient représentez les mystères
de la Passion, et Judas faisant sa trahison ;
ces personnages ne parloient, ains repré-
sentent ces mystères par gestes seule-
ment (889). A la seconde porte aux Peintres
étoient les images de saint Thomas, saint
Den s, saint Maurice et saint Louis, roy de
France, au milieu desquelles estoit celle de
sainte Genevïefve patrone des Parisiens.
« Devant le sépulcre étoit un autre théâ-
tre, où fuient représentées la Résurrection
du Sauveur du monde, et son apparition à la
Magdelaine.
« A la porte de Sainte-Calhermo derrière
Sainte-Opportune, éloit un autre théâtre, où
estoit le Saint-Esprit descendant sur les apô-
tres et disciples.
« Devant le Chastelet estoit un grand ro-
cher et terrasse couvert d'un boccage et pas-
lis agréable, où estoient les pastoureaux
avec leurs brebis, rocevans les nouvelles,
par l'ange, de la Nativité de Nostre Rédemp-
teur, et chanlans Gloria in excclsis Deo : et
audessous de l'arcade dudit rocher estoit un
Met dejustice, où estoient trois personnages
représentans la Loi de grâce, la Loi écrite,
et celle de Nature : et contre les Boucheries
estoient représentez le Paradis, le Purga-
toire et l'Enfer; et au milieu l'archange
saint Michel pesant dans une balance les
âmes des trespassez (890).
« A l'entrée du grand pont de Paris ,
estoit représenté le Baptême de Noslre-Sei-
gneur par saint Jean-Baptiste, et sainte Mar-
guerite auprès du dragon. »
Représentations faites à l'entn'e du roi Louis XI, le der-
nier jourd'aoul 1461 (891).
« A l'entrée que fist le roy à ladite ville
de Paris par la porte Saint-Denis, il trouva
une moult belle nef en figure d'argent por-
tée par le haut contre la maçonnerie de la-=
dite porte, depuis le ponl-levis d'icelle, en
signitiance des armes de la ville, dedans la-
quelle nef estoient les trois estais, et aux
chasteaux de devant et derrière d'icelle nef,
estoient Justice et Equité, qui avoient per-
sonnages pour ce à eux ordonnez, et à la
hune du masl de la nef, qui estoit en
façon d'un lys, yssoit un roy habillé en ha-
bit royal, que deux anges conduisoient.
« Un peu avant dans laditte ville estoient
à la fontaine du Ponceau hommes et fem-
mes sauvages, qui se combattoient et fai-
soient plusieurs contenances, et si y avoit
encores trois belles filles faisant personnr-
ges de seraines, toutes nues, qui estoit chose
bien plaisante, et disoient de petits motets et
bergereltes. Et près d'eux joûoient plusieurs
bas instrumens , qui rendoient de grandes
mélodies. Et pour bien raffresebir les en-
trans en laditte ville y avoit divers conduits
en ladicle fontaine, jeitant laict, vin etypo-
cras, dont chacun buvoit qui vouloit ; et un
peu au-dessous dudit Ponceau, à l'endroit
de la Trinité, y avoit une Passion par per-
sonnages et sans parler (892). Dieu estendu
en la croix, et les deux larrons à; dextre et
à seneslre ; et plus avant à la porte aux Pein-
tres avoit autres personnages moult riche-
ment habillez. Et à la fontaine Saint-Inno-
cent y avoit aussi personnages de chas-
seurs, qui accueillirent une bische illec es-
tant : qui faisoient moult grant bruit de
chiens, et de trompes de chasse. Et à la
Boucherie de Paris il y avoit eschaffaux fi-
gurez à la bastille de Dieppe: et quand le
roy passa, il se livra illec merveilleux assaut
de gens du roy à l'entourdes Anglois estant
dans laditte bastille, qui furent pris et gai-
(887^ Voyez la Noie suivante.
(888) Tiré du Recueil des Offices de France par
J:an Chenu, avocat en parlement.
(889) Voici une preuve bien marquée que ces
mystères n'étaient point récités, et qu'ils n'étaient
seulement que représentés par ligures; on peut voir
encore des preuves aussi fortes en plusieurs autres
endroits ci-dessous.
(890) Alain Charlicr rapporte dans son Histoire
une description fort abrégée de celte entrée.
(891) Chronique de Louis XI, écrite par Jean de
Troyes, grefïier de l'Hôtel de Ville de Paris, p. t6
île l'édition de Bruxelles, à la suite des Mémoires
de Commines.
(b$'2) Celle Passion, comme on le voit aisément,
esl tout aulre que celle que jouaient les Confrères,
puisqu'elle n'était (prune action figuré*
1377
ENT
NOTICE SLR LE THÉÂTRE LIBRE.
ENT
1378
gnez, et eurent les gorges couples ; el con-
tre la porte du Chastelîet y avoit de moult
beaux personnages. Et outre ledit Chastel-
îet sur le pont aux Changes, y avoit autres
personnages, et estoit tout estendu par-des-
sus, et à l'heure que le roy passa on laissa
voler parmi ledit pont plus de deux cens
douzaines d'oiseaux de diverses sortes et
façons, que les oyseleurs de Paris laissè-
rent aller, comme ils sont tenus de ce faire);
pource qu'Us ont sur ledit pont lieu et place à
jour de fête pour vendre lesdils oiseaux, et
partout les lieux de ladite ville par où le roy
passa celte journée, estoit tout tendu au long
des rues bien notablement. Ainsi s'en alla
faire son oraison en l'église Nostre-Dame de
Paris, et puis s'en retourna souper en son
Palais-Royal a Paris, » etc.
Représentations faites à l'entrée du roi Charles VIII, à
Paris, le 8 juillet U8i (893).
Puis après je vins choisir
Au plus, près de la Trinité.
Mystère que ne veux laisir,
Qui lut de grami'ulililé.
C'éloil l'amere Passion
De noslre Sauveur Jesus-Christ,
El sa Crueilicalion,
Et de Judas le grand délie! ,
Qui à un arbre se pendit.
Par très grande désespérance,
Donc en Enfer il descendit,
Où puni est de son offense...
Plus avant à la Porte aux Peintres
Vis le Galliffrc de Braudas (894)
Qui engouloit sans nulles feintes
Enclumes de fer à grands tas,
Dénotant que tels Goulias
En Erance oui fait grand mangerie,
Dont plusieurs en font au pourclias
Par le inonde querans leur vie.
Puis auprès de Suincl Innocent
Estoit Ilérode le cruel,
Qui fil mourir maint Innocent,
Par son malice monsiruël ;
Puis vint illec saincl Gabriel,
Quand, de par le Dieu envoyé
Qui bapelise les aisnel
En leur sang, donc Dieu est loué.
Et puis auprès du Chastelîet
11 v avoit un grand Eschaffaut,
Ou ilLc un Roy se séel
Par dessus les autres, au plus haut,
Qui par engin subtil et caul
Envoyoïl au Peuple d'en bas,
Plus léger que ne fait un haut,
La vertu de Paix par soûlas.
En après la vertu de Force.
Par engin venoil la Noblesse :
Dileclion, el Amour forte
A l'Eglise avoit son adresse :
Puis après sans grande longuessc,
J'apperccus un autre cscliaffaul,
Qui estoit d'assez grande haulesse,
Où je vis un mystère haut.
Car j'y vis eu façon de Lys
Un arbre de grande estmlie.
Sur lequel estoil un beau Fils,
El au p'ed des gens grande lye,
Qui estoienl pleins de maladie,
Car couchez estoienl contre terre;
Si pensai fort, je vous affie,
Que vouloil dire ce mystère.
Si vis qu'en regardant l'Enfant
De la terre ils se soubslevoient
Et se dressoienl en estant,
Comme ceux qui cœur reprenoient.
Si conclus lors, qu'ils (lénotôi.„nt.
Que par noslre Roy debonnair?,
De tous maux relevez seroienl
Ses sujets, el hors de misère.
Après sur le Pont des Changeurs
J'apperçus un autre mystère ;
Il estoil des premiers honneurs
Qu'eut David de Dieu noslre Père;
El comme éleu de luy, en terre
Il tua Golias le Géant,
Luy enfant de moult grand affaire,
Et depuis fut Roy Iriumphanl.
Qui estoil pour nous demonstrarce,
Que noslre Roy jeune et plaisant,
De Dieu éleu par sa prudence,
Sera de tous maux relevant
Son peuple ; et sera deslruisanl
Ses ennemis el adversaires
Et sera son Peuple vivant
Soubz luy en paix, sans nulle guerre.
Puis à la Porte du Palais
J'apperccus un autre mystère,
Qui fui moult beau cl non pas laiz,
El estoit grande la matière;
C'estoil qu'en une grande chaire
11 y avoit un Roy assis,
El par grand verlu singulière,
Sur luy venoil.le Sainl-Espr.l.
Représentations faites s l'entrée du roi Touis XII, h Pa-
ris, le lundi second jour de juillet 1498 (895).
« L'eschaflaul de dessus la porte Saint-
Denis éloit honorablement fait, el com-
posé par Messeigneurs les prévôt et éche-
vins de la ville de Paris , dessus lequel éloit
un lys triomphant à sept fleurons, et au pied
du lys éloit habillé un personnage richement,
en habit royal, semé de fleurs de lys d'or.
Au premier des fleurons d'en bas à main
dextre étoit Noblesse habillée de drap de
soye violette et la tête garnie de fermeillets
dor à crépines et cheveux pendans; et de
l'autre côté éloit un autre personnage aussi
dedans le lys, nommé Humanité, habillé de
soye grise et avoit en sa tête une grosse per-
ruque à deux bosses, couvertes de fermeillets
d'or et pierreries, en la façon du teins passé,
en démonstrant que l'homme noble doit être
humain.
« Au deuxième fleuron du côté dextre
etoit un autre personnage nommé Richesse,
habillé de drap de soye jaune doré et la tête
connue une épousée, le plus richement qu'il
(893) Cérémonial français, [p. 214. 215 el 21G.
(894) Le Galiffre de Buidas nous esi inconnu, à
moins qu'on n'ait voulu entendie le Calife de Bag-
dad. On voit par ce personnage que nos ancêtres
avaient aussi bien que nous des joueurs de gobelets.
(S95i l.érémunul \i rinçais, pag. 240, 241, etc.
1379
ENT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ENT
1380
étoit possible ; et de l'autre Côté «Ju fleuron,
un autre personnage nommé Libéralité ,
véiu de soye blanche à deux cornes, en
la façon du temps passé, garnies de fer-
meillels et de pierres , démonslranl que
l'homme riche doibt estre libéral, etc....
« Plus outre devant l'église de la Trinité,
avoient fait faire les gouverneurs et confrè-
res de la confrairie de la Passion, un escha-
fàut, où étoit Abraham qui sacrifioit à Dieu
le Père son fils Isaac (896). Et à l'autre côté
de l'eschafaut le crucifiement de Jésus-
Christ: c'est à sçavoir Jésus étendu en la
croix entre deux larrons , Judas pendu ,
Aune, Caiphe, Pilate et plusieurs juifs re-
gardant le crucifiement: et couloit inces-
samment une manière do sang des playes
du crucifix (897).
« A la porte aux Peintres, avoil un esena-
faut, sur lequel avoit un monde, dedans le-
quel étoienl deux personnages, Bon-Temps
et Paix , et ménestriers, qui joùoient mélo-
dieusement: et autour dudit monde étoient
trois autres personnages, le Peuple françois,
Réjouissances, et le Bon Pasteur, lesquels
disoient :
Je suis de liait (808) menant réjouissance
A la venue du Bon Pasteur de fiance,
Paix et Bon-Temps il entretient au .Monde
Honneur, Louange, Triomphe eu lui abonde,
Dieu le préserve de mal et de souffrance, etc.
« Devant le chastellet de Paris avoit un
grand eschafaut, devant lequel avoit un pa-
villon de couleur jaune et violette, et au
milieu dudit pavillon avoit un lys où étoient
figurées et emprainles neuf portrailures de
rois. Le premier desquels Louis douzième
étoit au plus haut dudit lys, tenant un scep-
tre en sa main dexlre et de l'autre un baston
royal. Après lequel, en descendant , étoit
ligure Charles, ducd'Orléans, neveu et pero
de roy, tenant en sa main un espervicr. Et
au troisième étoit figuré Louis, duc d'Or-
léans, lils, frère, oncle et ayeui de roy (899).
El au ive degré étoit ligure Charles-Quint,
tenant eu sa main dexlre un sceptre et en
l'autre un bâton royal. El au V degré étoit
figuré le roy Jean, tenant en sa main le scep-
tre et halon royal. El au vr degré éloit li-
gure Philippe de Valois, tenant en ses mains
le sceptre et bâlon royal. Et au vu' degré
éloit ligure Charles, comte de Valois, lils,
frère, père de roy et oncle de quatre rois (900).
Et au vin* degré éloit ligure la poriraicture
du roy Philippe (901), tenant en ses mains
le sceptre et le bûton royal. Et au ix', et
dernier degré étoit tiguré Je roy saint Louis,
(896) Ceci n'est qu'une simple représenlaiion des
vipères de l'Ancien Testament.
(8iJ7) Nouvelle preuvede ceque nous avons avancé.
(85)8) Je suis de hait : je suis à mon plaisir. Clé-
ment Maroi, Epit. V.
Si l'un s'en rît, si l'autre est à son hait.
(899) Louis duc d'Orléans, qui fut assassiné à
P.iris par la faction du duc de Bourgogne, était lils
du roi Charles V, frère de Charles VI, oncle île Char-
les VII, et père de Chai les duc d'Orléans, père du
roi Louis XII.
m
tenant en ses mains le sceptre et bâton
royal, et chacun d'eux portant ses armes et
au côté dextre trois porcs épies.
« Au dedans dudit eschatfaut estoit un'roy
au plus haut en siège royal, et à main
dextre estoit bon Conseil, et àsenestre Jus-
tice, et sous les pieds dudit roy Injustice
couchée. Pareillement y estoit Puissance
armée tenant un voulge contre la poitrine
de Division: et estoient à l'enlour six au-
tres personnages, l'Eglise, le Peuple, Sei-
gneurie, Pouvoir, Union, et Paix. Ces choses
vues, ledit seigieur passa outre, et vint de-
vant le Palais-Royal: et y estoit utt autre
eschaflaut, que Messeigneursde la Chambre
des comptes avoient fait faire : auquel
eschaflaut estoient deux cerfs volans, qui
tenoient un grand escu de Franco timbré,
et au-dessous dudit escu, un porc epic au
pied, et deux ser| ens entrelassez, chacun
en un lys, jettant un enfant nud, et rouge
par la gueule: et aux deux cotez dudit porc
epic, les armes de Milan: et estoit escril ce
qui s'ensuit.
Salut, honneur et révérence
Au roy Louis le Bien Aimé,
Douzième de ce nom clamé,
Par éternelle Providence. »
Représentations faites à l'entrée de la reine Anne de
Itretigne, le l(J novembre 1^04 (Ù02).
« Laditte dame arriva à la porte S. Denis,
environ midy, sur laquelle porte y avoit un
beau et riche mystère d'un grand cœur, re-
présentant lecœurde Paris, auquel il y avoit
deux personnages, c'est à sçavoir Loyauté,
et Honneur; et esloil ledit cœur soutenu
par trois personnages, c'est à sçavoir, Jus-
lice, Clergé', et Commun: et y avoit un ac-
teur qui disoit ce qui s'ensuit, ele
« Item, h la fontaine du Ponceau y avoit
la représentation d'un petit Enfant nud, de
la hauteur de deux pieds ou environ, ri-
chement peint, par lequel couloit ladite
fontaine.
« Item, devant la Trinité y avoit un mys-
tère de la Transfiguration Noslre Seigneur,
et autres mystères de la Passion, qui furent
faits par les maistres de la Passion.
« llnn, à la vieille porte S. Denis, y avoit
un autre mystère des cinq Annes , qui
sont trouvées dans l'Ancien Testament ;
avec lesquelles on ajoûtoit Anne, noble
roine de France, pour les vertus et biens
qui sont en elle: et y avoit un personnage
pour déclarer les choses dessus dittes, qui
disoit en substance ce qui s'ensuit.
(900) Charles de Valois fils de Philippe le Hardi ,
frère du roi Philippe le Bel, père de Pnilippe de Va-
lois, et oncle de trois rois : Loiiis Hulin, Philippe le
Long, ei Charles le Bel. A l'égard du quatrième , il
est inconnu dans l'histoire, à moins qu'on ne
comprenne le jeune roi Jean, liis de Louis If util), qui
ne vécut que huit jours.
(901) Philippe lé Hardi.
(902) Tiré des registres de l'Hôtel de Ville.
ir,si
ENT
NOTICE SliK LE THEATRE LIBHE.
ENT
!38*
Cinq Dames soni au saint Escril trouvées
Nommées Annes, irès-jusles éprouvées.
Héléazar prit l'une en mariage,
Donl fol produit Samuel l'enfant sage.
La deuxième femme du vieil Tobie
De charité, et de piété remplie.
La troisième fut mère de Sara ,
Tobie le jeune par grâce l'espousa.
La quatrième propbélise fuldille,
Car la venue du Christ avoil préditte.
La cinquième fut mère de Marie
Vierge pucelle, qui le doux fruit de vie
Par grâce Dieu enfanta dignement.
Ces cinq Daines ont vertueusement
Durant leur temps régné sans quelque doute ,
Avec elles la sixième ou ajoute :
C'est Dame Anne noble Reine de Fiance ,
Qui son peuple préserve de souffrance.
« Item, à la fontaine S. Innocent, y avoit
un autre mystère des trois rots qui vinrent
adorer Nost're Seigneur, et autres mystères
qui furent faits par les frippiers.
« Item, devant le Chaslelet y avoit autres
mystères. »
Représentations faites à l'entrée de Marie d'Angleterre,
reine de France, dans la ville de Parts, le lundi
sixième jour de novembre 131 1 (*J03j.
« Item, à l'entrée de ladite ville, y avoit
un grand eschall'aut, sur lequel esloit un
gra.'id navire d'argent, voguant sur la mer,
dedans lequel estoit le roy Bacchus, tenant
un beau raisin, dénotant Plante de vins:
et une reine (90i) tenant une gerbe, déno-
tant plante de bleds: et aux trois mats dudit
navire au plus haut, estoient trois grosses
lunes dorées, dedans lesquelles estoient
trois personnages, les deux armez aux deux
bouts, tenant chacun un grand écusson,
cl celui du milieu un escu de France. lit
aux quatre bouts de laditle mer, estoient
quatre grands monstres souffla ns, dénotons
les quatre vents, uon\mezSubsolanus,Ausler,
Boreas, et Zcpliirus. Et dedans ledit navire
estoient des matelots et autres personnages,
lesquels chanloienl mélodieusement, et aux
deux bouts de ce navire, estoient les armes
de l'Hoslel de Ville.
« Item, à la fontaine du Ponceau, y avoit
un agréable jardin, dedans lequel estoit un
beau lys, et un rosier de roses vermeilles ;
et dans ledit jardin estoient trois jeunes pu-
eelles nommées Beauté, Liesse, et Prospé-
rité, et autour dudit jardin, estoit écrit :
Gratia prteveniens, et gratia jam data.
« //f/ti, devanl la Trinité avoit un cs-
chalfaut, sur lequel estoil le roy David, le
roy Salomon son Qls, avec ses chevaliers, la
reine de Saba, et cinq jeunes demoiselles;
laquelle reine portoil la paix à baiser audit
roy, lequel la remercioit humblement, et au
pied dudit eschaffaul esloit escrit, etc. . . .
« Item, à la porte aux Peintres avoit un
grand eschall'aut, au plus haut duquel estoit
le grand Pasteur, tenant le lys et le cœur
de France ; et au bas dudit eschall'aut
estoient un roy et une reine, ledit roy te-
nant en ses tanins un sceptre et un baston
(905) Tiré d'une Relation manuscrite, insérée dans
le Cérémonial français, p. 755, 754 et 755.
^9j4) Cérès.
royal, et ladilte reine lenant en une main
un baslon royal, et en l'autre une rose V' r-
nieille; et au-dessous estoient cinq jeunes
pucellcs, c'est àsçavoir, France, Paix, Ami-
tié, Confédération, et Angleterre, lesquelles
chanloienl mélodieusement ; et au-dessus
dudit roy, et de laditle reine, esloit escrit
ce (pli s'ensuit: Veni de Libano, sponsa meat
veni, et coronaberis.
« Item, devant S. Innocent avoil un grand
eschall'aut, et au plus haut estoient les
quatre Vertus, gardans le lys de Fiance, et
au-dessus esloit escrit ce qui s'ensuit, Mi-
sericordia et veritas custodiuntregemt et ro-
borabitur clementia ejus. VA au bas dudit
eschaffaul, esloit Dieu le Père, lequel fat—
soil monter au plus haut avec ledit lys, une
belle rose vermeille épanouye, dedans la-
quelle estoit une reine appelée Frant Ver-
gier, montant au trône d'Honneur. Et au
pied dudit dscliaffaUt estoit dame Paix, la-
quelle avoil mis et Ircsbuché la Guerre sous
ses pii ds.
« Item, au chastelet de Paris avoit un
grand eschaffaul, au milieu duquel estoient
dîmes Justice el Vérité, moi tans et des-
cendais du trône céleste sur la terre, et à
dexlre et à senesire estoient les douze pairs
de France; el au milieu dudit eschall'aut
estoit escrit ce qui s'ensuit : Veritas de
terra orta est, et Justifia de calo prospexlt.
El au bas dudit eschaffaul esloient cinq
personnages, au milieu desquels esloient
Bon-Accord, Stella Maris, Miner va Diana,
et Phcbus.
« Item, à la porte royale du Palais, avoit
un grand eschaffaul, au plus haut duquel
estoil l'ange Gabriel saluait la Vierge Marie,
en disanl, Ave, gratia ptena; et entre deux
avoit un beau lys, et au-dessous esloient
deux grands escus couronnez, c'esl à sçavoir
l'escu lie France, environné de l'ordre du
roy (905), et l'autre mi-party d'azur, et do
gueule semé de fleurs de lys d'or, et de
trois léopards d'or en champ de gueule,
bordé de roses vermeilles, et a dextre estoit
un grand porc epic souslenant aussi les
mêmes escus: et au bas dudit eschaffaul
avoil un beau jardin, nommé le Ver gier de
France, semé de plusieurs beaux lys; et au-
dessus de ce jardin estoient un roy et une
reine, et à dextre esloit dame Justice, lenant
une espée en sa main, et h séuestre es;oit
dame Vérité, lenant en sa main la Paix; et
dedans ledit jardin estoient plusieurs ber-
gers et bergères, lesquels chanloient mélo-
dieusement, et a dextre et séuestre de cet
eschaffaul estoil escril, elc. ... »
ISepréscniaiions faites à l'entrée de la ruine Claude a
Paris, le mardi douzième mai 1517 (906).
« Premièrement, à la porte S. Denis à
l'entrée de laditle ville avoit un eschaffaul,
el au plus haut esloit un ciel clos, et par
dessus une nuée, laquelle s'ouvroil, dont
sorloit une colombe, tenant une couronne
(995) C'é'ail l'ordre de S. Midiel.
^90(5) Tiré d'une Relation manuscrite insérée dans
le Cérémonial français, p. 75b' et 757.
1383
ENÏ
DICTIONNAIRE,
d'or, dénotant le 8. Esprit; laquelle colombe
descendoit au milieu dudit eschaffaut, où il
y avoit une jeune dame, représentant laditte
dame; et la colombe lui posoit laditte cou-
ronne sur son chef, puis s'en remontoit au
ciel ; et à dexlre et à sénestre de ladite dame,
estoient six dames du Vieil Testament,
nommées liachel, Rebecca,Esther, Lia, Sàrra,
et Lucresse, et au bas de cet eschaffaut
ostoient quatre autres dames; c'est à sçavoir,
Justice, Magnanimité, Prudence, et Tempé-
rance (907).
«De plus, h la fontaine du Ponceau ,
nommée la l'ontaine de la Reine, avoit un
beau jardin, et au milieu un lys et à dextre
et à sénestre une salamandre, et une her-
mine; et emprès (908) dudit lys esloit une
jeune dame, et deux jeunes pucelles, la-
quelle dame lenoit en sa main une pomme
d'or, dont il sailloit eau de tous coslez arro-
sant ledit lys.
« Devant la Trinité y avoit un eschafîaut,
sur lequel au plus haut estoient six person-
nages; sçavoir un roy couronné, une reine,
et deux jeunes damoiselles, et un nommé
Bon Conseil, tenant un papier; et l'autre Bon
Vouloir, tenant l'estendart de Vertu; et au
bas dudit eschaffaut estoit un beau jardin,
nommé le clos du Repos, au milieu duquel
estoit un lys que deux personnes gardoient ;
l'un se noramoit le Baston de Prouesse, te-
nant une lance, et l'autre le Baston de Con-
corde, tenant une e^pée.
« Item, à la porte aux Peintres, y avoit
un autre eschaffaut, sur lequel au [dus haut
esloit un grand soleil d'or, et dedans ledit
soleil, unejeune dame vcstuë de blanc, les
mains élevées au ciel, nommée Dame Cha-
rité ; et au-dessous estoient cinq déesses;
et au milieu estoit la dame des déesses, te-
nant un long baston; et au bout y avoit un
escu, auquel estoit pourtrailes les armes du
Pape et du roy de France; et à dextre et à
sénestre, estoient lesdittes quatre déesses:
et au bas de cet eschaffaut estoient six per-
sonnages, sçavoir le le Pape a main dexlre,
avec deux prélats en pontilicat (909), tenans
lasses, et présentons à boire au Pape (910);
et à sénestre esloil l'empereur, le roy, et un
nommé Ammatanus, tenant une tasse, et
présenlant à boire à l'empereur et au roy.
(907) L'auteur de la Relation de celle enlrée, in-
sérée dans le Cérémonial français , pag. 482 el 485,
ajoute tjue ces quatre Xerlus représentaient les
« quatre veuves qui régnent au royaume de France,
sçavoir Madame d'Angoulcme , meve du Roy, Ma-
dame d'Alençon, fille de Lorraine, Madame de Bour-
bon el Madame de Vendosme; aussi estoit au-dessus
de la nue escril ce qui en suit, Auendite a facie irœ
columbic. i
(908) Auprès.
(909) En habits pontificaux.
(910) L'auteur que nous venons de citer, rapporte
ceci un peu autrement: « Au bas dudit esch alla ut ,
.lil-il, estoient six grands personnages, le Pape à
dextre, el deux prélats tenans des lasses, dedans les-
quelles dislilloient d'une phiole, queleiioil au-dessus
d'eux un petit eid.inl nommé Tantatus , plusieurs
(e) Porcia.
DES MYSTERES. ENT 1384
« A la fontaine des Saints-Innocens esloit
dressé un eschaffaut, au milieu duquel y
avoit un grand chœur fermé, dedans lequel
estoient trois jeunes dames nommées,
Amour divin, Amour naturel, Amour conju-
#fl/(911);et au bas dudit eschaffaut, estoient
le roy David, la reine Abigaïl, et la reine
Lia, tenant en sa main une paix.
« Devant le Chaslelet de Paris, y avoit
un eschaffaut, sur lequel estoit un arbre à
trois branches; au milieu et au plus haut
duquel estoient un roy et une reine cou-
ronnez; représentans le roy François, nns-
tredit seigneur, el la reine Claude sa femme,
à présent regnanle; et à dextre et à sénes-
tre estoient au milieu et au bas plusieurs
autres rois et reines, ducs et comtes, dé-
monstrans la généalogie de laditte dame, et
la lignée dont elle est descendue.
«Item, devant la porte royale du Palais-
Royal du roy noslre sire, y avoit un eschaf-
faut, dedans lequel estoient au plus haut
trois personnages, sçavoir un roy couronné,
représentant S.- Louis, et une dame repré-
sentant la reine Blanche sa mère; et une
autre dame tenant une espée, représentant
Dame Justice : et au bas dudit eschaffaut
estoient trois autres personnages ; un Avan-
turier tenant une lettre; un Laboureur por-
tant une houë sur son col; el un Pauvre
mendiant tenant une requeste h dextre, et à
sénestre deux escus, l'un aux armes de
France, et l'autre mi-parti aux armes du
roy et de la reine; et plusieurs chantres,
lesquels chantoienl mélodieusement. »
Représentations faites à l'entrée de la reine Eléonore
d'Autriche, sœur de l'empereur Charles Quint, et se-
conde femme de François premier, à Paris le jeudi
seizième jour de mars 1530 (912).
« Et pour honorer et récréer laditte darne,
on avoit fait cl dressé plusieurs eschaffauts
avec mystères et figures, par les lieux où
elle devoit passer.
« Premièrement, un à la porte Saint-De-
nis, où il y avoit un mystère de Paix et
Accord, avec autres Vertus et personnages,
qui présentèrent les clefs de la ville à la-
ditte dame. A la fontaine du Ponceau y en
avoit un autre, où se présentoit une moris-
que (913) de satyres, dansans autour de la-
ditte fontaine: et au derrière sur deux au-
royons d'eau. > (Cérémonial français, p. 482.)
(911) L'auteur cité ci-dessus écailreitce passage,
ajoutant « qu'au has dudil escliall'aiil esloil le roi
David, el devant lui à genoux une dame nommée
Abigaïl, laquelle lui présentent plusieurs vivres , et
présens, et esloil dioilement sous Amour divin.
Sous Amour conjugal estoient deux dames, c'est à
sçavoir Julia, tenant une paix, en laquelle estoit fi-
guré le Monde; l'autre dame cstoil nommée Phor-
cia (a), qui lenoit un plat plein de charbons ardents,
qu'elle prenoit en sa main, et les avaloit. Dessous
Amour naturel, esloil un prince nommé Cariolanus
(b) el devant luy une <îame veuve luy monslrani les
mammclles. i (Cérémonial français, p. 483.)
(912) Cérémonial français, p. 502.
(.915) Celte danse étail ordinairement accompa-
gnée de récits de chant.
(b) Coiiulaims.
1385
ENV
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
EXT
13^8
très petits eschaffauts, esloient plusieurs
Vertus et personnages partons, et donnans
louanges à laditte dame. Devant l'église de
la Trinité y avoit Une bergerie moraliser,
avec plusieurs autres personnages sur un
autre eschaffaut. A la porte aux Peintres
esloient les neuf Muses, joiians de tous i:is-
trumens, harmonieusement, avec plusieurs
autres personnages. A la fontaine S. Inno-
cent y avoit un autre mystère des quatre
Estais, ausquels nne dame d'honneur don-
noit la paix. A la porte du Chastelet, qu'on
dit autrement la porte de Paris, estoit un
grand mystère plein de plusieurs person -
nages, signilians et représentons la reddi-
tion de Messeigrieurs les Dauphin et duc
d'Orléans, entons du roy (914).» — (Cf.
Histoire du théâtre français; Paris, 1735, in-
12, 15 vol., t. III, p. 163.)
ENTREPENEUR DE SPECTACLES (L')
M. Magnin a publié dans la Bibliothèque
de l'Ecole des Chartes '(Paris, 1839-1840. gr.
in-8% t. Ier, p. 517-535, des fragments d'une
pièce de théâtre qu'il date du vu* siècle. Ce
serait, selon le savant critique, un des pre-
miers monuments du théâtre moderne, issu
de l'ancien, par la tradition et aussi par
l'association du mime italique au barde ger-
main. Ces fragments sont un dialogue entre
Térence et un entrepreneur de spectacles. Ils
sont conservés dans le manuscrit latin de
la Bibliothèque impériale, n° 8069. Leur
date est fixée par la barbarie de la syntaxe
et de la prosodie qui indiquent une époque
postérieure au moins d'un siècle à Fortunat;el
parles imitations nombreuses quoique mal-
habilesdes poëlesanciens, notammenlde'fé-
rence, Ovide et Virgile, qui confirment cette
donnée, car il faut chercher une époque pos-
térieure au vr siècle , et antérieure à l'é-
clipse totale des lettres qui précéda le
règne de Charlemagne. Le manuscrit, d'ail-
leurs, semble du x' siècle; il est au plus
tard du xi*.
Selon M. Edelestand Duméril, le Dialogue
anonyme entre Térence et un entrepreneur de
spectacles semble bien plutôt une déclama-
tion philosophique contre le théâtre ancien
que le prologue d'une pièce représentée au
vu* siècle. (Cf., Orig. la t. du th. rnod.;
Paris, 1849, in-8°, p. 21.)
ENVYE, ESTAT ET S1MPLESSE. -
Envye , Estât et Simplesse, moralité à trois
personnages , c'est à scauoir :
ENVYE,
ESTAT ,
F.TjSIMl'LESSE.
Celte pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Francisque Michel, dans leur
(914) Celle entrée, comme on peut en juger aisé
ment, fui Tune des mieux entendues, et des mieux
exécutées. Oulre que le goût s'éïait beaucoup épuré,
c'est qu'on avait encore eu le soin de faire choix des
plus habiles gens de ce temps, et nous apprenons par
les registres de l'hôtel de ville, que les maîtres de
la Passion de la Trinité, les maures de la Trinité en
l'église des Saints-Innocents, les maîtres des mystè-
res, maitie Jean du Po:ii A lais, Mcssirc Mathéc et
ses compagnons décorateurs et peintres italiens y
Diction n. des Myst.Ves.
Recueil de farces (Paris , Téchener, 1831-
1837, 4 vol., petit in-8'j , d'après le manus-
crit du xvie siècle de la Bibliothèque impé-
riale (fonds La Vallière, n° 63).
SI MM. ESSE.
nmbiemenl à tous je surviens;
bslat, escoute ma parole :
Iamais Lnuye ne valut riens ;
Tous ses dis ne sont que friuole;
El court et voile
Pour tous decepuoir...
ERBERIE RUSTEBUEF (L'). — Voyez
Herberie de Rutebeuf (L').
ESMORÊE. — Une traduction d'Esmorée
a été publiée sous ce litre : Le jeu d'Esmo-
rée, fils du roi de Sicile, drame du xin* siècle,
traduit du flamand (915) , parE.-P. Serrure ,
Gand, imprimerie de D. Duvivier fils, 1835,
in-8% de 35 pages, plus un feuillet de titre.
M. Magnin a cité ce drame sous la même
date du xin* siècle, dans son cours à la Fa-
culté des lettres. (Cf., Journ,gén. del'instr.
publ., 1836, 14janv., p. 172.)
M. Edelesland Duméril traite VEsmorée
de pièce purement littéraire ; il en déprise
l'influence sur le temps où elle parut. (Cf.
Orig. lat. du th.mod.; Paris, 1849, in-8" ,
p. 36.)
ÉTÉ ET L'HIVER (L). — Voy. Prin-
temps et l'Hiver (Le).
ÈTHOPEE DRAMATIQUE (L).— M. Ma-
gnin cite, sous la date de 1341 , en Orient ,
VEthopée dramatique, dialogue entre la
liaison et Phile, sur les vertus de Jean Can-
lacuzène qui , en 1346 , usurpa l'empire.
L'Ethopée est du poète Phile, et paraît com-
posée pour quelque fête de patois. ( Cf.,
Journ. gén. de l'inst. publ., 1836, 3 janvier,
p. 150.)
EXTRAVAGANT (L).— Ausone(Ep. 11),
cite en ces termes VExtravagant d'Axius Pau-
lus : « Delirus tuus in retenui non tenuiter
laboratus : ton Extravagant, qui, malgré la
légèreté du sujet, n'est pas une œuvre lé-
gère... »
On s'est accordé à voir dans ces mots la
mention d'une comédie, la lettre d'Ausone
remémorant plus bas les planipèdes, les mi-
mes , les comédiens et les histrions , et une
autre lettre au même Paulus parlant de co-
médies.
Axius Paulus était Gaulois et vivait au
iv' siècle.
M. Edeiestand Duméril est d'avis que
VExtravagant , malgré sa forme dialoguée,
n'était certainement qu'un mime. (Cf., Ori-
gines latines du théâtre moderne; Paris, 1849,
in-8°, p. 13).
furent employés. (Cérémonial français, p. 181.)
(915) Cf. pour le vieux ihéâtre allemand: 1° Hoff-
man von Fallersleben , Altniederlaendisclie Schau-
buelme. A bêle Speleii ande Sotlernien. Ilerausgege-
ben; Bresluu, 1838, in-8°. — 2° Du même auteur,
Ilorœ Belgicœ (parsquinta) ; Een Spel van Lanstoot
van Dencmerken ende die scone sanilrijn. — 3° Mone,
iebeniclit der ISiederlaendischen Volks-Lileratur
aellerer Ze.il ; Tubingen, 1838, gr. in-8", p. 351-368.
44
1 3dV
FAK
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
FFH
r.ss
FANFRELUCHE ET G AUDICflON. -Il a
été donné , au xvr siècle , une édition de
Fanfreluche, sous ce litre : La tragi-comédie
plaisante et facétieuse, intitulée la Subtilité
de Fanfreluche et Gaudichon; Rouen, Abr.
Gousturier. M. de Montaran a réimprimé
cette farce. — Voy. Collection Caron et
Recueil de livrets , par M, de Montaran.
FARCE JOYEUSE ET PROFITABLE A
UN Cil ASC UN ', CONTENANT LA RUSE... d'auS-
CUNES FEMMES. — Foj/.RUSE DES FEMMES (La).
FARCES. - Dans le tome III de \eur His-
toire du théâtre français (p. 163), les frères
Parfait font sur les Farces les réflexions
suivantes :
L'invention des farces leur paraît posté-
rieure à eelle des mystères et des moralités.
« 0n ne peut disconvenir, disent-ils, que
les auteurs de ce spectacle n"aient plus ap-
proché que les autres du vrai comique :
ajoutez qu'on ne saurait les accuser d'être
plagiaires et d'avoir pillé les poètes grecs
et latins, qu'ils ignoraient parfaitement ; on
doit leur accorder la gloire de n'avoir fait
que suivre leur propre génie , qui , sans le
secours de la science ni des modèles, les a
portés à composer un nouveau genre de co-
médie, inconnu jusqu'alors , et dont il est
certain que l'invention est due à nos an-
ciens poêles français. Il est aussi constant
que c'est sur ces "anciennes farces (916), et
en quelque sorte pour nous en dédommager
sans qu'on doive les regretter, que les poètes
du dernier siècle ont composé des petites
pièces d'un acte,
« Il n'est pas aisé de marquer au juste en
quel temps ce genre de poésie parut pour
la première fois; et s'il est difficile de fixer
l'époquedes mystèresetdes moralités, il l'est
encore pius d'établir celles des farces , dont
nous n'avons connaissance que vers la fin
du xv' siècle Les auteurs qui travaillaient
alors pour le théâtre composaient des piè-
ces qui souvent n'étaient pas données au
public, ou n'étaient représentées quo long-
temps après par les confrères de la Passion,
les Enfants sans souci, les Histrions (917)
ou les Clercs de la Bazoche, quoique ces
derniers donnassent leur spectacle moins
communément que les autres.
« Pour revenir aux farces, elles furent,
comme on le vient de dire, jouées par les
Enfants sans souci qui s'en servaient pour
(916) < Or n a tarce qu'un acte de comédie, ei la
plus courte est esliuiéela meilleure, alin deviier l'en-
nui, qu'une prolixité et longueur, apporteroienl aux
spectateurs. Car, comme dit Gralian Du Pont, en son
Art de Rhétorique. Quand farces ou sottises passent
cinq cens vers, c'est trop. » (Du Verdier, Bibliothè-
que française, pag. 427.)
(917) Duvcrdier, page 427 de sa Bibliothèque fran-
çaise, a confondu mal à propros les Enfants sans
souci avec les Histrions, puisque ces derniers n'é-
laie-iu autres que des comédiens de province, qui
parurent quelquefois à Paris, sur la fin du xvi*
siècle , ei s'y établirent enfin à l'Ilote! de Bourgogne...
terminer leurs jeux. Duverdier nous assure
que de son temps il était difficile de donner
un catalogue des farces, dont le nombre
était d'autant plus grand qu'une infinité de
personnes s'étaient mêlées d'en composer.
Cependant, aujourd'hui elles sont très-rares.
II y a apparence que le peu de cas qu'on en
faisait, avec assez de raison, et le peu de
goût des siècles précédents sont cause qu'on
en voit si peu.
« Nous venons de dire que les anciennes
farces ont donné lieu aux comédies d'un
acte: ajoutons à cela qu'elles furent très-
longtemps à la mode et même très-avant
dans le dernier siècle... Terminons ce dis-
cours par un passage de La Porte, pris de
son Livre des Epithètes. Voici celles qu'il
joint au mot Farce : joyeuse, histrioni-
que (918), fabuleuse, enfarinée (919), morale,
récréative, facétieuse, badine, française (920),
nouvelle (921). »
FECISTI (Frère). — On connaît une
édition de la fin du xvr siècle de Frère
Fecisli, intitulée : La Comédie facétieuse et
très plaisante du Voyage, de Frère Fecisli en
Provence, vers Nostradamus, pour sauoir
certaines nouuelles des clefs de Paradis et
d'Enfer que le Pape auait perdues ; Nismcs,
1599.
M. de Montaran a réimprimé Fecisli. —
Voy. Collection Caron et Rkcueil de li-
vrets, par M. de Montaran.
FEMME ET LE BADIN (La). - La femme
et le badin farce nouuelle à v. personnages^
c'est a scauoir :
LA FEMME ,
LE BADIN,
SON MARY,
LE PREMIER VOUESIN
ET LE DEUXIÈME VOUESIN.
Cette pièce, dont l'extrême licence et la
trivialité nous interdisent toute citation, est
conservée dans le manuscrit du xvr sièelo
de la Ribliothèque impériale (fonds La Val-
Hère, n° 63) ; MM. Leroux de Liney et Fr.
Michel l'ont éditée dans leur Recueil de
Farces (Paris, Téchener, 1831-1837, 4 vol.
petit in-8°).
FEMMES QUI AT MENT MIEULX....
(Les). — Voy. Folconduit.
FEMME QUI DEMANDE... (La). — la
femme qui demande, etc., est d'une telle li-
cence de langage qu'il est impossible de rien
citer de cette farce immorale. Réimprimé*
(918) Cet adjectif est donné à cause de i espèce
de comédiens qui les représentaient, et qu'o;i ap-
pelait vulgairement histrions.
(919) Les acteurs qui jouaient les farces avaient
coutume de se frotier le visage de farine.
(920) Les épithèles de morale, etc. font assez con-
naître le but de ces ouvrages : à l'égard de celle de
française , elle lui a été donnée à cause de la nation
à qui elle doit son invention.
(921) Cet adjectif se donnait assez ordinairement
aux farces. Voyez plus haut les litres de celles des
Deux Savetiers , et de la Cornette.
1389
FEM
NOTICE SUR LE THEATRE LIHRC.
FIL
13.10
à Paris, en 1612, chez Nicolas Roussel, elle
l'a été de nouveau dans la Collection 'Caron.
— Yoy. Coll. Caron et Recueil de Roussel.
FEMMES SALEES (Les ). —Celle pièce
a été examinée par les frères Parfait, sous
la date de 1558, dans leur Histoire du théâtre
français ( t. 111, p. 305) ; ils en ont dit :
« Cette farce, qui est imprimée en carac-
tères gothiques, nous a semblé être du nom-
bre de celles que les Enfants sans souci
jouaient sur les échafauds, en certains en-
droits de la ville de Paris (922).
« Marceau, qui a épousé une femme qu'il
Irouve trop douce, en porte sa plainte à son
ami Julien, qui se trouve dans le même cas.
Ces époux cherchent un moyen pour corri-
ger ce défaut.
MARCEAU.
Tout de ce pas nous en irons
A maistre Macé, lequel est
Grand philosophe, s'il luy plaist,
Aigres les fera toutes deux.
Julien applaudit au conseil et sort avec
Marceau. Arrive Maître Macé, qui, dans un
court monologue, dit que toute sa magie
consiste à tromper les'dupesqui s'adressent
à lui, et que par ce moyen
II a force argent amassé.
« Marceau et Julien viennent exposer à
Maître Macé le chagrin qu'ils ont d'avoir des
femmes trop douces.
M' MACÈ.
Il les faut saller seulement.
JULIEN.
Saller? Que dic(es-vous? Comment
Seroient-elles aigres à ce point?
M» MACÉ.
Qui leur bailleroit sel à point,
On les amanderoit vrayment.
Sçavez-vous par certainement
Que quand les vivres sont trop doux,
Soit en chair, potage ou choux ,
H les faut saller bravement.
MARCEAU.
Or ça, les sçauriez-vous saller.
Qui bon argent vous donneroit?
M« MACÉ.
Amenez-les-moy, amenez.
« Les deux maris donnent une pistole à
Maîlro Macé et vont chercher leurs femmes,
et après l?s avoir présentées au docteur,
ils les laissent avec lui. Maître Macé, après
s'être moqué :1e Marceau et de Julien, con-
seille à leurs femmes de n'être plus si dou-
ces avec eux et de se rendre les maîtresses.
Les femmes promettent de suivre son avis.
MARCEAU.
Voicy ta femme, avec la mienne
Qui reviennent drues , et saines.
(92"2) Quoique nous ayons cru devoir donner à
ecit« farce le liire des Femmes sallées, comme celui
qui nous a paru y convenir, cependant le titre qui
est à la première page porte simplement: Discours
Facétieux des Hommes qui fanl suller leurs femmes à
cause quelles sont trop douces , lequel jeu se joue à
gillette , femme de Marceau.
Sont vos fortes fièvres quarlaines,
Vilains et gaudisseurs infâmes :
Faites-vous donc saller vos femmes
Pouiyacquérii' un déshonneur.
Françoise, femme de Julien.
Malheureux! esles-vous sans cœur!
Estes-vous sans entendement,
De nous bailler vilainement
Comme des tripes à saller.
« Gillette et Françoise battent leurs maris
et s'en vont, en les menaçant de recommen-
cer de temps en temps.
MARCEAU.
Je suis de ce coup mal conteRt.
Le Diable emporte le sallage.
« Marceau et Julien courent chez le doc-
teur Macé et lui rendent compte de l'effet
de son remède et en demander.! i.r. autre.
MACÉ.
Les douces je sçai bien saller,
Mais louchant de dessaller point.
MARCEAU.
Le Diable vous en fit inesler.
JULIEN.
Nous voici donc en piteux point.
Or bien , il nous faut endurer,
Sans aucunement murmurer.
Ainsi celui ne se contente
D'une femme douce et plaisanle,
Qui faicl un bonneste devoir,
Mérite (comme vous avez peu voirj
D'en avoir une iort'fasctieuse,
Mal plaisant* et mal gracieuse :
Et vous en veuille souvenir. *
Adieu , jusqu'au revenir.
FEMME VEUVE (La). — La femmeveme,
farce dniï. personnages, c'est à scauoir :
robinet , badin. et l'oncle michact, onett
la femme vefue , de llobinel.
la commère ,
Cf. le manuscrit du xvr siècle de la Bi-
bliothèque impériale (fonds La Vallière ,
n°63); et le Recueil de farces publié par
M.M. Leroux de Lincy et Fr. Michel (Paris,
Téchener, 1831-1837, 4 vol. pet. in-8°).
FESNE ( La soeur ). — Yoy. Soeur Fesne
(La).
FEUILLEE. FUELLIE (Li jus de la).
— Voy. Adan (Lijus).
FILLES ET LES DEUX MARIÉES {Les
deux). — La Comédie des deux filles et des
deux mariées .a été analysée par les frères
Parfait {Hist. dulh.fr., t. 111, p. 196), sous
la date de 1344.
PERSONNAGES :
LA vieille,
le vieillard,
quatre jeunes hommes.
LA lr" FILLE.
LA II» FILLE.
LA 1" FEMME MARIÉE.
LA 11* FEMME MARIÉE.
« Deux jeunes filles, dont la première ne
cinq personnages. A Rouen, chez AhFaham Cousle-
lier, libraire, tenant sa boutique près la Grand'
Porte du Palais , au Sacrifice d1 Abraham. — Cette
pièce a été réimprimée en 1850, à Paris chez. S:!-
vestre; on en a lire seulement 42ex.5 surpayiez le
Hollande, papier de Chine el vélin.
■1591
FIL
MCnONNAlUL Di:S MYSTERES.
FOL
1592
veut point aimer et 1 autre a un amant, pa-
raissent sur le théâtre, chacune d'elles sou-
tenant que sa situation est préférable à celle
<le l'autre. Arrivent deux femmes mariées,
dont la première est aimée par un jeune
homme. Quoiqu'elle ne réponde point à son
amour, elle ne laisse pas d'éprouver l'hu-
meur jalouse de son mari. La seconde aime
son mari uniquement; mais par malheur
pour elle l'inlidélilé de cet époux la jette
dans le désespoir. Pendant que ces deux
femmes se racontent leurs peines mutuelles,
les jeunes tilles s'approchent pour apprendre
le sujet de leurs larmes. Sur ces entrefaites,
paraît une vieille, âgée de cent ans, dont
elle en a passé vingt dans le célibat, autant
dans l'état du mariage et soixante depuis la
mort de son époux. Les quatre personnes
ci-dessus vont l'aborder et la prient de leur
donner conseil sur leur situation.
« La vieille, après les avoir écoutées très-
attentivement , dit à la première mariée
qu'elle prenne patience, que le temps eff.i-
cera la jalousie île l'esprit de son mari; mais
qu'au cas qu'elle ne puissepas attendre l'eff. t
du temps, elle lui conseille d'écouler plus
favorablement son amant. Elle excite la se-
condée prendre exemple sur son infidèle et
à se dédommager avec un amant du mépris
qu'elle reçoit. A l'égard des deux tilles, elle
prédit à là dédaigneuse qu'un jour l'amour
se vengera de ses froideurs, et dit à la se-
conde qu'elle doit s'attendro à perdre son
amant et à souffrir un tourment d'autant
plus insupportable, qu'il surpassera le plai-
sir passé. Ces quatre personnes ne voulant
point ajouter foi à ces prédictions, traitent
la vieille de folle. Un vieillard s'approche
pour tâcher de leur faire entendre raison.
LE VIEILLARD
Dames, si je ne suis deceu ,
Trop grandement vous fourvoyez ,
Dont cesle daine ne croyez.
« Comme la dispute s'échauffe, qualre
jeunes hommes attirés par le bruit viennent
offrir leurs services pour Je faire cesser.
LE I" HOMME.
Que veult ce vieillard à ces dames?
Qu'il est caduc , et defailly !
LE 11* HOMME.
Pensez qu'il veult sauver leurs âmes
Sam que de nous soit assailly?
LE IIIe HOMME.
Pas n'aurons le cueur si failly
Que d'un vieillard pousser et battre
LE IVe HOMME.
Menons-les danser toules qualre
Et vous les verrez bien lencer.
LE VIEILLARD.
Tenccr? Mon, mais bien vous combattre,
Ma vieille, et moy de bien danser...»
FUS ET V EX AMYNATEUR (Le). — Le
fiU et Vexamxjnateur, farce noinic lie à m. per-
sonnages, c'est a scauoir :
la mère , preslre,
le filz , lequel veult estre et l'examynatelr.
Cette farce a été éditée par MM. Leroux
de Lincv et Fr. Michel, dans leur Recueil de
farces (Paris, Téchener, 1831-1837, 4 vol.
pet. in-8"), d'après le manuscrit du xvie
siècle de la Bibliothèque impériale (fonds
La Y'allière, n° 63).
FILS SANS PÈRE (Les). — les frères
Parfait ont donné, sous la date de 1500, la
note suivante, d'après Borel :
Farce des fils sans père, et de Colin changé au
moulin.
« Nous ne connaissons que le titre de celte
farce, dont Borel dit avoir fait usage, lors-
qu'il composa son Trésor, Recherches et An-
tiquités gauloises et françoises. Nous lui au-
rions pins d'obligation s'il nous avait Fait
connaître plus particulièrement un ouvrage
dont le litre seul excite la curiosité et semble
promettre une intrigue des plus divertis-
santes. »
FLAURA. — De Roquefort mentionne la
tragédie de Flaura comme appartenant à
Guillaume de Blois. (Cf. De l'état de la poé-
sie fr. dans les xn' et xin' siècles; Paris, Four-
nier, 1815, in-8°, p. 257. )
M. l'abbé de Larue croit que Flaura fut
écrite en latin; mais celle prétendue tragé-
die n'était peut-êlre qu'un récit, comme la
Divine comédie du Dante. (Cf. Essais hist.
sur les bardes, les jongl. et les tr. norm. et
anglo norm.; Caen, Mancel, 183'*, in-8",
t. 1er, p. 186-187.)
Selon M. Magnin, la tragédie perdue de
Flaura et Marco , par Guillaume de Blois ,
serait l'un des produits de la renaissance
littéraire, de la littérature érudite du xn*
siècle ; il lui semble douteux que cette pièce
ait été représentée, sauf peul-être dans les
universités. ( Cf. Journ. gén. de.l'instr. publ..
1835, 29 nov., p. 67.)
FOL ET DU SAGE (Dialogue du).—
Le Dialogue du Fol et du Sage, imprimé d'a-
bord au xvie siècle, à Paris, chez Simon Ca-
luarin, sans date, a été réimprimé diverses
fois: 1° Pour la Société des Bibliophiles
français, chez F. Didot, en 1829, gr. in-8°,
de »l pages, plus trois pages contenant
une addition; cette publication a élé diri-
gée par M. Mommerqué. — 2° En 1833, à
Paris, chez Silvestre, petit in-8° ; il a été
tiré quarante exemplaires seulement de
cette copie figurée, dont dix sur papier de
Hollande et quatre sur papier de Chine.
Cette pièce ne remonte très-probablement
pas au delà des dernières années du xv'
siècle.
FOLCONDUIT. — On trouve dans le Re-
cueil de Roussel, de 1612, la farce suivante,
en vers, malheureusement mise « en meil-
leur langage qu'auparavant. »
La farce nouuelle des femmes qui aymeni
mieulx suiure et croire Folconduit et vivre
à leur plaisir que d'apprendre aucune bonne
science, à iv personnages; c'est à scauoir :
1395
CAL
OTIŒ SUR LE THEATRE LIBRE.
GAU
1394
LE MA1STRE ,
TOLCONDUIT,
PROMPTITUDE,
ET TARDIVE A BIEN FAIRE.
Foiconduit commence par ces vers :
LE MAISTRE.
le tiens icy le grand collège
D'humaine et diurne science
celle fin que ie soulage
Par mon scauoir la conscience...
Voy. Collection Caron et Recueil de
Roussel.
FORTUNE ( Le jeu de la ). — M Edcles-
fand Duméril a mentionné, sous la date de
l'an 1506, le Jeu de la Fortune. (CL Orig.
lat. du théâtr. mod.; Paris, 18i9, )'n-8°,
p. 56.)
FRERE PHILIBERT. — Voy. Philibert
(Frère\
G
GALANT (Le). —Il a été donné au xvn*
siècle une édition du Galant sous ce titre :
Farce ioyeuse et récréation du Galant qui a
faict le coup. A quatre personnages ; à Paris,
1G10. De 25 pages plus deux contenant une
chanson nouuelle.
G AL ANS ET SANCTE (Les deux). — Les
deulx Gallans et une femme qui se nomme
Sancte, farce à m. personnages, c'est à scauoir:
DEULX GALLANS,
ET UNE FEMME qui Se nomme SANCTE.
Ce petit dialogue a été édité par MM. Le-
roux de Lincy et Francisque Michel , d'a-
près le manuscrit du xvi* siècle de la Biblio-
thèque impériale (fonds La Vall. , n° 63) ,
dans leur Recueil de Farces (Paris, Téche-
ner, 1831-1837 . i vol. pet. in-8°).
LE DEUXIÈME GALLANT.
Nous désirons une aléance
Pour auoir suporl et amys.
Alïin que le bon roy de France
Congnoise tous ses bons amys.
LA FEMME.
Je prie a Dieu de Paradis
Que toute guerre soil finée
Marchans seront en ioie remys,
De quoy ie seray consolée...
GALANTS (Les trois) ET UN BADIN. —
j^es troys Galans, farce nouuelle à mi. person-
nages , c'est a scauoir •
LE PREMIER GALANT
LE DEUXIÈME id.
LE TROISIÈME GALANT,
ET UN BADIN.
Cette pièce est conservée dans le manu-
scrit du xvi* siècle de la Bibliothèque impé-
riale (fonds La Vallière, n° 63); MM. Le-
roux de Lincy et Fr. Michel l'ont éditée
dans leur Recueil de Farces (Paris, Téche-
ner , 1831-1837 , i vol. pet. in 8°).
le badin « rivé qu'il était pape
Ouy, par ma foy, ie Fay esté..
Car i'ai faict faire rasemblee
Des princes cresiiens que menoye
Sur les Turs...
De Pape il est devenu, dans un autre
songe , Dieu lui-môme , et il réforme l'uni-
vers , au grand contentement de ceux qui
l'écoutent , jusqu'à ce que, se moquant de
lui môme , il déclare qu'il faut être un sot
pour rôver l'impossible.
GALANS , LE MONDE ET L'ORDRE
( Les trois ). — Les trois Gallans , farce
ioyeuse à v. personnages , c'est à scauoir :
TROIS GALLANS, ET ORDRE.
LE MONDE Q'o.n FAICT PAISTRE ,
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel ont édité cette farce dans leur Recueil
de Farces (Paris, Téchener, 1831-1837, 4
vol. pet. in-8°) , d'après le manuscrit de la
Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
n° 63) , datant du xvi* siècle.
Les Galans abusent du Monde , mais Y Or-
dre vient à son secours :
ORDRE.
... le me faiclz Ordre nommer :
Que ceulx qui me veulent aymer
le maine a règle et a compas.
LE PREMIER GALANT.
Ordre, ie ne vous cognoys pas.
ORDRE.
e vous en croys sans en iurer..
GALANTS (Les trois) ET PHLIPOT. —
Les troys Gallans et Phlipot , farce ioyeuse a
iv. personnages , c'est a scauoir :
TROIS GALLANS
ET TIILIPOT.
Cette farce est conservée dans le manu-
scrit de la Bibliothèque impériale (fonds
La Vallière , n° 63) , datant du xvi' siècle ;
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de Farces (Paris ,
Téchener , 1831-1837 , h vol. pet. in-8").
Nous relevons dans Les troys Gallans t*
Phlipot ce passage curieux :
LE TROISIÈME (GALANT).
Au quel métier as-tu ciedicl?...
PHLIPOT.
le vouldroys bien eslre le Roy :
C'est un mestier qui est bonuesle
le le vouldroys bien.
LE DEUXIÈME
Y n'est pas beste.
PHLIPOT.
C'est le plus beau desus la terre. !
Mais quant a mestier de guerre...
le n'en vouldroys point.
GAULE (La). — Le manuscrit de >a Bi-
bliothèque impériale, n° 7218, 2, in-folio
parvo , fonds de Mesmes , n° 563 , et datant
du xvi' siècle , contient une Tragicomédie
en cinq actes de la gaule obtenant du jeune
roi Charles IX la fin de ses misères. L'auteur
de cette pièce qui date des premières années
du règne de Charles IX (vers 1560), et qui
fut représentée , est resté inconnu. (Cf.
Paulin Paris , les Manuscrits françois de la
Bibliothèque du Roi; Paris, 1836-18'«8 ; 1
vol. in-8° t. VI , 18'i7, p. V16.)
«395
G EN
DICTIONNAIRE DES Ml STERES.
GAULTIER- G ARGU1LLE. — Il existe
une édition du xvi* siècle de La farce de la
Querelle de Gaultier-Garguille et de Perrine
sa femme, avec la -sentence de séparation
entre eux , rendue (à Vaugirard , par Acion ,
à l'enseigne des Trois-Raues) ; le livret en
prose n'a que 16 pages.
Une réimpression a été exécutée à la fin
du xvme siècle par les soins de Caron. —
(Voy. Collection Caron.)
GENTILSHOMMES ET LE MEUNIER
(Les deux). — La farce nouuelle a vi. person-
nages, c'est ascauoir :
G ET
LE GENTILHOMME.
131)6
DEULX GENTILSHOMMES,
LE MOUNÏER,
LA MOUNYERE,
et LES DEUX FEMMES DES
DEULX GENT1LZ HOMMES,
ubillees en damoyselles.
Pièce éditée d'après le manuscrit du xvr
siècle de la Bibliothèque impériale (fonds
La Vallière, n° 63), dans le Recueil de Farces
(Paris, Téchener, 1831-1837, k vol. pet.
in-8°) de MM. Leroux de Lincy et Fr. Mi-
chel.
Le meunier et la meunière s'entendent
pour emprunter de l'argent aux gentils-
hommes amoureux, qui le prêtent en effet ,
souspromessed'obtenirleurs vœuxdela b o 1 1 e ;
ïuais le meunier veille : il envoie quérir les
femmes des gentilshommes et en obtient, au
nez des séducteurs, des faveurs dernières dont
ceux-ci n'osent faire de bruit, de crainte que
leur propre mauvaise intentionné soit connue.
Ils sont pris cependant par le fin meunier,
et, pour échapper à ses mains-, y laissent
les quittances de leurs créances. Cette pièce
immorale au fond , dans les détails, dans
les expressions , se termine par ces mots :
LE MOUNÏER.
le prens conge de l'assislence
Sy peu que mon sauoir contient
El diclz pour louie récompense :
Qu'a trompeur iromperye luy vient.
GENTILHOMME ET SON PAGE. (Le)--
La farce ioyeuse a n. personnages, c'est
tcauoir :
UNG GENTILHOMME ,
son page lequel deuyent laques (devient laquais).
est conservée dans le manuscrit du xvr siècle
de la Bibliothèque impériale (fonds La Vall. ,
n° 63) , éditée par MM. Leroux de Lincy et
Francisque Michel {Recueil de farces, mora
lilés , sermons joyeux, etc.. Paris, Téche-
ner, 1831-1837 , petit in-8° , k vol.).
le gentilhomme commence.
Mon page !
le page.
Qui fut et qui n'est plus.
LE GENTILHOMME.
Pour quoy?
LE PAGE.
Je veulx changer de maistre.
LE GENTILHOMME.
La raison?
LE PAGE.
\ous estes reclus...
M'a lu pas veu porter l'oyseau
El lenir train de gentillesse?
LE PAGE.
Oui dea ï par hardiesse
Mais c'eslouenl poules desrobes...
LE GENTILHOMME.
Tu scays bien que lu es a mesnie
De loul mon bien d'or el d'argent...
LE PAGE.
Vous n'aves iumens ne cheuaus
Ny nabis qui ne souent en gige.
Voire chemise est de louage,
Elsy vous faull ung seruiteur...
LE GENTILHOMME.
As lu poincl veu mon estan'
LE PAGE.
Ony, ouy les neiges d'auleiV
V n'a ny estan ne clapier
C'est ung grand fosse de bourbier
Ou sont gregnoniles et murons ..
GETA. — Le Gela semble dater assez cer-
tainement du xne siècle ; du moins est-ce la
date que lui assignait Jérémie de Padoue
au commencement du xvie siècle, et celte
date n'a pas été contredite.
On lui donne communément pour auteur
Vital deBlois; un manuscrit de Darmstadt
l'attribue à Ovide, celui de Madrid à Piaule.
Jérémie n'en avouait pas d'auteur; le Dr
Endlicher l'a cru de Matthieu de Vendôme.
Parmi les manuscrits qui le concernent ,
il faut citer ceux de Darmstadt , de Naplts ,
de la Bibliothèque Médicis, signalés par M.
Fréd. Osann , et ceux des Bibliothèques
Cottonienne et Bodléienne de Paris et de
Madrid qu'a indiqués M. Wright, et où il
se trouve à côté du Babio. Le manuscrit de
Darmstadt contient les œuvres de Matthieu
de Vendôme.
M. Mai en a donné une édition dans le
tome V de ses Auteurs classiques ; M. Fré-
déric Osann , une autre (Vitalis Blesis ,
Amphitryon et Aulularia ; Darmstadt , Heil ;
1836 , gr. in-8°), et M. Wright , une troi-
sième, dans ses Early Misteriis (London ,
1838, gr. in-8°).
Le Gela porte aussi dans les manuscrits
le titre û'Amphictryon.
Dans son cours professé à la Faculté des
lettres, M. Magnin le signalait comme une
espèce d'amphitryo, parmi les produits de
la littérature érudite du xn' siècle. (Journ.
gén. de l'Jnstr. publ., 1835, 29 nov., p. 67.)
M. Victor Leclerc le considère comme un de
ces remaniements d'anciennes pièces fré-
quentes au moyen ;Vj;e, et, à ce titre il l'as-
socie à tort au Babio.
M. Edelestand Duméril ne le croit pas
destiné à la représentation; il le classe avec
YAdda, VAffra et Flavius, le Babio (mais h
tort), le Milo, la Lydia et le Miles gloriosus
ou VOrestis qui les précède tous. (Jette opi-
nion, fausse en beaucoup d'autres points,
ne semble pas dénuée de vérilé, au moins
IS97
G RI
NOTICE SU?: LE THEATRE LIBRE.
CU
1398
en eequiconcernul'/lM/w/aoeei \eGèta (923):
Il lui paraît que le Gèta a dû être recom-
mencé plusieurs fois. Au ve siècle, Sedu-
lius (Carmen paschale) semble indiquer une
de ces refontes; outre celle du xn* siècle,
indiquée par M. Osann, et par M. Anatole
de Montaiglon (Biblioth. de l'Ecole des char-
tes, 2' série, t. IV, p. V74-505, on trouve en
1169, dans Gerhoh (Vitœ bealor. abb. form-
ùncensium Berengeri et Wirntonis, ap. Pez.,
Tltesaur. anecd. nov., t. I" i" part., p. 402)
une allusion au Gèta, et l'on en connaît
plusieurs versions italiennes (92i).
GiUESCHE DETE ET LA GRIESCIJE
If 11 IV A (Lai. -Voy. Printemps et l'Hivek.
(Le).
GRISELIDIS. — Les frères Parfait, dans
leur Histoire du théâtre français (t. II, p.
295) ont daté Griselidis de Tan 1395 et en
donnent l'analyse suivante :
Cy commence VEstoire de Griseldis, la
Marquise de Saluées, et de sa merveilleuse
constance, et est apppellé le Miroir des Da-
mes mariées Cy fine le Livre de VEs-
toire de la Marquise de Saluce, mis par per-
sonnages et ryme , l'an mil ecc mi**, et
quinze (925).
<» C'est un manuscrit in-V sur vélin, avec
(\ei miniatures, contenant 56 feuillets ou
112 pages à 28 vers chacuue , environ deux
mille vers.
«Ce mystère, qui n'a de recommandable
que son antiquité, est une servile imitation
en très-mauvais vers, et en action, du ro-
man qui porte ce litre.
* Le marquis de Saluées, dont la passion
dominante est le plaisir de la chasse, pressé
par ses sujets de prendre une épouse, pro-
met de les satisfaire dans quinze jours.
Pendant cet intervalle il aperçoit Griselidis,
lille de Janicolle, pauvre laboureur qui re-
vient d'une fontaine porter de l'eau ; il la
suit dans la cabane de son père, la lui de-
mande en mariage et l'obtient aisément.
Après lui avoir fait prendre des habits con-
venables, le marquis, l'épouse et ses sujets,
charmés de la beauté et de la douceur de la
nouvelle marquise, en témoignent leur joie.
Le caprice du marquis trouble ce bonheur.
Ni'ii contenl d'avoir fait enlever les deux
enfants que Griselidis met au monde, il
veut la répudier et envoie l'évoque de Sa-
luées prier le Pape de lui accorder la per-
mission, en quittant son épouse, d'en choi-
sir une autre d'un rang plus convenable à
sa naissance. Le Pape, qui trouve celte de-
mande fort juste, lui en fait aussitôt expé-
(923) Origines latines du théâtre moderne; Paris,
1SJ!!. in S-, p. 14-15, ei 34-35.
|!>2i) lb., p. 14 ci 15.
(?25) Ce mystère fut imprimé avec quelques
changements, par Jean Ronfons, sous le litre sui-
vant : Le Mystère de Griselidis, marquise de Salnses,
pai versonnaiges, nouvellement imprimée à' Paris. On
les vend à Paris en la vue Neufve Noslre-Dame , à
V Enseigne sainct Nicolas, par Jehan Bonfons. C'est
tin in-4° contenant dix-neuf feuillets ou trente-huit
payes à deux colonnes, gothique. Le libraire, sui-
vant !; coutume ordinaire de ce temps, a oublié d'a-
d-ier une bulle par son Grossaire. Muni de
celte bulle, le marquis ordonne à Griselidis
de retourner chez son père et de quitter ses
riches habits.
(La marquise sans (aire dire, despoille son riche habit,
et elle prenl le vieil quelle avoil laissié, et consent
liément de retourner à son propre père.)
« La pudeur l'oblige cependant à sup-
plier le marquis de lui laisser la chemisw
qu'elle porte.
CR1SELD1S.
Sauf ce que me sembleroit
Chose indigne, et non aflérable,
Que ce fau ventre misérable^
Duquel furent les enfans nez
Que de ton faict as engendrez,
Deust au peuple apparoir tous nuz :
Parquoy, je le supply sans plus,
S'il te plaist, et non autrement,
Qu'en récompensant seulement,
La virginité qu'apportay
A loy, quant au palais enlray ;
Laquelle ne puis remporter,
Il te plaise à commander,
Que l'en me laisse une chemise
A l'issire de ton servise, etc.
« Le marquis y consent. Pendant ce temps-
là on lui amène ses deux enfants, qu'il avait
fait élever chez le comte de Pavie, son beau
frère, la fille âgée pour lors de douze ans
et le garçon de huit. Le marquis feint de
vouloir épouser la jeune princesse et or-
donne à Griselidis de lui servir de fille de
chambre. La marquise se soumet à cet or-
dre avec tant de douceur que son époux,
louché de cette rare patience, lui fait con-
naître ses enfants, et après lui avoir déclaré
que tout ce qu'il a fait n'était que pour l'é-
prouver, il la reprend avec lui, et le mys-
tère finit par les réjouissances des bergers
de la contrée. »
GUDRUNARQVIDA (Le). — M. Edeles-
land Duméril trouve dans ce Gudrunar-
Qvida la preuve de la tendance constante
du moyen âge à tout dramatiser; mais le
poëme cité n'est pas un drame (Cf. Origines
latines du théâtre moderne ; Paris, 18!t9, in-
8% p. 3.)
GUILLAUME DE BLOIS. — VHistoire lit-
téraire de laErance (t. XV, 1820, \n-k°), con-
tient un très-court article sur Guillaume de
Blois, frère puîné du célèbre Pierre de Blois,
archidiacre de Balh. Après avoir nolé tout
ce que l'on sait de la vie de Guillaume, qu'il
prit le degré de docteur dans l'Université
de Paris, lit ensuite profession dans l'ordre
de Saint-Benoit et suivit son frère en Sicile,
jouter l'année de l'impression. — L\c\ille, liv. u ,
pag. 122 de son Histoire de l'imprimerie, nous ap-
prend que Jean Ronfons imprimait en 1548. — Une
réimpression du Mystère de Griselidis, marquise de
Saluses, a été donnée à Paris, chez Silvestre, en
1852, petit in-4°, figure en bois; il en a été tiré 42
exemplaires sur papier de Hollande, papier de Chine
et vélin.
M. Eilclesiand Duméril signale cette pièce dans
ses Origines latines du théâtre moderne (Paris, 1810,
in-S" p. 5«).
i3'J9
IGN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
IGN
1400
vers 1167, l'auteur cile, parmi les œuvres de
Guillaume, des sermons, divers ouvrages
thôologiques, un poëme de la puce et de la
mouche, et enfin la tragédie de Flaura et la
comédie de Y Aida, encore aujourd'hui per-
dues. La tragédie de Flaura aurait pu être
faite sur une célèbre courtisane, nommée
Flore, dont Ives de Chartres fait mention.
(Ivon., épisc. Carnot., epist.; Paris, 1534,
in-4°, epist. 67, p. 69. — Voy. Adda, et
Flaura.
H
HERBE RIE (L). — UHerberie date du
xme siècle.
On connaît sous ce titre, VErberie Ruste-
beuf, en vers et en prose, et une autre Er-
berie dont l'auteur est resté inconnu et que
M. A. Jubinal a rapprochée avec succès de
!a Riote del Monde {Voy. le Bavardage du
monde}, du Pédant joué de Cyrano de Ber-
gerac, et de la Goûte en VAine (Bibl. Imp.,
m s. 7218).
VErberie anonyme, en prose, est conser-
vée dans le Musée de la Bibliothèque Im-
périale, n* 183», Saint-Germain; VErberie
Rustebeuf dans ceux numéros 7633 et 198,
N.-D
M. Achille Jubinal a publié ces deux Diz
de VErberie, dans les Œuvres complètes de
Rutebeuf (Paris, 1839, 2 vol. in-8°, t. Ier,
p. 250 et note A bi», p. 468).
Legrand d'Auny, Méon les ont aussi pu-
bliés en partie , analysés et commentés
dans leurs Recueils de fabliaux.
Legrand d'Auny ne considère pas comme
tin véritable drame le Dict. de VHerberie,
mais comme une sorte de scène débitée par
les ménétriers. (Cf. Fabliaux et Contes; Pa-
ris, Renouard, 1829, 5 vol. in-8°, t. II, p.
203.)
