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Full text of "Dictionnaire des mystères, ou, Collection générale des mystères, moralités, rites figurés, et cérémonies singulières. Suivi d'une notice sur le théatre libre"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/dictionnairedesmOOdedo 


NOUVELLE 

ENCYCLOPÉDIE 

THÉOLOGIQUE, 

OU  NOUVELLE 

SÉRIE  DE  DICTIONNAIRES  SDR  TOUTHS  LES  PARTIES  DE  LA  SCIENCE  RELIGIEUSE , 

OFFRANT,  EN   FRANÇAIS  ET  FAR  ORDRE  ALPHABÉTIQUE, 

LA  PLUS  CLAIRE,  LA  PLUS  FACILE,  *,A  PLUS  COMMODE,  LA  PLUS  VARIÉE 
ET  LA  PLUS  COMPLÈTE  DES  THÉOLOCIES. 

CES   DICTIONNAIRES  SONT   CEUX    : 
I)E    BIOGRAPHIE    CHRÉTIENNE    ET    ANTI-CHRÉTIENNE  ,     —   DES  PERSÉCUTIONS,  — 

d'éloquence  chrétienne,  —  de  littérature  id., —  de  botanique  id., — de  statistique^, — 
d'anecdotes  id., — d'archéologie  id.,  —  d'héraldique  id., —  de    zoologie, —  de    médecine  pratique, 

DES  CROISADES,   DES  ERREURS   SOCIALES,   DE    PATROLOGIE,    DES    PROPHÉTIES    ET     DES     MIRACLES, — 

DES  DÉCRETS  DES  CONGRÉGATIONS  ROMAINES,    —  DES  INDULGENCES,  —  d'aGRI-SILVI-VITI-HORTICULTURE  , 

—  DE  MUSIQUE     id., —    D'ÉPIGRAPHIE  id.,  —     DE    NUMISMATIQUE     id.,  —  DES    CONVERSIONS 

AU  CATHOLICISME,  —  D'ÉDUCATION,  —  DES   INVENTIONS   ET   DÉCOUVERTES,  —  D'ETHNOGRAPHIE,  — 

DP»  APOLOGISTES  INVOLONTAIRES, —   DES  MANUSCRITS, — D'ANTHROPOLOGIE,  —  DES  MYSTÈRES  ,  DES  MERVEILLES 

— D'ASCÉTISME  ET  DES  INVOCATIONS  A  LA  VIERGE, —  DE  PALÉOGRAPHIE,  DE  CRYPTOGRAPHIE,  DE  DACTYLOLOGIE, 

D'hIÉROGLYPHIE,     DE     STÉNOGRAPHIE    ET     DE    TÉLÉGRAPHIE,    —   DE    PALÉONTOLOGIE,— 

DE  l.'ART  DE  VÉRIFIER  LES  DATES,  —  DES  LÉGENDES,  —  DES  OBJECTIONS  POPULAIRES, 

—  DES  OBJECTIONS  SCIENTIFIQUES. 

PUULIEE 

PAR    M.    L'ABBÉ    MIGNE, 

EDITEUR    DE  LA   BIBLIOTHÈQUE   UNIVERSELLE   DU    CLEROE, 

OU 
DES   CODR3  COUPLETS    SUR    CHAQUE    BRANCHE   DE    LA    SCIENCE   ECCLÉSIASTIQUE. 

PRIX   .   6  FR.   LE    VOL.   POUR  LE  SOUSCRIPTEUR  A   LA  COLLECTION   ENTIÈRE,   7  FR.,    8  FR.,   ET  MÊUF.   10  FR.   POUR   LE 

SOUSCRIPTEUR    A    TEL    OU    TEL    DICTIONNAIRE    PARTICULIER. 


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TOME  QUARANTE-TROISIÈME. 

„ r~»  »  Q  r-Tgr-m 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTÈRES. 

TOMK    CIVIQUE. 
PRIX    :    8  FRANCS. 


S'IMPRIME    ET    SE   VEND    CHEZ    J.-P.   MIGNE,   EDITEUR, 

AUX  ATELIERS  CATHOLIQUES,  RUE  D'AMBOISE,  AU  PET1T-MONTROUGE, 

BARRIÈRE     D'ENFER     DE     PARIS. 

185* 


DICTIONNAIRE 

DES  MYSTÈRES 

ou 

COLLECTION  GÉNÉRALE 

DES  MYSTÈRES ,  MORALITÉS ,  RITES  FIGURÉS 

ET  CÉRÉMONIES  SINGULIÈRES, 

AYANT  UN  CARACTÈRE  PUBLIC  ET  UN  BUT  RELIGIEUX  ET  MORAL, 

SJ  * 

et  joues  sous  le  patronage  des  personnes  ecclésiastiques 

OU    PAR    L'ENTREMISE    DES    CONFRÉRIES    RELIGIEUSES, 

suivi  d'une 

NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE . 

COMPLÉTANT  L'ENSEMBLE  DES  REPRÉSENTATIONS  THÉÂTRALES 
depuis    les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  jusqu'aux  temps    modernes, 

PAR 

HL  ILS  (B(DIQQS  2>S  0XD1NDBR» 


PUHLIÉ 


PAR  M.  L'ABBÉ  MIGNE, 

ÉDITEUR  DE  LA  BIRLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE  DU  CLERGÉ, 

ou 

DES   COURS    COMPLETS   SUR   CHAQUE   BRANCHE    DE    LA    SCIENCE   RELIGIEUSE. 


TOME   UNIQUE. 

■    0     i 


prix  :  8  francs. 


S'IMPRIME  ET  SE  VEND    CHEZ  J.-P.  MIGNE,  EDITEUR, 

AUX  ATELIERS  CATHOLIQUES,  RUE  D'AMBOISE,  AU  PETI T-MONTROUGE , 

BARRIÈRE    D'ENFER    DE    PARIS. 


183'* 


?,:"  1  H 1935 

75ia 


Imprimerie  M1GISE,  au  Petit-Montrouge. 


AVANT-PROPOS. 


Descendez,  dit  le  P.  Guénarrl,  descendez  avec  le  flambeau  de  la  fihi- 
losophie  jusqu'à  celle  pierre  antique  lani  de  luis  rejelée  par  les  incré- 
dules et  qui  les  a  tous  écrasés.  Mais,  lorsque,  arrivé  à  une  certaine 
profondeur,  vous  aurez  trouvé  la  main  du  Toul-l'uissant  qui  soutient 
depuis  l'origine  du  monde  ce  grand  et  majestueux  édifice,  toujours  af- 
fermi par  les  orages  mêmes  et  le  torrent  des  années  ,  anêtez-vous  et 
ne  creusez  pas  jusqu'aux  enfers. 

Les  origines  du  théâtre  moderne,  et  ses  commencements  en  France,  ont  donné  lieu  a 
des  erreurs  nombreuses  et  fondamentales  qui,  à  partir  du  temps  où  commence  la  critique 
historique,  se  sont  perpétuées  jusqu'à  nous. 

Ainsi  deux  opinions  opposées  se  disputent  les  commencements  des  représentations 
figurées  dans  les  sociétés  modernes. 

Des  critiques  veulent  que  le  théâtre  se  soit  perpétué  du  monde  ancien  au  nôtre,  sans  aucune 
interruption  et  sans  autres  modifications  que  celles  relatives  aux  divers  plans  qu'ont  pu 
suggérer  des  méthodes  nouvelles,  ou  celles  qu'ont  dû  occasionner  les  variations  du  langage, 
ou  celles  surtout  nées  de  la  profonde  différence  de  l'esprit  de  la  religion  chrétienne  avec 
les  idées  païennes.  Ainsi  les  orgies  du  paganisme  se  sont  continuées  dans  les  fêtes  des 
Fous;  et  les  mystères  du  moyen  âge,  construits  d'après  une  méthode  inconnue  aux  sévères 
sectateurs  des  unités  d'Aristote,  n'en  reproduisent  et  n'en  perpétuent  pas  moins  la  tragédie 
grecque  et  romaine.  C'est  ce  qu'ont  pensé,  entre  autres,  du  Cange  (1),  Muratori  (2),  Martin 
Gerbert  (3),  l'abbé  de  Larue  (4),  MM.  Achille  Jubinal  (5),  Francisque  Michel  (6)  et  Ma* 
gnin  (7). 

Au  contraire,  d'autres  ont  été  d'avis  qu'il  existait  entre  le  théâtre  des  nations  anciennes 
et  celui  des  peuples  modernes,  une  lacune  d'un  grand  nombre  de  siècles  impossible  à 
combler.  Les  premières  pièces  qui  auraient  été  représentées  depuis  la  chute  de  l'empire 
romain  dateraient  au  plus  tôt  des  xic  etxn"  siècles;  et  encore  faut-il  admettre  que  le  latin 
et  les  farcilures  du  moyen  âge  appartiennent  au  théâtre  français.  Les  Bénédictins  (8)  n'ont 
pas  craint  de  reculer  les  origines  dramatiques  jusqu'au  xic  siècle;  l'abbé  Lebeuf  (9),  de  Ro- 
quefort-Flaméricourt  (10),  MM.  Amaury  Duval  (11)  et  Raynouard  (12)  ont  partagé  leur 
sentiment.  Roquefort  môme  déclarait  les  comitienceme*hts  des  représentations  théâtrales 
très-difficiles  à  fixer,  et  pensait  que  certaines  poésies  des  troubadours  avaient  pu  être  figu- 
rées. L'autorité  de  ces  savants  n'a  pas  empêché  Daunou  de  nier  le  caractère  dramatique  des 
pièces  françaises  du  xm"  siècle,  du  .Miracle  de  Théophile  par  exemple;  le  théâtre  n'a 
commencé  qu'en  1402,  avec  le  brevet  de  la  royauté  ,  et  l'on  ne  rencontre  auparavant  que  des 

(1)  Du  Cange,  Gloss.  inf.  et  med.  lat.,  édit.  Henschell;  Paris,  Didot,  1840,  in-8%  6  vol.,  V  Kulendœ 

(2)  Muratori,  Anliq.  stat.  med.  œvi  sive  Dissert.,  Milan,  1752,  in-fol.,  t.  II,  De  ludis,  col.  831-849. 

(3)  Martin  Gerrert,  De  eantu  et  mus.  sacra,  Saint-Biaise,  1774,  in-4%  2  vol.,  t.  I. 

(4)  L'abbé  de  Larue,  Essais  historiques  sur  les  bardes  normands  et  Anglo- normands,  Caen,  1834,  in-8% 

5  vol. 

(3)  Achille  Jlbinal,  Mystères  inéd.  du  XV  siècle  ;  Paris,  1837,  in  8°,  2  vol.,  I.  I,  Préf. 

(6) Francisque  Michel  (et  Montmerqlé),  Le  théâtre  fr.au  moyen  âge;  Paris,  1839,  gr.  in-8%  Préf. 

(7)  Ch.  Magnin (Cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres;  Journal  gén.  de  l'inslr.  publiq.,  1834-1836);  La 
Comédie  au  M*  siècle,  Revue  des  deux  mondes,  1835,  juin,  t.  II,  p.  633-674;  Fragment  d'un  comique  du  vu0 
siècle,  Bibliothèque  de  V Ecole  des  Chartes,  Paris,  1859,  gr.  in-8%  t.  I,  p.  517-555. 

(8)  Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  Vil;  Paris,  1746,  in-4°  ;  Discours  sur  l'étal  des  lettres  au  xi*  siècle 
et  Avertissement. 

(9)  L'abbé  Lebeuf,  Remarques  envoyées  d'Auxerre...,  Mercure  de  France;  Paris,  in-12,  1729,  décembre, 
p.  2981-2995;  —  Dissertations  sur  l'hist.  eccl.  et  civile  de  Paris...;  Paris,  1741,  in-8% t. II,  Etat  des  scienca 
en  France...  p.  65. 

(10)  De  Roquefort-Flaméricourt,  De  l'état  de  la  poésie  françoise  dans  les  \n'  et  xm"  siècles;  Paris, 
Fournier,  1815,  in-8°. 

(H)  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XVI;  Paris,  182i,  in-4%  Disc,  sur  l'état  des  beaux-arts  en  France  au  xm* 
siècle,  p.  254-535. 

(12)  Raynouard,  Mystère  de  Saint-Crcpin...  publié  par  MM.  Dessales  et  Chabailles  ,  Journal  des  Savants, 
1850,  cabier  de  juin. 

Dictionn.  des  Mystères.  1 


41  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  12 

écrits  dialogues,  il  est  vrai,  mais  qui  n'ont  jamais  pu  fournir  la  matière  d'une  représentation 
dramatique  (13).  M.  Sainte-Beuve  (14-),  comme  Daunou,  est  resté  persuadé,  avec  Boileau  (15) 
et  Fontenelle  (16),  les  frères  Parfait  (17),  de  Beauchamps  (18),  et  le  duc  de  la  Vallière  (19), 
que  le  premier  théâtre  qui  eût  paru,  depuis  les  Bomains.  était  celui  qu'ouvrirent  en  1402 
les  confrères  de  la  Passion. 

Cette  grande  diversité  d'opinions  au  sujet  des  commencements  du  théâtre  a  contraint 
les  sectateurs  de  l'un  et  de  l'autre  de  ces  deux  systèmes,  de  distinguer  aussi  non  moins 
profondément  les  temps  où  la  France  parlai!  soit  le  latin,  soit  le  roman,  soit  le  français. 
Naturellement,  les  partisans  de  la  perpétuité  du  théâtre  ont  été  conduits  à  admettre,  dans 
l'histoire  du  théâtre  français,  le  latin  et  le  roman.  Ainsi  Muratori.  L'abbé  Lebeuf  disait 
que  la  bibliothèque  du  théâtre  devait  comprendre  la  basse  latinité  comme  le  français.  Les 
Bénédictins  citaient  le  jeu  de  Sainte-Catherine  et  les  jeux  farcis  de  Saint-Nicolas  parmi 
]es  premières  pièces  connues.  Dom  Martin  Gerbert  ne  distinguait  ni  les  rites  figurés,  ni  les 
fêtes  des  fous,  ni  les  mystères,  et  encore  moins  les  idiomes.  Raynouard  se  ralliait  aux  Bé- 
nédictins. Mais  Bayle  (20),  Vollaire  (21),  MM.  Chabailles  (22)  et  Onésyme  Leroy  ont  soutenu 
que  le  drame  écrit  en  langue  vulgaire  conservant  seul  les  couleurs  et  l'empreinte  de  son 
époque,  les  drames  latins  ou  môme  farcis,  quelque  importants  qu'ils  pussent-être  pour 
l'histoire  du  théâtre  en  général,  ne  comptaient  pas  dans  l'histoire  du  drame  français.  En 
effet,  n'ayant  rien  qui  nous  peigne  les  mœurs  nationales,  écrits  par  des  religieux  qui  ne 
s'astreignaient  qu'à  une  fidélité  scrupuleuse  envers  le  texte  de  l'Evangile,  ils  ne  nous 
racontent  que  la  société  juive  et  nullement  celle  au  milieu  de  laquelle  ils  naquirent  (23). 

Au  résumé,  le  génie  dramatique  n'a  pas  cessé  de  produire,  disent  les  uns,  car  l'esprit 
humain  ne  sommeille  jamais,  il  se  transforme;  c'est  sous  ses  formes  nouvelles  qu'il  faut 
le  saisir,  pour  ne  pas  abandonner  son  histoire  ;  et  dans  quelque  idiome  que  ce  soit,  latin, 
roman  ou  français,  ce  qui  s'est  passé  en  France  est  français.  Les  autres  répondent  :  Mais 
si  la  puissance  de  la  production  dramatique  n'a  pas  été  suspendue,  où  sont  les  drames  et 
les  représentations  supposées?  Les  prétendues  pièces  que  l'on  met  en  avant  ne  sont  que 
des  dialogues,  et  les  sujets  même  dont  elles  traitent  sont  étrangers  à  la  France,  si  encore  la 
langue  dans  laquelle  elles  sont  écrites,  lui  appartient 

Les  rapports  de  l'Eglise  avec  le  théâtre  ont  amené  des  dissentiments  aussi  vifs;  et  la 
vérité  s'y  est  fait  bien  moins  jour.  Une  idée  commune  est  que  l'Eglise  a  fondé  le  théâtre. 

L'histoire  du  théâtre  antique  ne  finit  pas  au  siècle  d'Auguste;  l'usage  des  représenta- 
tions théâtrales  ne  fut  pas  aboli  aussi  brusquement  qu'on  le  suppose,  ce  qui  serait 
peu  conciliable  avec  la  ténacité  ordinaire  des  habitudes  populaires.  La  vogue  des  pantomi- 
mes, l'invasioi  des  Barbares,  portèrent  assurément  un  coup  funeste  au  drame  parlé  ;  mais 
quoique  les  monuments  en  soient  rares,  il  en  subsiste  néanmoins,  tels  que,  au  iv*  siècle, 
leQuerolus,  au  vn%  un  fragment  de  comique,  qui  prouvent  combien  longtemps  subsistèrent 
les  habitudes  romaines. 

Le  théâtre  antique  ne  disparut  que  devant  le  théâtre  chrétien.  Dès  le  m*  siècle,  avant 
même  d'être  reconnue,  l'Eglise  essaie  de  lutter  contre  les  splendeurs  de  la  scène  païenne 

(13)  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  t.  XVI;  Paris,  1824,  in-4°;  Disc,  sur  l'état  des  lettres  en  France  au  xm«  siècle, 

p.  1-254. 

(14)  C.-A.  Sainte  Beuve,  Tableau  hist.  et  crit.  de  la  poésie  fr.  et  du  théâtre  français  au  xvic  siècle;  Paris, 
1828,  in-8",  2  vol.,  t.  I,  p.  217-234. 

(15)  Art  poétique... 

(16)  Hist.  du  théâtre  français. 

(17)  Hist.  du  théâtre  françois,  Paris,  in-12,  19  vol.,  t.  I,  II  et  III,  1735-1745. 

(18)  De  Reacchamps,  Recherches  sur  les  théâtres  de  France;  Paris,  i"55,  in-8°,  3  vol.,  t.  1. 

(19)  La  Bibliothèque  du  théâtre  françois,  ouvrage  attribué  au  duc  de  la  Vallière,  Dresde,  Michel  Groell, 
1708,  in-12,  3  vol.,  t.  I. 

(20)  Dict.  crit. 

(21)  Voltaire,  Essai  sur  les  mœurs  et  l'esprit  des  nations,  t.  II,  p.  377. 

(22)  M.  Chabailles,  Œuvres  de  Ruiebeuf,  mises  au  jour  par  M.  A.  Jubinal,  Journal  des  Savants,  1839, 
cahier  de  janvier,  p.  41-53,  et  mai,  p.  276-288. 

(25)  L'abbé  De  Larue,  loc.  cit.;  M.  Magnin,  toc.  cit.;  M.  Achille  Jubinal,  loc.  cit.;  M.  0.  Leroy,  Etudes  sur 
les  mystères;  Paris,  1837,  iu-8°  ;  Epoques  de  l'histoire  de  France  en  rapport  avec  les  mystères  ;  Paris,  1843, 
in-8°. 


13  AYANT-PROPOS.  14 

par  la  magnificence  de  ses  liturgies.  Pendant  les  six  premiers  siècles,  l'Eglise  anathéma- 
tise  le  théâtre,  elle  le  poursuit  encore  après,  parce  qu'il  tient  à  l'antiquité,  mais  en  môme 
temps ,  elle  institue  des  offices  qui  sont  de  véritables  drames,  les  fôtes  de  Noël,  les 
Trois  Rois,  le  Sépulcre  ou  les  Trois  Maries  Le  prêtre  chrétien  désespérant  d'éteindre 
le  eéhie  dramatique,  le  dirige  vers  les  choses  saintes,  imitant  en  cela  les  prôtres  païens 
qui ,  dans  les  mêmes  vues,  donnèrent  à  l'art  dramatique  les  premiers  développements. 
Dans  quel  but  est  fondé  ce  théâtre  hiératique?  Selon  les  uns,  c'est  la  piété  chrétienne 
alarmée  qui  tente  de  substituer  aux  chants  licencieux  des  jongleurs  des  spectacles  plus 
honnêtes  (24);  ou  bien  la  mise  en  action  dans  la  liturgie  des  scènes  de  l'Evangile  a  pour 
Mit  d'instruire  le  peuple  qui  ne  sait  pas  lire  et  n'a  pas  môme  de  livres  (25)  ;  ou  bien 
encore,  dès  les  premiers  temps  de  la  société  chrétienne,  pour  arriver  5  l'initiation  des 
imposants  mystères  de  la  religion,  le  peuple  a  besoin  qu'on  lui  traduise  la  divine  épopée 
en  symboliques  narrations,  en  pathétiques  légendes  (26).  Selon  les  autres,  la  haute 
Eglise  a  eu  l'intention  de  perpétuer  dans  les  peuples  et  les  ministres  du  culte,  une 
ignorance  grossière;  Daunou  (27)  répète  ici  Voltaire  et  Dulaure.  M.  Magnin  ,  reprenant 
les  mêmes  vues  pamphlétaires,  en  a  tiré  un  système  plus  modéré  sans  doute,  mais  non 
moins  erroné.  Le  sacerdoce  ne  se  serait  pas  contenté  de  dominer  les  intelligences;  il 
aurait  voulu  subjuguer  les  imaginations  et  s'emparer  à  la  fois  de  toutes  les  facultés  hu- 
maines.  Le  théâtre  ûurait  été  ainsi  pour  lui  un  moyen  de  puissance  et  de  séduction  (28). 

Toutes  ces  hypothèses  ne  sont  le  résultat  que  d'une  observation  incomplète  des  faits. 
Tantôt,  ce  sont  les  monuments  subsistants  du  théâtre  qui  sont  trop  uniquement  consi- 
dérés ;  tantôt,  ce  sont  les  documents  relatifs  aux  rapports  de  l'Eglise  avec  le  génie  drama- 
tique qui  sont  trop  absolument  négligés. 

Les  preuves  positives  ne  manquent  pas,  qui  établissent  d'une  manière  sûre  qu'en  effet 
)es  représentations  scéniques  n'oit  pas  cessé  après  la  chute  de  l'empire  Romain;  que  la 
société  chrétienne  a  accepté  le  théâtre,  et  que  l'esprit  dramatique  a  été  transporté 
alors  des  monuments  publics  destinés  au  drame  païen,  dans  l'intérieur  des  basi- 
liques. 

Mais  le  génie  dramatique  s'est  emparé  de  l'Eglise;  le  théâtre  a  dominé  violemment; 
l'Eglise  ,  depuis  ses  origines  jusqu'à  nous,  n'a  pas  cessé  de  s'opposer  aux  jeux  de  la  scène. 
Elle  a  refusé,  en  tous  les  temps,  en  tous  les  lieux,  la  succession  du  théâtre  païen.  Do- 
minée, elle  n'a  jamais  été  vaincue  entièrement;  elle  a  lutté,  résisté  jusqu'au  triomphe, 
et  si  elle  n'a  pu  anéantir  le  théâtre,  du  moins  elle  l'a  expulsé  entièrement  de  son  sein, 
d'où  il  se  vante  faussement  d'être  sorti  (29). 

C'est  ce  qui  résulte  des  écrits  des  saints  Pères  et  des  textes  des  Conciles,  que  nous 
avons  réunis  à  la  suite  de  cet  Avant-Propos. 

L'interdiction  perpétuelle  du  théâtre  qui  est  la  conséquence  de  cet  ensemble  imposant, 
s'appuie  sur  toutes  les  raisons  que  peut  invoquer  la  morale.  Les  coutumes  du  théâtre, 
dit  l'Eglise,  sont  absolument  étrangères  à  la  vie  chrétienne.  Elles  ne  peuvent  que  pervertir 
les  esprits  et  plonger  dans  l'amollissement  les  cœurs  les  plus  ardents  et  les  plus  sincères. 
Elles  souillent  l'intérieur  des  temples,  et,  soit  aux  dimanches,  soit  aux  fêtes  ,  ne  portent 
que  le  trouble  dans  les  sanctuaires.  Leur  intention  peut  être  pieuse,  mais  elle  est  con- 
traire à  une  saine  connaissance  de  la  vérité.  Car  la  vérité  est  que  la  pratique  du  théâtre 

(24)  llist.  tilt,  de  la  Fr. 

(-2.'))  L'abbé  De  Larue,  toc.  cit. 

(-la)  Louis  Paris,  Toiles  peintes  et  tapisseries  de  la  ville  de  Reims;  Paris,  18iô,  in-i",  2  vol.,  t.  I, 
Piéf. 

(27)  Daunou  ,  Disc,  sur  fêtai  des  lettres  au  xmc  siècle;  Hist.  litt.,  t.  XVI  ;  Paris,  1824,  in-i°,  p.  1- 
25  i. 

(28)  M.  Magnin, /oc.  cit. 

(29)  Nous  ne  voyons  guère  que  Dom  Martin  C.erbert.  qui  ait  bien  compris  et  qui  ait  affirmé  La  répudiation 
perpétuelle  de  l'Eglise  De  cantu  et  mus.  sacr.;  Saint-Biaise,  1774,  in-4°,  2  vol.;  —  Veteris  Liturq.  aUmann. 
mcttum.;  Saint-Biaise,  1777-1779,  in-i",  2  vol.  —    Vêtus  Liturgia  alemannica;  Saint-Biaise,  Cl'd,  iu-4% 

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Ïjj  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  16 

par  le  clergé,  ne  peut  amener  d'autres  résultats   que   des   désordres   dans  l'Eglise    (30). 

L'histoire  du  théAtre  ne  comprend  donc  que  deux  phases.  Dans  la  première,  la  société 
laïque  envahit  et  violente  l'Eglise,  il  est  vrai,  avec  une  intention  pieuse.  Dans  la  seconde, 
l'Eglise  répudie  le  théâtre;  elle  le  poursuit,  elle  l'expulse  de  l'intérieur  des  cathédrales. 

D'où  vient  qu'il  y  a  lieu  de  distinguer ,  dans  le  développement  du  théâtre,  ce  qui  appar- 
tient aux  individus,  et  ce  qui  est  le  propre  de  l'Eglise  en  général.  Les  individus  prennent 
part  aux  représentations  dramatiques  ;  les  membres  de  l'Eglise  subissent  l'influence  des 
mœurs  et  des  temps.  Mais  l'Eglise,  dominée  dans  un  grand  nombre  des  siens  par  la  cou- 
tume, ne  subit  pas  le  joug,  et,  à  toutes  les  époques,  elle  repousse  absolument  le 
théâtre. 

Si  donc  le  théâtre  prend,  jusqu'à  un  certain  point,  place  parmi  les  monuments  de  l'his- 
toire ecclésiastique ,  ce  n'est  que  par  les  individus;  ainsi  seulement,  la  majeure  partio 
des  monuments  dramatiques  du  moyen  âge,  incombe  au  détriment  de  l'Eglise.  Deux 
courants  ont  existé  :  l'un  purement  laïque;  le  Querolus ,  le  Jeu  des  sept  sages  d'Au- 
sone ,  la  comédie  de  Babion,  le  Jeu  de  la  Feuillée ,  la  destruction  de  Troyes  la  grande,  pour 
ne  citer  que  quelques  pièces  du  1er  au  xvir  siècles,  appartiennent  à  ce  mouvement  de 
l'esprit  humain,  en  dehors  de  toute  idée  religieuse  ;  l'autre  courant ,  bien  au  contraire, 
purement  religieux  et  moral.  Nous  donnons  dans  ce  Dictionnaire  la  collection  géné- 
rale des  monuments  qui  ont  traversé  les  siècles,  du  rr  au  xvir,  et  qui,  répudiés  ajuste 
raison  par  l'Eglise,  ne  se  sont  pas  moins  imposés  à  elle,  sont  nés  dans  son  sein,  se  sont 
nourris  de  sa  substance ,  el  par  conséquent  sont  de  son  domaine. 

(30)  C.  829,  vi'conc.  de  Paris,  c.  58;  1280,  conc.  de  Ravennes,  c.  i;  1566,  conc.  de  Tolède;  1583j 
"conc.  de  Bordeaux,  c.  iv;185i,  Mandement  de  l'évêquede  Cambrai. 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE 

RELATIVEMENT  AU   THÉATRE. 


I.  CANONS  DES  SAINTS  CONCILES. 


IV  SIÈCLE.  —  305.  —Concile  d'Elvire.  31  ï.  —Premier  concile  d'Arles.  C.  iv.  — 

C.  lxîi.  —  «  Si  un  conducteur  de  chars  dans  «  Quant  aux.  agitateurs  (du  cirque  [3i])  qui 

le  cirque,  ou  un  acteur  des   pantomimes  du  sont  fidèles,  il  est   bon  qu'aussi  longtemps 

théAtre,  possède  la  foi,  il  est  séant,  d'abord  qu'ils   fout    leur   mélier ,    ils    soient   tenus 

qu'il  renonce  à  son  art  ;  ensuite  on  le  rece-  hors  de  la  communion, 

vra,  pourvu  qu'il  ne  soit  pas  retombé  dans  «   C.   v.    Quant    aux    gens    de    théâtre, 

son  métier:  mais,  si,  malgré  l'interdit,  il  en  il  est   bon,  aussi  longtemps  qu'ils  le  sont* 

essayait  de   nouveau  ,  q  ion  le  chasse  du  qu'ils  soient  tenus  aussi  hors  de  la  commu- 

seiu  de  l'Eglise.  »  (Labbe,  t.  1er  col.  977,  b.)  nion.  »  (Labbe,  t.  Ier,  col.   li2G,  d.) 

305-308.  —  Décrets   du  pape  Eusèbe.    —  3li-324. — Concile  de  Laodicée.  C.  xxvir. 

«  §  IV.    Il  faut  qu'un    évêque  se   contente  —  «  Il   ne  faut  pas  qu'aucun  homme  d'é- 

d'un  repas  modeste...  et  que  tous  sujets  de  glise,  clerc  ou  laïque,  invité  aux  agapes,  y 

tentation   houleuses   soient  écartés  du  di-  reçoive  une   poriion  de  nourriture;  car  ce 

ner   auquel  il  préside;   ni    les  représenta-  serait  donner  lieu  de  mal  penser  du  corps 

tions   des    histrions,  ni    le  vain  débit   des  ecclésiastique  entier. 

bouffons,  ni  les  sottises  des  saltimbanques,  «  C.  xxvni.  Il   ne  faut   pas  que  dans  les 

ni  les   tours  de  passe-passe  des  joueurs  de  lieux  consacrés,  c'est-à-dire   les    églises, 

gobelets,  n'y  serontadmis;  les  voyageurs, les  aient   lieu    les  festins  nommés   Agapes;  op. 

pauvres,  les  infirmes  reconnaissants  envers  ne  doit  ni  manger,  ni  coucher  dans  la  mai- 

e  Christ  de  la  nourriture  qu'ils  reçoivent  à  son  de  Dieu.  (Labbe,  t.  1",  col.  1502,  b.  c.) 

a  lable   épiscopale,    doivent   y  être  assis  «  C.  liv.   11    ne  faut  pas  que    les   évê- 

et  en  recevoir  le  bienfait.  On  fera  une  lec-  ques  ou  les  clercs  assistent  à  aucun  spec- 

ture    pieuse.   »  (Labbe,   t.  Ier,   col.   1393.  tacle,  soit  dans  les  noces,  soit  dans  les  fes- 

c.  d.)  tins;  avant   l'entrée   des  bateleurs,    il  est 

(5i)  Employés  aux  paris  des  Factions. 


47 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SUR  LE  THEATRE.  18 


séant  de  se  lever  et    de  se   retirer  (32).  » 
(Labbe,  t.  I",  col.  151k,  d.) 

Fin  du  iv  Siècle,  397,  selon  Baronius. 
Canons  de  l'Eglise  d'Afrique.  —  «  C.  xlu.  Ni 
les  évêques,  ni  les  clercs  ne  feront  des  fes- 
tins dans  l'église  ,  à  moins  pourtant  que  ce 
ne  soit  faute  d'un  lieu  pour  donner  l'hos- 
pitalité à  des  voyageurs  ;  mais,  autant  que 
possible,  on  empêchera  les  laïques  de  venir 
y  tenir  leurs  banquets.  »  (Labbe,  t.  II,  col. 
1069,  d) 

«C.xi.v.  On  ne  refusera  pas  la  réconciliation 
aux  acteurs  ni  aux  histrions,  ni  à  toutes  les 
autres  personnes  dans  le  même  cas,  ni  enfin 
aux  apostats,  quand  ils  se  seront  repen- 
tis et  seront  revenus  à  Dieu.  »  (Labbe,  t.  I", 
col.  1072,  a.) 

«  G.  lxi.  11  faut  demander  aux  très-pieux 
empereurs  Théodose  et  Valentinien,  qu'ils 
défendent  les  spectacles  et  les  autres  jeux, 
lors  des  dimanches  et  des  autres  fêtes  que  la 
religio  î  chrétienne  solemnise;  principale- 
ment, pendant  l'oclave  de  Pâques,  car  le 
peuple  court  au  cirque  plutôt  qu'à  l'Eglise... 
On  ne  doit  point  contraindre  les  Chrétiens 
d'asMSter  au  spectacle,  ou  d'en  être  les  ac- 
teurs... »  (Labbe,  t.  1",  col.  1702,  b.) 

«C.  lxiii.  Si  que'qu'un  de  quelque  profes- 
sion artistique  que  ce  soit,  veut  rentrer  dans 
la  faveur  de  la  chrétienté,  il  y  sera  reçu  à  con- 
dition de  ne  jamais  retournera  son  métier 
déshonorant  ;  et  personne  n'a  le  droit  de  le 
contraindre  à  recommencer  de  pécher.  » 
(Labbe,  t.  I",  col.    1088,  c.) 

397.  —  Troisième  concile  de  Carthage.  — 
«  C.  xi.  Les  enfants  des  évêques  ou  des 
clercs  ne  doivent  ni  assister,  ni  avoir  part 
aux  spectacles  séculiers,  ces  spectacles  étant 
défendus  même  à  tous  les  laïques,  car  tous 
les  chrétiens  ont  toujours  été  écartés  de 
toute  occasion  de  chute.  »  (Labbe,  t.  II, 
col.  1169,  c.) 

«  C.  xxx.  Ni  les  évoques,  ni  les  clercs  ne 
feront  des  festins  dans  l'église,  à  moins 
pourtant  que  ce  soit  pour  donner  à  man- 
ger à  des  voyageurs,  et  qu'on  n'ait  pas 
d'autres  lieux  pour  donner  l'hospitalité; 
maison  empêchera,  aulant  que  possible,  les 
laïques  de  venir  y  tenir  leurs  banquets.  » 
(Labbe,  t.  II,  col.  1171,  d.) 

398.  —  Quatrième  concile  de  Carthage.  — 
«  C.  lxxxviu.  Celui  qui,  le  dimanche,  né- 

ge  l'assemblée  solennelle   des  fidèles  à 
'Eglise,  et  va  aux  spectacles,  sera  excom- 
munié. »  (Labbe,  t.  II,  col.  1206,  e.) 


i52.  — Deuxième  concile  d'Arles.  —  «  C. 
xx.  Quanl  aux  agitateurs  du  cirque,  ou  aux 
gens  de  théâtre,  qui  sont  fidèles,  il  est  bon, 
aussi  longtemps  qu'ils  font  leur  métier, 
qu'ils  soient  tenus  hors  de  la  communion.  » 

—  Yoy.  311,   premier  conc.  d'Arles,  C.  IV  et 
v.  (Labbe,  t.  111,  col.  1013,  d.) 

VI'  SIÈCLE.  —  506.  —  Concile  d'Agde.  — 
«  C.  lxx.  Le  clerc  adonné  aux  jeux  des 
bouffons  et  aux  honteuses  récitations  des 
jongleurs,  sera  exclus  du  service  (divin).  » 
(Labbe,  t.  III,  col.  1594,  c.) 

555.  —  Constitutions  du  roi  Childebert.  — 
«  Les  nuits  sont  passées  dans  les  veilles, 
l'ivresse,  des  jeux  de  bouffons  ,  ou  des 
chants;  même  les  nuits  des  sainis  jours  de 
Pâque,  de  Noël  et  des  autres  fêtes,  et  le  di- 
manche, des  sauteuses  courent  par  les  villes  : 
toutes  choses,  où  Dieu  est  très- certainement 
offensé,  et  que  nous  défendons  expressé- 
ment. »  (Labbe,  t.  V,  col.  811,  b.) 

567.  —  Deuxième  concile  de  Tours.  —  «  C. 
xxu.  Il  est  des  gens  qui  célèbrent  les  Ca- 
lendes de  janvier,  bien  que  Janus  n'ait 
jamais  été  qu'un  païen  :  roi  peut  être,  mais 
non  certainement  Dieu...  Qu'on  ne  leur 
laisse  pas  de  part  au  saint  autel.  »  (Labbe, 
t.  V,  col.  863,  6,  c,  d,) 

572.  —  Fragments  des  canons  du  concile  de 
Bragancc  (Espagne).  —  «  C.  lxxx.  Celui  qui 
mènera  des  danses  devant  les  églises  des 
saints,  l'homme  qui  se  déguisera  en  femme, 
ou  la  femme  en  homme,  seront  soumis  à 
trois  ans  de  pénitence.  »  (Labbe,  t.  V,  col. 
901,  e.) 

Deuxième  moitié  du  vi'  siècle,  vers  572. 

—  Recueil  de  canons  de  Martin,  évéque  de 
Bragance  (Augusta  Bracarum,  concil.  Braca- 
riens.) — «  C.  lx.  Il  n'est  pas  permis  aux 
prêtres  ou  aux  clercs,  d'assister  aux  spec- 
tacles que  l'on  donne  dans  les  noces  ou  les 
repas;  il  faut,  avant  l'apparition  des  jeux, 
que  les  prêtres  et  les  clercs  se  lèvent  et  se 
retirent.  »  (Labbe,  t.  V,  col.  912,  c.) 

«  C.  lxxiii.  Il  ne  faut  pas  faire  obser- 
vance des  jours  impies  des  Calendes,  ni  se 
livrer  aux  jeux  des  gentils,  ni  garnir  les 
maisons  de  lauriers  ou  de  feuillages;  car 
toutes  ces  coutumes  sont  païennes.  »  (Ibid., 
col.  913,  c.) 

578.  —  Concile  d'Auxerre.  —  «  C.  I.  Il 
n'est  pas  loisible  de  se  déguiser  en  bœufs 
ou  en  cerfs  aux  Calendes  de  janvier,  ni 
d'observer  l'us  diabolique  des  étrennes  ;  au 


Ve  SIÈCLE.  —  42i.  —  Canons  de  l'Eglise      contraire,  ce  jour-là  même,  on  doit,  comme 


d'Afrique. —  «  C.  ix.  Ni  les  évoques,  ni  les 
clercs  ne  feront  des  festins  dans  l'Eglise, 
à  moins  que  ce  ne  soit  pour  donner  l'hospi- 
talité à  des  voyageurs;  et  l'on  empêchera, 
autant  que  possible,  les  laïques  de  tenir  leurs 
banquets  dans  1  Eglise.  »  (Labbe,  t.  II, 
col.  16U,  a.) 

«  C.  xii.  La  réconciliation  ne  sera  refusée  ; 
ni  aux  acteurs,  ni  aux  histrions,  ni  à  aucune 
des  personnes  dans  le  môme  cas.  »  (Labbe, 
I.  Il,  col.  16U,  c.) 


tout  autre  jour,  remplir  tous  ses  devoirs.  » 
(Labbe,  t.  V,  col.  957,  e.) 

VIP  SIÈCLE,  vers  650.  —  Concile  de  Cha- 
tons (S. -S.)  — «  C.  xix.  11  y  a  beaucoup  de 
choses  qui,  pour  n'être  point  amendées,  tant 
qu'elles  n'ont  que  peu  d'importance,  s'ag- 
gravent au  pis.  Ainsi,  tout  le  monde  trouve 
étrangement  inconvenant  qu'aux  dédicaces 
des  églises  et  aux  fêtes  des  martyrs, il  se  forme 
de  très-nombreux  chœurs  de  femmes  pour 
chanter  des  vers  impies  et  obscènes,  dans 


>2 )  Ces  canons  sont  traduits  d'apiès  les  versions  différente»  de  Denys  et  d'Uidore. 


t9 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


20 


le  temps  même  où  la  prière  et  l'audition  des 
psaumes  récités  par  les  clercs ,  seraient 
l'unique  devoir.  Aussi  les  prêtres  doivent- 
ils  défendre  qu'on  se  place  dans  le  centre 
des  églises,  ou  auprès  des  portiques,  ou 
sous  les  porches;  et  s'il  y  a  résistance,  il 
faut  user  de  l'excommunication  ou  tout  au 
moins  de  punitions  disciplinaires.  »  (Labbe, 
t.  VI,  col.  391,  b,  c.) 

692.  —  Concile  in  Trullo  ou  de  Constan- 
tinople.  —  «  C.  lxii.  Tout  ce  qu'on  nomme 
Calendes,  Vœux,  Brumaires  ;  et  les  assem- 
blées  du  premier  jour  de  mars,  seront  dé- 
sormais anéantis;  car  telle  est  notre  volonté. 
Quant  à  ces  danses  publiques  de  femmes, 
sources  de  maux  et  de  ruines;  et  à  ces 
chœurs  et  mystères,  au  nom  des  faux  dieux 
des  gentils,  ou  d'hommes  et  de  femmes  qui 
sont  des  coutumes  antiques  tout  à  fait  étran- 
gères à  la  vie  chrétienne  ,  nous  les  prohi- 
bons expressément,  ordonnant  que  nul 
homme  ne  se  déguise  à  l'avenir  en  femme, 
ou  aucune  femme  en  homme;  que  nul  ne 
représente  des  personnages  de  comédie  ou 
de  tragédie;  que  personne,  quand  les 
vignerons  font  le  vin  dans  les  cuves  , 
n'invoque  le  nom  de  l'exécrable  Bacchus; 
ni  que,  au  moment  de  verser  le  vin  dans 
les  tonneaux,  nul  ne  fisse  rire  par  des 
actions  marquées  aux  coins  de  l'imposture 
et  de  la  folie,  et  qui  ne  prouvent  que  l'igno- 
rance ou  la  vanité.  Par  conséquent,  qui- 
conque désormais  contreviendra  à  nos  pres- 
criptions, une  fois  celles-ci  connues  parmi 
les  clercs,  sera  déposé,  et  parmi  les  laïcs, 
mis  hors  de  la  communion.  »  (Labbe,  t.  VI, 
col.  11C9,  d,  e;  1172,  a.) 

692.  —  Concile  in  Trullo.  —  «  C.  lxxiv.  11 
ne  faut  faire,  en  aucun  lieu  consacré  au 
Seigneur,  ni  dans  les  Eglises,  ces  banquets 
d'amitié  que  l'on  nomme  agapes;  il  ne  faut 
non  plus  ni  manger  dans  l'intérieur  des 
temples,  ni  y  coucher.  Quiconque  l'osera, 


doit  en  être  empêché  ou  sera  mi- 


uns  hors  de 
la  communion.  »  (Labbe,  t.  VI,  col.  1 176,  b.) 

694.  —  Dix-septième  concile  de  Tolède.  — 
«  C.  xxin.  Le  clerc,  faisant  le  bouffon  ou  le 
jongleur,  et  récitant  des  choses  deshon- 
nêtes, sera  destitué.  »(  Labbe,  t.  VI, 
1374,  c.) 

VIII*  SIÈCLE.  —  Commencement  du  vin" 
siècle  (entre  712  et  721).  —  Capitulaire  du 
Pape  Grégoire  II.  —  «  G.  ix.  Les  évocations, 
les  charmes,  aussi  bien  que  les  diverses 
observances  des  jours  des  calendes  que  nous 
ont  laissées  les  erreurs  du  paganisme,  sont 
prohibés;  et  aussi  les  maléfices,  les  presti- 
ges des  magiciens,  les  sortilèges  et  les  exé- 
crables pratiques  de  la  divination.  »  [Labbe, 
t.  VI,  col.  1454,  b.) 

Première  moitié  du  vnr  siècle  (entre  726 
et  742).  —  Lettre  I  du  Pape  Zachaiie.  — 
«  C.  vi.  Quant  aux  Calendes  ou  Januaires... 
pratiquées  à  Rome...  comme,  par  les  efforts 
du  diable,  ces  pratiques  recommençaient... 
nous  y  avons  mis  ordre...  à  l'instar  de  notre 
prédécesseur  de  pieuse  mémoire,  et  notre 
maître,  le  seigneur  Grégoire  Pape.  »  (Labbe, 
t.  VI,  col.  1500,  c,  d,  e.) 


743.  —  Premier  concile  de  Borne.  —  «  C.  ix. 
Quiconque  aura  osé  fêter  les  calendes  de 
janvier,  tenir  table  ouverte,  ou  danser  et 
chanter  dans  les  rues  et  sur  les  places,  ini- 
quités très-graves  aux  yeux  de  Dieu,  qu'il 
soit  analhèmel  »  (Labbe,  t.  VI,  col.  1548,  a.) 

745.  —  Statuts  de  saint  Boniface,  arche- 
vêque de  Maycnce.  —  «  C.  xxi.  Il  n'est  pas 
permis  aux  laïques  de  former  des  chœurs 
dans  les  églises,  ni  aux  jeunes  tilles  d'y  chan- 
ter, ni  d'y  faire  des  festins  ;  car  il  est  écrit  : 
Ma  maison  sera  dite  le  sanctuaire  de  la 
prière.  »  (Labbe,  t.  VI,  col.  1891,  d.) 

747.  —  Second  concile  de  Cloveshow,  en 
Mercie  {Angleterre). —  «  C.  xvi.  Il  est  recom- 
mandé... de  célébrer,  selon  la  coutume  de 
nos  aïeux,  les  trois  jours  qui  précèdent  ce- 
lui de  l'Ascension  de  Notre  Seigneur,  en 
jeûnant  jusqu'à  none  chaque  jour,  et  en 
disant  la  messe  :  mais  on  s'abstiendra  de 
ces  vaines  coutumes  trop  répandues  parmi 
les  gens  de  peu  de  foi  ou  ignorants,  telles 
que  les  jeux  [ludis),  les  courses  de  chevaux, 
et  les  festins  extraordinaires.  »  (Labbe, 
t.  VI,  col.  1578,  a,  b.) 

Seconde  moitié  du  vm'  siècle.  — Les  arti- 
cles de  ("archevêque  Egbert.  —  «  C.  xxxiv. 
Tout  chrétien  qui  aura  pris  du  plaisir  aux 
fables  oiseuses,  aux  sots  récits,  ou  aux 
contes  plaisants  des  jongleurs,  étant  en  état 
de  péché  selon  les  préceptes  du  Seigneur 
conservés  par  l'apôtre  saint  Paul,  en  fera 
l'aveu  à  son  curé  et  fera  la  pénitence  que 
la  volonté  de  ce  dernier  lui  imposera.  Que 
personne  d'entre  les  chrétiens  ne  compte 
de  peu  et  ne  néglige  ces  péchés  qui  résul- 
tent (ic  pensées  vaines  et  boursouflées,  de 
paroles  superflues  et  oiseuses.  »  (Labbe, 
t.  VI,  col.  1004,  6,  c.) 

791.  —  Concile  près  d'Aquilée.  —  «  C.  vi 
Il  est  bon  que  tous  les  honneurs  mon- 
dains, dont  les  gens  du  siècle  et  les  prin- 
ces de  la  terre  ont  la  coutume,  tels  que 
la  chasse,  les  chants  séculiers,  les  réjouis- 
sances sans  terme  et  sans  modération,  et 
tous  les  jeux  de  cette  nature ,  ne  soient 
pas  dans  les  habitudes  des  gens  d'église.  » 
(Labbe,  t.  VII,  col.  1004,  b.) 

IXe  SIÈCLE.  —  813.  —  Sixième  concile 
d'Arles.  —  «  G.  xxu.  11  n'y  aura  pas  de 
plaids  publics  et  séculiers,  ni  sous  les  por- 
ches ni  dans  l'intérieur  des  églises,  le  Sei- 
gneur ayant  dit  :  Ma  maison  sera  surnommée 
la  maison  de  la  prière.  (Malth.  xxi).  »  (Labbe, 
t.  VII,  col.  1238,  c.) 

813.  —  Concile  deMagence.  —  «  C.  x.  Nous 
voulons  et  nous  décrétons  la  plus  grande 
régularité  de  vie  parmi  ceux  qu'on  dit  avoir 
laissé  le  siècle  et  qui  pourtant  tiennent  en- 
core à  lui.  C'est  pourquoi  le  saint  concile  a 
trouvé  bon  de  mettre  en  lumière  les  règles 
propres  aux  clercs.  Que  ceux  donc  qui  ont 
quitté  les  coutumes  des  laïques  et  se  sont 
séparés  de  la  vie  ordinaire,  s'abstiennent  des 
plaisirs  du  monde;  qu'ils  n'assistent  ni  aux 
spectacles,  ni  aux  fêtes  publiques,  et  qu'ils 
fuient  les  festins  deshonnêtes.  »  (Labue, 
t.  Vil,  col.  124^,  b,  c.) 

«  G.  xl.  Nous  ordonu.'  ns  qu'il  n'y  ait  point 


21 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SU  H  LE   THEATRE. 


ç* 


de  plaids  séculiers  ni  dans  les  églises,  ni  fêtes  des  sainls,  ne  se  font  pas  de  la  solen- 

sous  leurs  [torches,  ni  dans   les  Milices  en  nilé  du  jour  une  saine  idée,  en  la  célébrant 

dépendant.  »  (Labbe,  t.  VII,  col.  1250,  e.)  par  des  danses,   des  chants  déshonnôtes  et 

«  C.  XLviii.  Nous  nous  opposons  absolu-  des    réunions   qu'ils   président  ou  dont  ils 

ment  a  ce  qu'on  chante  dans  les  églises  des  font    partie,   toutes  coutumes  des   païens, 

vers  déshonnôtes  ou   luxurieux.  »  (Labbe,  Ces  personnes,  venues  à  l'église  avec  des 

t.   VII,  col.  1251,  e.)  péchés  légers,  s'en  retournent  avec  de  plus 

813.  — Concile  de  Reims.  —  «  C.  xvii.  Les  graves.  C'est  de  quoi  tout  prêtre  doit  dili- 

évêques  et  les  abbés  ne  permettront  pas  de-  gemment  aviser  ses   ouailles,  et  les  avertir 


vaut  eux  des  jeux  honteux;  ils  auront  avec 
eux  à  leur  table  les  pauvres  et  les  indi- 
gents, et  l'on  fera  une  lecture  pieuse.  » 
(Laobe,  t.  VII,  roi.  1256,  b. 

813.  —  Troisième  concile  de  Tours.  — 
«  C.  v.  Un  évoque  ne  doit  pas  avoir  des 
banquets  remplis  de  profusion;  il  se  con- 
tentera de  peu  de  mets,  et  de  plats  gros- 
siers, afin  de  ne  pas  s'élever  contre  celte 
parole  du  Seigneur  :  Faites  attention  à  ce 


de  ne  venir  à  l'église  que  pour  prier,  car 
en  agissant  autrement,  non-seulement  on 
se  perd,  mais  on  entraîne  autrui  dans  sa 
perte.  »  (Labbe,  t.  VIII,  col.  U2V  b,  c,  d.  ) 
829.  —  Quatrième  concile  de  Paris.  — 
«  C.  xxxwn.  Tous  les  Chrétiens  ayant  pour 
loi,  selon  les  textes  de  l'Apôtre  (Ephes.  v), 
d'éviter  les  vaines  paroles  et  les  bouffonne- 
ries, à  plus  forte  raison  les  p-êlresde  Dieu, 
qui  doivent  à  autrui  l'exemple  et  le  fonde- 


que  vos  cœurs  ne  soient  pas  engourdis  par     ment  du  salut,  ont  à  y  prendre  garde.  Les 
l'orgie  et  l'ivresse  (Luc.  xxi).  Et,  pendant  le     personnes  appartenant  à  l'Eglise  repousse- 


repas,  on  fera  à  la  table  une  lecture  pieuse 
préférable  aux  paroles  oiseuses  des  bouf- 
fons. »  (  Labbe  ,  t.  VII,  col.  1262,  a.) 

«  C.  vi.  H  n'est  pas  séant  aux  prêtres  de 
prendre  part  à  desjeux  séculiers  et  deshon- 
nêtes ;  ainsi  ils  no  rechercheront  point  les 
chasses  d'animaux  sauvages.  »  (Labbe,  VII, 
col.  1262,  c.) 

«  C.  vu.  Les  prêtres  de  Dieu  doivent  s'abs- 
tenir de  toutes  choses  capables  d'eni- 
vrer les  yeux  et  les  oreilles,  et  par  là  d'a- 
mollir la  vigueur  de  l'âme;  ce  qui  peut 
s'entendre  de  quelques  genres  de  musique 
et  de  bien  d'autres  choses  ;  car  c'est  au  mi- 
lieu de  ces  plaisirs  des  oreilles  et  des  yeux 
que  la  multitude  des  vices  a  coutume  de 
pénétrer  jusqu'au  cœur.  Aussi  les  indécen- 
ces des  histrions  déshonnôtes  et  de  leurs 
jeux  obscènes,  doivent-elles  être  évitées; 
et  il  faut  en  donner  avis  aux  autres  prê- 
tres.  »  (Labbe,  t.  VII.  col.  1262,  b,  c.) 

813.  —  Second  concile  de  Châlons.  —  «  C. 
ix.  Les  prêtres  doivent  s'abstenir  de  tous 
les  divertissements  des  oreilles  et  des  yeux; 
ne  s'occuper  ni  de  chiens,  ni  d'éperviers, 
ni  de  faucons  ou  d'autres  choses  sembla- 
bles; et  non-seulement  repousser  loin  d'eux, 
mais  engager  les  tidèles  à  chasser  de-môme 
ces  jeux  indécents  ou  obscènes  des  histrions 
et  des  bateleurs.  »  (Labbe,  t.  VII,  col.  1274, 
c,  d.) 

816.  —  Concile  d'Aix-la-Chapelle.  — 
«  C.  lxxx.  Il  ne  faut  pas  que  l'on  fasse  dans 
les  lieux  consacrés,  c'est-à-dire  dans  les 
églises  de  Dieu,  de  ces  festins  que  l'on 
nomme  agapes;  on  ne  mangera  pas  dans  la 
maison  de  Dieu  ,  et  l'on  n'y  couchera  pas 
[Voy:.  concile  de  Laodicée.  «'(Labbe,  t.  Vil, 
col.  1361  ,  a.) 

«  C.  LX&xin.  Les  prêtres  ni  les  clercs 
ne  peuvent  assister  aux  spectacles  ni 
sur  les  théâtres  ni  dans  les  noces;  mais 
avant  l'entrée  des  acteurs,  ils  devront  se 
lever  et  s'en  aller.  (Voy.  concile  de  Laodi- 
cée.) »  Labbe,  t.  VIL  col.  1361  ,  a,  b.) 

826.  — Synode  de  Rome.  —  «  C.  xyxv.  Il  y  a 
des  gens,  et  surtout  des  femmes,  qui,  dans 
tous  les  jours  fériés   et   consacrés,  et  aux 


ront  donc  les  jongleries,  les  sots  discours 
et  les  ie\jx  obscènes,  et  les  autres  vains 
amusements  qu'offrent  les  histrions,  moins 
propres  à  donner  à  rire  qu'à  pleurer,  à 
cause  de  l'amollissement  où  ils  plongent 
l'âme  chrétienne  la  plus  vigoureuse. 

«  Il  n'est  donc  pas  convenable,  et  il  est 
défendu  aux  prêtres  de  Dieu  de  polluer 
leurs  yeux  de  spectacles  de  cette  sorte  et 
d'abandonner  leur  esprit  à  ces  vains  ,  plats 
et  honteux  jeux  de  la  parole. 

«  En  etfet ,  le  Seigneur  a  dit  dans  l'Evan- 
gile :  Les  hommes  rendront  compte  au  jour 
du  jugement  de  toute  parole  inutile  qu'ils 
auront  dite.  (Matth.  xii,  36.) 

«Saint  Paul  aux  Ephésiens  :  Que  nu!  mau- 
vais discours  ne  sorte  de  votre  bouche ,  mais 
qu'il  n'en  sorte  que  de  bons  et  de  propres  à 
nourrir  la  foi,  afin  qu'ils  inspirent  la  piété 
à  ceux  qui  les  écoutent.  Et  n'attristez  pas 
l'Esprit -Saint  de  Dieu  dont  vous  avez  été 
marqués  comme  d'un  sceau  pour  te  jour  de 
la  Rédemption.  (Matth.  iv.)  Qu'on  n'entende 
pas  seulement  parler  parmi  vous  ,  ni  de  for- 
nication ,  ni  de  quelque  impureté  que  ce  soit, 
ni  d'avarice  ,  counne  on  n'en  doit  point  ouir 
parler  parmi  des  saints.  —  «  Qu'on  n'y  en- 
tende point  des  paroles  déshonnétes ,  ni  de 
folles,  ni  de  bouffonnes ,  ce  qui  ne  convient 
pas  à  votre  vocation  :  mais  plutôt  des  paro- 
les d'actions  de  grâces.  (Matth.  v.) 

«  Il  y  a  sur  ces  sujets  bien  d'autres  précep- 
tes à  citer,  qu'il  faut  prendre  en  bonne  note, 
et  dont  les  prôlres  avec  tous  les  fidèles  doi- 
vent avoir  une  grande  crainte,  car,  e;v 
commettant  des  actions  contre  lu  loi,  >',* 
négligent  leur  salut. 

«Enfin  il  nous  a  paru  à  tous  que  ceux 
d'entre  les  prêtres  qui  jusqu'ici  auront  pra- 
tiqué ces  vanités ,  feront  bien,  désormais, 
avec  l'aide  de  Dieu,  de  s'en  garder  avec  soin.  » 
(Labbe,  t.  VII,  col.  162V,  o,  b,  c,  d.) 

840-855.  —  Lois  ecclésiastiques  de  Kcnith, 
roi  d'Ecosse.  —  «  C.  xi.  Les  fugitifs,  les 
bardes,  les  oisifs,  les  bateleurs,  et  tous  gens 
de  celte  sorte,  seront  punis  de  coups  d . 
courroies  et  du  fouet.  »  (Labbe,  t.  VJi, 
col.  1777,  c/.) 


23 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERLS. 


24 


850.  —  Concile  en  un  lieu  incertain  de 
VJtalie.  —  «  C.  m.  Il  est  séant  qu'un  évo- 
que se  contente  d'un  modeste  repas,  et 
qu'au  lieu  de  presser  ses  convives  de  boire 
et  de  manger,  il  leur  donne  l'exemple  de 
la  sobriété.  Que  de  son  repas  soient  écar- 
tés tous  les  éléments  de  honte,  et  que  ni 
les  spectacles  des  histrions,  ni  les  parades 
des  saltimbanques,  ni  les  vains  discours 
des  fous,  ni  les  prestiges  des  faiseurs  de 
tours,  n'y  soient  admis.  Qu'il  n'y  ail  que 
les  pèlerins,  et  les  pauvres,  et  les  infirmes 
(F.  305  308,  Décr.  du  E.  Sug.).  »  (Labbe, 
t.  VIII,  col.  62,  c,  d.) 

858.  — Règlements  d'Hérard,  archevêque  de 
Tours.  —  «  §  cxiv.  Aux  jours  de  fêtes,  quand 
on  se  rend  à  l'église,  on  chantera  le  Kyrie 
eleison,  si  Ton  vient  avec  plusieurs,  et  seul, 
on  dira  sa  prière.  Que  l'on  se  tienne  debout, 
et  en  silence  dans  l'église,  priant  pour  soi- 
même  et  pour  tout  le  peuple  de  Dieu,  le 
cœur  constamment  élevé  vers  le  ciel  ;  et 
qu'on  soit  averti  d'apporter  des  lumières,  de 
l'encens ,  des  Ipains  et  les  prémices  des 
récoltes,  car  il  est  écrit  :  Fais  honneur  à  la 
maison  de  Dieu  de  ton  bien.  —  Dans  ces 
mêmes  jours,  on  ne  fera,  nisur  les  places, 
ni  dans  les  maisons,  des  chants  déshonnêtcs 
ou  luxurieux,  des  danses  ou  des  jeux  dia- 
boliques. »  (Labbe,  t.  VIII,  col.  635,  d.) 

Vers  858.  —  Réponse  du  Pape  Nicolas  I" 
à  la  consultation  des  Rulgares.  —  «  §  xlvii. 
Vous  demandez  s'il  est  permis,  dans  le  temps 
du  carême,  de  se  livrera  des  jeux;  non- 
seulement,  pendant  le  carême,  mais  en  au- 
cun autre  temps,  ce  n'est  chose  permise 
aux  Chrétiens...  »  (Labbe,  t.  VIII,  col.  533, 
d,e.) 

Seconde  moitié  du  ixc  siècle,  vers  858.  — 
Règlements  de  Gauthier,  évéque  d'Orléans.  — 
«  §  xv.  Lo  dimanche,  les  marchés  et  les 
courses  de  chars  seront  défendus... 

«  §  xvi.  Les  prêtres  et  les  gens  d'église, 
quelque  soit  leur  rang,  ne  doivent  ni  boire 
au  cabaret,  ni  s'arrêter  auprès  des  saltim- 
banques pour  rire. 

«  §  xvii.  Lorsqu'à  propos  d'un  anniver- 
saire, il  y  a  assemblée  dans  un  presbytère, 
on  doit  s'y  conduire  avec  bienséance  et  so- 
briété, prendre  garde  à  trop  parler,  ne  pas 
chanter  des  cantilènes  rustiques,  et  ne  pas 
permettre  que  des  danseuses,  imitant  la  fille 
d'Hérodiade,  fassent  en  votre  présence  leurs 
ieux  indécents.  »  (Labbe,  t.  VIII,  col.  640, 
b,e.) 

Xe  SIECLE.  —  Commencement  du  x' siècle, 
vers  909-916.  —  Constitutions  de  Gaultier, 
archevêque  de  Sens.  —  «  C.  xm.  Nous  avons 
décrété  que  les  clercs  ribauds,  surtout  ceux 
dont  on  dit  vulgairement  qu'ils  sont  de  la 
famille  de  Golias,  ne  pourront  recevoir  la 
tonsure  des  mains  des  évêques,  archidiacres, 
officiaux  oudoyens  ecclésiastiques  ;  ils  seront 
même  rayés  des  tableaux  matricules  des 
clercs,  et  on  ne  leur  laissera  pas  la  tonsure 
ecclésiastique;  et  en  cela,  on  s'elforcera  d'é- 
viter le  danger  et  le  scandale.  »  (  Labbe  , 
t.  IX,  col.  578,  d.) 

XL'  SIÈCLE.  —  Maigre  une  recherche  at- 


tentive, nous  n'avons  pu  découvrir,  dans 
les  Collections  des  conciles,  aucun  canon 
relatif  au  théâtre,  datant  du  xf  siècle.  Le  x* 
siècle  ne  nous  en  a  fourni  qu'un  seul  ;  et 
il  en  a  été  de  même  pour  le  xir  siècle. 

XII'  SIECLE.— Fin  du  xii'  siècle,  vers  1197. 
—  Constitutions  d'Eudes,  évéque  de  Paris.  — 
oC.  xm.  Il  est  absolument  défendu  à  tout  prê- 
tre déjouer  aux  dés,  d'assister  aux  spectacles, 
de  prendre  part  à  des  danses,  d'entrer  dans 
les  cabarets.  »  (Labbe,  t.  X,  col.  1806,  cf.) 

XIII*  SIECLE.  — 1209.  —  {Concile  d'Avi- 
gnon. —  «  C.  xvii.  Nous  avons  décrété  qu'aux 
vigiles  des  saints  il  n'y  aurait  pas,  dans  les 
églises,  de  ces  danses  de  théâtre,  de  ces 
réjouissances  indécentes,  de  ces  réunions, 
de  chanteurs  et  de  ces  chants  mondains, 
lesquels,  la  plupart  du  temps,  non-seule- 
ment provoquent  l'âme  des  auditeurs  au 
péché,  mais  encore  souillent  l'ouïe  et  la  vue 
des  soectateurs,  »  (Labbe,  t.  XI,  i"  partie, 
col.  48,  b.) 

1212.  —  Concile  de  Paris,  V  partie. — 
«  C.  xvi.  Nous  défendons,  dans  les  maisons 
des  clercs,  ou  dans  les  cloîtres  des  religieux, 
ou  sous  les  porches  des  églises,  ou  dans, 
tout  autre  lieu  où  il  arrivera  que  l'on  vende 
du  vin,etaux  religieux  présents,  de  permet-, 
tre  ou  des  repas  déshonnêtes,  ou  des  jeux 
de  boule,  ou  des  assemblées  des  ribauds; 
et  alors  même  que  ce  serait  hors  des  cloîtres, 
nous  défendons  de  même  ar.x  religieux 
d'accorder  de  leur  autorité  privée  ces  per- 
missions. »  (Labbe,  t.  XI,  i"  partie,  col.  62, 
a,  b.) 

1212.  —  Concile  de  Paris,  m'  partie.— 
«  C.  iv.  Les  religieuses  ne  se  mettront  pas 
à  la  tête  des  processions  qui  font  en  dansant 
et  en  chantant  le  tour  des  églises  et  de  leurs 
chapelles,  ni  dans  leur  propre  cloître,  ni 
ailleurs,  ce  que  môme  nous  ne  croyons  pas 
pouvoir  permettre  aux  séculiers;  car,  selon 
saint  Grégoire,  il  vaut  mieux,  le  dimanche, 
labourer  et  bêcher  que  de  conduire  des 
danses.  »  (Labbe,  t.  XI,  irc  partie,  col.  72,  b.) 

1212.  —  Concile  de  Paris,  iv'  partie. — 
«  C.  xvi.  Que  l'évêque  s'abstienne  absolu- 
ment de  paraître  aux  fêtes  des  Fous,  où  l'on 
pr.end  le  bâton  (  pastoral);  cette  défense  est 
bien  plus  forte  encore  quant  aux  moines  et 
aux  religieuses.  »  (Labbe,  t.  XI,  i"  partie, 
col.  79,  c.) 

1212. —  Concile  de  Paris,  ive  partie. — 
«  C.  xvui.  Nous  prohibons  aux  assemblées 
de  femmes  pour  danser  et  chanter,  l'octroi 
de  permisions  d'entrer  dans  les  cimetières 
ou  dans  les  lieux  consacrés,  quels  que  soient 
les  égards  dus  aux  coutumes.  »  (  Labbe,  t.  XI, 
î"  partie,  col.  79,  d,  e.) 

1229.  —  Concile  de  Château-  Gontier.  — 
«  C.  xxi.  Nousavons  décrété,  dans  ce  concile 
provincial,  que  les  clercs  ribauds,  surtout 
iesgoliards,  seraient,  sur  l'avis  des  évoques 
et  des  autres  dignitaires  ecclésiastiques, 
rasés  et  effacés  des  tableaux  des  évêchés, 
en  sorte  qu'il  ne  reste  pas  trace  sur  eux 
de  la  tonsure  ecclésiastique;  toutefois, sans 


25 


scandale   et  sans  danger 
i"  partie,  col.  442,  c.) 

1233.  —  Concile  de  Be'ziers.  —  «  C.  xxm. 
Vu  et  entendu,  nous  témoignons  qu'il  y  a 
des  moines...  qui,  à  certaines  époques,  pour 
vendre  leurs  vins...  reçoivent...  des  gens 
vils  et  déshonnêtes,  comédiens,  jongleurs, 
saltimbanques...  ce  que  nous  défendons  le 
plus  strictement.  »  (Labbe,  t.  XI,  T"  partie, 
col,  458,  e,  459  a.) 

1240. —  Constitutions  de  Walter  de  Chante- 
loup. —  «C.  iv.  Nous  défendons  aux  recteurs 
des  églises  et  aux  prêtres  de  nourrir  des  ani- 
maux sous  les  porches  des  églises,  ou  d'en 
avoir  dans  l'intérieur  ;  et  s'ils  l'osent,  qu'ils 
le  sachent,  ils  seront  sévèrement  punis. 

«  Et  pour  le  respect  dû,  soit  aux  cimetiè- 
res, soit  aux  églises,  nous  défendons  qu'il 
y  ait  les  dimanches,  dans  les  cimetières,  ou 
dans  tout  autre  lieu  consacré,  des  marchés  , 
des  combats  judiciaires,  ou  des  jeux  déshon- 
nêtes; surtout  aux  vigiles  des  saints  et  aux 
fêtes  des  églises  ;  car  c'est  plutôt  à  la  honte 
qu'à  l'honneur  des  saints.  »  (Labbe,  t.  XI,  icro 
partie,  col.  574,  e;  575,  a.) 

1260.  —  Concile  de  Cognac.  —  «  C.  n. 
Comme  lesdanses  qui  sepratiquent  habituel- 
lement dans  certaines  églises  à  la  fête 
des  Saints  Innocents,  sont,  d'ordinaire,  l'oc- 
casion de  querelles  et  de  troubles,  même 
pendant  les  saints  offices  et  en  tout  temps, 
nous  prohibons  désormais  ces  amusements 
sous  peine  d'anathème  ;  il  ne  sera  pas  créé 
non  plus  d'évêques  à  cette  fête  des  Inno- 
cents; car  ce  n'est  dans  l'Eglise  de  Dieu, 
qu'un  prétexte  de  rire,  et  un-:  dérision  de  la 
dignité  épiscopale.  On  célébrera  néanmoins 
les  oflices  divins,  en  ce  leinps-Ià  ,  comme 
aux  autres  fêtes,  mais  avec  le  plus  de  dé- 
cence possible.  »  (Labbe,  t.  XI,  i"'  partie, 
col.  799,  d,  e.) 

1274.  —  Concile  d$  Saltzbourg.  —  «  C. 
xvn.  Quant  à  ces  jeux  impies  qu'on  ap- 
pelle vulgairement  les  Eplus  Puor,  (l'Epis- 
copat  des  Enfants),  et  qui  dans  certaines 
églises  ont  lieu  avec  tant  d'irrévérence 
qu'ils  sont  cause  de  fautes  giaves  et  de  per- 
dition, nous  les  défendons  à  ceux  qui  les 
font  et  surtout  aux  personnes  d'église,  à 
moins  que  ceux  qui  y  prennent  part  n'aient 
pas  seize  ans  révolus,  et  qu'il  n'y  ait  per- 
sonne de  plus  âgé  avec  eux.  »  (Labbe,  t. 
XI,  rre  partie,  col.  1004,  c,  d.) 

1286.  —  Concile  de  Ravenne.  —  «  Ruhr.  i. 
Il  y  a  bien  de  l'audace  à  maintenir  des  cou- 
tumes que  la  loi  condamne.  Ainsi  les  ins- 
tances des  laïques  peu  favorables  en  beau- 
coup de  points  aux  clercs,  ont  conservé  une 
coutume,  ou  plutôt  un  abus  des  temps  de 
corruption,  qui  n'est  pas  sans  danger  poul- 
ies âmes  des  clercs  de  noire  province.  Lors- 
que les  laïques,  en  effet,  reçoivent  la  che- 
valerie, ou  se  marient,  ils  envoient  aux  gens 
du  clergé  des  jongleurs  et  des  histrions  à 
héberger  comme  ils  le  pratiquent  du  reste 
entre  eux-mêmes.  Il  en  résulte  que  les  clercs 
vivant  en  commun  des  biens  de  leur  église, 
et  ayant  réservé  pour  leurs  proches  leur 


SENTIMENTS   DE  L'EGLISE  SLR  LE  TIIEA1RE. 
»  (Labbe,  t.  XI, 


r, 


propre  patrimoine,  sont  contraints,  non  pas 
seulement  à  donner,  mais  à  faire  largesse 
du  bien  des  églises  dû  à  la  piété  des  fidèles 
et  attribué  uniquement  à  l'entretien  des 
pauvres,  pour  des  usages  illicites  et  qui  ne 
tournent  qu'au  dénigrement  et  à  la  déprava- 
tion des  personnes  d'église.  Aussi,  dans  l'in- 
tention de  faire  cesser  cet  abus,  nous  avons 
décrété  :  1"  Aucun  des  clercs  de  notre  pro- 
vince, quelle  que  soit  sa  condition  ou  sa  di- 
gnité, ne  recevra  les  jongleurs  et  les  his- 
trions qu'on  lui  aura  envoyés  ,  ni  ne  les 
hébergera,  même  en  passant.  2°  Quiconque 
aura  transgressé  ce  canon,  sera  tenu  de 
rendre  le  double  de  ce  qu'il  aura  donné  au 
jongleur  ou  à  l'histrion  des  biens  de  l'église 
dont  il  est  bénéficiaire,  et  de  consacrer  cette 
somme  à  l'entretien  des  pauvres.  »  (Labbe  , 
t.  XI,  ii'  partie,  col.  1238,  e  ;  1239,  a.) 

1286.  —  Concile  de  Bourges.  —  «  C.  xxu. 
Nous  défendons  absolument  les  danses  dans 
les  églises.  »  (Labbe,  t.  XI,  ir  partie,  col. 
1257,  a.) 

XIV  SIÈCLE.  —  Vers  1SO0.  —  Synode  de 
Bayeux.  —  «  C.  xxxi.  Les  prêtres  défen- 
dront ,  sous  peine  d'excommunication,  les 
assemblées  pour  danser  et  chanter  dans  les 
églises  ou  dans  les  cimetières.  Ils  prévien- 
dront les  fidèles  de  n'y  plus  revenir,  saint 
Augustin  ayant  dit  :  «  11  vaut  mieux  ,  un 
jour  de  fête,  bêcher  ou  labourer  que  danser.  » 
En  effet,  on  peut  juger  combien  est  grave 
le  péché  de  danser  ou  chanter  dans  le  saint 
lieu,  par  la  rigueur  des  canons  qui  le  con- 
damnent. Et  si  des  gens  ont  fait  des  danses 
devant  les  églises  des  saints  ,  qu'ils  soient 
soumis,  s'ils  se  repentent,  a  une  pénitence 
de  trois  ans  »  (Labbe,  t.  XI,  n"  partie, 
col.  1454,  d.) 

1310.  —  Concile,  de  Saltzbourg.  —  «  C.  m. 
La  Constitution  de  dom  Boniface,  étant  ainsi 
conçue  :  «  Les  clercs  immodestes  dans  leurs 
«fonctions,  et  se  livrant  aux  métiers  de  jon- 
«gleurs,  ou  de  galiards,  ou  de  boulfons,  et 
«  ayant  exercé  pendant  un  an  ces  jeux  igim- 
«  ruinieux,  seront,  s'ils  ne  viennent  à  résipis- 
«  cence,aumoinsau  troisième  avertissement, 
«  privés  de  tout  privilège  clérical  ;  »  nous 
donnons  avis,  d'après  l'approbation  du  con- 
cile, de  ne  pas  se  livrer  à  cet  art  défendu, 
et  à  ceux  qui  l'exercent  de  le  quitter  sous 
trois  mois,  formant  trois  termes  péremp- 
toiies,  à  moins  qu'ils  ne  veuillent  pas  éviter 
la  peine  ci-dessus  portée  à  cause  de  leur 
péché.  »  (Labbe,  t.  XI,  ne  partie,  col.  1516, 
a,  b.) 

1344. —  Concile  deNoyon. —  «  C.  vu.  Ayant 
appris  que,  dans  beaucoup  de  villes  et  de 
villages  de  notre  province  de  Reims , 
des  jongleurs  et  des  histrions  osent,  dere- 
chef, porter  processionnellement  des  feux 
composés  de  bougies,  comme  si  c'étaient 
des  objets  consacrés,  et  induisent  à  l'idolâ- 
trie le  peuple  qui  a  en  effet  du  respect  pour 
ces  feux,  nous  défendons  cette  pratiquée 
l'avenir,  avec  injonction  sévère  aux  ordi- 
naires de  punir  ces  histrions  coupables,  de 
telle  sorte  qu'ils  ne  reviennent  plus  à  h  ùr 
idolâtrie  ,    et   qu'il?    servent    d'exemple    à 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


»8 


tous.  »  (Labbe,  t.  XF,  h'  partie,  col.  1905, 
c,  d.) 

XV  SIÈCLE.  —  1436.  --  Concile  de  Bdle. 
—  «  Sess.  21.  Il  est  défendu,  sous  les  plus 
graves  peines,  de  faire,  selon  la  coutume 
tro[>  fréquente,  des  jeux  de  scènes,  des  re- 
présentations de  pièces,  de  mascarades,  des 
fictions  d'évôques,  de  rois,  de  princes,  dans 
les  églises  ou  les  cimetières.  »  (Labbe,  t  XIII, 
col.  1533,  a.) 

1440.  —  Concile  en  un  Uni  incertain  d'Alle- 
magne.—  «G.  iv.  Afin  que  le  patrimoine  de 
N. -S.  J. -G.,  ne  soit  pas  dévoré  vainement,  ni 
dépensé  à  dos  choses  temporelles  par  les  sug- 
gestions raffinées  du  diable,  tandis  qu'il  doit 
subvevenir  aux  besoins  des  pauvres,  nous 
avons  décrété  :  les  personnes  d'église,  surtout 
celles  qui  sont  rentées,  quelle  que  soit  leur 
importance,  ne  donneront  rien,  ni  aux  mi- 
mes, ni  aux  jongleurs,  ni  aux  histrions  ,  ni 
aux  boutions,  ni  aux  gaillards,  ni  à  tout 
homme  de  l'art  scénique ,  sous  quelque 
prétexte  que  ce  soit,  noces,  milice  ou  autre 
cause.  »  (Labbe,  t.  XIII,  col.  1280. j 

1445.  —  Concile  de  Rouen.  —  «  C.  xi. 
Pour  servir  honnêtement  et  pieusement  no- 
tre Créateur,  le  saint  synode  défend  les  jeux, 
vu'gaireinent  nommés  des  Fous,  avec  les  dé- 
guisements et  toutes  les  choses  déshonnêtes 
dans  les  cimetières  et  les  églises;  car  de 
tels  jeux  Irai  nent  dans  la  lion  te  la  probi  té  ecclé- 
siastique. Tous  ceux  donc  qui  oseront  pour- 
suivre seront  sous  le  coup  d'une  excommu- 
nication ;  et  il  est  décrété  que  si  les  auda- 
cieux continuateurs  ont  droit  à  quelque 
chose  des  biens  de  l'église,  ils  en  seront 
privés  pendant  trois  mois,  et  les  biens  seront 
partagés  aux  honnêtes  personnes  du  chœur.  » 
(Labbe,  t.  XIII,  col.  1304.) 

1445.  —  Concile  de  Rouen. —  «  C.  xxx. 
La  très-sainte  nuit  de  la  Nativité  de  N.-S. 
J.-C.  venu  au  monde  pour  nous  racheter, 
nous,  très-misérables  pécheurs,  au  prix  de 
son  propre  sang,  devant  être  pour  les  Chré- 
tiens l'occasion  de  leur  salut,  il  faut  qu'ils 
soient  pieux  et  s'abstiennent  dé  toutes 
choses  irrévérencieuses  envers  leur  Créateur. 
Le  saint  synode  les  exhorte  et  les  convie  donc 
à  s'abstenir  tous,  en  respect  de  Noire  Sau- 
veur, des  jeux  d'osselets  ou  de  toutes  choses 
déshonnêtes,  sous  peine  d'être  punis.» 
(Labbe,  t.  XIII,  col.  1307,  b,  c.) 

1448.  —  Concile  d'Angers. — «  C.  vi.  Comme 
on  peut  affirmer  que  tous  les  jeux  sont 
nuisibles,  l'expérience  ayant  prouvé  qu'à 
leur  pernicieuse  occasion  tout  tour.œ  à 
l'opprobre  de  l'Eglise;  et  comme  dans  cer- 
taines églises  et  lieux  de  la  province  de 
Tours,  il  y  a  des  coutumes  contraires  à  des 
mœurs  pures  et  honnêtes,  telles  que  celle 
en  vertu  de  laquelle,  le  lendemain  de 
Pâques,  les  personnes  d'église  entrent  dans 
les  maisons,  tirent  du  lit  les  habitants,  les 
entraînent  sur  les  places  et  par  les  rues,  et 
leur  jettent  de  l'eau  avec  de  grands  cris,  au 
grand  trouble  du  service  divin,  et  au  risque 
de  blessures  et  de  mutilations  ;  ou  telles 
que  celles  du  premier  mai,  où  clercs  et  laï- 
ques pénètrent  encore  dans  les  maisons  et 


contraignent,  en  s'emparant  des  vêtements 
et  des  objets,  les  propriétaires  à  se  rédi- 
ïiier:  au  nom  de  ce  concile  sacré,  nous  décré- 
tons le  terme  dernier  de  ces  coutumes,  et 
que  ceux  qui  oseraient  poursuivre,  soient, 
selon  notre  voeu,  accablés  de  la  juste 
haine  des  victimes.  »  (Labbe,  t.  XIII,  col. 
135'i.,  e.) 

1456.  —  Concile  de  Soissons.  —  «  Le  saint 
concile  mande  et  ordonne...  que  les  jeux 
de  déguisement  el  de  théâtre,  les  danses, 
les  marchés  et  les  affaires,  qui  troublent 
l'office  divin  1 1  la  décence  soient  prohibés.» 
(Labbe,  t.  X1H,  col.  1397,  c,  d.) 

1473.  —  Concile  de  Tolède.  —  «  C.  xix. 
L'Eglise  où  notre  rédempteur  Jésus,  au  nom 
de  qui  tout  le  monde  fléchit  le  genou,  s'im- 
mole incessamment  pour  nous,  doit  être 
surtout  purgée  de  choses  honteuses.  Aussi, 
dans  nos  métropoles,  nos  églises  cathédrales 
et  autres,  la  coutume  inepte  étant,  aux  fêtes 
de  Noël,  de  S.  Etienne,  S.  Jean  et  des  SS.  In- 
nocents, et  autres,  pendant  les  messes  so- 
lennelles, d'introduire  dans  l'église  des  lar- 
ves, des  monstres,  et  d'y  faire  des  jeux  de 
théâtre  et  des  montres,  toutes  choses  incon- 
venantes; en  outre  d'y  parler  tumultueuse- 
ment, de  pousser  des  cris,  de  chanter  des 
vers,  et  de  tenir  des  discours  dérisoires,  qui 
empêchent  l'office  et  détournent  l'esprit  du 
peuple  des  choses  pieuses,  nous  défendons,  » 
etc.  (Labbe,  t.  XIII,  col.  1460,  a,  b.) 

1485.  —  Concile  de  Sens.  —  «  C.  ni.  Les 
danses,  les  jeux  de  théâtre,  profanant  les 
temples  el  vilipendant  les  choses  sacrées  et 
les  personnes  d'église...,  nous  défendons.... 
si  en  commémoration  des  fêtes  ou  à  la  gloire 
de  Dieu  el  des  saints,  on  fait  quelque  chose, 
selon  la  coutume  de  l'Eglise,  à  Noël  ou  à  la 
Résurrection,  que  ce  soit  honnêtement,  pai- 
siblement, en  peu  de  temps,  sans  empêche- 
ment ni  amoindrissement  des  offices,  sans 
masque,  ni  barbouillage  sur  la  figure,  après 
une  permission  spéciale  de  l'Ordinaire,  et 
le  bon  plaisir  des  ministres  de  l'église.  » 
(Labbe,  t.  XIII,  col.  1728,  b,  c.) 

X\T  SIÈCLE.  —  1524.  —  Constitutions  de 
l'Eglise  réformée  de  Germanie.  —  «  C.  ni.  Les 
personnes  d'église  éviteront  les  danses,  les 
spectacles,  les  repas  publics,  dans  la  crainte 
que,  h  cause  de  leur  luxe,  ou  par  suite  de 
quelque  désordre,  leur  nom  ne  sonne  mal.  » 
(Labbe,  t.  XIV,  col.  417,  c.) 

1528.  —  Concile  de  Sens.  —  «  C.  xxv. 
Que  les  ecclésiastiques  ne  se  mêlent  point 
aux  danses  publiques,  aux  assemblées; 
qu'ils  ne  chantent  point  de  chansons  dés- 
honnêtes et  d'amour,  et  n'en  écoutent  point 
chanter. 

«  Qu'on  ne  les  voie  pas  sur  la  scène  comme 
des  histrions,  qu'ils  ne  fassent  point  de 
édies  en  langue  vulgaire,  et  ne  livrent 


coi 


pas  leur  personne  en  spectacle,  soit  dans 
leur  intérieur,  soit  dans  des  lieux  publics.  » 
(Labbe,  t.  XIV,  col.  474,  e;  475,  o.) 

J3V9.  —  Deuxième  concile   de   Trêves.  - 
«  C.  x.  Si  quelqu'un,  clerc  ou  laïque,  aux 


29 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SUR  LE  THEATRE. 


50 


dites  fêtes,  se  livre  à  des  danses,  des  jeux, 
nous  ordonnons  qu'il  soit  puni  par  les  ofli- 
cialilés.  »  (Labbe,  t.  XIV,  col.  713,  e.) 

1551. — Concile  de  Navbonne.  —  «C.  xvm. 
Le  temps  passé  ici-bas  étant  l'objet  d'un 
compte  avec  Dieu,  saint  Paul,  dans  son  cin- 
quième chapitre  aux  Ephésiens,  donne  avis 
aux  clercs  de  n'agir,  dans  toutes  leurs  ac- 
tions, paroles  ou  œuvres,  qu'au  nom  rie 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  rendant 
grâces  à  Dieu  le  Père  par  son  Fils,  et  en 
pratiquant  son  service,  non  pas  en  vue  de 
l'unique  plaisir  des  hommes,  mais  avec  sim- 
plicité et  crainte  du  Seigneur.  Dans  le  qua- 
trième chapitre  aux  Philippiens,  le  môme 
apôtre  veut  que  la  vie  modeste  du  prêtre 
soit  visible  pour  tous,  et  comme  il  y  a  lieu 
h  mille  péchés  dans  les  divertissements , 
le  Synode  ordonna  de  fuir  toute  sorte  de 
divertissements,  surtout  ceux  publics,  et  de 
ne  se  mêler  en  aucune  façon  des  jeux  qui 
sont  spécialement  prohibés,  afin  que  nul 
n'encoure  les  punitions  ci-dessus  (excommu- 
nication; c.  xv).  »  (Labbe,  t.  XV,  col.  \k,  d.) 

«C.xix.  Les  clercs  ne  se  mêleront  pas  aux 
danses  ou  réunions,  qui  ne  sont  que  le  témoi- 
gnage de  la  légèreté  et  de  l'inconsistance  de 
l'esprit  ;  ils  ne  feront  pas  de  mascarades,  et 
ne  se  montreront  pas  en  compagnie  de  gens 
déguisés;  enfin  ils  ne  perdront  leur  temps  ni 
à  écouter  ni  à  regarder  des  saltimbanques 
ou  des  histrions,  ou  quiconque  fait  métier 
de  ces  jeux,  sous  condition  des  peines  ci- 
dessus.  »  (Labbe,  t.  XV,  col.  \k,  e;  15,  a.) 

«  C.  xlvi.  Le  soin  des  ûmes  devant 
être  mis  au-dessus  de  tout,  le  culte  de 
Dieu  et  les  saints  offices,  soit  à  la  louange 
du  nom  du  Seigneur,  soit  de  sa  très-glo- 
rieuse Mère,  soit  do  tous  les  Saints,  doi- 
vent êtie  pratiqués  par  tous  les  Chré- 
tiens avec  beaucoup  de  piété;  ce  dont  nu! 
ne  doute; 

«  Et  comme  l'ardeur  pieuse  de  beaucoup 
de  fidèles  se  refroidit,  et  que  la  religion  du 
peuple  diminue,  à  tel  point  que  le  culte  di- 
vin est  négjigé  par  la  malice  humaine; 

«  Il  est  défendu,  par  le  présent  édit,  de 
pratiquer,  dans  les  temples,  soit  les  jours  de 
fête,  soit  en  tout  autre  temps,  ni  spectacles 
(amusements  des  sots  et  des  enfants)  ,  jni 
jeux,  ni  chants  séculiers,  ni  battements  de 
mains;  et  soit  clercs,  soit  laïques,  de  faire 
quoique  ce  soit  de  ces  choses  qui  éloignent 
le  peuple  de  la  véritable  niété,  telles  enfin 
que  les  toux  et  les  rires  ; 

«  Cet  édit  contre  les  spectacles  dans  les 
églises,  devant  être  observé  avec  rigueur, 
dans  la  crainte  de  la  peine  de  l'excommuni- 
cation. »  (Labbe,  t.  XV,  col.  26,  a,  b.) 

«C.XLvn. Des  réunions,  des  danses,  et  toutes 
sortes  de  jeux  honteux  et  infâmes,  étant  pra- 
tiqués dans  les  églises,  à  la  honte  suprême  du 
nom  Chrétien  etau  mépris  des  choses  saintes, 
le  concile  a  voulu  aholir  pour  jamais  ces 
coutumes,  personne  ne  devant  plus  avoir 
désormais  l'audace  de  faire  des  réunions  et 
des  danses,  ni  dans  les  temples,  ni  au  du-- 


'dois,  ni  dans  les  cimetières,  pendant  la  célé- 
bration des  ofiiecs  divins. 

«  Et  pourôter  tout  prétexte  à  ces  honteux 
abus,  nous  défendons  aux  curés  : 

«  1°  De  permettre  jamais  à  leurs  parois- 
siens les  repas  que  l'on  nomme  défruits, 
dont  les  accoutumés  doivent  être  chassés 
des  lieux  hantés  par  les  prêtres; 

«2°  De  tolérer  le  chant  vulgaire  du Mémento, 
Domine,  sans  truffe,  etc.,  ni  tous  autres  éga- 
lement ridibules,  qui  n'ont  lieu  qu'en  déri- 
sion de  l'office  divin,  comme  à  la  honte  et 
au  déshonneur  de  tout  le  clergé. 

«  Aussi,  après  la  suppression  de  ces  usa- 
ges, nous  ordonnons  aux  curés  d'empêcher 
tous  autres  analogues,  soit  aux  fêtes,  soit 
aux  commémorations  des  morts  ,  sous 
peine  d'excommunication  et  de  îous  autres 
châtiments  disciplinaires.  »  (Labbe,  t.  XV, 
col.  20,  c,d.) 

150i. — Concile  de  Reims.  —  «  C.  xvn Il 

faut  que  tout  le  clergé,  appelé  au  service  de 
Dieu,  ait  une  vie  et  des  mœurs....  très-gra- 
ves.... et  selon  notre  autorité,  il  est  bon 
d'observer  avec  le  plus  de  soin,  tout  ce  qui 
est  resté  des  avis  des  Souverains  Pontifes 
ou  des  conciles  sur  la  vie,  le  respect,  l'hon- 
nêteté et  la  doctrine  du  clergé,  à  propos  du 
Juxe,  des  repas,  des  danses,  des  jeux  et  des 
spectacles  ,  toutes  coutumes  criminelles, 
propres  aux  laïoues.  »  (Labbe.  t.  XV,  col.  51, 

1505. —  Concile  de  Cambrai, —  «Tit.  VI, 
C.  xi.  — Comme  à  certains  jours  de  fête, 
sous  prétexte  d'une  honnête  récréation,  il 
est  des  coutumes,  suivies  même  par  les  ec- 
clésiastiques, qui,  par  suite  de  la  licence  qui 
y  grandit,  sont,  pour  les  fidèles,  le  sujet  de 
pét  hés  cdrtsjdérablcs,...  et  dans  lesquelles  i! 
n'y  a  qu'inepties..',  ou  souvenirs  du  paga- 
nisme,.-, les  prêtres  se  refuseront  absolu- 
ment a  ces  exigences  populaires.  »(  Labbe, 
t.  XV,  col.  160, "«.  6.) 

1505.  —  Premier  Concile  de  Milan.  — 
«  C.  xxv.  Les  prêtres  n'assisteront  ni  aux 
fables,  ni  aux  comédies,  ni  aux  tournois,  ni 
à  aucun  des  spectacles  des  hommes  profanes 
et  vains.  »  (Labbe,  t.  XV,  col.  276,  e.) 

1506.  —  Concile  de  Tolède.  —  «  C.  xxi. 
Les  églises  ayant  été  consacrées  à  Dieu  pour 
qu'un  culte  paisible  et  révérencieux  y  soit 
pratiqué  avec  toute  la  piété  chrétienne,  le 
saint  Synode  prohibe,  à.  l'avenir,  tous  les 
abus  du  Jour  des  Innocents  :  on  fait  alors 
dans  les  temples  des  jeux  de  théâtre  publics, 
à  la  grande  honte  du  clergé,  et  à  l'offense  de 
la  majesté  divine,  qui,  bien  loin  de  porter 
les  esprits  aux  choses  spirituelles,  les  atti- 
rent vers  le  péché  :  or  tout  prêtre  ayant  pris 
part  à  ces  choses,  ou  les  ayant  permises  au 
lieu  de  les  proscrire,  sera  suspendu  par  sou 
évèque  pendant  six  mois,  et  en  outre,  paiera 
une  amen. le  applicable  aux  besoins  de  la 
fabrique. 

«  Le  saint  Synode  décrète  aussi  que  ces 
honteux  abus  seront  également  prohibés 
dans  les  églises  cathédrales,  ou  dans  les 
monastères,  entre  autres  cette  élection  d'un 
évèque  des  enfants  qui  a  lieu  à  certains  temps. 


M 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


•  «  Il  n'y  aura  non  plus  ni  spectacles,  ni 
jeux,  ni  danses,  soit  aux  fêtes,  soit  aux  pro- 
cessions. »  (Labbe,  t.  XV,  col.  764,  c.  d,  e.) 
1581.  —  Concile  de  Rouen.  —  «  C.  ni.  (De 
cul  tu  divino  in  génère)  —  Nous  condamnons 


comédies,  les  jeux  de  la  scène  ou  du  théâ- 
tre, et  tous  autres  spectacles  irréligieux, 
sont  prohibés ,  sous  peine  d'analhème.  » 
(Labbe,  t.  XV,  col.  1019,6.) 

1584.  —  *  Concile  de   Bourges.  C.  v.  Les 


et  nous  réprouvons  les  repas,  les  débauches,     enfants  de  chœur  ne  monteront  pas  sur  les 


les  jeux  pervers  et  deshonnêtes,  les  danses 
pleines  de  folies  ,  les  chants  honteux,  et  en 
un  mot  tous  les  plaisirs  coûteux  et  ruineux, 
dont  on  profane  les  fêtes. 

«  Nous  voulons  que  les  curés  et  les  vicai- 
res dénoncent  au  prône,  les  jours  d'assem- 
blée, que,  selon  le  décret  de  ce  Synode,  se- 
ront excommuniés  tous  ceux  qui,  au  mépris 
des  fêtes  et  de  l'Eglise,  se  seront  préoccupés 
des  pratiques  ci-dessus  et  non  du  service 
divin.  »  (Labbe,  t.  XV,  col.  825,  d.) 

1583.  —  Concile  de  Bordeaux.  —  «  C.  vi. 
Les  dimanches  et  les  fêtes  ont  été  institués 
pour  éloigner  un  moment  les  chrétiens  des 
choses  extérieures  et  des  soins  de  la  vie,  et 
leur  donner  le  temps  de  s'occuper  avec  plus 
de  piété  du  culte  divin  et  de  repasser  dans 
leur  mémoire  les  infinis  bienfaits  de  la  grâce 
divine  vis-a-vis  des  humains  ;  il  faut  donc 
qu'ils  prennent  bien  garde,  selon  le  mot 
d'Ignace  aux  Philippiens,  de  passer  ces  jours 
sans  offense  et  sans  péché. 

«Néanmoins,  de  nos  jours,  onacoutume 
de  passer  les  jours  de  solennités  religieuses, 
non-seulement  au  milieu  des  affaires  illi- 
cites du  siècle,  mais  encore  dans  le  plaisir, 


sièges  des  chanoines  et  des  prêtres  pour 
chanter;  aux  fêtes  des  SS.  Innocents,  ils  ne 
prendront  pas  les  vêtements  et  les  ornements 
des  prêtres  ou  des  évoques  ;  ni  le  costume 
royal,  ni  tout  autre  leur  étant  inaccoutumé;- 
afin  de  n'être  pour  personne  un  sujet  de  dé- 
rision ou  de  scandale.  »  (Labbe,  t.  XV,  col. 
1083,  c.) 

1594.  —  Concile  d'Avignon. —  «  C.  xxxik 
Les  ecclésiastiques  n'assisteront  ni  aux  bals, 
ni  aux  spectacles,  ni  à  tous  les  jeux  profa- 
nes. »  (Labbe,  t.  XV,  col.  1454,  6.) 

1G09.  —  Concile  de  Narbonne.  —  «  C.  xli. 
Nous  défendons  aux  clercsde  donnerdes  bals 
ou  d'y  assister,  sous  quelque  prétexte  que 
ce  soit  ;  de  paraître  aux  jeux  publics  ;  de  se 
masquer  ou  d'être  avec  des  personnes  mas- 
quées; de  faire  des  comédies  ou  des  récits 
fabuleux  pour  les  théâtres,  et  de  fréquen- 
ter les  comédiens.  »  (Labbe,  t.  XV,  col. 
1616,  d.) 

Les  prescriptions  des  conçues  et  assem- 
blées synodales  n'ont  désormais  plus  trait  au 
théâtre  du  moyeu  âge;  elles  ne  concernent 
que  le  théâtre  en  général,  repoussé  par  l'E- 


la  débauche,  l'es  jeux  et  les  spectacles  dé-     Sliso  davantage   encore  que  dans  les  temps 
fftr„i,ie.  antérieurs.    11   faut  arriver  a    la    premiero 

xixe  siècle   pour  retrouver    les 


fendus. 

«  Et  il  n'y  a  pas  à  douter  que  les  grands 
malheurs  de  ce  siècle,  dont  nous  sommes 
accablés,  ne  nous  soient  inlligés  par  Dieu, 
irrité  de  nos  crimes. 

«  C'est  pourquoi...  nous  prohibons...  » 
(Labbe,  t.  XV,  col.  951,  6,  c,d,  e.) 

1583.  —  Concile  de  Reims.  —  «  C.V.  {De  die- 
bus  festis.  —  Nous  défendons  absolument 
les  jeux  de  théâtre,  même  ceux  que  les  cou- 
tumes ont  le  plus  enracinés,  et  toutes  ces 
puérilités,  toutes  ces  sottises,  qui  souillent 
la  décence  ecclésiastique,  et  la  piété,  aux 
fêtes  du  Christ  et  des  saints  :  ceux  qui  iront 
contre  devront  être,  selon  notre  volonté,  pu- 
nis par  leurs  supérieurs.  »  (Labbe,  t.  XV, 
col.  889,  6,  c.) 

1583.  —  Concile  de  Tours,  —  «  C.  xi.  Les 


moitié    du 

mystères  et  moralités.  Cependant  Martin  Gei- 
bert  a  noté,  en  1651,  les  défenses  du  concile 
de  Cologne  contre  la  fête  des  Fous. 

183'*,  1er  juin.  —  Mandement  de  Vévéque 
de  Cambrai.  —  «  En  vertu  des  canons  dos. 
conciles,  nous  défendons  aux  curés  de  lais- 
ser continuer  les  spectacles,  soit  de  l'adora- 
tion figurée  des  pasteurs,  dite  vulgairement 
Bethléem,  aux  offices  de  Noël;  soit  de  la 
Passion,  ou  enfin  de  toute  représentation  fi- 
gurée dételle  ou  telle  autre  particularité...; 
car  il  n'y  a  là  que  le  souvenir  de  jeux  de 
théâtre,  dont  l'intention  peut  être  pieuse, 
mais  qui,  malgré  cela,  sont  contraires  à  une 
saine  connaissance  de  la  vérité.  »  (Cambrai, 
Lesne-Daloin,  1834.) 


II.  ÉCRITS  DES  SAINTS  PÈRES. 


I"  SIÈCLE.  —  Dans  le  chap.  32  du  livre  vin 
des  Constitutions  Apostoliques.  «  Que  celui 
qui  est  attaché  aux  spectacles  du  théâtre, 
quitte  cet  attachement,  ou  qu'il  ne  soit  point 
admis  à  recevoir  le  baptême.  » 

11"  SIÈCLE.  —Théophile  patrarche  d'An- 
tioche,  dans  le  mc  livre  à  Aulolyque,  contre 
les  calomniateurs  de  la  religion  Chrétienne. 
—  «Il  nous  est  défendu  d'être  spectateurs  des 
duels,  de  peur  (pie  nous  ne  devenions  com- 
plices des  meurtres  qui  s'y  font  :  Nous  n'o- 
serons pas  assister  aux  autres  spectacles, 


de  peur  que  nos  yeux  n'en  soient  souillés, 
et  que  nos  oreilles  ne  soient  remplies  de 
vers  profanes  qu'on  y  récite;  comme  lors- 
qu'on décrit  les  crimes  et  les  actions  tragi- 
ques de  Thyeste,  et  qu'on  représente  Térée. 
mangeant  ses  propres  enfants;  et  il  ne  nous 
est  pas  permis  d'entendre  raconter  les  adul- 
tères des  dieux  et  des  hommes,  que  les 
comédiens  attirés  par  l'espoir  du  gain, 
célèbrent  avec  le  plus  d'agrément  qu'il  leur 
est  possible  ;  mais  Dieu  nous  garde  ,  nous 
qui  sommes  chrétiens,   dans  qui  la  modes- 


53 


SENTIMENTS  1>E  L'EGLISE  SLR  LE  THEATRE. 


U 


tic,  la  tempérance  et  la  continence  doivent 
reluire,  qui  regardons  comme  seul  légitime 
le  mariage  avec  une  seule  femme;  nous 
chez  qui  Ja  chasteté  est  honorée ,  qui  fuyons 
l'injustice,  qui  bannissons  le  péché,  qui  exer- 
çons la  justice,  dans  qui  la  loi  deDieu  règne, 
qui  pratiquons  la  véritable  religion,  que  la 
vérité  gouverne,  que  la  grâce  garde,  que  la 
paix  protégé,  que  la  parole  divine  conduit, 
que  la  sagesse  enseigne,  que  Jésus-Christ 
qui  est  la  véritable  vie  régit,  et  que  Dieu 
seul  règle  par  l'empire  qu'il  a  sur  nous  : 
Dieu  nous  garde,  dis-je,  de  penser  à  de  tels 
crimes,  bien  loin  de  les  commettre.  » 

Tatien,  dans  le  Traité  qu'il  a  composé 
contre  les  Grecs.  —  «  A  quoi  me  sert  un 
Oreste  furieux,  ainsi  qu'Euripide  le  repré- 
sente, ou  un  autre  qui  vient  nous  entretenir 
du  meurtre  qu'AIcméon  fit  de  sa  mère,  ou 
bien  celui  qui  porte  un  masque  ou  qui  fait 
des  grimaces  ayant  l'épée  au  côté,  et  jetant 
des  cris,  ou  celui  qui  s'habille  d'une  manière 
indigne  d'un  homme?  Laissons  les  fables 
d'Hégésilaus  et  du  poète  Ménandre  ;  pour- 
quoi perdrai-je  le  temps  à  admirer  dans 
les  fables  un  joueur  de  flûte  ,  et  pourquoi 
m'arrêterai-je  à  considérer  un  Antigénide 
Thébain,  disciple  de  Philoxène,  qui  faisait 
ce  métier  ?  Nous  vous  laissons  ces  choses 
frivoles  et  inutiles,  mais  croyez  plutôt  les 
vérités  de  notre  religion,  et  quittez  à  notre 
exemple  ces  badineries.  » 

Tertullien,  dans  Y  Apologétique,  chap.  xv. 
—  «Tous  ces  esprits  libertins  qui  travaillent 
pour  vous  donner  du  plaisir,  tirent  leurs 
sujets  des  actions  déshonnêtes  qu'ils  attri- 
buent à  vos  dieux.  Quand  vous  voyez  jouer 
les  pièces  divertissantes  d'un  Lentulus  et 
d'un  Hostilius,  dites-moi  si  ce  sont  vos  far- 
ceurs, ou  vos  dieux  qui  vous  font  rire;  vous 
y  entendez  parler  d'un  Anubis  impudique, 
d'une  lune  de  sexe  masculin,  et  d'une  Diane 

3ui  a  été  fouettée  ;  on  y  récite  le  testament 
'un  Jupiter  qui  est  mort  ;  on  y  fait  des 
railleries  des  trois  Hercules  affamés.  Outre 
cela  les  comédies  et  les  tragédies  expriment 
tout  ce  qu'il  y  a  de  honteux  dans  l'histoire 
de  vos  dieux  ;  vous  regardez  avec  plaisir  le 
soleil  plaindre  le  malheur  de  son  fils  qui  est 
tombé  du  ciel;  vous  voyez  sans  rougir  que 
Cybèle  soupire  pour  un  berger  qui  la  mé- 
prise ;  vous  souffrez  que  l'on  représente 
tous  les  crimes  deJupiler,  et  que  Paris  juge 
le  dilférend  de  Junon,  de  Minerve,  et  de 
Vénus.  Mais  n'est-ce  pas  quelque  infâme 
qui  se  masque  du  visage  de  votre  Dieu? 
N'est-ce  pas  quelque  vicieux  qui  paraît  sur 
la  scène,  avec  un  port  contraint  ,  et  une 
voix  efféminée,  pour  faire  une  Minerve  ou 
un  Hercule?  Dites-moi  si,  quand  vous  ap- 
prouvez ces  sacrilèges  par  les  louanges  et 
les  applaudissements  que  vous  leur  donnez, 
vous  ne  violez  pas  la  majesté  des  dieux, 
et  vous  ne  profanez  pas  la  divinité?  » 

Chap.  38.  —  «  Nous  renonçons  à  vos 
spectacles,  comme  nous  en  condamnons  les 
diverses  origines,  par  la  connaissance  que 
nous  avons  que  ce  sont  des  effets  de  la  su- 
perstition, et  de  l'idolâtrie.  Enfin  nous  nous 


moquons  de  tout  ce  qui  s'y  passe,  nous 
n'avons  aucun  commerce  avec  les  fureurs 
du  cirque,  avec  l'impudicité  du  théâtre,  avec 
les  vains  exercices  des  athlètes,  et  avec  les 
cruautés  de  l'amphithéâtre.  11  a  été  permis 
aux  épicuriens  de  se  feindre  une  volupté, 
en  laquelle  ils  ont  établi  la  vérité  du  sou- 
verain bien  ;  en  quoi  donc  vous  offensons- 
nous  ,  si  nous  prenons  d'autres  voluptés 
que  vous?  Mais  si  nous  voulons  ignorer 
toutes  sortes  de  réjouissances,  il  mesemb'e 
que  ce  n'est  pas  votre  intérêt ,  et  que  si  en 
cela  il  y  a  quelque  perte,  elle  tombe  toute 
sur  nous.  Nous  rejetons  ,  dites-vous  ,  les 
choses  qui  vous  plaisent.  Nous  avons  droit 
de  le  faire,  puisque  nos  plaisirs  ne  sont 
pas  les  vôtres.  » 

Tertullien,  dans  le  Traité  des  spectacles. 
—  Chap.  1.  —  «  Serviteurs  de  Dieu  qui 
êtes  prêts  d'entrer  au  service  de  sa  divine 
Majesté;  et  vous  qui  y  êtes  entrés  par  la  con- 
fession ,  et  par  la  déclaration  que  vous  en 
avez  fait  au  baptême,  sachez  et  reconmiissez 
que  l'état  de  la  foi,  l'ordre  de  la  vérité,  et  la 
loi  de  là  discipline  chrétienne,  condamnent 
absolument  le  divertissement  des  spectacle.^ 
comme  les  autres  dérèglements  du  monde, 
afin  qu'aucun  de  vous  ne  pèche  par  igno- 
rance, ou  par  dissimulation.  Car  la  volupté 
a  un  si  grand  pouvoir  sur  les  hommes  > 
qu'elle  les  porte  5  embrasser  les  occasions 
du  péché  par  l'ignorance  ,  et  à  trahir  leur 
conscience  par  la  dissimulation.  » 

Chap.  3.  —  «  Il  y  a  des  fidèles  qui,  par  sim- 
plicité ou  par  défaut  de  docilité  ,  ont  peine 
à  croire  qu'ils  soient  obligés  de  se  priverdu 
divertissement  des  spectaeles,  parce  que,  di- 
sent-ils, il  ne  paraît  point  dans  l'Ecriture 
sainte  que  cela  soit  défendu  aux  serviteurs 
de  Dieu.  Il  est  vrai  que  nous  ne  trouvons 
pas  dans  la  sainte  Ecriture  cette  défense  en 
termes  exprès:  vous  n'irez  point  au  cirque  , 
vous  n'assisterez  pas  aux  comédies,  vous  rte 
serez  point  spectateurs  des  combats  des 
athlètes  ,  ou  des  gladiateurs  :  comme  il  est 
dit  en  termes  formels.  Vousne  tuerez  point, 
vous  n'adorerez  point  les  idoles,  vousne 
commettrez  point  d'adultère,  vous  ne  déro- 
berez point;  vous  ne  ferez  point  injure  à 
votre  prochain.  Mais  néanmoins  la  condam- 
nation des  spectacles  est  assez  clairement 
exprimée,  par  ces  premières  paioles  des 
Psaumes  de  David.  Bienheureux  est  l'homme 
qui  n'est  point  allé  dans  le  conseil  des  impies, 
qui  ne  s'est  point  arrêté  dans  la  voie  des  pé- 
cheurs ,  et  qui  ne  s'est  point  assis  dans  la 
chaire  de  pestilence.  » 

Chap.  14.  —  «  Peut-on  dire  que  les  spec- 
tacles ne  sont  pas  défendus  par  la  sainte 
Ecriture,  puisqu'elle  condamne  touie  s<  rte 
de  concupiscence?  Car  comme  la  concupis- 
cence comprend  l'avarice,  l'ambition  ,  la 
gourmandise  et  la  luxure  ,  elle  comprend 
aussi  la  volupté.  Or,  les  spectacles  sont  une 
espèce  de  volupté.  » 

Chap.  4.  —  «  Je  passe  à  l'autorité  prin- 
cipale qui  est  tirée  du  sceau  de  noire  foi. 
Lorsqu  !  dans  l'eau  du  baptême  nous  faisons 
profession  de  la   foi  de  Jésus-Christ ,  selon 


00 


MCTIOSNAIRE  DES  MYSTERES. 


55 


îa  forme  et  la  manière  de  sa  loi,  nous  dé- 
clarons de  notre  propre  bouche  que  nous 
avons  renoncé  au  diable,  à  ses  pompes,  et 
à  ses  anges»  sinon  l'idolâtrie  qui  comprend 
tous  les  esprits  d'impureté  et  de  malice  ? 
Si  nous  faisons  donc  voir  qu'il  est  constant, 
(pie  tout  l'appareil  des  spectacles  appartient 
à  l'idolâtrie,  il  s'ensuit,  par  une  consé- 
quence indubitable,  que  par  le  témoignage, 
et  par  la  promesse  solennelle,  que  nous 
avons  fait  au  baptême  de  renoncer  au  diable, 
à  ses  pompes,  à  ses  anges,  nous  avons  aussi 
renoncé  aux.  spectacles.  » 

Chap.  10.  —  «  Quant  aux  comédies,  si 
nous  considérons  l'origine  du  théâtre  ,  qui 
est  le  lieu  où  elles  sont  représentées,  nous 
trouverons  que  c'est  le  temple  de  Vénus  ; 
c'est  sous  ce  litre  qu'il  a  été  établi  dans  le 
monde  ;  car  auparavant,  dès  qu'on  dressait 
des  théâtres,  souvent  lus  censeurs  les  fai- 
saient abattre  pour  conserver  la  pureté  des 
mœurs  dont  ils  prévoyaient  la  corruption  , 
îa  ruine  inévitable  si  l'on  souffrait  la  licence 
des  spectacles.  Ainsi  les  sentiments  des 
païens  qui  sont  aussi  les  nôtres  en  ce  point, 
leur  sont  un  témoignage  de  l'impiété  des 
comédies,  comme  les  règlements  même  de 
la  discipline  humaine  nous  servent  do  pré- 
jugé contre  ce  dérèglement.  Le  grand  Pom- 
pée qui  s'est  surmonté  lui-même  par  la 
magnificence  de  son  ihéâlre,  ayant  bâti  cet 
asile  de  toutes  sortes  d'impuretés,  craignant 
d'en  être  un  jour  repris  par  les  censeurs,  et 
de  s'attirer  par  là  quelque  flétrissure  inju- 
rieuse à  sa  mémoire,  fit  bâtir  en  ce  lieu  un 
temple  à  l'honneur  de  Vénus,  et  dans 
l'édit    qu'il    publia    pour    appeler  le    peu 


pie  à  la  consécration  de  cet  édifice  ,  il  j 
ne  lui  donna  point  le  nom  de  théâtre,  mais 
de  temple  de  Vénus,  au-dessus  duquel,  dit- 
il,  nous  avons  mis  des  sièges  pour  ceux  qui 
assisteront  aux  spectacles  ;  ainsi  sous  le 
titre  d'un  temple,  il  éleva  ce  bâtiment  détes- 
table ,  employant  la  superstition  pour  se 
jouer  de  la  discipline.  El  ce  lieu  n'est  pas 
seulement  consacré  à  Vénus  ,  il  est  aussi 
dédié  à  Bacchus.  Ces  deux  démons  de  l'ivro- 
gnerie et  de  l'impureté,  sont  unis  ensemble; 
de  sorte  que  le  théâtre  est  la  maison  de  Vé- 
nus et  de  Bacchus.  Les  arts  aussi  qui  ap- 
partiennent à  la  comédie  sont  sous  la  pro- 
tection de  Vénus  et  de  Bacchus.  L'art  qui 
règle  les  gestes  et  les  différentes  postures 
du  corps,  qui  appartient  proprement  à  la 
comédie  est  consacré  à  la  mollesse  de  Vénus 
et  de  Bacchus,  qui  sont  deux  démons  éga- 
lement dissolus,  l'un  en  ce  qui  regarde  le 
sexe  et  l'autre  en  ce  qui  regarde  le  luxe  et 
la  débauche.  Les  concerts  de  musique,  de 
violes  et  de  luths  sont  dédiés  à-Apollon, 
aux  Muses,  à  Minerve  et  à  Mercure,  qui  les 
ont  inventés.  Vous  qui  êtes  chrétiens,  haïs- 
sez et  détestez  ces  choses  dont  les  auteurs 
ne  peuvent  être  que  l'objet  de  votre  haine 
et  de  votre  aversion.  » 

Chap.  15.  —  «  Quelque  bon  et  modéré 
que  soit  l'usage  que  les  hommes  peuvent 
faire  des  spectacles  selon  leur  dignité,  selon 
leur  â^e,  ou  même  selon  la  condition  de  leur 


nature,  néanmoins  leur  esprit  n'est  point  si 
insensible  qu'il  ne  soit  agité  de  quelque 
passion  secrète  :  nul  ne  reçoit  de  plaisir 
sans  affection  ;  et  il  n'y  a  point  d'affection 
qui  ne  soit  accompagnée  de  ces  circonstan- 
ces qui  l'excitent.  Que  si  quelqu'un  assiste 
à  la  comédie  sans  affection  et  sans  plaisir, 
il  ne  laisse  pas  d'être  coupable  du  péché  de 
vanité,  allant  en  un  lieu  où  il  ne  profite  de 
rien;  or  j'estime  que  la  vanité  ou  l'occupa- 
tion en  des  choses  inutiles,  est  un  péché 
dont  nous  devons  nous  éloigner.  Mais  d'ail- 
leurs celui  qui  assiste  à  la  comédie,  ne  se 
condamne-t-ii  pas  lui-même  ,  puisqu'en  ce 
qu'il  ne  voudrait  pas  être  semblable  à  ces 
acteurs,  il  confesse  qu'il  les  déteste.  Quant 
à  nous,  il  ne  nous  suffit  pas  de  ne  commet- 
tre rien  de  semblable;  mais  nous  sommes 
encore  bien  obligés  de  ne  point  favoriser 
de  notre  consentement  et  de  notre  approba- 
tion ceux  qui  commettent  ces  crimes  :  si 
vous  voyez  un  larron,  dit  le  Roi-Prophète 
(ps.  xlixv  18),  vous  courez  avec  lui.  Plut  à 
Dieu  qu'il  nous  fût  possible  de  ne  point  vi- 
vre en  ce  monde  parmi  ces  gens-là  :  mais 
au  moins  nous  devons  nous  séparer  des 
œuvres  du  monde,  parce  que  si  le  monde  est 
un  ouvrage  de  Dieu,  les  œuvres  du  monde 
ne  sont  que  l'ouvrage  du  diable.  »  \*\ 

Chap.  1$3  —  «  Si  les  tragédies  et  les  co- 
médies so'nt  des  représentations  de  crimes 
et  do  passions  déréglées,  elles  sont  san- 
glantes, lascives,  impies,  et  d'une  dépense 
désordonnée ,  car  la  représentation  d'un 
crime  énorme  ou  d'une  chose  honteuse, 
n'est  point  meilleure  que  ce  qu'elle  repré- 
sente. Comme  il  n'est  point  permis  d'ap- 
irouver  un  crime  dans  l'action  qui  Je 
commet,  il  n'est  pas  aussi  permis  de  l'ap- 
prouver dans  les  paroles  qui  nous  le  font 
connaître.  » 

Chap.  22.  —  «  Les  auteurs  des  spectacles 
et  ceux  qui  sont  chargés  de  les  faire  repré- 
senter abaissent  autant  les  comédiens  qu'ils 
relèvent  la  comédie  ;  ils  les  déclarent  infâ- 
mes par  leurs  édits,  ils  leur  font  changer 
d'état  pour  les  exclure  de  la  cour,  du  bar- 
reau, du  sénat  et  de  l'ordre  des  chevaliers  ; 
ils  les  privent  de  tous  les  honneurs  et  de 
toutes  les  dignités.  Qui  vit  jamais  un  pareil 
désordre?  Ils  aiment  ceux  qu'ils  condam- 
nent, ils  méprisent  ceux  qu'ils  approuvent, 
ils  approuvent  l'art  et  ils  noient  d'infamie 
ceux  <iui  l'exercent.  N'est-ce  pas  un  étrange 
jugement  que  de  flétrir  un  homme  pour  cela 
même  qui  le  rend  recommandable?  ou  plutôt 
n'est-ce  pas  avouer  clairement  qu'une  chose 
est  pernicieuse  lorsque  ceux  qui  la  font, 
quelque  agréables  qu'ils  soient,  sont  notés 
d'infamie  ?  » 

Chap.  23.  —  «  Puisque  les  hommes  quel- 
que favorables  qu'ils  soient  aux  divertisse- 
ments de  la  volupté,  jugent  ceux  qui  en  sont 
les  acteurs,  indignes  d'être  admis  aux  di- 
gnités, et  qu'ils  les  notent  d'infamie,  com- 
bien plus  sévère  sera  le  jugement  que  la 
justice  de  Dieu  exercera  contre  eux  ?  » 

Ctiap.  25.  —  «  Un  homme  pensera-t-il  à 
Dieu  dans  les  lieux  où  il  n'y  a  riea  de  Dieu? 


57 

apprendra-t-il  5  être  chaste  lorsqu'il  se 
trouve  tout  transporté  et  comme  enivré 
du  plaisir  qu'il  prend  à  la  comédie?  Mais 
il  n'y  a  rien  de  plus  scandaleux  dans  tous 
les  spectacles,  que  de  voir  avec  quel  soin 
et  avec  quel  agrément  les  hommes  et  les 
femmes  y  sont  parés  ;  l'expression  de  leurs 
sentiments  conformes  ou  dillerenls  pour 
approuver  ou  pour  désapprouver  les  choses 
dont  ils  s'entretiennent,  ne  sert  qu'à  exciter 
dans  leurs  cœurs  des  passions  déréglées. 
Enfin  nul  ne  va  à  la  comédie  qu'à  dessein 
de  voir,  et  d'y  être  vu.  Comment  un  homme 
se  représentera -t-il  les  exclamations  d'un 
prophète,  en  môme  temps  qu'il  sent  frapper 
ses  oreilles  par  les  cris  d'un  acte  ir  de  tra- 
gédie ?  Comment  repassera-t-il  en  sa  mé- 
moire quelque  chose  des  psaumes,  lorsqu'il 
rend  son  esprit  attentif  aux  vers  que  récite 
un  comédien?  A  Dieu  ne  plaise  que  ses 
serviteurs  se  laissent  emporter  à  une  telle 
passion  ,  pour  un  plaisir  pernicieux;  car 
n'est-ce  pas  un  aveuglement  étrange  de 
quitter  l'église  de  Dieu  pour  courir  à  celle 
du  diable?  C'est  tomber  du  ciel,  comme  on 
dit,  dans  un  égout  d'ordures.  N'est-ce  pas 
une  chose  honteuse  d'honorer  les  comé- 
diens de  votre  approbation  et  de  vos  applau- 
dissements en  frappant  des  mains,  que  vous 
venez  d'élever  pour  invoquer  le  nom  de 
Dieu?  » 

Cbap.  26.  —  «  Pourquoi  donc  ces  gens  qui 
vont  aux  spectacles  ne  sont-ils  pas  possédés 
du  démon?  Nous  en  avons  l'exemple  d'une 
femme  dont  Dieu  est  témoin,  laquelle  étant 
allée  à  la  comédie  en  sortit  avec  un  démon 
dans  son  corps;  et  comme  on  pressait  ce 
malin  esprit  dans  l'exorcisme,  sur  ce  qu'il 
avait  eu  la  hardiesse  d'attaquer  une  fidèle  ; 
il  répondit  hardiment  :  «  J'ai  eu  droit  de  le 
faire,  puisque  je  l'ai  trouvée  dans  un  lieu 
qui  m'appartient.  »  Une  autre  femme  étant 
aussi  allée  à  la  tragédie,  la  nuit  suivante 
elle  vit  en  songe  un  suaire,  et  il  lui  sembla 
qu'on  lui  reprochait  la  faute  qu'elle  avait 
commise  d'avoir  assisté  à  cette  tragédie,  en 
lui  représentant  môme  le  nom  de  l'acteur  ; 
ce  qui  l'effraya  tellement  qu'elle  mourut 
cinq  jours  après.  Combien  d'autres  exem- 
ples y  a- t-il  de  ceux  qui,  suivant  le  parti 
du  démon  dans  les  spectacles,  ont  secoué  le 
joug  du  Seigneur,  car  personne  ne  peut 
servir  deux  maîtres.  Quel  commerce  peut-il 
y  avoir  entre  la  lumière  et  les  ténèbres  , 
entre  la  vie  et  la  mort  ?  » 

Chap.  27.  —  «  Chrétiens,  ne  fuirez-vous 
point  ces  sièges  des  ennemis  de  Jésus-Christ, 
celte  chaire  de  pestilence,  cet  air  tout  infecté 
par  ces  voix  exécrables  ?  Encore  qu'il  n'y 
eût  rien  dans  les  spectacles  qui  ne  lût  doux, 
agréable,  simple,  et  qu'il  y  eût  même  quel- 
que chose  d'honnête,  ils  n'en  seraient  pas 
moins  dangereux  ;  car  comme  personne  ne 
mêle  le  poison  avec  le  tiel  ou  avec  de  l'ellé- 
bore, mais  le  met  dans  les  viandes  bien 
apprêtées,  douces  et  agréables  au  goût,  de 
même  le  diable  répand  son  venin  sur  les 
choses  de  Dieu  les  plus  agréables.  Que  tout 
ce  qui  se  passe  à  la  comédie  soit  généreux, 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE   SUfl   LE  THEATRE. 

honnête,    harmonieu 


,  charmanl  et  subtil  : 
Regardez  tout  cela  eomsie  un  breuvage  de 
miel  dans  une  coupe  empoisonnée;  et  con- 
sidérez qu'il  y  a  [dus  de  péril  à  se  laisser 
emporter  à  la  volupté,  qu'il  n'y  a  de  plaisir 
à  s'en^rassasier.  » 

Chap.  28.  —  «  Pendant  que  le  monde  se 
réjouira,  dit  Notre-Seigneur,  vous  "serez  dans 
la  tristesse.  Pleurons  donc  pendant  que  les 
gens  du  monde  et  les  païens  se  réjouissent, 
afin  que  lorsqu'ils  commenceront  à  tomber 
dans  l'état  épouvantable  de  douleur,  (pie  la 
justice  de  Dieu  leur  réserve,  nous  puissions 
entrer  dans  la  joie  que  Notr^-Seigneur  pré- 
pare aux  prédestinés  :  Car  si  nous  voulons 
être  dans  la  joie  avec  eux  -en  ce  monde, 
nous  serons  allligés  avec  eux  éternellement. 
C'est  une  grande  sensualité  à  des  Chrétiens 
de  chercher  leurs  plaisirs  en  ce  monde  ; 
ou  plutôt,  c'est  une  grande  manie  décon- 
sidérer, comme  un  véritable  plaisir  les  vo- 
luptés de  ce  siècle.  Quelques  philosophes 
ont  donné  ce  nom  au  repos  et  à  la  tran- 
quillité ;  ils  en  ont  fait  l'objet  de  leur  joie  , 
de  leur  application  et  de  leur  gloire  ;  et 
vous  Chrétiens,  vous  ne  soupirez  qu'après 
les  comédies?  Nous  sommes  si  éloignés  de 
pouvoir  vivre  sans  volupté,  que  même  nous 
devons  trouver  de  la  volupté  dans  la  mort  ; 
car  notre  plus  grand  désir  doit  être  à  l'imi- 
tation de  l'Apôtre,  de  sortir  de  cette  vie  et 
souhaiter  d'être  unis  à  Dieu.  Or,  nous  de- 
vons trouver  nos  délices  dans  l'accomplis- 
sement de  nos  désirs.  » 

Chap.  29.  —  «Vous  voulez  passer  toute  vo- 
tre vie  dans  les  délices?  c'est  une  étrange  in- 
gratitude de  n'estimer  pas  autant  qu'il  le 
faut,  de  ne  vouloir  pas  même  connaître  les 
abondantes  et  précieuses  délices  que  Dieu 
vous  a  préparées.  Qu'y  a-t-il  de  plus  ai- 
mable et  de  plus  propre  à  nous  donner  une 
extrême  joie  que  d'être  réconciliés  avec 
D.eu  ,  que  d'être  éclairés  de  la  vérité,  que 
de  connaître  les  erreurs  qui  lui  sont  oppo- 
sées ,  que  d'être  assurés  du  pardon  de  tant 
de  crimes  que  l'on  a  commis  ?  Quelle  plus 
grande  volupté  peut-on  sentir,  que  celle  qui 
nous  dégoûte  de  toutes  les  auties  voluptés, 
qui  nous  l'ait  mépriser  le  siècle  ,  qui  nous 
établit  dans  une  véritable  liberté,  qui  con- 
serve la  pureté  de  notre  conscience  ,  qui 
nous  rend  satisfaits  de  notre  condition  pré- 
sente, qui  fait  que  nous  n'avons  aucune 
crainte  de  la  mort ,  qui  nous  fait  fouler  aux 
pieds  les  idoles  des  païens  ,  qui  nous  rend 

nous 
à  les 
leurs 
s,  et 


victorieux  des  démons  ,  qui  fait  que 
ne  vivons  que  pour  Dieu?  Ce  sont- 
voluptés  des  Chrétiens;  ce  sont-là 
spectacles,  spectacles  saints,  é;erne 
qui  leur  sont  donnés  gratuitement.  Us  nous 
représentent  les  jeux  du  cirque  d'une  ma- 
nière mystérieuse  :  au  lieu  d'y  voir  la 
course  des  chariots  ,  représentez-vous  le 
coins  du  siècle  et  du  temps  qui  passe  ;  con- 
sidérez l'espace  de  votre  vie  ;  et  au  lieu  du 
terme  et  du  bout  de  la  carrière,  regardez 
la  fin  du  monde  ;  au  lieu  des  partis  du  cir- 
que, défendez  le  parti  de  l'Eglise;  attendez 
avec  vigilance  le  signal  uue  Dieu  vous  duu- 


33 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


«  ■ 


nftra  pour  voas  présenter  devant  son  tri- 
bunal. Tenez-vous  prêts  au  son  de  la  trom- 
pette ,  et  à  la  voix  de  l'ange  qui  vous 
avertira  ;  considérez  la  victoire  et  la  cou- 
ronne des  martyrs,  comme  l'objet  de  votre 
gloire. 

«  Aimez-vous  les  doctes  comédies  ?  Il  y  a 
plus  de  doctrine  dans  nos  exercices  ;  les 
vers  y  sont  plus  beaux,  les  sentences  plus 
solides,  les  airs  plus  agréables,  les  voix 
plus  charmantes  :  au  lieu  des  fables,  vous  y 
trouverez  des  vérités  ;  au  lieu  des  fourbe- 
ries, une  sainte  simplicité;  vous  y  verrez 
l'impureté  bannie  par  la  chasteté  ;  la  perfi- 
die détruite  par  la  foi;  ia  cruauté  abattue 
par  -Ut  miséricorde  ;  l'insolence  chassée  par 
la  modestie.  Ce  sont  là  nos  spectacles  où 
nous  sommes  couronnés.  » 

Chap.  30.  —  «  Mais  quel  sera  ce  specta- 
cle, qui  s'approche  de  l'avènement  du  Sei- 
gneur, lorsqu'il  viendra  faire  éclater  sa 
majesté,  lorsqu'il  paraîtra  tout  brillant  de 
gloire  dans  la  pompe  d'un  magnifique  triom- 
phe? Quelle  sera  la  joie  des  anges  ?  Quelle 
sera  la  gloire  des  saints  qui  ressusciteront? 
Quelle  sera  la  magnificence  du  royaume 
qui  est  préparé  aux  justes?  Quel  sera  l'éclat 
de  la  nouvelle  cité  de  Jérusalem  ?  Mais  ce 
sera  bien  un  autre  spectacle,  lorsque  le 
dernier  jour  du  jugement  arrivera,  d'où  dé- 
pend l'éternité  des  peines  ou  des  récom- 
penses; ce  jour  que  les  nations  n'attendent 
point;  ce  jour  dont  elles  se  moquent,  lors- 
que le  monde  si  vieux,  et  tout  ce  qui  a  été 
produit,  sera  consumé  par  un  commun  em- 
brasement. Quelle  sera  l'étendue  de  ce 
spectacle?  avec  quelle  admiration,  avec  quel 
plaisir,  avec  quels  transports  de  joie  et 
d'allégresse  verrai-je  tant  de  roist  qu'on 
disait  avoir  été  élevés  dans  le  ciel,  gémir 
dans  le  fond  des  ténèbres  de  l'enfer  avec 
Jupiter  et  les  témoins  de  leur  fausse  divi- 
nité ?  Alors  les  acteurs  des  tragédies  se 
feront  mieux  entendre,  poussant  leurs  plain- 
tes d'une  voix  plus  éclatante  dans  leur 
propre  misère.  Alors  les  comédiens  feront 
mieux  paraître  leur  souplesse,  étant  dove- 
nus  plus  légers  et  plus  agiles  par  le  feu  qui 
les  pénétrera,  etc.  Il  n'y  a  point  de  préteur, 
de  consul,  de  questeur,  de  pontife,  quelque 
libéralité  qu'il  déploie,  qui  vous  puisse 
faire  voir  ces  choses  qui  vous  puisse  donner 
ce  plaisir  :  néanmoins  la  foi  vous  les  re- 
présente dès  à  présent  par  les  images  qu'elle 
en  forme  dans  vos  esprits  ;  et  après  cette 
vie  vous  verrez  ce  que  l'œil  n'a  point  vu  , 
ce  que  l'oreille  n'a  point  entendu,  et  que 
l'esprit  de  l'homme  n'a  jamais  conçu.  Je 
crois  que  les  représentations  du  cirque,  du 
théâtre,  de  l'amphithéâtre  et  de  tous  les 
efforts  de  l'industrie  des  hommes,  n'égalent 
point  ces  spectacles.  » 

Clément  d'Alexandrie,  danslem'Iivredu 
Pédagogue,  l'an  20i.Chap.-2'—  «  Jésus-Christ, 
qui  est  notre  pédagogue,  ne  nous  conduira 
point  aux  spectacles.  On  peut  justement 
appeler  les  théâtres  et  la  carrière  des  cour- 
ses publiques,  une  chaire  de  pestilence  ;  car 
tout  ce  qui  se  fait  en  ces  lieux  est  plein  de 


confusion  et  d'iniquité  :  ces  assemblées  ne 
fournissent  que  trop  de  sujets  d'impureté,  où 
les  hommes  et  les  femmes,  étant  ensemble, 
s'occupent  à  se  regarder;  c'est  là  où  se 
tiennent  de  pernicieux  conseils,  lorsque  les 
regards  lascifs  excitent  de  mauvais  désirs; 
et  les  yeux  étant  accoutumés  à  regarder 
impudemment  les  objets  qui  sont  auprès 
d'eux,  se  servent  de  l'occasion  qui  se  pré- 
sente pour  satisfaire  leur  cupidité.  C'est 
pourquoi  ces  spectacles  doivent  êire  défen- 
dus, où  l'on  ne  voit  que  des  choses  mau- 
vaises, etc.,  on  n'entend  que  des  paroles 
dissolues  ;  car  y  a-t-il  rien  de  hoi  teux  qu'on 
ne  représente  sur  les  théâtres?  Et  y  a-t-il 
de  parole  insolente  que  les  comédiens  et 
les  farceurs  ne  profèrent  pour  faire  rire  ? 
de  sorte  que  ceux  qui  par  leur  inclination 
y  prennent  plaisir,  en  emportent  chez  eux 
de  vives  images  empreintes  dans  leur  es- 
prit. Et  ceux  qui  ne  sont  pas  touchés  de 
ces  choses,  ne  se  laissent-ils  pas  au  moins 
emporter  à  des  plaisirs  inutiles?  S'ils  disent 
que  les  spectacles  leur  servent  seulement 
de  jeu  et  de  divertissement  pour  relâcher 
leur  esprit,  nous  leur  répondrons  qu'il  ne 
faut  jamais  acheter  un  divertissement  par 
une  vaine  et  inutile  occupation;  car  un 
homme  sage  ne  préférera  jamais  ce  qui  est 
agréable,  à  ce  qui  est  plus  honnête  et  plus 


avantageux.  » 


Minucius  félix,  l'an  206.  —  «  C'est  donc 
avec  raison  que  nous  ,  qui  faisons  profes- 
sion des  bonnes  mœurs  et  de  la  pudeur* 
nous  nous  abstenons  d'e  vos  voluptés,  de 
vos  pompes  et  de  vos  spectacles,  comme  de 
choses  mauvaises,  et  consacrées  à  de  faus- 
sés divinités,  dont  nous  savons  la  naissance 
ei  l'origine,  et  nous  les  condamnons  comme 
des  corrupteurs  agréables  ;  car  qui  n'a 
horreur  dans  la  course  des  chariots,  de  voir 
la  folie  de  tout  un  peuple  qui  se  querelle? 
Qui  ne  s'étonne  de  voir  dans  les  jeux  des 
gladiateurs,  l'art  de  tuer  les  hommes.  La 
l'urour  n'est  pas  moindre  au  théâtre,  mais 
l'infamie  y  est  plus  grande;  car  un  acteur  y 
représente  les  adultères,  ou  il  les  récite  ; 
et  un  comédien  lascif  émeut  les  passions 
des  autres ,  en  feignant  d'en  avoir  lui- 
même.  » 

IIIe  SIÈCLE.  —  Saint-Cyprien,  l'an  250  ,v 
dans  VEpître  à  Donat.  —  «  Vous  verrez  dans 
les  théâtres  des  choses  qui  vous  donneront 
de  la  douleur,  et  qui  vous  feront  rougir; 
c'est  le  propre  de  la  tragédie  d'exprimer  en 
vers  les  crimes  de  l'antiquité.  On  y  repré- 
sente si  naïvement  les  parricides  et  les  in- 
cestes exécrables  des  siècles  passés,  qu'd 
semble  aux  spectateurs  qu'ils  voient  encore 
commettre  etfectivement  ces  actions  crimi- 
nelles ,  de  peur  que  le  temps  n'efface  la 
mémoire  de  ce  qui  s'est  fait  autrefois;  les 
hommes  de  quelque  âge  et  de  quelque  sexe 
qu'ils  soient  entendant  réciter  ce  qui  s'est 
déjà  fait,  apprennent  que  cela  même  se  peut 
encore  faire  ;  les  péchés  ne  meurent  point 
par  la  vieillesse  du  temps.  Les  années  ne 
couvrent  point  les  crimes  et  on  ne  perd 
jamais  le  souvenir  des  mauvaises  actions  ; 


«S 


41 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE   SlK  LE  THEATRE. 


a 


elles  ont  cessé  d'être  des  crimes,  et  elles  au  diable  dans  le  baptême,  il  a  renoncé  à 

deviennent  des  exemples;  on  prend  plaisir  tout    ce    qui  lui  appartient.  Mais  si  après 

à  voir  représenter  dans  la  comédie  ce  qu'on  s'être  uni  à  Jésus-Christ,  il  va  aux  spectacles 

a  fait  en  sa  maison,  ou  à  entendre  ce  qu'on  du  diable,  il  renonce  à  Jésus-Christ,  comme 

y  peut  faire.  On  apprend    l'adultère  en  le  il  avait  auparavant  renoncé  au  diable*  L'ido- 

voyant  représenter,  et  le  mal  qui  est   auto-  latrie,  comme  j'ai  déjà  dit  ,  est  la  mère  do 

risé  publiquement  a  tant  de  charmes,  qu'il  tous  les  jeux;  et  pour  attirera  soi  les  fidèles 

arrive  que  des  femmes  qui  étaient  peut-être  Chrétiens,  elle  les  flatte,  et  les  charme,  par 


chastesjorsqu'elles  sont  allées  aux  spectacles 
en  sortent  impudiques.  Les  farceurs  avec 
leurs  gestes  honteux  ne  corrompent-ils  pas 
les  mœurs,  ne  portent-ils  pas  à  la  débau- 
che, n'entretiennent-ils  pas  les  vices  ?    Ils 


les  voluptés  des  yeux  et  des  oreilles.  Le 
démon  sachant  que  l'idolâtrie  toute  nue 
donnait  de  l'horreur,  il  l'a  revêtue  de  la 
volupté  des  spectacles,  pour  la  rendre  aima- 
ble. Néanmoins  tout  le  monde  va  aux  spec- 


tirent  leurs  louanges  de  leur  crime;  plus  ils  tacles;  on  se  plaît  à  cette  infamie  publique, 

sont  impudiques,  plus  ils  sont  estimés  ha-  ou  pour  y  reconnaître  ses  vices  ,  ou  pour 

biles,  et,  ce  qui  est  honteux,  on  les  regarde  les  apprendre;   on  court  à  ce  lieu  infâme, 

avec  plaisir.  Dans  ces  dispositions  y  a-t-il  à  cette  école  d'impureté,  afin  de  ne  faire  pas 

rien  que  ces  gens-là  ne  puissent  persuader  ?  moins  de  mal  en  secret  qu'on   en  a  appris 

Ils  émeuvent  les  sens,  ils  flattent  les  pas-  en  public,  et  à  la  vue  pour  ainsi  dire  des  lois, 

sions,  ils  abattent  la  plus  forte  vertu.  Ces  on  commet  tous  les  crimes  qui  sont  défen- 

corrupteurs   agréables   ne    manquent    pas  dus  par  les  lois.  Que  fait  là  un  fidèle  Chré- 

d'approbateurs,  qui  leur  servent  a  insinuer  tien?  11  ne  lui  est  pas  même  permis  d'avoir 

plus  doucement  leur  poison  dans  les  cœurs  une  pensée  d'impureté  ;  comment  donc  peut- 

cle  ceux  qui  les  écoutent.  »  il  prendre    plaisir  aux  représentations   de 

Dans  le  Traité  des  spectacles.  —  «  Quand  l'impureté,    et   comment   s'exposera-t-il  à 

même  la  sainte  Ecriture  ne  défendrait  pas  perdre  toute  pudeur   dans  ces   spectacles  , 

aux  Chrétiens  d'aller  aux  spectacles,  la  pu-  pour  pécher  après  avec  plus   d'audace?  En 

deur  le  leur  devrait  défendre  :  lorsque  l'E-  s'accoutumant  à  voir  la  représentation  des 

criture  commande  quelque  chose,    elle  ex-  crimes,  il  apprend  à  les  commettre  ;  ainsi, 

prime  ce  qu'elle  commande  ;  mais  lorsqu'elle  l'on  aime  tellement  tout  ce  qui  est  défendu, 

fait  quelque  défense,  il  y  a  des  choses  si  qu'on  se  remet  devant  les  yeux  même  ce 

honteuses,  qu'elle  trouve  plus  à  propos  de  que  le  temps  avait  couvert.  Le  dérèglement 

les  défendre  seulement  en  général,  sans  les  est    si  grand  ,  qu'on    ne  se   contente  pas 

exprimer  en  particulier.  Si  Dieu,  qui  est  la  d'être  chargé  de  ses  propres  vices,   on  se 

souveraine  vérité,  fût  entré  dans  ce  détail,  veut  encore  charger  dans  les  spectacles  des 


il  aurait  mal  jugé  du  naturel  de  son  peu 
pie,  car  l'expérience  nous  l'ait  voir  que  sou- 
vent il  vaut  mieux  ne  point  exprimer  en 
particulier  ce  qu'on  défend,  pour  ne  pas 
donner  occasion  de  le  faire ,  puisqu'on  se 
porte  d'ordinaire  aux  choses  détendues. 
Mais  encore  qu'il  n'exprime  pas  ces  crimes 
dans  l'Ecriture,  il  ne  laisse  pas  de  les  dé 


excès  de  tous  les  siècles  passés.  En  vérité 
il  n'est  nullement  permis  aux  Chrétiens  de 
se  trouver  en  ces  assemblées. 

«  Que  dirai -je  des  vaines  et  inutiles  occu- 
pations de  la  comédie  et  des  grandes  folies 
de  la  tragédie  ?  Quand  même  ces  chose* 
ne  seraient  point  consacrées  aux  idoles ,  il 
ne  serait  pas  néanmoins  permis  aux  fidèles 


fendre,  puisque  la  sévérité  dont  il  use  dans     Chrétiens  d'en  être  les  acteurs,  ni  les  specta 


la  punition  de  toutes  sortes  de  crimes,  le 
marque  suffisamment  ,  et  la  raison  le  fait 
connaître  évidemment.  Que  chacun  seule- 
ment se  consulte  soi-même,  et  qu'il  con- 
sidère l'état  de  sa  profession,  il  ne  fera  ja- 
mais rien  d'indécent;  car  il  gardera  plus 
exactement   la    loi   qu'il  se   sera  prescrite 


teurs;  et  quelque  innocentes  qu'elles  fus- 
sent, ce  ne  serait  toujours  qu'un  dérègle- 
ment de  vanité,  gui  ne  convient  point  à 
ceux  qui  font  profession  du  christianisme. 
«  Les  fijèles  Chrétiens  doivent  fuir  ces 
spectacles,  qui  sont,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  si  vains,  si  pernicieux,  si  sacrilé- 


lui-même.  Mais  qu'est-ce  donc  que  l'Ecriture     ges.  Nous  devons  garder  soigneusement  nos 


a  défendu?  elle  a  défendu  de  regarder  ce 
qu'il  n'est  pas  permis  défaire;  elle  a,  dis-je, 
condamné  toutes  sortes  de  spectacles  , 
en  condamnant  l'idolâtrie  qui  est  la  mère 
de  tous  les  jeux,  d'où  tous  ces  monstres  de 
vanité  et  de  légèreté  sont  sortis 


yeux  et  nos  oreilles.  On  s'accoutume  facile- 
ment aux  crimes  dont  on  entend  souvent 
parler.  L'esprit  de  l'homme  ayant  une  pente 
au  mal ,  que  fera-t-il ,  s'il  y  est  encore 
porté  par  les  exemples  des  vices  de  la  chair, 
auxquels  la  nature  se  laisse  aller  si   aisé- 


«  Que  fera  donc  un  Chrétien  dans  ces  spec-  ment.  Puisqu'elle  tombe  d'elle-même,   que 

tacles,   s'il   fuit  l'idolâtrie?  Que   dira-t-il?  fera-t-elle  si  on   la  pousse?    11  faut  donc 

Peut-il  prendre  plaisir  à  des  choses  crimi-  retirer  son  esprit  de  ces  folies.  Un  véritable 

nelles,  lui  qui  est  déjà  sanctifié?  Approu-  Chrétien   a    bien   d'autres   divertissements 

vcra-t-il,  contre  le  commandement  de  Dieu  ,  plus  relevés  que  ceux-là,  s'il  a  de  la  pas- 

les  superstitions  qu'il  aime,  lorsqu'il  en  est  sion  pour  les  véritables  et  utiles  plaisirs, 
spectateur?  Il  doit  savoir  que  c'est  le  diable         «  Qu'il  s'applique  à  la  lecture  de  la  sainte 

et  non  pas  Dieu  qui   a  inventé  toutes  ces  Ecriture,  il  y  trouvera  des  spectacles  dignes 

choses.    Aura-t-il   l'impudence   d'exorciser  de  la  foi  dont  il  fait  profession.    Y  a-t-il  , 

dans  l'église  les  démons,  dont  il   loue   les  mes  frères,    de  spectacle  plus  benu,   plus 

voluptés  dans  les  spectacles?  ayant  renoncé  agréable  et  p'us  nécessaire,  que  de  contem- 
Dictionn.  des  Mystères.  2 


J3 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


44 


pler  sans  cesse  l'objet  de  noire  espérance, 
el  de  notre  salut  ?  » 

Dans  VËpître  61  à  Euchratius.  —  «  Mon 
cher  frère,  comme  nous  avons  de  l'affection 
el  do  la  déférence  l'un  pour  l'autre,  il  vous 
a  plu  de  me  demander  mon  sentiment  sur 
le  sujet  d'un  comédien  de  votre  pays,  qui 
exerce  encore  ce  métier  el  instruit  la  jeu- 
nesse, non  pas  à  se  bien  conduire,  mais  à  se 
perdre;  enseignant  aux  autres  le  mal  qu'il 
a  appris,  s'il  doit  être  reçu  dans  noire  com- 
munion. Je   vous    dirai    qu'il    me    semble 


siècle  aux  attraits  des  voluptés  qui  nous 
détournent  de  Dieu  et  des  bonnes  œuvres 
que  nous  devons  faire.  » 

Dans  le  ebap.  21.  —  «  N'estimerait-on  pas 
un  homme  impudique  et  de  mauvaise  vie, 
qui  tiendrait  des  comédiens  en  sa  maison  ? 
Or  si  vous  ne  pouvez  être  spectateur  de  la 
comédie  lorsque  vous  êtes  seul,  sans  blesser 
l'honnêteté,  ne  la  blesserez-vous  point  lorsque 
vous  laregarderez  représenter  sur  lethé&tre 
avec  le  peuple  l  Les  vers  polis  et  les  discours 
agréables  gagnent  les  esprits,  et  les  portent 


que  le  respect  que  nous  devons  à  la  majesté     où  ils  veulent  :  c'est  pourquoi  celui  qui  re- 


de  Dieu  et  l'ordre  de  la  discipline  évangéli- 
que  ne  peuvent  souffrir  que  la  pudeur  et 
l'honneur  de  l'Eglise  soient  souillés  par  une 
si  dangereuse  contagion.  » 

Lactance  Firuien,  dans  le  vic  livre  des 
Institutions  divines.  —  Chap.  20.  —  «  Vous 
devez  rejeter  les  spectacles  publics  ,  parce 
qu'étant  des  occasions  des  vices  et  ne  ser- 
vant qu'à  corrompre  les  mœurs,  ils  sont 
non-seulement  inutiles  pour  nous  conduire 
à  la  vie  bienheureuse,  mais  ils  sont  même 
extrêmement  nuiiibles. 

«  Je  ne  sais  s'il  y  a  moins  de  dérègle- 
ment dans  les  théâtres  que  dans  les  autres 
spectacles  ;  car  on  représente  dans  les  co- 
médies l'impertinence  des  tilies  et  les 
amours  des  femmes  de  mauvaise  vie.  Plus 
les  auteurs  de  ces  infâmes  représentations 
ont  d'éloquence,  mieux  ils  persuadent  ceux 


cherche  la  vérité,  et  qui  ne  veut  pas  se 
tromper  soi-même,  doit  rejeter  les  voluptés 
pernicieuses  auxquelles  l'âme  s'abandonne, 
comme  le  corps  aux  viandes  délicieuses  •  il 
faut  préférer  les  choses  vérilables  à  celles 
qui  sont  fausses,  les  éternelles  aux  passagè- 
res, et  les  utiles  aux  agréables.  Nepntiez 
point  de  plaisir  à  regarder  d'autres  actions 
que  celles  qui  sont  justes  et  pieuses.  N& 
prenez  point  de  plaisir  à  entendre  autre 
chose'  que  ce  qui  nourrit  l'âme,  et  qui  vous 
peut  rendre  meilleur.  Prenez  garde  de  ne 
point  faire  un  mauvais  usage  de  ce  sens 
qui  vous  a  éié  donné  pour  éeouier  les  en- 
seignements de  Dieu.  Si  vous  vous  plaisez 
donc  aux  chants  et  aux  vers,  prenez  plaisir 
à  chanterjet  à  entendre  chanter  les  louanges 
de  Dieu  :  le  véritable  plaisir  est  celui  qiû 
est  accompagné  de  la  vertu;  c'est  un  plaiii? 
qui  les  écoutent,  par  la  politesse   de  leurs     qui  n'est  point  périssable  et  passager  comme 


senliinenis  ;  et  la  justesse  et  la  beauté  de 
leurs  vers  fait  qu'on  les  retient  plus  aisé- 
ment. Dans  la  tragédie  l'on  expose  avec 
éclat  aux  yeux  du  peup'e  les  parricides, 
les  incestes  et  toutes  sortes  de  crimes. 
Que  font  les  farceurs  par  leurs  mouvements 
impudiques,  qu'enseigner  et  inspirer  l'im- 
pureté ?  Ces  efféminés  démentent  ce  qu'ils 
sont,  et  s'étudient  a  paraître  des  femmes 
dans  leurs  habits,  dans  leur  marcher  et 
dans  leurs    gestes  lascifs. 


les  autres  que  recherchent  ceux  qui  suivent 
les  passions  do  leur  corps,  ainsi  que  les 
animaux;  ma;s  il  est  continuel  et  toujours 
agréable.  Celui  qui  en  passe  les  bornes  et 
ne  recherche  dans  le  plaisir  que  le  seul 
plaisir,  se  procure  la  mort.  Car  comme  la 
vertu  conduit  à  la  vie  éternelle,  aussi  la 
volupté  conduit  à  la  mort;  car  quiconque 
s'attache  aux  choses  temporelles,  perdra  les 
éternelles  ;  quiconque  met  son  atfection  aux 
choses  de  la  terre,  n'aura  point  de  part  aux 


•  Que  dirai-je  de  ces  bouffons  qui  tiennent     biens  du  ciel.  Comme  c'est  par  la  vertu  et 
école  de  la   débauche  ;   qui,  par  de  feints     par  les  travaux  que  Dieu  nous  appelle  à  la 

vie,  c'est  par  la  volupté  que  le  diable  nous 
conduit  à  la  mort  :  comme  on  acquiert  le 
véritable  bien  par  de  faux  maux ,  on  se 
procure  les  véritables  maux  par  de  faux 
biens.  Il  faut  donc  éviter  les  plaisirs  comme 
des  pièges  el  des  filets,  de  peur  que  nous 
engageant  dans  la  mollesse  des  douceurs  du 
siècle,  et  devenant  esclaves  de  notre  corps, 


adultères  ,  enseignent  à  en  commettre  de 
véritables  ?  Que  feront  les  jeunes  hommes 
et  les  filles,  voyant  comme  on  commet  ces 
infamies  sans  honte,  et  comme  tout  le 
monde  les  regarde  avec  plaisir?  ils  appren- 
nent par  là  ce  qu'ils  peuvent  faire.  Ces 
objets  allument  dans  leurs  cœurs  le  feu 
de     l'impureté  ,     qui    s'enflamme     par    la 


vue.  Chacun  selon  son  sexe  se  représente  à  nous  ne  tombions  sous  la  puissance  de  la 

son  imagination  dans  ces  spectacles;  on  les  mort  avec  notre  corps.  » 
approuve  lorsqu'on  en  rit,  et  non-seulement         IVe  SIÈCLE.  —  Saint-Macaire  l'Ancien, 

les    enfants,  à   qui  on    ne  doit  point  faire  dans    l'homélie  27.  —  «  Si,  par  l'ouïe  toute 

goûter  le  mal  avant  raênrj  qu'ils  le  puissent  seule,  on  pouvait  entrer  dans  le  royaume  du 

connaître,  mais  aussi  les  vieillards,  à  qui  ciel  et  dans  Ja   vie  éternelle   sans  peine  et 

il  est  honteux  de  commettre  des  péchés  qui  sans  travail,  ceux  qui   se  divertissent  aux 

ne  sont  plus  de  leur  âge,  emportant  les  vices  spectacles   du  théâtre    et  ceux  qui  mènent 

du  théâtre,  s'en  relouaient  plus  corrompus  une  vie  impudique  y  auraient  bonne  part, 

en  leurs  maisons.  Il  faut  donc  fuir  les  spec-  Mais  on  ne  va  au  ciel  que  par  des  travaux 

tacles,  non-seulement  afin  que  les  vices  ne  et  pir  des  combats,  parce  que  le  chemin  qui 

fissent  aucune  impression  sur  nos  esprits,  y  conduit  est  étroit ,    pénible  et  fâcheux; 

qui  trouble  la  paix  et  la  tranquillité  de  nos  c'est  dans  ce  chemin  rude  qu'il  faut  roar- 

cœurs;  mais aussiatînquenous  nenous  lais-  cher  et  souffrir  beaucoup  de  peines  et  d'af- 

sious  point  emporloi  par  la   coutume  du  Mictions  oour  entrer  dans  la  vie  éternelle.  * 


*:; 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SLR  LE  THEATRE. 


M 


Sa' nt  Cyrille,  archevêque  de  Jérusalem, 
dans  la  première  Catéchèse  mystagogique  aux 
nouveaux  baptisés.  —  «  Vous  avez  dit  au 
baptême  :  Je  vous  renonce,  Satan,  je  renonce 
à  toutes  vos  œuvres  et  à  toutes  vos  pompes. 
Les  pompes  du  diable  sont  les  spectacles 
du  théâtre  et  toutes  les  autres  vanités  sem- 
blables, dont  le  saint  roi  David  demande  à 
Dieu  d'être  délivré  :  Détournez,  dit-il,  mes 
yeux,  afin  quils  ne  regardent  point  la  vanité. 
Ne  vous  laissez  donc  pas  emportera  la  pas- 
sion pour  les  spectacles  du  théâtre,  pour  y 
voir  les  excès  des  comédiens  tout  pleins 
d'impureté  et  d'infamie.  » 

Saint  Ambiuhse  ,  archevêque  de  Milan, 
dans  le  Traité  de  la  fuite  du  siècle.  —  «  Adam 
n'eût  point  été  chassé  du  paradis,  s'il  n'eût 
été  séduit  par  la  volupté;  c'est  pourquoi 
David,  qui  avait  éprouvé  combien  les  re- 
gards sont  dangereux  ,  dit  avec  raison  que 
l'homme  est  heureux  lorsque  le  nom  du 
Seigneur  est  toute  son  espérance ,  et  qu'il 
n'a  nul  égard  aux  vanités  et  aux  folies 
trompeuses  du  siècle.  Celui  qui  s'applique 
à  considérer  que  le  Seigneur  lui  est  toujours 
présent,  et  qui  a  toujours  les  yeux  intérieurs 
de  son  âme  arrêtés  sur  Jésus-Christ,  n'a 
point  égard  aux  vanités  et  aux  tromperies 
du  siècle.  Ainsi  ce  saint  prophète  se  tour- 
nant vers  lui,  lui  fait  cette  prière  :  Détour- 
nez mes  yeux,  afin  quils  ne  regardent  point 
la  vanité.  Le  cirque  n'est  que  vanité,  parce 
qu'il  ne  sert  à  rien.  La  course  des  chevaux, 
n'est  que  vanité,  parce  que  la  vitesse  d'un 
cheval  est  un  secours  trompeur,  quand  il 
s'agit  de  se  sauver  ;  le  théâtre  et  tous  les 
autres  jeux  ne  sont  que  vanité.  » 

Sur  le  37'  verset  du  psaume  cwni. —  «  Celui 
qui  est  dans  la  voie  de  Dieu  ne  regarde 
point  les  vanités  :  Jésus-Christ  est  la  voie 
parfaite.  Celui  donc  qui  appartient  à  Jésus- 
Christ,  comment  peut-il  regarder  les  vani- 
tés, puisque  Jésus-Christ  a  crucifié  dans  sa 
chair  tous  les  vains  plaisirs  du  monde  ? 
C'est  pourquoi  détournons  nos  yeux  des 
vanités,  de  peur  que  la  vue  de  ces  folies 
n'imprime  de  mauvais  désirs  dans  notre 
âme.  Et  sans  parler  du  sens  mystique  de  ce 
passage,  Dieu  veuille  que  cette  interpréta- 
tion ait  la  force  de  retirer  des  spectacles 
du  cirque  et  du  théâtre  ceux  qui  y  courent. 
Ces  jeux  que  vous  regardez,  ne  sont  que 
vanité  ;  élevez  vos  yeux  vers  Jésus-Christ  , 
et  détournez-les  des  spectacles  et  de  toutes 
les  pompes  du  siècle.  » 

Saint  Jean  Chrysostome,  dans  l'homélie 
15  ,  au  peuple  d'Antioche.  —  «  Plusieurs 
s'imaginent  qu'il  n'est  pas  certain  que  ce 
soil  un  péché  de  monter  sur  le  théâtre,  et 
d'aller  à  la  comédie.  Mais  quoi  qu'ils  en 
pensent,  il  est  certain  que  tout  cela  cause 
une  infinité  de  maux  ;  car  le  plaisir  qu'on 
prend  aux  spectacles  des  comédies,  produit 
in  fornication,  l'impudence  et  toute  sorte 
d'incontinence.  D'ailleurs  nous  ne  sommes 
pas  seulement  obligés  d'éviter  les  péchés, 
mais  nous  devons  encore  fuir  les  choses 
même  qui  nous  paraissent  indifférentes,  et 
qui  portent  néanmoins  insensiblement  au 


péché;  car  comme  celui  qui  marche  sur 
le  bord  d'un  précipice,  quoiqu'il  n'y  tombe 
pas,  ne  laisse  pas  d'être  toujours  dans  la 
crainte  ;  et  il  arrive  souvent  que  la  crainte 
le  trouble  et  le  fait  tomber  dans  le  préci- 
pice :  de  même  celui  qui  ne  s'éloigne  pas 
du  péché,  mais  qui  en  est  proche,  doit  vivre 
dans  l'appréhension,  car  il  arrive  souvent 
qu'il  y  tombe.  » 

Dans  la  troisième  homélie  De  David  et  de 
Saiil.  —  «  Je  crois  que  plusieurs  de  ceux  qui 
nous  abandonnèrent  hier  pour  aller  aux 
spectacles  d'iniquité  ,  sont  aujourd'hui  ici 
présents,  je  voudrais  les  pouvoir  reconnaître 
publiquement,  afin  de  leur  interdire  l'entrée 
de  ces  lieux  sacrés,  non  pas  pour  les  laisser 
toujours  dehors  ,  mais  pour  les  rappeler 
après  leur  amendement.  Comme  les  pères 
chassent  souvent  de  leurs  maisons  et  de 
leur  table  leurs  enfants  qui  se  laissent 
emporter  à  la  débauche,  non  pas  afin  qu'ils 
en  soient  toujours  bannis,  mais  afin  qu'é- 
tant devenus  meilleurs  par  cette  correction, 
ils  rentrent  avec  louange  et  honneur  dans 
la  maison  et  dans  la  compagnie  de  leurs 
pères  :  les  pasteurs  en  usent  de  même  lors- 
qu'ils séparent  les  brebis  galeuses  d'avec 
Jes  autres,  afin  qu'étant  guéries  de  leur 
maladie,  elles  retournent  avec  celles  qui 
sont  saines,  sans  aucun  péril;  car  autre' 
ment  s'ils  les  laissaient  parmi  les  autres  , 
elles  infecteraient  tout  le  troupeau  ;  c'est 
pour  ce  sujet  que  je  voudrais  pouvoir  re- 
connaître ces  personnes;  mais  encore  qu'el- 
les nous  soient  inconnues,  elles  ne  peuvent 
pas  néanmoins  se  dérober  aux  yeux  du 
Verbe  éternel,  qui  est  le  Fils  de  Dieu.  J'es- 
père qu'il  touchera  leur  conscience  el  qu'il 
leur  persuadera  aisément  de  sortir  volon- 
tairement, leur  faisant  connaître  qu'il  n'y  a 
que  ceux  qui  se  portent  à  faire  cette  péni- 
tence, qui  soient  véritablement  dans  l'église  : 
au  contraire,  ceux  qui,  vivant  dans  le  dérè- 
glement, demeurent  dans  notre  communion, 
quoiqu'ils  soient  ici  présents  de  corps,  ils 
en  sont  r  éanmoins  séparés  plus  véritable- 
ment que  ceux  qu'on  a  mis  dehors;  de  telle 
sorte  qu'il  ne  leur  est  pas  encore  permis 
de  participer  à  la  sainte  table  ;  car  ceux  qui 
selon  les  lois  divines  ont  été  chassés  de 
l'église,  et  demeurent  dehors,  donnent 
quelque  bonne  espérance  par'  leur  con- 
duite qu'après  s'être  corriges  des  péchés 
pour  lesquels  ils  ont  été  chassés-de  l'église, 
ils  y  rentreront  avec  une  conscience  pure  ; 
mais  ceux  qui  se  souillent  eux-mêmes,  et 
qui,  étant  avertis  de  se  purw'ier  des  tâches 
qu'ils  ont  contractées  par  leurs  crimes  , 
avant  que  d'entrer  en  l'Eglise,  se  conduisent 
avec  impudence,  ils  aigrissent  l'ulcère  do 
leur  âme,  et  rendent  leur  mal  plus  grand  ; 
car  il  y  a  bien  moins  de  mal  à  pécher, 
qu'à  ajouter  l'impudence  au  crime  qu'on  a 
commis,  el  à  ne  vouloir  pas  obéir  aux  or- 
dres des  prêtres. 

«  On  médira  :  Le  péché  que  ces  personnes 
ont  commis,  est-il  si  grand  qu'il  mér  !<• 
qu'on  leur  interdise  l'entrée  de  ces  lieux 
sacrés  ?  mois  y  a-l-il  un  crime  plus  énorme 


47 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


iS 


que  le  leur?  Ils  se  sont  souillés  du  crime 
d'adultère,  et  après  cela  ils  se  jettent  im- 
pudemment comme  des  chiens  enragés  sur 
la  sainte  table.  Que  si  vous  voulez  savoir 
comment  ils  sont  coupables  d'adultère,  je 
ne  vous  le  déclarerai  point  par  mes  dis- 
cours, mais  par  les  propres  paroles  de  celui 
qui  doit  juger  de  toutes  les  actions  des 
hommes  :  Celui,  dit-il,  qui  verra  une  femme 
pour  la  désirer,  a  déjà  commis,  l 'adulte/  e  dans 
son  cœur. Si  une  femme  négligemment  parée 
qui  passe  par  hasard  dans  la  place  publi- 
que, blesse  souvent  par  la  seule  vue  de  son 
visage  celui  qui  la  regarde  avec  trop  de 
curiosité  ;  ceux  qui  vont  aux  spectacles,  non 
par  hasard,  mais  de  propos  délibéré  et  avec 
tant  d'ardeur  qu'ils  abandonnent  l'église 
par  un  mépris  insupportable  pour  y  aller,  où 
ils  passent  tout  le  jour  à  regarder  ces  femmes 
infâmes  ,  auront-ils  l'impudence  de  dire 
qu'ils  ne  les  voient  pas  pour  les  désirer, 
lorsque  leurs  paroles  dissolues  et  lascives, 
les  voix  et  les  chants  impudiques  les  por- 
tent à  la  volupté?  etc. 

«  Car  si  en  ce  lieu  où  l'on  chante  les 
psaumes,  où  l'on  explique  la  parole  de  Dieu, 
et  où  l'on  craint  et  respecte  sa  divine  ma- 
jesté, la  concupiscence  ne  laisse  pas  de  se 
glisser  secrètement  dans  les  cœurs,  comme 
un  subtil  larron  ;  ceux  qui  sont  toujours  à 
la  comédie,  où  ils  ne  voient  et  n'entendent 
rien  de  bon,  où  tout  est  plein  d'infamie  et 
d'iniquité,  dont  leurs  oreilles  et  leurs  yeux 
sont  investis  de  toutes  parts,  comment  pour- 
j-oat-ils  surmonter  la  concupiscence?  et  s'ils 
ne  la  peuvent  pas  surmonter,  comment  pour- 
ront-ils être  exempts  du  crime  d'adultère? 
et  étant  souillés  de  ce  crime  ,  comment 
pourront-ils  entrer  dans  l'église,  et  être 
reçus  dans  la  communion  de  celte  sainte 
assemblée  sans  en  avoir  fait  pénitence  ? 
C'est  pourquoi  je  conjure  et  je  prie  ces 
personnes  de  se  purifier  par  la  confession, 
par  la  pénitence  et  par  tous  les  autres  re- 
mèdes salutaires,  des  péchés  qu'ils  ont  con- 
tractés à  la  comédie,  alin  qu'ils  puissent 
être  admis  à  entendre  la  parole  de  Dieu  , 
car  ces  péchés  ne   sont  point  médiocres. 

«  Ne  craignez-vous  point,  ô  homme  ! 
n'avez-vous  point  horreur  de  regarder  cette 
sainte  lable,  où  l'on  célèbre  les  redoutables 
mystères,  des  mêmes  yeux  dont  vous  re- 
gardez ce  lit  qui  est  dressé  sur  le  théâtre, 
où  l'on  représente  les  détestables  fictions 
de  l'adultère?  N'avez-vous  point  horreur 
d'entendre  les  paroles  impudiques  d'une 
comédienne,  des  mêmes  oreilles  que  vous 
entendez  les  paroles  d'un  prophète  qui  vous 
introduit  dans  les  mystères  de  l'Ecriture? 
N'appréhendez-vous  point  de  recevoir  dans 
un  môme  cœur  un  poison  mortel,  et  cette 
hostie -sainte  et  terrible  ?  N'est-ce  pas  de  là 
que  naissent  les  dérèglements  delà  vie, 
les  désordres  des  mariages,  les  guerres,  les 
troubles  et  les  querelles  domestiques  ? 

«  C'est  pourquoi  je  vous  prie  tous  de  ne 
point  assister  à  ces  infâmes  représentations 
des  spectacles  et  d'en  retirer  les  autres; 
car  luut  ce  qui  s'y  fait,  bien  loin  d'être  un 


divertissement  ,  n'est  qu'un  dérèglement 
pernicieux  qui  n'attire  que  des  peines  et  des 
supplices. 

«  Que  sert  à  l'homme  de  jouir  d'an  plaisir 
passager,  s'il  est  suivi  d'une  douleur  éter- 
nelle, et  s'il  est  tourmenté  nuit  et  jour  par 
la  concupiscence?  Consultez-vous  vous- 
mêmes,  et  considérez  la  différence  qu'il  y 
a  entre  l'état  où  vous  êtes  lorsque  vous 
revenez  de  l'église  ,  et  celui  où  vous  vous 
trouvez  lorsque  vous  sortez  des  spectacles. 
Si  vo.is  comparez  ces  deux  étals  selon  leurs 
divers  temps,  l'un  avec  l'autre,  vous  n'aurez 
pas  besoin  de  mes  avertissements.  Cette 
comparaison  suffira  pour  vous  faire  connaî- 
tre combien  l'un  vous  est  utile  et  avanta- 
geux, et  combien  l'autre  vous  est  dom- 
mageable. » 

Dans  la  ire  homélie,  sur  ces  paroles  du 
Ie'  verset  du  chap.  xi  du  prophète  Isaïe  : 
J'ai  vu  le  Seigneur.  —  «  11  n'y  a  rien  qui 
expose  plus  au  mépris  la  parole  de  Dieu  , 
que  l'applaudissement  et  l'approbation  qu'on 
donne  aux  représentations  des  spectacles  ; 
c'est  pourquoi  je  vous  ai  souvent  conjurés 
par  mes  exhortations  de  ne  point  aller  aux 
spectacles,  vous  qui  venez  à  l'église  pour 
entendre  la  parole  de  Dieu,  et  pour  parti- 
ciper à  son  sacrifice  mystique  et  redoutable^ 
afin  que  vous  ne  profaniez  point  les  mys- 
tères divins,  en  participant  aux  mystères 
du  diable.  » 

Dans  l'homélie  6,  sur  le  chap.  n  de  saint 
Matthieu.  —  «  Ce  n'est  point  à  nous  à  pas- 
ser le  temps  dans  les  ris,  dans  les  divertis- 
sements et  dans  les  délices;  cela  n'est  bon 
(pue  pour  des  comédiens  et  pour  des  comé- 
diennes, et  particulièrement  pour  ces  flat- 
teurs qui  cherchent  les  bonnes  tables  ;  ce 
n'est  point  à  l'esprit  de  ceux  qui  sont  ap- 
pelés à  une  vie  céleste,  dont  les  noms  sont 
déjà  écrits  dans  cette  éternelle  cité,  et  qui 
font  profession  d'une  milice  toute  spiri- 
tuelle ;  mais  c'est  l'esprit  de  ceux  qui  com- 
battent sous  les  enseignes  du  démon. 

«  Oui,  mes  frères  ,  c'est  le  démon  qui  a 
fait  un  art  de  ces  divertissements  et  de  c^  s 
jeux  pour  attirer  à  lui  les  soldats  de  Jésus- 
Christ,  et  pour  relâcher  toute  la  vigueur, 
et  comme  les  nerfs  de  leur  vertu  ;  c'est  pour 
ce  sujet  qu'il  a  fait  dresser  des  théâtres 
dans  les  places  publiques,  et  qu'exerçant 
et  formant  lui-même  ces  boutions,  il  s'en 
sert  comme  d'une  peste  dont  il  infecte  toute 
la  vie. 

«  Saint  Paul  nous  a  défendu  les  paroles 
de  raillerie,  et  colles  qui  ne  tendent  qu'à 
un  vain  divertissement;  mais  le  démon 
nous  persuade  d'aimer  les  unes  et  les  au- 
tres. 

;<  Ce  qui  est  encore  plus  dangereux  est  le 
sujet  pour  lequel  on  s'emporte  dans  ces  ris 
immodérés,  car  aussitôt  que  ces  bouffons 
ridicules  ont  proféré  quelque  blasphème  , 
ou  quelque  parole  déshonnôte,  on  voit  que 
les  plus  fous  sont  ravis  de  joie,  et  s'empor- 
tent dans  les  éclats  de  rire.  Ils  leur  applau- 
dissent pour  des  choses  pour  lesquelles  on 
les  devrait  lapider,  et  ils  s'attirent  ainsi  sur 


43 


SENTIMENTS   DE  L'EGLISE  SLTl   LE  THEATRE. 


KO 


eux-mêmes  par  ce  plaisir  malheureux  le 
supplice  d'un  fou  éternel  ;  cor  en  les  louant 
de  ces  folies,  on  leur  persuade  de  les  faire, 
<  t  on  se  rend  encore  plus  diu.ne  qu'oux  de 
la  condamnation  qu'ils  ont  méritée.  Si  tout 
le  monde  s'accordait  à  ne  vouloir  point  re- 
garder leurs  sottises,  ils  cesseraient  bientôt 
du  les  faire  :  mais  lorsqu'ils  vous  voient 
tous  les  jours  quitter  vos  occupations,  vos 
travaux  et  l'argent  qui  vous  en  revient;  en 
un  mot  renoncer  à  tout  pour  assister  à  ces 
spectacles,  ils  redoublent  leur  ardeur  et  ils 
s'appliquent  bien  davantage  à  ces  niaise- 
ries. 

«  Je  ne  dis  pas  ceci  pour  les  excuser, 
mais  pour  vous  faire  voir  que  c'est  vous 
principalement  qui  êtes  la  source  de  tous 
ces  dérèglements  en  assistant  à  leurs  jeux, 
t'ty  passant  les  journées  entières.  C'est  vous 
qui,  dans  ces  représentations  malheureuses, 
profanez  la  sainteté  du  mariage,  qui  désho- 
norez devant  tout  le  monde  ce  grand  sacre- 
ment :  car  celui  qui  représente  ces  person- 
nages infâmes, est  moins  coupable  que  vous 
qui  les  faites  représenter,  que  vous  qui  l'a- 
nimez de  plus  en  plus  par  votre  passion,  pa 
vos  ravissements,  par 
louanges,  et  qu 
à  embellir  et  à 
mon. 

«  Ne  me  dites  point  que  tout  ce  qui  se 
fait  alors  n'est  qu'une  fiction  ;  cette  fiction 
a  fait  beaucoup  d'adultères  véritables  et  a 
renversé  beaucoup  de  familles;  c'est  ce  qui 


de 


vos  éclats  et  par  vos 
travaillez  en  toute  manière 
relever  cet  ouvrage  du  dé- 


m'afflige 


davantage, 


que  ce  mal  étant  si 
grand,  on  ne  le  regarde  pas  môme  comme 
un  mal,  et  que  lorsqu'on  représente  un  crime 
aussi  grand  qu'est  celui  de  l'adultère,  on 
n'entend  que  des  applaudissements  et  des 
cris  de  joie. 

«  Ce  n'est  qu'une  feinte,  dites-vous  :  c'est 
pour  cela  même  que  ces  personnes  sont  di- 
gnes de  mille  morts  d'oser  exposer  aux 
yeux  de  tout  le  monde  des  désordres  qui 
sont  défendus  par  toutes  les  lois;  si  l'adul- 
tère est  un  mal,  c'est  un  mal  aussi  que  de  le 
repié  enter. 

«  Qui  pourrait  dire  combien  ces  fictions 
rendent  de  personnes  adultères,  et  combien 
elles  inspirait  l'impudence  et  l'impureté 
dns  tous  ceux  qui  les  regardent;  car  il 
n'y  a  rien  dj  plus  impudique  que  l'œil  qui 
peut  souffrir  de  voir  ces  ordures.  » 

Dans  l'homélie  38,  sur  le  chap.  n  de  saint 
Matthieu.  —  «  Les  chansons  et  les  vers  in- 
i'Aines  causent  à  l'aine  une  odeur  plus  insup- 
portable que  fout  ce  que  nossens  abhorrent 
le  plus,  et  cependant  lorsque  les  comédiens 
les  récitent  devant  vous ,  non-seulement 
vous  n'en  avez  pas  de  la  peine  ,  mais  vous 
en  riez,  vous  vous  en  divertissez,  bien  loin 
d'en  avoir  de  l'aversion  et  de  l'horreur. 

«  Q  le  ne  montez-vous  donc  aussi  sur  le 
théâtre,  aussi  bien  que  ces  boulions  qui 
vous  font  rire  ?  Si  ce  qu'ils  font  n'est  pas 
infâme, que  n'imitez-vous  ce  que  vous  louez? 
allez  seulement  en  public  avec  ces  sortes 
île  personnes.  Cela  me  ferait  rougir,  dites- 
vous?  Pourquoi  donc  estimez-vous  tant   ce 


ne  vous  auriez  honte  de  faire  ?  Les  lois 
es  païens  rendent  les  comédiens  infâmes  , 
et  vous  allez  en  foule  avec  toute  la  ville 
pour  les  regarder  sur  leur  théâtre,  comme 
si  c'était  des  ambassadeurs  ou  des  géné- 
raux d'armée,  et  vous  y  voulez  mener  tout 
le  monde  avec  vous  pour  emplir  vos  oreille* 
des  ordures  et  des  infamies  qui  sortent  do- 
la  bouche  de  ces  bouffons;  vous  punissez 
très-sévèrement  vos  serviteurs,  lorsqu'ils 
disent  chez  vous  des  paroles  peu  honnêtes? 
vous  ne  pouvez  souffrir  rien  de  sale  dans 
vos  enfants,  ni  dans  vos  femmes  le  moindre 
mot  qui  choque  l'honnêteté;  et  lorsque  les 
derniers  des  nommes  vous  invitent  à  enten- 
dre publiquement  ces  infamies  que  vous 
détestez  si  fort  dans  vos  maisons  ;  non- 
seulement  vous  n'en  avez  point  de  peine  , 
mais  vous  vous  en  divertissez  et  vous  louez 
ceux  qui  les  débitent,  n'est-ce  pas  le  com- 
ble de  l'extravagance? 

«  Vous  me  répondrez  peut-être  que  ce 
n'est  pas  vous  qui  dites  ces  choses  infâmes. 
Si  vous  ne  les  dites  pas  vous  aimez  au 
moins  ceux  qui  les  disent;  mais  d'où  prou- 
verez- rous^ que  vous  ne  les  di^es  pas?  Si 
vous  n'aimiez  point  a  les  dire,  vous  n'auriez 
point  tant  de  plaisir  à  les  écouter,  ni  tant 
d'ardeur  à  courir  à  ces  folies. 

«  Quand  vous  entendez  des  personnes  qui 
blasphèment,  vous  ne  prenez  point  plaisir  à 
ce  qu'elles  disent,  vous  frémissez  au  contraire, 
et  vous  vous  bouchez  ies  oreilles  pour  ne 
les  point  entendre.  D'où  vient  cela,  sinon 
parce  que  vous  n'êtes  point  blasphéma- 
teur ?  conduisez-vous  de  même  à  l'égard  de 
ces  paroles  infâmes,  et  si  vous  voulez  que 
nous  croyions  que  vous  n'aimez  pas  à  en 
dire,  n'aimez  pas  aussi  à  les  écouter. 

«  Comment  vous  pouvez-vous  appliquer 
aux  bonnes  choses,  étant  accoutumé  à  c.bs 
sortes  de  discours  ;  comment  pourre/.-vous 
supporter  le  travail  qui  est  nécessaire  pour 
s'affermir  dans  la  continence  ,  lorsque  vous 
vous  relâchez  jusqu'à  prendre  plaisir  à  en- 
tendre des  mots  et  des  vers  infâmes  ?  Car  si 
lors  même  qu'on  est  le  plus  éloigné  de  ces 
infamies,  on  a  tant  de  peine  à  se  conserver 
dans  toute,  la  pureté  que  Dieu  nous  deman- 
de ,  comment  notre  âme  pourra-t-elle  de- 
meurer chaste  ,  lorsqu'elle  se  plaira  à  en- 
tendre des  choses  si  dangereuses  ? 

«  Ne  savez-vous  pas  quelle  pente  nous 
avons  au  mal?  lors  donc  qulà  cette  inclina- 
tion naturelle  nous  ajoutons  encore  l'art  et 
l'étude  ,  comment  na  tomberons-nous  pas 
dans  l'enfer,  puisque  nous  nous  hâtons  de 
nous  y  jeter  ?  N'écoutez-vous  point  ce  que 
dit  saint  Paul  :  Réjouissez-vous  au  Seigneur? 
11  ne  dit  pas  :  Réjouissez-vous  au  démon. 
Comment  écouterez-vous  ce  saint  apôtre? 
comment  serez-vous touché  du  ressentiment 
de  vos  péchés,  étant  toujours  comme  ivre  et 
hors  de  vous,  parla  vue  malheureuse  de  ces 
spectacles  ?  Vous  y  courez  avec  une  ardeur- 
et  une. avidité  insatiables.  On  n'en  voit  que 
trop  les  malheureux  elfets,  lorsque  vous  re- 
tournez chez  vous.  C'est  la  que  chacun  du 
vous  remporte  toutes  ces  ordures  dont  lei 


BICTiONNAlIlE  DES  MYSTERES. 


52 


paroles  licencieuses,  les  vers  impudiques,  raents   moins  dangereux  et   plus   agréables 

et  les  ris  dissolus  ont  rempli  vos  âmes.  Tous  que  ceux-là. 

ces  fantômes  honteux  demeurent  dans  votre  «  Les  barbares  ont  dit  autrefois  une  parole 

esprit  et  dans  votre  cœur  ;  et  c'est  de  là  qu'il  digne  des  plus  sages  d'enlre  les  philosophes; 

arrive  que  vous   avez  aversion  de  ce    que  car  entendant  parler  de  ces  folies  du  théâtre 


vous  devriez    aimer  ,   et  que  vous  aimez  ce 
que  vous  devriez  avoir  en  horreur. 

«  Mais  que  dirai-jedu  bruit  et  du  tumulte 
de  ces  spectacles?  de  ces  cris  et  de  ces  ap- 
plaudissements diaboliques  ?  de  ces  habits 
qu'il  n'y  a  que  le  démon  qui  les  ait  inven- 
tés? On  y  voit  un  jeune  homme  qui  ayant 
rejeté  tous  ses  cheveux  derrière  la  tête 
prend  une  coiffure  étrangère,  dément  ce 
qu'il  est  et  s'étudie  à  paraître  une  fille  dans 
ses  habits,  dans  son  marcher,  dans  ses  re- 
gards et  dans  sa  parole.  On  y  voit  un  vieil- 
lard, qui,  ayant  quitté  toute  lahonte  arec  ses 
cheveux  qu'il  a  fait  couper  ,  se  ceint*  d'une 
ceinture,  s'expose  à  toute  sorte  d'insultes, 
et  est  prêt  à  tout  dire,  à  tout  faire  et  à  tout 
souffrir.  On  y  voit  des  femmes  qui  ont  es- 
suyé toute  honte,  qui  paraissent  hardiment 
sur  un  théâtre  devant  un  peuple;  qui  ont 
fait  une  étude  de  l'impudence,  qui,  par  leurs 
regards  et  par  leurs  paroles,  répandent  le 
poison  de  l'impudicité  dans  les  yeux,  et  dans 
les  oreilles  de  tous  ceux  qui  les  voient,  et  qui 
les  écoutent,  et  qui  semblent  conspirer  par 
tout  cet  appareil  qui  les  environne  à  détruire 
la  chasteté,  à  déshonorer  la  nature,  et  à  se 
rendre  les  organes  visibles  du  démon,  dans 
le  dessein  qu'il  a  de  perdre  les  âmes;  entin 
tout  ce  qui  se  fait  dans  ces  représentations 
malheureuses  ne  porte  qu'au  mal  :  les  pa- 
roles, les  habits,  le  marcher,  la  voix,  les 
chants  ,  les  regards  des  yeux,  les  mouve- 
ments du  corps,  le  son  des  instruments,  les 
sujets  môme  et  les  intrigues  des  comédies, 
tout  y  est  plein  de  poison,  tout  y  respire 
l'impureté. 

«  Commentdoncespérez-vous  de  demeurer 
chaste  après  que  le  diable  vous  a  fait  boire 
de  ce  calice  de  l'impudicité  ;  qu'il  en  a  eni- 
vré votre  âme,  et  que  par  ses  noires  fumées 
il  vous  a  obscurci  toute  la  raison;  car  c'est 
là  qu'il  vous  fait  voir  tout  ce  que  le  vice  a 
de  plus  honteux,  la  fornication,  l'adultère, 
le  déshonneur  du  mariage.  ,  la  corruption 
des  femmes, des  hommes  et  des  jeunesgens; 
enfin  le  règne  de  l'abomination  et  de  l'in- 
famie. Toutes  ces  choses  devraient  donc 
porter  ceux  qui  les  voient,  non  pas  à  rire, 
mais  à  pleurer. 

«  Quoi  donc  ,  me  direz-vous ,  renverse- 
rons-nous les  lois  en  détruisant  le  théâtre 
qu'elles  autorisent?  Quand  vous  aurez  dé- 
truit le  théâtre,  vous  n'aurez  pas  renversé 
les  lois,  mais  le  règne  de  l'iniquité  et  du 
vice.  Car  le  théâtre  est  la  peste  des  villes. 

«  Imitez  au  moins  les  barbares  qui  se 
passent  bien  de  tous  ces  jeux.  Quelle  excuse 
nousrestera-t-il,  si  étant  Chrétiens,  c'est-à- 
dire  citoyens  des  cieux  et  associés  aux  an- 
ges, et  aux  chérubins  ,  nous  ne  sommes 
pas  néanmoins  si  réglés  en  ce  point  que  le 
sont  les  païens  et  les  infidèles. 

«  Que  si  vous  avez  tant  de  passion  pour 
vous  divertir,  il  y  a  bien  d'autres  diverlisse- 


et  de  ces  honteux  divertissements  qu'on  y 
va  chercher  :  Il  semble, dirent-ils,  que  les  Ro- 
mains n'aient  ni  femme,  ni  enfants,  el 
qu'ainsi  ils  aient  été  contraints  de  s'aller 
divertir  hors  de  chez  eux;  voulant  montrer 
par  là  qu'il  n'y  a  poiut  de  plaisir  plus  doux 
à  un  homme  sage  et  réglé  ,  que  celui  qu'il 
reçoit  de  la  société  d'une  honnête  femme 
et  de  celle  de  ses  enfants. 

«  Mais  je  vous  montrerai,  me  direz-vous, 
des  personnes  à  qui  ces  jeux  n'ont  fait  au- 
cun mal  ?  Mais  n'est-ce  pas  un  assez  grand 
mal  que  d'employer  si  inutilement  un  si 
long  temps  ,  et  d'être  aux  autres  un  sujet 
de  scandale?  Quand  vous  ne  seriez  point 
blessé  de  ces  représentations  infâmes,  n'est- 
ce  rien  que  vous  y  ayez  attiré  les  autres  par 
votre  exemple  ?  Comment  donc  êtes-vous 
innocent,  puisque  vous  êtes  coupable  du 
crime  des  autres  ?  Tous  les  désordres  que 
causent  parmi  le  peuple  ces  hommes  cor- 
rompus, et  ces  femmes  prostituées,  et  toute 
celte  troupe  diabolique  qui  monte  sur  le 
théâtre,  tous  ces  désordres,  dis-je  ,  retom- 
bent sur  vous.  Car  s'il  n'y  avait  point  de  spec- 
tateurs, il  n'y  aurait  point  de  comédiens  ni 
de  spectacles,  et  ainsi  ceux  qui  les  représen- 
tent et  ceux  qui  les  voient  s'exposent  au  feu 
éternel.  C'est  pourquoi  quand  même  vous 
seriez  assez  chaste  pour  n'être  point  blessé 
par  la  contagion  de  ces  lieux  ,  ce  que  je 
crois  impossible,  vous  ne  laisseriez  pas 
d'être  sévèrement  puni  de  Dieu  ,  comme 
étant  coupable  de  la  perte  de  ceux  qui  vont 
voir  ces  folies,  et  de  ceux  qui  les  représen- 
tent sur  le  théâtre.  Que  s'il  est  vrai  que 
vous  soyez  tellement  pur  ,  que  ces  assem- 
blées dangereuses  ne  vous  nuisent  point , 
vous  le  seriez  encore  bien  davantage  ,  si 
vous  aviez  soin  de  les  éviter. 

«  Quittons  donc  ces  vaines  excuses,  et  ne 
cherchons  point  desprélextes  si  déplorables. 
Le  meilleur  moyen  de  nous  justifier  e>t  de 
fuir  cette  fournaise  de  Babvlone,  de  nous 
éloigner  des  attraits  de  l'Égyptienne,  el, 
s'd  est  nécessaire,  de  quitter  "plutôt  notre 
manteau  comme  Joseph  ,  pour  nous  sauver 
des  mains  de  cette  prostituée.  C'est  ainsi 
que  nous  jouirons  dans  l'esprit  ,  d'une 
joie  céleste  et  ineffable  ,  qui  ne  sera  point 
troublée  par  les  remords  de  notre  cons- 
cience, et  qu'ayant  mené  ici-bas  une  vie 
chaste,  nous  serons  couronnés  dans  le   ciel 


par  la  grâce  et  par  la  miséricorde  de  Noir.e- 

daus 


la  globe 


et 


Seigneur  Jésus-Christ,  à  qui   est 
l'empire  maintenant   et   toujours 
tous  les  siècles.  ». 

Saint  Jean  Chrvsostome,  dans  la  préface 
de  son  Commentaire  sur  l'Evangile  de  saint 
Jean.  —  «  Il  n'est  point  nécessaire  que  je 
vous  représente  en  particulier  tous  les  vires 
des  spectacles;  ce  ne  sont  que  des  ris  disso- 
lus, des  représentations  honteuses,  des 
paroles  infâmes,  des  médisances,   des  bou~ 


05 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SUR  LE  THEATRE. 


H 


fumeries;  tout  y  est  corrompu,  tout  y  est 
pernicieux.  Je  vous  déclare  à  vous  tous, 
qu'aucun  de  ceux  qui  participent  à  cette 
sainte  table,  ne  trouble  et  ne  perde  son 
Aine  par  ces  spectacles  qui  causent  la  mort  ; 
tout  ce  qui  s'y  fait  est  plein  des  pompes  de 
Satan,  et  ne  respire  que  l'impureté.  Vous  sa- 
vez, vous  qui  êtes  baptisés,  quel  est  le  pacte 
par  lequel  vous  vous  êtes  engagés  à  nous, 
ou  pour  mieux  dire,  à  Jésus-Christ.  Lors- 
qu'il vous  instruisait  au  baptême  ,  que  lui 
nvez-vous  dit  touchant  les  pompes  du  dia- 
ble, comment  avez-vous  renoncé  a  ce  malin 
esprit  et  h  ses  anges?  N'avez-vous  pas  pro- 
mis de  n'acquiescer  jamais  à  ses  maximes 
et  à  ses  œuvres?  C'est  pourquoi  nous  de- 
vons prendre  garde  très-soigneusement  de 
n'être  pas  infidèles  dans  l'accomplissement 
de  nos  promesses,  et  de  ne  point  nous  ren- 
dre indignes  de  es  sacrés  mystères.  » 

Saint  Jérôme,  sur  le  premier  verset  du 
psaume  xxxn.  —  «  Les  uns  mettent  toute  leur 
joie  dans  les  choses  de  ce  monde,  les  autres 
dans  les  jeux  du  cirque,  les  autres  dans  les 
divertissements  de  la  comédie  ;  mais  vous  , 
dit  le  Roi-Propbète  à  chaque  juste,  mettez 
toute  votre  joie  dans  le  Sriqneur  et  non  pas 


Que  si  3u  contraire  il  est  louché  de  douleui, 
il  demeure  attentif  et  pleure,  étant  en  mémo 
temps  dans  la  joie  et  dans  les  larmes.  Mais 
puisque  tous  les  hommes  naturellement  dé- 
sirent de  se  réjouir,  comment  peuvent-ils 
aimer  ces  lar^s  et  ces  douleurs?  N'est-ce 
point  qu'encore  que  l'homme  ne  prenne 
paS  plaisir  à  être  dans  la  misère,  il  prer  J 
plaisir  néanmoins  à  être  touché  de  miséri- 
corde ;  et  qu'à  cause  qu'il  ne  peut  être  tou- 
ché de  ce  mouvement  sans  en  ressentir  do 
la  douleur,  il  arrive  par  une  suite  néces- 
saire qu'il  chérit  et  qu'il  aime  ces  dou- 
leurs ? 

«  Ces  larmes  procèdent  donc  de  la  source 
de  l'amour  naturel  que  nous  nous  por 
tons  les  uns  aux  autres.  Mais  où  vont  les 
eaux  de  celle  source  et  où  coulent-elles? 
Elles  vont  fondre  dans  un  torrent  de  pois 
bouillante,  d'où  sortent  les  violentes  ardeurs 
de  ces  noires  et  de  ces  sales  voluptés.  Et 
c'est  en  ces  actions  vicieuses  que  cet  amour 
se  convertit  et  se  change  par  son  propre 
mouvemenl,  lorsqu'il  s'écarte  et  s'éloigne 
de  la  pureté  céleste  du  vrai  amour.  Devons- 
nous  donc  rejeter  les  mouvements  de  misé- 
ricorde   et  de  compassion  ?  Nullement.  El  il 


dans  les  plaisirs  de  ce  inonde.  C'est  aux  justes     faut  demeurer  d'accord  qu'il  y  a  des  rencon- 


qui  ont  le  cœur  droit  qu'il  appartient  de 
louer  Dieu  ;  c'est-à-dire,  à  ceux  qui  dressent 
leurs  cœurs  par  la  règle  de  la  vérité;  car 
pour  les  impies  il  ne  leur  appartient  que 
d'être  malheureux.  Malheur  à  ceux,  dit  le 
prophète  Isaïe,  qui  disent  que  ce  qui  est 
doux  est  amer,  et  que  ce  qui  est  amer  est 
doux.  » 

V  SIÈCLE.  —  Saint  Augustin,  dans  le  2' 
chapitre  du  m"  livre  de  ses  Confessions.  — 
«  J'avais  en  même  temps  une  passion  vio- 
lente Dour  les  spectacles  du  théâtre  qui 
étaient  pleins  des  images  de  mes  misères  et 
des  flammes  amoureuses  qui  entretenaient 
le  feu  qui  me  dévorait;  mais  quel  est  ce 
motif  qui  faitque les  hommesy  courent  avec 
tant  d'ardeur  et  qu'ils  veulent  ressentir  de 
la  tristesse  en  regardant  des  choses  funestes 
et  tragiques  qu'ils  ne  voudraient  pas  néan- 
moins souffrir?  Car  les  spectateurs  veulent 
ressentir  de  la  douleur,  et  cette  douleur  est 
leur  joie.  D'où  vient  cela,  sinon  d'une 
étrange  maladie  d'esprit  ?  puisqu'on  est 
d'autant  plus  touché  de  ces  aventures  poéti- 
ques que  l'on  est  moins  guéri  de  ses  pas- 
sions, quoique  d'ailleurs  on  appelle  misère 
le  mal  que  l'on  soulfre  en  sa  personne;  et 
miséricorde,  la  compassion  qu'on  a  des 
malheurs  des  autres.  Mais  quelle  compas- 
sion peut-on  avoir  en  des  choses  feintes 
et  représentées  sur  un  théâtre,  puisque  l'on 
n'y  excite  pas  l'auditeur  à  secourir  les  fai- 
bles et  les  opprimés,  mais  qu'on  le  convie 
seulement  à  s'affliger  de  leur  infortune;  de 
sorle  qu'il  est  d'autant  plus  satisfait  des  ac- 
teurs, qu'ils  l'ont  plus  touché  de  regrets 
et  d'affliction  ;  et  (pie  si  ces  sujets  tragiques 
et  ces  malheurs  véritables  ou  supposés,  sont 
représentés  avec  si  peu  de  grâce  et  d'indus* 
trie,  qu'il  ne  s'en  afflige  pas,  il  sort  tout  dé- 
goûté et  tout  irrité  contre   les  comédiens. 


très  où  l'on  peut  aimer  les  douleurs.  Mais,  ô 
mon  âme,  garde-toi  de  l'impureté ;=mets-toi 
sous  la  protection  de  mon  Dieu  ,  du  Dieu  de 
nos  pères  ,  qui  doit  être  loué  et  glorifié  dans 
l'éternité  des  siècles.  GarJe-toi,  mon  âme,  de 
l'impurelé  d'une  compassion  folle;  car  il  y 
en  a  une  sageet  raisonnabledont  je  ne  laisse 
pas  d'être  touché  maintenant.  Mais  alors  jo 
prenais  part  h  la  joie  de  ces  amants  du 
théâtre,  lorsque  par  leurs  artifices  ils  fai- 
saient réussir  leurs  impudiques  désirs  ; 
quoiqu'il  n'y  eût  rien  que  déteint  dans  ces 
représentations  et  ces  spectacles,  et  lorsque 
ces  amants  étaient  contraints  de  se  séparer, 
je  m'affligeais  avec  eux  comme  si  j'eusse 
été  touché  de  compassion  ;  et  toutefois  jo 
ne  trouvais  pas  moins  de  plaisir  dans  l'un 
que  dans  l'autre. 

«  Mais  aujourd'hui  j'ai  plus  de  compassion 
de  celui  qui  se  réjouit  dans  ses  excès  et 
dans  ses  vices  que  de  celui  qui  s'affligo 
dans  la  perte  qu'il  a  faite  d'une  volupté  per- 
nicieuse ,  et  d'une  félicité  misérable.  Voilà 
ce  que  l'on  doit  appeler  une  vraie  miséri- 
corde; mais  en  celle-là  ce  n'est  pas  la  dou- 
leur que  nous  ressentons  des  maux  d'au- 
trui  qui  nous  donne  du  plaisir;  car  encore 
que  celuiqui  ressent  deladouleur,  envoyant 
la  misère  de  son  prochain,  lui  rende  un  de- 
voir de  charité  qui  est  louable;  néanmoins 
celui  qui  est  véritablement  miséricordieux 
aimerait  mieux  n'avoir  point  de  sujet  de  res- 
sentir cette  douleur.  Et  il  est  aussi  peu  pos- 
sible qu'il  puisse  désirer  qu'il  y  ait  des  mi- 
sérables, afin  d'avoir  sujet  d'exercer  sa  mi- 
séricorde, comme  il  est  peu  possible  (pie  la 
bonté  même  puisse  être  malicieuse  ,  et  quo- 
ta bienveillance  nous  porte  à  vouloir  du 
mal  à  notre  prochain. 

«Ainsi  il  y  a  bien  quelque  douleur  que 
l'on  peut  permettre;    mais  il  n'y  en  a  rî'iwt 


que  l'on  doive  aimer  ;  ce  que  vous  nous  fai- 
tes bien  voir,  ô  mon  Seigneur  et  mon  Dieu, 
puisque  vous,  qui  aimez  les  âmes  incompa- 
rablement et  plus  purement  que  nous  ne 
les  aimons ,  exercez  sur  elles  des  miséri- 
cordes d'autant  plus  graudes  et  plus  parfai- 
tes, que  vous  ne  pouvez  être  touché  d'au- 
cune douleur.  Mais  qui  est  celui  qui  est  ca- 
pable d'une  si  haute  perfection  ?  Et  raui  au 
contraire  j'étais  alors  si  misérable  ,  que 
j'aimais  à  être  touché  de  quelque  douleur  , 
et  en  cherchais  des  sujets  ,  n'y  ayant  au- 
cune action  des  comédiens  qui  me  plût 
tant,  et  qui  me  charmât  davantage,  que 
lorsqu'ils  me  tiraient  des  Jarmesdes  yeuxîpar 
^représentation  dequelques  malheurs  étran- 
gers et  fabuleux  qu'ils  représentaient  sur  le 
théâtre.  Et  faut-il  s'en  étonner  ,  puisqu'étant 
alors  une  brebis  malheureuse  qui  m'étais 
égarée  en  quittant  votre  troupeau,  parce 
que  je  ne  pouvais  souffrir  votre  conduite,  je 
me  trouvais  comme  tout  couvert  de  gale? 

«Voilà  d'où  procédait  cet  amour  que  j'a- 
vais pour  les  douleurs  ,  lequel  toutefois 
n'était  pas  tel  que  j'eusse  désiré  qu'elles 
eussent  passé  plus  avant  dans  mon  cœur  et 
dans  mon  âme  :  car  jo  n'eusse  pas  aimé  à 
souffrir  les  choses  que  j'aimais  à  regarder; 
mais  j'étais  bien  aise  que  le  récit  et  la  re- 
présentation qui  s'en  faisait  devant  moi, 
m'égratignât  un  peu  la  peau  ,  pour  le  dire 
ainsi,  quoiqu'ensuite,  comme  il  arrive  à 
ceux  qui  se  grattent  avec  les  ongles,  cette 
satisfaction  passagère  me  causât  une  enflure 
pleine  d'inflammation  d'où  sortait  du  sang 


corrompu  et  de  la  boue.  Telle  était  alors  ma 
vie;  mais  peut-on  l'appeler  une  vie,  mon 
Dieu?  » 

Dans  VEpître  5  à   Marcellin.   —  «  Rien 
n'est  plus  malheureux  que  le  bonheur   des 
pécheurs,  qui  nourrit  pour  ainsi  dire  une 
impunité,  qui  est  en  effet  une  peine  et   qui 
fortifie   la  mauvaise  volonté  comme  un  en- 
nemi intérieur.  Mais  les  cœursdes  hommes 
sont  si  pervertis  et  si  rebelles,  qu'ils  s'ima- 
ginent que  le  monde  est    dans  une  pleine 
félicité  ,  lorsque  ceux  qui  l'habitent  ne  pen- 
sent qu'à  orner  et  à  embellir  leurs  maisons  , 
et  qu  ils  ne  prennent  pas   garde    à  la  ruine 
de  leurs  âmes  ;  qu'on  bâtit  des  théâtres  ma- 
gnifiques ,  et  qu'on  détruit   les  fondements 
tles  vertus  ;  qu'on   donne  des  louanges  et 
des  applaudissements  à  la  fureur  des  gladia- 
teurs, et  qu'on  se  moque  des  œuvres   de 
miséricorde;  lorsque  l'abondance  des  riches 
entretient   la   débauche  des  comédiens,   et 
que  les   pauvres  manquent   de  ce  qui  leur 
est  nécessaire  pour  l'entretien  de  leur  vie  ; 
lorsque  les  impies  décrient  par  leurs  blas- 
phèmes la  doctrine  de  Dieu,  qui  par  la  voix 
de  ses  prédicateurs  crie  contre  celte  infamie 
publique,  pendant  qu'on  recherche  de  faux 
dieux  à  l'honneur  desquels  on  célèbre  ces 
spectacles  du  théâtre  qui  déshonorent  et 
corrompent  le  corps  et  l'âme.  Si  Dieu  per- 
met que  ces  désordres  arrivent,  c'est  alors 
qu'il  en  est   plus   irrité  :  s'il  laisse  ces  cri- 
mes impunis,  c'est  alors  qu'il  les  punit  plus 
sévèrement  ;  et  quandil  ôte  aux  hommes  les 


DICTIONNA1BE  DES  MYSTERES.  56 

moyens  d'entretenir  leurs  vices,  et  que  par 
la  pauvreté  il  détruit  l'abondance  et  la  mul- 
tiplication des  voluptés  ;  ce  traitement  qui 
paraît  contraire  à  leurs  désirs  ,  est  un  effet 
de  sa  miséricorde.  » 

Dans  lechapitre33  du  premier  livre  delà 
Concordance  des  évangélistes.  —  «  Quant  à 
ce'que  les  païens  se  plaignent  que  le  chris- 
tianisme a  diminué  la  félicité  du  monde; 
s'ils  lisent  les  livres  de  leurs  philosophes, 
qui  reprennent  ces  choses  dont  ils  sont  pri- 
vés maintenant  malgré  eux,  ils  trouveront 
que  cela  tourne  à  la  louange  de  la  religion 
chrétienne  ;  car  quelle  diminution  souffrent- 
ils  de  leur  félicité,  sinon  à  l'égard  des  cho- 
ses dontils  faisaient  un  très-mauvais  usage, 
s'en  servant  pour  offenser  leur  Créateur  ?  11 
leur  semble  peut-être  que  le  temps  est  mau- 
vais ,  parce  que  presque  dans  toutes  les  vil- 
les, les  théâtres,  ces  lieux  infâmes,  où  l'on 
fait  une  profession  publique  de  l'impureté, 
tombent  en  ruine  ;  d'où  vient  cela,  sinon  de 
la  pauvreté,  qui  ne  leur  permet  pas  de  ré- 
parer ces  lieux  qu'il  avaient  bâtis  autrefois 
avec  une  profusion  honteuse  et  sacrilège  ? 
Leur  Cicéron  louant  un.  certain  comédien 
nommé  Roscius,  n'a-t-il  pas  dit  qu'il  était 
si  habile  dans  son  art,  qu'il  n'y  avait  que  lui 
seul  qui  fût  digne  de  monter  sur  un  théâtre; 
et  que  d'ailleurs  il  était  si  homme  de  bien  , 
qu'il  n'y  avait  que  lui  seul  qui  n'y  dût  point 
monter  ,  marquant  parla  ,  en  termes  bien 
exprès,  que  le  théâtre  est  si  infâme  que 
plus  un  homme  est  vertueux,  plus  il  doit  s'en 
éloigner.  » 

Dans  le  chapitre  29  du  ir  livre  de  la  Cité 
de  Dieu.  —  «  C'est  avec  raison  ,  peuple  ro- 
main, que  vous  avez  exclu  les  comédiens 
dudroit  debourgeoisie.  Eveillez-vous  encore 
un  peu  davantage,  et  reconnaissez  qu'on  ne  se 
rend  point  agréable  à  la  majesté  de  Dieu  par 
les  exercices  qui  déshonorent  la  dignité  des 
hommes.  Comment  donc  pouvez-vous  met- 
tre au  rang  des^saintes  puissances  du  ciel 
ces  dieux  qui  se  plaisent  à  recevoir  un  culte, 
qui  rend  indignes  parmi  vous  ceux  qui  le 
rendent,  d'être  mis  au  nombre  des  citoyens 
romains?  Cette  cité  céleste  est  incompara- 
blement plus  illustre  ,  où  la  vérité  est  tou- 
jours victorieuse,  où  la  dignité  est  insépara- 
ble de  la  sainteté,  où  il  y  a  une  paix  et 
une  félicité  perpétuelle,  où  la  vie  est  éter- 
nelle. Si  vous  avez  eu  honte  de  recevoir  ces 
sortes  de  personnes  dans  votre  ville  pour 
être  vos  concitoyens  ,  à  plus  forte  raison 
cette  sainte  cité  ne  reçoit  point  ces  sortes  de 
dieux.  C'est  pourquoi  si  vousdésirez  d'avoir 
part  à  la  félicité  de  cette  bienheureuse  cité, 
fuyez  la  compagnie  des  démons.  C'est  une 
chose  honteuse  à  des  personnes  vertueuses 
d'adorer  des  dieux  qui  regardent  d'un  œil 
favorable  le  culte  déshonête  que  leur  ren- 
dent des  infâmes.  Embrassez  la  pureté  du 
christianisme,  et  éloignez  de  vous  ces  pro- 
fanes divinités,  comme  les  censeurs  ont 
exclu  les  comédiens  de  vos  honneurs  et  de 
vosdignités,  les  notantd'infamie  » 

Dans  le  l'r  sermon  sur  le  1" verset  du\psau-* 
me  xxxu.  —  «  C'est  aux  hommes  injustes  H 


57 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SU  II  LE  THEATRE. 


méchants  à  se  réjouir  dans  ce  monde  :1e 
monde  finira,  et  leur  joie  finira  avec  le 
monde;  mais  il  faut  que  les  justes  mettent 
leur  joie  dans  le  Seigneur,  afin  qu'elle  soit 
permanente  et  immuable  comme  lui.  Il  faut 
que  nous  mettions  notre  complaisance  et 
notre  joie,  et  que  nous  nous  appliquions  à  le 
louer;  ïi  est  le  seul  dans  lequel  il  n'y  ait  rien 
qui  nous  déplaise;  comme  au  contraire,  il 
n'y  a  personne  en  qui  les  infidèles  trouvent 
tant  de  choses  qui  leur  déplaisent.  Tenez 
ce  peu  de  mots  pour  une  maxime  indubita- 
ble, que  l'homme  àqui  Dieu  plaît,  plaîi  aussi 
à  Dieu.  Ne  pensez  pas,  mestrès-chers  frères, 
que  ce  que  je  dis  soit  d'une  petite  impor- 
tance, vous  voyei  aussi  biei  que  moi,  com- 
bien il  y  a  d'hommes  qui  disputent  contre 
Dieu? Combien  il  s'en  trouve  à  qui  ses  œu- 
vres et  sa  conduite  déplaisent;  car  lors- 
qu'il veut  quelque  chose  de  conlraire  à  la 
volonté  des  hommes,  à  cause  qu'il  est  le 
souverain  maître,  et  qu'il  sait  bien  ce  qu'il 
fait,  et  qu'il  ne  considère  pas  tant  nos  in- 
clinations que  notre  utilité  ,  ceux  qui  vou- 
draient que  leur  volonté  s'accomplît  plutôt 
que  celle  deDieu,  voudraient  aussi  réduire 
sa  volonté  à  la  leur,  au  lieu  de  corriger  et  de 
régler  la  leur  par  la  sienne. 

«  C'est  à  ces  hommes  infidèles,  impies,  mé- 
chants (j'ai  honte  de  le  dire,  je  le  dirai  pour- 
tant, parce  que  vous  savez  combien  ce  que 
je  vais  dire  est  véritable),  c'est  à  ces  sortes 
depersonnes  qu'un  comédien  plaît  davantage 
que  Dieu,  c'est  pourquoi  le  Prophète  après 
avoir  dit  :  Justes,  réjouissez-vous  en  Dieu 
(parce  que  nous  ne  saurions  nous  réjouir  en 
lui,  qu'en  Je  louant,  et  que  nous  ne  pou- 
vons le  louer,  si  nous  ne  lui  [liaisons,  d'au- 
tant plus  qu'il  nous  plaît  davantage)  ,  il 
ajoute  :  C'est  aux  justes  quil  appartient  de 
louer  Dieu.  Qui  sont  les  justes?  ce  sont  ceux 
qui  conforment  leur  cœur  à  la  volonté  de 
Dieu  ,  qui  règlent  et  conduisent  leur  vo- 
lonté parla  sienne.  Si  la  faiblesse  humaine 
leur  cause  quelque  trouble  dans  les  fâ- 
cheuses rencontres  de  cette  vie;  l'équité 
divine  les  console  ,  et  les  remet  dans  le 
calme.  » 

Dans  le  Sermon  sur  le  psaume  xxxix.  — 
«  Combien  y  a-t-il  de  personnes  qui  se  re- 
connaissent ici  dans  la  peinture  que  je  vous 
fais  des  gens  du  monde?  Ces  personnes  con- 
verties se  regardent  avec  étonnement  les 
unes  les  autres  et  parlent  avec  joie  dans 
l'Eglise  de  Dieu  des  miséricordes  qu'il  leur 
a  faites.  Se  voyant  dans  le  sein  de  l'Eglise  , 
elles  considèrent  avec  une  extrême  recon- 
naissance l'affection  que  Dieu  leur  a  déjà 
donnée  pour  la  parole  ,  pour  les  offices  et 
les  œuvres  de  charité,  pour  être  souvent 
dans  l'assemblée  des  fidèles  et  ne  sortir 
quasi  point  de  l'église. 

«  Elles  font  attentivement  réflexion  sur 
toutes  ces  grâces  que  Dieu  leur  a  faites  , 
et  qu'il  a  faites  en  même  temps  à  d'autres 
pécheurs  ,  et  se  plaisent  à  s'en  entretenir 
avec  ceux  qui  participent  au  même  bon- 
heur. Quel  changemnnt,  disent  ces  person- 
nes ,  voyons-nous  en  cet  homme,  qui  était 


si  passionné  pour  le  cirque?  Combien  est 
changé  cet  autre  qui  aimait  et  qui  louait  si 
fort  ce  chasseur  ou  ce  comédien  ?  Cet 
homme  converti  parle  ainsi  des  autres  ,  et 
le*  autres  parlent  de  lui    de  la  même  sorte. 

«  Certainement  nous  voyons  par  la  grâce 
deDieu  de  ces  conversions  merveilleuses, 
et  elles  nous  sont  un  sujet  d'actions  de 
grâce  et  de  joie.  Mais  si  nous  nous  r  'jouis- 
sons à  cause  de  ceux  qui  sont  convertis,  ne 
désespérons  pas  de  ceux  dont  nous  voyons 
des  égarements  et  des  désordres.  Prions 
pour  eux,  mestrès-chers  frères;  c'est  du 
nombre  de  ceux  qui  étaient  méchants  et  im- 
pies ,  que  Dieu  se  plaît  à  faire  croître  le 
nombre  des  saints. 

«  Que  notre  Dieu  devienne  donc  notre 
unique  espérance  :  celui  qui  a  fait  toutes 
choses  est  meilleur  que  toutes  choses.  Celui 
qui  a  fait  les  belles  choses  est  plus  beau  que 
tousses  ouvrages.  Celui  qui  a  fait  les  cho- 
ses fortes,  est  plus  fort  que  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  fort.  Celui  qui  a  fait  tout  ce  qui  est 
grand,  surpasse  tout  ce  qu'on  se  peut  figu- 
rer déplus  grand;  il  vous  tiendra  lieu  de 
ce  que  vous  aimez. 

«  Apprenez  à  aimer  le  Créateur  en  la  créa- 
ture, et  l'ouvrier  en  son  ouvrage.  Il  ne  faut 
pas  vous  laisser  occuper  par  les  choses  qui 
sont  les  effets  de  la  puissance  de  Dieu  ,  et 
perdre  ce  Dieu  même  qui  les  a  faites,  et  par 
qui  vous  avez  été  tiré  du  néant.  Bienheu- 
reux donc  est  l'homme  qui  met  son  espé- 
rance dans  le  nom  du  Seigneur,  et  qui  n'a 
nul  égard  aux  vanités,  et  aux  folies  trom- 
peuses du  siècle. 

«  Celui  qui  se  sentira  touché  de  ce  que 
j'ai  dit,  qui  voudra  se  corriger  de  ses  vices, 


qui  sera  occupé  de  la  crainte  des  jugements 

de  Dieu,  que 

commencera    de    vouloir   marcher    dans  la 


1  a        \*s 

»ieu,  que  la  foi  lui    représente  ,    et  qui 


voie  étroite,  craindra  peut-être  de  n'avoir 
pas  la  force  de  persévérer  ,  et  nous  dira  : 
Ma  volonté  ne  durera  pas,  et  je  ne  conti- 
nuerai pas  dans  la  voie  que  vous,  m'avez 
proposée,  si  vous  ne  donnez  des  spectacles 
à  mes  yeux,  et  des  objets  à  mon  esprit,  qui 
me  tiennent  lieu  de  ceux  auxquels  je  re- 
noncé. Comment  faut-il  donc  ,  mes  fières, 
que  nous  traitions  ces  personnes  qui  sor- 
tent ainsi  du  dérèglement,  et  qui  renoncent 
aux  plaisirs  du  siècle?  Que  leur  donnerons- 
nous  en  la  place  de  ce  que  nous  leur  faisons 
quitter?  Les  laisserons-nous  sans  leur  don- 
ner des  spectacles  qui  leur  plaisent,  et  qui 
les  occupent  ?  Ils  mourraient  de  tristesse  , 
ils  ne  subsisteraient  pas,  ils  ne  pourraient 
pas  nous  suivre.  Que  pourrons-nous  donc 
faire  pour  les  contenter  ,  et  les  retenir?  il 
faut  sans  doute  que  nous  leur  donnions  des 
spectacles  pour  d'autres  spectacles. 

«  Mais  quels  spectacles  pouvons-nous 
offrir  à  un  homme  chrétien  que  nous  vou- 
ions retirer  des  spectacles  vains,  et  profanes 
du  monde  ?  Je  rends  grâces  à  Notre-Seigneur 
de  ce  qu'il  nous  a  marqué  dans  le  verset 
suivant  quels  spectacles  nous  devons  four- 
nir aux  amateurs  des  spectacles.  Oui,  nous 
consentons,   et   nous    approuvons   que    le 


50 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CO 


chrétien  qui  se  prive  dos  divertissements 
du  cirque,  du  théâtre  ,  de  l'amphithéâtre, 
cherche  oTautres  spectacles.  Nous  ne  vou- 
ions point  qu'il  en  manque.  Que  lui  donne- 
rons-nous  donc  à  leur  place?  Ecoutez  ce 
qu:^  dit  notre  Prophète  :  Seigneur,  mon  Dieu, 
vous  avez  fait  une  multitude  de  choses  qui  sont 
autant  de  merveilles  que  vous  nous  mettez 
devant  (es  yeux.  Ce  Chrétien  se  plaisait  aupa- 
ravant à  considérer  les  frivoles  merveilles 
des  hommes  ;  qu'il  s'arrête  maintenant  aux 
merveilles  de  Dieu  ;  qu'il  les  contemple  ,  et 
qu'il  Iefs  admire,  puisque  ce  sont  des  mira- 
cles d'une  magnificence  et  d'une  sagesse 
toute  divine  qui  mérite  d'être  toujours  éga- 
lement un  sujet  d'admiration.  Pourquoi 
i'acoutumance  à  voir  toutes  les  merveilles 
du  monde  et  de  la  nature  dont  Dieu  est 
l'auteur,  les  lui  a-t-elle  rendues  moins  esti- 
mables et  moins  précieuses  ?  » 

Dans  le  Sermon  sur  le  psaume  en.  — 
*  Quand  je  dis  :  Un  homme  pécheur  se  pré- 
sente à  vous,  je  marque  deux  noms,  et  ce 
n'est  pas  inutilement,  et  sans  raison  ;  car 
être  homme  et  être  pécheur  sont  deux  cho- 
ses bien  différentes?  Etre  homme  ,  c'est 
J'ouvrage  de  Dieu  ;  être  pécheur,  c'est  l'ou- 
vrage deThooime.  Pourquoi,  medirez-vous, 
ne  m'est-il  point  |  ermis  de  donner  à  l'ou- 
vrage de  l'homme?  Qu'est-ce  que  donner  à 
l'ouvrage  de  l'homme?  C'est  donner  à  un 
pécheur  à  cause  de  son  péché  ,  parce  qu'il 
vous  divertit  par  son  impiété.  Mais  qui  fait 
cela,  dites-vous?  Plût  à  Dieu  que  personne 
ne  le  fit ,  ou  qu'il  y  eût  peu  de  gens  qui  le 
lissent,  ou  qu'on  ne  le  fit  pas  publiquement. 
Ceux  qui  donnent  aux  comédiens,  pourquoi 
leur  donnent-ils?  Ne  sonl-ce  pas  des  hom- 
mes à  qui  ils  donnent;  mais  ils  ne  consi- 
dèrent pas  en  eux  la  nature  de  l'ouvrage  de 
Dieu;  ils  ne  regardent  que  l'iniquité  de  l'ou- 
vrage de  l'homme.  » 

Dans  le  traité  100,  sur  le  xvi'  chapitre  de 
saint  Jean.  —  «  Donner  son  bien  aux  co- 
médiens, c'est  un  vice  énorme,  bien  loin 
d'être  une  vertu.  Vous  savez  aussi  bien 
que  moi  ce  que  l'Ecriture  dit  de  ces  sortes 
de  personnes  auxquelles  le  monde  donne 
d'ordinaire  des  applaudissements  et  des 
louanges  :  On  loue  le  pécheur  de  ses  actions, 
et  on  bénit  le  méchant  à  cause  de  ses  méchan- 
cetés. » 

Dans  le  1"  et  2'  chapitre  du  h*  livre  du 
Traité  du  symbole  aux  Catéchumènes.  — 
«  Sachez,  mes  bien-aimés,  que  le  démon,  no- 
tre ennemi,  séduit  et  prend  plus  de  gens  par 
la  volupté  que  par  la  crainte;  car  pour- 
quoi tend-ii  tous  les  jours  les  pièges  des 
spectacles?  pourquoi  préseute-t-ii  tant  de 
vanités  et  d'infâmes  plaisirs,  qui  ne  sont  que 
folie  et  qu'illusion ,  sinon  atin  de  prendre 
ceux  qui  l'avaient  abandonné  ,  et  pour  se 
réjouir  d'avoir  trouvé  ceux  qu'il  avait  per- 
dus ?  Il  n'est  point  nécessaire  d  nous  éten- 
dre plus  au  long  sur  ce  sujet,  il  suffit  de 
vous  représenter  en  peu  de  mots  ce  que 
vous  devez  rejeter  et  ce  que  vous  devez 
aimer.  Fuyez  les  spectacles,  mes  bien-ai- 
més, fuyez  ces  théâtres  infâmes  du    diable, 


afin  de  ne  vous  point  engager  dans  les  liens 
de  cet  esprit  malin.  Mais  s'il  iaut  relâcher 
votre  esprit,  si  vous  vous  plaisez  aux  spec- 
tacles .  l'Eglise  notre  sainte  et  vénérable 
mère  vous  en  fournit  de  plus  excellents  et 
déplus  agréables;  ce  sont  des  spectacles 
salutaires  qui  remplissent  l'esprit  de  joie.  » 

Dans  le  sermon  18  Des  paroles  du  Seigneur. 
—  «  Un  bon  Chrétien  ne  veut  point  aller 
aux  spectacles,  et  en  cela  même  qu'il  ré- 
prime sa  passion  ,  et  qu'il  ne  va  pas  au 
théâtre,  il  crie  après  Jésus-Christ,  et  le 
prie  de  le  guérir.  Cependant  il  y  en  a  d'au- 
tres qui  y  courent;  mais  ce  sont  peut-être 
des  païens  ou  des  juifs.  Certes  si  les  Chré- 
tiens n'y  allaient  point,  le  nombre  des  spec- 
tateurs serait  si  petit,  que  la  honte  et  la  con- 
fusion qu'ils  en  auraient  les  feraient  retirer. 
Il  y  a  donc  des  Chrétiens  qui  sont  si  malheu- 
reux que  d'aller  aux  spectacles,  et  d'y  por- 
ter un  si  saint  nom  pour  leur  condamnation. 
Mais  vous  qui  n'y  allez  pas,  criez  sans  cesse 
après  Jésus-Christ  pour  implorer  son  assis- 
tance. » 

Saint  Isidore  ,  prêtre  de  Damiette,  dans 
l'épitre  336  du  m"  livre.  —  «  Les  comédiens 
ne  s'étudient  principalement  qu'à  pervertir 
le  peuple,  et  non  pas  à  le  rendre  meilleur; 
c;ir  c'est  la  débauche  de  leurs  spectateurs 
qui  fait  leur  félicité  ;  de  sorte  que  s'ils  s'ap- 
pliquaient à  la  vertu,  le  métier  de  comédien 
serait  aussitôt  anéanti.  C'est  pourquoi  ils 
n'ont  jamais  pensé  à  corriger  les  dérègle- 
ments îles  hommes;  et  quand  ils  le  voudraient 
entreprendre,  ils  ne  le  sauraient  faire,  parce 
que  la  comédie,  d'elle-même  et  par  sa  na- 
ture, ne  peut  être  que  pernicieuse  et  nuisi- 
ble. » 

Dans  l'épitre  186  du  V  livre.  —  «  S'il  est 
certain  ,  comme  on  n'en  peut  douter ,  que 
le  jour  du  jugement  viendra,  il  faut  prati- 
quer la  vertu.  Que  si  cela  paraît  difficile  et 
fâcheux  à  quelques-uns,  il  vous  sera  facile 
île  le  faire  si  vous  fuyez  les  théâtres  et  le 
cirque;  ces  lieux  infâmes  qui  perdent  tout 
le  monde,  ou  plutôt  les  villes  ou  ces  spec- 
tacles sont  représentés,  et  particulièrement 
les  personnes  qui  se  laissent  emporter  à  la 
passion  de-  ces  honteux  divertissements.  » 

Dans  l'épitre  463  du  môme  livre.  —  «  Ce- 
lui qui  a  une  passion  violente  pour  les  spec- 
tacles du  théâtre  ,  ne  sera  pas  moins  trans- 
porté pour  l'amour  infâme.  Fuyez  donc  ce 
premier  dérèglement  pour  ne  pas  tomber 
dans  l'autre  ;  car  il  est  plus  facile  de  dé- 
truire le  vice  avant  qu'il  soit  enraciné,  que 
de  l'arracher  après  qu'il  a  pris  de  profondes 
racines;  ce  qui  est  très-difficile,  et  quel- 
ques-uns même  l'estiment  impossible.  » 

Saint  Salvien  ,  évêque  de  Marseille  ,  dans 
le  vi'  livre  de  la  Providence  de  Dieu.  — 
«  Quelle  monstrueuse  folie?  Quoi,  s'il  nous 
arrive  quelque  bon  succès  ;  si  nous  rempor- 
tons des  victoires  sur  nos  ennemis;  enfin  si 
JéïUS-Christ  nous  comble  de  ses  faveurs, 
nous  lui  offrons  des  jeux  publics  ,  et  ce  sont 
nos  actions  de  grâces!  Nous  imitons  en  cela 
celui  qui  paierait  d'une injurele  plaisir  qu'il 
viendrait  de  recevoir,   et  qui  percerait  le 


61 


SENTIMENTS  DE  L'ECLISS  SUR  LE  T11EATKE. 


€2 


Tisageet  le  cœur  de  celui  qui  lui  ferait  des 
caresses.  Je  demanderais  volontiers  a  ceux 
que  les  grandeurs  et  les  richesses  font  re- 
connaître par-dessus  les  autres  ,  de  quel 
supplice  serait  digne  un  esclave  qui  outra- 
gerait son  maître  de  qui  il  viendrait  de  re- 
cevoir la  liberté  ?  Il  est  hors  de  doute  que 
celui-là  est  tout  à  fait  méchant  qui  rend  le 
mal  pour  le  bien,  n'étant  pas  môme  permis 
de  rendre  le  mal  pour  le  mal.  Nous  faisons 
toutefois  ce  que  je  viens  de  dire,  nous  nous 
disons  Chrétiens,  et  par  nos  impuretés  nous 
excitons  contre  nous  un  Dieu  miséricor- 
dieux; nous  l'irritons  alors  qu'il  s'apaise', 
et  nous  l'outrageons  alors  qu'il  nous  caresse. 
Nous  offrons  donc  à  Dieu  des  jeux  infûmes 
pour  les  bienfaits  qui  viennent  de  lui  , 
nous  lui  faisons  des  sacrifices  exécrables, 
comme  s'il  avait  pris  notre  chair  pour  nous 
donner  do  si  mauvaises  instructions ,  où 
qui  nous  les  eût  fait  entendre  par  la  bouche 
d.' ses  a|  ôt.'  es. Ce  fut  peut-être  pour  cela  que 
Dieu  voulut  naître  ici-bas  comme  un  homme, 
et  qu'il  daigna  prendre  notre  honte  et  notre 
bassesse  en  naissant  comme  nous?  Ce  fut 
peut-être  pour  cela  qu'il  naquit  dans  une 
étable  où  les  anges  le  servaient?  Ce  fut 
peut  ôtre  pour  cela  que  Dieu  qui  enveloppe 
le  ciel  et  la  terre  se  laissa  envelopper  de 
petits  linges  dans  lesquels  il  gouvernait 
toutes  choses?  Ce  fut  peut-être  pour  cela 
que  Di^u  qui  se  fit  pauvre  pour  nous  enri- 
chir, qui  s'est  humilié  môme  jusqu'à  mou- 
rir sur  la  croix,  et  dont  la  mort  fit  trembler 
tout  le  monde,  voulut  être  pour  nous  attaché 
sur  une  croix  ainsi  qu'un  criminel?  Nous 
nous  imaginons  peut-être  qu'il  nous  a  fait 
des  leçons  d'impiété  ,  alors  qu'il  vivait  et 
qu'il  souffrait  tant  de  peines  et  tant  d'inju- 
res pour  nous?  Nous  reconnaissons  d*uue 
étrange  façon  les  effets  de  ses  souffrances  , 
nous  avons  reçu  notre  rédemption  et  notre 
vie  par  le  moyen  de  sa  mort,  et  ce  bienfait 
n'est  payé  que  par  les  vices  d'une  vie  dé- 
bordée. Saint  Paul  dit  que  la  grâce  s'est 
montrée  ,  qu'elle  nous  a  enseigné  à  vaincre 
l'impiété,  et  à  perdre  les  appétits  déréglés; 
qu'elle  nous  commande  devivre  sobrement, 
d'être  pieux  et  justes  dans  ce  monde  ,  en 
attendant  l'effet  d'une  bienheureuse  espé- 
rance, et  la  venue  de  la  gloire  de  Jésus,  qui 
s'est  donné  lui-même  pour  nous  à  dessein  de 
nous  racheter, etdelaver  par  son  sang  un  peu- 
ple agréable  à  sa  divinité,  et  sectateur  des 
bonnes  œuvres.  Où  sont  maintenant  ceux 
qui  mettent  en  usage  les  choses  pour  les- 
quelles l'Apôtre  dit  que  Dieu  est  venu  ?  Où 
sont  les  Chrétiens  qui  retranchent  de  leurs 
cœurs  ces  appétits  déréglés  ;  qui  fassent 
profession  de  la  piété,  et  tout  ensemble  de 
la  sobriété,  et  qui  témoignent  par  leurs  ac- 
tions qu'ils  ont  l'espérance  d'une  gloire  qui 
do:t  toujours  durer.  Quiconque  vit  bien  et 
ne  se  laisse  pas  emporter  aux  tempêtes  du 
temps  ,  montre  qu'il  attend  cette  gloire,  et 
qu'il  mérite  de  la  receveur.  Dieu,  dit  l'Apô- 
tre, est  venu  pour  laver  de  son  sanrj  un  peu- 
ple agréable  à  sa  majesté  et  amateur  de  bonnes 
aciiur.s.  Où  est   ce   peuple   pur  et  net  ?  Où 


est  ce  peuple  agréable  à  Dieu?  Où  est  ce 
peuple  qui  fait  gloire  des  bonnes  actions? 
L'Ecriture  nous  apprend  que  Dieu  souffrant 
pour  nous,  a  fait  les  chemins  que  nous  de- 
vons suivre;  peut-être  que  ces  chemins 
nous  conduisent  aux  jeux  publics  et  aux 
spectacles  qu'il  défend  ?  Dieu  nous  a  peut- 
être  laissé  ce  témoignage  pour  ce  sujet? 
Dieu,  dis-je,  de  qui  nous  ne  lisons  point 
qu'on  l'ait  vu  rire,  Dieu  a  pleuré  pour  nous, 
parce  que  les  pleurs  sont  des  témoignages 
d'un  esprit  touché,  et  n'a  point  voulu  rire, 
d'autant  que  c'est  ainsi  que  les  meilleures 
disciplines  se  corrompent.  Aussi  a-t-il  dit 
par  la  bouche  de  l'évangéliste  :  Malheur  sur 
vous  qui  riez,  parce  que  vous  pleurerez  ;  et 
au  contraire  vous  êtes  bienheureux  vous  qui 
pleurez  maintenant  ,  car  vous  rirez  quelque 
jour. 

a  Nous  ne  nous  contenterions  pas  de 
rire  et  de  nous  réjouir  si  nous  ne  ren- 
dions nos  réjouissances  criminelles,  par  le 
moyen  des  vices  que  nous  y  mêlons.  Nous 
ne  pouvons  nous  divertir  sans  faire  des  pé- 
chés de  nos  divertissements  ;  nous  pense- 
rions que  nos  plaisirs  seraient  en  quelque 
façon  défectueux  s'ils  ne  nous  rendaient 
coupables,  et  qu"il  n'y  aurait  point  de  con- 
tentement à  rire  si  l'on  n'offensait  Dieu. 
Rions  même  sans  mesure;  réjouissons-nous 
sans  cesse  ,  pourvu  que  ce  soit  innocem- 
ment. N'est-ce  pas  une  étrange  folie  que 
s'imaginer  que  nos  divertissements  ne  se- 
raient pas  agréables  s'ils  n'étaient  injurieux 
à  Dieu. 

«  Dans  ces  specfables  dont  nous  avons 
parlé,  nous  nous  déclarons  en  quelque  façon 
apostats,  transgresseurs  de  la  loi  et  enne- 
mis des  sacrements  ,  car  Ja  première  protes- 
tation que  les  Chrétiens  font  au  baptême, 
n'est-ce  pas  de  renoncer  au  diable  ,  à  ses 
pompes,  à  ses  spectacles,  à  ses  ouvrages  ? 
Nous  les  suivons  toutefois  après  le  baptême; 
nous  savons  bien  que  ces  spectacles  sont 
des  inventions  du  diable  ;  nous  y  avons  re- 
noncé ;  d'où  s'ensuit  nécessairement  qu'en 
y  allant  volontairementet  avec  dessein,  nous 
devons  reconnaître  que  nous  retournons  au 
diable  ;  car  après  tout  nous  avons  eu  mémo 
temps  renoncé  à  l'un  et  à  l'autre,  et  avons 
confessé  que  l'un  et  l'autre  sont  la  même 
chose.  Si  bien  que  si  nous  retournons  à 
l'un,  il  est  véritable  que  nous  retournons  à 
l'autre. 

«  Je  renonce,  dit-on  en  se  faisant  baptiser, 
au  diable,  à  ses  pompes,  à  ses  spectacles  ,  et  à 
ses  œuvres;  et  l'on  ajoute  aussitôt  après  : 
Je  crois  en  Dieu  le  Père  tout-puissant  et  en 
Jrsns-Christ  son  Fils.  L'on  renonce  donc  pre- 
mièrement au  diable,  afin  que  l'on  croie  en 
Dieu,  d'autant  que  quiconque  ne  renonce 
pas  au  diable  ne  croit  pas  en  Dieu  ;  et  par- 
tant quiconque  retourne  au  diable,  méprise 
et  quitte  son  Dieu  ;  or  les  démons  se  trou- 
vent dans  les  spectacles  et  dans  les  pompes 
solennelles,  de  sorte  que  quand  nous  y  re- 
tournons nous  quittons  la  foi  de  Jésus- 
Christ.  Le  mérite  des  sacrements  de  notre 
religion  se  perd  en  ;:ous  ;   tout  ce  qui   suit 


63 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


6* 


d'ans  notre  symbole  est  choqué  et  tout  en- 
semble affaibli;  car  le  moyen  de  s'imaginer 
qu'une  chose  puisse  demeurer  debout  quand 
son  appui  est  à  bas.  Dis-moi  donc,  ô  Chré- 
tien, qui  que  tu  sois,  ayant  perdu  par  tes  mé- 
pris et  par  ta  rébellion  les  principes  de  ta 
croyance,  comment  pourras-tu  faire  état  de 
sa  suite?  et  comment  l'imagineras-tu  que  le 
teste  te  pourra  |  rotiter  ?  Les  membres  sans 
la  tête  ne  peuvent  rien;  toutes  choses  dé- 
pendent de  leur  principe  ,  et  ne  profilent 
pas  sans  lui.  Quand  les  fondements  d'un 
édifice  sont  sapés,  tout  le  reste  tombe  en 
ruine;  les  arbres  qui  n'ont  plus  de  racine 
nedurentpas  longtemps,  et  les  ruisseaux 
de  qui  l'on  tarit  lessources  se  diminuent  et 
se  perdent  bientôt;  enfin  rien  ne  subsiste 
tans  la  tête. 

«  Mais  si  l'on  ne  trouve  pas  que  ces  spec- 
tacles dont  nous  avons  parlé  soient  de  si 
grande  conséquence,  que  l'on  considère  at- 
tentivement ce  que  nous  avons  dit,  et  sans 
doute  on  reconnaîtra  qu'au  licude  contente- 
ment ils  nous  apportent  la  mort,  qu'ils  nous 
perdent  au  lieu  de  nous  divertir;  car  en  se 
retirant  de  ce  qui  peut  entretenir  la  vie, 
ne  se  met-on  pas  au  hasard  de  la  perdre 
entièrement;  et  lorsqu'on  a  ruiné  le  fonde- 
ment de  sa  religion,  n'a-t-on  pas  sujet  d'ap- 
préhender la  perte  de  son  salut  ? 

«  Retournons  maintenant    à  ce  que  nous 
avons    si  souvent  dit,   retournons  aux  b  r- 
bares,  puisque  les  Chrétiens  sont  si  détes- 
tables.   Où  trouvera-t-on   chez  eux  tant  do 
malheureux  spectacles?  où  sont  leurs   gla- 
diateurs, et  tous  ces  prodiges  d'impureté  qui 
paraissent  chez  nous?    Mais  quand  on  ver- 
rait entre  eux  tout  ce  que  je  viens  de  dire  , 
ils  ne   seraient  pas    toutefois  si  coupables 
que  nous,  parce  que  l'offense  qu'ils  feraient 
en  voyant  de  si  grandes  impuretés  ne  serait 
pas  suivie  de  la  transgression  delà  loi.  Que 
pouvons-nous  répondre   au   contraire   qui 
nous  excuse,    et    qui    ne    nous  condamne  ? 
Nous  sommes  en  possession  le  la  véritable 
croyance,    et  nous   la  ruinons;  nous  con- 
fessons que  nous   avons   le  gage  de  notre 
salut,  et  tout    ensemble    nous  le  nions.  Où 
est   en    nous    le   caractère    de  Chrétien  ?  Il 
semble  que  nous  ne  prenions  les  sacrements 
du    christianisme    que   pour  nous    rendre 
plus  coupables    par    le  mépris   que    nous 
en  faisons.  Nous  préférons    les  choses  vai- 
nes au  service  de  Dieu,  nous  méprisons  les 
autels,  et  nous  respectons    le  théâtre  ,  nous 
aimons  toute  chose,  nous  avons  toute  chose 
en   vénération  et    en  comparaison  de  tout, 
il  n'y  a  que  Dieu  qui  nous  semble  méprisa- 
ble. Bien  que  celte  vérité   ne  manque  point 
de  preuves,  je  dirai  néanmoins  une  chose 
qui  la  rendra  visible    à    tout  le  monde.  S'il 
arrive  qu'en  un  jour  de  fête  on  fasse  des 
jeux  publics ,  les   églises   seront-elles    plus 
remplies  que  les  lieux  destinés  aux  specta- 
cles ?  Les  paroles  de  l'Evangile     font-elles 
une  plus  vive  impression  sur  les  cœurs  que 
celles  des  théâtres?  Je  laisse  pour  juge  de 
celte  demande   la    conscience  de   tous   les 
Chrétiens  ;  et  je  n'ai  que  faire  de   dire  ce 


qu'une  pernicieuse  coutume  fait  voir  trop 
clairement,  l'on  retient  plus  facilement  un 
mauvais  mot.  qu'une  sentence  de  l'Evangile, 
et  l'on  est  plus  content  d'écouter  les  paroles 
de  la  mort,  que  celles  de  la  vie;  ainsi  le 
criminel  aime  mieux  entendre  ceqni  le  con- 
damne, que  ce  qui  lui  donne  sa  grâce. 

«  Si  un  jour  de  fête  on  apprend  dans  les 
églises,  où  l'on  ne  va  bien  souvent  que 
pour  adorer  les  créatures  ,  qu'il  y  a  de  ces 
divertissements  en  quelques  lieux  ,  l'on 
méprise  le  temple  et  l'on  court  au  théâtre  ; 
l'on  quitte  le  ciel  pour  aller  aux  enfers. 
L'Eglise  est  vide  en  peu  de  temps  ,  et  en 
moins  de  temps  encore  le  lieu  qui  reçoit 
les  spectateurs  au  théâtre  est  rempli.  On 
laisse  sur  les  autels  un  Dieu  qui  se  donne  à 
nous  pour  nourriture,  et  l'on  va  se  repaître 
de  la  viande  du  diable;  on  va  commettre  des 
adultères  par  la  vue,  l'on  va  applaudir  J:  sa 
pei'te  ;  et  lorsqu'on  se  réjouit  ainsi  dans 
ses  prospérités ,  l'on  ne  songe  pas  à  ces  pa- 
roles que  Dieu  proinnce  par  la  bouche  du 
prophète  r  Vous  serez  perdus  pour  vos  péchés, 
et  les  autels  du  ris  et  de  (a  réjouissance  seront 
abattus.  » 

VP  SIÈCLE.  —  Saint  Anastase  sinaïte  , 
patriarche  d'Ànlioche,  dais  le   Traité  ds  ta 
sacrée  communion.  —  «  Notre  aveuglement  est 
grand,  notre  négligence  est  extrême  ;    nous 
n'avons  point  de  componction  ;  nous  n'avons 
point  de  crainte  de  Dieu  ;    nous    ne  corri- 
geons   point   nos  mœurs,  nous  ne  faisons 
point  de  pénitence;  mais  notre  esprit  s'ap- 
plique   entièrement  à  la  malice  et  aux  vo- 
luptés; et  il  arrive  souvent  quenous  passons 
sans  peine  les  journées  entières  au  théâtre 
dans  les  conversations  déshonnètes  et  dans 
les  autres  œuvres  du  diable.   Nous  quittons 
le  manger,  nous  abandonnons  notre  maison, 
nous  négligeons  nos  affaires    importantes  , 
pour  nous  occuper  à  ces  vanités,  et  à  ces  in- 
fâmes divertissements  ;  et  nous    ne  voulons 
pasdemeurer  uncheuredans  /Eglise  pour  va- 
quer à  la  prière  et  à  la  lecture,  et  pour  nous 
tenir    en  la    présence  de    Dieu.  Nous  nous 
hâtons  d'en    sortir  aussi   vite   que   si  nous 
nous  retirions  d'un  embrasement.    Si  la  pré- 
dication   de    l'Evangile  dure  un   peu  trop, 
nous  faisons   éclater  notre  indignation   et 
notre  impatience.  Si  le  prêtre  fait  des  priè- 
res  un    peu   longues,    nous  sommes    sans 
goût   et  sans  attention.  Si  celui  qui    offre  le 
sacrifice  non  sanglant  tarde  tant  soit  peu  , 
nous  nous  ennuyons ,  et  nous  regardons  la 
prière  comme  un  procès  dont    nous    vou- 
drions  avoir   une    prompte    expédition;  et 
cependant   suivant   les  mouvements  du  dia- 
ble, nous  nous   emportons  dans  les  vanités 
et  dans  les  voluptés.  Certes,  mes  frères,  no- 
tre misère  est  grande  !  » 

VIIe  SIÈCLE.  —  Saint  Isidore  ,  archevê- 
que deSéville,  dans  le  xrine  livre  des  Ety- 
mologies,  chap.  19.  —  «  Un  Chrétien  ne  doit 
avoir  aucun  commerce  avec  les  folies  du 
cirque,  avec  l'impudicilé  du  théâtre  ,  avec 
les  cruautés  de  l'amphithéâtre  ,  avec  la  bar- 
barie des  gladiateurs  ,  avec  l'infamie  des 
jeux  de  Flore  ;  c'est  renoncer  à  Dieu  que  de 


63 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SLR  LE  THEATRE. 


66 


s'amuser  à  ces  vanités;  c'est  se  rendre  pré- 
varicateur de  la  foi  chrétienne  que  de  re- 
chercher après  le  baptême  les  choses  aux- 
quelles on  a  renoncé  en  le  recevant  ;  c'est- 
à-dire  le  diable,  ses  pompes,  et  ses  œuvres.» 

VIII*  SIÈCLE. —  Saint  Jean  Damascène, 
dans  le  111e  livre  des  Parallèles,  chap.  kl.  — 
«Il  y  a  des  villes  qui  depuis  le  matin  jus- 
qu'au soir  repaissent  leurs  yeux  de  divers 
spectacles  des  comédiens,  et  qui  ne  se  las- 
sent point  d'employer  un  si  longtemps  à 
écouter  des  vers  iassifs  et  licencieux  ,  qui 
remplissent  les  esprits  d'ordures  ;  et  il  y  a 
même  des  personnes  qui  appellent  ces  peu- 
ples heureux,  en  ce  que,  quittant  leurs  af- 
faires et  les  occupations  nécessaires  pour 
l'entretien  de  la  vie  ,  ils  passent  les  jour- 
nées entières  dans  l'oisiveté  et  dans  la  vo- 
lupté, ne  considérant  pas  (pie  le  théâtre  où 
l'on  représente  ces  spectacles  honteux,  e-t 
l'école  commune  et  publique  de  l'impu- 
reté pour  ceux  qui  s'assemblent  dans  ce 
lieu  infâme. 

«  Ceux  qui  ont  la  crainte  du  Seigneur  ,  at- 
tendent le  dimanche  pour  offrir  leurs  prières 
à  Dieu,  et  pour  recevoir  le  corps  et  le  sang 
de  Noire-Seigneur.  Mais  les  lâches  et  les 
fainéants  attendent  le  dimanche  pour  ne 
point  travailler,  et  pour  s'abandonner  aux 
vices.  Ils  courent,  où  plutôt  ils  volent  au 
théâtre,  pendant  que  nous  voyons  les  spec- 
tacles de  l'Eglise;  nous  y  voyons  Jésus- 
Christ  reposant  sur  la  table  sacrée;  nous  y 
entendons  l'hymne  que  les  séraphins  chan- 
tentdans  le  ciel  en  l'honneur  de  Dieu  ;  nous 
entendons  les  paroles  de  l'Evangile  ;  nous  y 
jouissons  de  la  présence  du  Saint-Esprit; 
nous  y  entendons   la  voix   des  prophètes  ; 

glorifient  Dieu,  et 


lymne  dont    les 


anges 


ce  chaut  de  joie  qui  nous  excite  à  louer  sa 
divine  majesté.  Tout  y  est  spirituel,  salu- 
taire, et  propre  à  nous  rendre  dignes  du 
royaume  du  ciel.  Ce  sont  là  les  spectacles 
que  l'Eglise  donne  à  ceux  qui  y  vont  ;  mais 
quels  sont  au  contraire  les  spectacles  de 
ceux  qui  vont  à  la  comédie?  Ils  n'y  voient 
que  les  pompes  du  diable  ;  ils  n'y  entendent 
que  la  voix  du  démon.  » 

IX'  SIÈCLE.  —  PiioTirs  ,  patriarche  de 
Constantinople  dans  le  Nomocanon,  lit.  ix, 
chap.  27.  —  «  Si  un  évêque  ou  un  ecclé- 
siastique assistant  aux  spectacles  du  théâtre, 
qu'on  leur  interdise  la  fonction  de  leur  mi- 
nistère [tendant  trois  ans  ,  et  qu'on  les  en- 
ferme dans  un  monastère.  Que  s'ils  donnent 
des  marques  d'une  pénitence  sincère  ,  les 
prélats  pourront  abréger  ce  temps.  » 

XIe  SIÈCLE.  —  Olympiodorè,  sur  le  vcrsrt 
17  du  chapitre iv  de  l'Ecclétiaste.  —  «  Quand 
vous  entrez  dans  la  maison  de  Dieu,  prenez 
garde  à  vos  pieds  ,  et  approchez-vous  pour 
écouter  sa  parole.  Réglez  ,  dit  le  Sage, 
tout  votre  corps  dételle  sorte  que  nous  n'em- 
ployons point  pour  faire  le  mal  les  mêmes 
membres  dont  nous  nous  servons  pour  faire 
le  bien.  Comme  s'il  disait  :  Je  vous  prie  que 
ces  pieds  dont  vous  vous  servez  pour  aller 
au  temple  de  Dieu  ,  ne  soient  point  em- 
ployés  pour  aller  aux  jeux  du  théâtre,  et 


aux  spectacles  infâmes.  Apprenez  par  là 
que  vous  en  devez  user  de  même  à  l'égard 
des  autres  parties  de  votre  corps.  Certes 
ceux  qui  ont  les  pieds  nets  en  entrant  dans 
l'Eglise  do  Dieu  doivent  prendre  garde  de  ne 
les  point  souiller  ,  en  allant  dans  des  lieux 
impurs  et  profanes  qui  déplaisent  à  Dieu.  » 

XIIe  SIÈCLE.  —  Saint  Beknard  ,  dans  le 
Traité  de  la  conversion  des  mœurs,  chap.  1 1 
—  «  Quant  à  la  vue  des  spectacles  vains, 
que  sert-elle  au  corps,  ou  quel  bien  ap- 
porte-t-elle  à  l'âme?  Certes  vous  ne  trou- 
verez point  que  l'homme  tire  quelque  pro- 
lit  de  'a  curiosité.  Les  divertissements  sont 
de  pures  niaiseries  ;  et  je  ne  sais  quel  plus 
grand  mal  je  lui  pourrais  souhaiter  que  la 
durée  de  ces  vains  amusements  qu'il  recher- 
che, et  de  celte  inquiétude  curieuse  dont  il 
est  charmé,  et  qui  lui  fait  haïr  la  paix  et  la 
douceur  d'un  heureux  repos.  Il  est  bien 
clair  qu'il  n'y  a  rien  de  solide  en  tous  ces 
plaisirs,  puisqu'on  n'en  aime  que  le  mou- 
vement passager  par  lequel  ils  succèdent 
l.'S  uns  aux  autres,  et  non  pas  leur  conti- 
nuation et  leur  durée.  Que  si  les  vanités  ne 
sont  que  des  choses  vaines  ,  comme  le  nom 
seul  le.marque  assez  clairement  ;  il  tàut  né- 
cessairement que  le  travail  qu'on  emploie  à 
des  choses  vaines  soit  aussi  vain  qu'elles. 
O  gloire!  ô  gloire,  dit  un  Sage,  qu'êtes-vous 
parmi  la  plupart  des  hommes,  qu'une  vaine 
enflure  que  le  cœur  conçoit  par  l'oreille?  Et 
cependant  combien  cette  vanité  heureuse, 
où  plutôt  cette  vaine  félicité  produit-elle  de 
malheurs  ? 

«  C'est  de  là  que  vient  l'aveuglement  du 
cœur,  selon  ce  qui  est  écrit  :  O  mon  peuple, 
ceux  qui  vous  appellent  heureux  vous  trom- 
pent. C'est  de  là  (pie  viennent  les  peines  lâ- 
cheuses des  soupçons  ,  et  les  cruels  tour- 
ments de  la  jalousie,  etc. 

«  Certes  ce  n'est  pas  tant  une  folie  qu'une 
infidélité  d'aimer  des  choses  si  basses,  où 
plutôt  des  choses  de  néant  ,  et  d'estimer  si 
peu  cette  gloire  que  nuiœil  n'a  vue, que  nulle 
oreille  n'a  ouïe,  que  nul  esprit  humain  n'a 
imaginée,  ces  biens  et  ces  trésors  que  Dieu 
a  préparés  pour  ceux  qui  l'aiment.  » 

Jean  de  Salisbeuy,  évêque  de  Chartres  , 
dans  le  1"  livre  des  Vanités  de  la  cour, chap. 
8.  —  «  Notre  siècle  .««'attachant  à  des  fables 
et  à  de  vains  amusements,  ne  prostitue  pas 
seulement  les  oreilles  et  le  cœur  à  la  vanité; 
mais  il  flatte  aussi  son  oisiveté  par  les  plai- 
sirs des  yeux  et  des  oreilles  ;  et  il  allume  le 
feu  de  l'impureté  cherchant  de  toutes  parts 
ce  qui  est  propre  à  entretenir  les  vices. 

«  L'oisive, é  est  l'ennemie  de  l'âme,  qui  la 
dépouille  de  toutes  ses  inclinations  ver- 
tueuses; c'est  pourquoi  un  très-savant 
homme  donne  ce  conseil  :  Que  l'ennemi  du 
genre  humain,  dit-il ,  vous  trouve  toujours 
occupé,  afin  qu'avec  autant  de  bonheur,  que 
de  prudenco ,  vous  vous  couvriez  de  vos 
occupations  ,  comme  d'un  bouclier  contre 
toutes  ses  tentations.  Il  faut  fuir  l'oisiveté 
comme  une  dangereuse  syrène;  et  cepen- 
dant les  comédiens  nous  y  attiient.  L'en- 
nui se  glisse  aisément  dans  un  esprit  vide 


C7 


SENTIMENTS  DE  L'EGLISE  SL'Ï\  LE  TilEATRE. 


f.8 


qui  ne  se  peut  supporter  lui-même,  s'il  n'a 
quelque  volupté  pour  se  divertir  ;  c'est  pour 
cela  que  l'on  a  introduit  les  spectacles,  et 
tous  ces  appareils  de  la  vanité  ,  où  s'occu- 
pent ceux,  qui  ne  peuvent  vivre  sans  quel- 
que amusement  ;  mais  c'est  un  dérèglement 
pernicieux  ;  car  l'oisiveté  leur  serait  encore 
plus  avantageuse  qu'une  si  honteuse  occu- 
pation. 

«  Estimez-vous  un  homme  sage  qui  se 
plaît  à  écouter  et  à  voir  ces  niaiscri  s?  J'a- 
voue qu'un  homme  de  bien  peut  honnête- 
ment se  donner  quelque  plaisir  modéré. 
Mais  c'est  une  chose  honteuse  à  un  homme 
grave  de  s'avilir  ,  et  de  se  souiller  par  ces 
sortes  de  divertissements  inl'à.nes.  Un 
homme  d'honneur  ne  doit  pas  regarder  les 
spectacles,  et  particulièreme  il  ceux  qui  sont 
déshonnêtes,  de  peur  que  l'inco  t  menée  de 
sa  vue  ne  soit  un  témoignage  de  l'impureté 
de  son  âme.  C'est  avec  raison  que  Périclès 
étant  [trêteur  reprit  Sophocle,  son  collègue, 
en  ces  termes  :  «Il  faut  qu'un  magistrat  n'ait 
«  pa's  seulement  les  mains  pures,  mais  les  yeux 
*  môme.  «C'est  pourquoi  un  homme  à  qui  la 


puissance  royale  donnait  une  grande  li- 
cence, faisait  cette  prière  à  Dieu  :  Détour- 
nez mes  yeux,  afin  qu'ils  ne  regardent  point 
la  vanité;  car  il  savait  bien  qu'il  est  cer- 
tain que  la  vue  cause  une  infinité  de  maux  ; 
ce  que  le  prophète  Jérémie  déplore  dans 
ses  Lamentations  :  Mes  yeux,  dit-il,  ont  ravi 
mon  âme  comme  une  proie. 

«  Vous  ne  doutez  point  que  l'autorité  des 
Pères  de  l'Eglise  n'ait  interdit  la  sacrée 
communion  aux  comédiens  et  aux  farceurs; 
d'où  vous  pouvez  juger  quelle  peine  méri- 
tent ceux  qui  les  favorisent,  si  vous  vous 
représentez  que  les  coupables  des  crimes 
et  leurs  complices  doivent  être  également 
punis.  «  Ceux  qui  donnent  aux  comédiens, 
«  dit  saint  Augustin,  pourquoi  leur  don- 
ci  nent-ils,  si  ce  n'est  parce  qu'ils  se  plaisent 
«  au  mal  que  font  ces  personnes  infâmes  ?  » 
Or  celui  qui  se  plaît  au  mal,  et  qui  l'entre- 
tient, est-il  hommj  de  bien?  »  (Traité  de  la 
comédie  et  des  spectacles  selon  la  tradition  de 
ï Eglise  ;  Paris,  Bil  aine  ,  1666,  in-8°  p.  30- 
1W.) 


DICTIONNAIRE 


DES  MYSTERES. 


A 


ABRAHAM.  —  M.  Magnin  a  dit  de  ce 
drame  de  Hrotswithe,  religieuse  de  Gander- 
sheim  au  x'  siècle  :  «  Celte  pièce,  qui  repose 
sur  une  donnée  si  voisine  de  la  licence,  a 
été  écrite  par  une  religieuse  enthousiaste  de 
la  chasteté,  jouée  par  des  religieuses,  en 
face  de  graves  prélats.  » 

M.  Onésyroe  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur 
les  mystères  (Paris,  1837,  in-8°,  p.  4-7),  a 
donné  une  rapide  analyse  de  la  pièce  d'Abra- 
ham de  Hrotswithe. 

Argdmemt  d'Abraham  (33)  — Clmteet  conversion  de  Marie, 
nièce  d'Abraham,  ermite.  Après  avoir  pratiqué  vingt 
ans  la  vie  de  solitaire,  elle  perd  sa  virginité,  rentre 
dans  le  inonde  et  ne  craintpas  de.  se  mêler  a  une  Ironpe 
de  courtisanes.   Au  bout  de  deux  ans  les  conseils  d'A- 

(33)  «  Ce  drame,  le  plus  pathétique  que  nous  ait 
laissé  Hrotswithe,  est  tiré  d'actes  que  nous  possé- 
dons tant  en  grec  qu'en  latin,  et  qui  portent  le  nom 
de  saint  Ephrem.  Plusieurs  modernes,  entre  autres 
Vossius  et  Arnaud  d'Andilly,  lequel  a  traduit  cette 
touchante  histoire  dans  ses  Vies  des  Pètes  des  déserts 
(t.  I,  p.  271  et  547),  l'ont  attribué  à  saint  Ephrem, 
le  solitaire,  qui  devint  diacre  dEdesse  et  qui  vivait 
au  iv'  siècle.  D'autres  pensent  que  les  Actes  d'Abra- 
ham et  de  Marie  sont  l'œuvre  d'un  autre  Ephrem  un 
peu  postérieur  à  celui  q-.i,  avant  d'être  diacre,  avait 


braham  qui  était  parvenu  auprès  d'elle  «ous  les  dehors 
d'un  amant,  la  rappellent  à  la  verlu.  Elle  effaça  par  des 
larmes  abondantes,  par  des  jeûnes,  des  veilles  et  des 
prières  perpétuels,  pendant  vingt  aus,  les  souillures  de 
ses  péchés. 

PERSONNAGES: 


i 


l'.'HI'KM,         I 

Maïul,  nièce  d'Abraham. 


vu  ami  d'Abraham. 
Un  hôtelier. 


SCENE  I.    ABRAHAM,   EPHREM  (34). 

Abraham.  Ephrem,  mon  frère,  voué  comme  moi  à 
la  vie  érémitique,  vous  convient-il  de  causer  avec 
moi  en  ce  moment,  ou  bien  voulez-vous  que  j'attende 
jusqu'après  la  fin  de  vos  prières. 

ephrem.  Entre  nous,  la  conversation  n'a  d'autre 
objet  que   la  gloire   de  celui  qui  a    promis  de  se 

été  le  maître  et  le  compagnon  d'Abraham.  Voyez, 
à  la  date  du  it>  Mars,  les  Acta  sanctorum  (Marlii,  t. 
I,  p.  453).  —  L'action  se  passe,  d'après  les  hagio- 
graphes,  tantôt  dans  une  solitude  voisine  de  Lamp- 
saque,  sur  les  bords  de  l'Hellespont,  tantôt  dans  la 
ville  d'Assos  ,  qui  n'en  est  distante  que  de  deu\ 
journées.  »  (M.  Magnin.) 

(34)  «Hrotswithe  d^onne  à  Ephrem  un  rôleLLet.p'ms 
important  que  dans  la  légende,  laqu^We  ne  le  cilo 
qu'une  ou  deux  fois  en  passant.  >  (M.  Magnin.) 


69 


APK 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


sr.n 


trouver  au  milieu  de  ceux  qui  s'assemblent  en  son 
nom. 

ABiuimi.  Je  ne  suis  pas  venu  pour  vous  parler 
d'autre  chose  que  de  ce  qui,  à  mon  sens,  est  d'accord 
avec  la  volonté  de  Dieu. 

ephrem.  C'est  pourquoi  je  ne  différerai  pas  cet 
entretien  d'un  seul  moment  et  je  me  donne  tout  à 
votre  désir. 

abraham.  Un  projet  fermente  dans  mon  esprit  et 
je  souhaite  ardemment  que  votre  volonté  réponde  à 
mes  vœux. 

ephrem.  Avec  un  même  cœur,  avec  une  même  âme, 
une  même  volonté,  nous  ne  pouvons  échapper  aux 
mêmes  inspirations,  aux  mêmes  indignations. 

aijrahasi.  J'ai  une  nièce  toute  jeune,  orpheline, 
sans  appui ,  dont  l'abandon  me  touche  infiniment, 
pour  qui  j'ai  la  plus  vive  affection  et  qui  est  pour 
moi  une  cause  incessante  d'inquiétudes  et  de  pré- 
occupations. 

ephrem.  Et  quoi,  dominateur  du  monde,  qu'avez- 
vous  de  commun  avec  ces  soucis  ? 

abraham.  Tout  mon  souci  est  dans  l'éclatante 
beauté  de  ma  nièce  qui  pourrait  être  ternie  par  la 
souillure  du  péché. 

ephrem.  Ce  souci  vous  arrache  au  blâme  (55). 

abraham.  Je  l'espère. 

ephrem.  Quel  âge  a-l-elle? 

abraham.  Dans  un  an,  elle  aura  atteint  deux 
olympiades. 

"ephrem.  C'est  une  pupille  bien  jeune. 

abraham.  Aussi  suis-je  fort  en  peine. 

ephrem.  Où  habile-telle? 

abraham.  Dans  mon  ermitage;  car,  à  la  prière 
de  ses  parents,  je  l'ai  prise  chez  moi  pour  l'élever; 
mais  j'avais  le  dessein  de  distribuer  ses  biens  aux 
pauvres. 

ephrem.  Le  mépris  des  biens  temporels  convient 
à  un  esprit  tourné  vers  le  ciel. 

abrauam.  Je  brûle  du  désir  longtemps  couvé  de 
la  fiancer  au  Christ  et  de  la  soumettre  à  sa  disci- 
pline. 

ephrem.  C'est  très-bien. 

arkwiam.    Le  nom  qu'elle  porte  m'en  fait  une  loi. 

ephrem.  Comment  se  nomme-t-elle? 

ABRAHAM.    Marie. 

ephrem.  Oui,  la  grandeur  d  un  tel  nom  comporte 
l'éclat  de  la  virginité. 

abraham.  Sans  doute,  avec  de  sages  conseils  et  de 
douces  exhorlaiions  ,  nous  la  trouverons  docile. 

ephrem.  Allons  auprès  d'elle,  et  tâchons  de  faire 
comprendre  à  son  esprit  la  paisible  douceur  du  cé- 
libat. 

SCÈNE  II. 

LES    PRÉCÉDENTS,  MARIE    (36). 

abraham.  0  ma  fille  adoptive!  ô  partie  de  mon 
âme  !  Marie,  cède  à  mes  avis  paternels  et  aux  ins- 
tructions salutaires  de  mon  compagnon  Ephrem; 
prends    pour  modèle   la  patronne   de  la   virginité 

(53)  Nous  suivons  ici  le  texte  de  Celles  ae  préfé- 
rence à  la  correction  de  M.  Maguin  (p.  221  , 
note  1). 

(56)  «  Le  caractère  de  Marie  est  plus  encore  que 
relui  de  Drusiana,  une  création  de  llrolswithe.  Il  est 
tracé  avec  beaucoup  de  naturel  et  de  goût.  La  lé- 
gende avait  très-peu  fait,  et  notre  auteur  a  déve- 
loppé ce  germe  avec  une  véritable  science  du  cœur 
féminin.  Dès  les  premiers  mots  (pie  cette  jeune  lille 
prononce,  on  sent  dans  ses  réparties  aux  exhorta- 
tions mystiques  d'Ephrem,  une  sorte  de  matérialité  et 
de  sensualité  naïves,  présage  de  chute.  >  (M.  Magnin.) 

(57)  M.  Magnin  a  dit  :<  Il  y  a  dans  cette  pensée  comme 
un  éclair  de  coquetterie  précoce,  qui  me  semble  un 
trait  exquis  de  naturel.  >  (Note  47,  p.  467.)  —  Le 
caractère    principal    de    celle   scène  semble   avoir 


à  qui  tu  ressemble!  déjà  par  le  nom,  et  imite  sa 
chasteté. 

ephrem.  Ma  lille,  combien  il  serait  inconvenant 
qu'une  personne,  placée  de  même  que  la  vierge 
Marie,  par  le  mystère  de  son  nom,  au  dessus  de 
l'axe  du  monde,  parmi  1  s  astres  qui  ne  doivent 
jamais  tomber,  fût  inférieure  à  son  destin  et  roulât 
jusque  dans  les  fanges  de  la  terre. 

marie.  J'ignore  le  mystère  de  mon  nom;  aussi 
n'ai-je  pas  bien  comp:  is  votre  métaphore. 

ephrem.  Marie  signifie  VEtoile  de  la  me-,  autour 
de  laquelle  est  porté  le  monde  et  sont  appJcs  Ls 
hommes. 

marie.  Pourquoi  dit-on  Etoile  de  la  mer? 

ephrem.  Parce  qu'elle  ne  se  couche  jamais  et  dirige 
les  navigateurs  dans  le  sentier  étroit  de  la  \oie 
droite. 

marie.  Et  comment,  moi,  si  faible  créature,  formée 
de  boue,  atteindrais-je  aux  grandeurs  dont  brille  le 
mystère  de  mon  nom?  (57) 

ephrem.  Par  la  virginale  pureté  du  corps  et  par 
l'entière  sainteté  de  1  esprit. 

marie.  C'est  une  fortune  immense  pour  un  être 
humain  que  de  s'élever  â  l'égal  des  astres  rayonnants. 

ephrem.  Eh  bien,  si  vous  restez  vierge  et  pure, 
vous  serez  égale  aux  anges  de  Dieu  ;  c'est  au  m  dieu 
d'eux  qu'allégée  du  poids  de  la  chair,  traversant  les 
airs,  franchissant  l'éther,  vous  parcourrez  le  cercle 
du  zodiaque  et  ne  vous  arrêterez  enfin  que  dans  les 
bras  du  Fils  de  la  Vierge  sur  la  couche  radieuse  de 
sa  Mère. 

marie.  Quiconque  méprise  ces  biens,  n'est  qu'une 
bête  (58).  Aussi  je  fais  fi  des  choses  terrestres,  et  je 
renonce  à  moi-même,  pour  obtenir  mon  admission 
aux  délices  d'un  bonheur  si  grand. 

ephrem.  En  vérité,  nous  trouvons  dans  le  cœur 
de  celte  enfant  la  maturité  d'esprit  d'un  vieillard. 

abraham.  La  grâce  de  Dieu  y  est. 

ephrem.  On  ne  peut  le  nier. 

abraham.  Mais,  bien  qu'elle  soit  éclairée  par  la 
grâce,  il  n'est  pas  bon,  cependant,  que,  dans  un  âge 
aussi  tendre,  elle  n'agisse  qu'à  son  gre. 

ephrem.  C'est  vrai. 

abraham.  Je  lui  construirai  donc  auprès  de  ma 
demeure  une  cellule,  avec  une  entrée  très-étroite, 
par  la  fenêtre  de  laquelle  je  lui  apprendrai,  dans 
mes  fréquentes  visites,  le  psautier  et  les  autres  livres 
de  la  loi  de  Dieu. 

ethrem.  Très-bien. 

marie.  Ephrem,  mon  père,  Je  m'abandonne  à  votre 
direction. 

ephrem.  Que  l'époux  céleste,  à  l'amour  duquel 
vous  vous  êtes  vouée  dans  un  âge  si  tendre,  vous 
protège,  ma  fille,  contre  toules  les  ruses  du  démon. 

SCÈNE  III. 

ABRAHAM,    EPHREM. 

abraham.  Frère  Ephrem,  quelsque  soient  les  coups 
de  la  fortune  en  ma  faveur  ou  à  ma  ruine,  c'est  vous 

échappé  entièrement  à  l'attention  du  savant  et  élé- 
gant Ira  lucteur  de  Hrolswithe;  comme  dans  le  mys- 
tère des  Trois  mages  du  xie  siècle,  et  tiré  du  ma- 
nuscrit de  Saint-3enoît-sur-Loir  ,  il  y  a  ici  une 
intention  évidente  d  allusions  mystérieuses  aux 
vaines  sciences  de  la  magie,  dont  l'esprit  humain, 
quelle  que  fût  la  puissance  de  sa  volonté,  et  la  fermeté 
de  sa  foi,  ne  laissait  pas  que  d'être  étrangement  pré- 
occupé entre  les  ix°  et  xinc  siècles.  Plutôt  que  de  la 
coquetterie,  je  voudrais  voir,  dans  les  réponses  de 
Marie,  empreintes  évidemment  de  matérialité,  un 
effroi  vague  et  un  doute  obscur,  accrus  par  le  lan- 
gage mystique  d'Ephrem,  dont  le  pieux  caractère 
échappe  à  l'intelligence  sensuelle  et  à  la  piété  indé- 
cise de  la  future  pécheresse. 
(58)  *  Le  texte  dit  tout  cromenl  mimm  virit.  Cette 


71 


ABR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ABR 


72 


auprès  de  qui  j'accours  d'abord ,  c'est  vous  seul  que 
je  consulte.  Aussi  ne  soyez  pas  insensible  aux 
plaintes  que  je  profère  ;  mais  assistez-rnoi  dans  mon 
mal  et  mes  tourments. 

ephrem.  Abraham,  Abraham,  quel  mal  avez-vous? 
Pourquoi  cette  affliction  sans  mesure?  Jamais  il  ne 
fut  loisible  à  un  solitaire  d'être  troublé  à  l'égal  d'une 
personne  du  monde. 

abraham.  Un  malheur  affreux,  sans  pareil,  est 
tombé  sur  moi;  ma  douleur  est  intolérable,  je  suis 
accablé. 

ephrem.  Ne  me  lassez  pas  dans  vos  longues  cir- 
conlocutions, et  dites-moi  plutôt  votre  malheureuse 
aventure. 

ABRAHAM.  Marie,  ma  fille  adoptive,  que  j'ai  pen- 
dant quatre  lustres  nourrie  avec  tant  de  soin ,  in- 
struite avec  tant  de  zèle... 

ephrem.  Eh  bien,  elle... 

abraham.  Hélas!  elle  est  perdue... 

ephrem.  Comment  l'entendez-vous? 

abraham.  Au  pis.  Après  sa  faute,  elle  s'est  échap- 
pée secrètement. 

ephrem.  De  quels  pièges  l'a  donc  environnée  la 
ruse  de  l'antique  serpent? 

abraham.  11  s'est  servi  de  la  passion  perverse  d'un 
imposteur  qui,  sous  un  habit  de  moine  (39),  lui  ren- 
dant souvent  d'hypocrites  visites,  a  enfin  amené  le 
cœur  rétif  de  cette  jeune  fille  à  partager  son  amour; 
«lie  en  est  venue  à  sortir  de  la  cellule  par  la  fenêtre, 
pour  commettre  le  crime. 

ephrem.  Ce  récit  me  fait  frémir. 

abraham.  Mais  l'infortunée,  une  fois  perdue,  con- 
naissant son  péché,  se  frappait  la  poitrine;  elle 
s'est  meurtrie  le  visage,  elle  a  déchiré  ses  vête- 
ments ;  et  s'arrachant  les  cheveux ,  elle  jetait  des 
cris  lamentables. 

ephrem.  Et  non  sans  motif,  car  une  telle  chute 
doit  être  pleurée  d'un  torrent  de  larmes. 

abraham.  Elle  gémissait  de  n'être  plus  ce  qu'elle 
avait  été... 

ephrem.  Malheur  à  elle  ! 

abraham.  Elle  pleurait  d'avoir  agi  contrairement 
à  nos  préceptes... 

ephrem.  Oui,  grandement. 

abraham.  Elle  pleurait  les  fruits  anéantis  de  ses 
veilles,  de  ses  prières,  de  ses  jeûnes... 

ephrem.  Si  elle  persévérait  dans  un  tel  repentir  , 
elle  serait  sauvée. 

abraham.  Elle  n'y  a  point  persévéré;  au  contraire, 
à  une  première  faute,  elle  a  ajouté  des  fautes  plus 
graves. 

ephrem.  Je  suis  troublé  jusqu'au  fond  du  cœur; 
je  ne  me  sens  plus... 

abraham.  Après  s'être  punie  par  ses  larmes , 
vaincue  par  l'excès  de  la  douleur,  elle  s'est  préci- 
pitée dans  l'abîme  du  désespoir. 

ephrem.  Eh  hélas!  quelle  lourde  perte! 

abraham.  Dans  le  désespoir  d'aucune  grâce  pos- 
sible, elle  a  choisi  le  retour  au  monde  et  le  culte  des 
vanités. 

ephrem.  Hem  !  une  si  grande  victoire  des  esprits 
pervers  sur  l'institution  érémitique  était  encore  in- 
connue. 

abraham.  Et  aujourd'hui ,  nous  sommes  la  proie 
des  démons. 

ephrem.  C'est  bien  étonnant  qu'elle  ait  pu  s'échap- 
per à  votre  insu? 

abraham.  En  ce  moment  même ,  j'avais  l'esprit 
plein  de  trouble  et  de  terreur  à  cause  d'une  vision 
que  j'avais  eue,  et  dans  laquelle,  sans  l'aveugle- 
ment (40)  de  mon  esprit,  était  la  frappante  figure  de 
la  ruine  de  Marie. 

jeune  fille  a  quelque  chose  de  positif  et  de  matériel 
jusque  dans  l'exaltation  religieuse,  s  (M.    Magnin.) 
(39)  «  On  pourrait  voir  dans  ce  passage  une  satire 
indirecte  des  moines  du  x*  siècle,  si  celle  particula- 
rité ne  se  trouvait  dans  la  légende  :  Nomine  dûnta- 


epkrem.  Je  voudrais  entendre  les  détails  de  cette 
vision. 

abraham.  Il  me  semblait  qu'étant  devar.t  la  porte 
de  ma  cellule,  tout  à  coup,  un  dragon  énorme  et 
très-puant,  s'abattit  avec  impétuosité  sur  une  jeune 
colombe  placée  auprès  de  moi;  il  la  prit,  la  dévora 
et  disparut  aussitôt. 

ephrem.  Cette  vision  était  assez  claire... 

abraham.  Mais  moi  au  contraire,  à  mon  réveil, 
réfléchissant  sur  ce  que  j'avais  vu,  j'eus  la  crainte 
de  quelque  persécution  imminente  pour  l'Eglise  et 
de  l'entraînement  de  quelques  fidèles  vers  l'erreur. 

ephrem.  C'était  à  craindre... 

abraham.  Ensuite,  prosterné  en  prières,  je  sup- 
pliai le  Préconnaisseur  de  l'avenir  de  me  dévoiler 
les  suites  de  ce  songe. 

ephrem.  Bien,  bien. 

abraham.  Enfin,  la  troisième  nuit,  au  milieu  du 
sommeil  où  j'avais  abandonné  mon  corps  épuisé,  je 
crus  voir  le  même  dragon  rouler  mort  à  mes  pieds 
et  la  colombe  aussi  belle  et  sans  mal. 

ephrem.  Je  vous  entends  avec  joie ,  car  sans  nul 
doute  votre  Marie  reviendra  auprès  de  vous. 

abraham.  A  mon  réveil ,  cette  vision  consolante 
tempérait  la  tristesse  de  la  prière  ,  lorsque  rentra 
dans  mon  esprit  le  souvenir  de  mon  élève.  Je  ne 
me  rappelai  pas  sans  amertume  que  ,  depuis  deux 
jours  ,  je  n*avais  pas  entendu,  comme  d'ordinaire, 
sa  voix  chantant  les  louanges  du  Seigneur. 

ephrem.  Souvenir  bien  tardif. 

abraham.  Je  le  confesse.  Je  m'approchai  et  frap- 
pant de  la  main  à  la  fenêtre  de  Marie  ,  je  l'appelai 
plusieurs  fois  :  «  Ma  fille!  ma  fille  !  > 

ephrem.  Ah!  vous  l'appeliez  en  vain. 

abraham.  Je  ne  m'en  aperçus  pas  tout  d'abord ,  je 
lui  demandais  la  cause  de  sa  négligence  à  prier;  mais 
je  ne  reçus  pas  le  plus  faible  murmure  pour  ré- 
ponse. 

ephrem.  Que  fites-vous  alors? 

abraham.  En  m'apcrcevant  que  Marie  que  je  cher- 
chais n'était  pas  là,  mon  cœur  reçut  d'épouvante  un 
coup,  et  tout  mon  corps  trembla  de  peur. 

ephrem.  Ce  n'est  pas  étonnant;  moi-même,  j'é- 
prouve tout  cela,  en  vous  écoutant. 

abraham.  Je  remplis  l'air  de  cris  plaintifs  et  de 
questions  :  Quel  loup  m'a  ravi  mon  agneau?  quel 
brigand  retient  ma  fille  captive? 

ephrem.  Vous  pouviez  pleurer  la  perle  de  l'enfant 
que  vous  avez  élevée. 

abraham.  11  vint  enfin  des  gens  qui,  sachant  la 
vérité,  me  dirent  ce  que  je  vous  ai  raconté,  et  com- 
ment Marie  était  vouée  aux  passions. 

ephrem.  Où  demeure-t-elle? 

abraham.  On  l'ignore. 

ephrem.  Que  ferez-vous  ? 

abraham.  Un  ami  fidèle  parcourt  pour  moi  les  ci- 
tés et  les  lieux  de  plaisance;  il  ne  s'arrêtera  pas 
avant  de  savoir  en  quel  lieu  elle  est. 

ephrem.  Et  s'il  réussit? 

abraham.  Je  changerai  d'habit  et  j'irai  auprès 
d'elle  comme  un  amant;  peut-être,  à  ma  \oix, 
après  un  si  grand  naufrage,  rentrera-t-elle  au  port 
de  son  premier  repos. 

ephrem.  Oui  :  que  ferez-vous  si  l'on  vous  apporte 
des  viandes  et  du  vin  dans  les  festins? 

abraham.  Je  ne  refuserai  pas,  de  peur  d'être  re- 
connu. 

ephrem.  Vous  ferez  preuve  d'un  jugement  droit  et 
digne  d'éloges,  en  relâchant  pour  quelques  moments 
le  frei'i  étroit  de  la  discipline,  afin  de  reconquérir  au 
Christ  une  âme  égarée. 

xat  monuchus.  »  (Id.) 

(40)  i  Hrolshwithe  nelaisse  guère  échapper  l'occa- 
sion de  repasser  sur  la  trace  de  Virgile  (Si  mens  non 
fuisset  lesvn).   t  (In.) 


a  nu 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AIÎR 


74 


abr.vham.  Mon  oser  s'accroît  encore  de  votre  appro- 
bation. 

ephre-m.  Ceiui  qui  connaît  les  replis  des  cœurs 
sait  aussi  l'intention  de  nos  actes,  et  dans  son  exa- 
men équitable,  ce  n'est  point  une  faute  que  de 
s'affranchir  d'une  stricte  observance  et  de  descendre 
un  moment  au  niveau  des  êtres  les  plus  faibles, 
pour  ramener  plus  promptenient  une  âme  tombée 
dans  l'erreur. 

Abraham.  Vous,  cependant,  vous  m'aiderez  de  vos 
prières   contre  les  embûches  du  démon. 

ephrem.  Que  l'Etre  souverainement  bon,  sans  le- 
quel aucune  bonne  oeuvre  ne  s'accomplit,  permette 
que  votre  projet  tourne  à  bien  ! 

SCÈNE  IV. 

ABRAHAM,    l'aMI  D'ABRAHAM 

abraham.  N'est-ce  pas  là  mon  ami  qu'il  y  a  tantôt 
deux  ans  j'envoyai  à  la  recherche  de  Marie?  C'est 
lui-même. 

l'ami.  Salut,  mon  vénérable  père  ! 

abraham,  Salut,  obligeant  ami  !  Je  vous  ai  attendu 
longtemps,  mais  je  désespérais  en  ce  temps-ci  de 
votre  retour. 

l'ami.  Je  n'ai  tant  tardé  que  dans  la  crainte  de 
vous  mettre  en  mouvement  sur  des  renseignements 
douteux.  Une  fois  sûr  par  moi-même  de  la  vérité, 
j'ai  bâté  mon  retour. 

abraham.  Avez-vous  vu  Marie? 

l'ami.  Je  l'ai  vue. 

ABRAHAM.  OÙ? 

l'ami.  Déplorable  réponse! 

abraham.  Parlez,  je  vous  en  prie. 

l'ami.  Elle  a  choisi  pour  demeure  la  maison  d'un 
homme  qui  fait  un  métier  honteux.  Cet  homme  est 
pour  elle  aux  petits  soins,  et  non  sans  raison,  car 
chaque  jour  il  reçoit  beaucoup  d'argent  des  amants 
de  Marie. 

abraham.  Des  amants  de  Marie? 

l'ami.  Oui. 

abraham.  Et  combien  sont  donc  ces  amants? 

l'ami.  Très-nombreux. 

atraham.  Hélas!  ô  bon  Jésus!  quelle  monstruosité! 
Celle  que  j'avais  élevée  pour  être  ton  épouse,  reçoit 
dit-on,  des  amants  étrangers! 

l'ami.  Ce  fut  de  tout  temps  la  coutume  des  cour- 
tisanes de  se  plaire  à  l'amour  des  étrangers. 

abraham.  Procurez-moi  un  cheval  léger  et  un  ha- 
bit militaire,  je  dépose  mon  vêtement  de  religion, 
je  vais  aller  auprès  d'elle  sous  les  dehors  d'un 
amant. 

l'ami.  Tout  est  là. 

abraham.  Je  vous  en  prie,  un  grand  chapeau  pour 
cacher  ma  tonsure. 

l'ami.  Le  point  important  est,  en  effet,  de  n'être 
pas  reconnu. 

abraham.  Si  j'emportais  avec  moi  une  pièce  d'or 
que  je  possède,  afin  de  payer  l'hôtelier  ? 

i .'ami.  Autrement  vous  ne  pourriez  arriver  au- 
près de  Marie. 

SCÈNE  V. 

ABRAHAM,   L'nOTELIER. 

abraham.  Salut,  bon  hôtelier. 

l'hôtelier.  Qui  me  parle?  Hôte,  salut 

abraham.  Avez-vous  de  la  place  pour  un  voya- 
geur qui  veut  coucher  chez  vous? 

l'hôtelier.  Oui,  sans  doute;  notre  humble  hôtc- 
lerie  ne  refuse  personne. 

ABRAHAM.   Ridl,  lÙCll. 

l'hôtelier.  Entrez,  on  va  vous  préparera  souper. 

abraham.  Je  vous  dois  beaucoup  pour  ce  gracieux 

accueil,  mais  j'ai  bien  plus  encore  à  vous  demander. 

(-41)  «  Je  ne  puis  m 'empêcher  de  faire  remarquer 
combien  il  y  a  d'art  délicat  et  de  grâce  pudique 
dans   les  paroles  à  double  sens  que    le   bon  ana- 

Dictionn.  des  Mystères. 


l'hôtelier.  Quoi  donc?  demandez,  on  verra. 

abraham.  Acceptez  ce  petit  présent  que  je  vous 
offre,  et  arrangez-vous  pour  que  cette  belle  jeune 
lille  que  je  sais  chez  vous  prenne  place  au  festin. 

l'hôtelier.  Et  pourquoi  avez-vous  envie  de  la 
voir? 

abraham.  Je  me  fais  une  grande  joie  de  connaîire 
une  femme  dont  j'ai  cent  fois  et  partout  entendu 
louer  la  beauté. 

l'hôtelier.  Aucun  éloge  de  sa  bonne  grâce  n'est 
trompeur;  elle  éclipse  en  charmes  toutes  les  femmes. 

abraham.  J'en  brûle  d'amour. 

l'hôtelier.  C'est  merveille  que,  dans  une  vieil- 
lesse si  avancée,  vous  recherchiez  encore  l'amour 
d'une  jeune  femme. 

abraham.  Eh  bien,  soit  :  je  ne  suis  même  venu 
de  ce  côté  que  pour  elle  (41). 

SCÈNE  VI. 

LES  PRÉCÉDENTS,   MARIE. 

l'hôtelier.  Avancez,  avancez,  Marie,  et  montrez 
voire  beauté  à  notre  nouveau-venu. 

marie.  Me  voici...  je  viens... 
'  abraham  (à  part).  Quelle  sûreté,  quelle  ténacité 
d'esprit  ne  me  faut-il  pas  pour  voir  cette  enfant 
nourrie  dans  les  profonds  déserts  de  mon  ermitage, 
chargée  des  parures  d'une  courtisane!  Mais  ce  n'est 
pas  encore  le  moment  de  laisser  paraître  sur  mon 
visage  le  secret  de  mon  cœur.  Retenons  énergique- 
ment  mes  larmes  débordantes,  et  couvrons  de  l'ap- 
parence de  la  gaieté  l'amertume  de  mes  maux  inté- 
rieurs. 

l'hôtelier.  Heureuse  Marie  ,  réjouissez-vous  : 
non-seulement,  comme  jusqu'à  ce  jour,  les  jeunes 
hommes  ,  mais  encore  désormais  les  vieillards  les 
plus  accablés  par  l'âge  vont  venir  auprès  de  vous, 
et  accourir  en  foule  ici  en  l'amour  de  vous. 

marie.  Quand  on  m'aime,  on  est  payé  de  retour. 

abraham.  Venez  ici,  Marie  ,  et  donnez-moi  un 
baiser. 

marie.  Non-seulement  je  vous  donnerai  de  doux 
baisers,  mais  je  veux  caresser  doucement  et  cent 
fois  votre  visage  vieilli. 

ABRAHAM.    Yoloillici'S. 

marie  (à  part).  Qu'ai-je  senti?  quel  est  ce  par- 
fum extraordinaire  que  je  respire?...  Ah!  celle  odeur 
acre  me  rappelle  celle  de  mes  jours  passés  d'absti- 
nence. 

abraham  (à  part).  C'est  maintenant,  maintenant 
qu'il  faut  feindre  ;  maintenant  qu'il  me  faut  les  pres- 
sants ébats  d'un  homme  jeune  et  vif  :  sinon,  à  ma 
gravité,  je  serais  reconnu,  et  elle  ne  rentrerait  dans 
ma  retraite  que  par  crainte. 

marie  (haut).  Hélas!  malheureuse!  D'où  suis-je 
tombée? et  dans  quel  abîme  de  perdition  ai-je  roulé? 

abraham.  Ce  n'est  pas  ici,  où  se  rassemble  la  foule 
des  convives,  qu'il  faut  se  plaindre. 

l'hôtelier.  Demoiselle  Marie,  pourquoi  soupirez- 
vous?  Pourquoi  ces  yeux  trempés  dé  larmes?  De- 
puis deux  ans  que  vous  habitez  ici,  jamais  je  ne 
vous  avais  entendue  gémir,  et  jamais  de  si  tristes 
mots  ne  vous  avaient  échappé. 

marie.  Oh  !  fussé-je  morte  il  y  a  trois  ans  pour 
ne  jamais  arriver  à  de  tels  crimes  ! 

abraham.  Je  ne  suis  pas  venu  pour  pleurer  vos 
péchés  avec  vous,  mais  pour  partager  votre  amour. 

marie.  Un  léger  repentir  m'attristait  et  me  faisait 
ainsi  parler  ;  mais  soupons  et  livrons-nous  à  la 
joie;  car,  c.mme  vous  m'en  faites  souvenir,  ce  n'est 
pas  le  moment  de  pleurer  mes  péchés. 

(Ils  se  mettent  à  table.) 
abraham.  Nous  avons  largement  soupe,  largement 
bu,  grâce  à  votre  libéralité,"  brave  hôtelier.  Permet- 

chorète    prononce    durant  celte   scène  et   la   sui- 
vante.  »  (Id  ) 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


A  votre  gre. 


75  ABR 

lez-moi  de  me  lever  de  table,  pour  aller  étendre  dans 
un  lit  mon  corps  fatigué,  et  refaire  mes  forces  par 
un  doux  repos. 

l'hôtelier 

marie.  Levez-vous ,  mon  seigneur  ,  je  vais  me 
rendre  avec  vous  dans  la  chambre  à  coucher. 

Abraham.  Bon ,  bon ,  rien  ne  m'eût  contraint  à 
sortir  d'ici  sans  vous. 

SCÈNE  VU. 

MARIE,    ABRAHAM, 

marie.  Voici  une  chambre  disposée  pour  nous  ; 
ïe  lit  n'est  point  composé  de  mauvais  mate- 
las. Asseyez-vous,  je  vais  tirer  votre  chaussure, 
vous  vous  fatigueriez  en  vous  déchaussant. 

abraham.  Fermez  d'abord  la  porte  à  clef,  pour 
que  personne  ne  puisse  entrer. 

marie.  Ne  vous  en  inquiétez  pas;  je  m'arrangerai 
de  sorte  que  personne  ne  puisse  aisément  venir  jus- 
qu'ici. 

abraham  (à  pari).  Il  est  temps  d'ôter  le  grand 
chapeau  qui  cache  mes  traits  et  de  montrer  qui 
je  suis.  (Haut.)  0  ma  fi. le  adoptive  !  ô  partie  de 
mon  àme!  Marie  ,  reconnaissez-vous  en  moi  le 
vieillard  qui  vous  a  nourrie  avec  l'affection  d'un 
père,  qui  vous  fiança  au  fils  unique  du  Roi  des 
cieux? 

marie.  Ah!  c'est  mon  père  et  mon  maître  Abraham 
qui  me  parle  (42)  ! 
abraham.  Que  vous  est-il  arrivé,  ma  fille  ? 
marie.  Un  grand  malheur. 
abraham.  Qui  vous  a  trompée?  qui  vous  a  séduite? 
marie.  Celui  qui  a    causé   la  chute  du  premier 
homme. 

abraham.  Où  est  ce  temps  digne  des  cieux  que 
vous  passiez  ici-bas? 
marie.  Bien  loin,  écoulé. 

abraham.  Où  est  votre  pudeur  virginale?  où  est 
votre  chasteté  admirable? 
marie.  Perdue  ! 

abraham.  Si  vous  ne  vous  repentez  pas,  pouvez- 
vous  espérer  encore  le  prix  de  tant  de  fatigues,  de 
vos  jeûnes,  de  vos  prières  et  de  vos  veilles,  mainte- 
nant que  vous  êtes  comme  tombée  des  hauteurs 
du  ciel,  et  noyée  dans  les  profondeurs  de  l'enfer? 
marie.  Hélas! 

abraham.  Pourquoi  m'as-tu  méprisé?  pourquoi 
m'as  tu  délaissé?  pourquoi  ne  m'as-tu  pas  révélé  le 
malheur  de  la  chute.  Mon  ami  Ephrem  et  moi, 
nous  eussions  fait  pour  toi  les  pénitences  conve- 
nables. 

marie.  Tombée,  tombée  dans  le  péché,  souillée, 
je  n'osai  plus  m'approcher  de  votre  sainteté. 

abraham.  Qui  jamais  fut  exempt   de  péchés,  hor- 
mis le  fils  de  la  Vierge  ? 
marie.  Personne. 

abraham.  Le  propre  de  l'homme  est  de  pécher  ; 
ce  qui  est  du  démon ,  est  de  persévérer  dans  le 
péché.  On  doit  blâmer  non  pas  celui  qui  tombe 
par  surprise,  mais  celui  qui  néglige  de  se  relever 
aussitôt. 
marie.  Malheureuse  que  je  suis! 
abraham.  Pourquoi  te  proslernes-tu?  Pourquoi 
restes-tu  à  terre,  immobile?  Lève-toi  et  écoute 
ce  que  je  vais   te  dire. 

marie.  Je  suis  tombée,  frappée  de  terreur,  et  ne 
pouvant  supporter  le  poids  de  vos  remontrances 
paternelles. 

(42^  «  La  légende  indique  ici  énergiqnemenl  le  jeu 
de  scène.  Elle  nous  montre  Marie  perlerrefacta.... 
lapidis  instar  immobilis.  —  La  situation  développée 
dans  cette  scène  est  une  des  plus  pathétiques  que 
l'on  ait  jamais  mises  au  théâtre.»  (Id.) 

(45)  M.  Magnin  a  rapproché  de  ces  belles  paroles, 
qui  ne  sont  qu'indiquées  dans  le  légendaire,  ces 
vers  de  YHamlet  de  Ducis  : 


ABR 


7G 


abraham.  Ne  songe  qu'à  mon  amour  pour  toi  et 
cesse  de  craindre. 

marie.  Je  ne  puis. 
F^abraiiam.  N'est-ce  pas  pour  toi  que  j'ai  quitté  mon 
désert  si  regrettable  et  renoncé  presque  entière- 
ment à  l'observance  de  toute  discipline  régulière? 
Moi,  véritable  ermite,  je  nie  suis  fait  le  compagnon 
de  table  de  débauchés  !  Moi  qui  depuis  si  longtemps 
ne-connaissais  que  le  silence,  j'ai  proféré  des  pa- 
roles joviales,  pour  n'être  pas  reconnu!  Pourquoi 
baisser  les  yeux  et  regarder  la  terre?  Pourquoi 
dédaignes-tu  de  me  répondre  et  d'échanger  avec  moi 
tes  pensées? 

marie.  La  conscience  de  mon  péché  me  confond  , 
je  n'ose  lever  les  yeux  vers  le  ciel,  ni  mêler  mes 
paroles  aux  vôtres. 

abraham.  Ma  fille,  n'aie  ni  crainte,  ni  désespoir  ; 
mais  arrache-toi  à  cet  altinie  de  désespérance  et 
mets  ta  confiance  en  Dieu. 

marie.  L'énormité  de  mes  péchés  me  tient  cour- 
bée au  plus  profond  du  désespoir. 

abraham.  Vos  péchés  sont  bien  grands,  je  l'avoue  : 
mais  la  bonté  de  Dieu  est  plus  grande  que  toutes  les 
choses  créées  (43).  Brisez  donc  avec  ces  abatte 
ment's  et  ne  laissez  pas  écouler,  sans  bouger,  le  peu 
de  temps  qui  vous  est  donné  pour  vous  repentir; 
car  la  grâce  divine  abonde  davantage  là  où  ont  le 
plus  abondé  les  désordres  et  l'abomination. 

marie.  S'il  y  avait  quelque  chance  de  pardon, 
ce  n'est  pas  l'ardeur  du  repentir  qui  ferait 
défaut. 

abraham.  Ayez  donc  pitié  des  fatigues  que  j'ai 
supportées  pour  vous  et  laissez  de  côté  ce  funeste 
accablement,  plus  funeste  à  notre  sens  que  toutes 
les  fautes  accomplies.  Car  celui  qui  ne  croit  pas  à 
la  pitié  de  Dieu  pour  les  pécheurs  commet  un  pé- 
ché irrémissible.  En  effet,  de  même  que  l'étincelle 
du  caillou  ne  peut  embrase?  la  nier,  de  même  le 
comble  de  nos  forfaits  ne  saurait  altérer  la  douceur 
de  la  bouté  de  Dieu. 

marie,  «e  ne  nie  pas  la  grandeur  de  la  bonté 
suprême  ,  mais  à  l'aspect  de  l'énormité  de  mon 
crime ,  j'ai  peur  d'être  impuissante  à  faire  une 
pénitence  suffisante. 

abraham.  Votre  iniquité  sera  toute  en  moi  ;  seule- 
ment retournez  au  lieu  d'où  vous  avez  fui  et  repre- 
nez le  genre  de  vie  (pie  vous  avez  abandonné. 

marie.  Je  ne  m'opposerai  jamais  à  aucun  de  vos 
désirs  et  j'obéis  de  suite  à  vos  ordres. 

abraham.  C'est  bien  là,  je  le  déclare,  l'enfant  que 
j'ai  élevée,  et  maintenant  c'est  toi  que  je  dois  chérir 
plus  que  tout. 

marie.  Je  possède  un  peu  d'or,  des  vêtements; 
j'attends  votre  volonté  et  votre  décision  à  cet  égard. 

abraham.  Acquis  par  le  péché,  abandonnez  tout 
cela  au  péché. 

marie.  Je  pensais  à  distribuer  ces  objets  aux 
pauvres  ou  bien  à  les  offrir  aux  saints  autels. 

abraham.  Le  produit  du  crime  n'est  certaine- 
ment pas  une  offrande  agréable  à  Dieu. 

marie.  Eh  bien,  n'y  pensons  plus. 

abraham.  L'aube  parait,  le  jour  vient;  partons. 

marie.  C'est  à  vous  ,  père  chéri  ,  de  précéder  , 
comme  le  bon  pasteur,  la  brebis  retrouvée;  moi, 
marchant  sur  vos  pas,  je  suivrai  mon  guide. 

abraham.  Non  certes  ;  j'irai  à  pied  ,  mais  vous 
monterez  sur  mon  cheval,  de  peur  que  l'aspérité 
du  chemin  ne  blesse  la  plante  de  vos  pieds  dé- 
licats (44), 

Votre  crime  est  horrible,  exécrable,  odieux 

Mais  il  n'est  pas  plus  grand  que  la  bouté  des  cieux! 

(44)  Encore  un  doux  souvenir  de  Virgile.  — 
Marie  aura  bien  raison  tout  à  l'heure  de  remercier 
le  bon  ermite  de  sa  tendre  compassion.  Il 'est  im- 
possible de  prêcher  la  pénitence  à  un  cœur  de 
femme  avec  une  plus  douce,  plus  charitable  et  plus 
consolante  onction.  (Id.) 


77 


ABU 


D1CT10NNA1KL  DLS  MYSTERES. 


ABU 


78 


oublier?    comment 
?  C'est  moi,  si  indi- 


marie.  Oh!  comment  vous 
vous  prouver  ma  reconnaissance 
«rue  de  pitié,  qui  n'éprouve  ni  contrainte  ni  terreur. 
Vous  ne  m'excitez  à  la  pénitence  que  par  les  plus 
douces  attentions. 

ABRAHAM.  Je  ne  vous  demande  rien  autre  chose 
que  le  service  fidèle  et  assidu  de  Dieu  durant  le 
reste  de  votre  vie. 

marie.  Je  m'attacherai  à  Dieu  de  toute  ma  volonté, 
de  toutes  mes  forces,  et  si  le  pouvoir  me  manque, 
jamais  du  moins  ce  ne  sera  le  désir. 

abraiiam.  Cette  ardeur  aux  vanités  doit  être  dé- 
sormais transformée  en  passion  du  service  des  désirs 
divins. 

marie.  Tout  mon  souhait  est  que  ,  par  vos 
mérites,   s'accomplisse  en  moi  la   volonté,  de  Dieu. 

ABRAHAM.    HàtOUS  HOtrC   l'ClOUI'. 

marie.  Hâtons-nous,  tout  délai  me  pèse. 
SCÈNE  VIII. 

LES    MÊMES. 

abraham.  Avec  quelle  rapidité  nous  avons  sur 
monté  les  difficultés  de  ce  rude  voyage  (-45)  ! 

marie.  Quand  on  veut  ardemment,  on  obtient 
aisément. 

abraham.  Voici  votre  cellule  déserte. 

marie.  Hélas!  Elle  fut  témoin  et  confidente  de 
mon  crime;  je  n'ose  y  entrer  (46). 

abraham.  Vous  avez  raison  ;  il  convient  de  fuit 
un  lieu  où  le  triomphe  a  été  du  côté  de  l'ennemi. 

marie.  Et  où  allez-vous  me  mettre  pour  faire  pé  • 
nitence? 

abraham.  Entrez  dans  celle  cellule  plus  retirée, 
afin  que  le  vieux  serpent  ne  trouve  plus  désormais 
l'occasion  de  vous  tromper. 

marie.  C'est  mon  désir  et  je  cède  à  vos  souhaits. 

abraham.  Je  vais  auprès  de  mon  ami  Eplirem,  afin 
qu'après  avoir  seul  avec  moi  pleuré  votre  perte,  il  se 
réjouisse  de  voire  retour. 

marie.  Cela  est  jusie. 

SCÈNE  IX 

ABRAHAM,    EPHREM 

M'apportez-vous  d'heureuses  nouvelles? 


Oui 


les  meilleures, 
mieux;    sans 


doute,   vous   avez 


EPHREM. 
ABRAHAM,    v 

f.i'iirem.  Tant 
retrouvé  Marie? 

abraham.  Je  l'ai  retromee,  en  effet,  et  lout  joyeux, 
je  l'ai  ramenée  au  bercail. 

ephrem.  C'est  l'œuvre  de  la  grâce  et  de  la  pré- 
sence de  Dieu  ;  je  le  crois. 

abraham.  Sans  nul  doute. 

ephrem.  Je  voudrais  savoir  comment  elle  a  main- 
tenant réglé  ses  journées  et  ses  occupations. 

abbaham.  Comme  je  l'ai  voulu. 

ephrem.  Parfaitement  bien. 

abraham.  Tout  ce  que  j'ai  trouvé  bon,  quelque 
difficile,  quelque  pénible  que  cela  fût,  elle  n'a  pas 
hésité  à  l'accepter. 

ephrem.  Bien,  bien. 

abraham.  Revêtue  d'un  ciliée,  se  mortifiant  par 
des  veilles  cl  des  jeûnes  continus,  elle  contraint,  par 
la  discipline  la  plus  austère,  son  corps  délicat  à  su- 
bir rempire  de  lame. 

ephrem.  Il  le  faut;  les  souillures  des  plaisirs  cri- 
minels ne  s'effacent  que  dans  la  rigueur  des  châti- 
ments. 

abraham.  Ses  gémissements,  quelque  oreille  qu'ils 
frappent ,  déchirent  le  cœur;  la  contemplation  de 
son  repentir  inspire  la  contrition. 

ephrem.  C'est  l'ordinaire. 

(45)  L'auteur  ne  d'il  qu'un  mot  et  ne  décrit  pas 
la  scène,  sans  doute  parce  que''' le  voyage  se  faisait 
sous  les  yeux  des  spectateurs.  (Id). 

'vJ(ij  i  Cette  crainte  pudique,  qu'inspire  à  Marie 


abraham.  Elle  s'efforce  autant  que  possible,  apreç 
avoir  élé  une  cause  de  chute,  de  devenir  un  exemple 
de  conversion. 

ephrem.  Cela  est  bien  pensé! 

abraham.  Plus  elle  a  élé  souillée,  plus  elle  veut 
se  montrer  pure. 

ephrem.  Ce  récit  me  comble  de  joie  et  fait 
pénétrer  la  satisfaction  jusqu'au  fond  de  mon 
cœur. 

abraham.  Et  avec  raison  ,  car  les  phalanges  des 
cieux  se  réjouissent  et  louent  le  Très-Haut  pour  la 
conversion  du  pécheur. 

ephrem.  Ce  n'est  pas  étonnant  :  la  persévérance 
du  juste  n'est  pas  plus  agréable  à  Dieu  que  la  pé- 
nitence de  l'impie. 

abraham.  Mais  Dieu  a  dans  tout  cela  d'autant 
plus  de  mérite,  qu'elle  désespérait  à  jamais  de  sou 
salut. 

ephrem.  Félicitons,  louons,  glorifions  l'unique,  le 
vénérable,  le  bien-aimé  et  le  clément  Fils  de  Dieu 
qui  ne  veut  pas  la  perte  de  ceux  qu'il  a  rachetés 
de  son  sang. 

abraham.  A  lui  ,  honneur  ,  gloire ,  louange  et 
jubilation  pendant  les  siècles  sans  fin!  Amen. 

ABRAHAM  ET  1SAAC  (Mystère  d').  - 
M.  l'abbé  do  Lame,  clans  ses  Essais  histo- 
riques sur  les  bardes,  les  jongleurs  et  les  trou- 
vères normands  et  anglo-normands...  (Caen, 
1834,  in-8%  3  vol.,  t.  1er,  p.  166),  a  fait  men- 
tion d'un  mystère  d'Abraham  et  d'Isaac, 
représenté  à  Caen  vers  l'an  1520.  C'était  s;ins 
doute  celui  qui  fut  extrait  du  Mystère  du- 
Vieux  Testament,  sous  le  titre  de  Sacrifice 
d'Abraham,  et  qu'ont  mentionné  les  frères 
Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre  fran- 
çois  (Paris,  15  vol.  in-12, 1735,  t.  XI,  p.  317). 
On  en  trouvera  1  analyse,  d'après  ces  auteurs, 
au  Mystère  du  Vieux  Testament  (Voy.  Vieux 
Testament  |  Le],  §  vu). 

UiUNDANCE  (Jean  d').— «  Jean  d'Abuu- 
uanee,  bazoehien  et  notaire  du  Pont-Saint- 
Esprit,  a  composé  plusieurs  moralités  et 
mystères  par  personnages;  savoir  :  le  Gou- 
vert  d'humanité  ;  —  le  Monde  qui  tourne  le 
dos  à  chacun  ;  —  Plusiuers  qui  n'a  point  de 
conscience;  —  le  Mystère  des  trois  roys  ;  — 
Mystère  sur  Quod  secundum  legem  oebet 
mori;  —  et  plusieurs  autres,  imprimés  à 
Lyon.  »  (Duverdier,  Bibliothèque  françoise, 
p.  635.) 

Les  frères  Parfait  ont  répété  la  note  de 
Duverdier,  sous  les  dates  de  1538  et  1541  ; 
ils  ont  fait  remarquer  que  le  Mystère  des 
trois  roys  n'avait  pas  été  imprimé,  ni  très- 
probablement  celui  de  Quod  m  un  d  uni,  etc. 
[Hist.  du  Th.  fr.;  Paris,  15  vol.  in-12,  1735, 
1745;  t.  II,  p.  268;  t.  III,  pp.  47, 49, 151, 152.) 

ABUS. —  La  farce  d'Abus  de  Cringore ,  qui 
vivait  sous  Louis  XII,  a  élé  analysée  ainsi 
parM.O.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  l'his- 
toire de  Erance,  (Paris,  1843,  in-8°,  p.  371)  : 
«  Les  principaux  personnages  sont  :  Abus, 
Vieux-Monde,  Sot  dissolu,  Tromperie,  Ribau- 
dise,  etc.  Abus  est  parvenu  à  endormir  Vieux- 
Monde,  et  il  profite  de  son  sommeil  pour 
introduire  près  de  lui  une  bande  de  Sots  qui 

la  vue  du  lieu  où  elle  a  failli,  est  un  trait  charmant 
de  délicatesse  féminine;  il  appartient  en  propre  à 
Hrotsvitha.  ■   (Id.) 


79 


ACT 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


ACT 


SO 


viennent  le  démolir  de  toutes  pièces,  après 
quoi  ils  se  mettent  à  construire  un  monde 
nouveau.  Abus  prétend  le  faire  en  marbre, 
pour  qu'il  soit  plus  dur;  Sot  dissolu,  en  bois 
gros  et  massif;  cela,  dit-il,  suflit  pour  qu'il 
fasse  fortune,  ce  qui  n'est  pas  si  sot.  Comme 
ils  ne  peuvent  s'entendre,  Abus  propose  de 
nommer  Confusion  pour  présider  à  l'édifica- 
tion, tous  les  sots  applaudissent,  et  chacun 
va  chereber  sa  pièce.  L'un,  qui  est  marchand, 
apporte  Tromperie,  la  pierre  va  bien  au  non- 
veau  bâtiment;  un  homme  d'église  apporte 
Oroison,  qui   n'y  peut  trouver  place.  On  y 

substitue  Ribaudise Il  va  peude  politique 

dans  cotte  pièce.  Toutes  les  professions  y 
sont  attaquées,  mais  en  traits  bien  mal  ai- 
guisés :  bourgeois,  marchands,  procureurs, 
avocats,  gens  d'église,  nobles,  et  jusqu'au 
roi  dont  l'économie  est  traitée  d'avarice,  par 
Sot  dissolu, West  vrai,  ce  qui  devient  presque 
un  éloge....» 

ACTES  DES  APOTRES  (les).  —  Nul  ma- 
nuscrit des  Actes  des  apôtres  n'est  parvenu 
jusqu'à  nous;  cette  pièce  date  de  la  première 
moitié  du  xvc  siècle. 

Lacroix  du  Maine,  Lassay ,  Calherinot , 
Bayle,  les  frères  Parfait ,  et  de  nos  jours  , 
MM.  Sainte-Beuve ,  Magnin  et  O.  Leroy, 
s'en  sont  diversement  occupés.  La  Bibliothè- 
que du  théâtre  françois ,  ouvrage  attribué 
au  duc  de  La  Vallière  (Dresde  ,  Ï7G8,  iu-8% 
3  vol.,  t.  1er,  p.  99  ),  en  fait  aussi  mention 
sous  le  nom  des  frères  Arnoul  et  Simon 
Gresban. 

«.  Cet  ouvrage,  ont  dit  les  frères  Parfait 
dans  leur  Histoire  du  théâtre  françois  (t.  II, 
I».  377)  qui  fut  composé   vers   l'an  1450  par 
les  deux  Grebans,  Simon   et  Arnoul,  est  le 
mystère  le  plus   beau  et  le  mieux  versifié 
après  le  poème  de  la  Passion  ,  et  celui  où 
l'on  trouve  un  plus  grand  nombre  d'endroits 
passablement   écrits.    Longtemps   après    la 
mort  des  auteurs,  Pierre  Cuevret  ou  Curet, 
chanoine  de  l'église  du   Mans  (qui  écrivait 
en  1510  selon  Lacroix  du  Maine,  p.  391  de 
sa   Bibl.  Franc),  voulut  le   corriger;  mais 
sou  travail  est  très-peu  de  chose.  11  y  a  ap- 
parence que  ,  malgré  son  mérite,  le  mystère 
dont  nous  parlons  fut  un  peu  ignoré,  puis- 
que la  première  édition  de  ce  livre  dont  on 
ait  connaissance  est   celle  de  Galiot  Dupré, 
citée  par  Lacroix  du  Maine  (Ibid.,  p.  24  , 
vers  1513  ),  et  qui  a  suivi  de  près  la  correc- 
tion  de   Pierre  Cuevret.  Dans  la  suite,  ce 
mystère  fut  plus  connu  ,et  on  le  représenta 
en  plusieurs  endroits...  Lacroix  du  Maine, 
p.  456  de  sa  Bibliothèque  française,  dit  que 
les  Actes  des  apôtres  furent  représentés  au 
Mans  ,  à  Angers  ,  à  Bourges  et  autres  villes. 
Il  y  a  grande  apparence  que  les  représenla- 
tionsd'Angers  furent  les  premières  (tu  vivant 
même  des  auteurs  et  de  René  ,   roi  de  Si- 
cile et  comte  de  Provence  et  d'Anjou,  pro- 
tecteur des  poêles  dramatiques  de  sou  temps, 
à  la  cour  duquel  ils  étaient.  On  peut  conjec- 
turer aussi    qu'ils  furent  joués  au  Mans  en 
15(0  ou   environ,  peu  de  temps  après   les 
prétendues  corrections   de  Pierre  Cuevret. 
A  l'égard  de  la  représentation  de  Bourges  , 


Je  sieur  de  Lassay  en  parie  en  ces  termes 
dans  son  Histoire  du  Berry  (  liv.  vi,  c.  7, 
p.  237  )  :  «  Plusieurs  lelz  amphithéâtres  ont 
«  esté  construitz  et  bastiz  de  nostre  temps  , 
«  dont  l'un  fut  fait  à  Bourges  l'an  1530  sur 
«  le  circuit  de  l'ancien  amphithéâtre,  ou 
«  Fousse  des  Areines,  par  noble  homme 
«  Claude  Genthon  ,  prévost  de  l'Hôtel  du 
«  Roy,  natif  de  l'isle  de  France,  à  présent 
«  maire  de  la  dite  ville.  Pierre  Joubert  Gré- 
«  nérier,  Benoist  Berthier,  et  Jean  Girard, 
«  seigneur  des  Bergeries,  Julian  le.Troing, 
«  Maximiliaa  Saultereau  ,  Jehan  Senetlou 
«  et  autres  nobles  citoyens  bourgeoys  de 
«  ladite  ville,  jusqu'au  nombre  de  douze  , 
«  s'unirent  pour  jouer  les  Actes  des  apos- 
«  très ,  qui  durèrent  quarante  jours.  Les- 
«  quels  jeux  ne  furent  moins  laborieux  , 
«  pour  n'avoir  été  réduits  par  actes  ni  par 
«  scènes,  que  bien  et  excellamment  joués 
«  par  hommes  graves  et  qui  sçavoient  si 
«  bien  peindre  par  signes  et  gestes  les  per- 
«  sonnages  qu'ils  représentent ,  que  la 
«  plupart  des  assistans  jugeoient  la  chose 
«  estre  vraye  et  non  feincte.  Ledict  amphi- 
«  théâtre  estoit  à  deux  estaiges,  surpassant 
«  la  sommité  des  dégrez ,  couvert  et  voislé 
«  pardessus,  pour  garder  les  spectateurs  de 
«  l'intempérie  et  ardeur  du  soleil ,  tant  bien 
«  et  excellemment  peint  d'or,  d'argent, 
«  d'azur  et  autres  riches  couleurs,  qu'impos- 
te sible  est  le  sçavoir  réciter...  »  Catheri- 
not,  (Annales  Typographiques  de  Bourges, 
p.  3  )  parle  de  ceite  représentation,  sans 
entrer  dans  le  détail.  Au  reste  les  Actes 
des  Apôtres  furent  joués  à  Tours  en  1541 
et  en  même  temps  qu'à  Paris...  ( ...  1540 
et  depuis  ).  «  Les  frères  Parfait  citent  en- 
suite la  proclamation  faite  à  Paris  à  la  fin  de 
l'an  1540 ,  en  grand  appareil ,  par  les  confrè- 
res de  la  Passion  et  de  la  Résurrection  , 
afin  de  recruter  des  acteurs  pour  le  mystère 
des  Actes  des  Apôtres ,  et  d'en  annoncer  le 
prochain  jeu.  Cette  pièce  formant  quatre 
feuillets  in-8°  gothique,  et  précédant  l'édi- 
tion des  Actes  des  Apôtres  de  la  Bibliothèque 
impériale  ,  in-fol.  1541 ,  a  été  réimprimée  en 
1830  chez  J.  Pinard.  L'original  est  intitulé  : 
«  Le-Cry  et  Proclamation  publique  ,  pour 
jouer  le  Mystère  des  Actes  des  Apostres  ,  en 
la  ville  de  Paris  :  faict  le  jeudy  seizième 
jour  de  Décembre  l'an  1540,  par  le  comman- 
dement du  Roy  nostre  Sire,  Francoys  pre- 
mier de  ce  nom  ,  et  Monsieur  le  Prévost  de 
Paris,  affin  de  venir  prendre  les  roolles  , 
pour  jouer  ledict  Mystère.  On  les  vend  à 
Paris  en  la  Riie  neufve  Nostre-Dame  à  l'en- 
seigne de  Sainct  Jehan  Baptiste,  près  Saincte 
Geneviève  des  Ardens,  en  la  Boutique  de 
Denys  Janot.  mdxli.»  Les  Confrères,  obligés 
de  quitter  la  salle  de  la  Trinité  ,  étaient 
alors  établis  dans  l'hôtel  de  Flandres  ,  situé 
près  de  la  rue  Coquillière.  C'est  de  là  que 
partait  la  cavalcade,  composée  de  trompettes 
aux  armes  du  roi,  du  crieur  juré  de  Paris, 
de  sergents  et  archers  du  prévôt  de  Paris , 
aux  armes  tant  du  roi  que  du  prévôt ,  d'olli- 
ciers  sergents  de  ville  aux  couleurs  de  la 
ville  ,  de  deux  hommes  pour  faire  la  proiia- 


81 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MTSTEHES. 


ACT 


S> 


motion ,  des  deux  rnetoriciens,  l'un  laïque, 
l'autre  ecclésiastique,  directeurs  du  dit 
mystère,  et  des  quatre  entrepreneurs  du 
mystère  ,  dont  les  noms  ont  été  conservés 
dans  une  vieille  ballade  imprimée  en  tète 
de  l'édition  de  1541 ,  et  qui  étaient  Françoys 


dernièrement  joiié  à  Bourges  et  imprimé  nou- 
vellement à  Paris,  loiO,  par  Arnoul  et  Charles 
les  Angeliers  frères.  Le  premier  volume,  où 
sont  les  quatre  premiers  livres,  contient 
197  feuillets  ou  294  pages,  et  le  second, 
251  feuillets  ou  502  pages  à  deux  colonnes, 


Hamelin  ,  Françoys  Poutrain ,  Léonard  Cho-     gothique,  avec  un  catalogue  des  personnages 


belet ,  boucher  ,  et  Jehan  Louvet ,  opérateur 
aux  fleurs;  quatre  commissaires  auChâtelet 
de  Paris  et  bon  nombre  de  bourgeois  fer- 
maient la  marche. 

«  Ce  mysière,  ont  dit  encore  les  frères 
Parfait  (Ibid.,  p.  388,  note  a),  est  divisé  en 
neuf  livres,  dont  chacun  renferme  plusieurs 
journéesfVoy.  nosremarquessur  levn'livre). 
Les  Grebans,    auteurs  de  ce  poëmè,  ne  le 
sont  point  de  celte  division,  qui  peut-être 
est  l'ouvrage  du  réviseur  Cuevret,  ou  plutôt 
de  l'éditeur  Alabat.  Ce  qui  semble  nous  le 
prouver,  c'est  que  ce  dernier  demanda  la 
permission  de  faire  imprimer  le  livre  des 
Actes  des  Apôtres,  en  cinq  ou  six  volumes, 
qui  a  été  composé  en  rime  françoise,  et  corrigé 
à  grands  frais  et  mise.  Françoislcrlui  accorda 
Je  privilège  qu'il  souhaitait  le  24  juillet  153G. 
Alabat  lit  imprimer  ce  livre  à  Paris  l'année 
suivante  en  deux  volumes  in-fol.,  sous  ce 
titre  :    Le    premier    volume  du  triumphant 
Mysière  des  Actes  des  Apostres  translaté  fidè- 
lement à    la  vérité   historiale,  cscriple    par 
Saint  Luc  à   Théophile,    et    illustré  des  lé- 
gendes autentiques  et   vies    des  saints  reçues 
par    l'Eglise.    Tout   ordonné    par     person- 
nage...   Le    premier    volume  renferme  les 
quatre  premiers  livres  et  contient  170  feuil- 
lets ou  340  pages.  Les  cinq  derniers  se  trou- 
vent dans  la  seconde  partie,  et  composent 
218  feuillets  ou  436  pages  à  deux  colonnes 
de  48  vers   chacune.  Tout  le  poëme  peut 
composer  environ  quatre-vingt  mille  vers  et 
non  pas  huit  cent  mille,  comme  Catherinol 
ledit  sans  îorulemenl(Ann.  typogr.de  Bourges, 
p.  3).  A  la  fin  du  second  volume,  on  lit  cëcy  : 
Cy  fine  le  neufviesme  et  dernier  livre  des 
Actes  des  Apostres,  nouvellement  imprimé 
pour  Guillaume  Alabat,  bourgeois  et  mar- 
chand de  la  ville  de  Bourges,  par  Nicolas 
Couteau,  imprimeur,  demourant  à  Paris, 
et  furent  achevés  le  15e  jour  de  mars,  l'an 
de  grâce  1537  avant  Pasques.  »  L'éditeur 
eut  soin  de  faire  mettre  aux  marges  de  son 
livre  les  citations  des  auteurs  sacrés  et  pro- 
fanes dont  les  Gresbans  s'étaient  servis  ;  il 
y  joignit  aussi  quelquefois  de  petites    ré- 
flexions, on  en  verra  des  exemples.  Alabat 
Céda  ensuite  son  droit  aux  frères  Angeliers, 
libraires  à  Paris.  Les  Confrères  de  la  Pas- 
sion crurent  qu'ayant  joué  le  mystère  des 
Actes  des  Apôtres,  ils  pouvaient  le  faire  im- 
primer pour  leur  compte;  mais  les  Angnliers, 
cessionnairesd'AlabatjS'y  opposèrent,  et  ob- 
tinrent un  arrêt  du  conseil,  le  8  février  1540, 
par  lequel    le  roi,   continuant  le  privilège 
accordé  à  Alabat,  fait  défense  à  tous  autres, 
sous  prétexte  de  correction    ou  d'addition, 
de  le  faire  imprimer  sans  le  consentement 
de  l'impétrant.  Les  Angeliers  en  firent  donc 
deux  éditions.  La  première,  in-4°.  Le  volume 
fiutriumphant  mister  e  des  Actes  des  Apostres... 


à  la  tête.  Le  débit  de  cette  édition  obligea 
ces  imprimeurs  à  en  donner  une  autre  in-fol. 
gothique,  et  d'y  joindre  V Apocalypse  de 
Louis  Chocquet.  En  voici  le  titre:  Le  l"  vo- 
lume des  catholiques,  œuvres  et  actes  des 
Apostres,  rédigez  en  escripl  par  S.  Luc  evan- 
geliste  et  hystoriographe  député  par  le  Saincl 
Esperit,  iceluy  Sainct  Luc  escripvant  à  Théo- 
phile,  avecques  plusieurs  hystoires  en  iceluy 
insérés  des  Gestes  des  Césars;  et  les  demons- 
trances  des  figures  de  l'Apocalypse,  vue  par 
S.  Jehan  Zébédée,  en  l'isle  de  Pulhmos,  soubz 
Domician  César,  avecques  les  cruautés  tant  de 
Néron  que  d'icelluy  Domician  ;  le  tout  vu  et 
corrigé  selon  la  vraye  vérité,  et  joué  par  per- 
sonnages à  Paris  en  Vhostel  de  Flandres, 
Van  1541.  Cette  édition  est  un  peu  différente 
des  précédentes,  et  est  divisée  en  deux  par- 
ties, dont  la  première  renferme  les  cinq 
premiers  livres  et  contient  220  feuillets.  La 
seconde  comprend  les  quatre  derniers,  175 
feuillets.  M.  Bayle  (Dict.,  art.  Chocquet)  cite 
cette  édition;  il  ne  parle  que  par  conjecture, 
et  ne  connaissait  que  les  deux  premiers 
feuillets.  » 

M.  Sainte-Beuve,  en  1828,  dans  son  Ta- 
bleau historique  et  critique  de  la  poésie  fran- 
çaise et  du  théâtre  français  au  xvi"  siècle... 
(Paris,  1823,  i.u-8°,  2  vol.,  t.  1",  p.  217-234), 
cite  la  représentation  qui  eut  lieu  à  Bourges 
en  153G,  dans  l'ancien  amphithéâtre  des 
Arènes,  et  dura  quarante  jours.  M.  Magnin 
avait  remémoré  ce  mystère  dans  son  Cours 
professé  à  la  Faculté  des  Lettres  en  1835, 
(Cf.  Journ.  gén.  de  Vlnstr.  publ.,  1836,  14 
janv.,  p.  202);  dix  ans  plus  tard  (Cf.  Journ. 
des  Savants,  1846,  cahier  de  janv.,  p.  12),  il 
le  mentionna  de  nouveau  comme  l'une  des 
premières  pièces  qui  aient  nécessité  et  suivi 
l'établissement  d'un  théûtre  permanent  qui 
devint  peu  à  peu  quotidien.  M.  O.  Leroy  a 
considéré  les  Actes  des  Apôtres  comme  infé- 
rieurs en  poésie  au  Vieil  Testament.  (Etudes 
sur  les  Mystères,  Paris,  1837,  in-8°,  p.  274, 
280,  286,  290). 

Outre  les  nombreux  renseignements  que 
nous  avons  reproduits  ci-dessus,  les  frères 
Parfait  ont  donné  de  ce  drame  l'analyse  sui- 
vante : 

E\tuait  du  mystère  des  Actes  des  apôtres. 

Livre  rr.  —  «  Après  l'ascension  de  Jésus- 
Christ,  les  apôtres  s'assemblent  et  élisent 
saint  Mathias,  pour  remplir  la  place  dont 
Judas  s'est  rendu  indigne  par  ses  crimes. 
Lucifer,  ignorant  ce  qui  se  passe,  ordonne 
aux  démons  de  parcourir  le  monde.  Ces 
malins  esprits,  avant  de  sortir,  lui  deman- 
dent sa  bénédiction. 

LUCIFER. 

Que  recevons  pour  bénédiction? 
Dyables  dampnez  en  malédiction? 


8j 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


84 


Dessus  vous  tous,  par  puissance  interdicte, 
Ma  pâte  estens,  qui  est  de  Dieu  mauldicte 
Pour  de  tous  maulx,  et  malfaictz  vous  absoudre. 
Sortez,  courrez,  que  malédicte  fouldre,  etc. 

«  Les  diables  partent  avec  ce  passe-port. 
D'un  autre  côté  la  sainte  Vierge  et  les  apô- 
tres chantent  le  Veni  Creator.  Jésus  prie 
Dieu,  son  Père,  de  faire  descendre  le  Saint- 
Esprit.  Les  apôtres,  fortifiés  par  ce  secours 
divin,  composent  le  symbole,  et  vont  en- 
suite prêcher  au  milieu  du  temple,  où  ils 
font  plusieurs  miracles;  les  pharisiens  et 
les  scribes,  animés  par  Satan,  les  font 
mettre  en  prison. 

GRIFFON. 

Allons  les  cacher  pour  la  pluye  . 
Vous  serez  enfans  de  la  pye, 
Gallaus,  vous  serez  mis  en  Gage. 

«  On  les  fait  sortir  cependant,  en  leur 
enjoignant  de  ne  plus  prêcher.  Bien  loin 
d'observer  une  défense  si  injuste,  les  apô- 
tres recommencent  leurs  prédications,  et 
choisissent  sept  diacres  pour  fructifier  da- 
vantage dans  ce  saint  travail.  Le  Seigneur 
leur  donne  sa  bénédiction,  et  bientôt  un 
nombre  de  Juifs  se  convertissent,  et  vien- 
nent apporter  tout  ce  qu'ils  possèdent  aux 
pieds  des  apôtres,  qui,  en  réservant  une 
partie  pour  leur  nourriture,  distribuent  le 
reste  aux  pauvres.  Ananyas  propose  à  Sa- 
phire,  sa  femme,  d'imiter  l'exemple  de  ces 
nouveaux  fidèles.  Cela  est  fort  bien  pensé, 
répond  Saphire,  et  nous  vivrons  sur  le 
commun,  sans  rien  faire. 

ANANYAS. 

Est-il  vray? 

SAPHIRE. 

Comme  l'Evangile. 

«  Dieu  punit  leur  coupable  intention  par 
une  prompte  mort;  Satan  et  Astaroth  empor- 
tent leur  âmes.  Lucifer  est  si  transporté 
de  joie  à  leur  arrivée,  qu'il  ordonne  à  ses 
démons  de  se  réjouir. 

LUCIFER. 

Je  vueil  que  la  tourbe  dampnée, 
Icy  devant  mon  tribunal, 
Me  dye  ung  motet  infernal, 
En  cbanterie  dyabolicque. 

«  Que    Bélyal    et  Burgibus,    ajoute-t  il, 
tiennent    le    dessus;    Bérits,    Cerbérus    et 
quelques  autres  chanteront  la  taille,  et   As- 
taroth  avec  Lévyathan  feront  la  basse. 
»  Icy  chantent  tous  ensemble.  ) 

LÉVYATHAN. 

Tant  plus  a,  et  plus  veult  avoir, 
Lucifer  nostre  grant  dyable. 
S'il  voyoit  âmes  plouvoir, 
Tant  plus  a,  et  plus  veult  avoir; 
Et  tousiours  il  veulf  reccpvoir, 
Car  il  est  insatiable, 
Tant  plus  a,  et  plus  veull  avoir, 
Lucifer  nostre  gianl  dyable. 

«  Finissez,  dit  Lucifer,  vous  m'étourdis- 
sez. Sus  chantons,  continue  Bélyal.  Ils  ces- 

(i~)  Comme  l'enfer  est  le  séjour  des  ténèbres, 
peut  être  que  deux  ou    trois  heures  après  midi   j 


sent  enfin,  et  Lucifer  se  prépare  à  envoyer 
des  émissaires  sur  la  terre.  Cerbérus,  'qui 
ne  voit  point  la  lumière  du  jour,  demande 
à  accompagner  Lévyathan  à  ce  voyage. 
Pendant  ce  temps-là  un  aveugle  de  Jérusa- 
lem appelle  son  valet  Gobin,  et  lui  dit  de 
le  conduire  au  temple.  Ce  valet,  occupé  à 
manger  quelques  restes  qu'on  lui  a  donnés 
pour  son  maître,  ne  lui  répond  point 

l'aveugle. 

Par  le  sang  bien,  je  I'oys  mascher  : 
Le  p....,  sans  moy  se  desjune? 

GOBIN. 

Tiens,  Gobin,  croeque  ceste  prune, 
El  puis  boyras  une  bouffée. 

l'aveugle. 

Je  sens  quelque  gallymaffrée  : 
Hau!  Gobin? 

«  L'aveugle  se  met  ensuite  à  jurer,  alors 
Gobin  s'approche.  —  Tu  sens  le  vin,  gour- 
mand que  tu  es  1  lui  dit  l'aveugle.  Ils  vont 
ensuite  au  temple  ;  saint  Pierre  guérit  cet 
aveugle  et  chasse  Fergalus  du  corps  d'un 
possédé.  Ce  démon  se  retire  aux  enfers,  et 
entre  doucement  de  peur  qu'on  ne  l'aper- 
çoive. Burgibus  l'arrête  au  passage.  —  D'où 
viens-tu,  à  l'heure  qu'il  est?  lui  dit  Lucifer 
d'une  voix  terrible  (47).  —  Je  craignais  de 
\ous  éveiller,  répond  Fergalus.  Lucifer  le 
fait  étriller  malgré  ses  excuses.  Peu  de 
temps  après, Cerbérus  et  Lévyathan,  au  dé- 
sespoir de  n'avoir  pu  réussir  dans  leurs 
projets,  reviennent  aux  enfers.  Cerbérus 
frappe  doucement  à  la  porte,  et  lorsqu'il 
est  passé,  il  prie  Burgibus,  qu'il  avait  mis  à 
sa  place,  d'aller  avertir  son  camarade  de 
rentrer  sans  faire  de  bruit,  et  qu'il  laissera 
la  porte  entr'ouverte.  Burgibus  sort  sans 
se  défier  de  Cerbérus,  qui  aussitôt  ferme  la 
porte.  On  reconnaît  les  deux  diables,  et 
quoi  que  puisse  dire  Burgibus  contre  son 
malin  compagnon,  ce  dernier  lui  soutient 
le  contraire,  et  jouit  de  la  noire  satisfac- 
tion de  lui  voir  partager  les  tourments  de 
Lévyathan.  » 

Livr.  ii. —  «  Saint  Etienne,  par  ses  vives 
prédications,  confond  les  Juifs  qui  le  mè- 
nent à  Caïphe,  et  lui  produisent  plusieurs 
faux  témoins. 

>Icy  doibt,  pour  exterrir  (remplir  de  terreur)  les  (aulx 
Juifz,  apparoir  le  visaae  de  S.  Eslienue  reluusunt 
comme  le  soleil.  ) 

«  Les  Juifs  prennent  l'épouvante,  et  s'en- 
fuient. Le  saint  diacre  les  rappelle  et  ajoute 
que  ce  n'est  que  pour  jeter  la  terreur  dans 
la  cœur  des  faux  témoins.  Alors  son  visage 
pai«it  dans  son  premier  état;  sur  quoi  les 
pharisiens  et  les  scribes,  le  soupçonnant  de 
magie,  pressent  de  plus  en  plus  le  pontife 
de  prononcer  sa  sentence  de  mort. 

JÉCONYAS. 

Cavphe,  fais  le  mettre  à  mort, 
Que  attendz-tu  tant  à  le  juger? 

sont  des  heures  aussi  indues,  que  parmi  nous  deux 
ou  trois  heures  du  matin. 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


86 


HIÉROBOAM. 

Cryqns  do  plus  fort  en  plus  fort 
Cayphe,  fais-le  mettre  à  mort. 

CAYPHE. 

Ha  !  Mcsseigneurs,  vous  avez  tort, 
Je  ne  puis  plustost  abréger. 

SALATHIEL. 

Cayphe,  fais-le  mettre  à  mort, 
Que  altendz-tu  tant  à  le  juger? 

«  Caïphe  prononce  cet  arrêl,  en  vertu  de 
\a  justice  pontificale  dont  il  est  revêtu.  Ce- 
pendant, Jésus  prie  son  Père  pour  saint 
Etienne,  et  pour  le  jeune  Saulus,  en  faveur 
de  qui  il  obtient  qu'il  ne  trempera  pas  ses 
mains  au  sang  de  ce  martyr,  et  ne  sera  em- 
ployé qu'à  garder  les  robes  des  bourreaux. 
Notre-Seigneur  se  manifeste  dans  toute  sa 
gloire  au  saint  diacre,  qui  le  prie  pour  ses 
persécuteurs. 


Il  resve. 
Il  ment. 

11  songe. 


AGRIPPART. 
[     GRIFFON 
MAIBUÉ. 

Mais  il  devine. 
dégousté. 


RIFFLART. 

Il  nous  compte  merveil.es. 

«  Les  pharisiens  lancent  les  premières 
pierres  contre  saint  Etienne  ,  et  les  bour- 
reaux achèvent  son  supplice.  Dieu  ordonne 
à  ses  anges  de  lui  amener  l'âme  de  ce  mar- 
tyr. Peu  de  temps  après,  Saulus,  accompa- 
gné de  satellites,  va  chez  Nathanaèl,  et  le 
fait  jeter  en  prison  avec  toute  sa  famille. 
Caïphe,  charmé  de  voir  tant  d'ardeur  dans 
ce  jeune  homme,  le  charge  d'aller  à  Damas 
ppur  y  arrêter  tous  ceux  qu'il  saura  être 
d'intelligence  avec  les  apôtres.  Sur  ces  en- 
trefaites, la  reine  d'Ethiopie,  appelée  Can- 
daco,  désirant  faire  un  riche  présent  au 
souverain  Dieu,  demande  à  ses  demoiselles 
à  qui  ce  don  doit  s'adresser.  —  Vous  le  de- 
vez à  Jupiter,  répond  Hélaine.  —  Ou  plutôt 
à  Dyana,  ajoute  Exionne.  Comme  la  troi- 
sième, nommée  Thamaris,  voit  que  la  reine 
rejette  ces  avis,  elle  lui  conseille  de  faire 
appeler  l'eunuque;  c'est  un  habile  homme, 
continue-t-elle,  et  qui  a  lu  toutes  les  his- 
toires. 

LA    ROYNE. 

Exionne,  allez-moy  quérir 

Nostre  eunucque,  et  qu'il  vienne  à  haste. 

EXIONNF.. 

Et  qui  est-il? 

LA    ROYNK. 

C'est  l'homme  chaste, 
Qui  gardoit  nostre  trésor  liyer. 

L'eunuque  arrive,  et  la  reine  lui  ordonne 
de  porter  au  temple  de  Jérusalem  dix  cou- 
pes d'or.  L'eunuque  obéit,  et  commande 
a  Corridon  d'atteler  son  chariot,  sur  lequel 
il  monte,  et  prend  le  chemin  de  la  Palestine. 
Les  apôtres  cependant  élisent  saint  Jacques 
'e  Mineur  évoque  de  Jérusalem  :  saint 
Pierre,  saint  Jacques  et  saint  Jean  lui  impo- 


sent les  mains,  et  ce  nouvel  évoque  célèbre 
la  messe  pontificalement.  D'un  autre  côté, 
saint  Philippe  diacre  convertit  les  habi- 
tants de  Sébaste,  étonnés  de  ses  miracles, 
et  baptise  sur  le  chemin  de  Gaza  l'eunuque 
de  la  reine  d'Ethiopie.  Saulus,  près  d'en- 
trer à  Damas,  ressent  aussi  les  divins  effets 
de  la  grâce  du  Tout-Puissant. 

(Icy  doit  descendre  une  grande  lumière  du  Ciel  des- 
sus Saulus,  qui  s'abat  de  dessus  son  cheval.) 

«  Saulus,  aveuglé  par  l'éclat  de  celte  'u- 
mière,  prie  les  Juifs  qui  sont  avec  lui  de  le 
conduire  5  Damas.  Satan  et  Burgibus  rai- 
sonnent beaucoup  sur  cette  aventure;  le 
dernier  soutient  que  ce  n'est  qu'une  va- 
peur naturelle,  mais  Satan,  après  avoir  dis- 
serté sur  les  causes  et  les  effets  des  vapeurs 
de  la  moyenne  région  de  l'air,  conclut  enfin 
que  la  lumière  qu'ils  viennent  de  voir 
n'ayant  nul  rapport  avec  celle-ci,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  dire  que  le  principe  en  est 
divin.  Après  cette  conversation  sur  la  phy- 
sique, ils  s'en  retournent  aux  enfers,  criant 
comme  des  enragés. 

SATHAN. 

Au  meurtre 

lucifer,  a  un  ton  railleur. 
Voilà  bien  chanté. 


A  la  mort  ! 


SATHAN. 
LUCIFER. 

Voilà  voix  notable, 


SATAN. 

Alarme  ! 

lucifer,  en  colère. 

Paix,  de  par  le  dyable 
Qui  vous  puisse  rompre  les  testes. 

SATHAN. 

Enfer  est  en  danger, 

Tenez-vous  pour  tout  adverty. 

lucifer,  étonné. 
Comment! 

SATHAN. 

Saulus  est  converty  ' 
A  ceste  heure,  comme  je  croy. 

«  Les  diables  témoignent  par  des  cris  af- 
freux le  chagrin  que  leur  cause  celte  nou- 
velle; et  Lucifer  en  conçoit  une  violente 
haine  contre  Satan,  qui  vieutde  la  lui  rap- 
porter. » 

Liv.  ni.  — «  Lucifer,  à  qui  la  conversion 
de  Saulus  cause  une  peine  infinie,  consulte 
ses  démons  pour  savoir  s'il  est  possible  do 
la  traverser.  Les  diables,  après  avoir  feuil- 
leté leurs  livres  avec  soin,  répondent  que 
toutes  les  puissances  des  enfers  ne  sau- 
raient l'empêcher.  Astaroth  et  Lévyathan 
partent  dans  le  dessein  de  s'y  opposer.  Ce- 
pendant Ananyas  baptise  Saulus,  qui  par 
ses  prédications  excite  bientôt  la  colère  des 
Juifs.  Les  fidèles  le  sauvent,  et  le  font  sortir 
de  cette  ville. 

«  Gondoforus,  roi  d'Inde,  voulant  faire 
construire  un  superbe  palais,  ordonne  à 
Abanès.son  prévôt,  d'aller  à  Rome,  et  de 
lui  amener  de  celte  ville  d'habiles  archi- 
tectes. Le   Seigneur  instruit  l'apôtre  saint 


87  ACT  DICTIONNAIRE 

Thomas  du  dessein  de  Gondoforus,  lui  com- 
mande d'aller  audevant  d'Abanès,  et  de  se 
servir  de  ce  prétexte  pour  s'introduire  à  la 
cour  de  ce  roi,  et  lui  enseigner  la  véritable 
religion.  Saint  Thomas  sent  quelque  répu- 
gnance à  passer  dans  ce  pays  barbare,  et 
prie  Dieu  de  lui  ordonner  une  autre  mis- 
sion. Seigneur,  ajoute-t-il, 

SAINCT  THOMAS. 

Jésus,  je  te  requiers  mercy, 

Et  te  prie  de  cueur  devost, 

Que  point  n'aille  avec  ce  prevost 

Que  le  roy  faict  transmettre  icy. 

Le  peuple  est  d'erreur  endurcy, 

Et  d'idolâtrie  tout  noircy, 

De  cruaulté  plus  dur  qu'ung  os  ; 

Car  au  vray  Dieu  tourne  le  dos. 

Retourner  nous  n'en  pouvons  vifz. 

Domine,  mitte  me  quo  vis, 

Prœter  ad  crudeles  Indos. 
«  L'archange  saint  Michel  le  rassure  ce- 
pendant, et  Tapùtre,  obéissant  aux  ordres 
du  Seigneur,  se  présente  à  Abanès,  qui, 
joyeux  de  trouver  ce  qu'il  cherche,  prie 
saint  Thomas  d'entrer  avec  lui  dans  une  fa- 
meuse hôtellerie.  Lévyalhan  et  Astaroth  re- 
viennent en  diligence  raconter  ces  nouvelles 
à  Lucifer. 

CERRÉRUS. 

Ce  p....  est  plus  esperdu, 

Et  a  les  invites  plus  estranges, 

Que  s'il  estoit  de  trois  cents  anges 

Rembarré  jusqu'à  nostre  porte. 
«  Saint  Thomas  et  le  prévôt  d'Inde  pas- 
sent par  Andrinopolis,  lorsque  le  roi  de 
cette  ville,  prêt  à  célébrer  les  noces  de  la 
princesse  Pélagie,  sa  fille,  et  du  prince 
Denys,  y  invite  tous  les  étrangers.  Nos 
voyageurs  ne  manquent  pas  de  s'y  rendre. 
Pendant  le  repas,  une  fille  juive  chante 
une  chanson  en  hébreu,  et  ensuite  la 
répète  en  français.  Cette  chanson  ne  con- 
tient que  les  louanges  de  Dieu.  L'apôtre 
est  si  attentif  à  l'écouter,  que  le  sommelier, 
croyant  qu'il  dort,  lui  donne  un  soufflet 
pour  le  réveiller.  —  Le  Seigneur  punira 
votre  insolence,  lui  dit  saint  Thomas. 

(Icy  vient  vng  lion  qui  occist  le  sommelier  du  roy, 
et  Iny  arrache  une  main  qu'il  emporte.) 

«  Le  roi,  effrayé  à  cette  vue,  prie  saint 
Thomas  d'implorer  pour  lui  la  bénédiction 
du  ciel.  Pendant  ce  temps-là,  le  prince  De- 
nys voit  naître  miraculeusement  un  pal- 
mier chargé  de  dattes.  La  princesse  mange 
de  ce  fruit  et  s'endort.  Pendant  son  sommeil, 
Dieu  lui  inspire  le  dessein  de  se  faire  re- 
ligieuse. Le  lendemain  elle  fait  part  de  son 
songe  à  saint  Thomas,  qui,  charmé  de  la 
trouver  dans  une  si  sainte  disposition,  lui 
donne  le  voile,  en  lui  recommandant  de 
combattre  sans  cesse  le  démon  et  la  chair. 

SAINCT  THOMAS. 

De  libidineuse  foiblesse 
Provient  toute  corruption  - 
De  corruption  vient  tristesse, 
Et  pollution  : 

(48)  Il  est  bon  de  remarquer  que  les  auteurs  des 
mystères  ont  conservé  avec  soin  les  caractères  des 
personnes  de  bas  étage  qu'ils  introduisaient  sur  le 
théâtre.  L°s  tyrans  ou  archers  paraissent  toujours 


DES  KÏSTERES  ACI  s3 

Et.  de  pollution  s'appresse 
Pecht,  et  puis  confusion. 

«  Cet  apôtre  baptise  ensuile  le  roi  et  les 
habitants  d'Andrinopolis,  et  prend  avec 
Abanès  le  chemin  des  Indes. 

«  Retournons  à  présent  en  Judée,  où  saint 
Pierre  guérit  le  paralytique  Enéas,  On  vient 
ensuite  lui  apprendre  que  Tabila  a  rendu 
l'esprit. 

noémv,  servante. 
....   La  très-bénigne 
Est  allée  à  Dieu,  la  voilà: 
Dorcas,  Tabila,  Dainula, 
Nommez-la  ainsi  que  vouldrez, 
Est  morte 

'<  Saint  Pierre  arrive  au  logis  de  Tabits, 
et  après  avoir  donné  bonne  espérance  aux 
assistants,  il  leur  dit  de  le  laisser  seul. 

SAINCT    PIERRE. 

Je  ne  vous  fais  pas  départir, 
Pour  cause  que  je  vueille  faire 
Rien  qui  soit  à  la  loy  contraire. 

«  Mais,  ajoule-t-il,  je  suis  ici  l'exemple 
de  Jésus,  lorsqu'il  ressuscite,  la  (ille  do 
Jayrus.  Tabita  revoit  la  lumière,  et  par  sa 
présence  réjouit  toute  l'assemblée. 

(Icy  commencent  les  Bélistres  [48]). 

«  Trois  pauvres  paraissent  sur  la  scène, 
et  lorsqu'ils  ont  dit  beaucoup  de  sottises  et 
de  grossièretés,  enfin  ils  tâchent  à  se  re- 
connaître. —  Je  crois  que  je  t'ai  vu  tn 
quelque  endroit,  dit  Mauduit  à  Trouillard. 
—  C'est  ce  qu'H  me  semble  aussi,  continue 
Toulifault. 

TROLILLARD. 

Quant  me  vis-tu? 

TOULIFAULT. 

Ce  fut  aux  Pasques. 

TROUILLARD. 

Tu  n'as  pas  bien  leu  ton  registre. 

TOULIFAULT. 

Comment  ! 

TROLILLARD. 

Ce  fut  à  la  belistre, 
Quant,  moy  et  ta  bile  Maunette 
Allions  ronfler  l'esguilletle 
A  la  bisette  de  l'Autonne. 

toulifault,  à  part. 

S'il  est  vray  ce  qu'il  me  jargonne, 
Enfin,  nous  trouverons  païens. 

TROLILLARD. 

Quand  nous  goussames  les  harens, 
Que  nous  trouvasmes  au  caignard?... 

TOULIFAULT. 

Comment  f  appelle-t-on  ? 

TROUILLARD. 

Trouillard. 

«  Et  que  ne  disais-tu  cela  d'abord?  dit 
Mauduit.  Us  s'embrassent,  et  ensuite  ils 
vont  à  la  porte  du  cenlenier  Cornélius,  dont 
ils  connaissent  l'humeur  charitable. 

TROUILLARD. 

Donnez  au  poure  pèlerin, 
Au  nom  de  Dieu  de  paradis. 

brutaux,  fripons  et  sanguinaires,  les  pauvres  et  les 
aveugles  sont  fainéants  et  effrontés,  et  les  messa- 
gère babillards  et  ivrognes.  Au  reste  cette  par- 
tie du  dialogue  des  Bélîtres  est  en  argot. 


89 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


90 


TOUUKAULT. 

Hélas!  pour  passer  son  chemin, 
Donnez  au  poure  pèlerin  ; 
Je  ne  mangay  puis  le  matin. 

TROl'ILLARD. 

Et  si  as  des  foys  plus  de  dix. 
Donnez  au  poure  péleriîi, 
Au  nom  de  Dieu  de  paradis., 

«  Le  centenier  leur  dit  d'entrer,  et  leur 
fait  donner  à  dîner.  Trouillard,  h  l'insu  de 
ses  camarades,  dérobe  un  gros  morceau  de 
viande,  et  lorsqu'ils  sont  sortis,  Toulifault 
et  Mauduit  qui  s'en  aperçoivent  veulent  en 
avoir  part,  et  le  menacent  de  le  faire  appe- 
ler devant  le  juge. 

TROUILLARD. 

Je  plaideray  la  main  garnye, 
Vous  en  devez  estre  adverli. 
Enfans,  beati  garniti, 
(Comme  dit  Maistre  Aliborum) 
Vault  mieux  que  Beati  quorum 
Retenez  ceste  auctorité. 

;<  Nous  laisserons  la  vision  de  saint 
Pierre,  le  baptême  de  Cornélius,  et  les  que- 
relles des  deux  Hérodes,  pour  passer  aux 
aventures  de  saint  Thomas. Cet  apôtre,  con- 
duit par  Abanès,  se  présente  au  roi  d'Inde, 
et  promet  de  lui  faire  bâtir  un  palais  ma- 
gnilique.  Gondoforus,  prêt  à  partir  pour  par- 
courir ses  Etals,  lui  remet  trente  mille  he- 
sants,  que  saint  Thomas  distribue  aux  bélî- 
tres (dont  nous  venons  de  parler).  Le  roi 
revient  au  bout  de  deux  ans,  et  ne  voyant 
aucune  apparence  de  bâtiment,  il  fait  mettre 
l'apôtre  en  prison  avec  Abanès  qu'il  a 
chargé  de  veiller  sur  sa  conduite.  Peu  de 
joursaprès,  Agar, frère  de  Gondoforus,  meurt 
subitement;  les  anges  portent  son  âme  au 
ciel,  où  ils  lui  font  voir  le  brillant  palais 
construit  des  aumônes  de  saint  Thomas. 
Agar,  qui  parles  prières  de  saint  Thomas 
est  ressuscité,  propose  au  roi,  son  frère,  de 
lui  vendre  ce  superbe  édifice.  Gondoforus, 
instruit  de  la  chose,  déclare  qu'il  veut  le 
garder  pour  lui;  et  après  avoir  fait  donner 
la  liberté  à  saint  Thomas,  il  le  prie  de  lui 
accorder  le  baptême,  et  le  reçoit  avec  tous 
ses  sujets. 

«  Saint  Barthélémy,  suivant  l'inspiration 
du  Saint-Esprit,  passe  en  Arménie,  pro- 
vince voisine  des  Indes,  où  il  guérit  Byblis, 
fille  du  roi  Polonius,  qui  est  lunatique,  et 
chasse  Astaroth,  enfermé  dans  une  idole,  en 
lui  ordonnant  en  même  temps  de  briser  ce 
vain  simulacre,  et  le  temple  où  le  peuple 
l'adore. 

(Ici   duibl  saillir  de  l'Ydolte,    et    la    rompre    aussi 
menu  que  poudre.) 

ASTAROTH. 

Je  croy  que  dyable  ne  fut  oneques 
Aussi  terriblement  pugny. 

(19)  Les  diables  traitent  ici  Hérode  en  grand  sei- 
gneur, et  le  conduisent  dans  un  chariot.  Dans  le 
Mystère  de  S.  Andry  ils  emmènent  Egéas,  prévôt 
d'Aehaïe,  en  brouette.  Satan  et  Rahouart  ne  l'ont 
pas  tant  de  façons  pour  le  mauvais  riche,  qui  n'est 


«  Polonius,  frappé  à  la  vue  de  ces  pro- 
diges, se  convertit  et  reçoit  le  baptême. 
Pendant  ce  temps-là  l'empereur  Tibère 
meurt,  et  laisse  sa  couronne  à  Gai/us  Galli- 
cula  (Caïus  Caligula).  Ce  dernier,  qui  pro- 
tège Hérode  Agrippa,  lui  donne  le  gouver- 
nement de  la  Judée  que  possède  Antipas, 
son  fvère,  et  envoie  celui-ci  en  exil.  Saint 
Jacques  le  Majeur  revient  aussi  d'Espagne; 
le  magicien  Hermogène, sachant  son  arrivée, 
envoie  Philelus,  son  disciple,  contre  lui. 
Philetus,  loin  de  faire  quelque  mal  à  l'a- 
pôtre, le  prie  instamment  de  le  baptiser. 
Hermogène,  au  désespoir,  ordonne  aux  dé- 
mons de  lier  de  chaînes  ce  nouveau  Chré- 
tien; mais  saint  Jacques  l'en  délivre,  et 
commande  à  ces  mêmes  esprits  de  lui  ame- 
ner ce  magicien.  Hermogène,  se  voyant  en 
présence  de  saint  Jacques,  renonce  à  ses 
erreurs,  et  veut  brûler  ses  livres.  Non,  nor,. 
dit  l'apôtre. 

SAI.NCT    JACQUES. 

Mieulx  vault  les  gecter  en  la  mer, 
Affin  que  le  faux  sentement 
Ne  puist  vexer  aucunement 
Les  simples  et  les  ygnorans. 

Liv.  iv.  —  «  Hérode  Agrippa  n'est  pas 
plus  (ôl  arrivé  en  Judée,  (pue  pour  plaire  aux 
Juifs  il  fait  trancher  la  tête  a  saint  Jacques 
le  Majeur.  La  sainte  Vierge,  qui  ne  s'occupe 
qu'à  travailler  en  soie  avec  quelques  jeunes 
tilles,  répand  des  larmes  en  apprenant  la 
moi  t  de  cet  apôtre,  que  ses  confrères 
prennent  soin  d'ensevelir.  Hérode  fait  en- 
suite jeter  saint  Pierre  en  prison,  d'où 
l'ange  du  Seigneur  le  délivre.  Ce  prince 
projette  de  faire  la  guerre  aux  Tyrois  (Ty- 
riens)  et  aux  Sidoniens,  qui  envoient 
protnptement  un  poteslat  pour  se  justifier  à 
son  égard.  II  jouit  peu  de  temps  de  cette 
satisfaction,  une  maladie  mortelle  le  saisit, 
et  le  conduit  au  tombeau. 

(Icy  doit  avoir  ung  chahuan  sur  la  teste.) 

«  Les  diables,  le  voyant  en  cet  état,  le 
mettent  sur  un  chariot,  et  le  conduisent 
avec  beaucoup  de  pompe  aux  enfers  (49), 
où  les  malins  esprits  lui  viennent  fairo  des 
présents  convenables  au  triste  séjour  qu'ils 
habitent,  et  enfin  chantent  la  chanson  sui- 
vante en  dansant  autour  de  lui  : 

Hérode  Agrippe,  chien  maslin, 
Tu  viens  en  l'abysme  mortelle, 
Où  tu  auras  maint  dur  latin. 
Tu  souloyes  gens  détirer, 
Et  faire  exiler,  par  envye, 
Destruyre,  battre,  et  martyrer, 
Dont  plusieurs  ont  perdu  fa  vie. 
Mais  tu  t'en  viens  le  haiilt  chemin; 
En  peine,  et  en  douleur  cruelle  : 
Où  tu  seras  dampné  sans  fin, 
Hérode  Agrippe,  chien  maslin. 

<(  Pendant  que  les  apôtres  rassemblés  se 
préparent  à  de    nouvelles    prédications,    le 

qu'un  simple  bourgeois  :  ils  le  jettent  dans  une  hotle.- 
On  voit  par  là  qu'ils  se  piquaient  de  savoir  le  cé- 
rémonial. Au  reste,  lorsqu'ils  avaient  un  grand  nom 
bre  d'àmes  à  enlever,  ils  se  servaient  d'une  cliareUe 


91  ACT 

Saint-Esprit  leur  o. donne  de  détacher  Sau- 
Jus  et  Ban  abé,  qui  doivent  dans  l'Asie  an- 
noncer la  parole  du  Seigneur. 

(Ces  parolles  seront  proférées  de  par  le  S.  Esperit, 
var  tu  bouche  cïung  Séraphin,  ou  d'ung  autre 
Ange,  selon  que  l'on  terra  estre  le  plus  convenable.) 

Saint  Paul  et  saint  Barnabe  passent  en 
Cypre,  confondent  le  magicien  ïiaxin  Eli- 
mas,  et  de  là  vont  à  Lystre,  où  les  Juifs, 
émus  de  rage,  ordonnent  aux  tyrans  de  les 
lapider. 

AGRIPPART. 

Apporte-moy  ? 

RIFFLART. 

Quoy? 

AGRIPPART. 

Ung  caillou 

GRIFFON.  ; 

Et  à  moy  une  pierre  dure. 

RIFFLART. 

Mais,  où  piinse? 

AGRIPPART. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


92 


Apporte-moy' 


Ne  te  chaille  où. 

MALBLÉ. 
RIFFLART. 

Quoy? 

MACBUÉ. 

Ung  caillou. 


Viendras-tu  ? 

RIFFLART. 

Attendez  ung 


pou, 


J'ay  mis  ma  main  en  une  ordure. 

«  Les  fidèles  sauvent  les  deux  apôtres,  et 
les  font  cacher  dans  la  maison  d'Horestes  , 
l'un  d'entre  eux.  Pendant  ce  temps-là  saint 
Pierre  prêche  à  Antioche  ;  le  prince  de  cette 
ville,  nommé  Théophilus,  le  fait  arrêter  à  la 
sollicitation  de  Simon  Magus,  et  ordonne 
qu'on  le  laisse  mourir  de  faim.  Heureuse- 
ment saint  Paul  s'introduit  dans  la  prison, 
et  secourt  saint  Pierre;  ensuite  il  obtient  sa 
liberté,  à  condition  qu'il  ressuscitera  le 
fils  du  prince  d'Antioche,  qui  est  mort  de- 
puis dix  ans.  Dieu  accorde  cette  grâce  aux 
prières  de  saint  Pierre,  le  prince  et  ses  su- 
jets se  convertissent,  et  font  construire  une 
chaire  pour  cet  apôtre  qu'ils  reconnaissent 
pour  leur  évêque.  » 

(Icy  le  portent  en  la  Chaire.) 

Liv.  v.  —  «  Saint  Pierre,  de  retour  à  Jé- 
rusalem, assemble  un  concile  où  se  trouvent 
tous  les  apôtres  et  les  Juifs  convertis  à  la 
foi.  On  y  décide  la  question  agitée  par  ces 
derniers,  et  on  conclut  que  la  circoncision 
n'est  point  nécessaire  aux  gentils  qui  se- 
ront appelés  à  l'Evangile.  Saint  Pierre  fait 
ensuite  expédier  des  copies  des  canons  du 
concile,  dont  la  teneur  est  en  prose. 
(Icy  se  mettent  ensemble,  et  font  semblant  d'escrire.) 

«  Les  apôtres  se  séparent  ensuite,  saint 
Paul  revient  en  Asie,  et  de  là  passe  à  Athè- 
nes, où  il  convertit  saint  Denys,  Damaris, 
son  épouse,  Rustique,  Eleuthère  et  quelques 
autres. 

«  Cependant  la  sainte  Vierge,  prête  à 
quitter  la  terre,  prie  le  Seigneur  de   faire 


trouver  les  apôtres  à  son  trépas.  Les  trois 
Maries,  et  plusieurs  femmes  dévotes  s'y  ren- 
dent aussi. 

(Icy  se  doit  faire  ung  tonnere  en  une  nuée  blanche, 
qui  doit  couvrir  les  Apostres  preschans  en  diverses 
Contrées,  et  les  apporter  devant  la  porte  de  Ros- 
tre-Dame, au  Mont  de  Syon..,..  Icy  la  Vierge  Ma- 
rie vesl  une  robe  blanche,  en  Jaque/le  elle  tres- 
passe.) 

«  La  sainte  Vierge,  voyant  tous  ses  amis 
rassemblés,  leur  donne  sa  bénédiction,  et 
leur  dit  un  éternel  adieu. 

MARIE. 

Adieu,  enfans,  que  j"ayme  comme  moy; 
Adieu  vous  dy,  colonnes  de  la  foy, 
Fermes  et  fois,  sans  jamais  dcsmancher. 
Les  protecteurs  de  la  nouvelle  Loy, 
Adieu  vous  dy,  car  certes,  j'apperçoy 
De  mon  trespâs  L1  heure  fort  approcher  ; 
Adieu  parens,  où  n'a  que  reprocher; 
Ce  monde  bas  où  souloyes  marcher 
Laisse  aux  enfans  de  la  terre,  et  leur  quille  ; 
Adieu  vous  dy,  mes  seurs  que  tant  ay  cher, 
Pour  vous  ne  puis  mes  larmes  estancher, 
Car  il  convient  que  nature  s'acquitte. 

«  Au  bruit  d'un  second  tonnerre,  tous 
les  assistants,  excepté  les  apôtres  et  les 
trois  vierges  compagnes  de  Marie,  s'endor- 
ment; des  anges  descendent  du  ciel  pour 
recevoir  l'âme  de  la  sainte  Vierge. 

(Icy  doibt  avoir  une  merveilleuse  senteur  en  la 
chambre  de  la  Vierge  Marie  à  la  venue  des 
Anges.) 

«  Les  femmes  ensevelissent  le  corps  de 
la  sainte  Vierge,  et  les  apôtres  le  portent 
ensuite  au  tombeau  à  Gethsémany. 

(Icy  commence  sainct  Pierre  In  exitu  Israël  de 
Egypto,  et  sainct  Paul  avec  luy  doivent  porter  le 
devant  de  la  chasse.  Sainct  Jacques  et  sainct  An- 
dré l'autre  partie,  et  les  auties  tenons  le  drap  de 
dessus,  doivent  environner  le  corps,  et  doit  aller 
sainct  Jehan  devant  à  tout  la   palme  en  sa  main.) 

«  Quelques  Juifs  audacieux  veulent  por- 
ter leurs  mains  profanes  sur  la  châsse  qui 
renferme  le  corps  de  la  sainte  Vierge,  et 
reçoivent  au  même  instant  la  punition  de 
leur  crime.  Leurs  yeux  se  couvrent  de  té- 
nèbres. Belzézay  et  quelques-uns  d'entre 
eux  reconnaissent  leur  faute,  et  prient  la 
Mère  de  Dieu  d'intercéder  pour  eux.  Ils  re- 
couvrent la  vue;  mais  les  cinq  autres  Juifs, 
persistant  dans  leur  aveuglement,  devien- 
nent la  proie  des  démons  qui  les  tourmen- 
tent, et  enfin  les  étranglent. 

ASTAROTH. 

Que  fais-tu,  Satan? 

SATAN. 

Je  leur  serre 
Ung  petit  le  col  de  ma  patte, 
Pour  les  despeche  plus  à  haste  ; 
Car  ilz  crient  comme  enragez. 
(Icy  doit   une  nuée  couvrir  les  Apostres,  puis  par 
dessoulz  terre  chascun  s'en  doit  retourner  en   sa 
région.  Durant  ce  tems  les  Anges  enlèvent  au  Ciel 
le  corps  de  la  Vierge  Marie.) 

Liv.  vi.  —  «  Saint  André  arrivant  en  Myr- 
midonie  rend  la  vue  à  saint  Matthieu  à  qui 
les  infidèles  ont  crevé  les  yeux.  Ce  dernier 
passe  en  Ethiopie,  et  guérit  d'eux  pauvres 
Ethiopiens  que  Zaroès  et  A". "axât  tiennent 


93 


ACT 


DICTIONNAIRE 


estropiés  pour  leur  art  magique.  Ces  deux 
sorciers,  irrités  contre  le  saintapôtre,  appel- 
lent une  multitude  de  serpents,  qui  sont 
aussitôt  dévorés  par  un  dragon  furieux  que 
saint  Matthieu  f;iit  venir  exprès. 

(Icy  faull  qu'il  saille  par  dessoubz  terre  ung  dragon 
moult  terrible  comme  ung  serpent.) 

«  Le  fils  du  roi  meurt,  et  l'apôtre  le  res- 
suscite. Ce  miracle  touche  le  roi  et  le 
convertit;  Zaroès  et  Arphaxat  quittent  aus- 
sitôt celte  cour,  pour  se  rendre  en  Perside 
auprès  de  Waradach,  duc  de  Babylone; 
mais  destinés  5  n'employer  leur  malice  que 
pour  relever  le  mérite  et  la  gloire  des  apô- 
tres, en  fuyant  saint  Matthieu,  ils  rencon- 
trent ici  saint  Simon  et  saint  Jude.  Pen- 
dant le  séjour  que  fait  saint  André  en  Myr- 
midonie,  une  mère  amoureuse  de  Sostrates, 
son  propre  fils,  et  ne  pouvant  le  faire  con- 
sentir à  ses  coupables  désirs,  l'accuse  au 
juge  d'avoir  voulu  la  violer.  Saint  André 
par  ses  prières  sauve  cet  innocent,  que  son 
silence  et  sa  modestie  allaient  faire  périr; 
un  coup  de  tonnerre  réduit  en  poudre  cette 
mère  incestueuse,  et  le  juge  et  les  habi- 
tants, saisis  de  frayeur,  demandent  le  bap- 
tême. 

«  Saint  Philippe,  conduit  par  l'Esprit  de 
Dieu,  va  en  Sithie.  L'évéque  païen  de  ce  pays 
veut  le  sacrifier  au  dieu  Mars.  Le  Seigneur 
délivre  son  apôtre  de  ce  danger 

SAINCT  PHILIPPE. 

Dieu  puissant,  qui  pouoir 
As  de  veoir,  et  sçavoir, 
En  ceste  heure  présente  ; 
Ta  grâce  me  présente 
Poui  réconfort  avoir. 

(Icy  doit  saillir  de  l'Ydolle  ung  Dragon  qui  abbate  le 
filz  de  VEvesque,  et  les  deux  Tribuns,  et  les  deux 
Varlets  tous  morlz,  et  les  lampes  rompues.) 

Véréque  se  convertit  à  ce  spectacle,  et 
saint  Philippe  par  ses  prières  rend  la  vue  à 
son  fils. 

«  D'un  autre  côté  Zaroès  et  son  camarade, 
ne  songeant  qu'aux  moyens  de  faire  périr 
les  apôtres,  vont  chercher  dans  des  déserts 
deux  serpents  d'un  venin  mortel. 

LE  Ier  chevalier  du  duc  estouppe  son  nez. 

Ha!  par  noz  Dieux,  cecy  est  gref! 
Ha!  que  ces  bestes  puent  fort! 

(Icy  sainct  Symon  et  sainct  Jude  prennent  les  Ser- 
pens,  et  les  gecleût  aux  Enchanteurs.) 

ZAROES. 

Ha  !  que  mauldicte  soit  la  mère 
Qui  pour  moy  son  ventre  effondra. 
Et  le  père  qui  m'engendra, 
Et  ma  mauldicte  conscience. 

ARPHAXAT. 

Ha!  que  mauldicte  soit  la  science, 
Qui  a  ceste  douleur  nous  tire. 

LE    CHEVALIER. 

Or,  endurez  vostre  martyre. 
Et  ce  qu'il  vous  plaira  direz. 

Les  apôtres  s'approchent  d'eux,  et  les 
exhortent  h  prier  le  Seigneur,  qui  peut  les 
délivrer  des  maux  qu'ils  souffrent, 

ARPHAXAT. 

Symon,  tu  as  beau  sermonner. 


DES  MYSTERES.  ACT  94 

ZAROES. 

Jude,  vous  perdez  vostre  peine. 

SAINCT  SYMON. 

Dieu  peult  tous  péchez  pardonner. 

ARPHAXAT. 

Symon,  tu  as  beau  sermonner. 

SAINCT   JUDE. 

Je  viens  vos  maux  médeciner. 

SAINCT  SYMON. 

A  vous  donner  salut  me  peine. 

ARPHAXAT. 

Symon,  tu  as  beau  sermonner. 

ZAROÈS. 

Jude,  vous  perdez  vostre  peine, 

«  Cependant  saint  Paul  annonce  la  paroîw 
du  Seigneur  en  Achaye,  et  s'étend  beaucoup 
sur  les  moyens  de  gagner  le  ciel. 

SAINCT  PAUL. 

Estre  doux  au  piteux, 
Souffrir  des  despileux, 
Estre  en  dietz  véritable  ; 
De  ses  biens  charitable 
Aux  poures  souffreteux  : 
En  vertu  vertueux. 
Vers  Dieu  affectueux 
En  foy  ferme,  et  estable, 
Pour  en  bien  délectable 
Estre  en  Cieulx  précieux. 
Fuyez  malicieux, 
Pervers,  sédicieux, 
Et  par  droict  raisonnable 
Dessus  péché  dampnable 
Se;ez  victorieux. 

(Icy   les   Juifs  le  prennent  et    le  meinent  à  Gutlyot 
Prévost.) 

GALLYOT. 

Si  de  sa  mort  avez  envye, 
Ou  aucun  crime  en  luy  voyez, 
Prenez-le,  son  cas  pourvove: 
Pas  ne  vueil  estre  son  Juge 
Qui  mal  y  congnoist  bien  le  juge. 

«  Les  Juifs,  profitant  de  la  faiblesse  et  de 
l'ignorance  de  ce  prévôt  d'Acha'ie,  maltrai- 
tent fort  saint  Paul,  que  les  fidèles  arrachent 
à  leur  fureur,  et  font  embarquer  sur  un 
vaisseau.  L'Apôtre  passe  à  Ephèse,  et  est 
fort  étonné  lorsque  le  pilote  lui  demande 
de  l'argent  pour  son  passage. 

SAINCT   PAUL. 

Car  je  n'ay  ne  pille,  ne  croix, 
Jamais  je  ne  porte  deniers. 

LE    MATMEL0T. 

Vous  estes  l'ung  des  Aubnoniers, 
Qui  font  au  poinct  du  jour  l'aulmosno? 

LE    PATRON. 

Vostre  passage  je  vous  donne, 
Une  autre  fois  nous  reverrons. 

«  Saint  Matthieu  donne  cependant  le 
voile  à  Ephigénie,  fille  du  feu  roi  d'Ethio- 
pie. Hirlacus,  seigneur  du  pays,  apprenant 
la  résolution  de  la  princesse,  va  trouver 
l'apôtre,  et  lui  promet  la  moitié  du  royaume 
s'il  veut  la  faire  consentir  à  l'épouser.  Rien 
loin  de  répondre  à  ses  désirs,  saint  Mat- 
thieu par-un  nouveau  sermon  exhorte  celto 
orineesse  à  conserver  sa  virginité.  Hirlacus, 


flo 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


9G 


devenu  furieux,  fait  assassiner  l'apôtre,  et 
meurt  peu  de  temps  après,  consommé  d'une 
affreuse  lèpre. 

«  Sur  ces  entrefaites,  saint  Barnabe,  prê- 
chant l'Evangile  aux  Cypriens,  est  conduit 
en  prison,  et  peu  de  temps  après  au  sup- 
plice, où  il  reçoit  la  couronne  de  gloire. 

(Icy  Barnabe  soit  lyé  par  le  corps  el  par  les  piedz 
contre  une  roue  de  charette,  et  au  milieu  ung  pil- 
lon,  oh  doit  avoir  ung  perluys  pour  passer  une 
corde,  et  par-dessoubz  terre  ung  corps  fainct  comme 
Barnabe,  el  faindra  Daru  brasier  Barnubé,  el  fera 
brusler  ledit  corps  fainct,  et  se  dévoilera  Barnabe 
par-dessoubz  terre.) 

«  Daru  et  les  autres  satellites  mettent  les 
os  dans  un  coffret  de  plomb,  dans  l'inten- 
tion de  le  jeter  dans  la  mer  le  lendemain. 

(Icy  ferme  le  coffre,  et  s'en  va,  et  les  deux  Disciples 
de  Barnabe  le  prennent.) 

«  Pendant  que  tout  ceci  se  passe  en  Ethio- 
pie et  en  Cypre,  la  voisine  d'un  seigneur 
de  Babylone  vient  lui  annoncer  que  sa 
tille  vient  d'accoucher;  celle  fille  déclare  à 
son  père  que  c'est  le  diacre  Eufrosinus  qui 
l'a  séduite.  Le  père  va  consulter  saint  Si- 
mon et  saint  Jude,  qui  ordonnent  à  l'enfant 
nouveau-né  de  dire  s'il  doit  la  naissante  à 
ce  diacre.  L'enfant  répond  que  non;  le  père 
prie  ensuite  les  apôtres  de  lui  faire  connaî- 
tre le  coupable.  Mais  ceux-ci  s'en  défendent, 
ajoutant  qu'il  suffit  pour  eux  que  l'inno- 
cence soit  reconnue. 

le  père  à  la  nourrice. 

Remportez  l'enfant  en  l'Uoslel  ; 
Que  malle  rage,  et  malle  mort 
Ayt  sa  mère 

LA  VOYSINE 

Vous  avez  tort, 
Rien  n'a  faict  qu'à  autre  n'advienne. 

«  Vévêque  païen  de  Babylone,  apprenant 
avec  chagrin  les  miracles  opérés  journel- 
lement par  les  deux  apôtres,  vient  avec 
main  forte,  et  les  entraîne  au  temple  du 
Soleil  et  de  la  Lune  pour  les  obliger  à  les 
adorer. 

(Icy  leur  monstre  ung  Temple,  oh  il  y  aura  deux 
Cliario's,  Vung  tiré  à  chevaulx,  et  l'autre  à  bœufs; 

(50)  On  ne  sera  peut-être  pas  fâché  d'apprendre 
la  généalogie  d'un  homme  qui  joue  un  assez  grand 
rôle  dans  ce  poème,  et  dont  nous  avions  souvent 
occasion  de  parler  dans  la  suite.  Voici  de  quelle 
façon  il  la  raconte  lui-même  un  peu  plus  haut. 

Je  suis  Daru, 
Ron  pendnur,  et  bon  esœrcheur, 
Bien brustant  homme,  hou  ir  noueux 
De  lestes,  pour  biiller  es  fours  : 
'J'rayner,  battre  par  quarel'ours 
Ne  double  <|ue  meilleur  s'appëre. 
Le  Sire  granl  de  mon  grant  père 
l'ut  pendu  d'un  joly  cordeau  : 

Ma  grani'mere  fut  au 

S'es^allant,  et  menanlgianlchere  ; 
La  superlative  sorcière, 
Doni  on  ouyt  jamais  parler, 
Tour  petits  enfans  esirangler. 
Mon  père,  fut  tout  vif  hruslé, 
Kl  mon  frère  fut  décollé, 
Et  enfouy  son  filz  aisné  : 
En  terre  la  fosse  luy  fis, 
Et  sur  le  ventre  luy  sailly, 
Mon  nuire  frère  fut  bouitlv 


et  dessus  ung  Soleil,  et  sur  l'autre  une  Lune;  et 
dessoubz  lesdictz  Chariots  ung  Ethiopien  noir  et 
terrible,  et  derrière  deux  furieux.) 

«  Ces  deux,  furieux  se  retirent  à  la  vue 
des  apôtres,  qui  ordonnent,  ensuite  aux 
Etbiopiens  de  briser  les  idoles  et  les  chars 
sur  lesquels  elles  sont  posées.  Ces  deux 
malins  esprits  obéissent,  et  Ve'véque,  voyant 
ses  dieux  en  cendre,  se  jette  avec  fureur 
sur  saint  Simon  et  son  compagnon,  et  Jeur 
ôte  la  vie. 

«  Cependant  Daru,  qui  est  le  bourreau 
banal  de  ce  mystère  (50),  vient  avertir  le 
prince  Astragès  que  saint  Barthélémy  a 
converti  à  la  foi  chrétienne  le  roi  Polonius 
son  frère;  Astragès  est  charmé  lorsqu'il 
apprend  que  Polonius  s'est  rendu  ermite 
et  lui  a  abandonné  sa  couronne,  il  demande 
à  Daru  comment  et  où  il  a  appris  cette 
nouvelle. 

ASTRAGÈS. 

Maulgré  Appollo,  qui  es-tu  ? 
Qui  ainsi  me  dis  en  commun? 

DARU. 

Par  ma  foy,  Sire,  je  suis  un 
Gentil-homme  de  bassefmain  (51) 
Mon  frère  fut  cousin  germain 
A  l'oncle  du  nepveu  au  frère 
De  la  lille  à  la  seur  du  père 
De  la  mère  de  mon  ayelle; 
Et  la  mienne  portoit  la  voille, 
Pour  mieux  la  dame  contrefaire. 

«  Il  ajoute  qu'il  est  bourreau.  Astragès, 
pour  essayer  ce  qu'il  sait  faire,  lui  ordonne 
d'aller  arrêter  saint  Barthélémy,  à  qui  il 
propose  ensuite  de  renoncer  à  la  foi  qu'il 
professe.  Le  généreux  apôtre  (£2)  répond, 
sans  s'effrayer,  que  les  tourments  les  plus 
terribles  ne  peuvent  l'ébranler  ;  sa  constance 
irrite  le  tyran,  qui  commande  à  Daru  de  le 
fouetter  de  toutes  ses  forces 

DARU. 

Çà,  maistre,  eà, 
Et  zif,  et  zef,  et  zof,  et  zaf, 
Et  zif,  et  zof,  et  zef,  et  zaf; 
Et  croq,  et  craq,  et  maille,  et  cherge  (53) 
«  Astragès  ,  voyant  que  saint  Barthélémy 
se  rit  de  ce  tourmert,   ordonne  qu'on   l'é- 
corche,  et  enfin  lui  fait  trancher  la  tète. 

Pour  ouvrer  de  faulse  monnoye, 
Et  pour  ce  cas-là  je  venoye 
Assavoii'  s'on  avoit  mestier 
Du  meilleur  ministre  au  mestior,  etc 

(51)  Daru  dit  encore,  liv.  vu,  p.  112,  de  l'édition 
d'Alahat. 

Je  suis  gentil  hommp, 

Je  dy  gentil  de  basse  main. 

(52)  Au  mystère  xv  de  la  première  journée  delà 
Paission,  saint  Barthélémy,  avant  d'être  appelé  à 
l'apostolat,  est  habillé  en*  fils  de  roi,  c'est-à-dire 
en  prince  du  sang  royal.  L'auteur  des  dixains  que 
Ton  lit  à  la  tète  du  mystère  des  Actes  des  apôtres 
nous  en  donne  une  raison,  appuyée'selon  toutes  les 
apparences,  sur  les  deux  mots  dont  le  nom  de  cet 
apôtre  est  composé,  Bar  qui  en  hébreu  signifie  fils,  et 
Ploiémée.  Il  n'en  fallait  pas  davantage  à  nos  anciens 
pour  former  une  généalogie.  Voici  'kles  trois  pre- 
miers vers  de  ce  dixain  de  saint  Barthélémy. 

Extrait  du  sang  royal  de  Ptolémée 
Du  roy  céleste  à  la  cour  mieulx  aymée 
liiiltiolemy  me  faisant,  appeler,  elc. 
(i>5)  Imitation  du  bruit  des  foucls. 


97  ACT  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

(L'ame  de  sainct  Barthélémy  sort.) 
«  L'apôtre  n'esl  pas  plus  tôt  expiré,  que 


ACT 


T8 


les  démons  s'emparent  de  ses  bourreaux  et 
de  ses  persécuteurs,  et  les  agitent  avec  vio- 
lence. 

ASTIUGÈS. 

Je  meurs,  je  forsenne,  j'enrage, 
Et  si  m'en  vois  à  dampnement. 

(lcy  courent  comme  enragez.) 

LE  PRESTRE   DE   LA   LOT. 

J'enrage;  Dyables,  vistement, 
Venez  à  coup,  et  m'emportez. 

l'escuyer  d'astragès. 
A  l'y,  à  l'y. 