M. Monmerqué n'y voit qu'une récitation
dramatique, M. A. Jubinal qu'une pièce de
théâtre de famille et de festins du moyen
âge (cf. OEuvr. compl. de Rutebeuf, t. I",
p. 424); mais, toutefois, avec les restric-
tions suivantes qu'on lit dans la préface des
œuvres de Rutebeuf :
«Vflcrbeiie, spirituelle paradede carrefour
et de place publique, me semble avoir été
composée plutôt comme un modèle du genre
que comme pièce à son usage personnel ;
rien ne prouve qu'il la débitât lui-même,
ni qu'il en fût venu à ce point d'abaisse-
ment ie vendre sa g'ielé en détail sur le
champ de foire du Lendict ou dans l'en-
ceinte du grand marché des Champeaux. A
la vérité... il se rendait aux noces, aux fes-
tins, pour... recevoir des présents... mais...
il ne s'adressait pas à un public de hasard,
au public des rues, et... en se rendant aux
tournois il y cherchait vraisemblablement...
les grands seigneurs... Il faut^d'ailleurs ob-
server que VHerberie est la seule des pièces
de notre trouvère qui semble réellement
destinée à la populace (926) »
Ce Dit a été cité par M. Edelestand Du-
méril, dans ses Origines latines du théât-e
maderne (Paris 1849, in 8°, p. 3) parmi les
poésies où se retrouve la tendance cons-
tante du moyen âge vers l'action drama-
tique.
L'Erberie Rustebuef commence par ces
vers :
Seigneur qui ci esles venu,
Petîï et grant, joue et chenu...
Aséeiz vos, ne faites noise ,
Si escoulez, c'il ne vos poize.
Je sui uns mires...
HERCULE.— On trouve, dans la Collection
des meilleures dissertations, de Leber (Paris,
l838,in-8°,20vol.,t.X,p.l57,201J,uneiVofic«
sur les divertissements et les jeux d'exercice
des Français , dans laquelle est cité le mys-
tère d'Hercule filant aux pieds d'Ora -
phale.
M. Edelestand Duméril (Orig. lat. du th.
mod.; Paris, I8V9, in-8°, p. 56) mentionne
aussi VHercule, comme preuve que le théâ-
tre , qu'il prétend fondé par l'Eglise ,
échappe an clergé, vers le xv' siècle, e' de-
vient profane.
HIVER ET L'ÉTÉ (Débat entre l).—
Voy. Primptemps et de l'Hiver ( Débat
du).
HOMMES QUI FONT SALER LEURS
FEMMES (Les). — Il a été donné au xvi'
siècle une édition des Hommes gui font saler
leurs femmes, sous ce titre : Discours facé-
tieux des hommes gui font saller leurs fem-
mes, à cause gu elles sont trop douces. Leguel
se joue à cinq personnages... à Rouen, cliez
Abraham Cousiurier (sans date), petit in-8°.
— Voy. Femmes salées.
I
IGNORANCE. — Ignorance et congnot- de Lincy et Francisque Micnel dans leur
sance, morallite a m. personnages, c'est asca~
uoir :
L'AFLlOt,
IGNORANCE,
ET CONGNOISANCE.
Cette farce, datant de la première moitié
du xvr siècle, a été éditée par MM. Leroux
Recueil "de Farces (Paris , Téchener, 1831-
1837, 4 vol. pet. in-8°), d'après le ms. de la
Bibliothèque impériale (fonds La Val-
lière, n° 63). En voici les premiers vers:
l'afligé.
Poure aflge, en ces terrestres plains,
{ >?6) Adiilîe Jubinal, Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du xm« siècle; Paris, Ed. Pannur, 1830.
2 vol. in-8°, 1. 1", Préf., p. xi.
1301
LtîC
ÏSOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
LYO
1402
Deuil de pîlye, ie peulx eslie apcrrcti,-
Amys chernelz onl mes sens en noir lains,
El ingnorance a mon esprit coneen....
OYEUSE FARCE (La).— On connaît une
édition de la fin du xvic siècle de cette farce
sous ce titre : La Ioyeuse farce d'un Caria
qui trompa par finesse la femme d'un labou-
reur. Lyon, 1505. M. de Montaran a réim-
primé celle farce.— Voy. Collection Ca-
ron et Hecleii de livrets par M. de Mon-
taran.
JEAN (Mesire). — Mesire Jehan, farce
nouuelle a iv. personnages , c'est a sca-
uoir :
■ MESIRE JFHAX, LE CURE.
LA MÈRE DE JAQUET </MÏ
est badin,
Pièce éditée d'après le manuscrit oV xvr
siècle de la Bibliothèque impériale (fond-3
La Va'lière, n° 63), dans le Recueil de Far-
ces (Paris, Téchener, 1831-1837, 4 vol., pet.
in-8°), par MM. Leroux de Lincy et Fr. Mi-
chel.
Ne prenes poinct garde a folye
Ausv sages gens m'en font compte;
€ar la parole est abolve
D'un fol, fusl-il roy, duc ou compte...
TEAN DE LAGNY.— Jehan de Lagny, ba-
din, mesire Jehan, etc., farce ioyeuse a sis
personnages, c'est a scauoir :
r.HAN DE LAGNY, badin, OLÏUE,
KESIRE JEHAN, PERETE VEXES TOST,
TftETAULDE, ET LE 1UGE.
Celte pièce a été éditée par MAL Leroux
de Lincv et Francisque Michel dans le Re-
cueil de Farces (Paris, Téchener, 1831-1837,
4 vol., pet. in-8°), donné d'après le manus-
crit de la Bibliothèque impériale, datant du
xvr siècle (fonds La Vallière. n° 63).
JOANNADA (La). - Voy. Parasols.
JOHANNELLA (La).— Voy. Parasols.
, JONGLEUR (Lu).- M. Wright a publié
dans ses Anccdota literaria (London, 184'i,
in-8°, p. 100), un très-curieux fragment de
51 vers latins sur les acteurs du théâtre du
moyen âge, tiré d'un manuscrit du xne siè-
cle (Ms. Arundel , n° 201, fol. 72, v°); ce
savant publiciste anglais conseille de rap-
procher de ce fragment le passage du Poly-
craticus de Jean de Salisbury (I. i, c. 8). Ces
vers semblent arrachés à quelque ancien
drame a-uaiogue au Dialogue de Terence et
de l'entrepreneur, de spectacles, retrouvé par
M. Magnin.
JOVINIEN (Le mystère de).— On 11
dans les frères Parfait (Histoire dit Ctiénîr.
fr., t. III, p. 562), sous la date de 1519,
celte note extraite de Duverdier (Bibliothè-
que française, p. 779) :
«De l'Orgueil et présompliorfde l'empereur Jo-
vinien, Histoire extraicte des gestes des Ro-
mains, lequel fut decongnu de tout son peu-
ple, par le vouloir de Dieu, et après remis
en son empire, (Jxix. personnages. Imprimé
à Lyon in-octavo, par Benoist Iligaud, sur
une vieille copie. 1584. »
JUPITER — Le mystère de Jupiter est
mentionné dans une Notice sur les divertis-
sements des Français, que Leber a réimpri-
mée dans sa Collection des meilleures disser-
tations (Paris, 1838, in-8°, 20 vol., t. X, p.
157, 201).
LANGUES ESMOULUES (Les). — Les
langues esmoulues, pour avoir parle du drap
d'or de Saine t Vivien, farce ioyeuse a vi per-
sonnages, c'est à scauoir :
I. ESMOCIFIR,
SON VALET,
LA PREMIERE FEMME,
LA DEUXIEME FEMME,
LA TROSIÈME FEMME,
ET LA QUATRIÈME FEMUË.
Celte farce est conservée dans le manus-
crit du xvr siècle de la Bibliothèque impé-
riale (fonds La Vallière, n° 63); MM. Le-
roux de Lincy et Fr. Michel l'ont éditée dans
leur Recueil de Farces (Paris, Téchener,
1831-1837, 4 vol., petit in-8°). Nous ne
pouvons en citer ici que quelques vers :
LE VALET.
La meclianlc langue dorée
De moi sera bien labourée :
Car el mort les gens en ryanl
Par son parler qui est Criant
Decepnant comme une bouteille...
LUCO DE GRIMAUD.— M. Magnin cite,
comme appartenant au théâtre aristocratique
du xiii* siècle, les comédies perdues Ue
Luco de Grimauld , contre le Pape Boni-
face VIII. !(Cf. Journ. gén. de l'instr. pnbl.,
1836. 3 janvier, p. 150.)
LYDIE (La). — Le manuscrit de la Biblio-
tnèque de Vienne, n°254, fol. 31, v°, con-
serve la Lydia de Matthieu de Vienne, en-
core inédite.
Selon M. Fdelestand Duméril , la Lydie
n'est point une composition dramatique, ce
n'est qu'un de ces poèmes du xn* siècle, en
vers élégiaques, où sont amalgamées des in-
dications scéniques, et qui témoignent seu-
lement de la tendance de l'époque à recom-
mencer le théâtre qui, en effet, se reproduit
dès le siècle suivant. (Cf. Orig. lat. du th.
mod.; Paris, 18V9, in-8°, p. 33, 34.)
LYON MARCHANT.— Duverdier-Vaupri-
vaz, dans sa Bibliothèque française (p. 779),
signale !a Satyre françoise de Lyon mar-
chant.
Les frères Parfait et) ont donné i aperçu
suivant, <!<ns leur Histoire du théâtre fra'n-
l*o.;
MAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
MAR
140*
çais, (l III, p. ho\ sous la date de
1541 :
Lyon marchant (927), Satyre Françoise sur
la comparaison de Paris, Lyon, Orléans, et
autres choses mémorables, depuis l'an 1524-,
sous allégories et énigmes, par personnages
mystiques .-jouée au collège de la Trinité à
Lyon en 154-1.
« Comme cette pièce est allégorique du
commencement à la fin, et que de plus il n'y
a guère d'apparence qu'elle ait été jouée à
Paris, nous serons très-succincts dans cet
extrait. Cette pièce donc renferme les prin-
cipaux événements arrivés en Europe depuis
1524- jusqu'en 154-0, tels que la prise de Fran-
çois Ier à la bataille de Pavie. La mort du
Dauphin, son fils, empoisonné par son mé-
decin. Les changements de religion en An-
gleterre, sous le règne d'Henri VIII , etc.
Enfin l'ouvrage est terminé par la dispute
entre les villes de Paris, Lyon et Orléans. La
Vérité donne la préférence à la ville de Lyon.
Ce jugement est en forme de ballade, dont
voici l'envoi.
Prince, je dy (je qui suis vérité)
Que nul ne soit de nos diclz irrité :
En les prenant en quelque sens méchant.
Cartons trois ont grand honneur mérité
Mais devant tous est le Lyon Marchant.
M
MAITRE D'ECOLE (Le).— Le Maistre
d'Escolle, farce ioyeuse a v. personnages, c'est
a scauoir
J,E MAISTRE D'ESCOLLE, ET LES TROYS ESCOLLIERS.
C.A MÈRF,
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel ont
édité cette farce du xvi* siècle dans leur Re-
cueil de Farces (Paris, ïéchener, 1831-1837,
k vol. petit in-8"), d'après le manuscrit de la
Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
ri' 63).
le maistre (d'escolle) commence.
le suys recteur, gramLorateur.
Remonsiranl, sans estre flaleur,
Qui folye les mal pensant
MAL-CONTENTES (Les). — L*s Mal-con-
tentes, farce ioyeuse a iv. personnages, c'est a
scauoir :
LA IEUNE FILLE,
LA MARYEE,
LA FEMME VEFUE,
ET LA RELIGIEUSE.
— El SOnt LES MAL-CON-
TENTES.
Les Mal-contentes datent du xvie siècle;
on trouve cette farce licencieuse dans le Re-
cueil de Farces (Paris, Téchener, 1831-1837,
k vol., pet. in-8°), do MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel, qui reproduit le ms. de l'a
Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
ii« 03).
(Les mal-conlentes commencent ainsi : )
LA IEUNE FILLE.
Las! quant serai-ge maryee?
Dieu m'y veuille réconforter,
El de tous mes maux aleger...
MALUORQU/NA (La).— Voy. Parasols
(B. de).
MARCHAND DE POMMES (Le).— Le
m reliant de pommes, farce nouuelle a y. per-
sonnages, c'est a scauoir :
LE MARCHANT DE TOMMES, LE SERGENT,
l'apoincteur, ET DEUX FEMMES.
(927) Imprimé à Lyon, rue Mercière, par Pierre
de Tours, 1542, in-8°. Celle pièce est de Barthélémy
Aneau. — Une réimpression de Lyon Marchant a eu
lieu en 1851 sous ce litre: Lyon marchant Satyre
Kuançoise. Sur la comparaison de Paris, Rolian,
Lyon, Orléans, et sur les choses mémorables depuys
Lan mil cinq cens vinglquatre. Soubz Allégories, et
Celte farce est conservée dans le manus-
crit de la Bibliothèque impériale (fonds La
Vallière, n° 63) ; MM. Leroux de Lincy et
Fr. Michel l'ont éditée dans leur Recueil de
Farces (Paris, ïéchener, 1831-1837, h vol.,
pet. in-8°).
Le Marchand de pommes date du xvi* siè-
cle; nous en extrayons quelques vers :
LE MARCHANT (DE POMMES).
Hélas! lehan, ie ne me puys leuer au malin,
Y m'est prins a mon auertin
D'aller au marche : dont irai ge?
MARCHEBEAU.— Marchebeau, moraliite
a iv. personnages, c'est a scauoir :
MARCHEBEAU,
GALOP,
AMOUR,
ET CONVOYTISE.
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel ont édité cette farce du xvie siècle, d'a-
près le manuscrit de la Bibliothèque impé-
riale, fonds La Vallière, n° 03. (Cf. Recueil de
Farces; Paris, Téchener, 1831-1837, 4 vol.,
pet. in-8°).
marchebeau commence :
Et puys, monsieur de Galop?
GALOP.
Quoy, monsieur de Marcheheau?
marchebeau.
On n'auon plaisance que irop,
Quant nous cheuauchons le haut trop.
Sur un hayard ou un moreau.
MARIAGE DE RUTEBEUF (Le).— Le
mariage de Rutebcuf devrait compter dans ie
théâtre du moyen âge, selon de Roquefort.
(Cf. De l'état de la poésie fr. dans les xne et
xme siècles; Paris, 1815, in-8", p. 202.)
M. Ach. Jubinal a édité celte pièce dans
les OEuvres complètes de Rut eh eu f ; Paris,
Pannier, 1839, in-8°, 2 vol., t. Ier, p. 5.
M. Monmerqué n'y voit qu'une récitation
dramatique ; M. Ach. Jubinal une pièce du
Enigmes Par personnages mysticques iouée au Col-
lège de la Trinité à Lyon. 1541. M. d. xlii. On les
vend a Lyon en rue Mercière par Pierre de Tours.
Paris, Silvestre (imprimerie de Pinard), 18"1. Pelit
in-8», lire à 42 ex., sur papier de Hollande, papier
de Chine et sur vélin.
f405
mer
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
théâtre cfe famille et de Festins du moyen
âge. (Cf. OEuvr. compl. de Rutcbeuf, t. 1",
p. 42'+.)
MARIAGE (Li jus du). — Voy. Adan (Li
jus).
MARTIN RATON. — La Farce ioyeuse
de Martin Raton qui rabat le caquet des
femmes : elle est a v personnages, scauoir :
LA PREMIÈRE COMMÈRE, CAQUET,
LA SECONDE COMMÈRE, SILENCE.
MARTIN RATON,
Une édition de celle farce a été donnée
à Rouen, chez Jean Oursel l'aîné , rue
Eouyère, à l'imprimerie du Levant; elle
se compose de quatre feuillets in-8". Elle
dale très-probablement du xvie siècle.
MATTHIEU DE VIENNE. — On attri-
bue à Matthieu de Vienne le Milo, la Lydie
et le Soldat vantard (tuiles gloriosus). La
critique n'a pas décidé s'il y avait dans ces
vieux monuments une intention dramatique.
M. Edelesland Duméril le nie. Le Milo et le
Soldat ont seuls été édités. — Voy. Lydia
(La);. Milo (Le); Soldat vantard (Le).
MEDECIN ET LE RADIN (Le). — Le
Médecin et le Radin, farce ioyeuse a mi per-
sonnages, c'est a scauoir :
LE MÉDECIN,
LE RADIN,
LA FEMME,
ET LA CHAMRER1ÈRE.
Cette farce licencieuse date du xvie
siècle.
Elle est conservée dans le manuscrit de la
Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
n° 63).
K1M. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de Farces (Paris,
Téchener, 1831 1837, k vol. pet. in-8°).
MEDECIN QUI GUER1T(Lk). — En 1612,
Nicolas Roussel, imprimeur, édita, mais en
la mettant malheureusement « en meilleur
langage qu'auparavant » la Farce nouuelle
(en vers) du Médecin qui guarist de toute sorte
de maladies et de plusieurs autres... a quatre
personnages, c'est a scavoir :
LE MÉDECIN,
LE BOITEUX,
LE MARY,
LA FEMME.
On trouve une réimpression de celte farce
dans la Collection Caron. (Voy. ce mot.)
Le Médecin qui guérit de toutes sortes dema-
ladics , débute par ces vers :
Or (aides paix ie vous prie,
Afin que m'oyez publier
La science, aussi l'industrie,
Que i'ay appris a Montpellier,
l'en anivay encore hyer
Avec la charge d'un chameau,
De drogues...
La grossièreté lincencieuse de cetle iarce
nous interdit tout aperçu; il ne nous était
même pas possible d'en donner le titre en
entier.
• MERE, LA FILLE, etc. (La) — La mère,
la fille, le tesmoing, l'amoureulx et V officiai,
farce nouuelle a v. personnages, c'est a sca-
uoir ■
LA MERE,
LA FILLE
MES
l'amoureux,
l'official.
HOG
('elle farce date du xvr siècle.
Elle nous a été conservée dans le manus-
crit de la Bibliothèque impériale (fonds La
Vallière, n° 63).
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel l'ont éditée dans leur Recueil de Farces
(Paris, Téchener, 1831-1837, k vol. pet.
in -8°)
Messieurs, Colin qui veull proineclre
Soyl par foy, par lesmoinglz ou lestre
Y doibl sa parolle tenir,
Car on doihl quelque iour venir
Devant le 1res souverain iuge.
MERE DE VILLE ( La ). — La mère de
ville, le varlel, le garde-pot, le garde-nape
et legarde... ; farce nouuelle a v. personnages,
c'est a scauoir :
LE MÈRE DE VILLE,
LE VARLET,
LE CARDE-POT,
LE CARDE-NAPE,
ET LE GARDE...
Celle farce licencieuse date du xvj*
siècle.
On l'a rencontrée dans le manuscrit de la
Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
nu 63).
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de Farces (Paris,
Téchener, 1831-1837, k vol. pet. in-8°).
MERE ET JOUART{La).— Une édition
de La Mère et de Jouart a été donnée au
xviT siècle sous ce litre : La Farce nouvelle
qui est très-bonne et très-ioyeuse a quatre
personnages, c'est a scauoir :
LA MERE,
JOUART,
LE COMPÈRE,
ET L'ESCOLIER.
(Troyes, Nie. Oudot, 162i, de 29 pages.)
On trouve cette farce réimprimée dans la
Collection Montaran, qui sejoint à la Collec-
tion Caron. — Voy. Coll. Caron, et Re-
cueil DE LIVRETS par M. DE MONTARAN.
MESIRE JEAN. — Voy. Jean (Me-
sire).
M EST 1ER ET MARCHANDISE. — Mes-
tier et Marchandise, farce à v. personnages,
c'est a scauoir :
MESTIER,
MARCHANDISE,
LE BERGER,
LE TEMPS,
ET LES GENS.
Celte farce est conservée dans le manuscrit
de la Bibliothèque impériale (fonds La Val-
lière, n° 63); elle a été éditée par MM. Le-
roux de Lincy et Fr. Michel dans leur Re-
cueil de farces (Paris, Téchener, 1831-1837,
k vol. pet. in-8°).
Nous relevons un passage de Mestier, qui
témoigne que l'esprit mercaniille du xvr
siècle était le même qu'aujourd'hui :
MARCHANDISE.
Le temps, vous me faicles mourir
De Fi.re , cela n'y faict riens
Quant il seroyt lanl d- tous biens
Qu'on cust tic plajn'un panyer,
El pot de vin pour un denyer.
i 107
KOR
Q;ii n'aroyt ce deuyer cncoire,
Treslonl son faicl seroyl l'reloire,
El'fauldroil qui iinrasl après,
€ar vous coguoises par exprès
Que Vargeni faicl partout la voije...
MEUNIER ET LE DIABLE (Le). — M.
Francisque Michel a publié pour la pre-
mière fois , dans ses Poésies du xv' et \\i°
siècles (Paris, Silvestre, 1830-1832, gr. in-8"),
la Fur ce du Munyer de qui le diable emporte
l'âme en enfer...
M. Raynouard, dans le Journal des Sa-
vants (juillet 1833 p. 385), signale le travail
de M. Michel.
M. O. Leroy compte celte pièce parmi
celles qu'inspire un esprit sacrilège. (Cf. Epo-
ques . etc., cli. 10.)
MEUNIER ET LE GENTILHOMME (Le).
— On connaît une édition du commence-
ment du xvir siècle du Meunier, sous ce
titre : La Farce nouuelle du Munier et du
Gentilhomme; Troyes, Nie. Oudot, 1628.
Cette farce a été rééditée par M. de Mon-
ta ran.
11 faut en rapprocher les Deux Gentils-
hommes et le Meunier. — Voy. Collection
Caron, et Recueil de livrets par M. de
Montaran.
MILET (Jacques). — Lacroix du Maine,
dans sa Bibliothèque française (p. 191) et les
frères Parfait, dans leur Histoire du théâtre
français... ( t. 11, p. 238) parlent ainsi de
Milet, sous la date jde 1450: «Jacques
Milet. — Né à Paris, étudiant à Orléans,
commença dans celte dernière vil'e, le 2 sep-
tembre H50, le Mystère de la Destruction de
'frayes la Grande. »
MILO.— Hauptensa édile le Milo de Mat-
thieu de Vienne. (Pocsis lalinœ med. cevi
exempta, p. 18.)
M. Ldelestand Duméril (Origines latines
du théâtre moderne; Paris, 1849, in-8% p.
34-35), cite le Milo comme un de ces
poëmesdu xne siècle, où quelquefois sont re-
maniés de vieux drames, et qui le pi us sou vent
sont originaux; il n'admet pas que \eMiloa\t
donné lieu à une représentation dramatique.
— Voy. Lydie (La) et Soldat vantard (Le).
MORT D ACHILLE (La). - La Mort d'A-
chille date de la tin du xiii" siècle; elle est
l'œuvre de d'Albertino Mussato, poète pa-
douan, qui mourut vers l'an 1320.
Ou en connaissait au commencement du
xvnie siècle quatre manuscrits, dont un à
Venise, elles trois autres à Padoue.
La première édition du théâtre et des
poésies de Mussato fut donnée à Venise en
163G, in-folio; quelques années après son
apparition, elle était déjà devenue très-
rare.
En 1722, J.-G. Grœvius, assisté de Pierre
Burmann, donna à Leyde une nouvelle édi-
tion des poésies et des fragments divers de
Mussato, en un cahier de 106 pages, non
compris le titre, la préface et la table, qui
fait partie du Thésaurus Anliquitatum His-
(oriarum Italiœ (Leyde, 46 vol. in-fol., t.
VI, 1722, pars àecunda),
La Mort d'Achille est divisée en cinq
DLCTIONNAIttE DES MYSTERES.
ne contenant
MOR
nos
personnages
actes,
scène.
Les
douze
HÉCUBE,
PRIAM,
PARIS,
C ASSANDRE,
UN MESSAGER,
LE CHOEUR DES TROÏENS,
chacun qu'une seule
sont au nombre de
ACHILLE,
agamemnon,
menelaus,
CALCKAS,
UN DES GARDES DE PARIS,
LE CHOEUR DES GRECS.
Burmann semble douter que la Mort d'A-
c/ii/fe appartienne 5 Mussato; l'infériorité du
style, des idées, des connaissances histo-
riques et littéraires le porterait à y voir la
main d'un autre poêle encore inconnu.
M. Magnin, en 1835, dans son cours pro-
fessé à la Facullé des lettres, mentionne 'la
Mort d" Achille, et l'attribue à Mussato sous
la date de 1261-1329. Il renvoie aux éditions
du padouan données à Venise et à Leyde.
(Cf. Journ. gen. de i'hist. publique, 183o, 29
nov., p. 67.)
M. Edelestand Duméril considère les
drames ù'Achille et d'Eccérino comme des
compositions purement littéraires, très-pro-
bablement étrangères à toute idée de repré-
sentation dramatique, et sans influence sur
leur temps. (Cf. Origines latines du théâtre
moderne; Paris, 18V9, in-8°, p. 36.)
MORT DECCERINO (La ). La tragédie
û'Ecccrino date du xme siècle; elle a pour
auteur Albertino Mussato, poète padouan,
mort vers 1320.
Quatre manuscrits, dont un h Venise et
trois à Padoue, connus, les deux premiers
sous le titre de Codices Mussarotum, et le
dernier sous celui de Codex Pignoriit oat
été signalés.
Une édition du théâtre de Mussato a été
donnée à Venise en 1636, in-folio; une au-
tre à Leyde en 1722, par J.-G. Grœvius et P.
Burmann. (Cf. Thés. ant. Hislor. ItaL;
Leyde, 46 vol. in-fol., t. VI, 1721, pars se-
cunda.)
VFJccerino est divisé en cinq actes; les
deux premiers ne contiennent qu'une scène,
le troisième en offre quatre, le quatrième
deux, et le cinquième une seule.
Les personnages sont au nombre de neuf,
dont voici la liste :
LUCAS,
ANSED1S),
SOLDATS,
MESSAGER,
LE CHOEUR.
ADHELEiTA, mère dEece-
rillO el d'Alix'iic,
eccerino, (ilstfAdlieleila
ALRERI.C, td. ,
ziRAHONS, garde,
Burmann s'est arrêté à la critique à'Ecce-
rino. Le sujet se prêtait peu aune tragédie,
selon lui, en ce que le seul sentiment de la
terreur y pouvait régner, et que, sans con-
traste, le drame est nécessairement languis-
sant. L'action est dispersée en plusieurs
années sans liaison. Le lieu change constam-
ment. Les caractères sont plus fortement
tracés. Eccerino est dur, terrible, contemp-
teur des cieux et des choses d'ici-bas, voué
au mal et au démon, audacieux, incapable
de repentir, et tout pétri de scélératesse ei
de cruauté jusqu'au dernier soupir.
Le
HOO NOU NOTICE SCR LE THEATRE LIBRE. NOU 1110
chœur prêche le bien,*ln justice, la pitié pour qui cstoicnt autour de luy, faire laides grï-
l'infortune, le châtiment de l'orgueil; il en maces, se prit à rire. Le patient pour qui
appelle sans cesse à Dieu. tout cela se faisoit, demanda a sa femme,
Quant à la barbarie du style, c'est un dé- que c'estoit qui estoit sur la table; laquelle
faut du temps où le drame fut écrit, et ce répondit, que c'estoit le corps de son neveu
n'est qu'un litre de plus à la curiosité du décédé. — Mais, répliqua le malade, coin-
nôtre. ment seroit-il mort, veu qu'il vient de rire à
Muratori mentionne VEccerinis de Mussa gorge déployée? La femme répond que les
de Padoue (ou Albertin); il date celte pièce morts noient. Le malade en veut l'aire l'expé-
de l'an 1320. (Cf. Antiquit. ital. mcd. œvi, rience sursoy, et pour ce, se fait donner un
sive Dissertât.; Milan, 1732, in-fol., t. 11, miroir; puis s'efforça de rire; et connaissant
Dissert. 29, col. 850.) qu'il rioit, se persuada que les morts avoient
M. Magnin, dans son cours professé à ta cette l'acuité", qui fut le commencement de
Faculté des lettres, en 1835, cite aussi la sa guérison. Cependant le jeune homme,
Mort d'Eccelino, tyran de Padoue, mais en- après avoir demeuré environ trois heures
tre 1261 et 1329; il renvoie aux éditions de sur celte table estendu, demanda à manger
Venise et de Leyde. (Cf. Journ. gén. de l'instr. quelque chose de bon : on luy présente un
publ., 1835* 29 nov., p. 67.) chapon qu'il dévora avec une pinte de bon
M. Edelesland Duméril ne croit pas que le vin; ce qui fut remarqué du malade, qui de*
théâtre de Mussato ait été destiné à la repré- manda si les morts mangeoient. On l'assura
sentation ; il n'en croit pas l'influence consi- que ouy : alors il demanda de la viande,
dérable. (Cf. Origines latines du théâtre mo- qu'on lui apporta, dont il mangea de bon
derne; Paris, 18V9.in-3°, p. 36) appétit. En somme, il continue à faire toutes
MORTS V1VANS (Les). — Les frères Par- actions d'homme de bon jugement, et peu
fait ont donné, dans leur Histoire du ihe'à- à peu celte cogitation mélancholique lui
tre français (l. 111, p. 5G2J, la note suivante, passa. Cette histoire fui réduite en farce im-
relative à la farce des Morts vivants, qu'ils primée, laquelle fut jouée un soir devant le
datent de 1573, et dont ils déclarent l'auteur Roy Charles neufviesme, moy y estant (928).»
inconnu: ce morceau est extrait des Diverses MUSSATO ALBERTINO. — Pétrarque
leçons de Louis Guyon (t. 1", liv.u, chap. 25) : vante dans Albci tino Musalo la connaissance
« En l'an 1550, au mois d'aoust, un avocat de l'histoire; Pierre-Paul Vergorie, le génie
tomba en telle mélancolie, et aliénation de la poésie. Son nom original aurait été
d'entendement, qu'il disoit, et crojoit esire Musso, et sa gloire en eût fait Musalo, l'é-
mort : à cause de quoi il ne voulut plus par- lève des Muses. Uernardini Scardeoni voit en
1er, rire, ni manger, ni mesme cheminer, lui le restaurateur des lettres romaines en
mais se tenoit couché Enfin il devint Italie, le promoteur de la renaissance que
si débile qu'on attendoit d'heure à heure Pétrarque porta ensuite au plus haut point
qu'il dût expirer : lorsque voicy arriver un d'élévation.
neveu de la femme du malade, qui, après II vécut à Padoue, et mourut vers 1320,
avoir tâché à persuader son oncle de man- On cite de lui une Histoire d'Henri Vif,
ger, ne l'ayant pu faire, se délibéra d'y ap- divers écrits polémiques, des poèmes, de
porter quelque artifice pour sa guérison. nombreuses pièces de vers, et ses deux dra-
Parquoi il se fit envelopper en une autre mes, dans l'un desquels, a-t-on dit, s'élevarH
chambre d'un linceuil, à la façon qu'on contre lat yrannie des frères Accioiini et Ai-
agence ceux qui sont décédez, pour les in- brici, il atteint la hauteur de Sophocle et
humer, sauf qu'il avoit le visage descou- surpasse» 'l'antiquité.
vert, et se lit porter sur la table de la cham- Ses œuvres ont été réunies dans le Thesau-
bre où étoit son oncle, et se fit mettre quatre rus anliquitatum historiarum lialiœ de J.-G.
cierges allumés autour de lui, et avoit coin- Gn^vios et P. Buk.mann; Lcydc, in-fol.,
mandé aux enfans de la maison, serviteurs 46 vol., t. VI, 1722, pars secunda.
et chambrières de contrefaire les plorans Muratori le cite avec éloge dans ses Anti-
autour de lui. Somme, la chose fut si bien quilates italicœ medii œvi, sive Dissert.; Mi-
exéculée, qu'il n'y eut personne qui eut pu lan, 1732, in-fol., t. H, diss. 29, col. 850.
se contenir de rire, mesme la femme du M. Magnin l'a mentionné avec éloges. (Cf.
malade, combien qu'elle fut fort aflligée, ne Journ. gén. de l'instr. publ., 1835, 29 nov.,
s'en pût tenir, ni le jeune homme inventeur p. 67.) — Yoij. Mort u'Acuille et Moût
de celte afi'aire, appercevant aucuns de ceux d'Lccekino.
N
NOUVEAU MONDE (Sottise du). — La Une édition du Nouveau Monde a élé don-
Solise du nouveau monde a été attribuée à née à Paris, chez Guillaume Eustace, in-8°
l'an 1503 par les frères Parfait (Hist. du th. de 28 feuillets, contenant envon liOO vers.
/>•., t. lil, p. 205-216). ,< Pour être au fait, disent-ils, du sujet de
Ils se sont servis pour leur analyse cette pièce, il faut se transporter au temps
d un manuscrit de la Bibliothèque du roi, où elle fut composée, et se rappeler les
coté V, 3121. circonstances qui y ont donné lieu. Avait
(928) Comme nous ne connaissons celle farte que volume de ses diverses leçom, nous avons cru de*
par le récit qu'en a fait Louis Guyon au premier voir placer ta dalC de sa reprësciilsiion vers 1573.
l-i'.l
NOU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
NOU
1112
le Concordat, qui a décidé la question, celle
de la Pragmatique était agitée avec beau-
coup de chaleur et de vivacité. On sait que
Louis XII la favorisait ouvertement. Ce fut
par son ordre et suivant ses intentions, que
les Enfants sans souci composèrent et repré-
sentèrent cette pièce, pour faire sentir des
abus que la prudence de ses successeurs a
su prévenir. Au surplus, la pièce est très-
rare et presque inconnue, quoique Duver-
dieren ait donné le titre, mais il le défigure
si mal , que ce renseignement n'a jusqu'ici
servi qu'à tromper ceux qui ne sont pas au
fait de ce genre de poésie.... »
Ils ajoulent encore :
« L'Auteur du Menagiana, après avoir
rapporté le titre de la pièce dont voici l'ex-
trait, et copié d'après la Bibliothèque fran-
çaise de Duverdier-Vauprivaz, ajoute que
« Claude Barthelemi Maurisot a tiré de là
« l'idée du conte, touchant Madame la
« Pragmatique, inséré dans un roman latin,
* intitulé Peruviana, où sous les noms du
« Pérou, il a caché l'histoire du cardinal de
« Richelieu avec Marie de Médecis et
« Gaston , duc d'Orléans. Ce conte étant
« sans difficulté le meilleur endroit du livre,
« mérite d'être rapporté. Le voici, (conli-
« nue-t-il,) en françois.
« Il y avoit en France une noble et riche
« veuve nommée Pragmatique, qui avoit
« deux filles à marier, toutes deux belles,
« mais de vertu équivoque. L'aînée s'ap-
« pelloit Election , la cadette Nomination.
« Force amoureux les recherchoient en ma-
« nage. (Menagiana, tom. 1", pag. 100 et
« suivantes.) La mère, embarrassée sur le
« choix, s'adressa au Souverain Pontife et au
« roy, pour sçavoir ce qu'elle avoit à faire.
« (Duverdïeii-Val'piuvaz, Bibliot. fr., pag.
« 808 et 809.) Tous Jeux d'un commun avis
« lui conseillèrent de donner l'aînée à un
«jeune homme nommé Grand- Bénéfice;
« et la cadette à unj autre nommé Pctii-Bé-
« néftee. Pragmatique en cette occasion, sui-
« vant le mauvais exemple de plusieurs
« mères idolâtres de leurs filles, se dé-
« pouilla de tous ses biens en faveur des
« siennes. Les noces se firent solemnelle-
« ment, etdans la suite du temps, les mariées
« donnèrent plusieurs fois des marques de
« leur fécondité. Elles eurent chacune trois
« enfans. Election eut Abus, Simonie et Im-
« piété. Nomination eut Ignorance, Luxe et
« Dissolution. Pragmatique, qui s'éfoit épui-
« sée pour l'avancement de ses filles, étant
« tombée dans l'indigence, prioit humble-
« ment ses gendres de la secourir au besoin.
« Ils s'excusoient l'un et l'autre sur leur
« famille nombreuse, sur la dépense qu'il
« leur falloit faire pour entretenir leur train,
« la parure de leurs femmes, les plaisirs
« tant ordinaires qu'extraordinaires où les
« engageoient leur condition. Qu'ils n'a-
« voient pour toute ressource que l'attente
« de quelque libéralité, soit du prince, soit
« du Pontife, promeilanlde ne pas manquer,
« s'ils venoient à en recevoir, d'en faire
« part à leur belle-mère. Pragmatique, ne
« comptant pas beaucoup sur des promes-
« ses si vagues, fut réduite à chercher un
« autre moyen de pourvoir à sa subsistance.
« Il y avoit alors dans le royaume deux
« sortes de bêtes étrangères, l'une nommée
« Béserve, et l'autre Expectative. Ellesavoient
« jusques-là vécu à discrétion, et terrible-
ce ment multiplié; personne dans l'Etat,
« quelques désordres qu'elles y fissent, n'o-
« sant les écarter ou leur courir sus. Prag-
« matique néanmoins, comme nécessité n'a
« point de loy, et que de deux maux on
« choisit toujours le moindre, aima encore
« mieux hasarder une irruption sur cos
« bêtes toutes sacréesqu'elleséloienl,que de
« se laisser mourir de faim. En 'ayant donc
« attaqué quelques-unes à son avantage, elle
« en fit une gorge chaude, et s'en trouva
« fort bien. Ensuite, y prenant goût, e-lle se
« mita les poursuivre ouvertement, rôties,
« bouillies, peu lui imporloit; c'étoit pour
« elle une pâture délicieuse. A son exem-
« pie, la noblesse, et le tiers Etal en voulu-
ce rent tâter. Le mets leur parut excellent.
« Mais enfin la chasse étant devenue trop
« générale, il arriva de ces bestes comme
« des loups d'Angleterre, à force d'en pren-
« dre, la race s'en perdit, et la pauvre Prag-
« matique retomba dans sa première disette.
« Le Pontife, de son côté, ayant appris le
« carnage qu'on avoit fait des animaux
« qui étoient sous sa protection, dépêcha au
« roy des légats pour tirer vengeance de
« l'injure. Les seigneurs les plus qualifiés,
« pleins encore du souvenir d'une si douce
« proie, vouloient persuader au prince de
« n'entrer ni près ni loin dans cette affaire.
« Mais lui, qui avoit la religion àcceur, étant
« informé des excès où l'affamée Pragmati-
« çwes'éloit portée, ordonna que pour puni-
« tion de son crime, elle fût exposée à la
« fureur d'un cruel Lyon. L'arrêt étant pro-
« nonce, il ne resloit qu'à conduire la cri-
ce minelie au supplice : la question éloit de
ce trouver un ministre de celte exécution,
ce Personne, pas même aucun des bourreaux
« du lieu, ne se présenloit pour cela. Le
« rang que la vieille dame avoit autrefois
ce tenu en France la rendoit encore vénéra-
« ble aux veux du public : et peut-être,
« malgré sa condamnation, auroit-elleéchapé,
« faute d'exécuteur, si l'un des légats,
« homme barbare , nommé Concordat , ex-
ce pressément désigné pour celte fonction,
« n'eût mené l'infortunée jusqu'à l'arène de
« l'amphithéâtre. C'est-là qu'étant arrivée ,
ce elle fut livrée au Lyon, qui, s'élant battu
ce trois fois les flancs de sa queue, et ayant
« autant de fois secoué sa crinière, se jetta
ce sur la triste Pragmatique, la déchirant
ce d'abord avec rage, et quittant aussitôt
ce avec mépris, un corps maigre et sec, qui
« n'avoit que la peau et les os. »
a En comparant ce passage avec l'extrait
que nous donnons de la Sottise du Nouveau
Monde, le lecteur jugera si Morisot a suivi
bien. exactement l'original, el si son récit
pourraity suppléer, comme Ménage paraît
le vouloir faire entendre. »
H|3 SOU NOTICE SUR LE
PERSONNAGES.
BENEFICE-GRANT, COLLATION ORDINAIRE,
BENEFICE-PETIT, UNIVERSITÉ,
PRAGMATIQUE, LE HERAULT,
ELECTION, SOT DISSOLU,
NOMINATION, ABUS,
L'AMBICIEUX, SOT TROMPEUR,
LEGAT, SOTTE FOLLE,
QUELCUN, SOT GLORIEUX,
VOULOIR EXTRAORDINAIRE, SOT IGNORANT,
PERE SA1NCT, SOT CORROMPU.
PROVISION APOSTOLIQUE,
« Selon la louable et ancienne coutume,
Bénéfice-Grant et .Bénéfice-Petit viennent
pour être pourvus à Pragmatique, qui ap-
pelle Election et Nomination, et loue Dieu
de ce que tout se passe avec une grande
simplicité. Cette joie est troublée par l'arri-
vée do l'Ambitieux, qui, s'adressantà Légat,
lui dit sans autre façon:
l'ambitieux.
Monseigneur révérendissimc,
Bénéfice grani est vacant.
LEGAT.
Esl-il vrai? sus, allez courrant
A quelcun , je viens après vous ;
Pleurez, criez à deux genoux,
Demandez -le par récompense ,
Je viendré comme qui pense,
Et direy que droiclel raison
Veulent que par son oraison
Soil pour veu elnon autrement.
Allez.
l'ambitieux.
Je voys donc,vistemcnl.
LEGAT.
Ne dictes point que de rnoy vienne.
« Suivant ce conseil, l'Ambitieux revient
trouver Légat, et feint de lui annoncer pour
nouvelle que Bénétice-Grant est vacant; il
ajoute qu'on n'y peut nommer d'autre que
lui, attendu ses services... Légat approuvo
sa demande, et ordonne à Quelcun de le
satisfaire.
QUF.LCUN.
Or sus lost donc, prenez la plume
Escripvez ce que vous voudrez :
Car qui qu'en parle, vous prendrez
Les fruiclz : c'est mon intention.
El mandez à Election
Que ne soil pas si enragée,
Que à mon vouloir ne soit rangée,
En l'espousanl, et l'autre non.
« Pour montrer a l'Ambitieux qu'il prend
ses intérêts avec cbaleur, Quelcun enjoint
à Vouloir-Extraordinaire d'y tenir exacte-
ment la main. L'Ambitieux, content au delà
de son espérance, vient remercier Légat qui
lui dit avec affabilité :
LEGAT.
Voulez-vous Leictres
«.acliées, ou chose davanlaige?
Ai-je point joué mon personnaige?
Que voulez-vous? Je puis tout faire.
l'ambitieux.
Pour mieux conduire mon affaire
De blancs signciz pour contrefaire.
THEATRE LIBRE.
NOU
UU
Les Mandemens il me fauldroit.
C'est ce dont plusiost adv'endrofr»
Mon affaire à perfection.
LEGAT.
Pour avoir votre élection,
Véez en la ung pour le prevost,
Ung pour l'abbé : ne sonnez mot.
Pour les archidiacres aussi;
Les sacreslins, chantres aussi ;
Véez en la pour tous les chanoynes,
Pour prébandiers, preslres on moyncs,
Pour clergons , pour valets d'estable,
Vostrecas s'en va tout vallable.
Je puis toul : en voulez-vous plus?
l'ambitieux.
Hey, Monseigneur, pour les consulz
Officiers, et gens de justice.
LEGAT.
A peine de perdre l'office
Qu'ilz ont veus en cy de lont chaulx ,
A juges, baillifz, sénescliaulx ,
A trois ou quatre capitaines,
Afin quMs frottent leurs mitaines
L'n peu des biens, etc.
vouloir-extraordinaire, à f Ambitieux.
Vous semble-l-il que soit assez?
Demandez, il en lient boutique.
« Muni de ces pouvoirs, l'Ambitieux ne
veut cependant en faire usage qu'à l'extré-
mité, et tâche à gagner Election par ses po-
litesses; mais, voyant que ses soins sont inu-
tiles, il appelle du secours.
VOULOIR-EXTRAORDINAIRE.
Si fault-il playse, ou non playse
Le prendre, car Quelcun le mande
« Pragmatique, Bénéfice-Grant et Elec-
tion réclament en vain la justice de leur
cause. Gardez, car noiis sommes en France,
dit l'Ambitieux.
VOULOIR-EXTRAORDINAIRE.
A layde, au Roy, à l'ayde, au Roy,
Je vous arresle, et vous adjourne.
« La dispute s'échauffe, Vouloir-Exlraor-
dinaire et l'Ambitieux, meurtris de coups,
viennent demander main-forte à Légat.
LEGAT.
A vous euz cops
VOULOIR-EXTRAORDINAIRE.
Voire par Dieu, Sire, a cent folz.
« Pour réduire cette rebelle, dit Légat, il
faut absolument nous adressera Père-Saint,
qui nous enverra sa grand' fille Autenlique,
et Provision, qiïon dit Apostolique. Je crois
que le voici, dit Vouloir-Extraordinaire.
l'ambitieux.
Voyre, mais il ressemble ung prestre?
Pensons-y
« Père-Saint, qu'on ne fait parler qu'en
langue italienne, écoute favorablement la
requête de l'Ambitieux, et donne ses dépê-
ches à Provision-Apostolique. Pragmatique
résiste avec tant de force contre ces derniers
venus et contre Collation-Ordinaire, qui veut
s'emparer de Bénéfice-Petit, que Légal irrité
ordonne l'assaut.
IAV
PAR
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAR
MO
LEGAT.
Allez vielhe, allez dire un pseauline.
QL'ELCUN.
Or sus, grand Père, oula, oula.
Rendons ce faulx cuenr esloniié.
PERE SAINCT.
Jo tienyno presto lo mio baslonne.
Cacliato beno quel bocconue ,
Pusco titnihar </ueslo heretiqna.
PRAGMATIQUE séoïe.
Ha.! Dieu, lia! poure Pragmatique,
Cil qui le debvroit inainlenir,
Premier le vueil faire mourir.
Dieu je l'en demande vengeance
(Elle tombe à terre.)
« Après la chute de Pragmatique, on ne
tarde pas à violenter les deux Bénéfices.
BÉNÉFICE-GRANT.
Volons nolo, nolens volo.
« Sans s'embarrasser de ce langage <jui
lui est inconnu, Légat unit Bénéfice-Grant
avec l'Ambitieux, et le Petit avec Collation-
Ordinaire. Election et Nomination, après
avoir pleuré leur Mère Pragmatique, se
retirent auprès d'Université, leur aïeule, et
lui font part de leur désastre. Université, au
désespoir, fait de vifs reproches à Père-
Saint, à Quelcun et à Légat. Voici ce qu'elle
ajoute :
Droicl el Raison, je vous commande,
Que alliez sans que plus m'attendent.
La Pragmatique sublever :
Lever cliault, or pour approuver
Ces i'aiclz, niellez Election
Au plus près de Crani Bénéfice ,
Près du Pciii Nomination :
Ainsi le veull Droicl el Justice.
« Et la pièce finit par les vers sui-
vants, qui en contiennent le but et le sens
moral :
Prince qui melz Ions faiclz on excellence
Cetse balence qu'est pleine d'insolence,
D'un cop de lance , rens-la-moi toute élique ,
Remettant sus du loul la Pragmatique, i
0
OCYPUS. — L'Ocypus, placé à tort dans
les œuvres de Lucien, selon M. M.ignin, da-
tant du vi" ou du vu' siècle, et incomplet,
n'a pas paru à l'illustre critique avoir été
destiné à la représentation. (Cf. Jauni, gén.
de l'inslr. publ., 1835, 15 mars, p. 173 )
L'iiz-ûîTouj n'aurait jamais été représenté,
malgré sa forme dramatique, selon M. E ie-
lestand Duméril. (Cf. Orig. lut. du th. mod.;
Paris, 18W, in-8°, p. 10, note 5.)
Le Coureur ('nxûîrov,-) se trouve dans les
diverses éditions de Lucien, et enfin dans
celle donnée parmi les classiques grecs
de la Collection Didot, par M. Dindrorf
(p. 80V.)
ORESTE. — Simer a signalé m Oreste
écrit en vers héroïques, dans un manuscrit
du i\' siècle do la Bibliothèque de Berne.
(Cf. Codic. liibl. Bern. , t. I'r, p. 507.)
M. Edelestand Duméril, qui croit à une
éclipse totale du théâtre, entre les v' et xnT
siècles, en nie le caractère dramatique.
(Cf. Orig. lat. du th. mod., Paris, 18i9, in-8°,
p. 33-3V.)
PARASOLS (fi. de). — Les frères Parfait,
dans leur Jlistoiredu théâtre français (Paris,
1735, in-12, 15 vol., t. 1er, p. 28), 'ont laissé,
sur Parasols (929) et son théâtre, les ren-
seignements qui suivent :
« Parosols (B. de) naquit à Sisteron (Cf.
Duverdieu; Nostuadamus): son père était
médecin de la reine Jeanne, comtesse de
Provence. Parasols avait infiniment d'esprit
et de délicatesse, et ses poésies furent re-
cherchées avec soin par les personnes de
goût; mais rien ne lui fit plus d'honneur
que cinq tragédies qu'il composa contre
Jeanne, reine de Naples et de Sicile, com-
tesse de Provence, et qu'il dédia au Pape
Clément Vil, qui, pour lors, résidait à
Avignon. Ce présent fut récompensé d'un
canonicat à Sisteron. Mais Parasols ne jouit
que peu de jouis de cette dignité, car il
mourut empoisonné en 1383. On ne d.t pas
par qui et pour quel sujet ce malheur lui
arriva.
« Pour ne point interrompre le récit de
la vie de Parasols, nous avons passé légère-
ment sur ses cinq tragédies: ceoendant elles
1920) M. Magnin cile sous la date de 138ô , les
cinq tragédies satyiiqucs contre Jeanne de Naples ,
méritent d'ôlre marquées dans notre his-
toire; mais ce ne serait pas assez d'en
rapporter les titres, il est nécessaire d'en
donnerle plan. C'est ce que nous allons faire
en peu de mots.
VAndriasse, première tragédie.
« Jeanne, première reine de Naples, issue
de Charles d'Anjou, frère de saint Louis,
succéda au roi Robert, son aïeul, l'an 13V3.
Il y avait déjà dix ans qu'elle avait épousé
son cousin, fils de Charles, roi de Hongrie,
le 26 septembre 1333. Ils régnèrent ensem-
ble Irois ans, au bout desquels on prétend
qu'elle le fit étrangler. Voici comment Mé-
zeray, dans son Abrégé chronologique de
l Histoire de France, loin. 111, rapporte ce
fait:
«André n'étant pasassezaugré de Jeanne,
« et s'étant fait couronner roi par le Pape,
« prétendant que le royaume lui apparte-
« noit, quelques conjurés le firent lever la
« nuit d'auprès d'elle, et l'élranglèrentàune
« fenêtre. Charles, prince de Duras, qui
« éloil aussi du sang des rois de Sicile, et
donl Parasols esl l'auteur. (Cf. Journ (jén. dcTinstr.
j-ubl., 18!ïf>, 3 janv., p. 150.)
W17 t'AU
« avoit épousé Marie, sœur de Jeanne, fut
« le conseiller et l'auteur de cette infâme
« action. Jeanne n'en étoit pas innocente;
« elle eut beau se lamenter, ses larmes et
« ses cris l'en justifièrent bien moins que
« son mariage subséquent avec Louis, son
« cousin-germain, beau prince, et selon ses
« désirs ne l'en convainquit. »
La Tharanta, seconde tragédie.
« La suite de l'Histoire de Jeanne sera
l'argument de cette seconde tragédie.
« Ce prince Louis étoit fils de Philippe,
« prince de Tarente, que Jeanne épousa un
« an après la mort de son premier mari,
« mais il ne jouit pas tranquillement de son
« second mariage. Car (c'est Mézerai qui
« parle [930]) Louis le Grand, roi de Hon-
« grie, étant venu en Italie pour venger la
« mort de son frère André, et pour recueillir
« son royaume, traita Charles deDuras tout
« de môme qu'on avoit traité le roi André.
« Il en eût fait autant à la princesse et à son
« beau mari, s'ils fussent tombés entre ses
« mains, c'est pourquoi elle se sauva de
« bonne heure en sa comté de Provence, et
« son mari peu de tems après elle. Le Pape
« Clément VI lui rendit de grands honneurs;
« mais profitant de l'extrême nécessité où
« elle étoit réduite, il tira d'elle la ville et
« le comté d'Avignon, qu'il n'acheta que
« quatre-vingt mille florins d'or de Flo-
« rence (931). Mais par-dessus le marché, il
« approuva le mariage avec le prince Louis.
« qui en récompense ratifia cette vente. On
« dit que Louis ne gardant point la modé-
« ration nécessaire dans les caresses qu'il
« faisoit à la reine sa femme, y ruina sa
« santé, et mourut bientôt; mais c'est une
« médisance, car Louis vécut jusqu'en 1362,
« c'est-à-dire quinze ans après son mariage,
« étant entré dans ses Etats en 1350 par la
« médiation du Pape. » Cependant pour
suivie l'idée du poète, qui ne prétendait
pas justifier la Reine Jeanne,nous lui four-
nirons un garant: c'est Brantôme (Vies des
Dames illustres) qui va prendre ce soin.
« Elle épousa (c'est de Jeanne qu'il parle)
« après, et aussitôt la mort d'André, un de
« ses cousins, fils du prince de Tarente,
« qu'elle aimoit fort durant la vie de son
« mari, qu'elle traita bien, et demeura avec
« elle trois ans en fort grande amitié, mais
« il mourut tout exténué de s'être excessi-
« veraent et trop souvent employé au ser-
« vice de la reine. »
La Malhorquina, troisième tragédie.
« Servons-nous encore de Brantôme [Vies
dfs Dames illustres) , pour donner le plan
de cette tragédie. « Jeanne épousa après,
« pour son tiers mari, Jacques d'Aragon,
« infant de Majorque qui était pour lors le
« plus délibéré prince, dispos et beau per-
« sonnagequi se trouvât en la place, qu'elle
« ns voulut pourtant qu'il portât le titre de
p30) Au III* tome de sou Abréué ae l'Histoire de
France.
DicTiONN. des Mystères.
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
\\\l\
UiS
« roi, ains de simple duc de Calabre ; car
« elle voulait seule dominer et ne-vouloit
« pas avoir de compagnon, ainsi qu'ellefai-
« soit bien et lui montra bien aussi; car
« ayant su qu'il s'éloit donné à une autre
« femme, (malheureux qu'il étoit, car de
« plus belle n'en pouvoil-il choisir que la
« sienne) lui fit trancher la tête et ainsi
« mourut. » Ce qu'il y a de plaisant, c'est
que Brantôme persuadé que la reine ne fit
point mourir son troisième époux, ne laisse
pas de dresser une longue apologie de ce
prétendu supplice qu'il finit par ces mots:
« Qui n'eût condamné ce prince d'avoir
« faussé compagnie à cette belle reine ets'ê-
« tre dérobé pour aller habiter avec une
« autre qui ne la valloit pas en la moindre
« partie de son corps. C'étoit tout ainsi
« qu'un , quLpour éteindre sa soif , dé-
fi laisse la nette et claire fontaine, poural-
« 1er boire dans un marais, sale, boueux et
« tout vilain. »
V Allamunda, quatrième tragédie.
« Enfin Jeanne, (car c'est toujours la con-
tinuation de son histoire) se maria l'an 1376,
avec Othon de Brunswick, prince allemand,
avec lequel elle vécut en bonne intelligence ;
mais Charles Durazzo, général des troupes
du roi ,de Hongrie, vainquit Othon dans
une bataille et le fit prisonnier. Ensuite de
quoi il marcha vers Naples où ayant été
reçu sans résistance, il assiégea la reine et
la princesse Marie, sa sœur, dans le ehâ-
teau de l'OEuf et les força de se rendre.
Alors, maître de la vie de Jeanne et d'Othon,
il les fit étrangler tous les deux en sa pré-
sence. Brantôme (Vies des Dames illustres )
conte un peu autrement la mort de Jeanne,
voici ses termes : « Charles du Durazzo,
« maître du royaume et de la personne de
« la reine Jeanne, fit sçavoirau roi de Hon-
« grie l'état des choses et lui demanda ce
« qu'il feroit de cette princesse. Le roi da
« Hongrie envoya à Charles deux de ses
« barons pour le congratuler de sa victoire,
« et fit réponse qu'il devoit mener la reino
« au lieu propre auquel elle avait fait
« étrangler André, et que en même lieu et
« en même manière il la fil pendre et étrau-
« gler; ce qui fut fait; et ce corps porié
« à Ste.-Claire à Naples. Et après avoir été
« trois jours morte sur terre, fut enterrée,
« et les deux barons en ayant vu l'exécu-
« lion , eu portèrent les nouvelles en Hon-
« grie »
La Johannela ou la Joananda (la Jeanne),
cinquième tragédie.
« Il y a grande apparence que cette tra-
gédie n'était qu'une récapitulation des di-
vers événements de la vie de Jeanne de Na-
ples. Car, Nostradamus en annonçant cette
pièce, « ajoute que le poëte n'y avoit rien
« oublié depuis que cette reine fut de l'âge
« de six à sept ans, jusqu'à la fin de ses
« jours qu'elle prit une telle et malheu-
(931) Quelques-uns disent qu'il ne les paya pas.
(Mezerai, tom. III, page 30.)
US
Uil) PAT
« reuse fin qu'elle avoit l'ait prendre à An-
« dré son mari. » Nous dirons seulement
que Jeanne mourut en 1382, âgée de 58
ans. »
PARIS (Jugement de). — M. O. Leroy si-
gnale parmi les pièces indécentes jouées
aux entrées des rois, le Jugement de Paris.
(cf. Epoques... ch. 8.)
M. Edelesîand Duméril, dans ses Origines
latines du théâtre moderne (Paris, 184-9, in-8",
p. 72) relrouvece mime avec un autre drame
sur les événements <iu temps, dans un livre du
xvji siècle intitulé. Antiquités du triomphe
de Héziers au jour de i Ascension, conte-
?iant l<:s plus rares histoires qui ont été re-
présentées au susdit pur ces dernières an-
nées ; Béziers, 1628.
PATHELIN (La farce de.) — Les frères
Parlait, dans leur Histoire du théâtre fran-
çais (t. 111, p. 1G7) , ont donné l'analyse
suivante de la Farce de Pathelin, sous la
date de l'an 1W4 (932).
« On ignore absolument le nom de l'au-
teur de cette farce et le temps de sa re-
présentation. Tout ce qu'on sait de plus
précis à l'égard du dernier article, nous le
devons à M. de Lacaille, dans son Histoire
de l'imprimerie et de la librairie de Paris,
où il parle d'une édition de Pathelin, chez
Pierre Le Caron qui imprimait vers 1474.
Ainsi, nous supposons cette pièce jouée
vers ce temps qui eut un succès des plus
marqués (933), et dont beaucoup de vers
passèrent en proverbes, môme le nom du
personnage qui donne le titre à la pièce,
de\int et est encore un nom général, pour
désigner un homme qui sous une apparence
de douceur et de probité cherche à tromper
tout le monde.
« Nous allons donner un extrait de cet
ouvrage, quoiqu'extrêmement connu, tant
par son mérite que par la pièce de de
Brueys, qu'on joue très-souvent, qui porte
le titre de V Avocat Pathelin. Nous rendons
compte de celle de l'anonyme.
« Elle ouvre par Pathelin et Guillemette
sa femme. Le premier se plaint du peu de
gain qu'il a fait depuis quelque temps
dans sa profession d'avocat.
6UILLEMETTE.
Nous mourrons do fine famine ,
Nos robes sont plus qu'eslamiue
Reses (934).
(932) M. Magnin, dans son cours à la Faculté des
lettres a signalé, sous la date du xve siècle, le Ser-
ghis de Jean Rcuchlin, comme une imitation de
Pailteiin. (Cf. Journ. gén. de Thistr. publ., 185G,
6 mars p. 292.)
M. F. Génin a publié dans l'Illustration française
(1852, nos 512 et 515, p. 59ti et 410), une version de
la farce de Pathelin, accompagnée de quelques notes.
(933) La grande réputation de cette farce pénétra
jusque chez les étrangers, en faveur desquels Alexan-
dre Connibert en donna une traduction en vers la-
tins, qui fut imprimée à Paris en 1543, par Simon
de Colines, pour François Estienne, sous le titre
suivant : Palelinus nova comœdia, alias Veterator, e
vulgari lingua in latinam traducta per Alexandrum
Cennibertum legum doclorem, et nuper quant dili-
gentistime rccognila : ut çonferenli ciim veteri exem-
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAT
U10
PATHELIN.
Taisez-vous par ma conscience.
Si je ycvùl mon sens esprouver,
Je sçar.rai bien où en trouver
Des robes et des chapperons.
Je m'en veuil aller à la foire.
GUILLEMETTE.
Vous n'avez deider ne maille,
Que ferez-vous?
PATHELIN.
Vous ne sçavez
Belle dame, si vous n'avez
Du drap pour nous deux largement,
Si me desmentez hardiment.
« Pathelin quitte Guillemette, et va abor-
der Guillaume Joceaume, drapier. Après les
premiers compliments, il entre en matière
avec le marchand et donne de grands éloges
au père de ce dernier.
PATHELIN.
Ha! qu'estoit un homme sçavani!
Je requier Dieu qu'il en ait lame.
De votre père ; doulce dame !
Il m'est advis tout clerement
Que c'csl-il de vous proprement.
Qu'esloit-ce, un bon marchand et saigo?
Vous lui ressemblez de visaige,
Pardieu, comme droicte painture.
Se Dieu eut oncq de créature
Mercy, Dieu vray pardon luy fasse
A l'aine.
LE DRAPPIER.
Amen, par sa grâce,
Et de nous qaanï 11 luy plaira.
PATHELIN.
Par ma foi, il me déclaira
Maintesfois et bien largement
Le temps qu'on voit présentement,
Moult de fois m'en est souvenu :
Et puis, lors ii estoil tenu
L'un des bons
« De ce discours, Pathelin passe a I'
du commerce, et ensuite jetant la vue
une pièce de drap.
Cestuy-cy est-il taint en laine?
Il est fort comme un cordoiien.
LE PRAPPIER.
C'est un très-bon drap de Rouen
Je vous prometz, et bien drappé.
PATHELIN
Or vray ment, je suis attrappé
état
sur
plari plane nova , hoc est longe lersior , latinisque
auribus gralior videatur. Celle traduction est à la
vérité assez exacte. On y a ajouté le rôle d'un ac-
teur (personnage) que l'on introduisait assez com-
munément dans ce temps-là, et qui servait à faire
remarquer aux spectateurs les plus beaux endroits
de la pièce. — Cette farce expurgée , augmentée ,
mise en vers latins pourplaire aux oreilles savantes,
parut sous les auspices dedom P. Colson, dTleuricus
Sussaneus, de Nicolas Jucundus et de Jean Masset.
En épigraphe on lit : Plus olei quant vint. Elle forme
un tout petit livret de 29 feuillets numérotés, for-
mant 58 pages. Il faut ajouter au litre donné par les
frères Parfait ces mots qui indiquent la main des
savants Etienne : Cum privilegio. Imprimebal Simon
Colinœus Francisco Stéphane, 1545.
(954) Rases, usées.
1421
PAT
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
PAT
liii
J'avois mis à part quatre vingt
Escus, pour retraire une rente,
Mais vous en aurez vingt ou trente,
Je le vois bien, car la couleur
M'en plaist très-tant que c'est douleur?
LE DRAPP1ER.
Escus? voire se peul-il faire?
Que ceulx dont vous devez retraire
Cesle rente, prinssenl monnoye?
PATHELIN.
Et ouy dea, si je le vouloye,
Tout m'en est un en payement.
Quel drap est cecy? vrayement
Tant plus le voy, tant plus m'3ssolle :
H m'en l'ault avoir une cotte,
Rrief, et à ma femme de mesme.
« Guillaume dit le prix de l'aune de son
drap; Pathelin marchande quelque tearps, et
enfin il consent à le prendre : on le mesure,
et il s'en trouve six aunes.
PATHELIN.
Or sire , les voulez-vous croire (935)
Jusques à jà quand vous viendrez,
Non pas croire, mais les prendrez
A mon huys, en or, ou monnoye.
LE DRAPPIER.
Noslre Dame! je me lordroye
De beaucoup à aller par-là.
PATHELIN.
Hée! vostre bouche ne parla
Depuis, par Monseigneur sainct Gille,
Qu'elle ne dit pas Evangile :
(/est très-bien dict, vous ne voudriez
Jamais trouver nulle aclioison (936)
De venir boire en ma maison.
Or y burez-vous ceste fois.
LE DRAPPIER.
Et par sainct Jacques jo ne fois
<iueres autre chose qu6 boire,
Je irai : mais il fait mal d'accroire,
Ce sçavez-vous bien, à l'estraine.
PATHELIN.
Souffn-il se je vous estraine
D'escus d'or, non pas de monnoye?
Et si mangerez de mon oye,
Par Dieu, que ma femme rostit.
LE DRAPPIER.
Vrayment, cest homme m'assotist;
Allez devant, sus, j'iray donc^ues,
Et les porleray.
PATHELIN.
Rien quiconques
Que me grevera-t'il? pas maille,
Sous mon aisselle?
LE LRAPP1ER.
Ne vous chaille.
Il vaut mieux, pour le plus honnesle,
Que je le porte.
PATHELIN.
Malle festc
» M'envoye saincte Magdaleine,
Si vous en prenez jà la peine.
(935) Croire, credere aliquid alicui. Prêter quel-
que chose à quelqu'un.
(936) Achoison, occasion.
(937) Les sergents étaient alors vêtus d'habits
rayés, aussi Thibault Agnelet, qui affectait ne con-
C'est très-bien dict, dessous l'aisselle,
Cecy me fera une belle
Bosse ; ha! c'est très-bien, allé
Il y aura beu, et galle
Chez moy, ains que vous en aillez.
LE DRAPPIER.
Je vous prie que vous me baillez
Mon argent dès que j'y seray.
PATHELIN.
Feray. Et parbleu non feray
Que n'ayez prins votre repas
Très-bien : Et si ne voudroye pas
Avoir sur moi de quoy payer ;
Au moins viendrez-vous essayer
Quel vin je bois.
« Pathelin emporte le drap, et revient
chez lui, où il fait part à Guillemette sa
femme, de la façon dont il s'est pris pour
tromper Guillaume.
11 doit venir manger de l'oye,
Mais voicy ce qu'il faudra faire ;
Je suis certain qu'il viendra braira
Pour avoir argent promplement;
J'ai pensé bon appoinciement.
Il convient que je me couche,
Comme un malade sur ma couche,
Et quand il viendra, vous direz
Ah ! parlez bas, et gémirez
En faisant une chiere fade :
Las! ferez-vous, il est malade
Passez deux mois, ou six semaines :
El s'il vous dict, ce sont trudaines,
SI vient d'avec moi tout venant;
Helas! ce n'est pas maintenant,
(Ferez-vous) qu'il faut rigoîler,
Et le me laissez flageoller,
Car il n'en aura autre chose.
GUILLEMETTE.
Par l'ame qui en moy repose',
Je feray très-bien la manière.
« Guillaume arrive, et demande Pathelin :
sa femme Guillemette fait la désolée, et dit
que son mari est malade depuis six semai-
nes, et qu'actuellement il est à l'extrémité.
Le drapier ne comprend rien à ce discours,
et ne saurait se persuader qu'un homme
qu'il a vu le matin on bonne santé, soit
dans un état si pitoyable. Pathelin paraît,
qui feint un délire des plus violents. Il se
sert de cinq ou six jargons pour répondra
à Guillaume, qui lui demande de J'argent in
drap qu'il lui a vendu. Enfin ce malheureux
drapier est obligé de s'en aller, après avoir
vainement demandé le payement de sa mar-
chandise. Cependant Guillaume est abordé
par son berger nommé Aignelet.
LE BERGIER.
Dieu vous doinl benoiste journée,
Et bon vespres, monseigneur doulx.
LE DRAPPIER.
Ha! es-lu-là, truaux merdoux ,
Quel bon varlel! mais à quoi faire?
LE BERGIER.
Mais qu'il ne vous vueille desplaire,
Ne sçay quel vestu de royé (937)
naître pas même un sergent, ni les marques aux-
quelles ils étaient reconnus, dit :
Ne scay quel veslu de royé,
Qui tenoii un fouet sans corde.
C'est-à-dire une verge.
i23
PAT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAT
iiîi
Mon bon seigneur, tout tlesvoyé,
Qui tenoit un fouet sans corde.
M'a dict : mais je ne me recorde
Point bien au vray ce que peuteslre :
II m'a parlé de vous, mon maisire,
Et ne sçay quelle adjournerie.
Quant à moy, par saincie Marie,
Je n'y entends ne gros, ne gresle :
11 m'a brouillé de pesle mesle,
De brebis, et de relevée,
Et me a fait un grand'levée
De vous, mon maistre, et du boucher.
LE DRAPP1ER.
Si je ne te fais emboucher,
Tout maintenant devant le juge,
Je prie à Dieu que le déluge
Courre sur moy, et la lempeste :
Jamais tu n'assommeras besle
Par moi, qu'il ne l'en souvienne;
Tu me rendras, quoiqu'il advienne.
Six aulnes... dis-je, l'assommaige
Que tu m'as faict depuis dix ans.
LE BERGIER*
Ne croyez pas les médisans,
Monseigneur, accordons ensemble.
Pour Dieu, que je ne plaide point.
LE BRAPPIER.
Va, ta besongne est en l'on point :
Va-l'en, je m'en accorderay
Pardieu, ne l'en appointeray
Qu'ainsy que le juge fera.
LE BERG1ER.
Adieu, sire, qui vous doint joye.
(A part.)
il fault donc que je me deffende.
V a-l-il ame-là?
{Frappant à la porte de Palhelin.)
PATHELIN.
Dieu te gard, Compain (938). Qu'il te fault?
LE BERG1ER.
On me piquera en deflaull
Si je ne vois à ma journée;
Monseigneur a de relevée,
Et s'il vous plaisl vous y viendrez,
Mon doulx maistre, et me détiendrez
Ma cause : car je n'y sçay rien,
Et je vous payeray très-bien,
Partant si je suis mal vesiu.'
PATHELIN.
Or viençà, parle, qu'es-tu?
Ou demandeur, ou deffendeur?
LE BERG1ER.
J'ay à faire à un entendeur;
Entendez-vous bien, mon doulx maistre,
A qui j'ay longtemps mené paistre
Les brebis, el les luy gardoye,
Par mon serment, je regardoye
Qu'il me payoil petitement.
Diray-je tout?
PATHELIN.
Dea sûrement ,
A son conseil doit-on tout dire.
LE BERGIER.
Il est vrai, et vérité, sire,
Que je les luy ay assommées,
Tant que plusieurs se sont pasmées
Mainlesfois, et sont cheules mortes,
Tant fussent-elles saines el fortes ;
El puis je luy faisois entendre.
Afin qu'il ne m'en peust reprendre,
Qu'ils mourroient de la clavelée :
Mal fait-il, ne soit plus ineslée
Avec les autres, gelle-là.
Voulenliers, fais-je, mais cela
Se faisoil par une autre voye,
Car par sainct Jehan, je les mangeoye,
Qui scavoye bien la maladie.
Que voulez-vous que je vous die?
J'ay cecy tanl continué,
J'en ay assommé, el tué,
Tant qu'il s'en est bien aperçu,
El quant il s'est trouvé déçu ,
M'aisl Dieu, il m'a fait espier,
Car on les ouist bien crier,
Enlendez-vous, quant on lesçait;
Or j'ay esté prins sur le faict,
Je ne le puis jamais nier.
Si vousvoudroye bien prier
(Pour du mien, j'ay assez finance)
Que nous deux luy baillons radvauee;
Je scay bien qu'il a bonne cause,
Mais vous trouverez bien clause
Se voulez, qu'il l'aura mauvaise.
PATHELIN.
Par ta foi, seras-tu bien aise
Que donras-lu, si je renverse
Le droit de la partie adverse,
El si je te renvoyé absouz.
LE BERGIER.
Je ne vous payeray point en soulz,
Mais en bel or à la couronne.
PATHELIN.
Donc, tu auras ta cause bonne.
Si tu parles, on te prendra
Coup à coup aux positions;
Et en lelz cas, confessions
Sont si très-préjudici;rbles
Et nuisent tant que ce sont diables.
Pour ce, vecy que lu feras,
J'à lost, quant on l'appellera,
Pour comparoir en jugement,
Tu ne repondras nullement
Fors bée, pour rien que l'on le die;
Et s'il advient qu'en le mauldie,
En disant, hé cornait, puant,
Dieu vous mette en mal, truant.
Vous moquez-vous de la justice?
Dy, bée. Ha ! feray-je, il est^nice,
Il cuide parler à ses besles :'
Mais s'ils dévoient rompre leurs lestes.
Qu'autre mot n'isse de ta bouche,
Carde-t'en bien.
LE BERGIER.
Le faict me louche
Je m'en garderay bien, vrayment,
El le feray bien proprement :
Je vous le promeiz, et afferme.
PATHELIN.
Or l'en garde, liens toy bien ferme,
A moy-mesme, pour quelque chose
Que je te die, ne propose, ,
Si ne repondz point aultremenl.
LE BERGIER.
Moy, nenny, par mon sacrement,
Dites hardiment que j'affolle
(D38) Compain, compagnon.
i isr>
PAT
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
PAT
14 -26
Si je dy Imy aune parole
A vous, ne à aulre personne,
Pour quelque mot que Ton me sonne,
Fors bée, que vous m'avez aoprins.