LE  PRESTRE. 

Après,  après. 
l'escuyer 
Gare,  gare  le  croq  de  fer. 

daru,  courant  comme  eulx. 

Par  Jupin,  voicy  Lucifer, 

Qui  nous  vient  tout  tomber  en  bas. 

astragss. 
Ça,  Dyables 

DARC. 

Paru  n'y  est  pas. 

LE    PRESTRE. 

Pyable,  las,  ne  m'emporte  point 
Si  rudement. 

DARU. 

Je  n'en  suis  point, 
Et  par  Jupiter  je  m'en  voys. 

(Icij  doivent  cheoir  à  terre,  et  eulx  trayner  en  enfer.) 

«  Daru,  échappé  de  ce  danger,  va  à  Hié- 
rapolis,  où  il  aide  à  crucifier  le  diacre  saint 
Philippe.  Ensuite  feignant  d'être  aveugle, 
il  prie  les  passants  de  lui  faire  l'aumône. 
Le  maître  d'une  hôtellerie  d'Hiérapolis  et 
sa  femme  lui  donnent  quelques  pièces  d'ar- 
gent, et  s'apercevant  des  fouets  et  des 
cordes  qu'il  porte,  lui  en  demandent  la  rai- 
son :  C'est  pour  chasser  les  chiens  qui  vien- 
draient me  mordre,  répond  Daru. 

DARU. 

S'ilz  m'abayoient  soir  et  malin 
Je  fais  ainsi  :  passe  mastin, 
Arrière,  arrière  quant  il  mort 

(lcy  frappe  l'Hôte  et  l'Hôtesse  de  ses  foùetz,  et  s'en- 
fuit ensuite.) 

Liv.vii.  —  «  Saint  Thomas,  obéissant  aux 
nouveaux  ordres  du  Seigneur,  va  prêcher 
l'Evangile  dans  l'Inde  la  Majour,  et  conver- 
tit Migdoyne,  femme  de  Caricius.  Caricius, 
irrité  contre  l'apôtre,  va  en  avertir  le  roi 
Mygdéus,  son  frère,  qui  fait  aussitôt  arrêter 
saint  Thomas,  et  ordonne  a  Daru  de  le  faire 
marcher  sur  des  fers  ardents. 

(lcy  doit  cheminer  par-dessus,  et  en  doit  avoir  d'au- 
tres mis  pur  mubz  terre  (5i),  et  doit  avoir  force 
d'eaùe,  qui  doit  faire  fumée.) 

LE    ROY. 

Quesse-cy,  dont  vient  en  ce  lieu 
Ces  te  eaue? 

(5i)  On  sent  aisément  que,   pour  conserver  les 

vraisemblances,  le  bourreau  apportait  des  barres  de 

toutes  rouges,  mais  qu'au  même  instant  oii  eu 


CARICIUS. 

Ha  dea  tout  en  est  plain. 

«  Le  roi  fait  jeter  ensuite  saint  Thomas 
dans  un  four  bien  chaud;  et  Daru,  croyant 
qu'il  y  va  périr,  veut  voir  ce  qui  se  passe  à 
Philippis  et  aide  les  païens  de  cette  ville  à 
mettre  le  feu  h  la  maison  de  saint  André. 
11  revient  un  moment  après,  ouvre  le  four, 
et  saint  Thomas  en  sort  sain  et  sauf,  au 
grand  étonnement  de  l'assemblée.  Mon 
frère,  dit  alors  Caricius  au  roi  Mygdéus, 
pour  faire  perdreà  ce  chrétien  la  protection 
de  son  Dieu,  il  faut  l'obliger  à  adorer  les 
nôtres. 

(lcy  doit  avoir  ung  Temple  et  ung  Soleil  d'or  sur  ung 
Chariot,  mené  à  chevaulx,  et  dedans  le  Soleil  au 

derrière  ung  Dyable lcy  doit  avoir  une  Ydolle 

qui  peut  fondre.) 

«  Saint  Thomas,  conduit  dans  ce  temple 
par  l'évêque  des  Indiens  et  ses  satellites, 
ordonne  au  démonde  se  retirer,  et  aupara- 
vant de  réduire  le  temple  et  l'idole  en  pous- 
sière. 

(lcy  doit  fondre  l'Ydolle,  et  le  tout  en  poudre,  et  le 
Temple  cheoir,  et  l'Evesque  et  autres  urler  comme 
loups  et  chiens.) 

DARU. 

Et  quel  Dyable  pourroit  entendre 
Leurs  chansons?  Hz  ne  font  que  urler. 
Ne  sçavent  autrement  parler? 
On  ne  les  entend  peu  ou  pou, 
L'ung  urle  en  chien,  et  l'autre  en  loup; 
L'ung  crye,  l'autre  parle  Hébrieu. 
Je  ne  sçay  que  c'est  en  ce  lieu. 
Ce  sont  Dyables,  je  les  conjure. 

(L'Evesque  d'Ynde  la  Majour  prend  ung  glaive  fainct, 
et  dict.) 

l'evesque. 

Seigneur,  je  vengeray  l'injure 
De  mon  Dieu,  car  j'en  ay  envye. 

(lcy  le  fiert  (55)  au  travers  du  corps,  et   tue   sainct 
Thomas.) 

daru,  voulant  l'arrêter. 

lia!  que  maulgré  en  ayt  ma  vie; 
Cecy  estoit  à  moy  affaire. 

«  Les  malins  esprits,  voyant  que  malgré 
leur  efforts,  l'Eglise  naissante  s'augmente 
de  jour  en  jour  sur  leurs  ruines,  prennent 
la  résolution  de  quitter  les  enfers,  et  d'aller 
sur  la  terre  gagner  leurs  vies  h  des  mé- 
tiers où  ils  pourront  mieux  réussir. 

S.YTIIAN. 

Au  monde  yray  estre  usurier; 
Assez  ouvrage  liouveray 

BÉRITU. 

Et  croyez  que  m'ésprouveray 
A  estre  marchant  de  Chevaulx, 
Pour  faire  ce  mcslicr  je  vaulx 
Mus  de  trente  nii-lz  ducatz. 

BURGIBUS. 

Je  m'en  yray  aux  Advocatz. 

«  Et  moi,  dit  Cerbérus,  je  m'adonnerai  h 
faire  des  messages  d'amour   à  la  cour  et  à 

substituait  de  froides,    sur    lesquelles  l'acteur  qui 
jouait  le  rôle  de  saintf  Thomas  devait  marcher. 
(55)  Frappe. 


99 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


iOO 


la  ville.  —  Je  veux   être  sorcier  et   diseur 
de  bonnes  aventures,  ajoute  Belzébuth 

LIÏVYATIIAN. 

El  il  fauldra  que  je  me  boutte 
A  l'Eglise,  et  que  je  m'adonne 
A  servir  Madame  Symonne. 

«  Proserpine,  qui  entend  leurs  discours, 
pousse  des  cris  épouvantables.  Les  diables 
en  paraissent  touchés,  et  redoutant  en 
même  temps  les  menaces  de  Lucifer,  aban- 
donnent leur  dessein,  et  rentrent  aux  en- 
fers. 

(Ici)  vont  tous  en  Enfer,  et  se  doit  faire  ung  grant 
bruyt.) 

«  Cependant  les  Juifs  lapident  l'apôtre 
saint  Matthias,  et  Daru  (qui  se  trouve  par- 
tout) lui  fend  la  tête  d'un  coup  dé  hache. 

(lcij  doit    être   mis    en  ung  sercueii  sur  une  trappe 
couverte,  pur  laquelle  s'en  aille  par  dessoubz  terre.) 

(Icy  faicl  sainct  Pierre  Linus  et  Clétus  Cardinaulx.) 

SA1NCT    PIERRE. 

Cardinaulx  je  vous  constitue,  etc. 

«  Linus  et  Clétus  remercient  saint  Pierre, 
qui  guérit  ensuite  un  aveugle  et  un  boiteux, 
et  convertit  les  quatre  concubines  d' Agrippa, 
prévôt  de  Rome. 

MAUBiÉ,  messager  d'Agrippa. 

Quesse-cy  ?  Rose  (56)  est  devenue 
Bénigne,  Nonnain,  ou  Abbesse? 

«  L'empereur  Claudian  (Claude)  meurt  et 
Néron  lui  succède. 

(Icy  doivent  tirer  ung  rideau,   feignant  d'ensevelir  le 
corps.) 

«  D'un  autre  côté,  saint  André  fait  plu- 
sieurs miracles  dans  la  Grèce,  et  enfin  au 
nom  du  Seigneur  délivre  le  pays  d'un  ser- 
pent monstrueux,  qui  a  cinquante  coudées 
de  long  et  quatorze  de  large. 

(Icu  doit  avoir  ung  Cliesne  planté,  et  se  doit  lyer  le 
Serpent  à  l'entour  dudict  thesne,  en  criant;  et  doit 
saillir  grant  quantité  de  sang,  et  puis  meurt  (57). 

«  Sur  ces  entrefaites,  Lysias,  prévôt  de 
Judée,  fait  arrêter  saint  Paul,  et  ordonne  aux 
bourreaux  de  le  fouetter.  L'apôtre  se  plaint 
amèrement  qu'on  ose  traiter  ainsi  un  citoyen 
de  Rome. 

LYSIAS. 

Es-tu  Rommain? 

SAINCT    PAUL. 

Prévost,  oùy, 
Rattu  en  grande  vilité. 

«  Saint  André  continue  à  opérer  plusieurs 

(5G)  Nom  de  la  concubine. 

(57)  Le  machiniste  qui  faisait  mouvoir  le  serpent 
était  placé  au  centre  du  théâtre,  et  au  moyen  d'une 
corde  de  crin  noir,  en  attirant  l'animal  à  lui,  le 
tortillait  autour  du  chêne, sur  l'écorce duquel  étaient 
attachées  des  pointes  de  fer,  qui,  perçant  la  peau  du 
du  serpent,  en  faisaient  sortir  une  eau  couleur  de 
sang. 

(58)  Quoique  ces  talents  ne  soient  guère  recom- 
mandâmes, cependant  Daru  ne  laisse  pas  d'être 
assez  content  de  lui-même,  comme  il  paraît  par  ces 


miracles  en  Achaïe  ;  on  le  mande  chez  Ma- 
ximilla,  épouse  d'Egée,  prévôt  de  cette 
province,  qui  est  accablée  d'une  violente 
maladie.  Eu  entrant  dans  le  palais,  il  trouve 
Egée  prêt  à  se  percer  le  sein;  l'apôtre  lui 
retient  le  bras,  et  le  console  en  lui  disant 
que  le  Seigneur  peut  guérir  en  un  moment 
le  mal  de  son  épouse.  En  effet,  Dieu  exauce 
ses  prières,  et  Maximilla  se  trouve  entière- 
ment soulagée.  Le  prévôt,  transporté  de 
joie,  offre  de  riches  présents  à  saint  André, 
qui  les  refuse,  ajoutant  qu'il  n'est  point  au- 
teur de  cette  guérison.  Peu  de  temps  après 
Egée  part  pour  la  Macédoine.  Saint  André 
profite  de  son  absence  pour  dessiller  les 
yeux  de  Maximilla,  et  lui  enseigner  la  voie 
du  salut. 

«  Egée  de  retour  chez  lui,  apprend  avec 
chagrin  la  conversion  de  son  épouse,  et  se 
prépare  à  en  punir  l'auteur,  lorsqu'une  co- 
lique imprévue  l'oblige  à  songer  à  toute 
autre  chose. 

EGÉE. 

Ha!  Dieu,  le  ventre:  il  me  convient 

Retourner,  plus  leni<'  ne  puis 

Mon  eaué,  aussi  enllé  je  suis 

Que  ung  tonneau  :  ma  douleur  se  traict 

C'y  au  long. 

LE  SECOND  CHEVAUER   D'ÉGÉE. 

Allez  au  relraict, 
Et  allégé  vous  sentirez. 

«  Le  prévôt,  un  peu  soulagé,  va  au  con- 
seil, où  il  prend  la  résolution  de  faire  périr 
tous  les  chrétiens.  Heureusement  pour  lui 
Daru  vient  lui  offrir  ses  services. 

EGÉE. 

Et  que  sçais-tu  faire' 

DARU. 

Rien  pendre, 
Rostir,  brasier,  escarteler, 
Battre  de  verges,  descoller, 
Trayner,  escorcher,  enfouyr, 
Et  si  on  se  combat,  fouyr, 
Aussy  bien  qu'oneques  l'ait  personne  ^58) 

«  Egée  envoyé  prendre  saint  André,  et 
malgré  les  prières  et  les  menaces  de  sa 
femme,  et  de  ses  plus  proches  parents,  le 
fait  attachera  une  croix  où  il  expire,^  et 
des  anges  viennent  recevoir  son  âme. 

(Soit  sainct  André  descendu  de  la  Croix,  et  Maximilla, 
Tylon  (59),  Sydrac,  Exosus,  et  Anncl  le  doyvent 
mettre  en  ung  Tombeau  en  sépulture,  sur  une 
trappe  coulouerée.  où  il  s'en  puisse  aller  par  des- 
soubz terre.) 

sathan  saulte  au  col  d'Egée. 

Vous  serez  le  très-mal  venu, 

vers  qu'il  dit  dans  un  a  parte  au  commencement  du 
livre  suivant. 

Quant  à  ma  personne  regarde, 
J'estoye,  si  Dieu  eu.->l  voulu, 
Aveoir  mon  corps,  pour  estre  esleu 
Assez  homme,  pour  en  arroy, 
Rslre  Prince,  Prélat,  ou  Roy  : 
Pour  en  triuiuphe  avoir  vescu,  etc. 

(59)  Ce  sont  les  noms  de  plusieurs  Grecs  con- 
vertis. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


tOI  ACT 

DÉRITII. 

Vous  serez  le  1res  mal  trouvé. 
[Salhan  faincl  de  l'estrangler,  et  aidé  de  son  Com- 
pagnon, il  l'entraîne  en  Enfer  par  les  pieds.  — 
nota.  Que  Sijnwn  Macjus  axjt  un  visage  fainct  soubz, 
60n  Cluipperon  de  Docteur  en  la  teste,  et  se  puisse 
avaller  sur  le  visage,  etc.) 

«  En  cet  état,  Simon  se  présente  à  l'em- 
pereur Néroir,  en  lui  disant  qu'il  est  le 
fils  de  Dieu,  et  que  pour  prouver  ce  qu'il 
avance,  on  n'a  qu'à  lui  faire  trancher  la  tête, 
et  qu'il  ressuscitera  ensuite.  Néron,  poussé 
par  la  seule  curiosité,  ordonne  à  Daru  de 
faire  cette  exécution;  mais  Daru,  séduit  par 
les  charmes  de  cet  enchanteur,  coupe 
la  tête  à  un  mouton,  et  les  disciples  de  Si- 
mon emportent  ce  scélérat  dans  un  tombeau 
pratiqué  exprès,  d'où  il  sort  au  bout  do 
quelque  temps.  L'empereur  demande  à  ses 
chevaliers  (60)  s'ils  ont  vu  expirer  Simon, 
tous  lui  répondirent  qu'oui;  pendant  ce 
temps-là  «  Simon  Magus  lève  la  couverture 
du  tombeau,  »  et  s'annonçant  pour  le  Messie, 


ACT 


102 


Qu'il  ait  été  Evcsque  esleu  : 
Paul,  faictes-lui  la  révérence. 

sainct  pail,  saluant  saincl  Clément. 

Selon  ma  petite  science 
Le  feray. 

SAINCT  CLÉMENT. 

Il  ne  le  fault  pas. 

«  Ces  deux  apôtres  vont  ensuite  disputer 
avec  Simon  Magus,  qui,  ne  pouvant  résister 
à  l'esprit  divin  dont  ils  sont  remplis,  ap- 
pelle les  secours  infernaux. 

(le g  doivent  venir  d'enfer   aucuns   dgabtes,    comme 
chiens  fainclz,  qui  viennent  à  saint   Pierre.) 

sainct  pierre,  en  leur  jettatit  des  morceaux  de  pain. 

Or,  tenez,  en  l'honneur  de  Dieu, 

En  lieu  de  venir  dévorer 

Mon  corps,  venez  assavourer 

Ce  pain,  que  par  Dieu  vous  présente, 

Devant  l'Assemblée  présente; 

Et  de  mal  faire  vous  gardez  (01). 

(Icy  doivent    tous  sentir  Pierre,  puis  faire  ung  cry, 
et  s'enfuyr.) 

«  Saint  Pierre  découvre  ensuite  comment 
il  prêche  le  peuple  de  Rome;  et  pour  aug-     ce  magi0jerj  a  séduit  le  peuple,   en   substi 


menter  davantage  son  crédit,  Satan,  sous  de 
pareils  habits,  chante  les  louanges  de  cet 
enchanteur  dans  une  autre  place  de  celte 
ville. 

Liv.  vm.  —  «  Ce  livre  commence  par  le 
martyre  de  saint  Philippe  apôtre,  que  le  pré- 
vôt d'Hiérapolis  fait  attacher  à  une  croix, 
par  celui  de  saint  Jacques  Alphée,  qui,  prê- 
chant la  voie  du  salut  à  Jérusalem,  est  pré- 
cipité par  les  Juifs.  Pendant  ce  temps-là, 
Festus,  prévôt  de  Judée,  qui  a  succédé  a 
Lysias,  fait  mettre  saint  Paul  dans  un  vais 
seau  pour  le  conduire  à  Rome;  uue  elfroya 
ble  tempête  agite  le  bâtiment  sur  lequel  il 
est  monté,  et  oblige  les  matelots  à  songer  à 
leur  sûreté. 

(Icy  doyvent  gecter  coffres,  et  autres  besongnes  en 
mer,  et  l'arbre  doit  être  de  deux  pièces,  en  façon 
qu'il  se  puisse  rompre.) 

«  Le  navire  aborde  à  l'ile  de  Mytillaine, 
etc.,  et  enfin  à  Rome  dans  le  temps  que 
Néron  et  Simon  Magus  songent  aux  moyens 
défaire  périr  saint  Pierre.  Saint  Paul  va 
visiter  ce  dernier,  et  lui  rend  compte  de 
tout  ce  qui  lui  est  arrrivé;  saint  Pierre  en 
fait  de  même,  et  ajoute  qu'il  vient  de  con- 
sacrer saint  Clément  évoque  de  Rome. 

SAINCT    PIERRE. 

J'av  voulu 

(60)  La  noie  marginale  nous  apprend  que  ceux 
qui  jouent  dans  les  troisième  et  quatrième  joui  'nées 
les  rôles  des  domestiques  de  Néron,  peuvent  repré- 
senter dans  celle-ci  ceux  de  ses  chevaliers.  Ce  qui 
pourrait  nous  donner  lieu  de  croire  que  ces  troi- 
sième et  quatrième  journées  sont  les  vm*  et  ixc  li- 
vres suivants.  Le  cri  qui  est  à  la  tète  de  ce  mystère 
nous  instruit  encore  moins,  et  marque  seulement 
qu'on  continue  chaque  jour  de  représenter  les  jour- 
nées du  mystère  des  Actes  des  Apôtres,  et  que  l'on 
continuera  jusqu'à  la  (in  :  mais  il  ne  dit  point  en 
quel  nombre  étaient  ces  journées.  Le  sieur  de  Laffay, 
Uist.  de  Berry,  liv.  VF,  chap.  7,  assure  que  lorsqu'il 
fut  joué  à  Bourges  en  1536,  la  représentation  dura 
quarante  jours.  Ainsi  ou  ne  trouve  rien  de  positif 
là-dessus,  et  l'on  peut  dire  de  ce  mystère,  comme  do 


tuant  un  mouton  à  sa  place,  pour  faire 
croire  qu'il  a  ressuscité.  Toute  l'assemblée 
écoute  avec  élonnement  le  discours  de  l'a- 
pôtre. Daru  lui-même  ne  sait  que  penser 
d'une  pareille  aventure,  et  s'exprime  ainsi 
sur  cet  événement. 

DARU. 

Or  çà,  et  si  j'ay  tué  Dieu, 
Et  s'est  suscité  par  ses  dietz, 
Je  suis  bourreau  de  Paradis  ? 
A  ces  parolles  le  voit  on. 
Et  si  j'ay  tué  ung  mouton, 
Tant  bien  qu'ung  autre  laboureur? 
Je  suis  boucher  de  l'Empereur, 
Que  voulez-vous?  c'est  adventure. 

«  Saint  Pierre  rend  la  vie  à  un  jeune 
homme  fort  aimé  de  l'empereur;  et  Simon, 
qui  a  employé  inutilement  tous  ses  étroits, 
en  conçoit  une  si  grande  fuieur,  qu'il  lait 
une  conjuration  plus  puissante  que  les  pré- 
cédentes. 

(Icy  Symon  hagus  doit  lyre  en  ung  livre  que  Marcel 
luij  tiendra,  et  doit  faire  de  grandes  adjurations 
et  conjurations;  et  doit  ung  dyable  venir  en  forme 
d'ung  cliien,  et  doit  être  Cerbérus;  et  fault  qu'il  ait 
dents  appuroissans.) 

«  Le  saint  apôtre,  craignant  peu  la  fureur 
de  ce  monstre,  lui  ordonne  de  rentrer  au 
lieu  d'où  il  est  sorti;  Simon  s'enfuit  de 
rage,  et    Marcel,  son  disciple,  se  jette  aux 

presque  tous  les  autres,  qu'ils  duraient  tantôt  pb;s, 
tantôt  moins,  selon  la  volonté,  ou  la  commodité  des 
acteurs,  qui  en  jouaient  le  nombre  d'actions  qu'ils 
voulaient,  et  reprenaient  h  suite  le  lendemain  et  les 
jours  suivants.  Si  ceux  la  Passion,  de  la  Vengeance, 
de  la  Destruction  de  Troyes,  et  quelques  autres  ont 
été  quelquefois  représentés  dans  les  temps  indiqués 
par  le  titre,  c'est  qu'on  commençait  dès  le  matin  : 
on  faisait  une  pose  sur  le  midi;  et  le  reste  de  la 
journée  se  représentait  l'après-diner.  C'est  ce  qui  fut 
principalement  observé  à  Metz  en  1457,  et  à  Angers 
en  1480. 

(61)  Ainsi  fait  Eneas,  et  la  Sibylle  à  Ccrberus, 
Virgil.,  lib.  vi,  Enéide,  dit  la  noie  marginale.  On 
pouvait  aussi  ajouter  Homère,  livre  xi  de  l'Odys- 
sée. 


ICS 


ÀCT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


101 


pieds  de  saint  Pierre,  le  prie  de  lui  donner 
Je. baptême  et  de  le  recevoir  au  nombre  des 
lideles.  On  vient  faire  le  récit  do  tout  ceci 
à  saint  Clément,  et  saint  Paul,  prêt  a  mon- 
ter en  chaire  lui  demande  sa  bénédition. 

sainct  PAUL,  à  genoulx. 
Révérend  Père  en  Dieu,  Clément, 
En  la  Cité  prescber  m'en  voys, 
Et  au  peuple  espandre  ma  voix. 
Pour  requérir  salvation. 

sainct  clément  luy  donne  sa  bénédiction.' 
De  Dieu  la'bénédiction  (62). 
Paul,  mon  amy,  vous  soit  donnée, 
Comme  la  chose  est  ordonnée 
Par  nostre  très-  précieux  Maistre. 
Allez  en  la  Chaire  vous  mettre 
Et  faictes-bien  vostre  devoir. 

(Ictj  soit  sainct  Paul  en  chaire,  et  parle,  et  soit  Pa- 
troclus  hault  sur  une  fenestre  sur  une  pièce  de 
bons,  lequel  cherra  de  dessus  ladicte  pièce  à  la  fin 
du  sermon  de  sainct  Paul.) 

«  Patroclus,  s'endormant  au  sermon  de 
l'Apôtre,  tombe,  et  perd  la  vie;  saint  Paul 
•descend  aussitôt  de  sa  chaire  et  le  ressusc  te. 
Ce  miracle  l'ait  beaucoup  de  bruit  dans 
Home;  Patroclus  lui-même  en  rend  témoi- 
gnage à  Néron,  de  qui  ii  est  fort  connu; 
mais  ce  prince  ennemi  des  Chrétiens  lui 
donne  un  soufflet,  et  le  fait  mettre  ensuite 
en  prison  avec  Barnabas  et  Justus  qui  veu- 
lent prendre  sa  défense.  » 

Liv.  ix.  — «  Simon  Magus,  au  désespoir 
de  succomber  dans  toutes  les  disputes  qu'il 
entreprend  avec  les  apôtres,  veut  tenter  un 
dernier  effort  pour  rétablir  son  crédit  dans 
l'esprit  de  l'ignorante  populace,  et  fait  ré- 
pandre le  bruit  qu'il  va  monter  au  ciel. 
Une  foule  de  peuple  accourt  à  ce  spectacle; 
et  déjà  Simon  est  élevé  dans  les  airs  par 
ses  démons,  lorsque  saint  Pierre,  qui  se 
trouve  présent,  ordonne  à  ces  derniers  de 
laisser  tomber  ce  malheureux  enchanteur, 
que  tout  son  art  ne  peut  défendre  de  la  mort 
qu'il  reçoit  par  cette  chute. 
(Icy  les  dyables  vont  prendre  le  corps  de  Symon  Ma- 
gus, et  Cenlraijnenl  en  Enfer.) 

«  Néron,  voulant  venger  sa  mort,  fait 
conduire  en  prison  saint  Pierre,  saint  Paul, 
Aristarchus,  Tyton,  Sidrac,  Lucas  et  quel- 
ques antres.  Procès  et  Marlinien,  à  qui  on 
les  confie,  se  convertissent  à  la  foi,  et  met- 
tent les  prisonniers  en  liberté.  L'empereur, 
irrité  contre  ces  nouveaux.  Chrétiens,  les  fait 
conduire  au  supplice. 

parthémius  à   Néron. 

Ha!  Sire,  ilz  sont  plus  asseurez, 
Qu'oncques  pierre,  que  j'apperceuz. 

«  On  vient  ensuite  donner  avis  à  saint 
Pierre  que  le  prévôt  Agrippe  le  fait   clier- 

(62)  Si  Ton  a  été  surpris  de  voir  saint  Pierre  créer 
cardinaux  saint  Lin  et  saint  Clet,  on  le  doit  être 
encore  plus  de  ce  qu'on  trouve  ici,  et  apparemment 
que  l'auteur,  oubliant  saint  Pierre  et  ses  deux  succes- 
seurs, a  cru  que  saint  Clément  fui  le  premier  Pape. 

(65)  C'est-à-dire  que  l'échafaud  de  Rome  doit 
être  au-dessous  de  celui  de  Paradis.  Lorsque  dans 
un  mystère  on  élait  obligé  de   faire  descendre   ou 


cher  partout  pour  lui  ôter  .a  vie.  Les  fidèles 
exhortent  cet  apôtre  à  prévenir  par  une 
fuite  salutaire  les  poursuites  du  prévôt. 
Saint  Pierre  rejette  courageusement  ce 
conseil,  mais  se  trouvant  seul,  il  prend  la 
résolution  de  sortir  de  Rome. 

[Soit  sainct  Pierre  à  la  porte,  et  doit  eslre  ïEchaf- 
fault  de  Rome  près  de  Paradis  (65). 

«L'angeGabriel,  sous  la  figure  du  Fils  de 
Dieu,  reproche  à  cet  apôtre  sa  faiblesse,  et 
l'engage  à  souffrir  la  mort  avec  fermeté. 

(Icxj  doit  cheminer  par  la  Cité,  et  Pierre  après;  et 
nota,  qu'il  doit  aller  près  d'ung  pillier  de  Para- 
dis, et  se  attachera  pour  monter  comme  une  Ascen- 
tion,  et  se  doit  couvrir  à  Centrée  d'une  nuée.) 

«  Néron  ordonne  à  ses  chevaliers,  qui 
font  ici  l'office  d'archers,  d'aller  arrêter 
saint  Pierre  et  les  autres  Chrétiens.  Ces 
satellites,  en  exécutant  cet  ordre,  fouillent 
dans  leurs  poches. 

LE  SECOND  CHEVALIER. 

Sus,  cheminez.  Maistre  Tyton; 
Çà  la  bourse  où  sont  les  escus. 

«  On  conduit  saint  Paul  à  l'empereur,  et 
les  autres  prisonniers  à  Agrippe,  qui  or- 
donne à  Daru  de  brûler  Tyton,  Aristarchus  et 
Sydrac. 

(Icy  doivent  eslre  attachez  au  pillon  (pilier),  et  quilz 
se  puissent  devaller  en  bas  secrètement,  et  en  leurs 
lient  reboutter  entre  le  pillon  et  les  fagotz  au- 
cuns corps  fainetz.) 

«  Néron  condamne  saint  Paul  à  avoir  la 
tête  tranchée,  pendant  qu'Agrippe  juge 
saint  Pierre  à  être  crucifié.  Saint  Paul,  con- 
duit au  supplice,  convertit  ses  bourreaux, 
qui,  les  larmes  aux  yeux,  lui  offrent  la  li- 
berté. L'apôtre  refuse  leur  secours,  et  les 
prie  instamment  d'exécuter  l'arrêt  de  l'em- 
pereur. Les  bourreaux  touchés  de  sa  cons- 
tance, n'obéissent  qu'avec  peine. 

(nota.  — Que  la  teste  sautte  trois  saulx,  et  à  chascun 
yst  (65*)  une  fontaine.) 

«  Saint  Pierre,  arrivé  au  lieu  où  il  doit 
recevoir  le  martyre,  supplie  son   juge  de  le 


faire  crucifier  la  lête  en 
sent  à  cette  demande. 


bas,   Agrippe   cou- 


AGRIPPE. 

Or  sus,  sus  nous  luy  accordons. 
Prenez  des  cordes,  et  cordons  ; 
De  le  lyer  on  se  recorde. 

RAVISSANT. 

Quant  est  à  moy,  je  m'y  accorde, 
J'en  estoye  bien  recorde. 

»ARl\ 

Par  ce  bras  seras  encordé, 
Car  de  ce  faire  suis  recordz. 

ÉPIPHANÈS. 

Encorder  le  vue'd  par  le  corpz, 
Sans  plus  la  leçon  recorder. 

monter  quelque  personnage  du  ciel,  on  plaçait  l'é- 
chafaud où  se  devait  passer  la  scène  sous  celui  du 
paradis.  C'est  ainsi  que  sont  disposés  la  chambre  de 
la  Vierge  Marie,  dans  les  mystères  de  la  Conception 
et  de  V Incarnation ,  et  le  lieu  où  les  apôtres  s'as- 
semblent pour  recevoir  le  Saint-Esprit  dans  ceux  de 
la  Résurrection. 
(65*)  Yst,  sort 


105 


ACT 


DICTIONNAIRE  DES  M\STERES. 


ACT 


i  .-G 


ANTIGONUS. 

Par  ses  pieJz  le  fault  concorder 
A  la  lin,  que  nul  ne  l'oublie 

GÉRYON 

J'ay  cy  une  corde  establie, 
Qui  y  sera  toute  propice. 

«  Tandis  qu'on  vient  raconter  à  Néron  la 
mort  de  saint  Paul,  cet  apôtre  paraît  au  mi- 
lieu de  la  salle,  et,  annonçant  la  colère  du 
ciel,'ette  l'empereur  dans  un  trouble  sans 
fgrf. 

NÉRON 

Harau  !  Dyables,  qu'on  me  sequeurre  (secoure). 
Saillir  d'icy  vueil  sans  demeure 
Ostez-vous,  je  nie  vueil  occire. 

(Tous  le  tiennent.) 

TAULIN. 

Et  pour  Dieu,  patience.  Sire, 

NÉRON. 

Il  me  semble  que  voy  monter 
Mon  ame  en  une  cheminée? 

«  Paulin  conseille  à  Néron,  pour  soulager 
son  mal,  de  donner  la  liberté  à  Patroclus,  à 
Barnabas  et  Lucas,  qui,  en  sortant  de  leur 
prison,  vont  ensevelir  les  corps  des  deux 
apôtres.  Peu  de  temps  après,  l'empereur, 
tourmenté  par  sa  noire  mélancolie,  fait  ar- 
rêter le  prévôt  Agrippe  (64)  :  et  lui  demande 
par  quelle  raison  il  a  fait  mourir  saint 
Pierre.  Agrippe  se  défend  de  tout  son  pos- 
sible, et  insiste  beaucoup  sur  la  haine  que 
l'empereur  porte  aux  Chrétiens,  dont  cet 
apôtre  était  le  chef.  Au  même  instant  saint 
Pierre  paraît  tout  a  coup,  et  déclare  à  Né- 
ron que  la  vengeance  du  ciel  est  prête  à 
fondre  sur  sa  tête.  Cette  vue  achève  de  jeter 
ce  prince  dans  le  dernier  désespoir;  plu- 
sieurs anges  surviennent,  «  et  le  frappent 
de  fléaux  et  autres  bâtons.  » 

(Icy  s'en  va  sainct  Pierre,  et  nota,  que  par  dessoubz 
terre  doit  avoir  yens  ayans  fléaux  et  autres 
basions.) 

«  Néron  appelle  ses  domestiques  à  son 
secours,  et  réclame  en  vain  l'assistance  de 
la  déesse  Ysis,  sa  protectrice. 

ALBINUS. 

Empereur  de  liaultc  valeur, 
Ayez  ung  peu  de  patience. 

PAULIN. 

Qu'est  devenue  vostre  science  ? 
Et  prudence? 

LE   PREMIER    CHEVALIER. 

Sire,  c'est  une  illusion, 

Qui  en  l'esprit  vous  est  venue, 

Car  Pierre  est  mort  devant  ma  veuè. 

(Gi)  Daru  tait  ici  quelques  réflexions  sur  l'avan- 
ture  de  ce  prévôt,  qui,  malgré  le  style  grossier  de 
l'auteur,  contiennent  des  vérités  assez  sensibles. 

Quoy.  pourpenser  t'ault  sur  ce  pas? 
Premier,  on  ne  le  pendra  pas? 
Il  est  roy,  et  prévosl  aussi. 
Le  fera- 1- on  mourir  ainsi  ! 
Cy-de\anl  le  peuple,  proteste 
J'a  ne  luy  osieray  la  leste  : 
Car  trop  il  pourrojt  consler  cher. 
C'a,  le  fera-l-il  escorcuer  '! 

DlCTIONN.   DES    MYS 


«  On  porte  l'empereur  dans  une  chambra 
de  son  palais,  où  Albinus  le  vient  bientôt 
trouver,  tenant  un  papier  à  la  main.  Néron 
lui  demande  ce  qu'il  contient 

ALBINUS. 

Ne  vous  chaille  jà  de  sçavoir 
Ce  que  c'est,  Sire;  je  vous  jure 
Que  c'est  libelle  plein  d'injure, 
Par  les  Romains  faict  contre  vous. 
Et  sçay  que  auriez  du  courroux 
Si  vous  en  voyiez  la  lecture. 

NÉRON. 

Contre  moy  est-il  créature 
Qui  osast  de  mon  nom  mesdire? 
Lysez  tout  hault,  car  je  meurs  u'yre, 
Si  au  long  l'escript    je  n'entendz. 

albinus. 

Vous  obéir  en  tout  prétendz  : 
Escoulez  doneques,   s'il  vous  plaist. 

(Teneur  du  libelle  diffamatoire  faict  à  rencontre  de 
V empereur  Néron,  par  le  peuple  romain,  et  leu  en 
sa  présence  par  le  susdict  Albinus,  comme  s'ensuit.) 

albinus,  lisant. 

Qui  a  désir  sçavoir  la  cruaulté 
Du  lier  Néron,  plein  de  desloyauté, 
Lise  l'escript  qui  contient  vérité  ; 
Là  pourra  veoir  ce  qu'il  a  mérité,  etc. 

«  Néron,  que  cette  lecture  et  tout  ce  qui 
vient  d'arriver  ont  rendu  furieux,  vomit 
mille  imprécations  contre  la  statue  d'Ysis, 
où  ce  libelle  était  attaché,  et  la  couvre  de 
boue,  ordonnant  à  ses  chevaliers  de  suivre 
son  exemple. 

LE    PREMIER    CHEVALIER. 

Tiens,  Ysis,  farde  ton  visage. 

LE  SECOND    CHEVALIER. 

Tenez,  tenez,  vieille  souillarde. 

NÉRON. 

Gectez,  gectez  sui  la  p 

Qui  m'a  laissé  vilipender. 

«  On  l'emmène  enfin  dans  sa  chambre  . 
il  se  couche,  et  prie  les  diables  de  le  con- 
seiller pendant  son  sommeil.  Satan  arrive 
et  lui  inspire  le  dessein  de  se  poignarder; 
Néron  se  lève  en  chemise,  et  prie  les  che- 
valiers de  lui  percer  le  sein;  ce  qu'aucun 
d'eux  n'ose  exécuter. 

néron  tient  une  espée. 

Ha  dyables  dampnez 
De  toutes  parts  vers  moy  venez, 
Venez  à  ma  fin  malheureuse  : 
Espée,  soys  moy  rigoureuse, 
Donne  tost  fin,  par  grant  fureur 
A  Néron  le  poure  empereur, 
Le  trist  infect  et  douloureux, 
Le  malheureux  des  malheureux  . 
Le  sans  oer  des  mal  fortunez, 

Je  le  voldroye  bien  sçavoir. 
Ha  nenny,  il  a  Irop  d'avoir. 
Orra,  pensez- vous  qu'on  le  noyé. 
Nenny,  il  a  de  la  monnoye. 
Je  m'abuse;  lelz  prisonniers 
Escliappent  assez,  pour  deniers  : 
J'en  ay  beau  parler,  et  beau  dire. 

Ce  discours  de  Daru  s'adresse  aux  spectateurs,  et 
est  dit  dans  un  à  parte,  que  nos  anciens  emploj aient 
à  la  place  de  nos  monologues. 


107 


ADA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AbA 


10$ 


Le  desespoir  des  forcenez. 

Dyables,  puisqu'il  fault  que  je  meure, 

Accourez,  ne  faictes  demeure, 

A  vous  suis,  à  vous  je  me  donne  (//  se  tué.) 

Et  le  corps  et  l'ame  habandonne 

A  jamais,  pour  vostre  présent. 

sathan,  portant  famé  de  Néron  en  enfer. 

Lucifer,   terrible  serpent, 
C'est  lame  du  faulx  empereur 
Néron  etc. 

(Icy  se  faict  (empeste  en  enfer.) 

«  Marcel  vient  trouver  saint  Clément, 
j>our  lui  raconter  le  martyre  des  apôtres, 
et  tout  ce  qui  est  arrivé  depuis,  mais  le 
saint  Père  lui  dit  qu'il  a  tout  appris, 

CLÉMENT. 

Si  nous  retirons  à  l'Eglise, 
Rendans  grâces,  et  sans  fainctise, 
Allons  faire  nostre  Oremus, 
Chantans  Te  Denm  laudamus. 

(El  se  doit  commencer  le  Te  Deum  en  Paradis. 

ADAM.  —  Il  n'existe  qu'un  manuscrit  d 
ce  drame  du  ix*  siècle,  conservé  à  la  Biblio- 
thèque   impériale ,    parmi    les    manuscrits 
grecs,  n°  1630,  folios  213,  214. 

Grabe,  en  1724,  fut  le  premier  qui  fi 
connaître  VAdam  d'Ignace  par  la  publication 
d'un  fragment  (Spïcileg.  SS.  PP.;  Ôxon., 
1724-,  t  11,  p.  223);  M.  Boissounade  le  donna 
en  entier  en  1829  (Anecdota  grœca,  t.  Ier, 
p.  436-444)  ;  M.  Dùbner  a  fourni  une  édition 
nouvelle  du  texte  grec  revu  sur  le  manus- 
crit unique  (Chrislus  paliens,  Ezechicl,  et 
Christ,  pœtar.  Reliquiœ  dramaticœ ,  Paris, 
Didot,  18'rô,  gr.  in-8°),  et  en  a  donné,  pour 
la  première  fois,  une  traduction  latine. 

Le   titre  porte  minatioy  itixoi  e\i  ton 

AAAM. 

M.  Boissoiinade  et  M.  Maguin  ont  préféré 
celui  de  La  chute  d'Adam. 

O.i    trouve,  jointe  au  lure,    la    rubrique 

suivante  :  llpôç  '/ùp  yî'/ov  <jvpLfopa.ï;  ~  s  pi- 1  vivra. 
nouïxai  tô  Trovrçj/a 

Ei\  1835,  dans  son  cours  professé  à  la  Fa- 
culté des  lettres,  M.  Maguin  mentionna  ce 
draine  comme  le  principal  monument  sub- 
sistant du  théâtre  au  ixe  siècle.  (Cf.  Journal 
(/en.  de  ïinst.  publiq.,  1835,  9  avril,  p.  208.) 
Quatorze  ans  plus  tard,  à  propos  de  la  pu- 
blication de  M.  Diibner  dans  la  collection  des 
classiques  grecs  de  Didot,  le  même  illustre 
savant  s'arrêta  longuement  à  l'examen  do 
VAdam.  (Journal  des  Savants,  1849,  cahier 
d'août 

Le  grammairien  Ignace  n'est  connu  que 
par  le  lémoingnage  de  Suidas  (I'abricii  bi- 
blioth.  grœca,  t.  1er,  p.  636);  il  vivait  au  com- 
mencement du  ix*  siècle.  D'abord  diacre  et 
gardien  des  vases  sacrés  dans  l'Eglise  de 
Conslantinople,  il  s'éleva  par  son  mérite  à 
la  dignité  de  métropolitain  de  l'Eglise  de 
ISicée.  Outre  son  drame,  il  est  resté  de  lui 
des  ouvrages  en  prose  et  en  vers  que  Léo 
Allatius  avait  eu  l'intention  de  publier.  \ln 
Euslalhii  Antioch.  Hexameron,  p.  284.)  i 

La  rubrique  du  manuscrit  indique  les 
cinquante-quatre  premiers  vers  comme  un 
envoi  h  un  ami  malade  ou  tombé  dans  le 


péché,  sens  ambigu  que  l'on  retrouve  dan» 
le  Christ  souffrant  et  Ezéchiel  ;  ce  sembla 
plutôt  un  prologue. 

Au  fond,  c'est  le  «  premier  essai  a  un 
Paradis  perdu.  »  (Journal  des  Sert?.,  p.  461.) 
Nulle  trace  d'invention  poétique.  Exemple 
rare,  à  ce  titre  très-précieux,  de  représenta- 
tions figurées  enOrienlet  enOccident  à  cette 
époque.  Le  style  prouve  combien,  aux  vin* 
et  ix'  siècles,  la  langue  était  supérieure  en 
Orient.  Un  passage  semble  indiquer  l'emploi 
de  la  musique  et  du  prestige  des  machines. 
«  La  Chute  d'Adam  était,  si  je  ne  me  trompe, 
ce  qu'on aappelé plus  tard,  en  Italie,  un  ora- 
torio. »  (P.  463.)  On  y  remarque  cette  bello 
pensée,  surtout  chrétienne  :  «  il  n'y  a  poii  t 
de  lieu  en  dehors  de  la  présence  de  Dieu.  » 
Quelques  expressions,  singulièrement  re- 
cherchées, sont  d'une  afféterie  toute  mo- 
derne qui  constraste  avec  la  simplicité  de  la 
Genèse,  (lbid.) 


PERSONNAGES. 


Dir.n. 

ADAM 

H  R 


LE  SERPENT. 

LE      RÉCITATEUR 

cor. 


DU    PROLO- 


PBOlOGUE. 


Embrassez  dans  l'esprit  tous  les  maux ,  tous  les 
ennuis,  toutes  les  luttes  intérieures  dont  fut  autre- 
fois cause  pour  les  auteurs  du  genre  humain,  auprès 
de  qui  il  se  glissa,  le  Serpent,  notre  ennemi  naturel, 
orgueilleux  de  ses  triomphes  pervers  ;  et  au  souvenir 
de  cette  antique  malédiction  ,  tombée  des  premiers 
hommes  sur  toute  la  nature  humaine,  ayez  la  vue 
tout  entière  de  votre  malheur  et  de  la  supériorité 
dans  la  lutte  de  l'ennemi,  vous  tous  qui  pouvez 
sombrer  sur  ces  écueils.  Car,  lorsque  le  Serpent, 
auparavant  précipité  dans  l'abîme  à  cause  de  ses 
péchés,  connut  soudain  l'essence  des  choses  intelli- 
gibles, et  vit  l'ordre  des  choses  terrestres  accompli, 
dans  une  indicible  vélocité,  par  la  parole  et  la  vo- 
lonté seule;  la  grandeur  de  la  céleste  hiérarchie, 
Chérubins,  Principes,  Séraphins,  Trônes,  Archanges 
et  cohortes  redoutables  des  Anges;  la  terre,  le  ciel, 
et  tout  l'ensemble  des  astres  ;  l'eau  et  le  feu,  l'air 
et  l'élher  ;  l'étoile  du  matin  emportée  dans  le  char 
du  jour,  et  l'étoile  du  soir,  flambeau  des  nuits  ;  les 
quadrupèdes,  Ijs  oiseaux,  tous  les  êtres  vivants  et 
tout  ce  monde  issu  d'un  mot  ;  quand  il  vit  enfin 
l'homme  sorti  tout  entier  de  la  puissance  de  Dieu, 
œuvre  de  sa  main,  serviteur  des  cieux,  placé  au- 
dessus  de  tous  les  êtres,  maître  désigné  de  l'ensemble 
de  la  création,  supérieur  à  toutes  choses  par  la  rai- 
son, méritant  le  respect  par  son  intelligence  cl  formé 
à  l'image  de  Dieu,  il  fut  saisi  de  fureur  et  commença 
de  lui  porter  des  coups,  pour  le  chasser  de  l'Eden, 
où  Dieu  l'avait  mis  pour  en  faire  sa  demeure  ,  en 
habiter  les  campagnes  et  jouir  des  fruits  qui  en 
proviendraient 

L'Eden  était  la  plus  admirable  de  toutes  les  con- 
trées orientales,  arrosée  par  quatre  fleuves,  mère 
de  toutes  les  plantes,  dont  la  beauté  éclatante  fait  le 
charme  et  les  délices  des  yeux. 

Le  séducteur  n'osa  pas  aborder  Adam  le  premiei . 
en  qui  était  visible  encore  la  main  de  Dieu  de  laquel  c 
il  était  sorti,  et  dont  le  visage  reflétait  celui  du 
créateur  ;  il  s'approcha  d'Eve,  d'essence  plus  lourde. 
Eve  devait  pourtant  être  plus  habile,  à  cause  de 
l'intimité, contre  son  mari.  La  souveraine  Sagesse 
avait  formé  la  femme  d'un  peu  de  la  chair  de  l'hom- 
me, prise  sur  le  côté,  et  l'avait  donnée  à  l'homme 
comme  aide  et  compagne  de  la  vie,  charme  des 
nuits  et  oubli  des  chasxins. 


IJ9 


AD  A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADO 


11$ 


Dieu ,  accomplissant  l'œuvre  qu'il  s'était  tracée , 
donna  à  l'homme  permission  de  jouir  de  tous  les 
fruits  de  la  terre,  hormis  d'un  seul;  il  n'y  en  eut 
qu'un  d'excepté,  et  qui  ne  dût  pas  être  touché.  Car, 
pour  en  avoir  mangé,  l'homme  devait  être  soumis 
aux  terreurs  de  la  mort.  Au  contraire,  en  n'enfrei- 
gnant pas  la  loi  de  Dieu ,  la  vie  était  exempte  d'an- 
goisses. 

Un  jour,  après  avoir  longtemps  médité  son  dessein, 
le  Serpent  s'approcha,  décidéà  triompher  de  l'homme, 
et  parla  ainsi. 

le  serpent.  Femme,  le  Créateur  ne  vous  a-t-il 
pas  dit  :  t  ne  touchez  pas  à  ce  seul  arbre  ?  »  Eh 
Lien,  c'est  une  défense  jalouse;  vous  deviendriez  des 
dieux. 

Eve.  Il  nous  a  dit:  «  Yous  pouvez  manger  les 
fruits  de  tous  les  arbres,  mais  prenez  garde  aux  seuls 
fruits  de  cet  arbre,  car,  sitôt  après  en  avoir  goûté, 
vous  seriez  sujets  à  la  mort.  > 

le  serpent.  Femme,  n'avez  pas  foi  en  ces  paroles, 
car  Dieu  n'ignorait  pas  qu'en  mangeant  les  fruits 
de  cet  arbre  unique,  vos  yeux  s'ouvriraient  et  vous 
seriez  comme  des  dieux. 

ève.  Etranger,  avez  vous  visité  déjà  Adam,  mon 
époux  et  mon  maître,  ou  bien  ètes-vous  venu  auprès 
de  moi,  de  votre  propre  mouvement  et  avec  audace? 
lgnoriez-vous  donc  que  je  suis  soumise  à  Adam  ? 

le  serpent.  Femme,  si  vous  le  voulez,  que  pourra 
Adam  ?  A  vos  prières,  à  vos  paroles,  comment  refu- 
serait-il rien  ?  Il  recevra  le  fruit  tout  de  suite  et  le 
mangera  avec  vous. 

ève.  Eh  bien,  puisque  vous  ètez  venu  vers  moi 
qui  tremblais,  et  puisque  mon  savoir-faire  a,  selon 
vous,  l'occasion  de  parfaire  l'homme,  je  vais,  et 
peut-être  Adam  consenlira-t-il. 

le  serpent.  N'approchez  de  votre  époux  qu'après 
avoir  vous-même  goûté  au  fruit,  bravez  la  première 
le  danger,  mordez  la  première  :  c'est. par  ce  moyen 
qu'il  se  laissera  gagner  ;  et  n'ètes-vous  pas  femme  ? 

ève.  Etranger  de  bon  conseil,  vous  m'avez  per- 
suadée :  je  romprai  ce  fruit,  et  je  ferai  en  sorte  que 
mon  époux  en  goûte;  et  peut-être  les  espérances 
que  m'a  suggérées  votre  discours  se  réaliseront 
alors. 

le  serpent.  Femme,  tenez  vos  promesses  sans 
tarder,  vous  éprouverez  à  l'instant  l'effet  des  miennes: 
le  profit  n'est  jamais  aux  côtés  de  la  lenteur. 

II. 

ève.  0  mon  mari,  voyez  la  beauté  de  ce  fruit, 
faites  l'essai  de  sa  saveur  délicieuse  autant  que  la 
vue  le  promet,  prenez-le,  et  si  vous  voulezen  manger, 
vous  deviendrez  comme  Dieu. 

adam.  Est-ce  un  don  de  Dieu  ?  est-ce  l'offrande 
de  quelque  étranger'  Et  comment  après  l'avoir 
mangé,  ce  fait  seul  me  rendra-t-il  Dieu  ?  Y  a-t-il 
donc  quelque  Dieu  qui  use  de  nourriture  ? 

ève.  Ami,  qu'y  a-t-il  de  préférable  à  la  science 
de  la  nature  même  du  bien  et  du  mal  dans  la  vie? 
Eh  bien,  sitôt  après  avoir  mangé  de  ce  fruit,  vous 
saurez  l'un  et  l'autre. 

adam.  Mais  comment?  Sera-ce  ,  pour  avoir  bravé 
les  ordres  les  plus  rigoureux  du  Créateur  même? 
Insensée,  tu  es  la  proie  de  la  futilité  de  ton  esprit  ! 

ève.  Ignorez-vous  les  motifs  de  ces  défenses  ex- 
presses ?  ne  les  comprenez-vous  pas?  Je  veux  amas- 
ser sur  ma  tète  toute  la  faute,  objet  pour  vous  de 
tant  de  craintes,  et  moi  seule,  chargée  de  tout  le 
péché,  je  vous  absoudrai. 

adam.  Eh  bien,  j'ai  goûté....  Et  déjà,  ô  femme, 
je  sens  dans  le  fond  de  mes  entrailles  la  puissance 
de  votre  erreur  ;  oui  !  j'en  ai  le  presser)' i 'lient,  la 
mort  terrible  s'est  appesantie  sur  nous... 

ève.  Le  mal  me  dévore  le  fla'ic  ;  voilà  l'effet  de  ce 
fi'jil  défend.!.  Le  Serpent  infâme  s'est  jov.é  de  moi. 


adam.  Eh  quoi?  nous  sommes  nus.  Femme,  parle  : 
comment  nous  couvrir  ?  parle  donc.  Je  ne  vois  point 
de  vêtements 

ève.  Voici  des  feuilles  de  figuier  qui  sont  solides; 
voilons-nous-en.  Déjà  le  travail  a  commencé  pour 
nous. 

adam.  Tu  connais  enfin,  mais  trop  tard,  la  nature 
terrible  du  péché  ;  tu  éprouves  des  maux  que  tu 
n'avais  pas  prévus  :  sois  au  moins  à  la  hauteur  de  ta 
faute. 

ève.  J'ai  fait  l'épreuve  de  la  ruse  ;  mon  âme  s'est 
laissée  imprudemment  entraîner,  et  c'est  par  moi,  ô 
mon  époux,  que  votre  cœur  a  été  corrompu;  certai- 
nement je  suis  l'auteur  même  du  mal. 

adam.  O  mon  épouse,  n'entends-tu  pas  les  chants 
célestes,  précurseurs  de  Dieu  ?  Le  crime  accompli 
sera  vengé.  Combien  je  tremble  ! 

ève.  Le  bruit  de  l'approche  de  Dieu  arrive  à  mon 
oreille.  J'ai  peur.  Comment  soutenir  sa  parole  irritée? 
Ami ,  je  vais  me  cacher  auprès  de  toi. 

adam.  Quel  lieu  peut  m'offrir  une  retraite  impé- 
nétrable ?  Il  n'y  a  point  de  lieu  hors  de  Dieu  où  fuir 
et  se  cacher.  Suis-moi  pourtant,  femme. 

III. 

dieu.  Adam,  prince  de  la  création,  œuvre  et  pro- 
priété de  mes  mains ,  où  es-tu  allé  ?  qu'es-tu  de- 
venu ? 

adam.  Je  vous  entends  ,  je  vous  sais  là,  mais  je 
suis  nu,  et  je  ne  puis  venir  ainsi  à  vos  yeux.  Oui, 
j'ai  fui  tremblant,  et  l'horreur  me  cloue  en  ce  lieu. 

dieu.  O  malheureux,  malheureux  !  ton  ame  a  été 
séduite.  On  l'a  donné  l'idée  d'e  ta  nudité.  Tu  as 
touché  à  ce  qu'il  était  défendu  de  toucher. 

adam.  Créateur,  j'ai  eu  foi  dans  la  femme  que 
vous  m'avez  donnée.  Combien  ne  mit-elle  pas  de 
douceur  dans  ses  paroles?  Je  me  suis  approché  des 
fruits  dont  il  ne  m'était  pas  permis  de  goûter. 

dieu.  Séduit  par  îa  femme,  convaincu  d'oubli  de 
mes  ordres,  tu  rompras  les  ronces  de  la  vie,  entas- 
sint  cris  sur  cris,  désespoir  sur  désespoir.  La  mort 
dominera  la  nature,  et  la  femme  enfantera  dans  la 
douleur.  Le  visage  mouillé  de  sueur,  tu  mangeras 
ton  pain  dans  le  travail  et  les  angoisses ,  jusqu'à  ce 
que  lu  rentres  dans  celle  terre  d'où  tu  fus  tiré 

ADAM  d'Alberstadt  (L').  —  Parmi  les 
usages  de  la  fête  des  Fous,  il  faul  noter  celui 
très -singulier  que  signalait  M.  Magnin 
dans  son  cours  professé  à  la  Faculté  des 
lettres  en  1835,  et  qu'il  fit  remonter  jus- 
qu'au x*  siècle;  cette  coutume  lui  parut 
propre  à  Albersladt,  dans  la  Basse-Saxe.  Un 
malheureux,  qui  accepte  ces  tristes  fonc- 
tions, et  auquel  on  donne  le  nom  d'Adam, 
erre  pieds  nus,  pendant  tout  le  carême;  le 
jeudi  saint,  on  absout  en  lui  toute  la  ville. 
(Cf.  Journ.  gén.  de  Vinsl.publ.,  17  mai  1835, 
1"  semestre,  xvn'  art.,  p.  275.) 

ADAM  ET  EVE  (Mystère  d).  —  M.  Ma- 
gnin, dans  son  cours  professé  a  la  Faculté 
des  lettres,  en  1835,  a  fait  mention  d'un 
mystère  d'Adam  et  Eve  représenté  à  Civitta- 
Vecchia  en  1304.  (Cf.  Journ.  gén.  de  Vinstr. 
publ.y  12  novembre  1835.  2' semestre,  xc  ar- 
ticle, p.  28.) 

ADORATION  DFS  MAGES.  —  On  trouve 
sous  ce  titre,  dans  les  Voyages  liturgiques  en 
France  (Paris,  1718,  in-k")  de  M.  de  Moléon,  la 
mention  d'un  office  des  Trois-Rois,  célébré, 
le  jour  de  l'Epiphanie,  à  Orléans,  au  viv* 
siècle.  (Voy.  Thois-Rois.) 

—  VJIérode  du  manuscrit  de  Saint-Benoît- 


111 


ALL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


Ut 


sur-Loire,  porte  en  sous-tilre  Y  Adoration 
des  Mages.  [Voy.  Hérode.) 

AGAPES.  —  «  Les  apôtres  avaient  cou- 
tume de  manger  ensemble,  les  riches  four- 
nissant les  vivres,  les  pauvres  étant  convo- 
qués même  les  mains  vides...  C'est  ce  qu'at- 
teste saint  Jean  Chrysostome  (In  I  Cor.  u, 
hom.  27,  in  pinc).  --Mais  peu  à  peu  l'usage 
se  restreignit  sans  effort,  les  repas  ne  furent 
plus  mêlés  aux  saints  offices;  ils  les  suivi- 
rent. —  Tertullien  explique  ainsi  le  nom  que 
gardèrent  ces  repas  pieux  :  «  Le  nom  de  noire 
«  cène  en  indique  le  caractère;  on  la  nomme 
«  du  grec  YAgape,  c'est-à-dire  l'amour...» 
(Apol.,  c.  39).  Du  temps  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  les  agapes  étaient  restreintes 
aux  naissances,  aux  funérailles  et  aux  ma- 
riages... Sous  le  Pape  Grégoire,  l'usage  en 
était  établi  aux  fêtes  de  la  dédicace  des 
églises  (Registr.  1.  i,  ep.  14).  Le  concile  de 
Laodicée  fut  le  premier  à  les  réglementer;  et 
l'on  en  vint  à  les  prohiber  dans  l'intérieur 
des  sanctuaires.  (Ann.  57,  n°  131-145,  t.  1", 
p.  488-492.) 

«  Saint  Augustin  les  poursuivit  en  Afri- 
que à  la  fin  du  iv"  siècle;  déjà  la  cou- 
tume en  avait  été  étouffée  dans  plusieurs 
provinces...  On  reprochait  aux  agapes  de 
n'être  plus,  au  lieu  d'une  communion  et 
d'une  occasion  de  charité,  qu'un  sujet  de 
débauches.  »  (Ann.,  391,  t.  IV,  p.  650,  651; 
Cœs. ,  Baroni  us,  Soranus,  Anna/es  ecc/m'asftcî"; 
Anvers,  1612,  in-fol.) 

L'usage  très-ancien  des  agapes  n'a  jamais 
été  entièrement  aboli.  Baronius  (Ann.,  57, 
nain.  132)  le  montre  se  poursuivant  jusqu'à 
nous.  En  Orient,  les  Pères  du  concile  de 
Laodicée  y  mirent,  les  premiers,  des  restric- 
tions; en  Occident,  saint  Ambroise.  Cette 
coutume  n'est  pas  sans  affinité  avec  les  rites 
des  gentils.  C'est  pour  cela  que  saint  Augus- 
tin fit  tout  ce  qu'il  put  pour  l'abolir  en  Afri- 
que à  la  fin  du  iv'  siècle  (Epist.  4  ad  Ame- 
lium.)  (Note  de  Sever.  Binius,  sur  le  xxx* 
canon  du  troisième  concile  de  Carthage.  — 
Labbe  ,  Concil.  sacro-sancla ,  t.  II,  col. 
1183,  e.) 

Les  agapes  ont  été  considérés  par  les 
critiques  modernes  comme  le  début  d'une 
des  formules  de  la  fête  des  Fous;  toute  la 
suite  des  conciles  poursuit  les  repas  dans  les 
églises.  (Cf.  M.  Magnin,  cours  professé  à  la 
Faculté  des  lettres,  Journal  général  de  Vins- 
truction  publique,  années  1834-1836.  M.  Ach. 
Jubinal,  Myst.  inéd.  du  xv'  siècle;  Paris, 
1837,  in-8°,  2  vol.,  t.  1",  préf.,  p.  vu.) 

ALLELUIA  (V). —  V Alléluia  est  une  des 
formules  de  la  fêle  des  Fous. 

Il  semble  qu'il  remonte  aux  plus  hautes 
origines  du  catholicisme. 

Ainsi  le  concile  de  Tolède  de  633  le 
proscrit. 

Au  ix*  siècle,  Héric  (lib.  i  De  mir.  S. 
Germ.,  c.  10),  témoigne  qu'on  célébrait  son 
office. 

Cet  office  de  Y  Alléluia  a  été  retrouvé  à 
Auxerre  par  le  savant  abbé  Lebeuf,  et  pu- 
blié dans  la  dernière  édition  de  Du  Cange. 
(Du  Cange,    Gloss.   inf.  et  med.    lai.   édit. 


Henschell;  Paris,  Didot,  1840,6  vol.  in-8*, 
t.  1",  p.  186,  187,  verbo  Alléluia.) 

Le  manuscrit  est  du  xiu'  siècle. 

Il  y  a  un  certain  mouvement  dramatique; 
on  dit  à  Y  Alléluia  : 

Sois  avec  nous  aujoud'hui,  encore,  Alléluia! 

Alléluia  ! 

Et  tu  partiras  demain.  Alléluia  ' 

Que  tes  années  se  multiplient... 

Regagne  tes  trésors... 

Et  que  le  bon  ange  de  Dieu,  t'accompagne.  Alléluia  ! 

Mais  il  ne  reste  pas  trace  dans  cet  office 
d'Auxerre  d'une  représentation  quelconque. 

Ce  n'est  que  bien  plus  tard,  et  dans  le 
Nord,  qu'on  retrouve  les  débris  d'un  rite 
figuré. 

En  effet,  au  xv'  siècle,  d'après  les  statuts 
de  l'Eglise  de  Toul  (Stat.  xv),  il  est  certain 
que  dans  ce  diocèse  on  pratiquait  encore 
une  représentation  de  l'enterrement  de  Y  Al- 
léluia. 

«  Le  dimanche  de  la  Septuagésime,  h 
none,  les  enfants  de  chœur  s'assemblent  en 
costume  de  fête  dans  le  grand  vestiaire,  et 
là  font  l'enterrement  de  Y  Alléluia  après  le 
dernier  Benedicamus ,  procession  avec  la 
croix,  torches,  eau  bénite  et  encensoir.  On 
porte  une  motle  en  guise  de  corps  mort.  On 
nasse  par  le  chœur,  et  tous  vont  poussant 
de  grands  gémissements  dans  le  cloître  où 
Y  Alléluia  doit  être  enseveli;  on  jette  de  l'eau 
bénite,  on  encense  et  l'on  revient.  » 

Le  Mercure  de  France  (décembre  1726)  ra- 
conte aussi  que  dans  un  diocèse  voisin  de 
Paris ,  un  enfant  de  chœur  chassait  du  chœur 
une  toupie  sur  laquelle  était  gravé  le  mot 
Alléluia. 

Du  Tilliot  (Mémoires  pour  servir  à  l'his- 
toire de  la  fête  des  Fous;  Lausanne  et  Ge- 
nève, in-4°,  1741,  p.  8,  9)  donne  enfin  le 
très-curieux  renseignement  qui  suit  : 

«  Dans  un  ancien  manuscrit  de  l'église 
de  Sens,  on  trouve  l'office  des  Fous.  VAlle- 
luia,  qui  se  disait  après  Deus  in  adjutorium, 
était  coupé  par  vingt-deux  mots  ainsi  dis- 
posés : 

Allé  resonent  omnes  ecclesi» 
Cum  dulci  melo  symphoniae, 
Filium  Mariae  genetricis  piae 
Ut  nos  septiformis  gratis? 
Repleat  donis  et  gloriae 
Unde  Deo  dicamus  luia. 

«  Après  ce  magnifique  Alléluia  suivoit 
une  seconde  annonce  de  la  fête  par  quatre  ou 
cinq  chantres...  Là,  ils  devaient  chanter  en 
faux-bourdon. 

Hsec  est  elara  dies  clararum  clara  dierum, 
Haec  est  festa  dies  festarum  fesla  dierum... 

c  Les  diptyques  qui  renferment  ce  mémor 
rable  cahier  sont  bordés  de  feuilles  d'ar- 
gent et  garnis  de  deux  planches  d'ivoire, 
jaunies  par  la  vétusté,  où  l'on  voit  des  bac- 
chanales, la  déesse  Cérès  dans  son  char,  et 
Cybèle,  la  mère  des  dieux.  » 

AMIS  ET  A.M1LLE.  -  Le  mystère  d'Amis 


n; 


AMI 


DICTIONNAIRE  I  ES  MYSTERES. 


AMI 


ili 


et  d"  Amille  est  tiré  du  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque impériale,  n*  7208.  k.  B,  folio  1 
recto,  connu  sous  le  titre  de  Miracles  de 
Notre-Dame,  et  datant  du  xiV  siècle. 

MM.  Mommurqué  et  Fr.  Michel ,  dans 
leur  Théâtre  français  au  moyen  âge  (Paris, 
1839,  grand  in-8°,p  21G-265),  en  ont  publié  le 
texte  pourla  première  fois,  avec  une  ver- 
sion française. 

Cette  pièce  ne  contient  pas  moins  de  vingt 
personnages,  dont  voici  la  liste. 

PERSONNAGES 


am:S 
A    ILLE. 
IL   ROT. 
LA  HOT.VE. 


LE  MESSAGIER. 
GOMBAUT. 
BERNART 
DIEU. 


la  FiiLB  du  roy,  appelée    l'ange, 
hiîias.  benri  l'escnier. 

LE  COMTE  GR1MAUT.  LA  DAMOISELLE 

vtier,  escuier.  saint  michiel. 

LE  PAUM1ER.  NOSTRE-DAME. 

IURDHÉ.  SAINT  GABRIEL. 

LE  SERGENT  d'aRMKS. 

Le  titre  est  conçu  en  ces  termes  : 

Ici  commence  un  Miracle  de  Notre-Dame,  dWmis 
el  d'Amiile,  lequel  Amitié  tua  ses  deux  enfants  pour 
guérir  Amis  son  compagnon ,  qui  était  lépreux;  et  de- 
puis Notre-Dame  les  ressuscita. 

SCÈNE  PREMIÈRE. 

AMIS. 

amis.  Sire  Dieu ,  père  tout-puissant ,  quel  que  soit 
le  but,  dit-on,  où  l'homme  tende,  il  arrive  enfin  ;  et 
pourtant  il  n'en  est  pas  ainsi  de  moi.  En  effet,  de- 
puis sept  ans,  je  ne  me  suis  nulle  part  arrêté,  et  en- 
core aujourd'hui,  je  ne  m'arrête  pas  encore.  Chaque 
jour, de  ville  en  ville,  je  cherche  sans  relâche  Amille. 
Partout  j'entends  parler  de  lui;  l'on  me  rapporte 
combien  il  me  ressemble  de  corps  ,  de  démarche,  de 
langage  et  de  maintien.  Ah!  très-doux  Jésus -Christ, 
je  tiendrais  tous  mes  vœux  pour  satisfaits  si  je  le 
trouvais  enfin.  Que  mon  cœur  serait  content!  il 
faut  le  dire;  à  la  vérité,  jamais  je  ne  l'ai  vu  ;  mais 
parce  que  j'ouïs  dire  qu'on  ne  pourrait  choisir  entre 
nommes,  fussent-ils  cent  mille,  deux  personnes 
comme  nous  sommes,  cet  Amille  et  moi,  sous  le 
rapport  de  la  ressemblance,  et  qu'on  ne  sait  trouver 
de  différence  entre  nous  ni  en  public  ni  en  particu- 
lier, en  sorte  qu'on  dit  que  c'est  tout  un  :  pour  cela 
je  lui  ai  donné  mon  amour,  de  manière  que  je  ne 
séjourne  jamais  qu'une  seule  nuit  dans  une  ville 
jusqu'à  ce  que  je  l'aie  trouvé,  s'il  plaît  à  Dieu  que  je 
le  voie  dans  une  ville,  un  sentier,  une  voie  ou  un 
chemin. 

SCÈNE  II. 

AMIS,  UN  PÈLERIN. 

lf.  pèlerin.  Sire,  donnez,  s'il  vous  plaît,  votre  au- 
mône à  un  pauvre  pèlerin.  Que  Dieu,  qui  est  assis 
là-haut  sur  le  trône  ,  vous  soit  miséricordieux  et 
doux!  Je  viens  de  loin  ,  et  je  suis  bien  las  et  ha- 
rassé. 

amis.  Mon  ami,  veuillez  me  dire  d'où  vous  venez. 

LE  pèlerin.  Sire,  tenez, pour  vrai  que  je  viens 
tout  droit  du  saint  sépulcre;  j'ai  passé  ensuite  par 
bien  de    mauvais  chemins  :  Dieu  le  sait,  sire. 

amis.  Pèlerin,  lu  pourras  peut-être  me  dire,  puis- 
que tu  as  été  en  tant  de  lieux  ,  quelque  chose  d'un 
homme  que  je  cherche  ?  11  se  nomme  Amille,  el  me 
ressemble,  dit-on,  de  maintien,  de  corps  et  de  vi- 
sage. Si  tu  sais  m'en  donner  des  nouvelles,  je  te 
ferai  du  bien. 

le  pèlerin.  J'y  consens  volontiers,  sire;  et  puis- 
que vous  lo  souhaitez,  sachez  que  depuis  la  terre 


d'Asie  je  ne  vis  créature  humaine  qui  vous  ressem- 
blât de  figure  autant  qu'un  homme  que  je  vis  hier; 
car  il  était ,  cher  sire,  de  votre  taille  et  de  votre  air, 
ei!  sortequeje  nepuis  croire  encore  quevousne  soyez 
pas  le  même.  Si  j'ai  rencontré  juste,  dites-le-moi. 

amis.  Nenni,  ma  foi!  pèlerin,  tu  ne  m'as  jamais 
vu  avant  aujourd'hui.  Eh  Dieu!  de  quel  côté  va 
maintenant  celui  que  lu  dis? 

le  pèlerin.  Sire ,  il  marche  sur  Paris  :  je  pense 
que  c'est  celui  que  vous  cherchez;  en  vous  hâtant, 
vous  l'atteindrez  certainement. 

amis.  Je  n'ai  point  d'argent  monnayé ,  ami  pèle- 
rin ;  mais  je  te  donne  cet  anneau ,  qui  est  bel  et 
bon  :  quand  tu  le  voudras  vendre,  lu  en  auras  deux 
marcs  d'argent  au  moins. 

le  pèlerin.  Grand  merci,  sire;  puisse  vous  ai- 
mer Celle  qui  est  mère  et  vierge  et  dont  le  lait  pur 
nourrit  Jésus. 

amis.  Prie  pour  moi;  adieu,  ami  pèlerin. 

le  pèlerin.  Je  m'y  oblige,  cher  sire,  désormais. 

SCÈNE  III. 
mille. 

amille.  Eh  Dieu',  chercherai-je  sans  cesse  le 
maître  démon  cœur  et  de  mon  amour?  Amis,  que 
je  n'ai  jamais  vu  de  ma  vie,  et  pour  qui  néanmoins 
je  n'envie  rien  au  monde?  Qu'il  m'a  causé  de  peines 
et  de  fatigues,  et  m'a  fait  veiller  de  nuits!  Allons, 
reposons  un  peu  ici,  car  je  suis  vraiment  épuisé.  Ce- 
pendant cet  homme  que  je  vois  là  venir  approchera, 
et  je  verrai  s'il  n'a  rien  à  me  dire  d'Amis. 

SCÈNE  IV. 

AMILLE,  AMIS. 

amis.  Dieu  vous  garde  de  chagrin,  sire!  Vousêteè, 
je  crois,  très-fatigué.  S'il  vous  plaît,  veuillez  me  dire 
où  vous  allez. 

amille.  Sire,  vous  me  le  demandez  si  poliment 
que  je  répondrai  :  sauf  votre  plaisir,  je  pense  être  & 
Paris  avant  la  nuit  de  demain. 

amis.  Eh!  mon  cher  ami,  puis-je  vous  faire  une 
autre  question,  sans  me  rendre  coupable  de  vous 
causer  de  l'ennui? 

amille.  Sire,  vous  êtes  si  gracieux  que  vous  pou- 
vez demander  tout  ce  qu'il  vous  plaira  ;  si  vous  me 
commandiez  même  quelque  chose,  je  le  ferais. 

amis.  Sire,  pour  l'amour  du  vrai  Dieu!  je  vou- 
drais savoir  votre  nom;  après,  dites-moi  aussi  la 
vérité  au  sujet  de  votre  état. 

amille.  Sire,  écoulez-moi  donc  tranquillement  :  je 
vous  dirai  chose  vraie  comme  Evangile.  Sachez 
qu'Amille  est  mon  nom.  "Voici  déjà  sept  ans  que  je 
ne  cesse  de  chercher  de  côté  et  d'autre  un  homme 
qui  se  nomme  Amis,  et  qui  ne  me  cause  cette  peine 
que  parce  que,  m'a-t-on  dit  mainte  fois,  sans  con- 
tredit, il  me  ressemble  en  tous  points.  Dieu  veuille, 
ne  nous  puissions  nous  voir  un  jour  ensemble  ! 

amis.  Eh!  seigneur,  embrassez-moi  tout  de  suite, 
puisque  vous  vous  nommez  Amille.  Et  moi  aussi, 
depuis  plus  de  sept  ans  entiers,  j'ai  passé  pour  vous 
pat'  mainte  ville  et  maints  sentiers  escarpés.  A  celle 
heure  je  vous  ai  trouvé,  Dieu  merci  !  Je  ne  veux  pas 
partir  d'ici ,  que  je  ne  vous  aie  promis  sincèrement 
loi  et  loyauté  jusqu'à  la  mort. 

amille.  Cher  ami  ,  je  vous  donne  la  même  assu- 
rance ;  et  jusqu'au  terme  de  ma  vie,  je  vous  le  jure, 
je  ne  vous  faillirai  pas.  Puisque  Dieu  m'a  fait  vous 
trouver  à  celle  heure  ,  voyons  comment  nous  pour- 
rons acquérir  de  la  gloire. 

amis.  Comment?  allons  à  Paris  (aussi  bien  vous 
vous  y  rendez)  pour  savoir  si  nous  serons  reçus  du 
roi  ,  qui  a  une  grande  guerre.  Ça  ,  hàlons-nous  d'y 
aller,  compagnon  Amille. 

amille.  Amis,  ecla  me  plaît  bien,  par  saint  Gilles! 
Allons  maintenant,  Iwcau  compagnon,  allons.  -  Dieu 


115 


\\:i 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


1 1G 


merci!  naiis  avons  tant  marché  que  nous  sommes 
sn  la  ville  de  Paris  ,  et  nous  pouvons  voir  en  plein 
le  roi  et  ses  hommes 

amis.  Cher  compagnon,  allons  nous  présenter  à  lui 
tous  les  deux  en  nous  tenant  par  la  main;  s'il  nous 
retient,  nous  ne  pouvons  qu'y  faire  profit. 

amille.  Allons,  Amis;  vous  dites  vrai. 

SCÈNE  V. 

LES    MÊMES,     LE    ROI    DE     FRANCE,    SEIGNEURS, 
UN    SERGENT    D'ARMES,  UN    MESSAGER. 

amille.  Sire,  que  Dieu  vous  donne  bonne  vie  (à 
vous)  et  à  toute  votre  barounie  que  nous  voyons  ici  ! 

le  roi.  Soyez  les  bien-venus  ,  seignours  compa- 
gnons. Qu'avez-vous  à  dire? 

mis.  Nous  venons,  t.ès-cher  sire,  savoir  si  vous 
n'avez  pas  besoin  de  nous-;  uous  sommes  gens  d'ar- 
mes à  solde. 

le  roi.  Seigneurs,  vîtes-vous  jamais  deux  hommes 
se  ressembler  autant?  Par  le  glorieux  roi  du  ciel  !  je 
crois  que  non 

hardré.  Quanta  moi,  cela  ne  m'est  certainement 
arrivé  en  aucun  pays. 

le  comte  grimaut.  Sire ,  je  suis  ébahi  de  ce  qu'ils 
se  ressemblent  partout,  non  pas  en  une  seule  chose, 
mais  en  toutes,  de  visage  et  de  corps  ,  uniformé- 
ment. Je  suis  d'avis  que  vous  les  receviez ,  car  cha- 
cun d'eux  esi  bien  taillé  pour  valoir  un  homme. 

un  sergent  d'armes.  Valoir  un  homme  !  par  saint 
Pierre  de  Rome!  je  ne  vis  gaillards  mieux  faits,  et 
sans  doute  ils  sont  de  fait  et  de  cœur  ce  qu'ils  sem- 
blent. 

le  messager.  Sire,  qu'on  arme  aussitôt  vos  gens; 
car  en  deçà  du  bois  de  Saint-Cloud,  des  ennemis  sans 
nombre  sont  en  marche  pour  vous  attaquer;  ils 
comptent  surprendre  aujourd'hui. 

le  roi.  En  avant,  beaux  seigneurs!  Allez-vous-en 
sur-le-champ  à  leur  rencontre  ,  et  écrasez-les.  j'ai 
dans  Paris  plus  de  dix  mille  gens  d'armes.  Messager, 
va  partout  crier  à  haute  voix  qu'ils  fassent  une  sortie, 
sans  retard. 

le  messager.  Très-redouté  seigneur,  j'y  vais  sur- 
le-champ. 

amille.  Sire,  nous  qui  depuis  si  peu  de  temps 
sommes  à  votre  service,  nous  irons  aussi  combattre, 
s'il  vous  plaît? 

le  roi.  Oui,  allez  sans  retard;  ne  le  vous  dis-je 
pas? 

amis.  C'est  tout  ce  que  je  cherchais.  Amille,  allons  ! 

SCÈNE  VI. 

LE    MESSAGER. 

le  messager.  Je  veux  crier.  Aux  armes,  barons  ! 
ne  restez  pas  cois,  grands  et  petits;  sortez  de  bon 
cœur,  car  le  roi  vous  le  mande  par  moi  :  les  ennemis 
courent  près  d'ici  en  saccageant  le  pays.  Je  m'en 
vais  jusqu'à  Saint-Cloud,  vers  le  bois,  voir  la  ba- 
taille. 

SCÈNE  VII. 

LE      ROI,      SEIGNEURS,     LE      COMTE     GRIMAUT, 
HARDRÉ. 

le  roi.  Seigneurs,  j'ai  dans  le  cœur  un  profond 
ennui  de  ne  pouvoir  ni  prendre  ni  tenir  Gombaut 
qui  me  fait  cette  guerre  ;  il  foule  mes  li  oui  nies  et 
saccage  ma  terre;  voilà  ce  dont  je  suis  accablé.  Si 
nous  considérions  encore  comment  me  tirer  de  là. 

le  comte  grimaut.  Sire,  ce  Gombaut  a  bien  des 
ruses  :  ainsi  ,  jamais  il  n'attaque  ni  ne  combat  que 
par  surprise  ;  il  n'y  a  pas  à  en  douter. 

hardré.  Et  encore  sa  passion  n'est-elle  pas  assou- 
vie ;  car  il  ne  songe,  sire  ,  qu'à  vous  nuire  de  plus  en 
plus  ,  jusqu'à  la  lin  de  ses  jours,  de  même  qu'à  dé- 
truire de  tous  côtés,  s'il  peut:  ah!  qu'il  est  mau- 
vais! 


le  comte  grimalt.  Il  n'y  parviendra  jamais;  cest 
un  fou  et  u:i  outre -cuidant.  Le  roi  peut  avoir  des 
chevaliers  aussi  courageux  qu'il  est.  Oui ,  assez  ,  je 
vous  le  promets  ,  et  qui  le  mèneront  si  rude,  que, 
malgré  lui  ,  ils  le  rendront  prisonnier  au  roi  qui 
est  ici. 

le  roi.  Eh  bien,  attendons.  Je  ne  me  plaindrai  plus 
qu'à  Celui  qui  peut  seul  ne  lui  donner  ni  le  pouvoir 
ni  la  force  de  me  faire  du  mal. 

SCÈNE  VIII. 

LES    MÊMES,   LE    MESSAGER. 

le  messager.  Monseigneur  ,  votre  gloire  s'aug- 
mente :  vous  devez  avoir  au  cœur  grand'joie  ,  car 
vos  gens  ont,  dans  un  combat,  si  maltraité  l'ennemi, 
qu'il  s'est  rendu  prisonevr  et  mis  à  votre  merci. 

le  roi.  Est-ce  la  vérité,  messager,  que  lu  me  dis? 

le  messager.  Oui ,  sire,  par  le  Dieu  de  paraJis, 
n'en  doutez  aucunement  :  j'ai  vu  toute  l'affaire  ;  et 
Amille  et  Amis  ont  l'honneur  de  la  bataille,  car  ils 
ont  pris  Gombaut  et  le  comte  Bernard.  11  n'y  a  per- 
sonne qui  ait  fait  un  pareil  carnage  de  gens  :  c'est 
merveille  combien  ils  sont  preux.  Vous  les  verrez  à 
l'instant  ;  ils  viennent,  et  chacun  d'eux  tient  et  amène 
son  prisonnier. 

le  roi.  Pour  cite  nouvelle,  je  vais  le  faire  donner 
cent  livres  tournois.  Je  ne  fus  jamais  si  joyeux  de- 
puis trois  mois  comme  de  savoir  que  Gombaut  est 
pris.  Par  ma  tète!  je  ferai  de  ceux  qui  ont  pris  lui 
et  ses  hommes  ,  des  seigneurs  puissants. 

SCÈNE  IX 

LES   MÊMES,  GOMBAUT, BERNARD,  AMIS,    AMILLE. 

gomralt  (à  A  mille  et  .-lim's).  Seigneurs,  nous  sommes 
rendus  à  vous.  Mais  je  veux  vous  prier  d'une  chose, 
c'est  de  ne  nous  point  donner  de  maîtres;  ne  nous 
mettez  pas  dans  d'autres  mains  que  les  vôtres  ;  et 
si  vous  voulez  rançon ,  je  vous  donnerai  tantôt 
sans  difficulté  soixante  mille  livres,  à  la  condil;,:n 
d'être  franc   et  libre  de  m'en  aller. 

Bernard  (à  Amis).  Sire,  je  vous  promets  sur  Dieu 
et  sur  ma  foi  de  chevalier,  qu'en  échange  d'un  sauf- 
conduit  pour  prendre  rançon  ,  je  ne  vous  ferai  point 
entendre  sauf  :  vous  aurez  la  moilié  de  ma  terre. 
Faites-le  par  amitié  et  promettez-le-nous,  avant  que 
nous  n'allions  plus  avant  :  vous  agirez  dans  voire 
intérêt. 

amille.  Souffrez  que  non;  nous  remplirons  notre 
devoir.  —  (Au  Roi  de  France.)  Nous  sommes  ,  mon 
cher  seigneur,  les  deux  soldats  nouvellement  à  votre 
service  ,  revenus  pour  vous  faire  présent,  sire  ,  de 
ces  deux  comtes. 

amis.  Mon  cher  seigneur ,  j'ose  dire  et  affirmer  (je 
ne  sais  qui  m'entend)  que  ce  sont  les  souverains  de 
l'armée  ennemie. 

le  comte  grimait.  Amis,  nous  connaissons  leurs 
noms,  et  qui  ils  sont  et  leur  importance.  Si  le  roi 
m'en  croit,  vous  aurez,  pour  celle  capture  ,  une  lé- 
compense  qui  vous  mettra  haut  pour  toujours. 

le  roi.  Par  ma  tète!  il  en  sera  ainsi.  Je  veux  qu'ils 
me  mènent  au  Louvre  eux-mêmes,  avec  toutes  pré- 
cautions, leurs  prisonniers;  et  que  tout  ce  qu'ils  de- 
manderont pour  leur  nourriture  leur  soit  délivré 
sans  faute. 

amille.  Cher  sire,  il  n'en  faut  plus  parler  :  puis- 
que cela  vous  plaît,  cela  sera  fait:  et  comme  l'entre- 
tien a  pris  fin  ,  pensons  à  partir. 

amis.  Sire  Bernard,  sans  plus  parler,  venez-vous? 

ber.nard.  A  votre  commandement ,  seigneur.  (Ils 
e  mettent  en  route.) 

SCÈNE  X. 

AMIS,   AMILLE,   GOMBAUT  ET   BERNARD. 

bernard.  Sire  Gombaut,  la  prière  ici  ne  nous  vaut 
guère;  il  faut  donc  s'armer  de  courage  et  attendre  la 
merci  de  Dieu,  puisqu  il  en  est  ainsi. 


117 


AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


118 


gombaut.  C'est  vrai.  Il  n'a  pas  été  long  à  nous  en 
voyer  clans  son  Louvre  ;  et  nous  y  serons  ,  je  crois  , 
longuement  prisonniers  ;  je  n'ai  pas  l'espoir  que  nous 
ayons  jamais  délivrance  jusqu'à  la  mort. 

df.r.nard.  Pourquoi  ,  sire?  vous  avez  tort  de  dire 
cela. 

gombaut.  Non,  vraiment.  Voici  poxirquoi,  sire  :  la 
tour  du  Louvre  est  si  jurée,  que  lorsqu'une  per- 
sonne, quelle  qu'elle  soit,  y  est  emprisonnée  ,  elle 
reçoit  la  visite  de  la  mort  avant  que  d  en  sortir  ;  n'en 
doutez  nullement. 

Bernard.  Mais  je  ne  crois  pas,  en  vérité,  que  l'on 
nous  y  mette. 

SCÈNE  XI. 

LE    ROI,  HARDRÉ,    LE    COMTE    GRIMAUT. 

le  roi.  Beaux  seigneurs,  dites-moi,  que  faire  à 
l'égard  d'Amis  et  d'Amille?  que  donner  à  chacun 
d'eux  pour  faire  leur  fortune. 

h  ardre.  Sire  ,  si  vous  me  croyez  ,  vous  donnerez 
s  »ns  hésiter  ma  lille  Lubias  à  Amille  :  c'est  un 
beau  présent ,  car  elle  est  si  belle  femme  que  rjen 
n'y  manque;  elle  est  de  plus  dame  de  Bhye  et  tient 
io  comté  en  légitime  héritage  :  vous  le  savez. 

le  comte  grimaut.  Hardie,  par  (ma)  foi!  vous 
avez  bien  dit.  —  Sire ,  ne  le  refusez  pas  :  Amille  a 
mis  lin  à  la  guerre  en  prenant  votre  ennemi.  Il  n'y 
a  pas  un  homme  de  sens  qui,  jamais,  pût  vous  faire 
un  reproche. 

le  roi.  Puisqu'il  vous  semble  que  c'est  bien,  n'en 
parlons  plus;  cela  sera  sitôt  son  retour  vers  nous , 
je  vous  le  promets. 

SCÈNE  XII 

AMIS,  AMILLE 

amille.  Amis,  cher  compagnon,  il  m'est  avis  que, 
puisque  nos  prisonniers  sont  sous  clef,  nous  ne  fe- 
rons pas  mal  de  tirer  vers  le  roi. 

amis.  Vous  dites  vrai,  je  le  veux  bien;  allons, 
Amille. 

amillf  .  Allons ,  car  j'espère  bien  qu'il  ne  peut 
nous  en  arriver  mal. 

SCÈNE  XIII 

LES  MÊMES,  LE  ROI,  GRIFFON  LE  SAVOYARD, 
SERGENT  D'ARMES. 

amille.  Sire  roi,  Dieu  veuille  mettre  paix  en  votre 
royaume! 

Le  roi.  Il  en  serait  bien  temps  désormais,  Amille; 
et  puisse  ce  dessein  lui  plaire!  Peut-être  même  il 
veut  que  cela  soit ,  car  maintenant  que  je  liens  mon 
plus  grand  ennemi,  je  crains  bien  peu  tous  les  autres., 
Or,  si  j'ai  Gomijaut,  c'est  par  vous,  Amille,  et  je 
veux  sans  délai  vous  récompenser  de  votre  action 
d'éclat,  en  vous  donnant  pour  épouse  Lubias  ,  dont 
la  renommée  s'occupe  beaucoup  :  ainsi  vous  serez 
comte  de  Blaye,  seigneur  Amille. 

amm.le.  Monseigneur,  je  ne  veux  pas  vous  dédire; 
mais ,  s'il  vous  plait ,  vous  pourriez  mieux  faire,  en 
la  donnant  à  mon  compagnon  ;  car  par  ses  hauts 
faits,  qui  frappent  les  yeux,  il  en  est  beaucoup  plus 
digne  que  moi. 

le  roi.  Eh  bien  donc!  Amis,  avancez.  Je  vous 
donne  la  belle  Lubias  :  elle  est  comtesse  et  vierge  ; 
qu'en  dites-vous 

amis.  Ce  que  j'en  dirai,  mon  doux  seigneur!  Si 
cela  est  agréable  à  mon  compagnon  Amille,  j'y  con- 
sens, et  je  vous  en  dis  mille  fois  merci. 

HARDRÉ.  C'est  chose  convenue... 

le  comte  grimaut,  Allons!  il  fautdécider  au  mieux 
en  quel  lieu  et  comment  les  noces  se  feront. 

le  roi.  Je  vous  dirai  mon  avis  sur  ce  point  :  Amis 
s'en  ira  à  Blaye;  Amille  et  vous,  Hardré,  vous  l'ac- 
compagnerez avec  vos  gens.  Je  vous  enjoins  de  mettre 


de  l'activité  à  terminer  la  chose,  alln  que  personne 
îe  puisse  ni  n'ose  en  dire  que  du  bien. 

hardré.  Volontiers,  siie,  puisque  tel  est  votre 
plaisir.  —  En  avant,  seigneurs;  sans  débats,  son- 
geons à  nous  mettre  en  route;  et  vous,  Griffon  la 
Savoyard,  allez  devant  pour  nous  frayer  la  route. 

le  sergent  d'armes.  Videz  de  céans  promptement; 
il  vous  faut  partir  d'ici,  s'  vous  ne  voulez  gagner  de 
bons  coups  de  ma  masse. 

SCÈNE  XIV. 

LE    ROI,    LE    COMTE    GRIMAUT. 

le  roi.  Comte  Grimaut ,  il  faudrait  être  tnut 
fait  fou  pour  entreprendre  la  guerre  sans  raison. 
Gombaut  m'a  fait  le  plus  de  mal  qu'il  a  pu;  mais 
enfin  ,  il  est  à  ma  merci  et  je  le  tiens  prisonnier,  ce 
dont  je  remercie  Dieu.  Or  ,  qu'en  pouirai-je  faire? 

le  ccmte  grimaut.  Si  vous  étiez  débonnaire  en- 
vers lui  au  point  de  lui  pardonner,  sire,  et  de  le 
laisser  s  en  aller  à  la  condition  qu'il  vous  jurerait 
d'observer  une  paix  stable  à  votre  égard  ,  ce  serait 
une  grande  courtoisie.  Je  ne  sais  si  vous  êtes,  sire, 
enclin  à  ce  faire. 

le  roi.  Grimaut,  vous  me  rendez  tout  ébahi  :  eh 
quoi!  le  laisser  s'en  aller  vivant!  On  en  rirait  bien! 
Non,  certes,  puisque  je  le  tiens  prisonnier,  jamais  il 
ne  sera  relâché  :  il  a  trop  mal  agi ,  le  félon  traître  ! 

grimaut.  Sire  ,  vous  avez  cause  et  juste  titre 
(d'être  courroucé)  contre  lui,  je  n'en  fais  aucun 
doute  ;  mais  si  vous  lui  faisiez  celte  grâce ,  c'en  se- 
rait une. 

le  roi.  Vraiment!  oui-dà!  prenez  la  prune! 
Qu'il  vive  tant  qu'il  pourra,  il  mourra  dans  ma  pri- 
son, quoi  qu'on  en  dise. 

SCÈNE  XV. 

LA    REINE,  LA    FILLE    DU    ROI» 

la  reine  de  France.  Belle  fille ,  il  me  preno  envie 
d'aller  vers  monseigneur  le  roi  :  allons-y,  vous  et 
moi;  nous  saurons  si  c'est  en  effet  vrai  ce  que  l'on 
m'a  dit,  savoir  qu'il  fait  noces  et  mariage. 

la  fille  du  roi  de  France.  Chèie  mère  ,  j'obéirai 
d'un  cœur  humble  à  votre  volonté  :  je  le  dois  faire. 

SCÈNE  XVI 

LE  ROI,  LA    REINE,  LA   FILLE    DU  ROI,   LE  COMTE 
GRIMAUT» 

la  reine.  Mon  très-cher  seigneur  débonnaire,  nous 
vous  venons  toutes  les  deux  voir  et  vous  demander 
si  c'est  vm  que  vous  avez  fait  un  mariage.  De  qui 
est-ce?  apprenez-le-moi,  s'il  vous  plait. 

le  roi.  Dame,  ce  n'est  pas  chose  secrète  :  Amis 
reçoit  Lubias  pour  femme  ;  et  certes  il  la  vaut  bien , 
dame,  car  il  est  preux,  hardi  et  fort;  c'est  en  partie 
par  ses  efforts  qu'ont  été  pris  mes  ennemis  :  pour 
cela  je  l'ai  mis  en  tel  état  qu'il  sera  comte. 

la  reine.  C'est  bien  fait,  à  mon  avis,  vous  n'en 
aurez  jamais  de  honte. 

le  comte  grimaut.  Certes,  c'est  un  bon  et  cour- 
tois chevalier;  il  n'est  ni  félon  ni  hargneux,  non  plus 
que  son  compagnon,  qui  a  beaucoup  de  mérite. 

la  fille  du  roi.  Qui  est-il ,  messire  Grimaut,  que 
Dieu  vous  garde? 

le  comte  grimaut.  C'est  un  homme  de  si  belle 
nature  qu'il  est  digne  de  grands  honneurs.  Il  a 
toutes  les  bonnes  qualités  :  sens,  force  et  loyauté; 
il  est  très-eourageux,  et  c'est  un  bel  homme. 

la  fille  du  roi.  Sire,  par  saint  Pierre  de  Rome! 
il  n'en  est  que  plus  aimable.  Ntil  ne  devrait  blâmer 
un  tel  chevalier. 

le  comte  grimaut.  Si  lui  et  son  compagnon  ne 
fussent  venus  ici,  par  saint  Ruffin!  la  guerre  n'eût 
pas  été  terminée  comme  elle  est  maintenant. 


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AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


HO 


SCENE  XVII. 

LES  MÊMES,    HARDRÉ,    AMILLE 

hardré.  Mon  cher  seigneur,  que  le  Roi  de  gloire 
soit  bienveillant  pour  vous  et  pour  nous  tous!  Nous 
avons  fait  les  noces  d'Amis;  je  vous  promets  ,  elles 
ont  été  grandes  et  belles;  et,  en  vérité,  il  y  a  eu  des 
daines,  des  jeunes  filles  et  des  nobles  à  foison.  La 
chose  va  bien,  Dieu  merci!  Il  faut  aussi  pensera 
Amille,  mon  cher  seigneur. 

le  roi.  Vous  dites  vrai,  oar  saint  Riquier!  il  faut 
s'en  occuper. 

la  fille.  Messire  Grimaut ,  ce  chevalier  que  je 
vois  ici,  quel  est-il?  H  semble  bien,  Dieu  me  garde, 
un  homme  de  qualité. 

grimai'it.  Dame,  c'est  celui  que  tantôt  je  vous 
louais  tant. 

la  fille.  Sur  mon  àme!  c'était  raison,  car  il  est 
gracieux  et  doux.  — Mon  très-cher  seigneur,  vous 
plaît-il  que  ce  chevalier-ci  me  tienne  compagnie  et 
vienne  avec  moi?  J'ai  un  peu  à  faire  dans  ma  cham- 
bre; ne  doutez  pas  que  je  ne  revienne  ici  sans  délai. 

le  roi.  Cela  me  plaît.  Bon  voyage,  ma  jolie  fille! 

SCÈNE  XVIII. 

LA    FILLE    DU    ROI,   AMILLE. 

la  fille.  Amille,  accompagnez-moi,  à   l'instant. 

amille.  Dame,  volontiers,  par  ma  foi!  où  vous 
voudrez. 

la  fille.  Messire  Amille,  si  vous  voulez  ,  vous 
pourrez  être  bientôt  un  homme  d'importance;  voici 
pourquoi  :  ayez  confiance  en  moi,  vous  êtes  maître, 
s'il  vous  plaît,  de  mon  cœur  et  de  tout  mon  amour  : 
pour  vous  souvent  je  ne  puis  dormir;  jour  et  nuit 
•nés  pensées  sont  tellement  occupées  de  vous,  qu'il 
n'est  nul  homme,  sachez-le,  que  j'aime  autant; 
certes,  je  suis  prête  à  vos  vouloirs. 

amille.  Dame,  les  grands  malheurs  échoient  bien 
souvent  au  moment  où  l'on  croit  avoir  grand  gain. 
Si  réellement  vous  m'aimez  tant,  c'es'.  par  gracieuse 
bonté,  et  non  pas  pour  mon  mérite.. 

la  fille.  Amille,  vous  devez  voir  que  l'amour 
m'a  fortement  émue,  puisqu'il  m'a  amenée  au  point 
de  vous  ouvrir  entièrement  mon  cœur;  niais,  vous 
êtes  sage,  en  me  refusant  courtoisement.  Je  ne  sais 
pas  si  vous  me  trompez  ;  mais  je  pense  qu'un  jour 
viendra  où  il  n'y  aura  plus  en  nous  qu'un  seul  vou- 
loir. 

amille.  Je  voudrais  bien,  certes,  avoir  assez  mé- 
rite pour  sullire  à  vous  servir  à  votre  gré  et  à  mon 
honneur. 

la  fille.  Retournons  vers  monseigneur,  bri- 
sons-là. 

SCÈNE  XIX. 

HA  IV  DUE. 

hardré*  Comment  deviner  par  quel  jeu  Amille  et  la 
fille  du  roi,  soit  en  parole  soit  en  action,  sont  ainsi 
apprivoisés?  Je  les  vois  venir  là  joyeux  et  pleins 
d'allégresse,  ce  dont  j'éprouve  une  grande  jalousie; 
mais  dussé-je  en  perdre  la  vie,  avant  d'aller  loin,  je 
saurai  pourquoi  ils  sont  si  amis. 

SCÈNE  XX. 

LA    FILLE    DU    ROI,    AMILLE,    LE    ROI. 

la  fille.  Monseigneur,  je  reviens  ici  vers  vous, 
comme  je  l'ai  promis. 

le  roi.  Vous  n'avez  pas  trop  demeuré;  qu'avez- 
vous  fait? 

la  fille.  Ah!  si  vous  tenez  à  savoir  ce  que  j'ai 
fait,  vous  enragerez. 

le  roi.  Belle  fille,  Vous  ne  serez  jamais  contrariée 
par  moi 

la  fille,  Je  vous  remercie  de  ce  que  vous  venez 
de  dire,  mon  très-cher  seigneur.  Puisq-i  el  est  vo- 
tre plaisir,  je  m'assiérai. 


amille.  Monseigneur,  s'il  vous  plaisait,  j  irais  un 
peu  jusqu'à  mon  logis;  car,  sire,  le  sommeil  ma 
rend  tout  engourdi;  Je  n'ai  point  dormi  cette  nuit;  :3 
ne  sais  ce  que  j'avais. 

le  roi.  Par  Dieu  !  je  le  veux  bien  :  allez. 

SCÈNE  XXI. 

LA   FILLE   DU    ROI 

la  fille.  Amour,  que  vous  me  tenez  au  cœur  for- 
tement! je  ne  puis  me  séparer  un  instant  d'Amille. 
Tantôt  je  lui  ai  voulu  abandonner  ma  personne;  mais 
il  a  refusé  mon  présent.  Je  sais  bien  qu'il  va  repo- 
ser; en  vérité,  je  vais  me  mettre  près  de  lui  sur  sa 
couche. 

SCÈNE  XXII. 

HARDRÉ. 

hardré.  Eh!  où  va  la  fille  du  roi,  ainsi  seule,  sans 
compagnie!  Certainement,  elle  rejoint  Amille.  C'est 
ce  que  je  veux  savoir  en  la  suivant  de  loin  de  l'œil, 
sans  qu'elle  me  voie. 

SCÈNE  XXIII. 

LA    FILLE    DU    ROI,    AMILLE,   PUIS  HARDRE. 

la  fille.  Amille,  qu'Amour  me  donne  joie  par 
vous  comme  mon  cœur  le  désire!  Comment  vous 
portez-vous,  cher  sire  et  cher  ami? 

amille.  Ah,  dame!  qui  vous  a  conduite  ici?  Vous 
me  déshonorez.  Pour  Dieu  !  allez-vous-en  sans  re- 
tard. 

la  fille.  Non,  non,  je  ne  puis,  car  je  ne  suis  sans 
peines  et  sans  ennui  que  seule  avec  vous,  sire. 

hardré  (survenant).  Amille,  vous  pouvez  bien  dire 
que  vous  avez  pris  pour  récompense  de  vos  hauts 
faits,  le  trésor  le  plus  précieux  qu'ait  le  roi,  en  pre- 
nant, ce  qui  est  clair,  sa  fille  pour  maîtresse;  je  vois 
assez  ce  qu'il  en  est;  mais,  par  la  foi  que  je  dois  à 
Dieu!  le  roi  mon  seigneur  le  saura,  de  sorte  qu'il 
verra  votre  loyauté  à  ce  trait. 

amille.  Sire  Hardré,  pour  Dieu,  grâce!  Veuillez 
n'en  pas  parler,  et  je  m'offre  à  faire  tout  ce  que  vous 
direz. 

hardré.  Vous  n'en  serez  pas  quitte  pour  cela. 
Maintenant  je  m'en  irai  auprès  du  roi,  et,  que  Dieu 
ait  mon  àme!  je  lui  conterai  la  chose.  (Il  sort.) 

amille.  Dame,  je  suis  bien  trahi  pour  vous.  A 
celte  heure,  que  faire  ?  Hardré  sachant  tout,  je  me 
tiens  pour  mort. 

la  fille.  Sire,  rassurez-vous;  vous  êtes  un  che- 
valier hardi  et  preux  et  chacun  sait  que  Hardré  ne 
l'est  pas  :  s'il  vous  accuse,  prenez  contre  lui  champ 
de  bataille,  cl  qu'ensuite  il  en  soit  entre  vous  deux 
ce  qu'il  en  pourra  être.  Je  liens  que  Dieu  vous  ai- 
dera certainement. 

amille.  Dame  je  l'en  prie  sincèrement  :  j'en  ai 
besoin. 

la  fille.  Il  fait  venir  à  bonne  fin  les  entreprises 
qu'on  lui  recommande.  Sire,  sur  ce,  je  m'en  vais. 

amille.  Dame,  que  Dieu  garde  vous  et  moi  do 
chagrin  et  de  douleur  ! 

SCÈNE  XXIV 

HARDRÉ,    LE  ROI,   LA    REINE,  GRIFFON   LE 
SAVOYARD. 

hardré.  Entendez,  sire  roi  de  France,  et  vous, 
dame  qui  êtes  mère  :  je  vous  apporte  une  amère" 
nouvelle.  Votre  fille  a  perdu  son  honneur,  car  je 
l'ai  surprise  avec  Amille... 

la  reine.  Ah,  sainte  Marie,  miséricorde!  Hardré, 
il  n'est  pas  possible  que  ma  fille  soit  tombée  dans 
un  pareil  déshonneur. 

le  roi.  Viens  ici,  Griffon;  sans  retard,  va  auprès 
d'Amille,  el  dis-lui  que  je  le  demande  ici,  va  promp- 
tement. 


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AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


\n 


le  sercent  d'armes.  Cher  sire,  je  vais  vous  le 
chercher. 

SCENE  XXV 

GRIFFON,  AM1LLE. 

i.e  sergent  d'armes.  Sire,  que  bon  jour  vous  soit  don- 
je!  Venez  vers  monseigneur  le  roi  qui  tous  demande. 

amille.  Ami  GrilTon,  puisqu'il  me  mande,  allons! 
je  suis  tout  prêt  d'y  aller. 

SCÈNE  XXVI. 

LE  ROI,    AMILLE,  HARDRÉ,  GRIMAUT,  LA   REINE, 
LA  FILLE  DU   ROI. 

amille.  Sire,  que  Dieu,  de  qui  nait  tout  bien,  vous 
grandisse  en  honneur! 

le  roi.  Il  ne  me  vient  que  déshonneur  par  vous, 
Amille;  alors  que  demandez-vous  donc  à  Dieu? 
Dites-moi  toute  la  vérilé  sans  retard  :  avez-vous  vu 
ma  fille?..  En  est-il  ainsi? 

amille.  Malheur  à  qui  a  dit  cela!  Sire,  on  a  menti. 
S'il  plait  à  Dieu,  jamais  je  ne  serai  pris  en  telle  faute. 

HARDRÉ.  Comment!  ne  vous  ai-je  pas  pris  tous 
deux  ensemble? 

amille.  Parlez  mieux,  s'il  vous  plaît,  Hardré; 
jamais  chose  semblable  ne  sera  prouvée.  Une  telle 
invention  n'est  pas  la  preuve  d'un  grand  dévoue- 
ment comme  vassal  de  votre  roi. 

hardré.  Sire,  sire,  voici  mon  gage;  je  demande 
champ  de  bataille  contre  lui,  vaille  que  vaille;  mais 
si  je  ie  tiens  en  champ  clos,  je  lui  ferai  confesser 
de  tous  points  sa  méchanceté. 

amille.  Sire  Hardré,  dans  vos  actions  il  n'y  a 
que  haine  et  querelles.  S'il  plaît  à  Dieu,  je  me  dé- 
pendrai bien  contre  vous,  sire. 

le  roi.  Ecoutez  tous  deux.  Hardré,  il  me  faut 
des  otages;  autrement  le  gage  ne  se  peut  bien 
soutenir, 

hardré.  Sire,  j'en  ferai  assez  venir.  —  Sire  Gri- 
maut,  vous  plairait-il  d'être  ma  caution?  Allons! 
dites  oui,  je  vous  en  prie. 

grimalt.  Monseigneur,  si  vous  me  voulez  pren- 
dre, je  consens  à  être  otage  pour  Hardré,  avec  ceux 
qu'il  fera  venir  sur-le-champ. 

le  roi.  Il  peut  s'en  dispenser;  j'en  ai  assez,  puis- 
que je  vous  ai.  —  Amille,  il  vous  faut  sans  délai 
donner  des  otages. 

amille.  Sire,  je  suis  un  chevalier  né  en  pays 
étranger  :  ici  jenai  aucun  ami;  mais  si  vous  m'en 
donniez  la  permission,  à  l'heure  même  je  me  met- 
trais en  route  pour  aller  en  chercher. 

iivrdré.  Mon  cher  seigneur,  s'il  peut;  il  esqui- 
vera le  combat,  et  certainement,  s'il  a  une  permis- 
sion, il  s'enfuira. 

le  roi.  Je  n'ai  pas  songé  à  la  lui  donner. — ■ 
Amille,  sachez  qu'avant  que  de  partir  d'ici,  il  vous 
faut  des  olages. 

amille.  Sire,  vous  ordonnez  que  les  gages  soient 
fournis  sans  délai;  mais  tout  étranger  et  tout  dé- 
concerté que  je  suis  de  n'avoir  aucun  ami  mainte- 
nant que  j'en  ai  besoin,  peut-être  Dieu,  qui  sait  et 
voit  tout,  m'enverrait  il  bientôt  son  secours  et  son 
conseil. 

la  reine.  Mon  cher  seigneur,  je  souhaite  par- 
ler. Puisque  Amille  n'a  ici  aucune  parenté,  ma  fille 
et  moi  nous  nous  offrons  à  être  ses  otages;  re- 
cevez-nous donc  comme  tels,  vous  ne  devez  pas 
nous  refuser.  Par  ma  foi!  mon  cœur  ressent  de  la 
pitié  de  le  voir  ailisi  seul,  sans  amis 

le  roi.  Dame,  pour  Dieu,  le  roi  du  ciel!  je  vous 
recevrai  bien  pour  Otage;  mais  je  vous  avertis  que, 
si  Hardré  peut  avoir  le  dessus,  je  vous  ferai  brûler 
et  mettre  en  ce»;ure. 

L)  reine.  Sire,  Dieu  nous  veuille  défendre  de  telle 
mort! 

amille.  Mes  très-chères  et  nobles  dames,  je  vous 
remercie  plus  «3e  mille  fois  de  l'honneur  que  vous 


me  faites  ici;  et  puisque  vous  faites  tant  pour  moi, 
»e  vous  demande  encore  de  me  permettre  d'aller  vers 
mon  compagnon  Amis,  pour  l'amener  ici  comme 
mon  conseiller. 

la  reine.  Amille,  ce  n'est  pas  ma  volonté;  vous 
ne  partirez  pas  d'avec  nous  que  vous  n'ayez  com- 
battu* Je  crois,  Jésus  m'assiste!  que  vous  n'êtes  que 
couardise  et  que  vous  vouiez  fuir. 

amille.  Non  ,  non  ;  mieux  vaut  la  mort  dans  la 
lice  que  la  fuite  ;  je  le  dis,  dame,  n'en  doutez  pas. 

la  fille.  Ma  chéie  dame,  écoutez-moi  :  s'il  vous 
plaît,  vous  lui  permettrez  de  partir,  pourvu  qu'il 
vous  jure  d'être  ici  le  jour  du  champ-clos  et  de  se 
présenter  au  combat  ;  car,  dans  une  affaire  de  celte 
nature,  il  ne  faut  consulter  que  la  prudence  et  le  bon 
sens. 

la  reine.  Fille,  je  vous  cède.  —  Amille,  allons  ! 
levez  la  main  :  vous  jurez  au  Dieu  tout-puissant, 
par  ses  saintes  actions  et  par  ses  paroles,  par  votre 
part  de  paradis,  que,  sans  faute,  vous  serez  ici  le 
jour  où  vous  devez  combattre 

amille.  Ma  chère  dame,  je  le  jure  en  vérité,  ce 
congé  m'est  indispensable  ,  et  puisse  Dieu  me  tenir 
en  santé  et  garder  d'empêchement  ! 

la  reine.  Maintenant  allez-y  donc  sans  tarder, 
car  il  m'agrée  ainsi. 

amille.  Ma  très-chère  et  honorée  dame,  j'y  vais 
tout  droit. 

SCÈNE  XXVII. 

AMILLE,    YTIER. 

amille.  Ylier,  plût  à  Dieu  maintenant  que  je  ne 
couchasse  d'aujourd'hui  dans  une  ville,  et  que  je 
tinsse  ici  mon  cher  compagnon  Amis  ! 

ytier,  écuyer.  Sire,  je  crois  que,  s'il  eût  su  que 
vous  l'alliez  voir,  il  fût  venu  à  votre  rencontre  en 
toute  hâte. 

amille.  Eh,  mère  au  vrai  Dieu  qui  ne  ment  pas  ! 
combien  j'aurai  de  la  joie  au  cœur  quand  je  verrai 
mon  cher  compagnon  !  la  peine  me  touche  peu 
pourvu  que  Dieu  fasse  qu'il  ne  soit  pas  parti.  Eh, 
regarde  !  il  m'est  avis,  par  le  corps  de  saint  Gilles  ! 
que  je  le  vois  venir.  Certainement  c'est  lui.  Sans 
doute,  il  a  su  mes  aventures  et  ma  détresse.  Je  cours 
à  lui 

SCÈNE  XXVIII. 

AMILLE,  AMIS,   YVIKR 

amille.  Cher  compagnon,  loyal,  éprouvé,  s^f?. 
le  bien-venu.  Comment  se  porte  votre  dame?  est-elle 
en  bonne  santé  ?  Diles-mui  la  vérité,  quel  affaire 
vous  mène  ?  où  allez-vous  ? 

amis.  Amille,  mon  cher  et  doux  ami  ,  je  me 
rendais  auprès  de  vous,  tout  épouvanté  d'un  songe 
que  je  lis  avant- hier,  et  dont  je  suis  encore  dans  le 
plus  grand  émoi.  Dans  ce  songe,  il  m'a  semblé  qu'un 
lion  vous  avait  fendu  le  coté  ;  le  sang  en  sortait  en 
tel]  ;  abondance  que  vous  en  étiez  tout  couvert  du 
haut  en  bas;  et  puis  ce  lion  est  devenu  un  homme 
que  l'on  appelait  Hardré,  comme  il  me  sembla  ;  sur- 
le-champ  je  suis  accouru  pour  vous  tirer  de  ce 
mauvais  pas,  et  j'ai  coupé  la  tète  à  votre  ennemi. 
J'ai  tout  dit. 

amille.  Cher  compagnon  ,  et  moi  aussi  j'allais 
auprès  de  vous;  voici  pourquoi,  mon  doux  ami. 
L'autre  jour,  la  fille  du  roi  s'en  vint  à  moi  et  me 
fit  présent  de  sa  personne  et  de  son  amour....  je 
refusai...  Elle  ne  se  tint  pas  toutefois  tranquille.  .  Or, 
Hardré  a  tout  conté  au  roi...  J'ai  nié,  mais  mon  en- 
nemi s'est  fait  fort  de  le  prouver,  et  il  y  a  gage  de  ba- 
taille. Cher  ami,  que  la  chose  aille  comme  elle  voudra: 
mais  jamais  je  ne  retournerai  à  la  cour,  car  j  ai 
tort  ;  et  pour  être  bref,  je  crains,  si  je  livre  bataille 
étant  dans  mon  tort,  de  tomber  du  haut  en  bas  avec 
grande  ignominie. 

amis.  Et  qui  cs,t  pour  vous  otage?  n'y  a-t-il  per- 
sonne ? 


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AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


A  AU 


iU 


amille.  J'ai  la  reine  ma  aanie,  et  sa  tille  ;  et  sachez 
en  vérité  que  je  n'ai  pu  avoir  d'autres  cautions  ; 
encore,  cher  ami,  le  firent-elles  par  pitié,  voyant 
que,  malgré  toutes  les  prières  et  les  supplications, 
personne  ne  me  voulait  cautionner  alors  auprès  du 
roi 

amis.  Ytier,  je  me  fie  à  toi  :  tu  vas  aller  avec 
Amille  te  loger  secrètement  dans  quelque  ville  ;  et 
je  te  défends,  sur  l'amitié  que  tu  me  portes  et  sur 
le  serment  que  tu  m'as  fait,  de  rien  divulguer  à  per- 
sonne. 

ytier.  Personne  ne  saura  rien,  je  vous  l'assure, 
mon  cher  seigneur 

amis.  Cher  compagnon,  sans  plus  long  discours, 
veuillez  m 'embrasser,  et  puis  allez  vous  reposer  ; 
c'est  moi  qui  pour  vous  soutiendrai  le  gage.  11  n'est 
personne,  quelque  fin  qu'il  soit,  qui  puisse  distin- 
guer entre  vous  et  moi. 

amii.le.  Grand  merci,  très-cher  et  doux  ami! 
Adku  ;  que  la  sainte  Trinité  bénévolement  vous 
veuille  garder  de  mal  ! 

amis.  Et  vous  aussi  loyal  compagnon  !  Adieu;  je 
m'en  vais  sans  plus  attendre.  Je  sais  bien  où  je  dois 
prendre  vos  armes  et  votre  destrier. 

SCÈNE  XXIX. 

LE    ROI,    LA    REINE,    HARDRÉ. 

hardré.  Sire,  ne  vous  disais-je  pas  l'autre  jour, 
au  sujet  d'Amille,  il  m'en  souvient  très-bien,  que 
son  défi  tomberait  à  néant  ?  Nous  voici  au  jour  du 
combat  à  outrance  entre  nous  deux.  Moi,  me  voici 
tout  prêt  ;  mais  je  tiens  que  lui  s'est  enfui  ,  car 
depuis  trois  semaines  on  ne  l'a  vu  ni  parmi  les  nobles 
ni  parmi  les  villains,  je  vous  le  fais  savoir  ;  et 
puisqu'il  en  est  ainsi,  je  demande  justice  de  son 
otage. 

la  reine.  Hardré,  vous  avez  garde,  autant  que 
possible,  qu'aucune  parole  de  bien  sorte  jamais  de 
votre  bouche.  Personne  ne  vient  encore  sans  doute, 
mais  attendez. 

hardré.  Je  crois  qu'on  n'est  pas  près  de  l'avoir, 
par  le  Roi  très-haut  !  la  journée  est  avancée  ;  il  est 
déjà  plus  que  prime.  Certes  ,  vous  avez  fait  une 
grande  folie  en  vous  portant  pour  sa  caution,  et  je 
redoute  que  vous  ne  subissiez  le  dernier  supplice. 
Car,  dame,  ainsi  seulement  l'on  fera  raison,  et  l'on 
soutiendra  bonne  justice  ? 

le  roi.  Hardré,  je  ne  suis  assez  faible  pour  ne 
pas  maintenir  le  droit  et  suivant  le  fait,  je  déciderai. 

SCÈNE  XXX 

Là    REINE,     LA     FILLE     DU     ROI,     AMIS      (pOUT 

Amille). 

mus.  Que  le  roi  d'en-haut,  mes  nobles  dames, 
vous  veuille  combler  d'honneur  et  de  joie,  et  tou- 
jours de  bien  en  mieux  ! 

la  reine.  Amille,  soyez  le  bienvenu.  Certes,  j'ai 
ressenti  une  grande  crainte  que  l'on  ne  vous  revit 
plus  ici  ;  Hardré  le  disait,  et  prenait  de  là  occasion 
de  me  menacer  très-méchamment  de  la  mort. 

la  fille  du  roi.  Oui ,  mon  cher  ami  ,  il  nous  a 
épouvantées  au  point  de  nous  faire  pleurer,  le  traître! 

amis.  Dame,  aujourd'hui  je  vais  le  mettre  à  telle 
extrémité  que  je  lui  abattrai  la  forfanterie  du  coup. 

-a  reine.  Cher  ami,  nous  demeurons  trou:  allons- 
nous-en  au  roi,  sans  retard. 

SCÈNE  XXXI. 

LES  MÊMES,  LE  ROI,  HARDRÉ,  LE  COMTE 
GRIMAUT. 

la  reine.  Mon  cher  seigneur,  je  vous  présente 
Amille  prêt  à  combattre  Hardré,  et  à  lui  contester 
ce  qu'il  a  dit. 

hardré.  Sire,  qu'il  n'y  ait  plus  de  débats  :  je  suis 
tout  prêt,  je  vais  monter  à  cheval.  J'ai  le  droit  pour 
moi  et  ne  crains  rien. 


amis.  Monseigneur  ,  qu'il  vous  plaï&e  de  me  don- 
ner aussi  la  permission  d'aller  chercher  mon  cheval. 
Je  reviens  bon  train,  prêt  à  combattre. 

ie  roi.  Allez  ;  je  ne  veux  pas  l'empêcher,  ce  ne 
serait  pas  juste. 

le  comte  crimaut.  Sire,  comment  pourrait- il  y 
avoir  ici  trahison  du  côte  d'Amille  ?  Oserait-il  sô 
présenter  dans  la  lice,  s'il  pensait  avoir  tort  ?  Certes, 
on  sait  qu'Hardré  est  volontiers  querelleur,  et  que 
le  plus  souvent  il  n'est  pas  honteux  pour  mentir. 

le  roi.  Grimant,  que  la  sainte  Foi  m'aide  !  je  ne 
sa  s,  mais  une  fois  dans  la  lice,  ils  n'en  sortiront 
pas  sans  combattre,  soyez-en  sûr,  ni  sans  que  l'un 
d'eux  soit  déconfit.  Quant  au  vaincu,  il  sera  pendu, 
je  vous  promets  :  que  nul  n'en  doute. 

hardré.  Mon  cher  seigneur,  je  suis  tout  prêt  à 
faire  mon  devoir  ;  je  requiers  jugement  contre  ma 
partie,  puisqu'elle  n'est  pas  ici,  et  dis  que  veus  devez 
juger  pour  moi. 

le  roi.  Non,  car  je  vois  venir  Amille  pour  se 
détendre. 

amis.  Mon  cher  seigneur,  veuillez  m'entendre  : 
Voici  Hardré  ;  s'il  veut  dire  quoi  que  ce  soit  contre 
moi,  je  suis  tout  prêt,  sire,  à  liv  er  combat. 

le  roi.  Allons,  paix  !  il  ne  faut  plus  disputer  sur 
ce  sujet.  Pour  cause  vous  avez  affaire  à  lui.  — 
Hardré,  Hardré,  levez  la  main  :  vous  prenez  à  témoin 
Dieu  qui  vous  ciéa,  et  recréa  par  sa  mort;  vous 
jurez  par  le  baptême  que  vous  avez  reçu  ,  et  par  lo 
saint  chrême  que  vous  eûtes  quand  on  vous  fit 
chrétien,  que  vous  avez  vu  de  fait  Amille,  qui  est 
ici,  avec  ma  fille.  En  est-il  ainsi  ? 

hardré.  Oui,  par  les  reliques  des  saints,  qui  sont 
ici  et  dans  tout  le  monde  ! 

amis.  Sire  roi,  que  Dieu  me  confonde  si  jamais 
votre  charmante  hile  de  son  corps  loucha  le  mien. 

le  roi.  Allons,  en  avant!  je  veux  que  sans  délai 
vous  descendiez  à  pied  tous  deux,  et  que  vous  com- 
battiez, quelque  joie  ou  quelque  peine  que  puisse 
causer  à  quiconque  voire  rencontre. 

hardré.  Parjure  félon,  avant  que  j'engage  la  La- 
taille  avec  toi,  je  le  conseille  de  te  rendre  à  moi  et 
de  demander  grâce  et  pardon  :  tu  feras  bien. 

amis.  Traître,  je  n'en  ferai  rien.  Tu  m'as  délié, 
défends-toi,  car  premièrement  tu  auras  de  moi  ce 
coup 

hardré.  En  vérité  ,  il  te  sera  rendu  aussitôt. 
Tiens  ,  dis-moi  si  ce  coup  aussi  est  bon  ou 
mauvais. 

amis.  Certes,  traître  déloyal,  lu  m'as  fortement 
frappé  sur  mon  écu  ;  mais  tu  seras  enfin  vaincu 
dans  celte  bataille.  Tiens  cela  ,  et  dis-moi  vrai, 
qu'est-ce?  cela  te  va-t-il? 

hardré.  Voici  long-temps  que  je  n'ai  été  ainsi 
servi  ,  par  saint  Gilles!  mais  vous  allez  parler, 
Amille,  d'une  autre  manière. 

amis.  J'en  finirai  bientôt  ce  combat  :  tu  ne 
m'échapperas  pas,  félon  hypocrite.  Tiens,  c'est  fait  : 
je  le  vois  tomber,  mon  affaire  s'avance.  Je  te  veux 
monter  sur  la  panse  pour  te  tuer. 

le  roi.  Un  moment.  Amille,  beau  sire,  sachez 
auparavant  s'il  ne  dira  rien  ouVil  vous  criera  merci 
d'amitié  franche. 

amis.  Traître,  avant  que  ta  vie  se  termine,  rends- 
loi  confus,  crie  merci,  ou  lu  mourras  ici  honteuse- 
ment, je  te  promets. 

le  roi.  Que  dit-il? 

amis.  Rien,  il  ne  se  défend  pas  non  plus. 

le  roi.  Passez  outre,  car  je  ne  mets  nul  empê- 
chement à  sa  mort. 

amis.  Hardré,  puisque  je  suis  maître  de  toi,  je 
t'ôlerai  ce  heaume-ci  et  te  couperai  la  tête.  —  Eh, 
gare  !  non  pas  !  car  je  vois  qu'il  est  mort.  —  Mon- 
seigneur le  roi,  je  n'ai  plus  à  combattre  ;  je  vous 
rends  Hardré  mort  :  l'affaire  est  conclue. 

le  roi.  Amille,  je  vous  tiens  pour  chevalier  loyal 
et  preux  :  c'est  raison.  —  Griffon,  a  a  sans  f  arrêter 


4*5 


AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


126 


jti  roi  des  Ribauds,  el  dis-lui  de  nia  part  que  lui  et 
ses  gens  prennent  Hardie  en  ce  lieu,  et  le  mènent 
au  gibet;  là,  qu'il  soit  pendu 

le  sergent  d'armes.  Monseigneur,  puissé-j*  être 
re:idu  à  Dieu  !  je  vais  volontiers  le  quérir  et  lui 
porter  votre  ordre. 

amis.  Dieu  merci!  a  cette  heure  vous  êtes,  mes- 
dames ,  quittes  du  supplice  ;  pour  moi  c'eût  été 
vraiment  dommage,  s'il  en  eut  été  ainsi. 

la  reine.  Vous  dites  vrai  ;  je  rends  grâces  à  Dieu 
de  ce  qui  s'est  passé.  Jamais  rien  ne  me  fit  plus  de 

Ceine  que  les  menaces  qu'il  me  fit;  elles  m'ont  tiré 
ien  des  larmes.  Que  Dieu  lui  pardonne! 

la.  fille  Regardez,  regardez!  le  voilà  bien;  n'en 
parlons  plus 

amis.  Sire,  pour  acquitter  ma  foi,  s'il  vous  plaît, 
vous  me  donnerez  congé;  et  vous,  mesdames,  vous 
ferez  de  même;  car  quand  je  laissai  mon  compa- 
gnon, je  lui  promis,  sur  ma  foi,  que,  sitôt  le  com- 
bat terminé  je  m'en  irais  vers  lui  sans  retard. 

grimaut.  Cher  sire,  réfléchissez  Amille  n'a  reçu 
de  vous  aucun  bienfait;  s'il  s'en  va  ainsi,  c'est  qu'il 
n'a  pas  envie  de  vous  revoir  jamais  :  prenez-y 
garde. 

le  roi.  Par  ma  foi!  c'est  à  quoi  je  pensais.  Gri- 
maut, et  vous  avez  raison.  —  Amille,  je  veux  vous 
donner  ma  fille  en  récompense  de  vos  hauts  faits, 
et  vous  serez  comte  de  Riviers.  Qu'en  dites-vous, 
mo:i  cher  ami,  et  vous  ma  compagne? 

la  reine.  Mon  cher  seigneur ,  qu'il  soit  fait 
comme  vous  dites;  nul  ne  vous  ea  fera  raisonna- 
blement de  reproche,  car  il  e&t  chevalier  preux  et 
d'élite. 

nRUtxUT.  Dame,  c'est  vrai  et  bien  connu;  car  il 
est  l'auteur  d'une  foule  d'exploits,  et  il  a  toujours 
vécu  sans  médire  et  sans  méfaire. 

amis.  Cela  vous  plaît  à  dire,  et  c'est,  sire,  bonté 
de  votre  part;  mais,  mon  doux  seigneur,  je  ne  puis 
revenir  sur  ce  que  j'ai  dit.  Il  faut  qu'avant  tout 
j'aille  chercher  mo;i  compagnon  ;  il  saura  le  résultat 
du  combat  et  le  grand  honneur  que  vous  m'offrez. 
Sire,  agréez  ceci  et  souffrez  qu'il  en  soit  ainsi. 

le  roi.  Non,  non.  Avant  que  de  partir,  Amille, 
vous  la  fiancerez;  et  puis  après  vous  irez  chercher 
votre  compagnon  tout  à  loisir. 

grimaut.  Amille  ,  faites  son  plaisir  sans  le  con- 
tredire. 

amis.  Allons!  de  par  Dieu,  notre  sire!  que  ce  soit 
tout  de  suite. 

le  roi.  Allons!  ma  fille  voici  mes  intentions: 
vous  aurez  Amille  pour  mari;  je  ne  puis  lui  faire 
plus  d'honneur.  Ça,  votre  main  !  et  vous,  la  vôtre! 
Vous  jurez  par  lé  Pater  Nosler  et  par  la  foi  que 
vous  devez  à  Dieu,  que  vous  prendrez  pour  fe-inme 
ma  fille  que  vous  voyez  ici? 

amis.  Sire,  je  vous  jure  par  mon  âme  que  je  le 
ftrai  sitôt  que  je  serai  revenu  d'auprès  de  mon 
ami,  que  j'irai  chercher;  mais  permettez-moi  d'y 
aller. 

le  roi.  Je  vois  bien  que  vous  ne  serez  pas  con- 
tent que  vous  ne  l'ayez  :  allez  le  chercher  et  ne 
restez  pas  longtemps. 

amis.  Nenni,  monseigneur,  en  vérité;  n'en  douiez 
pas. 

SCÈNE  XXXII. 

AMILI.E,  ÏTIER. 

amille.  Ami,  Ylier,  je  suis  dans  une  très-grande 
inquiétude  au  sujet  d'Amis  mon  compagnon,  llardré 
est  félon  et  traître;  comme  lui  sont  la  plupart  de 
ses  parents;  tout  cela  augmente  mon  anxiété.  Ap- 
prochons un  peu  de  Paris,  je  t'en  prie,  et  deman- 
dons des  nouvelles  d'Amis  à  ceux  que  nous  verrons 
venir  de  ce  côté. 

ytier.  Vous  dites  bien,  Dieu  me  garde!  sire,  et 
vous  parlez  loyalement  en  ami.  Allez  devant  :  je  vous 
suivrai. 


SCÈNE  XXXIII. 

DIEU,    GABRIEL. 

dieu.  Gabriel,  va-t'en  sans  délai  au  comte  Amis, 
que  je  vois  aller  là,  et  dis-lui  qu'il  sera  lépreux  pour 
avoir  menti  sa  foi,  et  que  je  veux  qu'il  fasse  péni- 
tence de  ce  péché. 

l'ange.  Sire,  je  saurai  bien  exécuter  vos  ordres 
aussitôt  que  je  l'aurai  atteint. 

SCÈNE  XXXIV. 

L'ANGE    GABRIEL,    AMIS 

l'ange  Gabriel.  Amis,  Amis,  sache  en  vérité  que, 
à  cause  du  serment  que  tu  as  fait  et  que  lu  ne  peux 
tenir.sans  violer  la  loi,  d'épouser  la  fille  du  roi  que 
Dieule  mande  qu'avanl  peu  tu  seras  lépreux.  Jo 
n'ai  plus  rien  à  dire,  et  je  m'en  vais. 

amis.  Ah!  Dieu  qui  êtes  assis  si  haut  et  voyez  si 
loin,  comme  votre  bonté  est  pa; faite!  Sire,  si  j'ai 
péché,  c'est  faute  de  savoir;  aussi  je  vous  demande 
grâce;  et  toutefois  je  ne  cherche  pas  tellement  l'ac- 
complissement de  mon  désir  que  je  n'aime  mieux 
que  votre  volonté  soit  faite  tout  d'abord,  Père  des 
cieux. 

SCÈNE  XXXV. 

AMILLE,    AMIS,    YTIER. 

amille.  Ylier,  Ylier,  de  mes  yeux  je  vois  venir 
mon  compagnon,  ton  maître,  je  vais  à  sa  rencontre. 
—  Très-cher  ami,  loyal  compagnon,  embrassez-moi 
de  vos  deux  mains,  et  me  dites  sans  tarder  com- 
ment la  chose  s'est  passée,  je  vous  en  prie. 

amis.  Cher  compagnon,  quand  je  m'offris  pour 
vous,  Hardré  était  devant  le  roi  ;  il  demandait  défaut 
contre  vous,  et  disait  que  l'heure  du  rendez-vous 
était  passée;  néanmoins  nous  avons  été  en  champ- 
clos,  et  je  l'ai  tué ,  en  vérité  :  par  là  j'ai  tant  plu 
aux  barons  qu'ils  ont  amené  le  roi  à  me  faire  jurer 
sur  ma  foi  que  j'épouserais  sa  fille.  Ainsi  ,  cher 
compagnon,  vous  irez  et  vous  l'épouserez.  Cepen- 
dant je  m'en  retournerai  à  Blaye.  Mais  d'abord 
convenons  d'un  fait.  Voici  deux  hanaps  tout  pireils 
que  j'ai  fait  faire  pour  nous  deux  :  vous  garderez 
celui-ci  pour  l'amour  de  moi  toute  votre  vie;  et  moi 
je  conserverai  celui-là  ,  afin  que  s'il  arrivait  que 
l'un  eût  besoin  de  l'autre  ou  qu'il  se  transportât 
si  loin  que  nous  ne  nous  vissions  de  longtemps, 
nous  puissions  nous  reconnaître,  ô  mon  ami! 

amille.  Certes,  Amis,  vous  avez  agi  comme  un 
ami  loyal. 

amis.  J'ai  toujours  fait  el  ferai  encore  mes  efforts 
pour  agir  ainsi,  Amille.  Allons!  il  vous  faut  aller  a 
la  bonne  ville  de  Paris,  et  moi  à  Blaye  :  ce  n'est 
rien ,  séparons-nous. 

amille.  Adieu,  loyal  et  cher  compagnon.  Celte 
séparation  ne  peut  s'effectuer  sans  des  pleurs.  — 
Adieu,  Ytier  ;  garde  ton  maître.  —  C'est  fait.  Re- 
tournons à  la  cour 

SCÈNE  XXXVI. 

AMILLE,  LE  ROI,  LA  REINE,  LE  COMTE  GRIMAUT. 

amille.  Mon  cher  seigneur,  que  Dieu  vous  main- 
tienne, ainsi  que  madame  et  la  compagnie,  en  santé 
et  en  longue  vie,  s'il  lui  plait! 

le  roi.  Amille,  soyez  le  bienvenu.  Vous  ètes-vous 
ien  porté?  Que  fait  Amis?  ne  viendra-t-il  point 
ici? 

amille.  Nenni,  sire,  car  il  a  trop  d'affaires  pour 
s'éloigner  sans  se  causer  du  tort  et  du  dommage. 

la  reine.  Sire,  pensons,  et  cela  bientôt,  comment 
nos  noces  se  feront;  en  quel  endroit?  ici  ou 
ailleurs? 

le  comte  grimaut.  Ici  les  dépenses  seront  plus 
onéreuses  aux  chevaliers  qui  y  viendront,  qu'elles 
ne  seront  en  une  autre  ville  :  c'est  mon  avis 

le  roi.  Voici  ce  que  nous  ferons,  si   vous  m'en 


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AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


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croyez  :  nous  irons  tous  ensemble  à  Riviers,  et  nous 
y  ferons  les  noces.  Je  donnerai  à  Amille  la  saisine 
île  la  ville  et  du  comté;  de  plus  j'ai  la  volonté  de 
vous  donner  dès  à  présent  cet  hôtel,  Amille,  sans 
hésiter;  en  sorte  que,  lorsque  de  près  ou  de  loin 
vous  viendrez  à  Paris,  vons  ayez  un  lieu  où  vous 
puissiez  loger  sans  embarras. 

amille.  Mon  cher  seigneur  ,  je  vous  remercie 
mille  fois. 

le  roi.  Allons,  mettons-nous  en  chemin  avantqu'il 
soit  plus  tard. 

grimaut.  Allons,  sire,  que  Dieu  y  ait  part!  — 
Amille,  mettez-vous  à  la  droite  de  ma  dame  ;  quant 
à  moi,  je  me  tiendrai  à  la  droite  de  votre  femme,  et 
monseigneur  ouvrira  la  marche.  — Griffon,  vous  qui 
êtes  massier,  faites-nous  faire  place. 

le  sergent  d'armes.  Allons,  allons  !  ou  parle  nom 
divin,  vous  aurez  de  cette  masse-ci.  Faites  large  et 
grande  voie  au  roi  mon  seigneur! 

SCÈNE  XXXVII. 

AMIS,  YTIER. 

amis.  Eh,  Dieu!  qu'il  vous  plaise  que  je  voie  bien- 
tôt la  (in  de  mes  jours;  car  la  vie  n'est  pour  moi 
que  peine  et  chagrin  dans  ce  monde!  Ah!  je  me 
rappelle  ce  que  j'ai  été  au  temps  passé,  et  à  cette 
heure,  je  n'ai  membre  dont  je  puisse  me  servir  : 
m  .s  pieds  ne  peuvent  me  porter,  ma  vue  est  trouble, 
et  mes  bras  et  mes  mains  sont  avilis  de  l'horreur  de 
la  lèpre.  Hélas  !  j'ai  le  corps  si  malade  qu'à  peine 
puis-je  dire  un  mot  !  Ah  !  sire  Dieu,  je  ne  vous  de- 
mande que  la  mort. 

YTiER.  Par  ma  foi  !  sire,  vous  avez  tort  de  souhai- 
ter ainsi  votre  fin  ;  songez  que  Dieu  de  là-haut, 
quand  il  vous  afflige  ainsi,  se  montre  votre  ami 
dévoué,  et  faites  trêve  à  vos  plaintes,  mon  cher 
seigneur. 

amis.  Et  comment,  Ytier ,  ne  pas  me  plaindre9  c'en 
serait  trop  par  ma  foi!  ne  le  comprends-tu  pas?  Puis- 
je  oublier  la  cruauté  et  la  grande  déloyauté  de  Lubias 
ta  dame,  qui,  si  elle  eût  été  ma  fidèle  épouse  et  telle 
qu'il  convenait,  ne  m'eût  pas  contraint  à  mendier  par 
le  pays?...  N'est-ce  pas  étrange  qu'elle  ait  été  la  pre- 
mière à  faire  savoir  mon  mal  à  tout  le  monde  : 
ce  qui  m'a  forcé  d'aller  demeurer  loin  des  hommes 
et  de  la  ville,  dans  une  maison  déserte  et  misérable, 
où  elle  m'a  laissé  mourir  de  faim?  et  encore  elle  a 
tant  machiné  qu'il  m'a  fallu  partir  comme  un  pauvre 
étranger.  Tu  sais  donc  que  la  fortune  m'est  si  con- 
traire et  si  mauvaise,  que  j'ai  été  vilainement  dé- 
pouillé par  mes  propres,  frères.  Le  comble  de  ma 
douleur  est  que  même  ils  n'ont  pas  daigné  me  re- 
connaître, aussi  j'ai  la  rage  dans  le  cœur,  puis- 
que ma  femme  m'a  chassé  'de  mon  comté,  puis- 
que mes  frères  m'ont  renié  ;  repoussé  par  ceux 
qui  so.'it  miens,  honni  par  le  mon  le,  je  prie  Dieu 
que  sans  retard  il  lui  plaise  de  m'envoyer  la 
mort.  Ah  !  qui  me  regarde  sans  avoir  le  cœur  gonflé 
d'horreur!  Ma  douleur  ne  peut  s'exprimer,  et  les 
maux  que  je  souffre  maintenant  sont  sans  pa- 
reils. 

ytier.  Sire,  sire,  je  vous  conseille  d'aller  jusqu'à 
la  bonne  ville  de  Paris  pour  savoir  si  Amille  votre 
bon  ami  y  sera  ;  j'espère  qu'il  vous  fera  grand  bien, 
si  nous  le  trouvons. 

amis.  Hélas!  je  suis  si  faible  que  je  puis  à  peine 
parler  ;  et  puis-je  marcher?  et  je  sais  bien  que  si  je 
pouvais  arriver  auprès  de  lui,  je  ne  manquerais  d'au- 
cune chose  à  mon  désir. 

ytier.  Allons-y  donc, sire;  je  vous  y  conduirai  bien 
et  vous  y  mènerai  volontiers,  même  à  aussi  petites 
journées  qu'il  vous  plaira.  A  présent  dites-moi  si 
nous  irons. 

amis.  Oui  vraiment,  nous  ferons  ce  voyage,  quel- 
que peine  qu'il  doive  nous  causer.  Allons!  pensons 
à    nous  mettre  en   marche.  De  loi   je  ferai   mon 


soutien  pour  avoir  moins  de  fatigue  :  cela  te  Dlai- 
ra-t-il?  r 

ytier.  En  marche,  de  par  Dieu  !  oui ,  allons  par 
ici. 

SCÈNE  XXXVIII. 

AMILLE,    Là    FILLE    DU    ROI,    HENRI    l'ÉCUYER  r 
UHE   SUIVANTE,    ENFANTS    D'AMILLE. 

amille.  Dame,  dame,  nous  approchons  de  la  bonne 
cité  de  Paris;  en  vérité  je  vois  l'hôtel  que  votre  père 
nous  donna  avant  de  nous  emmener  à  Riviers  pour 
nos  noces. 

la  fille.  Que  Dieu  soit  loué  de  ce  que  je  me  vois 
si  près  de  Paris  !  sachez  que  j'en  avais  grand  désir 
au  cœur. 

amille.  Voici  notre  logement.  Dame,  entrez  dedans 
sous  de  bons  auspices  :  nous  sommes  désormais 
par  ailement  sûrs.  —  Allons,  demoiselle,  avancez  et 
amenez  ces  deux  enfants;  venez  aussi,  Henri. 

henri  l'écuyer.  Sire,  je  ferai  sans  délai  votre 
volonté. 

la  demoiselle.  Je  veux  asseoir  ces  deux  enfants 
sur  ce  lit. 

amIlle.  Dame,  asseyons-nous  ici  un  peu  ;  ei  vous, 
Henri,  sans  tarder,  allez  nous  chercher  à  manger 
tout  de  suite. 

henri.  Sire,  je  ne  vous  contredirai  pas  :  j'y  vais 
^ur  l'heure. 


SCÈNE  XXXIX. 

DIEU,    SAINT  MICHEL. 


dieu.  Michel,  lève-toi  sans  tarder  ;  va  savoir  sur- 
le-  champ  d'Amis  s'il  veut  encore  vivre  dans  ce 
monde.  S'il  dit  oui,  avertis-le  de  faire  savoir  se- 
crètement à  son  cher  compagnon,  quand  il  l'aura 
trouvé  et  qu'il  verra  l'instant  favorable,  que  s'il 
avait  le  sang  de  ses  deux  fils  et  s'en  lavait  le  corps, 
il  serait  guéri. 

michel.  Vrai  Dieu,  je  vais  exécuter  en  tout  point 
ce  que  vous  me  commandez. 

SCÈNE  XL. 

AMIS,    YTIER,    PAYSANS,    PUIS    SAINT    MICHEL. 

amis.  Ami  Ytier,  j'ai  très  grand'faim  et  je  voudrais 
bien  m'asseoir.  En  attendant,  vas,  s'il  te  plaît,  prier 
ces  bonnes  gens  de  m'envoyer  un  peu  de  ce  qu'ils 
ont  ;  tu  seras  mon  cher  ami  et  lu  feras  une  bonne 
action,  en  vérité. 

ytier.  Restez  assis,  je  vous  en  irai  tantôt  cher- 
cher. —  Donnes  gens,  je  viens  vous  demander,  pour 
l'amour  de  Dieu,  un  peu  de  votre  pain  pour  celé- 
preux-là,  car  il  a  bien  faim. 

michel  à  Amis.  Amis,  as-tu  encore  au  cœur  le 
désir  de  vivre  dans  ce  monde? 

amis.  S'il  plaisait  à  Dieu  en  qui  tout  bien  abonde 
et  si  c'était  son  vouloir  que  je  revinsse  en  santé, 
je  désirerais  encore  vivre;  mais  je  le  prie  qu'il  me 
délivre  et  m'ôte  de  ce  monde,  si  je  ne  dois  pas  re- 
couvrer la  santé  du  corps. 

michel.  Maintenant  je  te  fais  savoir  ceci  de  sa 
part,  moi,  son  messager  (retiens  bien  mes  paroles, 
tu  agiras  sagement)  :  quand  tu  auras  trouvé  Amille 
elle  tiendras  en  particulier,  dis-lui  que,  s'il  veut  te 
guérir,  il  te  faut  avoir,  sans  hésitation  de  sa  part,  le 
sang  de  ses  deux  fils.  Ce  n'est  que  par  ce   sanf 


tout  entière  radicalement  en- 
quitte    et  m'en   retourne  aux 


que  ta  chair  sera 
fin  rénovée.  Je  te 
deux. 

amis.  Ah,  doux  esprit  !  comme  ta  voix  m'a  con- 
solé! elle  m'a  donné  un  nouveau  courage! 

ytier.  Sire,  tenez,  maintenant  niante»,  bien  : 
voici  de  quoi. 

amis.  Je  ne  pourrais,  Ytier,  sur  ma  foi!  le  repos 
m'a  rassasié.  Nous  sommes  pourvus  pour  notre 
souper  :  allons!  partons. 

ytier.  Allons,  en  roule  piomplcmcnt!  j'irai  de- 
vant. 


129 


AMILLE  ,    LA 


AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


130 


SCÈNE  XLI. 


FILLE    DU    ROI  ,     LA 
HKNKl    L'ÉCUYER. 


DEMOISELLE 


il  vous  plaira,  venez 
trop   jeûner 


henri.  Demoiselle,  approchez,  allez  vile  chercher 
une  nappe.  Je  vais  promptement  dresser  la  table:  il 
en  est  temps. 

la  demoisellf.  Henri,  vous  l'aurez  sans  contesta- 
tion; en  voici  une  belle  et  blanche  qui  répand  une 
odeur  douce  comme  celle  de  la  pervenche  :  éten- 
dez-la. 

HENRI.  Monseigneur,  quan 
dîner. 

a  mille.  Dame,  allons  nous  asseoir 
n'est  pas  bon. 

la  fille.  Par  (ma)  foi  !  monseigneur,  vous  dites 
vrai  :  à  table. 

SCÈNE  XLII. 

LES    MÊMES,     AMIS,    YTIER. 

amis.  Ylier,  vois-tu  lace  manoir?  c'est  l'hôtel  que 
Charles  donna  à  Amille  quand  il  lui  fit  épouser  sa 
fille. 

ytier.  Ce  jour-là  il  ne  le  frappa  pas  d'une  bille 
dans  l'œil. 

amis.  Par  saint  Spire  de  Corbeil!  tu  dis  vrai  :  il 
est  bon  et  beau.  Laisse-moi;  je  veux,  comme  un 
lépreux,  faire  retentir  ma  cliquette.  —  Ah,  mon- 
seigneur! n'oubliez  pas  un  pauvre  lépreux. 

amille.  Henri,  avance;  prends  un  hanap  de  bois 
plein  de  vin,  je  le  l'ordonne,  et  du  pain  et  de  la 
viande,  et  porte  tout  cela  à  ce  lépreux  là-dehors, 
pour  que  Dieu  nous  soit  miséricordieux  à  notre 
dernier  jour. 

henri.  Monseigneur,  j'y  vais  sans  retard.  — Frère, 
voici  viande  et  pain;  si  tu  as  un  hanap,  prends-le 
pour  mettre  ce  vin. 

amis.  Cher  ami,  que  le  doux  roi  des  cieux  donne 
la  joie  céleste  à  celui  qui  m'envoie  ces  biens  par 
vous!  Mettez  ici,  sire. 

henri.  Eh,  quoi!  peu  s'en  faut  que  je  ne  dise  que 
c'est  le  hanap  de  monseigneur;  il  n'est  ni  plus  petit 
ni  plus  grand,  mais  tout  pareil. 

amis.  Cher  ami,  je  ne  sais  pas  comment  est  le  ha- 
nap de  votre  seigneur;  mais  je  suis  tout  prêt  à  prou- 
ver que  depuis  longtemps,  je  vous  le  dis  bien, 
ce  hanap-ci  m'a  appartenu  et  m'appartient  en- 
core. 

henri.  Frère,  je  ne  vous  en  parle  plus  quanta  pré- 
sent; mais  en  vérité  ce  hanap  ressemble  à  celui  do 
mon  maître.  — Monseigneur,  par  le  Roi  des  cieux! 
ce  lépreux  qui  est  à  la  porte,  boit  dans  un  bon  ha- 
nap dont  il  est  porteur,  et  qui  est  d'argent,  non  de 
bois.  J'ai  cru  que  c'était  le  vôtre  ,  par  sainte 
Foi! 

amille.  Vraiment?  je  le  veux  voir  à  mon  tour.  — 
Mon  ami,  que  Dieu  vous  donne  son  amour!  D'où 
ètes-vous  ! 

amis.  11  vous  importe  bien  peu,  doux  seigneur. 
Vous  voyez,  je  suis  lépreux  et  bon  à  rien.  Cependant 
je  puis  vous  le  dire.  Je  cherche  Amille  que  je  désire 
bien  voir,  sire;  mais  ne  le  trouvant  pas,  je  voudrais 
mourir,  avec  le  bon  plaisir  de  Dieu. 

amille.  Dussé-je  mourir,  je  ne  pourrais  m'abs- 
tenir  de  vous  baiser.  Cher  compagnon,  vous  êtes 
Amis:  vous  ne  pouvez  me  le  nier,  si  vous  ne  voulez 
renier  toute  amitié  et  toute  foi. 

amis.  Ah,  cher  compagnon  !  auprès  de  vous  je 
ne  puis  retenir  mes  pleurs.  Certes  ,  je  n'aurais  pas 
voulu  venir  jusqu'ici. 

amille.  Dieu  en  soit  loué  au  contraire! — (àYlier.) 
'Eh  !  l'ami,  prenez-le  d'un  côté  ;  et  vous  Henri  (Dieu 
vous  garde  !),  soutenez-le  de  l'autre,  et  amenez-le 
moi  à  l'hôtel  :  je  vais  devant. 

ytier.  Allons  et  suivons-le  promptement. 
amis.  Pour  (l'amour  del  Dieu!  menez-moi  dou- 
cement, mes  chers  amis. 


henri.  Sire,  où  vous  plait-il  que  l'on  le  mette  ? 
dites-le-nous. 

amille.  Asseyez-le  ici,  mes  bons  amis,  jusqu'à 
ce  qu'il  soit  temps  d'aller  se  coucher.  —  Lova! 
compagnon  et  cher  ami,  soyez  le  bienvenu.  Comment 
êtes  vous  resté  si  long-temps  sans  nie  voir  ?  j'en 
suis  tout  ébahi,  par  ma  foi  !  et  il  n'y  a  rien  d'éton- 
nant. 

amis.  Sire,  sans  vous  déplaire,  je  n'ai  pu  mieux: 
j'ai  eu  trop  d'occupations  depuis  que  je  ne  vous 
vis. 

la  fille.  Mon  cher  seigneur,  dites-moi,  quel  est 
cet  homme  que  je  vous  vois  honorer  et  fêler  de  si 
bon  cœur. 

amille.  Dame,  je  puis  bien  vous  le  dire  :  c'est 
mon  cher  compagnon  Amis,  par  qui  fut  mis  à  mort 
Hardré  qui  voulait  faire  mourir  de  mort  douloureuse 
vous  et  votre  mère,  quand  Amis  combattit  à  ma 
place.  Faites-lui  bon  visage,  sans  y  nianauer:  vous 
y  êtes  tenue. 

la  fille.  Ah  !  digne  chevalier  ,  comme  je  vous 
vis  hardi  et  brave  quand  vous  coupâtes  la  tète  à  ce 
méchant  Hardré  !  Vous  arrachâtes  à  la  mort  ma 
mère  et  moi.  En  vérité,  je  vous  ferai  fête,  et  vous 
ne  coucherez  dans  aucun  autre  lit  que  le  mien. 

amis.  Dame,  que  Dieu  vous  rende  le  bien  que 
vous  me  ferez  ! 

la  fille.  Monseigneur,  s'il  vous  plaît,  vous  serez 
assez  bon  pour  me  permettre  d'aller  ouïr  la  messe, 
avant  qu'il  y  ait  plus  grande  foule  à  l'église  ; 
quand  je  serai  de  retour  je  vous  promets  de  faire 
fête  à  Amis. 

amille.  Dame,  ce  que  vous  dites  me  sourit  ;  anez 
donc  à  l'église,  et  menez  tous  vos  gens  avec  vous, 
dame. 

la  fille.  Allons  !  vous  deux,  hommes,  et  vous, 
femme,  accompagnez-moi. 

henri.  Dame,  volontiers  :  je  dois  faire  ce  qui  vous 
plaît. 

la  demoiselle.  J'en  ai  aussi  très-grand  désir  et 
bonne  volonté. 

SCÈNE  XLIII. 

AMIS    ET   AMILLE. 

amii.le.  Mon  cher  ami,  dites-moi  la  vérité  (nous 
ne  sommes  ici  que  nous,  deux)  :  je  vous  vois  bien 
malade  de  la  lèpre,  vous  n'avez  plus  ni  beauté  ni 
couleur  ;  «t  vous  devez  beaucoup  souffrir.  N'est-il 
rien  pour  combattre  votre  mal  et  vous  guérir? 

amis.  Sire,  soyez  moins  impatient  de  l'apprendre; 
car  il  n'est,  j'ose  bien  le  dire  ,  qu'un  moyen  de  me 
guérir  cl  il  est  si  terrible  qu'en  vérité  je  redoute 
fort  de  vous  l'apprendre. 

amille.  Cher  compagnon ,  je  vous  somme  par  la 
foi  que  vous  me  portez,  de  me  révéler  sur-le-champ 
le  remède  efficace  contre  votre  mal  ;  je  vous  en 
prie. 

amis.  Sire,  soit  donc  faite  votre  volonté  ,  bien 
malgré  moi  !  ponr  avoir  une  guérison  complète ,  il 
faut  laver  mon  corps  du  sang  des  deux  fils  que  vous 
avez  vivants;  autrement  je  ne. puis  d'aucune  autre 
manière  recouvrer  la  santé,  quelque  chose  que  l'on 
puisse  pratiquer  ou  faire  sur  moi. 

amille.  Mon  très-cher  et  bon  ami,  vous  demandez 
une  chose  bien  grave ,  et  sur  laquelle  il  faudrait  à 
tout  autre  de  longues  réflexions  ;  mais  moi,  si  véri- 
tablement vous  ne  pouvez  autrement  guérir,  je  les 
tuerai  sur  l'heure  pour  l'amour  de  vous,  et  vous  en 
apporterai  le  sang  :  attendez  moi  ici. 

SCÈNE  XLIV 

AMILLE,  SES    ENFANTS. 

amille.  Sire  Dieu,  que  votre  miséricorde  détourne, 
les  yeux  de  mon  crime,  et  soyez-moi  doux  et  pro- 
pice. —  Hélas  !  mes  enfants  pleins  de  gentillesse, 
voire   père  doit   assurément  éprouver  une  yaude 


tôl 


AMI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMI 


i33 


douleur,  en  venant  ici  pour  vous  mettre  à  mort  sans 
que  vous  m'ayez  fait  aucun  mal.  Je  puis  bien  dire 
qu'en  cela  je  suis  fort  cruel  ;  mais,  d'un  autre  côté, 
que  ne  dois-je  pas  à  la  vive  amitié  de  celui  pour  qui 
je  commets  cette  action  ;  il  n'hésita  pas  à  entrer  à 
ma  place  en  champ-clos,  et  comment  m'acquitter 
envers  lui  pour  ce  qu'il  a  voulu  faire  en  ma  faveur  ? 
Ah  !  mettons  donc  de  côté  tout  amour  paternel.  Oui, 
je  vais  couper  sur  l'heure  la  gorge  à  celui-ci,  et  je 
recevrai  dans  ce  bassin  le  sang  qui  en  sortira.  — 
C'en  est  fait,  il  ne  criera  plus  :  il  est  véritablement 
mort,  et  il  a  jeté  assez  de  sang.  —  Allons  !  à  l'autre, 
il  faut  aussi  me  dépêcher  de.  te  livrer  à  la  mort, 
beau  fils  :  que  ton  âme  soit  en  paradis  !  —  C'est  fait. 
Dieu  !  quand  ma  femme,  qui  est  leur  mère,  aura 
connaissance  de  celte  action,  quelle  douleur  amère 
son  cœur  ressentira  !  et  je  ne  m'en  étonne  pas. 
Maintenant  que  j'ai  le  san^,  je  veux  aller  récon- 
forter mon  compagnon. 

SCÈNE  XLV 

AMIS,    AMILLE 

amille.  Amis,  je  viens  vous  donner  du  courage  : 
voici  le  sang  de  mes  deux  fils  que  j'ai  tués,  soyez- 
en  sûr.  Allons  !  je  vais  vous  en  frotter  le  visage,  et 
je  verrai  ce  qu'il  en  résultera 

amis.  Qu'il  soit  fait  ainsi  qu'il  vous  plaira,  sire 
compagnon. 

amille.  Frottez-en  aussi  vos  mains  en  haut;  c'est 
bien. 

amis.  Elles  ne  sont  déjàplus  aussi  hideuses  qu'elles 
étaient  tantôt  :  la  lèpre  s'en  va  et  tombe.  Voyez,  sire 
compagnon,  comme  elles  sont  belles  :  il  n'y  a  plus 
trace  de  lèpre  ;  Dieu  me  fait  grâce. 

amille.  Amis  ,  Frottez-vous  le  corps  tant  que 
vous  en  ayez  ôté  cette  lèpre  qui  vous  tient. 

amis.  Dieu  merci  !  mon  corps  est  guéri  aussitôt 
que  je  l'ai  touché  du  sang.  Je  n'ai  aucun  membre, 
que!  qu'il  soit,  ventre,  côté,  flanc,  jambes,  qui  ne 
soit  en  bonne  santé. 

amille.  Cher  compagnon,  nous  remercierons  Dieu 
de  cette  grâce  à  l'église,  où  nous  irons  ensemble 
maintenant. 

amis.  Ce  serait  affreux  si  d'humble  cœur  je  ne  le 
faisais.  Par  ma  foi,  allons!  mettons-nous  en  roule, 
sire,  pour  nous  y  rendre. 

SCÈNE  XLVI. 

DIEU,    LA    SAINTE     VIERGE,     GABRIEL,     MlCKtL. 

dieu.  Ecoutez  tous,  vous  Mère,  et  vous,  anges! 
descendez  et  appliquez-vous  à  bien  chanter;  nous 
allons  jusque  chez  Amille,  pour  rendre  la  vie  à  ses 
enfants  qu'il  a  tués  dans  l'espoir  de  guérir  son  ami 
le  lépreux. 

notre-dame.  0  mon  fils,  cette  action  mérite  grâce; 
car  ce  qui  l'y  a  porté,  c'est  la  charité,  et  non  pas 
quelque  colère  contre  ses  enfants. 

dieu.  C'est  vrai;  et  aussi  je  veux  qu'ils  soient 
rendus  à  la  vie.  Allons!  chantez,  mes  amis,  pendant 
la  route. 

Gabriel.  Nous  ferons  ce  qui  vous  plaira. — Mi- 
chel, chantons  sans  délai. 

Rondeau.  Vrai  Dieu,  votre  grandeur  suprême  est 
aussi  la  bonté  et  la  charité  suprême,  car  elle  fait 
grâce  à  tous  les  hommes.  Ovrai  Dieu!  c'est  à  cause 
de  cette  bonté  que  L'homme  met  son  cœur,  et  ses 
soins,  et  ses  désirs  à  vous  servir.  Vrai  Dieu,  etc. 

dieu.  Mère,  je  veux  et  ordonne  qu'en  ma  pré- 
sence, vous  touchiez  de  vos  mains  ces  deux  enfants 
couchés  morts,  en  sorte  qu'ils  reviennent  à  la  vie. 

notre-dame.  Mon  fils,  je  ne  vous  dédirai  pas, 
je  vais  les  toucher  sans  délai.  —  Enfants,  par  la 
puissance  de  Jésus,  qui  est  à  la  fois  mon  lils  et 
mon  père,  qu'aucune  plaie  ne  se  voit  plus  sur 
vous;  mais  soyez  vivants  et  en  bonne  santé,  comme 
s>i  vous  n'aviez  jamais  subi  la  mon. 


dieu.  Nous  avons  fait  notre  devoir:  allons-nous- 
en. 

saint  Michel.  Vrai  Dieu,  nous  ferons  de  cœur 
votre  commandement. 

saint  Gabriel.  C'est  vrai,  Michel  ;  et  nous  achè- 
verons notre  rondeau  d'une  V'jix  mélodieuse. 

Rondeau.  Puisque  par  votre  bonté  l'homme  met 
son  cœur  et  ses  soins  à  vous  servir  de  son  mieux, 
et  qu'il  en  conçoit  le  désir,  vrai  Dieu,  votre  bonté 
souveraine  est  très-excellente  et  pleine  de  grande 
charité. 

SCENE  XL VII 

AMIS,    AMILLE,    LA     FILLE   DD    ROI,    HENRI      l'É- 
CLÏER 

la  fille  du  roi.  Ah!  glorieuse  Madeleine!  quelle 
merveille  sous  mes  yeux  !  —  Pour  Dieu  !  seigneurs, 
dites-moi  lequel  d'entre  vous  deux  est  mon  mari? 
Vous  êtes  si  semblal  les  quant  à  l'extérieur,  que  je 
n'y  trouve  aucune  diflérenec.  Duquel  de  vous  deux 
puis-je  être  la  femme?  Lequel  est-ce? 

amille.  Certainement,  c'est  moi,  dame  comtesse. 
Celui-ci,  c'est  mon  compagnon  Amis,  à  qui  Dieu  a 
rendu  la  sanlé,  comme  vous  voyez 

la  hlle.  Sire  Dieu,  loué  soyez-vous  de  cette 
haute  courtoisie!  Je  n'eus  jamais  de  ma  vie  une 
aussi  grande  joie. 

amille.  Dame,  ne  soyez  pas  si  hâtive  de  vous  ré- 
jouir, car,  sur  ma  foi!  vos  deux  fils  sont  tués;  j'ai 
coupé  la  gorge  à  chacun  d'eux,  et  j'ai  avec  leur 
sang  lavé  Amis  C'est  ce  qui  l'a  guéri  :  mais  nous 
n'avons  pas  moins  lieu  d'être  affligés  de  leur  mort. 

la  fille.  Hélas!  ce  que  v-us  dites  est-il  bien 
vrai? 

amille.  Je  vous  le  jure  par  la  Trinité,  dame,  c'est 
vrai. 

henri.  Marie,  j'y  cours  au  plus  vite  pour  le  sa- 
voir. 

la  fille.  Hélas,  malheureuse!  que  ferai-je?  Hé- 
las, malheureuse!  Mes  chers  lils,  mon  pauvre  moi 
esl  bien  plongé  dans  la  douleur  pour  votre  mort  !  quand 
je  me  rappelle  le  plaisir  et  la  joie  que  je  prenais  en 
vous.  Mon  pauvre  cœur  a  bien  perdu  toute  sa  joie. 

amille.  Ma  douce  compagne  et  ma  sœur,  hélas! 
consolez-vous.  Cessez  de  vous  lamenter,  ou,  par 
mon  aine!  je  m'en  irai  si  loin  que  jamais,  sachez-le 
bien,  dame,  vous  ne  me  verrez. 

la  fille.  Ah,  mort!  comme  mon  cœur  est  empri- 
sonné par  toi,  dans  les  plus  cruels  tourments!  Ja- 
mais rien  ne  me  causera  plus  de  plaisir. 

henri.  Madame,  Dieu  me  donne  joie!  vous  vous 
affligez  bien  sans  cause.  Je  ne  sais  de  quoi  vous 
vous  plaignez  :  vos  deux  fils  ne  sont  nullement  en 
mal,  au  contraire  ils  s'embrassent  et  jouent  l'un 
avec  l'autre,  je  vous  assure 

la  fille.  Henri,  vous  dites  qu'ils  sont  vivants 
et  en  santé? 

henri.  Oui,  madame,  n'en  doutez  pas  :  j'en  viens 
dans  l'instant. 

amille.  Je  n'attends  pUis;  je  cours.  En  avant! 
Mes  enfants!  qu'est-ce  là?  Dame  et  vous  tous,  ve- 
nez ici  :  voici  nos  fils  bien  portants  et  gais,  eux  que 
j'avais  fait  tantôt  mourir. 

la  fille.  Ah!  sire  Dieu!  combien  nous  devens 
d'un  cœur  reconnaissant  le  glorifier,  louer  et  célé- 
brer ton  saint  nom  ! 

la  demoiselle.  Par  ma  foi  !  dame,  nous  le  devons, 
certes,   bien. 

amille.  Jamais  je  ne  mangerai  de  pain,  je  puis 
bien  vous  le  dire  en  vérité,  que  je  n'aie  offert  leur 
poids  de  cire.  — Amenez-les  avec  moi,  femme,  sur- 
le-champ  à  l'église  de  Notre-Dame. 

la  demoiselle.  Sire,  je  ne  vous  dédirai  pas;  je 
vais  les  chercher. 

amis.  Cher  compagnon,  je  veux  vous  prier  de  me 
laisser  aller  avec  vous;  car  il  me  semble,  pour  être 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


133  ANC 

bref,  que  je  suis  tenu  d'y  faire  mon  oflYan.de,  au  • 
lant  qu'aucun  de  ceux  que  je  vois  ici. 

la  fille.  Meltons-nous  tous  ensemble  en  route; 
je  ne  vois  rien  de  mieux. 

ahille.  Ni  moi  non  plus,  que  Dieu  m'aide!  Allons- 
nous-en;  ne  tardons  plus,  et  chantons  par  dévo- 
tion, pour  ces  miracles  .  Te  Deum  laudamus. 

AMITIE  BANNIE  DU  MONDE  (L'),    de 

Théodore  Prodrome.  —  En  1835,  M.  Magnin, 
dans  son  cours  professe  à  la  Faculté  des 
lettres  comptait  le  drame  de  Théodore  Pro- 
drome, Y  Amitié  bannie  du  monde,  parmi  les 
monuments  du  drame  aristocratique  orien- 
tale au  xne  siècle. 

La  carectère  purement  littéraire,  semi- 
païen,  et  nullement  ecclésiastique  de  celte 
pièce,  nous  borne  à  une  simole  citation  : 

l  amitié.  D'abord  je  suis  toujours  unie  purement 
à  Dieu  et  à  la  Trinité.  Je  suis  auss,  mêlée  sans  forme 
corporelle  aux  esprits  mondains  et  aux  triades 
supérieures  comme  les  séraphins,  les  chérubins  et 
les  trônes,  et  à  toutes  les  autres  saintes  milices.  C'est 
moi  qui  fais  régner  la  bienveillance  entre  elles  et 
le  Seigneur;  je  réunis  ces  innombrables  myriades 
d'habitants  du  ciel  et  j'en  forme  une  chaîne  unique. 
Le  seul  Lucifer  jadis  me  prit  en  haine  et  fut  chassé 
de  la  voûte  céleste;  tant  l'ordre  que  j'ai  établi  repose 
sur  moi,  et  ne  peut  être  maintenu  que  par  moi! 
Maudit  soit  le  bavard  Empédocle  qui  disait  que  la 
discorde  était  l'auteur  de  tout  ici-bas.  Oui  a  co'jrbé 
en  sphère  le  vaste  cier  qtri  antiviois  formait  une 
surface  plane?  qui  le  fait  céder  à  la  voix  du  Sei- 
gneur, si  ce  n'est  l'attractive  amitié? 

Emu  parle  récit  des  tribulations  de  l'j4fm- 
tié ,  Y  Etranger  lui  propose  de  l'épouser: 

l'amitié.  Préférez-vous  le  bien  de  vos  amis  au 
vôtre? 

l'étranger.  Je  le  ferai. 

l'amitié.  Vous  pourriez  vous  exposer  à  la  mort 
pour  eux? 

l'étranger.  Oui,  certes. 

l'amitié.  Vous  ne  voudrez  pas  de  mal  aux 
envieux? 

l'étranger.  Non. 

l'amitié.  Vous  aimerez  ceux  qui  médisent  de 
vous  ? 

l'étranger.  Je  les  aimerai. 

l'amitié.  Je  crains  que  les  faits  ne  démentent  ces 
promesses  ? 

l'étranger.  J'ai  promis  sous  le  sceau  du  serment. 

l'amitié.  Rappelez-vous  bien  ce  serment  et  je 
vous  suis....! 

(Cf.  Journ.   génér.  de  ïlnstr.  Publique 
n°  88,  3  sept.  1835,  p.  462.) 

ANCIEN  TESTAMENT  ET  LA  PASS101S 

(  L'  )  [An  1488].  —  On  lil  dans  le  très-remar- 
quable catalogue  que  poursuit  avec  lant  de 
persévérance  et  de  talent  M.  Paulin  Paris 
(Les  manuscrits  françois  de  la  Bibliothèque 
du  Roi  ;  Paris,  1848,  t.  VII,  p.  212)  : 

«  N°  7268.  5.  —  Mystère  de  l'Ancien  Testa- 
ment et  de  la  Passion...  volume  in-k"  magno 
de 281  feuillets,  alignes  longues;  fin  du  xv' 
siècle.  Demi-reliure  à  dos  de  veau  fauve, 
recouvert  d'une  langue  de  veau  rouge,  avec 
le  chiffre  de  Louis-Philippe.  —  Fonds  de 
La  Mare,  n°285. 

«  Ce  volume  est  très-mutilé;  le  premier 
feuillet  conservé  a  élé  restauré  tant  bien  que 
mal   avec   du  papier  IransDnretit.  Il   a  été 


ANC 


134 


écrit  en  1488,  comme  le  prouvent  cou  vers 
placés  a  la  suiledu  grand  mystère,  fui.  270. 

Au  nom  de  notre  sire,  amen  ! 
L'an  de  l'Incarnation  courant 

Mil  mi.  c.  un.  xx.  et  huit. 

Cette  notable  passion 

Fut  par  grande  dévotion 

Achevée  du  tout  descripre.... 

«  Les  premières  lignes  conservées  appar- 
tiennent à  un  sermon  écrit  en  méchantes  ri- 
mes, et  qu'on  pouvoit  débiter  à  la  place 
des  ouvertures  de  nos  modernes  ouvrages 
dramatiques.  Nous  déchiffrons,  ligne  cin- 
quième : 

De  la  célestial 
Ayde  tout  bien  descend 
Du  ciel  inpérial 
A  tout  homme  honneur  vient... 


«  Cela  bourré  de  latin  et  de 
mesure,  se  continue  jusqu'au 
Alors   le   prédicateur   prend 
termes  : 


vers  de  toute 

fol.  4,  recto. 

congé  en    ces 


Dictes,  dictes  amen,  amen, 

Plus  ne  vous  en  diray  cy. 

Le  surplus  vous  démonslrera 

Ce  message  que  véez  là, 

Qu'il  est  ahille  pour  ce  faire.  Amen' 


En   effet 
le  ainsi  : 


au   verso  suivant   le   Message 


Benoîte  soit  la  compaignie 
Qu'il  à  l'honneur  du  fru  t  de  vie, 
Est  aujourd'huy  cy  assanblée; 
De  Dieu  soit  ele  rémunérée  ! 
Nous  nous  prions  très-humblement 
Qu'au  gré  prenez  et  doucement 
Le  mistère  qu'avons  joué 
Qu'avez  de  bon  cuer  escouté 
Sans  faire  noyse  ne  tensons, 
De  quoy  nous  vous  remerevons. 
Demain  verres  cy  plaist  à  Dieu, 
En  ce  mesme  et  propre  lieu  , 
Jouer  de  Dieu  la  Passion 
Ce  nous  avons  temos  et  saison... 

«  Ces  discours  servaient  d'épilogue,  dit 
M.  Paulin  Paris,  à  un  premier  mystère  que 
nous  ne  retrouvons  pas  ici  ;  ou  peut-être  les 
premiers  feuillels  ont-ils  été  transposés  et  le 
discours  devrait-il  être  à  la  fin  de  la  pre- 
mière journée  de  la  Création  et  naissance  du 
Sauveur.  »  Il  nous  semble  plus  probable  que 
les  fragments  cités  par  l'illustresavanlétaient 
l'épilogue  de  la  première  journée  du  drame  , 
comprenant  Y  Ancien  Testament ,  à  la  suite 
duquel  se  joua  la  Passion,  dans  une  seconde 
journée. —  Vient  ensuite,  continue  M.  Paris, 
un  nouveau  sermon  divisé  en  deux  distinc- 
tions; enfin  au  fol.  8  commence  le  mystère 
de  la  Création  du  monde.  Premiers  :  Deus 
Pater  stet  in  Paradiso  in  Cathedra  et  angeli 
nunc  et  inde,  et  dicel  : 

Tout  ce  que  fait  avons  cy  est  bien  ordonné, 
Autre  chose  voulons  faire  à  notre  volonté. 
Or  soit  faietc  et  crée  resplendissant  lumière 
Pour  tout  enluminer  de  ma  grâce  plenière, 
Qu  ils  croiront  fermement  et  tiendront  foy  entière. 

«  Alors  la  lumière  se  fait,  puis  les  anges, 
puis  l'homme. 


155 


ANC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AND 


136 


«  Les  personnages   de  cette   histoire  de 
l'Ancien  Testament  sont  après  Dieu  : 


Lucifer  (il  est  en  abil  d'an- 
ge le  plus  bel). 
Bàcclidu*  ,  premier  diable 
Tempkst.  deuxième       — 
Dessay,  troisième         — 
Orgueil,  à  cheval. 
Despit. 

SERPENS. 

clam  store    (  le    crieur    de 
l'enfer). 

Fol.  23,  verso. 


Danu  oyseuse 

Michiel,  ;uige 

Gabriel. 

Coquus iiiferni  (le  cuisinier 

d<-  l'enfer). 
Adam 
Lve 
désespérance. 


CHAM. 

SETH. 

ABEL. 

MORS  1NFERNI. 

chemubim 
mors  natuîulis. 

Fol.  27. 

NOËL. 
UXOB  NOB. 

se.ii. 

JATRET. 

caanaan  (  la    scène  de  1 
vresse  est  curieuse). 

Foî.  31,  verso. 

rusticl's  (un  Paysan). 

SA  FEMME. 

Fo).  34. 

ABRAHAM. 

AMALITII. 

ISAAC. 

ABQUIN. 

MOYSE. 

GAMALIEL. 

ISSACHAR. 

MARQUE. 

NEPHTALIM. 

ECCLESIA. 

Fol.  42,  verso. 

SYRILLA. 

DANIEL. 

DAVID. 

JÉRÉM1E. 

ISAU3. 

Fol.  45. 

ESPÉRANCE. 

Il'  et    III*  TPELLA. 

CHARITÉ. 

SÉHAPHINS. 

Miir.o  mahia,. 

DAMPS. 

ocTAviEN,  empertur. 

SIONEL. 

GdDEBER. 

GOGUERT. 

BRUNE. 

RUSi  ICL'8. 

MALFbRAS. 

L  HOTE. 

VARLETS. 

LA  :>YNAGOGU«. 

JOSEPH. 

LES  PASTEURS. 

ELISABETH. 

HERSEIN. 

l'evesque  DE  LA  LOT. 

FLA.MBLRGB 

PRIMA  PUELLA. 

Fol.  77. 

LES  TROIS  ROIS 

trotin,  messager  d'Hérude. 

UÉRODE. 
SYMEO. 

Fol.  92. 

JEAN-BAPTISTE. 

PHARAON. 

NASOH. 

PINCKGUERnE. 

SAMCEL. 

La  femme  hérode. 

JACQUEMART. 
ESGLANTINE. 

HÉRODlAS. 

RIFPLART. 

COLIAS. 

TEMPLATOB. 

«  La  Passion  proprement  dite  commence 
au  fol.  113.  Jésus,  nommé  simplement  Deus, 
proche  les  Juifs  et  choisit  d'abord  ses  dis- 
ciples. —  Mais  il  semble  qu'entre  les  feuillets 
114  et  115  il  y  ait  une  lacune.  Dans  le  mys- 
tère figurent  tous  les  apôtres,  et  tous  les 
prêtres  et  princes  des  prêtres.  Les  saintes 
femmes,  les  perclus  guéris  par  miracle. — 
Magdeleine,—   Apothecarius. 

«  Il  nous  suffit  de  dire  que  ce  mystère 

$5)  C'est  un  petit  in-4%  contenant  soixante-un 
feuillets,  ou  cent  vingt-deux  pages  à  deux  colon- 
nes ,  qui  peut  comprendre  environ  dix  mille 
vers. 

(66)  Suivant  la  tradition  vulgaire,  ce  fut  en  Ethio- 
pie que  saint  Matthieu  vainquit  les  deux  magiciens 
Zaroès  et  Arphaxat;  ces  deux  enchanteurs  ne  péri- 
rent ooint  ici,  comme  le  dit  notre  auteur;  ils  passc- 


n'a  rien  de  commun  avec  le  travail  que  nous 
nous  sommes  crus  en  droit  d'attribuer  à  Ar- 
noul  Gréban. 

«  Fol.  269  verso.  Explicit  passio  Domini 
Noslri  Jesu  Christi,  et  ressurreclio  ejus,  et 
plura  alia  documenta  leqis.  »  (  Voy.  Passion, 
H,  §4.) 

AIS DRIEU  (Les  jeux  de  monsieur  Saint). 
—  En  1458,  à  Abbeville,  furent  joués  les 
jeux  de  Monsieur  Saint- Andrieu  (André). 
[Cf.  F.-C.  Louandre,  Hisl.  d: Abbeville:  Ab- 
beville, 1834,  in-8°,  p.238.] 

ANDRY  (Saint). —  On  ne  connaît  point 
de  manuscrit  de  la  Vie  et  mystère  de  saint  An- 
dry. 

Il  en  existe  une  édition  qui  fixe  avec  suffi- 
samment de  certitude  la  date  de  ce  drame  à 
la  première  moitié  du  xvi'  siècle;  c'est  un 
petit  in-4°,  contenant  61  feuillets  ou  122 
pages, à  deuxcolonnes,  qui  peut  comprendre 
environ  dix  mille  vers,  imprimé  à  Paris, 
chez  Pierre  Sergent. 

Les  frères  Parfait,  (ran.s  leur  Histoire  du 
Théâtre  Français  (Paris,  1745,  H)  1%  t.  III, 
p.  27-34),  en  ont  donné  l'analyse  qu^  nous 
reproduisons  ci-dessous.  De  Beauchamr>s 
(Recherches  sur  les  théâtres,  Paris,  1755, 
5  vol.,  t,  I,  p.  224),  et  la  Ribliothèque  du 
Théâtre  Français  (Dresde,  Mich.  Groell,  1768, 
in-8°,  3  vol.,  1. 1,  p.  2),  attribuée  au  duc  do 
La  Vallière,  ont  mentionné  le  Saint  Andry* 

Voici  l'analyse  des  frères  Parfait  : 

MYSTÈRE  DE  SAINCT    ANDRY. 

S'ensuyt  la  Vie  et  Mystère  de  sainct  Andry , 
nouvellement  composée,  et  imprimée  à  Pa- 
ris :  à  86  personnages,  dont  les  noms  s'en- 
suyvent ,  etc..  Ci  finist  la  Vie  et  Mystère 
de  Monseigneur  sainct  Andry,  nouvellement 
imprimée  à  Paris,  par  Pierre  Sergent,  li- 
braire, demeurant  en  la  rue  Neufve  Nostre* 
Dame,  à  l'enseigne  de  sainct  Nicolas  (65;. 
«  Ce  mystère  commence  de  la  même  ma- 
nière que  celui  de  saint  Pierre  et  de  saint 
saint  Paul.  Le  Sauveur,  après  avoir  assem- 
blé ses  apôtres,  et  fait  plusieurs  miracles, 
envoie  saint  Matthieu,  pour  confondre  deux 
fameux  enchanteurs,  qui,  bien  loin  de  se 
rendre  à  ses  discours,  paraissent  fort  éton- 
nés de  sa  conversion. 

zaroe's  enchanteur,  à  son  frère  Arphaxat. 

Haro  !  frère,  j'ay  grande  envye, 
De  Matthieu,  qui  est  converty, 
A  ung  prophète  si  hardy 
Qu'il  n'a  pas  vestu  vaillant  maille. 

«  Leur  obstination  oblige  l'apôtre  à  les 
livrer  au  pouvoir  des  malins  esprits.  Huet  et 
Burgibus,  obéissant  à  ce  commandement, 
sautent  au  cou  des  deux  magiciens  et  les 
étranglent  (66).  Saint  Matthieu  p.isse  ensuite 
à  Margondie,  où  il  est  jeté  dans  une  étroite 

rent  à  Babylone,  et  servirent  par  leur  défaite,  à  il- 
lustrer le  triomphe  des  apôtres  saint  Simon  et  saint 
Jude.  Voyez  Abdias,  livre  vi  de  son  Histoire  des 
Apôtres,  et  Vincent  de  Beauvais,  Miroir  hislorial,  liv. 
xi,  chapitres  78,  79  et  80.  Les  Grébans  ont  été  plu* 
exacts,  comme  on  le  peut  voir  au  mystère  des  Actes 
des  Apôtres. 


137 


AND 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ANF 


ISS 


prison,  après  avoir  eu  les  yeux  crevés. 
Saint  Andry,  envoyé  de  Dieu,  rend  la  vue 
à  son  confrère.  Ces  deux  apôtres  s'embras- 
sent et  continuent  leur  saint  ministère. 
Saint  Andry  va  à  Nicomédie,  et  délivre  les 
habitants  de  la  persécution  des  esprits  ma- 
lins. S  *tan,  Kbron,  Burgibus,  et  Huet,  à  qui 
l'apôtre  ordonne  de  se  retirer,  sortent  sous 
la  forme  de  gros  chiens  noirs,  et  avant  de 
rentrer  aux  enfers,  ils  étranglent  le  fils  d'un 
notable  bourgeois  delà  ville.  Saint  Andry  le 
ressuscite  à  la  prière  du  père  et  de  la  mère, 
e»  emmène  ensuite  ce  jeune  garçon  avec  lui 
pour  l'instruire.  Ses  parents,  après  une  lon- 
gue perquisition,  découvrent  enfin  qu'il  est 
dans  la  maison  du  saint,  ety  mettent  le  feu, 
qui  s'éteint  aussitôt  par  la  puissance  de  l'apô- 
tre. Ce  miracle  convertit  les  assistants,  ils 
demandent  le  baptême  avec  empressement. 
Après  le  leur  avoir  conféré,  l'apôtre  se  rend 
à  Thessalonie.  Verrin  (67),  prévôt  de  celte 
ville,  envoie  trois  de  ses  chevaliers  pour 
l'arrêter  :  les  deux  premiers  se  convertis- 
sent, et  le  troisième  est  assommé  par  les 
démons. 

«  Sur  ces  entrefaites,  saint  Andry  se  pro- 
menant sur  le  rivage,  une  violente  tempête 
jette  sur  le  sable  le  corps  d'un  jeune 
homme  a  qui  il  rend  la  vie.  Ce  jeune  homme 
lui  apprend  qu'il  est  fils  du  roi  de  Gre- 
nade (68),  et  envoyé  exprès  pour  amener  cet 
apôtre  ;  mais  que  le  démon  jaloux  avait 
escité  cette  tempête,  qui  l'avait  submergé, 
lui  quatrième.  Ce  discours  émeut  la  pitié 
"*e  saint  Andry  ,  il  adresse  sa  prière  au 
Seigneur  ;  aussitôt  l'onde  obéissante  rend 
sur  le  rivage  les  corps  des  compagnons  du 
jeune  homme,  qui  reprennent  vie  à  la  voix 
ue  1  apôtre. 

Peu  de  temps  après  Marsimille  (69), 
femme  d'Kgéas,  prévôt  d'Achaïe,  se  plaint 
d'une  fièvre  violente.  Son  époux  en  est  si 
alarmé  que,  de  désespoir,  il  veut  se  passer 
une  épée  à  travers  le  corps.  Heureusement 
Edïdimie,  qui  a  entendu  parler  des  miracles 
de  saint  Andry,  va  le  chercher,  par  ordre  de 
sa  maîtresse.  Elle  reçoit  une  prompte  gué- 
rison,  et  promet  d'embrasser  la  religion  de 
son  libérateur.  Egéas  veut  le  récompenser 
par  de  riches  préseuls  que  l'apôtre  ne  veut 
pas  accepter.  Irrité  de  ce  refus,  et  de  la 
conversion  de  Marsimille,  Egéas  jure  par 
Mahom  et  Jupin  la  mort  de  saint  Andry. 
Ce  dernier  continue  sa  mission,  jusqu'au 
moment  qu'il  est  arrêté  par  les  émissaires 
du  prévôt  d'Achaïe. 

SECOND  TTRAN. 

Allons  a  luy  tretous  ensemble  : 

Peur  a  de  nous  ;  je  crois  qu'il  tremble  : 

Esse  de  peur?  esse  de  f'roit? 

(67)  Les  auteurs  que  nous  venons  de  citer  nom- 
ment Quirin  ce  prévôt  de  la  ville  de  Thessalonique  : 
ils  appellent  aussi  Myrmidonie,  celle  qui  est  ici  sous 
le  nom  de  Margondie. 

(68)  Vincent  de  Beauvais,  livre  ix,  cliap.  70,  de 
son  Miroir  Historial,  dit  que  ce  jeune  homme  était 
lils  de  Sostrate  Macédonien,  dont  on  a  parlé,  et  qu'il 
avait  été  noyé  avec  trente-neuf  de  ses  compagnons, 
en  revenant  d'Italie.  L'auteur  du  mystère  a  voulu 

Dictionn.  des  Mystères. 


PREMIER   TYRAN. 

Miculx  luy  vaulsit  à  l'hameçon 
Avoir  pesché,  qu'estre  venu 
En  ce  pais,  car  bien  tenu 
Il  y  sera. 

«  Saint  Andry  paraît  devant  Egéas  avec  une 
fermeté  inébranlable.  Sa  constance  dans  les 
tourments  augmente  encore  la  fureur  de  ce 
juge  injuste,  et  touche  les  cœurs  des  princi- 
paux de  la  province.  Stratoclès,  frère  de 
Marsimille,  suivi  des  sénateurs  et  des  che- 
valiers, oblige  E-éas,  à  coups  de  bâton,  à 
rétracter  sa  sentence.  Mais  saint  Andry, 
préférant  la  gloire  du  martyre,  refuse  ce 
secours,  et^  prie  Je  Seigneur  de  l'attirer  à 
lui  ;  Dieu  l'exauce,  et  envoie  ses  anges  pour 
recevoir  celte  âme  bienheureuse. 

(Adonc  chantent  les  anqes  ce  qui  s'ensuit,  sur  le  chant 
de  Veni  Creator.) 

LES  ANGES. 

Louer  faull  le  doulx  Roy  Jésus, 
Qui  a  voulu  Andry  aymer, 
Plus  qu'on  ne  sçauraït  racompter. 
Or  allons  donc  le  visiter. 

(Adonc  chantent  ce  qui  s'ensuit,  sur  le  enani  de  Ve- 
xilla  Régis.) 
les  anges. 

Doulx  Jesu-Christ,  tu  sois  loué, 
Qui  tant  est  doulx  et  gracieulx, 
Tu  as  Andry  très  tant  aymé 
Qu'il  sera  couronné  lassus. 

«  Au  moment  que  saint  Andry  expire, 
Egéas  se  sent  atteint  d'une  douleur  insup- 
portable; Lucifer,  ému  de  ses  cris,  ordonne 
à  ses  ministres  de  lui  amener  en  diligence 
l'âme  de  ce  scélérat. 

(Adonc  Sathan  va  quérir  une  brouette  et  Vemma'me,  et 
quant  il  l'a  amenée,  il  dit  ce  qui  s'ensuit.) 

SATHAN. 

Orça,  Diables,  venez  avant, 
Alions  le  querre. 

«  Satan  saisit  Egéas  par  le  collet,  et 
l'ayant  jeté  dans  une  brouette,  le  conduit 
ainsi  aux  enfers. 

(Adonc  les  diables  laissent  aller  l'âme  parmi  le  jeu,  et 
courrent  tous  après,  etc.) 

«  Tandis  que  les  esprits  malins  se  diver- 
tissent des  tourments  de  cette  âme  malheu- 
reuse ,  Marsimille,  Stratoclès,  et  les  autres 
chrétiens  d'Achaïe,  ensevelissent  avec  beau- 
coup de  pompe  le  corps  de  saint  Andry. 

LE  SECOND    SÉNATEUR. 

Nous  chanterons  sans  tarder  plus, 
S'il  vous  plaist,  Te  Deum  laudamus. 

ANE  (La  fête  de  l').  Les  grands  critiques 
du  xviii*  siècle  ont  recueilli  et  publié  les 
documents  relatifs  à  la  fêle  de  l'Ane;  parmi 

ennoblir  ses  personnages. 

(69)  Les  auteurs  qui  ont  rapporté  la  vie  de  saint 
André  la  nomment  Maximille.  On  peut  voir  sur  ce 
sujet,  Abdias,  Vies  des  Apôtres;  Vincent  de  Beau- 
vais, Miroir  historial,  livre  ix,  chapitre  67  et  sui- 
vants; Surius  au  30  de  novembre;  et  les  sixième 
et  septième  livres  du  mystère  des  Actes  des  apô- 
tres. 


133 


ANE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ANE 


les  modernes,  M.  Magnin,  dans  son  cours 
professé  à  la  Faculté  des  Lettres,  a  donné 
seul  quelques  opinions  nouvelles  sur  cette 
formule  de  la  fête  générale  des  Fous.  Il 
considère  cette  cérémonie  singulière  comme 
un  des  développements  des  liturgies  saty- 
riques. 

«  Il  n'y  eut  pas  une  certaine  fête  de  Y  Ane 
ou  des  Fous:  selon  les  temps  et  les  lieux, 
l'Ane  joua  un  rôle  plus  ou  moins  considé- 
rable et  fut  admis  dans  les  offices  (Rouen, 
Sens);  dès  le  vne  siècle,  on  plaçait  a  Cam- 
brai une  ânesse  peinte  derrière  l'autel;  à 
Beauvais,  le  14  janvier,  une  belle  fille  était 
Assise  sur  un  âne,  près  de  l'autel,  pendant 
les  offices.  »  (Journ.  gcn.  de  Vlnstr.  publ.} 
k  oct.  1835,  p.  514.) 

Du  Cange  (Gloss.  inf.  et  med.  lut.,  Paris» 
édit.  Henschell,  Didot,  m-k°,  6  vol.,  t.  III, 
p.  254,  255)  a  publié  les  rites  de  l'église  de 
Rouen  d'après  un  Ordinaire  manuscrit  da- 
tant du  xjic  siècle.  Cet  office  de  l'Ane,  ana- 
logue à  celui  de  la  Nativité  qu'on  célébrait 
à  Saint-Martial  de  Limoges,  n'appartient  à 
la  fête  de  l'Ane  que  par  la  mise  en  scène  de 
l'ânesse  de  Balaam.  Du  Tilliot  (Mémoires  pour 
servir  à  Vhistoire  de  la  fête  des  Fous;  Lau- 
sanne, 1751,  in-i°);  et  l'abbé  La  Bouderie 
l'ont  reproduit  {Journal dis  Paroisses,\$*2.). 

Il  est  intitulé  : 
Ordre  delà  procession  des  Anes  selon  Vusage 
de  Rouen. 

\Les  prophètes  sont  au  milieu  du  vaisseau  de  l'Eglise, 
la  procession  sort  du  cloître,  deux  clercs  du  second 
banc  la  conduisent  :  ils  disent  :  ) 

les  clercs.  Gloriosi  et  famosi.  (Gloire  et  hon- 
neur!) 

le  choeur.  Gloriosi.  (Gloire!) 

les  clercs.  Quem  fuiurum.  (Celui  qui  devait 
venir!) 

le  choeur.  Gloriosi.  (Gloire!) 

les  clercs.  Impiorum  Judœorum.  (Les  Juifs  im- 
pies !) 

le  choeur.  Gloriosi.  (Gloire!) 

les  clercs.  SedJudœi.  (Mais  ces  Juifs.) 

le  choeur.  Gloriosi.  (Gloire!) 

les   clercs.    Israël   infideli,    (Cette  israêl 
dèle.) 

le  choeur.  Gloriosi.  (Gloire!) 

les  clercs.  Génies  mule.  (Est  le  peuple  élu 
Lui!) 

(La  procession  s'arrête  dans  le  milieu  de  l'Eglise  de- 
vant les  six  Juifs  et  les  six  Gentils  placés  les  uns  en 

face  des  autres.) 

les  annonciateurs  :  Nations,  le  Seigneur  s'est  fait 
homme  ! 

les  mêmes  aux  juifs  :  Juifs,  c'est  le  Verbe  de 
Dieu.  Vers.  :  Vestrœ  legis  testes. 

les  juifs.  Vous  n'êtes  pas  pour  commander. 


infi- 


par 


146 

vous,  gentils 


les  annonciateurs  aux  gentils.  Et 
sans  foi  ? 

les  gentils.  Le  vrai  Dieu  Roi  des   rois  ! 

xes  annonciateurs  à  Moiise.  Et  toi ,  législateur 
Moyse? 

moïse,  tenant  les  tables  delà  loi  ouvertes,  aube  et 
chappe,  front  cornu,  longue  barbe,  une  verge  à  la 
main.  Un  autre  viendra  après  moi. 

Les  annonciateurs  le  reconduisant.  Chantez,  peu- 
ples. 

le  CHŒUP.  C'est  un  Juif  pourtant. 

les  mêmes  à  Amos.  Amos,  amour  de  l'âme. 

amos,  vieillard  barbu  tenant  une  épine.  Les  jours 
approchent. 

les  annonciateurs  et  le  choeur.  C'est  un  Juif 
pourtant. 

les  annonciateurs  Ysaie,  toi  qui  sais  le  verbe? 

YSA.ÏE,  barbu,  un  aube,  un  ruban  au  front.  0  destin 
de  la  tige  de  Jessé! 

les  annonciateurs  et  le  choeur.  C'est  un  Juif 
pourtant. 


On  appelle  successivement  Jérémie, 
nicl,  Balaam  assis  sur  son. ânesse. 


Da- 


ln  entant,  avec  une  épée,  supposant  à  ce  que  l'â- 
nesse avance. 

l'anf.sse  (un  quidam  caché  sous).  Pourquoi  me 
frappes-tu  de  tes  talons,  moi  si  malheureuse? 


Samuel,  David,  Osée,  Jolie],  Abdias,  Jo- 
nas,  Micnée,  Naun,  Sophonie,  Aggée,  Za- 
charie,  Ezéchiel,  Malachie,  un  juif,  sainte 
Elisabeth,  saint  Jean-Baptiste,  saint  Simon, 
Virgile,  Nabuchodonosor,  des  hommes  ar- 
més montrant  une  idole  à  des  enfants,  ces 
enfants  repoussant  l'idole,  jetée  dans  la 
fournaise,  la  sibylle,  comparaissent. 

La  messe  commence. 

Les  coutumes  de  Beauvais,  au  xii*  siècle 
encore,  ont  été  recueillies  par  le  même 
érudit. 

«  La  fête  des  Fous  éfait,  dit-il,  fort  sin- 
gulièrement célébrée  à  Beauvais  le  14  jan- 
vier. Une  jeune  fille,  très-jolie,  ayant  au 
bras  un  enfant,  assise  sur  un  âne  élégam- 
ment caparaçonné,  représentait  la  Vierge 
fuyant  en  Egypte.  La  procession  la  condui- 
sait de  la  cathédrale  à  l'église  de  Saint- 
Etienne.  La  jeune  fille  et  l'âne  entraient 
dans  le  sanctuaire  et  se  plaçaient  vers  l'E- 
vangile. La  messe  commençait  et  l'Introït, 
le  Kyrie, le  Gloria,  le  Credo,  étaient  toujours 
accompagnés  de  Hinham,  Hinham.  A  la  fin 
de  la  messe,  le  célébrant  se  tournait  vers  le 
peuple,  et  disait  trois  fois  Hinham,  Hinham, 
Hinham.  Le  peuple  répondait  de  même.  On 
trouve  dans  un  mss.  du  xie  siècle,  qui  dé- 
montre l'antiquité  de  ces  rites  fâcheux,  la 
singulière  prose  suivante  que  l'on  chantait 
à  la  messe  î 


prose  conservée  par  du  cange  et  fragment  de  traduction  ancienne 
R.-produit  par  Leber  dans  sa  Collection  des  meilleures  dissertations;  Paris,  1838,  in-8",  20  vol., t.  K,  p.  368, 


Orientispartibus 
Adrenlavil  Asinus, 
Pi!':',  r  .<  fortissimu^ 
Surcinis  nptissimus, 

Hez,  sire  Asne,  car  char.tez, 
Belle  bouche  rechignez, 
Vous  aurez  du  loin  assez 
Et  de  l'avoine  a  plantez. 


Des  confins  de  l'Orient, 
En  ces  lieux  arrivant, 
Un  àne  beau,  gras,  luisant, 
Portant  fardeaux  lentement. 


DÏCT10.VNA1RE  DES  MYSTERES. 


141  ANE 

Lentus  erat  pedibus, 
Nisi  foret  bacutus, 
Et  eum  in  clunibus 
Pungcret  aculeus. 

Hez,  sire  Asne,  etc. 

Hic,  in  collibus  Sichem, 
Jam  nutritifs  sub  Rubcn, 
Trunsiit  per  Jurdanem, 
Saint  in  Betlitehem. 

Hez,  sire  Asne,  etc. 

Ecce  magnis  attribut 

Subjugalis  fdius 

Asinus  egreghts  "... 

Asinorum  dominas. 

Hez,  sire  Asne,  etc. 

Saltu  vincit  hinnutos, 
Damas  et  capreolos,  .  \        > 

Super  dromcdarios,  ', 

Velux,  Madiuneos. 

Hez,  sire  Asne,  etc. 

Aurum  de  Arabia, 
Thus  et  myrrhum  de  Saba 
Tulit  in  Ecclesia 
Yirtus  A&inaria. 

Hez,  sire  Asne,  etc. 

Dum  trahit  véhicula 
Mulla  eum  sarcinula, 
Jllius  mandibula 
Dura  terit  pabula. 

Hez,  sire  Asne,  etc 

Cum  aristis  hordeurr 
Comedit  et  cardeum 
Triticum  a  palea 
Segregat  in  area 

Hez,  sire  Asne,  etc 

Amen,  dicas,  Asine,  (Hic  genuflectabatur.) 
Jam  salur  de  gramme  : 
Amen,  amen,  itéra 
Aspernare  vetera 

Hez  va'  Hez  va!  Hez  va!  Hez! 
Bialx  sire  Asne  car  allez  ; 
Belle  bouche  car  chantez.  > 

a  Autun,  on  promenait  l'Ane  sous  un 
drap  d'or,  dont  les  quatre  principaux  cha- 
noines de  l'église  tenaient  les  bouts.  A 
Cambrai,  on  laissait  sur  l'autel  un  tableau 
représentant  un  âne  durant  plusieurs  se- 
maines. (Ord.  mss.  eccl.  Camerac,  fol.  36.) 
—  (Du  Cange,  Gloss.  inf.  et  med.  lai.,  v° 
Feslum  Asinorum,  éiiit.  Henscholl,  Paris, 
Didot,  in4°,  6  vol.,  t.  III,  p.  255,  256.) 

t  En  effet,  dans  le  second  registre  de  l'é- 
glise cathédrale  d'Aulun,  du  secrétaire  Ro- 
tani,  qui  commence  en  14-11  et  finit  en  1416, 
on  voit  qu'à  la  fête  des  Fous  on  conduisait 
un  âne  et  que  l'on  chantait  :  Hé,  sire  Ane, 
hé,  hé,  et  que  plusieurs  allaient  à  l'église 
déguisés  et  avec  des  habits  grotesques;  ce 
qui  fut  alors  aboli  et  abrogé.  »  (Du  Tilliot, 
Mém.  pour  serv.  à  Vhist.  de  la  fêle  des  Fous  ; 
Lausanne,  1751,  in-4°,  p.  li;  l'abbé  d'Arli- 
gny,  Mém.  de  littérature,  t.  IV,  notice  sur  la 
fête  des  Fous;  dans  Leher,  Collcct.  des  meill. 


ANE 


145 


Sur  les  confins  de  Sicliem 
Il  fut  nourri  par  Ruben; 
11  passa  per  Jordanem, 
Et  sauta  dans  Bethléem. 


Sa  marcne  vive  et  légère 
Effleure  à  peine  la  terre 
11  vaincrait  dans  la  carrière 
La  biche  et  le  dromadaire. 


Des  trésors  de  l'Arabie, 
Des  parfums  d'Ethiopie,, 
L'Eglise  s'est  enrichie 
Par  vertu  d'ànerie. 


Sous  le  faix  le  plus  pesant, 
Jamais  il  n'est  mécontent 
Et  broyé  patiemment 
Le  plus  grossier  aliment. 


D'un  chardon  il  fait  ripaille 
Et  c'est  en  vain  qu'on  !e  raille 
Si  dans  la  grange  il  travaille, 
11  démêle  et  grain  et  paille. 


Bel  âne,  répète  amen  -, 
Maintenant  ta  panse  est  pleine; 
Bel  âne,  répète  amen  ; 
Ne  songe  plus  à  ta  peine. 


dissertât.  ;  Paris  1838,  20  vol.  in-8%  t.  IX, 
p.  243.) 

On  a  remarqué,  enfin,  que  l'église  de 
Bourges  célébrait  absolument  la  prose  de 
l'Ane  dans  les  mêmes  rites  que  l'église  do 
Sens;  et  l'exactitude  était  telle,  entre  ces 
deux  points  éloignés,  que  le  chant  même 
était,  dans  ces  deux  diocèses,  modulé  sur 
des  tons  absolument  identiques.  {Mercure 
de  France,  décembre  1726,  Lettre  sur  l'of- 
fice des  Fous.) 

ANEAU  (Barthélémy  [70]  ).  —  «  m  à 
Bourges  en  Berry,  fit  ses  études  sous  Mel- 
chior  Volmar,  qui  avait  un  talent  merveil- 
leux pour  instruire  la  jeunesse.  Il  profita 
effectivement  beaucoup  sous  lui  dans  les 
belles-lettres,  mais  il  eut  le  malheur  de 
prendre  dans  sa  conversation  du  goût,  pour 
les  erreurs  du  luthéranisme,  que  Volmar 
professait,  et  de  se  disposera  les  embrasser, 
comme  il  fit  dans  la  suite. 


(70)  Mémoires  pajtr  servir 
P.  Nicero.n,  tome  XXII. 


à  l'Histoire  des  personnes    illuslres    de  la  République   des  Lettres',  par  le 


143 


ANE 


DICTIONNAIRE.  DES  MYSTERES. 


ANE 


144 


«  La  grande  réputation  qu'il  s'acquit 
bientôt  par  son  habileté  dans  les  langues 
grecque  et  latine,  et  la  poésie,  engagea  quel- 
ques-uns des  anciens  échevins  de  Lyon, 
qui  étaient  ses  compatriotes,  à  lui  faire  of- 
frir une  chaire  de  professeur  de  réthoriquo 
dans  le  collège  qu'ils  venaient  d'établir. 
Aneau  l'accepta  avec  joie,  se  rendit  à  Lyon 
et  y  prit  possession  de  son  poste,  qu'il  con- 
serva jusqu'à  la  mort. 

«  0:i  fut  si  content  de  lui,  qu'en  15'*2 
on  le  choisit  pour  être  principal  de  ce  col- 
lège; mais  ii  lit  un  mauvais  usage  de  la  con- 
fiance qu'on  lui  donna  ;  il  s'en  prévalut  pour 
accréditer  l'hérésie,  et  pour  infecter  la  jeu- 
nesse qu'il  instruisait.  On  ne  fut  pas  long- 
temps sans  s'en  Apercevoir,  et  on  se  contenta 
d'abord  d'en  murmurer;  mais  un  accident 
arrivé  le  jour  de  la  Fête  du  saint  Sacrement 
de  l'an  1565  mit  fin  à  la  séduction,  en  termi- 
nant sa  vie  d'une  manière  tragique. 

«  Ce  jour,  qui  était  le  21  juin,  comme  la 
procession  passait  vers  le  collège,  on  lança 
avec  roideur  d'une  des  fenêlres  une  grosse 
pierre  sur  le  saint  sacrement  et  sur  le 
prêtre  qui  le  portait;  soit  que  ce  coup  vînt 
d'Aneau  ou  d'un  autre,  le  peuple  entra  en 
foule  dans  le  collège  et  massacra  Aneau 
qu'il  crut  auteur  de  cet  attentat. 

«  Parmi  les  ouvrages  qu'Aneau  publia,  et 
dont  Je  P.  Niceron  donne  la  liste,  nous 
ne  citerons  que  les  deux  suivants:  Mystères 
de  la  Nativité  par  personnages,  composé  en 
imitation  verbale  et  musicale  de  diverses  chan- 
sons recueillies  sur  i Ecriture  sainte,  et  d'i- 
celle  illustré;  Lyon,  1539,  in-i°  (71)  ;  —  Lyon 
marchant,  satire  française  sur  la  comparai- 
son de  Paris,  Rouen,  Lyon,  Orléans,  et  sur 
les  choses  mémorables  depuis  l'an  152'*,  sous 
allégories  et  énigmes,  par  personnages  mysti- 
ques; Lyon,  15^2, in-12. 

«  11  semble  qu'Aneau  avait  un  frère 
poète  et  musicien;  car  à  la  fin  de  son  livre 
intitulé,  Chant  natal,  contenant  sept  noëls, 
où  se  trouve  le  mystère  de  la  Nativité,  dont 
nous  venons  de  parler,  il  y  a  un  nbël 
mystique,  contenant  (rois  couplets,  sur  le 
chaut  :  Le  Deuil  issu.  Le  second  s'exprime 
ainsi 

Noël,  Noël,  si  hault  que  l'air  en  tonne, 
Non,  riioniine  seul,  mais  tout  animant  dict  : 
Le  grand  Lyon  son  gros  organ  entonne,  (Lyon). 
Noël,  Noël,  à  haulte  voix  bondit  : 
Un  chant  plaisant  fondé  sur  un  bon  dict, 
Le  Rossignol  Vi-liers  par  accords  (Viliers  Aneau). 
Et  un  Aigneau  bailant  luy  répondit, 
Noël  chantant  et  à  cris  et  à  cois. » 

[Histoire  du  Théâtre  français,  par  les  frères 
Parfait,  t.  11,  p.  261-26i.) 

Voy.  Nativité  De  Notke-Seigneur  Jésus- 

C  nni ct   ( I  i ) 

"  ANNONCIATION  DE  LA  VIERGE.  — 
M.  Magnin,  dans  son  cours  professé  à  la 
Faculté  des  lettres  en  1835,  a  fait  mention 
d'un  mystère  de  V Annonciation  de  la  Vierge, 
représenté  à  Civitla-Vecchia,  vers  130i.  (Cf. 
Journal  gén.  de  ilnstruct.  publiq.,   12  no- 

(71)  Du  Yerdier ,  p.  109  de  sa  Bibliothèque,  à 
l'article     Aneau  ,   cite   la    même   édition  ,   et   dit 


vembre    1335,   2*    semestre,    10*    article, 
p.  28.) 

M.  Raynouard,  dans  un  article  publié,  à 
propos  du  mystère  de  Sainl-Crépin  par  le 
Journal  des  Savants,  au  cahier  de  juin  1836, 
a,  comme  M.  Magnin,  attribué  au  xiv*  s.èclo 
V Annonciation  de.  la  Vierge. 

AMI-CHRIST  (L).  -  L' Anti-Christ  est 
tiré  d'un  manuscrit  de  l'abbaye  de  Tegern- 
sée  du  xne  siècle 

Il  a  été  édité  par  dom  Bernar  I  Pez,  dans 
son  Thésaurus  Anecdotorum  novissimus  (Au- 
gustœ  Vindelicoi\,  6  vol.  in-fol.,  t.  11,  p.  3, 
1721,  col.  185-197). 

«  Ce  document,  dit  lo  savant  Bénédictin 
allemand,  témoigie de  l'idée  qu'on  avait,  au 
xii'  siècle,  soit  en  Allemagne,  soit  en  France, 
de  la  grandeur  de  l'empereur  des  Ro- 
mains. »  [Ibid. ,  t.  II,  Dissert.  Isagog. , 
p.  lui  ) 

Le  titre  est  ainsi  conçu  :  Jeu  Paschal  de 
la  venue  et  de  la  mort  de  V Anti-Christ. 

Muralori  [Antiq.  Ital.  med.  œvi,  sive  dis- 
sert.; Milan,  J732,  in-fol.,  t.  11,  vers.  29, 
col.  8i9)  citait  V Anti-Christ  parmi  les  mo- 
numents subsistants  alors  connus  du  théâ- 
tre du  moyen  âge;  Martin  Gerbert  (Decanlu 
et  mus.  sacr.;  saint  Blain,  177i,  in-i°,  2  vol., 
t.  1er,  p.  82)  ;  M.  Magnin,  dans  son  cours  pro- 
fessé à  la  Faculté  des  lettres;  Raynouard  en 
1836  (Journ.  dcsSav.,  cahier  de  juin  1836); 
et  M.  Ach.  inb\n<i\, (Myst.  inéd.du  x\' siècle; 
Paris,  1837,  in-8°,  2  vol.,  t.  1",  préf.  p.  xvi), 
ont  mentionné  ce  drame. 

L'action  de  V Anti-Christ  nous  semble  con- 
tenir deux  idées  distinctes  : 

1°  Le  triomphe  du  saint  empire  romain 
sur  tous  les  peuples. 

2°  L'universelle  domination  de  l'Eglise 
catholique  sur  tous  les  hommes 

I. 

L'Eglise  de  Dieu  et  les  sept  sièges  royaux 
seront  placés  ainsi:  A  l'orient,  l'Eglise  de 
Dieu;  auprès  le  trône  du  roi  de  Jérusalem 
et  le  banc  de  la  Synagogue.  A  l'occident, 
le  trône  de  l'Empereur  romain;  auprès  les 
trônes  du  roi  des  Teutons  et  du  roi  des 
Francs.  Au  nord,  le  trône  du  roi  des  Grecs. 
Au  midi,  les  trônes  du  roi  de  Bubylone  et 
du  Monde  païen. 

Aussitôt  le  Monde  païen  avec  le  roi  de 
Babylone  s'avance  en  chantant: 

—  L'immortalité  des  dieux  doit  être  honorée  partout, 
et  leur  pluralité  redoutée.  Ce  sont  des  sols  et  des 
gens  de  vain  esprit  qui  annoncent  un  Dieu  unique, 
car  les  rites  de  toute  l'antiquité  s'y  opposent.  Et  si 
nous  avions  foi  dans  ce  Dieu  unique,  présidant  à 
toutes  choses,  nous  feiions  de  Dieu  un  esclave  livré 
aux  combats  des  éléments  contraires,  car,  ici,  c'est 
la  paix  qu'il  maintient  dans  sa  clémente  bonté,  et  là 
c'est  la  guerre  que  fomente  sa  cruauté  impie.  De 
même  qu'il  y  a  des  actions  diverses,  i!  y  a  divers 
dieux,  et  la  lutte  universelle  n'est  que  le  spectacle 
affaibli  de  leur  immense  discorde.  Et  qui  dit  qu'il 
n'y  a  qu'un  Dieu  affirme  une  proie  misérable  des 
adversités  universelles.  Non,  ne  disons  pas  qu'un 
Dieu  seul  est  soumis  au  combat  de  l'éternité;  ac- 

qu'ellc  est  in-8°  ;  mais  il  se  trompe,  aussi  bien  que 
ceux  qui  l'ont  copié. 


U3 


ANT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ANT 


118 


cordons  à  tous  les  éléments  la  nature  divine,  nous 
pourrons  alors  distinguer  les  dieux  selon  les  devoirs 
que  chacun  d'eux  remplit. 

Le  Jeu  entier  chante  ces  mois  en  môme 
temps.  Le  Monde  païen  et  le  roi  de  Babylone 
montent  sur  leur  Irô.ie.  Alors  paraît  la  Syna- 
gogue avec  les  Juifs  qui  chantent  ensemble  : 

—  S  igncur,  notre  salut  est  en  toi  ;  l'homme  n'a 
pis  même  l'espoir  de  la  vie,  et  quelle  erreur  que 
u\:spé;*er  le  salut  au  nom  du  Christ!  Eh  quoi!  Lui, 
terrassé  par  la  mort,  donne-t-il  aux  autres  la  vie? 
Il  n'a  pu  se  sauver  lui -même,  qui  pourrait  être  sauvé 
par  lui?  Non,  non,  ô  hommes!  0  Israël,  toi  qui  es 
l'Emmanuel,  tu  adoreras  Dieu,  et  je  l'ordonne  de 
détester  Jésus  parmi  les  dieux  d'Ismaël. 

La  Synagogue  chante  et  monte  sur  son 
trône. 

Alors  l'Eglise, enhabits  de  femme,  s'avance 
brillante,  couronnée,  accompagnée  à  droite 
de  la  Miséricorde  avec  des  parfums,  à  gauche 
de  la  Justice  avec  l'épée  et  la  balance,  l'une 
et  Tant,  e  aussi  en  habits  de  femme.  Par 
derrière,  la  suivent,  à  droite,  les  Apôtres  et 
tout  le  clergé  du  monde;  à  gauche,  l'Empe- 
reur des  Romains  avec  l'Armée.  L'Eglise 
chante  Alto  consilio,  et  ceux  qui  la  suivent 
lui  répondent,  à  chaque  verset: 

—  Telle  est  la  Foi  qui  donne  la  Vie,  dans  laquelle 
est  endormie  la  Moi,  et  quiconque  croit  autre  chose 
est  damné  pour  l'éternité. 

L'Eglise  monte  avec  les  siens,  l'Empereur 
et  l'Année,  sur  son  trône. 

Ensuite  viennent  les  autres  rois  avec 
jeurs  armées,  chantant  chacun  ce  qui  paraî- 
tra séant.  Chacun  d'eux  monte  surson  trône, 
th  que  trône,  et  surtout  le  temple  de  Dieu, 
avant  du  vide  autour  d'eux. 

Alors  l'Empereur  envoie  ses  messagers  à 
chaque  roi,  tt  d'abord  au  roi  des  Francs, 
avec  ces  paroles: 

—  L'histoire  est  témoin  de  l'assujettissement  du 
monde  entier  aux  Romains,  c'est  là  le  secret  de  la 
grandeur  des  premiers  empereurs;  sans  doute  la 
fainéantise  de  quelques-uns  a  dissipé  le  trésor  et 
dilapi  lé  la  puissance  de  l'Empire,  mais  notre  ma- 
jesté suprême  réclame  son  droit  aujourd'hui.  Que 
désormais,  par  consé  pient,  tous  les  rois  payent  les 
tributs  antiques  à  l'Empire  romain  ;  et  comme  le 
peuple  des  Francs  est  puissant  à  la  guerre,  que  son 
loi  serve  l'Empire  de  ses  armes! 

Messagers,  donnez-lui  ordre  de  venir  auprès  de 
nous,  comme  un  sujet  fidèle  et  avec  ses  hom- 
mes. 

Les  messagers  s'en  vont  au  roi  des  Francs, 
et,  se  plaçant  en  face  de  lui,  chantent  ces 
paroles: 

—  L'empereur  des  Romains  à  son  ami  l'illustre  roi 
des  Francs,  salut!  savoir  faisons  à  t.»  Prudence  que 
tu  dois  être  soumis  au  Droit  Romain.  Tiens  donc 
compte  du  Souverain  Empire  et  sois  dans  la  crainte: 
c'est  à  son  service  que* nous  t'engageons  et  nous 
t'ordonnons    de  venir,  en  toute    hâte,    par  ordre. 

lk  roi  be  FRANCE.  Si  l'histoire  a  quelque  puis- 
sance, ce  n'est  point  à  l'Empire,  mais  à  nous  qu'hon- 
neur est  dû.  Car  les  seigneurs  de  Gaules  ont  pos- 
sédé l'Empire  et  1  cul  légué  à  leur  postérité.  Si  nous 
en  sommes  dépouillés,  c'est  par  violence.  Certes, 
obéirions- nous  à  la  violence  ? 


Les  légats  retournent  vers  l'Empereur  et 
chantent: 

—  Eh  bien  !  les  Français  sont  gonflés  d'orgueil, 
ils  s'opposent  hardiment  à  la  majesté... 

L'Empereur  combat,  fait  prisonnier  le  roi 
de  France,  lui  fail  grâce,  et  le  roi  de  France, 
renvoyé  avec  honneur,  chante  en  retournant 
dans  .son  royaume: 

—  Nous  respectons  la  gloire  du  nom  romain. ..etc. 

L'Empereur  envoie  ses  messagers  au  roi 
des  Grecs,  au  roi  de  Jérusalem,  qui  se  re- 
connaissent tributaires. 

Toute  l'Eglise  étant  ainsi  soumise  5  l'Em- 
pire romain,  le  roi  de  Babylone  chante  la 
destruction  des  Chrétiens.  Il  assiège  Jérusa- 
lem. Mais,  sur  l'appel  du  roi,  l'Empereur 
sauve  cette  cité. 

IL 

Alors  apparaissent  les  nypocrites,  qui 
précèdent  l'Anti-Clirist.  L'Anti-Christ  est 
armé,  revêtu  de  la  cuirasse,  accompagné  des 
Hypocrites  à  gauche,  de  Y  Hérésie  à  droite, 
et"  il  dit: 

—  L'heurede  mon  règne  est  venu...  C'eslmoi  que 
le  monde  doit  adorer  et  non  pas  un  autre... 

Il  est,  en  effet,  couronné  par  ses  satellites. 

A  son  tour,  il  envoie  ses  messagers  :  au 
roi  des  Grecs,  qui  se  soumet;  au  roi  de 
France,  qui  plie  le  genou  et  reçoit  la  cou- 
ronne des  mains  de  l'Anti-Christ,  comme 
auparavant  des  mains  de  l'Empereur;  au 
roi  des  Teutons,  qui  se  rebeliionne  et  me- 
nace les  légals. 

L'Anti-Christ  appelle  ses  dévoués  aux 
combats.  Le  roi  des  Teutons,  attaqué, 
triomphe  de  l'Anti-Christ.  Alors  celui-ci  fait 
des  prodiges,  guérit  les  lépreux,  Iesaveugles, 
les  boiteux;  le  roi  des  Teutons  se  laisse 
abuser,  se  soumet,  attaque,  au  nom  de 
l'Anti-Christ ,  son  suzerain,  les  peuples 
adorateurs  d'idoles,  et  amène  à  son  suzerain 
le  roi  de  Babylone. 

La  Synagogue  est  invitée  aussi  à  la  sou- 
mission par  l'Anti-Christ,  et  s'empresse 
d'obéir. 

Mais  les  prophètes  se  lèvent  pour  confon- 
dre l'Anti-Christ  : 

—  Tu  es  le  blasphémateur,  «  disent-ils,  »  l'auteur 
de  l'iniquité,  la  racine  du  mal,  le  perturbateur  de 
la  vérité,  le  séducteur  de  la  piété!  Tu  es  l'Anti- 
Christ! 

L'Anti-Christ  les  livre  a  la  mort,  assemble 
tous  les  rois,  et  leur  dit  : 

— Voici  mon  triomphe,  prédit  longtempsd'avance, 
et  tous  ceux  qui  en  soûl  dignes  vont  jouir  de  ma 
gloire  avec  moi.  Paix  à  ceux  qui  sont  tombés  dans 
ies  illusions  de  la  vanité!  Le  bieai-être  est  uni- 
versel. 

A  ces  mots,  on  entend  un  coup  de  foudre 
au-dessus  d>"  la  tète  de  l'Anti-Christ.  Il  tombé, 
tout  le  monde  fuit. 

L'Eglise  chante  : 

— Voici  l'Homme  qui  n'a  pas  eu  Dieu  pour  aide! 
Moi,  ic  suis  l'olivier  qui  fructifie  dans  le  domaine  de 
Dieu  ! 


U7 


,ro 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


APO 


U8 


Tons  reviennent  à  la  Foi. 
L'Eglise  les  accueille  et  entonne: 
—  Dites  laudes  à  notre  Dieu  ! 

APOCALYPSE  (Mystère  del').  — Il  n'est 
joint  resté  de  manuscrit  du  Mystère  de 
V Apocalypse.  Ce  drame  parut  en  Ï5V1,  im- 
primé 5  la  suite  de  la  seconde  édition  des 
Actes  des  apôtres,  que  donnèrent,  cette  même 
année,  les  frères  Angoliers,  à  Paris.  «  Il  est 
de  la  composition  de  Louis  Chocquet,  assez 
mauvais  poète,  même  pour  son  temps,  et 
fut  représenté  en  1541,  à  l'hôtel  de  Flandre, 
par  les  confrères  de  la  Passion.  »  (Note 
des  frères  Parfait,  Histoire  du  Théâtre  fran- 
çais ;  Paris,  1745.  t.  III,  p.  50.)  De  Beau- 
champs  (Recherches  sur  les  Théâtres  de 
France;  Paris,  1735,  in-8",  3  vol.,  t.  Ier, 
p.  331)  en  a  donné  un  compte  rendu  ;  ce 
drame  a  é'é  analysé  aussi  dans  la  Bibliothè- 
que du  Théâtre  françois,  ouvrage  attribué  au 
duc  de  la  Vallière  (Dresde,  1768,  in-8",  3  vol., 
t.  I",  p.  113)  ;  parmi  les  modernes,  en  1828, 
M.  Sainte-Beuve  (Tableau  hist.  et  crit.  delà 
poésie  fr.  et  du  Th.  fr.  au  xvi*  siècle  ;  Paris, 
1823,  in-8%  2  vol.,  t.  I",  p.  217-234),  a  seul 
cité,  sous  la  date  de  1541,  le  Mystère  de 
V Apocalypse  de  Louis  Chocquet. 

Les  frères  Parfait  en  ont  donné  l'analyse 
suivante: 

MYSTÈRE    DE    L'APOCALYPSE  (72). 

(Cy  ensuyl  le  mystère  de  l'Apocalypse  sainct  Jehan, 
avec  les  cruuutez  de  Domicien  ,  Empereur  de 
Homme,  composé  par  maistre  Loys  Chocquet.) 

«  Polipison,  sénateur  romain,  vient  an- 
noncer au  sénat  assemblé  la  mort  du  bon 
empereur  Titus,  ajoutant  qu'il  faut  songer 
à  lui  élire  un  successeur.  Toutes  les  voix  se 
réunissent  en  faveur  de  Domitien,  à  qui  on 
va  offrir  l'empire.  Ensuite  paraissent  deux 
bourreaux,  Torneau  et  Pesait, qui  cherchent 
îi  se  mettre  au  service  de  quelque  prince. 
Le  hasard  veut  qu'ils  rencontrent  Dam,  ce 
fameux  exécuteur  des  cruautés  de  Néron, 
qui  n'avait  jamais  voulu  s'associer  avec  ses 
camarades  de  profession,  et  s'était  par  là 
rendu  leur  ennemi.  Comme  les  deux  dont 
nous  parlons  le  trouvent  ici  sans  défense, 
ils  l'assomment  et  lui  dérobent  ses  habits 
et  son  argent. 

TORNEAU. 

Puisqu'on  fault  faire  le,  départ, 
En  eeste  fosse  sera  mis  : 
Et  puis  irons  chez  nos  amis, 
En  chantait  ung  Libéra  nos, 
Assis  à  table  entre  les  potz. 

(72)  Ce  poème  pourrait  porter  avec  raison  le  titre 
du  Mystère  de  saint  Jean  l'Evangéliste,  puisqu'en 
effet  il  contient  la  plus  grande  partie  de  la  vie  de 
cet  apôtre,  et  que  les  révélations  prophétiques  con- 
tenues dans  VApocalypse  ne  forment  ici  qu'une  es- 
pèce d'épisode  détaché  entièrement  du  reste  de 
l'ouvrage."  11  est  de  la  composition  de  Louis  Chocquet, 
assez  mauvais  poète,  même  pour  son  temps;  et  fut 
représenté  en  1541,  à  l'hôtel  de  Flandre,  à  Paris,  par 
les  confrères  de  la  Passion,  à  la  suite  des  Actes  des 
apôtres ,  et  parut  imprimé  la  même  année  à  la  lin 
de  la  seconde  édition  de  ce  mystère.  En  voici  le  titre  : 
L'Apocalypse  de  Sainct  Jehan  Zébédée,  nù  sont  com- 
penses tes  visions,el  révélations  aue  iceluy  Sainct  Jc- 


(Icy   le    getlent    en    l'Apparition    tl    s'en   vont    à 
Homme.) 

«  Ces  deux  bourreaux  vont  offrir  leurs 
services  à  l'empereur,  au  moment  qu'on 
lui  apprend  que  saint  Jean  a  converti  les 
habitants  d'Ephèse.  Domilien  fait  aussitôt 
)urtir  un  vaisseau  pour  le  lui  amener.  Comme 
es  matelots  qui  doivent  monter  ce  bâtiment 
sont  endormis,  et  la  plupart  ivres,  le  pilote 
et  obligé  de  les  faire  marcher  à  coups  de 
canne.  Il  fait  charger  les  provisions  néces- 
saires, comme  pain,  vin,  viandes  salées, 
morues,  harengs,  baleines  salées,  et  surtout 
des  cartes  et  des  dés.  Ensuite  on  met  à  la 
voile.  Arrivés  à  Ephèse,  les  ambassadeurs 
mettent  pied  à  terre  et  reçoivent  les  compli- 
ments des  matelots. 

LE    PREMIER   MATIIELOT. 

Perpétuel  loz 
Soit  aux  nobles  Ambassadeurs 

le  second  matiielot  aux  spectateurs. 

Ce  ne  sont  meschantz  Estradeurs, 
Où  promeneurs  de  poires  molles. 

a  Ces  ambassadeurs  vont  droit  au  temple, 
où  ils  se  saisissent  de  l'apôtre,  à  qui  ils 
demandent  son  nom.  Saint  Jean  leur  répond 
sans  s'étonner: 

Je  suis 
Juif,  nommé  Jehan,  qui  ensuis 
Les  œuvres  de  Jésus,  mon  Maistre. 

«  L'apôtre  entre  dans  le  vaisseau,  qui  le 
porte  h  Rome,  où  Domitien,  de  l'avis  du 
sénat,  le  fait  jeter  dans  une  chaudière  pleine 
d'huile  bouillante. 

(Icy  Mollestin  faict  apprêter  une  chauldière  d'huylle, 
et  fourches,  boys,  charbon,  trippiers,  et  soufflez,  et 
les  porte  devant  la  Porte  Latine.) 

«  L'empenmr,  surpris  de  ce  que  saint  Jean 
sort  sain  et  sauf  de  ce  supplice,  le  condamne 
à  un  exil  perpétuel  dans  l'ile  de  Patmos. 
On  conduit  l'apôtre  au  lieu  de  son  exil, 
avec  Porchorus,  prisonnier  chrétien,  con- 
damné a  la  même  peine.  C'est  en  ce  lieu  que 
le  Seigneur,  pour  couronner  les  souffrances 
de  son  disciple  bien-aimé,  lui  découvre  les 
secrets  les  plus  cachés,  et  dont  l'accomplis- 
sement est  réservé  à  la  fin  des  siècles. 

(Icy  se  doibt  mettre  sainct  Jehanprès  de  quelque  Hoc, 
appuyé  stir  une  de  ses  mains,  en  forme  de  contem- 
plation, pendant  se  fera  une  grande  pause  en  Para- 
dis, musicale  ou  instrumenlalle,  cependant  que  la 
première  vision  s'apparoitra  (75).  Icu  sainct  Jehan 
prent  plume,  papier,  et  ancre.) 

«  Pendant  que  d'un  côté  du  théâtre  saint 
Jean  rend  compte  aux  spectateurs  des  visions 

han  tut  en  l'Isle  de  Pathmos  :  le  tout  ordonné  par 
figures  convenables ,  selon  le  texte  de  la  Saiucte 
Escripture   :  ensemble    les   cruaullez   de    Domicien 

César Fin  du  Mystère  del' Apocalypse  Sainct 

Jehan  l'Evangéliste,  nouvellement  rédigé  par  Person- 
nages, avec  les  miracles  faits  en  l'Isle  de  Pathmos,  le 
tout  historié  selon  les  visions,  et  achevé  ledict  Livre 
d'imprimer  le  XWI1.  jour  de  May,  l'an  mil  cinq  cens 
XL1.  par  Arnoul  et  Charles  les  Angeliers  frères;  in- 
folio  gothique,  avec  des  ligures  en  bois.  Environ 
neuf  mille  vers. 

(75)  Ces  visions,  qui  sont  au  nombre  de  quatorze 
n'ont  rien  de  singulier,  et  ne  contiennent  qu'un 
abrégé   infidèle  de  celles  de  l'Apocalypse.  Nous   en 


149 


APO 


DICTIONNAIRE  DÈS  MYSTERES. 


APl> 


150 


célestes  qu»  se  présentent,  de  l'autre,  Domi- 
tien  fait  massacrer  un  pantomime,  pour  ce 
seul  sujet  qu'il  ressemb'e  au  philosophe 
Paris;  on  lui  apprend  ensuite  qu'Hermo- 
gènes  a  composé  un  livre  où  les  tyrans  sont 
dépeints  avec  les  couleurs  les  (il us  fortes. 
Ce  cruel  empereur,  qui  y  reconnaît  son 
portrait,  fait  dévorer  l'auteur  par  des  chiens, 
et  attacher  à  une  croix  le  libraire  et  l'enlu- 
mineur de  l'ouvrage.  Ces  malheureux  expi- 
rent, priant  lupin,  Mahom,  Mercure,  Apol- 
lon et  Vénus  d'avoir  pitié  de  leurs  âmes. 
Pour  se  récréer,  Domitien  fait  arrêter  l'astro- 
logue Asclétarion,  et  lui  demande  de  quel 
genre  de  mort  il  doit  périr.  «  Les  astres, 
«  répond-il,  m'ont  prédit  que  mon  corps 
«  doit  être  dévoré  par  des  chiens.  »  Pour 
démentir  cette  prédiction,  l'empereur  fait 
trancher  la  tête  au  misérable  Asclétarion, 
dont  les  chie  is  mettent  le  corps  en  pièces. 
Tant  de  cruautés  soulèvent  le  peuple  romain. 
Etienne,  officier  du  palais,  deux  chambellans 
de  l'empereur  et  quelques  seigneurs  cons- 
pirent ensemble  contre  lui,  et  prennent  la 
résolution  de  Tassas  iner.  Domitien,  qui  a 
quelque  pressentiment  de  leur  dessein,  se 
relire  fort  triste  dans  sa  chambre;  les  co' ju- 
rés s'y  rendent,  Etienne  lui  présente  un 
libelle,  et  pendant  que  ce  prince  en  fait  la 
lecture,  les  conjurés  se  jettent  sur  lui  et  le 
percent  de  coups. 

CLODius  arrêtant  ses  camarades. 

IJ  sufïist,  car  je  vous  prometz 
Qu'il  esl  au  rang  des  trépassez 

SATURNUS. 

Il  a  reçu  des  coups  assez 

Pour  avoir  mis  l'âme  hors  dehors. 

LE    PREMIER    CHAMBELLAN. 

Ne  reste  qu'à  penser  du  corps» 
Et  regarder  qu'on  en  fera. 

{Icy  les  trois   tyrans  mettront  Domicien  en  une  ci- 
vière, et  le  porteront  en  quelque  lieu.) 

«  Phélix,  nourrice  de  Domitien,  va  cher 
cher  son  corps  à  la  voirie,  et  l'ensevelit  en 
secret.  Le  sénat  s'assemble  ensuite,  et  pro- 
clame Nerva.  Ce  nouvel  empereur,  profilant 
du  malheur  de  son  prédécesseur,  rappelle 
\as  exilés,  et  rend  la  liberté  aux  prisonniers. 
Du  nombre  de  ceux-ci  sont  deux  disciples 
de  saint  Clément,  qui  s'embarquent  aussitôt 
pour  aller  trouver  saint  Jean  à  Patmos.  » 

M1STÈRE   DE  SAINT   JEAN  l'ÉVANGELISTE,  ÉTANT 

en  l'île  de  patmos  (7i). 

«  Cynops,  fameux  enchanteur,  paraît  dans 
une  grotte,  que  l'auteur  a  voulu  qualifier  du 
nom  d'ermitage,  et  se  vante  du  pouvoir  qu'il 
a  sur  les  habitants  des  enfers.  Deux  prêtres 
d'Apollon,  et  trois  citoyens  de  Phéra,  ville 
de  Patmos,  viennent  lui  annoncer  les  pro- 
grès des  prédications  de  saint  Jean.  «  Vous 
«  ne  devez  pas  négliger  une  affaire  qui  pour- 
«  rai t  avoir  des  suites  fâcheuses,  »  lui  dit 
un  des  prêtres. 

supprimons  le  détail;  il  suffira  au  lecteur  de  savoir 
que  re  sont  comme  des  espèces  de  tableaux  que  l'on 
présente  à  saint  Jean  ,  et  dont  cei  apôtre  rend 
compte   aux  spectateurs,  en  écrivajpl,  on  plutôt    en 


caldants,  premier  cyloyen. 

Il  commence  à  gaigner  crédit. 
Et  faict  des  elioses  nonparcilles. 

CAMellls,  second  cyloyen. 

Il  nous  rompt  à  tous  les  oreilles. 

«  J'y  pourvoirai,  répond  Cynops  en  le? 
congédiant.  Un  moment  après,  il  appelle 
Astaroth.Bérith,  Belzébuth  et  Belphégor,  e' 
ordonne  au  premier  d'aller  étrangler  le  sainl 
apôtre.  Au  hetï  d'exécuter  lé  commandement 
de  Cynops,  Aslaroth  se  trouve  lié  par  celui 
de  saint  Jean;  comme  le  magicien  ne  voit 
point  revenir  son  messager  infernal,  il  dé- 
pêche Bérilh,  qui  demeure  arrêté  comme 
son  compagnon,  aussi  bien  que  Belzébuth, 
qui  arrive  ensuite. 

BF.RITfF. 

Ton  parler  si  très-fort  in'eslonne» 
Que  j'en  perds  le  sens  cl  courage. 
Harau  !  Diables,  barau!  j'enrage, 
Malings  espiïlz,  le  hayt  ne  ciiet, 
Car  je  suis  prins  au  trebuschet, 
Plus  ne  puis  aller,  ne  venir. 

SVINCT    JEHAN. 

C'est  pour  le  faire  souvenir 

Que  ton  maître  n'esl  que  ung  menteur, 

Invocateur  et  séducteur, 

Qui  n'a  pouvoir,  ne  force  aucune. 

Belphégor,  envoyé  après  eux,  n'ose  appro- 
cher de  la  grotte  de  l'apôtre,  et  retourne 
avertir  son  maître  du  sujet  qui  retient  ses 
camarades.  L'enchanteur,  écumant  de  rage, 
invoque  un  nouveau  secours;  et  Lucifer, 
attentif  à  sa  voix,  détache  Satan  et  quelques 
autres. 

(Icy  pourra  avoir  trois  ou  quatre  petites  Besles,  qui 
figureront  Esperilz.) 

«  Cynops  se  fait  transporter  avec  sa  suite 
à  Phéra,  où  il  trouve  l'apôtre  occupé  à 
prêcher.  Avec  le  secours  de  quelques  pres- 
tiges, il  séduit  le  peuple  au  |  oint,  qu'au 
lieu  d'écouler  le  sermon  de  l'homme  de 
Dieu,  ces  insensés  se  jettent  sur  lui  et  l'as-, 
somment  de  pierres,  mais  à  la  confusion  de 
Cynops  et  de  ses  sectateurs,  puisque  saint 
Jean  se  relève  aussitôt  sans  ressentir  aucun 
mal.  Alors  l'enchanteur,  pour  conserver 
son  crédit  et  son  autorité  par  quelque  coup 
d'éclat,  se  jette  dans  la  mer,  espérant  s'en 
retirer  par  le  secours  des  démons,  qui,  for- 
cés d'obéir  au  commandement  de  l'apôtre, 
entraînent  l'imposteur  au  fond  des  enfers. 
Sur  ces  entrefaites,  le  saint  rend  la  vie  à 
trois  enfants  morts  subitement.  Ce  miracle 
étonne  les  assistants,  qui  se  convertissent, 
a  la  réserve  de  deux  prêtres,  que  rien  ne 
peut  tirer  de  leur  aveuglement.  »  (  Hist.  du 
Th.  fr. ,  par  les  frères  Parfait,  t.  111, 
p.  '51-59.) 

APPARITION  DE  NOTRE-SEIGNEUR 
JESUS-CHRIST  (  L").  —  V Apparition  ,  qui 
date  au  moins  du  xu"  siècle,  et  plus  proba- 
blement du  xi",  est  l'un  des  dix  mvslère'sdiY 


feignant   écrire.    Un   ange  lui  parle   de  temps  m 
temps. 

(74J  <• est  ici  la  seconde  partie  du  Mystère  de  l'A- 
pocalypse, 


151  AIT  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

précieux  recueil  du  xih*  siècle,  dont  nous 
avons  donné  la  description  et  l'histoire  sous 
le  titré  de  Manuscrit  de  Saint-Benoît-sur- 
Loire.  (Voy.  Saint-Renoît-sur-Loire  [Ma- 
nuscr.  de). 

APPARITION  DE  NOTRE- SEIGNEUR 
JÉSUS  -  CHRIST  A  DEUX  DISCIPLES 
DANS  LE  BOURG   D'EMMAUS  (Mystère 

DE  L'j. 

PERSONNAGES  : 


APP 


15* 


rassasier  pleinement  et  nous  réjouir  de  la  douceur 
de  ta  parole.  Reste  avec  nous;  il  est  tard,  le  jour 
baisse.  Alléluia!  (Parlé.)  Le  soleil  qui  se  couche, 
nous  conseille  de  te  demander  l'hospitalité  ,  et  nous 
serions  heureux  d'entendre  ton  avis  sur  la  résur- 
rection de  notre  maître.  Alléluia. 


V.-S.  .JESUS-CHRIST. 

L-:  même  ,  en  habit  de  pèle- 
rin. 

L ■■:  CREMIER  DISCIPLE. 
LE  SLC-.'.NU  DUC  VLU. 


LES  SAINTES 
FEMMES 


La  l™  Marie. 

La  '2'. 

La  S». 
Saint  thomas,  a^ôlre. 
les  disciples. 
le  cuoelr. 


SCÈNE  I". 

LES    SAINTES    FEMMES. 

la  première  marie.  Hélas!  malheureuses!  pour- 
quoi nous  a-t-il  été  donné  de  voir  la  mort  du  Sau- 
veur? 

la  seconde  marie.  Hélas!  Rédemption  d'Iraël! 
comment  a-t-il  subi  la  mort? 

la  troisième  marie.  Hélas  !  notre  consolation! 
pourquoi  a-t-il  eu  la  volonté  d'agir  ainsi  ? 

toutes  ensemble.  Hàtons-nous  d'aller  au  tom- 
beau pour  oindre  son  corps  très-saint. 

SCÈNE  II. 

(Pour  la  représentation  de  i Apparition  de  N.-S.  en 
habit  de  pèlerin  ,  que  l'on  joue  la  troisième  semaine 
de  Pâques ,  à  vêpres  ,  les  deux  disciples  ,  en.  robe 
seulement ,  couverts  de  ckappes  a  capuchons ,  en 
guise  de  manteaux,  barbus  et  le  bâton  à  la  main, 
arrivent  en  chantant  :  ) 

Jhesu ,  nostra  redemplio 
Amor  et  desiderium...  etc.  (75) 

(Pendant  ce  temps ,  celui  qui  remplit  le  personnage 
du  Seigneur,  bien  déguisé  en  pèlerin,  le  bâton,  le 
bourdon  à  la  main,  barbe  longue,  vêtu  d'une  tu- 
nique, les  pieds  nus,  les  suit  uti  instant  par  der- 
rière à  leur  insu;  puis  à  la  fin  du  chant,  il  s'ap- 
proche d'eux.) 


diseours  tenez-vous   là    tous 
"Vous   êtes   tristes?   Alléluia! 


le  pèlerin.  Quels 
deux  en  marchant? 
(  Luc  xxiv,  17.) 

l'un  des  disciples  ,  se  retournant,  lu  es  donc  le 
seul  pèlerin  dans  Jérusalem  qui  ignore  ce  qui  s'est 
passé  ces  jours-ci.  Alléluia!  (Luc.  xxiv,  18.) 

le  pèlerin.  Et  quoi  donc? 

les  deux  disciples.  Eh  bien,  touchant  Jésus  le 
Nazaréen  ,  qui  était  un  prophète,  puissant  en  ses 
œuvres  et  ses:  discours,  sous  l'œil  de  Dieu  et  le  re- 
gard du  peuple.  Les  grands  prêtres  et  les  chefs  de 
l'Etat  l'ont  condamné  à  mert  et  crucifié ,  il  y  a  déjà 
trois  jours.  Alléluia!  (Luc.  x::iv,  19,  20,  21.) 

le  pèlerin  d'un  ton  courroucé  et  chantant.  Insen- 
sés, hommes  au  cœur  glacé,  et  sans  foi  dans  les  pro- 
phéties. Alléluia!  (Luc.  xxiv,  25.)  Ne  fallait-il  pas 
que  le  Christ  souff  ît  ainsi  avant  d'entrer  dans  sa 
gloire.  (Luc.  xxiv,  2i,  26.) 

(//  feint  de  se  retirer.  Les  disciples  le  retiennent.) 

les  disciples.  (Chanté.)  Le  soleil  se  couche,  et  il 
presse  de  trouver  un  asile,  ne  nous  abandonne  pas 
dans  la  nuit.  Reste  avec  nous,  Seigneur,  pour  nous 

(75)  Ce  sont  les  premiers  vers  de  l'hymne  de 
l'Ascension,  à  Vêpres,  suivant  le  rit  romain.  (Note 
4t  M.   l'abbé  La  Bouderie  ,  Li  Jeu  de  S,  Nie,  par 


(Ils  vont  s'asseoir  sur  des  sièges  mis  exprès  là  rf'a- 
vance.  On  leur  apporte  d'abord  de  l'eau  pour  laver 
leurs  mains,  et  ensuite  une  table  toute  servie ,  sur 
laquelle  est  un  pain  entier,  trois  oublies  et  un  broc 
de  vin.  Jésus  prend  te  pain,  le  bénit  de  la  main 
droite  et  le  brise  en  morceaux.) 

Jésus.  (Chanté.)  Je  vous  laisse  ma  paix,  je  vous 
conne  ma  paix.  (  Joan.  xiv  ,  27.)  (H  donne  le  ca- 
lice à  l'un.)  Ce  sont  là  les  discours  que  je  vous  te- 
nais, quand  j'étais  parmi  vous.  Alléluia!  Alléluia! 
De  même  que  mon  Père  vous  a  aimés ,  je  vous  ai 
aimés  moi-même  ;  demeurez  dans  mon  affection. 
(Joan.  xv,  9.) 

(Tandis  qu'ils  mangent  les  oublies,  le  pèlerin  se  retire, 
tout  doucement ,  sans  qu'ils  s'en  doutent.  Un  peu 
après,  ils  regardent ,  et  ne  voyant  plus  personne, 
ils  se  lèvent  très-agités  ,  s'éloignent  de  la  table  , 
cherchent,  et  en  marchant  chantent  ainsi  :) 

les  disciples  chantant.  Comme  notre  cœur  était 
ardent  au  sujet  de  Jésus  ,  tandis  qu'il  nous  parlait 
et  nous  découvrait  le  sens  des  Ecritures.  (Luc. 
xxiv,  52.)  Ah  !  malheureux ,  où  était  mitre  esprit,  et 
combien  notre  intelligence  nous  a  failli. 

(Ils  approchent  du  chœur.) 

le  choeur.  Le  Seigneur  est  ressuscité  et  il  est  ap- 
paru à  Pierre.  Alléluia  ! 

SCÈNE  III. 

'Le  Seigneur  apparaît ,  vêtu  d'une  robe  blanche  sur 
laquelle  est  jeté  un  manteau  rouge  ;  il  tient  à  la 
main  une  croix  d'or,  symbole  de  la  passion;  il  est 
coiffé  d'une  mitre  blanche  ornée  d'orfrois;  il  se 
tient  au  milieu  d'eux.) 

le  seigneur.  La  paix  soit  avec  vous.  C'est  moi. 
N'ayez  pas  peur.  (Luc.  xxiv,  59.) 

le  choeur.  Quel  est  celui-ci  qui  vient  d'Esdem 
avec  ses  habits  teints  de  Bosra.  (Isai.  lxiii.) 

le  seigneur.  Que  la  paix  soit  avec  vous! 

le  chœur.  Quel  est  celui-ci,  si  beau  dans  sa  robe, 
et  marchant  dans  l'abondance  de  sa  force?  (Ibid.) 

le  seigneur.  La  paix  soit  avec  vous! 

le  choeur.  Le  Seigneur  crucifié  pour  nous  est 
sorti  du  tombeau.  Alléluia! 

le  seigneur.  Pourquoi  êtes-vous  troublés  elquelles 
pensées  ont  envahi  vos  cœurs.  (Luc.  xxiv,  58.) 
J'ai  seul  foulé  le  pressoir,  et  de  tous  les  peuples  il 
n'y  avait  pas  un  homme  avec  moi.  (//  montre  ses 
mains  et  ses  pieds  rougis  avec  du  minium.)  Voyez 
mes  mains  et  mes  pieds  :  c'est  moi-même.  Alléluia! 
(Isai.  lxiii.)  Touchez  et  voyez  :  un  pur  esprit  n'a 
ni  chair  ni  os  comme  moi,  et  ayez  foi.  (Luc. 
xxiv,  39.) 

(Les  disciples  s'approchent  et  touchent  ses  mains  el 
ses  pieds.) 

le  seigneur  étendant  ses  mains  sur  eux.  Recevez 
l'Esprit-Saint!  Ceux  de  qui  vous  aurez  remis  les 
péchés  seront  absous.  Alléluia! 

(Le  Seigneur  se  retire  du  coté  opposé  au  chœur.  Les 
disciples  s'approchent.) 

les  disciples.  Un  nouvel  Adam  a  conduit  l'ancien 
dans  les  cieux ,  et  la  création  adore  le  Créateur. 

Jeh.  Bodel  ,  publié  par  la  Soc.  des  Bibl.  ù\,  183-i  , 
in-8°,  Pièces  jointes,  etc.,  p.  176. 


153 


APP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ARC 


154 


Sainte  Marie  et  Madeleine  et  Marie  Salomé  appor- 
tent les  parfums.  L'ange  ,  en  robe  blanche ,  a  an- 
noncé la  résurrection  du  Seigneur  et  la  défaite  de 
la  Mort;  le  vainqueur  a  quille  le  Tartarc  dévasté  et 
dépouillé,  il  en  a  :  apporté  les  trésors  dans  les  cieux. 
11  s'est  montré  lui-même  ,  dans  toute  sa  beauté,  à 
ses  disciples,  en  Galilée;  devenu  leur  compagnon, 
il  les  a  grondés  en  chemin,  sans  en  être  connu,  et 
plein  de  bonté,  il  leur  a  révélé  le  mystère  des  choses 
écrites.  A  taLle  enfin  il  a  élé  reconnu  sous  sa  véri- 
table forme  le  pain  brisé  jetait  des  (lots  de  lu- 
mière. Louange  et  gloire  au  Seigneur  ! 

SCÈNE  IV. 

(Arrive  Thomas,  vêtu  d'une  tunique  et  d'un  manteau 
de  soie,  bâton  à  la  main,  un  bonnet  carré  sur  ta 
tête.) 

les  disciples.  Thomas  ,  nous  avons  vu  le  Sei- 
gneur. 

tiiomas.  Tant  que  je  n'aurai  pas  vu  les  trous  des 
clous  sur  ses  mains,  et  mis  mes  doigts  sur  son  coté, 
je  ne  croirai  pas. 

(Le  Seigneur  apparaît ,  vêtu  d'une  robe  blanche  et 
d'une  c happe  rouge,  la  tête  couronnée  de  l'amict 
et  ds  phyl  ictères  ,  une  croix  d'or  et  un  étendait 
dans  la  nu  in  droite,  et  dans  la  gauche,  le  texte 
des  Evangiles.) 

le  seigneur,  au  chœur ,  en  entrant.  Que  la  paix 
soit  avec  vous  ! 

le  choeur.  Soif  béni  celui  qui  vient  au  nom  du 
Seigneur!  mais...  le  Seigneur  même  est  devant 
nous. 

le  seigneur.  La  paix  soit  avec  vous!  C'est  moi. 
Soyez,  sans  crainte-. 

le  choeur.  Ce  jour  même  est  l'œuvre  du  Seigneur, 
soyons  joyeux  et  heureux.  (Ps.  cxvn,  2i.) 

le  seigneur  à  Thomas.  Thomas,  mets  ton  doigt 
ici  et  vois  mes  mains.  (//  lui  montre  ses  plaies.) 
Mt  ts  la  main  sur  les  Irous.  Alléluia!  Cesse  de 
douter;  sois  plein  de  foi  désormais.  Alléluia! 

tiiomas  touche  les  cicatrices  du  Seigneur  ,  puis 
tombe  à  ses  pieds.  0  mon  Seigneur  et  mon  Dieu  ! 

le  seigneur.  Thomas,  lu  n'as  cru  qu'après  avoi. 
vu  ,  heureux  ceux  qui  ne  verront  pas  et  croiront. 
Alléluia!  (Joan.  xx  ,  29.)  Tout  pouvoir  m'est 
donné  dans  le  ciel  cl  sur  la  tene.  Alléluia! 
(Matth.  xxmii,  18.)  Je  ne  vous  laisserai  pas  orphe- 
lins. Alléluia!  (Joan.,  xiv,  18.)  Me  voici,  je  suis 
venu  à  vous  (Ib.),  et  voire  cœur  sera  réjoui.  Allé- 
luia! (  Joan.,  xvi,  22.)  Allez  dans  tout  le  monde, 
annoncez  l'Evangile  à  toute  créature.  Alléluia  ! 
(Ma  c.  xvi,  là.)  Celui  qui  aura  ia  foi  et  recevra  le 
baptême,  sera  sauvé.  Alléluia!  (Ib.,  16.) 

Tous  les  disciples  s'approchent  et  conduisent  Jé- 
sus au  travers  du  chœur  (de  l'Église)  afin  que  cha- 
cun le  voie.  On  chante  Salve  Festa  Dies,  etc.  (76). 

APPARITION  (V)  DE  NOTRE '-  SEI- 
GNEUR JÉSUS-CHRIST.  —  L'apparition  a 
donné  lieu  en  Espagne  à  un  Auto  de  Pedro 
Alumira,  imprimé  à  Burgos  en  1523.  Un 
ange  ouvre  la  représentation  de  ce  mystère 
en  en  exposant  d'avance,  dans  un  prologue 
assez  long,  tes  diverses  péripéties.  Saint  Luc 
et  Clt'ofas  cheminent  vers  Emmaus  en 
s'entrelenanl  de  la  passion  de  Jésus  Christ, 
de  sa  vie.  de  sa  doctrine,  de  ses  miracles, 
et  du  Messie.  Le  Christ  leur  apparaît  sous 
la  l'orme  d'un  pèlerin  et  prend  part  à  leur 

(76)  Hymne  de  Pâques  sur  laquelle  on  peut  con- 
sulter deMele.hior  lliltoip,  Ordo  Romanus ,  de  Mar- 
tin Gerbert,  Monumenta  veteris  liturgiœ  ulemannicœ, 
t.  H,  p.  88,  de  Tora  Clichton,  Elucidator.  eccles.,  et 
Li  Jus  S.  Nicolat,  p.  18-4. 


dialogue.  Etonnés  de  l'éloquence  de  cet  in- 
connu, ils  l'invitent  à  venir  avec  eux.  Ils 
le  reconnaissent  enfin  : 

cléofas.  Bon  Jésus. 

s.  Ltc.  Mon  bien. 

cléofas.  Ma  joie. 

s.  me.  Mon  maître. 

cléofas.  Bon  Père. 

s.  luc.  Mon  doux  Seigneur. 

cléofas.  Mon  Dieu  et  ma  gloire. 

s.  Luc.  Mon  bon  rédempteur. 

cléofas.  Mon  ferme  appui. 

s.  luc.  Mon  espérance. 

cléofas.  0  douce  consolation  des  désolés. 

s.  luc  0  joie  des  affligés... 

(Le  Christ  les  bénit  et  disparaît.) 

ARCHIDIACRE  (Miracle  de  l').  —  Ce 
mystère,  encore  inédit,  csl  lire  du  manus- 
crit n°  7208,  A  et  B,  en  deux  volumes  m- 
folio  parvo,  de  la  Bibliothèque  impériale, 
A,  troisième  moralité,  f"  24-34.  Le  fragment 
du  texte  que  nous  publions  ci-dessous  ser- 
vira h  donner  une  idée  du  style,  et  ap- 
I  ellera.nous  l'espérons,  de  nouveau  l'allen- 
tion  du  gouvernement  et  <!es  bibliophiles 
français,  sur  le  beau  recueil  de  la  Bibl  o- 
thèque  impériale,  dont  la  moitié  même  n'est 
pas  encore  publiée. 

Ce  mystère  date  du  xiv'  siècle. 

Il  débute  ainsi  : 

(Cy  commence  un  miracle  de  Nostre-Dume,  de  févesque 
(lue  farce-diacre  murlrit  pour  estre  évesque  après 
sa  mort.  ) 

SCÈNE  I". 

l'évesque. 

Seigneurs,  que  Dieu  bénédiction 
Vous  rioint  (77)!  entendez  la  raison, 
S'il  vous  plaist,  que  ie  vous  vueil  (78)  dire  : 
Puisque  Jhesucrist,  nostre  sire, 
M'a,  par  sa  granl  bénignité, 
Mis  en  Testai  de  dignité, 
Et  fait  de  son  peuple  pasteur, 
Je  voy  se  à  moy  ne  sui  dotteur 
Selons  que  pour  faiz,  que  pour  diz, 
J'aquière  à  m'  ame  (79)  paradiz. 
Cesle  honneur-cy  rens  (80)  ne  mcvault, 
Car  l'on  dit  souvent:  quant  plus  hault 
Est  li  nom  montez  qu'il  ne  doibt, 
De  plus  hault  chut  quil  ne  vouUlroit; 
Et  ce  n  esniaie  moult  le  cuer, 
Car  estre  me  peut  cest  honneur 
Cause  de  mon  grief  dampnement, 
Se  re  ne  fais  denement 
Ce  qu'à  Dieu  vouay  et  promis, 
Pour  qui  en  cesle  honneur  fu  mis; 
Et  pour  ce  suis-je  en  ce  penser, 
Comment,  auant  mon  liespasser 
Je  puisse  pour  moy  cest  honneur. 
L'amour  de  Dieu  nostre  Seigneur, 
Cy  desservir. 

PREMIER    CLERC 

Mon  chier  Seigneur,  sen  li  servir 
Et  sa  très-doulce  chière  mère, 
Persévérez  en  la  manière 
Que  ains  mest  qu'avez  commencié , 

(77)  Vous  donne. 

(78)  Veux. 

(79)  Mon  àme. 

(80)  Rivn. 


155 


ARC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ARC 


m 


Je  ne  cuit  pas  qu'a  l'amistié  (81) 
Deffailliez,  Sire. 

SECOND   CLERC. 

Merveille  vous  ay  oy  dire, 
Mon  chier  seigneur,  ycy  endroit  : 
Vous  avez  de  loy  et  de  droit 
Tout  le  sens  aquis  et  usage, 
Et  si  estez  de  nous  plus  sage. 
Ne  say  point  quoy  vous  desmentez  (82), 
Et  ne  pourquant  se  m'entendez  ; 
Vesoy  :  je  vous  respon  briefment 
Se  vous  voulez  parlai ttement 
Vivre  et  avoir  vraie  sagesce 
Qui  *>st  une  moult  grant  noblesce, 
Sire,  en  tout  temps  et  en  tout  lieu  , 
Aiez  en  vous  la  paour  de  Dieu  ; 
Car  sen  est  le  commencement, 
Se  le  saint  prophète  ne  ment, 
Que  mon  sautier  (83)  le  nous  recorde, 
Et  ave  Salemon  (84)  s'acorde, 
Quant  dit  :  le  sage  craint  folie 
A  famé  et  le  fol  trop  si  fie. 
Or  le  savez. 

l'évesque. 

Certes  bien  respondu  m'avez 
Et  vérité  à  cestui  mot; 
Et  je  pri  Dieu  de  cuer  dévot 
Qu'il  la  nous  doint  si  concevoir 
Que  sa  gloire  en  puissons  avoir. 
Et  restons  ensemble. 

PREMIER  CLERC 

Amen!  Sire,  et  nous  desassemble 
De  la  compagnie  aux  maus  fez 
Que  sont  de  tempter  escliaufez 
Tousiours  preudomme  (85). 

SCÈNE   II. 

l'arcediacre. 

Chier  Sire,  saint  Pierre  de  Romme 
Vueille  Dieu  prier  que  sa  grâce 
Vous  octroit,  et  de.  vivre  espace 
Par  son  plaisir  ! 

l'évesque. 

Et  vous  puissiez  le  bien  venu, 
Arcedyacre,  mon  amy; 
Ditez  que  vous  amaine  cy  ; 
N'en  mentez  mye. 

l'arcediacre. 

Sire,  de  par  moy  vous  supplie 
Le  chapitre  de  noslre  Eglise 
Et  chascun  pour  soy  sans  faintise, 
Qu'à  ceste  saint  Pierre  prouchaine, 
Pour  ce  que  c'est  la  souveraine 
De  nos  festes  et  la  maistresse, 
Il  vous  y  plaira  la  grant  messe 
Venir  chanter. 

l'évesque. 

Arcedyacre,  sans'doubter, 
Sachez  que  voulenticrs  yray 
Et  la  grant  messe  chanteray 
Solempnellement,  s'il  plaist  à  Dieu, 
Pour  l'amour  de  vous  et  du  lieu 
Que  j'ai  bien  chier. 

l'arcediacre. 

Sire,  Dieux  en  soit  vo  loyer  (80) 
Quant  pour  nous  faire  tant  vous  plaît  ! 
Je  men  vois  sans  vous  fasse  plait 
Ne  sermon  plus. 

(81)  Son  amitié. 

(82)  Pourquoi  vous  vous  tourmentez. 

(83)  Psautier. 
(8i)  Salomon. 


l'évesque. 

Alez,  que  li  très-doult  Jhcsus 
Vous  doint  sa  grâce. 

SCÈNE  III. 

l'arcediacre. 

Certes  or  ne  scay  que  ie  face  , 
Car  penser  me  met  à  meschief, 
Tel  que  n'en  puis  venir  à  chief. 
Quant  de  moy  évesque  on  ne  fist. 
Cest  estât  point  ne  me  souffist, 
Ne  mon  cuer  ne  peut  raemplir 
Quant  il  me  colrera  fléchir 
A  genoux  pardevant  ce  maistre, 
Et  la  main  au  chaperon  mettre 
Pour  li  révérence  porter. 
Se  ie  voulsisse  et  pour  raison 
Car  de  gens  de  plus  hault  renom 
Qu'il  n'y  a  nulz  en  son  parage, 
Sui  nez,  et  de  meilleur  lignage; 
Mais  ce  li  fait  sa  dominité. 
Hélas  !  je  pense  en  vérité 
Que  se  pour  mort  fine  estoit, 
Que  de  moy  évesque  on  feroit; 
Car  ie  n'y  say  homme  vivant 
Qu'en  ce  pays  sy  souffisant. 
En  aroit  lors  mon  cuer  grant  joye; 
Certes  tout  maintenant  voulroye 
Que  de  mort  soubite  moreust, 
Mais  qu'à  évesque  on  m'esleust. 
Si  le  feray-ie,  se  ie  puis, 
Briefment 

Parquoy  à  cel  honneur  venray 
A  quoy  ie  tens. 

SCÈNE  IV. 

l'évesque. 

Seigneurs,  heure  est  passée  et  temps 
Que  ie  deusse  anoir  ia  dite 
Complie;  il  faut  que  m'en  acquitte 
Vers  Nostre-Dame. 

premier  clerc 

Mons,  bien  ditez  pour  m'ame  (87)  ! 
Si  la  vous  plaist  accommencier, 
Nous  vous  pourrons  tous  y  aydiei 
A  dire  là. 

l'évesque. 

Seigneurs,  savez  comment  il  va  ; 
Mettre  me  vueil  en  lieu  recoy, 
Et  dire  la  tout  à  par  moy  ; 
Qu'avec  feray  autre  oroyson. 
Trop  feroye  grant  mesproyson, 
Se  ie  me  metloie  en  oubli 
De  prier  celle  qui  norri 
Le  fil  Dieu  de  son  vierge  lait, 
Qui  tant  souffri  pour  nous  delaiL 
Que  pour  nous  d'enfer  deliurer 
Son  saint  corps  volt  à  mort  liurer. 
Tenez  vous  cy  entre  vous  deux 
Qu  alor  la  vueil  dire  touz  seulz 
En  ce  mouslier. 

second  clerc. 

De  par  Dieu  soit,  mons  chier  ; 
Alez,  ce  nous  vous  attendrons, 
Ne  de  cy  ne  nous  mouuerons 
Tant  que  venrez. 

(85)Lcs  mauvais  qui  sont  toujours  désireux  de  ion 
1er  les  braves  gens. 

(8H)  Dieu  en  vous  soit  loué! 
(87)  Mon  âme. 


157  ARC 

SCÈNE   V. 

l'évesqde. 

Dame,  par  qui  furent  deliurez 
Ly  mondes  de  mort  perdiirable, 
Quant  Dieu  le  Père  espéritable 
Son  ehier  Fils  en  vous  envoya 
Qui  humains  en  grâce  avoya 
Et  leur  ouuri  des  cieux  l'entrée! 
Dame  qui  est  benemée 
Sur  touz  sains  et  sur  toutes  saintes! 
Dame  qui  as  des  âmes  maintes 
Sauué  par  la  miséricorde! 
Dame  par  qui  paix  et  concorde 
Fu  entre  Dieu  et  homme  faite! 
Vierge  royaux,  mon  cuer  affaite 
A  toy  si  saintement  finir 
Qu'il  puist  pour  m'ame  deffinir 
Le  glorieulx  manoir  des  cieulx! 
Encore  vous  prie,  Vierge  gentieulx, 
Pour  le  peuple  que  à  gouuerner 
Ay,  que  si  le  puisse  attourner 
A  sainte  pénitence  empiendre, 
Que  les  aines  en  puisse  rendre 
A  Ihésuciist,  mon  créatour, 
Qui  d'eulx  m'a  ordonne  pastour! 
Ce  m'ollroit  H  Père  et  li  Filz, 
El  li  benois  Sains  Espeiiz, 
Qui  dieux  est  perdurablement 
Sans  fin  et  sans  commencement  ! 
Et  vous.  Vierge,  vueillez  me  dir 
Amen  !  De  cy  me  vueil  partir 
Et  a  mon  hostel  m'aler  eut.  (88). 
Seigneurs,  sachiez  :  j'ai  grant  talent, 
Puis  que  i'ay  dite  ma  complie, 
D'aler  concilier  ;  que  ie  n'oblie 
A  releuer  à  none  nuit. 
Pour  dieux  ,  mais  qu'il  ne  vous  ennuit 
Que  m'y  menez. 

PREMIER  CLERC. 

Voulentier,  monseigneur,  venez. 
Un  lit  est  tout  prest  aussi. 
Despoillez  vostre  chape  cy. 
Si  entrez  cns. 

l'évesqde. 

A  ce  faire  est  bien  mes  assens 
Je  suis  bien  plus  ne  m'atouebiez 
Mais  faitoz  tout  si  vous  couchiez 
Sans  remanoir. 

SECOND  CLERC 

Si  ferons  nous,  monseigneur,  voir 
N'en  doubtez  point. 

r-REMIER  CLERC. 

Vescv  ma  place  tout  à  poins, 
Prenez  la  vostre. 

SECOND  CLERC 

Foy  que  ic  doy  la  patenoslre, 
Et  ie  me  vueil  ycy  gésir, 
Car  aussi  ay  ge  grant  dcsii 
De  sommeillier. 

SCÈNE  VI. 

l'arcediacre. 
.T'ay  moult  pris  à  moy  conseiilier 
Pour  mettre  en  Testât  ou  ie  tente 
Et  toutefuores  point  m'cnlenle 
Du  tout  avoir  c'est  d'evesque  esirc.... 

Ambitieux  ,  aveugle,  jaloux  de  son  évo- 
que que  la  faveur  de  Dieu  a  porté  à  une  si 
haute  dignité  ,  l'archidiacre  tend  des  pièges 

(88)  M'en  allez,  me  rendre. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ASC 


158 


autour  du  saint  pasteur;  la  nuit  ,  sur  la  porte 
du  mouslier  où  l'évêque  a  coutume  d'aller 
sur  le  minuit  faire  ses  dévolions  ,  il  suspend 
adroitement  une  lourde  épée  :  l'épée  tombe, 
le  serviteur  de  Dieu  périt,  l'archidiacre 
triomphe  et  est  élu  évoque.  Mais  ni  l'ombre 
des  cieux,  ni  la  subtilité  de  l'esprit  n'ont 
pu  cacher  le  crime  à  Notre-Dame,  elle 
s'écrie  : 

Mes  amis,  moult  me  doy  doloir 
Et  auoir  grant  compassion 

De  la  cruelle  passion 
Qu'a  souffert  mon  servant  à  tort... 

En  vain  saint  Etienne,  saint  Lnrens , 
Gabriel ,  saint  Michel,  essayent  de  la  dis- 
traire... 

Nanil,  tant  que  mo  fil  m'ara 
Donné  de  cette  mort  vaniance, 
De  mon  dueil  n'aray  alleiance. 
Ne  chantez  point. 

Dieu  entend  et  exauce  les  désirs  rie  No- 
tre-Dame. L'enfer  se  réjouit  et  attend  sa 
proie.  Le  coupable  se  lamente  : 

Hélas!  hélas!  je  suis  dempnez, 
Puis  que  la  Vierge  m'est  contraire. 
Qui  aux  autres  est  débonnaire! 
Las!  que  pourray-ie  devenir? 
le  voy  les  ennemis  venir, 
Qui  en  Enfer  me  porteront, 
Qui  sanz  fin  me  tormenteront! 
Ne  Dieu  n'ara  de  moy  mercy! 
le  ne  puis  plus  demourer  cy  : 
Mourir  me  fault. 

Les  anges  chantent  un  rondel  en  l'hon- 
neur de  la  Vierge,  et  la  représentation  est 
close. 

Cette  pièce  ,  très-singulière,  rappelle  va- 
guement le  Théophile  ;  elle  en  est  une  faiblo 
et  barbare  imitation.  Dans  le  temps  môme 
où  l'esprit  de  recherche  s'élève  dans  le 
monde ,  celui  d'invention  disparaît  ;  l'homme 
perd  la  puissance  avec  la  foi. 

ARRIVÉE  DE  L'ÉPOUX  (  Mystère  de  l). 
—  M.  Magnin  ,  dans  le  Journal  des  Savants  , 
cahier  de  janvier  184-6,  a  ,  selon  nous  ,  dis- 
tingué ,  à  tort ,  dans  le  Mystère  des  Vierges 
sages  et  des  Vierges  folles  du  manuscrit  <ie 
Saint-Martial  de  Limoges  ,  le  prologue  du 
drame,  comme  un  drame  particulier,  sous 
le  titre  de  Mystère  de  l'Arrivée  de  l'époux. 
(  Voyez  Saint-Martial  de  Limoges  [manus- 
crit de  ],  Vierges  sages  et  Vierges  folles  [Les]. 

ASCENSION  (  L*').  —  On  a  indiqué  à  tort 
un  jeu  de  V Ascension  ,  dans  le  De  Reforma- 
tione  monasteriorum  de  Busek,  édité  par 
Leilwitz (Scr//).  Brunswicens;  Hanovre,  1710, 
in-f°,  t.  Il,  p  500).  Le  passage  de  Busck,  que 
nous  avons  consulté  avec  soin,  n'indique 
qu'un  rite  pieux,  sans  aucune  trace  d'une 
représentation  ligurée,  ni  môme  d'une 
scène  mimique.  L'erreur  provient  très-pro- 
bahlement  de  la  mauvaise  leçon  d'él  sedit 
Angélus  mal  coupé  par  deuxvirgules.  Il  ne 
s'agit  que  d'une  procession  avec  ses  céré- 
monies ordinaires. 

Néanmoins  on  trouve  celle  mention  dans 


> 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ASS 


160 


159  ASS 

Du  Gange  :  «  Dars  le  monastère  de  Saint-  les  apôtres  à  la  maison  de  sa  mère;  elle  les 

Pierre-d'lsle   et  dans  d'autres  églises,  on  prie  de  se  mettre  en   prières,   de  réciter  le 

fa:sail    une    représentation  de  l'Ascension  ;  psautier,  et  de  préparer  un  cierge, 

selon   l'Ordinaire  de    ce   couvent    Le  celé-  (Pause  pour  aller  dîner.) 

brant,  amesavoir  goûte  du  nain  etdu  vin,  et  v          r                      ' 

après  le  Répons  :  Non  vos  derelinnuam.  mou-  «  Lucifer,  instruit  de  tout  ceci,  et  sachant 

tait  sur  une  sorte  <le  hauteur, comme  vers  les  à  quel  degré  de  gloire  et  de  puissance  la 

chnx,  et  la  des  infants  de  chœur,  en  costume  Vierge  Marie  va  être  élevée,  fait  de  ridicu- 


d'à  g 's,  chantaient  :  Viri  gnlilœi ,  »  etc. 
f  Cangii  Gloss. ,  v°  Feslam  [-Ascensionis]  ; 
élit,  de  HWischell,  Paris,  Didot ,  18W  , 
t.  III  ,  p.  250,  col.  3.) 

ASSO  UPTION  (  Mystère  de  l'  ).  —  M. 
l'abbé  de  Lame,  dans  ses  Essais  historiques 
sir  les  bardes  ,  les  jour/leurs  et  les  trouvires 
nnm'inds  et  anglo-normands  (  Caen  ,  Mail- 
Ce",  18J+,  3  vo'..  t.  >ïr,  |).16o),  a  fait  mention 
d'un  Myst're  de  l'Assomption,  iouéàBayeux 
en  1351  ,  et  à  Cout.tn  es  en  1411. 

ASSOMPTION  (Myst  «e  de  l').  —  On  ne 
connaît  point  de  manuscrit  du  Mystère  de 
V Assomption.  Ce  drame  date  de  la  première 
moiué  «In  xvie  siècle.  Antoine  Duverdier, 
dans  sa  Bibliothè/ue  française,  p.  103,  en 
donna  le  t  tre,  que  les  frères  Pariait  se  con- 
tentèrent d'abord  de  reproduire  dans  le  se- 
cond volume  de  leur  HiUoire  du  Théâtre 
franc  lis,  imprima  en  1735;  mais  dix  ans 
après,  dans  le  troisième  volume  de  ce  même 
ouvrage,  ayant  eu,  durant  ce  long  espace  de 
temps,  l'oceas  ou  de  consulter  un  exem- 
plaire de  l'Assomption,  ils  eu  donnèrent  une 
analyse  qu.)  nous  reproduisons  ci-dessous. 
De  B  'au champs  (liecherches  sur  les  théâtres, 
Paris,  1735,  in-8°,  3vol..  t.  l".p.22r0,  et  la  Bi- 


les  efforts  pour  y  mettre  obstacle,  et  dépê- 
che Satan  avec  un  plein  pouvoir,  en  forme 
de  procuration. écrite  par  Tithinilus,  notaire 
et  greffier  infernal. 

(Pose  :  Orgues  :  et  doit  venir  Jltésus  en  ÏHostel  de 
Marie  :  flambées  sans  cesser.) 

«  Au  son  des  instruments,  et  environné 
de  flammes  brillantes,  Jésus  vient  trouver 
sa  mère.  Saint  Pierre  ordonne  aux  assis- 
tants de  prendre  un  cierge  allumé;  et  saint 
Michel  terrasse  SaU-n. 

Michel. 

Faux  Salhan,  si  tu  ne  te  rens 
Je  te  feray  une  escarmouche. 


bliothèquedu  Théâtre  français  (Dresde,  1703,     psaume  In  exitu 
i n-8°.  3  vol  ,  t.  I",  p.  2),  eu  ont  fait  mention. 

Ou  ne  connaît  qu'une  édition  de  ce  mys- 
tère, imprimée  à  Paris,  in-16,  à  l'Escu  de 
France,  enseigne  d'Alain  Lolriau,  qui  impri- 
mait vers  1518;  c'est  un  petit  volume  de 
15i  pages,  contenant  environ  deux  mille 
cinq  cnls  vers. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 


Tu  es  bien  présumptueux  Diable. 

«  Jésus  monte  au  ciel  avec  l'Ame  de  la 
sainte  Vierge,  au  milieu  des  acclamations 
des  anges,  après  avoir  ordonné  aux  apôtres 
d'ensevelir  son  corps  à  la  vallée  de  Josa- 
phat,  en  les  assurant  qu'il  viendra  bientôt 
les  consoler.  Ils  obéissent,  et  obligent  saint 
Jean  à  porter  la  palme;  saint  Pierre,  saint 
Paul,  saint  Matthieu  et  saint  Simon  por- 
tent le  bienheureux  corps,  et  les  autres 
apôtres    raccompagnent,    en   chantant    le 


1518. —  Mystère  de  l'Assomption.  S'ensuyt 
l'Assomption  de  la  glorieuse  vierge  Marie, 
à  38  personnages ,  dont  les  noms  s'ensuy- 
venl  ci-après  (89j....  Cy  fini  si  le  trespasse- 
ment  et  Assumption  de  la  glorieuse  vierge 
Marie  par  personnages,  imprimé  nouvelle- 
ment à  Paris,  en  la  rue  Neuve-Noslre-Dame, 
à  l'Escu  de  France. 

«  Dieu,  exauçant  les  prières  de  la  sainte 
Vierge,  envoie  Gabriel  lui  annoncer  que  le 
temps  de  son  couronnement  s'approche. 
L'ange  lui  apporte  en  même  temps  un  rameau 
de  palme,  qui  doit  être  porté  «à  sa  sépulture. 
Après  son  départ,  la  sainte  Vierge  se  sent 
incommodée  et  se  met  au  lit;  pendant  que 
les  vierges  pleurent  cette  triste  séparation, 
Dien  ordonne  à  ses  anges  de  transporter 


«  Une  troupe  de  Juifs  infidèles  s'avance 
pour  troubler  celte  auguste  cérémonie  : 
Isachar,  leur  chef,  perd  l'usage  de  ses  mains 
sacrilèges,  qu'il  a  osé  témérairement  poser 
sur  le  cercueil;  il  reconnaît  aussitôt  son 
crime,  et  reçoit  le  baptême  en  même  temps 
que  la  guérison  ;  ses  camarades,  privés  de  la 
lumière  du  jour,  au  lieu  d'implorer  la  grâce 
du  Seigneur,  se  désolent,  ne  croyant  avoir 
d'autre  ressource  que  de  demander  l'au- 
mône, ainsi  que  les  pauvres  aveugles,  et  dé- 
libèrent entre  eux. 

Jacob. 
Nous  sommes  droictement  en  poin* 
De  jouer  à  la  cline  muche. 

Joseph. 

Hélas,  il  fust  bien  nécessaire 
Que  ung  sceut  jouer  de  la  guittere 
On  en  a  mainte  taverne , 
Maint  gobet,  et  maint  bon  lopin 

Jacob. 

Il  n'est  vie  que  de  quoquin 

RlBEN. 

Scès-tu  point  cette  chansonnette 
Et  Dieu  te  doint  bonjour,  Jenettcî 
Du  tems  de  Balasan  parolles? 


(89)  S'  nsuyvent  les  noms  des   personnages  de      Grant,  Philippes ,  Matthias,  Barthélémy,  Symon , 


ce  présent  traicté,  et  premièrement,  Dieu  le  Père, 
Jhesus ,  Marie,  Thamar ,  vierge;  Dina,  vierge, 
Athalie,  vierge;  Lucifer,  Sathan,  Asmodeus,  Be- 
rich,  Tithinilus,  Zabulon  ,  parent  de  Marie;  Manas- 
sez,  parent  de  Marie  ;  Gabriel,  Michel,  Raphaël, 
Chérubin:  Uriel,   Jehan,  Pierre,  Andry,  Jacques  le 


Jude,  Thomas,  Jacques,  Mineur  ;  Matthieu  ,  Paul , 
Abraham,  David,  Isaye,  Ysachar,  prêtre  des  Juifz; 
Ruben,  Juif;  Joseph,  second  Juif;  Jr.ob,  troisième 
Juif  ;  Levi,  quatrième  Juif.  —  C'est  un  petit  in-4" 
de  cent  cinquante-huit  pages  ,  contenant  environ 
deux  mille  cinq  cents  vers. 


161 


AS5 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ASS 


162 


Joseph. 

J'ai  vu  que  j'en  tenoye  escolles, 
Mais  j'ay  piécà  tout  oublié. 

n  Ces  quatre  Juifs  se  heurtent,  et  ensuite 
.se  battent  :  Isaehar  survient,  qui  les  sé- 
pare :  il  convertit  Lévi  et  Jacob.  Huben  et 
Joseph  persistent  dans  leur  aveuglement,  et 
se  poignardent  par  l'inspiration  du  malin 
esprit. 
(Orgues  :  et  doivent  porter  le  corps  au  monument.) 

«  Au  bout  de  quelque  temps,  Jésus  vient 
y  trouver  ses  apôtres,  leur  demande  leur 
avis  sur  ce  qu'il  doit  faire  touchant  le  corps 
de  la  sainte  Vierge.  Ils  lui  conseillent  de  le 
réunir  à  son  âme,  dans  le  séjour  de  gloire. 
Jésus  l'ordonne  à  saint  Michel. 
(Orgues  :el  se  doibt  montrer  Marie  jusques  à  la  poi- 
trine.) 

«  Les  apôlres,  ne  trouvant  plus  ce  saint 
corps,  demeurent  persua Jés  de  l'Assomp- 
tion de  Marie:  l'incrédule  Thomas  est  le 
seid  qui  en  doute.  Pour  le  convaincre,  la 
sainle  Vierge,  du  haut  des  cieux,  lui  jette  sa 
ceinture. 
(Et  doibt  clieoir  la  suincture  de  la  Vierge  Marie.) 

«  Le  mystère   finit  par   les   accl  im  lions 
des  anges  et  des  prophètes,  et  le  couron 
nemeut  de  Marie. 

Dieu. 

Fille,  ceulx  qui  te  requerront 
De  bon  cœur  en  nécessité, 
Leurs  pelicions  obtenions 
Sans  nulle  contrariété; 
Et  enfin  en  félicité 
Après  ce  monde  variable, 
Te  verront  en  sublimité, 
Régner  en  gloire  perdurable. 

(Orgues  :  Prologues  de  fin.)t 

ASSOMPTION  (Moralité  de  l).  —  Les 
frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du  Théâtre 
français  (Paris,  15  vol.  111-12,  1715,  t.  ili, 
p,13&)oiit  laissé  uue  notice  de  celte  moralité 
de  r Assomption. 

L'auteur  se  nommait  Parmentier.  Il  était 
de  Dieppe,  né  en  lWi-,  et  de  tous  ses  ou- 
vrages qui  furent  nombreux  en  prose  on  en 
vers,  il  n'est  resté  que  sa  Moralité. 

Les  frères  Parfait  ont  donné  de  celle  pièce 
'j'analyse  suivante  : 

MORALITÉ   DR   l'aSSUMPTION. 

«  Moralité  très-excellente  à  l'honneur  de  la 
«  glorieuse  Assumption  de  Nostre  Dame,  à 
«  dix  personnages,  c'est  assavoir,  le  [bien 

«   NATUREL,   LE     BIEN     GRACIELLX,     LE    BIEN 
«  VERTU  KL- LX  ,      LA     BIEN      PARFAICTE  ,     LA 

•  BIEN   HUMAINE,  LES  TROIS  FILLKS    DE  SYOv, 

*  IE     BIF.N     SOUVERAIN    ,      LE      BIEN     TRilM- 

.»  puant.»  Composée  par  Jan  Parmentier, 
bourgeois  de  ta  ville  de  Dieppe,  el  jouée 
audict  lieu  le  jour  du  Puv  rie  ladic:o 
Assumption,  l'an  de  gtwe  mil  cinq  cens 
vingt  et  sept.  Maislre  Robert  le  Bouc, 
Bai  II  if  de  ladicle  Ville,  Prince  du  Puy,  et 
maislre  de  ladicte  Fesie,  pour  la  troisiesme 
Binée,  imprimée  à  Paris  en  la  rue  deSor- 
boine  le  sept  iesme  jour  île  janvier  mdxxxi. 
(Bibliothèque  du  Roy.) 
»  Le  Bien  Gracieux  vient  offrir  ses  ser- 


vices à  la  Bien  Parfaite,  et  la  loue  de  son 
bonheur.  La  Bien  Parfaite  reçoit  ces  com- 
pliments avec  modestie. 

LA    BIEN  PARFAICTE. 

Monsieur,  Monsieur,  on  voit  bien  comme 
Yous  estes  le  Bien  Gracieulx  : 
Car  ainsi  vous  plaist  à  parler. 

LE  BIEN  GRACIEULX. 

Demandez  au  Bien  Veilueulx. 

«  Je  vous  assure,  Madame,  répond  Bien 
Vertueuix,  que  mon  camarade  ne  dit  en 
cela  que  la  vérité. 

la  Bien  Parfaicte. 

Bien  vous  vous  scavez  recoller 
Que  pour  Dames  lia-ult  extoller, 
On  les  faict  de  joye  volier, 
En  louant  leur  beauté  faconde. 

«  Aussi  accomplie  que  vous  l'êtes,  con- 
tinue le  Bien  Gracieulx,  il  est  impossible 
que  voim  n'aimiez  point. —  Oui, j'aime,  ré- 
pond-elle, el  d'un  feu  violent. —  M"ti  Amant, 
continuo-t  elle,  est  le  plus  parfait,  le  plus 
puissant  d'entre  milliers  de  milliers.  En  un 
mot,  c'est  le  Bien  Souverain.  —  J'ay  une 
pl<'  ne  connaissance  de  ce  que  vous  me 
dites,  réplique  le  Bien  Gracieulx,  puisque 
je  suis  s'm Secrétaire.  Je  n'ai  point  encore 
perdu  l'idée  île  cet  heuieux  jour  qu'il  en- 
vo,,i  le  Seigneur  Gabriel  vous  prier  de  iui 
accorder  votre  amitié.  — Vous  accompagi  iez, 
ce  me  semble,  cet  aimable  Messager,  répond 
la  Bien  Parfaicte. —  Il  est  vrai,  répond  le 
Bien  Gracieulx;  mais,  continue-t'il,  vous 
souvenez-vous  que  votre  Amant  vous  fit 
éprouver  trois  jours  d'absence?  —  Je  n'ai 
pas  oublié,  dit  la  Bien  Humaine,  le  bon  tour 
qu'il  lit  h  vos  Noces.  —  Oh  !  que  le  vin  qu'il 
rions  donna  éloit  délicieux,  reprend  le  Bien 
Naturel. 

LE  BIEN  NATUREL. 

Ce  n'estoit  point  ung  gros  vin  Bourguignon, 

Je  y  avois  mis  ung  bon  vin  naturel. 

Mais  cestuy-là  fut  surpen  aliirel, 

Le  plus  parfaict  que  jamais  gousta  bouche  : 

Que  pleiisl  à  Dieu  que  j'en  tinsse  une  louche 

B  m'est  a.lvis  que  je  semis  heureux. 

a  Sur  ces  eulrefa  les,  le  Bien  Souverain, 
après  avoir  déni  mrié  an  Bien  Triomphant 
s'il  doit  épouser  la  Bien  Parfaite,  loi  ordonne 
de  l'aller  cher  lier  danssonchar.  Bien  Triom- 
phant exécule  cet  ordre,  el  fait  une  ha- 
rangue à  l'épousée.  Les  joueurs  sonnent  pen- 
dant sa  marche,  et  êl'le  arrive  enfin  chez  le 
Bien  Souver.  in,  qui  l'embrasse  el  la  cou- 
ronne reine  du  ciel. 

LE  BIEN   TRtUMPIIANT. 

Nous  conclurions  que  la  Vierg  i  Marie. 
Mère  de  Dieu,  qui  jama's  ne  varie, 
Par  bien  aymer,  et  vertueusement, 
Est  parvenue  à  liault"  Seigneurie: 
Couronnée  de  Royal  A' -mairie, 
En  triumphant  perpétuellement 
V (là  de  quoy,  donc  curieusement 
Tous  bien  unis,  sans  aucune  discorde, 
Présentez-luy  vos  cueus  dévotement, 
Prenans  en  gré  le  simple  csliaUcment, 
Faict  par  l'Amant  qui  voultlroit  loyaulment 
Vous  aymer  tous  bien  unis  en  concorde  : 
Yéla  de  quoy.> 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


\YE  D1GT1UNHAIKK  l/LS  MÏSTEKL5.  AVE  464 

AVENNIR  (  Le  Roi  ).  —  Manuscrit  du 
Mystère  du  roy  Avennir,  Advenir  ou  le 
niêrne  Abhennir  a  été  indiqué  par  les  frères 
Parfait,  comme  appartenant  à  la  bibliothèque 
du  roi,  in-folio  de  560  pages. 

Selon  ces  auteurs,  Avennir  n'aurait  jamais 
été  imprimé. 

Ce  drame  singulier,  dont  le  fonds  était 
tiré  d'un  ouvrage  de  saint  Jean  Damascène, 
intitulé  \  Histoire  de  Josaphct,  fils  d' Avennir, 
roi  des  Indes,  et  de  Barlaam,  a  pour  auteur 
Jean  du  Prier,  et  date  de  la  seconde  moitié 
du  xv'  siècle. 

Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
Théâtre  français  (  Paris  ,  1735,  in-12,  t.  II, 

p.  475-494)  en  ont  donné  une  analyse  [que  desoiT  pàr£  fej  eue  Von"  alliance  aïeo  horl 

nous   reproduisons  ci-dessous;   de    Beau-  re        et  le  comte  est  contraint  de  s<en  re_ 

champs  (  Recherches  sur  les  lhéâlres;  Paris,  tourner  dans  son  pays 

1735,  in-8%  3  vol.,  t.  1",  p.  225)  et  la  Biblio-  ,  Peu  de  tempsyrè"s  rabbé  de  Sanar  et 

thèque  du  Théâtre  français,  ouvrage  attribué  ce,ui  de  Grammont   suivant  Jes  inspirations 

au  uuc  de  La  Vallière  (Dresde,  1768,  in-8  ,  du  ciel  t   envoient   quelques-uns  de    leurs 


LE    COMTE  D'ALAGONNE. 

Par  Jupiter;  je  vous  aurez. 

LA  FILLE  DU  ROY. 

Par  Jupin,  pas  ne  sera  voir  (92) 

LE  COMTE    d'aLACONNE. 

Je  n'auray  donc  plus  de  pouvoir, 
Que  vous  n'en  soyez  la  maîtresse. 

LA  FILLE  DU  ROY. 

Je  me  feroye  avant  ardoir  (93) 
Par  Vénus  la  bonne  Déesse. 

«  Alphonse  perd  la  -vie  dans  un  assaut.  Le 
roi  Avenir,  qui  est  venu  à  son  secours,  veut 
engager  la  princesse  à  épouser  le  comte. 
Mais  elle,  ne  pouvant  souffrir  le  meurtrier 


3   vol.,   tom.  Pr,  p.  35),  l'ont  mentionné 


aussi. 

mystère  dd  roy  auvemr  (90).  S'ensuyt  le 
Mystère  du  Roy  Advenir  ,  ouvré  par  Jean 
du  Prier,  dit  le  Prieur  Mareschal  des  Logis 
du  Roy  de  Cécille,  René  le  Bon  (91). 

JOURNÉE   PREMIÈRE. 

«  Le  comte  d'Alagonne  députe  ses  cheva- 
liers vers  le  roi  Alphonse,  pour  lui  demander 
sa  fille  en  mariage.  Le  roi  envoie  chercher 
la  princesse,  et  lui  fait  part  de  la  proposi- 
tion du  comte. 

LE  ROY  ALFONCE. 

Ung  Comte  y  a  ;  je  ne  sçav  qui  il  est, 

Qui  vous  demande 

À  mariaige 

En  son  langaige 

Et  dit  qu'il  est 

Plain  d'Eritage 

De  grant  lignage  ; 

Ne  sçay  que  c'est. 
II  m'est  advis,  qu'il  est  nommé 
Par  son  nom,  Comte  d'Alagonne. 

«  La  princesse,  sans  demander  une  plus 
ample  explication,  déclare  qu'elle  ne  veut 
pas  se  marier  du  vivant  de  son  père.  Sur  ce 
refus  ,  le  comte  assemble  ses  troupes,  et 
vient  assiéger  Alphonse  dans  sa  capitale. 

(90)  L'orthographe  de  ce  nom  varie  beaucoup  : 
on  le  trouve  ainsi  écrit  au  titre  et  dans  le  prologue. 
Dans  les  deux  premières  journées,  on  l'appelle  Ave- 
nir, ou  Avennir,  c'est  la  véritable  orthographe;  et 
Abhennir  dans  la  troisième, 

(91)  Ce  mystère,  qui  n'a  jamais  été  imprimé,  se 
trouve  in-fol.  parmi  les  manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque du  roi.  11  est  divisé  en  trois  journées,  dont 
les  deux  premières  contiennent  85  feuillets  chacune, 
et  la  troisième  110,  en  tout  560  pages,  et  près  de 
dix-sept  mille  vers.  On  ignore  le  temps  qu'il  fut  re- 
présenté :  mais  il  est  certain  qu'il  fut  composé  du 
vivant,  et  par  les  ordres  de  René  ,  roi  de  Sicile,  et 
vraisemblablement  joué  devant  ce  prince  ,  qui  mou- 
rut en  1480.  Après  avoir  déclaré  le  sujet  qui  l'a 
obligé  à  composer  ce  mystère ,  l'auteur ,"  dans  son 
prologue,  ajoute  ces  vers  pour  sa  justification  ,  en 
faisant  parler  l'acteur,  qui  le  représente  en  tierce 
personne. 

Cette  matière  commeniza, 


religieux  prêcher  la  foi  aux  infidèles.  Ceux- 
ci,  en  passant  par  un  bois,  trouvent  un  er- 
mitage et  trois  ermites. 

LE   PREMIER  MOÏ.NE  DE  GRANTLMONT. 

In  quem  creditis  vos  ? 

le  premier  UERMiTE  du  boys   tremblant. 

Jhesus 
Conftdimus  in  Maria. 

«  Ces  serviteurs  de  Dieu,  rassurés  de  part 
et  d'autre ,  vont  prêcher  le  pouple  d'Ala- 
gonne. Le  comte  se  trouve  à  leur  sermon 
avec  le  duc  grec  et  le  duc  égyptien.  Los 
astrologues  païens  disputent  avec  les  reli- 
gieux, qui  les  confondent  par  de  pressants 
arguments.  Lucifer,  qui  voit  leur  défaite, 
ordonne  à  ses  démons  d'aller  à  leur  secours. 

«  Le  comte  d'Alagonne  se  convertit,  aussi 
bien  que  Carbarant,  chevalier  égyptien,  et 
Gadilfer,  chevalier  grec.  Les  ducs  d'Egypte 
et  de  Grèce  font  chercher  partout  ces  deux 
derniers;  et  le  messager,  à  qui  l'on  donne 
cette  commission,  rencontre  un  laboureur 
à  qui  il  demande  s'il  n'a  point  aperçu  de 
Chrétien. 

le  laboureur  en  colère. 

^,e  Diable  les  puist  emporter. 
Depuis  leur  sanglante  venue, 

Et  son  poure  sens  amassa. 

Comme  Dieu  luy  avoit  preste; 

Au  vouloir  Di^u,  tant  y  ouvra  , 

Comme  icy  veoir  on  le  pourra, 

M  lis  que  Dieu  nous  presie  sauté. 

S'il  e<t  malfairl,  et  bien  joué; 

Ou  bien  ouvré,  et  mal  sonné, 

Plaise  vous,  prester  au  lieuce  , 

Toulesfois  laul  est  labouré  , 

Oue  véez  ci  le  Livre  achevé, 

Tout  presl  comme  a  jouer,  et  commence. 

Le  fonds  de  ce  mystère  est  tiré  d'un  ouvrage  de 
saint  Jean  Damascène,  intitulé  Y  Histoire  deJosaphat 
Fils  d' Avennir,  Roy  des  Indes  et  de  Barlaam;  le  reste 
est  de  l'invention  de  l'auteur ,  qui ,  plus  poète  en 
ceci  que  la  plupart  des  compositeurs  de  mystères,  a 
tiré  la  plus  grande  partie  de  son  imagination.  Nous 
rendrons  compte  dans  le  volume  suivant  d'une  T"n- 
ralité  composée  sur  le  même  sujet- 

(9i)  Vrai. 
93    Brûler. 


IC5 


AVE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AVE 


166 


J'ay  par  eulx  ma  femme  perdue 
Je  ne  sçay  où  Diable  elle  est. 

«  Le  roi  Avenir  apprenant  les  progrès  des 
religieux,  ordonne  à  Barbaran,  son  prévôt, 
de  lui  amener  tous  les  Chrétiens  qu'il  pourra 
trouver;  ce  pr'évôt  part  avec  Agripparl,  Mal- 
engrongné,  et  Bray-de-fer,  ses  archers,  et 
emmène  les  ermites  et  les  autres  fidèles. 
(Jcy  abatenl  rtlermitage,  et  tes  Diables  leur  aide»!.) 

«Avenir  reconnaissant  parmi  eux  lecomle, 
les  deux  chevaliers  et  la  femme  du  labou- 
reur, ordonne  qu'on  les  fasse  mourir,  et 
qu'on  commence  par  le  comte  d'Alagonne. 

LE  BOURREAU. 

Si  g'y  faulx,  faictes  m'en  autant. 

«  Pendant  que  le  roi  est  occupé  à  faire 
tourmenter  ces  Chrétiens,  on  lui  annonce 
que  son  épouse  vient  d'expirer,  en  mettant 
un  prince  au  monde. 

AVENIR. 

Malgré  Jupin,  des  Chrétiens, 
Et  qui  jamais  les  mist  en  voye 
J'ay  perdu  m'amour,  ma  joye, 
J'ay  perdu  ee  que  j'avoye, 
J'ai  perdu  ce  que  doubtoye, 

Que  vouloye, 

Que  lenoye, 

Simple  coye 
De  mon  trésor  la  mont  joye 

Je  m'en  vant  (94). 
Je  pers  ce  que  desiroye, 
Je  pers  où  mon  tems  passoye, 
Je  pers  à  qui  m'esbatoye, 

Que  baisoye, 

Embrassoye, 

Ou  disoye 
Quant  en  mes  bras  la  tenoye 

Cy-devant,  etc. 

«  La  naissance  du  jeune  Josaphat  console 
un  peu  le  roi;  il  mande  tous  les  seigneurs 
de  sa  cour  et  les  astrologues  égyptiens,  qui 
l'assurent  que  ce  prince  embrassera  un  jour 
la  loi  des  Chrétiens.  Pour  prévenir  ces  pré- 
sages, Arrachis  conseille  à  Avenir  de  faire 
construire  une  tour  et  d'y  faire  mettre  Josa- 
phat, avec  un  maître  d'école,  qui  prendra 
soin  de  lui  inspirer  beaucoup  de  haine  pour 
le  christianisme.  » 

(Ci/  fine  la  première  Journée  :  prennent  ta  Royne,  et 
la  portent  hors  du  jeu.) 

JOURNÉE    SECONDE. 

a  Pendant  que  le  duc  grec  fait  endurer  les 
tourments  les  plus  cruels  à  Gadifï'er,  qu'A- 
venir lui  a  remis  entre  ses  mains,  le  duc 
égyptien  ordonne  au  bourreau  do  couper 
par  la  moitié  le  corps  de  Carbarant,  son  che- 
valier, 

caubarant,  ta  moitié  de  dessus  (95). 
Jhcsus,  Jliésus! 
1.E  PREVOST  au  Duc. 

Et  escoutez  ! 
Veez-cy  merveilles  Monseigneur 

agrippart  frappe,  et  dit. 
El  je  croy  que  vous  vous  tairez. 

CARBARANT. 

Jliésus,  Jliésus! 

(91)  Vante. 

(95)  C'est-à-dire  la  partie  supérieure  du  corps. 


le  duc  eciptian  étonné. 
Et  escoutez ; 
Je  suis  de  ce  faict  effroyez 

CARBARANT. 

Pacience,  mon  Créateur. 
Jhésus,  Jliésus. 

LE  PREMIER  CHEVALIER. 

Et  escoutez, 
Veez-cy  merveilles,  Monseigneur. 

«  Michel  et  Gabriel  enlèvent  les  âmes  de 
ces  deux  martyrs  :  d'un  autre  côté,  le  pre- 
mier chevalier  du  roi  Avenir  prend  la  ré- 
solution de  se  faire  baptiser;  Satan,  sous  la 
figure  d'un  taureau,  tachedele  détourner  (96), 
mais  lenouvenu  soldat  du  Seigneur  le  chasse 
honteusement. 

LE  CHEVALIER. 

Or  si  tu  viens  par  les  faux  Diables, 
Retourne-toy,  sans  séjourner. 

(Sathan  tombe  étendu  à  terre,  et  tous  les  Diables  en- 
semble le  battent,  et  l'entraînent  en  Enfer.) 

«  Cependant  Josaphat,  appuyé  contre  une 
fenêtre  de  la  tour,  considère  un  temple  des 
idoles,  et  interroge  son  précepteur. 

JOSAPHAT. 

Le  dessus  du  Monstier  ne  tenl 
Pas  bien  contre  Soleil  levant  ? 

le  mc  d'escolle  étonné. 

Quelle  chose  appelez-vous  Monstier  ! 
Pas  vostre  parler  n'entendons. 
C'est  où  on  va  sacrifier 
Tous  les  Dieux,  esquelz  nous  créons. 

JOSAPHAT. 

Vos  Dieux!  Et  comment  sont  leurs  noms? 
Sont-ce  ceux  qu'on  appelle  Ydolles. 

le  m'  d'escolle  en  colère. 

Monseigneur,  laissez  ces  raisons, 
Ne  dictes  telles  parolles  folles; 
Ce  sont  ceulz  qui  vous  ont  formé, 
En  qui  devez  avoir  créance. 

JOSAPHAT. 

Qui  lésa  faiot,  ne  charpenté? 
Vous  autres? 

LE  M"  D'ESCOLLE. 

Oùy  sans  doublance. 

JOSAPHAT. 

Et  comment  ont-ils  donc  puissance 
De  moy  former,  puisqu'entre  nous, 
Les  avez  faict  à  vos  semblances. 
le  >ie  d'escolle  le  fait  retirer  dedans,  et  dit. 
Sus,  Monseigneur,  relrairons-nous. 

«  Le  prévôt  ayant  entendu  dire  que  deux 
nouveaux  ermiles  sont  venus  s'établir  dans 
la  forêt  d'Alagonne,  les  va  prendre,  et  les 
conduit  devant  le  roi,  qui  les  fait  jeter  dans 
un  grand  feu  :  ce  feu  s'éteint,  et  lorsqu'on 
Je  rallume,  la  flamme  s'élance  sur  les  bour- 
reaux, et  sur  Avenir  même. 

ROY  AVENNIR. 

Ay,  Salurnus!  ay!  à  la  mort; 
Que  mauldicte  soit  la  lignée. 
Haro  !  j'ay  la  barbe  bruslée 
Maulgré  ^pollin,  etc. 

(90)  Icy  il  aura  ung  cuir  de  bœuf 


167 


AVE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AVE 


iGS 


«  Les  chevaliers  prient  le  roi  de  pardon- 
ner à  ces  pauvres  ermites,  que  le  feu  a  res- 
pectés. —  Non,  non,  s'écrie  Avennir. 

BOY  AVENNIR. 

Ma  barbe  ne  puis  oublier, 
Je  l'ay  brullée  jusques  aux  os. 

«  Par  ses  ordres  on  coupe  les  bras  et  les 
jambes  de  l'un  et  la  tôle  de  l'autre,  et  on  les 
eus  Vidit  ensemble  eu  cet  étal.  Le  roi  va  en- 
suite visiter  Josaphat,  qui  lui  l'ait  des  louan- 
ges d.:  son  in  dire  d'école,  et  de  Zardain, 
jon  valeide  chaud)  e.  Avenir  remet  le  jeune 
prince  sous  la  garde  du  dm;  égyptien,  et  lui 
recommande  surtout  de  ne  lui  point  parler 
de  mO't,  ni  de  maladie. 

(Un  g  Joueur  de  Lut  joue  et  chante,  et  l'autre  jouera 
de  la  harpe,  et  vont  devant  Josaphat.) 

«  Les  soins  du  duc  égyptien  et  de  Zar- 
dain ne  peuvent  empêcher  Josaphat  de  par- 
ier à  un  pauvre  t  ès-taduc,  à  qui  il  demande 
pourquoi  il  marche  avec  tant  de  peine.  — 
C*esl  ie  poi  Is  des  ans  qui  m  accable,  répond 
I  •  pauvre,  et  je  sens  que  bientôt  il  i'aul  que 
j  :  meure,  ajoule-t-il. 

JOSAPHAT. 

Et  quelle  chose  esse  de  mourir? 

LE  VIEIL   HOMME. 

C'est  te  poi:.t  où  chacun  venir 
Conviendra,  es  fins  de  «a  vie. 
Dii  corps  faict  Dieu  lame  partir, 
Puis  s'ell'a  malfaict  estpugnie. 

JOSAPHAT. 

Et  comment  pugnie?  Quesse  à  dire  ? 
Qui  esse  qui  la  pugniera? 

«  Le  pauvre  lui  parle  alors  du  jugement 
dernier,  et  des  peines  de  l'enfer.  Ce  dis- 
cours épouvante  de  telle  sorte  Josaphat, 
qu'en  quittant  ce  pauvre,  il  va  se  jeter  sur 
son  lit.  Dieu  ordonne  à  3aila.un  de  profiter 
de  ce  moment,  pour  instruire  le  prince  dans 
la  foi  chrétienne.  » 
(Ballant  vestu  en  guise  de  Marchand  va  vers  l'enfant.) 

JOURNÉE    TROISIÈME. 

■  Barlaam  sjus  ce  déguisement  s'introduit 
eh^z  Josaphat,  qu'il  instruit  da  is  notre  reli- 
gion, et  lui  donne  une  liaire  el  une  robe 
grise  I!  se  retire  er  suite;  el  Zardain,  en  en- 
trant dans  la  chambre  de  son  maître,  est 
fort  étonné  de  le  voir  ainsi  habillé.  I!  court 
en  avertir  le  roi,  rnii  pour  détacher  le  prince 
de  la  religion  qu  il  vient  d'embrasser,  or- 
donne que  les  trois  maîtres  de  la  loi  dispute- 
ront devant  Josaphat  avec  les  Chrétiens.  Le 
fidèle  Nalor,  en  confondant  les  docteurs 
païens  allermit  la  foi  du  jeune  prince, 

BOY   ARIIENNIR. 

nomment  csles-vous  dptic  ruezjuz  (97)? 
Seigneurs,  que  ne  respondez-vous? 

Llquessocy?  Vous  rendez-vous? 

El  beaux  Seigneurs,  el  quesse-ee  à  dire? 

LE   rUEMIKR    MA1STRK  DE  LA  LOV. 

Quanl  à  moy,  je  ne  seay  que  dire, 


El  ne  dit  que  ta  vérité  : 

Il  ne  se  peult  autrement  faire. 

roy  abiiennir  en  colère,  au  bourreau. 

A  ce  coup,  qu'ilz  soient  despéchez, 
A  tous  les  trois  les  yeux  crevez, 
Sans  attendre  ne  grain,  ne  goutle, 
Alin  qu'ils  n'y  voyent  plus  goulte. 

LE  PREMIER   MAISTRE  DE   LA  LOT. 

Miséricorde,  très-chier  Sire. 
Nous  ne  l'avons  pas  desservy. 

«  Le  bourreau  et  son  valet  les  exécutent 
par  l'ordre  d'Avenir.  Après  quoi  le  valet 
prétend  partager  l'argent  que  l'on  donne  à 
son  maître. 

LE  VARLET  DU   BOURREAU. 

Et  comment,  n'en  aurai-ge  point? 

Je  fais  I  ollice  comme  ly, 

Et  si  n'en  ay  rien  ;  quant  à  moy... 

«  Après  quelques  contestations,  le  oour- 
reau  lui  donne  quelque  chose. 

le  conseiller  d'aleonce  (98}  pleurant. 

Hélas!  pourquoy  sui-ge  venu 
A  ceste  disputacion? 
Mon  luminaire  j'ay  perdu. 

«  Le  roi  assemble  son  conseil,  pour  trou- 
ver les  movens  de  faire  changer  de  «enii- 
rnentà  son  fils.  —  Seigneur,  lui  d  t  Th^odas, 
si  vous  voulez  le  tenter,  failes-lui  amener 
déjeunes  demoiselles. 

calibéas,  conseiller. 

Vous  estes  l'un  des  plus  subtile 
Qui  soit  en  Ynde  et  bien  saige, 
Ll  de  science  le  plus  saige 
Qu'homme  vivant  pourrait  trouver. 
II  nous  fault  des  femmes  mander, 
Très-chier  Sire,  comme  il  a  dit. 

Le  maître  d'hôtel  du  roi,  va  de  sa  part, 
prier  la  fille  du  roi  Alphonse  de  venir  au 
palais  et  d'amener  avec  elle  les  plus  jolies 
demoiselles  qu'elle  pourra  trouver. 

LA  FILLE   DU  ROY  ALFONCE. 

El  sur  ma  foy,  Maislre  d'Hostel, 
Je  ne  sçay  que  ma  demoiselle  : 
Elle  esl  gracieuse  et  très- belle, 
Et  seci  assez  bien  l'honneur. 
Ma's  se  vous  sentez  déshonneur 
Au  faict,  ne  nous  y  menez  point. 

LE  MAISTRE  D'HOSTEL. 

Iîaa  !  nenny.  ne  nous  doublez  point. 
Et  comment?  c'est  rostre  parent, 
Jà  ne  ferait  certainement 
Rien  donl  vous  eussiez  desplaisir. 

«  D'un  autre  coté  le  roi  va  au  temple  où  i) 
a  fait  porter  en  offrande  a  ses  dieux  la  tète 
d'un  des  deux  ermites  d'Alagonne.  Celte 
lèie,  quoique  séparée  de  son  corps  dep.iis 
Ion. temps,  parle  à  Avenir  ,  et  confond  les 
subtilités  de  Théodas  et  de  Calibéas.  Le  roi 
les  prie  de  le  délivrer  des  discours  impor- 
tuns de  celte  tête. 


(97)  Bas. 

(98)  C'est  l'un  des  maître?  de   la  loi,  à  qui  on  vient  de  crerer  !e§  vouk. 


1G9 


BATI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


P.AR 


470 


(Icy  celuu  qui  est  au  fond  (99)  remplist   la  teste  de 
souffre,  d'estoupes  et  de  salpestre.) 

«  Calibéas  dit  à  la  tête  de  se  consumer 
d'elle-même,  si  le  Dieu  des  Chrétiens  est  le 
véritable;  à  ces  mots  la  tête  paraît  en  feu,  et 
se  réduit  en  cendres. 

«  On  vient  avertir  Avennir  que  la  fille  du 
roi  Alphonse  arrive;  le  roi  la  fait  entrer,  lui 
déclare  ses  intentions,  et  la  prie  d'employer 
son  adresse  pour  retirer  Josaphat  de  la  pro- 
fonde mélancolie  où  il  est. 

LA  FILLE  DU  ROY  ALFONCE. 

Monseigneur,  croyez  seurement 

Que  jamais  jour  il  ne  m'avint, 

N'en  ma  pensée  ne  m'adviiu 

De  penser  à  cestuy  affaire  : 

Mais  c'est  raison,  qu'on  vùeille  faire 

Ce  qu'il  vous  plaist  sans  nulz  débatz. 

LA  DAMOISELLE. 

Voire,  mais  il  ne  me  plaist  pas, 
Moy,  qui  ay  bonne  renommée, 
Que  je  soye  deshonnorée  : 
Chacun  au  doy  me  monslrera. 

roy  abiie$nir  à  la  demoiselle. 

Or,  m'amye,  quant  ainsi  sera, 
Pas  ne  sera  grant  desbonneur , 
S' un  Filz  de  Roy,  à  voslre  onneur. 
Et  aussi,  quant  ainsi  seroit, 
Vostre  corps  rien  n'y  perderoit, 
Ainsi  seroit  de  moy  enrieby  : 
Et  vous  trouveroye  mary 
Plus  puissant,  et  grandement. 

«  Elles  vont  trouver  Josaphat,  qui,  bien 
loin  de  répondre  à  leurs  caresses,  leur  prêche 
la  chasteté,  et  leur  conseille,  en  cas  qu'elles 
se  veuillent  marier,  de  prendre  le  Sauveur 


LA 


LA  DAMOISELLE. 

Et  le  devez-vous  demander! 
Monsieur,  le  vous  faut-il  dire? 

LA   FILLE   DU   ROI   ALFONCE. 

Comment  osez-vous  contredire, 
De  refuser  cestuy  plaisir  : 
Plusieurs  se  feroient  occire 
Pour  une  heure  ou  deux  me  tenir. 
Las',  ne  me  faictes  pas  languir, 
Monsieur,  et  je  vous  en  prie. 
Doulcement,  vûeillez  accomplir 
La  volonté  de  vostre  amie. 
Est  nature  on  vous  dessaillie? 
Vous  qui  n'estes  qu'ung  jeune  enfant? 
Embrassez-moy  à  chère  lye, 
Jamais  homme  n'aimay  autant. 

DEMOISELLE   DE   LA   FILLE   ALFONCE  ,   chante   et 

dance. 

Gente  créature, 
Que  j'ay  tant  aimée 
Si  je  ne  t'agrée,  etc. 

«  Josaphat  fortifié  par  la  grâce  du  Seigneur, 
touche  le  cœur  de  ces  deux  filles,  et  les  con- 
vertit à  la  véritable  religion.  Théodas  suit 
cet  exemple,  et  bientôt  Avennir  détestant 
les  idoles,  embrasse  le  christianisme  (99*). 
Il  meurt  peu  de  temps  après  dans  des  senti- 
ments véritablement  chrétiens.  Josaphat 
quitte  ensuite  sa  couronne  et  se  retire  dans 
un  ermitage. 

(Les  Diables  en  guise  de  bestes  V assaillent.) 

SATHAN. 

Filz  de  Roy,  entens  ma  raison. 
«.  Le  prince,  sans  l'écouter,  le  chasse  par 
le  signe  de  la  croix  ;  et  pour  se  mettre  à  cou- 
vert de  pareils  assauts,  il  va  trouver  son 
cher  Barlaam  :  et  meurt  paisiblement  dans 
cette  dernière  retraite.  L'évêque  de  Sanar, 


pour  époux.  La  princesse  feint  de  se  trou-  instruit  de  sa  mort,  va,  accompagné  de  ses 
ver  mal,  et  tombe  évanouie.  —  Que  veut  vo-  chanoines,  chercher  son  corps  pour  le  mettre 
tre  maîtresse?  dit  Je  prince  à  la  demoiselle,     en  sépulture.  » 


B 


BARBE  (Sainte).  —Le manuscrit  du  Mys- 
tère de  sainte  Barbe  a  été  indiqué,  dès  l'an 
1735,  par  les  frères  Parfait,  parmi  ceux  de  la 
Bibliothèque  du  roi,  in-folio,  de  7 '*2  pages, 
contenant  environ  25,0!j0  vers. 

L'auteur  est  resté  inconnu,  mais  l'état  du 
manuscrit  et  le  langage  assignent  assez  po- 
sitivement à  ce  drame  la  date  de  la  seconde 
moitié  du  iv*  siècle. 

Ce  mystère  n'a  jamais  été  imprimé. 

Le  nombre  des  acteurs  n'est  pas  moindre 
de  98;  les  frères  Parfait  pensent  qu'il  fut 
joué  par  les  confrères  de  la  Passion. 

Dans  leur  Histoire  du  théâtre,  français  (Pa- 
ris, 15  vol.  in-12,  t.  II,  1735,  p.  5-78),  ces 
auteurs  ont  donné  un  aperçu  de  ce  drame, 
et  la  Bibliothèque  du  théâtre  français,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 

(99)  Pour  entendie  ceci,  il  faut  savoir  que  cette 
tête  est  sur  l'autel,  dans  la  concavité  duquel  est 
placé  un  homme,  qui  remplit  la  tète  (qui  est  de  car- 
ion)  de  ces  matières  faciles  à  se  consumer,  et  où 

Dictionn.  des  Mystères 


ICHAEL-3 


a  donné 


1768,  io-8%  3  vol.,  t.  I 
aussi  une  analyse. 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Eludes  sur  les 
mystères  (Paris,  1837,  in-8°,  p.  281)  a  men- 
tionné le  Mystère  de  sainte  Barbe;  il  y  re- 
marque un  mélange  de  plaisanteries  gros- 
sières qui  rebutent  dans  la  plupart  des 
drames  à  la  fin  du  xV  siècle,  et  que  nous 
trouvons  jusque  dans  les  pièces  de  l'hôpital 
de  la  Trinité,  où  s'étaient  glissés  les  Enfants 
sans-souci.  » 

On  lit  dans  les  Manuscrits  françois  de  la 
Bibliothèque  du  roi  (Paris,  1848,  in-8%  t.  VII, 
p.  374)  de  M.  Paulin  Paris,  la  note  sui- 
vante : 

«  N°  7299.  \  Le  mystère  de  Sainte-Barbe  en 
cinq  parties. — Volume  in-4°  mediocri  de  434 
feuillets  en  papier,  lignes  longues;  iv*  siè- 

il  met  le  feu,  dès  que  Calibéas  cesse  de  parier. 

(99*)  Adonc  les  Diables  se  combattent  tous  ensem- 
ble, et  Lucifer  leur  gectedes  pierres  sur  eulx. 


0 


171  BAR 

cle,  fonds  Cangé,  ane.  n*  11,   nouveau  17. 

a  Le  Mystère  de  sainte  Barbe  diffère  beau- 
coup de  tous  ceux  qui  ont  été  imprimés. 
Mais  les  frères  Parfait  en  ont  donné  une 
analyseassez  satisfaisante...  Ils  l'ont  faite  sur 
notre  manuscrit  qui,  disent-ils,  est  unique.  » 

Nous  reproduisons  l'analyse  des  frères 
Parfait  : 

EXTRAIT    DU   MYSTERE     DE    SAINTE   BARBE, 

Divisé  en  cinq  journées. 
PERSONNAGES  DES  CINQ  JOURNÉES. 
deus.  Barbare. 

V1RG0  MARIA.  BARBARA. 

uichel,  ange.  galatHea,  damisella  Bar~ 

Gabriel,  id.  bare. 

raphael,  id.  florimond,  primus  milles 

iîriel,  id.  Dyoscori. 

chérubin,  id.  laomedon,  secundus  mil- 

seraphin,  id.  les  Dyoscori. 

Johannev-baptista.  adrascus  ,  tertius  milles 

anima  barbare.  Dyoscori. 

hgnorius,  papa.  brandimas  ,  chevalier  de 

primus cappellanus, pape.  Dyoscorus. 

secundus     cappellanus  ,  palamides  ,  chevalier  de 

pape.  Dyoscorus. 

rex  chipprie.  grongnart, primus  tyran- 

chambelloys,  primus  mil-  nus  Dyoscori. 

les  régis  Chipprie.  cornibert  ,  secundus  ty- 

moussay,  secundus  milles  rannus. 

régis.  Chipprie.  roullart,   tertius  tyran- 

dargonze  ,  tertius  milles  nus. 

régis  Chipprie.  lamenant  ,  nuncius  Dyo- 

pontzonnet  ,  nuncius  re-  scori. 

gis  Chipprie.  marcianus  ,    prevost    de 

le  connestable  de  Chip-  Nyehomédie. 

jaspar    de    richeflour  ,  al.modes  ,  prunus   milles 

primus     milles   conne-  «arctam. 

stabulis.  perseus,  secundus  milles 

HERtault  ,  secundus  mi/-  Marctam. 

I  contrefoy, pnmus  tyran- 

brcysart,  tertius  milles. 
l'admiral  de  Chippre. 

YVAM    DE  VAUSAO  ,   pritHUS 

milles  admiralis.  marpault  ,  tertius  tyran- 

LE  BOURC  DE  LA  RAQL'E,  Se-  UUS. 

cundus  milles.  taliiart  ,    quarlus     ty~ 

blandchaudin,  tertius  mil-  rannus. 

les.  m'  amphoras,  primus  do- 

origenes,  doctor  tel  epi-  clor. 

scopus  Alexandrie.  m'  alpiions,  secundus  do- 

blondelet  ,  clericus  Ori-  clor. 

gènes.  amphiteas,  presbyter  pa- 

ysacar  ,    presbyter  chri-  ganus. 

stianus.  jozias  ,    presbyter   paga- 

s.  valentinl'S  ,  presbyter  nus. 

christianus.  LEMAiRE.de  Nychomédye. 

liépart  ,  capitaine  d'A-  fernallt. 

lexandrie.  cherlin. 

moradin,  primus  armalus.  thamaris,  prima  mulier. 

yurom,  secundus  armatus.  cassandra,  sccunda  mu- 

nomin,  primus  janitor  A-  lier. 

lexandrie.  atiiallenta  ,    tertia  mu- 

maleteste,  secundus  ja-  lier. 

nitor  Alexandrie.  theseus,  civis  paganus. 

jousquin,  peregrinus  chri-  antheon,  civis  paganus. 

stianus.  josset,  orphévre. 

l'ymaiger.  ga.ndeloche,  primus  mac- 

dioscorus,  rex paler béate  ton. 

(100) <  Icy  commence  le  Livre  de  sainte  Barbe.  Le 
roy  Dyoscorus  père  de  sainte  Barbe  commence.  » 
11  y  a  un  autre  Mystère  de  sainte  Barbe,  qui  n'est 
qu'en  deux  petites  journées;  mais  outre  que  ce 
cernicr  est  imprimé,  et  même  a  eu  plusieurs  édi- 


DICTIONNA1RE  DES  MYSTERES. 


BAR 


172 


nus  Marciani. 

MAR1NART   ,     SCCUHdiJS    tlj 

rannus. 


MURGALANT  ,  SeCUtldUS      BRACONNET,    ïlHHciuS  Dyo 

maczon.  gènes. 

gourlant  ,    primus   pas-  brisevant,  nunctus  Dyo- 

teur.  gènes. 

boiirle,  sec«»d«s  pasteur,  rifflemont,  prince  per- 

briffault,  demoniacus.  sien. 

MALLEPART,chartraniiier.  rigault,    primus   millet 

maliverne,  aveugle,  de  Rifflemont. 

malnourby,  boyteulx.  boucher  ,  secundus  mit- 

linart,  sourt.  les  de  Rifflemont. 

CL1CQUEPATE,   pOUVre.  ANIMA    DYOSCORI. 

MALAISÉ,  pOUVre.  LUCIFER. 

dyogenes,  empereur  d'E-  sathan,  Démon. 

gypte  sous  Maximien,  astaroth,  id. 

bruant  ,    primus    milles  léviathan,  id. 

Dyogenes.  bérith,  id. 

fergolant,  secundus  mit-  bélial,  id. 

les  Dyogenes.  belzebuth,  id. 

gombault,  tertius  milles,  stultus,  id. 

PREMIÈRE   JOURNÉE. 

ïncipit   Liber  Béate    Barbare  primo   Dyoscorus  rex 
pater  Béate  Barbare  incipit  (100). 

«  Dyoscorus,  roi  de  Nicomédie,  regrette 
amèrement  la  perle  de  son  épousa,  que  la 
mort  lui  a  enlevée.  11  n'est  point  de  mortel 
plus  malheureux  que  moi,  s'écrie~t-il  avec 
transport  : 

dioscorus. 

Je  pers  huy  mondaine  plaisanee 

Mon  bien,  m'amour,  ma  suffisance, 

Ma  totalle  félicité, 

Ma  cordiale  confiance, 

Ma  lyesse,  mon  habondancc, 

Et  des  biens  ma  fécundilé  : 

Je  suis  par  courroux  irrite, 

A  deul,  et  à  calamité. 

A  niissere,  et  à  desplaisance. 

«  Florimond  et  Laomedon,  deux  de  ses  che- 
valiers, font  en  vaiu  leur  possible  pour  le 
consoler. 

DIOSCORUS. 

Certainement,  Laomedon, 
Vous  en  parlez  bien  à  votre  aise; 
Impossible  est  pour  tout  l'or  d'Aise  (100*). 
Que  je  me  puisse  bien  contenipter. 

«Seigneur,  lui  dit  Adrascus,  son  troi- 
«  sième  chevalier,  personne  n'ignore  que 
«  nous  perdons  une  reine  adorable  et  digne 
«  de  la  compagnie  des  dieux,  où  elle  est 
»  maintenant  ;  mais  comme  elle  vous  a  laissé 
«  unejeune  princesse,  vous  devez  songer  à 
«  la  faire  instruire  avec  soin.  » 

DIOSCORUS. 

Adrascus,  vous  avez  dit  voir. 

«  Il  ordonne  à  Lamenant,  son  messager, 
d'aller  chercher  la  princesse  qui,  obéissant 
aux  ordres  de  son  père,  arrive  avec  Gala- 
Ihée,  sa  demoiselle.  Le  roi  s'informe  où  l'on 
pourrait  trouver  des  docteurs  habiles,  et 
Florimond  lui  dit  qu'il  en  connaît  deux  qui 
ont  passé  pour  les  plus  capables  de  l'acadé- 
mie d'Athènes. — «  Qu'on  me  les  amène,  à  \ 
«  le  roi  à  son  messager.  »  Maître  Amphores 
et  maître  Alphons  (c'est  le  nom  de  ces  doc- 
leurs)  obéissent  bien  vite  à  ce  commande - 

lions,  c'est  qu'il  est  fort  différent  de  celui-ci. 

(100*)  D'Aise,  d'Asie.  C'est  une  transposition  de 
lettre;  l'auleur  s'est  servi  de  ce  mot   par. une  li 
cenee  poétique,  afin   de  fournir  une  rime  au  vers 
précédent. 


J 


/o 


BAft  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

"eur  confiant   sa  fille,  les 


BAR 


174 


ment.  Le  roi,  en 
prie  de  lui  enseigner  toutes  sortes  de  scien- 
ces et  leur  recommande  surtout  de  lui  inspi- 
rer beaucoup  d'aversion  uour  la  religion 
chrétienne. 

(Pausa,  recédant  Doctores  cum  Barbara,  et  studeat 
cum  Doctoribus.) 

«  Lucifer,  qui  veut  profiter  de  cette  cir- 
constance., appelle  tous  les  esprits  infer- 
naux. 

LUCIFER. 

Harau,  toute  la  Deablerie, 
Venez  avant  Deablesparvers,  etc. 

«  Les  diables  accourent  promptement  et 
rendent  compte  à  leur  monarque  des  soins 
qu'ils  ont  pris  pour  séduire  les  humains, 
qui  leur  apprend  que  Dyoscorus,  fidèle  zé- 
lateur de  la  loi  païenne,  a  remis  sa  fille  en- 
tre les  mains  de  deux  docteurs  de cette  re- 
ligionpour  l'en  instruire;  «Il  faut,  ajoute-t-il, 
«  que  quelques  démons  montent  sur  la  terre 
«  pour  aider  ces  docteurs  à  effectuer  le  dé- 
«  sir  du  roi.  »  Satan  se  charge  de  cette  com- 
mission et  part  pour  l'exécuter. 

«Cependant  Amphoras  et  son  camarade 
étalent  devant  la  princesse  les  auteurs  les 
plus  célèbres  :  «Ecoutez  avec  attention,  lui 
«  dit  le  premier.» 

M'   AMPHORAS. 

Vous  orez  Lucan  et  Craton  (101) 
Precien,  Donaist,  et  Chaton, 
Stace,  Séneque,  Térence, 
Orace,  Perseus,  Fulgencc, 
Nazo,  Maro,  et  Juvenal, 
Lucresse,  Mars,  et  Martial, 
Espinoùs,  Macrobéus, 
Democrilus,  Virgilius, 
Boesse,  Remy  et  Bocasse, 
Anaxagoras,  et  Orace, 
Valere,  Platon,  et  Porphyre  : 
Et  moult  vous  devrait  suture 
Ma  doctrine  sentencieuse; 
Elle  sera  compendieuse  ; 
Tellement  que  serez  contente. 
Fille,  mettez-y  voire  entente  : 
Voyez-ci  les  Livres  des  Auteurs, 
Philosophes,  Commentateurs,  etc. 

«  Mais  avant  toutes  choses,  ajoute-t-il,  il 
«faut  vous  instruire  des  noms  et  desquali- 
«  lés  des  planètes.  La  première  estSaturnus, 
«  c'est  le  maître  du  tonnerre.— Ensuite,  dit 
«  maître  Al  prions,  est  Neptune,  Dieu  de  la 
«  mer.  »  Après  lui. 

M'    ALPHONS. 

Mercure  Dieu  de  Faconde  (101*) 


Apollo  doit  être  honoré, 
Car  il  est  Dieu  de  sapience, 


Et  Minerve  de  science 
Déesse  est,  plaine  de  sçavoir. 
Juno  est  Déesse  d'avoir 

Palas  trouva  l'art  et  manière 
De  faire  armeures,  et  forger 
Dequoi  à  s'armer  à  danger  • 
L'on  les  faisoit  de  cuir  boùilly. 
Venus  ne  soit  mis  en  oubly, 
Car  elle  est  Déesse  d'Amours. 

«  C'est    une   puissante   divinité ,   conti 
«  nue-t-il,  et  l'on  ne  saurait  trop  la  servir 
«  et  la  respecter. 

La  vérité  s'en  peut  monstrer 
Par  les  Poëthes  et  Hysloires. 


(101)  Nous  croyons  qu'il  est  inutile  de  faire  re- 
marquer le  bizarre  assemblage  qu'on  trouve  ici  de 
poêles,  de  philosophes  et  de  grammairiens,  dont  la 
plupart  des  noms  sont  si  défigurés,  qu'on  a  quelque 

Pïine  à  les  reconnaître.  Precien  ,  Donaist,  Chaton, 
erseus  et  Macrobéus,  sont  placés  pour  Priscien, 
Donat,  Caton,  Perse,  et  Macrobc.  Le  nom  d'Horace 
s'y  trouve  employé  deux  fois,  aussi  bien  que  celui 
dé  Virgile,  l'un  sous  celui  de  Maro,  et  l'autre  sous 
celui  de  Virgilius.  A  l'égard  de  Mars  et  d'Espinoiis, 
ce  sont  deux  auteurs  inconnus  jusqu'à  présent  dans 
la  république  des  lettres.  Mais  ce  qui  prouve  plus 


Elle  fist  Orpheus  eschauffer 
Si  fort  qu'il  alla  en  enfer. 

«  Jupiter,  Pygraalion,  Paris,  Hélène  et 
tant  d'autres  ont  ressenti  l'effet  de  son  pou- 
voir. 

Pasiphe,  Gorgon,  et  Semelle 

Athalanta  qui  fut  tant  belle, 

Et  Achillès  furent  tenus 

Soubz  la  bannière  de  Vénus  : 

Dont  appert  qu'elle  est  grand  Déesse. 

Me   AMPHORAS. 

Par  elle  vient  toute  liesse. 

«  C'est  ce  qu'il  faut  bien  remarquer,  dit 
«  maîlre  Alphons.  Au  reste,  ajoute-t-il,  il 
«  serait  impossible  de  vous  raconter  en  si 
«  peu  de  temps  les  noms  et  les  vertus  des 
«  divinités  de  l'Olympe,  mais,  pour  l'appren- 
«  dre, 

Ces  Livres  vous  visiterez* 

«  Barbe  étudie  avec  attention  et  forme 
quelques  difficultés  sur  la  naissance  et  le 
cours  de  la  vie  des  dieux  du  paganisme. 

BARBA» A, 

ils  mourroient  donc? 

'   AMPHORA 

Le  devez  croire 
Ainsi  que  les  aultres  mondains. 

Barbara. 

Combien  a  fil  que  le  derrain  (102) 
Trespassa  ? 

M*    AMPHORAS. 

Six  cents  ans,  ou  plus. 

«  Comme  la  princesse  apprend  que  ce 
dernier  est  Phéton  (102*),  elle  demande  de 
qui  il  a  reçu  \a  vie  :  «  D'ApolIo,  répond  maî- 
«  Ire  Alphons.  —  Et  qui  est  le  père  de  ce- 
«  lui-ci?  ajoute-i-eUe.  —  Jupiter,  réplique 
«  promptement  l'autre  docleur.  —  De  qui 
«  esl  fils  Jupiter?  continue  Barbe.  —  De 
«  Saturnus,  reprend  Alphons. — Et  quel  père 

l'ignorance  et  la  bêtise  de  l'auteur,  c'est  d'avoir 
mis  au  nombre  des  philosophes  païens  Fulgence, 
Remy,  Boèce,  et  Bocace  lorsque  tout  le  monde 
sait  qu'ils  étaient  chrétiens,  et  qu'ils  ont  tous  vécu 
depuis  sainte  Barbe,  entre  autres  Boccace  qui  floris- 
sait  vers  la  fin  du  xiv'  siècle. 

(101*)  Faconde,  éloquence.  Les  curieux  verront 
dans  les  discours  des  docteurs  une  mythologie  nou- 
velle, et  qu'ils  ne  connaissent  sûrement  pa». 

(102)  Dernier. 

(!02-)Phaéton. 


l'A 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


476 


«  reconnaît  Saturnus?  dit  la  princesse.  — 
«  Aucun,  dit  Alphons,  après  avoir  hésité 
«  quelque  temps.  »  Heureusement  pour  nos 
docteurs,  qui  ne  savent  déjà  plus  que  ré- 
pondre aux  questions  de  la  princesse,  Gala- 
thée,  qui  s'ennuie  fort  de  ces  disputes,  les 
prie  de  prendre  quelque  relâche. 

GALATHÉE. 

Bon  fust  qu'on  lessat  en  cet  estor  (103) 
Madame,  ung  pour  repouser  ; 
Demain  luy  pourrez  vous  pousser 
Vos  reliques  et  argumens. 

Me   ALPHONS. 

Nous  le  voulons. 
(Pausa  :  Fingat  Barbara  dormire  [103*]). 

«  Pendant  que  Barbe  goûte  les  douceurs 
d'un  profond  sommeil,  la  sainte  Vierge  prie 
le  Seigneur  de  vouloir  tirer  des  ténèbres 
cette  jeune  princesse,  à  qui  il  ne  manque, 
pour  être  accomplie,  que  la  connaissance 
de  la  vérité.  Dieu  exauce  la  prière  de  sa 
sainte  Mère,  et  envoie  l'ange  Gabriel  pour 
préparer  le  cœur  de  cette  fille  et  le  fortifier 
contre  l'erreur. 

«  Lucifer,  de  son  côté,  dépêche  ses  dé- 
mons pour  inspirer  les  deux  docteurs,  qui 
ne  manquent  pas  de  revenir  trouver  Barbe, 
dans  l'intention  de  prendre  leur  revanche  et 
de  répondre  à  ses  objections.  Mais  ils  sont 
fort  surpris  lorsqu'elle  commence  par  leur 
reprocher  le  ridicule  de  la  loi  païenne,  et 
les  exemples  monstrueux  qu'elle  présente. 

BARBARA. 

Jupiter  plain  de  cruaulté 
Fut  trop,  et  de  desloyaullé 


Encore  quand  il  viola 
La  belle  Demoiselle  Yo, 
Et  lessoit  sa  femme  Juno  : 


Puisqu'ilz  forent  de  malles  meurs, 

Et  de  diffamables  humeurs, 

Je  juge  que  Dieux  ne  sont  point. 

M'   AMPHORAS. 

Barbe,  laissez  cet  argument. 

«  La  princesse,  illuminée  par  la  grâce  de 
Dieu,  continue,  et  confondant  ces  docteurs 
par  de  pressantes  raisons,  les  réduit  au  si- 
lence. Maître  Amphoras  et  son  confrère,  ne 
sachant  plus  que  dire,  sortent;  mais  crai- 
gnant de  perdre  la  récompense  que  le  roi 
leur  a  promise,  ils  prennent  le  parti  de  l'as- 
surer que  sa  fille,  suffisamment  instruite, 
n'a  plus  besoin  de  leurs  soins.  Le  roi  les 
remercie  et  leur  fait  compter  à  chacun  mille 
ducats,  qu'ils  reçoivent  avec  empressement, 
et  prennent  congé  de  lui.  Lucifer,  qui  craint 
la  conversion  de  la  princesse,  ordonne  à 
Satan  de  faire  son  possible  pour  l'empê- 
cher. Cet  esprit  malin  vient  trouver  le  roi  et 
lui  suggère  le  dessein  d'offrir  un  pompeux 
sacrifice  pour  solenniser  le  jour  de  la  nais- 

(103)  Dispute. 

(103*)  Pause  :  Barbe  feint  de  dormir. 


(104)  Fèie 

(105)  L'auteur 
vait   autant    de 


fait  voir  par  ce  passage  qu'il 
géographie   que  d'histoire    et 


sa- 


sancede  Jupiter,  et  d'y  inviter  tous  ses  su- 
jets et  les  princes  ses  voisins.  Lamenant 
«  court  prier  de  sa  part  Diogène  l'Egyptien, 
c  empereur  sous  Maximien,  »  et  va  ordon- 
ner au  prévôt  Marcian  de  s'y  trouver  avec 
ses  chevaliers  et  ses  tyrans.  Il  fait  ensuite 
un  pareil  message  à  Rifflemont,  seigneur  per- 
sien,  et  enfin  il  convoque  le  peuple  par  un 
cri  public.  Diogène,  Marcian  et  Rifflemont 
prennent  avec  leur  suite  le  chemin  de  Ni- 
comédie. 

RIFFLEMONT. 

Mes  Chevaliers,  aller  fault  au  Sabat  (104) 

RIGAULT. 

Vous  dites-bien,  Monsieur,  nous  yrons. 

«  Amphoras,  Alphonse!  plusieurs  citoyens 
de  cette  ville  arrivent  en  foule.  Lorsque 
Dyoscorus  voit  tout  le  monde  assemblé,  il 
dit  à  Barbe  de  venir  prendre  place  auprès  de 
lui.  Celle-ci  s'en  défend  en  le  suppliant  do 
lui  permettre  de  se  tenir  un  peu  éloignée, 
pour  mieux  jouir  de  la  vue  de  ce  spectacle. 
Le  roi  y  consent  et  mande  Amphithéas  pour 
faire  ie  sacrifice. 

«  Pendant  ce  temps-là,  un  pèlerin  chré- 
tien, appelé  Jousquin,  attiré  par  la  pompe 
de  la  cérémonie,  s'approche  du  lieu  où  elle 
se  passe,  et  sa  curiosité  est  si  forte  qu'elle 
lui  fait  oublier  le  danger  qu'il  peut  courir 
s'il  est  aperçu.  Heureusement  l'attention  du 
peuple  le  sauve  de  ce  péril.  La  princesse  est 
la  seule  personne  qui  le  voit  et  qui  lui  de- 
mande pourquoi  il  est  ainsi  écarté. —  «Ma- 
il dame,  lui  répond  le  pèlerin, je  suis  élran- 
«  ger,  et 

JOUSQUIN. 

Je  ne  connoys  point  tel  stille. 

«  Puisqu'il  faut  vous  l'avouer,  ajoute-t-if, 
«  c'est  que  je  sers  un  Dieu  puissant,  dont 
le  culte  est  bien  différent  du  vôtre.  » 

Jousquin. 

L'usaige  de  là  n'est  point  tel; 
Ainsy  on  n'y  fait  point  tel  vice 
En  disant  le  divin  Service, 
Prosses,  Messes,  dévocions, 
Abstinences,  Oraisons, 
Ensens,  et  inaintz  autres  joyaulv 

«De  quel  pays  êtes-vous?  lui  dit  Barbe. 
«  —  Madame,  réplique  Jousquin,  j'ai  reçu 
«  le  jour  dans  Alexandrie,  ville  fameuse  et 
«  habitée  d'un  grand  nombre  de  Chrétiens, 
«  qui,  sous  la  conduite  du  fidèle  Origènes, 
«  servent  le  Seigneur  avec  tout  le  zèle  dont 
«  ils  sont  capables.  Conduit  par  ce  même 
«  zèle,  ajoule-t-il,  et  par  un  esprit  de  mor- 
«  tificalion,  j'ai,  sous  l'habit  dont  vous  me 
«  voyez  revêtu,  visité  les  saints  lieux  de 
«  notre  Rédemption,  et  c'est  en  revenant  de 
«  ce  saint  voyage  (105),  que  passant  par  ici, 
«  le  spectacle  dont  j'ai  vu  les  apprêts  m'a 
«  arrêté  malgré  moi.  »  Ce  discours  du  pèle- 
mythologie,  en  supposant  qu'un  pèlerin,  qui  pari  de 
Jérusalem  et  s'en  retourne  à  Alexandrie,  passe  par 
-Nicomédie,  ville  de  Bithynie,  éloignée  de  sa  roule 
de  plus  de  cinq  cents  lieues. 


177 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEUES. 


BAR 


178 


rin  (106)  excite  dans  le  cœur  de  la  princesse 
une  jtel le  curiosité,  que  les  réponses  qu'il 
fait  à  ses  demandes  ne  font  que  l'augmenter 
encore.  De  l'autre  côté,  le  grand  prêtre  ollïe 
le  sacrifice,  et  ensuite  fait  sa  prière. 

AMPHITHÉAS. 

Agyos,  Theos,  Ramatlia, 
Agyos,  aleos,  gabata, 
Athanatos,  Adonay,  etc. 

«  La  prière'finie,  tous  les  assistants  sui- 
vent cet  exemple,  et  Diogène  lait  ainsi  la 
sienne  : 

DYOGÈNES. 

0  Jupiter  des  biens  généralif, 
En  ta  garde  je  recommande  mon  ame, 
Sans  ta  grâce  je  suis  pouvre  et  chétif  ; 
Deflen  mon  corps  de  l'infernalle  flamme; 
Ton  amour  est  plus  précieux  que  basme  (107) 
Souviengnc-loy  de  moi  serviteur  suppliant  ; 
Tu  es  mon  bien  et  honneur  despartant, 
A  tout  homme  qui  est  humiliant. 
Lccroistre  peulz  et  salut,  et  haultesse  : 
Celuy  qui  est  ta  grâce  requérant, 
Vray  Dieu  du  Ciel  soustiens  en  sa  noblesse. 

(Marcian  dicat  rétrogradé  [108].) 

«Dyoscorus  adresse  ensuite  ses  vœux  à 
la  Divinité,  aussi  bien  que  ses  chevaliers  et 
îe  prince  Rifflemont.  Bruant,  premier  che- 
valier de  Dyogènes,  répète  l'oraison  de  ce 
dernier,  en  rétrogradant,  et  tout  le  reste  de 
l'assemblée  continue  de  cette  manière.  Les 
deux  pauvres,  l'aveugle,  le  sourd  et  le  boi- 
teux ne  manquent  pas  à  demander  leur 
guérison,  et  la  cérémonie  se  termine  par  les 
dons  que  chacun  fait  au  grand  prêtre.  Il 
souhaite  mille  bénédictions  à  l'assemblée, 
qui  se  sépare  fort  satisfaite  de  l'ordre  et  de 
la  magnificence  de  la  fête. 

oïoscoru;s- 

Messeigneurs,  par  ma  vérité, 
Belle  a  été  la  solempnité  : 
Chacun  a  fait  dons  suflisans, 
Moult  riches,  et  aussi  plaisans  : 
Noz  Dieux  doibvent  estre  comptens. 

«  La  princesse,  bien  éloignée  de  ce  sen- 
timent, ne  regarde  ces  sacrifices  qu'avec 
horreur. 

BARBARA. 

0  déshonneur  abhominable! 

\  Mu  un  i  Million  honteuse! 
Honte  vilaine  !  etc. 

«  Le  roi,  qui  ignore  sa  pensée,  lui  dit 
ifec  beaucoup  de  douceur  que  la  crainte 
qu'il  a  que  sa  beauté  n'allume  une  coupable 
flamme  dans  le  cœur  de  quelque  audacieux, 
lui  a  fait  prendre  la  résolution  de  lui  faire 

(106)  R  faut  remarquer  que  cette  conversation 
de  la  princesse  et  du  pèlerin  se  fait  à  parte,  et  ne 
doit  point  être  entendue  des  autres  acteurs.  C'est 
ce  que  nos  anciens  exprimaient  par  le  mot  d'inter- 
locutoire. 

(107)  Baume. 

(108)  Marcian  répète  eu  rétrogradant.  Il  est  né- 
cessaire de  savoir  la  forme  observée  dans  ces 
prières.  Diogène  fait  la  sienne  ,  Marcian  la  répète 
•m  .  oinmençanl  par  le  dernier  vers,  et  finissant  par 
1  '  premier,  en  cette  sorte. 


construire  un  logement  sûr,  pour  la  mettre 
à  couvert  de  semblables  entreprises.  Barbe 
y  consent  sans  peine,  et  l'on  envoie  cher- 
cher Murgault  et  Gandeloche,  maçons,  pour 
exécuter  ce  projet.» 

(Pausa  :  dicant  operundo  :  et  in  ludo  habeanl  lapides 
et  materiam,  et  calcem,  ut  operanlur.  —  Hic  finit 
prima  dies  Mislerii  Béate  Barbare  Virginis.) 

SECONDE   JOURNÉE. 

(Iucipii  liber  secundus  Béate  Barbare  Virginis.) 

«  Rilllemont,  prince  persien,  dit  à  ses  che- 
valiers qu'il  a  assez  longtemps  gardé  le  cé- 
libat, et  qu'il  est  résolu  de  le  rompre  en 
épousant  la  fille  du  roi  de  Nicomédie,  dont 
il  est  devenu  amoureux  le  jour  que  le  père 
de  cette  belle  offrait  un  sacrifice  à  Jupiter, 
lligault  et  Boucher,  ses  deux  chevaliers,  le 
félicitent  sur  le  choix  qu'il  a  fait.  Ritflemont 
leur  dit  de  le  suivre  chez  Dyoscorus;  mais 
comme  il  n'ose  lui-même  demander  la  prin- 
cesse à  son  père,  il  charge  Rigauit  de  celte 
commission,  qui  s'en  acquitte  parfaitement. 
Le  roi  remercie  Rifflemont  de  l'honneur 
qu'il  lui  fait  (car  il  est  bon  de  remarquer 
que  ce  dernier  est  derrière  son  confident, 
qui  écoule  tout  sans  dire  mot),  mais  il  le 
prie  de  lui  donner  quelque  temps  pour  con- 
sulter cette  affaire.  Le  prince  reçoit  cette 
réponse  avec  beaucoup  de  politesse  et  se 
retire  pour  en  attendre  l'issue.  Dyoscorus 
assemble  ses  chevaliers,  et  après  leur  avoir 
exposé  le  sujet  pour  lequel  il  les  a  appelés, 
il  les  prie  de  l'aider  de  leurs  conseils,  ajou- 
tant qu'il  a  résolu  de  donner  sa  fille  au 
prince  Rifflemont. 

n.ORIMOND. 

A,  à,  Monsieur,  je  vous  diray, 

Vous  proposez,  et  respondez  : 

Puis  que  conseil  vous  demande/» 

Oiiir  devez  l'opinion, 

El  la  bonne  rclacion 

De  voslre  Conseil  tout  par  ordre, 

Aflin  qu'il  n'y  ait  que  remordre. 

«  Après  que  ce  confident  a  disserté  snr 
les  raisons  pour  et  contre,  il  tombe  dans  le 
sentiment  de  son  maître,  aussi  bien  que 
Laomédon.  Adrascus  donne  ensuite  un  avis 
contraire  et  tâche  à  dissuader  le  roi  de 
cette  alliance.  Mais  Dyoscorus,  prévenu  en 
faveur  du  prince,  persiste  dans  son  premier 
dessein  et  va  trouver  Barbe  pour  lui  en  faire 
part.  Cette  nouvelle  paraît  l'effrayer;  elle 
supplie  son  père  de  ne  point  la  contraindre 
d'accepter  un  époux,  attendu  qu'elle  a  voué 
sa  virginité. 

Vray  Dieu  du  Ciel  soustiens  en  sa  noblesse 
Celuy  qui  est  ta  grâce  requérant  : 
Accroisire  peulz,  etc. 

Dyoscorus  commence  une  seconde  oraison,  qu'un 
de  ses  chevaliers  répète  ensuite  de  la  façon  que  nous 
avons  dit;  et  ainsi  des  autres.  Ces  prières  sont 
(•imposées  de  manière  qu'on  les  peut  réciter  en 
rétrogradant,  sans  faire  de  contre-sens,  comme  on 
le  peut  voir  dans  celle  que  nous  donnons  pour  ser- 
■vir  d'exemple 


179 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


BAR 


ISO 


BARBARA. 

Père,  qui  vous  meult  de  voulloir 
Me  marier?  Avez-vous  veu 
Aucun  menait  en  moy  indeu? 
Je  suis  une  fille  simplette, 
Demourée  pouvre  orphelinette,  etc. 

«  Le  roi,  s'iraaginant  que  c'est  à  Diane 
que  ce  vœu  s'adresse,  va  rapporter  cette 
réponse  à  Rifflemont,  qui  part  fort  touché 
de  ce  refus.  La  tour  que  Dyoscorus  fait  cons 
truire  à  plusieurs  étages,  se  trouvant  ache- 
vée, la  princesse  y  entre,  et  montant  au 
plus  haut,  se  met  en  prières,  pendant  que 
sa  demoiselle  reste  en  bas.  Lorsque  sa  prière 
est  finie,  se  ressouvenant  toujours  des  dis- 
cours du  pèlerin,  elle  envoie  chercher  La- 
menant et  lui  ordonne  d'aller  trouver  un 
célèbre  médecin  qui  demeure  à  Alexandrie^ 
appelé  Origènes,  pour  le  prier  de  lui  pres- 
crire le  régime  qu'elle  doit  observer  lou- 
chant une  certaine  maladie  dont  elle  fait  le 
détail  dans  la  lettre  qu'elle  remet  à  ce  mes- 
sager. Lamenant  reçoit  cette  commission 
avec  joie,  et  montant  à  cheval,  il  se  met  en 
devoir  de  l'exécuter;  comme  ce  chemin  est 
long,  il  boit  de  temps  en  temps  pour  répa- 
rer ses  forces.  Enfin  il  arrive  à  Alexandrie 
et  frappe  à  la  porte  de  cette  ville.  Les  deux 
portiers,  à  qui  la  garde  en  est  confiée,  sont 
si  fort  occupés  à  jouer  qu'ils  ne  vont  ouvrir 
qu'à  la  troisième  fois  qu'ils  entendent  frap- 
per. Lamenant  en  entrant  demande  le  logis 
d'Origènes. 

(Pausa  :  veniat  Lamenant  versus  Origènes,  et  salutet 

eum.) 

«  Origènes  connaissant  par  la  lecture  ae  ia 
lettre  les  secours  spirituels  que  la  princesse 
lui  demande,  remercie  Dieu  des  grâces  qu'il 
lui  fait  et  s'apprête  à  composer  une  réponse 
qui  puisse  remplir  son  attente.  Pendant  que 
le  prêtre  Ysacar  écrit  la  lettre  que  lui  dicte 
Origènes,  Lucifer  assemble  ses  démons  et 
consulte  avec  eux  de  quelle  manière  ils 
pourront  traverser  les  pieux  desseins  de 
l'évêque  d'Alexandrie.  Cependant  Origènes 
achève  sa  lettre,  la  donne  à  Lamenant  et  lui 
dit  que,  pour  faire  observer  plus  exacte- 
ment le  régime  qui  y  est  prescrit,  Ysacar 
va  l'accompagner. 

(Pausa  :  vadant,  et  stullus  loquitur  [109].) 

«  Barbe,  voyant  revenir  le  messager,  ap- 
pelle sa  suivante. 

(Pausula  :  descendal  Calathea  superiùs,  et  dicat  Bar- 
bare.) 

a  Elle  demande  à  la  princesse  ce  qu'elle 
soubaite.  «  Ouvrez  la  porte,  »  lui  répond 
Barbe,  à  Lamenant  et  à  celui  qui  l'accom- 
pagne, «  et  faites -les  monter.  »  Galathée 
obéit. 

(Pausula  :  descendat  inferius,  et  aperiat  Iwstium  tur- 

ris.) 

(109)  Pause  :  Us  marchent,  et  le  fou  parle.  Quoi- 
qu'il soit  marqué  ici  que  le  fou  parle,  qu'on  ne  s'i- 
magine pas  trouver  dans  l'original  de  l'ouvrage  dont 
nous  donnons  l'extrait  quelques-uns  de  ses  discours. 
Car  l'acteur  qui  représentait  ce  personnage  jouait 
$es  scènes  de  tète  et  servait  à  délasser  par  ses  plai- 


a  La  princesse,  après  avoir  payé  large- 
ment la  peine  du  messager,  se  fait  lire  par 
Ysacar  la  lettre  d'Origènes  et  l'écoute  avec 
beaucoup  d'attention.  Pendant  ce  temps-là 
le  roi  arrive  et  demande  à  la  demoiselle 
comment  se  porte  la  princesse. 

DYOSCORUS. 

Comment  se  porte  Barbe? 

GALATHEA. 

Mal. 

DYOSCORUS. 

Mal  !  Tarvagant! 

GALATHEA. 

Elle  a  une  mal  ;..... 
A  peine  se  peult  soustenir. 

a  Malgré  tout  ce  qu'elle  lui  peut  dire,  le 
roi  monte  avec  sa  suite  et  est  fort  étonné, 
en  entrant  dans  la  chambre  de  sa  fille,  de  la 
trouver  seule  avec  un  homme.  Barbe,  voyant 
son  agitation,  lui  dit,  pour  l'apaiser,  que 
c'est  un  médecin  qui  est  avec  elle  depuis 
deux  jours  et  une  nuit,  et  qu'elle  se  sent 
fort  soulagée  par  ses  soins.  Non-seulement 
ce  discours  efface  tous  les  soupçons  de  Dyos- 
corus, mais  même  il  prie  ce  prétendu  méde- 
cin de  ne  rien  épargner  pour  rendre  la  santé 
à  sa  fille,  et  l'assure  qu'il  sera  bien  payé. 

YSACAR. 

En  son  mal,  très-bon  remède  a  ; 
11  ne  luy  fault  qu'obédience 
A  moy,  et  parfaicte  adhérence 
A  mes  ditz,  et  à  mon  régime. 


Hz  sont  mains  moyens,  et  mainte  œuvre 
Par  lesquels  santé  on  receuvre, 
Comme  par  une  incision. 
Par  chaleur,  par  combustion, 
Par  une  pocion  amere,  etc. 

«  Sire,  s'écrie  Floriraond,  voici  un  habile 
«  homme.  —  Je  m'en  aperçois  bien  à  ses 
«  discours,  répond  Dyoscorus.  »  Il  sort  en- 
suite, et  Ysacar  continue  ses  instructions 
auprès  de  la  princesse,  et  se  retire  enfin 
pour  aller  joindre  Origènes,  à  qui  le  récit  do 
cette  aventure  cause  une  joie  inexpri- 
mable. 

«  Lucifer,  qui  en  ressent  un  ebagrin  mor- 
tel, ordonne  à  Satan  d'aller  inspirer  à  Dyo- 
gènes  la  pensée  de  persécuter  les  Chrétiens 
pour  faire  sa  cour  à  l'empereur  Maximien, 
leur  ennemi  juré.  Dyogènes,  à  la  suggestion 
du  diable,  forme  ce  projet  et  le  communique 
à  son  conseil  qui  l'approuve.  Il  envoie  Bra- 
çonnet,  son  messager,  pour  en  instruire  le 
roi  de  Nicomédie  et  le  prince  Rifflemont. 
Dyoscorus,  charmé  de  cette  nouvelle  et  de 
laguérison  de  sa  fille,  en  rend  grâce  à  Ju- 
pin  et  se  dispose  à  partir  pour  seconder  les 
soins  du  prince  d'Egypte.  Il  mande  maître 
Amphoras  et  maître  Alphons,  et  comme  il 
est  persuadé  de  leur  capacité,  il  leur  confie 
le  soin  de  la  princesse  et  du  royaume. 

santeries  l'esprit  des  spectateurs  du  sérieux  qui  rè- 
gne dans  ces  mystères.  Ces  plaisanteries  élaie.\i 
mêlées  de  beaucoup  de  grossièretés;  c'est  ce  qu'on 
peut  juger  entre  autres  parles  discours  d'un  l'on  e' 
d'une  folle  qui  paraissent  dans  le  Mystère  de  sain- 
Clnistophle,  dont  n^us  parlerons  dans  la  suite. 


181 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


m 


M*   AMHIORAS. 

Sire,  mon  corps  y  est  tenu, 

Et  j'en  feray  mon  plain  pouvoir. 

DYOSCORUS. 

Faictez  à  grant,  «t  à  menu 
Justice,  car  c'est  mon  voulloir. 

M*  ALIMIONS. 

Sire,  mon  corps  y  est  tenu, 

Et  j'en  feray  mon  plain  pouvoir, 

«  Contre  tous  ces  puissants  préparatifs,  le 
vertueux  évêque  d'Alexandrie  n'oppose  que 
les  prières  qu'il  adresse  au  Seigneur.  Lié- 
part,  capitaine  de  celte  ville,  suivi  de  ses 
deux  soldats,  et  de  Nomin  et  Maleteste,  qui 
en  sont  les  portiers,  fait  une  si  vigoureuse 
résistance  qu'il  oblige  les  troupes  que  Dyo- 
gènes  envoie,  à  se  retirer.  «M'amenez-vous 
«  ces  Chrétiens  1  dit  Dyogènes,  voyant  re- 
«  venir  Rigault.  — Seigneur,  répond  ce  der- 
«  nier,  la  chose  n'est  pas  aisée.  » 

RIGAULT. 

Ils  sont  plus  vaillans  que  les  Turcs. 

«  Dyogènes,  ne  pouvant  réussir  par  la 
force,  tache  de  surprendre  la  ville  par  une 
feinte  douceur,  et  fait  proposer  une  capitu- 
lalion  dont  il  envoie  les  articles  par  écrit. 
Origènes  reçoit  la  lettre  qui  les  contient  et 
ordonne  à  Ysacar  d'en  faire  tout  haut  la 
lecture. 

YSACAR. 

Dyogènes  grant  Empereur 

De  Perse  soubz  Maximien, 

Grant  Gouverneur  Conlhidien 

Des  Romains,  Seigneur  des  Seigneurs, 

Et  le  Majeur  sur  les  Majeurs 

Qui  tiennent  la  loy  des  Payens  : 

A  vous  Bourgeoys  et  Citoyens 

D'Alexandrie  la  Subjecte, 

Salut,  etc. 

«  Par  ces  articles,  Dyogènes  propose  la 
paix  aux  Alexandrins,'  à  condition  qu'ils 
renonceront  à  la  loi  chrétienne  et  n'adore- 
ront plus  que  les  divinités  du  paganisme, 
leur  promettant  au  surplus  d'oublier  leur 
révolte  et  d'y  faire  consentir  l'empereur,  en 
cas  qu'il  en  soit  besoin.  Origènes  refuse 
constamment  ces  conditions  et  se  prépare 
à  la  défense  de  la  ville.  Dyogènes  fait  don- 
ner un  second  assaut  qui,  ne  réussissant 
pas  mieux  que  le  premier,  le  force  d'im- 
plorer le  secours  de  Dyoscorus  et  de  Riffle- 
ruont.  Ces  deux  princes  arrivent  bientôt  et, 
de  concert  avec  eux,  Dyogènes  se  prépare 
pour  un  assaut  général. 

«  Lucifer,  qui  voit  les  effets  de  sa  rage, 
excite  ses  démons  à  redoubler  encore  la  fu- 
reur des  païens. 

LUCIFER. 

A  l'assauli,  Deables,  à  l'assaiili, 
Il  n'est  pas  heure  de  dormir. 

SATHAN. 

Or  nous  dy  que  Deable  il  te  fault? 

LUCIFER. 

A  l'assauit,  Deables,  à  l'assauli. 

«  A  quoi  pensez-vous  !  ajoute-t-il  ;  les 
«  païens  vont  assiéger  Alexandrie,  et  vous 


«  ne  songez  pas  à  ramasser  les  corps  et  lei 
«  âmes  de  ceux  qui  périront  dans  le  com- 
«  bat  ?  »  Les  démons  courent  do  tous  côtés 
exécuter  les  ordres  de  leur  maître.  Cepen- 
dant l'assaut  se  donne  et  les  Chrétiens,  pro- 
tégés par  le  Seigneur,  combattent  avec  tant 
de  succès,  qu'après  avoir  tué  une  partie  de 
leurs  ennemis,  ils  obligent  les  autres  à  fuir 
loin  de  leurs  murailles.  Rifflemont,  Laoώ- 
don,  Andrascus,  Rigault,  Boucher,  Fergo- 
lant,  Gombault,  Anthéon,  Théseus  et  Bra- 
çonnet  perdent  la  vie  dans  cette  action,  et 
Satan,  obéissant  au  commandement  de  Lu- 
cifer, jette  leurs  âmes  et  leurs  corps  dans 
une  brouette  et  les  conduisent  ainsi  aux 
enfers. 

«  Dyogènes  et  le  roi  de  Nicomédie  se  re- 
tirent fort  en  désordre,  remerciant  les  dieux 
de  ce  que  leur  défaite  n'a  pas  été  plus  con- 
sidérable. » 

dyoscorus. 

Nous  avons  eu  pouvre  support, 
Salurnus  nous  maine  à  bon  port. 

FLORIMOND. 

Mars,  qui  nous  a  gardé  de  mort, 
Nous  garde  tousiours  du  déshonneur. 

DYOSCORUS. 

Satumus  nous  maine  à  bon  port, 
Et  nous  doit  recouvrer  honneur. 

(Finis  pro  seçundà  die.) 

TROISIÈME    JOURNÉE. 

(incipil   lertius  Liber  Misterii  Béate  Barbare 
Virgini$.) 

«  Pendant  que  le  roi  de  Nicomédie  pleure 
la  perte  qu'il  vient  de  faire,  Notre-Dame  prie 
le  Seigneur  d'accorder  à  la  princesse  de 
nouvelles  marques  de  son  affection.  Dieu 
ordonne  à  ses  anges  de  l'aller  trouver.  Ces 
bienheureux  esprits  obéissent,  et  c'est  par 
leur  conseil  que  Barbe  fait  venir  les  maçons 
et  les  prie  de  percer  une  troisième  fenêtre  h 
la  tour,  du  côté  du  soleil  levant,  pour  jouir, 
leur  dit-elle,  des  rayons  naissants  de  cet 
astre.  Lorsque  cela  est  fait,  Barbe  se  met  en 
prière  à  cette  nouvelle  fenêtre  et  voit  pa- 
raître sainl  Jean-Baptiste,  qui  (par  l'ordre 
de  Dieu,  sollicité  à  cela  par  sa  sainte  Mère) 
vient  la  baptiser  et  lui  donner  de  nouvelles 
instructions,  afin  de  la  fortifier  contre  les 
tourments  qu'elle  doit  souffrir.  Barbe  re- 
mercie Dieu  et  son  saint  Précurseur,  et  re- 
çoit le  baptême  de  la  main  de  ce  dernier. 
Après  qu'il  l'a  quittée,  arrivent  deux  pau- 
vres demandant  l'aumône. 

malaisé,  primus  pauper. 

Hélas  !  est-il  ame  qui  donne 
Eng  blanc  aux  pouvres  créatures  ? 
cliquepate,  secundus  pauper. 

Ta  voix  meschantement  raisonne. 
Desclare  hault  noz  avantures. 
malaisé,  d'un  ton  plus  élevé. 

Hélas!  est-il  ame  qui  donne 

Eng  blanc  aux  pouvres  créatures? 

«  La  princesse,  entendant  leurs  cris,  met 
la  tète  à  la  ienêlre  et  jette  quelques  pièces 
d'argent  que  ceui-ci  ramassent  avidement» 


153 


BAH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


J84 


et  en  la  remerciant,  lui  promettent  de  boire 
du  meilleur  vin  a  sa  santé. 

«  Lucifer  ordonne  à  Satan  de  remplir  de 
fureur  le  cœur  de  Dyoscorus.  Ce  prince  va 
voir  Barbe,  et  apercevant  une  troisième  fe- 
nêtre, il  s'emporte  fort  contre  les  deux  ma- 
çons, qui  s'excusent  en  disant  qu'ils  n'ont 
fuit  qu'exécuter  les  ordres  de  la  princesse. 

DYOSCORUS. 

Ha  !  truande  ! 
Faulce  oullrageuse,  et  estourdie  ! 
Comme  as  tu  esté  si  hardie, 
De  faire  à  ta  volonté  pure 
Sans  mon  congié  une  oupverture? 

«  Barbe  lui  répond  qu'elle  ne  l'a  fait  faire 
que  pour  honorer  la  sainte  Trinité.  Ce  dis- 
cours, qui  marque  les  sentiments  d'une  re- 
ligion que  ce  roi  abhorre,  ne  fait  qu'allumer 
sa  fureur;  il  court  sur  sa  fille  l'épée  nue  à 
la  main,  dans  le  dessein  de  la  tuer.  En  ce 
moment  la  Vierge  prie  le  Seigneur,  qui  per- 
met que  la  princesse  passe  au  travers  des 
murs  de  la  tour.  Dyoscorus,  la  voyant  dispa- 
raître à  ses  yeux,  la  cherche  partout  et  vo- 
mit mille  imprécations  contre  elle.  Les 
tyrans  qui  sont  à  sa  suite  lui  en  demandent 
•e  sujet. 

GRONG.NART,  prilllUS  Tj/)«?IHMS, 

Quesse,  Monsieur9 

DYOSCORUS. 

C'est  ceste.... 
Ma  Mie. 

cornibert,  sccundus  Tyrannus. 

Qu'est-elle  devenue. 

DYOSCORUS. 

Fleust  à  noz  Dieux  qu'elle  l'ust  arse! 

rouillart,  teriius  Tyrannus. 
Quesse,  Monsieur? 

DYOSCORl'S. 

C'est  ceste.... 
Il  fault  que  la  peau  on  luy  arse 
Et  qu'on  la  tire  sans  détenue, 

CORMBERT. 

Quesse,  Monsieur? 

DYOSCORUS. 

C'est  ceste.... 
Ma  fille. 

GRONG.NART. 

Qu'est-elle  devenue? 

«  Pendant  qu'on  cherche  Barbe,  Galathée 
déplore  son  sort  et  condamne  la  cruauté  du 
roi(HO),  qui  ordonne  à  Lamenant  de  faire  son 
possible  pour  découvrir  où  elle  est. 

(Lamenant  ascendat  super  equum  [111].) 

«  Dyoscorus,  cherchant  toujours  la  prin- 
cesse, rencontre  Gourlant  et  Bourle,  ber- 
gers de  la  contrée  ;  il  leur  demande   s'ils 

(110)  Galathée  a  d'autant  plus  lieu  d'être  surprise 
de  cette  inhumanité ,  que  jusqu'à  ce  moment  Dyos- 
corus n'a  fait  paraître  que  beaucoup  de  bonté  et 
une  complaisance  aveugle  pour  sa  fille. 

(111)  Lamenant  monté  sur  un  chevul.  Qu'on  ne 
s'imagine  pas  que  ce  cheval  fût  représenté  par  une 
machine;  c'était  un  cheval  effectif,  aussi  bien  que 
l'àne  sur  lequel  Jésus-Christ    monte  à  la  fin  delà 


n'ont  point  aperçu  sa  tille.  «  Non,  »  repon- 
dent-ils. 

brandimas,  cnevalier  de  Dioscorus. 

Vous  mentez,  vilains,  vous  mentez; 
Contrefaictez-vous  le  Chat  borgne? 
Cuidez-vous  que  le  Roy  soit  borgne? 

bourle,  montrant  le  lieu  où  Barbe  est  cachée. 

Je  ne  vous  dy  pas  qu'el  est-là 

«  Gourlant,  après  avoir  reproché  à  son 
compagnon  la  trahison  qu'il  vient  de  com- 
mettre, se  retire,  et  Dyoscorus,  ayant  trouvé 
sa  fille,  la  fait  mettre  inhumainement  dans 
une  prison  obscure. 

(Pausa  :  ducanl  eam  ad  carcerem.) 

«.  Cependant  la  nature  parle  au  fond  du 
cœur  de  ce  roi;  il  gémit  de  sa  triste  situa- 
lion  et  s'écrie  plusieurs  fois  : 

Hélas  !  qu'esse  que  de  ce  monde. 

«  Pour  tâcher  de  la  ramener  par  la  voie 
de  la  douceur,  il  envoie  chercher  les  deux 
docteurs  auxquels  il  apprend  sa  disgrâce. 
«  Je  m'en  étais  toujours  bien  douté,  »  lui  dit 
Amphoras.  Barbe,  arrivée  en  présence  de 
son  père,  résisle  à  ses  caresses  et  aux  dis- 
cours des  docteurs  avec  une  fermeté  iné- 
branlable. Ensuite,  comme  elle  veut  s'effor- 
cer de  les  retirer  des  ténèbres  de  leur  erreur, 
le  roi  lui  impose  silence.  «  Vous  perdez  yo- 
«  Ire  peine,  »  lui  dit  Florimond. 

FLOR1MOXD. 

Lessez,  lessez  tout  ce  propoulx, 
N'en  parlez  plus ,  de  par  le  Deable. 

«  Sa  constance  irrite  Dyoscorus  à  un  tel 
excès  qu'il  la  fait  retirer  et  ordonne  qu'on 
la  livre  au  prévôt  Marcian  pour  lui  faire 
subir  le  dernier  supplice  (112). 

DYOSCORUS, 

Harau  !  Deables  ;  je  creveray 
En  ceste  sanglante  houlliere; 
N'est  tirée  bien-toust  arrière  : 
Tant  plus  je  l'oy,  et  plus  j'ay  mal. 

«  Lucifer  profite  de  cette  conjoncture  pour 
animer  ses  démons  contre  Barbe. 

LUCIFER 

Hau!  Sathan?hau!  Leviathan? 
Berith,  Astaroth  l'infernal , 
Saillez  hors  de  vostre  hospital? 

«  Lucifer  ordonne  à  Satan  de  verser  son 
poison  dans  le  cœur  de  Marcian.  Ce  prévôt, 
s'étant  fait  amener  la  princesse,  essaye  de 
lui  faire  quitter  la  foi  chrétienne.  «Vos 
«  dieux,  réplique-t-elle  avec  fierté,  ne  sont 
«  que  de  vaines  idoles.  » 


Idolles?  G.. 


MARCIAN. 
ARBARA. 

Voire  Folles. 


seconde  journée  de  la  Passion.  C'est  ce  que  nous 
prouverons  en  parlant  ci-après  du  Mystère  de  l'in- 
curnalion. 

(112)  Dans  le  Mystère  de  sainte  Barbe,  imprimé, 
et  différent  de  celui  ci,  ce  même  Marcian,  qui  n'est 
ici  que  le  prévôt  de  Dyoscorus,  se  trouve  empe- 
reur de  Rome. 


!8S  BAH  DICTIOSNAIRE  i)ES 

A   ces  mots  Marcian   commando    à   ses 
bourreaux  d'attacher  Barbe  à  un  pilier  et  de 
la  fouetter  de  toutes  leurs  forces. 
TALIFART,  quartus  Tijraunus. 
Il  fault  ung  peu  grater  ta  galle. 

contrefoï,  primus  Tyrannus. 
Despoullons  la,  et  la  battons. 
(Puusa  :  exuaiit  eam.) 

«  Dyoscorus,  songeant  avec  plaisir  aux 
cruautés  que  Marcian  va  exercer  contre  sa 
fille,  ordonne  qu'on  lui  serve  à  souper.  » 

GRONGNART. 

Sus,  or  nous  abillon 
Pour  aller  souper  : 

CORNIBERT. 

C'est  mon  goust. 
(Finis  pro  tertiâ  die.) 

QUATRIEME  JOURNÉE. 

(Hic  incipit   quartus   Liber  Mislerii  Béate  Barbare 
Yirginis.) 

«  Au  milieu  de  ses  tourments  Barbe  loue 
le  Seigneur  et  le  prie  de  lui  donner  la  force 
de  les  souffrir  avec  constance. 

(Tyranni  ligant  eam  nudam  ad  postent.) 

«  Lorsque  ces  bourreaux  se  sont  exercés 
quelque  temps,  ils  se  reposent  pour  repren- 
dre haleine  et  paraissent  étonnés  de  sa 
tranquillité. 

NARINART. 

Elle  est  pire  qu'une  sansué! 

Le  Deable  nous  la  puist  cmbler  (113) 

CONTREFOY. 

Nous  n'avons  bras,  jambes,  ne  eulx  (114) 
Que  tous  ne  sont  las. 

ARCIAN. 

Sus,  mesgnye 

MARINART. 

Par  Apollin,  je  n'en  puis  plus, 
El  nous  a  mis  jusqu'à  la  lye. 

«  Le  prévôt  tâche  encore  de  lui  faire 
abandonner  sa  religion,  mais  Barbe,  aussi 
insensible  à  ses  honnêtetés  qu'à  ses  mena- 
ces, lui  dit  qu'il  peut  redoubler  ses  tour- 
ments. Marcian,  irrité  par  ce  mépris,  or- 
donne aux  tyrans  de  recommencer. 

TALIFART. 

Advise  comme  je  m'alinte, 
Suy-ge  bien  fourny  de  bon  nerf? 

CONTREFOY 

11  me  semble  d'ung  cuyr  de  Cerf, 
Tant  est  dur  :  c'est  bon  pour  sa  peau. 

«  Alimodôs,  l'un  des  chevaliers  de  Mar- 
cian, prenant  pitié  des  maux  de  cette  jeune 
princesse,  l'exhorte  d'obéir  aux  ordres  du 
roi. 

AI.IMODÈS. 

Barbe,  ma  gentil'  Damoisellc , 
Je  vous  requiers,  ayez  pitié 
De  votre  grant  formosité. 


M\STERES.  BAR  18  i 

naigre  et  du  sel.  «  Je  ne  sais  déjà  plus  quel 
«  tourment  lui  faire  endurer,  »  s'écrie  Mar- 
cian. 

MARCIAN. 

Ccste  G...  de  inal'afîaire 
Me  feray  cy  mourir  de  raige. 

BARBARA. 

Tu  pers  ta  peine,  et  ton  devis. 

«  On  la  ramène  en  prison  coucher  sur  un 
lit  de  cailloux  pointus.  La  sainte  Vierge  prie 
le  Seigneur  de  soulager  une  fille  qui  souffre 
avec  tant  de  courage  pour  sa  gloire;  Dieu 
va  la  visiter  avec  ses  anges. 

(Pausa  :  descendant  Deus  et  Angeli  cantando  ,  et  ve- 
ntant ad  carcerem.) 

«  Lucifer,  au  désespoir  des  bontés  que  lo 
Seigneur  a  pour  Barbe,  appelle  tous  les 
démons  pour  leur  apprendre  cette  nou- 
velle. 

ASTAROTH. 

C'est  ung  maulvais  commencement 
Pour  bien  garnir  noslre  niesnaige. 

LUCIFER. 

Il  l'aime  cordiallement. 

LÉVIATHAN. 

C'est  ung  maulvais  commencement. 

LUCIFER. 


«  Comme  elle  ne  veut  point  l'écouler,  le 
prévôt  lui  fait  frotter  ses  nlaies  avec  du  vi- 

I  IT.i  Dérober. 


Il  luy  promet  finablement 
En  Paradis  son  bérilaige 

BÉRITIl. 

J'en  ay  grant  deul,  certainement 
Dedans  mon  mal  cieux  couraige. 

SATHAN. 

C'est  ung  maulvais  commencement 
Pour  bien  garnir  nostre  mesnaige. 

«  Ce  n'est  pas  tout,  dit  Lucifer  :  comme 
«  Marcian  ne  sait  plus  quel  tourment  faire 
«  endurer  à  la  princesse,  il  faut  que  vous 
«  alliez  l'inspirer.  » 

(Pausa  :  Fingat  Marcianus  dormire,  et  Demones 
ventant  ad  ettm.) 

«  Ce  prévôt,  conseillé  par  ces  malins  es- 
prits, envoie  chercher  Barbe,  et  la  fait  atta- 
cher à  un  pilier. 

(Pausa  :  vadant  quesilum  Barbaram,  et  habeant 
cordant  ad  ligandam  eam.) 

«  Je  m'apprête  à  éprouver  les  tourments 
«  les  plus  affreux,  »  lui  dit  celte  tille  cou- 
rageuse. 

BARBARA. 

Car  tu  es  du  Deable  endurcy. 

MARCIAN. 

Haro!  Mercure!  quesse  cy? 
Ceste trop  me  despite. 

(Pausa  :  suspendunt  eam.) 

«  Barbe,  ainsi  attachée,  lui  reproche  sa 
fureur  avec  les  termes  les  plus  vils. 

BARBARA 

N'as-tu  point  honte  ne  vergongne, 
De  commettre  telle  besongne? 
De  pendre  une  pauvre  pucelle 
Par  les  piez  :  c'est  chose  cruelle. 
Hélas!  pour  l'honneur  féminine, 


(111)  Y 


rn\. 


187  BAR 

Et  pour  celle  qui  tant  fui  digne 
De  te  porter  dedans  ses  flans, 
Tu  ne  deusses  pas  faulee  mine, 
Commettre  ceste  euvre  maligne, 
Par  courroux  qui  te  son  en  flans, 

«  Le  cruel  prévôt,  irrité  par  ce  discours, 
lui  fait  déchirer  le  corps  avec  des  peignes  de 
1er,  et  ensuite  brûler  par  des  lampes  arden- 
tes. Non-seulement  Barbe  souffre  ses  maux 
avec  une  constance  infinie,  mais  même  elle 
raille  son  bourreau. 

BARBARA. 

Truant,  mengue  ung  petit, 
S'il  te  semble  bon  au  vevgueust 
Mes  membres  souf  sus  et  jus 
Roustiz,  et  sans  plus  de  débat 
Fay  les  mectre  dedans  ung  plat,  etc. 

(Stultus  loquilur.) 

«  Marcian  essaye  encore  de  la  séduire  par 
ses  promesses  ;  mais  la  voyant  persévérer, 
il  commande  à  ses  satellites  de  lui  écraser 
la  tête  avec  des  maillets  de  fer. 

CONTREFOY. 

A  ce  cy  nous  nous  accordon 
Il  sera  fait  plustoust  que  dit. 
(Pausa:  liganl  eam,  el  liabeant  malcas  ferreas.) 

MARINART. 

Forgeons  mieulx  : 
Frappe  de  hault  sur  ceste  enclume. 

«  Marcian  effrayé  de  la  voir  résister  à  ce 
nouveau  tourment,  s'écrie  avec  fureur: 

MARCIAN. 

Par  Saturnus,  je  cuyde  et  croix, 
Que  tu  es  Nigromencienne, 
Ou  une  mauldicte  Arrienne. 

«  Les  chevaliers  du  prévôt  pressent  Barbe, 
mais  en  vain,  de  se  rendre  aux  volontés  de- 
son  père. 

AUMODÈS. 

Qu'atens-tu? 
Dclesse  ton  Jésus  bien  loings. 

MARCIAN. 

Sus  Marinart,  et  loy  Contiefoy, 

Marpault,  Talifart?  Abrégez, 

Cardez  que  jamais  ne  mengez, 

Tant  que  vous  aurez,  comme  fois, 

Tranché  ses  mammelles  du  corps, 

Comme  chose  très  diffamable, 

Et  en  femme  vituperable. 

Prenez  moy  cousteaux  esbrechez, 

Mal  taillans,  lours,  et  tous  brechcz,  etc. 

ALIMODÈS. 

Contre  eulx  el  n'aura  jà  vigueur 
Qui  vaille  deux  onces  de  vent. 

«  Les  tyrans  exécutent  cet    ordre   ave 
toute  la  cruauté  possible,  accompagnée  de 
paroles  insultantes  et  de  plaisanteries  dignes 
d'eux. 