« Voici le plus comique de la pièce.
Palhelin se présente devant le juge pour dé-
fendre Aignelet. Guillaume arrive, et plaide
lui-môme sa cause contre son berger. 11
aperçoit Palhelin : à cette vue il s'em-
brouille , et confond dans son discours les
moulons égorgés et volés par Aignelet, avec
les six aunes de drap emportés par Pathelin.
le juge s'impatienle des interruptions, et
du prétendu galimatias de Guillaume, et lui
dit :
Sus, revenons à nos moutons;
Qu'en fut-il?
LE DIUPPIER.
Il en prit six aulnes
De neuf francs.
LE JUGE.
Sommes- nous béjaunes.
Ou, cornart, ou cuidez vous eslre?
« Pathelin triomphe du désordre où se
trouve Guillaume pour faire entendre au
juge que ce drapier n'a que de mauvaises
raisons à alléguer contre sa partie. Le juge,
pour éclaircir l'affaire, interroge le berger,
<jiâ suivant le conseil de Pathelin, ne ré-
pond que Bée.
LE JUGE.
Yecy angoisse.
Quel bée est cecy, suis-je chiévre?
PATHELIN.
Croyez qu'il est fol ou leslu.
Ou qu'il cuide eslre entre ses Lestes.
« Guillaume recommence son discoure, et
«e confond de plus en plus.
LE DRAPP1ER.
Or ça je disoye
A mo;> propos comment j'avoye
îi;(illé six aulnes, dois-je dire,
Mes brebis? Je vous en prie, sire,
P;irdonnez-moy. Ce gentil maisire
Mon bergier, quand il devoit estre
Aux ebamps, il me dit que j'oroye
Six escus d'or, quant je viendroye :
Dis-je depuis trois ans en ça :
Mon bergier me convenança (959)
Que loyaulment me garderoit
Mes brebis, et ne m'y leroit
Ne dommage, ne villenie :
El puis maintenant il me nie
El drap et argent piaillement.
Ha! maistre Pierre vraymenl;
Ce ribaul-cy m'embloil les laines
De mes besles, et toutes saiiif*
Les faisoit mourir et périr,
Pour les assommer, elferir,
De gros basions sur la cervelle :
Quant mon drap fut soubz sou aiastile
Il se mil au chemin granl erre,
El me dit que j'allasse quene
Six escus d'or en sa maison.
(959) Convenancer , promettre.
(9iO) M. 0. Leroy classe parmi les drames salii i-
LE JLG3.
Il n'y a rime ne raison
En tout quanque vous rafardez :
Qu'esse-cy? vous entrelardez
Puis d'un, puis d'autre : somme loule,
Par la sangbieu, je n'y voy goule.
Il brouille de drap, el babille
Puis de brebis, au coup la quille
Chose qu'il dit ne s'enlrelient.
« Guillaume veut reprendre son plaidoyé,
et ne s'explique pas mieux que les précé-
dentes fois. Le juge le prend pour un vi-
sionnaire, renvoie le berger absous et s'en
va. Guillaume au désespoir du jugement,
fait de grandes menaces à Pathelin, et se
retire. Pathelin reste avec Aignelet, et après
l'avoir félicité sur le gain de sa cause, il lui
demande de l'argent. Aignelet, suivant la
parole qu'il a donnée à Pathelin, ne répond
que Bée, à tout ce que ce dernier lui dit.
Palhelin s'aperçoit enfin qu'il est trompé.
PATHELIN.
Maugrebieu, ay-je tant vescu,
Qu'un bergier, un mouton vestw,
Un villain paillarl me rigolle.
LE BERGIER.
Bée.
PATHELIN.
Par sainct Jehan, tu as bien raison,
Les oysons mènent les oyes paisires
Or cuidois-je eslre sur tout maisire
Des trompeurs d'ici, et d'ailleurs,
Des fors corbineurs, des bailleurs
De paroles en payement
A vendre au dernier jugement :
Et un bergier dès champs me passe :
Par saJncl Jacques, se je irouvasso
Un bon sergent, te feisse prendre.
LE BERGIER.
Bée.
PATHELIN.
Heu ! bée, l'en me puisse pendre
Si je ne vois faire venir
Un bon sergent : mésadvenir
Luy Duisse, s'il ne t'emprisonne.
LE BERGIER.
S'il me treuve, je luy pardonne. »
PATHELIN (Le testament de). — Les
frères Pariait , dans leur Histoire du théâtre
français (t. III, p. 190) donnent l'aperçu sui-
vant de cette pièce (9'»0), sous la dale de
*'<ui 1520:
Je. testament de Pathelin, farce à quatre per-
sonnages, sçavoir :
PATHELIN,
GU1LLEMETTE,
L APOTIIIQUA1RE,
MESSIRE JEHAN LE CURÉ.
« Comme nous ne connaissons cette farce
que par la réimpression que feu Coustelier
en fil en 1723 à la suite de celle de Pathelin,
nous ne pouvons fixer la dale de la première
édition. A en juger par le langage, elle pa-
rait avoir été composée vers 1520. C'est l'é-
poque que nous lui donnons en allendant
qiies, précurseurs de la Réformalion , le Routedit
J'ailielin. (Cf. Epoques. .. cil. 8.)
U27
PAU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PAY
Î4S8
d'autres éclaircissemenls. Au reste, ellu
n'est pas d'un grand mérite. Voici en peu
de mots quel en est le sujet.
« Palhelin ouvre la scène et appelle sa
femme Guillemette, pour qu'elle lui donne
son sac, dont il a besoin pour aller aux
plaids. A peine Pathelin est parti qu'il re-
vient, en disant qu'il se meurt. Sa femme
court chercher l'apothicaire et le curé. Ces
derniers arrivent. Le premier assure que le
malade n'en peut revenir et le curé le con-
fesse. Ensuite Pathelin fait son testament et
expire en disant :
Hélas! Guillemeile, ma femme,
Il est à ce coup faict de moi ;
A dieu, jamais mot ne diray,
La mort va faire son effort.
GUILLEMETTE.
Ha! Noslre Dame de Monlfor»,
Le bon Maistre Pierre est basi.
MESSIRE JEHAN.
Le remède est prier pour luy .
El requiescanl in pace,
Oublier faut le temps passé.
Rien n'y vault te desconforl.
l'apotoiquaire.
Jésus luy soit miséricors,
El à tous ceulx qui sont en vie.
GUILLEMETTE.
Amen, et la Vierge Marie.
MESSIRE JEHAN.
Or pensons de le mettre en hierre r
Jésus luy soit miséricors.
GUILLEMETTE.
Hélas ! quant de luy me retors,
Je suis amèrement marie.
MESSIRE JEHAX.
Jésus luy soit miséricors.
GUILLEMETTE.
Amen, et la Vierge Marie.
MESSIRE JEHAN.
Jésus luy soit méricors
Et à tous ceulx qui sont en vie.
Adieu toute la compagnie. »
PAUVRES DIABLES (Les). - Les poures
deables, farce nouuelle a vu personnages, c'est
a scauoir :
LA FILLE DESBaUCHÉF. r
l'amant VER...
et LE MOYNNE.
LA REFORMERESSE,
LE SERGENT,
LE PREBSTRE,
LE PRATICIEN.
Cette farce date du xvr siècle.
On la trouve dans le manuscrit du la Bi-
bliothèque impériale, fonds La Valliëre,
n° 63.
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de farces (Paris,
ïcchener, 1831-1837, 4 vol. pet. in-8°).
la reformeresse commence :
« A bien parlar bien besongnar, »
Dict l'Auvergnat Jeban de Souefons
En ce lieu veulx monslrer mon art
Dire ma barangue et raisons
De faire cent comparaisons...
PAUVRE VILLAGEOISE (La). Voy.
Villageoise (La pauvre).
PAYEUR(Lebo*).— Voij. Bon payeur (Le).
PAYSAN DE MICHEL PLOCHYRE (Le).
— Michel Plochyre vivait au xn* siècle et
écrivait en grec.
Le drame qui reste de lui a été édité, pour
la première fois en 1593, par Féderic Morel
à Paris (in-8° de 16 pages), par Maitlaire à
Londres (Miscell. 1722) et par M. Dùbner
dans la Collection des classiques grecs de
M. Didot ; on n'en connaît plus de manus-
crits.
M. Diihuera constaté de nombreuses in-
fidélités dans l'édition de Morel, qui lui a
semblé revue et corrigée au caprice de l'é-
diteur.
L'unique traduction qui en existe est
celle de ce même Morel ; on n'en connaît
point de version française.
Le drame est considéré par M. Dùbner
comme la meilleure production'des Bysan-
tins.
Dans son cours professé à la Faculté des
lettres, M. Magnin cite un fragment *du
drame de Plochyre, sous la date du xn*
siècle ; il déclare cette pièce ingénieuse et
froide; il y remarque enfin des notions
théologiquës, scientitiques et morales, bi-
zarrement juxta-posées. (Cf. Journ. gén. de
l'Instr. publ., 1835, 3 septembre, p. 161).
Le Drame de Michel Plochyre ' est pour
M.Edelestand Duméril une production d'une
époque évidemment chrétienne, mais im-
possible à fixer; il le considère comme vé-
ritablement dramatique. (Cf. Origine latine
du théâtre moderne ; Paris, 1849, in-8% p. 10,
note 5.)
Le paysan de Michel Plochyre.
PERSONNAGES.
LE PAYSAN, LES MUSES,
LE SAGE, LE CHOEUR.
LA FORTUNE,
le paysan. Salut! ô Fortune, trois fois heureuse,
trois fois vénérable! Tous mes souhaits sont d'avoir
votre aide, et de vivre sous votre précieuse con-
duite.
le sage. Holà! Paysan, de quelle déesse parlez-
vous sons ces termes de trois fois bienheureuse et
trois fois vénérée? N'est-ce pas à juste litre que tout
le monde l'abhorre, celte misérable [Fortune], qui
nous arrache sans cesse au droit chemin?
le paysan. Tenez un peu votre langue, et fermez
votre bouche caqueleuse. Ne redoutez-vous point
d'exciler la colère de la grande déesse? Elle est en
tout lieu, et voit tout...
le sage. Eh! quel bomme de bon sens fait son
culte d'une déesse aveugle?
le paysan. Esprit obtus ! le mien y voit clair.
le sage. Comment! est-elle aux portes d'un pay-
san?
le paysan. C'est qu'elle savait mon foyer loin
rempli de son nom, et qu'à son approcbe elle trou-
verait les portes ouvertes.
le sage. C'est étrange! Mais vous dites vrai; je
me ligure à celte heure ce qui a dû se passer.
le paysan. Que conjecturez-vous? Parlez plus clai-
rement.
le sage. Elle venait évidemment cbez moi. Mais,
la vieille décrépite, avec ses jambes branlantes! la
malheureuse! à cette heure du soir, dans les pre-
mières ombres , ses pieds tonus l'ont fait dévier de
sa roule; elle sera tombée el blessée sur les cailloux,
!*29
l'A Y
NOTICE SUK LE THEATRE LIBRE.
TEL
U50
souffrant soudain de quelque douleur vive, c'est
pour se reposer un peu, en attendant de revenir jus-
qu'à ma maison qu'elle aura frappé d'abord à la porte
close, puis'voyant ouvert un huis voisin, qu'elle sera
entrée, cherchant un refuge.
la fortune. Cela fait enrager d'entendre dire que,
moi, la plus rapide des divinités, moi! je suis boi-
leuse. Moi, qui commande à la terre, moi qui m'é
lève jusqu'aux cieux, et à qui tout obéit, partout!
le sage. Scélérate vieille! Le plus funeste mal du
genre humain! chargée d'ans et de loques! dégoû-
tante d'infirmités! à qui accordes-tu les faveurs, si-
non aux plus indignes?
i.a fortune. Bonhomme, lu aimes à remuer la
langue. Tu le vantes connue un fou , cl lu bredouilles
avec impudence. Tu es hardi. N'as-lu pas les dons
des Muses si lu n'as pas ceux de la Fortune? L'élo-
quence, la poésie le sont familières. Appelle les Mu-
ses dans la cause, et porte leur tes plaintes. Mais
va-t-en.
le sage. Va au malheur! Démon. Egare-toi, péris,
ô loi qui m'objecte par envie les dons des Muses!
les muses. Salut ! 6 le plus éloquent des hommes.
le sage. Eh! vous, taisez-vous. Pas de bruit.
Chut! II est venu du bruit à mon oreille. Ouvrez la
porte, on va frapper
les muses. Salut! ô le plus illustre des orateurs.
le sage. Ah! quel bonheur nous arrive en ce mo-
ment?
les muses. O charmes, ô délices, ô grâces de la
parole!
le sage. Je veux l'aimer, ô chœur. Courons chez
moi.
le choeur. Réjouissez-vous , mon maître : voici
les Muses.
le sage. Vraiment. Meiiez-Ies dehors, repoussez-
les loin de la maison.
le choeur. C'esl ce que vous ne ferez pas, maître,
devant de si grandes déesses.
le sage. El en quoi donc ai-je jamais connu la
puissance de ces déesses, je le demande?
le chœur. Ne sonl-cepas elles qui ont fait devons
un si éminenl rhéteur?
le sage. Et quels biens m'a apportés la science!
le choeur. N'èles vous pas le plus habile pour les
bons conseils?
le sage. J'en suis pourtant encore à chercher
par quel moyen arracher mes jours à la misère; et
je n'ai pas trouvé la solution du problème.
le choeur. Vous avez en vous, les plus riches
trésors de la sagesse.
le sage. L'éloquence n'a pas cours aux marchés.
le choeur. La gloire esl-elle au-dessous de la ri-
chesse?
le sage. La gloire remplit-elle le ventre qui a
faim? ô misère! oh! combien sont supérieurs les
écus du paysan!
le choeur. Voudriez-vous donc êlre ce paysan
plutôt qu'un sage?
le sage, le voudrais êlre casseur de pierres ou
corroyenr; une machine, n'importe laquelle. Le gur-
gollier, le lourd savelier, incapable de dire quatre
paroles, couvrant loul des jets de sa salive dans sou
bavardage insipide, ne parlant que barbarismes,
ignoble, grossier, esl pourtant l'homme qui marche
le mieux dans les chemins tortueux , accompagné,
comme un prince, d'un cortège à qui s'adresse sa
superbe vantarde. Mais celui nui , pour inspirer le
respect, n'a que sa pensée, erre, sans abri, parmi les
malheurs, et avec la pauvreté.
Les hommes de sens oui rarement les faveurs des
assemblées. Voilà pourquoi je fais fi des savants el
je vante les ignorants.
Désormais Toi parle et se fail écouler.
le choeur. O maître! épargnez-nous ce langage.
L tissez parler ici les Muscs. Les voici; ce sont elles
d;ms loule leur élégance.
les muses. Hélas! combien n'avons-nous pas
pleuré, nous, dispensatrices de la science et déesses
de l'éloquence !
le sage. Et pourquoi coulaient tant de larmes?
les muses. Nous l'a vous ouï : vous, voués a la Pa-
role, vous nous avez maudites, nous, souveraines de
la Parole.
le sage. C'est vrai. Mon avis esl encore que vous
êtes inutiles et haïssables.
les mises. Quelle raison avez-vous de nous haïr?
I)iles-le, au moins.
le sage. Je travaille dans la pauvreté et la souf-
france; je n'ai rien, rien.
les muses. La lerre produit pourtant des chardons
el du foin.
le sage. O exécrables créatures! pourquoi n'avez-
\ous pas le boyau à la main? pourquoi, funestes
[compagnes], ne faites-vous pas les récoltes au plus
vite?
les muses. Malgré la science, lu ne sais pas en-
core modérer tes passions.
le sage. Ne suis-je pas né homme? Me faut- il
donc brouler l'herbe? 6 rage! vous m'avez mis au
rang des ânes.
les muses. Adorateur de l'or, lu persistes donc
dans ta faille. Tu n'aimes plus la gloire suprême de
la vertu, lu veux l'enivrer dans une orgie d'or.
le sage. Oui, je voudrais enfin savoir ce que c'est
qu'une ivresse quelconque.
les muses. El ne vis-tu jamais un ivrogne soûlé?
le sage. Dites-moi toujours ce que c'esl que le vin,
el surtout point d'obscurités, point d'ambages : ma
soif ne s'est jamais étanchée que d'eau.
la fortune. Eh bien, le voilà plus élégant dans
les expressions avec les Muses qui, pourtant, ne te
sont pas bienveillantes.
le sage. Vieille profane et odieuse ! vieille des
vieilles! commune peste de l'homme, première
source du mal, fontaine des vices, dis, à qui en as-
tu? J'aimerais mieux parler je ne sais quoi, el ne
pas avoir sur le dos cel habit de rebut et de plomb,
ne jamais manquer ni de viande, ni de vin, que d'a-
valer des légumes grossiers, comme un sanglier sau-
vage dans le fond des bois.
les muses. Gomment, n'as-tu que ruine cl désola-
lion dans l'esprit. Tu dis des bêtises, savant docteur
jusqu'à présent. Ne le resle-l-il pas lueur de bon
sens? Eh bien! puisse bientôt êlre réalisé ion espoir
futile; puisses-tu voir des trésors el vivre dans le
luxe.
le sage. Ainsi soil-il ! Ce n'esl pas près d'arriver.
Je crains encore de tomber à pis.
Loué soil Dteu.
PÈLERIN [Le jeu du). — Li jus du Pèle-
n'n date du xiii* siècle; on en ignore l'auteur;
M. de Monmerqué sérail d'avis qu'il appar-
tient h Adam de La Halle, ou de Le Halle.
Celle pièce se trouve dans le manuscrit
de la Bibliothèque impériale, fonds La Val-
lière, n° 31.
Le Pèlerin a été publié par M. de Monmer-
qué, pour la première fois, en 1822, pour la
Société des bibliophiles français, au nombre
de trente exemplaires seulement, avec li
Gicus de Robin et de Marion. li est reproduit
dans le Théâtre français au moyen âge de
MM. Monmerqué el Francisque Michel (Pa-
ris, 1839, gr. in-8u).
De Roquefort mentionne le Pèlerin et l'at-
tribue à Jean Bodel. (Cf. De l'état de la pods.
fr. dans les xii* et xui* siècles ; Paris, 1815,
in-8", p. 261.)
M. Magnin l'examine dans son cours pio-
jttl
TEL
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PEL
1432
fessé a la Faculté des lettres sous la date du
xiii' siècle. (Cf. Journ. gin. del'inst. publ. ;
1836, Hjanv., p. 172.)
M. Monmerqué a dit du Jeu du Pèlerin
que son auteur était inconnu, que le jeu était
une sorte de prologue de Robin et Marion, et
enfin l'oraison funèbre d'Adam de La Halle.
(Cf. Le Théâtre français au moyen âge; l'a-
ris, 1839, gr.in-8", p. 30.)
Li Jus du Pèlerin.
PERSONNAGES.
LI PELERINS,
gautiErs, appelé d'abord i.i vilains,
cuios,
Lu scène est à Arras.
WARNlERS,
ROGAUS.
LI PELERINS.
Or pais, or pais, segnieur! et à mois entendes :
Nouveles vous dirai , s'un petit attendes,
Par coi treslous li pires de vous iert amendés.
Or vous taisiés tout coi, si ne me reprendés
Segî.ieur, pèlerins sui, si ai aie maint pas
Par viles, par casliaus, par chilés, par trespas
S'aroie bien mestier que je fusse à repas;
Car n'ai mie par tout mont bien trouvé mes pas.
Bien a trente clu'enc ans que je n'ai aresté,
S'ai puis en maint bon lieu et à maint saint esté,
S'ai esté au Sec- Arbre et dusc'.à Duresté (941) ;
Dieu grasci qui m'en-a sens etpooir preste.
Si fui en Famenie, en Su rie et en Tir ;
S'alai en un pais où on est si entir
Que on i muert errant quant on i veut mentir,.
Kl si est tout quemun.
LI VILAINS.
Je l'en vœil desmenlir,
Car entendant nous fais vessie pour lanterne.
Vous ariés jà plus cbier à sir en le taverne
Que aler au mouslier.
LI PELERINS.
Pechié fait qui me ferne,
Car je sui mont lassé ; esté ai à Luseme,
En Terre de Labour, en Toskane, en Sezile;
Par Puille m'en reving où on lint maint concilie
D'un clerc net el sousiieu, grascieux et nobile
El le nomper du mont; nés fu de cesie ville;
Maislres Adans li Bocbus esloit cbi apelés,
Ella, Adans d'Arras.
LI VILAINS.
Très mal atrouvelés
Soiiés, sire, con vous avés nos ans pelés!
Est-il pour truander 1res bien alripelés?
Alés-vous-en de cbi, mauvais vilains puans,
Car je sai de cherlain que vous estes truans :
Or lost fiiés-vous-enl, ne soies dcluans,
Ou vous le comperrés.
LI PELERINS.
Trop par estes muans;
Or atcndés un peu que j'aie fait mon conte.
Or pais, pour Dieu, signeur! Cbis clers don je vous
conte
Ert amés et prisiés el bonnerés (942) don conte
D'Artois; si vous dirai mont bien (lequel aconte :
Chiens maistre Adam savoit dis el ebans conirou-
ver,
El li quens desirroil un tel home à trouver.
Quant acointiés en fu, si li ala rouver
Que il féist uns dis pour son sens esprouver,
Maiètre Adans, qui en seul 1res bien chief venir,
(9 il) Voyez, sur ce nom, le Glossaire de la Chan-
son de Roland, p. 181, col. 2, au mol Durestant.
(942) Et probablement enrichi aussi : c'esi ce que
nous donne à penser le passage suivant :
Après vi-jou un maistre Arlan,
S'ame esl passée outre le dan
LE PELERIN.
Chut ! chut! seigneurs, écoulez-moi .: j'ai à vous
parler... un peu de patience... j'ai des nouvelles par
lesquelles le pire devons sera amendé! Chut! ions.
Paix! ne m'interrompez pas. Seigneurs , je suis
pèlerin, et j'ai fait mainl voyage par villes, châteaux,
cités, défilés, et j'aurais bien besoin d'avoir du repos,
car je n'ai pas très-bien trouvé ma nourriture par-
tout. 11 y a trente-einq ans que je ne me suis arrêté,
et j'ai durant ce temps parcouru bien des lieux et vu
bien des saints. J'ai été au Sec-Arbre et jusqu'à Du-
resté; je remercie Dieu qui m'en a donné l'idée et le
pouvoir. J'ai été en Famenie, en Syrie et à Tyr; je
suis allé dans un pays où l'on esl si véridique que
l'on y meurt sur l'heure quand on y veut mentir, ce
qu'on y voit tous les jours.
LE VILAIN.
Je l'en veux donner le démenti. Nous t'écoutons,
mais tu nous oflres des vessies pour des lanternes.
Vous êtes de ceux qui aiment mieux être assis en la
taverne que d'aller au moulier.
LE PÈLERIN.
Péché fait qui me frappe, car je suis très-las:
j'ai été à Luseme, en Terre de Labour, en Toscane,
en Sicile; je m'en revins par la Pouille où l'on s'en-
tretint beaucoup d'un clerc net et subtil , gracieux
cl noble, et qui n'avait son pareil au monde; il fui
natif de celte ville; il était appelé ici maître Adam
le Bossu, et là Adam d'Arras.
LE VILAIN.
Très-mal venu soyez, sire, comme vous avez pelé
nos aulx ! Est-il pour gueuser irès-bien enlripaillé;
Allez-vous- en d'ici, mauvais vilain, car je sais de
source certaine que vous n'êtes qu'un truand : or
fuyez tôt, ne tardez pas, ou vous le paierez.
LE rÈLEBIN.
Vous êtes trop turbulent; attendez un peu que
j'aie fini mon récit. Or paix, pour (l'amour de) Dieu,
seigneur! Ce clerc dont je vous conle était aimé et
prisé du comte d'Artois, et je vous dirai bien à quel
propos : ce maître Adam savait composer dits et
chants, et le comte désirait trouver un tel homme.
Quand il fut en rapport avec lui, il l'alla prier de
lui faire un dit pour éprouver son esprit. Maître
Adam, qui sut bien venir à bout, en fit un dont on
doit très-bien se souvenir; car il est très-beau à ouïr
el bon à retenir. Le comte n'aurait pas donné b
pièce pour cinq cenls livres. A celte heure maître
De s'en avoir a. i. grain mont.
Se ferne voir de Mirauniool
Mauciotis a le remanani;
Mais jou n'i iai aparlenant,
Foi ke doi Diu le père nostre,
Ki pour ans die patrenosire.
1433
PKL
NOTICE SIR LE THEAJRE LIBRE.
PEL
1434
En fist un dont il doit moul très bien sonsvenir,
Car liions est à oit el bons à retenir.
Li quoins n'en vaurroit mie cinc chem livres tenir.
Or est mors rnaislre Adans ; Diex li lâche inerchi !
A se tomble ai esté, don Jhesu-Crisl inerchi !
Li quoins le me mousira , le soie graul merchi!
Quant jou i fui, l'autre an.
LI VILAINS.
Vilains, fuies de clii î
Ou vous serés moul lost loussiéset desvestus;
A. l'ostel serés jà autrement revestus.
LI PELERINS.
Et comment vous nomme-on qui si estes testus?
LI VILAINS.
Comment, sire vilains ? G3utelos li Teslus.
LI PELERINS.
Or veillés un petit, biaus dous amis, alendre;
Car on m'a fait moul lonc de celle vile entendre,
Qu'ens en l'onnour du clerl que Dieus a volul pren-
dre,
Doil-on dire ses dis clii endroit et aprendre;
Si sui pour che chi eubalus.
GAUT1ERS.
Fuies! ou vous serés batus,
Que diable vous on! raporlé.
Trop vous ai ore déporté,
Que je ne vous ai embrunkiel,
Ne que cist saint sont enfunkiel ;
Il ont véu maint roy en France.
LI PELERINS.
Hé ! vrais Dieus, envoies Souffrance
Tous cheus qui me font desraison.
Ginos.
Warnet, as-tu le raison
Oïe de cest paisant ,
El comment il nous va disant
Ses bourdes dont il nous abuffe ?
WARNÉS.
Oué. Donne li une hune;
Je sai bien que c'est .j. mais hoin.
cuios.
Tenés, ore aies en maison,
El si n'i venés plus, vilains.
ROGAUS.
Que c'est ? mesires sains Guillains ,
Warnier, vous puisl faire baler!
Pour coi en faites vous-aler
Chesl borne qui riens ne vous grieve?
WARNERS.
Rogaut, à poi que je ne crieve ,
Tant fort m'anuie se parole.
ROGACS.
Taisiés-vous, Warnier ; il parole
De rnaislre Adan, le clerc d'onnetir,
Le joli, le largue donneur,
Qui en de toutes venus plains;
De tout le mont doileslre plains,
Car mainte bêle grâce a voit,
Et seur tous biau diler savoil,
El s'esloil parfais en cbanler.
WARNIERS.
Savoit-il dont genl enchanter?
Or pris-je trop mains son affaire.
ROGAL'S.
Nenil, ains savoit canchons faire
Panures (°45| et motès entés';
De che fisl-il a grant plcntés ,
El balades, je ne sai quantes.
(943) L'on trouve dans le manuscrit
une grande a/u'iiiic de mztettnti.
Adam est mort; que Dieu lui fasse merci ! J'ai éié à
sa tombe, et j'en remercie Jésus-Christ. Le comte
me la montra (grâces lui soient rendues!) quand
j'y fus l'année passée.
LK VILAIN.
ou vous serez battu
logis qu'avec
et désha-
iii! autre
"Vilain, hors d'ici!
bille; vous nerenlrerez.au
babil.
LE PÈLERIN.
El comntenl vous nomme-l-on, l'homme têtu?
LE VILAIN.
Comment, sire vilain? Gaulelos le Têtu.
LE PÈLERIN.
Un peu de patience, bel ami, car on m'a dit bien
des fois en parlant de votre ville, qu'en l'honneur
du clerc que Dieu a voulu prendre, il me fallait ici
dire et apprendre ses dils; el je ne me suis arrêté
que pour cela ici.
GAUTIER.
Fuyez! ou vous serez battu , car le diable seul a
pu vous donner ce conseil. Je vous ai tantôt trop
bien traité, car je ne vous ai pas chagriné, et ces
saints ne sont pas enfoncés; ils ont vu maint roi en
France.
LE PÈLERIN.
Hé! vrai Dieu, envoyez souffrance à tous ceux
qui me font tort.
GUIOT.
Warnier, as-tu ouï le discours
nous dit des bourdes absurdes.
WARNIER.
de ce paysan ; il
soufflet ; je sais bien que c'est
GUIOT.
allez au
logis , el ne venez
Oui. Donne-lui un
un mauvais homme.
Tenez, maintenant
plus ici, vilain.
ROGAUT.
Qu'est-ce? messire saint Guillain, Warnier, puisse-
l-il vous faire danser ! Pourquoi faites-vous s'en
aller cet homme qui ne vous fait aucun mal?
WARNIER.
Rogaut, il s'en faut de peu que je ne crève, tant
sa parole m'ennuie.
ROGAUT.
Taisez-vous, Warnier, il parle de maître Adam,
clerc honorable, gai, large, donneur, plein de toutes
verlus, et qui doit exciter la pitié de lout le monde,
car (il) avait mainte belle grâce, el par- dessus ions
(il) savait faire de beaux dils, cl était parfait chan-
teur.
WARNIER.
Savait-il donc enchaîner les gens? or prisé-je !>ien
moins son affaire.
rogaut.
Nenni, mais (il) savait chansons faire, jeux-partis
et motels entés; il en lit en grande abondance, cl
ballades, je ne sais combien.
de la Bibliothèque royale, fonds «le Cangé, n- 07, p. 3G7 et suivantes,
1435 PEL
WARNIERS.
Je te pri dont que tu m'en canles
Une qui soit auques commune.
rogaus.
Volentiers voir; j'ou en sai une
Qu'il fist, que je le canterai.
WARNIERS.
Or di, et je l'escoulerai,
Et tous nos eslris abatons.
ROGAUS.
Il n'esl si bonne vi-an-de que matons (9H).
Esl ceste bonne, Warnier frere,
Di?
WARNIERS.
Doit-on tele canclion prisier?
J'en apris ier
Une qui en vaut les quarante.
ROGALS.
Par amours, Warnier, or le canle.
WARNIERS.
Volentiers, foi que doi m'aime.
Se je n'i a - - loie, je n'i roie mie
De tel chant se doit-on vanter.
ROGAUS.
Par foi! il t'avient à chanter
Aussi bien qu'il fait lurner l'ours (945).
WARNIERS.
Mais c'esles- vous qui estes l'ours,
Uns grans cailis loufé waigne.
ROGAUS.
Par foi! or ai-je granl engaigne (94G).
De vo grande mélancolie;
Je feroie bui mais grant folie
Se je m'en sens metoie au voslre.
Biaus preudons, mes consaus vous loe
Que chi ne faites plus de noise.
LI FELERINS.
Loés-vons dont que je m'en voise?
ROGAUS.
Oïl, voir.
Ll PELERINS.
El je m'en irai,
Ne plus parole n'i dirai ;
Car je n'ai meslier c'on me fiere.
ctios.
Hé, Diex ! je ne mengai puis tierche,
Et s'est jà plus nonne de jour
Et si ne puis avoir séjour
Si je ne boi, ou dore, ou masque.
Je m'en vois, j'ai faite me lasque ,
Ne je n'ai chi plus riens que faire.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PEL
1136
Warnel !
ROGALS.
WARNIERS.
WArNIER.
Je te prie donc de m'en chanter une qui soi*, quel-
que peu-commune.
ROGAUT.
Volontiers vraiment; j'en sais une qu'il Et, q-.e }ô
le chanterai.
WARNIER.
Or dis, et je l'écouterai, et finissons tous i.os dé-
bats.
ROGAUT.
Il n'esl si bonne vi-an-de que matons (944).
Celle-ci est-elle bonne, ami Warnier, dis?
WARNIER.
Doit-on priser telle chanson? J'en appris hier
une qui en vaut les quarante.
ROGAUT.
Pour amour (pour moi), Warnier, maintenant
chante-la.
WARNIER.
Volontiers, foi que dois à mon amie.
Se je n'i a - - loie, je n'i - - - - roie mte.
De lel chant se doit-on vanter.
ROGAUT.
Par (ma) foi ! lu as aussi bonne grâce à chanter
qu'un ours à souffler.
WARNIER.
Mais c'est vous qui êtes l'ours...
ROGAUT.
Par (ma) foi! à celle heure je suis fort cour-
roucé de votre humeur terrible; je ferais anjou:-
d'bui grand' folie si je partageais vos idées. Beau
prud'homme, mon avis esl V]ue (vous) ne fassiez ici
plus de bruit.
LE PELERIN.
(Me) conseillez-vous donc que je m'en aille?
ROGAUT.
Oui, vraiment.
LE PÈLERIN.
El je m'en irai, je ne dirai plus mol ; car je n'ai
(pas) envie qu'on me frappe.
GUIOT.
Eh, Dieu! je ne mangeai (pas) depuis tierce, et
(il) est •déjà plus que noue de la journée, et où resler
quand on ne boit, ou dorl, ou mâche. Je m'en vais,
j'ail fait ma lâche, et je n'ai ici .'dus rien à faire.
Que!
Warnier!
Quoi?
ROGAUT.
WARNIER.
(914) Lait caillé. Ce mot esl encore en usage en
Lorraine el en Champagne. Voyet l'explication dé-
ia 'liée de ce mol dans l'ouvrage de M. de Roquefort :
De Tétai de la poésie française dans les mi* et \\w
siècles, p. 224-227.
(945) M. de Roquefort n'a pas compris <c mol.
Voyez sou Glossaire <lc la lanyu-c romane, t. II, p. <>i>X.
1 nmer vient du latin tumere, et non de. tumului. La
citation de Gautier de Coinsni, qu'il donne, ne laisse
aucun doute sur le véritable sens du mot.
(940) Voyoz deux exemples de ce mol, queJIM.dc
Roquefort et Méon n'ont pas compris, dans le Ro-
man de la llosr, édi'.iou do ce dernier, t. II, p. 201
cl 307, v. 8, 5iS et P>,708.
1437
PES
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
PEU
143*
ROCAUS-
Veus-iu bien faire?
Alons vers Aiiesle (947) à le foire.
WARNÉS
Soit ! mais anchois vœil aler boire ;
Mau déliais ait qui n'i venra !
Explicil.
PELERIN (Les trois). — Les trois Pèle-
rins, farce morale a iv personnages, c'est a
sçauoir :
LES TROIS PELERINS ET MALICE.
Cette farce licencieuse date de la première
moitié du xvi* siècle. (Cf. l'édition de MM. Le-
roux de Lincy et Francisque Michel, sous le
titre de Recueil de farces; Paris, Techener,
4821-1837, 4- vol. pet. in-8°; d'après le ma-
nuscrit de la Bibliothèque impériale, du
fonds La Vallière, n° 63.)
PÈLERIN PASSANT (Le). — Le pèlerin
passant, monologue seul, composé par mais-
tre Pierre Taserge.
Cette pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Fr. Michel dans leur Recueil de
farces (Paris, Techener, 1831-1837, 4 vol.
pet. in-8°), d'après le manuscrit du commen-
cement du xvie siècle de la Bibliothèque
impériale, fonds La Vallière, nc 63.
Le Pèlerin passant n'est qu'une complainte
satirique; il est difficile de croire que cette
pièce ait pu donner lieu môme à une réci-
tation dramatique.
PELERINAGE DE MARIAGE (Le). —
Le pèlerinage de mariage farce a v personna-
ges, c'est a scauoir :
LE PELERIN, el LE JEUNE PELERIN.
LES TROIS PELERINES,
Cette farce date du xvi' siècle.
Elle est conservée dans le manuscrit de
la Bibliothèque impériale, fonds La Vallière,
ir 63.
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'onl
éditée dans ieur Recueil de farces (Paris,
Techener, 1831-1837, k vol. pet. in-8").
la viele pèlerine commence :
Or allons à nosire voyage
Que l'on appelle mariage
leuncs filles oui un grand désir.
LA DEUXIEME PELERINE.
D'y aller m'est vu grand plaisir
El pourtant parlant de ce lieu...
PESTE DE LA PESTE (La). 11 parut en
158i à Paris, chez Jean Parent, rue. Saint
Jacques, avec privilège du roi, un livre très-
singulier, contenant deux poèmes et une
tragédie, sous ce titre : Le quaresme de lan
Edouard du Monin, divisé en trois parties :
Première. Le Triple amour, ou l'Amour
de Dieu, du monde angélique, et du monde
humain.
Seconde. La Peste de la peste, ou sagement
divin, tragédie.
Troisième. La consuivance du quaréme.
(947) Nom d'un petit hameau qui exista encore
auprès d'Arras.
ROGAL'T.
Vieux-lu bien l'aire? Allons vers Ayelle à la foire.
WARN1ER.
Soit! mais auparavant je veux aller boire; mal-
heur ait qui n'y viendra!
Fin.
La Peste de la peste est dédiée à Mon-
seigneur Antoine de la Baume, abbé do
Beau me.
Les personnages sont au nombre de '23
dont suit la liste, figurée sur l'original, h
cause de sa singularité :
LES ACTEURS.
tueodice, empereur. jugement divin.
PitONOEE, emperiere. providence,
limprnart, ambassadeur, famine, guerre,
dagan, secrétaire. fortification.
LE CELTE, Vassal. LE PEUPLE FRANÇOIS.
iciNE, fille lie Théod. la santé.
la peste, princesse sous
Théod.
i.'ariste, sujet de Théod. les gens de bief.
pénitence, ambassade des
Contrits.
HUTAN, lieutenant dePeste vent du midi,
suchin, serviteur dePeni- prière ou voeu.
lence.
aquilon, capitaine sons vent de santé.
Théod.
LE CHOEUR.
Dans un Aduertissement au lecteur sur Var~
gument de la Tragédie, Dumonin donne di-
verses raisons qui l'ont « occasionné de
donner entrée sur son éebarfaut à cette
Tragédie... »
1° La récente plage que de la Peste a receu
ma mère l'Vniversité...
2° L'espoir certain... que celte année nous
doit moienner treues auecques celte Hydre
renaissante...
3° L'objet présent de la Pénitence qui en ce
carême me fait croire qu'elle a été portière du
ciel.
h" Pour, vers nos éphores ou aréopagites ,
venir rendre compte de ma gemelle profession,
de médecine de.l'ame et du corp... etc.
La Tragédie n'a pas moins de 3,000 vers, et
se termine par celte allocution de Tbéodice :
0 le chef de mon deuil, o chef, chef et soltisce
Du destin douloureux du panure Théodice!
Leue ce chef d'ici, ie crain fort que ce chef
Priuj de chef les miens par vn gauche mecuef.
Si cil qui voianl tout de sa sainte prunelle
Fait veilhanl, pour les siens au ciel la sentinelle,
Ne tourne, pour nfaider, de ses grâces la clef,
Ces présagés malheurs détournant de mon chef.
PETIT PLET (Le). — Voy. Débat du
vieil et du jeune (Le).
PEUPLE FRANÇOIS (Le). — Les frères
Parfait, dans leur Histoire du théâtre fran-
çais (t. 111, p. 132), ont donné l'analyse de la
Moralité du peuple françois, sous la date de
1511 ; nous reproduisons ce résumé :
« Cette moralité (9i8) commence par une
dispute entre le Peuple François et le Peu-
ple Italique. « Toutes mes forces passent
(918) « Le jeu du Prince des Soiz, ei MereSolte,
« juiié auxHaJIes (le Paii» le Mardi gras l'an mil
U39
PHI
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
PUR
UW
chez vous, dit le premier, et je suis épuisé
par les guerres où vous m'engages. — J'ai
bien plus lieu de me plaindre, répond le
Peuple Italique; je suis accablé et pillé par
Est ayme du monde n'esl mye,
Ausy ie ne me soulevé mye :
Et puisque ie suys en sa grâce...
PIPEE ( La farce de la ). — La Farce de
les François qui, aujourdhui, ne valent la Pippée a été éditée par M. Francisque
pas mieux que les Italiens. » Il faudrait, Michel, dans les Poésies des xr et xxV siè-
pour faire cesser ce malheur, convertir
l'Homme obstiné qui en est le principe. On
tâche inutilement de ramener cet homme,
et Pugnicion Divine, ne peut, par ses mena-
ces, lui faire entendre son devoir. Sur ces
entrefaites parait Symonie , qui vante son
pouvoir chez les deux nations. Et pour cou-
vrir ses défauts, Ypocrisie vient lui offrir
son secours, mais Pugnicion Divine élevant
la voix, continue à faire éclater les mena-
ces du ciel, qui n'opèrent que médiocre-
ment, chaque nation se contentant d'exa-
miner légèrement sa conduite. Enfin, l'arri-
vée des Démérites achève de dessiller les
yeux. Les assistants sont forcés de se recon-
naître dans les portraits qu'ils présentenl,
et' se convertissent. Symonie et Ypocrisie
promettent môme de renoncer à leur hon-
teuse profession. L'Homme obstiné (9i9)
persiste seul dans son aveuglement : ce qui
n'empêche pas qu'on ne songe aux moyens
de rétablir le bon ordre; sur quoi les Dé-
mérites proposent leur avis, et la pièce finit
par ces quatre vers, qui en contiennent le
but et la moralité. »
PEUPLE FRANÇOIS.
Pugnicion Divine nous menace,
Parquoi devons crier à Dieu mercy :
Noz Démérites ont à la queue ung SI.
Je vous supplie, à trestous qu'on l'efface.
PEYRE ET SEIGNE JOAN (Seigle). —
La Comédie de Seigne Peyre et de Seigne Joan,
en patois du Dauphiné, imprimée au xvi*
siècle à Lyon, par Bcnoist Rigaud (1580,
pet. in-8°) a été réimprimée à Paris, chez
Silveslre en 1832, petit in-8°; il n'a été" tiré
que 42 ex. sur papier de Hollande, sur pa-
pier de Chine et sur vélin.
PHILIBERT (Frère). — Frère Philibert,
farce nouvelle a iv personnages. C'est à
scauoir :
FRERE FILLEBERT, LA METRESSE,
LA VOISINE, PERRETE, VENES-TOST.
Celte pièce est conservée dans le manus-
cles. (Paris, Silvestre, 1830-1832, gr. in-8°ï.
M. Raynouard a cité cet ouvrage dans le
Journal des Savant (Cahier de juin 1833,
p. 335).
PLAINTE D'AMOUR. — L'abbé de Larue
mentionne, parmi les productions dramati-
quesdes jongleurs normands, la Plainte d'A-
mour. (Cf. 511. Hist. sur les b., les t., et les
tr. n. et anglo-n.; Caen, Mancel, 183k, in-8°,
3 vol., t. I", p. 189.)
PLOCHYRE (Michel). — Voy. Paysan (Le).
POÉSIES DES XVe et XVI' SIÈCLES. —
Poésies des xve et xvie siècles, publiées d'après
des éditions gothiques et des manuscrits.
(Paris, Silvestre, imprimerie de Crapelet .
1832, gr. in-8", caract. golh.) Recueil tiré à
100 exemplaires.
Les quinze pièces qui composent ce vol.
ont été publiées séparément, de 1830 à 1832,
et portent les titres suivants:
1° L'art et science de rhétoriques, par Henry de
Croy.
2° Le casteau dAuiours.
3° Le débat de liuer et de leste , auecques l'eslat
de l'homme.
4- LE DEBAT DU VIEIL ET DU IEU.NE...
5° Sermon nouueau...
6° Le caquet des bonnes chamberieres...
7° Sermon de monsieur Saincl Haren...
8° La réformalion sur les dames de Paris...
9° Déploratiun de Robin.
10° Le songe de la Pucelle.
11° La complainte de la grosse cloche de Troycs.*.
12° Les souhaits du monde.
13° La FARCE DU MEU.NYER DE QUI LE DEABLE EMPORTK
lasme en enffer.
14° Moralité de i.aueugle et du boiteux.
lî>* La farce de lv pippee.
(Brunet, Manuel du libraire, éd. de 1843,
p. 789.)
Ce recueil est quelquefois indiqué sous le
nom de Collection Silvestre : on attribue à
M. Francisque Michel la publication de
quelques-unes des pièces qui le composent.
PONCETTE. — On connaît une édition
du xvi* siècle, de Poncetle, sous ce titre :
erit de la Bibliothèque impériale, fonds La la Farce ioyeuse et récréative de Poncette et
Vallière, n° 63; elle ;i été éditée par
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel, dans
leur Recueil de farces (Paris, Techener,
1831-1837, k vol. pet. in-8".)
Elle date du commencement du xvi°
siècle.
frère fillebert commence:
C'est bien vray dicl, en chascun lieu
L'on dicl qui est aymé de Dieu,
c cinq cens et imzc. > Après le cri et la Sotisc. suit
Fa moraine dont nous donnons l'extrait, qui se trouve
terminée par une farce. Ces trois pièces sont de
l'ierre Gringoire, dil Mère Soite, Hérault d'armes du
«lue de Lorraine, poêle assez estimé dans son lemps.
filles furent représentées pour la première fois le
tnird: ^ras 1511, dans la forme que nous tenons
l'Amoureux transi; Lyon, Jean Margue-
rite, 1595.
M. de Montaran l'a réimprimée dans son
Recueil que l'on joint à la Collection Caron.
— Voy. Coll. Caron et Recueil de livrets,
par M. de Montaran.
PORTEUR D'EAU (Le). — Il est difficile
de fixer la date de la farce suivante qui sem-
ble antérieure à la date sous laquelle elle est
de dire; la moralité peut contenir environ cinq
cent cinquante vers. ;
(949) Celle pièce est comme l'on sait purement
allégorique, et contient l'histoire des démêles du
P.ipe Jules II et du roi. Louis XII , par 1 ordre ex-
près duquel clic fut représentée.
liil
nu
NOTICL SLR LE THEATRE LIBRE.
PRI
141:
connue: la Farce plaisante et récréative sur
un trait qu'a ioué un porteur d'eau le iour de
ses nopces dans Paris ; 1632.
M. de Montaran'a réimprimé cet'e pièce.
— Voy. Collection Caron et Recueil de
LIVRETS, PAR M. DE MONTARAN.
PORTEUR DE PATIENCE (Le) — Le
Porteur de patience, moralité a v personna-
ges, c'est à scauoir :
LE MAISTRE,
LA FEMME,
LE BADIN,
LE PREMIER HERMITE,
le deuxième idem.
Cette farce date du xvr siècle.
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de farces (Paris,
Téchcner, 1831-1837, 4 vol. pet. in -8°), d'a-
près le manuscrit de la Bibliothèque impé-
riale, fonds La Vallière, n° 63.
le maistre commence.
Hélas ! tant le porte de ieusnes,
De charges et de pénitences,
Trois foys à la sepmaine ieusnes
Depuys Pasque plus ne desieunes.
Touchant mes faicis et circonstances...
A mes requestes et instances
Ma femme en portera sa part.
Mais personne ne veut du fardeau, ni la
femme, ni les ermites.
Kl pour dire le cas en somme,
Tout pescheur doibt porter la somme
De tous les peschés qu'il a faicts.
POU LIER (Le) - La Farce du Poulier, a iv
personnages, c'est à sçauoir
LE MAISTRE, l'aMOUREULX,
LA FEMME, LA VOISINE.
Cette pièce est conservée dans le manus-
crit du xvi* siècle de la Bibliothèque impé-
riale (fonds La Vallière, n° 63) ; elle a été
éditée par MM. Leroux de Lincy et Fran-
cisque Michel , dans leur Recueil de farces
(Paris, Techener, 1831-1837, 4 vol. pet. in-8°).
La farce du Poulier se termine par cas
vers :
LE MAR^.
Il n'y a homme, tant soyt fin
Kl tant est la teste fine.
Que fine femme enfin n'afine.
PR1NPTEMPS ET DE L HIVER (Dé-
bats du). — M. Magnin, dans son cours pro-
fessé à la Faculté des Lettres, exprimait l'o-
pinion que l'églogue de Bède le Vénérable,
sous forme de dialogue entre le Prinptemps
et l'Hiver, avait pu être jouée au vr siècle.
(Cf. Journ.gén. de l'hist.publ., 1835, 25 mars,
p. 190).
M. Edelestand Duméril est d'avis qu'à par-
tir du y' siècle, époque où se serait définiti-
vement éteint le théâtre ancien, jusqu'au
xn* siècle, qui a vu les commencements du
(950) WERNSDOFF.Poe/œ latini minoret, t. 11, pag.
239.
(951) Alguini Opéra , t. II, p. 612, éd. de Froben.
(952) G. Oudin. De uript.eccles., t. H, p. 32<i
(9«3) Il a été donné au xvie siècle une édition du
Prince des Sols de Grinçcire, sous ce titre :
Le îcu du Prince des Sol2 et Mère Sotte, juré aux
théâtre moderne, on ne trouve de tradi ions
dramatiques que celle de la Fête des Fous;
toutefois l'esprit du vieux théâtre subsiste
parmi ces traditions. Ainsi, entre les comé-
dies jouées dans les festins et les réjouis-
sances privées, on peut admettre la lutte
dialoguée du Prinptemps et de l'Hiver, attri-
buée à Bède (950), à Alcuin (951), à Mi-
io (952), moine de Saint-Amand. (Cf. Orig.
lai du th. mod., Paris, 1849, in-8°, p. 26-
29.)
L'idée qu'on attribue le plus généralement
a Bède, a donné lieu à un grand nombre de
pièces analogues.
Ainsi, Rutebeuf a laissé la Griesche d'hy-
ver et la Griesche d'été. (Cf. Ach. Jubinal,
OEuvres compl. de Rutebeuf, trouv. du xm*
siècle, Paris, 1839, in-8°, 2 vol., t. 1", p. 24-
35).
L'abbé de Larue mentionne, parmi les
productions dramatiques des jongleurs nor-
mands, la Dispute entre l'Eté et l'Hiver. (Cf.
511. Hist. sur les bard., les /., et les tr. n. et
anglo-n. ; Caen, Mancel, 1834, in-8°, 3 vol.,
t. !•», p. 189.)
On trouve dans les Poésies des xve et xvf
siècles, publiées d'après des éditions gothiques
et des manuscrits. ( Paris, Silvestre, impri-
merie de Crapelet, 1832, gr. in-8°, caract.
çolh.), le Débat de l'Iueretde l'Esté, auccques
testât de l'homme...
Enfin, il subsiste dans le Nord divers dé-
balsde cette nature, qui font partie des spec-
tacles forains. (Cf. Mone, Teutsche Helden-
sage, p. 169 ; — Grimm , Deutsche Mytholo-
gie, p. 455 ; — Olaus Magnus, Histor. sep-
tentrional, gentium Brcviarium, I. xv, p.
404).
PRINCE DES SOTS ET MÈRE SOTTE
(Le). — Les frères Parfait, dans leur His-
toire du théâtre français (l. III, p. 216), da-
tent de l'an 1511. Le Jeu du Prince des
Sotz (953).
Cette sottie, suivie de la farce de Dire et
faire, dans ses représentations, est, disent-
ils, « le chef-d'œuvre de Pierre Gringoire. »
PERSONNAGES.
mere sotte,
le prince des sots,
le seigneur de caieté,
le prince de nates,
le seigneur de joie,
le]seigneurduplat d'ar-
gent,
le seigneur de la lune,
l'abbé de frévaux,
— DE PLATL-bOURSE,
LE SEIGNEUR DU PONT-AL-
LETZ,
le général d'enfance,
sotte commune,
— occasion,
— fiance;
courlieu,
le droit, premier sot,
le deuxième sot,
le troisième sot.
« Le spectacle s'ouvre pur les préparatifs
pour l'assemblée des sots. On réveille le
seigneur de Pont-Alletz pour se mettre en
devoir de recevoir les chefs de l'Etat. Arri-
Halles de Paris, le Mardy-Gras. L'an mil cinq cens
et onze (de 53 pages.)
Les frères Parf;iil n'indiquent pas celle édition.
Une réimpression a été exécutée à la fin du xvin»
siècle par les soins de Caron. — Voy. Collection
Caron.
1443
PRI
DICTIONNAIRE DES MYSTERCS.
PRI
nu
veni fe Prince de Naies, le Seigneur de Joye,
et le Général d'Enfance.
LE SEIGNEUR DE JOYE.
Me vecy auprès de la proye,
Passant temps au soir et malin,
Tousiours avec le féminin,
Vous sçavez que c'est mon usage.
LE GÉNÉRAL D'ENFANCE.
Hon, lion, men, men, pa, pa, tel tel,
Du lolo, au cheval fondu.
i
LE DEUXIÈME SOT.
Parbleu velà bien respondu
En enfant!
« Qu'y a-t-il donc, Messieurs, dit le Sei-
« gneur du Plat en entrant , je suis fort
« complaisant et ne refuse jamais hospi-
« talité à tous.
Pipeux, joueux, ethazardeux,
Et gens qui ne veulent rien faire. >
« Un moment après paraît le Seigneur de
la Lune, accompagné des Abbés de Frévaulx
et de Plate-Bourse: enfin arrive le Prince
des Sots, suivi du Seigneur de Gaieté, qui
Êromet sa bienveillance à toute l'assem-
lée.
LE PRINCE DES SOTZ.
Honneur, Dieu gard' les Solz et.Soltes :
Benedicile ! que j'en voy !
« Le prince s'informe ensuite de l'état de
ses sujets '< Seigneur, » dit le premier sot :
Nos prélalz ne sont point ingralz,
Quelque chose qu'on en babille,
Hz ont faict durant les jours gras
Ranquetz, bignetz, et telz fracas
Aux mignonnes de cesle ville.
L'ABBÉ DE FREVAULX,
Pardevanl vous vueil comparoistre .
J'ai despendu, notez cela.
Et mangé par-cy, et par-là
Tout le revenu de mon cloislrc.
LE PRINCE.
Voz moynes?
l'abbé.
Et ilz doivent estre
Par les cnamps pour se pourchasser :
Rien souvent quant cuidenl repaistre,
Hz ne sçavent les dens où meure,
Et sans souper s'en vont coucher.
« L'arrivée de Sotte-Commune empêche
le prince de continuer ses questions. « Que
« voulez-vous? dit le Prince des Sots à cette
« dernière. — Je ne sçais ce que signifie
« tout ce que je vois, «répond-elle.
SOTTE-COMMUNE.
Tant d'allées, et tant de venues,
Tant d'entreprises incongneues,
Appoinriemens rompus, cassez,
Traysons secrètes, incongneues,
Mourir de fièvres continues,
Rreuvaiges, et boutons brassez,
Blancs scellez en secret passez,
Faire feux, et puis voir rancune.
« En un mot, ajoute-t-elle, je dépéris de
jour en jour, et l'Eglise enlève tout mon
Lien. » Comme le prince se dispose à écou-
ter ses raisons, il en est empêché par l'ap-
proche de « la Mère Sotte, habillée par des-
« soubz en Mère Sotie, et par dessus en ha-
« bit ainsi comme l'Eglise, » qui , entrant
sur la scène, déclare à Sotte-Occasion et
Sotte-Fiance , ses deux confidentes, qu'elle
veut usurper le temporel des princes. « Dis-
« posez entièrement de rnoy, dit la dernière ;
« je consens à éblouir le peuple par mes
« amples promesses. En tout cas, continue-
« t-elle,je ne risque pas beaucoup, car
On dit que vous n'avez point d'honte
De rompre voslre foy promise.
SOTTE-OCCASION.
Ingratitude vous surmonte,
De promesse ne tenez compte,
Non plus que Rourciers de Venise.
-< Votre entreprise est fort difficile , »
ajoute Sotte-Occasion. « ïe ne puis faire au-
« trement, réplique Mère-Sotte, car un mé-
« decin juif très-habile m'a prédit que,
Aussitost que je cesseray
D'estre perverst, je mourray :
11 est ainsi pronostiqué.
« Au reste, » continue-t-elle.
La bonne foy c'est le vieux jeu. >
c Suivant cette résolution, elle tâche à sé-
duire les prélats sujets du prince des Sots.
MERE-SOTTE.
Or je vous diray tout le cas,
Mon filz la Temporalité
Entretient, je n'en double pas.
Mais je veuil par fas ou nepHus
Avoir sur luy l'auclorilé
De l'Espirilualilé,
Je jouys ainsi qu'il me semble.
Tous les deux vueil mesîer ensemble.
« Je suis résolue à pousser la chose à
« l'extrémité, ajoute-t-elle, et s'il le faut,
« décider ma querelle par la voye des ar-
« mes. »
«"^ATE-BOURCE.
Mais gardons le spirituel
Du Temporel ne nous meslons.
MERE-SOTTE.
Du Temporel jouir voulons.
« Vous n'entendez pas vos intérêts, con-
« tinue Mère-Sotte, et de plus, ne vous
« ferai-je pas part des dignités dont je dis-
« pose à ma fantaisie. »
L'ABBÉ DE FREVAULX.
Nous serons lestoux Cardinaux ;
Je l'enlens bien à cesle fois.
« lies seigneurs, sujets du Prince des Sots.
loin de se laisser surprendre par ces pro-
messes, renouvellent leurs protestations de
fidélité à leur souverain. Le seigneur de la
Lune, seul, quitte son parti pour se ranger
dans celui de Mère-Sotte.
LE SEIGNEUR DU PONT-ALLETZ.
Je n'entens pas ce contrepoint;
Nosuc mère devient gendarme !
H45
QfiA
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
QCA
HK
UKBE-SOTTE.
Prelatz debousf, allarme, allanne :
Habaiulonnez églises, autel :
Chacun de vous se Ipîuvo ferme.
(Icy se fctict une bataille de Prêtais et Pvtnces.)
« Ce combat se termine plus heureuse-
ment qu'on aurait cru. Le Prince des Sols
découvre la robe de Mère-Sotte et la fait con-
naître pour ce qu'elle est, ainsi que ses
deux compagnes, et on conclut à la dépo-
ser.
LE TROISIEME SOT.
Pugnir la fautt île son forfaict
Car elle fut posée de fa ici
En sa chaire par symonie.
Q
QUATRE AGES (les). — Les Quatre âges,
moralité a nu personnages, c'est à sçauoir :
L ACE [> OR,
l'âge d'argent,
L AGE 1) AIRAIN,
l'âge DE FER.
Cette farce date du xvie siècle.
Elle est conservée dans le manuscrit do
la Bibliothèque impériale, fonds La Vallière,
n° 63.
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel l'ont éditée dans leur Recueil de farces.
(Paris, Techener, 1831-1837, k vol. pet.in-8").
Nous en citons les derniers vers :
Conclusion, nobles seigneurs,
Si de bref ne changez vos mœurs,
L'ire de Dieu sur vous viendra...
M. Magnin (Revue des Deux-Mondes, 1835,
juin, p. 633-674, La Comédie au iv° siècle),
considérant que le théâtre antique ne finit
pas au temps d'Auguste, et qu'il subsiste
encore au ir* siècle, ne s'étonne pas de ren-
contrer une pièce à cette date. Ce drame est
le Querolus ou le Pessimiste, attribué à
Plaute, à Gildas, moine du vi. siècle, à/Vital,
de Blois, écrivain du xn\ Le même criti-
que remarque que VEpître dédicatoire ne
saurait être reportée jusqu'à ClauJius llu-
tilius Numatianus, préfet de Rome sous
Théodose II : Ce drame est d'un temps chré-
tien, car il renferme une pensée unique-
ment chrétienne: « Celui-là seul qui sait
tout, le sait. » II a dû être écrit pour la
représentation ; Jean de Salisbury et Vital
de Blois , au xuc siècle, ne connaissant pas
VAululaire de Plaute, ont pris le Querolus
pour celte ancienne pièce. Mais le prologue
du Querolus le dislingue expressément de
de VAululaire. Ni les mœurs, ni le style ne
sont du siècle de. Plaute ; Cicéron et Àpi-
cius y sont cités; on y rencontre un vers
entier de Martial , il faut donc cher-
cher une date à ce curieux monument :
celle du ive siècle est fixée positivement par
une allusion aux Bagaudes de la Loire, par
le goût des argumentations sophistiques dont
il y a plusieurs exemples, par une parodie
piquante du langage et des cérémonies bi-
zarres des astrologues et des magiciens,
dont l'engouement était tel, dans ce même
iv' siècle, que l'on fut obligé de porter des
lois contre eux, par les railleries sur l'alté-
ration des monnaies, par la demi liberté des
esclaves, et enfin par l'accusation ilu délit
(954) Fabellis, de (abulari, entretiens, sens qu'on
ne retrouve pas dans les glossaires. (E. Dum.)
(955) Si on lit dans l'argument, éd. Klinb'hamer :
Aululariam liodie acturi sumus, non vêler em uc ru-
de violation de sépulture, si commun à :a
même époque que l'on porta les lois les plus
sévères pour le réprimer.
M. Magnin remarque en terminant, qu'il
manque à la fin quelques vers que ne don-
nent ni le manuscrit du Vatican, ni celui do
la Bibliothèque royale de Paris.
Enfin le môme illustre .savant caractérise
en ces termes le Querolus: « C'est à la fois
une comédie de caractère, de mœurs et d'in-
trigue, étincelanle d'esprit, de verve et de
poésie. »
Il en donne la traduction et l'analyse.
M. Ampère attribue, comme M. Magnin,
le Querolus au iv* siècle, peut-être au nr,
l'allusion aux Bagaudes convenant aux deux
dates ; il pense que la dédicace peut appar-
tenir au llutilius gaulois et que M. Magnin
n'est pas fondé à être d'un autre avis. (Cf.
Hist., litt.. de la Fr., t. II. ) Enfin rien n'y
rappellerait positivement le christianisme,
i! semble que c'est un païen qui persitle
avant de disparaître.
M. Edélestand Duméril, dans ses Origines
latines du théâtre moderne (Paris, 1849, in-8°,
p. 13), a proposé les objections suivantes :
il confesse que le dialogue a un caractère vé-
ritablement dramatique, qu'on y peut no-
ter de nombreuses interpellations aux spec-
tateurs, mais on n'y peut reconnaître les
actes; Pareus et Klinkhamer ont échoué
dans celte recherche ; le Querolus est pré-
cédé d'une préface, l'auteur appelle deux fois
son œuvre un livre, il le déclare lui-même
composé pour les entretiens (954-) et pour
les repas ; le dialogue procède par longues
tirades; tout s'y passe en conversation; au-
cune trace de versification. Vossius a conjec-
turé à tort qu'il était écrit en ïambes et en
trochées selon la prosodie des bas siècles; l'au-
teur avouant lui-même qu'il serait inutile
d'y chercher des vers. Il est impossible do
fixer avec quelque vraisemblance ni son
pays, ni son âge, et M. Magnin a commis
bien des erreurs en tirant de fausses con-
clusions du passage relatif aux Bagaudes,
lequel prouverait plutôt le contraire de ce
qu'avance ce critique, tant il y a d'ignorance
dans l'état réel des choses en Gaule dans la
première moitié du iv siècle. Il est plus
probable que quelque bel esprit du vu* siè-
cle a refait la pièce de Plaute (955). Au xn#
siècle Vitalisla recommença. (V. Aululaiub
dem, at nova m investigalam per Plauti vestigia ,
I'at novam ne se retrouve pas dans le manuscrit de
la Bibliothèque impériale, n» 8121 A., et d'ailleurs
cet argument peut être postérieur à la pièce.
Ui7
REC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
REC
UiS
Gèta.) Peut-être existe-t-il une autre de ces
refontes barbares dans un manuscrit de la
Bibliothèque Lansbach dont l'écriture selon
M.Mone, remonte au xir siècle et qui contient
un Querolus à la fin duquel on lit : Explicit
comedia triperi (956).
L'auteur lui-même du Querolus en a donné
l'analyse suivante :
« L'avare Euclion fut le père de Querolus.
Un jour cet Euclion cacha un trésor au fond
d'une urne, qu'au dedans il remplit de par-
fums, et sur laquelle au dehors, il fit graver
une inscription relative aux cendres de son
père, comme si elle les eût contenues. Avant
de s'embarquer pour les pays étrangers, il
enterra ce magot dans sa propre maison, se
gardant bien de s'en ouvrir à qui que ce fût.
Mais, dans une contrée éloignée et près d3
mourir, il institua un parasite de-sa con-
naissance cohéritier de son fils, lui prescri-
vant par une clause formelle de son testa-
ment, de découvrir fidèlement à Querolus
le secret delà cachette; et il avait seule-
ment indiqué à cet homme le lieu où était
enfoui l'or. Le rusé parasite s'embarque,
approche de Querolus dans le dessein de
faillir à son serment.' Il se donne pour ma-
thématicien, pour magicien, et ment comme
ment un voleur. Il répète à Querolus tous
les secrets, toutes les affaires intimes qu'il
tenait d'Euclion, comme la preuve de sa
puissance dans son art. Querolus donne sa con-
fiance à ce fourbe et le prie de l'aider de ses con-
seils. Le prétendu magicien purifie la mai-
son, pour mieux dire, il la vide; mais en
passant en revue sa capture, il devient dupe
de l'ancienne ruse d'Euclion, il se laisse
prendre aux apparences, il croit n'avoir en
main qu'une urne funéraire et se croit joué.
Une pensée de vengeance lui vient, il se
glisse furtivement le long de la maison de
Querolus et y lance l'urne par une fenêtre.
« Le vase se brise et au lieu d'os, laisse
échapper le trésor qu'il contient. Le parasite
perd donc sa part de l'or, pour avoir voulu
ruser contre toute bonne foi et toute probité ;
il le rend pour l'avoir cru perdu trop préci-
pitamment. Mais le bruit de l'événement
s'est répandu : le parasite court chez Quero-
lus, réclame sa part du legs. Il avoue l'enlè-
vement de l'urne, il sait l'avoir rapportée, on
l'accuse de vol ; il déclare alors l'avoir jetée
dans la maison ; on l'accuse de violation
d'un tombeau. Voici le dénouement : d'une
part le maître,- de l'autre le parasite, reçoivent
chacun du sort le prix auquel ils avaient
QUEROLUS, QUE RU LUS. - Voy. Aulu-
LAIRE.
R
RAPPORTEUR (La farce du). — La farce
du rapporteur a nu personnages, c'est a sca-
uoir :
LE RADIN,
f.A FEMME,
LE MARY,
LA VOISINE.
Cette farce date du xvie siècle.
Elle nous a été conservée dans le ma-
nuscrit de la Bibliothèque impériale, fonds
La Vallière, n° 63.
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de Farces. (Paris,
Téchencr, 1831-1837, k vol., pet. in-8°.)
Tous raporteurs sout dechases
Sans excuser leur ignorance;
Flateurs, menteurs et cabaseurs,
A eux n'y a nule fiance.
RECUEIL DE FARCES de MM. Leroux
de LitscY et Fr. Micbel. — Recueil de Far-
ces, Moralités et Sermons joyeux, publié d'a-
près le manuscrit de la Bibliothèque royale,
par MM. Leroux de Lincy et Francisque
Michel; Paris, Téchener, 1831-1837, petit
in-8°, k vol., 74 pièces tirées à 76 exemplai-
res.
Dans la préface de ce Recueil, les éditeurs
remarquent que les pièces qu'ils mettent au
jour sont d'un comique bas, populaire, ef-
fronté, et dont on ne retrouve plus de traces
que sur les tréteaux, où il fait encore rire le
peuple : au xV et au xvie siècle, il avait le
privilège défaire rire les rois.
« Ces pièces offrent la peinture naïve des
mœurs et une critique nue, impitoyable, de
tous les états sans distinction, depuis les
nobles et les prêtres jusqu'aux gens mécha-
nicques et gens dormeaux ( les ouvriers et les
paysans).
« Beaucoup de variété dans les sujets et
peu dans les formes; des lazzi, des gros
mots, un gros sel, une grosse gaieté, et
Voilà aussi ce que le genre comporte. Ce
sont des dialogues critiques ou des scènes
facétieuses... ou enfin des allégories satiri-
ques... ni ménagement, ni pudeur. Sujets
saints, sujets profanes, sujets licencieux,
respirent la même audace et la même ma-
lice...
« Toutefois ces pièces ont un autre mérite
que l'effronterie et la satire. On y trouve des
caractères bien tracés, et dont Molière et
La Fontaine ont souvent reproduit les ty-
pes....
« Ces farces font revivre tout un peuple :
véritables chroniques de nos places, de nos
rues et de nos carrefours ; couleurs fraîches,
naïves, qui datent de trois cents ans...
Plusieurs passages de ces petits poëmes
ont fait présumer qu'ils furent composés et
joués à Rouen de 1500 à 1550.
Le manuscrit original est in-folio, sur pa-
pier et d'une assez bonne écriture, avec des
corrections et des variantes. ( Biblioth.
roy., fonds LaVall., n°63.)
Une seule farce porte le nom de son au-
teur, Pierre Taserye : les autres ont un air
de famille et nous paraissent sorties de la
même plume. Deux circonstances viennent
(956) Mone, AuzeigerfiirKunde der Teultchen Vorzeit; 1859, col. 521.
1449
REC
NOTICE SUR LE THEATRE L1UUE.
REC
1450
à l'appui de cetle conjecture : 1* les correc-
tions de teite... toutes de la même main ;
2° une devise ainsi conçue : Dufaict, te faict
qui termine la dernière pièce du recueil et
qui pourrait bien cacher le nom de l'auteur
sous un anagramme.
Les éditeurs terminent en remarquant
qu'une autre pièce contient une autre de-
vise : Rien sans l'esprit, qui pourrait être
l'anagramme ou la devise d'un autre auteur.
Cetle pièce est la 46e du Recueil.
Cette collection comprend :
TOME PREMIER.
N* t. Monologue nouueau et fort récréatif de la Fille
baslelière.
2. Sermon ioyeulx des iiij vens.
3. Sermon d'vn cartier de mouton.
4. Monologue de Memoyre tenant en sa main vng
monde, elc.
5. Farce nouuelle a deulx personnages, c'est a
sçauoir : l'homme et la femme ; et est la
farce de l'Arbaleslre.
6. Moralité nouuelle a deulx personnages, de la
prinse de Calais, elc.
7. Farce a deulx personnages, du viel Amoureulx
et du ieune Amoureulx.
8. Farce ioyeuse a deulx personnages, c'est a
sçauoir: vng Gentil-homme et son Page le-
quel deuyenl laqués.
9. Jnuitatoyre bachique : Venite poiemus.
10. Moralité a troys personnages, c'est a sçauoir :
Enuye, Eslat et Simplese.
il. Farce a deulx personnages, c'est a sçauoir:
deulx Gallans et vne Femme qui se nomme
Sanclé.
Farce ioyeuse a iij personnages, c'est a sca~
uoir: vn Aueugle et son Varlei et vne Tri-
pière.
Dyalogue de Placebo pour un homme seul.
14. Moralité a deulx personnages, c'est a sçauoir:
/'Eglise et le Commun.
io. Farce nouuelle a sept personnages, c'est a sça-
uoir : la Reformeresse, le Sergent, le Prebs-
tre, le Praticien, la Fille desbauchée, l'A-
mant... et le Moynne La Reformeresse com-
mence, et se nomme la Farce «les poures
(ieables.
10. Moral a quatre personnages, c'est a sçauoir :
l'Age d'or, l'Age d'argent, l'Age d'araiii et
l'Age de far.
:1. Farce a vj personnages, c'est a sçauoir: la Re-
formeresse, le Badin et iij Gallans et vn
Clercq.
18. Sermon ioyeulx pour rire.
19. Farce a cinq personnages, c'est a sçauoir : Le
Pèlerinage de Mariage. Le Pèlerin, les
troys Pèlerines et le jeune Pèlerin.
20. Farce a .v. personnages, c'est a sçauoir : le
Couslurier et son Varlel, deulx jeunes Filles
et vne Vielle.
21. Farce nouuelle a troys personnages, c'est a
sçauoir: le Sourd, son Variété* l'Yurongne.
22. Farce nouuelle a cinq personnages, c'est a sça-
uoir : la Mère, la Fille, le Tesmoing, l'A-
moureux et l'Oficial.
25. Moralité nouuelle a troys personnages, c'est a
sçauoir: l'Eglise, Noblesse et Poureié qui
font la lesive.
TOME DEUXIÈME.
N*ï!4. Moralité a quatre personnages, c'est a sçauoir :
le Ministre de l'Eglise, Noblesse, le Labou-
reur et Commun.
25. Morulilé du Porteur de Pacience a cinq per-
sonnages, c'est a sçauoir : le Maislre, la
Femme, le Badin, le premier Hermiie, le
ii« Hermite.
Dictions, des Mystères.
1-2.
13.
26. Farce ioyeuse a cinq personnages, c'est a sçu
uoir : troys Galans, le Monde qu'on faki
paislre, et Ordre.
27. Farce nouuelle a six personnages, c'est a sça
uoir : deux Genlilz-bommes le Mounyer
la Munyere, et les deulx femmes des deuh
Geniilz-hommes, abillez en damoyselles...
et est la Farce du Poulier.
28. Farce nouuelle a cinq personnages, c'est a sça-
uoir : la Mère de ville, le Varlet, le garde-
pol, le Garde-nape, le Garde-...
29. Farce nouuelle a quatrepersonnages, c'est a sça-
uoir : mesire Jean, la Mère de Iaquet aui
est badin.
30. Farce du Raporteur, a quatre personnages,
c'est a sçauoir : le Badin, la Femme , lu
^ Mary et la Voyesine.
31. Farce ioyeuse a six personnages, c'est a ?ca-
uoir: leban de Lagny. badin, mesire lehan,
Tretaulde, Oliue, Perelle, Venez-losl et le
luge.
32. Moral ioyeux a quatre personnages, c'est a sça-
uoir : le Ventre, les ïambes, le Cœur et le
Chef.
33. La Farce des Veaux, iouée deuanl le Roy c;t
son entrée à Rouen.
34. Farce de deulx Amoureux, recrealis et ioyeux.
53. Moral a cinq personnages, c est a sçauoir : le
Fidelle, le Ministre, le Suspens, Pruuidenee
diuine, la Vierge.
Farce nouuelle a cinq personnages, c'est a sçi-
uoir : troys Brus et deulx Hermiles.
Farce nouuelle a cinq personnages, c'est a sça-
uoir : l'Abbeesse. seur de Bon-Cœur, seur
Esplourée, seur Safrete et seur Fesue.
38. Farce ioyeuse a quatre personnages, c'est a sça-
uoir : le Médecin, le Badin, la Femme (la
Chambrière).
Farce nouuelle a quatre personnages, c est a
sçauoir: troys Gallans et vn Badin.
Farce nouuelle a quatre personnages, c est a
sçauoir : troys Commères et vn Vendeur du
liures.
56
57
59.
40.
N-41
42,
43.
44.
40.
47.
48.
49.
50.
51.
TOME TROISIÈME.
Moral a six personnages, c'est à sçauoir : le La-
zare, Marte, seur du Lazare, lacob, ser-
uiteur du Lazare, Marye Madalaine et ses
de:ilx Seurs.
Moralité a quatre personnages , c'est a sçauoir :
Chascun, Plusieurs, le Temps qui court,
le Monde.
Sermon ioyeulx de la Fille esgarée.
La Farce du Poulier, a quatre personnages,
c'est a sçauoir: le Maistre, la Femme, l'A-
moureulx et la Voysine.
Moralité a six personnages, c'est a sçauoir :
Nature, Loi de rigueur, diuin Pouuoi;,
Amour, Loi de Grâce, la Vierge.
Farce nouuelle de la Boulaille, a iij ou iiij oh
a .v. personnages, c'est a sçauoir : la Mèi ■•■
du Badin, le Vouesin et son Filz, et la Be; .
gère.
Farce nouuelle et fort ioyeuse a cinq person-
nages, c'est a sçavoir : les Bâtards de CanK,
la Mère, l'Aine qui est Henry, le pela
Colin, l'Escollier et la Fille.
Moral de tout le Monde, a quatre personnages,
c'est a sçauoir : le premier Compaignon, le
deuxiesme et troisyesme Compaignon.
Farce nouuelle a quatre personnages, c'est a sça-
uoir : Science, son Clercq. Asnerye et son
Clerq qui est badin.
Farce nouuelle a quatre personnages, c'est à
sçauoir: la Femme, le Badin, son tnary, le
prcmver Vouesin et le deuxiesme.
Moral a cina personnages , c'est u içauoir i
kG
Uôl
REC
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
REC
U JE
l'Homme fragille, Concupiscence, la Loy,
(Foi), Grâce.
52. Farce tiouuelle a iiij personnaiges, c'est a sça-
uoir : Lucas , sergent bo (eux et borgne, le
bon Payeur, et Fyne-Myne, femme du ser-
gent, et le Vert-Galant.
55- Farce tiouuelle et fort ioyeuse a quatre person-
nages,-c'est a sçauoir : Le Retraict Le Mary,
b Femme, Guillol et l'Amoureulx.
54. Farce ioyeuse a quatre personnages, c'est a sça-
uoir : Robinet badin, la Femme vefue, la
Commère, et l'oncle Micbaull oncle de Ro-
binet.
55. Farce tiouuelle a quatre personnages, c'est a
sçauoir : l'Auanlureulx et Guermouset ,
Guillot et Rignol.
56. Moralité a six personnages, c'est a sçauoir :
Heresye, Frère Symonye, Force, Scandai -
le, Procès, l'Eglise.
57. Farce tiouuelle a troys personnages, c'est a sça-
uoir : la Mère, ie Filz, lequel veult estre
prebstre, et 1 Examynaleur.
58. Monologue seul du Pèlerin passant, composé
par maislre Pierre Taserye.
59. Farce tiouuelle a quatre personnages, c'est a
sçauoir : le Trocbeur de Maris, la premye-
re Femme, la ije Femme et la iij* Femme.
TOME QUATRIEME.
N° 60. Farce ioyeuse a quatre personnages, c'est a
sçauoir : la ieune Fille, la Maryée, la Fem-
me vefue et la Religieuse'; et sont les Mal-
contentes.
61. Moral a troys personnages, c'est a sçauoir :
l'Affligé, Ignorance et Congnoissance.
62. Farce nouuelte de Frère Pliillebert, a iiij per-
sonnages, c'est a sçauoir: frère Fillebeil,
la Voyesine, la Maislresse, Perrctle Venez-
Tost.
65. Farce moralle et ioyeuse des Sobre-sols, entre-
meslez avec les Syeurs d'ais, a vj personna-
ges, c'est a sçauoir: .v. Galans et le Badin.
64. Farce ioyeuse des Langues esmoulues pour
auoir parlé du drap d'or de Saincl Viuien ,
a vj personnages, c'est a sçauoir : l'Esmou-
leur, son Varlet, la première Femme, la
deusiesme Femme, la troysiesme Femme
et la quatrtesnie femme.
65. Farce tiouuelle a .v. personnages, c'est a sça-
uoir : les deulx Soupiers de Mouille, la
Femme soupierre, l'Huissier et l'Abé.
66. Farce morale des trois Pellerins et Malice.
67. Farce moralle a quatre personnages, c'est a
sçauoir : Marcbe-beau, Galop, Amour et
Conuoytisse.
68. Farce ioyeuse a .v. personnages, c'est a sça-
uoir : le Maislre d'Escolle, la Mère et les
les troys Esc'oliers.
69. Farce ioyeuse a .v. personnages, c'est a sça-
uoir : le Bateleur, son Varlet, Binete et
deulx Femes.
70. Farce nouvelle a .v. personnages, c'est a sça-
uoir : le Marcbant de pommes et d'eulx,
l'Apoincteur et Sergent et deulx Femmes.
71. Farce ioyeuse a quatre personnages, c'est a sça-
uoir : iij Galans et Pblipot.
72. Farce moralle a .v. personnages, c'est a sca-
uoir : Meslier, Marchandise, le Berger, le
Temps et les Gens.
73. Farce ioyeuse a cinq personnages, c'est a sça-
uoir : le Sauelier, Marguet, laquel. Prosei-
pine et l'Oele.
74. Remonstrance a vue compaignie de venir voir
jouer Farces ou Moratitez.
Un très-grand nombre de ces farces ou mo-
rnlités, descend à des indécences d'idée et
d'expression, qui n'en pcrmeltent plus au-
jourd'hui ni J'analyse , ni souvent même
une citation ; nous avons dû nous borner 5
en arracher çà et là quelques vers, et quel-
quefois aussi nous avons éié réduit au si-
lence.
RECUEIL DE FARCES DE ROUSSEL.—
Il a été publié au xvr siècle uu recueil de
farces sous ce titre : Recueil de plusieurs
farces, tant anciennes que modernes; lesquelles
ont été mises en meilleur ordre et langage
qu'auparavant ; à Paris, chez Nicolas Rous-
sel, 1612, petit in-8°
Le Recueil contient les sept pièces sui-
vantes :
1° La Farce du médecin qui guérit de toutes sortes
de maladies...
2° La Farce de Colin, fils de Tlienot le maire.
3» La Farce des Deux Savetiers.
4» La Farce des Femmes qui aymenl mieux... Fcl-
conduit... que... Science...
5° La Farce de l'Antéchrist...
6° La Farce d'une femme qui demande les arré-
rages à son mari...
7° La Farce du Début du jeune moitié e: du gen-
aarme devant Cupidon, pour une fille..
Le Recueil de Roussel a été réimprimé par
Caron. — Voy. Collection Caron.
RECUEIL DE LIVRETS par M. de Mon-
taraw — M. Francisque Michel attribue à
M. Crosset libraire de la ttibliotbèque royale,
sous les auspices de M. Montaran, fils du
procureur général de la Cour royale d'Or~
iéans, la collection suivante qu'il déclare mal
publiée.
Les pièces dont les titres suivent n'ont élé
tirées qu'à 20 ex., 1 sur peau vélin, et 1 sur
papier vélin :
Voici le titre de ce petit livre : Recueil do
livrets singuliers et rares dont la réimpression
peut se joindre aux réimpressions déjà pu-
blées (sic) par Caron; 1829-1830 petit in-8".
Ce Recueil contient :
Le Cry et Proclamation publicque : pouriexer le Mys-
tère des Actes des Aposlres en ta ville de Paris:
faict le ieudi seiziesme iour de décembre lan mil
cinq cens quarante ; par le commandement du Roy.
noslre Sire François premier de ce nom: et Mou-
sieur le Preuosl de Paris affin de venir prendre tes
rooltes pour iouer ledit mystère. On les vend à Pa-
ris en la rue neufue Nostre-Dame : a l'enseigne
Sainct Iean Baptiste, près Saincte Geneuiefue des
ardens : en la boutique de Denis lanot, m. d. xli.
De 8 pages.
D iscours facelievx des hommes qui font saller levrs
femmes , a cause quelles sont trop douces , etc. A
Roven. Chez Abraham Cousturier, libraire : tenant
sa boutique près la grande porte du Palais, au
Sacrifice d'Abraham, 1558. De 22 pages, plus un
feuillet contenant seulement le nom de l'impri-
meur.
Comédie facecievse et très plaisante du voyage de
Frère Fecisti en Prouence, vers Noslradamus :
Pour sçauoir certaines nouuelles des clefs de Pa-
radis et d'Enfer que le Pape avoit perdues. Im-
primé à Nismes, 1599. De 34 pages.
Moralité novvelle 1res frvctvevse de l'enfant de perdi-
tion qui pendit son père et tua sa mère: et com-
ment il se désespéra. A sept personnages... A Lyon
Par Pierre Rigaud en la rue Mercière au coing de
la rue Fe.rrandiere a l'Orloge, 1608. De 48 pages.
Farce novvelle qui est 1res bonne et 1res ioyeuse, a
quatre personnages , c'est a sçauoir. La Mac,
i S 53
RKP
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
RIV
\VA
louait. Le Compère, Et l'Escalier. A Troyes chez
Nicolas Oiniot, 1624, de -29 pages.
F urée novvelle du mvsnier el dv gentil-homme, a
quatre perso)inages. Ces! a sçavoir l'abbe le mvs-
nier le gentil- homme et son page. A Troyes, chez
Nicolas Oudot, 1G28. De "23 pages.
Farce plaisante et récréative Svr un trait qu'a ioué
vn porteur d'eau le tour de ses nopces dans Paris.
m. ne. xxxii. De 20 pages.
Tragi comédie plaisante el facecievse Intitulée la Sub-
tilité de Fanfreluche et Gaudichon, el comme il fut
emporté par le Diable. A Roven , chez Abraham
Consumer, elc. De GG pages.
Farce novvelle, 1res bonne el très ioyeuse de la Cor-
nette a cinq personnages par lehan d'Abundance
bazochien el notaire royal de la ville de Pont Sainct
Esprit, m.d.xlv. De 29 pages.
Io>jeuse farce a trois personnages D'un Curia qui
trompa par finesse la femme d'un Laboureur. A
Lyon, 1593. De 22 pages.
Tragi-comédie des enfants de Tvrlvpin malhevrevx
de nature, elc. A Rouen, chez Abraham Couslu-
ricr, etc. De 34 pages.
Farce ioyeuse et récréative de Poncet'.e el de l'Àmov-
rei'.r transy. A Lyon, parlean Margverile. m. d. xcv.
De 10 pages.
1ŒFORMERESSE (La).— La lie former esse
farce à vi personnages, c'est a sçavoir :
LA REFORMERESSE, III GALANS,
LE BADIN, UN CLERCQ.
Cette tarée date du xvr siècle.
Le manuscrit de la Bibliothèque impériale,
fonds La Vallière n° 63, nous l'a conservée.
El'e a été éditée dans lo Recueil de Farces
de MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel (Pa-
ris Téchener 1831-1837, k vol.. pet., in-8°).
LA REFORMERESSE.
Parmi an ijue Dieu m'a donne
Nommée suys Reformeresse
le mais chascun estât en presse...
RENARD ET PEAU VOIE. — La Dispute
de Renard et de Peau d'Oie a été signalée
comme un monument dramatique du moyen
âge (Cf. Legrand d'aussy, Fabliaux, Contes,
Fables, etc.; Paris, Renouard, 1829, 5 vol.,
in-8°, t. II, p. 203.)
M. Monmerqué considère le Renard et Peau
d'Oie, et toutes les pièces analogues comme
ayant donné lieu à une récitation, .mais non
à une véritable action dramatique. (Cf. Jeux
publiés p. la Soc. Ribl. fr. )
M. Achille Jubinal pense que le moyen
Age put avoir un théâtre de famille et de
IVstins où se rangent ces dicts, disputoisons
et débals. (Cf. OEuvres compl. de Rulebeuf,
t.I, note 9, p. 4-2V ).
M. Chabaille a édité cette pièce dans son
supplément au Roman du Renard, p. 39.
REPRÉSENTATION DE LA CROIX FAU-
1HN (La). — M. Paulin Paris a signalé dans
le manuscrit de la Bibliothèque impériale,
u" 7,208, 5, datant de la fin du xve siècle
(vers 14-88) la Moralité nouvelle de la Croix
Faubin à sept personnages : le pain, le vin,
TOUT, L'UN , L'AUTRE, PATIENCE. Le MOUl UU
septième personnage manque. ( Cf. Les
mun. fr. de la Bibl. du roi; Paris 1830-
1848, 7 vol. in-8", t. VII, 18V8, p. 210.) Le
môme manuscrit contient le mystère de
Y Ancien Testament et de la Passion, cl la
moralité que M. Paulin Paris a intitulée:
Moralité de l'Enfant mis aux lettres.
RETRA1CT (Le).— Le Retraict, farce nou-
velle et fort ioyeuse à iv personnages, c'est à
se avoir :
Gl ,'ILLOT,
et l'ahodreulx.
LE MARY ,
LA FEMME ,
Celte pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Francisque Michel, dans leur
Recueil de Farces (Paris, Téchener, 1831-
1837, 4 vol. petit in-8° ). le manuscrit du xvi"
de la Bibliothèque impériale (fonds La Val-
lière, n° 03).
Ces deux vers terminent le Retraict :
Sans la finesse i'esloys mort,
Ce n'esi pas tout que d'eslre fort...
R10TE DE V MONDE (Li). — Voy. Ba-
vardage DU MONDE ( Le).
RHYTHME D'EUCHARIA. — Dans son
cours professé a la Faculté des lettres, M.
Magnin signalait au vne siècle , dans le
Théâtre du moyen âge , le fragment d'une
femme de race barbare, nommée Eucharia,
qui roule sur l'audace d'un serf qui avai',
prétendue sa main. (Cf. Journ. gén.del'Instr
publ., 1835,25 mars, p. 190.)
RHYTHME TRAGIQUE SUR PARME. -
Au xn' siècle, Othon de Frisingue (cit. 31
de sa Chronique), fait mention d'un rhylhme
en forme de tragédie, Rhythmum in modum
tragœdiœ, composé sur l'incendie de Parme
en 1039; il eti cite ces deux vers :
Qui ha?»et vocem screnam
Proférai liane caiililenam.
RIVAUX (Les). — Plusieurs farces dés Ri-
vaux sous le titre bizarre de Corrivaux, des
Veaux, sont restées, qui datent du milieu du
xvie siècle. Nous lisons dans les frères Par-
fait, t. III, p. 311) à propos de la farce des
Veaux de Jacques Grevin, et des Corriveaux
de Jean de La Taille (Ibid., p. 333), les notes
suivantes, où se trouve indiquée d'une ma-
nière curieuse la transition du théâtre du
moyen âge à la scène moderne :
1° — « La satire qu'on appelait commu-
nément Les Veaux était sans doute plus an-
cienne que la comédie de Grevin C'était
une espèce de prologue pour amuser les
spectateurs les plus impatients, pendant que
les acteurs s'habillaient pour jouer leurs
rôles. Il nous reste un morceau de ce genre,
qui est à la tête des Corriveaux, comédie de
Pierre Troterel. sieur d'Aves.
2e — Les Corrivaux, comédie en prose et
en cinq actes, par Jean de La Taille.
« Restitue, fille de madame Jacqueline,
bourgeoise de Paris , apprend à sa nourrice
qu'elle a été abusée par un homme qui de-
meure en pension chez sa mère, et que ce
jeune homme, appelé Filadelfe, l'a abandon-
née pour la belle Fleur-de-!ys, liile adopiive
d'un bourgeois, nommée Fremin. La nour-
rice console Restitue, et lui conseille de de-
mander permission à sa mère d'aller pren-
dre l'air à la campagne. Monologue de Fila-
delfe, où il se reproche d'avoir quitté Res-
titue, mais il s'en prend à l'amour qui, plus
l'oit que sa raison, le force d'aimer Fleur-
de-lys. Claude, valel de Fremin, vient aver-
tir Filadeife que son maître part pour lu
Ii55
UOB
DICTION \AIRE DES MYSTERES.
ROB
1408
campagne et qu'il faut saisir cette occasion
pour enlever Fleur-de-lys. Filadelfe convient
d'un signal avec Claude et l'acte finit. Eu-
verte, tils de Girard, riche bourgeois de
Paris, dit à son valet qu'il est amoureux de
Fleur-de-lys, mais, que comme Girard, son
père, ne consentira jamais qu'il l'épouse, à
cause que Fremin n'est pas riche, il a résolu
d'enlever Fleur-de-lys et que, pour cet effet,
il a gagné Alison, sa servante. Alison sur-
vient, et annonce à Euverte le départ do
Fremin et convient avec lui du signal qu'elle
lera pour qu'il puisse exécuter le dessein
qu'il a formé. Madame Jacqueline, inquiète
de la langueur où elle voit sa tille Restitue,
envoie chercher un médecin qui, sans faire
un long verbiage, lui dit que sa fille est en-
ceinte. A cette nouvelle, Jacqueline se dé-
sespère, bat sa fille, et lui demande le nom
du suborneur. Cependant Claude fait entrer
Filadelfe dans la maison de Fremin, dans le
même temps qu'Alison rend le môme service
à Euverte. Les deux rivaux se rencontrent,
se querellent, et mettent l'épée a la main.
Aux cris de Fleur-de-lys et du voisinage, le
guet vient, arrête les combattants, et conduit
Euverte, Filadelfe et Claude chez le cheva-
lier du guet, où ils restent prisonniers. Ber-
nard, père de Filadelfe, qui arrive de Metz,
est abordé par madame Jacqueline qui l'ac-
cable d'injures en lui demandant raison do
son fils qui a séduit sa fille. Dans le moment
survient Fremin, instruit par Alison de ce qui
s'est passé chez lui. Il reconnaîtBernard, et ce
dernier lui fait part de son chagrin et d'un au-
tre qui est la perte d'une fille nommée Fleur-
de-lys qui lui a été enlevée du temps que
le connétable de Montmorency faisait le siège
de Metz. Fremin lui répond que cette même
Fleur-de-lys est chez lui et qu'il en a tou-
jours pris soin comme de la sienne propre.
Survient Girard, qui a élé informé que son
iils Euverle est en prison. Les vieillards cau-
sent ensemble, et comme on dit à Girard
que Fleur-de-lys est fille de Bernard, homme
riche, il consent au mariage d'elle et de son
fils. Il ne s'agit plus que de délivrer les pri-
sonniers. Le chevalier du guet se trouve être
des amis de Girard et de Fremin, et l'affaire
■Raccommode en un moment. Filadelfe épouse
Restitue, et Fleur-de-lys est donnée en ma-
riage à Euverte (957).
HOB1N ET MARION. — Li Gieus de Ro-
bin et Marion qui date du xni siècle et a
pour auteur Adan de la Halle, est conservée
dans deux manuscrits de la Bibliothèque
du roi, dans celui de La Y'allière, n° 81, olim.
2736, et dans le n° 1604, ancien fonds. Nous
avons suivi le manuscrit de La Vallière, en
indiquant des variantes tirées du second ma-
nuscrit.
On lit dans la Notice sur la Bibliothèque
d'Aix, par E. Rouard, Paris, chez Firmin
Didot, frères, 1831, in-8", l'indication sui-
vante à la page 165 : « Une espèce de ber-
(957) Celle comédie est précédée d'un prolo-
gue aussi en prose. Deux ou Irois ailleurs tels que La
Taille auraient rendu de grands services au lliéàire;
mais malheureusement il s'avisa de induire une
comédie d« l'Ariosut el s'en tint là. Comme ccilu
gerie, intitulée Le mariage de Robin el Ma-
rote, enrichie d'une foule de miniatuies
avec la musique notée. » Cette indication
se trouve répétée dans le Catalogus Codicum
manuscriptorum d'Haenel, page 186, colonne
4. — M. Francisque Michel s'adressa, pour
avoir communication de ce manuscrit, à M.
Guizot, alors ministre de l'instruction pu-
blique, qui fit écrire au préfet des Bouches-
du-Rhône; mais il fut répondu que le maire
d'Aix se refusait à laisser sortir le volume du
dépôt dont il fait partie.
Le Jeu de Robin et Marion a été publié
par M. deMonmerqué, pour la première fois
en 1822, pour la Société des Bibliophiles
français, au nombre de trente exemplaires
seulement, avec le Jeu du Pèlerin qui lui
sert de prologue. Un des savants auteurs
de la continuation de Y Histoire littéraire
de la France en parlait en 1824, comme
d'un ouvrage resté manuscrit, dont il avait
seulement été donné des extraits dans le
recueil de Legrand d'Aussy. La seconde édi-
tion de celte pastorale a élé publiée en
1829 par M. Ant.-Aug. Renouard, à la suile
du second volume de la troisième édition
des Fabliaux ou contes de Legrand.
MM. Monmerqué et Francisque Michel
ont reproduit Robin dans leur Théâtre fran-
çais au moyen âge ( Paris, 1839, gr., iu-8°).
Le Jeu de Robin a élé mentionné par Ro-
quefort. (Cf. De l'état de la poésie fr., dans
les xir et xiii' siècles; Paris, 1815, in-8°
p. 261.) — M. Magnin en a fait la critique
dans son cours à la Faculté des lettres en
1850, (CïJourn.,gén.,de ÏInst.,publ., 1836,
14 janv., p. 172.) — M. O.Leroy s'appuyant
sur Robin et Marion et le Miracle de Théo-
phile de Rutebeuf, déclare très-sérieusement
que les trouvères du nord de la Fiance sont
ses premiers drainatistes (Cf. Eludes, p. 12);
ailleurs il y trouve plus d'un rapport avec
les Vêpres Siciliennes: l'idée est étrange. (CL
Etudes., p. 9i).
M. Monmerqué considère le jeu de Robin
el Marion comme la première pastorale, et
même le premier opéra-comique qui ait été
joué en France.
Après avoir constaté le succès qu'eut celle
pièce dans son temps, il ajoute : « On pour-
rait croire qu'elle a donné naissance au pro-
verbe : Ils s'aiment comme Robin et Marion,
nous ne le pensons cependant pas. Robin et
Marion, dans notre littérature romane, sont
comme le typedes amours tendres et naïves
du village; plusieurs pastourelles du xn*
siècle roulent sur ces deux personnages rus-
tiques. 11 y en a une surtout qui a tant de
rapport avec notre Jeu, qu'Adam de La Halle
semble l'avoir mise en action. Cette jolie
chanson est de Perrin d'Angecort, le dix-
neuvième des poètes mentionnés par le pré-
sident Fauchet (958-61). Perrin était attaché à
Charles d'Anjou, Lfrère de saint Louis, qui
monta sur le trône de Naples. C'est aussi a
pièce de l'Ariosle, intitulée Le Négromant, n'a pas
dû être jouée, nous n'en parlerons point.
(<)58-til) Œuvres de Claude Fauchel; Paris, 10T0,
if 4-, folio ÔO'S.
1 L*>7
roi;
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ROB
1458
mystère de la Patience de Job. Une scène de
bergers, entre Robin et Marote, (page 45 de
l'édition in-16% Lyon, Jean Didier) est une
imitation évidente de notre jeu. Le mystère
de Job est indiqué sous l'année 1478, dans
la Bibliothèque du Théâtre français, publiée
sous la direction du duc de La Valhére.
Dresde, 1768, t. I", p. 53.
« On dit proverbialement : Etre ensemble
comme Robin et Marion (964); on lit dans un
livret de l'auteur des Contes d'Eutrapel ,
cette allusion évidente à notre jeu : « Parce
« que, possible, Marion rioit plus voluntiers
« à Robin, qu'à Gautier, dont commença la
« manière de se battre pour la vaisselle,
« couslurae qui a tousjours duré (965). »
ditte ville d'Angiers par les genzdu pays, Gautier est l'un des personnages du Jeu de
Naples qu'Adam de La Halle a composé sa
nièce pour les divertissements de cette cour.
« Le succès du Jeu de Robin et Marion ne
s'arrêta pas au xin" siècle, il s'est perpé-
tué dans les deux siècles suivants. On voit
dans des lettres de rémission de l'an 1392,
qu'on jouait chaque année cette jolie pasto-
rale a Angers, pendant les fêtes de la Pen-
tecôte. Voici le passage conservé par D.
Carpentier :
« Jehan le Bègue et cinq ou six autres es-
coliers , ses compaignons , s'en alerent
jouer par la ville d'Angiers, desguisiez.
à un jeu que l'en dit Robin et Marion,
ainsi qu'il est acoustumé de faire chas-
cun an les foiriez de Penlhecouste en Ja-
lant par les escoliers et filz de bourgois
« comme autres; en la compaignie duquel
« Jehan le Bègue et de ses compaignons
« avait une fillette desguisée (962). »
« L'usage constaté par les lettres de grâce
n'a sans doute pas été particulière la ville
d'Angers , et la pièce a dû contribuer à
répandre davantage le proverbe, qui était
déjà passé dans ïes mœurs au xive siècle,
comme on le voit par ce passage de Jehan
de Meun, dans sa continuation du Roman de
la Rose:
D'autre part, et suiit franches nées ;
Coi les a conditionnées ,
Qui les osie de lor franchises
Où Nature lesavoit mises :
Car Nature n'est pas si sole
Qu'ele féisl nestre Maroie
Tant solement por Rohichon ,
Se l'entendement i fiction
Ne Robichon por Mariete ,
Ne por Agnès , ne por Perrete ;
Ains nous a fait , biau filz , n'en doutes ,
Toutes pour tous et tous pour toutes ,
Chascune por chascun commune,
El chascun commun por chascune. (963).
« Nous trouvons au xve siècle une autre
trace du Jeu de Robin et Marion dans le
(962) Glossarium novum , t. RI, col. 632, verho
Robinetus.
(963) Roman de la Rose, éd. de Méon; Paris, 1814 ,
III, pag. 2, vers 14083.
(964) On lit les articles suivants dans le Diction-
Maire de Coigrave :
« Marion: f. M arian (a proper tiame for a woman.)
< Robin a trouvé Marion. lâche halli met willt
Cill; a filthie knaue with a fulsome queane. V. Marion.
< Robin a trouvé Marion. Prov. A notorious knaue
halh found a notable queane.
< Chanson de Robin. A merrie and exlcmporall
song,orfasliion o( singing , ivhereto one is ever adding
iomewhat, or may al pleasure adde whal lie lisl ,i
etc. (A Diclionarie of the Frencli and Engtish
Robin. Nos vieux livres français, trésors de
naïveté, offriraient d'autres exemples de la
popularité obtenue par les principaux per-
sonnages du Jeu de Robin : ainsi la Motte
Messemé, l'auteur des honnêtes Loisirs, a
dit : « ... Les actions publiques des femmes
« et des hommes avec (car bien souvent
« Robin y vaut bien Marion) en font bien ju-
<- ger à chacun, mais il y a de petites riot-
« les (966), etc. » On pourrait multiplier ces
citations, mais nous en avons assez indiqué
pour constater le proverbe. »
M. de Monmerqué termine cette longue
notice en constatant que le souvenir de Ro-
bin, sous le nom de .Robert et de Marion,
subsiste encore dans le Hainaut ; c'est
M. Arthur Dinaux qui rapporte le fait. (Cf.
Les Trouvères cambrésiens, par M. Arthur
Dinaux, 2e édition; Valenciennes , 1834,
in-8°, p. 34.)
Cette grande et durable popularité de l'i-
dée de Robin et Marion est constatée par un
très-grand nombre de poésies qui subsistent
et qu'a éditées M. Monmerqué. Nous les re-
produisons en note afin que le lecteur puisse
étulier, sur les originaux mêmes, le eycl«!
curieux de Robin et de Marion (967).
Tongues, compiled by Randle Cotgrave ; Londou ,
Printed- by Adam lslip; anno 1652 , in-folio.)
Ce qui précède a été rapporté par l'auteur d'un
article inséré dans le Gentleman'1 s Magazine, May,
1837, p. 493, et a donné lieu, p. 494, à une noie
très-judicieuse de l'éditeur de celle revue, à laquelle
nous renvoyons. (F. M.)
(965) Discours d'aucuns propoz rustiques facecieui
et de singulière récréation de maislre Léon Ladulfi
(Noël du Fail) Champenois ; à Paris, par Eslienne
Groulleau , 1554 , in-16, troisième page de l'epislre.
(966) Le Passe-temps de messire François le Poul-
chre , seigneur delà Motte Messemé, seconde édi-
tion; Paris, Jean Leblanc, md. xcvn, in-8°, liv. i,
pag. 54.
sujet
TREMIER MOTET (fl).
A la rousée au serain
Va Maros à la fontaine;
Cil ki pour s'amonr se paine
Sel et kerson et bis pain aporté Ol
El ele comenec à plain , ki ierl de
[joie plaine
Pour çou ke par te main m.iine
(a) Manuscrit du Uni, supplément, n" 1*1. f<
Son ami Mignol :
i Mignotemenl l'en maine
(967) MOTETS ET PASTOURELLES DU XHP SIECLE,
Dont le sujet roule sur les amours de Robinet de Marion.
A sa vois, k'ele ol douecte,
Li disl en chaulant :
Rôbins Marot. » « Alés-moi conlr'alcndani,
Ab insurgenlibus.
deuxième motet (6). [matin
De la ville issoil pensant par .i.
Maros, &i voit par devant passer
I Robin ;
[86. (Y) lbid., fol. 187
Je sui voslre amieie. »
troisième motet (c).
Par main s'est levée la belle Maros,
Ki sans amour n'esi mie;
Si s'en est alée mule seule au bos,
, recto. Autour inconnu
[b) lbid., fol 186, verso. Anonyme.
U50 BOB
Le titre est ainsi conçu
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
L! GIEUS DE «OUIN ET DE MAF.iO^
Ç'Adams fi si.
PERSONNAGES.
ROB
14G0
OBIN.
CAUTIER.
HUARS.
M.UUON OU MAROTE.
BAUDON.
LE ROI.
LE CHEVALIER.
TERONNF.LLE
OU PERETTE. WARKIER
•
SCÈNE I"
MARION.
MARION.
Robins m'aime, Robins
m'a,
Robin m'aime,
CI'K.T.
UOGABS.
MARION.
Robin m'aime, Robin m'a, Robin m'a demandée
Nus pies et deslaichie;
Lors s'est écriée : « Mes amis mi-
[gnps,
Ki m'en a sa baiilie,
Déusl oreflors coillir
Et ,i. chanelet bastir
A mes beaus chavex tenir :
S'en fuisse plus jolie. »
Lors la coisi, s'est saillie :
« Bien viegne, fait-il, m'a mie
Ke je tant désir
A tenir
Sous le raim (sous la cou-
[d relie)
Mignolement là voi venir
Celi ke j'aim. »
QUATRIÈME MOTET (à).
Bobins à la ville va,
S'a Marion enconlrée
Ri idrt relornée
Pour çou ke compaignon n'a.
« Cil ki lant vous a amée,
!)ist Bobins, vous i menra. >
Dist celé : « On le sel piecbà,
S'en doue estre blasmée;
Ne pourquanl mal ait ki jà
i'our lour dit le laissera. »
Aies, bien amours nous conduira.
$iyrps Jesse.
CINQUIEME MOTET (b).
Avocques tel Marion
Jà pasloriaus estre vauroie,
Qu'il n'est nule si grans joie
Pour qui je changaise jà
Sa compaignie pour rien,
S'a ma volonté l'avoie,
K'avoc autrui n'ameroie
Le trésor où covienl lant de larlos,
Çom .i. peliiel de bien avocMarol.
Maneie.
SIXIÈME MOTET (c).
L'aulr'icr en mai,
Par la douçour d'eslé,
Main me levai,
Et alai enlre .i. bois et .i. pré :
Là ai irové Robin en grant esmai,
M je li ai son estre demandé;
4 Sire, fait-il, jàne vous ierl celé,
Marolamai,
Et proiai,
Mais ele m'a refusé;
S'elc n'aime mar vie sa beauté. »
Tanquarn.
SEPTIÈME MOTET (d).
Pour coillir la flour en mai
Juer m'en alai,
Quant belle Emmclot
En .i. pré seule irovai
Ki son ami gai
Conlr'alendol;
Gentement le saluai ;
Mais ele ne m'en dist mot,
Car Robin enir'oï ot
Ki cbanloil d'amours .i. lai :
« Fines amouretes ai,
Ki ke me tiegne pour sot.
OiJorenlot j'am Mabalot;
Mais sa mère n'en set mot. »
Docebil.
HUITIÈME MOTET (é).
Lonc le rien de la fontaine
Trovai Robin esplouré,
trop grant duel demenoit.
Je l'ai salué;
Mais il ne respondi mol;
El quant il ot
Doucement alongé
Alai ne sospiré,
S'a dit à la loi d'orne iré :
« J'ai mis mon cuer en Ma rot,
Dicx ! el si perc ma paine. t (bis.)
Régnât.
NEUVIÈME MOTET (/").
Cbanics seri, Ma rot,
Vos amis revient,
S'aporte .i. novel mot
De vous, car il co vient
Ke je de çou chant et not
Dont plus sovent me so vient;
Et je l'ai fait si mignot
Ke quant on l'ot
Il demande c'on le lot.
Donicbantes, belle, mignolement,
Ke vos amis revient.
Procédant.
PREMIÈRE PASTOURELLE (g).
L'aulr'ier ebevaueboie delez Paris;
Trouvai paslorele gardant berbiz,
Descendi à terre, lez li m'assis
Et ses amoreles je li requis.
11 me dist : « Biau sire, par saint
[Denis!
J'aim plus biau de vous el mult
[melz apris,
Jà tanteonme il soit ne sainz ne
[vis
Autre n'amerai, je le vous plévis;
Car il est biax el cortois et seriez.
Dex ! je sui jonetc el sadete, et
[s'aim lez
Qui jones est et sades el sages as-^
[sez. i
Robin m'a ten doit en un valet,
Par ennui s'assisl lez un buisson-
[net
Q'il s'esloil levez trop malinet
Pour coillir la rose el le musgueL.
S'ot jà à s'amie fel chapelet
Et à soi un autre tout nouvclel,
Et dit : i Je me muir, belc, » en
[son sonet.
< Se plus demorez un seul pelitet ,
James vif ne m'y trouverez ;
Très douce damoiscle, vous m'o-
[eirrez,
Se vous voulez. »
Quant el l'oï si desconforter,
Taniost vint à li sanz demorer.
Qui lors les véist joie démener,
Robin debiuisier et Ma rot Dater!
Lez un buissonel s'alèrcnl joer,
Ne sai q'il i firent, n'en qier parler;
Mes u'i vomirent pas granment
[demorer,
Ainz se relevèrent pour melz r.ole»
Cesle paslorele :
Yalidoriax, lidoriax lai rele.
Je m'areslai donc iluec endroit,
Si vi la grant joie que cil fesoil.
Et le grant solaz que il demenoit
Qui onques Amors servies n'avoit,
Et dis : i Je maudi Amors oren-
[droit
Qui tant m'ont tenu lonc-tens à
[deslroil;
Ge's ai plusservies q'onme qui soit,
N'onques n'en oi bien, si n'est-ce
[pas droit;
Pour ce tes maudi :
Maie honte ait-il qui Amors parti
Quant g'i ai failli ! >
De si loig cou li bergers me vit,
S'escria mult haut el si me dist :
i Alez vostre voie.por Jhésu-Crisi!
Ne nous lolez pas noslre déduit.
J'ai mult plus de joie et de délit
Que li rois de Fiance n'en a , ce
[cuit;
S'il a sa richece, je la li cuit,
El j'ai m'aniiele et jor et nuit,
(a) Manuscrit du Roi, supplément, nc 184, fol. 188,
recto. Anonyme.
(b) Manuscrit du Roi, supplément, n° 184, fol. 188, ver
SO- Anonyme.
(c) Ibid., fol. 188, verso. Auteur inconnu
(d) Ibid., fol. 192, recto. Anonyme.
le') Ibid., fol. 193, recto. Anonyme.
(f) Manuscrit du Roi, supplément, n° 184, fol 195,
recto. Anonyme.
(g) Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, belles-
lettres françaises, n° 68, in-fol.,. p. 169 bis. Cette chanson
est de maitre Richard de Semilli, le vingt-cinquième des
poètes cités par Fauchet.
HGI
ROB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ROB
Robins m'a demandée, si m 'ara.
Robins m'acata coiele
B'escarlate bonne et bêle,
Souskanie et cbainturele,
A leur i va !
Robins m'aime, Robins m'a;
Robins m'a demandée, si m'ara.
Ne jà ne departiron.
Dancez, bêle Marion,
Jà n'aim-je riens, se vous
[non (a). »
. DEUXIÈME PASTOURELLE (b).
Je chevauchai l'aulr'ier la matinée;
Dtlez un bois, assez près de l'en-
[trée,
Geniile paslore irais;
Mes ne vis onques puis
Si plaine de déduis
Mi qui si bien m'agrée :
« Ma très doucele suer,
Vos avez tout mon cuer,
Ne vous leroie à nul fuer,
M'anior vous ai douée. »
Vers li me très, si descendi à terre
Pour li voer et pour s'amor rc-
[querre;
Tout maintenant M dis :
t Mon cuer ai en vos mis,
Si m'a vostre anior sorpris,
Plus vous aim que rien née, »
Ma très, etc.
Ele me dist : « Sire, alez vostre
[voie ;
Vez-ci venir Robin que j'alendoie,
Qui est et bel et genz.
S'il venoit, sanz contens
N'en iriez pas, ce pens;
Tost auriez niellée. >
Ma très, etc.
— t 11 ne vendra, bêle suer, oncor
[mie ;
Il est delà le bois, où il chevrie. »
Dejosle li m'assis,
Mes braz au col li mis,
Ele m'a geté un ris
Et dit qu'ele ert tuée.
Ma très. etc.
Quand j'oi tout fel de li quan q'il
[m'agrée,
Je labesai, à Dieu l'ai conmandée,
Puis dist, qu'en l'ot mull haut,
Robin, qui l'en assaut :
« Déliez ail bui qui en chaut!
C'a fel ta denr.orée. »
Ma très doucele suer,
Vos, etc.
TROISIÈME PASTOURELLE (c).
A une ajornée
Chevauchai l'aulr'ier,
Eu une valéc
Près de mon sentier
Paslore ai trouvée
et il m'aura. Robin m'a acheté un cotillon de
et bel écarlale; souquenille et ceinture qui
bien avec. Robin m'aime, Robin m'a; Robin
demandée, il m'aura.
I4G2
bon
vont
m'a
Qui fet à proisier;
Malin s'iert levée
Por esbanoier ;
Rele ert et senée,
Je l'ai saluée.
Plus ert colorée
Que flor de rosier.
Toute desfublée
S'assist seur l'erbier,
Crigne avoit dorée,
Cors pour enbracier,
Bien estoit mollée;
N'i ot qu'enseignier,
Sus l'erbe en la prée
Lessai mon destrier.
Quant la paslorele
Me vit là venant,
Robinet apele :
« Amis, vien avant. »
Je li dis : « Suer bêle,
Tesiez-vous atant;
M'ainor, damoisele,
Vous doing maintenant, i
Bêle ot la maissele,
La color nouvele ;
Je li dis : t Dancele,
M'amor vous présent.
Robin qui frestele
Est povre d'argent ;
Povre est vo cotele
El vo garnement.
Cheval ai et sele
Tout en vo conmant,
Se vous, damoisele,
Fêles mon conmant. >
La paslore ert sage,
Si me rcspondi :
« Sire, en mon cage,
Tel folor n'oï ;
Ce seroit folage
Se perdoie ensi
Le mien pucelage
Pour aulrui ami;
Par c'est mien visage,
Ce seroit mon damage
Qu'à bon mariage
Auroie failli (d). »
QUATRIÈME PASTOURELLE (e).
L'aulr'ier par un malinet
Un jor de l'autre semaine,
Chevauchai josle un boschet
Conme aventure genl maine;
Par dejosle on jardinet,
Soz le ru d'une fontaine,
Choisi en un praëlel
{a) Cette chanson se retrouve dans le manuscrit de la
Bibliothèque du Roi, fonds de Cangé n° 65, folio 185,
verso, col. 2 ; dans le manuscrit du même fonds n° 67, p.
161, col. 1; et dans celui de La Vallière nc 59, p. 89,
COl. 2.
(b) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 171. Cette chanson
est de maître Richard de Semilli. EUese trouve aussi dans
le manuscrit du fonds de Cangé n°65, folio 97, recto, col.
2; dans celui du même fonds n° 67, p. 166, col. 1 ; et
dans celui de La Vallière n° 59, p. 93, col. 2.
(c) Manuscrit de l'Arsenal, p. 191. Cette chanson est
do Jean Moniol de Paris, le trentième poète cite par Fan
chet. On la retrouve aussi dans le manuscrit de la Biblio-
Pastore qui mult ert saine
Et d'autre part Robinet
Qui grant ponéc demaine;
Pipe avoit et flajolel,
Si flajole à douce alaine ;
Car por Marguerol se paine,
Qui plus erl blanche que laine.
Robinet chante et frestele
Et Irepe et crie et saulele,
Margot en chantant apeie.
Robins estoit assez biax,
El la paslorele bêle,
Robins ert biax divadiax
Et bêle ert la paslorele,
Car blons avoil les cheviaus
Et dureté la mamele:
Robins erl biaus garçonciax,
Si s'en cointoie et révèle
Pelil avoient d'aigniax,
Et grande iere la praéle.
Lors fu sonez li fresliaus
Par desouz la fonienele,
Lors leur joie renouvelé;
Robins osle sa gouncle.
Robinet, etc.
One ne vi en mon vivant
Si très bêle paslorele ;
Vair œilot, bouche riant,
Biau menton, bêle gorgete,
Çainturele bien séant,
Biax braz et bêle mainete;
Bêle ert deriere et devant,
Biax piez el bêle janbete.
Robins aloit par devant
Qui disoit en sa musete
Un sonel mull avenant
Pour l'amor la paslorele :
t Dex doint bon jor m'amielc!
Li cuers pour li me haleté. >
Robinet, etc.
Tant menèrent leur degraz
Li bergiers et la bergiere
Q'ilchaïrent braz à braz
Enire els deus sur la leuchiere.
Quant les vi cheer en bas,
Un petit me très arrière.
Mult orent de leur solaz ,
<■ Celé l'ot chier, cil l'ot chiere;
Je ne sai li quels fu laz,
Mes chascuns lit bêle chiere.
Cil est bien enamoras
Qui d'amors a joie entière,
Cil a amors droiturière.
Robinel chante, ele.
CINQUIÈME PASTOURELLE (/').
Au main par un ajornant
thèque du Roi, fonds de Cangé n° Go, folio 58, verso, col.
1 ; et dans celui du même fonds n° 67, p. 182, col. 1.
{d) Cette jolie pastourelle a bien pu donner aussi a
Adam de La Halle 1 idée de composer sa pièce, mais ce-
pendant moins directement que celle de Perrin d'Ange-
cort dont il cite des passages.
(e) Manuscrit de l'Arsenal, p. 193. Cette chanson esl
de Jean Moniot de Paris. Elle se trouve aussi dans le ma-
nuscrit du fonds de Cangé n° 67, p. 181, col. 1.
(f) ManHscritde l'Arsenal n°63, p. 122, col. 2. Cette
chanson est de messire Thiébault de Blazon, le vingt et
unième poète cité par Fauclict. Elle se retrouve dans le
manuscrit du Roi, supplément français n" 181, folio 108,
\m
ROB
DICTIONNAIRE DES MTSTERES.
SCÈNE II.
non
nu
UARION, TJX CHEVALIER.
LI CHEVALIERS.
f Je me repairoie du tournoiement,
Si trouvai Marote seulele,
Au cors gent.
Chevauchai lez un buisson.
Lez l'orière d'un pendant
Bestes gardoit Robeçon ;
Quant le vi mis l'a reson :
« Bergier, se Dex bien te dont,
Eus onc en ton vivant
Por ainor ton cuer joiant?
Car je n'en ai se mal non. »
— «Chevalier, en mon vivant
N'a mai one fors Ma r ion,
La cortoise, la vaillant,
Qui m'a doné riche don,
Panetière de cordon,
El prisl mon fremail de pion.
Or s'en vet apercevant
Sa mère, qui l'amoil tant,
Si l'eu a mise en prison.
A poi ne se va pasmant
Li bergiers pour Marion.
Quant le vi , pitié m'en prcnt,
Si li dis en ma reson :
Ne t'esmaier, bergeron;
Jà si ne la cèleront,
Qifele lest por nul forment
Qu'ele ne l'ainl loiaument
Se fine amour l'en semont. >
— < Sire, je sui trop dolent
Quant je voi mi compaignon
Qui vont joie démenant :
Chascuns chante sa chançon,
Et je sui seus environ,
Affublé mon chaperon;
Si remlr la joie grant
Q'il vont entour moi fesanl :
Confort n'i vaut un boulon. >
— < Bergiers, qui la joie atens
D'Amors fez grans mesprison ;
Touz les max en gré en pren,
Tout sanz ire et sanz lençon.
En mu II petit de seson
Renl Amors le guerredon ;
S'en sont li mal plus plesant
Qu'on en a souffert devant
Dont J'en aient guérison. >
SIXIÈME PASTOURELLE (a).
El mois de mai , par un malin
S'est Marion levée; .
En un boschet, lez un iardin,
LE CHEVALIER.
En revenant du loumoi, je trouve Marion seu-
letie, au corps joli.
S'en est la bêle entrée.
Dui vallet, Guiot et Robin,
Qui lonc-tens l'ont amée.
Pour li voer, delez le bois alèrent
[à celée;
Et Marion, qui s'esjoï, a Robin
[perçéu,
Si dist ceste chançonele :
« Nus ne doit lez le bois aler
Sanz sa compaingnete. »
Robin et Guiot ont oî
Le son de la brunete.
Cil qui plus a le cuer joli
Fei melz la paeleite.
Guiot mult très grant joie ot
Quant ot la chançonele;
Pour Marion sailli en piez, s'alem-
[pre sa muselé.
Robin mult très bien oï Tôt
Au plus lost que il onques pot
A dit en sa frestele :
« Dex! quel amer
Harnu! quel jouer
Fet à lapastorele! »
Guiot a mult bien entendu
Ce que Robins frestele,
Si très grant duel en a eu
A pou q'il ne chancelé;
Mes li cuers li est revenu
Pour l'amor de la bêle;
Il a repostë sa muselé
Si secorce sa cotele ;
Un peliielala avant
Delez Marion maintenant,
Si li a dit tout en eeraat :
« Hé ! Marionete, tant amée l'ai ! >
larion (sic) vit Guiot venir,
S'est autre part tornée,
El quam Guiot la vil guenchir,
Si li dist sa pensée :
« Marion, mains fez à prisier
Que famc qui soit née
Quant pour Robinet, ce bergier
Es si asséurée. >
Quant Marion s'oï blasmer,
Li cuers Iiconmence à trembler;
Si li a dit sanz nul déport :
« Sire vallet, vos avez tort,
Quiesveilliezle chien qui dort. >
recto; dans le manuscrit du fonds de Cangé n* 6b, folio
61, verso, col. 2 ; dans le manuscrit du même fonds n°67,
p. 144, col. 1 ; dans le manuscrit 7222, folio 18, verso,
col. 1 ; dans celui du fonds de la Vallière n" 59, p. 98,
col. 1.
(a) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 207. Cette pastou^
relie est de Raoul de Beauvais, le trente-troisième des
poètes mentionnés par Fauchet. Suivant le manuscrit du
îonds de Cangé n° 65, qui la contient, fol. 95, verso, c.2,
elle appartient à Jehan Erars. Le manuscrit du même
îonds n° 67, qui la renferme, p. 198, col. 2, l'attribue
aussi à ce dernier trouvère.
(b) Manuscrit de l'Arsenal n" 63, p. 243. L'auteur est
Colars li Boteilliers, le, quarante-neuvième des poètes
mentionnés par Claude tauchet. Le manuscrit du sup-
plément français n° 184 l'attribue à Jehans de Noevile.
Voyez le fol. 46, verso. Elle se trouve aussi dans le ma--
nuscrit du fonds de Cangé n° 65, folio 93, recto, col. 1 ;
dans le manuscrit du Roi n° 7222, folio 100, recto, col. 2.
Elle y est attribuée à Jehans de Nue[rile] ; mais à la ta-
Quant Guiot vit que Marion
Fesoit si maie chière,
Avant sacha son chaperon,
Si est tornez arrière.
Robin, qui s'estoit enbuschiez
Souz une chasleignière,
Pour Marion sailli en piez,
Si a fet chapiau d'ieire.
Marion contre lui ala,
El Robin .ij. fois la besa,
Puis li a dil : « Suer
Marion,
Vous avez mon cuer
Et j'ai voslre ainor en ma prison. »
SEPTIÈME PASTOURELLE (b).
L'autr'ier par un malinet,
En noslre aler à Chinon ,
Trouvai lez un praelet
Touse de bêle façon :
Eleavoil le chief bbndel,
Et fesoit un chapelet ,
Et disoil ceste chançon
Hautement, seri et cler ,
« Robeçonnet, la matinée
Vien à moi joer. >
Robin cueilloit le musguel
Quanl oï son compaignon
Un sien petit aignelel
Ferir de son croceron,
Piiis sesist son bastonel.
Celc part queurt le vallet,
Et la touse à mult haut sou
Chanta, que bien lu oïe •
< Mal ail amor de vilain,
Trop est endormie, i
Quant je vi le pastorel
Qui s'esloignoit de celi,
Celé part ving mult isnel,
De mon cheval descendi,
Puis li dis : < Touse muli bel ,
Savez faire vo chapel? »
N'onques ne m'i respondi,
Ainz chanta, ne fu pas mue :
« Je ne serai plus amiele Robin,
Il me lesse aler trop nue. >
— < Touse, mult bien de nouvel
Vous veslirai, s'a ami
Mi retenez; grant revel
ble, on la donne à Jehans Erars. Ce dernier manuscr't
donne de plus, à la fin, les deux couplets suivants -
Lors aïtant la laissai
Un petitet reposer,
Et à joer commençai
Por li le mieuz déporter ;
Et quant en point la trovai,
Une autre fois fait li ai ;
Mais aine ne li ri plorer,
Ainz me dit : < Biauz amis doux,
Tote la joie que j'ai me vient de vos. >
Ma pastorele, va-t'ent
A Colart le Bouteillier,
Quar s'il aimo loiaument
Si com il faisoit l'autr'ier,
Il te chantera sevent.
Si m'en passe moût briément ;
Maiz por lui contraloier
Ne l'ai pas, mais por la bêle.
Hareu ! quel amer il fait la pastorele.
I46Ô
non
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
HO»
1 46(5
MARIONS.
Hé! Robin, se lu m'aimes,
Par amors m'aine-m'enl.
marion, sans voir le chevalier.
Eli! Robin, si lu m'a-imes, par amour emmène-
Merrons entre vous el mi.
El cioi vous mettrai Panel,
Mi garderez plus aignel ;
Aiuz serez avecques mi. >
— < Sire, ensi bien le vueil;
Or n'amerai-je mes là où je sueil.i
En sospiranl li besai
La boucbete el le vis cler.
Quant l'autre geu conmençai,
Si conmençai (sic) à plorer
Et dist : < Lasse! que ferai?
Orsai bien que g'en morrai. >
Mes pour li réconforter
Li dis : « Douce crialure,
Eiulurez les doux max d'amer :
Plus joneie de vos les endure. »
HUITIÈME PASTOURELLE (<j).
L'autr'ier d'Ais à la Chapelle
Repcroie en mon pais,
Dejoste une fonlenele
Trouvai pastors jusqu'à sis;
Cbascuns ol sa pastorele :
Mull orenl de lor délis,
Car avec ausestoit Cuis
Qui lor muse et chalemele
De la muse au gros bordon.
Endure endure enduron
Endure, suer Marion.
Fouchier, Dreus et Perronncle,
Chascuns d'els s*est aalis
Q'il feront dance nouvele
En un pré vert el ttoris.
Chascuns aura sa colele
D'un des envers de Senliz,
Et si en envera Guis
Qui leur muse et chalemele
De la musc au gi an l bourdon.
Endure, etc.
Dist Dreus : « Li cuers mi 4sautclc
l'or l'amor de Rialriz »
Et Fouchier forment frestcle
Pour s'amicie Aeliz,
El Rogier s'amic apele.
Si l'a par le ebainse prise (sic).
Par devant louz aloil Guis
Qui leur muse el chalemele
De la musc au gros bourdon.
Endure, eic.
Rohins d'une flaùlele
1 fesoit deus sons li et iz.
Pour l'amor de Perronelc
S'en esloit inult entremis :
< M'amicte est la plus belc,
Ce disl Rogier, ce m'est vis. >
Par devant louz aloil Guis
Qui leur muse et chalemele
De la muse au gros bordon.
NEUVIÈME PASTOURELLE (/>).
Au main me chevauchoie.
Lès une sapinoie,
El truis paslor coie,
moi.
El vert gardoil sa proie (bis)
Seule sans compaiguon;
N'ol od li fors .i. gaignon
Loiet de sa coroie.
Li leus saut d'un buisson,
Se li laul .i, molon
Ançois ke nus le voie.
Celé pleure el larmoie,
Tire sa crine bloie.
Celé pari lor ma voie;
Granl pitié en avoie.
Quand mirai sa faiçon,
Son vis et son menton.
Sa gorge ki blanchoie,
Lors dis à Marion
S'el laissoil Robeçon,
Son molon li rendroic;
Ele, ki moll s'effroie,
Ne set ke faire doie,
Disl ke se li rendoie
Son pucellaige aroie.
Lors nioef à enlençon
Hrochant à esperon,
Au trespas d'une voie
Le leu ens cl caon
li'à lerre mort l'envoie.
DIXIÈME PASTOURELLE (c).
Lès i. pin verdoiant
Trovai l'aulr'ier chaulant
Paslore et soin paslor :
Celé va lui baisant
Et cil li acolant
Par joie et par amor.
Tornai m'en .i. destor ;
De veoir lor doçor
Oi faim et grant lalant,
Moll grant pièche dejor
Fui illoc assejor
Por veoir lor samblant,
Celé disoil : « .0. a eo. >
El Robin disoil : « Dorenlot. »
Grant pièche fui ensi,
Car forment m'abelli
Lor gieus à esgarder;
Tant ke jodéparii,
Vi de li son ami
Et ens el bos entrer.
Lors eue lalent d'aler
Vers li pour saluer;
Si m'asis datés li,
Pris le à aparler,
S'amor à demander ;
Mais mol ne respondil,
Ançois disoit : « .0. a eo. »
El Rohins el bois : « Dorenlot. »
— < Tose, je vos re juier,
Donés-moi .i. baisier,
Se ce non je morrai ;
Rien m i poés laissier
Morir sans rocovrier
Se jou le baisier n'ai.
Sor sains vos juerrai,
Jà mai ne vos querrai
Ne forcheur destorbier. >
— < Vassal, et je I' ferai,
.Iij. fois vous baiserai
Por vos rasohaigier. »
Ele dist : < .0. a eo. i
El Rohins el bois : < Dorenlot. >
A cest mol plus ne dis,
Entre mes bras le pris,
Baise-le eslroiteinenl;
Mais au conter mespris,
Por les .iij. cm pris .vi.
Eu riant ele disl :
i Vassal, à vo créant
Ai-ge fail largement
Plus ke ne vos promis ?
Or vos proi boinemanl
Ke me lenés covant,
Si ne me querés pis. >
Celé redits : « •• 0. a e o. i
Et Rohins el bois : f Dorenlot. i
Li baisier par amors
Me (tablèrent Pardor,
El plus fui destTois;
Par desos moi la lor,
Et la tose ot payor.
Si s'escria .iij. lois.
Rohins oï la vois,
Gaulelos el Guifrois
Et ci si au ire pas lor;
Corant issent del bois;
El je jabés m'en vois,
Car la force en lu lor.
Puis n'i ol .o. a ne o,
Robins ne disl plus dorenlot.
ONZIÈME PASTOURELLE (d).
Rcrgier de ville champeslre
Peslre
Ses aignoiax menol,
El u'ot
Fors un sien chienet en désire,
Es ire
V'ousist par senblant
En enblant
Là où Robins flajolol,
Etol
La voiz qui responl
Et esponi
La noie du dorenlol.
Quant Robins vil la pucele,
Celé
Vint à lui riant;
Alant
Acole la demoiselle.
Ele
Le tret du sentier,
Car entier
Son douz cuer et son lalant,
En alant
Ont Ici maint Ireslor
El enlor
Enlr'acoler el besant.
(a) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 552. Celte chan-
son, sans nom d'auteur, est attribuée a Gillebcrl de Ber
neville, le vingt-quatrième des poètes cités par Fauchet.
Il était de Courtray, vivait en 1260, et était attaché à
Henry, duc de Brahant. Celte pièce se retrouve, dans le
manuscrit de la Bibliothèque du Roi, fonds de Cangé
n°67,p. 3H, col. 1.
(i) Manuscrit du Roi, supplément français n° 18», fo-
lio 85, recto. Cette pièce est attribuée a Glîilebers de Ber-
nevUe. Elle se trouve aussi dans le manuscrit du fonds de
Saint-Germain des Prés n° 1989, folio "i, verso.
(c) Manuscrit de la Bibliothèque Royale, supplémen'
français n° 181, folio 83, verso. Elle est attribuée à Glii
lebefs de Bernevile ; on la trouve aussi, mais mutilée,
dans le manuscrit du Roi n° 7222, folio 99, reclo,
col. 1.
(d) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 401. Elle est in
sans nom d'auteur; on l'attribue à Robert de Reims, le
vingt-neuvième dos poètes cités par Claude Fauchet.
i4<:7
RÛB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
KGB
Ufi8
Ll CHEVALIERS.
Cergiere, Diex vous doinsl bon jour!
MARIONS.
Diex vous garl, sire!
LE CHF.VaLILP..
Bergère, Dieu vous donne lion jour!
MARION.
Dieu vous garde, sire!
Disl Robins : < Se je savoie
Voie
Q'aulres ne séust
Séust
M'amie à merisier à joie
Oie
El gnsliaus pevrez,
Abuvrez
A un grant lienap de fusl;
El fust
Li vins formenliex
El ilex
One ma dame ne V refust. t
DOUZIÈME PASTOURELLE (a).
Hier main quanl je chevauchoie
Pensis anioiireusemeni,
D'au Ire pari delez ma voie,
Près du bois el loig de genl,
Trouvai paslore au cors genl.
Seule déniai ne granl joie
El qu'en! la flor en l'ai broie
Où celle ebançon commença :
« Dex ! trop demeure ; quanl ven-
(I ra ?
Loig es!, cnlr'oubliée m'u. »
Robin n'a pas entendue
La voiz que celé chantoil,
D'aulre pari sus la maçue
F.utre ses aignoiaus donnoil :
Trop malin levez esloil;
Longueinenl l'a alendue.
La louse, quanl l'a véu,
A dil por lui esperir :
« Dormez, qui n'amezmie;
J'aim, si ne puis dormir. »
Quanl si avant fut venue
Qn'el ne poul plus demorer,
Je descenl, si la salue ;
Ele s'en vont relorner;
Mes je la lis demorer,
A force l'ai retenue,
Puis li dis : < Soies ma drue .
Je vos aim sanz fainlise,
Je vos ai lot mon cuer doué,
Bêle très douce amie, i
Quant la tose entalentée
Vi de fere mon voloir,
Maintenant l'en ai levée
Sus le col du palefroi,
Si l'emportai en 1'aunoi
Eslroilemenl acolée,
El ele s'esl escriée
Au plus haut qu'el ouques poul :
i lié! resveille-toi, Robin,
Car on en maine Marol ! >
Quant oi fol de la paslore
(le que j'aloie querant,
Ma < oroie et m'auinosnière
Li ai tendu maintenant,
Puis si m'en tournai. Atanl
Robin vint aval la prée,
El à Dieu l'ai commandée.
Dolent m'en part ;
A Dieu conmani-je mes aruors
Q'il les me garl.
TREIZIEME PASTOURELLE (b).
Par dessous l'ombre d'un bois
Trouvai pasloure à mon cois ;
Contre iver erl bien garnie,
La lousete ol les crins blois.
Quant la vi sans compaignie,
Mon chemin lais, vers li vois.
Ae!
La tonse n'ot compaignon
Fors son chien et son baston
Pour le Croit en sa chapele
Se lapist lès .i. buisson,
En si fleliule regrele
Garinel et llobeçon.
Ae!
Quand la vi soutainement
Vers li tor el si descent,
Se li dis : Pasloure amie,
De bon cuer à vos me renl ;
Faisons de foille courtine,
S'auierons mignotemenl. i
Ae!
— « Sire, traiés-vos en là;
Car iel plail oï-je jà
Ne sui pasabandounée
A cliascun ki dis! : Vicn clià.
Jà pour vo scie dorée
Carinés riens n'i perdra, i
Ae!
— « Paslourele, si l'est bel,
Dame seras d'un ebasiel;
Desfuble chape griseie,
S'afuble cestvair manlel,
Si semblera la roseie
Ki s'espanil de novel. »
Ae!
— t Sire, ci a grant promesse ;
Mais mol! est foie ki prent
D'orne eslrange en ici manière
Manlel vair ne garnimenl,
Se ne li fait sa proière
El ses boens ni li consent. >
Ae!
— < Pastorele, en moie fo.,
Pour çou que bêle le voi,
Coinle dame, noble et hère,
Se lu vels, ferai de loi ;
Laisse l'amour garçonière,
Si lien del loul à moi. »
Ae!
— < Sire, or pais, je vos em pri,
N'ai pas le duersi failli !
Que j'aim miex povre déserte
Sous la foille od mon ami
Que daine en chambre coverlc :
Si n'ait-on cure de mi. »
Ae !
QUATORZIÈME PASTOURELLE (f).
Er main pensis chevalçai
Lès une sauçoie,
Pa-lourel chanlanl trouvai
Demenanl grant joie.
Cors avoii genl
El avenanO
Crins reluisans
Et oel riant.
Si disoit : « .0. dorenlot,
Diva! Marot,
Au cors migno!,
Si mar l'amai!
Je Tarai
U je morrai.
L'amour de li mar l'acointai. »
Si corn cil chanioi ensi
De Marol la bêle,
Par aventure l'oï
Une damoisele.
Ses ebans li plot,
Vers li torna,
Si l'esgarda
El enama,
Seli disl : t Si mar l'acointai!
.0. dorlolin,
Diva! Robin,
Mignot Robin,
Tes oex mar l'esgardai.
Se cis maus ne in'asouage je mor-
[rai. >
Que qu'ele vint à Robin,
Moli est esmarie;
Amiens ses mains li lendi
Et inerci li crie.
Que qu'ele pleure el cil s'en rii,
De tout son dit li est peu ;
Celé a dit : < .0. que ferai ?
D'amer morrai,
Jà n'en vivrai
Se loi n'en ai
Que j'aim tant bien.
Trop m 'ara s'amours grevé,
Se loul li mal eu sont mien. >
Celé ki rien ne li vaul
Cliose qu'ele face,
Ses bras estent, vers lui sain,
Par le col l'embua ce;
Vers soi l'esirainl moût douce-
[nienl,
Cil se desfent trop durement,
Si a dit : « .0. quel iolour
Quant voslre amour
El vostre bonour
M'avés abandonnée!
L'amou ki est véc
C'esl la plus desirréa. i
Que qu'ele ensi Robin
Embraceel a cole,
Es-vos Marol au cuer fin
Ki se lient por fuie,
Hucbanl s'en vaii : < Traï! lia;! »
(a) Manuscrit de la Bibliothèque du Roi, fonds de
Cangd n° 63, folio 128, recto, coi. 2. Elle est de Haitaces
de Fontaines.
{b) Manuscrit de la Bibliothèque du Roi nc IS*, «lu sup-
lement français, folio iô, recto. Celle chanson est altri-
uôe à Hues de S:!int-Que;itin.'
!:
(c) Par Ernous taupains. Mauuscril du Roi, n" 184, du
supplément français, folio -ii, verso. Cette pièce se re
trouve dans le manuscrit du Roi n° 7222, folio 9e), verso,
col 1. Clle y est attribuée à Baudesde lu Knkerie. tandis
que. à la lable. on la donne à Jehan* 6,'rtfTS.
1-Î03
ROB
NOTICE SU» LE TI1KATHE LIBRE.
BOB
li70
LI CHEVALIERS.
Par amor,
Douche puchele, or me contés
î'our coi cestc caucbon camés
Si volontiers et si souvent?
lié! Robin, si tu m'aimes,
Par amours m'aine-inent.
LE CHEVALIER.
Franchement, la belle fille, contez -moi sur
l'heure pourquoi vous chiniez toujours celle chan-
son : « Hé! Robin, si tu m'aimes, par amour em-
mène-moi. >
Robins l'oï,
Ve:s li sailli,
Se li a dit : «.0. douce suer,
Tu as mon cuer,
Ne T jeter puer :
Je l'aim sans décevoir.
Je voi ce que je désir,
Si m'en) puis joie avoir. >
Celé l'ol ki bien l'entent,
Mais cl n'en a cure;
El Boltins vers l'autre atant
Cori granl aléure;
Mais celé ne l'alendi pas :
Eneslepas
Li gelc.i. gas,
Si li disi : < .0. fols Robin,
Lai ton chemin ;
Parcesl, par cesl matin
Si va les bestes garder.
Osles, saroU dont vilains amer?
Nenil voir, s'il aime jà Die* n'i
[soit, i
Quant Robins s'ot ramprosner,
Si responl par ire :
i Ee[t, !aissiés-moi ester,
Vostre vente empire.
Jà m'en proiasles-vos avant
Bien lis semblant;
N'en oi lalant,
N'encor n*en ai.
.0. Bobin relornés;
El se volés,
M'amour ares :
Cuite vas daim atant.
Trop s'avilonisJ pucele
Ki d'amer va proiant. »
Celé responl sans largier :
« Fans ion Gabier laisse;
Folie le lisl quidier
Que de cuer t'amaisse.
D'amer garçon noient ne sai,
Bien te gabai
Quant l'en priai.
Or i port ,o. nepourtant
Pour ton bel chant
En oi lalant;
Mais or changie m'ai.
Vous n'i verres mais à tel aban-
[don,
Couarl vous trouvai, t
QUINZIÈME PASTOURELLE (o) .
Entre le bos et le plaine
Trcvai de ville lonlaine
Tose de granl beauté plaine,
Ses hestes gardant ;
Clercbanloit corne seraine.
Et Robins à vois au laine
Li responl ens ilahulanl;
Et je por oir lor satnulant
Descendi, si eniendi
Ke celé li disi tant :
« Robin, bien fust avenant
K'eussiens chapcl d'un grant
De la flor premeraine. >
Acest mois Robins l'acbaine,
Ki por s'amor cri en paine :
< Marion, fait-il, amaine
Tes bestes avant,
Ke ne passent ens l'avaine;
Mei-les en l'herbe foraine;
Ton chapel ferai avant;
Mais molt ne feroies dolant
Se le cri de ion ami
Avoie por noiant,
Car Perrins se va vantant
Ke de cou dont me vois ponant
K'il en keudra la graine. »
SEIZIÈME PASTOURELLE (b)
Pensis coni fins amonrous
L'aulr'icr ohcvaut -hoie,
Robin oi, qui tous sous
Deinenoil granl joie.
Celé par ving, se 1' saluai
El del revel li demandai
Dont il vient :
« Sire, fait-il, il me tient
VA boine raison i a.
Belle m'a s'amor douée
Qui mon cuer et mon cors a. i
— < Robins moitiés curons,
Mais savoir vanroie
S'onqucs par nul envions
Fu l'amie en voie
K'ele se largast à loi. »
Il responl : c Sire, par ma foi !
Voir dirai :
Lonc tans mal eslé en ai ;
Or ai
Puis, s'en ai cruer joianl.
Sej'aim par aniors, j'oie en si granl ,
Maugré en aient li niesdisant. »
— « Robin, miex t'est avenu
Que moi ne puet faire,
Que maint samblant ai eu
Doue et déboinaire;
El sans forfait perdu los (sic) ai.
Ne nul confort trover n'i sai;
Si deproi toi qui joie as,
Apreng-moi cornent lu as
Confort trové.
J'ai adès loiaunient amé;
Mais me[s]cbeance m'a grevé.
— i Sire, or ai bien entendu
Trcsiol vostre afaire.
S'il vous ai inésavenu
Par aucun contraire,
Silost ne vous déserpérés,
Mais bien cl loiaunient serves
Fine amor,
Car bienlosl à granl doelior
Del dolor ratnainç.
Nus n'em puet avoir granl joie
S'il n'en suelfre paine. »
— « Robin, la peine à soffrir
Ce n'est pas greva nce,
Tant coin boni se puet tenir
Eni boine espérance;
Mais ce k'il est tant mesdisans
El pan de loial cuer amans
Me fail mal,
Que j'en quidoie une loial
Qui Irai m'a.
Teus quiilc avoir amie,
Qui poinl n'en a.
— c Sire, on voit bien avenir
Par acosluniance
Qu'eles font pour abaudir
Cruel contenance;
Si s'en effroe li mauvais
Ki n'ose les doleroùs fais
Soslenir;
Mais se bien poés soffrir
Ce ne po[el] longes durer.
Ne vous repentes mio.
De loiaunient amer, i
A Dieu comanc Robccon ;
Monstre ma boine raison,
S'alendrai;
Mais çou ke si haut pensai
Me fail tioloirel plaindre;
En si liant lieu ai mon cuer assis
Ke je n'i puis alaindre.
Sire, cbi a povre ochoison.
De haut signeur guerredou
S'aiendés,
Jà cerics n'i perdrez
En si boin signeur servir.
Ki bien et loiaunient aime,
Sa joie ne doit faillir.
DIX SEPTIÈME PASTOURELLE (c).
Dehors Lonc-Pré cl bosquet
Erroie avant-hier ;
La vi mener granl revel
En mi un sentier,
D'une jolie lousete,
Sage plcsanl eljonclc.
Dex! tant in'enbcli
Quant seule la vi !
Et la louse loin ensi
Conmence à cbanler :
« Robin, que je (loi amer,
Tu pues bien trop demorer. »
Je la saluai plus bel
Que je poi raisnier,
Si li douai mon chapcl
Pour moi acoinlicr.
(a) Manuscrit de la Bibliothèque du Roi, n" 184, du
supplément français, folio 78, recto. Elle est de Jelums
Bodeaus.
(b) Manuscrit du Roi, supplément français n" 184, folio
122, recto. Cotte chanson est de ntesire Pieres de Cor-
Me; elle 9e trouve aussi dans le manuscrit de la Biblio-
thèque Royale n° 7222, fol. 20, recto, col. 2.
(c) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 201. Cette chanson
est do Jehan Erars, le trente-deuxième des poètes men-
tionnés par le président Fanchet. Elle se trouve aussi
dans le manuscrit du fonds de Gange, n" (>•'>, fol. 8 >, >v<\'«,
col. 1 ; et dans le manuscrit do même fonds n 67. p
1896 col. 1.
1471
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
UW
MARIONS.
Biaus sire, il i a bien pour roi :
J'aim bien Robinet, et il moi ;
Kt bien m'a monstre qu'il m"a chieie
Donné m'a ceste panetière,
Ceste houlete et cest couH.
HARION.
Beau sire, ma raison, la voici : j'aime bien Robin,
et lui m'aime; il me l'a prouvé en me donnant celle
panetière, celte houletie et ce couteau.
Quant je vi sa mamelelte
Qui lieve sa cotelete,
Mes braz li tendi,
Si la très vers mi;
Et la louse tout ensi, etc.
Je l'assis soz l'arbroisel;
Si la vi besbr;
Ele dist : < Sire dancel,
Ce n'éust mcsiier.
Je sui une jouvenete,
Povre de dras et nuele,
Et sachiez de fi
Que j'ai bel ami. i
El la louse tout ensi, elc.
< Sire, j'ai ami nouvel
Toul à souhedier,
Je cuil qu'il est el vaucd
Delez cel vivier. >
Robins sone sa muselé,
Dont disl à moi la lousele :
« Sire, je vos pri,
Tornez vous de ci. >
El la louse, etc.