«  Le  prévôt,  ayant  épuisé  toute  sa  cruau- 
té, renvoie  Barbe  en  prison,  afin  de  rê- 
ver à  loisir  ce  qu'il  Jui  fera  souffrir  le  len- 
demain. 

(Pausa  :  Icy  se  dit  un  Rondeau,  Deasbles  esveillez- 
vous.  Et  après  ce  rondeau,  dit  Lucifer,  Haro,  haro, 
je  crève  d'ire.  Et  doit  on  faire  en  enfer,  grant 
tonnoire,  et  grant  hullemcnt,  avant  que  dire  ledit 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


<8S 


rondeau;  et  doibvent  estre  tous  les  Deables  en  enfer, 
et  sortir  quant  Lucifer  parlera.) 

«  Le  résultat  de  ce  conseil  infernal  est,  que 
Lucifer  dépêche  Satan  vers  Marcian,  avec 
de  nouvelles  instructions. 

(Pausa  :  vadat  Sathan  ad  Marcianum,  el  fingat 
dormire.) 

«  Marcian,  à  son  réveil,  assemble  ses  che- 
valiers, et,  après  avoir  écoulé  leurs  avis  il 
prononce  cette  sentence. 

MARCIAN. 

Moy  Président,  Prévost,  et  Juge, 
Barbe,  je  te  condamne  et  juge, 
Très  désloyalle  et  estourdye, 
D'estre  parmy  Nychomédye, 
Nue  du  pié  jusques  au  chef 
Desmontréc  sans  nul  couvert  chef; 
Sans  chemise,  et  sans  vestement  : 
Et  non  pas  par  cy  seullement, 
Mais  par  la  terre  universelle 
De  ton  Père,  etc. 

BARBARA. 

0  deshontée  énormité! 
Enorme  bestialité,  ele 

(Exuant  eam  usque  ad  umbiculum.  Stultus  loquilur. j 

«  Barbe  obéit  à  cet  injuste  arrêt,  et  en 
souffre  l'exécution,  sans  s'en  plaindre  qu'à 
Dieu. 

(Silete  in  Paradiso.) 

«  Ses  plaintes  pénètrent  jusqu'aux  cieux  ; 
la  sainte  Vierge  prie  Dieu  en  sa  faveur. 

NOSTRA  DOMINA. 

Préservez  la  de  honte  dure  ; 
De  son  honneur  ayez  la  cure. 

«  Le  Seigneur  exauce  sa  sainte  Mère, 
et  ordonne  à  Gabriel  d'avoir  soin  de  Barbe. 

(Angélus  ponat    tunicam  super  eam.  Pausa  :  ducant 
eam  per  ludum  percutiendo.) 

«  Les  femmes  de  Nicomédie  gémissent  à 
la  vue  d'un  traitement  si  inouï  ;  la  princesse 
les  console,  et  lorsqu'elle  est  arrivée  au 
marché  public,  ses  bourreaux  perdent  l'u- 
sage de  la  vue. 

(Fiant  ibiceci.) 

«  Où  sommes-nous  donc,  s'écrie  Talifart. 
«  —  Dans  la  rue  Talasis,  répond  Barbe.  — 
«  Marche  toujours,  »  dit  Marinart.  Comme 
ils  ne  voient  point,  Dieu  permet  que,  croyant 
frapper  sur  Barbe,  ils  se  meurtrissent  de 
coups  les  uns  et  les  autres.  Ils  reconnaissent 
bientôt  leur  erreur,  et,  pour  n'y  plus  re- 
tomber, ils  cessent  de  battre  la  princesse,  se 
contentant  de  l'accabler  d'injures,  et  lui  or- 
donnant de  les  ramener  chez  le  prévôt. 

TALIFART. 

Mectez  nous  au  chemin,  morveuse. 

«  Barbe  leur  obéit  fidèlement.  Marcian 
est  fort  étonné  lorsqu'il  la  revoit  en  bonne 
santé,  et  couverte  d'une  riche  robe.  «  Qu'a- 
vez-vous  donc  fait?  »  dit-il  à  ses  satellites. 

CONTREFOY. 

Sire,  nous  suymes  cheuz  en  péril, 
Par  teste....  orde  et  crapaulde; 


Quant  est  à  moy,  je  ne  voy  goutte. 


139 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  .MYSTERES. 


MARINART. 

Non  faige  moy  certainement. 

«  Cependant  la  sainte  fille  prie  Dieu  pour 
ces  malheureux,  et  ils  recouvrent  la  vue. 
Ce  miracle,  au  lieu  de  toucher  le  cœur  du 
prévôt,  l'endurcit  encore  davantage  ;  enfin, 
après  l'avoir  fait  rouler  sur  des  épées  nues 
et  tranchantes,  il  la  renvoie  à  son  père,  ne 
sachant  plus  quel  tourment  lui  faire  souf- 
frir. » 

{Pâma  :  ducant  eam  ad  Patrem,  et  stultus  loquilur.) 
(Pausa  pro  quartâ  Die.) 

[Barbara  maneat  in  manus  Patris,  et  tyranni  rêver- 
(mit ur ad  Marcianum.) 

CINQUIÈME   JOURNÉE. 

(Incipit  Liber  quintus  Béate  Barbare  Virginia.) 
«  Lucifer,  poursuivant  avec  ardeur  la  mort 
de  la  princesse,  envoie  Léviathan  en  dili- 
gence, répandre  son  poison  infernal  dans  ie 
sein  du  roi  de  Nicomédie. 

(Pausa:  vadat  Léviathan,  et  dùm  sit  propè  Dyosco- 
rum  dicat.) 

DVOSCORUS. 

Que  ferai-je  de  ceste 

Pleust  à  noz  Dieux  qu'elle  fust  arse! 

«  Après  avoir  rêvé  quelque  temps,  il  or- 
donne à  ses  tyrans  d'enfermer  Barbe  dans 
«n  tonneau,  et  de  lui  percer  la  chair  avec 
de  grands  clous. 

GRONGNVRT. 

Allez  vous  en  quérir  la  pipe 

Où  Barbe  sera  la  grant  lipe, 

Et  je  vais  quérir  de  granz  doux. 

(Pausa  :  vadunt  duo  tyranni  quesituri  dolium,et 
Grongnart  vadat  quœsitum  claves.) 

«  Lorsque  les  tyrans  ont  exécuté  les  or- 
dres de  Dyoscorus,  il  leur  commande  de 
rouler  ce  tonneau  de  toutes  leurs  forces. 


Rouliez  fort. 


DYOSCORUS. 
GRONGNART. 

Roullon  à  outrance. 


«  Au  bout  de  quelque  temps  on  ouvre  le 
tonneau;  le  roi  et  ses  chevaliers  sont  dans 
un  étonnement  sans  égal,  voyant  que  Barbe 
en  sort  sans  aucune  blessure. 

DYOSCORUS. 

Veez-cy  grant  admiracion  ! 
Veez-cy  chousse  trop  merveilleuse! 
Veez-cy  ung  art  d'illusion! 
Veez-cy  vision  dangereuse  ! 

Veez-cy malicieuse! 

Veez-cy  mauldicte  abusion  ! 

«  Je  méconnais  mon  sang  dans  cette  mal- 
in ureuse,  »  ajoute  le  roi.  » 

C'est 

Non  ma  fille,  je  la  tiens  nulle  . 
Je  la  regnyc  incrédulle. 
A  !  Lucina,  liaulte  Déesse, 
De  vostre  grâce,  non  aultrcmcnt 
Ceste  lille  vous  me  donnasles! 

(Stet  Léviathan  propè  Dyoscorum.) 

•  Ce  roi,  suivant  les  inspirations  du  dé- 
mon  qui  l'accompagne,  prend  sa  fille  par  les 


lieveux,  et  1 
d'une  colline 


BAR  10 

a  traîne  de  cette  sorte  au  haut 


(Pausa  :  vadunt  super  montent,  et  Dyoscorus  ducit 
Barbaram  per  manum  posteà  :  incipit  sanctus  Va- 
tentinus.) 

«  Ce  saint  homme  déplore  le  sort  do  Barbe, 
et  prie  le  Seigneur  d'augmenter  ses  forces 
et  son  courage. 

«  Barbe  se  met  à  genoux,  et,  les  yeux 
tournés  vers  le  ciel,  elle  fait  une  prière, 
qu'elle  n'a  pas  plutôt  finie,  que  son  barbare 
père  lui  enlève  la  tête  et  la  vie  avec  son 
épée. 

(Percutiat  Dyoscorus.) 

«  Dieu  envoie  ses  anges  pour  enlever 
l'Ame  de  cette  martyre. 

(Pausa 


descendant  in  Paradisum  cantando    Hym- 
Virginis  proies  :  et    organa   resvondant  in 


Paradisum,  et  sit  melodia  magna.) 

«  Pendant  ce  concert  céleste,  Dieu  cou- 
ronne sainte  Barbe,  et  la  récompense  de  ses 
travaux  par  une  gloire  éternelle  :  ensuite  il 
punit  son  père  dénaturé,  en  le  faisant  périr 
d'un  coup  de  foudre.  Ses  chevaliers,  étonnas 
de  cette  fin  funeste,  se  retirent  très-cons- 
ternés. 

«  Satan  va  chercher  l'âme  de  Dyoscorus, 
et  l'amène  aux  enfers,  pour  servir  d'amuse- 
ment aux  malins  esprits.  Lorsque  les  dé- 
mons se  sont  divertis  quelque  temps  à  le 
tourmenter,  Lucifer  leur  ordonne  de  se 
mettre  en  cercle,  et,  après  avoir  fait  placer 
Dyoscorus  au  milieu,  il  entonne  le  branle 
suivant,  qui  se  chante  en  dansant. 

(Lucifer  incipit  cantilenam  cantando.) 


LUCIFER. 


Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné, 

Mais  tu  es  cbeut  en  grant  ravallement. 

DEMONES. 

Dyoseorus,  tu  tuz  Roy  coroné 

Mais  tu  es  ebeut  en  grand  ravallement. 

LUCIFER. 

Tu  es  présent  o  les  Déables  dampnez. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné, 

LUCIFER. 

Tu  es  présent  o  les  Déables  dampnez, 
Dont  n'aura  jamais  relievement. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné, 

Mais  tu  es  cbeut  en  grant  ravallement. 

LUC1FE.1. 

Tu  mauldiras  le  jour  que  tu  fuz  né. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné. 

LUCIFER. 

Tu  mauldiras  le  jour  que  tu  fuz  ne, 
Car  tu  seras  pugny  cruellement. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  lu  fuz  Roy  coroné, 

Mais  tu  es  cheul  en  grand  ravallement. 


Al 


«mis  vices 


LUCIFER. 

tu  es  habandonné 


191  BAR 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coFoné. 

LUCIFER. 

A  tous  vices  tu  es  liabandonné; 
Puis  a  occis  ta  fille  laidement. 

DEVOUES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné, 

Mais  tu  es  cheut  en  grant  ravallement. 

LUCIFER. 

Ainsi  sera  tout  pécheur  guerdonné. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné. 

LUCIFER. 

Ainsi  sera  tout  pécheur  guerdonné, 
Et  décédé  sans  vray  repentement. 

DEMONES. 

Dyoscorus,  tu  fuz  Roy  coroné, 

Mais  tu  es  cheut  en  grand  ravallement. 

«  Ce  branle  fini,  tous  les  diables  se  reti- 
rent aux  enfers,  excepté  Léviathan,  qui,  s'a- 
■vançant  sur  le  bord  du  théâtre,  avertit  les 
spectateurs  de  prendre  exemple  sur  ce  mi- 
sérable, et  d'éviter  avec  soin  la  punition 
qu'il  a  si  justement  méritée. 

«  Saint  Valentin  arrive,  et  ensevelit  le 
corps  de  sainte  Barbe.  Lorsqu'il  est  retiré, 
un  aveugle,  un  boiteux  et  un  sourd  s'avan- 
cent, et  se  plaignent  de  leurs  misères 

mai.iverne,  meugle. 
Las!  voycv  pauvre  coiupaignie, 

Aveugles,  Boûeteux,  aussy  Sours, 
Et  gens  de  misérable  vie. 

«  Ils  se  mettent  à  causer,  mais  comme  le 
sourd  ne  peut  les  entendre,  il  leur  répond 
de  travers,  ce  qui  fait  un  jeu  de  théâtre  assez 
plaisant. 

malnourry,  boiteux. 

Beau  Sire;  avez  vous  point  d'amye, 
Par  amour? 

lin-art,  sourd. 

Je  l'ay  prestée 
Au  Curé. 

malnourry. 
Quoy? 

LIN'ART 

Mon  espée 
Qui  est  du  temps  du  Roy  Basac. 

En  tenant  de  pareils  discours,  ils  arri- 
vent à  la  petite  maison  où  est  enseveli  le 
corps  de  sainte  Barbe  :  et.  à  peine  les  deux 
premiers  y  sont-ils  entrés,  qu'ils  se  sentent 
parfaitement  guéris. 

MVLIVERNE. 

Vray  Dieu!  je  suis  enluminé! 

MALNOURRY. 

Et  moy,  je  ne  suis  plus  boûeteux  ! 

«  Ils  rendent  grâces  à  la  sainte,  et  sortent 
pour  engager  leur  compagnon  à  implorer 
un  pareil  secours. 

LIN'ART. 

En  petit  d'heures,  Dieu  labeure, 
On  le  voit  par  expérience. 

(1 15)  Il  faut  remarquer  que  le  maire  de  Nicomédie, 
et  les  deux  personnes  qui  l'accompagnent  sont 
païens,  et  ceci  se  prouve  aisément  par  la  suite  de 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


19î 


«  La  joie  qu'ils  reçoivent  de  leur  guéri- 
son  leur  fait  prendre  la  résolution  d'al- 
ler chercher  un  démoniaque  de  leur  con- 
naissance, pour  lui  procurer  un  semblable 
remède. 

MALNOURRY. 

Czà  Briffault? 
Nous  te  mainerons  par  le  bras 
Au  sainct  lieu. 

briffault,  demoniacus. 

Tien,  toy,  quoy  feras" 
Traistre,  larron,  filz  de,  etc 

«  Après  avoir  vomi  un  torrent  d'injures, 
sa  fureur  se  calme,  et  il  se  met  à  chanter. 

BRINFAULT. 

Jennin,  Jennot, 

Marguin,  Margot, 
Dieu  poira  la  chandelle 

Et  tout  l'escot, 

Ce  dit  Pierrot  : 
Labourons  soubz  la  treille. 

Chacun  son  pot, 
Viendras-tu  à  la  veille? 

Jennin,  Jennot, 

Marguin,  Margot, 
Viendras-tu  à  la  veille?  etc. 

«  Malgré  sa  résistance,  Maliverne  et  ses 
camarades  l'entraînent  au  tombeau  de  la 
sainte,  où  il  reçoit  aussitôt  la  santé.  Le 
bruit  de  tous'  ces  miracles  parvient  aux 
oreilles  du  maire  de  Nicomédie,  qui  court 
bien  vite  avec  ses  gens  chez  un  orfèvre  pour 
lui  commander  une  magnifique  châsse  (115). 

JOSSET. 

Beaux  Seigneurs,  que  vous  dit  le  cueur? 
Je  suys  plus  noir  qu'ung  contrecueur. 
Ne  vous  desplaise,  de  charbon. 

FERNAULT. 

Tout  est  du  mestier,  etc. 

«  Cela  nous  embarrasse  peu,  ajoute-t-il, 
«  et  nous  ne  venons  ici  que  pour  savoir  si 
«  vous  pourriez  nous  faire  une  belle 
«  châsse.  » 

JOSSET. 

De  quelle  étoffe? 

CHERL1N. 

D'or  luysant, 
Tout  par  tout  net,  et  tout  fin. 

MAJOR. 

El  si  y  mettrez,  beau  cousin, 
Des  camahieux,  et  des  rubis, 
Des  dyamans  yndes  et  bis, 
De  bons  saphirs,  des  esmeraudes; 
Qui  ont  vertuz  froides  et  chauldes. 
Et  toutes  autres  pierreries. 

«  Ce  n'est  pas  tout,  continue  le  maire,  il 
«  me  faut  quatre  fortes  chaînes.  » 

JOSSET. 

D'or  aussi? 

CHERLIN. 

Et  quoy  doneques? 
«  Mais,  répond  Josset,  cela  montera  bien 

l'ouvrage,  où  l'on  verra  qu'ils  sont  compris  au  nom- 
hiedesinlidéles,  et  comme  tels  tués  par  les  Chrétiens 
au  sieste  de  Nicomédie. 


193 


BAR 

«  haut,  et  il  serait  bon  de  me  faire  quclqu 
«  avance.  » 

MAJOR. 

C'est  raison,  je  n'ay  pas  songé 
Une  telle  ouvraige  à  part  moy, 
Sans  vous  voulloir  bailler  dequoy. 
Tenez,  voilà  ung  million. 

FERNAULT. 

Jossel?  point  nous  ne  marchandons? 
(Sansa  :  stultus  loquiiur.) 

«  Pendant  que  le  fou  amuse  ie  specta- 
teur par  ses  plaisanteries,  l'orfèvre  fabrique 
une  châsse;  et,  lorsqu'elle  est  achevée,  il 
la  porte  au  maire,  qui  la  trouve  telle  qu'il 
la  souhaite.  » 

FERNAULT . 

Voycy  une  Chasse  autentique; 
Elle  est  d'art  scientilicque, 
Voycy  une  Chasse  autentique. 

JOSSET. 

El  fust-elle  du  pays  d'Aflïique, 
Voycy  une  Chasse  autentique  ; 
Si  est  à  mettre  une  Rclicque, 
Ou  une  Déesse  parfaicle  : 
Voycy  une  Chasse  autentique 
Bien  composée,  et  bien  pourlraicte. 

(Pausa  :  stultus  hquitur,  et  vadanl  ad  locum  Sepul- 
cltri....  fingant  ponere  corpus  in  capsà,  et  portant 
in  Nijcliomediâ  ciun  cerris,  et  candelts  accensis  ;  el 
sit  in  Nyclwmediâ  templum  paratum  ad  ponen- 
dum  corpus,  et  sint  calhene  ad  suspend,  in  acu 
capsam.) 

«  Lorsque  la  cérémonie  est  terminée  , 
chacun  se  retire  chez  soi. 

«  D'un  autre  côté,  le  roi  de  Chypre,  prince 
rempli  de  zèle  pour  la  vraie  religion,  pro- 
pose une  espèce  de  croisade,  pour  délivrer 
les  Chrétiens  de  la  tyrannie  des  infidèles. 
OrigèneSjLiépart,  et  tout  lereste  des  Alexan- 
drins s'offrent  à  le  seconder  dans  une  si 
sainte  entreprise.  Dyogènes,  au  bruit  de  ces 
préparatifs,  envoie  Brisevant,  son  messa- 
ger, à  Maximian,  et  aux  chevaliers  de  Ni- 
comédie,  pour  leur  demander  du  secours. 
Cependant  l'armée  du  roi  de  Chypre  et 
celle  d'Alexandrie  viennent  camper  auprès 
de  Nicomédie,  et  forcent  les  païens  à  se 
renfermer  dans  ses  murs.  Lucifer,  à  ces 
nouvelles,  ordonne  aux  démons  d'aller 
promptement  chercher  les  âmes  des  païens 
oui  vont  être  tués. 

Ll'CIFER. 

Où  sont  les  Deables  de  Cyens? 
Et  leurs  Deableteaux,  et  Paiges? 

ASTAROTH. 

Les  ungs  sont  allez  en  fouraige, 
Les  aultres  gardent  la  Cuysine. 

«  A  quoi  vous  amusez-vous?  dit  Lucifer, 
«  au  lieu  d'aller  à  Nicomédie  I  »  —  «  Où 
«  courez-vous  donc  comme  des  étourdis?  » 
s'écrie  Bélial. 

(11G)  Liens. 

(117)  Eslorse,  combat.  Ce  mot  a  éle  placé  ici  pour 
Il  rime,  au  lieu  destour.  Nos  anciens  prenaient 
«uuvenl  la  libellé  de  changer  les  finales  de  leurs  mol" 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


B.Ml 


194 


DELIAI.. 

Il  failli  mener  nostre  charctte, 

Nos  tranlz  (Mfi)  nos  jougs,  nostre  brouette, 

Pour  amener  Payens  à  force, 

Qui  doibvent  mourir  en  l'estorce  (117) 

De  la  guerre  jà  commencée. 

(Pausa  :  vadant  Demones,  et  ducar.t  quadrigam.  Si- 
lete  in  Paradiso.) 

«  Les  Chrétiens  escaladent  les  murs  de 
la  ville,  et,  après  avoir  massacré  une  mul- 
titude de  païens,  ils  se  rendent  maîtres  de 
la  place.  Le  roi  de  Chypre  tue  Dyogènes; 
Diépart  blesse  mortellement  Flori'mond,  et 
Marcien  avec  le  maire  de  Nicomédie  tombent 
sous  les  coups  du  connétable  et  de  l'amiral 
de  Chypre. 

(Pausa  :  fiai  ibi  magnum  insultum,  et  omnes  Pagani 
moriuntur,  et  Christiani  moriuntur,  scilicet,  Bruy- 
sart  et  Heurtaull.) 

«  Les  femmes  se  réfugient  dans  le  temple 
de  sainte  Barbe  ;  les  Chrétiens  les  y  suivent, 
et,  apprenant  de  Jozias,  prêtre  païen,  la  vie 
et  les  miracles  de  cette  martyre,  ils  font 
apporter  les  corps  des  deux  chevaliers  qui 
viennent  de  perdre  la  vie,  et  qui  ressusci- 
tent par  les  prières  de  la  sainte.  Les  païens 
qui  sont  restés,  craignant  le  sort  de  leurs 
camarades,  reçoivent  le  baptême.  EnsuiK; 
de  quoi  le  roi  de  Chypre  et  les  fidèles  qui 
l'accompagnent  rende'nt  grâces  à  Dieu  d'une 
si  belle  victoire.  Pendant  ce  temps-là  Satan 
se  désespère  de  ce  qu'on  vient  de  lui  arra- 
cher les  âmes  de  Bruysart  et  d'Heurtaull , 
qu'il  conduisait  déjà  aux  enfers. 

SATHAN. 

Quoy  noirs  .avons 
Perdu/,  les  Ames  et  Esperitz 
Des  Chrestiens  qui  furent  prins 
De  nous,  et  qui  estoient  jà  mors 

LÉV1ATI1AN. 

Par  qui? 

SATHAN. 

Par  les  maulvais  records 
De  Barbe,  la  fairice  avortonne  : 
J'en  avois  jà  plain  une  tonne, 
Mais  elle  a  faict  tout  remectre 
Dedans  les  corps,  pour  les  desmeptre 
De  nostre  acquesi,  sans  fiction. 

«  Songeons  à  autre  chose,  »  dit  Astarolh. 

(Pausa  :   vadant  qua'situm  corpora,  et  animas,  cum 
J  quadriga.) 

SATHAN. 

Lévialhan,  lire  au  collier, 
El  Aslartilh,  pour  exploicter  : 
Je  suis  le  Maistre  Charretier. 

«  Avancez  donc  »,  dit  Lucifer. 

LUCIFER. 

Or  parlez  à  moy,  fils  de  Vaches  : 
Quesse  la  dedans?  sont-ce  moulles 

SVTIIAN. 

Ce  ne  sont  ne  chappons,  ne  poulies; 

pour  la  commodité  de  leurs  vers.  Ainsi  lorsque  l'on 
trouve  de  ces  sortes  de  mois,  on  ne  doit  pas  les 
prendre  pour  de  l'ancien  gaulois,  ce  nVsi  souvent 
qu'un  eff'-l  du  caprice  d'un  auteur. 


195 


BAR  DICTÎONNAIUE  DES  MYSTERES 

Ce  sonl  des  Sarrasins  (118)  les  Ames 

«  Pendant  qu'on  tourmente  ces  malheu- 
reuses âmes,  le  roi  de  Chypre  et  les  Chré- 
tiens qui  le  suivent  s'emparent  du  corps  et 
de  la  châsse  de  sainte  Barbe,  et  prennent 
le  chemin  de  Rome,  pour  y  remettre  ce 
précieux  dépôt. 

(Pausa  :  stultus  loquitur  :  Portant  corpus  Béate  Bar- 
bare, et  habeanl  magna  luminaria  ardentia,  et 
quatuor  milites  portent,  et  Bex  sil  rétro,  et  omnes 
assecunlur,  et  reniant  versus  Bomam,  et  Bex  salu- 
tel  Paputn.) 

«  Le  roi,  après  avoir  salué  le  Saint-Père, 


lîAR 


\% 


PAPA. 

Certes,  vous  avez  raison  : 
Gratins  agimus  libi,  etc. 

«  Un  instant  après  Yimager  apporte  la 
statue,  et  le  Pape,  qui  ne  veut  pas  retarder 
le  départ  du  roi  de  Chypre,  ordonne  à  ses 
chapelains  de  la  porter  sur  leurs  épaules  en 
procession  à  l'église  de  Rome.  Toute  l'as- 
semblée obéit  aux  ordres  du  saint  Père.  » 

PAPA. 

Chacun  porte  torche  ou  cierge, 
Et  allons  sans  sermoner  plus, 
Chantant  Te  Deum  laudamus. 


lui  raconte  le  sujet  qui  l'amène   :  et  pour 

lui   prouver  ce  qu'il  avance  ,  il  le  prie  de 

s'informer  des  personnes   qui   le   suivent. 

Les  Chrétiens  ne  manquent  pas  d'instruire     divisé  en  cinq  journées,  dont  nous 

le  Pape  des  miracles  qu'ils  ont  vus,  et  de     déjà  donné  l'extrait...  » 

ceux  qu'ils  ont  appris. 


BARBE  (Mystère  de  sainte).  —  Le  second 
mystère  de  sainte  Barbe  «  est  très-différent, 
disent  les  frères  Parfait,de  celui  du  môme  nom 

avons 


chambelloys,  premier  chevalier  de  Cliippre. 

C'est  vérité. 
Dictez  où  on  la  portera? 

PAPA. 

Sans  double,  elle  repousera. 
Au  Cymetière  Sainct  Calixte. 


Et  dès  maintenant  je  propouse, 
Et  conelud,  afin  qu'on  l'entende, 
Si  toust  que  j'auray  sa  Légende, 
Que  je  la  canoniseray. 

(Pausa  :  portant  corpus  Béate  Barbare  in  Cymete- 
rium;etsit  propè  Cymeterium  paratum  in  modo 
tudi,  et  canlanl. eundo,  et  habeant  magna  lumina- 
ria ardentia.) 

«  Le  Pape  fait  beaucoup  d'honnêteté  à  ce 
prince,  et  ordonne  à  ses  chapelains  de  pré- 
parer un  magnifique  souper. 

PAPA. 

Et  apportez  pain  et  viande, 

El  puis  vin  que  l'on  recommande  : 

Or  sus,  o  grande  diligence  (119) 

«  Les  chapelains  obéissent  promptement, 
et  prient  le  roi  et  sa  suite  de  s'asseoir  à 
table. 

r.E.x. 

Quand  le  Sainct  Père  le  dira 

PAPA. 

Benedicite. 

UEX. 

Dominus,  etc. 

«  Les  chevaliers  se  mettent  à  une  aulre 
table  :  pendant  le  repas,  on  fait  venir  un 
imager  pour  lui  commander  une  statue  de 
la  sainte.  Cet  ouvrier  demande  quinze  du- 


II  n'en  subsiste  point  de  manuscrit. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  français  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p."2),  attribuées  au 
duc  de  La  Vallière,  considère,  mais  à  tort,  ce 
mystère  comme  «  un  abrégé  du  manuscrit.  11 
y  a  cependant  quelques  différences  dans  les 
détails,  dit  l'auteur  inconnu  de  ce  livre, 
mais  elles  sont  peu  considérables.  » 

«  Le  premier,  quoique  supérieur  en  tout, 
n'a  jamais  paru  imprimé  :  au  lieu  que  ce- 
lui-ci a  eu  trois  éditions.  La  plus  ancienne 
est  celle  que  cite  Duvcrdier  (p.  235  de  la 
Bibliothèque  françoise) ,  in-16,  par  Ollivier 
Arnoullet,  imprimeur  de  Lyon,  qui  vivait 
en  153V.  Pierre  Rigaud  le  fit  paraître  depuis 
sous  la  même  forme.  (Duverdier  ,  ibid. , 
p.  785.)  Enfin,  vers  le  commencement  du 
xvu'  siècle,  il  en  parut  une  troisième  édi- 
tion sous  le  titre  suivant  :  La  Vie  de  Madame 
Sainte  Barbe  par  Personnaiges  ,  chez  Nicolas 
Oudot,  demeurant  en  la  rue  Notre-Dame,  au 
Chapon  d'or  couronné.  C'est  un  in-16  conte- 
nant 58  feuillets  ou  116  pages,  et  environ 
3,&J0  vers.  » 

Le  second  mystère  de  Sainte  Barbe  appar- 
tientdonc  à  la  première  moitié  du  xvie  siècle. 

Les  frères  Parfait,  à  qui  nous  avons  em- 
prunté les  notes  précédentes  (Histoire  du 
théâtre  français;  Paris,  15  vol.  in-12,  t.  111, 
1745,  p.  36-42),  ont  donné  de  cette  pièce 
l'analyse  suivante  : 

MYSTERE    DE    SAINTE    BARRE. 

«  Après  un  prologue,  ordinaire  à  ces  sor- 
tes de  poëmes  dramatiques,  paraît  l'empe- 
reur Marcien  (120)  qui,  voulant  offrir  un 
sacrifice  à  son  dieu  Mahom,  envoie  chercher 
Vévéque  de  sa  loi.  «  Dépêchons-nous,  Mon- 
«  seigneur,  dit  un  prêtre  à  ce  dernier;  c'est 


cals,  et  on  les  lui  accorde,  à  condition  qu'il  «  toujours  quelques  écus  qui  vont  vous  re- 
fera une  grande  diligence.  Lorsqu'on  est  «  venir.  »  L'empereur  arrive  peu  de  temps 
près  de  sortir  de  table,  le  roi  fait  souvenir  après,  et  ordonne  que  l'on  porte  l'idole  de 
le  Pape  de  dire  grâces.  Mahom  en  procession. 


(118)  C'est  une  chose  assez  ordinaire  à  nos  anciens 
de  confondre  les  Sarrasins  et  les  païens  ;  c'est  par 
celle  raison  que  nos  vieux  historiens  ont  appelé  Sar- 
rasins les  Normands  qui  vinrent  du  fond  du  Nord 
inonder  la  plus  grande  partie  de  l'Europe,  et  surtout 


la  France ,   sous  ies  successeurs  de  Charlemagne. 

(119)  Avec. 

(120)  Marcien  n'était  point  empereur.  L'auteur 
du  Mystère  de  sainte  Barbe  en  cinq  journées  a  suivi, 
en  cela,  plus  exactement  l'histoire. 


«07 


BAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


HA  R 


îflS 


(Le  Prêtre  prend  Apolin  sur  son  col,  et  trestous  vont 
chantant  entour.) 

«  Marcien  offre   de   l'encens  à  l'idole,  et 
Satan,  qui  y  est  renfermé,  lui  ordonne  d'ex- 
terminer les  Chrétiens. 
(Icy  commence  le  mystère  de  saincte  Barbe,  Vierge.) 

PREMIÈRE   JOURNÉE. 

«  Dioscorus,  et  la  reine  son  épouse,  prêts 
à  entreprendre  un  pèlerinage  au  temple  de 
Mahom,  ordonnent  à  deux  maçons  de  cons- 
truire une  forte  tour,  dans  laquelle  ils  ren- 
ferme Barbe,  leur  fille,  qui  refuse  de  se  ma- 
rier, et  l'y  laissent  sous  la  garde  de  trois  filles; 
pendant  que  ces  filles  s'occupent  à  jouer  aux 
cartes,  Barbe,  pleine  de  l'esprit  du  Seigneur, 
va  trouver  un  saint  ermite,  qui  l'instruit,  et 
lui  confère  le  baptême.  D'un  autre  côté,  Lu- 
cifer appelle  ses  sujets,  et  leur  ordonne  de 
monter  sur  la  terre  :  ces  malins  esprits, 
avant  de  partir,  demandent  la  malédiction 
de  leur  maître. 

SECONDE   JOURNÉE. 

(Pause  :  Second  Prologue.) 

Jésus,  que  tous  devons  prier. 
Le  Filz  de  la  Vierge  Marie, 
Vueillez  Paradis  octroyer 
A  ceste  belle  compagnie 
Seigneurs,  et  dames;  je  vous  prie 
Séez-vous  trestous  à  vostre  aise, 
Et  de  sainte  Barbe  la  vie 
Achèverons,  ne  vous  desplaise,  etc. 

«  Au  retour  de  son  pèlerinage  ,  Dioscorus 
apprend  (pie  Barbe  a  embrassé  la  religion 
chrétienne;  il  veut  la  percer  de  son  épée. 
Elle  se  sauve  miraculeusement  au  travers  de 
la  muraille  :  le  père  ne  pouvant  prendre  la 
même  route,  la  cherche  fort  longtemps,  et 
enfin  il  découvre  sa  retraite.  Dioscorus  lui 
fait  endurer  divers  tourments,  ensuite  de 
quoi  il  la  remet  entre  les  mains  de  Marcien, 
qui,  ayant  épuisé  les  supplices  les  plus  bar- 
bares, ordonne  à  ses  tyrans  d'aller  chercher 
une  femme  folle  propre  à  séduire  l'esprit  de 
Barbe. 

(La  femme  de  joie  chante  aucune  chanson,  et  le  diable 
est  avec  elle,  elle  chante  et  puis  boit.) 

«  L'empereur,  après  lui  avoir  déclaré  ses 
intentions,  l'exhorte  à  Je  bien  seconder. 

l'empereur. 
11  la  convient  par  beau  langage 
Luy  tourner  trestous  le  courage 
A  faire  fornication. 

«  D'abord   que    celte    femme  paraît  de- 
vant Barbe,  la  sainte  commande  au  diable 
qui  obsède  cette  misérable  de  la  quitter. 
(Notiez  que  la  folle  femme  doit  vuider  un  diable,  et 

aura  grand  peur  ladite  femme,  et  se  mettra  derrière 

Barbe.) 

«  Voyez  un  horrible  monstre  qui  vous 
«  tenait  sous  sa  puissance,  dit  Barbe  à  celte 
«  pauvre  femme.  »  Elle  se  jette  ensuite  sur 
l'esprit  malin,  et  prête  à  l'étouffer,  elle  le 
force  à  lui  demander  grâce.  Satan,  pour 
avoir  la  liberté,  promet  de  ne  point  tenter 
ceux  qui  imploreront  son  assistance. 
(Icy  se  fait  tempeste  en  Enfer.) 


«  C'est  ici  que  Marcien  perdant  patience, 
renvoie  Barbe  à  son  père  ;  sa  vue  jette  ce 
barbare  dans  une  fureur  excessive. 

DIOSCORUS. 

Haro!  Mahom,  et  quelle  angoisse! 
F  y  de  Mahom,  et  son  pouvoir. 
Haro!  je  crie  à  pleine  voix; 
Maudit  soit  Mahom,  et  Jupin  : 
Le  Dieu  Tarvagant,  et  Rullin, 
Et  tous  ceux  de  la  Synagogue  (121). 

barbe,  s'adressant  à  sa  mère. 

Pitié  deusses  avoir  de  moy. 

A  une  chienne  prend-toi  garde 
Qui  a  un  grand  tas  de  chienneaux,     ' 
Qui  naturellement  les  garde, 
El  les  préserve  de  tous  maux  : 
Tu  es  donc  pire  qu'une  lisse. 

«  Dioscorus,  sans  égard  pour  ses  plaintes, 
lui  boute  la  corde  au  col,  et  à  peine  a-t-elle 
achevé  son  In  manus  tuas,  Domine,  qu'il  la 
frappe  sur  le  col,  et  lui  enlève  la  tête.  Les 
anges  descendent  du  paradis  pour  recevoir 
son  âme;  après  quoi  les  démons  s'emparent 
de  ses  persécuteurs,  et  les  entraînent  aux 
enfers.  Et  le  mystère  finit  par  la  canonisa- 
tion de  sainte  Barbe,  et  les  guérisons  mira- 
culeuses opérées  par  son  intercession.  » 

BAUTEUCII  (Sainte).  -  Sainte  Bauteuch 
est  tirée  du  manuscrit  des  Miracles  de  Notre- 
Dame,  conservé  à  la  Bibliothèque  impériale, 
n°  7208,  A  et  B,  t.  XI,   P.  173,  n*  xxxiv. 

Celte  pièce  appartient  donc  au  xiv'  siècle. 

Elle  est  intitulée  :  Cy  commence  un  miracle 
de  Nostre  Dame  et  de  sainte  Bauteuch,  femme 
du  roy  Clodoveus,  qui,  pour  la  rébellion  de 
ses  deux  enfansy  leur  fist  cuire  les  jambes, 
dont  depuis  se  reverlirent  et  devindrent  reli- 
gieux. 

Elle  a  été  éditée  par  M.  Ed.  Frère,  précé- 
dée d'une  légende  de  la  même  sainte,  ex- 
traite d'uq  manuscrit  de  la  Bibliothèque  du 
roi,  coté  10309,  3,  3,  provenant  du  fonds 
Cangé,  et  accompagnée  d'un  fac-similé  de  la 
première  page  du  manuscrit,  à  la  suite 
de  VEssai  sur  les  énervés  de  Jumiéges,  de 
M.  Langlois  (Rouen,  éd.  Frère,  1838,  in-8°, 
p.  97-237).  M.  Jubinal  avait  fourni  la  copin 
revue  par  M.  Leroux  de  Lincy.  «  On  ignore 
le  nom  du  poëte  auquel  nous  devons  le  mi- 
racle de  Sainte  Bauteuch  ou  des  Enervés  ; 
mais,  d'après  quelques  inductions  particu- 
lières, tirées  de  celle  composition  dramati- 
que, il  est  évident  qu'il  écrivait  sous  Phi- 
lippe de  Valois,  c'est-à-dire  au  milieu  du 
xivc  siècle.  » 

Les  chevaliers  du  roy  Clodoveus  lui  con- 
seillent de  se  marier  pour  avoir  lignée, 
mœurs  plus  réglées,  vie  meilleure  : 

Souvent  vit  jonne  homme  en  desroy 
Et  pèche  trop  plus  par  oultrage 
Quant  n'a  femme  par  mariage; 
Et  fait  plus  d'ipeonvéniens 
Que  un  autres  bonis  et  hors  et  ens... 

Le  roi  y  consent  et  épouse  Bauteuch  quVn 


(121)    On   aperçoit   aisément  l'assemblage  monstrueux  des  divinités  qu'adore  Dioscorus,  que  l'on  fait 
ici  idolâtre,  mahoinélan  el  juif  tout  ensemble. 


199 


CES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


niN 


2G0 


lui  amène.  11  lui  donne  saint  Genès  pour.m- 
inônier,  et  met  à  sa  disposition,  pour  ses 
aumônes, mille  livres,  dont  la  nouvelle  reine 
ordonne  ainsi  la  disposition  : 

Gênais,  vous  en  départirez 
Aux  Cordeliers  et  Augustins 
Aux  Carmes  et  aux  Jacobins 
A  un  chascun  couvent  cent  livres... 

Bientôt  le  roi  est  pris  de  l'ardent  désir 
d'un  voyage  en  terre  sainte,  la  reine  le  lui 
conseille;  les  barons  lui  demandent  pour 
régent,  qui  le  duc  d'Orléans,  qui  le  duc  de 
Normandie;  allusion  évidente,  selon  M.  De- 
ville,  aux  deux  fils  de  Philippe  de  Valois, 
sous  le  règne  duquel  fut  composé  ce  miracle. 
La  reine  implore  le  secours  de  Marie.  L'aîné 
des  fils  du  roi  est  fait  régent  sous  la  tutelle 
de  sa  mère. 

Cependant  les  deux  fils  de  Bauteuch  se 
liguent  pour  conspirer. 

l'ainsné. 

Je  regarde  que  nous  deux  sommes 
Desoresmais  assez  grans  hommes 
Pour  avoir  dominacion, 
Sans  plus  estre  en  subjeccion 
Ne  de  femme,  ne  d'omme  né. 

Le  roi  annonce  son  retour;  néanmoins  les 
deux  enfans  se  rebellionnenl  : 

l'ainsné  à  sa  mère. 

Dame  ne  lieng  point  que  m'onneur 

Soit  que  vous  plus  me  gouvernez 

Puisque  je  suis  roy  couronnez, 

Je  renonce  à  vostre  conseil  ; 

Et  desoresmais  user  vueil 

De  ma  puissance  en  tous  endroits... 

Ils  sont  résolus  à  empêcher  l'arrivée  de 
leur  père. 

Bauteuch  en  est  instruite.;  c'est  par  elle 
que  le  roi  Glodoveus  est  averti.  Les  barons 
du  royaume  s'interposent,  mais  en  vain,  la 
guerre  est  sur  le  point  d'éclater.  Dieu 
s'irrite. 

BAUTEUCH. 

Te  di  ceux  qui  ont  méfiait 
ault  qu'ils  soient  pugniz  de  fait 
En  ce  siècle  ou  en  l'autre,  lors 
Qu'en  terre  porriront  les  corps 

Ce  n'est  pas  double. 

En  effet  le  roi  est  vainqueur,  ses  deux 
fils  sont  pris,  sainte  Bauteuch  demande  con- 
tre eux  le  plus  affreux  supplice,  on  leur 
brûle  les  jamhes.  Les  deux  misérables  se 
repentent  seulement  alors,  demandent  à 
Dieu  de  finir  leurs  jours  dans  un  monastère. 
En  effet  Dieu  même  les  conduit 

.     .     .     .     En  Normandie 
En  un  lieu  sauvage  et  désert 
.     .     .    Avec  l'abbé  Phillebert.. 

BENOIT  SUR-LOIRE  (Manuscrit  de  Saint-). 

—  Les  drames  du  manuscrit  de  Saint-Be- 
noît-sur-Loire n'étaient  pas  inconnus  à  Du 
Cange,  qui  en  désignait  le  recueil  sous  le 
titre  de  Liber  reprœsentalionum  hislorica- 
rum. 

L'abbé  Lebeuf,  dans  le  Mercure  de  France, 
de    décembre    1729    (  Remargues    envoyé' s 


d'Auxerre,  p.  2981-2995),  signala  le  Manus- 
crit de  Saint-Benoît-sur-Loire,  comme  con- 
tenant de  très-anciennes  pièces  en  latin. 
L'une,  selon  le  savant  abbé,  expliquait  une 
image  de  saint  Nicolas  incomprise  de  Mola- 
nus  [Traité des  images).  «  Cette  pièce,  remar- 
quait encore  le  même  savant,  est  de  la  me- 
sure de  quelques  anciennes  proses,  comme 
le  Languenlib'us  in  purqatorio  ;  elle  est  notée 
en  plain-chanl  syllabique,  et,  prise  totale- 
ment, elle  est  du  premier  ton,  pour  amener 
naturellement  et  de  suite  le  cantique  Te 
Deum,  qui  commence  mi-sol-la.  On  chantait 
en  déclamant  et  en  gesticulant.  »  En  1735 
[Mercure  de  France,  avril  1735,  Lettre  d'un 
solitaire,  p.  698-708),  l'abbé  Lebeuf  revint 
sur  le  même  sujet  pour  noter  l'emploi  évi- 
dent et  indispensable  de  quelques  machines, 
mais  qui  ne  demandaient  pas  une  grande 
subtilité;  et  enfin  il  formula  en  ces  termes 
l'opinion  que  les  drames  de  saint  Nicolas 
devaient  composer  une  tétralogie  à  la  ma- 
nière antique  :  «  Je  ne  sçai,  au  reste,  >>  dit-il, 
«  si  ces  quatre  morceaux  détachez  n'étoient 
pas  des  actes  différens  de  la  même  tragé- 
die. »  Ces  diverses  observations  ont  élé  con- 
firmées et  répétées  depuis  par  tous  les  cri- 
tiques. 

Les  Bénédictins  (Hist.  litlér.de  la  France, 
t.  VII  ;  Paris,  1746,  in-4°,  Avertissement, 
p.  xlviii)  ne  firent  que  citer,  d'après  l'abbé 
Lebeuf,  le  Manuscrit  de  Saint-Benoît-sur- 
Loire. 

Il  fut,  pendant  la  Révolution,  transporté  de 
l'abbaye  dans  la  Bibliothèque  d'Orléans,  où 
il  resta  oublié  jusqu'à  ce  que,  en  1834, 
M.  l'abbé  La  Bouderie,  s'associant  M.  Mon- 
merqué,  parvint  à  en  faire  accepter  l'édition 
par  la  Société  des  bibliophiles  français.  Le 
manuscrit  parut  donc  celte  même  année, 
mais  imprimé  en  appendice  au  Saint  Nicolas 
de  Jean  Bodel.  L'édition,  lirée  seulement  à 
trente  et  un  exemplaires,  nous  semble  devoir 
être  décrite.  De  format  in-8°,  elle  porte  pour 
titre  :  Li  Jus  Saint  Nicolai  par  Jehan  Bodel  ; 
uit  li  Jus,  p.  1-81;  et  après  :  Pièces  jointes 
au  Jeu  de  S.  Nicolas,  p.  85  87;  Mysteria  et 
liracula  adscenam  ordinata  in  rœnoiiis  olim 
a  monachis  reprœsentala  ex  codice  membra- 
naceo  xinmi  sœculi,  in  Aurelianensi  biblio- 
theca  servato,  desumpta,  p.  87-89;  1°  Primum 
miraculum  S.  Nicolai,  p.  89-101;  2°  Secim- 
dum...,  101-109;  3°  Tertium...,  109-11-9; 
k"  Quartum...,  119-131;  Hcrodes  sive  Mago- 
rum  Adoralio,  131-145;  Mysterium,  Siragcs 
Jnnocentium,  p  .  145-155;  Mysterium  Resur- 
rectionis  D.  N.  J.  C,  p.  155-1G5;  Observa- 
tions sur  le  mystère  de  la  Résurrection , 
p.  ifâtl3:MysteriumApparitionisD.N.J.C., 
p.  173-187  ;  Mysterium  Conversionis  B.  Pauli, 
p.  187-195;  Mysterium  Resurrectionis  B.  La- 
zari,  p.  195-213. 

En  1838,  M.  Wright,  en  Angleterre,  re- 
produisit l'édition  des  bibliophiles  français: 
Early  Mysteries  and  other  latin  poems  ofthe 
tweljth  and  thirleenth  centuries;  Anciens 
myslères  et  poëmes  latins  des  xiie  et  xiii" 
siècles;  Londres,  Nichols,  1838,  in-8°,  do 
xx vin -133  pages. 


SOI  B1E  DICTIONNAIRE 

M.  Mngnin  4\vait  rappel  dans  son  cours 
professé  à  la  Faculté  des  lettres  les  drames 
du  manuscrit  de  Saint-Benoît  -sur  -  Loire 
(Joum.  général  de  l'instruction  publiq.,  13 
septembre  1833,  p.  478).  M.  O.  Leroy  en 
parla  vaguement  dans  ses  Etudes  sur  les 
mystères  (Paris,  1837,  in-8",  p.  31);  et  de 
même,  MM.  Jubinal  (Myst.  inéd.  du  xv'  siè- 
cle), et  Chabailles  et  Dessales  {Myst.  de  saint 
Crespin,  Avant-Propos,  p.  ix,  note  3;. 

Le  Manuscrit  de  Sainl-Iienoit-sur -Loire 
appartient  au  xiu'  siècle,  et  les  drames  qu'il 
contient  m;  remontent  pas  plus  haut  que 
le  su*. 

On  les  trouve  dans  ce  Dictionnaire,  sous 
les  litres  suivants,  qui  diffèrent  quelque  peu 
de  ceux  du  manuscrit,  mais  qui  nous  étaient 
imposés  par  la  nécessité  du  classement  des 
matières  : 

Les  Filles  dotées  (premier  miracle  de  saint 
Nicolas).  —  Voy.  Filles  dotées. 

Les  Trois  clercs  (second  miracle  de  saint 
Nicolas),  —  Voy.  Trois  clercs. 

Le  Juif  volé  (troisième  miracle  de  saint 
Nicolas).  —  Voy.  Juif  volé. 

Le  Fils  de  Gélron,  (quatrième  miracle  de 
saint  Nicolas).  —  Voy.  Fils  de  Cétuon. 

ïîérode,  ou  V Adoration  des  Mages.  —  Voy. 

HÉRODE. 

Le  Massacre  des  Innocents.  —  Voy.  Inno- 
cents. 

La  Résurrection  de  J.-C.  —  Voy.  Résur- 
rection. 

L'Apparition  de  N.  S.  J.-C.  —  Voy.  Appa- 
rition. 

La  Conversion  de  saint  Paul.  —  Voy. 
Saint  Paul. 

La  Résurrrcclion  du  béat  Lazare.  —  Voy. 
Lazare. 

BERNARD  (Saint).  — Dans  une  liste  fort 
vague  de  mystères,  où  se  trouvent  de  nom- 
breuses indications  de  légendes,  très-diffi- 
cilesà  distinguer  des  drames,  de  Bcauchamps 
a  mentionné  la  Vie  de  saint  Bernard.  (Re- 
cherches sur  les  théâtres  de  France  ;  Paris, 
1733,  in-8*,  3  vol.,  t.  1",  p.  228.) 

fi J EN- AVISÉ  et  MA  L-A  V1SÊ.—U  n'existe 
pas  de  manuscrit  du  Mystère  de  Bicn-Aviséet 
de  Mal -Avisé. 

Ce  drame  a  été'  imprimé  h  Paris,  par  Pierre 
Le  Caron,  pour  Anlhoine  Vérard,  libraire, 
demouranl  sur  le  Pont  Notre-Dame,  à  l'image 
de  S.  Jehan  iévangéliste.  C'est  un  in-folio 
de  53  feuillets,  ou  110  pages  ,  à  deux  co- 
lonnes, conîenant  h  peu  près  huit  mille  vers. 

L'exemplaire  communiqué  aux  frères  Par- 
fait par  la  Bibliothèque  du  Boy,  «  est,  disent- 
ils,  sur  vélin  et  enrichi  de  quelques  minia- 
tures. »  (Wst.  du  Th.  Fr.,  1. 111,  p.  86.) 

Ces  auteurs  attribuent  a  cette  pièce  la  date 
do  1475;  celte  date  est  toute  approximative, 
mais  l'édition  indique  en  effet  les  dernières 
armées  du  xve  siècle. 

Les  personnages  sont  au  nombre  de  cin- 
quante-sept  ;  outre  le  Ciel  et  l'E'ifer,  on  y 
trouve  ces  singuliers  acteurs,  Contrition, 
Humili'é,  Tendresse,  Oysivcté,  Rébellion, 
sœur  d'Oysivelé,  Patience,  Chasteté,  Je 
règoe,  Je  règne  rai,*  J'ai  régné,  Sans-Trône,  etc. 
Dictionn.  des  Mystères. 


DES  MÏSTERE3.  BîE  m 

Quelques-unes  des  scènes  ont  été  rappro- 
chées par  les  frères  Parfait  de  scènes  ana- 
logues de  V Homme  juste  et  de  V Homme  mon- 
dain, du  mystère  en  cinq  journées  de  Sainte 
Barbe  et  do  celui  de  la  Passion  par  Jehan 
Michel.  De  Beauchamps  (Recherches  sur  les 
théâtres  de  France;  Paris,  1735,  in-8\  3  vol., 
t.  1er,  p.  230),  et  la  Bibliothèque  du  Théâtre 
français,  attribuée  au  duc  de  La  Vallière 
(Dresde,  1768,  in-8°,  3  vol.  ,  t.  1",  p.  3),  on 
ont  fait  mention. 

Parmi  les  ailleurs  modernes ,  M.  Sainte- 
Beuve  (Tableau  hist.  et  cr.  de  la  p.  fr.  et  du 
théâtre  fr.  anxw'  siècle;  Paris,  1828,  in-8% 
t.  i'r,  p.  217-234)  a  cilé  le  Bien-Avisé  ei  Mal- 
Avisé  parmi  les  moralités  qui,  par  leur  in- 
tention religieuse  ,  se  rapprochaient  des 
mystères. 

L'analyse  que  nous  reproduisons  ci-des- 
sous ,  est  celle  même  qu'ont  laissée  les 
frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du  Théâtre 
français  (Paris,  15  vol.  in-12,  t.  IL,  1735, 
p.  113-145. 

EXTRAIT  DU  MYSTÈRE  DE  BIEN-ADVISÉ    ET 
MAL-ADVISÈ. 

PERSONNAGES. 


DIEU. 

sainct  michei.,  ange. 

GABRIEL,  id. 

RAPHAËL, ïd. 

URIEL,  kl. 

BIEN-ADVISÉ. 

MAL-ADVJSÉ. 

FRANCHE-VOULENTÉ. 

RAISON. 

FOY. 

CONTRIC10N. 

ENFERMETÉ. 

TNG   POUVRK. 

HUMILITÉ. 

TENDRESSE. 

OYSANCE. 

REBELLION,     S03Ur    d'Oy- 

sance. 

FOLIE. 
IIOO.UELERIE. 

iiouLERiE  ,  habillée    en 
bouchère. 

CONFESSION. 

OCCUPACION. 

PÉNITENCE. 

SATISFACION. 

AULMOSNE. 

VAINE-GLOIRE. 

jeusîse,     sœur     d'Aul- 
niosne. 

ORAISON,  id. 
DÉSESPÉRANCE, 


POVRETÉ. 

MALLE-MESC.HANCE. 

LARREC1N. 

HONTE. 

CHASTETÉ. 

ABSTINENCC. 

OBÉDIENCE. 

DILIGENCE. 

PACIE.<JCE. 

PRUDENCE. 

HONNEUR. 

FORTUNE. 

REGNABO. 

REGNO. 

REGNAVI. 

SINE-REGNO. 

MALLE-FIN, 

PREMIER    DIABLOTON,     de 

la  suite  de  Malle-Fin. 

DEUXIÈME  DIABLOTON,  id. 
TROISIÈME  DIABLOTON,  id. 
QUATRIÈME  DIABLOTON,  id. 

Troupes   de  petit» 
Diablolons. 
démon,  diable. 

LÉVIATHAN,  id. 
SATHAN, id. 

r.ÉLiAL,  id. 

LUCIFER,  id. 

ESPÉRANCE. 

BONNE-FIN. 


PROLOGUE. 

L'acteur  qui  fait  le  prologue  vient  rendra 
compte  aux  spectateurs  de  la  distribution 
de  l'ouvrage,  et  de  l'intention  que  l'auteur 
a  eue  en  le  composant.  Ensuite  il  passe  à 
une  espèce  d'apologie  et  de  profession  de 
foi,  pour  fermer  la  bouche  aux  personne» 
mal  intentionnées. 

Ma  division  est  linéc  : 

Si  requiers  la  Vierge  honorée, 

Que  le  jeu  prengnez  à  plaisir, 


ï>3 


1UE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


B1E 


20i 


El  de  jouer  ayons  loisir.. 

Nous  faisons  protestation , 

Que  n'est  point  noire  intenciotï 

Do  dire  riens  contre  la  Foy, 

Contre  Dien,  ne  contre  la  Loy 

S'il  y  a  lien  ,  parofle  dure 

Qui  soit  contre  la  Foy  escriptc, 

On  aussi  faillie  d'Escripture, 

D'entendement,  ou  de  Lecture 

Ou  habit  sur  corps  et  sur  teste, 

Qui  nullement  (122)  soit  malhonneste, 

On  qui  vous  peut  porter  auysance 

Prestres  ou  Clerez  (125)  d'une  alliance 

Tous  ensemble  les  appelions; 

El  a  trestons  Tabellions 

Instrumens  en  demandons; 

Montré  vous  ay  les  personnages, 

Et  si  me  semblez  assez  sages 

Pour  les  entendre  en  bonne  guise, 

Ainsi  comme  le  Jeu  devise  ; 

Séez  vous  chacun  en  son  lieu, 

Afin  d'entendre  mieux  le  Jeu. 

Pour  Dieu,  et  nous  vucillez  paix  faire; 

Cliascun  n'a  que  sa  bouche  à  taire 

Et  s'il  y  a  aucunes  faulles, 

Ne  les  vueillez  pas  tenir  baultes  ; 

Peu  de  choses  y  gaigneriez 

Se  de  nous  vous  vous  mocquiez  ; 

Car  nous  sommes  bien  peu  habilles 

A  savoir  choses  si  subtilles , 

Mais  pour  toute  la  Compaignie 

(Quant  est  de  moy,  je  vous  emprie) 

Que  vous  prengnîez  pacience. 

SECTION   PREMIÈRE. 

«  Bien-Advisé  trouve  Mal-Advisé,  avec 
] e t n j. e  1  il  s'entretient  du  chemin  qu'il  serait  a 
propos  de  prendre  :  le  dernier  paraît  avoir 
envie  de  suivre  le  plus  facile,  et  celui  qui 
l'amusera  davantage.  Voyageant  ainsi,  ils 
rencontrent  Franche-Volonté. 

(Adonc  s'en  vont,  el  trouvent  Libéral-Arbitre,  et  Mal- 
Advisé  faisant  semblant  de  dormir.) 

«  Franche-Volonté  (I2i)  donne  de  fort 
bons  conseils  à  Bien-Advisé,  qui  en  est  si 
charmé,  qu'il  veut  réveiller  son  compagnon 
pour  lui  en  faire  part.  Mal-Advisé  lui  répond 
qu'il  dort,  et  Franche-Volonté  dit  à  Bien- 
Advisé  qu'elle  ne  prétend  violenter  personne. 
Après  quelques  discours,  elle  lui  montre  le 
logis  qu'habite  la  Raison,  et  lui  dit  de  sui- 
vre les  instructions  qu'elle  lui  donnera. 
Bien-Advisé  n'est  point  trompé  dans  son 
attente,  car  la  Raison  le  conduit  à  la  Foi,  et 
cette  dernière  lui  fait  présent  d'une  lanterne 
pour  l'éclairer. 
(Adonc  Foy  luy  baille  une  Lanterne  faite  à  xn  petites 

fenestres,  esquelles  sont  les  Articles  de  Foy,  et  une 

chandelle  ardente,  et  Foyluy  dit  en  luy  baillant  ta 

Lanterne.) 

FOY. 

je  te  donne  ceste  Lanterne, 
Affin  que  tu  te  voyes  conduire  ; 


(122)  (En  aucune  façon.) 
Cl 


122) 

(125)  Clerc.  Ce  mot  se  prend  généralement  pour 
tout  hommi  de  lettre. 

(124)  Comme  notre  auteur  ne  nous  dit  point 
quel  était  l'habillement  de  Franche- Volonté,  nous 
remarquerons  que  dans  lamoralité  de  V Homme  pé- 
cheur joué  à  Tours  par  personnages,  Franc-Arbitre, 
quj  est  la  même  chose,  et  qui  y  ,oue  un  pareil  rôle, 
y  parait  habillé  en  Roger  Boniemvs 

(125)  Flambeau. 


Aller  peux  par  champs  et  par  villes, 
Mais  que  lu  gardes  ce  brandon  (125). 

BIEN-ADVISÉ.  _^_ 

Madame,  des  mercis  cent  mille. 
Car  vous  me  donnez  ung  beau  don 
Mais  pour  Dieu ,  veuillez  moy  apprendre 
Quelles  choses  sont  icy  escriptes. 

«  La  Foi  lui  explique  en  peu  de  mots  les 
douze  articles  du  symbole,  après  quoi  elle 
l'invite  à  consulter  Contrition. 

(Adonc  s'en  va  à  Coutricion  ;  et  notez  que  Conlricion 
doit  avoir  ung  Mortier  et  ung  Pillon  à  i  eux 
testes.) 

«  Bien-Advisé  lui  en  demande  la  raison. 
«  Ce  mortier,  et  ce  pillon,  répond-elle,  ser- 
«  vent  à  apprêter  les  bonnes-œuvres,  qui 
«  est  la  viande  dont  se  nourrit  Bonne-Fin.  » 
Cette  réponse  énigmatique,  augmente  encore 
la  surprise  de  notre  catéchumène. 

BIEN-ADVISÉ. 

Pour  Dieu,  diltes  m'en  plus  à  plain  ; 

Bonnes  œuvres  l'avez  nommée 

Ceste  viande  bien  savourée? 

L'on  mourroitbien  emprès  (126)  de  faim. 

«  Contrition  lui  explique  comment  elle  se 
sert  des  larmes  des  vrais  pénitents  pour  en 
faire  la  sauce.  Ensuite  pour  servir  d'exemple 
à  ce  qu'elte  vient  de  dire,  paraissent  Enfer- 
meté  (127)  et  un  Pauvre.  Enfermeté  se  plaint 
de  sa  misère,  et  répand  des  larmes,  que 
Conlricion  refuse,  parce  qu'elles  n'ont  d'au- 
tre source  que  la  douleur ,  et  non  l'Humi- 
lité. Le  Pauvre  se  met  à  pleurer  à  la  vue  des 
maux  de  cette  femme;  alors  Contricion 
recueille  précieusement  ses  larmes.  Bien- 
Advisé,  qui  est  spectateur  de  tout  ceci,  veut 
imiter  l'exemple  du  Pauvre;  mais  Contricion 
lui  dit  qu'il  n'est  pas  encore  temps, 
et  qu'il  faut  avant  toutes  choses  qu'il  visite 
Confession. 

(Adonc  Bien-Advisé  s'en  va  à  Confession ,  et  il  trouve 
Humilité  en  son  chemin,  et  dit,  sans  soy  descou- 
vrir, et  sans  révérunce.) 

«  Bien-Advisé  aborde  Humilité,  et  sans 
daigner  mettre  la  main  à  son  chaperon,  il  lui 
demande  où  loge  Confession.  Humilité  lui 
reproche  son  impolitesse. 

BIEN-ADVISÉ. 

Pardonnez-moi,  en  vérité, 

Car  je  ne  vous  congnoissoye  mie. 

«Ce  n'est  pas  tout,  ajoute-t-elle,  il  faut  que 

«  tu  quilles  ces  habits  précieux,  pour  te  re- 

«  vêtir  de  ceux  qui  me  sont  propres.  » 

(Adonc  Humilité  luy  baille  le  vestement  de  Humilité, 

et  Bien-Advisé  la  vest,  et  puis  Humilité  regarde  ses 

chausses  semelées  à  grans  poulains  (128),  el  Hu- 

(126)  Auprès. 

(127)  Infirmité. 

(128)  A  grans  poulains.  Poulaine,  singulier  fémi- 
nin ,  qui  s'est  dit  autrefois  de  longues  pointes  de 
certains  souliers  qui  furent  défendus  du  temps  de 
Charles  VI,  calcei  polani.  Cette  pointe  était  longue 
d'un  demi-pied  pour  les  gens  ordinaires,  d'un  pied 
pour  les  riches,  et  de  deux  pieds  pour  les  princes. 
On  fit  ensuite  d'autres  souliers  qu'on  appelait  becu 
de  canne,  qui  avaient  un  bec  au-devant  de  quatre  ou 


îor. 


DIE 


milité  lin/  dit  de  les  quitter.  —  Adonc  il  oste  ses 
souliers,' et  ses  chausses,  et  se  tient  emprès  aflin 
qu'il  voye  tout  .e  Jeu.) 

Section  ii. 


«  Franche-Volonté,  après  avoir  conduit 
Bien-AdvisÊ  dans  le  chemin  du  salut,  vient 
retrouver  Mal-Àdvisé  ,  et  lui  demande  s'il 
veut  imiter  son  camarade.  Celui-ci,  qui 
regarde  comme  une  infortune  tout  ce  qui 
vient  d'arriver  au  Bien-Advisé,  veut  prendre 
un  chemin  différent,  et  prie  son  guide  de  le 
lui  enseigner. 

MAL-ADVISÉ. 

Je  voy  là  «ne  maie  faine, 

Qui  a  destroussé  mon  Compaingz 

Je  seroye  ineschant,  et  infâme 

Se  me  tiroye  entre  ses  mains. 

Afin  de  dire  le  parfait, 

Je  vous  jure  bien  el  promet, 

Ung  homme  ne  sçet  ce  qu'il  fait, 

Qui  en  main  de  femme  se  met, 

Jamais  n'yray  le  chemin  dextre,  etc. 

«  Prenons  donc  à  gauche,  »  répond  Fran- 
che-Volonté. 

(Adonc  Franche-  Volonté  s'en  va ,  et  Mal-Advisé  va  à 
Témérité.) 

«  En  chemin  il  rencontre  Tendresse,  qui 
lui  conseille  de  suivre  une  vie  sans  peine, 
et  éloignée  de  tout  embarras.  En  la  quittant 
il  trouve  Oysance  qui  le  confirme  uans  ce 
sentiment,  et  lui  enseigne  sa  sœur  Rébellion. 
Celle-ci,  pour  achever  de  perdre  prompte- 
menteet  insensé,  le  conduit  sans  différer  à 
la  Folie,  qui  lui  demande  d'abord,  s'il  aurait 
envie  de  l'aire  bonne  chère,  et  de  se  bien 
divertir.  C'est  ce  qu'il  me  faut,  répond  Mal- 
Advisé  ,  avec  empressement. 

MAI.-ADVISÉ. 

Je  le  supplie,  mai  ne  m'y  donc. 

FOLIE. 

Je  le  monstreray  le  chemin, 
Certes  aussi  droit  comme  jonc. 

«  Mais  luy  dit  Mai-Auvise,  ne  jugeriez- 
«  vous  pas  à  propos  de  prendre  un  troisième 
«  avec  nous?  Il  me  semble  que  nous  en 
«  aurons  plus  de  plaisir?  —  Votre  pensée 
«  me  paroit  juste,  répond  Folie,  etjapper- 
«  çois,  conlinue-t-elle,  en  lui  montrant  Ho- 
«  quélerie  une  personne  qui  est  nostre  fait.  » 

(Adonc  Folie,  Hoquélerie ,  et  Mal-Advisé  s'en  vont  à 
la  Taverne.) 

«  Houlene,  qui  est  la  maîtresse  de  ce  lieu, 
vient  leur  demander  ce  qu'ils  souhaitent. 
«  Faites-nous  apporter  ce  qu'il  y  a  de  plus 
«  exquis,  répond  Folie,  et  ne  vous  embar- 
«  rassez  pas  du  payement,  nous  y  satisfe- 
«  rons.  »  Houlene  leur  donne  tout  ce  qu'ils 
demandent;  Mal-Advisé  mange  beaucoup,  et 
boit  de  même,  aussi  bien  que  sa  compagnie. 
A  la  l\^  du  repas,  Hoquélerie  propose  de 
jouer  pour  se  désennuyer;  Folie  et  Mal-Ad- 


MCTiONNAlRE  DES  MYSTERES.  UlE  ïOfi 

visé  y  consentent  avec  plaisir.  Ce  dernier 
joue  avec  un  si  grand  malheur,  qu'il  perd, 
non-seulement  l'argent  qu'il  a  sur  lui,  mais 
encore  beaucoup  d'autre,  sur  sa  parole;  et 
ne  la  pouvant  acquitter,  ses  camarades  se 
jettent  sur  lui,  lui  arrachent  ses  habits,  et 
l'assomment  de  coups. 

(Adonc  le  baient,  el  luy  déspoullent  sa  Robe.) 

«  Mal-Advisé  honteux  de  se  trouver  en 
cet  équipage,  s'enfuit,  et  se  va  cacher  dans 
un  coin.  » 

section  in. 


«  Bien-Advisé,  qui  voit  le  malheur  de  son 
compagnon,  remercie  Dieu  de  lui  avoir  ins- 
piré la  voie  de  son  salut,  et  s'abandonne 
entièrement  à  l'Humilité,  qui ,  profilant  de 
ce  moment  favorable,  le  conduit  à  Confes- 
sion. Cette  dernière,  après  l'avoir  instruit  do 
la  façon  dont  il  doit  se  préparer,  le  confesse, 
et  l'absout.  Ensuite  elle  lui  dit,  que  pour 
arriver  au  logis  de  Bonne-Fin,  il  doit  pas- 
ser par  un  chemin  (qu'elle  lui  montre)  et 
qu'en  le  suivant  il  trouvera  plusieurs  femmes 
qui  l'y  conduiront.  Bien-Advisé  chagrin  de 
n'avoir  vu  encore  aucun  homme  pendant 
son  voyage,  s'écrie  : 

EIEN-ADVfSé. 

Saincte  Marie  !  et  tousiours  femmes! 

emmes  à  dextre,  et  à  seneslrc  ! 

eau  très-doulx  Diea!  et  que  peut-être? 

neques  ne  vis  telles  merveilles  ; 
Je  ne  sçay  se  je  dors  on  veilles  ; 
Je  ne  sçay  se  c'est  songe  ou  faiutie  (120) 
Sui-je  au  pays  de  Femmenie? 

«  Ne  crains  'rien,  dit  Confession  ;  suis 
«  seulement  celle  baye.  » 

(Adonc  Bien-Advisé  se  départ  de  Confession ,  et  s'en 
va  vers  cette  haye  :  Et  auprès  de  cette  haye,  il  trouve 
Occupacion,  laquelie  est  habillée  simplement ,  fai- 
sant des  nates.) 

«  Occupation  donne  quelques  conseils  à 
Bien-Advisé,  et  lui  montre  le  lieu  qu'habit*' 
Pénitence  qu'il  cherche. 

(Adonc  Bien-Advisé  s'en  va  d'avec  Occupacion,  et  s'en 
va  auprès  de  Pénitence  ,  qui  tient  les  verges  de  dis- 
cipline.) 

«  Ce  spectacle  remplit  de  crainte  notre 
voyageur;  sa  frayeur  redouble  lorsque  Pé- 
nitencelui  dit  d'un  ton  terrible,  qu'ilfaut  qu'il 
soit  fouetté.  Bien-Advisé  semble  alors  se  re- 
pentir d'avoir  pris  ce  chemin  ;  mais  comme 
il  n'est  plus  temps,  il  prend  le  parti  défaire 
ses  très-humbles  remontrances. 

BIEN-ADVISÉ. 

Hélas  !  et  que  t'aige  méfiait  ? 
Saincte  Marie  !  el  que  dis-tu? 
Je  le  supplie,  change  ta  colle  (130). 
Ces  verges  fussent  mieulx  séans 
Certes  à  ung  Maistre  d'Escolle, 
Pour  lîicn  chaslier  ses  enfaus, 
Tu  devenez  avoir  honte 
De  battre  ung  homme  parfait. 


cinq  doigts  de  long  :  et  depuis  on  lit  des  pantoufles  que  la  Pologne  s'appelait  autrefois  poulaine  (Oie- 

si  larges  par  devant,  qu'elles  excédaient  la  mesure  tionnairè  de  Trévoux.) 
d'un  bon  pied,  comme  témoigne  Guillaume  Paradin.         (129)  Enchantement. 
bore]  dit  que  ce  mot  signifie  à  lit  polonais ,  parce         (l.~>0)  Colère. 


S67 


SIS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BIE 


«08 


PÉNITENCE. 

De  tous  tes  dictz  je  ne  tiens  compte,  etc. 

«  Ne  perdons  point  do  temps,  njoutc-t'elle, 
«  entre  chez  moi,  afin  que  je  l'y  donne  la 
«  discipline.  —  J'ay  une  grâce  a  vous  de- 
«  mander,  répond  Bien-Advisé,  c'est  que 
«  vous  fassiez  cette  correction  icy,  et  non 
«  dans  votre  maison,  afin  que  s'il  vous  pre- 
«  noit  envie  de  me  tuer,  je  puisse  appeller 
«  du  secours.  —  Tous  les  discours  sont  so- 
rt perdus,  réplique  Pénitence,  et  je  ne  doif 
«  rien  faire  qu'en  secret.  » 

(Adonc  s'en  vont  à  la  Chambre  de  Pénitence.) 

■'«  Après  que  Bien-Advisé  a  reçu  la  disci- 
pline de  la  main  de  Pénitence,  il  sort  fort 
content  de  cette  maison,  et  s'en  éloignant  au 
plutôt,  il  court  chercher  Satisfaction. 

(Adonc  Bien-Advisé  s'en  va  à  Satisfacion ,  et  Satis- 
facion  doit  cire  nuë.) 

«  Bien-Advisé,  scandalisé  de  trouver  uno 
si  belle  dame  en  cet  équipage,  ne  peut  s'em- 
pêcher de  lui  en  faire  des  reproches  :  «  Si 
«je  suis  en  cet  état,  luy  dit  Satisfaction,  lu 
«  dois  t'y  réduire  bien-tôt  toy-niêrae,  si  lu 
«  veux  arriver  à  Bonne-Fin;  et  sois  certain 
*  que  pour  y  parvenir,  il  faut  que  lu  restitue 
«  tout  le  bien  que  tu  possède,  et  qui  ne 
«  t'appartient  pas.  Que  si  tu  ne  peux  le  ren- 
«  dre  à  ceux  sur  qui  tu  lésas  usurpés, lais  en 
«  des  aumônes.  Cependant,  puisque  tu  n'es 
«  couvert  que  de  l'habit  d'Humilité,  je  te 
«  permets  de  le  garder.  » 

(Adonc  s'en  va  d'avec  Satisfacion ,  et  s'en  va  auprès 
du  Pauvre.) 

«  Ce  pauvre  demande  la  charité;  Au.l- 
mosne  arrive,  et  lui  donne  quelque  argent; 
ensuite  apercevant  Vaine-Gloire,  elle  sup- 
plie ce  pauvre  de  la  cacher  sous  des  brous- 
sailles. Le  pauvre  obéit,  et  Vaine-Gloire  ne 
voyant  point  Aulmosne,  se  retire.  Bien-Ad- 
visé arrive,  Aulmosne  lui  conseille  de  suivre 
son  exemple,  et  en  même  temps  d'ai'er 
trouver  ses  deux  sœurs,  Jeusne  et  Oraison  : 
Ce  que  Bien-Advisé  ne  manque  pas  d'exécu- 
ter. » 

(Adonc  Bien-Advisé  se  getle  contre  terre ,  faisant 
Oraison:  et  Mal-Advisé  se  levé  de  la  place,  ou  il 
étoit  mussié  (151). 

section  iv. 

o  Mal-Advisé,  privé  de  tout  son  bien,  va 
comme  un  furieux  trouver  Désespérance,  et 
la  prie  de  le  conduire  à  Malle-Fin;  Déses- 
pérance lui  promet  de  le  satisfaire  avec 
plaisir. 

(Adonc  Mal-Advisé  s'en  va,  et  Pouvreté  vient.) 

«  Ce  malheureux  apercevant  celle  affreuse 
vieille  couverte  de  méchants  haillons,  s'ef- 
force de  la  fuir;  mais  Pauvreté  le  saisit  par 
le  bras,  et  après  lui  avoir  déclaré  qu'elle 
s'appelle  la  Pauvreté  involontaire,  pour  la 
distinguer  de  la  volontaire  qui  conduit  à 
Bonne-Fin,  l'oblige  de  se  revêtir  de-  ses  mé- 
chants babils. 


(Adonc  luy  baille  le  vestement  de  Pouvreté  ,  et  Mal- 
Advisé  le  vest.) 

«  Lorsque  cela  est  fait,  arrive  Malle-Mes- 
cbànce,  qui  s'offre  à  accompagner  le  Mal- 
Advisé. 

(Adonc  le  mainent  à  Larrecin.) 

«  Larcin,  joyeux  de  l'arrivée  de  Mal- 
Advisé,  lui  donne  quelques  conseils  ;  enfin 
le  voyant  dans  un  état  de  perdition,  il  ap- 
pelle tous  les  autres  vices  que  ce  malheu- 
reux a  parcourus,  et  les  prie  de  venir  l'aider 
à  le  conduire  à  Malle-Fin.  Tendresse,  Oy- 
sance,  Rébellion,  Folie,  Houlerie,  Hoquéle- 
rie,  Vaine-Gloire,  Désespérance  et  Mallc- 
Mesehance  accourent  à  la  voix  de  Larcin;  et 
après  qu'ils  ont  entouré  et  lié  de  chaînes  Le 
.Mal-Advisé,  Larcin  commence  une  marche 
enchantant,  et  les  autres  le  suivent. 

(Adonc  font  une  dance,  et  commence,  et  dit  te  Chante- 
Pleure,  et  les  autres  disent  comme  luy.) 

LARRECIN. 

Mal-Advisé,  Mal-Advi?é, 
Ta  as  en  ton  chemin  trouvé 
Poureté  et  Malle-Mescliance 
Tu  souloyes  est  bien  prisé, 
Or  es  niéschant  et  desguisé» 
Et  n'a  plus  mille  chevànçe 
C'est  le  chemin  d'Oysiveté, 
Qui  t'a  mené  à  Poureté, 
Et  à  Malle-Meschance. 

«  De  celle  façon  ils  le  conduisent  a  Mau- 
vaise-Honte, qui  le  resserre  encore  de  ses 
liens,  et  ordonne  à  Désespérance  d'en  avoie 
soin.  » 

HONTE. 

Désespérance,  prens  ta  corde, 
Et  le  me  lie  bien  et  fort  ; 
Gouverne  le  jusques  à  la  mort , 
Et  gardes  que  s'il  se  repent., 
Que  lu  l'estrangles  à  l'instant. 

(Adonc  Désespérance  le  lie,  et  puis  le  mainent  devant 
Fortune,  et  Bien-Advisé  se  lieve  de  son  Oraison.) 

section  v. 

«  Bien-Advisé  ayant  fini  sa  prière,  s'aban- 
donne de  plus  en  plus  à  sa  charitable  con- 
ductrice (132),  qui  le  mène  à  Chasteté,  de  là 
à  Abstinence,  ensuite  à  Obédience,  après 
quoi  elle  le  fait  monter  au  séjour  de  Dili- 
gence: cette  vertu  l'exhorle  à  voir  Patience; 
Bien-Advisé  lui  obéit,  et  promet  une  en- 
tière soumission  à  celte  dernière  :  en  la  quit- 
tant il  va  trouver  Prudence.  La  consolation 
qu'il  reçoit  de  ses  avis,  lui  fait  oublier  tou- 
tes les  peines  qu'il  a  essuyées,  et  il  est  en- 
chanté de  sa  sagesse. 

BIEN-ADVISÉ. 

Saincle  Marie  aue  lu  es  saige  ! 

«  La  Prudence,  qui  le  trouve  digne  u  êtru 
présenté  à  l'Honneur,  appelle  toutes  ses 
compagnes,  qui  sont  les  vertus  que  le  Bien- 
Advisé  a  suivies,  et  les  invite -à  l'accom- 
p  igner  pour  conduire  leur  disciple  au  trône 
do  l'Honneur. 


(131)  Caché. 


(132)  C'est  la  Confession. 


£09 


in. 


D1CTIO.VNA1BE  DES  MYSTERES. 


Bill 


210 


\Adonc  maillent  Bien-Advisé  à  Honneur  en  chantant 
Yeni  Creator.) 

«L'Honneur  reçoit  Bien-Advisé,  et  comme 

re  dernier  lui  témoigne  avoir  envie  de  voir 
ia  roue  de  la  Fortune,  il  le  lui  permet,  et 
lui  enseigne  le  chemin  pour  y  arriver,  per- 
suadé que  celte  vue,  bien  loin  de  le  sé- 
duire, ne  servira  qu'à  augmenter  le  mérite 
de  ses  bonnes  œuvres.  » 

{Mono  Bien-Advisé  s'en  va  à  Fortune.) 

SECTION    VI. 

«  Bien-Advisé,  en  arrivant  est  étonné  de 
la  Dgure  emblématique  de  la  Fortune,  et  lui 
en  demande  l'explication. 

BIEN-ADVISÉ 

Dame,  or  enlcns  ma  répliqua 
Tu  as  ang  visage  angéiique, 
El  l'autre  est  espovantable  ; 
L'autre  est  bel,  gracieux,  et  frique 
L'autre  est  pire  que  ung  Basilique 
De  la  moitié,  et  plus  doubtablc  ; 
C'est  une  chose  esmerveillable  ; 
Si  le  supply,  dy-moy  sans  table, 
Que  telle  chose  signifie? 

«  L:\  Fortune,  qui  ne  veut  point  tendre  de 
pièges  au  Bien-Advisé,  lui  rend  la  raison,  de 
banne  foi,  des  deux  visages  qu'elle  présente 
aux.  mortels.  Pendant  ce  temps-là,  Mal-Ad- 
visé,  conduit  par  Désespérance,  veut  tenter 
aussi  la  roue  de  In  Fortune;  mais  cette  der- 
nière les  fait  retirer  l'un  et  l'autre,  pour 
faire  i  lace  à  quatre  hommes  qu'elle  veut 
favoriser. 

{Adonc  viennent  tes  quatre  Hommes,  qui  signifient  les 
quatre  Estais  du  monde  ,  lesquels  sont  appelez  le 
premier  je  régnera?  ,  le  deuxième,  je  règne  ,  le  , 
tiers,  j'av  régné  ,  et  le  quart ,  je  slis  sans  règne 
et  puis  sont  desclairez  en  Latin  ,  en  ce  vêtit  verse 
qui  s'ensuit.) 

(Rcgnabo,  Regno,  llegnavi ,  sum  sine  Regno.) 
«  Ces  quatre  hommes  sont  portés  alterna- 
tivement, tantôt  en  haut,  et  tantôt  en  bas. 
Lorsque  ce  jeu  a  duré  quelque  temps,  For- 
tune prend  Regnavi  et  Sine-Regno,   et    les 
précipite  de  sa  roue.  Ces  deux  personnages 
se  voyant  sans  espoir  d'y  remonter,  vomis- 
sent mille  injures  contre  celte  inconstante, 
qui,  sans  s'en  embarrasser,  prend  Rcgnabo 
t-t  Regno  sous  sa   protection.  Bien-Advisé, 
qui  voit  le  désespoir  de  Regnavi  et  de  son 
malheureux  compagnon,   s'approche  d'eux, 
et  leur  conseille  de  ne  point  briguer  davan- 
tage des  faveurs  auxquelles   ils  ne  peuvent 
plus  prétendre;  mais  d'aller  trouver  la  Con- 
fession, qui   les  recevra,  malgré  leur  dis- 
grâce. Ces  deux  infortunés  se    rendent  aux 
avis  de   Bien-Advisé,  qui  les  conduit  à  la 
Confession. 

Adonc  te  conressent ,  et  en  la  fin  les  absout,  et  de- 
meurent là.) 

«   Désespérance  emmène  le  Mal-Advisé, 

qui  n'a  pas   été  mieux  traité  de  la  Fortune 
que  les  deux  autres,  et  le  conduit  à  Malle- 


Fin.  Cette  furie  infernale  lui  demande  s'il 
se  repent  d'avoir  suivi  le  chemin  par  où  il 
vient  de  passer.  «  Non,  »  répond  Mal-Advisé. 
—  «  Cela  étant,  réplique  Malle-Fin,  je  vous 
«  reçois  à  ma  suite.  » 

(Notez  que  Malle-Fin  doit  avoir  grandes  mammclles 
comme  une  Truye,  et  y  doit  avoir  beaucoup  de  petits 
Diabletons  qui  la  suivent  tout  ainsi  comme  les  petits 
Cochons  suivent  leur  mère.) 

«  Au  bout  de  quelque  temps,  Malle-Fin 
demande  encore  à  Mal-Advisé  s'il  est  tou- 
jours dans  la  même  intention.  «  Oui,  »  ré- 
pond-il. Aussitôt  la  Furie,  profitant  de  cet 
instant  fatal,  le  lue 

(Adonc  Malle-Fin  occist  Mal-Advisé  ,  et  puis  Mai- 
Advisé  se  doit  mettre  en  guise  de  Ame  (153.) 

«  Fortune,  s'étant  divertie  quelque  temps 
de  Rcgnabo  et  de  Regno,  les  fait  tomber  du 
haut  de  sa  roue;  les  vices  que  nous  avons 
nommés  ci-dessus  les  reçoivent  et  les  con- 
duisent à  Malle-Fin,  qui,  pour  donner  quel- 
que consolation  à  Mal-Advisé,  lui  ordonne 
de  tuer  ces  derniers;  ce  qu'il  exécute  avec 
une  joie  extrême. 

(A donc  s'en  vont  tous  chantant  à  Malle-Fin,  et  doi- 
vent être  quatre  Diables  en  forme  de  petits  en  fan  s, 
et  prennent  chacun  Malle-Fin  leur  mère,  en  leur 
esjoûissant.) 

«  Ces  petits  diablotons  courent  après  les 
âmes  de  Rcgnabo,  de  Regno  et  de  Mal-Ad- 
visé, qui  fuient  de  tous  côtés  pour  éviter 
leur  persécution  et  leurs  hurlements  ;  les 
diablotons  les  poursuivent  toujours,  et  cela 
forme  un  jeu  de  théâtre  assez  plaisant.  » 

(Adonc  Hz  s'enfuient  tous  en  criant,  Hélas!  et  les 
petits  Diables  vont  après,  faignant  les  prendre.) 

SECTION    VH. 

«  Les  diablotons,  ias  de  ce  jeu,  se  sai- 
sissent tout  de  bon  des  âmes  des  trois  Mal- 
Ad visés,  et  les  amènent  aux  portes  des 
enfers. 

(Adonc   les  grands  Diables  les  emportent  en  faisant 
grant  joue.) 

«  Démon,  Sathan,  Léviathan  et  Bélial  s'a- 
vancent, et  recevant  des  mains  de  Malle-Fin 
et  de  ses  suppôts  les  âmes  des  Mal-Advisés, 
les  conduisent  en  triomphe  aux  enfers. 

(Adonc  les  Diables  mainenl  ycelles  Ames  en  Enfer,  et 
devez  noter  qu'il  doit  estre  en  manière  de  cuisine 
comme cheuz  ung  Seigneur,  et  doit  illec  avoir  Ser- 
viteurs à  la  mode.  El  doit-on  là  fuire  grant  lem- 
pesles,  et  les  Ames  doivent  fort  crier  en  quelque  tiiu 
que  l'on  ne  les  voye  point;  et  les  Diables  qui  vien- 
nent à  tous  les  Ames,  doivent  faire  la  révérunce  à 
Lucifer,  en  disunt.) 

DÉMON. 

Alton,  tous  d'une  randour 
Et  couron  tous  d'une  aleure 
Par  révéranee  et  honnour, 
Courre  sus  à  nostre  Seigneur. 

(Adonc  les  Diables  queurent  sur  Lucifer,  et  le  butent.) 

«  Lucifer,  après  avoir  remercié  les  dé- 
mons, leur  ordonne  de  traiter  ces  nouveaux 


(135)  Mal-Advisé  quitte  icy  ses  habillements,  et      était  couvert  depuis  le  sommet  de   la  tète  jusqu'aux 
paroil  sous  la   forme  d'une  ànie,  que  nos  anciens      pieds.  Ce  voile  était   blanc  pour  les  âmes  bienheu- 
•'présentaient  par  un    grand  voile,    dont   l'acteur 


pieds.  Le  voile  était   blanc  pot 

reuses,  et  noir  ou  rouge  pour  celle  des  damnéi 


211 


Bit: 


DICTIONNAIRE  DES  AUSTERES. 


BLA 


,212 


venus  du  mieux  qui   leur  sera  possible.  Ces 
malins  esprits  se  disposent  a  obéir. 

(Adonc  chacun  face  son  office,  et  boutent  la  table ,  et 
frappent  sur  la  table  d'ung  bastun,  et  devez  sçavoir 
que  la  table  doit  être  noire ,  et  la  nappe  peinte  de 
rouge.) 

«  Lorsque  l'on  a  dressé  la  table,  on  fait 
asseoir  les  trois  convives  en  celte  sorte  : 
Regno  est  placé  à  un  bout,  Mal-Advisé  en- 
suite, et  Regnabo  à  l'autre  bout;  après  quoi 
on  les  sert. 

(Adonc  viennent  les  Serviteurs  avecques  viandes,  et  en 
lieu  d'instrument  infernaulx ,  tous  les  Dyables 
crient  à  haulle  voix.) 

LES   DYABLES. 

Saulce  d'Enfer,  Saulce  d'Enfer, 
Aux  Serviteurs  de  Lucifer. 

«  Après  cette  musique  infernale,  on  ap- 
porte les  viandes. 

(Adonc  Satltan  vient,  lequelle  apporte  de  la  Saulce 
noire  en  ung  vaisseau  que  les  petits  Serviteurs  de 
Sàthan  portent.  —  Adonc  mettent  grande  abon- 
dance de  souffre  sur  les  plats  ,  et  sur  les  gobcletz, 
tellement  que  quant  Hz  boivent,  il  semble  que  tout 
bruste.) 

«  Comme  ces  mets,  ainsi  que  es  assai- 
sonnements qu'on  y  vient  de  mettre,  ne 
plaisent  point  aux  Mal-Advisés,  les  démons 
les  font  boire  et  manger  par  force;  et  à  la 
fin  ils  jettent  ce  qui  reste  sur  eux. 

(Adonc  tous  les  Diables  renversent  la  table,  et  tout  ce 
qui  est  dessus  par  dessus  les  poictrines  des  Mal- 
Advisez ,  et  les  Diables  facent  gratis  criz  et  grans 
tempestes.) 

«  Ensuite  ces  malins  esprits  les  font  en- 
trer dans  le  profond  des  enfers,  parla  gueule 
du  dragon,  qui  en  représente  l'entrée.  » 

(Adonc  les  Diables  font  une  grande  tempeste,  et  un 
granl  bruyt,  en  les  tourmentant,  et  desrompant.) 

SECTION   VIII. 

Confession,  désirant  conduire  ses  deux 
nouveaux  disciples  à  Bonne-Fin,  Tes  fait 
passer  par  Espérance  et  Pénitence.  Cette 
dernière  leur  fait  essuyer  sa  rigueur  ordi- 
naire ;  et  la  charité  de  Bien-Advisé  l'oblige 
à  partager  encore  une  fois  cette  correction 
avec  ses  camarades. 

(Adonc  Pénitence  les  bat  de  verges;  et  puis  les  muine 
par  la  haye  :  El  quant  Hz  sont  au  bout  de  la  liage, 
Hz  se  tournent  par  Pénitence.) 

«  Ils  la  remercient  bien  humblement, 
montent  ensuite  au  trône  d'Honneur,  et 
viennent  enfin  rendre  l'esprit  aux  pieds  de 
Bonne-Fin,  en  recommandant  leurs  âmes  à 
leur  Créateur,  qui  les  accepte,  et  ordonne  à 
ses  anges  de  les  lui  amener.  Michel,  Gabriel, 
Raphaël  et  Uriel  obéissent  aussitôt  à  ce  com- 
mandement, et  conduisent  ces  bienheureu- 
ses âmes  au  ciel,  en  chantant  lste  confessor  ; 
et  tous  les  esprits  célestes  témoignent  leur 
joie  par  des  cantiques. 

(Adonc  dansent  les  Ames  de  Paradis  toutes  ensemble, 
et  chantent  Veni  Creator,  et  les  Diables  font  grans 
tour  meus  en  Enfers  [154].) 

(134)  La  vue  de  ces  deux  fêtes,"  dont  ie  sujet  est 
si  contraire,  devait  présenter  un  spectacle  des  plus 


«  Le  spectacle  fini ,  Bonne-Fin  s'avance 
sur  le  bord  du  théâtre,  et  exhorte  l'assem- 
blée à  profiter  du  triste  exemple  des  Mal- 
Advisés,  et  à  suivre  celui  des  Bien-Advisés, 
uui  les  a  conduits  au  paradis.  Elle  finit  ainsi  : 

BONNE-FIN. 

Faison  comme  eulx  sans  fainlise, 
Et  icy  ne  séjournon  plus  ; 
Allons  tous  ensemble  à  l'Eglise 
Chantant  Te  Dettm  laudamus. 

(Cy  finist  le  Mystère  de  Bien-Advisé ,  et  Mal-Advisé. 

BLASPHEMATEURS  (Les).—  On  ne  con- 
naît pas  de  manuscrit  des  Blasphémateurs. 
L'édition  dont  il  est  venu  un  exemplaire 
jusqu'à  nous,  est  du  xvie  siècle;  et  rien  ne 
prouve  que  le  drame  soit  antérieur  ;  peut- 
être  les  frères  Parfait  ont-ils  commis  une 
sorte  de  légèreté  à  en  fixer  la  date  à  l'an 
1502,  nulle  preuve  n'accompagnant  cette 
opinion. 

La  première  mention  s'en  trouve  dans  Ant. 
Duverdier.  (Bibliothèque  françoise;  Lyon, 
B.  Honorât,  -1583,  in-t'ol.,  p.  139.)  De  Beau- 
champs  (  Recherches  sur  les  théâtres  de  France 
depuis  1 161  ;  Paris,  Prault,  1735,  \n-k°,  part,  i, 
p.  102),  et  les  h  et  es  Parfait  (Hist.  du  théât. 
fr.:  Paris,  1745-1749,  15  vol.  in-12,  t.  ill, 
p.  104)  répétèrent  la  note  de  Duverdier.  Eu 
1772,  B.  de  La  Monnoye,  dans  une  note  de 
l'édition  des  Bibliothèques  françoises  de  La- 
croix du  May rte  et  de  Duverdier,  donnée 
par  Rigoley  de  Juvigny  (t.  III,  p.  273), 
ajouta  quelques  vagues  explications  qui 
n'affirment  pas  qu'il  eût  eu  la  Moralité  des 
Blasphémateurs  entre  les  mains.  Acheté  eu 
1793  par  M.  le  curé  de  Monville,  l'unique 
exemplaire  qu'on  en  connaisse,  fut  acquis 
en  1818  par  la  Bibliothèque  royale.  La 
Société  des  bibliophiles  français  fit,  en  1820, 
dans  le  premier  volume  de  ses  Mélanges,. 
mais  seulement  au  nombre  de  trente  exem- 
plaires pour  ses  membres,  une  réimpression 
fac-similé,  défigurée  par  une  nouvelle  ponc- 
tuation, des  accents  et  d'autres  petits  chan- 
gements. L'année  suivante,  Dibdin  en  donna 
des  extraits.  (A  bibliographical,  anliquarian 
and  picturesque  tour  in  France  and  in  Ger-> 
manij  ;  Lond  ,  1821,  3  vol.  gr.  ii;-8°,  I.  II, 
p.  302-310;  traduit  en  1825,  Voyage  biblio- 
graphique, etc.;  Paris,  Crapelet,  1825,  4  vol. 
in-8°cf.t.  III,  p.  320-328.)  En  1831,  M. le  prin- 
ce d'Essling  en  fit  faire,  dans  l'imprimerie  de 
Crapelet,  et  sous  la  direction  du  savant  li- 
braire et  bibliographe  Silvestre,  une  réim- 
pression fac-similé  que  l'on  tira  à  quatre- 
vingt-dix  exemplaires  seulement,  dontqualre 
sur  vélin  et  quatre-vingt-six  sur  papier  de 
Hollande.  Leformatdecettedernière édition, 
comme  celui  de  Mundus  ou  de  la  Vendilion 
de  Joseph,  est  un  in-4°  long,  dont  on  ne 
connaissait  encore,  il  y  a  vingt  ans,  que  cinq 
types;  c'est,  en  effet,  le  format  de  I  édition 
princeps,  composée  de  cinquante-deux  feuil- 
lets. Enfin  en  1837,  M.  0.  Leroy  a  donné, 
dans  ses  Eludes  sur  les  mystères  (Paris,  in-8°, 

complets  ;  et  était  fort  propre  au  dessein  de  ces  sor- 
tes de  représentations. 


913 


BEA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RE  A 


214 


p.  365-372),  une  analyse  trop  incomplète  de 
ve  très-curieux  drame,  pour  que  nous  pus- 
sions nous  en  contenler. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  :  Moralité  très 
singulière  et  1res  bonne  des  blasphémateurs  du 
nom  de  Dieu:  ou  sont  contenus  plusieurs 
exemples  et  enseignements  alenconlre  des 
tnaulx  qui  procèdent  a  cause  des  grans 
iuremens  et  blasphèmes  qui  se  comcttenl  de 
iour  en  iour  et  aussi  que  la  coustume  n'en 
rault  ries  et  qvfilz  finent  et  pueront  très  mal 
s'ilz  ne  s'en  abstinent.  Et  est  la  dicte  moralité 
a  dixsept  personnaiges :  dont  les  noms  sen- 
suyuent  cy  après.  —  Et  premièrement  Dieu, 
le  Crucifix,  Marie,  Séraphin,  Chérubin, 
l'Eglise,  la  Mort,  Guerre,  Famine,  le  Blas- 
phémateur, Te  Négateur,  l'Injuriateur,  Brieltc, 
le  Filz  de  l'Injuriateur,  Salhan,  Behemoth, 
Lucifer. 

Le  prologue  de  ce  long  ouvrage  en  expli- 
que le  but  dans  des  termes  qui  ne  man- 
quent ni  de  grâce,  ni  d'élégance  et  où  respire 
une  solide  piété; 

Noslre  Entendit  et  vouloir  principal 

Est  d^  monstrer  a  tous  humains  pécheurs 

Liuiquite  icy  en  gênerai 

Que  l'ont  vers  Dieu  les  faulx  Blasphémateurs, 

Et  advenir  que  tous  diffamateurs 

Sont  en  dangier  de  rendre  leur  espent, 

Dedans  enfer  en  ténèbres  et  pleurs, 

A  Lucifer  qui  a  ce  les  induit; 

Mais  touteffois  nul  ne  peult  faire  fruict 

De  luy  mesmes  :  ne  avoir  efficace 

Du  mérite  ;  car  sainct  Bernard  le  dict. 

Sans  le  moyen  de  la  mère  de  grâce, 

Qui  a  vertu  et  pouvoir  et  audace 

Dayde  et  secours  en  tribulation 

Dont  chascun  doibt  aller  devant  sa  face 

Très  humblement  en  collaudation 

Car  elle  vainquit  par  domination 

La  malice  de  Pennemy  Sathan. 

«  Notre  intention  et  notre  vouloir  principal 
est  de  montrer  à  tous  les  pécheurs  d'ici-bas 
l'immense  iniquité  qee  commettent  contre 
Dieu  les  faux  blasphémastenrs  ;  c'est  aussi 
d'avertir  tous  ces  diffamateurs  du  danger  où 
est  leur  unie  de  tomber  en  enfer,  parmi 
les  ténèbres  et  les  pleurs,  entre  les  mains 
de  Lucifer  qui  les  pousse  à  leur  crime  : 
enfin  nul  ne  peut  rien  faire  de  soi-même, 
nul  n'a  do  puissance  réelle  sans  le  moyen 
de  la  Mère  de  grâce,  selon  le  mot  de  saint 
Bernard.  C'est  elle  seule  qui  a  la  force,  le 
pouvoir  el  l'oser,  qui  peut  donner  aide  et 
secours  dans  les  tribulations.  Aussi  chacun 
doit-il  se  présenter  devant  elle,  très-hum- 
blement, en  chantant  ses  louanges,  car  elle 
seule  vainc  el  réduit  la  malice  de  l'ennemi 
Sathan. 

Lucifer  enlre  en  scène  ;  il  gourmande 
l'enfer  : 

Haro!  haro!  haro!  jonraige  ! 
Haro!  diables  peliz  et  grans! 
Mourir  puissez  de  malle  raige 
Ou  estez  vous  meschans  truans 
Haro!  ou  sont  tous  ces  bilans?... 

Les  démons  accourent  et  se  justifient  ; 
Lucifer  les  envoie 

par  monset  par  vau.'x 
Faire  iurer  le  nom  de  Dieu.... 


A  ce  moment,  ie  Blasphémateur  el  le  lie- 
gnieur  (ou  Négateur)  paraissent  proférant 
d'abominables  paroles  :  Briette,  femme  du 
Blasphémateur,  et  VInjuriateur  se  joignent  à 
eux  :  ils  s'entrebaltent  d'abord,  puis  se  ré- 
concilient ie  verre  en  main,  dans  une  ef- 
froyable orgie.  L'Eglise  contemple  avec 
douleur  ce  spetacle  hideux  que  donnent  en 
tous  les  temps  les  perverses  passions  hu- 
maines 

0  misérable  créature 

Dy  moy  pourquoy  ta  langue  jure 

Ton  Dieu  qui  tant  de  biens  le  baille... 

Amende  que  loi  ne  tasaille 

Le  grant  diable... 

Non  minus  peccrint 
Qui  Deum  blasphémant 
Regnantçm  in  oœlis 
Quant  çrucifigentes 
Eum  in  terris... 

La  Guerre,  la  Famine,  la  Mort  s'appro- 
chent sans  être  vues  et  s'asseoient  attristées 
au  milieu  d'eux  ;  mais  l'enfer  implacable  ex- 
prime sa  joie  profonde  dans  les  plus  terri- 
bles imprécations  : 

Chascun  de  nous  doit  estre  denegateur 
Du  Roy  des  Roys  qui  se  nomme  Jésus  : 
Jurez  a  tort  sans  en  faire  reffus 
Comme  hardiz  fors  et  audacieux 
Jurez  celuy  qui  fist  terres  et  nus  (nues), 
Jurez  le  sang  de  Jésus  precieulx, 
Jurez  la  mort  jurez  la  passion... 
Jurez  le  nom  du  hault  Dieu  glorieulx, 
Jurez  celui  qui  a  crée  les  cieulx, 
Jurez  le  sang  de  Jésus  precieulx... 

Ainsi  se  termine  la  première  partie,  ou 
ce  qu'on  pourrait  appeler  le  premier  acte  du 
mystère. 

Au  second  acte,  Dieu,  le  Crucifix,  Marie  et 
VEglise  tentent  de  sauver  de  l'éternelle,  dam- 
nation les  trois  pécheurs  endurcis,  mais  au- 
cun d'eux,  ni  le  Blasphémateur,  ni  le  Néga- 
teur, ni  l'Injuriateur,  ne  vient  à  résipi- 
scence; bien  au  contraire,  ils  s'emparent 
du  crucifix  descendu  des  cieux  et  assis 
dans  une  petite  église  voisine  sous  la  figure, 
d'un  homme,  ils  dépouillent  ce  symbole 
vivant,  il  le  mettent  en  croix.  La  scèno 
de  la  Passion  se  reproduit,  telle  qu'on  la 
retrouve  antérieurement  dans  les  fameux 
mystères  des  Gresban  et  de  Jehan  Michel,  et 
non  sans  une  certaine  analogie  avec  le  mys- 
tère de  la  sainte  Hostie.  Mais  la  vengeance 
divine,  malgré  les  cirorlsdela  sainte  Vierge 
Marie,  s'appesantit  sur  les  forfaiteurs,  et  ses 
coups  redoutables  vont  remplir  la  troisième 
partie  de  ce  drame  lugubre. 

La  Guerre,  la  Famine  et  la  Mort  sortent 
de  l'enfer  et  réapparaissent  : 

I.A    GIJF.IUIE. 

Quand  iai  mes  armes  et  ma  lance 
Mon  arc,  mes  llescheset  ma  trousse 
Jeu  feray  si  bien  la  vengeance 
Oui  n'y  aura  homme  qui  tousse, 
.h"  leur  donray  mainte  secousse 
Eung  iour  a  pied  (autre  à  cheua1 
O'i'ilz  se  tapiront  sous  la  mousse  , 
Tmt  les  pourchasscray  de  mal, 
Jj  iray  amont  ie  iray  auâl, 


21! 


BLA 


DICTIONNAIRE  DES  MÏSTEKES 


BOD 


216 


Tant  qu'il  n'y  aura  chastelin 

Que  ce  ne  face  mon  vassal 

Et  subgit  (sujet)  comme  unq  villain. 

\   FAMINE. 

De  brief  ayronl  dcsroy  de  pain, 
Puis  quil  conuient  que  ie  mv  mesle; 
Car  des  bleds  iestaindray  le  grain, 
Et  sèmera  y  purée  et  nesle 
Je  feray  venir  pluve  et  gresle 
Quand  les  arbres  deburont  flourir, 
Et  mesleray  tout  peslemesle 
Tant  que  les  fruictz  feray  mourir. 

LA    MORT. 

Vous  voiriez  sur  le  pays  courir 
Air  infaicl  et  mortalité, 
Fiebure,  langueur,  pour  acquérir 
Les  vices  et  iniquités... 

À  l'approche  des  fléaux  destructeurs,  le 
Blasphémateur  s'émeut  ;  il  demande  trois 
ibis  de  suite:  «  Que  sont  ce  la?»  Il  hésite- a 
s'armer.  Mais,  dans  le  cœur  dépravé  de  sa 
femme  existe  encore  ie  sentiment,  obscur 
il  est  vrai,  de  la  patrie;  c'est  elle  qui  jette 
le  cri  de  guerre  et  d'alarme  : 

Vrayement  len  vous  debueroit  blasmcr 
Cy  vous  ne  prenez  la  defl'ence, 
Aussi  seroit  pour  diffame! 
Trestout  le  royaulme  de  France... 

Un  affreux  combat  commence  entre  tous 
ces  éléments  discordants  ;  le  Blasphémateur, 
le  Regnieur,  et  VInjuriateur  sont  vaincus, 
la  Guerre  s'empare  du  Blasphémateur,  la 
Famine  du  Regnieur,  la  Mort  de  Vlnjuria- 
teur :  Uends-tui,  malheureux,  dit  la  Famine 
au  Regnieur, 

Rens  toy  malbeureulx  a  famine, 

Qui  maintenant  te  lient  au  cueur, 

A  la  gorge,  a  la  poitrine, 

Dont  tu  mourras  a  déshonneur, 

Infâme  villain  regnieur 

De  la  saincte  divine  essence, 

Et  des  diables  inuoeateur. 

En  toy  il  na  point  de  deffense. 

Tu  souloys  auoir  affluence 

Des  biens  mondains  pour  te  repaistre, 

Dont  tu  auras  grant  indigence  ; 

De  menger  tu  le  doibs  congnoistre 

Fils  de  Dieu  nés  pas  mais  auoistre, 

Car  celuy  tu  regnis  a  plani 

Qui  a  son  semblant  te  lit  estre 

Comme  vertueulv  et  humain, 

Car  ie  te  dy  pour  tout  certain 

Que  ung  tëi  vil  pécheur  n'est  pas  digne 

De  gouster  ne  menger  du  pain 

Qui  vient  de  la  vertu  divine. 

Tu  mourras  par  vifue  famine 

Sans  veoir  de  pain  croiste  ne  mye, 

Et  puys  descendras  en  ruyne 
Dedans  Enfer... 

Avant  la  fin  du  combat,  Briette  et  le  fils  de 
l'Injuriateur  se  sont  enfuis  ;  quelques  mois 
que  nous  allons  citer,  mis  par  Je  poète  sur 
les  lèvres  de  ce  dernier,  nous  révèlent  très- 
certainement  le  lieu  de  la  naissannee  de 
l'auteur  inconnu  des  Blasphémateurs  du  nom 
de  Dieuj 

Je  men  voys  en  une  aultre  terre 
Plus  vivre  icy  ie  ne  pourroys 
Car  la  famine  mort  et  guerre 
Confondent  nobles  et  bôurgedys 


Adiec  Normemjie  ie  men  voys 
De  pacur  que  ie  ne  sois  souprins 
Je  men  voys  vivre  o  les  francoys 
Boyre  dautant  de  ces  bons  vins... 

Le  dénouement  de  cette  action  étrange, 
est  tel  qu'on  le  peut  déjà  prévoir  :  le  Blas- 
phémateur, le  Regnieur  et  l'Injuriateur  pé- 
rissent dans  l'impénitence  finale,  et  tombent 
au  pouvoir  de  l'enfer;  mais  à  ce  moment 
extrême,  au  milieu  des  tourments,  ils  im- 
plorent l'Eglise,  qui  les  absout. 

l'église. 

Sainct  Luc  nous  dit  certainement 
Que  quant  ung  pécheur  se  desuoyo^ 
Prenant  en  luy  ropentement 
Que  tout  le  ciel  si  en  faict  ioye 
Je  tabsoudz  donc  cesl  chose  vraye 
De  tous  les  crimes  et  abus 
Et  aflîn  que  exaulce  se  soyt 
Chanlon  Te  Deum  Laudamus. 

Cy  (inist. 

BODEL  (Jean).  —  Jean  Bodel  ou  Bodians, 
poêle  de   la  fin   du  xu"  siècle,   originaire 
d'Arras,  prédécesseur  d'Adam  de  Le  Halle, 
n'est  connu  que  par  quelques  détails  qu'il 
donne  sur  lui-même  dans  une  pièce  de  vers 
adressée   à   ses  compatriotes,  intitulée   Li 
congiès  Adam,  et  publiée  en  1808  [Fabliaux 
et    Contes,   édit.    de  Méon,  Paris,   Warée, 
1808,  iu-8°,  t.  1er,  p.  108).  Il  parait  qu'attaqué 
de  la  ladrerie,  il  fut  obligé "de^ortir  de  la 
ville.  Séquestré  au  monde,  Jean  Borel  des- 
cendit tout  vivant  dans  la  tombe  ;  on  ne  sait 
plus  lien  de  son  soit.  (Cf.  Paulin  Paris,  art. 
Jean  Bodel,  dans  YHist.  liltér.de  la  France; 
Paris,  in-4",    13i2,   t.  XX,  p.  605-638.)    Le 
Jeu  de  saint  Nicolas,  dont  il  est  l'auteur,  est  la 
principale  et  la  plus  incontestable   produc- 
tion de  ce  poêle.  Il  a  mis  en  scène  un  mys 
1ère    attribué    à  saint  Nicolas,    évoque    de 
Myre,  dont  la  vie  est  si  répandue  et  si  cu- 
rieuse. Un  Siècle,  avant  lui,  Hilaire,  disciple 
d'Abélard,   et  un  moine  inconnu  de  Saint- 
Benoît-sur-Loire,  avaient  emprunté  à  la  vie 
du  même  saint  le  sujet  de  plusieurs  drames 
religieux,  et   le  miracle  de   la  statue  avait 
ainsi,  déjà  deux,  fois  au   moins,  défrayé  la 
curiosité  du    moyen-âge.   Selon  M.  IWonl- 
nierqué  (Théâtre  fr.    au   moyen  âge;  Paris, 
1839,  gr.  in-8%  p.  159),  Jean  Bodel   aurait 
transporté  ces  scènes  édifiantes  de  l'obscur 
sanctuaire  des  églises  dans  les  villes  et  dans 
les  manoirs  à  tourelles  des  seigneurs   chA- 
lelains,  d'où  se  serait  conservé  jusqu*à   nos 
jours,  dans  les  cités  de  l'ancien  Artois,  l'u- 
sage de  ces  pieuses  représentations.  Il  eût 
été  plus  juste  de  dire  que  le  poêle,  en  vul- 
garisant en  langue  française  du  temps  les 
pièces  latines  antérieures,. n'avait  fait  que 
rejeier  au  milieu  «les  masses  les  traditions 
sacrées  non  moins  populaires  en  latin  dans 
le  siècle  précédent  ;  car  le  théâtre,  en  faveur 
dans  tous  les  centres  de  population,  et  mis 
par  l'Eglise,  soit  dans  les  plus  riches  cathé- 
drales, soit  dans  les  plus  obscures  abbayes, 
à  la  portée  des  masses,  n'acquit  pas  un  spec- 


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DICTiOSNAiRE  LES  M  Y  S'IL  11  LS. 


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tati'isr  pour  être  transporté  dans  les  manoirs. 
Le  lieu  de  la  scène  et  l'importance  de  l'ac- 
tion sont  plus  considérables  dans  le  poète  du 
xin"  siècle  que  dans  ses  prédécesseurs;  on 
y  sent  l'influence  des  croisades;  les  détails 
des  irrœurs  y  sont  infiniment  précieux  ;  des 
formules  singulières,  écrites  peut-être  en 
une  langue  qui  reste  inconnue,  et  analogues 
à  celles  du  miracle  de  Théophile,  donnent 
à  (telle  œuvre  une  originalité  particulière, 
mais  de  peu  de  profit  pour  l'histoire.  Les  allu- 
sions aux  malheurs  tout  récents  de  la  pre- 
mière croisade  sur  saint  Louis,  et  à  la  mort 
des  Chrétiens  tués  en  Afrique,  en  combattant 
au  nom  de  la  religion  pour  la  conquête  de 
Jérusalem  et  des  lieux  saints,  que  préten- 
dait rencontrer  M.  Onésime  Leroy  [Etudes 
sur  les  mystères;  Paris,  1837,  p.  24),  n'ont 
pu  soutenir  la  critique.  «Le  Grand  d'Aussy, 
a  dit  M.  Paulin  Paris,  avait  donné  un  extrait 
assez  inesact   du  Jeu  de  saint  ISicolas  ;  et, 


depuis,  M.  O.  Leroy  en  a  signalé  l'impor- 
tance et  fait  connaître  les  différents  mériles 
dans  un  ouvrage  estimé.  Une  seule  préoc- 
cupation, le  désir  d'y  retrouver  la  description 
de  la  bataille  de  la  Masseur,  a  légèrement 
déparé  ces  utiles  recherches:  Boiel  écrivant 
à  la  (in  du  xne  siècle,  ne  pouvait  rien  avoir 
de  cotomun  avec  Robert  d'Artois  ni  avec  le 
roi  saint  Louis.  »  (Hist.  lit.  de  la  Fr\,  ihid  , 
p.  GV7.1 

BOEUF  (Prose  du).  —  Il  semble  que,  ils 
les  usages  de  la  fêle  des  Fous,  il  ait  existé 
une  prose  du  Bœuf  que  l'on  psalmodiait  le 
jour  de  saint  Jean,  et  qui  a  disparu.  {Théo- 
pltili  liaynaudi  Soc.  Jesu  Theolog.  Opéra; 
Lyon,  Boissat  et  René,  16G5,  in-fol.,  19  vol.  ; 
Heleroelila  spiritualia  et  anornalia  pietalis 
eœlestium  et  infernorum,  Sect.  n,  puuct.  vin, 
§20,  t.  XV,  p.  209.) 

BUHEZ  SANTEZ  NONN.  —  Voy.  Sainte 
Nonne. 


C ALÊNES  (  Les  ).—  La  fête  des  Fous  por- 
tait plus  particulièrement,  à  Marseille,  le 
nom  de  Culènes. 

Dans  une  charte  de  cette  ville  de  l'an  1522, 
ou  remarque  que  la  Noël  était  dite  les  Ca 
tènes;  et  il  était  de  coutume  d'en  célébrer 
la  veille  par  un  repas  somptueux.  Ce  mot 
CaJène  vient-il  de  xaAéu,  voco,  ou  de  xa).sâ>, 
eonvivari,  xi).£<7fi«,  convivium?  C'est  ce  qu'il 
est  difficile  de  décider.  (Du  Cange,  v°Fcstuin 
calendarum.  ) 

CALLIMAQUE. — Ca*Amaque,  écrit  par 
Hrolswilhe,  au  x*  siècle,  et  dont  nous  don- 
nons une  version  nouvelle,  a  été  apprécié 
en  ces  termes  par  M.  Magnin,  son  premier 
traducteur:  «  C'est,  de  tous  les  ouvrages  do 
Hrotswilha,  celui  qui,  par  la  délicatesse 
passionnée  des  sentiments,  l'exaltation  du 
langage  et  le  romanesque  de  la  légende,  so 
rapproche  le  plus  du  drame  de  nos  jours. 
Poésie,  mouvement,  passion,  couleur  géné- 
rale [dus  empreinte  des  idées  germaniques, 
tels  sont  les  caractères  qui  recommandent... 
celte  originale  et  intéressante  production. 
J'ai  rapproché  involontairement  Roméo  et 
Callimaque.it  {Théâtre  de  Urolsvitlia;  Paris, 
18i5,  in-8g,  Préf.,  p.  xliii  et  xlv.  ) 

M.  Patin  a  dit  depuis:  «  Le  commencement 
do  Callimaque  rappelle  le  début  d'JIamlct.  » 
(Journ.  des  Sav.,  1846,  octobre,  p.  002.) 

Dans  celte  forte  ébauche,  divisée  en  deux 
parties  très-distinctes,  dont  l'une  comprend 
les  sept  premières  scènes  et  l'autre  les  cinq 
der mères,  sont  marqués,  en  effet,  avec  une 
grande  puissance,  les  caractères  de  diverses 
passions  humaines.  Dans  la  première  partie, 
l'amour   sensuel,    extrême   et    criminel   de 

(133)  <  L'aventure  romanesque  et  touchante  qui 
fait  le  sujet  de  Callimaque,  est  racontée  dans  le  vm* 
livre  d'un  ouvrage  dont  Fabiieius  a  publié  une  ré- 
daction latine  parmi  1rs  apocryphes  du  Nouveau 
Testament  (Coaicefs    apocryph.    Nov.  Te1: t.  ,   !.   ï] 


Callimaque  contraste  énergiquement  avêcla 
passion  de  Drusiana,  profonde  aussi,  mais 
contenue  par  la  religion  chrétienne  dans  les 
bornes  du  strict  devoir;  dans  la  seconde 
partie,  c'est  le  repentir  de  Callimaque,  du 
l'homme  dont  les  jeunes  ans  ont  reçu  les 
bienfaits  de  l'éducation,  qui  est  mis  en  face 
de  l'impénilence  finale  de  l'esclave  Fortunal. 
Il  y  a  dans  celte  pièce  une  intention  de  mo- 
ralisalion,  marquée  peut-être  par  des  traits 
plus  sévèrement  philosophiques  que  dans 
aucun  autre  ouvrage  du  même  auteur. — 
Voy.  Hrotswithe. 

argument.  —  Résurrection  de  Drusiana  et  de  Callima- 
que.  Drusiana  fui  aimée  non-seulement  vivante,  par  Calli- 
niaque.  niais  même  au  milieu  du  plus  allreux  dé^espo  r, 
dans  l'aveuglement  dune  passion  criminelle,  el  contre, 
toute  honnêteté,  jusque  dans  lo  tombeau,  après  qu'elle 
bit  morte  dans  le  Seigneur  :  ;mssi  Callimaque  péril— il  mi- 
sérablement de  la  morsure  d'un  serpent.  Mais,  grâce  aux 
prières  de  l'apôtre  S.  Jean,  il  fut  ressuscité  avec  Drusiana, 
el  revécut  dans  le  Christ  (155). 

PREMIÈRE  PARTIE. 

PERSONNAGES. 

cai.umaqcë,  jeune  habitant      L'apoire  saint  jkai». 

d'Ephèse.  foitln.t,  esclave  d'4:idro- 

lf.s  amis  de  Callimaque.  nique. 

DIU'SIANA.  DIEU. 

androkiqdi,  mari  de  Dru-       vu  serpent. 
si, .na. 

SCÈNE  I. 

CALLIMAQUE,   SES    AMIS. 

callimaque.  Amis,  j'ai  peu  de  mois  à  vous  dire. 

les  amis.  Autant  (jue  vous  voudrez. 

callimaque.  S'il  ne  vous  déplaît  pas,  je  préfére- 
rais être  à  l'écart  avec  vous,  et  loin  des  importuns. 

les  amis.  Si  cela  vous  est  plus  agréable*  nous 
sommes  prêts. 

c.M.i.iMAyi  E.  Gagnons    un    endroit    moins     fré- 

p.  fii2i  ;  ,,e  veux  paner  de  l'histoire  apostolique 
d'Abdias  ,  premier  évèrpic  de  Habylonc,  ou  d'un 
pscudo-Abdias  ,  traduite  en  latin  par  Jules  Afri- 
cain. >  (M.  Ma.gmm  i 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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quenlé,  atlu  (|iic  :i»l  hilrus  n'interrompe  nies  conti-  <  ai limaqie.  C'est    que     la    fatalité    s'en    nie!  ra 

délices.  (137). 

les  amis.  A  vos  sonliails.  les  amis.  Nous  verrons. 


SCENE  II. 

LIS    PRÉCÉDENTS. 

callimaqle.  Il  va  longtemps  que  je  suis  sous  le 
coup  d'une  profonde  blessure,  el  vos  conseils  pour- 
ronl  la  fermer  peul-èlrc. 

i.f.s  amis.  Certes,  dans  noire  muluelle  sympathie, 
nous  avons  à  supporter  les  uns  el  les  autres  ce  que 
la  fortune  apporte  de  bien  ou  de  mal  à  chacun  de 
nous. 

callimaqle.  Oli  !  Plùl  au  ciel  que  vous  voulussiez 
prendre  une  part  de  mes  maux  en  y  compatissant. 

les  amis.  Quels  ennuis  vous  accablent?  car  s'ils 
sonl  irrémédiables,  nous  les  souffrirons  avec  vous; 
sinon,  nous  ferons  tous  nos  ellorls  pour  distraire 
votre  esprit  d'une  préoccupation  funeslc. 

CALLIMAQLE.    J'aillie. 

les  amis.  Qu'aimez-vous? 

callimaqle.  Une  chose  belle  ,  une  chose  char 
niante 

'.es  amis.  Il  n'y  a  rien  là  qui  dislingue  cette 
chose,  ni  d'une  seule,  ni  de  loules.  Aussi  esi-il 
impossible  de  comprendre  quelle  est ,  parmi  les 
formes  atomistiques,  celle  que  vous  aimez  (130). 

callimaqle.  C'est  une  femme. 

les  amis.  Vous  avez  dit  une  femme;  alors  vous 
les  aimez  loules. 

callimaqle.  Non  pas  loules  en  général,  niais  une 
en  particulier. 

les  amis.  Ce  qu'on  dil  d'un  sujet  n'esl  clair  que 
d'un  certain  sujet:  el  si  vous  voulez  que  nous  con- 
naissions les  attributs,  expliquez-vous  d'abord  sur 
in  substance. 

CALLiMAQLE.  C'est  Drusiana. 

les  amis.  La  femme  du  prince  Andronique? 

CALLiMAQLE.  Elle-même. 

les  amis.  Vous  délirez,  camarade;   elle  est   bap 
lisée. 

cvllimaqie.  El  que  m'importe,  si  je  puis  l'entraî- 
ner dans  ma  passion. 

les  amis.  Impossible. 

callimaqle.  Pourquoi  cette  négation? 

les  amis.  Parce  qu'il  y  a  trop  d'obstacles  à  vos 
désirs. 

callimaqle.  Siiis-je  le  premier  qui  lente  une 
semblable  aventure,  et  mon  audace  n'esl-ellc  pas 
jusliliée  par  de  nombreux  exemples? 

les  amis.  Faites  attention,  frère  :  celle  pour  la- 
quelle vous  brûlez  suit  la  doctrine  de  l'apôtre  S. 
Jean,  el  est  vouée  toute  entière  à  Dieu  ,  à  tel  point 
qu'on  n'a  pu  la  rendre  à  la  couche  nuptiale  d'An- 
dronique  son  mari,  chrétien  très-zèle;  encore  bien 
moins  eédera-l-ellc  à  vos  désirs  frivoles. 

callimaqle.  Je  cherchais  auprès  de  vous  quelque 
consolation,  et  vous  n'enfoncez  dans  mon  âme  que  le 
désespoir. 

les  amis.  Dissimuler,  c  est  tromper  et  flatter;  c'est 
vendre  la  vérité. 

callimaqle.  Puisque  vous  me  redise/,  votre  se- 
cours, j'irai  auprès  de  Drusiana  et  je  répandrai  dans 
son  âme  l'ardeur  persuasive  de  mon  amour. 

les  amis.  Vous  ii'v  parviendrez  pas. 

(I5G)  «  La  docle   religieuse   prèle  ici  au  jeune 

amoureux  el  à  ses  amis  le  jargon  même  de  l'école. 
Ce  langage  sophistiqué  qui  nous  semble  si  pédan- 
lesque,  devait  être  du  meilleur  air  el  un  signe  d'é- 
légance et  de  bon  ton,  à  celle  époque  où  régnait  la 
scolasriqite.  >  (M.  Magnix.) 

(137)  <  Quippe  vetar  fatis....  La  citation  de  Vir- 
gilé  qui  termine  l'entretien  de  ces  étudiants  esl  bien 
dans  le  goût  et  dans  les  habitudes  des  personna- 
ges, i  (w.; 


SCÈNE  III. 

CALLIMAQLE,    DRUSIANA  (138). 

callimaqle.  C'est  à  vous  que  je  parle,  Drusiana, 
à  vous  que  j'aime  de  toute  mon  àme. 

drusiana.  Que  me  voulez-vous,  Callimaque?  vos 
discours,  le  trouble  de  vos  actions,  m'éïonnenl  étran- 
gement. 

CALLIMAQLE.    VoilS  êlCS   SUl'pi  ÎSC 

drusiana.  Certes,  oui. 

callimaqle.  Surtout  de  mon  amour? 

drusiana.  De  votre...  amour?  qu'est-ce? 

callimaqle.  Je  veux  dire  que  je  vous  aime  plus 
que  toutes  choses. 

drusiana.  Quels  sont  les  liens  étroits  du  sang, 
quels  sont  les  nœuds  formés  par  les  lois  qui  vous 
portent  à  m 'aimer? 

callimaqle.  Votre  beauté. 
drusiana.  Ma  beauté 

callimaqle.  Assurément. 

drusiana.  Qu'esl-elle  pour  vous? 

callimaqle.  Hélas?  Bien  peu  de  chose  jusqu'ici, 
mais  j'espère  qu'à  l'avenir  elle  sera  davantage. 

drusiana.  Laissez-moi  !  laissez -moi  !  odieux 
suborneur!  Je  suis  confuse  de  vous  parler  encore; 
je  le  sens,  vous  êtes  rempli  des  ruses  du  démon. 

Cm.i.imaqi  f... Ma  Drusiana,  nerepousse  pas  un  amant 
atlaché  de  toute  son  âme  à  ton  âme,  échange  au 
contraire  ton  amour  avec  lui. 

drusiana.  Vos  séductions  sonl  sans  effet,  votre 
passion  me  remplit  d'horreur,  et  je  vous  ai  dans  le 
plus  grand  mépris. 

cali.imvqle.  Jusqu'ici  je  n'avais  pas  eu  lieu  ce 
montrer  ma  fureur,  el  peut-être  encore  avez-vous 
quelque  honte  d'avouer  les  effets  de  ma  tendresse 
en  vous. 

drusiana.  Je  n'ai  rien  que  de  l'indignation. 

callimaqle.  Je  ne  crois  pas  à  ce  sentiment;  vous 
en  changerez. 

drusiana.  Non,  non,  jamais. 

cm .limaqit.  Qui  sait? 

drusiana.  0  homme  insensé!  amant  égaré!  Pour- 
quoi l'abuses-Iu?  De  quel  vain  espoir  es-tu  le  jouet? 
Par  quelle  raison,  par  quel  aveuglenmnt  veux-Ui 
que  je  cède  à  tes  caprices,  moi  qui,  depuis  tant  d'an- 
nées, me  suis  retirée  de  la  couche  de  mon  légitime 
époux? 

CAi.i.iMAQLE.Dieu  et  les  hommes  soient  mes  témoins  ! 
Si  lu  ne  cèdes  pas,  je  n'aurai  ni  repos  ni  relâche, 
que  je  ne  t'aie  fait  tomber  dans  quelque  piège  et 
obtenue  par  ruse! 

SCÈNE  IV. 

DRLSIANA,    ANDRONIQL'E 

drusiana  (se  croyant  seule).  Hélas!  Seigneur  Je- 
sns-Cbrisî!  à  quoi  me  servent  mon  vœu  de  chasteté 
el  mes  expiations,  puisque  ce  jeune  fou  n'en  esl  pas 
moins  séduit  par  nia  beauté?  Seigneur,  voyez  mon  ef- 
froi; voyez  mes  tourments  et  ma  douleur.  Eh  quoi 
donc?  Que  faire?  Le  sais-je?  Si  je  dénonce  Calli- 
maque,  -e   serai  la  cause  de  discordes  civiles;  el  si 

(138)  «  Il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
dans  la  scène  d'amour  qu'on  va  lire,  et  surtout  dans 
les  faux-fuyants  pudiques  qu'emploie  Drusiana  , 
pour  cacher  d'assez  tendres  sentiments  sous  la 
colère,  les  premiers  essais  tentés  dans  un  genre 
qui  défraie  presque  uniquement  la  littérature  mo- 
derne,  et  dont  on  trouverait  difficilement  des  exem- 
ples dans  l'antiquité,  même  en  les  demandant  aux 
poêles  élégiaques.  ?  (bl.) 


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HCTfO.V&AlftfC  DES  MYSTERES. 


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je  lue  lais,  pourrai-je,  sans  vous,  éviter  les  embû- 
ches du  démon  ?  0  Christ,  faites  qu'à  l  instant  je 
meure  en  vous  afin  de  sauver  de  sa  perle  ce  jeune 
voluptueux  ! 

(Elle  meurt.) 

andronique.  Malheureux!  Malheureux!  Drusiana 
est  morte  subitement!  Je  cours,  j'appelle  saint 
Jean. 

SCÈNE  V. 

' ANDRONIQUE,   JEAN. 

saint  jean.  Vous  êtes  bien  triste,  Andronique; 
pourquoi  ces  larmes? 

andronique.  Hélas!  Hélas!  Seigneur,  que  la  vie 
m'ennuie  ! 

saint  jean.  Quelle  peine  avez-vous? 

andronique.  Drusiana,  votre  élève... 

saint  jean.  A-telle  quitté  son  enveloppe  hu- 
maine ? 

andronique.  Hélas!  oui. 

saint  jean.  11  ne  faut  pas  pleurer  ainsi,  quand 
on  croit  surtout  que  les  âmes  sont  heureuses  dans 
le  repos. 

andronique.  Sans  doute,  je  crois ,  selon  vos  pa- 
roles, que  l'âme  goûte  les  joies  éternelles  jusqu'au 
jour  où  le  corps  ressuscite  tout  entier,  et  cependant 
je  n'en  suis  pas  moins  très-inquiet,  parce  que  c'esl 
elle-même  qui,  devant  moi,  a  appelé  la  mort  à  elle 
avec  passion. 

saint  jean.  Avez-vous  su  par  quel  motif? 

androniqce.  Je  l'ai  su,  et  je  vous  le  révélerai  un 
jour  après  les  premiers  excès  de  ma  tristesse. 

saint  jean.  Allons  lui  rendre  les  devoirs  fu- 
nèbres. 

andronique.  Il  y  a  non  loin  d'ici  un  tombeau  de 
marbre  ;  c'est  là  qu'on  mettra  ses  restes  ;  le  soin 
de  garder  le  sépulcre  sera  laissé  à  Forlunat  notre 
intendant. 

saint  jean.  Il  faut  qu'elle  soit  honorablement  en- 
sevelie. Dieu  donne  de  la  joie  à  son  âme  dans  le 
repos  ! 

SCÈNE  VI. 

CALLIMAQUE,    FORTUNAT    (139). 

CALLiMAQiiE.  Qu'arrivera-t-il,  Fortunat?  La  mort 
même  de  Drusiana  ne  peut  anéantir  en  moi  mon 
amour. 

fortunat.  C'est  triste. 

cai.limaque.  Je  meurs,  si  ton  adresse  ne  me  vient 
en  aide. 

fortunat.  En  quoi  puis-je  vous  aider? 

callimaqle.  En  une  chose  :  il  faut  que  tu  me 
montres  Drusiana  morte. 

fortlnat.  Le  corps  est,  je  crois,  encore  intact, 
car  la  maladie  ne  l'a  pas  défiguré  :  elle  a  été,  vous 
le  savez,  enlevée  par  une  fièvre  légère. 

callimaque.  Combien  je  serais  heureux  si  j'avais 
eu  cette  fièvre  ! 

fortunat.  Si  vous  me  payez  généreusement,  je 
livrerai  le  corps  de  Drusiana  à  vos  désirs. 

cAi.LiMAQui .  Prends  en  ce  moment  ce  que  je  me 
trouve  sur  moi,  et  sois  sans  inquiétude,  tu  auras 
Lien  plus  encore. 

fortlnat.  Allons  vite  à  la  tombe. 

callimaqle.  Ce  n'est  pas  moi  qui  tarderai. 

SCÈNE  VII. 

LES  PRÉCÉDENTS,    DRUSIANA,  COUchéc  datlS 

son  cercueil. 

fortlnat.  Voici  le  corps.  (Ecartant  le  linceul.) 
Les  traits  ne  sont  pas  ceux  d'une  morte  ;  ces  mem- 

H59)  <  Quoique  les  unités  soient  moins  complè- 
tement violées  dans  Callimaqiie  que  dans  les  autres 
pièces  de  Hroiswitha,  et  que  l'action  ne  sorte  pas  de 


bres  out  toute  la  frairheur  de  la  vie;  faites  d'elle 
selon  vos  désirs. 

callimaqle.  0  Drusiana  !  Drusiana  !  De  quelle, 
passion  je  l'ai  aimée!  Combien  était  sincère  niou 
amour!  Tout  mon  être  enveloppait  le  tien.  Et  toi 
tu  m'as  constamment  repoussé!  Tu  contredisais 
tous  mes  vœux!  (//  l'enlève  hors  de  sa  tombe.)  Main- 
tenant il  est  en  mon  pouvoir  de  pousser  contre  toi 
mes  violences  aussi  loin  que  je  voudiai. 

fortunat.  Ah!  ah!  Un  horrible  serpent  s'élance 
sur  nous  ! 

callimvque.  Malheur  à  moi!  Forlunat,  pourquoi 
m'as-lu  séduit  ?  Pourquoi  m'as-tu  conseillé  ce  crime 
détestable?  Voici  que  lu  meurs  sous  la  morsure  du 
serpent,  et  moi  j'expire  avec  toi  de  terreur. 

DEUXIÈME    PARTIE. 


SAINT  JEAN. 

ANDnONlQUE. 

DRLSSANA. 


PERSONNAGES. 

FORLUNAT. 
CALLIMAQUE. 
LE  SERPE>t4 

SCÈNE  I 


SAINT  JEAN,    ANDRONIQUE,  ensuite  DIEU. 

saint  jean.  Andronique ,  allons  au  tombeau  de 
Drusiana,  afin  de  recommander  son  âme  au  Christ 
par  nos  prières. 

andronique.  Votre  sainteté  est  accomplie  ;  vous 
n'oubliez  pas  celle  qui   avait  mis  sa  foi  en  vous. 

(Dieu  apparaît.) 

saint  jean.  Eh  quoi  !  Le  Dieu  invisible  se  montre 
à  nous  sous  une  forme  visible  '  Il  a  pris  les  traits 
d'un  très-beau  jeune  homme. 

andronique  (aux   spectateurs).  Tremblez. 

saint  jean.  Seigneur  Jésus  !  Pourquoi  daignez- 
vous  vous  manifester  en  ce  lieu  à  vos  serviteurs! 

dieu.  C'est  pour  la  résurrection  de  Drusiana  et 
de  celui  qui  est  étendu  auprès  de  la  tombe  que  je 
vous  apparais,  car  mon  nom  doit  être  glorifié 
en  eux. 

andronique  [à  S.  Jean].  Avec  quelle  rapidité  il 
est  remonte  au  ciel  ! 

saint  jean.  Il  y  a  là  quelque  chose  que  je  ne 
comprends  pas  bien. 

andronique.  Hâtons    le    pas;*  peut-être  ,  quan 
nous  serons  arrivés,   saurez-vous  mieux,  à  la  vue 
des  faits,  ce  que  vous  assurez  ne  pas  bien  com- 
prendre. 

SCÈNE  II. 

LES  PRÉCÉDENTS,  LES  TROIS  CORPS  DE  DRUSIANA, 
DE  FORTUNAT  ET  DE  CALLIMAQUE,  LE  SER- 
PENT. 

saint  jean.  Au  nom  du  Christ!  qu'est-ce  ceci? 
que  vois-je?  quel  est  ce  prodige?  Eh  quoi!  le  sé- 
pulcre est  ouvert,  le  corps  de  Drusiana  est  jeté  au 
dehors;  à  côlé  gisent  deux  cadavres  entrelacés  dans 
les  nœuds  d'un  serpent! 

andronique.  Je  devine  ce  que  cela  signifie.  Calli- 
maque  que  vous  voyez  là  ,  durant  sa  vie,  aimait 
Drusiana  d'un  amour  criminel.  Elle  en  fut  accablée 
de  chagrin,  de  désespoir  ;  elle  tomba  dans  la  fièvre, 
et  elle  sollicita  l'approche  de  la  mort. 

saint  jean.  L'amour  de  la  chasteté  l'avait  pous- 
sée à  cela  ! 

andronique.  Après  la  mort  de  Drusiana,  cet  in- 
sensé, sous  le  poids  du  chagrin  d'un  amour  mal- 
heureux et  du  désespoir  d'un  crime  inaccompli,  eut 
l'àme'dévorée  de  rage,  et  ne  sentit  que  l'ardeur  do 
feux  plus  irritants. 

l'enceinte  de  la  ville  d'Edesse,  il  n'y  a  guère  de 
scène,  cependant,  qui  n'amène  un  changement  d« 
lieu.   >  (M.  Magnin.) 


223 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTÈRES. 


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2:4 


saint  jean.  G  perversité  ! 

andronique.  Je  ne  doute  pas  qu'il  n'ait  séduit  ce 
méchant  esclave  par  l'appât  d'une  récompense, 
pour   obtenir   les  moyens  d'accomplir  un  forfait. 

saint  jean.  0  fait  horrible  et  sans  exemple! 

andronique.  Aussi  tous  îles  deux,  je  le  vois,  ont- 
i!s  été  atteints  par  la  mort,  afin  que  leur  intention 
perverse  restât  sans  effet. 

saint  jean.  Juste  châtiment  ! 

andronique.  Il  y  a  néanmoins  là  quelque  chose 
de  bien  surprenant,  c'est  que  la  résurrection  de 
celui  qui  eut  la  volonté  du  mal  ait  été  annoncée  par 
Dieu  plutôt  que  celle  de  celui  qui  ne  fut  qu'un 
complice.  Peut-être,  dans  les  déceptions  des  vo- 
luptés sensuelles,  l'un  ne  péchai l-ii que  par  igno- 
rance, tandis  qu'en  l'autre  il  n'y  ,  avait  que 
malice 

saimt  jean.  Avec  quel  scrupule  l'Arbitre  suprême 
juge-t-il  les  actions  humaines?  Dans  quelle  juste 
balance  sont  pesés  ies  mérites  de  chacun?  c'est  ce 
qui  reste  impénétrable  et  inexplicable.  Car  la  pro- 
fondeur et  la  délicatesse  du  jugement  de  Dieu  est 
infiniment  au-dessus  de  toutes  les  puissances  de 
l'intelligence  humaine. 

andronique.  Aussi  notre  admiration  de  Dieu  est- 
elle  toujours  trop  faible,  car  les  causes  des  événe- 
ments sont  au-dessus  des  puissances  de  notre  esprit 
pour  apprendre  et  comprendre. 

saint  jean.  Les  faits  une  fois  accomplis,  l'événe- 
ment nous  révèle  seul  d'ordinaire  les  secrets  des 
choses* 

andronique.  Mais,  faites  donc,  bienheureux  Jean, 
ce  que  vous  avez  à  faire.  Ressuscitez  Callimaque, 
afin  que  nous  arrivions  au  dénouement  de  celte 
mystérieuse  aventure. 

saint  jean.  Je  pense,  en  invoquant  le  nom  du 
Christ,  à  chasser  d'abord  le  serpent;  ensuite  Calli- 
maque ressuscitera. 

andronique.  C'est  bien  pensé,  afin  qu'il  ne  soit 
pas  blessé  de  nouveau  par  les  morsures  du  ser- 
pent. 

saint  jean  [au  serpent}.  Retire-toi  ,  bêle  cruelle! 
Callimaque  doit  encore  servir  le  Christ. 

andronique.  Cet  animal,  bien  que  sans  raison, 
n'a  pourtant  pas  eu  l'oreille  dure  pour  entendre 
votre  ordre. 

saint  jean.  Ce  n'est  pas  à  moi,  mais  à  la  puis- 
sance du  Christ  que  ce  serpent  a  cédé. 

andronique.  C'est  oour  cela  qu'il  a  disparu  plus 
lile  que  la  parole. 

SCENE  III. 

SAINT  jean,  andronique,  callimaque,  les 

CORPS    DE    DRUSIANA   ET  DE  FORYUNAT. 

saint  jean.  0  Dieu,  que  nulle  limite  ne  circons- 
crit, que  nul  espace  ne  peut  contenir  ;  être  simple 
et  incommensurable,  qui  seul  es  ce  que  lu  es;  qui, 
réunissant  deux  éléments  dissemblables,  a  de  l'un 
et  de  l'autre  créé  l'homme,  et  qui,  en  désunissant 
ces  deux  principes,  dissous  ce  qui  n'était  qu'un 
tout;  ordonne  qu'avec  le  retour  de  la  respiration, 
et  dans  une  nouvelle  association  des  substances 
séparées,  Callimaque  vive  complètement,  de  nou- 
veau, homme  parfait  comme  auparavant,  afin  que 
tu  sois  glorifié  par  toutes  les  créatures,  toi  qui  seul 
fais  <!es  miracles. 

andronique.  Amen.  — Mais...  il  reprend  haleine... 
la  stupeur  seule  le  lient  immobile. 

saint  jean.  Callimaque,  au  nom  du  Christ,  levez- 
vous  !  et  confessez  ce  qui  s'est  passé  en  loule.vérilc  ; 
coupable,  révélez  votre  crime  tout  entier,  afin  que  la 
vérité  ne  nous  reste  en  rien  cachée. 

callimaque.  Je  ne  puis  nier  d'être  venu  ici  pour 
commettre  un  crime.  J'étais  consumé  par  une  mé- 
lancolie funeste  et  je  ne  pouvais  apaiser  le  feu  de 
moi  amour  illicite. 


saint  jean.  Quelle  démence,  quelle  frénésie  vous 
entraînaient  à  oser  envers  ces  chaslesrestes  l'injure 
de  vos  désirs  impudiques  ? 

callimaque.  Ma  propre  sottise  et  les  suggestions 
captieuses  de  ce  Forlunat. 

saint  jean.O  trois  fois  infortuné, êtes- vous  tombé 
dans  ce  comble  du  malheur  de  pouvoir  accomplir  le 
crime  selon  vos  souhaits  ? 

callimaque.  Non.  La  volonté  ne  m'apasfaitdéfaut, 
mais  la  puissance  d'exécuter. 

saint  jean.  Quel  obstacle  vous  arrêta? 

callimaque.  A  peine  le  suaire  écarté  ,  avais-ja 
essayé  mes  outrages  sur  ce  corps  inanimé  que  co 
Forlunat,  fauteur  et  instigateur  du  crime,  périt 
sous  le  venin  d'un  serpent. 

andronique.  Oh!  que  c'était  bien  fait! 

callimaque.  Alors  in'apparut  un  jeune  nomme  d'un 
aïpect  terrible  qui  recouvrit  respectueusement  la 
corps  découvert;  de  sa  face  enflammée  tombaient 
sur  le  tombeau  des  étincelles  lumineuses;  une  d'elles 
s'échappanl  de  mon  côté,  me  frappa  au  front  et  en 
même  temps  se  fit  entendre  une  voix  qui  dil  : 
<  Callimaque,  meurs  pour  vivre!  »  à  ces  mots,  j'ex- 
pirai. 

saint  jean.  OEuvre  de  la  grâce  céleste,  qui  ne  sa 
complaît  pas  dans  la  perle  des  impies! 

callimaque.  Vous  avez  entendu  la  misère  de  ma 
chute,  veuillez  ne  pas  ajourner  le  remède  de  votre 
miséricorde. 

saint  jean.  Je  ne  vous  ferai  point  attendre. 

callimaque.  Car  je  suis  étrangement  confus,  jo 
suis  contristé  au  plus  profond  du  cœur,  je  souffre, 
je  gémis,  je  pleure  sur  mon  immense  sacrilège. 

saint  jean.  Ce  n'est  pas  sans  raison  ;  car  un  aussi 
grave  péché  ne  peut  s'effacer  que  dans  une  grande 
pénitence. 

callimaque.  0  plût  à  Dieu  que  les  plus  secrets  re- 
plis de  mon  cœur  fussent  à  découvert,  afin  que  l'a- 
mertume des  maux  que  je  souffre  fût  sous  vos 
yeux  !  et  vous  compatiriez  à  ma  douleur. 

saint  jean.  Je  me  réjouis  de  cette  douleur,  car,  à 
mon  sens,  la  tristesse  vous  est  salutaire. 

callimaque.  Je  suis  las  de  ma  vie  passée  et  rassa- 
sié des  voluptés  iniques. 

saint  jean.  Très-bien. 

callimaque.  Je  suis  repentant  de  ma  faute. 

saint  jean.  Ajuste  raison. 

callimaque.  J'ai  tant  de  déplaisir  de  tout  ce  que 
j'ai  fait  que  je  n'ai  plus  d'amour,  plus  de  désir  de  la 
vie,  si  je  ne  renais  en  Jésus- Christ  et  n'obtiens  de 
devenir  meilleur. 

saint  jean.  Evidemment  la  grâce  d'en  haut  appa- 
raît en  vous. 

callimaque.  Aussi,  à  l'instant,  sans  relard,  rele- 
vez mon  abattement,  consolez  ma  tristesse;  par  vos 
leçons,  à  votre  école,  de  gentil  devenu  chrétien,  de 
débauché  changé  en  homme  chaste,  sous  votre  con- 
duite, entré  dans  le  sentier  de  la  vérité,  je  veux  vi- 
vre selon  les  préceptes  de  la  promission  divine. 

saint  jean.  Béni  soit  le  Fils  unique  de  Dieu,  qui, 
ayant  eu  part  à  notre  fragilité,  vous  a,  ô  mon  fils 
Callimaque,  tué  en  vous  épargnant  et  rendu  la  vie  en 
vous  tuant,  et  qui,  par  cette  feinte  du  trépas,  a  dé- 
livré sa  créature  de  la  mort  de  l'âme  !... 

andronique.  Chose  inouïe  et  merveilleuse  ! 

saint  jean.  O  Christ,  rédemption  du  monde,  ho- 
locauste offert  pour  nos  péchés  !  Par  quels  chants 
vous  célébrer?  Je  ne  sa»s.  Je  tremble  devant  voire 
bénigneclémence  et  devant  voire  clémente  patience,  ô 
vous  qui  tantôt  traitez  les  pécheurs  avec  une  boulé 
de  père  et  tantôt  par  la  juste  sévérilédeschâlimenls, 
les  contraignez  à  la  pénitence... 

andronique.  Gloire  à  la  bonté  divine! 

saint  jean  Qui  aurait  osé  le  croire,  l'espérer?  Ci  t 
homme  machinait  de  criminelles  intrigues,  la  mort 
le  surprend,  elle  l'emporte,  et  votre  miséricorde,  ô 
Seigneur!  daigne  le  rappeler  à  la  vie  et  lui  rendra 


5-25 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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99R 


des  chances  de  pardon!  Que  votre  saint  nom  soit 
béni  dans  tous  les  siècles,  ô  vous  qui  seul  faites  ces 
surprenants  miracles!... 

SCÈNE  IV. 

LES   MÊMES,    DRUSIANA. 

andronique.  Eh  saint  Jean,  et  moi!  comme  vous 
tardez  à  me  consoler!  Car  mon  amour  d'époux  pour 
Drusiana  ne  permet  à  mon' âme  aucun  repos  jusqu'à 
ee  que  je  l'aie  Vue,  elle  aussi,  ressuscitée  au  plus  vile. 

sunt  jean«  Drusiana ,  que  Jésus-Christ,  notre 
Seigneur,  vous  ressucite! 

drusiana.  Gloire  et  honneur  a  vous,  ô  Christ,  cui 
me  faites  revivre. 

callimaque. O  ma  Drusiana  !  grâces  soient  rendues 
à  raiitev.r  de  voire  réveil.  Il  vous  est  donné  de  revi- 
vre dans  la  joie,  vous  qui  aviez  consumé  dans 
la  plus  profoi:  rie  tristesse  vos  derniers  jouis. 

drusiana.  O  vénérable  père  Jean,  votre  sainteté, 
après  avoir  rendu  le  jour  à  Callimaque,  qui  m'aima 
d'un  amour  profane,  doit  aussi  la  vie  même  à  celui 
qui  trahit  mon  tombeau. 

calliuao.uk.  Ne  le  pensez  pas,  apôtre  du  Christ! 
le  traître,  ce  malfaiteur,  l'arracher  aux  chaînes  de 
h  mort!  Le  trompeur,  le  séducteur,  lui  qui  me 
donna  l'audace  de  mon  horrible  forfait! 

saint  jean.  Vous  ne  (levez  point  lui  envier  la 
grâce  de  la  clémence  divine. 

callimaque.  Non,  il  n'est  pas  digne  de  la  résurrec- 
tion, celui  qui  fut  cause  de  la  pertede  son  prochain. 

saint  jean.  La  loi  de  noire  religion  nous  ensei- 
gne que  l'homme  doit  remettre  ses  offenses  à  son 
prochain,  s'il  souhaite  que  Dieu  lui  remette  les 
si. 'unes  (liO). 

andronique.  Cela  est  juste. 

saint  jean.  Car  le  Fils  unique  de  Dieu,  le  premier 
né  de  la  Vierge,  seul  innocent,  seul  immaculé,  seul 
venu  dans  le  monde  sans  la  tache  du  péché  originel, 
a  trouvé  tons  les  hommes  sous  le  lourd  fardeau  du 
péché... 

androniqie.  Cela  est  vrai. 

sunt  jean.  Lt  quoiqu'il  ne  trouvât  ni  un  juste,  ni 
un  homme  digne  de  sa  miséricorde,  néanmoins  il  n'a 
méprisé  personne,  il  n'a  privé  personne  de  la  faveur 
de  sa  bonté;  au  contraire,  lui-même  s'est  livré  pour 
tous,etatlonnésa  vie  précieuse  pour  le  salut  de  tous... 

andronique.  Si  l'innocent  n'eût  pas  été  mis  à 
mort,  nul  homme  n'eût  été  justement  sauvé. 

sunt  jean.  Aussi  Dieu  n'a  point  de  joie  de  la  perte 
de  l'homme,  il  se  souvient  de  l'avoir  racheté  de 
ton  sang  précieux... 

androniqie.  Grâces  lui  soient  rendues  ! 

saint  jean.  Aussi  ne  devons-nous  pas  envier  à 
autrui  la  grâce  de  Dieu  qui  fait  notre  joie  lorsque, 
sans  aucun  mérite  antérieur  même,  elle  abonde  eu 
nous. 

cvi.LiMAQUF..  Je  suis  glacé  de  terreur  au  bout  de 
cette  leçon. 

sunt  jean.  Mais  pour  ne  pas  paraître  repousser 
vos  désirs,  cet  homme  ne  sera  pas  ressuscité  par 
moi.  mais  par  Drusiana  qui  a  reçu  de  Dieu  le  pou- 
voir de  le  faire. 

SCENE  V. 

l.F.S    MÊMES,    FOUTU N AT. 

dsbsiana.  Substance  divine,  qui  seule  es  vraiment 
immatérielle  et  sans  foi  nie!  toi  qui  as  ligure  l'homme 
à  ton  image,  ctqui  sur  cette  image  as  soufflé  l'esprit 
de  vie,  laisse  le  corps  matériel  de  Fortunat  recou- 
vrer sa  chaleur  et  reprendre  I  être  autour  de  son  âme  . 

(140)  «Ce  sont  presqu:  !<  ->  b<  Des  paroles  du  duc 
de  Guise  au  siège  de  Hou  ui.  >  (M.  Mac.ntn.) 

(1  ii)  Lerdle  d'Androni<]ue  perd  singulièrement  de 
si  gravité  vers  la  lin  de  cette  scène;  il  y  entro  une 
intention  bouffonne  qui  au  contraire  n'existait  pas 
au  commencement;  évidemment  Hcotswithe,  poui 


vivante,  aiin  que  notre  triple  résurrection  tourne  à 
ta  louange,  6  vénérable  Trinité. 

saint  jean.  Amen. 

drusiana.  Réveillez-vous,  Forluuat,  et,  par  l'ordre 
du  Christ,  rompez  les  entraves  de  la  mort! 

fortunat.  Qui  a  pris  ma  main  et  m'a  relevé? 
Qui  a  parlé  pour  me  faire  revivre? 

saint  jean.  Drusiana. 

fortunat.  Esl-ce  donc  Drusiana  qui  m'a  ressuscite? 

saint  jean.  Elle-même. 

fortunat.  Est  ce  que,  il  y  a  peu  de  temps,  elia 
n'a  pas  succombé  à  une  mort  subite? 

saint  jean.  Mais  elle  vit  en  Jésus-Christ. 

For.TLNAT.  Et  pourquoi  Callimaque  a-t-il  ce  main- 
tien grave  et  modeste?  Pourquoi  ne  po.n  suit-il  plus, 
comme  d'ordinaire ,  Drusiana  de  son  amour  ef- 
fréné? 

saint  jean.  C'est  qu'il  n'y  a  plus  rien  de  mauvais 
en  lui,  il  est  tout  entier  changé;  c'est  un  vrai  dis- 
ciple du  Christ. 

FORTUNAT.  Non. 
SAINT   JEAN.    Si. 

fortunat.  Eh  bien,  si,  comme  vous  l'assurez, 
Drusiana  m'a  ressuscité,  et  si  Callimaque  croit  dans 
le  Christ,  je  rejette  la  vie,  et  fais  volontairement 
choix  de  la  mort;  car  j'aime  mieux  ne  pas  exister 
que  de  sentir  en  eux  une  telle  abondance  de  vertu  et 
de  grâce.  (Il  s'affaisse.) 

sunt  jean.  0  étonnante  envie  du  démon!  ô  ma- 
lice de  l'antique  serpent  qui  lit  goûter  la  coupe  da 
la  mort  à  nos  premiers  parents  et  qui  gémit  sans 
relâche  sur  la  gloire  des  justes!  Ce  malheureux 
Fortunat,  tout  rempli  d'un  fiel  diabolique,  ressemble 
à  un  mauvais  arbre  tout  chargé  de  fruits  amers. 
Qu'il  soit  donc  retranché  du  collège  des  justes  et  de 
la  société  de  ceux  qui  ont  la  crainte  de  Dieu!  qu'il 
soit  précipité  dans  le  feu  de  l'éternel  supplice,  pour 
y  être  torturé  à  jamais  sans  repos  ni  adoucisse- 
ment ! 

andronique.  Voyez,  les  otessures  du  serpent  se 
gonflent;  il  tourne  de  nouveau  à  la  mort;  il  trépas- 
sera plus  vite  que  je  n'aurai  parlé. 

saint  jean.  Qu'il  meure,  et  devienne  un  des  liaoi- 
tants  de  l'enfer,  lui  qui,  par  hair.e  du  bonheur  d'au- 
trui,  a  refusé  de  vivre. 

andronique.  Spectacle  terrible! 

saint  je\n.  Rien  n'est  plus  terrible  que  l'envieux; 
nul  n'est  plus  criminel  que  le  superbe!... 

andronique.  Misérables  tous  deux! 

saint  jean.  La  même  personne  est  toujours  îa 
proie  de  ces  deux  vices  ;  l'un  ne  va  pas  sans  l'au- 
tre... 

andronique.  Expliquez-vous  clairement. 

saint  jean.  Le  superbe  est  envieux  et  l'envieux 
est  superbe  :  car  un  esprit  jaloux,  ne  supportant  pas 
l'éloge  d'aiitrui  et  désirant  pour  son  propre  avantago 
l'abaissement  des  plus  parfaits,  dédaigne  d'être  placé 
au-dessous  des  plus  dignes  et  s'efforce  orgueilleuse- 
mi'iit  d'être  mis  au-dessus  de  ses  é'raux. 

andronique.  Evidemment. 

saint  jean.  C'est  pourquoi  ce  miséraLle  a  été 
frappé  au  cœur  et  n'a  pi  supporter  une  situation 
inférieure  envers  ceux  en  qui  il  voyait  clairement  les 
plus  glandes  faveurs  de  Dieu. 

andronique.  Je  comprends  enfin  maintena , ; t  pour- 
quoi ce  Fortunat  n'avait  pas  été  compris  parmi  les- 
ressucitants  ;  c'est  qu'il  devait  mourir  aussi- 
tôt (141). 

saint  jean.  Il  a  mérité  ce  double  trépas,  pois- 
avoir  outragé  le  tombeau  confié  à  sa  garde  ctpoui  - 

faira  supporter  ce  dénouement  un  peu  long,  a  c.i» 
l'idée  de  sacrifier  à  la  grossière  gaieté  des  specta~ 
teure,  et  d'obtenir  ainsi  leur  attention  sur  les  gran- 
des leçons  qu'elle  donnait  par  la  bouche  de  saint 
Jean. 


527 


CAT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CAT 


S«ft 


suivi  ceux  qui  étaient  ressuscitas  de  sa  haine  in- 
juste. 

ANDROMQUE.  Le  malheureux  a  cessé  de  vivre. 

saint  jean.  Retirons-nous  et  laissons  au  démon 
ce  fils  qui  lui  appartient.  Nous,  cependant,  à  cause 
de  la  miraculeuse  conversion  de  Callimaque  et  de  la 
double  résurrection  de  Drusiar.a  et  de  lui,  passons 
gaiement  cette  journée,  (442)  rendant  gràcesà  Dieu, 
ce  juge  équitable,  ce  discret  dépositaire  des  secrets, 
qui  seul  voit  tout,  et,  disposant  toutes  choses  comme 
il  convient,  distribuera  à  chacun,  selon  ses  mérites, 
les  récompenses  ou  les  supplices.  A  lui  seul  l'hon- 
neur, la  puissance,  la  force  et  le  triomphe,  la  gloire 
et  la  jubilation  ,  l'éternité,  pendant  les  siècles  des 
siècles!  Amen. 

CATHERINE  {Suinte)  [Le  jeu  de].  —  Du 
Roulay  avait   parlé,  dans   son   Histoire   de 
l'Université  de  Paris  (l.  I",  p.  226),  d'un  Jeu 
de  sainte  Catherine,  dont    la   représentation 
au  xii'  siéèle  était,  au  moins  en  Angleterre, 
un  usage  établi  dans  les  écoles.  Le  savant 
abbé  Lebeuf  s'appuya  de  cette  opinion  dans 
son  examen  de  l'Étal  des  sciences  depuis  le 
roi    Robert    le    Fort.    (  Dissert,    sur   l'hist. 
eccl.   et  civ.    de    Paris,    Paris,    1741,  in-8% 
I.  II,  p.  65.)  Les  Bénédictins  soulevèrent  les 
premiers  une  question  importante,  celle  de 
savoir  quel  était  l'auteur  du  drame  dont  on 
parlait.  Us  l'attribuèrent  h  Ainard,  premier 
abbé   de   Saint-Pierre   sur    Divcs,  (Orderic 
Vital,    1.  iv),  auteur  de  chants  sur  sainte 
Catherine    et  sur   saint  Kilien  de  Wirlz- 
bourg.   (Hist.  lillér.   de   la  France;   Paris, 
1746,  in-4°,  p.   127.)  Personne  ne  leur  a  ré- 
pondu, ni  n'a   paru   connaître  ou  partager 
leur   opinion.  De  Roquefort   Flainéricourt 
assure  que  Geffioy   de    Saint-Alban   avait 
introduit  en  Angleterre  le  goût  du  théâtre, 
en    y  faisant   représenter   le   Jeu  de  sainte 
CaQierine.    [De  l'état  de  la   poésie  française 
dans  les  xn'  et  xm'  siècles  ;  Paris,  1815,  iu-8°, 
p.  263.)  L'abbé  de  Lame  attribue  le  drame 
à  Geffroy ,  et  prétend   que   ce   fut   la  pre- 
mière pièce  tragique  composée  dans  notre 
langue.  (Essais  hist.  sur  les  bardes  normands 
et  anglo-norm.;  Caen,    Mancel,   1834,   in-8°, 
3  vol.  t.  1",  p.  164;  t.  11,  p.   55.)   AL    Ray- 
nouard  a  déclaré  sans  base  l'affirmation  de 
l'abbé  de   Larue,  relative  à  l'idiome   d'une 
pièce  dont    il   ne   restait   qu'une  mention 
indécise  dans  une  anecdote   biographique. 
(Journ.   des  sav.,  1836,  juin.)  M.  O.  Leroy 
rompant  une  lance   contre   Chateaubriand, 
séduit  par  l'hypothèse  de  l'abbé  de   Larue, 
soutient  que  le  mystère  du  Sainte  Catherine 
avait  été  écrit  plutôt  en  latin  qu'en  langue 
d'oil.  (Etudes  sur  les  mystères;  à  Paris,  1837, 
in-8°,  p.  9.)   Il  n'a   donné  toutefois  d'appui 
à  son  affirmation  que  six  ans  après,  en  con- 
sidérant la  découverte  qui,  durant  cet  inter- 
valle, avait  eu  lieu  des  chansons  d'Abailard 
écrites  en  latin,  comme  une  preuve  que  la 
poésie  n'essayait  pas  encore  de  traduire  les 
passions  humaines  dans  la  langue  vulgaire. 
(Epoq.  del'hist.  de  Fr.\  Paris,   1843,    in-S", 
p.  69.)  Enfin  M.  Magnin,  dans  le  Journal  des 


savants 'le  1846  (p.  'sol),  a  fait  observer  qt:e 
sainte  Catherine,  comme  patronne  des 
enfants  et  des  écoliers,  n'était  pas  moins 
réputée,  dès  le  VIe  siècle,  que  saint  Nicolas; 
la  discipline  se  relâchait  a  leurs  fêtes;  des 
jeux  avaient  lieu,  en  leur  honneur,  dans  les 
monastères  et  les  écoles;  ces  réjouissances 
ouvraient  la  fameuse  période  de  la  Liberté 
de  décembre;  et  le  Jeu  de  sainte  Catherine 
n'est  qu'un  témoignage  qui  nous  reste  des 
plaisirs  de  ces  temps. 

Telles  sont  les  opinions  exprimées  jus- 
qu'ici au  sujet  du  Jeu  de  sainte  Catherine; 
nous  donnons  ci-dessous  la  traduction  du 
passage  de  Matthieu  Paris  qui  en  contient 
la  mention.  On  voudra  bien  remarquer  que 
l'anecdote  n'est  qu'un  fragment  de  biogra- 
phie; que  rien  n'indique  l'espèce  du  lan- 
gage, et  que,  quoiqu'il  n'y  ait  non  plus 
nulle  indication  relativement  à  l'auteur, 
néanmoins  il  est  plus  probable,  selon  l'opi- 
nion commune,  que  l'abbé  Geffioy  avait 
écrit  lui-même  le  drame  qu'il  faisait  jouer. 
«  L'abbé  Geffroy  naquit  d'une  famille 
illustre  dans  le  Maine  et  la  Normandie;  il 
ne  fut  pas  seulement  remarquable  par  la 
pureté  de  ses  mœurs,  mais  au  moins  autant 
par  ses  vastes  connaissances  théologiques. 
Lors  de  la  mort  de  l'abbé  Richard  (1119),  élu 
à  l'unanimité  par  les  frères  de  notre  église,  et 
accepté  par  le  roi  d'Angleterre  Henri  l'r,  il 
prit  en  main,  contre  ses  vœux,  le  gouver- 
nement de  l'abbaye.  Il  était  venu  du  Mans, 
lieu  de  sa  naissance,  à  l'invitation  de  l'abbé 
Richard,  étant  encore  séculier,  pour  diriger 
l'école  de  Saint-Alban.  A  son  arrivée,  l'écolo 
avait  été  donnée  h  un  autre  maître,  parce 
que  Geffroy  n'était  pas  arrivé  au  temps 
voulu,  c'est  pourquoi  il  s'établit  à  Dunslaple 
en  attendant  la  vacance  de  l'école  qu'on  lui 
avait  promise.  C'est  dans  ce  temps  qu'il  fit 
\eJeu  de  sainte  Catherine  que  nous  appelons 
communément  les  miracles.  Il  avait  prié  le 
sacristain  de  Saint-Alban  de  lui  prêter,  pour 
la  représentation,  les  chapes  de  chœur,  et 
n'avait  pas  été  refusé.  Le  Jeu  de  sainte 
Catherine  eut  en  effet  lieu,  mais  le  malheur 
voulut  que,  pendant  la  nuit  qui  suivit  la 
représentation,  le  feu  prît  dans  la  maison 
de  maître  Geffroy;  la  maison  brûla  entière- 
ment, les  livres  du  maître  furent  consumés 
et  avec  oox  les  chapes.  Ne  sachant  com- 
ment réparer  le  dommage  fait  à  Dieu  et  à 
Saint-Alban,  Geffroy  se  donna  lui-même  en 
expiation,  il  prit  l'habit  de  religieux  dans 
la  maison.  Dans  la  suite,  devenu  abbé,  il  eut 
grand  soin  de  faire  faire  des  chapes  de 
chœur  magnifiques. 

«  Il  veillait  toujours  sur  le  repos  et  le 
bien-être  de  ses  enfants  et  frères  spirituels, 
et  toujours  d'un  calme  parfait,  il  fil  régner 
constamment  la  joie  et  la  paix...  Il  mourut 
*  l'an  1146.  »  (Matthrei  Paris  Historia  major; 
édit.  Will.  Wats  ;  Paris,  1644,  iu-fol.,  Yitœ 
viginti  trium  abbat.  S,  Albani  ;  ibid.,  p. 
35  41.) 


(112)  M.  Magnin  a  ^remarqué   que  ccite    invitation  à  passer  le  reste  de  1»  journée :  dans   la  jo'e  se  re- 
trouvait dans  ia  légende  apocryphe  d'Abdias, 


g|9 


t.HK 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CIIE 


230 


CATHERINE  [de  Sienne,  du  Moîît-Sinaï  ?] 

(Sainte).  —  On  lit  dans  une  chronique 
manuscrite  de  Metz,  composée  au  xvc  siècle 
par  le  curé  de  Saint-Euchaire,  l'une  des 
paroisses  de  là  ville,  et  intitulée  Histoire 
de  Metz  véritable  :  «  L'an  1434,  le  15  juin, 
fust  faicl  le  Jeu  de  la  vie  saincte  Catherine 
en  châinge,  et  duroit  trois  jours  et  fust 
Jehan  Didier  ung  notaire  saincte  Catherine, 
et  Jehan  Matthieu  le  plaidous,  emuerour 
Maximian.  » 

Les  frères  Parfait  [ffist.  du  théâtre  fran- 
çois  ;  Paris,  1733,  in-12,  13  vol.,  t.  II, 
p.  351)  qui  rapportent  ce  témoignage,  en  ont 
rapproché  une  note  de  la  Bibliothèque  fran- 
çaise de  Du  verdier,  p.  241,  où  il  est  question 
d'une  Vie  de  saincte  Catherine  du  Mont  Sinay 
en  rime,  imprimée  à  Paris  pour  Alain  Lo- 
frian;  selon  eux  la  Vie  de  sainte  Catherine, 
dont  on  ne  retrouve  plus  d'exemplaire, 
pourrait  bien  être  le  Jeu  de  YHistoire  ma- 
nuscrite de  Metz. 

De  Beauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres 
de  France;  Paris,  1735,  in-8",  3  vol.,  t.  1er, 
p.  227)  mentionne  les  Miracles  de  sainte 
Catherine  de  Fierbois,  in-fol.,  et  la  Légende 
de  sainte  Catherine  de  Sienne,  in-fol. 

M.  Magnin,  (Journal  des  savants,  cahier 
d'octobre  1846)  a  retrouvé  dans  la  chro- 
nique manuscrite  de  Metz  de  Philippe 
de  Vigneulies,  conservée  dans  les  biblio- 
thèques publiques  de  Metz  et  d'Epinal,  la 
mention  d'un  Jeu  de  sainte  Catherine  de 
Sienne,  représenté  à  Metz  en  1468  aux  frais 
d'une  darne  Baudoicbe,  et  où  joua  une 
«jeune  iilletle  aigée  d'environ  dix-huit 
ans.  » 

En  1VS6,  il  y  aurait  eu  encore  à  Metz  une 
autre  représentation  d'un  mystère  de  sainte 
Catherine. 

Tout  cela  est  fort  incertain. 

■CESAIRE  (Saint),  archevêque  d'Arles.  — 
La  Vie  de  saint  Césaire,  archevêque  d'Arles, 
n'est  connue  que  d'après  une  liste  de  mys- 
tères fort  douteuse  publiée  par  de  Beau- 
champs.  (Recherches  sur  les  théâtres  de  France; 
Paris,  1733,  in-8°,  3  vol.,  t.  V,  p.  228.) 

CHCSNAYE  (Nicole  de  la).  —  «  Lacroix 
du  Maine  et  Duverdier  ne  parient  point  de 
cet  auteur  dans  leurs  Bibliothèques;  le  der- 
nier se  contente  de  citer  à  la  lettre  N,  p.  927, 
l'ouvrage  de  Nicole  de  la  Chesnaye  parmi  les 
livres  d'auteurs  incertains.  Le  nom  de  l'au- 
teur se  trouve  dans  les  lettres  initiales  des 
dix-huit  derniers  vers  du  prologue  de  son 
ouvrage  intitulé  :  La  nef  de  santé,  avec  le  gou- 
vernail du  corps  humain  et  la  condamnation 
des  banquets,  à  la  louange  de  diette  et  so- 
briété, et  le  traité  des  passions  de  l'âme,  in-V°, 
1511,  Paris.goth.  avec  ligures,  Michel  Lu 
Noir,  ach.  d'imprimer  le  17  avril. 

«  La  même,  sous  ce  titre  :  La  condamnation 
des  banquets,  à  la  louange  de  diette  cl  sobriété 
pour  le  profit  du  corps  humain,  par  person- 
nages, en  rime.  Impr.  à  la  suite  de  la  Nef  de 
santé,  en  prose,  avec  un  Traité  des  passions, 
en  rime,  lu  tout  tiédie  au  roi  Louis  XII  ; 
Paris,  in-4',  Michel  Le  Noir,  à  la  Rose  blan- 
che, le  17  avril  1516. 


«  L'auteur,  dans  son  prologue,  dédie 
au  roi  Louis  XI]  son  livre,  qui  contient 
quatre  ouvrages  différents,  quoique  dépen- 
dant les  uns  des  autres  :  le  premier  est  en 
prose,  La  nef  de  santé;  le  second,  aussi  en 
prose,  Le  gouvernail  du  corps  humain;  le 
troisième  est  La  condamnation  des  banquets, 
en  vers;  enfin  le  quatrième  est  en  vers, 
Traité  des  passions  dciâme.  »  (De  Beauchamps, 
Recherches  sur  Us  théâtres  de  France;  Paris, 
1735,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p.  30G.) 
£  CHEVALIER  (Le).  —  On  ne  connaît  du 
Mi/stère  du  Chemlier  qu'une  édition  in-16do 
cinquante-six  pages,  contenant  environ  qua- 
torze cents  v^r^,  sans  nom  d'imprimeur,  ni 
date,  mais  qui  pourtant  peut  être  attribuée 
avec  assez  de  certitude  à  la  première  moitié 
du  xvr  siècle. 

Cette  édition  a  été  reproduile  de  nos  jours, 
in-8°,  sur  papier  de  couleur,  en  quarante- 
huit  pages. 

Les  frères  Parfait  ont  donné  de  ce  drame 
une  analyse  très-imparfaite  que  nous  n'avons 
pas  cru  devoir  adopter.  (Hist.  du  théâtre 
franc.;  Paris,  15  vol.  in-12, 1735,  t.  II,  p.  555- 
562.)  De  Beauchamps  (Recherches  sur  les 
théâtres  de  France,  Paris,  1735,  in-8,  3  vol., 
t.  Ie",  n.  232),  et  la  Bibliothèque  du  théâtre 
francois,  ouvrage  attribué  au  duc  de  La 
Vallière  (Dresde,  1768,  in-8",  3  vol.,  t.  1", 
p.  79)  en  ont  fait  aussi  mention. 

Le  Chevalier  nous  semble  une  pâle  imita- 
tion du  Théophile. 

Le  titre  est  ainsi  conçu,  et  contient  la  listo 
des  personnages  : 

Le  mystère  du  chevalier  qui  donna  sa  femme  au  dyable, 
à  dix  personnages  ;  cest  assauoir. 


dieu  le  pere, 
notre-dame. 
Raphaël, 
le  1  h  valier. 

SA  FEMME. 


amaclrt,  escuier. 
anthemor,  escuier. 

LE  PII  El  R. 
LE  DlALLE. 


Joueur,  dissipateur,-' prodigue  de  son 
avoir,  malgré  les  sages  avis  de  sa  femme,  le 
Chevalier  tombe  dans  la  misère,  et  ne  trouve 
d'autre  moyen  de  s'en  tirer  que  de  livrer  sa 
femme  à  Satan. 

LE   CHEUAMEK. 

Or  dois  ie  bien  Iiayr  ma  vie, 
Quant  ainsi  chaseun  me  liarie 

Par  mocquerie, 
Oc  mes  servans  suis  dccl;assé, 
Formne  trop  nie  contrarie, 
Noblesse  est  bien  en  moy  perte, 

Mon  sens  varie. 
Las  !  qu'ay-ie  l'ail  !  Le  temps  passé 
l'avoye  grand  auoir  amassé, 
Tesloys  en  honneur,  en  Ivesse 

Et  n'ay  cesse 
De  dissiper  tout.... 
0  mort,  mort,  sur  moy  de  ton  daiJ 
Antre  chose  u'ay  esgard, 

Quant  se  départ 
Ainsi  de  moy  eshalement. 

LE  DYABLE. 

Qif as-tu,  cheualier?  Hardiment 

Declaire-moy  tout  seulement 

Lé  fait  qui  tant  te  louche  au  tueur. 


23! 


CHS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


enn 


25-2 


LE  GHELALJEB 

Qui  cs-îu  qui  viens  soudainement  ? 
Esbaliy  me  fais  grandement... 

LE  DYABLE. 

Iay  en  moy  le  gouuernement 
Ou  monde... 

Un  parle  est  conclu  enlro  le  chevalier  et 
Satan;  d'immenses  richesses  roulent  dans 
les  mains  de  ce  nouvel  adepte  de  l'enfer, 
jusqu'au  jour  où  le  chevalier  doit  remettre 
entre  les  mains  du  diable  lo  gage  même  du 
pacte,  sa  femme  calomniée,  traîne  et  vendue. 
Mais  la  dame  a  une  vénération  particulière 
pour  Notre-Dame;  le  jour  où  son  mari  la 
mène,  à  son  insu,  mais  pourtant  toute 
étonnée  et  tremblant»;,  auprès  de  Satan,  elle 
rencontre,  sur  le  chemin  du  bois  où  doit 
s'accomplir  la  funeste  tradition,  une  église 
où  elle  se  réfugie  un  instant  pour  trouver 
quelque  confort  dans  la  prière.  Sa  divine 
protectrice  abaisse  sur  elle  ses  regards  mi- 
séricordieux, et  pour  la  sauver,  ne  se  résout 
rien  moins  qu'a  prendre  la  place  de  la  dame 
aux  côtés  du  Chevalier  impatient  et  furieux. 

LE  CI1ECAMEK. 

le  croy  que  meshuy  cy  feray 
En  attendant  ceste  bourgeoise. 
Sang  bien  !  s'il  fault  qui  g'y  voisf, 
Bien  scay  qu'il  y  aura  butin. 
Je  la  voy  :  elle  est  en  chemin, 
Sa  Dame,  sa,  venez  auant. 

NOSTRE  DAME. 

Sus,  mon  amy,  allez  douant... 

LE  DYABLE. 

Tar.lost  ie  me  pourrai  déduire 
Du  cheualier  et  de  sa  femme, 
En  enfer  portera}'  son  aine  ; 
En  despit  qu'elle  a  Marie  seruy  , 
Mais,  haro  !  ie  suis  trahy.... 
f'aulx  traître.. 
Que  m'as-tu  amené  icy  î 

LE  CnEUALIER. 

Ma  femme. 

LE  DYABLE. 

Tu  mens  faulcement 

LE  CHEUALIER. 

R;  garde,  vêla  cy  vrayment. 

LE  DYABLE. 

Haro  !  voicy  grant  mocquerie  • 

Tu  amarues  celle  Marie, 

Qui  tant  nous  fait  grief  et  ennuy... 

Notre-Dame  sauve  la  femme  du  Chevalier 
des  grilles  de  Satan  contraint  a  résilier, 
sans  compensation,  le  pacte  conclu,  et  le 
Chevalier  retrouvant  dans  l'église  sa  femme 
encore  en  prière,  lui  confesse  son  crime,  et 
lui  révèle  le  miracle  qui  vient  de  les  sauver 
tous  deux. 

Le  mystère  se  termino  par  ces  vers  : 

LA  DAME. 

Mon  cher  Seigneur,  qui  s'abandonne 
A  Dieu  servir,  ne  peut  périr 
Leucz-vous.  .  .  . 

....  Tous  de  cueur  vous  supplie 
Que  chascun,  selon  son  pouoir, 
1)2  la  seri'ir  fasse  deuoir, 


Affin  qu'au  dur  pas  de  la  mort, 
us  face 

Finis. 


La  Vierge  nous  face  confort.  Aine». 


CHIVALET  (Antoine),  —  Guy  Alard,  con- 
seiller au  parlement  de  Grenoble,  auteur  de 
la  Bibliothèque  du  Dauphiné  (Grenoble, 
L.  Giliberl,  1630,  in-16,  de  xn-224  p.,  p.  71), 
a  dit  de  l'auteur  du  Saint  Christofle  :  «  An- 
toine Chivalet,  gentilhomme  du  Viennois, 
dont  la  famille  porte  de  gueules  au  cheval 
éehapé  d'argent,  fut  un  poète  françois,  et  vi- 
voit  l'an  1530.  »  Les  frères  Parfait,  s'appuyant 
sur  le  titre  du  Saint  Christofle  qui,  imprimé 
en  1530,  porte  le  nom  de  Chivalet,  accom- 
pagné de  ta  rubrique  «  jadis  souverain  mais- 
Ire,  »  et  sur  les  nombreux  passages  du  livre 
où  l'auteur  est  loué  d'une  manière  outrée, 
concluentque  Chivalet  était  mort  avant  1527, 
date  de  la  première  représentation  de  son 
mystère.  Nous  ajouterons  que  le  citoyen 
Anemond  Àmalberti  (Ancelbert  clans  Duver- 
dier)  nous  semble  avoir  Irôs-probableinenI 
remanié  le  travail  de  Chivalet.  (Les  frères 
Parfait  ont  écrit  Chevalet.)  »^ — Voyez  Saint 
Christofle. 

CHOCQUET  (Louis).  —  Auteur  de  Y  Apo- 
calypse, Louis  Chocquet  est  classé  depuis 
longtemps  parmi  les  auteurs  dramatiques, 
dans  la  Bibliothèque  française  de  Duverdicr; 
ou  y  lit  :«  Louis  Chocquet  a  mis  en  lim-j 
françoise  par  personnages  les  Actes  des  apô- 
tres et  Y  Apocalypse  de  saint  Jean,  avec  les 
cruautés  de  Domilien  l'empereur.  Le  tout  a. 
Paris  en  l'hôtel  de  Flandres,  l'an  15il,  et 
imprimé  in-fol  par  Arnoul  et  Charles  Les 
Angeliers.  »  (P.  799.)  Les  frères  Parfait 
(llist.  du  'th.  franc.;  Paris,  15  vol.  in-12, 
1735,  t  II,  p.  270,)  relèvent  l'erreur  du 
Duverdier,  commise  également  par  Dayle, 
qui  attribue  h  Chocquet  les  Actes  des  apôtres 
des  Gresban  ;  YApocalypse  seule  est  de  lui. 

CHRIST  (Jeu  ou). —  M.  Raynouard  (Jour- 
nal des  sert\,  juin  1836,  art.  sur  le  Mystère  de 
saint  Crépin,  p.  367)  répète  la  citation  sui- 
vante de  Muratori  tirée  de  la  Chronique  du 
Frioul  :  «  En  1298,  le  jour  de  la  Pentecôte, 
dans  le  Frioul,  eut  lieu  une  représentation 
du  Jeu  du  Christ  qui  comprenait  la  Passion, 
la  Résurrection,  l'Ascension,  la  Descente  du 
Saint-Esprit,  et  le  Jugement.  »  (Monum. 
eccl.  Aquiiii,  p.  28,  col.  1.)  —  Voy.  Passion, 
H",  §  2. 

CH1UST(Le  meurtre  du).—  Les  écrivains 
italiens  du  moyen  âge  ont  signalé  un  drame 
grec  qu'ils  appelaient  le  Meurtre  du  Christ. 
11  est  difficile  de  préciser  ce  qu'était  cetin 
pièce. Lilio  Gregorio  Gyraldi,  critique  du 
xvic  siècle,  a  donné  sur  le  Meurtre  du  Christ 
h  note  qui  suit  :  «  11  a  existé  un  certain 
poëte  grec  nommé  Etienne,  sabaïto,  à  qui 
est  attribuée  la  tragédie  du  Meurtre  du 
Christ.  »  (De  poelar.  Jlist.,  Dialog.  vu,  édi- 
tion de  Ferrare,  1551,  in-8°,  p.  865.) 

Fabricius  (Bibliotheca  grœca,  édition  de 
G.  C.  Harles,  Hambourg,  1791,  fn-4%  t.  Il, 
p.  323)  rappelle  aussi,  dans  une  notice  des 
tragiques  dont  les  œuvres  sont  perdues, 
cette  même  pièce  du  Meurtre  du  Chris; 
d'Fl  enne,  moine  sabaïle.  «  La  mémoire  de 


233  cim 

ce  seclaleur  oe  l'hérésie  do  Saba,  dit-il,  est 
encore  honorée  par  les  Grecs  ie  28 octobre.  » 
Le  peu  de  détails  que  donne  Fabrieius  est 
emprunté  à  Lilio  Gregorio  Gyraldi,  que  Ton 
connaît  seul  pour  avoir  attribué  celte  pièce 
à  cet  auteur,  et  qui  la  distingue  ainsi  du 
Christus  Patiens  de   saint  Grégoire   de  Na- 

zianze. 

11  nous  semble  infiniment  probable  que  le 
Meurtre  du  Christ  n'est  pas  autre  chose  que 
le  Christ  souffrant,  intitulé  aussi  la  Pas- 
sion du  Christ.  —  Voy.  Passion  (La). 

CHRIST  SOUFFRANT.  —  \oy.  la  Pas- 
sion du  Christ.  (Orient.) 

CHRISTINE  (Suste).  —  De  Beauchamps 
mentionne  la  Passion  de  sainte  Christine  , 
imprimée  à  la  suite  du  Mystère  de  Notre- 
Dame  et  de  la  Passion  de  sainte  Léocade.  {Re- 
cherches sur  les  théâtres  de  France  depuis 
1161;  Paris,  1735,  in-8\  3  vol.,  t.  1",  p.  226.) 
--  Voy.  Notre-Dame  (Mystère  de);  sainte  Léo- 
cade (  ta  Passion  de  ). 

CHR1STOFFLE  (Saint).  — On  ne  con- 
naît point  de  manuscrit  subsistant  du  Saint 
Christoffle.  Ce  drame  date  de  la  première 
moitié  du  xvi'  siècle. 

Il  eut  pour  auteur  Antoine  Chivalet,  sur 
lequel  il  est  resté  quelques  renseignements 
que  nous  avons  réunis  à  son  nom. 

«  La  seule  édition  que  l'on  connaisse  de 
ce  mystère,  ont  dit  les  frères  Parfait  (  His- 
toire du  Théâtre  français;  Paris,  15  vol. 
in-12,  1745,  t.  111,  p.  1  ),  est  celle  que  cite 
D\i\evd\cv-\auvrivaL(Ribliothèquefrançoise, 
p.  161),  et  qui  parut  à  Grenoble  en  1530. 
C'est  un  petit  in-folio  de  192  feuillets  ou 
386  pages  ,  à  deux  colonnes  ,  qui  peut  con- 
tenir environ  vingt  mille  leUres  : 

«  En  voici  le  litre  :  S'ensuyt  la  Vie  de 
sainct  Christofle,  élégament  composée  en  rime 
française  et  par  personnaiges ,  par  maislre 
Chcvalrl,  Jadis  souverain  maistre  en  telle 
composilûre  ,  nouvellement  imprimée.  »  (  Frè- 
res Parfait  ,  ibid.  ) 

On  lit  à  la  tin  :  Icy  finistle  Mystère  du 
glorieux  sainct  Christofle,  composé  par  per- 
sonnaiyes ,  et  imprimé  à  Grenoble,  le  vingt 
huict  de  Janvier,  Van  comptant  à  la  Nativité 
de  Notre  Seigneur  ,  mil  cinq  cens  trente,  aux 
dépens  de  maistre  Anemond  Amalberli ,  ci- 
toyen de  Grenoble.  »  (Ibid.  ) 

Le  sixain  suivant  qui  est,  à  la  fin  de  la 
première  journée,  nous  fournit  la  date  de  la 
première  représentation  : 

Quant  Penthecostis  furent  de  Juing  le  neuf. 
m.  d.  vingt  et  sept,  fut  faict  neuf 
Ce  présent  livre;  et,  en  ce  lieu  et  terre 
De  Grenoble,  fut  joué  son  mystère, 

(113)  Ce  langage  singulier  n'est  autre  chose  que 
l'argot  en  usage  parmi  les  filous  et  les  archers.  Il 
a  eu  le  même  sort  que  la  langue  française  ;  aujour- 
d'hi'i  nous  entendons  à  peine  le  langage  des  xiv*  et 
xv  siècles.  L'argot  ou  le  jargon  a  changé  aussi,  Vil- 
lon s'en  est  servi  pour  composer  quelques  ballades 
qui  se  trouvent  page  170  et  suivantes  «le  la  nouvelle 
édition  des  œuvres  de  ce  poêle.  Chevalet,    auteur 

{dus  récent,  le  place  ici  très-convenablement  dans 
a  bouche  de  deux  fripons,  qui,  après  une  suite  de 
crimes  dignes  des  derniers  supplices  ,   s'enrôlent 

Dictions,  des  Mïsièrks. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEUES. 


cim 


in 


Duquel  finist  la  première  journée 
Nouvellement  au  dicllieu  imprimée.  (Ibid.) 


La  Bibliothèque  du  Théâtre  f>  ançois ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière, 
(  Dresde. ,  1768,  in-8%  3  vol.,  I.  I"r,  p.  93  ) 
en  fait  mention.  —  Voy.  Chevalet  (An- 
toine ). 

Les  frères  Parfait  ont  donné  de  ce  drame 
l'analyse  suivante  : 

MYSTÈRE  DE   SAINT  CHRISTOFLE. 

«  L'empereur  Dioctétien ,  à  qui  l'on  vient 
apprendre  que  Danus,  roi  de  Lycie,  de  con- 
cert avec  plusieurs  autres  princes  ,  cherche 
à  se  soustraire  à  son  obéissance,  lui  envoie 
un  messager,  pour  tâcher  de  le  faire  rentrer 
dans  son  devoir.  Danus,  méprisant  ses  me- 
naces, envoie  Sautereau  aux  rois  ses  confédé- 
rés. Dans  son  voyage  ,  ce  messager  rencon- 
tre un  paysan  qui  maltraite  sa  femme,  qui, 
ainsi  que  celle  du  Médecin  malgré  lui  de 
Molière,  est  fâchée  lorsqu'on  empêche  son 
mari  de  la  ballre,  et  le  pauvre  Sautereau 
n'a  pour  récompense  que  des  coups  de  bâ- 
ton; il  part  avec  cela,  et  suit  la  route  de 
Damas;  de  là  il  va  à  Tripoli ,  et  dans  le  pays 
de  Chananée,  et  revient  à  Samos ,  ville  ca- 
pitale des  Etats  de  Danus,  lui  rendre  compte 
du  succès  de  ses  négociations. 

«  Tandis  que  Dioclélien  s'apprête  è  par- 
tir à  la  tête  d'une  puissante  armée,  pour 
punir  la  rébellion  du  roi  de  Lycie  et  de 
ses  alliés  ,  Lucifer  assemble  les  esprits  in- 
fernaux. Cerbérus  et  les  autres  démons 
s'empressent  à  lui  apporter  les  pécheurs 
de  toute  espèce.  On  amène  entre  autres  uno 
femme  de  mauvaise  vie,  un  avare,  un  dé- 
bauché, et  une  malheureuse  qui  avait  vendu 
l'honneur  de  sa  fille.  Nous  n'entrerons  pas 
dans  un  plus  grand  détail  de  celte  scène 
assez  curieuse. 

«  Cependant  Dioclétien  s'avance  vers  Sa- 
mos ,  suivi  de  son  connétable  ,  de  l'amiral , 
du  prince  des  Souysses  ,  du  duc  d'Albanie, 
et  d'une  nombreuse  armée.  Lorsque  ces 
troupes  sont  prêtes  à  camper  sous  les  murs 
de  cette  ville,  deux  soldats  romains  s'exa- 
minent avec  attention  ,  et  venant  enfin  à  se 
reconnaître  ,  ils  se  racontent  mutuellement 
leurs  aventures  et  celles  de  leurs  anciens 
camarades.  Comme  cette  scène  se  passe 
entre  deux  bandits  ,  et  qu'elle  est  écrite  en 
langage  singulier  (143),  nous  croyons  devoir 
l'insérer  ici  tout  entière  ,  pour  ne  point 
priver  les  curieux  des  grâces  de  l'original. 

barraqcin,  premier  tyran,  commence. 

Hé  chouq,  plais  Dieu,  et  queschechy  ? 
N'aray-je  jamais  de  Tauberl? 

dans  les  recrues  que  l'empereur  fait  faire  précipi- 
tamment, et  où  on  reçoit  indifféremment  tous  ceux  qui 
se  présentent.  En  comparant  ce  langage  avec  celui 
de  Villon,  on  s'apercevra  qu  il  y  a  peu  de  différence. 
Cependant  le  célèbre  Marot,  qui  a  donné  une  édition 
de  ce  poète,  avec  ses  corrections,  n'a  pas  osé  Icf 
hasarder  sur  ce  jargon.  Au  reste,  Dioclétien  pa:ai' 
ici  avec  une  suite  telle  que  pouvai.1  alors  avoir  ur 
roi  de  Fiance.  Les  anciens  poèmes  dramatique 
fourmillent  de  pareilles  bévues.  Les  lecteurs  peuvew 
aisément  les  remarquer. 


255  €HR 

Je  suis  en  ce  bois  tout  transy, 
Dont  j'ai  faict  endosse  de  vert. 
Je  porte  le  c..  descouvert. 
Mes  tirandçs  sont  desquiréesi 
Les  passans  rompus,  il  y  pert„ 
Et  porte  la  lyme  nouée. 

brandimas,  second  tyran,  commence 

Tous  mes  grains  ont  pris  la  brouée  : 
Cap  de  Dio  !  tout  est  despendu  t 
J'ay  mon  arbaleste  flouée, 
Et  le  galier  pieçà  vendu. 
Le  ront  est  pelé  et  tondu, 
Mon  comble  est  à  la  tarière. 
Or  ay,  que  ne  suis-je  pendu, 
Mon  jorget  n'a  pièce  entière. 

Barraquin,  appercevant  Brandimas 

Quel  mynois  ! 

brandimas,  appercevant  Barraquin. 

Quelle  Hère  manière? 

BARRAQUIN, 

Es-tu  narquin  ? 

BRANDIMAS. 

Ouy,  compain. 

BARRAQUIN. 

Demeure. 

BRANDIMAS.' 

Tire-toy  arrière. 

BARRAQUIN. 

A  mort,  ribaut. 

BRANDIMAS. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


CHR 


238 


Rroues-tu  ? 


Rien  de  la  main. 

BARRAQUIN. 
BRANDIMAS. 

Je  cours  le  terrain.. 

BARRAQUIN. 

Où  vas-tu  ? 

BRANDIMAS. 

A  mon  adventure. 

BARRAQUIN. 

Tu  es  deschiré. 

[brandimas. 

Tout  à  plain 
De  dormir  «niché  sur  la  dure. 

BARRAQUIN. 

Et  par  Jupiter,  je  te  jure, 
Que  j'en  ay  de  même  que  ty. 

BRANDIMAS. 

Tout  ung. 

BARRAQUIN. 

N'ayez  paour. 

BRANDIMAS. 

Je  t'asseure. 

BARRAQUIN. 

Ne  me  congnoys-tu  point  ? 

BRANDIMAS. 

Nenny 

BARRAQUIN. 

Gaullbier,  où  as-tu  tant  dormy  ? 
brandimas,  embrassant  Barraquin. 

Hé,  gueux,  advance-moy  la  poùe. 

BARRAQUIN. 

Es-tu  là,  lié,  liau,  ebardemy  ? 

BRANDIMAS. 

11  est  bien  force  que  l'on  floue, 


BARRAQUIN. 

Où  est  Arquin  ? 

BRANDIMAS. 

Il  fait  la  moue 
A  la  lune. 

BARRAQUIN. 

Est-il  au  JUC  ? 

BRANDIMAS. 

II  fust  gruppé,  et  mis  en  roue 
Par  le  deffault  d'un  allegruc» 

BARRAQUIN. 

Et  toy  ? 

BRANDIMAS. 

J'eus  longuement  le  plue, 
De  pain  et  d'eau,  tenant  au  gectz. 

BARRAQUIN. 

Comment  eschappas-lu  ? 

BRANDIMAS. 

Ce  fust 
Pour  une  anse,  et  l'aspergés. 

BARRAQUIN. 

Le  Roùastre  et  ses  subjeetz 

Le  mirent  aux  coffres  massis 

Par  les  piedz  tenant  aux  gros  septz- 

BRANDIMAS 

Y  couchas-tu  ? 

BARRAQUIN. 

J'estais  assis  : 
Quant  ce  vint  entre  cinq  et  six 
Dedans  les  septz  laissay  ma  guestre, 
bt  de  paour  d'estre  circoncis, 
Des  ances  sautay  la  fenestre. 

BRANDIMAS. 

Cela  fust  bien  ung  tour  de  maistre. 

BARRAQUIN. 

Pourquoy  ? 

BRANDIMAS. 

Hé,  pauvre  berouart, 
Ta  sentence  estoit  jà  preste, 
L'on  n'attendait  que  le  Télart, 
Pour  te  pendre  hault  comme  ung  lart 
Nonobstant  tout  ton  babinage. 

BARRAQUIN. 

Je  m  embrouay  au  gourd  piard. 

BRANDIMAS. 

El  je  demeuray  au  passage. 

BARRAQUIN. 

J'esehaquay. 

•     BRANDIMAS. 

Et  j'estais  en  cage. 

BARRAQUIN. 

Je  pietonay  toute  la  nuict. 

BRANDIMAS. 

Et  l'Embourreur,  pour  tout  potage 
Me  mist  dehors  par  sauf  conduict 
A  torches  de  fer. 

BARRAQUIN. 

Quel  déduict  ! 
Embuschons-nous  sous  la  feuillée, 
Pour  attendre  quelque  Syrois. 

BRANDIMAS. 

S'il  avait  des  grains  à  l'emblée, 
On  luy  raserait  le  mynois. 

«  Pendant  que  ceci  se  passe  d'un  côté,  de 
l'autre   Bardon  ,  autre  soldat  de  I  armée  de 


237 


cnu 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CHR 


238 


l'empereur,  va  a  la  découverte.  11  rencontre 
Landurée,  femme  du  paysan  Landureau  , 
dont  ou  a  parlé  au  commencement  de  celte 
journée  ,  et  s'arrête  pour  la  cajoler.  Le  mari 
qui  fait  le  guet  sur  le  haut  de  la  tour  de 
Samos ,  s'apercevant  de  ceci ,  et  voyant 
que  sa  femme  reçoit  assez  familièrement  ses 
caresses  ,  entre  dans  une  extrême  colère  ,  et 
crie  l'alarme  de  toutes  ses  forces. 

LANDUREAU. 

Allarme,  bonnes  gens,  allarme, 
Je.saulteray  par  ce  créneau. 

«  Nycolin'et  Pasquelon,  sachant  de  quoi 
ri  s'agit ,  s'en  mettent  fort  peu  en  peine  ,  et 
courent  en  diligence  aux  portes  de  la  ville, 
où  se  fait  une  escarmouche  entre  les  Ly- 
ciens  et  les  troupes  de  l'empereur.  Ces  der- 
niers sont  repoussés  avec  une  perle  consi- 
dérable ,  et  le  duc  d'Albanie  est  fait  prison- 
nier. Pour  le  ravoir,  Dioclétien  fait  appro- 
cher son  artillerie.  Contre  un  péril  si  pres- 
sant, Danus  ne  trouve  pas  d'aulre  moyen 
que  de  faire  conduire  le  duc  sur  le  rem- 
part,  et  d'ordonner  à  des  bourreaux  de  le 
pendre  dès  l'instant  que  les  ennemis  se  pré- 
pareront à  donner  l'assaut.  En  effet,  Dioclé- 
tien, qui  craint  pour  la  vie  du  duc,  propose 
une  trêve  d'un  an,  que  Danus  accepte,  en 
rendant  ce  prisonnier.  L'empereur  ordonne 
aussitôt  un  sacrifice ,  pour  remercier  les 
dieux  de  ses  heureux  succès  :  et  Sautereau 
va  de  la  part  du  roi  de  Lycie  ordonner  à 
Antropatos  de  le  faire  préparer.  «  J'obéirai, 
«  répond  ce  grand-prêtre  ,  quoique  ,  ajou- 
«  te-t-il ,  je  ne  sois  pas  né  sujet  de  Dioclé- 
«  tien.  >; 

SAITEUEAC. 

J'entens  assez,  je  sçai  que  c'est  : 
Il  ne  vous  chault,  soit  gaing  ou  perte 
Fors  que  vous  en  ayez  l'offerte. 
Adieu,  jusqu'à  demain  matin. 

«  Antropatos  dit  à  Ysengrin,  son  clerc, 
de  préparer  le  sacrifice  avec  soin  :  «  Ne 
«  vous  embarrassez  de  rien  ,  répond  Ysen- 
«  grin  ,  je  suis  au  fait,  et  je  sais  la  manière 
«  de  vous  procurer  une  recotte  abondante.  » 
Le  lendemain  la  cérémonie  se  passe  avec 
magnificence ,  chacun  des  assistants  pré- 
sente son  offrande,  et  le  duc  d'Albanie,  par 
reconnaissance  ,  voue  aux  dieux  le  licol  qui 
devait  servir  à  lui  ôter  la  [vie.  Lnsuite  cha- 
cun se  retire  chez  soi. 

«  La  première  journée  de  ce  mystère  est 

(144)  Nous  avons  remarqué  à  quel  usage  nos 
vieux  dramatiques  employaient  les  personnages  de 
fou  et  de  folle,  et  en  quoi  consistaient  leurs  discours; 
on  croira  aisément  que  ceux  que  l'auteur  leur  fait 
ici  tenir  sont  fort  libres,  puisqu'on  regardait  alors 
ces  obscénités  comme  un  agrément  nécessaire  à  ces 
sortes  de  caractères,  el  que  d'ailleurs  elles  étaient  du 
goût  de  Chevalet. 

(145)  Pour  achever  de  donner  une  idée  des  opé- 
rateurs du  siècle  auquel  notre  auteur  vivait,  et  de 
la  façon  dont  ils  attrapaient  les  dupes  de  leur  temps, 
nous  joindrons  les  vers  suivants,  c'est  Mauloue  qui 
parle,  et  appelle  le  peuple. 

Seigneurs,  voici  la  pourtraiclure 
Du  glorieux  sainct  A'l'ao'.iu 


terminée  par  l'arrivée  d'un  puissant  et 
énorme  [géant,  appelé  Reprobe  ,  qui  vient 
offrir  ses  services  au  roi  de  Chananée  ,  sur 
les  terres  duquel  il  a  pris  naissance.  » 

SECONDE  JOIKNÉE. 

«  Elle  commence  par  les  entretiens  d'un 
fou  et  d'une  folle,  personnages  fort  à  la 
mode  au  temps  des  mystères  dont  nous  par- 
lons^!*).Ueprobe,  qui  veul  s'attacher  au  ser- 
viceduplus  puissantprincedu  monde,  quille 
le  roi  de  Chananée,  et  passe  à  Damas.  La  cour 
brillante  du  roi,  dont  celle  ville  est  le  séjour 
ordinaire,  éblouit  les  yeux  de  notre  aventu- 
rier, et  le  détermine  à  accepter  les  offres  avan- 
tageuses qu'on  lui  fait  pour  s'y  établir.  Sur 
ces  entrefaites,  un  opérateur,  courant  de 
province  en  province,  vient  enfin  à  passer 
quelques  jours  auprès  de  Damas.  Mauloue, 
c'est  le  nom  de  ce  charlatan  ,  appelle  Malas- 
segnée  sa  servante,  et  son  valet,  à  qui  il 
ordonne  de  dresser  l'échafaud  (145). 

HVCI.OUE. 

Basions,  Bacins,  Soufflelz,  Timballe, 
Les  Cobeletz,  les  Noix  de  galle, 
Le  Synge,  la  Chievre,  le  Chien, 
Et  l'Ours  :  Que  nous  n'oublions  rien 
Avec  le  Mole  (146)  des  ymages. 
Pour  courir  Villes  et  Villages. 

«  Le  hasard  veut  que  pendant  que  Mau- 
loue débite  sa  marchandise  ,  le  roi  de  Da- 
mas ,  accompagné  de  Reprobe  et  de  plu- 
sieurs seigneurs  de  sa  cour,  vient  prendre 
le  frais  dans  la  plaine,  au  moment  que  ce 
charlatan  chante  une  chanson  dont  voici  la 
premier  couplet  : 

Reveillez-vous,  gentilz  Galans, 
Et  entendez  bien  mon  Latin  ; 
Gentilz  Pions,  mes  bons  Chalans, 
Ne  vous  levez  point  trop  matin. 
Quant  vous  aurez  beu  uug  tarin, 
Cela  vous  reconfortera  ; 
Mais  si  vous  mettez  d'eau  au  vin, 
Le  Diable  vous  emportera. 

«.  Ce  dernier  vers,  qui  fait  le  refrain  de 
chaque  couplet,  produit  un  effet  surpre- 
nant :  le  roi  de  Damas,  qui  professe  la  re- 
ligion chrétienne  ,  fait  le  signe  delà  croix  , 
toutes  les  fois  qu'il  entend  prononcer  le 
nom  de  l'ennemi  du  genre  humain  ;  Ileprobe 
s'en  aperçoit  et  lui  en  demande  familière- 
ment la  raison  :  «  C'est ,  répond  ce  pieux 
«  prince,  pour  me  munir  contre   un  si   re- 

Qui  fut  écorché  d'nn  palin, 

Le  jour  de  Karesme  prenant. 

Après  voici  sainct  Pimponaiu, 

.Avecques  saincl  Ti  ibolanàeau, 

Qui  turent  tous  deux  d'un  sceau  d'eau 

Décollez,  dont  ce  lui  dommage. 


Si  vous  avez  iulention 

De  les  avoir,  je  vous  les  baille 

Les  deux  pour  trois  deniers  el  maille. 

Mais  toutefois  argent  content. 

ling  peintre  B*«JD  feroit  pas  tant 

De  bonnes  couleurs,  pour  deux  francs. 

Avant,  avant,  |ielils  entans, 

\  ous  n'en  payez  pas  la  façon. 


(14G)  Le  moule. 


2Ô9 


CHR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CHU 


240 


«  doutable  adversaire.  »  A  cette  réponse, 
qui  fait  connaître  clairement  le  pouvoir  du 
démon,  lleprobe  ne  balance  pas  à  prendre 
Je  parti  de  suivre  ce  nouveau  maître  ,  malgré 
les  prières  et  les  instances  du  roi  de  Damas. 
Il  rencontre  en  chemin  Landureau;  ce  ma- 
nant, pressé  de  lui  enseigner  ce  qu'il  cher- 
che, répond  en  tremblant  qu'il  ne  connaît 
point  le  diable.  «  Mais,  ajoute-t-il,  en  mon- 
te trant  sa  femme,  voici  une  diablesse  à 
«  votre  service.  »  Ce  discours  ne  satisfait 
j)oinl  Reprobe  ,  et  attire  au  pauvre  Landu- 
reau une  volée  de  coups  de  bâton  ,  que  sa 
femme  lui  donne,  pour  se  venger  de  ses 
mauvaises  plaisanteries. 

«  Reprobe,  continuant  son  chemin,  aper- 
çoit une  troupe  de  soldats  qui  ,  pour  éviter 
l'oisiveté,  se  battent  avec  excès.  Il  les  sé- 
pare sans  peine  avec  son  bâton.  Landureau, 
spectateur  de  cet  exploit,  en  marque  son 
étonnement. 

LANDUREAU. 

Voilà  ung  terrible  Milourt  ! 
Quant  je  regarde  son  mynois, 
Qu'il  seroit  bon  à  cueillir  noys, 
Il  ne  lui  faulJroit  point  d'eschelle. 

«  A  quelques  pas  de  là  ,  Satan,  accompa- 
gné de  Cerbéfus ,  de  Flégéas  et  de  Belzébuth, 
se  présente  à  lleprobe  ,  sous  la  ligure  du 
prince  du  monde,  et  l'engage  à  son  service. 
Par  bonheur  pour  Reprobe,  Dieu  permet 
qu'il  se  trouve  une  croix  plantée  sur  le 
grand  chemin,  par  où  Satan  doit  naturelle- 
ment passer.  Il  veut  l'éviter ,  et  [(rendre 
une  autre  route,  lorsque  lleprobe  le  force 
à  lui  en  dire  la  raison.  «  Le  souvenir  que 
«  j'ai,  répond  Satan,  d'avoir  été  vaincu  sur 
«  un  bois  taillé  de  cette  manière,  m'a  donné 
«  une  si  parfaite  aversion  pour  ceux  qui  lui 
«  ressemblent ,  que  je  les  évite  avec  soin.  » 
A  peine  Satan  a-t-il  dit  ces  mots,  que  son 
nouveau  serviteur  le  quitte  avec  indigna- 
tion ,  (tour  chercher  ce  vainqueur  redouta- 
ble. Les  malins  esprits  disparaissent ,  et  re- 
çoivent aux.  enfers  la  peine  de  leur  stupi- 
dité. De  son  côté,  Reprobe  s'adresse  à  un 
ermite,  et  lui  fait  un  récit  court  et  naïf  de 
sa  vie.  Le  solitaire,  saisissant  ce  montent 
précieux,  lui  conseille,  avant  toutes  choses, 
de  prier,  et  de  mortifier  son  corps  par  le 
jeûne.  Le  catéchumène  est  trop  grossier 
pour  goûter  ces  avis. 

REPROBE. 

Quant  je  suis  soûl,  je  suis  content 
De  jeusner  tant  que  j'aye  fain. 

«  La  réponse  ne  rebute  point  le  solitaire; 
en  attendant  que  Dieu  lui  ouvre  les  yeux 
de  l'esprit,  il  lui  enjoint  pour  pénitence  de 
passer  tous  ceux  qui  se  présenteront  au 
fleuve  voisin,  qui  est  très-dangereux  par  son 
extrême  rapidité.  Reprobe  sent  quelque  ré- 
pugnance à  obéir,  mais  le  respect  qu'il  a 
pour  l'ermite  le  fait  consentir.  Il  se  laisse 
conduire  aux  bords  du  fleuve  par  un  jeune 
ermiton,  et  remplit  exactement  son  devoir 
envers  plusieurs  bourgeois  de  Nicomédie, 
qui  profitent  de  cet  avantage. 

«  Sur  le  soir,  et  dans  le  moment  que  lle- 


probe veut  se  reposer  lias  fatigues  du  jour, 
le  Sauveur,  sous  la  figure  d'un  jeune  enfant, 
se  présente  pour  passer  le  fleure.  Quelque 
las  que  soit  noire  pénitent,  la  tendresse  de 
l'âge  de  cet  enfant  l'emporte  sur  tout,  il  le 
prend  sur  ses  épaules  et  se  met  en  devoir 
de  traverser  la  rivière.  Etonné  de  trouver 
une  charge  si  pesante,  il  jette  les  yeux  sur 
le  Sauveur,  qui  ['illumine  uu  même  instant 
de  sa  grâce,  et  disparaît,  après  lui  avoir  or- 
donné de  planter  son  bourdon  sur  le  rivage, 
lleprobe  s'endort,  et  peu  de  temps  après,  le 
fou  dont  on  a  déjà  parlé,  voulant  l'imiter, 
olfre  à  la  folle  de  lui  faire  traverser  le 
fleuve,  au  milieu  duquel  il  la  laisse  tom- 
ber. 

«  A  son  réveil  Reprobe,  surpris  de  voir 
son  bourdon,  qui  a  pris  racines,  chargé  de 
feuilles  et  de  fruits,  rend  grâce  au  Seigneur, 
et  va  trouver  l'ermite,  à  qui  il  demande  lo 
baptême.  Le  saint  homme,  en  le  lui  confé- 
rant, lui  impose  le  nom  de  Christofle. 

«  Ce  nouveau  Chrétien,  continuant  tou- 
jours son  pénible  emploi,  passe  Brûlant, 
bourgeois  de  Nicomédie;  mais  fâché  d'être 
toujours  appelé  Reprobe,  il  lui  raconte  son 
histoire,  et  par  quelle  manière  il  a  reçu  un 
nouveau  nom.  Ce  récit  convertit  Brûlant; 
il  va  trouver  l'ermite,  et  en  reçoit  la  même 
grâce  qui  vient  d'être  accordée  à  Chris- 
telle. 

«  D'un  autre  côté,  Alpantin  et  Marragon, 
Chrétiens  de  Damas,  sont  arrêtés  dans  Sa  m  6s 
par  les  ordres  de  Danus.  Ce  roi,  pour  faire 
sa  cour  à  Dioclétien,  le  prie  de  lui  envoyer 
des  bourreaux  qui,  plus  exercés  que  les  au- 
tres, sont  plus  habiles  à  tourmenter  les  Chré- 
tiens. Le  martyr  d'Alpantin  et  de  son  com- 
pagnon suit  de  près  l'arrivée  des  bourreaux. 
Christofle  et  Brûlant  ensevelissent  leurs 
corps,  et  leur  mort  occasionne  la  conver- 
sion de  Pasquelon  et  de  Nycolin.  » 

TROISIÈME  JOURNÉE. 

De  sainct  Christofle  as  la  tierce  Partie, 
Cy  ensuyvant,  et  la  conversion 
De  deux  fillettes,  qui  par  lui  adverlies 
En  Jesus-Christ  souffrirent  passion. 

«  C'est  dans  cette  journée  que  commence 
la  passion  de  saint  Christofle.  Le  prévôt  et 
les  archers  que  lo  roi  de  Lycie  avait  en- 
voyés pour  le  prendre,  viennent  rendre 
compte  du  peu  de  succès  de  leur  commis- 
sion. Christofle  se  laisse  enfin  lier  et  con- 
duire avec  Brûlant  devant  Danus.  La  fer- 
meté que  ces  deux  Chrétiens  font  paraître 
touche  le  comte  de  Triple  et  quelques  au- 
tres, qui  embrassent  leur  religion  et  en 
donnent  des  preuves,  par  les  aumônes  qu'ils 
font  à  un  aveugle  et  à  son  valet  Picolin.  Lo 
roi  les  fait  arrêter,  et  ordonne  à  ses  bour- 
reaux de  les  faire  mourir.  On  tranche  la  tête 
au  comte,  Gracien  est  écorché  vif,  Florides 
tiré  à  quatre  chevaux  :  Broadas  expire  sur 
un  siège  garni  de  pointes  de  fer,  et  Andro- 
mades,  que  l'on  fait  mourir  le  dernier,  est 
étendu  sur  une  table,  où  on  lui  coupe  les 
membres  l'un  après  l'autre.  Les  quatre 
bourreaux  vont  ensuite  ou  Cagnard  dénen- 


241 


CHU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


Ci  III 


2i<i 


ser  l'argent  qu'ils  viennent  de  gagner. 
«  Pendant  ce  temps-là,  le  roi  de  Lycie, 
désirant  conserver  la  vie  à  Chrislofie  et  se 
rattacher,  assemble  son  conseil,  et,  suivant 
son  avis,  il  envoie  chercher  des  tilles  pour 
le  séduire.  Sautereau  s'acquitte  de  cette 
commission,  et  conduit  à  cet  effet  Aqueline 
et  Ny  ce  lie  à  la  prison  où  est  enfermé  le  ser- 
viteur de  Dieu.  Elles  ne  sont  pas  plutôt  in- 
troduites dans  son  cachot,  qu'elles  emploient 
leurs  ruses  et  leur  adresse,  pour  remplir 
l'attente  de  Danus.  Chrislofle  ne  répond 
à  leurs  caresses  et  à  leurs  discours  séduc- 
teurs que  par  ce  vers  : 

Et  qu'esl  cecy,  estes-vous  folles  ? 

«  Enfin,  pour  achever,  ces  malheureuses, 
bien  loin  de  faire  succomber  ce  soldat  chré- 
lien,  se  rendent  à  ses  remontrances,  recon- 
naissent leur  aveuglement,  et,  suivant  ses 
conseils,  reçoivent  le  baptême  de  sa  main. 
C'est  en  vain  que  le  roi  par  les  tourments 
veut  les  faire  changer  de  résolution,  elles 
persistent  jusqu'au  dernier  soupir.  Aque- 
line est  jetée  dans  la  mer,  avec  une  pierre 
attachée  à  ses  pieds,  et  Danus,  après  avoir 
♦enté  inutilement  de  faire  consumer  Nycelte 
dans  un  brasier,  ordonne  aux  bourreaux  de 
lui  trancher  la  tôle  (147).  » 

QUATRIÈME  JOIR.NÉE. 

«  Le  martyre  de  Brulanf,  et  les  tourments 
que  l'on  fait  endurer  à  Christofie,  produi- 
sent un  ell'et  contraire  aux  désirs  du  roi  de 
Lycie,  en  augmentant  le  nombre  des  nou- 
veaux Chrétiens-  De  ce  nombre  est  Epigra- 
inus,  favori  de  ce  prince,  qui  paye  ses  ser- 
vices par  une  mort  cruelle.  Chrislofle  ressent 
ensuite  de,  nouveaux  effets  de  sa  fureur  : 
après  lui  avoir  attaché  aux  pieds  une  énorme 
meule  de  moulin,  on  le  fait  ainsi  traîner 
par  des  chevaux  indomptés,  jusqu'à  ce  que 
les  bourreaux,  croyant  qu'il  a  perdu  la  vie, 
l'abandonnent  au  milieu  de  la  plaine,  avec 
celle  meule  sur  l'estomac.  Mais  le  Seigneur, 
qui  réserve  ce  martyr  à  de  nouvelles  souf- 
frances, exauçant  les  prières  de  la  sainle 
Vierge,  envoie  ses  anges  qui  le  rétablissent 
en  parfaite  santé.  Une  guérison  si  peu  at- 
tendue jelte  le  roi  dans  une  fureur  extrême  : 
on  attache  par  son  ordre  Christofie  à  un  pi- 
lier, et  là  on  lui  déchiro  le  corps  à  coups 
de  fouets,  el  ensuite  ou  le  perce  de  flèches, 
Par  la  permission  divine,  une  de  ces  flèches, 
au  lieu  d'arriver  au  saint,  vient  frapper 
l'œil  de  ce  roi  impie.  «  Vous  ne  pouvez  re- 
«  cevoir  de  guérison,  lui  dit  alors  Chrislofle, 
«  qu'en  arrosant  voire  plaie  de  mon  sang.  » 
Soit  rage,  soit  désir  de  voir  l'cU'el  de  cette 
prédiction  ,  Danus  ordonna  aussitôt  aux 
bourreaux  de  lui  trancher  la  tète. 


[CIIIUSTOFLK. 

Voi-nie-cy  prest  (l'offrir  mon  corps 
A  Dion,  en  cesle  heure  présente, 
Afin  que  l'ame  soit  exempte 
D'Enfer  la  puante  maison. 

barraquin,  lui  coupant  la  télé. 

C'est  bien  riihmc,  lu  as  raison. 

«  Des  anges  portent  son  âme  au  ciel,  Ny 
colin  et  Pasquelon  ensevelissent  son  corps 
que  les  bourreaux  abandonnent  aux  oiseaux 
de  proie.  Le  roi  revient  un  moment  après, 
accompagné  de  ses  courtisans  ;  il  se  déses- 
père, ne  voyant  plus  le  corps  de  saint  Chris- 
tofie, heureusement  on  aperçoit  un  peu  de 
son  sang  répandu  à  terre.  Ce  prince  ne  s'en 
est  pas  plutôt  frotté  les  yeux  qu'il  recouvre 
non- seulement  la  lumière  du  corps,  mais 
encore  celle  de  l'Ame,  et,  après  avoir  dit  Fy 
de  ses  dieux,  il  déclare  qu'il  veut  mourir 
Chrétien.  Son  exemple  est  suivi  par  la  reine 
et  par  les  seigneurs  et  dames  de  la  cour.  Le 
roi  de  Damas  fait  complimenter  celui  de  Ly- 
cie sur  son  heureuse  conversion,  et  lui  en- 
voie un  évêque  ;  d'un  aulre  côlé,  les  bour- 
reaux, conjecturant  qu'ils  n'ont  plus  rien  à 
faire  à  Samos,  retournent  à  Dioclélien,  et 
lui  apprennent  le  changement  subil  de  Da- 
nus. La  trêve  accordée  enire  les  rois  eonfé- 
dérés  et  l'empereur  étant  près  d'expirer, 
ce  dernier  assemble  son  armée,  et  marche 
vers  Samos.  Le  roi  de  Damas  accourt  avec 
ses  troupes,  et  celui  de  Chananée,  quoique 
païen,  embrasse  la  querelle  commune. 

«  Le  danger  pressant  où  se  trouvent  les 
Lyciens  n'empêche  pas  la  reine  de  Samos 
de  commander  une  magnifique  châsse,  dans 
laquelle  on  dépose  avec  cérémonie  le  corps 
de  Chrislofle.  Les  miracles  opérés  par  son 
intercession  se  répandent  avec  succès,  et 
occasionnent  la  conversion  du  roi  de  Cha- 
nanée. Cependant  l'armée  de  Dioclélien  ap- 
proche de  Samos;  on  ordonne  à  Landureau 
de  monter  sur  la  lour,  et  de  se  tenir  au 
guet.  Mais,  comme  Landurée  est  hors  de  la 
ville,  il  veut  la  faire  rentrer,  pour  éviter  la 
violence  des  soldats.  «  Va,  va,  je  ne  crains 
«  rien,  »  répond-elle.  —  «  Tes  craintes  sont 
«  ridicules,  »  ajoute  Pasquelon  en  l'obligeant 
à  monter. 

LANDUREAU. 

Je  sçai  bien  que  je  suis  C, 
Pour  dire  le  cas  tel  qu'il  est  : 
Mais  je  ne  suis  pas  tout  seulet; 
J'ai  des  compagnons  plus  de  mille, 
Autant  aux  champs  comme  à  la  ville. 
C'est  maladie  incurable. 

«  Les  Chrétiens,  se  confiant  aux  prières  de 
saint  Christofie,  vont  au  devant  des  infidè- 
les, et  les  taillent  en  pièces.  Celle  perte  jetle 
Dioclélien  dans  une  telle  fureur,  qu'après 
avoir  invoqué  toutes   les  puissances  infer- 


(iiT)  L'auteur,  qui  s'est  apparemment  aperçu  qu'il 
avait  rempli  cette  journée  dXme  infinité  «le  discours 
que  nous  n'avons  pu  rendre  dans  col  extrait,  a  voulu 
faire  connaître  qu'il  n'en  avait  usé  ainsi  que  pour 
inspirer  plus  d'horreur  pour  le  vice  qu'il  y  dépeint 
avec  des  couleurs  à  la  vérité  un  peu  fortes;  c'esl  ce 


que  signifie  le  quatrain  suivant  qui  se  trouve   à  la 
fin  de  celle  troisième  journée. 

Ici  Nuit  la  lierre  Journée,1 
nouvellement  ii  Grenoble  imprimée, 
Lai|uell"  apprenl  une  chacun  ail  la  euro 
De  t.e  garder  du  vice  de  luxure. 


94S 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CLO 


2U 


iiales,  il  ajoute  que,  las  de  gouverner  l'em- 
pire romain  depuis  une  Irenlaine  d'années, 
il  veut,  pour  changer  d'état,  être  capitaine 
des  enfers.  Les  diables  accourent  à  ses  hur- 
lements et  à  ses  blasphèmes,  et  l'emportent 
avec  Barraquin,  qui  vient,  par  leur  inspira- 
tion, de  se  donner  un  coup  de  poignard.  Et 
la  pièce  Unit  par  les  actions  de  grâces  que 
les  Chrétiens  rendent  à  Dieu,  et  au  saint 
martyr,  par  l'intercession  de  qui  ils  ont  ob- 
tenu une  si  belle  victoire. 

Voilà  la  tin  du  glorieux  Mystère. 
Sainct  Christofle,  qui  pour  Dieu  tant  souffrit, 
Lequel  triumphe,  comme  Martyr  en  gloire, 
Pour  ce  qu'il  fust  ferme  en  Jesu-Christ.  » 

CLAIRE  (Sainte).  —  La  Vie  de  sainte  Claire 
est  citée  dans  une  liste  de  mystères  publiée 
par  de  Beauchamps.  [Recherches  sur  les  théâ- 
tres de  France;  Paris  1735,  in-8°,  3  vol., 
t.  I",  p.  228.) 

CLOVIS  (Le  roi).  —  Le  Baptême  de  Clovis 
est  un  des  drames  du  manuscrit  des  Miracles 
de  Notre-Dame,  que  conserve  la  Bibliothè- 
que impériale,  n°  7208,  4.  B.,  folio  262 
recto. 

Ce  drame  du  xive  siècle  a  été  longuement 
analysé  par  M.  O.  Leroy,  dans  ses  Etudes 
sur  les  mystères  (Paris,  1837,  in-8°),  et  dans 
ses  Epoques  de  l'histoire  de  France.  (Paris, 
1813,  id-8%) 

Selon  cet  auteur,  le  catholicisme  était 
alors  bien  moins  *puissant  qu'on  a  pu  le 
croire;  l'arianisme  et  d'autres  hérésies,  les 
païens  et  les  Juifs  étaient  fort  influents;  et 
quoique  le  triomphe  des  Chrétiens,  malgré 
le  nombre  de  leurs  ennemis,  fût  assuré  par 
la  profonde  autorité  de  leurs  dogmes,  néan- 
moins le  baptême  de  Clovis  marqua  le  jour 
de  la  domination  de  l'Eglise,  et  ce  baptême 
ne  fut  pas  l'œuvre  des  ressorts  politiques  de 
quelques  évêques,  dont  on  rabaisse  ainsi  le 
grand  caractère  et  la  foi  ;  tout  est  dû  à  sainte 
Clotilde  que  Dieu' même  inspira. 

11  est  probable  que  l'auteur  du  Miracle  eut 
sous  les  yeux  des  documents  qui  nous  man- 
quent aujourd'hui  (Epoq.,  p.  139-lil),  et 
Dubos,  dans  son  Histoire  critique,  a  supposé 
à  tort  et  sans  preuves  que  l'influence  des 
catholiques  gaulois  donna  à  sainte  Clotilde 
la  force  et  Jes  moyens  d'amener  Clovis  au 
christianisme. 

En  effet,  dans  le  drame,  la  sainte  reine, 
sur  qui  roule  toute  l'action,  n'apparaît  pas 
comme  une  héroïne;  elle  dit  d'elle-même 
qu'elle  n'est  que  la  chambrière  de  son  sei- 
gneur. C'est  une  simple  et  faible  femme. 
Mais  elle  est  calquée  sur  le  modèle  de  Marie; 
elle  est  l'idéal  de  la  piété.  Aussi  «  pour  en- 
fanter, dit  M.  Leroy,  suivant  l'expression  du 
Pape  Anastase,  non-seulement  une  race  de 
rois,  mais  tout  un  grand  peuple  à  Dieu... 
elle  ne  s'appuie,  pour  cette  œuvre  immense, 
que  sur  sa  faiblesse,  sur  les  lumières  nù  clic 
est  née,  ou  plutôt  sur  Dieu  seul.  »  (Etudes, 
p.  47;  Epoques,  p.  H5.) 

MM.  Monnierqué  et  Francisque  Michel, 
dans  leur  théâtre  français  au  moyen  âge 
(Paris,  1839,  gr.  in-8%  p.  609-668),  ont  publié 


le    mystère   de    Clovis,  avec  une   version 
française. 

o 

Les  personnages  sont  au  nombre  de  trente- 
six  dont  voici  les  noms  : 


ALRELIAN. 

LE    ROY    CLOVIS. 

PREMIER    CHEVALIER. 

2e    CHEVALIER. 

5e    CHEVALIER. 

mC.HON    PASSE-PORTE,  C"S- 

cuier. 
gieffroy, premier  povre. 
renier,  2e  povre. 

CLOTILDE. 

ysabel,  la  damoiselle. 
lienart,  5e  povre. 

GONDEBAUT,    TOV. 
PREMIER    CONSEILLER     DE 

GONDEBALT. 
2°   CONSEILLER. 

ytier,  chamberlant. 

PREMIER    SERGENT. 
2e    SERGENT. 


LES  MENESTREZ. 

robert,  escuier, 
Katherine,  ventrière. 

DIED. 

nostre-dame. 

GABRIEL. 
M1CHIEL. 
SAINT-JEHAN 
l'.S    PREVOST. 
LE    ROI    DES    AIES  ANS. 
PREMIER    CHEVALIER     ALE- 
MANT. 

l'esclier  ALRELIAN. 

2'  CHEVALIER  ALEMANT. 
5e  CHEVALIER  ALEMANT. 
Ae    ALEMANT. 

Rémi,  arcevesque. 

PREMIER  CLERC. 
2e  CLERC. 


La  langue  est  déjà  toute  française, comme 
on  en  peut  juger  par  cet  extrait  :. 

AIRELLYN. 

Mon  très  chier  seigneur  redoublé, 
Mahon,  par  la  quelle  bonté 
Vous  tenez  le  règne  de  France, 
Vous  maintiengne  en  reste  puissance 
Et,  aussi  qu'il  l'ait  les  biens  croistre. 
Vous  vueille-il  en  l'honneur  accroislie 
Et  en  bone  vie  tenir 
Et  de  voz  emprises  venir , 
Sire,  à  bon  chief! 

LE   ROY. 

Et  il  vous  vueille  de  meschief, 
Amis  Aurelian,  defiendreî 
Quoy  qui  soit,  me  faictes  entendre 
Comment  se  porte  la  besongne 
De  nouvel,  amis,  de  Bourgogne. 
Vous  n'estes  pas  si  mal  senez 
Que  ne  sachez,  puis  qu'en  venez, 
De  Testât  du  roy  Gondebaut  ; 
Quelque  chose  savoir  m'en  fauît 
Ysnel  le  pas. 

ALRELIAN. 

Sire,  ne  vous  mentira  y  pas', 
Et  je  croy  que  bien  le  savez. 
Selon  ce  qu'escript  li  avez, 
Vez  ci  qu'il  vous  rescript,  chier  sire; 
Toutes  voies  vous  vueil-je  dire 
Une  chose  que  j'ay  véu  : 
J'ai  tant  enquis  que  j'ay  scéu 
Que  Gondebaut  a  une  nièce, 
Et  si  vous  jur  qu'il  a  grant  pièce. 
Ne  vi  si  sage  damoiselle, 
Ni  gracieuse  pucelle  : 
Biau  maintien  a  en  son  aîer, 
C'est  tant  courtoise  en  son  pailer, 
Que  le  monde  s'en  esmervcillo  ; 
De  lis  et  de  rose  vermeille 
Porte  couleur  entre-meslée. 
Et  monstre  bien  qu'elle  fut  née 
De  royal  gent  et  de  sanc  hauli. 
Combien  que  le  roy  Gondebault 
Occist  Chilperic  son  père, 
Non  obslant  qu'ils  fussent  frère. 
Vous  atlenné-jc  tout  pour  voir 
Qu'elle  est   digne  d'un  roy  avoir 
Par  mariage.... 


2J5 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CLO 


24S 


Le  titre  est  ainsi  conçu: 

Ici  commence  un  Miracle  de  Notre-Dame,  comment 
te  roi  Clovis  se  fit  baptiser  à  la  requête  de  Clotilde, 
sa  femme,  à  la  suite  d'une  bataille  qu'il  avait  contre 
les  Allemands  et  les  Saxons,  sur  lesquels  il  rem- 
porta la  victoire;  et  à  son  baptême  Dieu  envoya  la 
sainte  Ampoule. 

Ce  drame  commence  en  ces  termes  : 

SCÈNE  I. 
le  koi  clovis,   aurélien,  son  confident, 

SEIGNEURS  DE  LA  COUR,  VALETS. 

(La  scène  se  passe    dans   la    partie    de  la    Gaule 
conquise  déjà  par  les  Francs.) 

aurélien.  Mon  très-cher  seigneur  redouté,  queMa- 
homet,  par  la  bonté  duquel  vous  tenez  le  royaume 
de  France,  vous  maintienne  en  cette  puissance  !  et, 
de  même  qu'il  fait  croître  les  biens  (de  la  terre), 
qu'il  vous  grandisse  en  honneur,  vous  garde  en 
bonne  vie  et  vous  mette,  sire,  heureusement  à  bout 
de  vos  entreprises. 

le  roi.  Ami  Aurélien  ,  je  souhaite  que  Mahom 
vous  défende  de  tout  mal!  Cependant  dites-moi 
îles  nouvelles  de  Bourgogne,  car  vous  n'êtes  pas  si 
maladroit,  puisque  vous  en  venez  ,  que  de  rien 
connaître  de  la  situation  du  roi  Condebaut;  j'ai 
besoin  d'en  savoir  tout  de  suite  quelque  chose. 

aurélien.  Sire,  je  ne  vous  mentirai  pas,  et  je 
crois  que  vous  le  savez  bien.  Relativement  à  ce  que 
vous  lui  avez  écrit,  voici,  cher  sire,  ce  qu'il  vous  ré- 
pond. (Aurélien donne  à  Clovis  la  lettre  de  Condebaut.) 
Mais  j'ai  à  dire  encore  quelque  chose  que  j'ai  vu. 
Après  bien  des  informations  j'ai  su  que  Condebaut 
a  une  nièce,  et  je  vous  jure  qu'il  y  a  longtemps 
que  je  ne  vis  une  demoiselle 
gracieuse.  Beau  maintien  dans 
gage  si  courtois  que  chacun 
teint  entremêlé  de  lis  et  de 
bien  qu'elle  est  issue  de  race 
élevé.  Bien  que  le  roi  Gondebaut  ait  tué  son  père 
Chilpcric,  nonobstant  qu'ils  fussent  frères,  je  vous 
affirme  comme  une  chose  vraie  qu'elle  est  digne 
d'avoir  un  roi  pour  mari. 

clovis.  Seigneurs  ,  je  veux 
dessein  hardi  (que  j'ai  conçu} 
moi,  et  écoutez,  je  vous  prie. 

le  premier  chevalier.  Cher  sire,  dites  sans  hé- 
sitation votre  vouloir.  Nous  vous  écouterons  tous 
de  bon  cœur,  n'en  doutez  pas. 

le  deuxième  chevalier.  Oui,  vraiment,  et  j'ajou- 
terai que,  s'il  vous  faut  conseil,  vous  en  aurez,  sire, 
à  voire  honneur. 

clovis.  Bien  ;  voici  ce  que  je  veux  dire  :  je  me 
crois  d'âge  à  me  marier  avec  quelque  femme  dont 
il  me  puisse  venir  une  lignée  royale  qui  dans  l'ave- 
nir gouverne  et  tienne  mon  royaume  et  le  défende 
et  le  soutienne  comme  sien  après  ma  mort.  Or,  le 
roi  Gondebaut,  dit-on,  a  une  nièce  belle  et  gentille; 
j'ai  envie  de  la  demander  pour  femme,  si  vous  me 
le  conseillez;  je  vous  prie,  que  vous  en  semble? 

LE    PREMIER    CHEVALIER,    Al'    TROISIÈME.      Seigneur, 

répondez  pour  nous  tous,  nous 'nous  eïi  rapportons 
à  vous;  tout  ce  que  vous  direz  sera  fait. 

le  troisième  chevalier.  Seigneurs,  ce  dont  vous 
me  chargez  ne  m'est  pas  trop  facile;  et  pourtant, 
en  deux  mots,  voici  mon  avis  :  Si  vous  me  Croyez, 
roi  Clovis,  certes,  vous  voua  marierez  le  plus'  tôt 
possible.  Si  Gondebaut  vous  donne  sa  nièce  pour 
femme  de  bon  gré,  prenez-la,  c'est  mon  conseil  sur- 
tout à  causecleson  bon  renom  et  du  grand  bien  qu'où 
en  dit.  Si,  au  contraire,  il  ne  consent  pas,  il  faudra 
en  chercher  ailleurs  une  autre  qui  j>oil  digne  de 
tous  et  de  sang  royal. 


CHEVALIER.  En  vérité,  ce  conseil  est 


aussi  sage  et  aussi 
son  allure  ,  et  lan- 
s'eu  émerveille  ;  le 
roses.  Tout  montre 
rovale  et  d'un  sang 


vous  découvrir    un 
.  Approchez  tous  de 


LE    DEUXIEME 

bon  et  loyal. 

le  premier  chevalier.  Par  mon  âme  '  cher  sire  ,  et 
sans  autre  discours,  il  s'en  est  bien  acquitté,  nous 
sommes  tous  de  son  avis,  je  vous  assure. 

clovis.  Viens  donc  ici,  Aurélien.  11  faut  aller  en- 
core en  Bourgogne  pour  cette  affaire-ci  ;  car,  où 
trouver,  pour  la  mettre  en  bon  chemin,  un  meilleur 
légat?  Yoici  ce  que  tu  feras  :  D'abord  tu  entreras 
de  suite  en  relation  secrète  avec  la  demoiselle  dont 
tu  m'as  entretenu  :  n'y  manque  pas.  Tu  lui  présen- 
teras, comme  don  de  noces,  ces  vêtements  d'or;  et 
enfin,  tu  lui  donneras  cet  anneau  en  mon  nom.  11 
n'y  a  point,  en  tout  ceci,  de  manquement  au  devoir; 
d'autant  qu'elle  sera  ma  femme  :  je  le  veux. 

aurélien.  Sire,  en  vérité,  je  ferai  votre  volonté  le 
mieux  et  le  plus  sagement  que  je  pourrai.  Je  vais 
donc  prendre  ici  congé  de  vous  et  appeler  mou 
écuyer.  —  Avance  ,  Huchon  Passe-Porte  ;  tiens  , 
emporte  ce  paquet-ci  sous  ton  bras, 

l'écuver.  Volontiers,  monseigneur  ;  je  crois  que 
c'est  de  la  toile. 

aurélien.  Quoi  que  ce  soit,  il  ne  faut  pas  en  par- 
ler, nous  emporterons  cela  avec  nous  quand  nous 
nous  en  irons.  Va  toujours.  —  Cher  sire, un  dernier 
mot  :  que  Mahomet  vous  ait  en  sa  garde  !  Je  m'en 
vais;  mais  je  reviendrai  le  plus  tôt  possible,  sans 
aucun  doute. 

clovis.  Allons,  va  et  reviens  avec  la  réponse  de 
'a  demoiselle  :  sache  surtout  s'il  lui  plaira  bien 
d'être  ma  compagne. 

aurélien.  Mon  redouté  seigneur  et  maître,  n'ayez 
pas  d'inquiétude,  tout  ce  qu'elle  me  dira  sera  écrit 
en  mon  cœur ,  si  profond  que  je  n'en  oublierai 
rien,  et  je  vous  le  répéterai  exactement  au  retour. 

clovis.  Tôt ,  tôt  ;  n'arrête  pas  ,  en  route,  et  à 
l'œuvre. 

SCÈNE  II. 

renier,  pauvre;  deuxième  pauvre 

(La  scène  se  passe  en  Burgundie.) 

le  premier  pauvre.  Attends-moi,  attends,  Renier, 
Renier  !  arrête,  que  je  le  parle.  Par  ta  foi!  où  vas- 
tu  si  vite?  Ne  me  ments  pas. 

le  deuxième  pauvre.  Je  presse  le  pas  tant  que  je 
peux  et  je  suis  en  peine,  malgré  ma  diligence,  d'être 
avec  les  autres  à  la  distribution. 

le  premier  pauvre.  Par  qui  sera-t-elle  faite,  et 
où? 

le  deuxième  pauvrc  Ne  le  sais-tu  pas  bien,  dis, 
nigaud.  ClolilUe,  la  nièce  du  roi ,  sitôt  hors  do 
l'église,  donne  de  ses  mains  l'aumône  aux  pauvres 
qui  sont  devant  elle  et  qu'elle  voit  en  besoin;  aux 
uns  plus,  et  moins  aux  autres,  suivant  que  son  goût 
et  sa  dévotion  l'y  portent?  Et  moi,  je  vais  savoir, 
c'est  mon  dernier  mot,  si  j'aurai  quelque  chose 
d'elle  par  charité. 

le  premier  pauvre,  henier  ,  sache  en  vente 
qu'elle  n'est  allée  nulle  part  aujourd'hui;  elle  n'est 
pas  même  sortie  de  son  logis,  j'en  suis  bien  in- 
formé; allons-nous-en  donc  tout  doucement  devant 
l'église  pour  l'attendre,  et  tendons  nos  mains  [aux 
autres  personnes  pour  demander. 

le  deuxième  pauvre.  C'est  bien  dit,  et  je  n'y  vois 
rien  à  reprendre.  Allons,  amis  ! 

SCÈNE  III. 

clotilde,  sa  demoiselle 

(Palais  en  Btirgundie). 

clotilde.  Isabelle,  prenez  tout  de  suite  mon  livre 
où  vous  l'avez  mis,  et  venez-vous-en  à 
moi. 

la  demoiselle.  Volontiers  ,  madame  ,  par  (ma) 
foi  !  Je  vais  le  prendre,  je  vous  le  dis  bien.  S'il  von; 
plaît,  mettez-vous  en  route;  je  le  tiens  .le  \0i.vp 
dame. 


église  avec 


m 


Cî.O 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ri.OTiLOE.  Allons-nous-en.  Que  Dieu  soit  débon- 
naire et  miséricordieux  pour  mon  àme!  Avant  que 
je  m'éloigne  davantage  d'ici,  je  veux  me  signer  et 
me  recommander  à  Dieu  pour  qu'il  m'aide  comme 
j'en  ai  besoin. 

SCENE  IV. 

LES    MÊMES. 

(Dans  iinlérieur  d'une  église.) 

clotilde.  Demoiselle,  puisque  je  suis  à  l'église, 
donnez-moi  mon  livre. 

la  demoiselle.  Tenez,  dame,  je  vous  le  remets; 
j'aurai  la  bourse. 

clotilde.  Gardez-la  jusqu'à  ce  que  je  veuille 
m'en  aller  d'ici. 

la  demoiselle.  A  vos  ordres  ,  dame.  Je  vais 
m'asseoir  derrière  vous  et  dire  mes  patenôtres  à 
voix  basse. 

SCÈNE  V. 

RENIER,  GEOFFROY,  LIÉNARD,  paUVreS ;  AUTRES 
PAUVRES  RURGUNDES. 

(A  la  porte  de  l'église.) 

le  troisième  pauvre.  Je  ne  Sais  si  je  vais  trop 
tard  à  l'église  :  peut-être  Clotilde,  cette  belle  créa- 
ture, a-t-cl!e  fait  sa  distribution  ;  il  me  faut  bâter 
le  pas.  Eli  !  je  crois  qu'elle  n'est  pas  en  ore  partie, 
puisque  je  vois  Renier  et  Geoffroy  debout  là-bas. 
J'espère  qu'ils  l'attendent;  ils  tendent  les  mains;  en 
voilà  qui  ne  se  font  jamais  faute  de  prendre.  — 
Seigneurs,  je  viens  me  ranger  près  de  vous.  Dites- 
moi  la  vérité,  s'il  vous  plait  :  Clotilde  a-t-elle  fait 
sa  distribution?  Dieu  vous  garde! 

le  premier  palvue.  Ncniii  ,  nous  l'attendons  , 
Liénard;  vous  arrivez  à  temps. 

le  troisième  pauvre.  Que  Dieu  vous  soit  miséri- 
cordieux et  doux,  et  qu'il  vous  donne  du  bien! 

le  deuxième  pauvre.  Mels-toi  en  rang  comme 
uous  ,  viens  ici,  ami  Liénard. 

le  troisième  pauvre.  Volontiers.  Çà  !  me  voici 
en  place.  Avez-vous  maille  ou  denier?  Dieu  vous 
protège!  dites-le-moi,  Renier. 

le  deuxième  pauvre.  Ma  foi  !  Liénard,  d'aujour- 
d'hui, je  n'ai  pas  ombre  de  monnaie. 

le  premier  pauvre.  Ni  moi  non  plus ,  Dieu  me 
garde!  on  ne  m'a  rien  donné. 

le  troisième  pauvre.  Eb  !  depuis  que  noussomnies 
nés,  grâce  à  Dieu,  n'avons-nous  pas  vécu,  tant  bien 
que  mal,  jusqu'à  présent?  Eli  bien  !  Dieu  y  pour- 
voira encore  :  restons  en  paix. 

SCÈNE  VI. 

AURÉLIEN,  HUCHON. 

(Une  hôtellerie.) 

m  rélien.  Huchon,  il  me  faut  tout  à  l'heure  un 
vêlement  de  pauvre  pour  me  déguiser.  (Huchon 
sort  et  rentre.)  Rien,  ici  même,  aide-moi  à  nie  dés- 
habiller, afin  quej'aieplustôt  fait.  Avisons  à  exécuter 
mon  dessein  avec  précaution  et  sagesse.  (Ici  il  revêt 
un  habit  de  pauvre.)  A  cette  heure  dis-moi  la  vérité 
et  que  Dieu  te  protège!  sans  détour,  semblé-je 
maintenant  un  homme  auquel  on  ne  doive  point  re- 
fuser l'aumône? 

l'écuyer.  Oui,  sire,  Mahomet  me  protège!  vous 
ressemblez  bien  à  un  pauvre  diable.  Comment!  vou- 
lez-vous donc  sortir  en  cet  équipage? 

aurélien.  Oui;  lu  m'attendras  ici  jusqu'à  mon 
retour.  J'emporte  sous  mon  bras  ce  sac  dont  j'aurai 
besoin;  mais  fais  bien  attention  que  je  te  trouve  ici 
en  revenant. 

l'écuyer.  N'ayez  pas  peur;  je  ne  quitterai  ces 
îieux  qu'après  votre  retour. 


CLO 
SCENE  VII. 


243 


CLOTILDE,    LA  DEMOISELLE. 

(Dans  réglise.) 

clotilde.  Ysabelle  ,  qu'en  pensez-vous?  11  est 
temps  de  s'en  retourner?  En  un  mot,  n'avons-nous 
pas  été  ici  assez  longtemps? 

la  demoiselle.  Oui  ,  darne  ,  car  ,  avant  que 
vous  ayez  fait  votre  distribution,  midi  aura  sûre- 
ment sonné 

clotilde.  Tenez,  gardez  mon  livre;  j'ai  à  pren- 
dre de  l'argent  pour  ces  pauvres  gens  sur  mon  pas- 
sage. 

SCÈNE  VIII. 

aurélien  seul. 

(A  la  porte  de  l'église.) 

aurélien.  Holà!  Dépêchons,  jusqu'à  ce  que  je 
sois  confondu  parmi  tous  ces  déguenillés  et  tous  ces 
pauvres.  Je  vois  Clotilde  qu'ils  attendent  venir  à 
eux;  et  ils  tendent  tous  les  mains  vers  elle  pour 
avoir  l'aumône.  Je  vais  faire  de  même  pour  voir  si 
j'aurai  une  occasion  quelconque  de  lui  parler  en 
secret. 

SCÈNE  IX. 

AURÉLIEN,  CLOTILDE,   PAUVRES. 

clotilde.  Tenez ,  bonnes  gens ,  priez  Dieu  de 
tout  votre  cœur,  pour  qu'il  voie  d'un  bon  œil  ce  que 
je  fais,  et  qu'il  me  tienne  toujours  en  son  amour  et 
en  sa  foi. 

le  premier  pauvre.  Amen!  Dame,  je  l'en  prie  de 
cœur  très-humblement. 

le  deuxième  pauvre.  Dame,  pour  ce  commence- 
ment, puisse  Dieu  vous  aimer  pour  assez  mettre 
votre  âme  dans  sa  gloire,  qui  est  sans  fin! 

le  troisième  pauvre.  Chère  dame  ,  pour  celle 
aumône,  que  Dieu  vous  accorde  à  la  fin  la  gloire 
des  cieux  ! 

:lotilde,  à  Aurélien.  Toi  que  je  n'ai  pas  appris  à 
voir,  je  le  ferai  plus  de  bien  qu'aux  autres  :  tu  auras 
ce  denier  d'or;  liens,  réjouis-toi. 

aurélien.  H  faut  que  je  baise  cette  main,  et  j'ose 
tirer  ce  manteau  en  arrière;  dame,  puisse  mon  au- 
dace ne  pas  vous  déplaire! 

clotilde,  à  sa  suivante.  Ce  que  je  souhaitais  est 
terminé;  partons  à  l'instant. 

SCÈNE  X. 

CLOTILDE,  la  demoiselle. 

(L'intérieur  du  palais  de  Clotilde.) 

clotilde.  Enfin,  me  voici  chez  moi.  Isabelle,  sa- 
vez-vous  ce  qu'il  nous  reste  à  faire  :  allez  dire  à  ce 
pauvre-là  qu'il  vienne  me  parler  un  peu  :  j'ai  grand 
désir  de  savoir  d'où  il  est  natif.  Dépêchez-vous,  allez 
le  chercher,  je  vous  en  prie. 

la  demoiselle.  Ma  dame,  j'y  vais  tout  de  suite. 

SCÈNE  XI. 

LA    DEMOISELLE,  AURÉLIEN. 

(Sur  la  place  publique.) 

la  demoiselle.  Ami,  remuez  d'ici  ;  venez  parlera 
ma  maîtresse  :  Clotilde  vous  l'ordonne  par  ma  bou- 
che. Puisqu'elle  vous  demande,  vous  devez  bien 
venir  à  elle. 

aurélien.  Et  j'irai  volontiers,  ma  belle;  marenea 
devant. 

là  demoiselle.  Je  vais. 

SCÈNE  X!ï. 

LA    DEMOISELLE,   CLOTILDE,   AURÉLIEN. 

(A  la  porte  de  la  salle  du  palais.) 
la  demoiselle.  Chère  danif ,  parlez  maintenant  k 


U9 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

il  s'est  rendu  par 


CLO 


250 


cet  homme  que  je  vous  amène 
votre  ordre  auprès  de  vous. 

ci.otii.dk.  Allons,  Sire!  avancez.  —  Isabelle,  sor- 
tez un  instant  :  je  veux  parler  un  peu  en  particulier 
à  ce  bi  ave  homme. 

la  demoiselle.  Je  m'en  vais,  à  l'instant. 

SCÈNE  XIII. 

AURÉLIEN,  CLOTrLDE. 

aurélien.  \A  la  porte  de  la  salle,  à  part.)  Mettons 
ce  sac  derrière  celte  porte.  (//  s'avance.) 

ci. otii.de.  Parlez,  ami.  Par  quelle  étrange  cause 
Ctes-vous  sous  ce  déguisement  de  mendiant?  et 
pourquoi,  à  dire  vrai,  avez-vous  tiré  mon  manteau 
en  arrière?  Parlez. 

aurélien.  Chère  dame,  si  vous  voulez  savoir  notre 
secret,  conduisez-nous  en  un  lieu  sûr  pour  l'entre- 
tien   que  vous  nous  accordez. 

clotii.de.  M'est  avis  que  vous  pouvez  ici  même 
pailer  tranquillement  :  vous  n'y  venez  venir  ni  al- 
ler âme  qui  vive. 

aurélien.  Dame,  mon  cher  seigneur  Clovis,  guer- 
rier très-puissant,  et  assez,  pour  être  roi  de  France, 
m'envoie  vers  vous.  Il  lui  plaît  de  vous  avoir  pour 
femme;  et  dans  son  désir  de  vous  voir  avec  lui,  voi- 
ci, dame,  qu'il  vous  envoie,  comme  don  d'amour, 
sans  en  dire  davantage,  son  anneau  d'or  auquel  il 
tenait  beaucoup,  et  les  vêtements  dont  vous  aurez  à 
vous  parer  à  l'heure  d'être  son  épouse.  Je  vais  vous 
donner  toutes  ces  choses.  (//  va  chercher  son  sac.) 
Eh!  gare!  qui  m'a  pris  mon  sac?  il  était  en  cet  en- 
droit. Y  a-t-il  ici  quelque  ennemi?  Ai-je  tout  perdu? 

c.lotilde.  Mon  doux  ami,  je  vous  vois  ébahi  et 
mo:  fondu,  ce  me  semble.  Qu'avez-vous  perdu?  dites- 
le-nous  clairement. 

aurélien.  Ma  dame,  j'avais  laissé  ici  un  petit  sac; 
ei  sachez  bien  qu'il  renferme  ce  que  je  complais 
vous  présenter  et  ce  que  monseigneur  vous  envoie 
par  ce  grand  amour. 

SCÈNE  XIV. 

LES  MÊMES,    ISABELLE,   SA  DEMOISELLE. 

clotii.de.  Venez  ici,  venez  sans  retard,  Isabelle  ; 
avez-vons  oté  d'ici  le  sac  de  ce  brave  homme? 

la  demoiselle!.  Oui,  madame;  en  sortant  de  voire 
hambre  »  car  ie  craignis,  en   le  voyant,  qu'on  n'en 
fil  un  £#»  oht)  i  à   pieds,  tant  il  est  sale  et  vieux, 
irai  je  le  chercher? 

AiirjxiEîi  Oui,  m'amic.  Hélas!  quand  je  suis  en 
•ouïe,  c>sl  là  que  je  mets  mes  vivres  :  rendez-le- 
moi. 

la  demoiselle.  N'aie  pas  peur,  lu  l'auras,  mon 
ami  :  je  vais  sur  l'heure  le  chercher.  —  Tenez,  je 
n'ai  pas  tardé  à  l'apporter. 

aurélien.  Je  veux  oublier  mon  ennui,  puisque 
j'ai  mon  sac.  —  Grand  merci!  Dame,  mon  cœur  est 
redevenu  calme,  —  et  c'est  par  vous,  m'amie. 

clotii.de.  Isahelle,  je  ne  veux  pas  que  vous  soyez 
davantage  ici  :  pensez  à  vous  en  aller.  Je  veux  en- 
core parler  un  peu  à  cet  homme. 

la  demoiselle.  Dame,  à  votre  volonté;  je  m'en 
vais. 

SCÈNE  XV. 

AURÉUEN,    CLOTILDE. 

aurélien.  Chère  dame,  tenez  et  mêliez  à  part  ces 
vêtements,  ce  sont  les  atours  du  jour  de  votre  ma- 
riage :  il  plaît  ainsi  au  roi. 

CLOTU.de.  Ami,  laissez  tout  en  ce  sac;  je  sais  bien 
ce  qu'il  faut  en  faire.  Voici,  beau  sire,  ma  réponse  : 
Allez  au  roi  Clovis,  vous  le  saluerez  de  ma  pari  et 
vous  lui  répéterez  ces  paroles  :  i  Clolilde  dit  qu'il 
n'est  point  permis  à  une  chrétienne  d'être  ta  femme 
••'un  païen;  ce  sérail  uni' chose  infâme.  >  En  atten- 
dant, gardez  le  plus  profond  secret,  car,  à  vrai  dire, 
ce  qui  plaira  à  monseigneur  mon  oncle  sera  fait. 


aurélien.  Il  ne  me  reste,  chère  dame,  qu'à  pren- 
dre congé  de  vous  pour  m'en  retourner.  Je  saluerai 
monseigneur  de  votre  part,  et  je  lui  conterai  de 
point  en  point  tout  ce  que  nous  avons  dit  cl  fait.  Je 
oars  aujourd'hui  même. 

clotilde.  Ami,  puissiez-vous  aller  voire  chemin 
en  paix  ! 

SCÈNE,  XVI. 
aurélien,  seul,  s'en  retournant. 

aurélien.  J'ai  mis  beaucoup  de  temps  à  terminer 
l'affaire  que  j'avais  entreprise;  maintenant  qu'elle 
est  faite,  j'en  ai  beaucoup  de  joie. 

SCÈNE  XVII. 

AURÉLIEN,  HUCHON,  SOU  VOllet. 

(Intérieur  d'une  hôtellerie.) 

aurélien.  Huchon,  il  nous  faut  partir  d'ici.  Je 
veux  quitter  cet  habit-ci  et  me  remettre  en  mon 
costume  ordinaire;  il  me  faut  vêtir  mon  autre  robç 
sans  plus  de  retard. 

l'écuyer.  Sire,  la  voici  sans  faute;  tenez,  habil- 
lez-vous. 

aurélien.  Allons!  je  suis  prêt;  prends  cet  habit 
de  pèlerin,  et  mettons-nous  en  chemin  pour  retour- 
ner en  France. 

l'écuyer.  Ne  vous  attardez  pas  pour  moi,  par- 
tons :  je  prends  tout  ceci  et  l'emporte  sous  mon 
bras  avec  nous. 

SCÈNE  XVIII. 

AURÉLIEN,    CLOVIS 

En  Gaule.) 

aurélien.  Mon  cher  seigneur,  la  grâce  et  l'amour 
de  tous  nos  dieux  soient  assez  sur  vous  pour  que  le 
monde  entier  vous  fasse  honneur  en  vous  confessant 
pour  son  roi  ! 

clovis.  Ami  Aurélien,  advienne  que  pourra,  je  ne 
puis  pas  devenir  roi  de  tout  le  monde  ni  en  être  le 
seigneur  :  laissons  cela;  veuillez  me  dire,  puisque 
vous  venez  de  Bourgogne,  comment  vous  avez  fait 
mes  affaires.  Parlez. 

aurélien.  Volontiers,  cher  sire,  ma  foi!  Je  me 
suis  introduit  auprès  de  Clotilde  sous  un  déguise- 
ment de  mendiant,  je  l'ai  longuement  entretenue, 
et  lui  ai  laissé  le  don  de  l'anneau  et  des  vêtements 
de  prix.  Or,  sire,  elle  a  tout  accepté;  mais  sa  ré- 
ponse, dont  il  faut  que  je  vous  fasse  part,  ne  peut 
être  répétée  que  tout  bas.  Elle  m'a  dit  qu'il  n'est  pas 
permis  (bien  que  ce  soit  chose  possible),  oui,  qu'il 
n'est  pas  permis  à  une  chrétienne  de  se  fourvoyer 
jusqu'à  épouser  un  païen,  et,  néanmoins,  elie  a 
ajouté  qu'elle  fera  ce  que  voudra  son  oncle,  nui  est 
un  homme  d'une  grande  valeur.  En  outre,  sire,  la 
bonne  et  la  belle  vous  salue  mille  fois  ;  et  certaine- 
ment je  crois  qu'elle  vous  chérit  fort. 

clovis.  Aurélien,  c'est  en  dire  assez.  Pour  le  mo- 
ment, silence.  Asseyons-nous  ici  :  je  vais  aviser. 

SCÈNE  XIX. 

CLOTILDE  Seule. 

(En  Bnrgundie.) 

clotilde.  Doux  Jésus-Christ,  roi  débonnaire,  è 
Seigneur,  qui  connaissez  les  pensées  présentes  et  pas- 
sées, en  consentant  à  me  marier  avec  Clovis,  c'est 
dans  le  but  unique  de  l'amener  à  se  faire  chrétien. 
Ah!  Sire,  qui  êtes  toute  perfection,  je  vous  en  prie, 
accomplissez  mon  désir.  S'il  faut  que  ce  mariage  ait 
lieu,  Sire,  par  qui  les  bonnes  choses  se  font,  don- 
nez-moi la  grâce  d'amener  Clovis  à  se  faire  baptiser 
et  à  garder  votre  loi.  Je  n'ai  plus  rien  à  vous  de- 
mander. —  Maintenant  cachons  ces  •  vêtements; 
quanta  cet  anneau  d'or,  mettons-le  dans  le  trésor 
de  mon  or.cle.  Tout  est  donc  accompli;  cil  bien!  re- 
posons-nous, tout  est  fait. 


251 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CLO 


2b2 


SCÈNE  XX. 


CLOVis,  aurélien.  huchon,  son  valet,  avec  le 
cheval  de  son  maître. 

clovis.  Aurélien,  l'incertitude  me  fait  trop  de  mal. 
Il  te  faut  aller  encore,  et  vite,  eu  Bourgogne,  parler 
au  roi  Goudebaut  et  demander  sa  nièce  pour  moi; 
je  t'en  prie,  fais  tes  préparatifs  de  voyage,  et  en 
route. 

aurélien.  Sire,  par  les  dieux  qui  me  firent  naître, 
volontiers  ;  et  dès  à  présent  je  me  mets  en  route, 
selon  votre  bon  plaisir. 

clovis.  Va,  et  avise  à  supprimer  tout  délai  ;  m'est 
avis  que  ce  mariage  est  mon  bien. 

auréliex.  Je  vous  recommande  à  tous  nos  dieux, 
et  je  làcbe  les  rênes  (de  mon  cheval).  —  Huchon, 
nous  allons  de  nouveau  dans  le  royaume  de  Bour- 
gogne. 

l'écuyer.  Puisque  vous  y  avez  affaire  et  qu'il 
vous  faut  y  aller,  mon  doux  seigneur,  soit  pour  un 
autre,  soit  pour  vous,  j'y  vais  de  bon  cœur. 

aurélien.  Allons-nous-en  ;  je  ne  m'arrêterai  pas 
que  je  n'y  sois. 

SCÈNE   XXI. 

CLOVIS,  CHEVALII-RS. 

clovis.  Seigneurs,  Aurélien  gagne  la  Bourgogne 
chargé  de  mes  intérêts.  Courez  après  lui  et  faites  en 
sorte  de  l'atteindre.  Je  veux  que  vous  l'accompa- 
gniez, car  j'ai  réfléchi  qu'il  mène  trop  peu  de  gens 
avec  lui  ;  suivez-le. 

le  deuxième  chevalier.  Cher  sire,  nous  sommes 
en  mesure  et  prêts  à  faire  ce  que  vous  commandez; 
demandez  plus  et  ce  sera  fait  encore. 

le  troisième  chevalier.  Sire,  s'il  plaît  à  Dieu, 
nous  coucherons  dans  la  même  ville  que  lui;  et  je 
vous  promets  que,  en  quelque  lieu  qu'il  veuille  al- 
ler, nous  irons  (avec  lui),  en  bonne  escorte. 

SCÈNE  [XXII. 

LES    CHEVALIERS. 

le  deuxième  chevalier.  En  roule  !  Yoici  le  che- 
min ;  c'est  celui  qu'il  nous  faut  constamment  tenir. 
Allons  !  marchons. 

le  troisième  chevalier.  Il  me  semble  que  je 
l'aperçois  dans  le  lointain  devant  nous;  il  marche 
lestement;  hâtons  le  pas  pour  l'atteindre. 

le  deuxième  chevalier.  C'est    bien  parlé,   et  je 

B  rends  l'avance  volontiers.  (Ici  ils  marchent  un  peu.) 
o,  sire!..  Il  va  s'arrêter;  nous  sommes  près  de 
lui,  ne  vous  hâtez  pas  tant.  —  Aurélien,  arrêtez- 
vous,  beau  sire,  et  nous  parlez,  s'il  vous  plaît. 

SCÈNE  XXIII. 

ALRÉLIEN,    LES    CHEVALIERS. 

(Sur  le  chemin  du  nord  de  la  Gaule  en  Burgundie.) 

aurélien.  Eh,  mes  amis '.que  je  suis  aise,  en  vérité, 
et  joyeux  de  vous  voir.  Où  allez-vous?  dites-le-moi, 
je  vous  en  prie. 

le  troisième  chevalier.  Je  vous  le  dirai  sans 
dillicullé;  allons  toujours  notre  chemin.  Le  roi  nous 
envoie  avec  vous  et  veut  que  nous  allions  ensemble. 
11  a  pensé ,  après  vous  avoir  chargé  de  son  affaire, 
que  vous  vous  étiez  en  route  avec  trop  peu  de 
monde. 

le  deuxième  chevalier.  11  a  agi  comme  (un  roi) 
vaillant  et  sage  ;  n'en  parlons  plus. 

aurélien.  Seigneurs,  nous  approchons  du  but. 
J'ai  à  parler  au  roi  Gondebaut,  homme  sage  et 
rusé  ,  c'est  moi  qui  vous  le  dis. 

le  troisième  chevalier.  Eh  ,  seigneur  Aurélien , 
vous  saurez  très-bien  vous  en  tirer  et  sans  faire  l.ct  i 
en  rien  à  voire  affaire  da:;s  vos  paroles. 


le   deuxième  chevalier.  Mais  ,  silence ,  voici  le 
priais.  Entrons  hardiment. 
aurélien.  Soit  !  je  vais  devant. 

SCÈNE   XXIV. 

LES    MÊMES,    LE    ROI    GONDEBAUT,  SES  CON- 
SEILLERS, ytier,  conseiller,   sergents. 

aurélien.  Sire  roi  ,  que  Mahomet,  que  vous  avez 
servi  comme  Dieu,  vous  accorde  d'avoir  mérité  son 
amour  ! 

le  roi  gondebaut.  Sois  le  bienvenu.  Fais-moi  sa- 
voir qui  lu  es,  de  quel  pays,  et  ce  que  tu  viens 
chercher  ici;  ne  me  mens  pas. 

aurélien.  Je  vous  le  dirai,  Sire  :  Clovis,  le  roi  de 
France,  roi  très-puissant,  vous  demande  de  bonne 
grâce  en  mariage  Clotilde,  votre  nièce. 

gondebaut.  Seigneurs,  Dieu  vous  garde  de  mal! 
considérez  l'intention  de  Clovis.  Mais  en  quel  pro- 
pos demande-t-il  en  mariage  ma  nièce,  qu'il  ne  con- 
nut jamais  de  sa  vie?  II  a  envie  de  nous  courir  sus, 
ce  n'est  rien  autre  chose,  et  loi,  tu  es  venu  espion- 
ner le  pays  sous  ce  prétexte.  Je  ne  sais  trop  quel 
homme  il  est,  mais  va-t'en  et  dis-lui  que  tout  ceci 
n'est,  à  mon  sens  ,  que  frivolités  et  que  fourberies. 

aurélien.  Sire,  je  dois  le  répéter  :  mon  cher 
seigneur,  le  roi  Clovis  vous  demande  par  ma  bouche 
en  quel  lieu  il  peut  épouser  Clotilde;  et  si  vous  re- 
fusez ,  je  vous  dis  de  sa  part  que  bientôl  vous  l'au- 
rez id,  lui  et  son  armée,  pour  vous  combattre. 

gondebaut.  Qu'il  vienne,  je  lui  résisterai  et  je  ven- 
gerai le  sang  de  ceux  qui  sont  tombés  sous  lui.  Son 
cœur  est  à  tort  rempli  d'un  immense  orgueil. 

le  premier  conseiller  de  gondebaut.  Cher  sire , 
je  voudrais  dire  un  mot.  —  Mais,  seigneurs,  retirez- 
vous  un  peu  jusque  là  derrière.  —  S'il  vous  plaît, 
écoulez-moi  :  informez-vous  auprès  de  vos  minis- 
tres, auprès  de  vos  chambellans,  si  Clovis  n'aurait 
pas  envoyé  quelques  dons,  récemment  ou  autrefois, 
par  quelques  députés,  pour  trouver  l'occasion  de 
mettre  à  exécution  ses  desseins  contre  vous  ,  qui 
sont  de  faire  de  vous  son  sujet,  et  de  soumettre  votre 
royaume.  Tel  est  mon  avis. 

le  deuxième  conseiller.  Eh  quoi,  l'ignorez-vous, 
sire?  quand  Clovis  s'irrite,  il  devient  furieux,  je  puis 
le  dire,  comme  un  lion  excité;  cl  il  n'est  nul  homme 
qui  ne  le  redoute. 

gondebaut.  Ytier,  approche  et  écoule.  Tu  es  de- 
puis longtemps  à  moi.  Saurais-tu,  dis-moi  la  vérité, 
que  Clovis  m'ait  envoyé  quelque  présent?  Si  tu  nie 
mens,  il  est  en  vie  :  je  saurai  tout  de  lui. 

le  chambellan.  Mon  cher  seigneur,  je  vous  dirai 
la  vérité  au  sujet  de  ce  vous  me  demandez,  puisque 
tel  est  votre  ordre.  Je  vous  jure,  par  mon  dieu  Ma- 
homet, que  je  n'ai  jamais  été  nulle  part  où  Clovis 
vous  ait  envoyé  ou  donné  quelque  chose  de  la  va- 
leur d'un  pauvre  hareng;  et  voici  déjà  plus  de  vingt 
ans  que,  par  votre  grâce,  je  suis  votre  chambellan. 

gondebaut.  Beaux  seigneurs ,  sachez  sans  relard 
si  dans  mes  trésors  il  y  aurait  quelque  chose  du 
bien  de  Clovis  qui  y  ait  été  mis  d'une  manière  quel- 
conque, et  rapportez-moi  les  résultais  de  votre  en- 
quête. 

LE    PREMIER    CONSEILLER.      Cher    Sil'C  ,    VOUS    Sd'CZ 

obéi.  —  Alhms-nous-en  faire  sa  volonté;  nous  ne 
pouvons  y  perdre,  au  contraire. 

le  chambellan.  Yous  dites  vrai  ,  par  tous  nos 
dieux  !  Allons-nous-en  d'abord  regarder  tous  en- 
semble au  trésor  lâ-derrière. 

le  deuxième  conseiller.  Allons,  c'est  le  meilleur 
parti.  (Ils  sortent.) 

le  premier  sergent.  Mon  cher  seigneur,  vous  êtes 
plongé  dans  des  réflexions  fort  tristes,  à  ce  qu'il  me 
parait,  depuis  que  vous  éles  assis  là,  cher  sire. 

gonderaut.  Je  pense  à  ce  que  j'ai  ouï  dire,  qui 
Clovis  veut  venir  sur  moi;  mais,  s'il  vient ,  le  mal 
sera  pour  lui;  c'est  moi  qui  te  le  dis.. 


853 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CLO 


234 


le  deuxième  sf.rgent.  Non,  mon  cber  seigneur,  il 
n'y  viendra  pas  ;  n'ayez  crainte  ,  et  s'il  venait ,  écou- 
tez :  il  ne  l'emportera  pas.  Car  vous  aurez  tant  de 
barons  et  de  soldats  allemands  et  bourguignons  , 
que,  à  mon  avis  ,  il  sera  enchanté  de  pouvoir  s'en 
retourner  sain  et  sauf. 

gondebaut.  Par  Malioluet  !  tu  dis  la  vérité.  N'en 
parlons  plus. 

le  premier  conseiller.  Cher  sire ,  nous  voici  de 
retour.  Nous  venons  de  fouiller  votre  trésor  :  et 
nous  y  avons  trouvé  un  anneau  d'or  où  est  écrit  le 
nom  de  Clovis,  où  son  corps  est  représenté  et  où 
son  visage  est  bien  sculpté;  cet  anneau  ,  le  voici  : 
regardez,  sire. 

gondebaut.  Ah!  que  dire?  je  suppose  ,  en  vérité, 
que  ma  nièce  l'y  a  mis;  que  faire?  la  mander  ici 
devant  nous,  et  savoir  si  elle  a  mis  ou  non  cet  an- 
neau au  lieu  où  vous  l'avez  pris. 

le  chambellan.  Mon  cher  seigneur,  vous  avez 
bien  dit  :  ainsi  soit  fait. 

gondebaut.  Va  me  la  chercher,  va;  dis  que  je  la 
mande. 

le  t-remier  sergent.  J'y  vais 

SCÈNE  XXV, 

LE  SERGENT,  CLOTILDE, 

le  sergent.  Votre  oncle  vous  demande,  dame,  il 
vous  envoie  chercher;  „  faites  qu'il  vous  voie  sur- 
le-champ  devantjlui. 

clotilde.  Je  suis  toute  prête  :  allons 

SCÈNE  XXVI. 

LES    MÊMES,    CLOTILDE 

clotilde.  Cher  oncle,  qui  me  demandez,  me  voici 
prèle  :  commandez  ce  qu'il  vous  plaira. 

gondebaut.  Qui  a  mis  en  mon  trésor  un  anneau 
d'or  où  est  l'image  de  Clovis  et  son  nom,  à  ce  que 
l'on  m'a  dit?  Sais-tu  qui  peut  avoir  fait  cela?  Je 
suis  étonné  et  frappé  de  crainte. 

clotii.de.  Mon  cher  seigneur,  je  sais  tout  et  ne 
cacherai  rien.  Il  y  a  déjà  plus  d'un  an  que  le  roi 
Clovis  vous  envoya  en  pur  don,  sans  retour,  des  vê- 
tements d'or  par  des  messagers  sûrs  ,  qui  me  sem- 
blèrent des  hommes  sages  ;  ils  me  mirent  cet  anneau 
au  doigt  et  me  le  donnèrent  de  sa  part.  Comme  il 
était  d'or,  je  le  mis  en  sûreté  dans  votre  trésor. 

gondebai  t.  Conduite  niaise  ,  mais  sans  prémédi- 
tation. Tu  aurais  dû  prendre  conseil  ,  si  tu  avais 
eu  quelque  idée  du  bien.  Enfin,  puisque,  sans  me 
consulter  ,  tu  en  as  agi  ainsi,  advienne  que  pourra. 
—  Faites  venir  ces  messagers  que  je  vois  là-bas. 

le  deuxième  conseiller.  Volontiers,  Sire,  de  tout 
mon  cœur.  —  Seigneurs,  allons  vite!  venez  promp- 
leinent  au  roi,  qui  vous  envoie  chercher;  dépêchez- 
vous. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER  DE  CLOVIS.    Puisque   tel   CSt 

son  bon  plaisir,  nous  voici  aussitôt. 

le  troisième  chevalier.  Sire,  veuillez  ne  pas 
prendre  notre  retard  en  mauvaise  part. 

gondebaut.  Nenni,  car  vous  venez  assez  à  temps. 
Prêtez  seulement  l'oreille  à  ce  que  je  veux  vous  dire: 
vous  demandez  ma  nièce  en  mariage  pour  le  roi 
Clovis,  qui  lui  a  envoyé  par  ses  gens,  secrètement, 
dans  un  but  coupable  et  à  mon  insu,  son  anneau  et 
de  riches  vêlements  dont  la  jeune  fille  a  élé  séduite;. 
Néanmoins,  seigneurs,  je  vous  la  livre  etme  décharge 
tout  à  fait  d'elle;  emmenez-la  sur-le-champ,  et  ne 
vous  al  tendez  pas  à  ce  que  ni  moi  ni  personne  de 
ma  maison  nous  lui  tenions  compagnie  ;  nenni , 
certes. 

AURÉLIEN.  Aussi  bien,  Sire,  que  nul  ne  s'en  mette 
en  peine  :  c'est  inutile  ,  si  cela  ne  vous  est  pas 
agréable;  et  que  votre  volonté  soit  faite.  Si  tel  est 
votre  bon  plaisir,  nous  nous  en  irons  et  nous  em- 
mènerons la  demoiselle  au  roi  de  France. 

gundebai  (•  Faites-en  ce  une  vous  voudrez,  je  ne 


veux  plus  me  mêler  d'elle;  peu   m'importe  où  elle 
aille. 

LE    DEUXIÈME  CHEVALIER.   Sire,    SailS  plUS    de  IllOtS, 

nous  prenons  congé.  Adieu  donc  ;  nous  vous  recom- 
mandons à  Mahomet  et  à  Apollon.  (Ils  sortent.) 

SCÈNE  XXVII. 

CLOTILDE  ,   ISABELLE,    Sa  Suivante  ,    AURÉLIEN, 
LES  CHEVALIERS  FRANCS. 

le  troisième  chevalier.  Notre  requête  est  obte- 
nue; en  route  ,donc;  allons  mettre  en  selle  notre 
épousée. 

aurélien.  Dame,  votre  monture  est  prête  ;  ne  vous 
inquiétez  pas,  vous  avez  en  nous  une  bonne  escorte. 

clotii.de.  Merci,  mes  doux  amis;  et  un  temps 
viendra,  j'espère,  où  vous  serez  récompensés  ;  je  le 
pourrai  quelque  jour. 

aurélien.  Seigneurs,  écoutez-moi  :  depuis  deux 
jours  j'ai  appris  par  une  voie  sûre  que  le  roi  Clovis 
a  quille  Paris  et  s'est  rendu  à  Soissons.  Laissons 
donc  le  chemin  de  Paris,  et  avec  nos  chevaux,  ga- 
gnons tout  droit  la  cité  de  Soissons. 

le  deuxième  chevalier.  Bien  ;  tout  le  monde  y 
consent.  A  cheval,  pendant  que  nous  pouvons  en- 
core. 

le  troisième  chevalier.  Il  faudrait,  afin  qu'il  ne 
s'éloignât  pas,  donner  au  roi  des  nouvelles.  Qu'en  di- 
tes-vous? 

aurélien.  Oui,  ma  foi!  Mon  doux  ami,  je  vous 
supplie  de  vouloir  bien,  sans  lui  faire  d'autres  let- 
tres secrètes,  vous  en  aller  devant  nous  et  lui  dire 
où  nous  en  sommes. 

le  troisième  chevalier.  Soit,  et  je  ferai  en  sorte 
de  prendre  l'avance  ;  songez  à  arriver  le  plus  tôt 
possible. 

le  deuxième  chevalier.  Nous  forons  tant  que  vous 
entendrez  parler  de  nous  peut-être  avant  d'avoir 
fait  vous-même  votre  message  au  roi. 

LE    TROISIÈME  CHEVALIER.     «Oïl,   1)011  ;  fou    OU    Sage, 

je  vous  le  dis,  je  ne  cesserai  pas  de  marcher  que  je 
ne  lui  aie  parlé.  Je  vous  laisse. 

aurélien.  En  avant!  A  cheval,  et  suivons  si  bien 
notre  homme  que  nous  puissions  bientôt  l'atteindre 
et  le  trouver. 

SCÈNE  XXVHÏ, 

LE   CHEVALIER,    CLOVIS. 

le  troisième  chevalier.  0  Mahomet,  grâces  vous 
soient  rendues  de  m'avoir  permis  d'aller  assez  vite 
pour  trouver  encore  mon  roi  assis  dans  sa  majesté  : 
ce  dont  j'ai  grand'joie.  Ah  !  que  cet  état  lui  sied 
bien!  Je  m'enhardis  à  lui  parler.  —  Sire,  que  Ma- 
homet et  Tervagant  vous  donnent  joie  ! 

clovis.  Sois  le  bienvenu  !  Qui  l'a  conseillé  de  ve- 
nir ainsi  seul? 

le  troisième  chevalier.  Sire,  Aurélien  et  ses  hom- 
mes m'ont  envoyé  en  avant  pour  vous  donner  nou- 
velle de  ce  que  ion  a  fait. 

clovis.  Les  Bourguignons  vous  ont-ils  fait  quel- 
que mal,  aux  petits  ou  aux  grands? 

le  troisième  chevalier.  Vraiment  non,  Sire. 
D'abord  on  vit  Gondebaut  courroucé  et  mal  disposé. 
Ne  prétendàit-il  pas  qu'on  avait  déçu  sa  nièce  avec 
cet  anneau  d'or  qu'elle  avait  mis  en  son  trésor,  et 
bien  d'autres  choses  que  Aurélien  vous  dira  à  son 
arrivée.  J'ajouterai  seulement  qu'il  amène  avec  lui 
la  (jeune)  fille  que  vous  devez  avoir. 

clovis.  El  quand  viendront-ils?  Le  savez-vous? 

le  troisième  chevalier.  Sire,  ils"  seront  en  celle 
ville  aujourd'hui  ou  demain,  à  la  dinée.  Si  c'est  vo- 
tre bon  plaisir,  j'irai  dans  l'hôtel  où  ils  doivent  dos- 
cendre  voir  tout  de  suite  ce  qu'il  en  peut  être. 

clovis.  Oui,  va  t'en  occuper  ;  va  de  suite,  cl 
amène-les  tous  auprès  de  moi,  s'ils  sont  arrives. 

le  troisième  chevalier.  Je  suis  tenu  de  faire  vo- 
tre volonté.  Site,  j'y  \;tis. 


23S 


CLO  DICTIONNAIRE  DE3  MYSTERES 

«CÈNE   XXIX. 
clotilde  ,  Isabelle  ,  sa  suivante,  aurélien, 


CLO 


256 


LES    CHEVALIERS. 

aurélien.  Dame,  je  ne  crois  pas  que  depuis  deux 
mois  et  plus  que  nous  sommes  ensemble,  vous  ayez 
eu  une  joie  pareille  à  celle  d'aujourd'hui.  Et  voici 
pourquoi  j'ose  parler  si  librement;  c'est  que  nous 
tondions  en  celte  ville  où  vous  trouverez  celui'  dont 
tous  serez  la  femme,  et  qui  vous  fera  le  grand  hon- 
neur de  vous  recevoir  comme  reine  de  France.  Or 
ce  royaume  est,  je  vo'.is  le  dis  en  vérité,  le  plus  re- 
nom nié  de  toute  la  terre  :  c'est  pourquoi,  dame, 
hàlons-nous  tous. 

cloth.de.  Sire  Auréiien,  il  me  semble  que  je 
vois  là  celui  que  vous  avez  chargé  d'aller  pour  nous 
auprès  du  roi. 

le  deuxième  chevalier.  Dame,  c'est  ma  foi  vrai! 
Il  a  bien  fait  diligence.  Je  pense  qu'il  vient  nous 
chercher.  Qu'allous-nous  faire? 

âurélien.  Attendez,  laissons-le  venir  ici,  et  quand 
il  sera  avec  nous,  il  nous  dira  de  point  en  point  ce 
qu'il  aura  trouvé. 

SCÈNE  XXX. 

LE  CHEVALIER,  LES  MÊMES. 
LE  TROISIÈME  CHEVALIER.  Eh  VOVCZ  !  je  VOUS  trOUVC 

bien  à  point  :  je  viens  tout  droit  de  vers  le  roi,  qui 
m'a  envoyé  ici  pour  vous  dire  et  vous  annoncer  de 
vouloir  bien,  puisque  vous  êtes  arrivé  dans  son 
royaume,  ne  pas  manquer  de  venir  proniplement 
auprès  de  lui  dans  son  palais. 

âurélien.  Sire,  nous  étions  en  marche  pour  nous 
y  rendre  en  toute  hâte  :  il  faut  que,  sans  un  mot  de 
plus,  vous  vous  en  retourniez  avec  nous. 

le  troisième  chevalier.  Ne  pensez  qu'à  aller  vite; 
je  vous  suivrai. 

SCÈNE  XXXI. 

LES  MÊMES,   CL0V1S. 

âurélien.  Monseigneur,  salut  au  nom  de  Maho- 
met, notre  véritable  dieu,  qui  vous  a  prêté  recours 
en  maintes  occurrences!  C'est  raison. 

clovis.  Soyez  le  bienvenu  en  notre  maison,  et 
avec  vous  tous  ceux  que  je  vois  autour  de  moi.  Çà! 
je  vous  en  prie,  répondez  vite  :  est-ce  la  nièce  de 
Condebaut  que  je  vois  ici? 

le  deuxième  chevalier.  Oui,  sire,  sans  plus  de 
détours,  c'est  elle. 

clovis.  Demoiselle,  soyez  la  bienvenue  :  j'ai  une 
grande  joie  de  votre  arrivée.  Puisque  vous  devez 
être  à  moi  et  que  je  serai  votre  mari,  je  vais  vous 
couronner  reine  et  maîtresse  de  France. 

clotilde.  Cher  sire,  pour  le  salut  de  votre  àme, 
d'abord,  et  de  la  mienne  ensuite,  et  non  pas  autre- 
ment, que  votre  désir  soit  rempli. 

clovis.  Allons,  vite,  seigneurs!  ayez  soin  qu'elle 
«oit  menée  en  sa  chambre  là-derrière  et  parée  comme 
une  épousée  doit  l'être,  car  je  veux  l'épouser  sur 
l'heure. 

âurélien.  Sire ,  nous  ferons  sans  délai  ce  qu'il 
vous  plaît  de  demander.  —  Dame ,  venez-vous-en 
«ans  tarder  en  votre  chambre,  où  nous  vous  mène- 
rons, et  puis  nous  reviendrons  ici. 

clotilde.  Mes  chers  amis,  qu'il  soit  fait  entière- 
ment comme  vous  le  dites.  —  Quant  à  vous,  Isa- 
belle, suivez-moi,  ma  chère  amie. 

la  demoiselle.  Volontiers  ,  dame  ,  et  avec  joie. 
Passez  devant,  j'irai  après;  je  vous  aiderai  à  vous 
habiller  :  c'est  mon  devoir. 

SCÈNE  xxxn. 

CLOVIS,  LE    DEUXIÈME  CHEVALIER. 

clovis.  Seigneur  ,  je  puis  dire  que  mon  bien  et 
mon  honneur  augmentent,  et  la  joie  s'en  accroît  dans 


mon  cœur,  puisque  j'aurai  celle  jeune  vierge  qui 
m'a  semblé  merveilleusement  belle  de  visage. 

le  deuxième  chevalier.  Dès  l'heure  du  vovage , 
Sire,  qui  vous  l'amenait,  je  ne  me  souviens  pas  d'a- 
voir vu  en  elle  une  contenance,  une  conduite,  des 
manières,  ou  entendu  une  parole,  je  vous  le  jure  par 
mon  âme,  autres  qu'il  convient  à  une  bonne,  sage 
et  très-honnête  dame. 

SCÈNE  XXXIII. 

LES  MÊMES,   ÂURÉLIEN,  SERGENTS,  MÉNESTRELS. 

âurélien.  Mon  cher  seigneur ,  ma  dame  est  prête, 
et  je  viens  vous  l'annoncer;  précipitons  ce  mariage, 
car  il  en  est  temps. 

clovis.  Elle  est  prête,  je  le  suis  aussi.  Allons. 
Faites  marcher  les  ménestrels  devant  nous. 

le  premier  sergent.  Tout  de  suite,  Sire.  —  (Aux 
ménestrels.)  Dépêchez-vous  ,  seigneurs  ,  mettez-vous 
en  rang  pour  conduire  le  roi  à  l'autel  ;  il  n'attend 
que  vous. 

les  ménestrels.  Nous  y  allons,  mon  doux  ami,  le 
plus  vite  que  nous  pouvons. 

le  troisième  chevalier.  Voici  les  ménétriers  ;  de- 
bout! Allons-nous-en  à  cette  heure,  il  en  est  temps. 

clovis.  Allons-nous-en  sans  plus  de  retard;  je 
vais  devant. 

le  deuxième  chevalier.  Quant  à  nous,  nous  vous 
accompagnerons  tous. 

(Ici  le  roi  quille  sa  place,  et,  après  un  court  inter- 
valle, il  revient  dans  la  suite;  et  Aurélien  lui  mène 
l'épousée,  et  dit  : 

aurélien.  Sire ,  voici  votre  moitié  que  je  vous 
amène  et  vous  laisse.  Elle  est  désormais  votre 
femme ,  nul  autre  ne  peut  y  réclamer  de  droits  : 
maintenant  pensez  à  vous  entr'aimer,  car  c'est  une 
très-noble  et  sage  action  dans  le  mariage  de  vivre 
en  paix  et  en  amour. 

clovis.  Sans  faire  un  plus  long  séjour  ici,  je  veux 
que  vous  alliez  tous  les  trois  au  Louvre,  et  que  là 
vous  prépariez  ce  qu'il  faut  pour  faire  ma  fêle  : 
c'est  un  lieu  commode  et  décent,  et  c'est  près  d'ici. 

le  troisième  chevalier.  Cher  sire,  nous  sommes 
tout  prêts  d'aller  ordonner  la  fêle.  —  Allons-nous- 
en  tous  trois  sans  plus  de  retard,  partons  d'ici. 

aurélien.  Allons-nous-en  d'ici,  aussi  bien  n'est-il 
plus  temps  de  muser. 

SCENE  XXXIV. 

CLOVIS,  CLOTILDE. 

clotilde.  Mon  cher  seigneur,  à  l'avenir,  je  ne  suis 
plus  que  votre  servante.  Mais  ,  cher  sire,  je  vous 
prie,  en  ce  moment,  de  m'octroyer  un  don,  d'en- 
tendre ma  demande  et  d'être  assez  gracieux  pour 
me  l'accorder,  avant  que  je  vous  serve  comme  une 
femme  est  tenue  de  le  faire  envers  son  mari  sans 
commettre  le  mal,  à  son  plaisir. 

clovis.  Demandez ,  Clotilde  :  je  le  ferai  sans  hé- 
siter. 

clotilde.  Sire,  je  vous  exposerai  donc  ma  re- 
quête :  ce  n'est  point  de  l'or  que  je  souhaite,  mais 
en  premier  lieu  je  vous  prie  de  croire  en  Dieu  le 
Père,  qui  règne  sans  fin  au  ciel  dans  la  gloire  ,  qui 
vous  créa,  qui  fit  tout  et  qui  jamais  ne  commit  le 
mal.  Après,  Sire ,  ne  laissez  pas  Jésus-Christ  ;  mais 
confessez-le  pour  vrai  Dieu,  lils  de  Dieu  le  Père,  qui 
voulut  naître  ici-bas  d'une  vierge,  qui  y  fut  envoyé 
du  Père  pour  nous  ramener  à  Dieu ,  et  qui  nous  a, 
c'est  chose  véritable,  rachetés  par  sa  sainte  mort. 
En  outre,  je  vous  prie  de  croire  aussi  au  Saint- 
Esprit,  qui  illumine  tous  les  justes  et  les  confirme 
dans  la  grâce  divine;  et  que  ces  trois  ,  le  Père  ,  le 
Fils  ei  Te  Saint-Esprit,  ayez-en  la  foi,  sont  une  seule 
personne  suprême,  une  seule  essence,  une  divinité, 
une  puissance  éternelle.  Voilà  ce  qu'il  faut  croire 
fermement  ;  délaissez   vos  idoles   et   cessez  de  les 


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adorer,  car  ce  sont  des  choses  vames  el  trompeuses  ; 
mais  ,  Sire  ,  faites  rétablir  les  saintes  églises  que 
vous  avez  brûlées  et  abattues,  et  soyez  fils  et  mem- 
bre de  Dieu.  En  second  lieu,  je  vous  prie  de  deman- 
der ma  part  légale  de  la  succession  de  mes  père  et 
mère ,  tombés  sous  les  coups  cruels  de  mon  oncle  , 
qui  se  rendit  coupable  au  point  de  tuer  mon  père  et 
de  noyer  ma  mère  pour  avoir  le  royaume  de  Bour- 
gogne; je  vous  dis  vrai.  Dieu  veuille  que  je  voie 
l'heure  où  je,  serai  vengée  de  leur  mort ,  et  cela 
bientôt! 

clovis.  Clotilde  ,  soyez  attentive  à  ma  réponse. 
Votre  première  demande  est  une  chose  trop  uillicile 
à  faire,  et  quoique  j'adore  voire  Dieu  comme  chré- 
tien, je  ne  puis  rien.  La  seconde,  au  contraire,  sera 
exécutée.  Oui,  je  vous  vengerai  bientôt  de  Gonde- 
baut,  et  je  vous  le  mènerai  si  bien,  qu'il  viendra  de- 
mander merci,  qu'il  le  veuille  ou  non. 

clotilde.  Auparavant  je  vous  prie,  cher  sire  ,  de 
l'aire  ce  que  je  vous  conseille  :  renoncez  à  vos  idoles 
el  veuillez  croire  en  Dieu  et  l'aimer;  c'est  lui  qui  lit 
le  ciel ,  l'air,  la  lerre  et  la  mer,  les  femmes  et  les 
hommes. 

clovis.  Je  ne  fais  pas  plus  de  cas  de  ce  que  vous 
me  dites  que  de  deux  pommes. 

SC^NE  XXXV. 

LES    MÊMES,   ALRÉLIEN,  CHEVALIERS. 

le  deuxième  CHEVALIER.  Cher  sire  ,  tenez-nous 
quittes  de  vos  noces,  qui  sont  telles  que  jamais  je 
n'en  vis  de  semblables. 

clovis.  Brisons  là-dessus;  silence,  j'ai  bien  autre 
chose  qui  m'occupe.  Tous  trois,  sans  faire  d'objec- 
tions ,  allez  vers  Gondebaut,  et  lui  parlez  ainsi  : 
t  Sire,  nous  voici  au  nom  de  Clovis,  de  qui  nous 
tenons  terres  et  liefs ,  pour  réclamer  le  trésor  de 
Clotilde  que  vous  gardez  ,  tandis  qu'il  devrait  être 
entre  ses  mains  ,  puisqu'il  est  de  la  succession  de 
ses  père  et  mère  :  c'est  raison.  » 

le  troisième  ciievai.if.r.  Sire,  sans  plus  de  retard, 
nous  exécuterons  vos  ordres. 

SCÈNE  XXXVI. 

AURÉL1EN,  CHEVALIERS,  LE  TROISIEME 
CHEVALIER. 

le  troisième  chevalier.  Allons,  en  avant ,  sei- 
gneurs! partons  tous  trois  ensemble. 

le  deuxième  CHEVALIER.  Il  est  convenable,  ce  me 
semble,  que  nous  nous  donnions  plus  de  peine  pour 
les  affaires  de  notre  cher  seigneur  que  pour  celles 
d'un  é! ranger. 

adrélien.  Ses  intérêts  diffèrent  de  tous  autres  et 
sont  bien  plus  nobles  et  plus  élevés.  Taisez-vous; 
je  vois  là-bas  Gondebaut.  Allons  vers  lui,  c'est  moi 
qui  vais  lui  parler. 

SCÈNE  XXXVIÎ. 

LES    MÊMES,    GONDERALT,    SES    CONSEILLERS. 

aurélien.  Sire,  que  Mahomet,  qui  fait  croître  les 
biens  de  la  terre,  veuille  vous  faire  monter  en  hon- 
neur et  en  joie  ,  et  cela  bientôt? 

gondebaut.  Qu'il  te  garde  aussi  de  mal!  Que 
viens-tu  chercher? 

aurélien.  Sire,  nous  venons  requérir  l'abandon 
et  la  mise  en  nos  mains  de  la  portion  de  vos  trésors 
qui  sont  le  bien  et  le  droit  de  Clotilde,  en  tant  sur- 
tout qu'ils  viennent  de  la  succession  de  son  père  et 
de  sa  mère;  vous  ne  devez  pas  avoir  l'esprit  éloigné 
d'en  agir  ainsi. 

gondebaut.  Eh  quoi  !  Clovis  pensc-t-il  avoir  ainsi 
mon  royaume  el  mon  bien?  Nenni ,  tant  que  serai 
vivant.  Et  toi-même,  Aurélien,  as-tu  oublié  l'heure 
où  je  le  défendis  ,  il  y  a  un  an  ,  de  revenir  en  cette 
terre  pour  demander  ou  réclamer  ce  qui  esta  moi? 
Si  tu  ne  t'en  retournes  point ,  et  si  à  l'instant  lu  ne 


remontes  à  cheval  devant  moi,  je  vais  te  tuer  ,  j'en 
fais  serment;  je  n'attendrai  pas  d'autre  personne 
pour  cela.  Vide  la  place,  va-t  en. 

aurélien.  0  roi,  je  vous  le  disais  dès  l'an  passé, 
tant  que  mon  cher  seigneur  le  roi  Clovis  ,  pour  qui 
je  me  donne  du  mal,  sera  vivant,  je  ne  crains  nulles 
menaces;  et  je  fais  mon  devoir,  selon  mon  juge- 
ment. Or,  mon  roi  vous  demande  par  ma  voix  le, 
trésor  de  sa  femme;  il  vous  prie  de  vouloir  lui  dire 
quand  il  l'aura.  Donnez-lui  un  rendez-vous,  et  il 
viendra  où  vous  direz. 

LE  PREMIER  CONSEILLER.    Sire,  s'il  VOUS  plaît,  VOUS 

ferez  ce  que  je  vous  dirai. 

gondebaut.  Eh  bien!  parlez,  je  vous  écoute  :  que 
voulez-vous  dire? 

LE    PREMIER    CONSEILLER.    SilC    Aurélien  ,     retil'CZ- 

vous  un  peu  à  l'écart. 

aurélien.  Sire,  très-volontiers.  Allons!  parlez 
ensemble. 

le  premier  conseiller.  Cher  sire  ,  il  me  semble 
que  Clovis  a  raison  dans  ses  demandes.  C'est  au 
nom  de  sa  femme  ;  il  ne  prétend  avoir  que  ce  qu'elle 
possède  réellement  dans  votre  trésor;  envoyez-lui 
donc  de  votre  or  et  de  votre  argent  par  son  ambas- 
sadeur, afin  que  vous  soyez  bons  amis  et  que  Clovis 
ne  vienne  pas  dans  ce  pays  pour  nous  faire  la  guerre, 
caries  Fra:.cs  sont  très-belliqueux,  et  se  condui- 
sent toujours  vaillamment,  vous  le  savez. 

le  deuxième  conseiller.  Eh  oui,  Sire,  ce  n'est 
que  trop  vrai  :  les  Erancs  sont  habiles  et  courageux 
dans  la  guerre,  et  ils  ont  gagné  parieurs  etforts 
mainte  ville  et  maint  bon  château  ,*en  sorte  que 
votre  meilleur  parti  est  de  lui  envoyer  ce  qui  lui 
appartient;  il  faut  le  satisfaire. 

gondebaut.  Soit;  cela  sera  fait,  puisque  vous  me 
le  conseillez.  Veuillez  faire  approcher  d'ici  Auré- 
lien. 

le  deuxième  CONSEILLER.  Il  sera  ici  à  l'instant 
même,  sans  plus  de  distours,  tenez  cela  pour  vrai. 

—  Ami  Aurélien,  venez  auprès  de  Gondebaut. 
aurélien.  Allons  ;  je  ferai  de  bon  cœur  tout  ce 

que  vous  direz. 

le  deuxième  conseiller.  Sire,  vous  ferez  votre 
ami  d' Aurélien  que  je  vous  amène  ici,  et  je  vous 
conseille  de  lui  donner  de  votre  avoir  comme  à  un 
messager  de  Clovis  :  vous  ferez  sagement;  en  sorte 
que  ce  roi  se  tienne  pour  content  et  qu'il  ne  vienne 
pas  vous  guerroyer  :  c'est  mon  avis. 

gondebaut.  Puisque  vous  le  diles,  je  le  veux  bien, 

—  Ami,  vous  serez  satisfait  à  l'heure  même.  Tenez, 
premièrement,  je  vous  remets  ces  étoffes  d'or  et 
celte  vaisselle  d'argent,  qui  est  bonne  et  belle  ;  après, 
vous  ferez  emporter  sans  délai  cet  or  monnayé,  ces 
pots  aussi,  ces  coupes  d'or;  mon  trésor  ne  contient 
plus  rien.  Maintenant,  séparez-vous  de  moi  ;  car 
vous  portez  à  votre  seigneur  en  joyaux  et  en  biens 
plus  qu'il  n'a  gagné  ou  amassé,  je  puis  bien  vous  le 
dire. 

aurélien.  Sire,  Clovis  est  comme  votre  fils  :  c'est 
pourquoi  vos  biens  seront  communs;  ainsi  le  diront 
par  le  pays  les  gens  raisonnables. 

le  troisième  chevalier.  Paix*!  il  est  temps  de  s'en 
retourner  :  sire,  nous  prendrons  congé  de  vous  et 
nous  nous  mettrons  en  route  pour  la  France,  il  en 
est  temps. 

le  premier  conseiller.  Monseigneur  n'y  met  au- 
cune opposition  :  allez-vous-en  quand  il  vous  plaira; 
sachez  qu'il  ne  vous  gênera  en  rien. 

le  deuxième  chevalier.  Certes,  sire,  je  le  crois 
bien.—  Allons!  sans  nous  amuser  davantage,  il 
nous  faut  emporter  ces  joyaux-ci,  et  arrivé  en  notre 
logis,  nous  les  chargerons  sur  deux  chevaux  jusqu'en 
France. 

aurélien.  Eh  bien!  faisons  le  sans  délai,  sans 
parler  ou  songer  davantage.  —  Cher  sire,  avec  votre 
permission  nous  nous  en  allons. 


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gondebaut.  Allez.  -J'aime  mieux  leurs  talons  que 
leur  visage. 

aurélien.  Beaux  seigneurs,  agissons  prudemment  : 
allons  maintenant  nous  reposer  et  mettra  ces  joyaux 
en  sûreté,  et  demain  matin  nous  les  ferons  charger 
pour  Paris  et  le  roi  Clovis. 

le  troisième  chevalier.  Allons  ;  car,  à  mon  avis, 
vous  dites  bien. 

SCÈNE  XXXVIII. 

CLOVIS,    CLOT1LDE,  ISABELLE,  SO,  suivante. 

clotilde.  Eh!  mon  très-cher  seigneur,  combien 
je  vous  prie  souvent?  N'aurez-vous  pas  bientôt  la 
volonté  d'être  au  Dieu  du  ciel,  de  devenir  chrétien  et 
d'embrasser  la  foi?  Ne  voulez-vous  rien  faire!  Avez- 
vous  la  crainte  de  commettre  une  action  funeste? 
Ah  !  moi,  je  vous  le  dis,  si  vous  ne  vous  y  décidez 
point  et  n'êtes  pas  baptisé,  vous  ne  pourrez  venir  en 
la  gloire  des  cieux,  ceci  est  chose  véritable;  mais 
vous  vous  exposez  à  être  sans  fin  en  proie  à  un  cruel 
supplice.  Je  vous  en  supplie  ,  sire  ,  embrassez 
comme  moi  la  loi  chrétienne  ;  je  vous  en  sup- 
plie. 

clovis.  Holà  !  dame,  ne  m'en  parlez  plus  ;  je  n'en 
ferai  rien. 

clotilde.  Bien,  Sire?  Soit;  je  me  tairai,  mais  ar- 
rive que  pourra.  Hem!  certes,  il  faut,  cher  sire,  que 
je  m'en  aille  d'ici  dans  ma  chambre  :  je  sens  tant  de 
mal  dans  les  reins  que  je  ne  puis  le  supporter.  — 
Isabelle,  faites  vite;  allons-nous-en  ensemble  sur-le- 
champ,  je  n'en  puis  plus  ici. 

la  demoiselle.  Allons-y,  dame  ;  je  ne  contredis 
jamais  aucune  de  vos  volontés.  Certainement  vous 
êtes  ,  à  mon  avis,  en  mal  d'enfant.  Voici  votre 
chambre  :  entrez-y  pour  votre  bien. 

SCÈNE  XXXIX. 

AURÉLIEN,   LES  CHEVALIERS. 

aurélien.  Seigneurs,  portons  sans  retard  à  Clovis 
les  richesses  que  nous  avons  apportées  de  Bourgo- 
gne, comme  c'est  justice. 

le  deuxième  chevalier.  C'est  vrai;  je  suis  tout 
prêt  à  y  aller,  si  vous  l'êtes,  vous. 

le  troisième  chevalier.  Vous  dites  bien,  mon  doux 
ami;  mais  si,  au  lieu  de  lui  porter  les  richesses, 
nous  allions  l'informer,  certes,  cela  suffirait  ;  et  il  les 
enverrait  chercher,  si  bon  lui  semble. 

le  deuxième  chevalier.  C'est  vrai;  allons-nous- 
hq  tous  ensemble  vers  lui. 

aurélien.  Allons,  seigneurs;  je  partage  votre 
avis. 

SCÈNE  XL. 

LES   MÊMES,    CLOVIS. 

aurélien.  Cher  sire,  que  Mahomet,  divinité  régnant 
sans  fin,  soit  assez  bon  pour  accroître  en  vous  hon- 
neur, grâce  et  sens! 

clovis.  Mes  amis,  soyez  tous  les  bienvenus.  Eh 
bien!  comment  vont  les  affaires?  Que  dit  Gonde- 
baut  de  Bourgogne?  dites-le  moi. 

aurélien.  Sire,  par  ma  foi!  il  ne  dit  que  du  bien; 
et  il  est  revenu  à  la  raison,  car  il  vous  a,  sire,  en- 
voyé, à  ce  que  je  crois,  la  meilleure  partie  de  son 
trésor  en  vaisselle  d'or  et  d'argent,  en  grands  sacs 
pleins  de  florins  et  en  étoffes  d'or  et  de  soie  riches 
et  fines. 

le  deuxième  cnEVALiER.  Et  si  vous  m'écoutez,  sire, 
vous  saurez  tout  au  sujet  de  ce  trésor  et  de  cet 
avoir  :  c'est  que  nous  ne  sommes  point  arrivés  sans 
l'avoir  apporté  avec  nous. 

le  troisième  chevalier.  Cher  sire,  il  dit  vrai,  et  il 
dous  sera  entièrement  rendu  sitôt  qu'il  vous  plaira 
ce  le  demander. 

lovvis.  Bien!  Je  le  veux  précisément  tout  de 
suite. 


aurélien.  Certainement  il  sera  donné  à  ceux  que 
vous  enverrez.  Prenez  garde  à  ceux  qui  seront  char- 
gés de  l'apporter  ici. 

clovis.  N'en  doutez  pas ,  j'en  agirai  ainsi. 
Maintenant  je  veux,  sans  discuter  davantage,  que 
vous  alliez  souper  et  vous  ébattre  jusqu'à  la  nuit. 

le  deuxième  chevalier.  Allons-nous-en,  qu'il  ne 
soit  pas  fatigué  de  nous  voir  longtemps  ici. 

SCÈNE  XLI. 

Isabelle,  suivante  de  Clotilde,  robert,  écuyer 
de  Clovis. 

la  demoiselle.  Robert,  je  vous  trouve  ici  bien  à 
propos  :  il  faut  vous  charger  d'aller  auprès  du  roi 
à  l'instant;  dites-lui  qu'il  soit  sur  et  certain  que  ma 
dame  a  eu  un  fils.  L'enfant  est  déjà  si  bien  soigné 
qu'il  a  reçu  le  baptême  et  le  nom  de  Nigomire  ;  et 
madame  prie  le  roi  de  ne  pas  se  courroucer. 

robert.  Mon  amie,  je  serai  volontiers  le  messager 
de  cette  nouvelle.  J'y  vais. 

SCÈNE  XLII. 

ROBERT,    CLOVIS. 

robert.  Sire,  que  Mahomet  tienne  en  honneur 
vous  et  votre  baronnie!  Je  viens  vous  dire  de  la  part 
de  ma  dame,  qui  se  recommande  fort  à  vous,  qu'elle 
a  eu  un  fils;  et  elle  vous  mande  qu'elle  a  voulu  le 
donner  à  son  Dieu  pour  le  faire  chrétien;  et,  je  puis 
vous  le  dire,  il  a  reçu  le  nom  de  Nigomire  au  bap- 
tême, comme  on  dit. 

clovis.  Je  ne  puis  mettre  opposition  à  une  chose 
déjà  faite.  Retourne  auprès  d'elle,  et  dis-lui  de  ma 
part  qu'elle  cherche  à  l'enfant  une  garde  qui  le 
nourrisse  et  le  veille  bien  soigneusement. 

l'écuyer.  Sire,  je  vais  mettre  à  exécution  votre 
commandement. 

SCÈNE  XLI1I. 

clovis,  sergents. 

clovis.  Vous  deux,  je  vous  prie  de  cœur  d'aller 
tout  de  SHite  dire  à  Aurélien  qu'il  vous  remette  ce 
qu'il  m'a  apporté  de  Bourgogne,  et  revenez  ici  sans 
délai  ;  allons  !  faites  vite. 

le  premier  sergent.  Très-cher  sire,  si  lourds 
qu'ils  puissent  jamais  être,  vos  ordres  seront  tou- 
jours obéis  sur  l'heure.  (Ils  sortent.) 

SCÈNE  XLIV. 

LES    SERGENTS. 

le  DEUxiÈMe  sergent.  Vous  parlez  bien  ;  mais 
pourvu  qu'il  veuille  nous  le  remettre.  Allons  savoir 
s'il  s'y  résoudra. 

le  premier  sergent.  M'est  avis  qu'il  le  faudra 
bien,  puisque  le  roi  nous  y  envoie.  Eh  regarde  !  je 
le  vois  là-bas  en  chemin  avec  deux  chevaliers  ,  il 
n'est  pas  seul  ;  avançons-nous  à  leur  rencon- 
tre 

SCÈNE  XLV. 

LES    MÊMES,    AURÉLIEN. 

le  premier  sergent.  Sire,  que  Mahomet  soit  votre 
ami!  le  roi  nous  a  envoyés  auprès  de  vous;  il  vous 
mande  de  nous  donner  ce  qui  est  venu  de  Bourgo- 
gne en  vos  mains,  afin  qu'on  le  lui  apporte.  Ne 
manquez  pas  de  nous  le  remettre  sans  délai. 

aurélien.  Mes  amis,  vous  aurez  tout. — Seigneurs, 
allons  sur-le-champ  livrer  à  ces  deux  hommes  ce 
qu'ils  viennent  chercher,  c'est-à-dire  ce  que  Gonde- 
baut  nous  a  donné.  Je  vais  devant.  —  Allons,  mes 
amis!  tenez,  chargez,  portez  au  roi;  nous  nous 
mettrons  en  marche  pour  vous  suivre. 

le  premier  sergent.  Allons-nous-en  ,  puisque 
nous  sommes  prêts;  je  ne  vois  rien  de  mieux  à 
taire. 


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le  deuxième  sergent.  Tenez,  sire;  par  tous  nos 
dieux!  je  n'ai  jamais  rien  porté  qui  pesât  autant  que 
ceci. 

le  premier  sercent.  Ni  moi  non  plus  ;  j'en  sue 
en  dedans  et  en  dehors. 

SCÈNE  XLV1. 

LES  MÊMES,    GLOVIS;  —  puis  GLUTILDE. 

le  deuxième  sergent.  Cher  sire,  je  veux  que  vous 
sachiez  que  vous  avez  tous  les  trésors  de  Gonde- 
baut  rassemblés  devant  vous. 

le  troisième  chevalier.  Mahomet  sait  la  peine 
que  nous  avons  eue  pour  les  apporter;  vous  avez 
beau  jeu  à  vous  réjouir  longtemps. 

clovis.  Reaux  seigneurs,  écoulez  :  j'apprends  que 
la  ville,  le  duché  et  la  commune  de  Melun  veulent  se 
révolter  contre  moi  ;  je  veux  tous  vous  y  envoyer  : 
pensez  à  vous  mettre  bientôt  en  roule  pour  les  sur- 
prendre. 

clotilde.  Mon  cher  seigneur,  je  viens  vous  ren- 
dre grâces  de  votre  réponse...  Mais  l'ignorcz-vous  ? 
notre  héritier,  que  j'aimais  de  tout  mon  cœur,  Nigo- 
mire,  est  mort  et  enterré. 

clovis.  Cette  nouvelle  me  serre  le  cœur  et  me 
cause  une  cruelle  douleur.  Mère,  vous  avez  été  trop 
hâtive  à  le  baptiser.  Je  suis  convaincu,  dame,  que, 
si  vous  l'eussiez  consacré  à  nos  dieux,  quoi  qu'on 
en  dise,  il  serait  encore  en  vie;  mais,  en  raison  de 
ce  qu'il  a  reçu  le  baptême,  il  n'a  pu  vivre  plus  long- 
temps :  ce  dont  je  suis  chagrin. 

clotilde.  Cher  sire,  je  rends  grâces  à  Dieu,  dans 
cette  circonstance,  de  m 'avoir  honorée,  moi  qui  suis 
son  humble  servante ,  au  point  d'avoir  daigné 
prendre  et  recevoir  dans  sa  gloire  mon  premier-né; 
sachez-le,  c'est  la  cause  pour  laquelle  mon  cœur 
n'en  est  en  rien  douloureusement  affecté. 

clovis.  Puisque  vous  le  dites,  allons,  c'est  bien  ; 
je  n'en  parle  plus. 

aurélien.  Sire,  nous  prenons  maintenant  congé 
de  vous  ;  et  nous  allons,  cher  sire,  faire  sans  ob- 
jection ce  que  vous  nous  avez  dit. 

clovis.  Allez,  montrez-leur  ce  que  nous  valons  et 
quelles  gens  nous  sommes  en  guerre;  et  s'ils  veu- 
lent demander  la  paix  et  devenir  bons  sujets,  met- 
tez lin  aux  hostilités  par  un  traité,  sous  condition 
qu'ils  soient  tous  désormais  en  ma  puissance. 

le  deuxième  chevalier.  Rien,  cher  sire;  allons- 
nous-en  maintenant  sans  plus  de  débats. 

clovis.  Dame,  avant  le  combat,  je  vais  à  Ville- 
juif,  pour  mettre  mes  gens  en  ordre  et  de  là  m'en 
aller  à  l'armée;  je  ne  puis  dire  quand  je  reviendrai;; 
adieu. 

clotilde.  Atlieu,  mon  doux  seigneur,  quoique 
votre  absence  me  soit  pénible.  Dieu  vous  conduise 
et  vous  ramène  sain  et  sauf  d'âme  et  de  corps, 
comme  je  le  désire. 

clovis.  Que  mon  dieu  Mahomet  me  soit  miséri- 
cordieux! En  avant,  beaux  seigneurs!  allez  devant 
moi  pour  m'ouvrir  la  route,  que  je  le  voie. 

le  premier  sergent.  Hors  d'ici!  place!  sinon  je 
frappe. 

Lt  deuxième  sergent.  Allons,  devant!  retirez  - 
vous  en  arrière;  laissez-nous  le  chemin  libre,  ou, 
certainement,  je  vous  donnerai  de  ma  masse. 

SCENE  XLV1I. 

clotilde,  Isabelle,  sa  suivante,  puis  robert, 
é-cuyer  de  Clovis. 

la  demoiselle.  Chère  dame,  je  vous  vois  souvent 
changer  de  couleur  d'une  manière  alarmante  :  vous 
éprouvez  du  mal  ou  quelque  douleur,  à  ce  que  je 
crois. 

clotilde.  Isabelle,  mon  amie,  je  sens  dans  les 
reins  une  angoisse  telle  qu'il  me  semble  qu'on  me 
brise  et  que  ma  chair  soit  rompue;  c'est  exactement 


comme  cela  m'arriva,  mon  amie,  lors  de  mon  pre- 
mier enfant. 

la  demoiselle.  Dame,  ne  nous  trompez  pas; 
veuillez  mander  la  sage-femme,  car  je  tiens,  à  n'en 
pas  douter,  que  vous  des  en  mal  d'enfant. 

clotilde.  J'ignore  si  c'est  cela;  mais,  vraiment, 
je  suis  bien  mal.  —  Ah!  Mère  de  Dieu,  Vierge  ho- 
norée! secourez-moi. 

la  demoiselle.  Ma  daine,  je  vois  bien  d'une  ma- 
nière certaine  que  vous  êtes  en  travail  :  je  vais  bien 
vite  envoyer  chercher  la  sage-femme.  —  Robert, 
puisque  je  vous  trouve  ici,  hâtez-vous  d'aller  cher- 
cher Catherine,  la  sage-femme,  et  dites-lui  qu'elle 
vienne  auprès  de  ma  dame  sur-le-champ, 

robert.  Je  cours  m'en  acquitter  et  je  vous  l'amè 
lierai  avant  de  m'arrèter.  Je  la  vois  qui  va  là-bas. 

SCÈNE  XLV1II. 

ROBERT,  CATHERINE 

rouert.  Holà  !  Catherine. 

Catherine.  Quoi,  beau  sire!  par  (ma)  foi?  Que 
me  voulez-vous  ? 

rorert.  Il  faut  que  vous  alliez  auprès  de  la  reine  . 
je  viens  vous  chercher  pour  un  besoin  pressant.  Ve- 
nez-vous-en :  ce  n'est  pas  loin.   Ma  sœur,   je  vous 
mènerai  jusque-là.  Entrez  là  dedai-.s;  je  vous  laisse 
rai,  ici  ma  chère  amie. 

SCÈNE  XL1X. 

CATHERINE,   ISABELLE,   CLOTILDE. 

la  sage-femme.  Dieu  soit  céans  !  Qu'est-ce?  quelle 
mine,  ma  chère  dame! 

clotilde.  Par  mon  âme!  je  souffre  beaucoup! 
mon  amie,  je  n'ai  envie  ni  de  rire  ni  de  jouer.  — 
Aidez-moi  par  voire  grâce,  douce  Mère  de  Dieu. 

la  sage-femme.  Ma  chère  dame,  en  peu  de  temps 
vous  serez  délivrée  de  vos  maux  les  plus  grands. 
Ne  dites  pas  quej*  sois  ivre;  il  vous  faut  souffrir 
encore  un  peu  :  je  vois  qu'à  l'instant  vous  serez 
sans  faute  délivrée. 

clotilde.  Dieu!  quand  sera-ce?  Cette  allégeance 
tarde  trop  longtemps  à  venir.  —  Veuillez  vous 
souvenir  de  moi,  Vierge  Marie. 

la  sage-femme.  Dame,  ne  vous  tourmentez  pas 
davantage  :  vos  grands  maux  sont  passés.  Deman- 
dez quel  enfant  vous  avez  eu,  vous  ferez  mieux. 

clotilde.  Puisque  j'ai  un  enfant,  Dieu  soit  loué, 
quoique  j'aie  beaucoup  souffert!  —  M'amie,  parlez 
donc,  est-ce  un  (ils  ou  une  tille? 

la  sage-femme.  Ma  chère  dame,  que  votre  cœur 
soit  suret  convaincu  que  c'est  un  fils.  Que  Dieu  lui 
accorde  le  bien  du  corps  et  de  l'âme  ! 

clotilde.  Allons!  couchez-moi  tout  de  suite; 
puis  vous  emporterez  ce  fils  et  vous  le  ferez  baptiser, 
car  je  le  veux. 

la  demoiselle.  Nous  ferons  votre  volonté  en  tout 
point  sur  l'heure  et  de  tout  notre  cœur.  —  Prenez 
contre  moi,  Catherine,  et  mettons-la  dans  son  Ut; 
maintenant  n'ayons  plus  de  crainte  à  son  sujet. 
Puisqu'elle  est  couchée  et  couverte,  pensons  cha- 
cune à  faire  donner  tout  de  suite  le  baptême  à  cet 
enfant  et  à  le  rendre  chrétien  :  c'est  raison. 

la  sage-femme.  Qu'il  soit  fait  ainsi  sans  retard. 
Allons-nous-en  à  l'église.  Je  veux  porter  l'enfant; 
c'est  mon  métier  et  mon  oiliee. 

la  demoiselle.  Je  ne  vous  en  blâme  pas.  Tandis 
que  ma  dame  repose,  accomplissons  sa  volonté 
promptement. 

la  sage-femme.  Dame,  j'y  consens  :  allons-nous- 
en  droit  à  l'église. 

(Ici  elles  vont  par  derrière,  et  puis  elles  rentrent  (tons 
la  salit.) 


263 


CLO 
SCÈNE  L. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CLO 


264 


Là    DEMOISELLE,  LA  SAGE-FEMME  ,  CLOTILDE. 

la  demoiselle.  Catherine,  si  vous  m'en  croyez, 
allons  nous-en  d'ici.  C'est  bien  à  propos  :  ma  dame 
doit  et  monseigneur  aussi. 

la  sage-femme.  C'est  bien.  Laissons-la  donc  jus- 
qu'à ce  qu'elle  s'éveille. 

la  demoiselle.  Je  ne  dis  pas  que  je  ne  le  veuille 
de  tout  mon  cœur. 

clotilde.  Eh  !  sire  Dieu  qui  êtes  sans  fin,  puis- 
que vous  m'avez  délivrée,  quelque  souffrance  que 
j'aie  eue,  je  vous  remercie  en  toute  humilité  de 
cœur  de  l'enfant  et  du  mal  aussi  que  j'ai  souffert. 

la  sage-femme.  Chère  dame,  votre  (ils  le  chrétien 
dort  couvert  près  de  vous;  et,  je  vous  le  dis  bien,  il 
a  nom  Clodomir. 

clotilde.  Ah!  que  Notre-Seigneur  soit  loué  de  ce 
qu'il  a  reçu  le  baptême!  et  pourvu  qu'à  l'avenir 
Dieu  le  lienne  en  santé,  cela  me  suffit. 

la  demoisslle.  Ma  dame,  que  celui  qui  le  fit  le 
laisse  bien  vivre! 

la  sage-femme.  Madame,  puisque  vous  êtes  débar- 
rassée et  que  je  n'ai  plus  rien  à  faire  ici,  ne  vous 
déplaise,  je  m'en  irai. 

clotilde.  Bien!  soit!  Allez;  je  penserai,  ma 
chère  amie,  à  vous  envoyer  une  de  mes  robes  tout 
entière  pour  votre  peine. 

la  sage-femme.  Chère  dame,  que  la  vierge  Marie 
vousdonne  de  bons  jours!  Plus  vous  aurez  pour  moi 
de  bontés  et  plus  je  prierai  Dieu  pour  vous.  Chère 
dame,  je  vous  dis  enfin  adieu. 

SCENE  LI. 

CLOVIS,  SERGENTS. 

clovis.  C'est  bien  assez  rester  ici  ,  je  veux  m'en 
retourner,  et  avant  d'achever,  savoir  comment  va 
la  reine.  Prenons  donc  ce  chemin  :  et  vous,  sergents, 
ne  manquez  pas  de  m'ouvrir  largement  la  roule. 

le  PREMiEn  sergent.  Non,  non,  Mahomet  me  pro- 
tège! Place,  place  devant  nous,  ou  vous  sentirez  si 
ma  masse  est  légère! 

le  deuxième  sergent.  Ne  méritez  pas  que  l'on 
vous  frappe;  retirez-vous. 

clovis.  Me  voici  donc  en  mon  palais!  Sergents, 
holà!  que  quelqu'un  m'apprenne  on  quel  état  est  la 
reine. 

le  premier  sergent.  Je  suis  le  pius  expédilif; 
sire,  j'y  vais. 

clovis.  Allons,  va  vile,  par  la  foi  que  tu  me  dois, 
sans  l'arrêter. 

le  premier  sergent.  Cher  sire,  je  n'en  ai  pas  en- 
vie ;  je  serai  bientôt  allé  et  venu,  le  temps  seulement 
de  lui  parier;  et  sachez  que  ce  ne  sera  pas  long. 

SCÈNE  EU. 

CLOTILDE,    LE    SERGENT. 

le  premier  sergent.  Ma  dame ,  que  Dieu  vous 
garde  de  chagrin!  Le  r:;i  m'envoie  savoir  s'il  pourra 
être  admis  à  vous  parler. 

clotilde.  Oui,  mon  doux  ami;  dis-lui  qu'il  vienne 
quand  cela  lui  plaira  :  il  me  trouvera  toute  prête,  à 
son  gré. 

le  premier  sergent.  C'est  bien  :  je  vais  donc  le 
lui  dire  : 

SCÈNE  LUE, 

LE   SERGENT,    CLOVIS. 

le  premier  sergent.  Sire,  si  vous~voulcz  parler 
à  madame,  vous  pouvez  bien  y  aller  sans  nul  empê- 
chement. 

clovis.  Allons!  il  faut  que  je  me  hâte.  Al  ez  de- 
vant. 

le  deuxième  sfrcent.  A  votre  gré  ,  derrière  ou 
devant,  sire. 


le  premier  sergent.  Et  nous  dirons  aussi  ce  qui 
vous  plaira,  cher  sire. 

SCÈNE   LIV. 

CLOVIS,  CLOTILDE,  ISABELLE,  SEIGNEURS. 

clovis.  Dame  ,  je  viens  apprendre  ici  en  vous 
voyant  comment  vos  couches  se  sont  passées  ,  quel 
enfant  vous  avez  eu,  et  si,  dame,  il  est  taillé  et 
animé  pour  vivre. 

clotilde.  Cher  sire,  je  suis  troublée;  sur  mon 
âme!  tout  ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  j'ai  eu  un 
fils  (je  vous  le  jure,  sire),  qui  a  été  baptisé,  et  auquel 
on  a  donné  le  nom  de  Clodomire. 

clovis.  Dame  ,  de  grâce ,  que  je  le  voie ,  sans  en 
dire  davantage. 

clotilde.  Volontiers,  cher  sire,  par  mon  âme! 
—  Isabelle  ,  allez  tout  de  suite  le  chercher  ,  et  ap- 
portez-le bien  vite  ici  emmaillotté. 

la  demoiselle.  J'y  vais  ,  ma  dame,  en  vérité.  — 
Le  voici,  Monseigneur,  regardez.  Par  ma  foi!  regar- 
dez-le bien,  il  vous  ressemble. 

clovis.  Je  vous  dirai  mon  sentiment,  qui  est  que 
je  le  vois  fort  malade;  il  n'en  peut  èlie  autrement, 
puisqu'il  a  reçu  le  baptême  au  nom  de  votre  Dieu. 
J'ai  peurqu'il  nes'en  aille  tout  droit  à  la  mort,  comme 
fil  son  frère,  sans  ressource  ;  je  vous  dis  vrai. 

clotilde.  11  peut  bien  avoir  une  maladie  ;  mais , 
s'il  plait  à  Dieu  ,  il  ne  mourra  pas.  Je  crois ,  sire , 
qu'il  guérira;  j'en  suis  persuadée. 

clovis.  Mis  ainsi,  comme  le  premier,  en  la  puis- 
sance de  votre  Dieu  par  le  baptême  que  vous  lui 
avez  donné,  il  ne  peut  éviter  de  le  payer  par  sa  mort, 
de  même  que  son  frère.  Càrdez-le-bien ,  je  vous  le 
laisse.  —  En  avant,  seigneurs  !  parlons  d'ici  bien 
vite. 

le  deuxième  sergent.  Soit,  cher  sire,  puisque 
vous  le  dites. 

SCÈNE  LV. 

CLOTILDE,    ISABELLE. 

clotilde.  Eh!  Mère  de  Dieu  qui  avez  mérité  de 
porter  le  fruit  de  vie,  et  qui  ,  vierge,  enfantâtes 
l'IIoinine-Dieu ,  soyez  assez  bonne  pour  donner  la 
santé  à  cet  enfant,  de  manière  à  ce  que  je  trouve  le 
père  disposé  à  embrasser  bientôt  ia  foi  catholique  el 
à  devenir  chrétien.  —  Isabelle,  vile,  sans  plus  dis- 
courir, reportez  promplement  cet  enfant  coucher. 

la  demoiselle.  Dame,  je  ferai  en  tout  votre  com- 
mandement. 

clotilde.  Eh  bien!  allez,  et  pendant  ce  lemps-là 
j'irai  prier  Dieu  avec  mon  livre.  Venez  auprès  de 
moi  sans  larder,  quand  vous  aurez  fait. 

la  demoiselle.  Dame,  je  veux  accomplir  votre  vo- 
lonté. 

SCÈNE  LVI. 

clotilde  seule. 

clotilde.  Sire  Dieu,  qui ,  pour  remplir  les  sièges 
de  votre  paradis  ,  dont  les  mauvais  anges  avaient 
élé  jadis  précipités  par  leur  orgueil,  eûtes  ensuite 
la  volonté  de  former  l'homme  pour  occuper  ces 
places  el  jouir  sans  fin  de  votre  gloire;  vous  qui  êtes 
seigneur,  vie  et  chemin,  rendez  la  sauté  à  mon  en- 
fant, en  sorte  qu'il  soit  sans  maladie  et  que  le  père 
ne  dise  plus  que  ,  parce  qu'il  est  chrétien  ,  vous  ne 
pouvez  pas  lui  donner  la  vie  aussi  bien  que  la  mort, 
et  qu'eu  ceci  son  sort  est  malheureux.  —  Ah  ,  Dame 
des  cieux  !  veuillez,  en  cette  circonstance,  être  ma 
protectrice  et  entendre  ma  supplique;  et  je  veux 
m'appliquer  à  dire  dévotement  vos  heures ,  avant  de 
m'en  aller  d'ici,  que  j'y  gagne  ou  que  j'y  perde. 

SCÈNE  LVII. 

DIEU,  NOTRE- DAME,  GABRIEL,  MICHEL. 

PiF.r. -Mère,  et  vous,  Jésus,  aV.ons-nous-en  ;  des- 
cendez, sans  rester  plus  longtemps  ici.  Je  vois  là- 


ÏC5 


CLO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


im  Clotilde  qui  se  livre  à  une  lamentation  et  à  une 
douleur  telles  que  sa  face  est  trempée  de  larmes. 
11  faut  que  je  lui  accorde  une  grâce.  —  Allons,  vous 
tous! 

notre-damf..  Mon  Dieu,  mon  père,  mon  doux  fils, 
nous  ferons  votre  volonté.  —  Holà,  anges!  soyez 
prêts  à  descendre  bientôt. 

Gabriel.  Dame,  qui  avez  connu  ce  que  les  cieux 
ignorent,  chacun  de  nous  est  attentif  à  faire  votre 
volonté. 

Michel.  Et  jamais  ainsi  nous  ne  ferons  mal.  — 
Jean,  allons-nous-en  tous  les  trois  en  chantant, 
aussi  bien  qu'en  nous  livrant  à  nos  jeux  :  c'est  mon 
avis. 

saint  jean.  Cela  me  plaît  très-fort  et  je  le  veux. 
Allons,  commençons,  mes  doux  amis. 

Rondeau. 

Reine  des  cieux,  quiconque  s'étudie  à  vous  servir 
fait  une  très-bonne  œuvre,  car  il  acquiert  des  ver- 
tus et  obtient  la  rémission  de  tous  ses  péchés;  Reine 
des  cieux,  quiconque  s'étudie  à  vous  servir,  trouve 
Dieu  plein  de  douceur  et  se  repaît  de  gloire  dans  le 
séjour  des  suprêmes  perfections. 

dieu.  Mère,  mon  intention  n'est  pas  d  aller  là-bas 
vers  Clotilde,  mais  de  descendre  droit  où  son  fils 
est  couché.  —  Tenez-vous  ici  en  ce  chemin ,  il  suf- 
lit  de  moi  et  de  vous,  Marie,  pour  le  voir. 

Notre-Dame.  Cher  fils,  je  ne  mets  ni  opposition 
ni  obstacle  à  votre  volonté;  exercez  votre  puissance 
comme  il  vous  plaira. 

dieu.  Enfant,  ma  venue  aura  servi  au  moins  à  ta 
guérison.  Ton  mal  a  disparu  entièrement  par  la 
prière  humble  et  dévote  de  Clotilde,  ta  chère  mère, 
dont  le  zèle  dans  ses  devoirs  ne  méritait  pas  moins 
que  ce  don  de  ma  grâce.  Allons,  mère,  faites  vite 
marcher  ces  trois  devant. 

notre-dame.  Volontiers,  mon  Dieu. — Allons,  en 
avant!  anges,  allez-vous-en  comme  vous  vîntes;  et, 
en  allant,  achevez  le  chant  que  vous  avez  com- 
mencé. 

gabriei.  Vierge  excellente  et  sans  prix  ,  puisque 
cela  vous  plaît,  nous  le  ferons. 
Rondeau. 

L'on  trouve  Dieu  plein  de  douceur  et  l'on  se  re- 
paît de  gloire  dans  le  séjour  des  suprêmes  perfec- 
tions. Reine  des  cieux  ,  celui  qui  s'applique  à  vous 
servir  fait  une  très-bonne  œuvre. 

SCÈNE  LYIII. 
Isabelle  seule. 

i.a  demoiselle.  C'est  trop  s'arrêter,  rendons  nous 
auprès  de  la  reine.  Toutefois  ,  d'abord  ,  il  est  bon 
d'aviser  à  ce  que  son  fils  Clodomire  ne  manque  de 
rien.  Eh  regardez!  comme  il  se  prend  à  rire!  Dieu 
merci  !  il  est  en  bon  état.  Je  vais  le  lui  dire  sans 
larder,  avant  de  m'asseoir. 

SCÈNE  LIX. 

CLOTILDE,    ISABELLE. 

clotilde.  Isabelle,  que  vous  êtes  restée  longtemps 
à  venir. 

la  demoiselle.  Dame  ,  j'ai  été  retenue  dans  la 
chambre  un  peu  longuement  par  votre  fils;  en  vé- 
rité, il  m'a  tant  souri  que  vous  ne  pourriez  le  croire, 
et  d'un  sourire  si  doux. 

clotilde.  Il  n'est  donc  pas  malade.  Isabelle.  Ah! 
ne  restons  plus  assises  ici  ;  courons,  je  veux  le 
voir  de  suite. 

la  demoiselle.  Soit  !  Eh  bien  ,  madame  ,  voyez 
comme  il  ouvre  doucement  la  bouche  en  souriant. 
Je  crois  qu'il  n'a  aucun  mal. 

clotilde.  Louée  soit  Notre-Dame!  Au  moins, 
quand  le  roi  viendra  ici  et  qu'il  le  trouvera  en 
santé,  il  ne  sera  pas  fondé  à  dire  que  par  suite  de 
-.un  baptême,  il  agpartfcn!  à  la  mort. 

Dicno.N    de  ...  Mystlres. 


CLO  2C5 

SCÈNE  LX. 

CLOVIS,    ALRELIEN,  CHEVALIERS,   UN  PRÉVÔT. 

aurélien.  Mon  cher  seigneur,  veuillent  nos  dieux 
vous  envoyer  honneur  et  joie,  et  vous  amener  à  une 
noble  et  haute  puissance! 

clovis.  En  vérité,  je  suis  convaincu  que  vous  me 
voulez  beaucoup  de  bien.  Soyez  tous  les  bienvenus; 
avancez  ici  près  de  moi. 

le  deuxième  chevalier.  Mon  cher  seigneur,  quand 
je  vous  vois  ,  certainement  j'ai  le  cœur  joyeux  de 
vous  voir  si  gai  et  si  éveillé. 

clovis.  Que  me  direz-vous  de  nouveau  ici?Qu'a- 
vez-vous  fait?  où  avez-vous  été?  Vous  devez  avoir 
quelque  chose  à  me  dire. 

le  deuxième  chevalier.  La  fortune  est  pour  vous, 
sire,  comme  si  vous  étiez  le  roi  Darius;  car  votre 
royaume  s'étend  aujourd'hui  jusqu'à  la  rivière 
d'Aire,  et  tout  le  plat  pays  s'incline  à  votre  domina- 
tion. 

aurélien.  Sire,  j'ai  garni  tous  les  forts  de  gens 
d'armes  et  de  peuple  pour  les  garder;  vous  possédez 
le  château  de  Melun-sur-Seine,  qui,  selon  moi,  est 
solide  et  de  valeur,  et  dont  j'ai  moi-même  fait  la 
conquête  nouvellement  pour  vous. 

clovis.  Aurélien,  en  vérité,  je  n'ignore  pas  qu'en 
tout  temps,  vous  ne  songez  qu'à  mon  bien  et  mon 
honneur;  aussi  ai-je  plusde  confiance  en  vous,  sa- 
chez-le à  n'en  pas  douter,  qu'en  tout  autre  qui  hante 
ma  cour.  Mon  amitié  est  plus  profonde  que  ne  peu- 
vent l'exprimer  mes  paroles. 

un  prévôt.  Cher  sire,  entendez  sans  délai  les 
nouvelles  que  je  veux  vous  dire.  Cher  sire,  le? 
Saxons  et  les  Allemands  sont  venus  en  votre  pays. 
Nous  sommes  tout  stupéfaits  de  les  voir;  car  ils  sonl 
en  très-grand  nombre,  et  ils  ne  s'appliquent  chaque 
jour  qu'à  nous  faire  la  guerre,  à  prendre  les  gens,  à 
piller  le  pays;  et  si  vous  ne  nous  secourez  bientôt, 
vous  verrez  que  vous  perdrez  le  pays  et  les  nom 
mes. 

clovis.  Seigneurs,  il  nous  faut  être  diligents  à  se- 
courir ma  terre,  et  partir  bien  vite.  —  Mon  ami,  lu 
t'en  iras  devant,  et  partout  lu  commanderas  qu'on 
les  combatte  vigoureusement,  hors  des  villes. 

le  prévôt.  Sire,  je  vais  faire  sur  l'heure  votre 
commandement. 

clovis.  Allons-nous-en  sans  plus  tarder,  ne  res- 
tons plus  ici. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  s'il  vous  semble 
bon,  nous  nous  en  irons  par  où  est  ma  dame;  nous 
ne  savons  pas  si  nous  la  revenons  jamais. 

clovis.  Tournez-y  vos  pas,  cela  me  plaît  fort 

aurélien.  Allons-nous-en  donc  par  ici ,  car  je 
crois  que  c'est  notre  mieux.  ' 

SCÈNE  LXI. 

clovis,  clotilde,  chevaliers  francs, 
l'akmée. 

clovis.  Eh  bien,  dame!  comment  va  ce  lils?  di- 
tes-le-nous. 

clotilde.  Mon  cher  seigneur,  soyez  le  bienvenu  ; 
Dieu  merci,  il  est  bien  portant.  Mais,  où  allez-vous 
ainsi,  vous  et  tous  ces  guerriers? 

clovis.  Nous  allons  combattre  et  repousser  les  Al  • 
lemands,  qui  viennent  détruire  et  saccager  mon 
pays. 

clotilde.  Hélas  !  je  n'ai  pas  de  conseils  à  vous  don- 
ner, mais,  certes,  si  vous  m'en  croyez,  vous  seriez 
chrétien  comme  moi,  vous  auriez  reçu  le  baptême 
cl  vous  seriez  oint  d'huile  et  du  saint  chrême  depuis 
longtemps. 

clovis.  Là,  là,  je  ne  vous  en  veux  point;  mais 
vous  dépensez  vainement  vos  paroles.  Vous  êtes  trop 
sage  en  cette  circonstance;  cessez  pour  le  moment. 
Je  vous  dis  à  Mahomet  (à-dieu),  et  m'en  vais. 

(iotii.di:.   Cher  sire,  que  Dieu  veuille  vous  inspi- 

y 


2C7 


clo 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 
el 


CL» 


SB 


rer  la  volonté  d'embrasser  sa  fui,  pour  que  vous 
moi,  nous  ayons  la  mémo  croyance! 

le  deuxième  cuevai.ier.  Eh,  chère  dame  !  puisse  le 
Pieu,  en  qui  vous  avez  fiance,  accomplir  heureuse- 
ment votre  dôsln  ! 

clotii.de.  Mue  amis,  quelque  part  que  vous  alliez, 
faites  «ne  besogne  telle  que  chacun  y  acquière  de 
l'honneur  |MMii  son  corps  et  pour  son  âme! 

le  deuxième  chevalier.  Madame,  je  vous  recom- 
mande à  Mahomet;  puisse-t-il  vous  regarder  de  ma- 
nière à  vois  avoir  toujours  en  st  garde! 

clotildk.  Beaux  seigneurs,  que  Dieu  écarte  de 
vous  tout  ce  qui  pourrait  vous  être  désagréable, 
et  qu'il  dirige  toujours  vos  affaires  de  bien  en 
mieux! 

SCÈNE  LXH, 

LE    nOI    DES    ALLEMANDS,   SES    CIIF.V ALIERS. 

.le  roi  des  allemands.  Eli  quoi,  seigneurs,  à 
quelle  oisiveté  sommes-nous  abandonnés? Nombreux 
comme  nous  le  sommes,  ne  pouvons-nous  plus 
courir  sus  aux  hommes  de  ce  pays,  et  piller  el  mas- 
sacrer femmes  et  enfants;  el  si  quelqu'un  se  révolte 
contre  nous,  homme  ou  femme,  le  pisser  au  lil  de 
l'épëe? 

LE    PREMIER   (  H    VALlir,    ALLEMAND.    CllOl'    Sil'C,  VOUS 

avez  grandement  raison;  mais  avant,  si  Ton  avisait 
tout  de  suite  à  préparer  la  retraite  quand  elle  sera 
devenue  nécessaire. 

le  deuxième  chevalier  ALLEMAND.  Nous  nous  re- 
tirerons par  ici  ;  il  s'agit  surtout  de  toujours  al- 
ler en  avant,  sans  être  forcés  de  retourner  sur  nos 
pas. 

le  roi  allemand.  Voilà  qui  est  bien.  Allons,  sans 
plus  de  paroles,  je  suis  de  votre  avis. 

SCÈNE  LX1IL 

clovis,  aurélien,  chevaliers  francs,  l'ar- 
mée des  francs;  le  roi  des  allemands, 
seignel'rs  allemands,  leur  armée. 

clovis.  Seigneurs,  a  ce  que  je  vois  et  pressens,  il 
nous  faut  absolument  combattre.  D'autres  fois  déjà 
nous  avons  assistéà  des  batailles,  sans  être  nj  morts 
ni  pris  :  il  nous  faut  encore,  pour  acquérir  de  l'hon- 
neur, attaquer  nos  ennemis  et  venger  notre  pays  de 
ceux  qui  t'envahissent  à  tort. 

aurélien.  Sire,  puisqu'ils  se  tiennent  cois,  c'est 
que  leurs  affaires  vont  mal.  Ils  pounont  bien  nous 
donner  du  tracas;  mais  vous  verrez  qu'ils  feront 
tant  qu'à  la  fin  ils  seront, battus.  Soyez  prudent.  En- 
voyez savoir  en  quel  lieu  ils  se  trouvent,  a  un  de  les 
attaquer  à  l'improviste,  et  qu'ils  ne  nous  surpren- 
nent point. 

clovis.  C'est  bien  dit.  —  Iluchon,  mon  doux  ami, 
Mahomet  vous  garde  !  Allez  aux  renseignements, 
ayez  des  nouvelles  de  ces  allemands, 

l'ècuïer  d'aurélien.  Cher  sire,  trop  tôt  vous  en 
aurez;  néanmoins  je  veux  obéir  à  vos  ordres.  Je 
pars,  et  vous  recommande  à  Mahomet.  —  Seigneurs, 
c'est  fini,  me  voici  de  retour.  Je  vous  le  disais  bien, 
je  les  ai  trouvés flui viennent  tout  droit  ici  sans  faute 
pDur  vous  attaquer  et  vous  combattre  :  c'est  leur  in- 
tention. 

clovis.  Allons  vite!  rangeons-nous  (en  bataille) 
sans  tarder  ,  et  puis  après  nous  marcherons  sur 
eux.  Je  compte  les  tenir  si  prl'set  si  court  qu'ils 
n'échapperont  à  la  mort,  qu'en  se  mettant  à  ma 
merci. 

le  deuxième  cuevaher  de  clovis.  Cher  sire,  je 
LiS  vois  venir  ici  ;  serrons  tellement  nos  rangs  qu'ils 
ne   puissent  nullement  pénétrer  parmi  nous. 

LE    TROISIÈME    CHEVALIER   ALLEMAND.    ReildeZ-YQUS, 

rendez-vous  sans  combattre  :  c'est  le  mieux  en  vé- 
rité; car  nous  sommes    une  si  grande  quantité  de 


gens  qu'on  ne  peut  nous  nombrer,  et  que  vous  ne 
pourrez  jamais  vous  débarrasser  de  nous. 

LE    TROISIÈME     CHEVALIER     DE     CLOVIS.    Non  ,     nOIl, 

vous  mourrez  tons  aujourd'hui.  —  Frappons  sur  eux, 
sans  quartier  :  ils  sont  venus  ici  marchander  ce 
qu'ils  n'emporteront  pas;  ils  ne  l'achèteront  pas- 
moins  qu'au  prix  de  leur  vie. 

le  roî'  allemand.  J'ai  grand'envie  de  le  tuerr  eÉ 
je  le  ferai  incontinent.  Tiens,  va,  je  te  ferai  changer 
ton  regard  menaçant. 

aurélien.  Mon  cher  seigneur,  je  vous  dirai  que  s» 
nous  nous  fions  seulement  sur  nos  forces,  je  ne  vois 
pour  nous  que  perte  et  ruine.  Ces  gens  ne  sont  nul- 
lement las,  et  ils  sont  en  bien  plus  grand  nombre 
que  nous.  Dans  celte  bataille,  aucune  vaillance  hu- 
maine ne  nous  sera  de  quelque  utilité  et  nous  em«- 
pêchera  d'avoir  le  dessous.  J>  vous  le  conseille, 
veuillez  prier  d'un  cœur  humlfc  la  vertu  divine  (jo 
dis  le  Dieu  que  la  reine  ma  maîtresse  vous  prêche 
si  souvent)  qu'elle  vous  délivre  de  ces  guerriers;  et 
promettez  incontinent  à  ce  Dieu  que,  s'il  vous 
tire  honorablement  du  danger ,  vous  croirez  eiv 
lui. 

clovis.  Aurélien,  que  ferez-vous  vous-même? 
dites-le  moi. 

ai  rélien.  Par  ma  foi!  je  ferai  comme  vous,  si 
tant  est  que  je  sois  vivant  après  le  combat. 

clovis.  Jésus-Christ,  fils  un  Dieu  vivant,  qui 
changez  les  plus  douloureuses  extrémités  des  cœurs, 
en  douces  joies;  ô  vous  qui  prêtez  aide  et  secours  iv 
ceux  qui  mettent  leur  espoir  et  leur  confiance  en 
vous,  à  ce  que  dit  ma  femme,  Clotilde;  Seigneur,  je 
vous  prie  humblement  de  me  donner  la  victoire  suî" 
mes  ennemis  qui  m'entourent,  et  s'il  en  arrive  ainsi 
sous  mes  yeux,  je  vous  promets  de  nie  faire  bapti- 
ser et  de  croire  en  Vous.  J'ai  bien  invoqué  mes  dieux; 
mais  ii  ne  m'en  c>!  rien  apparu  de  bon  ;  au  con- 
traire ils  se  sont  éloignés  de  moi.  C'est  pourquoi  je 
je  me  déclare  contre  i  ux,  devant  vous,  en  présence 
des  faits.  .Mes  dieux  sont  sans  puissance,  et  nul  ne 
doiteroireen  eux,  puisqu'ils  n'aident  ni  ne  secourent 
dans  le  malheur  ceux  qui  les  révèrent.  C'est  pour- 
quoi j'ai  le  désir  de  croire  en  vous,  mais  livrez-moi 
mes  adversaires  et  faites  que  je  me  tire  d'ici  à 
mon  honneur. 

le  deuxième  cmv.vLiER  de  clovis.  En  avant,  sei- 
gneurs! en  avant!  dès  ce  moment,  ne  songeons  qu'a 
fort  combattre  :  allons!  Nous  avons  le  dessus,  ci 
l'avantage  du  combat;  car  j'aperçois  là  par  terre 
leur  roi  étendu  mort. 

LE    QUATRIÈME  ALLEMAND.  Ail!  (JUC    dil'C?  qiie  COIll- 

prendre?  Eh  quoi,  nous  avons  le  pire  dans  cette 
guerre?  lieras!  comme  nous  serons  honnis!  Od 
vraiment,  je  prends  la  fuite. 

clovis.  En  avant,  beaux  seigneurs  1  aujourd'hui 
songez  â  si  bien  faire  que  nouspuissions,vousctnioi, 

acquérir  encore  de  l'honneur. 

le  premier  ALLEMAND.  Sire  roi ,  sans  combattre 
davantage,  prêtez-non  une  oreille  favorable  1 1  pro- 
pice :  nous  vous  supplions,  ne  laissez  pas  dans  ce 
combat  périr  plus  de  nos  hommes;  nous  nous  ren- 
dons à  vous,  nous  sommes  entièrement  à  Votre" 
merci,  cher  sire. 

clovis.  Holà,  seigneurs!  je  mets  ces  gens-ci  sous 
ma  protection  :  ne  combattez  plus  contre  eux;  puis- 
qu'ils cèdent  à  mes  volontés  et  qu'ils  me  demandent 
paix  et  merci,  je  veux  qu'ils  les  aient. 

le  deuxième  chevalier  de  clovis.  Qu'ils  il 'aient 
pas  peur,  ils  les  auront,  puisque  vous  le  vou- 
lez. 

clovis.  Seigneurs,  retirez-vous  donc;  après  avoir 
oui  mon  conseil,  je  réglerai  quel  tribut  je  prendrai 
sur  vous  comme  mes  sujets. 

le  deuxième  allemand.  Sire,  nous  vous  hé  paye- 
rons désormais  tous  les  ans  tel  qu'il  sera  fixé  ;  eu 
vérité,  nous  ne  nous  y  ref.isèrons  on  rien. 


2G!> 


Cl.O 


aurélien.  Allez,  il  vous  fera  savoir  ce  qu'il  vou 
dra  que  vous  lassiez  à  son  égard. 

SCÈNE  LX1V. 

CLOVIS,  SES  CHEVALIERS. 


unci.uN.  Sire,  il  est  bon  que  vous  laissiez,  ce 
pays  et  que  nous  retournions  en  Fiance  :  nous  y 
serons  bien  mieux  qu'ici. 

LE  DEUXIÈME     CHEVALIER     DE      CLOVIS.    C'est     Vrai, 

c'est  aussi  noire  avis;  nous  serons  avec  nos  com- 
patriotes .  ce  qui  fait  que  nous  vivions  le  cœur 
souvent  plus  joyeux. 

CLOVIS.  Eli  bien,  puisque  vous  le  souhaiter,  je 
veux  qu  il  soit  fait  selon  votre  demande  :  allons- 
nous-en  vile  sans  réplique  par  cette  roule. 

le  troisième  chevalier.  Allons.  Certes,  lorsque 
la  reine  vous  verra,  elle  aura  beaucoup  de  joie  à 
entendre  raconter  la  victoire  que  vous  avez  rem- 
portée. 

c.LOvis.  N'en  doutez  pas,  cela  lui  sera  bien  rap- 
porté; je  vais  auprès  d'elle. 

SCÈNE  LXV. 

CLOVIS,  CLOTILDE,   CHEVALIERS. 

clovis.  Dame  reine,  que  Dieu  vous  conserve  son 
amitié! 

ci.oiu.de.  Cher  sire,  pour  l'amour  de  Dieu,  qui 
vous  a  appris  ce  saiui,  et  où  avez-vbus  pris  l'idée 
de  me  le  dire? 

clovis.  Mon  amie,  c'est  notre  Seigneur  Jésus- 
Christ,  que  je  tiens  pour  vrai  Dieu.  Savez-vous 
pourquoi?  Je  viens  d'un  pays  où  j'ai  porté  des  guer- 
res si  terribles  contre  les  Allemands  et  les  Saxons 
que  c'est  merveille  à  raconter.  J'ai  vu  l'heure,  n'en 
doutez  pas,  où  mes  hommes  étant  en  rang  pour 
combattre,  avaient  plus  de  quatre  hommes  contre  un. 
Alors  je  ne  savais  que  faire?  toutefois  je  ne  reculai 
pas.  Ayant  imploré  de  toute  mon  âme  ic  secours  de 
mes  dieux,  ayant  eu  recours  à  eux,  comme  ils  ne 
taisaient  ni  chaud  ni  froid,  en  celte  extrémité;  et 
au  milieu  du  massacre  de  mes  gens,  Aurélien,  le 
pieux,  le  noble,  s'en  vint  médire  :  <  Cher  sire,  im- 
plorez l'ode  et  le  secours  de  Jésus-Christ,  »  Dame, 
j  ■  le  lis,  et  sur  l'heure  une  partie  de  mes  ennemis 
s'enfuit  ;  les  autres  se  rendirent.  Ainsi  je  les  conquis 
du  coup;  et,  puisque  Jésus-Christ  ne  m'a  pas  oublié, 
j.'  ne  l  oublierai  pas  :  je  me  ferai  baptiser  pour  l'a- 
mour de  Dieu,  cl  ci  la  bientôt,  dame. 

cLOTiLDE.  C'est  ainsi,  cher  sire,  que  vous  sau- 
verez voire  ame  et  aurez  Dieu  pour  ami.  Per- 
mettez, je  vais  man  1er  Rémi,  qui  a  le  titre  d'arche- 
vêque de  Reims;  il  vous  enseignera,  pourvu  qu'il 
vous  plaise  de  lui  prêter  attention.  Car  désormais 
vous  ue  devez  plus  Jouter,  mais  il  vous  faut  con- 
naître et  croire  que  Dieu  le  Père,  Dieu  le  Fils  et 
Dieu  le  Saint-Esprit  sont  trois  personnes,  et  que 
néanmoins,  dans  cette  haute  Trinité,  il  n'y  a  qu'une 
divinité  unique  :  voilà;  m'entendez-vous! 

1  '  ovis.  Dame,  pour  Dieu!  mandez  vite  Demi;  que 
je  le 

clotilde.  Qui  voulez-vous  que  j'y  envoie,  mon 

cher  seigneur? 

clovis.  Envoyez-y  ce  chevalier,  sans  nul  délai. 

clotildè.  Volontiers,  sire.  — Je  vous  prie  de 
m 'aller  chercher  l'archevêque  de  Reims;  dites-lui 
qu'il  vienne  bien  vite  ici  vers  moi. 

le  premier  chevalier.  Volontiers,  dame,  par  ma 
foi!  J'y  vais;  sachez  que  je  ne  m'arrêterai  pas  que 
•«  ne  I  amène  ici. 

SCÈNE  LXVI. 

IN    CHEVALIER,  SAI.'.T  REMI,  CLERCS. 
.     LE     PREMIER    CHEVALIER.   J'    le    vois    là-bas,    c'CSl 

Lien  à  propos   —  (il  snir.i    Jlemi.)   Sire,  ne  lardez 


dictionnaire  n::s  mystères.  Cfco  îti» 

point  :  je  viens  ici  de  la  part  de  la  reine,  qui  vous 
prie,  au  nom  de  l'amitié,  de  venir  auprès  d'elle. 

l'archevêque.  Sire,  allez  devant  tout  de  suite,  car 
je  laisse  tout  pour  vous  suivre.  —  Vous  deux,  ve- 
nez où  je  vais. 

le  premier  clerc.  Sire,  tenez  pour  sûr  que  nous 
le  faisons. 

le  deuxième  clerc.  Certes,  nous  allons  avec  vous 
dès  maintenant. 

SCÈNE  LXV  11. 


LES  MEMES,  CLOTILDE. 

le  premier  chevalier.  Chère  dame,  voici  l'ar- 
chevêque, ([ne  je  vous  amène  ;  il  n'a  ni  retardé,  ni 
attendu  au  lendemain. 

clotildè.  Or,  qu'il  soit  le  très-bien  venu. 

SCÈNE  LXVIIÏ. 

CLOTILDE,   SAINT  REMI. 

c.lotilde.  Ça,  ça,  archevêque  Demi,  asseyez-vous 
à  mes  côtes  sans  plus  de  cérémonie. 

l'archevêque.  Dame,  ne  me  priez  pas  de  me  placer 
dans  un  siège  aussi  élevé  ;  il  doit  me  suflire  de. 
m'asseoir  ici  en  bas. 

clotii.de.  Eu  vérité,  vous  vous  asseoirez  ici,  sire, 
■car'VOUS  n'èles  pas  moins  élevé  en  dignité  que  moi. 
—  Voici  pourquoi  je  vous  ai  mandé  :  Monseigneur 
a  faim  d'être  baptisé  et  veut  devenir  chrétien  ;  mais 
il  ne  sait  pas  quels  sont  les  articles  qu'il  faut  croire 
et  observer  :  c'est  pourquoi  je  vous  prie  de  vous 
souvenir,  quand  vous  serez  admis  en  sa  présence, 
de  lui  montrer  le  vrai  chemin  du  salut. 

■.'archevêque.  Certes,  dame,  c'est  grand'joie,  s'il 
lui  plaît  de  m'écouter.  Non,  non,  certes,  je  ne  l'ou- 
blierai pas.  Je  m'en  vais  même  tout  de  suite  auprès 
de  lui  pour  lui  dire  toute  ma  pensée,  puisque  tel  esl 
son  désir  et  telle  son  intention. 

c.lotilde.  Sire,  vous  êtes  un  homme  sage  :  ins- 
truisez-le de  manière  à  ce  qu'il  ne  ri  tourne  pas  à  ses 
faux  dieux. 

l'archevêque.  A. lieu,  dame.  Par  la  foi  que  je. 
dois  à  saint  Pierre!  je  ferai  à  cet  égard  le  mieux  que 
je  pourrai. 

SCENE  LX1X. 

SAINT   REMI,  CLOVIS,   CHEVALIERS. 

l'archevêque.  Que  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  le 
Dèie,  qui  voulut  souffrir  en  croix  pour  nous  l'an- 
goisse de  la  mort,  accroisse  vos  honneurs,  roi  puis- 
sant! 

clovis.  Sire,  ce  salut  au  nom  de  Jésus,  me  plaft 
fort  ;  car  voire  D.eu  m'a  été  très-utile  et  jamais  je  ne 
l'oublierai;  une  autre  fois  je  vous  dirai  plus  à  loisir 
pourquoi. 

l'archevêque.  Sire,  iaissez-moi  vous  parler  un 
peu?  veuillez  m'écouter  avant  que  je  m'en  aille. 

clovis.  Oui,  sire,  parlez  sans  crainte  :  je  vous 
écoulerai  volontiers,  et  je  vous  répondrai. 

l'archevêque.  Sire,  voici  ce  que  je  vous  annonce  : 
Il  esl  un  Dieu  sans  lin,  qui  jamais  n'eut  de  commen- 
cement ;  (le  celui-ci  est  venu  un  Fi!s,  de  ces  i\cu\ 
un  Saint-Esprit;  et  ces  trois,  en  vérité  je  vous  le. 
dis,  ne  so..t  qu'un  Dieu  et  qu'une  volonté.  Par  ces 
trois  fut  créé  le  monde  et  toutes  choses  dans  les  cieux. 
11  est  vrai  que  l'homme  l'ut  fait  de  terre.  C'est  lui- 
même  qui,  par  ses  crimes,  s'est  mis  dans  lin  escla- 
vage si  rigoureux  qu'il  s'est  fermé  le  paradis;  il  a 
contracté  une  dette  telle  que  depuis  il  ne  s'en  e^t 
nias  acquitté,  et  il  n'y  avait  nul  homme  capaïle  i*e 
iilérer  le  monde  quand  le  F. h  de  Dieu  descendit 
dans  le  sein  de  la  Vierge  et  y  devint  bon  me.  C'est 
lui  qui,  par  sa  saint1  passion,  a  fait  la  .  edempiou 
du  genre  humain  en  offrant  son  corps  à  la  mort. 
Ah  !  c'est  le  doux  miséricordieux,  qui  jamais  ne 
manque  dans  la  nécês  itc  ;  ah  '.  < '■   ;  Cch  i  qui  ='-- 


971 


CLO 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


CON 


272 


court  de  près  de  loin  ceux  qui  l'aiment  ou  non,  pour- 
vu qu'on  l'implore  de  bon  cœur;  il  n'y  a  oas  de 
doute. 

clovis.  Saint  père,  je  vous  écoute  volontiers,  et 
crois  comme  vrai  ce  que  vous  dites.  —  Seigneurs, 
avez  foi  aux  paroles  de  ce  saint  homme;  recevons 
tous  réellement  le  baptême,  et  que  chacun  soit 
bon  chrétien  :  c'est  moi  qui  vous  le  dis  bien  ,  nous 
ne  pouvons  rien  faire  de  plus  noble. 

le  premier  chevalier.  Cher  sire,  veuillez  in'en- 
tendre  :  pour  nous  tous,  je  vous  fais  celle  déclara- 
tion :  Nous  sommes  d'accord  de  laisser  les  dieux 
mortels  et  de  nous  adresser  au  vrai  Dieu  des  cieux 
que  prêche  Rémi;  désormais  nous  croyons  en  Dieu. 

clovis.  Rémi,  sans  plus  attendre  ,  baptisez-moi, 
et  me  donnez  tout  de  suile  la  qualité  de  chrétien. 

l'archevêque.  Sire,  je  ferai  de  bon  cœur,  de 
loin  et  de  près,  ce  qui  vous  plaira.  Allons!  voyez 
les  saints  fonts  prêts  :  dépouillez-vous. 

clovis.  Mon  doux  ami,  je  me  déshabille  à  l'instant 
d'un  cœur  joyeux.  Allons!  me  voici  déshabillé  : 
qu'ai-je  à  faire  de  plus? 

l'archevêque.  Pour  refaire  de  vous  un  nouvel 
homme,  il  faut  que  vous  vous  mettiez  ici  dedans  à 
genoux,  non  pas  la  face  contre  terre,  mais  les  mains 
jointes. 

clovis.  Sire,  vous  serez  obéi  en  tout  point  :  m'y 
voilà  mis. 

(Ici  vient  un  pigeon  avec  une  fiole.) 

l'archevêque.  Ah!  doux  Jésus-Christ,  ami  véri- 
table, comme  vous  conduisez  vos  œuvres  de  bien  à 
mieux  !  Seigneur  ,  vous  avez  vu  du  haut  du  ciel  que 
le  chrême  me  manquait.  Grâces  vous  soient  rendues, 
Seigneur,  de  votre  envoi  par  ce  pigeon! 

clovis.  Eh  !  que  sens-je  de  si  bon?  Sire,  est-ce  ce 
que  vous  tenez  entre  vos  mains?  Jamais,  depuis  que 
je  suis  né,  je  ne  sentis  une  aussi  noble  odeur;  elle 
m'a  mis  le  cœur  en  grande  allégresse.  Certes,  je 
suis  convaincu  que  c'est  une  chose  sainte,  car  il  n'y 
a  ni  violette,  ni  lis,  ni  rose,  ni  baume,  ni  cyprès,  ni 
térébenthine  ,  ni  fleur  de  cannelle  ,  quelque  pure 
qu'elle  soit,  ni  tout  autre  épice  que  je  pourrais 
nommer,  que  cette  odeur  ne  surpasse  et  ne  laisse 
derrière  elle. 

l'archevêque.  Sire  ,  dites  en  un  mot  que  Dieu 
vous  aime,  vous  ne  mentirez  point,  puisqu'il  veut 
que  vous  soyez  oint  d'une  liqueur  aussi  précieuse 
et  d'où  vient  cette  noble  odeur  que  vous  sentez. 

clovis.  Hàlez-vous  de  me  baptiser,  je  vous  en 
prie. 

l'archevêque.  Cher  sire,  vous  serez  délivré  sur 
l'heure  et  sans  dilficulté;  maintenant  tenez-vous  coi. 
Dites-moi,  renoncez-vous  à  Satan? 

clovis.  J'y  renonce»,  n'en  douiez  pas,  sire  ,  c'est 
vrai. 

l'archevêque.  Il  me  faut  aussi  savoir  si  vous  re- 
noncez à  ses  pompes  et  à  ses  œuvres,  comme  un 
bon  et  parfait  chrétien. 

clovis.  Oui,  je  suis  très-décidé  à  y  renoncer. 

l'archevêque.  Seigneurs,  il  faut,  je  vous  le  dé- 
clare, changer  ce  nom  de  Clovis  :  comment  le  roi 
aura-l-il  nom  ? 

LE    DEUXIÈME     CHEVALIER.     Louis    :     sil'C ,    C'CSt    Ull 

beau  nom. 

l'archevêque.  Louis,  croyez-vous  en  Notrc-Sei- 
gneur.  Dieu  le  Père,  qui  créa  le  ciel  et  la  terre,  vous 
et  moi?  dites-le  bien  vile. 

clovis.  Oui,  en  vérité,  sire,  j'y  crois  certaine- 
ment. 

l'archevêque.  Et  que  Jésus-Christ  est  son  Fils 
véritable,  né  de  la  Vierge,  homme  et  Dieu,  et  ayant, 
pour  nous  racheter,  souffert  sur  la  croix  la  passion 
de  la  mort? 

clovis.  Sire,  je  suis  convaincu  que  tout  cela  est 
vrai,  et  je  le  crois  ainsi. 

:.'archevêque.  Et,  dites-moi,  croyez-vous  de 
même  que  le  Saint-Esprit  soil  Dieu?  Croyez-vous  à 


l'Eglise  catholique .  a  la  communion  des  saints r  à 
la  rémission  des  péchés,  et  à  l'universelle  résurrec- 
tion ,  où  les  bons  seront  mis  en  corps  et  en  aine 
dans  la  gloire  céleste,  et  les  mauvais  jetés  au  mi- 
lieu des  tourments  éternels? 

clovis.  Je  crois  tout  ceci  véritable,  et  je  n'ei» 
doute  point. 

l'archevêque.  Et  à  cette  heure  que  demandez- 
vous  de  moi?  Parlez,  révélez  votre  âme. 

clovis.  Je  demande  le  baptême  de  sainte   Eglise. 

l'archevêque.  Vous  l'aurez.  Eh  bien  !  je  vous 
baptise  comme  chrétien,  soyez-en  convaincu,  au 
nom  de  Dieu  le  Père,  le  Fils  (un  peu  d'intervalle)  et 
le  Saint-Esprit  aussi.  Que  le  Dieu  tout-puissant, 
qui  vous  régénère  par  cette  eau,  et  qui  vous  donne 
par  le  Saint-Esprit,  la  rémission  de  vos  péchés  au 
moyen  de  celte  onction  que  vous  sentez  sur  votre 
tète,  veuille  vous  joindre  à  lui  dans  la  gloire  éter- 
nelle! 

clovis.  Amen  !  Je  l'en  prie  bonnement  de  tout 
mon  cœur. 

l'archevêque.  Seigneurs,  je  vous  demanderai  un 
grand  drap  pour  envelopper  sa  tèle  et  son  corps 
jusqu'à  terre. 

le  deuxième  chevalier.  Il  ne  faut  point  en  ?.!ler 
chercher  :  sire,  je  l'ai  tout  prêt. 

l'archevêque.  Donnez-le-moi  ,  donnez  :  c'est 
bien. — Sire,  il  faut  être  enveloppé  de  ce  drap-ci 
depuis  le  haut  de  la  tète  jusqu'à  terre.  —  Seigneurs, 
à  vous  tous,  à  l'instant  même,  levez-le  haut  entre 
vos  bras.  Que  l'un  de  mes  clercs  prenne  ses  habits, 
dont  il  se  revêtira  de  nouveau,  quand  ce  jour-ci  sera 
passé.  En  avant  ?  ne  tardez  pas  à  l'emporter  en  son 
palais.  Mes  clercs  et  moi  nous  suivrons  et  nous 
chanterons  les  louanges  de  Dieu,  dont  la  grâce  a  si 
puissamment  agi,  que  la  sainte  Eglise  a  gagné  un 
aussi  noble  champion.  Or  sus!  chantons  Te  Devin 
laudamus. 

CONARDS  (Les).  —  Les  Couards,  comme- 
les  lotis,  les  sols,  les  sclaffards ,  sont  l'un 
des  noms  qu'ont  reçus,  au  moyen  âge,  les 
sectateurs  de  la  fêle  des  Fous.  Il  reste  d'eus 
des  rits  extrêmement  altérés  el  ne  conser- 
vant plus  nT  caractère  moral,  ni  caractère 
religieux,  q;u'a  conservés  Du  Gange.  (V 
Abbas  Conardorum  ),  et  qu'ont  cilés  du 
Tilliot  et  l'abbé  d'Arligny. —  Voy.  Fête  des 
Focs. 

CONCEPTION  (  L'immaculée  j,  ou  le 
Triomphe  des  Normands»  —  Voy.  Triosl- 
piie  des  Normaivds  (Le). 

CONCEPTION  (La).  —  Les  frères  Parfait 
onl  remarqué  que  deux  éjJitions  particuliè- 
res de  la  Conception  avaient  été  données 
vers  1522  el  15Y0,  par  Alain  Lotrian ,  sous 
le  litre  de  :  Mystère  de  la  Conception,  Nati- 
vité d'Annonciation  de  la  benoistc  Vierge 
Marie,  arec  la  Nativité  de  Jésus- Christ  et 
son  Enfance.  Ils  ajoutent  que  l'auteur  du 
Mystère  de  V Incarnation ,  représenté  à 
Rouen,  en  14.14,  s'est  évidemment  servi 
plusieurs  l'ois  du  texte  de  la  Conception.  — 
Voif.  Passion,  11,  S  k. 

CONDAMNATION  DE  BANQUET  (La). 
—  AI.  O.  Leroy  a  signalé,  dans  les  biblio- 
thèques du  nord  ,  plusieurs  manuscrits  de 
la  Condampnation  de  Banquet. 

Cette  pièce  date  de  la  fin  du  xvc  siècle,  et 
ne  contient  pas  moins  de  six  à  sept  mille 
vers. 

Les  frères  Parfait  l'ont  indiquée  a  la  suile 
des  éditions  de  la  Nef  de  Santé  et  du  Gou- 


S75 


cor 


DICTIONNAIRE  DES  HYSTERES. 


CRE 


274 


vernail  du  corps  humain  ,  pièces  en  prose, 
imprimées,  pour  la  première  fois,  on  1507, 
pour  Anlhoine  Vérard  ,  et,  plus  tard,  pour 
la  veuve  (Je  Jehan  Tranperel  et  Philippe  le 
Noir  (Histoire  du  théâtre  français  ;  Paris, 
15  vol.  in-12,  17'i5,  t.  III,  p.  124  132). 

De  Boauchamps  intitule  cette  pièce  la 
Condamnation  des  Banquets,  et  J'attribue  à 
Nicole  de  La  Chesnave,  Rech.  sur  les  Théât. 
de  Fr.  ;  Paris,  1735',  in-8°,  a  vol.,  t.  1", 
p.  306.)  La  Bibliothèque  du  Théâtre  françois, 
ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Vallière, 
(Dresde,  1768,  in-8%  3  vol.,  t.  I",  p.  89)  en 
donne  l'analyse  sous  le  même  nom  de  La 
Ghesnaye,  et  sous  le  même  titre,  également 
inexact,  des  frères  Parfait  ou  de  Beauchamps, 
la  Condamnation  du  Banquet  ou  des  Ban- 
quets. 

M.  0.  Leroy  la  considère  comme  flamande 
d'origine  (Etudes  sur  les  Mystères;  Paris, 
1837,  in-8°,  p.  372),  et  en  donne  l'analyse 
suivante  que  nous  préférons  à  celle  des 
frères  Parfait  : 

«  Une  bande  de  gens,  menant  joyeuse 
vie,  sous  les  noms  de  guerre  de  Maugeons- 
Tout,  La  Soif,  Bois-à-Vous,  Sans-Eau,  etc  , 
sont  traités  h  bouche  que  veux-tu ,  chez  le 
gros  et  splendide  Banquet  ,  qui  les  a  reçus 
avec  quelques  dames ,  et  Dieu  sait  quelles 
dames  !  l'une  est  la  Friandise,  l'autre  la 
Gourmandise ,  une  autre  est  la  Luxure. 
Tout  à  cou]),  au  moment  où  moins  ils  y 
pensent,  nos  riants  convives,  assaillis  par 
une  troupe  d'ennemis  effrayants,  hideux,  et 
qui  ont  pour  noms  :  La  Colique,  la  Goutte, 
la  Jaunisse,  Esquinancie,  Hydropisie,  etc., 
se  mettent  à  pousser  en  chorus  avec  leurs 
lidèles  compagnes,  des  cris  de  possédés. 
Une  de  ces  demoiselles,  Gourmandise,  est 


nouard,  dans  le   Journal  des  Savants   (Juin 
1836,  art.  sur  le  Mi/st.  de  saint  Crépin,  p.  367). 
date  du  xive  siècle  le  mystère  des  Couches.: 
de  la  Vierge,  ainsi  que  celui  de  la  Création. 
(Voy.  Passion,  II,  §  4.) 

CREATION  (La).—  Mystère  de  la  seconde 
moitié  du  xve  siècle,  dont  le  manuscrit  est 
conservé  à  l'Hôtel  de  ville  deTroyes,  et  dont 
M.  Vallet  de  Virivillc  a,  pour  la  première 
fois,  publié  quelques  extraits,  en  1842,  dans 
la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes  (t.  III, 
p.  4'*8-475),  sous  ce  titre,  fort  obscur  :  No- 
lice  d'un  mystère  par  personnages  représenté 
à  Troyes,  vers  la  fin  du  xx°  siècle.  Selon 
M.  de  Viri ville,  la  preraiôrejournée  contien- 
drait une  scène  de  la  Création,  la  seconde  la 
Nativité,  la  troisième  la  Résurrection.  A  par- 
tir de  la  seconde  partie,  l'éditeur  a  cru  re- 
marquer une  analogie  étroite  entre  ce  mys- 
tère et  la  fameuse  Passion  d'Arnoul  Gres- 
ban,  à  tel  point  que  le  manuscrit  de  Troyes 
devrait  servir  pour  l'édition  de  l'œuvre  de 
Gresban.  11  n'y  aurait  donc  d'original  que  la 
première  journée  et  une  faible  partie  de  la 
seconde.  En  raison  même  de  ces  allégations, 
que  rien,  du  reste,  ne  justifie  encore,  il 
semble  que  l'auteur  de  la  Notice  eût  dû  s'ap- 
pesantir surtout  sur  la  partie  qu'il  considé- 
rait comme  originale;  c'est  celle,  au  con- 
traire, dont  il  a  le  moins  donné  d'extraits, 
et,  en  général  même,  ces  extraits  sont  si 
malheureusement  divisés,  et  l'ensemble  do 
son  travail  est  si  étrangement  obscur  que,, 
dans  l'impossibilité  d'avoir  le  manuscrit 
entre  nos  mains,  nous  bornons  là  celle  note. 
Il  est  à  souhaiter  que  ce  mystère  trouve  un 
éditeur  plus  intelligent,  et  nous  en  appe- 
lons de  tout  notre  cœur  aux  érudits  de 
l'Aube. 

De  Beauchamps  a  mentionné  vaguement 


saisie  à   la  gorge   par  Esquinancie,  tandis      (Jans  ses  Recherches  sur  leg  Théâtres  (Paris, 
que  Luxure,  sa  lillc  (remarquons  cette  pa-     1733   3  vo|    in.8o<  t   v%       227),  on  dialogue 

rnnlf>l       Inmhr»    on    rn       oc     mains    nu    lorn  h  a  >  ,    .•  >  .        •'      »t     A  J 


renié),  tombe  entre  les  mains  du  terrible 
La  Goutte  qui  la  met  à  la  torture.  Bois-à- 
vous,  Sans-Eau,  et  autres  bons  vivants,  res- 
tent sur  le  carreau.  Le  demeurant  de  la 
bande  joyeuse  en  est  réduit  à  se  jeter  entre 
les  bras  de  Sjbriélé,  qui  appelle  Remède  a 
son  secours. 

«  Gros -Banquet,  traduit  devant  Expé- 
rience, est  condamné  à  mort.  La  sentence 
porte  que  la  Diète  fera  l'office  de  bourreau. 
Le  malheureux  demande  à  se  confesser,  il 
harangue  l'Assistance,  tout  le  monde  lo 
plaint,  le  confesseur  l'absou\  et  la  Diète 
l'étrangle...  (Ibid.,  p.  372-373).  »  —  Voyez 
Nicole  dk  la  Ciiesnaye. 

CONFLIT  DES  VERTUS  ET  DES  VICES 
d'Isidore  de  Séville.—  En  1835,  dans  son 
Cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres, 
M.  Magnin  citait,  parmi  les  monuments  du 


sur  la  création,  la  vie  de  N.-S.  en  vers  an- 
ciens. 

M.  Raynouard  attribue  au  xiv'  siècle  les 
mystères  de  la  Création,  de  l'Annonciation 
de  la  Vierge,  des  Couches  de  la  Vierge  et  de  la 
Passion.  (Journal  des  Sav.,  Juin  1836,  art.  sur 
le  Myst.  de  Saint-Crépin,  p,  367.  Voy.  Pas- 
sion, II,  §  4.) 

CRÉPIS  (Saint)  ET  SAINT  CRÈP1N1EN. 
Il  exi.ste  plusieurs  mystères  manuscrits  de 
Saint-Crépin  et  Saint-Crépinien. 

L'un  de  ces  manuscrits  se  trouvait  dans 
la  Bibliothèque  de  M.  de  Soleinnes  ;  il  est 
resié  inédit. 

Un  autre  est  conservé  aux  Archives  do 
r.Kmpire.  Il  date  du  commencement  du 
xv'  siècle.  Il  a  été  publié,  pour  la  première 
fois,  par  MM.  Chabailles  el  Dessales.  (Mystère 
de  Saint-Crépin  el  de  Saint-Crépinien  ;  Paris, 


théâtre,  au  vu*  siècle,  le  Conflit  des  Vertus     Silveslie,  1836,  in-8°,  de  xx-196  p.) 


de  saint  Isidore  de  Séville.  (Voy.  Joum. 
quot.  de  l  Intr.  publiq.,  25  mars  1835,  l'rse- 
mestre,  in' article,  p.  190).  Rien,  dans  cet 
écrit  de  saint  Isidore,  ne  nous  a  paru  tenir 
ni  de  près  ni  de  loin  au  théâtre.  Le  dialogue 
ne  constitue  pas  le  drame. 
CQICUESVEI.A  VIERGE  Le^j.  -  M.Ray- 


Dans  l'introduction  qui  précède  ce  texte, 
les  éditeurs  parlent  ainsi  du  manuscrit  et 
du  mystère  qu'ils  mettent  au  jour  :  «  Celui 
que  nous  publions  se  composait  de  quatre 
journées.  Les  trois  dernières  seules  sont 
parvenues  jusqu'à  nous.  »  (p.  xiv.)  De  la 
première,  il  ne  reste  que  le  résumé  fait,  au 


27.5 


CI'.E 


Dh'.TIONNAlKE  DES  MVbTEiŒS. 


CRI 


tii 


276 


commencement  de  la  deuxième  ,  par  le 
messager  et  un  fragment  découvert  dans 
l'intérieur  de  la  couvei  ture  de  l'un  des  li  ois 
cahiers  du  manuscrit.  Mais  la  légende  de 
Saint-Crépin  permet  de  la  reconstruire  aisé- 
ment, car  l'auteur  est  instruit,  et  très-pro- 
l)al)leinent  ecclésiastique,  et  il  suit  exacte- 
ment les  hagiographes.  —  «  C'est  seule-* 
ment  dans  la  quatrième  et  dernière  jour- 
née que  l'auteur  a  donné  quelque  carrière 
ii  son  imagination.  Le  sujet  est  l'inven- 
tion ou  la  découverte  des  corps  des  deux 
martyrs.  On  y  voit  figurer,  entre  autres, 
saint  Eloy  qui,  en  etl'et,  construisit  la  châsse 
où  leurs  ossements  lurent  renfermés.  S'eni- 
parant  des  miracles  dn  la  légende,  notre  au- 
teur les  a  présentés  sous  un  jour  plus  frap- 
pant, plus  dramatique,  plus  conforme  à  son 
but,  celui  d'inspirer  la  vénération  pour  ses 
héros...  »  —  «  Cette  journée  se  distingue 
surtout  par  les  rôles  du  ladre,  de  l'aveugle, 
du  boiteux,  où  l'on  remarque  une  véritable 
sensibilité...  »  —  «  L'auteur  fait  ressortir, 
avec  assez  de  bonheur,  la  fermeté,  la  pa- 
tience, la  douceur  des  deux  saints!  n  (lbid, 
p.  xv.)  —  «  Le  mystère  de  Saint-Crépin  et 
Saint  -Crépinien  avait  cela  de  particulier, 
qu'au  lieu  d'être  joué  par  les  confrères  de  la 
Passion,  comme  la  plupart  des  mystères 
connus,  il  était  représenté  par  une  troupe 
particulière,  une  société  d'ouvriers  qui,  tous 
tesans,  se  réunissaient  pou  rcélébrena  gloire 
de  leurs  patrons.  Tel  était  en  effet  l'usage 
de  la  confrérie  des  cordonnniers  de  Paris..,  » 
—  «  Le  manuscrit  qui  contient  le  mystère 
de  Saint-Crépin  et  de  Saint-Crépinien  fai- 
sait partie  des  litres  et  documents  retirés 
des  archives  de  Notre-Dame  par  le  bureau 
du  triage  des  titres  créé  en  1793.  Il  est  ac- 
tuellement conservé  aux  Archives  de  l'Em- 
pire, section  historique,  série  M,  n°  906,  et 
se  compose  do  trois  cahiers  in-folio,  format 
d'agenda,  écriture  du  commencement  du 
xv*  siècle...  >•  [lbid,  p.  xvm.) 