< En lieu de vo paslorel,
Bêle, m'aiez- chier :
Ma çainlure el mon anel,
A ce commencier,
Aurez ma douce amiele. »
Adonc la mis sur l'hcrbele :
Mom bon acompli,
Mie n'i failli;
Et la louse, elc.
DIX -HUITIÈME PASTOURELLE {a).
Paslorel
Lès un boscbel
Trovai séant,
Qui por s'amiele,
Bêle Mariele,
S'aloil démentant,
Car laissié l'avoit,
Si amoit
Autrui que lui coin folete.
* Las! fait-il,
Corn me tient vill
Et por notait L
Celé que j'amoie
Pluz que ne faisoie
Moi entièrement !
Or me fausse mont nialemenl
Que si eslable cuidoie.
« Saches bien
Que je n'aim rienz
Tant corn faz loi
D'amor nele el pure;
Mais par coverlure
Sovent m'esbanoi
A ceus que je croi
Et je voi
Biau joer sanz mespresurc.
< Bien as dit;
Autre escondit
Ne le quier;
Mais inouï me douloie
Quant je le veoie
Autrui embracier
Car sanz losengier
Entier
Ton cuer coin le mien cuidoie. >
Puis s'en vait, que plnz ni disl;
Si s'est partis
De la pa>torete,
Qui n'erlpas folete ;
Aine de mesdil
N'i ot plnz dit,
Q:ii bien l'a oï ses amis
Qui l'aient en sa logele.
DIX-NEUVIÈME PASTOURELLE {b).
Lès de brueill
D'un vert fueill
Truis pastore sanz orgueill,
Chantant
Et notant un son ;
Moult ot clere la façon,
C'ainc tant bêle ne connui.
Sanz autrui
Vois avant por mon anui
Saluai-la, si li dis :
« Touse, li voslre clcis vis
M'a soupris
El li chans de cuer hailié :
La bêle a rai je sui,
Douez- moi voslre amislie. »
Ele s'escrie à hauts cris :
« Se je cbanl, j'ai bel ami.
Doete est main levée,
J'ai m'amor assenée. »
— i Touse, laissiez Robin ;
De cuer fin
Sans engin
Vos doins m'amor et defin,
Queus est a moi s d'un bregier
Qui ne sel fors que mengier
El garder porciaus
Et aigniaus?
Bêle, laissiez ses aviaus;
Si vos tenez as damoisiaus. »
— t Sire, n'est pas avenant
Ne séant
D'ensi s'amor olroier
Robin le donai l'autr'ier,
Jà ne l'en ferai contraire.
Ce ne doil-on mie faire,
S'amor doner et relraire. »
— i Amie, ne vos douiez,
Que jà part n'i avérez :
Dex vos en garl!
Si faite amors pas n'avient,
Car à vos point ne se lient ;
Mais moi, qui sanz trahison
Suis voslre boni,
Devez amer par raison ;
Car je n'aim rienz se vos non.»
— i Sir, ci a loue sejor,
C'alendu ai toute jor
Mon paslor;
Mais sacbiez cerleinemen
S'il demore longement
Del tout a moi failli.
Amis, vostre demorée
Me fera faire autre ami. »
VINGTIÈME PASTOURELLE (c)
L'autre ier chevauchai mon chemin.
Dejouste un ruissel
Truis paslore soz un pin
Novel.
D'un ramissel
Olfailchapel,
El cote et chaperon ot
D'un burel
Freslel,
Chaleinel ot,
Si noloit
Et chantoit
Bien el bel,
Souvent regrele un paslorel,
Car sole ganioil sonaignel.
Je m'arestai soz l'ombre d'un frais-
[■el.
Lez un boschel lassai mon poulret.
Sa vois, qui reienlist el boschel,
De s'amor in'espreni,
Car le cors a gent,
Le vis cler et bel.
< Lasse! fail-le en souspiranl,
De due! morrai
Robins ne m'aime de néanl;
Or maudirai
Le tans de mai
Et maudirai
El foille et tlor et glai.
Mal irai,
Si m'esmai
Porcoi ne m'aime Robins, je ne sai ;
Je l'aim de cuer vrai ;
Jàporbiaulénel' laisserai,
Jamais autrui m'amor n'oiroierai.
Trop ai le cuer vrai;
Mes je chanterai :
« Aîné l'ai,
i Et s'il ne m'aime je 1' lairai,
< Certes, je 1' harrai.»
Lasse! qu'ai-je dit? voir, non fe-
[rai.»
Quant je l'oï si demenier
Adonc li dis : < Lcssiez ester
Cel paslorel :
Chailis esl et sera toz dis,
Jamais n'aurois de lui soulaz tant
[corn soit vis.»
Tantdiselpramis
Q'enlremesbrasdoncentenllcsaibis
Sor l'erbe verdoianl la mis,
Les ex li baisai et puis le vis;
Lors me sambla que fusse en para-
fdis.
De il fui espris,
S'en pris el repris,
Puis li dis :
« N'aurez pis.»
Ele jeté un ris,
Si dit : < Mes amis
Serez mais toz dis. »
(a) Par Jehans Erars. Manuscrit du Roi n" 7222, folio
100, verso, col. 1.
(b\ Par Jehans Erars. Manuscrit do Roi n"7222 folio
101, recto, col. 2
(c) Par Jehans Erars. Manuscrit du Roi n' 7222, folle
101 verso, col 2.
1473
ROB
NOTICE SUR LE THEATRE LIRRE.
ROB
1474
Ll CHEVALIERS.
Di-moi, véis-lu nul oisel
Voler Durdeseure cescans?
LE CHEVALIER.
Dis-moi, vis tu aucun oiseau voler au-dessus de
ces champs?
VINGT ET UNIÈME PASTOURELLE (a).
Por conforter mon corage
Qui d'amors s'esfroie,
L'autre jor lès un boschage
Toz sens clievauchoie.
Paslorele
Génie et bêle
Truis et simple et coie;
En Perboie
Qui verdoie
Repaissoit sa proie
Cors ot gent et avenant,
Bouche vermeille et oel riant,
Noirs sorcis
El bien assis.
Blanc col et coloré le vis;
Quar Nature
Mist sa cure
En former tel enfant.
Aeo!
Son frestel, son baslon preni.
Aeo!
Cbantoit et noloil :
« Je voi venir Emmelol
Par mi le vert bois.i
J'oï 1a touse qui freslele
Et demaine joie ;
Porce qu'ele esl simple et bêle,
Vers li tigma voie ;
Je le dis coin fins amis :
« Touse, car soiez moie.i
La bregière,
Qui fu Hère,
Durement s'esfroie.
Maintenant s'amnr déniant,
El dit que n'eu fera noianl :
De Robin a fait ami
Q:ii li a juré cl plevi
Que sa vie
D'autre amie
N'aura los ne cri.
Aeo!
Robins esl loiaus amis.
Aeo!
< Traiez-vos en là.
Robins n'a de cuer amée,
Si ne P lairai jà. »
— < Jentix louse débonaire,
Preus, sanz vilenie,
Ne m'i faites plus contraire,
Devenez m 'amie.
Cole noire,
C'est la voire,
Ne vos donrai mie ;
D'escarlale ierl vermeilleie,
De vert mi-partie, i
Ele dit : < Traiez arrier,
Ni vaut noslre dosnoier. »
Je la pris,
Qui fui soupris;
Par force soz moi la mis,
Demauois
Le ju François (b)
Li fis à mon lalant.
Aeo !
Touse, or est-il aulrcmanl.
Aeo!
Celé crie en haut
< Se Robins m'a mal guardée,
M. il déliait qui chaut !i
VINGT-DEUXIÈME PASTOURELLE (c).
Hui main par un ajornant
Chevauchai ma mule anblanl;
Trouvai gentil paslorele et avenant,
Entre ses aigniax aloil joie menant.
La paslorp mull m'agrée,
Si ne sai dont ele esl née
Ne de quels parenz ele est enparen-
[lée.
Onques de mes euz ne vi si bêle née.
c Paslorele, paslorele,
Vois le tens qui renouvelé,
Que reverdissent vergiers et toutes
[herbes :
Biau déduit a en vnllel et en pucele. »
— « Chevalier, niult m'en est bel
Que raverdissenl prael,
Si auront assez à peslre mi aignel.
Je m'irai soef dormir souz l'a rbroi-
[sel.i
— « Pastoreîe, car sonsfrez
Que nos donnons lez à lez,
Si lessiez vos aigniax peslre aval
[les prez :
Vos ni aurais jà damage où vous
[perdez.»
— « Chevalier, par saint Simon,
N'ai cure de conpaignon.
Par ci passent Guerinel et Robeçon,
Qui onques ne me requislrent se
[bien non.)
— « Paslorele, trop es dure
Qui de chevalier n'as cure;
A .1. boulons dor auroiz çainture,
Si nie leissiez prendre proie en vo
[pasture. »
— «Chevalier, de Dex vos voie,
Puisque prendre voulez proie,
En plus haut lieu la pernez que ne
[seroie :
Petit gaaignoriez, et g'i perdroie. >
— «Paslorele, trop es sage
De garder ion pucelage.
Se toutes les conpnigncles fussent s;,
Plus eu alast de puceles à inari.i
VINGT-TROISIÈME PASTOURELLE (d).
L'aulr'ier quant je clievauchoie
Tout droit d'Arraz vers Doai,
Une pastore trouvaie (sic),
Ainz plus bêle n'acointai ;
Genlement la saluai :
« Beie, Dex vous dont hui joie! »
— « Sire, Dex le vous olroie
Tout honor sanz nul délai !
Corlois estes, tant dirai. »
Je descendi en Perboie ,
Lez li soer m'en alai,
Si li dis : « Ne vos ennoie,
Bêle, voslre ami serai
Nejamès ne vos faudrai :
Robe auroiz de drap de soie,
Fermaus d'or, huves, corroies ;
Ciivrechies, treceoirs ai,
Sollers pains, ganz vos donrai (e) . •
— « Sire, ce responl la bloie.
De ce vous mercierai ;
Mes ne sai conment leroie
Robin, mon ami que j'ai;
Car il m'aime, bien le sai.
Pucele sur, qu'en diroie?
Ne sosfrir ne le porroie;
Mes tanl vos oirierai,.
James jor ne vos barrai.
« Biau sire, je n'oseroie,
Car por Robin le lerai.
S'il venoil ci, que diroie ?
Si ni'aïl Dex, je ne sai.
Voslre volenté ferai. >
Je la pris, si la souploie,
Le gieu li lis toute voie,
Onques guères n'y larjai ;
Nés pucele la irovai,
Ele me semont el proie
Se ses couvens li tendrai ;
Je li dis que ne P leroie
Pour tout l'avoir que je ai.
Seur mon cheval l'euchaijai.
Andriu sui qui inaine joie,
Ma pucele le dognoie,
(a) Cette chanson est (ï[Ernous li \V~\ielle , et se
trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque du Roi
n° 7222, folio 102, verso, col. 1.
(b) Celte expression, qu'il n'est pas besoin de tra-
duire, esl remarquable. Comparez-la a\ec l'expression tor
fraiiçois qu'on retrouve dans la romance de Bêle Yolaus
el dans la chanson de geste de Garin de Montglave. Voy.
le Romancero françois, par M. Paulin Paris, p. 40 et
41.)
(c) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 307. Anonyme.
Elle a déjà été publiée par M. de Roquefort, dans son li
vre De l'étal de la poésie françoise dans les m." et xin' siè-
cles, p 387-389. On la retrouve dans le manuscrit du
fonds de Cangé n° 65, fol. 160, recto, col. 2; et dans le
manuscrit du même fonds n°67, p. 291, col. 2.
(d) Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p 547. Anonyme.
Cette pièce a été publiée tfans l'ouvrage de M. de Ro-
quefort déjà rilé. p 391, ;92. On la retrouve dans le ma-
nuscrit de la Bibliothèque Ju Roi, fonds de Cangé n° 67,
p. 535, col. 1.
Damoisele, car créez
Mon conseil : je vous créant,
James povre ne serez,
Ainz auroiz à vo talent
Ole trainant
Et coroie
Ouvrée de soie,
Cloée d'argent,
Etc.
(Manuscrit de l'Arsenal n° 63, p. 242, col. 2 ; manuscrit
du fonds de Cangé n°65, fol. 91, recto, col. 1 ; manuscrit
du même fonds n° 67, p. 236, col. 1 ; manuscrit du fonds
de La Yallière n° 59, p. 138, col. 1.)
(e) Il nous a paru curieux de rapprocher ce passage du
suivant qui appartient à une chanson du duc de Crabant,
père de Marie, femme de Philippe le Hardi, et le qua-
rante-huitième des poètes CÏleS par le président Fau-
ehet.
1475
Il OU
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
RG3
i 476
MARIONS.
Sire, j'en ai veu ne sais kans;
Encore i a en ces buissons
Cardonnerculs et pinçons
Qui nioul canienl iolicmenU
MAUION.
Sire, j'en ai tant vus, il y a plein ces buissons <b
chardonnerets et de pinsons qui charrient gaiement.
Droit en Arraz l'cnporlai ;
Granz biens li fis et ferai.
VINGT-QUATRIÈME PASTOURELLE («).
Entre Godefioi et Robin
Gardaient bestes .i. chemin
Dejosle une rivière.
De là l'aîge, près d'un sapin,
Desos l'ombre d'un aube esoin,
Gardait une bergière
Aigneaus eus la bruière.
De joins et de fcu< bière
Estoit couverte sa chahute.
A la clokele et à la muse
Aloil chaulant une cançon.
Robins a entendu le son,
Si l'a dit à son compaignon;
El le liole
Del coule.
« Escote,
Fols, escote.
J'oi m'amie là outre.
Or la voi,
La voi,
Por oieu salués-le-moi.
N'i puis rrierchi irover
Eus la belle cui j'aim.»
--« Beausdos compains, disl Go-
[defrois,
Por Ermenion sui si deslrois
Ke ne sai ke je faire.
La gratis jelée ni li frois
Ke j'ai enduré maintes fois
Ne la nois ne la glaice
N'ont pas leinle me faice;
Mais celé qui nie laice
Mes ollraiges nie doit bien nuire,
Avanl-ier li brisai sa buire ;
Or m'en a pris en granl desdaig.
En non Dieu, Robin, beaus coin-
[paig,
Vos chantes et je me complaig;
Vos aniés joie, cl je le bas;
Vos ne seules mie les maus ausi
[coin je fas;
Vos chaulés et je muir d'amer,
Ne vos est gaires de ma mort (b)
Abi! mors! mors! mors! porquoi
[m'ochics à tort?»
Quant Robins enient Emmelot,
Et ecle sol
Ke Robins l'ot,
Lors resbaudist la joie.
'Celé enforce son doreulot
A la clokele cl au sillol
Pour çou ke Robins l'oie.
Tôt li cors m'en effroie;
Vers li lornai ma voie,
Devant li descent eus la prec,
Puis si l'ai araisouée,
Déboinairement li dis :
«Tose, je sui li voslre amis;
Mon cuer vous olroie à los dis,
Tenés, je vos en fas le don.
A cui donrai-jou mes amors,
[amie,
S'a vos non !
En non Dieu ! vos estes belle,
On vos doit bien amer.
Chi a belle paslorelle,
S'ele avoil ami.
Doce amie, car m'amés (bis),
Ja ne proie se vos non. >
— « Sire, bien soiés-vos venus!
De par moi estes retenus :
Por voslre plaisir faire
Ne doit Ions plais eslre tenus.
Trop es Robins povres et uns
Et de trop povre affaire.
Provos samblés ou maire
Ki portés penne vaire.
Tose ki baul borne refuse,
Vilain paslorel amuse,
A cniient prenl le piour.
Amors n'est onques sans doçor,
M. lis celé n'a point de saveur
Dont li déduit son lost.
Ostes, saroit dont vilains amer ?
Ncniljà,
Nen.l jà,
Deaubles li aprendera.
0>tés cel vilain, oslés,
Se vilains alouebe à moi,
Nis dcl doi,
Jà niorrai. t
A cest mot fui en lel effroi
Ke jou laissai mou palefroi
Mer aval l'erbaige.
Robins apelie Godefioi,
Or furent ensamble tout troi,
Puis disl lot son coraige :
« Sire, n'esl mie saige
Povre pucele ki s'acoinle
A haut borne orgellex et coinle.
Oï Pavés dire sovenl :
i Ki baul moule de liant desceul,
< Froil a lefpié ki plus l'eslenl
i Ke son covreloirs n'a de loue.»
Amerai-je dont
Se mon ami non
N'aie, se Dieu plaist.
Autrui n'aimerai.
Erres, erres,
Vosn'i dormi rés
Mie enire mes bras, jalons.
Ge n'oi onques c'un ami,
Ne jà celui
Ne changerai;
Jà n'oblierai
Robin,
Gui j'ai m'anior douée*
Oslés vos mains d'aulrui avoir,
Vos (jiiidiés lot le monl valoir :
Gil est moll (ans ki ce proevè
Ke lot soit siens kan k il iroeve.
Renionlés car à moi failli avés. »
VINGT-CINQUIEME PASTOURELLE (f).
En une praele
Lez .i. vergier
Trouvai pa'siorcle
Lez son bergier.
Li bergier l'ipele,
Vouloil besier; [dangier,
Mes ele en faisoil moll liés grai.t
Car de cuer ne l'amoie mie-
Oncor fusl-ele sa plévie,
Si avoil-ele ami
Autre (pie son mari;
Car son mari, je ne se porqci,
Hel-ele tant qu'oie s'escriou.
«Osiez-moi l'anelel du doit
Je ne sui pas marié à droii.
«A droit ! non, fel-ele
A son bergier.
En pur sa gonele
Aurore plus chier
Robin qui freslel
Lez l'olivier
Que avoir la scignorie
D'Anjou ne de Normaudic(d)
Mes je (s;c) j'ai failli,
Certes, ce poise tri.»
Disl la douce crialur
A haule vois :
« llouis soit
Maris qui dure
Plus d'un mois. »
— «En mois! suer douccie>
Disl li pastors;
Cesle cbançoneie
Mi fel iros.
Drop estes dureté
De vos amors :
Je vos pris à faine,
Souviengne-vos ;
El se tele est vos pensée
Qu'à moi soiez accordée,
Dont si haez Gamier
Qui est en cel vergier. »
Et ele dit que jà
Por li ne lera
A SMiier.
« Vaderali doude, s'amor
Ne m'i lesse durer.»
— « Durer! suer doucele
Ce disl li jalons,
Foie ennuioseie,
Qui amez-vos ? »
Se disl Joanele :
«Riau sire, vos. »
— «Tu mens voir, garscie
Ainz as aillors mis ton cuer ci ta
[pensée.
Moi n'aimes-lu de riens née;
Ainz aimes inelz Garnier,
Qui est en cel vergier,
Que ne fas moi. Aimi !
Aimi !
Amoreles m'ont irai'. »
(a) Manuscrit de la Bibliothèque Royale, supplément
français n" 184, folio 18, verso.
(b) Ce vers et le précédent ont été reproduits par Gi-
berl de Montreuil, qui les fait chanter par Florentine.
(Vouez le Romnu de la Violette, p. 136.)
(c) Manuscrit du fonds de Cangé n" 63, folio 186, verso,
col 1. Cette-pastourelle se retrouve aussi dans le manus-
crit du même fonds n° 67, p. 323, col. 1 ; et nans le ma-
nuscrit du fonds de Saint-Germain n° 1989, folio 153,
reclo. Elle se trouve répétée dans le même volume folio
loo, verso, et contient à la fin un couplet de plus
trf) Dans Jehans de Normandie.
(Manuscrit de Saint-Germain. )
4477
ROB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
RO!5
UT«
'Ll CHEVALIERS.
Si m'ait Dieu s beie au cors goul,
Clie n'est point clie que je déniant
Mais véis-lu par chi devant,
Vers cesle rivière, nul ane?
MARIONS.
C'est une hesle qui recane ;
J'en vi ier .iij. sur clie queinin,
Tous quarchiés, aler au molin
Est clie chou que vous demandés?
LI CHEVALIERS
Or sui-je mont bien assenés!
Di-moi, véis-lu nul hairon!
LE CHEVALIER.
M'ait Dieu! belle au corps gentil, ce n est point
ce que je demande; mais n'as-lu pas vu par ici-dc-
vanl, vers celle rivière, aucun canard?
MARION.
Des bêles qui ricanent, j'en vis Dois hier sur ce
chemin, tous chargés, aller au moulin : est-ce ce que
vous me demandez?
LE CHEVALIER.
Je suis bien avancé. Dis-moi , vis-lu aucun hé-
ron?
tTrai! voir fel-ele,
"Vilain chailis;
Traï estes-vos, je te
Vos plévis,
Car li miens amis
Est molt melz apris,
De \os est plus biaus et plus jolis;
Si li ai m'amor douée.»
— «Ha ! foie desmesurée,
Por l'anior de Garnier
Le compérés jà chier.i
El la louse li escrie :
« Ne me balles pas, dolercus ma-
Vos ne m'avés norrie;
Se vos me bâtés, je ferai ami ;
Si doublera la folie. »
Vingt-sixième pastourelle (a).
Je me chevaichoie
Par mi un prael,
Dejoste unearbroie
Ley .i. ormissel ;
Là trovai granl joie,
Paslore en l'arlroie,
En sa main freslel,
Chaule .i. son novel,
Vuel que Robins l'oie.
La color roiinc
Par mi la gaudine
Rehiisoil tant cler.
Deus me lasl trover
Que l'aie suvine !
Par mi la ramée
Vers li chevalchai,
Quanl je la vi seule
Si la saluai ;
Dis li : « Beie ncie,
Soicz ma priveie;
Je vos amerai,
Riche vos ferai
En voslre contrée. >
— «Avoi ! chevaliers,
De foloi parlez,
S'en moi a mesure
Je sui beie assez
Ce li disl la pure.
Je n'ai de vos cure;
Li us est fermez,
Robins a les clés
De la serréure.»
— «Beie Mariette (sic),
Près de moi le lien,
Par desoz la colle
Te bottrai dcl mien.
Beie Marioite,
Près de moi l'acosle
Seule senz engien.»
Et dist que bien siet
Dedanz sa biolle.
La berre esl briseie,
L'us est desfermez ;
Jamais ne tel noue
N'orrez à parler.
Ele disl : i Par saint Blai-
re!
Meliz valt la sosclaise
Ne facenl les cleis.
Sovenl i venez,
Amis, en l'erbage.»
VINGT-SEPTIÈME PASTOURELLE K0j.
L'anir'ier me levai au jor, (bis)
Trovai en un deslor
Paslore et son pastor
En sa main un tabor,
Eu l'autre mireor;
Se mire sa coior,
El chante par anior :
i Dorenleu diva !
Eva !
OÏ ça,
Oilà.»
Mais en pou d'ore li chanja
Li dorenleus,
Eyeus !
Qant uns granz leus,
Cole baée, familleus
Se lierlenlre les lluz andeus.
Toi oui perdu l'or déduit, (bis)
Ez-vos lo leu q'en fuil
Au bois, cui qu'il ennuit;
El j'en oi lo bruit,
Celé part m en vois,
Eyois !
Toi demenois
Me mis enlre lui et lo bois
Por delenir,
Eyr!
En son venir
Féri lo leu de tel aïr
Que la proie li fis guerpir.
Ele commence à huchier : (bis)
< Ferez , frans chevaliers;
Pensez de l'esploilier,
Car por voslre luier
Aurez un douz baisier.
L'on retrouve dans le manuscrit de la Bibliothèque Royale n° 722-2,
lragmenls de chansons apparlenanl au cycle de Robin et de Ma r ion.
Enfin, on lit encore une aulre pastourelle dans le traité de M. Roque
çoise dans les xu« el xin» siècles pag. 593, 594. Nous ne la reprodu
publiée d'après une copie à laquelle nous ne nous fions point.
Revenez par nos,
Eyons !
Robins ier cous.»
Quanl je li oi l'aigniau rescous,
N'ai rien perdu,
Eyu !
Joianz en fu.
Robins, qui l'avoil entendu,
Par félonie a respondu.
Adonc respondi Kobin, (bis)
Qui lint lo chief enclin,
Et jure saint Martin
K'ague n'est mie vin,
Ne sage paresin,
Ne poivres n'est comins,
Ne cuer de femme fins.
« Fous qui la croil,
Eyoii !
S'il ne la voit.
Femme saii bien que faire doit,
S'ele fa il mal,
Eyal !
Por un vassal
Qui par ci passe à cheval.
M'a guerpi celé desloial. >
Adon la levai errant (bis)
Sor mon cheval ferrant.
Ele disl en riant :
« Robin, Deus le saut!
Eyaul!
Plorers que vaut?
Je vois esbanoier el gant
Por mon délit,
Eyl !
N'est pas peli'z.
Se lu m'aimes, si com lu diz,
Pren le garde de mes berbiz.»
— «Dame, losl m'avez guerpi[6t»]
Quant por votre délit
Avés un home eslit
Conques mais ne vos vil.
Pou ce prise petit
Femme qui son cuer
Eyuer !
Vuet vamlre à fuer.
Bien al gelé lo sien afuei
Qui par rovenl,
Eyenl!
Son baisier vant.
Qui va deniers ne va devai
Qui chainge menu el sovei.
nui a été mutilé, un ou plusieurs
Yoy. le folio 103 recto el verso
fort , De Vêlai de la poésie \ran-
isons pas ici, parce qu'elle a été
(a) Manuscrit de la Bibliothèque Royale, fonds de Saint-
Germain des Près n° 1989, fol. 47, reclo. Anonyme.
(b) Manuscrit du Roi, fonds de Saint-Germain n° 1980,
folio 70, verso.
1479
UOli
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
1480
MARIONS.
flairons! sire, par me foi! non,
Je n'en vi nesun puis quaresme,
One j'en vi niengier chiés dame Eme,
Me laiien, cui sont eues brebis.
Ll CHEVALIERS.
Par foi ! or sui-jou esbaubis,
N'ainc mais je ne fui si gabés.
MARIONS.
Sire, foi que vous mi (levés!
Quele besie esl-che seur vo main?
Ll CHEVALIERS.
C'est uns faucons.
MARIONS.
Mengiïc-il pain?
Ll CHEVALIERS.
Non, mais bonne cliar.
MARIONS.
Celc beste?
LI CHEVALIERS.
Esgar ! ele a de cuir le lesie.
MARIONS.
El où alés-vous?
Ll CHEVALIERS.
En rivière.
MARIONS.
Robins n'esl pas de tel manière,
En lui a irop plus de déduit :
A uo vile esinuel tout le bruit
Quant il joue de se muselé.
L! CHEVALIERS.
Or diles, douebe bregcrele
Ameriés-vous un chevalier?
MARIONS.
Biaus sire, traiiés-vous arrier.
Je ne sai que chevalier sonl;
Deseur lous les bornes du mont
Je u'ameroie que Robin.
Clii vient au vespre et au malin,
A moi, tondis et par usage;
Clii m'aporle de son lioumage :
F'ncorc en ai-jc en mon sain,
El une grant pieche de pain
Que il m'aporta à prangiere.
L! CHEVALIERS.
Or me diles, douche bregiere,
Vauriés-vous venir avoec moi
Jeuer seur che bel palefroi,
Selonc che boskei, en che val?
marions au Chevalier.
Ami! sire, ostés vo cheval,
A poi que il ne m'a hiechie.
Li Robins ne regiele mie
Quant je vois après se karue.
LI CHEVALIERS.
Bregiere, devenés ma drue
El faites (lie que je vous proi.
marions au Chevalier.
Sire, traiiésensus de moi :
Clii estre point ne vous affierl.
A poi vos chevaus ne-ne lierl.
Comment vous apele-on?
LI CHEVALIERS.
Aubcrl.
MARIONS.
■J- Vous perdes vo paine sire Aubcrl
MARION.
Héron! sire, par ma foi! non, je n'en vis pas un
depuis le carême, qu'on en mangea chez dame Emma,
ma grand'inère, à qui sonl ces brebis.
LE CHEVALIER.
Par ma foi ! je suis rendu muet, jamais je ne fus
si gabé.
MARION.
Sire, un peu de bonne grâce : quelle est cette
bête qui est sur voire main
LE CHEVALIER.
C'est un faucon.
MARION.
Mange-t-il pain?
LE CHEVALIER.
Non, mais bonne chair.
MARION.
Celte bête?
LE CHEVALIER.
Regarde! elle a la lêle garnie de cuir.
MARION.
El où allez -vous?
LE CHEVALIER.
En rivière.
MARION.
Robin n'est pas si beau que vous, mais qu'il a
plus de gaielé : il émeul loute notre ville quand il
joue de sa muselle.
LE CHEVALIER.
Or diles, douce bergerclte, aimeriez-vous un che-
valier?
MARION.
Beau sire, lenez-vous en arrière. Je ne sais ce
que valent les chevaliers; mais de tous les hommes
du inonde, je ne puis jamais aimer que Robin. II
vient ici le soirel le matin, vers moi, tous les jourg
el par habitude, ici il m'apporte de son fromage :
encore en ai-je dans mon sein, el un grand mor-
ceau de pain qu'il m'apporta à l'heure du dîner.
LE CHEVALIER.
Or dites-moi, douce bergère, voudriei-vous venir
avec moi jouer sur ce beau palefroi, le long de ce
bosquet, dans ce vallon ?
marion au Cheva.ier.
Aïe, sire, reculez voire cheval, il s'en faut de
peu qu'il ne m'aii blessée. Celui de Robin ne rue
pas, quand je vais après sa charrue.
LE CHEVALIER.
Bergère, devenez mon amie et laites ce dont je
vous prie.
marion au Chevalier.
Sire, retirez-vous d'auprès de moi : il ne vous
convient pas d'êire ici. II ne s'en faut de peu que
voire cheval ne m'aie frappée. Comment vous ap-
pellc-l-on?
LE CHEVALIER.
Auberl.
MARION.
Vous perdez votre peine, sire Aubert, je n'aime-
\m ROB NOTICE SUR LE
Je n'amerai autrui que Robert.
LI CHEVALIERS.
Nan, bregiere?
marions du Chevalier.
Nan, par ma foi !
LI CHEVALIERS.
Cuideriés'einpirier de moi?
Chevaliers sui, et vous bregiere,
Qui si lonc jetés me proiere.
marions au Chevalier.
Jà pour cbe ne vous amerai.
•j- Bergeronnete sui;
Mais j'ai ami
Bel et coinle et gai.
LI CHEVALIERS.
Bregiere, Diex vous en doinst joie!
Puis qu'eiisi est, g'irai me voie.
Hui mais ne vous sonnerai mol.
marions au Chevalier.
■f Trairi, deluriau, deluriau, deluriele.
Trairi, deluriau, delurau, delurol.
LI CHEVALIERS.
Hui main jou ehevauchoie
Lés l'oriere d'un bois;
Trouvai gentil bregiere,
Tant bêle ne vil roys.
Hé! trairi, deluriau, deluriau, deluriele,
Trairi, deluriau, deluriau, delurot.
MARIONS.
f Hé ! Robechon, deure leure va;
Car vien à moi leure leure va,
S'irons jeuer dou leure leure va,
Dou leure leure va.
THEATRE LIBRE. ROB U82
rai que Robin.
LE CHEVALIER.
Nenni, bergère?
marion au Chevalier.
Nenni, par ma foi !
LE CHEVALIER.
Penseriez-vous faire une mauvaise afTairc? Je suis
chevalier, et vous bergère, et c'est vous qui rejetez
si loin ma prière !
marion au Chevalier.
Mais, comment vous aimer? Je suis bergeretle,
et j'ai ami beau, bien élevé et gai.
LE CHEVALIER.
Bergère, que Dieu vous en donne joie! Pu s-
qu'ainsi est, j'irai mon chemin. Aujourd'hui je ne
vous dirai plus mol.
MARION.
Trairi, deluriau, deluriau, deluriele, trairi, delu-
riau, delurau, delurot.
LE CHEVALIER.
Ce malin je chevauchais près de la lisière d'un
bois; je trouvai gentille bergère, lant belle ne vit
roi. Eh! trairi, deluriau, deluriau, deluriele, trairi,
deluriau, deluriau, delurot.
MARION.
Eh! Robichon, deure leure va; viens à moi, leure
leure va; nous irons jouer du leure leure va, du
leure leure va.
SCÈNE III.
robin, répétant au loin Vair de Marion, marion.
ROB1NS. ROBIN.
f lié! Marion, leure leure va; Eh! Marion, leure leure va; je vais à toi, leure
Je vois à toi, leure leure va ;
S'irons jeuer dou leure leure va,
Dou leure leure va.
MARIONS.
ROBINS.
liarote?
MARIONS
Dont viens» lu?
ROBINS.'
Par le sainl! j'ai desveslu,
Pour che qu'i fail froit, men jupel;
S ai pris me cole de burel,
Et si t'aporl des pommes : lien.
MARIONS.
Robin, je le connue trop bien
Au canler, si con lu venoies;
Et lu ne me reconnissoies?
ROBINS.
Si fis au cant cl as brebis.
MARIONS.
Robin, tu ne ses, dons amis,
Et si ne le lien mie à mal :
Par chi vinl .j. boni à cheval
Qui avoitcauchic une moufle,
El porloil aussi c'un escoufle
Seur sen poing; et trop me pi t
D'amer; maispoi i conquesta,
Car je ne le ferai nul lort.
DicriONN. des Mystères.
leure va; nous irons jouer
eure leure va.
du leure leure va, du
Robin !
Marion !
D'où viens-tu?
MARION.
ROBIN.
MARION
ROBIN.
Parle saint! j'ai ôlé mon surtout parce qu'il fait
froid, et j'ai pris une colle de bure. Je t'apporte des
pommes : liens.
MARION.
Robin, je l'avais reconnu au chaill, de loin ; mais
loi tu n'as pas reconnu ma voix?
ROBIN.
Si fait, le chant et les brebis.
HVRION.
Robin, doux ami, mais ne va pas penser à mal :
tu ne sais pas? il est venu par ici un homme à che-
val, gaulé d'une moufle. Il portait un milan sur son
poing; il m'a prié instamment de l'aimer. Mais il
n'a guère réussi, car je ne te ferai nui -toi t.
1483
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
1484
ROBINS.
Marote, tu m'aroies mort;
Mais se g'i fusse à tans venus,
Ne jou, ne Gauliers li Testus,
Ne Baudons, mes cousins germains,
Diable i eussent mis les mains :
Jà n'en fust partis sans bataille.
MARIONS.
Robin, cous amis, ne te caille;
Mais or faisons fesle de nous.
ROBINS
Serai-je drois, ou à genous*
MARIONS.
Vien, si te sie encosle moi;
Si mengerons.
ROBINS.
Et jou Toi roi;
Je serai chi lés ton costé.
Mais je ne t'ai rien aporté :
Si ai fait certes grant outrage.
MARIONS.
Ne t'en caut, Robin ; encore ai-^e
Du froumage clii en mon sain,
Et une grant pieclie de pain,
El des poumes que m'aporias
ROBINS.
Diex|! que chis froumages est cras
Ma seur, mengûe.
MARIONS.
Et lu aussi.
Q'j£St lu vieus boire, si le di ?
Vés-chi foniaine en .i. pochon.
ROBINS.
Diex ! qui ore énst du bacon
Te laiien, bien venist à point.
MARIONS.
Robinet, nous n'en arons point,
Car trop haut pent as quieverons,
Faisons de che que nous avons :
Cb'est assés pour le matinée.
ROBINS.
Diex ! que jou ai le pancbe lasse
De le choule de l'autre fois!
MARIONS.
Di, Robin, loy que lu mi dois,
Choulas-lu? que Diex le te mire'
ROBINS.
f Vous l'orrés bien dire, bêle
Vous l'orrés bien dire.
MARIONS.
Di, Robin, veus-tu plus mengier?
ROBINS.
Naic, voir
MARIONS.
Dont metrai-je arrier
Che pain, die froumage en mon sair
Dusqu'à jà que nous arons fain.
ROBINS.
Aius e met en le panetière.
MARIONS.
El vés-li-chi. Robin, quel cbiere!
Froie et commande, je ferai.
ROBINS.
Marole, el jou esprouverai
Se lu m'ies loiaus amiele,
ROBIN.
Marion, lu seras cause de ma mort : car, si je
fusse venu à temps, moi ou Gautier le Têtu, ou
Baudon. mon cousin-germain, lous les diables s'en
seraient mêlés et il ne serait pas parti sans ba-
taille.
MARION.
Robin, doux ami, ne l'inquiète pas; mais main-
tenant faisons fêle entre nous.
ROBIN.
Serai-je droit ou à genoux
MARION.
Viens, el l'assieds à côlé de moi : nous mange-
rons. •
ROBIN.
Je le veux bien ; je me mets à côlé de toi. Mais je
ne l'ai rien apporté : j'ai fait certainement crand'-
folie.
MARION.
Ne l'en inquiète pas, Robin; j'ai encore le fro-
mage en mon sein, le grand morceau de. nain, et les
pommes que lu m'apportas. *
ROBIN.
Dieu! comme ce fromage est gras! Ma sœur,
mange.
MARION.
Et toi aussi. Si tu veux boire, dis-le : voici uift
fontaine dans un pochon.
ROBIN.
Dieu ! qui aurait maintenant au lard de ta grand'-
mère, n'en serait pas fâché.
MARION.
Robinet, nous n'en aurons poinl, car il est pendu
trop haut aux chevrors; servons-nous de ce que
nous avons : c'est assez pour la matinée.
ROBIN.
Dieu! que j'ai la panse lassée de la choie de l'au-
tre fois!
MARION.
Dis, Robin, par la foi que tu me dois, as-tu joué
à la choie? que Dieu l'en récompense!
ROBIN.
Vous l'entendrez bien dire, belle, vous l'entendrez
bien dire.
MARION.
Dis, Robin, veux-tu plus manger
ROBIN.
Non, vraiment.
MARION.
Donc je remettrai ce pain, ce Iromage en mon
sein, jusqu'à ce que nous ayons faim.
ROBIN.
Mets-le plutôt dans la panetière.
MARION.
Et le voici. Robin, quelle chère! prie et com-
mande, »e le ferai.
ROBIN.
Marion, je voudrais une preuve que lu es ma
bonne amie, car quant à moi, je suis ion ami. Ber-
1185
ROB
NOTICE Si:R LE THEATRE LIBRE.
UOB
1486
Car tu m'as trouve amiet.
{• Bergeronnele,
Douclie baisselete,
Donnés-le-moi, vostre chapelet,
Donnés-le-moi, vostre chapelet.
MARIONS.
-J- Robin, veus tu que je le mèche
Scur ton chief par amourele?
ROBINS.
Oïl, et vous serés m'amiete;
Vous avérés ma chainlurelle,
M'aumosniere et mon fiemalet.
Bergeronnele,
Douche baisselete,
Donnés-le-moi, vostre chapelet.
MARIONS.
Volentiers, men doue amiet.
Robin, fai-nous .j. poi de leste.
ROBINS
Veus-tu des bras ou de le leste?
Je le'di que je sai tout faire.
Ne l'as-lu point oï relrairc?
MARIONS.
f Robin, par l'ame len père!
Sès-tu bien aler du piel?
ROBINS.
■j- Oïl, par l'ame me mère!
Resgarde comme il me siel,
Avant et arrière, bêle,
Avant et arrière.
MARIONS.
f Robin, par l'ame ten père
Car nous fai le tour dou chief.
ROBINS.
f Marot, par l'ame me mère!
J'en venrai moût bien à chief.
1 lait-on lel chiere, bêle,
1 fait-on tel chiere ?
MARIONS.
f Robin, par l'ame ten père!
Car nous fai le tour des bras.
ROBINS.
7 Marot, par lame me mère
Tout ensi con lu vaurras.
Est-chou la manière, bêle,
Est-chou la manière ?
MARIONS.
f Robin, par l'ame len perei
Sès-tu baler au serain?
ROBINS.
Oïl, par l'ame me merc!
Mais j'ai trop mains de chaviaus
Devant (pie derrière, bêle,
Devant que derrière.
MARIONS.
Robin, sès-tu mener le ireske?
ROBINS.
OU; mais li voie esl trop freske,
El mi housel sont desquiré.
MARIONS.
Nous sommes trop bien alire.
Ne S'en caul, or fai par amour.
ROBINS.
Aten, g'irai pour le labour
El pour le muse au granl bourdon,
gerelle, douce bachelellc, donne/ moi voire petit
chapeau, donnez-moi votre chapelet.
IIAR10N
Robin, veux-tu que je le metlc sur la lêie, par
amour?
ROBIN.
Oui, et vous serez ma petite amie; vous aurez
ma ceinture, mon aumônière et mon agrafe. Bcrge-
retie, douce bacheleite, donnez-moi votre petit
chapeau.
MARION.
Volontiers, mon doux ami. Robin , fais-nous un
peu fêle.
ROBIN.
Que veux-tu? les bras? la tête? Je sais tout faire.
Ne l'as-lu point ouï dire.
MARION.
Robin, par l'âme de ton père! sais-tu bien aller
du pied?
ROBIN.
Oui, par l'âme de ma mère! regarde comme cela
me sied, en avant et en arrière, belle, en avant et
en arrière.
MARION.
Robin, par l'âme de ton père ! fais-nous le lour
de ta té te.
ROBIN.
Marion, par l'âme de ma mère, j'en viendrai Irès-
bien à bout. Y fait-on telle figure, bellt, y fait-on
telle figure?
MARION.
Robin, par l'âme de ton père, fais-nous le tour
des bras?
ROBIN.
Marion, par l'âme de ma mère! tout ainsi que tu
voudras. Est ce la manière, belle, est-ce la ma-
nière?
MARION.
Robin, par l'âme de ton père! sais-iu danser au
soir ?
ROBIN.
Oui, par l'âme de ma mère! mais j'ai bien moins
de cheveux devant que derrière, belle, devant que
derrière.
MARION.
Robin, sais-tu mener la tresse (968)?
ROBIN.
Oui; mais le chemin est trop frais, et mes hou-
seaux sont déchirés.
MARION.
Nous sommes très-bien ainsi, ne t'en inquiètes
pas; maintenant fais, par amour.
ROBIN.
Attends, je vais aller chercher le tambour et la
musette au gros bourdon; j'amènerai ici Baudon, s1'
(9G8) Espèce de branle qui a conservé son nom dans l'italien iresca. — (M. Fr. M.)
1487
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
1488
Et si amenrai chi Baudon,
Se trouver le puis, el Gantier.
Aussi m'aronl-il l>icn mestier,
Se li chevaliers revenoil.
MARIONS.
Robin, revien à grant esploit,
El se tu trneves Peronncle;
Me compaignesse, si l'apele :
Le compaignic en vaura miex.
Ele est derrière ces courliex,
Si c'on va au moulin Rogier.
Or le haste.
ROBINS.
Lais-me escourcliier;
Je ne ferai fors courre.
MARIONS.
je le puis trouver, et Gautier. En lotis cas, j'en aurai
besoin, si le chevalier revenait
MARION.
Robin, reviens en toute liàle, et si lu trouves Pé-
ronnelle, ma compagne, appelle-la : la compagnie
en vaudra mieux. Elle est derrière ces courlils, sur
le chemin du moulin Roger. A résenl hâte-loi.
ROBIN.
Laisse-moi me retrousser; je ne fais que courir.
MARION.
Or va.
Va donc.
SCÈNE IV.
OBIN, G4UTI
ROBINS.
Gauliers, Baudon, estes vous là?
Ouvrés-moi losl Fuis, biau cousin.
GAUTIERS.
Bien soies-lu venus, Robin,
C'as-tu qui ies si essouflés?
ROBINS.
Que j'ai? Las ! je sui s: lassés
Que je ne puis m'a laine Avoir.
BACHONS.
Di s'on Fa balu.
ROBINS.
Nenil, voir.
GAUTIERS.
Di losl s'en l'a fait nul despil.
ROBINS.
Signeur, escoulés un petit :
Je sui chi venus pour vous deus,
Car je ne sai ques menesireus (969)
(969) Quel est ici le sens figuré de ce mot? Est-ce
outrecuidant? Le passage suivant nous le ferait croire:
Simplece afiert as menestreus,
Dame n'ait atour orgueilleus.
C'est li Mariages des filles au
Duable, manuscrit de l'Arsenal,
belles-lettres françaises , in-
folio, n°,l 75, folio 293 recto,
col,l, v. 13.)
Est-ce misérable, vaurien ? Plusieurs pencheront
vers celle dernière explication en se rappelant le
mépris dans lequel, déjà au xm« siècle, les bardes
el les jongleurs ou ménestrels étaient généralement
tombés : ce qu'a très-bien établi, pour l'Ecosse, le
docteur J. Leyden, dans sa dissertation placée en
tête de the Complaynl of Scotland. Wriiten in 1548.
Edinburgh : printed for Archibald Conslable, 1801,
in 8° el in-4°, p. 248, 251. Nous nous souvenons
avoir lu dans le cartulaire du prieuré de Finchalle,
conservé dans la bibliothèque du chapitre de la ca-
thédrale de Durham, une foule de passages dans
lesquels les jongleurs sont rangés dans la même ca-
tégorie que les pauvres, el, comme tels, gratifiés
d'aumônes.
Ce que le docteur Leyden dit des bardes écossais
peut très-bien s'appliquer à nos ménestrels, qui,
suivant un ancien roman, étaient de la même fa-
mille :
Del Chevalier au Cisne ci endroit nous-diron.
Souvent en ontcanlé cil jougleour breton;
Mais n'en sa\ent nient le monte d'un botou.
ER, BAUDON.
ROBIN.
Gautier, Raudon, êles-vous là? ouvrez-moi tôt la
porte, beaux cousins.
GAUTIER.
Sois le bienvenu, Robin. Qu'as-tu pour être si es-
soulllé?
ROBIN.
Ce que j'ai? Hélas? je suis si fatigué que je ne
puis reprendre haleine.
Dis, on l'a battu?
Non pas, vraiment.
BAUDON.
ROBIN.
GAUTIER.
Parle donc : on t'a faii quelque peine?
ROBIN.
Seigneur, écoulez un peu : je suis venu ici vous
chercher tous deux, car je ne sais ^uel ménétrier à
cheval (969) a prié d'amour Marion ce matin, el je
crains qu'il ne revienne.
(Le Roman du Chevalier au Cygne,
manuscrit du roi n° 7192 ,fol.
48, verso, col. 1, v. 5.)
Les passages suivants suffiront pour prouver ce
que nous venons d'avancer :
Quant menguent seignor,
Garçon et jougleour
Fors de l'ostel remaignent,
Esgardenl es pertuis ;
Et quant on œvre l'uis
Ens par force s'enpaignent.
Tex s'embat comme chiens, qui vit corn hons.
Ce dist li Vilains.
(Proverbes du Vilain, manuscrit
de l'Arsenal , belles-lettres
françaises, n° 175, in-folio,
fol. 278 recto, col. 2, v. 20,
couplet 166.)
Mien escient que ce est .i. jugler
Oui vient de vile, de bore ou de cité,
Là où il a en la place chanté.
A jugleor poez pou conquester.
De lor usage certes sai-ge assez
Quant ont .iii. sous, iiii. ou .v. assenblez,
En la taverne le° vont tost aloer,
Si en font feste tant coni puent durer.
Tant com il durent ne feront lascheté
Et quant il a le bon vin savoré
Et les viandes, dont il a grant planté,
Si en boit tant que il ne puet tiner.
Quant voit li host.es qu'il a tôt aloé,
Dont l'aparole com jà oir porrez :
« Frère, fet-il, querez aillors hostez,
Que marcheant doivent ci hosteler
\im
ROB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ROB
llti
4&C
A cheval pria il amer ore
Marolain ; si me douch encor
Que il ne reviegne par là.
GAUTIERS.
S'il revient, il le comperra.
BAUDONS.
Che ira mon, par cesle tesle!
ROBINS.
Vous avérés irop bonne fesle,
Biau seigneur, se vous i venés;
Car vous et lluars i serés,
Et Peronnele : sont-chou genl ?
Et s'averés pain de fourinenl,
Bon froumage et clere fontaine.
BAUDONS.
Hé! biau cousin, car nous i inaine.
ROBINS.
Mais vous deus ires chele pari,
Et je m'en irai pour Huarl
El Peronnele.
BAUDONS.
Va don, va.
GAUTIERS.
Et nous en irons par deçà
Vers le voie devers le pierre,
S'aporterai me fourke fiere.
BAUDONS.
Et je men gros baslon d'espinc.
Qui est cbiés Bouiguel me cousine.
ROBINS.
Hé! Peronnele! Peronnele!
PERONNELE.
Robin, ies-tu che? Quel nouvcle?
ROBINS.
Tu ne ses, Marote te mande ,
Et s'aveions fesle trop grande.
Donez-moi gage de ce que vos devez. »
Et cil li lesse sachauce ou son soller
Ou sa viele, quant il ne puet fere ftl
Ou il li offre sa foi à afier
Ou'il revenra, s'il le veutrespiler.
Toz diz fait tant que l'en l'en lesse aler,
Et si vait querre où se puist recouvrer,
A chevalier, à prestre ou à abé.
Bone costume certes ont li jugler :
Ausi bien chante com il n'a que digner,
Coin s'il éust .xl. mars trovez ;
Toz dis fait joie tant com il a santé
(Li Montages Guillaume el si com
il venqui Ysoré devant Paris,
manuscrit du roi 0985, folio
263, recto, col. 2, v. 44.)
Au reste, veut-on savoir pourquoi les jongleurs
ilaienl tombés dans celte misérable situation? La
citation suivante nous l'apprendra :
Bien vos puis dire et por voir afermer,
Prodom ne doit jugleor escouter
S'il ne li veut por Deu del suen doner,
Que il ne set autrement laborer ;
De son servise ne se puet-il clamer,
S'en ne li done il le lesse assez.
Au vout de I.uque le poez esprover
Qui li gita de son pié son soller,
Puis le convint cheremant racheter.
Les jugleors devroil-on moll amer ;
Joient (sic) désirent et aiment le chanter.
L'en les soloit jadis molt henorer ;
Mes li mauves, li eschar, li aver,
Cil qui n'ont cure fors d'avoir amasser,
De gages prandre et lor deniers prester,
Et jor et nuit ne finentd'usurer,
Tant moint prodome ont fait déshériter "
("os! lor desduit, n'ont soing d'autre chanter
Si fête genl font benor décliner :
Dex les maudie, que je ne's puis amer!
GAUTIER.
S'il revient, il le paiera.
BAUDON.
Oui vraiment, parcelle télé!
ROBIN.
On vous fera fêle, beau seigneur, si vous revenez;
Baudon et Huarl y seront, ainsi que Péronnelle :
est-ce là du inonde? et vous aurez pain de froment,
bon fromage et claire fontaine.
BAUDON.
Hé, beau cousin, parlons.
ROBIN.
Vous deux, allez de ce côlé; moi, je vais chercher
Huarl ei Péronnelle.
BAUDON.
Va donc, va.
GAUTIER.
Et nous nous en irons par deçà vers le chemin,
près la pierre, et j'apporterai ma grande fourche.
BAUDON.
Et moi mon grand bâton d'épine, qui est chez ma
cousine Bourguet.
ROBIN.
Hé! Péronnelle, Péronnelle!
PÉRONNELLE.
Robin, est-ce toi? Quelle nouvelle?
ROBIN
Tu ne sais pas, Mai ion le mande, et nous aurons
très-grande fêle.
Jà ne lairé por eaus mon vieler.
Si lor en poise, si se facent uller.
As bons me tien, les mauves lès aler.
(La Batallie d'Arleschans, ma-
nuscrit du roi n° 6985, folio
205t-mo, col. 3, v. 21.)
Quoi qu'il en soil, Adencz, qui cherche toutes les
occasions pour dire du mal des jongleurs, ne croit
pas inconvenant de leur comparer ses héros :
Des crestiens li plus pr<?u[s], ce dist-on,
Qui plus grevèrent le lignage Noiron,
Ce fu Guillaumes et il (Ogier), ce tesmoigne-on,
Li bers d'Orenge qui cuer ol de lion.
Il vielerent tout doi d'une ebançon
Dont les vieles erent targe ou blazon,
Et brant d'acier estoient li arçon.
De tes vieles vielerent maint sÂd
Grief à oir à la gent Pharaon.
Je croi qu'il soient orendroit compaignon
En paradis, lez Dieu, à son giron.
Qui de tel maistre relenroit sa leçon,
Il porroitbien avoir le haut pardon
De mètre s'ame à assolution.
(Les Enfances Ogier le Danois,
manuscrit de l'Arsenal, B. I. f.
175, folio 174, rer.No, col. I,v.2.)
Nous signalerons une pièce curieuse sur les mé-
nestrels, qui se trouve, dans le manuscrit du Roi,
snppl.n° 184, fol. 205, verso, col. 2.
L'on trouve en outre des renseignements sur les
histrions dans le volume IV de VAntiquarian Reper-
lortj, p. 61. Enfin, nous terminerons celle noie en
renvoyant à l'histoire de saint Kenlegern et d'un
jongleur dans les Vitce anliquœ Sanctorum,jle Pin-
kerlon, Londini, typis Johannis Nichols, 1789, in-
8°, p. 277-279. — (M. Fr. M.)
iiOl ROB
PERONNELE.
Et qui i sera?
ROBINS.
Jou et tu,
fct s'arons Gautier le Teslu,
Baudon et Huarl et Marole.
PERONNELE.
Veslirai-je me bêle cote?
ROBINS.
Nennil, Perrole, nenil, nient,
Car cbis jupiaus trop bien t'avient.
Or le baste, je vois devant.
PERONNELE.
Va, je le sievraî maintenant
Se j'avoie mes aigniaus tous.
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Et qui y sera i
IlOB
?ÉRONNELLE.
ROBIN.
1492
Moi et loi, et nous aurons Gaulier le Télu, Bau-
don et Huait et Marion.
PÉRONNELLE.
Vêlirai-je ma belle cotte?
ROBIN.
Nonni, Perretle, nenni, rien, car ce jupon te. va
fort bien. A présent, hâte-toi, je vais devant.
LI CHEVALIERS.
Dites, bregiere, n'esles-vous
Chele qrie je vi bui malin ?
MARIONS.
Pour 3ieu! sire, aies vo cbemin,
Si ferés moût grant courtoisie.
LI CHEVALIERS.
Certes, bêle très douche amie
Je ne le di mie pour mal ;
Mais je vois querant chi aval
,J. oisel à une sonnele.
MARIONS.
Allés selonc cesle baiete;
Je cuit que vous Pi trouvères :
Tout maintenant i est volés.
H CHEVALIERS,
Est, par amours?
MARIONS.
Oïl, sans faille.
LI CHEVALIERS.
Certes, de l'oisel ne me caille
S'une si belc amie avoie.
MARIONS.
Pour Dieu ! sire, aies voslrc vcie,
Car je sui en irop grant fricbon.
LI CHEVALIERS.
Pour qui ?
MARIONS.
Certes, pour Robecbon.
LI CHEVALIERS.
Pour lui?
MARIONS.
Voire s'il le savoit,
Jamais nul jour ne m'ameroil ,
Ne je tant rien n'aim comme lui.
LI CHEVALIERS.
Vous n'avés garde de nului,
Se vous volés à mi entendre.
MARIONS.
Sire, vous vous ferés sousprendre,
Alés-vous-ent; laissié-mc esler,
Car je n'ai à vous que.parler :
Laissié-me entendre à mes brebis.
LI CHEVALIERS.
Voi rement, sui-je bien cailis
Quant je mec le mien sens au lien.
PÉRONNELLE.
Va, je le suivrais dès maintenant si j'avais tous
mes agneaux.
SCÈNE V.
LE CHEVALIER, MARIO!*.
LE CHEVALIER (À Mai'wtt).
Hola ! bergère, c'est vous que je vis ce matin?
MARION.
Pour Dieu ! sire, passez voire chemin, vous ferez
mieux.
LE CHEVALIER.
Mais belle très-douce amie, je ne dis pas de mal ;
je vais là-bas à la recherche d'un oiseau qui porte
une sonnette.
MARION.
Allez le long de cette petite haie; je pense que
vous l'y trouverez ■ à l'instant même il y est
volé.
LE CHEVALIER.
Y est-il, dites-le-moi par amitié?
MARION.
Oui, sans mentir.
LE CHEVALIER.
Certes, je ne m'inquiéterais pas de l'oiseau si j'a-
vais une aussi belle amie.
MARION.
Pour Dieu! sire, allez votre chemin, car je suis
n trop grande frayeur.
LE CHEVALIER.
Pour qui?
MARION.
Certes, pour Robin.
LE CHEVALIER.
Pour lui?
MARION.
Vraiment, s'il le savait, jamais il ne m'aimerait,
et je n'aime rien autant que lui. *
LE CHEVALIER.
Vous n'avez à vous inquiéter de personne si vous
voulez m'écouter.
MARION.
Sire, vous vous ferez surprendre, allez-vous-en;
laissez-moi tranquille, car je n'ai rien à vous dire :
laissez-moi m'occuper de mes brebis.
LE CHEVALIER.
En vérité, je suis bien niais d'abaisser mon in-
telligence à la tienne.
!4»5
ROB
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
R013
1491
MARIONS.
Si en aies, si ferés bien;
Aussi oi je cli i venir gent.
t J'oi Robin flagoler
Au flagol d'argent,
Au flagol d'argent.
Pour Dieu! sire, or vous en aies.
Il CHEVALIERS.
Bergerele, à Dieu rcmanés,
Autre forche ne vous ferai...
MARION.
Allez-vous-en, vous ferez bien ; aussi enlend-jO
venir du monde. J'entends Robin jouer du flageolet
d'argent, du flargeolet d'argent.
Pour Dieu? sire, à' celte beure, partez.
LE CHEVALIER.
Bergcrelle, adieu; restez, je ne vous ferai pat.
d'autre violence.
SCÈNE VI.
K CUEVALIER, ROBIN.
Ll CHEVALIERS.
Ha ! mauvais vilains, mar i f»i
Pour coi tues-tu mon faucon?
Qui le don roi t .j. borion
Ne l'aroil-il bien emploiet?
ROBINS.
Ha ! sire, vous fériés pechiet.
Peur ai que il ne m'escape.
LI CHEVALIERS.
Tien de loier ceste souspape,
Quant lu le manies si gent!
ROBJN'S.
Hareu ! Diex ! bareu ! bonne gent
LI CHEVALIERS.
Fais-tu noise? lien cbe latin
MARIONS.
Sainte Marie! j'oi Robin;
Je croi que il soit entrepris.
Ains perderoie mes brebris
Que je ne.li alasse aidier.
Lasse! je voi le chevalier;
Jte croi que pour moi l'ait bain.
Robin, dous amis, que fais-tu?
ROBINS.
Certes, douche amie, il m'a mort.
MARIONS.
Par Dieu ! sire, vos avés tort,
Qui ensi Pavés deskiré.
LI CHEVALIERS.
Et comment a-t-il aliré
Mon faucon? esgardés, bregiere.
MARIONS.
II n'en set mie la manière.
Pour Dieu ! sire, or Ii pardonnes.
LI CHEVALIERS.
Volentiers, s'aveuc moi venés.
MARIONS.
Je non ferai.
LI CHEVALIERS.
Si ferés voir,
N'aulre amie ne vœil avoir,
El vœil queehis cbevaus vous por
MARIONS.
Certes dont me ferés-vons forrhe.
Robin, que ne me rcsqucus-lii?
ROBINS.
Ha ! lus! or ai jou- loti t perdu :
A tari i venronl mi cousin.
Je perc M a rot', s'ai un la lin ,
El desquiré cote et sercot.
LE CHEVALIER.
Ah! mauvais vilain, lu fais mal ; pourquoi fais-
tu du mal à mon faucon? Celui qui le donnerait un
borion n'aurait-il pas raison t
ROBIN.
Ah! sire, vous auriez lorl : cesl de peur qu'il ne
m'échappe.
LE CHEVALIER.
Reçois ce soufflet en payement, pour la grâce avec
laquelle lu le manies.
ROBIN.
Haro! Dieu! haro! bonnes gens!
LE CHEVALIER.
Tu fais du bruil? liens cette lape.
SCÈNE VII
LES MÊMES, MARION.
MARION.
Sainte Marie! j'entends Robin : je crois qu'on
l'entreprend. Je perdrais mes brebis plutôt que de
ne pas aller le secourir. Hélas! je vois le chevalier,
je crois que pour moi il l'a ballu. Robin, doux ami,
que fais-tu?
ROBIN.
Certes, douce amie, il m'a tué.
MARION.
Par Dieu! sire, vous avez tort de l'avoir
chiré.
LE CHEVALIEP
El comment a-t-il arrangé mon faucon? regardez,
bergère.
MARION.
II ne sali pas la manière de le gouverner. Pour
Dieu! sire, pardonnez-lui maintenant.
LE CHEVALIER.
Volontiers si vous venez avec moi.
MARION.
Je n'en ferai rien.
LE CHEVALIER.
Si fait, en vérité; je ne veux poinl avoir d'autre
amie, et je veux que ce cheval vous porte.
le. MARION.
Certainement vous emploierez la force. Robin, au
secours?
(Le Chevalier /' 'enlève et disparaît.)
RCBIN.
Hélas ! à présent j'ai tout perdu : mes cousin»
viendront ici trop lard. Je perds Marion, j'ai reçu
un soufflet: ma colle et mon surcol soûl déchues.
ROB
H96
1495 KOB DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SCÈNE V.I1I.
ROBIN, GAUTIER.
GAUT1ERS. GAUTIER.
f Hé, rcsveille-toi, Robin, Eh! réveille-toi, Robin. On emmène Marion, on
Car on enmaine Maroi, emmène Marion.
Car on enmaine Marot.
ROBINS.
Aimi! Gautier, estes vous là?
J'ai tout perdu : Marote en va
GAUTIERS.
Et que ne l'aies- vous reskeure?
ROBINS.
Taisiés, il nous couroit jà seure,
S'il en i avoit .iiij. cbens.
C'est uns chevaliers hors du sens,
Qui a une si granl espée !
Ore me donna tel colée
Que je le sentirai grant tans.
BAUDONS.
Se g'i fusse venus à tans,
Il i éusl eu merlée.
ROBINS.
Or esgardons leur destinée;
Par amours si nous embuissons
Tout troi derrière ces buissons,
Car je vœil Marion sekeure,
Se vous le m'aidiés à reskeure :
Li cuers m'est .j. peu revenus.
ROBIN.
Hélas! Gautier, c'est vous. J'ai tout perdu : Ma-
rion s'en va.
GAUTIER.
Et que n'allez-vons la secourir?
ROBIN.
Taisez-vous, il nous courrait sus, lors même qu'il
y en aurait quatre cents. C'est un chevalier forcené,
qui a une si grande épée ! Il m'en a donné à l'instant
même un si grand coup que je le sentirai long-
temps.
BAUDON.
Si j'y fusse venu à temps, il y eût eu bataille.
ROBIN.
Maintenant regardons ce qu'ils deviennent : par
amitié embusquons-nous tous les trois derrière ces
buissons, car je veux secourir Marion, si vous
m'a: 'si à cela : le cœur m'est un peu revenu.
SCÈNE IX.
I.E CHEVALIER MARION.
MARIONS.
Biau sire, traies- vous ensus
De moi, si ferés grant savoir.
Ll CHEVALIERS.
Demisele, non ferai, voir;
Ains vousenmenrai aveuc moi,
Et si arcs je sai bien coi.
Ne soiiés envers moi si fiere,
Prendés cest oisel de rivière,
Que j'ai pris ; si en mengeras
MARIONS.
J'ai plus chier mon froumage cras
Et'men pain et mes bonnes pouines
Que vostre oisel à tout les plumes;
Ne de 'en ne me poés plaire.
LI CHEVALIERS.
Qu'cst-che? ne porrai-je dont faire
Chose qui le viengne à talent?
MARIONS.
Sire, sachiés certainement,
Que nenil riens ne vous i vaut
LI CHEVALIERS.
Bergierc, et Diex vous consaut!
Certes voirement sui-je besle,
Quant à cesle besle m'areste.
Adieu, bergiere.
MARIONS.
Adieu, biau sire.
Lasse! ore est Robins en grant ire,
Car bien me cuide avoir perdue.
MARION.
Beau sire, retirez-vous, vous ferez preuve de
bon sens.
LE CHEVALIER.
Damoiselle, non pas, vraiment; je veux vous
emmener avec moi en un endroit où vous ne man-
querez de rien. Ne soyez pas si sauvage à mon
égard; tenez cet oiseau de rivière, que j'ai pris, et
mangez-le.
MARION.
J'aime mieux mon fromage gras et mon pain et
mes bonnes pommes que votre oiseau avec ses
plumes; vous ne pouvez me plaire en rien.
LE CHEVALIER.
Qu'est-ce? ne pourrai-je donc laire chose qui te
plaise?
marion.
Sire, en vérité, rien ne vous réussira.
LE CHEVALIER.
Bergère, et Dieu vous conseille ! Je suis une bête
de m'arrêter à celle-ci. Adieu, bergère,
MA-RION.
Adieu, beau sire. Hélas! Robin est maintenant
fort en peine, car il croit bien fermement m'avoir
perdue.
ROBINS
Hou ! hou!
SCÈNE X.
MARION, ROBIN, pilîS BAUDON GAUTIER.
Hou! hou!
ROBIN.
4497
HOU
NOTICE SUR LE THEATRE LJRRE.
ROB
1408
marions
Dieus! c'esl-il qui ià hue.
Robins, dous amis, commeul vail?
ROBINS.
Maroie, je sui de bon bail
El garis, puis que je le voi.
MARIONS.
Vien donques chà, acole-moi,
ROBINS.
Voleniiers. suer, puis qu'il t'est bel.
MARIONS.
Esgarde de cesl sosierel,
Qui me baise devant la gent.
BAUDONS.
Marot, nous sommes si parent.
Onques ne vous caille de nous.
MARIONS.
Je ne le di mie pour vous;
Mais il est parest si soleriaus
Qu'il en l'eroit devant tous cbiaus
De no vile aulreiani comme ore.
ROBINS.
Et qui s'en lenroil?
MARIONS.
Et encore,
Esgarde comme est reveleus.
ROBINS.
Diex! con je seroie jà preus
Se li chevaliers revenoil !
MARIONS.
Voircmenl, Robin, que che doit
Que lu ne ses par quel engien
Je m'escapai.
ROBINS.
Je le soi bien.
Nous véismes loul son cou vin.
Demandes Baudon, men cousin,
El Gaulier, quant t'en vi partir,
S'il orent en moi que tenir :
Trois fois leur escapai tous .ij.
GAUTIERS.
Robin, tu ies trop corageux ,
Maisquanili cose est bien alée,
De legier doit estre ouvliée,
Ne nus ne doil point le reprendre.
BAUDONS.
Il nouscouvient Huart atendre
El Peronnele qui venront :
Ou vés-les-chi.
MARION.
Dieu! c'est lui qui appelle là. Robin, doux ami,
comment vas-lu?
ROBIN.
Marion, je suis content et guéri, puisque je te
vois.
MARION.
Viens donc ici, embrasse-moi.
ROBIN.
Volontiers, sœur, puisqu'il te plaît.
MARION.
Regardez ce petit sot qui me baise devant le
monde.
BAUDON.
Marion, nous sommes ses parents : ne faites pas
attention à nous.
MARION.
Je ne le dis pas pour vous; mais il est si sot qu'il
en ferait autant devant tous ceux de noire village.
ROBIN.
Et qui s'en abstiendrait?
MARION.
Encore, est-il fanfaron ?
ROBIN.
Dieu ! comme je serais preux si le chevalier re-
venait !
MARION.
Vraiment, Robin... Sais-tu par quelle ruse je mi
ai échappé.
ROBIN.
Je le sais bien. Nous vîmes lonle ta conduite. De-
mande à Baudon, mon cousin, el à Gaulier, quand
je le vis panir, s'ils eurent à tenir en moi : je leur
échappai trois fois à tous deux.
GAUTIER.
Robin, lu es très-courageux; mais quand la chose
s est bien passée, elle doil être oubliée aisément, et
personne ne doil y revenir.
BAUDON.
Il nous faut attendre Huart el Péronnelle qui vonl
venir ; or, les voici.
SCENE XI.
LES MÊMES, HUART, TERONNELLE, PERETTE.
GAUTIERS.
Voirement sont.
Di, Huart, as-tu le chievrele?
HUARS.
on.
MARIONS.
Bien viegnes-tu, Perretc.
PERONNELE.
Maroie, Dieus tebenéie!
MARIONS.
Tu as eslé'lrop soiihaidic.
Or csi-il bien tans de canier.
GAUTIER.
Vraiment, ce sont eux. Dis, Huart, as-lu la che-
vrette ?
HUART.
Oui.
MARION.
Sois la bienvenue, Perrelle.
PÉRONNELLE
Marion, que Dieu te bénisse!
MARION.
Tu as élé bien souhailée. Mainlcna.nl il est bien
temps de chanter.
1499
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
1500
Ll COMPAIGNIK.
■j- Aveuc lele compaignie
Doit-on bien joie mener.
BAUDONS.
Somme-nous ore tout venu'
HUARS.
Oïl.
MARIONS.
Or pourpensons un jeu.
HUARS.
Veus-tu as roys ei as roïnes?
MARIONS.
Mais des jeus c'on fail as eslrines,
Enlour le veille du Noël.
HUARS.
A sainl Coisne?
BAUDONS.
Je ne vœil el.
MARIONS.
C'est vilains jeus, on i cunkie.
HUARS.
Marote, si ne ries mie.
MARIONS.
Et qui le nous devisera?
HUARS.
Jou, trop bien : quiconques rira
Quant il ira au sainl offrir,
Ens ou lieu sainl Coisne doit sir,
Et qui en puist avoir s'en ail.
GAUTIERS.
Qui le sera?
ROBINS.
Jou.
BAUDONS.
C'est bien fait.
Gautier, offres premièrement.
GAUTIERS.
Tenés, saint Coisne, che présent ;
Et se vous en avés petit,
Tenés.
ROBINS.
Ho! il le doit, il rit.
GAUTIERS.
Certes, c'est diois.
HUARS.
Marote, or sus!
MARIONS.
Qui le doit?
HUARS.'
Gauliers li Teslus.
MARIONS.
Tenés, saint Coisnes, biaus dous sire.
HUARS.
Diex, coin ele se tient de rire!
Qui va après? Perrete, aies,
PERONNELE.
Biau sire sains Coisnes, tenés,
Je vous aporic cbe présent.
ROBINS.
Ttl te passes <M bel et gent.
Or sus, Huarï, et vous, Baudon!
LA COMPAGNIE.
Avec telle compagnie doit-on bien joie mener
BAUDON.
Sommes-nous maintenant tous arrivés?
HUART.
Oui.
MARION.
Or, imaginons un jeu.
HUART.
Veux-tu jouer aux rois et aux reines?
MARION.
Mais aux jeux qu'on fail aux élrennes, enteur !a
veille de Noël.
HUART.
A saint Coisne?
BAUDON.
Oh! oui.
MARION.
C'est un vilain jeu, on y turlupine.
HUART.
Marote, ne riez pas.
MARION.
Et qui nous l'expliquera?
HUART.
Moi, très-bien : celui qui rira en allant faire 6on
offrande au saint, dans le lieu où saint Coisne est
assis, aura ce qu'il peut en avoir.
GAUTIER.
Qui sera sainl Coisne?
ROBIN.
Moi.
BAUDON.
Bien. Gautier, fais le premier ion offrande.
GAUTIER.
Tenez, saint Coisne, ce présent- et si vous en
avez peu, tenez.
ROBIN.
OIi ! il doit l'amende, il a ri
GAUTIER.
Certes, c'esi de droit.
IIUART.
Marion à loi.
MARION.
Qui doit.
HUART.
Gautier le Têtu.
MARION.
Tenez, saint Coisne, beau doux sire.
HUART.
Dieu! comme elle se retient de rire! Qui va après?
Perrelte, allez.
PÉRONNELLE.
Beau sire sainl Coisne, lenez, je vous apporte ce
présent.
ROBINS.
Tu te passes et bel el bien. Allons, Huart, cl vous,
Baudon !
1501
ROB NOTICE SUR
BAUDONS.
Tenés, saint Coisne, clie %biau don.
GAUTIERS.
Tu ris, ribaus, dont tu le dois.
BAUDONS.
Non fa ch.
JUUTIERS.]
Huarl, après
HUARS.
Je vois
Vés chi deus mars.
ROIS.
VousMe devés.
UUARS*
Or tout coi, point ne vous levés,
Car encore n'ai-je point ris.
GAUTIERS.
Que ch'cst, Huart, est-chou estris?
Tu veus toudis eslre batus.
Mau soiiés-vous ore venus!
Or le paies tost sans dongier.
HUARS.
Je le voil voleniiers paier.
R0R1NS
Tenes, sains Coisnes. Est-che plais î
MARIONS.
Ho! singneur. nhiajeus t&t trop lais;
En est, Peircle?
PERONNELE.
Il ne vaut nient,
El sachiés que bien aparlient
Que fâchons autres fesleletes :
Nous sommes chi.ij. baisseleies,
El vous estes entre vous .iiij.
GAUTIERS.
Faisons .j. pet pour nous esbatre,
Je n'i voi si bon.
R0B1NS.
Fi! Gaulier:
Savés si bel esbanoiier,
Que devant Marote m'amie
Avés dit si grant vilenie!
Dehail ail par mi le musel
A cui il plaist ne il est bel!
Or ne vous aviegne jamais.
GAUTIERS.
Je le tairai, pour avoir pais.
BALCONS.
Or faisons .j. jeu.
HUARS.
Quel vieus-tu?
BaUDONS.
Je vœil o Gaulier le Testu
Jouer as rois^et as roïnes
Et je ferai demandes fines.
Se vous me volés faire roy.
JIUARS.
Nenil, sire, par saint Eloi!
Ains ira au nombre des mains.
GAUTIERS.
Certes, tu dis bien, biaus compams,
El cbieus oui cbiel en .x. soil rois !
HUARS.
C'est bien de nous lous li otrois;
Or chà ! melons n"S mains disante
LE THEATRE LIB1Œ.
RCB
*ifJ2
BAUDON.
Tenez, saint Coisne, ce beau don.
GAUTIER.
Tu ris, ribaut, donc lu dois.
BAUDON.
Non pas.
| GAUTIER.]
Huarl, après.
HUART.
Je vais. Voici deux marcs.
LE ROI.
Vous devez.
HUART.
Maintenant "tenez-vous cois, ne vous levez pas,
car je n'ai point ri.
GAUTIER.
Qu'est-ce, Huarl, est-ce (une) dispute? tu veu*
toujours êlre baltu. Maudits soyez-vous d'être ve-
nus. A celle heure, paye-le sans difficulté.
HUART.
Je veux volontiers payer.
ROBIN.
Tenez, saint Coisne. Esl-ce une querelle?
MARION.
Oh ! seigneurs, ce jeu est trop laid ; est-ce vrai,
Perrelte ?
PÉRONNELLE.
Il ne vaut rien, et sachez qu'il convient bien que
nous fassions d'autres jeux : nous sommes ici deux
bacheleties, et vous êies quatre.
GAUTIER.
Faisons pour nous amuser, je ne vois rien de
si bon.
ROBIN.
Fi! Gaulier... Vous avez dit devant mon amie
Mai ion une si [grande vilenie ! Malheur à qui cela
plaît ! Que cela ne vous arrive plus.
GAUTIER.
Je ne le ferai plus, pour avoir la paix.
BAUDON.
Maintenant faisons un jeu.
HUART.
Lequel?
BAUDON.
Je veux iouer avec Gaulier le Têtu aux rois et
aux reines; eije ferai de belles demandes, si vous
me vouiez faire roi.
HUART.
Nenni, sire, par saint Eloi! mais cela ira au nom-
bre des mains.
GAUTIER.
Certes, lu dis bien, beau compagnon, cl que ce-
lui qui en aura dix soil roi!
HUART
C'est bien entendu de nous tous; or ça! niellons
nos mains ensemble.
{503
ROB
ACTIONNAIRE DLS MYSTERES.
ROS
1504
BAUDONS.
BAUDON.
Sont-eies bien, que vous en saule?
Sont-elles bien ?
Lequel commencera ?
Liquiex connu juchera?
HUARS.
HUART.
Gauliers.
Gautier.
GAUTIERS.
GAUTIER.
Je cpinmencherai volontiers
Je commencerai
volontiers en premier.
Em pre'i.
HUARS.
HUART.
Et deus.
Deux.
ROBINS.
ROBIN.
Et trois.
Trois.
EAUDONS.
BAUDON.
El quatre.
Quatre.
HUARS.
HUART.
Conte après, Ma rot, sans debatre.
Compte après, Marion, sans débat.
MARIONS.
MARION.
Trop volontiers El .v.
Très-volontiers.
Cinq.
PERONNELLE.
PÉRONNELLE.
Et .vi.
Six.
GAUTIIIERS.
GAUTIER.
Et .vij.
Sept.
HUARS.
HUART.
Et .viij.
Huit.
ROBINS.
ROBIN.
El .ix.
Neuf.
BAUDONS.
El .x.
Enlienc ! biau seigneur, je sui rois.
GAUTHIERS.
Par le mère Dieu! chou est drois;
Et nous tout, je cuit, le volons.
ROBINS.
Levons-le haut et couronons.
Ho ! bien est.
HUARS.
Hé ! Perrele, or donne
Par amours, en lien de couronne,
Au roi ton capel de festus.
PERGNNELE.
Tenés rois.
LI ROIS.
Gauliers li Teslus.
Venés à court; laniost venés.
GAUTIERS.
Volenliers, sire, commandés
Tel cose que je puisse faire,
Et qui ne soit à moi contraire;
^^Mais que de ci ne me remu,
Je ne bouch men doit u lu,]
Je le ferai laniost pour vous.
LI ROIS.
Di-moi, fu— tu onques jalouV?
Et puis s'apelerai Robin.
CAUTIERS.
Oïl, sire, pour .j inaslin
Que joïs hurler l'aulne fie
À l'uis de le cambre m'amie;
Si en soupechonnai .j. home.
li rois.
Or, sus Robin.
ROBINS.
Roi, walccomme !
Pcmandc-moi che qu'il te plaisi.
BAUDON.
Dix. Hé lié ! beaux seigneurs, je suis roi.
GAUTIER.
Par la mère de Dieu! c'est [de] droit ; et nous le
voulons tous
ROBIN.
Levons-le haut, et couronnons-le. Ho ! c'est bien.
HUART.
Ho! Perrette, donne par .amitié, au lieu de cou-
ronne, au roi, ton chapeau de paille.
PÉRONNELLE.
Tenez, ro .
LE ROI.
Gautier le Tèlu venez à la cour venez tout de
suite.
GAUTIER.
Volontiers, sire, commandez telle chose que je
puisse faire, et qui ne me soit pas contraire; pourvu
que ce ne soit pas de m'en aller d'ici, on de me lire
mon doigt au feu, je le ferai tout de suite pour vous.
LE ROI.
Dis-moi si lu fus jamais 'aloux ? El puis j'appelle-
rai Robin.
GAUTIER.
Oui, sire, pour un malin que j'ouïs heurter l'autre
à la porie de la chambre de mon amie; j'eus soup-
çon d'un homme.
LE ROI.
Maintenant, à toi, Robin.
ROBIN.
Roi, sois le bienvenu ! demande-mol ce qu'il t<
plaît.
1505
ROB
NOTICE SUR
LI ROIS.
Robin, quant une besle naisl,
A coi sès-ni qu'ele esl femelle?
ROBINS.
Ccsie demande esl bonne elbele!
li uois.
Dont i respoit.
ROBINS.
Non ferai, voir
Mais se vous le voulés savoir,
Sire rois, au cul li wardés.
El de mi vous n'enporlerés
Me cuidiés-vous chi faire lioute?
MARIONS.
I) a droit, voir.
Ll ROIS.
A vous k'en monte ?
MARIONS.
Si fait, carli demande esl laide
LI ROIS.
Marot, et je vœil qu'il souliaide
Son voloir.
ROBINS.
Je n'os, sire.
LI ROIS.
Non?
Va, s'acole dont Marion
Si douebement que il li plaise.
MARIONS.
Auvar dou sot, s'il ne me baise !
ROBINS.
Certes, non fac.
MARIONS.
Vous en mentes :
Encore i pert-il, esgardés.
Je cuit que mors m'a ou visage.
ROBINS.
Jecuidai tenir .j. froumage,
Si le senli-jc lenre et mole !
Vien avant, seur, et si uvacole
Par pais faisant.
MARIONS.
Va, dyablesos,
Tu poises autant comme .j. blos.
ROBINS.
Or, de par Dieu !
MARIONS.
Vous vous courclïiés !
Venéschà, si vous rapaisiés,
Biau sire, et je ne dirai plus;
N'en soies bonleus ne confus.
LI ROIS.
Venés à court, Huart; vencs.
IIUARS.
Je vois, puisque vous le volés.
LI ROIS.
Or di; Huart, si l'aïl Diex,
Quel viande lu aimes miex?
Je sai bien se voir me diras.
IIUARS.
Bon fous de porc, pesant et cras,
A le fort aillie de nois :
Certes, j'en mengai l'autre fois
Tant que j'en euib le incuison..
LE THEATRE LIBRE. ROB 1506
LE ROI.
Robin, quand une bêle naît, à quoi connais-tu
qu'elle est femelle ?
ROBIN.
Celle demande es* bonne et belle?
LE ROI.
Réponds-y donc.
ROBIN.
Je ne le ferai pas en vérité •
MARION.
II a raison en vérité.
LE ROI.
En quoi cela vous regarde-l-il.
MARION.
Si fait; la demande esl laide.
LE ROI.
Marion, je veux qu'il soubaile ce qu'il veut.
ROBIN.
Je n'ose, sire.
LE ROI.
Non? Va, embrasse donc Marion si doucement
que cela lui plaise
MARION.
Fi du sot, s'il ne me baise!
ROBIN.
Certes, je ne le fais pas.
MARION
Vous en mentez : il y paraît encore, regardez. J3
crois qu'il m'a mordue au visage.
ROBIN.
Je pensai tenir un fromage, tant je le 6enlis ten-
dre et molle! Viens avanl, sœur et m'embrasse
pour faire la paix.
MARION
Va, diable sot; lu pèses autant qu'un bloc.
ROBIN.
Or, de par Dieu !
MARION.
Vous vous courroucez ! Venez ici, et apaisez-vous,
beau sire, et je ne dirai plus rien; n'en soyez (ni)
honteux ni confus.
LE ROI.
Venez à la cour, Huart; venez.
II CAR T.
J'y vais, puisque vous le voulez.
LE ROI.
Maintenant dis-nous, Huarl, quelle viande lu ai-
mes le mieux? Je sais bien si tu me diras la vérité.
HUART.
Un bon derrière de porc, pesant et gras, à la sau^e
à l'ail et à l'huile de noix : certes, j'en mangeai tant
l'autre fois que j'en eus la diarrhée.
15C7
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
mm
BAUDONS.
Hé, Dieu ! con faite venison !
Huars n'en diroit autre cosc.
HUARS.
Perrete aies a court.
PERRETE.
Je n ose.
BAUDONS.
Si feras, si, Perrete. Or di,
Par celé foi que tu dois mi,
Le plus granl joie c aine eusses
D'amours, en quel lieu que tu fusses.
Or di, et je t'escoulerai.
PERRETE.
Sire, volentiers le.'dirai.
Par foi! chou est quant mes amis,
Qui en moi cuer et cors a mis,
Tient à moi as cans compaignie
Lés mes brebis, sans vilenie;
Pluseurs fuis, menu et souvent.
BAUDONS.
Sans plus?
PERRETE.
Voire, voir.
HUARS.
Ele ment.
BAUDONS.
Parle saint' Dieu! je l'en croi bien.
Marote, or sus! vien à court, vien.
MAROTE.
Faites-moi dont demande bêle.
BAUDONS.
Volentiers. Di-moi, Marotele,
Combien lu aimes Robinet,
Men cousin, che joli varlel.
Honnie soit qui mentira !
MARIONS.
Par foi! je n'en mentirai jà.
Je l'aiin, sire, d'amour si vrai
Que je n'aim tant brebis que j'aie,
Nis cheii qui a aignelé.
BAUDONS.
Par le saint Dieu ! c'est' bien aîné :
Je vœil qu'il soit de tous séu.
GAUT1ERS.
Marote, il l'est trop ineskéu
Li leus emporte une brebis.
MAROTE.
Robin, ceur i lost, dons amis.
Anchois que li leus le mengùe.
ROBINS.
Gautier, prestés-moi vo machue,
Si verres jà bacheler preu.
Hareu ! le leu ! le leu ! le leu !
Sui-je li plus cailis qui vive?
Tien, Marole.
MAROTE.
Lasse, caitive!
Comme ele revient dolereuse
ROBINS.
Mais esgar comme de est crotcuse.
MARIONS.
Et comment tiens-tu chele bcslc?
Ele a 'e cul devers se teste.
BAUDON.
Eh, Dieu! "uelle venaison! Huarl ne dirait pas
autre chose.
HUART.
Perretle, aller à la cour.
PERRETTE.
Je n'ose.
BAUDON.
Si, Perretle, si. Maintenantes, par la foi que tu
me dois, quelle est la plus grande joie que tu aies
eue d'amour, en ueloue lieu que tu fusses. Parle, je
t'écouie.
PERRETTE.
Sire, volontiers. Par ma foi! c'est quand mon
ami, qui a mis en mon pouvoir son cœur et son
corps, me lient compagnie aux champs, près de mes
brebis, sans vilenie, plusieurs fois, à fréquentes re-
prises et souvent.
BAUDON.
Sans plus?
PERRETTE.
En vérité, en vérité.
HCART
Elle ment.
BAUDON
Par le saint de Dieu ! je t'en crois bien. Maron,
allons! viens à la cour, viens.
MARION.
Faites-moi donc une belle demande.
BAUDON.
Volontiers. Dis-moi, Marion, aimes-tu bien Robin,
mon cousin, ce joli garçon? Honni soit qui ment!
MARION.
Par ma foi! je ne mentirai pas. Je l'aime, sire,
d'une amour si vrai, que je n'aime pas aulanl au-
cune de mes brebis, même celle qui a fait des
agneaux.
BAUDON.
Par le saint de Dieu ! c'est bien aimé : je veux que
cela soit su de tous.
GAUTIER.
Eh! Marion, il l'arrivé un malheur... leioup em-
porte une brebis.
MARION.
Robin, cours-y vile, doux ami, avant que le loup
ne la mange.
ROBIN.
Gautier, prêtez-moi voire massue, et vous verrez
nn brave garçon. Haro! le loup! le loup! leioup!
Suis-je le plus chétif qui vive? Tiens, Marion
MARION.
Hélas ! malheureuse! comme elle revient en mau-
vais état !
ROBIN.
El regarde comme elle est crottée.
MARION.
Et comment tiens- tu celle bête?...
1509
ROB
NOTICE SLR LE THEATRE LIBRE.
ROB
1510
•ROBINS.
Ne puct caloir : ce fu de liasle
Quant je Je pris, Marote; or laslo
Par où li leus l'avoit aierse.
GAUTIERS.
Mais esgar comme ele est chi perse.
MARIONS.
Gautier, que vous estes vilains !
ROBINS.
Marote, tenés -le en vos mains ;
Maiswardés bien que ne vous morde.
MAROTE.
Non ferai, car ele est troporde;
Mais laissié-Ie aler pasturer.
BAUDONS.
Sés-tu de quoi je voeil parler,
Robin? Se lu aimes autant
Marotain corn tu fais sanlant,
Certes je le te loeroie
A prendre, se Gautiers l'otroie.
GAUTIERf.
Jou l'otri.
ROBINS.
Et jou le voeil bien.
BAUDONS.
Pren-le dont.
ROBINS.
Chà, est-che tout mien
BAUDONS.
Oïl, nus ne t'en fera tort.
MAROTE.
Hé! Robin, que tu m'eslrains fort!
Ne sés-tu faire bêlement?
BAUDONS.
C'est grans merveille qu'il ne prent
De clies deus gens Perrete envie.
PERRETE.
Cui ? moi ! je n'en sai nul en vie
Oui jamais éusl de moi cure.
BAUDONS.
Si aroil si, par aventure,
Se tu l'osoies assaier.
PERRETE.
Ba! cui?
BAUDONS.
A moi ou à Gautier.
HUARS.
Mais à moi, très douche Perrete.
GAUTIERS.'
Voire, sire, pour vo musete,
Tu n'as ou monde plus vaillant
Mais j'ai au mains ronchi traiant,
Bon harnas et herche et carue.
Et si sui sires de no rue;
S'ai houche et sercot tout d'un drap ;
El s'a ma mère .j. bon hanap
Qui m'esclierra s'elle moroil,
Et une renie c'on li doit
De grain seur .j. molin à vent
Et une vake qui nous rent
Le jour assés lait et froumage .
N'a-il en moi bon mariage,
Dites, Perrete?
PERRETE.
Oïl, Gautier;
ROBIN.
Cela ne fait rien. Je la pris à la hâte, Marion;
maintenant vois par où lejoup l'avait saisie.
GAUTIER.
Mais regarde comme elle est ici bleue.
MARION.
Gautier, que vous êtes vilain
ROBIN.
Marion, lenez-ia en vos mains ; mais prenez bien
garde qu'elle ne vous morde.
MARION,
Non pas, car elle est trop malpropre; laissez-la
aller pâturer.
BALDON.
Sais-tu de quoi je veux parler, Robin? Si tu ai-
mes autant Marion que tu en fais semblant, certes
je te conseille de la prendre, si Gautier l'octroie.
Je*l'oclroie.
Et je le veux bien
Prends-la donc.
GAUTIER.
ROBIN.
BALCON.
ROBIN.
Ça, est-elle loul à moi?
BALDON.
Oui, cui ne t'en fera tort.
MARION.
Hé! Robin, que lu me serres forl! Ne sais-lu faire
doucement?
BAUDON.
C'est grande merveille qu'il ne prend à Perret te
envie de ces deux personnes.
PERRETTE
Qui? moi! je n'en connais nul en vie qui eût ja-
mais souci de moi.
BAUDON.
11 y en aurait si, par aventure, lu l'osais essayer.
PERRETTE.
CAUDON.
Bah ! qui?
Moi ou Gautier.
HUART
Mais moi, très-douce Perrette.
GAUTIER.
Vraiment, sire, pour la muselle, tu n'as personne
qui te vaille; mais j'ai au moins un bon cheval de
trait, de bons harnais, une herse et une charrue, et
je suis le seigneur de noire rue; j'ai robe longue et
surcot loul d'un drap; et ma mère a un bon hanap
qui m'échoiera si elle vient à mourir, et une renie
de pain qu'on lui doit sur un moulin à vent, et une
vache qui nous rend par jour assez de lait et de fro-
mage : n'y a-t-il pas en moi bon mariage, dites,
Perrette?
PERRfcTTfc.
Oui, Gautier; mais je n'oserais faire connais
1511
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
151?
Mais je n'oseroie acoinlier
Nului pour mon frère Guiot;
Car vous et li, estes doi sot;
S'en porroit tost venir bataille.
GAUTIERS.
Se tu ne me veus, ne m'en caille;
Entendons à ces autres noches.
HL'ARS.
Di-moi, c'as-lu clii en ches boches?
PERONNELLE
Il i a pain, sel et cresson ;
Et lu, as-tu rien, Marion?
MARIONS.
Naie, voir, demande Robin,
Fors du froumage d'ui matin,
Et du pain qui nous demora,
Et des pûmes qu'il m'aporta :
Yés-en chi, se vous en volés.
GAUTIERS.
El qui veut deus gambons salés?
HUARS.
Où sonl-il?
GAUTIERS.
Vés-les chi tous près.
PERONNELE.
El jou ai deux froumages frès.
nUARS.
Di, de quoi sont-il?
PERONNELE,
De brebis.
ROBINS.
Seignor, et j'ai des pois rolis.
HUARS.
Cuides-lu par tant estre quiles?
ROBINS.
Naie, encore ai-jou poumes quiles
Marion, en veus-lu avoir?
Nient plus?
MARIONS.
[ROBINS.]
Si ai.
MARIONS.
Di-me dont voir
Que chou est que lu m'as gardé.
RORINS.
•J- J'ai encore .j. tel pasté
Qui n'est mie de laslé,
Que nous mengerons, Marote,
Bec à bec, cl moi et vous.
Chi me r'alendés, Marote,
Chi venrai parler à vous.
Marole, veus-tu plus de mi?
MARIONS.
Oil, en non Dieu.
ROBINS.
El jou te di
f Que jou un lel capon
Qui a gros et cras crépon,
Que nous mengerons, Marole,
Bec à bec, et moi et vous.
Chi me r'alendés, Maroie,
Chi venrai parler à vous.
MAROTE.
Robin, revicn dont lost à nous.
sance avec personne à cause de mon frère Guiot:
car vous ei lui, vous êles deux fous; il pourrait en
survenir bientôt bataille.
GAUTIER.
Si tu ne me veux pas, je m'en moque , tournons
notre attention sur ces autres noces.
HUART.
Dis-moi, qu'as-tu ici dans ces poches?
PÉRONNELLE.
Il y a pain, sel et cresson; et loi, as-tu rien, Ma-
rion?
MARION.
Je n'ai, demande à Robin, que du fromage de ce
matin, du pain qui nous resta, el des pommes qu'il
m'apporta.: en voici, si vous en voulez.
GAUTIER.
Et qui veut deux jambons salés?
HUART.
Où sont-ils?
GAUTIER.
Ici tout près.
PÉRONNELLE.
Et j'ai deux fromages frais.
HUART.
Dis, de quoi sont-ils?
PÉRONNELLE.
De brebis.
ROBIN.
Seigneurs, j'ai des pois rôtis.
HUART
Penses-tu ainsi être quille
ROBIN.
Nenni, j'ai encore des pommes cuites : Marion,
en veux-tu?
Rien que cela?
Si.
MARION.
[ROBIN.]
MARION.
Dis-moi, que m'as-tu gardé?
ROBIN.
Un pâté que nous mangerons, Marion, bec à bec,
et moi el vous. Attendez moi ici, Marion, ici je
viendrai vous parler. Marion, veux-tu davantage de
moi ?
MARION.
Oui, au nom de Dieu
ROBIN.
Eh bien, j'ai un chapon qui a gros et gras crou-
pion, que nous allons manger, Marion, bec à bec,
el moi et vous. Ici attendez moi de nouveau, Marion,
ici je viendrai vous parler.,
MARION.
Robin, reviens donc vile a nous.
!Bi3
BOB
NOTICE SIR LE THEATRE LIBRE.
ROR
131 i
ROBI.NS.
Ma douche amie, volenliers.
El vous, mengiés endemenliers
Que g'irai : si ferés que sage.
MARIONS.
Robin, nous feriemmes outrage;
Saches que je le weil alendre.
ROB1NS.
Non feras; mais fai chi eslendre
Ten jupel en lieu de louaille,
El si metés sus vo vilaille;
Car je rcenrai, cènes lues.
WARN'IEKS.
Robin, où vas-lu?
rorihs.
A Bailvés,
Chi devant, pour de le viande;
Car l'aval a leste trop grande.
Vcnras-lu avœc nous mengier?
ROBIN.
Ma douce amie, volontiers. Et vous, mangez pen-
dant que j'irai
vous agirez sagement.
MARION.
Robin, nous le ferions outrage; je veux l'at-
tendre.
ROBIN.
Non pas; mais fais ici étendre ton jupon au lieu
de nappe, et mettez dessus vos vivres ; car je suis
de retour à l'instant.
SCÈNE XII.
ROBIN, WARNIEfl.
WARNIER.
Robin, où vas-lu?
ROBIN.
A Bailvés, pour avoir des vivres; car là-bas il y a
très-grande fêle. Viendras-tu manger avec nous?
WARMERS.
WARNIER
On en feroit, je cuit,
da
ngier.
On s'y opposerait,
je crois.
ROEINS.
ROBIN.
Non feroil nient.
Non, non.
WARNIERS.
WARNIER,
Jou irai
donque;.
Tirai.
SCÈNE XIII.
GUIOT, ROGAUT.
«D10S
6UI0T.
Rogiaull
Rogaut !
ROGAUS
ROGAUT.
Que?
Quoi?
GUIOS.
Or ne veistes onques
Plus grant déduit ne plus granlfeste
Quej ai véu.
ROGAUS.
Où?
GUIOS.
Vers Aiiesle.
Par lans nouveles en aras :
Veu i ai trop biaus baras.
ROGAUS.
Et de cui?
GUIOS.
Tous de paslouriaus.
Acalé i ai ches bourriaus,
Avœcques m'amie Sarcl.
ROGAUS.
Guiot, or alons vir Maret
L'aval, s'i trouverons Waulier;
Car j'oï dire qu'il vaut ier
Peronnele te sereur prendre,
Et ele n'i vaut pas entendre,
Si en éusl parle à ti.
GUIOS.
Point ne l'ara; car il bâti,
L'autre semaine, .j. mien neveu,
Et je jurai ei fis le veu
Que il seroit aussi basais.
ROGAUS.
Guiot, tous sera abalus
Chis estris, se lu me veus croire ;
DreTiONN. des Mystères.
GUIOT.
Vous ne vîtes jamais plus grand divertissemen:
ni plus grande fêle.
Où?
ROGAUT.
GUIOT.
Vers Ayetie. Tu en auras tantôt des nouvelles .
j'y ai vu de très-beaux divertissements.
Et qui'
ROGAUT.
GUIOT.
Tous de pastoureaux. J'y al acheté ce bureau,
avec mon amie Sarel.
ROGAUT.
Guiot, allons voir Marel là-bas, nous y trouverons
Waulier. J'ai ouï dire qu'il voulait prendre la sœur
Péronnelle, mais qu'elle ne voulut pas y consentir :
l'en a-t-elle parlé?
GUIOT.
Il ne l'aura pas; car il a battu l'autre semaine
mon neveu, et j'ai juré qu'il serait aussi battu.
nOGAUT.
Guiot, celle dispute luira, si lu me veux croire;
car Gautier te donnera a boire à genoux, pour te
48
*r>!5
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
faire amende honorable.
ROB
151G
CarGauliers le donna à boire
A genous, par amendement.
GUIOS.
Je le vœil bien si faitemenl,
Puis que vous tous i assenlés;
Vés chi .ij. bons cornés, sentes,
Que j'ai acalés à le foire.
RCGAUS.
Gniot, vent-m'en .j. à tout boire.
cui os.
En non Dieu! Rogaul, non ferai;
Mais le meilleur vous presterai.
Prendés lequel que vous volés.
SCÈNE XIV.
LES MÊMES, WARXIER
ROGAUS.
A ! war que cbis vient adolés,
Et qu'il vient petite aléure !
GUIOS.
C'est Warneres de le Coulure;
Est- il sotement escou relues!
WARNIERS.
Segneur, je sui trop coureebiés.
GUIOS.
Comment.?
WARNIERS.
Mehalès est agute,
M'amie, e s'a esté dechute;
Car ou dist que ch'est de no preslre.
ROGAUS.
En non Dieu ! Warnier, bien puet estre;
Car ele i aloit trop souvent.
WARNIERS.
Hé, las! joue a voie en couvent
De li lempremenl espouser.
cuios.
Tu te pues bien irop dolouser,
Biaus 1res dons amis; ne le caille,
Car jà ne mêleras maaille,
Que bien sai, à l'enfant warder.
ROGAUS.
A clie doit-on bien resvarder,
Foi que je doi sainte Marie!
WARNIEHS.
Certes, segnieur, vo compaignie
Me fait meire jus men anoi.
cuios.
Or faisons un peu d'esbanoi
Enlrcus que nous alenderons
Robin.
WARNIERS.
En non Dieu ! non ferons.
Car il vient chi les gréas walos.
GUIOT.
S'il en est ainsi, je veux bien d'autant que vous
le voulez. Voici deux cornets, sente*, que j'ai ache-
tés à la foire.
ROGAUT.
Gniot, vends-m'en un à tout boire.
GUIOT.
Au nom de Dieu! Rogaut, non, non; je vous prê-
terai le meilleur. Prenez celui que vous voulez.
ROCAUT.
Attention. Qui vient là d'un air si chagrin, et
marchant si lentement?
GUIOT.
C'est Warnier de la Coulure; esl-il sollement
troussé !
WARNIER.
Seigneurs, je suis très-courroucé.
GUIOT.
Comment ?
WARNIER.
Mehalès, mon amie, est accouchée; et elle a élé
trompée; car on dit que c'est notre prêtre qui esl le
père.
ROGAUT.
Au nom de Dieu! Warnier, ce peut bien être; car
elle y allait trop souvent.
WARNIER.
Hélas! j'étais convenu de l'épouser prompte-
meni.
GUIOT.
Peut-être t'affliges-tu trop, beau, très-doux ami;
ne t'inquiète pas, car tu ne dépenseras pas une
maille, je le sais bien, à garder l'enfant.
ROGAUT.
A cela doit-on bien regarder, parla foi que je dois
à sainte Marie!
WARNIER.
Celles, seigneurs, votre compagnie me fait mettre
de côté mon chagrin.
GUIOT.
Or, divertissons-nous un peu pendant que nous
attendrons Robin.
WARNIER.
Au nom de Dieu! nous n'en ferons rien, car il
vient ii i en grande haie.
SCÈNE XV.
ROBINS.
Warnel; lu ne ses? Mehalos
Esl Imî agute de no prestre.
WARNIERS.
Hé! tout 'i diable i puissent cslre!
Robert comme avés maise geule !
ROBINS.
Toudis a-eîe esté trop veule,
LES MEMES, nORIX-
ROBIN.
Warnier, lu ne ne sais pas? Mehalès est aujour-
d'hui accouchée d'un enfant dont notre prêtre est le
père.
WARNIER.
Eh! que tous les diables y puissent être! Robert,
comme vous avez mauvaise langue!
ROr.lN.
Elle a toujours été trop faible, Warnier, Dieu
1517
non
NOTICE SUU LÉ THEATRE LIBRE.
r.OB
!5!S
Warnier, si m'ait Diex ! et soie.
ROGAUS.
Robert, foi (pie (levés Ma rôle!
Metés cesle cose en delui.
R0R1NS.
Je n'i parlerai plus de lui :
Alons-ent.
WARN1ERS.
Alons.
ROGAUS.
Passe avant.
m'aide ! et sotte.
ROGAUT.
Robert (par la) foi que vous devez à Marion
laissez-là ce sujet.
ROBIN.
Je n'en parlerai plus devant lui : allons-nous-
en.
Allons.
WARNIER.
ROGAUT.
Passe devant.
SCÈNE XVI.
MARION, PÉRONNELLE, HUART, BAUDON, GAUTIER
MARION.
Mettenjupel, Perrete, avant;
Aussi est-il plus blaus du mien.
MARION.
Mels ton jupon, Pcrrelte; il est plus blanc que le
mien.
PERONNELLE.
Certes, Marot, je le vœil bien,
Puis que vo volentés i est.
Tenés, veés-le cbi tout prest;
Eslendé-le où vous le volés.
IllIARS.
Or chà! biau segnieur, aportés,
S'il vousplaist, vo viande chà.
PERONNELLE.
Esgar, Marote ; je vois là,
Che me samble, Robin venant.
MARIONS.
C'est mou, et si vient tout balant :
Que te saule, est-il bons cailis?
PERONNELLE.
Certes, Marot, il est failis,
Et de faire vo gré se paine.
MARIONS.
A ! war les corneurs qu'il aniainc !
HUARS.
U sont-il?
GAUTIERS.
Vois-tu cbes variés
Qui là tiennent ches .ij. cornés?
HUARS
Par le saint Dieu ! je les voi bien.
PÉRONNELLE.
Oui, Marion, je le veux bien, si cela te fait plai-
sir. Tenez, le voici tout prêt; élcndez-lc où vous le
voulez.
HUART.
Or çà! beaux seigneurs, apportez, s'il vous plaît,
vos vivres ici.
PÉRONNELLE.
Regarde, Marion ; je vois là, ce me semble, Ro-
bin venant.
MARION.
C'est vrai, et il vient en dansant : que te semble,
csl-il bon diable?
PÉRONNELLE.
Certes, Marion, il est aimable, et il se donne de la
peine pour faire votre volonté.
MARION.
Ali! regarde les corneurs qu'il amène!
HUART.
Où sont-ils?
GAUTIER.
Vois-tu ces garçons qui ià tiennent ces deux cor-
nets?
HUART.
Par le saint de Dieu! je les vois bien.
MARION. PÉRONNELLE, HUART
ROBINS.
Marote, je suis venus, tien:
Or di, m'aimes-lu de bon cuer!
MARIONS.
Oïl, voir.
ROBINS.
Très grant merebis, suer,
De cbe que tu ne l'en escuses.
MARIONS.
Hé! que sont-cbe là?
ROBINS.
Ce sont mus<js
Que je pris à cbele vilete :
Tien, esgar con bêle coselc !
Or faisons tosl leste de nous.
rogaus.
Wautier, or te niel à genous
SCÈNE XVII.
BAUDON, GAUTIER, ROBIN, WARNIER, GUIOT,
ROGAUT.
ROBIN.
Marion, me voici de retour; eb bien, dis, m'ai-
mes-tu toujours de bon coeur?
MARION.
Oui, vraiment.
ROBIN.
Très-grand merci, sœur de Ion bon mot.
MARION.
Eb ! qu'est-ce que cela?
ROBIN.
Ce sont des musettes que j'ai prises à oc petit vil-
lage; liens, regarde quelle belle petilo ebose! main-
tenant amusons-nous.
ROGAUT.
Wautier, à présent mets-loi à genoux devant Gv'.oi
1SI<)
ROB
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
ROB
1»26
Devint Guiol premièrement;
El si li fai amendement
De chou que sen neveu bâtis;
Car il s'esloit ore aalis
Que il te feroit asousfrir.
GAUTIERS.
Volés que je li voise offrir
A boire?
ROGAUS.
Oïl.
GAUTIERS
Guiol, buvés.
GUIOS.
Gautier, levés- vous .sus, levés;
Je vous pardoins tout le meffail
C'a mi ni as miens avés fait,
El \ œil que nous soions ami.
PER0N.NELE.
Guyot, frère, parole à mi;
Vien te chà sir, si le repose:
Que m'aporles-lu?
GDIOS.
Nul cose;
Mais Taras bel jouel demain.
MARIONS.
Robin, dons amis, chà te main
Far amours, et si te sié châ.
Et chilcompaignon seront là.
R0R1NS.
"Voieniiers, bêle amie chiere.
MARIONS.
Or faisons trcslout bêle chiere
Tien che morsel, biaus amis dous.
Hé! Gautier, à quoi pensés-vous?
GAUTIERS.
Certes, je pensoie à Robin
Car se nous ne fuissons cousin
Je l'eusse amée sans faille;
Car tu es de trop bonne taille.
Baudon, esgar quel cors chi a.
ROBINS.
Gautier, ostés vo main delà;
El n'est-che mie vo amie.
GAUTIERS.
En es-tu jà en jalousie?
ROBINS.
Oïl, voir.
MARIONS.
Robin, ne te doute.
ROBINS.
Encore voi-je qu'il le boute.
MARIONS.
Gautier, par amours, tenés cois:
Je n'ai cure de vos gabois;
Mais entendes à noslre feslc.
GAUTIERS.
Je sai trop bien canter de gesle;
Me volcs-vous oïr canlcr?
BAUDONS.
Oïl.
GAUTIERS.
Fai-moi donc escouter:
■J- Audigier, disl Raimberge, bonse vous di.
ROBINS.
Ho! Gautier, je n'en vœil plus; fi !
d'abord: cl fais-lui amende honorable de ce que tu
battis son neveu; car il s'était promis qu'il te le
ferait payer.
GAUTIER.
Voulez-vous que j'aille lui offrir à boire?
Oui.
KOGAUT.
GAUTIER.
Guiol, buvez.
GUIOT.
Gautier, levez- vous, levez -vous; je vous pardonne
tout le méfail dont vous vous êtes rendu coupable
envers moi el les miens, et je veux que nous soyons
amis.
PÉRONNELLE.
Guiot, frère, parle-moi; viens l'asseoir ici el
repose-loi : que m'appories-tu?
GUIOT.
Rien ; mais lu auras un beau joyau demain.
MARION.
Robin, doux ami, donne-moi ta main, assieds-loi
ici ; ces compagnons seront là.
ROBIN.
Volontiers, belle amie chère.
MARION,
Mainlenant mangeons : l!ens ce morceau, be! ami
doux. Eh! Gautier, à quoi pensez-vous?
GAUTIER.
Certes, je pensais 5 Robin; car si nous n'éiions
cousins, je l'aurais aimée sans y manquer; car lu
es de très-bonne taille. Baudon, regarde quel corps
il y a ici.
ROBIN.
Gautier, ôlez votre main de là; ce n'est pas votre
amie.
GAUTIER.
Es-tu jaloux?
ROBIN.
Oui, vraiment.
MARION.
Robin, ne crains rien.
ROBIN.
Il te pousse.
MARION.
Gautier, tenez-vous coi ; je me moque bien de
vos badinages; tournez votre attention à notre féie.
GAUTIER.
Je sais très-bien chanter des chansons de geste;
me voulez-vous ouïr chanter?
BAUDON.
Oui.
GAUTIER.
Faites-moi donc écouler :
Audigier, dil Raimberge, bouse vous dis...
ROBIN.
Oh! Gautier, je n'en veux plus; fi! Dites, serez-
{551
RON NOTICE SI
Dites, serés-vons tous jours leus?
Vous estes uns ors meneslreus.
GAUTIERS.
En mal éure gabe chis sos,
Qui me va blâmant mes biaus. mos :
N'esl-che mie bonne canebon?
ROBINS.
Nennil, voir.
PERRETE.
Par amours faisons
Le tresque, et Robins le raenra.
S'il veut, et Huars musera,
El cliil doi autre corneront.
MARIONS.
Or osions tosl ches eboses dont :
Par amour, Robin, or le maine.
ROBINS.
lié, Dieus! que lu me fais de paine!
MARIONS.
Oi fai, dons amis, je l'acolc
ROBINS.
Et lu verras passer J'escolc,
Pour ebou que lu m'as acolé;
Mais nous nions anebois balé
Enlre nous deux qui bien balons.
MARIONS.
Soit, puisqu'il le plaisl; or alons,
El si lien le main au costé.
Dieu! Robin, cou c'est bien balé!
ROBINS.
Est-cbe bien balé, Maroteleî
MARIONS.
Certes, tous li cuers me saulele
Que je te voi si bien baler.
ROBINS.
Or vœil-jou le ireske mener.
MARIONS.
Voire, pour Dieu, mes amis dous.
ROBINS.
Or sus, biau segnieur, levés-vous;
Si vous tenés; g'irai devant.
Manne, presle-moi ton gant;
S'irai de plus granl volenié.
PERONNELE.
Dieu ! Robin, que cli'est bien aie!
Tu dois de tous avoir le los.
ROBINS.
R LE THEATRE LIBRE. ROY i52*
vous toujours tel? vous èles un sale mene»trH.
GAUTIER.
Ce fou plaisante mal à propos en me blâmant do
mes belles paroles : n'est-ce pas bonne ebanson?
f Venés après moi ; venés le senlele,
Le senlele, le senlele lès le bos.
Non, vraiment.
ROBIN.
PERRETTE.
Par amour, faisons la tresse, Robin la mènera,
Huarl jouera de la muselle, et ces deux autres du
cornet.
MAR10N.
Olons vile tout ce qui est à terre. Robin, mène
maintenant la tresse.
ROBIN.
Ob, Dieu! que tu me fais de peine!
MARION.
Maintenant fais-le, doux ami, je t'embrasie.
ROBIN.
Et lu me verras passer maîlre, puisque lu m'a*
embrassé; mais nous aurons auparavant dansé, nom
deux qui dansons bien.
MARION.
Soit, puisqu'il te plaît, maintenant allons, et
tiens la main au calé. Dieu! Robin, comme c'est
bien dansé!
ROBIN.
Est-ce bien dansé, petite Marion?
UARION.
Certes, tout le cœur me sautille quand je la vois
»i bien danser.
ROBIN.
Maintenant je veux mener la tresse.
MARION.
Oui vraiment, pour Dieu, mon doux ami.
ROBIN.
A présent, beaux seigneurs, levez-vous, et tenez-
vous; j'irai devant. Marion, prêle-moi ton gant;
j'irai de meilleure volonté.
PÉRONNELLE.
Dieu! Robin, que c'est bien allé! lu dois avoir les
louanges de tous.
ROBIN.
Venez après moi; venez par le sentier, le sentier,
le sentier, près du bois.
Fin du Jeu de Robin et de Marion.
ROND ET DU CARRE ( Farce du). — On
lit dans les frères Parfait ( Hist. du th. fr.,
t. III, p. 185) celte note d'après Duverdier :
Farce du rond et du carré a v. personnages,
aisavoir :
LE ROND.
LE CARRÉ.
HONNEUR.
VERTU.
BONNE RENOMMÉE.
« Celle farce ne nous est connue que ptr
(970) Le tliéàlre libre espagnol a produit dans
les xv« et xvi« siècles un eertain nombre de pièces
publiées dans les Recueils suivants : 1° Oriqincs det
(eairo espahol, formmdoel lomo I", parte ln y^*,
un passage de la Bibliothèque française de
Duverdier-Vauprivaz, qui ajoute qu'elle con-
tenait « plusieurs choses singulières lou-
« chant le sainct sacrement de l'autel. » Ces
choses devaient être orthodoxes , car Moli-
net, qui en était auteur , a vécu et est mort
dans la religion catholique. »
ROY d'ARAGON (Le jugement du). —
Le Jugement du roy d'Aragon, pièce emprun-
tée à rhisloire de l'Espagne (970), a été
de las Obras de Leandro Fcrnamlez DE Moratin,
publicadas por la real Acadcmia de la IliMoiïa ;
Madrid, 1850, repnbliradas en el premier vol. rie)
Tosoro del Teatro EsvanoL— *.• Tal>o espaiiol au-
1523
SAV
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAV
1524
mentionné par M. Edélestand Duraéril sous
la date de l'an 1526. (Cf. Orig. lat. du théâtr.
mod.; Paris, 1849, in-8°, p. 56.)
1UJODL1EB (Le). — Le Ruodlieb apparaît à
M. Edélestand Duméril comme une poésie
du moyen âge, où se montre sa tendance à
tout dramatiser, mais le Ruodlieb n'est pas
un drame. ( Cf. Origines latines du théâtre
moderne; Paris, 1838, p. 3.)
RUSE DES FEMMES (La). — 11 existe une
édition du xvi* siècle de la Ruse des femmes,
sous ce litre : La Farce ioyeuse et profitable
à un chascun, contenant la ruse, meschanceté
et obstination d'aucunes femmes , par person-
nages ; 1595.
M. de Montaran en a donné une réim-
pression. — Voy. Collection Caron et Re-
cueil DE LIVRETS PAR M. DE MONTARAN.
S
SAVETIER (La farce du). — La farce du
savatier a v personnages, c'est a scauoir :
LE SAUAT1ER.
MARGUET.
TAQUET.
PROSERPIN'E.
Z'OSTE.
Cette pièce est conservée dans le manscrit
du xvie siècle de la Bibliothèque Jimpériale
(fonds La Vallière, n° 63) ; MM. Leroux cfe
Lincy et Fr. Michel l'ont éditée dans leur
Recueil de Farces ( Paris, Téchener , 1831-
1837; k vol. petit in-8°).
le sauatier commence en chantant.
Quant i'esloys a marier
Sy lies ioly festoie.
Marguct!
tcrior a Lope de Vega. Por el Edilor de la Floresta
de Rimas anliguas castellanas. (J. N. Bolh de Faher);
ilamburgo : en lalibreriade Frederico Perthes,t852,
in-8°. Les auteurs dont les œuvres se trouvent ici
en partie, sont Juan del Encina, Gil Vicente, Barlo-
Iviiué Torres Naharro el Lope de Rueda. — 3° Te-
soro del Teairo espanol, desde su oiïgen (afio de
1356) hasla nueslros dias, arreglado y dividido en
enairo parles, por don Engenio de Ociioa ; Paris,
■1838; 5 volùmenes en 8-, en dos c<d., cou retralos.
Tomo 1°. Conipuèslo de la obra de Moralin. Origines
del Tealru Espanol, con uua coleccion de piezas
dramàticas améliores a Lope de Vega, obra recien-
lenieuie publicada por la Âcademia de la Uisloria.
Llevarâ al lin un Apéndice, forinado por Don Enge-
nio de Ochoa. Tomo 2°. Teairo escojido de Lope de
Vega, con un resumen de su vida y un examen de
sus obras. Tomo 5". Teatro escojido de Calderon
de la Barca, con un resûmen de su vida y una iu-
iroduccion sol)re los diferenles géneros de sus coin-
posiciones. Tomo 4". Teatro escojido de Tirso de
Molina, Mira de Mescua, Monlalvan, Guevara, Mo-
reto, Rojas, Alarcon, Matos Fragoso. Tomo 5°. Tea-
tro escojido de Diamanie, La Hoz, Belmonle, Fe-
lipe IV, Leiva, Cuhillo, Figueroa, Zarate, Candamo,
Solis, Zamora, Canizares, Jovellanos, Huerla, Ra-
inoii de la Cruz, Cienfuegos, Moralin, Quinlana,
Marti nez de la Rosa, Gorosliza, Breton de los Her-
ieios. — Voyez V Histoire de l'art dramatique en
Espagne, par 1). Martixez de la Rosa, dans ses
Obras-Lilterarias. Paris, 1 827, vol. II. Voyez aussi
sut l'ancien lliéàire espagnol un curieux article de
M. Henri Ternaux, publié dans la Revue française
et étrangère ou nouvelle Revue Encyclopédique. n° de
janvier, l. V. — n. 1, Paris, 1838, p. 64-78. Enfin,
M. Philarète Charles a donné dans le Journal des
Débats du vendredi 23 août 1859 un feuilleton sur
Bartolemé Torres Naharro. — En Portugal, Gil Vi-
lenie. — Obras de Gil Vicente, corrodas e enienda-
»j., pelo cuidado ediligemia deJ. V.Barreto Feio e
.1. G. Moaleiro. Hamburgo, na ollieina lypographica
de Langhotf, 1 83i- , trois volumes in-8°. Voyez sur
«et auteur et sur la poésie dramatique portugaise
au \vi« siècle, le Résumé de ritislvire littéraire du
i'tutuqiil..., par Ferdinand Pi.xis, Paris, Lecoim*
MARGUET.
Que vous plaist-il, mon amy?
SAVETIERS (Les deux). — Les frères Par-
fait , dans leur Histoire du théâtre français,
(t. Il, p. 145), ont donné l'analyse suivante
de la Farce des deux Savetiers (971),
Le titre est formulé ainsi :
Farce nouvelle, très-bonne et fort joyeuse des
deux Savetiers a troys personnages , c'est
assavoir :
le pauvre. le juge (972).
LE RICHE.
le pauvre commence en chantant.
Hay avant Jehan de Nivelle (973)
Jehan de Nivelle a deux housseaux (974),
et Durey, 1826, in-18, p. 150-190.
(971) Les frères Parlait n'indiquent pas l'édition
dont ils se sont servis; mais il esl évident que c'est
la réimpression, < mise en meilleur langage, > de
Nicolas Roussel, laquelle date de 1612.
La Earce des deux Savetiers a paru en 1827,
réimprimée en fac-similé de l'édition originale eu
caractères gothiques, de format in-4° d'agenda, à la
suite de Mundas, chez Didol, à Paris; la copie pro-
vient de l'exemplaire unique conservé à la biblio-
thèque de Dresde. Cette réimpression n'a été tirée
qu'à cent exemplaires, dont quatre sur vélin, qua-
tre sur papier vélin anglais, et deux sur papier de
couleur. — Cet ancien texte a été connu des frères
Parfait, mais ils n'en ont pas fait usage.
(972) Le théâtre représentait une place de vil-
lage; une chapelle d.ans renfoncement, et la maison
du juge sur l'un des côtés. Au reste le Pauvre elle
Riche sont tous les deux savetiers.
(973) Ceci nous montre l'ancienneté de cette
chanson, connue avant le temps où celle farce fut
composée.
(974) Housseaux ou Heuscs, substantif masculin
pluriel. [L'A s'aspire.] Chaussure contre le froid, la
pluie et la crolle... C'était une espace de boite ou
de bottine; les gens de guerre s'en servaient comme
aujourd'hui des bolles. On les faisait de cuir de
vache. Villehardouin parle de lieuses vermeilles. Ce
mol est vieux, el n'a plus d'usage qu'en celle phrase
basse et figurée. Il a quitté ses housseaux, pour dire
il esl mort. H y avait deux sortes de housseaux :
les uns n'étaient que la tige simple, les autres
avaient un soulier, el quelquefois ce soulier était à
pouiaine avec un long bec, et recourbé en haut. Ou
appelait housseaux sans avant pied, une espèce de
chausses semelées, dont la lige se retournait comme
celle d'un gant. Housseaux se dit en quelques
poils de Normandie, des grandes bolles que les
matelots qui pèchent le poisson portent dans leurs
bateaux et dans l'eau. Ce .mol vient de hosellum,
diminutif de liosa, qui se trouve dans Paul Diacre,
et qui a été l'ait de l'allemand Huse; le mol //ose/»
signifie encore à présent haut-de-chausses en Alle-
magne. [Dictionnaire de Trévoux.)
152:
SAV
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
SAV
4 S2«
Le roy n'eu a pas de si beaux,
.Mais il n'y a point de semelle,
Hay avanl Jehan de Nivelle.
LE RICHE.
Voicy chose non pareille :
Dequoy j'ouys oncques parler;
Car je voy mon voisin chanter
Toute jour, et si n'a que frire.
LE PAUVRE.
Dieu vous guard, Dieu vous guard»,
Dieu vous guard, sire,
IN'avez-vous que faire de rnoy?
LE RICIIE.
Nenny; mais je suis en esmoy
D'une chose, voicy le cas :
Que je voy que vous n'avez pas
Un denier, pour vous faire taire,
Ne un pauvre tournois arrière,
Et chaulez lousiours sans cesser?
LE PAUVRE.
Par sainct Jehan, vous povez penser
Que ii'ay pas peur de mes escus.
LE RICHE.
Tu peux bien penser au surplus.
Que fais mon trésor sans lanterne.
LE PAUVRE.
Et moy mien à la lanterne.
LE RICHE.
Amasse à quant lu seras vieuv.
LE PAUVRE.
Voy, je seray tousiours joyeux.
LE RICHE.
Argent est plaisance mondaine.
LE PAUVRE.
C'est commencement de loule peine.
LE RICHE.
Argent faici faire mainlz esbals.
LE pauvre.
Etala fin Paicl dire, hélas.
LE RICHE.
Qui a ccnl escus tout comptant,
11 peut bien galler, et rire.
LE PAUVRE.
Sainct Jehan, je n'en ay pas tant,
Je n'en ay n'a frire, n'a euyie.
le riche.
Qui a cent escus, il n'est en friche,
Vous n'avez guariîc qu'il se layse.
le pauvre.
Qui a
Il u'esi pas lousiours à son ayse.
LE RICHE.
Qui a escus, à brief parler.
Il peut faire beaucoup de choses.
le pauvre
Qui a ses soulliers percez.
Il a besoin d'avoir des chausses.
LE RICHE.
Qui a cent escus tout comptant,
Il est de bonne heure né.
le pauvre.
Qui an malin a froid es dents.
Il n'est pas trop bien desjeuné.
LE RICHE.
Qui a cent escus en miltainc,
11 peut fringuer et mener pompes.
LE PAUVRE.
Et voir à sa pute eslraine,
El pourquoy ne le faictes-vous?
LE RICHE.
Qui a cent escus, ou autre avoir,
11 peot vivre joyeusement
LE PAUVRE.
Far sainct Jehan il m'en faut avoir.
Qui diable vous en donne tant?
LE RICHE.
Qui? mon amy, Dieu loul coulant;
Au^si l'a-t'il donné les biens.
LE PAUVRE.
N"ii a, parbleu, car je les liens
De mon granl père, a des ans vingt,
El tout de succession me vint,
Mais je n'en payeray pas taille.
LE RICHE.
Voisin, tu n'as denier ne maille,
Que Dieu ne l'ayl donné vraiment.
VI le ferait riche à merveille,
Et demain nud jusqu'à l'oreille;
Il faict, et le défiai cl.
LE PAUVRE.
lia deà! voysin, il me plaisl
Qui me donne assez, ou prou;
Sçaurail-on trouver moyen ou?
LE RICHE.
Que pense avoir de la pecune ?
Oiiy, mais il a telle couslumc?
Que jamais il ne donne rien,
Qui n'y va par bon moyen;
El aussi qui ne l'en prie.
LE PAUVRE,
Nostrc-Damc! il ne tiendra mye,
Au prier. Je m'envoys loutdroicl
Au monstier, car se Dieu vouloil
M'en donner, je serois reffaict,
lu le remerciroys en effet-,
Ue avoir en pouvoys un loppin.
LE RICHE.
Dy, par ta foy, mon voysin,
Que luy demanderas-tu content.
LE pauvre.
Je luy demande des escus cent,
Sans plus, ne moins.
LE RICHE.
S'il l'en donnoit deux vingtz
A tout le moins lu prendroys cela.
le pauvre.
Sainct Jehan, je ne les prendroys jà,
Ne suis-je pas comme vous estes?
Il peusi aussi bien mes requcsies
Ociroyer qu'il a faict la voslre.
le riche (975).
Voyre, par sainct Pierre l'apostre.
Je vous bailleray un csclat
Cent esculz dedans ung sac
Voys mettre, ung moins par sainct Claude,
Taisez-vons, et vous verrez rage.
le pauvre.
Ha! par je ferai rage;
Je ne seray plus savetier,
Je hanteray fort le gibier.
(97'i) Il dit ceci à pari, en s'a Iressant aux spectateurs, et ensuite vase cacher derrière l'autel de la
chapelle.
15*7
SAV
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SAV
1528
Ali ! j'aurai nujourtl'liuy argent.
Je voys à l'église diligemment,
Sans plus séjourner au surplus;
0 Dieu ! qui <lonne les escus
A ce riche si largement,
Donne m'en cent loul content;
Et je te juré sur mon âme,
A loy, et à Noslre-Dame,
Que se me les donne, de bon cueur,
Je vous feray lousiours honneur,
Toutes les foys que vous verray.
le riche derrière l'auslel.
Demande, je le oclroyray,
Mais que ce soit juste demande.
LE PAUVRE.
Or ça, doneques, je vous demande
De bon cueur, le pauvre Droùet (976)
A qui vous donrez, s'il vous plaist,
Un cent escus tant seulement.
LE RICHE.
N'en Youdroys-tu point moins décent?
LE PAUVRE.
Nenny, par ma foy ; c'est le cas.
LE RICHE.
Tu auras soixante ducatz.
LE PAUVRE.
Par sainct Sire; je n'en veùil nulz,
Car je veûil avoir des esculz.
De ducatz je n'ay point d'envie.
LE RICHE.
Tu en auras quatre-vinglz et diï,
De bons, et de fermes en un tas.
LE PAUVRE.
Beau Sire, imaginez le cas,
Et que vous fussiez devenu.
Comme moi, pauvre, tout nud.
Et que je fusse Dieu, pour veoir,
Vous les voudriez bien avoir.
LE RICHE.
Cela est pieça tout commun,
En voilà cenl, il s'en faut un;
Prends-les, ou laisse se tu veux.
LE PAUVRE.
Or ça, n'en auray-je donc plus!
Vous me faictes un grand forfaicl.
Les prendray-je donc en effet...
Oùy... on ne scet qui va ne qui vient;
Puis y a un point qui nie tient,
Que m'en pourroye bien repentir;
Pourtant les me faut recueillir,
Pour un escu ne plus ne moins.
LE RICHE.
Vous les rendrez Maisire Coùarl;
Ç à, que le Dyable y ail pari,
Par la y les emporte.
Rapporte, mon voysin, rapporte.
LE PAUVRE.
Quel dyable esse qui m'appelle ?
LE RICHE.
Par je l!ay belle,
C'a ses escus, ç'à ses escus.
LE PAUVRE.
Vous êtes un peu trop camus :
Dieu me les vient de donner.
LU R1CUE.
Par vous y mentez,
Ç'à mon argent.
LE PAUVRE.
1U se boussent.
LE RICHE.
Ils se boussent ?
LE PAUVRE.
Mais parbleu, voicy belle chose.
LE RICHE.
C'a mon argent.
LE PAUVRE.
Or y perra,
El par non sera,
Adieu, adieu, je les emporte.
LE RICHE.
Rapporte, mon voysin, rapporte :
Ou jeté feray adjourner.
LE PAUVRE.
Je ne Yeùil plus cy séjourner.
LE RICHE.
Vous y viendrez, par
LE PAUVRE.
Sainct Jehan, je n'y enlreray jà,
Car mes abilz ne vallent rien.
LE RICHE.
Ha deà, je t'en bailleray bien.
Qui sont meilleurs que tous ccux-cy,
(lcy le Riche va chercher une robe, et la lui donne.)
le pauvre.
Altendez-moy donc icy,
Je m'en voys parler à ma femme.
LE R1CUE.
Non ferez, sire, par
Vous viendrez devant le prevosl.
LE PAUVRE.
Voysin, je reviendray lanlost.
LE RICHE.
Mettez la robe sur vostre dos.
LE PAUVRE.
Et comment? la me donnez-vous?
LE RICHE.
Nenny, non.
LE PAUVRE.
Deà ! et comment?
LE RICHE.
Je te la preste jusques à tant
Que soyons venuz de la court.
LE PAUVRE.
Or sus, donc, pour faire court,
Allez devant, et cependant
Je m'en iray porter l'argent
En la maison pour tout refuge.
I.E RICHE.
Il le nous failli porter au juge,
Elle mettrons en sa séquestre
LE PAUVRE.
Sainct Jehan, non ferez noslre maisire,
Je ne m'en veûil point dessaisir.
LE RICHE.
Quoi juge voulez-vous choisir,
(?>7(!) (Test le nom du pauvre savetier.
1529 SAV NOTICE SUR LE
Qui soil à cecy Lien habille?
LE PAUVRE.
lié! le prevosi de «eue ville
Il a un bon esprit,
M;iis qu'il ayl un petit
Noslre cause regardée,
Tanlosl sentence :uiroil donnée,
Sans y faire si long procès.
LE BICHE.
Mais il se commet tant d'excès,
En tout on use tromperie.
LE PAUVRE.
Hé, non faict
11 n'y va qu'à la de bonne foy.
LE RICHE.
Allons autre part.
LE PAUVRE.
Ha ! voy ?
Mais où Toudricz-vous aller?
LE RICHE.
Et si tu me voulloys bailler
Mon argent, tu lerois bien mieux.
LE PAUVRE.
Ha ! point ne l'aurez, se m'est Dieux (977).
Adieu, adieu.
LE RICHE.
Allon, allon.
LE PAUVRE.
Ha dictes, despécbez-vous donc.
LE RICHE.
H ne m'en cbaui, mais que j'aye droiét.
le pauvre, abordant le juge.
Dieu y soit.
Monseigneur, Dieu vous gard;
Comme vous va puis le malin ?
LE JU«E.
... 11 me va bien Jenniji.
Comment se porte Jeanette.
LE pauvre.
Elle est ronde, grosse et grosselte,
Elle se porte lousiours bien.
le riche, à part.
Comment deà' je n'y enten rien;
11 est lanlost faict de ma cause.
LE PAUVRE.
Il est vray qu'en cesiesepmaine,
Sans vous faire trop long sermon,
Voire il est ainsi, c'est mon,
J'av faict à Dieu une requesle,
Qui est très-belle et lionneste,
Qu'il me donna cent escus d'or;
Non pas pour faire un grand trésor.
le juge (978).
Entendez-vous bien ?
LE PAUVRE.
Oui deà;
Par il les me octroya,
Etenescuz cent moins un contant,
Que Dieu me donna vrayment.
Apres que j'euz faict ma prière.
Puis après je m'en vins arrière
Pour m'en aller en ma maison;
Voicy mon voysin, sans raison,
Pour me cuyder du lout tromper ;
Qui s'en vint après mov n ver,
(977) Si Dieu m'ai
M'.
T1IEATKE LIBRE. SAV 1S30
El disoil qu'ilz étoyenl à luy :
Ainsi, Monsieur, je luy iiy;
Je n'uz jamais de luy argent.
LE RICHE.
Monsieur, qui le dict, il ment.
LE PAUVRE.
Et allent, mon voysin, aliène
Laisse-moy parler, se lu veux ;
Dicles qui a tort de nous deux,
Monsieur, donnez-nous jugement
LE JUGE.
Tu le baste trop mallemenl,
On ne juge pas si à coup.
LE PAUVRE.
Ha ! Monsieur, vous mettez trop.
Je suys de loing, despécbez-moy.
le riche.
Par non ferez,
11 me loucbe irop près du cueur.
LE PAUVRE.
Or laissez parler Monsieur.
LE RICHE.
Monsieur, il y a bien aulne chose.
LE Jwl'.
Sans faire plus d'arresl ne pose,
Si tu ne diclz auire nouvelle,
Sa cause sera bonne et belle.
LE RICHE.
Ha ! deà, Monsieur, il ne dys pas
Où le mal gist : voil t le cas.
Deriere l'Austel où j'esloys,
Et sa prière je eseouloys,
Puis luy jectay cent escus là.
le juge.
Or, me respons dessus cela ;
Tu les jeelas là; et pourquoy ?
Tu pouvais bien penser à loy
Que pas ne les refuseroil.
LE RICHE.
Ha ! Monsieur, il me disoit
Qu'il n'en prcndroiljà moins de cent.
LE JUGE.
Ton rapport est sans entendement,
Car il n'y a raison quelconque.
LE RICHE.
Que j'en aye la moiclié doncqueS
Car la perle seioil trop grande.
LE JUGE.
Va dire à Dieu qui le les rende,
Puisque les a donnez pour luy.
le pauvre, s'adressanl au riche.
Ha deà! vous estes eslourdy,
Je m'en voys sans plus d'arresl.
LE RICHE.
Monsieur, faicles arrcsl,
Car il veut emporter ma robe.
LE JUGE.
Viença, Droùet, que nul ne bobe,
Ceste robe est-elle tienne?
LE PAUVRE.
Saincl Jean, Monsieur, elle est mienne.
LE RICHE.
Vous me la rendrez an surplus.
(978) En s'adressent au riche.
*53l
SEP
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SEP
1532
LE PAUVRE.
Ainsy disoit-il des escus.
C'est un fort terrible sire.
Vous sçavez qu'il ne sçait que dire ;
11 demande puis l'un, puis l'aulre
Puis d'un costé, puis d'autre;
La leste il a esservelée.
LE RICHE.
Deà, Monsieur, je luy ay preslée,
Pour venir jusques-icy. *
LE PAUVRE.
Ha! je vous nye tout cecy,
il n'en est rien.
LE JUGE.
. . . Droùel, je t'en croy bien,
LE PAUVRE.
lié! je ne suis point Coùart.
LE RICHE.
Il au ! Que le dyable y ait part,
Au juge, et au savetier,
El à la femme, et au jugier (979).
Ne qui le fil onc eslre Juge.
Haro ! quel mal faicl ! quel déluge !
Mes cenl escuiz sonl-ils perdus?
Yoyre deà, voyre cent escuiz
Que legranl Dyable y ayt part.
LE PAUVRE.
Hay, Jenin; hay, pauvre Coùart.
J'auray robe, or, et argenl,
Par ma foy il est mal coulent.
Mais nVsi-elle point retournée (980)?
Je suis payé de ma journée.
Pardonnez-nous je. mes et vieux,
Une autre foys nous ferons mieux.
SCIENCE ET ANER1E. —Scienceet Anerie,
morallilé a iv. personnages , c'est a sauoir :
SCIENCE. ANERVE.
son clercq. son clercq qui est badin.
Cette pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincy et Fr. Miche! dans leur Recueil de
Farces ( Paris, Téchener, 1831-1837; k vol.
petit in-8°), d'après le manuscrit du xvr
siècle de la Bibliothèque impériale (fonds
La Vallière, n° 03).
science commence.
T.inl de fins tours, lant de finesse»,
Tant de inaulx, lant de rudesses,
Perles, exes, calamytés,...
Nobles délaissant leurs noblesses.
Tant de sos mys en dignités...
Tani de pompes el vanités...
On faict sans moy qui suys Science.
Auergi si lienl aulx cours.
SEPT SAGES (Le jeu des). — Le Jeu des
sept sages date du ive siècle, et fait partie
des œuvres qui nous restent d'Ausone.
Eu 1835, M. Magnin appelait l'atten-
tion sur cette pièce, qu'il considérait
comme destinée à être représentée. (Cf.
Journal gén. de Vinstr. publiq. , 22 février
1835, cours proposé à la Faculté des let-
tres, 1" semestre, ixe art. , p. 153). Plus
tard , le même illustre savant confirmait
cette première opinion dans la Revue des
deux mondes (juin 1835, t. II, p. 656) et
(979) H parait que le juge était ami du savetier
Druuel, à cause de jeauneile; le jugement qu'il rend
eu est une preuve assez convaincante.
(980) il regarde sa nouvelle robe.
dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes
(Paris. 1839-1840, gr. in 8% t. I", p. 517-
535).
M. Ampère , reprenant les opinions de
M. Magnin, a été aussi d'avis que le Jeu
des sept sages d'Ausone , quoiqu'il paraisse
plutôt un dialogue qu'un drame, et quelque
pédanlesque que soit cette composition, fut
destiné à la représentation; quant au titre
du Jeu que porte cette pièce, il est analogue
à celui qui caractérise beaucoup plus tard
des productions analogues , telles que le
Jeu Adan, le Jeu de Robin et de Marion , etc.
(Cf. Hist. litt. de la France, t. IL)
Au contraire, M. Edélestand Duméril ,
dans ses Origines latines du théâtre moderne,
déclare que, malgré son titre de Jeu, ce
dialogue ne présente aucun caractère dra-
matique. (Cf., op. cit., p. 13.)
Les Sept sages sont suivis de la note sui-
vante, indiquée par Ausone comme une tra-
duction du grec :
Je dirai en sepl vers la pairie, les noms el les pro-
verbes des sept sages : à chacun son monoslique.
cléoblle de Liude a dit : En toute chose, la mesure
est excellente.
chilojn, dont Lacédémone est la pairie : Connais-
toi toi-même.
periandre de Corinlhe : Modère tes transports dans
la colère.
pittacus, des rives de Mitylène : Rien de trop.
solon u'Athènes : Il est bon en tout d'attendre la
lin.
bias de la célèbre Priène : Les méchants sont nom-
breux.
Et tiialès, enfant de. Milet : Il faut éviter de se
porter caution.
Les Sentences des sept Sages, exprimées
en sept vers :
PERSONNAGES.
bias, de Priène. solon, d'Athènes.
pittacus, de Mitylène. chilon, de Lacédémone.
cléoblle, de Linde tualës, de Milet.
periandre, de Corinlhe.
bias de priène. Quel est le souverain bien7 une
conscience pure. Quel est le pire mal pour l'homme?
un autre homme. Qui est riche? celui qui ne désire
rien. Qui esl pauvre? l'avare. Quelle est la plus
belle dot d'une femme? une vie pudique Quelle est
la femme chasle? celle dont le bruit public n'ose pas
mentir. Quelle est la conduite du sage? de ne point
vouloir nuire quand il le peut. Quelle esl la conduite
du fou? même quand c'est impossible, de vouloir
nuire.
pittacus de Mitylène. Celui-là ne sait point par-
ler qui ne sait point se taire.
Mieux vaut l'estime d'un sage que celle de bien
Jes méchants.
Le fou envie le bonheur des grandeurs.
Le fou se moque des souffrances de l'infortune.
Obéis à la loi, loi qui as fait la loi.
Le bonheur attire beaucoup d'amis.
Peu d'amis sont à l'épreuve de l'adversité.
CLÉOBULEde Linde Plus on a de pouvoir, moins on
doil en user, elc, elc.
Chacun des sept sages comparaît ainsi et
débite des maximes (980*).
(980*) M. Corpet (Bibtioth. lai. fr. de Panckouk»,
"2e série, Œuvres complètes d'Ausone, irad. nouv.
par E.-l'. Coipel, 2 vol. in-8?, i. I". p. 33", Notes)
partage les opinions émises par M. Magnin.
1535
SOT
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
SOT
1534
SINGERKRIEC (Le). — Le Singer kriec uf
Wartburc semble à M. Edélestand Duméril,
une des preuves de la tendance constante
du moyen âge à tout dramatiser, sans tou-
tefois que cette poésie ait rien d'un vérita-
ble drame. (Cf. Origines lat. du th. mod.;
Paris, 18V9, in-8°, p. 3.)
SORRES-SOTZ (Les). - Les Sobres-Sot z
entremette auec les Syeurs d'Ays, farce nw-
rnlle et ioijeuse a \i. personnages,, c'est a
sçauoir :
CINQ GALANS
ET LE BADJN
Cette pièce a été éditée par MM. Leroux
de Lincv et Fr. Michel, dans leur Recueil de
Farces (Paris, Techener, 1831-1837; h vol.
petit in-8°), d'après le manuscrit du com-
mencement du xvie siècle de la Bibliothè-
que impériale (fonds La Vallière, n" 03).
(Les sobres-sotz commencent ainsi :)
LE PREMIER SOT.
J'en ay.
LE DEUXIÈME SOT,.
J'en ay.
LE TROISIEME SOT.
J'en voy.
LE QUATRIEME SQT.
J'en tiens.
LE CINQUIÈME SOT.
El moy j'en faicl comme de cire.
LE PREMIER.
Voules-vous pasestre des miens j'en :iy.
SOEUR FESNE (La). — Sœur Fesne, farce
nouuelle a y personnages, c'est a sçauoir :
L ABESSE.
SOEUR I>E BON COEUR.
SOEUR ESPLOUREE.
SOEUR SAFRETE.
ET SEUR FESNE.
Cette pièce, farcie de latin macaronique,
ne nous permet aucune citatio i à cause
de,, la licence du langage et des idées.
Elle a été éditée dans le Recueil de Farces
(Paris, Techener, 1831-1837; h vjI. pet.
in-8°) donné par MM. Leroux de Lincy et
Fr. Michel d'après le ms.de la Bibliothè-
que impériale datant du xve siècle (fonds
La Vallière, n° 63).
SOLDAT VANTARD (Le).- M. Edéles-
taid Duméril a donné le texte du Miles
gloriosus dans ses Originel latines du théâ-
tre moderne (Paris, 18W, Zu-8U, p. 285-297).
Dans le môme ouvrage (p. 34-), i 1 le déclare
non dramatique ; ce n';st qu'un poëme tel
qu'on en trouve plusieurs dans le xir siècle,
témoignant d'inlentjjns littéraires et d'une
tendance môme vers le théâtre, le plus sou-
vent originaux , parfois remaniés d'après
d'anciennes pièces latines.
SOT1SE A flll PERSONNAGES (La).
— Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre français (t. II, p. 208-232], ont
(981 j Tristesse.
(982) Médisans.
(983) Dispute.
donné l'analyse suivante de la Sotise à vin
personnages, mal <il(ribuée, selon eux, à
P. Gringore; ils font précéder cette ana-
lyse de la Ballade des Enfans sans soucy,
composée en 1512 par Clément Marot.
BALLADE DES ENFANTS SANS SOUCT,
composée en 1512.
Qui sont ceux-là, qui ont si grand'envie
Dedans leur cucur el Iriste marisson (98h
Dont cependant que nous sommes cil vie
De maislre ennuy n'escoulons h leçon?
Us ont grand tort, veu .|u'en bonne façon
Mous consommons noslrc florissant aage,
Sauter, danser, chanter à l'avantage,
Faux envieux, est- chose qui blesse?
Nenny pour vray, mais toute genlillesse,
Et gay voulloir, qui nous lient en ses laqs.
Ne blasmez point doneques nos l ru jeunesse,
CAR NOBLE CUEUR NE CHERCHE QUE SOULAS.
Nous sommes druz, chagrin ne nous suit mye :
De froid soucy ne sentons le frisson :
Mais dequoy sert une leste endormie ?
Autant qu'un bœuf dormant près d'un buisson.
Languards piquans (982) plus fort «pie hérisson.
Ou plus reclus qu'un vieil corbeau eu cage,
Jamais d'autruy ue tiennent bon langage ;
Tousiours s'en vont songeant quelque finesse :
Mais entre nous nous vivons sans tristesse
Sans mal penser, plus aise que Prélats,
Sans dire mal : c'est doneques grand' simple-jss,
CaR NOBLE CUEUR NE CHERCHE QUE SOULAS.
Bon'cueur, bon corps, bonne phizionomie,
lioire matin, fuir noise, et lanson (985)
Dessus le soir, pour l'amour de sa mie
Devant son huis la petite chanson.
Trancher du brave el, el du mauvais garçon ;
Aller de nuicl, sans taire aucun outrage;
Se retirer : voilà le tripolage :
Le lendemain recommencer la presse.
Conclusion, nous demandons liesse;
De la tenir jamais ne l'usines las,
Et maintenons que cela est noblesse,
CAR NOBLE CUEUR NE CHERCHE QUE SOULAS.
ENVOY.
Prince d'Amours, à qui devons hommage
Certainement c'esl un fort grand dommage,
Que nous n'avons en ce monde largesse
Des grands trésors de Junon la déesse,
Pour Vénus suivre ; et que dame Pallas
Nous vinst après resioùir en vieillesse,
Car noble cueur ne cherche que soûlas.
« Le silence des historiens nous oblige à
terminer l'article des Enfants sans Soucy
par le cry (98 ï-) de la sotise qui fut représen-
tée à la Halle en 1511 (985). Ce morceau
achèvera de faire connaître cette société.
LA TENEUR DE CRY.
Sotz lunatiques, Sotz estourdils, Solz sages,
Solz de villes, Solz de chasleaux de village,
Sotz rassotez, Sotz oyais, Solz subtils,
Soiz amoureux, Solz privez, Solz sauvages,
Solz vieux, nouveaux, et Sotz de toutes âges,
Sotz barbares, eslranges el genlilz,
So^z raisonnables, Solz pervers, Sotz relil'z,
Vostre prince, sans nulles intervalles
Le Mardy gras jouera ses jeux, aux Halles.