M.  0.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les  Mys- 
tères ,  (Paris,  1837,  in  8°,  p.  274),  a  donné 
j'analyse  du  mystère  de  Saint-Crépin  et 
saint  Crépinien,  d'après  la  publication  de 
MM.  Dessales  et  Chabailles. 

Enfin,  o'i  trouve  la  notice  suivante  dans 
le  Journal  des  Savants,  cahier  de  Juin  1830, 
dans  un  article  de  M.  Uaynouard  ,  sur  la 
publication  de  MM.  Chabailles  et  Dessales 
(p.  373): 

«  Il  a  existé  a  Soissons,  et  ailleurs  sans 
doute,  des  religieux  nommés  Crépiniens.  Ou 
trouve  sur  ces  moines  une  singularité  que  je 
ne  crois  pas  indigne d.'étre  rapportée  ici.  Leur 
costume  religieux  ne  leur  permettait  pas  d'a- 
voir la  tête  couverte  -,  il  parait  qu'ils  récla- 
mèrent un  couvre-chef  pour  se  garantir  des 
maladies  auxquelles  ils  se  trouvaient  expo- 
sés, puisqu'il  existe  une  bulle  inédite  du 
Pape  1  inocent  IV,  à  la  date  de  1248,  adres- 
sée h  révoque  de  Soissons,  qui  autorise  le 
prélat  à  permettre  que  les  Crépiniens  por- 
tent désormais  un  chapeau.  Cette  réclama- 
{ion  fut  adressée  par  le  couvent  de  Saint- 
Crépin  mnjeur,  ainsi  que  l'atteste  la  bulle. 


Plusieurs  chartes  font  mention  d'un  autre 
couvent  de  Saint-Crépin,  et  d'un  troisième, 
également  situé  à  Soissons,  sous  l'invoca- 
tion de  saint  Crépin  et  suint  Crépinien...  » 

LE  MYSTÈRE  DE   SAINT  CREPIN. 

Première  journée. 

Saint  Crépin  et  saint  Crépinien  sont  en 
prison  pour  avoir  blâmé  la  loi  romaine,  mé- 
prisé les  dieux;  leur  mort  a  été  commandée 
par  les  empereurs.  C'est  ce  qui  résulte  du 
prologue  du  prévôt  llictiovaire, au  comme  .- 
cernent  de  la  seconde  journée. 

Il  semble  qu'un  des  persécuteurs  des  deux 
saints  ait  été  atteint  d'une  maladie  subite  , 
foudroyante  :  il  invoque  probablement,  et 
en  vain,  les  dieux  dans  le  fragment  ci-des- 
sus ,  retrouvé  par  MM.  L.  Dessales  et  P. 
Chahailies. 

...  Pour  qui  pu  soutenu  la  loi,  mo  iaisserez-voua 
périr  ainsi?  Me  faut-il  doncjéiir  à  celte  heure,  dans 
le  désespoir,  accablé  de  douleur.  Mm  mal  ne  peut 
d  jà  plus  être  combattu,  je  le  vois  bien.  Hélas  !  que 
de  souffrance  '.... 

Et  porte-Lucifer,  je  veuîl 

Que  l il  à  vous  mes  biens.. 

Haro  sur  nos  dieux  et  sur  tous,  je  renie  tous  nies 
dieux,  si  je  ne  suis  vengé  du  forfait  commis  contre 
moi.  Qui  plus  mérite  châtiment  ?  Ah  !  j'enragerai 
toute  ma  vie 

Se  d'eux  ne  vincq  lanlosl  à  cliief... 
Deuxième  journée. 

PERSONNAGES. 

diec.  premier  SOLDAT    (tirant, 

NOTRE-DAME,  tyran). 

GABRIEL.  DEUXIEME      — 

RAPHAËL.  TROISIEME    — 

SAINT  CREPIN.  QUATRIEME  — 

SAINT  CREPINIEN,  CINQUIEME    — (AigreiliOl). 

rictiovAire,  prévôt,  sixième       —  (Aigi  apai  lv. 

PREMIER  CONSEILLER.  SATAN. 

SECOND  CONSEILLER,  IiF.ELZEBCT,  diable. 

LE  CELLIER.  DESTOURBET,  dialll  '. 

LE  l'REYOT  rictiovAire  (aux  persécu'eurs)  •  Sei- 
gneurs amis,  écoulez  moi  ;  {aux  conseillers)  et  vous, 
conseillers,  venez  ici  près  de  moi.  Vous  n'ignorez 
pas  que  nous  avons  ici  deux  chrétiens  en  prison,  qui 
blasphèment  contre  noire  loi,  et  l'ont  mépris  des 
dieux,  chose  indigne.  Ce  nous  soi  ail  nue  grande 
honte  s'ils  parvenaient  à  abuser  le  peuple.  Il  ne 
manque  pas  de  gens  pervers  pour  dire  qu'ils  ont  rai- 
son. Vous  n'ignorez  pas  non  plus  que  j'ai  ordre 
des  empereurs  de  les  me  lire  ions  deux  à  mort  s'ils 
ne  veulent  abandonner  leur  loi  et  servir  nés  dieux 
de  toute  leur  àme.  Or  que  faire?  Donnez -moi  vos 
avis.  Je  suis  tort  en  souci,  cl  vraiment  je  vomir,  h 
m'ètre  tiré  de  tout  cet  embarras  à  mon  honneur. 

premier  conseiller.  Examinez-les,  ei  s'ils  résis- 
tent à  la  loi  de  Mahomet,  il  n'est  si  cruel  loiirnnut 
qu'il  ne  faille  leur  infliger;  car  on  ne  doit  ni  soute- 
nir ni  laisser  vivre  au  milieu  de  nous  de  si  entrepre- 
nants ennemis  qui  bientôt  auraient  détruit  noire  re- 
ligion. Faites-les  amener  ici  sans  hruil  et  de  suite 
devant  nous. 

DEUXIEME  c "Nseiller.  En  ne  consultant  que  le  de- 
voir, il  doil  leur  arriver  mal,  et  leur  Dieu  n'aura 
pas  le  pouvoir  de  les  arracher  à  une  mort  terrible. 
Car,  par  nos  dieux,  ils  ont  grand  tort,  et  il  faut  que 
ce  soient  des  misérables  de  préférer  tous  deux  la 
n:o;i  aux  ordres  de  nos  nobles  empereurs.  Aussi  sera» 


477 


GRE 


BICÏlONNAliiE  DES  UfSTGRES. 


CiiE 


278 


l-on  bien  aise  tic  les  nie! Ire  ;;i,\  plus  rudes  tor- 
tures. 

rictiovaire.  (Aux  suliluis.)  Soldais,  recevez  mes 
ordres  :  atfea  «le  suite  chercher  les  deux  diffama- 
teurs de  noire  loi,  nos  prisonniers.  Allez,  nous  avi- 
serons aussitôt  aux  tourments  à  leur  infliger:  s'ils  ne 
veulent  se  repentir  de  leurs  fausses  et  mauvaises  pa- 
roles. 

premier  soldat.  Ce  ifesl  pas  moi  qui  y  mettrai  du 
relard,  s'il  vous  plail  de  les  avoir.  (.4  ses  camarades.) 
Or  sus,  camarades,  faisons  notre  devoir  de  les  aller 
quérir;  car  nous  devons  délester  de  tels  diffamateurs 
des  dieux.  Allons  les  chercher,  je  vous  prie,  el  de 
suite,  el  sans  hésiter. 

deuxième  soldat.  Je  suis  certes  content  d'y  aller 
pour  l'amour  de  Hicliovairc.  Ne  nous  arrêtons  pas 
davantage.  Allons  les  chercher,  je  vous  prie.  Par  ma 
loi,  je  ne  les  aime  guère,  el  plût  à  Mahomet  qu'ils 
r.is:eii  déjà  morts  ,  tant  j'ai  de  répugnance  à  teur 
parler.  J'en  suis,  en  vérité,  tout  ému  de  colère. 

premier  conseiller.  Prenez  garde,  quand  vous  les 
mirez  avec  vous,  qu'ils  ne  vous  échappent  pas  ;  car 
tenez  pour  sûr,  el  j'en  fais  serment,  leur  fuite  retom- 
be rai  i.  sur  vous,  ci  vous  paieriez  pour  eux. 

deuxième  conseiller  Oui,  prenez  garde,  quoi qVil 
en  pùi  arriver,  qu'Us  ne  vous  échappent,  car  les  em- 
pereurs vous  feraient  d'abord  nietlie  à  la  lorlure,  e*. 
puis  à  mort. 

troisième  soldat.  S'ils  se  sauveiil,  nous  voulons 
mourir  d'une  mort  terrible,  el  ce  sera  bien  l'ail.  Mais, 
pour  les  amener  ici,  il  faut  les  aller  chercher  de 
suite.  Soit  maudit  de  Ions  nos  dieux,  celui  qui  aura 
pi'ié  d'eux!  el  halons-nous  de  nous  mettre  en  cho- 
Jniii  ;  allons  bon  pas. 

quatrième  soldat.  J'ai  grande  envie  de  vous  suivre. 
Par  Mahomet  et  par  Jupiter  !  si  c'est  à  nous  qu'est 
laissé  le  choix  des  tortures,  'lisseront  mal  tombés, 
car,  bien  certainement,  nous  le  ferons  tous  de  grand 
cœur.  Mais,  sans  relard,  en  avant,  ei  allons  les  cher- 
cher. 

PRE  HIER  soldat.  C'est  leur  mort  qu'ils  sonl  venus 
■quérir  au    mibeu    de  nous,   dans  ce  pays;  car  ils  v 
sonl  grandement  détestés  :  je  le  dis  devant  lout  le 
monde. 

deuxième  soldat.  Il  faul  qn'l  y  ait  on  eux  une 
bien  grande  perversité,  el,  par  Mahomet*  ce  sont  des 
misérables  de  diffamer  noire  loi. 

troisième  soldat.  Oui,  oui,  par  le  respect  dû  a 
Mahomet!  on  n'eût  pas  dû  les  la  ni  garder:  I!  fallait 
les  mettre  à  mort  de  suite,  dans  îles  tortures  affreu- 
s  s  el  inouïes. 

quatrième  soldat.  Quand  nous  les  aurons  m's  aux 
mains  du  bon  prévôt  Hieliovaire,  s'ils  ne  se  garent, 
je  crois  qu'il  leur  donnera  quelque  occupa- ion. 

saint  (REPiN.  0  vrai  Dieu,  dont  la  lèle  fut  si  cruel- 
lement couronnée  d'épines  ,  qui,  pour  le  salut  uni- 
versel, fûtes  étendu  sur  la  croix  ;  qui  eûtes  le  cô  é 
percé  pour  la  résurrection  des  hoinmes  ei  leur  <  éli- 
vrai.ee  hors  des  noirs  abîmes  el  des  souffrances  de 
-'enfer!  Seigneur,  do  .1  la  vie  n'est  que  v  rite,  je 
vo;is  supplie  de  lout  mon  cœur!  je  vous  demande  se- 
cours au  milieu  de  nos  ennemis,  de  nos  peines,  de 
nos  tribulations,  de  nos  souffrances! — Dôme  Vierge, 
nous  le  prions  de  vouloir  bien  demander  aide  pour 
nous  a  ion  Fils.  Puisse  notre  demande  te  plaire,  très- 
douce  Vierge. 

saint  crepinien.  0  Dame,  qui  ouvrez  les  portes  du 
Paradis  {Dame  de  Paradia  concierge),  je  vous  supplie 
de  tout  mon  cœur!  je  vous  demande  de  prier  pour 
nous  voire  doux  Fils,  afin  qu'il  nous  soit  favorable. 
Sans  doute,  ô  Vierge,  vous  le  vîtes,  désespé  ée,  sur 
la  croix;  mais  il  nous  rachetait  du  péché  d'Adam  ; 
sans  doute,  o  Vierge  parfaite,  votre,  çyur  en  fui  dé- 
chiré; mais  il  fallait  que  cela  s'accomplit.  Douce 
Dame,  piicz  voire  Fils,  afin  (pu:  l'ennemi  ne  puisse 
ions  trouver  faibles,  afin  que  non-  puissions  endurer 


les  tortures  que  nous  allons  subir,  afin  que  nous  mé- 
ritions <!t;  le  contempler  dans  le  Paradis. 

le  geôlier.  Par  Maliom!  Je  suis  surpris  que  Ric- 
tiovaire  laisse  si  longtemps  ces  misérables  ici.  Com- 
ment ne  les  a-t-il  pas  dtjà  mis  à  la  lorlure?  C'est 
extraordinaire,  Les  aurait-il  oubliée?  Qu'est-ce  que 
cela  veut  dire? 

Troisième  journée. 

Ricliovaire  n'a  pas  oublié  ses  deux  victi- 
mes ;  des  tyrants  (gardes)  viennent  les 
chercher,  le  prévost  les  interroge,  ils  con- 
fessent Notre-Seigneur  Jésus-Chrisl  : 

PREMIER  CONSEILLER. 

F.oy  que  doy  Mahom  el  Jupin! 
Ils  me  l'ont  trestout  eshahir 
De  leurs  paroles  cy  ouïr. 

Ils  sont  livrés  aux  bourreaux,  mais  Notre- 
Dame  intercède  pour  eux  : 

Mon  très  chier  Fils,  accorde-moy 

Cesle  requeste,  je  le  prie, 

C'esl  que  l'angelical  mesgnie  (milice  ungélîque) 

Les  voyx  (aille)  la  jus  conforter 

El  de  Ion  sainl  nom  exhorter. 

En  ce  temps  môme  l'Enfer  s'éJève  contre 
eux. 

SATIIAN. 

Enlraisner  les  voudrais  granl  erre  (grand  trerin) 
El  emporter  desur  mon  col... 

La  passion  des  deux  saints  commence. 
On  les  jette  à  Peau,  mais 

Ces  deux  qu'avons  en  la  rivière 

Celles,  ils  sonl  à  lie  chiérs  (avec  un  visage  riant) 

Oullrepassés... 

On  les  laisse  sans  pain  dans  leur  prison; 
l'archange  Gabriel  leur  porte  «  pain  de  con- 
firmation. »  Ils  sont  précipités  dans  un<! 
fournaise  ardente  ,  les  persécuteurs  seuls 
sont  brûlés  autour,  Uictiovairo  y  périt.  La 
troisième  journée  finit. 

Ces  terribles  nouvelles  sont  portées  à. 
Dioclétien  qui  s'écrie  : 

Haro!  Mahom!!  comment  ave? 
Souffert  telle  horreur  advenir? 
...  Ils  sont  encore  en  vie 
El  si  oui  eu  tant  de  hachie  (lourmcnl)\ 
Comment  peut  ce  fait  advenir?  . 

Ordre  de  leur  décollation  est  donné..  Sa- 
tan s'émeut  dans  l'espoir  de  saisir  au  pas- 
sage les  âmes  des  deux  saints.  Mais  Dieu 
est  là  qui  les  reçoit.  Leurs  corps  seuls  res- 
tent abandonnés  à  l'aventure;  encore,  par 
l'inspiration  du  ciel,  Puvie,  bonne  (hune, 
Rogier  le  bon  homme,  leur  donnent  une 
pieuse  sépulture. 

Quatrième  journée. 

La  quatrième  journée  nous  transporte  dans 
les  cieux.  Sur  la  prière  de  saint  Crépin  et 
de  saint  Crépinien,  les  anges  avisent  saint 
Cyr  et  saint  Eloi  du  lieu  où  sont  enfouis  les 
reliques  des  deux  martyrs.  Le  Pape  saint 
Clément,  l'archevêque,  son  chapelain,  re- 
çoivent les  confidences  de  Puvie  la  bonne 
dame  et  du  bon  homme  Roger.  Un  ladre,  un 
démoniaque,    le  potenssi.cr,  l'aveugle  sont 


279 


DAN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


DAN 


280 


guéris.  Il  ne  s'agit  plus  que  dé  demander  au 
roij  de  France  une  chapelle,  le  Pape   s'en 


charge 


LE  PATE. 

Je  vous  promès  bien  que  demain 
Partiray  pour  a  luy  aler 


-  *^A 


El  faut  voudray  à  lui  parler 

Que  les  osseinens  en  argent 

Sera  de  mettre  diligent... 

Sus,  be;\ux  seigneurs,  alons-nous-en 

En  louant  île  Dieu  les  venus, 

Disons  :  Te  Deum  laudamus! 

(Explicit). 


D 


DANIFL  d'Hilaire.  —  Le  Daniel  d'Hilaire 
est  conservé  dans  le  manuscrit  des  œuvres 
de  ce  disciple  d'Abailard,  qui,  connu  depuis 
1616,  a  passé,  en  1837,  de  la  Bibliothèque 
île  Rosny  dans  le  riche  dépôt  de  la  Biblio- 
thèque impériale.  Cette  pièce  appartient  à 
la  première  moitié  du  xn*  siècle.  M.  Cham- 
pollion-Figeac  l'a  éditée,  pour  la  première 
l'ois,  en  1838,  parmi  les  œuvres  d'Hilaire: 
Il  ii.  \n 1 1  Versus  et  ludi;  Paris,  Téchener,  1838, 
in-8\  de  xv-61  pages. 

L'éditeur,  dans  la  Préface  de  cette  publi- 
cation, après  avoir  parlé  du  Lazare  et  du 
Saint  Nicolas  du  même  auteur,  a  dit  de  Da- 
niel: «  Le  sujet  de  Daniel  est  moins  connu 
dans  l'histoire  des  pieuses  représentions 
mimiques  du  moyen  âge;  et  s'il  n'y  a  rien 
de  bien  digne  de  remarque  dans  les  pièces 
de  Lazare  et  de  Saint  Nicolas,...  on  accor- 
dera plus  d'attention  à  la  pièce  de  Daniel, 
qui  est  en  deux  parties,  en  deux  actes,  ou, 
comme  on  dit  et  comme  on  fait  aujourd'hui, 
en  deux  tableaux.  Celte  composition  a,  en 
effet,  un  caractère  de  gravité  qui  en  a  exclu 
le  refrain  en  idiome  vulgaire...  Celle  pièce 
est  un  ouvrage  du  genre,  très-remarquable 
par  son  étendue,  sa  division,  la  pompe  du 
spectacle  qu'elle  exigeait...  »  M.  Champol- 
lion  a  notéencore  le  titre  «  Historia  de  Daniel 
representanda,  qui  n'est,  on  pourrait  le  dire, 
ni  en  français  ni  en  latin.  »  (P.  xm.)  Dans 
un  autre  passage,  le  copiste  a  écrit  :  «  Ado- 
rare  o  liberare,  »  o  pour  tel  ou  id  est,  ayant 
en  effet  mis  le  premier  de  ces  deux  mots 
pour  le  second;  et  cette  expression  de  o 
n'est  pas  du  tout  latine,  et  pas  beaucoup 
française  dans  l'acception  qu'on  lui  donne 
ici.  »  (P.  xiv.) 

M.  O.  Leroy  a  cité  cette  pièce  dans  ses 
Epoques  de  l'hist.  de  France  (  Paris,  Hachette, 
1843,  in-8",  p.  78)  ;  il  la  considère  comme 
étrangère  au  théâtre  national  français.  Nous 
en  donnons  une  traduction  aussi  littérale 
que  possible. 

Le  titre  nous  semble  devoir  être  traduit: 
Histoire  de  Daniel,  mise  en  scène.  —  Voyez 
Hil aire,  disciple  d'Abailard. 


SCÈNE. 


HISTOIRE  DE  DANIEL,   MISE   EN 
PREMIÈRE    PARTIE. 

PERSONNAGES  NÉCESSAIRES 


HiN  roi  représentant  bal- 

THAZAR  ; 
LA  BEINE  ; 


DAVID  ; 

quatre  soldats  : 
quatre  seigneurs 


SECONDE    PARTIE. 

PERSONNAGES  NÉCESSAIRES. 

représentant 


aux  lions  ; 

Un  autre  ange  pour  em- 
porter Ahacub  dans  la 
fosse 

Un  troisième  ange  qui 
chaule  :  Je  vous  ap- 
porte la  nouvelle 


sous  ion  joug  et  sous  ta  puissance    in  vin  - 


L'N        ROI 

Darius. 

DANIEL. 

Soldats  comme  dans  la 
première  partie; 
Seigneurs  ; 
Un  ange  dans  la  fosse 

PREMIÈRE    PARTIE. 
I. 

Ballhazar  paraît  d'abord  avec  sa  suite  nom- 
breuse et  magnifique  ;  il  s'assied  sur  son 
trône;  les  soldats  chantent  devant  lui  cette 
prose. 

jordan.  Chantons  tous  aux  applaudissements  du 
peuple,  chantons  la  puissance  de  ce  prince  illustre, 
dont  la  grandeur  est  digne  de  lotit  notre  respect,  car 
elle  s'étend  au  loin  sur  les  terres  et  la  mer.  Soi» 
père  a  pu  triompher  de  l'ennemi,  en  enlevant  les 
vases  de  l'autel  du  Seigneur,  en  frappant  Jérusalem 
du  glaive  fatal,  et  en  conduisant  triomphalement 
la  population  de  cette  cité  misérable.  Et  loi,  prince 
superbe,  fils  du  victorieux,  non  moins  omnipotent, 
dont  le  regard  pénètre  et  glace  de  crainte,  il  est 
juste  que  ion  nom  résonne  en  tous  lieux,  puisque  lu 
suis  si  bien  les  Iraces  de  ton  père  ,  en  met  la  ni -les. 
rebelles 
cibles. 

le  roi  à  ses  soldais.  Qu'on  apporte  au  milieu  de 
ces  festins,  les  vases  précieux  dont  mon  père  s,o 
rendit  maître  dans  la  ruine  de  Jérusalem. 

les  soldats  apportent  les  vases.  Réjouissons-nous 
aujourd'hui  avec  ce  roi  magnifique,  dont  la  force  et 
la  volonté  font  trembler  lanl  de  peuples.  Sa  puis- 
sance écrase  tout  cœur  rebelle;  elle  fait  frémir 
jusqu'aux  habitants  de  l'Asie.  Pour  rappeler  à  sa 
mémoire  les  triomphes  de  son  père,  niellons  sous 
nos  yeux  les  dépouilles  de  Jérusalem.  Sa  puissance 
écrase  tout  cœur  rebelle  ;  elle  fait  frémir  jusqu'aux 
habitants  de  l'Asie.  Ses  ennemis  épouvantés,  l'uni- 
vers glacé  d'effroi,  loul  comme  autrefois  à  ton  père, 
est  encore  soumis.  La  puissance  (de  noire  roi)  écrase 
lout  cœur  rebelle;  elle  fait  frémir  jusqu'aux  habi- 
tants de  l'Asie.  Tu  es  le  véritable  poitrail  de  Ion 
père,  el  le  plus  grand  roi  des  rois,  successeur  ter- 
rible et  Dieu  même,  selon  nos  cœurs.  La  puissance 
de  noire  roi  écrase  loul  cœur  rebelle;  elle  fait  fré- 
mir jusqu'aux  habitants  de  l'Asie. 

IL 

On   voit  une  main  qui  écrit  au-dessus  de  ta  tête  du 
roi  :  »  mane:  teciiel:  phares.  » 

111. 

le  roi,  plein  de  terreur,  à  ses  soldats.  Vile,  vite, 
cherchez  dans  ce  royaume  tous  les  savants  capahàts 
d'expliquer  le  sens  de  ces  mots  écrits  ici. 


281 


DAN 


DICTIONNAIRE  DES  .MYSTERES. 


DAN 


282 


IV. 


Quatre  mages  approchent. 

le  roi.  Sages  babyloniens,  si  vous  êies  vraiment 
savants,  expliquez-moi  le  sens  de  celle  vision  et  ce- 
lui tle  ces  mois;  le  ponvçz-vous?  J'ai  vu  une  main 
écrire  ces  mois  inconnus,  je  l'ai  vue  remuant,  et  je 
n'ai  pu  en  voir  davantage.  L'étail  la  main  droite. 
Elle  écrivait,. bougeait,  mais  qu'a-t-elle  écrit?  Je  ne 
sais.  Lisez  celle  phrase  écrite,  dites-m'en  et  les  mots 
et  le  sens,  el  je  vous  comblerai  de  présents. 

les  quatre  SEIGNEURS  s'éiant  retirés  un  peu  à  Vê- 
carl  et  revenant  bientô',  répondent  an  roi.  Nous  ne 
pouvons  ni  donner  le  sens  de  celle  phrase,  ni  même 
en  déchiffrer  l'écriture. 

le  roi.  Que  lotit  le  pays  apprenne  donc  ma  vo- 
lonté suprême  :  celui  qui  aura  expliqué  ceci  avec 
certitude,  sera  couronné  d'or,  velu  de  pourpre,  et 
assis  sur  mon  trône  même,  comme  un  troisième  mem- 
bre de  ma  puissance. 

V. 

niL.URE.  Saint,  ô  épouse  du  roi,  remarquable  par- 
mi toutes  les  femmes,  dont  la  sagesse  extrême  con- 
naît les  choses  les  plus  secrètes,  et  qui  es  la  gloire 
de  loul  Ion  sexe.  Viens  auprès  du  roi,  dans  ses  pa- 
lais, afin  de  faire  paraître  aux  yeux  de  noire  prince 
la  science  merveilleuse.  Viens  à  l'instant  donner  un 
conseil  à  (on  mari.  O  loi  qui,  seule  entre  toutes  tes 
compagnes  ,  n'as  pas  un  défaut  el  dont  la  parole 
laisse  stupéfaits  les  savants,  lu  es  bien  la  digne 
épouse  d'un  roi;  el  ion  génie  surprenant  suffit  seul 
à  diriger  cet  empire.  Viens  donc  rassurer  le  roi 
dans  ses  incertitudes,  et  donner  à  l'instant  les  avis 
à  ton  époux. 

VI. 

LA  reine  au  roi.  Ne  soyez  point  troublé,  Ballha- 
zar,  de  celle  vision  imprévue  :  il  y  a  ici  Daniel  à 
qui  rien  n'est  inconnu.  Nous  avons,  lui  el  moi, 
constaté  quec'esl  un  miracle  divin,  et  dans  les  temps 
passés,  les  fails  de  celte  nature  ne  manquent  pas. 
O  Roi,  donnez  l'ordre <pic  l'on  cherche  D.in  el,  el  lir, 
saura  expliquer  ces  mots  indéchiffrables. 

le  roi  à  ses  soldats.  Serviteurs,  cherchez  Daniel, 
j'ai  besoin  de  ses  conseils. 

Vil. 

les  soldats  amenant  Daniel.  Au  loin  loul  ennui 
en  ce  jour,  la  joie  seule  a  place  ici,  grâce  à  Daniel 
dont  la  science  prévoyante  de  l'avenir  peut  révéler 
l'inconnu.  Les  choses  futures  ne  lui  sont  pas  plus 
obscures  ou  incertaines  que  les  choses  passées.  Il  va 
expliquer  la  vision  subite  du  roi.  Celui  qui  doit  in- 
terpréter ces  lelires  recevra ,  selon  la  promesse 
royale,  des  présents  immenses,  el  le  Irône  el  la 
pourpre.  Mais,  dans  Babylone,  nul  encore  n'a  rien 
compris  à  ce  mystère.  El  c'est  nous  qui  allons  pré- 
senter au  palais  du  roi  celui  qui,  sans  nul  doule, 
va  dévoiler  le  sens  de  la  vision  royale. 

VIII. 

Ensuite  le  roi  à  Daniel.  Ce  que   nous  avons  ap- 

fu-is  esl-il  vrai?  Noire  vision  sera-t-elle  interprétée? 
/esprit  des  dieux  esl-il  en  loi,  et  connais-tu  I  s 
mystères  impénéirables  aux  hommes?  Eh  bien,  s'il 
en  est  ainsi,  révèle-nous,  à  l'instant,  le  sens  île  celle 
phrase,  el  si  lu  peux  l'expliquer,  la  fortune  e3l 
faite. 

Daniel  au  lloi.  O  prime,  ne  pariez  pas  de  ces  ré- 
compenses insignifiantes,  je  veux  faire  connaître  les 
merveilles  de  ces  lieux  sans  en  tirer  de  profit.  N'a- 
vez-vous  pas,  parmi  les  objets  affectés  au  service 
de  votre  personne,  les  vases  sacrés  de  Dieu?  Voilà 
votre  condamnation.  Ces  mots  dont  vous  cherchez 
le  sens  attestent  voire  ruine  :  Munc  veut  dire  que 


demain  vo-s  ne  serez  plus  roi;  Teckel  indique  que 
le  royaume esl  déjà  mis  dans  la  balance  et  qu'il  y 
paraît  bien  léger;  Phares,  c'est  sa  division;  et  tout 
ceci  n'annonce  que  la  volonté  immuable  do 
Dieu. 

LE  roi  couvrant  Daniel  de  vêlements  magnifiques 
el  le  faisant  asseoir  auprès  de  lui.  Celui  qui  nous  a 
expliqué  le  sens  de  ces  mots  recevra  la  pourpre,  se- 
lon ma  parole,  il  sera  assis  à  la  droite  du  roi,  el  mê- 
me il  régnera  avec  nous,  el  sa  sagesse  recevra  pour 
récompense  le  tiers  de  noire  royaume.  (Aux  soldats.) 
Selon  les  paroles  de  ce  vrai  prophète,  emportez  loin 
de  nous  ces  vases,  nous  ne  les  emploierons  pas, 
comme  autrefois,  à  de  profanes  usages,  car  il  no 
faut  pas  qu'ils  soient  pour  nous  l'occasion  d'une  si 
éclatante  ruine. 

Les    soldats    emportent  les   vases  et   reconduisent  la 

reine. 

iordan.  Salut,  épouse  du  roi,  gloire  de  Babylone, 
ô  dame  qui  connais  tout  ce  qui  est  utile  à  ton  sei- 
gneur, dont  la  sagesse  conseille  si  bien,  el  dont  le? 
paroles  sont  plus  douces  que  celles  d'aucune  autre 
parmi  toules  les  femmes.  Tout  l'empire  repose  sur 
ta  prudence,  el  aujourd'hui  nous  nous  réjouissons 
de  ton  bon  sens  si  grand.  Il  y  a  trois  éloges  que  lu 
mérites  :  la  beauté,  la  sagesse  el  l'esprit,  qu'on  ne 
trouverait  point  réunis  ailleurs  ainsi.  Oui,  lu  es  di- 
gne de  la  compagnie  d'un  roi. 

(Aussitôt  Darius,  roi  des  Perses  el  des  Mèdes,  sur- 
vient avec  son  armée,  \il  tue  Battliazar]  el,  lui  en- 
levant  sa  couronne,  il  la  place  sur  sa  tête;  il  s'as- 
sied sur  son  Irône.  On  entonne  un  chant  en  son 
honneur.) 

SECONDE    PARTIE. 
I. 

hilaire.  O  Darius,  il  est  séant  de  chauler  en  vo- 
tre honneur,  el  nous  sommes  tons  également  joyeux 
d'esprit  en  récilanl  les  louanges  qui  vous  sont  dues. 
Les  Perses  craignent  votre  joug,  el  Ions  les  peuples, 
car  les  plus  grands,  les  plus  petits,  vous  sont  ('gaiement 
soumis.  Nous  sommes  joyeux  en  chantant  les  louan- 
ges qui  vous  sont  dues.  Quiconque  ne  vous  obéit 
point,  seul  le  poids  de  votre  colère,  ô  roi  si  étrange- 
ment puissant  !  Nous  sommes  joyeux  en  chantant  les 
louanges  qui  vous  sont  dues.  On  éloignés  ou  voisins, 
tous  sont  courbés  sous  votre  sceptre,  aussi  nous  en- 
tourons voire  personne  royale,  nous  célébrons  vos 
hauts  fails,  el  nous  sommes  joyeux  en  chaulant  le* 
louanges  qui  vous  sont  du.  s. 

II. 

quelques-uns  parlant  à  Dar'us  de  la  sagesse  de 
Daniel.  O  roi  plus  puissant  qu'aucun  aulre,  faites 
chercher  le  très-savant  Daniel  ;  loul  le  monde  sait 
combien  il  est  habile,  el  Balihazar  l'aimait  beau- 
coup. 

III. 

Les  soldats  au  peuple. 

jordan.  Seigneurs  de  celle  cilé,  apprenez  les  vo- 
lonlés  du  roi  omnipotent  et  gardez- vous  d'en  faire 
fi.  Il  y  a  un  homme  dans  Babylone,  inconnu,  supé- 
r.ciir  néanmoins  à  tous  les  autres  par  sa  science,  el  qui 
a  prédit  la  chute  du  irône  de  Ballhazar.  Nous  de- 
mandons son  attention  ;  que  chacun  le  cherche  pour 
l'amener  au  palais,  où  il  fera  partie  de  la  maison 
royale. 

IV. 

Ceux  qui  «mènent  Daniel  chantent  ainsi. 

hilaire.  Vive  Daniel  aujourd'hui!  dont  la  sagesse 
connaît  loul.  Il  porte  en  lui  l'Esprit  qui  sait  le 
futur  comme  le  présent.  Sa  science  peut  donner  La 


283 


DAN 


DiCTîChNNAIRE  DES  5IYSÏE&ES, 


DAN 


2:u 


pais  an  Roi  et  nous  le  conduirons  au  palais,  con- 
vaincu  d'y    amener  avec  lui  le  bonheur  et  la  joie. 

V. 

Daniel  paraît  devant  le  roi. 

le  roi.  On  a  parlé  devant  nous  de  ta  sagese  à 
découvrir  les  mystères,  et  si  lu  nie  donnes  d'utiles 
avis,  je  mettrai  sous  la  main  des  provinces  à  gou- 
verner. 

DANiF.t.  0  prince ,  je  n'ai  nulle  envie  de  vos 
dons,  mais  si  vous  avez  besoin  de  moi,  je  mets 
une  condition  aines  services,  c'est  qu'ils  ne  seront 
pas  payés. 

Le  Roi  Fait  monter  Daniel  auprès  de  lui. 
Les  envieux,  à  celle  preuve  de  bienveillance 
du  roi,  et  pour  nuire  à  celui-ci,  ne  trouvant 
rien  a  reprocher  h  Daniel,  autre  que  sa  loi  et 
son  Dieu,  se  rendent  auprès  du  roi. 

VI. 

LES  ENVIEUX. 

simon.  0  Roi ,  faTles  observer  les  décrets  portés 
par  des  princes  illustres.  Parmi  ces  lois,  il  en  est 
hne  qui  défend  d'ador  r  d'autre  Pieu  ijtie  le  roi, 
Vous  seul  êtes  Dieu  au-dessus  des  dieux,  roi  des 
Gentils  et  des  Katdéens.  Vous  seul  devez  donc  être 
adoré,  aussi  longtemps  que  vous  dominez  sur  les 
peuples  et  possédez  l'empire.  Quiconque  enfin 
cherche  hors  de  vous  un  autre  patron ,  doil  être 
jelé  en  pâture  aux  lions. 

le  noi.  Telle  est  aussi  ma  volonté,  et  tout  ce  que 
la  cilé  a  voulu,  doil  élre  exécuté. 

vu. 

(Daniel  se  relire  à  l'écart  pour  prier  son  Dieu.  On 
le  voit.) 

les  envieux  au  roi.  0  roi  qui  comiuandez  dans 
Babyloue ,  c'est  en  vain  que  l.i  cité  fait  des  décrets. 
Aiisi  elle  avait  onb  né  de  vous  adorer  durant 
trente  jou  sa  l'égal  d'une  des  divinités  des  cieux  ; 
cl  Celui  capahiu  de  faire  risée  des  décrets  royaux, 
devait  justement  su'  ir  le  supplice  des  lions. 

le  noi.  C'est  vrai,  il  y  a  eu  un  décret  pour  que 
je  fusse  redouté  comme  un  dieu,  et  tout  le  monde  a 
dû  eél  hier  ma  divinité. 

les  envieux.  Nous  avons  pourtant  vu  Daniel  ho- 
norer un  Dieu;  qu'il  soil  donc  jeié  en  pâture  aux 
iious  pour  avoir  méprisé  les  décrets  de  Darius,  roi 
de  Babylo.ie. 

le  noi.  Si  en  effet  il  n'a  pas  obéi  à  mon  ordre, 
il  sul.ira  le  supplice  des  lions,  qu'il  a  mérité. 

Vill. 

{On  conduit  Daniel  à  In  fosse  aux  lions.  —  Le  roi 
eu  en  fureur.  —  Néanmoins  des  gens  consolent 
Daniel,  parmi  ceux  qui  V accompagnent.) 

ihlaire.  Serviteur  de  Dieu  ,  ne  sois  pas  au  déses- 
poir (\u  supplice  qu'on  l'n.flige;  mais  aie  confiance 
en  ton  D.eu,  et  le  lion  ne  le  louche: a  pas. 

IX. 

Daniel  prie  en  entrant  dans  la  fosse.  Dieu   de  la 

terre.    Dieu  du  ciel,    e'«  si    à  loi  seul  que  je    me 

recommande;    donne -moi    un  défenseur   pour   me 
«farder  dans  ces  extrémités. 

(Un  ange  apparaît  dans  la  fusse,  armé  d'un  glaire  et 
défendant  Daniel  de  Rapproche  des  lions  ) 

X. 

(Un  autre  ange  approche  d'Abacnb  qui  porte  à  dîner  à 
ses  moissonneurs  ;  il  parle  ainsi  :  ) 

simcn.  Abaeiih.  voici  une  nouvelle  céleste,  rends- 
loi  auprès  de  Daniel  ,  porles-lui  dans  Babylone 
les  vivres  (pie  lu  as  sur  lôu  épaulé,  caria  fureur 
•les  lions  s'esl  apaisée  'cv  ,n:  lui. 


abacub.  0  Dieu  ,  Ignorez-vous  que  je  ne  sais  ni 
où  esl  la  fosse,  ni  où  csl  la  ville  dom  vous  me 
parlez. 

(L'Ange   le  prend  par   un  cheveu  et  le  porte   à  ta 
fosse.) 

XL 

(Il  est  debout  et  parle  à  Daniel-) 

Abacub.  Bon  homme  ,  aimé  de  Dieu  ,  épargne  par 
le  lion,  Dieu  même  l'a  fait  son  élu  ici-bas.  Cher 
frère,  prends-donc  ce  qu'il  t'envoie. 

XII. 

Daniel  ,  rendant  grâces  à  Dieu  ,  s'écrie  :  l{\- 
laire ,  oui  cela  esl  visible,  Dieu  a  voulu  me 
sauver,  en  daignant  m'envoyer  des  vivres  par  un 
messager;  il  a  fait  plus,  il  a  calmé  la  rage  des  lions; 
et  il  m'a  accordé,  ce  que  nul  ne  pouvait  me  garan- 
tir, un  ange  pour  défenseur. 

XIII. 

Darius,  qui  était  si  furieux,  vient  voir 
Daniel. 

darius.  Bon  homme,  crois-tu  que  Ion  Dieu ,  à 
qui  lu  ne  cesses  d'3dresser  des  prières ,  le  gardera 
sain  cl  sauf  des  dénis  du  lion? 

Daniel.  Mon  Dieu  m'a  envoyé  un  défenseur  invin- 
cible qui  a  su  contenir  la  rage  des  lions. 

le  roi.  Eli  bien ,  quelle  faute  a-t-il  donc  commise? 
vraiment  arrachez  de  là  cei  homme  juste,  el  quant 
à  son  accusateur,  jetez-  le  dans  la  fosse. 

(Les  Envieux  sont  précipités  dans,  la  fosse  et  dévorés 
par  les  lions  ) 

XIV. 

Le  roi  prend  Daniel  par  In  main,  le  con- 
duit à  son  trône  et  l'y  l'ait  nsseoir.  Il  dit  à 
ses  soldats  : 

le  roi.  Publiez  partout  ma  volonté  qui  est  que 
chacun  rende  honneur  au  Seigneur  Dieu  de  Daniel; 
el  si  ce  décret  n'est  pas  obéi,  il  y  aura  punition  à 
l'instant. 

XV. 

les  soldats  an  peuple  Ecoulez  :  el  ne  faites  pas  fi 
des  ordres  du  roi  :  il  veut  que  l'on  honore  le  Roi 
du  ciel,  créateur  de  tomes  chose-,  que  lu -même 
révère;  et  si  quelque  téméraire  résistait,  il  périrait 
affreusement  •  telle  e»l  la  volonté  de  Darius. 

JORDAN*.... 

XVI. 

daniel  prophétise  ainsi  :  Fidèles ,  soyez  tous 
joyeux.  Les  maîtres  de  la  Judée  vonl  tomber  dans 
le  néant.  Un  Seigneur  naîtra  dont  l'Empire  abattra 
les  royautés  el  les  droits  les  plus  sacrés  qu'elles 
comportent.  Quiconque  aura  la  foi  du  roi  Darius, 
sera  récompensé  des  joies  éternelles. 

XVII 

Un  ange  apparaît  qui  chante  le:  Nuntium 
vobis  fero,  etc.,  etc.  Ensuite  ,  à  Matines,  on 
en  Ion  no  le  Te  Deum  tandamus,  à  Vêpres  ,  le 
Magnificat  anima  mca  Dominum. 

DANSE  GÉNÉRALE  (La). -Au  milieu 
tlu  XIVe  siècle,  en  Espagne,  on  trouve  une 
moralité  intitulée:  Dansa  général  en  que 
entran  todos  les  eslados  dr  gentes.  (La  dense 
générale  de  toutes  les  conditions  du  monde.) 
Celle  pièce  a  éié  tirée  d'un  manuscrit  de  \;\ 
B  bliolhèque    île  l'Escurial.   Attribuée   par 


2Sr;                      BEF                      WûTiOXNAlRE  UES  MYSTERES.  BES                     2S8 

quelques  auteurs  a  Rabi  l\  Sanlo.qui  vivait  et  les  jongleries  îles  hrwris'de  déceninrd  et  de 

dans  le  temps  lie  don  Pô  ire  de  Castilie,  elle  janvier  dans  les  églises,  et  entre  autres  cou- 

n  été  déclarée,  après  un   nouvel  examen  du  tûmes  anciennes  déslunnèles,  celles  du  dé- 

manuscrit,  appartenir  à  un  poêle  absolument  fruit.  Le  détruit  était  un  repas  que  donnait 

inconnu.  D.  Touias  Sanchez  l'a  publiée  dans  au  clergé  tout  personnage,  laïque  ou  ecclé- 

>a  collection   de    poésies  castillanes  anté-  siaslique,  à  qui,  aux  Vêpres,  entre  Noél  et 

Heures  au  xv'  siècle  (t.  IeliV),  et  D.  Eu-  l'Epiphanie,  était  concédé,  d'ordinaire  par 

gouîode  Ochôa  l'a  signalée  dans  son  Trésor  l'offrande  d'une  branche  d'oranger,  le  droit 

du  thédire  espagnol,  imprimé à  Paris  en  1838'.  d'entonner  le    psaume   Mémento,    farci  de 

Ge  dern  er   auteur   déclare  fort  obscure  la  gloses  françaises  ridicules  et  sacrilèges.  L'o- 

question  de  savon  si  celte-pièce  a  jamais  élé  rigine  de  cette  coutume  anlérieuie  au  xin* 

représentée  ou  si  elle  n'était  qu'un  chant  de  siècle,  est  restée  des  plus  obscures  el  parmi 

jongleurs.   La  Mort  est  le  personnage  prin-  les  étycuologies  proposées  du  mot  defmctus, 

cipal  de  la  pièce  :  «  Je  suis  la  Mort,  dit-elle,  il  n'en  est  aucune  qui  mérite  d'être  rappor- 

la  Mort,  maîtresse  de  toute  créature  pré-  lée.  On  peut  consulter,  à  cet  égard,  dans  le 

seule     ou    à   venir    dans   ce  monde;    et  jo  Mercure  de  lévrier   1726,  une  lettre  écrite 

m'écrie  :  0  homme,  pourquoi  tant  de  soins  d'Auxerre. 

pour  une  vie    si  rapide?...    »   Un   prédica-  DiîNIS  (La  conversion  de  saint).   —  La 

leur,  reprenant  le  thème  lugubre  de  la  né-  conversion  de  saint  Denis,  de  même  que  le 

cessilé   de  mourir,   y   trouve   une  raison  martyre  du  même  saint,  est  conservée  dans 

loute-puisSanle  de  pratiquer  en  ce  monde  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  Sainte-Gene- 

les  bonnes  œuvres..       .  viève  à  Paris. 

DANSES  CONSACRÉES  (Les). —L'usage  Ce  drame  date  du  xv'  siècle. 

des  danses,  qui  sont  un  des  faits  particuliers  La  Bibliothèque  du  Théâtre  franc  ois,  ou- 

à  la  lète  des  Fous,  remonle  à  une  très-haute  vrago  attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde. 

antiquité.  Les  Pères  de  I  Eglise  et  les  cou  -  1763,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  36),  dans  lequel 

ciles  les  ont  de  tout  temps  poursuivies  avec  ou  trouve  la  mention  ou  l'analyse  de  tous 

force.   Elles  ont  subsi-lé,  néanmoins,  dans  les  mystères  contenus  dans  le  manuscrit  do 

l'immixtion  violenté etcontinuelledes laïques  Sainte-Geneviève,  n'a  pas  parlé  de  celui-ci; 

aux  choses  ecclésiastiques.  On  dansait  dans  probablement   à  cause    d'une  mention  à  la 

lescimetièr  s,  dans  lechœur  des  é, lises, dans  tin  du  texte  qui  relie,  en  troisième  journée, 

les  cryptes    mêmes  où  reposaient  les  corps  cette  pièce   à  celles    du  martyre  de  Sainl- 

des  saints.    Les  chanoines  de  Saint-Martial  Etienne  et  de  la  conversion  de  Saint-Paul. 

dansèrent  dans  le  sanctuaire  de  la  toasiliqute  Nous     cons;dé:ons    néanmoins    ce    drame 

abbatiale  au  xvme  siècle  même,  comme  au-  comme  parfaitement  distinct  et  complet  eu 

trefois  à  la  translation  du  glorieux  confes-  soi. 

seur  leur  patron    (Dom  Marte  ne.   De  ant.  Le  texte  a  été  publié  par  M.  Achille  Juhi- 

ecel.  disc.,v\i.  28;   Geoffroy   du  Vigeois);  nal  dans  ses  Mystères  inédits  du  xv  siècle, 

à  Cbâlons-sur-Saêne,  c'était  tantôt  dans  un  (Paris,  1837,  in-8",  2  vol.,  t.  lrr,  p.  i2-91). 
pré,  tanlôt  autour  d'un  monument  consacré 

(Gerbert,  t.  Il);    à  Constanlinople,    c'était  PERSONNAGES» 

sous  les  voûles  de  la  grande  basilique.  (Ce-  saïst  pol.                          l'aveugle. 

DKENUS.  )  pkemier  PHILOSOPHE.     '        DAMARis,  femme  île  saiiit 

A  Besauçoti,  dans  les  anciens  rituels  de  puulius,  second  philos.           Denis. 

l'église  collégiale  de  Sainte-Mai  i  -Madeleine,  saint  ôems,  ô<  philos.        les  enfants  de  S.  dénis. 

•  m 'ret'Ouve  ces  danses  grossières  assignées  g.(jMl  pau]     ar,.jvant  de  Grèce   à    Ronm, 

au  saiil  jour  de  Pâques,  et  qui  n'ont  cessé,  c0,mncnce  tlv  annoncer  le  christianisme;  il 

malgré  la  désolation  de  l'Eglise  et  ses  déien-  Bltftsle  vis»à-vis  de  quelques  philosophes,  la 

Ses  réitérées,  que  dans  les  deux  derniers  siô-  ,.-    .,.,.„.. ,.•..,.  pn 

I           /     n      w                                    r   "»r»                               \  ll.oLllll.lUUH     Cl 

cles  (cf.  Leber,  p.  426  et  suiv.)  k  ucrisï 

Le  jour  de  Noël,  après  Vêpres,  les  diacres  ■*       *  "' 

dansaient  dans  l'église  en   chantant  «   une  Qui  fil  et  lerre  et  firmament, 

jnlientlé  à  saint  Etienne.;»  Le  jour  de  la  ^CTiS^ 

fôto  de  ce   saint,  celaient  les   prêtres;  les  Nanoii,  mourut,  ressuscita 

entants  de  c  œur,  le  jour  de  saint  Jean  I  E-  q„j  l)i(Mli  q„j  |,omme  :Uix  cienx  moula"; 

vangéliste;  el  les  sous-diacres,  le  jour  de  la  p„js  j|  vieillira  dans  sa  majesté 

Circoncision  ou   de  l'Epiphanie.    [Beletus,  Jiger  tous  ceux  qui  ont  ëié 

LU),  de  div.  o//'.,  c.  72  et  120;  l'abbé  «I'Arti-  fcr  ceux  qui  bout  cl  qui  seronU 

<;ny,  mémoires  de  littérature,  t.  IV.  Notice  sur  lk  premier  philosophe. 

la  fête  des  Fous;  Leber,  Collection  des  meil-  Ll.s  morlsl|0„c  ressusciteront. 

lettres  dissertations;  Paris,  I8-Î8,  20  vol.  in-  _     .    .              , 

8°,  t.  IX,  p.  230.)  Sur  le  témoignage  de  saint  Paul,  les  incre- 

.M.  Magnïn  attribue    à   ces  coutumes   la  dules  se  récrient  : 

naissance  île  la  demie  Macabre  dans  les  arts.  Homme,  homme,  vous  êtes  assolé. 

[Journ.  iién.  de  TJnstr.  pubL.iSSo.  9  août,  ...              Ix            ,        ,...•  ,,.„   ,|..m!im|« 

,   Yis/  Mais  saint  Denis  plus  curieux   demanue 

DEFRDIT  (Le).  —  Ce  t  une  des  piatiques  (les  P«'«"ves  : 

de  la  lète  des  Fous.  Le  concile  provincial  de  S\;vr  de.xis,  le  tiers  {troisième)  philosophe* 

Jiarbonne,  de  l'ail  1551 ,  lié  c;  dit  fes  danses  Ûiuu  [beau)  sire,  vous  devez  savoir 


587 


DEN 


DICTIONNAIRE  DES  HÏSTEltfcS. 


DHN 


28* 


Qu'il  ne  sniifTrîsl  (■•uffu)  pas  nuire  rl-r*  (r/crrs) 
Dire  ;  mais  dils  sont  vrais  el  rlers  [clairs)  : 

Aincois  (ainsi)  il  les  convient  prouver... 

Saint  Paul  lui  répond  longuement  :  «  Maî- 
tre  Denys,  il  n'est  poi ut  rie  lia  nature  hu- 
maine, do  plonger  au  fond  des  secrets  de 
Dieu;  sa  parole  fait  notre  loi,  noire  fui  est 
notre  salui;  «  leroyde  gloire  »  ne  peut  fa  re 
injustice,  et  les  méchants,  heureux  dans  ce 
monde,  seront  punis  dans  l'éternité,  tandis 
que  les  bons,  malheureux  ici-bas,  seront 
heureux  dans  le  ciel.  » 

Saint  Denis  est  troublé  : 

Monllesl  pleine  de  grand  mystère 
Sire  Pol,  votre  loi  nouvelle. 

Saint  Paul  montre  de  loin  les  temples 
païens,  et  demande  : 

Qui  sont  ces  autels  que  je  voy? 

Ce  sont  ceux  de  Jupiter,  Mercure,  Mars,  etc. 
L'un  est  consacré  «m  un  Dieu  inconnu,  à  la  pas- 
sion duquel,  un  vendredi,  la  «  nature  se  des- 
natnra  ,  »  qui  le  monde  renouvellera,  «  et 
qui  doit  régner  un  jour.  » 

6AINT    P'IL, 

Maislre,  c'est  le  Dieu  que  je  presche 

Saint  Denis  se  retire  chez  lui  ébranlé. 

Un  aveugle  vient  à  rasspr,  accablé  de  sa 
misère,  accusant  les  hommes,  maudissant 
sa  condition  funeste,  mendiant,  maladif,  «lés* 
espéré,  affamé. 

Hélas,  bonnes  gens,  que  feray-je? 
Donnez-moi  pour  Dieu  quelque  chose 

—  Parlez  bas,  madame  repose 

—  Au  moins,  me  lemlez  voslre  main 

—  Oïl .  oil,  c'est  a  demain  : 
11  sera  jeûne  samedy 

Saint  Paul,  ému,  s'approche  de  lui,  et  lui 
imposant  les  mains,  lui  rend  la  vue  à  la  seule 
condition  d'aller  se  montrer  à  Denis. 

I.e  philosophe  est  converti  par  ce  miracle; 
lui,  sa  femme  et  ses  enfants  ronl  baptisés 
par  saint  Paul. 

Saint  Denis  commence  aussitôt  d'écrire  sa 
Triple  hiérarchie  et  sa  Théologie. 

DENIS  (Le  martykk  de  S.).  —  Le  mystère 
du  Martyre  de  saint  Denis  est  tiré  du  ma- 
nuscrit de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève 
à  Paris. 

Il  date  du  xv'  siècle. 

Mentionné  pour  la  première  fois  dans  la 
Bibliothèque  du  Théâtre  français,  il  n'a  été 
publié  que  longtemps  après,  de  nos  jours, 
par  M.  Achille  Juhinal,  dans  les  Mystères 
inédits  du  xv'  siècle  (Paris,  1837,  in-8°,  2  vol., 
t.  1",  p.  100-169.) 

M.  O.  Leroy  s'e^  e.;t  assez  longuement 
occupé  dans  les  Epoques  de  l'histoire  de 
France.  (Paris,  18'+3.  in-8%  p.  3&45.)  Il  at- 
tribue a  ce  drame  la  date  du  commencement, 
3t  exprime  le  regret  de  n'avoir  dit  qu'un  mot 
le  ce  mystère  dans  ses  Etudes,  d'autant  plus 
que  nul  critique  n'en  a  remarqué  les  grands 
traits  caractéristiques.  Ainsi,  dans  les  quo- 
ibets  très-fréquents  de  celle  pièce,  sciait 
sensible  ce  caractère  de  ridicule  déplacé  pro- 


pre au  génie  trop  aisément  rieur,  aventureux 
et  ergoteur  de  la  France.  L'auteur  du  mys- 
tère aurait  probablement  emprunté  à  quel- 
que légendaire  aujourd'hui  imonnu,  à  Mas- 
sus,  par  exemple,  évoque  de  Paris  au  m* 
siècle,  ces  principaux  traits  de  ses  raille- 
ries. 

Parmi  les  grossiers  quolibets  qu'a  relevés 
dans  le  Martyre  de  Saint -Denis,  M.  O. 
Leroy  (Epoq.  de  l'Hist.  de  France,  Paris, 
18V3,  in-8°,  p.  357),  «  un  paysan  dit,  en 
parlant  du  baptême  administré  par  le  saint 
évêque  : 

Oyez  que  fait  ce  fol  preslre  : 
Il  prend  de  l'yaue  en  une  escuelc, 
El  gèle  aux  gens  sur  la  cervcle. 
Et  dit  que  parlant  sont  sauvez! 

«  Nous  pourrions  croire  qu'il  y  a  dans  ces 
vers  et  dans  beaucoup  d'autres  pareils  une 
intention  irréligieuse;  non,  ce  n'était  en- 
core que  pour  reproduire  l'esprit  et  les 
mœurs  des  ancêtres,  dans  lesquels  on  n'é- 
prouvait que  trop  le  besoin  de  tromper,  par 
penchant  à  la  raillerie...  » 

Le  même  ouvrage  que  nous  citions  plus 
\n\i\.  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois, 
attribué  au  duc  de  La  Valbère  (Dresde,  1768, 
in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p.  S-2-W),  a  donné  de  ce 
drame  le  compte-rendu  suivant  : 

a  Saint  Denis  et  saint  Rieule  viennent   a 
Rome,  et  de  là  ils   partent   avec    d'autres 
saints  pour  venir  en  France.  Ils  conviennent 
entre  eux  d'aller   dans  les  différentes   pro- 
vinces de  ce  royaume,  pour  y  [rocher  la 
foi.   Saint  Denis  et    quelques-uns   de   ses 
compagnons  viennent   à  Paris.    Dans    une 
conversation,  ils  nomment  le  Roi  des  rois. 
Un  Parisien  leur  demande  si  c'e.^t  du  roi  de 
la  fève  ou  du    pois    qu'ils  veulent   parler. 
Saint  Denis  s'engage  alors  dans  une  longue 
dissertation    sur   les  mystères  respectables 
de  notre  religion,  et  le  Parisien  se  convertit. 
Cependant  l'empereur  Domitien,  irrité  contre 
les  chrétiens,  les  persécute...  il  ordonne  à 
Fescennin,  un  de  ses  officiers,  d'aller  saisir 
Denis  en  France  et  de  le  faire  mourir  dans 
les     tourments    avec    ses     compagnons... 
Fescennin  fait   arrêter  saint   Denis,  on   le 
conduit   en    prison,   on    l'interroge,   on   le 
tourmente  par  différents  supplices,  enfin  il 
est  décapité.  Le  saint    prend  alors  sa   îête 
dans  ses  mains,  la  porte  tranquillement   à 
l'étrée  (tout  le  long  du  chemin). 

«  Saint  Sentin  et  saint  Antonio,  compa- 
gnons de  saint  Denis,  écrivent  sa  vie  et 
partent  pour  Rome.  Ils  arrivent  dans  une 
hôtellerie  où  saint  Antonio  tombe  malade. 
Saint  Sentin  le  recommande  à  l'hôte  et 
continue  sa  roule.  Saint  Antonin  meurt; 
l'hôte  s'empare  de  sa  bourse  el  jette  son 
corps  dans  la  fosse  d'aisances.  Saint  Senlin 
averti  par  un  ange  de  ce  qui  est  arrivé  à 
son  compagnon,  letournc  dans  cette  hôtel- 
lerie, ressuscite  saint  Anlonin  el  reproche 
à  l'hôte  son  avarice.  Ce  mystère  finit  par  la 
paraphrase  d'un  texte  de  saint  Grégoire 
contre  l'ingratitude.  » 

DENIS   MïSTÈr.E  de   saint1.  —  De  Beau- 


283 


DEN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


Dl  •;> 


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champs  (Recherches  sur  les  théâtres  de  France; 
Paris,  1735,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p.  227), 
mentionne  h  mystère  de  saint  Denis  sous 
le  titre  de  Vie  et  passion  de  saint  Denis;  un 
peu  plus  bas,  p.  228,  il  cite  :  La  vie  de  suint 
Denis,  apostre  de  France,  avec  figures,  et  la 
Vie  de  saint  Denis  et  autres,  sans  qu'il  soit 
possible  de  savoir  s'il  entendait  des  lé- 
gendes, ou  de  nouveaux  ^mystères,  ou  le 
même. 

Les  frères  Parlait  ont  donné  dans  leur 
Histoire  du  théâtre  français  (Paris,  15  vol. 
jn-12,  1735, 1. 11,  p.  5il-5iG),  l'analyse  sui- 
vante de  ce  drame  : 

Première  journée  du  mystère  saint  Denis  (148). 

«  Le  commencement  de  cetle  journée 
est  Tort  ressemblant  au  second  mystère 
de  la  Conception  ;  Lucifer  évoque  tous 
ses  démons,  qui  sortent  chacun  par  une 
trappe,  ou  apparition  :  et  lient  conseil  avec 
eux  sur  les  moyens  de  traverser  les  prédi- 
cations des  apôtres.  Ensuite  ils  s'en  retour- 
nent tous  aux  enfers. 

(Ici  se  (ait  tempeste  en  enfer). 

«  Saint  Denis  étant  en  Athènes  »  va  au 
temple  de  Mars  son  dieu  lutélaire,  tandis 
que  Panopagès,  philosophe  péripatéticien, 
et  Apolofanès  l'épicurien,  vont  adorer  Pan 
et  Apollon.  Ln  sortant  du  temple,  Denis 
rencontre  ces  deux  derniers,  et  s'entretient 
avec  eux  de  plusieurs  questions  de  philoso- 
phie, où  il  fait  briller  beaucoup  de  sa- 
gesse. 

(Ici  se  commence  l'éclipsé,  et  Denis  et  ses  compagnons 
doivent  foire  grande  admiration  avant  que  parler, 
et  aussi  les  maître»  de  la  loi  d'Athènes). 

«  Denis  et  ses  deux  compagnons  étonnés 
de  cette  nuit  subite,  consultent  avec  les 
maîtres  de  la  Loi  la  cause  physique  qui  peut 
l'avoir  occasionnée  ;  et  n'en  ayant  su 
trouver  aucune,  tous,  sans  en  excepter 
l'épicurien,  concluent  que  cetle  éclipse  sur- 
naturelle est  au-dessus  de  leurs  connais- 
sances. Celte  dispute  les  conduit  à  recher- 
cher celte  divinité  supérieure,  et  enfin  à  lui 
élever  un  autel. 

(Pause,  et  doit- on  chanter  cependant  que  l'autel  du 
Dieu  inconnu  s'élèvera). 

«  Toute  l'assemblée  vient  lui  rendre  ses 
hommages;  en  suite  de  quoi  chacun  se  re- 
tire «  en  sa  place,  et  cependant  on  chantera 
«  en  Paradis  Vinjo  Dci  genitrix.  » 

«  La  sainte  Vierge,  après  avoir  déploré 
la  mort  de  son  ti.s  Jésus,  exliorte  les 
apôtres  à  aller  annoncer  sa  sainte  Loi. 

MVIUE. 

Prcscliez  la  irès-sainte  Evangillc, 

(148)  Le  manuscrit  de  ce  mystère,  Bibliothèque  du 
Roy,  est  assez  bien  écrit,  mais  il  est  si  défectueux, 
el  il  s'y  rencontre  tant  de  lacunes,  qu'il  nous  est  im- 
possible d'en  donner  un  extrait  bien  complet,  ou  de 
marquer  le  nombre  des  journées  qui  le  composaient. 
Il  est  certain  qu'il  en  contenait  au  moins  trois.  Les 
vers  ajoutés  aux  marge-,  pour  senir  d'additions  aux 
rôles  des  acteurs,  el  leur  catalogue  que  l'on  voit  à 
la  tète  de  la  première  journée,  avec   les  noms  des 


Pour  vraye;  île,  prednate 
Evangelium,  et  cœtera  : 

«  Pour  faciliter  leur  prédication  ,  la 
sainte  Vierge  les  instruit  de  ceitaines  par- 
ticularités qui  regardent  le  Sauveur,  et 
qu'ils  ne  peuvent  savoir;  voici  ce  qu'elle 
leur  dit  touchant  l'Incarnation  : 

MARIE. 

J'ay  depuis  apprys  de  mon  Filz, 
Qui  m'a  les  f  çoîis  dénoncées, 
Et  lelz  parolles  prononcées, 
Qu'en  moy  se  mist  le  Saincl-Esprit, 
El  trois  gouttes  de  mon  sang  prit, 
(Du  pur  sang  vital,  il  s'enlan',) 
Et  en  tonna,  en  ung  instant 
Un  corps,  el  dans  cet  instant-là, 
L'àme  divinement  forma  : 
En  cet  instant,  par  unité, 
Conjoignit  la  Divinité  : 
Aflin  qu'entendra  le  vous  donne. 
C'esloytla  seconde  Personne 
De  la  Trinité,  etc. 

«  Les  apôlres  la  remercienl. 

(Ici  se  fait  le  dîner). 

«  Le  reste  de  la  journée,  dont  la  fin 
manque,  contient  l'élection  des  sept  diacres, 
et  le  martyre  de  saint  Etienne.  » 

Deuxième  journée. 

«  Saint  Denis  accompagné  de  Rustique  et 
d  Eleuthère,  vient  prêcher  le  peuple  de 
Paris,  qui  attaché  au  culte  de  ses  dieux, 
porte  ses  plaintes  aux  échevins ;  ces  derniers 
font  arrêter  saint  Denis  et  ses  compagnons, 
et  les  interrogent  sur  le  dieu  qu'ils  annon- 
cent. 

HE  PttEHfER  ESCHEV1N. 

Voslre  Dieu  esl-il  bomme  ou  femme? 
Est-il  venu,  ou  ad  venir! 
Est  il  mort,  ou  doil-il  mourir? 
Esl-il  puissant,  ou  impuissant? 

«  Saint  Denis  sans  être  ébranlé,  leur 
prêche  les  mystères  de  notre  religion,  avec 
tant  de  force,  que  plusieurs  se  convertis- 
sent, et  entre  autres  un  pauvre  homme  ap- 
pelé Lubie;  les  Parisiens  se  jettent  avec  fu- 
reur sur  lui,  pour  le  conduire  en  prison, 
mais  ii  disparait  à  leurs  yeux. 
(Ici  se  fait  le  dîner.) 

«  Lubie,  non  content  d'avoir  reçu  la  lu- 
mière de.l'Evangile,  en  veut  faire  part  à  sa 
femme;  mais  cette  malheureuse,  rejetant 
ses  discours,  va  l'accuser  au  prévôt  Feste- 
rnyn  que  Domitien  vient  d'envoyer  à  Paris; 
ce  prévôt  fait  conduire  Lubie  dans  une 
étroite  prison,  et  ensuite  arrêter  saint  Denis 
et  ses  deux  compagnons,  à  qui  on  fait  en- 
durer plusieurs  tourments 

La  fin,  qui  est  apparemment  Je  martyre  de 
saint  Denis,  manque.  » 

personnes  qui  les  représentaient,  nous  font  conjectu- 
rer que  le  manuscrit  est  original,  ou  du  moins  une 
copie  rcrile  du  temps  qu'il  parut  sur  le  théâtre.  Voici 
les  noms  que  nous  avons  pu  lire,  car  ils  sont  Irès- 
mal  écrits,  et  d'une  autre  main  que  celle  du  corps  de 
l'ouvrage. 

Saint  Barthélémy Pierre  Gu<:rii>, 

Saint  Thomas Pierre  Gauffi  r. 

Saint  Pinaul,  diacre hL.  Clmbotv 


291                        iy\                   DICT16NNAHIE  DES  MYSTEUKS  TUA                        502 

DENIS  (Mimes  de  saint)-.  —  Enguerrand  rpnseignemen's    que   Tu i  même    ;i    laissés 

de  Monstrelet  (l.  11,  p.  77)  raconte  qu'à  l'en-  dans  ses  vers.  Duverdi  r-Vauprivaz  {Hiblio- 

trée  clans  Paris  d'Henri  VI,  rôi  d'Angleterre,  thègue  française,  p.  275)  les  a  relevas;    les 

tut  jouée,  à  la  porte  Saint-Denis,  la  légende  frères  Parfait  {Hisi.  du  Théâtre  français,  t.  11, 

de  saint  Denis.  M.  On  es  i  me  Leroy  a  cité  celle  1735,  p.  245;  ont  répété  Duverdiep. 

pantomime  :  «   Le   peuple  de  Paris,  dit-il  Duhnlle,  Courlalon  et  Grosley.  historiens 

dans  ses  Epoques   de   l'histoire    de  France  de  la  ville  de  Troyes,  nous  ont  conservé  la 

(Paris,  18V3,  in-8",  p.  205),  quand  le  roi  au-  mémoire  d'une  représentation  de  la  Diable- 

glais  Henri  VI  y  lit  sa  joyeuse  entrée  en  qua-  rie  qui  eut  lieu  dans  leur  cité  au  xvr  siècle, 

iilé  de  roi  de  France...,  ou  du  moins  une  (Cf.    Vallet    df.    Viliville  ,   Arch.  hist.  de 

confrérie  (dramatique    représenta    sur    son  l'Aube  ;  Paris,  18V1,  in-8',  p.  329.) 

passage,  à  la  poi le  Saint-Denis,  le  doulou-  Kloi  d'Amernal  ou   d'Amen  rnal  naquit  à 

loureux   martyre  de    l'apôtre  des   Gaules,  Béthune;  il  était  prêtre,  et  maître  des  enfants 

premier  évoque  de   Paris.  Y  avait-il  là  une  de  chœur  de  la   ville,   lorsqu'il  écrivit  son 

intention  religieusement  patriotique?  Nous  drame  : 

ne  le  croyons  pas.  «  Ce  mystère  de  h   Dé-  F,      Jes  &  f       de  tob 

«  collation  du  glorieux  martyr  saint  Denis  Sill;jecl  à  Dien  el  h  Fortmie 

a  lut    moult   volontiers  veu  des  Anglois   »  Vivotant  le  moins  mal  qu'il  petit, 

nous,  dit  Moustreiet,  an  1431.  »  Selon  que  Dieu  disposer  veuli 

DESERT  (Le).  —  Celle  pièce  est  de  la  ce-  Des  humains  à  son  appétit  : 

lèbre  Marguerite  de  Navarre  et  date  du  xvi*  Disciple,  voire  bien  petit 

siècle.  Des  chantres  el  musiciens, 

Les  frères  Parfait,  dans   leur  Histoire  du  Èiclerode  tthétoricieiis; 

Tkéâtxe  français  (Paris,  15  vol.  iu-12,  1745,  Presire  iiKhgweei  pouvre  pescheur, 

.   m        «m'         ~.  i   •     •              i-               i  Des  Lois  Divines  transgresseur. 

V  ?I,,P"«%  L                 S°  Une  ri°UCe  S0US  la  lll;!i^"1  e«  l™1  l«"P»  *  Hcii 

date  de  loio.  D,;  |;1  grace  el  iimm„.  «ju  Dieu 

La   Bibliothèque  du  Théâtre  français,  ou-  Eldela  grant  miséikorde... 

vrago  attribué  au  duc  de  La  Vamère  (Dresde, 

176:!,  in-8",  3  vol.,  t.  1",  p.  12!J,  en  donne  ,U  s'est  expliqué  dans  le    prologue  de  sa 

l'analyse  suivant u  :  piè;  e  d'une  façon  assez  bizarre  sur  le  motif 

«  Comédie  du  désert.  La  sainte  Vierge  ac-  qu'il  eut  de  l'entreprendre  : 
câblée  de  fatigue,  s'élanl  endormie  uans  le  «  Un  jour,  dit-il,  étant  couché  seul  dans 
désert,  Joseph  va  chercher  des  provisions,  ma  chambre,  il  me  sembla  qu'o  i  me  trans- 
Petnlanl  .«-on  absence,  Dieu  ordonne  aux  poitoit  aux  portes  des  Enfers  et  que  j'en- 
anges  de  changer  ce  désert  en  un  jardin  dé-  lendois  Salhan,  qui  conversoit  lamihère- 
licieux.  A  son  réveil,  la  Vierge  voit  avec  ment  avec  Lucifer,  et  lui  racenoit  toutes 
surprise  cette  métamorphose.  En  même,  'es  ruses  qu'il  employo  t  pour  tenter  les 
temps,  Dieu  lui  envoie  Contemplation,  Mé-  Chresliens  :  car  pour  les  hérétiques  et  ios 
moire  et  Consolation.  Contemplation  lui  infidèles,  eontinuoit-il,  connue  ils  me  sont 
montre  un  livre  qui  détaille  toutes  les  mer-  dévoués,  je  ne  m'en  embarasse  gu.  res.  Le 
veilles  que  le  Seigneur  opère  journellement  diable,  croyant  n'être  entendu  de  personne, 
sur  la  terre;  Mémoire  lui  l'ail  voir  dans  un  découvioit  à  son  maislie  toutes  ses  r  .ses 
autre  celles  qu'il  a  opérées  depuis  la  créa-  sais  déguisement.  Et  iorsque  je  fus  de  rc- 
l[on;  et  Consolation  lui  dit  que  celui  qu'elle  l°ur  chez  moy,  continue  Eloy  d'Amernal,  je 
lui  donne  est  fait  pour  inspirer  toute  la  re-  pins  promtement  une  plume,  de  l'encre  et 
connaissance  que  l'on  doit  ù  Dieu  pour  lou-  d  i  papier,  et  m'etanl  mis  à  écrire,  je  cou- 
les les  grâces  qu'il  nous  faut.  Joseph  arrive  chai  sur  le  papier,  non  tout  ce  que  j'avois 
alors  avec  quelques  provisions,  lesquelles  entendu,  mais  seulement  ce  que  ma  foible 
deviennent  inutiles  par  l'abondance  qui  mémoire  avoit  pu  retenir,  afin  «pie  les  Ghrer- 
règne  en  ce  désert,  depuis  qu'il  en  était  liens,  instruits  d.  s  tours  de  Salhan,  puissent 
parti.  Un  ange  vienl  alors  I'avertirdela  mort  les  prévenir  et  les  éviter.  » 
d'Hérode;  il  lui  ordonne  de  la  part  du  Sei-  Naudé  dans  le  Mascurat,  p.  214  el  215, 
gneur  de  retourner  en  Judée  avec  la  sainte  citait  la  grande  Diablerie,  avec  bon  nombre 
Vierge  el  l'entant  Jésus  :  Joseph  en  prend  d'autres  pièces  du  même  temps,  parmi  les 
aussitôt  le  chemin.  »  —  Voy.  Marguerite  eu:  ouvrages  ridicules  et  ennuyeux  dont  le  goût 
Navarre.  était  alors  répandu.  Duverdier-Vaupi  ivaz  a 

DIABLERIE  (La).  —  La  Diablerie  d'Eloi  mal  daté  dans  la  Bibliothèque  française  l'é- 

Amernal  n'est  connue  que  par  deux  éditions  dilion   de  Lenoir.  Les   frères  Parlait  (Hist. 

qui   en  subsistent  :   la  première,  en  1507,  du  théâtre  français;   Va  is,    15  vol.   in-1-2, 

chez  Michel  le  Noir,  à  Paris,  et  la  seconde,  17V5,  t.  III,  p.   98-103;,    en    ont  laissé   une 

peu  après,  chez  la  veuve  de  Jean  Trapperel.  analyse  que  nous  reproduisons, 

Le  drame  date  donc  du   commencemciil  .           '           ,,,Q^ 

du  xvie  siècle  au  plus  lard.  Lv  r,,;-vl{I-E'',L-  ^tJ- 

Il  est  intitulé  tantôt  La  Deablerie,  La  Dia-  .  Le  Livre  de  la  Diablerie  de  Maislrc  Eloy  d'A- 

blerie,  tantôt  La  grant  Dyublerie.  mcrnal  qui   traicle  comment  Salhan  faict 

Hmonslrtm.ee  à  Lucifer  de  tous  les  inaulx 


On  n'a  sur  son  auteur  que  les  quelques         dci 

(149)  «  La  Diub'erie,  ou  La  grande  Diablerie.  On  soil  <1 

'présentait  autrefois  à  pinson  moins  de  pcrsoniKi-  jour  L» 

Sjcs,  des  pièces  de  dévotion,  dans  lesqucl'cs  o:i  l'ai-  u».  (les  représentations  s'appcîloienl  pe'.tleov  grand* 


(149)  «  La  Diub'erie,  ou  La  grande  Diablerie.  On       soil  (l'ordinaire  parniire  ics  diables  qui  dévoient  nu 
représentait  autrefois  à  pinson  moins  de  personn.i-       jour  u  uni  caler  élernellenu  ni  les  pécheurs  endur 


295                         DIA                      DIC'HOMNAmE  DES  MYVIEUES.                     MA                        iH 

que les  mondains  font  selon  leurs étalz^  va-  «Pour  redorer,  continue  Satan,  la   perte 

rations,  et  mestiers  :  et  comment  il  les   lire  «  que   la    venue   du  Messie  nous  a  causée, 

à  dampnation,  Paris,  Michel  le  Noir,  Pri-  «  j'inventai  l'iUulâlrie,  Insu  e,  la  mauvaise 

vilege  du  29  janvier  1507;  in-folio  gotin-  «  toi,  et  les  sept  péchés  mortels.  C'est  moi, 

(|ue.  «  par  exemple,  qui   conduis   les  sorciers  et 

«  Ce  poëuie  a   élé  compose  vers  Tannée  «  sorcières  au   sabbat  sur   des    manches  à 

1500.  Nous  ne  pouvons  pas  assurer  qu'il  ait  «  balay.    »    Comme   Lucifer    fait    quelques 

été  représenté  saraucun  théâtre,  néanmoins  questions,   auxquelles   Satan  ne   veut  pas 

comirte  il  a  élé  composé  dans  celle  intention,  répondre,  ce  dernier  s'excuse  ainsi; 

et  que  d'habiles   gens   (150)  l'ont  mis  au  sâtban. 

nombre    des    poèmes     dramatiques,    nous  Qui  des  fafclz  de  Dieu  trrp  avant 

avons  cru  devoir  en  donne;1  une  légère  idée.  S'enquiert,  il  est  !  lui  sçaviiul.. 

«  La  scène  se  passe   entre  deux    acteurs  Chaion  aussi  Docteur  do  bien, 

seulement  :  Lucifer  (151)  et  Satan,  qui  rend  A  son  enfant  le  deffem  bien  : 

compte  au  premier   de  tout   ce  qu'il  a  fait,  Si  fait  l'Apostre  ad  Romanos, 

depuis  la  création   d'Adam,  pour  lâcher  de  8  Ce  n'est  pas  ton!,  continuc-t-iî,  j'ai  si 

''entraîner,  avec,  sa  postérité,  au  plus  pro-  ((  hien  0bsédé  l'esprit  de  certaines  femmes, 

fond  des  enfers.   «  Voici,   ajoute-l-il,  |>ar  «  qu'aies  croiraient  avoir  offensé  Dieu  rnor- 

«  quelle  ruse  je  le  lis  tomber  dans  mes  pie-  „  lej;ement,  si  elles  travaillaient  le  samedi 

ges.  Ce  fut  par   le  moyen  de   sa  femme  ((  a,ni>s  midi.  » 


«  Kve.  » 

s.nmx 


SATHAX. 


■  .„„„,,,  Je  leur  boule  en  1  entendement 

Je  omis   a  In  mec  un»  bernent,  ,.        .    ,,     r  .    ■     .      ,, 

Kl  fa  lemplay,  s'on  ne  le  peu! ,  Q»Ç  S1  #«  a,so,eilt  «nllremeiH 

A  .elles  enseignes,  que  la  folie  Ce  jour-.a  il  leur  mcscherroil, 

Adjonslu  foi  à  ma  parollc  ,  i.lcifer. 

Et  présenta  à  son  niaiy  „  .,,'   .    . 

Le  froid  dont  il  fui  puis  marry,  J0'1.'!  f  hff  ÇfW0S  P°lir  f""6' 

Quant  il  çougneul  son  grani  i.vspas.  Lsl"u  do  Lclz  f;jill!S  au  ln0,ulc- 

Diablerie.  Petite,  quand  il  v  avoit  moins  de  quatre  personnages  ae  celle  espèce.  On  peiil  voir  que  pres- 
mables  :  Grande,  quand  il  y  eu  avoit  quatre.  D'où  quêtons  les  mystères  el  les  moralités  sont  remplis 
csl  venu  le  Proverbe  :  Faire  le  Diable  à  quatre.  »  (ltMTS  S(eMes  :  »»e  nouvelle  preuve  de  ce  goût  est 
(Le  Dnchat,  Note  (I)  sur  le  4'  Chapitre  du  premier  '  a?enlure  vraie  ou  fausse  que  Rabelais  raconte  du 
Livre  de  Rabelais.)  P°eie  Villon  (Rabelais,  Iiv.  v,  ebap.  lo.  Voyez  aussi 
'  (150)  Le  savant  Naudé,  qui  connaissait  assez  Guillaume  Rouehet  S.rée,  2'),  page  124  de  l'édition 
bien  ces  sortes  d'ouvrages,  n'a  point  hésité  à  le  met-  «,L*  Lyon.)  «  Sus  ses  vieux  jours,  il  se  relira  à  Saine», 
ire  au  rang  de  nos  anciens  poèmes  dramatiques.  Maixenl  en  Poitou,  soubs  la  laveur  d'un  homme  de 
Après  avoir  parlé  de  quelques  pcéies  français,  vi-  ''«en,  abbe  au  lieu.  La  pour  donner  passe-temps  au 
vaut  avant  le  régne  de  François  1»,  il  ajoute  :  {Mas-  peuple,  entreprint  faire  jouer  la  passion  en  gestes  et 
curât  de  Naudé,  pag.  214  ei  215)  :  <  Si  la  Comédie  langaige  Pdictevin.  Les  roolles  distribuez,  le.  joueurs 
de  Pailielin  a  eu  plus  de  vogue,  el  que  Pasquier  en  a  recol'ez,  le  thealre  prépaie,  dit  an  maire  cl  esche- 
rail  un  chapitre  de  ses  Recherchés,  voire  meute  v'ms<  'i110  k>  ">y*iere  pourra;!  csire  preàl  à  Pissuc 
qu'elle  ait  eié  traduite  en  latin  per  Alexandmm  des  forres'de.Hioil,  resloil  seulement  Irouver  ha- 
Lonimbertum,  ei  imprimée  à  Pans,  il  y  a  plas  île  bilhunenls  aptes  aux  personnages.  Le  maire 
cenl  uns,  ça  élé  pluslosl  à  cause  de  la  moralité,  et  el  esebevins  y  donnèrent  ordre.  Luy ,  pour  mig 
des  intrigues,  des  finesses  delà  femme  et  du  ber-  vieil  paysan!  habiller,  qui  jouoii  D.eu  le  Père, 
ger,  cl  de  la  diversité  du  langage,  el  autres  cousi-  requis!  frère  Eslicnnc,  secrelaiii  des  Cordclicrs  du 
donnions  semblables, que  pour  estre  d'un  style  plus  Heu,  lui  prester  une  chappe,  el  une  estolc.  Le  se- 
souieiiii  que  les  précédons.  Si  tu  cherchais  l'anli-  cretain  le  refusa,  alléguant  que  par  leurs  statuts  pro- 
quiié  de  noire  lui  rlesque  français,  dans  ces  représen-  vmciaux,  es  tu  il  rigoureusement  dcflbiida  de  rien 
talions  que  l'on  f.iisoil  autrefois  par  loules  les  bon-  presler  ou  bailler  pour  les  jouants.  Villon  repliquoil 
nés  villes,  les  Histoires  du  Vieil  et  du  Nouveau  Tes-  «l"e  '•  sl»lul  seulement  coucernoil  larces,  inomuic- 
t.ment,  de  la  Passion  de  Noslre  Seigneur,  ou  de  ries,  el  jeux  dissolus;  et  que  ainsi  l'a  voit  VU  piali- 
s.aincte  Catherine,  et  autres  saints,  tu  aurais  beau-  quer  à  Bruxelles,  ei  ailleurs...  Adoncques  faist  la 
coup  plus  de  raiMHi  :  car  il  esl  impossible  de  traiter  monslre  de  la  diablerie,  parmi  la  ville,  et  le  marché, 
des  matières  de  telle  importance,  avec  une  expies-  (-L's  diables  éstoienl  tous  ca;  arassonnez  de  peaulx  de 
sion  plus  basse  ni  plus  ridicule.  El  je  l'avoue  n'a-  !o"Ps  »  (|e  veaux,  el  de  béliers,  passementées  de 
voir  jamais  lu  le  Mystère  du  Vieil  Testament,  joué  lesies  de  moutons,  de  cornes  de  bœufs  et  de  grands 
à  Paris, celui  de  lu  Passion  représenté  moult  triom-  liavcsls  de  cuisine:  ceints  de  grosses  courraics, 
plianlemehl  à  Angers  ;  Les  Mies  des  Apostres,  que  esquelles  pendoienl  giosscs  cymbales  de  vaches, 
l'on  s'eiouffoit pour  voir  en  ce: le  ville,  «unis  l'hôlèl  tl  sonnettes  de  mulet.-,  à  bruit  hoirXicqne.  Teiioienl 
de  Flandres,  l'an  1541  ;  La  Vengeance  de  Noslre  Sei-  en  '"••'"s  auleuns  basions  noirs  pleins  de  finies: 
ijncur,  T Homme  pécheur,  jouée  à  Tours,  l'Homme  aulnes  porloient  longz  lizons  allumés,  sur  lesquclz 
'i uste  el  mondain  :  la  Grande  Diablerie  et  sembla-  cl  chacune arrefour  jectoienl  plcitcs  poingnées  de  pa- 
bles  pièces,  que  Monsieur  Brigadier  a  pris  un  soin  rasinc  eu  poudre,  dont  sorioienl  l'eu  cl  fumée  ter- 
particulier  de  recueillir,  comme  Du  Uousiier  faisait  rible,....  Villon  voyant  advenu  ce  qu'il  avoil  pour- 
les  romans,  que  je  ne  me  sois  souvenu  aussi  de  ce  pensée,  disl  à  ses  diables,  Vous  jouerez  bien,  lies- 
vers  d'Horace  :   "  sieurs  les  diables,  vous  jouerez   bien,  je  vous   allie: 

SpMalu  n  admissi rhum  lemealis,  amici.  »  <*•  Jl110  vous  jpnerez  bien;  je  despite  la  diablerie  ,  e 

Saubiiur,  de  Doue,  de  .Uonimorillou,  <:c  Langes!,  de 

(151)  Les  scènes  où  les  diables  paraissoicnl  fai-  Saincl  Espaiu,  d'Angiers,  voire  de  pardieu,  de  Poic- 

soienl  tant  de  plaisir  aux  spectateurs,  qu'on  ne  doit  tiers,    avec  leur  parlouoiie,  au   cas   qu'ils  puissent 

pas  trouver   extraordinaire  qu'Eloi  d'Amernal   ait  être  à  vous  paraugonez,  >  elc. 
voulu  composer  un  poème,  où  il  n'introduit  que  des 


295 


D1A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


D!\ 


2«:6- 


SATI1AN, 

J'en  conguois  par  loul  à  la  ronde, 
Mais  relirons-nous,  dit  Lucifer,  de  crainte 
qu'on  ne  nous  écoule. 

LUCIFER. 

Sa  (lia  n,  s'ilz  l'escout  oient  bien  , 
Ce  se  roi  l  peul-êlre  leur  bien? 
Car  lu  dis  cy  des  mois  plusieurs 
Bon  pourculx,  et  pour  lous  pécheurs. 
Mais  il  n'appartient  puinl  aux  Dyables 
De  raçompter  si  lions  notables. 

DIALOGUE  ENTRE  DIEU,  L'HOMME 
ET  LE  DIABLE.  —  L'abbé  Lebeuf  (Remar- 
ques envoyées  d'Auxerre  le  G  décembre  1728; 
Mercure  de  France,  1729,  décembre,  p.  2985), 
a  attribué  à  Jehan  Michel,  qui  reloucha  la 
Passion  des  frères  Gréban,  «  une  comédie 
qui  est  un  dialogue  entre  Dieu,  l'Homme  et 
le  Diable,  qu'un  manuscrit  de  Saint-Victor 
de  Paris  coté  880  dit  avoir  été  jouée  l'an  142G 
à  Paris  au  collège  de  Navarre.  » —  Voy.  Mi- 
chel (Jehan). 

DIEU  (Le  jeu  de).  —En  130+,  dans  le 
Frioul,  un  Jeu  de  Dieu  fut  joué  par  des  cha- 
noines et  des  clercs,  qui  comprenait  la 
création,  l'annonciation,  l'accouchement  de 
Notre-Dame,  et  peul-Ôlre  l'Antéchrist.  (Cf. 
la  Chronique  de  Frioul,  éditée  parmi  les 
Monum.  Eccles.  Aquilii.  p.  2  ,  col.  1;  Du 
Cance,  Gloss.  Inf.  el  tned.  lut.  ,  v°  Ludus 
Christi  el  Dei,  édil.  Henschell,  Paris,  Didot, 
18V5.  in-4",  G  vol.,  t.  IV,  p.  15G.  —  Voy. 
Passion,  H,  §  2. 

DOMINIQUE  (Saint).  De  Beanchamps 
(Recherches  sur  les  théâtres  de  France,  Paris, 
1735,  3  vol.  in-8%  t.  1  r,  p.  226),  et  la  Biblio- 
thèque du  Théâtre  Français,  ouvrage  atlribué 
au  duc  de  La  Vallière  (Dresde,  17G3;  3  vol. 
in-8",  t.  1er,  p.  14},  ont  menlionné  et  analysé 
ce  mystère. 

Les  Frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
Théâtre  Français  (Paris,  15  vol.  in-12, 1735, 
t.  11,  p.  5^7-554-),  en  ont  laissé  le  compte- 
rendu  suivant  : 

MYSTÈRE  de  saint  dominiqle. 

S'ensuit  ung  Mystère  del'Instilutiondes  Frères 
Prêcheurs,  et  commence  sainct  Dominique, 
lui  estant  à Rotnmevestu  enhabit  de  Chanoyne 
Régulier;  à  xxxvi  personnages  dont  les 
noms  s'ensuivetit  cy-après...  Cy  finit  ce  pré- 
sent Mystère  de  sainct  Dominique,  nouvel- 
lement imprimé  à  Paris  par  Jehan  Trcppe- 

(152)  Nous  donnons  cel  extrait  avec  d'autant  puis 
de  plaisir,  que  le  poème  sur  lequel  il  est  (ail  est 
presque  ignoré  (n  étant  connu  que  par  un  pas- 
sage peu  correct  de  la  Bibliotheqite  Françoise  de 
Du  Verdier  (pag  275)  qui  n'en  rapporte  que  le  li- 
tre, el  le  catalogue  des  personnages)  el  que  l'exem- 
plaire qui  nous  a  éié  communiqué  est  pcill-èlre 
unique.  C'esl  un  in  4°  de  37  feuillets,  ou  74  pages 
à  58  lignes  chacune,  qui  petit  composer  environ  deux 
mille  vers.  On  ne  sait  pas  le  lems  que  ce  mystère  a 
paru  et  encore  moins  le  nom  de  fauteur;  mais  com- 
me il  se  trouve  relié  avec  un  ouvrage  en  prose 
composé  sur  le  même  sujel,  cl  dont  voici  le  (iirc  : 
La  Légende  de  Monseigneur  Sainct-Dominique,  Perc 
et  premier  Fondateur  de  l'ordre  des  Frères  Prescheurs 
translatée  de  Latin  en  François,  par  vénérable   llel.- 


rel,  Libraire  el  Imprimeur,  en  la  rue  Neuve 
N  -D.  à  l'Enseigne  de  l'Escu  de  France  (152). 

«  Saint  Dominique,  brûlant  de  zèle  pour 
la  gloire  du  Seigneur  et  de  son  Eglise,  gémit 
du  désordre  qu'il  voit  régner  dans  le  monde, 
Pendant  ce  temps-la,  les  trois  Etais,  Eglis.-, 
Noblesse  et  Labour  [labeurj,  dirigés  par  Ob- 
stination, s'abandonnent  aveuglement  à  sa 


conduite. 


EGLISE. 


Par  discorde  el  giiefve  efforce 
Je  vue  1  avoir  des  Bénéfices: 
Dignités  dix  douze  par  force, 
En  commande,  grandes  Offices: 
Des  rouelles  jaunes  en  coffre. 

Oui  ne  veut  vivre  qu'à  plaisance. 
En  lous  plaisirs  prenl  ma  passion  ; 
Car  jeune  chair,  el  viol  poisson, 
Si  me  donnent  resjoiiisssance 

LABOUR. 

L'Eglise  a  Irop  biens  d'abondance: 
Payer  les  disnies?  Quel  leçon? 
Il  faut  user  d'autre  l'asson  : 
Ne  faull  il  pas  que  Labour  dance? 

«  Hérésie  survient,  et,  conseillée  par  Sa- 
lait, elle  répand  sur  la  terre  :?on  plus  mortel 
venin,  ce  qui  irrite  le  Tout  Puissant  a  un 
tel  point,  qu'il  menace  les  hommes  des  fléaux 
de  sa  colère. 

DIEU. 

Vf,  ve,  ve  habilantibus 
Super  (errant. 

NOSTItE-ltAME 

Bominibus 

lia!  mon  cher  Eilz,  miséricorde. 

«  Pour  apaiser  le  Seigneur,  la  sainte  Vierge 
lui  présente  saint  Dominique,  qui  s'offre  à 
reprendre  avec  fermeté  les  défauts  des  hom- 
mes, et  à  exterminer  l'hérésie.  Dieu  accorde 
cette  grâce  aux  prières  de  sa  sainte  Mère. 
Saint  Dominique,  sans  perdre  de  temps,  va, 
avec  ses  deux  compagnons,  trouver  le  S.  P. 
pour  lui  demander  la  permission  de  prêcher. 

(Saint  Dominique  à  genoulx,  et  ses  Itères,  en  parlant 
au  Pape.) 

Pater  Sancte,  sâinclemenl  triiiniphant, 
llaull  triuinplie  d'Eglise  militante: 
Tenant  les  clef/,  de  la  joyc  triomphante, 
Salut,  honneur,  comme  au  Chef  Iriumphant. 


LE    PAIT. 


F ili,  quid  vis 


gieux,  excellent  Frère  jean  Martin  dudit  Ordre,  et 
du  Couvent  de  Valenchesnes  (Yalencienncs),  imprimé 
à  Paris  par. Jehan  Trepperet,  etc.  —  Nous  croyons  ces 
deux  ouvrages  du  même  auleur.  Ce  qui  fortifie  nos 
conjectures,  c'esl  qu'ils  ont  éié  imprimés  en  même 
lems  el  par  le  même  imprimeur,  et  que  les  liues  des 
chapitres  de  la  légende,  sont  en  vers,  de  pareils 
goûl  cl  mesure  que  ceux  du  mystère.  Du  Verdier- 
Yauprivas  p.  7"25  et  Lacroix  dû  Maine,  p.  243  de 
leurs  Bibliothèques  françaises,  parlent  de  <  e  Jean 
Martin.  Le  dernier  ajoute  qu'il  vivoil  en  l-nl  0.  Mais 
il  y  a  une  faute  en  ce  qn'il  a  mis  Valenrhens  pour 
V alenchenes.  Au  reste  ceci  se  rapporte  fou  avec  le 
lems  de  l'impression,  puisque,  selon  Laeail'c  liv.  n 
p.  67  de  son  Histoire  de  l'Imprimerie,  Jean  'I  icrperel 
imprimait  dès  1 .95. 


2-'»7 


DOM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


DUL 


'm 


S.    DOMINIQUE. 

Souverain  Héléphanl, 
Voslre  grâce,  etc. 

«  Le  Pape  lui  dit  qu'il  consultera  cette  af- 
faire avec  ses  cardinaux  :  mais  une  vision 
céleste,  qu'il  a  la'nuit  suivante,  le  détermine 
à  consentir  aux  désirs  de  saint  Dominique. 
Saint  Pierre  et  saint  Paul  vont  visiter  ce 
dernier,  et  lui  promettent  leur  protection. 

«  Adonc  saint  Regnault  abillyé  richement, 
«  comme  ung  docteur  en  décret,  demourant 
«  à  Paris,  appellera  son  Chappelain  »  et  lui 
dit  qu'il  va  expliquer  la  sainte  Ecriture. 

«  Tandis  que  saint  Regnault  est  dans  cette 
occupation,  inspiration  divine  lui  commande 
d'aller  à  Rome  trouver  saint  Dominique.  Ce 
docteur,  obéissant  aux  ordres  du  ciel,  quitte 
aussitôt  ses  écoliers,  qui  lui  disent  adieu  les 
larmes  aux  yeux,  et  prend  le  chemin  de  cette 
ville,  où  il  va  visiter  saint  Dominique.  Peu 
de  temps  après  il  tombe  malade,  et  demande 
ce  saint  pour  le  confesser.  D'un  autre  côté, 
son  cbapelain,  qui  le  voit  è  l'extrémité,  va 
chercher  un  cardinal  qui  autrefois  a  été  ca- 
marade d'école  avec  son  maître.  Le  prélat 
alarmé  mande  aussitôt  ses  médecins  ,  et  les 
conduit  chez  le  malade. 

m*  avicenne,  second  médecin,  en  entrant. 
Dieu  soit  céans* 

s.  Dominique,  aux  médecins. 
Mais  dicles-nioy,  que  vous  en  semble? 

m»  ypocras,  premier  médecin. 
Plus  morl,  que  vif. 

S.  DOMINIQUE. 

Le  cueur  me  tremble. 

Mc    AV1CENNE. 

Quant  à  moy,  je  le  liens  pour  mort. 

«  Les  médecins,  désespérant  de  la  santé 
Ce  saint  Regnault,  sortent,  et  saint  Domini- 
que et  les  autres  assistants  implorent  le  se- 
cours de  la  Mère  de  Dieu. 

S.  DOMINIQUE. 

Vierge,  nous  metz-lu  en  défia u 11, 
Quani  nous  perdons  noslre  secours? 

LE  CHAPELAIN  DE  S.  REGNAULT. 

Par  un  bien  cruel  sourbesault, 
Vjerge,  nous  metz-lu  en  defiaull! 

LE  CLERC    DE    S.    REGNAULT. 

Conlre  loy  courray  à  l'assaull, 
Veu  que  permelz  si  pileux  cours- 

SAINT    DOMINIQUE. 

Vierge,  nous  melz-lu  en  defiaull, 
Quani  nous  perdons  nostre  secours? 

«  La  Vierge  Marie  arrive  à  leur  secours, 
accompagnée  de  sainte  Madeleine,  de  sainte 
Catherine  et  de  plusieurs  anges  ;  elle  rend 
la  santé  à  saint  Regnault,  et  lui  fait  présent 
d'un  habillement  blane,  que  ce  saint,  en  la 
remerciant,  lui  promet  de  porter  le  reste  de 
sa  vie.  Les  médecins,  étonnés  de  sa  guéri- 
son,  n'en  veulent  croire  aue  leurs  propres 
yeux. 

Dictionn.  des  Mystères. 


M«  AV1CENNE. 

En  vérité,  j'yrai  jusqu'au  lieu, 
Car  ce  seroil  ung  beau  miracle. 

«  Saint  Dominique,  couvert  d'un  pareil 
habit  que  saint  Regnault,  le  quitte  pour  pas- 
ser en  Espagne. 

S.   DOMINIQUE. 

En  Espaigne  je  m'en  iray  ; 
Pour  consulter  les  Hérétiques 

(Cy  ne  parlera  plus  sainct  Dominique...  Lors  s'en  ira 
saincl  Regnault  à  Boutongne.) 

«  On  lui  amène  un  pauvre  Frère  convers, 
du  monastère  de  celte  ville,  qui  est  possédé 
du  malin  esprit  :  saint  Regnault  ordonne  aux 
religieux  de  lui  donner  la  discipline. 

S.  REGNAULT. 

Frappes  fort. 

LE    CONVERS. 

Haro,  à  la  mort. 

S.  REGNAULT. 

C'est  le  commandement  de  Dieu. 

LE    CONVEUS. 

Hau  Diables,  venez  à  mon  confor 

S.  REGNAULT. 

Frappes  fort. 

LE    CONVERS. 

Haro,  à  la  morl  ; 
Je  cnide  estre  le  plus  fort.' 
Bellement,  ce  n'est  point  de  jeu. 

S.  REGNAULT. 

Fraopes  ic.ri. 

LE    CONVERS. 

Haro,  à  ia  morl. 

S.  REGNAULT. 

C'est  le  commandement  de  Dieu. 

«  Satan,  ne  pouvant  tenir  contre  un  si  sé- 
vère châtiment,  s'enfuit  confus,  et  saint  Re- 
gnault, quittant  ses  frères  de  Boulogne,  vient 
trouver  ceux  du  couvent  de  Paris  qu'il  con- 
sole, et  termine  le  mystère  par  un  long  ser- 
mon qu'il  fait  en  leur  présence.  »  (Voy.  Ins- 
titution des  Frères'Prêcheurs.) 

DOMINUS  REGIT  (Le  mystère  de).—  Les 
registres  de  l'Hôtel  de  Ville  font  mention,  à 
Abbeville,  à  la  fin  du  xve  siècle  et  au  xvi*  siè- 
cle,de  la  représentation  d'un  mystère  tiré  du 
psaume  Dominus  régit.  (Cf.  F.-C.  Loiundre, 
Hist.  d'Abbeville,  1834,  in-8°,  p.  238.) 

DULC1T1US.—  M.  Magnin  a  dit  de  ce  pe- 
tit drame  écrit  au  x'  siècle  par  Hrolswilhe: 
«  Cet  ouvrage,  bien  que  composé  comme 
tous  ceux  du  même  écrivain,  dans  une  pen- 
sée d'édification  et  de  piété est  plus 

qu'une  comédie,  c'est  une  farce  religieuse.» 
(  Théâtre  de  Hrotsvitha  ;  Paris,  18i5,  in-8°, 
Préf.,  p.  xl.)  Nous  ne  saurions  souscrire  en- 
tièrement à  ce  jugement  très-sévère.  Sans 
doute  le  Dulcitius  ne  conserve  pas,  dans 
quelques-unes  de  ses  scènes,  toutes  les  rè- 
gles du  goût,  mais  le  lecteur  doit  se  rappe- 
ler que  l'auteur  écrivait  au  x1  siècle,  dans 
des  temps  très-barbares;  et  aujourd'hui 
môme,  combien  ne  sont  pas  licencieuses  les 
actions  de  notre  théâtre,  à  une  époque  où 

10 


293 


DHL 


[DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


DIX 


500 


f  ourlant  la  moralité  publique  a  fait  de  réels 
progrès  sous  l'impulsion  de  l'Eglise!  De 
plus,  les  deux  ou  trois  scènes  d'un  comique 
grossier  que  l'on  rencontre  dans  cet  ou- 
vrage, ne  doivent  pas  faire  perdre  de  vue  la 
grande  pensée  religieuse  qui  le  domine  et 
le  justifie,  et  qui  est  la  toute-puissance  de 
la  foi  dans  les  extrémités  les  plus  terribles 
de  la  vie.   {Voy.  Hrotswitha.) 

Argument.  —  La  passion  des  saintes  vierges  Agape, 
Cliionie  et  Irène.  Dans  le  silence  de  la  nuil,  le 
gouverneur  Dulcilius  se  rend  furtivement  auprès 
d'elles,  dévoré  d'une  cupidité  qu'il  brûle  d'assou- 
vir. Mais  à  peine  est-il  entré, 'il  perd  la  raison, 
et  au  lieu  des  vierges,  il  serre  dans  ses  bras  et 
couvre  de  baisers  des  marmites  et  des  poêles  à 
frire,  en  sorte  que  son  visage  et  ses  babils  en  sont 
tout  noirs.  Ensuite,  par  ordre  de  l'empereur,  il 
livre  au  comte  Sisiunius  les  vierges  qu'on  doit 
punir.  Celui-ci  est  le  jouet  d'étonnantes  illusions, 
et  enfin  il  fait  brûler  Agape  el  Cliionie  et  tuer 
Irène  (153). 

PERSONNAGES. 


LA    FEMME    DE    DULCITIUS. 

HUISSIERS  DU  PALAIS  IMPÉ- 
RIAL. 

SOLDATS. 

SUIVANTES  DE  LA  FEMME  DE 
DULCITIUS. 


DIOCLÉTIEN. 
ACAPE. 
CHIONIE. 
IRÈNE. 

DULciTius, gouverneur  de 
Tbessalonique. 

SIS1NNIUS. 

SCENE  Ir«. 

DIOCLÉTIEN,   AGAPE,   CHIONIE,  IRENE,    SOLDATS. 

dioclétien'.  L'illustration  de  voire  f;tmille,  votre 
liante  naissance  l'éclat  de  vos  diverses  beautés 
exigent  que  vous  soyez  unies  par  les  lois  de  l'hymen 
aux  premiers  officiers  du  palais,  et  notre  grâce  vous 
accordera  ses  faveurs,  si  vous  voulez  renier  le 
Christ  et  sacrifier  à  nos  dieux. 

agape.  Loin  de  vous  ces  soucis,  ne  vous  accablez 
pas  des  apprêts  de  nos  noces,  car  il  n'est  de  puis- 
sance au  monde  pour  nous  contraindre  à  nier  un 
nom  confessé,  ni  à  souiller  notre  purelé  virginale. 

dioclétien.  Qu'est-ce  que  celte  folie  qui  vous 
agile  ? 

agape.  Quel  signe  de  folie  découvrez -vous  en 
nous  ? 

dioclétien.  Un  signe  évident  et  très-grave. 

agape.  Lequel  ? 

dioclétien.  Surtout  en  ce  que,  abandonnant  les 
observances  d'une  antique  religion,  vous  vous  livrez 
aux  vaines  nouveautés  des  superstitions  chrétiennes. 

agape.  Vous  êtes  hardi  dans  vos  calomnies  contre 
le  Dieu  tout-puissant.  Prenez  garde. 

-dioclétien.  Et  à  quoi  ? 

acape.  A  vous  el  à  la  République  que  vous  gou- 
vernez. 

dioclétien.  Celle  fille  exlravague  ;  qu'on  l'é- 
loigné ! 

chionie.  Ma  sœur  n'est  pas  folle;  elle  reprend,  au 
contraire,  très-sagement  votre  sottise. 

(153)  i  Le  sujet  de  la  pièce  est  pris  dans  les  Actes 
du  martyre  des  trois  sœurs  (Acla  trium  sororum), 
légende  fort  répandue  au  moyen  âge  dans  les  églises 
grecque  et  latine.  Le  recueil  des  Bollandistes  con- 
tient sous  la  date  des  5  el  5  Avril  (Apiïlis,  t.  I, 
p.  245-250)  :  1°  une  notice  des  divers  agiographes 
latins  et  grecs  qui  ont  raconté  en  prose  et  même  en 
vers  la  passion  des  trois  vierges,  mises  à  mort  a 
Tbessalonique,  l'an  290,  par  ordre  de  Dioclétien; 
2*  le  récit  latin  de  ce  martyre,  extrait  des  Actes 
très  anciens  de  sainte  Anastasie.  Hrolsvilha,  dans 
U  drame  qu'on  va  lire,  a  suivi  pas  à  pas,  selon  sa 


furieuse; 
troisième 


rebelle 


dioclétien.  En  voici  une  autre  plus 
qu'on  l'ôle  aussi  de  mes  yeux  el  que  la 
parle. 

irène.  Et  la  troisième  ne  sera  ni  moins 
ni  moins  obstinée. 

dioclétien.  Irène,  lu  es  la  dernière  en  âge,  deviens 
la  première  en  dignité. 

irène.  Montrez-moi  comment,  je  vous  prie. 

dioclétien.  Courbe  la  téie  devant  les  dieux,  et 
sois  pour  les  sœurs  un  exemple  u'aiiienden.enl  et 
une  occasion  de  salut. 

irène.  Se  vautrent  devant  les  idoles,  ceux  qui 
veulent  encourir  la  colère  du  Très-llaul  !  Mo',  je  ne 
déshonorerai  pas  mon  front  couvert  des  parfums 
célestes,  en  l'abaissant  aux  pieds  de  simulacres. 

dioclétien.  Le  culte  des  dieux  n'a  rien  de  dés- 
honnéte;  il  est  tout  honneur. 

irène.  Quelle  plus  honteuse  impiété  !  quelle 
immense  impitude,  de  rendre  aux  esclaves  l'hom- 
mage dû  aux  maîtres  ! 

dioclétien.  Eh  !  tai-je  engagée  à  respecter  des 
esclaves?  11  s'agildes  dieux  des  maîtres  et  des  rois. 

irène.  N'est-il  pas  l'esclave  du  premier  venu,  ce 
dieu  qu'on  paye  à  l'artiste,  comme  une  marchan- 
dise ? 

dioclétien.  En  voici  une  dont  il  faut  rabattre  la 
présomption  et  le  caquet  par  des  supplices. 

irène.  C'est  notre  souhait;  notre  désir  ardent  est 
d'être  déchirée  dans  les  tourments,  pour  l'amour  du 
Christ. 

dioclétien.  Que  ces  femmes  opiniâtres,  insou- 
mises à  n»s  décrets,  soient  chargées  de  chaînes  et 
gardées  dans  les  horreurs  des  cachots,  pour  èlrit 
examinées  par  le  gouverneur  Dulcilius  ! 

SCÈNE   11. 

DULCITIUS,   AGAPE,  CHIONIE,   IRENE,   GARDES. 

dulcitius.  Amenez,  soldats,  amenez  ici  vos  prison- 
nières. 

les  soldats.  Voici  celles  que  vous  avez  deman- 
dées. 

dulcitius.  Dieux!  qu'elles  sont  belles!  les  clyr- 
manies,  les  remarquables  filles! 

les  soldats.  Parfaitement  jolies. 

dulcitius.  Je  suis  pi is  à  leuis  charmes. 

les  soldats.  C'est  facile  à  croire. 

dulcitius.  Je  brûle  de  les  entraîner  dans  mes  feux. 

les  soldats.  Nous  te  défions  de  réussir. 

dulcitius.  Et  pourquoi? 

les  soldats.  Parce  qu'elles  sont  inébranlables  dans 
la  foi. 

dulcitius.  Et  si  je  les  charme  par  des  douceurs  ! 

les  soldats.  Elles  les  méprisent. 

dulcitius.  Et  si  je  les  ellraie  par  des  supplices? 

les  soldats.  Elles  les  bravent. 

dulcitius.  Que  taire  ? 

les  soldats.  Réfléchissez. 

dulcitius.  Mettez-les  sous  clef  dans  la  salle  inté- 
rieure de  l'ofiice,  dans  le  vestibule  duquel  on  met  les 
ustensiles  de  cuisine. 

les  soldats.  Pourquoi  dans  ce  lieu? 

dulcitius.  Pour  que  je  puisse  les  voir  plus  sou- 
vent. 

les  soldats.  A  vos  souhaits. 

coutume,  la  relation  qu'elle  avait  sous  les  yeux. 
Seulement  elle  insiste,  avec  une  prédilection  marquée, 
sur  tout  ce  qui  pouvait  exciter  le  rire,  el  développe 
de  préférence  les  suites  grotesques  de  l'incontinence 
du  gouverneur  Dulcitius.  C'est,  je  crois,  en  raison 
de  celle  prédominance  de  la  partie  comique,  que 
Hrotswiiha  a  donné  pour  litre  à  celte  comédie,  non 
pas  le  nom  vénéré  des  trois  héroïques  sœurs,  mais 
celui  du  malencontreux  magistrat,  dont  les  dé- 
convenues jettent  une  si  étrange  gaieté  dans  celle 
pièce  tragique.  >  (M.  Magnin.) 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


591  DLL 

SCÈNE  III. 

DULCITIUS,    LES  SOLDATS. 

dulcitius.  Que  font  les  prisonnières  à  celle  heure 
de  la  nuit? 

les  soldats.  Elles  chantent  des  hymnes. 
ulcitius.  Approchons. 

les  soldats.  On  entend  de  loin  le  son  de  leurs  voix 
argentines. 

'dulcitius.  Restez  en  observation  à  ces  portes  avec 
vos  flambeaux.  Moi,  je  vais  entrer,  il  faut  que  j'assou- 
visse mes  désirs. 

les  soldats.  Entrez,  nous  attendrons. 

SCÈNE  IV. 

AGA    E,  CHIONIE,   IRÈNE. 

agape.  Quel  est  ce  bruit  à  la  porte? 

irène.  C'est  ce  misérable  Dtilcilius  qui  entre. 

ciuoNiE.  Ah!  Dieu  nous  garde  ! 

agape.  Amen! 

chionie. Qu'est-ce  que  ce  tapage  de  marmites,  de 
chaudrons  et  de  poêles? 

uiène.  Je  vais  voir.  Approchez,  je  vous  prie,  regar- 
dez par  ces  feules. 

agape.  Qu'y  a  t-il? 

irène.  Voyez  !  cet  imbécile,  privé  de  tout  bon  sens 
qui  croit  que  nous  l'embrassons. 

acape.  Eh!  que  fait-il? 
I  irène.   Tantôt  il  presse  tendrement  des  marmites 
sur  son  cœur,  tantôt  des  poêles  et  des  chaudrons  à 
qui  il  donne  de  doux  baisers. 

cittONiE.  C'est  drôle. 

irène.  Déjà  sa  figure,  ses  mains  et  ses  habits  sont 
si  sales  el  si  couverts  oue  le  voici  tout  noir  comme 
un  nègre. 

agape.  Il  est  juste  qu'on  lui  voie  le  corps  aussi  noir 
que  son  àmc  possédée  du  démon  (154). 

irène.  Voici  qu'il  s'en  va.  Attention.  Que  vont  faire 
les  soldats  qui  attendent  à  la  porte? 

SCÈNE  V. 

DULCITIUS,   LES  SOLDATS. 

les  soldats.  Quel  est  ce  suppôt  d'enfer  qui  sort  ? 
C'est  le  diable  lui-même.  Sauvons-nous. 

dulcitius.  Soldats,  où  fuyez-vous?  Restez,  condui- 
sez-moi au  lit  avec  vos  flambeaux. 

les  soldats.  C'est  la  voix  de  notre  seigneur,  mais 
c'est  la  ligure  du  diable.  Ne  nous  arrêtons  pas,  cou- 
rons plus  vile,  au  contraire;  c'est  un  fantôme  qui 
nous  veut  du  mal. 

dulcitil's.  Je  vais  au  palais  el  je  dénoncerai  cet 
oulrage  aux  princes. 

SCÈNE  VI. 

_       DULCITIL'S  ,   LES  HUISSIERS   DU   PALAIS. 

DDLCITIUS.  Huissiers,  annoncez-moi  dans  le  pa- 
lais. J'ai  à  parler  en  particulier  à  l'empereur. 

les  huissiers.  Qu'est-ce  que  ce  monstre  dégoûtant 
et  épouvantable,  couvert  de  loques  et  de  haillons 
noirs.  Rossons-le  à  coups  de  poings.  Précipitons-le 
du  haut  de  l'escalier.  Il  ne  faut  certes  pas  qu'il  pénè- 
tre plus  avant. 

dulcitius.  Malheur,  malheur  à  moi!  qu'est-il 
arrivé  (155)  ?  Ne  suis-je  pas  vêtu  d'habils  magni- 
fiques? Ne  suis-je  pas  superbe  du  haut  en  bas?  et 
quiconque  me  regarde,  recule  comme  devant  un 
monstre  horrible....  Retournons  voir  ma  femme.  Je 
saurai  d'elle  ce  qu'on  a  machiné  contre  moi.  Mais 
la  voici;  elle  sorl,  les  cheveux  épais;  loule  la 
maison  en  larmes  la  suit. 

(154)  Le  rapprochement  bizarre  du  corps  noirci 
de  Dtilcilius  et  de  la  noirceur  de  son  àme  est  pris 
textuellement  de  la  légende  (M.  Magnin). 

(155)  Toutes  les  mésaventures  plaisantes  qui 
assaillent  Dulcitius,  la  méprise  des  gardes,  la  colère 


DULCITIL'S 


DLL  302 

SCÈNE  VII. 

LA  FEMME  DE  DULCITUS,   LES 
SOLDATS. 


la  femme  de  dulcitius.  Hélas  neias  !  mon  sei- 
gneur! Dulcitius,  qu'avez  vous?  Vous  êtes  devenu 
fou.  Vous  êtes  la  risée  des  Chrétiens. 

dulcitius.  Oui,  je  le  sais  enfin,  j'ai  élé  le  jouet 
des  maléfices  de  ces  filles. 

la  femme.  Ce  qui  me  confondait  lout  à  fait,  co 
qui  m'attristait  surtout,  c'est  que  vous  n'aviez  pas 
idée  de  voire  mal. 

dulcitius,  aux  soldats.  J'ordonne  qu'on  expos« 
en  public  ces  filles  impudiques,  qu'on  leur  arrache 
leurs  vêlements,  qu'elles  soient  mises  nues  devaet 
tout  le  peuple ,  afin  qu'elles  connaissent ,  à  leur  tour, 
nos  jeux. 

SCÈNE  VIII. 

dulcitius,  endormi  sur  son  tribunal; 
les  soldats. 

les  soldats.  Nous  voiei  en  sueur  sans  avoir  rien 
fait,  nos  efforts  sont  vains  :  c'est  que  les  babils 
tiennent  aux  corps  de  ces  vierges,  aussi  ferme 
que  leur  peau.  Et  notre  président  lui-même,  qui 
nous  pressait  de  les  dépouiller,  ronfle  sur  le  tri- 
bunal ,  et  ne  peut  pas  être  éveillé.  Allons  voir 
l'empereur  et  racontons-lui  ce  qui  se  passe. 

SCÈNE  IX. 

DIOCLÉTIEN,  Seul. 

dioclétien.  Ces  nouvelles  sont  désolantes.  Com- 
ment, le  président  Dulcitius  joué,  conspué,  ca- 
lomnié ainsi!  Mais,  pour  que  ces  misérables  fillettes 
ne  se  vantent  pas  de  se  moquer  impunément  de 
nos  dieux  et  de  ceux  qui  les  adorent ,  ije  vais 
envoyer  le  comte  Sisinnius,  chargé  de  nos  ven- 
geances. 

SCÈNE  X. 

LE  COMTE   SISINNIUS,  SOLDATS. 

sisinnius.  Soldats,  où  sont  ceséhontées,  desti- 
nées aux  tortures? 

les  soldats.  Elles  gémissent  dans  cette  prison. 

sisinnius.  Mettez  à  part  Irène  et  amenez-moi  les 
autres. 

les  soldats.  Pourquoi  excepter  l'une? 

sisinnius.  Par  pilié  pour  l'enfance.  Peut-être  se 
converlira-l-ellc  plus  aisément,  quand  la  présence 
de  ses  sœurs  ne  l'effraiera  plus. 

les  soldats.  Oui,  oui. 

SCÈNE  XI. 

LES  PRÉCÉDENTS,    AGAPE,  CHIONIE. 

les  soldats.  Voici  celles  que  vous  demandiez. 

sisinnius.  Agape,  et  vous  Chionie,  faites  attention 
à  mes  conseils. 

agape.  Le  pourrions  nous? 

sisinnius.  Offrez  des  libations  aux  dieux. 

chionie.  Le  vrai  Père  éternel ,  son  Fils  coéter- 
nel  et  leur  saint  Paraclel  reçoivent  sans  cesse  le 
sacrifice  de  gloire. 

sisinnius.  Je  ne  vous  conseille  pas  cela ,  je  vous 
le  défends  même  sous  peine... 

agape.  Vaine  défense  !  jamais  nous  ne  sacrifie- 
rons aux  démons. 

sisinnius.  Chassez  cette  obstination  de  votre  âme 
et  faites  les  sacrifices;  sinon,  je  vous  enverrai  à  la 
mort,  selon  l'édil  de  l'empereur  Dioclétien. 

chionie.  Il  est  juste  pour  vous,  en  nous  mettant 

des  huissiers  et  jusqu'à  l'imperturbable  et  risible 
confiance  qu'il  montre  dans  l'élég:ince  de  sa  toi- 
lette,  sont  aillant  de  traits  d'excellent  comique 
fournis  par  le  légendaire  (Id.). 


505 


I>(JL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


à  mort,  d'obéir  aux  ordres  de  votre  empereur, 
puisqu'il  est  évident  que  nous  faisons  fi  de  ses  dé- 
crets. Si  vous  nous  épargniez,  si  vous  mettiez  du 
relard  ,  votre  supplice  serait  juste  aussi. 

sisinnius.  A  l'instant,  soldats,  à  l'instant  prenez 
ces  blasphématrices  et  jetez-les  vivantes  au  feu. 

les  soldats.  Hàtons-nous  de  construire  le  bû- 
cher et  livrons-les  aux  baisers  dévorants  des 
flammes,  pour  mettre  terme  à  leur  insolence. 

agape.  Non,  Seigneur  Dieu,  non,  il  ne  serait  pas 
impossible  à  votre  puissance  que  le  feu,  vous  obéis- 
sant, fût  sans  force  et  mît  de  côté  son  essence. 
Mais  combien  ces  lenteurs  nous  fatiguent.  Ah!  nous 
vous  prions  de  briser  les  chaînes  de  nos  cames,  afin 
que  nos  corps  soient  anéantis  et  nos  esprits  heureux 
avec  vous  dans  les  cieux. 

les  soldats.  Voici  du  nouveau.  C'est  à  glacer  de 
stupeur.  Ces  femmes  sont  sans  vie,  et  il  n'y  a  pas 
sur  leurs  corps  trace  d'une  blessure  :  ni  les  cheveux 
ni  les  vêtements  ne  sont  touchés  oar  le  feu,  encore 
moins  leurs  corps. 

sisinnius.  Amenez  Irène  ici. 

les  soldats.  La  voici. 

SCÈNE   XII. 

LES  MÊMES,   IRÈNE. 

sisinnius.  Tremblez,  Irène.  Vos  sœurs  ont  péri,  et 
prenez  garde  à  subir  leur  sort. 

irene.  Je  souhaite  de  leur  ressembler  dans  leur 
mort,  pour  obtenir  avec  elles  les  joies  éternelles. 

sisinnius.  Cédez,  cédez  à  mes  conseils. 

irene.  Je  ne  céderai  oas  à  des  conseils  crimi- 
nels. 

sisinnius.  Si  vous  ne  cédez  pas,  je  ne  vous  accor- 
derai pas  une  prompte  mort:  j'y  mettrai  du  temps, 
et  chaque  jour  je  multiplierai  de  nouveaux  supplices. 

irene.  Plus  affreux  sera  le  supplice,  plus  glorieux 
sera  le  triomphe. 

sisinnius.  Tu  n'as  pas  peur  des  tourments,  eh  bien  ! 
je  te  frapperai  d'horreur.  .  . 

irène.  Quelque  affreuse  chose  que  vous  méditiez, 
je  vous  échapperai  avec  l'aide  du  Christ. 

sisinnius.  Je  le  f«-rai  conduire  dans  un  lieu  de 
débauche  où  ton  corps  sera  profané  honteusement. 

irène.  Mieux  vaut  à  mon  corps  la  tache  de  tous 
les  outrages,  qu'à  mon  àme  la  souillure  des  idoles. 

sisinnius.  Abaissée  au  rang  des  courtisanes,  et 
déshonorée,  compteras-lu  jamais  dans  la  phalange 
des  vierges  ? 

irène.  Le  désir  mérite  le  châtiment,  la  force  ma- 
jeure donne  la  couronne  du  martyre.  Il  n'y  a  culpa- 
bilité qu'avec  le  consentement  de  l'esprit  (156). 

sisinnius.  Vainement  je  l'épargnais;  en  vain,  j'a- 
vais pitié  de  son  extrême  jeunesse. 

les  soldats.  Nous  le  savions  bien.  Rien  ne  peut 
la  contraindre  au  culte  des  dieux.  Nulle  crainte  ne 
peut  la  briser. 

sisinnius.  Je  n'aurai  plus  de  pitié. 

les  soldats.  Certes,  oui. 

sisinnius.  Prenez-la  sans  miséricorde,  traînez-la 
barbaremenl,  conduisez- la  honteusement  dans  un 
lieu  de  débauche. 

irène.  Ils  ne  m'y  conduiront  pas. 

sisinnius.  Qui  pourra  l'empêcher  ? 

irène.  Celui  dont  la  sagesse  régit  le  monde. 

sisinnius.  J'en  ferai  l'épreuve. 

irène.  El  plus  tôt  que  vous  ne  croyez. 

sisinnius.  Soldats,  ne  vous  intimidez  pas  des  pré- 
sages meilleurs  de  celle  blasphématrice. 

les  soldats.  Nous  n'avons  guère  peur;  cl  nous 
allons,  de  noire  mieux,  obéir  à  les  ordres. 

(156)  Cette  belle  parole  se  lit  dans  les  Acles. 
(M.  Macnin.) 

(157)  L'emploi  des  expressions  tirées  des  super- 
stitions païennes  est  assez  fréquent  dans  les  ailleurs 


DLL 

SCENE  XIII. 


'M 


sisinnius;  ensuite,  les  soldats. 

sisinnius.  Quels  sont  ces  gens  qui  accourent  de 
ce  côté?  On  dirait  les  soldats  auxquels  nous  avons 
remis  Irène.  Mais  ce  sont  eux.  .  .  (Aux  soldats.) 
Pourquoi  revenez-vous  si  vile?  Où  courez-vous  si 
hors  d'haleine? 

les  soldats.  Nous  vous  cherchions. 

sisinnius.  Et  où  est  celle  que  vous  emmeniez. 

les  soldats.  Au  plushautsommel  de  la  montagne. 

sisinnius.  De  laquelle  ? 

les  soldats.  De  la  plus  voisine. 

sisinnius.  Insensés  !  Imbéciles ,  incapables  de  toute 
chose  raisonnable! 

les  soldats.  Pourquoi  celle  colère  ?  Pourquoi 
ces  cris,  ces  regards,  ces  menaces? 

sisinnius.  Les  dieux  vous  abîment! 

les  soldats.  Que  vous  avons-nous  fait  ?  Quel  mal? 
Quels  ordres  n'avons-nous  pas  suivis  ? 

sisinnius.  Quel  ordre  vous  ai-je  donné?  rie  con- 
duire la  rebelle  aux  dieux  dans  un  lieu  de  perdition. 

les  soldats.  Oui  vraiment,  et  nous  étions  en 
train  de  vous  obéir,  lorsque  sont  survenus  deux 
jeunes  gens  inconnus,  qui  se  sont  dits  envoyés  par 
vous,  pour  conduire  Irène  au  sommet  delà  montagne. 

sisinnius.  Voici  la  première  nouvelle. 

les  soldats.  Nous  le  voyons. 

sisinnius.  Et  quelle  mine  avalent  ces  hommes? 

les  soldats.  Ils  étaient  magnifiquement  vêtus,  cl 
d'un  air  tout  à  fait  grand. 

sisinnius.  Vous  ne  ies  avez  pas  suivis  ? 

LES    SOLDATS.    Si. 

sisinnius.  Qu'ont-ils  fait? 

les  soldats.  lis  se  sonl  mis,  l'un  à  droite,  l'autre 
à  gauche  d'Irène  et  nous  ont  envoyés  ici,  pour  vous 
informer  de  ce  qui  s'élail  pas  é. 

sisinnius.  11  ne  me  reste  plus  qu'à  monter  à  cheval 
et  à  chercher  qui  se  joue  si  audacieusement  de  nous. 

les  soldats.  Allons-y  tous. 

SCÈNE  XIV. 

LES     PRÉCÉDENTS , IRÈNE 

sisinnius.  Hem  !  je  ne  sais  pas  tr.op  ce  que  je  fais. 
Je  suis  ensorcelé  par  les  Chrétiens.  Me  voici  à  tourner 
autour  de  celte  montagne,  et  à  chaque  sentier  que 
je  trouve,  je  ne  puis  ni  monter,  ni  retrouver  mon 
chemin. 

les  soldats.  Voilà  d'élranges  choses.  Nous 
sommes  tous  le  jouet  des  enchantements,  la  fatigue 
nous  accable,  et  si  vous  souffrez  que  celle  folle  vive 
encore  longtemps,  vous  vous  perdrez  et  nous  avec 
vous. 

sisinnius.  Quelqu'un  des  miens  ici  !  Bande  forte- 
ment ton  arc,  décoche  la  flèche,  et  perce  celte  ma- 
gicienne. 

les  soldats.  C'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux. 

irène.  Rougis,  misérable  Sisinnius,  rougis  !  Tu 
es  honteusement  vaincu.  Gémis!  Avec  toutes  les 
armes  lu  ne  peux  triompher  d'une  enfant,  d'une 
jeune  fille. 

sisinnius.  Quoi  qu  il  m'arrivede  honteux,  je  le 
subis  aisément,  parce  que  tu  vas  très-certainement 
mourir. 

irène.  C'est  ma  joie  suprême,  et  ton  affreux 
désespoir.  Ta  cruauté,  la  méchanceté  le  condamnent 
au  Tariare  (157),  et  moi,  en  recevant  la  palme  du 
martyre  et  de  la  virginité,  j'entrerai  dans  la  couche 
célesie  du  Roi  éternel,  à  qui  sonl  dus  honneur  el 
gloire  dans  les  siècles. 

(Elle  tombe  percée  d'une  flèche.) 

ecclésiastiques.  On  en  trouve  des  exemples  jusque 
«ans  nos  offices.  Ce  mélange,  toutefois,  ne  se  ren- 
contre que   rarement  dans  les  écrits  de  Hrosïwilha 

(I»0 


enf 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ENF 


506 


ENFANT  DONNÉ  AU  DIABLE  (L').  — 
L'Enfant  donné  au  diable  est  conservé  dans 
le  manuscrit  7208.  k.  A,  fonds  de  Cangéde  la 
Bibliothèque  impériale,  datant  du  xive  siè- 
cle. 

Il  y  est  intitulé  :  Cy  commence  un  miracle 
de  Nostre-Dame  d'un  enfant  qui  fu  donné  au 
dyable  quand  il  fu  engendré. 

Cette  pièce  est  restée  inédite. 

Elle  est  accompagnée  d'un  sermon  en  vers 
en  l'honneur  de  !a  Vierge,  à  la  suite  duquel 
on  lit 

ENVOY. 

Princes,  vueillez  par  cesle  voie  amer 
Celle  qui  Dieu  vierge  el  mère  norrit 
Si  qu'en  s'amour  vous  face  confernier. 

La  dame  et  le  seigneur  ont  dessein,  quoi- 
que mariés,  de  vivre  en  toute  chasteté  et 
Nostre-Dame  les  approuve;  mais  le  diable 
s'en  mêle;  la  dame,  contrainte  de  céder, 
donne  au  démon,  dont  il  est  l'œuvre,  l'en- 
fant qui  peut  provenir  de  sa  faiblesse.  Un 
enfant  vient  au  monde,  en  effet;  la  dame 
veut  qu'il  ait  tantost  creslienté.  Le  diable 
apparaît,  réclame  son  bien,  s'écrie  : 

Vous  en  avez  trop  tost  parlé, 
Dame,  cest  enfens  est  miens. 
Il  ne  sera  ja  cresliens. 
Je  remoorteray  tout  délivre... 

LA  DAME. 

Salhan  au  mains  le  laisse  vivre 
Un  années  pour  mon  déduit 
Avoir;  car  je  n'ay  plus  de  fruit, 
Dont  plus  courrociée  en  soie, 
tee  cesluy-cy  si  losi  perdoie. 
Je  t'en  crie  :  laisse-m'en  joïr. 

PREMIER  DYABLE. 

Je  Voltroy;  mais  que  sans  faillir 
JeTaray  au  chief  de  un  ans... 

Le  délai  obtenu,  la  dame  et  le  seigneur 
mettent  le  temps  à  profit  pour  implorer  la 
sainte  Vierge  miséricordieuse.  Us  rusent 
avec  le  diable,  en  obtiennent  des  sursis. 
L'enfant  croît;  c'est  lui  bientôt  qui,  mûri 
de  bonne  heure  par  une  faveur  spéciale,  et 
n'ignorant  pas  le  sort  dont  il  est  menacé,  se 

(158)  Celte  histoire  se  trouve  en  original  dans  le 
Livre  des  Abeilles,  de  Thomas  de  Canlipré.  liv.  n, 
chap.  7,  part.  4.  11  assure  qu'elle  arriva  en  Norman- 
die, et  que  frère  Jean  de  Grand-Pont,  religieux  do- 
minicain, lui  a  afiirmé  avoir  vu  dans  sa  jeunesse  ce 
misérable  à  Paris,  portant  sur  son  visage  la  terrible 
marque  de  la  justice  divine;  mais  il  ne  parle  point 
de  sa  guérison.  L'auteur  anonyme  du  Miroir  des 
exemples,  titre  des  pères  et  mères,  exemple  m,  pa- 
ges 787  et -788,  rapporte  la  même  histoire,  d'après 
l'auteur  ci-dessus.  Ajoutez  que  Césaire  d'Heister- 
bach,  Hy.  vi,  chap.  22  de  ses  Histoires  mémorables , 
en  raconte  une  assez  approchante,  d'un  jeune  hom- 
me nommé  Henry,  qui  usa  d'une  semblable  ingrati- 
tude envers   sa  mère  :  mais  au  lieu  du  crapaud,  il 


ueiend  contre  l'enfer.  Le  diable  s'est  enfin 
emparé  de  lui 

Puissant  Vierge,  vueilbez  m'aidier, 
Roine  descieulx  souveraine, 
Vers  ce  dyable  qui  me  maine. 
Dame,  me  vueilliez  garantir. 

Nostre-Dame  intervient.  Mais    le   diable 
maintient  son  droit,  et  Dieu  est  appelé 
juger  la  cause. 

DIEU. 

Le  père  fu-il  au  donner 
De  l'enfant?  dites  vérité... 

Le  vous  otlroia-il  de  bouche? 

Salhan,  je  vous  dy... 
Que  la  femme  n'a-que  donner 
A  chose  qu'elle  ait  à  garder 
Sans  le  vouloir  de  son  seignour. 
Cest  dons  est  de  nulle  valour 
Quant  son  père  ne  l'ollroia. 
C'est  enfens  si  nous  demourera. 
Voslre  paine  y  avez  perdue. 

ENFANT  INGRAT  (L').  —  On  ne  connaît 
aucun  manuscrit  de  l'Enfant  ingrat  ;  il  en 
reste  une  édition  qui  est  du  milieu  du  xvr 
siècle,  vers  1540,  selon  les  frères  Parfait. 
(Histoire  du  Théâtre  français;  Paris,  15  vol. 
in-12,  1745,  t.  III,  p.  153-163.) 

De  Beauchamps,  Recherches  sur  les  Théâ- 
tres de  France/Paris,  1735,  in-8°,3  vol.,  t.  Ie', 
n°230)donne  pour  auteur  de  ce  drame,  An- 
toine Tyron. 

La  Bibliothèque  du  Théâtre  français ,  at- 
tribuée au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 
1768,  in-8%  3  vol.,  t.  Ier,  p.  3  )  cite  une  édi- 
tion de  1589,  in-16,  Lyon,  Benoit  Rigaud  , 
et  donne  une  courte  analyse  de  ce  mystère. 

Les  frères  Parfait  (ibid. ,  p.  154-162)  ont 
laissé  sur  cette  pièce  la  notice  suivante  : 

HISTOIRE   DE  L  ENFANT  INGRAT  (158). 

Mirouer  et  exemple  des  mauvais  Enfans  en- 
vers  leurs  Pères  et  Mères,  contenant  encore 
comme  les  Pères  et  Mères  se  destruisent  ,1e 
plus  souvent  par  Vadvancement  de  leurs 
Enfans,  qui  souventesfois  se  descongnois- 
sent.  Le  tout  par  personnages  (  159). 

«  Après  le  prologue,  le  père  et  la  mère  do 
l'enfant   ingrat  se  félicitent   mutuellement 

sortit  du  pâté  un  serpent  qui,  s'entortillanl  autour 
de  son  cou  et  de  ses  bras,  le  pressait  de  telle  sorte, 
qu'il  lui  faisait  sortir  les  yeux  hors  de  leur  place,  el 
lui  ravissait  le  meilleur  de  ce  qu'on  lui  présentait 
pour  sa  nourriture.  Césaire  dit  qu'il  n'y  avait  quo 
treize  ans  quece  malheur  était  arrivé,  et  qu'on  pro- 
mena ce  jeune  homme  dans  une  cbarretie  par  toute 
la  province  de  la  Moselle,  cherchant  inutilement  le  se- 
cours des  saints.  Sa  pauvre  mère  le  suivait  partout 
et  excitait  la  compassion  de  tous  ceux  qui  les 
voyaient.  ^» 

(159)  On  ignore  le  nom  de  l'auteur;  car  de  dire  , 
comme  on  l'avance  dans  les  Recherches  des  Théâtres, 
que  celle  pièce  est  d'Antoine  Tyron,  ce  serait  assurer 
un  fait  qui  n'a  aucun  fondement. 


307 


ENF 


DIGTIONNAIRL  DES  MYSTERES. 


ENF 


303 


du  iiJs  qu'ils  ont,  et  pour  lequel  ils  amassent 
du  bien.  Cependant ,  comme  il  est  à  propos 
d'employer  sa  jeunesse,  ils  forment  la  réso- 
lution de  le  mettre  chez  un  marchand,  pour 
apprendre  le  commerce.  Ce  projet  s'exécute 
tout  de  suite,  mais  le  jeune  homme,  accou- 
tumé à  faire  ses  volontés,  ne  veut  point  s'as- 
sujettir aux  soins  qu'on  exige  de  lui.  11 
quitte  le  marchand,  et,  suivi  du  valet  de  ce 
dernier,  qu'il  prend  à  son  service  ,  en  cou- 
rant le  pays  il  trouve  un  seigneur  de  village 
su-r  la  porte  de  son  château,  qui,  le  voyant 
magnifiquement  habillé  (  car  c'est  la  pre- 
mière chose  à  quoi  il  songe  en  quittant  son 
marchand),  l'invite  à  venir  se  reposer,  et 
l'engage  à  dîner  avec  lui.  La  femme  et  la 
fille  du  seigneur  assistent  à  ce  repas. 


LE   SEIGNEUR. 


Or  çà,  mon  beau  seigneur  notable, 
Vous  n'estes  point  marié? 


L  ENFANT. 


Non. 


Mais  je  suis  jeune  compagnon 
De  ce  faire  une  lois  capable. 
Si  je  trouve  lien  convenable, 
Là  où  j'agrée  selon  moy, 
El  s'il  vient  partie  agréable, 
Ne  doublez  que  j'ay  bien  de  quoy. 

LE  SEIGNEUR. 

Or  me  dictes,  par  votre  fov, 
Si  cesle  jeune  damoiselle 
Vous  donnoye,  par  bonne  l'oy 
De  mariage  ;  en  noble  arroy, 
Si  vous  feriez  refus  d'elle? 

l'enfant. 

Par  saincte  Marie  la  belle, 
Nenny,  le  mentir  rien  n'y  vaut. 

«  Comme  le  jeune  homme  se  vante  que 
son  pore  et  sa  mère  lui  feront  un  abandon 
général  de  leurs  biens  quand  il  voudra,  le 
seigneur  lui  dit  qu'il  est  nécessaire  qu'il 
les  fasse  venir  pour  cela  ,  et  pour  consentir 
i  son  mariage.  Le  jeune  homme  va  trouver 
son  père  et  sa  mère,  leur  fait  part  de  la  pro- 
position qui  vient  de  lui  être  faite  ,  et  ces 
bonnes  gens  l'acceptent  avec  joie. 

«  Le  seigneur  reçoit  avec  beaucoup  de  po- 
litesse le  père  et  la  mère  de  son  futur  gen- 
dre; et  après  s'être  assuré  de  la  donation 
entière  de  leurs  biens  en  faveur  de  leur  fils, 
il  ordonne  à  son  maître-d'hôtel  d'aller  cher- 
cher le  curé. 

(Ici  le  maislre  d'hoslel  va  quérir  le  curé.) 

LE  MAISTRE  D'ilOSTEL. 

Curé,  venez  légèrement 
Au  ebasteau,  car  mademoiselle 
A  trouvé  un  mary  pour  elle  : 
Conjoindre  ensemble  les  convient. 

LE  SEIGNEUR,  OU  CUré. 

Çà  curé,  vous  êtes  venu, 
Ces  deux  jeunes  gens  empoignez, 
El  l'un  à  l'autre  conjoignez 
Par  bon  mariage  nouveau. 

«  La  cérémonie  étant  finie, 

LE  SEIGNEUR  dit. 

Maistre  d'hostel  expressément 
Que  nous  soyons  bien  festoyez, 


V.n  quoi  qu'il  soit,  nous  pourvoyez 
De  menestriers  et  farceurs, 
Pour  resiouir,  et  de  danseurs. 
Car  je  veux  pour  ce  mariage, 
Me  resiouir. 

LE  MAISTRE  D'HOSTEL. 

Ce  sera  rage 
Tant  aurez  d'esbats  honorables. 

«  L'écuyer  du  seigneur  va  prier  ses  voi- 
sins de  venir  au  festin.  On  sert,  et  tous  les 
convives  prennent  place. 

(Nota.  Que  les  instruments  sonnent  ce  qu'ils  voudront.) 

LE  SEIGNEUR. 

Sus,  sus,  menons  joye  phn.ere, 
Voicy  nostre  esiouissement. 

LE    TÈRE. 

C'est  ma  liesse  singulière, 
El  l'espoir  de  mon  sauvement. 

UN  VOISIN. 

Quelque  farcerie. 

AUTRE  VOISIN. 

Feste  ne  vaut  rien  autrement, 
S'il  n'y  a  farce  ou  niommerie. 

(Icy  jouent  une  farce.) 

«  Ensuite  de  laquelle,  après  bien  des  com- 
pliments, chacun  prend  congé  des  nouveaux 
époux. 

«  Le  père  et  la  mère  du  marié  se  sont  telle- 
ment dépouillés  de  leurs  biens,  qu'ils  se 
trouvent  forcés  d'aller  lui  demanderquelque 
secours  pour  les  aider  à  vivre.  Ils  se  ren- 
dent à  la  maison  de  leur  tils  et  lui  exposent 
leur  misère.  Ce  dernier  les  reçoit  avec  du- 
reté et  ne  leur  veut  donner  au'un  morceau 
de  pain  bis. 

LE  PERE 

Du  pain  bis!  maudicte  semonce 
Est-ce  mot  jà  sorly  de  toy? 

LE    K1LZ. 

Corbleu,  prenez  en  patience, 
Et  d'aller  faicles  diligence, 
Autre  chose  n'aurez  de  mov. 

«  Cette  cruelle  réponse  accable  le  père  et 
la  mère  de  l'enfant  ingrat  ;  ils  reconnaissent, 
mais  trop  tard,  la  faute  qu'ils  ont  faite,  et 
se  retirent  en  versant  un  torrent  de  larmes 
et  en  maudissant  leur  fils  qui ,  peu  louché 
de  leur  peine,  forme  le  dessein  de  les  mé- 
connaître, s'ils  venaient  encore  se  présenter 
devant  lui.  Il  se  fait  apporter  un  pâté,  et  il 
est  prêt  à  l'ouvrir,  lorsque  son  père,  une  se- 
conde fois,  vient  lui  demander  quelque 
chose  pour  manger. Le  fils  ingrat  fait  semblant 
de  ne  le  pas  connaître,  et  le  chasse  avec  in- 
dignilé.  Alors  le  désespoir  s'empare  de 
l'âme  du  père  :  il  sort  en  souhaitant  toutes 
sortes  de  malheurs  à  son  fils  ;  et,  après  avoir 
rendu  compte  5  sa  femme  du  traitement 
qu'il  vient  de  recevoir,  il  renouvelle  avec 
elle  les  malédictions  qu'il  a  déjà  pronon- 
cées. 

«  Après  le  départ  du  père,  le  fils  se  fait 
servir  le  pâté. 

l'enfant. 

De  ce  cousleau  le  vois  ouvrir, 
Pour  sçavoir  qu'on  y  a  bouté. 


309 


ENF 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ENF 


310 


(Dfolex  que  icy  ouvre  le  pasle,  et^alors  vient  un  cra- 
pault qui  luy  couvre  tout  le  visaye.) 

LA  JEUNE  FEMME. 

Qu'esse  cecy  ?  Benedicite  ! 
C'est  homme  est  perdu  en  effett 

LE  MAISTRE  D'HOSTEL. 

Quel  grand  crapault  ord  et  infect 
Sur  son  visage  s'est  gecté? 

«  Le  seigneur,  qui  entend  un  grand  bruif 
dans  la  maison  de  son  gendre,  vient  en  sa- 
voir le   sujet.  Il    aperçoit  le  crapaud    qu 
lui  couvre  le  visage. 

LE    SEIGNEUR, 

Allez  tous  les  voisins  hocher, 
Pour  regarder  que  ce  peut  estre. 

l'escuyer. 

Venez  tost,  voisins,  nostre  maistre 
Est  mort. 

LE  PREMIER  VOISIN. 

Allons  voir  qu'il  y  a. 

LE    SECOND    VOISIN. 

D'où  procède  ceste  pitié? 

LE  MAISTRE  D'HOSTEL. 

Pugnition 
Divine  lui  faict  cet  ennuy. 

LE  SEIGNEUR. 

Et  comment? 

LE  MAISTRE  D'HOSTEL. 

Il  a  anjourd'huy 
Son  propre  père  descongmi, 
Qui  pour  le  veoir  est  venu, 
El  la  fait  chasser  devant  tous. 

«  Tout  le  monde  se  récrie  sur  une  si 
grande  ingratitude.  On  consulte  comment  on 
tloit  agir  pour  délivrer  ce  misérable  du 
tourment  qu'il  endure. Un  voisin  conseille  de 
le  mener  au  curé  ;  mais  comme  il  est  hors 
d'état  de  confesser  son  offense,  le  valet  qu'il 
a  pris  chez  son  marchand  offre  de  faire  le 
récit  de  son  forfait.  Le  curé  ayant  entendu 
la  déposition  du  valet,  renvoyé  à  l'évêque, 
et  celui-ci  au  Pape,  qui  seul  peut  absoudre 
d  un  crime  aussi  énorme.  L'évêque  même 
accompagne  le  "jeune  homme,  et  comme  on 
assure  au  Pape  que  le  coupable  est  vrai- 
ment repentant,  le  Souverain  Pontife  or- 
donne au  crapaud  de  se  départir  de  sa 
lace. 

(Le  crapault  chel). 
«  L'enfant  ingrat  recouvre  l'usage  de  la 
parole,  se  jette  aux  pieds  du  Pape,  confesse 
toute  I  énormiié  de  son  péché  et  le  conjure 
ue  lui  imposer  une  pénitence 

LE   PAPE. 

Du  mal  lequel  m'a  confessé 

Je  Tabsouz,  mais  je  lui  enjoincl 

Qu'à  deux  genoux  joignant  les  mains. 

Voise  à  père  et  mère  crier 

Mercy,  et  pour  accomplir 

La  pénitence,  il  fera 

Ce  que  l'c-vesque  luy  dira, 

Qui  de  nous  sera  ordonné, 

Après  que  le  pardon  donné 

De  perc  ei  mère  luy  sera. 

l'enfant. 

Je  feray  ce  qu'il  vous  plaira. 


«  L'enfant  ingrat,  accompagnéaeson  Deau.. 
père,  de  sa  femme,  de  ses  amis  et  de  ses  do- 
mestiques, va  trouver  son  père  et  sa  mère, 
et  obtient  le  pardon  qu'il  demande.  » 

la  mère  du  âls  ingrat. 

Au  sens  moral,  père  qui  aura  veu 

Jouer  cecy,  au  moins  regardera 

Comme  à  son  filz,  s'il  a  biens,  les  despart. 

ENFANTS  D'ISRAËL  (Les).  —  L'abbé  de 
Larue,  dans  ses  Essais  sur  les  bardes,  les  jon- 
gleurs et  les  trouvères  normands  et  anglo- 
normands  (Caen,  Manus.,  1834,  in-8°,  3  vol., 
t.  1",  p.  166),  fait  mention  d'un  mystère  des 
Enfants  d'Israël,  représenté  vers  1355,  en 
Angleterre,  à  Cambridge. 

ENFANT  MIS  AUX LETTRES  (L').—  VEn 
fant  mis  aux  lettres  est  conservé  dans  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  impériale,  nQ 
7268.  5.,  datant  de  la  fin  du  xve  siècle  et  con- 
tenant en  outre  le  Mystère  deV Ancien  Testa- 
ment et  de  la  Passion,  et  la  Moralité  de  la 
Croix  Faubin.  M.  Paulin  Paris,  dans  ses 
Manuscrits  françois  de  la  Ribliothèque  du 
roi  (Paris,  1848,  t.  VII,  p.  216),  en  a  dit  : 
«  Moralité  de  l'Enfant  mis  aux  lettres.  Ce  titre 
n'est  pas  dans  notre  texte,  et  le  commence- 
ment de  ce  jeu  dramatique  a  été  enlevé. 
C'est  un  père  désigné  comme  le  Villain,  qui 
exhorte  son  fils  pour  le  décider  à  apprendre, 
afin  de  devenir  clerc.  Le  fils,  nommé  Jacob, 
refuse;  il  est  tancé,  battu, poussé  malgré  lui, 
et  enfin  il  consent  à  ce  qu'exige  son  père. 
Premiers  vers  conservés,  f°  271  : 

LE  VILLAIN. 

Je  te  requiers  que  tu  il  goucte 
Il  me  larde  que  lu  y  soye  ja. 

;acob. 

Ja  mauldit  soit  qui  le  sera, 

El  puis  me  diroient  :  cleribus.  » 

ENFANT  DE  PERDITION  {L).  —  Celte 
moralité  date  du  commencement  du  xvi* 
siècle. 

Duverdier  (Bibliothèque  françoise,   p.  327) 
indique  à  Lyon,  en  1540,  in-16,  chez  Olli- 
vier  Arnoullet,    une  première    édition   de 
l'Enfant  de  perdition  sous  ce  titre  :  Moralité 
de  l  Enfant  de  Perdition  qui  tua  son  père,  et 
pendit  sa  mère,  et  enfin  se    désespéra.  «  La 
note  de  Duverdier,»  dit  M.  deChateaugiron 
d'après  M.  Van  Praet,  «  est  copiée  à  la  page 
«  153  du  tome  III  de  l'Histoire  du  Théâtre 
«  français   par  les  frères  Parfait;   dans  de 
«  Beauchamps,  t.  1er,  p.  231,  et  dans  l'His- 
m  toire  du  Théâtrede  toutes  les  nations,  t.  XII,. 
«  i"  partie,  p.  243.  Les  historiens  n'y  joi- 
«  gnent   aucun  autre  renseignement.  »   Il 
existe  à  la  Bibliothèque  impériale  un  exem- 
plaire unique  d'une  autre  édition,  donnée  à 
Lyon  chez  Pierre  Bigaud,  en  1608;  cet  exem- 
plaire faisait  partie  de   la   Bibliothèque  de 
Louis    XVI,  à  Versailles.   Le  litre  de  cette 
seconde  édition  est  un  peu  différent  du  pre- 
mier. Moralité,  nouvelle  très- fructueuse  de 
l'Enfant  de  Perdition  qui-penait  son  père  et 
tua  sa  mère  :  et  comment  il  se  désespéra,  à 
sept  personnages.  C'est  cet  exemplaire  si  pré- 
cieux que  M. deChateaugiron  a  tait  réimpri- 


su 


ENF 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ENF 


31'2 


mer  avec  la  plus  scrupuleuse  fidélité,  en 
1828,  pour  la  Société  çles  bibliophiles,  chez 
Firmin  Didot,  in-8°,  47  pages,  et  avec  une 
très-courte  notice.  Il  en  existe  enfin  une 
autre  réimpression  sans  date  ni  lieu,  im- 
primée chez  Guiraudet,  rue  Saint-Honoré, 
n°  315. 

PERSONNAGES  : 


LE  BOURGEOIS. 

LA    BOURGEOISE. 

LE    FILS   DU    BOURGEOIS. 

LE    PREMIER   BRIGAND. 


LE    SECOND  BRIGAND. 
LE    TROISIÈME. 
LE   QUATRIÈME. 


Le  bourgeois  se  ïamente  amèrement  des 
vices  de  son  fils,  et  la  bourgeoise  défend  son 
enfant. 

Devez  vous  pas  estre  joyeux 
S'il  liante  gens  de  renommée... 
Devons-nous  pas  estre  conlens 
Veu  qu'il  est  partout  bien  venu... 

Cependant  le  fils  du  bourgeois  est  en  so- 
ciété de  brigands  qui  cherchent  aventure; 
lui-même  est  des  plus  ardents. 

Plus  n'y  a  rien  dans  le  bissac, 
Il  est  saison  d'y  pourvoyer  : 
Je  suis  tout  prest  à  «l'employer. 
Quant  à  ma  part. 

C'est  lui  qui,  se  souvenant  de  ses  parents, 
propose  à  ses  amis  une  expédiliun  contre  la 
maison  paternelle. 

LE    TROISIÈME    BRIGAND. 

C'est  bien  dit  pour  avoir  à  mordre 

Allons  quérir  argent  chez  toy. 

Ton  père  est  riche,  il  a  de  quoy... 

11  ne  faicl  plus  que  despenike  [dépenser), 

11  le  faicl  languir  et  attendre 

En  grand  souffrette. 

Ce  seroit  1res  belle  délaicte... 

Tous  partent,  l'enfant  le  premier.  Il  aborde 
son  père,  lui  demande  de  l'argent,  le  me- 
nace; puis  des  menaces  passant  aux  effets, 
lui  met  la  corde  au  cou,  et  finalement  il 
pend  son  père.  Ce  crime  est  insuffisant  : 

(160)  On  ignore  le  nom  de  l'auteur  de  celte  mo« 
ralité,  aussi  bien  que  la  date  de  l'impression.  Du- 
verdier-Vauprivaz,  page  32?  de  sa  Bibliothèque  fran- 
çaise, en  parle  en  ces  termes  :  «  L'Histoire  de  l'En- 
fant prodigue  par  personnages,  imprimée  à  Lyon 
par  B.  Chaussant.  »  Comme  l'exemplaire  que 
M.  Gueuletle  nous  en  a  communiqué  manque  de 
première  page,  nous  n'avons  pu  distinguer  si  l'ou- 
vrage dont  nous  parlons  est  le  même  mentionné 
dans  la  Bibliothèque  de  Duverdier  (et  qui  est  anté- 
rieur à  l'arrêt  qui  a  supprimé  ces  espèces  de  repré- 
sentations) ou  celui  que  Lacroix  du  Maine  annonce 
sous  le  même  litre  (Bibliothèque  française,  page  21), 
de  la  façon  d'Anioine  Tyron,  el  qui  parul  en  156.4  ; 
sans  pouvoir  précisément  éclaircir  ce  fait,  nous 
croyons  cependant  ces  deux  ouvrages  différants;  et 
celui-ci  comme  composé  vers  les  dernières  années 
que  les  moralités  ont  été  représentées. 

(161)  «  En  celte  présente  Histoire  sont  douze 
Personnages,  c'est  assavoir  : 

«    LE    RUSTRE. 
«    LE   PÈRE. 
€    LE    PRODIGUE. 
«    LE    MA1STRE. 
<    LA   MAISTRESSE. 


reste  la   mère,  non  moins  riche.  11   la  dé 
pouille  violemment,  et  la  tue. 

Ces  funestes  richesses,  acquises  par  de  si 
grands  crimes,  ne  lui  seront  point  profita- 
bles :  les  brigands  le  dépouillent  à  leur 
tour. 

La  moralité  se  termine  par  la  désespération 
du  fils. 

0  misérable  faux  truant 

Où  iras-tu 

Que  feras-tu 

Sinon  plorer 

Et  souspirer... 
Diables  d'enfer  venez  me  querre 
Accourez  tous,  venez  grand  erre  (grand  train). 
Prenez  de  moy  possession... 
L'Enfant  suis  de  perdition 
Venez  a  grand  confusion 
Diables  damnez  marchez  avant 
A  tous  les  diables  et  command. 

ENFANT  PRODIGUE  (L').  —  Les  frères 
Parfait,  dans  leur  Hist.  du  Théâtre  français 
(Paris,  15  vol.  in-12,  1745,  t.  III,  p.  139-145), 

ont  laissé  une  notice  très-complète  de  ce 
mystère. 

Après  eux,  la  Bibliothèque  du  Théâtre 
rançois,  attribuée  au  duc  de  La  Vallière 
(Dresde,  1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p.  4),  a 
donné  l'analyse  de  ce  mystère,  et  parmi  les 
modernes,  M.  Sainte-Beuve  (Tableau  hist.  et 
cr.  de  la  p.  fr.  et  du  théâtre  fr.  au  xvr siècle; 
Paris,  1828,  in-8",  2  vol.,  t.  I",  p.  217-234) 
a  fait  mention  de  Y  Enfant  prodigue. 

Nous  reproduisons  le  travail  des  frères 
Parfait. 

MORALITÉ  DE  L'ENFANT  PRODIGUE  (160). 

L'Enfant  Prodigue  par  personnages  (161), 
translatée  de  latin  en  français,  selon  le  texte 
de  l'Evangile  (162). 

«  Le  rustre  et  l'en.ant  gâté  ouvrent  la 
scène,  par  le  conseil  qu'ils  tiennent  sur  les 
moyens  de  gagner  leur  vie.  La  conclusion 
de  leur  discours  est  que  possédant  plusieurs 

t    LA   G0RR1ÈRE. 

<  FIN-COEUR-DOUX. 
•   l'enfant  GASTÉ. 

<  LE    FRÈRE    AISNE. 

«    LE    VALET    DU    PÈRE. 

t  l'acteur. 

<  L'AMY   DE    BONNE   FOY.  I 

(162)  Le  sujet  de  celte  moralité  est  pris  de  la  pa- 
rabole que  Jésus-Christ  rapporte  à  ses  disciples, 
chapitre  xv,  verset  11  et  suivants  de  l'évangile  de 
saint  Luc.  C'est  ce  qui  nous  engage  à  abréger  d'au- 
tant plus  cet  extrait.  A  la  fin  de  la  pièce,  qui  peut 
contenir  environ  quinze  cents  vers,  l'auteur  ajouie 
un  discours  en  prose,  qui  explique  le  sujet  et  le  but 
principal  de  sa  pièce.  «  H  est  à  noler,  dit-il,  que  les- 
dils  personnages  sont  trois  principaux  :  le  père  et 
ses  deux  enfans  :  desquels  le  plus  jeune  est  l'enfant 
prodigue.  Et  moralement  celui  Père  est  Dieu,  el  ses 
deux  enfans  sont  deux  manières  de  gens  au  monde: 
les  uns  bons,  et  les  autres  pécheurs.  Par  l'enfant 
aîné  sont  entendus  les  justes,  qui  tousiours  demeu- 
rent avec  Dieu  leur  père,  par  grâce  :  et  par  l'enfant 
prodigue}  les  pécheurs,  qui  despendenl  les  biens  re- 
ceuz  de  Dieu  follement  en  volupté,  et  plaisance 
mondaine,  i 


313 


ENF 


DICTIONNAIltE  DES  MYSTERES. 


LPT 


.11 


talents,  ils  doivent  s'attacher  à  celui  qui 
ieut  les  entretenir  doucement,  sanscraindre 
es  recherches  de  la  justice.  D'un  autre  côté, 
e  père  de  famille  uniquement  occupé  du 
chagrin  que  lui  cause  le  cadet  de  ses  fds,  ne 
peut  goûter  tranquillement  la  satisfaction 
qu'il  reçoit  de  l'aîné,  et  prie  Dieu  d'avoi. 
pitié  de* ce  libertin,  et  de  le  préserver  de 
mauvaise  rencontre. 

LE   PÈRE. 

S'il  ne  s'amende,  seurement, 
11  sera  cause  de  ma  mort. 
Prince  du  Ciel,  vueillez  permettre 
Mon  lits  venir  à  meilleur  port  : 
Car  si  lousiours  esl  en  tel  eslre 
11  sera  cause  de  nia  mort. 

0!  quel  réconfort! 

Quel  mauvais  rapport 

j'ay  de  luy,  j'en  suis 

Navré  si  très  fort, 

El  par  tel  effort, 

Que  plus  je  n'eu  puis. 

0  combien  d'ennuis, 

Par  jour  et  par  nuilz 

Prend  unpoure  Père, 

Pour  ses  mauvais  fils, 

En  péchez  confitz. 

0  douleur  amere, 

0  fiere  misère! 

Je  crois  si  la  mère, 

N'eust  point  enfanté 

Enfant  qui  s'ingère 

A  tout  vitupère, 

Que  bon  eust  esté. 

«Pendant  ce  temps-là, le  prodigue, conduit 
par  le  rustre  et  l'enfant  gâté,  va  dans  une 
maison  de  débauche,  où  il  dépense  bientôt 
le  peu  d'argent  qu'il  a  sur  lui.  Il  court  à  la 
maison  paternelle,  d'où  il  rapporte  quelque 
argenterie,  et  de  la  vaisselle  d'étain  qu'il 
vient  de  dérober.  Son  retour  surprend  la 
compagnie,  qui  ne  comptait  plus  le  revoir. 
Cependant  le  père,  apprenant  le  vol  de  son 
fils,  redouble  ses  soupirs.  «  Oubliez  cet  in- 
«  grat,  »  lui  dit  son  fils  aîné. 

LE   PÈRE. 

Certes,  mon  filz,  je  n'en  puis  mais, 
Car  c'est  ma  génération  : 
Voslre  mère,  dont  Dieu  ait  l'ame. 
Ce  me  semble éloit  preude  femme; 
Bien  sçay  que  tous  deux  estes  miens. 

LE   FRÈRE. 

Père,  vous  estes  abusé, 
D'aimer  si  fort  le  Hoqueleur 
Qui  vous  a  du  tout  déprisé, 
El  faict  au  cœur  lanl  de  dou  eur. 

«  De  son  côté,  le  prodigue  plus  amoureux 
que  jamais,  joue  avec  deux  filous;  ceux-ci 
s'entendent  avec  la  gorrièreet  sa  compagne, 
qui,  sous  prétexte  de  le  conseiller,  lui  font 
perdre  tout  son  argent.  Il  reste  une  dernière 
ressource  au  prodigue;  il  va  à  son  père,  et 
lui  demande  sa  légitime.  Le  vieillard  la  lui 
remet  en  pleurant;  et  ce  misérable  ne  s'en 
voit  pas  plutôt  en  possession,  qu'il  revient  la 
dissiper  de  la  môme  manière.  Le  lendemain 

163)  Gorrière,  femme  parée,  fière  de  sa  parure. 
La  grand'gorre ,  habit  magnifique  des  dames,  contre 
lequel  les  prédicateurs  du  temps  déclamaient  vive- 


matin,  n'ayant  plus  d'argent,  la  maîtresse 
du  lieu  et  les  deux  fdles  le  dépouillent  coup- 
leur paiement. 

la  gorrière  le  cliassar.l. 
Allez  villain. 

FIN-  COEUR-DOUX. 

Allez,  Maraul, 
Venez- vous  chercher  les  Corrières  (1G5) 
Faire  banquelz  et  bonne  chère, 
El  vous  n'avez  de  quoy  fournir? 

«  Le  prodigue  se  relire  tristement,  et 
n'osant  retourner  chez  son  père,  il  prend  le 
parti  de  servir,  et  entre  chez  un  maître,  qui 
Je  prend  pour  garder  ses  cochons. 

le  prodigue  habillé  en  valet  d'écurie. 

Sou, 
Sou,  Sou,  Gorret,  je  m'en  vois 
Garder  les  pourceaux  dans  ces  bois. 

«  Malgré  son  état,  le  maître  soupçonnant 
que  ce  valet  peut  être  d'une  condition  plus 
relevée,  lui  demande  qui  il  est.  Le  prodigue 
lui  fait  un  fidèle  récit  de  son  malheur,  et  le 
maître  en  honnête  homme,  lui  conseille  d'al- 
ler se  jeter  aux  pieds  de  son  père,  et  de  iui 
demander  pardon.  En  chemin,  le  prodigue 
rencontre  VAmy  de  Bonne  Foy  ,  qui,  préve- 
nant l'esprit  du  père,  l'engage  à  oublier  tou- 
tes les  fautes  de  ce  fils,  et  à  le  reprendre 
chez  lui.  Le  père,  en  effet,  le  reçoit  les  lar- 
mes aux  jeux,  avec  d'autant  plus  de  joie, 
que  cet  enfant,  vraiment  repentant,  déteste 
si  parfaitement  sa  vie  passée,  qu'il  la  donne 
pour  exemple  aux  spectateurs,  en  leur  con- 
seillant d'éviter  d'y  tomber  et  termine 
ainsi  la  pièce.  » 

le  prodigue  aux  speclaleurs. 

\eu  aussi  avez  les  Mystères 
Du  vilain  estai  de  luxure, 
Les  pauvrelez,  el  les  misères 
Qu'il  faut  enfin  qu'on  y  endure. 

ENTRÉE  A  JERUSALEM  (  L'  ).  —  De 

Moléon,  dans  ses  Voyages  liturgiques  en 
France  (Paris,  1718,  kl-»*,  p.  W7),  notait 
en  Orient,  comme  en  Occident,  les  repré- 
sentations avec  personnages  des  principaux 
mystères  de  Jésus-Christ...  Ainsi,  le  jour 
des  Rameaux,  le  principal  prêtre,  monté 
sur  un  âne,  figurait  à  Jérusalem  Noire-Sei- 
gneur Jésus-Christ,  faisant  son  entrée  so- 
lennelle. Selon  M.  Magnin,  dans  son  cours 
professé  à  la  Faculté  des  lettres,  ces  repré- 
sentations auraient  commencé  dès  les  v*  et 
vie  siècles.  (Cf.  Journ.  gén.  de  l'Instr.  publ.\) 
9  avril  1835,  1"  semestre  xivc  art. ,  p.  208.) 

EPTÙS  PUOR  (L').  —  VEplus  Puor  en 
Allemagne,  ou  épiscopat  des  enfants  en 
France,  formule  de  la  fôle  des  Fous,  re- 
monte au  moins  au  xir  siècle. 

Le  17e  canon  du  concile  de  Salzbourg, 
tenu  l'an  1274-,  est  ainsi  conçu  :  «  Quant  à  ces 
jeux  nuisibles,  dénommés  vulgairement  les 
Eptus  Puor,  c'est-à-dire  l'épiscopat  des  en- 
fants (  Q.  episcopatus  pucrorum),  au  milieu 

ment,  lsaheau  de  Bavière,  reine  de  France  el  femme 
du  roi  Charles  VI,  était  appelée  vulgairement  là 
giaiul'gorre. 


315 


F.TI 


DICTIONNAIRE.  DES  MYSTERES. 


ETI 


5S  6 


des  choses 
,0lises,  et  qui 


très-incon- 
sont   cause 


desquels  il  se  passe 
venantes  dans  les  é 

de  fautes  considérables  et  de  graves  domma 
ges,  nous  les  défendons  absolument  dans 
les  églises  aux  ecclésiatiques,  à  moins  toute- 
fois que  les  acteurs  ne  soient  âgés  de  moins 
de  seize  ans,  et  pourvu  qu'il  n'y  ait  aucune 
personne  plus  âgée  ni  parmi  les  enfants  ni 
présentes.  »  (Cf.  Labbe,  Conc.  sacro-s.,  t. 
XI.  p.  1004.;  Mart.  Gerbert,  De  cantu  et  mus 
sacra.  Saint  Biaise,  1774,  in-4°,  2  vol.,  t.  H , 
p.  83.  En  1340,  celle  coutume  avait  persisté  à 
Ratisbonne  ;  elle  alluma,  cette  année  même, 
au  milieu  du  tumulte  de  la  fête,  une  querelle 
entre  un  bourgeois  de  la  cité  et  un  chanoine 
qui  fut  tué;  ce  malheur  fit  que  peu  après  elle 
disparut.  (Haltausus,  ex  abb.  Cœlestini 
Mausoleo  S.  Emerani.)  Dans  l'édition  de 
Le  Prevot  du  Johannis  Abrincensis  episcopi 
liber  de  officiis  ecclesiasticis  cum  notis 
(Joh.  Prevot  ;  Rouen,  1679,  in-8°),  ce  savant 
a  donné  VOfficedes  enfants.  (Cf.  Mart.  Gerb.  , 
V et.  lilurg.  alemann.,  Saint-Biaise,  1776, 
in-4°,  2  vol.,  t.  II,  p.  888.) 

En  1137,  dans  une  Chronique  de  Mont- 
séran  on  trouve  la  mention  d'un  jeu  des 
Enfants  où  l'un  des  petits  acteurs  fut  tué 
par  accident.  (  Du  Cange,  Gloss.  inf.  et  med. 
lat.,  v°  Ludus  Puerorum,  édit.  Hensch; 
Paris,  Didot,  1845,  in-4°,  6  vol.,  t.  IV, 
p    157.) 

ERASME  (Saint).  —  «  Sainct  Erasme.  L'an 
1438,  le  1er  septembre,  fu  fait  le  jeu  de 
saint  Erasme,  en  change;  et  duroit  deux 
jours.  (Chr.  de  Metz,  ms.  )  (De  Beauchamps, 
Recherches  sur  les  Théâtres  de  France  ;  Paris, 
1735,  in -8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  245. 

ETIENNE  (Saint).  —  Le  martyre  de 
saint  Etienne,  est  tiré  du  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  Sainte-Geneviève  à  Paris. 

Il  date  du  xv  siècle. 

La  Bibliothèque  du  Théâtre  français ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (  Dresde, 
1768,  in-8%  3  vol.,  t.  I",  p.  36),  en  a  donné 
une  analyse  très-succincte. 

M.  Achille  Jubinal  en  a  publié  le  texte 
pour  la  première  fois  dans  ses  Mystères 
inédits  du  xv'  siècle;  Paris,  1837,  in-8"  2 
vol.  ,  t.  I",  p.  1-25. 

M.  J.  Quicherat  (  Procès  de  cond.  et  de 
réh.  de  Jeanne  d'Arc  [pour  la  Soc.  de  l'Hisl. 
de  France];  Paris,  Benouard,  1849,  in-8°,  5 
vol. ,  t.  V,  p.  311  )  a  publié  un  fragment  des 
registres  originaux  des  comptes  et  dépenses 
de  la  ville  d'Orléans,  imprimés  déjà,  mais 
d'une  manière  moins  exacte,  da-is  les  Re- 
cherches historiques  sur  la  ville  d'Orléans,  de 
M.  Lotlin,  t.  Ier,  de  la  première  partie,  passim. 
On  y  trouve,  sous  la  date  de  l'an  1446,  la 
mention  suivante  : 

«  1446.  A  Mahier  Gaulchier,  peintre,  pour 
don  fait  aux  compaignons  qui  jouèrent  le 
Mis  taire  de  Sainct  Es  tienne  le  vmc  jour  de 
mars,  pour  leur  aider  a  soustenir  la  despense 
de  leurs  chappaulx  et  aultres  choses  ;  pour 
ce,  4  1.  16  s.  p.  » 

Les  «  représentacions  des  martires  saint 
«  Estienne,  saint  Père  et  saint  Pol  et  saint 
«  Denis  cl   des  miracles  de   madame  sainte 


«  Geneviève,  »  commencent  par  une  prière 
à  la  sainte  Vierge,  dont  la  naïveté  tendre 
méritait  place  ici  : 

Dieu  Père  et  Fils  et  Saint  Esperit 
Sauve  et  gart  ceste  compaignie! 
Vous  savez  qn'onques  ne  périt 
Qui  servisl  la  Vierge  Marie; 
Car  grant  joye  a  et  grant  délit 
Quant  de  bon  cuer  on  la  déprie. 
Si  pry  <|ue  chascun  s'umilit 
En  disant  une  Ave  Marie* 


L'assemblée, 
Ave  Maria. 

Dans 
'ustilie 


à  genoux,  dit  en  effet  un 


le    prologue    qui     suit ,    l'auteur 
le  but  de  son  œuvre,   c'est 

Pour  les  bonnes  gens  imiler 

A  bonnes  euvres  non  pas  faillies, 

Et  pour  leurs  cuers  habiliter 

Envers  Dieu  par  doulces  complaintes... 

Dans  un  rapide  historique,  l'auteur  rap- 
pelle encore  aux  auditeurs  attentifs  les  lé- 
gendes des  saints  dont  les  martyres  font  le 
sujet  même  du  mystère.  Alors  entrent  en 
scène  les  acteurs.  Des  Juifs  sont  au  fond  du 
théâtre,  saint  Pierre  leur  annonce  que  la 
première  Eglise,  accablée  de  labeurs  et  d'é- 
tudes, vient  de  s'augmenter  de  sept  diacres. 
Saint  Etienne  qu'il  présente  et  bénit  est  l'un 
de  ces  nouveaux  élus.  Mais  dans  la  foule  du 
peuple,  parmi  les  croyants,  les  indécis,  les 
sceptiques,  sont  en  majorité  de  violents  en- 
nemis de  la  sainte  religion  naissante,  des- 
pharisiens, des  docteurs  de  la  loi,  des  prê- 
tres du  Temple  de  Jérusalem,  un  «  évesque  » 
même,  Annas,  Caiphas,  Alexander,  et  de  ces 
faux  témoins  que  menaient  à  leur  suite  les 
plus  farouches  ennemis  de  la  loi  nouvelle» 
pour  tromper  les  masses  par  des  récits  men- 
teurs et  les  animer  contre  les  apôtres  et  leurs 
disciples.  Saint  Etienne  remercie  le  Seigneur 
descharges  nouvelles  que  lui  impose  l'Eglise. 
et  implore  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Doulz  Jhesucrist 

A  vous  rens  loenges  et  grâces 
En  vous  suppliant  humblement 
Que  ne  me  laissiez  nulement 
Cheoir  en  péché  n'en  négligence 
Mais  vueilliez  qu'à  grant  diligence 
Face  m'otïice  sans  erreur 
A  noslre  bien,  à  vostre  honneur. 

Les  pharisiens  s'élèvent  contre  le  nou- 
veau diacre  implorant  le  vrai  Dieu,  racon- 
tant sa  légende.  L'  «  évesaue  »  Annas  s'é- 
crie : 

Qui  me  tient  que  je  ne  l'assomme 
Meschanl  trubert,  coquin  moquart. 

Alexander  accuse  de  blasphème  saint 
Etienne;  il  lui  reproche  de  se  servir  des 
vivants  et  formidables  témoignages  de  l'An- 
cien Testament.  Caiphas  commence  à  le  me- 
nacer. 

Par  foy  ce  sont  cas  criminauls 
Et  par  raison  doit  mal  fenir 
Qui  tels  erreurs  veult  soustenir. 

Devant  l'orage  qui  gronde,  le  pasteur  ne 
reculera  pas:  «  Gens  félons,  gens  de  dure 
teste,  »  s'écrie  saint  Etienne  irrité.  Les  eu- 


il7 


EZE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERE». 


EZE 


518 


neinis  du  christianisme  se  précipitent  sur  le 
saint  diacre,  l'accablent  de  coups.  Parmi  les 
instigateurs  les  plus  ardents  des  passions 
des  Juifs,  sous  le  nom  de  Saulus,  est  saint 
Paul  lui-même,  qui  garde  les  manteaux  des 
lapidateurs.  Le  martyr  tombe,  il  est  frappé 
d'un  coup  mortel;  on  entend  sa  voix  faiblis- 
sante prononcer  une  prière  suprôme  : 

Doulz  Jliesucrisl... 
Pour  ceulz  qui  ainssy  me  tourmenter 
...  vous  supplie  humblement 
Que  leur  donnez  avisement, 
Et  tout  leur  vueilliez  pardonner... 

Il  expire.  Ses  bourreaux  l'abandonnent. 

...  descliir 
Et  desrompu  et  martiré. 

Ils  l'ont  laissé  dans  le  champ  désert  en 
patûre  «  aus  oiseaulx  et  aus  chiens...  »  Que 
deviendra  sa  dépouille  précieuse?... 

Parmi  les  assistants  quelques-uns,  amis 
timides  encore,  se  sont  enfuis  épouvantés; 
ils  reviennent.  Gamaliel,  Abibas,  Nichode- 
rnus  emportent  le  corps  de  saint  Etienne,  et 
le  jeu  finit  par  un  Te  Deum  laudamus  et 
l'acclamation  des  spectateurs. 

La  conversion  de  saint  Paul  fait  suite, 
comme  seconde  journée  au  drame  de  saint 
Etienne. 

EXUPÊHE  (Saut).—  Le  mystère  de  saint 
Exupère  fut  joué  à  Romans  les  27,  28,  29 
mai,  aux  fêtes  de  la  Pentecôte  de  l'an  1509, 
en  même  temps  que  ceux  de  saint  Severin 
et  de  saint  Félicien,  patrons  de  la  ville,  sous 
le  litre  de  Mystère  des  trois  Doms. 

M.  Giraud  a  publié  l'état  des  frais  de  la 
représentation  (Composition,  mise  en  scène  et 
représentation  du  Mystère  des  trois  Doms  ; 
Lyon,  Perrin,  1848,  gr.  in-8°  de  132  p.) 

Le  Journal  de  Paris  de  1787,  n°  264,  p. 
1143,  donne  une  analyse  fort  obscure  du 
Mystère  des  trois  Doms, "dans  laquelle  on  ne 
peut  guère  voir  autre  chose  sinon  que  le  ma- 
nuscrit existait  encore,  et  que  le  nombre 
des  personnages  n'était  pas  moindre  de  92. 

EZECHIEL  LE  TRAGIQUE.  —M.  Magnin, 
dans  le  Journal  des  Savants  de  1849,  criti- 
quant l'édition  des  Poètes  grecs  chrétiens 
donnée  par  M.  Dubner  dans  la  Collection  des 
Classiques  grecs  de  Didot,  a  publié,  sur  Ezé- 
chiel le  Tragique,  une  étude  dont  nous  re- 
produisons les  points  importants.  A  quelle 
époque  vécut  Ezéchiel  ?  se  demande  l'illustre 
savant.  Saint  Clément  d'Alexandrie  (Stro- 
mat.,  i.  i,  éd.  Potier,  p.  414)  le  distingue 
ainsi  :  «  Celui  qui  a  composé  des  tragédies 
«  juives.  »  Ezéchiel  était  donc  auteur  de 
plusieurs  drames.  Aristée  donne  le  nom  d'E- 
zéchiel  a  l'un  des  soixante-douze  interprètes 
de  la  Bible  (OEuvres  de  Josèphe,  édit.  d'Ha- 
vercamp,  à  la  suite  du  t.  II,  p.  109);  mais 
le  traité  d'Aristée  est  peu  recommandable. 
Néanmoins  plusieurs  critiques  ont  identifié 
ces  deux  auteurs.  Ezéchiel  aurait  vécu  vers 
l'an  283  avant  Jésus-Christ.  Huet  (Démonslr. 
évangél.,p.  49)  et  Bayle  semblent  y  consentir. 
Mais  on  sait  combien  les  docteurs  juifs  eu- 
rent de  peine  à  se  résoudre  à  une  traduction 


grecque  de  la  Bible  (Josèphe,  Amtiq.  Jud.  I. 
xii,  c.  2);  ils  n'eussent  jamais  consenti  à 
mettre  au  théâtre  une  partie  quelconque  des 
livres  saints  :  une  tradition  raconte  même 
que  le  poète  grec  Théodole,  rien   que  pour 
on  avoir  eu  la  pensée,  fut  frappé  de  cécité  ! 
Ezéchiel  suit  avec  respect  l'Ecriture  sainte?. 
Son    style   semble  étranger;    Galacker   (De 
nov.  instrum.  stylo)  et  M.  Dubner  ont  relevé 
les  singularités  de  la  grécilé  de  cet  auteur. 
Il  y  a  donc  présomption  qu'il  était  juif;  ainsi 
l'ont  pensé    Dahne  (Geschichtliche  Darstel- 
lung,  t.  11)  et  plus  récemment  M.  Séguier 
de  Saint-Brisson,  dans  sa  traduction  de  la 
Préparation    évangélique    d'Eusèbe.    Tlrès- 
probablement,  il  écrivait  pour  les  Juifs  hel- 
lénisants de  l'Egypte,  de  la  Palestine  et  de  la 
Syrie.  Huet  et  Bayle  croient  Ezéchiel  anté- 
rieur, au  moins  de  deux  siècles,  à  l'ère  chré- 
tienne; et  cette   opinion  est  partagée   par 
MM.  Schoell,  Gaisford ,  Séguier  de  Saint- 
Brisson,  Philipson  de  Berlin  et  Dubner.  La 
preuve,  c'est  que  les  fragments  conservés 
par  Eusèbe  auraient  été  pris  par  lui  dans 
deux  citations,  l'une  d'Alexandre  Polyhislor, 
l'autre  de  Démétrius,  tous  deux  antérieurs 
d'un  siècle  à  l'ère  chrétienne.  M.  Eichorn 
(De  Judaeicor.re  scenica,  1811,  p.  19)  consi- 
dère, au  moins  pour  Démétrius,  cette  asser- 
tion comme  une  erreur,  et  M.  Magnin  s'y 
oppose,  relativement  aux  deux  auteurs  cités. 
Eusèbe,  de  même  que  saint  Clément  d'A- 
lexandrie, cite  directement  Ezéchiel;  il  no 
dit  pas  en  emprunter  les  fragments  ni  à  Dé- 
métrius ni  à  Polyhislor;  il  confirme  ces  deux 
auteurs  par  le  témoignage  du  poète  ;  les  phra- 
ses d'Eusèbe  n'établissent  point  que  ce  sujet 
soit  l'un  ou  l'autre  de  ces  écrivains;  dans  le 
même  livre  ixde  la  Préparation  évangélique , 
les   extraits    d'Alexandre    Polyhislor    sont 
partout   entremêlés    d'autres    citations    de 
Philon,  de  Flavius  Josèphe,   de  Démétrius 
et  de  Théodote,    de  même  que  d'Ezéchiel, 
ce  qui  établit  clairement  qu'il  n'y  a  pas  une 
cilation  de  Polyhistor  non  interrompue;  en 
vain  on  allègue  de  même,  soit  l'absence  d'in- 
dication au  commencement  du  chapitre  28j, 
et  une  des  phrases  qui  servent  de  liaison  aux 
fragments,  les  meilleurs  manuscrits  donnant 
une  leçon  préférable  qui  confirme  pleine- 
ment ce  fait    qu'Ezéchiel  est  cité  directe- 
ment, corameil  a  été  dit  plus  haut,  et  que  la 
citation  d'Ezéchiel,  dans  la  pensée  d'Eusèbe, 
confirmait  seulement  Alexandre  Polyhistor 
et  Démétrius.  Si  Ezéchiel  est  postérieur  à 
ces  deux  écrivains,  sans  doute  aussi  il  l'est 
à  Josèphe ,  celui-ci   n'en  ayant  pas  parlé. 
(Etienne  Lemoyne,  Guill.  Cave,   Joli.  Chr. 
Wolff,   M.   Jourdain.)    Etait-il    chrétien? 
Marin  de  La  Bigne  (Magn.  Bibl.  PP.  Veter., 
t.  XIV,  Index),  et  Thomas  Ittigius  (Lit),  de 
bibl.  et  caten.  PP.,  p.  141)  ont  dit  Ezéchiel 
chrétien,  mais  sans  en  donner  de  preuves, 
tant  le  fait  leur  a  paru  indubitable.  Ils  eus- 
sent pu  citer,  au  moins  comme  indices,  le 
nom  de  Verbe  divin  que  Dieu  se  donne  à 
lui-même,  le  terme  de  Verbe,  memra,  pour 
désigner  Jéhovah,  se  trouvant  pour  la  pre- 
mière  fois  dans  !a  paraphrase   chaldaïque 


51'J 


FEM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FEM 


32C 


d'Onkélos  qui  vivait  après  Jésus-Clirist.  Di- 
vers points  sont  donc  acquis  à  l'histoire  d'E- 
zéchiel  :  11  était  Juif  d'origine,  il  écrivait 
pour  les  Juifs  hellénisants  de  la  Palestine  et 
de  la  Syrie,  plutôt  que  pour  l'Egypte,  en- 
nemie dès   Hébreux  ;   très-probablement  il 


fut  chrétien;  il  vivait  dans  le  second  siècle 
de  l'ère  chrétienne;  et  il  n'est  resté  de  ses 
écrits,  plus  nombreux  très-certainement  et 
ayant  trait  au  théâtre,  que  les  fragments 
conservés  par  Eusèbe  de  la  Sortie  d'Egypte. 
—  Voy.  Sortie  d'Egypte  (La). 


F 


FÉLICIEN  (Saint).  —Le  Mystère  de  saint 
Félicien  est  une  pprtie  de  celui  des  trois 
Doms,  représenté  en  1509  à  Romans,  dans 
le  Dauphiné,  et  dont  le  manuscrit,  signalé 
en  1787  (Journal  de  Paris,  1787,  n°  204, 
p.  1143),  ne  s'est  pas  retrouvé  depuis  lors. 

FEMME  DU  ROI  DE  PORTUGAL  (  La  ). 
—  La  Femme  du  roi  de  Portugal  est  tirée  du 
manuscrit  des  Miracles  de  Notre-Dame,  con- 
servé à  la  Bibliothèque  impériale,  n°  7208, 
4  A  et  4  B,  1. 1",  fOÏ  33-46. 

Ce  mystère  date  du  \i\'  siècle. 

Par  un  hasard  singulier  et  malheureux, 
c<  tte  pièce,  où  l'élément  dramatique  domine 
si  fortement,  a  échappé  absolument  à  l'at- 
tention des  critiques  et  des  éditeurs  moder- 
nes. Non-seulement  elle  est  restée  inédite, 
mais  encore  on  n'en  a  nulle  part  dit  un 
mot.  

Le  roi  de  Portugal,  dans  une  de  ses  chas- 
ses, a  rencontré  la  fdle  d'un  châtelain,  dont 
il  veut  faire  une  reine  dans  «  l'espace  d'un 
moys.  »  En  vain  le  sénéchal  s'y  oppose,  re- 
présentants son  maître  qu'un  roi  doit  cher- 
cher ,  avant  son  gré,  dans  son  mariage  , 
«  plus  d'amys  et  plus  d'avoir.  »  Le  roi  s'obs- 
tine. C'est  alors  qu'en  bon  serviteur,  le  sé- 
néchal use  d'une  ruse  de  guerre  :  une  nuit 
de  rendez-vous,  il  se  substitue  au  timide 
amant  royal  et  abuse  de  la  jeune  fdle.  Mais 
celle-ci,  se  méfiant  de  la  supercherie.se  lève 
doucement  et  éveille  sa  cousine,  dont  le  lo- 
gis n'est  pas  éloigné. 

Chère  cousine,  je  vous  pri 
Que  vous  viengnes  avecques  mi 
On  j'ay  affaire. 

LA   DEMOISELLE. 

v.niere  cousine  débonnaire 
Vouïentiers  iray  avec  vous. 
Levée  sui:  on  yrons-nous? 
Dites-le  moy. 

LA    ROÏNE. 

Cousine,  loy  que  je  vous  doy... 
Monseignour  avoit  voulenle 
De  venir  ave  nioyjésir... 
El  de  sa  bouche  me  jura 
Que  sa  voulcnte  ne  faisoic 
Que  ja  à  mari  ne  l'avoye.... 
Une  autre  est  en  son  lieu  venu/.... 
Si  vueil  de  vous  pour. Dieu  savoir 
Quel  conseil  j'en  pourray  avoir. 
Je  vueil  !a  chandelle  allumer 
l'our  mieux  congnoislre  et  aviser 
Quels  bonis  il  est. 

LA  DEMOISELLE. 

Alons  le  voir,  puis  qu'il  vous  plaist  : 
Se  c'est  li  roys,  si  le  gardons; 


Se  c'est  autre,  si  li  eopons 
Le  cbiel... 

LA    ROYNE. 

Ma  cousine,  bien  dit  avez... 

Elle  s'arme  d'une  lourde  épée,  cl  toutes 
deux  regardent,  l'amante  dit  enfin  : 

Mons  a  vis  cler  et  plain 

Et  cilz  l'a  noir,  viel  et  froncié... 

Et  ce  disant,  d'un  cœur  ému  sans  doute, 
mais  d'un  bras  ferme,  elle  coupe  la  tête  au 
traître  endormi.  Le  roi  accourt  enfin  au- 
près de  sa  belle  et  l'épouse. 

La  nouvelle  reine  commence  de  tremoier. 
Comment  cacher  son  malheur?  Elle  avait 
auprès  d'elle,  dans  la  nuit  tragique  qui 
couvrit  de  ses  ombres  la  vengeance  de  son 
honneur,  une  sienne  cousine,  amie  dévouée. 
Elle  voudrait  maintenant,  pour  une  pre- 
mière fois,  se  faire  remplacer  par  cette  amie 
dans  le  lit  du  roi.  Mais  le  dévouement  de 
l'amie  ne  peut  plus  aller  jusqu'au  silence; 
dans  le  lit  du  roi,  elle  veut  être  reine.  Un 
nouveau  meurtre  enfouit  encore  un  nouveau 
mystère  dans  les  ténèbres  de  cette  seconde 
nuit  d'hymen,  et  l'incendie  allumé  des 
mains  delà  reine  jalouse  engloutit  les  traces 
du  crime  commis. 

Les  années  s'écoulent,  l'énergie  du  cri- 
minel faiblit;  la  reine  confesse  un  jour  ses 
fautes,  et  son  chapelain  révèle  tout  au  roi. 
Celui-ci  la  condamne  au  dernier  supplice, 
mais  la  sainte  Vierge,  touchée  du  repenlir 
de  la  malheureuse  reine,  s'interpose  et  l'ar- 
rache au  bûcher,  pour  la  rendre  aux  bonnes 
grâces  du  roi  de  Portugal. 

FEMME  SAUVÉE  DU  FEU  (Lu).— Le 
miracle  de  la  femme  sauvée  du  feu  est  tiré 
du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
n°  7208,  4.  B,  folio  39recloà50  verso,col.2. 
(Ce  manuscrit  est  celui  connu  sous  le  nom 
de  Miracles  de  Notre-Dame,  qui  date  du  xiv* 
siècle.) 

MM.  Monmerqué  et  Francisque  Michel  en 
ont  publié  le  texte,  accompagné  d'une  ver- 
sion française,  dans  leur  Théâtre  français  au 
moyen  âge  (Paris,  1839  ,  gr.  in-8°,  p.  327- 

365.) 

M.  O.  Leroy  avait  déjà  signalé  fort  inexac- 
tement cette  pièce  dans  ses  Etudes  sur  les 
mystères  (Paris,  1837  ,  in-8°,  p.  72)  :  «  Une 
femme,  dit-il,  dans  un  égarement  inexpli- 
cable, fait  assassiner  son  gendre.  A  peine 
a-t-elle  commis  ce  crime,  qu'elle  va  s'en 
accusera  un  bailli;  il  la  condamne  à  être 
brûlée  vive.  La  Vierge  la  sauve.  » 


521 


FEM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TEM 


522 


M.  Fr.  Michel  (Ibid.,  p.  327)  a  dil  :  «  Nous 
n'avons  pu  découvrir  dans  quel  ouvrage  an- 
térieur l'auteur  anonyme  de  ce  miracle  a 
trouvé  le  sujet  qu'il  a  mis  en  action  ;  quoi 
qu'il  en  soit,  ce  drame  nous  semble  intéres- 
sant par  Ips  détails  qu'il  contient  sur  les 
mœurs  populaires  en  France,  au  xiv'  siècle.» 

NOMS  DES  PERSONNAGES. 


LE   FRERE. 
LE   COUSIN. 

cociiet,  le  bourrel. 

DIEU. 


GUILLAUME. 

GUIBOUR. 

LA  FILLE 

AUBERT,  OU  AUBIN. 

uobert,  premier  voisin,      nostre-dame. 
cautier,  second  voisin.       Gabriel, 
le  compère.  michiel. 

MANDOT,  OU  MONDOT,  pre-      LE   PREMIER   POVRE. 

mier  scieur.  second  povre. 

senestre,  second  scieur.  TROISIÈME  POVRE. 

aubeiu,  premier  sergent,  saint  jeiian. 

gobin,  second  sergent.  la  première  nonnf.. 

LE  EAILLIF.  DEUXIÈME  NONNE. 

LE   PORTEUR. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 

Ici  commence  un  miracle  de  Notre-Dame,  com- 
ment elle  préserva  une  femme  d'être  brûlée. 

SCÈNE  1" 

Guillaume,  maire,  sa  fille,  guibour,  sa 
femme,  aubin,  son  gendre. 

Guillaume.  Guibour,  je  veux  vous  faire  part  de 
nies  intentions  :  je  vais,  sans  plus  tarder,  aux 
champs  visiter  mes  moissons,  afin  que,  au  jour  de 
la  récolte,  je  sois  sans  faute  pourvu  d'ouvriers,  en 
homme  sage.  Je  sais  bien  qu'il  faut  que  je  fasse 
scier,  et  cela  ne  peut  grandement  larder. 

guibour.  Sire,  c'est  bien  cela,  en  vérité;  je  ne 
suis  pas  pour  vous  contrarier  en  rien,  et  d'ailleurs 
convaincue  que  vous  dites  bien ,  je  suis  de  votre 
avis. 

la  fille.  Ah!  mon  cher  père,  je  vous  en  prie, 
emmenez-moi  avec  vous  sans  difficulté,  je  prendrai 
un  peu  de  distraction  :  il  y  a  longtemps  que  je  ne 
suis  sortie  d'ici,  et  je  ne  puis  avoir  meilleure  com- 
pagnie. 

Guillaume.  Je  le  veux  bien,  ma  fille.  Venez, 
puisque  cela  vous  plaît. 

la  fille.  Allons!  sire  me  voici  prèle.  —  Adieu, 
ma  mère. 

guibour.  Gardez-vous  d'aller  dans  quelque  che- 
min qui  ne  soit  pas  bien  sur.  —  Certes,  la  femme 
éprouve  une  grande  joie  d'aller  avec  son  père,  Au- 
bin. Mon  fils,  je  le  prie  de  lout  mon  cœur  de  venir 
avec  moi  jusqu'à  l'église,  cl  de  nie  tenir  compa- 
gnie. 

aubin.  Si  je  vous  le  refusais,  je  ne  me  tiendrais 
pas  pour  sage.  Ma  dame,  allons  !  c'est  avec  joie  que 
je  veux  faire  votre  volonté. 

oiibolr.  Marchons;  pourvu  que  je  puisse  avoir, 
sans  trop  de  peine,  une  place  près  du  prédicateur, 
je  serai  bien  aise,  en  vérité.  Avançons. 

SCÈNE  II. 

guiboub,    femme    de    Gautier,   aubin,    son 
gendre,  voisins. 

premier  voisin.  Eh!  regardez,  Gautier,  voyez- 
vous  la  femme  du  maire  avec  son  gendre?  L'on  l'ail 
entendre  pour  certain  qu'ils  sont  loul  un. 

deuxième  voisin.  C'est  le  bruit  public  qu'il  en  use 
comme  de  sa  femme;  il  m'est  avis  que  c'est  une 
grande  infamie  à  tous  les  deux. 

L8  premier  voisin.  C'est  vrai;  mais,  quoi  que 
nous  en  disions    ils  ne  cesseront   point  leur  com- 


merce. Allons  chercher  celle  chopine  de  vin  qu'en- 
semble nous  devons  boire  :  nous  ferons  mieux,  que 
vous  en  semble?  ai-je  dil  vrai? 

le  deuxième  voisin.  Je  n'y  mets  pas  opposition  : 
allons-y,  Robert. 

SCÈNE  III, 

guiboub  ,  femme  de  Gautier  ,  aubin. 

guibour.  Je  veux  m'agenouiller  en  cet  endroit. 
Mon  fils,  si  vous  ne  voulez  demeurer  ici,  el  que 
vous  aimiez  mieux  allei  vous  ébatire  dans  la  ville, 
vous  pouvez  y  aller  hardiment,  je  ne  m'y  oppose 
pas. 

aubin.  Dame,  vraiment  je  veux  y  aller;  je  n'ai 
pas  appris  à  demeurer  si  longtemps  à  l'église  pour 
prier  Dieu  ou  pour  écouler  un  sermon. 

(Ici  commence  le  sermon.) 

SCÈNE  IV. 
guibour  ,  seule. 

guibour.  Ah!  Dame  du  haut  firmament,  malheu- 
reuse est  la  personne  qui  ne  se  dévoue  pas  à  votre 
service,  et  heureuse  celle  qui  met  en  vous  son  coeur 
et  sa  pensée;  car  nul  ne  se  trouve  tellement  en 
proie  au  mal  que  vous  ne  le  secouriez;  en  sorte 
qu'il  se  voit  délivré  de  ses  peines  du  moment  quM 
se  livre  à  vous.  Dame,  qui  êtes  par  excellence  dans 
les  cieux,  près  de  l'essence  divine,  élevée  au-des- 
sus de  tous  les  saints;  vierge,  par  votre  grande 
courtoisie,  soyez  (je  vous  en  prie  de  loul  mon  cœur) 
mon  refuge,  en  sorte  qu'avant  ma  fin  vous  purifiez 
tellement  mon  àme  que,  quand  cecorps  devra  finir, je 
puisse  éviter  l'obscurité  de  l'enfer  et  avoir  l'héritage 
des  cieux,  que  je  désire  beaucoup. 

SCÈNE  V. 

LE  COMPÈRE,  GUIBOUR. 

le  compère.  Commère,  qu'il  plaise  à  Dieu  de 
vous  donner  un  bon  jour! 

guibour.  Reau  compère,  et  qu'il  vous  pardonne 
vos  méfaits,  et  à  moi  les  miens!  Comment  se  por:o 
ma  commère?  je  pense  qu'elle  va  bien. 

le  compère.  Oui  vraiment,  Dieu  merci!  Et  vous, 
commère? 

guibour.  Rien.  Je  me  loue  de  Dieu,  compère,  car 
il  nous  a  fait  une  bien  grande  grâce  de  donner 
notre  fille  à  un  si  bon  enfant,  qu'elle  ne  pouvait 
trouver  mieux  ;  c'est  mon  avis. 

le  compère.  Commère,  je  suis  trop  mal  à  mon 
aise  dans  un  lieu  où  j'entends  diffamer  ou  blâmer 
une  personne  que  j'aime;  je  la  défends  de  toul  mou 
pouvoir,  el  j'avise  au  moyen  de  l'informer  oour  son 
honneur. 

guibour.  Pourquoi  tenez- vous  ce  lan^a'e?  dites, 
compère. 

le  compère.  Ma  eommère,  je  vais  vous  le  dire. 
L'on  répète  par  toute  celte  ville  que  votre  gendre 
prend  ses  ébats  avec  vous  comme  avec  votre  fille, 
quand  cela  lui  plaît,  el  sans  difficulté,  el  que  tous 
deux  vous  ne  faites  qu'un  :  ainsi  parle-l-on  com- 
munémeiil,  el  (l'on  ajouie)  que  ce  n'esl  pas  pour 
rien  qu'il  esl  si  soigné  dans  sa  mise,  car  i'  ntre- 
lienl  commerce  avec  la  mère  el  la  fille. 

guibour.  Hélas!  est-ce  qu'il  court  sur  mon 
compte  un  tel  bruit  par  la  ville?  Compère,  parla 
foi  que  je  vous  dois,  jamais  je  ne  l'épousai.  Je  ne 
sais  qui  a  mis  un  tel  conte  en  avant,  mais  il  a  com- 
mis un  péché  mortel.  A  Dieu  ne  plaise  que  je  sois 
jamais  accusée  d'un  méfait  pareil! 

le  compère.  Commère,  Dieu  aide  mon  àme!  je 
vous  en  donne  avis  de  bonne  foi.  Ne  m'en  donnez 
ni  louange  ni  blâme,  belle  commère. 

guibour.  Au  contraire,  je  vous  en  sais  bon  gré, 
compère,  et  vous  prie,  quand  vous  l'entendrez  ré- 
péter  de  soutenir  hardiment  que  cela  n'esl  p.s. 


c23 


FEM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FEM 


324 


i.e  compère.  Je  vous  en  crois  bien,  en  vérité; 
maintenant  vous  vous  donnerez  de  garde.  Que  Dieu 
vous  conserve!  Jusqu'au  revoir. 

guibour.  Compère,  puissiez-vous  avoir  un  :our 
rempli  de  bénédictions!  Je  vous  remercie. 

SCÈNE  VI. 

guibour,  seule. 

crjiBOUR.  Douce  Mère  de  Dieu,  qu'est-ce  ceci? 
Qu'ont  donc  les  gens  dans  l'esprit  pour  avoir,  sans 
cause  et  sans  raison,  pensé  telle  chose  de  moi?  Par 
ma  foi!  c'est  une  grande  trahison.  Je  n'en  puis 
mais,  et  pourtant  que  j'en  suis  chagrine;  j'en 
pleure  et  je  m'en  lamente.  Douce  Mère  de  Dieu,  que 
ferai-je?  Certes,  jamais  je  ne  cesserai  de  réfléchir 
jusqu'à  ce  que  j'aie  trouvé  le  moyen  d'étouffer  le 
bruit  que  l'on  a  fait  courir  sur  mon  compte. 

SCÈNE  VII. 

MOISSONNEURS,   ÉTRANGERS   AU  PAYS. 

le  premier  moissonnecr.  Seneslrc,  compagnon 
et  ami,  allons-nous-en  sur  la  place  savoir  si  nous 
pourrons  avoir  un  maître.  Nous  n'avons  tous  deux 
ni  croix  ni  pile;  ne  parlons  pas  d'ici  sans  gagner 
quelqu'argenl. 

deuxième  moissonneur.  Mandol,  t«  dis  bien  ;  al- 
lons-nous-en. Je  suis  prêt,  voici  ma  faucille;  prends 
la  tienne  aussi.  Marche  droit  vers  la  place. 

premier  moissonneur.  Je^  m'en  vai?  ;  loi,  suis- 
moi  de  près.  Senestre,  il  est  bien  matin.  Eh!  vois, 
il  n'y  a  encore  âme  qui  vive,  excepté  nous  deux. 

deuxième  moissonneur.  Mandot,  ce  n'est  pas  un 
Ires-grand  mal;  il  vaut  mieux  pour  nous  êire  des 
premiers  que  les  derniers.  S'il  plaît  à  Dieu,  il 
viendra  bientôt  quelqu'un  qui  nous  fera  gagner  de 
l'argent. 

SCÈNE  VIII. 

guibour,  seule. 

guibour.  Jamais  je  n'aurai  de  joie  au  cœur  jus- 
qu'à ce  que  j'aie  éieinl  ce  bruit;  mais  comment  y 
parvenir,  si  ce  n'est  par  la  mort  de  mon  gendre? 
Certainement  il  faut  s'arranger  pour  qu'il  n'aille  pas 
loin.  Je  ne  chéris  pas  tellement  mon  argent  que  je 
n'en  donne  assez  et  largement  à  une  personne 
étrangère  pour  qu'elle  le  tue  de  ses  mains.  Or  main- 
tenant la  saison  est  plus  propice  que  toute  autre, 
car,  de  toutes  parts,  il  est  venu  des  ouvr.ers  étran- 
gers qui  se  sont  dispersés  pour  travailler  aux 
champs.  Je  m'en  vais  savoir  sur  la  place,  mal  que 
mal,  si  je  verrai  quelque  garçon  à  qui  je  puisse  en 
parler.  Eh!  regardez;  j'y  vois  deux  grands  ribauds 
qui  semblent  forts  et  bons  à  faire  proinplement  un 
coup  dhbolioue. 

SCÈNE  IX. 
GUIBOUR,  les  moissonneurs. 

guibour.  seigneurs,  ctes-vous  venus  ici  pour  tra- 
vailler aux  champs? 

premier  moissonneur.  Oui,  dame;  avez-vous  be- 
soin de  l'un  de  nous? 

guibour.  Oui,  j'espère.  D'où  êtes-vous?  dites-le- 
moi. 

premier  moissonneur.  Nous  sommes  de  vers  le 
Croloy,  et  nous  savons  bien  scier  et  battre.  Si  vous 
avez  des  moissons  à  cueillir,  nous  en  ferons  volon- 
tiers marché,  et  nous  vous  les  abattrons  bien  et 
vile,  dame. 

guibour.  Beaux  seigneurs,  je  suis  femme  à  vous 
donner  bon  gain  si  vous  êtes  accommodants. 

deuxième  moissonneur.  Par  ma  foi!  daine,  cela 
va.  Qu'y  a-l-il  à  faire? 

guibour.  Avant  de  vous  dire  mon  affaire,  jurez- 
moi  sur  tous  les  saints  que  vous  ne  répéterez  mes 


paroles  à  personne.  Ensuite  je  vous  exposerai  mon 
projet. 

deuxième  moissonneur.  Quant  à  moi,  je  vous 
jure,  sans  plus  attendre,  que  nul  ne  saura  votre  sc- 
crel,  dame,  à  moins  que  ce  ne  soit  de  voire  gré. 

premier  moissonneur.  Dame,  je  vous  assure  aussi 
que  personne  ne  le  saura  par  moi.  Maintenant 
veuillez  nous  dire  ce  que  vous  désirez. 

guibour.  Seigneurs,  je  désire  que  vous  deux  vous 
mettiez  à  mort  un  homme,  bien  qu'il  soit  de  mes 
amis;  el  puisez  largement  dans  ma  bourse,  je  le 
veux  bien.  Je  suis  sans  raison  diffamée  à  cause  de 
lui,  un  bruit  court,  j'en  ai  le  coeur  si  triste  et  si  do- 
lent que  rien  ne  vous  le  ferait  bien  comprendre. 

deuxième  moissonneur..  Dame,  dame,  peu  im- 
porte le  tort  ou  la  raison,  Ça,  nous  deux,  oh, 
livrez,  livrez!  Il  sera  expédié  en  tous  points,  il  n'é- 
chappera pas. 

premier  moissonneur.  Oui,  vraiment;  mais  il  faut 
un  peu  de  temps  pour  aviser  à  faire  la  besogne  sans 
être  vus. 

guibour.  Je  vais  vous  dire  sans  retard  le  moyen. 
Je  vous  mettrai  en  mon  cellier,  et  m'arrangerai  de 
manière  à  l'y  envoyer  pour  chercher  du  vin.  Quand 
vous  le  tiendrez,  expédiez-le  de  manière  à  ce  qu'on 
ne  voie  ni  plaie  ni  sang  à  son  ventre,  à  sa  tète  ou 
à  ses  flancs:  étranglez-le. 

deuxième  moissonneur.  Cela  sera  fait  sans  délai; 
à  celle  heure  menez -nous  dans  ce  cellier,  el  puis 
pensez  au  reste. 

cuibour.  Volontiers,  seigneurs;  allons,  en  avant! 
venez  avec  moi,  par  ma  foi!  je  vous  paierai  bien. 
Mettez-vous  tous  les  deux  là-dedans;  je  ne  mange- 
rai pas  que  je  ne  vous  l'aie  envoyé. 

SCÈNE  X. 

guibour,  seule. 

guibour.  Mon  affaire  est  maintenant  en  bon  train. 
Qu'il  vienne,  je  n'ai  ici  âme  qui  vive;  mon  mari  es» 
dehors  ainsi  que  sa  femme.  Aubin  ne  peut  man- 
quer   d'arriver  bientôt.  Advienne  que  pourra,  je 


l'attends. 


SCÈNE  XI. 

AUBIN,  GUIBOUR. 


aubin.  Je  ne  reste  pas  plus  longtemps  ici.  L'heure 
du  dîner  approche.  Je  vais  manger  ma  part  de  ce 
chapon  que  je  vis  mettre  à  la  broche  ce  malin. 
Mieux   vaut  arriver  plus  tôt  (pie  plus  lard. 

guibour.  Faisons  la  malade.  Mon  gendre  vient 
tête  baissée  et  les  yeux  fermés. 

aubin.  Madame,  qu'est-ce  que  cela?  Que  Dieu  vous 
donne  la  santé  de  l'âme  et  du  corps!  Eh  là  !  n'éles- 
vous  pas  bien,  dame?  diles-le-moi. 

guibour.  Par  ma  foi!  je  suis  toute  en  frissons,  e' 
sens  bien  que  je  suis  prise  d'un  accès  de  fièvre;  je 
suis  si  altérée  que  je  n'en  puis  plus,  mon  fils  Aubin. 
Je  le  prie,  prends  un  pot  à  vin,  et  va  m'en  chercher 
un  peu  dans  notre  cellier;  dépêche-toi,  je  veux 
boire. 

aubin.  Dame,  volontiers,  bien  que  cela  vous  soit 
contraire;  néanmoins,  je  vais  vous  en  tirer,  puisque 
cela  vous  fait  plaisir. 

guibour.  Allons,  va  vite.  —  Ma  besogne  est  faite, 
j'en  serai  bientôt  débarrassée.  Maintenant  il  faut 
penser  comme  je  ferai  quant  au  surplus. 

SCÈNE  XII. 

GUIBOUR,  LES  MOISSONNEURS. 

premier  moissonneur.  Dame,  c'est  fini.  11  n'est 
plus  temps  de  se  dédire. 

Guibour.  Seigneurs,  vous  l'avez  mis  à  mort9  De 
quelle  manière? 

deuxième  moissonneur.  Nous  n'avons  point  usé  de 
ruse,  dame;   nous  l'avons  si   bien  serré  à  la  gorge 


FEM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


que  nous  savons,  à  n'en  pas  douter,  qu'il  est  étendu 
mort. 

guibour.  C'est  bien,  seigneurs,  il  me  suffit;  mais 
sans  plus  vous  amuser  céans,  il  vous  faut  l'apporter 
ici,  nous  le  dépouillerons  et  le  coucherons  en  son 
lit,  et  puis  je  vous  donnerai  votre  argent,  et  je 
vous  enverrai  à  la  garde  de  Dieu. 

deuxième  moissonneur.  Nous  ferons  ce  que  vous 
désirez,  tout  à  l'heure  de  grand  cœur. 

premier  moissonneur.  Dame,  montrez-nous  sans 
retard  où  vous  voulez  qu'il  soit  couché;  nous  vous 
en  prions ,  dépêchez-vous  avant  que  quelqu'un 
vienne. 

guibour.  Pour  ne  pas  vous  tenir  plus  longtemps, 
seigneurs,  couchez-le  sur  ce  lit,  comme  s'il  dormait 
par  plaisir.  C'est  bien,  il  est  à  mon  gré.  Tenez,  ne 
soyez  pas  lents  à  décamper,  afin  que  l'on  ne  vous 
trouve  pas. 

deuxième  moissonneur.  Cela  n'arrivera  pas  tant 
que  je  pourrai  me  tenir  sur  mes  pieds. 

premier  moissonneur.  Certes,  cela  ne  m'arrivcra 
pas;  non  pas.  Puisque  nous  avons  de  l'argent  à  dé- 
penser, compagnon  Senestre,  allons-nous-en  d'ici 
sans  plus  attendre. 

deuxième  moissonneur.  Allons-nous  en,  il  n'y  fait 
plus  bon.  A  vous  Mandol! 

SCÈNE  XIII. 

GUILLAUME,    SA   FILLE,   GUIBOUR, 

Guillaume.  Dame,  nous  revenons  de  bonne  heure; 
apportez  lu  nappe,  du  pain  et  du  vin.  Ce  manteau 
est  plus  lourd  qu'une  chape  :je  veux  l'ôter,  c'est  un 
manteau  d'hiver.  J'ai  faim,  et  veux  déjeuner.  Depc- 
chez-vous,  allez  au  vin,  et  vous,  fille,  pendant  ce 
temps-là,  allez  chercher  Aubin,  et  nous  dînerons. 
Demain,  je  pense,  nous  moissonnerons,  et  je  veux 
nie  pourvoir  d'ouvriers.  Je  ne  veux  pas  rester  long- 
temps assis,  au  moins  pour  le  quart  d'heure. 

GLiu  iur.  Marie,  Aubin  est  encore  couché  dans 
son  lit. 

Guillaume.  Il  a  pris  ses  aises,  la  grasse  matinée. 
Va  l'appeler,  va,  folle,  dis-lui  qu'il  se  lève. 

la  fille.  Aubin,  Aubin!  si  cela  ne  vous  chagrine 
pas,  veuillez  me  dire  s'il  est  jour  oui  ou  non.  Dor- 
mirez-vous  toute  la  journée,  beau  sire?  —  Eh  mais, 
il  ne  me  répond  point.  Approchons  et  je  saurai,  bon 
gré  maigre  (ici  elle  le  découvre),  à  n'en  pas  douter, 
s'il  don  ou  veille.  —  Or  sus,  sire,  levons-nous  s:ins 
tarder!  Dormirez-vous  ici  toute  la  journée?  Qu'est- 
ce  que  ceci,  Dieu?  Ah,  mère,  mère!  voici  une  trop 
triste  nouvelle.  Je  puis  bien  me  plaindre  et  pleurer 
fort;  le  malheur  m'accable.  Je  suis  perdue. 

guibour.  Qu'as-lu  pour  être  désolée  et  pour  tant 
pleurer? 

la  fille.  J'ai  bien  raison  de  pleurer;  mes  bonnes 
beures  et  tous  mes  bons  jours  sont  passés,  Aubin 
est  mort.  Hélas!  hélas!  que  ferai  je?  certes,  je  mour- 
rai de  douleur  pour  lui.  —  Ah,  doux  Aubin!  notre 
compagnie  a  par  ce  malheur  duré  bien  peu  de 
temps! 

Guillaume.  Voici  un  chagrin  et  un  malheur  bien 
grands;  j'aurais  mieux  aimé  perdre  tout  mon  avoir. 
—  Fille,  est-ce  vrai,  ce  que  je  l'entends  dire? 

la  fille.  Il  est  déjà  jaune  comme  cire.  —  Père, 
ne  nie  croyez  vous  pas  ?  Hélas  !  je  suis  sans  ami, 
amie  pauvre  et  délaissée. 

guibour.  Ah,  belle  fille  !  quelle  perte  !  Certes,  je 
dois  bien  tordre  mes  poings  et  accoutumer  mes 
yeux  à  pleurer,  puisque  j'ai  perdu  le  doux  Aubin 
qui  m'honorait  de  tout  son  cœur  et  m'aimait 
tant. 

la  fille.  Hélas  !  mère,  il  ne  m'appelait  toujours 
que  son  amie  ou  sa  sœur.  Si  mon  cœur  est  plein  de 
tristesse,  j'en  ai  bien  des  molilo. 


FEM  528 

SCÈNE  XIV. 

LES  MÊMES,    VOISINS. 

premier  voisin.  Que  Dieu  soit  céans  !  Qu'avez- 
vous  à  crier  et  à  vous  lamenter?  Est-ce  à  cause  de 
quelque  grand  malheur? 

Guillaume.  Oui,  vraiment,  Robert,  doux  voisin  : 
Auliin  est  mort. 

premier  voisin  Eh  !  Dieu  miséricordieux  !  Voisin 
Guillaume,  cela  me  fait  de  la  peine.  Par  Notre- 
Dame  de  Ponloise  !  j'aurais  voulu  l'empêcher.  Main- 
tenant un  mol  :  A  quoi  sert  un  si  grand  bruit  ?  cer- 
tes, à  rien.  Je  sais  bien  qu'il  faut  que  la  nalure 
en  ce  cas  paye  son  iribuf  mais  ayez  douleur  plus 
petite,  vous  ferez  bien. 

la  fille.  El  comment?  Je  liens,  Robert,  que 
Dieu  m'avait  donné  le  plus  courtois,  le  plus  sage,  le 
plus  amoureux,  le  plus  doux  et  le  plus  libéral  de 
tons  les  hommes  du  pays.  Ah  !  si  mon  cœur  se  serre 
de  chagrin,  il  n'y  a  rien  d'étonnant. 

guibour.  Certes,  lu  dis  la  vérité.  Il  n'y  avait  dans 
tout  le  pays  la  pareille  pour  êlre  bien  mariée  à  un 
homme  bon  et  beau.  Maintenant  il  est  morl  :  que 
Dieu,  dans  sa  bonté,  lui  fasse  miséricorde  ! 

le  premier  voisin.  Ecoulez  :  si  vous  avez  quelquo 
chose  à  me  commander,  dites-le-moi  sans  retard  : 
je  le  ferai. 

Guillaume.  Robert,  alors  je  vous  prierai  de  mo 
faire  venir  un  coffre.  Une  autre  foisje  m'offre  à  en 
faire  autant  pour  vous  (à  faire  m'offre  pour  vous 
autant). 

le  premier  voisin.  Je  vais  vous  le  chercher  sur- 
le-champ,  quoi  qu'il  advienne. 

SCÈNE  XV. 

VOISINS,   SERGENTS,  LE  BAILLI. 

deuxième  voisin,  nobert,  Dieu  vous  tienne  en 
santé  !  Où  allez-vous? 

le  premier  voisin.  Gautier,  mon  doux  ami  ,  je 
vais  chercher  un  cercueil. 

deuxième  voisin.  Cercueil  !  pour  qui  ?  est-ce  p  >ur 
Conseil  ?  dites,  voisin. 

le  premier  voisin.  Nenni ,  Gautier;  c'esl  pour 
Aubin,  le  gendre  du  maire. 

deuxième  voisin.  Aubin  !  Dieu  soit  miséricordieux 
et  doux  pour  son  àme  ! 

le  premier  sergent.  Gautier,  Dieu  te  garde  de 
blâme  !  Qui  dil-il  être  trépassé?  je  n'ai  pas  eu  assez 
de  loisir  pour  l'entendre. 

le  deuxième  sergent.  C'est  Aubin,  le  gendre  do 
Guillaume,  le  maire  de  Chielvi.  Je  le  vis  encore  ce 


matin  bien  portant  et  allègre. 

le  premier  sergent.  Dieu  ail  pitié  de  son  âme! 
(."criaillement  c'est  grand  dommage;  car  il  étail 
beau,  jeune,  sage  et  bien  appris. 

le  deuxième  voisin.  C'esl  un  pas  qu'il  nous  faut 
tous  passer.  Adieu,  amis  ! 

le  premier  sergent.  Gautier,  que  Dieu  nous 
mette  aujourd'hui  en  bon  jour  et  en  bon  mois  !  Je 
ne  resie  plus  ici,  je  m'en  vais  à  l'audience;  il  en  est 
temps. 

le  bailli.  D'où  viens-tu,  Dieu  le  secoure?  Ame 
est- il  sommé  de  nouveau  ?  Que  dil-on  par  la  ville? 
reponds  moi. 

le  premier  sergent.  Tout  le  inonde  s'étonne 
qu'Aubin,  ce  jeune  homme  bel  cl  fort,  soit  morl 
depuis  Prime. 

le  bailli.  Par  le  Très-Haut  !  que  dis-tu  ?  Aubin 
esl  mort  ? 

le  premier  sergent.  Ainsi  le  disent  les  voisina 
généralement. 

le  bailli.  Je  suis  tout  étonné  qu'il  puisse  êlre 
morl.  Assieds-loi,  assieds-loi.  Sans  doule  il  a  clé 
blessé  par  quelqu'un  :  ce  qui  a  causé  sa  mort  aussi 
soudainement. 


J27 


FEM 
SCÈNE  XVI. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FEM 


5-28 


GUILLAUME,  GUIBOUR,  VOISINS,   LE  PORTEUR 
DU  CERCUEIL. 

le  premier  voism.  Maire,  voici  un  coffre  bel  et 
nei  que  je  vous  fais  apporter,  pour  porter  honora- 
blement ce  corps  en  terre. 

Guillaume.  Ami,  que  Dieu  l'aide!  mets-le  à  terre 
tout  doucement,  qu'il  ne  se  brise  pas.  —  Voisin, 
que  cela  ne  vous  déplaise  ;  vous  deux ,  mettez 
ce  corps  dedans.  Sur  le  dos,  sur  le  dos,  et  non  pas 
sur  le  ventre,  mes  bons  amis  ! 

le  porteur.  Attendez,  il  sera  bien  placé.  —  Sire, 
portez  par  ce  bout,  et  je  prendrai  celui-ci.  Ob  ! 
niellez  à  lerre. 

le  premier  voisin.  Voilà.  Que  Jésus  soit  courtois 
el  doux  à  son  âme  ! 


LE    PORTEUR. 


Qui  de  vous  me  payera  mon  por- 


guibour.  Moi,  mon  ami,  et  de  bon  cœur.  Tu  n'as 
pas  besoin  de  marchander.  Prie  pour  lui,  tiens, 
va  travailler  :  voici  trois  blancs. 

le  porteur.  Que  Jésus-Chrisl ,  qui  est  un  roi 
puissant,  fasse  véritablement  pardon  à  son  âme! 
Si  ma  peine  n'était  jamais  moins  rétribuée,  je  me 
verrais  bientôt  vêtu  île  robe  neuve. 

SCÈNE  XVII. 

LE  BAILLI,   LES  SERGENTS. 

le  bailli.  Tu  es  soucieu*,  Gobin;  d'où  viens-tu 
si  renfrogné  ? 

le  deuxième  sergent.  Vrai,  sire,  j'ai  l'humeur 
noire,  je  suis  plongé  dans  des  réflexions  et  tout 
ébahi  de  ce  qu'Aubin  est  mort. 

le  bailli.  Il  nous  faul  tous  avaler  ce  morceau, 
bon  gré  malgré. 

le  deuxième  sergent.  Je  sais  bien  cela,  sire, 
mais  je  m'émerveille  de  ce  que  lanlôi  encore,  au 
milieu  du  jour,  il  allait  el  venait  par  la  ville,  et 
causait  avec  les  gens  en  bonne  santé  el  allè- 
gre. 

le  premier  sergent.  Par  ma  foi  !  c'est  dommage 
et  pitié,  s'il  plaît  à  Dieu. 

le  bailli.  Il  n'est  personne  qui  puisse  me  faire 
accroire  qu'il  n'ait  pas  été  frappé  ou  étranglé  ou 
renversé,  ce  qui  aura  causé  sa  mort  subitement.  Je 
pense  dire  vrai;  allons-nous-en.  Je  veux  assistera 
son  inhumation.  Quel  qu'en  soit  l'auteur,  il  faut 
savoir  la  cause  de  sa  mort. 

SCÈNE  XVIII. 

LA   FILLE  DE  GUILLAUME 

la  fille.  Ah,  doux  Aubin  !  quand  je  me  rappelle 
tes  bonnes  qualités,  l'amour  que  tu  me  portais,  el 
les  belles  manières,  j'ai  bien  raison  de  le  plaindre 
el  de  déplorer  la  perle;  car  je  suis  privée  de  lous 
biens  et  tombée  dans  une  grande  douleur.  Ah,  mort  ! 
quelle  dure  séparation  tu  as  opérée  entre  nous  eu 
peu  de  lemps  !  Prends-moi  aussi,  dévore-moi  el 
ôte-moi  de  ce  monde.  J'aime  mieux  cela  que  de  vi- 
vre dans  un  pareil  abandon. 

SCÈNE  XIX 

GUILLAUME,  GUIBOUR,  LA  FILLE  DE  GUILLAUME.. 
LE  BAILLI,  SERGENTS,  LE  FRÈRE  d'aUBIN, 
SON  COUSIN 

le  bailli.  Que  Uieu  lasse  tomber  sur  vous  lous 
sa  paix  el  sa  grâce! 

Guillaume.  Monseigneur,  que  sa  bonté  en  fasse  au- 
tant pour  vous  ! 

le  bailli.  Maire,  en  vérilé,  j'éprouve  du  chagrin 
de  voire  malheur;  je  désirerais  pouvoir  adoucir 
celle  perte  funeste.  Mais  je  veux  vous  demander 
comment  il  a  été  sitôt  enlevé.  Elail-;1  en  proie  à 
quelque  mal  intérieur  ? 


Guillaume.  Sire  bailli,  depuis  que  nous  lui  avons 
donné  noire  fille,  personne,  ni  elle,  ni  autre,  n'a  pu 
dire  qu'il  eût  aucun  mal  nulle  pari. 

le  bailli.  Je  ne  m'émerveille  que  plus  qu'il 
soit  mort  ainsi. —  El  vous,  femme,  sur  votre  âme  ! 
ne  savez-vous  rien?  N'aurail-il  pas  élé  dans  une 
compagnie  où  on  l'aurait  maltraité?  dites  le- 
moi. 

guibour.  Nenni,  sire  bailli,  par  ma  foi  !  mais  je 
suis  bien  étonnée  qu'il  soit  ainsi  subitement  tré- 
passé.    . 

le  bailli.  Vous  deux,  passez  devant;  découvrez- 
moi  promplement  celle  «bière,  el  décousez  son 
suaire  de  manière  à  ce  que  je  puisse  le  voir  de  la 
tête  à  la  cuisse,  pour  en  être  mieux  l.ors  de  doute; 
je  ferai  mon  attestation  du  tout,  avant  qu'on  l'en- 
terre. 

le  premier  sergent.  Sire,  vous  serez  promple- 
ment obéi.  —  Eh  !  levons  ce  couvercle,  Gobin;  en- 
suite décousons-le,  maire.  C'est  l'ordre. 

le  deuxième  sergent.  Or  sus  !  retirez-vous  de  là, 
sans  mot  dire.  Je  veux  défaire  celle  couture.  — 
Sire,  ai-je  assez  décousu,  à  votre  avis  ? 

le  bailli.  Découvre-le  bien,  visage,  épaule,  et 
poitrine.  —  Holà  !  arrêtez  la  mère,  la  tille  et  le 
père.  Il  n'est  pas  à  nier  qu'il  n'ait  élé  assassiné; 
c'est  évident.  Voyez  comme  il  a  la  gorge  noire  ! 
Quelqu'un  l'a  étranglé.  Faites  vile,  sans  plus  de 
paroles;  liez-leur  les  mains  en  croix  derrière  le  dos, 
et  emmenez-les  en  cet  équipage  comme  chiens  eu 
laisse.  Je  saurai  incessamment  la  vérilé  au  sujet  de 
celle  affaire. 

le  frère.  Que  Dieu  soil  céans  !  Hélas  !  qu'est-ce 
que  ceci  ?  Frère,  j'ai  bien  du  chagrin  de  votre  mon. 
Vrai,  quoi  qu'on  en  dise. 

le  cousin.  Mort  qui  l'as  pris,  que  Dieu  te  mau- 
disse !  Tu  as  pris  le  plus  vaillant  et  le  plus  sage  de 
notre  lignage.  Hélas!  être  si  bien  élevé  et  mourir 
si  vile,  c'est  grand  dommage. 

le  bailli.  Seigneurs,  il  est  clair  qu'on  l'a  assas- 
siné, je  n'en  doute  point;  mais,  par  les  dents  de 
Dieu  !  aucun  de  vous  ne  m'échappera,  el  je  saurai 
la  vérité. 

Guillaume.  Sire  bailli,  miséricorde,  pour  l'amour 
de  Dieu  !  Veuillez  ne  pas  être  si  dur  à  notre  égard  ; 
nous  nous  rendons  el  nous  irons  partout  où  vous 
nous  direz. 

le  bailli.  Bon,  bon.  —  Seigneurs,  vous  ferez  ce 
que  j'ai  dit. 

le  premier  sercent.  Sire,  vous  serez  obéi  sans 
réplique.  —  Tandis  que  je  lierai  le  père,  Gobin,  va, 
el  lie  la  mère.  Allons!  dépêche-loi. 

le  deuxième  sergent.  II  ne  faut  pas  trop  m'en 
presser  :  je  m'en  vais  les  expédier,  sur  mon  âme! 
—  Allons!  dame,  donnez-moi  ici  vos  deux  bras,  el 
faites  vile. 

guibour.  Hélas,  malheureuse  !  quelle  peine  el 
rien  ne  peut  m'y  soustraire!  Eh,  voyez!  faites  de 
moi  votre  volonté,  sire. 

la  fille.  Hélas!  malheureuse!  hélas!  hélas!  je 
ressens  une  douleur  bien  plus  amère  quand  je  vois 
la  justice  tellement  maltraiter  mon  père  el  ma  mère 
pour  la  mort  de  mon  mari,  dont  ils  sont  tristes  et 
chagrins  au  fond  du  cœur.  Hélas  !  peut-on  ainsi  les 
lier  et  leur  serrer  les  mains  loul  d'abord  ? 

le  bailli.  L'on  ne  vous  en  fera  ni  plus  ni  moins, 
belle  amie,  el  vous  vous  en  viendrez  avec  eux  sans 
relard.  —  Lie-la,  lie. 

le  premier  sergent.  Volontiers.  —  Allons,  belle 
amie,  il  me  faul  avoir  vos  deux  mains  pour  les  lier. 
Le  refus  est  inutile  :  bâtez-vous. 
•  la  fille.  Maintenant,  suis-ie  assez  au  comble  du 
malheur?  Quelle  femme  peut  J  être  plus?  Mon  mari 
mort,  mon  père  et  ma  mère  en  danger,  la  honte 
elle  supplice,  moi-même  prisonnière,  1  ée  el  con- 
duite comme  une  femme  jugée  à  uiorl  !  AI»,  Dame 


5Î0 


FEM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FEM 


133 


des  cieux  !  que  vos  doux    yeux  me  regardent  en 
pi  lié  ! 

le  dailli.  En  avant,  en  avant!  ne  tardez  pas  da- 
vantage.—  Seigneurs,  amenez-les  devant  moi.  Par 
le  serment  que  j  ai  prêté  au  roi  !  ils  me  diront  bien- 
tôt la  vérilé,  ou  ils  seront  vilainement  mis  à  la  ques- 
tion. 

le  deuxième  sercent.  Allons  !  passez  vile,  sans 
plus  demeurer  ici. 

le  bailli.  Faites  mettre  ce  corps  en  terre,  sans 
vous  amuser. 

le  cousin.  Cousin,  je  suis  d'avis  que  nous  le  fas- 
sions porter  tout  droit  au  cimetière,  sans  qu'il  reste 
p'us  longtemps  étendu  sur  la  terre  dans  son  cer- 
cueil ;  et  puis,  quand  nous  l'aurons  enterré,  nous 
ordonnerons  un  beau  service. 

la  fille.  C'est  bien.  Veuillez,  bonnes  gens,  y 
mettre  la  main. 

Guillaume.  Vierge,  mère  du  doux  Roi  des  cieux, 
voie  et  port  des  égarés,  Dame,  donne-nous  tes  con- 
solations :  nous  en  avons  besoin. 

le  bailli.  Gobin,  allons,  vite'  va,  mets-moi  tout  d'a- 
bord la  mère  dans  la  Gourdaine,  et  puis  mène  la 
Tille  de  l'autre  côté,  dans  le  Paradis.  Pendant  ce 
temps-là,  je  vais  questionner  Guillaume. 

le  deuxième  sergent.  Sire,  puisque  vous  le  di- 
tes, je  veux  l'y  mener. 

guibour.  Sire,  sire,  mettez,  francs  et  quilles,  en 
liberté  ces  deux  innocents  :  quant  à  moi,  faites  jus- 
tice. J'y  consens:  mon  cœur  ne  peut  leur  voir  en- 
durer plus  de  maux.  Sire,  sachez  qu'en  celle  affaire 
ils  ne  sont  pas  coupables;  je  suis  la  seule  qui  aie 
fait  commettre  l'action. 

le  bailli.  Guibour,  il  vous  faut  dire  comment  ce 
meurtre-ci  s'est  fait,  et  pour  quelle  raison. 

guibour.  Je  vous  confesserai  toute  la  vérité.  Du 
moment  qu'Aubin  eut  pris  ma  fille,  je  l'aimai  hon- 
nêtement, comme  mon  fils,  soyez-en  certain  et  per- 
suadé, sire.  Plusieurs  s'aperçurent  de  celte  affection 
cl  en  conçurent  de  telles  idées  qu'ils  firent  courir 
sur  mon  compte  un  bruit  diffamatoire.  Il  en  agis- 
sait avec  moi  comme  avec  sa  femme  toutes  les  fois 
qu'il  lui  plaisait;  nous  deux  nous  ne  faisions  qu'un, 
disait-on.  Ce  bruit  fut  répété,  non  pas  vingt  fois, 
mais  cinq  cents;  et  il  courut  tant  qu'il  advint  que 
celte  triste  renommée  me  fut  révélée  en  secret.  J'en 
eus  un  tel  courroux  et  une  telle  douleur  que  je  ne 
savais  que  dire.  En  ce  moment,  le  diable  me  trou- 
bla tellement  l'esprit  et  la  raison  que  depuis  ma 
pensée  ne  rêva  plus  que  la  mort  de  mon  gendre, 
quoi  qu'il  dût  en  arriver.  11  me  semblait  qu'Aubin 
mort,  le  bruit  qui  courait  sur  mon  compte  cesse- 
rait. 

le  bailli.  Et  comment  l'as-tu  tué ,  femme  ?  il 
faut  le  savoir. 

guibour.  Je  vous  dirai  tout,  sans  rien  oublier. 
Hier,  sur  la  place,  je  m'adressai  à  deux  jeunes 
gens.  Mais,  sur  mon  âme,  je  ne  sais  qui  ils  sont,  si- 
non laboureurs  et  journaliers.  En  leur  parlant,  je 
leur  ouvris  mon  cœur  et  leur  découvris  que  je  vou- 
lais celte  mort.  Ils  s'accordèrent  avec  moi,  moyen- 
nant une  promesse  d'argent.  Alors  je  les  mis  dans 
mon  cellier,  où  j'envoyai  mon  gendre,  sous  prétexte 
d'une  grande  soif.  Il  descendit  au  cellier  sur-le- 
chamu.  Quand  il  y  fut,  on  le  prit  à  la  gorge  ;  il  fut 
renversé  et  laissé  à  terre  sans  vie.  Alors  je  le  fis  ap- 
porter bien  vile  et  nous  le  couchâmes  dans  son  lit, 
comme  s'il  eût  dormi  à  plaisir.  Je  payai  très-bien 
les  deux  jeunes  garçons,  et  je  les  renvoyai  tout  de 
su  le.  Voilà  tout. 

le  bailli.  C'est  assez.  —  Emmène-la,  Gobin,  où 
»e  l'ai  dit. 

le  deuxième  sergent.  Sire,  j'y  vais  sans  répli- 
que. —  Allons,  dame,  allons! 

le  bailli.  Certes,  voilà  longtemps  que  je  n'ouïs 
parler  de  meurtre  aussi  horrible.  —  Maintenant, 
je  vous  donne  entièrement  la  liberté,  à  vous,  Guil- 

Dictionn.  des   Mystères. 


hume,  aussi  bien  qu'à  votre  ûile.  Allez,  allez,  bien 
vite. 

Guillaume.  Sire,  nous  ferons  de  bon  cœur  votre 
volonté,  c'est  raisonnable.  —  Ah!  ma  fille,  je  n'en- 
trerai dans  nulle  maison,  jusqu'à  ce  que  j'aie  été  à 
l'église  de  Noire-Dame  de  Finistère,  pour  la  prier  et 
requérir  qu'elle  soit  l'amie  de  ta  mère  ,  car,  certes» 
je  vois  que  sa  vie  est  en  danger. 

la  fille.  Faites;  quant  à  moi,  sans  retard,  je 
m'en  vais  droit  à  Limoges,  et  j'offrirai  à  saint  Lié- 
narl  mon  pesant  de  cire  en  cierges,  afin  qu'il  prie 
Notre-Seigneur  de  bien  défendre  ma  mère  et  de  la 
préserver  de  mort  amère  et  honteuse. 

Guillaume.  Que  celle  qui  est  pleine  de  grâce  soit 
son  amie  dans  celte  nécessité!  Au  départir,  je  te 
donne  ma  bénédiction,  ma  fille;  va  à  h  garde  de 
Dieu.  Je  ne  sais  si  je  reviendrai  jamais  dans  ce 
lieu-ci. 

la  fille.  Adieu,  père;  je  ne  m'arrêterai  pas  que 
je  ne  sois  à  Sainl-Liénart.  En  vérilé,  je  vais  me 
mellre  en  pèlerine. 

SCÈNE  XX. 

LES  PARENTS  d'aUBIN,  GUIBOUR,  LE  BAILLI,  LES 
SERGENTS,   LE    BOURREAU, PEUPLE. 

le  frère.  Cher  sire,  nous  venons  requérir,  de 
votre  grâce  bienveillante,  justice  au  sujet  de  notre 
ami. 

le  bailli.  Est-il  enterré,  ou  au  milieu  de  la  salle 
où  je  vous  laissai,  lui  et  vous?  Je  sais  toute  la  vérilé. 
Que  dites  vous? 

le  cousin.  Oui,  mon  doux  sire,  il  est  déposé  au 
sein  de  la  lerre. 

le  bailli.  Vous  serez  bientôt  expédiés.  — Aubri, 
va  chercher  le  bourreau  ,  et  dis-lui  qu'il  dresse 
prompteincnl  le  gibet  pour  le  supplice  d'une  femme. 
Quand  tout  sera  prêt,  qu'il  vienne  toul  de  suite  vers 
moi.  Allons!  fais  vile. 

le  premier  sergent.  Volontiers,  sire  ;  en  vérilé, 
je  le  vois,  c'est  bien  mon  affaire.  —  Cochet,  allez 
vite,  sans  délai,  de  par  le  bailli,  notre  maître,  dres- 
ser et  mettre  un  gibet  au  vieux  logis  en  ruine.  Al- 
lons, vile,  sans  relard  !  El  silôt  que  vous  aurez  fait, 
vous  reviendrez  au  tribunal.  Dépêchez-vous. 

le  bourreau.  Mon  doux  ami,  cela  sera  bientôt 
fait.  Dès  à  présent  je  vais  m'en  occuper.  Dites-lui 
que  j'y  vais. 

le  premier  sergent.  Ami  Cochet,  je  le  lui  dirai. 
Sire,  j'ai  parlé  àCochet.  Il  a  fourche,  gibet,  crochet, 
cordes  et  tout  ce  qu'il  faut.  Il  va  venir  ici,  sans 
faute,  tout  à  l'heure. 

le  bailli.  A  présent,  Gobin,  amène  sans  retard 
Guibour  en  ma  présence.  Je  veux  encore  l'enten- 
dre. 

le.  deuxième  sergent.  Sire,  vous  serez  prompie- 
meiâ  obéi  :  j'y  vais.  —  Allons!  sortez  dehors,  Gui- 
bour; il  faut  venir  sans  relard  vers  le  bailli. 

guibour.  Douce  Mère  de  Dieu,  veuillez  vous  sou- 
venir d'une  malheureuse;  car  je  ne  crois  pas  que  je 
vive  longuement  :  c'est  pourquoi,  douce  Dame,  je 
vous  prie  d'avoir  pitié  de  mon  âme,  quelque  péche- 
resse que  j'aie  été-.  Ah  ,  Dame!  par  votre  bonté  ré- 
conforiez-moi. 

le  bailli.  Guibour,  belle  amie,  tu  as  confessé 
toi-même  avoir  mis  ton  gendre  à  mort  et  à  perdition  : 
lel  a  clé  ton  aveu.  Tu  as  disculpé  ton  mari  et  la 
fille  ,  el  nul  autre  que  toi  n'est  coupable  de  ce 
crime 

guibour.  Sire,  c'est  la  vérilé,  par  ma  foi  !  Je  vous 
ai  d'il  pourquoi  et  comment;  et  je  vois  bien  que  je 
suis  amenée  ici  pour  eniendre  mon  jugement.  Ah  ! 
que  Dieu  ait  pilié  de  mon  àme  ;  qu'il  veuille  l'attirer 
vers  lui,  en  même  temps  que  la  préserver  el  la  reti- 
rer de  l'enfer,  où  il  n'y  a  que  tourment. 

le  frère.  Cher  sire,  je  requiers  dès  à  présent 
le  jugement  de  celle  vilaine  meurtrière  qui  a  si 

11 


1 


ff:  i 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FKM 


355 


traîtreusement  assassiné  mon  frère.  Veuillez  m'en 
faire  justice  sans  délai. 

le  cousin.  Sire,  vraiment  sa  requête  est  juste. 
Puisque  le  fait  est  confessé,  la  loi  vous  oblige  à 
accorder  la  requête. 

le  bourreau.  Monseigneur,  la  besogne  est  prêle, 
selon  vos  ordres.  Maintenant,  dites-moi,  que  voiile'z- 
vous  que  je  fasse  de  plus? 

le  bailli.  Prends  une  hart  et  lace-la-moi  autour 
du  cou  de  celle  femme  :  il  faut  qu'elle  meure  igno- 
minieusement. Liez-lui  aussi  les  mains,  et  puis  d'ici 
nous  nous  en  irons  au  lieu  des  exécutions. 

le  bourreau.  Je  veux  travailler  de  mon  métier, 
puisque  vous  le  dites. 

guiboer.  Alt,  Dame!  qui ,  par  vos  mérites  dignes 
et  précieux  aux  yeux  de  Dieu,  avez  et  aurez  la  su- 
prématie sur  louies  les  âmes  glorieuses  qui  sont  en 
paradis  et  qui  jamais  pourront  y  èlre  (c'est  à  vous 
que  je  parle,  Vierge  Marie),  réconfortez -moi  dans 
celle  extrémité,  et  prenez  soin  et  souci  de  mon 
âme;  car  je  vois  bien  que  sans  faute  il  faut  que 
mon  corps  meure  honteusement  et  bientôt. 

le  frère.  Cènes,  meurtrière,  on  ne  peut  vous 
faire  trop  de  mal  et  trop  de  honte  pour  avoir  fait 
périr  mon  frère  d'une  telle  manière. 

le  bailli.  Je  lui  ferai  expier  son  tort.  —  Aubri , 
va  tantôt  crier  sur  la  place,  n'y  manque  pas,  que 
nul  ch  'f  de  famille  ne  se  dispense  de  venir  vile  à  la 
justice  (lieu  des  exécutions);  et  puis  reviens. 

le  premier  sergent.  Sire,  je  vous  obéirai  ponc- 
tuellement. —  Or  écoulez ,  lionnes  gens  !  A  tons  et  à 
chacun  ma  foi!  je  donne  commandement, si  vous  ne 
voulez  l'orfaîre  envers  le  roi,  devenir  promplement 
assister  à  la  justice  que  le  bailli  veut  faire. 

le  premier  voisin.  Par  ma  foi!  j'aime  mieux  y 
aller  que  de  payer  l'amende. 

le  deuxième  voisi.n.  El  moi  aussi  ;  de  peur  qu'on 
m'y  condamne,  j'y  vais. 

le  bailli.  Allons  !  noire  suileest  assez  nombreuse, 
et  il  viendra  encore  assez  de  monde.  —  Toi  et  lui, 
passez  devant  moi.  —  Cochet ,  il  faut  se  dépécher  : 
le  relard  n'est  bon  à  rien.  Mouvez!  Mouvez! 

le  bourreau.  En  avant!  lâchez  devenir,  dame; 
il  ne  faut  pas  «lire  :  Qu'est  ce  que  c'est?  Je  vous 
mènerai  avec  celte  hait  commme  un  chien  en  laisse. 

guibour.  Eh,  Dieu!  pourquoi  mon  cœur  ne  se 
fénrVil  pas,  alin  que  je  meure  et  que  je  ne  boive  plus 
la  honiede  la  terrible  extrémité  où  je  me  vois?  — 
Sire  bailli,  oclroyeZ-moi  un  don,  s'il  vous  plait  :  je 
vous  demande  nn  peu  de  loisir  pour  prier  la  Dame 
de  grâce;  puisque  je  passe  devant  l'église,  je  vous 
adresse  celle  requête. 

le  premier  voisin.  Eh,  cher  sire!  accordez-lui  ce 
qu'elle  vous  demande  pour  l'amour  de  Dieu,  sans 
entrer  dans  le  lieu  saint  ;  vous  ferez  bien. 

le  deuxième  voisin.  Certainement ,  sire,  je  liens 
que,  si  vous  lui  donnez  un  peu  de  répit,  elle  ne 
pourra  que  mieux  trépasser;  et  nous  devons, 
comme  l'Ecriture  le  porte,  vouloir  le  salul  de  toute 
créature. 

le  bailli.  Femme ,  allons!  dépêche  loi  vile;  je 
te  l'accorde,  puisqu'on  m'en  prie;  mais  ne  nous 
liens  pas  longtemps  ici.  Mets-toi  à  genoux. 

guibour.  Volontiers,  mon  cher  et  doux  seigneur. 
—  Ah,  Dame  de  miséricorde!  réconciliez  mou  âme 
avec  Dieu,  votre  cher  fils  !  Vous  qui  justifiez  les 
pécheurs,  cl  qui  glorifiez  les  vôtres  dans  les  cieux, 
ayez  pi  lié  de  ma  misère!  Dame,  qui  êtes  la  douce 
Mère  du  Créateur  universel!  Vous  qui  êtes  si  douce, 
ayez  pitié  d'une  malheureuse  au  comble  de  la  tris- 
tesse et  de  la  douleur!  Ah!  j'ai  grand  besoin  de 
votre  aide.  Secourez  mon  âme,  aidez-la;  car  le 
corps  sera  bienlôt  détruit,  embrasé  par  le  feu  et 
grillé  :  c'est  pourquoi,  pauvre  pécheresse,  je  nie 
confesse  à  vous  de  tous  les  péchés  que  je  commis 
jamais,  et  dont  je  me  rendis  coupable  envers  voire 
lils,  foil  en  paroles,  soit  en  actions.  Dame,   faites- 


m'en  donner  pardon  de  Dieu,  qui  seul  en  a  h 
puissance,  cl  qui  voit  clairement  le  repentir  de* 
cœurs! 

le  bailli.  En  avant,  en  avant!  sus!  allons-nous- 
en.  Je  demeure  trop  longtemps  ici.  Pas  tant  de 
relards.  La  plus  grande  partie  du  jour  est  écoulée. 
Allons,  vile,  Guibour!  passez,  passez.  —  Cochet. 
hàle-:oi  de  l'emmener.  II  faudra  faire  de  son  corps 
un  lison  ardent. 

guibour.  Ah!  Vierge!  pierre  précieuse!  je  re- 
doute comme  la  foudre  ce  bailli  qui  s'irrite  telle- 
ment et  tonne  contre  moi.  Vierge  pure  et  sang 
tache,  impératrice  et  dame  du  inonde  entier  ,  pai 
le  tourment  de  celle  flamme,  par  celle  mort  terrible 
et  honteuse  ,  Reine  glorieuse  du  ciel,  arrache  et 
préserve  mon  âme  de  l'enfer;  garde-la  comme  1.» 
tienne  :  je  le  la  livre. 

le  bourreau.  Puisqu'il  faut  que  je  vous  expédie  , 
dame,  menez-vous  ici  à  genoux.  Allons,  je  vais 
vous  lier  parles  côlés  à  ce  poteau-ci;  et  puis  j  • 
vous  referai  un  nœud  s.irle  cou  et  sur  la  poitrine, 
pour  en  finir  avec  vous. 

guibour.  Gens  qui  me  reg  rdez  en  face,  priez 
pour  moi  Noire-Daine  !  El  puisqu'on  doit  consumer 
mon  malheureux  corps  par  le  feu  et  la  flamme  , 
que  mon  âme  puisse  fuir  le  feu  d  enfer  et  n'eu 
être  pas  touchée!  Ah!  bonnes  gens  ,-  ne  reprochez 
jamais,  je  vous  en  prie,  ma  mort  infamante  ni  à 
mou  mari,  qui  n'en  est  nullement  coupable,  ni  à 
sa  fille.  Hélas!  ma  mort  les  chagrine  et  les  navre 
fort;  elle  les  met  dans  une  grande  tristesse;  ils 
participent  à  mon  tourment,  et  ne  peuvent  autre- 
ment s'en  tirer. 

le  bailli.  Cochel,  songe  à  le  hâter.  Maintenant 
qu'elle  est  attachée  par  de  forts  liens,  couche  lar- 
gement sur  elle  de  louies  parts  des  bûches  et  de  la- 
paille,  el  puis  mets-y  le  feu  partout,  sans  ta.;i 
al  tendre. 

le  bourreau.  Je  ne  veux  ni  boire  ni  manger  jus- 
qu'à ce  que  cela  soit  fait.  Regarde/  ,  maître.  Je  ne 
sache  pas  qu'on  la  puisse  mieux  disposer  :  elle  est 
de  tous  cô;és  entourée  de  bois  comme  dans  une 
huche,  et  ça  va  vile  s'allumer. 

le  bailli.  Le  feu,  le  feu,  sans  attendre  plus 
longtemps  !  le  feu,  bien  vile! 

le  bourreau.  Sire,  je  vais  tantôt  le  quérir. 
Maintenant  toui  est  prêt. 

SCÈNE  XXI. 

LES   MÊMES,   DIEU,    NOTRE-DAME,    ANGES. 

dieu.  Mère,  Mère,  .voici  le  temps  el  l'heure  de 
descendre  pour  sauver  Guibour,  qui  vous  appelle 
d'une  voix  si  lamentable,  et  demande  avec  tant 
d'insiances  de  voire  miséricorde  sa  réconciliation 
avec  moi,  et  lepardon  de  son  crime. Allez  la  défendre 
efficacement,  et,  quelque  feu  qu'on  lasse  autour 
d'elle,  faites  que  la  flamme  n'attaque,  ne  détrube 
ni  ne  maltraite  son  covps. 

notre  dame.  Fils,  je  suis  toute  prèle  à  y  aller.— 
Allons!  Gabriel,  descendez,  ainsi  que  vous,  Michel; 
cl  chaulez  en  allant  là-bas. 

Gabriel.  Dame  ,  votre  volonté  sera  faile.  —  En 
ayant,  Michel!  —  Amis,  puisque  nous  nous 
sommes  mis  en  roule,  chaulons  mélodieusement  et 
d'accord. 

Rondeau. 

Dieu  puissant,  miséricordieux  ,  votre  grande  mi- 
séricorde réconcilie  les  pécheurs  avec  vous  :  c'est 
un  doux  accord  ,  Dieu  puissant ,  miséricor  lieux  ; 
et  la  vérité  est  que,  par  le  souvenir  de  voire  grâce  , 
l'on  arrache  maint  cœur  à  Satan.  Dieu  puissant, etc. 

le  bourreau.  Je  veux  allumer  ce  feu  avec  une 
telle  force,  puisque  j'en  ai  la  matière,  qu'il  faudra 
qu'on  recule  de  ions  côtés. 

NOTRE-DAjiE.  Mes  amis,  éloignez  ce  feu  si  loin  de 


Oj'J 


FEM 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


FEM 


Ti 


faire  do  nwl. 
n'auras,  sois 
feu 


en 


grâce  a  loti 


esi  encore 
et  ne  saigne 


ma  loyale  amie  qu'il  ne  puisse  lui 
Guibour,  rassure  Ion  cœur  :  lu 
sûre,  ni  peine  ni  tourment  par  ce 
appel  si  dévot» 

guibour.  Ali!  Dame!  qui,  surlous  les  saints  iiu 
paradis,  avez  la  grâce  el  la  prérogative  d'èlre  Innée 
débouche,  de  voix  cl  de  paroles,  puisqu'il  vous 
plaîi  de  me  défendre,  pauvre  malheureuse  que  je 
suis,  d'une  morl  aussi  cruelle,  comment  pourrai-jc 
m'en  montrer  reconnaissante,  Vierge  Marie? 

le  bailli.  Certainement,  celle  femme  esl  consu- 
mée, le  feu  a  jeté  une  flamme  très-grande  et  irès- 
pétillanle.' 

le  frère.  Sire,  les  fagols  étaient  secs;  et  si  elle 
V  a  gagné ,  qu'elle  le  prenne.  Je  n'ai  de  sa  moi  l  ni 
remords  ni  courroux. 

le  bourreau.  Holà!  seigneurs,  ses  liens,  ses 
cordes  et  tous  ses  harls  sont,  rompus;  il  n'y  a  rien 
qui  ne  soit  entièrement  brûlé;  mais  elle 
en  parfaite  santé  ,  elle  n'a  aucune  plaie  e 
pas;  au  contraire,  elle  esl  très-belle. 

le  ïrère.  Par  le  sang  el  par  les  boyaux!  meur- 
trière, vous  ne  vous  en  irez  pas  ainsi;  vous  serez 
brûlée  tout  de  suite,  vous  ne  réchapperez  pas.  — 
Cousin,  allons  vile  chercher  dcséchalas,  des  buis- 
sons ,  du  chaume,  des  cosses  de  pois,  afin  que, 
celle  fois,  elle  n'échappe  pas  à  la  mort. 
le  cousin.  El  de  bon  cœur,  cousin,  allons. 
le  fiiere.  Bailli,  nous  voulons  que  celle  meur- 
trière soil  brûlée,  et  sa  chair  dispersée  en  pous- 
sière; vous  entendez. 

le  bailli.  Jetez  sur  elle  du  combustible,  per- 
sonne ne  s'y  oppose,  afin  que  le  feu  prenne  vile, 
el  qu'il  ne  resle  rien  d'elle  ni  chair  ni  os. 

notre-dame.  Feu ,  je  le  détends  el  interdis  de  pas 
ser  sur  celle  femme  et  de  lui  taire  le  moindre  mal. 
—  Belle  amie,  prends  courage.  —  Allons  nous-en, 
seigneurs,  vous  et  moi,  là-haut  dans  les  cieux. 

miciif.l.  Nous  ferons  votre  volonté,  Dame.  —  Al- 
lons! Gabriel,  chantons  en  mesure. 
Rondeau. 
Et  la  vérité  est  que,   par   le  souvenir  de  volrc 
grâce,  l'on  arrache  maint  cœur  à  Satan.  Dieu  puis- 
sant, etc. 

guibour.  Beaux  seigneurs,  par  miséricorde,  je 
vous  prie  humblement  tous  el  vous  requiers  d'agir 
avec  douceur.  Epargnez  -moi,  vous  ferez  bien.  Je  sms 
gardée  par  la  grâce  de  Dieu.  N'ayez  pas  houle  d'èlre 
vaincus;  car  j'ai  pour  sauvegarde  Noire-Dame, 
Reine  et  dame  des  cieux ,  et  Dieu  m'a  aussi  protégée 
avec  elle. 

le  bailli.  Seigneurs,  seigneurs,  certes,  voici  un 
miracle  bien  merveilleux  et  sans  pareil.  Nous  avons 
méchamment  péché  contre  Dieu  en  maltraitant  ce 
saint  corps  aussi  indignement.  —  Guibour,  chère 
amie,  sortez  hors  de  ce  feu.  Par  mon  âme!  je  vous 
le  jure ,  je  vois  bien  que  vous  èles  une  sainte  femme. 
N'ayez  peur. 

guibour.  Sire,  je  ferai  sans  retard  ce  que  vous 
commanderez.  Allons  !  me  voici  sortie  du  feu;  que 
vous  plaît-il ,  sire? 

le  bailli.  Dame,  je  vous  demande  pardon,  à  ge- 
noux et  à  mains  jointes ,  du  courroux  el  de  la  colère 
que  j'ai  montrés  centre  vous,  et  de  ma  mauvaise 
conduite  à  votre  égard;  ou,  au  moins,  que  je  ne 
sois  pas  maudit  par  vous,  ni  blâmé,  ni  conspué 
dans  le  monde  :  je  vous  en  prie. 

guibour.  Pour  Dieu!  levez-vous,  sire, ne  vous  hu- 
miliez point  ainsi;  car,  en  vérité,  vous  n'èlescoupable 
de  rien  à  mon  égard.  En  effet,  mon  crime  est  si 
grand  que  vous  eussiez  dû  me  brûler  cenl  fois,  si 
vous  eussiez  pu.  Mais  par  la  douceur  de  la  Vierge 
Marie,  que  j'ai  invoquée  de  cœur  el  d'âme,  je  suis 
sauvée  ei  garantie.  Si  vous  m'avez  lait  oui  rage,  que 
la  Mère  de  Dieu  vous  le  pardonne  comme  moi,  cl 
nous  donne  à  tous  une  bonne  lin  ! 
le  premier  voisin.  Maintenant,  ne  nous  arrêtons 


pas  ici;  mettons- noiis  tous  en  roule  avec  elle  el  ac- 
compagnons-la à  l'église.  Là  elle  rendra  grâces  à 
Dieu  et  à  sa  Mère  aussi .  qui  l'a  si  bien  gardée. 

le  deuxième  voisix.  C'est  chose  très-bien  vue  et 
qu'on  doit  l'aire. 

le  bailli.  Ma  chère  amie  débonnaire,  ils  disent 
la  vérité.  Allez  devant;  nous  vous  suivrons  de  près 
tous  ensemble. 

guibour.  Sire,  qu'il  en  soit  ainsi,  puisque  bon  vous 
semble;  aussi  bien  y  avais-je  pensé.  —  Amoureux 
Jésus,  qui  avez  garanti  mon  corps  d'une  mort  igno- 
minieuse, et  vous.  Dame,  châtelaine  de  l'empire 
céleste,  sceptre  de  la  gloire  royale,  fontaine  et  puits 
de  grâce,  je  vous  remercie  vous  et  votre  fils  autant 
que  je  saisel  que  je  puis,  et  je  vous  rends  grâces  de 
toul  mon  cœur.  Durant  le  resle  de  ma  vie,  je  vous 
servirai  de  toutes  mes  forces,  et  je  ne  m'occuperai 
qu'à  cela;  c'est  bien  juste. —  Sire  bailli,  puîs-je,  s'il 
vous  plaît,  m'en  aller  dans  ma  maison'  Veuillez  me 
donner  réponse  à  ce  sujet,  si  c'est  votre  bon  plaisir. 

le  bailli.  Oui,  Guibour;  mais  vous  n'irez  pas 
seule,  au  contraire  je  vous  escorterai  cl  vous  tien- 
drai compagnie,  moi  et  mes  gens. 

premier  sergent.  Soyons  diligents  à  nous  mettre 
en  route.  Je  vais  devant. 

deuxième  sergent.  El  moi  avec  vous,  Allons,  Cil 
avant!  —  Plaie  par  ici,  place! 

guibocr.  Seigneurs ,  que,  pour  votre  bonté  à  m'ac- 
compagner  ainsi ,  Dieu  vous  donne  à  Ions  la  joie 
éternelle!  Maintenant,  si  vous  m'aimez  réellement', 
laissez  moi  seule. 

le  bailli.  Beioumons  sur  nos  pas.  —  Adieu  Gui- 
bour. 

SCÈNE  XXII. 

GUIBOUR,  PAUVRES. 

guibour.  Sire,  Dieu  vous  donne  son  amour!  je 
vous  remercie. 

le  premier  pauvre.  Vierge,  que  Dieu  a  assise  à 
son  côté,  gardez  lous  ceux  qui  me  font  du  bien.  Le 
corps  me  fond  de  pauvreté.  Combien  je  suis  malheu- 
reux! Je  ne  sais,  quand  l'on  me  pousse,  si  ce  sont 
bêles  ou  gens;  je  ne  puis  non  plus  distinguer  ni 
l'argent,  ni  le  plomb,  ni  le  cuivre  ni  la  monnaie  d'or. 
—  Hélas!  bonnes  gens  ,  quel  noble  trésor  perd  celui 
qui  perd  la  vue  !  Donnez-moi,  car  en  vérité  personne 
aujourd'hui  ne  m'a  rien  donné.  Donnez  ,  donnez  au 
pauvre  aveugle!  pour  l'amour  de  Dieu  ! 

guibour.  Bonhomme,  ne  bouge  pas  ;  attends,  at- 
tends, je  vais  à  toi.  Tiens,  mon  frère,  prie  pour  moi 
le  Roi  des  cieux. 

le  premier  pauvre.  Ah   dame  !  que   Dieu   veuille 
.  vous  meure  el  tenir  en  santé  corporelle,  el  qu'a  la 
fin  il  soit  miséricordieux  pour  voire  âme  ! 

le  deuxième  pauvre.  Eli,  Dieu,  y  a-t-il  homme 
ou  femme  qui  me  réconforte  d'une  aumône  ?  Que 
Dieu,  qui  esl  assis  sur  le  Irône  des  cieux,  aide  qui 
m'aidera  et  qui  me  donnera  son  aumône  !  Dame 
Guibour,  donnez-moi  voire  aumône  pour  l'amour 
de  Dieu.  Je  suis  un  pauvre  cultivateur,  qui  n'ai  rien 
à  donnera  mangera  mes  irois  petits  enfants.  Sur 
mon  âme  !  je  ne  sais  comment  leur  porter  du  pain. 

guibour.  Non,  ami,  ne  le  tourmentes  pas  :  lu  ne 
t'en  iras  pas  avec  un  refus.  Puisqu'il  en  esl  ainsi, 
tiens,  emporte  ce  sac  plein  de  blé,  charge-le  bien, 
quitte  vite  le  seuil  de  ma  porte  cl  va  à  la  garde  de 
Dieu! 

deuxième  pauvre.  Dame,  que  Dieu,  qui  vol  el  ap- 
précie pleinement  l'intention  du  cœur,  vous  le  rende 
au  grand  jugement  qu'il  doilleuir  ! 

guibour.  Que  Dieu  s'en  souvienne  ,  ami,  je  le  dé- 
sire, el  qu'il  me  donne  sa  grâce. 

troisième  pauvre.  Ah  !  par  pitié  !  que  Dieu,  bon- 
nes gens,  vous  pardonne  tous  vos  péchés,  comme  à 
la  Madeleine  !  Vous  voyez  dans  (fuel  tourment  je 
vis;  il  n'y  a  point  là  de  faux  semblants. —  Eh,  dame! 
par  voire  bonté,  faîtes-moi  du  bien. 


îoa 


FEU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FEU 


S5Ô 


guibour.  El  que  le  donnerai-je  de  mon  avoir,  frère, 
qui  puisse  servir  à  Ion  corps?  Par  ma  foi  !  je  n'ai  ni 
iienier  ni  maille,  et  pourtant  j'ai  grand'pilié  de  toi. 
Allons!  pour  l'amour  de  Dieu, je  vais  savoir  si  je  puis 
le  faire  que'que  chose.  Tiens,  tiens,  mon  bon  ami, 
fais-toi  une  casaque  de  ce  manleau-ci  ;  je  n'ai  rien 
autre.  C'est  de  quoi  je  me  couvre  quand  je  vais  de- 
hors. 

le  troisième  pauvre.  Que  Jésus,  le  doux,  le  misé- 
ricordieux, et  Mari*,  sa  douce  Mère,  vous  rendent 
au  centuple  votre  grande  courtoisie  et  vous  pren- 
nent avec  les  leurs,  dame,  à  votre  moil. 

guibour.  Amen.  De  tout  mon  cœur. 

SCÈNE  XXIII. 

HABITANTS   DE  LA  VILLE. 

premier  voisin.  Gautier,  par  le  corps  de  sainte 
Agathe  !  j'allais  savoir  si  vous  étiez  prêt  :  il  estlemps 
d'aller  à  l'église  pour  la  solennité  du  jour. 

deuxième  voisin.  Oui,  allons  sans  retard.  N'est 
pas  prud'homme  qui  n'entend  pas  aujourd'hui  le  ser- 
vice divin  à  l'église.  C'est  l'anniversaire  du  jour  an- 
quel  le  doux  Jésus  ,  mort  pour  nous  sur  la  croix,  fut 
porlé  au  (emple  par  sa  Mère,  qui  offrit  pour  lui  deux 
petites  colombes. 

premier  voisin.  A  mon  avis,  c'est  un  des  plus  beaux 
•ervices  de  toute  l'année.  Allons-nous-en  sans  re- 
lard :  l'église  est  loin. 

deuxième  voisin.  Prenons  le  soin  d'y  être  à  temps. 
Allons  par  mon  hôtel  sans  plus  de  discours  ;  mon 
cierge  y  est,  nous  le  prendrons,  et  je  l'offrirai. 

premier  voisin.  Voici  le  mien,  que  je  donnerai 
aussi  au  prêtre. 

SCÈNE  XXIV. 

gi'ibour,  seule. 

guibour.  Ah  !  Dame,  de  qui  Dieu  voulut  naître, 
rominc  il  y  a  longtemps  que  je  n'ai  entendu  la  messe 
et  loul  votre  oflice.  Aujourd'hui,  c'est  le  jour  où 
*ous  allàîes  parée  faire  très-dévotement  votre  pub- 
lication et  porter  votre  enfant  au  temple,  i'en  ai  les 
yeux  remplis  de  larmes,  certes,  avec  raison.  J'avais 
autrefois  ici  un  prêtre  qui  me  disait  en  particulier 
la  messe  dans  mon  oratoire.  Mais  maintenant  je  i.e 
puis  plus,  car  j'ai  donné  loul  mon  bien.  J'ai  même 
donné,  pour  l'amour  de  vous,  Dame,  le  seul  man- 
teau que  j'eusse  pour  sortir.  Ah!  si  je  demeure  ici,  je 
ne  dois  pas  en  eue  reprise  de  Dieu  ;  car,  Dame,  si 
j'allais  à  l'église,  on  me  regarderait  et  l'on  se  mo- 
querait de  moi  en  me  voyant  ainsi  nue,  moi  vêtue 
d'habitude  assez  richement  et  de  beaux  atours.  Tou- 
tefois, vous  n'aurez  sans  doute  pas  moins  pitié  de 
moi  el  votre  fils  aussi.  Allons,  je  me  liens  enfermée, 
et  je  vous  prierai  de  cœur  dévotement. 

SCÈNE  XXV. 

DIEU,  NOTBE-DAME,   ANGES,    SAINT  JEAN,  SAINT 
VINCENT,  SAINT  LAURENT,  GUIBOUR. 

dieu.  Allons,  vous  tous;  allons,  parlons!  Dans  ce 
jour  où  je  lus  offert  au  temple,  je  veux  réconforter 
«l'une  messe  Guihour  qui  me  sert  là-bas;  elle  la 
mérite  bien.  —  Anges,  vous  deux,  allez  devant. — 
Mère  el  vous,  vous  les  suivrez;  el  nous,  nous  irons 
après.  —  Anges,  soyez  prêts  à  chanter  en  route  un 
beau  cantique. 

Michel.  Nous  le  ferons  volontiers,  Sire, et  de  cœur, 
pour  plusieurs  raisons.  —  Gabriel,  cher  compagnon, 
chantons  d'un  joyeux  accord  el  sans  tristesse. 
Rondeau. 

Humains,  n'est-ce  pas  assez  d'être  tant  aimés  de  ce 
Dieu  qui  souffrit  mort  et  martyre  pour  vous?  oui, 
humains,  cela  doit  bien  vous  suffire.  Et  quand  il 
■vous  fait  dire  par  nous  que  vous  l'aimiez  de  tout 
votre  cœur,  humains,  cela  doit  bien  vous  suffire,  etc. 

saint  jean.  Impératrice  de  l'empire  de  Dieu,  s'il 


vous  platt,  vous  offrirez  ce  cierge.  —  Et  vous  aussi 
ces  deux  pareillement. — Dame,  je  m'en  vais  là- 
bas.  —  Tenez,  ami  Vincent,  voici!  —  Laurent, 
vous  aurez  ce  cierge-ci,  que  vous  irez  offrir  quand 
on  aura  chanté  l'offrande.  —  Tiens,  femme,  loue 
Dieu  de  ce  que  tu  vois  ici,  d'une  volonté  grande  el 
sainte. 

Gabriel.  Allons,  commençons  à  haute  voix  17n- 
iroït  sans  rdard.  Le  Confileor  est   dit.  — Michel, 
allons! 
(Ils  chantent  ici  tous  ensemble;  puis  Noire-Dame  va 

à  l'offrande,  el   les  antres  après;  ensuite   Notre- 
Dame  dil  :) 

notre-uame.  Michel,  va  dire  à  cette  femme  qu'elle 
s'attire  un  grand  blâme  en  faisant  tant  muser  le 
prêtre,  et  qu'elle  vienne  sans  plus  de  faui-fuyanis 
offrir  son  cierge. 

Michel.  Volontiers,  Vierge  glorieuse.  —  Dame, 
venez  sur-le-champ  à  l'offrande;  le  prêtre  imiso 
trop  longtemps.  Venez  offrir.  C'est  mal  à  vous  de  te 
faire  attendre  ainsi. 

guibour.  Ami,  sachez  que  je  n'offrirai  ce  cierg*- 
ci  à  liii  ni  à  nul  autre.  Je  le  garde  précieusement. 
Que  le  prêtre  passe  à  l'oraison  et  achève  sa  messe 
sans  m'allendre. 

michel.  Je  vais  rapporter  cette  réponse.  —  Glo- 
rieuse Vierge  Marie,  elle  m'a  dit  qu'elle  ne  viendrait 
pas,  el  que  le  prêtre  peut  passer  à  sa  préface  et 
achever  sa  messe  hardiment. 

notre-dame.  Gabriel,  vas-y  promplemenl,  « 
dis-lui  qu'elle  se  hâte  de  venir,  parce  qu'en  ce  jour 
c'est  l'usage  d'offrir  un  cierge. 

Gabriel.  Dame,  j'y  vais  sans  plus  de  relard.  — 
Femme,  dépêchez-vous  vile;  voici  ce  que  voïw 
mande  Notre-Dame:  Apportez  ce  cierge  à  l'offrande. 
\>us  commettez  une  bien  vilaine  action  en  faisant 
tant  attendre  le  prêtre.  Veuillez  vous  mettre  vile  eu 
roule,  venez  l'aire  votre  offrande. 

guibour.  11  peut  Lien  se  passer  de  moi.  En  peu  de 
mots,  qu'il  dise  sa  me.-se;  je  ne  songe  point  à  aller 
à  l'offrande,  el  je  n'irai  point. 

Gabriel.  Puisque  vous  ne  voulez  p;is  y  venir,  jî 
le  dirai  à  ma  maîtresse.  —  Dame,  elle  veut  garder 
son  cierge,  el  certainement  elle  ne  l'offrira  point  : 
voilà  le  loul  en  peu  de  mots. 

notre-dame.  Va  encore  à  elle  de  rechef,  el  dis- 
lui  qu  elle  ne  se  refuse  |kis  davantage  à  venir 
promplemenl  offrir  le  cierge;  si  elle  s'obstine  à 
faire  le  contraire,  ôle-lui  par  force  le  cierge  hors 
des  mains. 

cabriel.  Dame,  c'est  bien  le  moins.  —  Je  reviens 
à  vous,  belle  amie.  Venez  à  l'offrande,  n'y  man- 
quez pas.  ou  je  ferai  ce  dont  on  m'a  charge,  ç'esl- 
à-dire  «pie  je  vous  ôlerai  ce  cierge  des  poings:  en 
vérité. 

guibour.  Ami,  vous  n'aurez  pas  assez  de  force 
pour  me  l'ôler  du  poing,  el  je  vous  défends  d'y  lou- 
cher. 

gabriel.  Puisque  je  le  liens  par  le  milieu,  j'en 
serai  le  maître. 

guibour.  Et  j'y  veux  tellement  mettre  ma  force 
que  certes  il  me  demeurera;  il  ne  sortira  pas  de 
mes  mains.  Vous  tirez  vainement. 

Gabriel.  Bientôt  vous  direz  toute  autre  chose.  Au 
moins  j'emporterai  ceci.  — Dame  des  cieux,  voici 
loul  ce  que  j'ai  pu  en  avoir,  et  j'ai  bien  fait  mou 
pos>ible  pour  le  lui  ôler. 

dieu.  En  avant!  En  vérité  elle  garde  précieuse- 
ment el  avec  beaucoup  de  dévotion  ce  qu'elle  a.  Al- 
lons! achevons  notre  procession  aux  cieux;  el  vous, 
anges,  chantez  ;  c'esl  ce  que  je  vois  de  mieux. 

micuel.  Vrai  Dieu,  avec  joie,  sans  vous  contre- 
dire. 

Rondeau. 

Et  quand  il  vous  f  il  dire  par  nous  que  vous  l'ai- 
n  iez  d'un  cœur  sincère,  humains,  cela,  etc. 
guibour.  Ah!  Dame,  je  vous  remercie   de  votre 


33: 


FBI 


DICTIONNAIRE 


g.-ande  bonté.  Die  !  où  ?i-je  été?  Vraiment,  il  m'a 
semble  que  j'étais  clans  une  grande  église  où  je  vous 
voyais  comme  reine.  Il  y  av.iil  une  grande  foule  de 
saints.  Là,  voire  fils  chantait  la  messe,  dont  saint 
Vincent  était  le  diacre  et  saint  Laurent  le  sous- 
diacre.  A  ce  qu'il  me  sembla,  un  saint  remit  à  cha- 
cun un  cierge.  Il  commença  par  vous  tout  d'abord 
cl  vint  ea  dernier  lieu  vers  moi,  avant  VJniroit.  Puis, 
la  messe  dite  à  haute  voix  jusqu'à  l\  fJramîe,  vous 
allâtes  offrir  la  première,  et  tous  les  antres  après. 
Alors  v.nl  Votre  ai  ge  qni  me  pressa  d'offrir  mon 
cierge,  que  je  souhaitais  garder  tout  entier.  Je  refu- 
sai, et  il  m'en  a  pris  et  emporté  la  moitié  par  force. 
Cependant,  Dame,  je  m'en  console,  attendu  qu'il  l'a 
rompu  et  partagé  de  telle  manière  qu'il  m'en  a 
laissé  la  plus  grande  partie;  et  je  vois  bien,  vierge 
Marie,  que  j'ai  été  ravie  eu  esprit.  Je  vous  en 
remorc  e  humblement,  et  je  rends  grâces  à  l'amou- 
reux Jésus  de  ce  qu'il  ne  m'a  pas  oubliée;  au 
contraire,  il  a  eu  la  courtoisie  de  me  faire  ouïr  la 
messe  aujourd'hui. 

SCÈNF  XXVI. 

BONNES  ,    GCIBOUll. 

la  première  nonne.  Guibour,  certes,  vous  devez 
bien  réjouir  votre  cœur  en  Dieu,  car  je  vous  fais 
6avoir  que  lui-même  nous  a  envoyées  à  vous  toutes 
deux  pour  que  vous  vous  mettiez  en  roule  sans  re- 
tard ,  embrassiez  notre  ordre  et  preniez  notre 
habit. 

la  deuxième  nonne.  Dieu  veut  que  vous  laissiez 
les  vanités  de  ce  monde  pour  le  servir,  et  mériter 
une  plus  grande  gloire  dans  les  c'eux. 

guiboir.  A  la  vérité,  c'élail  là  tout  mon  désir. 
Allons  donc  à  la  volonté  de  Dieu,  puisque  vous  de- 
vez in'emmener;  je  suis  toute  orêle  à  parlir  avec 
vous. 

la  première  nonne.  Eh  bien!  allons;  mais  toutes 
trois  chamons  en  chemin  les  louanges  du  Roi  des 
rois  et  de  sa  douce  mère.  —  Vierge,  on  doit  bien 
vous  louer,  puisque,  pour  nous  arracher  à  l'enfer, 
Dieu  se  lit  homme  en  vous,  et  nous  acquitta  de  la 
mort  dont  Adam  nous  avait  rendus  les  débiteurs  en 
mangeant  la  pomme. 

FÊTE  DES  FOUS  (La).  La  Fête  des  Fous  a 
été,  jusqu'ici,  l'objet  de  dissertations  incom- 
plètes. Aux  xvne  et  xviii'  siècles,  en  général, 
on  s'est  arrêlé  à  tel  ou  tel  phénomène.  Notre 
temps,  un  peu  plus  compréhensif,  a  accepté 
des  bornes  un  peu  moins  étroites.  Néan- 
moins besucoup  des  grands  faits  originaux 
de  la  fêle  des  Fous  ont  manqué  d'examen. 

Du  Cange,  au  mot  Kalendœ  (Gloss.  inf. 
et  med.  lat.,  édit.  Henschell,  Paris,  Didot, 
in-i°,  6  vol.),  a  donné,  sur  la  fêle  des  Fous 
ou  des  Calendes ,  divers  renseignements 
très-curieux  :  —  au  xiv*  siècle,  les  mystères, 
les  miracles,  leurs  représentations  étaient 
dils  aussi  fêtes.  —  Les  Calendes  portaient 
dans  le  nord  le  nom  de  Kalcandach  ,  et  l'on 
trouve  à  Marseille  la  Noël  nommée  les  Ca- 
lenes.—  Ces  réjouissances  impies  se  sont 
perpétuées  des  gentils  parmi  les  Chrétiens. 
—  L'Eglise,  tout  entière,  les  conciles,  les 
Papes,  se  sont  élevés  en  vain,  durant  le 
moyen  âge,  contre  ces  folles  pratiques.  Non- 
seulement  les  laïques  n'abandonnaient  pas 
ces  jeux,  mais  le  clergé  lui-même  y  restait 
attaché.—  Au  xu*  siècle,  on  les  nommait  la 
liberté  de  décembre.—  Le  point  principal,  à 
partir  de  cette  époque  jusqu'à  leur  aboli- 
vion,  fut  l'élection  de  l'abbé  et  de  l'évêque 


DES  MYSTERES.  FET  338 

des  Fous,  dont  les  formules  nous  ont  été 
conservées  dans  un  cérémonial  manuscrit  de 
l'église  de  Viviers,  datant  du  xiv*  siècle,  1365. 
(V.  ci-dessous).  Ce  fut  seulement  au  xv*  siè- 
cle, en  France,  quand  la  Faculté  de  théologie 
y  tint  sérieusement  la  main,  que  ces  folies 
disparurent.  On  ne  les  retrouve  plus  depuis 
la  Lettre  circulaire  des  théologiens,  en  lk'*k. 
—  La  fête  portait  divers  noms,  outre  ceux 
mentionnés  plus  haut  :  fête  des  Hypodia- 
cres,  des  Sots,  des  Fous,  des  Innocents. 

Le  P.  Théophile  Raynaud  {Soc.  Jesu  theol. 
opéra;  Lyon,  Boissat  et  Resné,  1665,  in- 
fol.,  19  vol.,  Helcroclita  spiritual.,  sect.  h, 
punct.  8,  §20,  t.  XV,  p.  209),  s'élevait  aussi 
contre  la  fête  des  Fous,  des  Innocents,  les 
jeux  des  enfants,  les  élections  d'abbés,  les 
proses  de  l'une  et  du  bœuf. 

Du  Tillot  [Mémoires  pour  servir  à  l'his- 
toire de  la  fête  des  Fous  ,  Lausanne,  1751, 
in-i°)  et  l'abbé  d'Arligny  (Notice  sur  la  fête 
des  Fous  ;  collect.  de  Dissertations  <ie  Leber, 
Paris,  1838,  in-8%  20  vol.,  t.  IX,  p.  231), 
©ni  donné  le  n  un  de  Fête  des  Fous  à  certaines 
réjouissances  que  les  clercs,  les  diacres  et 
les  prêtres  mêmes  faisaient  dans  plusieurs 
églises  pendant  l'office  divin  ,  en  certains 
jours  ,  principalement  depuis  Noël  jusqu'à 
l'Epiphanie,  et  notamment  le  premier  jour 
de  l'an  :  c'est  pourquoi  on  appelait  aussi  la 
fête  des  Fous  fête  des  Calendes.  —  Pour 
découvrir  l'origine  de  ces  cérémonies,  il 
faut  remonter  aux  fêtes  du  paganisme,  entre 
lesquelles  les  Saturnales,  les  Lupercalcs  et 
les  Calendes  de  janvier  tenaient  le  premier 
rang. —  Quelque  scandaleuses  ,.  quelque  in- 
sensées que  fussent  ces  sortes  de  cérémo- 
nies, elles  subsistèrent,  en  tout  ou  en  partie, 
au  milieu  même  du  christianisme,  malgré 
les  conciles,  les  prpes,  les  évêques,  qui 
mirent  tout  en  œuvre  pour  les  abolir. — 
Ainsi,  le  jour  de  Noël,  après  vêpres,  les  dia- 
cres dansaient  dans  l'église,  en  chantant  une 
antienne  en  l'honneur  de  saint  Etienne;  les 
prêtres  en  faisaient  autant,  le  jour  de  ce 
saint,  en  l'honneur  de  saint  Jean  lEvangé- 
liste  ;  les  enfants  de  chœur  ou  les  pelils 
clercs,  le  jour  de  saint  Jean  l'Evangéliste,  à 
l'honneur  des  Innocents  ;  et  les  sous-diacres, 
le  jour  de  la  Circoncision  ou  de  l'Epiphanie. 
Du  Tillot  et  l'abbé  d'Arligny  citent  encore, 
et  distinguent  de  la  fête  des  Fous  ,  celle  de 
l'Ane,  les  danses  de  Noël  à  Conslanlinonle, 
et  les  élections  d'évêques  ou  d'abbés  des 
Innocents. 

L'abbé  de  Lame,  dans  ses  Essais  histo- 
riques sur  les  bardes,  les  jongleurs  et  les  trou- 
vères normands  et  anglo-normands,  (Caen, 
Mancel,  1834,  in-8%  3  vol.,  t.  1",  p.  183), 
considère  un  passage  de  Victor  de  Vite, 
comme  le  témoignage  que  l'Eglise  d'Afri- 
que, dès  le  ve  siècle,  tolérait  à  ses  lecteurs 
une  fête  des  saints  Innocents,  d'autant  qu'au 
xi*  siècle,  c'était  une  fête  déjà  très-ancienne 
à  Rouen,  et  qu'au  x'  siècle ,  Cedreaus  en 
prouve  l'existence  en  Orient. 

Dans  son  cours  professé  à  la  Facullé  des 
lettres,  en  1835,  M.  Magniw  considérait, 
autant  toutefois  qu'il  est    permis   de   s'en 


350 


FET 


DICTIONNAIRE  DES  MSÏERES 


FÊÏ 


540 


rapporter  s.ux  comptes  rendus,  fort  incom- 
plets et  très-souvent  inexacts  du  Journal 
général  de  l'Instruction  publique  (i  octo- 
bre 1835,  2e  semestre,  vu'  article,  p.  514), 
comme  particulier  au  xii"  siècle  le  dévelop- 
pement extraordinaire  des  liturgies  satiri- 
ques. 11  n'y  eut  pas  une  certaine  fête  de 
VAne  ou  des  Fous  ;  selon  les  temps  et  les 
lieux,  l'Ane  joua  un  rôle  plus  ou  moins 
considérable,  et  fut  admis  dans  les  offices 
(Rouen,  Sens);  dès  le  vne  siècle,  on  plaçait 


à  Cambrai  une  ânesse  peinte  derrière  l'autel  ;     évêques  et  des  abbés 


mettant  Eulhymius  à  leur  tête,  fit  de  cet 
homme  le  gardien  du  temple,  et  institua,  par 
son  entreprise,  des  danses  diaboliques,  des 
cris  infernaux  et  des  chansons  ramassées 
dans  les  carrefours.  » 

M.  Magnin,  dans  Je  second  semestre  de 
son  Cours  (Journal  génér.  de  l'Instr.  publia. ^ 
30  août  1835,  p.  4-55,  2e  semestre,  V  article), 
a  cité  ce  curieux  passage. 

Les  Fous  eurent  tout  un  clergé  à  part  et 
formèrent  une  église.  Il  y  eut  des  papes,  des 


à  Beauvais,  le  14.  janvier,  une  belle  ûlle  était 
assise  sur  un  âne  près  de  l'autel  pendant 
les  offices.  Le  Bœuf,  la  Vache  grise,  eurent 
aissi,  après  le  xne  siècle,  leur  office.  Les 
fêtes  des  Fous,  des  Sots,  des  Lotts,  des  Sous- 
Diacres,  des  Hypodiacres,  les  élections  des 
ro:s  des  Fous,  de  leurs  évoques,  de  leurs 
abbés,  celles  des  évêques,  des  enfants,  les 
processions,  les  danses,  les  jeux  de  pelotte, 
en  Dauphiné.  de  boule,  en  Berry,  l'Obit  de 
la  Bouteille  d'Evreux,  cl  bien  d'autres  céré- 
monies licencieuses,  ou  pour  le  moins  bi- 
zarres de  ce  même  xir  siècle,  que  l'on  re- 
trouve encore  plus  extravagantes  dans  les 
siècles  suivants  (Ibid.,  13  déc.  1835,  Cours, 
xme  art.,  p.  99),  émurent  le  haut  clergé  qui 
ne  cessa  de  les  poursuivre,  et  ne  parvint  à 


Dans  le  diocèse  de  Toul,  on  élisait  deux 
évoques  des  Fous,  dont  l'un  allait  à  cheval, 
le  jour  de  son  intronisation,  visiter  les  cou- 
vents de  Saint-Manuel  et  Saint-Apre.  Après 
le  repas  d'usage,  on  jouait  des  moralités,  ou 
des  miracles,  ou  quelque  farce.  (Statutamss. 
eccles.  Tullens.,  ann.  1497,  fol.  65,  v°,  cités 
par  Du  Cange  Gloss.  Jnf.  et  med.  lat.,  éd. 
Henschell,  Pari^  Didot,  in-i",  6  vol.,  1. 111, 
v°  Kalendœ,  p.  960-961.) 

A  Vienne,  le  15  décembre,  la  veille  de 
saint  Adon,  évêque  du  diocèse,  les  plus 
jeunes  clercs  élisaient  parmi  eux  un  évêque 
à  qui  l'archevêque  était  tenu  de  donner  do 
l'argent,  du  vin  et  du  bois,  et  qui,  aux  fêtes 
de  saint  Etienne,  de  saint  Jean,  des  Inno- 
cents, officiait,  sauf  la  messe.  (L'abbé  d'Ar- 


les  anéantir  qu'à  la  lin  du  xve  siècle.  Ainsi 

Dubois,   dans  son    Histoire   de   l'Eglise  de  1\^y,  Notice  sur  la  fête  des  Fous  dans   ses 

Paris,  1710,  a   faussé  toutes  les  idées,  en  ^m.  de /^er.,  t.  IV,  et  dans  Leber,£o//Cc/. 

attribuant  au   «i'  siècle    les  désordres  des  desmeill.  dissert.;  Pans,  1838,  in-8%  20  vol., 

xivc  et  xv*,  ii  en  repartant  tous  les  termes  l-  ■*»  P-  ^°"-J 

de  la  circulaire  de  1444  deux  siècles  trop  A  Châlons-sur-Saône,  on  pratiquait  à  p*m 

tôt.  Tout  le  xvme  siècle  s'y  est  abusé.  \rès  les  mêmes  rites  qu'à  Vienne.   (Le  P. 

La  fête  des  Fous  est  aussi  ancienne  que  Pef.ry,  jésuite,   Hist.  civ.  et  ecclés.  anc.   et 

l'Eglise  et  a  été  universelle.  Les  Agapes  et  moderne  de  la  ville  de  Chdlons;  Paris,   1654, 


le  Défruit  appartiennent  à  l'histoire  des  pre 
miers  temps  de  toute  l'Eglise.  V Alléluia  était 
chanté  en  Espagne  comme  en  France.  L'A- 
dam d'Alberstadt  prouve  que  les  pratiques 
sacrilèges  des  fous  avaient  pénétré  dans  le 
Nord,  dès  l'époque  la  plus  reculée;  il  en  est 
de  même  des  Eptus  Puor.  La  Procession  du 
hareng,  \eJour  des  merveilles,  la  Vache  grise, 
le  l,oup  vert,  le  Bœuf,  la  fête  de  VAne,  les 
Ca/ërtesde^larseille,  le  Jeudi  saint  d'Angers, 
les  Danses  dans  |es  églises,  les  cimetières, 
se  rattachent  certainement  à  des  époques 
antérieures  au  christianisme;  et  la  fête  des 
Fous  avait  donné  lieu  à  des  usages  impies, 
non-seulement  en  Occident,  mais  aussi  en 
Orient. 

Cédrénus  raconte  en  ces  termes  que 
ïbéophylacte,  tils  de  l'empereur,  nommé 
patriarche  de  Sainte-Sophie,  à  peine  encore 
âgé  de  seize  ans,  établit,  vers  1050,  une 
sorte  de  fête  des  Fous  dans  l'église  qu'il 
présidait  : 

*  C'est  à  ce  patriarche,  dit  Cédrénus,  que 
remonte   l'usage    qui   a    duré  jusqu'à    nos 


in-fol.,  p.  435.) 

En  1606,  dans  le  diocèse  de  Viviers,  il  y 
eut  un  procès  entre  les  Fous  et  leur  évêque 
qui  ne  voulait  pas  faire  les  fêtes.  L'oflioial 
donna  gain  de  cause  aux  Fous.  (Cf.  Lance- 
lot,  Recueil  mss.  de  pièces,  et  Du  Cange,  v° 
Kalend.) 

Dans  le  même  diocèse,  au  xive  siècle,  les 
Sclaffards  avaient  leur  abbé  (Voy.  Sclaf- 
fards),  qu'on  élisait  avec  des  cérémonies 
que  nous  rapportons  d'après  Du  Cange. 

11  y  eut,  en  même  temps  qu'une  église, 
une  royauté  des  Fous.  Le  Loup  vert  est  un 
Roi,  le  ducUrbin,  dans  la  procession  de  la 
Fête-Dieu  d'Aix,  est  le  chef  du  peuple.  Saint 
Paul,  dans  la  procession  qui  à  Vienne  porte 
son  nom,  était  reçu  par  un  Roi. 

La  variété  de  ces  formules  est  infinie.  Tantôt 
c'est  une  communion  d'homme  à  homme 
(Agapes,  Défruit),  tantôt  une  dérision  de  la 
nature  humaine,  comme  l'Adam,  VObilde  la 
Bouteille,  la  Procession  de  la  Fêle-Dieu  d'Aix, 
la  Procession  noire  d'Evreux,  la  Procession 
de  saint  Paul  à  Vienne,  l'institut  des  Sclaf- 


jours,  de  substituer  dans  les  plus  grandes  fards,  ou  les   Danses    consacrées.   D'autres 

fêtes  et  les  plus  solennelles,  consacrées  soit  fois,  c'est  l'animal  qu'on  appelle  à  la  con- 

à  Dieu,  soit  aux  saints,  l'outrage  de  chan-  naissance  de  Dieu  ;  et  ailleurs  on  le  repousse 

sons  indécentes,  de  rires  et  de  cris  insen-  et  on  le  maudit.  L'esprit  humain  s'exalte  à 

ses,  aux  hymnes  sacrées  que  nous  devons  la  pensée   d'être  en    communicaiion  avec 

offrir  à  Dieu  pour  notre  salut.  Ce  pontife  Dieu,  ou    perd   l'espoir  d'atteindre  jamais 

rassemblant   une   troupe   de  débauchés   et  aux   sommités   du  Très-Haut.  C  est   alors. 


311                           Fl\                  DICTIONNAIRE  DPS  MYSILRE3.  FIA                          542 

({u'on  entend    gémir   si  profondément    les  après  paraît  un  vilain  réfléchissant  profon- 

entrailles  de  Rachel  (Innocents).  dément 4  quoi?  —  à  la  bouillie  qui  l'al- 

Le  nord  de  la  France,  le  centre  et  le  sud-  tend  ptès  de  son  foyer.  Il  se  plaint  du  temps 

est  subissent  surtout  les  exigences  des  Fous,     qu'il  a  perdu  à   une  messe Un  sergent 

Dans  Vienne  seule  on  trouve  la   Procession  arrive  qui  se  bat  contre  le  brigand   et  a  le 

de  saint  Paul,  l'élection  d'un  évéque  des  en-  bras  cassé.  Le  vilain  ,  rendu  à  son  village, 

fants,    et  le    Jour    des  merveilles.  Mais  ni  y  trouve  sa  femme  au  cabaret,  disant  de  lui 

l'extrême  ouest  ni  le  sud-ouest  n'en  gardent  mille  injures,  et  buvant  à  plein  verre  avec 

d'aussi  fortes  traces.  la  femme  du  sergent,  qui  se  réjouit  du  bras 

Pour  compléter  ces  notions  et  connaître  cassé  à   son  mari,  attendu  qu'il  ne  pourra 

tout    entière   la  fête  des  Fous,  il  faut  lire,  plus   la  battre.   Le  sergent,  de  retour,  lui 

dans  ce  Dictionnaire ,  les  articles  suivants  :  prouve  qu'elle  avait  compté  sans  son  hôte  : 

Adam   d'Alberstadt  (1'), —  Agapes  (les), —  il  la  bat  comme  de  coutume.  Le  vilain,  qui 

Alléluia  (P),  — Ane  (la  fête  de  P),  —  Boeuf  a  pris  les  devants,  n'est  pas  en  reste  avec  sa 

^la    prose  du),   —  Galènes  (les),  — Danses  femme,  et  les  deux  commères  battues  finis- 

c.onsacrées   (les),  —  Défruit  (le),  —  Eptus  sent  par  se  battre  entre  elles  et  s'arracher 

Puor  (P),  —  Innocents  (les),  —  Jeudi-Saint  leurs  coitfes.  Dieu,  cependant,  au  haut  du 

(le),  —  Jour    des   merveilles  (le),  —  Loup  ciel,  s'occupe  de  la  récompense  et  des  hon- 

vert  (la  procession  du),  —  Obit  de  la  Bou-  neurs  qu'il  veut  qu'on  rende  au  bienheureux 

Ti  .lle(P), — Procession  de  l  a  Fête-Dieu  d'Aix  jeune  homme,  dont  Pâme  est  arrivée  à  lui. 

^la),  — Procession  du  Hareng  (la),  — Procès-  11  appelle  ses  Anges  et  le  mystère  continue. 

sjon  noire  d'Evreux  (la),  —  Procession  de  L'auteur,  en  mêlanl  aux  plus  hauts  intérêts 

saint  Paul  a  Vienne  (la),  —  Sçlaffards  (les),  la  peinture  de  tout  ce  que  la  terre  a  de  ma- 

—  Vache  grise  (la).  tériel  et  de  vil,  a-t-il  voulu  relever  encore 

FETE  DES  MERVEILLES    (  La  )  —  Voy.  son  héros  qui  s'est  détaché  d'une  almo- 

Jour  des  merveilles  (Le).  sphère  impure,  et  nous  transporter  d'autant 

FETE  DFS  M1RACLFS.  — Voy.  Jour  des  mieux  dans  les  conseils  suprêmes? —  Non  : 

merveilles  (Le  ).  ce  profond  contraste  n'est  très- probable 

FIACRE  (Saint). — Le  mystère  de  Saint-  ment  qu'un  plus  grand  emploi  du  ridicule 

Fiacre  est  tiré  du   manuscrit  de  la  biblio-  amalgamé  aux  choses  les  plus  graves....  » 

thèque  Sainte-Geneviève.  Nous  reproduisons  enfin  l'analyse  altiï- 

II  date  du  xve  siècle.  buée  au  duc  de  La  Vallière  : 

La  Bibliothèque  du  théâtre  François,  ou-  «  Le  père  et  la  mère  de  saint  Fiacre,  fâchés 

vrage  attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde,  do  voir  leur  fils   entièrement  livré  à   la  dé- 

1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  Ier,  p.  38-42),  a  donné  votion,  désirant  lui  voir   prendre  un   a»u*re 

de  ce  drame  une  analyse  que  nous  repro-  genre  de  vie,  se  déterminent  à  le  marier,  et 

(luisons  ci-dessous.  chargent  un  chevalier  de  lui  chercher  une 

M.   Achille  Jubinal   l'a    publié   dans  ses  femme.  Celui-ci  envoie    une  jeune  fille... 

Mystères  inédits  du  xv'  siècle  (Paris,  1837,  Mais  le  jeune  saint...  persiste...  Dieu,  tou- 

in-8°,  2  vol.,  t.  l'Vp.  30i-355),  dans  le  temps  chéde  la  ferveur  des  prières  de  saint  Fiacre, 

même  où  M.  O.  Leroy  le  mentionnait  dans  en  parle  à  la  Vierge,  et  pour  conserver  ce 

si  s  Etudes  sur  les  mystères  (Paris,  1837,  digne  serviteur,    il  lui   fait    ordonner  par 

in-8°,  p.  290).  Plus  tard,  et  bien  après  la  pu-  l'ange  Gabriel   d'aller  en  France.   Le  sainl 

blication  de  M.  Jubinal,  M.   O.  Leroy  est  obéit,  fait  marché  avec  un  batelier,  passe  la 

revenu  sur  ce  sujet.  mer,  débarque,  prend  le  chemin  de  Mcaux  : 

«  Dans   ce    mystère ,    a   dit    cet  au-  saint  Faron   le   reçoit,  lui  assigne  un  lieu 

tour  dans  ses  Epoques  de  ÏHist.  de  France  désert,  et    promet  de   lui    donner   toute  la 

(  Paris,  1843,  in-8D,  p.  360-361  ),  une  pièce  terre  qu'il  pourra  bêcher  en  un  jour.  Saint 

entière,  une  farce  qualifiée  telle,  se  trouve  Fiacre  se  met  au  travail,  il   est  interrompu 

jetée  dans  une  pièce  grave  et  au  milieu  de  par  les  cris  d'une  vieille  femme,  qui  se  plaint, 

l'action,  avec  laquelle  elle  n'a  aucun  rap-  à  l'évêque  qu'on  usurpe  son  terrain.  Lévê- 

por( Un  jeune  homme,  saint  Fiacre,  qui  que,  surpris  de  voir  tant  d'ouvrage  fait  en 

regarde  la  pureté  comme  la  plus  belle  des  aussi  peu  de  temps,  apaise  la  vieille, exhorte 

vertus  ,  est  livré  à  des  tentations  sous  les-  le  saint  à  se  bien  conduire  et  se  recommande 

quelles  il  craint  de  succomber,  et  prie  ins-  à  ses  prières.  Pour  le  soustraire  désormais 

'animent  Dieu  de  l'enlever   de   ce  val  de  aux  pièges  de  l'ennemi, Dieu  envoie  à  saint 

misères.  Dieu,  voulant  exaucer  sa  prière,  le  Fiacre  une   maladie  :  saint  Faron  lui  admi- 

nappe  d'une  maladie  mortelle,   et  charge  nistre  les  sacrements;  il  meurt.  Saint  Michel 

saiut  Michel  et  l'ange  Gabriel  d'aller  dire  à  conduit  son  âme  en  paradis,  et  saint  Faron, 

l'évêque  Faron  de  porter  le   viatique  à  son  avec  son   chapelain  et  son  clerc,  enferrent 

j  -une  serviteur  et  de  l'aider  à  bien  mourir,  son  corps. 

Les  deux  célestes  messagers  s'étant  acquit-  «  Une  chose  assez  singulière,  c'est  que  eo 
lés  de  cet  ordre,  l'évêque  vient  apporter  au  mystère  dont  on  va  bientôt  voir  la  suite, 
jeune  malade  des  consolations  et  les  plus  est  interrompu  ici  par  une  farce.  En  cet  en- 
hautes  espérances  :  il  ouvre  en  quelque  droit,  on  lit  dans  le  manuscrit  :  Ici  est  in- 
sorte à  son  âme  les  portes  de  l'éternité lerposée  une  farce... 

La  scène  change.  Nous  sommes  sur  un  grand  ■  Après  que  cette  farce ,  écrite  Irès-libre- 

<  hemin  où  nous  voyons  passer  un  brigand  ment,  est   finie,  on  recommence   un  autre 

qui  cherche  la   route  de   Saint-Omcr.  Puis  mystère,  qui  est  la  suite  du  précédent,  et 


5i3 


FID 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FIL 


544 


dont  le  sujet  est  la  translation  du  corps  de 
saint  Fiacre  :  de  nouveaux  personnages  y 
sont  introduits  sur  la  scène. 

«  Saint  Faron,  par  l'ordre  de  Dieu,  expose 
le  corps  du  bienheureux  sur  un  autel.  Il  s'y 
fait  une  grande  quantité  de  miracles  :  les 
malades  y  accourent  en  foule,  sont  guéris, 
et  s'en  retournent  en  chantant  les  louanges 
du  Seigneur.  Saint  Faron  finit  ce  mystère 
par  ces  trois  vers  : 

Biaux  seigneurs  qui  ces  mots  oyez 
Chantons  et  ne  soyons  pas  miez 
De  cuer  :  Te  Deum  laudamus...  » 

FIDÈLE  (Le).— Morale  à  v  personnages, da- 
tant très-probablement  du  xvi*  siècle,,  éditée 
d'aprèsle manuscritdu  fonds LaVallière,n°63 
de  la  Bibliothèque  impériale,  dans  le  Recueil 
de  farces,  moralités,  et  sermons  joyeux,  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Michel; 
Paris,Techener,1837Jpetitin-8°ancien,4vol.; 
t.  II,  n°  35.  Il  ne  nous  paraît  pas  que  cette 
letite  pièce  ait  jamais  été  destinée  à  la  re- 
jrésentation.   C'est  un  dialogue  ,  imité  de 
'antique,  entre  le  Fidèle,    le  Ministre,  le 
Suspens,  [' Israélite,  la  Providence  et  la  Vierge. 
Il  y  a ,  comme  on  peut  le  remarquer,  un 
acteur  de  plus  que  n'en  indique   le  titre, 
mais  cet  acteur  n'est  autre  que  le  Suspens: 

Oparfaicl  Israélite! 

De  la  lignée  d'eslite , 

A  qui  Dieu  feist  ses  promesses 

Ne  le  apelle  plus  Suspens 

De  toute  génération 

L'outrepasse... 

Le  sujet  du  dialogue  roule  sur  ,a  prédes- 
tination. 

LE  FIDELLE. 

Ministre  saint  de  la  bonne  nouuelle 
De  Peuangile  et  parole  éternelle 
Qui  conduises  ce  céleste  troupeau 
A  la  bonne  herbe  et  la  claire  et  viue  eau 
Laquelle  rend  par  foy  l'ame  immortelle, 
Apprenez  nous  pour  consolation 
Que  c'est  que  la  prédestination... 

Cette  petite  pièce  de  26  pages,  dont  le 
style  et  les  idées  sont  fort  singulières,  se 
termine  par  ces  vers  bizarres  dans  la  forme 
et  l'expression  : 

PROUIDENCE    DIUINE. 

Courage  donc,  Israélites  I 

LES    ESLITES. 

Du  Dieu  viuant  par  l'tiniuers 
Vous  esies  tous  au  liure 

Qui  déliure 
Les  esleuz  des  tourmens  dyuers. 
L'aigncau,  le  grand  dominateur 

El  salualeur 
A  ouuerl  ce  liure  de  vie 
El  deûurmé  de  doiglz  royaulx 

Les  sept  seaulx 
De  cesle  lumière  assouuie, 
Sera  venue  et  mis  a  part 

A  l'escart... 
Plus  n'y  aura  d'ennuys,  de  larmes 

Ny  alarmes 
Qu'il  uousconuyenl  souffrir  au  monde 
Pour  estre  faiciz  tous  uniformes 

Et  conformes 
A  l'image  de  l'aigneau  mmunde. 


FILLE  DU  ROI  DE  HONGRIE  (La)»— Le 

miracle  de  la  Fille  du  roi  de  Hongrie  est 
extrait  du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  im- 
périale, n°  7208.4.  B.  folio  h  recto. 

MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel,  dans  lour 
Théâtre  français  au  moyen  âge  (Paris  ,  1839, 
gr.  in-8",  p.  481-542),  en  ont  publié  le  texte 
pour  la  première  fois,  avec  une  version 
française.  M.  Fr.  Michel  remarque  que  le 
sujet  est  tiré  du  Roman  de  la  Manekine,  de 
Philippe  de  Reimes,  trouvère  du  xin'  siècle, 
dont  les  œuvres  sont  restées  inédites. 

PERSONNAGES. 


DE 


DE 


LE  COMTE. 

LE  ROY  DE  HONGRIE. 

PREMIER      CHEVALIER 

HONGRIE. 
DEUXIÈME    CHEVALIER 

HONGRIE. 
REMOND. 
LE   PAPE. 

LE  PREMIER  CARDINAL. 
DEUXIÈME    CARDINAL. 
JOUYE,  OU  LAFILLE  ROYNE. 

guyot,  premier  sergent. 

Jourdain,  deuxième  ser- 
gent. 

cochet,  le  bourrel. 

le  prévost  au  roy  d'Es- 
cosse. 

LE    ROY    D'ESCOSSE. 

la  mère  du  roy  d'Escosse. 

LEMBERT   OU   LEMBIN,     eS- 

cuier. 


le    premier    chevalier 

d'escosse. 
deuxième  chevalier  d'es- 

COSSE. 
NOSTRE-DAME. 
LE  HÉRAUT. 
LA  PREMIÈRE    DAMOISELLE. 

yolent,  deuxième  damoi- 
selle. 

GODEFROY. 

bon,  secrétaire. 

DIEU. 

Gabriel,  premier  ange, 
michiel  ,  deuxième  ange. 

LE  SÉNATEUR. 

LA  FEMME  DU  SÉNATEUR. 

godeman,  escuier. 
l'enfant, 
colin,  le  clerc 

LE  CHAPELLAIN. 


TITRE. 

Ici  commence  un  miracle  de  Notre-Dame,  comment 
la  fille,  du  roi  de  Hongrie  se  coupa  la  main  parce 
que  son  père  voulait  l'épouser,  et  un  esturgeon  la 
garda  sept  ans  dans  sa  mulelle. 

SCÈNE  I". 

LE  ROI,  LE  COMTE,  BARONS,  CHEVALIERS, 
SEIGNEURS  DE  LA  COUR. 

le  comte.  Sire  roi,  écoulez-nous  :  à  quoi  pensez-» 
vous?  11  nous  semble  à  moi  et  à  tous  vos  barons, 
que  vous  attendez  trop  longtemps  à  vous  marier. 
Voyez  à  trouver  une  femme  de  qui  vous  puissiez 
ivoir  un  héritier  mâle;  il  le  faut. 

le  premier  chevalier.  Il  dit  vrai ,  sire;  il  le  faut, 
et  cela  depuis  longtemps  ,  afin  de  nous  laisser  un 
lils  qui  tînt  la  lerre  après  vous,  et  qui  nous  défendît 
en  guerre,  s'il  était  besoin. 

le  roi.  Seigneurs,  sachez  que  jamais  je  n'épou- 
serai femme,  à  moins  qu'elle  ne  soit  tout  le  portrait 
de  ma  défunte  (Dieu  ail  son  âme!),  par  les  manières, 
l'esprit  et  le  visage;  car  je  lui  jurai  de  ne  nie  rema- 
rier et  de  prendre  une  compagne  qu'autant  qu'elle 
lui  ressemblerait  d'extérieur,  de  caractère  elde  bon 
sens.  Si  vous  en  connaissez  une  pareille,  envoyez- 
la-moi  hardiment  :  je  la  prendrai. 

le  comte.  Sire,  je  vous  répondrai  qu'il  n'est  guère 
possible  qu'on  vous  puisse  trouver  une  femme  res- 
semblant à  ma  dame  de  beauté ,  de  figure  el  de 
mœurs.  Renoncez  à  cela,  car  on  n'y  pourrait  réus- 
sir; où  trouver?  En  vérité,  je  ne  sais. 

le  roi.  Comte,  puisque  j'en  ai  fait  le  serment, 
cerlesje  le  tiendrai,  quoi  qu'il  advienne. 

le  comte.  Telleest  donc  votre  dessein  arrête  ;  soit, 
vaille  que  vaille,  je  me  tairai. 


FIL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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546 


SCÈNE  II. 


LE  COMTE,  BARONS,  CHEVALIERS,  SEIGNEURS 
DE   LA   COUR. 

le  deuxième  chevalier.  Eh!  lirons  à  l'écart;  je 
veux  vous  dire  à  vous  deux  ce  que  hou  m'en  semble. 
Autrefois,  vous  et  moi,  l'ayant  engagé  à  se  marier, 
il  nous  fil,  alors  comme  aujourd'hui,  la  même  ré- 
ponse; et  vous  le  savez,  nous  envoyâmes  par  le  pays 
des  hommes  adroits  et  réfléchis  qui,  ont  élt  en  mainte 
terre  demander,  chercher  et  trouver  une  femme  res- 
semblant à  la  feue  reine;  après  bien  du  temps,  ils 
n'ont  rien  l'ail. 

le  premier  chevalier.  C'est  vrai,  je  le  sais  bien  : 
mais  aussi  est-ce  vraiment  chose  impossible.  Bref,  il 
faut  nous  en  aviser  par  quelque  moyen. 

le  comte.  Oui,  il  faut  y  pourvoir  :  ce  serait  pour 
nous  un  grand  malheur  s'il  mourait  et  que  nous  fus- 
sions sans  chef  et  sans  héritier  issu  de  son  corps. 
Je  suis  bien  d'avis  d'en  délibérer,  sans  larder  da- 
vantage. 

le  deuxième  chevalier.  Seigneurs,  je  pense  à  un 
moyen  :  sa  fille  est  assez  sage  et  belle  ;  c'est  une 
demoiselle  déjà  assez  grande,  et,  sous  le  rapport  des 
mœurs  et  des  trails,  elle  ressemble  à  sa  mère  mieux 
qu'une  peinture.  Celui  qui  lui  conseillerait  de  la 
prendre  commettrait-il  donc  une  action  trop  répré- 
hensible? 

le  premier  chevalier.  Je  crois  que  non,  certai- 
nement, pourvu  que  Dieu  n'en  fût  pas  courroucé  et 
que  l'on  osât  le  lui  dire?  Qui  le  lui  dirait? 

le  comte.  Moi,  et  avec  hardiesse,  par  la  sainte 
Croix  !  Allons-nous-en  tous  les  trois  à  lui;  vous  en 
tendrez  comment  je  lui  parlerai. 

SCÈNE  III. 
LES  mêmes,  le  roi. 

le  comte.  Sire,  sire,  je  vous  dirai  que  nous  ne 
pouvons  trouver  nulle  part  une  femme  pour  vous;  et 
cependant ,  nous  blâme  qui  voudra,  nous  avons  fait 
chercher  jusque  outremer.  Puisque  vous  n'en  vou- 
lez une  qu'autant  qu'elle  ressemblera  à  ma  dame  et 
qu'elle  lui  sera  pareille  en  tous  points,  je  vous  con- 
seille (pourvu  que  Dieu  le  permette,  et  que  sainte 
Eglise  y  consente)  d'épouser,  en  vérité,  votre  lille, 
qui  est  une  gentille  demoiselle  et  assez  grande;  car 
nous  ne  connaissons  personne  autre  qui  ressemble  à 
|a  reine  :  il  nous  semble  donc  qu'il  faut  en  agir 
ainsi. 

le  roi.  Seigneurs,  plu;ôl  que  par  ma  faille  mon 
trône  demeure  sans  héritier  et  qu'un  roi  étranger  ne 
s'en  empare,  je  ferais  ce  que  vous  me  dites  ;  maisje 
ne  crois  pas  que  jamais  vous  ayez  ouï  parler  d'une 
lille  devenue  la  femme  de  son  père  :  néanmoins,  si 
Ton  me  montre  la  permission  du  pape,  je  consens  à 
la  prendre  pour  femme  sans  difficulté. 

SCÈNE  IV. 

les  précédents,  moins  le  roi. 

le  premier  chevalier.  En  avant!  puisqu'il  a  dit 
cela,  il  ne  nous  faut  qu'un  homme  sage  qui  remplisse 
promplement  ce  message  auprès  du  pape. 

le  deuxième  chevalier.  J'en  fournirai  un  bon  et 
bel  et  assez  habile,  sans  en  dire  plus  ;  il  connail  très- 
bien  celle  cour  éloignée. 

le  comte.  Failes-le  venir,  je  vous  en  prie. 

le  premier  chevalier.  Je  vais  le  chercher  sans 
retard. 

SCÈNE  V. 

LE  PREMIER  CHEVALIER, RÉMOND. 

le  premier  chevalier.  Rémond ,  je  vous  trouve 
bien  à  point  :  venez-vous-en  avec  moi,  sans  retard. 

rémond.  Volontiers,  Monseigneur,  par  ma  foi! 
inaiseuqucl  endroit  et  pour  quoi  faire?  Est- il  quel- 


qu'un qui  veuille  me  maltraiter?  Dites- moi  la  vérité. 
le  deuxième  chevalier.  Rémond.je  ne  viens  vous 
chercher  que  pour  voire   profil;  soyez  tranquille. 
Venez-vous-en  vile  avec  moi. 

SCÈNE  VI. 

LES  PUÉCÉDENTS,  LE  PREMIER  CHEVALIER, 
RÉMOND. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER.  Voici  l'homme  (lotit  [e  VOUS 

ai  parlé,  seigneurs;  dites-lui  sans  délai  ce  qu'il  y  a 
à  faire. 

le  comte.  Il  fniil,monbon  ami,  vous  rendre  pour 
le  roi  auprès  du  pape,  et  obtenir  une  audience.  Vous 
direz  à  Sa  Sainteté,  premièrement,  que  le  roi  a  fait 
vœu  de  ne  jamais  prendre  de  femme  en  mariage  à 
moins  qu'elle  ne  ressemblât  de  corps  a  celle  que 
jadis  il  épousa  et  qui  est  morte;  en  second  lieu,  que 
les  barons  de  Hongrie  ont  fait  chercher  et  fouiller 
par  mer  et  sur  terre  ,  mais  en  vain;  cl  enfin,  que 
l'on  ne  trouve  de  semblable  à  la  défunte  que  la  lille 
qn'ellc  a  laissée  et  qui  esl  fort  belle.  Alors  vous  ex- 
pliquerez qu'il  faut  que  Sa  Sainteté  consente  à  ce 
que  le  roi  épouse  ainsi  son  propre  enfant,  puisqu'on 
ne  trouve  nulle  pari  une  autre  dame  ressemblant  à 
la  reine  défunte;  et  le  roi  sera  dégagé  de  son  vœu 
en  ayant  sa  fille.  Voici  la  supplique  qui  contient 
nos  raisons.  C'est  tout.  Faites  votre  devoir.  Allez, 
l'ami. 

rémond.  Messeigncurs  ,  n'en  parlez  pas  davan- 
tage, je  ferai  à  ce  sujet  tout  ce  que  je  pourrai.  Je 
vous  recommande  tous  à  Dieu,  ei  dès  maintenant  je 
me  mets  en  route. 

SCÈNE  VII. 

RÉMOND,  Seul. 

rémond.  Que  Dieu  et  ma  dame  sainle  Avoie  me  fas- 
sent la  grâce  que,  une  fois  auprès  du  pape  et  après 
avoir  adressé  ma  supplique,  l'affaire  réussisse  de 
manière  à  remplir  les  désirs  du  roi  !  j'aurai  bien 
employé  mon  temps.  Il  me  faut  déployer  mon  habi- 
leté. Maisje  vois  là-bas  le  saint  l'ère,  i!  faut  que  je 
paraisse  devant  lui,  sans  y  mettre  plus  de  relard. 

SCÈNE  VIII. 

RÉMOND,  LE  PAPE,   CARDINAUX. 

rémond.  Très-saint  Père,  honneur  à  votre  sainte 
révérence!  veuillez  ouïr  une  requête  que  j'ai  à  vous 
faire. 

le  pape.  Si  tu  l'as  en  écrit,  remets-la-moi  sans 
parler  davantage. 

rémond.  Oui,  je  l'ai:  tenez,  cher  sire,  et  regar- 
dez-la. 

le  pape.  Beaux  seigneurs,  ne  me  refusez  pas  vos 
conseils:  voici  une  affaire  importante.  Telle  esl  la 
teneur  de  celle  requête  :  Le  roi  de. Hongrie  eui  au- 
trefois une  femme  qui  est  morte.  (Dieu  ait  son  âme!) 
Le  roi  a  fail  vœu  de  n'avoir  jamais  d'autre  épouse, 
à  moins  qu'elle  ne  ressemble  à  la  défunte,  de  figure, 
de  corps,  de  manières.  On  ne  peut  en  trouver  une 
pareille;  mais  quoi?  il  a,  ce  me.  semble,  une  fille  de 
la  défunte,  ressemblant  en  tous  points  à  sa  mère.  Il 
me  demande  la  permission  de  la  prendre  pour  fem- 
me :  peut-il  le  faire  sans  offenser  la  foi  ? 

le  premier  cardinal.  Quant  à  moi,  je  réponds 
qu'un  roi  n'étant  pas  une  personne  commune,  mais 
un  hommeen  dehors  de  la  règle,  à  tel  pot  telle  cuiller, 
il  convient  de  lui  accorder  une  faveur  plus  qu'à 
un  homme  d'un  autre  état;  et  vous,  qu'en  dilcs- 
vous? 

LE  DEUXIÈME  CARDINAL.    Oïl    petit   lui    aCCOrder    SI» 

demande  pour  mieux  le  dégager  de  son  vœu,  mais 
je  demande  une  autre  chose.  —  Amis,  apprenez-le- 
moi,  a-l-il  eu  de  son  mariage  d'aulres  enfants  q«e 
la  fillette? 

rémond.  Nenni,  et  c'esl  ce  qui  chagrine  le  uemde 


3i7 


FL 


D1CT103.NAIHG  DtS  MYSTERES. 


FIL 


51S 


et  le  met  en  grand  sonei;  car,  sire,  s'il  mourait  en 
cet  étal,  sans  avoir  d'héritier  mâle  de  son  sang,  il 
s'élèverait  entre  le  peuple  et  les  seigneurs  des  difli- 
cullés,  des  tiraillements,  des  dissensions,  des  guer- 
res, les  pins  grandes  que  vous  sachiez. 

le  deuxième  cardinal.  Je  suis  donc  d'avis,  saint 
Père,  <p:e  vous  lui  accordiez  sa  requête,  puisqu'il 
vous  demande  voire  permiss  on  pour  ce  mariage. 

le  premier  cardinal.  Vous  a\ez  raison,  sire,  et 
je  pense  de  même;  c'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux,  à 
bien  considérer,  lani  pour  qu'il  observe  son  vœu, 
que  pour  qu'il  f.sse  son  devoir  en  procréant,  s'il 
plaii  à  Dieu,  des  enfants  qui  gardent  et  défendenile 
peuple  contre  les  insultes  et  les  agressions  d'aucun 
seigneur  étranger. 

le  pape.  Eh  bien!  que  cela  soil.  Et,  sans  plus  de 
relard,  je  veux  que  l'on  expédie  et  délivre  une  bulle 
à  ce  sujet  contenant  mon  assentiment. 

le  deuxième  cardinal.  Sire,  votre  volonté  sera 
faite.  —  Ami,  rends  grâces  au  saint  Père,  et  en  pre- 
nant congé  remercie-le  sans  retard. 

rémond.  Saint  Père,  que  Dieu,  par  sa  puissance, 
vous  octroie  une  vie  longue  et  heureuse,  ei  veuille 
aussi  vous  défendre  des  traits  de  l'envie  ! 

le  pape.  Que  la  bénédiction  de  Dieu  puisse  des- 
cendre sur  loi!  je  te  donne  la  mienne.  Ami,  à  celle 
heure,  va  l'en,  aie  soin  de  l'en  retourner. 

LE  deuxième  CARDINAL-  Allons  nous-eu  là-bas  dans 
ce  recoin,  ami,  je  l'y  expédierai  el  je  le  livrerai  ta 
bulle.  Allons!  liens,  va-t'en. 

rémond.  Sire,  que  Dieu  vous  donne  une  bonne 
année!  avec  votre  permission,  je  m'en  irai. 

SCÈNE  SX. 

RÉMOND,  seul 

rémond.  Maintenant  je  n'arrête  pas  que  je  nesoisen 
Hongrie.  Si  des  relards  ne  me  donnent  pas  un  démenti, 
j'y  serai  assez  prompleinenl;  car  j'ai  le  cceur  à  la 
marche,  étant  porteur  de  bonnes  nouvelles.  C'est 
l'ail.  Je  vois  d'ici  la  porte  du  manoir  royal  lotit  ou- 
verte: entrons  sans  retard,  bien  que  je  sois  ha- 
rassé. 

SCÈNE  X. 

BARONS,   CHEVALIERS,  SEIGNEURS,  LE  COMTE 
RÉMOND. 

rémond. Messeigneiirs,  que  Dieu,  qui  est  au-dessus 
de  nous,  vous  comble  tous  de  joie  ! 

le  deuxième  chevalier.  Rémond,  sois  le  bienvenu! 
lève-toi.  Quelles  nouvelles? 

rémond.  Quelles  nouvelles,  sire?  bonnes  cl  belles. 
Voyez  cela.  (//  montre  la  bulle.) 

le  comte.  Retirons-nous  la  plus  à  l'écart,  et 
voyons  ce  que  c'est.  C'est  du  latin.  Tenez  ;  je  n'y 
connais  pas  plus  qu'un  vieux  mâtin. 

le  premier  chevalier.  Allons,  allons!  je  vais  vous 
dire  ce  qu'il  y  a;  je  vais  le  déchiffrer.  Selon  ce  que 
j'ai  lu  ici,  le  roi  peut  épouser  sa  lille;  car  le  pape 
donne  son  assentiment  par  cette  bulle. 

le  deuxième  chevalier.  Allons  le  dire  au  roi,  sans 
nous  arrêter  ici  le  moins  du  monde. 

le  comte.  Allons-y,  sire,   sans  plus  demeurer  ici. 

SCÈNE  XI. 

LE  ROI,    LA  FILLE  DU  ROI,  LES    MÊMES  que 

précédemment. 

le  comte.  Sire,  en  vertu  de  sa  puissance,  le  saint 
Père  vous  donne,  par  cette  letlre,  permission  cl  li- 
cence de  prendre  voire  fille  pour  femme. 

le  roi.  Puisque  c'est  une  chose  qui  peut  se  faire 
avec  le  gré  de  l'Eglise,  elle  sera  épousée  par  moi,  je 
vous  le  promets.  Je  la  vois  venir.  —  Ici,  jeune  lille  ! 
parlez-moi:  je  suis  pressé  par  tous  les  barons  de  ce 
pavs  de  vous  épouser;  et  cela  sera  fait. 

LA  fille.  Père,   s'il  piail  à  Dieu,  jamais  il  n'arri- 


vera que  nous  engagions   notre  foi   l'un  à  l'autre. 
Ne  suis-je  pas   née  de   vous   autrefois?  Et  si    vous 
n'êtes  pas    mon   père,  comment    avez-vous  épousé 
ma  mère?  Certes,  vous  devez  savoir  que  vous  ne  pou 
vez  avoir  la  fille  et  ta  mrre. 

le  roi.  H  faut  que  cela  ait  lieu,  belle  amie,  je 
vous  le  dis  brièvement  sans  détour;  el  vous  êtes  une 
solie  de  vous  refuser  à  faire  une  chose  que  je  veux. 

la  fille.  Pour  Dieu,  mon  doux  père,  gardez-vous 
de  faire  une  chose  dont  votre  âme  souffrirait  après 
la  morl.  Vous  aurez  pou  de  satisfaction  avec  moi,  si 
à  la  fin  vous  en  dites:  i  Hélas!  »  el  je  liens  que 
vous  n'en  serez  pas  quitte,  si  vous  menez  ce  que 
vous  dites  à  exécution.  Comment  faut-il  que  je  m'u- 
nisse avec  vous?  Comment  serez-vous  assez  osé 
pour  être  mon  époux!  Dites-moi  la  vérité. 

le  roi.  Tout  cela  est  inutile  :  je  veux  vous  avoir 
Et  ne  cherchez  plus  à  me  contredire;  car  personne 
ne  pourrait  me  retirer  de  celle  détermination. 

la  fille.  Père,  puisque  je  ne  puis  nullement  dé- 
tourner ce  mariage,  il  faut  bien  que  j'aille  faire 
loilelle. 

le  roi-  Vous  dites  vrai;  allez  vite.  Vous  avez 
robes  el  bijoux  des  plus  riches  et  des  plus  beaux  : 
faites  en  sorte  d'èlre  parée,  el  revenez  vite  ici  ver* 
moi. 

la  fille.  Volontiers,  sire,  par  ma  foi! 

SCÈNE  XII. 

LA  FILLE  DU  ROI,  SCllle. 

la  fille  du  roi.  Eh,  Dieu  !  ou  donc  mon  père  a- 
t-il  pris  l'idée  de  m'avoir  et  de  me  prendre  pour 
femme?  Cela  me  semble  une  si  grande  infamie  que 
j'en  aurai  des  reproches  pour  toujours.  Conseillez- 
moi  ce  que  j'ai  à  faire,  Vierge,  dont  la  naissance 
comme  la  vie  dans  ce  monde  fui  sans  péché.  Vierge 
pure  et  chaste,  ne  consentez  pas  que  je  sois  la 
femme  de  mon  père;  car  j'aimerais  mieux  souffrir 
la  mort  que  d'offrir  mon  corps  pour  qu'il  en  soit 
ainsi,  tant  celte  chose  me  semble  horrible!  avant 
que  cela  arrive,  je  préfère  de  nie  couper  celte 
main  et  de  la  jeter  dans  la  mer,  afin  qu'il  ne  se 
soucie  plus  de  moi.  Mais  je  vous  prie  ,  Vierge  pure, 
de  faire  en  sorte  que  je  sois  quitte  par  ce  mal,  et 
qu'il  me  soit  un  mérite  auprès  de  Dieu;  car  j'aime 
mieux  perdre  une  main  que  de  contracter  un  ma- 
riage qui,  pour  un  peu  de  vaine  gloire,  me  livrerait 
au  supplice  éternel  :  c'est  pourquoi,  sans  plus  tar- 
der, je  vais  m'en  débarrasser  tout  de  suite. 

SCÈNE  XIII. 

LE  ROI,  BARONS,   CHEVALIERS,   SEIGNEURS. 

le  roi.  Seigneurs,  je  crois  ma  fille  fâchée  de 
ce  que  je  veux  la  prendre,  car  elle  me  fait  atlendre 
ici,  et  jven  suis  ennuyé.  Je  vous  en  prie,  allez  sans 
retard  me  la  chercher. 

le  premier  chevalier.  Mon  cher  seigneur, 
puisque  lel  est  voire  plaisir,  j'y  vais  bien  vile. 

SCÈNE  XIV 

LA  FILLE  DU  ROI.  Seule. 

la  fille.  Non ,  mon  père  ne  me  tourmentera  plus 
d'èlre  sa  femme;  car,  en  vérité,  comment  agréerait- 
il  une  épouse  mutilée  comme  je  suis. 

SCÈNE  XV 

LA  FILLE  DU  ROI  ,  LE  CHEVALIER 

le  premier  chevalier.  Dame ,  ne  vous  formalisez 
point  si  je  viens  vous  presser  de  venir  :  sachez,  à 
n'en  pas  douter,  que  le  roi  m'y  envoie. 

la  fille.  Sire,  aussi  bien  je  m'en  venais  auprès 
de  lui,  tome  pensive,  à  grands  pas.  Eh  bien!  allons - 
y  (ont  de  suite  par  ce  chemin. 


ilO 


Fil, 

SCÈNE  XVI. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


F.L 


5.')0 


LES  MÊMES,  LE  ROI,  BARONS,  CHEVALIERS, 
SEIGNEURS,  LE  SÉNÉCHAL. 

Fille,   il   nie   larde  que  vous   soyez 


ma 


LE  ROI. 

femme. 

la  fille.  Vous  demandez  une  cliose  bien  hou- 
leuse el  qui  est  irop  contre  la  raison.  Osen  z-vous 
prendre  une  estropiée?  Regardez,  j'ai  perdu  un 
membre.  Maintenant  je  vous  prie,  pour  Dieu ,  de 
vous  souvenir  (pie  vous  m'avez  engendrée  autrefois; 
el  si  vous  savez  connaiire  Dieu  ,  vous  craindrez  , 
avant  de  me  prendre,  d'èlre  puni  par  lui;  ce  qui 
serait. 

le  koi.  As  lu  commis  cet  acte  pour  ne  pas  êlre 
ma  femme?  En  vérité,  tu  en  mourras  honteusement. 


Par  ma   lêle!  entêtée  coquine. 


Sénéchal 


j  01- 
ferai 


do. me  qu'à  l'instant  elle  soit  brûlée.  Je  vous 
pendre  si  mon  ordre  n'est  pas  exécuté. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  n'en  soyez  pas  en 
peine,  je  ne  veux  vous  dédire  en  rien;  Mais  pour 
Dieu ,  retenez  votre  colère  :  c'est  votre  enfant. 

le  roi.  Bref  je  n'en  fais  pas  le  cas  d'une  bille. 
Ne  lardez  pas  davantage;  ôlez-Ia  de  devant  moi; 
allez  el  hrûlez-la  sur-le-champ, 

le  deuxième  chevalier.  Sire  ,  puisque  lel  est 
votre  plaisir,  j'obéirai  à  voire  commandement;  je 
ne  vous  contredirai  en  rien. 

SCÈNE  XVII. 

LA   FILLE  DU    ROI  ,    LE    SÉNÉCHAL  ,    GUYOT, 

Jourdain,  sergents  d'armes. 

le  deuxième  chevalier.  En  avant,  Guyot,  el  loi, 
Jourdain!  mettez  la  main  sur  elle;  menez-fa  là. 

le  premier  sergent.  Sire,  cela  sera  bientôt  fait. 
—  Jourdain,  il  faut  que  nous  la  prenions  tous  les 
deux  et  que  nous  l'emmenions  en  cet  endroit. 

le  deuxième  sergent.  Cela  sera  fait  sans  délai. 
C'est  fini,  venez-vous-en,  Madame.  En  vérité ,  c'est 
pitié  qu'une  femme,  fille  d'un  roi,  meure  mi.-éra- 
blemenl  ainsi  que  cela  va  vous  arriver. 

le  deuxième  chevalier.  Holà ,  seigneurs,  tenez- 
vous  toul  cois.  —  Guyot,  va  quérir  Cochet ,  le  bour- 
reau, el  tu  lui  diras  ce  qu'il  y  a  ici  à  faire,  qu'il 
fasse  apporter  ici ,  sans  relard  ,  ce  qu'il  lui  faut ,  et 
qu'il  n'y  manque  pas.  Allons,  va  vite. 

le  premier  sergent.  Sire,  je  ne  cesserai  pas  de 
le  chercher  que  je  ne  l'aie  trouvé.  Je  lirai  chercher 
d'abord  dans  sa  maison. 

SCÈNE  XVIII. 

LES  MÊMES. 

la  fille.  Vrai  Dieu,  qui  sans  commencement  et 
sans  fin  êtes  en  trois  personnes  une  essence  ,  une 
divinité;  vous  qui  files  l'homme  à  voire  image!  0 
vous  qui  le  miles  dans  le  paradis  terrestre,  où  il 
pouvait  à  son  aise  vivre  toujours  en  sanlé  sans  mou- 
rir, mais  d'où,  par  un  crime,  il  se  (il  expulser!  0 
vous  qui ,  depuis,  pour  réparer  le  méfait  humain, 
avez  donné  votre  Fils,  lequel ,  animé  par  une  cha- 
ii!"  inlinie,  voulut  déguiser  sa  divinité  ici-bas  pour 
nous  ouvrir  rentrée  des  cicux  el  pour  réconcilier 
l'homme  avec  Dieu!  ah!  père  de  miséricorde ,  ré- 
confortez la  malheureuse  affligée  qui  se  plaint  cl  se 
lamente  el  qui  est  dans  une  grande  confusion  et 
dans  une  désolation  profonde.  Très-douce  Mère  de 
Dieu  ,  comment  pourrait-il  se  faire  que  je  ne  fasse 
pas  dans  une  très-grande  douleur?  Je  suis  cou- 
ilamnée  au  feu  par  mon  propre  père.  Celui  qui 
naturellement  devrait  avoir  davantage  pitié  de 
moi ,  m'a  prise  tellement  en  haine  qu'il  me  con- 
damne à  être  brûlée,  connue  si  j'éiais  une  misérable 
homicide.  Hélas!  n'est-ce  pas  une  cruauté?  Certes  , 
oui ,  et  c'esl  une  chose  bien  inique  d'un  chevalier, 
car  je  n'ai  jaunis  commis  de  mal,  et  ce  n'est  que 


pour  fuir  un  péché  évident  que  je  me  suis  coupe  celte 
main.  Très-doux  Dieu  ,  j'aime  encore  mieux  l'avoir 
perdue  que  d'être  connue  par  mon  père  et  de  co- 
habiter charnellement  avec  lui;  el  s'il  me  faut  mou- 
rir pour  cela,  doux  Dieu  qui  êtes  là-haut,  bien  que 
le  corps  soit  mis  en  cendres  ,  doux  Dieu  ,  veuillez 
défendre  mon  âme  des  dénions. 

SCÈNE  XIX. 

les  mêmes,  cochet,  le  bourreau. 

le  bourreau.  Si  j'ai  lardé  à  venir  ici,  sire,  ne  vous 
courroucez  pas.  De  qui  voulez-vous  faire  justice? 
dites-le-moi. 

le  deuxième  chevalier.  Ne  te  hâte  pas  ;  tiens-toi 
coi.  Seigneurs,  je  n'ai  ni  la  v<  loulé  ni  le  cœur  de 
faire  périr  celle  demoiselle.  Dûl  le  roi  me  détruire 
el  brûler  mon  corps,  ses  plaintes  et  ses  doux  regrets 
m'ont  fait  verser  des  larmes.  Ainsi,  je  veux  que,  sans 
la  tenir  ici  davantage,  vousla  meniez  dans  ma  prison. 
Je  m'arrangerai  de  manière  à  lui  sauver  la  vie  encore 
aujourd'hui.  Allez. 

le  premier  sergent.  Puisque  tel  est  voire  plaisir, 
qu'il  n'en  soit  plus  question;  je  liens  que  vous  par- 
lez comme  il  faut,  par  mon  âme!  —  Deboul!  levez- 
vous,  dame,  venez -vous-en. 

la  fille.  Sire,  j'obéirai  volontiers  à  votre  vo- 
lonté. 

le  deuxième  chevalier.  Cochet,  fais  ce  que  je  vais 
te  dire,  et  lu  n'y  perdras  rien.  Allume  ici  un  grand 
feu,  comme  si  tu  brûlais  une  femme;  et  si,  par  ha- 
sard, quelqu'un  te  dit  :  «  De  qui  fait-on  justice  ?  i 
ne  sois  pas  embarrassé  à  répondre.  Dis,  soit  tout  haut, 
soit  tout  bas,  que  c'est  la  lille  du  roi  qu'on  brûle  pour 
son  méfait. 

le  bourreau.  Sire,  puisque  vous  me  le  comman- 
dez, cela  sera  fait  ainsi  que  vous  le  demandez.  Al- 
lons! je  vais  choisir  mes  bûches  et  les  placer  comme 
il  faut,  afin  que  le  feu  aille  el  prenne  partout. 

le  deuxième  sergent.  Sire,  la  fille  du  roi  est  en 
sauvegarde  en  votre  maison,  tout  ébahie  el  plongée 
dans  la  tristesse. 

le  deuxième  chevalier.  Tandis  que  le  bourreau 
attise  son  feu,  vous  deux,  tenez-vous  ici,  je  vais,  si 
je  puis,  dissiper  son  chagrin  ;  je  la  ferai  échapper 
par  mer,  el,  autant  que  je  le  pourrai,  je  lui  donnera-, 
de  la  joie  au  cœur. 

SCÈNE  XX. 

le  roi,  barons,  chevaliers,  seigneurs, 
rémond,  le  sénéchal. 

le  roi.  Seigneurs,  qifesl-ce  que  ce  grand  feu?  Al- 
lez, je  vous  prie,  savoir,  et  sur-le-champ  ,  qui  l'on 
brûle. 

le  premier  CHEVALIER.  J'y  vais,  sire,  Dieu  me 
garde!  —  Sire,  je  désire  savoir  pourquoi  on  a  fait 
ici  un  si  grand  feu. 

le  deuxième  chevalier.  Le  roi  m'a  commandé,  à 
tort  ou  à  raison  ,  de  faire  brûler  sa  fille,  et  je  l'ai 
fait.  Jamais  il  ne  la  verra  en  face. 

le  premier  chevalier.  Ah!  quel  malheur!  que 
j'en  suis  triste  el  affligé!  Je  n'ai  pas  le  courage  de 
le  dire  au  roi.  Ah!  douce  el  courtoise  Jouve,  certes, 
j'éprouve  du  chagrin  de  votre  mort,  el  je  voudrais 
pouvoir  y  remédier.  Que  Dieu  veuille  pardonner  ce 
méfait  !  Il  le  fera. 

lk  roi.  Approche;  dis -moi,  loi  qui  y  as  été,  qu'y 
a^t-il? 

le  premier  chevalier.  Je  ne  puis  en  savoir  la  vé- 
rité; mais  voire  sénéchal  y  est  :  mandez-le,  il  vous 
dira  de  point  en  point  ce  que  c'esl. 

le  roi.  Toi  qui  as  ce  pourpoint  doublé,  va  promp- 
lement  dire  à  mon  sénéchal  qu'il  vienne  sans  faute 
mè  parler  un  peu. 

klmond.  Par  ma  foi!  j'y  vai-,  mon  très-cher  sire. 


*■  ■'  I 


FIL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FIL 


335 


—  Sénéchal,   ne  vous  tenez  plus  ici;  mais  venez 
prompleimnt  auprès  du  roi  :  il  vous  mande. 

le  deuxième  chevalier.  Je  m'y  rendrai  de  Irès-bon 
cœur,  puisque  c'est,  ami,  son  commandement.  — 
Sire,  je  viens  à  voire  ordre  :  j'y  suis  tenu. 

le  roi.  Dis-moi  la  vérité,  puisque  lu  es  venu  ici  : 
ma  fille  est-elle  brûlée? 

le  deuxième  chevalier.  Oui,  sire.  J'eusse  préféré 
être  prisonnier  à  Tarse  plutôt  qu'elle  subît  une  pa- 
reil'e  mort;  mais  je  n'osai  vous  contredire.  Que  son 
àme  soit  en  gloire  avec  Dieu,  noire  Seigneur! 

le  roi.  Ah!  Mère  de  Dieu.  Vierge  pticelle,  Satan 
m'a  bien  pris  dans  ses  lacs!  J'ai  trop  vilainement  agi 
en  faisant  mourir  celle  que  j'eusse  dû  défendre  cl 
garantir  de  morl  contre  tous,  si  j'eusse  eu  en  moi  de 
la  raison  et  du  sens.  Combien  nedois-je  pas  être  dé- 
so.'é  ?  Ah!  je  crains  que  le  démon  ne  m'emporie  loul 
vivant  en  enfer.  Je  veux  haïr  celui  qui  me  conseilla 
de  la  prendre  et  qui  m'en  parla  le  premier. 

le  comte.  Sire,  sire,  à  quoi  donc  pensez-vous? 
Voulez-vous  toujours  nourrir  une  douleur  pareille? 
Il  faut  en  prendre  voire  parti,  puisque  la  chose  est 
ii réparable.  C'est  tout  dit,  en  un  mol;  laissez  ce 
chagrin  ,  montrez- vous  homme  ,  et  oubliez  tout 
cfla. 

le  roi.  Comte,  jamais  je  n'aurai  de  joie,  et  j'ai 
bien  des  raisons  pour  qu'il  en  soit  ainsi  :  j'ai  com- 
mis une  grande  iniquité  contre  Dieu,  et  comment  ob- 
tenir le  pardon  de  mon  méfait? 

le  comte.  Sire,  ce  sera  ce  que  vous  pourrez  faire 
de  mieux. 

SCÈNE   XXI. 

le  roi  d'écosse,  son  prévôt. 

le  prévôt  du  roi  d'écosse.  Très-cher  sire,  avec 
votre  permission,  je  vous  dirai  des  nouvelles  très- 
véridiqnes. 

le  roi  d'écosse.  Prévôt,  je  désire  bien  le  savoir. 
Dites,  ami. 

le  prévôt.  Hier,  cher  sire,  j'étais  allé,  avec  trois 
ou  quatre  de  mes  gens,  jusque  sur  le  port  pour  m'é- 
baiire.  Pendant  que  j'étais  là,  il  advint  une  nacelle 
par  mer  qui,  sans  élre  gouvernée  par  personne,  ni 
tir,  e  par  un  cheval  ou  un  mulet,  sans  mat,  sans  avi- 
ron, sans  voile,  ni  de  toile  ni  de  soie,  loucha  néan- 
moins droit  au  port.  El  moi,  qui  élais  à  m'amuser, 
j  :  m'en  allai  là  sans  attendre,  quand  je  vis  qu'elle 
était  venue  à  la  rive.  Il  y  avait  dedans  une  jeune  fille 
toute  seule.  Dieu  me  garde!  Je  crois  que  c'est  la  plus 
belle  créature  qu'on  puisse  trouver  en  quelque  en- 
droit que  ce  soit.  El  richement  velue!  nulle  reine 
sur  la  lerre  ne  pourrait  l'être  davantage.  Je  remme- 
nai dans  mon  logis,  la  questionnai  sur  sa  position,  et 
lui  demandai  qui  l'avait  amenée  ici  et  quels  étaient 
ses  parents;  mais  elle  n'a  rien  voulu  m'en  dire. 
Sire,  vous  plairait-il  que  je  l'amène  ici;  je  vomirais 
vous  la  présenter  à  cause  de  sa  beauté. 

le  roi  d'écosse.  Prévôt,  Dieu  vous  donne  santé! 
puisqu'elle  est  si  belle  que  vous  le  dites,  allez  la 
chercher;  faites  vite  et  ne  me  contredites  pas. 

le  prévôt.  Sire,  pour  acquérir  votre  amour,  je 
ferai  ce  que  vous  me  commandez  :  je  l'amène  à  l'ins- 
tant. 

SCÈNE  XXII. 

LES   MÊMES,   LA.  FILLE   DU    ROI    DE  HONGRIE, 
LA  MÈRE  DU  ROI  D'ÉCOSSE. 

le  prévôt.  Voici  celle  que  je  vous  ai  annoncée, 
sire;  veuillez  me  dire  votre  avis  :  est-elle  belle? 

le  roi.  Debout!  levez-vous,  demoiselle  !  soyez  la 
très-bienvenue.  Dieu  me  protège!  j'éprouve  beau- 
coup de  joie  de  votre  venue. 

la  fille.  Mon  cher  seigneur,  qu'il  plaise  à  Dieu 
de  paradis  de  vous  octroyer  honneur,  joie  cl  vie, 
toujours  de  bien  en  mieux  ! 

le  roi  d'écosse.  Debout,  debout!  m'amie,  j'ai  le 


désir  de    savoir  où   vous  êtes  née   et   qui  vous   a 
amenée,  en  cette  terre. 

la  fille.  Pour  l'amour  de  Dieu!  très  cher  sire, 
ne  me  demandez  ni  quels  sont  mes  ancêtres,  ni  de 
quelle  race  je  suis.  Si  Dieu  m'a  mise  en  pays  étran- 
ger, une  autre  fois  quand  cela  lui  plaira,  il  me 
traitera  mieux. 

le  roi  d'écosse.  M'amie,  certainement  il  le  fera. 
Au  moins,  vous  me  direz  votre  nom.  Je  tiens  que 
vous  êtes  née  de  gens  illustres. 

la  fille.  Bien  que  je  sois  maintenant  devenue 
étrangère,  cher  sire,  j'ai  nom  Berlhekiue.  A  présent, 
je  vous  supplie,  par  amour  extrême,  de  ne  pas 
m'inierroger  pins  longtemps;  car  ni  vous  ni  homme 
vivant  n'en  saurez  rien  de  plus. 

le  roi.  Je  m'en  abstiendrai  dorénavant,  ne  vous 
en  tourmentez  plus.  —  Ma  mère,  je  veux  que  vous 
l'ayez  en  votre  garde. 

la  mère  du  roi.  Mon  fils,  si  elle-même  ne  se 
garde,  je  ne  pourrai  la  carder  ;  qu'elle  y  fasse  atten- 
tion, si  elle  est  sage. 

la  fille.  Dame,  s'il  plaît  à  Dieu,  mon  cœur  ne 
tournera  poinl  à  mal;  mais  je  vous  servirai  en  qua- 
lité de  chambrière. 

le  roi  d'écosse.  Non  pas,  ma  chère  amie;  mais 
vous  serez  sa  demoiselle.  En  tous  les  cas,  qu'une 
bonne  nouvelle  vous  puisse  venir  ! 

la  fille.  Que  Dieu  veuille  s'en  souvenir!  cher 
sire,  j'en  aurais  bien  besoin  ;  mais  cela  ne  peut  être, 
car  je  suis  trop  loin  de  mon  pays. 

le  roi  d'écosse.  De  par  Dieu  !  si  vous  en  êtes 
loin,  vous  avez  peut-être  bien  près  de  vous  des  amis 
que  vous  ne  connaissez  pas. 

la  fille.  Dieu  les  préserve  donc  tous  de  mal,  de 
peine  et  de  tribulations  !  et  vous,  cher  sire,  le  pre- 
mier, pour  avoir  bien  voulu,  à  ce  qu'il  me  semble, 
me  recevoir  en  vos  bonnes  grâces  ! 

le  roi  d'écosse.  Pour  loul  dire  en  un  mot,  il 
n'est  rien  que  je  ne  fasse  pour  vous,  m'amie.  J,e  vais 
prendre  un  peu  de  repos;  demeurez  céans  avec  ma 
mère  :  sachez  que  vous  ne  serez  pas  traitée  plus 
mal  qu'elle. 

la  fille.  Je  ferai  ce  qu'il  lui  plaira,  et  à  vous, 
sire. 

SCÈNE  XXIII. 

les  mêmes,  moins  le  roi. 

la  mère  du  roi.  Demoiselle,  vous  êtes  une  cou?- 
reuse  et  une  fille  etlrontée.  Comment  vous  vous 
imaginez  être  aimée  d'un  roi  renommé  et  puissant, 
tel  que  l'est  mon  fils  ?  N'ai-je  pas  vu  l'échange  entra 
vous  de  paroles,  de  regards  et  d'actions.  Dame 
manchoue  et  étrangère,  personne  ne  sait  ni  quel 
est  voire  lignage  ni  qui  vous  êtes,  et  vous  vous 
croyez  digne  de  mon  fils  !  sortez,  sortez  ! 

la  fille.  Non,  non,  nia  dame,  ne  craignez  rien  : 
jamais  ma  pensée  ni  mes  intentions  n'ont  visé  à 
cela.  Hélas,  malheureuse!  je  serais,  certes,  bien  folle, 
si.  j'avais  une  telle  pensée.  Non,  je  ne  suis  pas  digne 
d'être  aimée  de  lui  ni  d'être  appelée  son  amie,  et, 
certes,  jamais  je  n'y  songeai  elje  ne  vaux  pas  tant, 
je  le  sais  bien.  Vous  avez  dit  la  vérité  quanta  ma 
famille;  elle  vous  est  inconnue.  Mais  si  j'ai  perdu 
une  main,  je  n'en  suis  que  plus  pauvre,  plus  éper- 
due et  sans  réconfort. 

la  mère.  Eh  !  pleurez  ici  et  bien  fort;  cela  m'est 
nidifièrent.  {Elle  sort.) 

SCÈNE  XXIV. 
les  mêmes,  moins  la  mère  du  roi ,  le  roi. 

le  roi  d'écosse.  Je  n'ai  pu  dormir  tant  j'ai  chaud. 
—  Qu'y  a-l-il?  Qu'avez-vous,  Berlhekiue,  à  pleu- 
rer ainsi?  Par  amitié  dius-le-moi. 

la  fille.  Sire,  j'ai  bien  sujet  de  pleurer  cl  d'étro 
triste  :  je  crois  que  l'on  ne  me  chérit  pas  beaucoup 


5.S5 


Ml 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FIL 


33i 


le  roi  d'écosse.  El  qui  ?  dites-le-moi  sur-le- 
champ  ;  je  veux  le  savoir. 

la  fille.  Sire,  je  ne  me  plains  de  personne; 
mais  ma  chère  daine,  votre  mère,  m'a  demandé 
fori  aigremen»  d'où  me  venait  la  présomption,  à 
moi,  fille  effrontée,  de  me  croire  aimée  de  vous. 
Certainement,  mon  doux  seigneur,  jamais  je  n'y 
pensai,  Dieu  le  sait.  J'ignore  pourquoi  ma  dame  me 
hait;  mais,  bien  en  colère  contre  moi,  elle  m'a  ap- 
pelée manchoue  et  m'a  reproché  que  l'on  ne  connût 
pas  l'auteur  de  ma  race,  qui  il  est  ou  qui  il  peut 
être.  Ces  paroles  me  font  un  mal  tel  que  le  cœur 
me  fond  en  larmes  tout  entier  au  venire. 

le  roi  d'écosse.  Par  ma  tête  !  avant  que  le  terme 
de  huit  jours,  non  pas  de  six,  se  pa^se,  si  je  vis, 
vous  aurez  une  position  et  un  nom  à  souhait.  Oubliez 
de  grâce  ce  qu'elle  vous  a  dit,  douce  Derlhekine; 
je  vous  ferai  reine  d'Ecosse,  par  la  foi  que  je  dois 
à  Dieu  ! 

la  fille.  Sire,  je  suis  de  trop  basse  extraction  : 
une  position  pareille  n'est  pas  faite  pour  moi.  Que 
diront  vos  barons,  si  vous  prenez  une  estropiée.? 
ils  diront  que  vous  êtes  fou. 

le  roi  d'écosse.  Dame,  quel  que  soit  celui  à  qui 
cela  déplaise,  je  vous  aime  d'un  amour  tel  que  cela 
sera  fait  sans  relard. 

SCÈNE  XXV. 

le  noi,  lembert,  écuyer. 

le  roi  d'écosse.  Approchez,  Lernberl,  je  veux  sa- 
voir si  vous  êtes  bon  à  quelque  chose  Allez  vile, 
sans  être  intimidé,  dire  à  l'évèque  de  ce  pays  qu'il 
se  rende  auprès  de  moi  à  l'hôtel  de  Chester,  parce 
que  je  veux  être  marié  aujourd'hui. 

lembert,  écuyer.  Sire,  Dieu  me  garde  de  chagrin! 
j'y  vais,  el  je  ne  m'arrêterai  pas  que  je  ne  l'aie  mené 
et  fait  entrer. 

SCÈNE   XXVI. 

LE  ROI,  LA  FILLE   DU   ROI,  CHEVALIERS. 

le  noi  d'écosse.  Seigneurs  qui  êtes  mes  amis, 
conduisez  celle  dame  à  l'hôtel  de  Chester,  et,  après 
l'y  avoir  laissée,  revenez  ici  auprès  de  moi.  Allons! 
dépèchez-vous,  sans  répliquer,  je  vous  en  prie. 

LE  PREMIER  CHEVALIER  D'ÉCOSSE.  MOU  cher  SCÏ- 

gneur,  vous  serez  obéi  sans  retard. 

le  deuxième  chevalier  d'écosse.  Allons,  dame, 
allons!  s:ms  discourir  davantage,  venez-vous-en, 
puisque  cela  plaît  au  roi.  Jamais  on  ne  fil  à  une 
femme  plus  grand  honneur,  car  vous  serez  aujour- 
d'hui proclamée  reine  par  toul  le  monde. 

le  premier  chevalier  d'écosse.  Voilà  bien  la 
preuve  qu'il  l'a  aimée  de  cœur  et  loyalement. 

le  deuxième  chevalier.  Nous  avons  terminé  ici  ; 
allons-nous-en  vers  le  roi. 

le  premier  chevalier.  Il  faut  nous  mettre  en  me- 
sure de  le  faire.  Allons!  en  avant!  pas  de  re- 
tard ! 

SCÈNE  XXVII. 

LES  CHEVALIERS,   LE  ROI   D'ÉCOSSE. 

les  chevaliers.  Sire,  nous  sommes,  ce  me  sem- 
ble, prompiemenl  revenus  vers  vous. 

le  roi.  C'est  vrai  ;  maintenant  allons  ensemble, 
jusqu'auprès  de  Chester.  Je  vais  devant;  suivez- 
moi. 

SCÈNE  XXVIII 

LA  MÈRE  DU  ROI. 

la  mère  du  roi.  Mon  fils  est  fou  de  prendre  en 
mariage  une  femme  inconnue,  dont  le  lignage  n'est 
pas  moins  incertain,  venue  ici  d'aventure,  el  estro- 
piée d'un  bras  dont  la  main  est  perdue.  Je  suis  na- 
vrée. Comment  a  pu  lui  venir  cet  amour?  Maudite 
soit  l'heure  qu'elle  fut  en  mer  sans  s'y  noyer!  Elle 
sera  reine,  en  dépit  de  tout.  Pour  mon   honneur  je 


vais  aux  noces;  mais,  certes,  avant  qu'il  soit  un 
mois,  je  les  abandonnerai  tout  à  fait  et  j'irai  de- 
meurer loin  d'eux,  puisqu'il  en  est  ainsi. 

SCÈNE  XXIX. 

LE  ROI  D'ÉCOSSE  ,   SA  MERE,  CHEVALIERS 
ÉCOSSAIS. 

lembert.  Eh  bien,  ménétriers  !  êtes- vous  prêts? 
faites  votre  métier. 

le  premier  chevalier.  Sire,  désormais  il  ne  vous 
faut  que  vous  livrer  à  la  joie;  et  vous  aussi,  ma 
chère  dame.  Je  vous  dis  la  vérité. 

le  roi  d'écosse.  Pour  mieux  avoir  les  m>!  les  de 
l'Ecosse  à  ma  fêle,  et  afin  qu'elle  soil  plus  éclatante, 
je  veux  la  relarder  de  huit  jours  el  mander  partout 
aux  nobles  qu'ils  viennent  ici. 

le  deuxième  chevalier.  Cher  sire,  c'esl  bien  dit 
ainsi  el  c'esl  fort  sensé. 

la  mère.  Mon  cher  fils,  je  me  sens  un  peu  mal  : 
je  vous  prie  de  ne  plus  me  retenir  ici  ;  mais  de  me 
donner  la  permission  d'aller  au  château  de  Gort  me 
reposer  cl  prendre  de  la  distraction  trois  ou  quatre 
jours. 

le  roi  d'écosse.  Dame,  je  veux  bien  que  vous  al- 
liez vous  ébattre;  mais  n'y  demeurez  pas  longtemps, 
afin  que,  par  amour  pour  moi,  vous  soyez  ici  à  no- 
tre fête. 

la  mère.  Sire,  ne  soyez  pas  en  peine  à  ce  sujei  : 
je  compte  y  être,  s'il  plaît  à  Dieu. 

SCÈNE   XXX. 

LA  MÈRE  DU  ROI. 

la  mère  du  roi.  Puisque  je  suis  hors  du  lieu  où 
il  est,  il  ne  m'y  reverra  pas  de  longtemps  ;  qu'il 
fasse  telle  fêle  qu'il  voudra  :  je  n'en  tiens  aucun 
compte. 

SCÈNE  XXXI. 

CHEVALIERS,   D'ÉCOSSE,  UN   HÉRAUT. 

le  héraut.  Ecoulez,  seigneurs,  Rois,  Comtes, 
Chevaliers,  et  ceux  à  qui  cela  importe,  la  cause 
qui  m'a  conduit  ici.  Je  vous  fais  savoir,  el  il  n'y  a 
pas  à  en  douler,  que,  dans  la  quinzaine  de  la  Pen- 
tecôte, un  tournoi  aura  lieu  près  de  Senlis.  Il  sera 
tenu  par  un  roi  puissant,  qui  ne  sera  pas  sans  che- 
valiers. Il  y  aura  les  Français  et  ceux  qui  se  disent 
de  Picardie,  el  d'autres,  quoi  qu'on  en  dise;  en  sorte 
que  celui  qui  voudra  acquérir  de  l'honneur  peut  ve- 
nir, car  il  trouvera  contre  qui  jouter,  s'il  a  le  désir 
de  lournoier  el  de  disputer  le  prix. 

SCÈNE  XXXII. 

LE  ROI,    SES  CHEVALIERS. 

lembert.  Monseigneur,  un  tournoi  est  fixé  après 
la  Pentecôte  :  il  est  donné  par  un  roi  qui  a  une 
grande  suite  de  gens,  ainsi  que  l'a  dit  un  héraut  qui 
lout  à  l'heure  l'a  crié  bien  haut  là  dehors. 

le  roi  d'écosse.  Dieu  te  secoure!  dis-moi,  se  fera- 
lil? 

lembert.  Oui,  puisque  le  héraut  le  crie.  Et  il  dit 
que  ce  sera  près  de  Senlis,  en  la  terre  des  fleurs  de 
lis;  je  vous  dis  vrai. 

le  roi  d'écosse.  Je  ne  me  priverai  pas,  quoi  qu'il 
m'en  coûte,  d'y  aller;  je  veux  y  être  dès  le  commen- 
cement jusqu'à  la  fin. 

le  premier  chevalier.  Sire,  je  vous  prie  de  tout 
mon  cœur  de  me  faire  la  grâce  de  vous  accompa- 
gner :  ainsi  je  verrai  la  France. 

le  roi  d'écosse.  Je  le  veux  bien,  mon  ami,  n'en 
douiez  pas;  mais  à  condition  que,  dès  maintenant, 
vous  irez  faire  préparer  mes  gens  et  que  vous  pour- 
voirez aux  choses  qu'il  me  faut  avoir  pour  ce 
voyage. 

le  premier  chevalier.  Dussé-je  mettre  en  gage 
loule  ma  icrre,  très-cher  sire,  ie  ferai  sans  contra- 


FIL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FiL 


Sué- 


diction  ce  que  vous  dites.  Sire,  je  vais  commander 
les  gens,  les  équipages  et  lout  ce  qu'il  faut. 

le  koi  d'icosse.  Et  prenez  bien  garde  que  rien 
n'y  manque  par  votre  faute. 

SCÈNE  XXXIII. 
le  roi  d'écosse,  la  fille  du  roi  de  Hongrie, 

CHEVALIERS  ,    LE    MAÎTRE    d'hÔTEL  ,    LE  PRÉ- 
VÔT. 

la  fille.  Moucher  seigneur,  vous  me  mêliez  en 
bien  grand  souci  et  dans  un  grand  effroi  en  voulant 
aller  au  tournoi  aussi  loin  qu'est  le  pays  de  France. 
N'en  doutez  pas,  je  suis  au  moment  où,  s'il  plaît  à 
Dieu,  je  dois  enfanter.  Je  vous  prie,  pour  Dieu,  mon 
cher  seigneur,  de  vous  en  désister. 

le  roi  d'écosse.  En  vérité,  dame,  cela  ne  peut 
être  :  je  l'ai  dit,  j'irai.  Je  vous  laisserai  mon  maître 
d'iiôlel  et  mon  prévôt  qui  suffiront  pour  vous  gar- 
der. 

le  premier  chevalier.  Monseigneur,  quand  il 
vous  plaira,  vous  pouvez  dorénavant  vous  mettre 
eu  roule.  Vos  équipages  s'en  vont  devant  bien  es- 
cortés. 

le  roi  d'écosse.  C'est  bon. —  Maître  d'hôtel,  ap- 
prochez, et  vous,  prévôt.  A  partir  d'aujourd'hui  je 
vous  donne  en  garde  ma  compagne,  qui  est  prêle 
d'enfanter.  Maintenant  que  chacun  s'applique  à  faire 
son  devoir,  afin  qu'il  en  soil  récompensé  quand  Dieu 
m'aura  ramené  ici.  Quand  l'enfant  sera  né  et  que  la 
mère  en  sera  délivrée,  vous  m'apprendrez  par  let- 
tres closes  ce  qu'il  en  sera.  C'esl  lout.  —  Allons, 
dame  !  baisez-moi  :  je  veux  partir. 

la  fille.  Certes,  si  ma  volonté  eût  élé  suivie, 
sire,  vous  ne!  vous  en  seriez  allé  que  lorsque  vous 
auriez  vu  mon  enfant  sur  terre. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  au  nom  de  tous,  je 
veux  vous  prier  de  ne  pas  vous  courroucer  si  nous 
vous  accompagnons  deux  ou  trois  lieues,  sire,  au 
moins,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  atteint  vos  gens. 
Je  le  dis  pour  le  bien. 

le  roi  d'écosse.  Amis,  je  ne  vous  le  défends  pas; 
Allons-nous-en  vile.  Ilô  !  seigneurs,  c'est  assez, 
n'allez  pas  plus  avant,  je  ne  le  veux  point. 

le  prévôt.  Puisque  vous  le  voulez  ainsi,  sire, 
nous  vous  recommanderons  à  Dieu  ;  nous  irons 
nous  occuper  de  ma  dame  pour  voire  honneur. 

le  roi  d'écosse.  Vous  dites  bien.  Allez,  seigneurs; 
adieu,  vous  tous. 

SCÈNE  XXXIV. 

les  mêmes,  moins  le  roi 

le  deexième  chevalier.  Dame,  le  roi  nous  a  priés 
de  vous  garder  soigneusement  :  nous  vous  prions 
d'avoir  confiance  en  nous  et  de  nous  faire  savoir 
hardiment  tous  vos  désirs. 

la  fille  reine.  Seigneurs,  soyez  certains  que  je 
me  tiendrai,  selon  mon  rang,  mais  le  plus  simple- 
ment possible  jusqu'au  retour  de  monseigneur 
ici. 

le  prévôt.  Commandez,  dame;  nous  ferons  lout 
ce  que  vous  direz. 

la  fille.  Seigneurs,  s'il  vous  plaît,  allez  jusqu'à 
l'église  Saint-André,  et  demandez  que  sans  relard 
l'on  célèbre  une  grand'messe  pour  monseigneur,  afin 
que  Dieu  le  garde  de  mal.  Je  ne  puis,  à  mon  avis,  le 
meure  en  meilleure  garde. 

le  deuxième  chevalier.  Ma  chère  dame,  nous  y  al- 
lons sans  demeurer  davantage  ici. 

SCÈNE  XXXV. 

LA  FILLE   DU  ROI,  SES  FtSIMLS. 

la  fille.  Demoiselles,  sur  mon  àme!  je  crois  que 
je  me  meurs,  lanl  je  suis  malade!  J'ai  le  cœur  si 
faillie  el  si  affadi  qu'il  me  manque  ,  ce  mal  m'a 
pris  subitement  !  Que  ferai  je  ?  Dieu  !  les  reins  !  Dieu  ! 


P.eeonfoi'iez-moi,  Dame  des  cieux  :  je  souffre  trop. 

l.%  première  demoiselle.  Avant  que  ce  mal  n'aug- 
mente, ma  dame,  appuyez-vous  sur  moi  et  venez- 
vous-en  vite  :  je  vois  que  certainement  vous  êtes  en 
travail.  AIIoms!  entrez  sans  balancer  et  lout  de  suite 
dans  voire  chambre. 

la  fille  reine.  Dieu,  le  venlre,  Dieu,  les  côtés  ! 
Je  sens  irop  d'angoisses  et  trop  de  douleur.  Ami  de 
Dieu,  sire  saint  Jean,  et  vous,  bonne  Mère  de  Dieu, 
lirez-moi  de  ce  supplice.  Certes,  je  meurs  ,  j'ose 
bien  le  dire.  Dieu!  maintenant  le  mal  me  prend  au 
dos.  Que  pourrai-je  faire? 

la  deuxième  demoiselle.  Eli  ,  douce  el  bonne 
Vierge,  port  de  salul  pour  les  égarés,  envoyez-nous 
voire  grâce  el  secourez  noire  maîtresse  de  lede  sorte 
que  Dieu  et  vous,  Dame,  vous  puissiez  en  èire  ho- 
norés. 

la  fille.  Eh,  Mère  du  très-deux  Roi  de?  cieux  ! 
maintenant  je  suis  à  ma  fin,  je  le  vois  bien.  Douce 
Vierge,  reconforlcz-moi,  je  vous  en  prie. 

la  première  dehoiselle.  Allons,  paix,  de  par  le 
Fds  de  Marie!  Dune,  cessez  de  crier.  J'ai  haie  de 
parler.  Savez- vous  î  Demandez  quel  enfant  avez- 
VmUS?  car  il  est  né. 

la  fille.  Puisque  Dieu  m'a  donné  un  enfant,  je 
désire  fort  savoir  quel  il  est,  fils  ou  fille:  diles-m'en 
la  vérité,  ma  chère  amie. 

LA    DEUXIÈME    DEMOISELLE.  DaillC,    faitCS-HOUS    1)011 

visage,  car  vous  avez  un  très-beau   fils,  que   votre 
cœur  en  soil  suret  certain  :  regardez  ici. 

la  fille.  J'en  remercie  la  Vierge.  Certes,  je  l'ai 
bien  acheté.  Couchez-moi  vite,  car,  en  vérité,  je 
tremble  toute. 

la  première  demoiselle.  Voici  tout  prêl  le  lit  (n'en 
doutez  pas,  ma  dame,)  où  je  vous  coucherai.  —  Tan- 
dis que  je  l'endormirai,  Yolande,  allez  sans  relard 
dire  à  Lembert  qu'il  aille  tout  de  suite  à  Saint-An- 
dré dire  au  maître  d'hôtel  que  nous  avons  (qu'il 
n'en  doute  pas)  un  fils  nouveau-né. 

la  deuxième  demoiselle.  Je  le  ferai  de  grand 
cœur. 

SCÈNE  XXXVI 

la  deuxième  demoiselle,    lembert,    écuyer. 

la  demoiselle.  Lembert,  mon  doux  ami,  allez 
dire  au  maître  d'hôtel  qu'il  nous  est  né  un  beau  fils 
de  ma  dame.  Sur  mou  âme!  vous  lui  causerez  une 
grande  joie;  je  nVn  doute  pas. 

lembert.  Volontiers  ,  Yolande  ,  mon  amie.  Eh, 
Dieu!  qu'il  en  sera  joyeux! 

SCÈNE  XXXVII. 
lembert,  le  maître   d'hôtel,  le  prévôt. 

lembert.  Je  vous  trouve  bien  à  point  tous  deux  : 
j'allais  vers  vous. 

le  deuxième  chevalier,  Pourquoi,  Lembert,  mon 
doux  ami?  ne  nous  le  cache  pas. 

lembert.  Je  vous  apporte  de  bonnes  nouvelles,  et 
elles  sont  vraies,  j'en  suis  certain  :  la  reine  a  eu  un 
fils  à  l'instant  même. 

le  deuxième  chevalier.  Sois  le  très-bien  venu  ; 
j'éprouve  une  grande  joie  de  ce  que  je  l'entends 
dire.  —  Prévôt,  il  nous  faut  aller  écrire  et  envoyer 
ces  nouvelles  au  roi,  pour  réjouir  davantage  son 
cœur. 

le  prévôt.  Votre  volonté  est  la  mienne.  Allons, 
sire!  je  m'assiérai  ici,  j'écrirai  les  lettres  moi-même; 
il  n'est  pas  besoin  qu'on  me  les  dicte.  C'est  fait  ; 
scellez  à  votre  guise:  cela  suffira. 

le  deuxième  chevalier.  C'eal  scellé;  qui  portera  le 
message  ?  avisons. 

le  prévôt.  Je  suis  d'avis  que  nous  y  envoyions 
Lembert;  il  est  assez  prompt.  —  Approchez,  Lem- 
berl  ;  venez  nous  parler. 

lembert.  Volontiers .  sans  aller  ailleurs  que  vers 
vous  tout  droit. 


FIL 


DICTIONNAIRE  1>F.S  MYSTERES. 


FIL 


5SS 


ta  dfxxième  chevalier,  lembert,  mon  ami,  il 
vous  faut  partir  de  céans  toul  de  suite  el  vous  mettre 
en  route  pour  porter  celte  lettre  au  roi  ;  et  quand 
vous  la  lui  donnerez,  vous  lui  direz  de  la  part  de  nia 
dame  qu'elle  est  accouchée  d'un  fils:  elle  le  lui  l'ait 
savoir  et  se  recommande  fortement  à  lui,  et  nous 
de  même. 

lembert.  Aussitôt  que  je  serai  parti  d'ici,  sachez 
que  je  ne  cesserai  de  marcher  que  je  ne  la  lui  aie 
donnée  et  mise  entre  les  mains. 

le  prévôt.  Nous  vous  prions  d'y  mettre  soin  et 
diligence.  ' 

lembert.  Je  vous  promets  qu'il  n'y  aura  pas  né- 
gligence, autant  que  je  le  pourrai  de  mon  fait;  je  ne 
m'arrêterai  pas  que  je  n'aie  trouvé  le  roi.  Adieu, 
vous  tous. 

le  deuxième  chevalier.  Lembert,  adieu,  mon  doux 
ami.  —  Maintenant  il  s'en  va. 

SCÈNE  XXXVIII. 
lkmtîeut,  en  route. 

lembert.  Il  serait  hon,  je  crois,  de  passer  chez  la 
mère  du  roi  et  de  lui  porter  ces  nouvelles?  J'y  ga- 
gnerai sans  doute  quelque  bon  cadeau  :  c'est  pourquoi 
je  veux  y  aller  sans  relard.  Je  la  vois  là-bas  :  c'est 
bien  à  point;  je  vais  lui  faire  la  révérence. 

SCÈNE  XXXIX. 

I.EMBERT  ,  LA  UlÉlUÎ    DU   ROI,  GODEFROY,  Son 

ccuyer. 

lembert.  Ma  dame,  que  Dieu,  le  Roi  des  cieux, 
vous  garde  de  mal! 

la  mère.  Lembin,  beau  sire,  en  quel  endroit  al- 
lez-vous et  d'où  venez-vous  ?  Je  vous  prie  de  nous 
le  dire,  aussi  bien  que  ce  qui  vous  amène. 

lembert.  Chère  dame,  je  m'en  vais  auprès  du  roi 
mon  seigneur  lui  annoncer  la  plus  grande  joie  dont 
son  aine  puisse  être  de  longtemps  touchée,  car  ma 
dame  est  nouvellement  accouchée  d'un  lils. 

la  mère.  Dis  lu  vrai,  Lembin  ?  J'en  suis  charmée, 
par  la  foi  que  je  dois  à  Siinle  Balhilde  !  Pour  la  joie 
que  j'en  ai,  il  le  faut  aujourd'hui  demeurer  avec  moi: 
je  veux  le  donner  à  souper.  Portes-tu  des  lettres? 

lembert.  Oui,  ma  dame;  les  maîtres  d'hôtel  m'en 
ont  donné. 

la  mère.  Sur  mon  âme!  que  je  suis  heureuse!  mon 
cœur  est  enchanté  de  ce  que  lu  m'as  dit.  —  Allons,! 
si  le  souper  csl  prêt,  Godefroy,  je  veux  qu'il  soupe; 
et  apportez-lui  de  ce  bon  vin  dont  je  bois. 

godefroy.  Ma  dame,  paiienlcz  un  peu  :  c'est  comme 
si  c'était  fait.  Voyez,  je  mets  la  lable.  Allons  !  je 
veux  m'occuper  à  le  servir. 

la  mère.  Si  tu  veux  le  hien  servir  à  mon  gré, 
apporle-lui  ici  un  bon  mets.  (.1  part  à  Godefroy.) 
Approche,  écoule  :  mels-lui  dans  son  vin  de  ce  que 
je  t'ai  donné  à  garder,  de  manière  à  ce  qu'il  ne 
s'en  aperçoive  pas. 

godefroy.  Volontiers,  dame,  et  de  tout  mon 
cœur  ;  voici  la  fiole. 

la  mère.  Verse  pour  l'amour  de  moi.  —  Lembin  , 
je  veux  que  vous  buviez,  el  vous  direz  si  ce  vin 
est  bon;  il  vous  faut  tout  boire. 

lembert.  Chère  dame  ,  par  saint  Magloirc!  il  y  a 
longtemps  que  je  ne  bus  d'aussi  bon  vin;  je  vais 
boire  ce  reste,  puisque  cela  vous  fait  plaisir. 

la  mère.  Voici  de  la  viande  qui  esl  bonne  et 
appétissante;  il  vous  faut  en  manger,  Lembert. 
Allons!  montrez-nous  que  vous  vous  acquittez  bien 
de  cet  office. 

lembert.  Je  ne  ferai  pas  de  difficultés  ,  chère 
dame;  cl  vous,  que  ferez-vous!  (Ici  il  mange.)  — 
Ami,  vous  me  donnerez  à  boire  ,  si  vous  le  voulez 
bien. 

la  mère.  Verse  ici  un  plein  banap,  car  telle  est 
ma  volonté. 


codefbov.  Buvez  :  le  banap,  Lembin  ,  esl  plein 
jusqu'à  l'œil. 

lembert.  Voici  de  bon  vin.  Alions,  votre  main! 
Je  vous  jure  et  vous  assure,  ma  dame,  que  de- 
main je  ferai  de  vous  ma  femme  par  le  mariage. 

la  mère.  Oui  vraiment,  pourvu  qu'il  n'y  ail  li- 
gnage...—  Il  est  ivre,  je  le  le.  promets.  Mèuc-le 
coucher  et  mels-le  dans  un  bon  lit. 

godefroy.  Leuiberl ,  il  vous  faut  par  plaisir  vous 
venir  coucher. 

lembert.  Oui,  mon  cher  ami,  ma  dame  et  moi. 

godefroy.  Oui,  en  vérilé;  aussi  bien  esl-ce  votre 
femme.  Allons  devant. 

lembert.  Allons,  mon  ami,  en  avant!  — Ma 
belle,  venez  aussi  vous  coucher;  heurtez  douce- 
ment ,  je  chancelle.  Qui  êtes- vous? 

godefroy.  Allons!  mon  doux  ami ,  couchez-vous 
dans  ce  lit,  je  vous  couvrirai. —  Avant  de  m'en 
aller,  je  verrai  sa  contenance  et  ses  grimaces.  Par 
mon  âme!  il  dort  fort  bien;  je  vais  le  dire  à  ma 
darne.  —  Madame,  Lembin  m'a  fait  rire;  certes, 
il  esl  bien  pris.  H  n'a  pas  eu  plus  tôt  la  tète  sur  le 
lit  qu'il  s'est  endormi.  Dieu!  comme  demain  .  à  ce 
que  je  crois  ,  il  sera  étourdi  ! 

la  mère.  Allons,  paix  ,  el  liens-loi  coi  !  je  veux 
aller  le  visiter.  Puisqu'il  dort  si  bien  ,  sans  hésiter  , 
je  verrai  de  quelles  lettres  il  esl  chargé  avant  qu'il 
repasse  jamais  ma  porte.  —  Je  les  liens;  laissons-lo 
dormir,  el  emportons-.'es.  —  Godefroy  ,  va  me  cher- 
cher mon  secrétaire  tout  de  suite. 

godefroy.  Dame,  volontiers,  en  vérité.  —  Maître 
Bon,  ne  vous  tenez  plus  ici  ;  mais  venez  bien  vile 
vers  ma  dame. 

le  secrétaire.  Allons-y,  puisqu'elle  m'envoie 
chercher. 

SCÈNE  XL. 

la  mère  du  roi,  maître  bon,  son  secrétaire. 

maître  bon.  Dame  ,  vous  m'avez  fait  mander  : 
que  vous  plaîl-il  de  m'ordonner?  dites-le-moi. 

la  mère.  Je  veux  savoir  en  secret  de  loi  ce  qu'il 
y  a  écrit  dans  celle  lettre,  sans  omettre  ni  ajouter 
ni  un  mol  ni  la  moitié. 

le  secrétaire.  Il  y  a  :  i  Mon  très-cher  ami  et  sei- 
gneur, je  me  recommande  à  vous,  el  vous  transmets 
autant  de  saints  que  je  le  puis.  Je  vous  fais  savoir 
que  vous  avez  un  nouvel  héritier  mâle,  que  Dieu 
fil  naître  de  moi  le  jour  qu'on  écrit  cette  lettre,  et 
qui  vous  ressemble,  quant  aux  traits,  plus  qu'au- 
cune autre  créature.  Je  ne  vous  parle  de  nulle 
autre  chose.  Par  le  retour  du  messager  ,  écrivez- 
moi  an  sujet  de  voire  santé.    « 

la  mère.  Là!  puisse  celle  nouvelle  race  être  de 
courte  durée! — Allons!  fais-moi  sans  relard  une 
autre  lettre  comme  je  vais  le  dire.  N'aie  pas  peur; 
je  te  paierai  bien  ;  fais  ma  volonté. 

le  secrétaire.  Chère  dame,  je  suis  prêt  à  exé- 
cuter de  grand  cœur  votre  volonté.  Allons!  dictez, 
j'écrirai  en  assez  grosses  lettres. 

la  mère.  Ecris  :  «  Au  roi  d'Ecosse,  notre  cher 
seigneur,  respect,  salut  el  obéissance  entière.  Nous 
vous  mandons  que  la  reine,  votre  femme  sort  de 
couches  :  ce  dont  nous  ne  faisons  point  de  fêle , 
car  nous  ne  savons  dire  ce  qu'elle  a  mis  au  monde, 
tant  c'esi  une  hideuse  créature!  en  vérité,  jamais 
cela  ne  fui  cngemré  par  un  homme.  Assurément 
nous  eussions  tout  brûlé,  la  mère  cl  la  portée,  sauf 
votre  respect.  Mandez-nous  donc  ce  que  nous  de- 
vons faire,  el  commandez  :  nous  les  brûlerons  ,  car 
il  n'y  a  pas  d'autre  parli  à  prendre.  De  la  part  des 
grands  maîtres  d'hôtel.  Toul  a  vous.   > 

le  secrétaire.  C'esl  fait. 

la  mère.  C'est  bien,  mon  doux  ami.  Allons,  fer- 
me-la sans  relard,  et  mets  la  suscriptiou  ;  pms 
donne-la-moi. 

le  secrétaire    A  l'instant.  Daine,  tenez. 


359 


FIL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FR. 


360 


la  mère.  Vous  êtes  un  gentil  clerc  el  un  homme 
sensé.  Allez  sans  crainte  vous  ébattre. 

SCÈNE  XLI. 

LA  MÈRE  DU    ROI,  Seule. 

la  mère  du  roi.  Celte  missive  sera  scellée  sans 
difliculté  avec  le  sceau  qui  est  en  celte  lettre,  et 
j'irai  la  mettre  en  l'étui  où  je  pris  celle-ci  tout  à 
l'heure.  Mon  affaire  va  bien.  Pendant  que  Lembert 
dort  encore  et  ronfle  bien  el  fort  dans  son  lit,  je 
veux  en  finir.  —  C'est  l'ait.  Qu'il  aille  livrer  sa  lettre 
a  qui  il  voudra. 

SCENE  XL1I. 