(981) Le cri, c'est-à-dire l'annonce.
(985) Celle .soiise, qui est Miivic d'une moralité,
et d'une farce, «s t de Pierre Gringore.
1533
SOT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SOT
IÏ36
Soites dames et Solles demoiselles
Soties vieilles, Solles jeunes et nouvelles,
Toutes Solles aymant le masculin,
Solles hardies, couardes, laides ei belles,
Solles fi isques, Solles doulces et rebelles,
Solles qui veulent avoir leur picotin,
Solles trolantes sur pavé, sur chemin,
Soites rouges, mesgres, grosses, et pâlies,
Le Mardy Gras jouera le prince aux Halles.
Sols yvrognes, aimans les bons loppins,
Sotz qui ayment jeux, tavernes, esbatz,
Tous solz jalloux, Solz gardans les patins (986)
Solz qui laides aux dames les choux gras,
Adnieuez-y Sotz lavez, el solz salles,
Le Mardy Gras jouera le prince aux Halles.
Mère sotte (987) sémond toutes ses solles
N'y Caillez pas y venir bigolles,
Car en secret faictes de bonnes chieres,
Solles gayes, délicalles, mignottes,
Soites qui estes aux hommes famillieres :
Monsirez-vous failli doulces el cordialles,
Le Mardy Gras jouera le prince aux Halles.
Fait et donné buvant vin à pleins polz,
Par le prince des Sotz et des suppolz.
Fin du Cry.
« La Sotise à huit personnages, dont on
va lire l'extrait, est sans contredit la pièce
la mieux conduite de toutes celles qui pré-
cédèrent le règne d'Henri II. Le plan en
est neuf, l'exposition simple, le nœud bien
formé et le dénoûmenl tiré du fond du su-
jet. En un mot c'est le chef-d'œuvre et le
modèle des pièces de ce genre. A la vérité
les vices y sont repris un peu vivement,
mais c'est )e style du temps : on connaît la
franchise gauloise de nos pères.
Un chat éloit un chat, et Rollel un fripon.
« L'auteur de cet ouvrage est inconnu ;
car de l'attribuer à Gringore, c'est ne sa-
voir pas distinguer l'or d'avec le plomb,
Autant ce dernier avait l'imagination pe-
sante et grossière, autant l'auteur dont nous
parlons l'avait légère et fine.
Extrait d'une Sotise a huit personnages (988),
sçavoir,
LE MONDE.
ABUZ.
SOT-DISSOLU.
SOT-GLOniLlJLX.
SOT-COnKOMPl'.
SOT-TROMPELR.
SOT-IG.NOUANT.
SOTTE-FOLLE.
SOTISE.
« Le Monde ouvre la scène et se plaint
(986) Sots qui gardent leurs femmes.
(987) Mère Sotte, ou Maire Sotte, c'était la seconde
personne de la principauté de la Sotise. Celui qui
remplissait cet emploi étail chargé du déiail des
jeux représentés par les Enfants sans soucy, et
de l'entrée que le prince des sols faisait tous les
ans à Paris.
(988) 3'ibliollièque du roi. f. in-8°, num. 3166.
(98!l) La peinture des gens d'Eglise (pie l'on trouve ici
ne doit point scandaliser; elle ne regarde que ceux qui
prévariquenl dans leur ministère. Louis XII, qui, sans
user dé son autorité, voulaii réprimer les abus qui s'é-
taient introduits sous les régnes précédents, n'élail pas
fâché qu'on chargeât le tableau. Tout le monde sait
qu'avant le concile de Trente, il se commettait beau-
coup d'irrégularités parmi le clergé. Ainsi il faut,
pour un moment, se transporter dans le siècle où
cet ouvrage paru»; el alors, bien loin de blâmer
amèrement que sa puissance diminue cha-
que jour ; il s'écrie de temps en temps :
C'est granl pitié que ce pauvre Monde.
« Abuz arrive, qui lui dit que s'il veut
rétablir son pouvoir, il faut qu'il suive
Plaisance-Mondaine. Le Monde sent quel-
que répugnance à suivre ce conseil, et ne
s'y rend que lorsqu'Abuz lui représente
que son mal étant sans remède, il ne doit
pas balancer un moment à prendre ce parti
salutaire. « Vous êtes fatigué, ajoute-t-iï,
« feignant de le plaindre; reposez-vous
« un peu, et soyez persuadé que pendant
v votre sommeil j'aurai soin de tout. » Le
•Monde, séduit par ces discours, s'en lort ;
et Abuz profitant de cette occasion va frap-
per l'arbre le plus proche, qui est celui de
la Dissolution, et le premier Sot en sort.
sot-dissolu, habillé en homme d'église (989).
Voule, voule, voule, voule, voule (990).
ABUZ.
Veez-cy des gens de mon escolle.
sot-dissolu.
Voule, voule, voule, voule.
ABUZ.
Veez-cy des gens de mon escolle ;
Mais, ay-je point perdu mon temps?
SOT-DISSOLU.
Ay! ha, ha, toy, toy"; voule, voule,
Ribleurs (991) chasseurs, joueurs, gormens,
Et aultres gens plains de tormeus
Seigneurs dissolutz, appostales,
Yvrognes, napleiiz (992) àgrans hastes,
Venez, car voilrc prince est né.
abuz, s'adressant au peuple.
Mais puis, n'esl-il pas guerdonné (9931
En enfant de bonne maison?
SOT- DISSOLU.
Allons, des caries à foison.
Vin cler, el toute gourmandise.
(Sot-dissolu sortira lors, el va embrasser Abuz.)
« Quoi donc ajoute-t-il , en s'adressant
« à Abuz, suis-je seul ici ! — Oui , jus-
« qu'à présent, répond ce dernier; mais do
«'peur que lu ne l'ennuies, jevais te donner
« des camarades. » A ces mots il frappe
l'arbre suivant et le second Sot paraît.
sot-clcrieulx, habillé en gendarme.
A l'assault, ï l'assault , à l'assaull, à lassault.
Pau leur, on lui saim gré de la morale qui constitue
le fond de sa pièce. Oji'on fasse attention que c'est
l'abus qui introduit el dirige les personnages qui
paraissent sur la scène. Ces mêmes personnages ne
peuvent parler ni agir tyie suivant des principes
contraires à la raison el à l'équilé. Par conséquent
ce qu'ils disent et ce qu'ils font ne peut qu'inspirer
l'horreur des vices cl l'amont de la vertu. C'est le
but de toutes les pièces de thé'ure ; et on peut dire,
que celle-ci en approche beaucoup. Ajoutez que
Louis XII, par un excès de bonté, voulut être com-
pris dans la censure générale qui règne dans eelie
pièce ; qu'il la fit représenter, et accorda un privi-
lège au libraire.
'.990) Vole, vole, etc.
(991) Voleurs, larrons.
(99-2Ï Napleui, attaqué du mal de Nap\c*.
(993) Doué, récompensé.
1557
SOT
NOTICE SLK LE 'IHEA'lltr, LIBRE.
SOT
\ 538
A. cheval , sus en point, en armes.
A3uz, au peuple qui paraît étonné, el qui rit.
0 saut bien quel prieur pour les Carmes.
SOT-DISSOLU.
Quel Huissier pour crier deflaull.
SOT-GLORIEUX.
A l'assaiilt, à l'assault, à l'assaiilt, à l'assaiilt.
A cheval, sus en point, en armes.
Je l'cray pluurer maintes larmes
A ces gros villains de villaige.
abuz, au peuple.
Diriez-vous pas à son visaige
Qu'il est plaisante ilamoiselle?
« Maître Abuz, dit Sot glorieulx, restons-
« nous en si petit nombre? — Ne vous fâ-
« chez point, mon enfant, répond Abuz, je
« vais y pourvoir. » Aussitôt il frappe l'ar-
bre de Corruption et fait sortir le Sot cor-
rompu.
SOT-CORRO»«PU.
Procureurs, Advocalz ; Procureurs, Advocalz.
« Abuz donne un coup sur l'arbre de
Tromperie, et Sot trompeur sort « habillé
en marchand », ensuite ouvrant celui d'i-
gnorance, il donne lliberlé au Sot igno-
rant.
sot ignorant, en chantant.
Et Dieu la gard, la vart ; la Bergeretle,
El Dieu la gard, va vart seans ou non,
Ou beuf, ou lorimeau rat la la hou (994).
abuz, au peuple.
Veisles vous oncques si lect morub.Mii (995)?
(Sot ignorant chante; icy fera ung sifflet dt
boier [996].)
« Lorsqu'il aperçoit l'arbre de Folye, il
sent une extrême curiosité de voir ce qui
seul y être renfermé ; tous les autres sols,
>ressés d'une pareille envie, prient Abuz de
'ouvrir. Abuz, pour les satisfaire, frappe
cet arbre et en fait sortir Sotte-Folle, qui,
par ses cris et ses mouvements furieux, ins-
pire une terreur mortelle dans le cœur des
autres sols et les fait repentir de leur curio-
sité.
SOTTE-FOLLE.
Villaïn coquin, mesclianl ; deffaict,
Ha! l'y, fy, à l'ayde de Dieu.
( Icy se moudra [997] la robe corne emaigée.)
sot-ignorant, fouyra comme ung regnard, et dira de
loing.
Qui diable amena en ce lieu,
Ce dragon, ce serpent sauvaigc.
(991) On ne sait ce que signifie ce discours
(995) Lect moruhon, Lect pour lait, on écrivait
quelquefois lait. Moruhon peut être pour moruhier,
vendeur de morue, poissonnier, avec changeaient Je
«erminaison pour s'accommoder à la rime; ainsi que
nos anciens poêles eu usaient ordinairement sans
aucun scrupule. Ou bien moruhon pour morillon,
diminutif de more, moricand.
(!>9l>) Boier, bouvier.
(997) Moudra pour motivera, on mouvra. Le d,
mis à la phice d'une voyelle, ou ajoute devant IV.
On trouve dans nos anciens auteurs, recueildroienl,
SOT- DISSOLU.
Sang bien ! j'ai grant peur qu' elle cnraige.
SOT GLORIEULX.
Hélas! Dieu, qu'elle est furibonde!
S0T-C0RROMPI.
Je ne croy point que en tout le monde
Ail beslc si fort dangereuse.
SOT TROMPEUR.
Elle me laiel peur à ta veoir,
Le Diable luy a faict la leste.
« Rassurez-vous, leur dit Abuz, elle n'est
« pas si méchante qu'elle vous le paraît, et
« si vous voulez lui parler avec douceur,
« vous verrez la personne du monde la plus
« complaisante. » Nos sols suivent ce con-
seil, et Sotte-Folle se radoucissant, leur fait
mille caresses. Au bout de quelque temps,
ils aperçoivent le Monde, qui est endormi.
« Quel est cet homme-là ? demande Sotte-
« Folle. — C'est le Vieux Monde , répond
« Abus. — II faut le tondre pour nous
« amuser, » réplique Sotte-Folle. Les sots
ne tardent pas à exécuter ce qu'elle vient
de prononcer; mais lorsqu'ils voient Je
Monde en cet état, ils le trouvent si laid et
si horrible, que ne pouvant le souffrir, ils
le chassent indignement; et, après avoir
détruit ce premier Monde, ils prient Abuz
de leur en construire un nouveau. « Cela
« n'est pas mal imaginé.» répond le père du
Désordre. — « Songeons, ajoute-t-il , au
« fondement sur lequel nous le poserons. »
ABUZ.
Pour fere (998) ce Monde nouveau
Fauldroit une pierre de marbre?
SOT-DISSOLU.
Ou du bois de quelque gros arbre,
Gros el massif, el de bon poix.
SOT-GLORIEULX.
Est-il au monde plus be:iu bois
Que avec, duquel raiges je foiz (999)
Fundons-le sur deux ou trois iante»?
SOT-TROMPEUR.
Je veulx le funder sur ung poiz,
Sur aulnes courtes de deulx doiz,
Ou au filet d'une balances.
SOT- CORROMPU.
Je vouldrois que les circonstances
Du Monde, pour mes récnmpances,
Fust parchemin, papier, procez.
SOT -IGNORANT.
Sur mon agulhon (1 000) à deux ances,
Pour le sonnet de mes plaisances
Le sonder me scroit assez.
saldroicnl, pour recueilleraient, sailliraient. Yindrent,
tindrent, misèrent, disdtent, pour vinrent, tinrent,
mirent, dirent, etc. C'est de là que nous avons con-
servé les mots de tendre, cendre, etc., dérives de
tencr, cineris, ele
(998) Fere, faire.
(999) Foiz, fais.
(1000) Agulhon à deux ances. On ne doit pas cher-
rher de sens dans tout ce que dit Sût4gnoraut,
Agulhon se liouve ici pour aiguillon. L'/t tenant lieu
de 1'/ mouillée, comme auenoulhe, vilheric, pour
quenouille, et pillerie.
1559
SOT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SOT
1540
SOTTE -FOLLE.
J'ay quatre fuseaulx amassez.
Et nia qiienoulhe, ores pensez,
Seroil-ce point bon fondement?
SOT-DISSOLU.
Pour le funder plus rondement,
Mettons-le au plus liaull d'un clochier?
« Nous perdons le temps inutilement, leur
« dit Abuz: de quelle qualité voulez-vous
« qu'il soit ? »
SOT-DISSOLU.
Chaull,
SOT-GLORIEULX.
Froil.
SOT-CORROMPC.
Sec.
SOT-TROMPEUR.
Humide.
SOT-IGNORANT.
Pluvieulx.
SOTTE-FOLLE.
Il n'en sera rien, je le veulx
A tous vens lousiours variable.
« Accordez-vous donc, répond Abuz. De
« quelle forme faut-il que je le fasse ? »
Les sots conviennent encore moins de la
figure que de la qualité qu'ils veulent don-
ner à leur bizarre ouvrage : ce qui fait
qu'Abuz, après avoir rêvé quelque temps,
leur propose, afin de les contenter tous, de
prendre Confusion pour fondement, et
qu'ensuite chacun d'eux fera élever un pi-
Uer à sa fantaisie. Cet avis plaît à tous les
sots ; et, après qu'Abuz a posé le fonde-
ment, il s'adresse à Sol-Dissolu et le prie
d'ordonner la structure de sa colonne. « Il
« est juste, répond ce Sot, que l'on com-
* mence par la mienne. »
SOT-DISSOLC.
Ne suys-je pas le Sot d'Eglise?
Or sus qu'on fasse mon pillier.
« On veut d'abord y placer Dévotion,
mais, comme cette pièce n'y peut convenir,
on pose Ypocrisie, qui y vient fort bien.
« Qu'y mettrons-nous ensuite ? » demande
Abuz, qui fait l'office d'arebitecte. « Chas-
« teté, dit Sot-Glorieulx. « J'ai bien peur,
« ajoute Sol-Dissolu, qu'elle ne puisse ser-
« vir. »
SOT-DISSOLU.
Il y a long lems que n'a esté
Avecques moy ; or essayez.
SOT-TROMPEUR.
Rien n'y vaull.
(1001) Tout chah, tout tombe.
(1002) Veez là le cas, voilà la chose, voilà ce qui
convient.
(1005) Le roi lui-même n'était pas épargné dans
ces sortes de pièces, et ne voulait pas l'être.
(1004) A beaucoup de mains, à plusieurs reprises;
comme dans celle façon de parler, tout d'une main,
pour tout de suite. Oh peut faire entendre que
Ribaudise, retenue en différents endroits, avait élé
longtemps dans son voynge.
1005} Ce vers n'a guère de sens, à moins que
SOT-IGNORàNT.
Toutchait(lOOI)
SOTTE-FOLLE.
Bien voyez,
Qu'on a icelle façon apprise,
Que Chasteté, et gens d'Eglise
Ne se congnoissent nullement.
SÛT-GLORIEULX.
Veez là le cas (1002).
ABUZ.
Quoy?
SOT-GLORIEULX.
Ribaudise.
SOTTE-FOLLE.
C'est le vray Armel de l'Eglise (1003)
Par sainct Jehan, ha lu ez bon homme.
SOT-DISSOLU.
Je l'ay faicte potier de Romme,
Où mainlz Cardinaulx et Prclatz
A voient estez d'elle près las,
Et suyvi à beaucoup de mains (1 004).
SOl-GLORlEULX.
En Ireuve-t'on en France au moingz"
Aulx haulx lousiours a esté braist (100?)
En mainlz tormeniz faict son accrest (1006) :
Carmes, Augusiins, Cordeliers,
Oui pour elle corps deslicz
Pour en disputer contre moynes (1007).
SOT-CORROMPU.
Là congnoissent point les chanoynes
De la granl métropolitaine?
« Obi qu'oui, dit Dissolu: mais conli-
« nuons notre ouvrage. » Comme Obé-
dience ne peut pas convenir, on y supplée
par Apostazie : et Lubricité remplit fort
bien la place qu'Oraison ne peut occuper.
« Voici, dit Sot-Trompeur, une bonne pièce
« de Symonie, qui ne gâtera rien.» —
< Apportez vite, » reprend Sol-Dissolu.
SOT-DISSOLU.
C'est le granl levain
Des bons bénéfices.
« Si, pour couvrir le tout, dit Sot-Trom-
« peur, nous prenions Irrégularité, il me
« semble que cela n'irait pas mal. »
SOT-DISSOLU.
Mon Dieu, faicles-en ma couverte, etc.
abuz , à Sol-Dissolu.
A cesie heure voy toute entière
La pille des Solz de l'Eglise
Ypocrisie, Ribaudise,
Aposlazie, Lubricité,
Symonie, Irrégularité :
biaist ne se prenne ici, comme on en trouve beau-
coup d'exemples, pour réputation Et, en ce cas, il
signifierait que Ribaudise a toujours été en haute
réputation chez les Grands.
(100b) Accrest, ou pour accroissement, ou pour
reste, sommet. Et par métaphore, orgueil: s'accrester,
devenir orgueilleux.
(1007) On voit que railleur dislingue fort bien les
moines d'avec les Carmes, les Augusiins, les Corde-
liers et les autres Mendiants.
1541
SOT
NOTICE SUIi LE THEATRE LIBRE.
SOT
1542
Sang bieu?quelz(ll)08) six pièces d'arnoiz!
Es-tu contant?
sot-dissolu, d'un air fier*
Voire, et lu doiz
Loz et honneur à lousiours maiz.
« Puisque ce pilier est achevé, dit Abuz,
« commençons-en un autre. » — « Vous ,
« Sot-Glorieulx, ajoute-t-il, ordonnez le vo-
te Ire. » On prend Noblesse (1009) pour en
faire le fondement; mais comme cette pièce
ne peut tenir en place, Sot-Dissolu apporte
ung gros tronson de Lascheté, nouvellement
arrivé de Sens (1010). — « Comment donc.
« demande Sot-Glorieulx, je croyais qu'elle
« ne venait que de Naples (1011) : du
« moins, c'était autrefois de ce pays qu'on
« nous en amenait. » On pose ensuite Bo-
bance au lieu d'Humilité, et Pilherie et Ava-
rice, au lieu de Libéralité. « Je savais bien
« que vous ne pourriez faire autrement dit
« Sot-Corrompu, car, ajoule-t-il,
SOT-CORROMPU.
Libéralité inlerdictc
Est aux nobles par avarice;
Le Chief (1012) mesme y est propice,
El les subjects sont si marebans
Qu'ils se l'ont laiz, sales marclians;
Nobles suyvenl la lorcherie (1013). i
« Pour achever la colonne, on met une
pièce de Mespris; et comme l'Amour (1013*)
ne peut tenir sur cet édifice, on y enlre-
mêle quelques morceaux de Courroux et de
Menaces. Par la même raison, on est obligé
de se servir de Trayson, au lieu de Fidélité,
et le Support Publicque ne pouvant faire la
couverture, on y supplée par l'Art de do-
mination. « Commençons à faire la troisième
« colonne, dit Abuz; approchez-vous, con-
« tinue-t-il, en s'adressanl au Sot-Corrompu,
« voici votre tour. — Prenez Justice pour
« en établir le fondement, dit Sot-Trompeur,
« — Je le veux, reprend Abuz, mais don-
« nez-moi quelque autre pièce, ajoute-t-il
« peu de temps après, car celle-ci est rompue
« en morceaux, »
Al<(JZ.
Si i rès-fort a esté cassé
Qu'il ne lien ne à chau, ne à sable.
« Que n'employez-vous Corruption? dit
« Sotte -Folle. — Où loge- 1- elle? répond
(1008) Quelz pour quelles, rien déplus commun
que de voir employer le masculin pour le féminin,
Hz pour elles.
(1009) C'est avec raison que l'auteur prend ici la
Noblesse pour la Bravoure, puisqu'en elfel ces deux
qualités devraient èlre inséparables.
(1010) Ceci fait allusion à quelque trait historique
arrivé sous le règne de Louis XII.
(1011) Le peu derésistance que Charles VIII trouva
a Naples, lorsqu'il fit la conquête de ce royaume, et
la facilité avec laquelle ce peuple l'abandonna ensuite
pour se soumettre à ses ennemis, ont mérité ce Irait
saiyrique.
(1012) Le trait de satire que l'on irouve ici con-
tre ce prince lui fait beaucoup (l'honneur, puisqu'on
y traite d'avarice la juste économie avec laquelle il
ménageait les finances de son royaume, et que les
« Sol -Dissolu. — En une infinité d'e-n-
« droits, » réplique Sot-Trompeur.
SOT-TROMPEUR.
Maiz au Palais à la grant Salle
C'est le lieu où plus à fiance.
SOT-CORROMPU.
Tiendroil-ellc point audience
Avec les Chapperons fourrez?
SOTTE FOIXE.
Dieu:! que par eulx sont mainlz follz raiz
Sans rasoir, sans eau, et sans pigne?
« Cela est horrible, dit Sot-Trompeur; et
« je m'étonne qu'on n'y apporte point de
« remède. — J'en sais bien la raison, » ré-?
pond Sot-Dissolu.
SOT-DISSOI.U.
Quelqu'un voulait couper l'anreilhe-
A Corruption bien sommerc (1014;
Mais en passant par l'ordinaire.
Et allégant qu'esloit elergossc,
De logiz trouva grant largesse
l'ar toute l'olïicialilé, etc.
« Voici un tronçon de Qualité, dit Sot-
« Corrompu. — Cela est inutile, répond
« Abuz, Affliction y suffit. — Essayez ces
« deux Pièces d'Equité et de Juxte (1015)
« vouloir, continue le premier. — On ne
<< saurait les placer, réplique Abuz, eî il n'y
« peut tenir que Faveur. »
SOT-DISSOLU.
Ambition d'avoir de l'or,
D'Ollices, et Austérité (1016)
Joindroit bien, et puis Faulcelé?
Or sus, tost mectons y ses quatre.
« Bon pour cela, répond Sot-Corrompu.
« — Et que féra-t-on de Lite (1017) et de
« Miséricorde? » demande Sotte-Folle.
SOT-CORROMPU.
Que s'en ailhent tirer la corde
Des Cordeliers de l'Observance.
« Vous, Sot-Trompeur, dit Abuz, oroon-
« nez votre Pilier. Voici Lovaullé qui
« pourra vous servir de fondement. — Per-
« sonne n'en use, dit Sot-Glorieulx : — elle
« est trop layde, s'écrio Sotte-Folle. — Lais-
« sons-la donc, continue Abuz, et prenons
« Tromperie. Qu'y metlrons-nous encore?
« — Je liens, répond Glorieulx, un bon
« morceau d'Usures. » On se sert de ces
meilleurs princes ont toujours préféré aux prodiga-
liiés et aux dépenses superflues. Cela devait servir
aussi à consoler ceux de ses sujets qui se voyaient
dépeints trop vivement dans cel.ouvragc, puisque
le roi avait hien voulu y être compris.
(1015) Torcherie, aclkm de battre, de piller; ton-
cher, piller, 'battre ; lorcherie, pillerie.
(1015*) L'amour du prince et de la pairie.
(1014) Bien sommere, bien courte, de fort près.
(1015) Juste vouloir.
(1010) Austérité se prend ici pour rigueur exces-
sive, comme dans ce vers que dit ci-après le Sot-
Corrompu :
(10*17) Si on pouvait soupçonner l'auteur de cet
ouvrage d'avoir su le grec, on traduirait ce mot par
celui de prière : sinon nous ne savons ce qu'il vent
dire.
154:
SOT
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
SOT
1544
(Jeux pièces pour fonder ce pilier, et on
l'achève avec les faulces Mesures, les Par-
jureraens, l'Avarice et le Larcin.
SOT-CORROMPU.
Veez-ci ung pilier très-beau,
Tromperie nïeslée d'Usures,
Parjuremens, faulces Mesures,
Fainctise, et puis Avarice :
Cecy est aux marchans propice.
« Le Sot-Ignorant, qui s'ennuie de ne pas
voir élever sa colonne, s'impatiente fort. —
« Ne te fâches pas, lui dit Abuz, tu n'as
« qu'à donner tes ordres. Veux-tu qu'on la
« fonde sur l'obéissance aux Supérieurs ? »
SOT-IGNORANT.
Hoslés n'est point à ma plaisance.
SOT-GLORIEULX.
Comme beslc vivant sans foy,
Mangeant, beuvanl sans sçavoir quoy,
Te funderons-nous d'Ignorance?
SOT-IGNORANT.
Mectés car c'est mon asseurance.
« Ce rustique refuse ensuite Innocence,
Simplicité, Patience, Obéissance et Timi-
dité, et choisit Convoitise, Chicheté, Rusti-
cité, Murmure, Rébellion et Fureur. C'est
aussi d Ignorance et de ceux-ci qu'est com-
posé son pilier. »
SOT-CORROMPU.
Veez-cy lit beau, et qu'à seure ance (1018)
Ignorance, Cupidité,
HftttosM par hatisiéiïié,
Murniureineni, Rébellion,
Fureur, Humble comme ung lion
Veez-cy de très-bonnes Vertuz.
« Vous voilà tous contents, s'écrie Solte-
« Folle, mais je ne Ja suis pas. — Que
« voulez-vous ? dit Abuz. — Je veux,
« répond-elle, qu'on fasse mon pilier, cela
« me paraît juste. — Et pour quoi faire ?
« réplique Abuz. — Comment , pour quoi
« faire ? répond-elle avec fureur ; peut-on
« s'en passer ? — Oui , répond Abuz ; et
« nous avons un magasin assez assorti pour
« pouvoir nous passer du reste. — Cela ne
« sera pas ainsi , ajoute Sotte-Folle, et vous
« n'aurez point de repos que je ne sois
« satisfaite. — Je vois bien , dit Abuz aux
« autres Sots, que nous ne saurions nous
« dispenser de faire ce qu'elle demande. —
« Allons, continue-t-il , en s'adressant à
« cette criarde, ordonnez ce qu'il vous faut.
« Voulez-vous fonder votre pilier sur Mo-
« destie , lui demande Sot-Dissolu. — Je
« n'en ai que faire, répond-elle. — Prenons
« donc Folie , dit Sot-Glorieulx. — Très-
« volontiers, réplique la Sotte. » Elle rebute
Cœur franc, Vergongne, Temoérauce , Sub-
(1018) El quà seure ance. Mots qui ne veulent
rien dire, ei employés seulement que pour faire une
rime avec assurance, qui se trouve au vers précé-
dent. On appelait ces sortes de vers équivoques, et
nos anciens poëies se faisaient un grand bonneur de
s'en servir, mais presque toujours au dépens du bon
sens.
(1019) Hone, onc, jamais.
jection et Faconde, pour prendre Despit,
Caquet, Variation, Faiblesse et Enraige-
ment. « Voici qui est bien à présent , » dit-
elle , lorsque tout est fini. I
SOTTE.
Voyons quieulx pjesses à ceste heure
Tout le pilier où j'ay acquesl?
Folye, Despil, et Qûaquet,
Variation, et puis Foiblesse,
Enraigement : bouc (1019) tel noblesse
N'eust femme du monde ancien.
« A présent , dit Abuz , nous aurons du
« repos. »
ABUZ.
Or sa, mes Sotz, que ferons-nous?
SOT-DISSOLU.
Gaudio (1020)
SOT-GLORIEULX.
Tuer
SOT-CORROMPU.
Gripper.
SOT-TROMPEUR.
A tous
Trancher du cousteau à deux vans.
SOT-IGNORANT.
A nous chasser de chalz huans.
« Pour moi, ajoute Sot-Dissolu, je pré-
« tends m'employer uniquement à faire
« l'amour à cette Sotte. — Cet honneur
« m'appartient, dit Sot-Glorieulx. — C'est
« plutôt à moi, » répondent promptement
Sol-Corrompu , Sot-Trompeur et Sot-Igno-
rant. Comme ils se disputent avec chaleur
Je cœur de cette nouvelle maîtresse, Abuz,
voulant prévenir le désordre, dit à Sotte-
Folle de faire un choix. « Je donnerai la
« préférence, répond-elle, à celui qui fer*
« plus beau saull. »
SOT-IGNORANT.
Jesaulte inieulx,
SOT-DISSOLU.
J'ay plus de biens.
SOT-GLORIEULX.
Pas ne suis vieulx.
SOT-CORROMPU.
A ma fin viens.
SOT-IGNORANT.
Je mayne joye.
sot-dissolu, tendrement.
Choisissant, ne diras-tu riens?
Helas! Sotte, soyc ma proye!
sotte-folle.
Or à brief parler je me octroyé
A qui plus soudain passera.
Parmi le trouz (1021) : celluy sera
(1020) Gaudio, au lieu de gaudi, se réiouir. On
dit aussi faire gaudion.
(1021) Pour entendre ce jeu de théâtre, il faut
remarquer quelle était la construction de ce bàii-
ment. Une grande table, que l'on appelait Confu-
sion, en faisait la base : dessus étaient élevés six
piliers en égale distance, et sur ces piliers on posait
une grosse boule de carton, que l'on appelait le
I54S SOT NOTICE SUR LE
Mon seul amy. Sus avanssez.
« Tous les Sots se mettent à courir , afin
d'obtenir un prix si beau: et Abuz les y
encourage.
»BUZ.
Or sus, sus, villains, à l'assault.
Que gainera doncques l'honneur?
TOUS.
Hay, avant.
« Comme ils font tous leurs efforts pour
passer, en se repoussant les uns les autres,
ils se débattent avec tant de violence qu'ils
font tomber l'édifice.
abuz voyant la ruine du Monde qu'il vient de
construire, s'écrie :
Adieu mon labeur.
TOUS.
Hé Dieu! tout s'en va par abysme!
« Ils veulent se plaindre à Abuz, qui
leur reproche qu'ils ne doivent imputer
leur malheur quà leur propre imprudence,
et que, pour les punir, ils vont retourner au
lieu d'où ils sont sortis , c'est-à-dire dans le
sein de la Confusion.
TOUS
Adieu, adieu.
(Us se retirent l'ung sa, et Vautre là.)
« Le Monde vient et treuve tout vuyde. »
Il moralise sur le sort de ces Sots qui vien-
nent de périr presque au moment de leur
naissance , et exhorte les assistants à pro-
fiter de cet exemple. Il finit par ces deux
vers.
Ce n'eut pas jeu que se fier au Monde ;
Bien esi deceu qui se fit en ce Monde.
Ensuite il supplie l'Assemblée de ne
pas s'offenser des traits satyriques répan-
dus dans cet ouvrage, qui, n'étant que
généraux , n'ont pour but que la correction
des mœurs et le dessein d'inspirer l'horreur
des vices.
Seigneurs el Dames de la ronde,
Si en riens vous avons lorfaici
Pardonnez-nous, car nul nieflaict
Ne prétendons ne l'aiz, ne diz.
A Dieu qui vous doinl Paradis. »
Deo gratins.
SOTTIE A DIX PERSONNAGES (La). -
La Sottie a x. personnages , iouée a Genève
en la place Motard , le dimanche des Bordes
l'an 1523, a été publiée, sous ces indication'
de lieu et de date, chez Pierre Rigaud;
c'est un livret de 48 pages.
On en trouve une réimpression aans la
collection Caron. (Voy. ce mot.)
SOTTIE IOUÉE, etc. (La). — Jn connaît
la Sottie iouée le dimanche après les Bordes
en 1524 , en la lustice... Petit in-8" de kS
pages, dont la Bibliothèque impériale pos-
Monde. Après cela on n'a pas beaucoup de peine à
comprendre que les sots, voulant passer tous en
même temps entre ces piliers, dont l'esp.icc n'est
Dictionn. des Mystères.
THEATRE LIBRE. SOU 1546
sède un exemplaire à la Réserve l't'l, Y).
SOTTIES (Les). — Les frères Parfait ,
dans le IIIe tome de leur Histoire du théâtre
français (p. 201) font les réflexions suivantes
sur les Sotties.
« Les sottises tendent à corriger les
vices... Au lieu que la moralité est une
espèce de sermon réduit en action et débité
sur un théâtre , au reste , long , ennuyeux ,
exprimé suivant la grossièrelé du siècle,
et dont le but est général. La sottise infini-
ment plus courte, badine et légère, vu \e,
temps où on les composait, ne s'altachait
qu'à critiquer un événement présent avec
la hardiesse que peut inspirer la protection
des rois, par l'ordre et l'autorité desquels
elle paraissait en public. Nous avons du
dans l'histoire des Enfants sans souci que
le règne de Louis XII, époque brillante pour
cette société, vit naître le plus grand nom-
bre de ces poèmes. Mais la licence un peu
outrée et les traits hardis que la politique
de ce prince leur avait permis causèrent sa
suppression. François i" , plus jaloux de sa
majesté et n'agissant pas par les mômes
motifs , commença par retrancher cette li-
berté , qui n'épargnait pas les princes et les
têtes couronnées , et que son prédécesseur
avait autorisée ouvertement. Dans la suite ,
les auteurs , n'osant se mêler des affaires de
l'Etat, se contentèrent de railler les parti-
culiers: ceux-ci se plaignirent, de façon
que, pour les satisfaire , les sottises eurent
le sort des autres pièces de théâtre, dont la
représentation fut défendue par l'arrêt du 17
novembre 15*8. La satire, qui en faisait le
principal mérite , doit servir à décider !a
question que l'on peut faire, pourquoi
d'un si grand nombre de ces pièces , il nous
en reste si peu? En effet, il y a apparem-o
que les personnes qui y étaient maltraitées
employèrent leur crédit pour en empêcher
l'impression , ou pour en supprimer les
exemplaires. Nous sommes fâchés que ceite
raison et le peu de curiosité de nos ancêtres
nous aient privés de la plupart de ces ouvra-
ges »
SOUPIERS (Les deux,. — Les deux Svu-
piers , farce nouuelle a y. personnages , cest
a scauoir :
LES DEUX SOUPIERS DE MOUILLE. L'HUYSIER.
LA. FEMME SOUPIERE. ET 1 ABU.
Cette farce date du commencement du
xvr siècle.
Elle est conservée dans le manuscrit de la
Bibliothèque impériale, fonds La Valhère,
n°63.
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel l'ont éditée dans leur Recueil de Farces
(Paris, Téchener, 1831-1837. k vol. petit
in-8°)
{Les deux Soupiers commencent par cet vers :>
LE PREMIER SOUPIER.
Je voys boire a la compaignye
pas assez grand, les renversaient, et par consé-
quent le globe qu'ils soutiennent.
49
LE SOURD.
SON VARLET.
*5*7 TOU DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
Puys.que nous sommes assembles
la soupière semant a table.
Compère, Die» vous en benye.
LE DEUXIEME SOUPIER.
Je voys boire a la compaignye
TRO
154*
ET L YVERONGNE.
Ainsy qu'un homme qui se nye.
LA SOUPIERE.
Vous aues les esprits troubles...
LE DEUXIEME SOUPIER.
Apporte, Han! Margot des blés
De la soupe, va, sans qu'on tarde...
SOURD ET V IVROGNE (Le). — Le Sourd,
son Varlel et l'Yverongne, farce a m. person-
nages , c'est a scauoir :
Cette pièce date du xvie siècle.
Elle nous a été conservée dans le manus-
crit de la Bibliothèque impériale, fonds La
Vallière, n° 63.
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel l'ont éditée dans leur Recueil de Farces
(Paris , Téchener , 1831-1837 , 4 vol. pet.
in-8").
Nous en extrayons le passage suivant :
... Yurongne et un sourd ensemble
Ne penlt durer; car l'un est sourd
Et l'autre longaige luy sourd,
Le sourd ne penlt pas bien oir,
El l'autre se veull resiouir...
TERENCE ET L'ENTREPRENEUR DE
SPECTACLES. — Voy. Entrepreneur de
SPECTACLES (L').
THARANTA (La).— Voy. Parasols (B. de).
THÉOCRITE. — M. Magnin croit qu'au
iv' siècle il y avait des représentations figu-
rées des idylles deThéocrite,qui se poursui-
virent jusqu'au xic siècle. (Cf. Revue des
deux Mondes, 1835, juin, La Comédie au iv'
siècle, p. 633-674.)
THÈOLOGASTRES (La Farce des). -
M. Georges Duplessis a dirigé la réimpres-
sion des Théologaslres, donnée en 1830 sous
ce titre : La Farce des The'ologastres a six
personnages, nouuellement imprimée iouxte la
copie; 1830, in-d de 31 pages.
Cette réimpression n'a été tirée qu'à 64
ex. , 50 sur papier vélin , 10 sur papier de
Hollande et 4 sur papier de couleur.
L'éditeur considère celte pièce comme
une violente satire contre la religion ca-
tholique. M. 0. Leroy partage cet avis. Ce
serait aussi une apologie des principes de
la Réforme , ou plutôt un petit manifeste
destiné à en propager les doctrines. Du
reste, on a remarqué aue ce livret était
pétillant d'esprit.
L'exemplaire imprimé, d'après lequel a été
calquée la réimpression , semble dater de
1500 à 1519.
TOUANEAU.DU TREU (La Farce de). —
Les frères Parfait, dans leur Histoire du
théâtre français (t. III , p. 189) , signalent
deux éditions de celte faree : l'une de 1514,
l'autre de 1595; l'une et l'autre ne sont con-
nues que par un renseignement qu'à la vé-
rité ils considèrent comme sûr.
TOUT, C H ASC UN ET RIEN. — Une réim-
pression de la farce de Tout, Chascun et Rien,
a été donnée par la Société des Bibliophiles
français, à Paris, chez F. Didot , 1828, gr.
in-8 de 20 pages, plus vin et 4 pages de re-
marques. Cette publication a été dirigée par
M. Monmerqué.
TOUT LE MONDE. — La moralité de Tout
le Monde, a iv. personnages, c'est a scauoir :
TOUT LE MONDE. LE DEUXIEME,
LE PREMIER COMPAIGNON. ET LE TROISIEME.
Cette moralité date du commencement du
xvr siècle
Elle est conservée dans le manuscrit de
la Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
n° 63).
MM. Leroux de Lincy et Francisque Mi-
chel l'ont éditée dans leur Recueil de Farces
(Paris, Téchener, 1831-1837, 4 vol. petit
in -8°).
La moralité de Tout le Monde finit par
ces vers :
Du monde le cerveau s'esvenle,
Par foys est dur, par foys est mol,
Sans aelles souvent preiil son vol,
Sans yeulx veull voir chose latente,
Dont conclnds, la chose est patente,
Qu'auiourd'huy toult te monde est Fol.
TRAGODOPODAGRA. '— On trouve le
TpoiyuiïonoSaypa. dans les diverses éditions de
Lucien et enfin dans celle de la Collection des
Classiques grecs de Didot. M. Guillaume Din-
dorf en a coilationné le texte sur trois ma-
nuscrits. (Préf. et p. 797.)
M. Edelestand Duméril cite cette pièce
dans ses Origines latines du théâtre moderne;
selon lui, elle n'aurait jamais été représen-
tée. (Cf. op. oit., p. 10, note 5.)
Si ce drame et VOcypus sont réellement
de Lucien de Samosate, qui vivait au second
siècle de notre ère, ils ne sauraient se rat-
tacher qu'à la décadence du théâtre païen.
TROC HEUR DE MARIS (Le). — Le Tro-
cheur de Maris, farce nouuclle a iv. verson-
nages, c'est a scauoir :
LE TROCHEUR.
LA PREMIERE FEMME.
LA DEUXIEME,
ET LA TROISIEME.
Cette farce date du commencement du xvi*
siècle.
Elle est conservée dans le manuscrit de
la Bibliothèque impériale (fonds La Vallière,
n° 63).
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel l'ont
éditée dans leur Recueil de Farces (Paris,
Téchener, 1831-1837, 4 vol. petit in-8°).
La licence du Trocheur de Marys, dans les
idées et les expressions, nous interdit toute/
citation.
TROP, PROU, PEU, MOINS. — Les frè-
res Parfait datent de l'an 1544 la farce do
Trop, Prou, Peu, Moins
4519
tbo
NOTICE SUR LL THEATRE LIBRE.
TRO
1550
« Ce titre, disent-ils, est aussi bizarre que
l'ouvrage. Peu et Moins semblent se moquer
de Trop et de Prou. C'est une allégorie de-
puis le commencement jusqu'à la fin. Le
seul début de celte farce pourra en donner
l'idée.
trop commence.
Qui voudra sçavoir qui je suis,
Descende au plus profond du puits,
El parlent à ceux qui plus liam chantent
A ceux qui courent d'huys, en huys,
El à ceux i|ui par un periuys
Les gens de Sarbalaue enchantent;
A ceux qui plus parlent, plus mentent;
A ceux à qui tout est rendu,
Et à ceux qui joyeux lamentent
Leur gain, ou quclqu'autre a perdu.
« Tout ie reste de celle farce est un tissu
de termes et d'idées aussi énigmaliques.
Mai-» nous ne nous y arrêterons p;is davan-
tage, ne voulant point entreprendre d'expli-
quer les allégories de la reine de Navarre,
auteur de cet ouvrasse. »
(1022) Selon M. 0. Leroy, le mystère de la Des-
truction de Troyes ferait allusion à la prise de Cons-
tantinople. (Cf. Epoques, etc., ch. 8.) — Quand
saint Ignace eut été béa li fit, les Jésuites de Barce-
lone donnèrent un ballet ambulatoire, dont le sujet
représentait les principales scènes du siège de
Troyes. (Cf. Notice sur les divertissemens... des
Français, dans la collection des meilleures disserta-
tions de Leber; Paris, 1858, in-8°, 20 vol., t. X,
15.)
(1023) Duverdier, p. 270 de sa Biblioth. francoise,
parle d'un livre intitulé La Destruction de Troye la
Grande, Abrégée en Rime; mais, comme il n'ajoute
rien de plu-, nous ne pouvons juger si c'était un
mystère abrégé de celui -ci.
(1021) Biblioth. de Sorbonne, in-fol. sur papier,
qui nous a été communiqué par M. Salmon, biblio-
thécaire de celle maison.
(1025) On trouve ces mots à la fin de ce manus-
crit. « Explicil la Destruction de Troye la Grand,
escriple de la main Messire Jehan Geneviere l'an
mil iiii°. lix, le xxviii. jour de Septembre. Signé,
J. Geneviere. >
(1020) Ceci se trouve à la fin du Prologue dans
les éditions de 1181 et 1198.
(1027) Quoique ce mystère ne soit ni le plus cu-
rieux, ni le mieux versifié de tous ceux dont nous
parlons, cependant c'est celui dont on trouve le
plus d'éditions. La plus ancienne est in-fol. gothi-
que, Dibl. de M. Barré, auditeur des Comptes, à la
dernière page duquel on lit ceci : c Cy fiuistl'lstoire
de la Destruction de Troye la Grant, mise par per-
sonnages par Maislrc Jacque9 Milet, et imprimée à
Paris par Jehan Bonhomme, Libraire de l'Univer-
sité de Paris le vu. de May mil quatre cens qualre-
vingtz cl quatre. >
Nous apprenons par la lettre que M. Bertrand,
avocai au parlement de Bretagne, a eu la bonté de
nous adiesser par la voie du Mercure de France
(décembre 1751, 1°' vol., p. 2b03), qu'il a entre ses
mains un exemplaire, édition de Lyon, in-lu conte-
nant 160 pages, à la fin duquel on lit : < Cy linist
la Destruction de Troye la Grant, mise par person-
nages, imprimée à Lyon par Maistre Guillôe le Roy.
Finée l'an mil cccc quatre-vingts et v. »
La troisième édition, qui est en même temps la
élus belle, est in-fol. gothique, contient 209 feuil-
TROYES (La destruction de). — Les frè-
res Parfait, dans leur Histoire du théâtre
français (t. II , p. 456) , ont donné sous la
date de 1450, l'analyse suivante du mystère
de la Destruction de Troyes (1022; :
LA DESTRUCTION DE TROIE (1023).
« Si l'on ignore la vie de l'auteur de cet
ouvrage, on sait au moins son véritable nom
et le jour propre qu'il l'a commencé. C'est
ce que nous apprend un manuscrit (1024)
de ce mystère écrit neuf ans après sa com-
position," du vivant môme (1025) de l'auteur,
à la tôle duquel on lit ce qui suit : Cy s'en-
suit Vlsloire de la Destruction de Troye la
grant , translatée de latin en franchois , mise
par personnages, composée par Maistre Jac-
ques Mirlel cstudiant es Loys en l'Université
d'Orléans , commencée l'an mil quatre cens
cinquante , le n* jour du mois de Septem-
bre (1026).
« Ce mystère, divisé en quatre journées,
peut contenir environ quarante mille
vers (1027*. Comme le poêle, à la réserve do
felsou 118 pages à deux colonnes, et finit "ainsi :
< Cy finisl ITstoire de la Destruction de Troye la
Grant, mise par personnaiges par Maistre Jacques
Milet Licencié es Loys, et imprimée à Paris le huy-
liesme jour de May, par Jehan Driarl imprimeur; à
l'enseigne des Trois-Pncelles; l'an mil quatre cens
quatre-vingtz et dix huit, i (Bibl. du Boy.) On y
voit aussi deux exemplaires, l'un sur vélin, avec de
très-belles miniatures, et l'autre sur papier.
L'auteur de l'apostille qui est à la tin de la lettre
de M. Bertrand, dont nous vêlions de parler (Mer-
cure de France, décembre 1751, Ie' vol., p. 2609),
nous indique une quatrième édition faite à Lyon,
en 1500, par Matthieu Ifuss, et ajoute qu'il s'en
trouve un exemplaire dans la bibliothèque de M. le
marquis de Calvière; mais il s'est trompé en don-
nant à l'auteur de cet ouvrage le nom «le Jean,
puisque nous avens prouvé qu'il portail celui de
Jacques. Peul-èire que celle édition le marque
ainsi, et en ce cas elle est fautive.
On eu trouve aussi une in-l° gothique, c impri-
mée à Paris le troiziesme jour d'Octobre l'an mil
cinq cens el huyt, par Michel le Noir libraire Juré en
l'Université de Paris, demouranlen la grant rue S.
Jacques à l'enseigne de la Roze Blanche couron-
née. » (Bibl. du Boy.)
La dernière édition où se trouvent quelques chan-
gements est de 1544. C'est un in-fol. contenant 185
feuillets caractères romains, dont voici le titre :
< La Destruction de Troye la Grant : le Bavisse-
menl d'ïleleine, faicl par Paris, Alexandre, compo-
sée en Rithme Françoise par Maistre Jehan de Me-
hun, premier Inventeur de Rhétorique Françoise :
avec les Prouesses, Noblesses, el Vertus du preux
Hector, la Damnable Trahison commise par les
Grecs; la Description de Fortune mobile et instable :
à la vérité nouvellement reveué el corrigée, el Irès-
diligcmmenl Ireduicle en la vraye Langue Fran-
çoyse, historiée d'Histoires nouvelles, contenantes
entièrement les faicls des Troyans et Grégeois. On
les vend à Lyon chez Denys de Harsy 1511 Fin
de la Destruction de Troye la Granl , mise en
Rithme Françoyse et selon le vray, ordonnée par
personnaiges, et de nouveau très-diligemment re-
veué et corrigée, imprimée à Lyon par Denys de
Harsy, l'an mpxuiii. > (Bibl. du Hoy.)
L'imprimeur, trompé par quelque manuscrit où
1551
TRO
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
TRO
i5M
quelques traits pris d'un livre intitulé His- cours de tous côtés. Cependant les Grecs
loires de Troye, a suivi Darès Phrygien (1028), font offrir Jpar Calchas un sacrifice à l'idole
auteur fort connu et dont il n'a fait quel- Apollo (1035). »
quefois que corrompre ou estropier les noms r r ■. , • T , , ~
propres; nous nous étendrons peu sur cet Cy mt la Premt%e *•«"»* de la Destrucl,on de
extrait. 7r^e la Gram'
PREMIÈRE JOURNÉE.
« Priam, voulant avoir sa sœur Exione
(1029) , retenue par Thélamon , ordonne à
Anlhénor d'aller en Grèce demander raison
de son enlèvement. Cet ambassadeur aborde
à Manise , ville capitale des Etats de Pel-
leus (1030), ensuite hSalamine, de là à Thaye,
séjour de Castor et de Poilus (1031) et enfin
à Pille (1032) chez le vieux Nestor ; et ne
pouvant rien obtenir d'aucun de ces princes,
il s'en retourne à Troie. Pour le consoler un
peu du mauvais succès de cette ambassade,
Paris raconte à son père qu'au printemps
dernier, un vendredi après dîner, il avait eu
envie d'aller à la chasse, et que s'étant égaré
dans les bois, il avait aperçu Junon, Pallas
et Vénus, et Mercure auprès d'elles, que ce
dernier lui avait ordonné de la part de Ju-
piter déjuger de la beauté des trois déesses,
Paris ajoute qu'après avoir balancé quelque
temps, il avait enfin décidé en faveur de la
mère d'Amour, qui lui avait promis la plus
belle femme de la Grèce ; et comme, conti-
nue-t-il, je compte fort sur la parole de cette
divinité, et que je me veux venger des per-
fides Grecs, j'ai résolu de passe* dans leurs
provinces. Priam , transporté de joie , fait
équiper un vaisseau à son fils, qui arrive
bientôt dans les Etats de Ménélas , dans le
temps qu'on célèbre la fête de Vénus Cy-
thérée. Paris va à son temple et y offre cent
écus. Hélène s'y rend aussi. Et sensible à
l'amour du fils de Priam , elle se laisse en-
lever par ce dernier, qui la conduit à Troie.
Cithéus va par ordre de Ménélas à Athènes
avertir le roi Agamemnon, qui mande aus-
sitôt les princes de la Grèce (1033).
« Achille, Pdirocle , Diomède , Ulysse,
Nestor et les autres arrivent en foule à Athè-
nes (1034.). Un marchand troyen , nommé
Sentippus, qui demeure dans cette ville, en
sort dans le moment, et court porter cette
nouvelle à Priam, oui aussitôt mande des se-
t! a trouvé peut-être ces deux lettres J. M , a cru ap-
Saremmenlque Jean de Meun, poète plus connu que
acques Milet, était auteur de cet ouvrage. Duvcrdier,
qui ne connaissait que celte édition, est tombé dans
la même faute, page 27G de sa Bibliotli. franc.;
mais Lacroix du Maine, p. 191, qui en possédait un
manuscrit, l'a évité Cependant, en parlant de Jean
de Meun (Idem, page 247), oubliant ce qu'il venait
de dire, il attribue à ce dernier la Destruction de
Troye.
(1028) Deux ouvrages portent le nom de cet au-
teur : l'un en prose latine, que l'on donne pour une
traduction de Cornélius Népos ; et l'autre un poème
en six livres, que l'on sait être de la composition de
Joseph Iscanns.
(1029) Hésione.
0030) Pelée.
(1031) Pollux.
(1032) Pylos.
(1033) Pendant la marche des onncev grecs, les
SECONDE JOURNÉE.
(Cy commence la seconde Journée de ïYstoire de la
Destruction de Troxje la Grant.)
« Palamède prend congé de son père Nau-
lus (1036) et va joindre les Grecs qui sont
campés devant Troie. Protésilaus perd la
vie dans le premier combat, dont l'avantage
demeure égal entre les deux armées. La
victoire demeure ensuite aux Troyens ; Hec-
tor tue Patrocle. Le roi Cédiron tombe
sous les coups du jeune Troïlus, et Thoas
est fait prisonnier. Basaac, un des soldats
de ce dernier, vient instruire Achille de la
mort de Patrocle et du malheur arrivé à
son maître. Pendant que les Grecs consul-
tent les moyens de se défaire d'Hector,
Priam de son côté veut faire pendre le roi
Thoas; son conseil empêche celte exécu-
tion. On donne un troisième combat, Achille
tue Philemenis (1037), et Diomède blesse
mortellement Sagittaire, soldat d'Epistropus,
roi allié de Priam; Ménélaùs se bat en duel
avec Paris, les deux partis les séparent, et
Anthénor demeure prisonnier des Grecs.
Agamemnon, prêt à le faire mourir, en est
empêché par les remontrances de son con-
seil, qui conclut unanimement à demander
une trêve, que Priam accorde.
(Lors se fera pause peur disner [1038].)
« Calchas vient trouver Agamemnon et
le prie que Briséïda, sa fille, prisonnière des
Troyens, soit comprise dans l'échange d'An-
thénor avec Thoas. Après bien des contes-
talions, le conseil de Troie accepte ces con
di lions, et l'amoureux Troïlus est obligé de
conduire lui-même au camp des Grecs la
belle Briséïda, dont il est tendrement chéri.
Ces deux amants se quittent les larmes aux
yeux. Diomède prend part aux douleurs de
la fille de Calchas, el bientôt devient son
amant. Dans un combat que les Grecs li-
ménestrels ou joueurs d'instruments, et les orgues
amusent les spectateurs. C'est ce qu'on observait
encore dans toutes les panses où les acteurs ces-
saient de parler.
( 1031) L'auteur suppose que cette ville est la ca-
pitale du royaume d'Agamemnon.
(1035) La prière récitée par Calchas est dans le
même goût de celle que fait le grand prêtre de Ju-
piter dans la seconde journée de Sainte Barbe, et
n'est qu'un composé de mots grecs et hébreux, la
plupart de l'invention de l'auteur, ou pris du Rituel
de l'Eglise.
(1056) Nauplius.
(1057) Pylémène.
(1038) Comme ces journées sont fort longues, et
qu'on voulait les représenter dans le jour, on faisait
une pause qui durait depuis environ midi jusque
vers les deux heures, que le spectacle recommen-
çait. Cela servait à donner le loisir aux acteurs et
aux spectateurs de prendre leurs repas.
155S
TRO
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
TRO
1351
Trent peu de temps après aux Troyens, [ce
prince arrache l'épée de Troïlus et l'envoie
par soi sénéchal à cette nouvelle maîtresse
qui lui promet une fidélité inviolable.
Achille tue Margarilon, bâtard do Priam, et
Boùetes, roi de Bretonnie. Hector sort des
portes de Troie, tue Prothénor et combat
avec Achille, qui le blesse ; le fils de Priam
combat ensuite contre Ajax, et pendant
qu'ils se reposent pour prendre haleine,
Achille vient par derrière Hector et le tue.
On porte le corps de ce dernier à Troie, et
Priam pleure cette perte, qui le fait ressou-
venir de celle de son fils Ganymède (1039^
que Jupiter a autrefois enlevé. »
TROISIÈME JOURNÉE.
« Achille profilant de la trêve de trois
mois accordée entre les deux partis, va
voir le superbe tombeau que Priam vient de
faire élever à Hector, et prier en même
temps les dieux pour l'âme du défunt. Hé-
cube, suivie de Polyxène, de Creuse, d'As-
çanius et d'Andromaaue, arrive aussi dans
le même dessein.
(Lors doit aller Acliilles parmy /'Eglise, et passer
trois ou quatre foyx pardevanl les dames, et en re-
gardant Polixenedu coing de tueil, puis se tire à
part.)
« Le héros épris des charmes de Po-
lyxène, envoie Basaac pour la demander en
mariage à Priam. Ce roi reçoit l'envoyé
d'Achille avec politesse, et cependant fait
marcher ses Troyens contre Palamides, qui
vient lui présenter bataille à la tête des
Grecs, dont il se trouve chef, sans qu'on
en sache la raison. Troïlus renverse Dio-
mède , et Palamides blesse mortellement
Déïphebus. Priam, pour venger son fils, fait
tomber Palamides, que Paris achève d'un
coup de flèche. Achille, craignant Déïphe-
bus, se retire ; mais la mort de ce dernier
le rassurant, il revient au combat; ses Myr-
midons entourent Troïlus, et donnent le
temps à leur maître de lui enlever la tète,
qu'il attache ensuite à la queue de son che-
val. Par une pareille surprise, il ôte la vie
à Ménon (Memnon [1040]).
(Pause pour disner.)
« Priam, sous prétexte de donner sa fille
Polyxène en mariage à. Achille, lu mande
dans un temple où il le fait ensuite assas-
(1059) Un » u leur capable de faire Briscïs fille
tic Galchas, peut bien croire Priam père de Gany-
mède.
(10-iO) Nos anciens Français , partisans des
Troyens, dont ils se croyaient descendus, ont tou-
jours parlé désavanlagciisenienl des Grecs, leurs en-
nemis. Dion Chrysosiome, quoique prévenu contre
Homère et son licros, est plus favorable à ce der-
nier, cl ne lui impute pas de si làcbes trahisons.
(Voyez Dion Ciirvsost., orais. 41.)
(1041) L'auteur, oubliant que suivant Darès
Phrygien, il a fait périr Ajax par la main de Paris,
le lait revivre dans celle quatrième journée, ci selon
Diclys de Crète, livre vi, attribue sa uiorl aux tfa-
fusons'd'Ulyssè.
[ïOii) Nous ne pouvons non? dispenser, en finis-
siner avec Archilogus (Anlilochus), fils de
Nestor, qui l'accompagne. Hélène, par ses
prières, empêche les Troyens de jeter le
corps de ces deux princes, et les fait ren-
dre aux Grecs. On donne ensuite un com-
bat dans lequel Paris et Ajax se donnent
mutuellement la mort. »
quatrième journée.
« Menélaùs va chercher chez Licomèdes
le jeune Pyrrhus, qui arrive au camp des
Grecs en même temps que Panlhésilée vient
au secours de Priam. Celte reine fait pri-
sonnier Ajax, fils de Télamon ; heureuse-
ment pour ce dernier, Uiomèdo le délivre.
Pour s'en venger, Panlhésilée fait tomber
Ménélaus et Pyrrhus, et sauve la vie à Po-.
lydamas, que les Myrraidons sont prêts de
massacrer; mais bientôt cette princesse se
voit environnée par ses soldats, et Pyrrhus
lui fait perdre la vie. Priam pleure et s'ar-
rache la barbe ; Anchise, Enée, Anthénor et
quelques autres lâchent de l'engager à de-
mander la paix; mais en vain ce malheu-
reux roi rejette leurs conseils, ce qui irrite
ces princes à un tel point, qu'ils complotent
entre eux de livrer la ville. Calchas donne
l'idée du fameux cheval de bois, qu'Apius
(Epéus) se charge de construire. Priam con-
sent qu'on le fasse entrer dans Troie ; et les
Grecs, par ce moyen, s'élant rendus maîtres
de cette ville, en massacrent tous les hati-
tanls, sans épargner le roi même. Polyxène
est sacrifiée sur le tombeau d'Achille; Hé-
cube, devenue furieuse par ce nouveau mal-
heur, se jette comme une insensée sur le*
Grecs qui, pour se délivrer de ses morsures,
l'assomment à coups de pierres et enseve-
lissent son corps dans l'île de Pleur. Lors-
que les Grecs sont prêts à s'embarquer ,
Ajax, s'appuyantsur les services qu'il a ren-
dus, demande le Paladin (Palladium), que
l'on accorde cependant à Ulysse. Ajax va
se coucher dans sa tente, en exhalant de
grandes menaces contre ce dernier (1041;.
Le lendemain on le trouve mort dans son
lit; et Ulysse, craignant d'èlre soupçonné du
cette mort précipitée, s'enfuit la nuit sui-
vante. Agamemnon ordonne aux princes
qui ont livré la ville de Troie do sortir
promptement du pays, et remonte dans ses
vaisseaux. Enée s'embarque pour l'Italie et
Anthénor fait voile vers les îles des An-
glais (1042). »
sanl cet extrait, d'ajouter la noie qui se trouve à la
lin du manuscrit de la bibliothèque de Sorbonne.
dont nous avons déjà parlé. Elle plaira sans doute
par la singularité des laits qu'elle nous apprend, et
que l'on chercherait vainement autre part. La
voici : « Le Siège que les Grégeois lindrenl devant
Troye la Grand, dura par l'espace de x. ans, ix. mois.
cl vin. jours : el y eult de gens mors lant de
Troye, comme de Grèce la somme de x vu mille,
el ix cens : et y avoit en la ville de Troy *.xxu
Rois, sans le Roy Priam, qui csloil Seigneur de
tous : et devant tenant le Siège y avoit lx Rois,
donl Agamemnon esloit le Gouverneur el principal
pardessus; et avoit ladicie Ville xl. lictiés de long
et vin. de large. >
1555
VEN
DICTIONNAIRE DES MYSTERES.
VIL
1556
TURLUPIN. — U y a eu au xvi" siècle
une édition de Turlupin, sous ce titre : La
Tragi-Comédie des Enfants de Turlupin, mal-
heureux de nature. Rouen, Abr. Cousturier.
M. de Montaran a réimprimé cette farce.
— Voy. Collection Caron et Recueil i>b
LIVRETS PAR M. DE MONTARAN.
VEAUX (La Farce des). — La Farce des
veaux iouée devant le roy en son entrée a
Rouen, est conservée dans le manuscrit du
xvie siècle de la Bibliothèque impériale,
fonds La Vallière, n" 63; elle a été éditée
dans le Recueil de Farces de MM. Leroux de
Lincy et Fr, Michel. (Paris, ïéchener, 1831-
1837, 4 vol. pet. in-8°.) —Commencement:
le recepceur commence.
Monsieur, ie me viens prendre à vous
Que les veaux ont mengé les loups...
Fin :
LE BADIN.
Payes .a disine....
Sy n'estes de payer dispos
Vous seres certes cou ira nos.
VENDEUR DE LIVRES {Le). — La farce
ioyeuse a m personnages, c'est a scauoir :
UN VENDEUR DE LIVRES.
LA PREMIERE FEMME.
LA DEUXIEME FEMME.
est conservée dans le manuscrit du xvi*
siècle de la Bibliothèque impériale, fonds
La Vallière, n° 63; MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel l'ont éditée dans leur Recueil
de Farces (Paris, ïéchener, 1831-1837, 4
vol. pet. in-8°).
La farce débute par le cri des colporteurs
de livres au xvi' siècle ;
Liures, liures, liures!
Chansons, balades et rondeaux !
Pen portes a plus de cent liures.
Liures, liures, liures !
Venes losl que ie vous en liures,.
lamais n'en vistes de si beaux.
Liures, liures, liures!
Chansons, balades et rondeaux î
La Farce Ieninaux Fiseaux
Le Testament Maistre Mymin
Et Maistre Pierre Palhelin,
Et les Cent Nouuelles nouuelles...
Le Trespassement Sainct Bidault
La Vie Saincte Perenclle,
La Chanson de la Peronelle,
La Vie monsieur Saint Francoys,
Le Confiteor des Angloys,
Le Trespassement de la Royne,
Auec la Gesine de Saines,
Et l'Obslinacion des Souyches...,
La Propriété des Rubys,
Auec la Nature des Pierres,
Le Deuis des Mers et des Terres,
Aueques le Dict des Pays...,
.... Le Roman de la Roze;
La grand Farce,
Des Femmes qui ont la langue arse,
Quant ilz blasonuenl leurs marys...,
... Les Regretz des Marys...,
.... Le Viel Testament
.... La Prophecie de Balaan
Le Sacrilïice d'Abraham,
Le Ingénient de Saloinon... .
,,,, Les beaux Dix des sains
Les Diz rimes
De mariage qui se plaincl...
J'ey le Deuis des grans habis,
Des chaynes, carqueus et rubiz..
l'ay le Voyage des Fumelles
Qui s'en vont a Bonnes-Nouvelles...
Vouecy la Farce Jehan Loyson
El le Testament Pierre Maistre...
.... La Chanson du petit Chien...
Vouecy le Romant de ces Femmes
Qui sont deux ou troys iours perdus...
La Vie Saincte Agnes...
Vouecy l'Acte des Jehannes...
Le Doctrinal
Mes Chamberieres ou Mequines...
Vouecy le Livre sans reproche
De ceulx qui se vont estaler
A Notre Dame...
Vouela le Contredit
De la Chanibeiiere et du Preslre...
De Lue et de Noe le bel Assault...
La Dame et le Dismage,
I^es Femmes qui ont le iillel...
Les Mal-Contentes...
Les Fieux et Renies
Les Filles nouuelles rendus,
La Farce des Nouueaux Pouus...
Ce curieux catalogue n'a pas été re-
marqué.
VENTRE (Le). — La Moralité joyeuse a
un. personnages, c'est a scauoir :
LE VENTRE.
LES ÏAMBES.
LE COEUR.
LE CHEF.
est conservée dans le manuscrit du xvi*
siècle de la Bibliothèque impériale, fonds
La Vallière, n° 63; elle a été éiiitée par
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel dans
leur Recueil de Farces (Paris, ïéchener,
1831-1837,4 vol. pet. in-8°).
LE VENTRE.
C'est moy qui donne aux membres vye,
El sans moy tout membre desvye,
Sans moy plaisir ne prend ie cœur :
Chef, bras, iambes mes en vigueur
Quant ie suys remply et noury;
Se ne suys plain, tout est mary...
VIEIL ET DU JEUNE (Le débat du). -
On trouve le Débat du Vieil et du Jeune
dans les Poésies des xvc et xvr siècles, pu-
bliées d'après des éditions gothiques et des
manuscrits. (Paris, Silvestre, imprimerie de
Crapelet, 1832, gr. in-8°, caract. goth.)
Roquefort (Etat, etc. p. 265) et M. l'abbé
Delarue {Essais... p, 189) ont cité une pièce
analogue des trouvères anglo-normands,
sous le titre de Petil-Plet.
VILLAGEOISE (La).— Les frères Parfait,
dans leur Histoire du théâtre françois { t.
111, p. 145), ont donné, sous la date de 1536,
J'analyse de la Villageoise.
Le titre est ainsi conçu :
D'une pauvre Villageoise, laquelle oyma mieux
1557
VIL
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
ML
1558
avoir la teste coupée par son Père, que
d'estre violée par son seigneur : faietc à la
louange et honneur des chastes, et honnes-
tes filles, à quatre personnages (10i3).
a Un seigneur de village arrive sur le
théâtre, accompagné de son valet, et fait en-
tendre à ce dernier qu'il est de complexion
amoureuse. Le valet dit qu'il connaît Es-
glantine, fille du pauvre Crouxmoulu.
LE SEIGNEUR.
Son père est a nioy tenu,
C'est ung des hommes de ma Terre,
Et mon mon subjecl. Va tosl l'enquerre,
Si d'elle on pourroil finer.
Dy luy, s'elle vient en ma serre,
Qu'après la ferai marier
Si bien, qu'elle pourra porter
Sainlure d'or, robbes fourrées,
El lousiours granl estât mener.
« Le valet court chez le bonhomme Croux-
raoulu, tire en particulier sa fille, et lui dit
Je sujet de sa commission. Esglanline re-
jette avec horreur la proposition, e>[ défend
eu valet de se présenter devant elle. Ce der-
nier, après avoir rendu compte à son maître
du mépris qu'on a marqué pour ses pré-
sents, retourne encore une fois vers la ver-
tueuse fille, et, voulant l'emmener de force,
elle appelle son père, qui jugeant aisément
que le seigneur n'a d'aulre intention que
Je déshonorer sa fille, menace le valet de
lui décharger sa coignée sur la tête, s'il no
se retire. Le valet s'enfuit, et dit au seigneur
ce qui vient de se passer. Ce dernier forme
sur-le-champ la résolution d'aller lui-même
enlever Esglanline, et de maltraiter le père
de celte fille
LE SEIGNEUR il SOU Valet.
Tiens, prens ce fer rouge moulu ;'
Je porterai mon bram (1044) d'acier;
Foy que je doy à saint Ricbier,
Il aura des coups plus de cent.]
« Le seigneur et son valet entrent dans la
cabane du bonhomme Crouxmoulu.
LE SEIGNEUR.
Vilain de rude entendement,
Qui te meut d'estre si bardy,
D'uffencer mon commandement .
Battu seras présentement :
Tien. (// frappe le père.)
le valet se mocquanl de Groux moulu.
Ta coignée n'est pas icy?
LE PERE.
Ah ! Mon Seigneur, pour Dieu mercy.
LE SEIGNEUR.
Merry, coquin? Vous y mourrez,
De coups aurez le corps noircy.
LE PERE.
Mon cher Syre, vous me tuez.
I.SCLANTI.1E.
Ah, mon Seigneur, pour Dieu, mercy.
« Esglanline voyant qu'elle ne peut éviter
de suivre le seigneur, sejetleà ses pieds
ESGLANTINE.
Seigneur, je vous requiert un don,
Pour Dieu, qu'il ne soil contredit.
(1013) A Paris, chez Simon Caluarin. De 38 pa-
çcs. - La Villageoise a clé réimprimée à la lin du
le SEir.Ni.tn.
Quel don ?
ESCLANTINE.
Une heure de respit.
LE SEIGNEUR.
Cela ! et que vous peut-il faire?
ESGLANTI.NE.
Je vueil à mon pore un petit.
En secret conter mon affaire.
LE SEIGNEUR.
Point ne vueil voslre gré deffaire.
Je suis content de l'accorder ;
Mais gardez devers moy meffaire.
« Esglanline se relire dans une chambre
avec son père, et le conjure de lui conser-
ver son honneur en lui coupant la tête. Le
seigneur écoute cela à la porte.
LE SEIGNEUR.
Je suis icy près à l'escoule,
Mais j'ay de ce que j'oy pitié.
« Quelque répugnance que sente le père
à devenir l'homicide de sa fille, il aime ce-
pendant mieux commettre ce crime que de
la voir déshonorée. Alors le seigneur le
voyant prêt d'exécuter là prière de sa filie,
ouvre la porte de la chambre et arrête lti
coup
ESCLANTINE.
Ah! Mon Seigneur, vous avez tort;
Vous rengregez mon desconforl.
J'ay requis en pileux langage
Mon père de moy descoller.
Cher Seigneur, vous devez garder
Vossubjeclz, par voslre prouesse,
Et vous me voulez me diffamer,
Tour un peu de folle jeunesse;
Parquoy desconforl tant me blesse,
Que j'ayme mieux mon teins conclure
Maintenant honneur, et sagesse,
Qu'eslre addonnée à telle ordure.
LE SEIGNEUR.
0 vénérable créature,
Sur tomes bonnes la régenle
Je renonce à ma folle cure;
Pardonnez-moy, pucelle gente .
Levez-vous, sus tosl, excellente,
En vertu, la source el fontaine,
De chasteté la fleur régnante
Et en vous d'odeur souveraine.
Ma fresle jeunesse humaine
Mais voslre constance certaine
M'en faicl avoir compassion.
(// prenl une couronne, ou chapeau de fleur», et luy
tnel sur la tète, en disant .)
Or vous aurez pour décoration
De chasteté, celte noble couronne.
Sur voslre chef; pour compensation.
Très-haullement icy vous en couronne.
le valet aux spectateurs.
Bien va à qui bien s'adonne :
Pucelleites, regardez-y.
« Le seigneur assure le père de son ami-
tié, et l'affranchit lui et sa fille de tous
droits et servitude. Après de grands remtr-
cîments de la part d Esglanline et de son
Min* siècle par Caron. — Yoy. Collection Cahon.
(10i Si Espèce de sabre.
1359
l'ère ,
le
ADA
dernier Cnit
DICTIONNAIRE DES MYSTERES
ainsi la moralité :
DAN
1560
le pere aux spectateurs.
Prenez en gré la simple eslude
De ces molz simplement touchez :
La matière est similitude
Pour bonnes filles, et sachez
Si les molz ne sont bien couchez.
Nous prierons le doux examen,
Que nous soyons tous mieux logez
En paradis : dites Amen. »
VITAL DE BLOIS. — La Notice sur Vital
de Blois de YHisloire littéraire de la France
(t. XV, 1820, p. 428) ne lui attribue que le
Querolus, ou Aululaire, poème composé d'a-
près l'ancienne pièce datant du temps de
Théodose et d'Honorius, dont l'auteur est
resté inconnu. — On a de lui le Geta ou
Amphitryon. — 11 vécut au xti* siècle.
VOSACUS ET RHENUS (Dialogue de).
— M. Edelestand Duméril remarque, dans
Ermold Niger, le Dialogue de Vosacus et de
Rhenus. Assurément il n'y a point là une
action dramatique, mais la tendance du
moyen âge à tout dramatiser y est forte-
ment marquée. (Cf. Origines latines du théâ-
tre moderne; Paris, 1849, in-8°, p. 3.)
VULCAIN (Le jugement de). — Dans son
cours professé à la Faculté des lettres en
1335, M. Magnin signalait le Jugement de
Vulcain comme une petite pièce rangée à
tort dans les Anthologies parmi les églogues,
et jouée probablement dans les festins par
un seul acteur entre les V et vu* siècles.
(Cf. Journ. gén. de l'Instr. pub t., 1835, 15
mars, p. 178.)