LEMBERT,   LA  MERE   DU   ROI. 

lembert.  Il  est  jour,  levons-nous,  et  en  route, 
sans  plus  attendre.  Je  vais  prendre  congé  de  ma- 
dame :  c'est  juste.  —  Chère  dame,  adieu!  grand 
merci!  j'ai  été  très-bien  traité  chez  vous. 

la  mère.  Lembert,  veuillez,  je  vous  prie,  venir 
ici  à  votre  retour;  je  veux  vous  faire  un  don.  Mais 
prenez  garde  que  personne  ne  sache  que  vous  êtes 
venu  ici ,  je  vous  en  prie. 

lembert.  Ma  dame ,  je  le  veux  bien  ;  personne  ne 
le  saura  par  moi.  Adieu. 

SCÈNE  XLI II. 

LEMBERT,  SCuI. 

lembert.  Jusqu'à  ce  que  je  sois  à  Senlis  et  que 
j'aie  vu  le  roi,  je  ne  cesserai  de  marcher.  Je  veux 
mettre  dans  celle  affaire  tous  mes  soins.  Je  crois 
que  je  vois  le  roi  là-bas  au  milieu  de  celte  plaine  ; 
oui ,  vraiment  :  je  vais  à  lui.  Plus  j'approche  de  lui , 
mieux  je  le  reconnais. 

SCÈNE  XLJVj 

lembert,  le  roi  d'écosse. 

lembert.  Monseigneur,  que  Dieu  par  sa  bonté 
vous    donne  joie,  honneur,   santé   et  bonne    fin! 

le  roi  d'écosse.  Sois  le  bienvenu,  Lemhin!  Dieu 
te  donne  une  bonne  semaine!  Dis-moi  la  vérité  : 
quelle  affaire  t'amène  par  ici  ? 

lfmrert.  Sire,  je  viens  directement  d'Ecosse.  Vos 
maîtres  d'hôtel,  vos  amis ,  m'ont  chargé  devenir 
vers  vous  et  vous  envoient  celle  lettre.  Je  ne  sais 
pas  ce  qu'ils  ont  voulu  y  meure  dedans. 

le  roi  d'écosse.  Je  veux  l'ouvrir  loui  de  suile,  et 
je  verrai  ce  qu'il  y  a  d'écrit.  Ah!  Jésus-Christ,  mon 
très-doux  père,  je  dois  bien  avoir  le  cœur  éperdu  : 
je  suis  déshonoré  à  jamais.  Beau  sire  Dieu,  comment 
une  chose  si  honteuse  est-elle  arrivée  à  une  aussi 
belle  femme? 

le  premier  chevalier.  Monseigneur,  je  vous  vois 
pleurer,  les  larmes  tombent  de  vos  yeux;  sire,  que 
pouvez-vous  avoir?  diies-le-nous. 

le  roi  d'écosse.  Certes,  j'ai  lanl  de  douleur  el  de 
colère,  que  je  ne  sais  le  dire.  Je  veux  écrire  ici  moi- 
même;  procurez-moi,  mon  cher  ami,  de  l'encre,  une 
plume  el  du  papier,  dont  j'ai  besoin. 

le  premier  chevalier.  Vous  en  aurez  assez,  sans 
faute.  Voici  de  l'encre,  une  écriloire  el  du  papier. 
Tenez-vous  en  joie,  pour  l'amour  de  Dieu. 

le  roi  d'écosse.  Je  n'ai  jamais  été  autant  cour- 
roucé. Laissez-moi  écrire  toul  seul;  relirez-vous  là- 
bas. 

le  premier  chevalier.  Mon  cher  seigneur,  je  ferai 
ce  qui  vous  plaira. 

(Ici  le  roi  écrit.) 

le  roi  d' Ecosse.  Lembert,  pour  l'expédier  promp- 
tement,  lu  reporteras  cet  ordre  à  mes  gens,  et  lu 
leur  diras  qu'ils  ne  fassent  rien  autre  chose  que  ce 
qui  est  prescrit  là-dedans. 

lembert.  Que  je  n'aie  jamais  mal  aux  dents!  mon 


cher  seigneur,  je  le  leur  dirai  bien.  Ja  ne  reste  plus  : 
je  m'en  vais,  sire. 

le  roi  d'écosse.  Allons,  va  !  el  sache  bien  leur  ré- 
péter ce  que  je  t'ai  dit. 

lembert.  C  est  ce  que  je  ferai,  sans  y  manquer. 

SCÈNE  XLV 
lembert,  seul. 


lembert.  Maintenant  il  me  failli  penser  à  marcher 
foi  tel  ferme,  elje  ne  veux  m'arrèler  qu'au  chàleau 
de  Gorl,  où  je  verrai  la  mère  du  roi,  qui  m'a  pro- 
mis un  présent  :  ce  qui  m'a  rendu  joyeux.  Avant 
qu'il  soil  plus  tard,  je  vais  savoir  ce  qu'elle  me  don- 
nera et  à  quel  point  elle  sera  libérale  à  mon  égard. 
Lh!  j'y  serai  d'assez  bonne  heure.  Je  vois  le  château 
devant  moi  :  je  vais  y  entrer;  je  liens  pour  certain 
que  j'y  serai  bien  reçu. 

SCÈNE  XLVI. 

le  même,  la  mère  du  roi,  godeeroy,  son 

écuyer. 

lfmbert.  Madame,  que  Dieu  soil  céans!  me  voici  : 
a  lirai -je  à  boire? 

la  mère.  Oui,  Lembin,  par  sainl  Magloire!  Com- 
ment se  porte  le  roi? 

lembert.  Bien,  ma  dame,  par  la  foi  que  je  vous 
dois!  au  moins  il  en  était  ainsi  quand  je  le  laissai. 
Mais  je  ne  sais  rien  de  ce  qu'il  a  fait  à  la  fêle, 
n'ayant  eu,  pour  rester  à  la  cour,  que  le  temps  qu'il 
pril  à  faire  ma  lettre,  à  me  la  donner  et  à  me  dire 
que  je  fusse  soigneux  el  diligent  à  la  reporter  à  ses 
hommes  de  l'autre  côlé  du  détroit. 

la  mère.  Cela  ne  fait  rien.  —  Holà,  le  vin,  holà, 
et  des  épices! 

godf.froy.  Ma  dame,  je  serais  un  imbécile  si  je  re- 
fusais de  vous  obéir.  Je  vous  en  apporterai  sur 
l'heure;  je  vais  les  chercher. 

lembert.  Oh  !  oh  !  quoi  donc?  Voilà  bien  des  mois 
que  je  n'ai  eu  une  envie  de  dormir  aussi  forle  que 
celle  qui  m'a  pris  depuis  que  je  suis  entré  dans  cet 
appartement.  D'où  cela  me  vient-il?  Madame,  avant 
lo  il  il  me  faut  dormir. 

l\  mère.  Non  certes.  Auparavant  vous  boirez  un 
coup  et  vous  mangerez  des  épices,  par  la  loi  que  je 
dois  à  mon  âme  ! 

codefroy.  Madame,  prenez  les  épices  avant  lo 
vin. 

la  mère.  Allons,  j'en  ai  pris  :  maintenant,  présente 
à  Lembin,  il  en  prendra. 

lembert.  Je  ne  sais  pas  si  cela  me  fera  du  bien, 
tant  j'ai  sommeil! 

la  mère.  Dès  que  nous  aurons  bu,  je  veux,  Gode- 
froy.  que  lu  le  mènes  coucher,  el  que  tu  aies  soin 
de  le  couvrir,  de  manière  à  ce  qu'il  dorme  à  son 
aise. 

(Ici  ils  boivent  sans  rien  dire.) 

lembert.  Chère  dame,  ne  vous  déplaise,  si  je  reste 
plus  longtemps  ici,  je  vais  m'endormir.  En  vérité, 
je  n'en  puis  plus. 

la  mère.  Eh  bien  !  allez  Lembert  ;  que  Jésus  vous 
donne  un  bon  somme,  mon  ami!  — Codefroy,  allez 
vite  sans  retard  avec  lui. 

godf.froy.  Volontiers,  madame,  par  ma  foi!  —  Al- 
lons, Lemberl. 

lembert.  Travaillons  des  pieds,  je  vous  prie,  pour 
y  aller. 

SCÈNE  XLVII, 

CODEFROY,   LAMBERT. 

sodefroy.  Allons,  reposez  et  taisez-vous,  Lemberl, 
puisque  vous  êtes  couché  el  bien  couvert,  je  vous 
laisse  ici. 


561 


FiL  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

SCÈNE  XLVIII. 

LA  MÈRE  DU  «01,  GODEFROY. 


F1L 


3!>2 


la  mère.  Tu  n'as  pas  fait  une  trop  longue  pause 
avec  Lembert. 

godefroy.  Ma  dame  ,  je  l'ai  couché  el  couvert  : 
n'esl-ce  pas  assez?  Il  est  si  las  qu'il  n'a  besoin  que 
de  repos. 

la  hère.  C'est  bien;  maintenant,  écoute-moi  :  j  ai 
besoin  de  maître  Bon,  mon  seci claire;  va  le  cher- 
cher. 

godefroy.  Ma  chère  dame,  j'y  vais  sans  me  tenir 
plus  longtemps  ici. 

SCÈNE  XLIX 

LA  MÈRE    DU  ROI. 

la  mère,  Et  moi  je  vais  savoir  secrètement  quelle 
figure  l'ail  Lemberl.  Tout  va  bien.  Il  dort  tout  de 
bon.  Je  vais  prendre  sa  boîte  et  ses  lettres,  el  je  sau- 
rai bientôt,  si  je  puis,  ce  qu'il  porte. 

SCÈNE  L. 

GODEFROY,  MAÎTRE  BON. 

godefroy.  Maître  Bon,  je  vous  trouve  bien  à  pro- 
pos Il  vous  faut  encore  venir  sans  tarder  auprès  de 
ma  dame,  elle  vous  mande. 

le  secrétaire.  Je  vais  y  aller  de  bon  cœur,  Gode- 
froy, car  j'y  suis  tenu. 

SCÈNE  LI. 

MAÎTRE  BON,  LA  MERE  DU  ROI. 

le  secrétaire,  Chère  dame,  je  suis  venu  à  votre 
commandement. 

la  mère.  Mailre  Bon,  je  voudrais  savoir  ce  que 
celle  leltre  porte.  Lisez-la  moi,  que  je  puisse  en  en- 
tendre la  loueur. 

le  secrétaire.  Dame,  volontiers,  sans  retard.  — 
«  A  nos  féaux  maîtres  d'hôtel.  Nous  vous  faisons  ce 
commandement  :  comme  vous  nous  avez  mandé  que 
vous  ne  savez  nous  dire  positivement  quel  enfant  la 
reine  a  eu  en  couches,  tant  l'aspect  du  monstre  est 
hideux  1  faites-nous  garder  dans  quelque  lieu  écarté 
la  mère  cl  le  fruit,  car  nous  désirons  les  voir  à  notre 
retour.  » 

la  mère.  Est-ce  cela?  A  l'instant  même,  moi  el 
vous  nous  en  ferons  une  autre.  Allons!  écrivez 
sans  relard  ce  que  je  vais  vous  dicter.  En  vérité, 
vous  serez  plus  satisfait  que  vous  ne  le' pensez. 

le  secrétaire.  Chère  dame,  j'aurai  assez  tant  que 
Dieu  vous  prêtera  vie.  Dictez  ce  qu'il  vous  plaira, 
je  suis  prêt  à  écrire. 

la  mère.  Mettez  :  <  Le  roiel  sire  d'Ecosse.  Mailre 
d'hôtel,  ne  lardez  point,  après  avoir  vu  ces  lettres, 
de  brûler  la  Benhekiue  el  sa  progéniture  sans  at- 
tendre un  seul  jour  ni  mène  une  heure;  car,  si  vous 
ne  la  brûlez  pas,  elle  el  son  fruit,  el  si  nous  pou- 
vons en  apprendre  nouvelle,  sachez  que,  aussi (ôl 
aue  nous  serons  de  retour,  nous  vous  ferons  pendre  ; 
n'en  douiez  point.  > 

le  secrétaire.  Ah  !  Marie!  voilà  qui  est  fort. 

la  mère.  Allons,  pliez  la  missive  sans  commen- 
taire ci  fermes-la. 

le  secrétaire.  Volontiers,  puisque  vous  me  l'or- 
donnez. La  voil  i  close. 

la  mère.  Maintenant  il  n'y  manque  plus  qu'une 
chose  ;  c'est  le  sceau  ;  je  l'y  mettrai  bien  et  je  le  pla- 
cerai ici  dedans.  Voilà!  el  sans m'amuscr  davantage, 
je  vais  vite  reporter  le  loul  à  Lcinherl.  La  Maue- 
quine  aura  une  joie  de  mauvais  aloi,  si  je  réassis. 
J'ai  fini  à  temps. 

SCÈNE  LU. 
lembert,   seul. 

Si  je  ne  vais  pas  plus  vile  en  voyage,  je  pourrai 
Diction >'.  des  Mystères. 


bien  mériter  des  reproches  ;  il  me  faut  remplir  mon 
devoir  en  ce  point. 

SCÈNE  LUI. 


LEMBERT,   LA  MERE  DU    ROL 

lembebt.  Ma  dame  ,  je  viens  prendre  congé  ;  je 
vous  reincri  ie  de  ce  que  j'ai  lui  et  mangé  chez  vous. 

la  mère.  Lembert,  lu  pars  donc  de  céans  Je  l'a- 
vais promis  quelque  chose  :  voici  ccnl  florins,  liens, 
mon  ami  ,  fais-en  usage. 

lembert.  Grand  merci,  ma  dame!  que  Dieu  vous 
mette  en  bonne  année  ! 

la  mère.  Va-t'en,  va  ;  je  te  donnerai  plus  ur  e  au- 
tre fois. 

lembert.  Adieu,  rna  dame,  je  m'en  vais. 

SCENE  LIV 

LAMBERT,  Seul. 

lembert.  Rien  ne  m'arrêtera  jusqu'à  ce  que  je  sois 
a  Berwick.  Je  vois  la  ville,  tant  j'en  suis  près;  ju 
veux  me  hâter  d'y  entrer. 

SCENE  LV. 

LE  MÊME,  LE  PRÉVÔT,  LE  MAÎTRE  d'hÔTEL. 

lembert.  Messeigneurs,  que  Dieu,  qui  de  Marie 
voulut  faire  sa  mère  et  son  amie,  soit  votre  ami  ! 

le  prévôt.  Lembert,  mon  ami,  qu'il  le  mette  au- 
jourd'hui en  un  bon  jour  ! 

le  deuxième  cuevalier  d'écosse.  Lembert,  dites- 
nous  sans  relard  comment  si;  porte  monseigneur  la 
roi,  el  quelle  chance  il  a  au  tournoi,  si  vous  en  sa- 
vez quelque  chose. 

lembert.  Quant  au  roi,  messeigneurs,  je  vous  as- 
sure que  je  le  laissai  en  bon  état;  mais  relalive- 
•menl  au  tournoi,  je  vous  dirai  en  peu  de  mots  qiM 
je  ne  sais  pas  s'il  a  eu  lieu  ou  non  :  car  je  n'ai  été  à 
la  cour  de  monseigneur  que  le  temps  qu'il  mita  faire 
lui-même  ma  lettre,  sans  confier  ce  soin  ànn  autre. 
Tenez, sire,  je  vous  la  donne.  Il  m'a  chargé  de  vous 
dire  que  vous  ne  manquiez  pour  rien  au  monde  d'ac- 
complir ce  qui  y  est  écrit. 

le  deuxième  chevalier.  Ah!  très-doux  père  Jésus- 
Christ,  voici  une  leltre  où  il  y  a  des  choses  bien 
terribles.  —  Piévôt,  venez,  avancez;  tenez,  lisez. 

le  prévôt.  Volontiers,  si  je  le  puis.  Hélas!  voici 
un  ordre  irop  dur  :  brûler  le  lils  cl  la  mère!  Eh  , 
beau  sire  Dieu  qui  ie  mens  pas!  je  reste  tout  ébahi. 
Que  peut-il  y  avoir?  Je  m'en  émerveille  fort. 

LE    DEUXIÈME    CHEVALIER    D'ECOSSE.    CeNCS,    prévôt , 

à  vous  dire  vrai,  c'est  notre  mort  qui  est  ici  écrite. 
Car,  si  nous  différons  à  brûler  la  reine  et  son  (ils, 
el  si  nous  n'exécutons  pas  son  ordre,  il  nous  fera 
mourir  honteusement.  Si  nous  les  brûlons,  ce  sera 
pis,  car  le  peuple  courra  sur  nous.  Je  ne  vois  pas 
comment  nous  garantir  de  la  mort,  si  Dieu  n'y  pour- 
voit pas. 

le  prévôt.  Hélas!  voici  une  dure  sentence.  En 
verit  ■,  jt:  plains  le  lils  el  la  dame  autant  el  encore 
plus,  sur  mon  âme,  que  s'il  s'agissait  de  moi 

SCÈNE  LVI. 

LES  MÊMES,  LA  FILLE  DU  ROI  DE  HONGRIE. 

la  fille.  Seigneurs,  de  quoi  êles-vous  si  for!  préoc- 
cupés? Tout  ne  va-l-il  pas  bien  dans  ce  pays?  Je 
vous  vois  tout  siupéfailsel  le  visage  morne. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER.    N()US  ll'eil  pOIIVOllS   mais. 

ma  chère  dame;  el,  en  vérité,  vous  n'allez  pas  éiro 
moins  dans  l'ennui  que  nous.  Le  roi  nous  mande, 
soas  peine  de  perdre  nos  biens  et  notre  vie  ,  de  i.e 
pas  différer  à  faire  brûler  votre  (ils  el  vous. 

la  fille.  Ah,  mère  de  Dieu,  Vierge  honorée! 
mes  amis,  dites-vons  la  vérité?  A-l-il  mis  un  ordre 
pareil  dans  cette  lettre? 

Ll  trévôt.  Oui ,  vraiment ,  chère  dame;  et  il  y 

12 


FiL 


PK.TIONNAIRE  DES  MYSTERES, 


FIL 


Sii  4 


a  qu'il  nous  fera  pendre,  si   nous  n\iccompï:ssons 
pas  sans  relard  ce  qu'il  nous  mande. 

la  fille.  A  quelle  angoisse  ne  suis-je  pas  de  non- 
veau  en  proie?  Eh!  1res- douce  Vierge  Marie,  je  ne 
croîs  pas  qu'il  y  ail  en  vie  u«e  femme  plus  infortunée 
que  moi.  Eh!  doux  roi  d'Ecosse!  pourquoi  m'avez* 
vous  co.iianmée  à  mourir  parle  supplice  du  feu? 
Orles,  c'esl  à  lorl  ;  car  je  ne  sache  pas  vous  avoir 
offensé  en  paroles  et  en  actions,  au  point  de  mé- 
riter que  vous  me  mettiez  ainsi  à  mort.  Encore,  si 
je  mourais  seule,  je  n'éprouverais  pas  tant  de  cha- 
grin (Ici  elle  baise  son  /ils);  mais  votre  volonté  est 
que  cetie  douce  rosée,  cet  innocent  sans  tache,  soit 
brûlé  avec  sa  mère.  Ali  !  hon  roi  !  par  ma  foi  !  ce  nie 
semble  chose  trop  dure  et  trop  douloureuse  qu'un 
tel  innocent  et  sa  mère  so  eut  brûlés.  Dieu!  le  cœur 
me  fend  de  douleurs.  Ah!  mon  doux  enfant!  (Ici 
elle  le  baise.)  —  Doux  lils,  est-ce  par  suite  de  vos 
crimes  ou  des  miens?  Nenni,  certes  ,  ce  n'est  que 
rage. —  Eh  !  heaux  seigneurs,  épargnez  ma  pauvre 
vie,  que  je  ne  meure  pas  ainsi,  ni  cet  enfant  non 
plus;  je  vous  en  prie  pour  l'amour  de  Dieu  et  de 
moi.  J'ai  le  comr  bien  marri.  Mon  enfant  n'était-il 
pas  pour  tenir  le  pays  comme  roi  ?  Quelle  furie  s'y 
oppose?  Ah!  je  vous  en  prie  donc,  au  nom  de  la 
pitié,  souffrez  que  loin  de  cette  terre  je  puisse  aller 
chercher  mon  pain  comme  une  pauvre  femme. 

LU     DEUXIÈME     CHEVALIER.     PlévÔI,      (MlCS   IllOÎ,     Cn 

ami,  que.  ferons-nous  de  celle  femme;  elle  me  fait 
tant  pitié  par  ses  douces  lamentations,  que  le  cœur 
me  fond  tout  cn  larmes;  et  vraiment,  l'enfant  pro- 
duit sur  moi  le  même  effet:  je  vous  en  prie  donc, 
avisons. 

le  prévôt.  Sire,  nous  nous  en  tirerons  à  no- 
tre honn  ur,  si  vous  m'en  croyez.  Si  je  dis  bien,  na 
repoussez  pas  mon  avis. 

lk  deuxième  chevalier  d'écosse.  Nenni  ;  an  con- 
tralre,  je  veux   m'y  ranger.  Allons,  prévôt,  parle», 

le  prévôt.  Nous  pouvons  cire  entièrement  dé- 
chargés de  sa  mon,  en  agissant  de  celle  manière: 
mettons -la  en  mer  dans  un  bateau  ou  dans  une  vieille 
nacelle,  seule  avec  l'enfant,  sans  gouvernail  ni  avi- 
ron; personne  autour  d'eux;  qu'elle  s'en  aille  ainsi 
s;ii  la  mer  au  gré  de  Dieu  qui  la  conduira  où  il  lui 
plaira. 

le  deuxième  chevalier.  C'est  bien  parlé;  il  cn 
sera  ainsi. —  Dame,  vos  plaintes  nous  ont  fait  pitié. 
Nous  ne  vous  livrerons  pas  au  feu;  mais  nous  ferons 
autre  chose.  Il  vous  faudra,  que  cela  vous  plaise  ou 
non,  entrer  dans  ce  baleau,  vous  et  votre  enfant; 
et,  quand  vous  serez  en  mer,  vous  n'aurez  d'autre 
protection  que  celle  de  Dieu.  Ainsi  vous  aurez  quille 
lu  pays.  Consentez-vous  ? 

la  fille.  Puisque  tel  est  votre  plaisir,  mes  doux 
seigneurs,  je  vous  remercie  les  larmes  aux  yeux. 
Condamnée  à  mourir,  j'aime  mieux  que  nous  soyons 
noyés  dans  la  mer  profonde  que  de  périr  par  le  feu 
à  la  vue  de  tous. 

î.r,  prévôt.  Dame,  vous  n'avez  pas  tort.  Eh  bien, 
en  avant  !  prenez  voire  enfant,  faites  vile  et  venez 
promplemenl. 

la  première  demoiselle.  Ah!  ma  chère  el  bonne 
dame  !  j'éprouve  tant  de  peine  de  me  séparer  de 
vous  que  peu  s'en  faut  que  le  cœur  ne  me  fende. 
Certes,  je  ne  vous  abandonnerai  pas;  je  veux  vivre 
ou  mourir  avec  vous.  Vous  m'avez  aimée  de  (oui 
votre  cœur;  ei  puisque  je  vois  voire  lin,  certaine- 
ment j'entrerai  dans  la  nacelle  aussitôt  que  vous,  et 
je  mourrai  si  vous  mourez  :  tant  je  vous  aime  d'une 
amilié  sincère  !  Je  veux  entrer  céans  sans  retard, 
puisque  vous  y  êtes. 

le  deuxième  chevalier.  Mon  amie,  vous  êtes  folle, 
qu'est-ce  qui  vous  entraîne?  Si  le  vent  s'élève  et  la 
mer  s'enfle,  vous  serez  noyée  tout  de  suite.  Pour 
l'amour  de  Dieu!  n'y  alnz  pas;  croyez  mon  avis. 

la  première  demoiselle.  Sire,  je  vux  aller  avec 


elle  el  m'exposer  pour  elle  à  la  mort,  s'il  me  faut  la 
subir:  tant  je  l'aime  en  vérité! 

le  prévôt.  Mon  amie,  je  vous  liens  pour  une 
soite,  si  vous  faiies  cela. — Menons  ce  baleau  à 
flot.  Holà!  la  mer  le  sépare  de  nous.  Sire,  allons- 
nous-cn  d'un  autre  côlé  vers  nos  logis. 

le  DEuxrÈME  che"alier  d'écosse.  Allons  !  Ad'reu, 
gentille  dame  !  Le  Seigneur  vous  aide  el  vous  con- 
sole, et,  si  lel  est  son  plaisir,  qu'il  veuille  vous  con- 
duire à  bon  port  ! 

SCÈNE  LVII. 

LA  FILLE  DU  ROI,   LA    DEMOISELLE 

la  fille.  Mère  de  Dieu,  ai-je  sujet  de  m'affliger  ? 
Certes,  oui,  dans  le  danger  de  chavirer  en  mer  à 
chaque  instant.  Ah!  fortune!  que  tu  m'es  contraire î 
N'ai  je  pas  droit  de  le  faire  des  reproches  et  de  me 
plaindre  amèrement?  Ne  in'as-tu  mis  au  haut  de  la 
roue  que  pour  me  jeter  ensuite  dans  la  fange?  Qu'y 
al  il  de  pis  ?  Je  suis  abandonnée  sans  pilote  à  la 
tourmente  des  flots  qui  courent  terriblement  sur 
nous.  —  Cher  fils,  si  Dieu  ne  nous  secourt  pas,  ni 
vous  ni  moi,  nous  ne  pouvons  résister  ni  endurer 
celle  mer  !  Ah  !  quand  même  nous  serions  en  lieu 
sûr,  j'aurais  encore  bien  des  raisons  de  pleurer  et 
j'éprouverais  assez  d'angoisses  et  de  douleur  à  cause 
de  vous,  mon  cher  enfant.  Comment  vous  lever, 
vous  coucher,  vous  nourrir?  —  Ah!  Vierge  de  qui 
Dieu  voulut  naître  !  ne  mettez  pas  de  lenteur  à  nous 
aider;  réconfortez  une  malheureuse  et  menez-la  au 
pori  »lu  salut.  Fleur  dont  le  fruit  eut  tant  de  valeur 
qu'il  fut  suffisant  pour  arracher  le  monde  à  la  pro- 
fonde prison,  Dame,  tirez-nous  de  ce  péril,  el  agis- 
sez en  femme  miséricordieuse.  Vierge,  ne  me  laissez 
pas  périr  ;  niais  dirigez-nous  droil  au  port  de  salut. 

SCENE  LVIII. 

NOTRE-DAME,   DIEU,    ANGES. 

notre-dame.  Mon  fils,  au  nom  de  la  bonlé  infinie 
qui  est  en  vous,  conseillez  à  ce  que  nous  allions  ré- 
conforter sur-le-champ  celle  dame,  que  lounnenl« 
la  peur  d'être  noyée  dans  celle  mer. 

dieu.  Ma  mère,  vous  devez  l'aimer,  car  je  vois 
qu'elle  le  mérite  :  file  prie  el  sert  de  (Osur  vous  et 
moi,  el  supporte  avec  beaucoup  de  patience  le  mal- 
heur, l'embarras  el  la  rude  infortune  qui,  sans  l'abat- 
tre, l'a  frappée  et  la  frappe  encore.  Debout  1  alloua 
la  soulager  sans  plus  de  retard. 

notre-dam'e.  Anges,  pensez  à  descendre,  el  chan- 
tez, en  nous  accompagnant,  si  haut  que  l'on  entende 
clairement  ce  que  vous  chaulerez. 

le  premier  ange.  Dame,  nous  ferons  de  bon  cœur 
loul  ce  (pie  vous  commanderez. 

le  deuxième  ange.  Gabriel,  eh  bien!  que  dirons- 
nous  en  allant   là-bas  ? 

le  premier  ange.  Mon  ami,  nous  dirons  ce  ron- 
deau-ci loul  d'une  haleine. 

Rondeau. 

Très-aouce  el  bonne  Vierge,  séjour  d'humilité 
véritable,  en  qui  Dieu  prit  humanité  !  0  vous,  dont 
le  fils,  pour  rtiirer  les  nommes  de  l'enfer,  souffrit 
une  mort  ignominieuse  !  0  très-douce  el  bonne 
Vierge,  séjour  d'humilité  véritable,  il  doit  vraiment 
plaire  à  chacun  el  à  chacune  de  vous  servir  et  d« 
dire  avec  charité  :  Très-douce  el  bonne  Vierge, 
séjour  d'humilité  véritable  en  qui  Dieu  prit  huma- 
nité. .  .  etc. 

SCENE  LIX 

LES  MÊMES,  LA    FILLE  DU    ROI,   SA   DEMOISELLE. 

dieu.  Relie  amie,  tu  as  réclamé  mon  secours  dans 
les  extrémités;  lu  as  prié  ma  mère  de  le  garder 
d'être  noyée  ;  je  veux  accomplir  la  requête.  Ne  crains 
plus  la  tempête  de  'a  mer    rassure  'oi. 


ses 


FIL 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


FIL 


ÔG6 


*  la  ni  le.  Sire,  sire,  n'ai-je  pas  raison  de  crain- 
dre' Il  n'y  a  pis  à  s'en  étonner.  Je  vois  que  la  mer 
me  pousse  çï  et  là  :  mi  moment  elle  m'élève,  un 
autre  elle  m'abaisse.  La  peur  me  donne  une  telle 
tristesse  que  je  ne  sais  que  l'aire  ni  que  dire.  Qui 
êtes  vous,  sire,  vous  qui  parlez  avec  lant  d'autorité. 

dieu.  Je  suis  celui  qui  iit  le  firmament,  celui 
nui  lit  toutes  choses  de  rien  ;  je  suis  le  père  et  le 
fils  de  ma  lilte  et  de  ma  mère;  je  suis  celui,  retiens- 
le,  qui  souffrit  pour  toi  sur  la  croix  une  mort  dou- 
loureuse ;  je  suis  la  fontaine  de  tout  bien,  sans  fin 
ni  commencement,  qui  par  amour  et  de  tout  cœur 
viens  ici  pour  te  donner  confort.  Aie  en  Dieu  un 
cœur  bon  el  ferme:  lu  as  pas>é  le  plus  fort  de  les 
tribulations.  Je  ne  l'en  dirai  plus  rien,  sinon  que 
lu  sortiras  bientôt  de  ce  pas.  —  Anges  cl  vous,  ma 
mère,  retournons  aux  cieux. 

notre-daue.  Belle  amie,  du  courage  !  je  te  le  dis, 
sois-en  sûre;  lu  seras  bientôt  dans  une  position 
aussi  haute  que  celle  où  tu  fus  jamais.  N'aie  pas  le 
cœur  ingrat  envers  Dieu.  Adieu,  mon  amie. 

le  premier  ange.  Michel,  en  quillaiil  ce  lieu,  il 
nous  faftt  chanter. 

le  deuxième  ange.  Nous  chanterons  donc  sans 
v  manquer.  Allons,  en  avant  !  chantons  sans  re- 
tard. 

Rondeau. 

C'est  pourquoi  il  doit  vraiment  plaire  à  chacun 
rt  à  chacune  de  voi.sservir  et  dédire  avec  amour: 
Très-douce  cl  bonne  Vierge,  séjour  d'humilité  véri- 
lable,  en  qui  Dieu  prit  humanité...,  etc. 

SCÈNE  LX. 

LA  FILLE  DU  ROI,   SA  DEMOISELLE. 

la  fille.  Sire  Dieu,  mon  cœur  brûle  de  célébrer 
votre  bonté  suprême  si  vi.sible  dans  la  grâce  signa- 
lée qui  m'a  été  faite  par  vous.  11  vous  a  plu,  Sire, 
de  vous  montrer  à  moi,  ainsi  que  celle  qui  vous  a 
porte.  Elle  el  vous,  Sire,  vous  m'avez  si  doucement 
consolée  qu'il  me  semble  que  mon  cœur  est  ravi  en 
gloire.  Je  reconnais  bien  la  vérité  de  ce  que  vous 
m'avez  dil,  car  je  nie  vois  arrivée  sur  la  terre 
ferme. 

SCÈNE  LXI. 

LA    FILLE  DU  ROI, SA   DEMOISELLE,  LE  SÉNATEUR. 

le  sénateur.  Soyez  la  bienvenue,  dame.  Pour 
quel  motif  venez-vous  dans  cette  ville?  Est-ce  pour 
vous  éballre  ou  pour  chercher  quelque  chose? 

la  fille.  Sire,  pour  L'amour  de  Dieu,  par  pitié, 
ne  me  trompez  pas,  ne  vous  moquez  pas  de  moi! 
Hélas!  je  n'.u  pas  sujet  de  rire  ou  déjouer.  Depuis 
peu  j'ai  fait  trop  de  perles,  el  de  si  grandes  que  je 
n'espère  pas  les  réparer  jamais,  à  moins  que  Dieu 
n'en  décide  autrement. 

le  sénateur.  Dame,  je  vous  le  dis  en  un  mot,  je 
n'ai  pas  l'intention  de  me  jouer  de  vous;  car  à  voue 
extérieur  el  al  votre  maintien,  je  crois  que  vous  êtes 
issue  de  haut  lignage  :  el  comme  telle  est  ma  pen- 
sée, je  vous  mènerai  en  mon  logis  et  vous  héberge- 
rai, si  cela  vous  est  agréable. 

la  fille.  Pour  l'amour  de  Dieu,  sire!  en  quelle 
contrée  siiis-jc  venue? 

le  sénateur.  Dame ,  vous  êtes  descendue  loul 
droit  à  Rome. 

la  fille.  Que  Dieu  veuille  ici  me  conseiller  et  me 
réconforter!  —  Mon  (ils,  nous  avons  à  supporter 
assez  de  tribulations. 

LE  sénateur.  Je  vois  que  vous  êtes  lasse.  Venez 
avec  moi,  la  belle,  vous  el  voire  demoiselle  ;  vous 
ne  pouvez  en  être  déshonorée  :  je  suis  sénateur  de 
la  ville  el  j'ai  une  femme. 

la  fille.  Que  Dieu  garde  d'outrage  vous  el  elle! 
Ailoiis-nous-eii  donc. 

LE  SÉNATEUR.  VoUS  ne  cllVîlll ï (if  1C7.  pas  trop  lon- 
guement :  dame,  nous  v  serons  lotit  de  suite.  Voici 
le  logis  où  je  demeure. 


SCÈNE  LX1I. 

LES  MÊMES,  LA  FEMME   DU  SENATEUR. 

r.E  sénateur.  Dame,  faites-nous  bon  visage  : 
je  vous  amène  compagnie  ,  regardez  les  per- 
sonnes. 

la  femme  du  sénateur.  Monseigneur,  par  la  foi 
que  je  dois  à  Dieu  !  elles  me  Fêmbfent  bonnes  el 
belles.  —  Dame,  ainsi  que  vous,  in'amie,  soyez  les 
bienvenues  en  notre  maison. 

la  fille.  Dame,  que  l'humide  Vierge  Marie  vous 
garde,  vous  el  votre  mari!  Certes,  quand  je  pense 
et  regarde  combien  ma  position  est- changée  el  que 
je  suis  dans  un  pays  étranger,  je  ne  sais  comment 
je  puis  vivre  encore.  J'avais  coutume  d'être  servie, 
cl  il  nie  faut  devenir  servante,  si  je  veux  vivre,  et 
faire  ce  que  je  n'ai  pas  appris. 

le  sénateur.  M'.tmie,  je  vous  retiendrai  volon- 
tiers, si,  pour  gagner  de  l'argent,  vous  pensez  à 
servir.  Qu'en  dites-vous? 

la  fille.  Grand  merci.  Doux  sire,  quel  service 
ferai-je? 

le  sénateur.  Vous  aurez  des  fonctions  faciles, 
comme  cellérière  de  céans;  service  aisé  el  conve- 
nable pour  une  femme.  Vous  pourrez  nourrir  voire 
cnfanl.  Quant  à  voire  demoiselle,  elle  ira  dans  un 
mien  hôtel,  dont  elle  sera  la  maîtresse,  si  elle  veut 
êlre  honnête  femme.  En  ai-je  assez  dil? 

la  première  demoiselle.  Sire,  je  n'y  mets  aucune 
opposition,  si  cela  plaît  à  ma  dame. 

la  fille.  Cela  me  plaît,  mon  cher  seigneur,  et, 
sur  mon  âme!  je  vous  servirai  de  toutes  mes  forces 
le  mieux  que  je  pourrai,  n'en  douiez  point. 

la  femme  du  sénateur.  Puisqu'il  en  est  aiiis;, 
monseigneur  ,  allons  !  emmenez  prompleincnl  la 
demoiselle  où  vous  avez  dit. 

le  sénateur.  Allons,  demoiselle,  allons-nous-en 
vite. 

la  demoiselle.  Sire,  je  ne  refuserai  pas  d'y 
aller. 

SCÈNE  LXI II. 

le  roi  d'Ecosse,  godeman,  son  écuyer. 

le  roi  d'écosse.  Godeman,  écoule  :  lu  vas  partir 
pour  l'Ecosse  ,  aller  trouver  mes  gens  el  leur  faire 
savoir  mon  retour;  il  faut  que  je  les  trouve. 

godeman.  Sire,  selon  mon  pouvoir,  je  n'aurai  pas 
de  repos  que  je  ne  leur  aie  répéé  ce  que  vous  me 
diles.  Adieu!  je  m'en  vais  bon  pas. 

SCÈNE  LXI  Y. 

GODEMAN. 

godeman.  Dieu  merci!  j'ai  lr.nl  marché  qu'à  celte, 
heure  je  suis  arrivé  en  Ecosse. 

SCÈNE  LXV. 

GODEMAN  ,  LE  PRÉVÔT    ET  LE  MAITRE    DUÔTEL. 

godeman.  Messeigneurs,  je  vous  ai  trouvés  ici 
Lien  à  propos.  Le  roi  vous  salue  et  vous  fait  savoir 
son  arrivée  ;  il  est  près  o'ici. 

LE   DEUXIÈME   CHEVALIER   D'ECOSSE.  Godeman,  110US 

sommes  près  d'aller  à  lui. 

le  prévôt.  Oui,  nous  le  sommes  tous.  Allons,  en 
avant  !  melions-nous  en  route.  Je  ne  m'arrêterai 
pas  que  je  ne  le  voie.  Esl-il  en  bonne  santé? 

godeman.  Oui,  sire,  par  saint  Germain  1  Dieu 
merci  ! 

le  deuxième  chevalier.  Prévôt,  par  ma  foi!  je  le 
vois  ici;  ne  balaacez  pas  à  venir  promplemenl. 

SCÈNE  LXVI. 
e    roi    d'écosse  ,  chevaliers   écossais,  le 

PRÉVÔT,  LE  MAÎTRE  d'hÔTEL,  LEMBEHT. 

LE  DEUXIEME  CHEVALIER.  Mon  1res  CllCr  ScigilCIir, 
soyez  le  bienvenu,  ainsi  que  tous  vos  gens. 


557 


PiL 


DtCTlOïs.NAlHE  DES  MYSTERES 


ML 


S68 


le  roi  d'écosîe.  Matlre  d'hôlel,  avançons  tant 
que  nous  soyons  en  mon  manoir.  —  Allons,  vous 
ileux,  dites-moi  la  vérité  :  comment  vont  la  reine 
et  son  fruit?  je  veux  savoir  tout  ce  qui  les  con- 
ferne. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  en  vérité,  nous  la 
fîmes  brûler,  ainsi  que  vous  nous  l'écrivîtes.  Et, 
certes,  j'en  suis  sûr,  vous  commîtes  un  grand  péché 
en  la  faisant  brûler  ;  mais  c'en  fut  un  bien  plus 
grand  relativement  au  (ils  :  tant  c'était  une  belle 
créature?  11  vous  ressemblait  mieux  que  peinture 
qu'on   sût  faire. 

le  roi  d'Ecosse.  Mais  je  ne  vous  ai  donné  cet  or- 
dre; je  vous  dis  de  les  tenir  dans  une  tour  tous  les 
deux  très-bien  garJés,  jusqu'à  mon  retour. 

le  prévôt.  Voici  la  lettre  :  regardez  si  nous  di- 
sons vrai. 

le  roi  d'écosse  Eli!  Dieu!  voilà  une  grande  trahi- 
sou  !  Qui  a  osé  s'en  mêler?  Que  m'aviez-vous  écrit? 
N."  «lisiez  vous  pas  dans  votre  lettre  que,  dans  l'im- 
possibilité dédire  au  juste  quel  enfant  avait  la  reine, 
et  sauf  la  crainte  de  m'offenser,  vous  auriez  fait 
brûler  la  mère  ci  le  fiuit  dans  un  brasier?  Je  vous 
écrivis  de  suspendre  l'exécution  et  de  garder  jus- 
qu'à ma  venue  la  mère  et  l'enfant. 

le  deuxième  chevalier.  Sire  ,  au  nom'  de  Dieu! 
il  n'y  a  pas  de  noire  faute.  A  la  vérilé  nous  vous 
écrivîmes,  mais  seulement  que  notre  dame  avait  un 
héritier  mâle  vous  ressemblant  de  figure,  ce  qui  est 
bien  différent  de  ce  que  vous  dites. 

le  roi  d'écosse.  Lemberl,  dis-moi  rentière  vérité, 
ou,  certes,  lu  mourras  dans  les  tourments.  Quand 
tu  vins  en  message  auprès  de  moi,  par  où  passas-lu? 

lemrert.  Mon  cher  seigneur,  Dieu  me  garde!  je 
ne  me  détournai  pas  du  tout  du  droit  chemin,  sinon 
que  j'allai,  sire,  vers  voire  mère  pour  lui  dirp  que 
ma  dame  avait  un  fils:  ce  qui  lui  rendit  ma  venue 
si  agréable  qu'elle  me  fil  très-grande  fêle  ;  celle 
nuit-là  je  couchai  dans  son  logis.  En  revenant  d'au- 
près de  vous,  monseigneur,  je  lis  de  même. 

le  roi  d'écosse.  Ah  !  vc'esi  évident,  c'est  ma  mère 
qui  a  perdu  et  ma  femme  el  mon  fils.  —  Allez  la 
chercher,  je  vous  en  prie,  maître  d'hôtel,  el  vous, 
prévôt,  el  amenez-la-moi  ici  bien  vite,  sans  lui  rien 
dire. 

LE  DEUXIEME  CHEVALIER.   NoUS  le  ferons  Volontiers, 

sire.  —  Prévôt,  allons-y. 

le  prévôt.  Soit,  sire!  — En  avant  !  travaillons 
des  pieds  tous  deux  ensemble. 

le  deuxième  chevalier.  Il  me  semble  que  je  la  vois 
assise  là-bas:  nous  sommes  venus  bien  à  propos. 

SCENE  LXVII. 

t.E  PRÉVÔT,    LE  MAÎTRE    d'hÔTEL  ,    LA    MÈRE  DU 

ROI. 

le  prévôt.  Dame,  monseigneur  est  arrivé  de 
France,  el  il  a  le  désir  de  vous  voir:  je  vous  prie 
donc  de  ne  pas  différer  à  venir  vers  lui  avec  nous 
comme  une  amie, 

la  mère.  Je  ne  vous  refuse  pas  cela,  je  veux  ac- 
complir votre  requête.  Allons,  je  suis  joyeuse  de  le 
voir. 

SCÈNE  LXVIII. 

LES    MÊMES,   LE  ROI,   SES  CHEVALIERS. 

la  mère  du  roi.  Soyez  le  bienvenu,  mon  fils. 

le  roi  d'écosse.  Dame,  approchez-vous  de  moi.  Je 
vous  jure  (pie,  si  vous  ne  dites  pas  la  vérité,  vous 
serez  brûlée.  Comment  s'est  faite  celle  lettre,  ainsi 
qu'une  autre  que  je  n'ai  ni  tracée  ni  expédiée? 

la  mère  du  roi  d'écosse.  Est-ce  pour  cela  que 
vous  m'avez  fait  prendre?  Certes,  je  ne  daignerai 
pas  mentir  sur  ce  sujet  :  je  vous  dirai  la  vérilé. 
J'ai  eu  beaucoup  de  chagrin  quand  vous  avez  pris 
unefemme  de  bas  étage  ,  une  coureuse.de  famiHe 
inconnue,  jetée  ici  par.la  mer,  ctcriminelle  sans  dou- 


te, car  il  lui  manquait  uns  main.  Mon  ennui  n'ayant 
c  ssé  ni  soir  ni  malin,  j'ai  comploté  sa  mort,  car  il 
ne  convient  point  à  un  roi  d'avoir  une  telle  femme. 
Mon  cher  fils,  vous  pourrez  désormais  vous  marier 
plus  hautement  quand  vous  voudrez,  puisqu'elle  est 
morte 

le  roi  d'écosse.  Esl-ce  tout  ce  que  je  puis  obtenir 
de  vous?  Par  ma  tête!  j'en  serai  vengé  avant  que 
you=  ne  mangiez  ou  que  vous  ne  buviez  davantage  ; 
jamais  vous  ne  ferez  d'autre  trahison.  — Allez  me 
l'incarcérer;  allez,  faiies  vile  et  sans  relard.  E  ïe  ne 
sera  pas  élargie  tant  que  je  vivrai:  c'est  mon  in- 
tention. 

le  premier  chevalier.  Mon  irès-cher  seigneur,  je 
ne  refuse  pas  de  faire  ce  que  vous  commandez.  — 
Dame,  demandez  lui  pardon  de  ce  méfait. 

le  roi  d'écosse.  Dieu  m'aide!  il  ne  lui  sera  jamais 
pardonné. 

le  premier  chevalier.  AI!ons-nous-cn  donc,  puis- 
qu'il persiste  si  fortement  dans  ce  qu'il  a  dit. 

le  roi  d'écosse.  Si  elle  l'échappe,  je  t'affirme  qua 
lu  mourras  à  sa  place. 

la  mère.  Vous  in'écoulcrcz  une  aulre  fois,  mon 
fils. 

le  roi  d'écosse  an  prêtât  et  nu  maître  (Vliôlel. 
El  vous,  par  la  foi  que  je  dois  à  sainte  Foi  !  puisque 
vous  avez  mis  en  cendres  ma  femme  cl  mou  fils,  je 
vous  ferai  pendre  tous  deux  aussi. 

le  deuxième  chevalier.  Ah  cher  sire,  miséri- 
corde, pour  l'amour  de  Die;;!  notre  mort  seraii  in- 
juste. Ecoutez  comment  nous  avons  agi  :  Quand  on 
nous  donna  cette  lettre  qui  nous  ordonnait  de  met- 
tre à  mon  ma  dame  et  son  (ils  ,  nous  fûmes  tout 
pensifs;  mais  le  prévôl,  plus  sensé,  avisa,  au  lie  i 
du  feu,  de  mettre  en  mer  el  de  laisser  aller  les  con- 
damnés sans  agrès  pour  se  gouverner,  ni  avirons, 
voiles  on  mât.  A  leur  départ,  nous  lûmes  tous  deux 
bien  tristes  el  chagrins. 

le  roi  d'écosse.  S'il  en  est  ainsi  que  vous  le  dites-, 
el  que  Dieu  l'ait  sauvée,  je  sursoirai  à  votre  exécution, 
el  je  vous  mènerai  avec  moi  pour  chercher  la  reine. 

le  prévôt.  Sire,  de  tout  noire  cœur  ;  mais  où  al- 
ler pour  avoir  de  ses  nouvelles?  C'est  là  le  principal. 

le  roi  d'écosse.  Seigneurs,  je  prends  courage  en 
Dieu,  et  je  fais  vieil,  ainsi  qu'à  saint  Pierre,  d'aller 
en  pèlerinage  à  Rome,  afin  qu'il  me  mette  sur  la 
voie  de  ma  femme,  si  elle  esi  en  vie  ainsi  que  son 
fils.  Allons,  en  roule.  Je  suis  convaincu  que  Dieu 
m'aidera. 

le  deuxième  chevalier.  Si  tel  est  son  plaisir,  e;i 
vérité,  il  le  fera;  je  n'en  doute  nullement. 

SCÈNE  LX1X. 

LE  ROI   DE  HONGRIE,  SES    DARONS  ET  SES 
CHEVALIERS. 

le  roi  de  HONGRIE.  Seigneurs,  je  veux  aller  me  con- 
fesser au  Pape  à  Rouie,  avant  que  la  mort  ne  me 
prenne  et  ne  me  happe.  Je  sens  mon  cœur  Irop  bour- 
relé du  péché  que  j'ai  commis  en  faisant  mourir 
ma  fille  sans  cause  ;  je  veux  en  aller  demander  ré- 
mission. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER  DE  HONGRIE.     Sire,    VOUS  la 

croyez  morte;  mais  en  vérité,  je  vous  le  dis,  je  n'eus 
pas  le  courage  de  la  faire  brûler,  el  je  me  risquai 
à  la  mettre  seulement  en  mer  dans  un  petit  bateau, 
l'abandonnant  ainsi  à  la  volonté  de  Dieu. 

le  roi  de  Hongrie.  Est-ce  vrai,  mon  ami? 

le  deuxième  chevalier.  Oui,  vraiment;  mais,  sire, 
depuis,  personne  ne  m'en  a  donné  de  nouvelles;  je 
vous  le  dis  bien. 

le  roi  de  Hongrie.  Allons,  cela  va  mieux.  Mon 
ami,  peut-être  Dieu  l'aura-l-il  sauvée,  el  peut-être 
pourra-l-on  la  retrouver.  —  Holà'  seigneurs  qui  tous 
èies  mes  hommes,  vous  viendrez  à  Rome  avec  moi  : 
je  l'ai  décidé. 

LE  PREMIER  CHEVALIER  DE  HONGRIE.  Sire, je  OOUSeilft 

de  bon  cœur  à  y  aller. 


7,09  FIL 

t.K   roi  »k  homme.  En   avant!  mettons-nous  en 

route  sans  plus  parler  ;  il  nie  tarde  que  j'y   sots. 

SCÈNE  LXX. 

LE   SÉNATEUR,   LE  ROI  D'ÉCOSSE  ET   SA  SUITE. 

le  sénateur-  Sire,  que  Jésus  vous  donne  joie!  quel 
esl  ce  seigneur  qui  vient  ici?  il  s'avance  et  se  montre 
«n  grand  équipage.  .... 

Ï.R  PREMIER  CHEVALIER    D'ÉCOSSE.  Ami,    C  est    1C    TOI 

d'Ecosse. 

le  sénateur.  Sire,  je  mets  tous  mes  biens  a  votre 
disposition.  Puisque  vous  venez  dans  celle  ville,  je 
vous  en  prie,  prenez  votre  logement  chez  moi  •.j'au- 
rai soin,  n'en  douiez  pas,  de  vous  bien  traiier,  vous 
et  vos  gens. 

le  uoi  d'écosse.  Doux  sire,  qui  m'offrez  ainsi  vos 
services,  je  vous  tiens  pour  courtois  Etes-vous  mar- 
chand, ou  bourgeois,  ou  du  peuple? 

le  sénateur.  Sire,  je  suis  l'un  des  sénateurs,  c'est- 
à-dire  l'un  des  conseillers  de  la  ville.  Je  vais  devant 
vous  apprêter  chambre  et  écuries. 

le  roi  d'écosse.  Puisque  vous  êtes  si  aimable  pour 
moi,  allez  donc;  nous  vous  suivrons,  et  ni  moi  ni 
mes  gens  nous  ne  prendrons  d'autre  hôtel. 

SCÈNE  LXXI 

LE  SÉNATEUIl  ,  SA  FEMME  ,  LA   FILLE   DU  KOI   DE 
HONGRIE. 

le  sénateur.  Dame,  allons!  ne  pensez  a  rien  au 
lie  qu'à  recevoir  avec  honneur  un  hôte  que  nous  au- 
rons tout  à  l'heure. 

la  femme  du  sénateur.  Monseigneur,  qu'il  soit  le 
bienvenu!  Site,  qui  esl-il? 

le  sénateur.  Dame  ,  je  puis  bien  vous  le  dire  : 
c'est,  n'eu  douiez  pas,  le  roi  d'Ecosse;  nous  l'avons, 
lui  et  tout  son  monde,  à  nos  Irais. 

la  femme.  De  par  Dieu!  monseigneur,  je  pense 
que  nous  supporterons  bien  ce  l'aix,  et  que  nous  se- 
rons tous  contents,  si  l'on  s'en  rapporte  à  moi. 

lb  sénateur.  Je  sais  que  vous  êtes  suffisamment 
pourvue  de  linge  ,  de  vaisselle  et  d'autres  choses. 
Comme  vous  savez  ce  qu'il  faut  à  un  tel  seigneur, 
prenez  garde  que  rien  de  ce  qu'il  souhaitera  ne  lui 


EIL 


57!) 


Monseigneur, 


en  vérité,    rien  ne   lui 


manque. 

la  femme. 
manquera;  n'en  doutez  point. 

la  fille  du  roi  de  iioncrie.  Eh,  très-douce  Vierge 
Marie!  Dame,  comment  me  tirer  de  là?  Si  le  roi  me 
rencontre,  je  serai  honnie,  j'en  ai  grami'pcur.  Il  vaut 
mieux  m'enfermer  en  ma  chambre  et  m'y  tenir  ca- 
chéeque  de  me  laisser  voir.  En  vérité,  j'ai  trop  grand' 
peur  de  lui  :  c'est  pourquoi  je  veux  me  hâter  d'al- 
ler me  cacher  à  Tintant  même. 

SCÈNE  LXX1I. 


LE  ROI  D'ECOSSE  ET  SA  SUITE,  LE  SÉNATEUR,  LA 
FEMME  DU  SÉNATEUR,  LE  FILS  DU  ROI  DÉ- 
COSSE. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

le  sénateur.  Sire,  puisqu'elle  le  re< oniiall,  je  con- 
fesse qu'elle  dit  vrai;  mais  elle  me  voulait  avoir  à 
toute  force. 

la  femme.  Dieu  !  (|uc  vous  autres  hommes  vous 
êtes  tins!  certes,  je  n  y  pensais  pas,  sire.  Ce  fut  une 
de  ses  amies  qui  rechercha  ceux  de  ma  famille  cl  lit 
tant  «pie  le  mariage  se  consomma. 

l'enfant.  Eh,  où  est  mon  joujou?  Oh!  je  le  vois. 

(Ici  il  jelle  Vanneau  el  joue  avec). 

le  roi  d'écosse.  Quel  est  cet  enfant?  Par  nia  foi! 
il  a  un  gracieux  visage,  el  pour  son  âge  il  est  éveillé. 
De  qui  est-il  lils? 

le  sénateur.  On  le  met  sur  mon  compte. — Femme, 
dis-je  vrai? 

le  roi  d'écosse.  Approche,  mon  enfant.  Par  mon 
aine!  lu  es  bel  el  doux,  j'ose  le  dire.  Allons!  donne- 
moi  l'objet  que  tu  tiens;  viens  ici. 

la  femme  du  sénateur.  Donnez-le-lui,  beau  lils, 
donnez.  ___ 

l'enfant.  Tiens;  es' -ce  beau? 

le  roi  d'écosse.  Oui,  parla  sainte  Vierge!  Eh, 
Dieu!  c'est  l'anneau  que  je  donnai  autrefois  à  mou 
amie  que  j'ai  perdue;  je  le  reconnais  bien.  Ah '.dame, 
qu'es-tu  devenue?  Je  suis  triste  el  accablé  de  dou- 
leur à  ton  sujet  à  la  vue  de  ce  gage. 

le  sénateur.  Sire,  qu'avez-vons  pour  que  les  lar- 
mes tombent  de  vos  yeux?  Votre  puissante  est-elle 
en  péril?  ,Quel  mai  avez-vous? 

le  roi  d'écosse  Ali!  bel  hôte!  vous  ne  savez  pas 
à  quoi  je  pense  maintenant.  Par  votre  foi!  êles-vous 
le  père  de  cet  enfant? 

le  sénateur.  Mon  cher  seigneur,  pourquoi  le  de- 
mandez-vous? 

le  roi  d'écosse.  Par  la  foi  que  vous  devez  à  Die.!, 
el  par  votre  qualité  de  chrétien,  dites-moi  la  vérité 
sans  retard. 

le  sénateur.  Volontiers,  sire;  el  sans  imntir.  II 
y  a  bien  trois  ans,  voire  même  quatre,  qi  c,  dans 
u.ie  promenade  sur  le  bord  de  la  mer,  je  vis 
venir,  vers  le  milieu  du  jour,  dans  une  na- 
celle, une  très-lielle  dame  qui  n'avait  qu'une  main. 
D'où  elle  venait,  je  ne  sais,  il  n'y  avait  ni  aviron, 
ni  mât.  Je  fus  luen  étonné  qu'elle  ne  se  fût  pas 
noyée  dans  la  mer.  J'étais  allé  auprès  d'elle,  je  la 
trouvai  dans  l'égarement,  chagiine,  éplorée,  tenant 
entre  ses  bras  cet  enfant  dont  elle  était  nouvelle- 
ment accouchée.  Je  ne  pus  rien  tirer  d'elle.  Que  lui 
était-il  advenu?  Pourquoi  était-elle  en  mer?  Néan- 
inoins,  elle  m'inspira  une  telle  piiiéqtte  je  remme- 
nai. Depuis,  je  l'ai  gardée  comme  une  dame  qui  nous 
est  très-chère;  et,  à  vrai  dire,  sire,  elle  est  grande- 
ment femme  de  bien  et  peu  parleuse. 

le  roi  d'écosse.  Pour  l'amour  de  Dieu!  si  une 
prière  a  quelque  pouvoir  sur  vous,  mon  hôtesse,  je 
veux  vous  prier  de  l'aller  chercher  où  elle  est  ci  do 
l'amener. 

la  femme.  Pour  l'amour  de  vous,  je  m'en  mets  eu 
peine,  cher  sire,  el  je  ne  tarderai  pas  à  vous  rame- 
ner. La  voici,  sire. 


le  roi  d'écosse.  Holà,  bel  hôle!  je  viens  m'élablir 
en  votre  logis,  pourvu  que  cela  vous  convienne.  Je 
veux  m'asseoir  ici  un  instant  :  je  suis  las  de  mai- 
ther.  / 

le  sénateur.  Monseigneur,  par  saint  Nicolas! 
soyez  le  très-bien  venu,  et  ne  vous  niellez  pas  en 
peine  :  si  quelqu'un  a  rien  de  bon  ,  vous  en  aurez: 
je  vous  satisferai  sur  tout  ce  que  vous  demanderez. 

la  femme  du  sénateur.  Cher  sire,  je  m'appliquc- 
r.ii  aussi  à  vous  servir. 

le  koi  d'écosse.  M'amie,  je  vous  remercie!  Main- 
tenant, dites-moi  la  vérité,  par  votre  àme!  Eles-vous 
la  dame  de  céans?  Je  crois  que  oui. 
.  la  femme.  Si  je  répondais  lien  ni,  je  manquerais  à 
la  vérité;  car  autrefois •  site,  il  m'épousa  d'un  an- 
neau bénit. 


SCÈNE  LXX111. 

LES  MÊMES,  LA  FILLE   DU    ROI  DE  HONGRIE. 

(Ici  le  rvi  ira  embrasser  sa  femme  sans  rien  dire,  et 
ils  se  pâmeront.) 

le  sénateur.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  peuvent  dire  un 
moi,  tant  ils  ont  le  cœur  ému;  mais  tout  à  l'heure, 
vous  entendrez  de  douces  plaintes. 

le  roi  d'écosse.  Ma  douce  compagne,  mon  amour, 
mon  bien,  ma  joie,  ma  consolation,  pour  Dieu!  com- 
ment vas- lu!  llelas!  tu  m'as  l'ail  souffrir  assez  de 
tribulations  ;  mais  peu  m'importe  :  j'en  suis  à  bout, 
puisque  je  te  tiens. 

la  fille.  Mais  moi,  mon  cher  seigneur,  combien 
pensez  vous  nue  j'en  aie  eu  ?  Or.  voulut  me  brûler 
sans  que  je  I  cuv.se  mérité,  el  faire  aussi  périr  mou 
lils;  et  puis,  quand  ma  mort  fut  différée  cl  que  je  fus 


371 


FIL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


f;l 


572 


mise  en  mer  sans  pilote,  croyez  vo;ss  que  je  n'éprou- 
vasse point  de  peine?  Souvent  les  ondes  de  la  nier 
jouaient  avec  moi  comme  avec  une  bonde  et  nie  je- 
taient de  eôlé  et  d'autre.  Pourtant  Dieu  m'amena  au 
port  où  nie  prit  ce  seigneur,  qui  m'a  montre  plus  de 
bonté  que  je  ne  pourrais  l'en  récompenser;  mais  mes 
pleurs  sont  changés  en  joie,  puisque  je  vous  vois. 

le  roi  d'écosse.  M'amie,  il  en  est  de  même  de 
moi  :  c'est  pourquoi  je  veux,  s:ins  attendre  davan- 
tage ,  m'en  aller  rendre  grâce  à  Dieu  et  à  saint 
Pierre. 

la  fille  reine.  Je  le  veux  aussi,  allons-y  bien 
vile,  monseigneur,  nous  y  serons  bientôt.  Sachez 
■•lue  nous  y  trouverons  le  Pape;  car  il  doit  y  célébrer 
l<:  service  divin  et  y  consacrer  le  saint  chrême  : 
c'est  l'usage,  vu  que  nous  sommes  au  jeudi  saint, 
où  Dieu  après  la  cène  ceignit  le  drap  dont  il  essuya 
les  pieds  île  ses  apôtres  qu'il  lava.  Le  Pape  doit 
aussi  donnera  toute  personne  vraiment  repentante 
l'absolution  de  ses  péchés. 

le  roi  d'écosse.  Allons,  debout!  sans  plus  de 
retard,  seigneurs,  mettez-vous  en  route. 

SCÈNE  LXX1V. 

LE  ROI   DE   HONGRIE   ET   SA    SUITE. 
LE     PREMIER     CHEVALIER     DE     HONGRIE.      SirC,     VOUS" 

devez  avoir  une  grande  joie  d'être  à  Rome  aujour- 
d'hui; car  le  Pape,  qui  est  prud'homme,  ira  à 
l'église  Saint-Pierre ,  où  il  fera  l'absoute  au  peuple, 
comme  on  le  dit. 

LE    DEUXIÈME    CHEVALIER    DE     HONGRIE.    Comme   Ce 

jour- là  ,  Jésus,  ce  grand  inailre,  ht  la  cène  ,  où  il 
ordonna  prêtres  ses  apôtres,  le  Pape  fait  aujour- 
d'hui tout  le  service. 

le  roi  de  Hongrie.  Ma  volouié  est  de  ni  boire 
ni  manger  que  je  n'aie  élé  au  service  :  pensons  à 
y  aller. 

SCÈNE  LXXV. 

LE  PAPE,   COLIN,  elcTC. 

le  pape.  Approche,  écoule-moi  parler.  Colin,  va 
chercher  de  l'eau  et  remplis  les  fonts  de  Saint- 
Pierre.  Allons,  fais  vite. 

le  clerc.  L'ordre  n'est  pas  bien  sévère;  j'y  vais, 
S.nnl-Père. 

SCÈNE  LXXVI. 

L£  roi  d'écosse  et  sa  suite,  la  fille  du  roi 

DE     HONGRIE  ,    LE    ROI    DE    HONGRIE     ET    LES 
SIENS. 

la  fille.  Monseigneur,  je  vois  mon  père  là-bas; 
suivez-moi  ,  certes  ,  je  vais  à  lui.  —  Très-cher 
sire,  je  vous  connais  bien;  regardez-moi. 

le  roi  de  Hongrie.  Ma  douce  fille,  Eh!  Dieu!  j'ai 
souffert  pour  toi ,  ces  sept  dernières  années  ,  assez 
de  peines  ,  de  douleur,  do  mal ,  d'ennui  ,  de  cha- 
gr  n  et  de  grandes  contrariétés.  Fille,  presse-moi 
dans  les  bras  et  baise  -moi.  Comment  vas-tu? 

la  fille.  Bien;  mais  depuis  que  vous  m'avez 
vue  j'ai  élé  en  maint  péril ,  el  depuis  que  vous  nie 
perdîtes  j'ai  acquis  aussi  une  haute  position.  Le  roi 
u'Ëcosse,  que  vous  voyez  ici,  m'a  épousée  :  grâces 
lui  soient  rendues!  à  cause  de  lui  je  suis  appelée 
reine  el  maîtresse  d'Ecosse. 

le  roi  de  Hongrie.  Sire,  puisqu'elle  est  votre 
femme,  je  veux  vous  regarder  comme  mon  fils. 
Savez  vous  de  quelle  race  elle  est  issue? 

le  roi  d'écosse.  Nenni ,  par  la  Vierge  honorée! 
>e  ne  sais  rnn  de  son  extraction;  mais,  s'il  vous 
plaîl  ,  je  le  saurai  cette  fois. 

le  roi  de  Hongrie.  Mon  cher  fils ,  je  suis  roi  de 
Hongrie;  sa  mère  en  était  aussi  reine  :  c'élail  une 
femme  de  race  noble,  courtoise  et  sage. 

le  roi  d'écosse.  Sire  ,  puisque  je  sais  quelle  est 
«a  famille,  j'éprouve  à  son  sujet  plus  de  joie  qu'au- 
paravant, jusqu'ici  je  l'avais  ignoré. 


le  premier  chevalier  d'écosse.  Messseigneurs , 
hâtez-vous  si  vous  voulez  venir  à  temps  pour  eu- 
tendre  le  service  :  l'heure  est  avancée. 

la  fii. le.  Il  dit  vrai  :  allons-y  sans  retard,  nous 
nous  en  trouverons  bien;  (si  nous  continuons)  a 
parier,  nous  ne  nous  séparerons  pas  de  sitôt. 

LE     PREMIER  CHEVALIER    DE  HONGRIE.    A  Ce   IfU'îl  llie 

semble  ,  je  vois  le  Pape  assis  là-bas.  Nous  arrivons 
à  propos.  H  n'a  pas  encore  commencé  son  ser- 
vice. 

SCÈNE  LXXVIf. 

LFS  MÊMES,  LE  PAPE,  SES  CARDINAUX  ET  SES 
CHAPELAINS,  LE  CLERC. 

le  clerc.  Ah!  Saint-Père,  j'ai  laissé  les  fonts  tout 
vides,  pour  vous  dire  une  chose  qui  me  l'ail  grand'- 
peur.  Quelque  force  que  j'y  aie  mise,  je  n'ai  pu 
puiser  à  la  rivière  une  Seule  poulie  d'eau.  Une 
main,  qui  toujours  venait  en  Bottant  jusqu'à  ma 
seille,  m'empêchait  d'en  prendre.  J'étais  glacé  d'ef- 
froi, mais  voyant  qu'autrement  je  n'en  viendrais 
pas  à  bout  r  j'ai  laissé  la  main  entrer  en  mon  seau  , 
et  je  vous  l'apporte,  Saint-Père;  la  voici,  je  vous 
l'apporte;  dites,  s'il  vous  plaît,  sans  retard,  qu'en 
faire? 

le  pape.  Sans  doute,  Dieu  éclaircira,  par  quelque 
miracle  au  sujet  de  celte  main,  quelque  aventure 
inexplicable  et  ignorée  ;  mets-la  ici. 

la  fille.  Celle  main  que  je  vous  ai  vu  donner 
et  que  je  vous  vois  tenir  fut,  Saint-Père,  autrefois 
la  mienne  ;  je  me  la  coupai  de  ce  bras-ci  à  cause-  dft 
mon  père,  n'osant  contredire  sa  volonté,  qui  était 
de  m'avoir  pour  femme;  n'en  douiez  pas. 

le  pape.  Viens- ïà,  ma  fille,  et  écoute.  Dis-moi, 
où  es-tu  née  ,  quels  sonl  les  parents  et  à  quoi  cou  ■ 
nais-tu  celte  main? 

la  fille.  Saint-Père,  à  la  façon  des  doigts.  Le 
roi  de  Hongrie  est  mon  père,  et  ma  mère  aussi  fut 
reine.  Voyez-le  là-bas,  faites-le  venir.  Si  je  meus  , 
faites-moi  punir  :  je  le  veux  bien. 

le  pape.  Ma   chère  fille,  écoule-moi   bien  :  viens 
ici.  Tu    le  mis  en   grand  danger.  Combien  y-a-l-i 
que  lu  la  coupas  ? 

la  fille.  Saint-Père,  je  ne  mentirai  pas  :  en  vérité 
il  ya  sepi  ans  passés;  el  sachez  que  j'aime  infiniment 
mieux  que  «elle  mutilation  paraisse  sur  mon  corps 
que  d'avoir  élé  la  femme  de  mon  père,  forcée  de  le 
connaître  et  d'avoir  des  enfanls  de  ses  œuvres. 

le  pape.  Allons,  paix,  vous  lous!  faites  silence, 
et  priez  Dieu  dévotement  qu'il  nous  manifeste  »i 
c'est  la  main  que  celle  daine  se  coupa,  ainsi  qu'elle 
l'a  dit.  —  Ça  ,  le  bras!  allons  ,  belle  fille  !  je  veux 
éprouver  si  c'est  elle;  je  le  verrai  bientôt. 

la  fille.  Sire,  je  vais  délier  mon  bras  vel  veus 
verrez  d'où  elle  partit  quand  je  me  pris  à  la  couper. 
Voyez,  Saint-Père. 

(Ici  le  Pape  touche  la  main  au  bras.) 

le  pape.  Reine  des  cieux,  Mère  de  Dieu,  voici 
un  miracle  bien  éclatant  :  la  main  s'est  rejointe,  et 
il  ne  parait  en  rien  qu'elle  ait  jamais  élé  séparée  du 
bras.  —  Fille,  à  celle  heure  Ion  cceur  doit  bien  être 
dans  un  grand  plaisir. 

la  fii. le.  Loué  soit  Dieu,  le  Roi  des  cieux  !  En 
compensation  des  grands  malheurs  el  des  chagrins 
que  j'ai  supportés,  il  me  donne  aujourd'hui  une  no- 
ble récompense.  J'ai  trouvé  mon  compagnon  qui 
me  combla  de  tant  de  biens,  qui  m'épousa'  par 
amour,  ignorant,  quand  il  me  prit,  qui  j'étais,  quel 
nom  même  je  portais.  Comment  contenir  ma  joie. 
Tout  à  l'heure  encore  j'étais  domestique,  à  présent 
on  me  servira  comme  reine.  De  plus,  je  vois  près 
d'ici  mon  père  si  empressé  de  me  faire  fêle  qu'il  ne 
sail  comment  s'y  prendre  :  c'est  encore  pour  moi 
un  autre  heureux  événement,  car  je  ne  l'avais  pas 
vu  epuis  sept  ans.  Mais  ce  que  je  ressens  davan- 
tage cl  qui  me  louche   le  plus  au  cœur,  osl  d'avoir 


373 


FIL 


DlCïiON.NAME  DES  \l\SiLKLS. 


FIL 


37i 


retrouvé  ma  main  et  de  pouvoir  m'en  servir  tout 
aussi  bien  qu'auparavant  :  ce  dont  je  remis  grâces 
an  Roi  de  gloire,  à  sa  irès-douce  Mère  et  à  tous  les 

saints. 

ce  premier  cardinal.  Sainl-Pèrc ,  il  faut  de  joie 
en  faire  sonner  les  cloches. 

le  deuxième  cardinal.  Dieu  me  prolége!  vous  di- 
tes vrai  ;  et  il  faut  aussi  chanter  d'une  manière  so- 
lennelle. 

le  pape.  Seigneurs,  pensons  à  nous  hâter  d'aller 
maintenant  eu  ma  chapelle,  tandis  que  la  chose  est 
récente,  et  avant  qu'il  y  ait  presse  :  là  nous  pour- 
rons chanter  une  hymne  de  joie,  à  notre  aise  et 
dévotement.  —  Va  dire,  va  tout  de  suite,  à  mes 
Chapelains  qu'ils  viennent  ici  et  qu'ils  nous  tien- 
nent compagnie;  ils  chanteront  en  allant  une  belle 
antienne  à  haute  voix.  Va  me  les  chercher. 

le  clerc.  Saint-Père,  volontiers,  j'y  vais  bien 
vite. —  Seigneurs,  ne  vous  tenez  plus  ici  ;  venez  tous 
devant  le  Saint-Père  :  il  vous  mande. 

l'un  pour  tous.  Nous  y  allons,  puisqu'il  nous  de- 
mande :  c'est  bien  le  moins. 

le  pape.  Vile,  seigneurs  !  En  allant  jusqu'à  ma 
chapelle,  chantez-moi  sans  relard  une  belle  hymne 
à  la  louange  de  la  mère  du  roi  Jésus.  En  avant  ! 
mettez-vous  en  or. Ire.  Qui  commencera  ? 

le  chapelain.  C'est  moi  oui  commencerai,  quand 
il  vous  plaira,  sire. 

FILLES  DOTÉES  (Los).—  Les  Filles  do- 
tées son*  tirées  du  manuscrit  de  Saint-Benoît- 
sur-Loire,  où,  sous  le  lilre  Premier  miracle 
de  saint  Nicolas,  elles  forment  la  [première 
partie  de  ce  précieux  recueil. 

Le  manuscrit  date  du  xne  siècle  et  rien 
n'empêche  de  croire  que  les  drames  qu'il 
nous  a  conservés  lui  sont  antérieurs  ;  on  a 
pensé,  en  effet,  qu'ils  pouvaient  être  re- 
portés jusqu'au  xir  et  même  jusq'au  xie 
siècle. 

Nous  avons  indiqué  à  l'article  Saint-Be- 
noit-scr-Loire  [Manuscrit,  de),  les  différen- 
tes éditions  des  Miracles  de  saint  Nicolas, 
dont  les  Filles  dotées   font   partie. 

PREMIER    MIRACLE    DE    SAINT    NICOLAS. 

PEUSONNAGES. 


SAINT   NICOLAS. 

LE  PERE. 

LA  PREMIÈRE  FUIE. 

LA   DEUXIÈME  PILLE. 

LA    TROISIÈME  FILLE. 


LE  PREMIER  CENDRE 
LE  DEUXIEME  CENDRE. 
LE   TROISIÈME  GENDRE. 
LE  CHOEUR. 


le  père.  Le  malheur  et  le  désespoir  ont  remplacé 
la  joie  que  nous  donnait  autrefois  la  fortune.  0 
misère!  Hélas!  hélas!  le  plaisir  de  la  vie  n'est 
plus.  La  beauté,  la  naissance,  la  grandeur  d'une 
vie  pure,  l'éclat  des  jeunes  ans,  qu'est-ce,  qu'est-ce 
donc?  Ce  n'est  rien  sans  argent.  0  misère!  Hélas  ! 
hélas l  le  plaisir  île  la  vie  n'est  plus.  Après  les  ri- 
<  hc-ses,  (pie  reslc-l  il?  Les  larmes  et  les  sou- 
pirs. 

lis  jeunes  filles,  ensemble.  Ah!  noire  père  qui 
pleure  ses  biens  perdus  emporte  avec  lui,  nous  l'es- 
pérons, quelques  débris  de  sa  ruine.  0  misère!  Hé- 
las !  hélas!  le  plaisir  de  la  vie  n'est  plus;  Appro- 
chons ,  écoulons;  quels  peuvent  cire  ses  iios- 
stins? 

LE  père,  se  plaignant  à  ses  filles. 0  mes  filles,  chers 
témoignages  de  mon  passé,  uniques  biens  d'un  père 
ruiné,  consolations  de  ma  détresse,  donnez-moi  vos 
conseils  dans  ma  douleur.  0  malheureux  !  Riche  au- 
trefois, cl  maintenant  si  pauvre,  je  suis  encore  vi- 


vant, mais  quelles  nuits  anxieuses!  et  combien  celle 
pauvreté  inaccoutumée  esi  lourde  à  subir!  0  mal- 
heureux! Ce  n'est  point  tant  ma  détresse  qui  m'ac- 
cable que  la  votre,  et  moi.  le  premier  cevais-je 
condamner  ces  corps  charmants  à  de  longs  jeunes  ? 
0  malheureux  ! 

la  première  fille  à  son  père.  Cher  père,  ne  pleure 
plus,  les  larmes  appellent  les  nôtres,  oui,  j'ose  par- 
ler, et  reçois  de  moi  ce  conseil,  cher  père.  Ne  nous 
resle-l-il  pas  une  ressource  dans  la  home  et  l'oppro- 
bre, et  notre  beauté  ne  peut-elle,  livrée  au  publie, 
soutenir  notre  vie,  cher  père?  Moi  d'abord,  ô  mon 
père,  si  tu  veux,  je  me  livrerai,  par  tendresse  pour 
loi,  à  ce  honteux  trafic,  et  ces  premiers  combats  do 
la  pudeur  seront  soutenus  par  celle  à  qui  lu  donnas 
le  jour  la  première,  ô  cher  père. 

ici  onjelte  de  for  à  terre. 

le  père  dit  gaiement  à  ses  filles  :  Vile,  vite,  ré- 
jouissez-vous avec  moi,  mes  enfants,  le  temps  de  la 
misère  csl  passé,  et  voici,  en  lingots  d'or,  de  quoi 
parer  à  nos  besoins.  O  bonheur  ! 

les  filles,  debout.  Oh!  nous  offrons  nos  actions 
de  grâces  et  nos  louanges  au  Dieu  unique  qui  a 
dans  les  siècles  louange  et  honneur,  force  et  gloire, 
cher  père! 

un  cendre  ah  père.  Homme  d'une  réputation  con- 
nue, suivant  le  témoignage  public,  je  viens  le  de- 
mander la  fille,  pour  l'épouser  en  légitime  mariage, 
si  lu  me  l'accordes. 

le  père  «  sa  première  fille.  Parle,  ma  fille.  Veux- 
tu  épouser  ce  jeune  homme  bien  fait  et  noble? 

LA  fille  à  son  père.  Toutes  mes  pensées  sont 
conformes  aux  tiennes,  dispose  comme  il  le  plaira 
de  ta  fille,  cher  père. 

le  père  oh  gendre.  Eh  bien,  je  m'en  remets  à  la 
bonne  foi,  que  les  liens  de  la  loi  et  de  l'amour  vous 
enchaînent  donc. 

le  père  se  plaignant  de  nouveau  à  ses  filles.  Ve- 
nez, filles,  chers  témoignages,  eie. 

la  seconde  fille  à  son  père.  Non, cher  père,  non! 
n'ajoute  pas  les  douleurs  à  nos  douleurs,  el  de  faille 
en  faule  ne  nous  induis  pas  à  un  crime  irréparable, 
6  cher  père.  Ne  savons-nous  pas  qu'à  quiconque  fait 
le  mal  est  fermée  la  porte  des  cieux?  O  mon  père, 
prends  garde,  nous  l'en  supplions...  Et  de  la  propre 
volonté,  ne  nous  compte  pas  parmi  les  maudits.  O 
cher  père!  ô  mon  père,  non,  lu  ne  veux  pas  nous 
abaisser  à  l'éternelle  infamie,  et  nous  précipiter  de 
notre  pauvreté  actuelle  dans  l'abîme  de  l'éternelle 
misère.  O  cher  père. 

Onjelte  encore  de  l'or. 

le  père  dit  à  ses  filles.  Vile,  vile,  réjouissez-vous 
avec  moi,  etc. 

les  filles  à  leur  père.  Oh  !  nous  offrons,  elc. 

le  second  gendre  au  père.  Homme  d'une  réputa- 
tion connue,  elc. 

le  père  à  sa  seconde  fille.  Parle,  nia  fil'e,  elc. 

la  fille  à  son  père.  Toutes  mes  pensées,  elc. 

le  père  au  gendre.  Je  livre  celte  entant  à  la  pru- 
dence, que  les  liens  de  la  loi,  etc. 

le  père,  se  plaignant  de  nouveau  à  sa  troisième 
fille.  O  ma  fille,  ô  cher  témoignage  de  mon  passé,  ce 
n'est  point  tant  ma  propre  misère  qui  m'accable  que 
la  lienne.  Je  n'ai  donc  plus  que  loi  dans  ma  ruine. 
O  malheureux  ! 

la  troisième  fille  à  son  père.  O  mon  cher  père, 
aie  la  patience  d'écouler  aussi  mon  conseil,  cl  re- 
cueil!es-en  la  (in  en  deux  mots  :  Crains  Dieu,  ô 
mon  père,  el  aime-le,  ô  cher  père.  Car  ceux  qui 
craignent  Dieu  ne  manquent  de  rien  ;  ainsi  l'indique 
l'Ecriture,  et  le  Toul-Puissanl  fournil  de  toul  ceux 
qni  l'aiment,  ô  cher  père.  Ne  le  désespère  point  de 
la  ruine,  el  ne  suis  point  des  fantômes  :  vois  Job,  fi 
mon  père,  sa  misère  cl  l'abondance  qui  s'ensuivit, 
ô  cher  père. 


o-a 


FIL 


DlCTlOm\llΠ DES  MYSTEUES. 


FIL 


m 


Saint  Nicolas  jetant  de  l'or  pour  la  troisième  fois, 
if,  père  se  jette  avj  pieds  du  saint  et  dit  :  Arrèle 
<pù  que  lu  sois,  ô  seigneur.  Arrête,  je  l'en  prie,  el 
dis-moi  qui  tu  es,  loi  qui,  m'arrachani  à  la  honte, 
à  l'infamie,  soulages  aussi  Je  poids  de  ma  misère.  O 
bonheur! 

mcolas  «H  père.  On  m'appelle  Nicolas.  Remercie 
Dieu  de  ses  dons  el  de  ses  bienfaits.  Ne  veux-tu 
point  confesser  la  générosité  el  la  grandeur  de  Dieu? 
D  s,  mou  frère. 

le  pere,  se  tournant  vers  sa  troisième  fille.  O  ma 
fille,  élève  la  voix  joyeuse,  le  temps  de  la  pauvreté 
est  passé,  et  voici,  en  lingots  d'or,  de  quoi  subvenir 
à  nos  besoins,  etc. 

la  fille  à  son  père,.  Oh  !  nous  offrons,  etc. 

1.1:  troisième  cendre  au  père.  Iloininc  d'une  repu* 
lotion  connue,  etc. 

le  pere  à  sa  tille.  Parle,  ma  fille,  etc. 

la  fille  à  son  père.  Toutes  mes  pensées,  etc. 

le  pere  au  gendre.  Je  livre  celle  enfant  à  la  pru- 
dence, que  les  liens  de  la  loi,  elc. 

le  choeur  entier  s'écrie.  O  Christi  Dictas,  etc. 

FILS  DE  GETRON  (Le).  —  Le  Fils  de 
Gétron  est  un  des  dix  mystères  du  xin'  siècle 
<|ue  contient  le  manuscrit  de  Saint-Benoit- 
sur-Loire ,  de  la  Bibliothèque  d'Orléans 
(cf.  article  Saint-Benoit-sur-Loire  [Manus- 
crit de}). 

QUATRIÈME    MIRACLE    DE    SAINT    NICOLAS. 

PERSONNAGES. 

gétron,  prince  de  la  cilé  femmes  qui  consolent  Eu- 

d'Excorande.  'rosine. 

eufrosine,  femme  de  Gé-  clercs. 

lion.  lessatellitesi'uio'i  Mar- 

na enfant,  fils  d'Eufro-       morin. 

sine  el  de  Gétron.  un  habitant   de  la  ville 

marmorin,  roi  des  Agarè-      d'Excorande. 

nés.  LE  CHŒUR. 

Pour  représenter  comment  saint  Nicolas  sauva  le  (Us 
de  Gétron  des  mains  de  Marmorin,  roi  des  Agarènes, 
le  roi  Marmorin,  avec  ses  hommes  armés,  sera  as- 
sis  sur  un  siège  élevé  en  forme  de  trône.  On  verra 
ailleurs  la  cilé  d'Excorande,  capitale  de  Gétron,  el 
dans  la  ville,  Gétron  avec  ses  amis,  sa  femme  Eu- 
frosine  el  le  fils  que  Dieu  leur  a  donné.  A  l'orient 
de  la  cilé,  est  l'église  Saint-Nicolas,  où  l'enfant 
sera  enlevé.  Les  satellites  du  roi  Marmorin  s' appro- 
chent, et  soit  parlant  ensemble,  soit  par  l'organe  de 
l'un  d'eux,  disent  : 

SCÈNE  I". 

cn  soldat.  Salut,  prince,  salut,  ô  roi  très-bon!  Si 
•vous  avez  quelque  chose  à  souhaiter,  diles-le  sans 
larder  à  vos  serviteurs;  nous  sommes  prêts  à  exécu- 
ter vos  volontés. 

le  roi.  Parlez  à  l'instant ,  et  soumettez  à  mon 
pouvoir  tous  les  peuples  que  vous  oourrez  :  massa- 
crez ceux  qui  feront  résistance. 

[A  ce  moment,  Géiron  et  Eufrosine  ,  ayant  autour 
d'eux  une  multitude  de  clercs,  se  rendent  avec  leur 
fils  à  l'église  Saint-Nicolas ,  pour  en  célébrer  la 
fête.  A  t'approche  des  gens  de  guerre  du  roi  Mar- 
morin, el  à  la  première  découverte  de  la  troupe  ar- 
mée, ils  s'enfuient  dans  la  ville,  et.  dans  le  trouble 
commun,  on  oublie  le  fil.i  de  Gétron.  Les  gens  d'ar- 
mes de  Marmorin  le  capturent,  el  retournent  auprès 
de  leur  roi  ;  ils  parlent  Ions  ensemble,  ou  le  second 
d'entre  eux.) 


Si  ÈNE  11. 


le  second  soldat.  O  roi  excellent,  nous  avons 
exécuté  vos  ordres;  nous  avons  soumis  beaucoup  de 
nations,  et  parmi  les  choses  que  nous  avons  acqui- 
ses, voici  un  enfant  que  nous  vous  amenons. 

le  troisième  soldat  (ou  tous  les  soldats  ensemble). 
Ce  bel  enfant,  de  visage  si  gracieux,  si  gentil  el  du 
grande  famille,  devrait,  à  notre  avis,  rester  attaché 
à  votre  personne. 

le  roi.  Par  Apollon,  maître  universel!  louanges 
et  grâces  vous  soient  rendues,  pour  m'a  voir  soumis 
tant  de  pays  et  reçu  d'eux  ces  tributs!  (A  l'enfant.) 
Cher  enfant,  dis-nous  ton  pays,  la  famille,  et  la 
religion  des  gens  de  ton  pays/  Sonl-ils  gentils  ou 
chrétiens? 

l'enfant.  Mon  père  domine  sur  les  peuples  d'Exco- 
rande; il  se  nomme  Géiron,  el  il  révère  le  Seigneur, 
créateur  de  l'Océan  et  de  toutes  les  choses,  de  vous, 
enfin,  comme  de  moi. 

le  roi.  Mais  le  dieu  Apollon  est  le  dieu  qui  m'a 
créé;  c'est  un  dieu  de  vérilé  el  débouté.  Il  gouverne 
la  terre,  il  règne  sur  l'air,  nous  ne  devons  croire 
qu'à  lui  seul. 

l'enfant.  Votre  dieu  est  menteur  et  méchant, 
imbécile,  aveugle,  sourd  el  muet;  vous  ne  devez  pas 
adorer  un  lel  dieu,  incapable  même  de  se  conduire 
tout  seul. 

le  roi.  Enfant,  ne  dis  pas  de  telles  choses,  ne 
dédaigne  pas  mon  dieu ,  car,  en  l'irritant  lu  ne 
pourrais  jamais  sortir  d'ici. 

SCÈNE  III. 

(Eufrosine  vient  de  découvrir  l'absence  de  son  enfant, 
elle  revient  à  l'église  Saint-Nicolas,  et,  n'y  trou- 
vant pas  son  fils,  jeUc  des  cris  lamentables. 

eufrosine.  Hélas  !  hélas!  [hélas!  ô  malheureuse? 
Que  faire  ?  que  dire?  Par  quel  crime  ai-je  mérilé  la 
perle  de  mon  enfant,  el  le  supplice  de  la  vie  ?  Pour- 
quoi mon  père  infortuné  m'a-l  jl  donné  le  jour?  Com- 
ment ma  mère  désolée  m'a-l-clle  pris  dans  ses  bras? 
quelle  nourrice  fui  contrainte  à  m'allailer?  Qui  donc 
m'a  épargné  la  mort  ? 

ses  femmes  s'approchent.  Pourquoi  le  plais- tu  dans 
ce  mortel  ennui  ?  Au  lieu  de  pleurer  ainsi  ton  fils, 
invoque  le  Fils  du  souverain  Père,  afin  qu'il  lui  soit 
porté  secours. 

eufrosine,  sans  prêter  attention  à  leurs  paroles. 
O  mon  enfant  aimé,  ô  mon  cher  enfant,  ô  mon  fils, 
ô  partie  la  meilleure  de  toute  mon  âme,  tu  nous 
donnes  aujourd'hui  autant  de  chagrin  qu'autrefois 
lu  nous  causais  de  joie. 

les  femmes.  Ne  désespère  pas  de  la  grâce  de 
Dieu  dont  la  miséricorde  suprême  l'avait  donné  cet 
enfant;  Dieu  le  rendra  celui-là  ou  un  autre. 

eufrosine.  Mon  cœur  est  à  l'agonie,  pourquoi  ma 
mort  tarde-l-elle  donc?  O  mon  fils,  puisque  je  no 
puis  te  voir,  je  préfère  le  trépas  à  la  vie. 

les  femmes.  Ces  cris,  celle  douleur,  ce  désespoir, 
te  font  du  mal  el  ne  servent  de  rien  à  ion  lils.  Au 
contraire,  fais  un  lot  de  tes  richesses,  distribue-le 
aux  clercs  et  aux  pauvres,  implore  la  clémence  de 
Nicolas  ;  il  priera  le  Seigneur  miséricordieux  pour 
ton  enfant,  el  tu  obtiendras  une  solution  favorable. 

eufrosine.  O  Nicolas,  père  très-saint  !  ô  Nicolas, 
si  aimé  de  Dieu!  Si  lu  veux  mériter  plus  longtemps 
mes  hommages,  fais-moi  rendre  mon  fils.  O  loi  qui 
as  sauvé  lant  d'infortunés  dans  les  naufrages,  et 
récemment  ressuscité  trois  clercs  (164),  écoule  les 
prières  d'une  pécheresse  el  donne-moi  l'espoir.  Jo 
ne  mangerai  plus  de  chair,  je  ne  boirai  plus  de  vin, 
je  ne  goûterai  plus  aucun  plaisir  avant  le  retour  d* 
mou  enfant. 


$161)  Allusion  au  second  tnîraele  de  baint  Nicolas. 


37? 


FIL 


DlCTiONNAlRE  DES  MYSTERES. 


FRA 


S78 


cétron.  Chère  sœur,  arrête  les  larmes  inutiles 
encore,  la  proieciion  d'un  père  Irès-piiissaul  va 
s'abaisser  sur  noire  fils.  Demain  esl  le  jour  (!e  la  fêle 
de  sainl  Nicolas,  saluée  respectueusement,  vénérée 
et  bénie  dans  tout  le  monde  chrétien.  Prends  mes 
avis,  allons  à  la  messe,  célébrons  ses  grandes  actions, 
implorons  son  appui.  Il  nie  semble  qu'une  inspiration 
divine  m'avertit  pour  notre  enfant,  cl  que  c'est  sur- 
tout ,  avec  la  faveur  de  Dieu,  la  clémence  extrême 
de  saint  Nicolas  qu'il  faul  invoquer. 
(Ils  se  lèvent,  entrent  dans  l'église  Saint -Nicolas, 
et  F.ufrosine  tend  tes  mains  au   ciel.) 

eufrosine.  Souverain  Roi  de  lous  les  rois,  roi  des 
vivants  et  des  morls,  rends-nous  notre  fils,  seide 
consolation  de  notre  vie.  Ecoute  nos  prières,  nous 
nous  écrions  vers  loi,  Seigneur,  dont  le  Fils  envoyé 
dans  le  monde  nous  a  faits  citoyens  des  cieux  et 
nous  a  arraches  aux  chaînes  de  l'enfer.  Dieu  le  Père, 
dont  la  main  puissante  fait  largesse  de  bienfaits  aux 
bons,  ne  méprise  pas  une  pécheresse,  mais  accorde- 
moi  tle  revoir  mon  lils.  0  Nicolas,  que  l'on  nomme 
le  sainl,  si  tout  ce  pour  quoi  l'on  a  foi  en  ton  nom 
.n'est  que  vérité,  prie  Dieu  pour  nous  el  noire  en- 
fant. 

SCÈNE  IV. 

[Aussitôt  après  elle  sort  de  réalise,  rentre  chez  elle  , 
fait  dresser  et  couvrir  des  tables  de  pain  el  de  vin 
pour  réconforter  Us  clercs  el  les  pauvres;  à  peine 
sont  ils  réunis  et  commencent-ils  de  manger,  que 
ilarmorin  dit  à  ses  satellites.) 

marmorin.  Mes  chers  amis,  vraiment  je  n'ai  ja- 
mais eu  aussi  faim  qu'aujourd'hui;  je  n'en  puis  plus. 
Faiies-moi  donc  à  manger,  el  vile,  car  je  meurs. 
Oue  vous  êtes  lenls!  Plus  vite  donc,  plus  vile! 
Parlez-moi  à  manger. 

les  satellites  s'en  vont ,  rapportent  des  vivres  et 
disent  au  roi:  Vos  ordres  sont  accomplis,  voici  un 
repas  prêt  que  nous  apportons.  Maintenant,  à  vos 
souhaits;  vous  pouvez  en  peu  de  temps  apaiser  la 
faim  qui  vous  lourmenle. 

(On  offre  l'eau,  le  roi  se  lave  les  mains,  il  se  met  à) 
manger.) 

le  roi.  J'ai  mangé  et  j'ai  soif,  apportez-moi  du 
vin,  je  veux  qu'il  soil  versé  à  l'instanl  par  mon  page, 
le  lils  de  Gélron. 

l'enfant,  à  part,  en  entendant  le  roi,  et  avec  un 
soupir.  Ilélas!  hélas!  hélas!  malheureux  que  je 
suis!  J'aspire  à  la  mort,  car,  durant  ma  vie,  serai- 
je  jamais  libre? 

le  roi,  à  l'enfant.  Tu  soupires,  el  pourquoi?  Je 
l'ai  vu  soupirer  avec  force.  Qu'y  a-l-il?  Pourquoi 
cela?  Qui  l'a  fait  du' mal  ?  De  quoi  te  plains-tu? 

l'enfant.  Du  souvenir  de  ma  misère;  mon  père, 
ma  patrie  se  sont  présentés  à  ma  mémoire,  j'ai 
soupiré  aussitôt  cl  gémi;,  el  je  me  disais  en  moi- 
même  :  Voici  un  an  accompli  depuis  le  jour  où,  par 
malheur,  j'ai  été  fait  prisonnier,  cl  depuis  que, 
soumis  à  vos  volontés  royales,  j'ai  dépassé  le  seuil 
de  ce  palais. 

if.  roi.  Ah!  misérable!  c'esl  I.ï  la  pensée;  c'est  à 
quoi  lu  je  plais  dans  les  angoisses  de  Ion  cœur.  Mais 
nul  ne  peut  te  ravir  à  moi,  aussi  longtemps  (pie  je 
le  voudrai  garder. 
[A  ce  moment   arrive  l'acteur  jouant  le  rôle  de  saint 

.\icolas,  il  lire  à  lui  l'enfant  qui  tient  encore  à  la 

main  la  coupe  remplie  de  vin  épicc,  il  le  mène  aux 

parles  du  palais  cl  se  relire  invisible.) 

lnJdf.s  habitants  d'excouande  «  l'enfanl.  Enfant, 
qui  es-tu  et  quel  chemin   suis-lu?   Qui   donc  a  été 


asst'z  généreux  puur  te  donner  cette  coupe  pleine 
encore  de  \in  épicé? 

l'enfant.  C'esl  dans  cct'e  cité  même  que  je  viens, 
et  je  n'irai  pas  plus  loin.  Je  suis  le  lils  unique  de  Ce-' 
lion.  Honneur  el  gloire  à  sainl  Nicolas,  qui  par  mi- 
racle m'a  ramené.  , 

l'habitant,  courant  à  Gélron.  Donlieur!  Gélron. 
Pins  de  larmes.  Ton  lils  esl  aux  portes  11  bénit  les 
grandes  actions  de  sainl  Nicolas  qui  l'a  ramené  par 
miracle. 

EUFROSINE  se  précipitant  an  devant  de  son  fils  dès 
les  premiers  mots  du  messager  el  l'embrassant  mille 
fuis.  Honneur  à  Dieu!  Gloire  à  Dieu!  sa  miséricorde 
suprême  a  changé  en  joie  notre  deuil,  par  le  retour 
de  noire  fils.  Louanges  perpétuelles  el  merci  à  noire 
père  saint  Nicolas,  dont  les  prières  auprès  de  Dieu 
nous  oui  aidé  dans  celle  extrémité. 

tout  le  choeur.  Copiosœ  karitalis  (iGo). 

FRANCE  (La).  —  On  lit  dans  Duverdier, 
Bibliothèque  française,  p.  899,  900:  a  Mys- 
tère où  la  France;  est  représentée  en  forme 
d'un  personnage  au  roi  Charles  VII  pour  le 
glorifier  dos  grâces  que  Dieu  a  laites  pour 
lui  et  qu'il  a  reçues  de  sa  cause  durant  son 
règne;  et  parient  ensemble  en  forme  de  dia- 
logue. Puis  ses  barons  parlent  l'un  api  es 
l'autre,  chacun  en  deux  couplets,  à  savoir  : 
Le  sieur  de  Barbaran,  —  le  sieur  d'Estou- 
teville,  le  maréchal  de  Boussac,  —  le  sieur 
de  Gaucourt,  —  Polhon  de  Xainlrailles,  — 
La  Hire,  —  Armadoc  de  Vignoles,  —  Jean 
de  Breszé,  —  l'amiral  de  Crictini, —  messiro 
Robert  de   Floques,  —  le  comte  d'Aumale, 

—  le  comte  de  Bokan,  —  le  comte  d'Onglas, 

—  le  sieur  de  Gamaches,  —  le  baron  du 
Coulonces,  —  Artur  de  Bretaigne,  connéta- 
ble de  France,  —  le  sieur  d'Orval,  —  le 
comte  du  Mayne,  —  messire  René  de  Breszé, 

—  le  comte  de  Dunois,  le  comte  de  Foy,  — 
le  sieur  de  Buevii,  —  le  sieur  de  Loëhac,— • 
Joachim  Rohauit. —  Escrit  à  la  main.» 

Les  frères  Parfait  (  Bût.  du  Théâtre 
françois;  Paris,  15  vol.  in-12,  1733 ,  t.  il  , 
p.  539)  ont  ajouté  à  la  note  de  Duverdier 
les  quelques  renseignements  suivants  :  *  On 
ignore  l'année  de  la  composition  de  ce  mys- 
tère... qui  n'a  jamais  para  imprimé.  Sui- 
vant toutes  les  apparences...  il  fut  composé 
sous  le  règne  de  Louis  XI,  et  peut-être  lut 
a-l-il  été  présenté  ;  mais  il  est  du  moins 
certain  que  l'auteur  vivait  sous  la  lin  de 
celui  de  Charles^'II,  et  depuis  que  ceptfin.ee., 
ayant  chassé  les  Anglais  usurpateurs  de 
ses  Etats,  se  trouva  paisible  possesseur  de 
son  royaume.  C'est  ce  qu'on  peut  en  juger 
par  les  renseignements  que  nous  en  donne 
Duverdier,  qui  avait  eu  Je  manuscrit.  On 
peut  assurer  cependant,  sur  ce  qu'il  en  dit, 
que  le  poëme  ne  consistait  qu'en  un  dialo- 
gue entre  le  roi  et  la  France  personnifiée, 
terminé  par  quarante-huit  couplets,  dont 
chaque  seigneur  en  récitait  deux,  dans  l'or- 
dre ci-dessus,  et  qui  roulaient  sur  le  môme 
sujet. 

En  marge  de  l'exemplaire  de  VHistoire  du 
Théâtre  françois  appartenant  à  la  Bibliolhè- 

(165)  •  Ces  deux  mots  paraissenlêlre  le  commen-  dans  IJ  Jus  saint  Nicolai  par  Jehan  Bodcl,  imprimé 

cernent  d'une  antienne  qui  faisait  partie  de  l'office  de  pour  la  Société  des  Bibliophiles  français;  Pari-,  1834, 

saint  Nicolas,  cl  dont  le  chant  terminait  la  représeii-  in-8°,  édile  par  MM.  l'abbé  La  Bouderie  cl  Monmci- 

l.ilion  du  miracle,  i  (Sole  de  M.  l'abbé  La  Bouderie,  que;  l'ircrs  jointes,  de,  p.  i50.) 


579 


GAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CAL 


350 


que  Sainte-Geneviève,  Y,  2236,  in-12,  on 
lit  :  a  J  ai  une  copie  de  ce  mystère  et  je  rata, 
la  faire  imprimer,   A.    Jubinal.  »  M.    Jubi- 
nal  ,    quoique   jlusieurs  années   se  soient 
écoulées  depuis  lors,  n'a  ]  as  tenu  parole. 


FRANÇOIS  (Saint).  —  De  Beauchomps 

(Recherches,  sur  les  théâtres  de  France,  Paris, 
1735,  in-8°,  3  vol.,  t.  I,  p.  2:>8)  cite  dans 
une  liste  de  mystères,  fort  vague  ileslvrai, 
la  Vie  de  saint  François. 


G 


GABRIEL  ET  MARIE.  —  Dans  son  Cours 
professé  en  1835  à  In  Faculté  des  Lettres, 
M.  Magnin  signalait  le  Colloque  entre  Ga- 
briel et  Marie,  d'un  moine  de  Lîuny,  parmi 
1Ȕs  monuments  subsistants  de  l'ait  dramati- 
que au  xne  siècle  fcf,  Tourn.  çje'n.  det'instr. 
publ.,  13  sept.  1335,2e  semestre,  vrai  t.,  p. 
478.) 

Celte  pièce  nous  a  paru  ne  se  distin- 
guer en  rien  du  dialogue  ordinaire,  non 
dramatique,  et  nous  ne  saurions  admettre 
qu'elle  ait  jamais  fourni  matière  à  une  re- 
présentation, ni  même  à  une  récitation  par 
person.  âges. 

GALLICAN  (Le)  —  Le  Gallican,  do  Hroîs- 
vitha,  écrit  au  xe  siècle,  contient  deux  scè- 
nesd'un  intérêt  considérableetdivers.  La  scè- 
ne ix,  dans  la  première  partie  du  drame,  est 
évid  minent  empreinte  du  souvenir  des  lé- 
gendes relatives  a  la  conversion  de  Clovis. 
La  scène  v  de  la  seconde  partie,  remarquée 
par  MM.  Villemain  et  Magnin,  à  quelque  au- 
teur qu'en  appartienne  le  fond,  renferme  des 
éclairs  d'un  comique  grossier  et  populaire 
dont  nous  n'avons  pas  cru  devoir  ménager 
l'expression,  parce  que  les  indices  de  ce 
genre  naïf  d'esprit  critique  (plus  naturel  au 
génie  français)  sont  uniques  dans  la  littéra- 
ture allemande  du  moyen  âge.  Yoy.  Hrots- 

VITBA. 

augurent.  Conversion  de  Gallican,  prince  de  la  mi- 
lice, qui,  sur  le  point  de  porter  la  guerre  aux 
Scylh"S,  obtint  la  promesse  de  la  main  de  Con- 
stance, vierge  consacrée  à  Dieu  et  hlle  de  l'em- 
pereur Constantin.  Mais  au  plus  fort  de  In  mêlée, 
Gallican,  prés  de  succomber,  fui  converti  par 
Jean  et  Paul,  piimiciers  de  Constance  (loti);  il 
reçut  le  l,a;>lè:ne  et  se  voua  ;iu  célibat.  —  Qu<  1- 
qi;e>  années  plus  lard,  Gallican  fut  exilé  par 
Tordre  de  Ji.l  en  l'apostat,  et  recul  la  couronne 
du  mar.yre.  En  outre,  Jean  et  Paul,  par  l'ordre 
<  u  même  empereur,  furent  lues  en  secret  et  en- 
te, rés  clandestinement  dans  leur  ma  son  ;  mais, 

(lGfi)  Le  priinicier  (primus  m  cera,  ou  le  premier 
sur  le  tableau)  était,  au  Bas-Empire,  le  chef  de  la 
chapelle  impériale!  Il  en  l'ut  de  même  chez  les  prii  - 
ces  francs  ei  saxons.  Celle  digniié  répondait  à  celle 
de  l'oflicier  appelé  depuis  grand  aumônier.  Aleuin, 
dans  sa  42e  lettre,  donne  à  Angelbci  l  le  l'ire  de  pri- 
inicier du  pilais  du  roi  Pépin.  Hrolsvilha  suppose 
(S  )  Paul  ei  (S.)  Jean  tous  les  deux  priniiciers  de  ia 
princesse  Constance,  quoiqu'il  ne  pût  y  avoir,  ce 
nous  semhle,  auprès  d'une  même  personne  qu'un 
seul  priinicier.  Noire  auteur  n'a  pas  suivi  dans  ce 
détail  1  autorité  des  Actes. Ceux-ci  foui  de  (S.)  Paul 
le  prervositus  et  d>  (S.)  Jean  le  primleerius  delà  prin- 
cesse Constance  (M.  Magnin.)  ■ 

(Ib7)  L'histoire  de  la  conversion  deGalficanus  par 
(S.j  Paul  et  (S.)  Jeaa  est  consignes  dans  ies  ric\  s  de 


aiiï.«iiôl  après,  le  fils  de  l'exécuteur,  possédé 
du  démon,  ayant  proclamé  le  meurtre  commis 
par  son  père  el  confessé  le  mérite  des  martyrs, 
fut  délivré  du  diable  el  recul  le  baptême  avec  sou 
père  (107). 

PREMIÈRE     PARTIE. 

PERSONNAGES. 


Constantin,  empereur,     seigneurs  de  la  corn 

GALLICAN.  BRADAN,    TOI    des    SeylheS. 

constance,  fille  de  Con  •  tribcns. 

slanlin.  soldats  romains. 

artéhia,  |  filles   de  Gai-  soldats  scythes. 
attica,     )         lican.        Hélène ,  mère  de  GonsUD- 
jean  el  paul,  priniiciers       lin,  personnage  muet. 

de  Conslance. 

SCÈNE  1". 


CONSTANTIN,   GALLICAN,  SEIGNEURS. 

ONSTANTiN.  Quei  ennui,  Gallican,  dans  loules  ces 
lenteurs  !  Les  Scythes ,  vous  le  savez,  repoussent 
seuls  la  paix  romaine,  téméraires,  et  rebelles  à 
nos  ordres;  que  lardez-vous  à  les  écraser?  Vous  n'i- 
gnorez pas  cependant  qu'en  considération  de  votre 
valeur,  je  vous  ai  gardé  le  commandement  de  l'ar- 
mée chargée  de  la  défense  de  la  patrie. 

gallican.  0  Constantin  Auguste ,  toujours  fidèle, 
incessamment  préoccupé  de  votre  service,  j'ai  fait 
Ions  mes  efforts  pour  satisfaire  par  ma  conduite  et 
des  résiilials  positifs  aux  désirs  de  votre  excellence 
auguste  :  Quand  ai-je  jamais  reculé  devant  les  af- 
faires? 

Constantin.  Est-il  besoin  de  me  le  rappeler?  Je 
le  sais,  j'en  garde  le  souvenir.  El  mes  paroles  sont 
moins  des  reproches  que  des  exhortations  à  agir 
selon  mes  vues. 

gallican.  Aussi,  a  l'instant  même,  je  vais  m'en 
occuper. 

Constantin.  Très-bien. 

GALLIC&N.  Ce  n'est  pas  le  soin  de  ma  vie  qui  pourra 
m'en  traîner  à  aucune  action  contre  vos  ordres. 

Constantin.  Encore  mieux,  celte  bonne  volonté 
pour  moi  est  digne  de  lous  éloges. 

gallican.  Oui ,  mais  ce  zèle  sans  bornes,  celle 
servitude  accomplie,  attendent  quelque  compensa- 
tion el  une  suprême  récompense. 

Constantin.  Rien  n'est  plus  juste, 

gallican.  Les  difficultés  soin  moins  grandes,   le 

pi  îsieurs  hagiographes  que  les  Dollamlisles  ont  dis- 
cutés et  insérés  dans  leur  collection,  sous  la  date  du 
24  juin.  Voyez  Actn  sanclorum  Junii,  l.  V,  p.  55. 
On  ne  peut  douter  que  llroslvilha  n'ait  eu  m>us  les 
yeux  une  de  ces  relations.  La  légende  ayant  pour 
litre:  Acla  prœfi.xa  jiassioni  SS.  Johannis  et  Pauli, 
piéacnle  non-seulement  une  complète  res-emhlance, 
quant  à  l'ordre  des  faits,  mais  jusqu'à  des  phrase., 
eut. ères  empruntées  textuellement  par  notre  auteur. 
La  seconde  partie,  qui  se  rapporte  à  la  résistance 
des  deux  frères  (S  )  Paul  el  (S.)  Jean,  et  à  la  réac- 
tion tentée  par  l'empereur  Julien,  est  tirée  d'une 
relation  qu'on  peut  lire  dans  les  Bollandisies.sous  la 
date  du  -2o  juin  (p.  198).  Ou  la  trouve  également 
dans  le  Martyrologe  romain,  dans  Bède ,  l'snurdus, 
Ado,  etc.  \h>  ) 


381 


CAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEttES. 


CAL 


582 


labeur  est  moins  dur,  quand  on  est  sonleiiii  pur  l'es- 
poir, p;»r  l:i  certitude  d'un  bienfait. 

Constantin.  Evidemment. 

gallican.  Eli  bien;  do  grâce,  ce  prix  de  mon  pro- 
cbain  danger,  assurez-le  dès  l'instant.  Dans  ces 
guerres  imminentes,  je  ne  tomberais  pas  épuisé  par 
la  sueur  du  combat,  je  puiserais  des  loi  ces  dans 
l'espoir  de  ma  rétribution. 

Constantin.  Je  ne  vous  refusai  jamais  le  prix  le 
plus  glorieux  et  le  plus  désirable  aux  yeux  de  loui  le 
sénat;  jamais  je  ne  le  nierai  :  voas  èies  admis  à 
mon  intimité,  et  vous  avez  les  plus  grandes  dignités 
du  palais. 

gallican.  Sans  doute.  Mais  aujourd'hui  j'ai  d'au- 
tres vues  encore. 

Constantin.  Quels  désirs?  dites-le. 

gallican.  Il  me  faut  tant!... 

CONSTANTIN.    Et  (|tloi  ? 

gallican.  Oserai -je  parler? 

CONSTANTIN.    El]    bi'ill  ? 

gallican.  Vous  serez  irrité... 

CONSTANTIN.  Poillt  du   lOUl. 
GALLICAN.  El  Si... 

Constantin.  Mais  non. 

gallican.  Vous  serez  furieux  ,  indigné. 

Constantin.  N'ayez  nulle  crainte. 

gallican.  Je  parlerai,  vous  l'ordonnez:  j'aime 
Constance,  votre  (illc... 

Constantin.  Pourquoi  non?C'esi  la  fille  de  votre 
maître.  Quoi  de  plus  convenable?  Aimez-la  avec 
respect,  respectez-la  passionément. 

Gallican.  J'ai  bien  autre  chose  à  dire,  vous  ne 
comprenez  pas. 

CONSTANTIN.    Continuez. 

gallican,  C'est  votre  fille  même,  si  votre  bonté 
daigne  y  consentir,  que  je  demande  pour  fiancée. 

Constantin,  aux  seigneurs  de  In  cour.  Certes,  la 
récompense  à  laquelle  il  aspire  n'est  pas  peu  de 
ebose.  Comment,  une  faveur  si  inouïe,  et  mes  sei- 
gneurs, sans  exemple  parmi  vous! 

gallican.  Hélas!  hélas  !  il  me  dédaigne.  Jel'avais 
prévu.  (Aux  seigneurs.)  Insistez,  je  vous  conjure, 
demandez  avec  moi. 

les  seigneurs.  Illustre  empereur,  il  convient  à 
votre  dignité,  et  en  considération  de  son  mérite,  de 
ne  pas  le  refuser. 

Constantin.  Ai~je  dit  non,  moi?  Mais  d'abord 
il  est  bon  que  je  m'informe  avec  soin  et  m'assure  du 
consentement  de  ma  fille. 

LES   SEIGNEURS.    Oll  !  OUl' ,  OUÏ. 

Constantin.  J'y  vais,  et  c'est  à  elle  seule,  Galli- 
can ,  si  :ela  vous  plaL,  que  j'en  référerai  de  votre 
souhait. 

gallican.  Ah!  très-bien. 

SCÈNE  II. 

CONSTANCE  ,   CONSTANTIN. 

constance,  à  part.  L'empereur,  notre  maître, 
vient  à  nous  plus  triste  que  de  coutume.  Que  veut- 
il?  Je  suis  extrêmement  surprise. 

Constantin.  Vous  voici ,  Constance,  ma  fille,  j'ai 
quelques  mois  à  vous  dire. 

<  onstance.  Je  suispréle,  mon  seigneur;  dites,  que 
voulez-vous? 

Constantin.  Je  suis  dans  un  grand  ennui,  mon 
cœur  est  serré,  j'éprouve  une  profonde  tristesse. 

constance.  En  vous  voyant  venir,  de  suite  j'ai 
vu  celle  tristesse,  ei  quoique  les  motifs  m'en  fus- 
sent inconnus,  j'ai  été  saisie  de  trouble  el  de  crainte. 

Constantin.  C'est  à  cause  de  vous  que  je  m'af- 
Qige. 

constance.  De  moi  ? 

CONSTANTIN.     De   VOUS. 

c  'Nstance.  Vous  tifellYayoz,  qu'y  a-t-il,  mon  sei- 
gneur ? 

Constantin  Je  crains  de  parler,  je  vous ->flligerai 


constance.  Je  serai  plus  triste  si  vous  nepailcz 
pas. 

Constantin.  Le  duc  Gallican  que  tant  de  triom- 
phes ont,  parmi  les  princes,  nus  au  premier  rang, 
el  dont  l'aide  nous  esl  si  souvent  nécessaire  pour  la 
défense  de  la  patrie.  .  . 

constate.  Quoi  donc?  11.  .  . 

Constantin.  11  désire  vous  épouser. 

constance.  Moi  ? 

CONSTANTIN.     VOUS. 

constance.  J'aimerais  mieux  mourir. 

Constantin.  Je  le  savais. 

constance.  Il  n'y  a  rien  d'étonnant,  puisque  de 
votre  consentement,  avec  votre  permission,  j'ai  fait 
serment  à  Dieu  de  garder  ma  virginité. 

Constantin.  Je  ne  l'ai  pas  oublié. 

constance.  Non,  il  n'y  a  pas  de  supplice  qui  ja- 
mais ail  le  pouvoir  de  nie  forcer  à  ne  pas  tenir  tout 
entiers  ni  mon  serinent  ni  mes  desseins. 

Constantin.  Sans  doute.  Mais  quel  extrême  em- 
barras :  si,  en  effet,  suivant  mes  devoirs  de  père, 
je  vous  permets  de  poursuivre  votre  résolution, 
quels  funestes  effets  n'en  souiïrirai-je  pas  dans  les 
choses  publiques  ?  El  si,  au  contraire,  ce  qu'à  Dieu 
ne  plaise  !  je  mels  obstacle  à  vos  projets,  je  suis 
courbé  sous  les  tourments  de  peines  éternelles  ! 

constance.  El  si  je  désespérais  de  Dieu  et  de  son 
aide,  moi  surtout,  moi  seule,  je  serais  à  plaindre. . . 

Constantin.  C'esl  la  vérilé. 

constance.  Mais  il  ne  peut  y  avoir  de  place  pour 
la  tristesse  dans  un  cœur  qui  se  fie  en  la  boulé 
divine. 

Constantin.  Que  vous  parlez  bien,  ma  Constance. 

constance.  Si  vous  daignez  prendre  mon  conseil, 
je  vo  s  indiquerai  le  moyen  d'échapper  a  ce  doubla 
danger. 

Constantin.  Oli  !  plût  au  ciel  ! 

constance.  Faites  semblant,  dès  que  la  guerre 
aura  fini  heureusement,  d'être  prêt  à  satisfaire  aux 
désirs  de  Gallican,  et  pour  qu'il  nie  croie  bien  dispo- 
sée et  d'accord  avec  vous,  persuadez-le  de  laisser 
auprès  de  moi,  pendant  son  absence,  ses  deux  filles 
Allica  el  Anémia,  comme  gages  de  notre  amitié  à 
venir,  et  d'emmener  avec  lui  mes  primiciers  Jean 
et  Paul. 

Constantin.  Et  s'il  revient  victorieux,  que  ferai- 
je? 

constance.  Invoquons  déjà  le  Père  de  toutes 
choses  pour  qu'il  éloigne  de  l'esprit  de  Gallican  les 
projets  qu'il  médite. 

Constantin.  0  ma  fi  11  o ,  ma  fille  !  la  douceur  de 
vos  paroles  a  diminué  l'amertume  des  chagrins  de 
votre  père,  à  lel  point  que  celte  affaire  me  laisse 
déjà  sans  émotion  el  sans  peur. 

constance.  11  n'y  a  pas  lieu  d'en  avoir. 

Constantin.  Je  m'en  vais,  je  séduirai  Gallican 
par  celle  joyeuse  promesse. 

constance.  Allez  en  paix,  mon  seigneur. 

SCÈNE  III 

GALLICAN  ,     SEIGNEURS. 

6ALLICAN.  O  piinces,  je  mourrai  de  curiosité 
avant  de  savoir  ce  que  fait  depuis  si  longtemps  mon 
seigneur  Auguste  avec  sa  (ille  notre  maîtresse. 

les  seigneurs.  Il  la  persuade  de  se  rendre  à  vos 
désirs. 

gallican.  O!  puisse- t-il  l'emporter,  persuader... 

les  seigneurs.  Certainement  il  en  ailca  raison. 

gallican.  Silence,  ne  bougez,  l'empereur  revient 
non  plus  le  front  soucieux,  connue  il  s'en  alla,  mais 
avec  un  visage  tout  à  fait  serein. 

les  seigneurs.  Bon  présage. 

gallican.  Certes  si,  comme  on  dit,  le  visage  est  le 
miroir  de  Pàine,  la  sérénité  de  ses  yeux  annonce  le 
repos  de  son  cœur. 

les  seigneurs.  Dieu  siïr. 


383 


CAL 
SCENE  IV 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


G  AL 


SSi 


LES  PRÉCÉDENTS,   CONSTANTIN,  GARDES. 

Constantin.  Gallican! 

CA.LI.ICAN.    Qu'a-l-'ll  dil? 

les  seigneurs,  à  Gallican.  Allez,   allez,   il   vous 

appelle. 

gallican.  Dieux  propices,  favoris-z-moi. 

Constantin,  Gallican,  allez  sans  crainte  aux  com- 
tois. A  votre  retour,  vous  recevrez  le  prix  nue  vous 
désirez. 

gallican.  Vous  ne  nie  trompez  pas... 

Constantin.  Oh!  vous  lromperais-je? 

gallican.  Qic  je  serais  heureux  si  je  savais  uno 

chose... 

c  nstantin.  Quelle  est  celte  seule  chose  ? 

gallican.  La  réponse. 

Constantin.  La  réponse  de  ma  fille. 

callic\n.  Oui,  d'elle-même. 

Constantin.  Il  n'est  pas  convenable  assurément  de 
s'occuper  de  la  réponse  d'une  vierge  pudique  dans 
une  telle  occasion.  La  suite  des  événements  prou- 
vera son  assentiment. 

gallican.  Sûr  de  son  consentement,  que  m'impor- 
terait" sa  réponse. 

Constantin.  Mais  n'en  aurez-vons  pas  la  preuve  ? 

gallican.  Je  l'attends  avec  passion. 

Constantin.  Elle  a  décidé  que  ses  primiciers  Jean 
el  Paul  demeureront  auprès  de  vous,  jusqu'au  jour 
des  noces. 

gallican.  El  pourquoi? 

Constantin.  Pour  que,  dans  leur  conversation, 
vous  puissiez,  connaître  d'avance  sa  vie,  ses  mœurs, 
ses  habitudes. 

gallican.  Liée  excellente  et  qui  me  plaît  infini- 
ment. 

Constantin.  Elle  désire  aussi  qu'à  voire  tour  vous 
laissiez  vos  filles  auprès  d'elle  pendant  voire  ab- 
sence, pour  qu'elle  se  plie  dans  leur  société  à  voire 
inférieur.  , 

gallican.  Ah!  bonheur!  bonheur!  Tout  répond  à 

mes  vœux. 

Constantin.  Faites  amener  de  suite  vos  tilles. 

gallican,  aux  suidais.  Quoi!  vous  n'êtes  pas  par- 
tis, soldais?  Allez,  courez,  amenez  mes  filles  aux 
pieds  de  leur  souveraine. 

SCÈNE  V. 

CON5TANCE    GARDES  ;  eUSUÎte  ÀTTÏCA    el  ARTÉ- 
MIA. 

les  cardes.  Maîtresse  Constance,  voici  les  illus- 
tres filles  de  Gallican,  bien  destinées  à  votre  intimité 
par  l'éclat  de  leur  beauté,  de  leur  sagesse  el  de  leur 

vertu. 

constance.  Bien.  (Oh  les  introduit  avec  honneur.) 
0  Christ,  amant  de  la  virginité,  inspirateur  de  chas- 
lelé.  qui,  par  les  prières  de  ta  sainte  martyre  Agnès, 
m'as  sauvée  à  la  lois  de  la  lèpre  du  corps  et  des  ci- 
reurs des  païens,  et  m'as  donné  l'envie  du  lit  virgi- 
nal de  la  Mère,  où  lu  l'es  manifesté  vraiment  Dieu! 
loi  qui,  avant  le  commencement  des  choses,  naquis 
«le  Dieu  le  Père,  el  qui  dans  le  monde,  es  né,  comme 
un  autre  homme,  du  sein  d'une  femme,  vraie  sa- 
gesse, co-éternelle  à  celle  du  Père,  par  qui  tout  a 
été  créé,  tout  est  conservé,  tout  est  gouverné  !  je 
le  supplie!  contrains  Gallican  ,  qui  veut  éteindre, 
pour  s'en  emparer,  mon  amour  pour  loi,  à  renoncer  à 
son  odieux  dessein;  prends  ses  filles  pour  épouses, 
fais  pénétrer  goulle  à  goutté  dans  leurs  pensées  la  len  • 
dresse  de  ton  amour;  en  sorte  qu'abhorrant  tous  liens 
charnels,  elles  mé ri leni  d'entrer  dans  la  société  des 
vierges  qui  le  sont  consacrées. 

artémia,  Salul,  Constance,  noire  augusle  maî- 
tresse. 

constance.  Salut,  mes  sœurs,  Altica  et  Arlémit, 


restez,  restez  debout;  i.e  vous  prosternez  point;  don- 
nez-moi piulôl  le  baiser  d'amilié. 

artémia.  Nous  venons  avec  joie  vous  offrir  nos 
hommages,  madame;  nous  sommes  lout  à  vous  de 
grand  cœur,  el  sans  autre  vue  que  votre  précieuse 
bienveillance. 

constance.  Nous  n'avons  qu'un  Seigneur  dans  les 
cieux,  à  qui  soit  dû  l'absolu  dévouement  de  noire 
servitude;  c'est  dans  sa  foi  et  son  amour  qu'il  nous 
faut  tous  persévérer,  entièrement  purs,  pour  obtenir 
l'entrée  du  palais  de  la  pairie  céleste  avec  la  palmo 
des  vierges. 

artémia.  Nous  ne  disons  pas  le  contraire;  nous 
tâcherons  certainement  d'obéir  à  vos  préceptes  , 
surtout  pour  arriver  à  la  connaissance  de  la  vérité  el 
pour  garder  noire  pureté  virginale. 

constance.  Assez  bien  répondu  ,  surlout  pour 
voire  innocence,  el  sans  doute,  par  l'inspiration. de 
la  grâce  divine  ;  vous  êles  sur  le  poinl  d'avoir  la 
foi. 

artémia.  Comment,  nous,  servantes  des  idoles, 
aurions-nous  aucune  sage  pensée  sans  l'illumination 
de  la  boulé  céleste? 

constance.  La  sûreté  de  votre  jugement  me  porte 
à  croire  aux  bons  principes  de  Gallican. 

artémia.  Qu'on  l'instruise  seulement,  el  certaine- 
ment il  croira. 

constance  ,  aux  gardes.  Faites  venir  Jean  el 
Paul. 

SCÈNE  VI. 

LES  MÊMES,   PAUL  ET  JEAN. 

jean.  Nous  voici  déjà,  maîtresse  :  vous  nous  avez 
mandés  ?... 

constance.  Allez  sur-le-champ  auprès  de  Gallican, 
cl  vous  attachant  à  sa  personne,  instruisez  le  peu 
à  peu  du  mystère  de  noire  loi.  Peut-être  Dieu,  par 
noue  intercession,  daignera  t-il  se  l'acquérir 

PAUL.  Dieu  nous  donne  le  succès!  nous  allons  y 
travailler  sans  cesse  par  nos  exhortations... 

SCÈNE  Vil. 

GALLICAN,   PAUL   et  JEAN,  LES  TRIBUNS, 
L'ARMÉE   ROMAINE. 

gallican.  Vous  arrivez  à  piopos,  Jean,  et  vous 
Paul;  depuis  longtemps  cl  très-inquiet,  je  vous  at- 
tendais. 

jean.  Au  premier  ordre  de  notre  maîtresse,  nous 
avons  volé  vers  vous  pour  votre  service. 

gallican.  Je  suis  plus  heureux  de  voire  bonne  vo- 
lonté que  de  celles  de  bien  d'autres. 

pall.  Non  pas  sans  motifs,  car,  dil  le  proverbe  : 
celui  qui  accueille  bien  nos  amis,  esl  noire  ami. 

gallican.  Eh  bien,  oui. 

jean.  L'affection  de  la  dame  qui  nous  cnvo'e  nous 
assure  voire  intimité. 

gallican.  J'en  conviens.  —  Venez,  tribuns  el  cen- 
turions, assemblez  lous  les  soldats  sons  mes  ordres. 
Voici  Jean  el  Paul,  dont  l'altenle  seule  me  clouait 
ici. 

les  tribuns.  Allons,  en  marche.  (Aussitôt  on  se  met 
en  mouvement.) 

gallican.  D'abord  moulons  au  Capitule,  entrons 
dans  les  temples  el  apaisons  la  majesté  des  dieux 
par  les  sacrifices  accoutumés,  si  nous  souhaitons  la 
succès  dans  les  combats. 

les  tribuns.  Très-bien. 

jean.  Tenons- nous  à  l'écart  el  attendons. 

paul.  C'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  faire. 

SCÈNE  VIII. 

LES     MÊMES. 

jean.  Voici  le  général  dehors;  moulons  à   cheval 
cl  allons  A  sa  rencontre. 
rviL.  Sans  perdre  un  instant. 
gallican.  D'où  venez-vous?  Où  éliez-vou»! 


m 


6AL 


BICTiONN  URE  DES  MYSTERES. 


CAL 


5S6 


MA».  Nous  avons  préparé  nos  bagages,  cl  nous 
les  avons  envoyés  devant,  pour  pouvoir  vous  accom- 
pagner en  liberté. 

gallican.  C'est  bien. 

SCÈNE  IX. 

LES  MÊMES.  BIUDAX,  SOLDATS   SCYTHES    (107*). 

gallican.  Par  Jupiter!   6  tribuns  !  j'aperçois  les 

légions  d'une  innombrable  armée,  hérissées  Ue  mille 
armes  diverses. 
les  tribun <.  Par  Hercule!  c'est  l'ennemi  ! 
gallican.' En  avanl!   courage!  et  combattons  en 
hommes. 

les  tribuns.  Que  nous  servira-t-il  de  coinbattro 
contre  une  telle  multitude? 
■gallican.  El  que  voulez-vous  donc  faire  ? 
les  tribuns.  Nous  rendre. 
gallican.  Apollon  ne  le  veuille  pas! 
les  tribuns.  Par   Pollux,  que  faire?  De  tous  cô- 
tés,   nous  sommes  enveloppés;  nous   voici   blessés 
tous  ;  c'est  un  massacre. 

gallican.  Ilclas!  hélas!  qu'en  sera-l-il?  Les  tri- 
buns méprisent  mes  ordres  et  se  rendent. 

jean.  Faites  vœu  au  Dieu  du  ciel  de  devenir  chré- 
tien, cl  vous  vaincrez  (168). 
gallican.  Le  vœu,  je  le  fais  et  je  le  tiendrai. 
les  ennemis.  Hélas!  roi  Beadan,  le  sort,  qui  nous 
avait  laissé  espérer  la  victoire,  se  joue  de  nous.  Nous 
voici,  les  bras  affaiblis,  les  forces  épuisées,  et  en  ou- 
tre, sans  cœur  et  contraints  <ie  mettre  bas  les 
armes. 

biîadan.  Que  dire?  Le  sais-je?  Ce  mal  que  vous 
souffrez,  je  réprouve.  11  ne  nous  reste  q  :'à  nous 
rendre  au  général  romain. 

les  ennemis.  C'est  là  notre  unique  salut. 
BiiADAN.  Duc  Gallican,  conseillez  à  ne  pas  accom- 
plir notre  ruine  ;  épargnez-nous,  et  disposez  de  nous 
à  votre  gré  comme  de  vos  esclaves. 

gallican.  N'ayez  pas  peur;  ne  tremblez  point; 
donnez-moi  des  olages,  payez  I  ri  bu  l  à  l'empereur, 
et  vivez  heureux  sous  la  protection  romaine. 

bradan.  1!  ne  dépend  que  de  vous  de  prendre  pour 
olages  U  Is  ou  tels  au  nombre  qu'il  vous  plaira,  et  de 
nous  imposer  le  tribut. 

gallican.  Soldats,  déposez  les  armes!  ne  tuez,  ne 
blessez  personne;  embrassons  comme  alliés  ceux 
que  nous  attaquions  comme  ennemis  publics. 

jean.  Combien  l'emporte    une  bonne  prière  sur 
l'orgueil  des  hommes! 
gallican.  Cela  est  vrai. 

paul.  Combien  est  efficace  la  miséricorde  sup-éme 
pour  ceux  qui  se  recommandent  à  Dieu  par  leur 
humble  dévotion  ! 

gallican.  C'est  évident. 

jean.  .Mais  le  vœu  des  heures  de  tourmente  doit 
être  accompli  sitôt  le  calme. 

gallican.  C'est  mon   seniinienl.   Aussi  désiré -je 
d'être  baptisé  le  plus  tôt  possible  el  de  nie  dévouer, 
pour  le  reste  de  ma  vie,  au  service  de  Dieu. 
paul.  C'est  justice. 

SCÈNE  > 

LES    MEMES,  GALLICAN. 

r.vLLiCAN.  Voyez,  comme  à  notre   entrée    dans 

(IG7')<  Le  lieu  de  la  scène  change  ici  brusquement; 
nous  passons  en  un  clin  d'œil  des  rues  de  Rome 
dans  les  campagnes  de  la  Thrace,  près  de  Plriiippo- 
polis.  Là,  suivant  les  Acles  cl  Eiisèbet  Fif.  Constant., 
I.  îv,  c.  5-7),  cul  lieu  la  bataille  gagnée  par  Galli- 
canus  sur  les  Sarmales.  On  voit  que  llrolsvilha  n'a 
imité  de  Térence  ni  l'unité  de  lieu,  ni  l'unité  de 
temps.  La  nouvelle  forme  de  drame  qu'elle  emploie 
est,  en  quelque  sorte,  narrative  et  calquée  sur  les 
légendes.  Cette  forme  a  commencé,  chose  remar- 
quable, à  se  montrer  dans  les  premiers  essais  dra- 
matiques, tirés  des    traditions  chré:ienn«-s    ou  bi- 


Rome  tous  les  citoyens  secourent  et  nous  apportent, 
selon  l'usage,  les  insignes  de  la  gloire  (1C9.) 

jean.  C'est  bien  le  moins. 

gallican.  El  pourtant,  ce  n'est  ni  à  notre  valeur 
i  aux   dieux  qu'est  dû  l'honneur  du  triomphe. 

paul.  Non,  assurément,  c'est  au  vrai  Dieu. 

gallican.  Aussi  mon  avis  est  de  passer  outre  à 
tous  les  temples... 

jean.  Heureuse  pensée. 

Gallican.  El  d'entrer  au  contraire  dans  l'église 
des  Apôtres  pour  prier  et  confesser. 

paul.  0  joie  d'un  tel  avis!  Vous  vous  affirmez  dés 
celte  heure  vraiment  chrétien. 

SCÈNE  XI. 

CONSTANTIN,  SOLDATS  ROMAINS. 

Constantin.  D'oùvient,  ô  soldats,  que  Gallican  se 
dérobe  aussi  longtemps  à  nos  regards?... 

les  soldats.  A  peine  entre  en  ville,  il  a  couru  à 
l'église  Saint-Pierre,  et,  agenouillé  par  lerre,  il 
rend  grâce  au  Dieu  suprême,  qui  lui  a  donné  la  vic- 
toire. 

Constantin.  Gallican? 

les  soldats.  Lui-même. 

Constantin.  C'est  incroyable 

les  soldats.  Il  vient,  vous  pouvez  l'interroger. 

SCÈNE  Xiî. 

LES  MEMES,    GALLICAN. 

Constantin.  Depuis  longtemps  je  vous  attendais, 
Gallican,  pour  apprendre  de  vous  les  détails  et  l'is- 
sue du  combat... 

gallican.  Je  vous  conterai  lout  avec  soin. 

Constantin.  El  encore  c'est  là  le  moins  pressant, 
il  y  a  quelque  chose  à  me  dire  que  je  souhaite  en- 
core plus. 

gallican.  Quoi  donc  ? 

Constantin.  Pourquoi,  au  départ,  élcs-voiis  allé 
aux  temples  des  dieux,  et  au  retour,  entré  dans 
l'église  des  saints  A  poires. 

gallican.  Vous  le  demandez! 

Constantin.  Avec  curiosité. 

gallican.  Je  vais  le  dire. 

CONSTANTIN.    Eli  bit'l)  ? 

gallican.  Empereur  très-sage,  je  le  confesse,  à 
mou  départ,  comme  vous  m'en  faites  le  reproche,  je 
suis  entré  dans  les  temples  el  j'ai  prié  avec  confiant  a 
les  démons  et  les  dieux. 

Constantin.  C'est  une  antique  coutume  romaine. 

gallican.  Coutume  funeste. 

Constantin.  Déieslable. 

gallican.  Ensuite,  les  tribuns  arrivèrent  avec 
les  légions  el  accompagnèrent  ma  marche. 

Constantin.  Vous  êtes  sortis  de  Rome  dans  un 
p  impeux  appareil. 

gallican.  i>ois  allâmes  en  avanl,  nous  rencon- 
trâmes lus  ennemis,  nous  coml  animes,  nous  fûmes 
vaincus  (170). 

Constantin.  Les  Romains  vaincus. 

gallican.  Complètement. 

Constantin.  0  événement  cruel  el  inouï  au  tr.  vers 
des  siècles! 

gallican.  Je  recommençai  des  sacrifices  infâmes, 

bliqucs  ;  cl  elle  est  restée  celle  de  Lope  de  Véga,  de 
Cahlcron,  de  Shakespeare  et  de  Schiller.  >  (lu.) 

(108)  «  C'est  ici  une  aliusion  au  fameux  labarum 
de  Constant  in  :  lu  hoc  signo  viiices.  »  (Id.)  Remar- 
quer l'étroite  analogie  de  celte  scène  el  de  celle  qui 
précéda  la  conversion  de  Clovis. 

(169)  «  llrolsvilha,  loujoi,i\-  préoccupée  de  pi:  ire 
aux  yeux,  nicii.  gu  aux  spcilauuis  l'appareil  d'un 
triomphe  romain.  >  (lu  ) 

(170) 'C'est  le  mot  de  Jult  s-César  renversé  :  Yenî, 
ri'/i,  net.)  (Id.) 


',%"! 


GAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


GAL 


Ô88 


•t  aucun  dieu  ne  vint  à  mon  aide.  An  contraire,  le 
combat  était  plus  terrible,  et  beaucoup  des  nôtres 
mouraient. 

Constantin.  Ce  récit  me  confond. 

gallican.  Enfin,  les  tribuns  me  tournèrent  le  dos 
et  se  rendirent. 

Constantin.  A  l'ennemi? 

gallican.  A  l'ennemi. 

Constantin.  Ab!  qu'avoz-vous  fait  alors ?. . . 

gallican.  Que  pouvais-je  faire  que  de  prendre  la 
fuite? 

CONSTANTIN     Non. 

gallican.  Hé!  certes. 

Constantin.  A  quelles  angoisses  était  alors  en 
proie  votre  grande  âme? 

gallican.  Aux  plus  affreuses. 

Constantin.  Et  comment  vous  êles-vous  tiré  de 
là? 

gallican.  Mes  compagnons  intimes,  Jean  et  Paul, 
me  persuadèrent  de  me  vouer  au  Créateur. 

Constantin.  Salutaire  conseil! 

gallican.  Je  l'ai  bien  éprouvé.  A  peine  avais-je 
ouvert  la  bouche  pour  mon  vœu  que  je  sentis  le  cé- 
leste secours. 

Constantin.  Et  comment. 

gallican.  Il  m'apparut  un  jeune  homme  de  haute 
stature,  les  épaules  chargées  d'une  croix,  qui  m'or- 
donna de  tirer  l'épee  et  de  le  suivre. 

Constantin.  Quel  qu'il  fût,  c'était  un  envoyé  du 
ciel. 

gallican.  J'en  eus  la  preuve.  A  l'instant,  il  y  eut 
autour  de  moi,  à  droite  et  à  gauche,  des  soldais  ar- 
més dont  le  visage  m'était  inconnu,  mais  qui  me  pro- 
mettaient leur  aide. 

Constantin.  Celait  la  célcsle  milice. 

gallican.  Je  n'en  doute  point.  Je  suivis  avec  con- 
fiance mon  guide,  je  me  jetai  au  milieu  de  l'année 
ennemie  et  je  parvins  à  leur  roi  i  otninc  Bradai), 
qui,  saisi  tout  à  coup  d'une  incroyable  terreur,  et  se 
jetant  à  mes  pieds,  se  rendit  avec  les  siens  et  s'en- 
gagea à  payer  un  tribut  au  chef  du  moule  romain. 

Constantin.  Béni  soit  l'auteur  de  cet  heureux  suc- 
cès, qui  ne  souffre  pas  que  ceux  qui  mettent  leur 
espoir  en  lui  soient  confondus. 

gallican.  Je  l'ai  appris  par  expérienee. 

Constantin.  Je  voudrais  savoir  ce  que  firent  en- 
suite les  tribuns  fugitifs. 

Gallican!  11  leur  press.it  de  rentrer  en  grâce. 

Constantin.  El  vous  les  y  reçûtes. 

gallican.  Moi!  ces  hommes  qui  m'avaient  laissé 
dans  le  danger,  qui  s'étaient  abandonnés  à  renne- 
mi  !  Non,  certes. 

Constantin.  El  que  filcs-vous  ? 

gallican.  J'imposai  une  condition  à  leur  grâce. 

Constantin.  Laquelle. 

gallican.  Ce  lui  que  ceux  qui  embrasseraient  la 
religion  chrétienne  rentreraient  dans  leur  gradée: 
même  plus  haut;  tout  refus  restait  sans  pardon  et 
excluait  de  l'armée. 

Constantin.  Juste  condition,  que  vous  aviez  le 
droit  d'imposer. 

gallican.  Pour  moi,  mouille  des  eaux  baptismales, 
je  me  suis  tout  entier  mis  sous  le  joug  de  Dieu,  à 
tel  point  que  je  renonce  à  votre  lille,  auparavant 
préférée  à  tout,  pour  plaire,  loin  du  mariage,  au 
Fils  de  la  Vierge. 

Constantin.  Approchez  plus  près,  plus  près,  que 
je  tombe  dans  vos  bras.  Car,  a  celle  heure,  G.dii- 
can,  je  dois  vous  découvrir  un  secret  jusqu'ici  ca- 
ché avec  soin. 

GALLICAN.  QUOI   dOUC? 

Constantin.  C'est  que  ma  fille  et  les  vôtres  sont 
de  la  religion  même  que  vous  avez  choisie. 

gallican.  Tant  mieux. 

Constantin.  El  elles  ont  un  si  orùlanl  désir  de 
rester  vierges,  que  ni  la  menace  ni  la  douceur  n'eus- 
sent  pu  les  arracher  à  leur  résolution. 


gallican.  Qu'elles  persévèrent!  Je  le  souhaile. 

Constantin.  Entrons  dans  l'appartement  qu'elles 
occupent. 

gallican.  Passez,  je  vous  suivrai. 

Constantin.  Les  voici  ;  elles  accourent  Favec  l'au- 
guste Hélène,  ma  glorieuse  mère.  Elles  pleurent 
toutes  de  joie. 

SCÈNE  XIIL 

LES  MÊMES,  CONSTANCE,    ATTICA»    ARTEMIA, 
HÉLÈNE,   PAUL  et  JEAN. 

gallican.  Vivez  heureuses,  ô  vierges  saintes!  Per- 
sévérez dans,  la  crainte  de  Dieu,  gardez  l'honneur 
intact  de  la  virginité,  pour  être  trouvées  dignes  des 
bras  du  Roi  éternel. 

constance.  Cela  nous  sera  d'autant  plus  aisé  que 
nous-mêmes  nous  ne  vous  aurons  pas  pour  hos- 
tile. 

gallican.  Je  ne  lutte  pas  contre  vous,  je  ne  re- 
fuse ni  n'empêche  ;  au  contraire,  je  cède  de  si  grand 
cœur  à  vos  vœux,  ô  ma  Constance,  acquise  si  pé- 
niblement au  prix  de  mon  sang,  que  je  ne  demande 
de  vous  que  l'accomplissement  de  vos  desseins. 

constance.  Voici  bien,  l'œuvre  du  Très-Haut, 

callican.  Si  je  n'élais  pas  autre  et  meilleur,  con- 
sentirais-je  à  l'accomplissement  de  votre  vœu  ? 

constance.  L'ami  de  la  pureié  virginale,  l'instiga- 
teur de  toule  bonne  volonté,  qui  vous  a  arraché  à  de 
mauvaises  pensées,  el  qui  a  gardé  pour  lui  ma  cha- 
steté, daignera,  en  retour  de  notre  séparation  cor- 
porelle, nous  léunir  un  jour  dans  le  bonheur  éter- 
nel. 

gallican.  Puisse-t-il  en  cire  ainsi  ! 

Constantin.  Le  lien  de  l'amour  du  Christ  nous 
unissant  dans  une  même  communion,  il  convient 
que,  geiidro  des  Augustes,  vous  soyez  honoré  à  noire 
égal  et  que  vous  habitiez  ce  palais. 

gallican.  Nulle  tentation  ne  doit  être  fuie  davan- 
tage que  celle  des  yeux. 

Constantin.  Je  ne  dirai  pas  le  contraire. 

gallican.  Aussi  ne  fa  ut- il  pas  que  je  voie  trop  sou- 
vent une  jeune  fille  que  j'aime,  vous  le  savez,  pins 
que  mes  parents,  plus  que  ma  vie,  plus  que  mon 
âme. 

Constantin.  Comme  il  vous  plaira. 

gallican.  Aujourd'hui  vous  avez  quatre  armées, 
par  la  faveur  du  Christ  et  mes  soins.  Laissez-moi 
soldat  de  cel  Empereur,  par  l'aide  duquel  j'ai  vaincu 
el  à  qui  je  dois  loin  le  bonheur  de  ma  vie. 

Constantin.  A  lui  en  effet  la  gloire  et  les  actions 
de  grâces.  Toute  créature  doit  le  servir. 

callican.  Mais  surtout  celles  à  qui,  dans  le  besoin, 
il  a  prêté  si  efficacement  son  aide. 

Constantin.  Comme  vous  diles. 

gallican.  Surf  la  pari  de  mes  biens  qui  appar- 
tient à  mes  lilies,  el  une  autre  que  je  garde  pour  le 
soulagement  des  pèlerins,  je  donne  loul  le  reste  pour 
enrichir  mes  esclaves  mis  en  liberté,  el  subvenir 
aux  besoins  des  pauvres. 

Constantin.  Vous  disposez  sagcmcnl  u'e  vos  biens, 
el  vous  ne  serez  pas  mis  de  colé  dans  le  partage 
éternel. 

gallican.  Quant  à  moi,  je  brûle  de  me  rendre  à 
Osiie,  auprès  du  prud'homme  llilarien,  ci  de  me 
joindre  inséparablement  à  lui,  pour  passer  là  le  reste 
de  ma  vie,  dans  la  louange  de  Dieu  et  le  soulage- 
ment des  pauvres. 

Constantin.  Que  l'Etre  unique,  à  qui  loul  est 
toujours  possible,  vous  accorde  d'heureuses  chances, 
et  une  vie  selon  sa  propre  règle  !  qu'il  vous  con- 
duise p;.r  la  main  au  bonheur  éternel,  lui  qui  règne 
el  se  glorifie  uaus  l'unité  de  la  Trinité  ! 

callican.  A  tien! 


330 


CAL  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

DEUXIÈME    PAJITIE    (171). 

PERSONNAGES. 


CAL 


599 


julien,  empereur. 

GALLICAN. 
TÉRENTIEN. 
JEAN  et  PAUL. 


LES  CONSULS. 

SOLDATS  ROMAINS. 

UNE  TROUPE  DF.  CHRÉTIENS. 

LE  FILS  DE  TÉRENTIEN, 

personnage  muel. 


SCÈNE  I. 


JULIEN,  LES   CONSULS,  GARDES. 

julien.  11  est  assez  évident  que  le  mal  de  nolr^ 
empire  est  la  trop  grande  liberté  dont  jouissent  les 
chrétiens  :  ne  se  vantent-ils  pas  d'avoir  le  droit  de 
n'obéirqu'anx  lois  qu'Us  ont  reçues  du  temps  deCon- 
siantin? 

les  consuls.  C'est  une  abomination.  La  subirez- 
vous? 

julien.  Non  ,  certes. 

les  consuls.  Ah!  très-bien. 

julien.  Soldais!  aux  armes!  et  dépouillez  les  chr '- 
tiens  de  leurs  biens  propres,  en  leur  objectant  le 
mot  du  Christ  .  Celui  qui  ne  renoncera  pas  pour 
moi  à  tout  ce  qu'il  possède  ne  peut  être  mon  disciple. 
(Evang.  xiv,  53  [172]). 

les  soldats.  Ce  n'est  pas  nous  qui  y  mettrons  du 
relard. 

SCÈNE  II. 

LES     MÊMES. 

les  consuls.  Ah!  les  soldats  sont  de  retour. 

julien.  Revenez-vous  contenis? 

les  soldats.  Contents. 

julien.  El  pourquoi  si  tôt? 

les  soldats.  Voici.  Nous  avions  résolu  d'enlever 
îes  chàleaux-forts  que  Gallican  s'est  gardés,  et  d'en 
faire  proie  à  voire  profit;  mais  dès  que  l'un  de  nous 
y  nieiiail  le  pied,  il  devenait  lépreux  ou  frénétique. 

julien.  Ketournez  et  forcez  Gallican  ou  à  quiller 
le  pays,  ou  à  saciilieraux  idoles. 

SCÈNE  III. 

GALLICAN,  SOLDATS. 

gallican.  Soldats,  ne  perdez  pas  vos  peines  à  d'i- 
nutiles avis.  Car,  en  comparaison  de  la  vie  et  r.ielle, 
je  ne  fais  nul  cas  de  tout  ce  qui  est  sous  le  soleil. 
Aussi  je  quille  ma  pairie,  et  banni  pour  le  Ch  ri  si  , 
je  pars  pour  Alexandrie,  avec  le  désir  d'y  trouver  la 
couronne  du  martyre. 

SCÈNE  IV. 

JULIEN,  SOLDATS. 

lf.s  soldats.  Gallican,  chassé  du  pays  selon  vos 
ordres,  s'est  relire  dans  Alexandrie:  il  y  a  élé  ar- 
rêlé  par  le  comte  lia u lin,  el  a  péii  par  l'épée. 

julien.  C'est  bien  fait. 

(171)  <  Le  premier  éditeur  de  IIrolsvilha,  Conrad 
Celles,  a  intitulé  cette  seconde  partiede/us  secundus, 
ans  y  èlre  autorisé  par  aucune  indication  du  manu- 
scrit. J'ai  rejeté  celle  division,  avant  même  d'avoir 
eu  sous  les  yeux  la  copie  du  manuscrit  de  Munich 
(voy.  Revue  des  Deux-Mondes,  numéro  du  15  novem- 
bre 1KÔ9,  et  Biographie  universelle,  Supplément,  t. 
LXVII,  p.  588).  Je  pensais,  comme  M.  J.  Chr.  Goll- 
sched  [aotlriger  Vorrath  zurGeschichte  der  deutschen 
dramalitchen  Dichlkuiut,  i.  Il,  p.  10),  que  l'hisioire 
de  Gallicanus  et  le  martyre  de  (S.)  Jean  el  (S.)  Paul 
formaient  deux  drames  s.  parés,  !»  pareequd  y  a 
dans  le  manuscrit,  avant  le  martyre  de  (S.)  Jean  el 
(S.)  Paul,  une  nouvelle  liste  de  personnage-.;  2"  que 
i«  soi-disant  premier  acte  se  termine  par  la  formule 
finale  amen, qui  dans  les  pièces  religieuses  d  >  moyen 
&ge    correspond    nu    pluudite  des  lo.nedies   païetl- 


i.es  soldats.  Mais  Jean  et  Paul  vous  sont  enne- 
mis. 

julien.  Que  font-ils? 

les  soldats.  Ils  vont  librement  parlcui  et  distri- 
buent les  trésors  de  Constance. 

julien.  Qu'on  les  fasse  venir. 

les  soldats.  Us  sont  ici. 

SCÈNE  V. 

LES  MÊMES,  PAUL  el    JEAN. 

julien.  Je  n'ignore  pas.  Jean  cl  Paul ,  que  dès  le 
berceau  vous  fuies  attachés  au  service  des  empe- 
reurs. 

jean.  Nous  le  fumes. 

julien.  Aussi  csl-il  convenable  qu'auprès  de  ma 
personne,  vous  comptiez  parmi  les  Officiers  de  ce  pa- 
lais, où  vous  avez  éle  nourris  dès  l'enfance. 

paul.  Nous  ne  servirons  pas. 

julien.  Est-ce  donc  moi  que  vous  ne  serviriez  pas? 

jean.  C'est  dit. 

julien.  Est-ce  que  je  ne  suis  pas  pour  vous  un 
augusle? 

paul.  Si,  mais  trop  différent  des  autres. 

julien.  En  quoi? 

jean.  En  religion  et  en  mérite. 

julien    Je  souhaiterais  vous  comprendre  mieux. 

paul.  C'est-à-dire  que  les  très-glorieux  etlrès-re- 
nommés  empereurs  Constantin,  Cnnslans  ei  Con- 
slanlius,  aux  ordres  de  qui  nous  étions,  furent  des 
princes  très-chrétiens,  et  qu'ils  se  faisaient  gloire 
d'èire  les  esclaves  du  Christ. 

julien.  Je  lésais;  mais  je  ne  veux  point  les  im'ler 
en  cela. 

paul.  Vous  n'imitez  que  le  mal.  Ils  fréquentaient 
les  églises,  et  déposant  leur  diadème  ils  adoraient 
à  genoux  Jésus-Christ. 

julien.  Eh!  laissez-moi  libre  sur  ce  point. 

jean.  Voici  comment  vous  ne  leur  ressemblez 
point. 

paul.  En  honorant  le  Créateur,  ils  rehaussaient 
la  dignité  impériale;  ils  la  béatifiaient  par  l'éclat  de 
leur  vertu  et  de  leur  sainteté;  to:i     leur  réussissait 
à  souhait,  el  ils  étaient  des  hommes  forts. 
;  guLii  n.  Et  moi,  donc. 

jean.  Non  pas  de  même  :  car  la  grâce  de  Dieu  é  ail 
toujours  avec  eux. 

julien.  Niaiseries!  N'ai-je  pas  jadis  élé  assez  sim- 
ple pour  suivre  de  telles  pratiques?  J'ai  été  clerc  dans 
l'Eglise... 

jean.  Hé!  Paul  !  il  est  bon,  le  clerc! 

paul.  Chapelain  du  diable. 

julien.  Mais,  m'apeicevant  qu'il  n'y  avait  là  rien  à 
gagner,  je  me  soumis  au  culte  des  dieux,  el  leur  bonté 
m'a  élevé  au  faîte  du  pouvoir. 

jean.  Vous  nous  avez  interrompu  pour  ne  pas  en- 
tendre l'éloge  des  jnsles. 

julien.  Eh!  que  m'importe? 

paul.  Rien.  Mais  nous  ajouterons  ce  qui  vous  re- 
garde. Ainsi,  le  inonde  n'étant  plus  digne  de  les  pos- 

nes.  J'ajoute  que  les  Aclcs  de  Gallicanus  et  de  (S.) 
Jean  el  (S.)  Paul,  qui  sont  réunis  en  une  même 
relation,  ont  élé  cependant  coupés  dans  les  Acta 
tanclorum  et  séparés  par  l'intervalle  d'un  jour  dans 
les  cérémonies  de  l'Eglise.  Je  pense,  en  définitive, 
que  IIrolsvilha  a  tiré  de  celte  légende  complexe,  non 
pas  un  drame  en  deux  actes,  mais  deux  pièces  qui 
se  suivent  à  peu  près  comme  dans  Shakespeare  les 
diverses  parues  de.  Henri  IV.  Si  mène  je  n'ai  pas 
l'ail  de G'aMcamis el  du  Martyre  de  S.  Jean  el  S.  Vaut 
deux  œuvres  entièrement  distinctes,  c'est  que  ces 
deux  pièces  oui  un  argument  qui  leur  est  commun 
el  qui  les  lie,  jusqu'à  un  certain  point,  l'une  à  l'au- 
tre. >  (Id.) 

(172)  «  Celte  r.iilleric  sacrilège  de  l'empereur  Ju- 
lien est  mol  pour  mol  dans  la  légende.  >  (In  ) 


591 


6  AL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


GAU 


9î 


se  1er,  ils  oni  été  enlevés  parmi  les  anges,  el  la  mal- 
heureuse république  est  restée  sous  voire  commande- 
nient. 

julien.  Et  comment  malheureuse  à  présent? 

jean.  A  cause  de  son  chef. 

taul.  Vous  avez  abandonné  loulepiélé,  vous  avez 
imité  les  superstitions  des  idolâtres  :  c'est  à  cause 
de  celle  iniquité  «pie  nous  nous  sommes  retirés  de 
voire  présence  el  de  la  fréquentation  des  vôtres. 

julien.  Eli  bien  !  quoique  en  beaucoup  de  choses 
vous  m'ayez  largement  maltraité,  néanmoins  je  fais 
grâce  à  votre  audace,  el  je  désire  vous  élever  aux 
premières  dignités  de  ce  palais. 

jean.  N'ayez  point  ce  souci,  ni  les  menaces  ni  les 
caresses  ne  nous  vaincront. 

julien.  Je  vous  donne  un  délai  de  dix  jours  pour 
venir  enfin  à  nous,  el  rentrer  en  grâce  devant  notre 
grandeur;  s'il  en  était  autrement,  j'agirais  pour  n'é- 
ire  jamais  plus  l'objet  de  vos  risées. 

paul.  Ce  que  vous  avez  à  faire,  faites-le  mainte- 
nant, car  vous  ne  nous  ramènerez  jamais  ni  à  vos 
audiences,  ni  dans  ce  palais,  ni  au  culle  des  dieux. 

julien.  Allez,  retirez-vous  el  pesez  mes  avis. 

jean.  Si  nous  ne  méprisons  pas  le  délai  accordé, 
c'est  <pie  nous  donnerons  pendant  ce  temps-là  tons 
nos  soins  au  ciel,  et  que  nous  nous  recommanderons 
à  Dieu  par  le  jeûne  et  la  prière. 

paul.  Vraiment  oui  (1~3). 

SCÈNE  VI, 

JULIEN,  TÉRENTIEN. 

julien.  Allez,  Térenlicn;  prenez  avec  vous  des 
soldais,  forcez  Jean  el  Paul  de  sacrifier  au  dieu  Ju- 
piter. S  ils  s'obstinent ,  s'ils  refusent,  qu'ils  soient 
mis  à  mort,  non  pas  en  public,  mais  irès-secrèie- 
menl,  car  ils  ont  été  officiers  du  palais. 

SCÈNE  VII. 

TÉRENTIEN,  PAUL  et   JEAN,  SOLDATS. 

Térentien.  L'empereur  Julien,  mon  maître,  vous 
envoie  à  vous,  Jean,  et  à  vous,  Paul,  dans  sa  clé- 
mence, celle  statue  d'or  de  Jupiter,  à  qui  vous  avez 
à  offrir  de  bonne  grâce  l'encens.  Si  vous  refusiez, 
vous  seriez  sous  le  coup  de  la  mort. 

jean.  Puisque  Julien  esl  voire  maître,  soye-  en 
paix  avec  lui  et  usez  de  sa  faveur.  Nous,  nous  n'a- 
vons d'autre  maître  que  Jésus-Christ,  pour  l'autour 
duquel  nous  souhaitons  la  mort,  aliu  d'obtenir  la 
jouissance  des  joies  éternelles. 

térentien.  Qu'allendez-voiis,  soldats?  Tirez  l'épée 
el  tuez  ces  rebelles  à  l'empereur  et  aux  dieux.  Sitôt 
morts,  enterrez-les  dans  la  maison,  et  ne  laissez  au- 
cune trace  de  sang. 

les  soldats.  El  que  dirons-nous,  quand  on  nous 
interrogera? 

térentien.  Meniez,  pour  qu'on  les  croie  envoyés 
en  exil. 

jean  et  paul.  0  toi,  Christ  !  qui  règnes  avec  le 
Père  el  le  Saint-Esprit!  Dieu  unique  !  nous  l'invo- 
quons dans  ce  péril ,  nous  le  bénissons  dans  la  mort  ! 
Oli  !  prends  nos  ànies,  chassées  pour  loi  de  leur  de- 
meure de  bouel 

SCÈNE  VI! I. 

TÉUENTIEN,  TROUPE  DE  CHRETIENS. 

térentien.  Hélas  !  hélas  !  hélas!  0  chrétiens  !  quel 
mal  a  donc  mon  fils  unique  ? 

(175)  Celle  scène  a  été  fidèlement  et  élégamment 
traduite  par  M.  Villemain,  dans  son  Tableau  de.  la 
Jilléralure  au  moyen  âge  (Paris,  1850,  t.  II,  p.  252). 
C'est  uri  modèle  achevé,  que  nous  aurions  élé  heureux 
île  pouvoir  suivre  de  loin.  «  lliotsvitha,  dit  l'éloquent 
critique,  fait  habilement  parler  Julien.  H  y  a  là  un 
sentiment  vrai  de  Ph1>loire.  Julien  ne  se  mon're  pas 


les  chrétiens.  Il  grince  des  dents,  il  écume,  il 
roule  des  yeux  furieux.  Il  est  la  proie  du  démon. 

térentien.  Malheur  à  son  père!  Et  où  est-il  dan* 
ces  transports  ? 

les  chrétiens.  Devant  les  tombeaux  des  martyr*» 
Jean  el  Paul.  H  se  Iraîne  à  (erre.  Il  s'écrie  que  c'est 
à  leur  demande  qu'il  doit  ses  tourments. 

térentien.  C'est  ma  faute,  c'est  mon  crime.  Car, 
à  ma  voix ,  par  mon  ordre,  l'infortuné  a  mis  ses 
mains  impies  sur  les  saints  martyrs. 

les  chrétiens.  Si  c'est  par  vos  conseils  qu'il  a 
failli,  vous  souffrez  avec  le  mal  ses  maux  expia- 
toires, 

térentien.  Moi,  je  n'ai  qu'obéi  aux  ordres  de  Ju- 
lien, le  plus  impie  des  empereurs. 

les  chrétiens.  Ah  !  c'est  donc  pour  cela  que  lui- 
même  est  frappé  de  la  colère  divine. 

térentien.  Je  le  sais,  et  n'en  tremble  que  plu% 
car  je  me  souviens  que  nul  ennemi  des  serviteurs  de 
Dieu  n'échappe  au  châtiment. 

les  chrétiens.  C'est  vrai. 

térentien.  Mais  si,  à  l'instant,  dans  le  repentir  de 
mon  forfait,  je  me  jelais  à  genoux  devant  les  saints 
tombeaux? 

les  chrétiens.  "Vous  mériteriez  grâce ,  surtout  si 
vous  étiez  purifié  par  le  baptême. 

SCÈNE  IX. 

TÉRENTIEN,  LES   CHRÉTIENS     LE   FILS   LE 
TÉRENTIEN. 

térentien.  Glorieux  léuioins  du  Christ,  Jean  et 
Paul,  suivez  l'exemple  et  les  préceptes  du  Maître  el 
priez  pour  le  péché  des  bourreaux.  Ayez  pitié  des 
angoisses  d'un  père,  de  la  misère  d'un  enfant  fréné- 
tique. Tous  deux,  purifiés  par  l'eau  du  baplème, 
nous  persévérerons  dans  la  foi  de  la  sainte  Trinité. 

les  chrétiens,  Tércniien,  plus  de  larmes,  plus 
d'angoisses  du  cœur.  Voyez,  voire  fils  revient  à  lui 
et  reçoit  la  santé  par  l'intercession  des  martyrs. 

térentien.  Grâces  soient  rendues  au  Roi  de  l'éler- 
nilé,  qui  accorde  la nt  de  gloire  à  ses  soldais,  que 
non  seulement  leurs  âmes  sont  heureuses  dans  le 
ciel,  mais  qu'au  fond  du  sépulcre  leurs  os  inanimé.? 
aient  l'éclat  des  miracles  comme  témoignage  de  leur 
sainteté,  avec  l'aide  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ 
qui  vil  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen! 

GAUD1NE  (La  marquise  de  la)  —  La 
marquise  de  la  Gaudine  est  tirée  du  manus- 
crit des  miracles  de  Notre-Dame,  I"  volume, 
{"  115.  (Bibl.  Imi).,  u°  7208  k  A  et  4  B.) 

Il  y  est  intitulé:  De  la  marquise  de  /<* 
Gaudine  qui,  par  Vaccusement  de  l'oncle  de 
son  mari,  auquel  son  mari  l'avoit  commise  à 
garder,  fu  coudampnée  à  ardoir.  Dom  Anlhé- 
nor  par  le  commandement  de  Noslre-Dame , 
s'en  combat i  à  V oncle  et  le  desconfit  en  champ. 

Le  manuscrit  d'où  ce  drame  est  tiré  en 
contient  quarante,  et  date  du  xive  siècle. 

Cette  pièce  est  restée  inédile. 

Nous  en  donnons  une  analyse  empruntée 
à  M.  O.  Leroy. 

Tandis  que  son  mari  voyage  au  loin,  la 
marquise  de  la  Gaudine  reste,  dans  son 
château  sous  la  tutelle  d'un  oncle.  Celui-ci 
est  un   méchant  homme,  qui,    pour  tirer 

un  féroce  el  slupide  persécuteur...  >  Je  regrette  d'a- 
voir à  atténuer  un  peu  tel  éloge  donné  à  Hrolsvi- 
llia  par  un  aussi  excellent  juge;  mais  la  vérité  m'o- 
blige à  dire  que  les  meilleurs  traits  du  dialogue  en- 
lre  Julien  ci  les  deux  mar./rs  appartiennent  au  lé- 
gendaire, (lo  ) 


303 


G  AU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


G  EN 


3tU 


vengeance  de  sa  nièce,  à  qui  on  ne  sait  trop 
ce  qu'il  reproche, lait  cacher  dans  sa  chambre 
à  coucher  un*nain  contrefait  et  va  chercher 
deux  chevaliers  à  qui  il  dénonce  l'infamie 
prétendue  de  sa  nièce.  «  Le  nain  est  trouvé-, 
dans  la  chambre,  et  le  calomniateur,  afin  de 
s'assurer  de  sa  discrétion,  le  tue  lui-même, 
en  présence  de  la  marquise.  N'ayant  plus 
alors  que  ses  accusateurs  et  personne  pour 
la  défendre,  elle  est  jetée  dans  une  prison 
obscure,  et  au  retour  de  son  mari,  qui  finit 
par  la  croire  coupable,  elle  est  condamnée 
à  être  brûlée  vive. 

«  Un  chevalier,  Anthénor,  à  qui  elle  a 
sauvé  la  vie  en  lui  permettant  de  la  nommer 
sa  dame,  arrive  h  la  Gaudine.  C'est  le  nom 
du  chûteau....  il  demande  a  l'hôte  chez  qui 
^descend,  des  nouvelles  de  la  belle  châte- 
laine. L'hôte  lui  répond  qu  'elje  a  commis 
une  grande  faute. 

El  a  ardoir  (être  brûlée)  est  condanipnée, 
Dont  le  peuple,  plus  de  cent  mille, 
Pleure  et  gémit  aval  la  v'.lle, 
Car  un  chacun  de  cuer  l'ainoil 
Pour  les  grans  biens  qu'elle  faisoil  : 
N'avoitcure  de  nulle  triche, 
Ains  csloit  au  povre  et  au  riche 
Ooulce  et  coarloyse... 

«  Anthénor,  demeuré  seul,  et  brûlant.... 
<le  sauver  au  péril  de  ses  jours,  une  femm^ 
qu'il  ne  peut  croire  coupable,  s'adresse  à  la 
Vierge  qui  le  confirme  dans  sa  résolution. 
Pendant  qu'il  revêt  son  armure,  il  se  couvre 
le  visage  de  sa  visière,  car  il  a....  des  rai- 
sons pour  n'être  pas  connu,  l'hôte  lui  vient 
décrire  le  convoi  funèbre... 

Las!  Sirej'ayveu  madame 
Bailler  au  hourrel  en  ses  mains 
El  il  n'en  fait  ne  plus  ne  mains 
Qu'il  ferait  d'une  povie  g...., 
Mener  la  veult  où  sera  aise  (brûlée) 
Tout  le  monde  la  plaint  et  pleure... 

«  Un  peu  plus  loin,  il  nous  la  montre, 

llaull  assise 
En  la  charrette  et  de  ici  guise 
Que  de  louz  puist  eslre  veue. 

«  Les  chevaliers  qui  accompagnent  l'in- 
fortunée, lui  disent  de  recommander  son 
âme  à  Dieu.  Elle  répond  : 

Puez  Dieu  qu'il  me  tiengne   en  foy, 
Car  je  sui  innocente  el  pure 
Du  l'ail  pourquoy  à  tel  laidure 
Sui  démenée. 

«  Aucun  prêtre  n'assiste  au  moment  su- 
prême de  la  marquise...  nous  sommes  arri- 
vés au  lieu  du  supplice... 

anthenob  (aux  chevaliers). 
Je  dy,  sans  plus  avant  aler, 
Qu'à  lorl  condampnez  ceslc  dame.  . 
Qui  ose  dire  du  contraire 
Je  sui  presl  de  l'espée  traire 
El  moi  combattre. 

le  marquis  (à  l'oncle). 

BJanx  oncles,  il  vous  faut  débattre 
Ge  qu'il  dit.  L'avez  enlendu? 
Respondez  ;  n'y  ail  attendu. 
Le  fait  vous  louche. 

Dictionn.  des  Mystères. 


CNCLE. 

Diaux  niez  (neveux),  il  mcnl  parmi  lal)fiuche. 
Qui  es- lu?  Dy. 

ANTHENOR. 

Oui  je  sui?  Ne  vous  chaille  qui. 
Tant  y  a,  je  suis  chevalier, 
Et  plus  dire  ne.  vous  en  quier. 
Mais  vezci  mon  gage  pour  elle... 

l'oncle 

Je  dy  que  lu  mens 

Et  que  bons  est  li  jugemens 
Vezci  mon  gant. 

«  Les  deux  champions...  se  battent  sur  la 
scène.  L'oncle  coupable.,  se  voyant  terrassé 
par  son  adversaire,  crie  que  la  partie  n'est 
point  égale  : 

Il  est  jonnes,  je  sui  jà  viex! 

«  Avoue  que  tu  as  calomnié  cette  dam;>, 
«  lui  dit  Anthénor,  ouje  t'enfonce  ce  fer 
«  dans  la  gorge.  » 

«  Après  s'être  bien  débattu,  le  calomnia- 
teur confesse  son  crime,  et  tandis  que  la 
marquise  est  mise  en  liberté,  il  est,  lui, 
envové  en  prison...  »  (0.  Leroy,  Etudes  sur 
les  mystères;  Paris,  1837,  in-8°,  p.  90-102.) 

GÈDEON.  —  M.  Chabailles,  dans  son 
édition  des  mystères  de  saint  Crépin  (Paris, 
1836,  in -8°)  cite  parmi  les  pièces  apparte- 
nant au  théâtre  religieux  le  Combat  de  Gti- 
déon  du  P.  Souffrand. 

On  trouve  en  effet,  sous  les  dates  de  1£10 
et    1616,    et    non  do   1626,  un    petit  l'ivre 
intitulé  : 
Levictorieux  et  triomphant  combat  deGédéon, 

représenté  à  Paris  au  jour  de  la  Passion  du 

Fils  de  Dieu,  en  l'an  1612,  en  l'église  de  St- 

Séverin,  en  présence  de  la  sérénissime  reyne 

Marguerite ,  par  le  R.  P.  Souffrand  de  la 

compagnie  de  Jésus...  Paris,  1616,  m-16. 

Mais  ce  combat  de  Gédéon...  représenté... 
n'est  pas  un  drame  :   c'est  un  sermon. 

Un  sermon  du  temps,  divisé  en  trois  par- 
ties :  «  En  la  première,  vous  avez  le  iracasse- 
ment  des  cruches...  En  la  deuxième,  le  son 
cl  le  résonnement  des  trompettes....  »  Ser- 
mon bizarrre,  alambiqué ,  mais  qui  ne 
manque  ni  de  force  ni  de  pathétique. 

GEFFROY  ou  Geoffroy  (  L'abbé).—  Voy. 
Sainte  Catherine  (Le jeu  de). 

GENEVIÈVE  (Sainte).  --  Les  miracles 
de  sainte  Geneviève  sont  tirés  du  manuscrit 
de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève  k  Paris. 

Ce  mystère  date  du  xv  siècle. 

Le  texte  en  a  été  publié  par  M.  Achille 
Jubinal,  dans  ses  mystères  inédits  du  xv' 
siècle  (Paris,  Téchener,  1837,  in-8°,  2  vol., 
t.  1er,  p.  1 69-304). 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  ïhis- 
toire  de  France  (Paris,  1843,  iu-8",  p.  269- 
305)  a  considéré  le  Mystère  de  sainte  Gene- 
viève comme  ayant  les  plus  étroites  analogies 
avec  l'histoire  de  Jeanne  d'Arc.  La  date  de 
1 450  environ  qu'indiquent  la  diction  et 
l'écriture  du  manuscrit,  et  qui  esl  celle  du 
commencement  du  procès  en  révision  do 
Jeanne  d'Arc,  contraignait  le  vieux  (trama 
liste  à  des  ménagements  tels  qu'il  a  dû  c^ 

13 


3<n 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CEN 


530 


cher  sa  pensée  sous  le  nom  de  sainte  Gene- 
viève, mais  les  ravages  d'Attila  ne  sont  que 
la  peinture  des  dévastations  anglaises  et  les 
invocations  de  Geneviève  aux  saints  patrons 
de  la  France,  sont  celles  que,  dans  son  pro- 
cès, on  reprocha  à  Jeanne  Saint  Denis  dé- 
plorant le  déclin  de  la  France,  s'entend 
évidemment  du  xy'  siècle  et  non  du  ve.  Quel 
serait  le  roi  de  Paris  au  v'  siècle?  Gomment 
accuser  d'ignorance  sainte  Geneviève  dont 
la  légende  célèbre  la  science;  Jeanne  d'Arc, 
au  contraire,  de  clergie  ne  scet  lettre.  C'est 
pour  la  pucelle  d'Orléans  et  non  pour  sainte 
Geneviève,  qu'est  faite  l'atroce  proposition 
du  supplice  du  feu.  Enfin  tout  porte  à  croire 
que  ce  drame  fut  joué  a  Paris  avant  la  réha- 
bilitation de  Jeanne  d'Arc,  d<ins  le  temps 
où  l'esprit  public  était  le  plus  changé  en  sa 
faveur;  qu'il  fut  l'œuvre  de  quelque  écolier 
de  Sainte-Geneviève,  voulant  relever  ses 
écoles  de  la  défaveur  de  l'abandon  qu'elles 
avaient  fait  de  l'héroïne  ;  on  y  sent  le  style 
châtié  et  la  diction  d'un  universitaire. 

Auparavant  la  Bibliothèque  du  théâtre  fran- 
çois,  ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Valière 
(  Dresde,  1708,  in-8%  3  vol.,  t.  1"  p.  36),  en 
avait  donné  l'analyse  suivante  que  nous  re- 
produisons en  substance. 

Le  Mystère  de  sainte  Geneviève  est  divisé 
en  onze  miracles,  qui  ont  tous  une  action  et 
ua  sujet  ditrérenls:  les  actions  y  changent, 
et  chaque  miracle  peut  être  regardé  comme 
un  mystère  particulier. 

En  voie'  'es  sujets  : 

1°  La  mère  de  sainte  Geneviève...  accou- 
che... Les  anges  chantent  une  hymne.  Saint 
Germain  exhorte  saint  Loup  et  saint  Rémi  à 
aile  r  en  Angleterre  poury  détruire  l'hérésie: 
il  leur  fait  voir  sainte  Geneviève,  qui  passe 
déjà  pour  une  fille  fort  dévote... 

2°  Sainte  Geneviève  demande  à  sa  mère 
Geronce  la  permission  de  la  suivre  à  l'église: 
elle  la  lui  refuse,  et  lui  donne  môme  un 
soufflet  :  elle  devient  aveugle  dans  le  mo- 
ment. Sainte  Geneviève  se  met  en  prières; 
après,  elle  prend  de  l'eau  de  puits,  la  bénit, 
et  en  frotte  les  yeux  de  sa  mère,  qui  sur-le- 
champ  recouvre  la  vue. 

3°  Après  la  mort  de  son  père  et  de  sa 
mère,  sainte  Geneviève  part  pour  Paris:  elle 
s'arrête  dans  un  lieu  où  était  un  autel  avec 
une  image  de  la  Vierge  :  elle  s'y  met  en 
oraison.  Sainte  Céline  la  trouve  dans  ce  pieux 
exercice  et  lui  demande  la  permission  de 
vivre  avec  elle.  Elle  lui  raconte  que,  depuis 
deux  ans, sa  servante  Margot  est  malade  dans 
son  lit,  sans  en  pouvoir  sortir.  Sainte  Gene- 
viève va  voir  cette  fille,  fait  le  signede  la  croix 
sur  elle,  et  lui  dit  de  se  lever.  Margot  se 
lève,  ne  sentant  plus  de  douleurs,  et  abso- 
lument guérie.  Elle  fait  vœu  do  chasteté. 

4°  Attila,  qui  désolait  la  France,  marche 
pour  faire  le  siège  de  Paris.  Les  habitants 
de  celte  ville  sont  dans  le  plus  grand  effroi. 
Sainte  Geneviève  se  met  en  prières,  pour 
implorer  en  leur  faveur  le  secours  divin. 
Elle  intéresse  plusieurs  saints,  qui  joignent 
leurs  prières  aux  siennes.  La  Vierge  se  fait 
beaucoup  prier  pour  être  favorable  aux  Pa- 


risiens; enfin,  elle  intercède  pour  eux  au- 
près de  Jésus...  Jésus-Christ,  irrité  contre 
les  vices  des  Parisiens,  a  bien  de  la  peine  à 
accordera  sa  mère  ce  qu'elle  lui  demande. 
A  la  fin,  cependant,  il  lui  promet  de  sauver 
Paris  des  fureurs  d'Attila.  Sainte  Geneviève 
annonce  cette  bonne  nouvelle  aux  Parisiens  : 
mais  ceux-ci,  au  lieu  de  lui  témoigner  delà 
reconnaissance,  la  prennent  pour  une  sor- 
cière et  veulent  la  faire  mourir.  Ils  disputent 
sut  le  genre  de  mort  qu'ils  lui  feront  souf- 
frir, quand  tout  à  coui'1'archidiacred'Auxerre 
arrive  et  les  détourne  de  ce  projet  barbare. 

5°  Sainte  Geneviève  est  malade  et  près 
d'expirer.  Dieu  détache  son  âme  de  son 
corps  et  lui  fait  voir  les  peines  de  l'enfer  et 
les  délices  du  paradis;  ensuite  il  remet  son 
âme  a  sa  place.  Sainte  Geneviève  guérie  se 
lève,  remercie  Dieu  et  raconte  sa  vision  à 
sainte  Céline  et  à  Margot. 

6°  Une  nonain,  de  Bourges,  vient  visiter 
sainte  Geneviève,  qui...  lui  conseille...  de 
faire  pénitence.  La  nonain,  sur-le-champ, 
va  trouver  l'évèque...  Elle  témoigne  le  plus 
sincère  repentir,  obtient  l'absolution  et  fait 
la  plus  austère  pénitence. 

T  Un  enfant,  endormi  sur  le  bord  d'un 
puits,  y  est  précipité  par  les  diables.  La 
mère  a  recours  à  sainte  Geneviève,  qui  im- 
plore la  bonté  de  Jésus-Christ.  Dieu  oi donne 
ù  Michel  et  à  Raphaël  de  retirer  des  mains 
des  diables  l'âme  de  cet  enfant,...  et  l'enfant 
est  ressuscité.... 

8°  Nous  empruntons  à  M.  O.  Leroy  (Epo- 
ques de  l'Iiistuire  de  /<>.,  Paris  1843,  iu-8", 
p.  423)  le  compte-rendu  de  la  scène  sui- 
vante : 

«  Un  bourgeois  d'Orléans,  de  l'humeur  la 
pms  violente,  poursuit  un  de  ses  esclaves, 
dont  il  croit  avoir  à  se  plaindre,  et  prétend 
le  faire  mourir.  L'infortuné  vient  se  jeter 
aux  genoux  de  la  sainte,  en  la  conjurant 
d'arrêter  la  fureur  de  son  maître.  C'est  ce 
qu'elle  tente...  Elle  s'adresse  au  m;iître , 
après  avoir  dit  au  pauvre  serviteur  de  se 
tenir  en  oraison: 

GENF.VltVE. 

Vaillant  seigneur,  adouciez 

Pour  l'amour  de  Dieu  votre  cole  {co'h?) 

Selon  la  divine  parole, 

Qui  sans  pitié  tourmentera. 

Sans  pitié  tourmenté  sera  : 

Doncques  pardon  et  grâce  face  (fusse) 

Qui  veut  avoir  pardon  et  grâce. 

«Malgré  la  dureté  avec  laqmJle  il  lui 
répond, 

Daller  faire  ses  presthemens 
Ailleurs  qu'aux  bourgeois  d'Orléans, 

«  La  sainto  continue,  et  bientôt  après  le 
furibond...  pardonne  à  son  serviteur... 

Chière  dame,  soiez  certaine 
Que  jainez  ne  le  gréveray, 
Ainçois  moult  de  biens  ly  leray 
Pour  l'amour  de  vostre  personne  , 
El  dès  maintenant  ly  pardonne. 

«  Sainte  Geneviève  s'adresse  ensuite  au 
serviteur  et  lui  rappelle  ses  devoirs: 


59" 


CEN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CEO 


508 


Avec  voslrc  maislre  en  yrez, 
Et  loyaumeni  le  servirez. 
Soyez  prest  el  obcdicnt, 
Doulx  et  courtois  el  pacienl. .. 
Honiiourez  el  maislre  cl  mai  tresse 
Oyez  les  sermons  et  la  messe, 
Quand  vous  pourrez,  par  leur  licence 
Dieu  vous  octroi l  grâce  el  science 
Eu  toul  bien.  Adieu  niez  amis...  > 

9"  S;iinte  Geneviève  veut  bâtir  une  enlise 
€n  l'honneur  de  saint  Denys.  Elle  y  trouve 
beaucoup  de  dilficultés.  Entre  autres,  on  lui 
représente  qu'on  n'a  point  de  chaux.  Elle 
ordonne  aussitôt  à  deux  hommes  d'aller  à 
Paris,  sur  le  grand  pont,  et  de  lui  rapporter 
ce  qu'ils  y  entendraientdire.  Ils  y  rencontrent 
deux  bourgeois,  dont  l'un  disait  à  l'autre 
nue,  sous  Montmartre,  on  venait  de  décou- 
vrir deux  fourneaux  de  chaux.  La  sainte  en 
envoie  chercher  el  fait  travailler  les  ouvrieis. 
Ils  se  senleut  bientôt  pressés  par  la  soif:  on 
*:■  chercher  des  barils  d'eau  ;  sainte  Gene- 
viève ies  change  en  vin... 

10°  Un  boiteux,  un  hydropique,  un  bossu, 
un  fiévreux,  un  aveugle  el  quelques  autres 
malades  font  à  sainte  Geneviève  le  récit  des 
différents  maux  qu'ils  souffrent.  Par  ses 
[trières,  elle  obtient  de  Dieu  leur  guérison: 
ils  s'en  retournent  tous  chez  eux,  en  chan- 
tant les  louanges  du  Seigneur. 

11°  Une  vieille  débauchée  vole  les  souliers 
de  sainte  Geneviève,  et  devient  aveugle  pour 
avoir  commis  ce  crime.  Elle  vient  demander 
pardon  à  la  sainte,  et  recouvre  la  vue  par 
son  intercession  :  sainte  Geneviève  la  prêche 
ensuite,  lui  fail  voir  toute  l'horreur  de  la 
vie  qu'elle  mène,  et  enfin  la  convertit.  La 
vieille,  pénétrée  des  sages  discours  de  sainle 
Geneviève,  va  se  jeter  aux  pieds  de  l'évoque 
de  Paris,  lui  fait  sa  confession  générale, 
obtient  l'absolution,  et  mène  après  la  vie  la 
plus  exemplaire.  » 

GENEVIÈVE  [  Manuscrit  de  la  Bibliolhè- 
q»ie  de  SAINTE}.  —  M.  Achille  Jubinal  a 
publié  en  1837,  à  Paris,  chez  Téchener,  place 
du  Louvre,  sous  le  titre  de  Mystères  inédits 
du  xv'  siècle  (2  vol.  in-8°),  le  contenu  d'un 
manuscrit,  signalé  en  1768  dans  la  Biblio- 
thèque du  théâtre  françois,  ouvrage  généra- 
lement attribué  à  la  plume  élégante  du  duc 
de  La  Vallière.  (Dresde,  Michel  Groell,  1768, 
in-8%  3  vol.) 

Le  manuscrit  el  l'édition  de  M.  Jubinal 
contiennent:  Saint  Etienne  (\Le  martyre  de). 

—  Saint  Paul  (La  conversion  de).  —  Saint 
Denis  {La  conversion  de).  —  Saint  Pirrbb  et 
saint  Paul  [Le  martyre  de). —  Saint  Denis 
(Le  martyre  de).  —  Sainte  Geneviève  (Les 
miracles  de  Madame).  —  Saint  Fiacre  (La  rie 
de  Monseigneur  )  —  Nativité  de  Nothe-Sei- 
GNEin  Jésis-Christ  (  La  ). — Tnois  Uois  (Le 
jeu  des  ). —  Passion  de  Notue-Seigneuh  (  La  ; 

—  Résurrection  dk  Notre-Seigni.lu  (  La). 

«  M.  Jubinal ,  a  dit,  avec  sa  légèreté  ha- 
bituelle, M.  Villemain  (Journ.  des  Sav.  1833, 
Avril,  p.  205  ),  dans  les  deux  volumes  de 
mystères  inédits  qu'il  a...  publiés  ,  n'a  com- 
pris que  des  pièces  du  xv*  siècle ,  et  des 
pièces  tontes  religieuses...  Ces  drames  ,  cu- 


rieux dans  leur  forme  grossière,  n'offrent 
rien  qui  sorte  du  cadre  de  la  légende  dia- 
loguée,  rien  qui  se  rapporte  a  la  société 
politique  du  temps,  rien  qui,  de  près  ou 
de  loin  ,  puisse  donner  l'idée  de  ia  tragédie 
nationale ,  comme  on  dit  aujourd'hui.  » 

GEORGES  (  Saint  ).  —  On  lit  dans  le  Jour- 
val  général  de  l'Instruction  publique  (  n°  70, 
2juillet  1835, p.  351)  rendant  compte  ducours 
de  M.  Magnin,  professé  h  la  Faculté  des  let- 
tres ,  1834-1836  ,  le  fragment  suivant  d'une 
scène  dramatique  ayant  trait  à  saint  Geor- 
ges. 

«  Voici  une  de  ces  légendes  telle  qu'elle 
était  représentée  dans  le  pays  de  Cornouail- 
les  à  la  fête  de  Noël  : 

(Entre  le  chevalier  turc.) 

le  caEVALiER  turc.  Ouvrez  vos  portes  et  laissez- 
nioi  entrer;  j'espère  gagner  votre  faveur  :  que  je 
sois  vainqueur  ou  que  je  succombe,  je  (Vrai  de  mon 
mieux  pour  vous  plaire  à  tous;  saint  Georges  esl  ici 
el  jure  qu'il  entrera;  s'il  le  fait,  je  sais  qu'il  perce- 
ra ma  peau;  si  vous  ne  croyez  pas  ce  que  je  dis, 
que  le  Père  Noël  entre.  Ouvrez  le  passage  !  [Exi:.) 

(Entre  le  Père  Noël  [l'allier  Christuias].) 

i.e  père  nof.l.  Me  voici  le  vieux  Père  Noël,  tiien- 
venu  ou  non  ;  j'espère  que  le  père  Noël  ne  sera  ja- 
mais oublié.  Je  ne  suis  pas  venu  ici  pour  riic  ou  pour 
plaisanter,  mais  pour  avoir  plein  ma  poche  d'argent, 
et  plein  mon  outre  de  bière.  Si  vous  ne  croyez  pas 
ce  que  je  vous  dis,  que  te  roi  d'Egyple  vienne.;  el 
ouvrez-lui  le  passage  ! 

(Entre  te  roi  d'Egypte.) 

le  roi.  Moi,  le  roi  d'Egyple,  je  parais  Hardiment. 
Sainl  Georges,  saint  Georges,  entrez,  vous,  mon  fils 
unique,  mon  seul  héritier.  Entrez,  mon  fils  Georges, 
et  jouez  admirablement  voire  rôle;  que  lous  ceux 
qui  sont  ici  voient  votre  art  merveilleux. 

{Entre  S.  Georges-.) 

saint  georges.  Me  voici  moi,  saint  Georges.  Je 
viens  de  la  Grande-Bretagne.  Je  combattrai  le  dra- 
gon; pour  commencer  mes  merveilles,  je  lui  cou- 
perai les  ailes,  il  ne  volera  plus,  je  l'abattrai  ou  je 
périrai. 

(Entre  le  dragon.)  é 

le  uraCON.  Qui  demande  le  sang  du  dragon  ?  qui 
appelle  si  haut  et  avec  fureur?  Ce  chien  d'anglais 
osera-l  il  tenir  devant  moi?  Je  l'abattrai  de  ma 
main  courageuse  avec  mes  longues  dents  cl  ma  mâ- 
choire scorbutique. 

(Combat  entre  saint  Georges  et  te  dragon;  celui-ci  est 
blessé  mortellement.  Le  père  Noét  appelle  un  doc- 
leur,  le  docteur  guérit  le  dragon.  Second  combat 
ilmis  lequel  ce  dernier  succombe  de  nouveau). 

saint  georges.  Me  voici  moi,  saint  Georges! 
digne  el  hardi  champion,  avec  mon  cpée  et  ma  lance, 
j'ai  gagné  Irois  couronnes  d'or.  J'ai  combattu  la 
fougueux  dragon  elje  l'ai  massacre;  par  là  j'ai  ob- 
tenu la  belle  Sabra,  la  tille  du  roi  d'Egyple. 

(Le  chevalier  turc  s'avance:) 

le  chevalier  tcrc.  Me  voiei  le  chevalier  litre, 
venu  de  la  Turquie  pour  combattre;  ie  combattrai 
sainl  Georges  qui  esl  mon  ennemi. 

saint  Georges.  Où  e?t  le  turc  qui  veut  me  résis- 
ter? Je  le  renverserai  de  ma  main  courageuse. 

(/7s  combattent,  le  chevalier  turc  esl  laincu,  et  de~ 
mande  à  être  l'esclave  de  saint  George»;  ils  cc.m- 
baiteiil  une  seconde  fois  el  le  turc  est  niçl 

(Entre  le  géant  Turpin.) 
TCRriv  Me  voit  i  !e  hardi  géant,  Turpin  e»t  mou 


799 


cm 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CRI 


400 


non»;  loules  les  nations  J'alcnlour  Ireniblenl  à  mon 

nom  seul. 
saint  ceorges.  En   voici  mi  qui  ose  le  regarder 

en   face  el  qui   l'enverra  bientôt   dans   un    autre 

monde. 

(Ils  combattent,  le  géant  est  tué  et  resstiscilê  comme 
les  deux  précédents  par  le  docteur  auquel,  pour 
toute  récompense,  suivant  l'usage  du  théâtre,  on 
donne  un  coup  de  pied  et  qu'on  met  à  la  porte.) 

«  Le  père  Noël  finit  par  un  appel  à  la 
bourse  des  spectateurs.  » 

GERMAIN  (  Le  mystère  de  saint  ).  —  Ce 
mystère  fut  joué  en  1452  aux  fêtes  de  Pâ- 
ques à  Auxerre  ,  dans  l'église  des  Cordeliers, 
en  présence  de  toute  la  ville.  (L'abbé  Le- 
beuf,  Remorques  envoyées  d' Auxerre,  le  G  dé- 
cembre 1728.  [Mercure  de  France,  1729,  dé- 
cembre', p.  2982 J.)  M.  Magnin,  dans  le  ca- 
hier de  Juin  18i6  du  Journal  des  Savants , 
examinant  le  théâtre  du  moyen  âge,  et  ne 
trouvant  pas  de  preuves  pour  que  les  mys- 
tères en  langue  française  aient  été  repré- 
sentés dans  l'intérieur  des  églises,  se  de- 
mande si  celui  de  saint  Germain  était  latin  ou 
farc i,  c'est-à-dire  mélangé  de  latin  et  de 
français, ou  tout  écrit  en  français. «Peut-être,» 
conjecture-t-il,  «  l'église  des  Cordeliers  ne 
servait-elle  plus  au  culte?  >. 

GOLVERT  D  HUMANITÉ  (Le).—  Duver- 
dier,  (Bibliothèque  françoise ,  p.  635),  donne 
la  note  suivante  ,  répétée  par  les  frères  Par- 
fait sous  la  date  de  1538  (  Hist.  du  Théâtre 
fr.;  Paris,  15  vol.,  in-12,  1745,  t.  111  ,  p. 

151  )  : 

Le  Gouvcrt  d'Humanité ,  composé  par  Jean 

d'Abundance ,  el  imprimé  à  Lyon. 

Voy.  Abundance  (  Jean  d'  ). 

GRESBAN  t(  Arnoul  et  Simon).  —Le  nom 
des  frères  Arnoul  el  Simon  Gresban  est  rat- 
taché pour  jamais  à  l'histoire  des  grands 
drames  de  la  Passion  et  des  Actes  des  apô- 
tres. 

Leur  temps  est  sinon  incertain  ,  du  moins 
ditlicile  à  préciser.  Simon  survécut  à  Ar- 
noul ;  l'un  et  l'autre  ont  vécu  au  milieu  du 
xv'  siècle. 

D'où  étaient-ils  originaires  ?De  Picardie? 
nés  à  Compiègnes?  Pasquier  les  croyait  du 
Mans. 

Arnoul  aurait  été  chanoine  au  Mans. 

Simon  ,  moine  de  saint  Richer,  en  Pon- 
thieu  ,  fut  secrétaire  de  Charles  d'Anjou,  duc 
du  Maine. 

La  rareté  des  documents  sur  les  Gresban, 
ou  Gréban,  fait  qu'on  croirait  écrire  l'his- 
toire de  quelque  auteur  mystérieux  du  vin* 
ou  du  ix'  siècle. 

Arnoul  a  revisé  la  Passion;  Simon  a  mis 
la  dernière  main  aux  Actes  des  apôtres.  — 
Voy.  Passion(£")-  — Actes  des  Apôtres  (Les). 

GR1NG01RE  (Pierre).  —  M.  O.  Leroy, 
dans  ses  Etudes  sur  les  Mystères,  à  propos 
du  saint  Louis,  a  donné  sur  Gringoirc  les 
détails  suivants  : 

«  Pierre  Gringore  ou  Griogoire,  cet  en- 
fant sans  souci,  tour  à  tour  saltimbanque 
ambulant,  et  entrepreneur  de  farces  et  so- 
ties sous  Charles  Vlll  et  Louis  XII,  héraut 
d'armes  du  duc  de  Lorraine,  dans  le  duché 


de  qui  il  était  né,  rimeur  ascétique  plus 
lard  et  dévot  sincère;  à  la  fin  poëte  tragique, 
mais  connu  seulement  jusqu'aujourd'hui 
par  quelques  farces  de  sa  jeunesse,  dans 
l'une  desquelles  il  avait  joué  lui-même  aux 
halles  de  Paris,  le  Pape  Jules  II,  alors  en 
guerre  avec  la  France...  »  (P.  304).  Dans  ses 
écrits,  «  il  n'épargnait  personne,  frappait  à 
droite,  à  gauche,  partout...  Dans  une  de  ses 
farces,  intitulée  le  Jeu  du  Prince  des  sots. 
où  il  jouait  le  premier  rô'c,  il  dit,  en  s'a- 
dressant  au  public  : 

Honneur,  bieugard  ïe<  soiz  et  les  solles: 
Renedicitc  !  que  jen  voy.l 

«  ...  xWais  ses  traits  sont  lourd»,  il  faut  en 
convenir...  Il  y  a  peut-être  un  peu  plus  de 
finesse  dans  le  dialogue  de  la  Sotise  du  Nou- 
veau Monde;  mais  le  sujet,  assez  obscur  au- 
jourd'hui, demanderait  un  long  et  froid  com- 
mentaire...» (P.  305-306.) 

«  Les  farces  de  Gringore,  grâce  aux  tra- 
vestissements des  acteurs,  et  à  la  malignité 
du  public,  obtinrent  plus  de  succès  que"  leur 
auteur  d'estime.  Il  n'avait  laissé  que  la  ré- 
putation d'un  bouffon  satirique...  »  (P.  308.) 

«  En  vain,  pour  se  débarbouiller  de  sou 
plâtre  et  de  sa  farine,  le  Prince  des  sots  se 
plongea-l-il  dans  les  sources  pures  de  l'Ecri- 
ture sainte;  sa  Paraphrase  des  sept  très-pré- 
cieux et  notables  pseaumes  du  royal  prophète 
David,  et  ses  Heures  de  Nostre-Dame  trans- 
latées en  franeoys  et  mises  en  rhytmes,  ne  sont 
aujourd'hui  connues  que  des  amateurs  de 
livres  rares. 

«  Il  est  probable  néanmoins  que  ces  tra- 
vaux de  conscience  procurèrent  à  Gringore 
(outre  l'honneur  d'être  enterré  après  sa  mort 
a  Notre  Dame)  d'estimables  relations...  » 
(P.  309.) 

M.  O.  Leroy  appuie  cette  conjecture  sur 
la  demande  de  la  confrérie  de  Saint-Louis  qui 
donna  lieu  à  Gringore  d'écrire  \avic  monsei- 
gneur saint  Loys. 

Le  même  critique,  dans  ses  Epoques  de 
rhistoire  de  France  (Paris,  1843,  in-8°,  ch. 
9,  p.  393-400.  A  propos  de  l'article  consacré 
par  M.  Villemain  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants (Avril  1838)  aux  Etudes  sur  les  Mys- 
tères, est  revenu  sur  l'auteur  obscur  encore 
de  la  vie  de  saint  Louis. 

«  II  ne  faut  pas  douter,  »  dit-il ,  «  que  le 
nom  de  Gringore  n'ait  contribué  à  laisser, 
plus  de  trois  cents  ans, dans  l'oubli  complet 
où  nous  l'avoiis  trouvé,  le  manuscrit  de  ce 
long  drame...  » 

Et  un  peu  plus  haut  : 

«  Un  devancier  de  Marot,  un  poêle  qui, 
avant  son  dernier  ouvrage,  qu'un  hasard 
heureux  nous  a  fait  connaître,  n'était,  par 
ses  premiers  pas  sur  des  tréteaux,  arrivé 
jusqu'à  nous  que  sous  des  traits  grotesques, 
Gringore,  qui  avait  eu  aussi  la  prétention  de 
réformer  son  siècle,  mais  par  le  ridicule, 
lui,  ce  poëte  de  Louis  XII,  s'était  aussi 
trouvé  dans  sa  carrière  satiriquemenl  scan- 
daleuse, associé  aux  enfants  sans-souci.  Le 
vaurien  qu'il  a  mis  en  scène  (dans  le  mys- 


m 


I1ER 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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tère  de  saint  Louis)  y  est  peint  d'après  na-  de  saint  Guillaume  ermite  n'est  connue  que 

ture  et  avec  un  talent  qu'on  admirerait  dans  par  une  mention  fort  incertaine  de  de  Beau- 

Regnard...  »  (0.  Leroy,  Epoques  de  rhist.  de  champs.    (Recherches    sur    les    théâtres    de 

France;  Paris,  1843,  in-8%  p.  370.)  France;  Paris,  1735,  in  8°,  3  vol.,  T.  1",  p. 

GUILLAUME  ERMITE  (Saint).  —  La  vie  228.) 


HERESIE  ET  L'EGLISE.  —  Cette  mora- 
lité du  xvie  siècle  a  616  éditée,  d'après  te 
manuscrit  du  fonds  La  Vallière,  n°  63  de  la 
Bibliothèque  impériale,  dans  le  Recueil  de 
farces,  moralités  et  sermons  joyeux...,  tiré  à 
76  exemplaires...,  par  MM.  Leroux  de  Liney 
et  Fr.  Michel,  Paris,  Téehener,  1837,  petit 
in-8°,  k  vol.,  t.  III.  Nous  ne  saurions  déci- 
der si  cette  petite  pièce  a  été  destinée  à  la 
représentation;  peut-être  serait-il  plus  exact 
de  n'y  voir  qu'un  dialogue  philosophique  de 
forme  antique.  Le  titre  est  ainsi  conçu  : 
Heresye  et  l'Eglise,  morallite,  a  vi,  person- 
nages ,  c'est  a  scauoir  ;  Heresye ,  Frère 
Simonye  ,  Force,  Scandale  ,  Procès  ,  l'E- 
glise. 

Elle  n'occupe  que  dix  pages  de  l'édition 
Téehener. 

M.  O.  Leroy  a  considéré  comme  hostile  à 
l'Eglise  le  drame  d'Hérésie,  et  le  rapproche 
de  la  Farce  des  théologastres,  pétillante  d'es- 
prit, et  dont  le  b.ut  serait  à  peu  près  le 
même.  «  L'Eglise,  dit-il,  se  renfermant  sou- 
vent dans  sa  puissante  force  d'inertie,  se 
contentait  d'opposer  5  ses  ennemis  ses  por- 
tes d'airain,  contre  lesquelles  l'enfer  ne  doit 
point  prévaloir.  Et  ce  n'était  pas  seulement 
en  figure,  mais  en  réalité,  qu'elle  avait  fré- 
quemment fermé  ses  portes  et  celles  de  ses 
écoles  à  ses  adversaires,  quand  elle  avait  eu 
trop  à  s'en  plaindre;  de  sorte  que  la  pièce 
allégorique,  dont  nous  allons  parler,  pou- 
vait être  prise  aussi  au  sens  propre.  »  (Epo- 
ques de  l'histoire  de  France;  Paris,  1843, 
in-8%  p.  377.) 

11  est  évident  que  M.  O.  Leroy  a  commis 
une  erreur  :  la  Farce  des  théologastres  est 
une  pièce  toute  protestante;  nous  ne  voyons 
rien  dans  la  moi  alité  d'Hérésie  qui  ait  un 
caractère  d'hostilité  contre  l'Eglise. 

L'Eglise  est  attaquée  par  l'Hérésie,  la  Si- 
monie, la  Force,  le  Scandale  et  le  Procès, 
qui  veulent  pénétrer  dans  son  sein  ;  elle  se 
défend  avec  douceur  dans  l'intérieur  inex- 
pugnable de  son  fort. 


HERESYE. 


Gy  veuil  entrer 

EGLISE. 

La  clef  y  coniiycnl  racouslrer 
Car  el  est  faulce.  . . 

BBBBSYB. 

El  est  de  fin  fer  d'Aiemaigne 

La  cLf,  ie  m'en  rapuile  a  France 

(17 i)  M.  l'abbé  Lahouderie  a  fait  observer  que, 
dans  le  pas&ige  de  S.  Luc  (il,  10,  11.  12)  les  mois 
latins  que  nous  r  pportons  en  [»eiiics  capitales  m'  se 


L  EGLISE. 

C'est  clef  d'ininre,  clef  (l'oulirance, 

Clef  violente  qui  ront  (oui; 

Clef  qui  ne  peull  venir  a  boult 

De  ce  qu'il  a  commence 

Clef  d'un  fol,  clef  tfun  inl'ence, 

Clef  d'ipocriles  el  de  bigos, 

Clef  d'un  grenier  plein  de  fagos.  .  . 

Pressée  furieusement  par  ses  ennemis, 
elle  ouvre  l'huis  el  ne  fait  que  se  montrer: 
déjà  tous  ont  disparu  ou  se  sont  soumis. 

S€AN»ALLE. 

Nous  sommes  tous  confus,  ma  dame; 
Prenez  nous  en  miséricorde. 

l'église. 

En  concluant,  ie  vous  l'accorde 
Devant  celle  noble  assistance; 
Contre  moy  faire  résistance 
Entrer  dedens  par  viollence, 
11  ne  se  peull  pas  faire  ainsy.  . . 

HÉRODE  ou  V Adoration  des  Mages.  —  Le 
drame  d'Hérode,  du  xir  siècle,  est  l'un  des 
dix  mystères  du  précieux  recueil  du  xme  siè- 
cle, dont  nous  avons  donné  la  description  et 
l'histoire,  sous  le  titre  de  Manuscrit  de  Sainl- 
Benoît-sur-Loire.  —  Voy.  Saint-Beivoît  sur- 
Loike  (Manuscrit  de). 

PERSONNAGES. 


l'enfant  JÉSUS. 
l'ange, 
premier  mage. 

SECOND         — 
TROISIÈME  — 

hérode,  roi  des  Juifs. 

LE    FILS   D'HÉRODE. 

UN   ÉCL'YER. 

LE    CHOEUR    DES    ANGES. 


LES   BERGERS. 
LES    INTERPRÈTES  OU  ORA- 
TEURS. 
LES   SCRIBES. 
LES   FF. V  MES. 
LES   NOURRICES. 
LE    PEUPLE. 
LE    CKOEUR. 
LE   CHANTRE. 


Livret  de  la  représentation  d'Hérode. 

SCÈNE  V. 

(Ilérode  el  les  mitres  personnages  étant  placés,  un 
ange  apparaît  dans  les  deux,  environné  d'une  mul- 
titude d'autres.  A  son  aspect,  les  bergers  sont  saisis 
de  stupeur.  Il  leur  annonce  le  salut  au  milieu  d'un 
profond  silence.) 

l'ance.  N'ayez  peur,  Bergers,  je  vous  apporte 
une  heureuse  et  grande  nouvelle,  propice  également 
à  tous  les  hommes,  c'est  qu'aujourd'hui  est  né  le 
sauveur  du  monde,  dans  la  cité  de  David,  et  recon- 
naissahlc  à  ceci  que  vous  trouverez  l'enfant  roulé 
dans  des  langes  el  placé  dans  la  crèche,  enlre  deux 
animaux  (in  medio  duum  animatium)  (171). 
(Soudain  toute  la  multitude  des  anges  dit  avec  l'Ange.) 


trouvent  dans  les  textes  ni   des   Evangiles,   ni  dos 
évangiles  apocryphes,  ni  des  Pères  de  l'Eylisc. 


403 


Htn 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


HER 


404 


les  angics.  Gloire  dans  les  cieux  à  Dieu  et  pair 
sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  volonté  (S.  Luc 
h,  14). 

SCÈNE  II. 

(Les  bergers  se  lèvent,  et  approchent  en  chantant 
transeamus,  etc.,  jusqu'auprès  de  la  crèche,  dispo- 
sée à  la  porte  d'un  monastère.) 

(Transeamus  usque  Bethléem  ut  videnmus  hoc  Verbum 
quod  factum  est  quod  fecit  Dominus  et  ostendit 
nobis.  .  .  (Luc.  Il,  15.) 

deux  femmes.  (Qui  gardent  ta  crèche,  interrogent 
les  bergers).  Que  cherchez-vous,  bergers?  parlez. 

les  bkrgers.  C'est  le  Seigneur  Christ,  le  Sauveur, 
qu'un  ange  en  nous  l'annonçant  nous  a  dépeint 
comme  un  petit  enfant  enveloppé  dans  des  langes. 

les  rEMMES.  Voici  ce  petit  enfant,  et  Marie  sa 
mère,  dont  le  prophète  Isaïe  a  dit,  il  y  a  bien  long- 
temps :  une  vierge  concevra  et  mettra  au  monde  un 
iils  (/*.  vu,  14). 

les  bergers  &  agenouillent  et  adorent  l'enfant. 
Salut,  roi  des  Siècles  !  (Ils  se  lèvent  et  parlant  a  ceux 
qui  les  entourent,  invitent  la  foule  à  adorer  l'enfant.) 
Venez,  venez,  venez  !  Adorons  le  Seigneur  qui  est 
noire  salul. 

SCÈNE  111 

(A  ce  moment,  les  mages  sortant  de  leurs  coins,  c'est' 
à-dire  de  leurs  royaumes,  se  réunissent  devant  l'an- 
tel,  au  lever  de  l'étoile;  en  marchant  le  premier 
dit  :) 

le  premier  mage.  L'étoile  est  moins  brillante. 
le  second.  Le  prophète  avait  annoncé  le  Sauveur 
à  venir. 

(Rangés  sur  le  côté,  celui  de  droite  dit  à  celui  du 
milieu  :  que  lv  paix  soit  avec  toi,  ô  mon  frère  ! 
et  celui  du  milieu  répond  :  la  paix  soit  aussi  avec 
toi!  et  ils  s'embrassent;  celui  du  milieu  se  tourne 
alors  vers  celui  de  gauche  et  fait  de  même:  celui  de 
gauche  en  agit  de  même  avec  celui  de  droite.  Chacun 
d'eux  se  salue.) 

le  mage  de  droite. à  celui  au  milieu.  Que  la  paix 
soit  avec  loi,  ô  mon  frère 

(Chacun  répond  :  la  paix  soit    vw  toi  !) 

(Ils  se  montrent  l'étoile.)  Voici  i  Etoile,  l'étoile, 
l'étoile. 

(L'étoile  se  mettant  en  marche,  ils  la  suivent.) 
Allons,  cherchons  le  roi  des  Juifs,  pour  lui  offrir 
nos  présents,  l'or,  l'encens  et  la  myrrhe,  selon  les 
termes  de  l'Ecriture  :  Tous  les  rois  l'adoreront  et 
tous  les  peuples  le  serviront.  (Arrivés  auprès  du  peu- 
ple, ils  font  des  questions.)  Habitants  de  Jérusalem, 
répondez  nous  !  où  est  celui  qu'attendent  les  nations? 
où  esl  ce  roi  de  Jérusalem  à  peine  né?  où  est  celui 
que  des  signes  célestes  nous  ont  invité  à  adorer  ? 

SCÈNE  IV. 

(lîérode  en  les  voyant,  envoie  vers  eux  un  héraut.) 

le  héraut.  Quelle  nouveauté,  quels  motifs  vous 
ont  attirés  dans  ces  régions  inconnues?  Où  allez- 
vous?  quel  est  votre  pays?  en  quel  lieu  habitez- 
vous?  apportez-vous  la  paix  on  la  guerre? 

les  mages.  Nous  sommes  Chaldéens,  nous  appor- 
tons la  paix,  nous  cherchons  le  Roi  des  .rois,  dont 
la  naissance  est  annoncée  par  une  étoile  plus  bril- 
lante qu'aucune  autre, 

le  héraut,  retournant  au  roi  et  l'ayant  salué. 
!\'ive  le  Roi,  à  jamais  ! 

iiérode.  Ma  faveur  te  garde  ! 

le  héraut.  Seigneur,  il  y  a  ici  trois  hommes  in- 
connus, venusd'Orient,  cl  cherchant  un  roi  nouveau- 
né. 

hébode,  envoie  ses  mterprè.es  aux  Mages  .  Bons 
'interprèles,  cherchez  quels  sont  ces  rois,  dont  la 
venue  en  ces  lieux  nous  a  déjà  été  annoncée  par  la 
renommée. 


les  interprètes,  aux  Mages.  O  rois,  sur  l'ordre 
de  notre  prince,  nous  venons  vous  demander  pour- 
quoi chacun  de  vous  a  quille  son  pays,  cl  d'où  il 
est  venu. 

les  mages.  Nous  sommes  venus  chercher  respec- 
tueusement un  Roi,  auprès  duquel  une  étoile  nous 
conduit,  et  à  qui  nous  avons  des  présenls  à  offrir. 

les  interprètes,  à  Hérode,  de  retour  auprès  de 
lui.  Ce  sont  des  rois  d'Arabie,  qu'un  astre  conduit 
auprès  d'un  roi  à  peine  né,  avec  tic  triples  présents. 

hérode,  envoyant  le  Héraut  aux  Mages.  Ordonne- 
leur  de  se  présenter  devant  moi,  afin  que  j'apprenne 
on  détail  qui  ils  sont,  pourquoi  ils  viennent,  el  par 
quel  étrange  hasard  ils  nous  cherchent. 

le  héraut.  Roi  illustre,  ton  vœu  va  s'accomplir 
2  l'instant. 

le  héraut  aux  Mages.  Les  ordres  du  roi  vous  ap- 
pellent auprès  de  lui,  hàiez-vous. 

le  héraut  conduisant  les  Mages  à  Hérode.  Voici  iC3 
Mages,  ils  cherchent,  sous  la  conduite  d'une  étoile, 
un  roi  qui  est  né 

SCÈNE  V. 

hérode  aux  Mages.  Quel  esl  le  motif  de  votre 
voyage?  Qui  êtes  vous?  D'où  venez-vous?  Répon- 
dez ? 

les  mages.  Un  roi  est  le  but  de  notre  voyage.  Nous 
sommes  des  rois  d'Arabie.  Nous  sommes  venus  ado- 
rer ici  un  roi  inconnu  aux  rois,  qui  vient  de  navire 
cl  qu'allaite  une  vierge  juive. 

hérode.  Par  quel  signe  êles-vniis  assurés  de  I.» 
naissance  de  ce  roi,  objet  de  vos  recherches? 

les  mages.  C'est  en  Orient,  par  l'apparition  d'une 
étoile,  que  nous  avons  connu  sa  naissance. 

hérode.  Vous  êtes  bien  sûrs  que  c'est  un  roi  ? 
Parlez? 

les  maces.  Notre  aveu  de  ce  roi  esl  notre  présence 
céans,  si  loin  de  notre  patrie,  avec  ces  dons  mysté- 
rieux, ces  triples  présenls,  pour  honorer  un  troi- 
sième Dieu. 

(Ils  montrent  les  présenls). 

le  PREMieR  dit  :  L'or,  au  roi. 

le  second.  L'encens,  au  Dieu. 

le  troisième.  La  myrrhe,  à  l'homme. 

(Hérode  commande  alors  aux  dévoués  assis  attpièsde 
lui  en  habits  de  pages  de  (aire  approcher  les  scribes 
dispersés  çà  et  là,  el  reconnaissables  à  leurs  longuet 
harbes. 

hérode.  O  mes  dévoués,  faites  avancer  les  savants 
dans  la  loi,  afin  qu'ils  cherchent  dans  les  prophètes 
ce  que  signifie  cet  événement 

les  dévoués  aux  scribes,  en  les  amenant  et  en  ap- 
portant les  livres  des  prophètes.  Docteurs  de  la  Lot, 
venez  aussitôt  auprès  du  roi  qui  vous  mande  avee 
les  livres  des  prophètes. 

hérode  interroge<i»l  les  scribes.  Docteurs,  je  vous 
demande  ce  que  ces  écrits  peuvent  contenir  sur  cet 
enfant 

(Les  scribes  feuillèlent  longtemps  le  livre,  ils  tombent 
enfin  sur  le  passage  prophétique,  el  montrant  du 
doigt  le  livre  au  roi  incrédule,  ils  disent  :) 

les  scribes.  Seigneur,  nous  voyons  dans  ces  lignes 
des  prophètes  celte  prédiction  de  David  :  Le  Clirist 
naîtra  dans  la  cité  juive  de  Bethléem. 

le  chœur.  Bethléem  non  est  minima...,  elc.  (Mi- 
ellée, v,  2;  Mauh.  xi,  6.) 

(Alors  Hérode,  transporté  par  la  vue  prophétique  de 
l'avenir,  et  enflammé  de  fureur,  jette  au  loin  le  li- 
tre ;  son  fils  ,  au  bruit  qui  s'est  fait,  s'avance  porr 
calmer  son  père,  se  lient  debout  devant  lui  et  le  sa- 
lue. ) 

SCÈNE  VI. 

le  fils  d'hérode.  Salut,  ô  mon  illustre  père  !  salut, 
ô  grand  roi,  maître  en  tons  lieux  et  tenant  seul  le 

bo'pîre  souverain. 


405 


lIEIV 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


IliL 


446 


hérode.  0  mon  fils  bien-aimé,  si  digne.du  tribut 
de  1.1  gloire,  el  dont  le  nom  retentit  avee  éclat  dans 
les  louanges  royales,  un  roi  est  né,  plus  fort,  plus 
puissant  que  nous,  et  je  crains  qu'il  ne  nous  préci- 
pite en  bas  de  notre  trône  royal. 

le  fjls,  avec  dédain,  et  accumulant  les  co'èressur 
sa  tête.  0  mon  père,  laisse  ion   fils  poursuivre  cet 
enfant  qui  est  né,  et  ce  petit  roi. 
(Hérode   renvoie  les  Mages  chercher  l'enfant,   el  il 

s'engage  vis  à  vis  d'eux  envers  le  roi  qui  est  né.) 

hérode.  Allez,  el  faites  avec  soin  des  recherches 
sur  cet  enfant,  el  quand  vous  l'aurez  trouvé,  an  re- 
tour, faites-le-moi  connaître,  alin  que,  moi  aussi, 
j'aille  l'adorer. 

(Les  Mages,  à  peine  dehors,  sont  précédés  de  l'étoile, 
jusque-là  invisible  aux  yeux  d'Hérode;  ils  se  la 
montrent  el  se  mettent  en  marche.  A  l'aspect  de  l'é- 
toile, Hérode  el  son  fils  tirent  leurs  épées  d'un  air 
menaçait!. 
les  mages  chantant  :  Voici  l'é:oile  orientale  dont  la 

lumière  nous  guide. 

SCÈNE  VU. 

les  bergers  revenant  de  la  crèche,  chantent  gaie- 
ment :  0  Roi  du  ciel! 

les  ma«es  aux  bergers.  Vous  l'avez  vu? 

les  bergers.  Toul  ce  que  l'ange  nous  avait  dit 
sur  cel  enfant  s'est  vérifié  :  nous  avons  i couvé  l'en- 
fant rouli  dans  des  langes  et  dans  ta  crèche,  au  mi- 
lieu de  deux  animaux. 

(Les  bergers  s'en  vont,  et  les   Mages,  suivant  l'étoile, 
approchent  de  l'étable.) 

les  mages  chantant.  Combien  sont  peu  de  choses, 
dans  leur  immensité,  le  ciel,  la  lerre  el  les  mers  in- 
finies! L'enfant  est  là,  sorti  du  sein  d'une  Vierge, 
couché  dans  uneélable,  ainsi  que  l'avaient  annoncé 
tous  les  prophètes;  auprès  de  lui,  le  bœuf  el  l'âne.  El 
l'étoile  brillante  apparaît,  pour  fournir  ses  services  à  ce 
Seigneur  que  Ralaani  avait  prédit  devoir  naine  de  la 
nation  juive;  cl  l'étoile  brillante  inonde  nos  yeux  de 
i 'éclat  de  ses  feux,  pour  nous  conduire  miraculeu- 
sement, resplendissante,  vers  ce  berceau. 

les  nourrices  parlant  aux  Mages,  dès  qu  elles  les 
ont  vus.  Qy.els  sont  ces  hommes  qui  s'avancent  vers 
nous  sous  la  conduite  d'une  étoile,  el  qui  apportent 
des  objets  inconnus? 

les  mages.  Tels  que  vous  nous  voyez,  nous  som- 
mes les  rois  de  Tharse  ,  d'Arabie  et  de  Saba:  nous 
apportons  des  présents  au  Christ  qui  est  né,  au  Sei- 
gneur Roi,  auprès  duquel  nous  sommes  venus,  sons 
la  conduite  d'une  étoile,  el  pour  l'adorer. 

les  nourrices,  montrant  l'enfant.  Voici  l'enfant, 
voici  celui  que  vous  cherchez;  adorez-le  aussitôt, 
car  il  est  le  Rédempteur  du  monde. 

les  mages.  Salut!  Roi  des  siècles!  Salut  !  Dieu  des 
Dieux!  Salut!  Sauveur  des  morts. 

(Les  Mages  se  prosternent,  adorent  l'enfant,  el  lui 
ofjren'.  leurs  présents.) 

le  premier  mage.  0  Roi,  prends  cet  or;  l'or  est  le 
symbole  des  rois. 

i.e  second.  Prends  la  myrrhe;  la  myrrhe  est  le 
symbole  des  tombeaux. 

le  troisième.  Prends  l'encens,  car  tu  es  vraiment 
Dieu. 

(La  cérémonie  accomplie,  les  Mages  s'endorment  de- 
vant l'étable,  jusqu'au  moment  où  un  ange  appa- 
raissant au-dessus  d'eux,  les  prévient  dans  leurs 
rêves  de  s'en  retourner  dans  leur  pays  par  un  che- 
min autre  que  celui  de  leur  venue.) 

l'ange.  Les  prophéties  sont  entièrement  accom- 
plies. Allez,  prenez  un  autre  chemin,  pour  n'être  pas 
punis  comme  délateurs  d'un  si  grand  roi. 

les  mages  s' éveillant.  Dieu  soil  loué!  Levons-nous, 
et  comme  nous  en  avertit  la  vision  de  l'ange,  chan- 


geons de  chemin,  pour  cacher  a  Hérode  notre  visite 
à  l'enfant. 

les  maces  s'en  vont  par  un  chemin  différent,  pour 
n'être  pas  rencontrés  par  Hérode.  Ils  disent  :  0  mer- 
veilleux rapports!  ô  création  universelle!  (S'adres- 
sont  au  chœur).  Frères,  soyez  dans  la  joie,  le  Christ 
est  né  pour  nous,  un  Dieu  s'esi  fait  homme. 

le  chantre  entonnant  :  Te  Deum,  elc. 

HILAIRE,  disciple  d'Abailakd. — André 
Duchesne  publia,  pour  la  première  fois,  en 
1616,  une  pièce  de  vers  tirée  des  œuvres 
d'Hilaire  (Abœlardi  Opéra,  p.  242.)  Mabillon 
donna,  en  1713,  dans  les  Annales  ordinis  S. 
Benedicli,  t.  V,  p.  315,  la  Vie  de  cet  auteur. 
Depuis  lors,  il  n'était  plus  question  d'/it- 
laire,  lorsque,  en  1838,  M.  Champollion  Fi- 
geac  en  édita  les  œuvres  complèles. 

On  n'a  sur Hilaire  d'autres  renseignements 
que  ceux  que  lui-même  a  donnés  dans  di- 
verses pièces  de  ses  vers.  Son  nom  n'est 
ainsi  connu  que  par  lui-même.  Mabillon  l'a 
fait  anglais  d'origine,  en  s'appuyant  sur  ce 
qu'il  raconte  la  vie  d'une  recluse  anglaise, 
qui  mourut  en  Anjou,  et  sur  ce  que  quatre 
de  ses  Epîtres  sont  adressées  à  des  person- 
nages originaires  d'Angleterre.  Il  serait  venu 
d'Angleterre  en  France,  pour  entendre  Abai- 
lard,  dont  il  se  dit  le  disciple,  et  qu'il  cite 
souvent.  Il  vécu»  donc  dans  la  première 
moitié  du  xn'  siècle. 

Les  conjectures  de  Mabillon  ont  été  con- 
firmées par  l'autorité,  soit  de  M.  Champol- 
lion-Figeac,  éditeur  des  OEuvres  d'flftaire, 
soit  de  M.  Paulin  Paris,  dans  le  tome  XX  de 
P Histoire  littéraire  de  la  France  (p.  627- 
630) 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  l'histoire 
de  France  (Paris,  18i3,  in-8°),  en  a  l'ait  un 
hérésiarque,  en  ce  sens  au  moins  que,  clans 
le  temps  môme  des  etforts  de  l'Eglise  pour 
maintenir  la  langue  latine,  il  avait  intro- 
duit des  mots  français  dans  les  pièces  ri- 
niées  qui  restent  de  lui,  et  môme  parce  que, 
dans  un  de  ses  drames,  il  avait  tenté  de  sa- 
per quelques-uns  des  dogmes.  (  p.  72.  ) 
Les  trois  pièces  de  cet  auteur  auraient  été 
représentées.  (Ib.,  p.  78.) 

Les  OEuvres  d'Hilaire  .sont  restées  très- 
longtemps  inconnues.  Depuis  1713,  époque 
où  Mabillon  en  avait  consulté  le  manuscrit, 
ce  précieux  recueil  avait  disparu.  M.  Gué- 
rard  le  reconnut  en  1837,  et  la  Bibliothèque 
du  roi  en  lit  l'acquisition,  dans  la  vente  de 
la  bibliothèque  de  Rosny.  Il  renferme  : 

1°  Quinze  pièces  de  Vers,  parmi  lesquelles 
sont  trois  mystères  :  1°  le  Lazare;  2°  le  Saint- 
Nicolas  ;  3°  le  Daniel. 

2°  Une  Interprétation  mystique  du  nom  do 
Jérusalem,  attribuée  a  Hilaire  par  son  édi- 
teur. 

3°  Une  Charte  salyrique,  écrite  d'une  au- 
tre ma'n. 

M.  Champollion-Figeac  en  a  donne  une 
édition  unique  jusqu'à  présent,  sous  le  titre 
de  Hilarii  versus  et  ludi,  Paris,  Téchener, 
1838,  in-8°,  de  xv-61  pages 

Celle  édition  ne  contient  que  les  15  Piè- 
ces de  vers  et  Y  Interprétation  mystique;  la 
Charte  satnrique,  presque,  contemporaine  dea 


407 


IIOM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


HOM 


m 


OEuvres  cTIIilaire,  a  été  publiée  par  le  môme 
érudit,  (î a n s  la  Collection  des  documents  re- 
latifs à  l'histoire  de  France  (Lettres  des  rois, 
reines  etc.). 

HOMME  FRAGILE  (L').  —  Celte  pièce, 
datant  du  xvie  siècle,  a  été  éditée  d'après  le 
manuscrit,  fonds  La  Val  Hère,  n°63,  de  la  Bi- 
bliothèque impériale,  dans  le  Recueil  de  far- 
ces, moralités,  sermon*  joyeux...,  tiré  à  76 
exemplaires...,  par  MM.  Leroux  de  Liney  et 
Fr.  Michel  ;  Paris,  Téchener,  1837,  petit  in-8b, 
4  vol.,  t.  III,  n°  51.  Il  est  difficile  de  décider 
si  jamais  elle  a  été  destinée  à  la  représenta- 
tion :  néanmoins  nous  pencherions  à  croire 
que,  de  même  que  beaucoup  d'autres  pièces 
du  même  genre,  elle  n'est  qu'une  sorte  de 
dialogue  de  forme  antique.  Le  titre  est  ainsi 
eonçu  : 

L'homme  fragille,  morallile  a  iv.  personna- 
ges, c'est  a  scavoir  :  V Homme  fragille,  Con- 
cupicence,  la  Foy,  la  Grâce. 
Elle  occupe  dix  feuillets. 
La  Concupicence  tente  V Homme: 

3e  sçay  bien  que  vous  fault,  my  dieul-x  : 

Plusieurs  grans  thrésors  cl  richesses, 

Habis  braves  cl  spéeieulx 

Mains  plaisans  et  délicieux 

El  tous  plains  d'aullre  genlillescs, 

Scavoir  :  cinq  cent  mille  fineses 

Pour  aquerer  honneur  des  dames... 

l'homme. 

Ma  mignonne,  que  ie  vous  âmes 
Voila  loul  ce  que  ie  demandes. 

Mais  la  Loy  avertit  l'Homme,  le  gour- 
mande : 

Tu  scays  que  lu  es  créature 
Du  seigneur  qui  est  tant  puissant... 
Conternne  ses  conimandemens, 
Malédictions  cl  lourmcns, 
Famyne,  maulx  sur  toi  viendront; 
Tes  besles,  vignes,  grandz  forment^ 
Te  seront  pris  et  desfaudront. 
Tes  lerres  plus  ne  porteront. 

La  Foy  et  la  Grâce  s'unissent  à  la  Loy. 

GRACE. 

Cete  foy  de  quoy  ie  l'exhorte 
Ceste  ferme  foy  chreslienne  et  vyue 
Tousiours  œuure  sans  estre  oysiue... 
Par  ceste  foy  les  saints  prophètes 
Onl  chosses  admirables  faictes... 

L'Homme  s'humilie: 

A  tous  ie  prie 

D'ensuyvre  Jessus  qui  nous  crye. 
Et  concluons  que  sans  la  foy 
•    Auecques  la  grâce  de  Dieu 
Ne  pouuons  accomplir  la  loy 

(175)  On  ne  doit  pas  s'imaginer  qu'une  moralité 
si  longue  ait  jamais  élé  représentée  dans  un  seul 
jour.  Il  en  était  de  ces  pièces  comme  des  mystères, 
qui  lorsqu'ils  étaient  plus  étendus,  se  jouaient  à  dif- 
férentes journées. 

(176)  Justice  divine  paraît  ici  armée  de  trois  grands 
dards,  l'un  vermeil,  le  second  noir,  et  le  troisième  de 
couleur  pâle,  signifiants  Guerre,  Mortalité,  Famine. 
Au  reste  Simon  Bougoin,  auteur  de  celte  moralité, 
n'avait  fait  que  paraphraser  le  sujet  de  celle  du  Bien- 
Advisé  et  Mal-Advisé.  Voici  ce  qu'en  dit  Duverdier- 
Yauprivaz,  pag.  H3(i.  de  sa  Bibiollièque [rançaiçe. 


Mais  par  la  foy  fermement  ie  croy 
Qu'erons  tous  en  paradis  lieu. 
En  prenant  congé  de  ce  lieu 
Une  chanson  pour  dire  adieu. 
Finis. 

HOMME  JUSTE  ET  V HOMME  MON- 
DAIN (L').— Cette  moralité  composée  dans 
le  commencement  du  xvie  a  pour  au  leur  Si- 
mon Bougouin  et  non  Bourgoin  comme  l'ont 
à  tort  imprimé  Duverdier  et  Lacroix  du 
Maine.  (  Cf.  les  frères  Parfait  ,  Hist.  dit 
Théâtre  franc.  ;  Paris  ,  1735,  15  vol.  in-lf , 
t.  II ,  p.  247.  )  Bougouin  était  valet  de  cham- 
bre de  Louis  XII.  Sa  pièce  parut  en  1508  à 
Paris,  chez  Anthoine  Vérard.  Il  a  composé 
aussi  le  Traité  de  VEpinette  du  jeune  prince 
conquérant  le  royaume  de  Bonne  Renommée  , 
imprimé  à  Paris  ,  chez  Michel  Lenoir,  1514, 
in-folio  goth.  Duverdier  critique  le  mauvais 
goût  de  ce  poète.  La  Bibliothèque  du  Théâtre 
françois ,  ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Val- 
lière,  (Dresde ,  1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1", 
p.  81)  a  fait  mention  de  VHomme  juste. 

Les  frères  Parfait  (Loc.  cit.,  1745,  t.  III, 
p.  112-124)  ont  donné  de  ce  draine  l'ana- 
lyse suivante  : 

MORALITÉ  DE    L'HOMME     JUSTE   ET  DE  L'HOMME 
MONDAIN. 

«  C'est  un  in-4°  de  454  pages  ,  et   environ 
36,000  vers ,  ou  lignes  de  prose  ,  a  la  fin  du- 
quel on  lit  ce  qui  suit  (175)  : 
Cy  fine  ce   présent    Livre   intitulé  l'Homme 
Juste  ,  et  l'Homme  Mondain ,  avec  le  Juge- 
ment de  l'Ame   dévote ,  et  exécution  de  sa 
Sentence  :  imprimée  à  Paris  le  XIX.  jour 
de  Juillet  mil  cinq  cens  et  huyt ,  pour  An- 
thoine Vérard  ,  Marchant  Libraire,  démou- 
lant  audict  Paris  ,  devant  la    rue   Ncufre 
Nostre-Dame ,  à  l'enseigne  S.  Jehan  l'Evan- 
gélisle. 

«  La  Terre  produit  deux  enfants  qu'elle 
conduit  à  Fortune  et  au  Monde,  pour  en 
prendre  soin.  Ces  deux-ci  ,  après  leur  avoir 
donné  un  vêtement,  les  mènent  à  l'Eglise, 
qui  les  fait  baptiser,  par  son  fils  Baptême, 
et  les  remet  entre  les  bras  d'Innocence  ,  et 
de  ses  deux  filles  Enfance  et  Adolescence. 
Les  quatre  enfants  jouent  ensemble  jusqu'au 
moment  que  Connaissance  les  vient  séparer. 
Ceci  ne  se  passe  pas  sans  faire  verser  une 
abondance  de  larmes  aux  uns  et  aux  au- 
tres. 

«  Ensuite  Dieu  prié  par  sa  Bonté  et  sa 
Justice  (176),  ordonne  à  deux  anges  de  veil- 
ler sur  la  conduite  des  Adolescents  ,  et  pour 
leur  faciliter  le  chemin  qui  doit  les  conduire 
à  salvation,  il  envoie  en  même  temps  toutes 

«  Simon  Bourgoin,  valel  tte  chambre  du  roi,  a  com- 
posé l'Homme  juste  et  l'Homme  mondain,  avec  le  Ju- 
gement de  l'âme  dévote,  et  l'exéculion  de  la  sentence  : 
le  tout  par  personnages,  en  nombre  quatre-vingt- 
deux  :  imprimé  à  Paris,  in-8%  par  Anlhoine  Vérard 
1508.»  Duverdier  se  trompe- sur  le  format  du  livre 
qu'il  annonce  in-8°,  maison  ne  peut  qu'approuver  le 
jugement  qu'il  donne  des  vers  de  l'auteur,  qui  non- 
seulement  composait,  comme  il  l'accuse,  en  rime 
gaffe,  et  mauvais  termes,  mais  qui,  lorsque  sa  verve, 
toule  basse  qu'elle  était,  ne  lui  fournissait  pas,  ne 
faisait  auerne  difflcalfê  de  s'exprimer  en  pi  ose. 


40» 


HOM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


110.M 


iiO 


les  Venus  sur  la  Terre.  Mais  Lucifer  qui  ne 
respire  que  leur  damnation ,  fait  sortir 
promptement  tous  les  vices  des  Enfers. 

a  Ces  deux  hommes  prennent  des  routes 
bien  différentes,  le  Jusle  suivant  les  con- 
seils de  Connaissance  et  de  Raison,  suit  le 
chemin  du  Salut  :  et  le  Mondain,  ne  vou- 
lant pas  les  écouter,  se  laisse  entraîner  par 
les  vices.  Quelquefois  les  Vertus  s'appro- 
chent pour  lui  représenter  son  égarement  , 
mais  ce  misérable  craignant  qu'on  ne  l'arrache 
aux  plaisirs  trompeurs  qu'on  lui  promet  de 
l'autre  côté,  prie  instamment  les  vices  de  le 
délivrer  des  discours  importuns  des  Vertus. 
Les  Vices  obéissant  avec  plaisir,  et  repous- 
sent leurs  adversaires  d'une  manière  ou' ra- 
geante. Au  bout  de  quelque  temps  ,  s'éiant 
bien  assuré  de  l'Esprilde  l'Homme  Mondain, 
ils  veulent  essayer  de  corrompre  le  Juste, 
qui  déjà  ébranlé  ,  et  incertain  sur  le  parti 
qu'il  doit  prendre  ,  s'écrie  en  fondant  en  lar- 
mos,  et  ccjublé  de  douleur  : 
l'homme  juste. 

Hélas  1  cl  comment  dois  je  faire? 

Moi  ponre  el  imschaul  malheureux  ! 

Je  suis  d'euuuy  tant  douloureux, 

Et  de  souci  laut  langoureux , 

Que  je  ressemble  un  poure  homme  yvre. 

<c  Comme  les  Vertus  s'avancent  à  son  se- 
cours ,  il  les  supplie  de  chasser  ces  Vices, 
aux  attraits  séducteurs  desquels  il  craint  de 
ne  pouvoir  résister.  Les  Vertus  connaissant 
sa  faiblesse  ,  frappent aussitôtsur  les  Vices, 
et  les  font  retirer  honteusement. 

«  Les  Vices  prennent  la  fuite  ,  et  vont  re- 
trouver l'Homme  Mondain  qui  excité  par 
folle  Plaisance  et  Prodigalité,  s'abandonne  à 
leurs  conseils  Ce  misérable,  aveuglé  par 
Ignorance  et  la  Chair,  commence  par  s'eni- 
vrer avec  Glotonnie.  Perdition  profite  de  ce 
temps  pour  l'engage'-  à  passer  la  nuit  avec 
Luxure.  Le  lendemain  Paresse,  pour  l'em- 
pêcher de  quitter  la  compagnie  de  cette  im- 
pudique, lui  fait  apporter  par  Satan  un  bon 
déjeuner,  aip.è'é  par  les  mains  de  Glou- 
tonie.  L'après-diner ,  Folle-Plaisance  et 
Prodigalité,  lui  cherchant  de  nouveaux  plai- 
sirs, font  présenter  des  cartes.  Tromperie 
s'offre  pour  jouer,  gagne  tout  l'argent  que 
Prouigalité  fournit  au  Mondain.  Privé  de  ce 
secours,  ce  dernier  joue  sa  robe  avec  le  môme 
malheur,  et  alors,  devenant  furieux,  Colère 
lui  fait  vomr  mille  imprécations,  et  Envie  lui 
inspire  la  pensée  de  se  jeter  sur  Tromperie, 
pour  lui  arracher  l'argent  qu'il  yienldo  per- 
dre. Comme  il  ne  peut  y  réussir,  il  appelle 
Avarice  qui  lui  conseille,  pour  se  rétablir, 
de  s'adresser  à  Usure  et  Symonie.  Par  leur 
moyen,  l'Homme  Mondain  est  bientôt  con- 
duit à  la  roue  do  Fortune,  et  porté  au  lieu 
le  plus  éminent. 

a  Alors  les  Vertus,  prenant  pitié  de  son 
état  déplorable,  vont  le  trouver  pour  le  re- 
tirer, s'il  est  possible,  du  chemin  de  per- 
dition :  mais  en  vain,  car  les  Vices  l'obsè- 
dent sans  cesse,  et  l'empochent  d'écouter 
ies  Vertus.  Celles-ci,  se  voyant  rebutées, 
moment  au  Ciel  et  se  jettent  aux  pieds  du 
trône  du  Tout-Puissant,  p!  fc  supplient  d'é- 


tendre sa  Miséricorde  sur  ce  pécheur  en- 
durci. Comme  la  Justice  divine  traverse  leur 
dessein,  elles  s'adressent  a  la  sainte  Vierge, 
el  obtiennent  cette  grâce  par  son  moyen. 
Alors  Dieu  ordonne  h  Adversité,  Nécessité 
et  Pureté  d'aller  trouver  Mondain,  et  l'obli- 
ger par  une  misère  extrême,  à  chercher  Re- 
pentance. 

«  Lorsque  le  Mondain  les  aperçoit ,  il 
implore  le  secours  des  Vices  :  Ceux-ci,  loin 
de  le  défendre,  ne  font  que  rire  de  son  dés- 
espoir, et,  après  l'avoir  liéd'une  grosse  corde, 
ils  l'abandonnent  à  ses  mortelles  ennemies. 
Le  Démon,  son  conducteur,  le  lie  aussi 
avec  sa  corde,  et  descend  aussitôt  aux  en- 
fers rendre  compte  à  son  maître  du  succès 
de  ses  tentations.  Pour  achever  de  perdre 
cette  âme,  Lucifer  dépêche  en  diligence  Lar- 
cin et  Infâmeté,  qui  offrent  leurs  talents  a 
l'Homme  Mondain,  et  chassent  Adversilé  et 
sa  suite.  Celte  dernière,  avec  sa  triste  com- 
pagnie ,  va  trouver  l'Homme  Jusle,  qui  la 
reçoit  avec  beaucoup  d'humilité,  et  prie  Pa- 
tience, Diligence  et  Labeur,  de  le  consoler 
dans  son  affliction. 

«  Enfin  Larcin,  Infâmeté  et  Reproche  con- 
duisent leur  proie  à  la  Reine  de  Perdition, 
et  lui  déclarent  Ions  les  vols  et  les  actions 
honteuses  qu'ils  lui  ont  fait  faire.  Les  Vices 
viennent  aussi  l'accuser  de  tous  les  péchés 
qu'il  a  commis  par  leurs  conseils.  Le  Mon- 
dain au  désespoir  les  accable  de  reproches 
et  de  malédictions  :  mais  eux  peu  sensibles 
à  ces  discours  superflus,  se  retirent.  Il  ne 
reste  plus  auprès  de  lui  qu'Impatience,  Des- 
confort ,  Désespérance,  et  Mallefin  ,  qui  lui 
attachent  une  corde  au  cou. 

«En  cet  état,  Raison  et  Connaissance 
viennent  tenter  un  dernier  effort,  et  prient 
le  Seigneur  de  regarder  ce  misérable  en  pi- 
tié. Comme  il  s'abandonue  entièrement  h 
Désespérance,  Dieu  commande  à  sa  Justice 
défaire  mourir  ce  pécheur  obstiné,  et  à  Sa- 
pience  de  le  juger.  La  Justice  divine  or- 
donne à  la  Mort  d'exécuter  l'arrêt  du  Très- 
haut,  la  Mort  obéit,  la  Terre  s'empare  du 
corps  de  l'Homme  Mondain,  tandis  (pie  les 
Diables  emportent  son  Ame,  qui  entre  aux 
Enfers  en  vomissant  un  torrent  de  blasphè- 
mes. 

(Adonc  tous  les  Dijables  prennent  ÏAme  de  l'Homme 
moud  ni  il.) 

«  La  Terre  cl  la  Mort  vont  ensuite  cher- 
cher l'Homme  Jusle,  qui  s'adresse  d'abord 
à  Confession,  pour  être  absous  de  ses  pé- 
chés. C'est  dans  ce  moment  que  les  Vices 
lui  livrent  de  cruels  assauts  :  mais  sans  s'é- 
branler, le  Juste  poursuit-sa confession  ,  et 
se  jette  ensuite  ensuite  dans  les  bras  de 
Bonne-fin  ,  ou  frappé  parla  Mort,  il  rend 
son  corps  à  la  Terre,  et  son  bon  Ange  con- 
duit son  âme  au  Ciel  pour  y  recevoir  son 
jugement.  C'est  ce  qui  compose  la  seconda 
partie  de  la  moralité.  » 

(Fa  à  tout  finela  première  Partie  de  ce  Livre,  et  entltyt 
In  seconde,  qui  trnicte  du  Jnaement  de  l'Ame  dévote t 
c.vecques  l'exécution  de  sa  Sentence. 

«  L'âme  du  Jusle,  conduite  p-ir  son  Ango, 


III  HOM  DICTIONNAIRE  DES 

arrive  à  ia  porle  du  ç.!el  chargée  ae  deux 
besaces,  chacune  desquelles  renferme  un 
livre  :  l'un  contenant  tout  le  bien  qu'il  a 
fait  dans  le  monde ,  et  l'autre  le  mal  qu'il  y 
a  commis.  Elle  trouve  saint  Pierre  assis 
dans  une  chaire,  assisté  de  saint  Michel  qui 
tient  les  balances  de  la  Justice  divine,  et 
de  sa  Miséricorde.  Le  Diable  vient  aussi  se 
présenter  comme  accusateur. 

a  D'abord  la  Justice  prend  les  deux  livres 
qui  sont  dans  les  besaces,  et  les  met  sépa- 
rément dans  les  deux  bassins  de  la  balance. 
Malheureusement  Le  livre  du  Mal  se  trouve 
plus  pesant.  L'âme  gémit  et  se  déses- 
père :  Miséricorde  la  console,  va  la  présen- 
ter au  trône  de  Dieu  môme  ,  dont  voici  la 
décoration  :  » 

(Miséricorde  mayne  l'Ame  dévote  ayant  ses  patinoslres 
entre  ses  mains,  en  ta  compagnie  des  Sainctz.  Et  est 
à  noter  que  Paradis  sera  faict  au  costé  des  Cieulx, 
où  sont  les  Juges,  un  peu  assez  loin.  El  dans  ledict 
Paradis  (177)  y  aura  la  Trinité,  ISostre-Dame,  et 
les  Sain.ts  suivant  leur  ordre  (178)  etc....  à  qui 
l'Ame  faict  ses  Oraisons.) 

«  Lorsque  l'âme  a  fait  sa  prière  à  chaque 
«ai ut  en  particulier,  Miséricorde  la  mène  à 
la  Vierge  Marie,  qui  obtient  sa  grâce.  » 

(Adonc  Dieu  baille  à  ISostre-Dame  grâce  de  Dieu,' en 
façon  d'une  Leclre  scellée  comme  ung  pardon.) 

«  Miséricorde  fort  satisfaile  de  ses  soins, 
ramène  l'âme  à  saint  Pierre  ,  qui  joignant 
la  lettre  de  grâce  au  livre  des  bonnes  œu- 
vres, trouve  que  ce  dernier  bassin  l'emporte 
sur  celui  du  mal.  11  ordonne  cependant, 
qu'avant  d'ôlre  reçue  au  paradis,  cette  âme 
ira  expier  le  reste  de  ses  péchés  en  purga- 
toire. On  la  conduit  dans  ce  triste  lieu  ,  où 
Raison,  Confort,  Patience,  et  Espoir  vien- 
ne-il l'y  consoler.  Et  son  bon  ange,  par  un 
même  motif ,  lui  fait  parcourir  toutes  les 
parlies  do  ce  lieu  souterrain  ,  et  en  premier 
lieu  l'enfer,  où  il  lui  fait  remarquer  des 
damnés  de  tous  étals.  Les  vois  suivant»: 
comprennent  un  petit  abrégé  de  celle  de 
meure,  et  nous  présentent  en  môme  temps 

(177)  On  voit  par  ce  passage  que  nos  anciens  met- 
taient une  différence  entre  les  cienx  et  le  paradis, 
et  qu'ils  regardaient  ce  dernier  endroit  comme  le 
séjour  particulier  de  la  majesté  divine  et  des  saints. 

(178)  Voici  l'ordre  et  les  noms  des  saints  et  des 
saimes,  à  qui  l'Ain. ;  dévoie  adresse  ses  prières.  Les 
anges  Cher  ibin,  Gabriel,  saint  Jacques,  saint  Paul, 
sami Jehan  l'Evangéiisle,  saint  Audry,  tous  les  apô- 
tres saint  Jean-Baptiste,  saint  Estienne,  saint  Sé- 
bastien, saint  Laurent,  à  Ions  martyrs  ,  saint  Nico- 
las, suint  Claude,  saint  Anlboiuc,  saint  François, 
Kainlc  Anne,  la  Madeleine,  sainte  Marguerite,  sainte 
Katherine,  sainte  Barbe,  sainte  Apolline,  sainte  Ge- 
neviesve,  et  à  touz  les  saints  et  saintes. 

(179)  L'âme  étant  purement  spirituelle,  ne  peut 
avoir  ne  forme  qui  tombe  sous  les  sens.  Cependant, 
CMiimc  nos  anciens  p<  êtes  dramatiques  en  introdui- 
saient assez  communément,  on  leurpardonnera  aisé- 
ment de  leur  avoir  attribué  un  corps  capable  d'être 
aperçu  des  spectateurs.  Nous  avons  des  exemples 
fréquents,  que  lésâmes  bienheureuses  étaient  repré- 
sentées par  des  personnages  couverts  d'un  grand 
voile  blanc.  Au  lieu  que  celles  des  réprouvés  parais- 
saient sous  de  longues  robes  noires  ou  couleur  de 
feai.  Cette  idée  leur  parut  apparemment  la  plus  con- 
venable, car  ils  ne  pouvaient  ignorer  ce   que  leurs 


MYSTERES. 


HOM 


41-2 


un  morceau  de  poésie  assez  difficile,  et  qui 
est  peut-être  le  seul  endroit  passable  de 
tout  le  poëuie. 

l'ange 

En  ceste  moniaigne  et  liaull  roc 

Pcnduz  au  croc 
Abbé  y  a ,  et  Moyne  au  froc , 
Empereur,  Roy,"  Duc,  Comte  et  Tape  : 
Bouleiller  avecques  son  broc, 

De  joye à  poc  : 
Laboureur  aussy  ô  son  soc. 
Cardinal,  Evesque ,  osa  ebappe. 
Nul  d'eulx  jamais  delà  n'esebappe, 

Que  ne  les  happe 
Le  Dyable  avec  un  ardent  broc 
Mys  ilz  sont  en  obscure  trappe 

Puis  fort  les  frappe; 
Le  Dyable  qui  tous  les  allrappe, 

Avec  sa  rappe, 
Au  feu  les  mettant  en  un  btoc. 

k  Après  un  détail  particulier  (179),  l'Ange 
fait  passer  l'Ame  dévote  par  le  limbe  des 
petits  enfants.  Elle  paraît  fort  touchée  de 
leurs  pleurs.  Son  conducteur  la  ramène  au 
purgatoire,  où  elle  n'est  pas  plutôt  entrée, 
que  l'Eglise  arrive  et  apporte  de  la  part  des 
fidèles  qui  sont  sur  la  terre  ,  Prière  et  orai- 
son. Par  ce  moyen  l'âme  délivrée  des  tour- 
ments, monte  droit  au  séjour  des  bienheu- 
reux. » 

HOMME  PÉCHEUR  (L).  —  De  Beau- 
champs  (Recherches sur  les  théâtres  de  Franee, 
Paris,  1735,  in-8°,  3  vol.  t.  1",  p.  232)  a  fait 
mention  de  V Homme  pécheur, \&  Bibliothèque 
du  théâtre  françois,  ouvrage  attribué  au  Une 
de  La  Vallière  (Dresde  ,  1708,  in-8",  3  vol., 
t.  1",  p.  12) ,  en  donne  une  analyse  ttès- 
succincle.  Nous  reproduisons  la  notice  lais- 
sée par  les  frètes  Parfait  dans  leur  Histoire 
du  théâtre  français  (Paris,  15  vol.  in-12, 17^5, 
t.  111,  p.  88-92j: 

MORALITÉ   DE   L'HOMME  PÉCHEUR. 

(L'Homme  pécheur  par  personnages,  joué  en 
l,t  Ville  de  Tours  (180).  C'est  à  scavoir  la 
Terre  et  le  Limon  qui  engendrent  l'Adoles- 

prédécesseurs  avaient  écrit  isnr  ce  sujet.  Sans  vou- 
loir entasser  des  citations,  nous  nous  contenterons 
de  rapporter  le  témoignage  de  Césaire,  religieux  du 
monastère  d'ileislerhach,  qui  vivait  sous  le  règne  de 
S.  Louis,  et  rpii  dans  son  lents,  tant  par  la  sainteté 
de  sa  vie,  que  par  son  érudition,  passa  pour  l'orne- 
ment de  Tordre  de  Cileaux.  Ce  religieux,  dis-je,  rap- 
porte qu'un  certain  ecclésiastique  étant  décédé,  son 
aine  fut  portée  par  les  malins  esprits  aux  lieux  de- 
stinés pour  son  supplice  :  mais  que  peu  de  temps 
après,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  elle  fut  remise 
dans  son  corps,  qui  ressuscita  dans  le  moment  mê- 
me, au  grand  élonncmcnl  de  tous  ceux  qui  assi- 
staient à  ses  obsèques.  Je  passe  le  surplus  du  récit, 
pour  venir  à  la  question  que  fait  à  l'auteur  le  novice 
Apollonius,  qui  paraît  étonné  que  cet  ecclésiastique 
depuis  sa  résurrection,  n'ait  rien  dit  de  la  ligure,  ni 
des  facultés  de  l'àme.  C'est  ce  qu'il  n'a  pas  manqué 
de  faire,  répond  Césaire  :  car  il  assura  qu'une  âme 
est  figurée  comme  une  boule  de  verre  de  forme  splié 
rique,  ayant  des  yeux  sur  toute  sa  circonférence, 
possédant  au  reste  une  entière  connaissance  de  tou- 
tes choses.  (Césaire  dheisterbach.  Histoires  mémo- 
rables, liv.  i,  chap.  52,  pag.  45;  liv.  iv,  chap.  51), 
p.  2U;  et  livre  vu,  chap.  16,  p.  479.) 

(  180).  La  première  édition   île   cet    ouvrage   fut 


*l* 


IIOM 


DICTIONNAIRE  Di:S  MYSTERES. 


1ION 


i!l 


cent,  et  est  à   soixante-quatre  personnages 
dont  les  noms  s'ensuivent.) 

LE      LIMON    DE     LA     TERRE    AVARICE. 

commence.  i.lxure. 

LA   TERRE.  ENVIE. 

l'adolescent.  CLOUTONIE. 

LE    MONDE.  IRE. 

FOY.  PARESSE. 

ESPÉRANCE.  L'HOMME  PÉCHANT. 

CHARITÉ.  COMPASSION. 

DIEU.  LE    PÉCHEUR. 

LES  ANGES.  CONCUPISCENCE. 

SAPIENCE  DIVINE.  FINETTE. 

MICHX.  CONTRICION. 

GaBIUKL.  SATISKACION. 

Raphaël.  confession. 

le  b.1n  ange.  miséricorde. 

raison.  le  prestre. 

FRANC-ARBITRE    lllbillé   Cil    PÉNITENCE. 

Roger  Bon-lents,  humilité. 

CONSCIENCE.  LARGESSE. 

ENTENDEMENT      habillé    eil    CHASTETÉ. 

Légiste.  charité. 

LUCIFER.  AB-.TINENC-. 

SATUAN.  PACIENCE. 

DÉMON.  DILIGENCE. 

DELPHEMOT.  PERSÉVÉRANCE. 

LE    DYABLE.  AULMOSNE. 

PÉCHÉ  ORU   ON. 

SENSUALITÉ.  JEUNE. 

désespérance  de  pardon,  affliction. 

HONTE.  MALADIE. 

crainte  dédire  ses  péchés,  la  mort. 

espérance  de  longue  vie.   espérance  de  longue  lie. 

orgueil.  honte  de  dire  ses  péchés. 

«  Le  fonds  du  sujet  de  cette  moralité,  est 
le  môme  que  celui  du  Biçn-Advisé  et  Mal- 
Advisé.  Ici  le  Limon  de  la  Terre  et  la  Terre 
forment  un  adolescent,  qui  passe  successi- 
vement par  tous  les  états  de  la  vie,  et  suit, 
sans  discernement,  les  vertus  et  les  vices 
mentionnés  dans  le  catalogue  des  person- 
nages. Cet  homme  meurt  enfin  contrit,  et 
fort  bien  confessé.  Les  diables  qui  s'atten- 
daient à  enlever  son  Ame,  crèvent  de  rage, 
et  la  moralité  finit  parla  tempête  qu'ils  exci- 
tent aux  enfers,  pour  tâcher  de  se  consoler. 

(\ûonc  les  Diables  feront  granlx  (onnoires,  el  tour' 
monteront  lesdits  vices,  assavoir,  Orgueil,  Luxure, 
Enoie,  Ire,  Paresse,  elc.) 

«  Lorsque  la  pièce  est  achevée  ,  Fadeur 
qui  est  chargé  de  réciter  leprologue,  s'avance 

vers  les  spectateurs,  et  lesexhorie  à  recueillir 
avec  soin  le  fruit  de  celle  morale. 

LE   PROLOGUE    FINAL. 

Nous  prirons  la  irinité  liantie 
Qu'un  cliascun  pécheur  puisse  faire. 
Pénitence,  qui  sans  deffaulte 

donnée  par  Véraril,  en  1481,  a  la  fin  de  laquelle  0:1 
lit  ces  mois.  «  A  l'honneur  el  à  la  louange  de  Noue 
Seigneur  Jlicsus-Chrisi,  el  de  sa  très-digne  Mère,  et 
de  toute  la  Cour  Céleslielle  de  Paradis,  a  été  l'aicl 
ce  Livre  appelé  l'Oinine  pécheur,  n'agueres  joué  on 
la  ville  de  Tours,  cl  imprimé  à  Paris  par  Ànilioine 
Verard,  Libraire,  deniourant  à  Paris  sur  le  Pont 
Noslre-Dame,à  l'image  Saincl Jehan rEvangéliste,o;i 
au  Palais  au  premier  Pilier  devant  la  chapelle  où  l'on 
chante  la  messe  de  Messeigneurs  les  piésido.its  t 
In-fol.  sur  vélin  avec  tles  miniatures. 

Il  fut  imprimé  ensuite  aussi  in-fol.  sous  le  même 
lilre:  <  A  Paris,  par  le  petit  Lnnrens  pour  véné- 
rable homme  Gnilia-me  Eus-aee,  Libraire,  demou- 


Soyl  poursiiyli!  a  cet  exemplaire. 
Seigneurs,  ne  vous  veuille  desplaire, 
Si  faille  de  faire,  ou  dedyre, 
Avez  appcrçetl,  mais  vous  plaise, 
Lft8  supporter,  sans  rien  mosdi.c. 
Faire  ne  von  ld  rions,  ne  destin  vie 
Chose  qui  ne  fust  à  l'honneur 
El  louange,  sans  contredire  , 
De  Iliesu-Crisl  Nostie  Seigneur  , 
Kl  d'un  ehascun  poure  pécheur  , 
Son  instruction  sa  u taire  : 
Extirpant  péché,  el  erreur, 
En  charité  très  volontaire. 
Et  s'il  vous  plaisl.  les  faillies  taire, 
Du  depanir  sommes  éuieuz  , 
Allons,  de  par  Dieu,  nous  reirayre, 
Chantant,  Te  Dcum  laudninus. 

HOMME  PRODUIT  PAR  NATURE  IV). 
—  Du  Verdier-Vauprivas,  (Bibliothèque  front* 
çaise,  p.  580),  avait  eu  e'itre  les  mains  un 
exemplaire  de  l'Homme  produit  par  nature. 
Il  en  donna  le  titre  : 

MORALITE   DE    L'HOMME    PRODUIT   PAR    NATURE. 

Moralité  de  V Homme  produit  par  Nature  au 
monde,  qui  demande  le  chemin  de  Paradis, 
et  y  va  par  neuf  Journées.  —  La  première 
est  de  Nature  à  Péché.  —  La  seconde,  de 
Péché  à  Pénitence,  passant  par  Libéral- 
Arbitre.  —  La  troisième,  de  Pénitence  aux 
Divins  Commandemcns.  —  La  quatrième, 
des  commandemcns  aux  Conseils.  —  La 
cinquième,  des  Conseils  aux  Vertus.  —  La 
sixième,  des  Vertus  aux  Sept  Dons  du  Saint- 
Esprit. —  La  septième,  des  Dons  aux  Béati- 
tudes.- -La  huitième,des  béatitudes  aux  fruits 
dudict  Saint-Esprit.  —  La  neufviéme,  des 
Fruicts  au  Jugement  et  Paradis. — Imprimé 
à  P. tis  in-octavo  par  Simon  Vos  Ire.) 

Les  frères  Parfait  fixèrent  la  date  de  cette 
moralilé  à  l'an  1492,  s'appuyant  sur  ce  que 
Simon  Vostre,  l'éditeur,  vivait  à  celte  épo- 
que, et  avouèrent  n'avoir  pu  en  découvrir 
un  seul  exemplaire.  (Hist.  du  Théâtre  fran- 
çoit;  Paiis,  15  vol.  in-12,  1745,  t.  Ili,  p. 
92,  93.) 

HONORAT  (Saint).— De  Beauchamps/(fo- 
cherchessur  les 'Théâtres  de  France,  Paris,  1735, 
in-8%  3  vol.,  1.  I,r,  p.  228),  a  donné,  dans  une 
liste  de  mystères,  où  se  trouvent  de  nom- 
breuses Indications  de  légendes,  Irès-iilli- 
ciles  à  distinguer  des  drames,  la  menlion 
d'une  Vie  de  saint  Honorai  en  vers  proven- 
çaux. 

HONORINE  (Sainte).-  L'abbé  de  Lnrue, 
dans  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes,  les 
jongleurs  et  les  trouvères  normands  cl  anglo- 

ranl  à  Paris,  tenant  sa  boutique  en  la  Cranl  Salle 
du  Palais,  du  costé  de  la  chapelle  de  .Messeigneurs 
les  Présidons,  ou  sur  les  grands  degrez  par  où  '>n 
monte  audicl  Palais  du  cosié  de  la  Conciergerie,  à 
renseigne  de  Saincl  Jehan  l'Evangelisle.  »  La  \euve 
feu  Jehan  T  reperd  ,  et  Jehan  Jeannol,  rue  Neuve 
Noslrc-Daine,  à  l'enseigne  de  l'Escn  de  France,  ié- 
imprimèrent  celle  moralité  en  1529.  Quoique  ces 
trois  différentes  éditions  ne  soient  que  le  même  ou- 
viage,  nous  sommes  obligés  d'avertir,  que  quelques- 
un?  se  sont  avisés  de  les  prendre  pour  trois  poèmes, 
différents:  ce  qui  est  nés-faux.  An  re-le,  celle  mo- 
ralité peut  contenir  environ  vingt  mille  vers.  La 
poésie  en  est  irès-inntnratsc. 


41o 


n  no 


DICTIONNAIRE.  DES  MYSTERES. 


IIRO 


r.n 


normands  (Caon,  Manuel,  i 83 V ,  in-8%  3  vol., 
t.  1",  p.  105),  fait  mention  d'un  Miracle  de 
sainte  Honorine  qui  aurait  été  représenté  à 
Caen,  vers  1513. 

HOSTIF  (Sainte). — Voy.  Ste- Hostie  (La). 

HKOÏSWIÏHE.—  Le  monastère  de  Gan- 
dersheim, ou  Gandesheim,  comme  on  disait 
encore  il  y  a  un  peu  moins  d'un  siècle,  fondé, 
ou  plutôt  restauré,  en  852,  sous  les  auspices 
de  saint  Benoît,  par  un  des  arrière-petiîs 
neveux  de  Witikind,  le  comte  Ludolfe,  plus 
tard  duc  de  Saxe,  qui  entreprit  celle  œuvre 
pieuse  à  la  prière  d'Oda,  sa  femme,  princesse 
de  race  franque  ;  sécularis  j  seulement  au 
commencement  du  xixc  siècle,  et  éont  la 
magnifique  église,  ainsi  que  les  principaux 
corps  de  bâtiments,  avec  leurs  dépendances, 
subsistent  encore,  est  devenu  une  des  glo- 
rieuses merveilles  de  l'Allemagne,  depuis  la 
découverte,  vers  la  fin  du  xv'  siècle,  des 
oeuvres  de  la  célèbre  Hrolswiihe. 

La  stupeur  de  Conrad  Celtes,  ou  peut-être 
mieux  Meissel,  a  qui  le  hasard  mit  sous  la 
main  le  précieux  manuscrit,  fut  inexprima- 
ble en  lisant  des  vers  de  la  prose  latine  d'une 
femme  germaine  du  xc  siècle  :  Incredibili 
diclu  quanto  slupore,  etc.  Deux  choses  arrê- 
tèrent Conrad  (ou  Chunrard)  :  l'élégance  du 
style  et  la  science  de  l'écrivain.  Deuxrenais- 
sances  se  renconlraient,  s'admiraient  et  s'ef- 
frayaient de  leur  exacte  ressemblance  ;  la 
dernière  enviait  à  sa  devancière  les  inintel- 
ligibles arguties  de  Callimaque,  de  Paplinuce 
.surtout,  et  de  Sapiencc. 

Le  nom  de  Hrolswithe  a  élé  orthographié 
fort  diversement  depuis  le xvie  siècle  jusqu'à 
nos  jours.  Conrad  Celtes  l'écrivit  Hrosvile, 
Schurzfleisch  lut  Hroswitha,  et  Marlin-Frid. 
Seidel  lioswitha;  les  Bénédictins  dans  l'His- 
toire littéraire  en  l]rcni\l{hotsvitha,  el  M.  Ma- 
gnin,  en  dernier  lieu,  s'appuyanl  sur  l'auto- 
rité du  manuscrit,  avec  plus'de  poids  pour- 
lantqiieSchurzhVisch,(//rosicit/tac...  opéra... 
Vitemb.  Sax.,  1717,  in-4%  Prœf.,  p.  2),  fait 
connaître,  en  France,  la  célèbre  saxonne 
sous  la  forme  germano-latine  de  Hrotsvitha. 

Hrolswithe  sortait  à  peine  des  ombres  du 
moyen  âge  ,  que  J.-Chr.  Gottsehed  inter- 
préta son  nom  sous  la  gracieuse  rubrique 
de  Rose-Blanche,  et  le  charme  de  ces  mots  a 
eu  assez  de  fortune,  pour-  parvenir  jusqu'à 
nos  temps  et  partager  les  lettres,  quoique 
peu  après  on  eut  remarqué,  avec  plus  de 
perspicacité,  que  Hrolswithe  elle-même  avait 
fourni  de  son  nom  une  interprétation  bien 
.différente,  confirmée  d'une  manière  irrésist.- 
b!c  par  Jacob  Grimm. 

F-go  ci.\mok  validus  Gandesiieimensis, 
Moi,  la  voix  forte  de  Gandesheim. 

Elevée  à  l'école  de  l'ancienne  littérature 
latine,  et  pourtant  panégyriste  des  Othons, 
chantre  de  Gandesheim,  à  quel  pays  Hrost- 
withe  devait-elle  le  jour,  en  quel  temps 
avait-elle  vécu  ? 

L'Allemagne  la  proclama  saxonne.  Conrad 
Celtes,  et  les  membres  de  la  Société  celtique, 
Johann.  Dalburg,  Henri  e.  de  Bunau,  Olik. 
de  Slein,  Wilibald  Bvrkhamer,  lo.  Tholoph, 


Henr.  Groninger,  lo.  Verrier,  Martin  Mel- 
lerstadt,  lo.  Stab,  Sébastien  Sprenz  émirent 
cette  opinion.  Elle  fut  défendue  ou  adoptée, 
durant  les  xvr  et  xvn"  siècles,  et  vers  le 
commencement  du  xvm%  en  Allemagne,  en 
Angleterre  et  en  France,  par  les  deux  Mei- 
born,  sur  l'autorité  de  Honricus  Bodo  et  de 
Johann  Tritheim,  par  lo.  Caspinian,  Lilius- 
Gregorius  Gyraldus,  Georgius  Fabricius  , 
Caspar  Bruehius,  Antoine  Possevin,  Gabriel 
Bucelin,  Gérard-Jean  Vossius,  Boeder,  Ca- 
simir Oudin  ,  William  Cave  et  Elias  du 
Pin. 

Mais  tout  en  l'admettant  comme  saxonne, 
Seidel,  Saxius,  Wachler  la  firent  sortir  d'une 
famille  qui  ne  remonte  pas,  à  beaucoup  près, 
jusqu'au  x'  siècle,  et  la  nommèrent  Helenaa 
liossoïc  ou  llossetc. 

lo.  Henr.  Boeder  et  Christian.  Korlholt 
[Historia  cccles.,  Nov.  Testant.,  c.  in,  secl.x, 
p.  392),  la  confondaient  avec  une  abbesse  do 
Gandersheim,  qui,  sous  le  môme  nom,  avait 
gouverné,  bien  des  années  avant  qu'elle  fût 
née,  le  monastère  où  Hrolswithe  ne  fut  ja- 
mais que  simple  religieuse. 

Enfin,  l'anglais  Laurent  Humprhey  suscita, 
au  delà  du  Rhin,  la  plus  vive  polémique  en 
tentant  d'arracher  à  l'Allemagne  cette  gloire 
nationale.  11  affirma  qu'elle  n'était  autre  que 
Hilda  Heresvida,  dont  le  nom  et  la  science 
nous  ont  été  rapportés  par  Béda,  et  qui,  ds 
race  royale,  fille  du  roi  Elhwin,  était  morle, 
au  viic  siècle,  abbesse  de  Streanshale,  (auj. 
Witeby,  Withby),  après  une  vie  remplie  des 
plus  étonnantes  vicissitudes  qu'attestaient 
sa  présence  momentanée  à  Gandersheim 
comme  religieuse. 

11  n'était  en  effet,  rien  moins  que  certain 
encore  que  Hrolswithe  eût  vécu  au  xe  siè- 
cle. Boeder  et  Korlholt  avaient  reculé  son 
âge  aux  dernières  années  du  siècle  précé- 
dent, et  parmi  ceux  qui  voulaient  qu'elle  fût 
morte  à  la  tin  du  x%  nul  ne  s'accordait  sur 
la  date,  Dupin  fixant  cette  mort  à  l'an  973, 
Onuphrius,  Vossius,  Gollfrid  Olearius  et 
Oudin  en  970,  Possevin  en  090;  le  vieux 
Tritheim  lui-môme,  après  avoir,  dans  ses 
Annales  Hirsauyienses,  affirmé  qu'elle  n'a- 
vait pas  dépassé  l'an  971,  s'était  contredit 
dans  son  Catalogus  illustrium  virortim,  où  il 
avait  fait  vivre  Hrotswilhe  après  l'an  1000. 
Enfin,  Charles  du  Fresne  soutenait  que  l'il- 
lustre écrivain  appartenait  aux  révolutions 
littéraires  du  xne  siècle,  n'étant  morte  que 
vers  1120. 

Avant  son  entrée  à  Gandersheim,  Hrols- 
withe était  absolument  inconnue;  ni  sa  fa- 
mille, ni  sa  naissance,  ni  sa  jeunesse  ne 
joui  parvenues  jusqu'à  nous.  Tout  ce  qu'on 
sait  d'elle,  c'est  qu'elle  était  à  Gandersheim 
vers  l'âge  de  vingt-trois  ans,  et  que  ce  fut 
probablement  vers  ce  lemps  qu'elle  com- 
mença d'étudier.  Ses  études  furent  dirigées 
par  une  autre  religieuse,  nommée  Bikkarde 
et  par  l'abbesse  Gerberge  II. 

C'est  à  tort,  selon  M.  Magnin,  qu'on  a 
voulu,  outre  le  génie  littéraire,  lui  donner 
le  génie  musical;  car  rien  dans  les  écrits 
de  Hrotswilhe,  ni  dans  les  biographies  an- 


417 


MRO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IIRO 


418 


cienncs  qui  subsistent  d'elle  ,  ne  justifie 
l'allégation  de  Schi'ling.  (Universal  texte  on 
derTunskunt...  Encyclopédie  musicale  ;  Stult- 
gard,  183^-1839,  6  vol.  in-8u.) 

11  a  été  publié  un  portrait  d'elle,  qui  n'a 
rien -d'authentique,  par  Leucfeld  et  Sehurz- 
lleiscl),  dans  le  Eorlgesetzte  sammlung  von  ni. 
und  neuen  theolog  sachen;  Leips.,  1732. 
(Diarium  theologicum)  ;  \Vieland,dans  le  Dcr 
neue  deutsche  Merkur  (Mercure  allemand) , 
Weimar,  avril  1803,  t.  1er,  p.  258,  et  Frédéric 
Seidel  [Icônes  et  Elogià)  ont  reproduit  cette 


image. 


Hrotswithc  a  laissé  huit  légendes,  six  piè- 
ces de  théâtre,  un  panégyrique  et  un  poëme 
en  vers.  Ses  légendes  sont  :  l'Histoire  de  la 
Nativité  de  la  Vierge  Marie,  Y  Histoire  de 
Y  Ascension  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ , 
la  Passion  de  saint  Gandolfe,  le  Martyre  de 
saint  Pelage,  à  Cordoue ,  la  Chute  de  Théo- 
phile, la  Conversion  d'une  esclave,  la  Pas- 
sion de  saint  Dcnys  et  celle  de  sainte  Agnès. 
Ses  pièces  de  théâtre  sont  intitulées  :  Gal- 
lican, Dulcitius,  Callimaque,  Abraham,  Paph- 
nuce,  et  Sapience.  On  a  encore  d'elle  le 
Panégyrique  des  Othons  et  un  chant  sur 
Les  origines  de  Gandesheim.  — Casimir  Oudin 
s'est  trompé  en  lui  attribuant,  en  outre,  17- 
tinéraire  et  la  vie  de  saint  Willibald  ou 
Vf  unihald  (cf.  Suri  us,  décembre),  et  Schurz- 
lleisch  a  relevé  ces  erreurs. 

Un  manuscrit  principal  de  ses  œuvres  est 
parvenu  jusqu'à  nous;  il  est  conservé  à  la 
bibliothèque  de  Munich.  11  n'y  a  pas  à  douter 
que  ce  ne  soit  celui  dont  se  servit  Conrad 
Celles,  et  dont  il  dit:  «En  visitant  un  couvent 
de  Bénédictins,  j'y  trouvai  un  très-ancien 
manuscrit  en  lettres  gothiques,  et  d'une 
main  de  femme.  »  (Oper.  Hrotv.  ;  Norunberg, 
1301,  in-fol.,p.2,  verso.)  Mais  Conrad  Celtes 
avait  caché  avec  soin  l'origine  du  manuscrit. 
Jean  Aven  lin  supposa,  dans  sa  Préface  du 
voyage  de  l'empereur  Henri  IV,  que  ce  de- 
vait être  le  môme  qu'un  autre  existant  de 
son  temps  au  monastère  de  Saint-Emmerand, 
à  Halisbonne,  dans  la  bibliothèque  duquel 
Conrad  avait  puisé  le  plus  grand  nombre  de 
ses  textes.  Plus  t:ird,  on  signala  à  Schurz- 
fleisch  un  autre  manuscrit  de  Hrotswithc 
dans  l'abbaye  de  Kiddaghusan.  Ce  manuscrit 
ne  s'y  trouva  pas.  Un  manuscrit  plus  récent 
que  celui  de  Munich,  et  qui,  parmi  d'autres 
pièces,  contient  le  poëme  sur  les  Origines 
de  Gandesheim,  a  été  et  mis  à  profit  par  M. 
Perlz. 

La  première  édition  des  œuvres  de  Hrots- 
withc, format  petit  in-fol.,  n'est  point  pagi- 
née. On  lit  au  premier  feuillet  :  Opéra 
Hrotsvite,  illustris  virginis  et  monialis,  ger- 
mane,  gente  saxonica  orte,  nuper  a  Cunrado 
Celte  inventa,  titre  qui  est  suivi  de  la  table 
des  œuvres  de  Hrotsvitha.  Au  dernier  feuil- 
let :  Impressum  Norunbergœ  sub  privilcgio 
sodalitii  Celticœ  a  senatu  Rhomani  imperii 
itnpctratœ.  Anno  quingentesimo  primo  supra 
millcsimum.  Au  verso  du  premier  feuillet,  on 
voit  une  magnifique  gravure  sur  bois,  qui 
n'a  point  élé  reproduite  encore  et  qui  re- 
présente Conrad  Celtes  ou  Meisel  offrant  son 


édition  des  OE  tares  de  Hrotsvitha  à  Frédé- 
ric, duc  de  Saxo  et  électeur  du  Saint-Em- 
pire romain.  Le  second  et  le  troisième  feuil- 
let contiennent  une  préface  do  Celtes,  écrilo 
pour  le  duc  Frédéric.  Selon  la  coutume  du 
xvie  siècle,  on  trouve  ensuite  diverses  pièces 
de  vers  adressées  au  savant  auteur,  soit  par 
le  président  de  la  société  celtique,  Johann 
D.ilburg,  évèque  de  Worms,  soit  par  d'au- 
tres membres  do  la  société  ou  par  des  amis. 
Ces  pièces  occupent  le  verso  du  troisième 
feuillet  et  le  recto  du  quatrième.  Au  verso 
du  quatrième  feuillet,  une  autre  gravure 
sur  bois,  très-belle  et  très-curieuse,  qui 
représente  évidemment  Hrotsvitha  elle- 
même,  offrant,  en  présence  de  l'archevêque, 
lemanuscrit  de  sesœuvresauPapeJeanXIV, 
avec  qui  elle  aurait  eu,  suivant  quelques- 
uns  de  ses  biographes,  de  longues  relations. 
Au  cinquième  feuillet,  commencent  les 
œuvres  de  Hrotsvitha.  M.  Magnin  a  critiqué, 
avec  raison,  Conrad  Celtes  pour  avoir  inter- 
posé l'ordre  du  manuscrit  de  Munich,  base 
de  toutes  les  éditions,  et  pour  avoir  donné 
le  Livre  des  comédies  avant  le  Livre  des  lé- 
gendes. Cinq  autres  gravures  sur  bois  com- 
plètent l'édition  de  1501,  que  l'on  trouve  fo- 
lios 10  recto,  12  verso ,  15  verso,  19  recto, 
23  verso.  L'édition  entière  se  compose  de 
82  feuillets;  la  bibliothèque  de  l'Arscn  I, 
3067  B,  en  possède  un  exemplaire  qui  a  ap- 
partenu à  de  Beauchamps,  auteur  des  Re- 
cherches sur  les  théâtres,  dont  la  signaturo 
se  trouve  au  recto  du  prem  er  feuillet. 

La  seconde  édition  existante  des  œuvres 
de  Hroswitha  porte  pour  titre  :  HnoswiTHyE, 
illustris  virginis  natione  Germanicœ,  gente 
Saxonica  ortœ  ,  in  monasterio  Gandeshei- 
mensi  quondam  rcligiosœ  sacerdotis,  opéra, 
partim  soluto,  parlim  vincto  sermonis  génère 
ab  ea  conscripta  duobus  abhinc  sœculis  a 
Conrado  Celle  formis  primum  expressa,  nunc 
denuo,  multorum  rogatu,  ad  usum  publicum 
recognita,  et  ab  inficeto  scribendimore  repur- 
gata,  cura  et  stldio  Henmci  Leonardi 
Schurzfleischii.  Accessit  ejusdem  Prœfatio, 
cum  adjecto  indice.  Vitem berge  SaxoNlm, 
apld  Christian.  Scurodterum,  acad.  typ. 
anno  mdccvii.  M.  Magnin  a  relevé  l'incorrec- 
tion de  cette  date,  et  l'a  reportée  à  1717. 
Ce  livre  est  dédié  à  Henriette-Christine,  du- 
chesse do  Brunswich  et  abbesse  de  Gandes- 
heim ;  elle  contient  lvi- 232  pages,  plus  la 
dédicace  de 8  pages  et  un  index  de2i  pages, 
de  format  m-k°.  On  y  trouve  successivement 
une  préface  de  Schurzfleisch,  la  préface  en 
prose  de  Conrad  Celtes,  les  pièces  de  vers 
des  savants  amis  de  Celles,  la  Vie  de  Ros- 
witha  par  Henri  Meibome  l'aîné,  et  un  in- 
dex grammatical  des  termes  et  des  mots  la- 
tins singuliers  employés  par  Hrotsvitha.  Ce 
travail  de  Schurtzfleisch  reproduit,  quant  au 
texte,  sauf  quelques  variantes  dont  on  n'a 
pas  la  clef,  l'édition  de  Celles  avec  une  très- 
grande  exactitude. 

Le  Panégyrique  des  Othons  a  été  imprimé, 
en  outre,  dans  le  Collect.  scr.  Germanie; 
Hanoviœ,  1619,  cl  Francol'urt.,  1621  de  Just. 
Rcuber.  ;  dans  le  Hist .  Widckind.  (  inter  pro- 


.H  9  1IH0  DICTIONNAIRE 

bntionesj  de  Henri  Meibome  l'aîné  dans  le 
lier.  Germanie.,  1. 1",  de  Henri  Vieil),  le  jeune 
et  enfin  dons  les  Monum.  Germanie,  t.  VI, 
p.  317,  de  VI.  Perlz. 

Leucfeld  (Antiquit.  Gandesheim.),  Leibnitz, 
(  Scr.  rer.  lirunswicar.)  ont  publié  le  poème 
de  Hrolswihe  sur  son  abbaye;  AI.  Perlz 
(  loc.  sup.  cit.)  en  adonné  une  édition  nou- 
velle, collaliounée,  comme  nous  l'avons  dit 
[.lus  haut,  sur  un  manuscrit  jusque-là  in- 
coniiu. 

M.GustaveFrevlag,en  Allemagne.dansune 
Notice  sur  Hrolswithe  (De  Hrotswilh  poelr., 
Wratislawiac,  1839,  iu-8°)  a  réimprimé  la 
comédie  d'Abraham 

VI.  Magnin,  en  France,  a  donné  en  entier 
le  texte  du  théàtie  de  Hrolswithe,  revu  avec 
soin  sur  le  manuscrit  de  Munich,  collatinnné 
sur  les  éditions  antérieures,  et  enrichi  d'ob- 
servations critiques  d'une  neltelé  si  rigou- 
reuse qu'elles  ont  élé  adoptées  généralement 
comme  des  conclusions  inattaquables.  Le 
texle  a  élé  traduit  pour  la  première  fois 
avec  une  élégance  ebaliée  et  unp  exactitude 
qui  ne  laissent  rien  à  désirer  et  qui  rendent 
comme  impossible  tout  autre  travail  de 
même  nature.  (Chaules  Magnin,  membre 
de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-let- 
tres, Théâtre  de  Hrotswilha,  religieuse  alle- 
mande du  x'  siècle;  Paris,  B.  Dupral,  18V5, 
in-8°  ).  Celte  édition  reproduit  presque  tou- 
tes les  gravures  sur  bois  de  celle  de  Celles. 
Une  préface  et  des  notes  la  complètent,  et 
en  font  un  de  ces  précieux  monuments  scien- 
tifiques, accessibles  à  toutes  les  intelligen- 
ces et  à  toutes  les  éducations,  tels  que  la 
France  seule  a  le  secret  d'en  élever  à  toutes 
les  gloires. 

Dix  ans  avant  de  donner  le  théâtre  de 
Hrolswithe,  M.  Magnin.  dans  son  cours  pro- 
fessé à  la  Faculté  des  Lettres  (  Journal  gé- 
néral de  l'instruction  publique,  k  décembre 
1834.  —  6  mars  1836,  xvi',  xvne  et  xviii'  art. 
du  1er  semestre  p.  25G,  275,  328)  avait,  pour 
ainsi  dire,  révélé  à  l'Allemagne  «  ce  rare 
oiseau  de  Saxonie.  »  selon  l'expression  de 
H'  nri  Bodo. 

En  1839,  un  nouvel  arlicle  du  môme  sa- 
vant maintint  éveillée  l'attention  du  monde 
lettré.  (Revue des  Deux-Mondes,  1839,  cahier 
du  15  novemb  e. 

Déjà  VI.  Magnin  formulait  ses  principales 
opinions  au  sujet  de  ce  théâtre  si  curieux. 
C'était  pour  lui  la  preuve  de  la  perpétuité 
du  théâtre  des  temps  antiques  aux  temps 
modernes,  dans  les  siècles  même  les  moins 
littéraires  du  moyen-âge,  et  (iandersheim 
reste  comme  «  l'un  des  plus  glorieux  ber- 
ceaux de  l'art  des  Lope  de  Vega,  des  Caldé- 
ron  et  des  Corneille.  » 

Les  œuvres  de  Hrolswithe  furent  d'abord 
l'objet  d'un  doute  injurieux. 

Dom  Maugerard,  dans  un  article  publié 
par  le  Journal  Encyclopédique  de  1788  et  re- 
produit par  VEsprit  des  Journaux  français 
et  étrangers  (  Paris,  in-12,  avril  1788,  p.  257), 
faisant  connaître  l'édition  de  Hrolswithe, 
par  Conrad  Celte,  était  obligé  de  relu  1er 
une  opinion  d  jà  fort    répandue   qui   allli- 


DF.S  MYSTERES. 


Il  KO 


420 


uuait  à  Conrad  Celles    lui-même   les    œu- 
vres de  Hrolswithe,  ou  tout  au  moins  son 
théâtre 
Depuis  lors  ses  soupçons  se  sont  anéantis. 

L'année  même  où  parut  la  traduction  de 
VI.  Magnin,  en  18i5,  un  autre  critique  (celui- 
là  écrivant  pour  les  femmps  et  les  gens  du 
monde,  et  ne  visant  que  médiocrement  au 
labeur  scientifique}  examina  le  théâtre  de  la 
célèbre  allemande. 

VI.  Philaièle  Chasles,  dans  l'article  que  la 
Bévue  des  Deux-Mondes  publia  de  lui  (Hros- 
vitha  et  ses  contemporains,  1845,  in-8",  p.  707) 
a  expriméquelques-unesdeces  opinionssin- 
gulièresqu  il  estcurieuxderappeler.  Suivant 
ce  littérateur  ingénieux,  l'église,  plulôlque  la 
salle  du  chapitre  de  Gaudersheim,  aurait  été 
le  théâtre  des  représentions  de  Hrosvitha; 
celle-ci  a  dû  jouer  le  rô'e  principal  dans  ses 
drames;  et  très-cerlainement ,  quoiqu'en 
aient  dit  quelques  savants  étrangers,  entre 
aulresM.  Priée,  éditeur  de  Warton,  ces  [dé- 
cès de  Hrosvitha  ont  été  destinées  à  la  re- 
présentation et  représentées  en  effet.  C'est 
ce  que  M.  Chasles  s'applique  à  prouver  par 
la  réunion  d'un  grand  nombre  de  faits  qui 
établissent  très-positivement,  en  Allemagne 
et  au  x*  siècle,  un  très-grand  mouvement 
intellectuel  inexactement  appréciéjusq  /.ci. 
Mais  ce  qui  donne  à  cet  article  de  VI.  Chasles 
ai  intérêt  particulier,  c'est  la  conviction 
qu'exprime  son  auteur  de  pouvoir  retrouver 
sous  la  prose  prétendue  de  Hrosvitha  une 
forme  rhythmique  et  des  vers  rimes,  libres, 
de  toute  espèce  de  pieds,  dont  l'abbesse  de 
(iandersheim  subit  la  loi,  même  dans  des 
phrases  très-brèves.  L'allitération  et  la  rime 
sont  deux  éléments  européens  appartenant 
aux  races  barbares  et  illélrécs,  et  ne  se  rat- 
tachent en  rien  ni  à  la  civilisation  ni  à  la 
poésie  païennes  :  d'autant  que  ce  n'est  pas 
là  qu'on  les  trouve,  mais  seulement  parmi 
œs  plus  anciens  poêles  du  Nord.  Hroswithe 
écrivant  dans  le  Nord  et  pour  être  entendue 
des  masses,  a  dû  se  servir  au  moins  de  la 
rime;  et  pour  en  prouver  l'usage,  le  spirituel 
écrivain  restitue  deux  ou  trois  fragments 
Irès-courls  tirés  d'Abraham 

Personne  n'a  répliqué,  que  nous  sa- 
chions. Dans  la  crainte  d'avoir  à  taxer  do 
quelque  légèreté  le  jugement  de  M.  Phila- 
rète  Chasles,  on  a  gardé  un  silence  bienveil- 
lant. Vlais,  quoiqu'il  soit  difficile  de  porter 
sur  une  époque  et  des  choses  encore  si 
obscures,  un  arrêt  suffisamment  motivé,  il 
est  à  craindre  que,  dans  l'ardeur  des  nou- 
veautés, le  critique  n'ait  confondu  avec  un 
système  rhythmique  régulier,  l'évidente 
abondance  des  assonances,  des  consonnan- 
ces  et  des  allitérations  qui,  au  %'  siècle,  rem- 
plissent tous  les  écrits  en  prose  ou  en  vers. 
Les  prétendus  vers  libres  de  Hroswithe  ne 
seraient  donc  que  l'inévitable  retour  de  ces 
sons  analogues  ou  identiques.  Ce  qui  con- 
firmerait cette  opinion,  c'est  que,  nulle  autre 
part,  Hrosvitha  n'a  employé  la  rime,  et  que 
surtout,  dans  ces  légendes,  non  moins  popu- 
laires que  son  théâtre,  elle  s'est  servie  non 


421 


ir.\ 


DICTI0NNAI1Π DES  MYSTERES. 


IGN 


422 


pas  du  système  (iin.-  lui  attribue  dans  ses 
drames  M.  Chasles,  el  qui  sans  doute,  lui 
étant  familier,  lui  eût  été  plus  facile,  mais 
au  contraire  du  système  môme  de  l'ancienne 
poésie  laljne,  dont  la  mesure  devait  bien 
certainement  la  gêner  davantage,  quelque 
habituée  qu'elle  y  put  être  par  l'étude.  En- 
tin,  il  serait  impossible,  malgré  l'abondance 
des  assonances,  de  retrouver,  constamment 
ces  prétendus  vers  rimes,  et  il  n'y  a  pas  lieu 
de  considérer  comme  altéré  le  texte  qui  nous 
reste  des  œuvres  de  Hroswithe.  Elle  a  donc 
écrit  son  théâtre  en  prose;  seulement,  dans 
cette  prose,  selon  le  goût  de  son  temps, 
abondent  l'allitération,  les  assonances  elles 
consonnances. 

M.  Patin  a  dit  de  Hroswithe  (Journal 
des  Savants,  octobre  18U3J  :  «  Hrosvitha  avait 
lu  Térence  el  charmée...  avait  conçu  l'idée 
de  tournera  une  fin  pieuse  l'art  profane  du 
Ménandre  latin...  Si  elle  ne  reproduit  pas  le 
mètre  (Je  Térence,  les  rimes,  les  assonances 
distribuées  artisli  ment  dans  sa  prose,  d'après 
un  procédé  alors  général,  y  introduisent  une 


cadence  souvent  assez  agréable  à  l'oreille  et 
bien  voisine  de  la  versification..  Mais  c'est 
surtout  dans  la  conformité  des  sentiments  et 
des  discours  de  ses  personnages  avec  leur 
caractère,  leur  situation,  dans  l'expression 
simple,  naturelle,  délicato  même,  des  mou- 
vements du  cœur  que  Hrosvitha  se  montre 
heureusement  inspirée  de  l'esprit  du  poëte 
latin...  (P.  598,  99.)  La  matière  ordinaire  de 
ses  drames...  c'est...  l'ardeur  de  la  foi,  l'a- 
version du  monde  et  même  de  la  vie,  en  vue 
des  choses  de  l'éternité,  la  joie,  la  volupté 
du  martyre...  quand  il  s'agit  des  pécheurs, 
la  charité  qui  leur  vieil  en  aide,  la  pénitence 
qui  les  relève,  la  miséricorde  divine  qui  les 
accueille.  »  (P.  603.) 

HYPODIACKES  (Les). -La  Vêle  des  Hypo- 
diacrescsl  un  des  noms  qu'a  reçus  au  moyen 
âge  la  fête  des  fous.  —  Voy.  Fête  des  Fous. 

HYPPOLYTE  (Sawt).  —  La  vie  de  mon- 
seigneur saint  Hijppolile  fait  partie  du  mys- 
tère  de    saint    Laurent.    —    Voy.  Laurent 

(Saint). 


IGNACE  LE  GRAMMAIRIEN.  — Le  gram- 
mairien Ignace  n'est  connu  que  par  le  témoi- 
gnage de  Suidas  (Fabkicii  Bibliolk.  grœca, 
t.  1",  p.  638.)  Il  vivait  au  commencement  du 
ix'  siècle.  D'abord  diacre  et  gardien  des 
vases  sacrés  dans  l'église  de  Constanlinople, 
il  s'éleva  par  son  mérite  à  la  dignité  de  mé- 
tropolitain dans  l'Eglise  de  Nicée.  Il  est  resté 
de  lui  des  ouvrages  en  prose  el  en  vers  que 
Léo  Allatius  avait  eu  l'intention  de  publier 
(  Euslhalliii  Antioch.  Hexacmer.,  p.  284),  et 
le  drame  d'Adam.  —  Voy.  Adam. 

IGNACE  (Saint).  —  Le  Miracle  ae  saint 
Ignace  est  tiré  du  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque impériale,  n°  7208.  h.  B.  folio  16, 
r8  col.  2. 

MM.  Monmerqué  cl  Fr.  Michel,  dans  leur 
Théâtre  français  au  moyen  âge  (Paris,  1839, 
gr.  in-8°,  p.  265-294),  en  ont  les  premiers 
publié  le  lexte;  leur  édition  est.  accompa- 
gnée d'une  version  en  langage  moderne,  à 
laque  le  la  critique  a  reproché  sa  trop  smi- 
puleuse  exactitude. 

PERSONNAGES. 

IGNACE.  C.ONDOF0RE. 

l/EMPEREUR  TRAJAN.  DiF.U. 

PREMIER  CHEVALIER.  PREMIER  ANGE. 

DEL. MEME  CHEVALIER  MICHEL. 

mvl-assis,   premier  scr-     nostre-dame. 

geill.  GABRIEL. 

couche  .  deuxième  ser-    l'ermite. 
geiil.  IESENAC. 

ABBANES. 

(Ici  commence  un  miracle  de  saint  Ignace.) 
SCÈNE  i", 

SAINT   IGNACE. 

IGNACE.  Dieu  de  gloire,  pur  esprit,  qui  n'avez  ni 
commencement  ni  lin,  Soigneur,  je  vous  en  prie  de 


lout  mongcœur:  envoyez  voire  paix  à  la  sainte 
Egiise;  el  amenez  à  croire  en  vous,  sire,  les  oeurs 
de  ceux  qui  nous  méprisent,  à  cause  de  voire  loi, 
cl  qui  ne  font  aucun  cas  de  vous,  (aille  de  connais- 
sance. Ah!  sire  Dieu,  par  voire  puissance,  leur  ouvrez 
l'entendement  de  leurs  cœurs,  en  sorle  qu'ils  puis- 
seul  avoir  foi  en  vous,  pratiquer  les  bonnes  oeuvres, 
el  cesser  de  servir  les  idoles. 

SCÈNE  IL 

L'EMPEREUR    TRAJAN  ,   CHEVALIERS  ROMAINS, 
SERGENTS,  MAL-ASSIS,  GAMACHE. 

l'empereur  trajan.  Seigneurs,  où  se  tiennent  les 
écoles  des  chrétiens?  le  savez -vous?  Je  les  hais  fort, 
je  vous  le  dis  bien  ;  car  leur  doctrine  esl  si  per- 
verse que  personne  ne  les  liante  sans  êlre  alliré  à 
eux  cl  sans  se  retirer  de  notre  loi. 

premier  chevalier.  Je  suis  loul  ébahi,  par  ma  foi  I 
mon  cher  seigneur!  qu'est  ce  que  ce  peut  être?  ils 
disent  que  leur  Dieu  voulut  naître  d'une  vierge  où  il 
se  mil,  el  puis  qu'il  ressuscita-  après  qu'il  cul  souf- 
fert la  mort;  ils  répèlent  encore  à  grand  bniii  que 
de  sa  propre  puissance  il  monta  aux  cieux  ,  et  qu'il 
viendra  à  la  fin  juger  tout  le  monde,  jeunes  et 
vieux. 

deuxième  chevalier.  Oui,  et  qu'il  n'y  aura  si  fin 
ni  si  bon  qui  ce  joui -là  ne  iremble,  chacun  el  tous 
ensemble  ayant  à  rendre  compte  de  la  durée  de  la 
vie.  il  faudra  un  bien  grand  espace  de  temps  pour 
en  finir  avec  chacun.  —  Sire,  en  voici  un  qui  vient, 
el  qui,  certes,  se  donne  bien  pour  capable  de  dire 
comment  leur  Dieu  voulut  naître  homme  el  Dieu. 

l'empereur.  Par  ma  tête  !  c'est  un  jeu  difficile. 
Quel  nom  a-l-il'r 

deuxième  chevalier.  Je  l'ignore.  ;  mais  il  esl  si 
subtil  que  dans  leur  loi  il  esl  nommé  évêque  ;  il  a 
plus  de  sens  que  n'en  cul  Sénèque  de  son  vivant. 

l'empereur.  Je  veux  le  savoir  quoi  qu'il  en  soit. 

SCÈNE  III. 

LES  MÊMES,  SAINT  IGNACE. 

l'empereur.  Toi  qui  vas  là  ,  parle-moi.  Quel  esl 
ton  nom,  el  quelle  loi  suis-tu  ?  Dis  moi  la  vérité. 


4i3 


IGN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IGN 


m 


ignace.  Sire,  puisqu'il  vous  plaît  d'en  savoir  lanl 
il  ost  jusie  que  je  no  vous  cache  rien.  Je  suis  chré- 
tien, j'ai  non)  Ignace,  et  suis  la  loi  de  Jésus-Christ, 
car  c'est  d'elle  seule  qu'il  est  écrit  :  Celui  qui  y  per- 
sévérera jusqu'à  la  fin  tera  suuvé.  Que  personne  n'en 
don le. 

l'empereur.  Et  lu  es  venu  en  ce  pays  pour  ame- 
ner les  païens  à  ta  loi  du  Christ?  Je  le  montrerai 
que  tu  n'es  qu'un  sot.  Seigneurs,  je  commande 
qu'on  le  lie,  et  que  vous  deux  vous  remmeniez  à 
Rome,  et  l'y  teniez  en  prison  jusqu'à  ce  que  j'y  sois 
de  retour,  car  c'est  1110.1  plaisir.  Là  j'en  forai  ce 
qu'il  me  plaira. 

MA.L-A.ssis,  premier  sergent.  Chacun  de  nous  a 
grand  désir,  mon  cher  seigneur  défaire  votre  vo- 
lonté. 

SCÈNE  IV. 

MAL-ASSIS,  GAMACHE,    IGNACE.  SEIGNEURS 
ROMAINS. 

mal-assis.  Compagnon,  il  nous  faut  mettre  les 
mains  à  l'œuvre. 

gamac  :e,  deuxième  sergent.  Moi,  me  voilà.  — 
Maître  Ignace,  ici  ces  mains,  ici  !  Certes,  ce  fui  la 
folie  qui  vous  conduisit  ici. 

ignace.  Ce  fui  la  grâce,  ami;  et  j'en  remercie  mon 
créateur. 

premier  sergent.  C'est  hien,  par  Mahomet!  nous 
vous  ferons  docteur  et  vous  ferez  vos  oraisons  en 
un  pelil  lieu  où, il  n'y  aura  pas  de  mauvais  murs. 

SCÈNE  V. 

ARGANES,  GONDOFORE. 

arcanes.  Gondofore,  j'ai  grand  pitié ,  mon  cher 
ami,  de  ce  prud'homme  ;  ces  sergents  vont  le  mener 
au  supplice  à  Rome,  d'après  les  ordres  de  l'empe- 
reur Tr.qan. 

gondofore.  Ahbanes,  mon  cœur  souflre  aussi 
beaucoup  pour  lui  car  je  vois  clairement  qu'aujour- 
d'hui Antioehe  perd  le  maître  de  la  vraie  science  ; 
en  effet,  tous  les  jours  il  niellait  diligence  à  nous 
donner  des  vertus  ,  ainsi  que  l'amour  et  la  connais- 
sance delà  bonté  de  Dieu:  c'est  pourquoi  sachez 
«pie,  en  quelque  lieu  qu'on  le  mène,  je  le  suivrai,  et 
saurai  en  quel  état  il  se  trouve. 

abbanes.  Je  vous  promets  que  je  ferai  de  même. 

gondofore.  Si  vous  le  voulez  ainsi,  je  suis  d'avis 
que  nous  allions  ensemble:  c'esl  le  mieux  à  ce  qu'il 
me  semble;  qu'en  diies-vous? 

abbanes.  Qu'il  en  soit  ainsi,  mon  doux  ami;  et 
maintenant  paix  ! 

SCENE  VI. 

SERGENTS  d'aUMES  ,  SAINT  IGNACE. 

premier  sergent.  Si  nous  sommes  ici  davantage  , 
lions  ne  vaudrons  pas  deux  boutons.  En  avant!  mel- 
lous-nous  en  roule.  —  Maître,  passez. 

deuxième  sergent.  Oui,  s'il  ne  veut  avoir  les  os 
cassés  de  ce  bâton.  Nous  lui  ferons  bientôt  faire 
connaissance  avec  les  prisons  de  l'empereur. —  En 
avant!  eu  avant!  Mellez-vous  là.  sans  plus  de  ré- 
flexions. 

le  premier  sergent.  A  moins  qu'il  ne  ronge  les 
murs  avec  ses  dents,  je  suis  sûr  qu'il  ne  nous  échap- 
pera pas.  Et  loi,  que  dis-tu? 

deuxième  sergent.  Je  dis  qu'il  nous  le  faut  garder 
un  certain  temps  jusqu'à  ce  que  l'empereur  soit 
venu.  A  ce  que  je  vois,  il  faii  peu  de  cas  des  belles 
gens. 

SCÈNE  VII. 

l'empereur,  seigneurs  romains,  sergents 
d'armes. 

l'empereur.  Seigneurs,  par  les  dieux  en  qui  je 
cois!  je  hais  lanl  ces   chrétiens  que  je  ne  souffri- 


rai pas  qu'il  en  resle  en  mon  royaume  un  seul  vi- 
vani,  quoi  qu'il  arrive  ;  et  de  l'ail,  je  vous  le  prou- 
verai aussitôt  que  je  serai  dans  mon  palais  qui  n'est 
guère  éloigné  d'ici.  Or  ça!  seigneurs,  je  veux  parler 
loui  de  suite  à  Ignace.  Faites  le  venir  ici  toùl  de 
suite. 

un  sergent..  Mon  cher  seigneur,  je  me  présente 
pour  aller  dire  à  ses  gardiens,  de  ne  pas  tarder  à 
l'amener. 

SCÈNE  VIII. 

SORGUES,  SAINT  IGNACE,  UN  SERGENT. 

un  sergent.  Eh  vite,  seigneurs,  vile,  amenez  lotis 
deux  Ignace  à  monseigneur. 

premier  sergent.  Ah  !  c'est  pour  cela  que  vous 
venez  ici,  allez,  nous  suivons  vos  pas. —Allons  ! 
sortez  de  là  dedans,  Ignace,  sur-le-champ. 

ignace.  Volontiers,  en  vérité,  seigneurs.  Allons! 
me  voici. 

deuxième  sergent.  Par  Maho-iiel!  je  veux  moi- 
même  vous  tenir,  el  bien,    maître. 

premier  sergent.  Allons  !  en  route,  auprès  de  i  em- 
pereur. 

SCÈNE  IX 

L'EMPEREUR  TRAJAN,  SAINT  IGNACE,  DIEU,  SAINT 
MICHEL,  ANGES,  CHEVALIEf.S  ROMAINS,  SER- 
GENTS d'armes,  PEUPLE. 

le  sergent.  Monseigneur ,  nous  vous  amenons 
votre  prisonnier. 

l'empereur  à  S.  Ignace.  Dis-moi  pourquoi  lu  as 
excité  des  rebellions  contre  moi  dans  la  cité  d'An- 
lioehe  ?  car  lu  as  tellement  perverti  les  habitants 
qu'ils  sont  presque  tous  convertis  au  christianisme. 

ignace.  Oh!  pul  ma  volonté  plaire  à  Dieu  !  el  je 
vous  convertirais  vous-même.  "Vous  auriez  laissé  vos 
idoles  et  prié  Jésus  Christ,  de  manière  à  posséder 
un  jour  le  royaume  des  délices  perpétuelles  ! 

l'empereur.  Sornettes  que  tout  cela  !  Tais  toi, 
sacrifie  à  nos  dieux  ;  et  cri  tous  lieux  lu  seras  le 
maître  el  le  prince  de  nos  préires,  et  lu  r<  gneras 
avec  moi  toute  la  vie. 

ignace.  Empereur,  vos  promesses  n'excilent  pas 
mon  envie.  Je  ne  cherche  ni  «les  honneurs  ni  des 
dignités  qui  ne  sonl  que  néant  ;  et  il  faut  le  «lire, 
faites  de  moi  selon  vos  caprices  ,  car  vous  ne  m'a- 
mènerez pas  au  crime  des  sacriliceset  de  l'hommage 
à  vos  dieux. 

l'empereur.  Seigneurs,  allons,  vite!  dépouillez  ic 
ici  toul  nu  en  ma  présence,  el  donnez-lui  sur  les 
épaules  lant  de  coups  de  lanières  plombées  qu'il  ait 
la  chair  meurtrie  el  les  os  rompus,  puis  dé<  hirez- 
lui  les  côlés  avec  des  peignes  aigus  el  acérés  ;  en- 
suite frôliez  forl  les  plaies  avec  des  pierres  tran- 
chantes. 

deuxième  sergent.  Monseigneur,  j'ai  grand  désir 
d'accomplir  votre  volonté.  —  Allons ,  maître  dé- 
pouillez-vous, mais  non  pas  pour  vous  coucher. 

ignace.  Ami,  je  suis  tout  joyeux  et  content  de  le 
faire. 

premier  sergent.  Par  ma  foi!  tu  es  bien  mal  avisé 
de  mieux  aimer  la  peine  et  les  tourments  que  le 
commandement  avec  l'empereur.  Nous  verrons  tous 
la  belle  figure  que  tu  nous  feras.  —  En  avant,  Ga- 
inache!  il  le  fatil  lier  d'abord  à  ce  poteau. 

deuxième  sergent.  C'est  vrai.  Faisons  vile.  Liez- 
lui  les  pieds,  Mal-Assis  :  voici  cinq  ou  six  liens  ; 
quant  à  moi,  je  lui  lierai  les  bras  de  manière  à  ne 
mériter,  je  le  crois,  aucun  reproche. 

ignace.  Mon  Dieu,  qui  vous  êtes  laissé  étendre  et 
clouer  sur  la  croix  pour  délivrer  les  vôtres  de  feuler, 
accourez  pour  affermir  mon  cœur,  et  secourez-moi 
dans  l'extrémité  où  je  me  trouve,  en  sorte  que  je  ne 
me  sépare  pas  de  vous,  mais  que  je  puisse  attirer 
ces  mécréants  à  votre  service. 

deuxième  sercent.  Mal-Assis,  il  n'est  pas  temps 


4i>5 


ICN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


426 


de  muser,  f.c  voici  lié,  comme  il  convient,  achevons 
le  reste,  et  commençons  à  le  battre  sans  retard. 

premier  sergent.  Méchant,  liens,  tu  auras  ce 
coup  île  cette  lanière  plomliée.      • 

deuxième  sergent.  Et  celui-ci.  Par  Ma  foi  due  à 
'.on  Dieu!  Sens-tu  si  ma  lanière  pèse?  tiens,  ju- 
ges-en. 

premier  sergent.  Il  n'a  pas  encore  la  chair  assez 
bise  ni  assez  rouge,  Gamache.  Frappe  comme  moi, 
si  bien  que  chaque  coup  fasse  lâche. 

deuxième  sergent.  Ainsi  fais-je,  par  l'âme  de 
mon  père!  Regarde  ;  est-ce  frappé  bien  fort?  Il  n'y 
a  pas,  à  ma  connaissance,  de  vilain,  quelque  ro- 
buste qu'il  fût,  qui  n'en  fût  rompu. 

[/EMPEREUR.  11  faut  s'y  prendre  autrement,  sei- 
gneurs, ou  vous  ne  l'aurez  pas.  Enfoncez-lui  sur-le- 
champ  les  peignes  de  fer  dans  les  côtés,  de  manière 
à  lui  déchirer  la  chair,  tellement  que  le  sang  en 
jaillisse  :  par  ce  moyen  vous  en  viendrez  sûrement 
à  bout. 

premier  sergent.  Nous  le  ferons  sans  attendre. 
—  G  imacbe,  prenons  nos  peignes  et  grallons-lui-en 
les  côtés  pour  le  restaurer. 

deuxième  sergent.  Qu'il  en  soit  ainsi  sans  relard. 
Etrille  ce  côté  de  là;  moi,  de  l'autre,  j'étrillerai 
aussi  fortement  ce  misérable. 

ignace.  Doux  Jésus,  fils  du  Dieu  vivant,  soyez 
ma  consolation  et  mon  réconfort  en  celle  souffrance 
amère,  Seigneur  ! 

l'opereur.  Ignace,  Ignace,  dis-moi,  que  gagnes-tu 
aux  tourments  de  ce  martyre?  Il  vaudrait  mieux  de- 
mander grâce,  et  crier  merci  à  nos  dieux,  que  de 
tant  sonlfrir  et  de  laisser  ainsi  honnir  ton  corps. 

ignace.  Non,  Trajan,  je  suis  si  fort  et  si  résolu 
contre  la  souffrance,  que  vous  n'aurez  pas  même 
une  plainte  de  moi,  quels  que  soient  vos  supplices. 
Pour  Dieu!  ne  pensez  qu'à  vous;  croyez-en  ce  Dieu 
qui  vous  a  fait,  el  qui  vous  défera  de  même,  quand 
il  lui  plaira  :  c  est  Jésus-Christ,  c'esteelui  dont  l'Ecri- 
ture dit  qu'il  est  le  plus  grand  des  plus  grands,  le 
seigneurdesseigneurs,  et  le  roi  des  rois. 

l'empereur.  Me  parles-tu  de  pareilles  sottises?  Je 


le  montrerai  quelle  est  (a   folie. 


seigneurs,  je 


veux  qu'on  le  délie  sur-le-champ,  n'attendez  plus;  et 
élenilez  des  charbons  ardents,  sur  lesquels  nous  le 
ferons  aller  nu  -pieds  ;  alors  nous  verrons  ce  qu'il  en 
pourra  être. 

premier  sergent.  Sire,  à  l'instant  môme  vous  se- 
rez obéi  :  je  vais  le  délier  du  poteau.  —  Va  nous 
chercher  du  feu,  Gamache,  sur-le-champ. 

deuxième  sergent.  Coiiipaguoii  Mal-Assis,  volon- 
Vers.  Allons    j'en  vais  quérir. 

iiitx'.  Mésanges,  sus!  Secourez  de  suite  Ignace  et 
que  le  feu,  apprêté  pour  ses  pieds  nus,  ne  lui  cause 
ni  mal  ni  frayeur.  Dans  son  martyre  pour  moi,  je  ne 
veux  pas  l'abandonner,  pas  lui  manquer.  Faites  en 
sorte,  à  son  premier  pas,  d'éleindre  le  leu  incon- 
tinent. 

premier  ange.  Sire,  nous  ferons  volontiers  ce  que 
vous  dites  :  c'est  juste.  — Michel,  allons  sans  retard. 

MiciiEi,.  Ce  que  Dieu  veut  doit  nous  plaire;  allons, 
ami! 

deuxième  sergent.  Tiens!  voici  du  feu  que  j'ai  eu 
beaucoup  de  peine  à  allumer  ;  celui  pour  qui  je  l'ap- 
porte devrait  m'en  savoir  gré. 

premier  sergent.  Tu  dis  vrai;  d'autant  que.  sans 
plaisanter,  cela  fait  bien  son  affaire.  —  Sire,  vou- 
lez-vous qu'on  le  fasse  aller  dessus? 

l'empereur.  El  quoi  donc?  Sans  plus  parler,  je 
veux  qu'il  y  aille  loin  nu -pieds,  de  sorte  qu'il  en  ail 
la  plante  cuite  el  brûlée. 

premier  ange.  Ignace,  ne  redoute  point  le  feu, 
va  sûrement  sans  retard  :  nous  sommes  venus  le 
garder,  nous,  anges  des  cieux;  cl  Dieu  même  nous 
a  envoyés  ici  pour  te  défendre. 

ignace.  Je  dois  bien  lui  en  rendre  grâces.  —  Em- 
pereur, ne  savez-vous  point  que  je  ne  puis  faire  un 

Diction*,  des  Mystères. 


seul  pas  sans  avoir  â  mes  côlés  mon  bon  Dieu  qui 
ne  déçoit  personne,  qui  me  garde  el  me  lient  en  vie, 
et  auquel  vous  ne  portez  que  haine  et  que  rage? 
Certes,  il  n'est  pas  d'inventions,  de  tourments  ,  ni 
sur  mon  corps  d'essais  de  supplices,  que  pour  mon 
Dieu  je  ne  soutienne  avec  la  joie  dans  le  cœur,  quoi 
qu'il  arrive.  Non,  les  douleurs  ou  la  crainte  du  feu 
ardent,  de  l'eau  bouillante  ou  des  bêtes  sauvages, 
n'éteindront  pas  dans  mon  cœur  la  charité  ou  l'amour 
de  mon  Dieu;  non,  je  ne  crains  pas  davantage  de  mar- 
cher nu-pieds  sur  ces  charbons  ardents  :  j'y  vais  à 
l'instant  même.  Maintenant,  vois  si  j'y  passe  et  re- 
liasse et  m'y  tient  dessus  tranquillement.  Voilà,  dis- 
je,  des  faits  qui  témoignent  pour  mon  bon  Dieu. 

l'empereur.  Prenez-le  vite,  et  mettez-le,  vous 
deux,  en  une  si  rude  prison  qu'il  raballe  de  son  ca- 
quet et  de  son  éloquence. 

deuxième  sergent.  Sire,  je  veux  y  mettre  dili- 
gence pour  l'amour  de  vous. 

premier  sergent.  Je  ferai  de  même  sans  relard. 
Allons,  Ignace,  avancez  !  Certes,  vous  avez  à  subir 
des  moments  peu  gais. 

ignace.  Amis,  je  n'ai  aucune  crainte;  car  mon 
Dieu ,  pour  lequel  je  souffre,  est  avec  moi  ;  il  m'ai- 
dera. 

deuxième  sergent.  Je  sais  bien  qu'il  le  fera,  vrai- 
ment. Allons,  allons!  entrez  par  celte  porle;  main- 
tenant amusez-vous  à  votre  aise  ! 

premier  sergent.  Il  peut  bien  dire  vraiment  qu'il 
est  dans  un  lieu  obscur  et  noir,  et  où  il  ne  peut 
avoir  clarté  de  nulle  pari. 

deuxième  sergent.  Mal-Assis,  c'est  un  sot  rado- 
teur, il  paye  cher  sa  folie.  Laissons-le  ;  allons  ver;? 
l'empereur.  Je  ne  crains  point  qu'il  s'échappe  :  la 
porle  el  le  pêne  de  la  serrure  sont  trop  forts. 

SCÈNE  X. 
l'empereur,  chevaliers. 

l'empereur.  Seigneurs,  quels  ennuis  me  cause 
cet  Ignace?  Maigre  tous  les  tourments  que  je  lui  ai 
fait  endurer,  il  ne  cesse  point  de  prêcher  la  loi  et  ne 
renonce  pas  à  l'amour  de  son  Dieu  :  noire  religion 
en  lombe  dans  le  mépris  et  il  convertit  à  la  sienne 
un  grand  nombre  de  nos  gens. 

premier  chevalier.  Cher  sire,  lui  et  lous  les 
Chrétiens  ont  des  paroles  si  insinuantes,  si  douces 
et  si  aimables,  qu'en  parlant  il  semble  qu'ils  oignent 
le  cœur  des  gens;  ils  arrivenl{ainsi  à  surexciter  tel- 
lemenl  qu'ils  font  accroire  ce  qui  n'est  ni  ne  peu» 
êlre  vrai. 

deuxième  chevalier.  Alors  il  faul  mettre  bon  ordre 
à  ce  que  chacun  évile  les  Chrétiens,  alin  que  nul 
ne  s'empresse  d'embrasser  une  pareille  croyance. 

l'empereur.  Mais  comment  cet  Ignace  a-t-il  la 
force  d'endurer  les  tourments  qu'il  souffre,  el 
comment  peut-il  tant  vivre?  En  vérité  j'en  suis  tout 
ébahi;  il  semble  qu'il  ne  sente  pas  le  moins  du 
monde  le  mal  qu'on  lui  fait. 

premier  chevalier.  Peut-être  a-l-il  quelque  secret 
pour  affaiblir  et  anéantir  les  tourments.  Sire,  je 
crois  qu'il  lui  faudrait  un  plus  rude  martyre,  pour 
abattre  sa  force  el  son  caquet. 

deuxième  chevalier.  Qui  sait  s'il  ne  connaît  point 
d'herbes  par  le  moyen  desquelles  il  ne  n  ssenle 
aucun  mal?  dans  tous  les  cas,  il  a,  sans  mentir,  la 
langue  bien  affilée. 

l'empereur.  Attendez  ,  seigneurs  ;  avant  que  celle 
semaine  soit  passée,  je  vous  le  promets,  je  livrerai  sou 
corps  à  de  tels  tourments  que ,  faisant  ii  de  son  Jésus , 
il  s'écriera  :  <  Je  veux  tenir  la  loi  des  païens  ,  el  je 
renie  la  foi  chrétienne  et  le  sacrement  du  baptême,  » 
ou  je  perdrai  la  raison.  Asseyez-vous  ici  sans  plus 
y  songer,  moi  je  vais  rêver  au  moyen  de  l'avoir 
plus  sûrement  :  si  j'emploierai  de  bounes  paroles  ;' 
son  égard,  ou  si  j'agirai  autrement. 

l'i 


427  1GN  DICTIONNAIRE 

SCÈNE  XI. 

gondofore,  abbanes,  bourgeois  cTAntioche, 

SAINT  IGNACE. 

gondofore.  Abbanes,  le  sort  d'Ignace  me  fend  le 
cœur  de  pitié.  Ce  déloyal,  pervers  el  mauvais  em- 
pereur l'a  tourmenté  comme  vous  et  moi  nous  avons 
vu;  et  j'ai  été  bien  émerveillé  de  la  douceur,  de  la 
patience  el  de  la  joie  de  cœur  du  saint  homme  dans 
ses  maux. 

abbanes.  Gondofore,  il  l'a  tourmenté  beaucoup, 
sans  cause  et  sans  raison,  el  puis  il  l'a  fait  mettre 
en  prison  laide  el  obscure. 

gondofoke.  C'est  vrai ,  el  j'en  prendrais  soin 
très-volontiers,  si  je  savais  comment  lui  parler; 
s'il  arrivait  que  je  le  visse,  je  m'enquenais  de  son 
é;at. 

abbanes.  Mou  cher  ami ,  l'homme  propose  et  Dieu 
dispose,  c'est  la  vérité.  Allons-nous-en  là  tout 
bonnement;  peut-être  le  verrons-nous  el  pourrons- 
nous  lui  parler. 

gondofore.  Vous  dites  bien,  que  Dieu  ail  l'œil 
sur  moi!  Allons  et  examinons  bien  les  êtres.  Eh, 
regardez!  voilà  une  fenêtre  qui,  vraiment,  me 
semble  donner  de  la  clarté  là -dedans.  EU  bien  ! 
allons  là. 

abbanes.  Allons  !  je  crois  que  ce  jour  donne  où 
on  l'a  mis. 

ignace.  Que  Dieu  vous  garde  de  mal ,  mes  amis  ! 
je  vous  vois. 

abbvnes.  Ah!  sire,  que  Dieu  vous  veuille  mettre 
prochainement  hors  ce  lieu  !  Et  comment  allez- 
vous?  pour  Dieu  ,  dites-le-nous. 

ignage.  Bien,  s'il  plaît  à  Dieu  ,  mes  doux  amis; 
néanmoins  j'ai  beaucoup  à  souffrir  parce  que  je  me 
refuse  à  croire  en  Mahomet. 

gondofore.  Père  en  Dieu,  c'est  tres-vrai;  nous  le 
savons  :  car  sitôt  que  vous  partîtes  d'Aniioche, 
nous  vous  suivîmes  el  nous  nous  en  vînmes  derrière 
vous.  Nous  savons  ce  que  vous  avez  souffert.  Notre 
désir  serait  d'affermir  nos  eœ;irs  en  Dieu;  veuillez- 
donc,  sire,  nous  enseigner  la  doctrine  précieuse, 
afin  que  nous  soyons  empêchés  d'errer  dans  lu  foi 
par  ignorance. 

ignace.  Quand  vous' n'aurez  point  de  lié. leur 
dans  l'amour  ardent  du  Seigneur ,  c'est-à-dire  quand 
vous  en  serez  venus  à  ce  poinl  de  l'aimer  lani  dans 
votre  cœur  que,  hormis  son  amour,  vous  négligerez 
el  vous  mépriserez  toute  chose,  même  votre  propre 
personne,  alors  vous  serez  parfaits  et  proclamés 
ses  vrais  amis.  Et  je  vous  dis  que,  si  vous  l'aimez 
ainsi  ,  la  foi  vous  mettra  à  des  épreuves  qui  vous 
feront  avancer  de  plus  en  plus  dans  la  voie  des 
bonnes  œuvres;  alors  vous  serez  purifiés  du  péché, 
et  vous  connaîtrez  que  dans  le  monde  il  n'y  a  que 
mécbancelé  el  malice  ;  alors  vous  haïrez  le  vice 
pour  aimer  la  verlu;  les  anges  seront  vos  amis,  et 
vous  aurez  puissance  el  domination  sur  les  dé- 
mons; alors  par  contemplation  vous  pourrez  réjouir 
votre  cœur  en  Dieu;  car  rien  ne  pourra  vous  nuire, 
ni  le  ciel  ni  l'enfer,  ni  la  terre  ni  la  mer!  C'est 
pourquoi  pensez  à  aimer  avec  foi  ce  doux  Jésus,  le 
souverain  des  amoureux  ,  le  trésor  de  bien  inépui- 
sable, le  maître  inestimable  qui  peul  loul,  el  qui  n'a 
ni  commencement  ni  lin;  el  si  vous  l'aimez  ainsi 
que  je  vous  le  dis,  je  suis  certain  qu'il  vous  fera 
régner  glorieusement  comme  des  rois  puissants. 

abbanes.  Père  en  Dieu,  quelle  noble  mémoire  est 
en  vous!  combien  votre  science  est  profonde!  Quand 
on  commence  une  telle  vie,  sur  quelle  verlu  doil-on 
se  fonder  spécialement  pour  se  purifier  de  ions  pé- 
chés? car  celui  qui  n'a  pas  un  bon  commencement 
ne  peut  bien  unir.  Veuillez  nous  instruire  sur  ce 
point. 

ig.wce.  Mes  amis,  il  faut  fonder  sa  vie  sur  la 
vertu  d'humililé;  sinon,  je  vous  le  dis,  l'on  ne  fait 
que  néant.  Ainsi  celui  qui  rassemble  des  vertus  en 


DES  MYSTERES. 


IGN 


HZ 


lui  sans  y  comprendre  l'humilité  ,  ressemble  à 
l'iiomme  qui  amasse  de  la  poussière,  que  lèvent 
enlève  et  détruit  :  c'est  une  chose  vraie,  et  dite 
par  saint  Grégoire.  Au  contraire  ,  quand  on  est 
humble  de  cœur  cl  que  l'on  a  entièrement  extirpé 
de  son  âme  l'orgueil  qui  la  détruit  et  la  confond, 
alors  l'on  en  vienl  aux  vertus  qui  enrichissent  l*es- 
prilde  science,  de  conseil  el  de  sagesse,  de  piété 
el  d'entendement,  du  don  de  force  aussi  bien  que 
de  la  crainte  de  Notre-Seigneur,  qui  n'est  pas  une 
verlu  moindre  que  les  autres,  ainsi  que  le  dit  mon 
livre;  car  toujours  elle  fait  bien  vivre  l'âme.  Quand 
vous  agirez  ainsi,  je  vous  dis  que  vous  serez  béni» 
de  Dieu. 

gondofore.  Sire,  il  pourrait  survenir  ici  quelque 
personne  qui  vous  blâmerait  ou  vous  calomnie- 
rait, ou  qui  s'effraierait  de  nous  voir;  nous  allons 
donc  prendre  congé  de  vous  à  l'instant,  en  vous  re- 
commandant à  Dieu;  une  autre  fois,  nous  nous  ver- 
rons plus  à  loisir. 

ignace.  Plaise  à  Dieu  qu'il  en  soit  ainsi  !  Vous  dites 
bien  :  oui,  allez-vous-en;  mais,  je  vous  en  prie,  quel- 
ques paroles  que  vous  prononciez,  que  toujours  vo- 
ire pensée  ail  pour  but  l'amour  de  Dieu.  A  celle 
heure,  je  ne  vous  dirai  rien  de  plus,  mais  je  vous  re- 
commanderai à  Dieu  et  à  sa  garde. 

abbanes.  Gondofore,  quand  j'examine  et  consi.lèro 
la  patience  dans  les  faits,  et  la  science  dans  les 
discours  que  possè  le  cet  homme,  je  liens  que  le  Dieu 
de  paradis  habile  en  lui. 

gondofore.  Aussi,  certes,  il  est,  suivant  moi.d'up 
grand  mérite  et  d'une  haute  perfection  devant  Dieu. 
Autrement,  comment  eût-il  pu  échapper  au  péril 
qu'il  a  déjà  couru? 

abbanes.  Gondofore,  vraiment  je  ne  sais;  je  suis, 
certain  que  D  eu  le  soutient.  Allons,  compagnon!  il 
faut  maintenant  nous  séparer  de  lui,  et  prendre 
notre  repas  pour  soutenir  notre  vie.  Allons  dîner 
loul  de  suite  :  il  en  est  temps. 

gondofore.  Allons-y  donc  ;  et  puis,  sans  tarder, 
nous  reviendrons  vers  la  cour  savoir  si  on  lui  rcmlru 
la  liberté  ou  ce  qu'on  eu  fera. 

SCÈNE  XII. 

L'EMPEREUR,  SAINT  IGNACE,  CHEVALIERS 
ROMAINS,  SERGENTS,  PEUPLE. 

l'empereur.  Eb  quoi,  seigneurs.  Ce  sorcier  sera- 
l-il  toujours  vivant?  J'en  ressens  un  grand  chagrin  cl 
beaucoup  d'envie.  Allez  le  chercher,  vous  deux  ;  je 
veux  recommencer  son  supplice:  il  m'en  prend 
faim. 

premier  sergent.  Nousferonsenlièremenl  votre  vo- 
lonté et  votre  commandement.  —  Gainacbe,  compa- 
gnon, allons-nous-en  chercher  Ignace. 

deuxième  sergent.  Allons,  Ignace!  sortez  vile  de 
là-dedans. 

ignace.  Que  voulez-vous,  seigneurs  sergents?  me 
voici  debors. 

premier  sergent.  Vous  n'avez  pas  la  figure  mau- 
vaise; qu'avez-vous  donc  mangé?  Venez  avec  nous, 
sans  tarder. 

ign\ce.  Sitôt  que  je  vous  verrai  vous  mettre  en 
chemin,  je  marcherai  moi-même,  et  je  serai  toujours 
avec  vous,  certainement. 

deuxième  sergent.  Vraiment ,  vous  viendriez  de 
bon  gié  ou  non  ,  n'en  parlons  plus.  Allons-nous-en 
tous  trois  de  front.  —  Prends  de  là,  prends 

l'empereur.  Ignace,  quand  je  te  reprends  de  ton 
ignorance  orgueilleuse,  de  la  folle  et  mauvaise 
croyance,  pourquoi  ne  l'en  corriges-lu  pas?  Tu  se 
rais  noblement  velu  el  puissant,  en  véri  é,  si  lu  vou- 
lais croire  à  nos  dieux.  Méchant,  pourquoi  ne  réflé- 
chis-tu pas?  N'est-il  pas  clair  qu'il  n'y  a  rien  de  vé- 
ritable dans  votre  loi,  et  que,  vous  autres  Chrétiens, 
vous  ne  connaissez  que  les  œuvres  el  les  artifices  du 
diable. 


429 


IGN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IGN 


430 


ignace.  Empereur,  voilà  une  Lien  fausse  opinion  ; 
je  vous  le  déclare,  les  Chrétiens  n'ont  poinl  le  tort 
d'user  de  maléfices.  Nous  ne  sommes  pas  davantage 
soumis  au  pouvoir  des  dénions,  el  bien  au  contraire, 
nous  en  sommes  libres  el  exempts,  et  nous  ne  souf- 
frons pas  que  celui  qui  en  fait  usage  vive  parmi  nous. 
Vous  seuls,  gens  sans  loi,  vivant  comme  des 
bêtes,  vous  êtes  de  vrais  maléfices  ;  il  n'y  a  pas  à  en 
douter. 

premier  chevalier.  Ta  langue  est  bien  hardie. 
N'as-lu  pas  de  boule  de  parler  ainsi  devant  l'empe- 
reur nolresire?  Qui  l'y  pousse? 

ignace.  Eb  !  dans  quelle  erreur  n'êtes-vous  pas, 
vous  qui  méconnaissez  pour  vrai  Dieu  celui  qui  fait 
croître  les  biens  sur  terre  en  abondance,  qui  seul 
gouverne  loul  le  monde,  qui  fait  multiplier  les  blés, 
fructifier  les  vignes,  et  qui  produit  tous  les  fruits. 

deuxième  chevalier.  Tu  es  bien  digne  du  feu,  et 
mérites  d'être  réduit  en  cendres.  Comment  veux-tu 
nous  faire  entendre  que  nous  ne  savons  ce  que  c'est 
que  Dieu?  Goquart,  nous  le  savons  mieux  que  loi. 

ignace.  Il  n'y  paraît  guère  à  vos  actions,  car  vous 
adorez  les  démons  en  honorant  les  idoles,  en  vous 
inclinant  devant  elles  comme  devant  Dieu  :  c'est 
pourquoi  vous  êtes  destinés  aune  mort  perpétuelle, 
si  cruelle  et  si  douloureuse  que  bouche  ne  pourrait 
eu  faire  la  description.  Là  vous  souuïirez  éternelle- 
ment un  rude  martyre. 

l'empereur.  Tu  es  trop  entêté  pour  ton  Dieu'; 
sais-tu  ce  qui  l'en  adviendra?  On  le  déclarera  le 
dos  avec  des  ongles  d'acier  bien  tranchants;  et 
quand  lu  seras  dans  ce  misérable  état,  tes  plaies 
seront  lavées  avec  du  vinaigre  et  saupoudrées  de 
sel  :  tel  est  mon  bon  plaisir.  —  Allons  ,  faites  vile 
ma  volonté  en  loul  poinl  ! 

premier  sergent.  Cher  sire,  quoi  qu'il  m'en  coûte, 
je  suis  prêt  à  accomplir  voire  vouloir;  je  lui  ferai 
du  mal  assez  tôt  à  l'os  de  l'échiné. 

deuxième  sergent.  Ignace,  sans  que  vous  ayez  de 
servante,  il  faut  ici  vous  déshabiller,  el  nous  vous 
grallerons  le  dos  comme  il  faul  :  voici  de  q;:oi. 

le  premier  sergent.  Il  se  lait,  Ga mâche,  el  reste 
roi.  Cela  ne  lui  plaît  pas,  à  ce  qu'il  me  semble.  Eri 
avant,  ami!  travaillons  ensemble,  puisqu'il  est  nu. 

deuxième  sergent,  PuisquM  est  venu  entre  nos 
mains,  il  est  arrivé  à  mauvais  port.  Regarde  :  je  fui 
enlève  toute  la  peau  hors  du  dos. 

premier  sergent  El  de  mon  côlê  on  peut  lui  voir 
les  os. 

l'empereur.  Malheureux!  ravise-loi.  Ne  le  laisse 
pas  supplicier  ainsi,  renonce  à  la  folle  croyance  :  tu 
feras  bien. 

ignace.  Non,  non,  empereur;  j'ai  encore  bien  des 
forces;  je  ne  crains  rien,  et  je  méprise  vos  tour- 
ments ;  je  suis  plutôt  prêt  à  m'y  présenter  que  vous 
à  nie  les  faire  souffrir,  pour  l'amour  du  doux  Jésus- 
Christ.  Savez-vous  pourquoi?  Il  est  écril  que  toutes 
les  tribulations  et  tous  les  supplices  cruels  que  l'on 
peut  subir  pendant  celle  vie  ne  peuvent  êlre  mis  en 
comparaison,  c'esl  chose  véritable,  avec  la  gloire 
infinie  qui  m'en  écheoira,  quand  je  verrai  Dieu  face 
à  face,  ainsi  qu'il  est. 

l'empereur.  Ah!  ah!  il  n'y  a  donc  ni  douces  pa- 
roles, ni  coups,  ni  menaces,  ni  supplices,  ni  tour- 
ments capables  de  courber  ta  volonté  jusqu'à  l'a- 
bandon de  la  mauvaise  loi.  Ah!  lu  n'adoreras  point 
nies  dieux!  Par  Mahomet!  je  crois  que  lu  le  feras 
avant  que  ce  soit  fini  entre  nous. 

le  premier  chevalier.  Il  aime  sincèrement  son 
Dieu  ;  mais  il  a  tort. 

le  deuxième  chevalier.  Je  suis  tout  ébahi  qu'il 
puisse  tant  chérir  son  Dieu. 

l'empereur.  Silence!  J'ordonne  que  l'on  tienne 
cei  homme  dans  une  prison  obscure,  qu'on  le  lie  de 
fories  chaînes  el  qu'on  le  nielle  dans  un  cep;  que 
nul  homme,  quelle  que  soit  son  amitié  pour  vous, 
n'aille  ni  ne  vienne  vers  lui,  et  qu'ainsi  ou  le  tienne 


trois  jours  sans  boire  ni  manger.  Je  veux  venger  nos 
dieux  de  lui,  et  cependant  j'aviserai  aux  moyens  de 
le  faire  mourir  ires-ignominieusemeni. 

le  premier  chevalier.  Bel  ami,  change  d'idée  : 
renie  la  foi  chrétienne  et  vis  suivant  la  loi  des  païens; 
sauve  la  vie. 

ignace.  C'est  ce  dont  je  n'ai  pas  d'envie,  sei- 
gneur; excusez-moi. 

le  DEuxtEME  chevalier.  N'expose  plus  Ion  corps 
au  martyre;  crois  un  bon  conseil,  el  lu  feras  sage- 
ment :  il  pourra  l'en  venir  grand  honneur,  cela  ne 
lient  qu'à  loi. 

ignace.  Mon  bon  Dieu  a  souffert  la  mort  pour 
moi,  je  veux  aussi  mourir  pour  lui.  Mon  àme  est 
déjà  si  embellie  de  gloire  el  tant  illuminée  qu'elle 
est  comme  fondue  tout  entière  dans  l'amour  de  mon 
Dieu. 

le  premier  sergent.  Nous  nous  arrêtons  trop 
longtemps  ici,  et  vous  vous  déballez  en  vain.  — 
Maître,  je  mets  la  main  sur  vous  ;  passez  ici. 

ignace.  Jésus,  mon  Dieu!  je  vous  rends  grâces  de 
tout  ce  qu'on  me  fait  pour  vous;  et  si  je  vous  ai  of- 
fensé en  rien,  pardonnez-moi,  je  vous  en  prie. 

le  deuxième  sergent.  C'est  bien  ;  entrez  ici  sans 
retard.  —  Allons!  Mal-Assis,  bel  ami,  il  faul  qu'il 
soil  mis  en  ce  cep,  el  puis  nous  le  laisserons  tran- 
quille :  ainsi  nous  exécuterons  la  volonté  de  l'em- 
pereur. 

le  premier  sergent.  Je  sais  assez  bien  comment 
m'y  prendre;  lu  l'y  verras  bientôt  mis.  C'est  fait. 
Regarde,  bel  ami  :  hein!  suis-je  passé  maître? 

le  deuxième  sergent.  Oui,  vraiment.  Laissons-le 
ici,  car  il  ne  peut  s'échapper  ;  allons-nous-en,  sans 
délai,  vers  la  cour. 

le  premier  sergent.  Allons ,  Gamaclie ,  sans 
plus  de  paroles  :  c'esl  ce  que  nous  avons  de  mieux 
à  faire. 

SCÈNE  XIII. 

IGNACE,  Seul. 

ignace.  Ah,  sire  Dieu!  ah,  sire  Dieu!  regardez- 
moi  dans  votre  miséricorde;  car  je  n'ai  confiance 
qu'en  vous,  personne  ne  prenant  ma  défense,  per- 
sonne ne  combattant  pour  moi,  sinon  vous,  Père 
tout-puissant,  à  qui  mon  âme  espère  aller  comme  à 
son  vrai  Dieu  et  à  son  véritable  père.  —  0  Marie, 
mère  de  Jésus,  ô  vous  qui  avez  porté  votre  père  et 
voire  Fils,  et  èles  restée  vierge,  j'en  suis  convain- 
cu, après  avoir  enfanté!  Dame,  par  un  effet  de 
votre  sainte  bonté,  priez  votre  Fils  qu'il  m'en- 
voie son  aide  et  me  pourvoie  de  sa  grâce  :  j'en  ai 
besoin. 

SCÈNE  XIV. 

DIEU,   LA  SAINTE   VIERGE,   L'ANGE  GABRIEL, 
S  VINT  MICHEL,   UN  ERMITE. 

dieu.  Je  veux  réconforter,  sans  attendre  davan- 
tage, celui  qui  nous  aime,  vous,  ma  mère,  et  moi, 
de  tout  son  cœur,  et  qui  nous  invoque  doucement  : 
c'esl  Ignace  qui  pour  moi  souffre  un  rude4  tour- 
ment. Allons!  vous  tous,  suivez-moi  où  je  vais  vous 
mener. 

notre-dame.  Mon  fils  et  mon  Dieu,  je  suis  de  tout 
mon  cœur  à  vos  commandements.  —  Allons,  anges! 
vous  chanterez  devant  nous  deux. 

Gabriel.  Certainement,  nous  le  ferons  la  joie 
dans  le  cœur.  Reine  de  miséricorde,  chacun  de  nous 
esl  d'accord  pour  faire  votre  volonté. 

dieu.  Ecoutez:  dirigez  votre  routejvers'cei  ermitage; 
et  en  allant  chantez,  suivant  l'habitude,  de  vos  voix 
d'anges,  un  cantique  qui  vous  soit  familier  el  bien 
connu. 

hichel.  Vrai  Dieu,  loul  ce  qu'il  vous  a  plu  de 
commander  sera  fait.  — Sus,  Gabriel!  chaulons  do 
manière  à  ne  pas  mériter  de  blâme. 


451 


1GN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IGN 


4"ï 


Rondeau. 

Vrai  Dieu,  on  qui  il  n'y  a  point  d'amertume,  ce- 
lui qui  sert  vous  et  votre  mère  mérite  la  gloire  éicr- 
nelle  :  aussi  chacun  doit-il  vous  aimer  et  en  secret 
et  ouvertement.  Vrai  Dieu,  etc. 

Ni  sur  la  terre,  ni  sur  la  mer,  nul  ne  perd  son 
temps  en  vous  le  consacrant  ouvertement.  Vrai 
Dieu,  en  qui,  elc 

dieu.  Mère,  découvrez,  sans  réplique,  à  noire 
ami,  ce  que  je  vous  ai  dit  e:i  venant  de  mes  vo- 
lontés. 

notre-dame.  Je  vais  le  lui  dire,  sans  plus  de  dé- 
liai. — Bon  père,  écoule  ce  que  tu  as  à  faire  :  lu  vas 
aller  droit  à  la  prison  dans  laquelle  a  élé  mis  le 
saint  homme  Ignace,  qui  n'y  est  point  sans  la  grâce 
de  Dieu;  et  comme  il  a  élé  rudement  maltraité,  ré- 
ronforte-le  doucement  ;  je  t'en  charge  et  l'en  prie. 
Tiens,  voici  un  onguent  dont  lu  l'oindras  quand  lu 
seras  auprès  de  lui.  C'est  ainsi  que  lu  lui  rendras  la 
santé;  n'en  doute  pas.  i 

l'ermite.  Et  qui  èies-vous,  douce  amie,  qui  venez 
ici  en  lel  équipage?  je  crois  que  vous  êtes  ffille  de 
roi.  Je  m'émerveille  de  votre  beaulé,  car  de  mes 
yeux  je  n'en  vis  jamais  de  pareille;  mais,  dame,  je 
ne  suis  pas  moins  ébahi  que  vous  m'envoyiez  en  un 
pays  et  une  conlrée  qui  me  sont  étrangers  el  où  ja- 
mais je  n'enlrai  :  comment  y  p'jis-je  aller? 

dieu.  Mon  ami,  je  le  le  dirai.  Ne  l'effraye  pas  d'y 
aller.  Tu  vas  d'abord  nous  suivre  au  pas,  ensuite 
ces  jouvenceaux  le  conduiront,  aussitôt  qu'ils  nous 
auront  laissés.  Ils  vont  porter  au  prisonnier  de  ma 
part  de  la  nourriture  dont  il  a  besoin. 

l'ermite.  Votre  volonté  sera  laite,  sire,  du  tout 
au  lout  aveuglément.  Je  vois  que  vous  êtes  Dieu, 
notre  seigneur,  el  voici  la  Vierge  Marie.  Ah  Dieu! 
quelle  noule  compagnie  m'esl  arrivée  ici  ! 

notre-dame.  Seigneurs  anges,  sans  retard,  re- 
meitez-vous  en  roule;  nous  remontons  aux  cieux, 
mon  fils  et  moi. 

Gabriel.  Humble  vierge,  j'obéis.  —  Michel,  mel- 
tons-nous  en  roule,  et  ,en  allant,  chantons  d'accord; 
cela  ne  doit  pas  nous  être  pénible. 

Rondeau. 

Ni  sur  la  terre,  ni  sur  la  mer,  nul  ne  perd  son 
service  en  vous  le  consacrant  ouvertement.  Vrai 
Dieu,  etc. 

dieu.  Mes  anges,  allez-vous-en  sur-le-champ  en  la 
prison  où  Ignace  a  élé  mis,  el  donnez-lui  de  ma  part 
ce  pain  cl  ce  pot  de  boisson.  Diies-lui  d'en  apaiser 
sa  faim  et  de  m'avoir  toujours  dans  son  cœur;  et 
ne  lui  manquerai  d'aucune  manière.  Faites;  puis 
ineitez-vous  en  roule  el  conduisez  sur-le-champ  ce 
prud'homme  dans  la  prison. 

Gabriel.  Sire  ,  nous  accomplirons  très-volonliers 
votre  commandement.  —  Allons,  prud'homme  1  fai- 
tes le  troisième  avec  nous. 

l'ermite.  Certes,  volontiers,  mon  doux  ami,  puis- 
que cela  plaît  à  Dieu. 

micuel.  Prud'homme,  votre  sainteté  vous  a  mé- 
rité que  Dieu  nous  envoyât  vers  vous  pour  vous 
conduire  au  lieu  où  est  Ignace.  Nous  y  serons  bien- 
tôt sans  mensonge;  vous  le  verrez. 

Gabriel.  Il  dit  vrai;  et  vous  trouverez  la  prison 
«inerte,  c'esl  certain;  cl  nous  y  entrerons  lout  droit 
sans  difficulté. 

l'ermite.  Seigneurs,  j'éprouve  une  graii.îc  joie  de 
ce  que  vous  me  dites. 

michel.  Voici  la  prison,  saint  ermite  :  cnirons-y 
tous. 

Gabriel.  Je  ne  dirai  pas  :  «  Où  èles-vous,  .guace?» 
Je  vous  vois  assez.  Vous  êtes  tourmenté  de  la  faim, 
cl  le  Dieu  des  cieux  l'a  bien  vu  :  lui-même  a  pourvu 
à  vos  besoins.  Tenez,  voici  ce  qu'il  vous  envoie. 
Mangez  donc  et  buvez  gaiement,  cl  ayez  toujours  le 
même  amour  pour  lui  :  toujours  il  vous  réconfor- 
tera. Nous  n'avons  lien  à  vous  dire  do  plus,  cl  nous 


nous  en  allons  tous  deux;  mais  cet  homme  va  rester 
ici,  el  vous  en  dira  plus  long  que  moi. 

ignace.  Ah,  mon  bon  Dieu  !  je  vous  rends  grâces 
de  la  boulé  que  vous  montrez  à  mon  égard  en  me 
rcpaissanl  de  vos  mains  si  richement. 

SCÈNE  XV. 

L'ERMITE,  SAINT  IGNACE. 

l'ermite.  Sire,  entendez:  certainement ,  Dreu 
vous  aime  cl  vous  tient  pour,  un  loyal  serviteur;  car 
lui-même  il  m'esl  venu  chercher  à  plus  de  mille 
lieues  de  dislance,  lui  et  Marie  sa  mère,  qui  était 
escoriéî  d'anges,  ne  demandez  pas  comment  ;  il 
m'a  donné  celte  boîle  d'onguent,  el  enjoint  de  vous 
en  oindre  de  manière  à  vous  procurer  guérison  el  à 
fermer  toutes  vos  plaies.  Puisque  t'est  la  volonté  de 
Dieu,  sire,  vous  devez  bien  vouloir  (pic  je  vous  gué' 
risse. 

ignace.  Ami ,  je  suis  sa  créature  :  puisqu'P  veut 
me  faire  celte  grâce,  agissez  à  votre  voloulé;  j'y 
consens. 

l'ermite.  Je  veux  vous  oindre  par  lout  le  corps, 
sans  plus  larder.  Dieu  !  comme  cel  onguent  sent 
bon!  Jamais  (en  vérité,  j'ose  le.  dire)  je  ne  sentis  ni 
fleur  ni  autre  chose  aussi  délectable. 

ignace.  Sire,  sa  venu  esl  encore  meilleure  que  sa 
dôme  odeur  :j'en  suis  déjà  la  preuve,  car  je  n'ai 
plus  ni  contusion,  ni  plaie,  ni  blessure,  et  je  suis 
tout  à  fait  en  bonne  santé» 

l'ermite.  Que  le  souverain  père  des  cieux  en  soit 
loué! 

ignace.  Que  la  Vierge-Mère  el  son  fils  en  soient 
loués  aussi! 

l'ermite.  Sire,  avec  voire  permission,  jepnis  m'en 
aller  d'ici,  puisque  vous  èlcs  soulagé  de  tous  vos- 
maux. 

ignace.  Cher  frère  elcher  ami  loyal,  je  n'ose  vous. 
retenue  par  crainte  du  mal  qui  pourrait  vous  en  ar- 
river :  c'est  ce  que  je  considère.  Allez-vous-en  à  la 
garde  de  Dieu;  puisse-l-il  vous  donner  sa  gloire  à 
votre  mort!  Et  pour  l'amour  de  Dieu,  souvent  z- 
vous  de  moi  en  vos  prières. 

l'ermite.  Malheureusement,  elles  ont  peu  de  valeur; 
el  j'ai  plus  besoin  des  vôtres,  sire,  que  vous  des 
miennes.  A  la  volonté  d3  Dieu  ! 

SCÈNE  XVI. 

L'EMPEREUR,    SAINT  IGNACE,  CHEVALIERS,   SER- 
GENTS, le  senac,  gardien  des  lions,  deux. 

LIONS. 

l'empereur.  Seigneurs,  Ignace  me  joue  el  se  mo- 
que de  moi.  Je  n'ai  pu  encore  ni  le  <  danger,  ni  le 
convertira  notre  loi.  Mais,  depuis  trois  jours,  il  est 
en  mon  pouvoir,  sans  boire  ni  manger,  el  livré  aux 
angoisses  de  la  prison.  Allez  le  chercher  sans  re- 
lard, et  amenez-le  ici. 

premier  sergent.  Je  ne  sais  ce  qu'il  a  l'intention 
défaire  désormais.  —  Gamache,  non  ami,  allons 
tons  deux  le  chercher. 

deuxième  sergent.  Allons,  fût-il  misa  mort  !  Eh, 
regarde  quelle  peine  il  nous  donne!  Allons,  sire! 
sortez,  et  que  ce  soit  pour  votre  malheur*! 

ignace.  Mon  ami ,  que  Dieu,  le  roi  des  cieux,  vous, 
le  pardonne! 

le  premier  sergent.  Ob'issez,  obéissez  sur  ce 
point  et  venez-vous-en  avec  nous.  —  Sire,  tenez, 
voici  Ignace,  tout  nu  en  braies.. 

l'empereur.  Maintenant  écoute  :  Abandonne  la 
loi  el  consens  à  m'obéir,  ou  lu  vas  épuiser  toutes  les 
peines  cl  les  plus  cruels  tourments,  au  lieu  de  dé- 
lices; choisis  donc  entre  la  mon,  les  pleurs  ou  la 
joie.  Que  veux -tu? 

icnace.  Vos  menaces,  empereur,  ne  valent  pas 
un  fétu.  Je  vous  prie,  pour  Dieu,  failes  pour'lc 
mieux  ;  mais  vos  plus  grands  tourments  ne  me  chanr 
geronl  pas  à  l'égard  de  mon  bon  Dieu. 


433 


IGN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMP 


*'•< 


premier  chevalier.  Il  a  élé  trop  longtemps  laissé 
on  repos.  Eh  !  gare!  comme  il  parle  achevai.  On  di- 
rait Perceval  ou  Arthns.  11  a  du  cœur  néanmoins. 

deuxième  chevalier.  Je  ne  croirai  jamais  qu'il 
n'ait  pas  quelques  amis  intimes  qui  l'eul reliennent 
dans  cet  orgueil,  c;ir,  sire,  il  ne  vous  redoute  nul- 
lement. Il  nie  semble  même  que  son  corps  est  en 
meilleur  élat  que  je  l'aie  jamais  vu.  Est-il  comme 
les  femmes  méchantes  qui  engraissent  d'être  battue? 
M  a  bien  la  chair  revêtue  de  bonne  peau. 

icnace.  Le  Dieu  que  j'adore  et  invoque  me  nour- 
rit et  me  renforce  de  telle  manière  que  plus  je  souf- 
fre, plus  j'ai  de  force  pour  souffrir. 

l'emperur.  Je  te  ferai  bientôt  livrera  un  tel  sup- 
plice que  lu  diras,  de  bon  gré  ou  non,  ne  pouvoir 
en  supporter  les  souffrances.  Va  dire  au  sénac  qu'il 
m'amène  accouplés  les  lions  qu'il  garde  par  mon 
ordre,  et  qu'il  ne  larde  pas  de  venir. 

premier  sergent.  Que  Mahomet  me  tienne  en 
santé!  Sire,  j'y  vais  tout  de  suite. —  Senac,  sire, 
ne  lardez  pas  à  venir  auprès  de  l'empereur,  et 
amenez-lui  tantôt  les  lions  avec  promptitude. 

le  se.vac  Amis,  je  vais  les  chercher  à  l'instant 
même;  passez,  allez-vous-en  devant.  —  Sire,  je 
viens  à  votre  ordre  :  voici  les  deux  lions  que  vous 
demandez.  S'il  vous  plaît,  commandez-moi  ce  que 
j'en  dois  faire. 

l'empereur.  Senac,  je  vous  le  dirai  tout  à  l'heure. 
—  Attendu  qu'Ignace  est  trop  orgueilleux  et  qu'il 
inéprise  et  noire  loi  et  tous  nos  dieux,  qu'il  s'en 
moque  en  ma  présence  et  en  fait  des  gorges  chau- 
des, je  veux  qu'il  soit  dévoré  par  ces  deux  lions, 
quoi  quM  advienne,  et  qu'il  ne  reste  rien  de  lui,  ni 
chair  ni  os. 

le  senac.  Sire,  en  vérité,  j'ose  vous  le  dire: 
vous  le  leur  verrez  exterminer  plus  lot  que  deux 
forts  limiers  ne  viendraient  à  bout  d'un  lapin.  Je 
veux,  sans  en  dire  davantage,  les  découpler;  puis  je 
les  ferai  fondre  sur  lui  comme  sur  une  charogne. 

IGNACE  aux  chevaliers  et  au  peuple.  Seigneurs,  qui 
me  regardez,  dans  l'extrémité  où  je  suis  et  pendant 
le  supplice  que  je  souffre  pour  Jj  Dieu  vivant,  veui'- 
Jez  profiter  de  ce  que  je  dis  pour  remettre  vos  cœurs 
dans  la  bonne  voie.  Je  n'ai  pas  travaillé  sans  salaire, 
car  ce  n'est  pas  en  raison  de  mes  péchés  que  je 
souffie,  niais  à  cause  de  ma  piété.  Je  suis  le  froment 
de  Dieu  qui  attend  d'être  moulu  par  les  dents  de  ces 
lions,  pour  ère  fait  pain;  c'est  chose  certaine  et 
Dieu  le  veuille  ! 

l'empereur.  Beaux  seigneurs,  c'est  étrange.  Ces 
Chrétiens  plutôt  que  tous  autres  souffrent  pour 
leurs  dieux.  Où  sont  les  Barbares  ou  les  Grecs  qui 
en  feraient  autant  ?  En  vérité,  je  ne  sais. 

Ignace.  Empereur,  je  vous  déclare  que  tous  les 
supplices  que  vous  m'avez  fait  subir,  je  les  ai  souf- 
ferts non  par  le  secours  d'une  force  humaine  ni  par 
l'artifice  du  diable,  mais  par  l'aide  de  mon  ami 
Jésus-Christ,  mon  Dieu,  et  par  la  foi.  Maintenant 
voici  l'heure,  je  le  vois  bien,  où  je  vais  quitter  ce 
moud  :.  Ah  !  Seigneur  Dieu,  source  de  tout  bien,  je 
vois  <e^  bêles  accourir  à  moi  :  veuillez  secourir  mon 
àmeà  la  lin  de  mon  voyage,  en  sorte  qu'elle  jouisse 
éternellement  de  votre  vue. 

le  senac  Hu  !  bu!  sur  lui  !  sur  lui  !  lions  !  en 
a  va  m,  sur  lui  ! 

le  premier  chevalier.  Il  m'est  avis  qu'ils  n'ont 
pas  manqué  leur  coup  :  du  premier  ils  l'ont  terrassé  ; 
ils  l'auront  bientôt  logé  dans  leur  ventre. 

le  senac  Attendez,  vous  verrez  dans  peu  de 
temps  ce  qu'ils  feront. 

deuxième  chevalier.  Eh!  là,  ils  n  ont  fait  «pie  le 
flairer,  le  humer  du  grouin  et  le  pousser  d'un  endroit 
dans  un  autre,  et  il  est  mort. 

l'empereur.  Seigneurs,  il  est  évident  qu'ils  n'ont 
pasemie  de  rien  manger  de  son  corps:  cela  me 
cause uu  profond  élonncment.  Voyez,  ils  n'en  man- 
deront pas.  Allons-nous-en,  laissons-le  en  cet  étal  ; 


et  s'il  est  quelqu'un  qui  veuille  le  prendre  el  l'empor- 
ter pour  l'ensevelir,  je  ne  veux  pas  l'empêcher 
d'exécuter  hardiment  son  intention. 

le  premier  chevalier.  Puisque  tel  est  votre  plai- 
sir, sire,  allons-nous-en  :  il  en  est  temps. 

le  deuxième  sergent.  Bonnes  gens,  levez-vous 
d'ici,  faites  place  en  avant  à  monseigneur  el  à  sa 
suite;  retirez-vous. 

le  senac  II  me  faut  raccoupler  mes  lions  el  les 
remmener;  je  ne  les  laisserai  pas  se  démener  à  leur 
volonté,  de  peur  qu'ils  ne  fassent  du  mal  ou  ne  cou- 
rent parmi  tout  le  peuple  à  leur  gré. 

SCÈNE  XVII. 
abbanes,  gondofoke,  bourgeois  d'Antioche, 

PEUPLE. 

abbanes.  Hélas  !  c'est  fait,  mon  cher  Gondofore, 
nous  pourrions  pleurer  notre  maître  qui  est  mis  à 
mort,  mais  à  quoi  bon  ?  Voyons,  que  faire  pour  le 
mieux  ? 

gondofore.  Certes,  il  me  monte  du  cœur  des 
larmes  aux  yeux  quand  je  me  souviens  de  lui.  Il 
nous  faut  tous  deux  le  prendre  el  l'emporter  de  ce 
lieu  dans  un  autre  endroit  où  ni  chien  ni  autre  bêle 
ne  lui  fasse  du  mal. 

abbanes.  Le  conseil  est  bon  el  convenable  :  qu'il 
soit  ainsi  exécuté;  car  aussi  bien  l'empereur  a  dit  : 
<  Que  celui  qui  voudra  l'ensevelir  le  prenne,  il  pourra 
le  faire  en  toute  sûreté.  » 

gondofore.  Eh  bien  !  faisons-le  donc  tout  de  suite  ; 
mettons-le  sur  nos  épaules,  Abbanes,  el  emponons- 
le.  Allons,  courage,  compagnon  ! 

abbanes.  Beaux  seigneurs,  donnez-nous  un  coup 
de  main  pour  lever  ce  corps  sur  nous.  Que  Dieu 
vous  soit  miséricordieux  !  Oh  !  il  est  très-bien  assis 
sur  moi.  Seigneurs,  merci  bien  de  votre  aide. 

condofore.  Il  est  bien  aussi  sur  moi.  En  roule, 
compagnon  Abbanes,  vile;el  en  allant,  prions  dé- 
votement pour  lui. 

Gabriel.  Michel,  voici  celui  vers  qui  nous  fûmes 
envoyés;  compagnon,  escortons-le  en  chantant,  non 
pas  un  chanl  de  douleur,  mais  ce  chant  de  joie,  en 
l'honneur  de  l'âme  qui  est  déjà  aux  cieux  :  <  Ce 
saint  dont  nous  célébrons  la  fête  aujourd'hui,  etc. 
(  Hic  sanctus  cujus  hodie  celebramus  sotemnia  , 
etc.  . .)  » 

IMPÉRATRICE   ROMAINE    (V).  —  Lu 

Miracle  de  V Impératrice  romaine  est  tiré  du 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
n°  7208.  k.  B,  folio  53,  recto. 

Le  texte  a  été  publié,  accompagné  d'une 
version  par  MM.  Monmerqué  et  Fr.  Mi- 
chel ,  dans  leur  Théâtre  français  au  moyen 
âge;  Paris,  1839,  gr.  in-8°  ,  p.  365-417. 
M.  Fr.  Michel  est  d'avis  que  le  sujet  de  en 
drame  est  emprunté  à  un  conte  de  Gaultier 
de  Coinsy  (Cf.  Nouv.  Recueil  de  fabliaux  el 
contes  inéd.,  publié  par  Méon  ,  in-8°,  t.  II, 
p.  50  et  suivantes.) 

PERSONNAGES. 

i.'empereris.  gonbert  ou  cobert,  le 
l'empeiuere.  lourier. 

brun,  premier  chevalier,  le  messagier. 

morin,   premier    sergent  dieu. 

d'armes.  nostrc-dame. 

ysabel,  la  damoisclle.  saint  jeiian. 

orry,    deuxième    cheva-  premier  ange. 

lier.  deuxième  ange, 

deuxième  sergent   d'ar-  le  uaistre  marinier, 

mes.  la  dame   pelerine. 

LE    FRERE  A    L'EMPERIERE.  l'esCUIER    A  LA    PELERINE, 

LE    PAPE.  OU  L'ESCUIER  A  LA  DAME. 

PREMIER  CARDINAL.  L'OSTKSSC 

DEUXIÈME    CARDINAL.  LE    CONTE  malade 

Baudoin,  l'escuicr.  les  clers. 


435  1MP 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 

Ici  commence  un  miracle  de  Notre-Dame,  tou- 
chant l'impératrice  de  Rome,  que  le  frère  de 
V empereur  accusa  pour  la  faire  périr, 
parce  qu'elle  n'avait  pas  voulu  faire  sa 
volonté.  Depuis  il  devint  lépreux ,  et  la 
dame  le  guérit  après  qu'il  eut  confessé  son 
méfait. 

SCÈNE  Ie. 

l'empereur,  l'impératrice,  chevaliers  ro- 
mains, DEMOISELLES,  SERGENTS  D'ARMES,  EN 
PRÊTRE. 

L'rwpÉKATRrcE.  Mo»  cher  seigneur,  que  Dieuloul- 
pnissant  vous  rende  la  santé,  ainsi  que  je  le  désire  ! 
Combien  je  suis  en  peine  de  vous  voir  depuis  si  long- 
temps alité  par  celle  maladie.  J'ai  bien  de  l'ennui. 

l'empereur.  Daine,  j'espère  que  Dieu  m'enverra 
bientôt  du  reconfort  ei  apportera  allégeance  à  ma 
cruelle  maladie,  je  le  sens  et  le  vois  bien.  Agissez 
sagement,  prenez  compagnie  et  allez  à  l'église.  Là 
■vous  prierez  Dieu  de  lout  votre  cœur  qu'il  mette 
fin  à  mon  mal  et  qu'il  me  donne  la  grâce  de  faire 
necore  quelque  cbose  qui  me  soit  compté  comme 
un  mérite  et  qui  acquitte  mon  âme  envers  lui  de 
tous  mes  péchés. 

brun,  premier  chevalier.  Madame,  il  dit  bien,  et 
sachez  qu'en  cela  vous  ne  pouvez  mal  faire.  On  va 
prononcer  un  sermon,  bien  à  propos  pour  .vous. 
Allons  sans  tarder,  je  vous  le  conseille. 

l'impératrice.  J'y  consens  de  tout  mon  cœur.  — 
Allons  !  Morin,  marchez  devant;  faites  débarrasser 
le  chemin,  de  manière  à  ce  que  nous  puissions  nous 
mettre  en  route. 

le  premier  sergent  d'armes.  Volontiers  que  Jé- 
sus me  voie  !  —  Allons,  retirez-vous  loin  d'ici,  (si 
vous  ne  voulez)  que  nia  masse  ne  vous  frappe  à 
coups  redoublés. 

SCÈNE  II. 

L  IMPERATRICE,    SES    SUIVANTES,     CHEVALIERS, 
SERGENTS  d' ARMES. 

(  Ici  commence  le  sermon,  et,  le  sermon  terminé,  l'im- 
pératrice parle  et  dit  :) 

Seigneurs,  il  y  a  longtemps  que  je  n'ouïs  un  ser- 
mon qui  renfermât  autant  de  bonnes  choses;  car 
tout  ce  que  le  prédicateur  a  entrepris  de  dire,  il  l'a 
très-bien  traité.  —  Vsabelle,  que  vous  en  semble, 
par  voire  foi  ? 

la  demoiselle.  Dame,  par  la  foi  que  je  dois  à  Dieu  ! 
je  crois  que  c'est  un  prud'homme  autant  que  s'il 
était  cardinal  romain  ;  il  a  prêché  d'une  manière 
remarquable,  et  on  ne  peut  pas  mieux. 

le  premier  chevalier.  Que  Dieu  lui  donne  bonne 
aventure  !  dame,  il  a  noblement  prêché,  et  il  s'en 
est  bien  lire  comme  un  habile  maître  qu'il  est. 

l'impératrice.  C'est  vrai.  Or  çà  !  je  veux  me 
mettre  à  genoux  devant  cel  autel.  —  Doux  el  amou- 
reux Jésus,  et  vous,  Dame,  fille  et  mère  (mère  de 
qui  ?  mère  de  votre  père,  et  fille  de  voire  lils),  Dame, 
si  jamais  je  (is  chose  qui  vous  fût  quelque  peu  agréa- 
ble (je  parle  avec  beaucoup  de  hardiesse,  mais  un 
ardent  désir  me  pousse),  Dame,  qu'il  vous  plaise 
m'octroyer  comme  récompense  quelque  œuvre  de 
Dieu  envers  mon  mari,  capable  de  lui  rendre  la  santé 
du  corps,  en  le  délivrant  de  la  maladie  à  laquelle  il 
est  en  proie,  douce  Vierge  ;  el  je  vous  promets  de 
vous  servir  autant  que  je  le  pourrai,  tous  les  jours 
de  ma  vie,  de  lout  mon  cœur  cl  dévotement.  —  En 
avant,  seigneurs  !  allons-nous-en,  il  en  est  temps. 

LE  premier  chevalier.  Nous  pourrions  mal  faire 
en  lardant  davantage  :  allons-nous-en  sans  nous 
arrêler  vers  l'empereur. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMP 


456 


le  premier  sergent  d'armes.  En  avant  !  rel'rez- 
vous,  videz  les  lieux,  faites  voie  et  place,  dt;  manière 
à  ce  que  madame  puisse  passer.  En  arrière  tous  ! 

SCÈNE  III 
l'empereur,  orry,  chevalier,  l'impératrice  . 

orry,  deuxième  chevalier.  Mon  cher  seigneur, 
que  faites-  vous  ?  vous  vous  habillez  ? 

l'empereur.  Oui  vraiment,  Orry,  et  je  ne  suis 
pas  hors  de  mon  bon  sens;  je  sais  bien  comment  je 
me  trouve. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  qu'y  a-t-il? 
dites-le-moi.  Quel  bon  visage  vous  avez  ! 

l'empereur.  Bonne  dame,  par  la  foi  que  je  vous 
dois  !  sachez  que  Dieu  m'a  fait  une  grâce  telle  que 
je  suis  loul  à  fait  guéri,  et  comme  je  sais  bien  d'où 
cela  me  vient,  je  tiendrai  fidèlement  la  promesse 
que  j'ai  faite  à  Dieu,  el  dans  un  courl  délai.  J'y  suis 
bien  tenu.  Allez-moi  promplement  chercher  nun 
frère,  dites-lui  qu'il  vienne  bien  vile  nie  parler. 

le  deuxième  sergent  d'armes.  Mon  cher  sei- 
gneur, je  veux  y  aller,  puisque  vous  me  le  com- 
mandez. 

SCÈNE  IV. 

LE  SERGENT,  LE   FRÈRE   DE  l'eMPEREUR. 

le  deuxième  sergent  d'armes.  Sire,  sire,  ne 
tardez  plus  :  par  ma  foi  !  voire  frère  m'envoie  vite 
vous  chercher;  venez  auprès  de  lui. 

le  frère.  Il  me  semble  que  tu  as  le  visage  lout 
pâle  :  qu'y  a-l-il  ?  est-il  en  danger  de  mort  ?  Ne  me 
mens  point. 

le  deuxième  sergent  d'armes.  Nenni;  au  con- 
traire, il  est  en  très-bon  élat,  Dieu  merci  ! 

le  frère.  Je  remercie  la  Reine  des  cieux.  Allons- 
nous-en  :  je  neveux  plus  rester  ici,  mais  marcher 
jusqu'à  «pie  je  sois  où  il  est. 

SCÈNE  V. 
l'empereur,  l'impératrice. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  si  cela  ne  vous 
contrarie  pas,  diles-moi,  je  vous  prie,  quelle  pro- 
messe vous  avez  faite  à  Dieu  noire  Seigneur. 

l'empereur.  Je  vais  vous  le  dire.  Vous  savez  com- 
bien j'ai  été  dangereusement  malade:  or  je  lui  ai 
fait  le  vœu,  pour  être  bref,  que,  si  Dieu  m'envoyait 
guérison,  j'irais  sur-le-champ  visiter  son  saint 
sépulcre.  Sachez  donc,  dame,  sans  en  douler,  que, 
sitôt  après  celle  promesse,  je  me  suis  trouvé  en 
bonne  santé  :  aussi  je  veux  m'acquitler  de  ce  voyage 
ct  faire  le  pèlerinage  de  la  Terre-Sainte  :  esl-ce  que 
cela  vous  déplaît  ? 

l'impératrice.  Nenni,  cerles,  mon  cher  seigneur,, 
puisque  tel  est  votre  plaisir. 

SCÈNE  VI. 

LES  MÊMES,   LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR. 

le  frère.  Parlez-vous  de  quelque  chose  secrèle, 
mon  très-cher  seigneur?  dites-moi  la  vérité.  Puis- 
siez-vous  avoir  une  bonne  santé,  comme  je  le  vou- 
drais! 

l'empereur.  Nenni,  frère.  J'ai  à  vous  dire  pour- 
quoi je  vous  ai  mandé.  S'il  plaît  à  Dien,  le  roi  des 
rois,  je  vais  dévotement  visiter  Jérusalem  sous  l'ha- 
bit de  pèlerin.  Pendant  mon  absence,  vous  aurez  le 
soin  el  la  garde  de  ma  terre,  ainsi  que  des  rentes  el 
du  domaine.  L'impératrice,  ma  femme,  reslera  sou- 
veraine  el  maîtresse,  comme  régente  de  l'empire. 
Faites  votre  devoir,  je  vous  prie. —  S'il  vous  faut 
quelque  chose  pour  augmenter  votre  étal,  dame,  je 
veux  qu'il  l'ail  sans  compter  ni  rogner. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  si  Dieu  me 
laisse  vivre  en  sanlé,  je  vous  assure  qu'il  aura  de 
moi  lout  ce  qu'il  voudra  avoir  pour  son  cial;  je  le 
lui  livrerai  sans  difficulté,  soyez-en  sûr. 


457 


IMP 


DlCTIO.NiNAlUfc.  DLS  MlSTEKES. 


IMP 


ÂZS 


li'Hîkreur.  D;iiue,  je  m'en  rapporte  à  votre  pa- 
role •  si  vous  voulez,  vous  saurez  bien  le  faire. 
Maintenant,  pour  hâter  l'exécution  de  mon  projet, 
je  veux  mVn  aller  droit  au  Pape  pour  prendre  congé 
et  lui  parler  :  c'est  juste  et  je  dois  le  Lire.  —  Vous 
deux,  accompagnez-moi  jusqu'à  <e  que  j  y  sois. 

le  deuxième  rjiEVALiER.  Mon  cher  seigneur,  je  fe- 
lai  avec  joie  ce  que  vous  commandez. 

LE  deuxième  sergent  d'armes.  Aussi  bien  ai-je  un 
plus  grand  désir  de  le  faire  que  lui  de  l'ordonner. — 
Lb!  là-devant,  marchez,  écartez-vous. 

SCÈNE  VII. 
l'empereur,  le  pape. 

l'empereur.  Saint  Pète,  je  viens  vers  vous  comme 
un  lils  obéissant  vers  son  père  :  c'est  juste,  et,  ri- 
che ou  mendiant,  on  doit  en  agir  ainsi. 

le  pape.  Mon  bel  et  cher  lils,  quelle  affaire  vous 
amène?  Estc-e  quelque  coup  imprévu  qui  ne  vous 
soit  ni  bon  ni  agréable?  je  veux  le  savoir. 

l'empereur.  Nenni,  saint  Père;  à  dire  vrai,  je 
viens  demander  votre  bénédiction,  car  mon  inlen- 
iion  est  de  faire  le  saint  voyage  d'outre-mer,  soit 
par  terre,  soit  par  eau  :  je  l'ai  promis  à  Dieu,  saint 
Père,  et  je  ne  veux  plus  tarder  à  l'exécuter. 

le  pape.  Beau  fils,  puissiez-vous  avoir,  soit  près, 
soit  loin,  la  bénédiction  et  la  grâce  que  Dieu  oc- 
troya à  l'apôtre  saint  Pierre,  ainsi  que  la  nôtre  ! 
Des  à  présent ,  je  vous  donne  celte  croix  que 
vous  poserez  sur  votre  épaule  et  que  vous  porterez, 
car  ainsi  doit  faire  tout  pèlerin  qui  entreprend  ce 
Voyage;  et  avec  ma  bénédiction  je  vous  accorde  pleine 
et  entière  rémission  de  vos  péchés. 

le  prehier  cardinal.  Sire  ,  agissez  sagement  : 
niellez  à  voire  place  un  gouverneur  tel  qu'il  soit  au 
profit  et  à  l'honneur  de  voire  empire. 

le  deuxième  chevalier.  Ce  gouverneur  n'est  pas 
maintenant  à  élire  ;  il  y  est  pourvu.  L'empereur  a 
nommé  régents  son  frère  et.Madame. 

LE    DEUXIÈME    CARDINAL.  Sil'C,  SUT  II10I1  âme  !   il  lie 

pouvait  ini(ux  choisir  parmi  tous  ceux  de  sa  race  : 
car  son  frère  est  doux,  courtois,  sage  et  équitable. 

le  pape.  Puisque  ce  frère  est  tel  (pie  vous  le  dites, 
l'empereur  ne  doit  que  plus  l'avancer.  —  Mon  fils, 
mettez  de  la  diligence  à  vous  acquitter  bientôt  de 
votre  vomi,  et  prenez  en  patience  l'adversité,  si  elle 
vous  vient;  autrement  votre  voyage  ne  vous  serait 
pas  profitable. 

l'empereur.  »e  souffrirai  de  bon  cœur  tout  ce  que 
Dieu  m'enverra,  l'on  ne  me  trouvera  jamais  à  mur- 
murer ni  à  m'impalienier.  Saint  Père,  donnez-moi 
la  permission  de  m'en  aller. 

le  pape.  Mon  cher  fils,  je  le  veux  bien.  Allez,  que 
Dieu  vous  conduise  en  bonne  santé,  et  vous  ramène 
avec  grande  joie  et  allégresse  ! 

le  deuxième  sergent  d'armes.  En  avant!  ne  vous 
attroupez  pas  autour  de  nous,  beaux  seigneurs,  re- 
tirez-vous en  arrière  ;  laissez-nous  la  roule  libre  par 
ici,  allons!  vous  ferez  bien. 

SCÈNE  VIII. 
l'empereur  ,  l'impératrice,  et  SES  FEMMES, 

LE  FRÈRE   DE  L'EMPEREUR. 

l'empereur.  Dame,  je  reviens  d'auprès  du  saint 
Père,  qui  m'a  donné  l'absolution  de  tous  mes  péchés. 
Sa  Sainteté  veut  que  par  dévotion  je  porte  celle 
croix  sur  mon  épaule  jusqu'à  ce  que  Dieu  m'ait  ra- 
mené ici  à  bon  port  :  puisqu'il  l'a  ainsi  ordonné,  je 
la  porterai  volontiers.  Donnez-moi  un  autre  babil; 
je  ne  mettrai  pas  celui-ci.  Allons!  dépèchez-vous, 
mon  amie  :  je  veux  partir. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  à  voire  gré. — 
Donnez-moi  celle  houppelande,  Isabelle  :  à  ce  que 
je  crois,  c'est  celle  que  l'empereur  demande. 

la  demoiselle.  J'v  avais  aussi  songé.  Tenez  Ma- 
dame. 


l'empereur.  Ma  femme,  c'est  ce  que  je  demande. 
Allons,  par  voire  foi  !  attachez  ici  celle  croix  pour 
l'amour  de  moi. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  je  vais  vous  lo 
faire  de  bon  cœur,  sans  observations.  —  L'est  fait; 
elle  y  est  on  ne  peut  mieux  placée. 

l'empereur.  Frère,  c'est  fini.  Je  vous  prie  de 
prendre  en  tous  lieux  souci  de  mon  honneur,  do 
garder  ma  compagne,  et  de  tenir  le  peuple  en  paix. 
— Dame,  je  ne  sais  si  jamais  je  vous  reverrai,  Bai- 
sez-moi, baisez.  Eh!  cessez  de  pleurer.  —  Messire 
Orry,  et  vous,  Huart ,  allons-nous-en;  car  j'ai  haie 
île  sortir  de  celle  terre.  La  pitié  m'enveloppe  et  me 
serre  le  cœur.  Adieu,  tous! 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  mon  doux  ami, 
adieu  !  Dieu  vous  conduise,  en  sorte  que  rien  no 
vous  puisse  nuire  ni  faire  mal. 

lf  frère.  En  vérité,  mon  cher  frère,  nous  irons 
jusque  là-bas  en  vous  accompagnant  tous  trois,  puis, 
quand  nous  y  serons,  nous  vous  dirons  adieu. 

l'empereur.  Soit!  nous  le  ferons  ainsi.  —  Vous 
deux,  sergents,  allez  devant.  —  Oli?  vous  n'irez  pas 
plus  loin;  retournez  sur  vos  pas. 

le  premier  chevalier.  Puisque  tel  est  voire  plai- 
sir, nous  vous  laisserons  ici.  Adieu,  cher  sire! 

le  frère.  Cher  frère,  je  ne  sais  que  vous  dire  : 
que  Dieu  vous  conduise  sain  et  sauf,  et  soit  assez 
bon  pour  vous  ramener  en  parfaite  santé! 

l'empereur.  Que  sa  volonté  soit  entièrement  faite! 
Adieu,  mon  frère! 

le  premier  sergent  d'armes.  Il  nous  faut  retour- 
ner en  arrière  auprès  de  Madame. 

le  premier  chevalier.  Oui  vraiment,  car  ce  n'est 
pas  une  femme  que  nous  devions  laisser  seule;  il 
faut  donc  nous  hâter  d'aller  à  elle. 

SCÈNE  IX. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR,  L'IMPERATRICE, 
SUITE. 

le  frère.  Dame,  puisque  je  suis  nommé  régent 
de  cet  empire  ,  mon  cœur  veut  mettre  tous  ses  soins 
à  toujours  chercher  votre  bien-être,  si  vous  me  le 
permettez  et  que  cela  vous  plaise. 

l'impératrice.  Désormais  il  faut  qu'il  n'y  ail  entre 
nous  ni  bruit  ni  dispute,  mon  frère;  il  ne  doit  ré- 
gner entre  nous  deux  qu'une  seule  volonté  el  un 
seul  amour;  il  n'y  a  pas  de  doute. 

le  frère.  Daine,  je  suis  (oui  prêt  à  faire  voire 
volonté  de  bon  cœur  et  sans  opposition. 

l'impératrice,  Je  vous  remercie  de  cette  assu- 
rance. 

le  frère.  Ma  chère  dame,  il  en  est  ainsi  :  gar- 
dez-vous de  croire  le  contraire;  cl  quand  l'occasion 
propice  se  présentera ,  vous  reconnaîtrez  la  vérité 
de  mes  paroles. 

l'impératrice.  Plus  vous  ferez  pour  moi  plus  je 
vous  serai  obligée;  et,  certes,  je  m'efforcerai  de 
vous  en  récompenser. 

le  frère.  Ma  chère  dame,  il  me  faut  aller  cher- 
cher un  peu  de  distraction  :  la  tète  me  l'ail  mal  et 
me  fend  ,  el  je  ne  me  sens  pas  à  mon  aise;  en  con- 
séquence veuillez,  pour  Dieu,  ne  pas  trouver  mau- 
vais que  je  me  relire,  madame. 

l'impératrice.  Par  mon  âme!  mon  frère,  je  le 
veux  bien;  mais  ne  deireurez  pas  trop,  de  manière 
à  <c  que  nous  soupions  de  bonne  heure;  il  esl  déjà, 
lard. 

le  frère.  Bien  madame.  —  Baudouin,  venez 
avec  moi;  prenez  vile  ma   cape  et   mon   chapeau. 

l'écuver.  Volontiers  ,  sire  ;  en  vérité  ,  je  ne  veux 
vous  contrarier  en  rien.  Ça!  j'ai  tout,  allons-nous- 
en,  cher  sire,  où  il  vous  plaira. 

SCÈNE  X. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR. 

le  trere.  Sainte  Marie!  que  va-l-il  arriver?  Me! 


433 


IMP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

la  rare 
suis  un 


IMP 


4i(F 


yeux  ont  tant  de  fois  présenté  a  mon  cœur 
Leauté  de  madame  (Impératrice  que  je 
un  homme  mort  si  elle  n'a  pilié  de  moi ,  et  si  je  ne 
puis  avoir  son  amitié.  Son  renom,  sa  bonté,  sa 
simplesse,  sa  courtoisie,  sa  douceur,  sa  largesse, 
son  honnêteté,  son  maintien,  son  affaqililé,  sa 
franchise,  ses  manières  prévenantes,  tous  ces  tré- 
sors qu'elle  possèile  ont  tellement  épris  mon  cœur, 
à  force  de  la  regarder,  qu'il  est  enlacé  et  pris  dans 
les  filets  du  désir  ,  qui  nie  serre  et  m'enveloppe.  Je 
ne  sais  que  faire;  car  Souvenir  s'éteint  dans  mon 
cœur,  Plaisance  accourt.  Vouloir  m'assaillit.  Pen- 
ser m'a  rendu  si  stupéfait  qu'en  un  mol  je  reste 
éperdu  de  tous  mes  sens  quand  Regard  conduit  et 
mène  mon  cœur  à  sa  beauté  souveraine!  Alors  je 
ne  suis  pas  débarrassé  de  ma  soif,  au  contraire  : 
plus  je  suis  ivre,  plus  je  suis  altéré;  et  plus  je  la 
vois,  plus  je  m'abreuve;  en  suçant  je  bois  Plai- 
sance, et  plus  je  la  bois,  plus  je  me  dessèche.  Sans 
relâche  Ivresse  m'excite,  il  me  faudrait  d'autres  pen- 
sées, et  je  ne  sais  comment  me  défendre  maintenant. 
Je  Faillie-.  Mais  en  vérité,  ai-je  raison?  Nenni , 
vraiment.  Je  commets  une  grande  faute  ,  dont  je 
dois  me  haïr  moi-même  ,  en  désirant  trahir 
mon  frère  et  lui  séduire  sa  femme.  Quel  affreux 
déshonneur!  oserai-je  me  proposer  ce  but,  y  mettre 
et  employer  mon  temps.  Le  devoir  s'y  oppose.  11 
me  faut  anéantir  cette  ardeur  insensée,  ces  désirs 
criminels.  Dieu!  mon  cœur  fou  et  volage  ne  vient- 
il  pas  de  dire  que  je  cesserais  de  l'aimer.  Certes,  je 
n'en  ferai  rien.  Puisque  ma  bonne  étoile  l'a  placée 
sur  mon  chemin,  Dieu  sans  doute  me  l'a  donnée; 
et  je  mettrai  mes  soins  à  l'aimer.  Si  l'amour  que  je 
ressens  pour  elle  me  change  la  douceur  en  amertume , 
que  m'importe?  Aimer  sans  peine  ne  vaut  rien;  l'on 
aime  d'autant  plus  la  richesse,  qu'elle  a  coulé  plus 
cher;  et  celui-là  a  bien  employé  son  travail,  qui 
l'amène  à  bonne  fin.  Oh!  certes,  ma  peine  me  sera 
récompensée  par  l'accomplissement  de  mon  désir. 
Qu'ai-je  dit!  suis-je  fou?  La  vertu  est-elle  vice?  Ai- 
le la  présomption  d'espérer  ce  que  je  ne  puis  attein- 
dre :  c'est-à-dire  d'espérer  pour  amie  une  dame 
pareille?  En  vérité,  elle  ne  m'aimera  pas;  elle  pré- 
férera la  mort  à  ce  déshonneur.  R  faut  donc  que  je 
cherche  quelque  moyen,  si  je  ne  veux  mourir  de 
mon  mal.  Ah  !  Dame  où  tontes  les  qualités  sont 
réunies,  voire  beauté  m'a  tellement  enflammé  d'a- 
mour pour  vous  qu'il  faut  que  ma  vie  finisse,  ou 
que  vous  soyez  mon  remède. 

SCÈNE  XI. 


écwjer. 

le  frère.  Raudouin,  il  faut  que  j'aille  me  coucher 
au  logis. 

l'écuyer.  Qu'est-ce?  qu'avez-vous,  mon  cher 
soigneur?  Je  vous  vois  plongé  dans  de  tristes  ré- 
flexions, et  changer  de  couleur  Dites-moi ,  qu'avez- 
vous? 

le  fbère.  Baudouin,  menez-moi  coucher  ;  car  je 
ne  suis  pas  en  bonne  santé;  au  contraire ,  ami,  je 
me  sens  grièvement  malade,  n'en  doutez-pas. 

l'écuyer.  Sire,  volontiers,  allons-nous-en. — A 
présenlvoici  votre  lit  fait.  Couchez-vous,  sire;  je  vais 
vous  couvrir  comme  il  faut.  C'est  fait  ;  maintenant 
restez  un  peu  tranquille  pour  suer,  et  vous  repren- 
drez vos  forces;  vous  serez  guéri  bientôt. 

le  frère.  Allez  à  présent  dire  à  l'impératrice 
qu'elle  soupe  à  son  aise  ,  et  que ,  pour  l'amour  de 
Dieu ,  elle  ne  trouve  pas  mauvais  si  je  ne  suis  pas 
avec  elle. 

l'écuyer.  Volontiers,  sire;  j'y  vais. 

SCÈNE  Xlf. 

L'IMPÉRATRICE,    BAUDOUIN. 

l'ÉfUYER.  Ma  dame  ,  que  Dieu  par  sa  puissance 


chagrin  ! 


Mon 


seigneur 


vous  garde  d'ennui  et   de 

vous  mande  de  souper  sans  l'attendre;  car  il  est 
occupé  de  telle  manière  qu'il  ne  peut  venir  aujour- 
d'hui. Pour  l'amour  de  Dieu,  ne  trouvez  pas  mau- 
vais s'il  ne  vient  pas  ici. 

l'impératrice.  Dis-moi  quelle  affaire  le  relient, 
et  qui  peut  l'occuper  au  point  de  l'emoêcher  de 
venir  souper  avec  moi.    « 

l'écuyer.  Dame,  par  la  foi  que  je  vous  dois, 
puisque  vous  voulez  que  je  vous  le  dise,  il  est  cou- 
ché dans  son  lit,  comme  s'il  était  atteint  d'une 
maladie  grave.  J'en  ai  le  cœur  navré.  Il  ressemble 
à  un  déterré,  tant  il  est  fondu  et  amaigri!  Ma 
chère  dame,  j'en  ai  le  cœur  bien  chagrin. 

l'impératrice.  Sur  mon  âme!  le  mien  éprouve 
tant  de  douleur  de  ces  nouvelles  que  je  ne  puis  l'ex- 
primer. —  Raudouin,  ne  demeurez  plus  ici;  allez- 
vous-en,  et  gardez  soigneusement  votre  maître. 

l'écuyer,  Dame,  je  ferai  de  bon  cœur  votre  vo- 
lonté. 

SCÈNE  XIII. 

LE  FRÈRE   DE  L'EMPEREUR. 

le  frère.  Eh,  Dieu,  pourrai-je  jamais  de  ma 
vie  atteindre  à  l'objet  de  mon  désir,  ce  qui  me  gué- 
rirait à  mon  gré  de  celle  maladie!  Ah!  Amour!  lu 
me  fais  souffrir  et  le  cœur  et  le  corps. 

SCÈNE  XIV. 

FRÈRE 


BAUDOUIN,   LE 

l'écuyer.  Sire  ,  prêtez  1 
je  viens  de  chez    madame, 


DE  L  EMPEREUR. 

'oreille  à  mes  paroles  r 
qui  est  bien  ébahie  et 
loule  chagrine  de  votie  indisposition.  Je  tiens 
qu'elle  vous  aime  réellement  d'un  cœur  loyal. 

le  frère.  Ami,  pour  cela,  que  Dieu  veuille  la 
garder  de  mal  ! 

l'écuyer.  Ne  mangerez -vous  rien,  sire?  Prenez 
quelque  chose  qui  vous  soutienne. 

le  frère.  Je  n'ai  pas  plus  envie  de  boire  et  de 
manger  oue  de  ronger  ce  mur-ci.  Ainsi  laissez- 
moi. 

SCÈNE  XV. 

l'impératrice,  chevaliers,  sergents 
d'armes. 

l'impératrice.  Beaux  seigneurs,  levez-vous  d'ici; 
je  veux  aller  voir  mon  frère,  et  aider  à  sa  guérison. 
Allons!  dépêchons-nous,  je  vous  en  prie. 

le  premier  chevalier.  Dame,  nous  ferons  sans 
reiard  voire  volonté. 

le  premier  sergent  d'armes.  En  avant!  et  videz 
promplemenl  la  place,  videz,  videz!  ne  pensez  pas 
que  vous  encombrerez  ainsi  le  chemin. 

SCÈNE  XVI. 

les  mêmes,  le  frère  de  l'empereur, 
baudouin. 

-•  l'impératrice.  Que  Dieu  soit  céans!  — Raudouin, 
que  fait  ton  maître? 

l'écuyer.  Madame,  par  le  Roi  descieux!  je  n'en 
sais  que  dire. 

l'impératrice.  Eh,  qu'est-ce  ?  comment  allez- 
vous,  beau  sire  ? 

le  frère.  En  vérité,  je  ne  sais.  Qui  êles-vous? 

l'impératrice.  Eh  !  mon  très-cher  frère,  par  nia 
foi!  je  suis  votre  sœur  et  votre  amie.  Par  sainte 
Avoie  !  ne  me  reconnaissez-vous  pas  ? 

le  frère.  Certes,  je  ne  savais  à  qui  je  parlais, 
dame,  ne  vous  déplaise.  Ah,  Dieu  !  que  je  suis  mal  à 
mon  aise  et  malheureux! 

l'impératrice.  Dieu!  comme  il  a  la  tête  brûlante, 
et  comme  ses  tempes  battent!  elles  se  meuvent  ci 
s'agitent  comme  un  poisson  vivant  hors  de  rivière. 
—  Allons  !  retirez-vous  tous  en  arrière  :  je  veux  lui 
parler  un  peu.  — Frère^  veuillez  ne  oas  me  le  célor: 


♦  H 


IMP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMF 


Âii 


à  voire  avis,  n  est-il  rien  qu'on  puisse  se  procurer 
pour  île  l'argent,  cl  qui  vous  rendrait  la  santé?  Si 
vous  connaissez  un  remède,  je  vous  en  prie,  indi- 
quez-le-moi sans  retard;  car  s'il  est  rien  que  je 
puisse  taire  pour  vous,  sans  manquer  à  mon  hon- 
neur, je  le  ferai  très- volontiers.  Allons,  cher  sire! 
pendant  que  nous  sommes  tous  deux  seuls,  ouvrez- 
moi  hardiment  votre  cœur. 

LE  frère.  Ah!  madame,  vous  êtes  le  seul  médecin 
de  ma  maladie,  bien  que  je  sois  blâmable  de  par- 
ler. 

(Ici  il  se  pâme.) 

l'impératrice.  Sainte  Marie,  il  est  pâmé  !  Je  veux 
lui  soutenir  la  tète  jusqu'à  ce  qu'il  soit  hors  de  cet 
étal.  Le  voilà  revenu  de  son  évanouissement.  — 
Mon  frère,  sans  larder,  dites-moi,  pour  l'amour  de 
Dieu  !  qu'est-ce  à  dire  que  je  suis  le  médecin  de  vo- 
tre mal  ?  Je  ne  vous  comprends  point. 

le  frère.  Dame,  puisque  vous  le  voulez  savoir, 
l'amour  que  je  ressens  pour  vous  m'a  mis  en  un  tel 
état  que  j'en  suis  tombé  malade:  car  je  vous  aime 
plus  que  moi,  el  je  désire  tellement  vous  posséder 
que,  si  vous  n'usez  de  miséricorde  à  mon  égard,  je 
ne  sortirai  jamais  d'ici  (pie  mort. 

l'impératrice.  Frère,  pensez  à  vous  rétablir,  et 
consolez-vous;  prenez  voire  mal  en  patience,  ne 
vous  en  chagrinez  plus;  cl  aussi  pour  que  j'aie  un 
ami,  délivrez-vous  de  celle  inquiétude.  Nous  devons 
naturellement  nous  entr'aimer,  et  nous  donner  l'un 
l'autre  le  litre  d'amis.  Je  n'en  dis  pas  davantage, 
pensez  à  vous.  Je  m'en  vais;  adieu,  cher  sire.  — 
Allons!  parlons. 

lf.  premier  chevalier.  Allons,  dame.  Pour  l'amour 
de  Dieu  !  à  votre  avis,  comment  va-t-il?  Il  me  sem- 
ble être  bien  amaigri  de  la  face. 

l'impératrice.  Son  mal  a  jusqu'ici  empiré  plus 
qu'il  ne  fera,  je  crois  ;  s'il  plaît  à  Dieu,  il  sera  bien- 
tôt en  bonne  santé. 

SCÈNE  XVII. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR. 

le  frère.  Amour,  vous  m'avez  fail  souffrir  assez 
de  tourments;  mais  puisque  celle  qui  soit  d'ici  a  eu 
pitié  de  moi  et  m'a  accepté  pour  ami,  je  ne  tiens 
aucun  compte  de  tous  les  maux  que  j'ai  soufferts  : 
la  douce  réponse  qu'elle  m'a  faite  a  guéri  radicale- 
ment lout  mon  mal,  en  sorte  qu'il  m'est  avis 
que  je  suis  roi,  tant  j'ai  de  joie  et  ressens  d'allé- 
gresse! 

SCÈNE  XVIII. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR,  BAUDOUIN. 

l'éclver.  Sire,  voulez-vou*  qu'on  aille  chercher 
votre  médecin?  il  fait  bon  avoir  le  conseil  d'un 
homme  d'âge  et  de  savoir. 

le  frère.  Baudouin,  veux-tu  savoir  la  vérité?  eh 
bien  !  je  n'en  ai  nul  besoin  ;  je  sens  mon  cœur  sain 
el  entier,  et  mon  mal  a  subi  une  crise  telle  qu'il  est 
pas-é  :  je  veux  me  lever. 

l'éclver.  Sire,  vous  ferez  votre  volonté;  mais, 
pour  l'amour  de  Dieu!  ne  vous  hâtez  pas;  car 
une  maladie  est  très-dangereuse  après  une  re- 
chute. 

le  frère.  C'est  vrai;  mais  tout  le  monde  n'en 
é|  «  ouve  pas,  et  je  sens  bien  que  je  ne  guérirai  point 
jusqu'à  ce  que  j'aille  à  la  cour.  Là,  quand  je  serai 
avec  l'impératrice,  je  reviendrai  lout  à  f.iit  en 
saille. 

l'écuyer.  Sire,  puisqu'il  en  est  ainsi,  faites  voire 
volonté. 

le  frère.  Allons,  daudouin  !  je  suis  prêt  :  allons- 
nous-en  à  la  cour,  mon  frère. 

SCÈNE  XIX. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR,  I.'lMPÉR  ATRiCE . 

lf.  frère.  Ma  chère  dame,  je  vous  salue,  au  nom 
de  Dieu  le  Père. 


l'impératrice.  Sire,  sur  mon  ame,  soyez  le  bien- 
venu !  Que  je  suis  heureuse  de  vous  voir!  Venez! 
plus  près,  plus  près  encore  de  moi.  Comment  vous 
trouvez- vous? 

le  frère.  Dieu  merci!  je  suis  dispos,  fort  el  par- 
faitement guéri,  n'en  doutez  pas.  Dame,  quand  se 
rez-vous  mou  amie,  comme  vous  me  l'avez  promis, 
de  manière  à  ce  que  je  sois  voire  ami  de  fail  et 
d'œnvre  ? 

l'impératrice  (à  part).  Il  ne  faut  pas  qu'il  rechute. 
—  (Haut.)  Sire,  patientez  encore,  ce  n'est  pas  le 
moment  quant  à  présent  ;  attendez  un  peu. 

le  frère.  Ah;!  dame,  à  voire  vue,  une  ardeur 
amoureuse  s'empare  de  moi  !  Désir  m'enlace  et  me 
presse  de  lelle  sorie  que  je  perds  toute  manière,  et 
que  je  n'ai  plus  de  contenance.  Combien  il  me 
tarde  d'entendre  de  voire  bouche  :  «  Ami  ,  main- 
tenant lu  peux  jouir  de  moi  comme  de  Ion  amie,  i 
£  l'impératrice.  Qu'est-ce?  ne  vous  moquez-vous 
pas?  Ai-je  l'air  d'une  éhonlée  capable  d'assouvir  vo- 
tre luxure?  Nenni,  cela  ne  sera  cerles  point.  J'ai- 
merai^ mieux  être  à  Tarse,  seule  et  égarée,  voire 
même  être  brûlée,  que  de  violer  mon  mariage  el  de 
faire  un  lel  outrage  à  voire  frère,  mon  mari.  Par 
ma  foi!  vous  gardez  maison  honneur  en  sollicitant 
de  moi  une  chose  pareille,  el  vous  cherchez  à  vous 
rendre  coupable  d'une  bien  grande  infamie  :  ainsi, 
je  vous  le  dis,  n'en  parlez  plus,  car  vous  seriez 
mon  grand  ennemi.  Taisez-vous  et  lenez-vous 
coi. 

le  frère.  Dame,  à  présent  je  ne  dirai  plus  rien. 
?    l'impératrice.  Je  veux  achever  de  dire  mes  heu- 
res.— Ysabelle,  mon  amie,  prenez  vile  mes  heures, 
sans  réplique,  et   venez-vous-en  avec  moi  jusqu'à 
l'église. 

la  demoiselle.  Je  le  ferai  de  bon  cœur,  ma  chère 
dame,  c'est  juste.  Allons-nous-en,  sans  retard,  quand 
il  vous  plaira. 

l'impératrice.  Que  nul  de  vous,  seigneurs,  ne 
bouge,  car  je  ne  le  veux  pas. — Allons-nous-en,  Ysa- 
belle, mon  amie. 

SCÈNE  XX. 

l'impératrice,  ysabelle,  sa  suivante. 

l'impératrice.  Oh  !  puisque  je  suis  devant  l'autel 
el  seule,  donne-moi  mes  heures,  c'esl  le  moment  de 
les  dire  ;  le  lieu  est  propice,  qu'attendre  davantage. 
(Ici  elle  fail  semblant  de  dire  ses  heures.) 

la  demoiselle.  C'esl  vrai  :  dites-les,  de  par  Dieu  ! 
je  me  retirerai  là-bas 

SCÈNE  XXI. 
ll  frère  de  l'empereur. 

le  frère.  Sainte  Marie!  que  faire?  comment  at- 
teindre au  but  de  mes  désirs?  J'avais  cru  obtenir  ma- 
dame, et  devenir  son  amant  ;  mais  je  n'ai  pu  y  par- 
venir, au  contraire,  lout  est  à  recommencer.  On  dit, 
il  esl  vrai  :  qui  fait  une  promesse  au  fou,  même  sans 
songer  à  la  lenir,  le  met  aisément  dans  la  joie.  J'ai 
élé  amant  en  promesse  :  ce  qui  m'a  mis  dans  la 
joie  comme  un  fou  ;  car,  quand  je  lui  ai  parlé  en 
particulier,  je  l'ai  trouvée  plus  fière  qu'un  léopard, 
et  étrangement  dure  el  méchante.  Cruel  souvenir, 
qui  me  fait  souvent  pâlir  el  changer  de  couleur!  La 
laisser  ainsi?  Non  pas.  Je  veux  encore  lui  parler,, 
puisque  je  la  vois  à  genoux. 

SCÈNE  XXII. 

LE    FRÈRE   DE  LEMPERELR,   L'IMPERATRICE. 

le  frère.  Eh,  ma  chère  dame!  aurez-vous  com- 


N'aurai-je  pas  la  paix?  Qu'esl-cc- 


passion  de  moi? 

l'impératrice. 
que  ceci  ?  Sire,  par  ma  foi!  vous  avez  grand  lort  de 
me  parler  ici  de  chose  pareille. 

le  frère.  Ali!  daine,  vous  avez  raison;  mais  mon 


4i3 


IMP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMP 


-W» 


i'iuour  assiège  tellement  mon  cœur  nuit  ei  jour; 
Désir  qui  toujours  s'augmente  de  plus  en  plus,  me 
tyrannise  tellement,  que,  malgré  moi,  je  vous  prie 
et  vous  imp'ore.  Si  vous  continuez  à  être  fière  à  mon 
égard  et  à  me  refuser  le  don  d'amoureuse  merci,  je 
suis  condamné  à  mourir  :  il  n'y  a  pas  à  en  douter. 

l'impératrice.  Je  vous  divine;  mais  que  faire? 
Néanmoins,  a  liez  jusqu'au  louiïer  qui  garde  celle  tour; 
dites-lui  qu'il  l'ouvre  sans  retard  et  que  je  veux  y  al- 
ler sur  l'heure  pour  parler  avec  vous  de  choses  se- 
crètes. Quand  les  verioux  de  la  porte  seront  tirés, 
soyez  tout  prêt  à  y  enlr.r;  et  je  me  rendrai  vers 
vous  à  l'instant  même,  sans  délai.  Ami,  allez. 

le  frère.  Dame,  puisque  telle  est  votre  volonté, 
je  la  ferai  de  bon  cœur. 

SCÈNE  XXIII. 

LE  FRÈRE  DE  l'eMPEREUR,  LE  TOURIER  GOBERT. 

le  frère.  Gobert,  ouvrez  vite  celle  tour,  sans  me 
retenir  davantage.  L'impératrice  va  venir  ici  ;  car 
nous  avons  à  parler  tous  les  deux  de  choses  secrè- 
tes, el  nous  voulons  être  tout  seuls. 

oobert  (le  lourier).  Sire,  par  le  doux  roi  des 
cieux  !  je  vous  l'ouvrirai  volontiers.  —  C'est  fait;  je 
n'y  laisserai  entrer  âme  qui  vive,  hormis  vous  el 
elle. 

le  frère.  Baudouin,  va-t'en  et  aide-moi  à  me  ca- 
cher :  si  quelqu'un  aujourd'hui  me  demande,  dis  que 
tu  ne  sais  pas  où  je  suis,  et  cela,  jusqu'à  ce  que  je 
m'en  aille. 

l'ecuver.  Volontiers,  monseigneur  ,  je  n'y  man- 
querai pas,  soyez  sans  inquiétude. 

SCÈNE  XXIV. 

L'IMPÉRATRICE,  LE  TOURIER   GOBERT. 

l'impératrice.  Ysahelle,  suivez-moi  de  loin  sans 
souffler  le  mol. — Gobert,  mon  ami,  dis-moi  la  vé- 
rité :  mon  frère  est-il  entré  céans?  Je  le  le  demande, 
je  n'ai  pas  besoin  de  le  voir. 

le  tourier.  Oui,  dame,  il  est  là-haut. 

l'impératrice.  C'est  bien  à  point.  —  Allons,  Go- 
bert !  ferme  -  moi  tellement  ce  guichet  qH'il  ne  puisse 
pas  du  tout  sortir.  Je  veux  qu'il  reste  là,  et  que  nul 
n'aille  ni  ne  vienne  auprès  de  lui  :  je  le  défends. 

le  tourier.  Je  me  garderai  bien  de  rien  faire  qui 
•vous  offense  ,  dame,  Dieu  me  garde!  je  n'y  laisserai 
entrer  personne. 

l'impératrice.  Bien. —  ïsabelle,  rclournons-nous- 
cn  par  ce  chemin,  il  en  est  bien  temps  ;  je  ne  veux 
plus  rester  ici,  il  est  assez  tard. 

SCÈNE  XXV. 


l'écuyer 


,    LE    TOURIER. 

vois  mon  maître  d'au- 


BAUDOU1N 

l'écuyer.  Eh  quoi  !  je  ne 
enn  côté  :  où  peut- il  être,  il  faut  que  je  le  sache. — 
Gobert,  qu'est  devenu  mon  maître?  dites-moi  la  vé- 
rité. 

LE  TOURIER.   11  CSl  CHCOIC  réailS 

l'ecuver.  El  que  peut-il  y  faire  pour  demeurer  si 
longtemps? 

le  tourier.  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit  à  l'aise,  car 
il  esl  prisonnier. 

l'écuyer.  Prisonnier!  hélas!  pour  quelle  raison 
peul-il  l'être? 

le  tourier.  C'est  par  ordre  de  l'impératrice;  je 
ne  sais  ce  qui  s'est  passé  entre  eux  deux.  Ce  serait 
un  grand  malheur  s'ils  n'étaient  pas  d'accord  en- 
semble. 

l'écuyer.  Voilà  qui  est  fort  !  Lui  seul  a  droit  de 
gouverner  tout  ('empire  ,  comme  régent,  jusqu'au 
retour  de  l'empereur. 

le  tourier.  Il  n'est  pas  moins  dans  celle  position, 
cl  ma  dame  m'a  défendu  de  ne  laisser  approcher  de 
lui  âme  qui  vive,  ni  homme  ni  femme. 

l'écuyer.  A  ce  «pie  je  vois,  je  ne  pourrai  donc  pas 
iui  parler? 


le  tourier.  Non  pas  quant  à  présent,  de  bonne 
foi!  et  cela  nie  chagrine. 

l'écuyer.  Alors  je  m'en  vais  d'ici.  Adieu,  Gobert! 

le  tourier.  Puissiez-vous  aller  en  un  lieu  où 
vous  ayez  du  bonheur  ! 

SCÈNE  XXVI. 

L'ÉCUYER  BAUDOUIN,  UN  CHEVALIER 

l'écuyer.  Si,  au  lieu  de  rester  ici,  j'allais  vers  la 
cour  savoir  de  quelle  querelle,  de  quel  tapage  ou  de 
qu^l  crime  mon  seigneur  s'est  rendu  coupable  pour 
êlie  mis  en  prison.  J'y  vais,  sans  plus  me  tenir  ici. 
Mais  voici  messire  Brun,  qui  saura  m'en  donner  de» 
nouvelles.  —Sire,  que  Dieu  vous  donne  une  bonne 
vie  el  une  bonne  fin  ! 

le  premier  chevalier.  Baudouin,  que  Dieu  le 
donne  un  bon  jour!  Qu'est-ce  que  c'est  ?  où  as-tu? 

l'écuyer.  Je  marche  comme  un  homme  tout 
abattu  par  le  chagrin,  l'ennui  el  la  colère.  Savez- 
vons  ce  qu'a  l'ait  mon  seigneur?  Je  crois  que  oui: 

le  premier  chevalier.  Ton  seigneur  !  pourquoi? 
qu'y  a-lil?  Lui  est-il  arrivé  malheur? 

l'écuyer.  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit  coupable  d'au- 
cun méfait,;  mais  néanmoins,  sire,  ma  dame  le  fait 
si  étroitement  tenir  en  prison,  que  personne  ne  peut 
arriver  à  lui. 

le  premier  cheyalier.  Viens  l'en,  j'irai  savoir  ce 
que  c'est. 

SCÈNE  XXVII. 

L'IMPÉRATRICE,  LE  CHEVALIER,  BAUDOUIN 
SERGENTS  D'ARMES,  SUIVANTES. 

le  premier  chevalier.  Ma  chère  dame,  est-il  vrai, 
comme  n:e  l'a  dit  cet  écuyer-ci,  que  vous  ayez  mis 
en  prison  son  maître,  qui  naturellement  esl  le  plus 
sûr,  le  meilleur  el  le  plus  loyal  de  vos  amis,  el  qui 
seul  connaît  vos  secrets.  Si  quelque  parole  ou  quel- 
que action  vous  a  déplu,  dame,  je  vous  prie  de  lui 
pardonner  :  par  là  vous  augmenterez  votre  réputa- 
tion el  voire  honneur. 

l'impératrice.  Je  me  garde  moi-même  de  honte 
cl  de  déshonneur.  Notre  sire  ne  sera  pas  relâché 
d'une  semaine,  pas  même  d'ici  à  quinze  jours.  — 
Morin,  approche.  Tu  vas  aller  le  garder,  et  en 
môme  temps  lui  procurer  ce  qu'il  voudra  boire  et 
manger.  Fais  en  sorte  qu'il  ait  tout  en  abondance 
cl  qu'il  soil  richement  servi  ;  mais  prends  bien 
garde  qu'il  ne  s'échappe. 

le  premier  sergent  d'armes.  Croyez  que  je.  me 
laisserais  plutôt  arracher  les  bras  du  corps.  Puis- 
que tel  esl  votre  plaisir,  j'y  vais  tout  de  suite,  ma 
chère  dame. 

le  premier  chevalier.  A  votre  gré,  mais  il  eût  é;é 
bien  mieux,  sur  mon  âme  !  de  le  meure  dehors. 

l'impératrice.  S'il  n'eût  pas  été  autant  de  mes 
amis,  je  ne  l'y  eusse  pas  emprisonné;  el  si  vous  sa- 
viez ce  qui  s'est  passé,  je  crois  que  vous  parleriez 
autrement.— Baudouin,  reste  avec  moi,  cela  ne  doit 
pas  le  faire  de  peine;  el  dès  ce  moment  je  le  nomme 
mon  écuyer. 

l'écuyer.  Je  suis  bien  reconnaissant  de  celte  pa- 
role. Très-grand  merci,  ma  chère  dame.  Sur  mon 
àmc!  je  vous  servirai  très-volontiers. 

l'impératrice.  Maintenant,  parlons  d'autre  chose. 
Pour  nous  divertir,  tandis  que  nous  sommes  ensem- 
ble, s;re,  dites-moi,  je  vous  prie,  quelle  est  la  chose, 
à  votre  avis,  la  plus  délicieuse  ,  qu'elle  soil  ou  non 
cause  de  dommage  ou  de  profit. 

le  premier  chevalier.  Voici  ce  que  je  reponds: 
la  chose  délicieuse  est  celle  qui  esl  le  plu-,  désirée 
soir  et  matin,  du  cœur  de  l'homme;  ici  esl  mon 
avis.  .  . 

la  demoiselle.  Sur  mon  âme!  voici  une  parole 
bien  dite,  cl  c'est  la  vérilé. 

l'impératrice.  Allons!  par  votre  loyaulc!  Isabelle, 


145 


IMP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMP 


413 


lequel  vaut  mieux  de  parler  jusqu'à  ce  que  Ton  vous 
impore  silence,  ou  de  se  (aire  ei  d'écouler  jusqu'à 
ce  que  l'on  vous  commande  de  parler?  Diles-le- 
moi. 

la.  demoiselle.  Voici  mon  opinion,  et  ma  réponse 
m  voire  demande  :  Il  v.tut  mieux  se  taire  jusqu'à  ce 
que  l'on  vous  commande  de  parler;  car  tant  qu'on 
s'en  abstient,  on  lient  sa  parole  en  son  pouvoir; 
cala  ne  l'ait  point  l'ombre  d'un  doule. 

SCÈNE  XXVI1J. 

LES  MÊMES,  UN  MESSAGER 

le  messager.  Que  Dieu  garde  toute  la  compagnie, 
spécialement  ma  dame,  et  vous  ensuite  pareillement, 
chacun  en  particulier! 

l'impératrice.  Messager,  sur  ma  foi  !  sois  le  bien- 
venu. Je  vois  bien  que,  s'il  plaît  à  Dieu,  j'aurai  des 
nouvelles  bonnes  et  belles.  Dis- moi  la  vérité  :  que 
lait  mon  mari?  Je  suis  plus  affamé  de  sa  vue  que 
de  toute  autre  chose. 

le  messager.  Demain,  avant  que  Prime  soit  son- 
née, il  sera  ici.  Ma  chère  dame,  il  vous  mande  de 
vous  tenir  en  joie;  et  lui-même  m'a  envoyé  céans 
pour  savoir  aussi  comment  vous  vous  portez. 

l'impératrice.  Il  faut  que  lu  lui  annonces  que  nous 
sommes  tous  bien  portants  et  dispos;  n'en  dis  pas 
davantage,  seulement  salue-le  ei  recommande-moi 
à  sa  personne. 

le  messager.  Très-chère  dame,  si  Dieu  me  con- 
serve la  langue,  votre  message  sera  rempli  avant 
qu'il  soil  Noue  :  J'y  vais  en  courant.  (Il  sort.) 

SCÈNE  XXIX. 
les  mêmes,  hors  le  messager. 

l'impératrice.  Baudouin,  va  dire  sur-le-champ  à 
Morin  qu'il  amène  ici  mon  frère,  et  qu'il  soit  bientôt 
arrivé. 

l'écuyer.  Volontiers,  dame,  en  vérité.  —  Morin, 
venez  vers  ma  dame  el  amenez-lui  son  frère  sans 
retard. 

le  premier  sergent  d'armes.  Cela  sera  fait,  puis- 
que tel  esl  sou  plaisir. 

SCÈNE  XXX. 
Le  sergent,  le  frère  de  l'empereur 

le  premier  sergent  d'armes.  Sire,  je  viens  au 
nom  de  ma  dame,  auprès  de  qui  il  nous  faut  aller, 
car  elle  nous  mande. 

le  frère  (à  part).  Sans  doute  qu'elle  veut  me  dé- 
dommager de  m'avoir  l'ait  tenir  en  prison  sans  que 
je  l'eusse  mérité.  Eh  bien!  allons-y. 

le  premier  sergent  d'armes.  Ma  chère  dame,  nous 
voici  à  vus  ordres. 

SCÈNE  XXXI. 

l'impératrice,  le  frère  de  l'empereur 
seigneurs  et  dames  de  la  cour. 

l'impératrice.  Mon  frère  ,  allons  ,  avancez  sans 
mot  dire.  Faiies  votre  devoir.  Votre  frère,  mon 
mari,  revient,  cl  personne  ne  vous  louchant  d'aussi 
près,  soyez  empressé  d'aller  à  sa  rencontre,  de  ma- 
nière à  gagner  son.amilié. — Baudouin,  tiens-lui  com- 
pagnie. Meitez-vous  en  route. 

le  frèi.e.  Dame,  dame,  nous  h:  ferons. — En  avant, 
Baudouin  !  suivez-moi.  Par  ma  loi  !  je  ne  m'arrêterai 
pas  que  je  ne  le  voie. 

SCÈNE  XXXI I 

l'impératrice,  seigneurs  ,  dames  ,  sergents 
d'armes  suivantes. 

l'impératrice.  Seigneurs,  mettons-nous  tous  en 
chemin  pour  aller  au  dvanl  de  mon  époux;  c'est 
notre  devoir  à  tous  d'alkr  à  sa  rencontre.  Que  ce- 
lui qui  m'aime,  me  le  montre  en  venant  avec 
moi. 


le  premier  cuevalier.  Dame,  croyez-vous  que  jo 
me  tiendrai  ici  pendant  que  je  vous  y  vois  aller  !  Si 
je  le  faisais,  ce  serait  un  déshonneur  pour  moi. 

le  premier  sergent  d'armes.  Je  ne  saurais  non 
plus  nsier  ici.  Je  vais  devant. 

l'imi -ératkice.  Vsalelle,  venez  à  ma  suite.  Ces 
hommes  iront  devant  nous,  el  nous  tiendront  com- 
pagnie; nous  viendrons  ensuite. 

SCÈNE  XXXIII. 

LE  FRÈRE  DE  L'EMPEREUR,  l'eMPEREUR. 

le  frère.  Je  vois  mon  frère  bien  près  d'ici  :  je  vais 
à  lui  :  personne  ne  m'en  empêcherait. — Cher  sire, 
soyez  le  bienvenu  dans  votre  pays. 

l'empereur.  Mon  cher  frère,  par  Dieu!  soyez  aussi 
le  bienvenu.  J'éprouve  une  joie  bien  grande  de  vous 
voir  en  bonne  sanié.  Comment  se  porte  l'impéra- 
trice? dites-le  moi. 

le  frère.  Qu'elle  soit  damnée  et  confondue!  Ah  ! 
n'en  parlez  pas.  Elle  s'est  conduite  de  la  manière 
la  plus  honteuse  :  elle  a  violé  sa  foi  conjugale  el 
déshonoré  son  corps;  elle  a  compromis  votre  auto- 
rité et  m'a,  je  puis  vous  le  dire,  tenu  en  prison  jus- 
qu'à présent,  parce  que  je  n'ai  pas  voulu  consentir 
à  ses  grands  désordres,  ni  m'associer  à  ses  vilaines 
actions  :  ceci  esl  la  vérilé. 

l'empereur.  Hélas!  je  me  faisais  joie  d'elle  à  mon 
retour  d'oulre-iner.  Comment  m'a-t-elle  réservé  un 
si  grand  chagrin  et  une  si  amère  douleur.  Certes, 
elle  a  tramé  sa  propre  mort. 

SCÈNE  XXXIV. 

LES  MÊMES,  L'IMPÉRATRICE  el  SA  SUITE. 

l'impératrice.  Mes  amis,  je  vois  là-bas  celui  q  i 
est  mon  désir  et  mon  amour.  Je  vais  à  lui  sans  de- 
lai.  —  Soyez  le  bienvenu  ô  vous  que  j'aime  el  que 
j'appelle  seigneur  et  époux  :  comme  cVsi  raison. 

l'empereur.  Ah  fausse  el  déloyale  personne!  je  ne 
me  félicite  pas  de  l'avoir  trouvée.  Ta  mauvaise  con- 
duite m'est  connue.  Certes  ,  jamais  plus  tu  ne  me 
feras  déshonneur,  car  lu  vas  mourir  ignominieuse- 
ment pour  les  crimes  ;  c'est  justice.  —  En  avant, 
seigneurs!  vous  trois  allez,  el  débarrassez-m'en^;  li- 
vrez-la à  une  mort  honteuse,  en  sorte  que  je  ne 
la  voie  jamais.  Menez-la  en  quelque  endroit  que  ce 
soil,  hors  du  chemin.  Faiies  vite. 

LE  DEUXIÈME    CHEVALIER  DE    L'EMPEREUR.   Eh,     mOll 

très-cher  seigneur!  comment  ?  c'esl  votre  femme. 

l'empereur.  Taisez-vous?  elle  m'a  fait  un  si  grand 
déshonneur  qu'elle  ne  mérite  plus  de  vivre.  Faites 
que  j'en  sois  délivré  à  l'heure  même. 

le  deuxième  chevalier.  Dame,  sans  plus  larder, 
il  vous  faut  quitter  la  place.  Nous  n'osons  lui  déso- 
béir. Allons!  parlons. 

SCÈNE  XXXV. 

CHEVALIERS,   L'IMPÉRATRICE. 

le  premier  chevalier.  Beaux  seigneurs ,  puis- 
qu'elle doit  par  nous  recevoir  la  mort  ,  arrangeons- 
nous  de  manière  à  la  pouvoir  mener  en  un  lieu  où 
nul  n'habite. 

Baudouin.  C'est  bien  parlé  ;  mais,  messeigneurs, 
si  vous  m'en  croyez,  nous  nous  eu  irons  là-bas  dans 
ce  désert.:  c'est  on  ne  peut  mieux. 

le  deuxième  chevalier.  Dieu  m'aide,  c  esl  la  vé- 
rité. Ce  lit  u  est  bien  solitaire  el  près  de  la  mer,  et 
je  liens  que  depuis  longtemps  personne  n'y  alla.  Je 
suis  donc  d'avis  que,  sans  disputer  davantage,  nous 
l'y  menions. 

II.  PREMIER   CHEVALIER.   Soil  !    j'y   COUSCIIS     dl    lOUS 

points. 

SCÈNE  XXXVI. 
l'impératrice. 

.LiMTÉrATtucE.  Ali!  Vierge  en  qui  s'csl  incarne  le 


Àil 


IMP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


E.IP 


4*S 


Dieu  créateur  de  touies  choses,  dont  ia  grâce  s'est 
répandue  sur  vous;  6  Vierge,  qui  êies  eu  corps  et 
en  âme  dans  le  paradis,  où  vous  êtes  honorée  de 
tous  les  saints,  et  servie  et  louée  des  anges  comme 
leur  dame  et  leur  maîtresse;  Dame  ,  je  suis  dans  la 
détresse  et  dans  un  déconfort  sans  mesure;  Vierge 
pure,  regardez  avec  des  veux  de  pitié  mon  amère 
componction  et  mon  afïliclion  profonde.  Je  vais 
souffrir  une  mort  honteuse  à  tort;  car  jamais  je  ne 
commis  de  crimes  dignes  de  la  mort  :  c'est  pourquoi 
je  me  plains  et  me  lamente  ,  et  ne  m'adresse  qu'à 
vous,  Vierge,  pour  que  vous  purifiez  mon  âme,  tel- 
lement qu'elle  ail  par  vous  la  joie  du  paradis. 

SCÈNE  XXXVII. 

LES  MÊMES  CHEVALIERS,  L'i  VIPER  ATUICE 
LE  DEUXIEME  CHEVALIER.    Eli   HV.HU  ï    inCSSilC  BtUU, 

dans  ce  désert,  faites  mourir  cette  dame;  dépêchez- 
vous. 

le  premier  chevalier.  Très-cher  compagnon  et 
doux  ami,  la  piiié  m'a  gagné  le  cœur  ;  je  ne  saurai 
prendre  sur  moi  de  la  loucher. 

LE    DEUXIÈME     CHEVALIER.    Et    loi  ,    Baudouin  ,    en 

avant,  frappe!  dépêche-loi. 

Baudouin.  Seigneurs,  non,  vraiment,  medonnâSon 
un  comté,  le  meilleur  qui  soit  d'ici  au  Caire,  je 
n'aurais  pas  le  cœur  de  lui  faire  du  mal  ou  des  ou- 
trages. 

le  premier  chevalier.  Ni  moi  non  plus,  je  n'en 
ai  pas  le  courage;  rien  au  monde  ne  me  déciderait 
à  la  voir  mourir  o.i  à  lui  faire  du  mal.  Cependant  il 
faut  qu'elle  meure  par  nos  mains  ;  sinon  ce  sérail  à 
nous  à  mourir  pour  elle  tous  trois  ensemble  :  c'est 
sûr. 

le  deuxième  cnEVALiER.  Je  vous  dirai  ce  qui  me 
semble  opportun);  et,  si  cela  vous  plaît ,  nous  le  fe- 
rons: no;:s  la  mènerons  à  celte  roche  qui  est  située 
assez  avant  dans  la  mer;  là  nous  l'abandonnerons. 
Certes,  elle  ne  pourra  pas  y  vivre  deux  jours  entiers 
sans  mourir  d'angoisse.  Quant  à  nous,  nous  nous 
en  retournerons,  et  nous  dirons  à  l'empereur  qu'elle 
est  mise  à  mort. 

baddouin.  Par  ma  foi!  c'est  bien  trouvé,  car  tou- 
jours l'orage  y  règne;  mais  vous  le  savez  ,  il  nous 
y  faut  aller  eu  bateau.  I 

le  premier  CHEVALIER.  Baudouin,  vous  en  avez  un 
tout  prêt:  regardez  !  —  Entrons  dedans  tous  quatre, 
et  dépêchons  nous  d'y  aller.  —  Daine,  entrez  de- 
dan-, 

l'impératrice.  Volontiers.  —  Hélas  !.  pauvre 
femme,  sous  quelle  é  oile  suis  je  née  pour  être 
ainsi  destinée  à  aller  mourir  ignominieusement?  — 
Eh,  seigneurs.!  si  vous  devez  détruire  mon  corps, 
pour  l'amour  de  Dieu,  faites  que  je  meure  promp- 
lement,  je  vous  en  prie. 

Baudouin.  En  avant!  marchons  sans  relard  ,  car 
je  vous  mènerai  bien  tous.  J'ai  fait  ce  métier  à  mou 
compte  plus  d'un  an  entier. 

l'impératrice.  Ah!  Dame,  qui  êtes  le  vrai  sentier 
et  le  port  de  ceux  qui  sont  égarés,  secourez  une 
malheureuse  pécheresse  abreuvée  de  tribulations  ; 
accourez  à  mon  aide!  Vierge,  je  vous  en  prie  de  tout 
mon  cœur ,  et  puisse  ma  mort  tellement  purifier 
mon  âme  que  j'obtienne  la  gloire  éternelle. 

le  deuxième  chevalier,  llolà,  seigneurs  !  il  faut 
débarquer  ;  nous  sommes  arrivés  à  la  roche.  — 
Dame,  déshabillez-vous,  sans  pins  de  difficultés;  les 
choses  en  étant  à  ce  point,  il  faut  se  résigner. 

l'impératrice.  Seigneurs,  puisque  cela  ne  peut 
être  autrement,  je  consens  à  ce  que  vous  voulez  :  je 
me  déshabillerai  ici  dedans.  —  Ah!  ah!  empereur, 
cher  sire  ,  comment  pouvez-vous  être  dur  el  bar- 
bare envers  moi  au  point  de  me  faire  périr  s  ns 
raison?  Certes  ,  vous  avez  élé  poussé  à  celle  action 
par  quelque  trailre;  je  n'en  doute  point.  —  Allons, 
iimi>!  que  Dieu  vous  pardonne'  quant  à  moi  je  ne 
vous  eu  veux  pas. 


le  premier  chevalier.  Dame,  nous  ne  pouvons 
vous  garder  davantage  avec  nous.  Il  vous  faut,  sans 
plus  larder,  descendre  sur  celle  roche. 

l'impératrice.  Seigneurs,  même  pour  mourir,  je 
veux  y  descendre  sans  résislance.  Vous  tous,  priez 
Dieu  pour  moi,  je  vous  en  conjure. 

le  premier  chevalier.  Dame,  que  le  Roi  de  para- 
dis vous  soit  miséricordieux,  courtois  et  doux;  qu'il 
vous  veuille  pardonner  aujourd'hui  vos  mauvaises 
actions  el  vos  mauvaises  paroles,  el  puisse-t-il  c'on- 
i;er  à  voire  âme  la  gloire  éternelle! 

Baudouin.  Ame».'  Ainsi  soit-il  !  Allons-nous-en 
avant  l'orage,  lant  que  le  vent  est  encore  favorable; 
je  le  conseille. 

le  deuxième  chevalier.  Allons  !  je  souhaiterais 
que  nous  fussions  sur  le  seuil  du  palais  de  l'empe- 
reur.—  Ma  chère  dame,  nous  vous  recommandons 
à  Dieu:  puisse-l-il  vous  donner  des  consolations! 
prenez  bon  courage;  et  ayez  soin,  quelque  chose 
qui  vous  arrive,  d'avoir  toujours  à  la  bouche  le  nom 
de  Dieu  :  c'est  ce  que  vous  avez  de  mieux  à  faire. 

le  premier  chevalier.  Seigneurs,  si  vous  me 
voyez  les  yeux  pleins  de  larme-,  n'en  soyez  point 
étonnés  :  je  suis,  par  Dieu  !  saisi  de  piiié. 

Baudouin.  Holà  !  descendons  :  voici  le  lieu  où 
nous  nous  sommes  embarqués. 

le  deuxième  chevalier.  Oui  vraiment,  el  où  nous 
avons  trouvé  ce  bateau.  Ici  nous  le  prîmes,  ici  lions 
le  laisserons;  et,  si  l'on  m'en  croit,  nous  irons  droit 
à  l'empereur. 

Baudouin.  Vous  ne  m'y  verrez  pas  le  dernier.  En 
avant,  allons. 

SCÈNE  XXXVIII. 

l'empereur,  le  premier  chevalier. 

le  premier  chevalier.  Mon  cher  seigneur,  voire 
désir  esi  accompli,  dans  un  si  profond  secret,  que 
jamais  vous  n'en  entendrez  parler.  Vous  pouvez 
vous  remarier  quand  il  vous  plaira. 

l'empereur.  Brun,  taisez-vous;  jamais  de  ma 
vie  cela  n'arrivera;  asseyez-vous.  Dieu  m'aide!  je 
n'ai  point  d'envie  d'une  nouvelle  femme. 

SCÈNE  XXXIX. 

l'impératrice. 

l'impératrice.  Hélas  !  si  mon  cœur  se  remplit 
d'effroi  ,  en  puis-je  mais  ,  Vierge  Marie  ?  habi- 
tuée aux  hommages  comme  souveraine  du  monde, 
je  nie  vois  au  moment  d'èlre  par  la  force  de  la 
tempête,  abîmée  dans  la  mer  !  Ah  !  Dame  en  qui  il 
n'y  a  point  d'amertume,  Vierge  glorieuse,  regar  'et 
avec  des  yeux  de  pitié  votre  servante  !  Dame,  vous 
êtes  mon  espérance,  elmaconfianceeslen  vous  seule. 
Dame,  ne  vous  éloignez  pas  de  moi,  confortez-moi 
dans  celle  nécessité,  en  sorte  que  dans  celte  mau- 
vaise fortune  je  ne  lombe  ni  je  ne  verse!  Dame, 
trésoricre  de  grâce,  dame,  auinonière  de  pitié,  sou- 
che et  racine  de  vertu,  dont  la  bonté  ne  finit  point  ! 
Dame  qui  seule  éclairez  et  qui  ramenez  dans  le  droit 
sentier  les  orphelins  sans  appui  el  les  exilés  égarés  ! 
Dame,  ayez  compassion  de  moi;  faites  que  je  ne  pé- 
risse pas  ici.  Je  veux  me  mettre  en  croix  par  lerre, 
je  ne  puis  plus  me  tenir  sur  pied  par  suite  du  ma- 
laise que  j'éprouve. 

SCÈNE  XL. 

DIEU,    NOTRE-DAME,    ANGES. 

dieu.  Mère,  l'impératrice  est  au  comble  des  lour- 
menis.  C'est  bien  naturel,  car  la  mer  la  heurte,  la 
frappe,  et  la  bat  de  mainte  onde,  en  sorte  que  peu 
s'en  faut  qu'elle  ne  soit  engloutie.  Allez  et  recon- 
foriez-la,  el  portez  lui  ces  herbes-ci  qui  ont  et  au- 
ront une  venu  telle  que  tous  les  lépreux  qui  en 
boiront,  s'ils  sont  confessés  auparavant,  seront 
entièrement  guéris  el  délivrés  de  leurs  maux. 

sotre-pame.  0  mon  bis,  puisque  telle  est  voira 


uo 


imp 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IMP 


HO 


volonté,  je  lui  porterai  volontiers  cela  ei  en  même 
temps  je  lui  donnerai  de  bons  conseils.  —  Allons! 
Jean,  mon  cher  ami,  venez  là-bas  avec  moi  sans 
plus  tarder. 

saint  JEAN.  Dame  je  ferai  de  bon  cœur  ce  qu'il 
vous  plaît  décommander.  Me  voici  tout  prêt  :  allons- 
nous-en,  puisqu'il  en  est  ainsi. 

Notre-Dame.  Allons  !  anges,  il  vous  faut,  tous  en- 
semble partir  d'ici,  et  venir  avec  moi  là-bas  où  Dieu 
m'envoie. 

le  premier  ange.  Dame,  nous  nous  y  rendrons 
avec  beaucoup  de  joie,  et  nous  ferons  tout  ce  qu'il 
vous  plaira;  car  sachez  que  c'est  notre  désir,  Reine 
vierge. 

i.e  deuxième  ange.  Michel,  chantons  joyeusement 
ce  rondeau-ci  par  amour  extrême. 

Rondeau. 

Cœur  humain,  ne  cesse  de  louer  la  bonté  infinie 
et  vraie  de  la  sainte  Trinité  et  de  celle  en  qui  le 
bis  de  Dieu  se  fit  homme  suis  douleur.  Cœur  hu- 
main, ne  cesse  de  louer  la  bonté  infinie  et  vraie  par 
qui  tu  as  une  noblesse  telle  «pie  lu  es  le  frère  de 
Dieu  :  or  pour  cette  alliance,  cœur  humain,  ne  cesse 
de  louer  la  bonté  infinie  et  vraie  de  la  sainte 
Trinité. 

SCÈNE  XL1. 

notre-dame,  l'impératrice  (endormie). 

notre-dame.  Impératrice,  les  maux  injustes  que 
tu  as  soufferts  ici,  cl  la  prière  si  douce  cl  si  lou- 
chante que  tu  m'as  adressée,  l'ont  mérité  une  ré- 
compense glorieuse.  Je  le  mets  sous  ma  protection, 
et  je  le  rendrai  ton  haut  rang  malgré  Ion  ennemi 
qui  paiera  cher  son  crime.  Je  vais  le  dire  ce  que  lu 
as  à  faire.  Au  sortir  de  ton  sommeil,  prends  sous  ta 
lèle  ces  herbes  qui,  je  te  l'apprends,  le  seront  bien 
précieuses;  car  il  n'est  pas  de  lépreux,  s'il  en  boit 
après  s'être  préalablement  confessé  avec  sincérité, 
qui  ne  recouvre  sur-le-champ  la  santé  aux  yeux  de 
tout  la  monde  :  c'esl  chose  véritable.  Souviens-toi 
toujours  de  moi  :  moi  qui  le  parle  ici  en  amie,  je 
suis  Marie  la  mère  de  Dieu.  .Sers  mon  fils  de  tout 
ion  cœur,  el  lu  auras  une  heureuse  fin,  et  lu  ac- 
croîtras la  réputation.  —  Mes  amis,  nous  avons  fini 
ce  que  nous  avions  à  faire  ici  :  nous  pouvons  bien 
nous  en  retourner  —  Allons  !  anges,  sans  plus  de 
discours,  allez  devant. 

saint  jean.  Eu  vérité,  je  vous  suivrai ,  puisque 
je  l'ai  dit. 

le  premier  ange.  Dame,  nous  ferons  sans  relard 
votre  volonté,  Cabriel  el  moi.  —  Gabriel,  je  vous 
prie,  chaulons  d'accord  en  chemin.  - 

Rondeau. 

Par  qui  lu  as  une  noblesse  telle  que  lu  es  le  frère 
de  Dieu  :  or,  pour  celte  alliance,  cœur  humain,  ne 
cesse  de  louer  la  boulé  infinie  et  vraie  de  la  sainte 
Trinité. 

SCÈNE  XL1I. 

l'mpératrice. 

l'impératrice.  Ah  !  Vierge  en  qui  par  charité 
Dieu  se  fil  homme  semblable  à  nous,  c'esl  vous 
qui  aujourd'hui  venez  à  mon  aide  pour  me  délivrer 
de  la  mort!  Ah  !  Daine,  je  vous  le  promets,  j'en  écri- 
rai en  mon  cœur  un  livre  tel  que  jamais  je  ne  ces- 
serai de  vous  louer  ci  de  vous  rendre  grâces  et  de 
remercier  votre  doux  fils  :  n'aurai-je  pas  raison  ? 
ne  sera-ce  pas  justice?  Vous  avez  pris  un  tel  soin 
de  moi  que  du  moment  de  mon  réveil,  je  n'ai  plus 
ressenti  de  douleur.  Je  me  sens  si  bien  repue  je  n'ai 
ni  soif  ni  faim.  El  c'est  vous  qui  m'avez  apporté  des 
cieux  ces  herbes  que  je  liens  à  la  main,  el  donl  je 
touche,  ô  Vierge  !  ma  bouche  el  mes  yeux  en  vous 
louant.  Ah    Dieu  !  je    vois  une   barque.    Abordera- 


l-elle    ici  ?  Le  vent  va-l-il  la   pousser  ailleurs  au 
loin. 

SCÈNE  XLIil. 

LES     MARINIERS     ET    LES    PASSAGERS     DU     VAIS- 
SEAU. 

le  maître  MARINIER.  Secourez-nous  dans  le  péril, 
D;tme  souveraine  des  anges  :  le  vent  et  l'orage  noi.s 
mènent  trop  fort  hors  de  noire  roule. 

la  dame  pèlerine.  Ah!  saint  Clément,  pour  qui 
je  me  suis  mise  en  chemin  el  j'ai  entrepris  ce  pèle- 
rinage, priez  Dieu  d'apaiser  l'orage  el  le  vcnl 
qui  souffle ,  en  sorte  que  nous  ne  périssions  pas , 
mais  que  par  vous  nous  soyons  défendus  el  garantis 
du  danger  de  mourir. 

l'éceyer  de  la  pèlerine.  Maître  ,  pour  l'amour 
de  Dieu  !  pensons  à  nous  tirer  du  perd.  N'allons  pas 
plus  loin  que  ces  rochers  là  bas  Qu'en  diles-vi  us? 
Jelons-y  l'ancre,  si  c'est  possible.  Tenms-nous 
pivls. 

la  pèlerine.  Arrêtons  vers  celle  roche,  pour 
l'amour  de  Dieu!  arrêtons  sans  plus  naviguer,  jus- 
qu'à ce  que  l'orage  soil  passé. 

le  maître  marinier.  Dame,  c'esl  à  quai  je  m'oc- 
cupe. A  présent  c'esl  fait  :  en  vérité,  Dame  ,  nous 
sommes  arrêtés,  cl  nous  n'avons  rien  à  craindre. 

SCÈNE  XL1V. 

LES    MÊMES,    L'IMPÉRATRICE. 

la  pèlerine.  Mailre,  voilà  quelqu'un  qui  nous  re- 
garde d'un  mauvais  œil;  j'ai  grand'peur  qu'il  n'y 
ait  des  malfaiteurs  aux  environs. 

l'éceyer.  Que  pourraient-ils  faire  ici?  certaine- 
ment je  vais  le  savoir.  —  Eh,  mon  amie  ,  dites- 
moi  la  vérité  :  èics-vous  seule  ici?  Pour  l'amour 
de  Dieu,  qu'y  faites-vous,  dans  l'équipage  où  vous 
êtes. 

l'impératrice.  Sire,  je  ne  vous  mentirai  point  : 
la  mer  m'y  a  jetée  et  mise  ,  après  avoir  noyé  tous 
mes  amis  ,  un  frère  el  six  cousins  que  j'avais.  J'al- 
lais avec  eux  outre-mer  :  ce  que  je  puis  appeler 
une  folie  ,  car  il  a  fait  une  si  grande  tempête  que 
noire  navire  s'est  brisé  en  deux.  Je  ne  sais  com- 
ment j'ai  pu  échapper.  Mais  la  mer  m  a  jetée  ici  , 
où  je  suis  dans  un  tel  dénuement  que  je  n'ai  p:  s 
mangé  voici  trois  jours  ,  el  je  suis  demeuré,:  dans 
l'étal  où  vous  me  voyez. 

l'écuyer.  Dame ,  vous  ne  resterez  pas  ici ,  vous 
viendrez  avec  nous  cl,  parla  foi  que  je  dois  à 
Dieu!  vous  serez  rassasiée  ,  revêtue  d'une  robe  ,  et 
l'on  ne  vous  traitera  que  comme  ma  sœur;  n'en 
douiez  pas. 

l'impératrice.  Sire  ,  j'irai  avec  vous  volontiers 
jusque  dans  vetre  navire  :  mais,  montrez-m'en  le 
chemin. 

l'éceyer  de  la  dame.  Volontiers,  mon  amie,  sans 
faute;  venez  par  ici ,  donnez-moi  la  main.  —  Ma- 
dame, j'amène  avec  moi  cette  femme  ,  que  j'ai  trou- 
vée là-bas  seule  et  toul  en  pleurs.  Elle  m'a  coi;le 
au  long  son  aventure,  qui  est  assez  triste  et  pé- 
nible; car  tous  ses  amis  sont  noyés,  cl  la  mer  l'a 
mise  là.  C'esl  pourquoi,  dame,  pour  l'amour  de 
Dieu,  ayez-en  pitié  :  vous  ferez  bien. 

la  pèlerine.  Hélas!  sœur  ,  approche,  viens.  La 
pitié  (pie  tu  m'inspires  m'attendrit  le  cœur.  Vêts 
celte  coite  sans  larder,  el  prends  courage. 

l'impératrice.  Certes,  chère  dame,  s'il  plaisait  à 
Dieu,  je  voudrais  être  morte.  Pauvre,  nue,  ayant 
perdu  tous  mes  amis,  il  n'y  a  rien  d'élonnant  à  ce 
que  j'aie  le  cœur  navré. 

la  pèlerine.  Puisse  Dieu  vous  réconforter!  S'il 
vous  plaît  de  rester  avec  nous  à  terre  ,  ve- 
nez. En  attendant  je  vais  aisément  vous  trouver , 
pour  l'amour  de  Dieu,  à  boire  et  à  manger;  n'eu 
douiez-pas.  , 

,    l'impératrice.    Dame,     vous    me    pioposrz.    i.e 


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1MP 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


IMP 


43  i 


grands  services;  je  n'bcsile  p/\s  à  les  acrepler  ,  bien 
(|iie  je  ne  puisse  vous  en  offrir  aulanl.  Dieu  vous  le 
rende! 

le  maître  marinier.  L'orage  est  calmé,  le  lemps 
se  remet  an  beau  :  il  faut  partir.  Daine,  le  vent 
nous  vient  à  souhait  ;  qu'en  dites-vous  ? 

la  pèlerine.  Parlons  donc,    mon  doux  maître. 

l'éccaer.  Oui,  vraiment  ;  et  aussitôt  que  vous 
pourrez  mettre  cette  femme  sur  la  terre  ferme, 
maître  ,    pour  l'amour    de    Notre-Dame ,    niellez- 

r>. 

le  maître  marimer.  Mon  ami ,  vous  serez  salis- 
fait,  pour  l'amour  de  Dieu  ,  aussitôt  que  j'en  trou- 
verai le  moment.  —  Bonne  femme,  sans  plus  atten- 
dre, vous  pouvez  descendre  de  ce  navire,  car  je 
vois  une  ville, 

l'impératrice.  Je  vous  remercie  plis  de  mille  fois 
(et  cela  vous  est  bien  dû,  nia  respectable  dame) 
pour  le  soin  que  vous  avez  pris  de  moi  en  me  re- 
vêtant de  vos  habits  et  en  me  repaissant  de  vos 
vivres.  S'il  vous  plaît,  je  descendrai  ici ,  el  je  pren- 
drai congé  de  vous,  aimable  dame. 

la  pèlerine.  Si  telle  est  voire  volonté,  allez; 
que  Dieu  tienne  votre  cœur  dans  la  joie  et  vous 
amène  à  bon  port,  el  nous  aussi  ! 

l'impératrice.  Que  Jésus  le  béni,  par  sa  grâce  , 
vous  conduise  en  telle  manière  qu'il  vous  mène 
lous,  vous  et  vos  gens,  chère  dame,  à  bon  poil,  et 
vous  ramène  avec  beaucoup  de  joie  en  voue  pa- 
trie ! 

l'éclyer  de  la  pèlerine.  Adieu,  mon  amie, 
adieu,  adieu!  —  Madame,  c'est  grand  dommage 
pour  elle;  car  je  crois  qu'elle  a  été  femme  de  qua- 
lité. 

la  pèlerine.  Oui  vraiment  elle  a  de  l'éducation , 
et  se  lient  avec  modestie  ;  elle  n'est  pas  bavarde, 
cl  elle  ne  parle  qu'à  propos. 

le  maître  marinier.  Dame,  si  nous  restons  ici 
davantage,  je  crains  que  nous  n'ayons  tort;  pen- 
dant que  le  temps  nous  est  propice ,  allons-nous- 
en. 

la  pèlerine.  Sire,  j'y  consens;  maître,  voguez 
prompieinent. 

SCENE  XL  Y. 

l'impératrice. 

l'impératrice.  Sire  Dieu,  par  qui  Daniel  fut  ven- 
gé de  ses  ennemis  qui  avaient  machiné  pour  qu'il 
fût  jelé  au  milieu  des  lions  sauvages;  Seigneur  qui 
avejz  délivré  Susanne  des  faux  témoignages  îles  vieil- 
lards, au  rapport  de  l'Ancien  Testament;  Seigneur  , 
dans  voire  bonté,  regardez  la  nécessité  où  je  me 
trouve  el  dont  je  ne  sais  comment  sortir.  C'est  la 
première  fois  que  je  subis  de  telles  leçons.  Mais 
il  fan'  bien  que  j'apprenne,  ou  sinon  je  suis  rési- 
gnée a  souffrir.  Dans  quelle  perplexité  douloureuse 
suis-jo  tombée?  Je  ne  sais  ni  où  loger  désormais, 
ni  parmi  quelles  gens  demeurer. 

SCÈNE  XLYI. 
l'impératrice,  l'hôtesse. 

l  impératrice.  Eh,  dame,  pour  l'amour  du  Roi 
descieux!  (pie  ma  requête  ne  vous  déplaise  :  veuil- 
lez me  loger  pour  celle  nuit  seulement. 

l  hôtesse.  Mon  amie,  vous  m'en  priée  de  si 
bonne  grâce,  à  ce  qu'il  me  semble,  que  nous  cou- 
cherons ensemble  toutes  deux.  Où  ètes-vous  née? 

l'impératrice.  Cela  ne  peut  vous  intéresser.  Ma 
destinée  est  douloureuse  el  pénible ,  mou  coeur 
navré;  dame,  sachez-le. 

l'hôtesse.  Par  ma  foi!  vous  me  paraissez  pour- 
taut  une  femme  issue  de  bon  lieu.  Dites-moi,  pour 
l'amour  de  Dieu  ,  d'où  venez-vous  ? 

l'impératrice.  De  la  mer,  où  j'ai  perdu  tous  mes 
jmis  par  la  violence  d'une  tempête.  Dame,  j'ai  été 
»rois  jours  entiers  sur  une  roche  comme  une  bêle, 


cl  je  n'y  ai  ni  bu  ni  mangé.  Là  vint  par  hasard 
une  dame  (dont  Dieu  garde  l'âme  et  le  corps  !)  qui 
m'emmena  dans  son  navire  el  me  donna  cette  robe, 
car  j'étais  nue  et  en  chemise  ;  el  puis  j'ai  été  des- 
cendue par  elle  à  ce  port. 

l'hôtesse.  Mon  amie,  oubliez  les  maux  que  main- 
tenant la  fortune  vous  fait  éprouver;  car  elle  est 
dure  et  bourrue  pour  les  uns,  et  douce  pour  les  an- 
tres, c'est  la  vérité.  Il  n'y  a  point  de  stabilité  en 
elle:  souvent  elle  change  l'honneur  en  honte.  Il  y 
parait  bien  par  le  comte  de  ce  pays,  qu'elle  a  frappe 
el  tellement  abattu  d'une  lèpre  incurable  qu'elle  l'a 
rendu  l'o!  jet  du  dédain  de  tout  le  monde;  personne 
ne  veut  plus  lui  tenir  compagnie  :  tant  il  est  devenu 
laidement  lépreux  !  et  cependant  on  le  tenait  poui 
un  prud'homme,  vaillani  et  sage. 

l'impératrice.  Dame,  je  vous  le  garantis,  sachez 
que  je  lui  donnerais  loul  de  suite  un  bon  conseil 
touchant  sa  maladie,  s'il  faisait  ce  que  je  lui  di- 
r.,i-, 

l'hôtesse.  Dame,  s'il  recouvrait  la  sanlé  par  vous, 
il  vous  ferait  riche  à  souhait.  Je  vous  minerai  à  lui 
par  la  main,  si  vous  le  voulez. 

l'impératrice.  Je  le  veux  bi  m  ;  mais  allez  de- 
vant, je  vous  suivrai. 

l'hôtesse.  Volontiers,  soe  ir,  par  le  vrai  Dieu! 
Allons,  regardez,  le  voilà. 

SCÈNE  XLY1I. 

l'impératrice,  l'hôtesse,  le  comte. 

l'hôtesse.  Mon  cher  seigneur,  comment  vous  va  ? 
el  quelle  mine? 

le  comte  (malade).  Mauvaise,  en  vérité,  mauvaise 
mine;  mon  mal  empire  de  jour  en  jour.  Si  tel  était 
le  plaisir  de  Dieu  noire  sire,  je  voudrais  mourir. 

l'hôtesse.  Sire,  pour  Dieu  !  ne  dites  pas  cela  ; 
ayez  espérance,  au  contraire,  car  je  vous  amène 
une  femme  passée  maîtresse,  qui  vous  guérira  de  ce 
mal,  je  vous  le  promets,  si  vous  faites  ce  qu'elle 
dira. 

le  comte.  Si  elle  se  mêle  de  me  guérir,  je  lui 
donnerai,  en  vérité,  si  elle  le  veut,  la  moitié  de  mon 
comté;  qu'elle  n'en  doute  point. 

l'impératrice.  Sire,  je  n'en  prendrai  pas  tant  : 
ce  que  j'en  ferai  sera  pour  l'amour  de  Dieu;  et 
maintenant,  voici  ce  qu'il  faut  faire. 

le  comte.  Ma  bonne  amie,  dites  ce  que  vous 
voulez. 

l'impératrice.  Sire,  il  vous  faut  avoir  un  prêtre 
à  qui  vous  vous  confessiez  de  cœur.  Dites-lui  lout, 
n'oubliez  aucun  péché;  car  autrement  vous  ne 
feriez  rien,  si  vous  en  oineilhz  sciemment  un 
seul. 

le  comte.  Dame,  ne  vous  déplaise,  un  peu  avont 
que  vous  vinssiez  ici,  je  m'étais  déchargé  de  mon 
mieux  par  la  confession  (que  Dieu  me  donne  joie!) 
de  lous  les  péchés  que  je  commis  jamais,  el  dont  je 
me  souvenais  alors. 

l'impératrice.  S'il  en  est  ainsi  que  vous  le  dites, 
je  le  verrai  loul  à  l'heure  :  sire,  ne  vous  abusez 
pas,  faites-y  bien  attention. 

le  comte.  En  vérité,  je  ne  sais  rien  que  je  n'aie 
dit. 

l'impératrice.  C'est  bien,  attendez  un  peu  :  je 
saurai  bienlôl  s'il  en  est  ainsi.  (Ici  elle  fuit  infuatr 
riieroe.)  Tenez,  sire;  maintenant  buvez  ceci,  et 
avalez-le. 

l'hôtesse.  Sire,  certainement  tout  le  mal  s'en  est 
allé  de  votre  visage  :  vous  n'avez  plus  en  haut  ni  en 
bas  aucune  pustule  ni  aucun  boulon  ;  votre  chair  est 
aussi  nette  que  celle  d'un  nouveau-né.  Par  mon 
âme  !  voici  une  belle  cure,  noble  el  éclatante. 

le  comte.  Dame,  vous  avez,  certes,  bien  mérité 
de  moi  une  récompense.  Allons!  demandez,  que 
voulez  vous  avoir  de  moi?  Puisque  je  me  vois  en 
bonne  santé  el  guéri,  en  vérité,  vous  aurez  tout  à 
souhait. 


455  IMP  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

^'impératrice.  Sire,  louez  Jésus- Christel  sa  douce 


1M1» 


45 1 


mère  de  vous  avoir  guéri  si  radicalement  de  celle 
amère  douleur.  Je  ne  veux  p;is  d'autre  récompense, 
et  il  ne  sérail  pas  j;isle  que  j'en  eusse,  car  ceci 
vient  d'eux,  lîelle  hôlessc,  allons-nous-en  toutes 
deux  en  voire  lo^is. 

l'hôtesse.  Allons,  mon  amie,  je  le  veux  bien.  — 
Sire,  nous  nous  en  allons  ensemble.  Si  vous  le  jugez 
:'i  propos,  faites-lui  (lu  bien  :  c'e>t  une  pauvre  étran- 
gère; sur  mon  aine!  je  l'ai  hébergée  pour  l'amour 
de  Dieu,  je  ne  sais  combien  de  jours. 

le  comte-.  Je  la  ferai  riche  pour  toujours,  n'en 
douiez  pas,  mon  amie  :  el  vous  ne  vous  en  trouverez 
pas  mal,  je  vous  le  promets.  Gardez-vous  de  la  lais- 
ser aller,  jusqu'à  ce  que  j'aie  réfléchi  à  ce  que  je 
puis  vous  donner  à  louies  i\mx  selon  mes  dé- 
sirs. 

l'hôtesse.  Monseigneur,  certainement ,  pourvu 
qu'elle  le  veuille. 

SCÈNE  XLV1II. 

LE   FRÈRE    DE   L'EMPEREUR 

le  frère  de  l'empereur.  Hélas!  je  suis  la  proie 
d'une  lèpre  qui  m'a  assailli  Furieusement.  Les  pieds 
me  manquent;  ils  ne  peuvent  plus  porter  mon 
corps,  el  ma  carcasse  est  si  pourrie  el  si  puante  que 
chacun  m'évite  el  refuse,  d'approcher  de  moi.  Hélas  ! 
malheureux!  que  faire?  Maladie  terrible!  je  ne 
trouve  personne  qui  me  dise,  que  je  puis  gu.  rir, 
quelque  médecine  ou  potion  que  je  puisse  pren- 
dre. 

SCÈNE  XLIX. 

L EMPEREUR,    CHEVALIERS,   SERGENT    DERMES. 

l'empereur.  Debout,  beaux  seigneurs!  je  veux, 
sans  délai,  aller  voir  mon  frère,  el  savoir  si  je  pu, s 
rien  pour  lui. 

le  deuxième  sergent  d'aumes.  Sire,  nous  irons 
tous  avec  vous  sans  y  manquer. 

SCÈNE  L. 


LES    MEMES,    LE 


FRERE   DE    L  EMPEREUR, 
MESSAGER. 


UN 


vous    porlez-vous ,   mon 


l'empereur.  Comment 
frère? 

le  frère.  Monseigneur  mon  frère,  sur  ma  foi! 
ma  maladie  est  houleuse;  jamais  homme  ne  fut 
frappé  d'une  aussi  douloureuse  lèpre,  j'en  suis  lel- 
lemenl  aballu  que  jamais  je  ne  relèverai  d'ici.  J'ai 
grand'peuf  de  vous  incommoder  ;  pour  l'amour  de 
Dieu  !  ne  m'approchez  pas  :  je  suis  lout  infeclé  d'un 
venin  puant. 

l'empereur.  El  pensez-vous  qu'il  n'y  ail  nul  re- 
mède au  inonde? 

le  frère.  A  ce  que  m'ont  dit  les  chirurgiens,  il 
n'est  personne  qui  puisse  m'en  guérir;  el  les  méde- 
cins aussi  me.donnenl  pour  véritable  que  c'est  une 
maladie  incurable  de  sa  nature. 

le  messager.  Mon  cher  seigneur,  que  Dieu,  qui 
fil  toutes  les  créatures  au  commencement  du  monde, 
accroisse  el  augmente  voire  honneur. 

l'empereur.  Eh  bien!  messager,  qu'as-tu  fait  dans 
ion  voyage? 

le  messager.  Cher  sire,  pour  voire  message,  j'ai 
été  jusqu'à  Naples.  Là,  sire,  j'ai  parlé  au  roi  Robert, 
elje  lui  donnai  vos  lettres.  Il  les  a  reçues  avec  joie, 
el  il  vous  envoie  celles-ci;  il  se  recommande  bien  a 
vous,   et  vous  mande  mille  fois  salut  el  amitié. 

l'empereur.  Pour  l'amour  de  Dieu  el  par  pitié, 
mon  frère,  si  l'on  ne  petit  apporter  du  remède  à 
votre  mal  el  que  les  docteurs  le  disent  ainsi,  prenez 
votre  lèpre  en  patience  el  avec  courage;  je  vous  en 
prie. 

le  frère.  Sire,  je  consens  à  faire  voire  volonté, 
ruianl  que  je  pourrai. 


le  messager.  Sire,  ne  vous  dépuiisc,  je  voudrais 
parler.  Je  vous  vois  accablé  du  mal  que  souffre  votre 
frère,  et  désespéré  de  ce  que  personne  ne  sail  le 
guérir  el  détruire  sa  maladie.  Sire,  dans  les  comtés 
de  Gélatine,  de  Malepel  el  de  Fondi  il  n'y  a  plus  de 
lépreux,  je  vous  l'assure;  tous  son!  guéris  par  une 
femme  qui  est  là  et  que  l'on  lient  pour  sainte. 
Elle  a  même  guéri  radicalement  le  comte  de  Male- 
pel, qui  était  tout  à  fait  pourri  par  la  lèpre,  el  elle 
l'a  rendu  lout  net  et  tout  sain;  je  l'ai  vu. 

le  premier  chevalier.  Monseigneur,  si  vous  m'en 
croyez,  vous  la  manderez  sur  l'heure  el  vous  en- 
verrez vers  elle  un  messager  sûr. 

l'empereur.  Je  vous  liens  pour  sage  d'avoir  dit 
cela,  el  je  le  ferai  maintenant.  —  Mcssire  Orry, 
avancez  :  allez-vous-en,  sans  rêver  ici,  où  mon 
messager  vous  mènera  ;  el  faites  si  bien,  quoi  qu'il 
advienne,  que  celle  dame  dont  il  m'a  parlé  lout  à 
l'heure  vienne  avec  vous.  Faites-lui  un  présent  de 
prix,  grand,  beau  el  riche. 

le  chevalier.  Sire,  je  ne  serai  pas  avare.  Allons- 
nous-en;  je  ne  m'arrêterai  pas  tant  que  je  l'aie  ame- 
née ici ,  si  Dieu  me  prolége. 

l'empereur.  Frère,  leiiez-vous  en  joie;  s'il  plaît  à 
Dieu,  vous  aurez  bientôt  de  quoi  être  entièrement 
guéri  ;  c'est  mon  espérance. 

le  frère.  Hélas,  frère  !  j'ai  bien  peur  que  la  for- 
tune contraire  empêche  celle  dame  de  venir  ici. 

l'empereur.  Allons,  ne  soyez  pas  si  désespéré, 
cela  ne  vaut  rien. 

SCÈNE  LI. 

LES    DEUX    MESSAGERS,    L'IMPERATRICE. 

le  messager.  Messire  Orry,  je  veux  vous  mon- 
trer celle  qui  guérit  les  lépreux  ;  mes  yeux  la  voient  : 
la  voilà,  sire. 

le  deuxième  chevalier.  Par  saint  Cyr!  je  vais  lui 
parler,  puisque  lu  me  dis  que  c'est  elle.  Honneur  et 
joie,  demoiselle,  vous  soient  donnés  ! 

l'impératrice.  El  que  Dieu,  sire,  vous  donne  aussi 
une  bonne  destinée  ! 

le  deuxième  chevalier.  Dame  ,  le  noble  empe- 
reur de  Rome  m'a  envoyé  ici  vers  vous;  et  voki 
pourquoi  :  son  frère  est  tellement  atteint  du  mal  de 
lèpre  qu'il  est  lout  blême,  et  il  a  déjà  le  corps  dans 
un  tel  état  de  putréfaction  que  ses  plus  fidèles  ser- 
viteurs craignent  de  l'approcher.  L'empereur,  qui  le 
chérit,  a  appris  par  la  renommée  que  vous  guéris- 
sez de  celle  maladie  :  je  vous  prie  donc  d'un  coeur 
franc  el  loyal,  de  ne  pas  vous  faire  prier  davan- 
tage, el  puisqu'un  tel  seigneur  vous  envoie  chercher, 
venez  vers  lui. 

l'impératrice.  Sire,  jamais  Dieu  ne  me  manqua 
et  le  peu  que  j'ai  me  sufiil.  Mon  Créateur  en  soit 
loué!  Jamais  je  n'ai  quille  ces  l jeux. Gomment  aller 
à  Rome  ?  Je  ne  sais  personne  à  qui  me  lier  entiè- 
rement ,  supposé  que  je  consentisse  à  y  aller  ;  je  vous 
dis  vrai. 

le  deuxième  chevalier.  Dame,  vous  irez  en 
ma  compagnie,  el  ne  craignez  pas  d'èlre  en  bulle 
au  moindre  outrage  :  je  vous  le  jure  comme  bon  che- 
valier, je  me  ferai  tailler  en  pièces  pluttô  que  vous 
ayez  du  mal. 

i/nirÉKATRiCE.  Après  une  pareille  assurance,  je 
consens  à  voire  demande  et  cède  à  vos  prières. 
Sire,  parlons. 

le  di  uxième  chevalier.  Messager,  va  devant,  el 
dis  que  l'on  lasse  bonne  el  grande  chère,  car  la 
('aine  et  moi  nous  serons  hienlôt  arrivés. 

le  messager.  S.rc  Orry,  volontiers,  par  mon  àme! 
j'y  vais  courant. 

SCÈNE  LU. 

LE    FRÈRE    nE    L'EMPEREUR. 

if  i  hère.  Hélas!  l.i  mort  larde  trop  à  terminer 
ma  vie,  cl  à  me  délivrer  de  mes  tourments. 


4?.$  IMP  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

SCÈNE  LUI. 

LES    MÊMES,    L'EMPEREUR,    LE    MESSAGER. 

le  messager.   Sire,  réjouissez-vous  en    Dieu.  Et 


IMP 


*S6 


vous,  sire,  qui  gardez  ce  lit  avec  peu  de  plaisir, 
en  vérité!  C'est  fini,  réjouissez-vous  :  la  sainte  et 
liumhle  dame  qui,  s'il  plaît  à  Dieu,  vous  guérira, 
sera  bientôt  ici;  je  vous  annonce  sa  venue.  Elle  est 
Irès-limide. 

l'empereur.  Je  suis  d'avis  qu'on  aille  sur-le- 
champ  le  faire  savoir  au  Saint-Père,  afin  qu'il  voie 
et  reconnaisse  qu'elle  n'opère  pas  avec  le  secours 
de  la  ni2gie.  —  Messire  Brun,  Dieu  vous  gardj!  al- 
lez le  lui  dire. 

le  premier  CHEVALIER.  Volontiers  ;  chcrsire,  je 
veux  sur  l'heure  nie  hàier  d'y  aller. 

SCÈNE  LIV. 

LE    CHEVALIER,    LE   PAPE,    CARDINAUX. 

le  premier  chevalier.  Saint-Père ,  salut  à  votre 
sainteté!  Je  viens,  avec  votre  agrément,  vous  dire 
qu'une  daine  que  messire  Orry  est  allé  elierelier, 
arrive  sous  peu  comme  monseigneur  vous  le  mande. 
Voudrez -vousbien  venir  voir  comment  elle  opère,  et 
comment  le  frère  de  l'empereur  recouvrera  la  santé 
par  son  entremise. 

le  pape.  Mon  fils,  je  m'y  rendrai  de  bon  cœur, 
car  je  n'ouïs  jamais  parler  d'une  créature  qui  opé- 
rât une  pareille  guérison,  si  ce  n'est  Dieu. 

le  premier  cardinal.  Je  tiens  que  nul  n'en,  peut 
guérir,  sans  avoir  une  grande  grâce  de  Dieu.  — 
Saint-Père,  allons-y  pour  voir  ce  qu'elle  fera. 

le  deuxième  cardinal.  Allons;  certes,  ce  ne  sera 
<]iic  bien  lait. 

SCÈNE  LV. 

LE    PAPE,    L'EMPEREUR,    DR    MESSAGER. 

le  pape.  Beaux  Seigneurs,  que  Dieu  de  paradis 
veuille  vous  perfectionner  en  grâce,  et  vous  par- 
donne tous  vos  méfaits  et  vos  mauvaises  paroles! 

l'empereur.  Et  qu'à  vous,  Saint  Père,  il  vous 
donne  une  vie  qui  soit  home  à  votre  âme! 

le  pape.  La  femme  qui  doit  guérir  voire  frère 
viendra-l-elle  bientôt?  en  vérité  j'ai  grand  désir  de 
la  voir. 

le  messager.  Messeigneurs  ,  sachez  que  je  la  vois 
là-bas  :  elle  vient  d'un  bon  pas;  je  vois  aussi  mes- 
sire Orry  qui  est  à  côté  d'elle. 

l'empereur.  Saint-Père,  par  ma  foi!  je  daignais 
qu'elle  ne  vint  pas  sitôt.  Maintenant  ne  disons  rien 
jusqu'à  ce  qu'elle  vienne. 

SCÈNE  LYI. 

LE  CHEVALIER   L'IMPÉRATRICE,  Voilée. 

le  deuxième  chevalier.  Dame,  que  Dieu  me  tienne 
en  grâce!  vous  pouvez  voir  là-bas  le  Pape  et  l'em- 
pereur ensemble  :  il  me  semble  qu'ils  nous  atten- 
dent. 

l'impératrice.  Au  moins,  ils  regardent  de  noire 
côté;  sire,  je  ciois  que  vous  dites  vrai.  Allons  faire 
notre  devoir  en  les  saluant. 

SCÈNE  LVII. 

LES  MÊMES,  LE  PAPE,  L'EMPEREUR,  LE  FRERE 
DE  L'EMPEREUR. 

le  deuxième  CHEVALIER.  Que  Dieu  veuille  fortifier 
de  sa  grâce  toute  la  compagnie  si  noble  et  si  digne 
que  je  vois  ici  rassemblée  ! 

l'impératrice.  Que  la  reine  des  cieux  soit  votre 
amie  de  près  et  de  loin,  messeigneurs,  cl  vous  se- 
coure dans  l'adversité! 

le  frère.  Chère  dame,  puisque  vous  avez  daigné 
venir  ici  pour  moi,  manifestez-moi  sans  délai  votre 
aide,  dame  ! 

l'impératrice.    Volontiers,   mon   ami,   sur   mon 


âme!  Mais  auparavant  j'ai  à  vous  dire  qnYn  vérité 
personne  n'est  rétabli  parfaitement  du  mal  que  vous 
avez,  à  moins  que  Dieu  n'y  opère  par  sa  grâce  ;  et 
nul  ne  peut  avoir  la  grâce  de  Dieu  tant  qu'il  est  en 
état  de  péclié.  Ainsi,  ayez  donc  à  vous  confesser  de 
tous  vos  péchés  d'un"  cœur  contr t  et  repentant. 
Quand  vous  en  aurez  fini,  je  ferai  tant,  toutefois 
avec  la  grâce  de  Dieu,  que  tout  votre  corps  revien- 
dra complètement  à  la  santé. 

le  frère.  Certes ,  dame ,  j'y  consens,  pourvu  qr.e 
j'aie  un  prêtre. 

le  pape.  Pénitencier,  allez  vous  mettre  là-bas 
pour  l'écouter. 

le  premier  cardinal.  Volontiers,  sire,  sans  hési- 
ter.—  Allons!  dites  ce  qu'il  vous  plaira,  sire;  je 
suis  prêt  à  vous  entendre  avec  bonté. 

le  frère.  Cher  sire  ,  je  me  confesse  d'abord  à 
Dieu  et  à  tous  les  saints  et  les  saintes,  dont  il  y  a 
nu  grand  nombre,  et  puis  à  vous,  de  tous  les  péchés 
mieje  commis  jamais  en  paroles  et  en  actions;  et 
d'abord...  Oh!  je  veux  parler  plus  doucement,  afin 
que  nul  antre  que  vous  ne  m'entende.  Bel  et  doux 
père,  je  le  ferai  très-volontiers. 

(Ici  il  fait   semblant  de  se  confesser,  et  C  nuire  de 
donner  rabsolu.ion.) 

le  premier  CARDINAL.  Dame,  veuillez,  maintenant 
qu'il  est  confessé  et  véritablement  repentant ,  lui 
procurer  quelque  réconfort. 

l'impératrice.  Tenez,  buvez,  mon  doux  ami  ;  par 
celte  boisson  je  saurai  sur-le  champ  si  vous  avez  tout 
dit  dans  votre  confession. 

le  frère.  Hélas!  "non  mal  me  tourmente  encore 
plus  qu'avant  que  je  fusse  à  confesse  ;  ce  breuvage 
ne  l'a  point  fait  cesser  le  moins  du  monde. 

l'impératrice.  Messeigneurs,  je  vous  le  dis,  il  n'y 
a  pas  à  douter  que  lui-même  ne  se  soit  déçu. —  Cer- 
tes, ami,  vous  avez  dans  votre  confession  tû  quel- 
que péché,  ce  qui  empêche  votre  mal  de  cesser. 

le  frère.  Est-ce  pour  cela?  Amie  ,  que  la  chose 
aille  comme  elle  pourra  aller.  J'aime  mieux,  pour 
être  bref,  pourrir  dans  celle  maladie  et  mourir  que 
de  dire  à  nul  homme,  je  vous  le  promets,  une  chose 
que  je  liens  cachée  dans  mon  sein. 

l'impératrice.  Et  c'est  ce  qui  vous  Ole  la  sanlé. 
Je  vous  le  dis,  vous  ne  guérirez  pas  que  vous  ne 
l'ayez  révélée;  n'en  doutez  point. 

le  frère.  Eh  bien!  que  le  mal  reste  donc,  je.mo  ir- 
rai,  mais  je  ne  révélerai  rien  à  aucune  personne 
vivante. 

l'empereur.  Frère,  vous  êtes  fou.  Comment  ai- 
mez-vous mieux  mourir  ainsi  que  d'avouer  votre 
péché.  Hé!  pour  l'amour  de  Dieu!  ravisez-vous, 
frère  ;  ôlez-vous  de  cet  élal  misérable  ,  déclarez 
tout. 

le  pape.  Mon  fils,  si  vous  ne  perdiez  que  le  corps, 
cela  pourrait  être  indifférent  ;  mais  vous  perdrez 
l'âme  l'aile  à  l'image  de  Dieu.  Vraiment ,  c'est  trop. 
Si  elle  va  à  damnation,  le  corps  fera  de  même  cer- 
tainement lant  que  Dieu  sera  Dieu.  Mon  cher  Gif, 
je  vous  pr  e  donc  de  prendre  un  meilleur  parti  ,  et 
de  tout  dire  sans  en  rien  rabattre:  ainsi  vous  ferez 
honte  au  diable,  vous  réjouirez  les  anges,  et  vous 
vous  sauverez  par  ce  moyen. 

le  frère.  Il  faut  donc  que  je  me  découvre.  Soit, 
je  dirai  devant  vous  tous  l'énormilé  de  mon  crime, 
et  croyez-le,  mon  frère,  c'est  terrible.  Un  jour  de 
l'Ascension,  après  votre  départ  pour  la  Terre-Sainte, 
étant  auprès  de  votre  femme,  elle  me  parut  si  belle 
(et  vraiment  elle  l'était)  que  je  commençai  de  la  con- 
voiter. Je  ne  sus  pas  m'en  défendre  ,  et  le  diable 
nie  tenta  tellement  de  désirs  insensés,  que,  oubliant 
le  soin  de  votre  honneur,  je  la  requis  plusieurs  fois 
de  commettre  une  action  vilaine  et  honteuse.  Elle, 
en  femme  de  bien  et  sage,  ne  s'arrêta  point  à  m'é- 
couler,  et  me  lit  mettre  en  prison.  Je  fus  bien  traité, 
mais  à  votre  retour  seulement ,   elle  me  rendit  la 


»S7 


1MP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


INN 


-4*i» 


liberté.  Alors,  frère,  je  mis  le  comble  à  ma  trahison 
en  vous  trompant  audacieusemenl  el  eti  portant 
contre  file  une  accusation  si  grave  que  vous  la 
files  sans  raison  descendre  de  sa  dignité  el  mettre  à 
mort.  L'infortunée  élait  complètement  innocente. 
Aussi  je  consens  et  me  condamne  à  mourir  de  la 
mort  la  plus  cruelle,  comme  d'être  écorché,  biùlé 
ou  île  subir  tel  supplice  que  vous  direz. 

l'impératrice.  Maintenant,  ami,  si  vous  avez  tout 
confessé,  vous  boirez  ceci.  Voyez  si  vous  n'avez 
rien  oublié  ou  celé. 

le  frère.  En  vérité,  je  ne  me  souviens  de  rien 
que  je  n'aie  dit. 

l'impératrice.  Eh  bien!  buvez  donc  hardiment  et 
sans  réplique. 

le  pape.  Dame,  je  tiens  pour  certain  que  Dieu 
vous  aime,  el  cela  se  voit  bien  alors  que  vous  l'a- 
vez guéri  aussi  promplemenl  d'un  mal  pareil. 

le  premier  cardinal.  C'est  une  noble  action  :  elle 
doit  bien  en  être  récompensée. 

le  deuxième  cardinal.  Ceries,  Oieu  fait  des  mi- 
racles en  faveur  de  celle  daine.  Il  n'y  a  ,pas  à  en 
douter,  puisqu'elle  guéril  et  chasse  dehors  si  tôt  et 
si  bien  un  (el  mal 

l'empereur.  Ah,  frère!  comment  as-tu  pu  conce- 
voir une  pareille  scélératesse  pour  assouvir  n 
luxure?  Tu  m'as  accablé  de  bien  des  maux  en  me 
privant  d'une  épouse  si  bonne  et  si  dévouée,  qui 
faisait  tant  d'aumônes  ,  qui  soutenait  les  pauvres 
de  Dieu  ,  cl  qui  me  donnait  de  bons  avis  dans  le 
besoin. 

l'impératrice.  Mon  cher  seigneur,  je  suis  de 
loin  ,  el  veux  m'en  retourner  dans  mon  pays-  l'our 
ma  peine  et  comme  marque  de  voire  satisfaction, 
je  viens  \o;is  prier,  sire,  d'accorder  à  voire  frère  la 
rémission  el  le  pardon  de  son  crime  ;  ne  me  donnez 
pas  d'aulre  salaire. 

l'empereur.  Dame,  comment  pourrai -je  le  faire? 
Je  ne  sais,  Dieu  me  secoure!  Je  voudrais  bien  mou- 
rir sur  l'heure  même  ici  devant  vous. 

l'impératrice.  Mon  doux  sire,  sur  mon  âme!  il 
n'est  pas  bon  de  se  courroucer  si  fort.  Si  vous  avez 
perdu  une  femme,  vous  en  aurez  cent,  si  vous 
voulez;  je  ne  sais  pourquoi  vous  vous  désolez 
ainsi. 

l'empereur.  Ma  chère  amie,  que  dites-vous?  J'ai 
perdu  mon  honneur  et  ma  joie!  Oui,  ceries,  car 
j'avais  la  meilleure  femme  qui  naquit  jamais  d'une 
mère  :  c'est  pourquoi  je  suis  dans  une  douleur  si 
amè.e  que  pour  elle  je  méprise  et  je  hais  moi-même, 
mon  empire  el  tout  ce  que  j'ai  ;  et  je  vois  bien  que 
par  ses  anus  je  puis  à  cause  d'elle  être  malmené  et 
ancmli. 

l'impératrice.  Très-cher  sire,  puisqu'il  en  est 
ainsi ,  dites  moi  :  l'aimiez-vous  autant ,  Dieu  vous 
garde  !  que  \ous  en  faites  semblant? 

l'empereur.  Oui  ;  et  je  devais  l'aimer  ainsi,  dame, 
tant  en  raison  de  sa  haute  position  que  des  bonnes 
qualités  qu'elle  avait. 

l'impératrice.  Quoi  qu'il  en  puisse  arriver  ,  je  ne 
puis  plus  vous  voir;  je  vous  défends  de  pleurer  de- 
vant moi.  Je  n'y  tiens  plus.  Cher  sire,  je  suis  votre 
amie  ;  ne  me  reconnaissez-vous  pas?  Allons  !  regar- 
dez-moi bien  eu  l'ace.  Dieu  par  sa  grâce  m'a  sauvée  , 
lui  ainsi  que  la  Dame  de  majeslé  en  la  douce  garde 
de  qui  j'ai  depuis  été. 

l'empereur.  Ma  chère  compagne ,  ma  sœur  ,  mon 
amour,  ma  joie,  à  cette  heure  je  suis  heureux 
puisque  je  le  vois!  Baise-moi  ,  baise  el  embrasse- 
moi. 

(Ici  ils  se  pâment) 

le  pape.  Tous  deux  ils  sont  muets  de  joie  ,  et  en 
pâmoison  :  allons  el  relevons  les  tout  de  suite. 

le  premier  chevalier.  En  vérité,  vous  dites  bien  , 
sire,  allons  à  eux. 

le  pape.  Debout,  de  par  Dieu  !  debout .  Ions  deux! 
vous  avez  élé  assez  longtemps  par  terre. 

Dictionn.  des  Mystères. 


l'empereur.  Saint-Père,  comment  ni-je  pu  m'y 
Iromper?  L'impératrice  ma  femme  était  là  ,  et,  sur 
mon  âme,  je  ne  la  reconnaissais  pas.  Que  la  Trinité 
soit  limée!  —  Par  Dieu!  qu'èies-vous  devenue  depuis 
si  longtemps,  mon  amie  ? 

l'impératrice.  Je  ne  puis  déguiser  la  vérité.  J'ai 
souffert  bien  des  maux.  Eue  fois  mise  entre  les 
mains  de  vos  gens  el  livrée  à  eux  pour  la  mort,  ils 
furent  tous  de  si  bon  naturel  qu'ils  ne  purent  se  ré- 
soudre:! me  faire  du  mal  mais,  ils  me  menèrent  à  une 
roche  dans  la  mer  et  m'y  laissèrent.  Je  ne  pouvais 
bouger  de  là.  J'y  fus  pendant  trois  jouis  suis  manger, 
et  tellement  battue  par  la  mer  que  je  tombai  sans  con- 
naissance sur  la  roche,  et  là  je  m'endormis.  Au 
milieu  de  mon  sommeil  survint  la  Dame  des  cieux, 
qui'me  réconforta  bien  mieux  que  je  ne  vous  pour- 
rais dire;  elle  me  donna  les  herbes,  sire,  avec 
lesquelles  j'ai  depuis  guéri  maints  lépreux.  Au  troi- 
sième.jour  vint  un  vaisseau  monté  par  des  gens  de 
bien  qui  me  recueillirent,  m'emmenèrent  avec  euv 
et  me  mirent  sur  la  terre  ferme.  Depuis  j'ai  fait  ainsi 
mainte  course  dans  le  pays  où  j'ai  habile ,  ramenant 
à  la  santé  tous  les  lépreux  que  je  trouvais  ,  aussitôt 
qu'ils  avaient  bu  le  jus  de  l'herbe  précieuse  et  rare 
que  la  trésoriére  de  grâce  m'apporta  de  son  paradis 
cl  qu'elle  mil  sous  ma  lêle,  pendant  mon  sommeil. 

le  pape.  Tout  cela  n'est  qu'heur  et  malheur. 
Mais  le  miracle  esl  solennel,  Allons,  écoulez!  il 
n'y  a  rien  de  mieux  à  faire  que  de  s'en  aller  lous 
ensemble  dans  mon  palais,  et  là  nous  ferons  une 
fêle  magnifique  ,  Allons  et  chaînons  en  rouie.  Je 
voudrais  avoir  ici  mes  clercs,  pour  qu'ils  fissent 
leur  devoir  en  chaulant  bien. 

le  premier  sergent  d'armes.  En  vérité,  je  vais 
les  chercher;  sire,  je  les  ferai  vite  venir.  —  Sei- 
gneurs, sans  vous  arrêter  ici  davantage,  venez- 
vous-en  promplemenl  auprès  du  Saint-Père  :  il 
veul  que,  vous  lous,  vous  chauliez  devant  lui  d'una 
voix  éclatante. 

les  clercs.  Mon  doux  ami ,  nous  chanterons  1res  - 
volontiers. 

le  pape.  Vous  savez  ce  qui  vienl  d'arriver,  mes 
chers  amis?  nous  avons  tous  cause  de  joie  :  c'est 
pourquoi  chantez  ,  et  qu'on  vous  entende;  car  je  le 
veux. 

l'un  des  clercs.  Sire,  nous  ferons  voire  volonté 
de  bon  cœur  :  c'est  raison.  — Allons!  disons  en- 
sem'.de  et  d'accord  ce  molet-ci.  'Ils  chantent.) 

INCARNATION  [V).  —  L'abbé  de  La  rue, 
clans  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes,  les 
jongleurs  et  les  trouvères  normands  el  anglo- 
normands  (Caen,  Mancel,  1834,  in-8°,  3 
vol.,  1. 1",  p.  166],  fait  mention  d'un  Mystère 
de  l'Incarnation,  qui,  en  1378,  fut  représenté 
à  Londres.  —  Voy.  Passion,  IJ,  §  4. 

INNOCENTS  (Les).  —Ce  fragmenl  do 
mystère  qui  date  du  x*  ou  du  xr  siècle  est 
le  dernier  de  ceux  conservés  dans  le  manus- 
crit n*  1139 du  fonds  latin  de  la  ILbliolbèquo 
impériale,  provenant  de  l'abbaye  de  Saint- 
Martial  de  Limoges.  (Voy.  Saint-Martial.) 
Ce  morceau,  placé  tout  au  bas  du  feuillet 
32  verso,  a  été  publié  par  M.  Magnin,  dans 
le  Journal  des  Savants,  cabier  de  février 
18V6,  p.  93.  «  Les  vers  de  ce  fragment  dra- 
matique, dit  ce  savant,  sont  d'une  facluro 
et  d'une  latinité  tellement  barbares,  qu'in- 
dépendamment de  toutes  preuves  paléogia 
pbiques,  le  mètre  et  la  langue  attesteraient 
à  eux  seuls  le  x'  ou  le  xr  siècle.  On  lit  dei 
plaintesdeRachelapeu  près  semblables  dans 
un  autre  mystère  des  innocents,  composé 
un  siècle  et  demi    plus  tard  pour  l'abbaye 

15 


*5« 


1NN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


iNiN 


4fi0 


do  Sainf-Benoît-FIeury-sur-Loire.  Cette 
œuvre,  d'une  meilleure  époque,  présente 
des  développements  assez  dramatiques,  dans 
un  latin  beaucoup  moins  corrompu  ;  mais 
la  barbarie  même  des  débris  de  ce  genre 
leur  assure,  à  défaut  d'un  bien  vif  intérêt 
littéraire,  une  incontestable  valeur  histo- 
rique. » 

....  J'ai  entendu  sous  l'autel  de  Dieu  les  voix  des 
sacrifiés  qui  disaient  :  Pourquoi  ne  défendez-vous 
pas  noire  sang? 

El  il  leur  a  été  répondu  :  Ayez  patience  encore 
un  peu,  jusqu'à  ce  que  le  nombre  de  vos  frères  soit 
complet. 

LAMENTATION    DE    RACHEL.    ClldS  CllfaillS,    fl'UÎIS   de 

mon  ventre,  dont  on  m'appelait  autrefois  la  mère, 
gages  prénenx  qui  m'avez  fait  surnommer  la  fé- 
conde! Hélas!  suis-je  aujourd'hui  celle  infortunée 
dépouillée  de  ses  (ils?  Malheur  à  moi  malheureuse' 
Gomment,  je  suis  vivante,  devant  celle  ruine  des 
miens,  après  ce  massacre  cl  ces  exterminations! 
C'est  l'Egyptien  Uérode,  qui,  dans  U  rage  dont  il  est 
rempli  el  dans  bon  orgueil  étrange,  a  condamné  ma 
race. 

l'ange.  Rachel,  ne  pleure  pas  ainsi  tes  enfants. 
Plongée  dans  le  désespoir,  tu  meurtris  ton  sein; 
cesse  de  verser  des  larmes  :  réjouis-toi,  au  con- 
tr.i  ire,  caries  enfants  oui  une  vie  bien  plus  heureuse 
Réjouis-toi!  C'est  de  ce  Eils  du  Père  suprême  et 
éternel,  dont  ou  cherchait  h  ruine,  que  vous  rece- 
vez la  vie  cieruelle.  Réjouis-loi  donc!.. 

Voyez  Saint-Martial  de  Limoges  (Manus- 
crit de). 

JNNOCENi'S  (Le  massacre  des.  —  Les 
Innocents  sont  l'un  des  dix  mystères  attri- 
bués au  xir  siècle  el  même  au  xr,  qu6 
nous  a  conservés  le  précieux  recueil  duxiit" 
siècle,  dont  nous  avons  donné  la  description 
et  l'histoire,  sous  le  litre  de  manuscrit  de 
Saint-Renoîl-sur-Loire.  —  Voy.  Saint-Be- 
noit-sur-Loirê  (Manuscrit  de). 

PERSONNAGES. 


L  ENFANT  JESUS. 
LA  VIERGE   JJARIE. 
JOSEPH 

l'Ange. 

hérode,  roi  des  Juifs. 

archelaus,  tils  d'Hérode. 


LA    TROUPE   DES    INNOCENTS. 
RACHEL. 
LES   FEMMES. 
UN  SOLDAT. 
LE   CHANTRE. 

I. 

Dans  cette  représentation,  les  Innocents 
sont  habillés  de  robes  blanches.  Il  y  a  fête 
au  monastère  et  l'on  prie  Dieu  en  chantant  : 
Quam  gloriosum,  etc.  L'agneau  survient  sou- 
dain, chargé  de  la  croix,  il  marche  devant 
eux  de  cùté  el  d'autre,  et  on  le  suit  en 
chantant  : 

Quam  g  oriosum  est  regnum  ! 
bmitle  agnum,  Domine.  (Isai.  xvi,  t.) 

Un  soldat  offre  à  Rérode,  dès  qu'il  .est 
assis,  le  sceptre  royal,  en  disant  : 
Super  solium  David. 

Alors  l'ange  apparaît  au-dessus  de  re- 
table, pour  avertir  Joseph  de  s'enfuir  en 
Egypte  avec  Marie.  L'ange  se  tournant  de 
trois  côtés,  s'écrie:  Joseph! 

l'ange.  Joseph!  Joseph  1  Joseph,  fils  de  David! 
(//  reprend.)  Prends  l'enfant  el  sa  mère,  el  reste  là 
jusqu'à  ce  que  je  l'avertisse  de  nouveau,  car  Uérode 
est  sur  le  poin  de  faire  chercher  reniant  pour  le 
pjrdre. 


joseph  l'enfuyant,  accompagne  de  Marie  qui  porte 
l'enfant  et  sans  voir  Hérode.  Egypte,  cesse  de  pleu- 
rer. 

le  soldat,  annonçant  que  les  Mages  se  sont  retirés 
par  un  chemin  inconnu;  il  salue  le  roi  et  dit  :  0  Roi! 
soyez-vous  éternel  !  Seigneur,  on  se  joue  de  vous; 
les  Mages  se  sont  retirés  par  un  chemin  inconnu. 

Hérode,  furieux,  li>e  son  cpée  et  va  pour  s'en  per- 
cer ;  les  siens  l'arrêtent  el  le  calment.  J'éteindrai  ma 
colère  dans  mon  sang. 

les  innocents  chantent  à  la  suite  de  l'agneau. 
Agneau  saint,  destiné  à  la  morl  pour  nous,  ô  Chris 
sous  ce  symbole  sacré  de  l'Agneau,  nous  l'offro 
la  splendeur  du  Père,  l'éclat  de  la  virginité;  Hérod 
irrité,  cherche  en  tous  lieux;  sauve-nous  avec  l\ 
gneau,  mourons  pour  le  Christ. 

le  soldat  donnant  des  avis  à  Uérode.  Seigneur, 
ta  colère  méconnaît  sa  vengeance  :  tire  l'epée.  mais 
pour  ordonner  le  meurtre  de  lous  les  enfants;  peu! - 
être  parmi  les  morts  périra  le  Christ. 

hérode  lui  donnant  son  glaive.  Brave  soldai,  mas- 
sacre toi-même  les  enfants  avec  ce  glaive. 
(Les  bourreaux  arrivant,  on  soustrait  habilement  l'A- 
gneau ,  à  son  départ,  les  Innocents  le  saluent.) 

les  innocents.  S. dut!  Agneau  de  Dieu  !  Salut,  ô 
loi  qui  efface  les  péchés  du  monde!  Alléluia! 

les  mères  se  jetant  au-devant  des  bourreaux.  Oh! 
par  grâce,  épargnez  les  jours  si  tendres  de  ces  nou- 
veaux nés. 

(Les  enfants  étant  tous  tombés,  l'ange  apparaît  el 
leur  crie  :)  O  vous  lous  qui  n'êtes  plus  que  pous- 
sière, réveillez-vous  et  parlez. 

les  enfants  à  terre.  Seigneur,  notre  Dieu,  pour- 
quoi n'as-lu  pas  défendu  notre  sang? 

l'ange.  Restez  ici  encore  un  peu  de  temps,  jus- 
qu'à ce  que  le  nombre  de  vos  frères  soil  com- 
plété. 

H 

achel  entrant,  suivie  de  deux  femmes  qui  la  conso- 
lent, debout  d'abord, gémit  sur  les  enfant  s, puis  s'afjais- 
sant  sur  elle-même. Hélas!  pauvres  pctiis!  donl  'e> 
cadavres  déchirés  sont  là  sous  nos  yeux.  Mêlas!  si  jeu- 
nes, à  peine  nés  el  sacrifiés  à  la  furie  d'un  homme! 
llelas!  rien  n'a  arrêté  ce  forfait,  ni  l'horreur,  ni  vo- 
ire faiblesse.  Ah!  mères  infortunées,  contraintes  à 
subir  ce  spectacle!  Ah!  que  faisons-nous  ?  et  pour- 
quoi n 'avons-nous  pas  subi  un  semblable  destin? 
Hélas!  quel  souvenir  !  jamais  nulle  joie  n'atténuera 
nos  douleurs,  car  nos  chers  enfanis  ne  sont 
plus. 

les  femmes  la  recevant  dans  leurs  bras  dans  sa 
thute.  Vierge  Rachel,  mère  si  tendre,  cesse  les 
plaintes,  sèche  les  larmes  dans  ce  désastre  des  en- 
fants; au  lieu  de  ce  désespoir  et  de  ces  pleurs,  ré- 
jouis-loi, car  les  enfants  sont  vivants  el  bienheu- 
reux dans  le  ciel. 

rachel,  désolée.  Hélas!  hélas!  hélas!  comment 
me  consoler  jamais  ?  comment  chasser  l'image  <:c 
ce  massacre?  Tout  mon  être  en  a  élé  pour  jamais 
ébranlé.  Le  souvenir  rendra  ma  plainte  éternelle. 
O  douleur!  ô  doux  espoir  déçu  de  tant  de  pères,  Te 
tant  de  mères!  Dans  ces  lugubres  scènes,  pleurez, 
pleurez,  mes  yeux,  pleurez  la  Qeur  de  la  Judée  elle 
ilésaslre  de  la  patrie. 

les  femmes.  Mais,  ô  belle  Rachel,  vierge  mère, 
que  pleures-tu?  Ton  visage  n'est  pas  moins  aimé  de 
Jacob,  cl  la  grâce  d'une  épouse  si  charmante  le  ré- 
jouit encore.  O  mère,  essuie  les  yeux  mouilles  et 
ces  belles  larmes  gracieuses  sur  la  joue. 

rachel.  Helas  !  hélas!  hélas!  osez -vous  ac- 
cuser ma  douleur  de  mai-à-propos?  N'ai  je  pas 
perdu  mon  fils,  mon  seul  abri  contre  la  pauvreté,  le 
défenseur  unique  des  faibles  biens  que  Jacob  avait 
acquis  pour  moi,  et  qui,  seul,  pouvait  cire  utile  à 
ses  frères  insensés,  si  nombreux  el  si  accablés  de 
maux. 


431 


JE  A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


JEA 


40« 


les  femmes.  Doil-On  pleurer  sur  celui  qui  possède 
le  royaume  des  cieux,  el  dont  la  prière  incessante 
porte  secours  auprès  de  Dieu  à  ses  frères  infortu- 
nés. 

rachel,  tombant  auprès  des  enfants.  L'espoir  est 
troublé  dans  mon  sein,  et  mon  cœur  est  confus. 

{Les  femmes  emmènent  Rachel.) 

III. 

(l'ange,  du  haut  des  cieux,  récite  l'antienne  :  Si- 
nite  parvulos,  etc.  [  Malin,  six,  4.]  A- la  voix  de 
Fange,  tes  enfants  se  lèvent,  el  se  réunissent  en  chœur 
en  chantant.) 

les  enfants.  0  Christ!  quelle  armée  pour  Ion 
père,  amassée  en  prévision  des  guerres  terribles, 
dans  celte  docte  jeunesse,  missionnaire  des  peuples 
et  dominatrice  de  .la  barbarie,  après  tant  de  fati- 
gues? 

Cependant  Hérode  disparaît  et  à  sa  place 
son  fils  Arehélaùs,  que  l'on  salue  roi,  monte 
sur  le  trône  de  son  pèro 

IV. 

(L'ange  avertit  Joseph  réfugié  en  Egypte.) 
l'ange.  Joseph,  Joseph],  Joseph],   lils    de   David! 
Retourne  dans  la  terre  de  Judée;  ceux  qui  en  vou- 
laient à  la  vie  de  l'enfant  sont  morts. 

joseph  revient  avec  Marie  el  l'enfant   et  se  relire 
en  Galilée  en  chantant. 
Gaude,  gai  de,  gaude 

Maria  virgo,  cunctas  hœreses  ..  e!c.  (181). 
le  choeur.  Te  Peum  laudamus,  etc. 


INNOCENTS  (Comédie  jjksJ.  —  Les 
frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
franco is  (Paris,  15  vol.  in- 12,  17^5,  t.  III, 
p.  65),  ont  laissé  une  notice  de  la  Comédie 
des  Innocents.  Celte  pièce  est  de  la  célèbre 
Marguerite  de  Navarre,  et  date  de  la  pre- 
mière moitié  du  xvie  siècle.  La  Bibliothèque 
du  théâtre  françois,  ouvrage  attribué  au  duc 
de  La  Vallière  (Dresde,  1768,  in-12, 3  vol., 
t.  Pr,  p.  121)  en  a  donné  l'analyse  suivante: 

«  Comédie  des  Innocents.  —  Pour  évi- 
ter à  l'enfant  Jésus  la  cruauté  d'Hérode, 
Dieu  envoie  un  ange  ordonner  à  Joseph  de 
l'emmener  avec  Marie  en  Egypte.|  Joseph 
obéit  aussitôt  et  ils  arrivent  dans  un  désert. 
Cependant  Hérode,  ayant  appris  la  naissance 
du  Messie,  ordonne  aussitôt  à  ses  soldats 
de  massacrer  tous  les  nouveaux- nés  à 
Bethléem  et  aux  environs.  On  vient  bientôt 
après  lui  annoncei  que  son  ordre  a  été  exé- 
cuté. En  môme  temps  la  nourrice  de  son 
fils  vient  lut  dire  que  ce  jeune  prince  a  éla 
compris  dans  le  massacre  général.  La  certi- 
tude où  il  compte  être  de  la  mort  du  Messie 
le  console  aisément  de  la  perte  qu'il  vient 
de  faire;,  et  il  se  livre  à  la  joie  Dieu,ordonna 
aux  anges  de  conduire  dans  les  cieux  les 
âmes  des  jeunes  martyrs;  et  elles  y  montent 
en  chantant  les  louanges  du  Seigneur.  » 

INSTITUTION  DES  FRERES  PRE 
CHEURS.  —  Voy.  Saint  Dominique 


JACQUES  (Saint).  —  De  Beauchamps, 
dans  ses  Recherches  sur  les  théâtres  de  Erance 
(Paris,  1735.  in-8°,  1  vol.,  t.  I",  p.  227) 
donne,  dans  une  liste  de  mystères  la  trans- 
lation de  saint  Jacques  et  ses  miracles,  en 
vers,  in— fol. 

JEAN-BAPTISTE  (Saint).  —  Duverdier- 
Vauprivaz  (Bibliothèque  françoise,  p.  777} 
cite  : 
La  vie   et   mystère   de   monseigneur     saincl 

Jehan-Baptiste  par  personnaiyes  :  imprimés 

à  Lyon,  in-k°,  par  Olivier  Arnoullet,  sans 

date.  (Vers  1535.) 

Les  frères  Parfait  (Hist.  du  tliéâtr.  fr.; 
Paris,  15  vol.,  in-12,  17i5,  t.  III,  p.  t2) 
n'avaient  d'autre  renseignement  que  celui 
de  Duverdier.  De  Beauchamps  (Recherches 
sur  les  théâtres,  Paris,  1735,  in-8",  3  vol.,  t. 
1",  p.  225)  n'a  que  mentionné  aussi  le  Snint- 
Jean-Baptistc.  —  On  trouve,  en  Espagne,  le 
Baptême  de  saint  Jean,  auto  d'un  anonyme, 
do  il  Sandoval  fait  mention  sous  la  date  de 
1 327  dans  son  Histoire  de  Charles-Quint , 
livre  xvi  ;  et  la  Conception  de  saint  Jean, 
aulre  auto  ou  mystère  espagnol  d'Estehan 
Martinez.  Les  personnages  principaux  sont 
un  berger,  Zacharie,  sainte  Isabelle,  'l'ange 
Gabriel,  Joseph,  Notre-Seigneur  et  un  prêtre. 

|I81)  (iaude,  Maria  virgo,  cunctas  nœreses'sola 
inieremisii  in  universo  mundo  (Antienne  tdu  Magnifi- 
cat, tirée  de  saint  Augustin.)  —  Note  de  M.  l'abbé  1a- 


Cette  pièce  a  été  imprimée  à  Purgos  en 
1528,  sous  lo  titre  de  Auto  de  como  san  Juan 
fué  concebido,  etc. 

JEAN-BAPTISTE  (Saint).—  Un  mystère 
de  saint  Jean-Baptiste  a  été  édité  parM.  Emile 
Jolibois, d'après  un  manuscrit  du  xvr  siècle, 
existant  à  Cbnumont.  (La  diablerie  de  Chau- 
mont  ;  Chaumont,  1838,  in-8°.) 

Cette  pièce  faisait  partie  des  réjouissances 
du  Pardon  ou  de  la  Diablerie. 

Elle  commençait  par  un  prologue  où  la 
ville  de  Chaumont  jouait  un  rôle;  comme  on 
pourra  le  voir  ci-dessous  dans  les  extraits 
que  nous  avons  joints  à  cette  notice. 

LES    VERTUS. 

La  moralité  des  Vertus  est  une  sorte  df 
prologue  à  huit  personnages  que  l'on  jouait 
devant  la  grand'porle  de  l'église 

PROLOGUE. 

CHAL'MONT. 

Messieurs,  au  premier  pas  que  ie  veux  vous  faire 

[veoir, 
Mon  les  sœurs  d'Hélicon  ,  dont  le  plus  grand  sçavoir 
N'enseigna  iamais  rien  que  de  profane  au  monde, 
Mais  les  filles  du  ciel,  dont  l'éloquente  voix 
Nous  monstre  le  Sauveur  et  ses  divines  lois  , 
Kl  le  moien  seure  où  nostre  salut  se  fonde. 
Servez-vous  du  bonheur  de  ceslc  occasion, 

bgideric,  Li  Jus  S.  Nie.  par  J.  Rodel,  publ.  par 
la  Société  des  bibliophiles  français;  1834,  in-8", 
Pièces  jointes,  etc.,  p.  154. 


405 


JEA 


DICTIONNAIRE  DES  MY5TLRKS. 


JEA 


M 


Escoutez  leurs  discours  avec  attention, 
Instruisez  vos  esprits,  esclaircissez  vos  doubles. 
Ces  vertus  quelquefois  se  peuvent  séparer; 
Vous  pourrez  bien  ailleurs  ne  les  pas  rencontrer 
11  n'y  a  que  Chauinoni  qui  les  possède  toutes. 

LA    FOY. 

le  tien  rang  de  princesse  et  suys  de  si  bon  lieu 
Que  ie  peu  me  nommer  la  fille  du  grand  Dieu, 
Qui  m'a  voulu  commettre  afin  de  vous  instruire 
De  ce  que  debvez  croire  et  comment  vous  conduire. 
C'«st  luy  qui  lut  ainsi  sur  la  croix  attaché. 
Teincleen  divers  endroicts  de  son  sang  espanché; 
Il  communique  encor  dans  le  saincl  sacrement 
Et  sa  chair  et  son  sang  comme  un  médicament 
Propre  à  tant  de  défauts  qui  noircissent  vos  âmes; 
Mais,  pour  avoir  l'effect  de  ce  contrepoison. 
Il  faut  croire  et  ne  point  consulter  la  raison; 
Car  le  trop  curieux  périra  dans  les  flammes. 

l'espérance. 
Pour  du  souverain  bien  vous  rendre  possesseurs, 
Il  faut  estre  attentif  aux  discours  de  mes  soeurs, 
Pour  sçavoir  l'art  d'aimer  comme  celuy  de  croire  ; 
Etmoy,  ie  vousdiray  qu'il  faut  bien  espérer, 
Et  que  si  vous  voulez  ainsi  persévérer, 
Vous  estes  asscurés  d'obtenir  ceste  gloire. 
Dieu  le  veut,  et  sa  mort  vous  le  (ail  ainsi  veoir  : 
Il  le  peut;  le  défaut  n'est  point  dans  son  pouvoir; 
El  puisqu'il  a  promis,  sa  parole  est  certaine. 
Levez  donc  avec  moy  les  yeux  à  ce  Sauveur; 
Espérez  en  luy  seul,  et  non  de  la  faveur 
Du  monde  qui  n'est  rien  qu'une  espérance  vaine 

LA    CHARITÉ. 

Mon  pouvoir  est  si  grand  que  c'est  la  vérité 
Qu'il  s'est  mesme  eslendu  sur  la  divinité, 
Quand  ie  le  fey  du  ciel  sur  la  terre  descendre. 
Il  est  si  grand  encor  que  ie  peu  de  mes  mains 
De  ceste  terre  au  ciel  eslever  les  humains, 
Si  mes  enscignemens  ils  veulent  bien  comprendre. 
Le  secret,  c'est  l'amour,  dont  le  commencement 
Va  de  toute  sa  force  à  Dieu  fidèlement, 
Puisàvoslre  prochain, comme  unaulre  vous  mesme; 
Que  si  ce  saincl  amour  rcigle  vos  actions, 
Vous  lirerei  du  ciel  des  bénédictions 
Qui  vous  feront  passer  dans  le  bonheur  extrême. 

LA    PRUDENCE. 

Il  faut  considérer,  pour  bien  vous  maintenir, 
Le  passé,  le  présent  et  le  temps  advenir  ; 
Et  ce  sont  les  leçons  que  nous  fait  la  Prudence, 
Du  passé  iugez  bien  ce  que  vous  avez  fait; 
Du  présent  qu'avez-vous  qui  ne  soyt  imperfaict  ? 
De  là,  qu'atleiidez-vous  pour  vostre  récompense  î 
Qu'esl-ce  que  de  tout  temps  Dieu  n'a  pas  fait  pour 

[vous? 
Que  ne  fait-il  encore  pour  vous  conserver  tous? 
De  qui  prétendez-vous  une  fin  qui  soyt  bonne! 
Regrettez  le  passé,  corrigez  le  présent, 
Vivez  mieux  cy-après,  ainsi  certainement 
ous  trouveiezau  e.el  l'immortelle  couronne. 

LA    JUSTICE. 

Ce  que  ie  tien  aux  mains,  ce  qui  voile  mes  yeux, 
Ce  sont  les  instruments  que  l'apporte  des  cièux. 
Qui  vous  font  bien  sçavoir  que  ie  suys  la  luslice. 
le  sçay  différemment  m'en  servir  au  besoing, 
Quand,  d'un  esprit  audace,  ie  me  donne  le  soing 
D'honorer  les  vertus  et  de  punir  le  vice  ; 
lesçai  donner  la  forme  aux  bonnes  actions  ; 
le  sçay  dresser  les  mœurs  et  les  intentions  ; 
Sans  moy  tout  l'univers  iroil  en  décadence. 
Mais,  surtout,  mon  dessing  se  propose  en  tout  lien 
De  porter  les  effects  à  la  gloire  de  Dieu. 
Avec  moy  donnez-lui  ceste  recognoissanco 

LA   FORCE. 

C'est  beaucoup  de  former  un  dessing  généreux, 


De  suivre  les  vertus  pour  estre  bienheureux  ; 

Mais,  pour  exécuter,  la  Force  est  nécessaire. 

C'est  donc  à  mon  pouvoir  qu'il  faut  avoir  recours, 

El  de  mon  assistance  attendre  le  secours. 

Pour  ne  point  succomber  aux  coups  de  l'adversaire. 

Par  moy  le  tentateur  ne  peut  rien  sur  l'esprit 

De  celuy  qui  commet  son  cœur  à  lésus-Chris* 

le  le  sçay  préserver  de  tous  les  artifices; 

Si  la  ruse  n'y  peut,  encore  moins  l'elTorl 

Et  des  cruels  tyrans  les  menaces  de  mort, 

Ne  le  feu,  ne  le  fer,  ne  tous  autres  supplice» 

LA    TEMPÉRANCE. 

D'où  vient  qu'un  mouvement  de  folle  passioi* 
Vous  surmonte  d'abord  sans  faire  résislance  ? 
Si  vous  me  consultiez,  qui  suys  la  Tempérance, 
Vous  n'en  auriez  point  de  si  forte  impression. 
Profanes  partisans  de  l'amour  impudique. 
Vous  ne  pourriez  sans  crime  ignorer  que  vos  coeur» 
Ne  doibvent  eslre  prins  de  si  fortes  ardeurs 
Que  pour  aimer  son  Dieu  d'un  amour  héroïque  ; 
El  si  ce  mesme  Dieu,  comme  un  père  très-sage, 
Vous  envoyé  du  vin  l'innocente  liqueur, 
Pour  réparer  vos  forces  et  resiouir  vostre  cœur. 
Vous  n'en  corrompriez  par  un  meschanl  usage. 

Suivait  le  mystère  : 

SCÈNE  I". 

Zacharie,  coiffé  de  la  tiare  et  habillé  com- 
me les  anciens  prophètes,  est  agenouillé 
devant  un  autel  bien  paré  et  se  prépare  h 
sacrifier  :  il  a  pour  assistants  deux  lévites 
et  quatre  acolytes. 

le  premier  acolyte,  présentant  de  i'eneeut. 
Recevez  cet  encens,  souveraine  bonté, 
En  odeur  de  suavité 
Agréez  ce  petit  service. 

le  deuxième  lévite. 

II  u'esi  rien  de  pelil  qui  serve  au  sacrifice. 
Pour  y  contribuer  de  mon  foible  pouvoir, 
le  le  pren,  ie  le  rends  et  ie  fay  mon  debvoir  ; 
Prenez-le  de  ma  main  pour  l'offrir  au  grand  presblre. 

LE    PREMIER    LÉVITE. 

Ainsi,  chascun  de  nous  servira  le  grand-maistre. 
(//  présente  l'encensoir  à  Zacltarie  et  dit  :) 

Vénérable  vieillard,  prebstre  qui  va  offrant 
Les  vœux  de  tout  le  peuple  au  grand  Dieu  lout-puis- 

[saul. 
Que  ces  vœux  puissent  avoir  et  prendre  un  tel  essor 
Que  fera  la  fumée  qui  de  cel  encens  sort  ! 
Puisse-lu  réussir  en  ta  juste  enlreprinse, 
Impétrant  la  faveur  du  ciel  pour  son  église! 

L'ange  s'avance  alors  :  ses  aîles  sont  do- 
rées ;  sont  front  est  ceint  d'un  diadème;  il 
lient  une  palme  de  la  main  droite.  Voici 
l'écriteau  qu'il  porte  : 

Ne  limeas,  Zacharia,  exaudita  est  deprecatto  tua  ; 
Elisabeth,  uxor  tua,  pariel  tibi  filium  et  voenbis 
nomen  eius  loannem. 

Il  s'adresse  à  Zacharie  :    . 

Rends  grâce  au  tout-puissant  de  toutes  ses  bontés. 
Qui  gouste  ton  encens,  qui  reçoit  la  prière. 
Il  veut  que  par  ma  voix  el  par  mon  ministère 
Tu  descouvres  auiourd'huy  ses  saincles  volonlés. 
Dienlost  Elisabeth,  de  son  ventre  fécond, 
Par  l'effort  d'une  main  qui  n'est  point  raccourcie, 
Accouchera  d'un  fils,  précurseur  du  Messie, 
Qui  dans  tout  l'univers  n'aura  point  de  second. 
Dieu  seul  de  ses  vertus  verra  la  profondeur. 
Tu  le  nommeras  lean,  qui  veut  dire  la  Grâce. 
A  celle  du  Sauveur  il  fera  f.iire  place, 
El  preschera  partout  son  règne  et  s.?  grandeur. 


4C5 


JEY 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


JEA 


4GS 


ZtCHAKIE. 

Sacré  légal  du  ciel,  comment  pourra-l-i  estra 
Qu'Elizabeth,  ma  femme,  vieille  el  sexagénaire, 
Puisse  produire  un  fruicleu  l'hiver  de  ses  ans, 
Puisque  le  feu  d'amour  est  esieint  au-dedans, 
Que  son  temps  est  passé  et  qu'elle  ne  prétend  plus 
Ce  que  du  mariage  l'on  souhaite  le  plus? 

l'ange. 

Incrédule!  ose-m  doubler  de  la  puissance 
De  teluy  qui  régit  le  destin  des  humains, 
Qui  deslrûît,  quand  il  veut,  l'ouvrage  de  ses  mains; 
Qui  fait  et  déliait  tout  par  sa  seule  présence  1 
Ce  mol  en  mesine  temps  l'afflige  et  te  console. 
Des  promesses  de  rien  les  yeux  verront  feffcct; 
Puisque  tu  n'as  pas  cru  lu  deviendras  muet; 
Mais  ton  (ils,  en  naissant,  le  rendra  la  parole. 

SCÈNE  II. 

L'ANNONCIATION 

Le    Myslère    de   VAnnonciation   n'a   que 
d«ux  personnages  :  l'ange  et  la  vierge. 
l'ange. 

Thrésor  de  grâce  ci  de  lumière, 

Abrégé  du  bon  el  du  beau, 

C'est  par  le  feu  de  Ion  flambeau 

Qu'il  le  faut  br uster  sans  matière  : 

Que,  par  un  prodige  esionnaul, 

Tu  le  feys  dans  le  lirmament 

La  conquérante  et  la  conqueste 
Du  plus  illustre  feu  que  le  divin  amour. 
Que  des  esprits  ardans  dont  il  brusla  la  lesie, 
le  veux  faire  un  buscher,  et  bruslera  lousiour» 

Celuy  qui  décora  les  cieux, 

Cel  esprit  qui  soutlie  en  tous  lieux, 
Qui  du  commeucemenl  se  feyt  porter  sur  fonda 

Prendra  de  ion  sein  virginal, 

Pour  former  un  corps  sans  égal, 
Qu'animera  celuy  qui  doibl  sauver  le  monde. 

LA   VIERGE. 

Eternel  obiect  de  louange, 

Quoy  !  beau  centre  des  beaux  amours 

Ksiendcz- vous  des  mesines  cours 

Vos  feux  sur  moy  que  dessus  l'ange  1 

Vous  descendez  du  haut  des  cieux, 

Faisant  un  astre  glorieux 

De  non  cœur  qui  s'est  laissé  prendrel 
Vous  l'eslevez  si  haut  dans  un  eslre  divin! 
Vous  vous  formez  un  corps  dans  un  amas  de  cendre, 
El  changez  mon  argile  au  feu  d'un  séraphin  ! 

Soubmise  aux  saincles  volontés 

De  celuy  de  qui  les  bontés 
Veulent  porler  mon  nom  de  l'un  à  l'autre  pol  , 

En  tesmoignage  de  ma  foy, 

le  consens  qu'il  opère  en  moy 
Ce  qu'il  l'a  révèle  par  la  saincle  parole. 

SCÈNE  111. 

LA  VISITATION. 

Après  VAnnonciation,  on  jouait  le  Mys- 
tère de  la  Visitation,  expliqué  par  cet  écri- 
leau  : 

le  premier  ANGE  à  la   Vierge. 
C'esl  trop  larder  en  Galilée, 
Vierge,  sortons  de  Nazareth 
Allons  visiter  en  ludée 
Voslre  cousine  Elisabeth. 

LE   DEUXIÈME    ANGE,   à  la    Viag« 

le  vous  serviray  de  conduite 
Fidèle,  jusqu'en  la  cité 
Où  ccsle  princesse  d'eslile 
Passe  ses  ionrs  en  saincieté. 

LA  VIERGE. 

Ah!  que  i'aggrée ce  voyage! 


Allons!  c'esl  mon  consentement. 
Sarrèie,  sus!  Prenez  courage, 
Et  nous  suivez  habilement; 
'traversons  ces  hautes  montagnes. 

LA  vierge,  saluant  Elisabeth. 

Que  le  ciel  vous  bénisse,  ô  ma  chère  cousine? 
Les  merveilleux  effecls  de  la  boulé  divine 
M'ont  donné  le  subiect  de  venir  en  ce  lieu. 

ELISABETH. 

D'où  me  vient  ce  bonheur  que,  sans  aucun  mérite, 
le  reçoive  l'honneur  d'une  telle  visite. 
Et  le  doulx  entretien  de  la  mère  de  Dieu. 

LA  VIERGE. 

Le  bienheureux  enfant  dont  vous  estes  encein 
Sera  le  précurseur  qui,  de  sa  bouche  saincle, 
Doibl  annoncer  ce  Dieu  qui  nous  vienl  racheter. 

ELISABETH. 

Adorons  ce  Sauveur  que  le  ciel  nous  envoyé, 
Ce  fruict  à  sa  venue  a  tressailli  de  ioye, 
El  bénissons  la  mère  heureuse  à  le  porter. 

LA  VIERGE. 

Excile-toy,  mon  âme,  aux  hymnes  que  ie  chant* 

A  sa  grande  bonté, 
Qui  ne  dédaigne  pas  une  pauvre  servante 

En  son  humilité. 
De  ces  esprits  bouffis  d'arrogance  el  d'audace 

Il  abbaisse  l'orgueil  ; 
Mais  un  cœur  humble  el  pur  il  feslève  à  la  grâca 

El  le  voyt  d'un  bon  œil. 
Ceux  a  qui  la  disette  apporte  tant  de  oeine. 

Il  les  comble  de  biens; 
Et  sçayl  délaisser  ceux  donl  fesiude  trop  vaine 

N'aspire  qu'aux  moiens. 

LA    SERVANTE   DE  LA    VIERGB. 

Aux  pieds  de  celle  à  qui  ie  sers 
Il  n'est  monarque  en  l'univers 
Qui  ne  soubmetle  sa  couronne; 
C'esl  régner,  c'esl  donner  des  loix 
Que  de  servir  à  la  personne 
De  la  mère  du  roy  des  roj  s. 
Ce  glorieux  litre  d'honneur 
De  la  servante  du  Seigneur, 
Que  prend  cesle  mère  charmante, 
Me  fait  chérir  la  qualité 
De  la  irès-pelile  servante 
Delà  reine  de  pureté. 

SCÈNE  IV. 

LA  PREMIÈRE    VIERGE. 

Descendez  de  vos  cieux,  ô  grand  Dieu  d«  la  lerrs! 
Venez  armé  de  fer,  de  feu  el  de  tonnerre, 
El  faites  retirer  dans  l'infernal  cercueil 
Le  prince  des  ténèbres  et  le  roy  de  l'orgueil, 
Qui  vomit  sans  cesser  le  venin  de  sa  rage 
Sur  les  pauvres  mortels  qu'il  retient  en  servage, 
Depuis  le  trisie  iour  que  nostre  père  Adam 
Fui  chassé  malheureux  du  palais  esclatanl, 
Pour  avoir  violé  de  sa  dent  criminelle 
La  charmante  beauté  d'une  pomme  nouvelle. 
Invincible  géant,  accourez  àgrans  pas, 
Essuyez  de  vos  mains  nos  pitoyables  larmes; 
En  nous  donnant  la  paix  faites  cesser  les  armes. 

LA    DEUXIÈME   VIERGE. 

Quilez  donc,  ô  grand  Dieu!   quilez  donc  promp- 

[tement 
Les  lambris  esloillés  de  voslre  firmament. 
La  terre  dès  longtemps  el  gémit  et  souspire, 
Attendant  leséiour  de  l'immortel  empire. 
Elle  ouvre  son  beau  sein,  el,  au  lieu  de  ses  pleurs 
loyeuse  maintenant,  nous  répand  mille  fleurs 
Sur  l'aimable  pourpris  de  sa  chaste  mamelle. 
V«nez  à  ses  appas,  ô  sagesse  étemelle! 


iC7 


JEA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


JEA 


4l'8 


Flore  »*a  souhaité  avec  lanl  desouspirs 
L'aggn  able  retour  des  volages  zéphirs, 
Que  vous  esles  auiourd'huy  désiré,  ô  Messie? 
Ceste  allenie  nos  cœurs  sainctement  rassasie. 

LANGE. 

Voyez  son  précurseur  qui  repose  a»  berceau. 
Que  le  ciel, nous  fait  veoir  par  miracle  nouveau. 
Vous  le  verrez  bientosl  hors  de  l'aage  de  l'enfance, 
Prescher  dans  les  désers  la  sair.cle  pénitence, 
El  dedans  cet  employ  n'aura  pour  veslement 
Que  le  cuir  du  chameau,  et  pour  tout  aliment 
Il  se  contentera,  adorable  merveille! 
De  prendre  son  repas  aux  dcspens  de  l'abeille, 
Souffrant  le  chaud,  le  froid,  sans  veslure  et  sans  feu, 
Pénitence  admirable  que  l'on  n'a  jamais  ven  ! 
Après,  vous  le  verrez  plein  de  zèle  cl  courage 
Le  clavier  descouvrir  de  son  divin  langage; 
Et  d'une  saincle  ardeur  animé,  sans  effroy, 
Blasmer  à  haute  voix  la  puissance  d'un  roy, 
Qui  souille,  incestueux,  la  couche  de  son  frère. 
Sans  craindre  du  grand  Dieu  la  vengeance  et  colère 
Qui  desia  le  talonne,  et  quoyqu'à  petits  pas, 
Luy  fera  ressentir  la  force  de  son  bras 

LE  PREMIER   LÉVITE. 

Nous  sommes  ici  venus,  bon  père,  pscoiitez-moy, 
Alïin  que  vous  fassiez,  suivant  l'ancienne  loy, 
Voslre  fils circoncire;  partant  ie  vous  exhorte 
De  nous  dire  le  uom  que  désirez  qu'il  porte. 

LE   DEUXIÈME  LEVITE. 

El,  comme  de  longtemps  nous  avons  recogneu 
Que  p.ir  l'arrcsl  du  ciel  muet  estes  devenu 
Pour  avoir  mesprisé  la  parole  d'un  ange, 
Qui  vous  sembloil  alors  impossible  et  estrange: 
Par  signe  apprenez-nous,  si  faire  le  pouvez, 
Ce  que  Ton  vous  demande,  ou  pluslosi  l'écrivez. 

(A/ors  on  présente  à  Zucliarie  une  plume  dorée 
d"or  fin.) 

LA    NOURRICE. 

Dure  et  cruelle  loy,  ô  circousion  l 
Déplorable  subiectde  mon  allliclion. 
Malheureuse!  faut-il  que  moi,  voslre  nourrice, 
Comme  un  petit  agneau  vous  porte  au  sacrifice  ! 
Pourrois-ie,  sans  mourir,  veoir  couler  voslre  sang! 
Sur  un  corps  si  mignard,  ô  grand  Dieu  lotit*  puissant! 
Le  moien  que  ie  voye  un  si  sanglant  oultrage! 
Hélas!  i'ay  plus  d'amour  que  te  n'ay  de  courage. 
le  vouldroye  qu'il  inclut  sans  fainlise  permis 
Souffrir  le  mai  pour  vous,  mon  cher  petit  amy. 
Maisquoy  !  ie  pleure  en  vain,  voy-iepas,  misérable-! 
Le  bassin,*  le  Cousteau  qu'on  porlesurla  table. 
0  mon  petit  poupon  !  ô  divin  précurseur! 
Ceste  crainle  me  rend  sans  parole  et  sans  cœur. 
Mais  i'auray  cependant,  avant  que  l'on  vous  louche, 
Mille  Delis  baisers  oe  voslre  belle  bouche. 

LE   SECOND   LÉVITE. 

Nourrice,  apportez-nous  cet  enfant  promptemenl. 

LA   NOURRICE. 

Eh!  monsieur,  ie  vous  prie,  iraiclez-Ie  doulccment. 
l'ange. 
loannes  et  nomen  ehts.  (Par  trois  fois.) 

ZACHARIE. 

Dénissez  à  jamais  le  grand  Dieu  d'Israël, 
Tout  bon,  tout  glorieux,  tout  puissant,  éternel. 
Qui  nous  vient  visiter  de  sa  bénigne  grâce, 
Nous  donnant  un  Sauveur  qui  sera  de  la  racf 
Du  prophète  David.  Et  loy,  pelil  enfant, 
Du  Très-Haut  le  prophète  on  ira  te  nommant. 

PREMIÈRE  MATRONE. 

Vous  avez  grand  subiect  de  ioye  et  d'allégresse 
De  vous  veoir  auiourd'huy  mère  en  vostre  vieillesse. 
D'un  beau  fils  qui  sera  un  iour,  en  vérilé, 
Le  uiircir  deà  vertus  et  de  la  saincteté. 


DEUXIEME   MATRONE. 

Madame  est  un  peu  foible  ;  il  faut  prendre  courage, 
Car  on  n'a  iamais  veu  pour  une  femme  d'aage, 
Ce  qui  donne  à  chascun  bien  de  reslonneinenl, 
Avec  moins  de  douleurs  passer  l'accouchement  ; 
Cependant  il  faudrait,  pour  la  rendre  plus  forte, 
Luy  donner  un  bouillon  :  dites  qu'on  luy  apporte. 

LA  SERVANTE  DE  LA  NOURRICE. 

{Elle  apporte  le  bouillon,  et  s'adressavt  aux 
spectateurs,  dit  :) 

Messieurs, 

le  vous  diray  avec  raison 

De  quoy  ie  st-rs  à  la  maison 

Quand  mon  petit  poupon  sommeille, 

le  pren  gar  'e  qu'on  ne  IVsveille, 

El  si  d'advcnlure  il  a  faim, 

Aussilosl  ie  pren  dans  ma  main 

Ma  petite  poale  polie, 

Pour  luy  faire  de  la  boulie* 

le  la  mels  dessus  le  feu. 

Ainsi  ie  fais  ce  que  ie  peu 

Pour  rendre  aggréablc  service 

A  madame  la  nourrice, 

Que  de  moy  ne  se  plaigne  pas. 

le  m'en  retourne  sur  mes  pas. 

Crainte  que  pendant  ma  demeure 

le  trouve  le  poupon  qui  pleure. 
Pèlerins  qui  passez,  bénissez,  ie  vous  prie, 
L'enfant  d  Elisabeth  ei  du  bon  Zacharie. 

SCÈNE  Y. 

Jean,  dans  l'âge  de  l'adolescence,  est  an 
désert,  en  compagnie  de  plusieurs  sauvages, 
et  entouré  de  hideux  serpents,  de  tortues  el 
d'autres  animaux. 

SAINCT   1EAN. 

le  suys  la  voix  de  celuy  qui  crie  dans  le  désert  : 
Faites  pénitence  parce  que  le  royaume  des  deux  ap- 
proche. 

Examinez  toutes  ces  paroles  que  ie  vien  de  vous 
dire  :  vous  verrez  qu'il  n'y  en  a  pas  une  qui  ne  vous 
persuade  la  pénitence.  Les  premières  paroles,  <  Je 
suys  la  voix  de  celuy  qui  crie,  »  marqueni  le  principe 
de  la  véritable  pénitence,  qui  esl  la  grâce  que  vous 
présente  celuy  de  qui  ie  ne  suis  que  la  voix  ;  grâce 
qu'il  ne  refuse  à  personne,  de  quelque  qualité  cl  con- 
dition qu'on  soyt;  grâce  qui  est  une  lumière  qui  es- 
claire  l'entendement  cl  eschaulle  les  volontés;  grâce 
qui  nous  prévient  dans  nos  actions,  qui  nous  accom- 
pagne quand  nous  les  faisons  et  qui  donne  le  cou- 
ronnement à  leur  consommation. 

LE  PREMIER    SAUVAGE. 

Que  dites-vous  de  ce  langage, 
Mon  pauvre  compagnon  des  bois, 
El  que  vous  semble  cesle  voix 
Et  le  regard  de  ce  visage? 

LE    DEUXIÈME   SAUVAGE. 

L'astre  dont  lesjusles  contours 
.Composent  reiglement  nos  iours 
N'a  iamais  fait  dans  sa  carrière 
Un  corps  brillant  si  plein  d'esclal, 
Ne  tanl  entouré  de  lumière, 
Quoyque  petit  el  délicat. 

LE  PREMIER  SAUVAGE. 

Mais  croyez-vous  que  ces  supplices 
El  la  cruaulé  de  ces  maux, 
El  mesme  que  ces  animaux 
Soyent  là  ses  plus  grands  délices  ? 

LE  TROISIÈME  SAUVAGE. 

Il  faudroil  estre  comme  luy, 
Avoir  des  grâces  d'icchiy 
Qui  le  rendent  esmervcillablc, 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


JLA 


£70 


Do  lous  les  hommes  Patlmurahlte-, 
Sage,  poly,  discret,  charmant. 
On  le  chercheroil  vainomeui 
Dessus  la  terre  et  dessus  ronde, 
Par  lous  les  quatre  coings  du  inoir'e, 
Sans  trouver  en  ces  longs  désunir» 
Ce  qu'on  voyl  ici  lous  les  iours. 

SAINT  JEAN. 

Amemlez- vous,  changez  de  vie, 
Bieutost  viendra  le  Créateur, 
Qui  se  dira  le  vray  Messie 
El  dès  hommes  le  Ré  lenipleur, 
Lançant  tles  carreaux  sur  les  tesles 
De  lous  ceux  qui  ne  garderont 
Ne  sa  loy,  ne  niesiue  ses  Testes, 
El  ceux  qui  les  mépriseront. 

SCÈNE  VI. 

Le  lils  deZacharie,  qui  est  homme  main- 
tenant et  qui  sait  que  le  temps  où  il  «ioit 
annoncer  le  Messie  au  peuple  d'Israël  est 
arrivé,  vient  remplir  sa  mission.  11  est  élevé 
sur  un  tertre  ;  des  princes  de  plusieurs  pays, 
des  princesses,  des  pages  et  plusieurs 
liommes  du  peuple,  se  groupe  autour  de  lui. 
Il  proche  : 

SAINCT  JEAN. 

«  Vax  clamantis  in  deserto.  t  le  suys  la  voix  qui 
crie  dans  le  désert  .  Préparez  le  chemin  du  Sei- 
gneur, le  suys  envoyé  de  sa  part  comme  son  hérault 
cl  son  précurseur,  pour  vous  advenir  de  sa  venue, 
comme  il  a  esté  prédit  par  les  prophètes.  Gardez- 
vous  bien  d'attendre  un  antre  Messie;  c'est  vosire 
Dieu  qui  veut  que  vous  marchiez  par  le  sentier  de 
ses  divines  Iuix. 

Princes  nés  dans  les  grandeurs  de  la  terre,  n'abu- 
sez pas  des  biens  qui  vous  sont  donnés,  pour  se- 
courir les  pauvres  qui  soin  les  images  de  cel  agneau; 
vous  n'en  avez  que  l'usage,  qui  doihi  estre  employé 
pour  la  grâce  de  Dieu. 

Vous,  princesses  cl  dames  toutes  couronnées  des 
biillants  de  la  vanité,  cessez  d'offenser  Dieu  et  met- 
tez bas  ces  vains  ornemens. 

Toy,  grand-prévost,  obligé  par  le  debvoir  de  la 
charge  de  rendre  la  justice  à  un  chascun,  rends  les 
actions  conformes  à  l'obligation  que  lu  as  de  pren- 
dre un  soing  particulier  de  La  vefve  et  des  orfelins. 
Si  lu  as  manqué  à  ion  debvoir,  amende-loi  et  fais 
pénitence. 

LE  PREMIER  PRINCE. 

Page,  allez  dire  au  grand -inaislre  qu'il  vienne 
parler  à  moy. 

le  premier  pace,  au  grand -m  ai  sire. 

Mon  prince  vous  mande  de  venir  parler  à  luy. 

LE  PREMIER  PRINCE. 

Grand-maislre,  allez  trouver  de  ma  part  le  grand- 
pontife,  et  lui  ordonnez  de  s'informer  de  Testât  et 
doctrine  de  cet  homme  du  désert. 

LE  GRAND-MA1STRE,  OU  pontife 

Les  princes  messeigneurs,  dont  ie  suys  député, 
Vous  mandent,  comme  ils  ont  tous  ensemble  arreslé, 
Que  sçachiez  de  cel  homme  qui,  dans  ce  verri  bocage 
l'reschc  si  baultement  et  d'un  si  fier  courage, 
D'où  il  est,  ce  qu'il  est  et  ce  qu'il  dit,  en  somme 
S'il  n'est  point  le  Messie  oui  vient  uour  sauver  l'homme? 

le  pontife,  à  sainct  Iean. 

le  suys  envoyé  de  la  part  de  tes  princes,  pour  sça- 
voir  qui  tu  es.  Fs-lu  Elie? 

SAINCT  JEAN. 

Non. 


Es- lu  prophète? 


Non. 


LE  PONTIFE. 


SAINCT  IEAN. 


LE  PONTIFE. 


Qui  es-tu  donc?  afin  que  ie  fasse  un  fidè'e  rapport 
à  ceux  qui  m'ont  envoyé  auprès  de  loy. 

SAINCT    IEAN. 

le  suys  la  voix  qui  crie  au  désert  :  Préparez  la 
chemin  du  Seigneur. 

LE  PONTIFE. 

Si  tu  n'es  pas  F.lie,  pourquoi  baptises-tu? 

SAINCT    IEAN. 

le  baptise  en  eau  ;  mais  il  y  en  a  un  auprès  de 
vous,  lequel  vous  necognoissez  point,  qui  vous  bap- 
tisera au  Saint  Esprit  et  en  feu. 

LE  PONTIFE. 

Monstre  nous  donc  celuy  que  tu  dis  estre  au  mi 
lieu  de  nous,  et  que  nous  ne  cognoissons  point. 

SAINCT   IEAN. 

C'est  l'agneau  rie  Dieu,  agneau  par  sa  pureié, 
agneau  qui  n'est  nourri  qu'au  milieu  des  loix.  «  Ecce 
agnus  Dei  qui  tollit  pecenta  mundi.  >  Voy  là  l'agneau 
de  Dieu  qui  efface  les  péchés  du  monde.  C'est  ceh:y 
duquel  ie  vous  disoy  ;  Il  y  en  a  un  qui  vient  après 
moy,  duquel  ie  ne  suys  pas  digne  de  deslier  la  cour- 
roye  de  ses  souliers;  mais  il  est  fait  devant  moy,  il 
purgera  et  nelloycra  le  grain  d'avec  la  paille,  et  as- 
semblera le  froment  pur  et  net,  et  bruslera  la  paille. 
Engeance  de  vipères,  'qui  vous  a  enseigné  à  fuir  la 
colère  de  Dieu?  Faites  pénitence,  amendez-vous,  la 
voy  desià  la  coignée  mise  à  la  racine  :  changez  donc 
vos  mœurs. 

SCÈNE  VII 

LE   SAUVEUR. 

.ci ,  mon  précurseur,  ie  demande  la  main, 
Pour  recevoir  de  loy  la  grâce  du  baptesme. 
Ce  sont  tous  mes  désirs,  c'est  le  bonheur  extrême. 
Lave-moy  ,  lave-moy  dans  ces  eaux  du  lourdain. 

SAINCT   IEAN. 

Mon  toulaimableagneau.qu'altendez-vous  rie  moy? 
Ces  eaux  ne  purgent  pas  celuy  qui  les  rend  pures, 
El  la  pureté  .même  a-l-elle  des  ordures  ? 
Ibptiser  mon  Dieu  !  C'est  donc  vous  que  ie  voy  ! 
Qu'attend  un  grand  soleil  d'un  Si  sombre  flambeau? 
Les  roys  à  leurs  subiectsdoibvent-ils  des  hommages  ? 
Est  ce  par  un  captif  qu'on  sort  de  l'esclavage? 
Et  que  peut  emprunter  la  source  du  ruisseau? 

(S1  adressant  au  peuple.) 

Peuples,  venez  et  accourez  à  mon  Sauveur  et 
mon  Dieu,  et  retirant  vos  espris  des  pensées  basses 
et  ravallées  des  créatures,  employez-les  à  méditer 
et  adorer  la  vie  et  doctrine  de  mon  Sauveur;  venez 
aux  eaux,  mais  aux  eaux  du  baplême,  venir  l'agneau 
sans  tache,  qui  veust  eslre  lavé  pour  vous  purifier 
et  vous  laver.  Voilà  la  vérité  éternelle, 

LE    SAUVEUR. 

Cesse  de  t'arresler  dans  ces  humbles  respecs, 
Fais  ce  que  ie  le  dis,  ainsi  lèvent  mon  père, 
C'esl  par  trop  discourir,  puisque  e'est  le  mystère 
Que  ie  veux  opérer  en  suy  vaut  ses  décrets 
(Le  Sauveur  entre  dans  le  bain  pour  estre  baptisé  par 

sainct  Iean.  Pendant  ce  temps,  Dieu  lt  père  laissa 

tomber  la  colombe,  et  tes  petits  anges  chantent  ceci 

en  chœur  :  ) 

0  sainct,  le  sainct  des  saincls.ôle Dieu  ries  armées! 
Que  vosire  maieslé  remplit  tous  cesgrans  lieux, 
Que  vosire  maieslé  remplit  lous  ces  bas  lieux 
De  gloire,  de  bonté,  d'heureuses  destinées  ! 


471 


JEA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


JEA 


Ali 


DIEl    LE    PÈRE. 

Celny-ci  est  mon  fils  1res  aimable  el  très-cher; 
Dans  luy,dansson  amour  i'ayprins  ma  complaisance. 
Escouiez  donc,  mortels,  ce  qu'il  vient  vous  prescher. 
Et  recevez  ses  loix  en  toute  obéissance. 

POUR  LA  MONSTRE 
LE    SAUVEUR. 

"Venez  à  moy  tous,  les  pauvres  ei  petis, 
Parce  que  ie  suys  humble  el  d'un  abord  affable 
Et  encore  plus  doulx  el  d'un  cœur  amiable, 
Car  ie  veux  soulager  les  corps  et  les  espris. 

LE    PREMIER  LÉVITE. 

Puissant  dispensateur  du  bonheur  de  mon  sort, 
C'esl  loy  de  qui  la  main  reigle  nos  destinées, 
Et  c'est  loy  qui  conduis  le  cours  de  nos  années  : 
Sers-nous  donc  au  besoing  el  d'azile  el  de  porl. 

LE    DEUXIÈME   Lf.VITE. 

Illustre  souverain  el  prince  de  nos  cœurs, 
Ta  voix  nous  fortifie,  el  ta  saincte  parole 
Dans  les  afflictions  m'asseure  et  me  console, 
Venant]  faire  cesser  nos  maux  el  nos  rigueurs. 

SAINCT   IEAX. 

Peuple,  ne  le  fie  point  aux  vanités  du  monde  ; 
Son  esclâtesl  un  verre,  el  sa  grâce  esl  une  onde 
Que  tousiours  les  orages  empeschent  de  calmer. 
Quile  ces  vanités,  ne  t'allache  à  les  suyvre. 

C'esl  l'agneau  qui  fait  vivre, 
C'est  luy  qu'il  faut  aimer. 

C'est  luy  qu'il  faut  aimer  :  quile  donc  cesle  envie 
De  passer  près  du  roy  tous  les  iours  de  la  vie, 
A  servir  de  iouet  et  fléchir  le  genouil. 
Son  pouvoir  est  borné,  bsse-ioy  de  le  suivre. 

C'esl  l'agneau  qui  fait  vivre, 

Aime-le  comme  nous. 

LE   PREMIER   ANGE. 

Louecomme  nous  ion  Dieu,  homme  nétie  la  terre, 
iSon  de  préhension,  ne  crainte  du  lonnairre, 
Dont  il  le  louche  el  frappe  quelques  lois  de  ses  mains  ; 
Mais  parce  que  ce  ion r,  toul  esclatanl  en  gloire, 
Est  le  commencement  de  la  plus  belle  histoire 
De  l'importante  affaire  du  salut  des  humains. 

LE  DEUXIÈME  ANGE. 

Sa  providence  extrême  est  tousiours  libérale; 
Des  eaux  vives  d'amour  la  source  générale 
Est  tousiours  dispose  et  preste  à  s'escouler 
De  celle  du  bapiesme,  pour  expier  tes  crimes, 
Mesme  pour  appaiser  ses  courroux  légitimes; 
El  ton  iniquité  ne  la  peut  épuiser. 

LE    TROISIÈME     \NGE 

Peuples!  peuples!  venez  adorer  mon  Seigneur; 
Venez  considérer  sa  doctrine  el  sa  vie, 
El  ses  abbaissemens.  11  faut  qu'il  glorifie 
L'homme  par  son  bapiesme  ;  il  est  son  Rcdempleu- 

LE  QUATRIÈME  ANGE. 

Il  veui  eslre  lavé  quoyqu'il  soyl  le  plus  beau  : 
Quoyqu'il  soyt  innocent  il  veut  porter  vos  crimes, 
El  de  tous  vos  péchés  en  faire  ses  estimes, 
Afin  de  vous  sauver  et  tirer  du  tombeau. 

LE    TROISIÈME  ANGE. 

lésus!  que  la  puissance  a  d'aflorls  glorieux! 
Homme,  voylà  la  vie  :  tasche  donc  à  bien  vivre, 
Mieux  encore  à  mourir.  C'est  lésus  qu'il  faul  suivre 
Partout,  dedans  le  monde  el  aussi  dans  les  deux. 

LE  QUATRIÈME    ANGE. 

Voylà  le  bon  pasleur  qui  cognoist  son  troupeau: 
Son  troupeau  le  cognoist  aussi  par  sa  parole, 
El  il  entend  sa  voix  de  l'un  à  l'aulre  pol. 
Louons  donc  le  pasleur  et  adorons  l'agneau. 


SAINCT   1EAS. 


Voylà  l'agneau  de  Dieu  qui  vient  par  sa  bonté 
Effacer  tes  péchés  el  appaiser  son  père; 
C'est  en  luy,  c'esl  en  luy  qu'il  faut  que  tu  espères, 
Et  de  toute  ton  âme  et  de  la  volonté. 

LE  PREMIF.R  ANGE. 

Peuples!  le  voyez- vous,  l'agneau  qui  vienl  des 

[ci  eux? 
Qui  vient,  par  des  bontés  dont  l'excès  nous  eslonne, 
Guarir  le  genre  humain  du  mal  qui  l'environne 
Et  laver  dans  son  sang  ses  péchés  odieux. 

LE  DEUXIÈME  ANGE. 

Voylà  le  fils  de  Dieu,  peuple,  croy  donc  en  luy. 
C'esl  pour  loy  qu'il  descend  de  son  throne  suprême; 
Adresï.e  loy  à  luy  dans  ton  malheur  extrême, 
Et  ne  l'attache  plus  qu'à  son  divin  appuy. 

SAINCT  IEAN. 

Voylà  le  précepteur  el  maistre  des  petits. 
Apprenons  donc  de  luy  que  son  amour  extrême 
L'a  fait  humilier  par  sa  bonté  suprême, 
En  prenant  des  humains  la  forme  el  les  habits. 
(Puis  saiuci  lean  récite  deux  sermons.) 

SCÈNE  VIII. 

Saint  Jean  à  Bérode.  t  Tu  veux  me  faire  mourir, 
ie  suys  prest.  Ouy,  moriar,  ie  monrray,  mais  ce  sera 
pour  vivre  d'une  vie  éternelle  dans  le  séiour  «les  bien- 
heureux. ISon  moriar  sed  vivmn.  Ouy,  ie  ne  mourray 
que  pour  vivre  plus  heureux  dans  la  félicité  éter- 
nelle. Mais  sçache  qu'après  ma  mort  mon  ombre 
tiendra  lousiours  ce  mesme  langage  à  l'oreille  de 
ion  cœur  :  y  on  licel  libi  liabere,  uxorem  fratris  lui, 
—  Amendez-vous  et  faites  pénitence.  > 

(Puis  sera  lean  traîné  avec  violence  en  prison  :  le 
geôlier  faisant  refus  de  le  recevoir  sera  saisi  par 
deux  gardes  et  conduit  au  roy.  —  Le  prince  de  Ga- 
lilée, gisant  par  terre,  mort,  sera  déploré  par  lu 
princesse.) 

SCÈNE  ]X. 

LE    GRAND-MAISTRE    DE    LA    MAISON,    à    llérodi'. 

l'obéy  prompt  ment  suivant  vosire  désir. 

(A  part.) 

Qu'à  ce  commandement  mon  âme  est  abhatlue; 
Dieux  !  que  la  volonté  des  roys  est  absolue  ! 
Ton  les  fois,  différer  sur  l'exécution , 
C'esl  se  rendre  envers  eux  suspect  Je  trahison. 

(Se  tournant  vers  le  capitaine  des  gardes.) 

0  contrainte  fâcheuse  !  où  par  ma  diligence 
11  faut  favoriser  une  iniusle  vengeance. 

(//  lui  parle  bas  à  l'oreille,  puis  dit  :  ) 

Commandez  tous  vos  gens,  contentez  son  os|>rit , 
Et  ne  manqujz  à  rien  de  ce  qu'il  vous  prescrit. 

LE    CAPITAINE     DES     CARDES. 

Mais  si  i'achève  enfin  le  dessing  qu'elle  Intime, 
Hérodeen  la  croyant  se  comblera  de  blasme. 
l'exécuie  à  regret,  dans  ceste  extrémité , 
L'ordre  que  m'a  prescrit  par  vous  sa  majesté. 

(Aux  soldas.) 

Sohlas!  à  moy,  soldas  !  advancez  vers  la  porle, 
Pcn.lanl  que  ie  feray  ce  que  mon  ordre  porle. 

(Au  geôlier  :) 

Geôlier,  c'esl  le  roy  qui  me  fait  l'advcrlir 
D  meure  entre  mes  mains  les  clefs  et  de  sortir. 

LE  geôlier,  qui  s 'es'.oit  souvent  approché  près  de  la 
table  pour  sscouier. 

Meure  à  morî  l'innocent!  relirez- vous,  infâme. 

(V  s'est  happe.) 


473  JEA 

Non,  ianiais  laschelé  n'entrera  dans  mon  a:)ie. 
(On  le  retient;  il  dit  :) 

Monsieur,  quand  son  p'ché  seroyl  mesme  infini, 
Le  tenant  au  eachos  il  est  assez  puni. 
(A  sainct  lean,  qu'on  lient  :) 

Prophète,  pleust  à  Dieu  qu'il  fût  en  ma  puissance, 
Eu  ce  malheureux  iour,  d'aider  à  l'innocence. 

(Il  parle  aux  soldats,  se  mettant  à  genoux  et  voulant 
deslier  sainct  lean  :) 

Deschargez  de  ses  fers  le  plus  grand  des  humains, 
Et,  pour  les  recevoir,  tenez,  voilà  mes  mains. 
Si  mes  soings  le  pouvaient  à  la  fin  secourir, 
le  seroys  dans  ce  cas  tousiours  presl  à  mourir. 
Celuy  dont  la  vertu  s'égmdoil  au  courage 
Va  sentir  d'un  tyran  l'injustice  et  la  rage. 
Si£le  ciel  secondoil  mon  dessing  généreux.. 
Mais  Herode  est  le  maistre,  et  suys  trop  malheureux, 

SAINCT    IEAN. 

Ne  tournez  plus  vers  moy  ne  le  cœur,  ne  les  yeux. 
Pour  quelques  cruautés  que  i'endure  en  ces  lieux  ; 
Mais  adorez  du  ciel  l'a rr est  irrévocable  : 
Pour  estre  rigoureux,  il  n'est  p;:s  moins  aimable. 
Que  les  mespris  du  roy  me  causent  ce  malheur, 
Il  verra  mon  esprit  plus  fort  que  ma  douleur; 
El,  parmi  ces  rigueurs,  tout  ce  qui  me  console, 
C'est  qu'au  milieu  des  fers  i';iye  encor  la  parole, 
Qui  vous  prouve  du  ciel  les  palmes  méritées, 
Pour  le  prix  des  vertus  qui  sont  persécutées; 
Que  llérode  a  hien  ouy  parmi  ceux  de  sa  cour 
Mespriser  sa  colère,  ainsi  que  son  amour; 
Qui  vous  asseure  enfin  que  le  souverain  bien 
Repose  en  la  vertu;  que  le  vice  n'est  rien, 
Et  que  les  vicieux  ont  tousiours  sur  la  leste 
La  fouldre  espouvantable  à  tomber  toute  preste. 

LE  CAPITAINE   DES  GARDES. 

(Pendant  que  quelques  soldas  tiennent  sainct  Jean, 
il  commande  à  deux  autres  d'aller  chercher  le  spécu- 
lateur.) 

Allez  à  cet  archer  dire  qu'on  le  demande. 
Qu'il  vienne!  obéissez,  puisque  ie  le  commande. 

(Les  deux  soldas  entrent  dans  la  tente  du  spiculateur 
et  l'en  tirent  malgré  les  difficultés  qu'il  fait.) 

Arresle!  approche  ici,  pren  garde  à  ton  dessing; 
Veux-tu  que  ie  le  mette  un  poignard  dans  le  sein. 

LE  SPICULATEUR. 

le  ne  puis  merésouldre  à  cet  acte  tragique. 
Et  de  quelque  vertu  que  mon  esprit  se  pique, 
Quand  bien  mesme  il  seroyt  en  estai  d'obéir, 
le  sens  bien  que  mon  cœur  n'y  sçauroyt  consentir. 

DEUXIÈME  SOLDAT. 

Desuesche ,  encore  un  coup;   ceste  rigueur  nous 

[fasche. 

LE  SPICULATEUR. 

Quoy  !  messieurs,  croyez  vous  que  ie  sovs  ass  z 

[lasche?.... 

LE  CAPITAINE  DES  GARDES. 

Marche  donc  sans  contrainte  el  advanec  les  pas. 
Obéis,  autrement  il  y  va  du  trespas... 

LE   SPICULATEUR. 

Grand  sainct!  c'est  par  ma  main  qu'Hérode  vous  op 

[prime, 
Qu'espanchant  vostre  sang  i'augmcnlcray  son  crime. 

(Après  avoir  donné  le  coup.) 
le  déleste  mon  son  pire  que  le  irespas. 
Mourant  avec  vous,  ie  ne  m'en  plaindrais  pas. 

/1 82)  Quoique  ce  poème  contienne    prés  de  sept 
mille  ver*,  cependant  comme   l'auteur  n'a  fait  que 


DICTIGN.NAIKE  DCS  MYSTERES. 


JOB 


Mi 


par  une  prière  a  Dieu   et 


(Aux    soldas  :) 

Si  vostre  cruauté  n'est  pas  bien  assouvie, 
Tigres,  voylà  mon  cœur,  arrachez  -moi  la  vie. 

LA  KILLE  D'ilERODIAS. 

Donnez-moy  dans  ce  plat  ce  précieux  butin, 
Comme  il  est  don  de  roy,  c'est  l'honneur  du  festin. 

JEHAN  LE  PALU  (Saint).  —  Le  drame 
de  sainct  Jehan  le  Paulc  est  tiré  du  manuscrit 
du  xiv*  siècle,  des  Miracles  de  Nostre-Dame, 
II'  volume,  fol.  103.  (Bibl.  imp.,  n°  7208, 
k  A  et  k  B.) 

Il  y  est  intitulé  :  De  sainct  Jehan  le  Paulc, 
henni  te,  qui,  par  temptotion  d'ennemy,  occist 
la  fille  d'un  roy,  et  la  jeta  en  un  puiz,  et  de- 
puis pour  sa  penance  (pénitence),  la  resuscita 
Nostre-Dame. 

Sainct  Jehan  le  Paule  est  resté  inédit.  On  en 
trouve  seulement,  parmi  les  auteurs  qui  ont 
trailé  du  théâtre  du  moyen  ûge,  la  mention 
suivante  : 

«  Dans    le   miracle  de  Jehan  le  Palu,  le 
saint  commence 
ajoute  : 

Il  est  meshuy  temps  que  je  tende 
A  aler  ouïr  le  sermon 
Que  doil  faire  maistre  Simon. 
Soubliles  si,  coin  l'on  m'a  conté. 
Bien  à  point  vieil,  il  est  monte. 
Je  viieil  ici  prendre  ma  place, 
Avant  que  sa  prière  face 
Ne  qu'il  commence. 

«  Ici  se  trouve  un  long  et  froid  sermon 
sur  Marie,  sans  aucun  rapport  au  sujet, 
qui  est  plus  froid  encore  el  plus  obscur 
que  le  sermon.  »  (O.  Leroy,  Etudes  sur 
les  Mystères;  Paris,  1837,  in-8*.  p.  72.) 

JEU  PASCAL.  —  On  trouve,  sous  le  titre 
de  Jeu  pascal,  un  Mystère  de  la  Résurrection, 
(Voy.  Réslrr.,  représ,  dram.,  xm*  s.,  Alle- 
magne, Neubourg) ,  et  le  drame  de  I'Antk- 
Christ. 

JEUDI  SAINT  (Le)  d'Angers.  —  Parmi 
les  usages  de  la  fête  des  Fous,  il  en  est  un 
qui  laissait  encore  des  traces  à  Angers, 
à  la  fin  du  xvne  siècle...  Ainsi,  le  jeudi 
sainl,  dans  une  salle  de  l'évéché,  dite  la 
Salle  du  clergé,  l'évêquo  recevait  tous  ses 
clercs  à  qui  l'on  servait  du  vin  blanc  et  du 
vin  rouge;  on  se  levait  ensuite  pour  dire 
Complies  en  silence  et  chanter  les  Ténèbres. 
(Cf.  DkMoi.eon,  Voyages  liturgiques  en  France. 
Paris,  1718,  in-4°,  p.  94.) 

JOB  (La patience  de).  —  1W8.—  i.aBiolio- 
thèque  du  théâtre  françois,  ouvrage  attribué 
au  duc  de  La  Vallière  (Dresde,  1768,  in-8", 
3  vol.,  t.  I ',  p.  53),  a  fait  mention  de  Job  et 
en  a  donné  une  courte  analyse. 

Nous  reproduisons  celle  laissée  par  les  fiè- 
res  Parfaiî,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
françois  (Paris,  15  vol.  in-12,  1785,  t.  H, 
p.  532,  538),  et  qui  commence  en  ces  ter- 
mes : 

MYSTÈRE    DE    JOB    (182). 

«  Les  domestiques  de  Job  se  viennent  ré- 

pàraphraser  le  lexle  de  la  sainte  Ecriture,   cet  ex- 
trait sera  très-court,  d'autant  plus  que  les  ^er^  eo 


i73 


JOB 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


i-OB 


476 


jouir  du  bonheur  de  leur  maître.  Cependant 
Gason,  l'un  d'entre  eux,  appelle  vilain  un  des 
bouviers  de  Job.  Le  Rustique,  fâché  qu'on 
le  traite  ainsi,  dit  qu'il  veut  se  faire  passer 
chevalier. 

GASON. 

Si  lu  veux  bien  le  contenir, 
Chevalier  seras  en  peu  d'heures. 

LE   RUSTIQUE. 

Ce  seroit  moult  grant  adveiiture. 

GASON. 

Par  Dieu,  j'en  ai  l'aict  puis  n  agure 
De  mes  mains  plus  de  quinze  mille. 

«  Que  faul-il  faire  pour  cela,  répond  lo 
«  Rustique?—  Une  bagatelle,  réplique  Ga- 
«  son,  souffrir  seulement  quelques  coups  de 
«  bâton.  —  Mais,  continue  le  Rustique,  qui 
«  saura  que  je  suis  chevalier.  » 

GASON. 

Moy-mesme,  je  leur  iray  dire 
A  tous,  de  maison  en  maison. 

«  Essayons  donc,  »  dit  Rustique. 

G A SON. 

Or  me  pardonne  donc  la  mort, 
Et  crie  fort  Chevallcrie. 

LE    RUSTIQUE. 

Ma  mort  !  en  despil  de  ma  vie, 
Et  me  veulx-lu  (aire  mourir? 

GASON. 

Nenny,  mais  je  te  vuei!  ferir 

Cinq  ou  six  coups,  car  c'est  la  guise. 

(ley  Gason  doit  frapper    le  Rustique,  et  il  doit  crier 
chevalerie.) 

LE    RUSTIQUE. 

Hau  !  Gason,  hau  !  il  souflisl, 

GASON. 

Allen  ung  pou,  c'est  ion  prouflist, 
Encore  mon  amy,  endure. 

LE    RUSTIQUE. 

De  chevallerie  je  n'ay  cure; 
Je  m'en  repens,  j'en  suis  lassé. 

GASON. 

Le  mal  sera  lanlosl  passe  : 
Tu  ne  le  doys  point  remuer. 

(//  te  bai.) 

LE    RUSTIQUE. 

Au  meurtre  !  lu  nie  veulx  tuer, 
Je  renonce  à  la  gentillesse. 

(//  cliet  à  terre.) 

GASON. 

Si  tu  n'es  chevalier  passé, 

Par  mon  serment,  je  n'eu  puis  mais. 

LE   RUSTIQUE. 

Pour  Dieu,  ne  m'en  parlez  jamais  : 
Au  deable  la  chevalerie, 

sont  fort  mauvais.  L'ouvrage  fut  composé  en  1178, 
et  fini  la  veille  de  Sainle-Calherine,  24e  jour  de 
novembre  de  la  même  année,  par  Guillaume  "'.(Si 
nous  avions  pu  déchiffrer  son  surnom,  nous  l'aurions 

ajouté  avec  plaisir)  Guillom per/icit  hune  librum 

cigiUa  Santœ  Kailierinw  anno  Doinini  mill.  uu° 
iaxviii.  Le  manuscrit  d'où  nous  liions  celle  noie, 
«si  un  in-4°  très-mal  écrit,  qui  contient  364  pages  à 
53  vers  chacune.  [Bibl.  du  Roi.)  H  a  clé  imprime 
depuis,  avec  quelques  légères    différentes,  in  i°, 


Jamais  je  n'en  auray  envie, 
J  en  ily  fy  :  j'aymeroye  trop  mieulx 
De  la  nioylié,  garder  les  beufz. 
Tu  es  ung  inaisire,  par  ma  ioy 
Jamais  n'auray  fiance  en  loy, 
Car  tu  le  m'avoys  conseillé» 

GASON. 

Tu  eatois  tant  esveillé 

Que  l'on  ne  le  pouvoit  tenir  ? 

LE   RUSTIQUE. 

J'aymc  mieux  vilain  devenir, 

Et  manger  du  lart,  et  des  poix, 

Que  de  mener  le  gentilloix. 

Car  pard.  ...  il  m'en  souviendra. 

Lorsque  tel  bout  de  l'an  vienra. 

Tu  m'as  si  hien  anullé  mes  hosses  (183), 

Oncques  ne  fus  à  telles  nopees  : 

Et  pour  maintenir  la  couslume. 

Tu  m'as  si  bien  cherpy  ma  plume, 

Que  souvent  me  le  faull  sentir. 

GASON. 

Si  lu  l'en  cuides  repenlir. 

Par  ma  foy,  compains  (184),  c'est  à  lart. 

LE    RUSTIQUE. 

Tu  dis  voir,  le  deable  y  ayt  part 
A  la  belle  chevalerie. 
N'en  parlons  plus,  je  l'en  supplie, 
Et  face  chascun  son  meslier. 

«  Cependant  le  Seigneur,  qui  veut  éprouver 
la  palience  de  Job,  appelle  Satan  et  lui  per- 
met de  le  tenter. 

satiian,  en  sautant  de  joyr. 
De  grant  joyc,  je  leray  ung  sault. 

«  Le  malin  Esprit  va  aussitôt  inspirer  au 
roi  de  Sabbée  et  aux  Chaldéens  le  dessein 
de  piller  les  terres  appartenant  a  Job.  Le  roi 
de  Sabbée,  qui  adore  Jupiter  et  le  dieu  Ma- 
honi,  entreprend  avec  plaisir  la  guerre  con- 
tre Job,  serviteur  du  vrai  Dieu  :  et,  suivi  de 
son  chambellan  et  de  son  maréchal,  il  passe 
dans  la  terre  do  Us  et  enlève  une  partie  des 
troupeaux  de  ce  saint  homme.  Les  Chal- 
déens arrivent  ensuite  et  dérobent  l'autre. 
On  vient  rapporter  ces  fâcheuses  nouvelles 
à  Job,  en  même  que  les  bergers  lui  appren- 
nent que  le  feu  du  ciel  a  consumé  ses  trou- 
peaux de  brebis.  A  peine  Job  sait-il  ces  cho- 
ses, que  son  messager  lui  raconte  que  la 
maison,  où  étaient  ses  enfants,  est  tombée, 
et  les  a  tous  ensevelis  sous  ses  ruines.  Ces 
ma  heurs  n'ayant  pu  ébranler  la  constance 
de  Job,  Satan  demande  au  Seigneur  le  pou- 
voir de  l'affliger  encore.  Dieu  lui  accorde  ce 
qu'il  demande,  et  Job  ne  ressent  pas  plutôt 
les  coups  de  ce  démon  qu'il  se  trouve  cou- 
vert de  lèpre. 

(/ci/  sa  femme  et  ses  domestiques  le  portent  sur  ung 
fumier.) 

«  Ses  amis  viennent  le  consoler  :  cepen- 

sans  date.  (Bibl.  du  Roi.)  La  dernière  édition  est  un 
in -16  de  256  pages  dont  voici  le  titre  <  La  Patience 
de  Job,  selon  l'Hystoire  de  la  Bible;  comme  il  per- 
dil  ions  ses  biens  par  guerre,  et  par  lorlune,  et  la 
grande  panvreté  qu'il  eul;  et  comme  lout  lui  fut 
rendu  par  la  grâce  de  Dieu  :  et  esl  à  xlix  person- 
nages. Paris,  Nicolas  Bonfons.  1579.» 

(183)  Le  Rustique  esl  bossu  el  contrefait. 

(184)  Compagnon. 


477 


JOS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


JOU 


m 


dant  Satan,  enrageant  de  voir  ses  soins  su- 
perflus, vient  aborder  Job,  sous  la  figure 
d'un  pauvre,  et  lui  demande  la  charité.  Job, 
privé  de  tous  ses  biens,  lui  fait  part  de  ce 
que  sa  mauvaise  situation  lui  fournit. 
(Ici  Job  lui  donne  des  vers.) 

«  Satan  va  trouversa  femme,  a  qui  il  mon- 
tre les  vers  que  Job  lui  a  donnés,  et  qui, 
par  son  pouvoir,  paraissent  autant  de  pièces 
d'or.  La  femme  de  Job,  irritée  à.  celte  vue, 
vomit  mille  injures  contre  son  mari,  et  lui 
reproche  que  ,  possédant  de  l'or  en  abon- 
dance ,  il  la  laisse  périr  de  nécessité.  Job 
supporte  ce  nouvel  assaut,  et  Dieu  ,  touché 
de  ses  souffrances  et  de  sa  fermeté,  ordonno 
à  ses  amis  de  lui  fa  re  de  riches  présents, 
qui  le  rétablissent  en  son  premier  état.  » 

JONAS  (Mystèhk  de).  —  Les  registres  de 
l'hôtel  de  ville  d'Abbevillefont  mention  d'un 
Mystère  de  Jonas,  joué  au  xvr  siècle  dans  le 
cimetière  Saint-Jacques,  lieu  ordinaire  des 
représentations.  (Cf.  F. -G.  Louandre,  Hist. 
d'Abbeville;  183V,  in-8°,  p.  238.) 

JOSEPH. —  On  trouve,  dans  les  Annales 
de  Corbie,  la  mention  suivante  : 

«  1264.  Les  plus  jeunes  frères  de  Heres- 
bitrg  firent  pieusement  la  comédie  de  Joseph 
vendu  et  triomphant  ;  mais  les  grands  digni- 
taires de  notre  ordre  en  furent  mécontents.» 
(Cf.  G. -G.  Leibmtz,  Scriptor.  Brunswic; 
Hanoverœ,  in-fol.,  3  vol.,  t710,  t.  II,  p.  311.) 
Dom  Martin  Gerbert  (Decantuet  mus.  sacr.; 
Saint-Biaise,  1774,  in-i°,  2  vol.,  t.  1er,  p.  82), 
indique  le  Joseph  vendu. 

JOSEPH  (La  vendition  de).  —  Il  n'existe 
de  la  Vendition  de  Joseph  qu'un  exemplaire, 
appartenant  à  la  Bibliothèque  impériale,  et 
une  réimpression,  fac-similé,  tirée  aux  frais 
de  M.  le  prince  d'EssIing, à  quatre-vingt-dix 
exemplaires  seulement,  numérotés,  dont  '* 
sur  vélin,  86  sur  papier  de  Hollande  (de 
l'imprimerie  de  A.  Pinard,  quai  Voltaire, 
n°  15.) 

Ce  drame  dale  du  xvi'  siècle. 

La  Bibliothèque  du  thédtrc  fratirois,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  LaVallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  31),  en  a  fait 
mention  et  en  a  donné  le  litre. 

Celte  pièce  contient  plus  de  quarante- 
quatre  mille  vers. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  • 

MORALITÉ  de  la  vendition  de  Joseph,  fils  du 
patriarche  Jacob;  comment  ses  frères,  es- 
mus  par  envye,  s'assemblèrent  pour  le  faire 
mourir;  mais,  par  le  vouloir  de  Dieu,  après 
l'avoir  piteusement  oultragé,  le  dévalèrent 
en  une  cisterne,  etc.,  comme  plus  ample- 
ment est  escript  en  la  saincle  Bible...  Et 
est  le  dict  Joseph  figure  de  la  vendition  de 
nostre  saulveur  Jhesucrist...—  On  les  vend 
à  Paris,  en  la  rue  Ncusve  Noslrc-Dame,  à 
l'enseigne  Saint -Nicolas. 

A  la  dernière  page  on  lit  :  Nouvellement 
imprimée  à  Paris  pour  Pierre  Sergent,  demou- 
rant  en  la  rue  Ncusve,  etc. 

Le  roi  Cordelamor  se  plaint  d'avoir  perdu 
le  pays  égyptien,  usurpé  par  Pharaon  ;   un 


centurion,  enlendant  ces  regrets,  se  fait  fort 
de  débarrasser  son  maître  de  son  ennemi, 
sans  qu'il  en  coûte  aucune  aventure,  et  en 
effet  il  séduit  «  le  boullangier  »  du  roi.  Ce- 
lui-ci s'engage  h  empoisonner  son  seigneur. 

Cependant  Jacob,  entouré  de  ses  enfants, 
témoigne  à  Joseph  cette  profonde  affection, 
celte  «  singulière  fiance,  »  dont  ses  frères 
sont  jaloux 

Miséricorde  et  Justice  demandent  à  Dieu 
l'accomplissement  des  prophéties  ;  Dieu  leur 
répond  : 

Joseph  le  doulx  entre  ses  frères 
Figurera  jouxle  l'escripi 
La  personne  de  Jésus  Christ. 

L'Envie  excite  les  frères  de  Jacob;  elle  dit 
d'elle-même  : 

Quand  ie  deslyc  mon  cacquet 
Ma  langue  va  comme  ung  iraquet 

Sans  nul  arresl 
Plustosl  elle  tourne  que  ung  rouet 
Plus  souple  que  n'est  ung  fouet 

Quand  il  me  plaist. 

En  effet,  Joseph  est  vendu  par  ses  frères  à 
des  marchands  «  gallatides  et  ismaélites  »  qi:i 
se  rendent  en  Egypte.  C'est  là  que  Putiphar 
] l'achète  trente  deniers.  Aussitôt ,éprisede  lui, 
lafemmede  Pulipharlui  déclare  ses  feux,  que 
Joseph  repousse  avec  horreur.  La  calomnie 
l'accuse  pourtantdu  crime  qu'il  n'a  pas  com- 
mis :  ilva  périr,  lorsque  l'explication  d'un 
songe  lui  rend  les  bonnes  grâces  de  Pharaon. 
Il  est  devenu  le  maîtredel'Egyptepar  la  haute 
faveur  du  roi  ;  il  recueille  les  grains  de  sept 
années  fertiles  pour  parer  aux  malheurs  de 
sept  années  stériles.  Le  drame,  suivant  au 
p!us  près  les  saintes  Ecritures,  conduit  en 
Egyple  les  enfants  de  Jacob  ses  frères.  Joseph 
est  reconnu,  Jacob  arrive  et  s'établit  avec 
les  siens  auprès  de  son  fils  bien-airné,  dont 
la  main  prévoyante  nourrit  les  Egyptiens. 
Après  dix-sept  ans,  Dieu  appesantit  ses  re- 
gards sur  son  patriarche  prédestiné,  il  le  re- 
tire du  monde;  ses  enfants  l'enterrent  pieu- 
sement, et  Uuben  termine  ce  long  drame  par 
ces  mois  : 

Nostre  père  a  vescu  sans  hlasm 
Reste  prier  Dieu  au  sonrplus 
Que  pardon  il  face  a  faine 
Da  il  lires  ly.ens  il  ne  luy  failli  pn.s 

Chantant  tresious 

Te  Deum  Laudamus. 

ÏCy  fmist  la  moralité  de  la  Vendition  de  Joseph,  \filt 
du  patriarche  Jacob.) 

JOSEPH  (Les  Histoires  de  ).  —  Les  re- 
gistres des  comptes  de  l'hôtel  de  ville  font 
mention  de  la  représentation  5  Abbeville, 
durant  lexvi'  siècle,  des  llistoircs\de  Joseph. 
(Cf.  F.-C.  Louandre,  Hist.  d'Abbeville,  183V, 
in-8°,  p.  238.  )  Peut-être  s'agit-il  d'une  Ven- 
dition de  Joseph.  —  Voy.  ce  mot. 

JOSSE  (Saint).  —  On  ne  connaît  la  Fie 
de  saint  Josse  que  par  une  mention  fort  in- 
certaine de  Beauchamps.  (  Recherches  sur 
les  théâtres  de  Erance;  Paris,  1735,  in-8", 
3  vol.,  t.  I",  p.  228.  ) 

JOUEL  D'OR  (  Le).  —  Ce  mystère  est  un 
do  ceux  que  contient   le   manuscrit   du  x\' 


479 


Jlï 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


Jll 


480 


siècle,  connu  sous  le  titre  de  Miracles  de 
Notre-Dame  par  personnages,  n"  7208  'A  et 
*Bde  la  Bibliothèque  impériale.  (Deuwol. 
in-fol.  parvo,  I"  volume,  n8  x,  f°  101.  ) 

M.  Paulin  Paris  (  Les  manuscrits  françois 
de  la  Bibliothèque  du  roi,  t.  VI;  Paris,  Te- 
chener,  18io,  in  8°,  p.  33i  )  en  a  donné  l'a- 
perçu suivant  : 

«  D'un  evesque  à  qui  Nostre  Dame  s'appa- 
rut, et  lui  donna  un  jouel  d'or  auquel  avoit 
du  lait  de  ses  mammelles.  »  Inédit.  Ce  mys- 
tère commence  par  la  conversation  d'un 
évêque  avec  deux  clercs.  L'évoque  regrette 
que  l'on  ne  fasse  pas  à  la  réunion  des  spec- 
tateurs un  petit  sermon  sur  les  perfections 
de  la  Vierge;  un  prescheur  arrive  alors,  et 
tropose  de  le  dire,  il  prend  pour  texte  : 
Plenius  effusum  nomen  tuum.  C'est  à  cet 
évêque  que  la  Vierge  donne  son  lait. 

JOUR  DES  MERVEILLES  (Le). —  La 
Fête  des  Fous  avait  laissé  dans  le  diocèse 
de  Vienne  un  usage  qui  semble  remonter 
à  la  plus  haute  antiquité,  et  dont  parlent 
ainsi  le  sieur  de  Moléon  et  l'abbé  d'Ar- 
tigny  : 

«  Le  second  jour  de  juin,  fête  de  sainte 
Blandine  et  de  ses  compagnons  martyrs,  on 
faisoit  (au  commencement  du  xyin'  siècle) 
une  grande  solennité  à  Vienne  :  elle  s'a;>- 
pelloit  la  Fête  des  Miracles.  On  faisoit  de 
grandes  réjouissances  dans  des  bateaux  sur 
le  Rhône.  Le  clergé  de  l'église  de  Saint-Sé- 
vère, clui  de  la  cathédrale,  les  moines, 
puis  les  religieux  de  Saint-André-le-Haut, 
alloient  tous  en  procession  à  l'église  de 
Sainte-Biandine »  (  De  Moléov,  Voya- 
ges liturgiques  en  France;  Paris,  1718,  in-8", 
p.  33.  ) 

A  Vienne,  «  le  dimanche,  dans  I  octave 
de  l'Ascension,  tout  le  clergé  en  surplis  et 
en  chape  se  promenait  sur  le  Rhône  dans 
des  bateaux  ornés  de  verdures  et  de  fleurs, 
pour  représenter  les  anciens  Chrétiens  de 
Vienne,  qui,  à  pareille  époque,  cherchèrent 
avec  soin  et  recueillirent  respectueusement 
les  sacrées  reliques  d'une  infinité  de  mar- 
tyrs, qui  furent  brûlés  et  jetés  dans  le  fleuve. 
On  trouve  l'histoire  de  ces  martyrs  dans  la 
lettre  des  Eglises  de  Vienne  et  ae  Lyon  aux 
Eglises  d'Asie  et  de  Phrygie,  qu'Eusèbe 
nous  a  conservée....  La  promenade  en  ba- 
teaux a  été  abolie,  et  on  se  contente  de  faire 
une  procession  ce  jour-là,  qui  est  toujours 
nommé  la  Fête  des  merveilles,  Dies  miracu- 
lorum.  »  (  L'abbé  d'Artigny,  Notice  sur  la 
fête  des  Fous,  dans  ses  Mém.  de  liltér.,  t.  IV; 
et  dans  Leber,  Collect.  des  meilleures  dissert.  ; 
Paris,  1838,  in-8%  20  vol.,  t.  IX,  p.  261.) 

JUIF  VOLE  (  Le  ).  —  Le  Juif  volé  est  tiré 
du  Manuscrit  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  où 
il  forme,  sous  le  litre  de  Troisième  miracle 
de  saint  Nicolas,  la  troisième  partie  de  ce 
précieux  recueil. 

Le  manuscrit  date  du  xm*  siècle,  et  rien 
n'empêche  de  croire  que  les  drames  qu'il 
nous  a  conservés  sont  antérieurs  ;  on  a 
pensé,  en  effet,  qu'ils  pouvaient  être  re- 
portés jusqu'au  xir  et  môme  jusqu'au  xi* 
siècle. 


Nous  avons  indiqué  h  l'article  Saint-Be- 
noit-slr-Loire  [Manuscrit  de  )  les  différen- 
tes éditions  des  Miracles  de  saint  Nicolas 
dont  le  Juif  volé  fait  partie. 

Le  monologue  du  Juif  ne  nous  paraît  pas 
sans  quelque  vague  rapport  avec  celui 
d'Harpagon  dépouilié  de  sa  cassette;  et  les 
curieux  de  ces  sortes  de  rapprochements 
pourraient  y  étudier  l'identité  de  l'esprit 
humain  au  travers  des  temps. 

TROISIÈME    MIRACLE    DE    SUNT    NICOLAS. 

PERSONNAGES. 

9.    NICOLAS.  DEUXIEME   VOLEUR. 

UN   JUIF.  TROISIÈME    VOLEUR. 

PREMIER    VOLEUR.  LE    CHŒUR. 

Argument.  Autre  miracle  de  saint  Nkolas  et  d'un  Juir<|iii 
rendait  toutes  sortes  d'honneurs  à  l'image  du  saint  ca>*hée 
chez  lui.  Ce  Juif  était  tort  rithe  :  un  jour  qu'il  allait  à  la 
campagne,  il  ne  laissa  chez  lui  pour  garder  sa  maison  que 
saint  N ico  as.  Cependant  des  voleurs  emportèrent  loutre 
qu'il  avait.  Mais  saint  Nicolas  ût  tout  restituer;  les  voleurs 
eux-mêmes,  sur  l'ordre  du  saint,  rendirent  tout. 

SCÈNE  I". 

I.E  juif,  à  la  statue  de  saint  Nicolas.  0  serviienr 
de  Dieu  ,  si  la  tradition  écrite  es-t  un  srtr  garant, 
los  faits  attesteraient,  comme  l'opinion  commune, 
que  lu  as  survécu  au  tombeau.  Sans  douie,  je  crois 
entièrement  à  les  vertus.  .Mais  de  combien  de  pro- 
diges le  douent  les  Chrétiens  ?  Les  insensés  relrou- 
venl  la  raison,  les  aveugles  à  la  suite  confessent  la 
lumière,  la  proie  de  la  mort  est  donnée  à  la  vie  ei 
à  une  fortuite  nouvelle;  lu  rends  l'ouïe  aux  souris, 
l.i  voix  aux  muets  et  la  force  aux  boiteux  ;  lu  raffer- 
inis  les  membres  infirmes  et  les  équilibres  Combien 
ne  suis  je  pas  heureux  d'avoir  choisi  un  patron  si 
précieux  et  de  lui  avoir  confié  ma  vie?  Aussi  je  le 
remets  la  garde  de  tous  mes  biens.  0  mon  excellent 
patron,  couche-toi  même  à  la  maison,  durant  mon 
absence  ;  certes  je  veux  laisser  les  clefs  si  lu  gardes 
ces  lieux.  Il  n'y  a  pas  de  loris  mieux  gardés  quo 
par  ta  puissance,  et  sons  ton  inspection  que  pour- 
rait-il  manquer  jamais  sous  mon  loil?  Je  suis  con- 
traint par  mes  atfaires  d'aller  à  la  campagne,  et  je 
ne  crois  pas  pouvoir  èlre  de  relour  aussitôt  que  je 
voudrais.  Adieu  :  veille  à  ce  que  nul  malfaiteur  ne 
nous  fasse  de  tort;  veille  avec  soin,  pour  qu'il  n'y 
ail  pas  de  dommage  dans  nos  trésors. 

SCÈNE  II 

(Le  Juif  se  relire.  Aussitôt  arrivent  des  voleurs  qui 
varient  ensemble.) 

les  VOLEURS.  Que  devenir?  où  aller?  quel  parti 
prendre  ? 

l'un  d'eux.  Il  faudrait  que  quelqu'un  remplit  nos 
bourses.  Ecoutez,  camarades;  nue  idée.  Il  y  a  céans 
un  Juif,  dont  les  coures,  si  vous  voulez  bien,  non» 
tireront  de  tout  embarras. 

un  autre.  Eh  !  vite,  à  l'ouvrage  :  enlevons  les 
serrures,  enfonçons  les  pories;  peut-être  l'incurie 
de  ce  Juif  nous  donnera-l-elle  l'occasion  de  quelque 
bon  coup? 

UN  TROisÈME,  à  ses  camarades  qui  se  pressent  trop. 
Ou  lis!  camarades,  plus  doucement  !  Regardez  au- 
tour de  vous  avec  un  peu  plus  de  soin;  un  Juif 
garde  avec  plus  de  précaution  que  personne  les  biens 
pour  lesquels  il  peut  craindre,  et  sans  doute  on  sur- 
veille avec  vigilance. 

(  Arrivés  au  lieu  où  doit  s'accomplir  le  vol.  on  voit  un 
grand  coffre  autour  duquel  tous  se  baissent.) 

le  premier  voleur.  Enlevez  le  plus  vite  possible 
ce  coffre  ;  si  c'est  impossible,  briscz-le  et   videz-le. 
(Les  voleurs  font  des  efforts  inutiles  pour  emporter  le 
coffre.  ) 


481 


m 


DICTIONNAIRE  BBS  MYSTERES. 


JLS 


482 


le  seconb.  Il  faut  le  meure  en  pièces,  puisqu'on 
ne  pont  l'enlever  en  entier. 

LE  troisième  Rapprochant   el  trouvant  la  terrine 
non  fermée.  Ah!  quelle  joyeuse  surprise!  quel  heu- 
reux hasard!  ce  coffre  nous  veut  du  bien,  et  s'ou- 
tre tout  exprès  pour  nous. 
{  Les  voleurs  prennent  tout  ce  qu'il  y  a  dans  le   coffre 

et  s'enfuient.    Le   Juif  arrive  el  s'aperçoit  du  vol 

commis.  ) 

SCÈNE  III. 

le  juif.  Ah!  je  suis  mort!  j'ai  tout  perdu.  Pour- 
quoi ai-je  vécu  ?  0  ma  mère,  ô  mon  cruel  père, 
pourquoi  m'avez-vous  donné  le  jour?  Hélas!  à  quoi 
me  sert  d'être  né  ou  de  vivre?  ô  ma  mère  nature, 
pourquoi  as-lu  conçu  le  dessein  de  mon  existence, 
toi  qui  pouvais  prévoir  mes  malheurs  el  mes  lar- 
mes. Quel  crime  ai-je  donc  commis  pour  cire  pré- 
cipité dans  une  telle  ruine?  moi  si  riche  il  y  a  peu 
de  temps,  à  qui  rien  au  moins  ne  manquait,  ni  l'ar- 
gent, ni  les  vêlements  précieux,  ni  l'or,  me  voici 
dans  la  misère,  et  la  pauvreté  m'est  d'autant  plus 
lourde,  que  tout  va  manquer  à  la  fois  à  mes  ancien- 
nes habitudes,  et  que,  n'en  ayant  jamais  supporté 
l'extrémité,  elle  sera  pour  moi  plus  funeste.  Mais 
quoi' combien  ne  m'élais-je  pas  trompé?  moi,  qui, 
ce  malin  encore,  adorais  le  nom  de  Nicolas!  Lille 
me  coule  cher,  celle  confiance  vaine  dans  I  opinion 
des  Chrétiens;  j'ai  là  une  belle  preuve;  ce  Nicolas 
ne  devaii-il  pas  être  un  autre  moi-même,  et  lont 
surveiller  sans  moi  ?  J'ai  bien  sujet  d'être  dans  l'af- 
fliction et  de  pleurer,  mais  je  ne  pleurerai  pas  seul, 
{au  saint.)  el  crois-le,  je  ne  me  lamenterai  pas  sans 
vengeance.  Je  veux  l'assommer  honteusement  de 
coups  de  fouet  ;  ce  soir  je  suis  fatigué,  et  je  veux  te 
donner  le  répit  d'une  nuit,  mais  si,  demain  malin, 
tu  n'as  pas  réparé  le  mal  arrivé  par  la  faute,  d'abord 
je.  l'accablerai  de  coups,  el  après  le  fouet,  lu  iras 
au  feu. 

SCÈNE  IV. 

mcolas  aux  voleurs  qui  se  partagent  les  dépouilles 
du  Juif.  Eh  bien,  profanes,  que  cachez-vous  là?  ces 
objets  me  sont  connus.  Insensés,  que  partages- tous 
là?  ^nl-ce  vos  biens?  vous  allez  périr.  (Ju'empor- 
tez-YOUB?  a  qui  sont  ces  trésors?  c'est  la  ruse  du  dé- 
mon qui  vous  a  menés?  vous  serez  ensevelis  dans  la 
nuit  du  tombeau.  Misérables!  après  ce  vol,  n'avez- 
vous  pas  compris  quel  châtiment  terrible  vous  vous 
attiriez?  Impudcnls!  je  sais  tout,  tout  ce  que  vous 
avez  ravi  était  dans  une  maison  à  moi  confiée.  Vous 
avez  mis  les  marcs  d'argent  el  ce  lingot  d'or  dans 
ces  étoffes  précieuses.  C'esl  sur  moi  que  retombent 
tos  actions  détestables  el  viles,  ce  son i  vos  forfaits 
qui  vont  m'allirer  des  coups;  el  si,  celle  nuit  même, 
vous  ne  reportez  loul  au  plus  vile,  je  n'en  éviterai 
pas  l'outrage.  Mais  aussi  demain  je  vous  dénonce, 
vous  livre  au  peuple,  el  vous  subirez  justement  le 
châtiment  de  la  potence. 

(Le  saint  se  relire.) 

SCÈNE  V. 

un  des  voleurs.  Autant  la  mort  que  de  lâcher  de 
tels  biens!  Helléchissez  pour  moi  :  je  veux  ma  part. 

un  autre.  L'affaire  est  grave,  n'allons  pas  trop 
vile.  Quant  à  moi,  je  ne  me  pardonnerai  jamais 
d'avoir  rendu  loul  cela. 

le  TitoisÈsiE.  Eh  !  il  vaul  mieux  rendre  et  perdro 
loul,  que  la  vie  à  la  potence. 

tous,  à  la  ''ois.  Retournons  donc  et  rendons. 

SCiïNE  VI. 

lk  juif,  ayant  trouvé  son  trésor.  Ah  !  mes  amis, 

(185)  L'introït  de  la  messe  du  Commun  des  pon- 
tifes commence  par  ces  mois,  selon  le  riie  romain, 
qui  était  le  seul  en  usage  dans  les  monastères.  (Noto 


soyez  contents  avec  nio'.  Tout  ee  que  j'avais  perdu, 
m'est  rendu.  Réjouissons-nous.  Tout  ce  que  mon 
incurie  avait  laissé  s'enfuir  m'est  reveau  par  la 
grâce  de  Nicolas.  Réjouissons-nous.  Glorifions  ca 
serviteur  de  Dieu,  abjurons  nos  inutiles  idoles.  Ré- 
jouissons-nous. Que  l'erreur  soit  chassée  de  nos  es- 
prits !  Méritons  la  protection  de  N  colas.  Réjouissons- 
nous. 

SCÈNE  VII 
tout  le  cnaEUR,  ensemble.  Staluitei  Dominus  (185). 

JULIEN  (  Saint  ).  —  De  Beauchamps  (  Re- 
cherches sur  les  théâtres  de  France;  Paris, 
1735,in-8\  3  vol.,  t.  1",  p.  227)  donne,  dans 
une  liste  de  mystères,  1°  la  mention  de  la 
Vie  de  saint  Julien,  fol.  91,  et  2°  p.  228,  un 
peu  plus  bas,  il  cite  la  légende  de  saint 
Julien. 

JUSTICE  (  La  ).  —  On  n'a  pas  de  manus- 
crit original  du  petit  drame  de  la  Justice. 

L'âge  de  cette  pièce  est  fort  incertain;  il 
semble  qu'elle  remonte  ou  moins  au  xi* 
siècle. 

M.  l'abbé  de  Larue  en  a  cité  une  copie 
du  xii*  siècle  très-altérée,  et  qui,  conservant 
à  peine  la  forme  dramatique,  a  évidemment 
été  retravaillée  par  des  mains  étrangères  ; 
c'est  celle  de  la  Bibliothèque  impériale  qu'il 
attribue  à  Guillaume  Herman.  Au  xm*  siè- 
cle, on  le  retrouve  dans  un  manuscrit  du 
Muséum  britannique,  sous  le  nom  d'Etienne 
de  Langton.  M.  Paulin  Paris,  sous  la  date 
de  ce  même  xmc  siècle,  en  cite  une  autre 
copie  de  la  Bibliothèque  impériale,  qu'il 
veut  être  une  œuvre  originale  de  Robert  de 
Lincoln. 

Parmi  les  œuvres  de  D.  Eurique  d'Aragon, 
marquis  de  Villena,  qui  vivait  au  xv'  siècle, 
on  trouve  une  pièce  dramatique  intitulée  : 
La  Justice,  la  vérité,  la  paix  et  la  miséri- 
corde. Nasarre  dans  son  Prologue  aux  comé- 
dies de  Cervantes,  Velasquez  dans  ses  Ori- 
gines de  la  poésie  castillane  et  D.  Eug.  do 
Ochoa  dans  son  Trésor  du  théâtre  espagnol, 
en  ont  fait  mention  d'après  la  chronique  de 
Fernand  d'Aragon  de  Gonzalo  Garcia  do 
San  la  Maria. 

L'abbé  de  Larue  n'hésite  pas  à  croire  que 
Guillaume  Herman  est  l'auteur  du  débris  du 
xii*  siècle  que  conserve  le  manuscrit  2560 
de  la  Bibliothèque  impériale.  «  Ce  poète, 
dit-il,  n'a  travaillé  que  sur  des  sujets  de  mo- 
rale et  de  religion;  ses  talents  lui  méritèrent 
la  protection  de  l'impératrice  Malhilde, 
tille  du  roi  Henri  I",  et  l'estime  des  hauls 
dignitaires  de  l'Eglise  d'Angleterre  :  du 
moins  il  a  traité  plusieurs  sujets  à  leur  sol- 
licitation, mais  nous  ne  pouvons  rien  dire 
de  sa  famille,  parce  que  dans  ses  ouvrages 

il  ne  fait  connaître  que  son  prénom En 

nous  nommant  les  personnages  marquants 
pour  lesquels  il  écrivait,  il  nous  appnnd 
par  là  nièine  qu'il  vivait  dans  le  xn*  siècle.» 
(L'abbé  de  Larue,  Essais  histor.  sur  les  bar- 
des, tes  jongleurs  et  les  trouvères  normands 
et  anglo-normands  ;  Caon,  Manuel,  183'+,  in- 
8°,  3  vol.,  t.  il,  p.    270.)  Outre  une    Vie   de 

de  M.  l'abbé  La  Boudekm:,  Li  Jus  saint  ISicolai  par 
Jehan  BoDLL,  publié  pai  la  >o  ielé  des  bibliopli  les 
français;  Paris,  in  b°,  l'ièces  join.es,  etc.,  p-  IKS.) 


435 


k  »! 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


KAL 


4GI 


Tobie,  les  Joies  de  Notre-Dame,  les  Trois 
mots  de  l'évêque  de  Lincoln,  l'Histoire  de  ta 
Madelaine  de  Marseille,  et  un  poëme  sur  la 
mort  de  la  sainte  Vierge,  do.it  le  litre  sem- 
ble avoir  été  la  Genesis  et  la  mort  de  Notre- 
Dame  sainte  Marie,  et  un  Roman  des  Sibyl- 
les, on  a  de  lui  une  espèce  de  pièce  dra- 
matique dont  le  sujet  est  pris  d'un  passage 
du  Psalmiste 

«  Cet  ouvrage  du  poêle  Guillaume  (Her- 
man)  est  une  espèce  de  pièce  dramatique 
qu'il  travailla  à  la  demande  de  Guillaume, 
prieurde  Kenilworth.  Le  sujet  est  pris  d'un 
passage  du  Psalmiste  :  La  justice  et  la  paix 
se  sont  embrassées  ;  la  miséricorde  et  la  vé- 
rité se  sont  réunies.  Les  quatre  vertus  sont 
quatre  sœurs  suivant  le  poète  ;  après  la 
chute  du  premier  homme,  elles  se  réunis- 
sent devant  le  trône  de  Dieu;  la  vérité  et 
la  justice  plaident  contre  le  coupable,  la 
miséricorde  et  la  paix  prennent  sa  défense. 
La  promesse  d'un  Sauveur,  qui  satisfera 
pour  l'homme  à  la  justice  divine,  met  d'ac- 
cord les  quatre  sœurs  et  termine  la  grande 
question  du  salut  du  genre  humain.  »  (L'abbé 
de  Lakue,  lissais  hist.  sur  les  bardes,  les 
jongleurs  et  les  trouvères  normands  et  anglo- 
normands  ;  Caen,  Mancel,  1834,  in-8°,  3  vol., 
t.  II,  p.  279.  ) 

Mais  ce  fragment,  tout  en  étant  l'œuvre 
évidente,  selon  M.  l'abbé  de  Laruo,  de  Guil- 
laume Herman,  ne  serait  qu'un  épisode, 
retouché  particulièrement,  de  la  Vie  de  Tobie 
du  même  auteur. 

Quant  au  poëme  conservé  dans  .e  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  de  la  Société  royale 
de  Londres  (Ils.  de  Norfolch,  n"  292),  l'abbé 
de  Larue  lui  donne  pour  auteur  Etienne  de 
Langton  qui  vécut,  enseigna  à  Paris,  fut 
archevêque  de  Cantorbéry  en  1207,  et  dans 
la  suite  cardinal  du  titre  de  Saint  Cbrysogon. 
Le  même  manuscrit  renferme,  outre  le 
poëme  de  la  Justice,  un  sermon  latin  qui 
débute  par  un  couplet  en  langue  romane  du 
Nord. 

Ces  deux  attributions  de  l'abbé  de  Larue 
sont  infiniment  spécieuses;  néanmoins  elles 
ont  été  adoptées  par  de  Roquefort,  M.  Ma- 
gnin  et  M.  O.  Leroy. 

L'abbé  de  Larue  cite  de  l'œuvre  d'Etienne 
de  Langton  les  deux  fragments  suivants: 

FRAGMENT  N°  I. 

Miséricorde  ki  esloit 

Des  liltes  ke  H  rois  uvoil 

La  pins  duce  el  la  plus  amec, 

K  .il  iiien  scient  la  plus  aiusnéc... 

De  maintenant  sans  retenu: 

Est  devant  SU  H  père  venue 

Bel  père,  fel  ele,  merci , 

Tel  dolur  ai,  jo  vous  alli, 

Del  hume  inalerus  dolent 

A  poi    ke  mun  quor  i.e  se  te  ni  ; 

Rel  père  que  volez  vus  lire! 


Coinandez  le  de  la  mari  livre; 
S'il  remaint  en  cesle  mauere, 
Dunke  vusneslespas  mon  père. 
Je  suis  voslre  lille  pur  veir 
Ma  prière  vus  deit  inuver 
Si  ma  prière  ne  vus  mot 
Tut  le  monde  failir  estol. 
Vus  ne  devez  pas  escundire 
Ke  ne  li  pardunez  voslre  ire; 
J^e  ne  devez,  ne  ne  poez 
Ne  par  resun  ne  le  volez  , 
Kar  vus  ne  volez  mile  chose 
E  je  ne  seies  iule  enclose. 

n°    2. 

Bel  père,  let  miséricorde  , 
Si  paix  ne  fel  nue  concorde  , 
Rel  père,  ke  dune  ferez  vus 
Si  nus  parlun  issi  de  vus  , 
Ki  vus  purra  conseilles  mes? 
Si  vus  miséricorde  et  paix 
Laissez  issi  île  vas  partir 
Tul  le  munde  convenl  périr. 

Le  savant  auteur  des  Manuscrits  françois 
de  la  Ribliothèque  du  roi,  M.  Paulin  Paris,  a, 
comme  nous  l'avons  dit,  signalé  dans  !e 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
li"  7268  SAS,  vol.  in-4°  parvo  de  162  feuillets 
vélin  et  10  feuillets  papier,  f*  99,  exécuté  en 
Angleterre,  à  la  fin  du  xme  siècle,  un  autre 
débris  du  drame  de  la  Justice.  Il  y  est  inti- 
tulé :  Traité  de  la  chute  de  V homme  et  de  sa 
Rédemption,  d'après  Hugues  Grossetéte,  étê- 
que  de  Lincoln.  11  est  plus  complet  dans  le 
manuscrit  de  Paris  que  dans  celui  du  Muséum 
britannique,  M.  de  Larue  n'ayant  compté 
dans  ce  dernier  que  1740  vers,  et  M.  Paulin 
Paris  en  comptant  plus  de  1800.  Quel  est 
l'auteur  de  ce  poëme  ou  plutôt  de  ce  drame, 
dont  il  ne  nous  reste  que  des  débris?  Robert 
de  Lincoln  qui  mourut  en  1133?  L'abbé  de 
Larue,  M.  Daunou  (Hist  littéraire,  t.  XVIII, 
p.  442),  y  ont  consenti,  quoique  Robert  soit 
aussi  auteur  d'un  poëme  latin  sur  le  même 
sujet,  dont  celui-ci  pourrait  n'être  que  la 
traduction  française  dramatisée.  M.  Paulin 
Paris  se  range  lui-même  à  cel  avis,  et  rap- 
pelle en  terminant  qu'on  retrouve  le  même 
sujet  dès  1140,  dans  lesCommentaires  lat  ns 
de  Hugues  de  Saint-Victor  sur  le  psaume  xv 
(V.  Hist.  lilt  ,  t.  XII,  p.  9)  ;  il  est  déjà  in- 
diqué dans  la  chanson  d'Antioche,  et  sans 
doute  il  est  «  l'origine  de  ces  belles  scènes 
de  nos  mystères  du  xiv*  siècle,  dans  lequel 
le  procès  de  la  destinée  humaine  est  exa- 
miné et  décidé  devant  le  trône  du  Très- 
Haut.  »  (P.  Paris,  Mss.  fr.  de  la  R  du  roi; 
Paris,  1848,  in-8u,  t.  Vil,  p.  201.) 

Avant  M.  P.  Paris,  M.  Onés.  Leroy,  dans 
les  Epoques  de  l' hist.  de  France  (Paris,  1843, 
in-8%  p.  211),  avait  considéré  celte  «  scène 
imposante  »  comme  une  des  pierres  d'at- 
lenle  jetées  ça  et  là  du  grand  mystère  de 
la  Passion.  —  Voy.  Passion,  II,  §  4. 


li 


KALCANDACH  (Le).— Le  Kalcandach  est 
une  des  formulés  de  la  fête  des  Fous  et  l'un 
des  noms  ce  la  fêle  des    Calendes  dans   le 


Nord.  (Cf.  Pu  Gange,  Gloss.  inf.  et  med.  lat.. 
éuit.  Hen-chell;  Paris,  18V0,  in-4%  G  vol., 
V"  Kalendiv.)  —  Voy.  Fête  ni:s  Fols. 


483 


I.AU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


I.AZ 


5  S': 


LAS  D'AMOUR  DIVIN  (Le).  — x\i'  siècle, 

—  «  LeLas  damour  divin  dialogue  en  rime, 
où  sont  introduits  parlant,  Jésus,  l'Ame, 
Charité,  Vérité,  bonne  Inspiration,  les  Pé- 
cheurs, Justice,  les  Filles  de  Sion,  in-4°,  sans 
date;  Paris,  Félix  Balligault.  »  (De  Beau- 
champs,  Recherches  sur  les  théâtres  de  France, 
Paris,  1735,  iu-8",  3  vol.,  I.  Pr,  p.  230.)— 
«  Le  Las  d'amour  divin,  moralité  avec  un 
prologue  et  à  8  personnages;  Rouen,  Tho- 
mas l'aîné,  in-8°  golh.  —  Le  même.  Paris, 
Félix  Balligault,  in-4-0  gotli.—  Cet  ouvrage 
est  divisé  en  deux  parties.  Dans  la  première, 
Charité  invite  Jésus  à  épouser  l'Ame.  Jésus 
y  consent,  et  charge  Charité  d'aller  la  pré- 
venir et  de  lui  recommander  de  se  préparer 
par  la  pénitence  et  par  d'autres  vertus  à  le 
recevoir.  Charité  s'acquitte  de  cette  com- 
mission* Justice  veut  s'opposer  à  celte  union 
qui  lui  semble  dégrader  la  majesté  divine. 
Charité  remporte  la  victoire,  et  Jésus  déclare 
a  YAme  qu'il  est  prêt  de  s'unir  avec  elle. 
Dans  la  deuxième,  l'Orne,  désolée  de  ne 
point  voir  Jésus,  en  demande  des  nouvelles 
aux  Filles  de  Sion,  qui  lui  apprennent  les 
tourments  qu'il  endure  pour  elle,  qu'il  a  été 
conduit  chez  Pilate,  qu'on  le  flagelle,  etc. 
L'Ame  impatiente  vole  vers  son  bien-aimé, 
et  veut  le  dissuader  de  mourir.  Les  pécheurs 
interrompent  cette  conversation  et  deman- 
dent Jésus  pour  le  crucifier.  L'Ame  t'ait  de 
longues  et  douleureuses  complaintes  sur  la 
passion  du  Sauveur;  elle  veut  pénétrer  jus- 
qu'à lui,  et  trouve  toutes  les  issues  fermées. 
Enfin  Charité  l'a  conduit  à  Jésus  qui  la  reçoit, 
et  s'unit  pour  toujours  avec  elle.  »  (Biblio- 
thèque du  théâtre  français,  ouvrage  attribué 
au  duc  de  La  Valliôre  ;  Dresde,  1768,  in-8% 
3  vol.,  t.  1",  p.  15.) 

LAURENT  (Saint).  —  xvi*  siècle.  —  De 
Beauchamps  attribue  à  Gaucher  de  Sainte- 
Marthe  le  Martyre  de  saint  Laurent.  (Re- 
cherches sur  les  théâtres  de  France  ;  Paris, 
1775,  in-8",  3  vol.,  t.  1",  p.  291.) 

On  en  trouve  l'analyse  suivante  dans  la 
Bibliothèque  du  théâtre  français  : 

«  La  Vie  de  monseigneur  saint  Laurent,  à 
50  personnages,  avec  le  martyre  de  monsei- 
gneur saint  Hypolite;  Paris,  Alain  Lotrian, 
et  Denis  Janot,  in-i°  golh.  —  L'empereur 
Philippe  fait  sommer  le  roi  de  France  de 
venir  lui  rendre  hommage  comme  son  vas- 
sal Celui-ci  refuse  d'y  souscrire,  prétendait 
qu'il  ne  tient  sa  couronne  \pie  de  Dieu  seul. 
La  guerre  se  déclare  entre  les  deux  prin- 
ces, ils  lèvent  des  troupes;  leurs  armées 
se  rencontrent  auprès  de  Cologne  et  se  li- 
vrent une  sanglante  bataille.  Les*  Français 
ont  d'abord  l'avantage;  Les  vaincus  revien- 
nent à  la  charge  et  remportent  la  victoire; 
mais  après  celle  action,  chacun  retourne 
dans  son  pays.  — Alors  Servant  etClaudie, 
j'ère  et  mère  de  saint  Laurent ,  lui  donnent 
\n  maître  d'école.  Le  Pape  Sixte,  oui  voya- 


geait en  Espagne,  vient  les  visiter...,  dîne 
avec  eux,  et  emmène  à  Rome  le  jeune  Lau- 
rent, auquel  il  donne  la  confirmation,  et 
successivement  les  ordres  saci es,  jusqu'au 
diaconat.  Cependant  Décius,  général  romain, 
conspire  contre  l'empereur,  l'assassine  dans 
son  lit,  fait  tuer  son  fils  ,  usurpe  le  tiône, 
et  persécute  les  serviteurs  de  Jésus-Christ. 
Le  Pape  Sixte  est  condamné  à  mort,  ainsi 
que  plusieurs  autres  Chrétiens.  Laurent  , 
enfermé  dans  une  prison,  y  fait  des  miracles, 
et  convertit  différentes  personnes.  Enfin  il 
soulTre  le  raarly;  e  le  plus  cruel.  On  le  brûle 
tout  en  vie,  sur  un  gril.  Les  anges  portent 
son  Ame  en  paradis.  —  Hippolyte,  grand 
prévôt  de  l'empire,  qui  avait  été  baptisé 
par  saint  Laurent,  soutire  aussi  le  martyre 
avec  toute  sa  famille  et  plusieurs  nouveaux 
convertis.  »  (Bibliothèque  du  théâtre  fran- 
çois...,  ouvrage  atlribuéauduc de  La  Valliôie; 
Dresde,    17(58 ,   in-8°,  3  vol.  t.  l",p.   16.) 

LAZARE  RESSUSCITÉ  (Saint).  —  Le  La- 
zare ressuscité  est  tiré  du  Manuscrit  de  Sainl- 
Benoît-sur-Loire,  de  la  Bibliothèque  d'Or- 
léans. Voy.  Benoît-sur-Loire  (Manuscrit  de). 
Ce  précieux  recueil,  qui  da'e  du  xnr  siècle, 
nous  a  conservé  dix. mystères,  antérieurs 
très-certainement  à  leur  copie,  et  qu'on  a 
reportés  généralement  jusqu'au  xi*  siècle. 

Dans  son  cours  professé  à  la  Faculté  des 
lettres  en  1835,  M.  Magnin,  examinant  le 
Lazare  du  Manuscrit  de  Saint- Benoît- sur- 
Loire, exprima  l'opinion  que  ce  drame  avait 
dû  être  représenté  surtout  aux  funérailles, 
dans  le  dessein  de  rappeler  fréquemment 
aux  esprits  la  croyance  à  l'immortalité  do 
l'âme  (Cf.  Journ.  gén.  de  Vlnslr.  publ.,  13 
sept.  1835,  2'  semestre,  vr  article,  p.  478.) 

SAINT  LAZARE  RESSUSCITÉ, 
PERSONNAGES. 


JESUS-CHRIST. 

SIMON. 

MARIE  MAGDE1.EINE. 


de 


LA7AKK. 

LES  DISCIPLES. 

JUIFS. 

MESSAGERS. 


marie,         |   sœurs   d 
marthe,      (     Lazare, 

SCÈNE  I  \ 

Ainsi  commence  le  poème  de  la  résurrection  de 
Lazare. 

Un  voit  arriver  d'abord  Simon  avec  quelques  Juifs 
.i  entre  d;ins  sa  maison.  Jésus-Chri>l  vient  ensuite 
sur  l.i  place  .  ses  disciples  chaulent:  In  Sapienti.t 
disponena  omnia,'clç.  (Sap.,  xv,  I),  ou  Mnne  prima 
Subbu  i, elc.  (Marc,  xvi.)  Simon  s'approche  de  Jésus, 
et  l'invite  à  entrer  dans  sa  demeure. 

simon.  Que  votre  grandeur  daigne  s'abaisser  jus- 
qu'à mon  humble  personne!  Accordez-moi  un  bon- 
heur bien  souhaite;  laites-moi  la  grâce  de  re  evoir 
ici-dedans  mou  hospitalité. 

jésus  à  ses  disciples.  Vous  avez  entendu,  mes  chers 
frères;  il  l'an l  écouler  la  requête   d'un   ami  dévoue. 
Entrons  sous  son  toit,  et  que  le  voeu  de  Simon  soit 
satisfait. 
(Simon  introduit  Jésus  dans  sa  maison.  La  table  est 

mise,  lorsque  arrive  sur  la  place,  en  habit  de  cour- 

tistntr.e,  Marie  qui  tombe  aux  pieds  du   Seigntur. 


487 


LAI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

Si    HIC   HOMO     ESSET 


LAZ 


488 


•Simon  ,    indigné,   dit  tout  bas 
a  Deo...  [Luc.  vu.  59.]) 

•jésus  à  Simon.  Simon,  j'entends  que  tu  parles  o  il 
bas,  et  je  sais  certainement  la  pensée. 

simon.  Maître,  comme  il  vous  plaira  ;  je  suis  prêt 
à  cnlendre  vos  paroles. 

jesus.  Un  homme  avait  deux  débiteurs  ;  l'un  de- 
vait plus  que  l'autre  à  leur  commun  créancier. 
Comme  ni  l'un  ni  l'autre  ne  pouvaient  p;iyer,  il  leur 
lit  à  tous  deux  remise  Je  la  dette.  Maintenant,  cher- 
che dans  ton  esprit  lequel  des  débiteurs  dut  avoir 
Je  plus  de  reconnaissance  au  créancier  ? 

simon.  Docteur  aimé,  je  suis  d'avis  que  celui-là 
qui  devait  plus  eut  d'autant  plus  de  raison  d'aimer 
Sun  créancier. 

jesus.  Tu  n'as  été  que  trop  bon  appréciateur.  Eh 
bien,  Simon,  en  quoi  ai-jc  failli  à  ton  propre  juge- 
ment? Tu  le  dis  en  toi-même  que,  connaissant  celle 
femme,  je  ne  lui  permettrais  pas  de  m'approcher. 
Mais,  cher  hôte  de  céans,  elle  n'a  arrosé  ,  ni  d'eau 
mes  pieds,  ni  d'huile  malëte;  elle  a  baigné  mes  pieds 
de  ses  larmes,  elle  a  répandu  sur  ma  tète  les  par- 
fums les  plus  précieux. 

jesus  à  Marie.  O  femme,  tu  as  beaucoup  aimé  ; 
mais  les  pleurs  ont  lavé  les  péchés;  telles  sont  les 
verlus  de  l'aveu  de  les  lèvres  et  du  repentir  de  ton 
cœur. 

(Marie  ne  lève  et  reste  immobile.  Jésus  se  relire  avec 
ses  disciples.  Il  arrive  en  Galilée  et  s'arrête  en  un 
lieu  préparé  pour  lui.  Les  Juifs  sont  rentrés  dans 
Jérusalem,  et  Jésus  devant  revenir  en  scène,  pour 
consoler  les  deux  sœurs,  à  peine  a-l-il  eu  quitté  In 
maison  de  Simon,  qu'on  a  mis  à  la  place  de  ce  lieu 
celui  de  liithenie.  Marthe  paruil.  Ces!  le  moment 
oh  Lazare  est  déjà  gravement  malade.) 

SCÈNE  II. 

martue.  Chère  sœur  ,  l'affreuse  maladie  de  mon 
trère,  csl,.je  le  crains,  sans  remède  ;  pour  lui  ren- 
dre la  santé,  il  ne  rcsle  plus  que  nos  prières  à  noire 
l'ère.  C'est  notre  seul  protecteur,  noire  unique  con- 
solation, mais  il  n'est  pas  ici  ;  c'est-à-dire,  son 
corps  n'est  pas  ici,  car  il  a  le  pouvoir  d'être  partout 
en  même  temps. 

marie»  Il  faul  lui  envoyer  un  exprès,  lui  demander 
secours  ;  il  nous  aidera.  Si  notre  malheur  parvient 
jusqu'à  lui ,  notre  chagrin  sera  bien  vite  apaise. 
Quoiqu'il  n'y  ail  rien  de  secret  pour  lui  nu  Me  pari, 
il  faut  pour.anl  qu'il  voie  bientôt  notre  exprès  im- 
plorant sa  clémence,  afin  que  lui-même  paraisse 
en  personne  auprès  de  nous.   {Aux  messagers.)  Ex- 

firès,  allez  de  suite  auprès  de  Jésus  et  portez-lui  à 
ui-iuême  ce  message:  nous  le  pions  de  nous  en- 
tendre et  de  venir  guérir  son  frère  malade.  C'est 
par  vous  que  ce  bon  père  apprendra  de  quelle  tris- 
tesse est  remplie  sa  famille,  cl  par  sa  puissance, 
s'allégera  le  fardeau  d'un  si  grand  mal. 

les  exprès  à  Jésus.  SjIui  ,  Jésus,  rédempteur 
universel.  Voici  une  nouvelle  que  nous  apportons 
jusqu'à  toi;  écoule.  Considère  le  désespoir  de  ces 
femmes,  ne  repousse  pas  leurs  prières  ,  exauce-les. 
Leur  fivre  est  au  lil ,  gravement  malade:  guéris  le. 
Viens  en  personne  auprès  des  lieux,  chasse  le  mal  ; 
voici  le  sujet  «le  notre  mission. 

Jésus  aux  messagers.  Oui,  j'irai,  mais  l'heure  n'est 
pas  venue,  le  mal  ne  louche  point  encore  à  la  mort,  et 
Lazare  s'en  tirera.  Quand  je  donnerai  mon  aide  au 
malade,  le  trouble  et  la  stupeur  pénétreront  l'aine 
de  quiconque  sera  présent.  (A  ses  discijites.)  Je  me 
réjouis  à  cause  de  vous  de  la  maladie  de  Lazare. 
Combien  de  jours  ne  me  suis-je  pas  plaint  de.  votre 
manque  de  foi  !  Eh  bien,  mettez  bas  la  dureté  de 
votre  cœur,  et  admirez  la  puissance  du  Chrisi. 

SCÈNE  III 
les  juifs  en  roule  pour  consoler    es  sœurs.  Allons 
auprès  de  Marie  et  de  Marthe,  pour  entendre  leurs 


plaintes,  partager  leur  douleur,  el  autant  qu'il  nous 
sera  possible,  consoler  leur  désespoir  à  cause  de 
leur  frère. 

marie  et  Marthe,  en  présence  des  J uifs  à  l'agonie 
de  Lazare.  Qu'il  a  lardé,  notre  unique  refuge,  notre 
unique  espoir!  Il  est  trop  tard!  Hélas!  hélas  !  nous 
Pavons  attendu  en  vain.  La  volonté  de  Dieu  était- 
elle  donc  qu'il  ne  fût  pas  guéri?  Notre  frère  se  meurt; 
son  corps  esl  soumis  à  la  loi  de  dissolution  mortelle. 
Quel  malheur  lombe  sur  nous,  el  comment  suppor- 
ter la  vue  d'une  fin  si  pénible  et  si  cruelle  ?  (Hier 
frère,  frère  bien-aimé,  tu  as  déjà  subi  la  funeste  loi  " 
delà  mort,  lu  nous  as  laissées,  et  c'est  à  cause  du 
péché  du  premier  homme  que  lu  as  mérité  le  tour- 
ment de  ce  péché  un  versel. 

les  juifs,  les  consolant.  Ne  vous  courbez  pas  sous 
une  telle  infortune  dans  de  tels  événements,  il  y  a 
toujours  quelque  consolation.  Nous  sommes  venus 
nous  1  intenter  avec  vous,  mais,  à  notre  sens,  ce  n'est 
point  ain.-i  que  doit  être  pleuré  le  défunt.  Nous 
sommes  tous  mortels  ;  le  glaive  de  la  mort  fait  sen- 
tir sa  pointe  chez  tous  les  peuples.  Nous  n'arrivons 
à  la  vie  qu'à  la  condition  de  la  mort,  et  il  faut  quit- 
ter un  jour  la  prison  honteuse  de  la  chair.  Aussi 
pourquoi  pîeun-r  le  trépas  d'un  fiè:e  aimé?  il  faut  se 
réjouir  de  sa  délivrance.  Il  est  quille  de  bien  des 
supplices,  il  vient  d'échapper  à  tous  les  maux  que 
les  autres  ont  encore  à  subir. 

les  soeurs.  O  bon  frère!  comme  lu  nous  laisses 
liistes  et  désolées  aujourd'hui!  Que  dire?  Nos  en- 
nemis vont  nous  assaillir  sans  cesse,  nous  dépouiller 
de  nos  biens.  Cher  frère,  Lazare  aimé,  nous  pleu- 
rons avec  loi  noue  intérieur  si  dissemblable  désor- 
mais. Nous  -sommes  jalouses  de  la  mort  qui  l'a  ar- 
raché à  nous  el  ne  nous  a  pas  emportées  avec  loi. 

les  juifs.  Sans  doute  voire  frère  ne  lèvera  plus 
son  bouclier  pour  vous  dans  les  assauts  de  vos  en- 
nemis, mais  il  ne  vous  a  pas  abandonnées  sans  ap- 
pui; le  souverain  Père  sera  désormais  votre  protec- 
tion. Ne  voyez-vous  pas  que  tel  était  le  bon  plaisir 
de  Dieu,  el  que  lui-même  a  voulu  la  mort  de  votre 
frère.  Que  peut  notre  misère  contre  la  volonté  el  la 
puissance  du  Seigneur?  Prions-le  bien  humblement 
d'accorder  la  vraie  vie  à  l'ànie  de  votre  frère,  alin 
qu'il  soit  placé  sur  les  trônes  des  cieux,  dans  la  féli- 
cité et  L>  repos  éternels. 

SCÈNE  IV. 

jésus,  marchant,  parle  à  ses  disciples.  Allons,  cette 
fois,  en  Judée,  réveiller  Lazare  qui  doi  I,  et  rassurer 
ses  sœurs  accablées  de  maux  el  de  douleur. 

les  disciples.  Pourquoi  aller  en  Judée!  Vous  n'i 
gnorez  pas  que  les  Juifs  vous  cherchent  pour  vous 
perdre.  Esl-ce  votre  humeur  que  tel  ou  tel  se  fasse 
gloire  d'avoir  contribué  à  votre  ruine. 

jésus.  Il  ne  vous  appartient  pas  de  me  donner 
des  avis;  c'est  à  vous  d'obéir  à  mes  paroles.  La  ver- 
tu de  Dieu  dont  le  Christ  esl  encore  couvert,  sera 
plus  éclatante  en  Judée  même  parmi  les  Juifs. 

Thomas.  Suivons-le,  el  laissons-le  à  son  libre  ar- 
bitre ;  allons  vile  avec  lui  en  Judce  au  risque  même 
de  la  vie. 

(A  l'approche  de  Jésut,  un  des  messagers  prend  les 
devants  pour  prévenir  Marthe. 

le  messager.  Votre  bonheur  arrive  ;  voici  le  sau- 
veur des  peuples;  nous  l'attendons;  vos  chagrins 
vont  s'adoucir,  el  le  malade  sera  délivré  par  lui. 

marthe  accourt  au-devant  de  Jésus  et  tombe  à  ses 
pieds.  Mon» frère  a  été  pris  auiiacieuscment  par  la 
mort.  Ah  !  vous  présent,  il  vivrait  encore  sous  mes 
yeux.  Nous  connaissons  voire  puissance,  nos  cœurs 
ont  foi  absolue  en  vous:  vous  êtes  Dieu.  Nous  sa- 
vons que  Dieu  vous  donnera  tout  ce  que  vous  de- 
manderez el  tout  ce  cpie  vous  voudrez.  Aussi  ,  si 
vous  voulez  vous  employer,  mon  Ircre  ressuscitera 
du  milieu  des  morts. 


489 


LAZ 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


LAZ 


490 


jesds.  Espère  la  vie  de  Ion  frère,  tu  dois  et  lu 
peux  croire  à  sa  résurrection.  Car,  sache-le,  qui- 
conque aura  foi  en  moi,  ou  nie  cédera,  ne  mourra 
pas. 

marthe.  Oui,  c'est  ma  croyance  profonde,  mon 
frère  revivra  prochainement,  dans  ce  jour  où,  au 
Iirnil  du  dernier  jugement,  la  chair  des  nations  sera 
tirée  de  ses  cendres. 

jésus.  Je  suis  voire  résurrection,  et  jamais  la  dé- 
sespérance n'entre  parmi  ceux  dont  l'esprit  est  tout 
cnlier  au  service  de  mon  Père.  Va,  appelle  de  suite 
Marie,  et  conduisez-moi  aussitôt  au  tombeau  de  vo- 
tre frère.  C'est,  devant  tout  le  monde,  que  doit  pa- 
raître plus  éclatante  la  vertu  supérieure  de  mou 
Père. 

marthe  approche  de  sa  sœur  ,  et  lui  dit  dans  l'o- 
reille: Le  maître  te  demande. 

(Marie  sort  de  la  maison.) 

les  juifs.  Le  sein  de  Marie  est  bien  ngité  :  l'in- 
fortunée va  pleurer  au  tombeau.  Il  ne  faut  pas  la  laisser 
dans  celle  désolation  qui  met  ses  jours  en  danger. 

(Ils  la  suivent  ;  elle  les  précède  et  se  jette  aux  pieds 
du  Seigneur.) 

marie.  0  source  très-douce  de  bonté,  nos  cœurs 
sont  bien  tristes  à  cause  de  notre  frère.  En  votre 
absence,  la  mort  a  osé  pënélrer  ici  et  nous  enlever 
notre  frère.  Ayez  pitié  de  nous,  par  grâce  ;  nous 
n'avons  de  secours  à  attendre  que  de  vous  seul. 
Ayez  pitié  de  nous  tous;  ayez  pitié,  vous  qui  avez 
charge  de  consolation. 

jésus  frémissant  et  pleurant.  Conduisez-moi  au 
tombeau  et  montrez-moi  l'endroit  de  la  sépulture. 
Je  suis  louché  de  votre  malheur;  vos  soupirs,  vos 
ennuis  m'ont  ému. 

un  des  juifs  présents,  frappé  de  surprise.  JN'esl-ce 
pas  celui  qui  a  rendu  la  lumière  à  l'aveugle?  n'avait- 
il  donc  pas  aussi  le  pouvoir  d'écarter  la  mort  loin 
du  malade?  Mais  lui  qui  a  établi  une  religion  parmi 
les  peuples,  comment  a-t-il  le  ilessein  de  ne  pas  cé- 
der aux  prières  des  deux  sœurs? 

jésus  entrant  dans  le  tombeau.  Ecartez  de  suite 
celle  pierre,  ouvrez  le  cercueil.  Vous  verrez  des 
miracles,  et  dans  un  instant  vous  glorifierez  le  nom 
de  Dieu. 

marthe.  11  y  a  déjà  deux  jours  qu'il  est  là  ,  son 
cercueil  exhale  l'odeur  fétide  de  la  chair  pourrie. 

jésus.  Ne  désespérez  pas,  vous  verrez  la  gloire  de 
Dieu  le  Père  et  la  puissance  de  son  Fils. 

(Les  yeux  levés  vers  le  ciel,  Jésus  prie.) 

jésus.  0  Dieu,  dont  on  m'affirme  la  Vertu  et  le 
Fils  éternel  et  non  produit  dans  le  lemps,  il  faut 
que  tu  honores  ton  Fils,  et  que  tu  glorifies  mon  nom. 
(A  Lazare.)  Je  te  dis  à  voix  intelligible:  Sors  d'ici- 
bas  et  réjouis  le  cœur  de  les  parenis.  Sois  désor- 
mais le  désespoir  de  mes  ennemis  et  le  plus  sûr 
lemoin  pour  ceux  qui  doutent. 

(Lazare  se  relève.) 

Jésus  à  ses  serviteurs:  Il  s'est  levé,  olez-Iui  les 
linges,  pour  qu'il  puisse  marcher.  D'où  vient  votre 
stupeur?  Tout  est  possible  à  Dieu,  et  ceci  n'en  est 
que  h  preuve. 

le  choeur.  Te  deum  laudamus,  etc. 

LAZARE  (La  Résurrection  de)  d'Hilairc. 
—  La  Lazare  d'Hilaire,  disciple  d'Aboi  lord, 
esl  conservédans  le  manuscrit  des  OEuvres 
de  cet  auteur,  qui,  connu  depuis  1616,  a 
passé,  en  1837,  de  la  Bibliothèque  de  Hosny 
dans  le  riche  dépôt  de  la  Ribliolhôquc  im- 
périale. 

Celie  pièce  appartient  a  la  première  moi- 
tié du  xir  siècle. 

M. Champollion-Figeac  l'a  éditée,  pour  la 
Dictionn    des  Mystères. 


premiôro  fois,  en  1838,  parmi  les  œuvres 
d'Hilairc  :  Hilarii  versus  etludi;  Paris,  Té- 
chener,  1838,  in-8%  de  x.v-61  pages. 

L'éditeur  a  noté  la  singilarité  précieuse 
soit  des  didascalies,  soit  des  farcitures  du 
langage  mi-latin,  mi-français. 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  Vhist. 
de  France  (Paris  ,  Hachette,  1843,  in-8% 
p.  79),  en  la  cité  un  fragment.  II  est  d'avis 
que  ce  drame  fut  représenté  et  que  les 
rôles  de  Marthe  et  de  Madeleine  furent 
joués  par  des  femmes. 

Nous  en  donnons  une  traduclion  aussi 
littérale  que  possible.  —  Voy.  Hilaire,  dis- 
ciple d'Abailard. 

(//  faut  pour  cette  représentation  les  personnages  sui- 
vants.) 


LAZARE. 

SES  deux  soeurs. 

QUATRE  JUIFS. 


JESUS-CHRIST. 
DOUZE  APÔTRES, 

moins. 
I. 


ou  six  au 


(Lazare  étant  malade,  ses  deux  sœurs,  Marte  et 
Marthe,  suivies  de  quatre  Juifs,  apparaissent  en 
pleurs;  elles  se  placent  auprès  de  son  lit  et  chuntent 
ainsi  :  ) 

marie  et  marthe.  0  sort  triste ,  ô  sort  dur,  que 
ta  colère  est  lourde!  c'est  loi  qui  accables  de  celle 
maladie  noire  frère ,  noire  amour.  Noire  frère  est 
malade,  il  nous  inspire  de  sérieuses  inquiétudes. 
Mais,  ô  Dieu,  aie  pitié  de  nous,  loi  qui  peux  gué- 
rir. 

les  juifs,  pour  les  consoler.  Très-chères  sœurs, 
ne  pleurez  pas,  ce  n'est  pas  ici  qu'il  ne  fan i  que 
songer  à  pleurer  ,  priez  plutôt  Dieu  et  demandez  la 
santé  de  Lazare. 

marie  et  marthe  aux  Juifs.  Frères ,  allez  vers  le 
souverain  médecin  .allez  vile  vers  l'unique  roi;  dites- 
lui  que  notre  frère  est  malade;  qu'il  vienne  et  qu'il 
lui  rende  ses  forces. 

II. 

les  juifs,  arrivés  auprès  de  Jésus.  C'est  vous  qui 
aimez  celui  qui  est  gravement  malade;  on  nous  a 
donné  ordre  de  venir  en  toute  hâte  auprès  de  vous. 
0  médecin  souverain,  visitez  notre  malade,  et  pour 
voire  service,  rendez-lui  santé. 

Jésus.  Celle  maladie  de  mon  frère  ne  sera  pas 
mortelle  pour  lui  ;  mais  il  faut  qu'en  lui  je  vous 
montre  manifestement  Dieu. 

III. 

(A  leur  retour,  Lazare  est  mort ,  deux  des  Juifs  con- 
[duisenl  Marie  auprès  du  cadavre.  Elle  chante.) 

marie.  La  faute  antique  condamne  tonte  l'huma- 
nité à  la  mort.  0  douleur!  mon  frèro  est  mort 
maintenant;  voilà  le  motif  de  mes  pleurs!  Un  ali- 
ment défendu  nous  coûte  cette  morl ,  fardeau  énorme. 
0  douleur!  mon  frère  est  mort  maintenant  ;  voilà 
le  motif  de  mes  pleurs!  Quelle  misère  pour  moi  et 
pour  ma  sœur  dans  le  trépas  de  notre  frère!  0 
douleur!  mon  frère  est  morl  maintenant,  voilà  le 
moi  if  de  mes  pleurs!  0  mon  frère,  quand  nia  pensée 
s'arrête  sur  toi ,  combien  mon  désespoir  n'est-il  pas 
juste?  ô  douleur!  mon  frère  est  mort  mainte  aut , 
voilà  le  motif  de  mes  pleurs. 

les  deux  juifs,  poui  la  consoler.  Cesse  de  gémir 
ainsi ,  suspends  les  ennuis,  réprime  tes  soupirs,  ce 
désespoir  extrême,  ces  cris,  ces  pleurs,  sont  vains. 
Les  larmes  n'ont  jamais  rappelé  l'àme  dans  aucun 
cadavre.  Reliens  donc  ces  pleurs  tout  à  fait  inutiles 
pour  los  moi  is. 

16 


491 


LA-Z  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

ÎV. 

(Survient    Marthe  avec  les  deux  attires  Juifs;   elle 


LOU 


m 


chaule.) 

marthe.  0  mort  exécrable!  ô  mort  délestée!  ô 
mon  qui  fait  couler  les  larmes.  Qu'on  me  laisse!  je 
suis  trop  malheureuse  !  Et  puisque  mon  frère  est 
mort ,  pourquoi  lui  survivrais-je?  c'est  ce  trépas  de 
mon  frère,  si  terrible,  si  inattendu ,  qui  m'arrache 
ces  cris.  Qu'on  me  laisse!  Je  suis  trop  malheureuse! 
Et  puisque  mon  frère  est  mort,  pourquoi  lui  survi- 
vrais-je? Au  lieu  de  mon  frère,  je  ne  refuse  pas  la 
mort;  je  ne  la  crains  pas!  Qu'on  me  laisse!  Je  suis 
trop  malheureuse!  Et  puisque  mon  frère  est  mort , 
pourquoi  lui  survivrais-je?  Puisque  mon  frère  est 
mort,  je  repousse  la  vie.  Malheur  à  moi  !  Malheur! 
laissez-moi!  Malheur!  mon  frère  n'esl-il  pas  mort? 
pourquoi  lui  survivrais-je? 

les  deux  juifs  pour  la  consoler.  Nous  l'en  prions  , 
tais  toi ,  essuie  les  pleurs.  Cela  ne  nous  est  d'aucun 
profit  de  gémir  ainsi.  Il  faudrait,  sans  doute,  pleu- 
rer ,  pleurer  sans  relâche,  si  nos  larmes  rendaient 
la  vie.  Mais,  lout  en  le  faisant  du  mal,  tu  ne  réflé- 
chis pas  que  le  mort  n'en  profile  de  rien.  Pourquoi 
ne  réfléchis-tu  pas  (pie  tout  cela  lui  est  complètement 
iuulile  pour  vivre  de  nouveau? 

V. 

;ésus  à  ses  disciples,  il  faut  que  nous  rentrions 
en  Judée;  j'ai  dessein  d'y  faire  quelque  ciiose. 

les  disciples  à  Jésus,  il  n'y  a  pas  longtemps  que 
l'on  voulait  te  lapider  en  Judée ,  et  lu  veux  si  loi  y 
retourner? 

Jésus.  Lazare  s'est  endormi;  il  faut  que  j'aille  le 
■voir.  Je  vais  y  aller  et  je  le  réveillerai. 

les  disciples.  S'il  dort,  il  est  sauvé;  le  sommeil 
est  compagnon  de  la  santé. 

jésus.  11  n'en  esl  point  ainsi  ;  Lazare  est  mort, 
mais  nous  le  réveillerons  au  nom  du  Père. 

Thomas  ,  aux  disciples.  Eh  bien  parions  et  mou- 
rons avec  lui. 

VI. 

(Ensuite  Marthe  à  Jésus.) 

MARTHE.  Si  vous  étiez  venu  plus  tôt....  J'en  ai 
grand  ennui....  Je  ne  pleurerais  pus  tant...  O  mon 
bon  frère,  je  vous  ai  perdu....  Mate  ce  que  vous  pou- 
viez quand  il  vivait  encore....  AH!  qvrlle  perte!... 
faites-le,  q uoiqu'il  soil  iworl...  O  mon  bon  frère,  je 
vous  ai  donc  permit...  Demandez  au  PèiC  sa  grâce... 
Aii!  quetle  affliction!...  elle  Père  se  manifestera 
aussiloi...  O  mon  frère,  faut-il  que  je  vais  aie  perdu! 

jésus.  Sèche  ces  laitues,  suspends  ce  désespoir  qui 
t'accable,  ton  frère  esl  mort,  mais  il  sera  bientôt 
derechef  vivant. 

MARTHE.  Je  le  dis  aussi,  mon  frère  ressuscitera  et 
vivra,  mais  seulement  lors  de  la  résurrection  de 
tous  les  hommes. 

Jésus  Non ,  non  ,  ma  sœur ,  ne  sois  pas  ainsi  sans 
espoir.  Ne  suis-je  pas,  moi,  la  vie  véritable?  Et  qui- 
conque croira  en  moi  ,  vivra  en  moi  qui  suis  la  vie; 
et  celui  qui,  dans  la  vie,  aura  cru  en  moi ,  ne  sera 
pas  la  proie  de  la  mon.  Marthe,  crois-tu,  comme 
vérités,  lous  les  mystères  de  ces  paroles? 

Marthe.  O  Lfirîsl,  Fils  de  Dieu,  je  crois  que  lu 
es  venu  dans  noire  exil   pour  noire  bien  seulement. 

VII. 

Marthe  annonçant  a  Marie  l'arrivée  de  Jésus.  Ma 
sœur  bien-aiméc ,  Jésus  est  ici;  calme  la  douleur, 
arrête  les  pleurs,  viens  l'attendrir  par  la  prière  bien 
humide,  et  il  rendra  la  vie  à  noire  frère. 

VIII. 

marie  à  Jésus.  Nulle  consolation  ne  pouvait  ja- 
mais apaiser  mon  désespoir  ;  mais,  ô  Fils  de  Dieu, 
j'ai  foi  en  toi  et  lu  peux  tout.  O  Tout-Puissant ,  si. 


doux,  si  clément,  viens  au  tombeau,  et  réveille 
mon  frère  que  la  mort  charnelle  a  ravi  si  jeune. 

jésus.  Je  le  veux  bien,  ma  sœur;  c'est  tout  mon 
désir  (i'ètre  conduit  au  sépulcre  pour  rappeler  à  la 
vie  ce  détenu  de  la  mort. 

(Marie  conduit  Jésus  au  sépulcre.) 

IX. 

marie.  Seigneur,  c'est  là  que  nous  l'avons  mis, 
celui  pour  qui  nous  t'implorons  et  dont  nous  deman- 
dons la  vie  au  nom  du  Pore. 

jésus  à  ceux  qui  l'entourent.  Enlevez  la  pierre  qui 
recouvre  le  lomlieau  et  Lazare  va  ressusciter  aux 
yeux  de  tout  le  monde. 

les  assistants.  Il  sëf:i  impossible  de  supporter 
l'odeur  fétide  de  ce  cadavre,  car  il  y  a  au  moins 
quatre  jours  qu'il  est  là. 

X. 

Jésus  ,  les  yeux  levés  nu  ciel  et  priant.  O  Père , 
manifeste  ton  Verbe,  ci  je  t'en  prie,  ressuscite  La- 
zare. Fais  par  là  connaître  ton  Fils  an  momie,  ô 
Père,  el  dans  cet  instant.  Je  n'ai  point  adressé  vers  toi 
ma  prière  dans  le  doute  ,  mais  à  cause  de  ces  hommes 
qui  m'entourent ,  aliu  qu'assurés  éé'  II  puissance, 
ils  aienl  la  foi  aussitôt.  (An  mort.)  Lazare,  sors  du 
tombeau  ,  respire  el  vis  ;  par  la  grâce  el  la  puissance 
du  Père,  sors  du  tombeau  el  jouis  de  la  vie.  (La- 
zare se  levant.)  Il  vit,  défaites  tous  ces  liens  el 
laissez-le  s'en  aller  librement. 

lazari:  debout  uux  assistants.  Voici  ia  grandeur 
de  Dieu;  vous  le  voyez,  il  a  fait  le  ciel  et  l'océan; 
el  la  mort  tremble  sous  son  empiie.  (Se  tournant 
vers  Jésus.)  El  toi,  ô  Maître  ,  ô  Roi ,  ô  Seigneur! 
El  loi ,  tu  effaces  les  fautes  du  genre  humain.  Ta 
parole  s'accomplit  à  l'instant,  et  ton  règne  sera 
sans  fin. 

(Si  on  est  à  Matines ,  Lazare  entonne  :  Te  Deum 
laudamus,  et  si  c'est  à  Vêpres  :  Magnificat  anima 
mea  Dominum.) 

LEOCADE  (La  passion  de  sainte).  —  De 
Beaueltamps,  dans  ses  Recherches  sur  les 
thcYdrcs;  Paris,  1735,  in-8%  3  vol.,  t.  Pr,  p. 
226J,  mentionne  un  Mystère  de  Notre-Dame, 
en  vers  français,  avec  lequel  sérail  impri- 
mée la  Passion  de  sainte  Léocade  et  de  sainte 
Christine.  —  Yoy.  Notre-Dame  (Mystère  de), 
Sainte  Christine  [La  Passion  de). 

LIBERTÉ  DE  DECEMBRE  (La).  —  On  a 
appelé  la  Liberté  de  décembre,  Libertas  de- 
cembrica),  le  temps  de  la  fête  des  Calendes 
ou  de  celle  des  Fous.  —  Voy.  Fête  des 
Fous. 

LOTTS  (Le»).  —  Les  lotts,  comme  les 
couards,  les  sots,  les  sclaffards,  sont  l'un 
des  noms  qu'ont  reçus  au  moyen  âge  les 
sectateurs  de  la  fête  des  Fous.  —  Yoy.  Fête 
des  Fots. 

LOUIS  (Saint).  —  La  Bibliothèque  impé- 
riale (n°  2191,  gr.  in-fol.  vélin,  de  352  pages) 
possède  le  manuscrit  du  Mystère  de  Saint- 
Louis  par  Pierre  Gringore  ou  Gringoire, 
auteur  du  commencement  du  xvr  siècle. 

Le  premier  et  les  derniers  feuillets  man- 
quent malheureusement  au  manuscrit,  et 
nous  n'avons  que  le  texte  incomplet  de  ce 
drame. 

Ce  mystère  est  intitulé  : 
Cy  comance  la   vie  monseigneur  saint  Loys, 

roy  de  France,  par  personnaiges,  composée 

par  Pierre  Gringoire,    à    la  rrqucslc   des 

TP.aislres  et  gouverneurs  de  lu  dicte  con- 


493 


LOU 


frairie   du  dit  Saint-Loys,  fondée  en  leur 
chapelle  de  Saint-Biaise,  à  Paris. 

Le  Saint-Louis  n'a  pas  été  publié. 

M.  ©.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les  mys- 
tères (Paris,  1837,  in-8°,  p.  303-365],  l'a  con- 
sidéré comme  une  «  tragédie  nationale;  » 
et  M.  Villemain  a,  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants (1838,  avril,  p.  217),  adopté  les  opinions 
émises  par  M.  0   Leroy. 

«  Voilà  donc,  dit-il,  sous  cette  forme  de 
longue  biographie,  qui  au  théâtre  est  l'en- 
fance de  l'art,  une  espèce  de  drame  pa- 
triotique, offrant  quelques  traits  remar- 
quables. » 

M.  0.  Leroy,  quelques  années  après,  re- 
venant sur  le  môme  sujet,  dans  ses  Epoques 
sur  l'histoire  de  France  (Paris,  Hachette, 
1843,  in-8°),  a  trouvé  dans  le  Saint-Louis  de 
Gringoire,  ce  poète  représentant  des  halles.. 
une  touchante  mais  elJVayanle  personnifi- 
cation, le  peuple  de  Pari.»  venant  offrir  au 
roi,  contre  les  grands  vassaux,  son  appui 
formidable.. .«  Depuis  cet  important  ouvrage 
de  Gringoire,  ajoute  l'auteur,  le  peuple  n'in- 
tervient plus  guère  dans  notre  tragédie.  » 
(Ibid.  Introd.,  p.  18.) 

Le  Saint-Louis  a  été  écrit,  comme  l'in- 
dique son  titre,  pour  une  confrérie.  Du  lemps 
de  Gringoire,  c'était  le  corps  des  tapissiers 
et  merciers,  qui  avait  le  grand  roi  pour  pa- 
tron. Les  réunions  avaient  lieu  dans  la 
grande  salle  du  palais,  que  le  Parlement 
avait  concédée  aux  confrères,  et  qu'ils  par- 
tageaient avec  les  clercs  de  la  bazoche  : 
c'est  là  que  la  oièce  de  Gringoire  dut  être 
représentée. 

«  On  se  demande  comment  un  ouvrage  de 
l'importance  de  celui  que  nous  examinons, 
dit  M.  0.  Leroy,  composé  dans  la  maturité 
de  l'âge  par  un  homme  aussi  connu,  est 
resté  tout  à  fa  t  ignoré.  Peut-être  à  cause 
de  certains  traits  qui  auront  blessé  quelques 
hommes  puissants.  »  (Etudes  sur  les  mys- 
tères, p.  313.) 

«  Quoi  qu  il  en  soit,  écrit  pour  de  bons 
bourgeois  du  vieux  temps  et  après  avoir 
été  représenté  par  eux,  ce  grand  drame 
sera  resté  dans  les  archives  de  la  confrérie; 
de  là  aura  passé  à  Saint-Germain  des  Prés, 
car  il  porte  aussi  la  marque  de  celte  abbaye; 
entin  il  est  venu  s'engloutir  dans  le  dépôt 
des  manuscrits  de  la  Bibliolhô|ue  royale.  » 

Ce  mystère  est  divisé  en  neuf  livres. 

«  L'action  commence  à  l'année  1226. 

«Louis  VIII,  après  de  nombreux  exploits, 
venait  de  mourir  sans  testament,  laissant  la 
couronne  de  France  à  l'aîné  de  ses  tils,  Louis 
IX,  âgé  do  onze  ans,  et  la  régence  à  la 
reine  Blanche,  sa  femme,  mais  verbalement, 
en  présence  seulement  de  quelques  évoques 
et  seigneurs.  Plusieurs  grands  vassaux,  no- 
tamment les  comtes  de  Champagne,  de  la 
Marche  et  le  duc  de  Bretagne,  jaloux  de 
l'autorité  royale  et  «'autorisant  de  l'absence 
de  dispositions  testamentaires,  veulent  con- 
tester à  la  reine-mère  le  droit  de  gouverner 
son  fils.  Une  éducation  militaire  sullit,  selon 
eux,  à  un  jeune  roi.  Dès  la  première  scène, 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  LOU  4îÙ 

voici  sur  quel  ton  ils  veulent  parler  à  la 
reine  : 


LE  DUC  DE   BRETA1GNE. 

Vous  le  faicies  entretenir 
A  un  tas  de  frères  presclieurs, 
Bigots,  ses  maisires  et  recteurs. 
Cela  certes  ne  nous  peult  plaire. 

LE    COMTE    DE    LA   MARCUE. 

En  voullez-vous  ung  moine  faire, 
Qui  preselie  d'esglise  en  csglise? 
Quelque  chose  qu'où  eu  devise, 
Cela  nous  ilcsplaist,  somme  toute. 

LE  COMTE  DE  CHAMPA1GNE. 

Ung  prince  doit  aymer  la  jouzte, 
Estre  large  et  liahandonué  : 
Pour  ce  cas  est  roy  ordonné 
El  en  iriumphal  estai  mis. 

LA   R0YNE. 

Il  fault  craindre  Dieu,  mes  amys... 

«  La  seconde  scène  se  passe  entre  le  jeune 
roi  et  un  frère  prêcheur,  son  gouverneur, 
qui  lui  dit  entre  autres  choses  :  vous  de- 
vez 

Vous  faire  priser  et  aymer 
A  vostre  simple  popullaire, 

Atïïn  que  puissiez  à  Dieu  plaire, 
Car  ung  roy  tier  et  orgueilleux, 
Inconstant  et  avaricieux, 
Ne  peull  régner  longue  saison. 

«  L'auteur  ramène  sur  la  scène  les  comtes 
de  Champagne,  de  la  Marche  et  le  duc  de 
Bretagne,  qui  ont  résolu  de  s'emparer  de 
l'esprit  du  jeune  roi,  ou  de  s'armer  contre 
son  autorité.  Que  trouvent-ils  en  entrant  au 
palais?  Des  pauvres  à  table,  mangeant  et 
buvant  à  cœur  joie,  et  sans  façon  aucune; 
ils  sont  là  comme  chez  tux. 

«  L'ébahissement  des  trois  seigneurs  re- 
double quand  ils  voient  passer  devant  eux 
Louis,  qui  ne  les  remarque  pas,  eux  grands 
terriers  1  et  qui  s'approche  des  pauvres... 
Les  trois  seigneurs  sont  stupéfaits. 

DE   LA  MARCHE. 

Peult-estre  Dieu  tant  le  prise 
Qu'il  veult  qu'il  vive  en  coniinance, 
Sans  avoir  la  prééminence 
Sur  les  Franeoys,  ne  seigneurie. 

LE   DCC 

Je  croy  que  Dieu  veult  que  le  prie 
Et  qu'il  laisse  mondanité. 
Aux  armes  n'est  point  usité, 
Mais  en  toute  bigoterie. 

DE  CHAMPAIGNE. 

Dieu  ne  veull  point  qu'il  seigneurie. 

«  Après  avoir  fait,  en  espérance,  un  moine 
du  meilleur  de  nos  rois,  ils  sortent  pour 
lever  contre  lui  leurs  armes... 

«  Saint  Louis  et  sa  mère  ont  appelé  à 
leur  secours  trois  personnages  dont  les 
traits  et  le  costume  étaient  sans  doute  allé- 
goriquement  caractérisés,  suivant  l'usage 
de  ce  temps:  l'un  est  Bonconseil,  l'autre 
Chevalerie  et  le  troisième  Populaire.  Ce 
dernier,  qui  n'est  autre,  que  le  peuple  de  Pa- 
ris, dk  au  roi  : 

Ne  soys  de  riens  estonné  : 


m 


LOU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


LOU 


496 


Je  suis  arme,  embaslonnc 
Pour  combaire  vos  ennemys. 

Sire  je  me  suis  eu  point  mis, 
De  bon  cueur  el  de  bon  couraige. 


«  Nous  entendons  le  duc  de  Bretagne  dire 
au  comte  de  ia  Marche: 

Cousin  nous  ne  sommes  pas  bien. 
Penser  nous  faul!  de  notre  affaire, 
Car  j'entends  que  le  Popullaire 
D^  Paris  s'csmcul  contre  nous... 

«  Frédéric  II, ..empereur  d'Allemagne,  au 
milieu  de  ses  démêlés  avec  le  Pape,  ne  dou- 
tant pas  que  le  roi  de  France  ne  prenne  la 
défense  du  Saint-Siège,  t'ait  demandera  saint 
Louis,  par  un  de  ses  agens,  de  se  rendre  à 
un  lieu  fixé.  Le  roi  consulte  Bonçonseil, 
qui  reconnaît  dans  cet  agent  Oullraige  (ou- 
trage), et  devine  que  l'intention  de  l'empe- 
reur est  de  s'emparer  de  la  personne  du  roi. 
Saint  Louis  se  rend  au  lieu  indiqué,  mais 
accompagné  de  Chevalerie,  ce  qui  déconcerte 
l'empereur.  Il  se  tourne  alors  vers  l'Eglise, 
veut  lever  sur  elle  un  impôt  et  lui  envoie 
Oultraige.  Elle  ne  répond  pas. 

Haullà!  bollà!  qui  est  icy? 

Hau!  Faictes-vous  la  sourde  oreille? 

l'esglise. 
Et  qui  a-l-il? 

|    ;  OULTRAIGE. 

■■  Qu'on  s'appareille 

Tost  du  decyroc  me  bailler. 
!  l'esglise. 

Quoy!  me  voullcz-vous  travailler 

Maintenant?... 

«  Dans  la  lutte  de  la  puissance  spirituelle 
contre  la  force  brutale,  l'Eglise...  se  mon- 
tra invinciblement  opposée  aux  mauvaises 
passions  et  aux  envahissements  de  Frédéric 
IL  Pour  éveiller  les  rois  sur  ses  prétentions, 
pour  éclairer  les  peuples  sur  leurs  vrais  in- 
térêts, il  fallut  tout  l'éclat  des  foudres  ecclé- 
siastiques: c'était  alors  la  seule  lumière; 
elle  ne  fit  point  faute. 

«  Louis  fait  foire  à  l'empereur  de  vives 
remontrances,  et  s'efforce  de  mettre  un  ter- 
me aux  malheureux  débats  de  l'empire  et 
du  sacerdoce,  lorsqu'il  est  frappé  de  la  ma- 
ladie au  milieu  de  laquelle  il  promet  è  Dieu 
de  se  croiser  et  d'aller  délivrer  les  Chrétiens 
d'Orient  de  leur  dure  captivité  . . . 

«  Dans  la  scène  suivaute,..  nous  sommes 
chez  les  Turcs.. .  » 

Saint  Louis  est  captif. 

«  Les  amiraux  (les  chefs  ennemis)  con- 
sentent à  mettre  en  liberté  Louis  et  les 
siens...  Louis,  mis  en  liberté  avec  ses  pré- 
lats et  ses  chevaliers,  leur  propose  de  visi- 
ter à  pied  les  lieux  saints. . . 

«  Les  derniers  malheurs  ne  tardent  pas 
de  frapper  le  saint  roi.  11  apprend  successi- 
vement que  les  Anglais  menacent  d'envahir 
la  Normandie;  que  la  régente,  sa  mère,  l'il- 
lustre Blanche,  si  digne  de  gouverner  la 
France  en  son  absence,  est  morte;  qu'enfin 
les  Turcs, aussitôt  après  son  départ,  au  lieu 
de  rendre  à  la  liberté,  suivant  les  conven- 
tions, les  prisonniers  chrétiens,  les  retien- 
nent, et  exercent  sur  eux  les  traitements 


les  plus  barbares.  Quelle  est  la  douleur  du 
bon  roi,  do  se  voir  forcé  d'ajourner  ses  pro- 
jets sur  l'Orient  et  de  se  rembarquer  pour 
la  France  !.. . 

«  Le  zèle  religieux  des  grands  vassaux 
était  ralenti.  Il  n'en  était  pas  de  même  du 
saint  roi  qui  nourrissait  le  désir  d'aller  dé- 
fendre nos  colonies  d'Orient  et  secourir  les 
Chrétiens  qui  y  étaient  restés.  De  nouvelles 
atrocités  commises  par  les  Mamelucks,  et 
l'espoir  décevant  que  lui  donnait  le  roi  de 
Tunis  d'embrasser  le  christianisme,  le  dé- 
terminent à  entreprendre  une  seconde  croi- 
sade. Chevalerie,  qui  représente  la  noblesse, 
est  prêt  a  le  suivre;  mais  Populaire  s'écrie: 

Hellas  !  lout  le  sens  me  defiault 
Quant  je  pense  à  la  départie 
Du  bon  roy... 

«  Quant  à  Bonçonseil,  quoiqu'il  parle  lon- 
guement, on  ne  comprend  pas  trop  s'il  ap- 
prouve cette  expédition... 

«  Saint  Louis,  parti  pour  l'Afrique,  après 
avoir  remporté  sur  les  Sarrazins  de  rapides 
succès,  est  atteint,  près  des  ruines  de  l'an- 
cienne Carthage,  de  la  cruelle  maladie  qui 
vint  rompre  tous  ses  projets,  et  ne  lui  laissa 
que  le  temps  de  léguer,  de  son  lit  de  mort, 
à  son  fils  présent,  de  hautes  leçons,  à  tous 
un  grand  exemple... 

«  Saint  Louis,  se  sentant  tout  à  coup  dé- 
faillir, laisse  tomber  ces  mots: 

Mon  humaine  fragilité 
Déchet  de  tous  point... 
Et  pour  ce,  vueillez  tost  entendre 
El  préparer  ung  lit  de  cendre, 
Sur  lequel  je  nie  coucheray, 
Et  mon  esprit  à  Dieu  rendra)-. 
Considérant,  sans  plus  enquerre, 
Que  je  suis  venu  de  la  terre, 
El  qu'en  terre  retourneray. 
l'esglise. 

Bien,  sire,  je  prepareray 

Ung  lil  de  cendres  pour  vous  mettre. 

«  Après  qu'on  l'a  couché  sur  un  lit  de  cen- 
dres, Chevalerie  et  l'Eglise  dépeignent  ainsi 
l'attitude  du  saint  à  son  dernier  moment  : 

Le  bon  seigneur  a  les  mains  joincles, 
Eslevant  ses  corporels  yeux 
Très-humbleinent  devers  les  cyeux 
De  pitié  que  j'ay,  je  m'en  pâme. 

l'esglise. 
Il  a  rendu  sa  dévoie  amc 
Entre  les  bras  du  doux  Jhésus... 

CHEVA.LLERIE. 

A  rendue  l'aine. 

l'esglise. 

C'en  est  fa  ici. 

«  Philippe,  présent  au  dernier  moment 
de  son  père,  donne,  avec  l'Eglise  et  Cheva- 
lerie, des  ordres  pour  qu'on  l'embaume  et 
qu'on  le  transporte  en  France. 

«  Après  avoir  entrevu  le  grand  deuil  de 
l'ost  (de  l'arméej,  suivons  cette  pompe-sainle 
et  funèbre,  ou  plutôt  armons  en  France 
avant  elle,  avec  la  nouvelle  de  la  mort  du 
roi;  nous  allons  entendre  des  regrets  dont 
l'histoire  nous  a  parlé  : 


497 


MAC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


MAC 


108 


LE   POPDLLAIRE. 

Ha  le  bon  roy  ! 
I!  a  observé  la  justice, 
11  a  soutenu  la  police 
lionneslement,  selon  la  loy, 
Droit  el  raison. 

BO.NCONSEIL. 

Ha  !  le  bon  roy 
Toule  l'Eglise  niillitante 
A  été  docte  et  florissante, 
Paisible,  vivant  à  requoy, 
Durant  son  temps. 

LE  POPCLLAIRE. 

Ha  !  le  bon  roy  ! 
11  supporloit  bourgoys,  marchans, 
Mesine  les  laboureurs  des  champs, 
Puguissanl  gens  plains  de  desroy, 
Pillars,  larrons. 

BONCONSE1L. 

Ha!  le  bon  roy  ! 
Simples,  ignorans  supporloit, 
Pauvres,  mendians  conlorioit, 
Observant  de  Jliésus  la  foy, 
RedoubtantDieu. 

LE  POPULLAIRE. 

Ha!  le  bon  roy! 

«  Ce  dernier  vers  résume  bien  cette  orai- 
son naïve...  Nous  ne  pouvons   mieux  ter- 


miner ce  drame.  »  (0.  Leroy,  Etud.  sur  les 
nystères,  p.  303-304.) 

LOUP  (Le  jeu  de  saint).  —  Duhalle, 
Courlalon  et  Grosley  ont  consigné  dans 
leurs  ouvrages  quelques  notes  empruntées  à 
nos  archives  ecclésiastiques,  sur  les  mystères 
les  plus  importants  et  les  plus  anciens;  c'é- 
taient le  Jeu  de  saint  Loup,  la  Diablerie,  la 
Vengeance  de  Jésus-Christ ,  la  Représentation 
des  trois  maris;  et  quelques  autres.  M.  A. 
Vallet  de  Viriville  (Archiv.  itist.  de  l'Aube; 
Paris,  18U,  in-8°,  p.  329J,  a  qui  nous  em- 
pruntons cette  note,  indique  les  Miracles  de 
saint  Maclou  et  les  mystères  de  la  Création, 
de  la  Passion  et  de  la  Résurrection,  conser- 
vés encore  aujourd'hui  à  Troyes,  parmi  les 
archives  de  la  maison  commune,  dans  un 
manuscrit  du  xvc  siècle. 

LOUP-VEUT  (Procession  du).  —  Parmi 
les  usages  encore  subsistants  de  la  fôte  des 
Fous,  M.  Langlois,  dans  son  Essai  sur  les 
Enervés  de  Jumiéges  (Rouen,  1838,  in-8"), 
donne,  dans  une  note,  quelques  détails  sur 
une  procession  du  Loup-Vert,  qui  se  prati- 
que encore  à  Jumiéges.  Le  Loup-Vert  est 
élu  par  ses  compagnons  et  donne  à  coups 
de  poings  le  signal  de  divertissements  gros- 
siers que  pratique  toute  la  bande. 


M 


MACHABÉES  (Les).  —  Le  drame  des 
Machabées  a  pour  auteur  de  Jean  du  Virey, 
sur  lequel  les  frères  Parfait  ont  donné  les 
notes  suivantes: 

a  Jean  du  Virey,  sieur  du  Gravier,  était 
natif  de  la  basse  Normandie,  aux  environs 
de  Caen.  Il  suivit  la  profession  des  armes 
dès  l'année  1571,  et  s'étant  attaché  au  ma- 
réchal de  Matignon,  lieutenant  général  de 
la  province,  ce  seigneur  le  fit  entrer  dans 
le  service,  et  le  protégea  avec  tant  de  bonté, 
qu'il  obtint  enfin  pour  lui  le  commande- 
ment de  la  ville  etdu  château  de  Cherbourg. 
Du  Virey  remplit  assez  bien  ce  poste,  et 
passa  le  reste  de  ses  jours  5  Valognes.  Les 
guerres  civiles  étant  assoupies,  il  employa 
ses  heures  de  loisir  à  l'étude  de  la  poésie, 
pour  laquelle  il  avait,  à  ce  qu'il  croyait, 
beaucoup  d'inclination,  mais  aucun  talent. 
Il  entreprit  une  traduction  en  vers  du  livre 
des  Machabées,  et  excité  par  l'exemple  des 
poêles  dramatiques  de  son  temps ,  dont 
plusieurs  étaient  ses  compatriotes,  il  s'ima- 
gina qu'en  détachant  quelques  centaines  de 
vers  de  son  poëme,  il  pourrait  en  composer 
une  tragédie,  qui,  à  la  vérité,  n'a  ni  règle,  ni 
ordre,  et  qu'il  intitula  la  Machabéc.  11  pré- 
senta cet  ouvrage  à  madame  la  maréchale 
de  Matignon,  épouse  de  son  bienfaiteur, 
avec  une  épîlre  dédicatoire  datée  du  25  mars 


(186)  L'auteur  n'a  fait  encore  ici  que  traduire 
grossièrement  le  livre  des  Machabées.  Celle  (ragé- 
die,  non  plus  que  celle  de  la  Machabéc,  ne  présente 
aucune  distinction  d'actes  ou  de  scènes.  Dans  cell  >- 
ci,  l'auteur  introduit  une  Furie,  qui,  sortant  des  en- 


1596.  Enhardi  par  ce  coup  d'essai,  Du  Virey 
créa  une  seconde  tragédie,  de  la  même  ma- 
nière que  la  précédente,  sous  le  nom  de 
tragédie  divine  et  heureuse  victoire  des  Ma- 
chabées sur  le  roi  Antiochus  (186),  qu'il  fit 
paraître  en  1600,  après  l'avoir  présentée  et 
dédiée  à  M.  l'évoque  de  Coûtantes:  il  avait 
menacé  le  public,  dans  celte  dernière  épitro 
dédicatoire,  qu'il  ferait  peut-ôlre  voir  le 
jour  à  son  grand  ouvrage  en  entier,  si  lo 
conseil  de  ses  amis  le  jugeait  à  propos.  Il  y 
a  lieu  de  croire  que,  dans  leur  nombre,  il 
s'en  est  trouvé  quelqu'un  pourvu  d'assez 
do  jugement  pour  l'en  empêcher;  car  Du 
Virey  n'a  jamais  fait  paraître  que  ces  deux 
poèmes.  » 

Le  drame  des  Machabées  a  subi  de  la  part 
des  mômes  auteurs  l'examen  suivant  : 

«  Cette  tragédie  ressemble  beaucoup  aux 
anciens  mystères;  on  ne  trouve  aucune  di- 
vision d'actes  ni  de  scènes.  Comme  personne 
n'ignore  le  sujet  qu'on  y  a  traité,  nous  nous 
en  tiendrons  h  quelques  passages  qui  feront 
connaître  que  l'auteur  était  digne  du  siècle 
de  Jean  Michel  on  de  Parmeniier.  Nous  [tar- 
ions de  lui  à  l'article  de  la  Tragédie  divine, 
et  heureuse  victoire  des  Machabées  sur  le  roi 
Antiochus. 

«  Le  roi,  irrité  contre  les  sept  frères,  les 
livre  à  ses  bourreaux,  qui  leur  font  endurci' 

fers,  suggère  à  Antiochus  tous  tes  mauvais  conseils 
dont  il  fait  u^age  contre  les  Juifs.  Ce^tc  Furie  r.c- 
compague  toujours  le  roi  jusqu'à  sa  mon  effroyable, 
et  rentre  avec  lui  dans  lu  sombre  demeure. 


499 


MAC 


DICTiONiNAlRE  DES  MYSTERES. 


MAD 


500 


les  tourments  les  plus  cruels.  On  mel  Ma- 
chabée  sur  une  roue. 

LE   TROISIÈME   SOLDAT 

S'il  ne  meurt  prompiement  par  cesle  rude  entorce, 
11  faut  dire  qu'il  a  son  aine  de  travers. 

«  Comme  ce  supplice  n'est  pas  assez  fort 
pour  lui  ôter  la  vie,  on  le  jette  dans  une 
chaudière  pleine  d'eau  bouillante.  Après 
quelques  tortures  ,  Antiochus  fait  ouvrir 
l'estomac  d'Abas,  le  second  des  frères. 
Horrible  chose  à  voir!  j'en  ay  le  cœur  transi, 

«  S'écrie  un  des  soldats.  Machir,  le  troi- 
sième frère,  expire  par  la  rigucurd'un  tour- 
ment fait  en  forme  ae  rondeau.  Ensuite  le  roi, 
voyant  ses  soldats  fatigués ,  s'offre  a  les 
aider,  et  attache  lui-môme  Judas  Machabée 
sur  une  roue.  Le  cinquième,  appelé  Achar, 
est  rôti  tout  vif  par  l'ordre  du  tyran,  qui 
fait  pendre  par  les  pieds  Areth,  son  jeune 
frère. 

LE   ROT. 

Pour  mieux  luy  estourdir  son  esvenlé  cerveau, 
Par  descentes  d'humeurs  froides  et  aquatiques. 

LE    PREMIER   SOLDAT  OUX  SpCCldleiirS. 

Oui  voudrait  bien  purger  des  fluxions  bacchiques, 
En  voilà  le  moyen. 

«  A  peine  Jacob,  le  dernier  des  sept  frères, 
et  Solomone,  leur  mère,  sont  expirés,  que 
le  tonnerre  tombe,  et  réduit  en  cendres  une 
partie  du  palais  d'Antiochus.  Ce  roi  impie, 
surpris  dece  prodige,  s'en  prend  à  ses  dieux, 
et  vomit  mille  imprécations.  » 

LE   ROT. 

Garde  le  Ciel  voûté  ses  flambeaux  et  la  nuê, 
Je  ne  veux  plus  detoy,  car  la  paille  est  rompue 
Entre  nous,  pour  le  seur  :  Je  désire  bien  mieux 
Commander  aux  Enfers,  qu'estre  second  aux  Cieux 
Un  jour  aux  lieux  profonds,  je  ferai  bien  paroistre 
A  Pluion,  où  je  suis,  que  je  veux  estre  maislre. 

La  tragédie  des  Machabées  a  pour  auteur 
Jean  du  Virey;  elle  est  fort  courte  et  ne 
comporte  qu'un  acte,  a  dit  assez  mal  à  pro- 
pos M.  C.-A.  Sainte-Beuve  (Tableau  hist.  et 
crit.  de  la  poésie  française  et  du  th.  fr.  au 
xvic  siècle;  Paris,  1828,  in-8°,  2  vol.,  t.  I", 
Hist.  du  théâtre  franc,  au  xvi'  siècle,  p.  217- 
334).  en  en  donnant  l'aperçu  suivant  {ibid., 
p.  299)  : 

«  La  scène  passe  tour  à  tour  de  la  maison 
des  Machabées  au  palais  d'Antiochus  et  du 
palais  à  la  prison.  Les  sept  martyrs  sont 
étalés  aux  yeux  des  spectateurs  avec  tout 
le  détail  des  tortures.  En  veut-on  un  léger 
échantillon? 

«  Le  roi  dit  à  son  prévôt  Sosander,  qui 
dirige  le  supplice  : 

Or  sus,  sus,  compagnons;  chacun  de  vous  regarde 
A  l'esiriller  si  bien  qu'il  ne  s'en  moque  point. 

SOSANDf.R  à  set  garçont. 
Pour  être  mieux  dispos,  mettez-vous  en  pourpoint  : 
Vous  en  frapperez  tous  beaucoup  plus  à  votre  aise. 

UN  GARÇON. 

Prévost,  j'en  suis  content;  je    suis  chaud    comme 
Tant  je  suis  travaillé  [braise. 

(Ils  le  fouettent.) 

UN   AUTRE  GARÇON 

Et  un  et  deux  et  trois. 


t!N   AUTRE. 

El  t'abuses-tu  donc?  Pour  rien  je  ne  voudrais 
Compter  autaut  de  coups  tomme  il  faut  que  j'en 

[donne. 

UN  AUTRE. 

11  ne  plaint  ni  ne  deuil. 

UN   AUTRE. 

C'est  de  quoi  ]e  m'eslonne. 
On  dirait  à  le  voir  qu'il  ne  sent  point  les  coups. 

UN  AUTRE. 

Si  est-il  bien  frotté  et  dessus  et  dessous 

LE   ROT. 

Ouvrez-lui  l'estomac,  car  je  veux  qu'on  lui  voyc 
Le  poumon,  intestins  et  les  lobes  du  foye'; 
El  puis  que  chacun  prenne  à  sa  main  un  couteau 
Du  col  jusques  aux  pied-  pour  lui  ôter  la  peau.  > 

(//s  le  font  en  la  manière  prédite.) 

MACLOU  (Saint)  —  En  U08,  l'évêque  de 
Langres  accordait  au  doyen,  au  chapitre,  aux 
chanoines  et  à  tous  les  clercs  de  l'église  de 
Saint-Maclou,  de  Bar-sur-Aube,  la  permis- 
sion de  représenter  la  Vie  de  leur  patron.  La 
charte  qui  contient  ce  privilège  a  été  publiée 
en  latin  par  M.  Vallet  de  Vinville,  dans  les 
Archives  historiques  de  l'Aube  ;  Paris,  18il, 
in-8°,p.l30,  etdans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole 
des  Chartes,  1. 111,  Notice  d'un  mystère,  p  450, 
note  k;  l'original  existe  dans  les  archives 
du  département  de  l'Aube,  liasse  116,  B; 
nous  en  extrayons  les  passages  importants  : 

«  A  l'honneur,  la  gloire  et  l'éclat  du  très- 
saint  et  très-grand  confesseur  et  évêque 
Maclou,  votre  patron,  dans  les  première  e*. 
seconde  octaves  de  la  fêle  de  la  Sainte- 
Trinité,  ou  auparavant,  si  cela  est  plus 
commode,  vous  et  quelques-uns  des  bour- 
geois de  la  ville  d3  Bar,  sur  quelque  place 
convenable  dans  la  ville  ou  en  dehors,  en 
présence  du  clergé  et  du  peunle,  à  haute  et 
intelligible  voix,  en  langue  latine  ou  fran- 
çaise, vous  pourrez,  avee  grand  respect, 
aidés  d'autant  de  gens  qu'il  faudra,  et  sous 
les  costumes  nécessaires,  réciter  et  repré- 
senter la  vie  et  les  miracles  de  l'illustre 
confesseur,  après  avoir  dit  la  messe  sur  un 
autel  élevé  an  lieu  môme  de  la  représenta- 
tion   Langres,  l"  mai  1108    » 

On  ne  retrouve  plus  le  Mystère  de  saint 
Maclou,  qui  très-probablement  n'a  pas  été 
imprimé. 

MADELEINE  (Sainte).  —  Dans  les  pre- 
mières années  du  mariage  de  Louis  XII  et 
d'Anne  de  Bretagne,  et  après  la  conquête  du 
Milanais,  vers  1499  et  1500,  furent  joués  à 
Lyon  la  Vie  de  sainte  Madeleine,  la  Vie  de 
saint  Nicolas  de  Tolentin,  et  le  Myslère  du 
Vieil  Testament.  «  Les  confrères  de  la  Pas- 
sion, cjui  étoient  les  acteurs  et  les  poètes 
dramatiques  de  ce  temps-là,  joûerenl,  en  sa 
présence  (d'Anne  de  Bretagne),  la  Vie  de 
sainte  Magdelaine,  qui  fut  applaudie  de  la 
cour  et  de  la  ville.  On  voit  encore  dans  les 
archives  de  l'hôtel  de  ville  un  acte  consu- 
laire qui  ordonne  à  Clément  Trie  de  prêter 
aux  acteurs,  pour  orner  leur  théAtre,  les 
pièces  de  décoration  qui  avoient  servi  aux 
entrées  solennelles  du  roi  et  de  la  Reine...» 
(Le  IL  P.  de  Colonia,  Uist.  litt.  de  la  ville 


50! 


MAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


MAR 


50-2 


de  Lyon;    yon,  1730,  in-4",  2  vol.,  t.  il,  p. 
428.) 

MADELEINE  (La  Vie  de  Marie-).  — «Ce 
mystère  est  à  peu  près  de  l'an  1500. 

La  Vie  de  Marie- Magdeleine,  contenant  plu- 
sieurs beanx  miracles,  comment  elle,  son 
frère,  le  Lazare  et  Marthe,  sa  sœur,  vindrent 
Marseille,  et  comme  elle  convertit  le  duc 
et  la  duchesse;  à  vingt-deux  personnages. 
Lyon,  Pierre  de  la  Haye,  1605,  m-12. 

«  Marie-Madeleine,  Marthe  et  Lazare  ven- 
dent tous  leurs  biens  et  en  distribuent  le 
prix  aux  pauvres.  Le  prévôt  de  Jérusalem, 
pour  les  punir  de  prêcher  la  doctrine  de 
Jésus-Christ  et  de  publier  qu'il  est  ressus- 
cité, les  fait  embarquer  sur  un  vaisseau  sans 
mâts  et  sans  avirons,  et  les  livre  à  la  fureur 
des  flots.  Ils  essuient  une  tempête  et  arri- 
vent auprès  de  Marseille.  Ils  vont  se  mettre 
à  l'abri  sous  le  vestibule  <iu  temple.  Le  duc 
et  la  duchesse  de  Marseille  ordonnent  un 
sacrifice  aux  faux  dieux,  et  vont  offrir  des 
victimes  au  temple.  Madeleine  leur  reproche 
leur  idolâtrie;  choqués  de  celte  hardiesse, 
ils  veulent  l'en  punir  :  elle,  sa  sœur  et  son 
frère.  Ils  ordonnent  qu'on  les  rembarque  le 
lendemain  sur  le  même  vaisseau,  sans  vivres 
et  sans  aucuns  secours.  Rentrés  dans  leur 
palais,  le  duc  et  la  duchesse  se  sentent  pressés 
de  sommeil;  ils  se  couchent  ensemble.  Ma- 
deleine leur  apparaît  en  songe.  Ils  se  réveil- 
lent et  l'envoient  chercher.  Elle  les  prêche, 
et  leur  prédit  que  la  duchesse,  qui  jusqu'a- 
lors avoit  été  stérile,  seroit  bientôt  enceinte. 
En  effet,  la  duchesse  se  sent  grosse,  et  en 
avertit  son  mari.  Ils  bénissent  l'un  et  l'autre 
Madeleine,  et  promettent  de  faire  un  pèle- 
rinage a  Rome.  Ils  laissent  Marseille  sous  la 
protection  ds  la  sainte  et  s'embarquent.  La 
duchesse  accouche  et  meurt.  On  porte  son 
corps  sur  un  rocher,  et  on  laisse  l'enfant 
(nlre  ses  bras,  parce  qu'on  ne  peut  le 
nourrir.  Le  duc  est  reçu  à  Rome  par  le  Pape, 
qui  le  conduit  en  pèlerinage  à  Jérusalem.  Le 
duc,  après  avoir  resté  deux  ans  à  son  voyage, 
revient  à  Marseille.  En  passant  auprès  du 
rocher  sur  lequel  il  a  laissé  sa  femme,  il 
veut  la  voir.  On  lâche  de  le  détourner  de  ce 
dessein;  il  persiste,  et  on  le  met  à  terre.  En 
approchant,  il  voit  remuer  son  enfant,  et 
trouve  sa  femme  en  vie.  La  duchesse  lui 
apprend  que  c'est  Madeleine  qui  l'a  ressus- 
citée,  et  qu'elle  l'a  conduiteen  esprit  a  Rome 
et  a  h  terre  sainte.  Ils  rentrent  ensemble 
dans  le  vaisseau  et  débarquent  a  Marseille. 
Ils  se  jettent  en  arrivant  aux  pieds  de  Made- 
leine, et  embrassent  le  christianisme.  »  (Bi- 
bliothèque du  théâtre  françois,  ouvrage  attri- 
bué au  duc  de  La  Valliere;  Dresde,  1768, 
iii-8",  3  vol.,  t.  1",  p.  19.) 

MARGUERITE   (  Sainte  ).  —  Duverdier 

(187)  Nous  ne  prétendons  point  donner  ici  la  vie 
de  la  reine  de  Navarre,  niais  seulement  rappor- 
ter quelques  faits,  qui  forment  une  espèce  de  liai- 
son à  notre  dessein,  qui  cA  de  parler  de  ses  p'èces 
de  théâtre. 

(188)  Floi-iniond  deRcmond  dit  que  c'étaient  des 


(Bibliothèque  française,  p.  891)  cite  un  Ure- 
tère de  sainte  Marguerite  : 

La  Vie  de  sainte  Marguerite,  vierge  et  mar- 
tyre, fille  dcThéodosius,a  quarante  quatre 
personnages.  Imprimée  à  Paris  ,  par  Alain 
Lobriun,  in-octavo. 

Les  frères  Parfait  [Hist.  du  théâtr.  fr., 
Paris,  15  vol.,  in-J2,  1735,  t.  II,  p.  561)  ont 
répété  la  m>te  de  Duverdier  et  datent  cette 
pièce  perdue  de  l'an  1518. 

De  Beauchamps,  dans  ses  Recherches  sur 
les  théâtres  (Paris,  1735,  in-8°,  3  vol.,  t.  I", 
p.  224),  en  fait  aussi  mention. 

M  \RGUERITE  DE  NAVARRE.  —  Lesfrères 
Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre  fran- 
çois■(Paris,  15  vol.,  ln-12,  1735,  t.  II,  p.  270), 
ont  donné  sur  Marguerite  de  Navarre  les 
notes  suivantes  : 

«  Marguerite  de  Valois  (187),  sœur  de 
François,  premier  du  nom,  roi  de  France, 
naquit  à  Anguulême,  le  11  avril  1492,  de 
Charles  d'Orléans  et  de  Louise  de  Savoie. 
Elle  fut  élevée  à  la  cour  de  Louis  XII,  et 
elle  épousa,  le  9  octobre  1509,  Charles, 
dernier  duc  d'Alençon,  que  Françoi  1"  fit 
reconnaître  pour  premier  prince  du  sang. 
Le  duc  d'Alençon  mourut  h  Lyon  en  1525, 
du  déplaisir  de  la  prise  de  François  Ier.  Mar- 
guerite, quoique  extrêmement  touchée  de 
ceile  mort,  se  rendit  à  Madrid,  auprès  du 
roi  son  frère,  et  sollicita  vivement  pour  sa 
liberté.  François  I",  de  retour  en  France, 
maria  Marguerite  avec  Henri  d'Albret,  roi 
de  Navarre;  ce  mariage  se  fit  eu  1527.  Celle 
princesse  avait  beaucoup  de  conuaissai.ee 
des  belles-lettres,  et  elle  composait  assez 
bien  pour  son  temps,  en  vers  et  en  prose. 
Elle  estimait  les  savants  et  se  plaisait  à  leur 
faire  du  bien.  Brantôme,  p<ig.  308  et  309  de 
ses  Dames  illustres,  dit  «  que  la  reine  do 
«  Navarre  composoit  souvent  des  comédies 
«  et  des  moralités,  qu'on  appeloit  en  ce 
«  temps-là  des  pastorales,  qu'elle  faisoit 
a  jouer  et  reorésenler  par  les  filles  de  sa 
«  cour.  » 

«  Florimond  de  Rémond  (Histoire  de  l'hé- 
résie, livre  vin,  chap.  3,  p.  849)  dit  «  que 
«  le  docteur  Roussel  mit  celte  princesse 
«  dans  le  goût  de  lire  la  Bible,  et  qu'elle  s'y 
a  attacha  avec  tant  de  plaisir,  qu'elle  com- 
«  posa  une  traduction  tragi-comique  de 
«  presque  tout  le  Nouveau  Testament,  qu'eilo 
«  faisait  représenter  en  la  salle,  devant  le 
«  roi  son  mari ,  ayant  recouvert  pour  cet 
«  effet  des  meilleurs  comédiens  qu'elle  put 
a  trouver  (188).  » 

«  Marguerite  de  Valois  mourut  au  château 
d'Odos,  en  Bigorre,  le  2  décembre  1549,  et 
fut  inhumée  à  Pau.  Charles  de  Sainte-Marthe, 
lieutenant  criminel  d'Alençon  et  maître  des 
requêtes  de  l'hôtel  de  cette  reine,  composa 

comédiens  italiens  :  mais  quelle  apparence  y  a-lit 
que  la  reine  de  Navaire envoyai  eliêrcher  des  étran- 
gers pour  jouer  des  pièces  françaises,  pendant  qu  il 
y  avait  en  France  plusieurs  troupes  de  arméniens, 
qui  couraient  le  royaume. 


503 


MAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


MAR 


504 


son  oraison  funèbre,  qu'il  publia  en  latin 
et  en  français.  Scévole  de  Sainte-Marthe  a 
placé  son  éloge  entre  ceux  des  hommes  de 
lettres  fronçais.  Ronsard,  Dorât,  Nicolas 
Denisot,  Brantôme,  Lacroix  du  Maine,  Du- 
ver.iier,  etc.,  font  mention  de  cette  reine.  Il 
reste  même  un  volume  d'épitaphes  qu'on  fit 
pour  elle.  Anne,  Marguerite  et  Jeanne  de 
Seimour,  Anglaises,  composèrent  pour  elle 
plus  de  cent  distiques  latins,  que  Du  Bellay, 
Dorât  et  Baïf,  et  autres  poètes  célèbres, 
mirent  en  notre  langue. 

«  Voici  les  titres  des  pièces  dramatiques 
que  Marguerite  de  Valois  composa  (189)  : 

Comédie  de  la  Nativité.  — ■  Comédie  de  V Ado- 
ration des  trois  Bois.  —  Comédie  des  Inno- 
cents.—  Comédie  du  Déterl. — Comédie  des 
deux  Filles,  deux  Mariées,  la  Vieille,  le  Vieil- 
lard et  les  quatre  hommes.  —  Farce  de  Trop, 
Prou,  Peu,  Moins.  » 

M.  0.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  Vhist. 
de  France;  Paris,  1843,  in-8°,  p.  389,  a  rap- 
pelé les  mystères  de  la  spirituelle  et  belle 
Marguerite  de  Valois,  mais  il  les  déclare  si 
ennuyeux  qu'il  n'en  peut  rien  citer,  quoique 
joués  au  château  de  Béarn,  selon  l'autorité 
de  Brantôme.  Ces  mystères  ont  été  impri- 
més en  1544. 

MARTIAL  DE  LIMOGES  (Manuscrit  de 
Saint-).  —  Eu  174-1 ,  le  savant  abbé  Lebeuf, 
examinant  Vétat  des  sciences  en  France  de- 
puis Robert  le  Fort,  fit  connaître  l'existence 
d'un  manuscrit  de  l'abbaye  de  Saint-Martial 
de  Limoges,  dans  lequel  il  signalait  un  drame 
de  là  Nativité  {Dissertations  sur  ÏHist.  ccclés. 
et  civile  de  Paris,  1741,  in-8°,  t.  II,  p.  65). 
Les  Bénédictins  crurent  devoir,  sur  celte 
autorité,  reculer  jusqu'au  xr  siècle  les 
origines  du  théâtre,  quoiqu'ils  fussent  d'a- 
vis que  les  drames  du  Manuscrit  de  Saint- 
Martial  n'avaient  pas  été  représentés.  (Dis- 
cours sur  Vétat  des  lettres  en  France  au  xi* 
siècle,  dons  VHist.  littér.  de  la  France;  Pa- 
lis, 1746,  in-4.%  t.  VII,  p.  127.) 

Le  xviii*  siècle  n'y  attacha  pas  autrement 
d'importance. 

Par  suite  de  la  Révolution,  le  manuscrit 
ayant  passé  de  l'abbaye  de  Saint-Martial  do 
Limoges  dans  le  riche  trésor  de  la  Biblio- 
thèque impériale,  il  y  resta  assez  longtemps 
ignoré.  De  Roquefoi  t-Flainéricourl  (De  l'état 
de  la  poésie  fr.  dans  les  xii*  et  xui'  siècles; 
Paris,  1815,  in-8°,  p.  258),  s'en  tenait,  au 
commencement  du  xix'  siècle,  au  jugement 
incomplet  de  l'abbé  Lebeuf;  et  dans  le  XVI* 
volume  de  V Histoire  littéraire  de  la  France, 
continuée  par  l'Institut  (Paris,  182V,  in-80), 
M.  Amaury-Duvai  n'appréciait  pas  autre- 
ment que  les  Bénédictins  les  fragments  du 
Manuscrit  de  Saint-Martial. 

Enfin  Raynouard  publia  le  texte.  (Choix 
de  poésies  originales  des  troubadours,  t.  II, 
]>.  139.)  M.  Fr.  Mich.d  en  donna  une  réédi- 
tion pour  la  Société  des  bibliophiles  fran- 
çais.  M.  Thomas   Wright,   en   Angleterre, 

(189)  Ces  pièces  de  théâtre  sont  comprises  dans 

le  Recueil  des  œuvres  de  la  reine  de  Navarre,  impri- 
mée* eu  1547,  sous  lo  titre  de  Marguerites  de   la 


reproduisit  ces  deux  éditions.  (Early  Myste- 
ries,  Anciens  mystères  et  poèmes  latins  des 
xii'  et  xiii*  siècles,  publiés  sur  les  manus- 
crits originaux  ;  Londres,  Nichol,  1838,  in-8*, 
de  xxvm-135  pages.)  Enfin  on  retrouve  en- 
core ce  texte,  accompagné  de  la  traduction 
de  Raynouard,  dans  le  Théâtre  français  au 
moyen  âge,  publié  par  MM.  Monmerqué  et 
Fr.  Michel  (1  vol.  gr.  in-8°;  Paris,  1839). 

Jusque-là  les  fragments,  parfaitement  dis- 
tincts pourtant  du  manuscrit  original,  étaient 
restés  confondus.  Ce  fut  M.  Magnin,  qui, 
avec  l'extrême  sûreté  de  vue  dont  il  a  tant 
de  fois  fait  preuve  dans  ses  écrits  sur  le 
théâtre,  mit  en  lumière  trois  morceaux,  en- 
tièrement divers,  que  rien  ne  rattache  les 
uns  aux  autres,  et  que  avant  lui  personne 
n'avait  remarqué  : 

1°  Un  court  fragment  de  Y  Office  du  Sépul- 
cre (ce  qu'on  a  appelé  un  peu  après  le  Mys- 
tère de  la  Résurrection),  dans  lequel  figurent 
les  saintes  femmes. 

2°  Le  Mystère  de  l'Arrivée  de  l'Epoux  ou 
des  Vierges  sages  et  des  Vierges  folles,  dans 
lequel,  à  cause  de  la  vulgarité  de  certains 
détails,  la  langue  romane  est  introduite. 

3"  Enfin,  un  Office  du  Mystère  de  la  Nati- 
vité. (Cf.  les  Comptes  rendus  du  cours  pro- 
fessé à  la  Faculté  des  lettres,  quelque  inexacts 
qu'ils  soient,  dans  le  Journal  général  de 
l Instruction  publique,  1835.  12  juillet,  p. 
370,  et  26  juillet,  p.  395;  et  surtout  le  Jour~ 
nul  des  Savants,  cahier  de  janvier  1846.) 

MM.  Jubinal,  Francisque  Michel  ,  Mon- 
merqué, Morice,  O.  Leroy,  reproduisirent 
ces  observations. 

Le  Manuscrit  de  Saint-Martial  fut  d'abord 
attribué  au  commencement  du  xu*  siècle 
par  l'abbé  Lebeuf,  qui  le  data  de  1131a 
1161.  Les  Bénédictins  en  reculèrent  l'âge 
jusqu'au  xi'  siècle,  et  M.  Raynouard  le  re- 
porta, en  s'appuyant  sur  des  preuves  philo- 
logiques, à  la  première  moitié  du  xi'  siècle. 
II  en  résulte  qu'il  est  à  peu  près  certain 
que  les  drames  du  Manuscrit  de  Saint-Mar- 
tial sont  des  restes,  plus  précieux  encore 
en  raison  de  leur  haute  antiquité,  non  pas 
môme  du  commencement  du  xi"  siècle,  mais 
bien  du  x';  Raynouard  n'était  pas  éloigné 
de  les  faire  remonter  jusque-là,  et  M.  Ma- 
gnin les  a  fixés  définitivement  à  cette 
époque. 

Très-certainement  l'abbé  Lebeuf  croyait 
que  la  pièce  du  Manuscrit  de  Saint-Martial 
avait  élé  représentée.  Les  Bénédictins  for- 
mulèrent une  opinion  contraire.  M.  Magnin, 
s'appuyant  sur  l'existence  d'une  rubrique 
du  mystère  des  Vierges,  qui  indiquait  un  jeu 
de  scène,  et  que  Raynouard  avait  laissée 
confondue  dans  le  dialogue,  fut  d'avis  que 
ces  drames  avaient  dû  être,  non  pas  seule- 
ment récités,  mais  représentés  dans  l'église. 
—  Voy.  Vierges  sages  (les). 

Enfin,  c'est  au  même  érudit  qu'est  due  la 
publication  du   fragment   de  mystère  des 

Marguerite  des  princesses,  ires-illustre  roync  de  Na- 
varre. 


50; 


.MAP 


DICTIONNAIRE  DSS  MYSTERES. 


MÀR 


5tt6 


Innocents,  .que  contient  encore  le  Manuscrit 
de  Saint-Martial.  —  Voy.  Innocents  (les). 

En  résumé,  datant  de  la  première  moitié 
du  xi*  siècle,  inconnu  jusqu'au  xvm%  si- 
gnalé par  l'abbé  Lebeuf,  édité  par  Uay- 
nouarl,  et  d'après  lui,  par  M.  Fr.  Michel  et 
Thomas  Wright,  le  précieux  Manuscrit  de 
Saint-Martial  de  Limoges,  et  non  d'Auver- 
gne, comme  le  dit  M.  Jubinal  (Mystères  iné- 
dits du  xv'  siècle;  Paris,  1837,  2  vol.  in-8°, 
t.  1",  préf.,  p.  xv),  contient  quatre  drames 
distincts  : 

1°  Un  fragment  d'un  Office  dialogué  du 
Sépulcre'on  de  la  Résurrection,  que  nous 
publions  au  mot  Résurrection  (la). 

2°  Le  Mystère  des  Vierges;  voy.  Vierges 

SAGES  ET  LES  VlERGES  FOLLES  (les). 

3°  Le  Mystère  de  la  Nativité;  voy.  Nati- 
vité (la).  " 

4°  Le  Mystère  des  Innocents,  dont  il  ne 
reste  qu'un  fragment  ;  voy.  Innocents  (les). 

Ces  quatre  drames  datent  du  x'siècleJ 

MARTIN  (Saint).  —  M.  0.  Leroy,  dans 
ses  Etudes  sur  les  Mystères  (Paris,  1837,in-8°, 
p.  28V-303),  s'est  arrêté  à  la  critique  du 
mystère  de  la  Vie  de  saint  Martin 

Le  manuscrit  appartient  a  la  Bibliothèque 
royale,  fonds  La  Vallière,  n°  51. 

L'auteur  est  cet  Andrieude  La  "Vigne,  au- 
teur du  Journal  de  Naples,  mort  en  1527, 
né  à  la  Rochelle,  et  dont  les  œuvres  s'aug- 
mentent de  la  Vie  de  saint  Martin  par  per- 
sonnaiges,  et  de  deux  farces. 

Le  Saint  Martin  de  de  La  Vigne  a  été  joué 
a  Seurre  en  Bourgogne,  en  1496.  Un  pro- 
cès-verbal de  la  représentation,  écrit  par 
l'auteur,  témoigne  en  faveur  de  la  curio- 
sité pieusedes  Bourguignons  et  de  la  bonne 
volonté  des  acteurs.  Parmi  ces  derniers, 
s'est  rencontré  le  nom  de  la  famille  de  Bos- 
suel,  bourguignonne,  en  eifet,  d'origine. 

«  Dès  le  début  du  Mystère  de  saint  Martin, 
son  père,  qui  était,  dans  le  iv'  siècle,  un 
de  ces  tyrans  militaires  que  Rome  imposait 
a  la  Gaule,  parle  ainsi  de  son  fils  a  sa  femme, 
d'un  ton  de  matamore,  dont  le  mauvais  goût 
n'est  pourtant  pas  sans  vérité  : 

Je  veulx  qu'il  soit  désormais  aux  vacarmes; 
Carmes,  nioyncs,  pour  ses  rudes  alarmes, 
Larmoyer  face  (fasse);  à  noyse  el  à  coniens 
Tant  qu'il  ayl  fait  plusieurs  gens  mal  coniens, 
Tandis  qu'il  est  en  la  fleur  de  jeunesse... 
Bâtant,  frappant,  pour  hanter  combatans, 
Bataillant  fort,  tant  qu'il  soit  en  vieillesse... 

«  Le  jeune  Martin...  est  au  moment  d'em- 
brasser le  christianisme;  il  en  a  déjà  les 
vertus,  lorsque  son  père  lui  vantant  les 
plaisirs  dont  jouissent  les  gens  du  monde, 
lejeunehoinme, aussi  sage  quele  vieillard  es» 
fou,  lui  répond  : 

Tel  aujourdliuy  s'esjoysl  de  la  fesie 
Qui  puis  après  petitement  s'en  loue, 
El  lel  son  biuyl  aujourdliuy  niagnifcsle 
A  qui  demain  mort  baille  sur  la  joue. 
Fortune  après  du  demouranl  se  joue 
Me  plus  ne  moins  c'un  chat  d'une  souris... 

«  Martin  cependant  a  embrassé  le  métier 
des  armes,  et  il  se  trouve,  au  milieu  de  l'hi- 


ver le  plus  dur,  jeté  parmi  des  militaires... 
en  butte  aux  railleries  de  ses  compagnons 
d'armes... 

«  Un  jour,  il  donne  à  un  pauvre  la  moitié 
do  son  manteau...  Pendant  son  sommeil, 
Jésus  lui  apparaît  revêtu  du  manteau  dont  il 
avait  donné  la  moitié  au  pauvre.  Celte  vision 
le  porte  à  se  faire  baptiser.  C'est  ainsi  que 
la  première  îles  vertus  chrétiennes,  la  cha- 
rité,   conduit  à  la  foi... 

«  Des  voleurs,  entre  les  mains  de  qui  il 
est  tombé  en  traversant  une  forêt...  sont 
sur  le  point  de  le  maltraiter.  Us  l'ont  atta- 
ché à  un  arbre,  mais  ils  n'ont  pu  enchaîner 
sa  parole,  il  s'en  sert... 

«  Il  s'est  adressé  au  plus  acharné  des 
malfaiteurs;  le  brigand  commence  à  réfléchir 
et  se  dit  à  lui-même  : 

Hellas?trop  me  suis  déliclé 

A  faire  des  maux  esscc.rables, 

Dont  après  ma  charnalilé 

S'en  yra  à  lous  les  grans  diables. 

0  appélis  désordonnez, 

Eu  enfer  vous  serez  dampnez  ! 

SAINT   MARTIN. 

Mon  amy.  ne  vous  condampnez 
Dieu  est  plaiu  de  miséricorde. 

LE   VOLEUR. 

Laissez  m'en  paix!  vous  me  tannez. 
Que  pendu  soi-ge  d'une  corde! 

«  Le  coquin,  tanné  des  coups  que  son 
âme  reçoit,  est  plein  de  naturel.  * 

Dans  ses  Epoques  sur  l'histoire  de  France 
(Paris,  1843,  in-8%  p.  430-456),  M.  O.  Leroy 
est  revenu  sur  le  Mystère  de  saint  Martin 
du  manuscrit  de  Paris...  «  Le  drame  d'André 
de  La  Vigne,  dit-il,  si  supérieur  à  l'autre 
mystère  anonyme  sur  le  même  sujet;  ce 
grand  drame ,  si  remarquable ,  ne  fut  pas 
seulement  représenté  à  Seurre,  il  le  fut 
aussi  à  Tours,  aux  fêtes  solennelles  de  Saint- 
Martin...  » 

Au  sujet  de  ces  représentations  h  Tours, 
et  en  en  rapprochant  la  scène  de  l'évoca- 
tion du  brigand  dont  le  tombeau  avait  été, 
jusque-là,  respecté  comme  celui  d'un  mar- 
tyr, et  que  l'auteur  du  mystère  a  reproduite 
d'après  Sulpice  Sévère,  M.  O.  Leroy  reste 
convaincu  que  les  paroles  suivantes  de 
saint  Martin  purent  n'être  pas  étrangères 
au  grand  désastre  dans  lequel  périrent  les 
autels  et  les  reliques  de  saint  Martin,  de 
saint  Grégoire  de  Tours,  et  d'autres  saints 
non  moins  vénérables  : 

Il  faut  mettre  à  destruction 
L'autel,  afin  que  désormais 
Personne  n'ait  affection 
D'y  venir  s'y  abuser  jamais  ! 

Une  discussion  s'élève  entre  saint  Martin 
et  un  évoque  arien.  M.  O.  Leroy  en  rappro- 
che les  débats  entre  le  catholicisme  et  l'hé- 
résie :  «  André  de  La  Vigne,  dit-il,  a  cher- 
ché les  faits  et  les  peintures  le  plus  en  rap- 
port avec  l'esprit  et  le  goût  de  son  temps. 
11  nous  montre  saint  Martin  déployant  tout 
son  zèle  contre  l'aiianisme  qui,  défendu  par 
l'aristocratie...  devait  ressembler,  sous  bien 


507 


MAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


M  AU 


508 


d'autres  rapports,  au  protestantisme.  L'in- 
térêt politique  vient  donc  se  joindre  à  l'in- 
térêt religieux  et  pr -longer  le  succès  du 
drame.  L'attention  qu'on  y  prêtait  à  ces 
longs  et  violents  débats  n'annonçait  que  trop 
le  siècle  de  Luther  et  nos  guerres  de  re- 
ligion. » 
MARTIN  (Saint).  —  On  lit  dans  les  Etu- 


gnes  chacune.  Les  caractères 
personnages 


Bcauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres  de 
France;  Paris,  1735,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p. 
2-27),  mentionnait  sous  le  titre  de  Vie  de  saint 
Martin  de  Tours. 

MAUVAIS  RICHE  ET  LE  LADRE  (Le). 
—  Mystère  du  xvie  siècle,  écrit  en  vors  fran- 
çais, dont  l'auteur  et  les  manuscrits   sont 
restas  ignorés.  La  première  édition    connue 
dessilles  Mystères  (Paris,  1837,  p.  301)  de      est  in-"8°  gothique,  sans  date,  sans  nom  de 

lieu  ni  d'imprimeur,  sans  chiffres  ni  récla- 
mes, mais  seulement  avec  les  signatures  A 
et  B,  en  tout  32  pages,  dont  la  justification 
est  de  k  pouces  5  lignes  de  hauteur  et  de 
2  pouces  7  lignes  de  largeur.  Ce  livre  a  été 
reproduit,  pour  faire  suite  à  la  collection  de 
Caron,  en  avril  1823,  par  Augustin  Ponlier, 
imprimeur-libraire,  à  Aix,  Bouches-du- 
Rhône.  L'éditeur  s'est  appliquée  imitor  exac- 
tement l'original  page  par  page,  et  jusque, 
dans  les  fautes  :  il  a  fait  calquer  et  graver 
exprès  sur  bois,  la  vignette  du  frontispice, 
qui  a  été  détruit^  après  le  tirage.  Il  n'a  été 
tiré  que  72  exemplaires  de  cette  réimpres- 
sion, dont  3  sur  vélin,  6  sur  papier  vélin 
bleu,  6  sur  papier  vélin  rose,  12  sur  papier 
vélin  d'Annonay,  kO  sur  papier  vélin  blanc 
ordinaire  (couronne  in-8°),  et  5  destinés  au 
dépôt.  Le  titre  de  ce  mvstère  est  ainsi 
conçu  : 

MORALITÉ    NOUVELLE     DU     MAUVAIS     RICHE     ET 
DU    LADRE.    A    DOUZE    PERSONNAGES. 

Suit  une  citation  d'un  verset  tiré  du  xxn* 
c.  de  saint  Luc. 

Le  mauvais  riche  contient  près  de  mille 
vers 

Les  frères  Parfait  (Bist.  du  Théâtre  fr.  ; 
Paris,  15  vol.,  in-12,  1745,  t.  111,  p.  9i)  ont 
rendu  compte  de  ce  mystère  ;  ils  le  datent, 
on  ne  sait  trop  comment,  de  l'an  1500.  De 
Beauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres  de 
France;  Paris,  1735,  in -8°,  6  vol.,  t.  1", 
p.  230),  et  la  Bibliothèque  du  théâtre  fran- 
çais (Dresde,  17G8,  in-8%3  vol.,  t.  1",  p.  18), 
ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Val li ère,  ont 
rendu  compte  de  ce  drame.  Parmi  les  mo- 
dernes,  M.  Sainte-Beuve  (Tableau  hist,  et 
cr.  de  la  p.  fr.  et  du  théâtre  fr.  au  xxi'  siè- 
cle ;  Paris,  1828,  in-8°,  2  vol.,  t.  I",  p.  217- 
23i),  a  fait  mention  de  cette  moralité. 

PERSONNAGES. 

LE  RÉC1TATF.UR  lit]  prolûg. 

trotemknc,  valet  du  mau- 
vais riche. 


M.  O.  Leroy 

«Il  existe  un  mystère  de  saint  Martin,  im- 
primé vers  1500,  dont  M.  Brunet  a  vu  chez 
M.  Téchenerun  exemplaire  qui  appartient  à 
la  bibliothèque  de  Chartres...  C'est  un  petit 
in-4°  de  7  pouces  de  bauteur  et  de  5  de 
largeur,  composé  de  32  feuillets,  à  2  co- 
lonnes, 

sont  en  petit  gothique,  et  les 
ou  acteurs  au  nombre  de  53.   Le  premier 
feuillet  est  orné  d'une  gravure  en  bois,  re- 
présentant saint  Martin  à  cheval,  et  un  boi- 
teux allant  à  sa  rencontre.  » 

Le  mystère  est  entièrement  différent  de 
celui  donj  le  manuscrit  est  conservé  à  la 
Bibliothèque  impériale. 

11  est  évidemmentd'unautreauteur,  qui  est 
resté  inconnu. 

Parmi  les  preuves  du  goût  du  peuple  fran- 
çais pour  le  rire,  et  le  rire  déplacé  surtout, 
que  M.  ().  Leroy  a  tirées  du  vieux  théâtre 
français,  et  qu'il  a  réunies  dans  ses  Epoques 
de  l'histoire  de  France...  (Paris,  18i3,  in -8°), 
il  en  est  une  fort  singulière,  en  rapport  avec 
l'histoire  qui,  selon  cet  au  leur,  à  ce  double  titre, 
méritai td-'être remarquée, et  que  eite,eneffet, 
M.  Leroy.  L'auteur  du  mystère  nous  montre 
saint  Martin  célébrant  la  messe.  Celte  action, 
la  plus  solennelle  du  christianisme,  nous 
semblerait  déplacée  sur  la  scène  la  plus 
grave.  Voyons  comment  le  vieil  auteur  l'a 
égayée,  suivant  l'expression  de  Boileau.  Deux 
femmes  futiles,  comme  on  en  a  yu  de  tout 
temps,  viennent  à  l'église,  et  Satan  les  suit; 
il  ne  les  quitte  pas.  Elles  sont  censées  là 
pour  entendre  la  messe.  Le  diable,  qui  s'est 
mis  derrière  elles,  les  voyant  jeter  ça  el  là 
leurs  regards,  et, au  lieu  de  prières,  débiter 
entre  elles  mille  médisances,  le  diable,  dis- 
je,  atin  de  n'en  rien  perdre,  tire  de  sa  poche 
un  long  parchemin,  et  se  met  à  écrire  tout 
ce  qu'il  entend  dire  aux  deux  babillardes  : 
il  a  fort  à  faire...  Malgré  sa  sténographie,  ne 
pouvant  saisir  le  torrent,  il  se  démène  comme 
si  l'eau  bénite  tombait  5  flots  sur  lui,  ce  que 
le  petit  Brice,  malin  enfant  de  chœur  (Grég. 
db  Tours,  Hist.  cccl.,\.  h,  c.  1),  remarque  en 
riant  aux  éclats.  Quand  saint  xMartin  a  dit  sa 
messe,  il  demande  à  l'enfant  de  chœur  la 
eausedeses  ris.  Celui-ci  l'avoue...  Le  saint... 
adresse  à  ses  ouailles  ces  paroles  pleines  de 
bonhommie  : 

Or  regardés,  tant  bonnes  gens, 

Comme  vous  guette  l'ennemy 

Quand  en  l'église  est  venn  cy 

Escrire  ce  que  l'on  parloit. 

Haa,  bonnes  gens,  c'est  mal  faicl 

De  parler  ainsi  à  l'églize, 

Quanti  on  doit  ouyr  le  service,  (p.  558.) 

Ce  mystère  est  sans  doule  celui  que  do 


LE  MAUVAIS  RICHE. 
LA  FEMME  DL*  MAUVAIS  RI- 
CHE. 

tru-et,  cuisinier  du  mau- 
vais riche. 


LE  LADRE. 
DIEU  LE  PtRE. 
ABRAHAM. 
RAPHAËL. 
SATAN. 

rahouart,  diable 

LUCIFER- 
ACGRAPART. 


Le  mauvais  riche  a  demandé  son  dîner. 
Trotemenu,  son  valet,  et  Tripet,  son  cuisi- 
nier, s'empressent  de  le  servir.  On  entend 
à  ce  moment  la  «  cliquette  »  du  ladre  : 

LE  LADRE. 

Envoyez-moy  aucune  chose, 
Car  plus  avant  aller  je  n'ose; 
T  restons  les  jours  mon  mal  empire. 
Hélas!  comme  mon  cœur  désire 
D'estre  saoule  de  miettes... 


509  MAU 

Qui  ins  de  la  table  dégouttent... 
Si  vous  prie  amoureusement 
Que  me  vueillez  rassasier 
Que  Dieu  vous  vueille  héberger 
Lassus  en  son  saincl  paradis. 


Envoyez-moi  quelque  chose,  car  je  ne  puis  me 
Soutenir  plus  longtemps;  mon  mal  empire  tous  les 
jours,  flélas!  combien  je  soupire,  rien  que  des  miet- 
tes... tombant  de  la  table...  Aussi  je  vous  conjure 
ardemment  de  vouloir  bien  apaiser  ma  faim,  et 
Dieu  vous  recevra  certainement  à  cause  de  cela, 
dans  son  saint  paradis. 

Le  riche,  pour  toute  réponse  aux  lamen- 
tations du  ladre,  fait  lâcher  sr.r  lui  ses  chiens 
de^arde;  rouis  les  chiens,  au  lieu  de  se  jeter 
sur  lui,  lui  font  fêle,  le  lèchent,  le  caressent, 
si  bien  que  Trotemenu,  ébahi,  s'écrie  devant 
son  maître  : 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


MIC 


MO 


Et  toute  désolation 

Or  suis  venu  en  la  maison 

Où  me  failli  tant  souffrir  de  maulx 

Par  la  puissance  aux  infernaulx 

Père  Abraham  je  vous  requier 

Que  vous  me  vueillez  envoyer 

Le  povre  ladre  que  tenez... 


Helas!  funeste  spéculation!  Comment  ai-je  passé 
ma  vie  sans  jamais  faire  de  charité,  sans  jamais 
avoir  souci  du  bien.  Je  n'eus  pour  les  pauvres  qu'in- 
jure et  souffrance.  Aussi  suis  je  en  ces  lieux  où 
s'exercent  les  horreurs  de  tontes  les  tortures  par  la 
puissance  des  infernaux.  0  père  Abraham,  je  vous 
conjure  de  m'envoycr  ce  pauvre  ladre  que  vous 
tenez... 


^  Abraham  refuse  au  mauvais  riche  la  goutte 
d'eau  qu'il  demande,  au  nom  de  la  justice 
éternelle,  au  nom  de 


Je  ne  sçay  moy  que  ce  peull  estre 
Je  croy  que  Dieu  y  fait  vertus. 

Je  ne  sais  ce  que  cela  signifie,  et  je  croisa  que  Dieu 
y  met  de  sa  puissance. 

LE  RICHE. 

Par  Dieu,  (u  es  bien  maloslrus 
Qui  cuides  que  Dieu  s'embesongne.. 
.     .     .  De  si  ville  créature. 
Si  seroil  pour  luy  grant  laidure... 

Par  Dieu,  tu  es  bien  malavisé  de  croire  que  Dieu 
6'occupe...  de  si  viles  créatures...  Ce  sérail  oour 
lui  une  belle  occupation... 

Trotemenu  est  renvoyé.  Il  chasse  douce- 
ment le  ladre,  qui,  désespéré,  invoque  le 
Seigneur  et  lui  demande  la  grâce  de  mourir. 
Dieu  le  Père  est  ému,  il  a  «  et  compassion  et 
pitié  du  pouro  Lazare,  »  i!  se  résout  à  le  rap- 
peler dans  le  sein  d'Abraham,  et  envoie  Ra- 
phaël chercher  l'ânie  de  l'infortuné  qui  ex- 
pire. 

L'enfer  essayed'enlever  a  Raphaël  l'âme  de 
Lazare,  mais  en  vain  :  Satan,  Rahouart  y 
échouent,  et  Lucifer  furieux  les  accable  de 
sa  colère. 

Le  ladre  est  arrivé  enfin  dansle  ciel  joyeux 
de  son  arrivée. 

Cependant  le  mauvais  riche  est  mort  ;  Sa- 
tan et  Rahouart,  émissaires  de  Lucifer,  qui 
le  guettaient,  l'un  aux  pieds,  l'autre  au  che- 
vet de  son  lit,  ont  saisi  son  âme,  et  l'ont 
plongée 

.     .    .    En  la  chaudière 
Où  il  n'a  elerté  ne  lumière. 

Le  tourmenté  se  plaint,  supplie  : 

LE  RICHE 

Hélas!  i'ay  fait  mauvais  exploit 
Quant  j'ay  ainsi  n.on  temps  usé 
Sans  faire  nulle  charité 
Oncque  de  bien  taire  neuz  cure 
Aux  povres  gens  mais  touic  injure 


Cil  qui  tout  sçait  et  par  tout  voit 
Qui  vil  el  règne  et  régnera 
In  sa'culorum  swcula.Amen. 


ÏXPLICIT. 

MEMBRES  ET  LESTOMAC  (Les).—  Les 
membres  et  l'estomac  sont  contenus  dans  le 
manuscrit  anonyme  de  la  Bibliothèque  im- 
périale, fonds  La  Vallière,  n°  63. 

Cette  pièce  date  du  xvi*  siècle 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les  Mys- 
tères (Paris,  1837,  in-8°,  p.  373),  en  a  donné 
l'appréciation  suivante  : 

«  L'auteur  anonyme  du  drame  a  pour  but 
de  faire  sentir  aux  communions  séparées  do 
Rome  que,  privées  du  chef  universel  dont 
l'autorité  les  guidait,  elles  doivent  flotter  à 
tous  vents  de  doctrine,  comme  dit  Bossuet,  et 
périr  dans  leur  foi.  Telle  est  la  moralité  ré- 
sumée dans  ces  rimes  : 

Nous  sommes  tous  membres,  branches  ausy. 
Grist,  nosire  corps  cl  tronce,  par  aiusy 
Nousjoinct  en  luy.  Pour  nous  fruict  produyra, 
Ou  aullrement  en  douleur  et  soulcy 
Membre  du  corps  divisé  périra. 

«  Cet  ouvrage  n'étaitpasjoué sans  doute...» 

MICHEL  (Jean).  —  Jean  Michel  est  l'un 
des  deux  grands  réviseurs  du  drame  de  la 
Passion. 

Son  histoire  est  singulièrement  incertaine, 
comme  celle  des  Gresban  ,  du  reste,  qui 
ont ,  avant  lui ,  mis  la  main  à  la  môme 
œuvre. 

Les  uns  ne  savent  de  lui  rien  autre  chose, 
sinon  qu'il  était  éloquent  el  savant  ;  les  au- 
tres veulent  qu'il  ait  été  évèquc  d'Angers  et 
ait  vécu  dans  la  première  moitié  du  xV  siè- 
cle ;  pour  d'autres,  encore,  c'est  le  médecin 
de  Charies  VIII.  On  a  dit  que  l'évoque  et  le 
médecin  étaient  parents. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 
1703,  in-8%  3  vol.,  t.  I",  p.  65),  suppose 
«  que  le  Jean  Sliehel.évéque,  était  l'auteur  de 
la  Passion,  connue  vers  1W2  ;  et  que  le  Jean 


5!i 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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512 


Michel,  médecin,  corrigea,  augmenta  et  fit 
imprimer  cet  ouvrage.  Il  est  incontestable 
que  c'est  ce  dernier  qui  est  auteur  du  mys- 
tère de  la  Conception,  ainsi  que  de  celui  de 
la  Résurrection.  » 

On  ne  sait  ni  le  lieu  de  sa  naissance,  ni 
son  temps.  Ses  ouvrages  ne  sont  pas  moins 
incertains.  Il  a  revisé  la  Passion,  ceci  est 
incontestable.  Les  additions  et  les  change- 
ments d'une  édition  du  drame  de  la  Résur- 
rection, suite  inséparable  et  complément  de 
la  Passion,  lui  appartiennent;  et  aussi  un 
drame  entier  de  la  Résurrection.  La  Vengeance 
de  Notre-Seigneur  esi-ello  son  œuvre,  c'est 
ce  qui  devient  plus  incertain.  Enfin  l'abbé 
Lebeuf  lui  attribue  le  Dialogue  entre  Dieu, 
l'homme  et  le  diable.  —  Voy.  Passion  (la); 
Vengeance  de  Nôtre-Seigneur  Jésus-Christ 
(la); —  Dialogue,  etc. 

MIRACLES  DE  SAINTE  GENEVIÈVE 
(Les).—  Voy.  Sainte-Geneviève  (Les  mira- 
cles de). 

MIRACLES  DE  NOTRE-DAME.-  De 
Beauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres; Pa- 
ris, 1735,  in-8%3  vol.,  t.I",  p.  234-240),  avait 
signalé  le  manuscrit  des  Miracles  de  Notre- 
Dame,  et  donné  la  liste  des  mystères  qu'il 
contient. 

M.  Magnin,  dans  son  cours  professé  en 
1835,  à  la  Faculté  des  lettres,  commença 
d'appeler  fortement  l'attention  sur  les  dra- 
mes. Quoique  toujoursaccompagnésd'un  ser- 
mon, il  les  déclara  joués  par  des  laïques, 
hors  de  l'église,  et  peut-être  par  une  confré- 
riede  la  Viergedemi-laïque, demi-religieuse  ; 
enfin  il  les  attribuait  au  xive  siècle.  (Journ. 
gêner,  de  l  instr.  publiq.,  19  nov.  1835,  cours, 
2'  semestre,  xr  art.,  p.  43.) 

M.  Onésimc  Leroy  s'empara,  pour  les  dé- 
velopper, des  opinions  de  M.  Magnin.  Dans 
ses  Etudessur  les  Mystères  (Paris,  1837,  in-8°, 
p.  40-110)  ;  il  consacra  un  chapitre  entier  aux 
Miracles  de  Notre-Dame ,  qu'il  intitulait 
inexactement  Mystères.  Il  se  rangeait  à  l'o- 
pinion qui  attribue  h  la  première  moitié  du 
xiV  siècle  le  manuscrit  des  Miracles;  mais 
non  sans  critique,  celle  date  étant,  à  l'en 
croire,  incertaine,  à  un  siècle  près.  A  n'en 
juger  que  par  les  sermons  en  prose  qui  ac- 
compagnent chacune  de  ces  pièces, on  pour- 
rait croire  que  «  ces  drames  sont  monasti- 
ques »  et  que  nous  avons  l'œuvre  de  quel- 
que autre  Hrotswithe;  mais  comme,  outre 
le  sermon,  il  y  a  à  la  suite,  ou  en  tête  de 
chacun  d'eux,  une  pièce  de  vers  qui  a  été 
présentée  a  un  concours, ou  couronnée  d'un 
prix  littéraire,  il  est  probable  que  ce  recueil 
appartenait  à  une  do  ces  confréries  reli- 
gieuses et  littéraires,  communes  dans  le 
nord  de  la  Franco  dès  le  xnr  siècle.  C'est 
aux  princes,  c'est-à-dire  aux  chefs  de  ces 
sociétés,  que  s'adresse  cet  envoi  : 

Princes,  servons  de  cuer  el  de  pensée 
L'Arche  en  qui  fu  ta  sainte  char  (c/»flir) fou rmée 

De  Jésucrisi... 

et  ces  mots  :  couronné  on  dit  Puy,  qu'on  lit 
après,  un  serrenloys,  indiquent  une  de  ces 
sociétés  du  Puy  (Pùys  d'Amour,  Puys  de  la 


Conception,  Notre-Dame  du  Puy)  communes 
à  Valencicnnes,  Arras,  Amiens,  Beauvais, 
Bouen,  Caen,  Dieppe,  etc. 

Quelques  année»  plus  lard  ,  le  même  au- 
teur, dans  un  autre  ouvrage  qui  ne  repro- 
duit guère  que  le  premier  avec  quelques 
développements  de  plus  {Epoques  deVHist, 
de  France;  Paris,  1843,  in-8%  p.  134-195), 
attribuait  aux  débals  sur  l'immaculée  Con- 
ception, qui  s'élevèrent  dans  les  premières 
années  du  xive  siècle,  le  grand  développe- 
ment des  confréries  do  Notre-Dame.  Ce  sont 
ces  confréries  qui  nous  ont  laissé  les  deux 
volumes  de  légendes  dramatisées  de  la  Bi- 
bliothèque impériale.  —  La  plupart  de  ces 
pièces  sont  profondément  obscures.  Marie 
n'y  intervient  que  plus  heureusement;  c'est, 
suivant  l'expression  de  l'Ecriture,  «l'étoile 
du  matin,  stella  matulina,  qui  succède  à  la 
nuit.»  (P.  439.)  Dans  le  Baptême  de  Clovis, 
sainte  Clolilde  n'est  point  une  héroïne, c'est 
une  simple  et  faible  femme  qui  ne  se  tient 
que  pour  la  chambrière  du  roi.  Dans  un 
autre  sujet,  qui  est  aussi  de  l'histoire,  la 
beauté  morale  de  Théodore  a  frappé  les  sa- 
vants. Tel  de  ces  drames  prouve  que  le  sujet 
de  Tancrède  esl  tout  français,  et  nous  a  été 
emprunté  par  l'Italie.  Beaucoup  de  ces  dra- 
mes, sans  doute,  sont  loin  de  ces  caractères 
de  grandeur;  mais  l'esprit  delà  Vierge  y 
respire  la  pureté,  la  piété,  l'amour  et  la 
résignation. 

Enfin  ,  M.  Paulin  Paris  (Les  manuscrits 
français  de  la  Bibliothèque  du  roi  ;  Paris, 
Téchener,  1845,  in-8%  t.  VI,  p.  331-341),  a 
retracé  en  ces  termes  l'histoire  des  Miracles 
de  Notre-Dame. 

«  N°  7203  *  A  et  '*  B.  —  Les  miracles  de 
Notre-Dame,  par  personnages.  —  Deux  volu- 
mes in-fol.  parvo,  vélin,  à  deux  colonnes; 
le  premier  de  262  feuillets  ;  le  second  de  298 
feuillets;  petites  miniatures;  commence- 
ment du  xv'  siècle,  lleliés  en  maroquin 
rouge.  —  Fonds  de  Cangé,  nor  13  et  14. 

«  Ces  deux  précieux  manuscrits  furent 
achetés  par  Cangé  pour  la  faible  somme  de 
cent  francs,  comme  ce  somptueux  amateur 
nous  l'apprend  par  une  note  de  la  seconde 
feuille  de  garde  de  chaque  volume,  mais 
sans  nous  dire  le  nom  du  précédent  pro- 
priétaire. De  notre  temps,  MM.  Magnin, 
Francisque  Michel,  Jubinal  et  Onésime  Le- 
roy les  ont  consultés  avec  un  grand  soin  ; 
ils  en  ont  fait  ressortir  l'importance  litté- 
raire,  ils  en  ont  eualysé,  et  M.  Michel  en 
a  même  publié  quelques  morceaux. 

«Ils  contiennent  quarante  miracles,  ou 
jeux  dramatiques  fondés  sur  autant  d'his- 
toires dans  lesquelles  Notre-Dame  joue  le 
rôle  du  Deus  ex  machina  dans  l'ancienne  co- 
médie. Il  v  en  a  vingt-deux  dans  le  premier 
volume,  dix-huit  dans  le  second.  Ces  his- 
toires sont,  en  grande  partie,  fondées  sur  les 
miracles  rimes  deux  siècles  auparavant,  ou 
plus  anciennement  encore,  par  Gautier  de 
Coiney,  Butebeuf,  Hermant,  el  autres  trou- 
vères." Les  titres  en  onl  été  déjà  donnés  par 
Beauchamps,  dans  les  Recherches  sur  les  théâ- 
tres de  France,  Paris,  1735;  et  redonnés,  en 


513 


MIR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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514 


1837,  par  M.  Achille  Jubinal  dans  la  préface 
de  son  édition  de  Mystères  inédits.  Nous  n'en 
sommes  pas  moins  tenu  de  reproduire  cette 
table,  en  l'accompagnant  de  quelques  courtes 
observations. 

TOME  I. 

«  I.  Volume  Ier,  f°  1.  Cy  commence  un  mi- 
racle de  Notre-Dame ,  d'un  enfant  qui  fut 
donné  au  dyable,  quand  il  fu  engendre.  »  Iné- 
dit, suivi  ({'une  chanson  en  cinq  couplets, 
avec  un  envoi  aux  Princes  (du  Puys). 

«  II.  F"  13.  Miracle  de  Notre-Dame,  cornent 
elle  délivra  une  abbesse  qui  esloit  grosse  de 
son  clerc.  »  Inédit,  précédé  d'un  court  ser- 
mon en  vers. 

«  111.  F"  23.  Miracle  de  l'evesque  quel'ar- 
cidiacre  meurtrit  pour  estre  evesque  après  sa 
mort.  »  Inédit,  précédé  d'un  court  sermon 
en  prose,  et  suivi  d'un  chant  royal  sans 
refrain. 

«  IV.  F0  33.  Miracle  de  Notre-Dame,  co- 
rnent la  feme  du  roy  de  Portigal  tua  le  senes- 
chal  duroy  et  sa  propre  cousine,  dont  elle 
fut  condampnée  à  ardoir  (être  brûlée),  et  Notre- 
Dame  l'en  garanti.  »  Inédit,  précédé  d'un  ser- 
mon en  prose. 

«  V.  F"  46.  Miracle  delà  Nativité  de  Notre- 
Seigncur  Jésus-Christ,  cornent  Salomé  qui  ne 
créoit  pas  que  Notre-Dame  eust  enfanté  vir- 
ginalement  sans  cuire  d'omme ,  perdit  les 
mains,  pour  ce  qu'elle  le  vouit  esprouver  ;  et 
tantôt  après  elle  se  repenti ,  et  mit  les  mains 
sur  Notre-Seigneur,  et  elles  H  furent  rendues 
en  santé.  »  Inédit,  précédé  d'un  sermon  en 
prose,  et  suivi  de  deux  serventois,  l'un  dé- 
signé comme  couronné  audit  Puys,  le  se- 
cond comme  estrivé. 

«  VI.  F°  50.  Miracle  de  Notre  -  Dame  de 
saint  Jehan  Crysosthomes  et  dcÀnthuresamère, 
cornent  unroy  lui  fit  couper  le  poing,  etNotrc- 
Dame  lui  refit  une  nouvelle  main.  »  Inédit, 
précédé  d'un  sermon  en  prose. 

«  VII.  F0  69.  Miracle  de  Notre-Dame  d'une 
monie  qui  laissa  son  abbaye  pour  s'en  aller 
avec  un  chevalier  qui  ïespousa,  et  depuis  qu'ils 
avoient  eu  de  beaux  enfants ,  Notre-Dame 
s'apparut  à  elle,  dont  elle  retourna  en  s'abbaie, 
et  le  chevalier  se  rendit  moine.  »  Inédit. 

«  VIII.  F°  79.  D'un  Pape  qui  par  sa  convoi- 
tise vendit  le  basme  dont  on  servoit  deux 
lampes  en  la  chapelle  de  saint  Pierre,  dont 
saint  Pierre  s'apparut  à  lui,  en  lui  disant 
qu'il  en  seroil  dampné,  et  depuis  par  sa  bonne 
repentance  ,  Notre-Dame  le  fist  absoudre.  » 
Inédit.  La  vignetlo  qui  précède  celle  pièce 
est  curieuse ,  elle  représente  deux  anges 
donnant  des  coups  de  pied  au  derrière  d'un 
Pitjie  dont  le  corps  est  couvert  d'une  simple 
chemise,  mais  dont  la  tête  est  ornée  de  la 
triple  couronne  d'or. 

«  IX.  F°  89.  De  saint  Guillaume  du  désert, 
duc  d'Aquitaine,  que  les  dyables  bâtirent  tant 
que  le  Guidèrent  laissier  mort  pour  ce  qu'ilne 
vouloil  retourner  au  monde,  dont  Notre-Dame 
le  vint  reconforter,  cl  le  guérit.»  Inédit,  pré- 
cédé d'un  sermon  en  prose. 

«  X.  F*  101.  D'un  ciesque  a  qui  Notre-Dame 


s'apparut,  et  lui  donna  un  joucl  d'or  auquel 
avait  du  lait  de  ses  mammelles.  »  Inédit... 

«  XI.  F°  108.  Cornent  Notre-Dame  garanti 
un  marchant  d'un  larron  qui  l'espioil;  et  co- 
rnent elle  s' apparu  au  larron  et  au  marchant, 
et  puis  devint  le  larron hermilc.»  Inédit, pré- 
cédé d'un  sermon  en  prose. 

«  XII  F°  115.  De  la  marquise  de  la  Gau- 
dinc,  qui,  par  l'accusement  de  l'oncle  de  son 
mari,  auquel  son  mari  l'avoit  commise  à  gar- 
der, fut  condampnée  à  ardoir.  Dont  Anthenor 
par  le  commandement  de  Notre-Dame  ,  s'en 
combati  à  l'oncle  et  le  desconfît  en  champ.  » 
Inédit.  —  Ce  précieux  ouvrage  a  été  appré- 
cié avec  beaucoup  de  justesse  et  d'agrément 
par  M.  Leroy,  Etud.  sur  les  Mystères,  p.  96 
à  105. 

«  XIII.  F°  127.  De  l'empereur  Julien  que 
saiiit  Mercure  tua  du  commandement  Notre- 
Dame,  et  Libanius,  son  seneschal,  qui  cela  vit 
en  avision,  se  fil  baptiser  à  saint  Bazille,  et 
devint  hermite,  et  pour  revenir  en  sa  biautê 
Notre-Dame  souffri  que  on  H  crevast  les  yeux 
et  le  rcnlumina  Notre-Dame.  »  Inédit.  l)ans 
le  corps  du  drame  est  intercalé  un  sermon 
en  prose. 

«  XIV.  F"  139. D'unprevost  queàlarequeste 
de  saint  Prist  Notre-Dame  délivra  du  pur- 
gatoire. »  Avec  sermon,  suivi  de  deux  ser- 
ventois. Inédit. 

«  XV.  F0  151.  Cornent  ung  cnfant\  resu- 
cita  entre  les  bras  de  sa  mère  que  l'on  voloit 
ardoir,  pour  ce  qu'elle  l'avoit  noie.  »  Inédit. 
Suivi  d'un  serventois. 

«  XVI.  F"  165.  De  la  mère  d'un  Pape  qui 
tant  s'enorgueilly  pour  son  fils  Pape  et  pour 
ses  deux  autres  fils  cardinaulx  qu  elle  se  rc- 
puta  greiqueur  (plus  grande)  que  Notre-Dame 
dont  elle  ot  depuis  telle  contriction  et  en  fist 
telle  pénitence,  que  Notre-Dame  la  receul  à 
mercy.  »  Inédit. 

«  XVI 1.  F"  179.  D'un  paroissien  excom- 
munié que  Notre-Dame  absolu,  à  la  requeste 
du  bon  Pol  d'Alixandrie.»  Inédit. 

«  XVI11.  F°  197.  D'une  femme  nommée 
Théodose,  qui,  pour  son  péchié,  se  mist  en 
habit  de  homme,  et  pour  sa  penance  faire  de- 
vant moine  et  fut  tenue  pour  homme  jusques 
après  sa  mort  »  Inédit,  mais  analysé  par 
M.-O.  Leroy  [Etudes  sur  les  my st.,  p.  73  à 
87).  Accompagné  d'un  sermon  et  do  deux 
servenluis. 

«  XIX.  F"  211.  D'un  chanoine  qui,  par 
l'exortement  de  ses  amis,  se  maria,  puis  laissa 
sa  femme  pour  servir  Notre-Dame.  »  Inédit, 
avec  sermon  et  deux  serventois. 

«  XX.  F*  223.  De  saint  Seveslre  et  de  l'em- 
pereur Constantin  ,  qu'il  convertit.  »  Avec 
deux  serventois.  Inédit. 

«  XXI.  F°  235.  De  Barlaam,  maislre  d'oslcl 
du  roy  Avenir  qui  convertit  Josaphut,  le  fil 
du  roy,  et  depuis  converti  Josaphat  sonpèret 
le  roy,  et  tous  ses  subjects.  »  Avec  deux  ser- 
ventois. Inédit. 

«  XXII.  F°  250.  De  saint  Panthalcon,  que 
un  empereur  fiel  dccoler  avec  IJcrmolaus,  et 
des  deux  cornpaignons  qui  lavaient  baptisé.» 
Avec  sermon.  Inédit. 


$15                   MIR                          DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.                  M1R                    5i6 

TOME  II.  sa  mère  fist  entendant  que  Osanne,  sa  femme, 

v-vni     r-o  a      tt                i     a      tv  t  avoit  eu  trois  chiens  et  en  avoit  eu  trois  fils: 

«  XXIH..  F°  *•    Un..  mYaChi  df   -u    ï6~  d°nt  «  '«  condempna  à  mort,  et  ceulx  oui  la 

Dame  d  Amis  et  d  Amille.  Lequel  Annlle  tua  âtooimt              £      ^^  m                 j 

ses  deux  en  fans  pour  garrir  Amis   son  corn-  trgum  ,/       ^  m-          sa  ^       p  1  , 

païq.non,  qui  estoit  mesel  [lépreux  ,  et  depuis  -j»-.,,    ■  _   Thj/it*-*  „,.   „^„„v,  a„»     ..     kk«     » 

les  resuscita  Notre-Dame.  »   Publié  dans   le  f™    ,e  Thedtre  au  moVm  d9e>   P-   551  et 

Théâtre  du  moyen  âge,  t.  I",  p.  216  et  suiv.  'vvvin    r-„  4»~     r.    o  j     ,  /    ^     ir 

(IMIfr.  /"ranfo.*  au  moyen  âge;  Paris,  Didoi,  «  WXXXI1*/  £    lo/"  .?«  ^J?, /e     ^' 

gr.  in-8°),  avec  de  savantes  recherches  «Je  £  d"  duc  rfe  Normandie.  «Publié   en  1836, 

l'un  des  éJiteurs,  M.  Michel,  sur  cette  fa-  SjfJ"  «"H"*»  de  J-  Edouard  Frère    à 

meuse  légende  Rouen,  par  plusieurs  membres  de  la  Société 

«  XXIV.  F- 15.  Un  miracle  de  saint  Ignace,  des  ancres  de  Normandie, 

publié  dans  le  Théâtre  au  moyen  âge,  t.  I",  «  XXXI V.  F0  173.   Un  miracle  de  Notrc- 

p.  265  et  suiv.  »  Il  est  ici  précédé  d'-un  ser-  Dame  et  de  sainte  Bauteuch{Balhilde),  femme 

mon  en   prose  et  suivi  de  deux  servent©!*.  du  roV  Clodoveus,  qui,  pour  la  rébellion  de 

a  XXV.  F0  27.  Un  miracle  de  saint  Valen-  ses  deux  enfans,    leur  fist  cuire  les  jambes, 

tin  que  un  empereur  fist  dccoler.  Publié  dans  dont  depuis  se  revestirenl  et  devinrent  reli- 

le  Théâtre  au  moyen  âge,  t.  1",  p.  2%.  »  Il  gieux.  »  Publié,   en  1838,  par  AI.    Edouard 

est  ici  précédé  d'un  sermon  en  prose  et  de  Frère,  à  la  suite  d  un  Essai  sur  les  Enervés 

deux  servenlois.  de  Jumiéyes,[)av  AI.  H.  Langlois  du  Pont-de- 

«  XXVI. F°  39.  Cornent  Notre-Dame  garda  ]  Alche- 
une   femme    d'être   arse.  »    Publié    dans    le  «  XXXV.  F°  192.  Cornent  Notre-Seigneur 
Théâtre  au  moyen  âge,  t.  I",  p.  327  ;  accom-  tesmoigna  que  un  marchant   qui  avoit   em- 
pagué  ici  d'un  sermon  et  de  deux  serven-  prunsté  argent  d'un  juif  à  paier  à  jour  nom- 
lois,  nié,   ravoit    bien  et  duemenl   paie;   combien 

«  XXVII.  F0  53.  De  Vempercris  de  Home  que  le  juif  lui  rmiast;  et  pour  ce  se  fist  le  juif 

que  le  frère  de V empereur  accusa  pour  la  faire  creslienner.  »  Inédit. 

destruire,  pour  ce  qu'elle  n  avoit  voulu  faire  a  XXXVI.  F0  204.  D'un  marchant  nommé 

sa  volenté,  et  depuis  devint  mesel  (lépreux);  Pierre  le  Changeur  qui,  par  lonc  temp  avoit 

et  la  dame  le  guéri,  quand  il   eut  regehi  son  vesqui  de  mauvaise  vie;  qui  fu  si  malade  que 

meff'ait.  »  Publié  dans    le  Théâtre  uu  moyen  il  cuidoit  mourir,  et,  en  sa  maladie,  vil  en 

4yci  PaSe  365;  accompagné  ici  d'un  sermon  avision  les  dyables  qui  le  voulaient  emporter, 

en  prose.  et  Notre-Dame  l'en  garanti  à  la  prière  d'un 

«  XXVIII.  F"  69.  Cornent  Ostes,  roi  d'Es-  ange  qui  le  gardait  et  depuis  vint  éi  santé  et 

paingne,  perdi  sa  terre  pour   gagicr  contre  fist  tant  de  bien  qu'il  converti  un  Sarrasin.  » 

Bercngier  qui  le  tray  et  li  fist  faux  entendre  Inédit. 

de  sa  femme  en  la  bonté  de  laquelle  se  jioit ,  «  XXXVII.  F"  221.    De  la  fille  d'un  roy 

et  depuis  l'en  destruit  Ostes  en  champ  de  ba-  qui  se  parti  d'avec  son  père  pour  ce  qu'il  la 

taille.  »  Ce  jeu  est  fondé  sur  l'excellente  lé-  vouloit  espouser,  et  laissa  habit  de  femme  et 

gende  de  la   Violette,  ou  Gerart  de  Nevers.  se  maint eint  comme  chevalier,  et  fu  soudoiez 

Shaskspeare  l'a  traitée  dans  Cymbelinc,  et  on  de  l'empereur  de  Constantinople    et   depuis 

la  retrouve   encore   dans    le   roman    de    la  fu  ta  femme.  »  Inédit.  Accompagné  d  un  Sëf- 

belle  Jehanne,  publié  par  AI.  Francisque  Ali-  mon  en  prose. 

chel,  ainsi  que  le  Roman  de  la  Violette.  Le  «  XXXVIII.   F"  2V6.  De  saint  Lorens  que 

miracle  figure    aussi    dans    le    Théâtre    du  Dacicn  fist  morir  et  Phelippe  l'empereur  fisl- 

tnoyen  âge,  p.  417  et  suiv.  11  est  ici  précédé  il  morir  pour  estre  emperière.  »  Inédit, 

d'un  sermon  en  prose.  «  XXXIX.  F*  -262.  Cornent  le   roy  Clovis 

«  XXIX.  F0  84.  Cornent  la  fille  du  roy  de  se  fist  crestienner  à  la  requestc  de  Clotilde,  sa 

Hongrie  se  copa  la  main  por  ce  que  son  père  femme,  »  etc.  Publié  dans  le  Théâtre  français 

la  voulait  espouser,   et  un  esturgon  la  garda  au  moyen  âge,  t.  1",  p.  609  et  suiv. 

Vii  an  S  ètl  sa  mulele.»  Miracle  dont  le  sujet  se  «  XL.  F°  280.  De  saint  Alccis  qui  laissa 

retrouve  dans  le  Roman  de  la  Manelcine,  pu  •  sa  femme  le  jour  qu'il  l'ot  espousée  pour  aller 

blîé  par  M.  Franc.  Michel.  Voy     le   miracle  estre  povre  par  le  pais,  pour  l'amour  de  Dieu 

dans  le  Théâtre  au  moyen  âge ,  t.  1",  p.  481.  et  garder  sa  virginité.  Et  depuis  revint  chiez 

«  XXX.  F°  103.  De  saint  Jehan  le  Paule,  son  père,  et  là  morut  soubz  un  degré  et  ne 

fier  mi  te,  qui,  par  temptacion  d'ennemy,  occift  le  cognut  l'en  devant  qu'il  fu  mort.  »   Inédit. 

la  fille  d'un   roy.  et  la  jeta  en  un   puiz,  et  «  Tel   est  le  titre  des    quarante  Miracles 

depuis,  pour  sa  penance  (pénilcncé),  la  resu-  dramatiques  renfermés  dans  nos  deux  volu- 

scita  Notre-Dame.  »  Accompagné  d'un   ser-  mes.  Onze  seulement  ont  éléjusqu'à  présent 

mon  et  île  deux  servenlois.  Inédit.  publiés,  quelques  aulres  ont  été  signalés  à 

«  XXXI.    F°  117.    De  Berlhe ,  femme  du  l'intérêt  de  tous  les  littérateurs  par  M.  O. 

roy   Pépin  qui  ly  fu  changée  et  puis  la  re-  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les  Mustères,  et 

trouva.  »  Précédé  d'un  sermon  et  suivi  de  par  M.  Magnin,  dans  son  Cours  de  liltéra- 

deux  serventois.  Inédit.  AI.  Fr.  Michel  avait  turc  dramatique  (inédit).  Il  serait  a  désirer 

promis  de  le  publier  :  il  a  été  fait  d'après  que  les  vingt-neuf  miracles  inédits  fussent 

le  roman  de  Berte   aus  grans  pies  du  roi  bientôt   l'objet   d'une    publication    et  d'un 

Adenès.  travail  approfondi.  Nous  n'avons  pas   osé 

«  XXXII.   F*  133.  Du  roy  Thierry  a  qui  nous  arrêter  sur  ce  qu'ils  renferment  d  in- 


517 


MOL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


M  UN 


518 


téressant  et  de  curieux  ;  nous  aurions  eu 
trop  do  peine  à  finir.  » 

Les  lecteurs  de  ce  Dictionnaire  trouveront 
tous  ceux  de  ces  drames  dont  le  caractère 
religieux  ou  moral  a  pu  permettre  l'analyse 
ou  l'insertion  ;  beaucoup  de  choses,  soit 
quant  au  fond,  soit  quant  à  la  forme  ,  qui  ne 
paraissaient  que  naïves  à  nos  pères,  ne  peu- 
vent plus  aujourd'hui  être  imprimées. 

MIRACLES  DE  SAINT-NICOLAS.  —  On 
trouve  çà  et  là  dans  les  auteurs  modernes 
sous  ce  titre,  vers  le  xi'  siècle,  la  mention 
des  quatre  miracles  de  Saint-Nicolas  du  Ma- 
nuscrit de  Saint-Benoît -sur-Loire,  que  nous 
avons  distingué  sous  les  titres  de  :  1°  les 
Filles  dotées:  2°  les  Trois  clercs;  3°  le 
Juif  volé  ;  4°  le  Fils  de  Getron. 

L'abbé  Lebeuf  y  voyait  une  sorte  de  té- 
tralogie antique.  M.  Magnin,  en  1835,  dans 
son  Cours  professé  à  la  Faculté  des  Lettres, 
exprima  l'opinion  qu'ils  n'avaient  pas  été 
joués  de  suite,  l'un  venant  au  moins  à  l'of- 
fice du  matin,  et  l'autre  à  celui  du  soir.  (Cf. 
Journal  général  de  l 'instruction  publique, 
13  sept.  1335,  p.  478.)  (Voy.  Saint-Benoît- 
s  lu -Loi  re  ^manuscrit  de). 

MOLINET  (Jean),  ou  Moulinet.  —  «  Né  à 
Desvrennes,  village  auprès  de  Boulogne  en 
Picardie,  il  ht  ses  .études  à  Paris  et  devint 
par  la  suite  garde  de  la  bibliothèque  de  Mar- 
guerite d'Autriche,  gouvernante  des  Pays- 
Bas  et  chanoine  de  la  collégiale  de  Valen- 
ciennes,  ville  de  Hainaut.  Il  composa,  entre 
autres  ouvrages,  un  recueil  de  choses  arri- 
vées de  son  temps,  depuis  1474  jusqu'en 
1505,  qui  n'a  point  été  imprimé. 

«  Adrien  Hecquet,  Carme  et  docteur  en 
théologie,  parle  de  Moulinet  et  rapporte 
quelques-uns  de  ses  bons  mois;  il  ajoute 
que  cet  auteur  était  né  pour  les  facéties. 

«  Moulinet  mourut  à  Valenciennes  l'an 
1507  et  fut  enterré  auprès  de  son  précep- 
teur, Georges  Châtelain,  gentilhomme  et 
historien  célèbre.  Voici  son  épitaphe: 

Me  Moliuet  peperil  Divernia  Bolontensis, 
Parisius  docuil,  atuil  quoque  Vallis  Amorum, 
El  quamvis  magna  fueril  mea  farna  per  orbem, 
Ilac  mihi  pro  cunctis  fructibus  Aula  fuil. 

«  Guicciardin,dans  sa  Description  des  Pays- 
Bas,  traduit  en  fiançais  par  Belleforôl,  în- 
fol.,  Amsterdam  1G09,  pag.  433,  à  l'article 
de  Valenciennes,  place  Moulinet  parmi  les 
hommes  savants  qui  naquirent  en  cette 
ville.  «  Maître  Jean  Moulinet,  chanoine 
«  vertueux  et  grand  poêle.  »  Guicciardin 
n'est  pas  exact  au  sujet  de  la  pairie  de  Mou- 
linet et  le  témoignage  de  Valero  André  est 
préférable  au  sien.  Cette  faute  de  Guicciar- 
din a  été  copiée  par  Lacroix  du  Maine,  p. 
2^8  de  sa  Bibliothèque  française.  Nous  ne 
rapporterons  point  le  passage,  il  suffit  de 
le  marquer. 

«  Parlons  présentement  des  ouvrages  dra- 
matiques de  Jean  Moulinet. 

«  Histoire  du  Rond  et  du  Quarré  à  cinq 
personnages,  etc.  ,  imprimée  par  Antoine 
Blanchard,  sans  nom  de  lieu  et  sans  date. 
— Les  Vigiles  des  Morts  par  personnages,  etc., 


imprimées  h  Paris,  in-16,  par  Jean  Janol,sans 
date.  »  (Frères  Parfait,  Ùist.  du  th.  fr.;  Pa- 
ris, 25  vol.  in-12,  1735,  t.  II.) 

MONDE  (Le).  —  Duverdier  {Bibliothèque 
française,  p.  635)  donne  la  note  suivante, 
reflétée  par  les  frères  Parfait,  sous  la  date  de 
1538  (Hist.  du  théâtre  fr.;  Paris,  15  vol., 
in-12,  1745,  t.  III,  p.  152)  : 

Moralité  \nl\lu\ée  Le  monde  qui  tournoie  dos 
à  chacun,  de  la  composition  de  Jean  d'Abun- 
dance  et  imprimée  à  Lyon.  —  Voy.  Adun- 
dance  (Jean  d'). 

MOÏSE  (La  vie  de).  —  De  Beauchamps 
(Recherches  sur  les  théâtres  de  France;  Paris, 
1735,  in-8°,  3  vol.,  l.  1",  p.  228j  mentionne 
la  Vie  de Moyse,m-k°,en  rimes,  dans  une  liste 
de  mystères. 

MVNDUS,  CARO  ET  DEMON I A.  —  Il  ne 
reste  de  cette  moralité  que  des  exemplaires 
imprimés. 

Le  drame  daterait,  selon  diverses  opinions, 
de  la  tin  du  xv*  siècle  ou  du  commencement 
du  xvie. 

La  plus  ancienne  édition  connue  est  pour 
Pierre  Sergent,  libraire,  entre  1531  et  1540. 
Le  format,  petit  in-4"  long,  permettait  aux 
amateurs  du  théâtre  duxvi'  siècle  de  porter 
le  livret  aux  représentations.  La  farce  des 
Deux  savetiers  présentant  les  mêmes  singula- 
rités typographiques,  était  reliée  dans  l'exem- 
plaire unique  qui,  en  1743,  à  la  vente  du 
cabinet  de  Barré  par  Je  comte  de  Briihl,  a 
passé,  «  avec  la  bibliothèque  de  ce  seigneur, 
dans  la  biblio  hèquero, aie  de  Dresde.  »  Les 
deux  pièces,  «  inconnues  à  Duverdier  et  à 
Lacroix  du  Maine...  ont  été  indiquées...  par 
les  frères  Parfait...  »  Elles  ont  été  réimpri- 
mées à  Paris,  chez  Firmiu  Didot,  en  1827, 
dans  le  formai  primitif,  et  sur  un  calque,  chef- 
d'œuvre  de  patience  et  d'adresse  procuré  avec 
la  plus  parfaite  obligeance  par  M.  Ebert,  bi  ■ 
bliothccfUre  du  roi  de  Saxe.  La  très-courte 
préface  de  ce  chef-d'œuvre  typographique  tiré 
seulement  à  cent  exemplaires,  nous  a  fourni 
la  notice  qui  précède. 

Moralité  nouvelle  de  Mundus,  Caro,Demonu. 
En  laquelle  verrez  les  durs  assauts  et  tenta- 
tions qu  ils  font  au  Chevalier  chrétien;  et 
comme,  par  conseil  de  son  bon  esprit,  avec 
la  grâce  de  Dieu,  les  vaincra,  et  à  lu  fin  aura 
le  royaume  du  Paradis.  —  //  est  à  cinq 
personnages.  C'est  à  savoir  :  le  chevalier 

CtlRÉTIEN,    L'ESPRIT,    LA    CBAIR,    LE    MONDE, 
et   LE    DIABLE. 

Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  français  (Paris,  15  vol.  in-8°1745,  t.  III, 
p.  100-1 12j  ont  donné  de  cette  pièce  l'ana- 
lyse suivante  : 

«  Le  Chevalier  chrétien,  assisté  de  son  bon 
Esprit,  prie  Dieu  de  lui  pardonner  les  pé- 
chés infinis  dont  il  se  sent  coupable.  Le 
Diable,  le  Monde  et  la  Chair  s'approchent 
pour  le  tenter.  Le  premier,  surtout,  qui  a 
intérêt  de  se  cacher,  ne  l'aborde  que  sous 
un  nom  inconnu. 

dyable  qui  s'appelle  Démon 

S'on  vous  demande  qui  je  suis, 
El  de  quel  pays  que  je  suis, 


519  NAT  DICTIONNAIRE  DES 

D'où  j'ai  si  fort  grand  revenu? 
Car  du  tout  ne  suis  pas  tenu 
De  dire  tout  soudain  mon  nom  : 
Toutesfois  je  suis  démon. 

«  La  Chair  et  le  Monde  s'avancent  avec 
Confiance,  et  lui  conseillent  de  se  bien  ré- 
jouir. «  Saint  Paul  m'apprend,  répond  le 
«  Chevalier,  que  si-je  suivais  vos  conseils, 
«  je  perdrais  l'espoir  du  paradis.  —  On  peut 
«  concilier  toutes  choses,  dit  la  Chair.  —  Il 
«  ne  faut,  ajoute  le  Monde,  songer  à  tes 
«  plaisirs  que  lorsque  tu  auras  rempli  tes 
«  devoirs  envers  Dieu.  »  L'Esprit  accourt  au 
secours  du  Chevalier  et  lui  fait  voir  la  faus- 
seté de  ces  raisonnements'. 

LE  CHEVALIER,  OU  Monde. 

Ne  me  liantes  donc  plus,  trompeur, 
Car  l'Escriplure  me  faict  peur. 

l'esprit. 

Parlant,  oeffens-loy  de  ce  Monde, 
Par  la  parole  simple  et  ronde 
De  la  pure  et  saincte  Escripture. 

le  chevalier,  au  Monde. 

Ce  n  est  pas  chose  à  l'advenlure. 

«  Comme  le  Diable  entend  que  l'Esprit 
rapporte  fréquemment  des  passages  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  pour 
confondre  le  Monde  el  la  Chair,  il  allègue 
en  leur  faveur  celui  de  la  Genèse,  où  Dieu 
institua  et  bénit  le  mariage.  «  Tu  dis  vrai, 
«  réplique  l'Esprit,  mais  il  faut  observer 
«  que  la  loi  de  Dieu  ne  soit  pas  blessée. 
«  Voyez,  centinue-t-il,  en  s'adre.csant  au 
s  Chevalier,  les  ruses  de  votre  ennemi.  » 

LE  CHEVALIER. 

Il  expose  à  son  advanlage, 
Comme  font  plusieurs  hcrélicques 
Adullaires,  et  y  puériles, 
Lesquelz  extorquent  l'Escriplure 
Pour  avoir  plus  grasse  paslute; 
0  le  danger! 

l'esprit. 

0  la  (empeste! 

LE  CHEVALIER. 

C'est  pour  manger. 

l'esprit. 
La  pauvre  beste  ! 
«  Cepenoant  le  Démon  et  ses  deux  cama- 
rades effrayent  le  Chevalier  chrétien  par 
leurs  tentations  réitérées.  I!  s'en  plaint  à 
l'Esprit  qui  le  console,  el  représente  qu'il 
faut  souffrir  pour  mériter. 


MYSTERES. 


NAT 

l'esprit. 


SÎO 


Veux-tu  avoir  premièrement 
La  couronne,  que  batailler? 

«  La  Chair  lui  cause  plus  de  peines  que 
les  autres,  et  proleste  de  mourir  plutôt  que 
d'être  séparée  du  monde.  «  Que  je  suis  mal- 
«  heureux!  »  s'écrie  le  Chevalier. 

l'esprit. 

Il  est  vrai,  lu  n'as  ennemy 
Lequel  le  fasse  plu  d'ennuy 
Comme  la  chair. 

LE  CHEVALIER. 

C'est  ung  grand  cas. 

l'esprit. 

Et  te  suit  lousjours  pas  à  pas, 
Et  boit  et  mange  avecques  toy, 
Et  couche  aussi. 

LE  CHEVALIER. 

0  quelle  loy! 

«  C'est  pour  cette  raison,  ajoute  l'Esprit, 
«  qu'il  faut  que  tu  la  domptes.  » 
la  chair  ,  pleurant. 
Ce  sont  icy  dures  devises  ; 
Bien  voy  qu'il  faut  que  je  me  rende. 
le  monde,  au  chevalier,  en  s'en  allant. 

Je  premlray  donc  une  autre  bende  ; 
Vous  estes  pour  moy  trop  rusé. 

a  Songe  plutôt  à  te  convertir,  répond  le 
«  Chevalier.  —  J'aimerais  mieux  me  pendre, 
«  réplique  le  Monde.  -  Laisse-le,  dit  l'Es- 
«  prit;  mais  comme  tu  ne  peux  quitter  la 
«  Chair,  pense  uniquement  à  la  réprimer, 
«  à  la  mortifier  sans  cesse,  et  lui  refuser  tout 
«  ce  qu'elle  le  demandera.  » 

LE  CHEVALIER, 

Allons  nous-en  donc  besongner, 

De  par  Dieu,  puisqu'il  le  commande. 

l'esprit. 

Allons-nous-en  donc  besongner  : 

Nos  ennemis  sont  cslongnez; 

Dieu  nous  veuille  garder  d'esclandre. 

LE  CHEVALIER. 

Allons-nous-en  donc  besongner 

De  par  Dieu,  puisqu'il  le  commande. 

(.4  rassemblée.) 

El  jnsques  à  tant  qu'on  nous  mande 
Ici  ou  en  un  autre  lieu, 
Nous  nous  dirons  à  tous  à  Dieu, 
Qui  doinl  à  Messieurs  bonne  vie, 
El  à  loule  la  Compaignie. 


N 


NATIVITE  DE  NOTRE  SEIGNEUR  JÉ- 
SUS CURIST  (  La).  —  La  Nativité  n  été  l'ob- 
jet, 1°  de  représentations  ligurées  dans  les 
rites  ecclésiastiques,  et  2°  de  jeux  dramati- 
ques hors  de  l'intérieur  des  églises. 

1°  RITES  FIGURÉS. 
Xe  siècle.  —  Limoges. 
Office  de  la  Nativité. 
Cà  curieux  office   dialogué,  qui  date  au 


moins  du  x.'  siècle,  est  l'un  de  ceux  que 
nous  a  conservés  le  manuscrit  de  Saint-Mar- 
tial de  Limoges.  (  Bibliothèque  impériale, 
fonds  latin,  n°  1139.) 

Ray  noua  rd  l'a  publié  et  traduit  le  premier; 
MM.  Fr.  Michel,  et  Wright,  en  Angleterre, 
ont  reproduit  l'édition  ou  la  traduction  de 
Ray  noua  rd. 

Le  savant  abbé  Lebeuf  l'avait  signalé  dès 
1741  .  «  A  Saint-Martial  de  Limoges,  son  i 


311 


NAT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


NAT 


82-2 


roi  Henri  I",  Virgile  se  trouve  associé  avec! 
les  prophètes  qui  viennent' à  l'adoration  du 
Messie  nouveau-né,  et  il  mêle  sa  voix  avec 
la  leur  pour  chanter  un  long  Benedicamus 
rimé  par  lequel  finit  la  pièce.  »  (  Dissertations 
sur  l'histoire  ecclésiastique  et  civile  de  Paris, 
1741,  in-8%  t.  II,  p.  G5.  ) 

Les  Bénédictins,  de  Roquefort,  M.  Amau- 
ry-Duval,  répétèrent  la  note  de  l'abbé  Le- 
beuf. 

M.  Magnin  rapprocha  de  ce  mystère  les 
oflices  de  la  Nativité;  c'est  une  remarque 
que  Du  Gange  avait  faite  le  premier.  Il  sem- 
ble, en  effet,  certain  que  YOrdre  de  la  pro- 
cession des  ânes,  tel  qu'on  le  pratiquait  à 
Rouen  au  xn"  siècle,  n'est  autre  chose  que 
le  mystère  de  Saint-Martial  de  Limoges  qui 
remonte  deux  siècles  plus  haut.  —  Yoy. 
Saint- .Martial  ;  —  Fête  des  Fous 


PERSONNAGES. 


LE  CHOEUR. 

ISRAËL. 

AB.VCUC. 

NABUCIIODONOSOR. 

MOï.>E. 

SI.ÏIÉON. 

1SAIE. 


ELISABETH 

LA    SIBYLLE. 

JÉRÉMIE. 

JEAN   BAPTISTE. 

DANIEL. 

VIRGILE. 


le  choeur.  Nations,  réjouissez-vous.  Chantez  un 
cantique  d'allégresse!  Dieu  est  fait  homme.  Il  est 
né  aujourd'hui  de  la  maison  de  David. 

0  Juifs,  qui  niez  le  Verbe  de  Dieu,  écoulez  l'un 
après  l'autre  chaque  homme  de  voire  loi  témoignant 
pour  leur  Roi. 

Et  vous,  gentils,  qui  ne  croyez  pas  à  l'enfante- 
ment de  la  Vierge,  soyez  convaincus  par  les  témoi- 
gnages de  ceux  d'entre  vous. 

(A  Israël.) 

Israël,  homme  doux,  comment  affirmes-tu  le 
Christ? 

israel.  Le  chef  n'est  pas  enlevé  à  Juda.  Jusqu'à  ce 
qu'il  y  en  ail  un  qui  soit  remarqué,  les  peuples 
aueinironl  avec  moi  le  Verbe  salutaire  de  Dieu. 

le  chœur  à  Moïse.  Législateur,  approche  ici  et 
parle  dignement  du  Christ. 

moysE.  Dieu  vous  donnera  un  prophète  :  prèlez-lui 
l'oreille  comme  à  moi.  Celui  qui  n'entend  pas  celui 
qui  eniend  est  chassé  de  sa  nation. 

le  cuoel'R,  à  haïe.  Isaïe,  loi  qui  sais  la  vérité, 
pourquoi  ne  dis-tu  pas  la  vérité  ? 

isaie.  Il  est  nécessaire  que  la  branche  de  Jessé 
s'élève  de  la  racine;  puis  il  en  sortira  une  fleur  qui 
est  l'Esprit  de  Dieu. 

le  choeur  ,  à  Jérémie.  Viens  çà  ,  Jérémie:  dis  la 
prophétie  du  Christ. 

jérémie.  Voici  :  Celui-ci  est  notre  Dieu.  Il  n'y  en 
aura  point  d'autre. 

le  choeur,  à  Daniel.  Daniel,  explique  d'une  voix 
prophétique  les  actes  du  Seigneur. 

daniel.  Le  Saint  des  saints  viendra  et  l'onction 
cessera. 

le  choeur,  à  Abacuc.  Abacuc,  montre  mainte- 
nant comment  lu  es  le  témoin  du  Roi  des  cieux. 

abacuc  El  j'ai  attendu ,  bientôt  j'ai  élé  glacé  de 
la  teneur  des  merveilles,  tes  oeuvres,  enire  les 
corps  de  deux  hèles. 

le  choeur,  à  David.  Et  toi,  David,  dis  de  ton 
petii-iils  les  choses  qui  te  sonl  connues. 

david.  Tout  le  troupeau  converti  adorait  le  Sei- 
gneur que  tout  le  genre  humain  futur  devait  servir. 
Le  Seigneur  a  dit  a  mon  Seigneur  :  Asseyez-vous  à 
ma  droite. 

le  chœur,  à  Siméon.  Maintenant  que  Siméon 

Dictions,  des  Mystères. 


arrive,  a  qui   il   avait   été  répondu   qu'il  ne  mour- 
rait pas  avant  d'avoir  vu  le  Seigneur. 

siméon.  Maintenant,  vous  me  permettez,  Sei- 
gneur, de  finir  ma  vie  en  paix,  parce  que  mes  yeux 
voient  enfin  celui  que  vous  avez  envoyé  dans  ce 
monde  pour  le  salut  du  peuple. 

le  choeur,  à  Elisabeth.  Elisabeth,  parle  du  Sei- 
gneur au  milieu  de  nous. 

Elisabeth,  Qu'est-ce  ?  la  mère  de  mon  mailic 
me  visite?  A  cause  de  lui,  dans  mon  venue,  mon 
enfant  joyeux  bondit. 

le  choeur,  à  Jean-Baptiste.  Dis,  Baptiste,  pour- 
quoi donc,  dans  le  ventre  (!e  ta  mère,  applau- 
dissais-tu au  Chrisi?  Apporte  ton  témoignage  pour 
celui  qui  te  mettait  en  joie. 

jean-baptiste.  Il  vient  un  Ici  soulier  que  je  ne 
suis  pas  même  bon  à  oser  en  dénouer  les  cordons. 

le  chœur,  à  Virgile.  Virgile  Ma ro,  déesse (dea) 
des  Gentils,  tu  es  témoin  du  Christ? 

Virgile.  Voici  qu'au  pôle  une  nouvelle  race  est 
descendue  sur  la  lerre. 

le  chœur,  à  Nabuchodonnsor.  Courage!  dis,  la 
bouche  à  la  bouteille,  ce  que  lu  sais  vraiment  du 
Christ.  Nabuchodouosor ,  la  prophétie  affirme  l'Au- 
teur universel. 

nabuchodonosor.  Lorsque  je  revis  les  (rois  hommes 
que  j'envoyai  au  feu  ,  je  vis  le  Fils  de  Dieu  parmi  les 
justes  sauvés  des  flammes.  J'envoyai  les  trois  hommes 
au  feu:  le  quatrième,  crois-le,  est  la  progéniture  de 
Dieu. 

le  chœur  ,  à  la  Sibylle.  Sibylle ,  dis  en  vérité  les 
présages  du  Christ. 

la  sibylle.  Signe  du  jugement,  la  lerre  sera 
trempée  de  sueur,  le  roi  viendra  du  ciel,  dans  les 
siècles  futurs.  Présent  en  chair,  pour  juger  l'uni- 
vers. Judée  incrédule,  comment  es-tu  encore  sans 
crainte? 

Benedicamus-,  etc. 

2°  MYSTERES, 
xiv*  siècle. 

Bayeux.  —  L'abbé  de  Larue,  oans  ses  Es- 
sais historiques  sur  les  bardes,  les  jongleurs 
et  les  trouvères  normands  et  anglo-normands 
(Coen,  Mancel,  1834,  in-8°, 3  vol.,  1. 1*'  p.  106), 
fait  mention  d'un  mystère  de  la  Naissance 
de  Jésus-Christ,  ou  de  la  Nativité,  représenté 
à  Bayeux,  en  1350.  «  Jean  de  Monldeserl, 
curé  de  Saint-Maio  de  Bayeux,  dit  l'abbé  do 
Larue,  fut  mis  à  l'amende  par  le  chapitre 
de  cette  ville,  pour  avoir  fait  jouer  dans 
son  église  le  mystère  de  la  naissance  de  Jé- 
sus -  Christ,  le  jour  de  Noël,  en  1351.  » 
{ Ibid.,  p.  167.  ) 

xv e  siècle. 

1°  Le  mystère  de  la  Nativité  est  tiré  du 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte-Gene- 
viève, à  Paris. 

11  date  du  xv'  siècle. 

Il  a  été  publié  en  1837  dans  les  Mystè- 
res inédits  du  xve  siècle,  par  M.  Ach.  Jubi- 
nal.  (Paris,  Techener,  1837,  in-8%  2  vol., 
t.  Il,  pp.  1-79.  ) 

Auparavant  il  avait  été  seulement  men- 
tionné dans  la  Bibliothèque  du  théâtre  fran- 
çois, ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Vallière. 
(  Dresde,  Michel  Groell,  17G8,  in-8%  3-vol., 
t.  1",  p.  36.  ) 

Après  ['Invocation  à  Marie,  et  le  Sermon 
qui  expose  le  sujet  du  drame,  commencent 
les  scènes  de  la  création  d'Adam  et  d'Eve  et 
de  la  chute  d'Adam.  Les  Drophètes  prédi- 

n 


5-25 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NAT 


52 1 


sent  déjà  la  Christ  futur  :  Araos,  Hélie.  Ce- 
pendant Adam  meurt,  et  l'Enfer  s'en  em- 
pare. Mais  Cep,  son  tils,  a  planté  sur  son 
iombeau,  avec  l'octroi  de  Dieu,  un  rameau 

merveilleux  : 

Ce  rain  tant  montcpliera 
Que  une  croix  faiele  en  sera 
On  la  vie  reeovrera  mort 
Qui  aus  âmes  donra  confort... 

Isaïe,  Daniel  implorent  la  miséricorde  du 
Seigneur  et  le  supplient  de  hâter  le  moment. 
César  l'empereur  presse  ce  suprême  ins- 
tant. En  effet,  Notre-Dame,  par  l'intervention 
de  Dieu,  est  mariée  à  Joseph.  Les  prophètes 
redoublent  de  prières,  et  les  païens  de  va- 
gues terreurs.  Gabriel  annonce  l'Incarna- 
tion du  Seigneur.  Honestasse,  sage  -  femme, 
préside  à  sa  naissance.  Les  bergers  vont  le 
saluer  et  l'on  chante  le  Te  Deum  final. 

2°  Mystère  de  ï Incarnation  et  de  la  Nati- 
vité de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Les  Frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  français  (Paris,  15  vol.  in-12,  1735, 
t.  II,  p.  4-94),  ont  donné  l'analyse  du  mys- 
tère de  [Incarnation  et  Nativité.  Avant  eux 
De  Beauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres 
de  France,  Paris,  1735,  in-8%3  vol.,  t.  1",  p. 
226  j  en  avait  fait  mention. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  franc  ois,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  LaVallière  (Dresde 
1708,  in-8%  3  vol.,  t.  I",  p.  54  ),  a  donné 
aussi  une  analyse  de  ce  mystère. 

Parmi  les  modernes  : 

L'abbé  de  Larue,  dans  ses  Essais  histori- 
ques sur  les  bardes,  les  jongleurs  et  les  trou- 
vères normands  et  anglo-normands  (Caen, 
Mancel,  1834,  in-8%  3  vol.,  t.  1er  p.  166), 
fait  mention  d'un  Mystère  de  Noël,  qui,  en 
1474,  fut  représenté  à  Rouen! 

AL  de  Sainte-Beuve  a  cité,  parmi  les  mys- 
tères qui,  au  xve  et  au  xvie  siècle,  jouirent 
d'une  faveur  éclatante,  celui  de  l'Incarnation 
et  de  la  Nativité  représenté  à  Rouen  en  1474, 

(190)  Ce  mystère  est  divisé  en  deux  journées, 
dont  la  première  comprend  ['Incarnation  ,  et  la  se- 
conde la  Nativité  de  N.-S.  J.-C.  La  seule  édition 
qu'on  en  trouve  est  in-fol.  goihiq.,  Bibliothèques  du 
Roi  et  de  Pabb.  de  Ste-Geneviève,  sans  nom  d'im- 
primeur, ni  date  de  l'impression,  et  contient  2i8 
feuillets,  y  compris  la  table  de  l'ordre  des  établis  et 
celle  des  personnages.  Parmi  les  ma  nus.  de  la  Bibl. 
de  M.  Dufay,  il  y  avait  un  in-fol.  contenant  une  par- 
tie du  mystère  de  [Incarnation.  On  ignore  le  nom 
de  l'auteur  de  ce  poème,  qui  peut  contenir  environ 
vingt  mille  vers,  assez  bons  pour  le  temps.  Il  est 
cependant  à  présumer  qu'il  fut  compose  avant  1474, 
et  peut-être  joué  avant  ce  temps  ;  mais  nous  n'en 
avons  aucune  certitude.  On  peut  seulement  assurer 
qu'il  est  de  beaucoup  postérieur  au  mystère  de  la 
Conception,  dont  l'auteur  de  celui-ci  a  pris  beaucoup 
de  choses,  et  surtout  du  procès  de  paradis. 