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
.4 BBESSE GROSSE DE SON CLERC (L). —
VAbbesse est un des drames conservés dans
le manuscrit des Miracles de Nostre-Dame,
W 7208, 4 A, de la Bibliothèque impériale.
11 y est intitulé: Cy commence un miracle
de Nostre-Dame , comment elle délivra une
abbesse qui estoit grosse de son clerc.
Cette pièce est restée inédite.
Malgré les sévères instructions d'un pré-
dicateur, dont le sermon coupe les premières
scènes du drame, l'abbesse et son clerc ont
failli. Une des sœurs, dont la malice vigi-
lante a surpris ce secret, en réfère à l'évoque
du diocèse, et le couvent tout entier se ré-
volte contre sa supérieure. Le désordre est
au comble. La cour épiscopale ouvre une
enquête, une épreuve est faite, l'innocence
de l'abbesse est avérée. Nostre-Dame elle-
même est venue à son aide. Mais l'abbesse
coupable confesse à l'évêque et sa faute et
le secours divin qu'elle a obtenu. Frappé
de ce miracle, le saint homme donne l'ab-
solution à cette mère désolée, et fait élever
l'enfant dont la délivra Nostre-Dame.
ACHILLE (Saint). —Le mystère de Saint
Achille fut joué en 1524, à |Valence. (Cf.
Ollivier, Essai sur Valence, p. 154 et 311.)
— \ oy. Saint Félix et Saint Fortunat.
ADAM. — Un manuscrit du xive siècle de
la Bibliothèque de Bouen, n° 48, 29 Y, non
paginé, contient une sorte de commémora-
tion dramatique du Paradis Perdu: le mer-
credi des Cendres on chassait les pénitents
publics de l'Eglise, en chantant un verset
commençant par ces mots : Ecce Adam. (Cf.
deLafons-Mélicocq, Annales archéologiques,
t. VIII, p. 80-82. Èdel. Duméril, Orig. lat.
du th. mod.; Paris, 18V9, gr. in-8°, p. 48, note 1.)
ADAM D'HALBERSTADT. — Cf. Schmi-
dius, Dissertatio de Adamo Halberstadiensi
in die Cinerum execclcsia ejecto ; Helmstadt,
1702, in-4\
ANNONCIATION. — M. de Lafons-Méli-
cocq, dans les Annales archéologiques (t. VIII,
p. 161), cite un inventaire de l'église cathé-
drale de Noyon, où ligure un costume d'un
acteur du Mystère de l'Annonciation.
APPARITION.— VApparitionse retrouve
en Angleterre dans la 19* pièce du Chester
Whitsun plays, dans la 25' des Towneley
mysteries, et dans la 38' du Ludus Coventriœ.
— En Espagne, on a un auto de Juan delà
Encina, composé en 1494.
AGNÈS (Mystère deSte). — H est sorti des
presses de Sermatelli à Firenze en 1592 un
mystère italien de Ste Agnès (S. Agnesa).
C
CAliMENTRANT (Le testament de). —
Abi'xdasce (Jean d'). — Le testament de. Car-
mentrant a vm personnages : c'est assauoir :
CARMEN TRANT,
ARCH1EPOT,
TYKELARDON,
LECHEFROÏE,
CARESME,
HARENSOCRET,
TESTEDAULX,
OGNIONS.
(A la fin) : Finis compose par Abundance
h grant haste; pet in-8° de 8 feuil.
CHRIST SOUFFRANT. — M. Edelestand
Duméril (Origines latines du théâtre moderne;
Paris, Franck, 1849, in-8°, p. 10, notes 1, 2),
a adopté sur le Christ souffrant l'opinion
exprimée par M. Magnin que ce drame est
de plusieurs auteurs.
M. Sehack [Geschichte der dramatischen
literatur und Kunst in Spanien, t. P', p. 23)
est d'avis que cette pièce fut déclamée dans
les églises le vendredi saint. M. Edelestand
Duméril {Ibid.^ s'est rangé à cette opinion.
CRÉATION DU MONDE (La). — Le mys-
tère Kvmri, intitulé La Création du monde
et le Déluge, a été publié en 1827 par M. Da-
vies Gilbert. Il ne remonte, dans sa forme
actuelle, qu'à 1611. (Cf. Edelestand Dumé-
ril , Origines latines du théâtre moderne •
Paris, 1849, in-8°, p. 34.)
D
DANIEL d'Hilaire. —M. Edelestand Du-
méril, dans ses Origines latines du théâtre
moderne (Paris, 1849, in-8% p. 35) cite le
Daniel d'Hilaire.
iseï
JAC
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
m;s
i'oGI
DAVID (La vie de saint). — Voy
(Mystère de sainte).
E
ENFANT PRODIGUE (L*). — L'Enfant
prodigue fut joué en 1563 à Béthunc par les
« compaignons du serment de Saint-Mi-
cbiel. » (Cf. de Lafons-Mélicocq, dans les
Mélanges hislor. , publiés par M. Champol-
lion-Figeac, t. IV, p. 327.) Il y avait été
représeuté dès 1532 (/&., note 4-.)
F
FELIX (Saint).— M. Ollivier (Essai sur
Valence, p. 154 et 311) a publié des Lettres
patentes du 10 février 1524- dont nous ex-
trayons le passage suivant:
« Les manans habitans de la ville de Va-
lence, pour préserver et garder leur ville
des pestes et autres maladies et inconvé-
niens, et la tenir en prospérité et en sancté,
dès longtemps ont, par us, ancienne et loua-
ble coustume et observance accoustumée,
de vingt-cinq en vingt-cinq ans ou autre
temps limité, joué ou fait joué l'ystoire
des glorieux saincts martyrs Félix, Forlunat
et Achille, desquels les corps reposent en
icelle ville. »
FEMMES QUI ONT LA LANGUE ARSE
(Les). — Farce du xv' siècle, connue seule-
ment par le cri du Vendeur de livres. — Voy.
ce mot.
FORTUNAT (Saint). — Le mystère de
Saint Forlunat fut joué en 1524 à Valence.
(Cf. Ollivier , Essai sur Valence, p. 154 et
311. — Voy. Saint-Félix et Saint-Achille.
G
GUERRE ET LE DEBAT (La). — Farce
attribuée à Jean d'Abundance.
H
HOMME HUMAIN (L'). — M. de Lafons-
Mélicocq, dans les Annales archéologiques
(t. VIII, p. 159) fait mention d'une moralité
de V Homme humain.
Le même auteur, dans des extraits de
chartes, qu'a publiés M. Champollion-Figeac,
dans les Mélanges historiques (t. IV, p. 325)
qui font partie delà Collectionaes Documents
inédits, revient sur ['Homme humain. Cette
moralité fut jouée en 1526 par les vicaires
de Saint-Bélremieu.
HKOTSW1THE.— M.Edélestand Duméril,
dans ses Origines latines du théâtre moderne,
(Paris, 1849, in-8u, p. 15-19] et auparavant
dans le Journal des Savants ae Normandie, a
soutenu l'opinion que le théâtre de Hrots-
uilha n'avait jamais été représenté. Il donne
déco sentiment très-bizarre ces singulières
raisons, que, dans le manuscrit, le théâtre
est intitulé premier livre, et les légendes qui
le suivent second livre; les didascalies man-
quent; l'exclamation exparefed'Andronique
pourrait être lue expave le, etc.
Nonne frères pélerinsdu diclsaint, en l'année 1596;
JACQUES (Saint,. — Bardon de Brun (B.'j,
Sainct-Jacques, tragédie (en 5 actes et en
vers) représentée à Limoges par les con-
FIN DU DICTIONNAIRE DES MYSTÈRES.
Limoges, par Hugues Barbou, 1596 : petit
in-8°. Celte pièce rare secompose de 180 pp.
non compris 12 ff. prélim. (Brunet, Manuel
du libraire, au mot Bardon )
JEHAN LOYSON. — Farce au xv siècle,
connue seulement par le cri du Vendeur de
livres. — Voy. ce mot.
JULIEN (L'empereur). — M. Edélestand
Duméril, dans ses Origines latines du théâtre
moderne (Paris, 1849, in-8°, p. 305-354) a
édité le Mystère de l'empereur Julien et de
Libanius, son sénéchal, d'après le manuscrit
de la Bibliothèque impériale, n° 7208, 4, A,
fol. 127, verso.
L
LAURENT (Saint).— Un mystère de San
Lorenzo, composé au xvi*siècle,a été imprimé
à Firenze, chez Sormatelli, en 1592.
LAZARE (Le). — Le Lazare, morale à vi
personnages c'est à scauoir:
Le Lazare. tare.
Marte, seur du Lazare. Marye Madslaine, el se?
Iaçob, seruiteur du La- mii\ selrs.
LEGER (Saint). — La vie de Saint Legier
fut jouée à Bétnune, lors de l'éleelion de
Charles-Quint comme roi des Romains. (Cf.
de Lafons-Mélicocq, dans les Mélang. hist.
publ. par M. Champollion-Figeac, t. IV,
p. 329.)
M
MARTIAL (Saint). — Un Miracle du bien-
heureux saint Martial fut joué pour la pre-
mière fois en 1290, et pour la seconde <m
1302 par les bourgeois de Cahors, dans ie
cimetière et près de la croix de pierro con-
sacrés au dit saint. (Cf. l'abbé Legros, Mé-
langes Manuscrits, t. I", parmi les manus-
crits de la Bibliothèque du grand séminaire
de Limoges.)
N
NEMO. — Les grands et merveilleux faits
de Nemo , farce attribuée à Jean d'Abun-
dance.
NOUVEAUX PONUS [Les).— Farce du xV
siècle, connue seulement par le cri du Ven-
deur de livres. — Voy. ce mot.
P
PATES OUAINTES.— La farce des Paies
Ouainles, pièce satirique, représentée par les
écoliers de l'université de Caen, au carnaval
de 1492; publiée d'après un manuscrit con-
temporain, par T. Bonnin , Evreux, 1843,
gr. in-8% pap. de Hollande.
Q
QUINZE SIGNES (Les).— Farce attribuée
à Jean d'Abundanco.
R
RÉSURRECTION DU SAUVEUR. - Un
mystère de la Résurrection du Sauveur, en
prose, s'est rencontré dans un manuscrit du
xv' siècle, parmi ceux de la b bliolhèque de\
la reine de Suède , déposés au Vatican,
ir 1728, in-4% papier. (Cf. Paul Lacroix,
Notices... dans les Mélang. histor. publ. par
M. Champollion-Figeac, t. III, p- 282, Coll.
des Doc. inéd. rcl. à t'Hist. de Fr.)
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Avant-Propos
Sentiments de église relativement au théâtre.
I. Canons des saints Conciles.
II. Ecrits des saints Pères.
9
17
17
51
Abraham. — x' siècle. — Opinion de M. Magnin'sur ce
drame : id. de M. 0. Leroy ; traduction de la pièce. 67
Abraliam et Isaac. — xu' siècle. — Mention de M.
l'abbé de Larue ; ce drame est-il celui mentionné par les
frères Parfait? (Voy. Vieux Testament.) 78
Abundance (Jean d'). — xu' siècle. — Duverdier, les
frères Parfait. 78
Abus (Farce d' ). — xu' siècle. — A pour auteur Grin-
goire. Analyse de M. 0. Leroy. 78
Actes des apôtres. — xv' siècle. — Manuscrits. Opi-
nions de Lacroix du Maine. Lassay, Catherinot, Bayle, les
frères Parfait, et de MM. Sainte-Beuve, Magnin et 0.
Leroy ; (ompte rendu des frères Parfait. 79
Adam. — ix' siècle. — Manuscrit, éditions, Grabe , M,
Boissonnadé, M. Dùbner ; critique du sujet par M. Ma-
gnin ; traduction de la pièce. 107
Adam d'Albersladt, tradition reproduite par M. Magnin.
110
Adam et Eve. — xiv' siècle. — M. Magnin. 110
Adoration des mages. M. de Moléon. 110
Agapes. — î" siècle. — Baroiiius, Séverin Binius, M.
Magnin. 111
Alléluia (L'). — vu' siècle. — Héric, l'abbé Lebeuf,
Du Cange, le Mercure de France, Du Tilliot. 111
Amis et Amille. — xiv' siècle. — Manuscrit, édition de
MM. Monmerqué et Fr. Michel ; version française du
mystère. 112
Amitié bannie du momie (L'). — xu' siècle. — A pour
auteur Théodore Prodrome ; n'a point les caractères d'une
pièce religieuse; citation d'après M. Magnin. 135
Ancien Testament et la Passion (V ). — xve siècle. —
M. Paulin Paris. 153
Andrieu. ( Les jeux de monsieur saint). — xv' siècle.
— M. Louandre. 136
Andry (S.) — xu' siècle. — De Beauchamps, les frères
Parfait, la Bibliothèque du théâtre]françois ; compte rendu
des frères Parfait. 136
Ane ( La fête de l'âne). — vu' siècle. — Du Cange,
Du Tilliot, M. Magnin; ordre de la procession selon l'u-
sage de Rouen; chant de l'Ane; traduction reproduie
par Leber. 158
Aneau ( Barthélemv ). — xu' siècle. — Frères Parfait.
142
Annonciation de la Vierge. — xive siècle. — MM. Bay-
nouard, Magnin. 143
Anti-Christ (L'). — xu* siècle. — Manuscrit, édition,
opinions de Muratori, de Martin Gerbert; M. Magnin, M.
Achille Jubinal; fonds du sujet; analyse. 144
Apocalypse Mystère de 1' ). — xvie siècle. — Edition,
De Beauchamps, la Bibliothèque du théâtre [rançois, M.
Sainte Beuve ; analyse des frères Parfait. 147
Apparition de Noire-Seigneur Jésus-Christ. — xne siè-
cle.— Manuscrit de Saim-Benoit-sur Loire; traduction
du mystère. 150
Apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ à deux dis-
ciples dans le bourg d'Emmaiis (Mystère de 1"). 151
Apparition de S otre-Seigneur Jésus-Christ (L'). — xu'
siècle. — Auto de Pedro Altamira. 133
Archidiacre (Miracle de 1' ). — xrr' siècle. — Mystère
inédit. 134
Arrivée de l'époux (Mvstère de 1'). Mention inexacte.
158
Ascension (L'). Fausse indication. 138
Assomption (Mystère de 1'). — xv»' siècle. — Mention
de l'abbe de Larue. 139
Assomption (Mystère de 1'). xu' siècle. — Duverdier,
de Beauchamps. la Bibliothèque du théâtre (rançois ; ana-
lyse des frères Parfait. 139
Assomption (Moralité de 1' ). — xu' siècle. — De Jean
Parmentier; analyse des frères Parfait. 161
Avennir (Le Roi). — xv' siècle. — De Jean du Prier;
opinions de de Beauchamps, de la Bibliothèque du théâtre
Conçois ; analyse des frères Parfait 163
Barbe (Mystère de sainte). — xv' siècle. — Mentions
de de Beauchamps, de la Bibliothèque du théâtre françois ;
opinions de MM. 0. Leroy, Paulin Paris ; analyse des frè-
res Parfait. 169
Barbe (Mystère de sainte ). — xvi' siècle. — Erreur de
la Bibliothèque du tliéàtre (rançois; Duverdier; analyse
des frères Parfait. 196
Bauteuch (Sainte). — xiv' siècle. — Manuscrit, édition
de MM. Ed. Frère, Achille Jubinal et Leroux de Lincy;
analyse du mystère. 198
Benoit sur Loire (Manuscrit de Saint-). — xiu' siècle.
— Indiqué par Du Cange, l'abbé Lebeuf, les Bénédictins,
publié par MM. l'abbé La Bouderie et Monmerqué, par
M. Wright en Angleterre; mentionné par MM. Magnin,
0. Leroy, Ach. Jubinal, Chabailles et Dessales; drames
qu'il contient. 200
Bernard (Saint). — xu' siècle (?) — Mention de de
Beauchamps. 201
Bien-avisé et Mal-Avisé. — xv' siècle. — De Beau-
champs, la Bibliothèque du théâtre françois; opinion de
M. Sainte-Beuve ; analyse des frères Parfait. 201
Blaspliémateurs (Les). — xu' siècle. — Duverdier, de
Lacroix du Maine , de de Beauchamps, la Bibliothèque du
théâtre françois; réédition de la Société des Bibliophiles,
extraits de Dibdin ; autre réimpression aux fraisdu prince
d'Essling; analvse incomplète de M. 0. Lerov; ana-
lyse. 212
Bodel (Jean), auteur du Théophile. — xif siècle. —
Erreurs de M. 0. Lerov, relevées par M. Paulin Paris.
216
Bœuf ( Prose du ). — Epoque inconnue. — Le Père
Théophile Baynaud. 218
Buhez Santèz Nonn. — V. Sainte Nonne.
Galènes (Les). — xu' siècle. — Du Cange. 217
Callinuiaue. — x' siècle. — Drame de Hrotswithe. Opi-
nions de MM. Magnin et Patin Traduction de la pièce.
217
Catherine ( Le jeu de Sainte- ). — xn' siècle. — Du
Boulay, l'abbé Lebeuf, les Bénédictins, de Btfquefort-
Flaméricourt, l'abbé de Larue, M. Raynouard, M. 0 Le-
roy, M. Magnin; fragment de Matthieu Paris. 227
Catherine (de Sienne, de Fierbois du mont Sinaï(?)
[Sainte-]. — xv' siècle (?). — Chronique de Metz, Du-
verdier, les frères Parfait, de Beauchamps, M. Magnin ;
incertitude 229
Césaire (Saint). — Epoque incertaine. — De Beau-
champs. 229
Chesnaye ( Nicole de la). — xu' siècle. — Duverdier,
Lacroix du Maine, de Beauchamps. 229
Chevalier (Le). — xu' siècle. — De Beauchamps, la
BiblioUièque du théâtre [rançois, les frères Parfait, ana-
lyse. 250
' Chivalet (Antoine), auteur du Saint Christofle. — xue
siècle. — Note de Guy Allard, les frères Parfait. 232
Chocquet (Louis), auteur de l' Apocalypse. — xu' siè-
cle. — On lui a attribué à tort les Actes des apôtres.
252
Christ (Jeu du). — xiu' siècle. — Chronique du Frioul,
Muratori, M. Raynouard. 252
Christ souffrant (Le). — Voy. la Passion. 253
Christine (Sainte). — Epoque incertaine. — De Beau-
champs. 255
Christofle (Saint). — xu' siècle. — Auteur, Antoine
Chivalet. Mention de la Bibliothèque du théâtre françois ;
analyse des frères Parfait. 2'»3
Claire ( Sainte ). — Epoque incertaine — De Beau-
champs. 245
Clovis (Le roi). — xiv' siècle. — Manuscrit, édition de
MM. Monmerqué et Fr. Michel. Opinion de M. 0. Leroy.
Version française de ce mystère. 245
Conards (Les). — Moven âge. — Formules de la fête '
des Fous. Du Tilliot, l'abbé d'Artigny. 272
Conception (L'immaculée). Voy. le Triomphe des Nor-
mands. 272
Conception (La). — xu' siècle. — Voy. Passion. 2/2
Condamnation <)e Banquet (La). — xv' siècle. — De
Beauchamps, les frères Parfait, M. 0. Leroy. 2/l
Conflit des vertus et des vices (Le). Dialogue dTsidore
de Séville, considéré à tort comme monument dramaU-
que. 275
1565
TABLE DES MATIERES.
1500
Couches de la Vierge (Les ). — xiv siècle. — M. Ray-
nouard. 273
Création (La). — xv' siècle. — M. Vallet de Viriville.
Mentions vagues de de Beauchamps, Raynouard. 274
Crépin (Saint) et Saint Crépinien. — xiv' siècle. — Ma-
nuscrits, édition de MM. Chabailles et Dessales; analvso.
'274
Daniel (d'Hilaire, disciple d'Abailard ). — xn' siècle. —
Manuscrit; édition de M. Chanipollion-Figeac; M. 0. Le-
roy; traduction. 279
Danse générale (La). — xiv* siècle. — Auto, dom To-
mas Sanchez. 284
Danses consacrées (Les). — Moyen âge. — Formules
de la fête des Fous. 285
Défruit (Le). — Moyenâge. — Formule de la fête des
Fous. 285
' Denis ( La conversion de saint). — xv siècle. — Ma-
nuscrit; édition de M A. Jubinal; analyse. 286
Denis (Le martyre de saint). — xve siècle. — Manus-
crit; édition de M. A Jubinal ; mention de de Beau-
champs; opinion de M. 0. Leroy; analyse tirée delà
Bibliothèqtie du théâtre françois. 287
Denis (Le mystère de saint). — xvi* siècle. — Citations
vagues de de Beauchamps; analyse des frères Parlait. 288
Denis (Mimes de saint). — xve siècle. — Monstrelet,
M. 0. Leroy. 291. 291
Désert (Le). — xvi' siècle. — Comédie de Marguerite
de Navarre ; les frères Parfait, la Bibliothèque du théâtre
françois. 291
Diablerie (La). — xvi' siècle. — A pour auteur Eloi
d'Amernal; Duhalle, M. Vallet de Viriville; analyse des
frères Parfait. 291
Dialogue entre Dieu l'homme et le diable. — xve siècle.
— L'abbé Lebeuf. 295
Dieu (Le jeu de). — xiv' siècle. — Du Gange. 295
Dominique (Saint). — xvi' siècle. — De Beauchamps,
la Bibliothèque du tliéàlre françois .analyse des frères Par-
fait. 295
Dominus régit. — xv' siècle. — M. Louandre. 298
Dulcitius. — x' siècle. — Drame de Hrotswithe; M.
Magnin; traduction- 298
Enfant donné au diable (L'). — Manuscrit. — Pièce
restée inédite ; analyse et citations. 305
Enfant ingrat (L' ).— Notice par les frères Parfait. 306
Enfants d'Israël (Les). — xiv' siècle. — L'abbé de La-
rue. 3t0
Enfant mis aux lettres (V ). — xv' siècle. — M. Paulin
Paris. 310
Enfant de perdition (L'). — xvi' siècle. — Duverdier,
de Beauchamps, lesfrères Parfait, la Bibliothèque du théâ-
tre françois; réimpression; analyse. 310
Enfant prodigue (L' ). — xvi' siècle. — La Bibliothèque
du théâtre françois ; M. Sainte-Beuve; analyse des frères
Parfait. 512
Entrée à Jérusalem (L'). — Moven âge. — De Moléon ;
M. Magnin. 314
Eptus Puor. — Moyen âge. 314
Erasme (Saint). — xv' siècle. — De Beauchamps. 315
Etienne (Saint). — xv' siècle. — Manuscrit; mention
de De Beauchamps ; édition de M. A. Jubinal; note de
M. Quicherat; analyse et citations. 315
Exupère (Saint). — xvi' siècle. — M. Giraad. 317
Ezéchiel le tragiqje. — n' siècle. — Article de M. Ma-
gnin. 317
Félicien (Saint). Journal de Paris de 1787. 319
Femme au roi de Portugal (La). — xiv' siècle. — Dra-
me inédit ; analyse et citations. 319
Femme sauvée du feu (La). — xiv' siècle. — Manuscrit;
édition de MM. Monmerqué etFr. Michel; M. 0. Leroy ;
version française. 520
Fête des Fous (La). — Moyen âge. — Les travaux sur
la fête des Fous sont restés trop exclusifs : Du ("ange, le
P. Théophile Ravnaud, Du Tilliot, l'abbé d'Artigny,
l'abbé ^p Lame, M. Magnin. — La fêle des Fous est aussi
ancienne que l'Eglise et a été universelle ; Orient, Occi-
dent. — Les Fous eurent des papes, des rois. — La va-
?iét 5 des formules est infinie. — Le nord de la Franco,
le centre et le sud-est, en subissent surtout les atteintes.
337
Fête des merveilles (La). 5 H
Fête des miracles (La). 311
Fiacre (Saint). — xv' siècle. — Mention de De Beau-
champs; édition de M. A. Jubinal; opinions de M. 0. Le-
roy; analyse de la Bibliothèque du théâtre françois. 341
Fidèle (Le). — ■ xvi* siècle. — Manuscrit; édition do
MM. Leroux de Lincy et Francisque Michel : analyse et
citations. 3 kl
Fille du roi de Hongrie lia), — xiv* siècle. — Edition
de MM. Monmerqué et Fr. Michel; version française
' 541
Filles dotées (Les). — xin' siècle. — Traduction. 575
Fils de G«%on ( Le ) — xui' siècle. — Manuscrit de
Saint-Benoit-sur-Loire. Traduction du mystère. 375
France (La). — xvi' siècle. — Duverdier, les frères
Parfait; mention manuscrite de M. A. Jubinal; analvsp.
'378
François (Saint). — Epoque incertaine.-- De Beau-
champs. 380
Gabriel et Marie. Dialogue philosophique indiqué à tort
parmi les monuments dramatiques. 579
Gallican (Le). — x' siècle. — A pour auleurRrotswithe;
semble, dans une de ses scènes, reproduire les légendes
relatives à la conversion de Clovis ; éclairs d'un comique
grossier et populaire, mais vif et naturel ; traduction du
drame. 379
Gaudine (La marquise de la>. — xiv' siècle. — Manus-
crit de la Bibliothèque impériale ; pièce inédite ; analyse
de M. 0. Leroy. 392
Gédéon (Le combat de). Fausse indication. Le Gédéon
est un sermon. 394
Getlroy (L'abbé). — xn' siècle. 394
Geneviève { Les miracles de sainte ). — xv' siècle. —
Manuscrit de la Bibliothèque de Sainte-Geneviève; édi-
tion de M. A. Jubinal; opinions de M. 0. Leroy; analyse
de la Bibliothèque du théâtre françois. 594
Geneviève (Manuscrit de sainte). — xv' siècle. — Publié
par M. A. Jubinal ; opinion singulière de M. Villemain.
597
Georges (Saint). — Date incertaine. — Fragment, 598
Germain (Le mystère de saint). — xvc siècle. — Joué
à Auxerre, dans l'intérieur d'une église ; mention de
l'abbé Lebeuf; observation de M. Magnin. 599
Gouvert d'Humanité (Le). — xvi' siècle. — De Jean
d'Abondance ; Duverdier, les frères Parfait. 599
Gresban (Arnoul et Simon). — xv' siècle. 599
Gringoire (Pierre). — xv' siècle. — Opinions de M.
0. Leroy. 599
Guillaume , ermite (Saint). — Date incertaine. — De
Beauchamps. 401
Hérésie et l'Eglise. — xvi' siècle. — Manuscrit; édition
de MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel ; opinion erro-
née de M. 0. Leroy ; analyse et citations. 401
Hérode ou l'Adoration des mages. — xne sièole. — Ma-
nuscrit de Saint-Benoit-sur-Loire ; traduction. 402
Hilaire, disciple d'Abailard. — xn' siècle. — Edition de
ses œuvres par M. Champollion-Figeac; a laissé parmi
diverses pièces versifiées, trois mystères. 406
Homme fragile (L'). — xvi'si'cle. — Manuscrit de la
Bibliothèque impériale ; édition de MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel ; analyse et citations 407
Homme juste et l'homme mondain (L'). — xvi' siècle.
— A pour auteur Simon Bougouin. Duverdier, Lacroix
du Maine, la Bibliothèque du théâtre françois ; analyse des
frères Parfait. 408
Homme péclieur (L'1. — xvi' siècle. — De Beauchamps,
la Bibliothèque du théâtre françois ; analyse des frères
Parfait. 412
Homme produit par nature (L'). — Duverdier-Vaupri-
vaz, les frères Parfait. 41 1
Honorât (Saint). Indication vague et époque incertaine.
41 4
Honorine iSainte). — xvi' siècle. — L'abbé de Lame.
411
Hostie (La sainte). 41."
Hrotswithe. — x' siècle. — Religieuse de Gandeshciik,
auteur de diverses pièces. i I 3
Hvpodiacres (La tète des). 422
Hyppolythe (Saint). Ui
Ignace le grammairien. — ix' siècle. — Auteur d'Adam,
Ignace (Saint). — xiv' siècle. — Mannscritde la Biblio-
thèque impériale; édition de MM. Monmerqué et Fr.
Michel ; version française du mystère. 421
Impératrice romaine (L'). — xn' siècle. — Manuscrit
de la Biliothèque impériale; édition de MM. Monmerqué* et
Fr. Michel; version française. *«
Incarnation (L').— xiv' siècle. — Mention de 1 abbé
• le I arue. , „..*?8
Innocents (Les). — xi' siècle. —Manuscrit de la Biblm-
thèque impériale; fragment publié par M. Magnin. 4o8
Innocents (Le massacre des). — xn' siècle. — «anus
de Saint-Benoit sur Loire; version française *39
li'vncrnts (Comédie dcsV — %w* siècle. — A ponr au-
15U7
TABLE DES MATIERES.
1568
tcar Marguerite de Navarre. Frères Parfait; U Bibliothè-
que du théâtre français. 462
Institution des Frères Prêcheurs. 462
Jacques (Saint). Mention vague de de Beauchamps.
461
Jein-BuptisMe (Saint). — xvi* siècle. — Duverdier, de
Beauchamps, les frères Parfait. (Kspagne, xvr* siècle, le
Baptême de Sainl-Jeun, la Conception de Saint-Jean d'Es-
teban Martinez). 461
Jean-Baptiste (Mvstère de). — xvi* siècle. — M. Emile
Jolibois. 462
Jelum le Palu (Saint). — xiv* siècle. — Manuscrit de la
Bibliothèque impériale; mention de M. 0. Leroy 474
Jeudi suint 'Le). — Moyen âge. — Usagede la fête des
Fous. 474
Jeu Paschul. 474
Job (La patience de). — xvr* siècle. — La Bibliotlièque
du théâtre irançois; analyse des frères Parfait. 474
Jorns (Mystère de).— xvic siècle — M. Louandre.
477
Joseph. — im' siècle. — mention des Annales de Cor-
bie, Leibnitz, Martin Gerbert. 477
Joseph (La vendition de ). — xvr* siècle. — Exem-
plaire unique; réimpression aux frais de M. la prince
d'Essling ; mention de la Bibliothèque du théâtre françois;
analyse et citations. 477
Joseph (Les histoires de). — xvi' siècle. — M. Louan-
dre. 478
Josse (Saint). Mention vague de de Beauchamps. 478
Jouet d'or (Le). — xive siècle. — M. Paulin Paris.
478
Jour des merveilles. — Moyen âge. 479
Juif volé (Le). — xn* siècle. — Manuscrit de Saint-Be-
Doltsur Loire; édition de la Société des bibliophiles;
version française. 479
Julien (Saint). Mention vague de de Beauchamps. 482
Justice (La). — xi' siècle. — Extrait du manuscrit
original ; âge incertain ; se retrouve à diverses époques,
chez divers peuples; opinions de M. l'abbé de Lame;
fragments cités par cet auteur; M. Paulin Paris. M. 0.
Leroy. 482
Kalcandach 483
Las d'amour divin (Le). — xvi siècle. — Citation de
de Beauchamps ; analyse de la Bibliothèque du théâtre
françois. 485
Laurent jSaint). — xvi* siècle. — Citation de de Beau-
champs ; analyse de la Bibliothèque du théâtre françois.
483
Lazare ressuscité (Saint). — xn* siècle. — Manuscrit de
Saint-Benoit sur Loire; opinion de M. Magnin; version
française. ( 486
Lâzure ( La résurrection de). — xn* siècle. — A pour
auteur Hilaire, disciple d'Abailard ; note de M. Champol-
lion-Figeac; opinion de M. O.Leroy; version française.
489
Léocade (Sainte). Mention vague de de Beauchamps.
489
Liberté de décembre. 492
Lotis (Les). 492
Louis (Saint). — xvi* siècle. — A pour auteur, Pierre
Gringoire. Manuscrit de la Bibliothèque impériale; mys-
tère inédit; opinion de MM. 0. Leroy, Villemain; ana-
lyse de M. 0. Leroy. 492
Loup ( Le jeu de saint ). Mention de Duhalle, Courta-
lon, Grosley, M. Vallet de Viriville. 498
Loup-Vert. Formule de la fête des Fous ; M. Langlois.
498
Macluibées — xvr" siècle. — Jean de Virey, auteur des
Macluibées; sa biographie par les frères Parlait ; analyse
des Machabées par les mêmes; observations de M. Sainte
Beuve. 497
Maclou (Saint). — xve siècle. — Charte de l'évêquede
Langres; M. Vallet de Viriville nOO
Madeleine (La vie de sainte). — xv* siècle. — Le Père
Colonia. 500
Madeleine (La vie de Marie). — xv' siècle. — Analyse
de la Bibliothèque du théâtre françois. 501
Marguerite (Sainte). — xvr* siècle. — Duverdier, de
Beauchamps, les frères Parfait. 501
Marguerite de Navarre. — xvi* siècle. — Les frères
Parfait, M. 0. Leroy. 502
Martial de Limoges (Manuscrit de saint). — m* siècle.
— Note de l'abbé Lebeuf. Les Bénédictins, de Boquefort,
MM. Amaury-Duval ; éditions de MM Ravnouard, Fran-
cisque Michel, Thomas Wright en Angleterre; opinions
de MM. Magnin. JubinM. Fr. Michel, Morntieiijtif!, Mo-
rice, 0. Leroy. S05
Martin (Saint). — xv* siècle. — Inédit. —Ce mystère
a pour auteur, André de La Vigne. Analyse de M.O.Le-
roy 505
Martin (Saint). — xvie siècle. — Edité. — Auteur in-
connu ; M. 0. Leroy ; de Beauchamps. 507
Mauvais riche et le ladre (Le). — xvi' siècle. — De
Beauchamps, la Bibliothèque du théâtre françois; les frè-
res Parlait; M. Sainte-Beuve ; analyse. 508
Membres et l'estomac (Les). — xvi* siècle. — Manus-
crit de la Bibliothèque impériale; appréciation de M. 0.
Leroy. 310
Michel (Jean). — xv* siècle. 510
Mirucles de sainte Geneviève. 511
Miracles de Notre-Dame. — xiv' siècle — De Beau-
champs, M. Magnin ; M. 0. Leroy développe les idées
émises par M. Magnin; Histoire du manuscrit par M. Pau-
lin Paris ; table analytique. 511
Miracles de saint Nicolas. 517
Molinet (Jean). — xv* siècle, — Les frères Parfait.
517
Monde (Le) de Jean d'Abundance. — xvr* siècle. — Du-
verdier, les frères Parfait. 518
Motjse (La vie de). Mention vague de de Beauchamps.
518
Mundus, Caro et Demonia. — xvr* siècle. — Ancienne
édition réimprimée ; analyse des frères Parfait. 518
Nativité (La) de Notre- Seigneur Jésus-Christ. A été
figurée dans les Rites, représentée hors de l'intérieur
des églises. I. Rites: x' siècle, Limoges; IL Mystères :
xiv' siècle, Bayeux ; xve siècle, 1° Mustèrede la^ctlvité :
manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ; édition
de M. A. Jubinal; mention dans la Bibliotlùque du iliéâtre
françois; am\y se. T Mystère de l'Incarnation et de la Na-
tivité de Nolre-Seigncùr Jésus-Christ. Analyse des frères
Parfait. xvie siècle, 1° auto de Juan Pastor;' 2° Mystère de
la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ, par B. Aneau;
analyse des frères Parfait 5° Comédie de la Nativité de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, par Marguerite de Navarre;
analyse des frères Parfait. — xvm* siècle, Allemagne. —
xix* siècle, France. 519
Nature et loi de rigueur. — xvr* siècle. — Manuscrit
de la Bibliothèque impériale ; édition de MM. Leroux de
Lincy et Fr. Michel. 553
Nicolas (La statue de saint). — xn' siècle. — Drame
d'Hilaire ; manuscrit de la Bibliothèque impériale; édi-
tion de M. Champollion-Figeac; remarques de MM. Mon-
merqué, Fr. Michel, 0 Leroy; traduction. 535
Nicolas (Le jeu de saint). — xn' siècle. — A pour au-
teur Jean Bodel; manuscritde la Bibliothèque impériale;
édition de MM. l'abbé La Bouderie et Monmerqué ; opi-
nions de MM. Daunou. Amaury Duval, de Roquefort, 0.
Leroy, M;ignin, Paulin Paris; analyse et citations. 536
Nicolas (Miracles de saint). 510
Nicolas (Mystère de saint). — xvi* siècle. — Note do
DuverJier ; les frères Parfait, de Beauchamps. 540
Nicolas (Remontrance de saint). 540
Nicolas de Tolenlin (Saint). — xv* siècle. — Le Père
Colonia, M. Magnin. 540
Nonne ( Sainte ). — xn" siècle. — Mystère en langue
bretonne publié par l'abbé Sionnet; opinions de Rav-
nouard; traduction de Legonidec. 541
Non quoi super terrain. — xvi* siècle. — Bibliothèque
du théâtre françois. 5iô
Notre-Dame. — xvie siècle. — Bibliolhèaue du théâtre
françois. 543
Notre-Dame. — xvr* siècle. — Mentions de de Beau-
champs. 54 i
Notre-Dame du Phi/. — xvr* siècle. — A pour auteur.
Claude d'Oléron. ' 544
Obit de la Bouteille. — xin. siècle. — Usage de la fête
des Fous, -v 545
Odillon (Chant funèbre de saint ). Indication fausse.
515
Ofiice de l'Etoile. 545
— de la Nativité 513
— du Sépulcre, 5ib
Ollion, roi d'Espagne. — xiv' siècle. — Manuscrit rie la
Bibliothèque impériale; édition de MM. Monmerqué et
Fr Michel ; version française. 5i3
Paplmuce. — x' siècle. — A pour auteur ITrotswithe.
On en a exagéré le pédantisme et la subtilité; ce semble
une pièce scholaire; traduction du drame. 569
Passion (La). — A été en Orient du 1" au v* siècle, en
Occident, du v* au xvu' siècle, l'objet de deux grandes
tentatives dramatiques. Orient : Le Christ souffrant, at- .
trihué a saint Grégoire de Nazianze ; discussion de M. Ma-
pnin à ce s'tjet. Traduction du drame. Occident : La Pas-
I5G9
TABLE DES MATIERES.
lion a eu ses offices figurés. L'Idée n'en semble pas fran-
çaise, mais plutôt italienne. Quand elle s'est produite,
{"elle a péri en Italie; 2° elle a tout absorbé, elle est
devenue une somme dramatique ; 3° l'entbousiasme a été
immense. Les auteurs rie la Passion sont restés inconnus.
Ses représentations n'ont cessé que par arrêt du Parle-
ment. Le m' siècle s'en est plus occupé que le xviii*.
Lne analyse définitive est impossible, parce que les mo-
numents originaux ne se sont pas encore retrouvés; on
ne peut que considérer à part quelques-uns des princi-
fiaux manuscrits ou des plus importantes éditions. Ana-
ysesdeMM. Paulin Paris, 0. Leroy, des Irères Parlait.
Enfin, à côté des œuvres spontanées, sont m'es des pro-
ductions érudites qu'on ne saurai' passer sous silence.
Les pantomines de la Passion sont en dernier lieu à no-
ter. 583
P.iul (Conversion de saint). — xi* siècle. — Manuscrit
de Saint-Benoit-sur-Loire ; observations de MM. Magnin
et Wrigth ; traduction. 825
Paul (Saint). — xv' siècle. — Manuscrit de la Bibliothè-
que Sainte-Geneviève ; édition de M. A. Jubinal ; ana-
lyse et extraits. 826
Pèlerins d'Emaux (Les). Lafons-Melicocq ; Champol-
lion-Figeac. 829
Pentecôte (La). — xiy' siècle. — Mention de l'abbé I)e-
larue. 829
Pierre et saint Paul (Martyre de saint). — xv' siècle.
— Manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ; men-
tion dans la Bibliothèque du théâtre françois ; édition de
M. A. Jubinal ; analyse, et citations. 829
Pierre et saint Paul (Mystère de saint). — xvi' siècle.
— De Beauchamps ; la Bibliotlièque du théâtre françois ;
analyse des frères Parfait. 832
Plusieurs qui n'a point de conscience. — xvi' siècle.
834
Prise de Calais (La). — xvi' siècle. — Manuscrit de la
Bibliothèque impériale ; édition de MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel ; M. 0. Leroy ; sentiment de la richesse
anglaise et de la force intellectuelle de la France ; repro-
duction du texte. 851
Prise de Jérusalem (La). MM. Bilson et Edelestand
Duméril . 838
Procès du diable (Le). — xivc siècle. — Son auteur est
ie grand jurisconsulte Barthole; analyse. 838
Procession de la Fête-Dieu d'Aix. — xv' siècle. — For-
mule de la fête des Fous. 839
Procession du Hareng. — xv' siècle. — Autre formule
de la même fête. 840
Procession noire d'Evreux. — xiii' siècle. — Id. 840
Procession de saint Paul à Vienne. — Id. 840
Prophètes (Les) du Christ. M. Duméril ; Mariolt. 812
Purification de Notre-Dame (La). — xv' siècle. — M.
Louandre. 842
Quentin (Saint). — xm' siècle. — Mentions de Claude
Hémeré, de l'abbé Lebeuf, de M. Louandre. 841
Quirin (Les jeux de monsieur saint). — xv' siècle. —
M. Louandre. 812
Quod secundum legem débet mort. Duverdier, frères
Parfait, Bibliothèque du théâtre françois. 813
Rachel (Les lamentations de). 813
Radegonde (Chant funèbre de sainte). — vi* siècle —
Signalé par M. Magnin, rappelé par M. 0. Leroy; extrait
de Grégoire de Tours. 813
Rameaux (Les). Fragment liturgique encore actuelle-
ment subsistant considéré comme dramatique par M.
l'abbé La Bouderie. 815
Rédemption (La). M. Magnin. 843
Reine (Sainte). — xvm' siècle. — L'abbé Lebeuf. 815
Religieuse (La). — xiy' siècle. — Manuscrit de la Bi-
bliothèque impériale ; pièce inédite , analyse de M. 0.
Leroy. 815
Rémi (Saint). — xvi' siècle. — M. 0. Leroy. 816
Rcpprezcntalioni. —xm' siècle. — Scènes pieuses figu-
rées. 817
Résurrection (La). — I. Rites figurés; ix* siècle: Poitiers,
Metz ; x" siècle : Angleterre ; France : Verdun, Limoges;
xr" et xir* siècles: Soissons, Bouen ; xn' et xm' siècles :
Allemagne, Zurich ; xui' siècle : Sens ; xnr siècle : Alle-
magne : Saint-Biaise, France. ; Toul, Strasbourg, Laon,
Tours ; xv' siècle : Vienne, Narbonne; xvi' siècle : Troyes;
xvn' et xvm' siècles : Angers, Bourges. — IL Re-
présentations dramatiques : xi' siècle : Mystère de la Ré-
surrection, manuscrit de Saint-Benoit-sur-Loire , M. 0.
Leroy. M. Jubinal , xn' siècle : autre manuscrit de la
Bibliothèque impériale ; éditions de M. A. Jubinal, et
de MM. Monmerqué et Fr. Michel ; opinions de MM. Ju-
binal, Magnin, 0. Leroy, Baynouard, Emile Morin,
Chabaille et Dessale, traduction du texte; xm siècle:
Allemagne, note de dom Bernard Pez ; Saint-Florian :
noie du même; xiy' siècle : note de M. Baynouard; xv*
siècle : Mystère de la Résurrection : Manuscrit fie la Bi-
bliothèque Sainte-Geneviève; édition de M. Jubinal;
analyse et citations ; autre mystère : manuscrit perdu ;
édition remaniée par Je:;n Michel, sous la date de 1486;
autre, édité sous le nom de Jean Michel, comme une œu-
vre originale, très-différent du premier; analvse des frè-
res Pariait. 817
Robert le diable. — xiv* siècle. — Manuscrit de la Bi-
bliothèque impériale ; édition de M. Edouard Frère, pré-
face de M. Deville, notes de M. Paulin Paris ; observa-
tions de M. 0. l.erov ; analvse de. M. Berger de Xivrev.
875
Roch (La vie de mons;2ur saint). — xv* siècle. — M.
Louandre. 884
Bulcbeuf. — xm' siècle. — M. Jubinal. M. 0. Lerov
885
Sacrifice d'Isaac (Le). — M. Libri. 885
Sainte Hostie (La). — xv' siècle. — Béimprrssion de
l'édition originale ; mentions de de Beauchamps, des
frères Parfait et de la Bibliothèque du théâtre françois ;
événement singulier qui a donné lieu à ce drame ; récit
et réflexions de dom Félibien et Lobineau ; version fran-
çaise. 885
Sapsence. — x' siècle. — Drame de Hrotswitne, tra-
duction. 901
Sclalfards (Les). — xiv' siècle. — Secte des Fous; for-
mule de l'élection de l'abbé. 914
Sébastien (Saint). — xvi' siècle. — Mention de l'abbé
Delarue. 915
Semeur (Le). — xv' siècle. — Pantomime. 915
Sept vertus (Les) et les sept péchés mortels. 915
Séverin (Saint). — xyi siècle. — Journal de Taris de
1787. 915
Siège d'Orléans [Le mystère du).— xvi' siècle —Manus-
crit de la Bibliothèque du Vatican, signalé par MM. Paul
Lacroix, Adelbert Keller ; analyse et examen par M. J.
Quicherat. 915
Sortie d'Egypte (La).— h* siècle. — Quelques frag-
ments seulement ; éditions, traductions ; opinions d'E-
tienne Lemoyne, de Jean Le Clerc, de M. Magnin ; tra-
duction. 918
Sots (Les), fête des Fous. 925
Suzanne (Sainte). — ix* siècle. — Mention conservée par
Eustathe ; opinion de Henri de Valois reproduite par M.
Magnin. 926
Suzanne (Histoire de sainte). — xvr* siècle. — La Bi-
bliothèque du tliéàlre françois. 926
Théobalde (Saint). — xi* siècle. —Mime. 927
Théodore. — xiv' siècle. — Manuscrit de la Bibliothèque
impériale ; le mystère est inédit ; analyse de M. 0. Le-
roy. 927
Théophile (Le miracle de). — xm' siècle. — Manuscrit
de la Bibliothèque impériale; éditions de MM. Jubinal,
Monmerqué et Fr. Michel ; opinions des Bénédictins, de
Legrand d'Aussy, de Boquefort ; MM. Daunou, Jubinal,
0. Leroy, Magnin ; version française. — xit' siècle. —
Mention de Du Cange. — xvi' siècle. — Mention de M.
Jubinal. 953
Thierry (Le rov). — xi\' siècle. — Manuscrit de la Bi-
bliothèque impériale ; édition de M. Fr. Michel ; version
française. <H2
Tombeau de Notre-Seigneur {Le). Peu authentique,
pas de traduction. 968
Trépassement de Notre Dame (Le). — xvi' siècle —
De Beauchamps; la Bibliothèque du théâtre françois ; ana-
lyse des frères Parfait. 968
Triomphedes Normands (Le). — xvi' siècle. — A pour
auteur Guillaume Tasserie ; note manuscrite de M. A.
Jubinal. 970
Trois clercs (Les). — xn* siècle. — Manuscrit de Saint-
Benoit-sur-Loire ; remarque de l'abbé Lebeuf; versien
française. 970
Trois Doms (Les). — xvi* siècle. — Note de M. C,i-
raud. 972
Trois mages (Les). 972
Trois Maries (Les). 972
Trois rois (Les). — I. Rites figurés: xir* siècle, Soleure,
Fribourg, Besancon ; ht* siècle: Itoucn, Limoges, Milan;
xvm' siècle . Orléans, Targcau, Angers, Clermont-Fer-
rand. — II. Mystère*. : \ï siècle. Limoges; manuscrit et
Saint-Martial de Limoges; \\r siècle : le je* des trois
Rois; manuscrit de la Bibliothèque Rainte-Geneviève!
édition de M. Jubinal, analyse et citations ; xvi' siècle.
Mystère des trois Rois ; analyse des frères Parfait ; Co-
médie de l'adoration de* trois Rois de Marguerite de Nu-
ibli
TABLE DES MATIERES.
varre ; analyse des frères Parfait ; xviu* siècle : Note de
Martin Gerbert. — Pantomimes. 973
Vache gtise (La). Usage de la fête des Fous. 979
Vat'entin ^Saiut). — xiv' siècle. — Manuscrit de la Biblio-
thèque impériale; édition de M. Francisque Michel; ver-
sion française. 980
Venge mce de Jérusalem (La). — xvi' siècle. — Men-
tion de M. 0. Lerov. 996
Vengeance de Notre-Seigneur Jésus-Christ (La ). —
xrf siècle. — MM. Vallel de ViriviHe, Louandre, M.
Louis Paris , analyse des frères Parfait. 996
Vie (Saint). — xve siècle — De Beauchamps. 1001
Viclour (Saint). — xy' siècle. — De Beauchamps.
1001
Vierge (Dialogue de la) M. Edelestand Duméril. 1001
Vierges sages et les vierges folles (Les). — xie siècle.
— Manuscrit de Saint-Martial de Limoges ; éditions de
MM. Raynouard, Fr. Michel, Thomas Wright en Angle-
terre ; opinion de M. Magniu ; singulier rapprochement
de M. 0. Leroy ; version française du mystère. 1001
157Ï
Vierges sages et les vierges joues (Les). — xiv siècle.
— Le chronicum sampetriùum. 1003
Vieux Testament ( Le mvsière du ) — xve siècle. —
Note de M. Louandre ; Id. du Père Colonia; mentions de
de Beauchamps, de la Bibliothèque du théâtre françois.
MM. Louis Paris, Sainte-Beuve, O. Lerov; analvse des
frères Parfait. 1003
Vigiles des morts (Les). — xv* siècle. — Duverdier,
les frères Parfait. 1022
Vigne (André de La). — rrf siècle. 1022
Vincent (Saint). — xvc siècle. — Mention de l'abbé De-
larue. i023
J mte des pasteurs. M. Philibert Leduc. 1023
Vital (Cérémonie de saint). 1023
Voiaige de Emaux {Le). — xvi* siècie. — M. Lafons-
Mélicocq. 1023
Voyageurs (Office des). Du Cange; M. Edelestand bu-
méril. 1024
Vye Meron (La). — xvf* siècle. —M. Lafons-Mélicocq.
1024
Ysaude. — \\i' siècle. — M. Lafons-Mélicocq. 1024
NOTICE SUR LE THEATRE LIBRE.
Polémique des derniers siècles pour et contre le théâ-
ue. 1025
Ecrits relatifs à la polémique moderne pour et contre
le théâtre. 1027
Notice préliminaire. 1027
Histoire des ouvrages pour et contre les théâtres pu-
blics. 1033
Addition 1209
Achille. — Voy. Mort d'Achille (La). • 1221
Acteurs. — I. Epoque romaine. — Inscriptions antiques.
— IL xn' siècle. — Jean du Pont-Alais ; Jean de Serres;
le comte de Salles ; Jacques Mernable ; les frères Par-
fait. 1221
Adda (V) de Guillaume de Blois MM. de Roquefort,
Amaury Duval, l'abbé Delarue, Magnin, Edelestand Du-
méril. 1227
Adam de le Halle, auteur du jeu Adan ou du mariage,
de Robinet Marion; MM. Monmerqué, Paulin Paris. 1228
Adan (Li jus). — Manuscrits, éditions, MM. Monmer-
qué, Francisque Michel, de Roquefort, Daunou, Magnin ;
texte et traduction. 1231
Alione d'Asti, auteur de farces italiennes. MM. de
Monmerqué et Fr. Michel. 1287
Alithia et Pseutis de Théodule. — x' siècle. — M.
Magnin, A. Jubinal, E. Duméril. 1287
Allamanda (L'). Voy Parasols. 1287
Amoureux (Les deux). Manuscrit, édition, citation. 1287
Amoureux (Le vieil et le jeune). MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel. 1288
Amphytrion (L'). Voy. Gèta. 1289
Andriusse. Voy. Parasols. 1289
Andromaque, Sidoine Apollinaire ; M Magnin. 1289
Anerie. Voy. Science et ànerie. 1289
Antéchrist (L*). Edition de Nicolas Rousset. 1289
Arbalcslre (L'). MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel ;
citation. 1289
Ases et les Wolfungen (Les). MM. Vander Hagen, et E.
Duméril. 1290
Aucassin. Avis de M. Roquefort. 1290
Aululairc (L'), attribuée à Vital de Blois, Jérôme Com-
melin ; MM. Osann, Wrigth, E. Duméril. 1290
Avantureulx (L'). MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel ;
analyse et citations. 1290
Aventure (Le jeu d').Legrand d'Aussy, MM. A. Jubinal
Tr'butien, Wright. 1291
Aveugle (L'). MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel ; ci-
tation. 1292
Aveugle et le boiteux (L'). Edition Silvestre ; MM Le-
roux dé Lincy, Raynouard. 1292
Babio. Comédie mal attribuée au xn* siècle, et à Vital
de Blois; elle n'a pas non plus été écrite évidemment en
Angleterre ; l'esprit qui y brille, les indications positi-
ves de lieu, indiquent l'ouest de la France. Manuscrits
connus seulement en Angleterre ; édition unique de M.
Wright; opinions de Boston Bury, J. Pits, Baie, C. Ou-
din.Th. Smiih, Warton, Possevïn, Lejser. Le titre du
Babio, pris pour le nom d'un théolop >n; M. Magnin in-
dique plus nettement le Babio; M. W'-'gth reproduit l'il-
lustre critique français ; M. Bruce-Whyte entrevoit l'im-
portance de cette double comédie. M. Leclerc,de l'Institut,
tombe dans des erreurs grossières, texte et traduction
du Babio. 1294
Barbier et de Chariot (La dispute du). Legrand d'Aussv,
M. A. Jubinal. 15(5
Bâtards de Caux (Les). Edition de MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel ; citation. 1315
Bateleur (Le). Mêmes éditeurs. 1316
Batelière (La fille). Idem. 1316
Bâton (Martin). Voy. Martin Bâton. 1516
Bavardage du monde (Le). Manuscrit, édition de MM.
Fr. Michel, Fr. Palgrave,et de l'abbé Delarue; opinions
de MM. A. Jubinal etE. Duméril ; citation. 1316
Bazoche (Note des frères Parfait sur la). 1317
Berger et de la bergère (Le jeu du). Mention de Le-
grand d'Aussy ; opinion de M. Monmerqué et A. Jubinal.
1331
Bon payeur (Le). Edition de MM. Leroux de Lincv et
Fr. Michel. 1352
Bordeors ribaudz ( Les deux ). — Ce fabliau date du
xme siècle. — Manuscrits et éditions; opinions de Ro-
quefort, et de M. Duméril. 1532
Bornes (Llogedes) de Conrad Mutianus Rufus; analyse
et citation. 1333
Bouteille (La). Edition de MM. Leroux de Lincy et Fr.
Michel ; analyse et citations. 1555
Bretog (Jean). Edition de M. G. Duplessis. 1554
Brosse (Pierre de la). Manuscrit, éditions ; opinions de
Legrand d'Aussy, de M. Magnin: texte et traduction du
jeu. 153^
Brus (La farce des). Edition de MM. Leroux de Lincv
et Fr. Michel. 1543
Calpurnius Opinion de M. Magnin. 1545
Capifol (Le jeu du). Edition de MM. Leroux de Lincv
et Fr. Michel. 1513
César (Jules). Opinion de M. E. Duméril. 1543
Chascun. Edition de MM. L. de Lincy et Fr. Michel;
citation. 1544
Chrqsargtjre, de Thimotbeus de Gaza. Mention de Sui
das, Fabri'cius, M. E. Dumé'il. 1344
Clytemnestre. Mentions de MM. Magnin et E. Duméril.
1315
Colin, fils de Thénol le maire. Edition Rousset ; analyse
et citations. 1545
Collection Caron. Table des pièces qui vsont comprises.
1546
Collection Montaran. Voy. Recueil de livrets. 1548
Collection Rousset. Voy. Recueil de farces. 1548
Collection Silvestre. Vov. Poésies des xvet xvi' siècles.
1548
Collection Técher er. Voy. Recueil de farces, moralités
et sermons joyeux, etc. 1348
Co. frères de la Passion. Leur histoire d'après les frères
Parfait. 1348
CorneUe (La) attribuée a Jeand'Abundance. Analyse et
citation, fr. Parfait. t36?
1575
TABLE DES MATIERES.
loTi
Corps et de l'âme (Dispute du). Mentions de l'abbé
Delarue. 1508
Couslurier (Le). Farce éditée par MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel. 1368
Croisé et le décroisé (Dispute du). Opinions de Roque-
fon. MM. A. Jubinal de Montmerqué. 1570
Débat du jeune moine et du gendarme (Le). Edition
Roussel, réimpression Caron. 1369
Delirus (Le). Voy. L'Extravagant. 1369
Dialogue entre Térence,elc. \oy. Entrepreneur de spec-
tacles (L'). 1369
Didier et Ogier. Notker, M. E. Duméril. 1369
Dire et faire. Notice des frères Parfait. 1369
Drame de Michel Plochyre (Le).Voy. Paysan (Le). 1370
Ecbasis. Mention de M. E. Duméril. 1369
Eglise, Noblesse et pauvreté. Edition de MM. Leroux de
Liricy et fr. Michel. 1369
Eglise et le commun (L'1. Id. 1371
Enfants sans souci (Les). Notes des frères Parfait sur
leurhisoire. 1371
Entrées des rois et des reines Les frères Parlai'!. 1372
Entrepreneur de spectacles. Publications de M. Magnin ;
M. E. Duméril critique les opinions émises par le savant
membre de l'Institut. 1383
Envye, Estai et Simplesse. Edition de MM. Leroux de
Lincy et fr. Michel. 1585
Erberie Rustebuef. Voy. Herberie. 1386
Esmorée (L'). — Drame flamand du xin' siècle. — Edition
et traduction de M. E-P. Serrure. Opinions de MM. Magnin
et E. Duméril ; note sur le vieux Théâtre allemand.
1386
Eté et l'hiver. Voy. Printemps eli'hiver. 1386
Elhopée dramatique du poète Phile; mention de M. Ma-
gnin. 1386
Extravagant (L') d'Axius Paul us; mention d'Ausone;
M. E. Duméril. 1386
Fanfreluche et Gaudichon. Edition Cousturier; réim-
pression Caron. 1387
Farce ioyeuse... Voy. Ruse des femmes (La). 1387
Farces. Réflexions des frères Parfait sur les farces. 1387
Fecisti (Frère). Edition de Nimes; réimpression Mon-
taran. 1388
Femme et le Badin (La). Edition de MM. Leroux de
Lincy et Fr. Michel. 1388
Femmes qui aymentmieulx... Voy. Folconduil. 1388
Femme qui demande (La). Edition Rousset; collection
Caron. 1388
Femmes salées (Les). Analyse des frères Parfait. 1389
Femme veuve (La). Edition de MM. Leroux de Lincv et
Fr. Michel. 1390
Fesne (Sœur). Voy. Sœur Fesne. 1390
Fueiltie (La). Voy. Adan (Li jus). 1590
Filles et les deux nmriés (Les deux). Analyse et cita-
tions des frères Parfait. 1390
Fils et l'examqnuteur (Le). Edition Lincy et Michel.
1391
Fils sans père (Les). Note des frères Parfait. 1592
Flaura. Mentions de Roquefort, de l'abbé Delarue, de
M. Magnin. 1592
Fol et du sage (Dialogue du). Ancienne édition de Ca-
luarin; rééditions diverses. 1592
Folconduil. Edition Rousset et collection Caron. 1594
Fortune (Le jeu de la). Mention de M. Duméril. 1591
Frère Philibert. Voy. Philibert. 1594
Galant (Le). Edition Rousset. 1593
Galons cl Sancte (Les deux). Edition de MM. L. de
Lincy et Fr. Michel. 1595
Galans et un badin (Les trois). Idem. 1593
Galans, le monde et l'ordre (Les trois). Idem. 1593
Galans et Phlipot (Les trois). Idem. Citation. 1591
Gaule (La). Indication de M. Paulin Paris. 1594
Gaullier-Garguille. Edition d'Acion ; réimpression Ca-
ron. 1593
Gentilshommes et le meunier (Les deux). Edition de
MM. Leroux de Lincy et Fr. Michel; analyse. 1393
Gentilhomme et son page (Le). Mêmes éditeurs; citation.
1593
Gela. Le Gela remonte au xir" siècle ; Vital de Rlois en
serait l'auteur plutôt que Matthieu do Vendôme ; manus-
crits, éditions Mai. Ozann et Wright; double titre du Gela;
opinions de MM. Magnin, V. Leclerc, E. Duméril 1596
Griesche d'été et la griesche d hiver (La). Voy. Primp-
temps. 1597
Griselidis. Analyse des frères Parfait,. 1597
Gudrunar-Qvida (Lt»i. Mention de M. Duméril 1598
Guillaume de Blois Note de VHistoire littéraire de ta
France. 1398
Herberie (L'). Divers dits de VTIerberie connus; opi-
nions de MM. Monmerqué, Ach. Jubinal et E. Duméril sur
leui caractère dramatique. 1599
Hercule. Mention de Leberet de M. Duméril. 1400
Hiver et l'été. Voy. Primptcmps. 1400
Hommes qui font saltcr leurs femmes. Voy. Femmes sa-
lées (Les) 1400
Ignorance. Edition de MM. Leroux de Lincy et Fr. Mi-
chel. 1399
loxjeusc farce d'un Curia... (la). Edition Monlaran 1401
Jean (Mesire). Edition de MM. Leroux de Lincy et Fr.
Michel. 1401
Jean de Laqny. Idem. 1101
Joannada. Voy. Parasols. 1401
Johannella. Id. 1401
1402
1402
1402
Jongleur. (Le). M. Wright.
Jovinien. Note de Duvevdier.
Jupiter. Noie de Leber.
Langues esmoidues (Les). Edition de MM Leroux de
Lincy 'et Fr. Michel. 1401
Luco de Grimaud. Mention de M. Magnin. 1401
Lydie (La). Mention de M. E. Duméril. 1402
Lyon marchant. Note de Duverdier; aperçu donné par
les frères Parfait. 1402
Maître d'Ecolle (Le). Edition de MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel. 1405
Mal-contentes (Les). Idem. 1105
Malhorquina (La). Voy. Parasols. 1405
Marchand de pommes (Le). MM. Ler. de Lincy et Fr.
Michel. 1403
Marchebeau. Idem. 1404
Mariage de Rutebeuf. Opinions de Roquefort, de MM. A.
Jubinal, Monmerqué. 1401
Mariage (Li jus du). Voy. Adan (Li jus). 1405
Martin Bâton. Edition Ôursel. 1403
Matthieu de Vienne, auteur du Milo, de la Lydie et du
Soldai vantard ; opinion de M. E. Duméril sur ces poèmes.
1405
Médecin et le Badin (Le). Edition de MM. Leroux de
Lincy et Fr. Michel. 1405
Médecin qui guérit (Le). Edition Rousset. 1405
Mère, la fille, etc. (La). MM. Leroux de Lincy et Fr.
Michel. 1405
Mère de ville (La). Les mêmes. 1406
Mère etJouarl (La). Edition Oudot; collection Monla-
ran. 1406
Mesire Jean. Voy. Jean (Mesire). 1406
Mestier et nuirchandise. Edition de MM. Leroux de
Lincy et Fr. Michel. 1406
Meunier et le diable (Le). Edition de M. Fr. Michel;
opinion de MM. Raynouard et O. Leroy. 1407
Meunier et le gentilhomme (Le). Edition Oudot. M. de
Montaran. 1407
Milet (Jacques), auteur de la Destruction de Trotjes; les
frères Parfait. 1407
Milo. Edition d'Hauptens ; opinion de M. E. Duméril.
1407
Mort d'Achille (La), de Mussato. Manuscrits, éditions,
personnages; opinions de Burmann, el de MM. Magnin et
E. Duméril. - 1407
Mort dEccerino (La), du même. Man., édit., division,
personnages; critique d'Eccerino par Burmann. Muralori,
M. Magnin, M. E. Duméril. 1408
Morts vivants (Les). Note des frères Parfait. 1409
Mussato (Albertino). Opinions de Pétrarque, Vergerie,
Muralori et M. Magnin, auteur d'Achille, d'Eccerino et
de divers autres écrits. 1410
Nouveau monde (Sottise du). Analyse des frères Par-
fait. 1409
Ocypus. VOcypus est-il de Lucien? est-il un drame ?
MM. Magnin, E. Duméril. iHS
Oreste. Mention de Sinner et de M. E. Duméril. 1416
Parasols (B. de). Note des frères Parfait. 1415
Paris (Jugement de). Mentions de MM. O. Leroy et
E. Duméril. Ul'J
Pathelin (La farce de). Analyse des frères Parfait.
Texte. 1H3
Paliielin (Le Testament de). Analyse des fr. Parfait.
1426
Pauvres diables (Les). Edition de MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel. U27
Pauvre villageoise (La). Voy. Villageoise. 1427
Payeur (Le bon). Vov. Bon payeur' {le) . 1428
Paysan de Michel Pk>< hvre (Le). Edition, traductions,
opinions de MM. Dubner, Magnin, Duméril ; version fran-
çaise. 1iia
1575
TABLE DES MATIERES.
1578
Pèlerin (Le jeu du). L'auteur est-il Adam de le Halle?
Manuscrits, édition ; mention de Roquefort ; opinions de
MM. Magma et Monmerqué; Texte et traduction. 1450
Pèlerins (Les trois). Edition de MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel. 1457
Pèlerin passant (Le). Idem. 1457
Pèlerinage de mariage (Le). Idem. 1457
Peste de là peste (La), d'Edouard du Monin ; analyse et
citation. 1457
Petit plet (Le). Voy. Débat du vieil et du jeune {Le).
1458
Peuple françois (Le). Analyse des frères Parfait. 1458
Peyre et Seigne Joan (Seigue). — Comédie paloise du
xvi' siècle. — Edition Rigaud. 1459
Philibert (Frère). Edition de MM. Leroux de Linc.v et
Fr. Michel. 1459
Pippée (La farce de la) Edition de M. Fr. Michel. 1440
Plainte d'amour (LaL Mention de l'abbé Delarue.
1410
Plochyre (Michel). Voy. Paysan (Le). 1*40
Poésies du xv' etdu xvi' siècle. NotedeM.Brunet. 1440
Poncelie. Edition du xvi' siècle; collection Montaran.
1440
Porteur d'eau (Le). Idem. 1440
Porteur de Patience (Le). Edition de MM. Leroux de
Lincv et Fr. Michel; citation. 14U
Podier (Le). Idem. 1441
Printemps et l'hiver (Le). Un dialogue sous ce litre est
attribué à Bède le Vénérable ; sur le même sujet on en
a un autre de Rutebeuf; les jongleurs normands en ont
laissé ; les spectacles forains du Nord le reproduisent
encore aujourd'hui. MM. Magnin, Duméril, Ach. Jubinal,
l'abbé Delarue et Mone. 114 1
Prince des Sols et Mère-Sotte. Anaivse des frères Par-
fait. 1412
Quatre âges (Les). Edition de MM. Leroux de Lincy et
Fr. Michel. 1445
Querolus (Le). Opinion de M. Magnin : Le Querolus
daterait du iv' siècle et serait gaulois ; M. Ampère se ran-
ge à cet avis. M. E. Duméril nie le caractère dramatique
du Querolus, et le date du vnc siècle. Analyse du drame.
1445
Querolus, querulus. Voyez Aululaire. 1448
Rapporteur (La farce du). Edition de MM. Leroux de
Lincy et Fr. Michel. 1447
Recueil de farces. De MM. Leroux de Lincy et Fr. Mi-
chel. Opinion des éditeurs ; attribution à Pierre Taserve
très-douteuse; table des pièces qui y sont contenues.
1417
Recueil de farces, par Rousset ; table. 1452
Recueil de livrets, par M. de Montaran; table. 1 132
Réformeresse (La). MM. Leroux de Lincy et F. Michel.
1 1 )■>
Remrd e'peau d'vK. Legrand d'Aussy ; MM. Monmer-
qué, Aeh. Jubinal, Chabaillcs. 1453
Représentation de la Croix Faubin. Mention de M.
Paulin Paris. 1 153
Relraicl (Le). MM. Leroux de Lincv et Fr. Michel.
1451
Riole de V monde (La). Vov. Bavardage du monde (Le).
1451
Rliythme d'Eucharia. Mention de M. Magnin. 1454
Rhvthme tragique sur Parme. Othon deFnsingues.l 151
Rivaux (Les). Notes des frères Parfait. 1 155
Robin et Motion. Manuscrit, édition ; MM. Monmerqué,
Fr. Michel, Magnin; texte et traduction; motets et pas-
tourelles y relatifs. 1456
Rond et du carré (Farce du) Mention de Duverdier et
des frères Parfait. 1521
Roy d'Aragon (Jugement du). Mention de M.E. Dumé-
ril. [Note sur les sources du Uiéàtre libre espagnol']. 1522
Ritodlieb (Le). Opinion de M. E. Duméril. 1525
Ruse des femmes (La). Edition du xvie siècle; réim-
pression. 1524
Savetier (La farce du). Edition de MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel. 1523
Savetiers (Les deux). Analyse desfrères Parfait; texte.
1324
Science et ànerie. Edition de MM. Leroux de Lincv et
Fr. Michel. 1551
Sept sages (Le jeu des). Opinions de MM. Magnin, Am-
père, Duméril, [Corpet] ; traduction. • . 1551
Singerkriec (Le). M. Duméril. 1555
Sobres Sotz (Les). Edition de MM. Leroux de Lincy et
Fr. Michel. 1353
Sœur Fesne (La). Idem. 1553
Soldat vantant (Le). Edit. de M. E. Duméril. 15:5
Sotise à vin personnages (La). Anaivse des frères Par-
fait. 1553
Sottie à x persoimages (La). Edition Rigaut; réimpre-
sion Caron. 15*5
Sotties (Les). Notes des frères Parfait. 1545
Sottie iouée, etc (La) ; exemplaire à la Bibliothèque
impériale. 1546
Soupiers (Les deux). Edition de MM. Leroux de Lincy
et Fr. Michel; citation. 1516
Sourd et l'ivrogne (Le). Ed. de M. Leroux de Lincy et
Fr. Michel ; citation. 1547
Térence. Voy. Entrepreneur de spectacles (V). 1547
Tharanta (La). Voy. Parasols. 1547
Théocriles (Idylles de). Opinion de M. Magnin. 1547
T héologaslres (Les). Réimpression de M. Duplessis;
opinion de M. Leroy. 1547
Touaneau du Treu (La farce de). Mention des frères
Parfait. 1547
Tout, chascun et rien. Réimpression de M. de Monmer-
qué. 1347
Tout le monde. Edition de MM. Leroux de Lincy et Fr.
Michel ; citation. 1547
Tragopodugra. Editions diverses; attribution disputée
à Lucien ; opinion de M. Duméril. 1548
Trocheur de maris (Le). Edition de MM. Leroux de
Liucy et Fr. Michel. 1548
Trop, peu, prou et moins. Analyse des frères Parfait.
1518
Troues (La destruction de). Idem. 1549
Turlupin. Edition au xvi* siècle; réimpression Monta-
ran. 1553
Veaux (La farce des). Edition de MM. Leroux de Lin-
cy et Fr. Michel; citation. 1555
Vendeur délivres (Le). Mêmes éditeurs; cri du colpor-
teur , catalogue curieux d'éditions anciennes. 1555
Ventre (De). Mêmes éditeurs; citation. 1556
Vieil et du jeune (Le débat du). Edition Silvestre; Ro-
quefort et l'abbé Delarue. 1556
Villageoise (La). Analyse des frères Parfait. 1556
Vital de Rlois. Histoire littéraire de la France. 1559
Vosacus et Rlienus (Dialogue de). M. Duméril. 1560
Vulcain (Le jugement de). M. Magnin. 1560
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Abbesse grosse de son clerc IL'). 1559
Achille (Saint). M. Olivier. 1559
Adam. M. Lafons-Mélicocq. 1559
Adam d'Halberstadt. ,1560
Annonciation. — M. Lafons-Mélicocq. 1560
Apparition (L"). 1560
Christ souffrant. M. Duméril; M. Schack. 1560
Création au monde (La). M. Davies Gilbert; M. Dumé-
ril. 1560
Daniel d'Hilaire. M. Duméril. 1560
David (La vie de saint). — Vov. Nonne (Mvslère de
sainte). 1561
Enfant prodigue (L'). M, Lafons-Mélicocq. 1561
Faix (Saint). M. Olivier. 1561
Femmes qui ont la langue arse (Les). 1561
Forlunat (Saint). M. Olivier. — Vov. Saint Félix et
Saint Achille. 1561
Guerre et le débat (La). 1561
Homme humain (L). M. Lafons-Mélicocq. 1561
Hrots.vithe. M. Duméril. 1561
Jacques (Saint), tragédie. Brunet, Manuel du libraire.
1561
Jehan Loyson. — xv' siècle. 1562
Julien (L empereur). M. Duméril. 1562
Laurent (Saint). 1562
Lazare (Le). ' 1562
Léger (Saint). M. Lafont-Mélicocq. 1562
Martial (Saint). L'abbé Legros 1562
Nemo. 1562
Nouveaux Ponus (Les). — xv* siècle. 1563
Pâtes ouaintes. 1562
Quinze signes (Les). 1562
Résurrection du Sauteur. M. Lacroix. 1562
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
Imp. de Mig.ne, au Petit-Montrougo.
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