(191)  La  partie  septentrionale  du  marché  neuf  de 
Rouen  était  occupée  par  les  échafauds,  dont  le  plus 
orionlal  était  celui  du  Paradis,  qui  louchait  l'hôtel 
de  la  Hache  couronnée,  et  sous  lequel  était  placé 
Natarelh,6l  de  suite  ceux  de  Jérusalem,  de  Bethléem 
et  de  Rome,  qui,  terminant  le  théâtre  du  côté  du 
couchant,  se  trouvait  adossé  contre  l'hôtel  où  pen- 
dait l'enseigne  de  l'Ange.  C'est  ainsi  qu'on  dres- 
sait les  échafauds,  lorsque  le  terrain  le  pouvait  per- 
mettre; mais  les  confrères  de  la  Passion  renfermés 


1478,  1479.  (C- A.  Sainte^Beuv»,  Tableau 
hist.  et  crit.  de  la  poésie  franc,  et  du  théâtre 
franc,  du  xvr  siècle;  Paris,  1828,2  vol., 
t.  I",  p.  217-234.  ) 

Les  frères  Parfait  ont  donné  du  mystère 
de  la  Nativité  l'analyse  suivante  que  nous 
reproduisons  : 

LE    MYSTÈRE    DE    i/lNC  ARNATION     ET     NATIVITÉ 
DE    NOTRE-SEIGNEUR   JÉSUS-CHRIST  (190). 

«  Avant  de  donner  l'extrait  de  ce  poëme, 
nous  avons  cru  devoir  joindre  ici  l'ordre  des 
échafauds  qui  furent  construits  à  Rouen, 
lorsque  ce  mystère  y  fut  représenté  en  1474. 

«Ce  passage  mettra  pleinement  le  lecteur 
au  fait  de  la  forme  et  de  l'arrangement  de 
nos  anciens  théâtres;  on  pourra  aisément, 
sur  le  plan  de  celui-ci,  concevoir  une  idée 
juste  et  certaine  de  tous  les  autres. 

Ensuit  l'Incarnation  et  Nativité  de  Nostre 
Saulveuret  Rédempteur  Jésu-Christ,  laquelle 
fut  monstrée  par  prrsonnaigrs,  ainsi  que  cy- 
après  est  escripte  fan  mcccclxxiv,  les  Fesi.cs 
de  Noël,  en  la  Ville  et  Cité  de  Rouen  :  Et 
estoient  les  Establies  assises  en  la  partie 
Septentrionale  d'iceluy  (191)  depuis  Vllostel 
de  la  Hache  couronnée ,  jusqiien  l'Hostet, 
où  peut  l'Enseigne  de  l'Ange.  Second  (192) 
l'ordre  déclaré  en  la  fin  de  ce  Codicille.  Mais 
les  Establies  des  six  Prophètes  estoient  hors 
des  autres,  en  diverses  places  et  parties  d'i- 
celui  Neuf  Marchié.  — Ensuit  l'ordre  com- 
ment estoient  faicls  les  Establies.  —  Pre- 
mièrement, vers  Orient  : 

aiudis  (193),  ouvert,  faict  en  man'ere  de  Throsne, 
et  reçousd  or  tout  autour.  Au  miliiu  duquel  est  Dieu 
en  une  Cliaiere  parée,  et  au  «Mé  d  toc  Ire  de  lui  Paix, 
et  soubz  elle  Miséricorde  :  et  au  spneslre  Justice,  el 
soubz  elle  Vérité  :  et  tout  autour  d'elles,  neuf  ordres 
d'Anges  les  uns  sur  les  autres. 

Nazareth  (194). —  1°  La  Maison  dns  |  arensNosire-Dame. 
—  2°  Son  Oratoire.  —  ô°.  La  Mai->on  de  Elizabali  en  Mon- 
taigne. 

II Jérusalem  (193).  —  1°  Le  Logis  de  S.vmeoD.  —  2*  Le 
Temple  Salomon.  —  3*.  La  demeure  des  Pucelles.  — 

par  les  bornes  de  leur  théâtre  de  la  Trinité,  à  Pa- 
ris, étaient  forcés  à  redoubler  les  rangs,  lorsqu'il 
y  avait  plus  de  trois  échafauds,  et  par  conséquent  le 
fond  et  les  côtés  se  trouvaient  remplis. 

(102)  Selon. 

(193)  Pour  la  commodité  des  spectateurs,  des  écri- 
leaux(  Voyez  le  prologue  ci-dessous)  attachés  au-des- 
sus de  chaque  échafaud,  les  instruisaient  des  lieux 
qu'ils  contenaient.  Les  acteurs  qui  représentaient 
dans  le  mystère  paraissaient  sur  les  échafauds  où  ils 
devaient  jouer  d'abord.  C'est  pour  donner  un  exem- 
ple de  ceci  que  nous  avons  joint  les  noms  des  per- 
sonnages, aux  lieuxoù  ils  doivenlêtreau  commence- 
ment de  la  pièce.  Voici  ceux  de  ce  premier  écha- 
faud :  Dieu  le  Père. —  Paix,  Miséricorde,  Justice, 
Vérité. —  Saint  Michel.  — Gabriel.  —  Raphaël. 

—  Lriel.  —  Cinquième,  sixième,    septième,  hui.- 
liènie  el  neuvième  anges,  el  plusieurs  non  parlants. 

(194)  Nazareth.  —  Joseph.  —  Marie.  —  Elisa- 
beth. 

(195)  Hiérusalem. —  Syméon.  —  le  souverain  prê- 
tre de  Hiérusalem.  —  Samuhel.som  clerc.  —  Maislre 
GERSoy, scribe.  —  Maislre  Ithamar,  pharisée.  —  Abi- 
sac,  pucelle.  —  Thamar,  pucelle.  —  Thesan,  premier 
du  peuple  payen.  —  Méraiotii,  deuxiesme.  —  Abisve, 
troyswsme.  —  Puînées,  premier  du  peuple  des  Juijz. 

—  Sadoc,  deuxiesme.  —  Josedech,    troysiesme.  — 
Eliud, premier  cousin  de  Joseph.  — Achin  ,  deuxiesme 


5*3 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


Nvr 


620 


4°.  L'Ostel  de  Gerson  Scribe.  —  b°  Le  lieu  du  peuple 
Payen.  —  6"  Le  lieu  du  peuple  des  Juifz. 

Bethléem  (196).  —  1°  Le  lieu  de  Joseph  et  de  ses  deux 
Cousins.  — i°  La  Crache  ez  Beufz.  —  ô°  Le  lieu  où  l'on 
reçoit  le  tribut.  —  4°  Le  Champ  aux  Pasteurs  contre  la 
Tour  Ader. 

Romme  (  I90;.— 1".  Le  Chasteau  de  Sirin  Prévost  de  Syrie 
(  197).  —  2°  Le  Temple  Apollin  —  3"  La  Maison  de  Sibille. 
— 4°  LeLogisdesPriuces  delà  Synagogue. —  5°  Le  lieu 
où  l'on  reçoit  le  tribut.  —  6°  La  Chambre  de  l'Empe- 
reur. —  7°  Le  Turosne  d'iceluy.  —  8°  La  Fontaine  de 
Homme.  —  9"  Le  Capiiole. 

Enfer,  faict  en  manière  d'une  grande  gueulle,  se  cloant, 
ei  oivrant  quant  besoing  est  (199).  Le  Limbe  des  Pères 
faict  en  manière  de  Chartre,  et  n'estoient  veus  sinon 
au  dessus  du  faux  du  corps.  Les  place  des  Prophètes  ez 
divers  lieux  horsdes  autres. 

PROLOGUE. 

Pour  relever  l'humaine  Créature 

Des  ors  Enfers,  et  delà  chartre  obscure, 

Où  l'avoil  sceu  le  mauvais  Ange  attraire  : 

Le  Filz  de  Dieu,  par  sa  charité  pure, 

Et  amitié,  nostre  propre  nature 

A  voulu  prendre,  et  vray  homme  soy  faire, 

Et  d'une  vierge  il  a  fait  sonsacraire, 

Puis  en  est  né,  en  très-poure  repaire, 

Ainsi  comme  nous  le  démonstrerons, 

S'il  plaisl  à  Dieu;  et  pour  ce  mieux  parfaire, 

Mous  vous  prions  tous,  qu'il  vos  plaise  taire, 

Jusques  à  ce  qu'achevé  nous  aurons. 

Afin  d'ennuy  fuir,  nous  nous  tairons. 

Présent  des  lieux  ,  vous  les  pouvez  congnoislre 

Par  l'escript  tel  que  dessus  voyez  estie  ("200); 

Nous  requérons  universellement 

A  tous  Seigneurs  d'Eglise  (201)  ou  autrement, 

Elan  commun,  bref  à  loule  personne, 

Se  commettons  fautes,  qu'on  nous  pardonne, 

Et  chacun  Dieu  de  prier  d'humble  cueur, 

Que  par  sa  grâce  il  nous  soit  adjuleur. 

Donc  Balaam,  le  Prophète  gentil , 

Commencera  le  premier;  et  est  cil 

Qui  Eliud  est  dit  en  livre  Job. 

PREMIÈRE   JOURNÉE. 

«r  Après  que  Balaam,  David  (202)  et  les  au- 
tres prophètes,  avec  la  Sibylle,  ont  prophé- 

(196)  Bethléem.  —  Zébel,  femme  de  la  ville  de  Be- 
thléem. —  Salomé,  semblablemenl.  —  Pasteurs.  — 
Nachor,  maistre  pasteur.  —  Enos,  prudent  pusleur. 

—  Malaléel  ,  prudent  pasteur.  —  Ludin,/o/  pusleur. 
Anatiiot,  fol  pasteur.  —  Abigail  ,  sa  mère. 

(197)  Syrie  (a).  —  Cyrin,  prévosl  de  Syrie.  — Ab- 
das,  son  secrétaire.  Volant,  son  héraut. —  Sa  iroin- 
pille. 

(\V&)  Romme.  —  Marcaboth,  clerc  du  premier  tem- 
ple Apollin.  —  Sabatha,  deuxiesme.  —  Sibylle.  — 
Sadeth  ,  son  clerc.  —  Octavian,  empereur  de  Homme. 

—  Jedebos,  son  connestuble.  —  Joab,  son  séneschal. 

—  Elnathan,  maistre  des  sénateurs  — Asersval,  pré- 
vosl de  Homme.  —  Jaribeth,  son  secrétaire.  —  Citus, 
héraull  de  Octavian. — Thogorma,  premier  maistre 
de  la  synagogue  de  Romme.  —  Riphat,  deuxiesme. 

—  Elizer,  iroysiesme.  —  Dercon  ,  garde  du  Capiiole. 
Gademath,  son  premier  serviteur. — Megjjis,  deu- 
xiesme. 

(199)  Enfer.  —  Lucifer.  —  Sathan.  —  Astaroth, 
messagier  d'enfer.  —  Mammon,  venant  du  Capiiole.  — 
Asmodéus  dit  temple  Apollin. 

Celle  décoraiion  et  les  suivantes  n'étaient  point 
sur  les  échafauds.  Au  bas  du  ihcàtrc  paraissait  une 
énorme  léle  de  dragon,  dont  l'entrée  (qui  aboutis- 
sait sous  le  théâtre)  assez  large  pour  y  laisser 
passer  plusieurs  personnes,  s'ouvrait  et  fer  mail  lors- 
que les  diables  voulaient  y  entrer  ou  en  sortir. 
<  El  esloit  la  bouche  d'enfer  très- bien  faicle,  car  elle 

(a)  Cet  echafaud  était  joint  a  celui  de  Rouie. 


tisé,  chacun  à  leur  tour,  la  venue  du  Messie, 
l'empereur  Octavian  monte  au  Capitule  pour 
offrir  un  sacrifice  à  la  divinité  qu'on  y  adore, 
et  lui  demander  qui  sera  son  successeur.  «  Le 
«  Fils  de  Dieu,  qu'une  Vierge  enfantera, sans 
«  cesser  d'être  Vierge,  »  répond  le  diable 
Mammon  caché  derrière  l'idole. 

MAMMON. 

Entendez  ces  molz,  plus  n'en  dis. 
«  Pendant  ce  temps-la,  la  Sibylle  va  à   la 
fontaine  de  Rome,  et,  prête  à  puiser  de  l'eau, 
un  accès  prophétique  la  saisit  :   «  Attendez 
«  un    peu,   lui   dit   Sadeth,  son  clerc,    que 
«  j'aille  chercherl'emperetir.  »  Octavian  (203) 
arrive  etappreni  de  la  Sibylle  que  le  Sauveur 
du  monde  doit  naître  dans  peu  ;  mais  que 
ce  jour,  qu'elle  ignore,  sera  signalé  par  le 
cours  de  cette  fontaine  qui  alors  jettera  de 
l'huile,  au  lieu  d'eau.   L'empereur  s'en  re- 
tourne dans  son  palais,  et  fait  construire  un 
autel  à  ce  Dieu  qui  doit  naître. 
(Adonc  s'en  vont  les  seigneurs  en  leurs  places,  et  ta 
Sibyle  en  sa  maison,  sans  mol  dire-   et  est  Enfer 
ouvert,  en  une  des  parties  duquel  est  le  limbe  des 
Pères,  comme  une  chartre  et  sont  nudz  [204].) 
«  L'arrivée  de  l'âme  d'Hélie  (205)  console 
les  Pères  ;  il  leur  apprend  que  le  sceptre  de 
Juda  est  passé  dans  une  main  étrangère,  ce 
qui  leur  fait  espérer  que  le  Christ  descendra 
bientôt  sur  la  terre. 

«  Sur  ces  entrefaites,  Thogorma,  chef  de 
la  Synagogue  de  Rome,  va  au  temple  Apol- 
lin, et,  charmé  de  la  beauté  de  ce  lieu,  il 
consulte  la  Divinité  sur  sa  durée;  le  démon 
Asmodéus  lui  répond  qu'il  ne  finira  que 
lorsqu'une  vierge  enfantera.  Thogorma,  re- 
gardant cette  chose  comme  impossible,  fait 
attacher  cette  inscription  à  la  porte  du 
temple. 

Templum  pacis  œternum. 
«  CepenJarU  Dieu,  écoutant  la  prière  que 

ouvroit  et  clooil  quand  les  diables  y  vouloient  en- 
trer, et  yssir,  et  avoît  deux  groseulx  (yeux)  d'acier  » 
dit  YàChronique  manuscrite  de  Metz.  Au  resle,  comme 
les  scènes  des  diables  étaient  tout  à  la  fois  diver- 
tissantes et  propres  à  inspirer  de  la  terreur,  on  pla- 
çait toujours  la  gueule  d'Enfer  vers  le  bord  du 
théâtre. 

(200)  Ceci  prouve  ce  que  nous  avons  avancé  ci- 
dessus,  note  195. 

(201)  Bien  loin  que  ces  pieux  spectacles  fussent 
interdits  aux  ecclésiastiques,  c'est  qu'une  partie  des 
mystères  est  de  leur  composition. 

(202)  Celui  qui  faisait  le  personnage  de  David  de 
vail  accompagner  avec  sa  harpe  une  partie  de  son 
rôle,  qu'il  élail  obligé  de  chauler.  El  lorsqu'on  ne 
pouvait  trouver  d'acteur  qui  sût  chanter  ei  jouer  de- 
cet  instrument,  on  supprimait  léchant.  C'esl  ce  que 
nous  apprend  la  noie  marginale.  (Adonc,  harpe,  s'il 
est  harpeur,  ou  si  non  laisse  celle  derri.ine  clause, 
depuis  ce  lieu  la  Ces  choses  donc  ,  etc.  Oci  doit  ser- 
vir d'exemple  pour  ions  les  jeux  de  th  aire,  qu'on 
était  forcé  de  supprimer,  lorsqu'on  ne  pouvait  pa>  les, 
exécuter.  Au  reste  ces  prophéties  ne  servent  pour; 
ainsi  dire  que  de  prologue  au  mystère. 

(205)  Octave  Auguste.. 

(204)  Les  Pères  des  limbes  sontenfermés  dans  une 
espèce  de  prison,  qui  ne  les  laisse  voir  que  jusqu'à 
la  ceinture. 

(205)  Père  de  saint  Josepn. 


K37 


NAT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NAT 


528 


Miséricorde  lui  fait  en  faveur  de  la  nature 
humaine  (206),  ordonne  à  Justice  de  parcou- 
rir la  terre,  et  d'y  chercher  un  morlel,  qui, 
par  la  pureté  de  ses  mœurs,  soit  digne  de 
faire  la  réparation  nécessaire,  pour  effacer 
le  crime  d'Adam.  Justice,  après  bien  des  pei- 
nes, arrive  enfin  à  Jérusalem,  où  elle  entend 
/e  grand  prêtre  qui,  causant  avec  Samuel, 
son  clerc,  lui  avoue  qu'il  a  été  obligé  d'a- 
cheter l'office  dont  il  est  revêtu  et  qu'Hérode 
le  lui  a  vendu  chèrement.  Justice,  voyant  par 
ces  discours  que  le  crime  a  pénétré  jusque 
dans  le  sancluaire,  désespère  de  trouver  ce 
qu'elle  cherche,  et  reprend  la  route  du  cie!. 
Dieu,  touché  de  la  misère  des  hommes,  dé- 
clare que  son  propre  Fils  ira  expier  leurs 
péchés,  et  ordonne  à  Gabriel  d'aller  annon- 
cer à  Marie,  mariée  depuis  peu  à  Joseph, 
que  le  Messie  prendra  naissance  dans  son 
sein.  Cette  nouvelle  cause  une  joie  inexpri- 
mable à  tous  les  esprits  célestes,  et  ils  en 
témoignent  leur  satisfaction  par  des  chants 
d'allégresse. 

{Adonc  chantent  te  premier   vers  de   la   Chanson  qui 
suit  ;  et  jntis  les  Joueurs  d'instrument  derrière  les 
Anges  répètent  icetuy  vers,  et  lundis  les  Anges  qui 
tiennent   les  inslrumens    font  manière   de  jouer. 
Après  les  Anges  chantent  le  second  vers,  et  puis  les 
inslrumens  répètent  trois  lignes  ;  après   les  Anges 
chantent  le  tiers  vers,  et  puis  les  inslrumens  tout  le 
premier,  el  puis  la  fin  [207].) 
Au  nouveau  sceu  de  la  Conception  du  Filz  de 
Dieu,  pour  la  Rédemption  ;  Qui veull faire  d'hu- 
maine  Créalu re  ;  Qui  esioit  cheiie  en 

pé — cilié  el  ordu--re  :  Chacun  au  Ciel  maine 

éxul lalion. 

Faisons  grand  bruit,  chansons  multiplions. 
Toutes  nos  voix  ensemble  despléous  (20ô) 
Nul  ne  se  faigne,  et  chacun  y  ail  cure. 
Au  nouveau  Sceu. 
Ténor.  Au  nouveau  Sceu. 

CONTRATENOR.         Ail  HOUVeaU  ScCU. 

Concoudans.  Au  nouveau  Sceu. 

Des  inslrumens  prenons  ung  million, 
En  encor  plus,  tiret  tout  y  employon, 
Car  aujourd'hui  a  uni  sa  facture 

Avecques  soy  le  haull  Dieu  de  Nature, 
El  à  lousjonrs,  sans  séparation. 
Au  nouveau  Sceu. 

PROLOGUE. 

Seigneurs ,  el  toute  1'  assemblée, 
Nous  vous  remercions  humblement, 
Cy  linons  pour  cesie  journée, 
Seigneurs,  el  toute  l'Assemblée, 
Demain  sera  à  lin  menée 
La  matière  parfaictemenl  : 
Seigneurs,  et  louic  l'Assemblée  , 
Nous  vous  remercions  humblement. 

SECONDE  JOURNÉE. 

«  Cyrin,  prévôt  de  Syrie,  fait  publier  dans 
la  Judée  l'ordonnance  de  l'empereur  qui  en- 
joint a  ses  sujets  de  se  faire  inscrire  au  pays 
de  leur  naissance.  Chacun  obéit  à  ce  com- 
mandement, et  Josephd  Marie  s'y  conforment 


aussi,  et  payent  une  pièce  d'argent,  suivant 
ce  qui  est  prescrit. 

«  Pendant  ce  temps-là,  Thésan  et  Meraïolh, 

ayant  appris  qu'il  doit  naître  dans   peu  le 

Sauveur  des  gentils,  du  nombre  desquels  ils 

sont  ,   en   ressentent  une  extrême  joie    et 

chantent  cette  chanson  à  deux  parties,    en 

langage  inconnu,  peut-être  à  l'auteur  même. 

Ténor.  En  nog  novet,  en  nog  novet  en  malherisoth, 

bislouarc  lau  en  dirouy  li  gros.  En  nog  novet  :  en 

nog  novet,   en    malherisoth,   Bislouare    lau   en 

dirouy  li  gros  Lilelit  home  Platelil  horne,  dande- 

lil,  dandelit   danser  lamy  Phallare,  dandelil  hau 

ligrin. 

Contratenor.  En  nog  novet,  en  nog  novet,  etc. 

«  D'un  autre  côté  le  pasteur  Nachor  ras- 
semble les  bergers  de  la  plaine  de  Bethléem, 
pour  faire  la  veillée  ;  on  lui  dit  qu'une  par- 
tie de  ceux  qu'ii  demande  sont  morts  depuis 
longtemps.  «  Prions  Dieu  pour  eux,  »  répli- 
que-t-il. 

NACHOR. 
Iïe-qui-e-scanl-in-pa-ct' . 

«  Ce  chant  lugubre  plaît  tant  au  rusliquo 
Anathot,  et  il  le  recommence  si  souvent, 
qu'Enos  et  Malaléel,  ses  compagnons,  l'obli- 
gent de  se  taire. 

ANATHOT. 

Se  le  mestier  avoyc  hanté, 

Ung  bien  petit,  j'en  feroye  rage. 

«    Sur  ces   entrefaites,  la  sainte  Vierge, 
qui  n'a  pu  trouver  de  logement,  et  qui  s'est 
retirée  dans  une  pauvre  crèche  à  Bethléem, 
donne  la  naissance  au  Messie. 
(Adonc  est  Jésuchrist  né.) 

«  Les  anges  par  la  clarté  qu'ils  répandent, 
et  par  leurschants, annoncent  celte  heureuse 
iaissance. 

les  anges  chantent. 

Au  sainct  naislre  du  sacré  Roy  des  roys, 
Qui  de  présent  esl  en  lerre  acompiy  : 
Soyons  joyeulx,  el  soit  ce  lieu  rempli 
De  mélodie,  à  baulte  el  clere  voix. 

«  Ils  chantent  ensuite  un  autre  rondeau, 
dont  le  refrain  est  Loé  soit  Dieu.  Zébel  et 
Salomé,  réveillées  par  ce  bruit  et  celte  lu- 
mière, viennent  trouver  saint  Joseph  qui 
leur  apprend  la  naissance  de  Jésus.  Zébel, 
ravie  de  joie,  entre  dans  la  crèche;  mais 
l'incrédule  Salomé  refuse  d'ajouter  foi  à  ce 
récit.  Pour  punir  son  crime,  Dieu  permet 
que  ses  mains  deviennent  sèches;  elle  im- 
plore alors  l'assistance  du  Seigneur,  qui  en- 
voie Raphaël  pour  lui  dire  qu'elle  sera  gué- 
rie en  louchant  le  saint  enfant  qui  vient  do 
naître.  Pendant  ce  temps-là,  les  bergers  de 
Bethléem  arrivent  pour  savoir  la  cause  de 
la  lumière  éclatante  qu'ils  aperçoivent,  et, 
lorsqu'ils  sont  entrés,  ils  adorent  le  Sauveur 
el  lui  offrent  des  présents  suivant  leurs  fa- 
cultés. 


(200)  Nous  passons  le  procès  de  Paradis  qui  est  dans  nos  anciens  poèmes  dramatiques,  et  qui  parait 

presque  la  même  chose  que  celui  qu'on  a  déjà  vu  au  tenir  beaucoup  du   plain  chant-   On   ne  connaissait 

Mystère  de  la  Conception.  point  alors  l'impression  des  caractères  de  musique, 

||207)  Ce  rondeau,  que  nous  avons  figuré  de   la  que  l'on  ajoutait  à  la  main  dans  les  espaces  que  les 

même  façon  qu'on  le  trouve  dans  l'exemplaire  sur  imprimeurs  laissaient  exprès  entre  les  lignes, 

'equel  cet' extrait  est  composé,    n'est  placé  ici  que.  (208)  Déployons. 
pour  dont.er  nue  idée  de  la  musique  qu'on  insérait 


523 


NAT 


DICTIONNAIRE  DES  M  V STERES. 


MAT 


55') 


«  Au  môme  instant  quo  ceci  se  passe  en 
Judée  ,  Mammon  et  Asrnodéus  se  retirent 
avec  précipitation  des  temples,  où  ils  se  fai- 
saient adorer,  qui  s'embrasent.  Lucifer,  au 
désespoir  de  ces  nouvelles,  demande  où 
sont  les  autres  démons. 

LUCIFER. 

El  Mars,  qu'en  Grec,  on  dit  Arts? 

ASMODÉUS. 

Il  régenle  encontre  Paris 
En  Montmartre,  lieu  de  renom. 
(Adonc  crient  tous  les  Déables  ensemble,  cl  les  labours, 
et  autres  tonneres  fuis  par  engins,  cl  (jcllenl  les  coul- 
leuvrines,  et  aussi  fait  l'en  ijelter  brandons  de  feu 
par  les  narilles  delà  gucullc d'Enfer  et  par  les  yeulx 
et  aureilles  :  laquelle  se  reclosl,  et  demeurent  les 
Deables  dedans.) 

«  La  Sibylle,  qui  reconnaît  à  cette  clarté 
brillante  les  marques  de  la  venue  du  Messie, 
ordonne  à  Sadctb  d'aller  à  la  fontaine;  Sa- 
delh  revient  avec  une  cruche  remplie  de 
l'huile  qu'il  y  a  puisée; la  Sibylle  va  aussitôt 
en  avertir  l'empereur,  et  arrive  au  palais  au 
moment  que  Jédébos,  le  connétable,  assure 
ce  prince  que  les  Romains,  charmés  de  ses 
rares  qualités,  veulent  lui  dresser  des  autels. 
Octavian',  étonné  de  ce  que  la  Sibylle  lui 
rapporte  des  eaux  de  la  fontaine  ,  et  encore 
plus  lorsqu'il  apprend  la  destruction  subite 
du  temple  Apollin  et  de  celui  du  Capitule, 
rejette  la  proposition  du  connétable;  et  la 
Sibylle,  pour  le  convaincre  entièrement  de 
la  naissance  du  Sauveur,  lui  fait  voir  sur  un 
autel  la  représentation  de  la  sainte  Vierge 
qui  tient  son  enfant  entre  ses  bras.  L'em- 
pereur l'adore  et  lui  offre  un  sacrifice,  et  le 
mystère  est  terminé  par  les  réjouissances  des 
bergers  de  Bethléem  qui  chantent  une  chan- 
son dont  voici  le  premier  couplet  (209)  : 
Nalure  humaine  en  ses  suppos 
Chante  liault  et  cler  sans  repos; 
S'esjeùissanl  de  cueur  non  las, 
Au  naislre  du  vray  Me-sias.  » 
xue  siècle. 
1328.  — Espagne.  —  1°  Juan  Pastor  a  laissé 
un  auto  imprimé  àSéville  on  1523,  intitulé  : 
A ulo  nuevo^dclsanto  nacimiento  de  Christo 
Nucstro  Senor.  Les  personnages  principaux 
de  ce  drame  sont  l'empereur  Octavien ,  saint 
Joseph,  sainte  Marie,  des  bergers ,  Miguel 
Kccalcado,  Anton  Morcilla ,  Juan  Relleno 
et  un  ange. 

2°  Mystère  de  la  Nativité  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  par  B.  A  ne  au. 

On  trouve  ce  mystère,  que  les  frères  Par- 
fait analysent,  sous  la  date  de  1539,  dans  un 
ouvrage  intitulé  :  Chant  natal. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  français  ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  deLaVallière  (Dresde, 
17  68,  in-8%  3  vol.,  t.  1",  p.  3  ),  en  fait  men- 
tion. Avant  cet  ouvrage,  les'  frères  Parfait 

(209)  Il  y  en  a  sept. 

(-210)  Voici  le  liire  entier  de  l'ouvrage,  à  la  fin 
duquel  ce  mystère  se  trouve  :  i  Chant  natal  conte- 
nant sept  Noelz,  ung  Chant  Pastoral,  et  ung  Chant 
Royal  avec  ung  Mystère  de  la  Nativité,  par  Pcrson- 
naiges,  conposez  en  imitation  verhde,  el  Musicale 
de  diverses  Chansons,  recùcilliz  sur  l'Escripture 
^aincte,  et  d'jcelle  illustrez.  Apud  Sebaslianum  Gry- 
phium,  Lugditni,  1539.  in-K  >  Duverdicr-Yauprivaz, 


es  oblige  à  se  re- 


avaient donné  dans  leur  Histoire  du  théâ*-* 
françois  (Paris,  15  vol.  in-12,  174-5,  t.  llï, 
]).  43),  l'analyse  suivante  de  la  Nativité  d'A- 
neau  : 

MYSTÈRE    DE    LA    NATIVITÉ    (210). 

Mystère  de  la  Nativité  de  Nostre- Seigneur 
Jésus-Christ,  par  personnaiges ,  sur  divers 
chants  de  plusieurs  chansons  (211). 

Et  premièrement  le  voyage  en  Bethléem  ,  et 
l'enfantement,  sur  le  chant,  le  plus  souvent 

TANT    IL  m'eNNUYE. 

«  Pour  obéir  aux  ordres  de  l'empereur , 
Marie  et  Joseph  vont  à  Bethléem,  lieu  de 
leur  naissance. 

(/ci/  vont  en  Bethléem.) 

«  Arrivés  en  ce  lieu,  ils  ne  peuvent  trou- 
ver de  logement,  ce  qui 
tirer  dans  une  pauvre  étable 

JOSEPH. 

Trouver  logis  n'est  pas  possihle 
Sans  argent,  pour  l'amour  de  Dieu. 
La  chose  est  notoire  el  visible, 
Q  1e  pourelé  n'ha  point  de  lieu. 
Mais  voici  une  Eslalile, 
Aux  gens  inhabitable, 
Où  convient  demourcr. 
Le  lieu  n'est  pas  notable 
Pour  Roy,  ou  Connectable, 
Il  nous  faut  endurer. 
«  Peu   de  temps  après,  Marie  enfante  le 
Sauveur  du  monde,  et  les  anges  annoncent 
aux  bergers  celtu  heureuse  nouvelle. 
(U  Annuncialion   aux  Pasteurs,  sur  le  Chant  du  se- 
cond couplet,  Extrait  d'un  ancien  noel.) 
l'ange. 
Pasteurs,  qui  veillez  aux  champs  (bis), 
Oyez  nies  diciz,  et  mes  chants  (bis) 
Je  vous  annonce  la  nouvelle 
Joyeuse  pour  vous  : 

Dieu  est  né 

Pour  rachepter  tous. 
Allez,  el  l'adorez  à  genoux. 
«  Trois  bergers  et  une  bergère,  obéissant 
aux  ordres  du  messager  céleste,  vont  à  la 
crèche  en  chantant   une  chanson  dont  le 
refrain  est  Gloria  in  excelsis  Deo. 
(La  venue,  el  l'adoration  des  Pasteurs,  sur  le  chant' 
Sonnez-m'y  donc  quand  vous  irez.) 
Chantons  Noël,  quand  nous  irons 
Garder  nos  brebieiles  sur  l'herbe, 
Sur  l'herbe. 
«t  David,  au   son    de  sa   harpe,  annonce 
l'arrivée  des  rois  mages,  qui  présentent  leurs 
dons  et  chantent  chacuu  un  huilain  terminé 
par  ce  vers  : 

Où  est-il  né,  afin  que  je  l'adore?  t 
3°  Nativité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
par  Marguerite  de  Navarre. 

Ce  mystère,  imprimé  dans  les  Marguerites 
de  la  Marguerite  des  princesses,  très-illustre 

pag.  109  de  sa  Bibliothèque  française  s'est  trompé 
en  parlant  de  cet  ouvrage,  qu'il  dit  in-8». 

(211)  Ce  mystère,  de  la  composition  de  Barthé- 
lémy Aneau,  contient  environ  trois  cents  vers.  Il  y  a 
une  chose  à  remarquer,  qu'étant  lout  en  chansons, 
et  sur  des  airs  du  temps,  il  se  trouve  le  modèle  de 
cette  espèce  de  poëme  dramatique,  a  qui  Ton  n'au- 
rait peut-cire  |«\s  donné  une  telle  antiquité. 


531 


«AT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES, 


NAT 


532 


reine  de  Navarre,  (  in-8°,  Lyon  ,  Jpan  de 
Tournes,  I5&7),  cité  par  Duverdier,  [Bibl. 
/>•.,  p.  8i3) ,  analysé  par  les  frères  Parfait  , 
sou*,  la  date  de  loio,  a  été  mentionné  aussi 
par  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois,  ou- 
vrage attribuéau  ducdeLa  Vallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  119). 

Nous  reproduisons  l'analyse  des  frères 
Parfait.  [Histoire  du  Théâtre  françois;  Paris, 
13  vol.  in-12,  1745,  t.  I!l,  p.  59-63.) 

COMÉDIE  DE  LA  NATIVITÉ  DE  JÉSUS-CHRIST (212). 

*  Marie  et  Joseph  vont  à  Bethléem  s'y  faire 
inscrire,  conformément  aux  ordres  énoncés 
dans  Tédit  de  l'empereur  Auguste.  C'est  en 
vain  qu'ils  cherchent  un  logis  pour  passer 
la  nuit  :  les  trois  hôles  à  qui  ils  s'adressent 
les  refusent  sur  différents  prétextes.  Le 
premier  leur  déclare  qu'il  ne  veut  loger  quo 
des  gens  riches.  —  «  Ma  maison,  répond  le 
«  second  ,  n'est  destinée  qu'aux  princes  et 
«  aux  rois.  —  Pour  moi,  dit  le  troisième, 
«  je  voudrais  bien  vous  rendre  service  , 
«  mais  toutes  mes  chambres  sont  occupées 
«  par  de  jeunes  personnes  qui  doivent  y 
«  passer  la  nuit  à  boire  et  h  danser.»  Après 
quelques  réflexions  sur  l'avarice  et  l'aveu- 
glement de  ces  hôtes ,  Joseph,  pressé  par 
la  nuit,  fait  entrer  Marie  dans  une  pauvre 
éiablo,  et  va  à  la  ville  chercher  de  quoi  sou- 
per. Pendant  ce  temps-là  ,  Dieu  ordonne  à 
ses  anges  d'aller  servir  Marie,  et  adorer  le 
Sauveur  du  monde.  Joseph,  en  rentrant,  se 
prosterne  à  ses  pieds  ,  et  les  anges  ne  le 
quittent  que  pour  aller  annoncer  son  heu- 
reuse naissance  aux  bergers  de  la  contrée.  Ils 
accourent  sans  s'inquiéter  du  soin  de  leurs 
moutons,  qu'ils  laissent  à  la  garde  du  Sei- 
gneur, et  vont  avec  joie  adorer  le  Messie. 
(Les  Bergers  et  Bergères  s'en  vont  chantons.) 

SOPHRON  el  PHILET1NE. 

Dansons,  chantons,  faisons  rage, 
Puisqu'avons  grâce  pour  pardon  : 
Chaulons  Noël  de  bon  courage, 
Car  nous  avons  Christ  en  pur  don. 

ELP1SON  el  CRIST1LLA. 

Laissons  Adam,  et  son  lignage, 
Plus  avec  lny  ne  demeurons  : 
Quittons  Ions  noslre  vieil  bagage, 
Chèvres,  Brebis,  Chiens,  el  Moutons; 
Chantons  Noël  de  bon  courage 
Car  nous  avons  Christ  en  pur  don. 

NÉPHA.LE   et  DOROTHÉE. 

Allons  voir  Marie  la  Sage, 
Avec  l'enfant  de  granl  renom  : 
Donl  les  Anges,  en  doux  langage, 
Nous  ont  fait  un  si  beau- Sermon. 
Chantons  Noél,  etc. 

SOPHRON  et   PHILÉT1NE. 

Portons^»  leur  pauvre  nu-snage 
De  noz  biens  à  grand  abandon. 

(212)  Ce  mystère,  et  les  trois  suivants  sont  de  la 
composition  de  Marguerite  de  Valois,  reine  «le  Navarre. 
Ils  furent  imprimés  avec  ses  autres  poésies,  par  les 
soins  de  Simon  de  La  Haye,  sous  le  litre  des  Margue- 
rites de  !a  Margueriiedes  Princesses,  très-illustre  reine 
de  Navarre,  in-S°,  à  Lyon,  Jean  de  Tournes,  1547. 
Voyez  la  Bibliothèque  "française  de  Duverdier- Yan- 
privaz,  pag  Siô.  La  versification  de  celte  princesse 


DOROTHEE. 

Je  luy  porteray  mon  fourmage 
Dans'ceste  feisselle  de  jon. 
Chantons  Noël,  ete. 

CRIST1LLA. 

El  moy  ce  grand  pot  de  la  ctage, 
Marie  le  louvera  bon. 

PHII.ÉTINE. 

Je  luy  donray  ma  belle  cagj. 
Où  pst  mon  pelil  oysillon. 
Chantons  Noël,  etc. 

ELP1SON. 

Ce  fagot  aura  pour  chauffage, 
Il  fait  froid  en  cesie  saison. 

NÉPHALE. 

Mon  flageolet  pour  son  usage, 
L'enfant  en  aymera  le  son. 
Chantons  Noël,  etc. 

SOPHRON. 

Et  moy  je  ferai  le  message. 
J'entends  plus  que  vous  la  raison. 

PH1LÉTINE. 

Je  le  baiserai  au  visage. 

CRISTILLA. 

Non,  c'est  bien  assez  au  talon 
Chantons  Noël,  elc. 

SOPHRON  et  PHILÉTINF. 

Courrons  lost  à  ce  sainct  voyage, 
Plus  ne  failli  qu'icy  nous  lardons, 
Ne  craignons  nul  mauvais  passage. 
Prenons  hnnletle  pour  bourdon. 
Chaulons  Noël,  elc. 

ELPISON  et  CRISTILLA. 

Et  Dieu,  dons  ce  petit  image 
Croyons,  adorons,  et  aymon. 
Faisons  lui  de  nos  cœurs  hommage. 
Car  certes  rien  nous  n'y  perdon. 
Chantons  Noël,  etc. 

NÉPHALE   et   DOROTHÉE. 

Mes  frères,  encore  bien  scai-je 
Que  si  en  lui  nous  nous  fion, 
En  nous  sera  pour  héritaige, 
Et  nous  en  luy  tonsioars  seron. 
Chantons  Noël  de  bon  courage, 
Car  nous  avons  Christ  en  pur  don 

«  En  revenant  d'adorer  le  Fils  de  Dieu, 
nos  bergers  rencontrent  Satan  qui,  sous 
l'apparence  d'un  grand  seigneur,  les  inter- 
roge et  paraît  incrédule  sur  tout  ce  qu'ils  lui 
racontent  de  la  naissance  du  Messie.  Con- 
fondu de  plus  en  plus  par  les  discours  des 
bergers,  le  malin  esprit  disparaît  et  retour- 
ne aux  enfers.  Le  mystère  finit  par  les 
chants  des  anges  qui  remercient  Dieu  de  sa 
bonté  envers  les  hommes.  » 

xviii'  siècle, 

Allemagne. —  Vers  177i. —  On  représentait 
de  temps  à  au  Ire,  dans  l'abbaye  de  Saint -Biaise 
de  la  forêt  Noire,  un  mystèrede  la  Nativité. 
(Cf.  Martin  Gerbebt, Z>ecotH/it  et  mus.  sacra; 
Saint-Biaise,  177i,  in-V,  2  vol.,  t.  11,  p.  82.) 

est  assez  bonne  pour  le  siècle  où  elle  vivait.  Elle  a 
mis  de  l'esprit  et  de  l'invention  dans  ces  poèmes, 
mais  elle  affectait  si  fort  les  allégories,  que  certaines 
farces  de  sa  composition  en  sont  tout  à  fait  iniiir 
lelligibles.  Nous  croyons  qu'elle  avait,  pour  en  agir 
ainsi,  des  raisons,  dans  [lesquelles  nous  ne  voulons 
point  -mirer,  et  qui  sont  étrangères  à  notre  sujet. 


533 


NIC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NIC 


va 


xix'  siècle. 
Là      NAISSANCE      DE      NOTRE-SEIGNEUR      JESUS  - 
CHRIST, 
Sorte  de  mystère  joué  de  nos  jours  en  Basse-Bretagne. 
MM.  L.  Dessales    et   P.  Chabailles,  dans 
l'Avant-Propns  du  Mystère  de  sainl  Crespin 
et   de   saint   Crespinien    (Paris,     Silvestre  , 
1836,  in-8°  de  xx-196  p.),  en  ont  cité  quel- 
ques vers  qu'ils  assurent  tenir  de  l'un  des 
spectateurs  : 

On  ne  voit  plus  d'armées,  on  ne  voit  pins  de  guerre, 
La  paix  universelle  est  par  toute  la  terre. 
Le  grand  César  Augusie  a  soumis  par  sa  main 
Toules  les  nations  à  l'Empire  romain; 
Il  a  fait  une  paix  éternelle  et  durable. 

Puis  le  même  auteur  raconte  l'arrivée  de 
la  Vierge  Marie  et  de  Joseph  à  Bethléem,  en 
ces  termes  : 

C'est  une  femme  enceinte  et  prêle  d'accoucher 
Son  mari  la  respecte  et  n'ose  la  toucher. 

(P.  XII-Xlll.) 

Voy.  Passion,  II,  §4(212*). 

NATURE  ET  LOY  DE  RIGUEUR.  —  Celte 
pièce  datant  du  xvic  siècle  a  été  éditée,  d'a- 
près le  manuscrit  fonds  La  Vallière,  n°  63  de 
la  Bibliothèque  impériale,  dans  le  Recueil 
de  farces,  moralités  et  sermons  joyeux,  tiré  à 
76  exemplaires,  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel...  Paris,  Técliener,  1837,  petit 
in-8°  ancien,  h  vol.,  t.  II,  n°  45.  Nous  ne 
pensons  pas  qu'elle  ait  été  destinée  à  la 
représentation  ;  ce  serait  plutôt,  selon  nous, 
un  dialogue  à  la  manière  antique"  entre 
Nature,  Loy  de  Rigueur,  Divin  Pouvoir, 
Amour,  Loy  de  Grâce,  et  la  Vierge. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 
Nature  et  loy  de  rigueur:  morallile  a.  vi.  per- 
sonnages. 

NICOLAS  (t  a  statue  de  saint).  —  La  sta- 
tue de  saint  Nicolas  est  un  des  trois  drames 
qu'a  laissés  Hilaire,  disciple  d'Abailard.  Le 
manuscrit  qui,  parmi  d'autres  œuvres,  con- 
tient ces  drames,  connu  depuis  1616,  a  passé, 
en  1837,  de  la  bibliothèque  de  Rosny  dans 
le  riche  dépôt  de  la  Bibliothèque  impériale. 

Cette  pièce  appartient  donc  très-certaine- 
ment à  la  première  moitié  du  xne  siècle. 

Il  n'en  existe  d'édition  que  celle  donnée 
en  1838  par  M.Champollion-Figeac:  Hilarii 
Versus  et  ludi.  (Paris,  Téchener,  1838,  in-8% 
de  xv-61  pages.) 

L'éditeur  en  a  dit  :  «  Il  n'y  a  rien  de  bien 
digne  de  remarque  dans  les  pièces  de  Lazare 
et  de  Saint-Nicolas ,  à  part  les  avertisse- 
ments qui  sont  nécessaires  pour  la  bonne 
exécution  de  l'ouvrage,  et  surtout  les  refrains 
en  français  dont  le  dialogue  latin  est  abon- 
damment assaisonné...  »  (Préf.,  p.  xm.) 


(212*)  M.  Edélestand  Duméril  (O)igiues  latines  du 
inéâire  moderne;  Paris,  1849,  in-8°,  p.  354-390)  a 
édité  le  mystère  contenu  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale,  n°  7208,  4,  A,  fol.  4G,  verso, 
et  l'a  intitulé  Mystère  de  la  Nativité;  il  remarque 
que  le  suj  t  en  est  lire  du  Prolevangelium  Jacobi.  — 
Hiblioth.  I.npér.  n°  5i59  fonds  La  'Vallière,  9«  por- 
tefeuille, une  Pastorale  sur  la  Naissance  du  Christ; 
autre  sur  la  ÎS'aiss.  du  Chr.  de  frère  Claude  Macée, 
imprimée  à  Saint  Malo,  (Bovins,  1805,  in-18:  Avi- 
g  on,  1807).  En  1510,  la  pièce  latine  d'Ambrosius 


MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel  ont  fait 
remarquer  que  le  même  sujet  avait  été  traité 
par  le  moine  inconnu  de  Saint-Benoît-sur' 
Loire,  et  par  Jean  Bodel. 

Comparant  le  jeu  de  Saint-Nicolns  d'Hilairfc 
avec  celui  de  Jean  Bodel,  M.  O.  Leroy,  dans 
ses  Epoques  de  l'histoire  de  France  (Paris, 
Hachette,  1843,  in-8°),  y  a  trouvé  le  contraste 
de  deux  siècles  bien  diiférents  :  le  drame  .le 
Jean  Bodel  est  le  bégaiement  de  notrejeune 
muse;  l'autre,  celui  d'Hilaire,  ce  piquant 
farcita  qui  n'est  plus  du  latin  et  n'est  pas 
du  français  encore,  est  le  véritable  symbole 
d'une  transition  religieuse  et  sociale;  c'est 
tout  à  la  fois  la  langue  de  l'Eglise  et  son 
autorité,  que  l'auteur,  disciple  d'Abailard, 
semble  vouloir  secouer.  On  voit  naître  ici, 
avec  la  langue,  des  germes  d'opposition 
religieuse,  qui,  plus  tard,  fécondés  par  la 
corruption  des  temps,  se  développeront  d'une 
manière  effrayante.  (Ibid.,  Introd.,  p.  13-15.) 
—  «  On  trouve  dans  ce  dramedes  traits  de  ce 
ridicule  déplacé,  propre  au  génie  français, 
et  qui  semble  provenir  de  notre  esprit  aven- 
tureux et  ergoteur.  »  (Page  16,  Appendice, 
p.  37.)  —  «  C'est  une  sorte  de  protestation, 
dit  le  même  auteur,  quoique  présentée  sous 
des  formes  burlesques,  un  protestantisme 
contre  le  culte  rendu  par  l'Eglise  aux  saints 
et  aux  images...  (P.  80.)  Le  libre  penseur  se 
cache  prudemment  sous  le  nom  d'un  per- 
sonnage qu'il  nomme  Barbants,  par  anti- 
phrase, sans  doute...  »  (P.  81.)  En  effet,  c'est 
le  temps  où  saint  Bernard  avait  «  élé  obligé 
plusieurs  fois  de  prêcher  contre  les  brise- 
images,  dont  le  fanatisme  venait  d'être  ra- 
nimé par  Bruys  et  par  son  disciple  Henri...  » 
(P.  16.)  Volé,  malgré  sa  foi  en  saint  Nicolas, 
«  Barbarus  finit  par  prendre  un  fouet  pour 
en  frapper  l'image  du  sainl,  car  Yimnqe  est 
coupable,  dit-il  malignement.  Saint  Nicolas 
va  trouver  les  voleurs,  à  qui  il  tint  un  dis- 
cours ridicule.  Ceux-ci,  effrayés...  rappor- 
tent le  trésor.  Barbarus,  enchanté,...  se 
jette.,  aux  genoux  du  saint  qui  le  relève,  et 
lui  dit  avec  un  ton  de  raison  qui  est  à  la  fois 
la  moralité  de  l'ouvrage  et  la  satire  du  culto 
décerné  aux  saints  : 
Soli  Deo... 
Mihi  nullum  merilum. 

«  C'est  absolument  ce  qu'André  de  la 
Vigne,  en  1496,  fait  dire  à  saint  Martin  dans 
le  mystère  de  ce  nom.  »  (P.  82.)  Et  pour 
confirmer  cette  opinion,  M.  O.  Leroy  indi- 
que en  note  (p.  300  et  329),  l'apostrophe 
d'Outrage  à  l'Eglise,  quand  il  vient  la  piller 
et  la  violenter.  (P.  85.)  M.  O.  Leroy  carac- 
térise le  Jeu  de  saint  Nicolas  «  un  amalgamo 

Ilellmich  de  Derlin,  imprimée;  en  1549,  Eine  Kurze 
Commôdien  von  der  Geburt  des  Ilerren  Christ,  impri- 
mée à  Berlin  en  1839  et  attribuée  sans  preuves  à 
Ceorges  Pondo.  M.  de  Ocboa  apublié  une  Nativité  en 
appendice  à  sa  réimpression  de  Sancbe/.  ;  de  Juan  de 
la  Encina,  Egloga  de  la  noche  de  Navidad,  de  Lucaz 
Fernandez,  Egloga  o  farsa  det  Naciinicnto  de  Jesu- 
Chrtsto,  et  un  Auto  o  farsa  del  Nacim.  de  ISuesiro 
Senor,  imprimé;  de  Torrcz  Naharro,  Dialogo  del 
Sarimienlo,  imprimé  à  Naples  en  1517  ;  de  Cil  Vi- 
cenle,  Auto  del  Nacimiento. 


«55  NIC 

bizarre  do  deux  langues  et  de  croyances 
incertaines,  sans  unité,  sans  nationalité, 
sans  héroïsme  aucun;  un  triste  farcita  dans 
lequel,  seulement,  est  caractérisée  cette  épo- 
que de  controverse,  d'où  le  protestantisme 
devait  un  jour  sortir.  » 

En  dernier  lieu,  M.  Magnin  a  dit  à  propos 
du  Lazare  et  du  Saint-Nicolas  d'Hilaire: 
«  Ces  deux  pièces  où  le  latin  domine,  se 
rattachent  au  théâtre  français  au  même  titre 
que  le  jeu  des  Vierges  sages  et  des  vierges 
folles,  c'est-à-dire  par  le  mélange  de  la 
langue  vulgaire  et  du  latin.  »  [Journal  des 
Savants,  1836,  janvier.)  | 

Le  titre  exact  est  Le  Jeu  de  la  statue  de 
sair.t  Nicolas. 

Nous  en  donnons  une  traduction  aussi 
littérale  que  possible.  —  Voyez  Hilaire  , 
disciple  cTÀbaitard. 

PERSONNAGES  INDISPENSABLES. 

le  barbare  qui  donne  à  les  voleurs    an   nombre 
garder.  de  quatre  ou  de  six. 

LA    STATUE.  SAINT  NICOLAS. 

(Le  Barbare  ayant  rassemblé  en  tas  tous  ses    biens, 
s  approche  de  l'image  et  lui  recommande  sa  maison.) 

I. 

le  barbare.  0  Nicolas,  j'ai  mis  tout  mon  bien 
dans  ce  réduit  étroit;  je  l'en  fais  le  gardien,  con- 
serve tout  ce  qui  est  là.  Jo  l'en  prie,  fais  bien  atten- 
tion à  ce  que  je  dis,  veille  à  ce  qu'il  n'y  ail  rien  de 
volé,  je  le  remets  mon  or  et  mes  habits  précieux. 
J'ai  une  affaire  qui  m'appelle  au  dehors;  c'est  à  loi 
que  j'impose  le  soin  de  tout  ce  qui  est  ici;  et  à  mon 
retour,  rends-moi  tout  ce  que  j'ai  laissé  sous  la 
garde.  Je  suis  plus  tranquille  que  d'habitude  de  le 
savoir  maître  de  ton t  céans,  mais  fais  attention  qu'à 
mon  retour  je  n'aie  pas  quelque  jusle  sujet  de  plainte. 

II. 

{Il  s'en  va  ;  des  voleurs  voient  en  passant  l'huis  ouvert 
et  personne  au  dedans;  Ut;  font  main- bassesur tout.) 

III. 

(Le  Barbare,  àson  retour,  ne  trouvant  plus  son  trésor.) 

le  barbare.  0  fatalité  cmielle,  terrible!  J'avais 
laissé  tant  de  choses  ici,  mais  à  quel  mauvais  gar- 
dien. Ah!  quel  malheur!  tout  mon  bien  perdu!  J'en- 


DICTIONNA1RE  DES  MYSTERES. 


N!C 


5:6 


rage  !  J'avais  mis 
nrgenl  ;  et  plus 
mon   bien    perdu 


•,\, 


et-  plus    rien. 
quel   malheur! 


Celle 

Tout 


là  plus  de  cent  objets  et  mon 
rien.  Ah  !  quel  malheur!  tout 
J'enrage!    J'avais  tout     laissé  , 


slalue  en 
mon  bien 


est  j  la  cause 
perdu  ' 


Ah! 


j enrage 


t 


(S'approchant  de  la  statue  et  lui  parlant  :)  J'avais 
mis  en  tas  lout  mon  bien,  je  le  l'avais  recommandé; 
et  je  m'étais  trompé.  Ah!  Nico'as,  si  lu  ne  me  rends 
mon  bien,  lu  me  payeras  cela.  J'avais  mis  là  tout  ce 
(pie  je  l'avais  conlié,  el  tout  est  perdu.  Ah!  Nicolas, 
situ  ne  me  rends  mon  bien,  tu  vie  payeras  cela.  (Il 
prend  un  fouet.)  J'avais  pour  toi  bien  du  respect; 
niais  cela  ne  se  passera  pas  sans  vengeance,  el 
maintenant  je  te  somme  d'avoir  à  me  rendre  tout  ce 
que  j'avais  déposé  là.  J'en  jure  par  Dieu,  si  lu  ne  me 
rends  pas  mon  bien,  je  le  fouetterai  comme  un  cri- 
minel; el  maintenant  je  te  somme  d'avoir  à  me  ren- 
drelout  ce  que  j'uvuis  déposé  là. 

IV. 

saint  Nicolas  allant  aux  voleurs.  Malheureux  !  que 
faites-vous?  Vous  ne  rirez  pas  longtemps  autour  de 
ces  objets  perdus.  C'est  moi  qui  en  étais  le  gardien, 
je  vous  ai  vus  tout  emporter.  J'en  ai  eu  toul  le  dé- 
boire, quand  je  n'ai  pu,  selon  mon  devoir,  rendre 
ces  biens.  J'ai  subi  de  durs  reproches,  et  dos  coups 
avec  les  paroles.  Aussi  je  viens  en  toute  hâte  vous 
dire  de  rapporter  toul  ce  que  vous  aviez  volé,  car 


tout  était  sous  ma  garde.  Si  vous  n'obéissez,  vous 
serez  pendus  au  gibet,  demain  même,  car  c'est  moi 
qui  ferai  connaître  à  tout  le  monde  voire  infamie  et 
vos  larcins. 

V. 

(Les  voleurs,  épouvantés,  rapportent  tout.) 
le  barbare,  retrouvant  son  bien.  Ai-je  la  vue 
trouble?  Ah  !  quelle  joie  !  c'est  mon  trésor.  Quel  mi- 
racle surprenant  !  Toul  esl  revenu.  Ah  !  quelle  joie  ! 
et  ce  n'est  pas  moi  qui  ai  rien  retrouvé.  Quel  mira- 
cle surprenant  !  Ah  !  quel  bon  gardien  !  Ah!  quelle 
joie!  Il  m'a  tout  fait  rendre.  Quel  miracle  surprenant  ! 
(Il  s'approche  de  la  statue  et  d'un  air  contrit  :)  0  Ni- 
colas: je  viens  à  loi  toul  confus,  c'est  loi  qui  m'a 
fait  rendre  tout  ce  que  j'avais  missous  ta  garde.  0  Ni- 
colas! je  m'étais  relire  bien  triste,  mais  j'ai  reçu, 
sans  qu'il  y  manque  rien,  toul  ce  que  j'avais  mis 
sous  ta  garde.  C'est  ma  lêle  qui  avait  tourné,  ô  Ni- 
colas! cl  rien  ne  m'avait,  sans  doule,  jamais  man- 
qué de  tout  ce  que  j'avais  mis  sous  ta  garde. 

VI. 

saint  Nicolas  apparaît  au  Barbare.  Frère,  ce  n'est 
pas  moi  qu'il  faut  remercier,  mais  Dieu  seul.  C'est 
lui,  le  créateur  des  cieux,  de  la  mer  el  de  ce  monde, 
qui  seul  l'a  rendu  lout  ce  que  tu  avais  perdu,  pour 
que  tu  ne  fusses  plus  désormais  ce  que  tu  as  été 
jusqu'ici.  Loue  le  nom  seul  du  Christ,  ne  crois  plus 
qu'en  ce  Dieu  dont  lu  as  reçu  tous  les  biens  :  moi  je 
n'en  ai  pas  le  mérite. 

le  barbare.  Sans  balancer,  à  l'instant,  je  me  re- 
tire de  l'abîme  de  l'erreur,  je  quitte  les  rites  des 
Gentils  et  je  crois  en  le  Christ,  Fils  de  Dieu,  el  au- 
teur de  tant  de  merveilles.  Il  esl  le  créateur  uni- 
versel du  ciel,  de  la  lerre,  de  l'océan;  et  c'e,--l  en 
lui  que  je  sollicite  la  grâce  de  mon  erreur.  C'est  en 
lui  «s ne  s'effaceront  mes  fautes,  en  lui,  Seigneur  om- 
nipotent, el  dont  le  règne  est  sans  lin. 

NICOLAS  (Le  Jeu  de  saint),  de  Jean 
Bodel.  —  Le  Jeu  de  Suint-Nicolas  esl  tiré  du 
manuscrit  de  La  Vallière.  (Bibliolli.  impé- 
riale, n°  81,  olim  273G,  f*  60,  recto,  col.  1.) 
Le  grand  d'Aussy  en  a  donné  un  extrait 
(Fabliaux  ou  contes  du  xn°  et  du  xin*  siècle, 
édit.  de  Uenouard,  Paris,  1829,  in-8°,  5volM 
t.  II,  p.  185-189).  MM.  l'abbé  de  La  Boude- 
rie et  Monmerqué  l'ont  publié  pour  la  pre- 
mière fois,  en  1834,  pour  la  Société  des 
bibliophiles  français,  en  un  volume  in-8% 
tiré  à  trente  exemplaires  seulement,  et  au- 
quel il  manque  encore  aujourd'hui  une  No- 
tice préliminaire  et  un  Glossaire  promis  depuis 
bientôt  vingt  ans  par  M.  Monmerqué. 

M.  Daunou,  dans  VHist.  litt.  de  la  France, 
t.  XVI,  Paris,  1824-,  in-4°,  Discours  sur 
Vélat  des  lettres  en  France  au  xnr  siècle, 
p.  213,  niait  le  caractère  dramatique  du  Jeu 
de  saint  Nicolas,  du  Miracle  de  Théophile  de 
Jean  Bodel  et  de  Butebeuf  ;  et  considérait, 
comme  de  simples  dialogues,  la  plupart  des 
pièces  du  théâtre  français  antérieures  au 
xv"  siècle.  Néanmoins,  dans  le  même  vo- 
lume, Discours  sur  l'état  des  beaux-arts  en 
France  au  xiii*  siècle,  M.  Amaury-Duval  ex- 
primait l'opinion  contraire,  et  citait,  comme 
évidemment  destiné  à  la  représentation , 
entre  autres  pièces,  ce  même  Jeu  de  Saint- 
Nicolas. 

Déjà,  en  1815,  de  Boquefort  avait  expri- 
mé l'opinion  reproduite  par  M.  Amaury- 
Duval.  (De  Roquefort-Flaméricourt,  De 
l'état  de  lapoésie  française  dans  les  xii*  et  lin* 
siècles;  Paris, Fournier,  1815,  in-8",  p.  261  ) 


NIC 


DICTIONNAIRE  DES  MÏSTEKES. 


NIC 


538 


M.  Onésirue  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur 
les  Mystères  (Paris,  1837,  in-8",  p.  13-31), 
s'arrêta  à  l'examen  du  Jeu  de  Saint-Nicolas 
de  Jehan  Bodiaus. ou  Bodel.  Le  manuscrit 
conservé  à  la  Bibliothèque  impériale,  fonds 
La  Vallière,  n'81,  in-8",  peau  vélin,  contient, 
outre  le  drame,  des  chansons  et  des  vers 
composés  par  des  trouvères  du  Nord.  Après 
avoir  critiqué  avec  force  et  justesse  la  légè- 
reié  deLegrand  d'Aussv,  l'auteur  des  Etudes, 
émet  les  opinions  suivantes  :  —  Le  sujet  de 
la  pièce,  le  lieu  de  la  scène,  les  passions 
mises  en  mouvement,  indiquent  que  l'au- 
teur avait  pour  but  de  rappeler  les  faits  de 
l'histoire  de  son  temps. —  Ainsi,  saint  Louis 
avait  espéré  convertir  le  roi  de  Tunis;  dans 
le  désastre  récent  de  Mansoura,  le  comte 
Robert  d'Artois,  frère  de  saint  Louis,  avec 


Mansoura,  peut-ôtre  présents;  les  rois  bar- 
bares de  l'Afrique  se  courbant  devant  notre 
roi  ;  et  jusqu'aux  grimaces  risibles  de  l'idole 
abandonnée,  «  tributs  payés  à  la  malice 
française,  mais  sans  aucun  outrage  au  saint 
que  l'Eglise  honore,  »  (ouï  concourait  à 
rendre  émouvante  l'œuvre  de  Jean  Bodel, 
en  qui  revivait  l'esprit  de  saint  Louis,  tant 
l'esprit  du  saint  roi  se  trouvait  déjà  répandu 
dans  son  siècle!  tant  cet  esprit  animait  les 
plus  humbles  1» 

Une  dernière  étude,  donnée  par  un  grand 
critique,  nuisit  quelque  peu  à  ces  données 
bizarres.  Celte 'étude  est  de  M.  Magnin. 
Selon  cet  auteur,  le  Jeu  de  Saint-Nicolas  do 
Bodel  a  été  qualifié  à  tort  par  la  critique  trop 
bénévole  de  M.  O  Leroy  de  tragédicnalionale. 

On  y   cherche  oiseusement  des  allusions 


un   grand  nombre  de  Français,    avait    péri     historiques;  M.  Paulin  Paris  a  prouvé  que 


victime  de  son  imprudent  courage.  -  ■  Ce 
sont  ces  espérances  et  événements  auxquels 
s'est  ajtaché  ie  poëte  :  le  roi  d'Afrique,  en 
etl'et,  a'bjure  le  cul#te  de  Tervagan;  les  chré- 
tiens sont  envelo'ppés,  faits  prisonniers,  et 
périssent  tous  1  Parmi  eux  est  ce  guerrier, 
représentant  de  Uobert,  à  qui  échappe  le 
mot  si  fameux  mal  attribué  au  Cid,  et  tout 
français.  Voilà  de  la  tragédie  nationale,  con- 
clut AL  Leroy. (212**)  «Quand  celle-ci  parut, 
elle  était  toute  de  circonstance,  ce  que  l'on 
n'a  pas  vu.  Si  l'on  eût  remarqué  la  date  qui 
s'y  trouve  écrite  5  chaque  page,  non  pas  en 
chilfres,  mais  dans  les  faits,  cet  opuscule 
qui  jette  tant  de  clarté  sur  notre  histoire, 
serait  dès  longtemps  mieux  connu...  »  (P. 
17.)  Entin,  peut-être  Jean  Bodel  a-til  pris 
dans  l'une  des  quatre  pièces  latines  de  Saint- 
Nicolas,  signalées  dans  le  Mercure  de  Erance, 
l'idée  de  sa  pièce.  «  Mais  ce  qui  est  à  lui 
seul,  c'est  d'avoir  su  la  rattacher,  avec  un 
art  bien  remarquable,  aux  événements  et 
aux  mœurs  de  son  temps.  (P.  31.)  Lt  c'est 
ainsi  que  notre  Artésien  s'est  assuré  la 
gloire  d'avoir  élevé  le  premier  monument 
dramatique  dont  puisse  s'honorer  la  littéra- 
ture française.  »  (P.  15.) 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Epoques  de  V His- 
toire de  Erance  (Paris,  Hachette,  1843,  in-8"), 
revient  sur  le  jugement  porté  dans  ses  Etu- 
des sur  les  mystères,  à  propos  du  Jeu  de  Saint- 
Nicolas;  il  s'appuie  de  la  Notice  sur  Jehan 
Bodel  pour  constater  l'exactitude  de  ses  rap- 
prochements entre  les  faits  de  l'histoire  et 
les  faits  du  drame;  et,  comparant  le  Indus 
sancli  Nicolaili  la  pièce  française,  il  y  trou- 
verait le  contraste  de  deux  siècles  bien  dif- 
férents. L'œuvre  d'Hilaire  est  le  symbole 
d'une  transition  religieuse  et  sociale;  le 
drame  de  Jean  Bodel- est  le  début  ?de  notre 
jeune  muse.  [Ibid.,  Inlrod.,  p.  13-15.)  Mais 
quel  début  !  «  Voilà  la  tragédie  nationale, 
que  Corneille  et  Racine  eux-mômes  ne  pour- 
ront traiter  au  xvn'  siècle,  et  nous  ne  sommes 
encore  qu'au  milieu  du  xm'  1  »  (/&.,  ch.  u, 
j».  87.)  Les  témoins  de  l'atfreux  désastre  de 

(212")  Cf.  aussi  dans  le  journal  Le  Temps  (1835, 
•*»  octobre)  un  article  de  M.  I.croy  où  sonl  exprimées 
les  mêmes  opinions.  -  M.  Arthur  Dinaux  [Trouvères, 
jongleurs  ci  ménestrels  du  nord  de  tu  France;  Paris, 


l'auteur  vivait  à  la  lin  du  xu'  siècle,  avant 
les  événements  auxquels  on  rapporte  ce 
drame.  M.  Monmerqué,  de  même  que  M. 
Leroy,  a  fait  erreur  en  considérant  ce  drame 
comme  destiné  à  être  représenté  dans  les 
manoirs  parmi  les  châtelains  :  la  licence  du 
langage  prouve  qu'il  était  composé  pour  1rs 
carrefours.  On  y  trouve  une  scène  militaire 
vraiment  très-belle,  et  ce  mot  qui  n'appar- 
tient plus  désormais  au  Cid  :  d'un  grand 
cœur  en  un  corps  petit,  il  n'est  pas  adressé  au 
Seigneur  Dieu,  mais  aux  seiqneurs  chevaliers. 
(Journ.  des  Savants,  janvier  18V6,   p-  1-16.) 

LE   JEU    DE    SAINT    NICOLAS. 

PERSONNAGES. 

L'iDOLE  DE  TERVAGAN,  per-  UN   CHRÉTIEN,  OU  te   CHEVA- 
LIER Cl  LE  prud'homme. 
connart,  le  erreur. 

LE  TAVERMER. 

caignet,  son  valet. 
raoulet,  au  ire  ciieur. 

CLIQUET, 

PINCE  DÉ, 
RASOIR,       ) 

dui'.and,  geôlier. 
l'orateur,  personnage  du 
prologue. 


sonnage  muel. 
l'ange, 
saint  nicolas. 

LE   ROI. 

LE  SÉNÉCHAL. 

l'émir  d'Ieonium. 

—  d'Orkenie. 

—  d'Olil'erne. 

—  du  Sec- Arbre. 
auberon,  le  courrier. 

LES  CURÉ  TIENS. 


joueurs  cl  vo- 
leurs. 


PROLOGUE. 
l'orateur.  Ecoulez,  écoulez,  seigneurs  et.  dames, 
el  que  Dieu  soil  garant  de  vos  cœurs!  Ne  faites  pas 
fi  de  voire  bien.  Nous  voulons  parler  aujourd'hui  de 
sainl  Nicolas,  ie  confesseur,  <|iii  ■'»  faillant  de  beaux 
miracles.  Des  témoins  veridiques  oui  raconté  el  on 
lit  dans  sa  Vie  qu'autrefois  un  roi  païen,  étant  li- 
mitrophe d'un,  pays  chrétien,  il  y, 'avait  toujours 
guerre  entre  ces  deux  royaumes.  Un  jour  le  païen  lit 
cbezles  Ch  réliens  une  incursion  sur  un  point  où  ils  ne  se 
gardaient  point;  ceux-ci,  trompés,  surpris,  eurent 
beaucoup  de  inorls  el  de  prisonniers.  Les  païens  les 
taillèrent  aisément  en  pièces  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent 
vu  dans  une  petite  maison  un  bonhomme  d'âge  qui 
priait  devant  une  statue  du  baron  saint  Nicolas... 
L'homme  est  pris,  maltraité,  mené  au  roi.  «  Vilain, 
dit  le  roi  au  prud'homme,  est-ce  que  tu  as  foi  dans 
ce  bois?  —  Mais,  sire,  c'esl  l'image  de  sainl  Nicolas 
que  j'aime  beaucoup,  el  si  je  le  prie  et  l'invoque, 
c'est  que  nul  homme,   Tayaut    appelé  de   tout  son 

183fi-l(M3,  in-8°,  3  v.,  i.  III,  p  2(i")  s'est  rangé  à 
l'opinion  erronée  de  M.  O.  Leroy  sur  le  caractère 
liiïloiîquc  du  Jeu  de  Suint  Nicolas. 


539 


NIC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NON 


540 


cœur,  n'a  jamais  rien  égaré  ni  jamais  été  volé 
(rCierlja  csgarés  a  nul  puer)...  —  Vilain,  je  te  ferai 
larder,  s'il  ne  multiplie  et  ne  garde  mon  trésor...  » 
Le  roi  fil  lui-même  tenir  à  l'étroit  le  prud'homme  et 
mit  la  statue  du  sainl  dans  sou  trésor.  Mais,  une 
nuit,  trois  voleurs  ayanl  enlevé  les  coffres  malgré 
l'image  de  saint  Nicolas,  le  roi  se  liàta  de  s'en  pren- 
dre au  bonhomme  et  d'ordonner  sa  mort.  Ce  fui 
avec  bien  de  la  peine  que  le  vieillard  put  obtenir  un 
sursis  d'un  jour  qu'il  employa  tout  entier  à  prier 
sainl  Nicolas.  Le  saint  écouta  ses  plaintes  et,  appa- 
raissant aux  larrons  endormis,  oblinl  d'eux  la  réin- 
tégration complète'de  tous  les  biens  ravis.  «  Sei- 
gneurs, nous  trouvons  ces  choses  dans  la  vie  du 
saint  dont  la  fêle  tombe  demain  ;  ne  vous  étonnez 
de  rien  de  ce  que  vous  allez  voir  ;  car  toute  l'action  esl 
la  Irès-fidèle  et  très-exacte  représentation  du  mira- 
cle, tel  que  je  vous  l'ai  raconté.  C'est  le  miracle  seul 
de  sainl  Nicolas ,  dont  ce  jeu  esl  fait  et  composé. 
Maintenant,  faites-nous  silence,  et  vous  l'entendrez. 

auberon  le  courrier.  0  Roi,  Mahomet,  dont  tu  es 
né,  sauve  et  garde  la  personne  et  ton  royaume  ;  qu'il 
le  donne  la  force  de  le  défendre  de  ceux  qui  le  cou- 
rent sus,  qui  dévastent  et  pillent  la  terre,  qui  n'ho- 
norent ni  ne  prient  nos  dieux,  c'est  à-dire  des  Chré- 
tiens, ces  misérables. 

us  roi,  au  sénéchal.  Ouais!  par  mon  dieu   Apol- 
lon !  les  Chrétiens  sont-ils  dans  mon  royaume,  onl- 
ils  engagé  la  guerre,  sont-ils  si  hardis,  si  audacieux? 
auberon,  au  roi.  0  Roi,  il  n'y  a  eu  si  grandes  for- 
ces, et  telle  armée,  depuis  queNoélil  l'arche,  comme 
celles  qui  ont  envahi  les  frontières. 
(Le  roi  s'emporte  contre  ses  dieux,   contre  Tervagan 
surtout;  mais  selon  les  avis  du  sénéchal,  il  s'apaise 
et  implore  le  dieu  ;  il  lui  demande  un  signe,  l'idole 
rit  et  pleure  tout  ensemble.  Le  roi  reste  frappé  du 
présage  et  en  exige  du  sénéchal  une  prompte  inter- 
prétation. Celui-ci  ne  se  résout  à  parler  qu'après  les 
plus   solennels  serments  de  sauve  garde;  il  a  fallu 
même  que  le  roi,  pour  dem  ère  garantie,  frappât  sa 
dent  de  son  ongle.  Le  sujet  craintif  s'explique  enfin:) 
le  sénéchal.  Maintenant  ma  lèvre   ne   sera   plus 
paresseuse,  je  vais  découvrir  les  mystères  de  l'ave- 
nir :  le  rire  du  dieu,  d'abord,  est  votre  bien,  vous 
vaincrez  les  chrétiens  dès    que    vous  vous  lèverez 
contre  eux;  mais  il  eut  raison  de  pleurer  ensuite,  car, 
douleur  immense  et  graiidepitié!  vousabandonnerez 
à  la  fin  votre  dieu,  et  cela  arrivera  prochainement. 
le  roi.  Sénéchal,  cinq  cents  maux  tiennent  celui 
qui  a  dit  cela  ou  l'a  pensé  ;  mais  sauf  la   foi  due  à 
tous  mes  amis,  et  si  le  doigt  n'eût  été  mis  à  la  dent, 
certes,  Mahom  ne  l'eût  pas  empêché  d'être  par  moi 
misa  mort.  Mais,  parlons  d'autre  chose.  Assez,  et 
faites  appeler  l'année. 

(Le    sénéchal  donne  ses  ordres   au  héraut    d'armes, 
Conuart,  et  le  roi,  dépêche  le  courrier  Auberon  vers 
les  émirs  d'Iconium,  d'Orkenie,    d'Oliferne  et  du 
Sec-Arbre.  Chacun  des   émirs,   nommé  par  Aube- 
ron, fait  ses  préparatifs   de  guerre.  Ils  arrivent  , 
toutes  les  forces  du    roi  sont  réunies,  le  sénéchal 
donne  le  signal  du  combat.  Les  Chrétiens  reçoivent 
la  visite  d'un  ange  qui  les  réconforte,  et  néanmoins 
ils  sont  taillés  en  pièces.  Tous  ont  péri,  hormis  un 
seul  chevalier  prud'homme  que  l'on  trouve,  en  prières 
devant  un  Mahoinmel  cornu,  selon  l'expression  des 
infidèles  étonnés  de  la   mitre  que  porte  la  statue, 
objet  de  la  vénération  du  pieux  chevalier.  Cet   uni- 
que  prisonnier  esl  cunduil  devant  le  roi  q7ti  l'inter- 
roge sur  les  vertus  de  son  protecteur  céleste.) 
le  prud'homme.  Sire,  c'est  saint  Nicolas,  secoura- 
ble  à  ions  les   maux,  et  dont  les  miracles  sonl  bien 
connus:  c'esl  lui  qui  répare  toutes  les  perles,  remet 
les  égarés  dans  la  voie,  corrige  les  mécréants,  rend 
la  vue  aux  aveugles,  ressuscite  les  noyés,  el  rien  de 
mis  sous  sa  garde  ne  se  perd  jamais,  ni  se  détériore, 
même  sans  qu'on  y  fasse  attention.  Ainsi   ce  palais, 


fût-il  plein  d'or,  si  le  saint  était  mis  sur  le  trésor, 
rien  ne  manquerait.  Telle  est  la  grâce  que  Dieu  a 
mise  en  lui. 

(Le  Roi,  touché  d'une  secrète  curiosité,  se  hâte  de  re- 
commander ses  trésors  à  sainl  Nicolas,  et  pour 
mieux  éprouver  la  grâce  de  Dieu,  de  les  faire  ou- 
vrir à  tous  venants  el  de  faire  annoncer  partout  que 
personne  ne  garde  plus  les  coffres  précieux  «  sinon  un 
Mahommet  cornu,  fort  bien  mort,  el  ne  remuant  cer- 
tes pas.  »  Celle  nouvelle  si  gracieuse  allèche  trois  maî- 
tres  fitoUS,  CLIQUET,    PINCE-DÉ  et   RASOIR  qui    fûM, 

dans  un  cabaret,  la  partie  d'aller  dérober,  à  tous 
risques  de  pièges,  le  bien  du  roi.  Ils  ij  vont  en  effet, 
et  ne  laissent  rien  que  d'homme  de  bois.  >  Le  séné- 
chal s'en  aperçoit  le  premier,  il  éveille  le  roi,  on 
lire  de  la  prison  le  prud'homme,  il  est  condamné  à 
la  mort,  l'ange  le  console,  le  rassure,  saint  Nicolas 
s'occupe  de  le  sauver.) 

Ne  te  convient  avoir  mile  doulanche 
Sains  Nicolais  pourcache  le  delivranche... 

(En  effet  le  saint  éveille  les  voleurs  endormis,  après  une 
nuit  d'orgie,  au  milieu  des  richesses  dérobées,  dans 
l'hôtellerie  même  oit  le  coup  fut  prémédité  ;  il  leur 
ordonne  de  remettre  en  place  tout  ce  qu'Usant  pris.) 
pince-dé.  Par  le  signe  de  la  sainte  croix  !  Cliquet, 

qu'en  pensez-vous?  et  vous, qu'en  dites-vous, Rasoir  ? 

(Ils  se  résignent  à  obéir.  Une  seconde  fois  le  sénéchal 
est  averti  dans  son  sommeil,  el  le  premier  il  annonce 
au  roi  la  bienheureuse  nouvelle.  Celui-ci  reconnaît 
la  tonte-puissance  de  saint  Nicolas,  met  en  libertéie 
prud'homme,  et  se  convertit  avecses  principaux  cheva- 
liers,àla  honte  el  audésesy.oi)  de  son  d: eu  Tervagan.) 

CHI  FINE  LI    JEUS    DE  S.    NICOLAI  QUE    JEHAN    BODIAUST 
F1ST.  AMEN. 

NICOLAS  (Miracles  de  saint).  —  Voy. 
Miracles  de  saint  Nicolas,  —  Saint-Be- 
noît-sur-Loire (Manuscrit  de). 

NICOLAS  (Mystère  de  saint). — Duverdier 
[Bibliothèque  française,  p.  927)  indique  l'édi- 
tion suivante  d'un  Mystère  de  saint  Nicolas  : 
Mystère  et  beau  miracle  de  saine t  Nicolas  à 

vingt -quatre    personnages   :    imprimé     à 

Paris,  in-k°,  par  Pierre  Sergent,  sans  date. 

Les  frères  Parfait  (Hist.  du  th.  fr.,  Paris, 
15  vol.  in-12,  1745,  t.  111,  p.  34),  et  do 
Beauchamps  (Recherches  sur  les  théâtres  de 
France,  Paris,  1735,  in-8",  3  vol.,  t.  1",  p. 
22G),  ont  répété  celte  note. 

On  ne  retrouve  plus  celte  édition. 

NICOLAS  (Remontrance  de  saint). — 
«  Aulcuns  joueurs  faisoient  auprès  de  la 
chapelle  Saint-Nicolas  une  belle  remons- 
trance  a  l'heure  que  le  Saint-Sacrement  pas- 
soit,  et  après  les  vespres  la  jouoient  par 
personnaigesavec  une  farce  joyeuse.  »  (Ex- 
trait des  Comptes  de  Bélhune,  an  1552, 
publiés  par  de  Lafons-Méi.icocq,  Annales 
archéologiques,  t.  VIII,  p.  159.) 

NICOLAS  DE  TOLLNTIN  (Saint).  —  On 
lit  dans  Yllistoire  littéraire  de  la  ville  de 
Lyon,  du  B.  P.  Colonia,  de  la  Compagnie  de 
Jésus  (Lvon,  1730,  in-4°,  2  vol.,  t.  II,  p. 
429),  sous  la  date  de  1499  à  1500  : 

«  Un  acte  consulaire...  permet  aux  Pères 
Augustins  de...  faire  bâtir  un  grand  théâtre 
aux  Terreaux,  sur  les  fossés  de  la  porte  de 
la  Lanterne,  pour  y  jouer  la  Vie  de  saint 
Nicolas  de  Tolentin,  que  ledit  couvent  des 
Augustins  voulait  faire  jouer.  » 

Eh  1836,  dans  son  cours  professé  à  la 
Faculté  des  lettres.  M.  Mngnin  signala  cette 


su 


NON 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NON 


54Î 


S 


représentation  de  Saint-Nicolas.'  (Journ. 
gén.  de  l'instr.  public. ,28  janv.  1836,  cours, 
2*  sem.,  xvi*  art.,  p.  "202.) 

NONNE  (Sainte).  —  M.  Uaynouard,  dans 
le  cahier  de  juin  1836  du  Journal  des  Sa- 
vants, annonçait  ia  publication  du  mystère 
de  Sainte-Nonne,  Butiez  Santez  Nonn.  (P. 
374.) 
Cette  publication  a  eu  lieu  en  effet. 
Le  manuscrit  des  Buhez  Santez  Nonn 
date  de  la  tin  du  xiV  ou  du  commencement 
du  xv*  siècle.  Ecrit -sur  papier,  il  forme  un 
ptlit  volume  in-8°  de  quarante-six  doubles 
feuillets.  Signalé  à  M.  l'abbé  Marzin.  acheté 
lar  lui,  il  est  resté  entre  les  mains  de 
I.  l'abbé  Sionnet. 

Ce  monument  si  précieux  du  théâtre  bre- 
ton a  été  édité,  en  1837,  sous  le  titre  suivant  : 
Buhez  Santez  Nonn,  ou  vie  de  sainte  Nonne 
et  de  son  fils  saint  Dcvij  (  David),  arche- 
vêque de  Mennevie  en  519,  mystère  composé 
en  langue  bretonne,  antérieurement  au  xn* 
siècle,    publié- sur  un   manuscrit   unique, 
avec  une  introduction  par  Vabbé  Sionnet, 
et    accompagné  d'une  traduction   littérale 
de  M.  Legonidec,  et  d'un  fac-similé  du  ma- 
nuscrit ;   tiré  à   trois    cents   exemplaires  ; 
Paris,  Merlin,  libraire,  quai   des   Augus- 
lius,  n°7,  1837  (in-8%  de  l-212   pages). 
Ce  drame  est  divisé  en  trois  parties  :  1"  la 
vie  de  sainte  Nonne;   2"  les  miracles   qui 
s'opèrent   sur  son   tombeau  ;  3°  l'épiscopat 
et  la  mort  de  saint  Devy. 

:<  Toutes  ces  parties,  dit  M.  l'abbé  Sionnet, 


trouver  Patrice.  Qu'il  (aille  avec  joie  au  loin;  qu'il 
abandonne  le  lieu  qu'il  habile.  Donne-lui  l'ordre  de 
parcourir  promplemenl  k  pays;  il  ne  doit  pas  res- 
ter là.  Dis-lui  positivement  qu'il  est  choisi  de  Dieu 
juste  et  loyal  pour  (aire  connaître  ses  ordres.  Dans 
trente  ans  d'ici,  naîtra  Saint  Devvy  ;  il  est  prédit 
qu'il  sera  engendré  ici...  > 

Patrice  ne  reçoit  pas  sans  (rouble  l'ordre 
du  Seigneur:  ;<  M'envoyer  à  jeun  au-devant 
de  quelqu'un  qui  ne  viendra  fias  avant 
trente  ans,  puisqu'il  ne  naîtra  qu'à  celte 
époque,  soyez-en  sûr;  m'en  aller  sans  repos 
d'ici  pour  habiter,  sans  doute,  un  autre  pays, 
et  marcher  à  tête  basse  comme  un  aveugle; 
ne  pourrai-je  m'en  trouver  mal  ?  Dieu  réitère 
son  ordre  et  Patrice  se  met  en  roule.  Dès 
les  premiers  pas,  son  pied  heurte  le  tom- 
beau d'un  vieillard,  qu'il  ressuscite  pour  se 
donner  un  compagnon.  L'un  et  l'autre  arri- 
vent en  Hibernie,  dans  la  petite  île  de  Ro- 
sita.  C'est  là  que  Nonila,  conseillée  par  son 
ange  blanc,  s'est  enfermée  dans  un  monas- 
tère, auprès  duquel  le  roi  h'ereticus  vient 
prendre  le  divertissement  de  la  chasse.  Le 
roi  rencontre  Nouita. 

le  roi  à  Nonita.  Fille  fraîche  el  courtoise,  douce 
et  gentille,  je  vous  présente  un  salut  respectueux. 
Ma  lê.e  s'incline  devant  vous,  quand  je  vous  vois 
belle  et  sainte.  Je  veux  vous  demander  d'abord,  saiu 
paraître  trop  timide,  si  vous  vous  portez  bien,  et 
quels  sont  vos  parents  (212***). 

nonita.  Quoique  je  sois  ici  sur  le  chemin,  mas 
parents  sont  des  gens  honnêtes,  gens  fiers  de  la  lire  - 
lagne,  gens  nobles  et  de  maison  riche  (2l2""j. 

La  pauvre   religieuse  subil,  dans  le  boi3 


richement  limées,  pour  l'ordinaire,  quel-  épais,  les  violences  du  roi.  Un  enfant  est 
quefois  en  simples  assonances,  sont  écrites  conçu,  que  le  peuple  accepte  comme  un 
dans  >4n  breton  qui  diffère  de  celui  de  nos  témoignage  des  volontés  de  Dieu,  dont  Mer- 
jours  par  des  désinences  plus  fortes,  fera-  lin  prédit  la  vie  miraculeuse,  et  qui,  dès  le 


jou 


flanc  de  sa  mère,  trouble  le  giand  saint 
Cildas  dans  ses  prêches  ;  les  magiciens  tirent 
avec  stupeur  son  horoscope  merveilleux  ;  le 
diable  s'en  émeut,  craignant  qu'après  sa 
venue  il  n'y  ait  plus  que  des  amis  et  de 
bonnes  gens    ici-bas;    les  barons  remuants 


M 


plui  d'expressions  tombées  en  désuétude 
ou  conservées  avec  une  autre  signification, 
l'absence  fréquente  des  liaisons  grammati- 
cales, etc.  Il  fourmille  de  mots  latins  avec  la 
forme  alléréequ'emploienl  les  troubadours.  » 

(  Préf    n  xv  ) 
La  "troisième   partie  du  Buhez  semble  à     et  querelleurs  du  pays  se  mettent  en  cam- 
.  Sionnet  postérieure  aux  deux  premières  ;      P*g»je,  pour  occire  la  religieuse  qui  le  porto 

dans  son  sein. 

Mais  Dieu  môme  protège  saint  Davvy.  La 
foudre  écarte  de  lui  ces  ennemis  inconnus 
qui  s'acUainent  contre  sa  naissance.  Nonila 
accouche  de  lui  sur  un  roc  qui  se  divise, 
s'amollit  pour  lui  former  une  couche;  une 
fontaine  jaillit  de  terre  pour  fournir  l'eau  de 
son  baptême ,  les   aveugles   recouvrent  la 
vue,  les  infirmes  sont  guéris.  Le  sage  Paulin 
l'élève.  A   peine   hors  de  l'enfance,  les  mi- 
racles éclatent  en  lui  :  il  rend  la   vue  à  son 
maître,  des  troupeaux  à  une  famille  ruinée. 
Nonila  cependant,  accablée  de  vieillesse, 
est  appelée  par  Dieu,  qui  lui  envoie  \aMort  : 
i  C'est  moi  la  Mort  dans  celle'vallée,  qui  tue  moi 
même  sans  pitié  tout  ce  qui  a  pris   naissance  en  c* 
monde,   roturiers,  gentilshommes  et  gens  d'église 
bourgeois  aussi  bien  que  paysans...  i 


il  aurait  été  composé  dans  la  Cambrie. 
Le  poëme  commence  ainsi  : 

DEUS  PATER. 

A  cl  mal  quae  en  slal  man 

Abreman  voar  an  bel 

ltede  Patricius  :  joaeus  gra  escus  net 

Mont  voar  tech  an  lech  bout 

DezalT  gra  pronl  coulct 

Querzei  cerlen  dren  bro 

Luo  ne  chomo  quel 

Lauar  dézalf  parfet 

Diuzet  ezaedi  :  gant  doc  jusl  ha  laal 

Ucal  dre  e  aly  :  da  peu  liegonl  bloaz  co. 

Et  duy  bto  sanl  Devvy 

Aman  da  bout  gancl 

Proliciei  cdy... 

Traduction. 

DIEU    LE    PÈRE. 

<  l'on  ange,  va  sur-le-champ  dans  le  mon  !e,    va 

Ç*Jl2 '•*)  RLX   AD  NOM TAM. 

Merch  Dour  courtes  douces  plesaut. 
Salud  prudant  a  presanlafT 
Aet  olle  pep  quis  peu  ysel 
Vaillant  Daniel  pa  boz  guclalf  .. 


(212"")  NONITA. 
Pan  aedoll  aman  voar  an  lient 
Ma  querenl  so  tut  anlenlic 
Tut  fier  a  brilonery 
A  noblanc  a  li  piuisic.... 


543 


OBI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OBI 


SU 


Nonita  est  enterrée  «  entre  Daoulas  et  la 
ville  de  Landernau.  » 

Ici  se  termine  la  première  partie,  ou  Vie 
de  sainte  Nonne. 

Lesmiracles  suivent.  Henry  et  Julien  com- 
paraissent devant  le  Juge;  Julien  fait  sur  le 
tombeau  de  la  sainte  un  faux  serment:  il 
meurt  sur-le-champ;  Rigoal,  pour  pareille 
faute,  perd  l'usage  des  membres  ;  et  Théo- 
phanie,  parjure  comme  eux,  est  dévorée  par 
un  feu  ardent. 

La  Vie  de  saint  David  termine  ce  drame 
étrange.  Devenu  membre  de  l'Eglise,  moine 
de  l'abbaye  de  Mennevie,  fondée  par  saint 
Patrice,  archevêque  de  Léon,  Dieu  ne  le  re- 
garde qu'avec  plus  de  complaisance,  et  les 
mincies  éclosent  à  ses  moindres  désirs.  La 
mort  lui  est  enfin  envoyée  du  ciel,  au  milieu 
des  bienfaits  qu'il  répand  autour  de  lui  ;  les 
anges  emportent  son  âme  dans  le  paradis,  et 
les  moines  de  Mennevie  l'ensevelissent  dans 
l'abbaye  qu'il  n'a  point  voulu  quitter,  quoique 
au  comble  des  honneurs  ecclésiastiques 

NON  QUM  SUPER  TERRAM.   —  On  lit 

dans  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  p.  125)  : 

«  Autre  dialogue  moral  à  cinq  personnages, 
sur  la  devise  de  M.  le  révérendissime  car- 
dinal de  Tcurnon  :  Non  quœ  super  terrain, 
joué  à  Valence  devant  lui,  le  dimanche  de 
mi-carême  15^9. 

«  Se  trouve  dans  un  volume  intitulé  :  Re- 
pos du  plus  grand  travail  dédié  par  l'auteur 
à  sa  sanité,  et  imprimé  à  Lyon,  chez  Jean  de 
Tournes  et  Guillaume  Garge.au,  1550,  in-8°. 

«  Ciel  raconte  les  bienfaits  dont  il  a  com- 
blé les  hommes.  V Esprit,  la  Terre  et  la 
Chair  se  disputent  la  possession  de  Y  Homme. 
Celui-ci  se  livre  à  la  chair,  et  se  fait  ins- 
truire par  elle  sur  le  genre  de  vie  qu'il  doit 
mener.  L'Esprit  implore  la  clémence  du 
Ciel  qui  lui  promet  son  secours,  et  lui  con- 
seille de  faire  une  nouvelle  tentative  auprès 
de  Y Homme.  La  Terre  et  la  Chair  se  dé- 
battent longtemps  avec  V Esprit  pour  ne  pas 
lâcher  leur  proie,  mais  enfin  ce  dernier  rem- 
porte la  victoire.  L'Homme  se  rend  à  l'Es- 
prit, et  la  morale  est  qu'il  ne  faut  point 
rechercher  les  choses  de  ce  monde,  mais 
Uniquement  celles  du  ciel,  selon  la  devise 
du  cardinal  :  Non  quœ  super  terram. 

Maudite  cliair!  o  chair  maudite  dite 
Du  Dieu  qui  a  au  ciel  empire,  empire 
L'homme  a,  par  loi  el  la  poursuite,  suite 
De  vil  péché  qui  a  martyre;  lire. 
Sou  aine,  hélas  !   à  sou  navire  vire 
Il  esl  quasi  condamné,  condamné. 
Et  si  Dieu  veut  sentence  dire,  dire 
De  malheur  fut  eslréné,  d'être  né. 

NOTRE-DAME.    —   La    Bibliothèque  du 
théâtre  françois,  ouvrage  attribué  au  duc  do 


La  Vallière  (Dresde,   1768,   in-8%  3  vol.,   t. 
1".  p.  115).  donne  la  notice  suivante  : 
«  Beau  mistère  de  Notre-Dame,  à  la  louange  de 
sa  très-digne  Nativité,  d'une, jeune  fille,  la- 
quelle se  voulut  abandonner  à  péché,  pour 
nourrir  son  père  et  sa.  mère  en  leur  extrême 
pauvreté,   à  dix-huit  personnages  ;  Lyon, 
Ollivier  Arnoullei,  15V3,  in-12  golh. 
«  On   père  et  une  mère  accablés  de  mi- 
sère...,  appellent  la  mort  à   leur  secours. 
Leur  fille  partage  leur  douleur  et  cherche 
des  moyens  pour  les  soulager.  Satan  lui  en 
indique  un  tout  simple;  c'est  de  profiler  de 
ses  grâces  et  de  sa  jeunesse...  Un  marchand 
qui  passait  par  la  s'approche  d'elle;  la  fille 
fait   une   prière  à  la  Vierge,  demande   au 
marchand     quelques     libéralités.    —    Cet 
homme  lui  donne  un  signet   d'or,  la  res- 
pecte et  passe  son  chemin.  Un  voleur  dit 
que  celle  fille  débauchée  l'a  trouvé  endormi 
et  lui  a  volé  un  signet  d'or.  On  la  fouille, 
on  lui  trouve  le  signet  d'or,  et  on  la  conduit 
au  prévôt,  on  la  condamne  à  êire  enterrée 
vive.    Le    bourreau    arrive,    on    creuse   la 
fosse.  —  Cependant   la   sainte  Vierge   im- 
plore la  justice  et  la  clémence  de  Jésus  qui 
lui  promet  de  secourir  celle  innocente.  Et 
effet,  le  marchand  passe  près  du  lieu  du  sup- 
plice, reconnaît  cette  fille,  et  raconte  l'his- 
toire. On  retourne  au    tribunal,   le  voleur 
est  convaincu  et  condamné  à   être  pendu. 
Après  cetteexécution,  quise  fait  sur  le  théâtre, 
le  prévôt,   le  seigneur  et  le   marchand  font 
des  présents  à  la  jeune  fille,  et  la  renvoient 
à  ses  parents.  » 

L'idée  de  celte  pièce  nous  paraît  emprun- 
tée aux  Filles  dotées  du  Manuscrit  de  Saint- 
Benoit-sur-Lnire. 

NOTRE-DAME.  —  De  Beauchamps  a  cité 
un  Mystère  de  Notre-Dame,  dans  ses  Re- 
cherches sur  les  théâtres  de  France  (Paris, 
1735,  in-8°,  3  vol  ,  t.  I",  p.  226),  à  la  suite 
duquel  serait  imprimée  la  Passion  de  sainte 
Christine  et  de  sainte  Léocade.  Un  peu  plus 
bas  (p.  227),  le  môme  auteur  cite  une  «  Vie 
de  Notre-Dame,  in-fol..,  »  et  «  la  Vie  de 
Notre-Dame  et  la  Passion  de  Notre- Seigneur 
en  vers  anciens,  s 

NOTRE-DAME-DU-PUY.    —     Duverdier 
[Bibliothèque  française,   p.    178),  donne   les 
notes  suivantes  que  les  frères   Parfait  ont 
répétées  sous  la  rubrique  de  l'an  1518.  [llxst. 
du  th.  fr.,  t.  II,  p.  661.) 
Le  mystère   de   l'Édification  et    dédicace  de 
l'Eglise  de  Nostre-Dame-du-Puy,  et  trans- 
lation de  l'image  qui  y  est,  à  xxxv  person- 
nages, par  Claude  d'Oléson. 
«  Claude  d'Oléson  a  composé  en  rime  le 
mystère     de     Y  édification    et    dédicace     de 
l'Eglise  de  Nolre-Durnc-du-  Puy  et   transla- 
tion de  l'image  qui  y  est,  à  trente-cinq  per- 
sonnages. An  1520  ou  1521.  [Ibid.,  p.  261.) 


O 


OBIT  DE  LA  BOUTEILLE  (L')  —  La  fête 
d(  s  Fous,  déjà  célébrée  à  Evreux  par  la 
Trorcssion  noire,' s' était  imposée  dans  cette 


ville  par  un  autre  usage  dont  la   révélation 
a  excité  l'horreur  de  l'Eglise. 
Ainsi,  en  1270,  un  chanoine,   un  membre 


545 


OTII 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES; 


OTII 


K16 


du  haut  clergé,  chose  singulière!  car  celui- 
ci  lutte  contre  les  désordres  du  temps  avec 
grande  énergie,  ajoute  aux  saturnales  de  la 
Procession  noire  un  Obit  de  la  bouteille,  au 
28  avril,  où  était  attachée  une  forte  rétribu- 
tion pour  le  bas  clergé  et  pendant  lequel  on 
étendait  au  milieu  du  chœur  cinq  bouteilles 
sur  un  drap  mortuaire.  (M.  Magnin,  Cours  à 
la  faculté  des  lettres,  dans  le  Journ.  gén.  de 
iinstr.publ.,  13  décembre  1835,  p.  99.)! 

ODILLON  (Chant  funèbre  de  saint).  — 
On  a  signalé  parmi  les  monuments  du  théâ- 
tre au  xi'  s  ècle  le  Chant  finèbre  de  saint 
Odillon,  en. le  raproehant  de  celui  de  sainte 
Radegonde.  Nous  avons  consulté  avec  soin 
la  plainte  du  moine  Jotsand  à  propos  de  la 
mort  de  l'abbé  Odillon.  Rien,  dans  cette 
pièce  de  vers,  n'aie  caractère  dramatique. 
(Jotsaldi  monacfii  planctus  de  transitu  D.  Odi- 
lonis  abb.  Cluntac,  dans  le  [Martin  Marrier 
et  André  Ducbesnej  BtblioihecaCluniacensis  ; 
Paris,  1614,  in-fol.,  p.  330.) 

OFFICE  DE  L'ETOILE.  -  Le  nom  d'of- 
fice de  Tétoile  a  été  donné,  durant  le  moyen- 
Age,  aux  représentations  figurées  dans  les 
rites  du  mystère  des  Trois  rois.  (Cf.  Johann. 
Ahrineens.  episrop.,  Liber  de  off.  eccles.,  éd. 
Joli.  Prévôt.;  Roihom.,  1679,  in-Sv) 

OFFICE  DE  LA  NATIVITÉ.  —  M.  Ma- 
gnin, dans  le  cahier  de  janvier  18'iG  du 
Journal  desSavants,  p.  83,  cite  des  fragments 
du  Manuscrit  de  saint  Martial  de  Limoges, 
comme  un  office  du  mystère  de  la  Nativité. 
Cette  représentation  figurée  date  du  xi'  siè- 
cle. —  Yoy.  Nativité  (la). 

OFFICE  DU  SÉPULCRE.  —  On  connaît 
sous  le  nom  d'Olfice  du  sépulcre,  les  rites 
figurés  de  la  Résurrection. —  Voy.  Résur- 
rection, 1.  Iii tes  figurés. 

OTHON  ROI  DESPAGNE.  —  Le  Miracle 
d'Othon,  roi  d'Espagne,  est  tiré  du  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale,  n°  7208,  4. 
B,  folio 69,  recto,  connu  sous  le  titre  des  Mi- 
racles de  Notre-Dame,  et  datant  du  xiv'siôcle. 

MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel  l'ont  pu- 
blié, accompagné  d'une  version  française, 
dans  leur  Théâtre  français  au  moyen  âge 
(Paris,  1839,  gr.  in-8°,  p.  417481).  M.'  Fr. Mi- 
chel a  remarqué  que  l'intrigue  de  ce  drame 
est  la  même  que  celle  de  Cymbeline,  de 
Shakspeare,  du  roman  de  la  Violette,  et  du 
Roman  du  Roi  Flore  et  de  la  belle  Jehanne. 
PERSONNAGES. 

L'EMrERlERE  LOTA1RE.  DEUXIEME    bourgeois. 

OSTES  011  OSTOH.  TROISIÈME  bourgeois. 

CGiER,  premier  chevalier    quatrième  bourgeois, 
l'empei  iere.  denïse  ou  la  fille. 

DEUXIÈME  CHEVALIER  l'eM-       ROY   DE  GRENADE. 
PER1ERE.  SALOMON. 

lemessagierl'emperif.re.      LA    DAMOISELLE  ,    OU    ES- 

hOÏ  AI  FONS.  CLANTINE. 

PREMIER      CHEVALIER  AL-      BÉRI.NG1ER. 

FONS.  DIEU. 

DEUXIEME    CHEVALIER  AL-       NOSTRE-DAME. 

FONS.  GABRIEL. 

i.otar,  sergent  d'armes,      hichel. 
ernaut,   premier   bour-    saint  jehan. 
geois.  les  clers. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 
Ici  commence  un  Miracle    de  Notre-Dame, 


comment  Olhon,  roi  d'Espagne,  perdit  sa 
terre  en  gageant  contre  Bcrangrr  qui  le 
trahit  et  lui  fit  de  faux  rapports  au  sujet 
de  sa  femme,  en  la  bonté  de  laquelle  Olhon 
se  fiait;  et  depuis  celui-ci  tua  le  dit  Béran- 
ger  en  champ-clos. 

SCÈNE  rv 
l'empereur  lotii aire,  othon,  son  neveu, 

CHEVALIERS. 

L  empereur  LOTHAiRE.  Otlion,  cher  neveu,  quand 
je  pense  à  voire  avenir,  je  considère  surtout  que 
vous  êtes  sans  compagne  et  sans  héritier.  V(luS 
aviez  une  femme  de  renom  ,  de  bien  et  de  vertu, 
mais  la  mort,  chacun  le  sait,  vous  l'a  prise  :  cet  état 
m'ennuie  et  me  déplaît  fort  :  je  vous  conseille  donc, 
mon  neveu,  en  un  mol,  de  vous  remarier. 

othon.  Sans  vous  dédire  ni  contrarier,  cher  oncle, 
voire  volonté,  je  n'ai  pas  le  cœur  très-enclin  à  cela; 
et  pour  le  moment,  sire,  je  ne.  connais  aucune  dame 
que  je  puisse  prendre  pour  épouse. 

l'empereur.  Neveu  Olhon,  j'en  sais  une  Irès-con- 
veiiuble,  que  nous  irons  chercher;-  aussi  bien  me 
faut-il  avoir  la  guerre  avec  son  père  qui  lient  l'Es- 
pagne. Si  je  prends  et  gagne  le  royaume,  je  vous 
donnerai  sa  fille  pour  femme  ,  et  je  vous  ferai  roi 
d'Espagne  et  elle  reine. 

othon  Si  lellecst  votre  volonlé,  chersirc,  j'y  consers 
aussi.  Quand  voulez-vous  partir  d'ici  pour  y  aller? 

l'empereu».  A  l'instant  même,  sans  parler  davan- 
tage; car  ayant,  je  vous  le  déclare,  depuis  plus  d'un 
mois,  fait  prévenir  mes  hommes,  j'ai  déjà  en  avant 
beaucoup  de  monde  :  c'est  pourquoi  il  faut  que  je 
me  hàle  de  les  suivre. 

le  premier  chevalier.  Nous  vous  suivrons  de  si 
près,  cher  sire,  n'en  douiez  pas,  que  nous  serais 
les  premiers  de  votre  armée. 

l'empereur.  Akns,  mes  chers  amis,  en  roule. 

SCÈNE  II. 

LES     MÊMES. 

le  deuxième  chevalier.  Sire ,  je  suis  d'avis  que 
l'on  envoie  lotît  de  suile  au  roi  d'Espagne  un  me» 
sager  qui  lui  signifie  que  vous  êtes  en  guerre  avec 
lui,  qu'il  se  garde  de  vous,  et  que  partout  où  vous 
pourrez  lui  faire  du  mal,  vous  lui  montrerez  votre 
puissance.  Voilà  ce  que  je  conseille. 

SCÈNE  III. 

LES  MÊMES,    LE  MESSAGER. 

l'empereur.  J'y  consens  volontiers.  Messager, 
viens  ici  Va  au  roi  d'Espagne  et  dis-lui  qu'à  cause  des 
ennuis  qu'il  m'  •  causés,  je  lui  lais  la  guerre,  et  je  Mais 
l'attaquer  si  furieusement  qu'il  en  sera  étonné.  Dis-lui 
que  je  le  t\èi\c,  et  que  je  ne  liens  aucun  compte 
de  toutes  les  forces  qu'il  opposera  aux  miennes. 

le  >^sager.  Mon  cher  seigneur,  si  Dieu  me  per- 
met de  le  trouver,  je  ferai  auprès  de  lui  mon  mes- 
sage dans  la  forme  voulue,  (pie  cela  lui  plaise  ou 
non.  J'y  vais  sur  l'heure. 

SCÈNE  IV. 
les  mêmes,  hors  le  messager. 

LE  PREMIER     CHEVALIER     DE    L'EMPEREUR.    SailS    plus 

nous  arrêter  ici,  metions-iioiis  en  marche,  et  dès  que 
l'on  saura  certainement  du  messager  qu'il  a  rem- 
pli tout  son  devoir,  la  guerre  commencera  contre 
l'Espagne  sans  délai  ni  retard,  les  châteaux  pris  et  les 
villes,  et  rien  d'épargné,  ni  fils  ni  filles,  ni  bèlesni  biens. 
l'empereur.  Non  ,  l'on  n'épargnera  rien.  Je  ferai 
meure  le  feu  partout  où  je  trouverai  de  la  résistance. 
Parlons  dès  aujourd'hui 

SCÈNE  V. 

LE   HÉRAUT    DE    LOTHAIRE,  LE    ROI     d'eSPAGNE. 

le  messager  de  l'empereur.  Roi  d'Espagne,  en 
nia  qualité  de  héraut,  je  viens  vous  annoncer  de  par 


517 


0T1I 


DICTIONNAIRE  DES  M V STERES. 


OTlI 


6-18 


l'empereur  Lothaire,  qu'il  approche  pour  assaillir 
voire  pays  et  vous  (aire  une  guerre  lelle  qu'il  vous 
ôiera  la  vie,  si  vous  ne  fuyez  hors  de  celle  contrée. 
Dés  ce  moment,  je  vous  le.  dis  positivement  pour  lui, 
il  ne  fait  pas  plus  de  cas  de  votre  pouvoir  que  d'une 
maille,  ou  (pie  d'une  feuille  de  ronce  :  je  vous  no- 
tifie ceci  de  sa  part  et  vous  défie. 

le  roi  Alphonse.  Quoi  qu'il  endise,  il  ne  m'aura  pas 
aussi  facilement  qu'il  le  pense;  car  je  mettrai  dili- 
gence à  me  garder. 

le  messager  de  l'empereur.  Il  ne  fa  ut  pas  que 
vous  lardiez.  Certes,  vous  avez  eu  tort  de  le  cour- 
roucer; je  vous  l'annonce  hardiment  de  sa  part. 

le  premier  cnEVALiER  d'alphonse.  Eh!  que  lu  as 
le  verhe  haul,  et  cependant  lu  es  en  notre  pouvoir! 
Si  lu  n'étais  pas  messager,  lu  serais  piqué  d'un  épe- 
ron lel  qu'il  ne  le  faudrait  jamais  avoir  de  cha- 
peron. 

Alphonse.  H  fail  son  devoir  de  messager  :  gardez- 
vous  île  le  loucher.  —  Mou  ami  ,  je  désire  que  vous 
sachiez  que,  quand  l'empereur  m'attaquera,  le  pays 
me  défendra  bien,  s'il  plail  à  Dieu. 

le  messager  de  l'empereur.  Je  ne  vous  en  dir  i  pas 
plus  long,  puisque  mon  message  est  rempli.  Nous 
venons  maintenant  si  vous  serez  sage.  Je  m'en  re- 
tourne. 

SCÈNE  VI. 

LE  ROI  d'eSPAGNE,  SES  CONSEILLERS 

Alphonse.  Seigneurs,  Lothaire,  tel  que  je  le  con- 
nais, esi  proche  d'ici,  je  n'en  doule  pas.  puisqu'on 
me  délie  de  sa  pari.  Je  me  suis  toujours  lié  eu  vous  : 
je  vous  prie  doue  de  ne  pas  in'ahandonner,  main  te- 
nant; mais  conseillez-moi  ce  que  je  dois  faire. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER.   QllOIll   à   moi,  sil  C,  je  VOUS 

dirai  que  l'empereur  est  si  puissant  que,  s'il  vient 
avec  louies  ses  forces,  il  ravagera  certainement  ce 
pays  et  détruira  tout  voire  monde.  En  outre,  s'il  ad- 
vient qu'il  vous  prenne  (ce  qu'à  Dieu  ne  plaise!), 
vous  èies  mon. 

I  S    PREMIER  CHEVALIER    D'ALPHONSE.   Eli    vérité  ,  je 

suis  bien  de  voue  avis;  c'esi  pourquoi  je  veux  par- 
ler des  mesures  bonnes  à  prendre  ;  sire,  vous  avez 
peu  de  gens  d'armes,  et  vous  ne  savez  même  pas 
quand  ils  seront  réunis.  Or  voici  ce  que  l'on  peut  faire. 
Riiiis  trois,  nous  nous  eu  irons  à  Grenade  prier  tout  de 
sui.e  voire  frère  qu'il  vous  donne  aideelsecours;  mais 
auparavant  vous  manderez  une  partie  de  vos  bour- 
geois «le  celle  ville,  et  vous  leur  laisserez  voire  fille 
en  garde  (il  est  de  leur  devoir  de  le  taire}  jusqu'à  ce 
que  vous  soyez  revenu,  en  leur  disant  que  pardessus 
tout  ils  tiennent  bien  leurs  portes  closes,  et  que  nul 
n'aille  ni  ne  vienne  sans  que  l'on  sache  qui  il  est  et 
ce  qu'il  vient  chercher. 

Alphonse.  Je  le  ferai  tout  de  suite, —  Lotarl,  va-t'en 
vile  à  la  maison  où  les  bourgeois  de  celle  ville  lien- 
i.enl  leur  assemblée.  Si  lu  y  trouves  Servant  de  Bis- 
quarrel,  ou  Gilles  le  Marquis,  ou  Martin  Drouarl.  ou 
sire  Pierre  le  Monarl,  ou  sire  Guyniar  dit  le  Viau- 
ire,  ou  quelque  autre  bourgeois,  dis  leur  que,  sans 
aller  ailleurs,  ils  viennent  sur-le-champ  me  parler, 
ci  que  je  suis  pressé 

lotart,  sergent  d'armes.  Je  ne  mangerai  ni  pain 
ni  paie,  que  je  ne  vous  les  aie  fait  venir.  Sans  me 
tenir  davantage  ici,  mon  cher  seigneur,  je  vais  les 
chercher. 

SCÈNE  VII. 

LE  SERGENT,  LES  BOURGEOIS. 

le  sergent.  Je  tiens  ma  course  achevée,  seigneurs, 
puisque  je  vous  trouve  ensemble  si  à  propos. 

premier  bourgeois.  Lotarl ,  pourquoi  dites-vous 
cela?  ne  meniez  point. 

le  sergent  d'armes.  Monseigneur  vous  mande  à 
tous  que,  sans  aller  ailleurs,  vous  veniez  lotit  de 
suite  lui  parler.  Et,  si  j'en  trouve  d'autres,  je  les 
amènerai  avec  vous.  Eh  bien!  allons-nous-en. 


le  deuxième  bourgeois.  Quant  a  moi,  j'y  7ais  de 
bon  cœur  el  joyeusement. 

le  troisième  bourgeois.  Par  ma  foi!  je  fais  de 
même.  Puisque  celui-là  y  est  si  décidé,  j'en  ai  pareil- 
lement le  désir. — Allons,  Loiarl.    » 

le  quatrième  bourgeois.  Allons!  je  veux  faire  le 
quatrième,  puisqu'il  nous  mande. 

le  premier  bourgeois.  Ssil  nous  fait  quelque  de- 
mande, concertons-nous. 

SCÈNE  VIII. 

LES  MÊMES,   ALPHONSE. 

lotart,  sergent  d'armes.  Mon  cher  seigneur,  sans 
plus  de  discours,  voici  une  panie  de  vos  bour- 
geois qui  lous  sont  venus  en  bàle  à  votre  comman- 
dement. 

Alphonse.  Seigneurs,  vous  allez  savoir  pourquoi 
je  vous  appelle.  J'ai  dessein  de  vous  laisser  ma  lille 
en  garde,  pendant  un  voyage  auprès  de  mon  frère,  à 
Grenade,  pour  lui  demander  aide  el  secours  contre 
l'empereur  Lothaire,  qui  vient  sur  moi  en  armes,  et 
qui,  je  ne  puis  le  taire,  m'a  fail  défier.  Je  vous  prio 
don  •  lous,  quoi  qu'il  arrive,  de  garder  soigneuse- 
ment li  ville,  et  ma  fille  aussi,  spécialement. 

le  deuxième  bourgeois.  Sire,  ne  soyez  pas  inquiet 
à  ce  sujet  :  nous  garderons  bien  votre  lille,  cl  nous 
défendrons  la  ville  contre  quiconque. 

le  troisième  bourgeois.  Nous  agirons  comme 
pruii'iionimes  doivent  agir. 

le  quatrième  bourgeois.  Sire,  pour  l'amour  de 
Dieu  le  débonnaire  !  puisque  vous  nous  laissez,  ait 
moins  pensez  à  revenir  ici  promplemeril,  si  c'est 
possible. 

alphonse.  Le  plus  tôt  que  je  pourrai  me  mettre  en 
roule,  mes  amis,  sans  faule  je  reviendrai  ici  même, 
quoi  qu'il  arrive. 

le  deuxième  chevalier  d'alphonse.  Sire  ,  allons- 
nous-en  à  la  garde  de  Dieu,  sans  plus  séjourner  ici  ; 
en  sorte  que  nous  puissious  revenir  bientôt  en 
force. 

alphonse.  Mes  amis,  soyez  diligents  à  vous  garder 
el  à  bien  vous  défendre,  s'il  vient  quelqu'un  qui 
veuille  vous  attaquer.  Je  n'ai  maintenant  plus  rien  à 
dire,  sinon  que  je  vous  recommande  à  Noire-Seigneur. 
Adieu. 

SCÈNE  IX. 

ALPHONSE,  SA   FILLE,  j 

la  fille.  Mon  cher  père  el  mon  doux  seigneur. 
Dieu  veuille  vous  conduire,  en  sorte  qu'il  n'y  ait  per- 
sonne qui  puisse  vous  nuire  ou  vous  faire  quelque 
mal  ! 

SCÈNE  X. 

LES    BOURGEOIS,   LA  FILLE    DU  ROI  ALPHONSE. 

le  premier  bourgeois.  Seigneurs,  en  peu  de  mots, 
il  nous  faut  mettre  de  l'activité  dans  notre  affaire. 
Nous  avons  ici  un  bon  fort;  si  l'on  m'en  croit,  nous 
y  demeurerons  lous  ensemble  avec  madame,  el  nous 
nous  garderons  des  ennemis. 

la  fille.  B.'aux  seigneurs ,  le  roi  mon  père 
m'ayani  mise  en  votre  garde,  je  veux  suivre  sans 
réserve  lous  vos  avis. 

le  deuxième  bourgeois.  Chère  dame,  allez  de- 
vant, nous  vous  suivrons;  el  une  fois  dans  le  fort, 
nous  le  fortifierons  bien. 

la  fille.  J'y  consens,  mes  chers  amis.  Je  vais 
devant;  maintenant  suivez-moi.  Je  ne  veux  pas  que 
pour  moi  vous  ayez  la  moindre  dispute. 

le  troisième  bourgeois.  Chère  dame,  vous  parîei 
bien. 

SCÈNE  XL 

LES  MÊMES. 

le  troisième  bourgeois.  Allons ,  en  avant ,  puis 


bïd 


CTH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


550 


que  nous  sommes  dans  ce  fort,  femmes  et  hommes, 
tous  ensemble  fortifions-le. 

le  quatrième  bourgeois.  Vous  parlez  bien ,  je 
suis  de  cet  avis.  C'est  fait;  désormais,  je  ne  crains 
pas  plus  qu'on  nous  attaque  que  je  ne  craindrais 
une  pomme  ou  une  noix. 

SCÈNE  XII. 

Alphonse,  roi  d'Espagne,  son  frère,  roi  de 
Grenade. 

le  roi  de  grenade.  Seigneurs ,  je  vois  là-bas  le 
roi  d'Espagne,  Alphonse  mon  frère;  je  le  connais 
bien.  Je  veux  lui  faire  une  l'été,  puisque  je  le  vois 
venir  ici.  —  Frère  ,  soyez  le  bienvenu  !  Quel  vent 
vous  mène. 

Alphonse.  Frère,  je  vais  perdre  le  gouvernement 
cl  le  territoire  de  l'Espagne  :  ce  dont  j'ai  le  cœur 
tout  à  fait  désespéré,  si  vous  ne  m'aidez  à  les  re- 
couvrer :  veuillez  donc,  je  vous  prie,  me  secourir 
dans  celle  nécessité. 

le  roi  de  grenade.  Mon  frère,  n'ayez  à  ce  sujet 
aucune  inquiétude,  mais  dites-moi  vite  comment 
il  se  fait  que  vous  perdez  l'Espagne ,  je  vous  en 
orie. 

Alphonse.  Je  vous  le  dirai  sans  retard  ,  frère  : 
l'empereur  île  Rome  m'envoya  l'autre  jour  un  des 
hommes  en  qui  il  se  lie  le  plus  et  qui  me  délia  de 
sa  paît.  Mais  comme  je  n'ai  pas  assez  de  gens  à  lui 
opposer,  j'ai  pensé  à  venir  vous  demander  votre 
aide  ,  afin  île  détendre  ma  terre  contre  lui. 

le  roi  de  grenade.  Miisebaiilt,  va  l-en  sans  at- 
tendre au  roi  de  Tarse  et  d'Almaria  ,  et  après  au 
roi  de  Turquie  et  à  celui  de  Maroc;  prie  chacun 
d'eux  de  rassembler  ses  forces  pour  me  venir  aider 
à  chasser  proinpteinent  mes  ennemis  hors  de  ma 
terre. 

musehault.  Sire,  pour  acquérir  votre  amour  je 
ferai  volontiers  ce  message;  et,  sans  m'arrélcr  plus 
longtemps,  sire,  j'y  vais. 

le  roi  de  grenade.  El  vous,  Salouion  l'Albi- 
geois, \ous  vous  eu  irez  en  Espagne;  vous  visi- 
terez les  bonnes  villes,  et  m'en  rapporterez  l'état. 
Allons,  mon  cher  ami!  en  roule  sans  plus  de  re- 
tard. 

salomon.  Sire,  puisque  lel  est  votre  plaisir,  j'y 
vais  sans  plus  de  discours. 

le  roi  de  grenade.  Cher  frère,  je  vous  porterai 
bientôt  un  tel  secours  que  l'empereur  sera  mort 
avant  de  vous  avoir  enlevé  l'Espagne.  Nous  verrons 
s'il  osera  venir  vous  attaquer. 

Alphonse.  Ah!  mon  frère,  il  le  fera,  car  il  est 
Irès-hardi. 

le  roi  de  grenade.  Il  n'est  p  is  plus  qu'un  autre  de 
fer  ou  d'acier;  ne  vous  inquiétez  pas.  Asseyez-vous 
ici  pour  attendre  que  Musehaul:  sou  venu  ,  el  alors 
nous  ferons  si  bien  que  nous  ne  priserons  pas  plus 
l'ennemi  qu'un  l'élu. 

SCÈNE  XIII. 
l'empereur,  l'armée,  le  héraut. 

l'empereur.  Eh  bien!  messager,  dis,  viens-tu 
d'Espagne?  as-tu  vu  le  roi? 

le  messages  de  l'empereur.  Oui,  sire,  Dieu  me 
récompense!  Je  l'ai  délié  de  votre  pari,  lui  noti- 
fiant que  vous  éliez  en  guerre  avec  lui.  Il  me  répon- 
dit qu'il  ne  savait  pas  ce  que  vous  feriez,  mais 
que  vous  ne  l'auriez   pas  silôl  que  vous  le  pensiez. 

l'empereur.  El  avait-il  beaucoup  de  monde?  dis- 
le-moi? 

le  messager  de  l'empereur.  Sire,  quand  je  lui 
parlai ,  sachez,  en  vérité,  qu'il  n'avait  que  les  gens 
attachés  a  sa  personne  el  une  jeune  demoiselle  fort 
belle,  qui  est  sa  fille.  En  la  ville  où  il  était,  sire, 
il  n'j  avait  pas  un  seul  homme  armé,  soyez  en 
sur 


le  deuxième  chevalier  de  l'empereur.  Dans  quelle 
ville  était-il? 

le  messager  de  l'empereur.  A  Burgos,  qui  est 
une  forte  cilé;  mais,  qui,  en  vérité,  n'est  pas  Irès- 
peuplée. 

LE    DEUXIEME  CHEVALIER   DE  L'EMPEREUR.    Mon    cher 

seigneur,  si  cela  vous  agrée,  nous  irons  l'assiéger 
lous  ensemble,  et  nous  les  sommerons  de  vous  la 
rendre. 

l'empereur.  Ob!  cène  sera  pas  si  vile  fait  et 
néanmoins  vous  avez  bien  dit.  Allons-y  prompte- 
menl,  sans  réplique,  tous  ensemble. 

le  premier  chevalier.  C'est  bon,  ce  me  semble; 
car  plus  tôt  nous  les  aurons  attaqués,  plus  grand 
avantage  nous  aurons  à  combattre. 

othon.  Maintenant,  sans  plus  de  paroles  ,  condui- 
sons-nous bravement.  Nous  voici  à  Burgos,  appelons 
pour  savoir  si  quelqu'un  des  bourgeois  viendrait 
nous  parler.  —  Ouvrez,  ouvrez!  rendez-vous  vite, 
sans  attendre  davantage! 

SCÈNE  XIV. 

l'empereur  loth aire,  so\  armée,  les  bour- 
geois DK  BURGOS. 

le  premier  bourgeois.  Qui  êtes-vous,  vous  qui 
nous  commandez  si  fièrement  de  nous  rendre? 
Videz  la  place,  car,  si  vous  attendez  davantage , 
nous  vous  enverrons  quelque  cadeau.  Nous  ne  vous 
épargnerons  point:  n'en  doutez  nullement. 

le  premier  chevalier  de  l'empereur.  Rendez- 
vous,  rendez-vous;  ou,  n'en  douiez  pas,  nous  vous 
livrerons  un  assaut  dur  et  fort  el  sur  l'heure  nous 
vous  montrerons  quels  gens  nous  sommes. 

le  deuxième  bourgeois.  Nous  ne  vous  prisons  pas 
autant  que  deux  pommes.  Pourquoi  nous  menacez- 
vous?  Nous  sommes  assez  de  braves  gens  pour  nous 
défendre. 

othon.  En  avant!  en  avant!  sans  attendre  davan- 
tage, lirez  aux  murs,  seigneurs  archers!  et  cepen- 
dant nous  irons  attaquer  celle  porte-là.  Sans  faute 
nous  l'aurons  bientôt. 

le  deuxième  chevalier.  Certes,  oui.  Savez-vois 
ce  qu'il  faut  faire?  Eu  lançant  nos  traits  el  en  com- 
battant, niellons  le  feu  loul  de  suite  el  de  la  bonne 
manière. 

(Ici  la  bataille  se  lait.) 

le  troisième  bourgeois.  Puisque  la  balaillc  s'é- 
chauffe el  qu'ils  sont  si  acharnés  contre  nous, 
lançons  sur  eux  ces  gros  magonueaux  el  ces  grandes 
pierres. 

le  quatrième  BOUGEOis.  Fuyez ,  fuyez ,  pillards, 
voleurs!  Fuyez  bois  d'ici  sur-le-champ.  Videz  les 
I  eux,  ou  vous  mourrez  honteusement!  Fuyez,  ca- 
naille ! 

le  deuxième  chevalier.  Je  vais,  sans  y  manquer, 
mettre  le  feu  el  brûler  celle  porte  ,  tandis  qu'ils  sont 
occupés  à  combattre.  C'est  fait  :  elle  brflle. 

l'empereur.  Désormais  il  csl  trop  lard  pour  qu  ils 
puissent  se  défendre  chez  eux.  En  avant  un  à  un  , 
deux  à  deux!  Entrez  tous  dedans. 

othon.  A  moi t  !  à  mort  ceux  de  céans!  Hommes 
cl  femmes,  lous  ceux  qui  ne  voudront  pas  se  rendre 
à  nous  de  bonne  grâce  ,  mourront. 

le  premier  chevalier  de  l'empereur.  Mêlions  à 
mort  lotit  Uniment  grands  et  petits. 

l'empereur.  Non,  non,  je  n'y  consens  pas  :  je 
veux  leur  parler  auparavant.  —  Seigneurs,  voulez- 
vous  vous  rendre  de  bonne  volonté?  Vous  ne  pouvez 
plus  vous  défendre,  vous  le  voyez  bien. 

le  premier  bourgeois.  Ah,  sire!  veuillez  ne  pas 
nous  refuser  votre  grâce.  Recevez-nous,  la  vie 
sauve,  pour  vos  prisonniers. 

l'empereur.  Je  le  ferai  très- volontiers;  mais  àda 
condition  que  vous  me  livrerez  voire  roi  qui  a  élé 
trop  iQsoLnt  à  mon  égard. 


Soi 


OTH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


5S2 


le  deuxième  bolrgf.ois.  Très-cher  sire,  en  vérité, 
en  apprenant  votre  venue  contre  lui  il  a  quitté  le 
pays  et  a  gagné  le  royaume  de  Grenade.  Il  nous  le 
dit  ainsi ,  du  moins. 

l'empereur.  C'est  bien.  Maintenant  répondez-moi 
sur  un  autre  point ,  car  je  ne  fais  pas  plus  de  cas  de 
lui  que  d'une  bdle.  Sa  fille,  qu'est-elle  devenue? 
dites-moi  la  vérité. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER  DE  l'E.ÏPEREUR.  Si  VOUS  ne 

le  lui  apprenez  pas,  vous  êtes  morts  ici  même;  car 
l'on  vous  coupera  la  Lie. 

le  troisième  bourgeois.  Sire ,  vous  la  trouverez 
céans,  honteuse,  morne  et  stupéfaite;  et  certes  je 
ne  m'en  élonne  pas  :  c'est  bien  naturel. 

l'empereur.  Or,  tôt,  seigneurs!  Allez  tous  deux  , 
et  sans  lui  faire  de  mal  amenez-la  moi  :  je  veux  la 
voir. 

LE  PREMIER  CHEVALIER  DE  L'EMPEREUR.    SilC,     nOUS 

ferons  voue  volume  incontinent,  sans  faute. 
SCÈNE  XV. 

LES   CHEVALIERS  DE    L'EMPEREUR,    LA    FILLE  DU 
ROI   D'ESPAGNE.]1 
LE    PREMIER     CHEVALIER     DE   L'EMPEREUR.    Dame,    il 

faut  venir  avec  nous.  Allons,  allons,  vile,  en 
roule. 

la  fille.  Ali  Dieu!  guerre  funeste!  A  cette  heure 
je  vois  bien  que  je  suis  perdue.  —  Ah  ,  beaux  sei- 
gneurs! que  j'aie  la  vie  sauve,  pour  l'amour  de 
Dieu  ! 

le  deuxième  chevalier.  Dame,  n'ayez  aucune 
inquiétude  :  nous  vous  mènerons  à  l'empereur,  qui 
vous  recevra  d'un  cœur  bon  et  gracieux. 

la  fille.  Ah  Dieu!  aura-l-il  pitié  de  moi. 

SCÈNE  XVI. 

l'empereur  et  sa  suite,  la  fille  du  roi 
d'espagne. 

le  premier  chevalier.  Sire ,  nous  nous  sommes 
acquittés  (de  voire  commission)  :  voici  la  fille  du  roi 
Alphonse,  que  nous  vous  amenons  tous  deux  comme 
prisonnière. 

l'empereur.  Dites-moi  la  vérité;  ma  chère  amie  , 
où  est  votre  père? 

la  fille.  Dieu  ait  pitié  de  ma  mère!  Vous  parlez 
de  mon  père,  sire;  sans  doute,  il  est  allé  en  Gre- 
nade, car  il  me  dit  qu'il  y  allait,  sire,  quand  il  me 
laissa  ;  sinon  ,  je  ne  puis  en  donner  d'autre  nouvelle. 

l'empereur.  Ollion ,  mon  neveu  ,  venez  ici.  Pre- 
nez pour  femme  celle  jeune  fille  qui  devient  ainsi 
dame  et  reine.  Vous  serez  roi  d'Espagne,  mais  vous 
tiendrez  de  moi  votre  royaume  :  c'est  mon  idée. 
Allons!  rendez-vous  vile,  sans  attendre  davantage, 
dans  la  chapelle  de  céans  et  épousez-la  :  c'est  ma 
volonté.  11  y  a  des  piètres  tout  prêts.  —  Et  vous, 
seigneurs,  allez  après  eux;  vous  ramènerez  ici 
l'épousée,  quand  la  messe  sera  finie.  Faites  vite., 

SCÈNE  XVII. 

OTHON,  LA  FILLE  DU  ROI. 

OTHON.  Dame,  vous  plail-il  ainsi  qu'il  l'a  dit? 

la  fille.  Puisque  cela  lui  plait,  je  n'ose  y  mettre 
aucune  opposition. 

.otuon.  Ça  donc  deparDieu,  la  main  droite!  Dame, 
moi-même  je  vous  mène  à  l'église  où  je  vais  vous 
épouser  et  faire  de  vous  ma  compagne. 

LE     DEUXIÈME    CHEVALIER     DE     L'EMPEREUR.     Allons 

avec  eux,  allons  vile,  messire  Ogier. 

le  premier  chevalier.  Je  ne  vous  ferai  pas  d'ob- 
jections ;  ami,  allons-y. 

SCÈNE  XVIII. 

L'EMPEREUR,  LES  BOURGEOIS  DE   BURGOS. 

l'empereur.  Beaux  seigneurs,  votre  roi  Alphonse 
m'a  courroucé;  il  a  mal  fait:  il  vous  faut  donc  expier 


sa  conduile,  el  lui-même  il  y  périra;  car,  certes, 
tant  que  je  vivrai,  il  n'aura  pas  en  Espagne  un  pied 
de  terre.  Je  vous  ai  pris  par  la  force  des  armes  ;  payez- 
moi  une  rançon. 

le  quatrième  bourgeois.  Très-cher  sire,  que  pou- 
vons-nous? prenez  tout  noire  av<  ir  en  deniers  et  en 
aulre  propriété,  il  ny  a  personne  qui  ne  vous  la  li- 
vie  volontiers;  el  laissez  vivre  nos  pauvres  corps. 

le  premier  bourgeois.  Sire,  quant  à  moi,  je  de- 
mande qu'un  de  vos  hommes  vienne  voir  mou  mé- 
nage. Je  me  fais  fort  de  posté Jer  deux  cents  marcs 
de  bonne  et  belle  vaisselle  d'argent,  que  j'avais  mise 
en  réserve,  avec  deux  miile  florins  o'or  qui  sont  de 
mon  bien  personnel,  sai.s  les  meubles  du  lo«is  : 
sire,  je  vous  livrerai  lonl  cela  sans  contestation,  et 
n'ayez  point  envie  de  ma  mort;  laissez-moi  vivre,  je 
vous  en  prie. 

le  deuxième  bourgeois.  Très-cher  sire,  moi  aussi, 
je  n'en  demande  pas  davantage,  et  prenez  tout  ce 
que  j'ai  vaillant:  j'y  consens  trés-volonliers,  el  cela 
m'arrange  bien. 

SCÈNE  XIX. 

LES  MÊMES,     OTHON,    LA    FILLE    D'ALPHONSE, 

ancien  roi  d'Espagne,  chevaliers. 

le  deuxième  chevalier.  Mon  cher  seigneur,  nous 
ramenons  noire  épousée  ;  le  mariage  est  terminé. 
Reste  la  fêle. 

l'empereur.  Sûrement.  Mais,  si  Othon  me  croit, 
il  assemblera  à  celle  fêle  les  nobles  de  ce  pays-ci, 
el,  comme  nouveau  roi  ,  il  la  donnera  belle  el  bril- 
lante: je  le  désire  ainsi,  je  le  lui  conseille  pour  sou 
honneur,  el  le  lui  montre  aussi  pour  sou  bien.  En- 
core un  mot  de  plus.  —  Belle  nièce,  comme  gage 
d'amitié,  je  vous  donne  celte  couronne.  Vouséies 
désormais  dame  d'Espagne  et  reine,  votre  mari  en 
élanl  de  par  moi  chef,  seigneur  el  roi.  —  Or,  faites 
attention  à  mes  paroles,  seigneurs:  afin  qu'il  y  ait 
un  plus  grand  amour  entre  Oihon  votre  roi  et  vous, 
je  pardonne  à  tous  el  vous  liens  quilles  des  rançons 
que  me  devait  voire  mauvais  vouloir.  Maintenant 
n'ayez  pas  le  cœur  lent  à  aimer  votre  roi. 

troisième  bourgeois.  Cher  sire,  soit  blâmé ,  et 
même  mis  à  mort  connue  fou  el  insensé,  celui  qui 
ne  confessera  la  grande  faveur  que  vous  nous  faites; 
à  boa  droit  celui-là  perdrait  corps  el  Liens. 

l'empereur.  A  celle  heure  je  n'ai  plus  rien  à  ajou- 
ter, sinon  que  je  prends  congé  de  vous  ions  el  m'en 
vais  dans  la  campagne  de  Rome,  sans  ailendre  da- 
vanlage. 

othon.  Je  vous  retiens  de  ma  maison,  S' igneurs. 

—  El  puisque  vous  voulez    partir  d'ici,  cher  sire, 
nous  irons  avec  vous  cl  nous  vous  ferons  compagnie 
Voilà  tout. 

l'empereur.  Puisque  vous  le  voulez,  cela  me  plaît. 

—  Belle  nièce,  je  vous  recommande  à  Dieu;  je  ne 
sais  pas  si  vous  me  reverrez  de  longtemps. 

othon.  Sire,  vous  m'attendrez  un  peu. 

SCÈNE  XX. 

othon,  la  fille  d'alphonse,  sa  femme. 

othon.  Dame,  venez  ici,  je  vous  en  prie.  Prenez 
cet  os,  si  mon  ami  lie  vous  est  quelque  peu  chère; 
car  c'est  celui  de  l'un  des  doigts  de  mon  pied. 
El  gardez  qu'il  ne  soit  vu  ni  aperçu  de  nul  homme, 
quelque  chose  qu'il  arrive;  ce  sera  le  signe  secret 
que  nous  aurons  l'un  à  l'égard  de  l'autre. 

SCENE  XXI. 

LES  MÊMES,  L'EMPEREUR,  LES  BOURGEOIS   DE 
BURGOS. 

la  femme  d'othon.  Maintenant  nous  pouvons  nous 
en  aller,  sire:  j'ai  fait. 

l'fmpereur.  Allons,  seigneurs,  en  marche!  allez 
devant. 


553 


OTH 


DlCTlONNAlRE.DEà  MYSTERES. 


OTH 


bU 


le  troisième  bourgeois.  Très-cher.sire,  nousobéis- 
sons  à  voire  commandewent 

i.e  premier  chevalier.  Comment  l'aire?  Voici.  Ces 
deux  bourgeois  viendront  avec  nous,  ei  ces  deux 
autres  demeureront  ici  avec  machine  la  reine  et  sa 
demoiselle  Eglantiue;  cela  suffira. 

l'empereur.  C'est  bien  dit,  cela  suffira,  en  vérité. 
Restez,  vous. 

le  premier  bourgeois.  Oui,  très-cher  sire,  puisque 
c'est  votre  volonté. 

SCÈNE  XXII. 

LA  FILLE  DU  ROI   ALPHONSE,  SO,  SUlVOtUe 
EGLANTINE. 

LA  fille.  Eglantiue,  je  vous  ai  toujours  dit  et  dé- 
couvert mes  secrets  avant  même  d'être  reine  ,  vous 
le  savez. 

la  demoiselle.  Chère  dame,  vous  avez  dit  vrai  ; 
et,  Dieu  merci!  je  ne  fus  jamais  insensée  au  point 
d'en  révéler  un  seul,  quel  qu'il  fui,  à  personne, 
bouline  ou  femme.  Pourquoi  ces  paroles  ,  Madame  ? 

la  fille.  Mon  amie,  je  me  fie  à  vous  et  je  veux 
vous  dire  encore  un  grand  secret.  Qu'est-ce  que  ceci'/ 
Voyons.  Qu'est-ce,  à  voire  avis? 

la  demoiselle.  Dame,  c'est  un  os  ;  mais  je  ne 
puis  vous  dire  si  c'est  d'un  homme  ou  d'une  bêle. 

la  fille.  Eh  bien,  mais  gardez-le  en  secret,  c'est 
l'os  d'un  des  doigts  du  pied  de  mon  mari,  que,  par 
amitié,  il  m'a  chargéedegardersoigneusemenl.  Aussi 
en  vérité,  je  veux  sans  retard  le  placer  parmi  mes 
joyaux  pour  l'amour  de  lui.  Allons  ''y  mettre. 

la  demoiselle.  Allons-y.  Dame,  11  vaut  mieux  du 
reste  poumons  d'être  enfermées  dans  votre  chambre 
que  de  rester  ici  pour  plusieurs  raisons  qui  donne- 
raient à  penser. 

SCÈNE  XXIII. 

l'empereur,  bérenger,  othon 

bérhnger.  Je  me  bâte  d'aller  à  la  rencontre  de 
monseigneur  l'empereur  ,  qui  revient  par  ici.  Eh 
mais  !  je  le  vois  là-bas.  —  Sire,  soyez  le  bienvenu 
dans  votre  terre! 

l'empereur.  Bérenger,  vous  n'étiez  pas  avec  moi 
dans  celle  guerre.  Aviez-votis  peur  des  coups?  Eh  , 
Eh! 

bérenger.  Non,  sur  ma  foi!  très-cher  sire  ;  mais 
une  maladie  m'a  l'ail  longtemps  garder  bien  ennuyeu- 
senient  le  lit. 

othon.  Très-cher  oncle,  s'il  vous  sied,  je  pren- 
drai ici  congé  de  vous  cl  je  m'en  irai  en  Espagne 
voir  ma  femme. 

bérenger.  Roi  Olhoii,  je  vous  jure  sur  mon  ànie 
que  tel  croit  avoir  une  femme  tout  seul  qui  partage 
avec  plus  de  deux  ;  et  celui  qui,  en  ce  cas,  a  confiance 
en  une  femme,  est  un  sut.  Je  vous  le  dis  bien,  je  me 
vante  de  ne  connaître  aucune  femme  vivante  de  la- 
quelle, si  je  lui  parlais  deux  fois,  je  ne  pus  à  la  troi- 
sième avoir  tout  ce  que  l'on  peut  désirer  d'une 
femme. 

othon.  Par  ma  foi  !  Bérenger,  c'est  mal  de  dire  de 
vilaines  choses  des  dames.  Et,  celles,  je  ne  vous 
crois  pas.  Il  en  est  beaucoup  de  bonnes,  qui  sont 
en  même  temps  de  très-belles  et  très-gracieuses 
personnes. 

bérenger.  Comme  vous  en  parlez  à  votre  aise. 
Eh  bien,  si  j'allais  parler  à  la  votre  ,  je  parie  (pic 
j'aurais  son  consentement  dès  le  premier  lèle-à-leie. 
Voyons,  pariez  ou  avouez-vous  vaincu  et  restez 
muet.  Gagez-vous  avec  moi? 

othon.  Oui,  par  l'àme  de  mon  père!  et  je  consens, 
beau  sire,  à  perdre  la  couronne  d'Espagne,  si  elle 
s'abandonne  au  point  de  vous  laisser  jouir  de  saper» 
sonne  ;  a  la  condition  que  vous  me  laisserez  voire 
terre  en  toute  propriété,  si  vous  ne  \enez  pas  à 
bout  de  celle  chose-ci  ;  voici  mou  gage. 
blrenger.  Pour  moi,  j'y  consentirais  sans  diflkul- 

Dictionn.  des  Mystères. 


les,  si  je  savais  un  moyen  de  faire  la  preuve;  mai* 
comment? 

othon.  Vous  l'aurez  assez  prouvé,  si  d'abord  vous 
êtes  assez  habile  pour  me  décrire  un  signe  qu'<  Ile  a. 
el  in'iudiquer  la  place  où  il  se  iionve  (remarque! 
bien  cela)  ,  et  si,  en  second  lieu  ,  vous  m'apportez 
ce  qu'elle  me  garde.  Je  jure  qu'alors  je  vous  laisse- 
rai jouir  tout  à  fait  librement  de  l'Espagne. 

bérenger.  Othon,  j'y  consens  volontiers  el  je  vous 
jure  que,  si  j'échoue,  je  ne  retiendrai  pas  de  ma 
terre  îa  valeur  d'un  ail,  soyez  en  s-ftr.  Je  vous  la  li- 
vrerai en  entier.  Mais  toutefois,  en  attendant,  vous 
séjournerez  ici  jusqu'à  ce  que  je  sois  revenu  de 
votre  terre. 

otiion.  C'est  convenu,  allez  vite,  je  demeure  ici. 

bérenger.  J'y  vais  et  je  ne  m'arrêterai  pas  que 
je  n'y  sois. 

SCÈNE  XXIV. 

LA  FILLE  DU  ROI  ALPHONSE,  EGLANTINE. 

la  fille.  Eglantiue,  il  faut  aller  jusqu'à  l'église, 
entendre  le  service  divin  et  prier  Dieu  pour  mon 
mari.  Parions,  sans  plus  de  retard. 

La  demoiselle.  Je  suis  prête,  Madame,  à  tcuies 
vos  volontés. 

SCÈNE  XXV. 
bérenger,  les  mêmes. 

bérenger.  Réfléchissons  à  mon  affaire.  Comment 
en  venir  à  boni'  Je  n'ai  pas  fait  tant  de  chemin 
pour  arriver  en  Espagne,  et  y  rester  embarrassé.  Je 
vois  la  reine  qui  vient  ici  :  c'est  bien  à  propos.  Je 
vais  fui  parler.  —  Chère  dame,  que  Dieu  vous  octroie 
une  longue  vie  et  le  salut  de  votre  aine! 

la  fille.  Quelle  affaire  vous  amené  par  ici,  Bé- 
renger? Beau  sire,  soyez  le  bienvenu.  S'il  vous  plait 
de  parler, Je  vous  écoute. 

bérenger.  Madame,  je  vous  le  dirai:  je  me  suis 
rendu  ici  de  propos  délibéré.  Je  viens  de  Rome,  ou 
j'ai  laissé  votre  seigneur,  qui  ne  fait  pas  plus  de  e;ra 
de  vous  que  de  la  queue  d'une  cerise  ;  ii  a  formé  une 
liaison  avec  une  fille  qu'il  aine  tant  qu'il  ne  peut 
plus  s'en  séparer.  J'ai  quitté  Rome  poui  vous  pré- 
venir, car  j'en  éprouve  une  grande  peine  el  une 
grande  colère,  mais  tandis  qu'il  se  conduit  si  mal, 
je  suis,  moi,  tellement  épris  d'amour  pour  vous  que 
je  ne  puis  endurer  davantage  un  tourment  qui  ne 
cesse  m  jour  ni  nuit  :  tant  celle  passion  ,  Madame, 
me  lait  endurer  de  cruels  maux  ! 

la  fille.  Comment,  Bérenger?  Par  voire  âiiie! 
Est-ce  d'un  chevalier  vaillant  de  venir  de  Rome 
jusqu'ici  pour  nie  tenir  un  pareil  langage!  Certes» 
ni  vous  ni  votre  race  vous  ne  sauriez  dire  rien  de 
bien,  sinon  des  méchancetés  el  des  trahisons  :  c'est 
pourquoi  je  ne  vous  crois  nullement.  Sortez,  sortez, 
de  devant  moi  sur-le-champ. 

bérenger.  Dame,  pour  l'amour  de  Dieu!  ne  me 
rebutez  pas,  si  je  me  plains  a  vous  :  par  suite  de 
l'amour  que  vous  m'avez  inspiré,  je  pâlis  et  rougis 
souvent  et  j'ai  le  cœur  éperon,  en  sonc  que  j'en  ai 
entièrement  perdu  le  boire  et  le  manger. 

la  fille.  Allez-vous-en  vile  d'ici,  flatteur  men- 
songer. 

bérenger.  Dame,  je  m'en  vais  sans  dire  un  mot 
de  plus,  puisque  ce  que  je  vous  dis  ici  en  secret 
n'est  pas  à  votre  gré,  el  qu'au  conlraiie  cela  vous 
dépiail. 

la  fille.  II  me  plait  de  retourner  au  logis  ;  je  n'i- 
rai pas  plus  loin.  Retournez-vous-en  vile  avec  moi, 
Eglantiue. 

la  demoiselle.  Madame,  je  ferai  vos  volontés  de 
tout  mon  coeur. 

SCÈNE  XXVI. 

bérenger. 

bérenger.   Haro  !    comment  me  titcr  de  là?  La 


555 


OTH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


55? 


reine  ne  veut  pas  m'écouler  :  ce  qui  me  navre  le 
coeur  trop  fortement.  Je  suis  expose  à  perdre  entiè- 
rement ma  terre  par  suite  de  la  gageure  que  j'ai 
faite.  Il  est  évident  que  je  n'ai  aucune  chance  pour 
mou  Je  vois  venir  par  ici  sa  demoiselle,  je  veux  la 
tester  pour  savoir  vraiment  si  elle  ne  pourrait  pas 
m'aider. 

SCÈNE  XXVI. 

BÉRENGER,  LA  SUIVANTE  DE  LA  REINE. 

berf.nger.  Demoiselle,  je  voudrais  vous  dire  en 
secret  un  mol  seulement,  pourvu  que  vous  me  le 
permettiez.  Qu'en  dites-vous? 

la  demoiselle.  Doux  sire,  vous  pouvez  me  dire  eu 
toute  sûreté  ce  que  vous  vondrez,  je  n'en  éprouve- 
rai ni  courroux  ni  colère.  Au  contraire,  j'y  con- 
sens. 

berenger.  Si  vous  voulez  répondre  à  deux  ques- 
tions que  je  vais  vous  faire,  je  vous  donnerai  plus 
d'or  et  plus  d'argent  que  vous  ne  m'en  de- 
manderez; et  je  crois  que  vous  ferez  bien  ce  que 
je  veux. 

la  demoiselle  Je  ferai  de  tout  cœur,  et  non  pas 
malgré  moi,  ce  que  je  pourrai  pour  vous,  sire, 
pourvu  que  vous  me  veuilliez  dire,  sans  plus,  ce 
qu'il  vous  faut. 

berenger.  Ma  bonne  et  chère  amie,  employez- 
vous  pour  moi.  J'ai  besoin  du  joyau  que  la  reine 
garde  et  aime  le  plus.  Je  veux  savoir  si  elle  a  un 
ssigne,  où  il  se  trouve  et  toinnie.it  il  est.  Si  vous  me 
donnez  le  joyau  et  me  dites  le  signe,  je  suis  prêt  à 
vous  donner  trente  marcs  d'or  dont  vous  pourrez 
vous  faire  une  dot:  et,  pour  que  vous  me  croyiez, 
prenez  d'abord  ce  sac-ci.  Voyez,  c'est  de  l'or 
lin. 

la  demoiselle.  Sire,  je  vous  le  promets  :  je  vien- 
drai à  bout  oe  vous  inlormer  complètement  de  ces 
deux  choses  demain,  avant  Noue. 

berenger.  N'y  mettez  aucun  relard,  mon  amie; 
quanta  moi,  je  reviendrai  ici  demain,  et  je  vous 
apporterai  tout  ce  que  je  vous  ai  promis;  et  certes, 
moi  et  mes  amis,  nous  serons  à  vous. 

la  demoiselle.  Allez-vous  en,  nous  ferons  bien 
les,  choses. 

SCÈNE  XXVII. 

LA  DEMOISELLE. 

la  demoiselle.  Maintenant,  un  peu  d'adressse,  et 
je  suis  riche  el  heureuse.  He  !  je  sais  bien  ce  que  je 
ferai  :  je  donnerai  à  boire  aujourd'hui  même  a  ma- 
dame un  vin  tel  que  je  pourrai  voir  tout  à  fait  son 
corps  partout,  pendant  sou  sommeil,  sans  la  réveil- 
ler, quand  même  je  la  remuerai  ou  la  tournerai.  Je 
vais  arranger  mou  affaire  le  mieux  que  je  pour- 
rai. 

SCENE  XXVIII. 

LA  FILLE  DD  ROI  ALPHONSE,   LA  DEMOISELLE. 

la  fille.  Eglanline,  j'ai  très  grand'soif.  Allez  me 
chercher  sur-le-champ  des  pommes  el  du  vin,  el  ap- 
portez-les-moi vile  ici,  je  vous  prie. 

la  demoiselle.  Madame,  j'y  vais  sans  relard.  — 
Voici  du  vin  et  des  pommes  que  j'apporte.  Mainte- 
nant, dites,  voulez -vous  que  je  vous  en  pare  une 
que  vous  mangerez?  el  après,  Dame,  vous  boirez 
de  ce  vin-ci. 

la  fille.  Oui,  je  veux  le  faire  eomme  vous  l'avez 
dit. 

la  demoiselle.  Vous  serez  ohéie.  Tenez  donc  et 
mangez  :  elle  est  deCaleville  blanc,  el  je  l'ai  bel  et 
bien  parée  de  mon  m  eux. 

la  fille.  Al.ons!  je  veux  essayer  si,  quant  à  la 
saveur  el  au  goùl,  elle  est  bonne.  Verse,  verse, 
donne-moi  à  boire  :  j'ai  très-grand'soif. 

la  demoiselle.  Volontiers  el  de  grand  cœur.  Te- 
nez, Madame. 


la  fille.  Sur  mon  ame!  il  y  a  longtemps  que  je 
n'eus  si  grand'soif  comme  tout  à  l'heure. 

la  demoiselle.  Je  vous  crois  bien.  Dieu  me 
garde!  A  voire  santé,  s'il  plaît  à  Dieu!  Si  vous  en 
voulez  davantage,  je  verserai. 

la  fille.  Non  pas;  mais  je  veux  aller  reposer; 
car,  en  vérité,  je  crois  que  ce  vin  m'est  déjà  monté 
à  la  léie. 

la  demoiselle.  Dame,  à  votre  volonté  !  venez,  et 
je  vous  accompagneiai.  Allons!  je  vous  laisserai 
reposer  tout  à  voire  aise. 

la  fille.  Vous  dites  bien  :  maintenait,  laissez- 
moi;  allez- vous-en. 

SCÈNE  XXIX. 

BÉRENGER. 

bérenger.  J'ai  envie  de  retourner  vers  demoiselle 
Eglanline  savoir  enfin  si  elle  m'enseignera  le  signe 
de  la  reine,  sa  maîtresse,  et  comment  vont  mes  af- 
faires. 

SCÈNE  XXX. 

EGLANTINE. 

la  demoiselle.  11  esl  temps  «le  songer  à  gagner  ce 
qu'on  m'a  promis,  pour  le  joindre  à  ce  que  déjà 
l'on  m'a  mis  entre  les  mains.  Quelle  folie  je  com- 
mettrais si  je  laissais  échapper  l'occasion  de  l'air* 
un  bénéfice  de  trente  marcs  d'or.  Vi  yons  si  ma- 
dame esl  endormie.  Si  elle  dort,  je  ne  coule  pas  que 
je  ne  puisse  lien  exécuter  mon  dessein.  Elle  dort  : 
mon  affaire  va  bien;  je  verrai  pronipleinenl  où  son 
signe  se  trouve,  et  j'aurai  bientôt  le  joyau  qu'elle 
garde  avec  le  (dus  de  soin.  {Ici  eue  cherche  le  signe 
et  prend  /'os.)  C'est  fait  :  je  m'en  vais  vite  vers  le 
comte  Bérenger. 

SCÈNE  XXXI. 

BÉRENGER,  EGLANTINE. 

églantine.  Donnez-moi  de  bon  cœur,  sire,  ce  que 
vous  m  avez  promis.  Vous  êtes  mon  débiteur;  voici 
voire  affaire. 

bérenger.  Chère  amie,  plus  bas,  approchez- vous 
plus  près  de  moi.  Voici  vos  trente  marcs  tout  prêts; 
je  vous  les  délivre  comme  bien  gagnés.  Diles- 
moi  maintenant,  ei  lout  de  suite,  où  est  son 
signe. 

la  demoiselle.  Sire,  je  vous  livre  ce  joyaH-ci  : 
c'est  certainement  la  chose  qu'elle  gardait  avec  le 
plus  de  soin  <-l  qu'elle  aimait  le  mieux,  car  c'est  l'os 
de  l'un  des  doigts  ou  pied  de  monseigneur  :  c'est 
pourquoi  elle  y  tenait.  Ensuite,  pour  vous  dépêcher 
pronipleinenl,  je  veux  vous  dire  où  son  signe  se 
trouve,  mais  c'est  à  l'oreille  et  en  secret;  je  vous 
dis  vrai. 

{Ici  elle  lui  parle  bas.) 

bérenger.  C'est  lonl  ce  que  je  voulais  savoir. 
Maintenant  je  prends  congé  de  vous,  el  ne  vous  re- 
tiens plus  ici.  Adieu,  mon  amie. 

la  demoiselle.  Puissicz-vous  aller  en  un  lieu  tel 
qu'il  vous  arrive  du  bien  ! 

SCÈNE  XXXII, 

BÉRENGER. 

bérenger.  Je.m'en  vais  dnncpleinde  confiance  et  de 
joie, ayant  ce  que  je  voulais,  el  sachant  ce  que  je  dési- 
rais le  plus  au  monde.  Je  n'arrête  plus  et  gagne  «iroil 
à  Rome.  Je  vois  là-bas  l'empereur  assis,  et  Olhon  au- 
près de  lui.  Dieu!  comme  il  sera  surpris  quand  il 
entendra  ce  que  je  lui  dirai  !  mais  ;  eu  m'importe, 
que  la  chose  aille  tomme  elle  pourra,  je  ne  me  t..i- 
rai  point  par  égard  pour  lui. 

SCÈNE  XXXIII. 

BÉRENGER,   L'KMPEREUR  OTHON. 

bérenger.  Que  Dieu  donne  honneur  el  joie  à  celle 


o7 


OTH 


noble  compagnie!  Roi  Olhon,  je  me  vante  dYtre 
roi  d'Espagne,  si  vous  tenez  voire  parole.  Connais- 
sez vous  eel  os?  Eu  vérité,  j'ose  le  dire  (sire,  ne 
vous  courrouças  pas),  j'ai  vu  la  daine  de  la  tète 
srnx  pieds  :  quaiil  a  sou  signe,  je  vous  le  dirai  à  L'o- 
reille, si  vous  voulez. 

otiion.  Ali  Dieu!  quel  malheur!  J'ai  perdu  ma 
terre.  La  colère  me  serre  le  cœur  au  venue.  Ali! 
femme  perfide  !  Ah  !  déloyale  !  comment  m'as-lu  fait 
une  honte  pareille?  Vraiment,  je  me  fiais  eu  (a 
boulé,  je  te  tenais  pour  la  meilleure  des  femmes. 
Mais  je  n'aurai  j.unais  de  repos  que  je  ne  l'aie  mise 
à  inori  honteusement. 

l'empereur.  Beau  neveu,  vous  ferez  autrement  : 
vous  demeurerez  ici  avec  moi  jusqu'à  ce  que  vous 
ayez  ailleurs  une  autre  terre;  je  vous  le  con- 
seille. 

otuon.  Certes,  sire,  c'est  inutile.  Oh  !  ne  m'en 
parlez  plus,  cela  ne  peut  être;  j'nai  la  livrer  à  une 
mort  honteuse,  avant  que  je  cesse  de  vivre. 

SCÈNE  XXXIV. 

Là  FILLE  DU  ROI    ALPHONSE,  EGLANTINE. 

la  fille.  Eglautine,  allons  nous  ébattre  un  peu 
au  bas  de  cel.e  maison  ;  car  j'ai  le  cœur  et  le  corps 
pesants  et  sans  force. 

la  PEMOistxi.E.  Dame,  votre  volonté  soit  entière- 
ment faite  !  allons-y. 

SCÈNE  XXXV. 

LES  MÊMES,  UN  BOURGEOIS  DE  BURGOS. 

le  troisième  bourgeois.  Dieu  merci  I  j'ai  tant 
niarche  ei  je  me  suis  tellement  liiUé  que  j'ai  devancé 
le  roi  et  que  je  vois  la  reine  sa  femme  .  c'est  bien  à 
point.  —  Ma  thère  liante,  je  viens  vous  bien  préve- 
nir d'une  chose  qui  vous  importe  fort,  il  n'y  a  pas 
de  iloiite. 

la  fille.  Lève-loi,  mon  ami,  écoule;  est-ce  un 
secret  ! 

le  troisième  bourgeois.  Oui,  ne  m'en  sachez  pas 
mauvais  gie;  car  c'est  pour  voire  bien  que  je  le  dis. 
Le  roi  vient  ici  tellement  eourroucé  que,  s'il  vous 
prend  à  ion  ou  à  raison,  certes,  il  vous  fera  mourir 
loui  de  suite. 

Lv  Fille.  Hélas  !  pourquoi  ?  en  quoi  ai-je  méfait? 
Ami,  le  sais-iu  ? 

le  troisième  bourgeois.  L'autre  jour,  sans  plus 
de  détails,  il  paria  son  royaume  contre  le  comte  lia- 
venger,  qui  se  vaniait  à  la  cour,  qu'il  n'y  avait  pas  de 
fé  ni  nié  dont  il  ne  jouit,  s  il  avait  le  loisir  de  lui  par- 
ler, disait  il.  Or  monseigneur,  Dune,  vous  tint  pour 
une  si  bonne  ei  si  honnête  femme  qu'il  paria  son 
royaume  qu  il  ne  pourrait  en  eue  ainsi  de  vous. 
RéVenger  engagea  sa  (erré,  de  sou  coté.  Peut-être, 
depuis,  est-n  venu  par  ici  ?  M.us  il  est  rentré  dans 
Home,  et  s'est  vanté  en  la  présence  de  tous  de  vous 
avoir  véritablement  possédée,  ma  Daine.  Hélas!  ce 
de. non  en  a  apporté  de.;  preuves  qui  ont  paru  dignes 
de  foi  :  ce  dont  je  m'émerveille. 

la  fille.  Ah  !  très-doux  Liieu  !  si  je  m'afflige  et 
ressens  nue  grande  douleur  en  mou  cœur,  en  puis- 
jemais?  Peu  s'en  faut  que  je  ne  perde  la  raison 
quand  je  pense  qu'il  court  sur  mou  compte  un  bruit 
si  diffamatoire  et  cela  bien  à  tort. 

le  troisième  bourciois.  Chère  Dame,  prenez 
courage,  et  avisez  aux.  moyens  de  préserver  votre 
vie  :  je  le  conseille. 

la  fille.  Il  me  faut  croire  votre  conseil.  Je  m'en 
vais  un  peu  à  l'église.  Vous  avez  bien  besoin  de  re- 
pos :  allez  le  prendre. 

LE  troisième  BOURGEOIS.  Dame,  volontiers,  sans 
attendre  ;  car  aussi  bien  ai-je  beaucoup  marché  :  il 
y  a  six  jours  que  je  ne  me  suis  déshabillé  pour  ve- 
nir ici. 

la  fille.  Mon  ami,  je  pense  vous  en  récompenser 
avant  peu.  Allez-vous-eu  au  logis  avec  Eglautine. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


558 


—  Je  vous  le  dis  sans  plaisanter,  donnez-lui  une  de 
nies  robes  toute  entière. 

la  demoiselle.  Ma  dame,  je  ferai  de  bon  cœ-i  r 
votre  commandement. —  Puisque  cela  lui  >)lait, 
sire,  allons-nous-en  tout  de  sui.e. 

le  troisième  bourgeois.  Dune,,  allons-nous-en; 
je  ne  veux  vous  dédire  en  rien. 

SCENE  XXXVI. 
La  fili  e  du  roi  Alphonse. 

la  fille.  Ah  !  Mère  de  Dieu,  qui  êies  le  trésor  de 
ions  biens  ei  de  toutes  grâces,  qui  consolez  les  affli- 
gés et  conseillez  ceux  qui  se  trouvent  dans  l'embar- 
ras, veuiiU-z  me  regarder  avec  des  yeux  de  pitié  et 
réconforter  ma  malheureuse  aine.  Vous,  Dame,  vous 
savez  combien  à  tort  je  suis  accusée  d'un  méfait  que 
jamais  je  n'eus  dans  l'idée  ni  ne  commis.  Ah  !  Vierge 
lies-haute,  j'aurais  mieux  aimé  tomber  en  un  abîme  si 
profond  qu'on  n'enlcnJîl  plus  parler  de  moi.  Vierge 
glorieuse  et  pure,  qui  pûtes  comprendre  eu  vous  ce 
que  les  cieux  ne  peuve.it  embrasser,  lorsque  ia  Sa- 
gesse éternelle  vous  élut  pour  cire  la  mère  de  votre 
père;  très-excellente  et  souveraine  Dame,  qui  n'eûtes 
jamais  ni  n'aurez,  avant  ou  après  vous,  de  pareille! 
0  vous  qui  éles  el  fuies  appelée  à  juste  litre  Mère  et 
Fleur  de  virginité,  ce  qui  est  une  gloire  pour  lout  le 
paradis  !  ah,  Dame  !  par  signe  ou  par  paroles,  ou 
par  une  a-  Ire  inspiration,  envc.yi  z-moi  des  consola- 
lions;  car,  je  ne  bouge  d'ici,  avant  d'avoir  reçu  de 
vous  quelque  réconfort. 

SCÈNE  XXXVII. 

DIEU,   NOTRE  DAME,  SAINT  JEAN,  ANGES. 

dieu.  Mère,  je  vois  là-bas  la  reine  d'Espagne  au 
désespoir  d'être  sans  raison  dans  un  affreux  danger. 
Elle  ne  cesse  de  vous  prier.  Mettez-vous  en  roule 
pour  aller  à  elle  proiuplenienl. 

notre-dame.  Mou  Fils ,  j'o.  éis  à  voire  commande- 
ment :c'e.H  le  moins. — Allons  salis  ndiLs  arrêter,  auges, 
où  je  suis  tant  priée.  Accompagnez-moi  tous  les 
deux  en  chant., ni  a\cc  allégresse. 

Gabriel.  L'est  bien  juste,  douce  el  chère  Dame; 
nous  ferons  ce  qui  vous  pian,  avec  zèle  et  atten- 
tion. 

Michel.  Oui,  en  vérité,  et  Jean  sera  le  troisième. 
Ai-je  bien  dit? 

sa, nt  jean.  Vous  ne  serez  pas  contredit  par  moi. 
Allons,  en  avant  !  chaulons  eu  musique  ce  premier 
tour. 

Rondeau. 

Où  la  loyaulé  prend  elle  son  séjour,  où  est  la 
charité  sans  mesure,  sinon  en  vous,  douce  el  pure 
Vierge  ?  Où  la  virginité  a-l-elle  conquis  un  rang 
supéiiour  à  la  nature?  où  la  loyauté  prend-elle  son 
séjour?  où  est  la  charité  sans  mesure,  où  uojt  élre 
aussi  la  ressource  et  le  refuge  de  la  créature  pour 
qu'elle  jouisse  delà  globe  éternelle  ?  Où  la  lo)auté 
prend-elle  son  séjour,  où  est  la  chaîné  sans  inesuie, 
sinon  eu  vous,  douce  el  pure  Vieige? 

notre-dame.  Mon  aime,  en  raison  du  soin  pieux 
et  constant  que  lu  as  eu  de  nie  prier,  je  viens  à  loi 
sans  retard.  Sois  sans  crainte.  Revêts  secrètement 
un  costume  d'eeoyer,  el  va  à  Grenade  chez  ion 
oncle  :  c  est  là  qu'est  ton  père.  Aie  le  cœur  prél  a 
les  bien  servir,  sans  te  faire  (oimailre  à  personne; 
et  sache  quesans  tache  à  ton  houncui ,  après  bien  des 
peines,  lu  seras  vengée  eulin  tie  celui  qui  a  ira.Uvii- 
senienl  mis  sur  Ion  compte  sa  propre  déloyauté  pour 
laquelle  Olbon  te  poursuit.  Pense  a  le  mettre 
proniplemenl  en  roule,  cl  que  ce  soit  secrètement. 
Je  ne  le  dis  plus  rien.  —  Allons-nous-en,  mes  amis 
dans  la  gloire  célesie;  je  ne  veux  à  présent  plus 
être  ni  demeurer  ici. 

saint  jean.  Reine,  digne  d'être  honorée,  nous  fe- 
rons votre  eoinnianiieinenl;  et  néainoins  nous  chan- 
terons d'accord  tous  trois  ensemble. 


559 


OTH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


560 


michel.  11  convient,  ce  me  semble,  que  nous 
el.aniions  avec  allégresse  en  la  compagnie  de  celle 
qui  est  notre  gloire. 

Gabriel.  Vous  avez  dit  une  parole  véridique  :  al- 
lons !  chantons  d'accord  par  amour. 
Rondeau. 

Où  doit  être  aussi  la  ressource  et  le  refuge  de  la 
créature  pour  qu'elle  jouisse  de  la  gloire  éternelle? 
Où  la  loyauté  prend-elle  son  séjour,  où  est  la  cha- 
rité sans  mesure,  sinon  en  vous,  douce  et  pure 
Vierge  ? 

SCÈNE  XXXVIII. 

LA  FILLE  DU  ROI,  à  iégllSC. 

la  fille.  Ah  !  Mère  de  Dieu,  puisqu'il  vous  a  plu 
de  prendre  soin  de  moi,  comme  je  le  pense,  et  que 
vous  m'avez  ordonné  de  me  rendre  a  Grenade  auprès 
de  mon  oncle,  Vierge  aimante  et  courtoise,  d'après 
voire  avis  je  vais,  sans  plus  de  retard,  m'affubler 
d'un  habit  qui  me  déguise  assez  pour  que  nul  ne 
me  trouve. 

SCÈNE  XXXIX. 

la  même,  en  son  logis. 

la  fille.  Eh,  Dieu  !  je  suis  bien  tombée!  il  n'y 
a  ici  nul  de  mes  gens  :  tous  dorment  à  qui  mieux 
mieux.  Il  faut  que  je  pense  à  m'apprèler,  et  puis  je 
m'en  irai  toute  seule.  C'est  fait  ;  je  prendrai  ce  che- 
min et  je  penserai  à  bien  marcher.  —  Mère  de  Dieu, 
soyez  mon  réconfort  dans  ce  voyage. 

SCÈNE  XL. 

EGLANTINE,  bourgeois. 

la  demoiselle.  Eh  bien  !  par  le  corps  de  saint 
Dominique,  que  fait  donc  ma  dame  pour  tant  rester 
à  l'église  !  elle  y  est  aussi  long-temps  que  si  elle 
avait  à  réciter  un  Psautier.  Eu  vérité,  je  vais  la 
cheicher.  Oh  !  oh  !  elle  n'est  pas  devant  l'autel,  elle 
n'est  pas  non  plus  au  logis  :  où  est-elle  allée  ? 

Lt  deuxième  bourgeois.  De  quoi  parlez-vous 
seule,  Eglauline,  ma  chère  amie  ?  Je  vous  vois  tout 
ébahie.  De  quoi  ? 

la  demoiselle.  Sire,  je  m'étonne  de  ne  voir  ma 
dame  ni  de  ce  eôié  ni  de  cet  autre.  Depuis  tantôt 
quYUe  alla  à  l'église,  elle  n'est  pas  revenue  en  son 
logis  :  c'est  pourquoi  je  la  cherche  tant  que  je  puis, 
en  bas  et  en  haut. 

le  deuxième  bourgeois.  Eh  bien  !  allons  savoir 
auprès  d'Ernaul,  que  je  vois  là,  s'il  ne  l'a  point  vue. 
Je  ne  crois  pas  que  qui  que  ce  soit  lui  ait  tendu  de 
piège. 

la  demoiselle.  Ernaut,  qu'un  bon  jour  vous  soit 
donné  !  Dites-nous  la  vérité,  Dieu  vous  garde  !  Avez- 
vous  vu  ma  dame  aller  quelque  part  ? 

le  premier  bourgeois.  Neuiii,  Eglantine,  sur  mon 
âme  !  qu'y  a-l-il  ?  qu'est-ce  ? 

la  demoiselle.  Par  ma  foi  !  je  la  cherche  partout 
et  je  ne  puis  eu  savoir  de  nouvelles  :  c'est  ce  qui  me 
navre  terriblement  le  cœur. 

le  deuxième  bourgeois.  Haro!  Dieu!  taisez-vous! 
Que  dites  vous  ?  ma  dame  est  perdue  ?  S'il  en  est 
ainsi,  mainte  âme  en  sera  désolée. 

SCÈNE  XL1. 

LES  MÊMES,  OTHON. 

othon.  Quelle  conversation  tenez-vous  ici  ?  Sei- 
gneurs, je  vous  vois  le  cœur  triste  et  la  mine  abat- 
tue. 

le  deuxième  bourgeois.  Mon  cher  seigneur,  c'est 
à  cause  de  notre  très-chère  reine  et  maîtresse,  votre 
femme.  Nous  ne  savons  si  elle  s'est  honteusement 
comportée;  mais  elle  est  perdue,  nous  vous  le  disons. 
Voilà  pourquoi  nous  faisons  une  telle  mine  ;  car  nous 
sommes  .tristes  et  affligés,  hommes  et  femmes,  sans 
en  dire  davantage. 


othon.  Ne  vous  en  inquiétez  pas,  laissez-la  aller; 
elle  m'a  fait  per;lre  ma  terre  :  ce  qui  me  serre  le 
cœur  au  ventre.  Je  la  croyais  honnête  femme;  mais 
elle  m'a  deshonoré,  car  Bérenger  en  a  joui  et  s'en 
est  vanlé  devint  mou  oncle  en  pleine  cour.  Comment 
ne  pas  l'en  croire  sans  difficulté,  aux  preuves  qu'il 
m'a  données  ?  Certes,  si  je  la  tenais,  elle  mourrait 
honteusement;  mais  je  la  chercherai  tant  qu'enfin 
je  la  trouverai.  Je  m'en  vais,  vous  ne  me  verrez  plus; 
vous  avez  Bérenger  pour  roi.  Adieu  tous  ! 

SCÈNE  XLII. 
la  fille  du  roi  Alphonse,  déguisée  en  écuyer, 

SON  PÈRE,  SON  ONCLE  LE  ROI  DE  GRENADE. 

la  fille.  A!i  Dieu  !  j'ai  tous  les  membres  rompus 
du  voyage  que  j'ai  entrepris.  Je  n'avais  guère  appris  ? 
tant  marcher.  Mais  enfin  arrivée  à  Grenade,  peu  im 
porte  ma  peine.  Je  vois  là  bas  mon  oncle  et  mo». 
père  :  il  faut  maintenant  que  je  paraisse  devant  eux; 
mais,  heau  sire  Dieu,  je  vous  prie  dévolenieni  et  en 
pleurant  que,  quand  je  serai  venue  la,  je  ne  sois  pas 
reconnue  d'eux.  —  Messeigneurs,  que  Dieu  vous 
don;;e  honneur  à  tous  !  Je  viens  ici  savoir  si  vous 
seriez  assez  bons  pour  me  doner  un  emploi,  quel 
qu'il  fût. 

le  roi  de  grenade.  Ami,  il  faudrait  qu'on  sût  à 
quel  service  tu  es  propre  pour  mériter  nos  bonnes 
grâces   Qu'as-lu  à  dire? 

la  fille.  S  re,  je  sais  porter  lance  et  écu  et  che- 
vaucher comme  il  faut,  quand  il  enesi  besoin,  dans 
les  combats.  Je  sais  aussi,  mon  cher  seigneur,  tran- 
cher devant  un  homme  riche.  J'ai  été  plusieurs  fois 
proclamé  maître  en  fait  d'écliaiisonnene.  En  soumis, 
je  connais  le  service  que  l'on  doit  faire  auprès  d'un 
homme  riche,  prince  ou  roi. 

le  roi  de  grenade.  Tu  demeureras  donc  avec 
moi  :  lu  nous  serviras,  moi  et  mon  frère;  et  selon 
ce  que  tu  feras  je  t'avancerai. 

la  fille.  Sire,  s'il  pi  ait  à  Dieu,  je  ferai  de  mon 
mieux  suivant  votre  gré,  et  le  vôtre,  cher  sire,  et 
celui  de  tous  vos  autres  gens. 

Alphonse.  Si  lu  mets  de  la  diligence  à  ton  oflice, 
tu  pourras  parvenir  à  de  grands  honneurs.  Fais-loi 
aimer  du  grand  et  du  petit. 

le  roi  de  grenade.  Frère,  j'ai  grand'faiin  :  en- 
voyons vile  cheicher  à  manger  par  cet  écuyer-ci. 
Aussi  bien,  je  vous  le  dis,  désiré  je  beaucoup  voir 
comment  il  fait  son  service. 

Alphonse.  Oui,  nous  allons  voir.  — Ami,  viens  ici. 
Comment  t'appelles-tu  ? 

la  fille.  Sire,  on  m'appelle  Denis,  et  non  autre- 
ment. 

Alphonse.  Denis,  dressez  tout  de  suite  une  table 
ici,  et  allez-nous  cheicher  à  manger  à  la  cuisine. 

la  fille.  Sire,  je  ferai  très-volontiers  ce  que  vous 
me  commandez.  C'est  l'ail.  Je  m'en  vais  vite  vous 
chercher  à  manger.  —  Allons,  Monseigneur!  venez 
vous  asseoir,  si  tel  est  voire  bon  plaisir,  en  vérité  : 
sire,  voici  la  table  et  les  mèls  apprêtés  pour  vous. 

le  roi  de  grenade.  Je  vais  dmic  m'asseoir,  mon 
doux  ami.  —  Allons,  cher  frère  !  asseyez-vous  ici. 
—  En  avant  !  taillez,  mon  ami,  et  servez- nous. 

SCÈNE  XLIUi 

OTHON. 

othon.  Ah  !  je  suis  tellement  hors  de  moi  qu'il 
s'en  faut  de  peu  que  je  ne  devienne  fou.  J'ai  fouillé 
partout  ce  pay;,  en  haut  et  en  bas,  devant  et  der- 
rière, et  je  ne  puis  trouver  nulle  pari  celte  coquine 
que  je  cherche.  Je  crois  que  Dieu  est  son  complice  : 
il  l'est  en  vérité,  je  le  vois  très-bien.  —Ah!  mau- 
vais Dieu,  qne  ne  le  liens-je  !  Vraiment ,  si  je  te  te- 
nais ,  je  le  rouerais  de  coups  !  Eh  !  regardez,  voyez! 
je  le  renie,  loi,  ma  croyance  en  la  divinité  et  lout^ 
la  puissance,  et  je  m'en  vais  droit  outre-mer  y  do- 


501  OTH 

meurer  comme  Sarrasin  et  y  suivre  la  loi  de  Maho- 
met. Oui,  celui  qui  met  sa  confiance  en  toi  fait  une 
folie. 

SCÈNE  XLIV. 

LE  ROI  DE  GRENADE,  LE  ROI  ALPHONSE, 

salomon,  messager. 

salomon.  Que  Dieu  donne  joie,  plaisir  et  honneur 
à  cette  noble  compagnie!  Pour  Dieu,  si  je  ne  vous 
honore  pas  convenablement,  pardonnez-moi. 

le  roi  de  grenade.  Salomon,  sois  le  bienvenu, 
par  nia  foi!  Apportes-tu  des  nouvelles?  je  t'en  prie, 
ne  diffère  pas  de  parler. 

Alphonse*.  Salomon,  avant  de  blâmer  ou  d'outra- 
ger <|iii  que  ce  soil,  dis-nous  (Dieu  l'aide  !)  comment 
est  l'Esp.igue?  Ne  nous  mens- pas. 

salomon.  Je  m'en  garderai  bien,  sire,  n'en  doutez 
pas.  L'empereur  l'a  conquise,  et  a  donné  Denise, 
voire  fille  à  sou  neveu  Olbon.  Elle  a  élé  couronnée 
reine  d'Espagne,  et  Oihon  a  été  roi  de  ce  pays.  Mais 
depuis  il  y  a  eu  de  si  grandes  dissensions  intestines 
qti'Olhon  a  mis  à  mort  votre  fille.  Je  ne  sais  s'il 
avait  tort;  depuis  Ton  ignore  ce  qu'il  est  devenu. 
Le  roi  d'Espagne  actuel  est  Bérenger,  qui,  dit-on, 
a  gagné  le  royaume  par  une  gageure. 

Alphonse.  Ab  !  consternation!  Toute  ma  joie  est 
passée,  puisque  ma  fille  est  morte.  J'use  bien  le  dire. 

le  roi  de  grenade.  Salomon,  va  le  reposer,  je 
vois  bien  que  lu  es  l'aligné.  —  Frère,  un  peu  de 
trêve  à  votre  douleur.  Puisqu'il  en  est  ainsi,  certes, 
a\anl  peu  nous  aurons  tant  de  gens  d'armes  que  nous 
irons  assaillir  l'empereur,  et  il  sera  enchanté  de  pou- 
voir faire  la  paix  avec  nous.  —  Denis,  allez-nous 
cheicher  du  vin.  —  Mon  fr<  re,  une  question;  nous 
ne  sommes  ici  que  nous  deux  ensemble  :  que  vous 
semble  et  que  pensez-vous  de  cel  écuyer? 

Alphonse.  Frère,  voici  mon  avis.  Il  me  semble 
gracieux  dans  ses  actions;  il  esl  gentil  de  corps  et 
bien  fait;  et  je  crois  qu'en  une  bataille  il  se  condui- 
rait bien  en  tout  point,  el  saurait  défendre  lui  et 
son  maître  contre  tout  homme. 

le  roi  de  grenade.  Par  ma  foi  !  j'ai  l'intention,  si 
cela  lui  plaît,  de  remmener  à  Rome  avec  nous  et 
d'en  faire  mon  gonfalonier;  c.ir  il  m'es',  agréable 
et  me  plaît,  en  un  mot,  plus  que  tous  mes  gens  qui 
sonl  céans. 

alpuonse.  A  dire  vrai,  nul  de  ceux  qui  y  sont  ne 
fait  aussi  bien  le  service  que  lui,  ni  de  la  même  ma- 
nière. Il  eM  éveilié  el  ouvert;  quelque  chose  qu'il 
fasse,  il  semble  qu'il  n'y  loucbe  pas  le  moins  du 
monde.  A  mon  avis,  c'est  Dieu  qui  vous  l'a  donné, 
il  n'y  a  pas  à  en  douter. 

SCÈNE   XLV. 

LES  MÊMES,  DENIS  l'ÉCUYER  OU  LA   FILLE 
DU  ROI. 

le  roi  de  grenade.  Denis,  allez  vider  ce  vin  dans 
un  autre  vase,  el  donnez-moi  de  cet  autre  que  vous 
tenez. 

la  fille.  Je  serais  peu  sage  et  devrais  être  honni 
si  je  vous  le  refusais.  Tenez,  cher  sire. 

SCÈNE    XLV1. 

LES  MÊMES,  LE  HÉRAUT  MUSEHAULT. 

musehault.  Mon  cher  seigneur,  je  viens  vous  dire 
que  les  quatre  rois  que  vous  avez  mandés  sont  tout 
prêts  à  venir  de  grand  cœur  eux-mêmes  avec  leur 
armée.  Seulement  mandez-leur  quel  chemin  iis  tien- 
dront el  de  quel  côié  ils  doivent  aller  :  c'est  tout  ce 
qu  ils  attendent. 

le  roi  de  grenade.  Retourne  vers  eux,et  dis-leur 
qu'ils  se  dirigent  el  chevauchent  sur  la  campagne  de 
Borne,  chacun  avec  ses  barons,  car  sur-le  champ  je 
me  meis  en  marche  au-devant  d'eux  avec  toutes 
mes  forces. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


5C2 


musehault.  Quant  à  moi,  je  vais  faire  mon  de- 
voir en  me  menant  en  roule. 

SCÈNE  XLVII 

L'EMPEREUR,   SON    MESSAGER. 

le  messager  de  l'empereur.  Cher  sire,  je  viens 
vous  donner  une  nouvelle  dont  vous  ne  vous  doutez 
guère.  Je  vous  apprends  qu'avant  peu  six  rois  vien- 
dront vous  attaquer  dans  le  dessein  arrêté  de  vous 
détruire. 

l'empereur.  Qui  sont-ils?  Veuille  m'en  instruire 
et  me  les  nommer. 

le  messager.  Sire,  je  vous  raconterai  tout  de 
suite  ce  que  j'ai  su  du  messager  qui  est  allé  les 
chercher  ions  les  quatre.  Le  roi  de  Tarse  et  d'Al- 
maria,  celui  de  Maroc  el  de  Turquie,  ces  quatre  sont 
prêts  à  venir.  Le  roi  de  Grenade  esl  avec  eux,  et 
c'est  celui,  je  vous  le  dis,  pat  qui  cet  appel  esl  fait, 
car  il  a  dans  le  cœur  un  grand  ressentiment  de  ce 
que  vous  avez  dépouillé  du  royaume  d'Espagne  son 
frère  Alphonse,  el  de  ce  que  vous  avez  mis  le  pays 
dans  une  autre  main  :  je  vous  conseille  donc  de 
vous  pourvoir  de  gens  d'armes,  si  vous  voyez  que  je 
dise  bien. 

l'empereur.  Ami,  liens,  voici  cent  francs  pour  les 
nouvelles.  Mais  prends  soin  d'aller  dire  aux  barons 
de  ma  terre  qu'ils  viennent  bien  vile.  Que  ni  roi  ni 
comte  n'épargnent  rien  pour  s'armer  et  se  monter, 
et  qu'ils  accourent  à  moi  sans  larder  d'un  seul  jour. 

le  messager.  Il  ne  vous  faut  point  en  être  inquiet, 
très  cher  sire,  j'irai  partout  el  je  ferai  bien  votre 
message,  eu  vérité. 

SCÈNE  XLVI1I. 

LE  ROI     DE    GRENADE,     ALPHONSE,  EX-ROI  D'ES- 
PAGNE,     CHEVALIERS,    LA    FILLE     DU  ROI  SOUS 

le  costume  de  /'écuyer  dénis. 

le  roi  de  grenade.  Il  esl  lemps,  mon  frère,  de 
part-r  el  de  mettre  en  marche  notre  armée  qui  est 
rassemblée,  jusqu'à  ce  que  nous  soyons  dans  la 
campagne  de  Rome. — Allons,  tous! 

ali-honse.  Certes,  j'ai  au  cœur  un  grand  courroux, 
mon  frère,  de  me  voir  tellement  bas  que  je  ne  puis.-* 
pas  mener  avec  moi  autant  de  gens  qu'il  convien- 
drait, si  toute  l'Espagne  se  tenait  sons  ma  main. 
Pourtant,  je  ne  priserais  certainement  pas  la  valeur 
d'une  maille  toute  ma  perte,  n'était  ma  fille  la  belle. 
Ah!  ceci  réveille  en  moi  une  grande  douleur! 

le  premier  chevalier  d'alphonse.  Soyez  moins 
affligé,  sire,  puisqu'il  ne  peut  plus  en  être  autre- 
ment. Un  peu  plus  de  joie  :  c'est  ce  que  vous  avez 
de  mieux  à  faire. 

le  deuxième  chevalier.  Dieu  m'aide!  vous  dites 
vrai.  Il  faut  oublier  ce  malheur  et  prendre  le  temps 
tel  qu'il  vient. 

le  roi  de  grenade.  Denis,  je  veux  vous  découvrir 
mon  secret  et  mon  plan,  afin  que  votre  considéra- 
lion  s'accroisse.  Vous  avez  élé  un  bon  écuyer  pour 
moi,  aussi  vous  fais-je  mon  gonfalonier  :  vous  por- 
terez ma  b  nniér-  ;  nous  verrons  comment  vous  vous 
conduirez  dans  la  bataille. 

la  fille.  Grand  merci.  Monseigneur-!  certaine- 
ment, s'il  faut  livrer  bataille,  je  pense  que  votre 
bannière  p  issera  devant  tous. 

le  roi  de  grenade.  Je  vous  verrai  volontiers  vous 
comporter  ainsi. 

le  premier  chevalier.  Sire,  il  serait  bon  d'en- 
voyer devant  savoir  quelles  gens  l'empereur  peut 
avoir  avec  lui. 

le  roi  de  grenade.  Lotart,  personne  n'est  mieux 
taillé  que  toi  pour  cela.  Va  donc  pour  l'amour  de 
moi,  enquiers-loi  avec  soin,  el  reviens  !e  plus  vite 
que  faire  se  pourra. 

lotart.  Mon  cher  seigneur,  vous  serez  obéi  :  j  v 
cours. 


/ 


553 


OTh 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


SU 


SCÈNE  XUX. 


L  EMPEREUR,  BERENGER. 

bérenger.  Très-cher  sire,  je  viens  à  votre  aide  et 
et  secours,  selon  vos  ordres.  J'amène  quinze  cents 
bons  chevaliers,  trois  nulle  très-bons  archers  et 
mille  serments. 

l'empereur.  Bérenger,  je  vous  en  r  compenserai, 
vous  et  eux.  Asseyez-vous  ici;  nous  attendrons  tons 
deux  ceux  qui  vieilliront.  C'est  pour  le  coup  que  je 
verrai  quels  sont  ceux  qui  m'aiment. 

SCÈNE  L. 

OTHON. 

othon.  Hélas!  malheureux!  que  fais-je  ici  ?  je  perds 
mon  temps  et  mon  corps,  voire  même  je  perds  mon 
âme,  et  la  gloire  des  deux  que  je  devrais  acquérir. 
Hélas  1  si  mon  cœur  se  serre  de  douleur,  je  n'en  ai 
que  trop  de  misons.  Je  suis  bien  sol  de  ni'êlre  mis 
en  tel  servage  et  d'adorer  Mahom  I,  qui  n'jtJSt qu'une 
véritable  fanfreluche.  Ah!  tlo'ix  Jésus,  qui  êtes  sans 
prix!  d'où  m'est  venue  celte  grande  folie  ?  Moi,  fait 
à  votre  image  et  à  qui  vous  avez  donné  le  nom  de 
chrétien,  je  n'ai  pas  su  le  reconnaître!  Au  contraire 
j'ai  commis  un  (rime  affreux.  J'ai  renié,  vous  et 
votre  mère,  dans  l«  désespoir  et  la  colère?  Ah!  S:re, 
qui,  comme  le  dit  l'Ecriture  sainte,  clés  doux  et 
miséricordieux  envers  toute  créature  qui  se  repent 
de  son  péché,  je  vous  demande  pardon  de  ce  que 
j'ai  fait.  Pardon!  hélas!  comment  osé  je  le  dire? 
Certes,  je  demande  une  ebose  que  vous  avez  heau 
jeu  à  ne  pas  m'acconler  et  raison  de  me  refuser, 
Sire  :  c'est  pourquoi  je  m'asseoirai  ici  à  terre,  et  je 
pleurerai  ici  mon  péché  amè  renient. 

SCÈNE  LI. 

DIEU,   NOTRE-DAME,  ANGES. 

dieu.  Mère,  et  vous,  Jean,  allons  là-bas,  vers  ce 
pécheur  d'Olhon,  le  tirer  de  sa  douleur.  Il  gémit  et 
pleure  d'un  cœur  contrit,  tellement  que  je  re  veux 
plus  qu'il  demeure  en  une  pareille  lame  talion.  Sa 
dévote  contrition,  qui  mouille  sa  face  de  larmes,  me 
contraint  à  lui  faire  grâce.  —  Or  sus!  trestons  ! 

notre-dame.  Mon  Dieu,  mon  p  re  et  mon  doux  fils, 
nous  lerons  votre  volonté. —  Allons,  anges!  soyez 
prêts  à  descendre  bientôt. 

Gabriel.  Daine,  qui  pûtes  comprendre  ce  que  ne 
peuvent  embrasser  les  cieux,  chacun  de  nous  est  at- 
tentionné à  (aire  votre  volonté. 

micuel.  En  cela  nous  ne  pouvons  errer  :  mainte- 
nant, Jean,  allons-nous-en  t  mis  lès  trois  en  chaulant, 
aussi  bien  qu'en  nous  livrant  à  nos  jeux  :  c'est  mon 
avis. 

saint  jean.  Cela  me  plaît  aussi  et  je  le  veux.  Al- 
lons! commencez,  mes  doux  amis. 

Rondeau. 

Reine  des  cieux,  quiconque  s'applique  à  vous  ser- 
vir fait  une  bonne  œuvre,  car  il  acquiert  des  vertus, 
et  obtient  la  rémission  de  tous  ses  vices,  Reine  des 
c:.eux,  celui  qui  s'applique  à  vous  servir;  et  à  la  lin 
il  trouve  Dieu  si  doux  qu'il  est  repu  de  gloire  en  toute 
perfection.  Reine  des  cieux,  celui  qui  s'applique  à 
vous  servir  fait  une  très-bonne  œuvre. 

dieu.  Othon,  à  cause  de  la  vraie  contrition  que  je 
vois  en  loi,  lu  es  rentré  en  grâce.  Tais-loi.  Va  tout 
droit  à  Rome  ;  là,  confesse  ton  péché,  et  comment 
lu  es  venu  à  repenlance.  Tu  y  es  tenu,  sinon  rien  ne 
vaut,  et  comme  lu  as  commis  une  grande  faille,  en 
haïssant  à  tort  la  femme  et  en  la  poursuivant  jus- 
qu'à la  mort,  désormais  lu  la  chercheras,  et  lu  lui 
demanderas  pardon.  Ne  demeure  plus  en  celle  terre, 
va  t'en  vile  à  Rome,  et  fais  ce  que  je  l'ai  prescrit. — 
Je  l'ai  assez  bien  conseillé.  Debout!  allons-nous-en. 

notre  dame.  En  avant!  anges,  et  vous,  Jean,  pre- 
nez le  chemin  par  lequel  vous  vîntes,  cl  en  allant, 
achevez  le  chant  que  \ous  avez  commencé. 


Gabriel.  Vierge  excellente  et  sans  prix,  puisque 
cela  vous  plaît,  nous  le  ferons. 

Fin  du  rondeau  précédent: 

Et  à  la  fin  il  trouve  Dieu  si  doux  qu'il  est  repu  de 
gloire  en  toute  perfection.  Reine  des  cieux,  celui 
qui  s'applique  à  vous  servir,  fait  une  Irés-bonne 
œuvre. 


SCÈNE  LU. 
othon,  seul. 

othon.  Père  de  consolation  ,  compatissant, 
et  miséricordieux,   ah!  Sire,  quand  je  me  ra 


doux 
qtelle 


((liant  je 
que  vous  êtes  descendu  des  cieux  et  que  vous  vous 
êtes  montré  à  moi,  et  votre  dôme  Mère  aussi,  et 
qu'ici  je  vous  ai  vu,  ma  bouche,  mes  mains  et  mon 
cœur  sont  tendus  pour  vous  louer  et  vous  rendre 
grâces.  Je  ne  demeure  plus,  je  m'en  vais  à  Rome  à 
l'instant  même. 

SCÈNE  LUI. 

LOTART,  héraut,  LE  ROI  DE  GRENADE,  ALPHONSE, 

l'écuyer  denis  (la  fille  du  roi). 

lotart.  Selon  ma  promesse,  Messeigneurs,  je  re- 
viens auprès  de  vous  pour  vous  raconl  r  de  point  en 
point  mon  voyage  à  Borne.  Il  y  a  maints  bons  hom- 
mes d'armes;  l'empereur  y  est,  et.  un  grand  nombre 
de  nobles  forment  son  cortège.  Je  l'ai  vu  assis  sur 
son  trône,  et  près  de  lui  se  trouvaient  le  marquis 
d'Ancône,  le  prince  de  Tarente,  le  comle  de  Sainle- 
Renie,  Bérenger  le  roi  d'Espagne,  et  le  comte  de 
Momlanger.  Bref,  il  y  avait,  à  mon  compte,  de  vingt 
à  trente  grands  barons,  avec  une  grande  multitude 
de  gens,  qui  n'attendent  que  votre  venue  pour  com- 
battre. 

la  fille.  Mes-eigneurs,  avant  d'engager  davantage 
celte  guerre,  je  vous  prie  de  me  laisser  aller  parler 
à  l'empereur.  J'estime  certain  que  je  vous  mettrai 
d'accord,  si  j'y  vais;  et  je  puis  vous  dire  que  vous 
pont  riez  encore  voir  (  n'en  doutez  pas),  sire,  votre 
fille  que  vous  regrettez  si  souvent,  à  ce  pie  je  sais. 

Alphonse.  Ah  Dieu!  verrai-jece  moment?  pour  elle 
codent  me-  pleurs  et  je  soupire  souvent,  il  n'est 
rien  dont  j'aie  un  aussi  vif  désir  et  doul  je  sois  si 
impatient. 

le  roi  de  grenade.  Frère,  laissez  en  paix  de  tels 
regrets,  je  vous  en  prie. 

la  fille.  S'il  vous  plaît,  donnez-moi  la  permission 
que  je  vous  demande. 

Alphonse.  Mon  frère,  par  votre  ordre,  qu'il  aille 
où  il  dit. 

le  roi  de  grenade  Qu'il  aille  !  je  n'y  mets  nul 
contredit.  —  Denis,  allez. 

la  fille.  Messeigneurs.  avec  votre  consentement, 
je  ne  puis  pas  aller  seul  :  il  me  faut  une  suite.  Vous 
le  savez. 

Alphonse.  Mon  cher  ami,  vous  avez  dit  vrai.  Ces 
deux  hommes  ci  iront  avec  vous;  ils  vous  tiendront 
compagnie,  si  <  ela  vous  Suffit. 

la  fille.  Oui,  sire,  par  le  Dieu  qui  me  fil  !  —  Al- 
lons-nous-en, avanlqu'il  s'écoule  beaucoup  de  temps, 
nous  ferons  bien  la  besogne,  s'il  plaît  à  Dieu. 

SCÈNE  L1V. 
othon,  seul. 

otiion.  Eh!  Mère  de  Dieu!  comme  je  regrette  d'a- 
voir si  mal  employé  mon  temps  !  Le  diable  m'avait 
bienlàlé;  mais.  Dieu  merci,  je  ne  suis  pas  mort. 
Mou  repentir  et  mes  remords,  et  mes  désirs  de  répa- 
ration, ainsi  que  la  peine  que  je  prendrai,  me  sauvè- 
rent, s'il  plaît  à  Dieu.  Je  vois  Rome,  où  je  ne  suis 
pas  entré  il  y  a  longtemps  :  maintenant,  soyons  di 
îigeiil  d'y  aller  avec  ces  gens  (pie  je  vois  venir. 


g$g  OTH  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

SCÈNE  LV. 
othon,  la  fuie  du  roi  sous  le  costume  de 


OTH 


503 


Denis,  CHEVALIERS. 

la  fili.e.  Dieu  vous  gaivle!  Ami,  diles-moi,  d'où 
venez-vous? 

othon.  Je  viens  d'oulre-mer,  doux  sire,  et  je  vais 
à  Reine. 

la  fii.le.  B  aux  seigneurs,  prenez-moi  cet  homme 
c.  mime  ez-le  avec  nous.  Vous  ne  savez  pas  qui 
vous  tenez,  je  le  connais  plus  qu'il  ne  pense;  pre- 
nez garde  qu'il  ne  s'échappe  el  ne  s'enfuie  d'entre 
vos  mains. 

le  premier  chevalier  d'alphonse.  Marie!  il  n'aura 
rien  de  moins.  Ça!  rendez-vous,  beau  mailrc,  si 
V.  us  vous  niellez  en  défense,  vous  èles  mon. 

li.  deuxième  chevalier  d'alphonse.  Ami,  je  le  con- 
seille de  céder  de  bonne  volonté  :  lu  ne  l'en  trouve- 
ras «rue  mieux,  je  le  le  promets. 

othon.  Beaux  seigneurs,  je  me  remets  entre  vos 
mains  et  je  me  rends  à  vous  tous  ensemble.  A  ce 
qui  me  parait,  vous  èles  de  nobles  personnes,  et 
vous  n  en  valez  que  mieux. 

la  fille.  C'esi  bien;  nous  sommes  qui  nous  som- 
mes. Venez  sans  plus  long  temps  nous  arrêter  ici. 

othon.  Je  veux  y  •aller  volontiers,  sans  balancer, 
el  je  vous  servirai  :  c'est  raison.  Ne  m'emprisonnez 
pas,  je  vous  en  prie. 

le  premier  chevalier  d'alphonse.  En  avant!  venez 
avec  nous  sans  condition. 

OTiio.N.  Prenez  le  chemin  que  vous  voudrez  :  je 
vous  suivrai. 

SCÈNE  LVI. 

LES    MÊMES,     L'EMPEREUR,   BÉRENGER,    CHEVA- 
LIERS DE  LARMÉE   DE   L'EMPEREUR. 

la  fille.  Sire  empereur,  que  le  vrai  Dieu  vous 
donne  honneur  el  bonne  vie.  à  vous  el  à  tous  les 
garons  que  je  vois  ici  !  el  qu'il  n'en  excepte  aucun, 
hors  Bérenger,  le  roi  d'Espagne!  car,  en  présence  de 
lout  ce  baroiinage,  je  donne  mou  gage  contre  lui  et 
je  l'accuse  de  trahison.  Imposteur  insensé,  il  s'est 
vanté  d'avoir  cohabité  charnellement  avec  ma  sœur. 
Elle  en  piil  une  frayeur,  une  peur  el  une  douleur 
telles  qu'elle  s'enluil  hors  du  pays,  el  que  je  n'en- 
tendis plus  parler  d'elle.  Voire  neveu,  sire  empereur, 
qui  élaii  brave  el  hardi,  en  perdit  l'Espagne,  el  le 
chagrin  l'égara  tellement  qu'on  ne  sait  où  il  alla; 
comme  j'en  ai  le  cœur  serré,  je  veux  vaincre  le  traî- 
tre en  champ-clos.  Faites-m'en  justice. 

othon.  Sue,  je  vous  prie  de  me  laisser  entrer  dans 
la  lice. — îs'e  me  reconnaissez-vous  pas,  mon  oncle? 
Je  suis  Othon,  votre  neveu,  qui  depuis  ai  souffert 
mainte  peine.  J  •  viens  d'outre-mer. 

l'emplrelr.  Othon,  beau  neveu,  puisque  je  vous 
liens,  certes,  mon  cœur  est  soulagé.  Embrassez- 
moi  vile  el  baisez-moi;  soyez  le  bienvenu. 

otho.n.  Sire,  je  me  plains  devant  tous  vos  barons 
que  je  vois  assemblés  ici,  de  ce  Iraîlre  félon,  el  je 
dis  qu'd  relient  ma  terre  à  tort  :  je  veux  le  com- 
baïue  corps  à  corps  el  réfuter  sou  témoignage. 

bérenger.  Olhon,  je  crois  qu'à  la  (in  vous  vous 
trouverez  déçu.  La  vérité  esl  que  j'ai  cohabité  char- 
nellement avec  voire  femme.  N'en  parlez  pas  si  haut; 
cai  je  vous  prouver  i  en  champ-clos  que  c'esl  vrai, 
si  vous  voulez  le  combat  cl  s'il  faut  qu'il  ail  lieu. 
Ollmn,  je  me  moque  bien  de  vos  menaces. 

l'empereur.  Allons,  paix!  terminons  ce  débat-ci. 
— Bérenger,  de  bon  cœur  ou  non,  il  faut  que  vous 
vous  luttiez  avec  l'un  des  deux. 

bereng  :r.  Sire,  ne  discutez  plus  à  ce  sujet.  Très- 
vooiiinrs,  pourvu  que  vims  me  disiez  avec  lequel 
d'eux  j'aurai  affaire  pour  être  qailic. 

l'empereur.  Auquel  de  vous  deux  adjugerai-je 
celle  affaire? 

otuo.n.  Sire,  il  esl  juste  que  jo  combatte,  car 


c'est  mon  fait.  —  Et  je  vous  prie,  cher  sire  qui 
m'avez  pris  ,  de  m'accorder  celle  grâce. 

la  fille.  Puisque  vous  le  voulez,  je  ne  veux  point 
m'y  opposer. 

othon.  Sire,  grand'merci  plus  de  cent  fois  pour 
ce  consentement. 

l'empereur.  Allons,  vite!  pour  savoir  qui  a  tort, 
seigneurs;  allez  prompteinenl  mouler  à  cheval,  et 
revenez  en  cet  endroit. 

othon.  Puisque  vous  m'en  donnez  la  permission, 
sire,  j'y  vais. 

bérenger.  Regardez,  fait-il  de  l'embarras!  Il  croit 
m'avoir  déjà  vaincu  sans  doute.  Ah!  une  fois  tous 
deux  dans  le  champ-dos,  je  l'attaquerai  de  telle 
sorte  qu'il  aura  moins  de  caquet.  Je  vais  monter. 

la  fille.  Oui,  sire,  j'ouïs  couler  aux  amis  in- 
times de  ma  sœur,  qui  savaient  le  mieux  sa  manière 
d'être,  qu'd  n'y  avait  pas  en  Espagne  de  femme  de 
meilleure  réputation.  Quand  le  bruit  de  la  gageure 
lui  parvint  el  qu'Olbon  eut  perdu  l'Espagne,  elle 
eut  le  cœur  brisé;  elle  se  pâma  contre  terré;  et  la 
nuit  elle  s'enfuit  au  plus  vile,  par  l'inspiration  du 
ciel,  car  on  lui  avait  annoncé  que,  si  Olhon  pouvait 
la  tenir,  il  la  ferait  périr  honteusement ,  sans  l'é- 
pargne r. 

LE    PREMIER    CHEVALIER    DE    L'EMPEREUR.     QuYÛI-U 

gagné  à  cela?c\  ùl  élé  une  vilaine  affaire;  mainte- 
nant, s'il  plaît  à  D'eu,  la  chose  esl  venue  à  bien. 

le  deuxième  CHEVALIER.  CerUi i lu'iiien l ,  je  le  pense 
ainsi,  et  tout  est  pour  le  mieux,  Suivant  mon  opi- 
nion; et  Dieu  veuille  prêter  son  aide  au  droit  encore 
aujourd'hui  ! 

l'empereur.  Ne  vous  chagrinez  point,  nous  ver- 
rons ce  qui  pourra  en  êire. 

SCÈNE  LVII. 

LES    MÊMES. 

othon.  Dame  de  la  gloire  céleste  ,  Vierge  ,  en  qui 
tome  grâce  abonde,  Mère,  qui  n'eûtes  ni  n'aurez 
jamais  de  pareille,  rose  de  lis,  cyprès  de  beauté, 
qui  répandez  un  parfum  de  bonnes  œuvres,  ouvrez 
vers  moi  vos  yeux  de  douceur,  regardez-moi  dans 
votre  pilié  el  gardez-moi  de  mort  vilaine,  Dame, 
dans  ce  combat  que  je  vais  livrer ,  donnez-moi  sur 
mon  adversaire  une  victoire  telle  qu'il  confesse  et 
qu'il  lui  sorte  de  la  bouche  comment  il  a  traîtreuse- 
ment et  à  tort  tenu  ma  terre.  Dame,  en  vous  seule 
esl  mon  espérance;  Dame,  j'ai  eu  vous  une  eonliance 
si  grande,  et  je  me  fie  tellement  en  votre  aide  que 
je  fais  C\  de  ma  force  el  de  mes  armes  (Dame,  écou- 
tez-moi), en  les  comparant  a  l'aide  que  j'attends  de 
vous. 

bérenger.  Olhon ,  Olhon,  puisque  je  vous  vois 
dans  la  lice,  vous  n'en  sortirez  jamais  que  mort  avec 
ignominie  el  par  mes  mains. 

Othon.  Ah,  iraîlre!  menace  moins,  lu  agiras 
sagentenl. 

l'empereur.  Allons  vite,  seigneurs!  ma  volonté  est 
que  vous  descendiez  lous  deux  a  lerre.  Renvoyez  vos 
chevaux  lout  de  suile. 

Othon.  Sire,  je  ferai  de  bon  cœur  ce  qui  vous 
plaît. 

bérenger.  Moi  aussi,  je  ne  désire  rien  autre.  C'est 
fait,  je  suis  à  terre. 

l'empereur.  Beaux  seigneurs,  il  faut,  ce  me  semble, 
qu'aujourd'hui  voire  prouesse  se  montre  el  que  l'on 
sache  la  vérité  louchant  voire  Conduite.  Il  n'y  a  plus 
à  dire,  allez  ensemble  el  que  chacun  fasse  son  de- 
voir, puisque  vous  ne  pouvez  avoir  autrement  la 
paix. 

othon.  Je  le  défie,  traître;  dès  à  présent  garde- 
loi  de  moi. 

bérenger.  Je  ne  te  prise  pas  le  moins  du  monde. 
Je   me  défendrai  bien  contre  loi,  el  bientôt  lu  seras 

prisonnier  el  vaincu. 


667 


OTH 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


OTH 


568 


othon.  Non,  non  pas,  tant  que  j'aurai  écu  ou 
épee  au  poing. 

Jci  ils  combattent.) 

bérenger.  Je  ne  puis  plus  résister  :  Olhon,  je 
vous  remets  mon  épée  et  je  me  rends  prisonnier. 
J'ai  mal  agi  et  j'ai  eu  tort. 

othon.  Certes  ,  je  vous  mettrai  à  mort ,  traître ,  à 
l'instant.  Vous  ne  commettrez  jamais  de  trahison  ;  car 
vous  n'emporterez  point  d'ici  votre  tête  sur  son 
corps 

l'empereur.  Otlion,  Otlion  ,  lio!  je  vous  (défends 
de  le  faire  périr;  avant  do  mourir,  il  nous  dira  tout 
son  méfait. 

othon.  Puisque  tel  est  voire  plaisir,  qu'il  en  soit 
fait  ainsi.  —  Avoue,  larron! 

bérenger.  Je  le  demande  grâce,  noble  baron  :  je 
vais  déclarer  tout  mon  méfait,  et  je  ne  mentirai  pas 
d'un  seul  mot.  Ayant  eu  la  présomption  de  giger 
qu'il  n'était  femme  sage  dont  je  ne  disposasse  au 
gré  de  mes  désirs,  pourvu  <iue  je  pusse  lui  parler, 
je  m'entretins  avec  votie  femme.  Mais  elle  vil  hien 
qu'on  me  croyant  elle  pourrai!  tomber  dans  un  grand 
déshonneur,  et  ne  daigna  plus  me  voir  ni  m'écou- 
ter,  comme  bonne  et  belle  qu'elle  est.  Alors  je  n:e 
tournai  vers  sa  demoiselle , qui  avait  nom  Eglantine; 
je  lui  promis  et  lui  donnai  tant  q  u'elle  m'apporta  les 
preuves  convenues,  el  surtout  celle  du  signe  que 
porie  voire  respectable  femme,  et  de  la  place  où  il  est, 
si  elle  n'esl  pas  morte.  Mais  je  ne  la  vis  pas  nue  et 
je  ne  cohabitai  jamais  avec  elle  ,  bien  que  je  m'en 
sois  vanté.  Alors  je  mentis. 

othon.  Traître,  lu  m'as  bien  anéanti;  par  loi  je 
l'ai  perdue,  en  vérité,  car  jamais  je  ne  pus  savoir 
où  elle  alla. 

la  fille.  Sire  empereur,  ce  fourbe-là  ,  ne  souffrez 
point  qn'Ollion  le  lue;  faites-le  venir  encore  devant 
vous  :  vous  verrez  bientôt  une  chose  dont  vous  serez 
fort  émerveillé. 

l'empereur  Puisque  vous  me  le  conseillez,  cela 
sera  fait. —  Mon  cher  neveu  Otlion,  je  veux  que 
vous  veniez  ici  tous  deux;  mais  Bérenger  sortira  le 
premier,  pour  nous  révéler  encore  quelque  méfait. 

othon.  Sire,  qu'il  soit  fait  selon  voire  volonté.  — 
Debout,  traîne,  sortez  du  cbamp-clos;  vous  n'êtes 
point  cependant,  ne  le  croyez  pas,  quille  de  la 
mort. 

la  fille.  Très-cher  sire,  veuillez  me  donner  la 
permission  de  dire  en  public  pourquoi  je  suis  venue 
ici. 

l'empereur.  Je  le  veux  bien  :  allons,  dites  vile, 
mon  citer  ami. 

la  fille.  Je  suis  venu  ici  comme  messager  pour 
empêcber,  si  je  puis,  la  guerre,  et  amener  la  paix 
entre  vous  el  vos  ennemis,  qui  oui  fait  invasion 
dans  ce  pays.  Si  cela  vous  plail ,  j'en  demanderai 
deux  d'entre  eux.  Mais  ils  auront  de  vous  un  sauf- 
conduit  pour  l'aller  el  le  retour.  Je  le  requiers. 

l'empereur.  Ami,  mandez-les,  je  le  veux  ,  et  j'y 
consens. 

la  fille.  Beaux  seigneurs,  je  vous  prie,  allez 
vile  à  nosseigneurs  les  rois,  et  faites  tant  que  vous 
leur  parliez.  Dites-leur  que  chacun  vienne  ici  sans 
retard  :  ils  verront  leur  fille  el  leur  nièce  désirée 
pendant  si  longtemps. 

le  premier  CHEVALIER  d'alphonse.  Sire ,  nous  obéis- 
sons sans  objection  et  sans  retard. 

SCÈNE  LVIII. 

LE  CHEVALIER,    LE   ROI    DE   GRENADE,  LE    ROI 
ALPHONSE. 

le  premier  chevalier.  Messcigneurs ,  n'attendez 
plus  ici;  mais  veuillez,  tous  deux,  venir  voir  voire 
■lièce  et  votre  fille. 

Alphonse.  Nous  joues-tu  un  tour  de  quille,  par 
moquerie? 

le  deuxième  chevalier  d'alphonse.  Non ,  sire,  par 


sainte  Guérie?  Denis  vous  le  mande  par  nous,  après 
avoir  pris  de  l'empereur  une  sûreté  pour  vous. 

le  roi  de  grenade.  Puisqu'il  en  est  ainsi ,  frère, 
allons-y. 

Alphonse.  Allons-y  ,  frère',  je  vous  en  prie.  Je  ne 
prise  pas  tout  ce  que  j'ai  perdu  la  valeur  d'ime 
bille,  pourvu  que  je  puisse  voir  ma  fille  ,  que  je 
désire  tant. 

le  premier  cnEVALiER  d'alphonse.  Vous  l'aurez, 
s'il  plaît   à  Dieu.  Suivez-nous,  nous  allons  devant. 

—  Sire,  avançons-nous,  en  avant!  allons  par  ici. 

SCÈNE  LIX. 

LA  FILLE  DU  ROI  ALPHONSE,  ALPHONSE,  OTHON, 
L'EMPEREUR,  LE  ROI  DE  GRENADE,  CHEVA- 
LIERS, LES  CLERCS. 

la  fille.  Sire  empereur,  ces  deux  seigneurs  étant 
arrivés,  écoulez,  grands  et  petits,  ce  que  je  veux 
dire  d'amitié;  el  avant  que  nous  nous  séparions, 
vous  serez  témoin  d'un  spectacle  qui  vous  remplira 
d'une  joie  et  d'une  pilié  merveilleus  s.  Je  m'adresse 
à  vous  ,  sire  Alphonse,  moi  qui  me  suis  l'ail  passer 
pour  homme  en  vous  servant,  vous  cl  voire  frère. 
J'ai  bien  vu  que  vous  aviez  le  visage  cl  les  yeux 
tournés  vers  moi,  sans  relâche,  occupés  à  me  regar- 
der plus  que  tout  aulre,  et  sans  me  reconnaître; 
mais  c'est  l'œuvre  de  Dieu  même  dans  sa  puissance  : 
ainsi  ,  n'en  ayez  pas  le  cœur  marri.  Voici  mon  sei- 
gneur, mon  mari,  Olhon,  neveu  de  l'empereur.  Je 
sais  à  quel  point  vous  me  chérissez  ;  je  suis  voire 
fille  ,  laissée  à  Burgos,  à  votre  dépari  pour  Grenade. 

—  Olhon,  la  trahison  dont  j'étais  accusée  à  tort 
élant  prouvée,  Dieu  soit  loué  ! 

alph  nse.  Fille,  en  vérité,  tu  me  fais  pleurer  de 
pilié  el  de  joie;  et  je  ne  puis  m'empêcher  d'avoir  de 
la  joie  quand  je  (e  regarde. 

othon.  Ah  ,  beau  sire  Dieu!  tôt  ou  tard  lu  récom- 
penses les  bonnes  actions  ,  et  tu  ne  manques  pas  de 
punir  les  mauvaises.  Aussi  bien,  ma  très-douce 
sœur,  baise-moi  :  pour  loi  tout  le  cœur  me  fond  en 
larmes. 

l'empereur.  Ils  me  font  verser  des  pleurs  de  pitié. 
En  avant,  en  avant!  c'est  as<ez.  Cessez  désormais 
de  pleurer:  c'esi  Dieu  qui  a  voulu  celle  assemblée. 
Pensons  maintenant  à  effectuer  le  reste. 

Alphonse.  Cher  sire,  j'ai  hien  entendu  comment 
Olhon  (je  n'en  veux  pas  sortir)  a  vaincu  en  champ- 
clos  le  traître  qui  sans  cause  nous  a  mis  en  guerre  , 
et  dont  je  venais  tirer  vengeance  par  l'aide  de  mes 
amis;  mais  je  liens  que  Dieu  nous  a  mis,  ce  me 
semble,  en  voie  d'accommodement.  Voici  comment  : 
dès  maintenant,  je  délaisse  en  paix  à  Olhon  el  à  son 
épouse  le  royaume  d'Espagne  ;  mais  nous  emmène- 
rons le  traître,  el  nous  rechercherons  la  demoiselle 
complice  de  son  crime,  puis  nous  ferons  justice 
de  tous  deux  sur  les  lieux  mêmes  de  leur  trahison. 
Vola,  ce  me  semble  raisonnable. 

l'empereur.  Alphonse,  je  suis  de  votre  nvis.  Mais 
je  vous  donne  le  royaume  de  Mirabel  qui  m'est  nou- 
vellement échu,  et  le  conté  des  Vaux-Plaissiez,  en 
échange  de  voire  renonciation  absolue  à  l'Espagne. 

le  roi  de  grenade.  Quant  à  moi  ,  je  pense,  avant 
qu'un  mois  soit  écoulé,  le  mettre  en  un  étal  tel  qu'il 
sera  maître  d'une  terre  dont  il  aura  un  revenu  an- 
nuel de  trois  mille  livres,  clair  et  net  :  telle  esl  mou 
intention. 

l'empereur.  Maintenant,  relirons-nous  soit?  p.us 
de  relard,  puisque  Dieu  nous  a  réconciliés;  mais 
avant,  vous  dînerez  tous  avec  moi.  Voici  Bérenger 
que  vous  emmènerez  ;  je  le  mets  à  votre  discrétion. 
Oh,  oui!  je  me  dessaisis  de  lui,  el  vous  le  donne. 

la  fille.  11  n'échappera  pas  ,  je  vous  l'assure;  je 
veux  commettre  quelqu'un  à  sa  garde.  —Seigneurs, 
je  vous  le  confie  et  vous.fc  livre. 

LE    PREMIER    CHEVALIER     D'ALPHONSE.    Dame,    HOU» 

sommes  entièrement  à  vos  volonté*. 


SGd 


PAl> 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAP 


570 


l'empereur- Je  neveux  plus  resicr  ici;  allons- 
nous-en  vile,  «liner  (ous.  Aussi  ltien  je  vois  que  l'on 
nie  vieil  chercher:  voici  mes  gens,  il  en  esi  leuips. 
—  Seigneurs,  je  veux  que  sans  larder  vous  chauliez 


en  nous  conduisant,  un  molel  qui  soit  séduisant , 
plaisant  et  bel. 

les  clercs.  Sire,  nous  le  ferons  tout  de  suite.  — 
En  avant  !  chantons. 


P 


PAPHNUCE.  —  Ecrit  au  x*  siècle*  et  en 

Allemagne,  ce  drame  de  Hrolswillie  est 
l'un  de  ceux  dn  l'illustre  religieuse  de  Gan- 
dersheim,  où  l'on  a  cru  surtout  trouver  trace 
du  pédantisme  et  de  la  subtilité  du  moyen 
âge.  Sais  doute  l'accusation  est  fondée  en 
ce  qui  concerne  la  société  leltrée  du  moyen 
âge,  et  particulièrement  Hrotswithe;  mais 
elle  est  exagérée.  Je  crois  que  faute  d'avoir 
remarqué  que  Paphnuce,  de  môme  que  Sa- 
pience  et  Abraham  ,  sont  singulièrement 
analogues  aux  pièces  de  distribution  de 
prix,  on  a  méconnu  le  véritable  caractère 
de  ces  divers  drames.  Outre  l'élément  lit- 
téraire, ils  ont  quelque  chose  de  scolaire. 
Al.  Mag'iiti  a  été  frappé  de  l'intention  clas~ 
sique  des  citations  de  Hrotswitha.  Après 
avoir  remarqué  «  qu'il  est  singulier  que 
Hrotswitha  ne  parle  pas  du  trivium,  »  il  a 
dit  a  propos  de  l'étalage  scientifique  que 
contient  le  Paphnuce  :  «  Il  f;d!a;l  que  ces 
notions  élémentaires  fussent  quelque  peu 
tombées  en  oubli  à  la  (in  du  x°  siècle,  pour 
que  Hrotsvitha  ait  pensé  qu'il  pouvait  y 
avoir  que'que  mérite  à  les  rappeler  si  hors 
d  •  propos.  »  (Théâtre  de  Hrostvitha  ;  Paris, 
18V5,  in-8%  p.  471,  note  62.)  Il  me  semble 
plus  probable  que  dans  l'école  que  dirigeait 
Hrotswithe,  et  qui,  à  la  tin  de  ''année  sco- 
laire, répétait  les  leçons  de  sa  directrice 
dans  les  trois  pièces  ci-dessus  indiquées, 
pour  passer  en  revue  la  somme  (bs  con- 
naissances acquises,  on  n'étudiait  que  le 
quadriiïum,  les  notions  du  trivium  étant  aban- 
données à  quelque  maîtresse  inférieure  au 
célèbre  écrivain  dramatique  du  x'  siècle. 

Argument.  Conversion  «le  la  courtisane  Thaïs,  que  l'er- 
mite l'apbnuce  va  trouver,  comme  Abraham,  sons  les 
dehors  d'un  amant;  ramenée  au  bien,  livrée  au  repen- 
l!r,  du  resie  enfermée  pendant  cinq  ans  dans  une 
étroiie  cellule;  et  quand  elle  est  enfin,  par  cetie  juste 
expiation,  réconciliée  avec  Dieu,  elle  s'endort  dans  le 
Christ,  qumze  jours  aptes  avoir  terminé  sa  pein- 
te,, ce  (213). 

PERSONNAGES. 

paphnuce,  ermite.  thaïs,  courtisane. 

Discu>i.F.s  de  paphnuce.  jeunes  gens,    amoureux 

de  Th;iïs.  de  la  Thebaïde. 

ant.  ine  et  paul,  ermites  UNE  ABBESSE. 

(213) Celle  histoire...  aélé  brièvemen  racontée  par 
un  écrivain  grec  antérieur  au  v*  siècle  {Voyez  Sin- 
LF.i,  Giov.  menol.,  apud  Canis.,  Antiq.  Icctioii.,  t.  II.) 
Une  version  latine,  dont  on  ne  connaît  pas  l'auteur, 
a  pris  place  dans  le  recueil  des  Bollandisies,  sous  la 
due  du  8  octobre.  (  Aci.  Sanctor.,  oclobr.,  t.  VI,  p. 
2i"».)  L'action  se  passe  pendant  la  première  moitié 
du  iv«  siècle,  d'abord  en  Egypte,  dans  l'ermitage  de 
Paphnuce,  à  l'entrée  du  désert,  puis  dans  une  ville 
que  nom:  auteur  ne  nomme  pas,  mais  que  plusieurs 
géographes  disent  être  Alexandrie.  Plus  tard  Hrots- 
vitha transporte  la  scène  dans  la  Thebaïde,  où  saint 
Antoine  s'élait  retiré  avec  quelques  disciples.  (M. 
Magnin.) 


SCÈNE  I". 


PAPHNUCE,    LES    DISCIPLES. 

les  di«ciples.  Pourquoi  ce  sombre  visage.  Père? 
pourquoi  ne  montrez-vous  pas  voire  air  tranquille  et 
-habituel, 'ô  Paphnuce? 

paphnuce.  Quand  le  cœur  est  Iriste,  le  visage  est 
sombre... 

les  disciples.  El  pourquoi  êles-vous  triste? 

paphnuce.  Les  outrages  au  Créaleur.. 

les  disciples.  Quels  outrages. 

paphnuce.  Ceux  qu'il  subit  de  sa  propre  créature, 
formée  à  son  image... 

les  disciples.  Vos  paroles  nous  glacent  de  terreur. 

paphnuce.  Sans  doule  l'impassible  majesté  ne  peut 
être  atteinte  par  des  outrages;  mais,  à  transporter 
métaphoriquement  en  Dieu  ce  qui  n'appartient  qu'à 
la  faiblesse  humaine,  quelle  injure  plus  grave  est 
possible,  que  celle,  au  milieu  de  la  soumission  el  de 
l'obéissance  du  monde  majeur  aux  ordres  divins,  de  la 
révolte  du  monde  mixeur  seul  contre  l'empire  de  Die  i? 

les  disciples.  Qu'est-ce  que  le  monde  mineur.  (214.) 

paphnuce.  L'homme. 

les  disciples.  L'homme? 

pApn.NUCE.  Sans  doute. 

les  disciples.  Quel  homme? 

paphnuce.  L'homme  en  général. 

les  disciples.  Comment  cela  se  peut-il  faire? 

paphnuce.  Comme  il  a  plu  au  Créaleur. 

les  disciples.  Nous  ne  comprenons  pas. 

paphnuce.  Ceci  n'est  pas  accessible  à  un  grand 
nombre  d'esprits. 

les  disciples.  Expliquez-le. 

paphnuce.  Faites  attention. 

les  disciples.  Oui,  de  toute  noire  volonté. 

paphnuce.  De  même  que  le  monde  majeur  est 
formé  de  quatre  éléments  différents,  mais  concor- 
dant selon  le  vœu  du  Créateur  dans  une  sage  har- 
monie, «le  même  l'homme  est  composé  non-seule- 
ment d'éléments  identiques,  mais  aussi  d'autres  par- 
ties plus  profondément  coniraires. 

les  disciples.  El  qu'y  a-t-il  de  plus  opposé  que  les 
éléments? 

paphnuce.  Le  corps  et  l'âme.  Car,  bien  qu'adver- 
ses, les  éléments  sont  tous  néanmoins  matériels  ; 
mais  1  âme  n'est  pas  mortelle  comme  le  corps,  et  le 
corps  n'est  un  esprit,  comme  l'àmc. 

LES  DISCIPLES.  Oui. 

paphnuce.  Cependant,  à  suivre  les  dialecticiens, 
nous  ne  confessons  même  pas  l'opposition  si  nette 
de  l'âme  el  du  corps. 

les  disciples.  Comment  donc  le  nier? 

paphnuce.  Quand  on  sait  disputer  en  dialecticien, 
rien  n'est   contraire  à   la   substance   (oùo-ta),  et  la 

(214)  Les  discussions  dont  celle  scène  est  rem- 
plie, nous  monlreni  beaucoup  moins  un  paisible  er- 
mitage du  iv*  siècle,  où  un  simple  religieux  ensei- 
gne d'humbles  disciples,  qu'une  bruyante  école  du 
x«  siècle,  devant  laquelle  un  subtil  controversiste 
étale  les  arguties  les  plus  abruptes  de  la  scolasHquc 
naissante.  En  effet,  Hrotsvitha  ,  comme  les  auteurs 
dramatiques  de  tous  Ips  temps,  n'a  guère  peint  que 
son  propre  siècle,  en  croyant  faire  revivre  les  siè- 
cles passes.  Mais,  à  notre  point  de  vue,  de  pareils 
tableaux,  vrais  en  eux-mêmes,  et  dont  la  date 
seule  est  fautive,  n'en  sont  pas  d'un  moindre  inté- 
rêt. (Id.) 


57  I 


PAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAP 


572 


substance  n'est  que  le  réceptacle  de  toutes  les  op- 
position' 

les  disciples.  0""  comporte  ce  terme:  dans  une 
sage  harmonie  (215). 

paphnuce.  Ee  voici  :  Comme  les  sons  aigus  et  les 
sons  graves  (2i6)Vharmoniquemeni  unis,  produisent 
un  résulta  musical,  de  même  leséléinenis  dissonants, 
convenablement  misd'accord.formenlun  seul  monde. 

les  disciples.  C'est  merveille  que  les  choses  dis- 
sonantes puissent  concorder,  et  qu'on  dise  concor- 
dantes ces  choses  dissonantes. 

paphnuce.  Rien  n'est  composé  de  semblables,  ni 
de  ces  éléments  qui  n'ont  entre  eux  aucun  rapport 
de  proportion  et  qui  diffèrent  entièrement  de  subs- 
tance et  de  nature. 

les  disciples.  Quest-re  donc  que  la  musique? 

paphnuce.  Eue  des  sciences  du  quauïivium  delà 
philosophie. 

les  disciples.  Qu'appelez-vous  quadri vium. 

paphnuce.  L'ariihinétique  ,  la  géoméiie  ,  la  mu- 
sique et  l'as'ronomie. 

les  disciples.  Pourquoi  ce  nom  de  Quailrivium. 

pap  :nuc.e.  Parce  que,  de  même  que  les  chemins 
d'un  carrefour,  parlent  île  l'unique  principe  de  la 
philosophie  les  lignes  droites  de  ces  quatre  sciences. 

les  disciples.  Nous  n'osons  pas  vous  questionner 
sur  les  trois  autres  sciences;  car  à  peine  la  faible 
portée  de  notre  esprit  peut-elle  atteindre  à  la  hau- 
teur de  la  discussion  engagée. 

paphnuce.  Les  choses  sont  difficiles  à  saisir. 

les  di-ciple>.  Donnez-nous  quelques  notions  su- 
perucielles  de  la  science  dont  nous  nous  occupons 
en  ce  momie. 

paphnuce.  Je  ne  puis  vous  en  dire  que  bien  peu  de 
chose, car  ede  est  à  peu  prèsMnconnue  des  solitaires. 

les  disciples.  De  quoi  s'occupe-l-elle? 

paphnuce.  Ea  musique? 

les  disciple-.  Oui. 

paphnuce.  Elle  traite  des  sons. 

les  disciples.  Y  en  a-t-il  une  ou  plusieurs? 

paphnuce.  Il  y  en  aurait  trois,  dit-on;  mais  cha- 
cune d'elles  est  tellement  liée  à  l'autre  par  des  rap- 
ports de  proportion  que  (ont  ce  qui  est  dans  l'une 
ne  fait  pas  défaut  dans  l'autre. 

les  diciples.  Et  comment  les  dislingue-t-on  tou- 
tes les  trois? 

paphnuce.  La  première  se  nomme  musique  du 
monde  ou  musique  céieste  ;   la  seconde,  musique  ku- 

(215)  Hrotsvitha  prend  prétexte  du  mot  harmonie 
jeté  dans  sa  pédanlesque  digression  sur  le  monde 
majeur  et  le  monde  mineur,  pour  faire  montre  de 
loin  ce  qu'elle  avait  pu  apprendre  sur  la  musique, 
telle  qu'on  l'enseignait  dans  les  écoles  monastiques 
(M.  Magnin.) 

(21  G)  Tous  ces  détails  techniques  ont  été  tirés 
par  Hrolsvilha  des  écrivains  alors  les  plus  autorisés. 
On  peu!  voir  l'explication  des  iiioissohi  excellentes 
dans  Lé  chapitre  9  de  Marlianus  Capella,  el  dans  Re- 
migius  Aliisiodoreusis  (ap.  Gerbert.,  sa ipt.  Demu- 
sicu,  t.  I,  p.  05).  On  trouvera  la  définition  des  mots 
pressi  sont  dans  le  chapitre  G  du  traité  De  muai cœ 
disciplina  d'Aurelianus  Rcomensis,  écrivain  du  w 
siècle,  recueilli  par  Gerberl  (loc.  cit.  p.  55).  Notre 
auteur  e  i» ploie  presque  toujours  textuellement  les 
expressions  de  Boece,  qui  traite  de  la  musique  non 
seulement  dans  ses  trois  livres  De  mnsica  ,  mais 
dans  plusieurs  endroits   de  son  arithmétique.  (Id.) 

(217)  Celle  bizarre  division  de  la  musique  eélesle, 
humaine  el  inslruiiieul  le  n'est  peint,  coin  e  on 
pourrait  cr<  ire,  une  poétique  fuit  lisie  de  Hrolsvilha; 
on  la  trouve  dans  tons  les  ce  Eains  ilogina  hmes 
alors  acné  Ués.  Voyez,  entre  attires,  Beéce  (De  mu- 
ticn,  ld).  i,  c.  2)  el  Aun  lianus  Reome.isis  (ap.  Ger- 
Bert-,  loc.  cil.,  p.  52.)  (Id.) 

(218)  Ici  doctrine  cl  nomenclature  sont  lirées  de 
Marlianus  Capella  :  Sonum,  id  est  lonum,  produclio- 


maine  ;  et  h»  troisième,  instrumentale  (217  ) 
les  disciples.  En  quoi  consiste  la  céleste? 

paphnuce,  Dans  les  sept  planètes  el  la  sphère  cé- 
leste. 

les  disciples.  Comment? 

paphnuce.  Parce  qu'il  en  est  de  la  musique  céleste 
comme  de  l'instrumentale  :  ainsi  on  trouve  dans  les 
planètes  el  d  ns  la  sphère  le  même  nombre  d'inter- 
vall  s,  les  mêmes  degrés  et  les  mêmes  cousoniiances 
que  dais  les  cordes. 

les  disciples.  Qu'est-ce  que  les  intervalles? 

paphnuce.  Les  espaces  appréciables  que  l'on  peut 
compter  entre  les  planètes  ou  les  cordes. 

les  disciples.  Et  les  degrés  ? 

paphnuce.  La  même  chose  que  les  tons  (218.) 

les  disciples.  Les  Ions  nous  sont  inconnus. 

paphnuce.  Le  Ion  résulte  de  deux  sons,  ei  s'appuie 
sur  le  raipuldu  nombre  epogdons  ou  sesquiociave, 
c'est-à-dire  de  9  à  8. 

les  disciples.  Nos  recherches  rapides,  les  ques- 
tions que  nuits  lâchons  de  vider,  s'accroissent  sans 
cesse  de  propositions  de  plus  en  plus  difficiles  que 
vous  nous  opposez. 

paphnuce.  C'est  l'ordinaire  dans  ces  discus- 
sions. 

les  disciples.  Dites-nous  quelques  mots  des  con- 
sonnances  en  général,  pour  qu'au  moins  nous  sachions 
le  sens  de  ce  terme. 

paphnuce.  La  consonnance  est  une  certaine  com- 
binaison harmonique  (^19.) 

les  disciples.  Pourquoi? 

paphnuce  Parce  qu'elle  se  compose  tantôt  de  qua- 
tre, tantôt  de  cinq,  tantôt  de  huit  torts. 

les  disciples.  A  présent  que  nous  savons  qu'il  y 
a  trois  consonnaiices,  nous  voudrions  savoir  les  noms 
de  chat  une  d'elles. 

paphnuce.  La  première  se  nomme  diatessaron, 
comme  formée  de  quatre  sons  g  elle  est  en  propor- 
tion épilrile  ou  sesquitierce  (dans  le  rapport  de  4  à  51. 
La  seconde  se  nomme  diapetne,  ou  résultante  de 
cinq  sons  :  elle  est  en  proportion  némiole  ou  sesqui- 
altère  (dans  le  rapport  de  5  à  2).  La  troisième  se 
nomme  diapason  ;  elle  est  en  raison  double  (c'esl-à- 
dire  formée  par  l'union  de  la  quarte  et  de  la  quinte) 
(220)  et, se  compose  de  huit  sons. 

les  disciples.  La  sphère  et  les  planètes  rendent- 
elles  des  sons,  pour  qu'on  puisse  les  comparer  aux 
cordes? 

nem  vocavi.  (Lib.  ix,  §  955.)  (Id.) 

(219)  Censorinus  donne  de  la  consonnance  (sym- 
phonia)  une  définition  beaucoup  plus  claire  que  Hrnl- 
svitha  :  i  La  symphonie,  dit-il,  csi  l'accord  doux  de 
deux  voix  à  I  unisson  (De  die  nu  ali,  c.  10,  §  5.  > 
Suivant  Cassiodore  :  i  La  symphonie  est  la  combi- 
naison des  sons  graves  avec  les  sons  aigus  ou  de 
ceux-ci  avec  les  premiers,  de  manière  à  former  har- 
monie. >  (De  musica,  p.  450,  éd.  4559.)  C'est  évi- 
demment de  celle  définition  abrégée,  que  Hrolsvilha 
a  formé  la  sienne,  qui  a  le  double  défaut  d'êire  obs- 
cure et  incomplète.  —  Le  mol modutniio <ji»VUe  inx* 
ploie,  a  ici  une  signification  loul  à  fait  différente  de 
celle  qu'a  reçue  chez  nous  le  mot  modulation.  Celte 
expression  offre  dans  Hrolsvilha  le  même  sens  que 
dans  Marlianus  Capella,  quand  il  dit  :  «  La  modula- 
tion esi  l'expression  d'un  son  multiple.  >  (Id.) 

(220)  Après  avoir  fait  observer  que  celle  théorie 
rtr-i thématique  des  accords  cl  des  intervalles  est  ti- 
rée de  Censorinus,  Macrobe,  Boèce,  saint  Isidore  de 
Séville,  eic,  etc.,  M.  Magnin  rapproche  de  ce  pas- 
sage un  fragment  d'une  scène  du  Mystère  de  l'Incar- 
nation et  de  la  Nativité,  joué  à  Rouen  en  1474  et 
imprimé,  déjà  cile  par  M.  O.  Leroy,  dans  ses  Etudes 
sur  les  mystères,  el  dont  ou  pouriail  croire  le  des- 
sein el  les  détails  imités  de  Hrotsvitha,  s'ils  n'étaient 
loul  simplement  puisés  aux  mêmes  sources. 


573 


PAP 


DICTIONNAIRE    DES  MYSTERES. 


PAP 


574 


paphnuce.  Oui,  et  (les  sons  très-forts. 

les  disciples.  Pourquoi  ne  les  entendons-nous 
pas  ? 

paphnuce.  On  en  donne  plusieurs  raisons.  Les  uns 
pensent  qu'on  ne  peut  les  entendre  à  cause  de  leur 
continuité;  les  autres,  à  cause  de  la  densité  de  l'air. 
Quel  ;ucs-uns  prétendent  qu'un  aussi  énorme  volume 
de  son  ne  put  pénétrer  dans  noire  élroit  conduit 
auditif  (221).  On  a  dit  même  que  li  sphère  produit 
un  son  si  enchanteur  et  si  doux,  que,  pour  l'enten- 
dre, tous  les  hommes  se  réuniraient  en  foule;  et, 
s'oubliant  eux-mêmes,  négligeant  toutes  leurs  affai- 
res, suivraient  le  son  conducteur  d'o:  ient  en  occi- 
dent-. 

les  disciples.  Il  vaut  mieux  ne  pas  l'entendre. 

paphnuce.  La  prescience  du  Créateur  en  a  jugé 
ainsi. 

les  disciples.  C'est  assez  de  la  musique  céleste  ; 
passons  à  la  musique  humaine. 

paphnuce.  Que  voulez-vous  en  savoir? 

I»es  discipi.es.  En  quoi  elle  consiste. 

paphnuce.  Non-seulement  elle  consiste,  comme  je 
vous  l'ai  dit,  dans  I  association  du  corps  et  de  rame, 
ainsi  que  dans  P  mission  de  la  voix  tantôt  claire  et 
taniô:  aiguë,  mais  elle  existe  dans  la  pulsation  des 
artères  et  na:is  la  mesure  de  certains  nombres,  tels 
que  les  articula  lions  des  doigts,  qui,  dans  leur  lon- 

lûêiués  proportions  que  nous 


gueur,  nous  offrent  h 

•S 


.nous  sigualéi-s  dans  les  consonuances  ;  car  la  n  usi- 


que  est  nôu-seulemenl  1 1  convenance  des  voix,  mais 
e  die  celle  de  toutes  les  autres  choses  dissem- 
blables. 

les  disciples.  Si  nous  avions  prévu  que  le  nœud 
de  celle  question  dût  être  si  difficile  à  dénouer  pour 
des  ignorants,  nous  eussions  mieux  aimé  ne  rien 
«avoir  du  monde  mineur,  que  de  soulever  de  telles 
difficultés. 

paphnuce.  Qu'importe  la  peine,  puisque  vous  sa- 
vez des  choses  auparavant  ignorées? 

les  disciples.  Il  est  vrai  ;  mais  no.  s  n'avons  au- 
cun goût  pour  les  discussions  philosophiques,  d'au- 
tant que  notre  intelligence  ne  peut  atteindre  à  la 
subtilité  de  vo:re  argumentai  ion. 

paphnuce.  Pourquoi  vous  moquez-vous?  Je  ne 
suis  qu'un  ignorant,  et  non  p:is  un  philosophe. 

les  disciples.  El  d'où  avez-vous  tiré  ces  con- 
naissances, dont  l'exposition  seule  nous  a  fati- 
gués? 

paphnuce.  C'est  une  faible  goutte  de  la  science, 
tombée  des  coupes  pleines  des  sages,  que,  sans  m'è- 
tre  assis  pour  la  recueillir,  j'ai  trouvée  par  hasard 
et  sucée  en  passant,  et  dont  j'ai  voulu  vous  faire 
pari. 

les  disciples.  Nous  sommes  heureux  de  votre 
Bienveillance,  mais  épouvantés  de  ce  mot  de  l'Apô- 
tre :  «  Dieu  choisit  les  insensés  suivant  le  monde, 
pour  confondre  les  prétendus  sages  (2i2).  i 

paph.nuck.  Simple  ou  savani,  quiconque  fera  le  mal, 
n'aura  que  confusion  devant  Dieu. 

les  disciples.  Sans  doute. 

papiinl'ce.  Ce  n'est  point  l'acquisition  des  connais- 
sances mises  à  noire  porlée  qui  offense  Dieu,  mais 
l'injuste  orgueil  de  celui  qui  sait. 

les  disciples.  C'esi  bien  vrai. 

paphnuce  El  en  l'honneur  de  qui  serait  plus  con- 
venablement, plus  justement  employée  la  connais- 
sance des  arts,  que  de  celui  qui  a  créé  tout  ce  qu'on 
peut  savoir  et  nous  a  donné  ainsi  la  science. 

les  di-ciples.  De  personne  autre. 

(£21)  Paphnuce,  ou  plulôi  Hrolsvitha  ,  expose  ici 
l'opinion  des  py  hagoriciens  sur  l'harmonie  des  sphè- 
res célestes.  Celle  poétique  hypothèse,  adoptée  par 
Platon,  a  pénétré  dans  quelqu  s  écrivains  ecclésias- 
tiques (S.  Basile,  S.  Anselme,  S.  Ambroise.  etc.).  Je 
ne  saurais  dire  si  c'est  par  celle  dernière  voie  qu'elle 
est  parvenue  à  llrolsviiha.  (M.  Macnin.) 

(222)  Allusion  à  ces  paroles  de  saint  Paul  :  Quce 


vie 


car 


n'est  în- 
il  ne  lui 


paphnuce.  Car  mieux  l'homme  sait  par  quelle  loi 
admirable  Dieu  a  rég'c  le  nombre,  la  proportion  de 
l'équilibre  de  loulcs  choses,  plus  il  brûle  d'amour 
pour  lui  (223.) 

les  disciples.  Et  c'est  avec  jusiice. 

paphnuce.  Mais  pourquoi  «n'appesantir  sur  ce  su- 
jet, qui  vous  appo'le  peu  de  plaisir  ? 

les  disciples.  Révélez-nous  le  moi  if  de  vos  en- 
nuis, aiin  que  nous  ne  soyons  pas  accablés  plus 
longtemps  sous  le  fardeau  de  la  curiosité. 

paphnuce.  Quand  vous  m'aurez  entendu,  vous  ne 
serez  pas  gais. 

les  disciples.  Trop  souvent  on  ne  trouve  qu'un 
chagrin  au  fond  de  la  curiosité  satisfaite  (224). 
toutefois  nous  ne  pouvons  surmonter  la  nôtre, 
car  c'est  un  défaut  inhérent  à  la  faiblesse  hu- 
maine. 

paphnuce.  Une  femme  impudique  habile  dans  ce 
pays. 

les  disciples.  C'est  un  danger  pour  ies  habi- 
tants. 

papunuce.  Elle  est  d'une  beauté  éelatanle  et  mer- 
veilleuse, et  se  souille  des  impuretés  les  plus  horri- 
bles. 

les  disciples.  Quel  malheur  !  comment  se  nom- 
me- i-el  le? 

paphnuce.  Thaïs. 

les  disciples    Thaïs,  la  courtisane? 

paphnuce    Eh  bien,  oui  ! 

les  disciples.  Mais  le  scandale  de  sa 
connu  à  personne. 

paphnuce.  Ce  n'est  pas  surprenant, 
suffit  pas  de  courir  à  sa  perle  avec  un  petit  nombre 
d'amants,  elle  est  toujours  prèle  à  séduire  qui  que 
ce  soil  des  attraits  de  son  visage  et  à  entraîner  tous 
les  hommes  à  leur  mort. 

les  disciples.  C'est  désolation. 

paphnuce.  Non-seulement  les  étourdis  dissipent  à 
sa  gloire  le  peu  qui  leur  reste  de  biens,  mais  même 
des  gens  considérables  dévorent  mille  objets  précieux 
et  enrichissent  celle  femme  à  leurs  dépens. 

les  disciples.  C'est  un  récit  affreux. 

paphnuce.  Des  troupeaux  d'amants  affluent  chez 
elle. 

les  disciples.  Ils  se  perdent  eux-mêmes. 

paphnuce.  Les  insensés  se  disputent,  d'une  ame 
abrutie,  l'entrée  de  la  maison,  entassant  les  inju- 
res... 

les  disciples.  Un 

paphnuce.  Puis 
toi  ils  se  cassent  I 

tantôt  ils  se  repoussent  les  uns  les  autres  par  les 
armes,  et  inondent  de  ruisseaux  de  sang  le  seuil  de 
celte  demeure  impure. 

les  disciples.  Excès  détestable! 

paphnuce.  Voilà  l'outrage  au  Créateur  que  je  dé- 
plorais; voilà  la  cause  de  ma  douleur. 

les  disciples.  En  effet,  vous  pouvez  être  iriste  à 
ce  sujet,  et  certainement  on  n'est  pas  moins  attristé 
que  vous  dans  la  cité  des  cieux. 

paphnuce.  Si  j'allais  la  trouver  sous  le  déguise- 
ment d'un  amant,  peut-être  pourrais-je  lui  faire  re- 
nier ses  coutumes  débauchées. 

les  disciples.  Que  celui  qui  mit  dans  votre  aine 
ce  dessein,  vous  donne  le  succès! 

paphnuce.  Prêtez  moi  cependant  le  secours  de  vos 
prières  assidues,  afin  que  moi-même  je  ne  sois  pas 
vaincu  parles  ruses  du  serpent  maudit. 

stulla  sunt  mundi  eleqit  Deus  ,  ut  confundal  sapien- 
les.  il  Cor.  i,  27.)  (In.) 

(225)  C'est  là,  il  faut  l'avouer,  une  assez  belle 
apologie  de  la  science  et  bien  imprévue  dans  un 
siècle  si  généralement  accusé  de  barbarie,  (lil.) 

(224)  Celle  réflexion,  aussi  fine  qu'heureusement 
exprimée,  semble  échappée  à  la  plume  d'un  moraliste 
moderne.  (Id.) 


vice  en  engendre  un  autre, 
ils  en  viennent  aux   mains;  tan- 
i  tèle  et  le  nez  à  coups  de  poings, 


575 


PAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAP 


576 


les  disciples.  Le  Dieu  qui  a  terrassé  le  roi  des  té-, 
nèbres  vous  donne  la  victoire  sur  l'ennemi! 

SCÈNE  II. 

PAPHNUCE,  LES  AMANTS  DE  THAÏS. 

paphnuce.  Voici  des  jeunes  gens  dans  le  forum  ; 
abordons  le>  d'abord  et  j'en  tirerai  par  mes  ques- 
tions le  moyen  d'approcher  de  celle  que  je  cherche. 

les  jeunes  gens.  Regardez.  Un  inconnu  s'avance 
vers  nous.  Voyons  ce  qu'il  veut. 

paphnuce.  Holà!  jeunes  gens,  qui  êies-vous? 

les  jeunes  gejj:.  Des  habitants  de  celle  ville. 

PAPiiNucE.  Je  vous  salue. 

les  jeunes  gens,  Nous  vous  saluons  aussi,  que 
vous  soyez  du  pays  ou  étranger. 

PAPiiNucE.  Je  suis  étranger  et  j'arrive  à  l'ins- 
tant 

les  jeunes  gens.  Pourquoi  venez-vous  ici?  Que 
cherchez  vous. 

paphnuce.  Ce  n'est  pas  nue  chose  à  dire. 

les  jeunes  gens.  Pourquoi? 

paphnuce.  (/est  mon  secret. 

les  jeunes  gens.  Le  mieux  serait  de  parler,  car 
n'éianl  pas  de  la  ville,  vous  aurez  de  la  peine  à  faire 
quelque  affaire  sans  communication  avec  les  habi- 
tants. 

paphnuce.  Et  si  je  parle,  et  qu'en  parlant  je  ne  me 
cause  que  des  embarras... 

les  jeunes  gens.  Ce  ne  sera  pas  de  nous. 

paphnuce  Je  cède  à  vos  promesses  bienveillantes 
et  me  liant  à  votre  loyauté,  je  vais  révéler  mon  se- 
cret. 

les  jeunes  gens.  Ce  n'est  pas  parmi  nous  qu'il 
vous  serait  manqué  de  foi,  et  qu'il  vous  serait  élevé 
des  obstacles. 

paphnuce.  Les  conversations  de  quelques  person- 
nes m'ont  fait  connaître  qu'il  y  avait  céans  une 
femme  que  tout  le  monde  esl  forcé  d'aimer  et  qui 
est  affable  pour  tout  le  monde. 

les  jeunes  gens.  Savez-vous  son  nom  ? 

paphnuce.  Oui. 

les  jeunes  gens.  Comment  l'appclle-t-on? 

paphnuce.  Thaïs. 

lf;s  jeunes  gens.  C'est  notre  commune  et  ardente 
passion. 

paphnuce.  On  dit  cette  femme  la  plus  belle  et  la 
plus  gracieuse  des  femmes. 

les  Jeunes  gens.  Les  rapports  ne  sont  point  trom- 
peurs. 

paphnuce.  C'est  pour  elle  que  j'ai  supporté  les 
difficultés  et  la  longueur  d'un  voyage  et  je  suis 
venu  pour  la  voir. 

les  jeunes  gens.  Il  n'y  a  ni  obstacle  ni  empêche 
ment  à  la  voir. 

paphnuce.  Où  dcmeure-l-elle? 

les  jeunes  gens.  Ici,  la  maison  la  plus  proche. 

paphnuce.  Celle  maison  que  vous  montrez  du 
doigt? 

LES  JEUNES  GENS.  Oui. 

paphnuce.  J'y  vais. 

les  jeunes  gens.  Si  vous  voulez,  nous'  vous  ac- 
compagnerons. 
paphnuce.  Je  préfère  y  aller  seul. 
les  jlunes  gens.  Connue  il  vous  plaira.  , 

SCÈNE   III. 

PAPHNUCE,  THAÏS. 

paphnuce.  Eles-vousici  dedans,  Thaïs?  C'est  vous 
que  je  cherche. 

thaïs.  Qui  est  là  ?  qui  parle  ?  C'est  un  in- 
connu. 

paphnuce.  C'est  un  homme  qui  vous  aime. 

thaïs.  Quiconque  m'honore  de  son  amour,  est 
pavé  par  moi  en  amour. 

paphnuce.  0  Thaïs,   Thaïs,  quel  long  et  pénible 


voyage  j'ai  accompli,  pour  avoir  le  bonheur  de  cau- 
ser avec  vous  et  de  contempler  votre  beauté! 

thaïs.  Je  ne  vous  cache  point  mes  traits  et  je  ne 
Tepousse  pas  voire  entretien. 

paphnuce.  Le  mystère  de  celle  conversation  exige 
le  silence  des  lieux  les  plus  retirés. 

thaïs.  Voici  une  chambre  bien  meublée,  el  où  l'on 
est  agréablement. 

paphnuce.  N'y  a-l-il  pas  un  lieu  plus  retiré,  où  nous 
puissions  causer  plus  en  secrel  ? 

thaïs.  H  y  a  bien  un  lieu  plus  caché  et  si  secret 
que  rentrée  n'en  esl  connue  que  de  moi  et  de 
Dieu. 

paphnuce.  Quel  Dieu? 

thaïs   Le  vrai  Dieu. 

paphnuce.  Croyez-vous  que  Dieu  sache  quelque 
chose  ? 

thaïs.  Il  esl  certain  que  rien  ne  lui  est  caché. 

paphnuce.  Le  croyez-vous  indifférent  aux  acies'iles 
pervers,  ou  qu'il  leur  réserve  sa  justice? 

thaïs.  Je  pense  que  la  balance  de  sa  justice  pèse 
les  actions  de  tous  les  hommes,  el  que  chacun,  se- 
lon ses  œuvres,  a  son  supplice  ou  sa  récompense  mis 
de  cô:é. 

paphnuce.  0  Christ,  combien  sont  étonnantes  en- 
vers nous  la  bonté  et  la  patience!  Tu  vois  pécher 
ceux  qui  te  connaissent,  el  lu  remets  sans  cesse  à 
les  punir! 

thaïs.  Pourquoi  tremblez-vous?  vous  êtes  pâle? 
Pourquoi  coulent  ces  larmes? 

paphnuce.  Votre  audace  méfait  horreur, jepleure 
votre  chute;  car  vous  saviez  ces  vérités  el  vous  avez 
per  lu  un  si  grand  nombre  d'âmes  ! 

thaïs.  Malheur!  malheur!  0  suis-je  infortunée! 

paphnuce.  Vous  serez  damnée,  avec  d'autant  plus 
de  justice  que  vous  avez,  avec  une  plus  grande  pré- 
somption, sciemment  offensé  la  majesté  divine  ! 

thaïs.  Hélas!  hélas!  que  dites-vous?  Pourquoi 
menacer  une  malheureuse  femme? 

paphnuce.  Les  tourments  de  l'enfer  vous  attendent, 
si  vous  persévérez  dans  le  crime. 

thaïs.  La  sévérité  de  voire  réprimande  a  frappé  le 
fond  même  de  mon  cœur  épouvanté. 

paphnuce.  Oh  !  plût  à  Dieu  que  vos  entrailles  fus- 
sent si  profondément  ébranlées  par  la  crainte  que 
vous  n'eussiez  plus  l'audace  de  consentir  aux  dan- 
gers du  plaisir. 

thaïs.  El  quelle  place  peut -il  rester  désormais 
pour  les  plaisirs  corrompus  dans  mon  cœur  où  do- 
minent sans  partage  l'amertume  d'un  chagrin  im- 
mense el  la  peur,  jusque-là  inconnue,  d'une  con- 
science troublée. 

paphnuce.  il  est  un  souhait  que  je  forme  :  c'est 
qu'après  avoir  coupé  les  épines  des  vices,  vous  puis- 
siez abreuver  votre  âme  dans  les  flots  du  repentir. 

thaïs.  Oh!  si  vous  pouviez  croire,  oh  !  si  vous  pou- 
viez espérer  qu'une  pécheresse  comme  moi,  enfouie 
dans  la  l'ange  épaisse  de  mille  fautes,  pûl  jamais  ex- 
pier ses  crimes,  et  par  quelque  pénitence  que  ce  fût, 
mériter  son  pardon  !... 

paphnuce.  Eh  !  il  n'est  point  de  péché  si  grave,  point 
de  crime  si  énorme,  qui  ne  puisse  s'expier  dans  le 
regret  et  le  repentir,  s'il  y  a  en  même  temps  des  ef- 
fets et  des  œuvres. 

thaïs.  Faites-moi  connaître,  je  vous  en  prie,  ô 
mon  Père,  quels  effets  elquelles'omvres  peuvent  ob- 
tenir le  bienfait  de  la  réconciliation? 

paphnuce.  Méprisez  le  monde  el  fuyez  la  compagnie 
de  vos  amants  dissolus. 

thaïs.  Et  que  me  faudra-l-il  faire  ensuite? 

paphnuce.  Retirée  dans  un  coin  solitaire,  la  vous 
pourrez  faire  votre  examen  intérieur,  et  pleurer  sur 
i'éiiorniilé  de  vos  péchés. 

thaïs.  Si  vous  avez  ainsi  l'espoir  de  mon  salut,  je 
ne  larde  pas  un  instant. 

paphnuce.  Je  ne  doute  pas  que  cela  nevoussauve. 

thaïs.  Laissez-moi  seulement  quelques  minutes. 


»  -  -. 


PAP 


DlCTfOiNiNAlUE  DES  MYSTERES. 


PAP 


578 


pour  réunir  les  richesses  mal  acquises  que  j'ai  long- 
temps conservées." 

paphnuce.  Ne  vous  inquiélez  pas  deces  choses,  il  ne 
manquera  pas  de  gens  qui  s'en  serviront ,  quand  ils 
les  amont  trouvées. 

thaïs.  Je  ne  songe  à  cela  ni  pour  le  garder,  ni 
pour  le  distribuer  à  nies  amis:  je  suis  contrainte 
même  à  ne  pas  le  distribuer  aux  pauvres,  car  je  no 
crois  pas  que  le  prix  de  ce  qui  demande  une  expia- 
tion puisse  être  lion  à  une  œuvre  de  bienfaisance. 

paphnuce.  Vous  ave*  raison.  El  à  quoi  destinez-vous 
ces  monceaux  de  richesses? 

thaïs.  Je  veux  les  livrer  aux  flammes  et  les  réduire 
en  cendres. 

paphnuce.  Pourquoi? 

thaïs.  Pour  qu'il  ne  reste  rien  dans  le  monde  de 
ces  biens  mal  acquis  au  milieu  d'outrages  au  Créa- 
teur. 

paphnuce.  Oh  !  combien  vous  êtes  différente  de 
celle  Thaïs  d'autrefois,  dévorée  de  passions  impures 
et  enflammée  des  feux  de  l'avarice- 

tiiaïs.  Je  changerai  peut-être  en  mieux,  s'il  plaît 
à  Dieu. 

paphnuce.  11  n'est  pas  difficile  pour  l'Immuable  de 
modifier  à  son  gré  toutes  les  dépendances  de  sa  sub- 
stance. 

thaïs.  Je  vais  accomplir  le  dessein  que  j'ai  conçu. 

paphnuce.  Allez  en  paix  et  revenez  vite  auprès  de 
moi. 

SCÈNE  IV. 

THAÏS,  SES  AMANTS. 

taaïs.  Venez  tous  ici;  accourez,  amants  pervers. 

les  amants.  C'est  la  voix  de  Thaïs  qui  nous  ap- 
pelle. Approchons  en  toute  hâte,  pour  ne  pas  l'offem 
ser  par  nos  retards. 

thaïs.  Accourez,  venez  ici,  afin  que  je  puisse  vous 
parler. 

les  amants.  Oh  Thaïs!  Thaïs!  que  signifie  ce  bû- 
cher que  vous  élevez?  Pourquoi  y  entassez-vous  c» 
nombre  infini  d'objets  précieux? 

thaïs.  Vous  voulez  le  savoir? 

les  amants-  Nous  sommes  irès-surpris. 

TnAÏs.  Je  vais  vous  le  dire  sans  déiai, 

lf.s  amants.  Nous  le  désirons. 

thaïs.  Regardez.  (Klle  met  le  feu  au  bûcher). 

les  amants.  Arrêtez,  arrêtez,  Thaïs.  Que  faites- 
vous?  Etes-vous  folle? 

thaïs;  Non  pas;  au  contraire,  j'ai  recouvré  la  rai- 
son. 

les  amants.  Et  pourquoi  meltre  à  néant  quatre 
cents  livres  d'or  et  tant  d'autres  richesses? 

thaïs.  Tout  ce  que  j'ai  arraché  devons  dans  de 
mauvaises  actions  ,  je  veux  le  brûler,  afin  qu'il  ne 
vous  reste  plus  aucune  espérance  de  me  voir  jamais 
plus  céder  à  votre  amour. 

les  amants.  Demeurez  un  moment,  demeurez!  et 
découvrez-nous  la  cause  de  votre  trouble. 

thaïs.  Je  ne  resie  ni  ne  parle  plus  avec  vous. 

..es  amants.  Pourquoi  ce  dédain,  ce  mépris?  Quelle 
infidélité  nous  reprochez-vous?  N'avons-nous  pas 
toujours  satisfait  à  vos  caprices?  et  vous  nous  pour- 
sucwz  sans  motif  de  votre  injuste  froideur... 

thaïs.  Laissez-moi,  ne  déchirez  pas  mes  vêtements 
en  me  retenant.  Qu'il  vous  suffise  que  jusqu'à  ce 
jour,  je  vous  aie  cédé  dans  le  péché.  C'est  du  terme 
de  mes  f;;uies  que  j'ai  haie;  le  moment  de  noire  sé- 
paration presse... 

les  amants.  Où  va-t-elle? 

thaïs.  En  un  lieu  où  nul  d'entre  vous  ne  me  verra 
jamais. 

les  amants.  Grand  Dieu!  quel  est  ce  prodige! 
Thaïs,  nos  délices,  toujours  occupée  à  entasser  l'or 
sur  l'or,  plongée  sans  cesse  dans  l'idée  du  plaisir,  li- 
vrée tout  entière  à  la  volupté;  Thaïs  a  sacrifié  sans 
retour  tant  d'or  et  de  pierreries  magnifiques;  elle 


nous  a  n. éprises,  elle  a  fait  fi  de  ses  conquêtes,  et  a 
disparu  tout  à  coup... 

SCÈNE  V. 

THAÏS,   PAPHNUCE. 

thaïs.  Me  voiri,  Paphnuce,  mon  Père.  Je  viens  en 
toute  hâte  pour  vous  obéir. 

paphnuce.  Vous  avez  lardéà  venir,  et  j'étais  inquiet» 
dans  la  crainte  que  vous  ne  vous  fussiez  engagée  de 
nouveau  dans  les  distractions  du  siècle. 

thaïs.  N'ayez  pas  celle  crainte  ,  car  tout  le  con- 
traire remplit  mon  âme.  Mais  j'ai  disposé  de  ma  for- 
tune comme  je  le  voulais,  et  j'ai  renoncé  publique- 
ment à  mes  amants. 

paphnuce.  Puisque  vous  avez  renoncé  à  eux,  vous 
pouvez  désormais  vous  unir  au  céleste  amant. 

thaïs.  C'est  à  vous  de  me  tracer,  comme  avec  une 
règle,  la  conduite  que  je  dois  tenir. 

paphnuce.  Suivez-moi. 

thaïs.  Oui,  je  vais  marcher  sur  vos  pas,  et,  plût 
à  Dieu  !  sur  vos  traces. 

SCÈNE  VI. 

LES  PRÉCÉDENTS. 

paphnuce.  Vous  voyez  ce  monastère;  là  demeure 
un  noble  collège  de  vierges  consacrées  à  Dieu.  C'est 
dans  ce  lieu  que  je  désire  que  vous  passiez  le  temps 
de  votre  pénitence. 

thaïs.  Je  ne  m'y  oppose  pas. 

pahknuce.  Je  vais  entrer  et  prier  l'abbesse,  direc- 
trice de  celte  maison,  de  vous  y  recevoir. 

thaïs.  Qu'ordonnez  -vous  que  je  fasse,  en  atten- 
dant? 

paphnuce.  Entrez  avec  moi. 

thaïs.  A  voire  gré. 

paihnuce.  Mais  voici  l'abbesse.  Je  ne  comprends 
pas  qui  lui  a  si  promplemenl  porté  la  nouvelle  de  vo- 
tre approche. 

thaïs.  La  renommée,  que  rien  n'arrête. 

SCÈNE  VII. 

LES  MÊMES,    L'ABBESSE. 

paphnuce.  Vous  voici  à  propos,  illustre  abbesse; 
c'est  vous  que  je  cherche. 

l'abbesse.  Vous  êtes  le  bienvenu,  vénérable  Père 
Paphnuce.  Bénie  soit  votre  arrivée,  ô  bien -aimé  de 
Dieu  ! 

paphnuce.  Que  la  béatitude  de  l'éternelle  bénédic- 
tion soit  répandue  sur  vous  parla  grâce  du  Créateur 
universel! 

l'abbesse.  Comment  se  fait-il  que  votre  sainteté 
ait  daigné  visiter  mon  humble  demeure? 

paphnuce.  J'ai  hesoin  de  voire  assistance  dans  une 
occasion  pressante. 

l'abbesse.  Donnez  vos  ordres  le  plus  brièvement. 
Que  voulez-vous  que  je  fasse?  Je  vais  m'efforcer  d'ac- 
complir vos  commandements  et  de  Satisfaire  à  vos 
lésiis,  selon  mon  pouvoir. 

paphncce. Je  vous  apporte  une  chèvre  demi-morte, 
arrachée  il  y  a  bien  peu  de  lemps  aux  dents  des 
loups,  et  je  désire  qu'elle  soit  réchauffée  dans  ie  sein 
de  voire  piété,  et  guérie  par  vos  tendresses,  en  sorte 
qu'elle  rejette  sa  grossière  peau  de  chèvre  et  prenne 
la  douce  toison  de  la  brebis. 

l'abbesse.  Expliquez-vous  plus  clairement. 

paphnuce.  Cette  femme  que  vous  voyez  a  mené  la 
vie  d'une  courtisane. 

l'abbesse.  O  malheur! 

paphnuce.  Elle  s'est  livrée  toute  entière  à  la  sen- 
sualité. 

l'abbesse.  Elle  s'est  perdue  elle-même. 

paphnuce.  Mais  maintenant,  à  ma  prière,  et  avec 
l'aide  du  Christ,  elle  fuit  avec  haine  les  vanités,  et 
recherche  la  charité. 

l'abbesse.  Grâces  soient  rendues  à  l'auteur  de 
celle  conversion  ! 


î>79 


PAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAP 


580 


paphnuce.  Les  maladies  de  l'âme,  comme  celles  du 
corps,  peuvent  eue  traitées  par  remploi  des  con- 
traires. Conséqueninient,  relie  femme,  séquestrée 
des  agitations  du  siècle  qu'elle  commit,  sera  ren- 
fermée seule  dans  une  étroite  cellule,  afin  qu'elle  y 
puisse  pins  à  loisir  méditer  sur  ses  fautes. 

l'abbesse.  Rien  n'est  préférable. 

paphnuce.  Donnez  des  ordres  alin  qu'une  cellule 
soit  le  plu»  prompte  uenl  construite. 

l'abbesse.  Ce  sera  bientôt  fait. 

paphnuce  (bus  à  t'abbesse).  N'y  laissez  ni  entrée  ni 
sorue,  mais  seulement  une  étroite  fenêtre,  par  la- 
quelle elle  puisse  recevoir  une  maigre  piiance,  qu'à 
des  jours  et  des  heures  marqués  vous  vous  ferez  un 
devoir  d'aller  lui  donner  avec  épargne. 

l'abbesse.  Je  crains  (pie  la  mollesse  d'une  âme  af- 
faiblie ne  supporte  avec  peine  la  rigueur  d'une  si 
dure  pénitence. 

paphnuce.  Soyez  sans  crainte.  Une  faute  grave  a 
Les. du  n'une  énergique  médieamentalion. 

l'abbesse.  Sans  doute. 

paphnuce.  Je  n'ai  souci  que  des  délais,  dans  la 
peur  qu'elle  ne  soit  corrompue  par  la  visite  des  hom- 
mes. 

l'abbesse.  Pourquoi  ces  soucis?  Que  ne  la  renfer- 
mez-vous? La  tedule  que  vous  avez  demandée  est 
preie. 

paphnuce.  Tant  mieux.  (A  Tliaïs,  d'une  voix  sé- 
vère).  Entrez,  Thaïs.  Ce  r.  duit  est  assez  bon  pour 
pleurer  vos  crimes. 

thaï-».  Que  ce  lieu  est  étroit,  obscur,  et  immonde 
pour  une  lande  femme! 

paphnuce.  Pourquoi  ces  mots  amers  contre  celle 
cellule?  Pourquoi  frémissez-vous  d'y  entrer?  lmiomp.j 
lée  jusqu'à  ce  jour,  vagabonde,  il  faut  que  vous  su- 
bissiez enliu  le  irein  et  la  solitude. 

t'hais.  Lame  huDiiuéo  à  la  mollesse  est  aisément 
impatiente  de  sa  première  vie. 

paphnuce.  Aussi  faut-il  les  rênes  solides  de  la  dis- 
cipline pour  la  contenir,  jusqu'à  ce  que  la  révoile  ait 
cessé. 

thaïs.  Les  ordres  de  voire  paternité  ne  sont  pas 
l'objet  des  résistances  de  mon  humilité;  mais  il  y  a 
dans  celle  habitation  un  inconvenant  bleu  ddliule  à 
supporter  pour  ma  faiblesse. 

paphnuce.  Quel  est  cet  inconvénient? 

tuais.  Je  rougis  de  le  dire. 

paphnuce.  Ne  rougissez  pas,  et  parlez  sans  détour. 

thaïs.  Qu'y  a-l-il  ne  plus  insnppoi  laide,  ne  plus 
affreux,  qi.e  d'être  forcée  de  satisfaire  en  un  même 
lieu  à  tous  les  besoins  du  corps;  certainement,  ce 
lieu  sera  eu  peu  de  temps  inoubliable,  à  cause  de 
l'excès  de  la  puanteur. 

paphnuce.  Crains  les  douleurs  de  1  éternelle  gé- 
henne, cl  ne  l'épouvante  de  rien  de  ce  qui  est  pas- 
sager. 

thaïs.  C'est  ma  faiblesse  qui  me  force  à  craindre. 

paphnuce.  It  faut  que  lu  expies  la  douceur  îles  plai- 
sirs et  des  caresses  maudites  par  le  supplice  de  celle 
puanteur  intolérable. 

(//  la  conduit  vers  la  cellule.) 

thaïs  (dans  la  cellule,  dont  on  commence  à  murer 
la  porte).  Je  ne  résiste  pas,  et  je  conviens  que,  selon 
la  justice,  je  n'aie,  souillée  d'impureté,  d'abri  que  ce 
trou  impur  el  fétide.  Mais  tout  mon  lourmenl  cruel 
est  qu'il  ne  restera  aucune  place  pour  invoquer  dé- 
cemment le  nom  de  la  redoutable  Majesté. 

paphnuce  (plus  sombre).  El  d'où  vous  vient  celle 
étrange  hardiesse  d'oser,  de  vos  lèvres  polluées,  pro- 
noncer le  nom  de  la  Divinité  sans  tache? 

(225)  La  scène  qu'on  vient  de  lire  où  Paphnuce 
recommande  Thaïs  pénitente  aux  soins  de  la  supé- 
rieure d'un  couvent  de  femmes,  ne  retrace  en  rien 
les  usages  monastiques  du  iv«  sciècle.  Mais  cei  en- 
tretien nous  offre  en  échange  un  exemple  curieux 


thaïs  Et  de  qui  pnis-je  ecpérer  mon  pardon?  De 
qui  mon  salul?  de  qui  la  pillé,  s'il  m'c-l  défendu 
d'implorer  celui  contre  qui  seul  j'ai  péché,  cl  à  qui 
seul  mes  prières  amen  es  doivent  elle  adressées? 

paphnuce.  Vous  devez  prier  non  pas  par  des  pa- 
roles, mais  par  des  larmes;  non  par  le  son  plaintif 
de  votre  voix,  mais  le  i aie  de  voue  cœur  repen- 
tant. 

thaïs.  Et  s'il  m'est  défendu  de  prier  Dieu  par  des 
paroles,  comment  puis-je  espérer  ma  grâce? 

paphnuce.  Vous  lohuendriz  d'autant  plus  vite 
que  voue  bumilit  sera  plus  parla  le.  Dites  seule- 
ment :  «  0  mon  Créateur,  ayez  pitié  tic  moi  !  » 

thaïs.  J'ai  besoin  de  sa  pitié,  pour  n'être  pas  brisée 
dans  cette  épreuve  incertaine. 

paphnuce.  Luttez  avec  force,  afin  d'obtenir  une 
heureuse  victoire. 

thaïs.  El  vous,  priez  pour  moi,  afin  que  j'acquière 
la  palme  du  triomphe. 

paphnuce.  Je  n'ai  pas  besoin  de  recommandation. 

thaïs.  Je  l'espère. 

pahhnice,  se  tournant  vers  l'abbesse.  11  est  temps 
de  rentrer  dans  les  retraites  aimées  île  ma  solilmje, 
el  d'alh  r  visi;er  mes  chers  disciples.  C'e-t  pourquoi, 
vénérable  abbes^e,  je  conlie  à  voire  softicitnde  et  à 
voire  charité,  celte  captive,  doni  vous  aurez  a  sus- 
tenter le  corps  délicat  du  suicl  nécessaire  el  res- 
taurer abondamment  l'âme  des  plus  sabiiaires  avis. 

l'abbesse.  Soyez  sans  inquiétude,  j'aurai  pour  elle 
une  tendresse  et  des  soins  de  mère. 

paphnuce.  Je  pars. 

l'abbesse.  Allez  en  paix.  (i25) 

SCÈNE  VI II. 

PAPHNUCE,    LES  DISCIPLES 

les  disciples.  Qui  heurte  à  la  porle  ? 

«aphnuce.  Moi. 

les  disciples.  C'est  la  voix  de  Paphnuce  noire 
Père. 

paphnuce.  Otez  le  verrou. 

les  disciples    Salul.  ô  notre  Père  ! 

paphnuce.  Salut! 

les  disciples.  Nous  étions  bien  inquiets  de  voire 
longue  absence. 

paphnuce.  Je  me  félicite  de  mon  absence. 

les  OisciPLES.  Qu'avez-vous  fait  de  Tuais  ? 

paphnuce.  Ce  que  j'avais  projeté. 

les  disciples.  Où  csl-clle  ? 

paphnuce.  Dans  une  étroite  cellule  où  elle  pleure 
ses  péchés. 

l;  s  disciples.  Gloire  à  la  Souveraine  Triniic! 

paphnuce.  El  suit  béni  son  nom  redoutable,  main- 
tenant el  dans  tous  les  siècles. 

les  disciples.  Amen. 

SCÈNE  IX. 

paphnuce,  seul,  assis. 

paphnuce.  Voici  trois  ans  que  Thaïs  subit  sa  pé- 
nitence el  je  ne  sais  si  son  repentir  a  été  accepté 
par  Dieu.  Levons-nous  et  allons  vers  mon  frère 
Antoine,  alin  que,  par  son  intervention,  la  vérité  se 
manifeste  à  moi. 

(//  se  lève  el  se  met  en  route.) 
SCÈNE  X. 

PAPHNUCE,  ANTOINE. 

Antoine.  Quel  bonheur  inespéré!  quelle  joyeuse 
venue  !  n'esl-ce  pas  mon  frère  el  mon  collaborateur 
en  solitude,  Paphnuce  ?  C'esi  lui-même. 

paphnuce.  C'est  moi,  en  effet. 

des  formules  de  pieuse  courtoisie,  avec  lesquelles 
devaient  s'aborder  et  converser  un  abbé  el  une  ab- 
besse  dans  le  siècle  el  dans  la  patrie  des  Olhons. 
(1d.) 


b8i 


PAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PÀP 


Antoine.  Vous  êles  le  bienvenu,  mon  frère,  voire 
bonne  arrivée  me  comble  de  joie. 

paphnuce.  Je  ne  suis  pas  moins  heureux  de  vous 
voir  que  von»  de     on  arrivée. 

Antoine.  El  quel  motif  si  favorable,  si  agréable 
pour  nous,  vous  a  lire  de  voire  retraite? 

paphnuce.  Je  vais  vous  le  dire. 

Antoine.  J'attends. 

paphnuce.  Il  y  a  plus  de  trois  ans,  il  y  avait,  non 
loin  de  nous,  une  couriisane  nommte  Thaïs  qui, 
iion-seulenieni  s'elail  donnée  toute  entière  à  la  per- 
dition, mais  encore  ne  se  faisait  faule  d'enirainei 
bien  des  gens  avec  elle  à  la  mort. 

antoine.  Q  déplorable  audace  ! 

papunuce.  J'allai  la  trouver  sous  les  dehors  d'un 
amant.  Tantôt  j'amenais  à  moi  son  âme  lascive  par 
de  tendre*  et  douces  remonlranc  s.  cl  tantôt,  par 
de  terribles  représentations  el  des  menaces  mêmes, 
je  lui  fais  lis  p;ur  (V22G). 

antoine.  Ces  tempéraments  étaient  faits  pour  sa 
faiblesse. 

papunuce.  Elle  faiblit  enfin,  et  repoussant  ses 
réprehensibles  habitudes,  elle  se  voua  à  la  chasteté, 
et  se  laissa  en  fermer'  dans  une  très-étroite  cellule. 

antoine.  Ce  récit  me  cause  taul  de  satisfaction 
que  ton  les  les  liures  de  mon  cœur  en  oui  liessailli 
ite  joie. 

paphnuce.  Renie  soil  voire  sainteté!  Pour  moi, 
je  serais  au  comble  du  bonheur  de  cette  conversion, 
.si  je  n'étais  troublé  par  quelque  inquiétude.  Je  crains 
que  la  dé  ca.esse  «le  e  ne  femme  ne  puisse  suppor- 
ter une  bien  longue  pénitence. 

antoine.  La  vraie  charité  a  toujours  pour  com- 
pagne la  pieuse  compassion. 

papunuce.  Aussi  je  sollicite  voire  charité.  Vous 
el  vos  disciples,  veuillez,  unis  de  cœir  avec  moi, 
prier  jusq  l'a  ce  que  le  ciel  nuis  lasse  co  ni  me  si 
la  bouté  et  la  miséricorde  «ic  Dieu  sont  indulgentes 
pour  noire  pénitente  et  attendries  par  ses  larmes. 

antoine.  Noiio  conseillons  bien  volontiers  à  voira 
dom.iinie. 

papunuce.  Sans  doute,  Dieu  vous  entendra,  dans 
sa  clémence. 

SCÈNE  XI. 

les  mêmes,  ensuite  PAUL. 

antoine.  Déjà  la  promesse  évansélique  s'est  ac- 
complie en  nous. 

pap.:nuce.  Q  .elle  promesse? 

antoine.  Cède  qui  nous  assure  qu'en  unissant  nos 
pneus  nous  pouvons  tout  obtenir  l"227j. 

1  -ai  usuel..  (m'y a  l-'i  '• 

ant  une.  Paul,  mon  disciple,  a  eu  une  vision. 

papunuce.  Appelez-le. 

Antoine.  Paul,  approchez  et  racontez  votre  vision 
à  Piiphuuce 

Paul.  Dans  ma  vision,  il  y  avait  dans  le  ciel  un 
lit  magnifique,  tendu  de  blanc  ,  auprès  duquel 
ci  lient  quatre  jeunes  vierges  éblouissantes  de  lu- 
mière, debout  connue  «les  sentinelles.  A  peine  vis-je 
celle  merveilleuse  et  réjouissanle  splendeur  que  je 
me  dis  en  moi-même  :  «  Une  leîle  gloire  n'appar- 
tient à  personne  autant  qu'a  mon  père  cl  à  mou 
maître  Antoine.  > 

antoine.  Je  ne  me  crois  pas  digne  d'une  telle 
béatitude. 

paul.  A  peine  avais-je  pensé,  qu'une  voix  divine 
me  dil  avec  le  bruit  du  tonnerre  :  <  Non,  ce  n'est 

(2ïb)  En  reportant  noire  pensée  sur  la  scène  à 
laquelle  il  est  fait  ici  allusion,  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  remarquer  que  ce  mélange  de  douces 
remontrances  el  d'énergiques  conseils  se  rappoile 
avec  beaucoup  plus  de  vérité  à  la  conversion  de  .Marie 
par  Abraham.  C'est  seulement,  co  iiflle  nous  le  ver- 
rons tout  à  l'heure,  eu  assistant  la  pécheiesse  agoni- 
sante, que  Papunuce  montrera  envers  elle  toute  sa 


pas  ,  comme  lu  le  penses ,  pour  Antoine ,  mais  pour 
la  courtisane  Thaïs  qu'est  réservée  celle  gloire.   » 

papunuce.  Gloire  à  la  douceur  de  voire  miséri- 
corde, ô  Christ,  Fils  unique  de  Dieu,  qui  avez  dai- 
gne me  consoler  avec  tant  île  bonté  dans  ma  tris- 
tesse. 

antoine.  Gloire  au  Seigneur. 

papunuce.  Je  vais  visi  er  ma  captive. 

antoine.  Le  temps  est  venu  de  lui  donner  l'espoir 
du  pardon  et  la  consolation  de  l'éternelle   béatitude. 

SCÈNE  XII. 

PAPHNUCE,  THAÏS. 

paphnuce.  Thaïs,  ma  fille  adoplive,  ouvrez  votre 
fenêtre,  pour  que  je  vous  voie. 

thaïs   Qui  me  parle? 

paphnuce.  l'apiinuie,  votre  Père. 

thaïs.  D'où  vieni  tant  de  bonheur  et  de  joie,  el 
comment  daignez-vous  me  visiter,  moi,  péche- 
resse. 

paphnuce.  Quoique,  durant  ces  trois  ans,  j'étais 
demeuré  loin  de  vous,  au  moins  de  corps,  néanmoins 
je  nie  suis  toujours  préoccupé  de  votre  salut. 

thaïs.  Je  n'en  liotile  pas. 

paphnuce.  Tracez-moi  le  tableau  de  votre  vie  in- 
térieure et  les  degrés  de  voire  repentir. 

thaïs  J- ne  pu  s  due  qu'une  chose,  c'est  que  je 
sais  n'avoir  ne.i  fait  qui  soil  digue  du  Seigneur. 

paphnuce.  Si  D  eu  scrutait  toutes  nos  iniquités, 
nul  ne  soutiendrait  son  e  amen. 

thaïs.  Si  cependant  vous  voulez  savoir  ce  que 
j'ai  fait  :  j'ai  dans  ma  conscience  amassé  la  mulli- 
lu  le  de  mes  fautes,  comme  eu  un  faisceau,  el  je 
nai  pas  cessé  de  les  rouler  dans  mon  esprit  et  de 
les  garder  sous  mes  yeux;  en  sorte  que,  en  même 
lenip'.  que  montait  sans  ces.e  dans  me->  narines  une 
odeur  infecte  et  insupportable,  en  mène  temps  était 
visible  pour  mon  cœur  l'horreur  de  l'enter. 

paphnuce.  Punie  par  votre  propre  repentir,  vous 
avez  oiilenu  voire  grâce. 

thaïs.  Oh  !  plût  au  ciel  ! 

paphnuce.  Donnez-moi  la  main,  que  je  vous  aide  à 
sorlir. 

thaïs.  Non,  mon  vénérable  Prc!  non,  ne  me  re- 
tirez-pas, moi  l'impute,  ,*e  ce  fumier.  Laissez-moi 
en  «e  lieu  convenable  pour  ma  conduite. 

paphntce.  Le  temps  esi  venu  de  vous  alléger  de 
la  crainte  el  de  commencer  une  vie  d'espérance, 
car  voire  pénneiiee  a  clé  agréable  à  Dieu. 

thaïs.  Que  lofis les  anges  louent  sa  miséricorde, 
puisqu'il  n'a  pas  dédaigne  l'humble  contrition  de 
mou  cour! 

paphnuce*  Persislez  dans  la  crainte  de  Dieu  et 
maintenez-vous  ans  son  amour,  car  d'ici  à  q'.dnze 
jours,  vous  dépouillerez  votre  enveloppe  humaine, 
el  votre  course  ici  bas  éiant  heureusement  terminée, 
avec  le  secours  de  la  grâce  divine,  vous  émigrerez 
pour  les  tieux. 

thaïs.  Oii  !  puissé-je  échapper  aux  lourmenls  de 
l'enfer,  ou  du  moins  n'être  brulee  que  dans  les  flam- 
mes les  moins  ardentes!  car  il  n'est  pas  de  mes  mé- 
rites n'obtenir  la  béatitude  sans  lin. 

paphnuce.  La  grâce,  le  don  gratuit  de  la  divinité, 
ne  pèse  pas  le  mérite  des  hommes;  car,  si  elle  n'é- 
tait accordée  qu'aux  mérites,  on  ne  l'appellerait 
pas  la  grâce  (228). 

thaïs.  Oh!  que  le  concert  des  cieux,  que  tous  les 
arbrisseaux  de  la  terre,  que  loules  les  espèce?  d'a- 

len dresse  de  cœur.  (M.  Magmn.) 

(i27)  Hroisviiha  me  parait  s'élre  plutôt  rappelé 
ici  le  sens  que  les  paroles  de  saiul  Mathieu...  Il  est 
presque  impossible  de  signaler  lous  les  emprunts  que 
notre  auteur  fail  au  Nouveau  el  à  l'Ancien  Testa- 
ment... (lu.) 

(v228)  On  voit  que  notre  auteur  suivait  les  opi- 
nions de  saiul  Augustin  sur  la  grâce.  (U>.) 


583 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  ^STEKES. 


PAS 


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moraux,  et  les  .gouffres  inconnus  des  eaux,  louent 
celui  qui  non-seulemenlsuppone  les  pécheurs,  mais 
qui  ilonne  encore  des  récompenses  gratuites  à  ceux 
qui  se  repentent. 

papii.nuce.  Il  a,  de  toute  éternité,  préféré  la  misé- 
ricorde au  châtiment. 

SCÈNE  XIII. 

LES  MÊMES. 

thaïs.  Ne  vous  en  allez  pas,  mon  vénérable  Père  ; 
restez  auprès  de  moi  pour  me  donner  courage  à 
l'heure  de  ma  mort. 

paphnuce.  Je  ue m'en  vais  pas;  je  ne  vous  quille 
point,  jusqu'au  moment  où,  votre  âme  planant  au- 
dessus  des  airs,  j'aurai  donné  la  sépulture  à  votre 
corps. 

thaïs.  Ah!  je  commence  à  mourir. 

paphnuce.  C'est  le  moment  de  prier. 

thaïs.  0  mon  créateur,  ayez  pi  lié  de  moi  et  per- 
mettez que  l'âme  que  vous  âvea  soufflée  dans  mon 
sein  retourne  heureusement  à  vous  ! 

(Elle  meurl.\ 

SCÈNE  XIV. 

Paphnlce,  seul. 

paphnuce.  Toi  qui  n'as  point  eu  de'créateur,  forme 
vraiment  immatérielle,  dont  l'essence  simple  a  formé 
de  divers  éléments  l'homme  qui  n'est  pas  ce  qui  est, 
permets  que  les  diverses  essences  de  celle  créature 
humaine  rejoignent  sans  obstacle  le  principe  de 
leur  origine,  l'àtue  venue  du  ciel  participant  aux 
joies  célestes,  le.  corps  étant  reçu  paisiblement  dans 
le  sein  .le  la  terre,  matière  identique  à  lui,  jusqu'au 
jour  où  cette  poussière  se  réunissant  et  le  souffle  de 
la  vie  pénétrai!  l  de  nouveau  les  membres  ressuscites, 
cette  même  Thaïs  ressuscite,  créature  complète 
comme  autrefois,  pour  prendre  place  parmi  les hl  ri- 
ches brebis  ei  entrer  dans  la  joie  de  l'éternité  (229); 
6  toi,  qui  seules  ce  que  tu  es,  qui  règnes  dans  l'unité 
delà  Trinité,  et  qui  es  perpétuellement  glorifié  dans 
les  siècles  des  siècles.  Amen. 

PASSION  (La).  -La  Passion  a  élé,  en 
Orient,  du  i"  au  ve  siècle,  ou  même  un  peu 
plus  lard;  en  Occident,  du  v*  siècle  à  la  fin 
du  xvr,  l'objet  de  deux  grandes  tenlalives 
dramatiques  : 

L'une  porte  le  nom  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze  ;  l'autre  est  anonyme. 

LA    PASSION. 
Orient. 
LE  CHRIST  SOUFFRANT  (230). 

Le  dr.une  du  Christ  souffrant  ou  de  la 
Passion  du  Christ,  est  attribué  à  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  et  daterait  ainsi  du 
ive  siècle. 

Les  manuscrits  grecs  de  ce  drame  sont 
nombreux  dans  les  grandes  bibliothèques 
d'Europe,  et  ont  été  tous  consultés. 

Le  nombre  des  éditions  n'est  pas  moins 
considérable  :  la  plus  récente  est  celle  de 
M.  Dtibner,  dans  les  Classiques  grecs  de  la 
collection  Didot. 

(229)  Celle  théologie  miséricordieuse,  qui  se  re- 
trouve dans  toutes  les  pièces  de  ilrotsviiha  prouve 
que  la  barbarie  des  mœurs  n'avait  pas  pénétre  dans 
les  doctrines.  iM.  Magni.n.) 

(230)  Voy.  Christ  {le  meurtre  du). 

(231)  M.iVlagnin  a  remarqué  que  Fabrice,  dans  sa 
préface,  comptait  avant  lui  deux  traducteurs;  or,  ne 
connaissant  que  l'édition  de  Culdebeck,  antérieure 
à  celle  de  Fabrice,  l'illustre  membre  de  l'Institut 
suppose  que  la  date  de  l'éditio  n  de  Roillet  est  ince 


Il  n'existe  du  Christ  souffrant  que  des 
traductions  latines;  les  plus  anciennes  sont 
celles  de  Gabriel  Garcia,  en  15W,  de  Sébastien 
Guldebeek,  en  1550,  dans  l'édition  de  saint 
Grégoire,  donnée  à  Bâles,  et  de  Fabrice  de 
Ruremonde,  en  vers  latins  (231).  M.Dubnera 
retouché  la  traduction  latine  desBénédiclins. 

Le  Christus  patiens  a  été,  en  184-9,  l'ob- 
jet d'articles  très-développés  dans  le  Journal 
des  Savants  des  mois  de  Janvier,  p.  12-26, 
et  de  Mai,  p.  275-288,  dus  à  la  plume  sa- 
vante et  ingénieuse  de  M.  Magnin.  Le  Chris- 
tus patiens  porte  deux  lities  dans  les  ma- 
nuscrits :  tantôt  %pi<nos  wào-^wv,  la  Passion 
du  Christ;  el  tan  tôt,  mais  plus  rarement, 
Tô  jwg-aoTwTfljOiov  n-«6of,  la  Passion  du  Sauveur 
du  monde.  Inconnu  en  Occident  jusqu'au 
mi'iieu  du  xvie  siècle,  il  n'a  pu  exercer  au- 
cune influence  sur  les  mystères  du  moyen 
âge.  Le  texte  de  cet  ouvrage  a  reçu  de  ses 
premiers  éditeurs  le  nom  de  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  que  donnent  presque  tous  les 
manuscrits.  tSes  premiers  traducteurs  ne 
semblent  pas  même  avoir  soupçonné  que 
l'attribution  de  ce  drame  à  saint  Grégoire 
pût  soulever  la  plus  légère  contradiction. 
Ce  sont  deux  théologiens  protestants  Wil- 
liam Fulke  et  Robert  Cooke,  qui,  très-pro- 
bablement, ont  les  premiers  refusé  de  re- 
connaître dans  le  Christus  patiens  l'œuvre  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze.  Ils  furent  bien- 
tôt suivis  dans  cette  opinion  par  leurs  co- 
religionnaires, Guillaume  Cave,  Perkins  et 
André  Rivet.  De  leur  côté,  et  dans  le  même 
temps,  les  célèbres  catholiques,  Théophile, 
Antoine  Possevin,  Bar onius,  Bellarmin.  Phi- 
lippe Labbe,  Adrien  Baillet,  dom  Rémi  Ceil- 
lier  se  prononcèrent  dans  le  même  sens. 
Enfin,  dans  le  dernier  siècle  et  dans  le  nô- 
tre, Philippe  Buonarotti ,  Mathias  Sehrœck, 
Daniel  Triller,  Casp.  Walcket.aër,  Richard 
Poison,  Daniel  Beck,  Schœll,  Henr.-Chr.- 
Abrah.  Eichsladl,  l'abbé  Caillau,  et  M.  Fréd. 
Dubner  ont  adopté  la  même  opinion.  Ce- 
pendant Juste  Lipse,  Jean-Gérard  Vossius, 
Isaac  Casaubon,  Daniel  lleiusius,  Lenaiu 
de  Tillemout,  se  sont  renfermés  dans  les  li- 
mites du  doute,  tout  en  jugeant  cette  pièce 
peu  digne  de  l'orthodoxie  et  du  talent  de 
saint  Grégoire.  Lntin,  un  petit  groupe  de 
critiques  ne  trouve  pas  de  raisons  suffisan- 
tes contre  le  témoignage  unanime  des  ma- 
nuscrits. Ce  sont  principalement  Combetis, 
Casimir  Oudin,  Pierre  Lambecius,  Yriarte, 
J.-A.  Fabricius,  Warton,  et  plus  récemment 
M.  J.-Chi  .-Guill.  Auguste 

Les  objections  de  ceux  qui  veulent  rayer 
le  Christus  patiens  des  œuvres  de  saint  Gré- 
goire sont  de  deux  sortes  :  les  unes  lliéolo- 

laine.  Mais  Martin  Ballius  indique  en  ces  termes  la 
traduction  de  Garcia  :  «  Gregorii  tragœdinClir.slus  Pa- 
tiens, Gubriele  Garcia  Turrucouensi  interprète,  Pari- 
siis,  apud  Weclielum,  1549.  »  Cf.  le  catalogue  de  Bal- 
lius, intitulé  :  (/Eternœmemoriœ  viri  Ant.  Atigus  ini, 
arcliiepisc.  Tarracon.)  hibliolliecœ  grecœ  mss.  tatinat 
mss.  mixla  ex  libris  editts  vaiiarum  liiujitarum  ;Tur- 
racone,  apud  Phiïippum  Mey,  15*6,  i«-4°,  —  Diblt 
Mixt.i  n»  229. 


SS5 


PAS 


DlCTlONiNAlKE  DES  MYSTERES. 


PAS 


536 


giques,  les  autres  littéraires.  Parmi  les  pre- 
mières, la  plus  grave  est,  sans  contredit, 
la  profonde  altération  qu'a  subie  le  caractère 
de  la  Vierge.  Elle  apparaît  livrée  aux  vio- 
lents paroxysmes  de  la  douleur  humaine, 
menaçante,  irritée,  baignée  de  larmes,  trem- 
blant pour  sa  propre  vie,  ou  livrée  à  des 
projet»  de  suicide,  empruntant  ses  impré- 
cations à  la  Médée  d'Euripide,  ou  sa  réso- 
lution de  se  donner  la  mort,  à  la  nourrice 
de  Phèdre.  Aussi,  le  cardinal  Bellarmin  fi- 
t-il dit  :  Le  Christus  patiens n'a  pas  la.  gravité 
accoutumée  de  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
surtout  dans  la  description  du  désespoir  de 
la  Mère  du  Christ,  si  prudente  et  si  rési- 
gnée. »  Diverses  traditions  apocryphes  y 
figurent;  entre  autres,  la  nourriture  mira- 
culeuse de  la  sainte  Vierge  dans  le  temple, 
et  l'apparition  miraculeuse  de  Jésus-Christ 
à  sa  Mère  aussitôt  après  sa  résurrection  ;  et 
ces  traditions  sont  postérieures  au  temps 
où  écrivait  saint  Grégoire.  Il  y  est  question 
du  culte  de  la  sainte  Vierge ,  postérieur 
aussi.  Enfin,  un  certain  nombre  u'épithètes 
laudalives  adressées  à  Ja  Mère  du  Sauveur, 
ont  paru  aux  Bénédictins  être  moins  dans 
l'esprit  du  iv*  siècle  que  dans  celui  de  saint 
Jean  Damascène,  ou  même  accuser  une  épo- 
que encore  plus  récente.  En  second  lieu,  la 
lenteur  et  l'embarras  de  l'action,  dont  la 
marche  revient  continuellement  sur  elle- 
même,  des  vers  cinq  ou  six  fois  répétés, 
des  tirades  entières  dont  le  sens  fait  double 
ou  triple  emploi,  des  contradictions  nom- 
breuses, ni  la  force,  ni  l'os  rotundum,  le 
tô  c-po'/yOXov  de  saint  Grégoire,  le  peu  de 
précision  et  l'impropriété  du  langage,  l'em- 
ploi de  vers  d'Eschyle,  de  Lycophron  et 
d'Euripide,  à  ce  point  que  le  drame  en  est 
presque  entièrement  composé  chez  un  au- 
teur si  discret  à  l'endroit  des  poésies  païen- 
nes dans  les  vingt  mille  autres  vers  qui 
subsistent  de  lui,  l'inexactitude  du  mètre 
iambique,  si  exact  dans  toutes  les  poésies 
du  saint  évoque,  tendraient  à  prouver  que 
le  Christus  patiens  ne  saurait  être  compris 
dans  la  liste  des  nombreux  travaux  de  saint 
Grégoire. 

Baronius  l'attribue  à  l'un  des  deux  Apol- 
linaires,  ses  contemporains,  controversistes 
et  poêles  aussi  ,  mais  d'une  orthodoxie 
suspecte.  Adrien  Baillet,  Guill.  Cave  ont 
partagé  celte  opinion.  Casaubon  et  Vos- 
s;us  n'en  sont  pas  éloignés.  Ellies  Dupin  et 
Ceillier  l'ont  réfutée  en  s'appuya nt  sur  ce  que 
le  Christus  patiens  serait  indigne  du  mérite 
littéraire  des  Apolliuaires;  leurs  erreurs 
sont  d'un  autre  genre  et  beaucoup  plus 
graves  que  celles  signalées.  Quelques-unes 
des  vérités  fondamentales  du  dogme  chré- 
tien,  et  notamment  la  croyance  à  la  double 
nature  de  Jésus-Christ  ont  été  rejetées  par 
les  Apollinaires.  Dom  Ceillier  attribue  celte 
pièce  à  Grégoire,  évêque  d'Antioche,  vers 
l'an  572  ;  Daniel  Triller,  à  quelque  moine 
ignorant;  Buonarotti,  aux  loisirs  scolasti- 
ques  d'un  écrivain  moderne. 

Mais,  outre  les  manuscrits  dont  l'accord 
est  unanime,  comme  il  a  été  dit  ci-dessus, 
Dictio.nn.  ces   Mystères. 


la  Vie  de  Saint  Grégoire  par  un  prêtre,  son 
homonyme,  mentionne,  dans  ses  ouvrages, 
des  comédies  et  des  tragédies  pieuses,  et 
Philostorge,  presque  contemporain  de  saint 
Grégoire,  cité  dans  Suidas,  remémore  nom- 
mément le  Christ  us  patiens  dans  les  œuvres  du 
grand  évêque.  (Commentar.  de  Aug.  Bibl. 
L'œsar.  Vindobon.,  éd.  Kollar,  I.  iv,  p.  4-7.) 
Suivant  Combelis,  Casimir  Oudin,  Lambc- 
cius,  on  a  exagéré  l'accusation  d'hétérodoxie. 
Le  culte  de  la  sainte  Vierge  avait  reçu  déjà 
assez  d'extension  pour  justifier  tout  ce  qu'on 
en  trouve  dans  ce  drame;  et  si  celte  pièce 
est  la  seule  qu'ait  composée  en  centons saint 
Grégoire  de  Naziance,  ce  n'est  la  preuve  que 
d'une  concession  d'un  instant  au  goût  des 
hommes  de  son  temps. 

Telles  sont  les  opinions,  les  objections, 
les  attributions  diverses  et  les  répliques  qu'a 
occasionnées  jusqu'ici  Je  Christus  patiens. 
M.  Magnin,  après  les  avoir  fait  connaître 
dans  tous  leurs  développements,  demande  à 
son  tour  place  dans  le  débat  pour  son  pro- 
pre jugement.  La  critique,  dit-il ,  peut  re- 
connaître à  la  fois,  dans  le  Christus  patiens, 
le  siècle  de  saint  Grégoire  et  les  vi',  vu'  et 
vin'  siècles;  l'usage  d'iambes  réguliers  et  do 
vers  dont  la  facture  présage  ceux  qu'on  a 
nommés  vers  politiques,  c'est-à-dire  où  les 
fautes  sont  systématiques  ;  et  des  passages 
où  se  trouvent  des  opinions  orthodoxes  et 
hétérodoxes,  des  doubles  emplois,  des  con- 
tradictions et  des  longueurs.  Cela  tient,  selon 
l'habile  critique,  à  ce  que  celte  pièce  est  (et 
c'est  là  le  mot  de  l'énigme)  une  réunion  assze 
malhabile  de  plusieurs  drames,  ou  fragments 
de  drames,  écrits  en  différents  temps  sur 
la  Passion,  rapsodies  cousues  par  quelque 
copiste  du  x'  ou  du  xi*  siècle... 

«  La  moins  imparfaite  et  la  plus  ancienne 
de  ces  pièces,  celle  qui  a  dû  former  en 
quelque  sorte  le  fondement  et  la  pierre  an- 
gulaire de  cet  éditice  de  construction  com- 
posite, me  semble  être  la  tragédie  même  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  dont  le  nom  il- 
lustre a  prévalu  et  est  demeuré  seul  en  lêto 
de  l'ensemble.  Si  l'on  veut  accorder  quelque 
chose  à  la  conjecture ,  le  second  drame  pour- 
rait appartenir  à  cet  autre  Grégoire,  évêque 
d'Antioche  en  572,  dont  parle  Kemi  Ceillier; 
le  troisième  serait  l'œuvre  de  cet  Etienne, 
(Slephanus ,  monachus  Subaita),  signalé  à 
Gregorio  Giraldi,  (De  poelar.  hist.  dialogus, 
ap.  Opéra,  t.  1",  p.  288) ,  dont  la  pièce  était 
déjà  si  rare  auxv*  siècle,  que  cet  infatigable 
chercheur  de  manuscrits  n'en  put  découvrir 
aucune  copie. 

«  Dans  lesdeux  mille  six  cents  vers  dont  se 
compose  le  texte  actuel  de  Xpicrù?  -niu/^v 
(nombre  qui  serait  excessif  pour  un  seul 
drame...)  il  est  possible  de  reconnaître  assez 
aisément  les  fragments  de  deux  ou  trois  tra- 
gédies pieuses,  sorties,  à  diverses  époques, 
de  mains  différentes  et  dont  les  principales 
scènes  ont  été  rapprochées  et  réunies  en 
corps,  à  peu  près  comme  ont  été  accouplées, 
dans  certains  manuscrits  de  nos  chansons  de 
gestes,  plusieurs  rédactions  successives  des 
plus  célèbres  épisodes  d'un  même  cycle.  » 

19 


.187 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


TfS 


Ainsi,  *  le  prologue  de  Ironie  vers  qui  pré- 
cède la  pièce,  dans  son  étal  actuel,  fait  dou- 
ble -emploi  avec  un  second  prologue  de  qua- 
tre-vingt-dix vers  que  prononce  ensuite  la 
Vierg''...  et  où  l'on  remarque,  dès  les  pre- 
miers vers,  plusieurs  centons  d'Euripide...» 
On  peut  noter,  dansces  deux  morceaux  qui  se 
succèdent  sans  intervalle,  la  même  pensée,  le 
même  mouvement,  le  même  but.  «  Mais  ce 
n'est  pas  tout  :  les  trois  derniers  vers  du 
premier  prologue  contiennent  une  indication 
bien  importante,  ils  annoncent,  comme  de- 
vant figurer  dans  le  drame,  deux  personna- 
ges seulement  :  la  mère  sans  tache  et  le  dis- 
ciple vierge,  plus  un  chœur  déjeunes  filles, 
compagnes  de  la  Mère  du  Seigneur.  Or  la 
pièce,  telle  que  nous  l'avons,  est  chargée 
d'un  bien  plus  grand  nombre  de  personna- 
ges. L'éditeur  de  Couvain  en  a  dressé  la  liste, 
que  ne  donnent  pas  les  manuscrits,  et  qu'ont 
reproduite  tous  les  éditeurs  subséquents. 
Cette  liste  contient,  outre  la  Vierge,  le 
chœur  et  saint  Jean,  lequel,  pour  le  dire  en 
passant,  est  indiqué,  toutes  les  fois  qu'il  p:i- 
raîl  dans  la  pièce,  par  son  surnom  de  freoXôyoî 
et  non  par  celui  de  izapiiwç  pûo-rnç,  comme 
dans  le  premier  prologue;  cette  liste,  dis-je, 
contient  le  Christ,  (que  le  prologue  n'aurait 
pas  oublié  de  mentionner,  s'il  avait  eu  un 
rôle  dans  la  pièce,)  Madeleine,  Joseph,  Ni- 
codèrae,  Pilate,  les  gardes  du  tombeau,  les 
prêtres,  un  jeune  homme,  plusieurs  messa- 
gers. On  aurait  pu  y  ajouter  un  aveugleguéri 
par  Jésus,  l'ange  qui  annonce  aux  saintes 
femmes  la  résurrection;  et  plusieurs  person- 
nages muets,  entre  autres,  saint  Pierre  pleu- 
rant sa  faute  au  pied  de  la  croix,  et  les  onze 
apôtres  recevant,  dans  la  maison  de  Marie, 
la  visite  miraculeuse  de  leur  divin  Maître. 
De  plus,  le  chœur,  que  le  prologue  annonce 
devoir  être  formé  déjeunes  filles,  se  trouve 
en  réalité  composé  de  femmes  de  toui 
Age...  » 

Selon  M.  Magnin,  il  serait  aisé  de  recons- 
truire les  deux  ou  trois  pièces  contenues 
dans  le  texte  actuel  du  Christus  patiens.  La 
pièce  de  saint  Grégoire  était  évidemment  la 
plus  élégante,  la  plus  concise  et  la  plus  or- 
thodoxe ;  elle  ne  mettait  «  en  relief  qu'une 
•seule  figure,  celle  de  la  Vierge,  qui  passait 
par  tous  les  degrés  de  la  douleur  et  de  la 
consolation,  sous  l'impression  successive 
•des  récils  des  jeunes  Galiléens,  etdes  exhor- 
tations de  saint  Jean.  La  seconde  pièce,  plus 
récente,  et  qui  portait  peut-être  le  titre  déjh 
plus  recherché  de  Koa-poo-wnipiov  Tràôo?,  devait 
être  plus  prolixe  et  plus  déclamatoire.  Nous 
lui  attribuerions  volontiers  le  second  pro- 
logue, les  messagers  loquaces,  les  légendes 
apocryphes,  l'ange  lumineux  du  sépulcre, 
Jésus  qui  parle  et  meurt  sur  la  croix.  Cette 
scène,  mise  en  action  et  présentée  aux  yeux, 
suffit  pour  assigner  à  la  partie  du  Christus 
patiens  où  elle  se  trouve,  une  date  assez 
postérieure  à  saint  Grégoire.  En  effet,  les 
fidèles  des  premiers  siècles  ne  représentaient 
que  sous  une  forme  allégorique  et  symbo- 
lique les  redoutables  mystères  de  la  passion. 
On  ne  voit  apparaître,  dans  l'art  chrétien, 


le  crucifix,  c'est-à-dire  la  représentation  oe 
Jésus  sur  la  croix,  qu'au  vi'  siècle.  Enfin, 
un  troisième  drame,  qui  peut-être  n'est  pas 
le  dernier  dans  l'ordre  chronologique,  se 
déiache  du  resie  avec  des  caractères  non 
moins  distincts.  Dans  celui-ci,  le  dialogue 
et  l'action  prévalent  sur  la  forme  narrative. 
A  cette  troisième  pièce  appartenaient,  sans 
doute,  les  scènes  où  l'on  voit  agir  et  parler 
Joseph,  Nicodème,  Pilate,  les  prêtres,  les 
gardes  du  tombeau  et  ie  jeune  homme  velu 
de  lumière  qui  annonce  la  résurrection  à<i 
Jésus-Christ.  Je  dois  dire,  à  ce  propos,  que 
l'apparition  du  jeune  homme  miraculeux 
fait  double  emploi  avec  celle  de  l'ange,  dans 
ce  que  j'appelle  la  seconde  pièce,  et  triple 
emploi  avec  le  récit  que  Madeleine  fait  à  la 
Vierge  dans  le  plus  simple  et  le  plus  épique 
des  trois  drames,  récit  plus  conforme  aux 
évangiles,  mais  qui  contredit  les  deux  scè- 
nes précédentes  en  un  point  important;  car 
Madeleine  raconte  qu'elle  a  rencontré  deux 
anges  au  tombeau,  tandis  qu'on  n'en  a  vu 
figurer  qu'un  dans  chacune  des  deux  scè- 
nes. » 

Il  est  encore  des  preuves  plus  fortes  de 
cet  «  amalgame  assez  indigeste  de  deux  ou 
trois  drames  ou  fragments  de  drames,  écrits 
entre  le  iv'  et  le  vin'  siècle,  et  cousus  fort 
négligemment  ensemble  par  un  lettré  du 
Bas-Empire,  suivant  la  méthode  de  juxta- 
position, généralement  pratiquée  au  moyeu 
âge.  »  Ces  preuves  ressortenl  du  rapproche- 
ment de  divers  passages  qui  se  répètent  les 
uns  les  autres. 

Enfin,  dans  le  court  épilogue,  édité  pour 
la  première  fois  par  M.  Dùbner,  ce  philolo- 
gue a  cru  reconnaître  le  siècle  et  même  la 
main  de  Tetzès.  Cet  envoi  semble  à  M.  Ma- 
gnin un  aveu  formel,  l'auteur  invitant  un 
ami  à  compiler  comme  lui,  mais  des  vers 
extraits  de  Lycophron,  et  non  plus  d'Eu- 
ripide. 

En  dernier  lieu,  l'auteur  de  ce  long  et  sa- 
vant mémoire,  dont  nous  avons  cru  devoir 
donner  des  extraits  si  étendus  et  une  ana- 
lyse si  complète,  se  demande  si  Je  Christus 
patiens  a  été  destiné  à  la  représentation  et 
joué  quelque  part,  soit  dans  son  état  primi- 
tif supposé,  soit  dans  son  état  actuel.  Suivant 
lui,  le  drame  original  de  saint  Grégoire  n'a 
été  écrit  que  pour  fournir  aux  chrétiens, 
curieux  des  émotions  théâtrales,  une  lecture 
plus  édifiante  que  celle  des  drames  d'Es- 
chyle ou  d'Euripide.  Quant  aux  deux  autres 
drames,  ou  fragments  de  drames,  dont  la 
forme  est  évidemment  plus  dramatique,  et 
qu'on  peut  rapporter  au  vie  et  au  vme  siè- 
cle, ils  ont  pu  être  joués  dans  les  monas- 
tères où  ils  ont  été  composés. 

Nous  mettons  le  lecteur  à  même  de  vider 
ce  procès  en  reproduisant  en  entier  le  drame 
de  saint  Grégoire. 

LE  CHRIST  SOUFFRANT. 

ENVOI. 

Voici  un  vrai  drame,  sans  Relions,  sans  souillure  dri 
impures  frivolités  de  li  myilioloxte,  ô  vous  qui  aimez  le» 
paroles  el  les  leçons  pieuses.  El  s'il  vous  plat',  je   vous 


PAS 


dirai,  sur  ie  'ion  de  Lt)co,)hroi  [  l'esprit  du   loup  [252]  ), 
de\enu   désorinaU  a  jiisie   tiire    Gh/cop/ifOt  (l'esprit  du 

douceur),  le  reste  des  choses  que  vous  nie  demandez. 

LISTE   DES    PERSONNAGES 

DRESSÉE    i'AR    LES    ÉDITEURS  : 

LE    CHRIST.  PILATE. 

LA.  MÈRE  DE    DIEU.  LES  GARDES   DU   TOMCl AL. 

JOSEPH.  LES   PRETRES. 

s.  jean,  le  ihéologuo,   le  l'aveugle. 

disciple  vierge  el  failli,  un  ange. 

madeleine.  s.    pierre  ,     personnage 
mcodeme.  muet, 

MESSAGERS..  LE;  ONZE  APÔTRES,  pOISOn- 

choëur  de  femmes.  nages  muets- 

UN  jeune  homme. 

ARGUMENT 

Du  drame  de  notre  saint  père  Gréqoire  le.  Théofogue,  à 
la  mante  e  d'Euripide,  comprenant  l  Incarnai  on  de 
nuire  Sauteur  Jésus-Christ,  accomplie  pour  nous,  et  la 
Passion  subie  po;>r  lesulut  du  monde. 

Puisque,  après  avoir  écoulé  pieusement  des  poèmes 
(prolanes),  vous  voulez  bien  prêter  aujourd'hui  poéti- 
quement l'oreille  a  des  sujets  pieux,  accueillez  ces  vers 
avec  bienveillance;  je  vais  dire,  à  la  manière  rtViiri- 
[iide  la  l'assion,  qui  a  sauvé  le  monde.  Vous  y  appren- 
drez, nos  principaux  mystères,  de  la  bouche  même  de 
la  Vierge-Mère  el  de  celle  du  Disciple  le  plus  cher  au 
Seigneur.  En  effet,  ce  poème  vous  montrer,)  d'abord  la 
Vierge,  pleurant,  comme  il  est  naturel  a  une  mère, 
pendant  tout  le  temps  de  la  Passion,  el  gémissant  «ur 
l'origine  de.  la  Mort,  contemporaine  du  monde.  Celte 
Mort  est  la  suprême  cause  du  nom  que  la  Vierge  a  reçu 
de  Mère  du  Verbe,  et  du  spectacle  actuel  de  l'inique 
Passion.  Car,  n'ayant  pas  élé  entraînés  au  péché  par 
notre  lâcheté,  nous  n'aurions  pas  élé,  dès  le  commen- 
cement, frappés  de  la  Vlort  ;  inaccessibles  aux  ruses  du 
serpent,  le  poison  n'aurait  pas  eu  accès,  par  les  trom- 
peries de  la  matière,  dans  le  mon  le  ;  nous  n'aurions 
pas  subi  la  Mort  pa<  un  équitable  jugement,  etcoulre  la 
persistance  absolue  du  mal,  il  n'aurait  pas  élé  besoin 
«pi'il  se  lit  homme  et  éprouvât  la  Mon,  l'Auteur  de  la 
vie,  le  Seigneur,  le  Dieu-Verbe,  rendant  de  nouveau 
incorruptible  dans  sa  clémence,  notre  (essence)  corrom- 
pue, et  revivifiant  tout  le  genre  humain  !  el  si  le 
Verbe  ne  s'était  pas  abîmé,  la  Vierge  n'aurait  pas  été 
la  Mère  du  Seigneur,  et  maintenant  à  la  vue  des  in- 
jusles  souffrances  de  son  Fils,  elle  ne  serait  pas  dans 
les  pleurs,  dans  les  sanglots,  dans  l'allliciion,  et  dans 
le  plus  profond  désespoir.  —  Les  personnages  de  mon 
drame  sont  :  la  mère  sans  tache,  le  disciple  viF.noK,  et 
les  jeokes  filles,  compagnes  de  la  Mère  de  Dieu. 

(232)  Lycopliron,  poêle  grec  païen  tin  temps  de 
Plolémée  Philadelphe,  qui  régnait  à  Alexandrie  en 
Egyple,  auletir  d'un  très-grand  nombre  de  tragédies 
qui  ne  nous  sont  pas  parvenues,  d'un  drame  saly- 
lique,  d'un  traité  sur  la  comédie,  et  du  poème  iiui- 
tulé  V Alexandre  (ou  Cassandre),  t  véritable  monstre 
de  bizarrerie,  el  de  ténèbres  plus  que  Uiiiinérieii- 
nes,  »  suivant  M.  Boissonade  (Biographie  universelle). 
On  trouve  dans  un  manuscrit  ce  curieux  épilogue 
dans  lequel  on  voit  que  le  poêle  qui  envoie  à  un  pa- 
tron inconnu  le  ceiilon  d'Euripide  (le  Christ  souf- 
frant), en  promet  un  autre  de  Lycopliron.  AJais  Tzet- 
aès,  car  11  n'y  a  pas  lieu  de  cioiiier  que  ces  vers 
soient  de  lui,  n'a-t-il  d'autre  intention  que  de  re- 
commander son  commentaire  sur  Lycopliron?  On 
pourrait  croire  qu'il  s'agilde  versde  Lycopliron  in- 
sérés dans  le  Chnslus  pattens.  Ce  qui  est  sûr  c'est 
que  Tzelzès  avait  lu  le  Christ  souffrant,  qu'il  en 
ignorait  l'auteur  el  qu'il  en  Taisait  l'envoi  (M.  Dub- 
ker,  Prœf). 

(233)  Baronius  s'élève  conlre  le  caractère  de  la 
\ierge  tracé  dans  le  Christ  souffrant  (Annal,  eccle- 
siasl.,  ad  ann.  34,  n°  cxxvin  ,  cxxix  ;  Anvers,  1712, 
in-fol.,  1. 1,  p.  182).  Elle  était  présente,  quand  J  sus 
fut  frappé  du  coup  de  lance,  et  recueillit  elle-même 
le  sang  précieux  de  son  (ils,  comme  le  raconte  Mt>- 


DICTIONN'AHΠ DES  MYSTERES.  PAS 

PERSONNAGES  DU  DRAME 


59ù 


LE  CHRIST.  NICODEME. 

LA  MERE   DE    D1EC.  DES   MESSAGERS. 

JO-EPH.  CHŒUR  DE  JEUNES  FILLES. 

LE  THÉOLOGUE  (Si  Jean).  ON  JEUNE  HOMME. 

MADELEINE. 

SCÈNE  1°. 

LA    MERE   DE    IV.V.V  (233),    L\E    femme  do 
CIIOEl'K,    LE  CHOEUll. 

la  mère  de  dieu.  Plût  au  ciel  que  le  serpent  n'eût 
jamais  rampé  dans  le  jardin,  el  que  sous  les  épais 
feuillages  nul  piége  n'eùl  élé  dressé  par  le  dragon 
habile  à  changer  de  formes!  Car  celle  qHi  esl  sottie 
de  la  côle  (de  l'homme),  la  malheureuse  mère  du 
genre  humain ,  qui  fui  trompée,  n'eût  p;-.s  <sé  uu 
crime  au-dessus  de  louie  audace,  prise  au  cœur  de 
l'envie  d'un  arbre,  et  convaincue  d'avoir  ainsi  part 
à  la  nalure  divine!  Pour  avoir  persuade  à  son  é|  imjj 
de  manger  du  fruit  qui,  si  rapideuii inl ,  devait  ne 
leur  plus  èlre  utile  à  rien  ,  clie  n'eût  p:.s  é  é  exilée 
du  foi  luné  jardin,  condamnée  a  la  doueurelà  la 
cruelle  mon.  Elle  n'eu i  pas  appris ,  sur  un  lit  fu- 
neste, les  angoisses  maternelles  de  l'enfaolemeul, 
à  demi  morte  des  douleurs  des  couches.  El  e  n'eût 
pas  ,  en  sueur,  fouillé  le  sein  de  la  terre  inféconde, 
avec  son  époux  et  ses  enfants  frappés  de  la  p'us 
terrible  malédiction  ,  et  qui,  selon  les  décrets,  de- 
vaient naîlre  au  milieu  des  ples.rs  el  des  gémisse- 
ments, de  générations  en  générations  durant  les 
siècles,  jusqu'au  jour  de  la  grande  reconc  lt  iiion. 
Le  genre  humain  loui  entier  n'eût  pas  élé  perdu. 
Le  Tnul-Paissant-,  pour  apporter  un  remède  à  mut. 
de  maux  ,  n'eût  pas  élé  contraint,  dans  sa  bon  lé,  à 
descendre  sur  la  terre,  à  se  faire  homme  d'une  ma- 
nière nouvelle  et  à  subir  la  Mort.  El  moi  je  ne  serais 
pas  Vierge-Mère,  et  je  n'apprendrais  pas,  ù  celle 
heure  ,  qu'on  traîne  devant  des  juges  mon  F.ls, 
descendu  îles  cieux,  hôle  de  celle  lerre,  cl  né  dans 
des  conditions  si  pures.  El  je  ne  serais  pas  glacée 
d'horreur  en  le  voyant  exposé  à  larl  d'oui  rages. 
Dans  l'ombre?  (de  celle  nuil),  hélas!  quelle  crut  lie 
flamme  je  porle.qui  me  consume  avec  une  telle 
puissance,  bouleverse  mon  âme  cl  frappe  dans  ma 
poitrine  envahie  des  coups  non  moins  terribles  que 
ceux  d'une  machine  de  guerre!  0  via  e  prophétie 
eu  vieux  Siméon  dont  l'œil  clairvoyant  plongé  dans 
l'avenir  y  lisait  !  Salut  suprême  assurément  pour  la 
femme,  de  n'avoir  point  d'autre  opinion   que  celle 

tapbrasle.  Elle  assista  à  la  Passion  lonie  entière 
avec  force  et  constance  ,  sans  que  rien  pût,  dans 
ses  gcsies  ou  ses  paroles,  blesser  Jcs  pli  s  suscep- 
tibles convenances;  mère  sans  doute,  mais  mère 
d'un  lel  lils.  Elle  lendit  ses  mains  maternelles  à  la 
descente  de  la  croix,  elle  recueillit  les  clous,  et  baisa 
les  membres  sacrés  de  Jésus  en  les  inondait  do  ses 
pleurs.  Elle  ne  dit  que  ces  mois  pleins  de  simplicité  î 
«  Le  mystère  de  ce  monde  s'est  accompli  en  vous  , 
ô  Seigneur.  »  El  à  Joseph  :  <  Vous  aurez  soin,  pour 
la  sépulture,  que  tout  soit  convenable...»  El  Jo?e  11 
même,  qui  n'était  pas  connu  encore,  ne  fui  soutei.u 
et  n'eut  tant  de  hardiesse,  que  par  les  exhortations 
de  la  mère  de  Dieu;  ce  fut  elle  <|tti  le  décida  à  aller 
auprès  de  Pilate  réclamer  le  corps  de  Jésus...  Lé 
porlrail  IWeé  par  s.iinl  Grégoire  de  Naziaize ,  ou 
plutôt  par  Apollinaire,  n'e»l  donc,  comme'  les  nom- 
breux incidents  racontés  de  la  Passion  par  bien  des 
saints  hommes  ,ou  les  récits  de  saint  Anselme,  aune 
chose  que  le  résultat  de  pieuses  méditations;  l'his- 
toire véritable  n'a  rien  de  commun  avec  ces  opi- 
nions, dont  quelques-unes  toutefois,  comme  celles 
de  saint  Anselme,  pou  raient  être  des  révélations  de 
Dieu  ,  mais  que  nous  n'avons  pas  à  mêler  parmi  lv» 
faits  de  l'histoire  ecclésiastique.». 


5f)l 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


59i 


de  son  époux  ,  complaisante  pour  lui  en  loule  chose, 
ainsi  qu'il  convient,  sourde  pour  tout  autre  qui  ne 
saurait  être  qu'un  trompeur,  et  n'ayant,  avec  son 
guide  naturel,  qu'une  même  âme  et  une  même  vo- 
lonté. Maintenant,  au  contraire,  l'inimitié  est  par- 
tout, la  souffrance  partout,  depuis  que  la  femme  a 
trahi  l'homme  et  livré  l'honneur  de  l'empire.  Une 
ancienne  injure  en  amène  constamment  une  nou- 
velle, les  Urmes  découlent  des  larmes,  sans  raison 
et  sans  nombre,  et  le  mal,  dans  la  lutte,  vient  du 
mal.  Aussi  la  nature  bienfaisante,  accablée  par  son 
abaissement,  gémit  et  pleure  sur  les  cohortes  infi- 
nies des  malheurs  ,  sur  la  succession  intolérable  des 
maux;  sans  cesse  coulent  ses  pleurs,  à  la  vue  de 
l'ennemi ,  au  sentir  des  outrages,  sur  la  souillure  de 
la  première  mère,  cause  de  1  antique  chute,  et  sur 
la  séduction  de  ce  père,  qui  prêta  l'oreille  à  son 
épouse,  et  de  qui,  sur  celle  terre,  nous  sommes 
tous  descendus.  Elle  crie  à  la  foi  jurée,  elle  en 
appelle  aux  promesses  faites  et  à  la  main  (donnée) , 
elle  alicsie  Dieu.  L'infortunée  sait,  au  milieu  des 
calamités,  combien  il  est  doux  de  ne  pas  abandonner 
la  patrie.  Elle  liait  le  monde ,  et  n'éprouve  pas  de 
joie  à  sa  vue.  El  moi ,  j'en  suis  à  cet  excès  de  dou- 
leur d'avoir  la  concupiscence  de  ce  monde,  et  venue 
jusqu'en  ces  lieux,  de  dire  au  ciel  les  maux  de  la 
nature,  si  misérable,  ne  cessant  de  pleurer!  dans 
l'enfantement,  le  repos  ou  l'abstinence.  0  malheur! 
c'est  moi,  moi-même,  dont  je  parle,  en  parlant  de 
loi ,  (ô  nature)  !  moi  qui  ai  mis  au  monde,  sans  en- 
fanter ,  cet  Etre  supérieur  à  la  raison  ,  moi  accou- 
chée sans  couches,  que  dire?  sans  douleur  et  sans 
corruption  !  moi  ignorante  de  l'ardeur  et  du  souille 
pervers  de  l'homme,  comme  l'airain  non  trempé, 
et  dont  la  fleur  virginale  n'a  pas  élé  ravie!  El  mon 
Fils,  comment  lui  ai-je  donné  la  vie?  Chose  incro- 
yable! Et  aujourd'hui  comment  le  voir  au  milieu 
d'un  tel  outrage?  Pourquoi  donc,  inscienle  des  dou- 
leurs d'une  mère ,  mon  cœur  esl-il  la  proie  des 
angoisses?  Pourquoi,  autrefois,  ai-je  tressailli  de 
joie,  lorsque  le  messager  céleste  vint  m'annoncer 
ma  conception ,  signal  de  la  défaite  des  ennemis  du 
genre  humain?  quelle  joie  étrange  transporta  mon 
âme?  Je  ne  voyais  point  alors  le  double  sens  des  pa- 
roles du  porteur  des  célestes  oracles  ,  et  j'avais  pleine 
foi  ,  en  ce  qu'il  me  prédisait  en  mon  Fils,  non  pas 
une  victime,  mais  le  roi  de  la  terre  et  du  ciel  entier. 
Quels  iransporis  d'allégresse!  Quel  hymne  tout  fé- 
minin jaillit  du  fond  de  mon  cœur!  quels  cris!  Mes 
profondes  aclions  de  grâces  poursuivirent  l'annon- 
ciateur. J'allumai  ,  pour  dévorer  les  parfums,  les 
flammes  sacrées,  el  je  lis  les  sacrifices  prescrits  par 
les  saints  prophètes  :  vive  dévotion,  esprit  contrit, 
ardeur  impuissante  à  contenir  ses  élans,  dans  ce 
pieux  entraînement  qui  fut  accepté  comme  louable. 
Mais  comment  on  malheur  si  cruel  lrouble-l-il  au- 
jourd'hui mon  sein  ?  J'étais  accourue  malgré  la  nuit 
pour  voir  quels  maux  accablaient  mon  Fils,  et  voici 
qu'on  me  conseille  d'attendre  le  jour. 

une  femme  du  choeur.  Dame,  enveloppez-vous  vite 
dans  vos  voiles;  j'aperçois  des  hommes  qui  courent 
dans  la  ville. 

la.  mère  de  dieu.  Qu'y  a-l-il?  Annoncez-vous  la 
présence  secrète  dans  l'ombre  d'une  bande  hostile? 

une  femme  du  choeur.  Une  troupe  nocturne  ap- 
proche en  désordre,  avec  tumulte;  c'est  toute  une 
armée  dans  ces  lieux  obscurs,  qui  s'avance  avec  des 
torches  el  des  armes. 

la  mère  de  dieu.  El  ne  vienl-U  pas  quelqu'un 
auprès  de  nous,  d'un  pas  rapide,  pour  nous  donner 
peut-être  la  nouvelle  de  quelque  événement  encore 
inconnu? 

une  femme  du  choeur.  J'entendrai  son  récit,  son 
message...  O  vénérable,  ô  vénérable,  ô  très-chaste 
Vierge,  hélas!  trois  fois  hélas!  ô  vous!  si  grande 
parmi  les  hommes  et  sans  tache,  appelée  chaste 
oar  toits  les  habiiauKde  c>>  monde    sous  toutes  't>s 


latitudes!  Oh!  combien  vous  êtes  malheureuse,  vous 
si  heureuse  autrefois! 

la  mère  de  dieu.  Qu'y  a-l-il?  qui  en  veut  à  ma 
vie? 

une  femme  du  choeur.  Personne  ;  mais  votre  Fils 
succombe  sous  les  coups  des  meurtriers. 

la  mère  de  dieu.  Malheur  à  moi  !  qu'a-l-on  dit? 
vous  m'avez  perdue,  ô  ftmino! 

une  femme  du  chœur.  Considérez  votre  Fils  cornue 
mort. 

la  mère  de  dieu.  O  méchante  parleuse,  ne  fer- 
merez-vous  point  vos  lèvres,  et  ne  cesserez-vous 
point  cesdiscours  insolents?  Comment?  n'avez-vous 
pas  dit  qu'il  n'était  déjà  plus?  L'Eternel!  Prononcez 
des  mots  sensés,  et  si  vous  avez  quelque  chose  à 
dire,  dites-le  en  des  termes  tels  que  vous  n'offen- 
siez point  Dieu.  Mon  rejeton  a  fleuri  sur  un  trône 
d'or,  et  ce  serait  chose  étrange  que  le  sang  d'un 
Dieu  coulai  sous  la  main  des  mortels!  Non!  l'Im- 
mortel ne  peut  mourir!  Je  l'ai  engendré ,  et  je  sais 
comment... 

le  choeur.  Infortunée!  vous  ignorez  vos  malheurs, 
el  vous  repoussez  el  vous  discutez  nos  avis.  Mais , 
au  lever  de  l'aurore,  vous  verrez  voire  Fils  expi- 
rant, caries  meurtriers  ont  employé  à  son  jugement 
la  nuit  entière.  Et  je  vois  un  des  serviteurs  de  vot;e 
Fils  qui  accourt,  essoufflé,  en  toute  hâte,  auprès  de 
nous.  On  lit  sur  son  visage  quelque  chose  de  nouveau 
qu'il  va  dire. 

la  mère  de  dieu.  Que  vienl-il  nous  apprendre! 

SCÈNE  11 

LA  MÈRE  DE  DIEU,  LE  MESSAGER,  UNE  FEMME 
DU  CHOEUR,  LE  CUOEUR. 

le  choeur.  Je  vois  que  le  messager  prend  haleine 
pour  parler. 

le  messager.  Ah!  ah!  hélas  !  illustre,  vénérable, 
très-chaste  Marie!  Hélas!  trois  lois  hélas!  nous  som- 
mes perdus,  et  ce  n'est  pas  comme  on  croirait; 
aucun  de  nos  ennemis... 

la  mère  de  dieu.  Qu'avez-vous  dit?  quelles  sonl 
ces  paroles?  Eh  bien?  quoi?  quèlïiou  veau  bruit  vous 
épouvante  ? 

le  choeur.  Vous  l'avez  entendu  ,  hélas!  Vous  l'a- 
vez entendu!  Vous  savez  que  quelqu'un...  Quelqu'un 
a  livré  votre  Fils  aux  meurtriers. 

la  mère  de  dieu.  El  qui  allez-vous  nommer  après 
ce  forfait  inoui?  Qui  est  celui-là?  Est-ce  quelqu'un 
de  ceux  que  l'on  croyait  fidèles? 

le  choeur.  C'est  celui  qui  recevait  l'argent,  c'est 
ce  mauvais  disciple,  dit  [le  messager],  gardien  de  l.i 
bourse,  mais  bien  plutôt  avide  d'argent,  dissipateur 
el  avare. 

la  mère  de  dieu.  O  désespoir!  quel  autre  malheur, 
après  ce  premier,  est  lancé  sur  nous  par  des  mains 
crues  amies?  Eh  quoi!  ce  misérable  a  osé  cel  excès 
de  honte?  et  dans  quel  moment  infâme  a-l-il  livré  le 
généreux  dispensateur  de  tous  les  biens?  quelle  oc- 
casion ce  furieux  a-t-il  saisie  pour  son  forfait? 

le  choeur.  Ecoutez;  on  va  tout  vous  dire. 

le  messager.  Ecoulez,  infortunée,  auparavant  si 
heureuse;  écoulez  le  cruel  récit  que  je  vous  ap- 
porte. 

la  mère  de  dieu.  Ah!  ah!  nous  sommes  perdus.. 
J'entends,  j'entends...  Certes  vous  êtes  un  messa- 
ger de  malheur. 

le  messager.  De  malheur  cl  de  vérité  !  Comment 
m'exprimer?  Après  avoir  mangé  la  Pàque  nouvelle, 
selon  la  parole  de  Jésus,  dans  un  repas  au  milieu 
des  disciples,  un  grand  repas,  où  fui  annoncé,  sous 
des  mots  couverts,  le  trahisscur  du  Verbe,  et  à  la 
lin  duquel  Jésus  lava  lui-même  les  pieds  des  disci- 
ples, il  sort,  et  se  rend,  selon  la  coutume,  au  mont 
des  Oliviers;  là  il  annonce  aux  siens  que  tout  est  ac- 
compli, il  les  réconforte  tous  dans  leur  initiation,  el 
parmi  bien  d'autres,  il  fait  celte   prière   à  Dieu  ■ 


592 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


59i 


0  Père,  donnez-moi  la  souveraine  gloire.  Si  je  ne  dé- 
méritai jamais  de  celle  que  j'ai  eue  en  vous,  je\  vais 
en  acquérir  une  plus  grande,  dans  la  ruine  de  lennt- 
uii  du  genre  humain.  0  vous  qui  êtes  le  Maitre  de  tout, 
donnez-moi  les  nations!  Les  ayant,  et  suspendu  parmi 
elles  en  trophée  opime,  je  serai  de  rechef  dépen- 
dant de  vos  mains.  Plus  grand  après  ces  faits  écla- 
tants, invitez  aux  festins  ceux  qui  nous  aiment.  Vous 
êtes  le  Saint,  le  Saint  des  saints,  vous  qui  accomplissez 
de  si  grandes  choses!  El  en  outre,  comme  au  nom 
lit)  genre  humain,  il  élève  la  voix,  il  allesle  la  gloire; 
sa  voix  ébranle  les  airs:  Je  vous  ai  auparavant  glo- 
rifié, je  vous  glorifierai  encore  davantage.  Les  mots  à 
peine  parvenus,  sur  ce  ton  de  voix  inhabituel,  aux 
oreilles  des  disciples,  il  est  déjà  au  milieu  d'eux, 
auprès  du  Urrenl,  où  il  se  rendait  le  plus  souvent. 
Le  vendeur  n'ignorait  pas  qu'il  était  là  cette  nuit; 
il  conduit  une  cohorle  de  scélérats,  de  sicaires,  qui 
annoncent  bâillement  leurs  meurtriers  desseins.  Il 
s'approche  en  ami  vers  le  Maîlre,  lui  dit:  Salut, 
Maître  !  et  l'embrasse  perfidement.. 

Ci.  Hère  de  Dite.  Hélas!  bêlas!  quelle  plus  terri- 
ble audace  lut  jamais  !  et  que  répondit  mon  Fils? 

le  messager.  Ces  seuls  mots  :  Ami,  pourquoi  êtes- 
vous  venu  !  Aussitôt  se  portèrent  sur  lui  des  mains  im- 
pies. Nous,  cependant,  nous  avions  fui,  loin  de  lui, 
çà  et  là.  L'illustre  Pierre  a  renié  Jésus.  Celui  qui 
seul  s»;  fui  jamais  appuyé  sur  le  cœur  du  Maître,  l'a 
suivi  tranquillement.  El  moi,  j'ai  cru  entendre  une 
voix  qui,  tout  bas,  apostrophait  ainsi  le  misérable 
vendeur  de  son  maîlre:  <  Oh!  Forfait  impie!  Miséra- 
ble! necrains-tu  pas  Dieu?  ne  crains-tu  pasla  loi  hu- 
maine, et  Adam,  qui  a  ensemencé  la  terre,  et  les  pair  ar- 
ches de  la  race  élue?Toi,  l'un  desdisciples,  tu  couvres 
ainsi  déboute  tous  tescompagnons.  Le  Maître  des  mys- 
léres, hélas!  a-été.  vendu  par  loi,  pour  de  l'argent,  et  li- 
vré an  trépas  entre  des  mains  meurtrières.  N'avail- 
il  pas  parlé?  Dans  son  inquiétude  pour  ton  àme,  ne 
l'avaii-il  pas  donné  lavis  de  dédaigner  ces  biens,  par 
l'ambition  desquels  tu  as  causé  son  malheur?  Tu 
n'y  as  fait  nulle  attention.  Eh  bien,  reçois  de  brû- 
lantes leçons.  Ce  n'est  point  chose  ignorée  pour  loi: 
son  Père  est  divin.  El  sans  les  serments  faits  à  Abra- 
ham, jamais  il  n'eût  suhi  de  (els  maux  sans  colère 
et  son  injure  serait  poursuivie  parmi  les  hommes. 
A*-tu  pu  cro  re  qu'il  eût  souffert  de  tels  outrages, 
s'il  ne  devait  en  résulter  quelque  immense  profit  ? 
El  dans  l'avenir,  après  avoir  quitté  celle  lerre,  re- 
monté d'une  manière  inouïe  dans  les  deux,  il  gar- 
dera en  silence  son  jugement  ,  pour  témoigner  un 
jour  au  Père  comre  vous,  contre  ion  forfait,  et  con- 
tre l'audace  de  ces  populaces  sanguinaires,  ainsi 
qu'autrefois  le  prédit  David,  à  qui  rien  n'était  caché 
bien  avant  que  ces  faits  éclatants  fussent  accomplis; 
ci  il  remplira  loule  la  lerre  du  triomphe  prodigieux 
de  la  Foi,  d'amours  immenses  et  d'innombrables 
miracles.  Oui  !  vous  le  verrez  revenir  dans  la  gloire  du 
Père,  apportant  le  jugement  aux  vivants  et  aux  morts, 
etdislnbiianl  à  chacun  selon  ses  mérites.  Comment 
alors  soutiendrez-votis  son  regard,  el  loi  el  les 
meurtriers?  Et  quel  juste  châtiment  ne  subirez-vous 
pas?  Mais  encore,  avant  ce  jour,  vous  paierez  sans 
doute  votre  délie,  ei  selon  la  justice,  à  moins  de 
laver  vos  mains  sanglantes,  sur  lesquelles  lui-même, 
—  et  en  ce  jour  sachez  comprendre  ,  —  lui-même 
ferait  couler  des  torrents...  Sans  doute,  aussitôt 
«pie  lu  seras  repu  de  ion  audace,  lu  en  auras  cons- 
cience ;  el  avec  loi,  toute  ton  exécrable  bande. 
Désormais  donc,  si  lu  veux  attendre  «  allends  un 
jour  encore;  et  puisses-tu  n'être  pas  frappé  des 
maux  que  je  crains  tanl  ,  el  dont  je  l'ai,  dans  ce 
sermon,  révélé  les  mystères.  Eh  bien,  fuis  en  quel- 
que lieu  secret,  uniquement  préoccupé  de  loi-même: 
|l.e  Maîlre]  fera  son  œuvre.  Mais  toi,  selon  la  jus- 
tice, méchant  !  lu  périras  mal,  pende  à  une  corde, 
lancé  dans  l'abîme,  précipité  dans  l'enfer  ,  dévoré 
aussitôt  que  tombe  dans  les  gouffres  brùlanlsl  Dés- 


espéré, trahisseur  salarié,  tu  ne  veux  plus,  en 
effet,  le  soustraire  à  ton  châtiment,  et  lu  vas  mar- 
cher en  avant...  Telles  sont  mes  prédictions!  Non  ! 
la  lumière  de  Dieu  ne  le  verra  plus  demain,  el  lu 
ne  conlcu  p!eras  pasla  résurrection  du  Rcssusciiaiciir 
«les  morts,  tant  est  profond  ion  aveuglement!  Libre 
encore,  libre  de  quelque  puissante  résolution,  dans 
l'abandon  de  tout,  de  tomber  aux  genoux  du  Maître, 
de  répandre  des  larmes  brûlantes,  lu  ne  songes  qu'à 
la  corde  qui  doit  seivrà  le  pendre,  et  ton  âme 
égarée  n'erre  qu'au  travers  des  lacs.  Et  pourtant, 
dans  cette  désespérance  el  pour  ces  desseins,  [le 
Maître,]  dont  le  regard  est  arrêté  sur  loi,  ne  te  four- 
nira point  d'aide,  car  il  ne  peut,  quelle  que  soit  sa 
bonté,  faire  œuvre  de  mort;  il  ne  veut  point  non 
plus  faire,  malgré  toi,  ton  bonheur,  caria  force  n'est 
pas  une  des  lois  qu'il  prescrit  aux  hommes,  el  dans 
son  âme,  il  n'y  a  rien  du  tyran.  Tu  vas  perdre,  brisé, 
les  entrailles  perverses,  et  tu  ne  seras  pas  au  boni. 
Non,  ne  le  crois  pas  :  el  loi  el  les  meurtriers  vous 
serez  soumis  à  d'autres  épreuves.  Des  maux  effroya- 
bles que  sentira  tout  ce  peuple  audacieux,  vont  acca- 
bler, ou  morts  ou  vivants,  tous  les  coupables  que 
doivent  recevoir  en  dernier  lieu  les  torrents  de  feu. 
TiTs  sont  les  décrets,  tel  est  l'infaillible  oracle.  Vois, 
Judas,  l'étendue  de  tes  maux.  Pour  moi,  qu'y  nu- 
rai-je  gagné?  L'autorité  de  la  justice;  car  Dieu  lui- 
même  ne  le  contraindrait  pas  à  la  raison.  Le  libre 
arbitre  de  l'homme  esl  à  même,  en  tous  temps,  de 
faire  la  distinction  des  choses.»  C'est  ainsi  que  parla 
l'envoyé  au  vendeur  du  Verbe.  Etait-ce  un  homme  l 
Ou  ne  sait.  J'ai  dit.  (//  se  retire.) 

SCÈNE  III. 

LA    MÈRE  DE  DIEU,   LE  CHOEUR. 

la  mère  de  dieu.  0  mère  lerre  !  Espaces  descieux! 
Qn'ai-j  •  entendu?  quelle  voix  terrible?  quels  r.'cils? 
0  mon  Fils,  peut-être  le  forfait  est-il  accompli;  ac- 
conijli  par  ce  disciple  que  votre  parole  mystérieuse 
alors  désignait  sans  cesse  à  vos  amis,  car  vous  si'ui, 
vous  connaissiez  le  fauteur  de  vos  maux.  0  monstre 
d'infamie!  Oui,  je  puis  l'appeler  ainsi,  vo  là  Ion  œu- 
vre :  la  trahison  de  Ion  bienfaiteur!  0  démon,  c'est 
toi!  Et  quel  autre  homme  eûl  agi  ainsi,  en  eût  eu 
l'idée,  dans  sa  haine?  Oh!  périsse  le  criminel  !  La 
justice  a  l'œil  sur  lui,  et  ce  disciple  subira  la  peine 
due  à  sou  infamie!  Oh!  argentier,  quel  profit  auivs- 
(ii  lire  de  les  ruses?  Vis-lu  encore,  après  ta  faute 
accomplie?  es-tu  enfoui  dans  les  entrailles  de  la 
lerre?  car  lel  élait  Ion  destin,  d'être  enseveli  dans 
les  abîmes  de  ce  monde,  ou  anéanti  sous  les  coups 
des  feux  du  ciel!  0  crime!  ô  mal  prodigieux,  détes- 
table! Traître,  qui  as  livré  ton  seigneur,  m'enlends- 
lu!  Comment  as-lu  pu  l'approcher  de  lui  en  ami  ? 
Tu  es  venu  à  lui,  lu  es  venu,  avec  la  haine  la  plus 
furieuse,  contre  le  Père,  conlre  Lui,  contre  le  genre 
humain.  Comment  l'as-lu  nommé?  comment  as  tu 
embrassé  la  victime?  De  quelle  voix  parlais-tu,  avec 
le  sacrilège  dans  le  cœur?  Et  après  ce  sacrilège  abo- 
minable, oses-tu  encore,  ô  monstre  d'impiélé,  veil- 
la lumière  et  la  lerre?  Ce  ne  sérail  ni  de  l'audace  ni 
du  courage,  ô  traître;  mais  la  plus  horrible  ('es  in- 
lirmilés  humaines,  l'impudence.  Je  garde  ton  souve- 
nir, conlre  loi,  à  la  houle,  où  que  tu  sois,  mort  ou 
vivant;  car  j'aurai  quelque  soulagement  à  te  dire  les 
vérités.  Tu  ne  m'entends  pas,  sans  doute,  mais  les 
épreuves  sont  proches,  et  lu  sauras  tout,  quand  lu 
seras  en  face  des  punitions  qui  l'attendent.  Je  ve;  x 
commencer  par  le  commencement  :  écoute,  Ju<  a, 
(rémunération)  des  bienfaits  que  tu  reçus  de  lui  :  !! 
l'avait  tiré  des  ténèbres  de  l'ignorance,  cl  sauve  <  n 
le  montrant  la  lumière  du  salut';  il  t'avait  accordé 
le  don  perpétuel  des  miracles;  lu  aurais  pu,  par  si 
volonté,  être  encore  du  nombre  de  ses  disciples,  et 
assis  au  jugement  des  familles  de  l'universel  Israël. 
I1  avait  mis  ions  ses  trésors  dans  les  main-,  aliii  que 


505 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


S9S 


tu  ne  pusses  prétexter  de  pauvreté.  Tu  n'as  cessé 
•  ie  le  voler,  et  penses  tu  que  ce  fût  un  secret  pour 
lii?  l'ourlant,  cet  exceMenl  Maine,  il  ne  l'accusait 
pas.  Fm-il  mène  irrité  contre  loi,  lorsqu'il  te  con- 
inl  toiilenûer?  Un  instant  avant  ton  audacieux  sa- 
crilège, il  lavait  encore  tes  pieds  pervers,  ei  te  don- 
nait ta  par.  du  pain  sacro-saint    El  c'est   après  tant 
■Je  bienfaits  r  çus.  ô  le  plus  pervers  des  hommes! 
qu    II  l';is   ralr,  el  c'est  au  prix  d.i  m  uitrequetyi 
t'es  acquitté  de  tan:   de  dettes  sacrées  si  abondam- 
ment contra  lérfs  envers  Ui.   Si  e.;core  lu   n'avais 
pas  eu  d'argent,  peu -être  trouverais-tu.  dans  la  cu- 
pidité, uaç  sorte  d'excuse;  mais  lu  n'as  pas  même 
ce  prétexte;  il  n'est  pas  un  mo  if  qui  puisse  sortir 
de  ies  lèvres  ouvertes,  et  expliquer  ton  action.  Tu 
ne  le  justifieras  jamais,  malgré  même  te  secours  de 
Imite  la  race  des  démons,  el  de  toutes  les  calomnies 
dont  la  terre  sera  re  upfie  par  eux.  Car  toute  la  terre 
n'ignore  p  .s  qu'il  est  le  Juste,  et  à  ses  œuvres,  mus 
le  connaîtront.  Mais  la  corde  de  l'avariée,  source  de 
presque  tous  les  maux,  l'a  I  risé  la  mâchoire,  ei  alors 
»e  soûl  évanouis  les  derniers  débris  de  ta  foi,  déjà 
presque  enliè. entent  dissipée.  El  c'est  sous  un  tel 
aspect  que  tu  oses,  misérable!  affronter  les  regards. 
Penses  tu  donc  que  Dieu,  i'Eiernel,  a  cessé  sa  domi- 
nation? ou  cniis-iu  follement  échapper  aux  plateaux 
»le  sa  justice?  O  funeste  production!  jamais  lu  nVs 
sortie  d'une  bouche  humaine,  mais  lu  as  poussé,  j'en 
suis  sûre,  sur  les  racines  amères,  du  diable  d'abord, 
puis  d:  l'Envie,  du  Meurtre,  de  ta  Mort,  et  de  tous 
hs  fléaux  que  nourrit  la   terre.  Dir.ii-je  que  lu  fus 
jamais  un  enfant  de  Dieu,  quoique,  je  le  sais,  rien 
n'existe  (pie  par  sa  volonté  el  sa  permission,  et  que 
jamais  Dieu  ne  violente  aucune  créature  sursoit  sa- 
lut? 0  méchant  !  ô  pervers!   ô    affreux  meurtrier! 
unel  crime  lu  as  commis  en  vendant  Ion  bienfaiteur! 
Ôii  !  que  c  lui  en  qui  j'ai   foi ,  comme   le  Père  du 
Fiis,  te  foudroie  el  t'auéanl  s>e!  Meurs,  perpeirateur 
de  boitte,  violateur  des  lois  de  l'amitié!  Ah!  lu  n'es 
pas  là  pour  m'en  tendre!  Je  crache  sur  toi,  el  Dieu 
l'a  en  abomination  ! 

O  mon  Fils,  n'avez-vous  donc  donné  aux  hommes 
les  brillantes  monnaies  d'or,  de  l'or  trompeur,  que 
comme  un  moyen  de  discerner  tes  méchants,  sur  le 
visage  desquels  on  ne  lit  aucun  signe?  Vous  qui  les 
connaissez,  vous  n'avez  pas  voulu  qu'ils  nous  fussent 
cachés.  Périsse,  selon  voue  exa<  te  justice,  périsse 
te  scélérat!  Meurs!  meurs!  infâme,  horrible  homi- 
i  }de,  meurs  !  Moi,  je  verrai  mon  Fils  vivant!  et  si  je 
gémis  ainsi  sous  les  coups  des  aiguillons  du  déses- 
p  ir,  désolée,  éplorée ,  c'est  (pie  je  suis  mère  el 
femme,  cl  comme  telle  facile  aux  pleurs  (234). 

SCÈNE  IV. 

LLS   .MÊMES,    UN   MESSAGER. 

le  chceub.  Ah!  ah!  ah!  ah!  Taisez-vous,  taisez- 
vous;  j  ouais  plus  vous  ne  verrez  voire  Fils  vivant. 

la  mère  de  dieu.  Malheur!  Pourquoi  ces  plaintes? 
Quelle  nouvelle  calamité  ?  Quoi  encore? 

le  choeur.  Je  ne  sais,  mais  le  messager  va  dire 
en  peu  de  mots  ce  «lui  concerne  votre  Fils. 

LE  messager.  Il  csl  arrêté,  dans  un  décret  (les  scri- 
be» cl  de>  anciens,  qu'aujourd'hui  même  votre  Fils... 
mourra... 

lv  hère  de  dieu.  O  malheur  !  le  voilà  do  Kce  coup 
prévu,  trop  redouté  depuis  longtemps,  el  dans  la 
prévoyance  duquel  je  la  iguissais  désolée! 

le  choeur.  Mais,  dais  quel  prétoire,  pour  quelles 
paroles,  parmi  le  peupla  hébreu,  1  a-l-ou  condamné 
cl  a-l-on  volé  la  mon  ' 

(23i)  M,  Magma  a  signalé  les  répétitions  de  récits 
ou  d'expressions  si  nombreuses  dans  ce  drame, 
comme  des  preuves  de  diverses  mains.  Quant  aux 
récils,  étanl  destinés,  chacun,  à  contenir  une  expo- 
sition de  doctrine,  ils  ne  se  ré;  ètenl  qu'autant  qu'il 
est  nécessaire  pour  étie  complets.   Leur  ensemble, 


i.a  mere  de  dieu.  O  femmes,  non  défaillantes  après 
un  tel  malheur,  je  n'en  puis  supporter  davantage;  je 
ne  me  soutiens  plus,  je  vais  tomber,  je  ne  me  sens 
plus,  je  meurs,  je  meurs...  Adieu,  je  ne  suis  plus  de 
ce  monde... 

Mais,  ô  messager,  dites-moi  à  quel  supplice  a  été 
condamné  mon  Fils  :  sa  condamnation  porte-i  elle 
qu'il  périra  lapidé;  te  jugement  lui  aecoFde-l-iLle  fer 
pour  arracher  son  âme  [à  son  corps}? 

le  messager.  J'arrivais  de  la  campagne  aux  portes 
[de  la  cité]  dans  l'in  enlion  de  m'imfonner  de  votre 
Fus,  car  j'ai  toujours  eu  pour  lui  une  grande  ten- 
dresse de  cœur,  soit  au  spectacle  des  miracles  qu'il 
a  faits  parmi  les  hommes,  soit  parce  qu'il  m'a  rendu 
la  vue.  Je  vois  le  peuple  coûtant  en  imite  hàle  vers 
la  citadelle.  Frappé  de  ce  tumulte,  j'Interroge  un  des 
citoyens  :  «  Quoi  de  nouveau  dans  la  ville?  quelque 
nouvelle  de  l'ennemi  a-i-elle  mis  en  rumeur  la  capi- 
tale des  Héhreux?,i  On  me  répond  :  <  Ne  vois  lu 
pas  Jésus,  ici  près,  debout,  et  en  danger  de  morl.  > 
Quel  spectacle  inattendu  s'offrit  à  mes  yeux!  PbU 
au  ciel  que  je  n'eusse  jamais  vu!  Jésus,  irislç  et 
silencieux,  debout;  autour  de  lui,  on  eût  dit  une 
meule  de  chiens  altérés  de  sang,  courant  de  lois 
côtés  la  gueule  ouverte.  Au  milieu  de  la  foule  im- 
mense des  Juifs,  te  président  intimidé,  parlant  en 
ternies  vagues,  balbutiant  des  mots  incertains  dans 
sa  terreur.  El  pourtant  il  s'écrie,  dans  l'admiration 
de  votre  Fiis,  à  la  vue  du  calme  de  son  innocence, 
et  après  ses  réponses  rélléchies  à  lonies  les  ques- 
tions. Il  désapprouve  ceux  qui,  au  mépris  des  lois, 
machinent  la  mort  d'un  homme  contre  qui  il  ne 
pouvait  découvrir  aucuneaccusalioumorlidle.il  dix 
donc,  ildil  :  «  Quel  est  celui  qui  venl  dire  s'il  fa  ni 
que  Jésus  meure  ou  non?  •  C'était  pour  qu'on  le 
laissai  aller,  au  lieu  d'un  misérable  voleur  détenu 
dans  les  prisons.  Tout  le  peuple  crie  en  tumulte  : 
«  Il  faut  crucifier  Jésus,  et  inelire  hors  te  coquin  de 
voleur!  »  Le  président  leur  paria  encore  dans  te  sens 
contraire,  mais  il  ne  put  rien  sur  la  foule,  quelque 
bon  sens  qu'il  y  eût  évidemment  dans  son  discours. 
il  y  eut  même  un  homme  qui  lui  riposta,  se  confiant 
sur  les  acclamations  avec  une  impudente  audace.  Le 
président  néanmoins  désapprouvait.  Mais  contre  lui 
s'éleva  avec  fureur  la  foule  entière,  avec  un  bruit  el 
des  cris  effroyables,  déchirant  selon  le  droit  la  mort 
de  voire  Fils.  11  l'emporta  enfin ,  ce  mauvais  esprit 
qui,  an  milieu  de  ces  niasses  humaines,  avait  jeté 
ce  mol  :  «  Il  faut  que  Jésus  soit  crucifié!  »  L'aurore 
paraissait,  la  nuit  s'effaçait,  cl  déjà  on  traînait  vo- 
ire Fils  vers  les  portes,  pour  lui  appliquer  le  juge- 
ment porté  contre  ses  jours,  et  en  vertu  duquel  il 
doit  succomber  :  car  c'est  aujourd'hui  même  qu'il 
perdra  la  vie... 

la  mere  re  dieu.  Hélas  !  hélas  !  ces  récils  ravi- 
vent lous  mes  maux.  0  infortunée  !  le  voici  donc, 
sans  que  le  doute  mémo  soil  possible,  cet  océan  de 
maux,  si  profond  que  je  ne  pourrai  ja  nais  ni  en 
échapper  à  la  nage,  ni  en  dompter  les  flots  désas- 
treux. Mais  tremblé,  peuple  hébreux,  si  ce  dessein 
s'accomplit  !  Quel  sera  le  résultat  de  celle  léméiilo 
el  de  celle  audace,  s'ils  vont  jusqu'à  tenter  le  trépas 
d'un  Dieu  ?  O  n'est  pas  de  mon  Fils  dont  je  suis 
inquiète,  car  jamais  la  mon  ne  triomphera  de  celui 
qui  a  anéanti  la  mort.  Ne  l'ai-je  pas  engendré?  Je 
sais  comment  je  l'ai  mis  au  jour,  moi  qui  n'ai  pas 
subi  les  douleurs  cruelles  des  enfantements.  Je  ne 
pleure  que  sur  ce  peuple  en  proie  aux  calamités.  Car 
il  y  aura,  oui,  il  y  aura  une  action  vengeresse  contre 
ce  "trépas,  lenlé  par  des  impies,  par  l'aveugle  envie 

et  chacune  de  leurs  parties  est  un  historique  de  la 
religion  chrétienne.  Quant  :mx  expressions,  la  répé- 
tition constante  el  systématique  des  mêmes  qualifi- 
catifs, de  termes  identiques,  prouve  plutôt  c;.corc 
une  même  main  que  diverses  factures, 


3D7 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


51 


el  par  l'injustice.  Hélas  !  trois  fois  hélas  !  ce  n'est 
pas  fà  le  premier  désastre  causé  par  l'envie.  A  com- 
bien n'a-t-elle  pas  nui?  Mais  jamais  elle  n'avait 
tant  fait  de  mal  aux  siens,  comme  aujourd'hui  à 
celte  race  hébraïque,  qui  lui  est  vouée. 

une  femme  du  choeur.  Pourquoi  ces  transports? 
pourquoi  ces  discours?  Votre  Fils  périt,  et  vous, 
vous  parlez  encore... 

la  mère  de  DiEu.  0  femme,  dont  la  voix  ne  fait 
entendre  que  des  mots  affreux,  ne  fermerez- vous 
pas  vos  lèvres  ?  croyez  vous  donc  que  le  Sauveur  du 
momie  périsse. 

le  choeur.  Faites  quelques  pas,  et  vous  verrez 
voue  Fils  sous  la  croix,  subissant  l'arrêt  porté  con- 
tre sa  vie,  et  vous  direz  s'il  est  vivant  ou  mort  ' 

SCÈNE  V. 

les  mêmes,  le  christ  passant,  mut  t. 

la  mère  de  dieu.  Ah  !  à  moi  !  que  vois-je?  Des 
mains  criminelles,  ô  mon  Fils  né  de  Dieu  !  vous 
emmènent,  vous  Ira  tuent....  Vous,  chargé  de  chaî- 
nes !..  Et  que  ne  fera-l-on  encore  ?..  Vous  qui  avez 
brisé  les  chaînes  de  celle  innuméraltle  famille  des 
hommes  qui  en  était  accablée!..  Ah!  ah!  quelle 
différence  avec  les  premières  promesses  de  l'ange, 
cl  que  j'étais  loin  de  prévoir  ce  jour,  ô  mon  Fils. 

le  chœur.  Mais  ne  sont-ee  pas  là  les  prophéties, 
dans  lesquelles  lui-même  avail  annoncé  d'avance 
sa  Passion  entre  des  mains  criminelles  ? 

la  mère  de  dieu.  Ah  !  (|ue  faire?  Le  cœur  me 
manque.  (On  voit  passer  le  Christ,  au  loin,  entouré, 
inaccessible.)  Où  allez-vois,  mon  Fils,  où  allez- 
vous?  que  ne  puis-je  mourir?  Dans  quel  dessein 
accomplissez-vous  celle  course  rapide?  Y  a-l-il  de 
nouvelles  noces  à  Cana,  et  y  allez-vous  pour  chan- 
ger si  étrangement  Peau  en  vin  ?  Vous  suivrai-jc,  ô 
mon  Fils,  ou  bien  vous  altendrai-je  ici?  Parlez, 
parlez-moi,  ô  vous  qui  êtes  le  Verbe  de  Dieu  le  Père. 
Voire  silence  esl-il  du  dédain  pour  votre  mère  qui 
vous  a  élevé?  Je  souhaite  tant  d'entendre  en  cet 
instant  votre  voix  adorée,  de  vous  parler,  ô  mon 
Fds  !  Par  le  Seigneur,  votre  Père,  laissez-moi,  ô 
mon  Fils  !  toucher  de  mes  mains  votre  corps  sacré, 
panser  yos  pieds,  et  vous  entourer  de  mes  bras... 
(Le  Christ  passe  muet.) 

Ah  !  à  moi,  mon  cœur  est  arraché.  Venez,  amies, 
venez.  N'ayons  plus  de  crainte.  Approchez,  entou- 
rez moi,  parlez-moi,  lenoz  ma  main  dans  lesvôlre>. 
Oh  !  que  je  suis  malheureuse  !  transpercée  de  mes 
larmes,  glacée  de  crainte.  Hélas,  hélas  !  infortunée! 
je  suis  enlièrement  anéantie. 

O  Femmes,  depuis  que  j'ai  vu  le  triste  visage  de 
mon  Fils,  je  souhaite  la  mort,  et  je  ne  supporte 
plus  la  vie. 

Malheur  sur  moi!  que  deviendrai-je  ?  comment 
échapper  aux  mains  de  ce  peuple  ?  mes  ennemis  dé- 
nouent toutes  leurs  cordes  conuc  moi.  Je  n'ai  point 
d'asile  sur  contre  leur  perversité.  Que  faire  donc? 
que  faire  ?  comment  échapper  à  tant  de  lacs  ? 

une  femme  du  ciioeur.  Je  ne  sais,  en  vérité,  très- 
ci. ère  sœur;  j'ai  peur  aussi,  el  des  larmes  brûlantes 
coulent  de  mes  yeux.  Suivez  le  Christ  par  derrière, 
avancez  sans  bruit;  marchez  ver»  le  danger,  avec 
l'héroïsme  de  votre  grand  cœur,  el  nous  vous  sui- 
vrons d'un  pas  tremblant.  Car  une  troupe  furieuse 
oourl  autour  de  lui,  et  il  ne  faut  pas  être  trop  près 
de  ces  masses  égarées.  L'àme  de  ces  hommes  en- 
gourdie, leur  haine  supporteraient  mal  notre  pré- 
sence; entêtés,  sanguinaires,  impétueux  dans  leurs 
passions,  tels,  dans  leurs  mœurs  sauvages,  leur  es- 
prit el  leurs  idées,  que  les  barbares.  J'ai  peur  que, 
d 'lis  quelqu'une  de  leurs  mobiles  impressions,  ils 
ne  vous  accablent  de  quelque  calamité  plus  terrible. 
Plus  mon  regard  s'arrête  sur  eux,  plus  je  redoute 
que  quelque  épée  aiguô  ne  perce  le  cœur  de  Jésus, 
eiqu'ensuile  vous  ne  soyez  sous  le  coup  d'un  mal- 
heur imprévu  <t  pins  affreux,  le  corps  Bangl  ni  tic 


iiS 


votre  Fils  gisant  sur  la  voie  publique.  Un  peu  à  I  e- 
carlde  ces  scélérats,  regardons  les  forfaits  atroces 
de  cette  race  cruelle.  Allons  donc,  allons  jusqu'à  ia 
forèl. 

la  mère  de  dieu.  Vous  avez  raison,  vos  conseils 
ne  sauraient  déplaire  à  personne  ;  quittons  ces  lieux, 
selon  votre  avis. 

(Elles  se  mettent  en  marche.) 
SCÈNE  VI. 

LES  MÊMES. 

le  choeur.  C'est  d'ici  que,  comme  d'un  beffroi, 
nous  allons  tout  voir,  cachées  dans  celle  ombrp. 

la  v.ère  de  dieu.  O  malheureuse  !  infortunée  ! 
verrai-je  mon  Fils  dans  ces  tourments  douloureux, 
el  descendre  ainsi  au  tombeau?  El  j'ai  fui  loin  de  ces 
hommes,  sous  la  crainte  du  mal  !  Mais  quelle  joie 
altends-je  donc  encore  dans  celle  vie?  Oui  !  oui  !  que 
je  meure  à  1  instant,  s'il  ne  m'est  pas  donné  une 
glorieuse  vieillesse,  jusqu'au  jour  (el  ce  jour,  j'y 
compte.)  où  mon  Fils  ressus  ilé  d'entre  les  morts, 
assemblera  tous  les  peuples  pour  les  juger. 

Ces  Hébreux,  si  avides  de  sa  mort,  sont  ceux  de 
sa  race;  c'est-à-dire  de  ma  race,  à  moi,  mère  déso- 
lée, el  non  de  celle  du  Père,  dont  le  Verbe  a  élé  fait 
homme,  et  que  j'ai  mis  virginalement  au  monde, 
par  un  mystère  supérieur  à  la  raison  humaine,  et 
sans  éprouver  les  douleurs  cruelles  de  l'enfantement. 
Oh  !  j'ai  la  foi,  j'ai  la  foi,  malgré  mes  gémissements, 
el  malgré  ma  faiblesse  à  la  vue  de  sa  Passion  :  je 
l'ai  engendré,  je  sais  comment  je  l'ai  engendré,  quoi- 
qu'il me  soit  impossible  d'en  expliquer  intelligiblement 
les  mystères.  Il  faudrait  pourtant,  à  l'approche  du 
malheur,  dénouer  ma  langue.  Aussi  vais-je  raconter 
d'abord  les  premières  sensations  maternelles  de  ce 
corps  encore  vierge,  ignorant  de  la  volupté,  de  ses 
lermeseldeses  peintures,  loin  desquelles  mes  regards 
étaient  écartés  par  mon  âme  virginale.  J'en  atteste 
celui  qui  sait  tout  clairement  !  Je  ne  laissai  jamais 
les  sentiments  mondains  envahir  mon  cœur.  S'il  n'en 
est  pas  ainsi,  que  je  périsse  dans  la  honte  et  l'infa- 
mie; que  mon  corps  soit  rejeté  par  h  mer,  la  terre 
el  le  ciel;  que  mon  àme  soit  repoussée  par  les  mains 
de  mon  Fils  qui  souffre  là;  lous  mes  vœux  brisés, 
mon  espoir  anéanti,  el  ma  lèle  confondue  !  Telle 
j'étais...  mais  je  ne  puis,  au  milieu  de  mes  lara  es, 
m'arrêter  plus  longtemps  sur  ce  sujet;  j'en  ai  dit 
assez.  Ah  !  coulez,  mes  pleurs,  sur  les  maux  dont  je 
suis  accablée,  incertaine  de  ne  pas  sentir  encore  le 
poids  de  revers  plus  funestes  ! 

Je  veux  pourtant  raconter  les  temps  heureux  de 
ma  vie,  pour  inspirer  de  mes  maux  une  pitié  plus 
grande.  Ignorante  des  hommes  ,  vierge ,  je  ne 
connaissais  que  les  devoirs  d'une  femme  obscure. 
Dieu  m 'accordant  abondamment  les  dons  et  les  tré- 
sors de  sa  grâce.  Ainsi,  les  calomnies  fondées  ou  non, 
comme  c'est  toujours  une  cause  de  mauvaise  renom- 
mée que  d'être  souvent  au  dehors,  je  rejetais  loule 
envie  de  sortir,  et  je  restais  assise  au  foyer  domes- 
tique, dont  j'écartai*  les  vains  bavardages  des  voi- 
sines, forte  de  la  purelé  de  men  cœur,  el  me  SulK- 
saut  à  moi-même.  Instruite  des  avantages  de  la 
modestie,  du  bon  renom  qu'elle  répand  autour  d'elle» 
je  donnais  l'exemple  du  silence  el  d'une  humeur. 
toujours  égale.  Je  savais  comment  me  distinguer  de 
mes  compagnes,  et  non  moins  comment  el  dans 
quelles  choses  elles  l'emportaient  sur  moi.  Mon  mari, 
me  recevant  pure  des  mains  de  Dieu,  me  laissa 
vierge  aussi  et  sans  tache.  Ce  ne  sont  point  là  de  vaines 
paroles  :  les  événenemenls  vont  en  prouver  la  vérité. 
Ce  fut  alors  que  je  devins  l'épousée  de  Dieu...  Mais, 
me  direz- vous,  commeul  eûtes-vous  un  Fils  ?  aucune 
femme  ne  pourra  jamais  dire  qu'elle  enfanta  comme 
moi... 

le  chœur.  Excellente  dame,  Irès-cbastc  Vierge, 
nuits  savon*  que  vous  êtes  la  seule  mère  sans .jtQJ  Itj 


51-9 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


600 


el  sans  époux,  parmi  toutes  celles  qui  vivent  ici-bas. 
La  main  de  l'accoucheuse  qui  n'eut  rien  à  faire, 
témoigne  en  faveur  île  voire  divin  enfantement.  Un 
ange  vous  am  onça  la  conception  d'un  Dieu.  Les 
•einres  de  ce  Dieu,  déjà  connues,  sont  supérieures 
à  l'homme  et  ce  sera  chose  incroyable  s'il  subit  des 
tourments  corom^un  des  mortels. 

la  mère  be  dieu.  Bien  dit,  s'il  plaît  «à  Dieu  que  de 
t  -lies  faveurs  soient  accordées  par  lui  aux  hommes,  car 
pour  eux  il  est  le  remède  unique  de  la  mort  et  l'unique 
moyen  de  délivrance  des  maux  dont  elle  lesaccahle. 
El  je  veux  vous  montrer  la  grandeur  de  ceci  :le  Verbe 
qui  instruit  les  hommes  a  habité  en  moi,  et  il  ré- 
pand sa  grâce.  Quand  l'homme  eut  été  formé  de 
Inue  par  le  Créateur,  placé  dans  le  Paradis  pour  en 
cultiver  les  plantes,  dans  le  dessein  de  l'introduire 
au  ciel,  et  que  le  serpent  l'eut  rapidement,  parla 
faute  maligne  de  la  femme,  chassé  du  Paradis  et 
éloigné  des  d'eux ,  le  Fils  imagina  de  prendre  vie, 
quoique  Dieu,  dans  le  sein  d'une  femme,  de  devenir 
homme  tout  en  restant  Dieu,  et  de  renverser  à  ja- 
mais par  son  sacrifice,  le  destructeur  du  genre  hu- 
main écrasé  sous  son  pied. 

Croyez-en  mes  paroles,  ayez  la  foi,  et  considérez 
«*omme  un  Dieu  celui  qui  est  venu  sur  la  terre  pour 
montrer  aux  hommes  le  chemin  des  deux.  Rendez- 
lui  hommage,  célébrez-le  dans  vos  chants  et  bénis- 
S'z-le.  Car  on  le  verra  une  autre  fois  sur  la  terre;  il 
va  sortir  du  tombeau,  comme  d'un  lit,  et  monter 
ensuite  au  ciel,  selon  ses  prédictions  et  les  prophé- 
ties antérieures. 

J'en  ai  l'espoir  et  la  certitude.  Sans  doute,  par- 
tout où  l'on  peut  le  trouver  encore,  je  puise  l'espoir 
qui  me  soutient;  mais,  non,  mon  esprit  ne  me 
trompe  pas  :  quelque  grand  honneur  m'attend.  Con- 
s  liante  pensée!  et  quand  l'espoir  sera  devenu  certi- 
tude, quelle  joie!  Ainsi,  accablée  de  maux,  jecompte 
sur  un  prochain  avenir,  mais  le  chagrin  domine 
mes  espérances. 

le  chœur.  0  glorieuse  femme,  6  excellente  Vierge, 
à  qui  il  a  élé  donné  de  porter  un  Dieu  dans  ses 
lianes!  ainsi  que  vous  l'avez  dit,  vous  avez  annoncé 
l'avenir,  mais  jetez  les  yeux  sur  le  présent.  Nous 
vous  savons  plus  sage  qu'aucune  autre  femme ,  et 
dans  la  sagacité  de  Votre  esprit,  capable  de  prévoir 
la  fin  de  ces  choses,  si  pleines  de  mystères,  si  inin- 
telligibles pour  toutes  les  créatures  humaines,  sauf 
pour  vous ,  ô  Mère  de  Dieu  ! 

la.  mère  de  dieu.  Oh  1  que  je  suis  malheureuse! 
combien  je  suis  ahreuvée  de  douleurs  !  Je  connais 
l'étendue  de  mes  maux ,  mais  sais-je  comment  en 
soutenir  le  poids ?0  stupeur!  Lui!  élevé  sur  la  croix! 
Je  le  vois,  il  va  mourir,  et  de  bonne  volonté!  Mal- 
heur à  moi!  Hélas!  ah!  ah* 

le  choeur.  Qu'y  a-l-il?  que  faites-vous?  Vous  qui 
avez  supporté  tant  d'épreuves  déchirantes? 

la  mère  de  dieu.  Est-il  une  consolation  dans  mon 
affreuse  situation  actuelle?  En  est-il  une'  Je  ne  sais. 
La  mort  peut-être,  immédiate?  Je  l'espère,  je  la 
souhaite.  Un  seul  jour,  pas  plus  d'un  jour,  afin  que 
les  ennuis  dont  je  suis  accahlée,  aient  une  fin.  Oui! 
ô  mon  Fils  bien-aimé,  ne  m'abandonnez  pas  seule 
ioi-bas. 

une  femme  du  choeur.  Ah!  ah!  vos  lamentations 
me  troublent  :  tantôt  vous  prophétisez  en  remplis- 
sant de  crainte  mes  oreilles,  et  vos  paroles  m'em- 
plissent de  terreur,  et  tantôt  vous  relevez  mon  cou- 
rage, mais  par  des  paroles  bien  obscures... 

la  mère  de  dieu.  Vous  n'avez  pas  longlen  ps  à 
attendre  le  terme  de  vos  espérances. 

SCÈNE  VII. 

LES    MÊMES,     PS     AUTRE     DEMI-CHOEUR  ,     UN 

disciple  porteur  de  nouvelles. 

use  femme;  du  demi-chœur.  Jamais,  sans  doute,  je 
ne  mis  le  pied  dans  un  vaisseau,  mais  j'en  ai  vu  des 


images  et  j'en  ai  ouï  parler":  quand  l'orage  est  en- 
core peu  violent,  les  matelots  se  précipitent  au  tra- 
vail, pour  leur  salut,  tel  au  gouvernail,  tel  anx 
voiles,  tel  autre  à  la  cale  pour  épuiser  l'eau;  maïs 
quand  les  mers,  violemment  soulevées,  sont  in- 
domptable-, ils  cèdent  au  destin  ,  et  s'abandonnent 
aux  violentes  et  capricieuses  impulsions  des  flots  : 
et  moi,  de  même,  dans  ce  malheur  terrible,  à  ce 
spectacle,  je  reste  silencieuse  et  n'ai  point  de  paroles 
sur  la ,  lèvres.  Caria  fureur  des  flots  triomphe,  comme 
s'il  ne  s'agissait  pas  de  Dieu  même.  Mais  plaise  au 
ciel  que  la  certitude  et  l'espoir  vous  soutiennent,  ô 
D;mie  toute-puissante,  Mère  du  Seigneur! 

Mais...  la  parole  appelle  la  parole  :  qui  vois-;e 
encore  accourant  en  ces  lieux.  Ah!  ah!  il  approche» 
je  le  vois  maintenant,  le  visage  sombre  et  en  pleurs... 

le  messager.  Dame  Vierge,  dame  Mère  du  Dieu 
Verbe,  n'ayez  point  de  colère  contre  moi.  C'est 
bien  malgré  moi,  et  pourtant  avec  zèle,  que  je  vous 
annonce,  après  les  premiers,  d'autres  malheurs  en- 
core. 

la  mère  de  dieu.  Qu'y  a-l-il  donc  pour  que  vous 
commenciez  par  ces  funestes  mots? 

le  messager.  O  dame  Vierge!  comment  nf  •  x- 
primer?  comment  vous  parler?  Je  vous  apporte  un 
récit  rempli  d'ennuis  pour  vous,  d'une  tristesse  Vio- 
lente et  a'amères  douleurs.  O  vénérable  jeune  fille  î 
ô  très-chaste  Vierge!  combien  je  vous  plains,  moi, 
misérable  disciple,  fidèle  au  Mail  e  pourtant,  et 
l'ayant  vu  souffrir. 

la  mère  de  dieu.  Qu'y  a-t-il?  m'annoncez- vous 
quelque  nouveau  forfait  commis  par  les  Hébreux? 

le  messager.  Votre  Fils  n'est  plus;  c'est-à-dire 
c'est  à  peine  si,  un  instant  encore,  il  voit  le  jour. 

la  mère  de  dieu.  Comment?  qu'avez-vpns  dit? 
que  savez-vous?  Parlez,  parlez!  De  quelle  mort 
meurt-il?  C'est  bien  du  Christ  que  vous  parlez,  du 
Fils  du  Père  éternel?  11  y  avait  lieu  de  croire  qu'il 
pe  serai!  pas  tributaire  de  la  mort,  en  délivrant 
tout  le  peuple  d'Israël. 

le  messager.  A  peine  avait-on  passé  les  portes  de 
la  capitale  decepaysde  Salomoa,  et  était-on  parvenu 
au  Calvaire  que  la  tourbe  de  scélérats  q"ni  entraînait 
mon  Roi,  se  mit  précipitamment  toute  entière  au 
travail  pour  fixer  droite  dans  le  sol  la  plus  haute 
croix,  et  Jésus  fui  en  un  instant  élevé  dans  les  airs. 
Non  moins  vite  furent  tirées,  tendues,  clouées  ses 
mains  sur  le  poteau  transversal,  et  cloués  ses  pieds 
sur  le  poteau  horizontal.  Le  Seigneur  ainsi  suspendu, 
les  uns  lui  enfoncent  sur  la  tête  une  branche  d  épines 
arrondie,  avec  le  désordre  de  l'escalade  d'une  tour; 
d'autres  pressent  sur  ses  lèvres  une  éponge  trouvée 
là,  plongée  dans  de  l'hysope  et  du  fiel  mélangés. 
Ceux  dont  les  oreilles  n'avaient  jamais  compris  ses 
enseignements  ou  qui  ne  virent  jamais  ses  miracles 
parmi  les  hommes,  étaient  les  plus  hardis,  approu- 
vant de  la  tête  et  se  frappant  la  poitrine  dans  leur 
ignorante  stupidité.  Quant  à  moi,  ayant  suivi  le 
Seigneur,  je  m'arrêtai  à  l'écart,  en  un  lieu  fourré 
d'arbres  touffus,  immobile,  muet;  j'ai  tout  observé, 
tout  vu  ,  sans  être  aperçu  par  celte  perverse  el  san- 
guinaire bande.  C'est  de  là  que  je  vous  ai  aper- 
çue céans  debout  el  eu  pleurs,  et  je  suis  venu  vous 
apporter  ces  funestes  détails. 

la  mère  de  dieu. O  malheur  à  moi!  malheur!  ah  ! 
ah!  que  faire?  Le  cœur  nie  manque.  Comment, 
comment  je  vis  encore  el  je  supporte  ces  recils!  el 
comment,  dans  mon  extiême  accablement,  pour- 
rais-jc  supporter  la  vue  de  ces  supplices?  Allez,  ô 
femmes,  ô  lilles  de  Galilée,  saluer  Jésus  el  suivons- 
le  hors  de  ce  monde.  Venez,  mes  filles,  venez!  Ban- 
nissons toute  crainte. 

le  cnoEUR.  Mais  ne  rcculcrez-vous  point  devant  ce 
peuple,  dans  la  crainte  des  lourmenls? 

la  mère  de  dieu.  Et  par  quelle  horreur  pourrais  je 
encore  être  arrêtée?  Allons  donc,  allons, que  la  peur 
soit  chassée  loin  de  nous.  D'ailleurs,  quel  bienest-co 


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pour  nous  île  vivre  davantage?  Marchons  enfin  ,  je 
vais  assister  au  supplice  de  mon  Fils. 

SCENE  VIII. 

i 

fcES  MÊMES,    LE    CHRIST. 

la  mère  de  dieu.  Hélas  !  hélas  !  ô  femmes,  je  ne 
vois  pas  la  joie  sur  le  visage  de  mon  Fils  :  comme  il 
est  pâle!  sa  beauté  s'efface... 

O  femmes,  depuis  ce  triste  regard  de  mon  Fils, 
j'envie  le  trépas  et  je  suis  lasse  d«  la  vie.  Relirez- 
vous,  retirez-vous,  je  suis  lasse  de  la  vie... 

O  vous,  qui  n'avez  été  que  pour  le  bien  universel 
des  hommes,  ô  mon  Fils  bien-aimé,  quelle  justice 
vous  frappe  de  ces  maux?  De  quels  péchés  subissez- 
vous  les  peines?  Vos  mains  sont  pures,  pures  de 
sa  ig.  Vos  lèvres  sont  pures;  vous  êtes  entièrement 
pur;  pur  est  votre  front  et  plus  pure  est  voire  âme; 
vo.re  cœur  ignore  le  mal.  Et  c'est  vous  que  je  vois 
pendu  entre  des  larrons!  Ce  ne  sont  point  vos  en- 
nemis qui  dans  leurs  recherches  vous  ont  surpris: 
un  ami,  un  disciple  a  accompli  votre  p»r:c,  et  vous 
l'avez  hien  voulu  :  celui-là,  vous  l'aviez  désigné  aux 
vôtres  à  propos  d'un  pain;  vous  avez  voulu  épargner 
ce  misérable,  et  pour  l'anvcherau  mal,  vous  l'aviez, 
à  son  insu,  entouré  de  vos  filets.  Mais  comment  le 
Père,  dont  la  grâce  vous  a  envoyé  sur  la  terre,  a- 
l- il  voulu  que  vous  fussiez  sous  le  joug  d'une  mort 
si  ignominieuse!  O  calamité!  de  quel  forfait  ne  suis- 
je  pas  témoin?  Crime  intolérable  et  inouï!  ah,  je 
meurs!  ah!  ah!  mon  Fils!  quelle  inique  mort  !  ah! 
ah!  Je  le  répète,  combien  vous  êtes  injustement  mis 
à  mal,  non  pour  vos  péchés,  mais  pour  effacer  les 
souillures  et  les  fautes  de  la  'première  femme.  Je 
sais,  je  vois  tout,  mais  je  ne  trouve  point  de  mots 
pour  parler,  et  pourtant  ri  n  ne  m'est  inconnu  des 
résultais  de  tout  ceci.  Mais  le  désespoir  surpasse 
moull  en  moi  l'espérance;  et  quoique  j'éloigne  de 
mon  àme  l'idée  d'un  malheur,  mes  gémissements 
sont  innombrables,  mes  yeux  sont  pleins  de  larmes 
brûlantes;  sans  doute  parce  que  la  femme  cède  ai- 
sément aux  soupirs  et  anx  pleurs. 

le  christ.  Voici,  ô  la  meilleure  de  toutes  les 
femmes,  voici  votre  nouveau  fils  vierge.  El  \o:;s, 
ô  disciple,  voici  votre  mère  Vierge.  Eh  quoi!  ô 
femme!  eh  quoi!  vous  pleurez.  Vous  détournez  les 
yeux  et  vous  pleurez.  El  vous  êtes  là,  pleine  de 
trouble,  dans  cet  heureux  moment,  et  vous  ne  sou- 
tenez pas  avec  ardeur  ma  mauvaise  fortune.  Tout 
ce  qui  se  passe  est  conforme  aux  prophéties  ,  soil  à 
mes  propres  prédictions ,  soil  à  celle  des  prophètes. 
Le  temps  esl  venu  de  la  défaite  de  l'ennemi  de 
I'.  omme.  Pourquoi  donc  pleurez  vous  encore  sur 
votre  Fils? 

la    mère   de  dieu.  Non,  c'est  en  pensant  à  ce 

fieuple,  c'est  en  rappelant  en  moi  toute  la  force  de 
a  raison  et  supérieure  à  mon  malheur,  que  j'ai 
pleuré,  et  que  je  pleure  encore,  mais  sur  ces 
hommes,  à  la  prévision  des  calamités  qui  menacent 
ceux  qui  vous  oui  suspendu  à  cettecroix.ô  mon  Fils; 
et  je  suis  prête  à  tout  événement,  quoique  la  tris- 
tesse domine  encore  en  moi  sur  mon  ferme  espoir. 
Oui ,  quelque  terrible  qu'elle  soil  pour  la  nature, 
vous,  vous  dompterez  et  vous  écraserez  aisément 
la  mort,  et  bientôt  ressuscité  ,  vous  prendrez  ven- 
geance de  vos  ennemis.  Mais  la  lenune  est  d'une 
essence  prompte  aux  larmes -.c'est  pourquoi  je  gémis 
encore,  et  transpercée  de  tristesse,  désolée,  je 
pleure.  Je  suis  pleine  de  (m  ce  assurément,  et  néan- 
moins je  succombe  en  perdant  voire  présence  vc- 
l*  réc.  Oh  !  Combien  esl  rude  ce  coup  ,  qui  triomphe 
de  mon  espoir  et  terr.ssc  mon  àme!  Oh!  je  meurs, 
la  faveur  de  la  vie  ne  m'est  de  rien,  cl  j'envie  la 
mort ,  ô  mon  Fils!  abandonnée,  exilée  dans  mon 
affliction;  ni  mère,  ni  frère,  ni  parenls;  personne 
pour  me  conduire  au  poil  dans  ce  naufrage;  ah  !  si 
je  ne  vyus   revois  bientôt,   ô  mon   Fik!  comment 


soutenir  la  vie?  Non,  non, ô  mon   Fils  bien-aimé  , 
ne  me  laissez  pas  seule  ici-bas. 

le  christ.  Ayez  confiance ,  j'aurai  garde  ,  et  vous 
êtes  plus  en  paix  que  jamais  :  fiez-vous  en  Dieu; 
vous  ne  pouvez  juger  encore  de  la  grandeur  de  ces 
événements.  Je  vous  accorderai  tics  dons  tels  que 
rien  ne  sera  au-dessus  de  vous  ,  ni  au  ciel ,  ni  sur  la 
terre,  ni  parmi  toutes  les  choses  crées;  et  je 
vous  accorderai  celle  grâce  en  laveur  de  bien  des 
hommes. 

la  mère  de  dieu.  J'ai  foi;  vos  paroles  ne  me 
trouvent  pas  incrédule;  elles  sont  toutes  bienveil- 
lantes pour  moi ,  je  le  vois  bien.  Je  vous  ai  enfanté, 
et  je  sais  comment  je  vous  ai  enfané.  Mais  ma  dou- 
leur est  plus  grande  que  vos  révélations.  Oh  !  je 
vous  en  supplie  par  cette  salutaire  Passion  ,  qm 
délivre  du  mal  la  race  humaine  !  autant  qu'il  soit 
possible  à  une  mère,  je  me  prosterne  à  vos  pieds  , 
ayez  pitié!  ayez  pitié  de  mon  malheur!  ne  me  lais- 
sez pas  ,  abandonnée,  privée  de  vous  !  Donnez-moi 
l'hospitalité  dans  les  régions  où  vous  demeurez.  El 
si  vous  n'avez  point  porié  dans  votre  propre  cause 
un  jugement  trop  rapide,  si  vos  vœux  ,  par  la  puis- 
sance du  Père  sont  accomplis  à  vos  souhaits,  faites 
que  je  vous  voie,  après  voire  trépas,  le  troisième 
jour,  ressuscité  d'entre  les  morts ,  selon  vos  pré- 
dictions à  ceux  qui  vous  aimenl.  C'est  ainsi  ,  ni 
effet ,  que  toutes  choses  seront  pour  moi  plus  assu- 
rées,  et  que,  bienheureux  Fils  avoué  du  Père  bien- 
heureux ,  vous  serez  célébré  dans  les  chants  de 
toutes  les  créatures. 

1  Sans  doute  je  ne  traînerai  pas  longtemps  ma  triste 
vie,  mais  celte  tourbe  de  scéléials  sera  punie  pour 
le  meurtre  du  Seigneur  de  la  terre  et  du  ciel.  Ses 
forfaits  seront  frappés  des  maux  réservés  aux  sacri- 
lèges. Mais,  sans  souci  d'eux,  j'ai  crainte  pour 
leur  postérité!  Ah  !  que  leurs  cnfanls  ne  subissent 
pas  la  peine  des  pères  et  n'expient  point  ce  memtre 
impie!  El  vous,  ô  mon  Fils,  lumière  née  de  Dieu, 
éloignez,  adoucissez  ,  repoussez  la  mort,  loin  au 
moins  des  débris  d'une  famille  aimée... 

le  christ  O  femme,  j'accueille  vos  paroles  ;  cl  je 
ne  m'élève  contre  aucune.  Pour  beaucoup  de  raisons, 
je  suis  prêl  à  vous  accorder  la  grâce  que  vous  sou- 
haitez; vous  n'attendrez  pas  en  vain.  Je  vous 
aiderai ,  du  haut  des  cieux  ,  dans  ce  dessein  ,  et  voua 
ferez  l'épreuve  d'une  fortune  contraire  devenant 
cause  de  félicité,  quand  vous  aurez  passé  ces  der- 
niers et  lamentables  moments. 

la  mère  de  dieu.  Ah  !  combien  voire  cœur  est 
généreux  et  bon!  O  mon  Fils  ,  dans  quelle  calamité 
vous  êtes  tombé  ,  et  pourtant  voire  âme  supérieure 
s'appartieul  tout  entière.  Quels  soins  n'avez-vous  pas 
sans  cesse  de  moi?  C'est  en  y  réfléchissant,  que  j'ai 
reconnu  ma  suprême  imprudence,  et  ma  vaine 
tristesse ,  et  mes  inutiles  préoccupations  sur  mon 
propre  sort. 

SCÈNE  IX. 

LES    CHOEURS,     Là    MERE    DE   DIEU,   LE   CBRIST. 

le  choeur.  Ah  !  Ah  !  j'entends  le  bruil  de  sanglots 
déchirants,  j'entends  .une  voix,  j'entends  des  cria 
lugubres.  Qui  esl- ce  qui  implore  Dieu  dans  le  plus 
profond  accablement? 

la  mère  de  dieu.  C'est  l'illustre  Pierre  qui  ap- 
proche, d'un  visage  désolé,  mouillé  de  larmes, 
contrit,  invoquant  Dieu  comme  un  grand  coupable. 
Vous  pleurez,  Pierre?  Voire  conduite  fut  condam- 
nable sans  doute,  mais  vous  pourrez  néanmoins 
trouver  grâce  ici.  O  mon  Fils,  ô  bien-aimé  ,  ô  Verbe 
de  Dieu  !  pardonnez!  L'homme  est  coulnmier  du 
péché,  ô  mon  Fils,  el  Pierre  n'a  fui  la  loule  que 
par  crainte. 

le  christ*  O  Vierge-Mère,  supportez  le  poids  de 
vos  maux  el  retirez-vous.  Je  remets  à  Pierre  sa 
faute,  à  votre  prière,  et  :e  cède  à  vos  inslan  es  ,  à 
cause  de  voire  piété  et  de  votre  bon  cœur.  Quant  à 


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PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


m 


ce  qui  nous  concerne,  vous  et  moi ,  qu'il  n'en  soil plus 
question.  Les  larmes  m'arrachent  bien  des  pardons  , 
et  dénouent  les  chaînes  de  ions  les  pécheurs.  El  je 
vous  le  «lis  en  vérilé  :  n'avez  point  d'inimitié  contre 
per  onne  ,  pas  même  contre  ceux  qui  m'ont  inique- 
ment cloué  sur  celle  croix. 

la  mèhe  de  dieu.  Hélas!  combien  votre  âme  est 
toujours  pleine  de  douceur!  au  milieu  même  de 
votre  Passion .  vous  êtes  sans  colère  contre  les 
bomnvs ,  sans  colère  même  contre  ceux  qui  vous 
ont  cucilié.  El  pourtant,  ô  mon  Fils,  qui  giippor- 
teiait'le  choc  de  voire  ire,  ou  qui  soutiendrait  votre 
indigna  lion  ? 

le  christ.  Retirez-vous,  retirez-vous  en  ce  mo- 
ment du  milieu  de  ces  hommes ennemis,  dont  vous 
venez  île  me  p  rler  ;  pour  les  mis,  loul  est  accom- 
pli ,  j'aurai  mémoire  de  certains ,  et  ici ,  je  vous  laisse 
le  soin  de  ces  détails. 

SCENE  X. 

LE  CïlOEUR,    LA   MERE  DE   DIEU 

n  mere  de  dieu.  Tout  esl  accompli,  à  ce  qu'il 
semble!  Ob'.  eue  je  suis  malheureuse!... 

Ah!  ah!  quelle  terrible  parole  ^vez-vous  pro- 
noncée, 6  vous,  louie  douceur,  et  votante  de  l'âine  ! 
De  quelle  amertume  avez-vous  «lé  abreuvé  dans 
vot-e  soif?  El  vous  avez  répété  encore  combien  vous 
avi  z  soif! 

le  choeur.  Quels  bruits  enlends-je.  qui  me  glacent 
d  effroi?  De  quoi  pleurez-vous,  à  celle  heur»;?  Je  ne 
puis  !e  deviner,  el  je  voudrais  l'apprendre  de  vous. 
Parlez  dmie,  jetez  vos  reg.uds  de  mon  côté.  Ah! 
quels  malheurs!  El  «;uoi?  voire  regard  esl  sans  vie 
ei  votre  visage  sans  couleur? 

t.A  mère  de  aise.  Silence ,  femmes  !  Nous  sommes 
perdues.  Baissez  la  voix.  Je  veux  interroger  mon 
Fils.  Je  le  vois,  la  morl  esl  dé.;à  bien  proche  de  lui. 
Je  vois  sa  lêle  vénérés  qui  penche,  ella  voix  lui  fera 
L.eiilôl  défaut,  même  pour  peu  de  paroles... 

.SCÈNE  XI. 

LA    MÈRE    DE    DIEC. 

la  mère  de  dieu.  Grand  Dieu!  que  vois-je?  0  mon 
Fils,  je  vols  votre  corps  devenu  ia  proie  du  irépas. 
Chose  étonnante,  merveilleuse! 

A  l'instant ,  il  a  jelé  un  cri  vers  son  Père  ,  ei  les 
entrailles  de.  la  terre  ont  été  ébranlées  de  cène  voix 
immense;  l'univers  entier  même,  rempli  de  celle 
clameur,  en  a  redil  h  s  terribles  échos.  To  s  ceux 
qui  le  regardaient  se  soni  semis  impuissants  à  tenir 
les  yeux  fixes  sur  lui... 

iJe  voici  donc  celui  que  je  voyais^en  ce  moment 
même,  el  qui  si  peu  avant  vivait  encore.  On!  que 
vous  esl-il  arrivé?  Comment  avez-vous  péri  ,  ô  mou 
Fils?  Je  veux  le  tenir  de  vous;  car  l'âme  humaine, 
dans  son  avidité  de  tout  connaîlre,  se  surprend  à 
désirer  même  la  connaissance  du  malheur! 

llelas!  trois  fois  hélas!  combien  ces  choses  son'. 
autres  que  celles  que  j'attendais.  Ali!  ah!  que  de- 
viendrai-je?   le  cœur  nie  manque. 

O  lemmes,  ce  n'est  plus  le  pur  visage  de  mon 
Fils  que  je  vois;  comme  il  esl  pâle;  sa  fr.ip- 
panle  beauté  esl  altérée.  Spectacle  affreux '  horreur 
«lu  contact  de  la  mort!  quels  avertissements!  les 
astres  en  deuil,  la  terre  ébranlée  dans  ses  profon- 
deurs, les  rochers  se  brisant!  Allez  ,  allez ,  je  ne 
puis  le  voir  davantage  !  je  cède  à  mes  peines,  fui 
été  avertie  pourianlde  >e  qui  allait  arriver;  mais 
mon  désespoir  triomphe  en  moi  de  l'espoir  de  la 
f„i .. 

O  Fils  du  Roi  suprême,  est-ce  donc  vous  qui  vi- 
sitez aujourd'hui,  dans  les  ahimes  habités  de  l'en- 
fer, toute  la  li0née  anéantie  de  nos  pères  ?  Comme 
vous  nous  avez  vile  quilles,  las  déjà  de  la  vie?  Cel- 
les, jama's  la  mort  n'eûl  eu  raison  de  vous,  si, 
d'avance,    vous    n'eussiez  remis  voire  csprii   aux 


mains  du  Père.  J'ai  entendu,  j'ai  entendu  les  paroles 
du  Père.  Pourquoi  le  Père  vous  arrache-l-il  à  la 
terre?  quel  dessein  a-l-il  dans  votre  mort  ignomi- 
rieuse?  Pourquoi  vous-même  abandonnez -vous, 
seule  ici-bas,  votre  mère  qui  vous  engendra?  Mal- 
heur à  moi!  ô  mon  Fils!  je  veux  mourir  avec 
vous. 

Vous  mort,  quelle  cité  m'accueillera  ?  Quel  hôle 
m'ouvrira,  dans  un  coin  inaccessible  de  ce  inonde, 
une  reiraiie  paisible,  et  protégera  mes  jours  défail- 
lants? Personne.  Aussi  je  vous  allends  dans  peu, 
aux  premières  lueurs  des  astres  de  ce  troisième  jour 
que  vous-même,  dans  vos  enseignements,  avez  mar- 
qué pour  voire  résurrection.  Voilà  ma  foi,  et  l'es- 
poir que  je  nourris  !  Car,  à  vous  voir  ainsi  expiré, 
el  penchant  sur  cette  croix,  je  suis  plus  inquiète,  à 
cause  de  votre  absence,  de  mon  son  que  du  vôtre. 
C'est  moi  qui  suis  frappée  de  la  mort  par  voui. 
plutôt  que  vous  n'en  êtes  vous-même  la  proie.  O 
heureuse ,  ô  mon  Fils,  si  j'étais  morle  en  voire 
lieu!  Je  suis  accablée  du  irépas,  ô  mon  Fils,  il  ne 
m'esl  plus  de  goùl  pour  la  vie!  Ah  !  déjà  mes  yeux 
sont  envahis  parles  ténèbres,  je  succombe  el  j'as- 
pire aux  entrées  des  enfers.  C'est  sous  la  terre,  sous 
la  terre,  dans  l'horreur  de  l'obscurité,  sortie  enlin 
de.  celle  vie,  que  je  guette  un  asile*  si  voire  vue 
m'est  ravie.  O  malheureuse!  quelle  douleur  je  res 
sens,  intolérable,  inouïe.  Certes  je  ne  suis  plus. 

Mais  comment,  muet,  l'ouïe  éteinte,  me  viendra- 
l-ilen  aicie,  ô  mère  accablée  de  maux  !  C'est  donc 
en  vain,  ô  mon  Fils,  que  je  vous  ai  élevé,  vous  qui 
donniez  si  largement  la  nourriture  à  tout  le  monde; 
en  vain  j'ai  supporté  bien  des  faligues,  je  succombe 
aujourd'hui  sous  leur  poids,  après  avoir  fui  loin  de 
ceux  qui  machinaient  votre  mon,  ô  mon  Fils,  depuis 
votre  naissance  merveilleuse  el  votre  berceau... 

Non,  non,  loin  de  moi  ces  pensées,  malgré  mes 
plaintes  el  mes  pleurs.  C'est  moi  qui  vous  ai  engen- 
dré el  je  sais  comment  je  vous  mis  an  monde.  Sans 
doute,  quelquefois,  Ô  infortunée!  j'avais  londé  en 
vous* de  suprêmes  espérances:  nourrie  par  vous 
dans  ma  vieillesse,  et  ensevelie  avec  honneurs  par 
vos  mains  apràs  ma  mort;  espérances  précieuses 
pour  les  humains.  Mais,  néanmoins,  ce  doux  espoir, 
ô  mon  Fils,  n'est  pas  anéanti  par  voire  mort... 

O  parole  si  suave,  cause  de  tant  de  douces  émo- 
tions pour  moi,  ô  visage  bien-aimé,  ô  beauté  inef- 
fable, si  désirée,  telle  que  les  hommes  n'en  avaient  ja- 
mais vue,  image  inexprimable  d'une  forme  insaisis- 
sable, quels  sombres  traits  n'avez. vous  pas  en  cet 
instant  :.je  ne  puis  tenir  mes  regards  sur  vous!  Eh 
quoi!  vous  êtes  sans  voix?  vos  lèvres  closes!  Don- 
nez-moi un  mol,  donnez-moi  une  consolation. 
Parlez  un  peu  à  voire  misérable  mère,  ô  mon 
Fils. 

Certes,  ô  mon  Fils,  jeconnais  mon  Dieu,  ella  mort 
cruelle  que  vous  avez  subie,  celle  morl  me  dole  do 
l'immortalité;  elle  m'enrichit  de  la  gloire  éternelle; 
elle  est  la  joie  la  plus  grande  du  génie  humain  tout 
entier. 

SCÈNE  XII. 

LA   MÈRE  DE    DIEU,   SAINT  JEAN. 

saint  jea.n.  Ayez  du  courage,  Darne  de  tous, 
même  dans  l'ardeur  de  vos  larmes.  C'est  de  son 
gré,  de  sa  volonté  même  que  Jésus  a  subi  la  morl; 
c'est  pour  dompter  la  mort  qui  dévorait  loul  et 
pour  en  venger  les  hommes.  11  esl  le  Seigneur,  cl 
l'universel  bienfaiteur.  Et  pour  recuire  dans  un  vase 
d'or  celle  mienne  enveloppe  matérielle,  sa  sagesse 
prévoyante  m'a  miraculeusement  rénové.  Ainsi, 
après  avoir  savamment  effacé  sur  ma  sombre  vieil- 
lesse la  vieille  tache  de  la  perdition  humaine,  il  me 
montrera  loul  éclatant  d'une  aimable  jeunesse! 
Tue  vieillesse  tunesle  nous  accable  tous  encore,  el 
je  suis  loul  courbé  sous  le   poids  du    mai    amï>p'.<v 


co; 


l'A  S 


DICTIONNAIRE  I  ES  MYSTEUES. 


PAS 


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des  failles  originelles,  et  de  h»  séduction  de  la  pre- 
mière mère.  Mais  lui  m'a  promis  la  (in  de  mes  maux, 
il  rappelle  à  lui  ma  mère  antique,  et  ce  lieu,  et  ces 
demeures,  perdus  par  une  trahison,  et  d'où,  après 
avoir  cédé  aux  conseils  de  la  bêle  mauvaise,  Eve 
tomba  sur  celle  terre,  cause  de  tant  de  soupirs, 
avec  son  mari,  eu  qui  elle  lut  de  suite  sa  condam- 
nation. Insivii  t  par  la  misère,  l'infortunée  mesura 
L'immensité  de  la  perle  de  cette  lerre  féconde,  sa 
première  habitation.  C'est  pour  nous  que  le  Christ 
annonça  dès  l'abord  sa  Passion  volontaire;  il  a  subi 
la  mon  de  son  gré;  il  doit,  le  tr  isième  jour,  sortir 
du  tombeau  ei  apporter  uni  immense  joie  àj  ses 
disciples  aimés.  Toutes  ces  choses  qu'il  savait  dès 
longtemps,  il  les  a  répétées  sans  obscurité.  Déjà  tous 
les  f.iils  annoncés  se  sont  produits,  il  n'y  a  plus  à 
attendre  que  le  jour  de  la  joie;  nous  l'attendrons, 
et  il  viendra,  «elon  ses  pré. Initions;  après  avoir  ré- 
vélé le  malheur  avee  tant  d'exactitude,  il  nous  don- 
nera sa  joie  splcndide  au  troisième  jour.  Vous  n'i- 
gnorez pas  le  dernier  mol  de  ces  événements.  A 
cau>e  de  vos  Minois  et  de  vos  chagrins,  vous  serez 
l'Objet  du  culle  le  plus  pieux  sur  la  terre  élan  ciel; 
l'univers  entier  sera  rempli  île  l'éloge  de  voire  il- 
lustre mission;  et  des  temples  vous  seront  dédiés 
parlons  les  hommes.  Bientôt,  à  cause  de  eemenrir.; 
épouvantable,  des  tètes  vénérées  seront  célébrées 
dans  ces  lieux,  cl  ce  p.iys  de  Jérusalem  sera  devenu 
la  Terre  sainte...  Il  ne  faut  donc  pas  pleurer  trop!... 
Ainsi,  ô  Dame,  contenez  vos  gémissements  exlrè- 
uios,  ne  levez  plis  les  yeux  vers  le  ciel,  comme  pour 
vous  arracher  à  la  terre,  ne  versez  plus  ces  pleurs 
abondants,  Jusques  à  quand  lien  liez-vous  voire 
front  courbé,  en  arrosant  le  sol  de  vos  larmes  ?  Plus 
hùre  du  regard  vengeur  du  Dieu  qui  voit  tout  et  qui 
va  von* apporter  tant  de  joie,  c'est  sur  lui,  sur  lui 
seul  que  vous  porteriez  vos  yeux.  Vous  savez  ce- 
pendant, Viius  n'ignorez  rien.  Ces  premiers-  jours 
v.uil  être  suivis  d'un  é  hlauldénouemeni,  d'un  jour 
de  joie.  C'est  cel  unique  jour  à  venir  qu'il  faut  at- 
tendre, alin  d'alléger  voli  e  chagrin,  dont  je  suis  moi- 
même  troublé. 

i.v  mère  de  dieu.  Vous  êtes  Un  autre  fils  pour 
moi,  6  disciple-vierge,  selon  la  parole  de  mon  Fils 
unique!  Vous  possédez  lotis  les  mystère*.  Qif est-il 
nécessaire  de  vous  raconter  comment  je  l'ai  engen- 
dré sans  engendremenl,  et  mis  au  monde  sans  «Init- 
ie irs,  échappant  ainsi  aux  dures  souffrances  des 
couches;  et  le  mot  de  l'ange  qui  m'annonça  le  Fils 
de  Dieu  ;  el  toutes  ses  actions  qui  ne  sonl  que  d'un 
D.eu... 

M  lis  comment,  comment  supporter  le  spectacle 
de  ce  corps  nu,  tout  attaché  à  ce  bois  ?  Est-ce  donc 
là  celui  qui  a  élevé  la  lerre  au-dessus  des  abîmes 
des  mers,  pour  qui  disparut  la  lumière  du  soleis  re- 
plié sur  lui-même,  el  s'obscurcit  de  ténèbres  l'éclat 
de  la  lune,  cl  se  rendirent  les  rochers  épouvantés, 
el  s'entrouvrirent  les  grands  monuments,  en  signe 
de  la  puissance  du  Créateur  expirant. 

saint  jfan.  ODame  très-puissante,  Mère  du  Verbe, 
moi-même,  je  suis  dans  la  stupeur  et  je  supporte  à 
peine  cet  horrible  spectacle  de  la  mon  de  ce  Dieu, 
qui  d'un  souffle  rendait  la  vie...  J'ai  de  fréquents 
gémissements  el  je  verse  des  larmes  anières,  mais 
"espoir  vil  en  moi  el  je  contiens  mes  soupirs.  Par 
je  ne  veux  point  montrer  de  doute  dans  la  parole  de 
mon  Seigneur!  Le  troisième  jour,  ce  jour  si  beau, 
si  splemlide,  il  viendra  justifier  nos  plus  chères  es- 
pérances :  que  ce  jour  ne  nous  trompe  point,  el 
puissé-je  mourir! 

i.a  mère  de  dieu.  J'entends  bien  ,  et  non  sans 
vous  comprendre  ;  dans  ce  troisième  jour,  son  corps 
sacro-saint  doit  èire  arraché  à  la  corruption.  Mais, 
aujourd  hui,  ne  suis-je  pas  dans  un  jour  ennemi? 
Mon  malheur  n'est  il  pas  aussi  grand  qu'auparavant 
mon  bonheur?  C'csl  (pie  la  vie  humaine,  n'est  qu'un 
vain  fantôme  ;  et  je  le  (lis  avec  conviction,  les  sages 


ici-bas  répuiés  tels,  les  chercheurs,  les  orateurs  ha- 
biles, devraient  être  tous  jugés  et  traités  comme 
coupables,  nul  n'étant,  en  effet,  heureux  dans  les 
conditions  de  ce  monde  :  les  richesses  affluent,  tel 
est  plus  célèbre  que  son  voisin  ;  mais  de  vrai  bon- 
heur? point, 

SCÈNE  XIII. 

LES    MÊMES,  LES   CHOEURS. 

une  femme  du  demi-choeur.  De  lotîtes  les  créaiures 
animées  el  Années  d'une  Aine,  nous,  femmes,  noiis 
sommes  les  plus  misérables;  car,  après  les  avoir  mis 
au  monde,  nous  voyons  mourir  nos  enfants.  Oh! 
j'aimerais  mieux  mourir  irois  fois,  qu'aines  avoir 
enfanté,  de  voir  le  trépas  de  l'enfant  que  j'aurais 
nourri!  Mais  entre  vous  el  moi,  quel  aln'me!  ô  Dame 
souveraine,  ô  Vierge  bienheureuse!  qui  èles  bien 
au-dessus  de  toutes  les  créatures  humaines!  moi 
j'ai  connu  les  plaisirs  des  hommes,  el  à  cause  de 
ces  plaisirs,  je  nourris  bien  des  maux  dans  la  déso- 
lation dont  je  soutiens  le  poids,  n'ignorant  pas  que 
je  n'ai  enfanlé  que  dans  la  mort,  el  qu'il  faut  que 
l'homme  supporte  légèrement  le  malheur.  Mais 
vous,  ô  Vierge,  vous  n'avez  pas  connu  la  couche 
nuptiale,  les  paroles  d'un  ange  vous  ont  appris, 
comme  vous  diles,  la  concepiion  d'un  Dieu,  el 
comment  soutenez  vous  le  speclacle  de  sa  mort  ? 

la  mère  de  dieu.  Laissez-moi...  Q'ielle  bienveil- 
lance trouver  dans  vos  amers  discours?  Que  vous 
importe  ce  qui  me  fut  pré  lit?  Le  porteur  de  mau- 
vaises nouvelles  n'e^l  point  coupable  à  cause  des 
funestes  événements  dont  il  apporte  les  détails.  Au- 
rais-je  élé  trompée  par  le  messager?  Comment  le 
savoir?  Mais  j'ai  des  gages  de  sa  bonne  foi.  Oui,  il 
faut  que  je  pleure;  car  j'ai  s  uiffeil  des  tourments 
où  les  larmes  ne  sont  pas  déplacées.  Je  veux  gémir 
el  pleurer,  aussi  longtemps  que  je  n'aurai  pas  revu 
ressuscité  celui  qui  est  mort. 

une  a»t«e  femme  du  DEMt  citorur..  Jeune  dame,  il 
faut  pardonner.  Si  quelqu'une  d'entre  nous,  trop 
hardie  dans  son  inexpérience,  vous  parle  un  langage 
téméraire,  faites  sémillant  de  ne  pas  avoir  entendu, 
car  vous  êtes  la  plus  sensée  de  toutes  les  femmes. 

LA  mère  de  dieu.  Ah!  je  suis  accablée  de  maux 
dignes  des  plus  grands  éplorements.  Oh  !  deuil  su- 
prême, dont  la  vue  même  est  insupportable  !  O  vous 
dont  les  mains  erinvnclles  oui  accompli  le  forfait, 
qui  poursuivîtes  ce  vainqueur  superbe  jusqu'aux  re- 
traites du  malheur  el  des  larmes,  quel  esl  ce  triom- 
phe dont  vous  vous  vantez,  les  bras  encore  san- 
glants? Hélas!  en  lin  mieux  instruits  de  voire  ou- 
vrage, vous  serez  pressés  d'un  sombre  regret;  mais, 
persistant  jusqu'au  bout  dans  la  situation  que  vous 
vous  êies  faite,  vous  pourrez  vous  croire 'heureux 
dans  voire  ignorance  du  mal... 

Mais  non!  (pie  dis-je?  vos  actions  ne  seront  pas 
impunies.  Comment  les  excuser?  qu'y  a-l-il  qui,  dans 
vos  forfaits,  ne  soit  pascontre  toute  piété?  Périssez, 
périssez,  cruels  homicides!  après  le  meurtre  d'un 
Dieu,  ne  sentez-vous  rien  au  cœur?  ne  voyez-vous 
pas  l'effroi  de  toutes  les  créatures,  dans  votre  or- 
gueil de  ('immensité  du  meurtre? 

lé  choeur.  Le  mal  esl  aussi  grand  que  possible, 
nul  ne  dit  le  contraire;  mais  la  vie  de  l'homme  n'est 
que  désolation,  el  quoique  accablé  de  maux,  il  Situe 
encore  se^  jours. 

O  jeune  lille,  votre  affliction  n'est  point  de  celles 
ipie  connaît  l'homme,  bien  que  d'autres,  comme 
vous,  aient  clé  séparés  de  votre  fils;  votre  enfante- 
ment n'est  point  de  ceux  des  mortels.  Néanmoins 
supportez  lonies  ces  afflictions  d'un  cu'.ur  ferme,  el 
avez  la  confiance  cl  la  foi. 

SCÈNE  XIV. 

LES  MÊMES. 
LÀ  m(.ri.  Dr  DIEU.  Ah!  jeunes  filles!  ah!  je  vois  ur 


607 


PAS 


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PAS 


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de  ces  soldais  impies,  après  avoir  brisé  les  jambes 
des  voleurs,  élever  sa  lance  vers  le  cote  de  mon  (ils. 
Je  le  crains,  quelque  dessein  nouveau  me  prépare 
encore  d'autres  douleurs.  Mon  Fds  mort  sein-t-il 
outragé  sous  mes  yeux?  Malheur  à  moi,  à  moi  seule! 
Tableau  terrible,  inaccoutumé,  développé  à  m»:s  re- 
gards' Voyez,  voyez,  le  sang  coule  de  son  coté  percé. 
Voyez,  voyez,  deux  ruisseaux  s'épandenl,  de  sang 
et  d'eau  qui  ont  jailli,  sans  se  mêler,  s»us  le  coup 
de  la  lance  du  jeune  satellite  romain  !  Ces  «leux 
ruisseaux  bouillonnent  encore,  et  celui  dont  la  main 
a  fait  la  blessure,  s'est  écrié,  dans  sa  stupeur:  <  Vé- 
ritable nent,  celui  qui  est  mort  est  le  Fils  de  Dieu'» 
Le  voici  qui  se  précipite...  Regardez!...  Il  est  tombé 
aux  pieds  de  la  croix,  dominé,  éperdu,  les  genoux 
en  terre,  se  frappant  la  poitrine,  se  roulant  dans  la 
poussière,  sur  celte  terre  où  est  fiché  le  poteau  et. 
qu'arrose  encore  le  [double]  courant  [du  sa.  g  81  (le 
Peau..,  Il  trempe  ses  mains  dans  la  hone  ,  il  s'en 
couvre  la  tête,  pour  se  purifier  évidemment. 

le  choeur.  0  Roi,  il  senti  le  que,  dans  ce  jour,  de 
gnnds  maux  soicui  suspendus  au-dessus  des  tueur- 
lrijis.  Car  l'œil  vengc:ir  du  Dieu,  créateur  de  toutes 
thoses,  est  fixé  plein  d'ire,  sur  ses  ennemis.  V.ciiuc 
la  vengeance  !  vienne  visiblement  son  glaive  tour- 
noya il  et  enflammé  !  et  que  tout  tombe  en  un  ins- 
tant sur  les  pervers! 

Oh!  oui,  spectacle  horrible!  ce  côté  frappé  de  la 
lance,  et  du  milieu  delà  blessure,  celle  eau  mer- 
veilleuse coulant  aussitôt,  non  mélangée  au  sang! 
Spectacle  horrible,  dont  la  vue  me  lient  toute  trem- 
blante ! 

la  nature  Hlc-même  me  donne  ses  leçons;  et 
ses  entrailles  soulevées,  cl  les  rochers  brisés,  cl  les 
tombeaux  des  morts  violemment  ouverts  ;  et  celui 
dont  la  main  porla  le  coup,  tombant  à  terre,  dans 
sa  terreur,  et  serrant  la  croix  dans  ses  bras! 

la  mère  dr  dieu.  0  mon  Fils!  ô  bien-aime!  ô  tèle 
sacrée  !  voilà  donc  les  effets  de  votre  pitié  pour  les 
hommes,  même  pour  vos  ennemis  !  ô  trop  déplorable 
calamité!  Voire  sang  répandu  paie  pour  l'humanité. 
Ils  tremblent,  vos  ennemis,  à  l'aspect  de  tant  de 
i  hoses  éli anges;  ils  \ous  proclament,  à  haule  voix, 
le  Fils  de  Dieu;  ils  sont  frappés  d'effroi  el  n'ont  plus 
leur  raison.  El,  au  contraire,  ce  sont  ceux  qui  vous 
approchaient,  dont  l'aveugle  envie  a  causé  votre 
trépas  :  vous  eussiez  dû  recevoir  d'eux  une  cou- 
ronne, niais  non  pas  celle  dont  on  a  ceint  votro 
chef,  par  dérision;  el  enfin,  s'occupenl-ils  d'un 
tombeau  pour  vous  renfermer? 

Mais  comment,  moi,  vous  descend  rai-je  de  la 
croix?  comment  meilrai-jc  votre  corps  dans  un  sé- 
pulcre? De  quels  suaires  vais -je  envelopper  vos 
restes  mortels?  (M  comment  pourrai-je  dire  seule  les 
chants  de  vos  funérailles  ici  bas?  O  mon  fils!  quelles 
mains  s'emploient  pour  vous  à  ces  derniers  instants? 
0  malheur  sur  moi  !  que  faire?  que  devenir,  infor- 
tunée! 

Mais  pourquoi,  ô  mon  âme,  cet  abattement!?  0 
mon  Fils,  il  n'y  a  qu'à  avoir  foi  dans  vos  paroles,  et 
dans  vos  œuvres,  témoins  de  vos  paroles:  loul  ce 
qui  est  de  votre  volonté,  est  possible.  Dieu,  contre 
tout  espoir,  accorde  bien  des-gràces  ;  contre  loul 
•  s;ioir  ,  il  accomplit  bien  des  choses  ;  l'espérance 
t encontre  souvent  la  déception  ;  ei,  puisque  je  n'ai 
nul  moyen  à  ma  disposition,  vous-même  vous  m'ou- 
vrirez la  voie. 

(Elle  s'éloigne.) 

SCÈNE  XV 

LES  MÊMES. 

saint  jean.Vo  ci  Joseph  qui  accourt,  avec  quelque 
nouvelle  ;  el  chose  étrange  el  inespérée!  le  disciple 
de  cette  nuit  court  non  loin  de  lui,  chargé  des  ins- 
trnmenis  propres  à  descendre  le  corps  du  haut  de 
la  croix. 

Heureux  donc  celui  qui,   instruit  des  mystères  de 


Dieu,  menant  une  vie  sainte,  ne  laissant  à  son  aine 
de  soins  que  ceux  de  la  pénitence,  tenant  son  corps 
pur  de  loute  tache,  et  rachetant  sa  rédemption  par 
toutes  les  vertus,  n'a  d'autre  passion  que  le  culte  de 
Dieu!  En  effet,  à  mou  sens,  il  n'est  rien  de  plus 
beau  en  soi  que  de  se  livrer  an  culte  de  Dieu  dans 
la  simplicité;  c'est  la  preuve  d'une  grande  sagesse 
parmi  les  hommes  qui  y  sont  voués. 

SCÈNE  XVJ. 

LES    MÊMES,   SAINT    JEAN,     JOSEPH,    NICODEME. 

joseph.  0  bien-aime,  votre  voix  frappant  mon 
oreille,  m'a  révélé  la  présence  du  Sage  des  sages. 
J'ai  fait  un  long  chemin,  el  j'arrive,  en  toute  baie  au 
bon  moment.  J'ai  là  lout  ce  qu'il  faut  pour  enseve- 
lir notre  mort  adoré.  Cet  ami,  en  loul  temps  si  res- 
pecté, il  faut,  selon  nos  moyens  ,  même  après  sa 
mort,  lui  faire  encore  honneur.  Comment  le  des- 
cendre? comment  le  fermer  dans  le  cercueil?  com- 
ment le  rouler  dans  les  suaires?  0  jeune  Vierge,  ve- 
nez avec  moi  ;  je  suis  bien  vieux  ,  et  vous  seule  sa- 
vez toutes  cl.oses;  je  ne  puis  me  reposer,  ni  malin, 
ni  soir,  avant  d'avoir  mis  le  corps  mort  dans  mon 
tombeau  neuf.  ÀIj  !  quoiqu'il  ne  fût  pas  de  ma  fa- 
mille, el  qu'il  ne  ntfi  comptât  pas  parmi  ses  disci- 
ples ,  moi  aussi ,  j'ai  bien  de  la  tristesse  à  cause  ce 
lui. 

saint  jean,  montrant  la  Vierge  au  loin.  Voici  quel- 
qu'un qui,  sans  fatigue,  marchera  devant  vous,  el 
pourra  vous  prêter  son  aide,  au  moins  pour  les  cho- 
ses les  plus  faciles. 

joseph,  tourné  du  côté  de  la  Vierge.  0  très-belle 
œuvre  de  Dieu,  nia  Dame!  Eh  quoi!  vous  étiez  de- 
bout, non  loin  de  votre  Fils,  dans  ces  lieux  solitai- 
res, portant  auprès  de  lui  vos  chants  douloureux? 
Auprès  de  vous,  il  n'y  a  que  le  disciple-vierge?  la 
troupe  des  disciples  consacrés  a  abandonné  son 
f  ère?  Tons  ceux  de  sa  suile  ont  fui  en  larmes;  ils 
n'ont  rien  vu  des  derniers  désastres!  Mais  vous,  votis 
n'avez  pas  eu  peur  de  la  rage  des  ennemis.  Je  crains 
bien  pourtant  quelque  nouveau  complot  de  ces  tour- 
bes ennemies,  cruelles,  sanguinaires;  ear  leur  âme, 
acharnée  dans  sa  haine,  ne  peut  souffrir  que  nous 
donnions  au  mort  une  sépulture  honorable. 

saint  jean.  Ils  ne  sont  donc  pas  encore  assouvis, 
el  leur  soif  de  ce  meurtre  affreux  et  de  ce  cruel  car- 
nage n'est  pas  élanchée? 

joseph.  Heureuse  ignorance!  Leur  furie  commence 
el  n'a  pas  atteint  son  milieu. 

saint  jean.  Qu'y  a  - 1— il,  vieillard?  Ne  nous  cachez 
rien,  parlez. 

joseph.  J'ai  ouï  dire,  et  je  faisais  semblant  de  ne 
pas  éeouler,  m'élanl  approché  du  lieu  des  séances 
des  vieillards,  auprès  du  temple  respectable  de  S  i- 
loinon,  que  l'assemblée  Irait  auprès  du  préfet  delà 
province,  pour  que  le  mort  ne  fût  pas  enseveli.  Qu'a 
«le  vrai  ce  bruit,  je  l'ignore,  cl  je  voudrais  bien  qu'il 
n'en  fût  rien  ;  car  il  ne  m'a  été  accordé  qu'à  la  prière 
d'un  ami  de  recevoir  Jésus  expiré. 

saint  jean.  Tout  est  perdu ,  si  de  nouveaux  mal- 
heurs succèdent  au  premier,  avant  que  la  prédic- 
tion soit  accomplie,  suivant  laquelle  le  troisième 
jour  ne  se  passera  pas  sans  qu'il  y  ait  abondance  de 
joie  dans  nos  cœurs.  Non!  le  Père  ne  permettra  pas 
celle  nouvelle  injure  au  Fils!  Les  anciennes  sépul- 
tures sont  préférables  aux  nouvelles,  et  il  ne  peut 
favoriser  ces  arrêts;  il  les  accablera  sûrement;  sa 
colère  ne  sera  plus  contenue,  el  n'a-t-il  pas  élé  pré- 
dit que  Jérusalem  sérail  livrée  aux  flammes  par  Dieu 
même?  Eh  bien!  c'est  contre  ses  ennemis,  et  non 
pas  contre  ses  amis,  que  sera  tourné  le  regard  ven- 
geur et  ulcéré  du  Père!  Oui!  oui!  par  celle  que  j'ai 
toujours  vénérée  et  que  le  Fils  m'a  donnée  pour 
mère,  nul  des  meurtriers  ne  terminera  heureusement 
sa  vie.  Jésus  est  Dieu,  chose  prouvée  par  ses  mira- 
cles, dont  nous  avons  tant  vu  déjà,  cl  par  ceux  qui 
se  continuent  encore!  Les  ténèbres  des  deux  \ous 


C'O!) 


PAS 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


PAS 


CAO 


ont-elles  échappé,  au  moment  où  il  a  baissé  la  tète 
et  rendu  l'esprit.  La  mort  n'eût  pu  en  triompher,  si 
tai-mémc,  en  abaissant  le  front,  ne  lui  eût  com- 
mandé son  approche.  Aussi  le  tableau  n'en  a  été  que 
plus  saisissant  d'horreur  :  les  entrailles  de  la  terre 
ébranlées,  les  rochers  brisés,  et  les  sépulcres  des 
morts  ouveris  à  tous  les  regards.  C'est  alors  que 
l'un  des  bourreaux  s'approche  en  élevant  sa  lance; 
<Je  la  pointe,  cet  homme,  tout  jeune  encore,  frappe 
le  côté  [du  crucifié]  ;  —  Ah  !  ce  coup  profond,  j'en  ai 
semii  le  déchirement,  en  voyant  la  plaie  béante!  — 
Il  enfonce  sa  lance,  et  aussitôt,  du  trou  qu'il  a  fait, 
jaillit  une  eau  miraculeuse,  le  sang  coule  en  même 
temps  sans  mélange,  un  double  ri. isseau...  Speelade 
terrible!  Tous  avaient  eu  peur  d'y  loucher:  celui 
qui  avait  frappé  s'écrie  stupéfait  :  <  Véritablement 
celui  qui  est  mort  est  le  Fils  de  Dieu.  >  Aussilôt,  la 
Mère  infortunée,  debout  non  loin  de  la  croix,  tombe 
gémissante;  elle  serre  le  bois  contre  son  sein, 
elle  gémit,  elle  embrasse  les  pieds  de  son  Fils,  elle 
étanche  de  ses  mains  le  courant  des  deux  ruisseaux, 
et,  prosternée,  elle  parle  en  ces  termes  :  t  0  divin 
Maître,  quoique  mort,  vous  gardez  cerla  nemeut 
souci  des  vivants  ;  et  ce  sang,  cette  eau  répandus, 
sont  une  expiation  pour  le  genre  humain;  mais  per- 
sonne ne  s'approche  pour  vous  mettre  au  tombeau.  • 
Après  ces  lamentations  douloureuses,  et  comme  pour 
rendre  la  v  e  à  ce  corps  immaculé,  elle  s'allache  à 
son  Fils,  comme  le  lierre  aux  rameaux  du  laurier, 
et,  éplorée,  elle  dit  encore  :  «  Mais  pourquoi,  ô  mon 
âme,  cet  abattement?  ô  mon  Fils,  il  n'y  a  qu'à  avoir 
foi  dans  vos  paroles  et  dans  vos  œuvres,  témoins  de 
vos  paroles  :  tout  ce  qui  est  de  votre  volonté  esl  pos- 
sible ;  et,  dans  les  choses  désespérées  même,  Jésus 
ouvre  un  accès.  >  Elle  parlait  encore,  lorsque  tout  à 
coup  je  vous  ai  aperçu. 

joseph.  Que  de  choses  étonnantes  dans  ces  ré.  ils 
dont  tous  les  détails  sont  assurés  néanmoi  s!  M  is 
silence!  car  ce  n'est  pas  le  moment  de  rien  faire 
connaître  à  la  Dame  qui  approche.  Silence  donc. 
Emmenez-la  le  plus  tôt  possible  loin  d'ici ,  et  vous 
tous,  n'approchez  pas  de  ces  furieux,   ne  vous  tenez 

[)as  près  d'ici  ;   redoutez  leurs  mœ;irs  cruelles  et 
eurs  instincts  sanguinaires. 

SCÈNE  XV  il. 

LES   MÊMES,   LA  MEUE  DE  DIEU. 

la  mère  de  dieu.  O  généreux  amis,  courageux 
vieillards,  grâces  vous  soient  rendues  h. tous  deux  ; 
à  vous  Nicodème;  à  vous,  illustre  Joseph.  Vous  è  es 
venus  pour  notre  bien,  et  vous  avez  bien  fait  :  car, 
pour  des  amis  fidèles,  les  maux  des  amis  sont  égale- 
ment un  malheur  qui  remolil  la  poilri  e  d'an- 
goisses. 

jlàlez-vous,  hâtez-vous;  descendez  le  corps.  Je 
vois  que  l'un  et  l'autre  vous  êtes  venus  dans  ce  des- 
sein. Montez,  montez  de  suite.  Descendez-moi  le 
Mort,  que  j'embrasse  le  sein  du  Seigneur  et  tous  ses 
membres,  que  j'attache  mes  lèvressur  ce  corps  que 
j'ai  vu  grandir! 

Joseph.  Retirez-vous,  retirez-vous,  dans  la  crai  te 
de»  meurtriers,  qui  ne  souffriraient  pas  votre  pré- 
sence. 

Nous,  nous  montons  [à  la  croix] ,  comme  vous 
voyez,  et  nous  allons  dans  peu  avoir  descendu  le 
Mort  de  nos  propres  mains'. 

Allons,  ami  Nicodème,  mettez  le  pied  le  premier, 
el  lestement,  sur  les  bâtons  serrés  de  l'échelle,  et 
ôiez  de  ces  poteaux  croisés  le  corps  du  Lion,  sur 
qui  la  plèbe  s'est  ruée  en  joie,  comme  sur  une 
proie. 

Et  vous,  allez- vous-en  promptement,  quelque 
triste  que  vous  soyez,  pour  éviter  des  violences; 
car  vous  ne  pouvez  rien  à  ce  qui  est  accompli,  ni 
par  vos  gémissemcnls,  ni  par  vos  pleurs. 

la  mère  de  DiEti.  Oh!  que  je  vais  èlre  malheureuse, 
désolée,  jusqu'au  moment  où  j'aurai  vu  mon  Fils, 


même  mort,  cl  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  mis  au  tom- 
beau ! 

Néanmoins,  je  vais  fuir  celle  plèbe,  dans  l'effroi 
des  outrages... 

(Elle  [ail  quelques  pns  pour  sortir  et  revient.) 

Mais  sans  mon  Fils,  l'amour  de  ma  vie? 

Sans  moi,  on  pleurera  mon  Fils  mort,  on  l'ense- 
velira, on  touchera  ses  pieds,  on  embrassera  ses 
membres? 

Allons,  ma  misérable  main,  louche  au  moins  le 
mort  ! 

joseph.  Non,  non,  n'avancez  pas  la  main,  ne  lou- 
chez pas  au  mort;  non,  non.  Je  viens  moi-même,  de 
mes  mains,  l'ensevelir,  avec  Nicodème  qui  me  prêle 
le  secours  de  son  travail,  et  qui  a  apporté  une  grande 
quantité  de  parfums. 

Pourvu  que  personne  de  ses  ennemis  ne  lui  fasse 
quelque  nouvel  outrage,  n'arrache  les  suaires  el  ne 
lire  le  corps  du  cercueil. 

Autant  qu'il  est  possible,  je  n'eus  avec  lui  aucune 
parenté,  mais  je  respecte  en  lui  un  ami  mort. 

Quels  derniers  soins  lui  rendre  ?  que  pourrait-on 
faire  pour  [votre  Fils]  mort,  qui  plaise  à  voire  es- 
prit? rélléchissez-y.  Mais  suivez  aussi  mes  conseils; 
au  moins,  souffrez  en  silence.  Tout  va  bien  jus- 
qu'ici. 

Ce  n'est  pas  moi  que  vous  verrez  malveillant  pour 
votre  Fils  sans  vie.  Je  suis  Juii,  je  ne  le  désavoue 
pas,  mais  on  ne  me  convaincra  jamais  que  voire 
Fils  n'ait  pas  été  un  homme  excellent  :  le  contraire 
soil  dit  par  lout  le  monde,  les  bois  monlueux  soient 
remplis  de  lettres,  je  sais  qu'il  esl  le  Juste. 

Dame,  étendez  les  mains  avec  ces  jeunes  filles  et 
recevez  votre  bien-aimé  Fils  qui  est  mort. 

Et  pleurez,  à  votre  gré,  et  embrassez  son  corps. 

la  mère  de  dieu.  Voici  de  bonnes  paroles,  el  vous 
compterez  encore  plus  à  l'avenir  parmi  ceux  de  nos 
amis  qui  ont  bien  mérité  de  nous,  comme  un  homme 
qui  a  triomphé  de  bien  des  périls  el  dont  la  vic- 
toire esl  d'autant  plus  glorieuse. 

Eh  bien,  Joseph,  ami  comblé  d'âge,  prenez  dans 
vos  bras,  prenez  mon  Fils,  el  tirez-le  à  vous... 

Prenez,  prenez  à  présent,  élevez  le  corps,  soute- 
nez la  tète,  appuyez-la  sur  voire  épaule  droite,  et 
tenez  le  droit. 

joseph.  Dame,  el  vous  autres,  jeunes  filles,  étendez 
les  bras;  recevez  le  mort  qui  donne  la  vie  aux  morts 
et  moi,  selon  mes  forces,  je  le  soutiendrai. 

la  mère  de  dieu.  Courage!  ô  ma  misérable  main  • 
touche  à  ce  mort!  ah!  que.  vois-je?  ah!  qu'ai-je 
i!ans  les  bras?  qui  esl  celui-là  que  j'ai  mort  dans 
mes  bras?  O  trislesse!  avec  quel  respect  l'appuyer 
sur  mon  sein!  De  quels  mots  lugubres  m'exprimer? 
ô  mon  Fils,  donnez  moi  vous-même  les  expressions 
dont  je  dois  me  servir  envers  vous,  mort,  et  laissez- 
moi  embrasser  vos  membres!  Salut!  enfin,  je  vous 
vois  en  vous  parlant,  vous  qui ,  quoique  né  de  moi, 
n'eussiez  jamais  dû  mourir,  el  que  des  pervers  ont 
mis  à  mal.  Oh  !  laissez  votre  mère  embrasser  votre 
main  droite!  O  main  hien-aimée,  que  j'ai  tenue  tant 
de  fois,  à  laquelle  je  m'attachais  comme  le  lierre  aux 
rameaux  du  chêne  !  ô  chers  yeux,  ô  lèvres  adorées, 
ô  beauté,  ô  grandeur  des  traits  de  mon  Fils!  ô  suave 
approche  des  lèvres!  ô  corps  divin,  ô  Irès-douce 
chaleur,  ô  parfums  délicieux  de  ces  membres  divins! 
accablée  de  maux,  je  vous  sentais  à  peine,  et  déjà 
mon  cœur  était  soulagé.  Pourquoi  [avez-vous  voulu 
mourir  si  ignominieusement?  Pourquoi  votre  mère, 
qui  vous  a  élevé,  est-elle  privée  de  vous  ?  O  dou- 
leur! ô  mon  Fils!  que  ne  suis-je  morte  avec  vous!  Il 
me  valait  mieux  mourir  que  de  vous  voir  expiré. 
Comment  celui  qui  esl  là,  muet,  l'œil  éteint,  me 
poriera-t-il  secours?  Comment  supporter  d'être  en- 
core? O  douce  chaleur  de  ce  corps?  C'est  donc 
en  vain  que  mon  sein  ,  D  mon  Fils,  vous  a  allaité 
dans  vos  langes.  En  vain,  j'ai  eu  tant  de  peines,  et 
j'en  porte  le  poids  depuis  les  premières  heures  de 


«M 


TAS 


DICTIONNAIRE  DES  .MYSTERES. 


votre  naissance  inouïe.  Ali!  voire  vie  agitée,  votre 
triomphe  des  enfers,  ô  Fils  du  Tout  Puissant,  ont  ac- 
cahlé  mon  âme! 

Mais,  dans  mon  récit ,  observons  l'ordre  de  suc- 
cession des  faits. 

L'orgueil,  qui  trompa  la  mère  universelle  et  le 
premier  père,  générateur  du  genre  humain,  et  dont 
la  postérité  est  si  innombrable,  est  la  cause  de  votre 
merveilleux  enfantement,  ô  mou  Fils  glorieux;  votre 
Père  avait  trouvé  ces  choses  lionnes  bien  avant  moi 
et  même  avant  toute  création.  Engendrée  moi-même 
enlin,  selon  les  desseins  de  votre  l'ère,  à  ce  que  je 
crois,. je  ne  fus  point  nourrie  au  foyer  paternel  ,  et 
ma  mère  me  donna  un  temple  pour  abri.  C'est  de  là, 
que,  si  étrangement  élevée  sons  la  garde  d'un  ange, 
je  fus,  au  temps  prescrit,  arrachée,  pour  un  homme 
honnête,  par  le  Conseil  entier  [eu  Temple]  ,  sous  la 
responsabilité  et  la  surveillance  duquel  j'éla's.  En 
tout  cela,  Dieu  révélait  sa  prévoyance  suprême,  sans 
doute  pour  que  je  fusse,  dans  un  temps  donné,  une 
preuve  [pour  son  Fils],  et  pour  donner  un  tuteur  à 
l'Enfant  dont  la  conception  est  un  mystère.  Je  de- 
meurai donc  vierge,  après  vous  avoir  enfanté  :  je 
sais,  en  effet,  moi,  que  je  demeurai  vierge,  et  vous 
aussi,  vous,  à  qui  toutes  choses  sont  révélées.  Or, à 
peine  éliez-vous  né,  par  mon  intermédiaire,  de  Dieu 
le  Père,  qu'il  se  répandit  contre  moi  cent  mots  incon- 
venants et  perfides!  Ou  prétendait  que  j'avais  en- 
fanté avec  un  homme.  El  ce  ne  fut  point  assez  de 
ces  outrages-  Je  pressai  notre  fuite  en  Egvple,  où 
j'eus  bien  des  fatigues  et  où  je  fus  accablée  de  tra- 
vail. Mais  je  voyais  les  prodiges  accomplis  par  vous, 
elsans  cesse  émerveillée  dans  mes  comparaisons  [en- 
tre vous  et  les  autres  hommes],  je  ne  vous  croyais 
pas  moriel  et  je  n'avais  pas  la  crainte  que  vous  pus- 
siez mourir.  Sans  doute,  c'est  en  vertu  de  quelque 
pacte  avec  Abraham,  père  [des  Hébreux],  ou  de 
quelque  médiation;  c'est  pour  les  masses  inlinies  de 
nos  devanciers,  ou  en  raison  du  serment  fait  par 
vous  pour  notre  salut,  que  vous  avez  été  amené  à 
mourir  afin  de  secourir  le  genre  humain.  Voilà  pour- 
quoi vous  avez  supporté  la  naissance  et  la  mon  !  Et 
moi,  est-ce  là  ma  récompense  pour  tant  de  peines 
intolérables,  que  de  vous  tenir  mort,  ô  mon  Fils, 
dans  mes  bras?  Oui ,  je  me  plains  de  vous  aimer  ;  je 
suis  désolée,  je  pleure,  je  gémis,  et  personne,  ca- 
pable de.  vous  pleurer  avec  connaissance  de  cause, 
ne  sera  attiré  auprès  de  moi  [par  mes  cris].  Vola 
Joseph  tout  prêt  à  vous  envelopper  avec  bienséance 
dans  ses  mains,  même  à  vous  construire  un  sépulcre, 
à  répandre  [sur  vous]  bien  des  parfums  précieux 
que  Nicodèmc  a  généreusement  et  abondamment  ap- 
portés :  légers  services  pour  ceux  que  l'on  aima  , 
quand  ils  ne  sont  plus.  Car,  que  servent  aux  morts 
ces  parfums  répandus?  Mais  \olre  Père  veille  à  la 
cause  des  morts.  Vous,  vous  les  précipitez  tous, 
comme  un  butin,  vers  les  cieux,  tous  ces  prison- 
niers de  l'enfer,  enlevés,  chargés  de  chaînes  dans 
l'horreur  ténébreuse  du  Tartare.  Enfin  le  Père  ex- 
pose aux  yeux  de  tous  les  secrets  du  mystère,  après 
avoir  imposé  la  mort  à  son  Fils  unique.  Et  ainsi  l'a- 
vait annoncé  le  disciple,  votre  cousin-germain,  et 
selon  vous-même,  le  plus  grand  des  prophètes,  qu'a 
massacré  le  peuple  hébreu,  homme  grave,  un  homme 
enfin  en  bien  des  choses,  et  qu'on  a  vu  chaste,  nu, 
s'abslenanl  de  nourriture  et  vivant  solitaire.  Il  n'u- 
sait de  rien  qui  pût  être  le  prétexte  d'une  in- 
culpation, velu  des  babils  d'un  suppliant,  souillé, 
hérissé,  endurant  une  vie  terrible,  et  dont  pourtant 
il  était  a  vide,  car  ceux-là  seuls  fuient  la  vie,  dont  l'a  me 
«si  dans  les  délices  du  monde,  et  n'ayant  autour  de 
lui,  de  (ouïes  parts,  qu'une  vaste  solitude  où  coulait 
le  Jourdain  dans  son  lit  rapide.  Comme  il  a  montré, 
dans  des  symboles  évidents,  votre  ensevelissement, 
ce  prophète  qui  passa  irois  jours  dans  les  profondeurs 
de  POcéan! 

Ah!  dans  la  révélation  de  ces  faits,  je  suis  enivrée 


PAS 
l'ailente  de  \oire 


(M 

sottie   du 


de  bonheur,  el    dans 
tombeau. 

C'est  donc  ainsi,  ô  mon  Fils,  que  vous  avez  déjà 
subi  votre  mort  cl  voire  passion  [dans  les  prophètes], 
el  ce  qui  s'csl  accompli  n'a  eu  lieu  qu'a  cause  des 
hommes,  pour  qui  il  y  avait  liâle  que  vous  fussiez 
mort  et  que  vous  leur  prélassiez  ai«:e. 

Mais  ni  Judas  ,  ni  ce  misérable  Pilalc  n'éviteront 
leur  chàiiinenl,  el  ils  seront  atteints  par  l'œil  reven- 
dicateur et  vengeur  du  Pèie;  ci  de  même  c<  t:e  ville 
entère, et  de  même  la  tourbe  des  meurtriers. 

O  Ponce  [Pilate],  c'est  loi,  toi  qui  as  fait  le  mal; 
n'essaie  pas  de  le  cacher  de  l'œil  de  la  justice  qui 
voil  tout,  quoique  lu  te  sois  lavé  les  mains,  comme 
étranger  au  crime. 

Le  Trahisses r  aussi  a  jeté  au  loin  le  pria;  du  sang, 
el  déjà  il  faut  que  le  glaive  tombe  sur  sa  tète, ou  que 
son  gosier  soilserré  par  une  corde,  on  que  les  Ondes 
bleuâtres  [des  mers]  caclienl  son  corps  jeté  eu  nour- 
riture aux  poissons. 

Si  encore  vous  n'aviez  vendu  qu'un  homme,  o 
misérable  !  (car  il  faut  que  j'en  revienne  à  vous),  si 
vous  aviez  livré  tout  autre  à  la  mort  ;  vous  eussiez 
justement  subi  les  punitions  des  hommes.  Mais  c'est 
celui  qui  vous  avait  comblé  de  tant  de  bienfaits, 
l'envoyé  du  Père  pour  le  salut  de  tout  le  genre  hu- 
main, que  vous  avez  vendu,  livré  à  la  mort  par  en- 
vie. Quelles  punitions  n'esi-il  pas  juste  que  \ous  su- 
bissiez? 

Joseph.  Le  plus  pervers  «les  hommes  a  déjà  été 
frappé  par  la  plus  sévère  justice  :  on  vient  de  voir 
ce  disciple  infâme,  traître  à  son  Seigneur  ,  pendu  à 
une  corde,  cl  presqu'atissilôt  tombant  par  le  bris  du 
lacet  d'une  grande  hauteur  sur  le  sol,  au  milieu  de 
mille  cris;  le  misérable  ne  s'esl  même  pas  su  si 
proche  de  son  sorl  funeste.  II  est  enfin  jugé  selon  l<; 
dioit  et  la  justice  ;el  la  veniigeance  s'accomplit. 

la  mèue  de  dieu.  O  mon  Fils ,  combien  votre 
Père  n'esl-il  pas  grand!  11  a  entendu  ,  dans  sa  jus- 
lice,  mes  imprécations!  Sa  main  pesante  a  frappé 
le  traître,  infidèle,  impie,  inique  el  méchant ,  vo- 
leur et  machinaient'  delà  mort  de  Dieu  ,  rebelle , 
dans  sa  perversité,  à  toute  résipiscence.  Voilà  donc 
quelle  mon  il  lui  a  fallu  sabir!  Périsse  ainsi,  pé- 
risse misérablement ,  sous  voire  très-exacte  justice, 
lont  pervers  qui  refuse  les  secours  suprêmes  de  la 
pénitence. 

Il  est  un  Dieu  ;  ce  Dieu  est  fort  el  grand;  il  esl  la 
Providence  el  le  Jugement  de  Dieu. 

Malédiction  sur  l'impie;  il   esl  l'ennemi  de  Dieu. 

Prenez-le  [mon  Fis]  et  portez-le  dans  le  sélpul<  re 
neuf;  allez  ,  enfermez-le  dans  le  riche  tombeau.  Il  a 
tniis  les  suaires  nécessaires  au  dernier  séjour,  et  qui 
consolent  faiblement  du  trépas.  El  selon  moi  ,  il 
n'importe  pas  beaucoup  aux  ini  ris  d'avoir  de  magni- 
fiques funérailles!  ce  n'est  qu'une  vaine  pompe  de 
ceux  qui  leur  survivent.  Cou\reZ  donc  à  l'instant  le 
visage  avec  les  voiles  ,  placez  les  mains  ,  ensevelis- 
sez de  suite  le  mort,  ce  Roi  des  Juifs  tué  par  eux  , 
cette  victime  qu'il  faut  emporter  à  l'instant. 

O  mon  Fils  ,  ô  sublime  coopéraient-  cîm  Père,  qui 
a  toul  créé  ,  que  peuvent  donc  les  hommes  sans  vous? 
Qu'y  a-l-il  qui  ne  soit  soumis  aux  conseils  de  Dieu? 

Hélas!  ô  Roi!  hélas!  comment  vous  pleurer?  O 
mou  Dieu  !  ô  mon  Dieu  !  comment  vous  appe- 
ler! comment  mon  cœur  ardent  chantera-t-il  vos 
louanges? 

Est-ce  donc  vous,  dans  ces  suaires,  enveloppé, 
gisant,  vous,  autrefois  plié  dans  des  langes? 

SCÈNE  XVIII. 

LES  MÊMES. 

mcodèmf..  Eh  bien,  vieillard,  arrangeons  con- 
venablement la  léle  du  trois  fois  Bienheureux  , 
étendons  ce  corps  et  l'accommodons  avec  tout  le 
soin  possible! 


613 


PAS 


DICTIO.NNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


GU 


josf.ph.  O  hien-aimé  vidage!  ô  joues  précieuses! 
[0  Seigneur,]  j'enveloppe  voire  lèle  de  celle  toile 
de  lin;  je  couvre  yos  membres  souillés  partout  de 
voire  sang  de  ces  voiles  neufs;  cl  voire  côlé  percé 
cl  sanglant. 

la  mère  de  dieu.  Au  nom  de  Dieu  «  hàtez-vous 
donc  :  voyez ,  le  crépuscule  tombe  déjà  !  Placez 
droit ,  avancez  celle  télé  bienheureuse.  C'esl  un 
petit  service  rendu  à  ce  cher  Seigneur.  Portez-le, 
afin  (pie,  connaissant  le  lieu  où  repose  mon  Fds,  je 
reste  auprès  de  lui  en  pleurs,  jusqu'aux  premières 
lueurs  de  ce  troisième  jour  plein  de  joie  pour  moi. 

0  mon  Fils!  quel  lugubre  événement  !  quel  deuil, 
Certes i  Celle  douleur  est  commune  à  tous  les  mor- 
lels,  et  ce  chagrin  universel  les  lient,  sans  qu'ils 
aient  l'espérance.  0  puissent-ils  avoir  lous  celte 
joie  suprême. 

SCÈNE  XIX. 

LES  MÊMES. 

josfph.  Suivez-moi,  emportons  ce  fardeau  sacré, 
que  j'ai  obtenu  ,  après  bien  des  supplications,  ines- 
pérement,  de  la  bonne  grâce  du  magistrat  (romain) 
el  qu'on  me  donna  nu  ,  et  encore  attaché  à  la  croix 
par  trois  clous. 

la  mère  de  dieu.  Eh!  Eh!  l'homme!  louchez  dou- 
cement de  vos  mains  le  corps  de  l'Homme-Dieu  ; 
porlez«le  décemment;  lirez  ensemble  d'un  même 
effort.  Mous  voici  enfin,  à  ce  qu'il  parait,  au- 
près du  sépulcre. 

Ah!  femmes  de  Galilée,  il  est  déjà  dans  le  sé- 
pulcre et  la  pierre  est  retombée  sur  lui... 

Allons ,  venez ,  jeunes  filles  ,  el ,  auprès  du  corps , 
saluez,  rendez  vos  derniers  hommages  sur  celle 
terre  ,  car  jamais,  non  jamais  !  vous  ne  verrez  un 
autre  libérateur  du  genre  humain,  quoi  qu'en  pensent 
les  Juifs. 

Marchez,  avancez  ,  je  ne  puis  en  supporter  da- 
vantage. Dans  ce  tombeau,  sous  cette  pierre,  celui 
qui  donna  à  vos  aïeux  l'eau  jaillissante  du  rocher , 
qui,  du  haut  de  sa  croix,  il  y  a  si  peu  de  temps  , 
fendait  les  rochers,  et  dont  le  pouvoir  ouvrait  les 
sépulcres  des  morts  ! 

Arrêtez  un  peu  :  j'ai  à  parier  au  mort. 

SCÈNE  XX. 

LES    MÊMES. 

0  mon  Fils  oien-aimé  ,  vous  descendez  dans  les 
demeures  de  l'enfer,  vous  subissez,  selon  vos  sou- 
haits ,  l'horreur  des  abîmes,  errant  dans  les  re- 
traites du  lénébie  ix  séjour;  mais  quel  coup  terrible 
ne  portez- vous  pas  aux  puissances  infernales!  vous 
passez  sous  ces  portes  sombres,  au  travers  de  ces 
demeures  des  morts,  dans  le  dessein  d'emporter, 
dans  voire  gloire  ,  l'humanité  couverte  de  lumière 
el  de  splendeur,  et  de  tirer  d'entre  les  ombres 
Adam  ,  le  père  des  hommes  sujets  de  la  mort ,  pour 
qui  vous  avez  pris  et  vous  portez  la  forme  humaine. 
Et  vous  êtes  entré  dans  ces  ténèbres  compactes 
de  l'enfer,  par  le  meurtre  de  vos  ennemis,  délais- 
sant votre  mère. 

Voire  liépas  est  une  grâce  de  voire  Père  pour  le 
salut  de  nous  tous,  et  ce  bienfait  du  Père  s'est  appe- 
santi sur  vous,  comme  une  chose  inévitable. 

0  mon  Fils,  la  lerre  en  deuil  vous  a  reçu  doulou- 
reusement, comme  celui  qui  venait  pour  forcer  les 
portes  des  sombres  demeures,  el  lancer  sur  les 
noirs  abîmes  les  flèches  les  plus  aiguës. 

C'est  pour  celle  œuvre  que  vous  èles  descendu 
seul .  ei  vous  ferez  voire  proie  des  morls ,  cl  vous 
ne  serez  pas  pris  par  les  morls  ,  el  vous  les  délivre- 
rez tous  ,  vous  ([ni  seul  êtes  libre. 

Isolé,  homme,  vous  êles  venu  pour  ces  entre- 
prises hardies ,  el  seul  vous  supportez,  pour  toute 
la  nalure,  le  poids  de  tant  de  faits. 

Mais  ces  travaux  qui  vous  tenaient  ici-bas  louchent 


à  leur  terme,  déjà  vous  triomphez  de  vos  ennemis  , 
vainqueur  omnipotent  de  l'Enfer,  du  Serpent  et  de  la 
Mon. 

Oh!  vous  êles  le  Sage,  le  Sage,  el  vous  avez  avec 
sagesse  supporté  le  trépas,  pour  terrasser,  dans  ce 
néant,  le  Irépas  de  lous;  el  encore,  vous  rendrez  à 
celle  terre  el  sa  joie  el  sa  gloire,  une  fois  que.  hors 
de  ce  monde,  vous  lui  rapporterez  le  salut,  ayant 
changé  d'aspect  el  à  jamais  sembla  le  au  Père.  Oh! 
oui ,  vous  reviendrez  plein  de  gloire  ,  après  le  salut 
du  genre  humain,  ô  Roi,  6  Roi  immortel,  Dieu 
éternel,  qui,  à  voire  substance  ,  avez  uni  la  subs- 
tance humaine. 

El  maintenant  vous  êles  descendu  dans  les  en- 
fers pour  répandre  soudainement  dans  leurs  ténèbres 
voire  éclat  el  vos  feux. 

Mais  vous  allez  quitter  splendidement  celle  lerre 
ennemie,  où  vous  èles  venu,  dans  la  maison  d'un 
Israélite,  avec  le  dessein  de  rendre  la  voie  à  vos  bre- 
bis égarée»,  el  de  remplir  les  promesses  fa  tes  à  nos 
aïeux,  eu  pliant  la  nature  humaine  à  la  forme  de 
Dieu. 

Car  le  Père  vous  engendre  sans  cesse  ,  sans  ta- 
che; et  moi  aussi  je  vous  ai  cnfan:é  sans  tache  cl 
Vierge,  quand  vous  reçûtes  du  Père  la  forme  hu- 
maine. 

Néanmoins,  les  compatriotes  mêmes  de  votre  mère, 
ceux  pour  qui  ces  dires  étaient  les  moins  opportuns, 
après  lanl  de  miracles  faiis  par  vous  pour  eux- 
mêmes,  et  dont  les  secrets  échappent  aux  profanes 
mortels,  refusèrent  de  voir  eu  vous  le  Sauveur  né 
de  Dieu,  et  attribuèrent  plaisamment  votre  concep- 
tion à  une  œuvre  humaine,  comme  si,  infidèle  au 
mariage ,  j'attribuais  à  Dieu  les  failles  de  mu  cou- 
che. 

Et  quelle  précipitation,  il  y  a  si  peu  d'heures, 
pour  votre  meurtre  inique,  consommé  par  l'envie! 

Voilà  les  ruses  de  l'ennemi!  C'esl  à  cause  n'elles 
el  à  cause  de  tous  ses  autres  desseins  perfides,  que 
vous  allez  l'anéanlir.  Vous  mettrez  un  terme  aux 
embûches  dont  il  circonvient  l'univers,  el,  en  l'en- 
veloppant dans  des  reis  de  fer,  vous  co  ilraindrcz , 
ô  mon  Fils,  dans  celle  action  terrible,  cet  ouviL-r  de 
lerreur. 

Oh  !  vous  précipiterez  encore  une  fois  les  Juifs  hors 
de  leur  patrie,  vous  livrerez  à  des  étrangers  1  ur 
ville  el  leur  e  rpire,  selon  les  paroles  symboliques 
qu'ont  recueillies  de  vos  lèvres  vos  amis!  Vous 
serez  le  dispensateur  suprême  de  ces  faits,  et  vo  s 
consommerez  vos  mystères,  afin  d'eue  apeileincnt 
Dieu  pour  les  hommes,  comme  vous  l'êtes  dans 
le  ciel.  Une  autre  région,  où  seront  dans  leur  force 
tous  les  éléments  de  celle-ci  même,  recevra  le  trans- 
fert du  sceptre  royal.  Il  le  faut,  celle  ville  connaî- 
tra malgré  elle  son  ignorance  présente  de  vos  mys- 
slères;  el  il  en  sera  dé  même  deioul  cet  autre  amas 
d'hommes,  contraire  encore  à  Dieu  en  ce  qui  vous 
concerne,  vous  repoussant  dans  ses  libations  [aux 
dieux],  el  sans  mémoire  de  voire  nom  dans  ses 
prières,  car,  les  infortunés!  ils  ne  vous  ont  pas  re- 
connu encore  pour  le  Fils  du  Père  venu  du  ciel  en 
ce  monde.  Oh!  mouliez  enfin  que  vous  êles  Dieu, 
et  ce  sera  évident  quand  la  race  des  Juifs  aura  été  en- 
tièrement chassée  de  son  sol  natal  par  la  force  des 
armes,  dans  voire  colère  el  d'après  voire  aveu  ,  en- 
vahi sous  voire  inspiration,  par  les  armées  des  Ro- 
mains, dont  la  Judée  a  follement  désiré  l'empiit, 
comme  si  elle  eût  mis  un  obstacle  à  votre  domina- 
tion, en  proclamant  César  pour  roi!  Mais  je  vois  déjà 
le  châtiment  vengeur  de  voire  mort  vivifiante,  les 
maisons  en  feu ,  les  édifices  publics  en  ruines  et 
tombés  dans  leurs  cendres,  les  flammes  inextingui- 
bles, au  milieu  de  celle  cité  de  Dieu,  sans,  cesse  re- 
vendiquée par  lui.  El  je  loue  le  jugement  qui  rei.d  ce 
sol  inhabitable  pour  lous  vos  meurtriers,  ô  mon 
Fds!  vous  qui,  laissant  de  côlé  les  villes  si  illustre* 
de  Lydie,  et  les  champs  aimés  du  soleil  de  la  Phry 


615 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


6IG 


gie  el  de  la  Perse,  et  les  murs  de  Bactres,  ei  les 
froides  régions  des  Mèdcs,  cl  l'heureuse  Arabie 
(peuples  lointains  perdus  dans  l'ombre)  ,  et  toute 
l'Asie,  que  l'on  dit  chez  les  Grecs  el  les  Barbares, 
située  dans  l'Océan,  riche  en  villes  bien  garnies  de 
tours,  êtes-veuii  d'abord  dans  le  pays  des  Hébreux 
où  vous  avez  été  violemment  mis  à  mon  el  réduit 
au  tombeau. 

Ali!  sanctuaire  de  Dieu,  cité  chérie,  ville  du 
royaume  de  David  entourée  de  belles  louis!  ô  de- 
meure des  antiques  prophètes,  n'es-tu  donc  plus  que 
la  caverne  des  meurtriers  de  Dieu  ! 

Mais  comment  vous  pleurerai-je  [encore,  ô  mon 
Fils]?  Quelles  plaintes  faire  entendre  sur  votre  tré- 
pas9 

Et  vous,  qui  avez  quitté  la  terre  de  Galilée,  pour 
composer  ma  suite;  vous  qu'entraîne  ici,  pour  m'ac- 
compagner,  el  instruites  des  mystères,  ce  Mort, 
hélas  !  mis  au  fond  du  monument,  cessez  vos  mo- 
dulations accoutumées  pour  les  morts.  Tantôt  pous- 
sez en  son  honneur  des  cris  déchirants,  el  tantôt  an- 
noncez ce  Roi  vivant  par  île  joyeuses  clameurs,  car 
l'espoir  est  en  moi  certitude. 

Marchez,  avancez,  je  ne  puis  voir  davantage  ce 
tombeau  et  cotte  pierre. 

Relirons-nous  donc,  relirons-nous,  ô  chères  jeu- 
nes filles  ! 

SCÈNE  XXI. 

LES  MÊMES 

Allez,  allez,  marchons  d'un  pas  tranquille  jusqu'à 
la  demeure  de  ceux  qui  sont  nés  d'une  femme  que 
préfère  Marie,  mère  de  Marc,  el  où  se  fera,  je  pense, 
l'assemblée  des  disciples.  C'est  là  que  nous  atten- 
drons la  venue  du  jour  désiré... 

Mais  plutôt  allons  dans  la  demeure  de  mon  nou- 
veau fils,  de  celui  que  mon  Fils  unique  nfa  donné 
pour  fils... 

saint  jean.  Bien.  Cela  est  convenable,  et  vous 
n'avez  pas  parlé  contre  le  bon  sens.  Dame,  il  faut 
s'en  aller  à  l'instant,  se  rapprocher  du  tombeau 
pour  loul  voir,  pour  passer  patiemment  le  jour  de 
demain,  et  pour,  selon  les  ordres,  attendre  le  cré- 
puscule, le  brillant  crépuscule  du  troisième  jour. 
Nous  viendrons  alors  sans  brait  rendre  à  voire  Fils 
les  honneurs  qui  lui  sont  dus.  Allons,  allons  donc, 
«approchons- nous  du  tombeau,  avant  que  quelque 
ennemi  n'arrive  et  ne  puisse  s'emparer  de  nous.  Je 
vous  dirai  en  quel  lieu  passer  la  nuit. 

la  mère  de  dieu.  O  mon  Fils,  nous  vous  laissons 
seul,  nous  nous  en  allons  au  lieu  de  la  réunion  des 
femmes,  dans  la  maison  de  ce  (ils,  ô  mon  Fils,  au- 
quel vous  m'avez  recommandée,  parce  qu'il  faut  que 
nous  soyons  auprès  de  votre  sépulcre,  dans  la  pro- 
fondeur des  bois. 

Joseph.  O  le  plus  aimable  des  hommes,  loul  morl 
que  vous  êles,  vous  serez  comptés  parmi  ceux  que 
j'ai  le  plus  aimés.  Adieu  !  C'esl  donc  la  dernière  fois 
que  je  vous  uarle. 

SCÈNE  XXII. 

LES  MÊMES. 

saint  jean  (le  Théologue).  Elre  sublime,  je  veux 
nf  exprimer  sans  réticence!  Jésus  est  homme  cl  Fils 
de  Dieu.  Ses  actions  sont  pour  moi  la  preuve  évi- 
dente  qu'il  e*l  Dieu.  J'attribue  sa  mort  à  la  sagesse 
et  aux  décrets  de  la  Providence  ;  celte  mort  est  la 
destruction  de  la  moi  l  parmi  le  genre  humain.  L'en- 
nemi des  hommes,  rampant  sur  la  lerre,  est  frappé 
du  talon,  écrasé,  anéanti  ;  anéanti,  el  l'homme  rendu 
à  la  vie,  tous  les  frères  de  Jésus,  ce  grand  Roi  des 
cieux,  et  le  premier  père  seront  vengés;  le  vieillard 
antique,  première  cause  du  mal  parmi  l'humanité 
sur  la  ler»'e,  chassé  du  jardin  par  les  ruses  du 
trompeur  serpent,  sera  placé  par  Jésus  dans  la  plus 
heureuse  des  cités.    Telles  sont   les  œuvres  de  la 


morl  de  l'homme;  voili  pourquoi  les  hommes  l'ont 
vu,  un  instant,  dans  ce  monde,  au  milieu  de  prodiges 
incompréhensibles,  dont  vous-même  vous  ignorez 
beaucoup.  A  peine  apparu,  le  meilleur  des  bomu  e;, 
il  est  frappé  de  la  morl,  il  va  ressusciter  et  être 
connu  comme  Dieu.  A  rester  dans  les  cicux,  sa 
bonté  eût  été  ignorée,  les  chœurs  célestes  seuls  l'eus- 
senlj  célébré,  et  sa  gloire  n'eût  pas  été  dans  l'uni- 
vers. Telles  sont  les  causes  de  sa  venue  et  de  sa 
mort,  elles  se  résument  dans  ce  mot  ;  le  salul  des 
hommes. 

Il  a  été  livré  en. effet  à  la  mort  par  ceux-là  mêmes 
qui  ne  l'eussent  pas  dû  (a  quibus  minime  debebal), 
el  jeté  dans  les  1ers,  il  a  entendu  leurs  malédic- 
tions. Le  peuple  auparavant  bien  «-aimé  a  ainsi  ré- 
compensé son  bienfaiteur,  dans  le  feu  de  son  envie; 
et  lui,  de  bon  gré,  il  a  tout  subi.  Mais  les  maux  que 
bientôt  doit  sentir  celte  même  race,  je  ne  les  tairai 
point  :  Jérusalem  restera  d  sei le,  sous  les  coups  des 
barbares,  par  la  violence,  dans  l'esclavage  des  siens 
traînés  à  1  étranger.  Tel  est  le  décret  de  Dieu  :  les 
Juifs  seront  dispersés  dans  tous  les  pays  barbares, 
vaincus  dans  les  combats,  victimes  de  tous  les 
maux.  C'esl  J  sus  qui  dit  à  ceux  qui  l'<  nt  crucifié 
de  fuir  ce  pays,  suivis  de  leurs  familles,  afin  d'expier 
le  crime  de  sa  mort  ineffable  et  inspirée  par  l'envie: 
nul  ne  reverra  sa  patrie.  Car  l'homicide  ne  doit  pas 
habiter  le  tombeau  de  sa  viclime.  Traîiés  au  tra- 
vers de  toutes  les  villes,  mis  sous  le  joug  de  la  ser- 
vitude, misérables,  dominés  par  la  violence  dû 
glaive,  selon  l'oracle  de  Dieu,  dispersés  en  tous 
lieux,  nul  espeir  ne  restera  à  ces  infortunés  de  re- 
voir  leur  pairie  ravagée  par  l'armée  innombrable 
des  Romains,  dont  les  légions  scionl  conduites  par 
un  monstre.  El  celui-là  qui  a  fait  ces  prédictions, 
n'était  pas  né  de  1  homme  mais  engendré  de  Dieu; 
c'esl  celui  même  qui  est  mort  qui  a  parlé  dans  sa 
force,  sans  rien  emprunter  aux  prophètes  qu'au  con- 
traire lui-même  inspirait. 

Enfin  je  dirai  quel  supplice  doit  subir  l'infâme  dis- 
ciple qui  a  vendu  [son  Maîlre].  Vous  avez  dit  que, 
dans  sa  douleur  insensée,  il  s'étail  mis  la  corde  au 
cou  ;  en  tombant,  son  corps  va  crever,  cl  lui,  il 
verra  le  moment  terrible.  Car  l'infortuné  ne  sera 
pas  à  l'abri  des  maux,  dans  les  abîmes  de  l'enfer,  il 
ne  sera  pas  en  paix,  ses  soupirs  sont  éternels,  <  l 
ses  cuisantes  douleurs,  el  ses  cris;  un  fleuve  de  leu 
le  reçoit  dans  ses  (lois. 

joseph.  Ami,  vous  avez  dit  les  malheurs  affreux 
où  loul  le  monde  va  tomber;  mais  moi,  el  tous  ceux 
démon  sang,  infortuné,  irai-je  avec  les  barbares? 
Que  deviendrai-je,  dans  la  ruine  de  ma  patrie  ?  O 
c;lé,  autrefois  si  lière  contre  les  barbares,  seras-tn 
sitôt  dépouillée  de  ton  illustre  nom  ?  Adieu,  ô  mai- 
son! adieu,  ô  patrie!  Je  vous  laisse,  je  vous  aban- 
donne. Esclave  infortuné,  pris  dans  les  coin' al-! 
moi,  je  verrai  la  leire  des  barbares,  à  moins  que  la 
mort  ne  m'enlève  auparavant  sous  le  faix  de  mes 
années.  Oh  !  puissé-je  la  voir  tant  que  je  suis  en- 
core sur  le  sol  de  la  pairie  !  Car,  je  l'ai  compris, 
c'est  Dieu  lui-même  qui  a  prononcé  l'arrêt. 

saint  jean.  Pour  vous,  pieux  vieillard,  il  n'y  a 
que  gloire.  Mais  celte  race,  à  laquelle  vous  apparie- 
nez,  recevra  ce  châtiment,  si  1  in  dû,  el  qui  cause 
vos  gémissements.  El  qu'elle  n'attribue  qu'à  elle- 
même  son  malheur.  Dira-l-elle  pour  s'excuser  que 
[Dieu]  est  resté  loin  d'elle,  qu'il  l'a  laissée  sans  se- 
cours, sans  soins,  malgré  les  bienfaits  passés  et  pré- 
sents de  sa  boulé  suprême?  Quels  prophètes  ne  lui 
furent  pas  envoyés  autrefois  ?  De  quels  dons  mer- 
veilleux ne  fut-elle  pas  comblée?  Tirée  de  la  plus 
dure  servitude,  pour  être  mise  omnipotente  au-des- 
sus des  peuples;  autour  de  Bazan  el  de  la  terre  des 
Amorrhéens,  quand  elle  envahit  les  plus  fortes  des 
nations,  qui,  au  premier  choc,  brisa  les  boucliers 
ci  livra  l'ennemi  sous  le  joug  ?  El  c'esl  celte  races 
qui,  faisant  fi  de  telles  giàccs,  l'a  livré  lui-même  auxj 


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PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


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bourreau*  pnur  la  mort.  I!  éiait  venu  lard  sans 
doute,  mais  pouriani  encore  assez  à  temps  :  les 
Prophètes  et  la  Loi,  dans  les  longs  jours  de  leurs 
travaux,  de  leurs  combats,  n'ont  pas  réussi  ;  un  seul 
jour  suffira  au  Clirisi  pour  bouleverser  ces  demeures 
infernales,  nu  autre  pour  revenir  encore  sur  la  terre, 
et  les  souffrances  des  hommes  sont  à  leur  (in.  Car, 
c'est  pour  eux  que,  sous  riiahit  du  pauvre,  il  est 
descendu  dans  l'enfer.  Mais,  chargé  de  dépouilles 
innombrables,  maître  du  sombre  séjour,  les  gardiens 
des  issues  et  les  portiers  mis  à  mal,  il  reviendra,  cha- 
cun l'avouera  le  vengeur,  dispensateur  divin  des 
bienfaits,  et  maltraité  par  la  colère  d'un  peuple  en 
qui  éiail  son  alliance. 

Et  quant  à  ces  peuples,  auxquels  nulle  parenté  ne 
l'atlaclie,  ils  sont  revendiqués  par  lui,  1rs  uns  sous 
leurs  tombeaux  élevés  de  terres  rapportées,  les  au- 
tres sous  les  monts  et  les  rocs,  dans  les  gouffres  de 
la  terre,  subissant,  ceux-ci  les  vents  glacés,  ceux-là 
les  feux  altérants  du  dieu  (soleil),  et  attendant  tous, 
non  pas  sous  des  vêlements  bien  chauds,  non  pas 
sous  des  babils  luxueux,  ou  couchés  sur  les  lits  de 
palais  dorés,  mais  fauchés  parles  glaives,  l'épée  et 
le  fer:  et  tous  ces  peuples  donneront  I  exemple 
d'une  foi  très-sûre;  bien  différent  du  traître  [Judas] 
et  de  ceux  qui  ont  livré  à  la  mort  le  Juste  des  jus- 
tes, ce  dont  le  châtiment  sera  tiré. 

Quant  à  vous,  le  Ressuscité  vous  délivrera  aisé- 
ment, pour  l'avoir  mis  décemment  dans  un  tombeau 
i  c.if,  et  il  vous  mettra  dans  le  lieu  des  bienheureux, 
quand  il  se  montrera,  aux  sons  des  trompettes,  res- 
suscité d'entre  les  morts. 

Il  vous  faut  donc  luir  celte  cite  ensanglantée  et 
chercher  \u\  abri  plus  paisible,  ô  bienheureux,  en 
vous  arrachant  à  ce  monde,  et  en  dépouillant  l'é- 
paisse et  lourde  enveloppe  des  mortels  parmi  les- 
quels vous  êtes  lié  par  les  ruses  du  Serpent. 

Je  n'ai  rien  appris  de  toutes  ces  choses  par  la 
voix  des  prophètes,  tout  m'a  été  révélé  dans  mes  plus 
intimes  entretiens  avec  le  Maître.  J'ai  connu  les 
privilégiés  de  Dieu,  incliné  sur  le  cœur  de  ce  Dieu, 
et  embrasé  de  la  sagesse  qui  montait  vers  moi  du 
fond  des  abimes  de  son  âme. 

joseph.  Le  Sage  seul  peut  donner  les  leçons  «le  la 
sagesse.  Espérez-vous  voir  encore  Jésus  ici-bas  ? 

SAINT-JEAN  (lout  bas.)  Oui,  après-demain  est  le 
jour  où  va  se  manifester  la  gloire  de  Dieu,  je  n'ai 
qu'un  jour  à  passer. 

joseph.  Pour  nous,  Jésus  n'est  encore  qu'un  grand 
homme,  émané  de  Dieu,  mort  comme  le  vulgaire, 
enseveli  de  même  dans  un  suaire  et  des  onguents, 
né  d'une  mortelle,  et  qui,  fils  d  une  femme,  devait 
mourir.  Mais  si,  à  l'égal  de  Dieu,  il  triomphe  de  la 
mort,  il  sera  désormais,  comme  Fils  unique  de  Dieu, 
Dieu  lui-même  et  honoré  pour  tel  par  quiconque 
le  connaîtra.  Mes  larmes  ne  sauraient  donc  couler 
aussi  longtemps  à  son  sujet  (pie  sur  l'enfant  d'une 
de  nos  femmes;  car  ,  fils  d'une  femme,  il  devait 
mourir,  «..'est  ainsi  seulement  (pie  jusqu'à  présent 
nous  avions  honoré  cet  ami.  Mais  s'il  veut  et  s'il 
peut  agir  en  Dieu,  le  temps  est.  proche,  le  troisième 
jour  n'est  pus  loin,  et  tout  va  s'édaircir. 

saint  jF.A.v.  Oui,  oui,  que  chacun  le  sache,  le  jour 
de  la  délivrance  luira  quand  les  rayons  du  soleil 
apparaîtront  à  l'orient  pour  la  troisième  Fois. 

JOSGPB.  Oli  !  que  je  voie  ce  jourdejoie!  ami,  plaise 
à  D.eu  de  me  montrer  ce  miracle! 

El  maintenant,  ô  Nicodème,  bon  compagnon  de 
mon  œuvre,  relirons-nous;  ami,  prions  pour  ce 
peuple,  quelque  coupable  qu'il  soii;  prions  pour  la 
pairie,  alin  (pie  nul  événement  ne  soit  accompli  par 
Dieu,  au  moins  durant  noire  vie. 

(A  S.  Jeun.)  Va  vous,  ami  a  qui  hs  femmes  sont 
inconnues,  aviez  nous,  de  même  que  la  Vierge,  car 
nous  avons  pour  vous  respe.  i  c:  amour. 

Oui,  Secourez -nous,  malgré  vos  douleni     déchl  • 

DlCiJOW.    Dl.S    Mïvlr.r.l\S, 


railles,  ô  Dame,  6  Mè:e  .le  l'Homme  Diee,  au  milieu 
des  prédictions  du  disciple-vierge,  voire  fils. 

la  mère  ne  dieu.  Allez,  et  vous  et  Nicoocnie, 
autrefois  noir:  disciple  dans  l'ombre  des  nuits, 
maintenant  notre  ami  au  grand  jour,  comme  vous  , 
annoncez  Ions  deux  les  merveilles  de  la  Puis-auce. 

saint  jean.  Allez  en  p  ix  et  sans  crainte.  Une  vie 
honnête  et  paisible,  dans  les  pratiques  de  la  vérité, 
de  la  charité,  de  l'amitié,  de  la  raison,  du  bon  sens, 
de  la  retenue  et  de  la  continence,  assure  un  ave- 
nir solide  :  car  Dieu  sait  lout  cl  juge  selon  la  sa- 
gesse. 

joseph.  J'en  suis  convaincu,  je  crois  à  voire  pa- 
role, et  sur  celle  assurance,  je  m'en  vais  libéré  de 
tout"  crainte. 

saint  jean  Allez  ,  Dieu  lui-même  veille  sur  tous 
ses  amis,  et  vous  verrez  si  je  dis  vrai. 

SCÈNE  XXIII. 

LA  MÈRE  DE  DIEU,  SAINT  JEAX,  LES  CHOEURS 

saint  jean.  El  vous,  jeunes  lilles,  suivez-moi  à 
cette  heure  avec  ma  mère.  Accompagnez-nous,  et 
le  cœur  cuirassé  du  Christ,  marchez  sans  crainte 
sur  nos  pas.  Je  vais  vous  montrer  le  lieu  où  vous 
achèverez  la  nuit.  C'est  celte  maison  à  droite,  al- 
lez-y, car  je  vois  déjà  la  plus  grande  partie  de  la 
nuit  écoulée,  l'aurore  luit,  les  ténèbres  s'effacent. 

SCÈNE  XXIV. 

LA  MÈRE   DE   DIEU  SCUle. 

la  meue  de  niEu.  Malheur  à  moi!  malheur!  mon 
cœur  dévoré  de  soucis,  mon  àme  accablée!  comment 
le  sommeil  fermerait-il  mes  paupières  ?  Malheur  à 
moi  ! 

O  mon  Fils  !  combien  voire  mort  n'esl-elle  pas 
inique!  que  suis  je,  malheureuse,  parmi  tant  d'ad- 
versités? Aucune  de  mes  espérances  n'a  été  réalisée 
au  milieu  de  ces  événements,  conformes,  il  est  vrai, 
aux  prédictions.  J'ai  souffert  bien  des  maux  sans 
doute,  ô  mon  Fils,  depuis  votre  naissance  inouïe, 
depuis  voire  berceau;  mais  au  moins  le  plaisir  s'en- 
tremêlait quelquefois  alors  aux  ennuis  que  dissipait 
votre  vue.  Mais  aujourd'hui,  hélas!  comment  sup- 
porter ce  mal  intolérable  !  que  faire?  que  l'aire  donc! 
Extrémité  terrible  !  Eh  quoi!  Le  sommeil  viendrait- 
il  appesantir  mes  yeux  de  ses  charmes? 

SCÈNE  XXV. 

LA  MÈRE  DE  DIEU,   LE  CHOEUR. 

le  demi-choeur.  O  Dame,  nous  avons  reposé  stir 
la  terre,  couchées,  pêle-mêle,  jeunes,  vieilles,  vier- 
ges, nos  lètes  appuyées  confusément  sur  le  sein  de 
nos  compagnes  ou  appuyées  entre  ros  mains  sur 
nos  genoux,  et  nous  avons  arraché  au  sommeil  au 
moins  quelques  heures.  Mais  vous,  vous  n'avez  pas 
dormi,  votre  corps  n'a  point  [iris  de  repos;  celle 
nuit  tout  entière,  vous  l'avez  consumée  dans  les  gé- 
missements, dans  l'accablement  de  vos  maux,  et 
l'œil  ouvert,  vous  avez  marché  sans  cesse  autour 
de  nous.  Et  combien  de  temps  encore  voulez-vous 
donc,  demeurer  ainsi,  sans  sommeil,  le  regard  fixe. 
L'aurore  luit,  la  rue  est  foulée  déjà  par  les  pas  des 
habitants  qui  se  répandent  en  tous  lieux;  le  soit i', 
s'éleva  ut  au-dessus  de  la  terre,  répand  l'éclat  tiu 
jour,  lance  ses  rayons  el  embrase  le-  sol. 

la  mère  de  dieu.  Mon  Fils  mort .  dans  son  sé- 
pulcre, ne  dois-je  point  pleurer  et  garnir,  jusqu*à 
ce  que  je  l'aie  vu  hors  du  tombeau!  Comment  lo 
fcommeil  appesantirait-il  ma  paupière  ? 

SCÈNE  XXVI. 

LES    MÊMES. 

l'aitre  t>:.vfi-r.noEi-R.  Et  moi  aussi,  l'esprit  inquiel, 
«ai. s  sommeil,  couchée  surle  sol,  ou  assise,  Je  n  « 

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ni  sommeillé,  ni  dormi  :  j'écoulais,  ô  Vierge,  vos 
cris  déchirants. 

la  mène  de  DiEc.  Debout!  debout  !  qif il llendez- 
vous,  femmes?  Sortez,  prenez  le  chemin  delà  ville, 
allez  partout  où  il  est  permis,  pcul-èire  apprendrez- 
vous  quelque  nouvelle.  Vous  êtes  inconnues,  vous 
n'avez  rien  à  craindre. 

le  chœur.  Il  me  semble  voir  un  de  nos  compa- 
gnons s'avançant  vers  nous  d'un  sombre  visage,  et 
porteur  de  nouvelles. 

SCÈNE  XXVI I. 

LES    MÊMES,   UN  MESSAGE». 

le  messager.  Où  aller?  où  trouver  la  mère  de  Jé- 
sus? Dites-moi,  femmes?  le  sauriez- vous?  parlez. 
Est-elle  céans? 

le  choeur.  La  voici  elle-même. 

le  messager.  0  mère  du  Maître  que  j'aimais  tant, 
je  vous  apporte  une  nouvelle  qui, trop  certainement, 
vous  rendra  triste,  et  vous,  et  les  disciples,  et  ces 
chères  femmes. 

la  mère  de  dieu.  Soyez  le  bienvenu ,  malgré  les 
craintes  que  vous  m'inspirez.  Mais  qu'y  al  il  ?  Quel 
est  ce  nouveau  malheur? 

le  messager.  Une  nombreuse  cohorte  armée  oc- 
cupe le  tombeau.  Quel  est  le  dessein  de  ces  hom- 
mes? Je  ne  sais  quelle  conjecture  faire!  Je  suis  ac- 
couru sur  ce  seul  bruit,  sans  plus  savoir.  Le  bruit 
court  parmi  le  peuple  qu'ils  sont  allés  là  pour  fouiller 
le  tombeau.  Mais  ce  sont  des  on-dil  de  gens  qui 
n'ont  rien  vu.  Qui  a  vu,  parle  autrement.  Il  doit  sa- 
voir le  secret,  mais  ne  vouloir  pas  l'ébruiter.  Quel- 
qu'un pourtant  m'a  dit  que  les  scribes  sont  allés 
trouver  le  gouverneur  de  la  province  pour  obtenir  de 
lui  des  gardes  et  le  scellé  de  la  pierre  du  tombeau  , 
dans  la  crainte  que  les  disciples  ne  vinssent  dérober 
le  corps.  C'est  là  ce  que  je  suis  venu  \ous  dire. 

la  mère  de  dieu.  0  sénat  des  scribes  et  des  an- 
ciens, perpétraient*  de  tous  mes  maux  les  plus  in- 
tolérables, audacieux  ouvrier  de  mort,  macbinaieur 
du  meurtre  du  Seigneur,  quel  coup  aigu  ne  recevras- 
tu  pas  dans  le  coeur,  quand  lu  connaîtras  Ion  im- 
piété et  ton  audace?  Quelle  ne  sera  pas  la  violente 
douleur?  Mais  si, jusqu'au  dernier  montent,  lu  per- 
sistes dans  le  mal ,  comme  en  ce  lemps-ci,  si  les  cri- 
mes ne  t'apparaissenl  pas  dans  leur  perversité,  à 
cause  de  ta  folie  el  de  ta  méchanceté ,  l'heure  viendra 
néanmoins  où  lu  le  jugeras  enfin.  Mais  à  quoi  cela 
le  servira-t-il  alors?  Comment  iraient-ils  dérober  le 
mort,  ceux  qui  ont  fui  devant  les  mains  ensanglan- 
tées du  peuple?  Comment  convaincre  d'approcher 
du  tombeau  ces  hommes  frappés  d'une  peur  si  vive 
et  de  tant  d'horreur  ?  Va,  garde  ce  monument.  Bien, 
bien  !  Allez,  cohorte,  et  regardez  avec  soin.  Peui  è  re 
est-ce  vous ,  soldais,  qui  serez  les  témoins  de  la  ré- 
surrection. 

Quanta  nous,  mes  amis,  nous  allons  rester  ici. 

le  choeur.  Sans  doule,  sans  doule.  Demeurons 
en  paix  sous  ce  loil,  et  avant  d'aller  au  sépulcre  du 
Seigneur,  attendons  la  tombée  de  la  nuit. 

SCÈNE  XXVIII. 

LA  MÈRE    DE  DIEU,    LES  CHOEURS. 

la  mère  de  dieu.  Voici  la  chute  du  jour.  Atten- 
dons encore  en  paix  ici,  à  cause  des  gardes.  Car  qui 
oserait  s'aventurer  au  milieu  des  rangs  ennemis, 
dans  les  ténèbres,  pour  aller  répandre  des  parfums? 
el  qui  arriverait  sans  péril?  Pourtant,  tel  qu'un 
éclaireur,  quelqu'un  des  plus  ardents  disciples  du 
Seigneur  a  dû  s'approcher  du  monument.  Oui,  cer- 
tes, il  faut  que  quelqu'un  aille  loul  auprès.  Car  s'il 
était  certain  que  nul  piège  ne  nous  est  tendu  ,  de- 
main, au  lever  du  ji  tir,  nous  irions  auprès  de  ce 
lombeau,  prison  de  la  vie,  pour  oindre,  selon  nos 
usages,  le  corps  du  mort;  nous  irions  ensemble  :  lel 
esi  mon  avis.  Mais  si,  au  contraire,  nous  apprenons 
uuclaue  machination  de  nos  ennemis ,  nous  atten- 


drons en  paix  un  jour  plus  brillant.  C  r  il  n'est  nul 
lement  besoin  de  parfumer  ce  corps  étendu.  Ce  n'est 
pas  d  ns  les  sombres  horreurs  du  sein  de  la  terre 
que  la  corruption  envahira  le  corps  du  Verbe.  L'En- 
fer, qui  dévore  tout,  ne  pourra  retenir  son  esprit.  H 
a  subi  la  mort  de  sa  propre  volonté,  n'ayant  rien  à 
se  reprocher,  pour  enfermer  justement  la  mort  dan* 
ses  propres  noirceurs!  El  comment  cet  Immortel,  né 
d'im  Immortel,  serait  il  sous  le  coup  de  la  mort, qui 
ne  règne  qu'aux  enfers?  A  mon  avis,  c'est  lui,  au 
contraire,  qui  va  en  emporter,  comme  son  butin, 
lotis  les  hommes  qiu  Ile  y  ;iva  l  conduits,  el  qu'elle 
avait  entrantes  dans  ce  ténébreux  séjour. 

le  choeur.  Bien,  lien.  Mais  d'abord  il  faut  aller 
aux  informations.  Envoyez  quelqu'un  au  pins  vite, 
ensuite  vous  parlerez  plus  etr  paix,  et  vous  me  ver- 
rez prête  à  loul  supporter  à  vos  côtés. 

la  mère  de  dieu.  Soil.  Or,  laquelle  de  vous, jeunes 
filles,  présentes  ici,  ose  aller  explorer  dans  l'ombre 
les  abords  du  tombeau?  Laquelle  me  rendra  ce  ser- 
vice ?  Car  il  n'y  a  ici  aucun  des  disciples  du  Seigneur, 
tons  ont  fui  la  rage  meurtrière  du  peuple.  Mais  pro- 
bablement la  fureur  des  Juifs  n'est  pas  acharnée 
ainsi  cou  ire  nous  lous;  ils  prisent  peu  notre  sexe, 
leur  audace  insensée  persécute  surtout  les  disci- 
ples. 

SCÈNE  XXIX. 

LES  MEMES,    MARIE-MADELEINE. 

madeleine.  Mêlée  parmi  vous,  selon  votre  souhait, 
à  ces  dangers,  je  demande- d'aller  auprès  du  divin 
tombeau.  Instruite  de  ce  qui  se  sera  passé,  je  re- 
viendrai, avant  le  retour  du  jour,  je  reviendrai  hâ- 
tivement. Je  souhaite  ce  danger  à  cause  de  tous  les 
maux  dont  Jésus  m'a  délivrée.  El  peut-être  le  M. ni 
sans  mort  nt'accordera-l-il  quelque  don  plus  pré- 
cieux encore. 

Mais  il  est  bon  de  dormir,  en  attendant  te  jour. 
Dormons,  dormons  donc.  L'aurore  n'est  pis  loin. 
Et  puissé-je,  ô  Roi  universel,  te  voir  plus  tôt!  Dès 
que  l'aurore  aura  lui,  je  partirai. 

(Tout  le  monde  s,eiulort.) 

(A  pari.)  Peut-être  renconlrcrai-je  mes  sneurs  ac- 
courues là.  Elles  devaient  se  tenir  auprès  du  loin- 
beau,  surveiller.  El,  comme  moi,  leur  espril  n'était 
rempli  que  d'une  idée,  celle  de  passer  l<i  nuit  à  ver- 
ser des  parfums  auprès  du  Mort. 

SCÈNE  XXX. 

LES  MÊMES. 

le  choeur.  Va-l'en,  va-t'en  !  Cours  an  loin  devant 
nous  chercher  quelque  nouvelle  pour  raffermir  nos 
esprits.  Nous  le  suivrons  avec  la  Vierge,  el  accom- 
pagnées de  beaucoup  d'autres  femmes  venues  «le 
Galilée.  Toutes,  je  pense,  sont  d'accord  d'aller  au 
tombeau  derrière  tes  pas,  pour  voir  l'issue  de  noire 
attente  el  l'objet  de  nos  espérances.  IN  us  avons 
dormi  un  peu,  et  l'aurore  luit. 

madeleine.  Allons,  de  l'activité  !  Et  comme  le  tra- 
vailleur peut  songera  ses  récompenses,  comme  pour 
celte  veille  il  y  a  salaire,  c'est  faveur  au  double p  or 
moi,  qui  ayant  tant  teçu  dej.i,  y  vais  gagner  encore 
quelque  chose. 

la  mère  de  dieu.  Le  sa'aire  est  juste,  du  reste, 
mais  vous  portez  un  jugement,  sûr,  votre  raison  est 
bonne,  voire  parole  jusle;  car  vous  appelez  récom- 
pense et  faveur  les  bienfaits  reçus  avant. nul  mérite 
ou  que  vous  recevrez.  Mais  quel  prix  si  désiré  allez- 
vous  demander?  Jésus  ne  manquera  de  vous  com- 
bler de  dons,  précieux  parmi  les  hommes,  je  lésais, 
el  vous  serez  heureuse  à  jamais,  les  possédant. 

madeleine.  Je  pars  à  l'instant  pour  vos  intérêts. 
Puissé-je,  la  première  d'entre  les  femmes,  voir  la 
Résurrection!  Voilà  mon  souhait  pour  mes  peines. 
Vous  voyez...  Ne  voyez-vous  pas  ma  joie? 

la  mère  de  dieu.  Prenez  garde  de  ne  pas  tomb'J 
parmi  les  embûches  de  l'aine. ni. 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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Madeleine.  Je  prendrai  mes  précautions,  j'appro- 
cherai sans  bruit.  Mais  que  j'aie  ce  bonheur!  que 
j'urrive,  selon  vo;  souhaits,  et  vos  souhaits  sont  de 
voir  bientôt  voire  Fils.  A  volve  gré,  je  mets  de  côté 
Joule  crainte  du  danger,  el  je  vole... 

la  mère  be  dieu.  Allez  vile  el  soyez  la  messagère 
joyeuse  de  mes  désirs.  Tel  est  mon  souhait. 

madeleine.  J'obéis,  je  suis  en  ro;ile.  Vous  clés  ma 
Dame,  je  me  garderai  de  vous  manquer  en  rien; 
j'obéis. 

la  mère  de  dieu.  Eh  bien  !  je  veux  vous  suivre, 
Marie.  J'ai  regret,  oui,  j'ai  regret  de  rester  derrière 
vous.  Après  tant  de  souris,  comment  supporterais- 
je  quelque  nouvel  ennui? 

madeleine.  Allons  donc  ensemble,  ô  Vierge  chérie! 
votre  compagnie  me  réjouit  beaucoup.  Mais  voyez- 
vous  celles-là,  si  elles  secoueront  le  sommeil.  Debout  ! 
debout!  Qu'attendez  vous,  femmes?  Déliez  les  nœuds 
atlourdis  de  vos  paupières.  Ne  vous  liez  pas  à  l'éclat 
de  la  lune  en  son  plein.  L'aurore  est  proche.  Voici 
l'aurore, voici  l'étoile  du.malin.Le  sommeil  qui  charme 
vos  yeux  esl  bien  doux,  puisqu'il  a  pu  se  glisser  en 
vous  el  s'emparer  de  vos  âmes  accablées  de  dou- 
leur. 

SCÈNE  XXXI. 

LE  CHOEUR. 

le  choeur.  L'àme  inquiète,  accablée  de  chagrin  , 
j'ouvre  loule  la  uuil  un  œil  vigilanl. 

SCÈNE  XXXII. 

LA   MÈRE  DE  DIEU,   MARIE-MADELEINE. 

madeleine.  Hâtons  le  pas,  chère  Vierge,;malgré  les 
tourments  qui  vous  abattent.  Marchons  rapidement 
auprès  du  tombeau.  Quand  ces  femmes  seront  enfin 
éveillées,  elles  nous  auront  bientôt  rejointes  d'un  pas 
assuré. 

\a  mère  de  dieu.  Oui ,  avançons.  C'est  bien  !  Je 
le  dis,  les  rayons  du  jour  qui  approche  apportent 
avec  eux  la  délivrance.  Allons  donc,  allons  !  Oui , 
elles  viendront  après  nous ,  au  bruit  de  nos  pas, 
plus  rapides  assurément  que  des  colombes,  el  légères 
dans  leur  course.  J'élève  encore  ma  faible  voix  ,  je  les 
avertis  de  venir  ensemble  au  sépulcre.  Rien,  les 
voici  debout ,  leur  beauté  esl  merveilleuse. 

SCÈNE  XXX111. 

LA    MÈRE  DE  DIEU,   MADELEINE,   CM  TOUtC. 

la  mère  de  dieu.  Ah!  ah!  mon  Fils!  le  voici  ce 
troisième  jour  désiré,  ce  troisième  jour  attendu  de 
vos  amis.  Que  mon  espoir  soit  satisfait ,  elque  ce  jour 
soil  le  dernier  des  miens!  O  mon  Fils,  ô  bien-aimé, 
être  divin,  vais-je  vous  voir,  après  l'excès  de  mes 
malheurs  ?  Quand  vous  verra i-jé  ,  ô  mon  Fils?  Dieu 
veuille  vous  montrer  à  moi  avec  le  jour!  Accourez  , 
laissez  les  retraites  des  morts  cl  les  portes  de  ces 
•  eux,  où  le  diable  esl  craint,  et  qui  ont  vu  enfin  , 
pour  la  première  fois,  la  clarté  des  cieux,  par  votre 
présence  dans  leurs  profondeurs.  Venez,  venez. 
Apparaissez,  prévenez  l'aurore.  O  Dieu,  Dieu  du 
licl,  vous  èles  présent  partout. 

madeleine.  Al)  I  je  vois  le  tombeau  sans  gardes  ! 
Qu'y  a  l-il?  Les  soldais  seraienl-ils  cachés  quelque 
part  en  embuscade? 

la  mère  de  dieu.  Peut-èire  ont-ils  méliié  contre 
nous  quelque  chose!  Leur  iroupe  esl  hardie,  sir- 
loul  aujourd'hui  qu'elle  domine. 

madeleine.  Que  faire,  sœur?  Nous  ne  trouvons 
rien  qui  soit  conforme  à  noire  espérance.  L'espoir 
nous  quille. 

la  mère  de  dieu.  Confiance!  avançons.  Peul-èlrc 
nous  retrouverons  le  Mort  reprenant  ses  esprils? 
Celui  qui  a  une  sage  confiame  en  Dieu  esl  le  meil- 
leur garde  de  sa  sûrelé.  Marchons  donc!,  Mais  qui 
nous  roulera  la  pierre? 

•  Htiileleine  court ,  In  Mère  de  Dieu  lu  suit  de  loin.) 


madeleine, 'reucnnnf.  Ah!  ah!  Roi  immortel!  quel 
événement  terrible  !  Comment  a  été  en  si  peu  de 
temps  roulée  la  pierre?  J'ai  vu  le  loin  beau  du  Sei- 
gneur vide.  Je  vous  quille.  Je.  vais  dire  aux  disciples 
comment  a  été  enlevé  le  mort.  Je  reviens  à  l'instant. 
O  Vierge,  je  vous  retrouverai  ici  avec  les  femn.es. 

(Elle  s'éloigne.) 

la  mère  de  dieu.  Rien  ,  bien.  Comme  vous  êl^s 
revenue  vite  ,  amie?  Moi,  à  la  vue  de  celle  pi<  rr  ; 
roulée  hors  de  sa  place,  je  suis  glacée  d'effroi.  Mais 
voyons.  Comment  cette  pierre  a- 1- elle  été  roulée  en 
si  peu  de  temps  de  la  porte  au  devant  du  s»pulcre  ? 

SCÈNE  XXXIV. 

LA   MÈRE   DE   DIEU,    L'ANGE. 

la  mère  de  dieu.  Ah!  ah!  silence,  silence!  Quel 
est  celui-là  dont  le  visage  esl  si  éclatant  de  splen- 
deur et  qui  esl  assis  sur  la  pierre,  merveilleux  de 
beauté,  el  si  gracieux  dans  sa  robe  blanche?  (I  est 
éblouissant  comme  une  neige  à  peine  tombée.  Les 
gardes  sont  étendus  à  terre  comme  des  morts. 

l'ange.  N'ayez  pas  peur  ;  éloignez  la  crainte  de 
vos  esprils.  Celui  que  vous  cherchez  n'est  plus  dans 
ce  sépulcre.  Jésus,  qui  fut  crucifié,  n'est  plus  étendu 
sans  vie  dans  s*m  cercueil.  Il  esl  ressuscité,  el  se 
rend  en  Galilée;  où,  selon  sa  parole,  il  veut  se  mon- 
trer à  ses  disciples.  Enlrez,  regardez,  le  tombeau 
est  vide.  Retirez-vous  maintenant,  sortez,  et  diles 
partout  ce  que  moi-même  je  vous  ai  dit.  Racontez 
aux  disciples,  à  Pierre,  comment  est  tombée  la  puis- 
sance de  l'Enfer,  comment  le  Christ  esl  ressuscité, 
comment  la  pierre  du  monument  a  été  puissamment 
écartée.  Les  gardes  des  enfers,  délivrés  de  toute 
crainte,  oui  abandonné  les  portes.  Les  morts,  sous 
l'expansion  de  la  lumière  ,  ne  font  qu'un  bond  de 
Feuler  à  la  terre.  Ils  invoquent  le  Dieu  Sauveur. 
Tous  sont  sortis,  leurs  chaînes  s'étant  soudain  bri- 
sées. 

SCÈNE  XXXV. 

LA  MÈRE    DE  DIEU,    S€Ule. 

la  mère  de  dieu.  Oh  !  voici  donc ,  avec  la  lumière 
éclatante  du  soleil ,  selon  nos  espérances,  le  terme 
de  nos  maux.  L'Ennemi  esl  tombé.  Le  Christ  esi 
sorti  du  tombeau.  Quelle  aurore  lui  jamais  plus  eni- 
vrante? Quel  bonheur  fut  jamais  plus  grand  pour 
moi?  Mais,  ô  mon  Fils!  où  allez-vous  après  avoir 
foulé  l'Enfer  sous  vospieds?  Où  allez-vous?  où  doi  c'. 
el  quand,  ô  mon  Fils!  vous  reverrai-je!  Venez,  ve 
nez  et  montrez-vous  sans  retard  à  votre  mère. 

SCÈNE  XXXVI. 

LA  MÈRE    DE  DIEU,  MADELEINE. 

mvdelene.  Sansdoute,  vous  Le  verrez  avant  toute 
autre;  c'est  mon  sentiment.  Mais  sortons,  ainsi  que 
l'a  dit  celui  qui  portait  les  vêlements  blancs,  ei 
donnons  cette  heureuse  nouvelle  à  tous  les  disciples, 
nos  amis.  Je  vais  d'abord  auprès  de  Pierre  et  de  Jean, 
pour  porter  mon  bonheur  aux  plus  aimés.  Car  celui 
qui  m'est  apparu  m'a  ordonné  de  donner  avis  à 
Pierre.  Je  cours  raconter  le  sépulcre  vide,  ma  vi- 
sion du  maître  ,  ses  paroles.  Ils  se  sont  hâtés  pour 
visiter  le  inonuinenl,  el,  sans  doute,  ils  ont  loul 
examiné  avec  soin. 

SCÈNE  XXXVII. 

MARIE-MADELEINE. 

marie-madeleine.  Mais,  oh!  que  vois-jc?  Le  Sei- 
gneur sous  une  nouvelle  lorme!  Que  sais-je?  Com- 
ment comprendre?  El  pourtant,  plein  de  beauté, 
quelqu'un  esl  là.  .  .  . 

SCÈNE  XXXVIII. 

MADELEINE,    LE  CHRIST. 

LE  CHRIST.   Salut  ! 

MADELEINE,  Salut!  ô  Très-bon  Fils   du  Très-Col), 


€23 


PAS 


DICTIONNAIRE  DE}  MYSTERES. 


PAS 


til 


Roi  des'Toï*!  0  vous  qui  avez  renversé  la  mort, 
voire  dernier  ennemi!  Roi,  Roi  immortel!  Dieu 
puissant,  laissez-nous  baiser  vos  pieds  avec  terreur. 
Nous  voici  prosternées  à  terre  pour  les  baiser,  frap- 
pées à  la  foi  <!e  joie  et  de  crainte. 

le  chbist.  Ne  craignez  point.  Non  ,  n'ayez  nulle 
crainte.  Allez ,  el  annoncez  sur-le-champ  à  mes  frères 
qu'ils  aient  à  partir  pour  la  Galilée.  C'est  là  qu'ils 
nie  verront,  selon  ma  parole. 

SCÈNE  XXXIX. 

LA    MÈNE   DE  DIEU. 

la  mèrf.  de  dieu.  0  splendeur  ineffable  des  rayons 
du  soleil!  Stimulante  aurore!  Eclat  inénarrable  de 
la  foudre!  0  joie  du  monde  en  lier!  ôjoie!  0  plaisir 
plein  de  douceur!  exaltation  suprême!  qui  pourrait 
dire,  quels  termes  rendraient  la  jubilation  de  mon 
âme! 

Marchons,  selon  Tordre  du  Seigneur!; 

SCÈNE  XL. 

LA   MÈRE   DE    DIEU,  MADELEINE. 

madeleine.  Voici  près  de  nous,  Madame,  les 
jeunes  filles  que  vous  aimez  ,  el  tontes  vos  com- 
pagnes Galiléennes;  elles  courent  au  monument,  pour 
parfumer  le  mort ,  ignorantes  encore  de  sa  résur- 
rection. Reloiirnons  auprès  d'elles  au  tombeau  : 
qui  se  lasserait  jamais  d'admirer  des  merveilles? 
L'âme  avide  de  science  l'esl  surtout  des  phénomènes 
inconnus,  el  souhaite  qu'ils  se  répèlent  autour 
«relie. 

SCÈNE  XLI. 

MADELEINE,   l'a.NGE. 

MADELEINE.  Mais  quel  est  ce  beau  jeune  homme 
a?>sis  en  robe  blanche  à  la  droite  du  sépulcre.  Je  suis 
saisie  de  peur  à  son  aspect  éblouissant. 

le  jeune  homme.  Ne  craignez  point.  Non,  n'ayez 
nulle  crainte.  C'est  Jésus  de  Nazareth  ,  je  le  sais  ,  ô 
jeunes  filles,  que  vous  cherchez.  Il  n'est  point  dans 
ce  tombeau,  il  est  ressuscité,  et  ce  lieu-ci  est  vide. 
Allez  donc  ,  dites  aux  disciples  et  à  Pierre  que  Jésus 
ne  lardera  pas  à  se  montrer  à  eux  en  Galilée. 

madeleine.  Tremblante, frappée  d'horreur,  je  vais 
auprès  de  Pierre  el  des  autres  disciples ,  porter  encore 
telle  heureuse  nouvelle.  Celui  qui  m'est  apparu 
m'a  lionué  ordre  de  parier  à  Pierre. 

SCÈNE  XLI!. 

LA  MERE  DE   DIEU,  LES  CHOEURS. 

le  chœur.  O  vierges!  saisies  d'effroi ,  nos  esprits 
bouleversés  d'un  spectacle  si  nouveau,  fuyons  rapi- 
dement dans  noire  peur;  fuyons  de  ce  tombe  tu. 

Les  spectacles  offeris  à  nos  yeux,  les  paroles  re- 
cueillies par  nos  oreilles,  seront  enfouies  dans  le 
silence.  iNons  ne  répéterons  rien  à  personne. 

Souvenons-nous  des  ruses  du  vendeur  du  Verbe, 
nous  avons  à  redouter  la  corde  du  supplice.  Celle 
qui  parlerait  de  ce  tombeau  ,  de  la  robe  ,  de  la  voix 
de  ce  jeune  homme,  révélant  ainsi  les  mystères, 
deviendrait  sans  doute  la  risée  de  nos  ennemis  réu- 
nis autour  d'elle. 

Fuyons.  Sortons  des  profondeurs  de  ce  sépulcre, 
cl  que  nul  ne  dise  rien  à  nos  ennemis  de  ce  que  nous 
avons  vu  :  on  ne  peut  parler  qu'aux  amis,  qu'aux 
disciples. 

Certes,  il  n'y  »  point  de  mal  d'avouer  la  vérité; 
mais  ce  bonheur  n  est  pas  ordinaire  aux  messagers 
véridiques. 

Ne  menions  point ,  pourtant.  Le  mensonge  doit 
nous  déplaire,  à  nous  qui  évitons  les  gens  trop  cré- 
dules aux  revenants  et  effrayés  des  récils  d'appari- 
tions, et  qui ,  sous  la  conduite  de  Dieu,  redouions 
le  péché. 


Ainsi  nulle  de  nous  ne  p  ut  parler  en  dehors  du 
monument.  Je  le  répète,  pas  un  mot  du  sépulcre,  ni 
«le  l'état  de  Jésus  mort  ou  vivant,  car  chacun,  dans 
le  danger,  doit  peser  ses  paroles  et  savoir  à  qui  il 
parle. 

Fuyons  donc  ces  lieux,  jeunes  filles,  et  ne  parlons 
de  ces  merveilles  à  personne. 

Le  mal  n'est  pas,  je  le  dis  encore,  dans  l'existence 
des  faits;  non,  il  n'y  a  là  rien  de  mauvais,  et  il  n'y 
a  point  de  mystère  à  en  parler.  Mais  quel  est  celui 
qui  va  découvrir  son  secret  à  son  ennemi  ?  a-l-il 
dessein  de  combattre  la  haine  par  l'amour?  Ah!  si 
le  jour  triomphe  de  la  nuit,  la  nuit  l'emporte  aussi 
sur  le  jour,  el  le  mensonge  trahit  la  vérié  (255). 

Cependant,  allons  en  toute  baie  auprès  des  disci- 
ples. Nous  ouvrirons  à  nos  amis  la  joie  secrèle  de 
nos  cœurs  en  donnant  celle  bonne  nouvelle. 

Mais  qui  donc  vois-je  qui  se  précipite  de  ce  côlé, 
au  milieu  des  ténèbres? 

SCÈNE  XLÏII. 

LES  MÊMES,  LU   MESSAGER. 

le  messager.  Dame,  mère  d'un  Fils  tel  «pie  jamais 
je  n'ai  ouï  dire  «pie  femme  en  eût  enfanté-.. 

la  mère  de  dieu.  Lequel  de  nos  amis  tes-vons* 
L'étendue  de  ma  vue  est  affaiblie  par  les  ténèbres,  el 
je  ne  vous  reconnais  pas  bien... 

le  messager.  Je  suis  un  ami  toujours  sûr  pour  vous 
el  votre  Fils  mort,  à  cause  des  miracles  qu'il  a  faits 
et  de  sa  bonté. 

la  mère  de  dieu.  Que  m'annoiiccrez-vous  de  nou- 
veau? Quoi?  parlez  vite. 

le  messager.  Salut,  Dame!  tel  est  mon  premier 
moi.  Joie  et  force!  c'esl  le  plus  I  el  exorde  que  ja- 
mais personne  ait  pu  dire;  el  j'apporte  des  récits 
non  moins  remarquables.  Quelle  nouvelle  j'apporte» 
el  pour  laquelle  je  suis  venu... 

la  hère  de  dieu.  M'aniioncercz-vous que  mon  Fils 
csl  déjà  de  retour  des  enfers? 

le  messager.  Vous  l'avez  dit  ;  me  voici  plus  lég  r 
d'un  discours  de  inoins.  Il  est  ressuscité,  il  est  b*. 
Le  bruit  qui  s'en  répand  le  constate.  Il  a  quit  é  les 
enfeis  el  marche  sur  la  terre.  C'esl  là  ce  dont  je  suis 
venu  vous  informer. 

la  mère  de  dieu.  Nous  le  savions.  Mais,  vous,  d'oii 
l'avcz-vous  appris?  Eh  bien!  parlez.  Que  dites- vous î 
Comment  dites-vous?  Comment  le  savez- vous?  Quel 
indice  assuré  en  possédez-vous? 

le  messager.  La  troupe  des  gardes,,  qui,  duraat  la 
nuit  entière,  était  restée,  et  qui  avail  veillé  sur  le 
tombeau  avec  le  plus  grand  soin,  s'enfuyant  en  lu- 
uuille  dans  l'ombre,  a  couru  vers  les  prêtres  tout 
épouvantée,  el,  dans  son  i rouble,  n'a  pas  caché  ce 
nouvel  événement.  Les  messagers  delà  nuit  étaient 
saisis  d  horreur,  el  ils  ne  tremblaient  pas  tous  ainsi 
sans  raison.  J'en  ai  appris  par  hasard  les  umiifs. 
Celle  nuit,  étant  entré  dans  la  ville,  dans  1  intérieur 
«les  murs,  je  les  reconnus,  et,  marchant  sans  bruit, 
j'écoulai,  par  derrière,  les  discours  de  tonte  la  co- 
horte. 

Dans  leurs  discours,  longs  et  diffus,  où  la  liberté 
se  mêlait  à  la  crainte,  ils  racontaient  les  événements 
effrayants  du  sépulcre. 

[La  garde]  parla  donc;  |elle]  dit  aux  anciens  et 
aux  princes  des  prêtres,  fauteurs  du  meurtre,  qui 
étaient  réunis  et  qui  se  consultaient  : 

«  O  perpélraleurs  de  ce  crime  horrible,  assemblée 
des  scribes  el  îles  anciens,  je  viens  von-,  annoncer, 
à  vous  el  aux  citoyens  de  celle  ville,  bien  des  cho- 
ses surprenantes  ;  tous  ces  prodiges  inouïs,  étran- 
ges, dont  a  frappé  mes  yeux  ce  Mort  dont  je  m'étais 
de  bon  cœur  l'ait  celle  unit  le  gardien,  me  glacent 
encore  d'horreur.  Ah  I  vous-même,  avec  nous  là- 
bas,  vous  qui  nous  avez  envoyés  pour  garder  le  Mort 


(255)  V.  2170  —M.  Dubner  considère  le  passage  qui  suit  comme  intraduisible  el   inintelligible,  et  dé- 
clare avoir  suivi  la  traduction  des  Uénédiçlius.  faute  de  mieux. 


œs 


ris 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


r.\s 


ter. 


dans  son  tombeau,  vous  lui  auriez  peut-être  adressé 
des  prières  au  spectacle  de  tant  de  choses  inconnues 
encore.  Mais  je  veux  savoir  d'abord  si  je  puis  dire 
librement  ce  qui  s'est  passe,  ou  meure  un  frein  à 
mes  paroles.  J'appréhende  surtout  de  faire  le  rapport 
au  terrible  gouverneur;  je  redoute  la  violence  de 
son  caractère,  son  irascibilité  et  son  humeur  hau- 
taine. >  C'est  ainsi  que  celle  soldatesque  parla  aux 
anciens.  Ceux-ci,  s'étanl  tournés  les  uns  vers  les  au- 
tres, se  parlèrent  entre  eux  et  prirent  enfin  celle  ré- 
solution puérile  :  <  Voici  que,  disaient-ils,  l'injure 
que  nous  avons  commise  contre  Jésus  s'allume 
près  de  nous  comme  un  incendie,  et  nous  sommes 
la  proie  d'une  grande  perplexité.  Mais  il  faut  qu'où 
ne  nous  voie  pas  inquiets,  et  que  nous  fassions  bon 
accueil  à  ces  gardes.  »  Alors  se  tournant  vers  les 
gardes:  c  Ecoutez,  soldats,  dirent-ils.  Voici  noire 
;ivis  :  gardez  le  silence  sur  tout  ce  que  vous  ne 
pouvez  raconter  qui  soit  dans  notre  intérêt,  et  nous 
mous  faisons  fort  de  vous  faire  reconnaître  pour  in- 
nocents; dites  seulement  que  les  disciples  ont  subti- 
lement deivlié  le  corps,  et  nous  vous  ferons  de  très- 
beaux  présents.  Non,  certes,  il  ne  faut  pas  que  vous 
alliez  couler  au  gouverneur  ce  qui  est  à  la  gloire  de 
l'Enseveli  et  à  noire  cuisante  honte;  ce  serait  en- 
flammer la  colère  du  peuple  et  exciter  contre  nous 
l'universelle  indignation,  i  Les  soldats  répondirent  : 
<  Eh  bien  \  nous  ne  révélerons  rien  de  ce  que  nous 
savons,  puisque  cela  vous  plaît  ainsi,  et  que  vous 
vous  portez  garants  pour  nous  auprès  du  gouver- 
neur. Mais  il  faut  que   vous,  vous  sachiez  tout. 

c  Cel  homme  n'est  vraiment  pas  moins  qu'un 
Dieu,  à  en  juger  d'après  les  miracles  qu'il  a  faits 
autrefois  et  qu'il  vient  d'accomplir.  Il  esl  sorti  de 
son  tombeau,  dont  un  bloc  de  pierre  fermait  l'ou- 
verture, laissant  intacts  ,  comme  ils  sont  encore, 
tous  les  sceaux,  et  pendant  que  nous  veillions  en  cer- 
cle alentour,  tout  s'est  illuminé,  el  l'horreur  dont 
nous  étions  frappés  nous  a  laissés  comme  morts. 
L'édifice  de  la  terre  a  tremblé  dans  ses  fondements, 
lu  pierre  du  monument  a  roulé  tout  à  coup,  comme 
il  esl  aisé  de  le  voirel  de  le  comprendre  en  exami- 
nant le  sépulcre.  Une  voix  a  reienti  dans  l'espace, 
cl,  sans  doute,  Dieu  le  père  lui-même  s'est  lait  en- 

(236)  M.  Magnin  ayanl  supposé  le  Christ  souf- 
frant ■■  Itéré  par  divers  compilateurs,  a  dit  : 

V.  2270.  <  Ici  l'arrangeur,  par  une  inadvertance 
sans  égale,  oublie  que  nous  sommes  au  milieu  d'une 
narration  faite  à  la  Vierge  par  un  partisan  de  Jé- 
sus, et  il  intercale  deux  scènes  en  action  dans  la 
iranie  même  du  récil  que  le  messager  reprendra 
plus  lard  au  point  OÙ  il  l'a  laissé.  L'étourdi  compila- 
teur n'a  pas  même  pris  le  soin  facile  de  supprimer, 
dans  ce  qui  va  suivre,  les  noms  des  nouveaux  in- 
terlocuteurs pour  se  rapprocher,  tant  bien  que  mal, 
de  la  forme  narrative.  Les  noms  soûl  rubriques  dans 
les  manuscrits,  et  placés  en  vedette  dans  les  édi- 
tions imprimées.  »  (I*.  2278-279.) 

Nous  croyons,  au  contraire,  qu'il  n'y  a  pas  là  une 
scène  distincte.  Le  messager  continue  son  récit,  non 
plus  sous  forme  oratoire,  mais  sous  forme  drama- 
tique. Si  les  anciens  manuscrits  et  les  premières 
éditions  ne  portent  pas  de  noms  de  personnages, 
c'est  cpie  le  moyen  âge  el  les  premiers  tempe  de  la 
Renaissance  ont  mieux  compris  l'intention  de  saint 
Grégoire  de  Nizianze  qui  était, en  interrompant  l'ac- 
tion propre  du  narrateur,  de  faire  donner  par  lui  la 
pantomime  des  scènes  auxquelles  il  avait  assisté. 
On  ne  peut  dire  non  plus  que  le  messager  reprenne 
son  récil  où  il  l'a  laissé,  car,  eu  le  laissant,  .s'il  ne 
donnait  sous  forme  dramatique  la  réponse  des  prin- 
ces des  prêtres,  c'est  alors  que  le  récit  serait  tron- 
qué.  Ce  passage  ne  prouve  qu'une  chose,  c'est  que 
le  Christ  souffrant  a  été  represen'é. 

M.  Magnin  cite  comme  une  variante  notable  que 
la  p. crie  du  sépulcre  <    a  roule...  d'elle-même  »  el 


tendre  dans  ce  fracas  étrange.  En  même  temps,  le 
tonnerre  a  grondé,  le  <i  I  el  la  terre  ont  été  enflam- 
més de  feux  divins.  Bientôt  l'air  s'est  lu,  les  bois 
ombreux  ont  suspendu  en  silence  les  frémissement) 
de  leurs  feuilles;  d'aucun  côté  on  n'eut  ndail  plus 
aucun  bruit.  Ainsi  donc,  ô  amis,  ne  repoussez  pas 
cel  homme,  quel  qu'il  soit,  car  il  esl  bien  grand.  On 
dil  même,  et  je  l'ai  entendu,  qu'il  répand  sur  les 
hommes  une  grâce  qui  éloigne  le  mal,  et  qu'en  de- 
hors de  lui  il  n'y  eut,  il  n'y  aura  jamais  rien  de  bot:. 
Si  ces  récits  sont  vrais,  j'aimerais  mieux  lui  offrir 
des  sacri lices  que  de  regimber  en  furieux  contre 
l'aiguillon,  et,  faible  mortel,  lutter  contre  Dieu.» 

1. 

LA  GARDE,  LES   PONTIFES  (23fi). 

«  [les  pontites.]  Vous  avez  bien  dormi  el  vous  nous 
contez  vos  rêves...  Les  disciples,  pendant  les  dou- 
ceurs de  votre  somme,  ont  dérobé  le  mort  :  dites 
cela  au  gouverneur,  el  rien  de  plus.;  el  gardez  le  si - 
lence  sur  ce  qui  nous  esl  défavorable.  Si  vous  êtes 
discrets,  vous  recevrez  de  nous  des  présents...  Pro- 
bablement, vous  vous  êtes  entendus  pour  vendre  le 
corps...  Si  vous  ne  retenez  pas  votre  langue,  le  gou- 
verneur sera  mis  au  l'ail... 

«  [la  g\rde.]  Il  serait  imposs.b'e  devons  donner 
f  ii  dans  mes  p  noies.  Mais, si  mal  que  vous  les  ayez, 
reçues,  je  dir  i  que  vous  avez  tort  de  vous  empor- 
ter ainsi  ,  apaisez-vous.  Sinon,  ce  serait  intolérable. 
Nous  n'avons  rien  vendu;  la  présence  du  sceau  suf- 
fit pour  le  prouver.  Vous  n'avez  nul  sujet  de  nous 
accuser,  car  les  scellés  sont  intacts,  la  pierre  d« 
tombeau  esl  à  sa  place,  et,  prodige  inouï!  il  esl  soiu 
dil  sépulcre. 

<  [les  pontifes.]  Oubliez  toui  cela  et  recevez  ce» 
préseuls. 

<  [la  carpe.]  Quoique  vous  ne  veuillez  pas  agir 
selon  mes  vœux,  je  me  conformerai  aux  vôtres. 
Mais  occupez-vous  de  me  tirer  sain  el  sauf  de  c  : 
mauvais  pas  auprès  du  gouverneur. 

«  [les  pontifes.]  Soyez  sans  inquiétude.  Je  lui 
persuaderai  d'autant  plus  aisément  de  n'avoir  pour 

que  les  soldats  racontent  que  «  au  contraire...  elle 
est  resiée  à  sa  place.  »  Trois  passages  ont  trait  à  ce 
mirât  le. 

V.2247  et  2248. 

. .  .  Qui  de  sepulcro,  cui  lapis  erat   impositus,  tes* 
exser eus,  siijillis  adhuc  integris  immanentibus... 
V.  2255. 

Aitpvyjf  S'ô  ),i0oç  Èy.Y.i/.-ùlurroci  xi'fou... 

. . .  Stalimque  lapis  a  monumeulo  reiohuus  fuit... 

V.2283,  2-184. 

T^pO'Ufiévrjç  yvp,  xetpÉvou  tô  toû  ),t0ov 
iip.*i<jxn  toû  -ré^ov... 

. . .  Sigillo  enim  illœso,  et  posilo  lapûlc...,  e  sepul- 
cro surrexit... 

Les  trois  passages  concordent  parfaitement  .  le 
premier  dit  que  Jésus  est  sorti  du  tombeau,  laissant 
les  sceaux  intact?;  le  second,  que  la  pierre  du  monu- 
ment a  roulé  sur  elle-même  el  s'est  écartée  pour  ne 
pas  s'opposer  à  sa  sortie,  el  le  troisième,  (\\\"elle. 
s'est  replacée,  el  que  les  sceaux   ont  reparu    intacts. 

Il  n'y  a  là  aucune  variante,  et  même  M.  Magnin 
attribue  à  tort  tantôt  au  messager,  tantôt  à  la  garde, 
les  prétendues  versions  opposées;  car  c'est  partout 
la  garde  qui  parle,  dans  le  récit  du  messager.  Bien 
loin  de  se  contredire,  ces  passages  se  complètent,  et 
les  répétitions  de  mois  el  de  pensées  ne  prouvent 
qu'une  même  main. 


r^? 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


(£8 


h! 

ma 


vi.iîs  que  des  sentiments  bienveillants,  que  vous 
èies  de  son  pays  et  qu'il  est  né  sur  le  sol  d'Ausonic. 
Mais  allons  vile...  Ne  craignez  rien.  Vous  lui  direz: 
Les  disciples  sont  venus  pendant  la  nuit  ;  ils  ont 
trompé  notre  vigilance  et  o.it  enlevé  le  corps.  » 

Pautoaniuic. 
II. 

LA  GARDE,  P1LATE,    LES  PONTIFES  (237). 

«  [la  garde.]  Hélas!  malheur  à  mois!  ali!  ah! 
i  [pilate.  1  Qui  est  là?  qui  gémit  et  pleure  à 
porte? 

<  [les  pontifes.]  C'est  le  bataillon  qui  gardait  le 
corps  du  condamne,  ô  gouverneur  ;  et  il  se  lamente 
sous  le  coup  d'une  grande  crainte. 

«  [pilate.]  Ils  sont  les  bienvenus,  quoiqu'il  y  ait 
quelque  chose  d'étrange  à  leur  visiie.  Pourquoi  ces 
pleurs?  pourquoi  ces  cris,  ces  gémissements?  D'où 
v  eut  qu'ils  ont  peur?  dites. 

«  [les  pontifes.]  Ils  sont  là,  qu'ils  parlent. 

i  la  garde]  Gouverneur,  les  disciples  de  Jésus 
sont  ve  .us  pendant  la  nuit;  ils  ont  trompé  noire  vi- 
gilance et  ont  enlevé  le  corps. 

«  [pilate]  Comment,  race  de  bandits,  comment 
les  disciples  se  sont-ils  approchés  du  sépulcre,  y 
sont-ils  entrés,  sans  être  vus,  et  ont-ils  enlevé  ie 
mort?  Vous  ne  les  avez  pas  vus  entrer  dans  le  loin- 
beau,  ni  sortir?  Qui  doit  supporter  la  peine  d'un  tel 
méfait,  sinon  vous?  Vous  aviez  la  garde  du  tom- 
beau, n'est-ce  pas?  Vous  vous  êtes  enlcn  :us  pour 
me  rendre  la  risée  de  tons,  et,  ouire  la  honte,  je 
p  ier.iis  pour  le  sang  versé  !  Ah!  les  voleurs  se  sont 
joués  de  vous  et  se  mopient  à  leur  aise  de  moi.  El 
quel  intérêt  avait-on  de  dérober  ce  corps  inani  i.é? 
Comment  l'aurait-on  osé,  au  milieu  de  lanl  de  gar- 
des, munis  de  torches  allumées,  quand,  d'ailleurs, 
la  nuit  marche  sous  le  disque  au  plein  de  la  lune  ? 
Comment  ces  hommes  intimidés  ont  osé  et  pu  appro- 
cher, rouler  la  pierre,  quand  toute  une  légion  ne  l'a 
pas  placée  sans  peine,  et  quoiqu'il  y  eût,  en  de- 
hors, u.i  sceau  placé  en  voire  présence  par  l'Assem- 
blée même  des  anciens.  Est-ce  que  je  connais  ces 
«isciples  qui,  selon  vos  dires,  ont  dérobé  le  mon? 
C'est  vous  qui  êtes  les  artisans  de  tout,  et  je  n'en- 
tends à  rien,  puisque  vous  teniez  de  nf  abuser  par 
vos  discours  artificieux.  Croyez  que  vous  auriez  be- 
soin de  longs  et  solides  arguinen's  pour  me  mettre 
dansla  lêleque  votre  récit  n'eslpasun  mensonge.  Vos 
paroles  n'oni  rien  de  la  vérité;  les  desseins  dégui- 
sent les  discours,  elles  discours  sentie  jouet  des  des- 
seins. 

<  [la  carde.]  Vous  dites  vrai,  ô  gouverneur  ;  an  si 
vont  les  choses.  Mais,  quant  à  nous,  nous  avons, 
toute  la  nuit,  tenu  l'œil  ouvert  :  ni  somnolence,  ni 
assoupissement,  nous  en  attestons  votre  l  te,  nous 
avons  toujours  eu  les  regards  partout,  et  nous  ac- 
courions ici  pour  vous  tout  révéler.  Nous  nous  étions, 
celte  nuit  même,  mis  en  route  en  toute  bâte,  pour 
vous  parler  et  éviter  le  châtiment.  Mais  les  sages 
connaisseurs  ries  choses  divines  nous  oui  persuadés 
d'attendre  le  brillait!  éclat  du  jour...  certes  l'absence 
des  feux  éclatants  «lu  soleil  ne  nous  a  pas  retenus, 
nous  nous  sommes  précipités  auprès  de  ces  ponlifes, 
nous  leur  avons  dit  ce  que  nous  avons  vu  et  enten- 
du ;  mais  eux,  non  plus,  n'ont  pas  eu  foi  dans  nos 
discours. 

i  [pilate]  J'ai  bien  peur,  soldais,  que  vous  ne 
me  uébiliez  de  vaines  fables.  Car  si  les  disciples 
sont  les  voleurs  [de  celle  nuit,]  nous  les  connais- 
sons bien  mal;  tout  cela  m'esl  singulièrement  sus- 
pect; quelles  preuves  pourrez-vous  fournir? 

«  [la  garde.]  O  gouverneur,  vous  êtes  prompt  ; 

(257)  «  L'arrangeur,  oubliant  de  plus  en  plus  la 
situai  ion  critique  du  messager,  qu'il  a  laissé,  bou- 
che beauté,  au  milieu  de  sa  narra  lion,  prolonge  im- 
p-iiiiihablemeni  celle  monstrueuse  parenthèse.  Il 
change  même  une  seconde  fois  te  lieu  de   la  scène) 


vous  ne  savez  même  pas  ce  qui  s'est  passé.  Un  vo- 
leur de  nuil  a  de  grands  avantages.  Au  reste,  faites 
comparaître  d'abord  les  hommes  du  bataillon,  et  si 
un  seul  d'entre  eux,  le  plus  lestement  même  possi- 
ble, a  quitté  son  poste  celle  nuit,  qu'il  soil  arrêté, 
m:s  aux  fers  et  battu  de  verges,  pour  apprendre  son 
devoir,  car  ce  serait  une  honte  et  aussi  un  grand 
ton,  avec  l'aide  de  Dieu,  de  ne  pas  punir  et  de  ne 
pas  mettre  la  main  sur  ceux  qui,  à  noue  désespoir, 
oui  commis  un  si  grand  crime. 

«  [pilate.]  Je  ne  crois  pas  à  vos  voleurs  de  nnif  ; 
non,  je  n'y  crois  pas  ;  (oui  cela  m'est  suspect,  très- 
suspect.  Comment  ces  gens  en  fuite  ont-ils  dé- 
robé mort  celui  que,  dans  leur  extrême  épouvante, 
ils  ont  abandonné  vivant?  Votre  cohorte  n'était  pas 
non  plus  accablée  d'un  sommeil  tellement  lourd 
qu'elle  ail  oublié  toute  surveillance  du  tom!  eau. 
Non,  ces  hommes  n'ont  pas  commis  celte  action,  au 
plus  profond  de  leur  abattement,  et  si  près  du  ien>ps 
où,  dit-on,  la  simple  question  d'une  servante  les 
amenait  à  renier  leur  maître  par  crainte... 

j  [les  pontifes.]  O  vous  qui  êtes  si  f(  rme  en  lotîtes 
rencontres,  vous  voici  bien  troublé;  et  ces  récits 
vous  donnent  bien  de  vains  soupçons.  Plût  à  Dieu 
que  vous  fussiez  homme  de  conseil,  comme  vous 
êles  homme  d'exécution  !  Mais  il  n'y  a  pas  d'homme 
à  qui  la  nature  ail  donné  de  tout.  Les  uns  ont  un 
don,  les  autres  un  antre.  Vous  avez  la  bravoure;  il 
y  en  a  qui  ont  la  pénétration.  Au  récit  de  ces  gardes 
porteurs  de  torches,  vous  vous  empotiez,  vous  ne 
pouvez  comprendre  (pie  le  Séducteur  [Jésus]  ail  élé 
ravi  par  ses  disciples.  11  y  a  un  terme  de  guerre  : 
Il  faut  avoir  la   main  armée... 

«  [pilate. J  C'est  vous  qui  avez  débauché  ces  sol- 
dais, et  vous  essayez  maintenant  de  me  tromper. 
Tout  cela  est  voire  œuvre,  vous  en  verrez  les  suites, 
n'en  douiez  pis... 

«  [les  pontifes.]  Décidez-en  donc,  à  votre  fan- 
taisie, puisque  vous  avez  le  pouvoir  de  tout  dire  et 
tout  l'aire...  > 

Instruit  ainsi  de  l'audace  de  ces  pervers  qui  veu- 
lent étouffer  ainsi  par  ruse  le  bruit  de  la  Résureclion 
du  Christ,  je  suis  accouru,  Madame,  pour  vous  pré- 
venir. Ne  refusez  pas  de  nie  croire,  car  tout  ce  que 
vous  avez  entendu  est  vrai.  Je  suis  sûr  même  que 
le  bruit  en  est  répandu  par  toute  la  ville;  car  la  plu- 
pari  des  gardes  publient  sans  crainte  ce  miracle  ou 
en  font  le  récit  dans  des  entretiens  sccrels  11  va  ve- 
nir de  tous  côtés  vers  vous  bien  des  gens,  et  vous 
connaîtrez  tout.  Moi  je  suis  venu  en  toute  hâte  vous 
porter  les  premiers  indices,  pour  avoir  place  dans  la 
joie  de  votre  âme  cl  dans  vos  plus  doux   transports. 

la  mère  de  dieu.  Soyez  le  bienvenu,  et  Dieu  vous 
bénisse  en  récompense!  Soyez  le  bienvenu,  pour 
avoir  dénoncé  le  crime  ie  plus  affreux  de  ces  mé- 
chants vieillards  remplis  jusqu'au  fond  de  l'àme  de 
fausseté  et  de  vanité. 

El  comment  un  sépulcre,  un  sceau  posé  sur  une 
pierre,  une  cohorte  de  gardes,  auraient-ils  pu  retenir 
le  corps  du  Verbe  insaisissa!  le  retournant  vers  le 
Père,  dont  il  procède  ?  Retenir  celui  qu'on  a  vu  autre- 
fois fouler  de  ses  pas  les  (lois  de  la  mer,  comme  si 
c'eût  élé  la  terre;  ce  Maître  qui  est  son  principe  à 
lui-même  et  son  propre  créateur;  celte  Pierre  an- 
gulaire qui,  se  soutenant  elle  seule  par  son  unique 
vertu,  porte  l'univers;  c<  Dieu  dont  la  grandeur  a 
paru  en  venant  au  jour  sans  faire  v  olei.ee  au  sein 
qui  I  enfermait,  et  sans  en  altérer  la  virginité.  Je  l'ai 
enfanté;  et  je  sais  comment.  Mais  une  cohorle  de 
soldats  a-l-elle  pu  comprendre  la  résurrection  de 
celui  qui  échappe  même  à  l'intelligence  des  anges  ? 

et  nous  conduit  de  la  synagogue  dans  le  palais  de 
Ponce-Pilaie.  >  (  M.  Macnin,  Journ.  des  Suv.,  18tl», 
mai,  p.  280.)  —  V.  noie  235.  —  Au  lieu  de  deux 
admis,  le  Messager  en  mime  trois. 


r.29 


TAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


P..  S 


63!) 


De  quelle  manière  son  corps  s'est-il  formé  d'un  sang 
mortel  ?  Comment  cet  Eue  incorporel,  ei  qui,  aupa- 
ravant, était  le  Verbe,  s'est-il  fait  chair?  Comment, 

ionien  restant  tout  entier  avec  le  Père  dans  le  ciel, 
et  tout  entier  au  milieu  île  l'univers,  fm-il  enfermé 
dans  mon  sein  ?  Ce  sont  là  les  mystères  qui  ont 
excité  l'envie  et  la  colère  des  pontifes. 

(Au  chœur).  Mais  maintenant,  amis,  courons  au 
sépulcre,  allons-y  de  nouveau  le  plus  prompiemenl, 
examinons  encore  toutes  choses  avec  soin,  afin  d'en 
faire  le  rapport  à  nos  amis;  eux-mêmes,  une  fois 
arrivés,  vérifieront  complètement. 

le  choeur.  Pierre,  avec  Jean  le  bien-aimé,  cou- 
rant en  toute  hâte  vers  le  tombeau  qui  enferme  en 
soi  la  vie,  après  avoir  tout  examiné,  ont  parlé  aux 
amis,  dans  les  mêmes  termes  que  Marie-Madeleine, 
à  qui  toute  foi  est  due,  et  qui,  la  première  arrivée, 
avait  tout  vu  avec  soin  et  avait  fait  connaître  que 
le  tombeau  était  vide. 

la  mère  de  dieu.  Oui,  avant  toute  autre,  Made- 
leine était  arrivée  au  monument,  et  moi  j'étais 
derrière  elle,  el  nous  avons  vu  vide  le  lieu  où  aupa- 
ravant était  le  cercueil.  C'est  Madeleine  qui  a  eu 
l'idée  qu'on  avait  enlevé  le  corps  du  mort  bien-aimé, 
pour  le  déposer  en  un  autre  lieu.  Mais,  aussitôt, 
nous  avons  su  ce  qui  s'était  passé;  el  Marie  l'a 
prompteinent  fait  savoir  aux  disciples.  Pierre,  de- 
bout à  l'instant,  a  pris  précipitamment  le  chemin 
<iu  sépulcre;  non  moins  vite  que  lui  s'est  élancé  le 
disciple  vierge,  el  tous  deux  ont  vu  ce  qu'avait  an- 
noncé Marie.  Et  nous-mêmes,  nous  voici  pour  la 
seconde  fois  sur  la  roule  du  sépulcre  ;  nous  voici  au- 
près... Mais,  Madeleine  elle-même...  Eh  bien!  qu'elle 
nous  raconte  ce  qu'elle  a  entendu  et  ce  qui  a  été  fait. 

SCÈNE  XLIV. 

LA   MÈRE  DE    DIEU,   MADELEINE,    LES    CHOEURS. 

Madeleine.  Que  dites-vous,  dame  Yierge,  joie  du 
genre  humain  ? 

la  mère  de  dieu.  Je  racontais  à  ces  jeunes  filles 
loulee  que  lu  asditavoir  vu  la  première,  dans  ion  ré- 
cit aux  disciples... 

Madeleine.  Tout  est,  Madame,  comme  vous  l'avez 
dit  ;  el  vous  savez  que  j'arrivai  la  première  au 
tombeau;  vous  avez  entendu  tout  ce  que  j'ai  dit.  Il 
m'est  donc  mutile  de  répéter  comment,  accourue  à  ce 
tombeau  asile  de  tout  bien,  je  fis,  d'abord  avec  vous, 
cl  ensuite  avec  les  deux  disciples,  au  milieu  d'une 
abondante  rosée  de  larmes,  un  examen  et  une  re- 
cherche minutieuse  de  toutes  choses... 

Je  vis  deux  anges,  vêtus  d'aubes  blanches,  asns 
au-dessus  el  au-dessous  du  sépulcre,  l'un  à  la  lêle, 
l'autre  aux  pieds,  entourés  l'un  el  l'autre  de  rayons 
[lumineux]  comme  des  habitants  des  cieux,  el  je 
restai  immobile,  toute  tremblante  de  joie  et  de 
crainte.  Alors  vinl  frapper  mon  oreille  une  voix, 
sans  pareille;  en  me  tournant  épouvantée,  soudain 
j'aperçus  le  Christ,  combien  différent  d'autrefois  ! 
(u'ai-je  pas  dit  qu'il  m'apparul  dans  tout  son  éclat?) 
je  tombai  sur  le  sol,  n l'efforçant  d'embrasser  ses 
pieds.  Il  me  retint,  et  m'envoya  vers  les  disciples. 
J'ouïs  alors  mes  plus  curieux  désirs,  son  retour  dans 
les  cieux.  auprès  de  son  Père...  Mais  il  n'y  est  pas 
moulé  encore.  .  Il  nie  dit  encore  qu'il  devançait  ses 
disciples  dans  les  terres  stériles  de  la  Galilée  et  qu'il 
les  v  attendrait,  selon  ses  promesses.  Telles  furent 
les  nouvelles  que  je  donnai  aux  disciples  bien-aimés. 
Auprès  d'eux  mes  discours  furent  de  peu,  car  ils 
coururent  précipitamment  au  tombeau,  pour  n'y  voir 
que  ce  que  vous  savez.  Il  est  inutile  de  répéter  ce 
t]ne,  peu  auparavant,  ci  en  voire  présence,  [ô  daine!] 
j'ai  entendu  el  demandé,  car  vous  le  savez  aussi 
bien  que  moi;  cl  vous  avez  entendu-  ces  récits,  ainsi 
que  ces  jeunes  filles  chéries.  On  sait  qu'empêchée 
par  la  crainte  de    marcher  seule  avec  moi,    ayant 

(23S)  M.  Dûbner  (Praef. ,  p.  i.xxm)  a  f.iit  remar- 
quer que,  dans  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  du 


pris  les  deux  autres  Marie,  vous  courûtes  pour 
voir  ce  que  vous  aviez  appris, et  vous  avez  tout  vu, 
même  voie  Fils,  ainsi  qu'il  convenait.  Mais  je  sais 
encore  à  celle  heure  que  deux  des  disciples  qui 
erraient  au  travers  du  pays  ont  vu  le  Christ  et 
n'ignorent  plus  rien  de  leurs  plus  chers  souhait-. 
Ils  accourent  pour  parler  de  cela  aux  autres  disci- 
ples, c'esl  pourquoi  il  nous  faut  nous  remettre  en 
roule  à  l'instant.  Peut-être  verrons-nous  de  nouveau 
le  Seigneur.  Voyez,  le  crépuscule  du  soir  lombe  déjà, 
bâtons-nous,  allons  vile  dans  ces  lieux,  où  les  ténè- 
bres de  la  nuit  auront,  je  crois,  réuni  les  disciples. 
le  choeur.  Nous  voici  arrivées  à  la  demeure  de 
Marie,  c'est  ici,  je  le  sais,  que  sont  les  disciples  ai- 
més, derrière  ces  portes  closes,  car  ils  redoutent 
encore  tout  de  la  part,  des  meurtriers.  Mais  que  ces 
portes  sont  fermées  avec  soin...  Comment,  malgré 
cet  buis  si  bien  gardé,  entrerons-nous?..  Eh!  la 
chère  Marie  a  entendu  déjà,  elle  ouvre  tout  douce- 
ment et  nous  fait  signe  de  passer...  Entrons  donc 
d'un  -pas  léger,  pour  ne  pas  causer  de  nouvelles 
craintes  à  nos  amis  effrayés... 

[Elles  entrent.) 

SCÈNE  XLV. 

LES     MEMES,    LES     DISCIPLES,    MARIE,    puis  LK 
CHRIST. 

marie.  Nous  voici  réunies  aux  onze  disciples  et  à 
tous  ceux  qui  se  sont  glissés  ici  avec  eux.  Marie 
ferme  derechef  avec  soin  les  portes.  Faisons  silence 
pour  écouter  Clcophas;  c'esl  lui,  je  le  vois,  qui  ra- 
conte bien  des  choses  dites  à  plusieurs  ou  laites  par 
le  Seigneur;  il  en  en  est.au  moment  où  l'on  recon- 
nut le  Seigneur  dans  la  fraction  du  pain.., 

Ah  !  ah  !  silence,  silence  !  Le  Seigneur...  Le 
voici...  Il  est  debout  entre  les  portes  !..  O  merveille 
sans  égale  !  Comment  est-il  ici  ?  comment?  malgré 
les  portes  closes...  Sans  doute,  par  la  même  venu 
qu'il  s'est  arraché  au  sépulcre  scellé,  qu'il  s'est  tiré 
autrefois  du  sein  delà  Vierge,  sans  altérer  le  ca- 
ractère de  celte  chaste  mère... 

le  christ.  La  paix  soit  avec  vous! 

Pourquoi  êles-vous  dans  la  stupeur?  Voici  mes 
mains  et  mes  pieds,  et  mon  côté  percé;  regardez  et 
voyez,  et  me  reconnaissez  ;  car,  encore  une  fois, 
c'esl  bien  moi.  Les  esprits  n'ont  pas  de  chair,  ni 
d'os  non  phis,  comme  moi  que  vous  voyez.  Appro- 
chez vos  mains,  et  voyez  :  j'ai  chair  el  os. 

Or,  de  même  que  le  Père  m'envoya,  moi,  de  même, 
je  vous  envoie  parmi  le  monde,  el  je  répands  sur 
vous  l'Espril-Sainl,  ô  mes  amis. 

L'ayant  reçu,  annoncez  en  lous  lieux  et  moi,  et 
mon  Père,  el  le  Sainl-Esprit. 

Allez  donc,  allez,  bien-aimés  annonciateurs.  Fai- 
tes entendre  le  chant  du  triomphe  dans  lous  les 
lieux  de  la  terre.  En  passant  sous  les  palais  des  rois, 
annoncez  ce  qu'a  vu  la  ville  entière  de  David,  la 
résurrection  du  Seigneur  hors  du  tombeau,  dans  un 
espace  de  temps  si  cou  ri. 

Vous  serez  mes  témoins  sur  toute  la  terre.  Celui- 
là  sera  sauvé  qui,  ayant  foi  en  vos  paroles,  recevra 
le  baptême,  prix  de  mon  sang.  Mais  quiconque  aura 
repoussé  vos  enseignements ,  homme  sans  foi,  en- 
courra la  damnation. 

«j'esi  pourquoi  je  vous  accorde  abondamment  la 
grâce  du  Saint-Esprit  :  celui  que  vous  aurez  délivré 
des  chaînes  du  péché  demeurera  délié;  le  pécheur, 
au  contraire,  que  vous  aurez  resserré  dans  ses 
fers,  demeurera '"pour  jamais  enfermé  dans  leurs 
nœuds  indissolubles. 

SCÈNE  XLVI. 

LE  CHOEUR    DES    VIERGES   (238). 

le  choeur.  O  Roi  universel,  ô  briseur  unique  des 

Roi,  n"  1220,  datant  du  xiv  siècle,  on  trouve  attri- 
buée à  Madeleine  la  prière  finale  (vers  2332-2tf'  5f; 


C3I 


TA  5 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


fc-51 


chaînes,  ô  Sauveur,  déhvrez-iï.oi  de  ces  liens  inex- 
tricables, «loin ,  bêlas!  nia  lâcheté  m'a  entouré,  el 
do:  l  l'ennemi  séducteur  m'a  accablé  dans  son  envie, 
quand  il  m'a  vu,  par  ma  foi  en  vous,  el  votre  si 
éclal aille  benlé,  délivré  de  ces  fers  auparavant  in- 
dissolubles. 

Salut,  ô  Fils  très-bon  du  Très-Bon,  Roi  suprême, 
qui  avez  foulé  aux  pieds  le  serpent,  auteur  du  mal, 
Ri  avez  triomphé  de  la  mort,  ce  tout  récent  ennemi! 
Ne  me  laissez  pas  accablé  encore  une  fois. 

0  Roi!  ô  Roi  immortel!  Dieu  suprême!  Juge  ab- 
solument juste,  venez-vous  pour  méjuger?  01»!  com- 
ment vous  regarder  en  cet  instant,  ô  Verbe!  De 
ipiels  yeux  fixer  votre  trône,  moi  qui  ne  me  suis 
montré  jamais  digne  ni  du  ciel,  ni  de  la  terre,  ni 
de  voire  création? 

L'ennemi  s'est  empare  de  moi,  il  m'a  plongé  dans 
Pabî.ne,  dans  le  Tarlare,  dans  l'immense  ebaos.  Ce 
séducteur  terrible,  attaché  à  ma  poursuite,  m'a  at- 
teint; il  m'a  ploiigé  tout  entier  dans  les  ténèbres <le 
renier. 

Ayez  pitié  de  moi,  Seigneur;  tendez-moi  la  main, 
soutenez-moi ,  ne  permet  lez  pas  que  je  sois  le  jouet 
de  ce  meurtrier  de  l'homme. 

Je  suis  votre  image;  punissez-moi  vous-même,  ô 
Verl  e,  frappez  moi  vous-même,  dans  votre  clémence, 
mais  ne  me  laissez  pas  aller  dans  la  géhenne. 

O  Rédempteur,  nous  vous  implorons!  Nous  avons 
vécu  dans  l'iniquité,  el  de  corps,  el  de  coeur,  el  d'es- 
prit; malheureusement,  nous  avons  péché  contre 
vois,  et  nous  vous  avons  beaucoup  offensé;  nous 
avons  eu  trop  tard  l'expérience;  nous  n'avons  rien 
su  au  jour  qu'il  l'eût  fallu,  el  encore  n'avons-nous, 
après  ce  jour,  rien  fait  selon  votre  plaisir.  Mais  nous 
reconnaissons  nos  pé.  liés  :  remettez-les-nous.  Ah! 
nous  savons  que  vous  u'avez  rien  de  commun  avec 
tei  hommes  dans  voire  colère. 

Ayez  pilié  de  moi,  ô  Sauveur,  el  ne  me  livrez  pas 
à  la  perdition  en  raison  de  mes  péchés.  Car  je  suis 
votre  lils,  et  le  lils  de  votre  servante,  el  c'est  à  cause 
de  moi  ,  ô  Verbe,  que  vous  avez  subi  la  mort.  Ne 
m'abandonnez  pas  à  l'ennemi  qui  s'en  réjouirait,  châ- 
tiez-moi de  verges,  avec  boulé. 

Ne  repoussez  pas,  ô  Verbe,  l'intercession  de  votre 
mère,  ni  de  ceux  à  qui  vous  avez  accordé  la  grâce 
de  remettre  les  pèches. 

0  Vierge  bienheureuse,  digne  de  tous  les  respects, 
el  dont  on  doit  suivre  le* culte  (colenda),  ô  vous 
qui  habitez  les  célestes  demeures  des  bienheu- 
reux, dépouillée  de  toute  l'impureté  humaine,  pa- 
rée du  manteau  de  l'immortalité,  cl  délivrée  du  poids 
des  ans,  dans  l'éternité,  comme  Dieu  :  être  des  cieux, 
soyez  propice  à  mes  prières. 

Ou»,  Vierge  illustre,  écoutez  mes  paroles.  Cet 
honneur  n'appartient  qu'à  vous,  entre  tous  les  hu- 
mains, comme  nière'du  Verbe,  mystère  supérieur  à 
l'eiuendemeiil  de  l'homme.  C'est  fort  de  Lui,  que 
j'ose  vous  ott'rir,  ô  Dame,  une  couronne  faite  dans 
un  pré  non  foulé  et  tout  éclatante  de  fleurs,  pour 
tant  de  bienfaits  dont  vous  avez  eu  la  bonté  pour 
n*oi.  Oh!  délivrez-moi  de  l'infinie  variété  des  maux, 
des  ennemis  visibles,  el,  plus  encore,  des  invisibles. 
Faites  que  la  lin  de  ma  vie  soit  digne  du  commen- 
cement, sous  votre  bien  désiré  patronage  pendant 
toule  ma  vie,  avec  votre  intercession  auprès  de  vo- 
tre Fils,  et  enfin  parmi  les  vierges  sacrées  qui  Lui 
ont  plu. 

Ne  m'abandonnez  donc  pas  aux  tourments  pour 
être  le  jouet  de  l'ennemi,  corrupieur  «les  hommes. 
Gardez-moi  et  lirez-moi,  et  \\u  feu,  el  des  ténèbres" 
trouvez  ma  justification  dans  ma  loi  el  voire  grâce. 
Eu  effet,  en  vous  luit  pour  nous  la  grâce  de  Dieu,  el 

ce  même  critique  la  considère  comme  une  invocation 
du  poêle  lui-même, sien*  poelœ.  Je  crois  plutôt  que  le 
chœur  des  vierges  prononçait  celle  invocation  finale. 
Kn  effet,  c'est  ce  que  prouve  évidemment  le  passage 
de  cette  prière  oit  la  personne  qui  la  récite  dc- 


c'esl  pour    vous    qu'eu   ce  temps  même   je   lie  les 
nœuds  d'une  hymne  eucharistique. 

Saliil,  ô  jeune  fille,  ô  joie  de  tous  les  hommes,  6 
Vierge-mère,  belle  par-dessus  toutes  les  vierges,  su- 
périeure aux  cohortes  célestes,  maîtresse,  reine  uni- 
verselle, charme  du  genre  humain.  Vous  êtes  ion- 
jours  portée  en  faveur  de  vos  enfants,  et  en  Ions 
lieux  vous  êtes  mon  plus  grand  appui.  Accordez- 
moi,  ma  Dame,  l'expiation  de  mes  fautes  el  le  salut 
de  mon  âme. 


LA    PASSION. 

Occident. 

Dans  cet  article  sur  la  Passion  en  Oc- 
cident, nous  avons  examiné  successive- 
ment : 

I.  Les  manuscrits  et  les  éditions; 

II.  Le  développement  de  l'idée  du  drame; 

III.  Son  caractère  propre  ressortant  des 
analyses  de  la  pièce; 

IV.  Les  œuvres  érudites  auxquelles  il  a, 
donné  lieu. 

I. 

MANUSCRITS  ET  EDITIONS. 

Les  principaux  manuscrits  de  la  Passion 
sont  ceux  : 

1°  Ceux  de  la  Bibliothèque  impériale,  w* 
7206  et  7206%  mis  aujour  par  M.Pauliu  Paris* 
qui  sont  les  plus  anciens  textes  connus,  et 
néanmoins  ne  datent  que  de  1474,  étant 
ainsi  postérieurs  au  drame  lui-mime  do 
plus  de  trois  quarts  de  siècles. 

2°Ceiuidela  bibliothèque  de  Valencicnnes, 
dont  l'âge  n'est  pas  bien  précis,  mais  qui, 
quoique  du  xvt'  siècle,  semble  conlenir  la 
copie  d'un  texte  d'une  plus  haute  antiquité. 
«  Ce  manuscrit,»  dilM.O.  Leroy, qui  l'a  fait 
connaître  (Etudes  sur  les  mystères;  Paris, 
183J,  in-8°,  p.  101),  «  in -fol.,  sorti  de  la  ville 
de  Douai  où  il  paraît  avoir  été,  vers  le  mi- 
lieu du  xvi'  siècle,  la  propriété  d'un  nommé 
Baudin  de  Vermelle,  a  appartenu  à  l'abbaye 
de  Saint-Amand  avant  de  faire  partie  de  la 
bibliothèque  de  Valencienues...  Quoique  ce 
manuscrit  renferme  dans  un  seul  volume  et 
dans  un  seul  ouvrage  tous  les  sujets  traités 
depuis  sous  les  noms  de  Mystères  delà  Con- 
ception, de  la  Nativité,  de  la  Passion,  il  est 
néanmoins  intitulé  seulement  :  La  Passiox 
de  Jesccrist  en  rime  franc/toise;  et  c'est 
avec  raison  qu'il  porte  ce  seul  litre,  puisque 
tout  ce  qui,  dans  l'Ecriture,  précèle  la  mort 
de  Jésus,  se  rapporte  à  ce  grand  événe- 
ment... » 

Les  expressions,  les  détails  sont  d'une 
plus  baule  antiquité  que  les  versions  impri- 
mées jusqu'ici  connues  et  dont  la  1",  attri- 
buée à  Jehan  Michel,  ne  date  que  de  14SG. 
Le  manuscrit  contient  en  40,000  vers  ce  qui 
jusqu'alors  n'était  connu  qu'en  07,000;  et 
pourtant  «  ce  manuscrit  est...  loin  encore... 
d  ôlte  une  copie  exacte.,  de  la  Passion,  » 
telle  quelle  fut  jouée  en  1402.   (P.   131.) 

mande  d'avoir  place  dans  le  ciel  parmi  les  vierges 
saintes  (v  rs  2590);  car  l'on  n'ignore  pas  que  l'un 
des  chœurs  n\  si  composé  que  île  vierges,  el  leur 
demande  ne  peut  convenir  ni  à  la  pécheresse  Made- 
leine ni  à  saint  Grégoire  de  N'zianrc» 


«53 


TAS 


DICTIONNAIRE  DXS  .UYSTF.KES. 


PAS 


€54 


Le  dialecte  est  le  rouchi  employé  par  Frois- 
s'.irt. 

3°D'aulres  manuscrits  existent  :  à  Cambrai, 
par  exemple.  Le  texte  est  entre  les  mains 
de  madame  veuve  Hurez,  habitante  de  celle 
ville.  C'est  un  in-fol.,  orné  de  «  peintures 
d'autant  plus  précieuses,  qu'elles  nous 
donnent  une  idée  exacte  de  l'étendue  et  de 
Ja  disposition  des  théâtres  à  celte  époque.  » 
(P.  128.)  C'est  peut-être  ce  manuscrit  qui 
servit  aux  représentations  de  la  Passion  qui 
eurent  lieu  en  vingt-cinq  journées,  à  Va- 
lenciennes  l'an  1547, et  dont  parle  d'Outre- 
man,  historien  et  prévôt  de  celte  ville.  La 
bibliothèque  de  l'Arsenal,  à  Paris,  possède 
enliu  aussi  un  manuscrit  de  la  Passion. 

Deux  éditions  principales  de  la  Passion 
absorbent    loute  l'attention   des  critiques  : 

L'une  est  celle  de  1486  avec  les  révisions 
de  Jean  Michel,  que  M.  Brunet  ne  considère 
pas,  malgré  son  grand  âge,  comme  Yédition- 
princeps. 

L'autre  est  celle  de  1507,  qui  se  rapproche 
davanlagedes  manuscrits  de  1474- et  semble 
contenir  la  révision  d'Arnoul  Gréhan,  an- 
térieure évidemment  à  celle  de  Jean  Mi- 
chel. 

II. 

DÉVELOPPEMENT  DU  DRAME. 

tv —  La  Passion  commence  par  «les  offices  figures. 

Il  est  infiniment  probable  que,  de  préférence 
même  aux  autres  grandes  scènes  fournies  par 
la  vie  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  la  Pas- 
sion a  eu  ses  offices  figurés.  Mais  il  n'en  reste 
que  des  débris  anciens,  tels  que  les  rites  figu- 
rés de  la  Nativité,  ou  de  faibles  traces  dans 
des  temps  modernes  ou  contemporains. 
Ainsi,  en  Allemagne  au  xvnr  sièc'e,  dom 
Martin  ierbert,  moine  de  Saiul-Blaise  de  la 
Forêt-Noire,  témoigne  que  l'usage  n'était 
pas  encore  absolument  anéanti,  dans  son 
monastère,  de  jouer  de  temps  à  autre  des 
scènes  de  la  Nativité  et  "surtout  de  la  Pas- 
sion. (De  cantu  cl  mus.  sacr.;  Saint-Biaise, 
1774,  in-V\  2  vol.,  t.  I",  p.  83.) 

Le  chant  de  la  Passion,  alterné  à  trois 
voix,  serait,  suivant  M.  l'abbé  La  Bouderie, 
un  débris  des  anciens  usages  relatifs  aux 
jeux  des  mystères  dans  les  églises  au  moyen 
dge.  (Cf.  Li  Jeu  Saint-rNicolai,  par  Jehan 
IIodel,  publié  par  la  Société  des  biblio- 
philes fr.  ;  Paris,  Didot,  1834,  in -8°,  édition 
due  aux  soins  de  MM.  l'abbé  La  Bouderie 
et     Monmerqué ,    et    encore    incomplète , 

p.  ni.) 

M.  On^sime  L<'roy,  dans  ses  Eludes  sur 
les  mystères  (Paris,  1837,  in -8°,  p.  S6),  fa  t  la 
même  remarque  :  «  L'Evangile  de  la  Pas- 
sion, dit-il,  est  chanté  encore  aujourd'hui, 
dans  nos  églises,  sur  des  tons  différents, 
par  trois  prêtres,  dont  le  premier  dit  les 
paroles  de  Jésus-Christ,  le  second  celles 
des  Juifs,  et  le  troisième,  la  narration  qui 
interrompt  le  dialogue.  »  —  «  Dans  de  vieux 
offices  de  la  Semaine  saint",  »  ajoute  en  note 
M.  Leroy,  «  les  paragraphes  de  l'Evangile 
de  la  Passion  sont  distingués  par  ces  mar- 
oues  :  t  C.  S.  La  croix  indique  les  pj  rôles 


de  Jésus-Christ;  le  C,  celles  dn  chantre  ou 
narrateur;  l'S,  celle  de  la  Synagogue  (j'ai 
dans  nm  bibliothèque  un  de  ces  offices  ré- 
imprimé à  Douai,  Derbaix,  1766).  » 

2°. —  Origine  de  l'idée  de  ta  Passion. 

L'idée  de  la  Passion  ne  semble  pas  fran- 
çaise. C'est  de  l'étranger,  de  l'Italie  sur- 
tout, que  vint  le  mouvement  qui  porta  les 
esprits  vers  ce  mystère;  car,  dans  un  temps 
où  les  représentations  en  étaient  devenues 
rares,  même  dans  les  rites,  en  France,  Ro- 
landino  {Chroniq.  de  Padoue,  I.  i,  eh.  10) 
cite,  sous  la  rubrique  de  l'an  1243,  un  mys- 
tère de  la  Passion  et  de  la  Résurrection  . 
«  Cet  an,  dit-il,  à  la  fêle  de  Pâques,  on  re- 
présenta solennellement  et  avec  appareil , 
(ians  le  pré  du  Val,  la  Passion  et  la  Résur- 
rection du  Christ.  »  M.  Maguin,  dans  sou 
Cours  de  littérature  étrangère,  a  rappelé 
cette  indication.  Dix-neuf  ans  [dus  tard,  il 
existait  à  Padoue  une  confrérie,  dont  le  but 
était  uniquement  la  représentation  de  la 
Passion;  à  Home,  la  même  année,  s'établi- 
rent les  Gonfatons  pour  le  même  objet. 

Dans  une  chronique  de  Frioul,  éditée 
dans  l'appendice  des  Monuments  de  l'Eglise 
d'Aquilée  (Monum.  eccles.  Aquilej.,  p.  28, 
col.  1),  on  trouve  qu'en  1298,  le  jour  de  la 
Pentecôte,  il  y  eut  une  représentation  du 
Jeu  du  Christ,  qui  comprenait  la  Passion, 
la  Résurrection,  C  Ascension,  la  Descente  du 
Saint-Esprit,  et  le  Jugement.  —  Du  Cange, 
Gloss.  inf.  et  med.  Lai.,  v°  Ludus  Christi, 
édit.  Henschell;  Paris,  Didot,  1845,  ii -4°, 
6  vol.,  t.  IV,  p.  150.  —  Muralori  [Anliquit. 
Italie,  medii  œvi,  sire  Dissert.  ;  Milan,  1772, 
in-fol.,  t.  II,  col.  847-850). 

En  1304,  dans  le  Frioul  encore,  des  cha- 
noines et  des  clercs  jouèrent  le  Jeu  de  Dieu, 
qui  comprenait  la  Création,  l'Annonciation 
de  la  Vierge,  l'Accouchement,  et  peut  être 
l'Antéchrist;  c'est  ce  dont  nue  chronique 
de  Frioul  (éditée  dans  les  Monum.  eccles. 
Aquilej.,  p.  28,  col.  1),  a  conservé  la  mémoire.. 
(Cf.  Du  Cange,  Gloss.  inf.  et  med.  Lai.,  v"  Lu-., 
dus  Christi  et  Dei,  édit.  Henschell,  Paris, 
Didot,  1845,  in-4°,  G  vol.  t.  IV,  p.  loG. 

3°.  —  Quand  la  Passion  s'esl  produite   en  France,  elle  a, 
disparu  partout  ailleurs. 

Quand  la  Passion  s'est  produite  en 
France,  elle  a  péri  en  Italie;  et  l'Allemagne 
l'a  reçue,  non  pas  de  Rome,  mais  du  génie, 
français.  C'est  ce  que  laisse  sans  doute  la 
publication  en  allemand  d'un  mystère  de  la 
Passion,  datant  du  xve  siècle,  dont  le  ma- 
nuscrit est  conservé  a  Danaueschingen  (F.- 
T.-J.  Monc  Schauspiele  des  miltelaltcrs  » 
Karlsruhe,  Machlot,  1846,  2  vol.  in-8°,  t.  11» 
p,  183.) 

4\—  Elle  est  devenue  une  Somme  dramatique- 

4°  Dès  son  apparition  en  France,  la  Pas* 
sion  a  tout  absorbé  ;  elle  est  devenue  incon- 
tinent une  Somme  dramatique. 

Avant  elle,  s'étaient  produits  les  mys'è- 
res  de  la  Création, c\e  V Ancien  Testament,  do 
Vlncarnalion,  de  Y  Annonciation,  de  la  l'on- 
ccpliort,  (les  Couches  de  la  Vierge,  au  XIV"  sic* 


Uôô 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


036 


de.  Les  offices  figurés  de  la  Nativité  remon- 
tent jusqu'au  delà  du  xe  siècle.   Au  xi%  on 
;   avait  déjà   le  Mystère  de  la  Justice  ou  de  la 
Rédemption. 

Toutes  ces  données  s'abîmèrent  dans  le 
sein  do  l'idée  supérieure  que  proclamait  le 
xve  siècle  ;  et  il  est  probable  même  que  les 
premières  œuvres  de  la  plus  haute  anti- 
quité chrétienne  n'échappèrent  pas  aux  la- 
borieuses recherches  de  l'esprit  scientifique; 
car  certaines  scènes  du  grand  drame  s'ap- 
pellent VA  dam  d'Ignace,  le  Christ  souffrant 
de  saint  Grégoire  dô  Nazianze,  ou  même 
la  Sortie  d'Egypte  d'Ezéchiel. 

b". — L'enthousiasme  fui  immense. 

5°  L'enthousiasme  qu'excita  la  Passion,  à 
son  apparition,  fut  universel  et  immense.  Il 
se  forma  spontanément  un  gymnase  d'ac- 
teurs dévols.  On  a  pensé  que  les  premiers 
furent  des  pèlerins  revenant  de  la  terre 
.sainte;  il  n'y  a  rien  d'impossible  à  cela.  Les 
frères  Parfait  racontent  ainsi  les  commen- 
cements à  Saint-Maur  des  Confrères  de  la 
Passion  : 

«  Leur  premier  essai  se  fit  au  bourg  de 
Saint-Maur,  à  deux  petites  lieues  de  Paris. 
Ils  prirent  pour  sujet  la  Passion  de  Notre- 
Scigneur  :  ce  qui  paru!  fort  nouveau,  et  lit 
grand  plaisir  aux  spectateurs.  Le  prévôt  cV? 
Paris  en  étant  averti  il r  une  ordonnance,  le 
3  juin  1398,  portant  défense  à  tous  les  ha- 
bitants de  Paris,  à  ceux  de  Saint-Maur,  et 
autres  villes  do  sa  juridiction,  de  représen- 
ter aucuns  jeux  de  personnages,  soit  de  Vies 
des  saints,  ou  autrement,  sans  le  congé  du 
roi,  à  peine  d'encourir  son  indignation,  et 
de  forfaire  envers  lui  (239).  Cette  ordon- 
nance obligea  les  nouveaux  acteurs  de  se 
pourvoir  à  la  cour,  en  fusant  ériger   leur 

(239)  Celle  ordonnance  fui  faite  à  cause  de  la  li- 
berté que  ces  bourgeois  prirent  de  jouer  dans  un 
lieu  renfermé,  où  peut-être  ils  exigèrent  de  l'argent 
lies  spectateurs;  car,  près  de  vingt  ans  avant  celle 
représentation  de  Salul-Maur,  les  mystères  étaient 
••il  v.-gtïe  à  Paris,  ei  ces  speeiacles  de  piété  parais- 
saient si  beaux  dans  ces  siècles  d'ignorance,  «pie 
l'on  en  faisait  les  principaux  ornements  des  récep- 
tions des  princes  quand  iis  faisaient  leurs  entrées. 
Les  deux  faits  qui  suivent  prouveront  ce  que  nous 
venons  d'avancer  à  ce  su'el. 

Le  dimanche  1 1  novembre  1380,  le  roi  Charles  VI 
(il  son  entrée  solennelle  dans  Paris.  Il  était  vêtu  ce 
jour-là  d'une  étoffa  de  soie  toute  semée  de  fleurs  de 
lys  d'or.  Les  principaux  de  la  ville  allèrent  à  che- 
val au-devant  de  lui  jusqu'au  village  de  la  Cha- 
pelle, sur  le  chemin  de  Sainl-Denys.  Il  trouva,  à 
sou  entrée  dans  Paris,  les  rues  el  les  places  pub  i- 
ques  ornées  de  riches  tapisseries,  de  chœurs  de  mu- 
sique d'espace  en  espace,  des  fontaines  qui  jetaient 
l«:  [ait,  le  vin  et  des  eaux  odoriférantes.  Il  vil  aussi 
avec  plaisir  cequ'on  appelai!  alors  les  Mystères,  c'est- 
à-dire  les  diverses  représentations  de  théâtre  d'une 
invention  toute  nouvelle.  (Histoire  de  la  ville  de  Pa- 
ris, livre  xix,  pages  087  et  l»88.) 

L'entrée  de  la  reine  Isaheau  de  Bavière,  épouse  de 
Chai  les  VI,  fui  solennisée  avec  toute  la  magnificence 
possible,  en  octobre  1385.  (Histoire  de  la  ville  de  Pa- 
ri*, liv.  xiv,  p.  706  et  70".)  Parmi  les  fêles  .qu'elle 
vil  à  Paris,  il  y  avait  enir'auires,  devant  la  Trinité, 

(a)  C'ctail  le  pont  ;ui  Change. 


société  en  confrérie  de  la  passion  de  Notro- 
Seigneur.  Le  roi  Charles  VI  assista  à  quel- 
ques-unes de  leurs  représentations  ,  et  ce 
prince  en  fut  si  satisfait,  qu'il  leur  accorda, 
le  k  décembre  li02,  des  lettres  pour  leur 
établissement  à  Paris.  Comme  elle  sert  de 
pièce  fondamentale  à  cette  histoire,  il  ne 
sera  pas  hors  de  propos  de  la  rapporter  ici. 
«  CHAULES,  par  la  grâce  de  Dieu,  Roy  de 
«  France,  sçavoir  faisons  à  tous  présents  et 
«  advenir,  Nous  avoir  reçue  l'humble  sup- 
«  plication  de  nos  bien  amez  et  Confrères 
«  les  Maîtres  et  Gouverneurs  de  la  Confrai- 
«  rie  de  la  Passion  et  Résurrection  Notre- 
«  Seigneur,  fondée  en  l'Eglise  de  la  Trinité 
«  à  Paris,  contenant  comme  pour  le  fait  d'au- 
«  cuns  mystères,  tant  de  Sa i nets  comme  de 
«  Sainctes,  et  mesmement  du  Mystère  do  la 
«  Passion,  que  derrainement  (2i0)  ont  com- 
te mencé  ,  et  sont  prêts  pour  faire  devant 
«  nous  comme  autrefois  auroi(.nl  faict,  et 
«  lesquels  ils  n'ont  peu  bonnement  conti- 
«  nuer,  pource  que  nous  n'y  avons  peu  eslre 
«  lors  présens  :  Duquel  faict,  et  Mystère,  la- 
«  dicle  Confrairie  a  moult  frayé  (2'il)  et  des- 
«  pendu  du  sien,  et  aussi  ont  les  Confrères 
«  un  chacun  proportionablement  :  Disans 
«  en  outre  que  s'ils  jouoient  publiquement, 
«  et  en  commun,  que  ce  seroit  le  profit  d'i- 
«  celle  Confrairie,  ce  que  faire  ne  pourroient 
«  bonnement  sans  nostre  congé  et  licence  : 
«  ttoquerans  sur  ce  nostre  gracieuse  provi- 
«  sion.  Nous  qui  voulons  et  désirons  le  bien, 
«  profit,  et  utilité  de  ladicte  Confrairie,  et 
«  les  droicts,  et  revenus  d'icelle  estre  par 
«  nous  accreus  et  augmentés  de  grâces  et 
«  privilèges,  afin  qu'un  chacun  par  dévotion 
«  se  puisse  et  doibve  adjoindre  el  mettre  en 
«  leur  compagnie  à  iceux  maislres,  gouver- 
«  neurs  et  confrères  de   la   Passion  Noslre- 

un  combat  préparc  el  qui  s'exécuta  en  présence  de 
la  reine,  des  Français  et  des  Anglais  contre  les  Sar- 
rasins. Toutes  les  rues  étaient  tendues  de  lapisse- 
ries  :  on  trouvait  en  divers  lieux  des  fontaines  d'où 
coulaient  le  vin,  le  laitel  d'aulrcs  liqueurs  délicieu- 
ses :  el  sur  différents  théâtres  on  avait  placé  îles 
chœurs  de  musique,  des  orgues,  el  des  jeunes  gens  y 
représentaient  diverses  histoires  de  fAneien  Testiî- 
iiicnt  ;  il  y  avait  des  machines  par  le  moyen  des- 
quelles des  enfants,  habillés  comme  on  représente  les 
anges,  descendaient  et  posaient  des  couronnes  sur 
la  îèle  de  la  reine.  Mais  le  tpeclacle  le  plus  surpre- 
nant qu'il  y  cul  à  celle  entrée,  fut  faction  d'un 
homme  qui,  se  taisant  couler  sur  nue  corde  tendue 
depuis  le  haut  des  tours  de  Noire-Dame,  jusqu'à 
l'un  des  pouls  par  où  la  reine  passait  («),  entra  par 
une  fente  ménagée  dans  la  couverture  de  taffetas 
dont  le  pont  était  couvert,  mil  une  couronne  sur  la 
lèle  de  la  reine,  et  ressortit  par  le  même  endroit, 
comme  s'il  s'en  lût  relourné  au  ciel.  L'invention 
était  d'un  Génois,  qui  avait  loul  préparé  depuis  long- 
temps pour  ce  vol  cxlraordinaiie;  el  ce  qui  contri- 
bua à  le  rendre  encore  plus  remarquable,  même  loin 
de  Paris,  c'est  qu'il  était  fort  lard,  et  que  l'homme 
qui  faisait  ce  personnage  avait  à  chaque  main  un 
flambeau  allume,  pour  se  faire  voir,  cl  admirer  la 
beaulé  d'une  action  aussi  hasardeuse  que  celle-là. 

(210)  Dernièrement. 

(°2il)  t'ail  des  frais 


637 


l'AS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


638 


«  Seigneur,   av:ms  donné  et  octroyé,  don-  «  grâce  Mccccif.  Et  sur  le  reply   est   escril, 

«  nous  et  octroyons  de  grâce  espècial,  pleine  «  PAR  LK  ROY.  Messires  Jacques  de  Bour- 

«  puissance  et  autorité  Royal,  ceste  fois  par  «  bon  l'Admirai,  le  Bègue  de  Vieulaines,  et 

«  toutesetà  tousjours perpétuellement  par  la  «  plusieurs  autres  présents,  signé,  Moignon, 

«  teneur  de  ces  présentes  Lettres,  autorité,  «  et  appert  avoir    eslé  scellées  en  lacs  de 


«  congé,  et  licence,  de  faire  jouer  quelque 
«  mystère  que  cesoit,soit  de  ladite  Passion,  et 
«  Résurrection,  ou  autre  quelconque,  tant  de 
a  Saincts,  comme  de  Sainctes  qu'ils  voudront 
«  eslire,  et  mettre  sus,  toutes  et  qualités  fois 
«  qu'il  leur  plaira,  soit  devant  nous,  devant 
«  nostre  commun  (24-2)  et  ailleurs,  tant  en 
«  recors  (2i3)  qu'autrement,  et  de  ceux  con- 
«  voqués,  communiqués  et  assemblés  en 
«  quelconque  lieu  et  place  licite  à  ce  faire 
«  qu'ils  pourraient  trouver,  tant  en  nostre 
«  dicte  Ville  de  Paris,  connue  en  la  Prévoslé, 


«  soyes  et  cire  verte.  Et  au  dos  des  dictes 
o  Lettres  est  cscript  ce  qui  s'ensuit  :  Le 
«  lundy  xn  jour  de  Mars  mcccçii  (2i5).  Je- 
«  ban  Dupin  ,  Guillaume  de  Doisemont , 
«  Maistresde  la  Con  frai  rie  nommés  en  blanc, 
«  présentèrent  ces  Lettres  à  M.  Robert  de 
a  Ruiselier,  Lieutenant  de  Monsieur  le  Pre- 
«  vost,  lequel  veuës  icelles  Lettres,  octroyé 
«  que  lesdicts  Maislres,  leurs  Confrères  et 
«  autres,  se  puissent  assembler  pour  le  faict 
«  de  la  Confrairie,  elle  faict  des  jeux,  selon 
«  ce  que  le  Roy  nostre  Sire  le  veut  par  i.cel- 


«  et  Vicomte  ou  Banlieue  (ficelle,  présents     «  les  Lettres.  Et  pour  eslre  présens  avec  eux 


«  à  ce  trois,  deux,  ou  l'un  de  ceux  qu'ils 
«  voudront  eslire  de  nos  Olïiciers,  sans  pour 
«  ce  commettre  olîence  aucune  envers  nous, 
a  et  justice,  et  lesquels  Maislres  et  gouver- 
«  neurs,  et  Confrères  susdicts,  et  un  chacun 
«  d'iceux,  durant  les  jours  ezquels  ledict 
«  mystère  qu'ils  joueront  se  fera,  soi't  devant 
«  nous  ou  ailleurs,  tant  en  recors,  coin  me 
«  autrement,  ainsi,  et  p;ir  la  manière  que  dit 
«  est,  puissent  aller,  venir,  passer,  et  rapas- 
«  ser  paisiblement,  veslus,  habillez,  et  or- 
«  donnez  un  chacun  d'eux  en  tel  estât ainsy 
«  que  le  cas  le  désire,  et  comme  il  appartient 
«  selon  l'ordonnance  dudict  Mystère,  sais 
.<  distourbier,  et  empeschement.  Et  à  grei- 
«  gneur  (244)  confirmation  et  seureté,  nous 
«  iceux  Confrères,  Gouverneurs,  et  Maislres, 
«  de  nostre  plus  abondante  grâce,  avons  mis 
«  en  nostre  protection,  et  sauvegarde  durant 
«  le  cours  d'iceux  jeux,  et  tant  comme  ils 
«  joueront  seulement,  sans  pour  ce  leur 
«  mélfaire  ne  à  aucun  d'iceux  à  cette  occa- 
*  siori,  ne  autrement  comment  que  ce  soit 
<(  au  contraire.  Si  donnons  en  Mandement 
«  au  Prévost  de  Paris,  et  à  tous  nos  autres 
«  Justiciers  et  Officiers  présens,  et  à  venir, 
«  ou  à  leurs  Lieutenants  et  chacun  d'eux,  si 
«  comme  il  luy  appartiendra,  que  lesdicts 
«  Maislres,  Gouverneurs,  et  Confrères  ,  et 
c  un  chacun  d'eux  fassent  ,  souffrent,  et 
«  laissent  joiiyr  et  user  pleinement,  et  pai- 
«  siblement,  de  nostre  présente  grâce,  congé, 
«  licence,  don,  et  octroy  dessus  dicl,  sans 
«  les  molester,  faire  ne  souffrir  empescher, 
«  ores  ni  pour  le  temps  a  venir  comment 
«  que  ce  soit  chose  ferme  et  estable  à  tous- 
«  jours,  nous  avons  faict  mettre  nostre  Scd 
«  à  ces  Lettres,  sauf  en  autres  choses  nostre 
«  droict,  et  l'autruy  en  toutes  :  Ce  fut  fait 
«  et  donné  à  Paris  en  nostre  Hostel  lez 
«  Sainct-Paul,  au  mois  de  Décembre  l'an  de 

(212)  Populace. 

(-2i">)  Musique. 

(24f)  Meilleure. 

(245)  Autrefois,  lorsque  l'année  commençait  à 
Pâques,  le  mois  de  mars  se  trouvait  postérieur  à 
celui  de  décembre. 

(245*)  L'hôpital   de  la  Croiv  de  la  Reine,    depuis 
dit  de  la  Trinité,  avait  élé    fondé   par    deux    gen- 
lilshonunes  allemands  frères  utérins,  nommés  Gui 
luuuie  E-cuacol  et  Joan  Je  L;\  Pasii-',  ipî  avaient 


«  en  ceste  présente  année,  commet  Jehan  le 
«  Pu,  Sergent  de  la  Douzaine,  Jehan  de  San- 
«  cerel,  Sergent  à  verges  l'un  d'eux,  ou  le 
«  premier  autre  Sergent  de  la  Douzaine,  ou 
«  à  verge  dudict  Chaslelet.  Et  audessous  est 
«  pseript.  Ità  est.  Signé  Leginaut.  Tiré  d'un 
«  vidimus  d'Anthoine  du  Prat  ,  Chevalier 
«  Baron  de  Thiert,  et  de  Viteaux,  Seigneur 
«  de  Nantouillet  et  de  Précy,  etc.  Garde  de 
«  la  Prévoslé  de  Paris,  du  20  Décembre 
«  imduv.  » 

«  Premier  théâtre  français  établi  à  V Hôpital 
delà  Trinité. —  Peu  de  temps  après  avoir  ob- 
tenu ces  lettres,  les  confrères  de  h- Passion, 
qui  avaient  déjà  fondé  le  service  de  leur 
confrérie  à  l'hôpital  de  la  Trinité  (245*),  for- 
mèrent aussi  le  dessein  de  s'y  établir.  Les 
religieux  d'Hermières  (2V6),  qui  étaient  en 
possession  de  cet  hôpital,  leur  en  louèrent 
la  principale  pièce,  qui  était  une  salle  de 
vingt  et  une  toises  de  longueur,  sur  six  de 
large,  élevée  au  rez-de-chaussée  et  soutenue 
par  des  arcades.  Les  confrères  y  tirent  un 
théâtre  et  donnèrent  au  peuple,  l'es  jours  de 
fêles  (exeeplé  les  solennelles),  divers  spec- 
tacles de  piété,  tirés  du  Nouveau  Testament, 
qui  plurent  tellement  au  public,  qu'on  avança 
ces  jours-là  les  Vêpres  en  plusieurs  églises, 
afin  de  donner  le  temps  d'assister  à  ces 
pieux  amusements,  il  serait  impossible  de 
donner  un  détail  bien  circonstancié  de  ce 
premier  théâtre  français;  tout  ce  qu'on  peut 
dire  de  plus  positif  est  que  ce  nouveau 
genre  de  plaisir  devint  extrêmement  à  la 
mode,  et  que  la  ville  de  Paris  ne  fut  pas  la 
seule  qui  le  goûta;  celles  deRouen,  d'Angers, 
du  Mans  et  de  Metz,  se  signalèrent  à  l'envi, 
et  on  y  représenta  différents  mystères,  avec 
tout  le  succès  possible. 

«  Les  règnes  de  Charles  VI,  Charles  VII, 
et  une  partie  de  celui  de  Louis  XI,  quoique 

acliclé  deux  arpents  de  terre  hors  la  porte  Sainl- 
Denys,  et  y  avaient  fait  bâtir  une  grande  maison, 
pour  y  recevoir  les  pèlerins,  el  les  pauvres  voya- 
geurs qui  arrivaient  trop  lard  à  la  ville,  cl  dont  les 
portes  se  fermaient  en  ce  temps.  Les  f'ondaicurs  et 
tous  leurs  pareille  étant  décèdes,  celle  lionne  œu- 
vre l'ut  totalement  abandonnée.  (Traité  de  la  Voice.) 
(2i(>)  llerniières  est  une  abbaye  en  Brie,  donl  l<s 
religieux  sonl  de  l'or. Ire  de  Préaioiuié. 


C"9                      PAS                    DIÇTIOJiSCIRE  DES  MYSTERES,  PAS                       610 

extrêmement  agités  de  guerres   civiles,   ne  Les  confrères,  lassés  des  dépenses  qu'ils 

dérangèrent  point,   autant   qu'ils  l'auraient  étaient  obligés  de  faire,  tant  pour  le  lover 

dû,  le  spectacle  établi  par  les  confrères;  non-  des  salles  où  ils  jouaient  que  pour  le  trans- 

seuleraent  il  continua  durant  ces  temps  ora-  port  de  leur  théâtre,  se  ré>olurent  d'acheter 

g"ux,  mais  il  s'en  éleva  encore  d'autres,  tels  une  place  et  d'y  faire  bâtir  ;  de  sorte  qu'ils 

f  it en!  ceux  donnés  par  les  Enfants  savs souci  s'accommodèrent  d'une  portion  considérable 

(t  les  Clercs  de  la  Bazoche.   Mais  comme  ce  de  l'hôtel  de  Bourgogne,  consistant  en  une 

so-'l  des  genres  différents,  nous  avons   cru  masure   de    17    toises  de    long   sur  16   de 

qu'il  était  à  propos,  pour  ne  point  embarras-  large,   tenant,  d'une  part,  à  la    rue  Neuve- 

ser  la  mémoire  du   lecteur,  d'en  faire  des  Saint-François,  depuis  peu  dressée  dans  ce 

articles  séparés,  où  nous  rendrons   compte  lieu,  et  qui  avait    issue   dans   la  rue  Mau- 

de  leur  origine,  de  leur  progrès  et  de  leur  conseil,  et,  d'autre   paît,  aux  maisons  des 

décadence.  veuves  et  héritiers  de  Matthieu   et   Fiacre 

«  Après  un  assez  long  temps,  on  se  las-~a  Houvet  ,  situées  dans    cette    rue  Maucon- 

de  ces  mystères,  qui  parurent  trop  sérieux  ;  sëil.   Cette    portion    fut   acquise    de    Jean 

de  sorte  que   les  acteurs,   pour  satisfaite   le  Houvet  par   les  confrères,  à   condition  d'en 

public  et  le  rappeler,  mêlèrent  à  leurs  dévots  payer  au  roi  1G  livres  de  cens  et  rente   par 

spectacles  des  scènes  tirées  de  sujets  profa-  an^  dont  elle  était    chargée,  et  225  livres 

nés  et  burlesques,  qui  firent  beaucoup  de  tournois  de  rente   annuelle  et  perpétuelle 

plaisir  au  peuple, qui  aime  ces  sortes  de  di-  à  Jean  Ilouvet  et  ses  hoirs  et  ayant- cause, 

vertissemenls,  où  il  entre  plus  d'imagination  Pour  la  sûreté  du    payement,  la    confrérie 

que  d'esprit.  Ils  les  nommèrent,  par  un  quo-  obligea  tous   ses    biens,    et    en   particulier 

libel  vulgaire,  Jeux  de  pois  piles,  et  ce  fut,  25  livres    de  renie  rachetable  pour  300  li- 

selon  toutes  les  apparences,  à  cause  du  mé-  vres   que    devaient   à    la    confrérie    Henri 

lange  du   sacré   et  du   profane  qui  régnait  Guyoil  et  Jean  Olivier,  dit  Margot,   sur    la 

dans  ces  sortes  de  jeux.  Mais   les  confrères,  maison  des  sots  attendants  sise  rue  Darne- 

troj)  pieux  pour  représenter  eux-mêmes  ces  tal  ;  il   fut  aussi  siipulé  par  le   marché  que 

pièces  qu'on  appelait  sottises  (car  c'est  ainsi  Jean    Rouvet  aurait  une  des    loges  ijui  se- 

qu'elles  sont  intitulées  dans  les  imprimés  qui  raient  faites  dans  la  salie  de  l'hôtel  de  Buur- 

nous  en  restent),  confièrent  ce  soin  aux  En-  gogne,  pour  lui,  ses   enfants  et  amis,  leur 

"unis  sans  souci,  dont  le  chef  prenait  la  qua-  vie  durant,   sans  en    rien  payer;  et  que   la 


(; 


ité  de  Prince  des  sots  ou  de  la  sottise,  qui  rente  de  225  livres  serait  rachetable  pour  1  » 

s'en  acquittèrent  avec  applaudissement.  somme  de  4,500  livres  qu'on  lui  compterait, 

«  Voilà  de  quelle  façon  les  confrères  sou-  ou  à  ses  héritiers,  h  un,  deux,  trois  ou 
tinrent  leur  théâtre  jusqu'au  règne  de  Fran-  quatre  payements  égaux.  Le  contrat  fut 
çois  1",  qui  leur  donna  en  1518  d^s  lettres  passé  le  30  avril  15i8.  Nous  croyons 
patentes  par  lesquelles  il  confirmait  tous  les  qu'on  ne  sera  pas  fâché  de  trouver  ici  une 
privilèges  qui  leur  avaient  été  accordés  par  copie  du  pouvoir  que  les  confrères  donnè- 
Charles  VI.  Ils  continuèrent  leurs  représen-  rent  aux  maîtres  et  gouverneurs  de  la  Pa*- 
ta Fions  jusqu'en  1539,  alors  que  la  maison  sion  ,  pour  faire  l'acquisition  dont  nous 
de  la  Trinité  fut  de  nouveau  destinée  à  venons  de  parler  :  on  y  apprend  d'ailleurs 
un  hôpital,  suivant  l'esprit  de  la  fondation  ;  quelques  usages  établis  parmi  les  con- 
fie projet    ne   fut    pourtant   exécuté   qu'en  frères. 

1547,  mais  les   confrères  furent  cependant         ;<   Pardevant  les  Notaires  du  Roi    nostn* 

obligés  d'eu  déloger  et  de  prendre  à  loyer  «  Sire,  auChastellelde  Paris,  furent  présens 

une  partie  de  l'hôte!  de  Flandre*,  où  ils  firent  «  Jacques  le  Roy  et  Jehan  le  Roy,  Maistres 

construire  leur  théâtre,  et  y  représentèrent  «  Maço  is  à  Paris,  Nicolas    de  Gendreville. 

jusqu'en    15i3,  époque  où  ils  furent  forcés  «  Courtier  Juré  de  Chevaux,  et  Jambefort, 

d'en  sortir,  attendu  que  François  Ier  ordonna  «  Maislre  Paveur  de   Paris,  tous  a  présent 

la  vente  ei   démolition  de    cet  hôtel,  aussi  «  Maistres  et  Gouverneurs   de   la  confrairic 

bien  que  de  ceux  d'Arias,  d'Etampes  et  de  «delà   Passion   et    Résurrection  de  Nolre- 

Uourgogne.  «  Seigneur,  fondée  en  l'Eglise  de  l'Hospilal 

«   Les    commissaires     du    roi,    nommés  «  de   la  Trinité  à    Paris,   Adrien  Gervais, 

pour  cet  effet,  en  firent  la  visite  le  29octo-  «  Doyen  de  ladicte  Confrairie,  Marc-Antoine 

bre  15V3  et  les  jours  suivants,  et  en  firent  «Caille  Maire-sotte,    M.    Pierre    Hémon , 

le  partage  en  plusieurs  places;  après  quoi  «Huissier   du  Roi  nostre  Sire,  en  la  Cour 

la  vente  fut  criée    les  10   et    19  novembre  «  des  généraux  de   la  Justice  de  ses  Avdes, 

suivants.  Quelques-unes  de  ces  places  lu-  «  Jehan  Louve t,  Sergent  à  Verges  au  Chas- 

rent  aussitôt   vendues,   et  les  enchères  de  «  tellet,  Prevosté  et  Vicomte  de  Paris,  Jehan 

celles  qui  restaient  à- vendre  commencèrent  «  Fade,  François  Poutrin,  Charles  le  Royer, 

le   24  du    même  mois,   et  furent  adjugées,  «  et   Michel    Lyon,    tous   anciens  Maistres 

après  les  formalités  accoutumées,  à  divers  «  d'icelle  Confrairie   Toussaincts,    de  Fres- 

particuliers,  qui  déclarèrent  entin,   le  8  dé-  «  nés,  Nicolas  de  Compans,  Jehan  Dureau. 

eembre  de  la  même  année,  que  les  enchères  «Guillaume     Hochart  ,     Martial    Vaillant, 

qu'ils   avaient   mises    étaient   au    profit  do  «  Pierre  de  Rue,  Jehan  Godefroy,  dict    Poi- 

Jean  Rouvet,  bourgeois  de  Paris,  déjà  ad-  «reaus,   Jehan    Joyau,   Richard   Georges, 

judicataire  de  quelques  autres  (247).  «  Jehan  d'Esguillicr",  Denys  le  Boiteux,  Ma- 

(217)  Celle  acquisition  de  Joui  Rouet  ne  fut  fa:io  en  son  nom  que  le  mardi  IS  mars  là  il. 


eu 


PAS 


DICTIONNAIRE  DLb  MYSTERES. 


PAS 


ti« 


«  thurin  Darnois,  Nicolas  Hervé,  dicl  Ve- 
«  Dise,  Jehan  Bertrand,  Pierre  le  .Vercier, 
«•  François  Hueble,  Pierre  Fouquet,  Pierre 
«Royer,  Jehan  Reculé,  Nicolas  Scot ,  et 
«  Nicolas  Gavant ,  tous  Confrajres  de  la- 
«  dicte  Confrairie,  assemblés  eu  l'Eglise  et 
«  Chapelle  de  la  Trinité  à  Paris,  rue  sainct 
«Denis,  lieu  aecoustuiné  pour  eux  assem- 
«  hier  à  traiter,  adviscr,  conclure  et  déli- 
«  hérer  des  négoces  et  affaires  d'icelle  Con- 
«  frai  rie  par  lesquelles  Jacques  et  Jehan  le 
«  Roy,  Gendreville  ,  erJambel'ort,  à  pre- 
ssent niaistres  d'icelle  Confrairie,  fut  re- 
«  monstre,  exposé  et  déelairéauxdicis  Doyen 
«  et  Contraires,  qu'ils  n'avoient  plus  du  lieu 
«  et  Salle  ez  quels  ils  pussent  faire  et  ad- 
«  tninistrer  le  faict  de  ladict  Confrairie, 
«  comme  ils  avoient  aecoustuiné,  au  moyen 
«  que  là  Salle  dudict  lieu  de  la  Trinité 
«  qu'ils  souloient  tenir  et  occuper,  leur 
«  a  voit  et  a  esté  ostée  par  Arresl  ou  Or- 
«  (lonnance  de  la  Cour;  et  que  depuis  que 
«  ladicte  Salle  leur  avoil  été  ostée  ,  leur 
«  avoil  convenu,  et  convenoit  encores  do- 
«  resnavent  louer  autre  Salle  et  grand  lieu 
«  à  grosse  somme  de  deniers  par  an,  de 
«  la  piellc  Salle  ainsi  tenue,  et  qu'ils  tien- 
«  droient  à  louage,  ils  ne  seroient  seurs 
<  ains  pourroieni  estre  contraints  en  vui- 
«  der  après  les  Baux  expirez,  et  eux  aceom- 
«  inoder  ailleurs,  et  changer  souvent  de  lieu 
«  et  place,  et  qu'ils  ne  pourraient  aisément 
«  trouver  telle  en  assiete  de  Lieu,  grande, 
«  spacieuse,  ni  commode  comme  il  anpar- 
«  tient,  et  leur  est  nécessaire.  En  quoy  faisant 
«  pourroient  avoir,  et  encourir  grande  perte 
«  et  dommage.  A  ceste  cause  leur  estoit  de 
«  néces>i»é  et  expédient,  pour  le  bien,  aug- 
«  mcniation,  entretenement,  et  décoration 
«  de  ladicte  Confrairie  avoir  autre  lieu  en 
«  propriété. Et  que  leSire  Jehan  Rouvet,  Mar- 
«  chaud,  Bourgeois  de  Paris,  avoit  en  l'hos- 
«  tel  de  Bourgogne,  une  masure  et  place  de 
«  longueur  de  dix-sept  toises  et  de  seize 
«  toises  de  large,  qui  leur  sembloil  esire 
«  propre  pour  baslir,  et  faire  grande  salle  et 
«  autres  édifices  nécessaires  à  ladicte  Con- 
«  frairie,  laquelle  place,  ledict  Jehan  Rouvet 
«  leur  avoit  pour  ce  faire  accordé,  baillera 
«  toujours  à  la  charge  de  seize  livres  parisis 
«  de  cens,  et  charge  foncière  envers  le  Roy 
■  pour  chacun  an  perpétuellement  à  toujours, 
«  et  envers  luy  de  cent  escus  d'or  (2Ï8)  de 
«rente  annuelle,  racheptable  pour  quatre 
«  mille  cinq  cens  livres  tournois  a  certains 
«  payemens  ,  à  la  charge  de  bastir  le  lieu 
«  sufiisanl  pour  la  perception  annuelle  des- 
«  dictes  charges.  Mais  ils  n'avoient  voulu 
«  faire  ladicte  prinse,  sans  avoir  l'opinion, 
•«  consentement,  et  pouvoir  desdicts  Doyen, 
«  anciens  Maislres'el  Confraires  dessus  liom- 
«  niez  ;  après  en  avoir  conféré  enseinble- 
«  ment,  et  lu  tout  considéré,  ont  esté  d'advis 
«  et  opinion  (pie  ladicte  prinse  d'icelle  place 
«  serait  commode,  utile  et  profitable  a  ladicte 
«  Confrairie,  aux  charges  dessus  déclarées. 


«  Partant  ,  ont  concordalement  ensemble 
«  donné,  et  par  ces  présentes  donnent  plein 
a  pouvoir  et  puissance  autdicts  a  présent 
«  Maistres  et  Gouverneurs  d'icelle  Confrai- 
«  rie,  de  faire  ladicte  prinse  aux  charges 
«  susdictes,  et  autres  charges,  et  modilica- 
«  (ions,  et  autrement,  parla  meilleure  forme 
«  et  manière  qu'ils  verront  bon  estre  pour 
«  le  bien  d'icelle  Confrairie,  etc. 

«  Fait  et  passé  l'an  mdxlviii,  le  mercredy 
«  seiziesme  jour  de  Juillet.  Ainsy  signé  , 
«  Alart  et  Palanquin.  » 

«  Il  y  avait  déjà  longtemps  que  le  mélange 
de  morale  et  de  bouffonnerie  qui  s'était  in- 
troduit dans  les  pièces  représentées  tant  à 
l'hôpital  de  la  Trinité,  qu'à  l'hôtel  de  Flan- 
dre, avait  scandalisé  les  honnêtes  gens.  La 
religion  ne  put  souffrir  davantage  cette  idée 
de  dévotion,  qu'une  pieuse  simplicité  des 
temps  plus  éloignés  avait  attachée  au  théâ- 
tre; et  encore  moins  cette  profanation  de 
ms  principaux  myslères,  qui  en  faisaient  lo 
plus  souvent  la  matière.  Ainsi,  lorsque  la 
sa'le,  le  IhéAtre,  et  les  autres  édifices  furent 
construits  (tels  qu'on  les  voit  encore  aujour- 
d'hui à  l'hôtel  de  Bourgogne),  et  que  les 
confrères  eurent  présenté  leur  requête  au 
parlement,  pour  obtenir  la  permission  de 
recommencer  leurs  spectacles,  la  Cour,  par 
arrêt  du  17  novembre  154-8 ,  les  maintint  à 
représenter  seuh  des  pièces  sur  ce  nouveau 
théâtre,  avec  défense  à  tous  autres  d'en  re- 
présenter dans  Paris  et  dans  la  banlieue,  au- 
trement que  sous  le  nom,  l'aveu,  et  au  profit 
de  la  confréiie;  mais  par  le  même  arrêt,  i'I 
fut  ordonné  aux  confrères  de  ne  donner  sur 
ce  même  théâtre  que  des  sujets  profanes, 
licites  et  honnêtes,  avec  défense  d'y  repré- 
senter aucun  mystère  de  la  Passion,  ni  au- 
tres mystères  sacrés.  Ainsi  furent  bannies 
les  pièces  du  premier  théâtre  français  ;  tou- 
tes dévotes  dans  leur  origine ,  mais  qui 
avaient  dégénéré  dans  la  suite  en  un  mé- 
lange monstrueux  de  moralités  et  de  bouf- 
fonneries, aussi  désagréable  aux  gens  d'es- 
prit qu'injurieux  à  la  religion. 

«  Celte  défense  du  parlement  obligea  les 
confrères  de  la  Passion,  à  qui  il  ne  convenait 
plus,  par  le  titre  religieux  qu'ils  portaient, 
de  monter  eux-mêmes  sur  le  IhéAtre,  pour 
y  jouer  des  pièces  purement  profanes  ,  à 
louer  leur  hôtel  de  Bourgogne  et  leur  pri- 
vilège à  une  troupe  de  comédiens  qui  se 
forma  pour  lors,  en  se  réservant  néanmoins 
deux  loges  pour  eux  et  pour  leurs  amis, 
qu'on  appela  les  loges  des  maistres.  » 

La  France  entière  appela  les  représenta- 
tions de  la  Passion.  Le  clergé  les  patronait, 
et  y  jouait  les  rôles  périlleux  et  douloureux 
du  crucifiement  ou  de  la  pendaison  deJudas, 
portés  quelquefois  jusqu'à  la  réalité  du 
martyre. 

Al.  0.  Leroy  rappelle  dans  ses  Epoques 
sur  l'histoire  de  France  (Paris,  in-S*,  p. 
382),  le  zèle  du  chapelain  de  Métrange  et 
du  curé  de  Metz,  en  U37,   qui  faillit  leur 


(Î48)  Il  sVnsiiU  île  ceci,  et  tic  ce  qne  dessus,  ilu  S'ijet  de  celle  renie  spécifiée  dc2-2X  livres,  o,u<'  fécu 
d'or  valait  quuraiite-ciiu}  sous. 


613 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


G4i 


coûter  la  vie,  dans  le  rôle  des  deux  princi- 
paux personnages  de  la  Passion. 

Le  célèbre  mystère  fut  joué  en  1451,  à 
Abbeville,  dans  un  emplacement  situé  der- 
rière l'église  Saint-Gilles,  et  que  l'on  dési- 
gnait sous  le  nom  de  Camp  Colart  Perlris. 
(cf.  F.-C.  Louandre  ,  Hist.  d' Abbeville; 
Abbeville,  1834,  in-8%  p.  237-238).  Le  der- 
nier jour  de  l'an  1452,  le  corps  de  ville  ar- 
rêta que  la  somme  de  dix  écus  d'or  (111  iï. 
60  c.  au  moins),  qu'un  certain  Wille  do 
Bonnœuil  avait  payés  à  maître  Raoul  Gréban 
à  Paris,  lui  seraient  remboursés  des  deniers 
de  la  communne,  et  que  ces  jeux,  clos  et 
scellés  par  les  échevins,  seraient  mis  en  un 
colfre  en  l'eschcvinage,  tant  et  jusqu'à  ce 
qu'on  les  jouât.  (Louandre,  ibid,  239,)  En 
note,  l'auteur  ajoute  que  le  manuscrit  de  R. 
Gréban  n'existe  plus  dans  les  archives  de  la 
ville.  En  1453,  l'on  représenta,  sans  parler,  la 
passion  de  Jésus-Christ,  et  la  vie  de  plusieurs 
saints,  en  réjouissance  de  la  conquête  de  la 
Guyenne  et  de  la  mort  de  Talbot.  (Ibid., 
236.) 

En  1451,  les  chanoinesavaient  donné,  pour 
leur  part,  aux  acteurs  de  la  passion  quatre 
livres  seize  sous.  (Tubul.  S.  Wulfr.  AbbaviL, 
p.  9  et  13,  dans  De  Cange,  Gloss.  inf.  etmecl. 
lut.,  \°.Ludus  Christi,  édit.Henschell  ;  Paris, 
Didot,  1845,  in-4%  6  vol..  t.  IV.  p.  157.) 

L'abbé  de  Larue,  dans  ses  Essais  histori- 
ques sur  les  bardes,  les  jongleurs  el  les  trou- 
vères normands  et  anglo-normands  (Caen  , 
Mancel,  1834,  in-8%  3  vol.,  t.  1",  p.  166), 
fait  mention  d'un  mystère  de  la  Passion,  qui, 
en  1474,  aurait  été  représenté  a  Rouen,  dans 
le  couvent  dos  Dominicains. 

Mais  ce  qui  fut  surtout  singulier,  c'est 
l'ardeur  de  l'Ouest,  qui,  non  plus  que  le 
Midi,  sauf  dans  les  régions  étranges  de  la 
Bretagne,  n'a  pas  produit  de  mystères.  A 
Angers,  à  Poitiers,  ce  fut  fureur,  comme  à 
Monlmorillon,  Saint-Espain,  Doué,  Sainl- 
Maixent,  Saumur.  A  Poitiers  et  à  Saumur 
le  théâtre  fut  permanent. 

M.  de  Sainte-Beuve  a  rappelé,  à  propos  du 
mystère  de  la  Passion,  el  du  grand  succès 
de  ces  représentations  à  Saumur,  la  28e  serée 
de  Guillaume  Bouchet.  (Sainte-Beuve,  ta- 
bleau hist.  et  cr.  de  la  poésie  française  et  du 
théal.  fr.  au  xvi"  siècle  ;  —  Paris,  1828,  in-8" 
vol.  t.  1er,  p.  217-234.) 

M.  Louis  Paris  (Toiles  peintes  et  tapisseries 
de  la  ville  de  Reims,  Paris,  1843,  in-4°.  2  vol. 
t.  1",  Préf.,  p.  lvii,  lxi)  donne  des  extraits 
des  mémoires  inédits  de  J.  Foulquart,  qui 
nous  apprennent  qu'au  sacre  de  Charles  Vlll, 
en  1484,  fut  joué  le  mystère  de  la  Passion. 
Les  citations  de  Foulquart  sont  confirmées 
par  une  autre  du  Livre  des  conclusions  du 
conseil  de  Reims,  à  la  même  année  1484.  Un 
chroniqueur duxvie siècle,  Jehan  Passot,  rap- 
porte, sous  ladatede  1530,  une  série  d'autres 
leprésentationsde  la  Passion,  où  «  le  peuple 
accouroit  de  toutes  parts  et  y  veuoit-oi:  bien 
de  trente  lieues  à  la  ronde.  » 

6°. — Les  auteurs  du  drame  sont  inconnus. 
Les  auteurs  de  la  Passion  sont  inconnus. 


Les  frères  Parfait,  dans  le  premier  volume 
de  leur  Histoire  du  théâtre  françois  (Paris, 
1734,  in-12,  p.  66,73),  critiquent  Lacroix  du 
Maine  qui  semble  attribuer  la  Passion  à  Jean 
Michel,  tandis  que  le  mystère  était  joué  de- 
puis 1402,  et  que  tout  prouve  qu'il  est  de 
plusieurs  auteurs.  «  On  commença  par  la 
Passion,  et  ensuite  ou  rétrograda'jusqu'au 
mariage  de  Joachim...  »  Le  but  des  personnes 
qui  s'y  entremirent  comme  auteurs  ou 
comme  acteurs,  était  d'instruire  et  d'édifier 
en  amusant,  et  ce  but  fut  en  grande  partie 
atteint. —  Dans  le  deuxième  volume  de  ce 
même  ouvrage  (1735,  p.  283,  294),  ils  citent 
les  représentations  de  Metz  en  1437,  de  Poi- 
tiers en  juillet  1486,  d'Angers  en  août  de  la 
même  année,  de  Monlmorillon,  Langest, 
Saint-Espain,  Doué,  Saint-Maixent,  Saumur 
dans  la  première  moitié  du  xvie  siècle. 

Onn'adenotions  que  surdeux  des  hommes 
qui  y  mirent  la  main  pour  la  réviser.  Et  en- 
core ces  notions  sonl-elies  des  plus  incer- 
taines. Cependant,  aujourd'hui,  les  Gresbans 
paraissent  antérieurs  à  Jean  Michel. 

L'abbé  Lebeuf,  qui  ne  connaissait  d'édi- 
tion de  la  Passion  que  celle  de  1539,  avec 
les  additions  de  M.  Jeban  Michel,  remarquait 
que  rien  ne  distinguait  ce  qui  était  d'une 
première  main,  pour  lui  inconnue,  d'avec 
ce  qui  était  de  Jean  Michel.  (Remarques  en- 
voyées d'Auxerre  ;  —  Mercure,  de  France  ; 
Paris,  in-12,  1729,  décembre,  p.  2981-2995.) 
Le  savant  abbé  ne  connaissait  donc  que 
Jean  Michel ,  et  il  le  croyait  évêque  d'An=: 
gers. 

«  Ce  n'est  point  un  homme  entièrement 
indifférent ,  dit-il ,  puisqu'on  remarqua  en 
lui  tant  de  piété  et  de  science,  qu'il  fut  fait 
évêque  d'Angers.  11  mourut  en  odeur  de 
sainteté  l'an  1447,  et  le  chapitre  d'Angers 
fit  même  quelques  poursuites  pour  sa  cano- 
nisation. Il  étoit  natif  de  Beauvais.  Ce  seroit 
peut-être  de  sa  plume  que  seroit  sortie  une 
comédie  qui  est  un  dialogue  entre  Dieu  , 
l'homme  et  le  diable,  qu'un  manuscrit  de 
Saint-Victor  de  Paris,  coté  880,  dit  avoir 
été  jouée  l'an  1426,  à  Paris,  au  collège  de 
Navarre.»  (L'abbé  Lebeuf,  Remarques  en- 
voyées d'Auxcrre,  le  6  décembre  H29  ,  Mer- 
cure de  France,  1729,  décembre,  p.  2985.) 

Lacroix  du  Maine  (Bibliothèque  fravçoise, 
p.  248)  ne  connaissait,  de  même  que  Lebeut, 
que  Jean  Michel;  mais  ce  n'était  plus  le  saint 
évoque  mort  en  1447. 

«  Jean  Michel  Angevin,  poète  très-élo- 
quent et  scientifique  docteur.  Il  a  écrit  en 
vers  françois  le  Mystère  de  la  Passion  de 
Notre-Seigneur.  Ce  mystère  fut  joué  en  la 

ville  d'Angers sur  la  fin  du  mois  d'août 

l'an  1486,   auquel  temps  fleurissoit   l'au- 
teur  » 

Les  frères  Parfait  observent,  à  propos  de 
cet  article  ,  que  Lacroix  du  Maine  sembla 
croire  Jean  Michel  l'auteur  même  de  la 
Passion,  qui  n'a  été  que  remaniée  par  lui. 
{Uist.  du  Th.  fr.,  t.  1",  p.  67.) 

M.  Louis  Pans,  de  nos  jours,  a  repris  la 
thèse  de  l'abbé  Lebeuf.  CVst  à  Jean  Michel. 


613  PAS 

évêque  d'Angers',  Qiort  en  1437,  qu'il  allii- 
bue  le  drame  de  la  Passion,  tel  qu'il  fut 
joué  à  Metz,  en  14-37,  à  Reims,  à  Paris,  à 
Angers,  avant  même  la  grande  représenta- 
tion de  1486.  Il  donne  toute  une  longue 
série  de  preuves  à  l'appui  de  cette  alléga- 
tion. Il  est  certain  que  la  Passion  était  jouée 
sur  les  planes  publiques  dès  lu  xm'  siècle, 
et  que,  depuis  lors,  elle  n'a  cessé  d'être 
l'objet  de  remaniements  et  de  refontes.  La 
pins  ancienne  édition  est  celle  de  1486,  con- 
testée, mais  sans  preuve,  par  M.  Brunet , 
comme  édition  princeps.  Celte  édition  con- 
tient la  révision  do  maître  Jehan  Michel, 
très-éloquent  et  scientifique  docteur.  «  La- 
croix du  Maine  dit  que  l'auteur  éloit  Ange- 
vin, et  «qu'il  florissoit  »  à  la  date  de  cette 
impression  ;  mais  il  est  évident  que  cette 
dern  ère  assertion  n'était  pour  le  biographe 

qu'une  all'airc   d'induction »  qu'il    s'est 

édifié  seulement  sur  le  litre  des  diverses 
éditions  publiées  aux  \vc  et  xvr  siècles.  » 
B.  de  La  Monnoie  considère  Jehan  Michel, 
auteur  du  mystère,  comme  l'évêque  d'An- 
gers, que  le  GalUa  christiana  dit  natif  de 
Ueanvais,  secrétaire  de  Louis  II  ,  roi  de 
Sicile  et  duc  d'Anjou,  ensuite  d'Yolande 
d'Aragon,  sa  veuve  ,  chanoine  de  l'église 
d'Aix  ,  de  celle  d'Ang.  rs  en  1428  ,  évêque 
de  cette  ville  en  1435,  el  mort  le  11  sep- 
tembre 1447.  Les  frères  Parfait  arguent 
d'erreur  celte  supposition  ,  sur  ce  que  La- 
croix du  Maine  dit  Angevin  Jean  Michel, 
tandis  que  l'évoque  était  de  Beauvais;  que 
l'on  n'eût  pas  qualifié  de  «  scientifique  doc- 
teur »  un  évêque,  et  que,  en  1436,  le  révi- 
seur de  la  Passion  vivait  encore  ,  toujours 
d'après  l'autorité  de  Lacroix  du  Maine  ;  ils 
veulent,  en  conséquence,  que  Jehan  Michel 
soit  le  médecin  de  Charles  V11I.  Mais  il  est 
évident  que  l'édition  de  i486  est  de  beau- 
coup postérieure  aux  révisions  de  Jehan 
Michel, l'imprimerie,  introduite  à  Paris  seu- 
lement vers  1V70,  n'ayant  dû  s'occuper  d'une 
édition  du  mystère  que  longtemps  après 
son  établissement  ;  ces  révisions  ont  dû 
être  jouées  à  Metz,  a  Rouen,  à  Reims,  à 
Paris,  à  Angers,  même  longtemps  avant 
1486.  On  n'eût  pas  traité  de  très-éloquent  un 
médecin;  ce  litre  convient  mieux  à  un 
évêque.  Le  mystère  de  la  Résurrection 
qu'analysent  les  frères  Parfait  à  la  suite  de 
la  Passion,  est  très-certainement  révisé  par 
Jehan  Michel  ;  celui  qu'ils  examinent  som- 
mairement dans  leur  second  volume  ,  et 
qu'ils  confessent  comme  l'œuvre  de  Jehan 
Michel,  quoique  très-différent  du  premier* 
fut  joué  en  1480.  La  mystère  de  la  Vengeance 
semble  très-sûrement  être  de  la  main  de 
Jehan  Michel,  et  en  tète  de  l'édition  de 
1480,  on  voit  un  évoque  dont  la  lèle  est 
nimbée,  signe  de  sainteté,  qui  se  rapporte 
très-bien  à  l'opinion  qu'avaient  les  Ange- 
vins de  leur  évêque.  Enlin,  preuve  décisive, 
Pierre  Gervaise,  qui  vivait  à  la  tin  du  xv" 
siècle,  dit  dans  une  épitre  : 

Ce  maislre  Jehan  Michel 
Qui  fol  d'A.Mgicrs  evesijuc  ei  patron  ici 


DICTIONNAIRE  DES  UYSTËKCS. 


l'A» 


Ci5" 


Qu'on  le  «lit  s:ii:ici.  h  feil  par  personnages 
Lf  Passion  ci  aulnes  beaux  ouvrages... 

(Louis  Paius.  Toiles  peintes  et  tapisseries 
de  la  ville  de  Reims;  Paris,  1843,  in-4°,  2 
vol.,  t.  I",  Préf.,  p.  xlvii-lvii.) 

Pour  amener  sans  doute  une  conciliation, 
et  tout  en  annonçant  un  grand  travail  sur 
la  question,  M.  Vàllet  de  Viriville  [Biblioth. 
de  l'Ecole  des  Charles,  1842,  cahiers  de  mai 
et  juin)  a  fait,  de  son  autorité  privée,  le 
docteur  Jean  Michel  neveu  de  l'évêque  du 
même  nom. 

M.  Mngnin,  avec  plus  de  modestie  et  de 
prudence,  a  prouvé  par  la  production  des 
deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale de  l'an  1474  qui  portent  le  nom  de 
Gresban,  et  qui  sont  les  [dus  anciens  textes 
connus  jusqu'à  présent,  que  les  Gresban  pré- 
cédaient Jehan  Michel  comme  réviseurs;  en 
effet  le  travail  dé  Jean  Michel  ne  semble  pas 
antérieur  à  i486,  date  de  l'édition  imprimée. 

Sans  se  préoccuper  plusd'Arnoul  Gresban 
que  de  Jean  Michel,  M.  O.  Leroy  attribue 
la  Passion  a  un  homme  du  Nord,  se  fondant 
sur  les  traits  propres  au  Nord  que  l'on 
rencontre  dans  le  texte,  sur  le  grand 
nombre  de  manuscrits  conservés  dans  le 
Nord,  etc.,  etc. 

M,  Villemain  (  Journ.  des  Sav.,  1838, 
avril,  p.  211.)  s'est  rangé  à  l'opinion  de 
M.  O.  Leroy,  en  l'appuyant  de  cette  futile 
observation  que  rien  ne  justifie  :  «  Le  Midi 
et  le  Nord  me  paraissent,  pour  la  poésie, 
bien  supérieurs  aux  provinces  centrales,  » 

8°. —  Les  représentalionsde  la  Passion  n'ont  cessi  qje  par 
arrèl  du  Pailenieut. 

Los  représentations  de  la  Passion  n'ont 
cessé  que  par  un  arrêt  du  parlement.  Cet 
arrêt  était  ainsi  motivé  et  conçu  : 

«  Bu  samedy  17  Novembre  1548,  Veu  par 
la  Cour  la  Requête  à  Elle  présentée  de  la 
part  des  Doyen,  Maîtres  et  Confrères  de  la 
Confrairie  de  la  Passion  el  Résurrection  de 
Nostre  Sauveur  Jésus  -  Christ,  fondée  eu 
l'Eglise  de  la  Trinité,  grande  rué  S.  Denis, 
par  laquelle,  attendu  que  par  tems  immé- 
morial, et  par  privilèges  à  eux  octroyez,  et 
confirmez  par  les  Rois  de  France,  il  leur 
étoit  loisible  faire  jouer  el  représenter  par 
personnages  plusieurs  beaux  Mystères  à 
l'édification  et  joye  du  commun  populaire, 
sans  offense  générale  ou  particulière,  dont 
ils  avoient  ci-devant  joui  lousiours,  ils  re- 
queroient,  d'autant  (pie,  depuis  trois  ans,  la 
Salle  de  la  Passion  avoit  été,  par  l'Ordon- 
nance de  ladite  Cour,  prise ,  occupée,  et 
employée  à  l'hébergement  des  Pauvres,  et 
que  depuis  lesdils  Supplians  avoient  recou- 
vert Salle  pour  y  continuer,  suivant  lesdils 
Privilèges,  la  Représentation  desdicts  My- 
stères, du  profit  desquels  éloit  entretenu 
le  Service  Divin  en  la  Chapelle  de  ladh  le 
Confrairie,  qu'il  leur  fût  permis  faire  jouer 
en  ladicte  Salle  nouvelle,  tout  ainsi  qu'ils 
avoient  accoustumé  faire  en  celle  de  la  Pas- 
sion ;  et  dépenses  fussent  faictes  à  tous 
doresnavan!,  tant  en  ladicte  Ville,  que  Fau- 
bourgs et  Banlieue  de  celle  Ville,  sinon  que 
ce  soit  sous  le  tillre  de  ladiclc-  Confrairie,  el 


647 


IÀS 


DICTIONNAIRE  DF.S  MYSTERES. 


pas 


es 


au  profil  d'icclio 

Et  sur  ce  oùy  le  Procureur  Général  du  Roy 
ce  consentant  :  La  Cour  a  inhibé  etdefï'endu, 
inhibe  et  deiïend  auxdits  Supplions,  de 
jouer  le  Mystère  de  la  Passion  de  Nostre 
Sauveur,  ne  autres  Mystères  sacrez,  sous 
peine  d'amende  arbitraire;  leur  permettant 
néant  m  crin  s  de  pouvoir  jouer  autres  Mystè- 
res profanes,  hounesles,  et  licites,  sans  of- 
fenser ou  injurier  autres  personnes  :  Et 
deiïend  ladicle  Cour  à  tous  autres  de  jouer 
ou  représenter  doiesn.tvant  aucuns  Jeux  ou 
Mystères,  tant  en  la  Ville,  Faubourgs  que 
Banlieue  de  Paris,  sinon  >ous  le  nom  de 
ladicle  Confrairie,  et  au  profit  (ficelle,  etc.  » 

9°. — le  xvui'  siècle  a  méprisé  la  Passion;  opinions  au  xixe 
du  MM.  0.  Leroy,  Louis  Paru,  Uaguin,el  Paulin  Paris. 

Depuis  la  fin  des  représentations  de  la 
Passion,  le  draine  n'a  eu  que  peu  d'historiens 
et  de  critiques.  Au  xvin'  siècle,  les  frères 
Parfait,  à  peu  près  seuls,  s'en  sont  préoc- 
cupés; au  xix',  il  n'a  guère  attiré  l'at- 
tention que  de  MM.  Maguin,  O.  Leroy,  Louis 
et  Paulin  Paris. 

La  Passion,  selon  M.  O.  Leroy,  appai  tient 
au  nord  de  la  France;  c'est  là  que  ses  re- 
présentations ont  eu  le  plus  de  prolonga- 
tion el  de  durée.  C'est  là  qu'on  trouve  le 
plus  de  manuscrits  :  Cambrai,  Valencienne.s, 
ïroyes  en  possèdent.  Dans  ces  texles,  une 
multitude  de  singularités  sont  propres  au 
nord.  Tel  passage  indique  un  sol  inculte, 
uiiu  nature  encore  aride  : 

Ici  r.e  sont  que  racliinettcs 

Heri'.eleiieâ 

Lspineiies 

Des  fuMiillelles, 

Liens  dcsUtiils. 

bous  Lr.mchetles 

Auielelles 

PommeleUes 

Kl  poii elles 

Sonl.  les  fruicl?... 

(Etudes  sur  les  mystères;  Paris,  1837,  in-8") 

Dans  d'autres  on  dislingue  sans  doute  les 

coutumes  flamandes.  «  On  peut  se  croire  en 

Flandre  quand,  aux  noces  de  Caria,  on  entend 

le  maître  dire  aux  convives: 

Si  vous  ave7  peu  à  manger, 
Si  beuvez  bien  à  l'avenant. 

«  Vous  avez  peu  à  manger,  »  est  une  for- 
mule de  modestie  qu'un  aniphytrion  flamand 
ne  manque  jamais  d'employer  quand  Jn 
table  est  couverte  de  mets.  Quelquefois  il 
(fauteur)  cite  le  texte  môme  de  ce  vieux 
dicton  du  pays,  uù  l'invitation  est  formulée 
en  maxime  générale  : 

Quand  à  manger  ii  a  po  (peu) 
Faut  se  revenciier  sur  les  pois. 

«  La  Flandre  a  été,  au  moyen  âge,  un  cen- 
tre littéraire  d'une  grande  activité,  comme 
•■n  témoignent  les  rhétoriques,  les  confréries 
Artistiques  et  les  usages  encore  subsistants 
de  mimes  des  Trois-Rois  ou  de  la  Passion, 
si  nombreux  qu'en  183V  l'évêque  de  Cam- 
brai a  cru  devoir  les  défendre. 

«  A  considérer  le  drame  en  lui-mémo,  «  le 
génie  des  arts  et  des  lettres  dans  toute  sa 
splendeur  n'eut  point  suffi  à  un  pareil  sujet, 


mais  dans  la  représentation  du  grand  mys- 
tère, lel  qu'il  fut  joué  d'abord,  la  foi,  qui 
peut  tout  agrandir,  suppléait  sans  doute  à 
l'insuffisance  de  l'art...  »  (P.  166.)  Supérieure 
à  l'idée  d'Athalie,  à  celle  du  Paradis  Perdu, 
«  la  Passion  est  l'histoire  du  monde,  de  la 
vertu,  des  vices  et  des  misères.  »  [Jbid., 
p.  180.)  Aussi  les  scènes  pieuses,  t  uchai  t  s, 
risibles,  s'y  entremêlent  comme  dans  la  vie 
humaine. 

«  Le  grand  drame  delà  Passion,  dit  encore, 
dans  un  autre  livre,  le  même  auteur,  est 
sorti  des  suprêmes  enseignements  du  chris- 
tianisme, sans  doute,  mais  aussi  des  désas- 
treuses leçons  des  dernières  croisades,  des 
justes  craintes  des  débordements  de  l'isla- 
misme, du  désespoir  universel  des  esprits 
glacés  par  de  tristes  présages,  par  |de  sinis- 
tres apparitions,  par  d'horribles  tempêtes, 
par  une  mortalité  effrayante;  du  désir  de  se 
reporter  sans  cesse,  en  idée  du  moins,  sur 
ces  lieux  tant  de  fois  profanés  depuis  In 
mort  du  Christ;  de  la  haine  de  tous  les  per- 
sécuteurs de  la  religion,  et  enfin  de  la  nais- 
sance d'une  puissance  nouvelle,  indéfinissa- 
ble, qu'on  a  nommée  l'opinion  et  dont  le 
développement  formidable  renversera  le 
trône  en  93.  Les  représentations  de  ce 
mystère  sont  assurément  la  manifestation 
populaire  la  plus  hardie  de  la  liberté  chré- 
tienne. » 

Quel  est  l'auteur  de  la  Passion  ? 

Déjà  M.  0.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur 
les  mystères  (Paris",  1837,  in-8°,  Introd., 
P'  xiv),  était  d'avis  que  le  mystère  de  la 
Passion  était  l'œuvre  de  plusieurs  hommes 
et  même  de  plusieurs  siècles.  Il  citait,  5 
l'appui,  la  scène  de  la  Justice  du  xn'  siècle. 

Dans  ses  Epoques  de  l'Iiistoire  de  France 
(Paris,  18i3,  in-8°),  le  même  auteur  poursuit 
son  hypothèse. 

Aucun  des  auteurs,  selon  lui,  n'c5t  connu. 
La  Passion  n'est  pas  l'ouvrage  d'un  seul 
homme  ,  plusieurs  et  plusieurs  siècles  ont 
élevé  ce  monument.  Avant  lui,  sonl  jetées 
çà  et  là  des  pierres  d'attente,  comme  pour 
le  recevoir;  l'une  d'elles  est  le  drame  de  la 
Justice  d'Etienne  de  Langlon,  archevêque  do 
Cantorbéry.  C'est  ce  jugement  de  Dieu,  pro- 
nonçant le  sacrifice  de  son  propre  Fiis,  que 
continuent  les  Mystères  de  la  Conceplian 
et  de  la  Nativité,  qui  forment,  avec  les  pré- 
cédents débats  des  quatre  personnifications 
divines,  la  Justice,  la  Vérité,  la  Paix  et  la 
Miséricorde,  la  première  partie  du  grand 
mystère,  comme  l'ont  prouvé  les  manuscrits 
de  Valenciennes,  de  Cambrai,  de  l'Arsenal 
et  autres,  qui  ne  portent  pourtant  que  ce 
titre  :  Mystère  de  la  Passion.  La  deuxième 
partie  du  grand  mystîre  contient  en  subs- 
tance le  spectacle  de  l'égalité  humaine,  !<  s 
orgueilleux  seuls  humiliés  et  Dieu  s'abais- 
sant  lui-même,  non  pas  vers  ces  âmes  si 
hautes,  mais  sur  les  petits  et  les  pauvres, 
s'entouranl  de  leurs  maux,  consolant  la 
misère  et  n'admettant  près  de  lui  les  rois 
qu'après  les  bergers.  Dans  la  troisième  par- 
lie  de  celte  œuvre  si  diverse,  ou  seul  toute 
l'influence  de   l'opinion.    Dès  le  début  on 


649  PAS  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  PAS  6S# 

trouve  la  reproduction  frappante  et  prolon-  représentations  de  Reims,  lors  du  sucre  do 
gée  de  tous  les  bruits  répandus  alors  contre  Charles  VIII,  en  1484,  ce  fut  le  texte  révisé 
la    reine   et  le   duc  d'Orléans.    Le  duc   de  de  Jean  Michel  dont  on  se  servit,  de  même 
Bourgogne  se  sert  de  l'émotion  de  ces  pie-  qu'à  Metz,  Rouen,  Paris  et  peut-être  même 
mi  ers   spectacles    piur  captiver,  abuser  la  à  Angers  avant  les  jeux  triomphants  de  148G. 
laveur    populaire.   L'influence  des  ducs  de  (Louis  Paris.  Toiles  peintes  et  tapisseries  de 
Bourgogne  sur  les  confrères  de  l'a    Passion  la  ville  de  Reims,  ou  la  Mise  en  scène  du  théd- 
lut  considérable.  Ces  confrères  étaient  très-  tre  des  confrères  delà  Passion;  Paris,  18W, 
probablement,  selon  l'expression  de  Boileau,  in-4°,  2  vol.,  T.  Pr,  Préf.  p.  xlvii-lxi.) 
dos  pèlerins.  C'étaient  au  moins  des  hommes         M.  Magnin  s'est  arrêté  à  l'examen   de  la 
de  divers  états,  venus  du  nord  de  la  France,  Passion  dans  un  article  sur  le  Théâtre  Fran- 
car  ces  manuscrits  de    leur  drame,  si  rares  cais  au  moyen  âge  de  MM.  Monmerqué  et 
aiMeurs,  y  sont  singulièrement  communs;  Fr.  Michel,  publié   dans  le  cahier  dejuin 
les  lieux  de    leurs  représentations   à  Paris  1846  du  Journal  des  savants,  p.  9-13.  Parmi 
portent  les  noms  d'Hôtels  de  Flandre,  d'Ar-  les  productions  de  la  prolixe  époque  com- 
tois, de  Bourgogne;   les   noms  des  acteurs  prise  entre  l'établissement  des  confrères  de 
appartiennent  tous  aux  provinces  du  Nord  ;  la  Passion  à  l'hôpital  de  la  Trinité   en   1402 
et  s;  la  bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne  et  la  suppression,  par  arrêt  du  parlement, 
ne  contient  pas  un   seul    exemplaire   delà  detoutesles  pièces  tiréesdel'Ecrituresainte, 
Passion,  c'est  probablement  par  suite  de  la  en  1548,  il  y  a  une  de  ces  œuvres  colossa- 
réaction  de  Philippe  le  Bon  contre  les  vio-  les,  dont  les  développements  n'exigent  pas 
lences  de  Jean-sans-Peur  que  remémorait  moins  quelquefois  de  30  à  40  journées  et 
le  drame,  et  dont    on   aura  voulu  anéantir  de  60  à  80,000  vers,  qui  reste  encore  comme 
les  dernières  traces.  Celle  troisième  partie  inédite,  et  dont  il  faudrait  donner  un  texte 
fut  représentée,  sans  doute,  dans   le  temps  critique  intégral  où  l'on  se  rapprocherait  le 
que  la  reine  et    le  duc  d  Orléans  étaient  à  plus  possible  de  la  rédaction  primitive  des 
Mélun.  «Qu'on  juge  de  l'effet  que  devaient  confrères:  c'est  celle  de   la   Passion.   Cet  « 
produire  sur  le  peuple  de  Paris  les  mur-  fameuse  Passion  qui,  depuis  1398  et  1402 
mures  du  peuple  juif,  lorsqu'il  se  plaint  que  jusqu'à  la  fin  du  siècle,  a  produit  tant  d'en- 
le désordre  règne  partout, dans  l'Etat,  comme  thousiasme,  n'est  pas  perdue,  malgré  lelé- 
à  la  cour;  quand  il   s'élève   contre  Hérode  moignage  du  P.  Niceron.  On  peut,  sinon  re- 
qui  vient  d'abandonner  sa  femme  pour  vivre  monter  au  texte  primitif,  du  moins  en    ap- 
avec  la    reine   Hérodiade,    épouse   de   son  procher.  Deux  manuscrits  de  la    Bibliothè- 
frère'.Quel  remède  apporter  aux  maux  dont  que  Impériale,  7206  et  7206»  contiennent 
chacun  souffre?  et  qui  osera  faire  parvenir  ce  texte  révisé  par  Arnoul  de  Gresban  ;l'une 
jusqu'aux  oreilles  du  faible  prince  la  vérité,  de  ces  copies  est  de  1472  et  semble  anlé- 
qu'une  femme  perfide  en  écarte?  qui?  Jean;  rieure  au  texte   de    Jean    Michel,  d'autant 
Jean,  l'énergique  écho  de  Jacques  Legrand...  que  l'édition  d'Arnoul  contient  un  prologue 
sorti   du   désert...  »   (P.  231.)  Il  n'épargne  de  la  Création,  le  mystère  de  la  Conception 
personne,  ni  le  peuple,   ni  le  régent,  apos-  et  Nativité,  celui  de  la  Passion  et  celui   do 
trophant  de  bas  en  haut,  et  imposant  à  Hé-  la  Résurrection.  On  ne  trouve  plus  au  con- 
rode,  ou   plutôt   au   duc  d'Orléans,  précisé-  traire  que  la  Création  et  la  Passion  dans  le 
ment  ce  que  les  hommes  sages  attendaient  remaniement  de  Jean  Michel.  Malgré  lesuc- 
de  lui.  Le  duc  d'Orléans  périt  enfin,  assas-  ces  obtenu  par  celte  dernière  édition  abré- 
siné  par  le  parti  bourguignon;  et  sa  mémoire  gée,  on  revint  de  temps  à  autre  au  travail 
est  poursuivie    par   la   calomnie;  !e   grand  de   Gresban,  comme    l'indique    le  manus- 
éclat  de   la  passion  orléanaise  tombe  enfin  crit  de  la  Bibliothèque  Impériale,  N°  7206, 
dans  les  afféteries  de  la  coquetterie  de  Ma-  qui  date  de  1507  à  l'édition  de  Paris  de  la 
deleine.  C'est  par  ces  puérilités  qu'est  clos  même  année,  où  le  texte,  remanié  de   nou- 
.'e  Mystère  de  la  Passion;  et  «ce  grand  ou-  veau    et  fort    altéré,    est    néanmoins  plus 
vrage  qui  offrait  d'abord  sans  doute,  à  défaut  complet  que  celui  de  Jean  Michel   et  suit 
d'autres  unités,  l'unité  catholique,  l'intérêt  évidemment  de  plus  près  le  dessein  même 
tout  religieux...  après  avoir  été  l'expression  de  ce  grand  drame.  Ce  n'est  plus,  en  effet, 
d'une  foi  naive,..  va  s'allérant  peu  à  peu...  comme  les  mystères  antérieurs,   une  suite 
jusqu'au  protestantisme...  »  (Ibid.,  Introd.,  d'une  fête, c'est  une  représentation  originale, 
p.  20.)  isolée,  de  longue  durée,  comme  les  mystè- 
M.  Louis  Paris  rappelle  que  dès  le  xm*  res  analogues  des  Actes  des  Apôtres  des  frè- 
siècle  on  jouait  déjà  le  mystère  de  la  Passion,  res  Arnoul  et    Simon   de   Gresban,  ou    du 
En   1402  le    répertoire   des   confrères  de  la  Vieux  Testament,  et  il  en  résulte  une  révo- 
Pastion  se  composait  déjà  de  plusieurs  beaux  lution  qui  est  l'établissemeut  d'un    théâtre 
mystères,  et  la  Passion  avait  été  retouchée  permanent.  Outre  les  deux   manuscrits  si- 
plusieurs  fois,  entièrement  refondue.  L'édi-  gnalés   plus  haut,  à   l'édition  de  1507,  que 
tion  de  1486,  révisée   par  Jean  Michel,  est  les  frères  Parfait  ont  eu    le  tort  d'attribuer 
certainement  antérieure  à  celte  époque,  car  tout  entière  à  Jean  Michel,  tandis   que  le 
Jean  Michel   ne  peut  être  autre  que  l'évô-  milieu  seul  lui   appartient,  d'autres  textes 
que  d'Angers  qui'mourut  en  1447;  on  a.  at-  que  fourniraient  Paris,  Troyes,  Valencien- 
Uïbué,  à  tort,  au  médecin  de  Charles  VIII  nés  ,  serviraient    à   éclaircir  et  compléter 
une  œuvre  qui  lui  est  bien  antérieure.  En-  celui  de  1472.  (rass.  N°  7206*),  qui  reste  le 
fin  il  est  très-probable  que  dans  les  grandes  meilleur  connu, 

Piciio.NN.  des  Mystères.  21 


651 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


652 


M.  Paulin  Paris,  dans  ses  Manuscrits  fran- 
çais de  la  Bibliothèque  du  Roi  (t.  VI,  1845), 
a  dit,  à  propos  des  deux  manuscrits  les  plus 
anciens  connus  de  la  Passion,  donl  il  donne 
la  description  en  ces  termes  : 

(Msc-.)  N«7206.  N°7206'. 

824.  Le  MYSTÈRE  DE  LA  PAS-  825.  Le  mystère  de  la 

SION  PAR  PERSONNAGES,  PASSION  PAR  PERS0NN A- 

tN  VERS  ,  PAR  ARNOLL  GES ,  EN  VERS,  PAR  AR- 

GRESDAN.  NOLL  GRESEAN. 

"Volume  in-f°  ,  média-  Volume  in-f*  médio- 
cre vélin,  de  277  feuillets  cre,  papier  marqué  à 
à  deux  colonnes:  minia-  l'encre,  terminé  par  une 
lures,  initiales  et  rubri-  pointe,  de  23b*  feuillets; 
ques;  premières  années  une  miniature,  deux  ini- 
dii  xvi«  siècle.  Relié  au-  liales  ,  quelques  rubri- 
treroisenveaufauve.au-  ques;  xv«  siècle.  Relié 
jourd'hui  en  veau  racine,  en  veau  racine,  au  cbiffre 
au  cbiffre  de  Cbarles  X  de  Louis  XVlil  sur  le  dos. 
sur  le  dos. 

<  Ane.  bibliothèque  de 
Gaston  ,  duc  d'Orléans  , 
n°  i  4.  Sainte  Palaïe,  not. 
560. 

Très-bonne    écriture.  Ce  volume  porte,  dp.s 

Les  miniatures,  qui  n'ont  les    deux    grandes    ini- 

qu'un  ou  deux  pouces  de  liales  des    feuillets  1  et 

hauteur,    donnent      une  4,  les  armes  de  celui  pour 

idée  delà  ligure  et  du cos-  lequel  il  fut  fait  :  (d'ar- 

tume  qui  conviennent  à  gent  au  lion  de  gueules, 

chaque   personnage.    La  accompagné  d'un  lambel 

première,  placée  au  bas  d'azur  à  trois  pendants, 

<le    la  première  colonne  parti  de   Savoie).  L'écu, 

du  f»  1 ,  représente  l'au-  dans  la  seconde  initiale, 

leur  à  son  pupitre.  11  est  est    supporté    par    deux 

couvert    d'une     tunique  ours.  —  Il  doit  rappeler 

blanche,  et  son  chapeau  lenomdeLouisdeLuxem- 

est  retenu  sur  ses  épau-  bourg,  comte  de  Saint* 

les,  ce    qui   semble  ex-  Paul  et  de  Ligny,  qui  eut 

dure  l'idée  d'un  homme  la  tète  tranchée,  à  Paris, 

d'église.  le  19  décembre  1475. 11 

A  la  fin    du    mystère  avait   eu    pour    seconde 

est  la  rubrique  suivante  :  femme  Marie  de  Savoie, 

El  sic   esl   finis   mislerii  cinquième  liile  de  Louis, 

Passionis,  Resurvectiouis,  duc  de  Savoie,  qu'il  avait 

Ascensionis,  el  etiammis-  épousée  en  1466  ,  et  qui 

sionis  Spiriius  sanctiSal-  mourut     également     eu 

valons  Domini  nosiriJhu  1475.    Il   y  a  cependant 

Chtisli.  Scripta  anno  Do~  une  difficulté  dans  cette 

mini    M"    guinquagesimo  attribution  :   la    branche 

seplimo,  die  sepiimo  Ja-  des  comtes  de  Saint-Paul 

nuarii;  (avenu  Altissimo,  venait    directement    des 

qui  est  trinus  el  umis  in  comtes  de  Ligny,  qui  por- 

sœcula     sœcttloium.     A-  taient  m\   lambel  d'azur 

men  .  sup  le  lion   de   Luxem- 

Sur  le  recto  de  la  der-  bourg;   mais    elle  avait 

•nière  garde  :  le  présent  quitté  ce  lambel,  et  je  ne 

livre  appartient  à  madame  m'explique  pas  comment 

la  princesse  de  Rocliesur-  on    le    retrouve    encore 

yon.  'ci. 

Et  sur  le  verso  de  la 
même  garde  .•  Marie  de 
Malingre,  faine  de  noble 
homme  Hector  de 
a  feest  feres  sete  Pas- 
éion. 

La     princesse    de    la  Le  second  propriétaire 

Roche -sur -Yon     était  fut    Philippe    de   Clèves, 

Louise  de  Rourbon,  fille  dont    la    signature     est 

<ie  Gilbert  de  Rourhon,  au  lias  de  l'a  vaut-dernier 

comte  de   Monlpcnsier ,  feuillet.     Immédiatement 

mort  en  1496.  Elle  avait  après,  le  copiste  Jacques 

(2*9)  M.  Yallet  de  Yirivi'le  dans  sa  Notice,    fort 
remarquable  d'un  mystère  var  versonnuges...  a  cité 


Hic hc  a  ajoute  sur  1» 
feuille  blanche  qui  suit  : 
Faict ,  escripl  el  accoui- 
ply  par  moy,  Jacques  Ri- 
che. Febre  indique  le 
lundi  xxn'jourde  février, 
l'an  mil  quatre  cent 
soixante  el  douze 


épousé  d'abord,  en  149-2, 
André  de  Chauvigny,  sei- 
gneur de  Château-Roux, 
et  en  secondes  noces 
Louis  de  Bourbon,  fils  de 
Jean,  comte  de  Vendôme 
el  prince  de  la  Koche- 
sur-Yon.  Ce  deuxième 
époux  mouriil  vers  1520, 
el  elle  lui  survécut  jus- 
qu'au 5  juillet  1561.  (Cf. 
Larbe,  Tableau  généalo- 
gique de  la  maison  de 
Bourbon;  Paris,  1652, 
p.  286  cl  501.) 


«  Contre  notre  habitude,  nous  réunirons 
la  notice  de  ces  deux  manuscrits,  parce  quo 
le  second  fournit  plusieurs  renseignements 
que  nous  demanderions  en  vain  au  premier. 
Ils  contiennent   le   même  ouvrage:  seule- 
ment le  premier,  que  nous  désignerons  par 
la    lettre   A,   est  aecompagné  de  rubriques 
nombreuses  qui  souvent  complètent  l'indi- 
cation   de  la   mise    en  scène  déjà  donnée 
par  les  miniatures.  Le  second,  B,  répare  ce 
désavantage  par  la  précieuse  rubrique  du 
commencement  :  «  Ce  présent  livre  contient 
«  le  commencement  et  la  création  du  monde 
«  en  brief  par  personnages;  la  nativité,  la 
«  passionetla  résurrectiondenoslreSauveur 
«  Jésus-Christ  traitées  bien  au  long  selon  les 
«  sainctes  évangiles.  Et  devez  savoir  que 
«  maislre  Arnoul  Gresban,  notable  bache- 
«  lier  en  théologie,  lequel  composa  ce  pré- 
ce  sent  livre,  à  la  requeste  d'aucuns  de  Pa- 
«  ris,  (ist  cesle  création  abrégée,  seulement 
«  pour  monstrer  la  différence  du  péché  du 
«  déable  et  de  l'omme;  et  pourquoi  le  péché 
«  de  l'omme  a  été  réparé  et  non  pas  celluy 
«  du  déable  (2r4.9).  Et  pourtantqui  vouldroit 
«  jouer  le  présent  livre  par   personnages, 
«  il  fauldroit  prendre  et  comtnancer  à  ce 
«  prologue  qui  s'ensuit;  et,  ce  fait,   delais- 
«  sier  la  dicte  création  abrégée  et  coinman- 
«  cer  à  Adam  estant  en  limbe  qui  dit  ainsi: 
«  0  souveraine  Majesté.   En   ce  point  l'ont 
«  fait  ceulx  de  Paris  qui  ont  jà  par  trois  fois 
«  joué  cette  présente  passion.  » 

«  Cet  avertissement  et  la  date  du  manus- 
crit B  nous  permettent  d'affirmer  : 

«  1°  Que  le  récit  de  la  Création,  par  lequel 
commence  la  transcription,  ne  fut  pas  des- 
tiné à  être  joué  par  personnages,  l'auteur 
l'ayant  fait  en  manière  d'avani-propos,  pour 
y  récapituler  les  causes  premières  de  la 
Rédemption. 

«  2°  Que  pendant  longtemps  on  donna  le 
nom  général  de  mystère  de  la  Passion  à  un 
drame  comprenant  quatre  journées.  La  pre- 
mière journée  renfermait  la  naissance  du 
Sauveur  et  son  histoire,  jusqu'au  moment 
où  la  sainte  Yrierge  le  retrouve  dans  le 
Temple  enseignant  les  docteurs.  La  seconde 
journée  était  remplie  par  sa  prédication  et 
par  les  circonstances  de  sa  tradition  aux 
Juifs  dans  le  jardin  des  Olives.  La  troisième 

jusque-là  cette  rubrique.  {Bibl.  de  l'école  desCharies, 
t.  Ul,p.  153.) 


653 


PAS 


DlCilOSNAlKE  DES  MYSTERES. 


PAS 


fi ',4 


racontait  sa  passion  et  sa  mort  ;  la  quatrième 
sa  résurrection. 

«  3°  Que  le  mystère  de  la  Passion,  ainsi  dis- 
tribué, avait  été  déjà  joué  trois  fois  à_Paris, 
au  commencement  de  l'année  H73. 

«  kn  Que  l'auleurde  la  composition,  ou  du 
moins  de  cet  arrangement,  était  un  bache- 
lier en  théologie  nommé  Arnoul  Gresban. 

«  Voilà  (ie  nouveaux  points  acquis  à  l'his- 
toire du  Mystère  de  la  Passion,  et,  comme 
on  va  voir,  ils  ne  sont  pas  étrangers  à  la  vraie 
connaissance  des  origines  de  notre  Théâtre. 

«  C'est  depuis  quelques  années  seule- 
ment qu'on  a  senti  l'importance  des  anciens 
manuscrits  qui  contenaient  le  Mystère  delà 
Passion.  Les  frères  Partait  n'avaient,  de 
leur  aveu,  consulté  que  les  éditions  impri- 
mées dans  les  dernières  années  du  xve  siè- 
cle (250),  et  ces  éditions  diffèrent  du  texte 
de  nos  manuscrits  parune  foule  d'additions 
<>t  omissions  graves.  Et  puis  la  distribution 
n'en  est  plus  la  même.  Notre  première  jour- 
née forme,  dans  ces  imprimés,  un  mystère 
à  part  (251),  celui  de  «  la  conception,  nati- 
«  vite,  mariage  et  annonciation  de  la  benoite 
«  vierge  Marie  avec  la  nativité  de  Jésus-Christ 
«  et  son  enfance.  » 

«  Notre  seconde  journée  y  devient  les  trois 
premières  du  Mystère  de  la  Passion  de  Noslre- 
Seigneur  Jésus-Christ. .joué  moult  triompham- 
ment  à  Angers  l'an  i486  (252). 

«  Notre  troisième  journée  répond  à  la 
quatrième  du  précédent  mystère  imprimé, 
et  notre  quatrième  a  fourni  la  matière  d'un 
autre  drame  imprimé  séparément  sous  le 
ti  tre  de  Mystère  de  la  résurrection  et  ascension 
de  Nostre-Scigneur  (253). 

«  Ainsi  de  ces  trois  mystères  taillés  dans 
l'étoffe  de  notre  grand  mystère  de  la  Passion, 
le  second  a  seul  conservé  ce  titre  primitif. 
Les  critiques  et  les  bibliographes  ont  cru, 
sur  la  foi  de  plusieurs  éditions,  pouvoir 
attribuer  à  Jean  Michel,  docteur  très-élo- 
quent et  scientifique,  la  composition  du 
troisième  mystère  et  la  révision  des  deux 
autres.  M.Onésime  Leroy,  dans  ses  précieu- 
ses Etudes  sur  les  inysteres,  et  mon  frère 
Louis  Paris,  dans  son  grand  ouvrage  sur 
les  Toiles  peintes  et  tapisseries  de  Reims,  ont 
fortifié  celte  opinion.  Mais  d'abord,  quel 
était  ce  Jean  Michel,  à  quelle  époque  vivait- 
il  ?  Louis  Paris  et  après  lui  M.  Paul  Lacroix, 
ce  savant  et  ingénieux  bibliophile,  ont  sou- 
tenu contre  les  frères  Partait  et  contre  Ni- 
ceron,  que  c'était  l'évoque  d'Angers,  sacré 
en  1438,  et  mort  vers  14V7  en  odeur  de  sain- 
teté. L'argumentation  de  mon  frère  est  vi- 
goureuse. Les  champions  de  Jean  Michel, 
secrétaire  et  premier  médecin  de  Charles 
Vlll,  s'appuyaient  sur  l'autorité  de  Lacroix 
du  Maine,  qu i  écrivait  en  158k:  Louis  Paris 
répond  par  celle  de  Pierre  Gervaise,  lequel, 
dans    une   épitre  adressée    à  son  ami  Jean 

(250)  Niceron  va  même  plus  loin  :  «  Comme  on 
n'a,  dit-il.  aucun  manuscrit  ni  aucune  édition  qui 
précède  les  changements  de  Jean  Michel,  on  no  peut 
savoir  eu  quoi  ils  consistent.  »  (T.  XXXVII,  p.  598.) 

(251)  Paris,  sans  date,  ou  1532  cl  1539,  à  l'c\- 


Uouchet,  mort  vers  1555,  dit  de  Jean  Michel, 

évoque  d'Angers,  qu'il  fit 

Par  personnages 

La  Passion  et  autres  beaux  ouvrages. 

«  On  objectait  que  si  le  saint  prélat  avait 
été  l'auteur  du  mystère,  les  éditeurs  n'au- 
raient pas  manqué  de  le  saluer  de  ce  titre 
d'évêque  d'Angers ,  au  lieu  de  l'appeler 
simplement  très-éloquent  et  scientifique 
docteur;  Louis  Paris  répond  que  Michel 
avait  pu  fort  bien  écrire  avant  d'être  élevé  à 
l'épiscopat,  et  que  le  litre  de  très-éloquent 
convenait  mieux  en  tout  cas  à  l'homme  d'é- 
glise qu'au  suppôt  d'Hippocrate.  Certes,  en 
l'absence  des  manuscrits  que  mon  frère 
n'avait  pas  eu  le  pouvoir  de  consulter,  il 
était  impossible  de  raisonner  d'une  façon 
plus  irréprochable  et  plus  persuasive.  Com- 
bien il  m'en  coûte  aujourd'hui  de  proposer 
une  solution  différente!  Je  vais  dire  mes 
raisons,  et  je  ne  demande  pas  mieux  en  vé- 
rité que  de  perdre  ma  cause. 

«  Ici  l'argument  capital  est  le  vers  de  cet. 
ami  de  Jean  Bouchet.  Mais  à  la  rigueur, 
maître  Gervaise  ne  pourrait-il  pas  s'êtn» 
trompé?  S'il  jugeait  vers  1530  que  l'évêque 
d'Angers  était  l'auteur  du  mystère,  c'était 
sur  la  foi  des  éditions  imprimées  ;  mais  ou 
celles-ci  gardent  un  parfait  silence,  ou  bien 
elles  se  contentent  de  signaler  les  additions 
et  corrections  de  maître  Jean  Michel.  Et  si 
Michel,  évoque  ou  médecin,  n'a  fait  que  des 
corrections  et  additions  adoptées  pour  la 
première  fois  à  la  représentation  d'Angers 
en  1486,  il  n'est  pas  l'auteur  du  mystère,  il 
doit  céder  la  place  à  notre  Arnoul  Gresban. 
—  L'évêque  en  est-il  l'auteur  ?  Comment 
tous  les  écrivains  qui  parlent  assez  longue- 
ment de  sa  vie,  de  sa  piété,  de  ses  bonnes 
œuvres,  ne  disent-ils  pas  un  mot  de  son 
admirable  ouvrage?  Comment  les  impri- 
meurs, dans  le  temps  même  où  son  homo- 
nyme, secrétaire  et  premier  médecin  du  roi, 
jouissait  de  la  plus  haute  considération, 
n'ont-ils  pas  averti  que  le  réviseur  dontiLs 
adoptaient  les  corrections  n'existait  plus, 
et  jadis  avait  été  évoque  d'Angers?  Comment. 
Jean  le  Maire,  Geotfroi  Thory,  Marot,  La- 
croix du  Maine  et  Pasquier  ne  prononcenl- 
ils  pas  même  son  nom?  Comment  prodi- 
guent-ils leurs  louanges  aux  deux  frères 
Gresban  et  surtout  à  notre  Arnoul,  qu'au- 
cun autre  grand  ouvrage  ne  recommande- 
rait. —  Si  l'évêque  Michel  en  est  l'auteur, 
lui  mort  en  1448,  comment  en  1472  les  Pa- 
risiens demandent-ils  cf Arnoul  Gresban  un 
mystère  de  la  Passion?  Et  comment  entin 
le  plagiaire  de  Gresban,  en  livrant  la  plus 
belle  partie  des  vers  de  Jean  Michel,  pou- 
vait-il espérer  de  leur  faire  accroire  que 
l'œuvre  entière  était  sienne. 

«  Voilà  des  arguments  plus  nombreux  et 
plus  décisifs  que  le  distique  de  Pierre  Ger- 

ception  de  l'édition  de  1507,  que  l'on  n'a  pas  remar- 
quée, et  qui  reproduit  la  distribution  d'Arnoul  Grès* 
ban.  Elle  est  extrêmement  rare. 

(-252)  Paris,  149(1-1512,  1532,  etc.,  etc. 

("253j  P;(ris,  sans  date,  et  1541, 


CS5 


PAS 


DîCTIOXN'AIRE  DES  MTSTEIAE3. 


PAS 


CSG 


vaise;  cependant  ils  tirent  leur  principale 
force  de  l'examen  et  de  la  comparaison  des 
textes  de  Gresban  et  de  Michel.  De  deux 
choses  l'une  :  ou  le  premier  auteur  du 
mystère  n'est  pas  l'évêque  d'Angers,  ou 
nous  avons  perdu  les  copies  de  son  ou- 
vrage. On  ne  gardera  plus  sur  ce  point  le 
.moindre  doute  après  avoir  vu  les  manus- 
crits. Mais  il  est  aisé  d'admettre  avec  tous 
tes  biographes  que  Jean  Michel  II,  natif 
d'Angers,  se  trouvait  dans  celte  ville  en 
1486,  quand  on  voulut  y  monter  \e  Mystère 
de  la  Passion;  qu'il  revit  alors  l'ancien  texte, 
le  coupa,  allongea  et  modifia  dans  une  foulo 
d'endroits;  que  son  travail  fut  générale- 
ment approuvé;  qu'on  l'adopta  môme  à  Pa- 
ris, où  bientôt  après  commencèrent  les  re- 
présentations du  vieux  drame,  et  que  ce 
fut  avec  toutes  ces  nouvelles  additions  et 
corrections  que  le  mystère  fut  imprimé. 
Le  scientifique  arrangeur  était  d'ailleurs  un 
homme  de  mérite.  André  de  la  Vigne  a  cru 
devoir  parler  de  sa  mort  dans  VHistoire  de 
la  conquête  de  Naples  :  «  Le  22  août  1495, 
«  mourut  à  Quiers  maistre  Jehan  Michel,  pre- 
«  miermédecindu  roy,très-excellentdocteur 


représentations  ue  l'histoire  du  Sauveur, 
chargèrent  Arnoul  Gresban  d'en  composer 
le  livret,  de  l'écrire  et  de  le  mettre  en  état 
d'ôlre  joué.  Gresban  lit  alors  le  chef-d'œu- 
vre de  notre  ancien  théâtre  religieux.  Son 
ouvrage  eut  un  grand  succès,  puisqu'on  le 
transcrivait  encore en  1507,  et  puisqu'on  en 
faisait  à  cette  époque  une  édition  assez 
correcte.  Mais  en  le  composant,  le  désir 
d'enchaîner  tous  les  événements  l'avait 
parfois  aveuglé  sur  l'inconvénient  des  lon- 
gueurs. Par  exemple,  le  tableau  de  l'enfance 
de  Jésus-Christ  rompait  l'uni  lié  d'intérêt, 
et  quand  on  voulut  le  jouer  d'une  manière 
triomphante  en  1486  dans  la  ville  d'Angers, 
on  sentit  ie  besoin  d'y  faire  des  additions 
et  des  suppressions  notables.  Cette  repré- 
sentation d'Angers  eut  dans  toute  la  France 
un  grand  retentissement;  les  Parisiens  vou- 
lurent larenouveler  ;  ils  acceptèrent  les  chan- 
gements que  Jean  Michel  avait  faits  à 
l'œuvre  de  leur  Arnoul  Gresban,  et  le  mys- 
tère fut  rejoué  chez  eux  tel  qu'il  l'avait  clé 
à  Angers  quelques  années  auparavant;  alors 
les  éditions  s'en  multiplièrent,  et  dans  les 
litres  on  eut  grand  soin  de  rappeler  la  con- 


en  médecine, duquelleroy  fustforl  marry.»      formitédu  lexleavec  la  représentation  d'An- 
«  Quoiqu'il  en  soit,  le  drame  de  la  Passion     gers  et  les  additions  et  corrections  de  maî- 


du  Sauveur  remontait  aux  premiers  jours 
du  théâtre  moderne.  Cette  sublime  légende 
réunissait  toutes  les  qualités-,  car  elle  était 
vraie,  édifiante  et  susceptible  de  tous  les 
etforts  de  mise  en  scène....  » 

M.  Paulin  Paris  indique  parmi  les  épi- 
sodes précurseurs  de  la  Passion,  le  Lazare 
d'Hilaire,  les  drames  du  manuscrit  de  saint 
Martial  de  Limoges,  le  drame  de  la  Résur- 
rection du  xir  siècle  et  le  Jeu  du  Christ 
mentionné  par  Muratori. 

La  Passion  est  représentée  d'abord  par 
•les  bourgeois,  associés  des  Puys  et  des  Pa- 
linods;  il  se  forme  ensuite  des  troupes 
d'acteurs  pour  la  jouer,  tels  que  les  fameux 
confrères  de  la  Passion,  qui  de  Paris  se  ré- 
pandirent dans  la  province. 

C'est  alors  que,  «  dans  chaque  ville,  dit 
M.  Paulin  Paris,  le  récit  de  la  Passion  dut 
subir  des  modifications  nombreuses  en  rai- 
son du  temps,  de  la  place  et  des  acteurs 
dont  on  pouvait  disposer.  Telle  partie  fut 
abrégée,  telle  autre  développée;  on  ajouta 
cet  tains  épisodes,  on  supprima  jusqu'à  des 
journées  entières,  ou  d'une  seule  journée 
on  en  fit  deux,  trois  et  même  quatre...  » 

Ces  conjectures  si  heureuses  expliquent 
!e  grand  nombre  des  textes  tous  légèrement 
différents  de  la  Passion  que  l'on  trouve  çà 
et  là.  M.  baron  Taylor  en  a  acquis  un  exem- 
plaire, dans  la  vente  de  la  bibliothèque  de 
M.  de  Soleines,  que  l'on  dit  des  premières 
initiées  du  xve  siècle.  Troyes  en  possède  un 
autre  des  dernières  années  du  même  siècle  ; 
Valenciennes  un  troisième  du  xvie  siècle. 
«  Reste  noire  leçon 7206,»  dit  M.  Paulin  Paris, 
«  achevée cerlainementleââfévrier  1473.  » 

«  Quel  qu'ait  été  le  livret  des  confrères 
de  la  Passion  en  1400,  »  conclut  Ip  sa gâte 
critique,  «  il  est  certain  que  vers  1472  les 
Pirisiens,  ayant  voulu  jouir  de  nouvelles 


tre  Jean  Michel. 

«  Dans  ce  remaniement  de  Jean  Michel, 
legrand  travail  d'Arnoul  Gresban  est,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  divisé  en  trois  ou- 
vrages distincts,  et  le  second  des  ouvrages» 
coupé  lui-même  en  trois  journées,  a  été 
fortifié  d'une  foule  de  nouveaux  épisodes...» 

111. 

AMUSES   B£   LA    PaSSIOK. 

Une  analyse  définitive  du  grand  mystère 
de  la  Passion  était  impossible.  Entre  1398 
et  1474,  il  y  a  soixante-seize  ans,  trois 
quarts  de  siècle,  que  l'on  doit  désespérer 
de  dévoiler.  La  découverte  d'un  manuscrit 
antérieur  à  celui  de  1474,  ou  d'une  édition 
antérieure  à  celle  de  1486,  (détruirait  tout 
travail  tenté  aujourd'hui. 

Pour  donner  une  idée  de  ce  drame,  nous 
n'avons  trouvé  de  moyen  que  d'en  fournir 
trois  analyses  qui  se  complètent  sans  se 
répéter  : 

La  première  est  celle  donnée  par  M.  Pau- 
lin Paris  du  manuscrit  de  l'an  1474,  œuvro 
des  Gresban. 

La  seconde  est  celle  qu'a  publiée  M.  0.  Le- 
roy, d'après  le  manuscrit  au  Valenciennes, 
datant  seulement  du  xvr  siècle,  mais  re- 
produisant évidemment  un  texte  du  xvc. 

La  troisième  est  empruntée  aux  frères 
Parfait,  partie  d'après  Jean  Michel,  et  partie 
d'après  l'éditiou  de  1507,  qui  reproduit  Je 
remaniement  des  Gresban. 

Nous  l'avons  préférée  au  travail  de  M. 
Louis  Paris,  d'après  Jean  Michel  et  l'édition 
de  1486,  son  analyse  n'occupant  pas  moins 
de  584  pages  in-4°.Outre.le  défaut  de  son  ex- 
trême Jongueur,  elle  a  celui  bien  plus 
grave  de  ne  donner  qu'un  texte  altéré  et 
inférieur  à  d'autres  que,  malheureusement 
pour  M.  Louis  Paris,  son  frère  même  a  décou- 


657 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MTSTEBE*. 


TAS 


65« 


ogue 


verts  etn'a  pas  cru  devoir  celer  à  la  science 
(Cf.  Toiles  peintes  et  tapisseries  de  la  ville  de 

Beim«;  Paris,  1848,in-4*,3vol.,.t.I*r,  p.  1-58&.) 

1°  Analyse  de  M.  Paulin  Paris. 

«  L'Introduction,  ainsi  que  I'auleur  nous  en 
n  prévenu,  ne  doit  pas  être  jouée;  elle  expose 
en  quinze  cents  vers  la  création  du  monde,  la 
chu  te  des  anges  et  celle  de  l'homme,  le  meurtre 
d'Abel  et  la  mort  d'Adam.  Tout  cela  coup-é 
par  trois  prologues,  dont  le  premier  com- 
mence ainsi  : 

Ouvrez  vos  yeulx  et  regardez, 
Dévoles  gens  qui  entendez... 

«  Après  cette  introduction,  un  épi 
annonce  l'objet  du  véritable  mystère  : 

An  limbe  nous  commeneerong 
El  puis  après  nous  traiterons 
La  hauliaine  narracion, 
Pour  venir  à  In  Passion 
De  noslre  Saulveur  Jésu-Crist. 
Après,  la  Résurrection 
Et  l'admirable  Ascension 
Et  mission  du  Saiiil-Esprit. 

(Msc.  B.,  p.  U.) 

9  Puis  en  rubrique  :  «  Cy  commence  le 
«  premier  livre  de  fa  Passion  de  notre  Saul- 
«  veur  dont  le  prologue  est  tout  au  premier 
«  de  ce  livre.  Wnveni.  »  Ce  mot  veni  est  en  ef- 
fet le  premier  mot  du  prologue  ou  sermon 
en  220  vers,  placé  dans  le  msc.  B  avant  l'in- 
troduction, et  dans  le  msc.  A  après  elle.  En 
général  la  meilleure  leçon  du  mystère  est 
dans  le  msc.  R. 

PREMIÈRE   JOURNÉE. 

«  Début  : 

Veni  ad  liberandum  nos, 

Domine  Deus  virlutum, 

Pour  l'offense  du  premier  père 

Que  tout  le  gendre  humain  compere. 

«  Après  avoir  indiqué  le  but  qu'il  veut 
atteindre  dans  ce  mystère,  l'auteur  ajoute  : 

Se  la  révérence  de  vous 

Faillie  y  voit  dessus  ou  dessoubs 

Trop  dit-on  faillie  de  langaiges, 

Soyez  amiables  et  donlx, 

El  nous  corrigez  sans  courroux, 

J'en  serons  autre  lois  plus  saiges, 

(B.,  f.  1,  verso,  p.  5.) 

«  Le  meneur  du  jeu,  après  un  Ave  Maria, 
reprend  le  texle  sacré  Veni  ad  liberandum 
nos.  «  Les  assistants,  dit-il,  vont  avoir  sous 
«  les  yeux  le  tableau  des  limbes  et  des  an- 
«  goisses  que  les  justes  y  souffrent  par  leur 
impatience  de  la  venue  de  Jésus-Christ. 
On  moralisera  ensuite  un  petit,  en  intro- 
duisant cinq  personnages  pour  plaider  de- 
vant Dieu  la  cause  de  l'homme  ;  pais  on 
suivra  Jésus-Christ  dans  les  merveilles  do 
sa  naissance  et  de  ses  premières  années.» 

Si  vous  prions,  seigneurs  et  dames, 
Conjointement,  hommes  ci  femmes, 
Que  silence  vneillez  garder; 
El  brieï  vous  verrez  procéder. 

(A,  f"  11,  verso.) 

«  Dans  la  première  scèn?  paraissent  Adam 


et  Eve,  que  les  miniatures  représentent  nus; 
Jsaac,  Jéréraie,  Ezéchiel,  David,  en  man- 
teaux.Tous  conjurent  Dieu  de  les  arracher  uu 
séjour  des  ténèbre*.  Premiers  vers  : 

ADAM. 

0  souveraine  majesté, 
Bon  Dieu  qui  en  Elernilé 
Règnes,  sans  jamais  prendre  fin... 

{A  et  B,  f°.  1-4,  verso.) 

«  Deuxièmescène  :  Icysont  cinq  personna- 
ges enjparadis,  et  premier  s'esleva  une  dame  : 

MISÉRICORDE. 

Je  ne  me  puis  contenir 
Que  les  humains  ne  pregne  en  cure. 

(A,  M 7.) 

«  Après  un  long  examen  dans  tontes  les 
formes,  les  cinq  dames,  Paix,  Miséricorde, 
Justice,  Vérité,  Sapie.nce,  conviennent  que. 
le  seul  moyen  de  racheter  l'homme  est  de 
décider  Dieu  à  livrer  à  la  mort  des  hommes 
l'une  de  ses  trois  personnes.  A  cet  arrêt 
porté  aux  pieds  du  Très-Haut,  Dieu  gémit, 
hésite,  enfin  se  laisse  vaincre  par  Miséri- 
corde, sa  bien-aimée.  II  charge  l'ange  Ga- 
briel d'aller  annoncer  h  Marie  l'incarnation 
du  Verbe  dans  ses  chastes  flancs. 

«  A  cet  endroit  commence  le  mystère  de  la 
conception,  mariage,  etc.,  de  la  benoite 
Vierge,  etc.,  arrangé  pour  la  représentation 
d'Angers,  et  coopé  dans  la  première  journée 
d'Arnoul  Gresban.  Les  premières  scènes 
semblent  avoir  été  refaites  entièrement, 
elles  offrent  une  première  supplique  pour  la 
rédemption  ;  les  premiers  tableaux  de  l'en- 
fer; une  scène  délicieuse  entre  Joachim  et 
ses  bergers;  les  trois  mariages  d'Anne  avec 
Joachim,  avec  Cléophas,  avec  Salomé;  les. 
premiers  tableaux  delà  courd'Hérode  ;  la  nais- 
sanredo  Marie  ;  sajprésentalion  au  temple  ;  son 
mariage  avec  Joseph  et  le  procèsdu  Paradis. 

«  Les  acteurs  du  Procès  sont  les  cinq  da- 
mes de  notre  première  journée;  et  c'est  \h 
que  le  mystère  imprimé  de  la  Conception  su 
rejoint  au  texle  d'Arnoul  Gresban. 

Miséricorde,  bien  savez 
Que  semence  pour  vous  avez... 
(Msc.  A,l-fo22,  verso. — B,  f°  21,  omc.tiupr., 
f.  xxxix,  recto, édil.  d'AlainLotrian,  154t.) 

«  Mais  il  y  a  dans  la  suite  un  grand  nom- 
bre d'autres  changements,  additions  ou  sup- 
pressions, dont  nous  ne  pouvons  tenir  un 
compte  ;  nous  nous  contenterons  de  signaler 
le  f"  xi. v  verso  de  l'imprimé.  Lucifer,  ayant 
rassemblé  tous  les  démons,  leur  dit  : 

Dyables,  arrengez-vous  trestoiis 
En  turbe  et  grosse  quantité; 
Au  lieu  de  dire  un  Sileic 
Ouvrez  vos  malignes  cervelles, 
Je  vous  vueil  dire  des  nouvelles... 

«  Mais  dans  le  texte  d'Arnoul  Gresban,  ot 
exécute  le  Silete,  c'est-à-dire  concert  ou  sym-r 
phonie. 

Dcables,  arrengez-vous  Irestous 
En  tourbe  à  grosse  quantité 
El  me  chantez  un  Sileie 
En  voslre  horrible  diablerie  .. 

(B,  f-  28.) 


650 


PAS 


DICTIONNAIRE  DI.S  MYSTERES. 


PAS 


fc60 


«...  La  scène  des  bergers...  diffère  dons 
Gresban  du  texte  de  Jean  Michel  et  de  la 
scène  que  M.  Vallet  de  Viriville  a  publiée 
d'après  Je  manuscrit  de  Troyes.  Dans  les 
trois  leçons  il  y  a  beaucoup  d'agrément  et 
de  ta'ent  poétique,  mais  la  supériorité  in- 
contestable appartient  à  noire  Arnoul  Gres- 
ban. Jean  Michel  a  ajouté  beaucoup  d'obs- 
cénités, au  lieu  d'en  avoir  supprimé  dans 
l'ancien  texte,  comme  l'avancent  les  frères 
Pariait  sans  preuves,  puisqu'ils  n'avaient  vu 
aucun  manuscrit,  et  comme  le  répètent  avec 
une  extrême  légèreté  Niceron,  les  annota- 
teurs de  Lacroix  du  Maine  et  bien  d'autres. 
Ces  additions  obscènes  de  Jean  Michel  ont 
encore  été  rendues  plus  obscènes  par  le 
grand  calomniateur  Duiaure,  qui  les  a  pré- 
sentées comme  «  les  passages  les  plus  dé- 
«  cents  de  ces  pièces.  » 

«  Le  manuscrit  de  Troyes  a  réduit  à  quel- 
ques jolis  virelais  une  longue  tirade,  rem- 
plie de  gracieuses  pensées  et  d'expressions 
pittoresques.  Par  exemple,  Gresban  seul  a 
l'ait  ou  conservé  cette  jolie  chanson,  digne 
de  Charles  d'Orléans  : 

Est-il  liesse  plus  série 

Que  de  regarder  ces  beaulx  champs, 

El  ces  doulx  aignelès  paissans 

Sauliansà  la  belle  prairie! 

On  parle  de  grant  scignorie, 

D'avoir  donjons,  palais  puissans  : 

Est-il  liesse  plus  série 

Que  de  regarder  ces  beaulx  ebamps? 

(M.  A.,  f>36.— • B.,  r-  53.) 

«  Dans  les  imprimés,  l'arrangeur  nous 
avfTlit  que  son  mystère  de  la  Conception  est 
terminé,...  mais  nos  deux  manuscrits,  res- 
pectant la  division  primitive  en  journées, 
ajoutent  : 

Etalant  fin  du  premier  jour 
Demain  retournez  s'il  vous  plaisl... 

(A.,  f°  80.— R.,  f*  GO.) 


DEUXIEME  JOURNÉE. 

«  Le  manuscrit  A  renferme  de  plus  que  B 
un  prologue  de  soixante-six  vers,  dans  le- 
quel, après  avoir  récapitulé  la  première 
journée,  l'auteur  continue  ainsi  : 

Ores  voudrons  par  bonne  amour 
Commancer  noire  second  jour, 
El  monslrer  en  (emps  cl  lieu 
Du  benoist  Raplisle  de  Dieu... 
Jusqu'à  la  Résurreclion. 
Là  sera  le  second  point  fait. 
Kl  pour  plus  lot  atteindre  au  fui», 
Jehan,  venez  vous  advancer... 

(A.,  f°  80,  reclo.) 

«  Alors  Jean-Baptiste  s'avance  et  débile 
un  sermon  en  vers  sur  le  texte  :  Pœnilentiam 
agite... 

«  Il  faut  remarquer...  l'analogie  frap- 
pante qui  existe  entre  un  passage  de  la  Stisci- 
laiio  Lazari  (V.  Lazare  d'Hilaiue),  petit  ou- 
vrage dramatique  d'Hilaire,  disciple  d'Abai- 
lard,  composé  \ars  1120,  et  la  même  scène 
de  nofrfc    mvsfère   de    la  Patsion.   Dans   la 


Suseitatio  Lazari  :  Post  hœc   remet   Martha 
non  aliis  duobus  Judœis  contante*: 

Mors  execrabilis! 

Mors  (lelcslnbilis! 

Mors  milii  flebilis 

Lasse!  cbailivc. 

Dès  que  mis  frère  est  mors. 

Porque  sue  vivo! 

(Milarii  Versus  et  Ludi;  Techener,  1838 
p.  27.) 

«  Et  dans  notre  mystère  : 

MADELEINE. 

0  mort  douloureuse, 
0  mort  rigoureuse. 
Qui  l'a  fait  emprendre 
De  si  lost  saillir. 
Pour  moi  ja  lollii 
El  mou  frère  prendre? 

«  La  journée  finit  ainsi  : 


(R.,f°  103.) 


DENT ART. 

F  y  difpaillarl! 

UOULLART. 

Fy  du  vrai  fui! 
Reau  sire,  assiés-lui  sur  le  col 
Droiclemenl  un  beau  baliplarl, 
Tant  qu'à  ce  vilain  papelart 
Face  loule  la  char  frémir. 

DENTAKT. 

Il  nous  faull  ung  petit  dormir... 

GADIFFEK. 

Pendu  soit  à  qui  il  tiendra  ! 
Nous  sommes  las  oultre  mesure. 

(A.,  f°  1G0.— P.,  f°  139 
«  Puis  le  prologue  final.  » 

TROISIEME  JOURNÉE. 

«  Elle  commence  par  un  nouveau  prolo- 
gue, dans  lequel  sont  rappelées  les  deux 
journées  précédentes,  et  le  sujet  de  la  troi- 
sième exposé... 

«  Dans  la  scène  du  repentir  de  Judas, 
le  calligraphe  du  manuscrit  A  représente 
le  costume  de  Désespérance  noir  comme  le 
corps  de  cette  terrible  personne.  C'est  la 
fille  chérie  de  Lucifer,  envoyée  par  lui 
dans  Judas.  Voici  le  commencement  du  dia- 
logue : 

l'esprit- 

Meschanl,  que  veulx-tu  qu'on  le  face 
A  quel  port  veulx-lu  aborder 

JUDAS. 

Je  ne  sçay,  je  n'ai  œil  en  facfl 
Qui  ose  lès  cieulx  regarder. 

l'esprit. 
Si  de  mon  nom  veulx  demander, 
Rriefment  en  aras  demonslrance. 


JIDAS. 


Dont  viens-tu? 


l'esprit. 
Du  parfont  Enfer. 


jrnis. 
Quel  eu  ion  nom? 


C61 


PAS 


D1CTI0MSAIRE   DES  MYSTERES. 


PAS 


6C2 


[.ESPRIT. 

Désespérance. 

JUDAS. 

Approche!  et  me  doues  allégeance, 
Se  mort  peut  mon  dueil  allégier. 

(A.,  f- 175.— B.,  f-  15-2.) 

«  Cela  n'est-il  pas  digne  de  Corneille,  de 
Dante  et  de  Milton  ?... 

«  La  réception  de  Judas  en  enfer  est  bien 
autrement  comique  dans  les  manuscrits  que 
dans  les  imprimés.  L'âme  est  d'abord  en- 
gloutie par  Lucifer,  puis,  à  la  prière  de  ses 
suppôts,  le  roi  d'enfer  les  rejette,  en  di- 
sant : 

Tenez,  mes  petits  dragonneaulx, 
Mes  jeunes  disciples  d'escole, 
Jouez  en  nng  peu  à  la  sotte. 
En  lien  de  croupir  au  fumier, 

BERICIt. 

Ça,  j'en  doy  jouer  le  premier,  etc. 

(A..M78.) 

«  Et  tous  les  démons  de  relancer  l'âme 
de  Judas  de  patte  en  patte... 

«  Quand  tout  est  consommé,  et  immédia- 
tement après  la  conversion  du  centurion,  le 
manuscrit  A  présente  une  scène  que  l'on 
chercherait  tout  aussi  vainement  dans  le 
manuscrit  B  que  dans  les  imprimés.  C'est 
un  dialogue  entre  saint  Denys  d'Athènes  et 
Empédocles,  relatif  aux  ténèbres  qui  cou- 
vrent le  monde.  Saint  Denys  démontre  a  Em- 
pédocles qu'elles  annoncent  les  souffrances 
d'un  Dieu;  Empédocles  répond: 

L'argument  est  bon  et  actif 

Et  la  cause  (chose)  est  assez  prouvable  (probable). 

(A.,  f»  210,  verso.) 

«  Le  prologue  final  de  celte  troisième 
journée  est  composé  de  vingt-deux  vers 
(lins  A,  et  de  dix- neuf  seulement  dans  15. 
Voici  les  trois  vers  ajoutés  dans  A. 

Dimanche,  avons  intencion 
(Jue  de  la  résurrection 
Partie  vous  soit  démontrée.  > 

(A.,  f°  221,  verso.) 

QUATRIÈME  JOURNÉE. 

«  Cette  quatrième  journée  est  parfaitement 
semblable  au  mystère  imprimé  de  la  résur- 
rection, et  par  conséquent  nous  sommes 
portés  à  croire  que  Jean  Michel,  l'arrangeur 
îles  éditions  imprimées,  a  purement  et  sim- 
plement accepté  le  livret  d'Arnoul  Gresban,  » 
(Paulin  Paris,  Les  manuscrits  françois  de 
ta  Bibliothèque  du  roi;  Paris,  Techener  , 
in-8",  18V5,  t.  VI,  p.  293-311.) 

2"  Analyse  de  M.  0.  Leroy. 

M.  0.  Leroy  a  cité  les  vers  par  où  com- 
mence le  mystère  de  ta  Passion,  clans  le  ma- 
nuscrit de  Valencienrics  : 

Moy  manant  (stable)  en  éternité, 
Dieu  de  inatlingihlc  équité, 
.le  prie  ensemble  toute  chose, 
Pau  (  lUnxion  de  h  nié- 


Lumière  que  à  mon  gré  compose 
Soil  faicte  en  instant  et  sans  pose, 
Spirituelle  et  corporelle, 
Première  luisant  plus  que  rose. 
C'est  angélicque  que  jalose, 
Et  fay  toulle  intellectuelle... 

-    J 

«  Il  y  a  là,  dit-il,  un  mot  regrettable... 
inattmgible,  qui  peut  s'appliquer  à  tous  les 
attributs  de  Dieu,  auxquels  il  n'est  pas  per- 
mis a  l'art  humain  d'atteindre...»  (O  Lepoy^ 
Etudes  sur  les  mystères  ;  Paris,  1837,in-8°, 
lutrod.,  p.  xiv.) 

«  Le  vin  manque  aux  noces  de  Cana.  Abias. 
et  d'autres  convives  s'écrient  : 

Il  n'y  a  plus  de  vinez  pois,. 
Vecy  très- mauvaise  nouvelle! 

—  C'est  assez  pour  perdre  propos. 

—  Que  dicles-vous? — Point  ne  le  cèle: 
e  vous  le  déclaire  à  deux  mol?»  : 

Il  n'y  a  plus  de  vin  ez  pots. 

—  Vécy  Ires-mauvaise  nouvelle! 

—  Il  y  faut  pourvoir. — Somme  toute. 
On  n'en  sauroil  recouvrer  goulie, 
Pour  l'heure  présente. —  La  fesle 
Sera  honteuse  et  déshonnesle, 

Et  grand  scandale  en  viendra 

A  l'espouse,  dont  il  sera 

A  jamais  honteuse  mémoire. 

abias,  à  Jésus. 

Si  les  gens  demandent  à  boire, 
Haislre,  que  leur  pourra-l-on  dire? 

NOSTRE-DAME,    à  JésUS. 

Mon  Fils,  la  leste  fort  s'empire, 
El  tourne  à  honte  et  à  escande 
Sur  l'espoux,  qui  lui  sera  grande, 
Si  vons-mesme  n'y  pourvoyés... 

(P.  156.) 

«  Ailleurs  ce  sont  deux  coquins,  dont  l'un,. 
qui  a  plus  d'un  tour  dans  son  sac,  feignant 
que  le  froid  l'affole,  se  nomme  Cla'quedent, 
et  l'autre  Babin,  mot  qui,  d'après  le  diction' 
naire  Rouchi,  signifie  niais,  imbécile.  Rabin, 
malgré  son  nom  et  son  air  bote,  est  plus 
rusé  que  Claquedent  même,  auquel  il  per- 
suade de  faire  l'enragé  et  de  se  laisser  lier 
par  lui,  pour  mieux  exciter  la  compassion. 
Claquedent,  entouré  de  cordes  par  Babin, 
se  met  à  grincer  des  dents  et  à  pousser  des 
crislamenlables...  Babin...  reçoit  de  l'argent.. 
Claquedent  dit  à  Bahin  :  «  Tost,  desloye 
«  (vite,  délie-moi).  »  Mais  celui-ci  voulant  pro- 
fiter, comme  Raton,  du  mal  qu'un  autre 
Bertrand  s'est  donné,  lui  dit  : 

Allends  un  peu,  j'y  aiivisoye  : 

T'as  la  robe  (lu  as  ion  compte),  cl  niy  pararlgcnt» 

Je  garderay  tout  cesl  argent 

«  Aumeurdre !  au  voleur!  s'écrie  le  coquin, 
enchaîné  ;  tandis  que  l'autre  sYnfuyant,  dit 
sans  doute  aux  personnes  qu'il  voit  venir 
de  ne  pas  s'approcher  de  Yenragic : 

Ne  le  touchiez  mye; 
11  vous  mordra  ! 

«  Enfin  on  vient  au  secours  de  Claquedent, 
et  comme  on  lui  demande  qui  l'a  mis  en  cet 
état,  il  répond  : 

Un  laroncheau  plein  de  malfaict. 

«   Tout  le  cooiique  de  la  scène  est  n'sutuô 


063 


l'A  S 


PICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


cm 


dans  ce  mol  :  un  laroncheau!  Un  diminutif 
de  larron,  mettre  dedans  un  double  fripon 
qui  se  croyait  passé  maître I  »  (P.  178- 
180.) 

M.  O.  Leroy  cite  encore,  mais  surtout 
d'après  l'édition  de  Jean  Michel  de  1486, 
le  dialogue  entre  la  Vierge,  âgée  de  trois  ans, 
et  ses  parents  et  tuteurs,  les  sermons  sau- 
vages de  saint  Jean-Baptiste,  la  description 
du  boudoir  de  Madeleine,  les  imprécations 
de  la  mère  de  Judas,  les  peintures  du  pur- 
gatoire et  de  l'enfer. 

3°  Analyse  des  frères  Parfait. 

Les  frères  Parfait  (Histoire  du  théâtre, 
français,  Paris,  15  vol.  in-12,  173V,  t.  1", 
p.  75-486  inclusivement)  ont  donné  de  l'édi- 
tion de  1597  du  mystère  de  la  Passion  l'a- 
nalyse suivante  qui  comprend:  1°  La  Con- 
ception, Nativité  de  la  Vierge  et  Nativité  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ;  2n  la  Passion; 
3°  la  Résurrection  : 

EXTRAITS 

jjfcs  mystères  de  la  conception,  passion  et 
résurrection  de-notre  seigneur  jésus- 
Christ. 

PERSONNAGES 

Du  Mystère  de  ta  Conception  de  la  Vierge  Marie,  la 
Nativité  dlcelle,  avec  la  Naissance  de  Jésus- 
Chrisl. 


Anges. 


DIEU    LE   PERE. 
JÉSUS-CHRIST. 

le  SAiNcr-ESPniST.en  for- 
me de  Coulomb  blanc. 

LA    SAINTE    VIERGE     MARIE. 

SAINT   MICHEL, 

GABRIEL, 

RAPHAËL, 

U1MEL, 

CHERUBIN, 

SERAPHIN, 

CHOEUR   D'ANGES. 

SAPIENCE. 

PAIX. 

MISÉRICORDE. 

JUSTICE. 

VÉRITÉ. 

saint  joseph,  époux'de  la 

Sainte  Vierge. 
sainte  anne,  Mère  de    la 

Sainte  Vierge. 
saint  joachin,  Père  de  la 

Sainte  Vierge. 
cléophas,  second  Mari  de 

Sainte  Anne. 
salomé,  troisième  Mari  de 

Sainte  Anne. 
mvriejacobi,  fille  de  Cléo- 
phas et  de  Sainte  Anne. 
marie  sai.ome,  fille  de  Sa- 

1  >inéei  <le  Sainte  Anne, 
ysacar,    Père   de    Sainte 

Anne. 
zacharie,  Père  de  Saint 

Jean- Baptiste. 
EI.UABETH,  Cousine  de  la 

Vierge ,   et   femme  de 

Zacharie. 
utan  ,    Chamberiere    de 

Sajnle  Anne,  et  ensuite 

ri"E!i=a*«et1i. 


abus,    Cousin    de   Saint 
Joachin. 

BARBAPANTER,  )  Oncles     de 


ACIIIN 
MELCHY 


SJOacii 
pendan 
danls  ( 


joas,  pauvre 
malade, 

UN    PELERIN, 


ARBAPANTER,    fS.Joacllill. 

Bergers      des 
ou  peaux  de  S. 
acbin,  et  ce- 
t  descen- 
de David. 
Pauvres 
demandans 
l'aumône    à 
S.     Joachin 
etdescendns 
aussi  du  Roy 
David. 

SYMEON. 

anne  la  Prophélisse. 

isacar,  surnommé  ruben, 
Grand  Prêtre. 

jechonias,  Prêtre. 

choeur  de  dix  ou  douze 
Pucelles,  desquelles  il 
y. en  a  deux  qui  par- 
•  lent. 

PREMIÈRE    PUCEI.LE. 
SECONDE    PUCELLE. 
ZOROBABEL, 
GAMALIEL, 

Docteurs    de 
la  Loy. 


ROBOAM, 

MANASSES, 

NATHAN, 

NATHOR, 

ZOROBABEL,  )  »„.-  •  „,  ., 

NAASson,  Jérusalem. 
jaspar,  Premier  Roy  Mage. 
melcyor  ,     Second     Rov 

Mage.  3 

falthasar,  Troisième  R<  y 

Mage. 


ANTÏOCIIUS, 
CELSANDER, 

CA DORAS, 
POLIDORUS, 


Chevaliers  de      nie  de  Bethléem, 
la    suite     de  herode,  Roy  de  Judée. 
Jaspar.  antipateu.  Fils  d'Hérode. 

Chevaliers  de  salomé,  Sœur  d'Hérode. 
la  suite  de  cirinus.  Prévôt  de  Judée. 
Melcyor.  adrascus,  Chevalier  d'ilé- 

!  Chevaliers    de      rode, 
la  suilede  Bal- loncis,   Capitaine   de   la 
suite  d'Hérode. 

rapporte-nouvelle,  Mes- 
sager d'Hérode. 

un  trompette  d'Hérode. 

médusa  ,     Nourrice    d'un 
jeune  fils  d'Hérode. 

sarine,    Chamberiere 
Médusa. 

AGRIPPART, 


Bergers  des 
environs  de 
Bethléem. 


de 


Tyrans    ou 
Satellites 
d'Hérode. 


Esyp- 


Diables. 


LUCANUS, 
PITRODES,  l 

iiS  '  Jlnasar 

ALORIS, 
YSAMBART , 
PELA ON  , 
RIFFL4RT  , 
G  ARMER, 
GOMBVULT, 

joas,  Maître  d'une   Hôtel- 
lerie à  Bethléem. 

aqueline,  Femme  de  Belh-  arfrappart, 
iéem ,     voisine    de    la  narinart, 
Vierge.  hermogenes, 

priséus,  Habilanljde  Belh-  réchine, 
léem    et   voisin  de    la  tiiéodat,    Prêtre 
Vierge.  tien  Idolâtre. 

raphael,  femme  de  Pri-  TORyUATUS,  Egyptien  Ido- 
séus.  làire. 

raab.  Première  femme  de  lucifer,  Roy  des  Enfers. 
Bethléem.  satiian, 

rvciiel',   Seconde  femme  astaroth. 
de  Bethléem.  belzébuth, 

adormata.  Troisième  fem-  bérith, 
me  de  Bethléem.  bélial, 

herbeline,  Quatrième  fem-  cerbérus. 

Nota.  Il  est   impossible  de  marquer  le  lieu  où  la 
scène  se  passe,  elle  change  trop  souvent. 

EXTRAIT  du  mystère  de  la  conception. 

(Cy  commence  le  Mister e  de  la  Conception  de  la  glo- 
rieuse Vierge  Marie,  et  lu  Nativité  d'icelle,  «irc- 
ques  la  Nativité  deJésucrisl,  sa  Passion,  et  Résur- 
rection.) 

I.  La  Supplication  pour  la  Rédemption    lut' 
maine. 

«  Le  théâtre  représente  le  paradis  :  Dieu 
paraît  avec  ses  anges  :  saint  Michel,  Ga- 
briel et  Raphaël  prient  Dieu  de  pencher 
vers  sa  miséricorde,  et  suivant  les  promes- 
ses qu'il  en  avait  faites  parla  bouche  de  ses 
prophètes,  d'avoir  pitié  des  maux  de  la  na- 
ture humaine.  La  Paix  et  la  Miséricorde  se 
jettent  aux  pieds  de  Dieu  pour  lui  demander 
Ja  même  grâce.  Mais  la  Justice  et  la  Vérité 
s'opposent  5  leur  dessein,  et  s'appuyant  sur 
la  sévérité  que  la  justice  de  Dieu  exige, 
elles  demandent  la  damnation  éternelle  de 
l'homme.  Dieu  les  écoute  les  unes  après  les 
autres.  La  Paix  et  la  Miséricorde  représen- 
tent que  Dieu  étant  essentiellement,  infini- 
ment bon,  ne  peut  qu'user  de  clémence.  La 
Vérité  et  la  Justice  remontrent  qu'il  ne  tient 
pas  pardonner  à  l'homme  sans  faire  tort  à 
sa  justice.  Enfin,  Dieu,  après  avoir  pesé  leurs 
raisons,  dit  : 

DIEU. 

Parquoy  faull  en  conclusion, 
Aflin  d'appaiser  leur  discord, 
One  soit  f-iict  une  bonne  mort  : 
C'est  qoeJAilam  meure;  ainsy  le  fau't, 
Pour  obtenir  par  sou  deffauli 
Miséricorde  à  tous  humains. 

«    Ajoutant     qu'il    fallait    chercher     un 
homme  qui  fût  sans  péché,  et  qui    voulut 


605 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


66b 


volontairement  souffrir  la  mort  pour  le 
salut  des  hommes.  Ces  quatre  Vertus  s'ac- 
cordent à  cet  accommodement,  et  descen- 
dent sur  la  terre  pour  tâcher  de  trouver  ce 
qu'elles  cherchent. 

(fe>l  descend  Vêrilêftandh  que  les  Diables  parlent  et 
se  pourmainent   faisant  semblant  de   chercher  le 

martyre  ) 

II.  Enfer. 

T.UCIFEK. 

Piailles  «l'Enfer  norrihlcs  el  cornus, 
Gros  et  menus,  ors  regardz  liasili(|iies, 
Infâmes  chiens,  qu'estes  vous  devenus? 
Sa  il  lez  tous  Riiilz,  vieulz,  jeunes  el  cliamis, 
Bossus  lorlus,  serpens  diaboliques, 
Aspidiques,  rebelles  lyranniques 
Vos  pratiques  de  jour  eu  jour  perdez. 
Traîtres,  larrons  d'Enfer,  sortez,  vuidez. 
Parles  tu  point  Sallian  accusateur, 
Persécuteur  de  tout  humain  lignaige  : 
Toy  Bélial  noslre  grand  Procureur 
Eaulx  rapineur,  infâme  détracteur, 
El  inventeur  de  larcin  et  pillaigc, 
Diables  d'Enfer  à  vous  je  me  complains  : 
Ton  courage  Canin  rempli  de  rage 
De  Cerhérus,  iraistre  chien  à  trois  lestes, 
Tes  appresles  fais  de  mauvaise  sorle, 
Esperiiz  dampnez ,  desraisonuables  hesles, 
Plains  de  déceples,  infâmes  deshonnesles. 
Faites  vos  quesies;  saillez  hors  de  vos  portes 
Grandes  cohortes  de  nos  diablesses  sorles, 
Droictes  el  tories  avecques  vous  Iraisnez; 
Venez  à  moy  ,  mauhlis  esperiiz  dampnez. 

«  Un  semhlahle  appel  l'ait  accourir  tout 
l'enfer,  chacun  s'empresse  de  savoir  ce  que 
veut  le  roi  ;  et  de  lui  répondre  sur  le  même 
ton. 

S*THAN 

Que  le  failli  il,  maslin  inrai~'onnable? 
Ahliominable  puant,  villaiu  iufaict, 
Pansa,  goulu,  esperil  insaciable, 
Incrépable,  infâme  dampné  diable, 
Villénabie,  quesseque  talen  fait  (254)?, 
Par  toy  avons  encontre  Dieu  forfaicl, 
Dont  souffrons  maulx  plus  qu'on  nesçauroil  dire. 
Prens-lu  plaisir  â  nous  venir  inauldirc 

BELIAL. 

Orde  irongne,  sac  plein  de  pourriture, 
Ta  nature  est  de  nous  tourmenter; 

Crapaux,  aspilz  le  fault  pour  nourrilure, 
Car  ta  cure  esl  que  tousiours  procure 
Ta  paslure  pour  humains  espanler  (253.) 

«  Après  beaucoup  d'autres  injures,  que 
chaque  diable  vient  vomir  à  son  tour,  et 
dont  Lucifer  les  remercie  fort,  les  prenant 
pour  une  marque  d'honneur  et  de  respect, 
il  leur  apprend  la  résolution  du  conseil  de 
Dieu;  chacun  propose  son  avis  pour  lâcher 
de  le  faire  échouer;  Cerhérus  donne  aussi 
le  sien,  qui  plaît  si  fort  au  monarque  des 
enfers,  quril  lui  en  témoigne  sa  satisfac- 
tion. 

LLCIFER. 

C'est  bien  dit,  esperil  Cerbérique, 
J'enrage  de  joye  de  te  oûyr. 

«  Ensuite  il  dépêche  ses  diables  pour  exé- 
cuter ses  ordres. 
«  Continuation 


pèlerin 
la  suite 
David) 


du  procès   pour    In 


n- 


(<2;>i)  L'on  l'a  fait? 


demption  humaine.  —  Les  quatre  Vertus 
dont  nous  venons  de  parler,  après  bien  des 
peines  et  des  perquisitions,  n'ayant  pu 
trouver  ce  qu'elles  cherchent,  remontant  au 
ciel,  où  après  avoir  rendu  compte  de  leur 
mauvais  succès,  Dieu  prend  la  résolution 
de  sauver  les  hommes,  a  quelque  prix  que 
ce  soit.  Les  anges  en  témoignent  leur 
joie.  » 

III.  De  Joachin  et  de  ses  Berr/icrs. 

«  Joachim,  jeune  homme  «  Agé  de  quinze 
ans,  »  remercie  Dieu  des  bénédictions  qu'il 
répand  sans  cesse  sur  sa  personne  et  sur  ses 
biens.  Pendant  qu'il  est  dans  une  si  louable 
occupation,  arrive  Abias  son  cousin  ;  Joa- 
chim lui  propose  d'aller  visiter  sa  bergerie; 
à  son  arrivée  Achin  et  Melchy  ses  bergers 
lui  apprennent  le  progrès  de  ses  troupeaux. 
A  cette  nouvelle,  Joachim  se  résout  à  par- 
tager son  revenu  on  trois  parties  égales.  Il 
destine  la  première  pour  être  offerte  au 
temple;  la  seconde  à  l'entretien  de  sa 
maison,  el  la  troisième  à  secourir  les  pau- 
vres. Après  avoir  chargé  Abias  de  ce  soin, 
il  se  retire.  » 

IV.  Des  Aulmônes  de  Joachin. 

«  Joachim  n'est  pas  plutôt  parti  que  se 
présentent  sur  la  scène  un  pauvre 
el  un  malade  appelé  Joas  (qui  dans 
se-  trouve  être  des  descendants  de 
L'un  et  l'autre  ne  sont  occupés  que  des 
moyens  de  pouvoir  subsister;  el  comme 
Joas  connaît  les  deux  bergers  de  Joachim, 
il  les  va  trouver  dès  qu'il  les  aperçoit. 

A  Joas!  estes  vous  malade? 
Que  vous  avez  la  couleur  fade  ! 
Comment,  estes  vous  degousté? 

lui  demande  Achin.  Joas  lui  apprend  qu'il 
est  réduit  à  la  nécessité  de  mendier  son 
pain.  Sur  cela  Achin  el  Melchy  lui  ensei- 
gnent la  maison  de  Joachim,  dont  ils  lui 
disent  les  bonnes  intentions.  Ce  pauvre 
malade  suit  ce  conseil  et  trouve  Joachim, 
qui  lui  fait  quelques  aumônes.  Le  pèierin 
qui  par  hasard  a  vu  en  passant  par  là 
cette  charité,  s'adresse  à  Joachim  à  son  tour. 
Ses  espérances  ne  sont  point  trompées.  En- 
suite l'auteur,  pour  instruire  le  spectateur 
des  aumônes  de  Joachim,  fait  paraître  Abias, 
qui,  chargé  du  tiers  du  revenu  de  son  cou- 
sin, va  le  remettre  au  grand  prêtre;  pendant 
qu'il  y  va,  se  présente  h  la  porte  du  temple 
ce  grand  prêtre  appelé  Ysacar  el  surnommé 
Ruben,  qui  se  plaint  fort  de  la  misère  du 
temps  et  du  peu  de  dévotion  du  peuple, 
ce  qu'il  témoigne  assez  par  ces  paroles 
aussi  bien  que  le  dessein  qu'il  a  de  ne  pas 
s'oublier. 

rlben,  Preslre  incipil. 

Si  n'esloye,  bien  en  langaige  , 
Le  Temple  ne  vaut  Iroil  pas  la  rît 
Qu'il  vaull  aujourd'hui  ;  el  pourtant 
Il  faut  qu'il  y  ail  preslres  saiges, 
Qui  pourchassent  leur  advanlaigcs, 
Car  les  gens  sont  de  dures  lesles  : 
El  sy  ce  n'est  au  jour  des  lestes 
A  peine  viennent  en  ce  Temple. 

(255)  Epouvanter. 


6C7 


PAS 


DICTIONNAIUE  DES  .MYSTERES. 


PAS 


6G3 


Parquoi  force  est  que  je  contemple 
A  faire  valoir  ce  saincl  lieu, 
Eilitïié  au  nom  de  Dieu  : 
Supposé  quej'aye  acquest, 
Et  que  je  face  mon  pacquet. 
Chacun  vit  de  ce  qu'il  scet  faire, 
Dont  requis  et  est  nécessaire 
De  blasonner  aucune  foys. 

«  Abias,  chargé  des  présents  que  nous 
venons  de  dire,  le  surprend  dans  cette 
pensée;  Ruben  le  remercie  et  lui  souhaite 
touie  prospérité.  Comme  il  le  connaît  non- 
nêle  homme,  il  lui  apprend  les  désordres 
qu'avaient  commis  les  soldats  d'Hérode  en 
brûlant  les  livres  des  prophètes;  Abias  sort 
fort  triste  de  cette  nouvelle.  » 

V.  Le  Traité  du  Mariage  Joachin. 

«  Barbapanter  et  Arbapanter,  oncles  de 
saint  Joachim,  songent  à  l'établissement  de 
leur  neveu,  qui  commençant  sa  vingtième 
année  est  dans  l'âge  d'être  marié,  pourvu 
que  ce  soit  à  quelque  fille  de  bon  lieu. 
Comme  il  est  nécessaire  de  prendre  une 
fille  de  sa  même  tribu,  ils  jettent  les  yeux 
sur  celles  d'Ysacar,  Anne  et  Ysmérie.  Sur 
cela  Abias  vient  leur  apprendre  la  violence 
des  soldats  d'Hérode.  Cette  nouvelle  les 
raffermit  encore  dans  leur  dessein,  allendu, 
disent-ils,  que  comme  il  est  certain  que  de 
Joachim  ou  de  sa  race  doit  naître  le  roi 
promis  aux  Juifs,  ces  violences  témoignent 
le  prochain  avènement  de  ce  Rédempteur. 
Ils  vont  tous  trois  proposer  l'affaire  à  Joa- 
chim, qui  l'ayant  acceptée  avec  plaisir,  se 
joint  avec  eux  pour  aller  voir  Ysacar,  qu'ils 
trouvent  s'entretenant  avec  sa  fille  Anne 
de  la  naissance  d'une  Vierge,  qui,  selon  les 
prophéties,  devait  enfanter  le  Messie.  Joa- 
chim et  ses  deux  oncles  font  leur  demande 
a  Ysacar.  Ce  dernier  la  leur  accorde,  et  or- 
donne à  Anne  de  suivre  Joachim  au  temple, 
dont  ils  prennent  le  chemin. 

«  D'un  autrecôté,  Achinet  Melchy,  qui  ont 
apparemment  déjà  appris  toutes  ces  choses, 
se  réjouissent  du  mariage  de  leur  maître  et 
de  son  bon  choix.  Leur  conversation  tombe 
enfin  sur  la  malice  des  femmes. 

mei.chy  à  son  compagnon. 

Femmes  ont  les  lesies  ligeres, 
El  ne  peut-on  trouver  manières 
Leur  faire  garder  la  maison. 

ACH1N. 

Aucunes  usent  de  blazon, 
Et  niellent  de  leur  foy  promise, 
Après  qu'ils  ont  fail  niesprison, 
Selon  le  temps  el  la  saison,  e'.c. 

«  Le  prêlre  Ruben  vient  aussi  se  prome- 
ner à  la  porte  du  temple  et  moraliser  en  at- 
tendant quelqu'un. 

ruben,  Prestre. 

Qui  ne  vil  en  bonne  espérance. 
Est  repmé  pour  une  besle  ; 
El  qui  n'a  aujourd'buy  chevance, 
11  est  en  peine  el  souffrance,'' 
Il  n'est  point  repulé  bonnesle. 
Parquoy  il  faull  que  in'appresle 
A  amasser  deniers,  et  prendre 
Faisait!  en  ce  Temple  ma  q-ic-lo, 


De  tout  cela  que  je  y  acquesle 

Compte  à  nully  je  n'en  dois  rendre; 
Moudainemenl  me  faull  despendre 
Les  biens  qui  de  ce  Temple  viennent; 
Mais  en  soy  noter  et  comprendre 
Que  nourrir  en  fault  et  apprendre 
Les  Pucellellos  qui  si  tiennent. 
Ainsy  doneques  cenlx  qui  sousliennent 
La  Loy,  déparient  de  leurs  biens, 
Que  les  Preslres  par  bons  moyens 
Déparlent  à  ceulx  qui  en  ont, 
Nécessité,  voire  el  qui  font 
Service  à  Dieu  le  Créateur. 

a  Ce  prêtre  fait  ensuite  quelques  réfle- 
xions sur  l'état  présent  de  la  race  des  rois  de 
Juda.  Il  trouve  qu'elle  se  réduit  au  seul, 
Joachim  (l'auteur  se  dément  par  la  suite  au 
xxir  mystère).  Voici  son  raisonnement. 

Quant  je  considère  et  contemple 
L'esiat  de  lignée  Royalle, 
Qui  au  temps  présent  se  ravalle- 
Autant  du  costé  paternel, 
Comme  du  coslé  maternel; 
Il  me  semble,  pour  Caire  lin, 
Qu'encore  le  bon  Joachin 
En  est  CTtraicl.  Qu'il  soit  ainsy r 
Je  neuve  en  escript  sur  ceiy, 
Que  David  eut  (cela  noton) 
Deux  fils,  Nathan,  el  Salomon 
C'est  ce  qui  me" rend  assouvy. 
De  Nalan  est  venu  Levy, 
Lequel  engendra  Pan  (liera. 
Et  Panlhera  Barpanler.i, 
Dont  esl  Joachin  descendu 
Ainsy  doneques,  bien  entendu, 
Joachin  esl  de  la  lignée 
Royaulx  :  Si  quelqu'un  le  nye, 
Je  luy  prouveray  qu'il  a  lorl. 

«  Enfin  arrive  Joachim,  Anne,  Ysacar,  les 
deux  oncles  de  Joachim  et  son  cousin  Abias. 
Ruben  marie  Anne  avec  Joachim,  et  leur 
souhaite  mille  bénédictions. 

(Icy  s'en  vont  chacun  en  sa  place.) 

«  Après  qu'on  a  reconduit  les  nouveaux 
mariés  chez  eux,  on  se  retire.  Lorsqu'ils  se 
trouvent  seuls,  Joachim  déclare  à  son  épouse 
la  résolution  qu'il  a  prise  au  sujet  de  ses 
revenus.  Anne  l'en  loue  fort,  et  tous  deux 
)romettent  de  vouer  à  Dieu  l'enfant  qu'il 
eur  plaira  accorder.  » 

VI.    DeZ  Hérode   Ascalonite,  et    de    ses   sei- 
gneurs. 

«  Hérode  paraît  avec  son  fils  Antipater. 
Ils  sont  accompagnés  de  Cirinus,  prévôt  de 
Judée,  d'Adrascus,  chevalier  d'Hérode,  et 
du  capitaine  Longis.  Ce  prince  fait  un  détail 
de  sa  puissance.  Antipater  lui  dit  que  ces 
heureux  succès  n'empêchent  pas  qu'Alexan- 
dre et  Arislobule,  fils  de  ce  roi  et  de  Mari;:-, 
mne,  ne  prétendent  lui  succéder.  Cirinus 
ajoute  qu'il  est  certain  que  ces  deux  enfants 
ont  cherché  les  moyens  de  l'empoisonner. 
Il  n'en  faut  pas  davantage  pour  déterminer 
Hérode  à  punir  ses  fils  :  mais  comme  Lon- 
gis lui  apprend  qu'ils  sont  à  Rome,  Hérode 
prononce  l'arrêt  de  leur  exil.  Rapporte-nou- 
velle, son  messager,  est  chargé  de  celte, 
commission.  » 
VIL  Le  murmure  des  Juifs  contre  Hérode. 

«  Zorobabel,  Manassès  et  Saasson  s'entre* 


C69 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


670 


Donnent  .ïes  vexations  d'Hérode,  et  des 
cruautés  qui  se  commettent  journellement 
par  ses  ordres.  Toute  leur  espérance  n'est 
que  dans  la  venue  du  Messie.  Comme  ils 
sont  dans  celte  pensée,  ils  entendent  Rap- 
porte-nouvelle qui,  précédé  par  un  trom- 
pette, crie  l'ordonnance  d'Hérode  au  sujet 
de  ses  enfants. 

(Ici  sonne  la  trompette  par  Irons  foys,   et  puis  dit  le 
Trompette.) 

Or  écoulez,  etc. 

«  Ensuite  Rapporte-nouvelle  en  fait  la 
lecture.  Les  Juifs  l'ayant  entendu,  Zoroba- 
bel  dit  à  ses  compagnons  : 

Qui  ce  cry  sçauroil  bien  comprendre? 
Il  est  cruel  et  oullragcux. 
Oulirageux,  mais  Ires-scrupuleux 
Qui   l'honneur  de  Hérode  honnit,  etc. 

répond  Mariasses.  «  Il  ne  faut  pas  que  ceia 
«  vous  étonne,  »  reprend  Zorobabel, 

Payens  ont  toujours  élé  telz  (256), 
Qu'ils  ont  appelé  la  vengeance 
De  leurs  malveillans. 

«  Enfin  après  avoir  bien  raisonné  ensem- 
ble, leur  conversation  se  termine  à  conve- 
nir tous  trois  qu'il  faut  attendre  le  Messie, 
et  cependant  souffrir  en  patience.  » 

VIII.    Le    vœu    et    promesse  de  Joachin   et 
d'Anne. 

«  Joachim  et  Anne,  fâchés  de  n'avoir  point 
d'enfants,  promettent  à  Dieu  de  lui  consa- 
crer celui  qu'il  leur  donnerait.  Comme  ils 
sont  dans  cette  pensée,  Abias,  Barba  pan  ter 
et  Arbapanter,  qui  allaient  au  temple  de 
Jérusalem,  suivant  la  coutume,  offrir  leurs 
présents  au  jour  de  la  fête  des  Etrennes, 
arrivent  chez  Joachim,  pour  l'emmener  lut 
et  sa  femme  avec  eux.  Ils  y  consentent  et 
se  mettent  en  chemin.  On  peut  croire  aisé- 
ment que  Ruben  ne  manque  pas  de  s'y 
trouver.  Il  y  est  effectivement  de  bonne 
heure,  et  se  réjouit,  en  se  promenant  de- 
vant la  porte,  de  la  bonne  recette  qu'il  s'at- 
tend de  faire  ce  jour-là  ;  et  il  reçoit  les 
présents  des  trois  premiers.  » 

IX.  Le  refus  de   Voblation  de  Joachin, 
«  Joachim  se    présente   à    son    tour  pour 

o(Trir  le  sien,  Ruben  le  refuse  et  lui  dit  pour 

s'excuser  : 

Vous  êtes  mauldit  en  la  Loy  , 
Excommunié,  interdit. 

«  Ces  paroles  sont  un  coup  de  foudre  pou- 
Joachim. 

JJACIIIN. 

Las!  quessc  que  vous  avez  dit! 


Qu'ai-je  fait? 

RLBF..N. 

Vous  estes  pi i vécu  clïect 

Ainsy  qu'on  voil  d'avoir  liguée,  clc. 

(25G)  Il  ne  sera  pas  mal  à  propos  de  remarquer  ici 
l'ignorance  de Tauleur  de  ce  mystère;  cela  aidera 
même  un  peu  à  le  disculper  des  inepties  Qu'il  a  ré- 
pandues dans  son  ouvrage,  au  sujet  de  nos  princi- 
paux   mystères.  On  voit*  qu'il  fait  ici  Hérode  païen. 


«  Joachim    déplore   son   infortune  et   se 

retire.  Ses  amis  discourent  quelque  temps 

sur  cette  disgrâce,  et  n'y  pouvant  apporter 

de  remède,  ils  s'en  retournent  chez  eux.  » 

(Ici  s'envont  en  leurs  places.) 

X.  Du  deuil  de  Joachin  à  cause  du  refus  de 

son  oblation. 

«  Joachim,  toujours  accablé  de  douleur, 
croit  pouvoir  la  dissiper  en  allant  visiter  sa 
bergerie.  Achin  et  Melchy,  qui  Je  voient  si 
triste,  lui  en  demandent  le  sujet,  pour  tâcher 
de  l'adoucir  ;  mais  comme  il  est  persuadé 
qu'ils  ne  pourraient  soulager  sa  douleur,  il 
se  sépare  d'eux.  » 

(Icy   se  départ  Joachin  d'avec  les  bergiers.) 

XI.  Les  requestes  de  Joachim  et  d'Anne  pour 

avoir  lignée. 

«  Anne  et  Joachim,  au  désespoir  de  leur 
stérilité,  implorent  par  leurs  prières  l'assis- 
tance de  Dieu,  qui,  touché  de  leurs  maux  et 
voulant  préparer  la  venue  du  Messie,  charge 
Gabriel  de  les  consoler  et  de  leur  annoncer 
qu'il  leur  naîtra  une  fille,  à  qui  ils  donneront 
le  nom  de  Marie.  » 

XII.  De  l'ange  qui    s'apparut  à  Joachin  et  à 

saincle  Anne, 
(icy  est  l'Ange  environné  de  lumière.) 

«  Gabriel  annonce  à  Joachim  que  Di"u 
veut  accorder  h  ses  prières  une  fille,  qu'il 
lui  ordonne  de  lui  imposer  le  nom  de  M  .un-, 
et  que  celte  fille  serait  la  mère  de  Jésus.  De 
peur  que  l'espace  de  vingt  ans  qu'il  est  déjà 
marié  n'ébranle  sa  foi,  il  la  fortifie  par  les 
exemples  de  Sara,  qui  dans  un  Age  très- 
avancé  avait  conçu  Isaac;  deRachel,  épouse 
de  Jacob,  qui  après  une  longue  stérilité  fut 
la  mère  de  Joseph;  et  surtout  de  la  mère 
de  Samson.  Il  ajoute  qu'il  ait  à  se  souvenir 
de  la  dédier  à  Dieu,  et  lui  dit  que  pour- 
preuve  de  la  vérité  de  ce  qu'il  lui  dit,  qu'il 
allât  au  temple  et  qu'il  y  trouverait  son 
épouse  Anne  à  la  porte  dorée.  Joachim  re- 
mercie l'ange  fort  humblement. 
(Ici  va  l'Ange  vers  Anne.) 

«  Gabriel  dit  les  mômes  choses  à  Anne 
en  lui  prescrivant  les  mômes  ordres. 

(Icy  se  départ  l'Ange.) 

«  Anne,  après  avoir  remercié  Dieu  de  sa 
bonté,  va  à  la  porte  dorée,  où  elle  trouve 
son  mari  qui  y  est  venu  dans  un  pareil  des- 
sein. 

ANNE 

Joachin,  mon  amy  très-doulx  , 
Honneur  vous  fais  et  reverance 

joachin. 

Anne  ma  mye,  voire  présence 

Me  plaist  très-fort,  approchez  vous. 

ANNE. 

Hélas!  quej'ay  eu  de  courroux  , 

Et  ComiCfl    ii   sait  que  Ci  ri  MIS   éloit   d'une   religion 
différente  de  celle  d'Hérode,  il  s'est  cru  nidifié  dé  k 
faire  iiialion)éi3|i;  comme  on  le  verra  au  iienle-troi 
sième  mystère  ci-dessous. 


671 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


673 


Kl  de  souey  pour  votre  absence. 
Joachin.,  mon  ami  très-doulx, 
Honneur  \ous  fais  et  reverance, 

JOACHIN. 

Dieu  a  liny  besogné  sur  nous, 
Kl  monstre  s:i  grand  prélérance; 
Cueur  saoul  ne  scet  que  le  jun  pense  , 
Leurs  souhaits  n'ont  les  hommes  tous. 

ANNE. 

Joachin,  mon  ami  très-doulx  , 
Honneur  vous  fais  et  reverance. 

JOACHIN. 

Anne  ma  mye,  votre  présence  , 

Me    plaist  très-fort,  approche/,  vous. 

(Icy  bniêent  l'un  l'autre.) 

«  Ensuite  ils  se  rendenl  compte  récipro- 
quement de  la  vision  et  des  ordres  qu'ils 
ont  reçui  de  l'ange.  » 

(Icy  se  retirent  Joachin  et  Anne.) 
XI II.  De  Hérode. 

Hérode,  suivi  de  sa  cour  telle  que  nous 
l'avons  décrite  ci-devant  au  sixième  mys- 
tère, demande  de  quelle  façon  il  doit  en 
user  avec  les  Juifs;  on  lui  conseille  de  les 
traiter  avec  rigueur.  Cet  avis  est  fort  de  son 
goût. 

HÉRODE 

Je  les  liendray  comme  en  hoslaige 
Snbgelz  captis  maugré  lturs  dens; 
El  en  dépit  de  leur  visaige  , 
J'auray  dessus  eulx  avanlaige, 
Quelque  lieu  qu'ils  soient  résidens. 

«  Adrascus  entre  autres  lui  insinue  do 
changer  la  loi.  Hérode  ne  se  détermine  à 
rien,  et  ne  prend  d'autre  parti  que  de  suivre 
en  tout  sa  volonté. 

t  «  Pendant  ce  temps-là,  Achin  et  Melchy 
s'entretiennent  de  la  grossesse  de  leur  maî- 
tresse, et  se  réjouissent  par  avance  du  plai- 
sir qu'ils  auront  pour  lors  :  «  Les  brebis, 
«  disent-ils.  iront  paître  aux  meilleurs  her- 
«  bages  ;  ce  n  est  pas  tout  : 

MELCÎ1Y 

Les  pastourelles  chanteront. 

ACHIN. 

Pastoureaux  getteroni  œull.ules 
HB1CHT. 

Les  nymphes  les  escouteront, 
El  les  Driades  danceronl  . 
Avec,  les  génies  Oréades. 

ACniN. 

Pan  viendra  faire  ses  gambade* 
Revenant  des  Champs  Elvsées; 
Orphéus  fera  ses  sonnades  , 
Lors  Mercure  dira  ballades  , 
El  chansons  bien  auclorisées. 

MELCHY. 

Bergères  seront  oppressées 
Soudainement  sous  les  palis,  etc. 

XIV.  Comme  Anne  enfanta  Marie. 

«  Sainte  Anne  parait  incommodée;  Joa- 
enim  ordonne  à  la  chambrière  d'en  avoir 
soin. 

(257)  Servante. 

(258)  Ce  jeu  de  théâtre  servait  pour  voiler  aux 
spectateurs  des  détails  qu'il  n'était  pas  possible  de 
ui  représenter,  comme  «st  celui  de  ce  présent  mys- 


LA  CU.UIBR1ERE  nommée  L'TAX 

Ne  faicles  plus  cy  de  demeure,  . 
Dame,  sans  plus  avant  toucher, 
De  meilleur  est  de  vous  coucher; 
A  boul  estes  de  votre  terme. 

ANNE. 

Coucher  m'en  voys  sans  plus  de  terme 
Puisque  vous  me  le  conseillez. 

(Icy  se  couche  Anne.) 

a  Pendant  que  Joachim,  Barbapanler,  Ar~ 
bapanler  et  Abias  font  des  vœux  pour  son 
heureux  accouchement  ,  on  vient  avertir 
Joachim  que  son  épouse  vient  de  mettre  au 
monde  la  plus  belle  fille  qui  ait  jamais  parti, 
Il  vient  aussitôt  trouver  sa  femme,  et  en- 
semble ils  en  rendent  grâces  à  Dieu.  Il  l'a 
fait  souvenir  que  l'ange  leur  avait  ordonné, 
de  la  part  de  Dieu,  de  nommer  leur  fille 
Marie;  c'est  en  effet  le  nom  qu'on  lui  im- 
pose. Comme  ils  se  mettent  un  peu  à  causer, 
Utan,  qui  a  peur  que  cela  ne  rompe  la  tête 
à  sa  maîtresse,  fait  retirer  tout  le  monde, 
sans  en  excepter  le  mari  : 

LA  CHAMBRIERE. 

Joués  de  relraicte 
Monsieur,  s'il  vous  plaist,  car  Madame 
D'elle-même  est  tendre  femme; 
El  n'est  point  requis  qu'on  lempeste 
A  l'Accouchée  ainsi  la   leste, 
Et  n'a  que  faire  de  Blazon. 

JOACHIN. 

Elan,  vous  n'avez  que  raison, 
Sa  santé  voulez  désirer, 
Saison  est  de  me  retirer  ; 
Mais,  mamye,  entendez  à  elle. 

(Icy  se  retire  Joachin.) 

«  L'on"  croit  que  la  servante  n'a  fait  sor- 
tir tout  le  monde  que  pour  laisser  sa  mai- 
tresse  en  repos;  point  du  tout,  il  semble 
qu'elle  n'a  pris  ce  soin  que  pour  avoir  le 
plaisir  de  causer  seule  avec  elle;  en  effet, 
elles  ne  cessent  de  s'entretenir  des  louan- 
ges de  la  petite  fille. 

ANNE. 

Tu  es  tant  belle. 

Jamais  de  telle 

Ne  fiil  au  monde; 

Gente  pucelle, 

De  D  eu  encelle  (257) 

Très-pure  el  monde  ; 

Tu  es  féconde, 

Nulle  seconde 
Et  n'auras  doulce  coiumbelle  : 
(Jar  la  grâce  de  Dieu  redonde 
Joue  aux  Cieulx,  et  superabonde: 
Anges  chantent  de  la  nouvelle. 

LA  CHAMBER1ERE. 

Ainsy  que  une  lnysanle  csloile,] 
Sa  face  reluit,  ma  Maistresse  : 
Mais  donnez  luy  votre  mamelle 
Afin  que  plaisir  renouvelle 
Votre  cueur,  et  mette  en  liesse,  etc.  i 

(Icy  sainte  Anne  se  recouche,  et  sont  tirées  les  custj- 
des  (258),  puis  peu  de  temps  après  s'en  yra  secre 

1ère,  où  sainte  Anne  semble  accoucher  derrière 
cette  custode;  le  même  jeu  de  théàlre  se  répèle  en- 
core au  trente-sep! ième  mystère  ci-dessous,  à  la 
Nativité  de  Jésus. 


CT5 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


«71 


lemenl   vers  Joachin,   el  sera  Marie  en  l'ange  de 

trois  ans  avec  eulx.) 
XV.  Comme  Marie  fut  présentée  an   temple. 

«  Le  prêtre  Ruben  rond  compte  au  spec- 
tateur des  soins  qu'il  prend  pour  le  temple, 
el  déclare  de  quelle  façon  est  administrée 
une  communauté  de  jeûnes  filles  qui  sont 
sous  sa  conduite,  des  saintes  lectures  qu'on 
leur  fait  faire,  des  vers  qu'on  leur  fait  chan- 
ter à  la  louange  de  Dieu,  des  ouvrages  aux- 
quels on  les  occupe,  et  de  la  bonne  éduca- 
tion qu'on  leur  donne. 

ruben,  prestre. 

Or  ay-je  le  gouvernement 

De  ce  saincl  Temple  vénérable, 

Là  où  je  doy  dévotement 

Servir  Dieu  principalement, 

Faire  œuvre  qu'il  ait  acceptable. 

La  chose  plus  recommamlable 

Qui  me  soil  donné  en  ce  Temple, 

L'est  que  je  baille  boue  exemple 

Aux  pucelletles  qui  y  sont  : 

Aussi  je  croy  que  toutes  ont 

Bon  vouloir,  dont  je  mercie  Dieu  ; 

Hz  (259)  sont  nourries  en  ce  saincl  lieu, 

Eu  toutes  bonnes  meurs  apprinses, 

S'ilz  font  mal,  ilz  en  sont  repriuscs, 

S'ilz  font  du  bien,  c'est  à  leur  gloire. 

Au  Temple  peuvent  veoir  meinte  histoire, 

Comme  des  Patriarches  sainciz, 

Des  Roys,  et  des  Prophètes  maintz, 

Qui  ont  parlé  de  la  venue 

De  Mecias,  qui  est  conguûe 

Par  les  escriplz  de  noz  bons  pères. 

(Sota  qu'il  faut  qu'il  y  ait   dix  ou  douze  filles,  dont 
il  n  y  en  aura  que  deux  qui  parlent.) 

«  Ces  deux  filles  s'entretiennent  des 
louanges  du  Seigneur,  Ruben  les  appelle 
et  leur  donne  de  bonnes  instructions  et 
elles  le  remercient  avec  beaucoup  d'humi- 
lité. 

«  Pendant  ce  temps-là  Barbapanter,  Ar- 
bapanter  et  Abias  veulent  aller  voir  Joachim 
et  sa  famille. 

(Icy  vont  vers  Joachin.) 

«  Joachim  dit  à  sa  femme  qu'il  est  temps 
d'aller  présenter  leur  tille  au  temple;  Marie 
(;lgéc  de  trois  ans  )  leur  dit  que  c'est  son 
plus  grand  plaisir;  elle  témoigne  la  même 
disposition  aux  trois  amis  de  son  père  qui 
le  sont  venus  trouver.  Alors  ils  prennent 
tous  la  résolution  d'aller  à  Jérusalem  pour 
cela.  Comme  la  chambrière  croit  que  Marie 
ne  peut  oas  faire  ce  chemin  à  pied,  elle  lui 
dit: 

UTHAN. 

Vous  portera Yrje? 

«  Mais  Marie  réoond  : 

MARIE. 

Je  suis  forte 
Assez  pour  cheminer  ung  an  : 
Mais  que  soye  en  llienisalein 
Humblement  me  reposeray, 
Le  saincl  Temple  visileray, 
Si  plaisl  à  Dieu,  tout  à  mon  aise. 

(259)  Hz  pour  elles. 

(2'>0)  On  sent  assez  que  la  personne  qui  vient  de 
représenter  la  jeune  Marie  de  trois  ans  n'est  point 
celle  qui  parait  dans  la  suite  ;  el  c'est  ce  que  l'au- 


«  Peu  après  qu'ils  sont  arrivés  au  bas 
des  quinze  degrés  du  temple,  ils  demandent 
où  est  Marie,  et  sont  fort  étonnés  de  voir 
qu'elle  lésa  montés  toute  seule.  «  C'est  tout 
«  ce  qu'à  peine,  dit  Abias,  aurait  pu  faire 
«  un  homme  de  vingt-quatre  ans.  »  Après 
que  chacun  a  fait  son  présent,  Joachim  eî 
sa  femme  présentent  Marie  el  se  retirent 
en  priant  instamment  Ruben  d'en  avoir 
crand  soin 

(Icy  s'en  vont  en  leurs  maisons.) 

«  Cependant  Dieu  ordonne  à  Gabriel  d'a- 
voir soin  de  Marie.  » 

(Icy  descend  l'Ange  el  va  vers  Marie.) 

XVI.  Comme  Marie  besongne  avecques  les 

Pucelles. 

(Icy  besongne   Marie   avecques   les  Pucelles,  et  ont 
chacun  ung  petit  mestier.) 

«  Pendant  que  Marie  travaille  avec  ses 
compagnes ,  ces  deux  filles  ne  cessent  de 
louer  son  adresse,  et  la  propreté  de  son 
ouvrage.  L'heure  du  dîner  arrive,  Ruben  les 
appelle  toules.  La  seconde  pucelle  avertit 
Marie,  qui  lui  répond  : 

MARIE. 

Mes  compaignes,  je  vous  empnc, 
Allez  devant,  car  j'ay  affaire 
Icy  pour  un  cas  nécessaire, 
Que  suis  contente  de  parfaire. 

«  Ensuite  elle  va  prendre  un  petit  livret, 
qui  est  le  prophète  Isaïe.  Elle  tombe  juste- 
ment sur  le  chapitre  où  ce  prophète  parle 
d'une  vierge  qui  devait  concevoir  et  enfan- 
ter le  Messie.  Pendant  ce  temps-là,  l'ange 
Gabriel  la  vient  visiter,  et  lui  apporte  «  une 
«  viande  céleste.  »  Après  quoi  il  se'  retire. 

(Icy  l'Ange  se  absente.) 

«  Ruben,  qui  s'aperçoit  que  Marie  n'est 
point  avec  ses  compagnes,  la  demande: 
elles  lui  répondent  qu'elles  l'ont  laissée  for' 
occupée  à  lire.  Lui  et  ses  filles  vont  la  clier 
cher.  Marie  dit  à  Ruben  qu'elle  ne  sent  au- 
cun besoin  de  manger,  en  le  priant  de  lui 
permettre  de  continuer  sa  lecture.  Ruben, 
qui  la  voit  persister  dans  cette  résolution, 
lui  laisse  faire  ce  qu'elle  veut. 

(Icy  retourne  Marie  en  son  Oratoire,  el  quant  elle  y 
a  été  ung  demi  quart  d'heure  elle  se  absente,  el  fuit 
fin,  jusque!  à  ce  que  l'autre  Marie  de  treze  uns 
s'apparesse  [200].) 

«  Cependant,  le  bruit  des  vertus  de  Mario 
pénètre  jusqu'aux  enfers.  Satan  vient  en 
faire  un  tidèle  rapport  à  son  roi,  qui  lui  de- 
mande s'il  nepourrait  point  la  surprendre: 
«  11  est  impossible,  »  dit  Satan. 

El  est  plus  belle  que  Lncresse, 
Plus  que  Sacra  dévote  el  saige; 
C'est  une  Judic  en   co:>raige, 
Une  llesler  en  humilité, 
El  Kachel  en  honneslelé; 
En  langaigeesi  aussi  bénigne 
Que  la  Sibille  Tiburtine  (261), 

leur  insinue  en  disant,  que  celle-ci  «  fait  fin  i  jus- 
qu'à ce  que  l'autre  paraisse. 

(261)  Ou  croit  qu'il  est  inutile  de  faire  remarquer 
le  burlesque  qui  règne  dans  ce  discours. 


675 


PAS 


DICTIONNAIRE  DLS  MYSTERES, 


PAS 


6T> 


Plysquc  Palas  a  de  prudence, 
De  Minerve  »  de  loquence  ; 
C'est  la  nornpareille  qui  soit; 
Et  suppose  (|ue  Dieu  pensait 
Racheter  tout  l'Humain  lignaige 
Quant  il  la  (tel. 

LUCIFER. 

Par  ton  langaige 
Il  semble  que  lu  ayes  peur  d'elle. 

«  Malgré  tout  ce  que  peut  dire  Satan,  Lu- 
cifer ne  perd  point  courage,  et  ordonne  à 
ses  démons  de  faire  tout  leur  possible  pour 
Jà  tenter.  » 

XVII.  Comme  Anne  fut  mariée  à  Cléophas. 

*  Abias  apprend  à  Barbapanter  et  à  Arba- 
panlerque  Joachim  venait  de  mourir.  Comm«> 
il  voit  qu'ils  veulent  s'aftliger,  il  ajoute: 

Remède  n'y  a,  il  est  mort  : 

Yelà  nous  sommes  tous  morielz. 

ARBVPANTER. 

On  ne  sçauroit  trouver  en  lieu 
Homme  craignant  redoublant  Dieu 
Plus  qu'il  faisait. 

*  Cbangeons  de  propos,»  dit  Abias. 

Qui  mecroyra,  on  mariera 
Anne  derechef. 

«  Vous  avez  raison,  répondent  les  autres, 
«  il  no  faut  pas  perdre  de  temps.  »  Tout  de 
suite,  voyant  passer  un  de  leurs  parents, 
appelé  Cléophas,  ils  lui  proposent  ce  ma- 
riage. Cléophas  y  consent,  et  ils  l'emmènent 
avec  eux  chez  Anne.  En  arrivant  ils  lui  font 
part  de  ce  qu'ils  viennent  de  résoudre  en- 
semble. 

ANNE. 

Guidez  vous  que  j'aye  le  courage 
D'elle  mariée?  nenny  non  ; 
Las  j'avais  ung  mary  si  bon, 
Si  courtoys,  et  si  amiable, 
Prudent,  vertueux,  charitable; 
Jamais  lel  n'en  reeouvreray. 

«  Point  tant  de  raisons,»  dit  Barbapnnier. 

Cléophas  esl  liomine  d'honneur, 
Nous  le  connaissons  entre  nous'; 
Et  pour  ce  délibérez  vous 
De  le  prendre  par  mariage. 

ANNE. 

Nonobstant  que  je  n'ay  couraige 
D'eslre  mariée,  mes  amys, 
Faicles  ainsy  qu'il  est  purinys 
Selon  la  Loy. 

ABIAS. 

Ça  Cléophas, 
Mon  ami,  entendez  le  cas. 

CLEOPHAS. 

Mes  Cousins,  et  amis  parfais 
Je  n'y  contredis  nullement. 

«  Enfin,  pour  couper  court,  ils  sortent 
tous  pour  terminer  ce  mariage. 

(Ici  s'en  va  Cléophas,  et  finie  ici  [262].) 
«  Ensuite  paraissent  Achin  et  Melchi.  Il 

(•26-2)  Cela  veut  dire  que  l'acteur  qui  jouait  ce 
personnage  se  relire   tout  à   fait  de  la  scène.  Celle 


semble  qu'ils  ne  viennent  guère  sur  lo  théâ- 
tre que  pour  former  des  espèces  d'inter- 
mèdes; on  ne  sait  pas  trop  ce  qu'ils  veulent 
dire,  ni  le  sujet  qui  les  amène.  Ici  ils  s'en- 
tretiennent des  façons  de  faire  des  bergers. 

ACHIN. 

Le  Dieu  Pan  soufrent  on  gracie 
El  semble  qu'on  soil  en  Asie 
Avec  Paris'el  Zénona, 
Qui  à  l'ombre  sous  la  feuillie 
Firent  mainte  chose  jolye, 
Que  le  Dieu  Bacus  ordonna. 

MELCIIY. 

Lorsque  Pegasus  s'euvolla 

Par  sur  les  aërs  quant  il  portait 

Perseus,  Bergère  es' ait 

En  grant  bruit,  c'esloil  mélodie 

Que  d'oui r  sur  la  reverdye 

Chauler  les  Nymphes  el  Déesses. 

ACHIN. 

Pi  est  des  Paslonres  tant  belles, 
Mais  ilz  n'ont  point  geniiiz  cotiraiges  ; 
J'en  ay  trouvé  plusieurs  rebelles, 
Aussy  je  ne  tiens  compte  d'elles, 
Quant  ilz  viennent  aux  pastouraiges. 

MELCIIÏ. 

Bergieres  bruneUes  font  raige, 
llcrgicrs  aiment  d'amour  parfaicle, 
Kl  laissent  aller  de  couraige, 


Quant  humainement  on  les  traicle.  > 

XVIII.  Comme  Hérode  feist  mettre  l'Aigle 
d'Or  sur  le  Temple. 

«  Hérode,  suivi  d'Antipaler,  d'Adrascus, 
de  Longis,  el  de  Cirinus,  ordonne  à  ce  der- 
nier d'aller  faire  poser  sur  le  temple  un 
aigle  d'or,  pour  marque  de  la  domination 
romaine;  Cirinus  et  Adrascus  sortent  pour 
lui  obéir.  » 

(Ici  vont  faire  mectre  l'Aigle  d'or  sur  le  temple.) 

XIX.  Comme  Anne  fut  mariée  à  Salomé. 

«  Abias,  toujours  rapporteur  de  mauvai- 
ses nouvelles,  vient  apprendre  à  Barba- 
panter et  Arbapanter  que  Cléophas  venait 
d'expirer,  et  n'avait  laissé  de  son  épouse, 
Anne,  qu'une  fille,  qui  portait  le  nom  de 
Marie,  ainsi  que  celle  de  Joachim.  «  Eh  bien  1 
«  il  faut  remarier  promplement  la  veuve,» 
dit  Barbapanter. 

ARBAPANTER. 

Sans  un  chief 
Masculin  en  une  maison 
il  n'y  a  rien  de  rime,  ne  raison  ; 
Qu'il  soil  ainsi,  je  vous  le  preuve, 
Il  y  a  mainte  femme  veufve 
Qui  pert  ses  biens  à  la  volée, 
Par  faillie  d'eslre  mariée. 
Une  femme  seulle  n'est  rien. 

«  Ils  consultent  entre  eux  quel  est  lo 
mari  qu'ils  veulent  donner  à  Anne  en  troi- 
sièmes noces;  et  ils  s'arrêtent  à  Salomé. 
Ensuite  ils  vont  en  faire  la  proposition  à 
Anne. 

note  une  fois  pour  toutes  les  occasions  oui  se  trou- 
veront pareilles  à  celle-ci. 


C77 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 
XXII 


TAS 


67$ 


ANNE. 

Vous  sçavez  que  je  <!oy  entendra 
\  faire  voire  bon  plaisir, 
Pour  ce  selon  votre  désir 
Soit  fait. 

ARBAPANTER  à  Stllomé. 

Appréciiez  noslre  aymé 
salO'.:é,  troisième  manj  de  Anne. 
Quesse  qu'il  vous  plaisl? 

«  Barbapanter  ,  qui  paraît  partout  un 
r.omme  rude  et  brusque,  dit  à  Salomé  de 
cuoi  il  s'agit.  Salomé  lui  répond  humble- 
ment que,  comme  il  est  persuadé  qu'ils  ne 
veulent  que  son  avantage,  il  ne  prétend  pas 
y  contredire. 

BARBAPANTER. 

Ça  Aune,  que  voulez-vous  dire? 

ANNE. 

Tout  ce  qu'il  vous  plaist. 

Moy  aussy , 

ajoute  bien  vite  Salomé. 

Or  ne  débatons  plus  cecy. 

dit  Abias.  Enfin  ,  après  quelques  exhorta- 
tions réciproques  de  la  part  d'Anne  et  de 
Salomé,  ils  sortent  tous  pour  conclure  ce 
mariage.  » 

XX.  Comme  les  Juifz  murmurent  contre 
Hérode. 

«  Cirinus  et  Adrascus  ,  après  avoir  posé 
l'aigle  sur  le  pinacle  du  temple,  font  ré- 
flexion que  cela  pourra  faire  de  la  peine  aux 
Juifs  :  «  Cela  est  vrai,  dit  Adrascus,  mais  ils 
«  n'en  oseront  murmurer  que  tout  bas  :  et 
«ils  redoutent  trop  la  puissance  d'Hérode.  » 

«  Cela  ne  manque  pas  d'arriver  ;  Zoroba- 
bel  s'en  apercevant,  dit, 

Quesse  qu'on  a  posé  là  liault 
Au  Pinacle  du  Temple? 

;e  C'est  un  aigle  d'or,»  répond  Naasson. 
«  Cela  est  assurément  bien  étrange,»  ajoute 
Manassès,  «  il  est  certain  qu'Hérode  se  rit 
«  dé  notre  faiblesse.  »  Après  de  pareils  dis- 
cours, ils  en  reviennent  à  leur  refrain  ordi- 
naire, qui  est  d'attendre  le  Messie.  » 

XXI.  Comme  Ruben  print  conseil  des  Juifz. 

«  Ruben,  continuant  ses  soins  auprès  des 
jeunes  tilles  de  sa  communauté,  veut,  sui- 
vant la  règle  établie,  renvoyer  celles  qui  ont 
plus  de  treize  ans.  Pour  cet  tlfet,  il  congédie 
les  deux  pucelles  dont  nous  avons  parlé  ci- 
dessus,  et  Marie,  qui  est  pour  lors  âgée  de 
quatorze,  le  supplie  de  la  laisser  au  temple, 
attendu  qu'elle  a  voué  à  Dieu  sa  virginité. 
Ruben,  ne  sachant  comment  se  conduire  dans 
une  affaire  aussi  délicate,  et  dont  il  n'a  point 
encore  vu  d'exemple,  ne  voulant  pas  égale- 
ment entreprendre  sur  les  règles  prescrites, 
ni  gêner  la  volonté  de  la  fille,  va  demander 
l'avis  des  Juifs.  Zorobabel,  Naasson  et  Ma- 
nassès, qu'il  consulte,  opinent  à  se  mettre 
tous  en  prière,  et  a  demander  h  Dieu  qu'il 
veuillo  leur  interpréter  sa  volonté.  » 


Comme  l'Ange  révéla  la  Prophétie,  que 
Jésus  naistroit  de  Marie. 

«  Dieu,  qui  prépare  tout  pour  la  rédemp- 
tion du  genre  humain,  charge  Gabriel  d'an- 
noncer aux  Juifs  qu'ils  aient  à  ordonner  a 
tous  ceux  qui  sont  de  la  liguée  de  David 
de  se  trouver  au  temple  chacun  une  verge 
à  la  main  :  et  que  celui  à  qui  la  verge  fleuri- 
rait est  destiné  pour  être  l'époux  et  le  gar- 
dien de  Marie.  Les  anges  remercient  Dieu, 
et  Gabriel  va  pour  exécuter  ses  ordres. 
(Icy  descend  l'Ange,  el  vient  au  Temple.) 

«  Pendant  que  Ruben  et  les  trois  autres 
Juifs  sont  #en  prières,  ils  entendent  cette 
voix  de  l'ange. 

GABRIEL. 

Egredietur  Virga  de  radiée  Jesse. 

Ceste  irès-noble  prophétie) 

Est  au  douziesuie  de  Ysaye,  etc. 

«  Ensuite,  il  leur  annonce  les  oidres  de 
Dieu,  et  se  relire. 

(Ici  l'Ange  se  absente.) 

«  Les  Juifs,  que  cette  voix  a  déterminés, 
ne  balancent  pas  à  suivre  ce  parti  :  Ruben 
en  avertit  le  peunle. 

RUBEN. 

On  vous  fait  à  sçavoir  à  tous 
Qui  de  David  estes  yssus  , 
Que  venez  sans  allendre  plus 
Au  temple  d'ung  vouloir  humain  : 
El  que  chacun  ail  en  sa  main 
Une  Verge,  car  Dieu  l'ordonne; 
El  il  veut  que  Marie  on  donne 
A  celui  à  qui  florira       , 
Sa  Verge.  Qui  refusera 
A  y  venir  sera  blasmé. 

«  Barbapanter,  Arbapanler  et  Abias,  des- 
cendants de  David,  se  préparent  pour  cette 
cérémonie.  Achin  et  Melchi,  quoique  sim- 
ples bergers,  se  ressouviennent  qu'ils  sont 
du  sang  de  ce  roi ,  et  prennent  chacun  une 
verge  pour  s'y  rendre.  Joas,  le  malade  dont 
nous  avons  parlé  au  quatrième  Myslère  ci- 
dessus,  et  qui  est  pour  lors  en  santé  ,  aussi 
bien  que  le  Pèlerin,  son  camarade,  y  vont 
aussi.  Ils  trouvent  en  chemin  Joseph  que 
le  même  dessein  y  conduisait,  mais  qui  au- 
rait voulu  conserver  sa  virginité,  et  rencon- 
trer une  épouse  de  pareille  humeur.  » 

(Ici  vont  an  Temple.) 

XXIII.  Cotnme  baillent  leurs  Verges  au 
Prestre  de  la  Loy. 

{Ici  baillent  leurs    Verges  l'ung  après  l'autre    et  les 
mettent  sur  l'Autel.) 

BARBAPANTER. 

Vêla  la  mienne  belle  ei  fresche, 
Mais  si  n'est-elle  poinl  florie. 

MELCIIY. 

Je  n'épouserai  point  Marie 
La  mienne  nulle  fleur  ne  rend. 

ACHIN. 

Soit  bien  content,  ou  mal  content, 
Je  n'espouseray  point  la  Belle. 


673 


TAS 


DICTIONNAIRE  DF.S  M\STi.!\FS. 


PAS 


w>n 


MAS. 

Au  regard  d'avoir  la  Pucelle. 
Certes  je  m  m'y  atlenda  pas. 

LE  PÈLERIN. 

Aussi  ne  fais-je  moi  .  loas  . 

Car  de  l'avoir  je  suis  trop  niée  (i€3). 

N  WSSON. 

Je  ne  voy  Verge  aoi  Botîsse. 

MANA.SSÈS. 

Remaniez  dessoubz  et  dessus. 

«  Italien  commence  à  manquer  de  foi. 

ROBES. 

JT  \  paour  que  nous  soyons  deceuz. 

■  Enfin,  ne  voulant  pas  demeurer  plus 
longtemps  dans  cette  incertitude,  il  ordonne 

à  Joseph  de   montrer  aussi  sa    verge,  el  lui 
dit  avec  hauteur  : 

BIBEN. 

Al)  !  par  ma  f  Df  , 
Joseph,  si  la  mons'oerez-vous 
El  sera  et  voue  devant  loas; 

Monstrez-la  tesi  legieremea*. 

JOSEPH. 

Puisque  c'est  par  commandement 
Dieu  est  requis  que  je  le  t'aee.  i 

\L-y  monstre   Joseph    sa    Verge.     •    ;    i     ..:rest  la 
columbe  sur  la  Verge  forié). 

XXIV.   Comme  Joseph  espouse  Marie. 

«  Un  miracle  si  visible  et  si  surprenant 
ige  toute  l'assemblée  à  Gierles  yeux  sur 
losepfa,  et  a  lui  faire  des  compliments.  Le 
prêtre  lui  dit  que  suivant  l'ordre  de  Dieu, 
apporté  par  son  ange,  ii  est  destiné  pour 
éiiouser  Mare,  en  même  temps  i;  renvoie 
i  bercher,  et  sans  les  quitter  il  les  marie. 
Ensuite,  après  leur  avoir  donné  quelques 
instructions,  il  se  retire. 

«  Joseph, qui  avait  senti  de  la  répugnance 
à  ce  mariage,  tant  à  cause  de  son  veau,  que 
pour  son  extrême  pauvreté,  dit  à  Marie. 

JOSEPH. 

Suave  el  odoranle  Ruse  , 
Je  fiça]  bien  que  je  suis  in  iigne 
D'eponser  Vierge  uni  bc. ligne , 
Nonobstant  que  soye  descendu 
!>e  P.i\  id  ,  bien  entends  : 
liant  je,  je  n'ay  goerea  de  biens 

MARIE. 

>  his  Ironverons  bien  les  moyens 
De  vivre  ,  mais  que  y   niellons  peine  , 
tu  tixtnre  de  soye  et  laine 
ile  rongnoys. 

J.'>EPH. 

Si  bien  diet ,  Ma:i  j 
Aussy  de  ma  Cbarnenlerie 

Je  gaigneni  quelque  eboseiie. 

«  Marie  lui  conseille  de  se  retirer  chacun 
en  particulier,  pour  penser  à  ses  allai     - 
[ley  te  retirent.) 

«  Marie,  qui  ignore  le  dessein  de  losepb, 
parait  fort  émue;  elle  prie  Dieu  de  vouloir 
l'assister  de  ses  grâces.  Joseph,  de  son  el 

[K3]  Hit»,  simple. 


se  trouve  dans  un  pareil  embarras.  KnGn 
Marie,  rompant  le  silence,  lui  avoue  sa  réso- 
lution. Joseph  est  charmé  de  la  trouver  dans 
des  sentiments  >i  conformes  aux  siens:  el 
ils  s',  n  vont  dans  une  ferme  résolution  d'y 
persister  toujours.  » 

XXV.   Comme  VAngt  annonça  à   Zackarie  la 

Mativiie  de  Sainci  Jehan. 

(Zacharie  père  de  Sainct  Js'tan-B      h  .    .  .'.i-,  c 
Temtptt . 

«  lacharie,  touché  des  maux  que  les  J  .  - 
soutirent,  prie  Dieu  d'envoyer promptemenl 
son  Christ  pour  les  faire  cesser.  Dieu  écoule 
favorablement  sa  prière,  el  pour  l'exaucer, 
irdonne  à  Gabriel  de  lui  déclarer,  de  sa 
:  irt,  qu'il  aurait  de  son  épouse  Elisabeth 
un  Gis,  à  qui  il  donnerait  le  nom  de  Jean; 

£zr  ce  nom  Jehan  .  qui  bien  le  veuil  noter, 

Grâce  de  Pieu  se  peutl  interpréter  : 

Ma  grâce  aussy  dessus  lui  vueil  estendre. 

■joutant  que  cet  enfant  devait  servir  de  pré- 
curseur à  son  Christ. 

[Icij  dessenl  l'Ange  Gabriel,  et  va  rers  Zacliarie.) 

«  Les  anges    remercient    Dieu  de    c«:tto 

bonté 

/  -y  fait  Emchtnie  semblent  d'er.sencer  rAut  ! ,  e: 

i  .  .>.'  à  l*g.) 

«  A  ia  première  parole  de  l'ange,  Zael 
tombe   de  frayeur   sous  l'autei:  Gabriel    le 
rassure  en  lui  annonçant  ks  ordres  de  Dieu. 

G\BRIEL. 

Mais  premier  un  tîlz  lu  auras. 
Que  par  nom  Jehan  tu  nommeras; 
Lequel  préparera  le  euenr 
Pu  pnpnlaire  a  sa  :  Bantvenr. 
Li  sera  par  divine  Loi 
Prescliant  pénitence  el  vraye  foy  . 
Qui  naistn devant  le  SanJvear 
El  se  nommera  sa  liaulieiir, 
Grandeur  de  conversacion, 
Parfaode  humiliai-ion . 
De  charité  »  i  imb  largeur. 
Li  pareillement  en  longueur,  eie. 

a  Comme  Zacharie  parait  incrédule,  l'ange 
lui  dit  qu'il  demeurera  muet  jusqu'à  b  l  i  s- 
sance  de  cet  enfant;  ensuite  de  quoi  ii  se 
retire.» 

(!cy  t'en  ta  rAnje  en  Paradis.) 

XXVI.   Le  Procès  de  Paradis. 

«  Le  procès  qui  était  demeuré  pendant  au 
tribunal  de  Dieu,  entre  la  V  la  Justice, 

d'un  côté,  la  Uïséricorde  et  la  Paix  de  l'au- 
I  e.  n'ayant  pu  être  terminé,  recommence 
ici  avec  plus  de  chaleur  que  jamais.  C  - 
quatre  Vertus  persistent  toujours  dans  leurs 
sentiments.  Dieu  leur  déclare  qu'il  veut 
al  sauver  l'homme.  Po  ir  accorder 
des  choses  si  contraires,  elles  s'adressent  à 
la  Sapience.  La  Paix  demande  que  l'homme 

.  sse  être  reçu  à  pardon,  après  une  [  éui- 
tence  '  née.  «  Non,  répond  la  Jus- 

■  tice,  cent  milliers  d'années  de  pénitence 
«  ne  me  suffiraient  pas,  il  faut  sa  mort  éter- 


?81 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


<m 


«  nellc.  »  La  Sapienee  paraît   ébranlée  des 
«  raisons  de  la  Juslice. 

SAP1ENCE. 

Juslice  a  irès-bonne  raison, 

S'ell.-  se  lient  liien  difficile  : 

Regerg  lez  (2(34)  en  cause  civille, 

Si  iiug  malfaicieur  pour  son  desroy  (265). 

Êsl  saisy  en  prison  de  R>y, 

El  tant  à  mal  faire  la  Mort 

Que  sa  cause  est  digne  de  Morr , 


La  repentante  rien  n'y  faicl 
Ne  le  juge  en  rien  ne  regarde. 
Que  son  paiement  il  ne  luy  garde, 
De  la  mort  qu'il  a  desservie. 

«  Par  cet  exemple  pris  sur  les  lois  humai- 
nes, la  Sapienee  de  Dieu  prétend  excuser 
la  rigueur  de  la  Justice.  Enfin  ,  après  bien 
des  contestations, Sapienee, pour  accommo- 
der loules  les  parties, déclare  qu'il  faut  que 
ce  soit  un  Dieu  fait  homme,  qui  fasse  celle 
réparation.  «  Laquelle  des  trois  personnes 
«  doit  la  faire  ?  lui  demande  la  Miséricorde. 
«  —  Le  Fils,  répond-elle.  —  Et  pourquoi 
«  lui  plulôl  qu'un  autre?  réplique  la  Paix. 
«  —  Par  quatre  choses,  »  dit  Sapienee. 

SAPIENCE. 

Et  premier  je  puis  eslimer, 
Selon  que  le  Filz  se  faict  nomer  : 
La  set  onde  e-t  qu'il  est  yniaige 
De  Dieu  le  Père  noble  et  saige; 
Tiercemeiit  est  parole  et  Verbe, 
De  Dieu  qui  est  noble  proverbe  , 
A  la  quarte  ,  qui  bien  en  sonne 
Il  est  la  moyenne  personne. 

«  Les  quatre  Vertus  se  rendent  entin  ;  et 
Dieu  conclut  au  mystère  de  l'Incarnation. 
Cependant  il  propose  à  la  Juslice  si  elle  ne 
veut  point  prendre  une  autre  victime  à  la 
place  de  son  propre  Fils. Mais  comme  la  Justi- 
ce, après  l'arrêt  que  la  Sapienee  vient  de  ren- 
dre en  sa  faveur,  demeure  inflexible,  Dieu 
dépêche  Gabriel  vers  la  Vierge  Marie. 
(Ici  descend  Gabriel,  ei  va  vers  Marie.) 

«  Cependant  Chérubin,  Séraphin,  Michel, 
Raphaël  et  Driël  se  réjouissent  du  bouhour 
dont  les  hommes  vont  jouir.  » 

XXVU.  De  la  Salutation  Angélique. 
(Marie  lisinl.) 

GABIUEL. 

Are  pour  salulacion. 

Je  le  salué  d'affection, 

Maria  Vierge  tres-benigne 

Gracia  par  infusion 

[)■■.  grâce  acceptable  el consigne  : 

Plenia  par  la  vertu  divine  : 

Pleine  quant  de  dans  toy  redit* 

Do<i:inu$  par  dib-clion  : 

.N  rstre  Seigneur  fait  ung  grunt  signe 

T'.cum  d'amour  quant  il  assigne 

A\ec  loy  sa  pennancion. 

■  Marie  est  fort  surprise  à  ce  discours  ; 

ensuite  Gabriel  lui  déclare  que  Dieu  l'a  élue 

pour  porter  le  Messie  dans  son  sein.  Comme 

ie  fait  difficulté  de  croire  cela,  attendu 

qu'elle  veut  toujours  garder  sa    virginité  , 


l'ange  la  rassure  en  ajoutant  quo  cela  si; 
ferait  par  l'opération  du  Saint-Esprit. 
Marie  veut  bien  y  consentir  à  celte  condi- 
tion. 

MARIE. 

Eece  anrilla  Domini 
L'Ancelle  Dieu  suis  en  effeci, 
J';iy  parfaicie  cré  lence  en  lui, 
Ll  selon  Ion  dicl  me  soit  faict. 

«  Interlocutoire  de  Marie  et  de  Joseph.  — 
Marie  et  Joseph  se  réitèrent  encore  leurs 
vœux  de  chasteté  :  Marie  demande  à  Joseph 
la  permission  d'aller  voir  sa  cousine  Elisa- 
beth, et  celui-ci  y  consent. 

«  Elisabeth,  de  son  côté,  s'entretient 
avec  Ularj  ,  sa  «  chambrière,  ><  de  sa  gros- 
sesse. Elle  a  home,  à  son  âge,  de  se  trouver 
enceinte;  et  craint  que  sa  vertu  ne  soit 
soupçonnée.  Ulan  la  console.  » 

XXVIII.  Marie  et  Elisabeth. 

«  Marie  vient  voir  Elisabeth  ;  cette  der- 
nière lui  dit  qu'à  son  arrivée  elle  a  bien 
senti ,  aux  mouvements  de  l'enfant  qu'elle 
porte,  qu'elle  parle  à  la  Mère  de  son  Sau- 
veur. Ensuite  Marie  et  elle  se  font  beaucoup 
de  compliments.  » 

XXIX.  Enfer. 

«  Tous  ces  préparatifs  d'une  rédemption 
prochaine  alarment  les  enfers.  Lucifer  en 
convoque  les  esprits,  qui,  suivant  leur  bonne 
coutume,  le  remercient  par  des  torrents 
d'injures. 

6ATUAN. 

Qui  faicl  cesle  mulacion? 
Lucifer  R<>y  des  Eiinemys? 
Vous  huilez  comme  un  loup  famis, 
Quand  vous  cuidez  chauler  ou  rire. 

«  Lorsqu'ils  sont  tous  rassemblés,  Luci- 
fer propose  ses  soupçons.  Àslaroth  dit  qu'il 
n'a  rien  à  craindre. 

AST1ROTH. 

Délivrer  ne  se  peull  pas, 

Ne  doublet  point  de  ce  trépas  ,  ele. 

LL'CIFER  le  faisant  taire. 

Aslaroth ,  ne  parle  jamais, 
Tu  es  encore  trop  novice. 

«  Il  demande  l'avis  de  Satan,  qui,  plus 
expérimenté  que  son  camarade  ,  lui  avoue 
qu'il  craint  aussi  quelque  chose.  Lucifer  qui 
a  ouï  dire  que  les  patriarches  qui  sont  rete- 
nus dans  les  limbes,  s'attendent  à  une  dé- 
livrance, fait  avancer  Satan. 

LLCIFEB. 

Approche  ton  propos,  Sathan  , 
Car  je  me  liens  a>sez  des  liens , 
Veu  et  cscoule  les  moyens  . 
Grant  s'ipfcOii  en  moy  je  fonde. 
Quant  t;.  <  ours  et  vas  pjr  le  monde, 
Ne  lis  tu  p.»int  aux  Cstriplures  , 
Pour  voir  oe  de  nor  adventures  , 
Hz  font  aucune  meuciou  ? 

*  Oui,  dit  Satan,  j'en  ai  lu  queique  chose  ; 
■  et  elles  parlont  d?un  Messie  a  naître  qui 


204)  Regardez. 

DiCTIOW   vus 


Mystères. 


(265J  Ecrire. 


22 


m 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


681 


«  doit  délivrer  les  âmes  des  justes  détenues 
«  aux  limbes,  et  obtenir  de  Dieu  miséri- 
«  corde  pour  les  pécheurs.  »  Lucifer,  qui 
voit  que  l'affaire  devient  sérieuse,  prend  le 
parti  de  faire  tenter  le  Messie,  lorsqu'il  pa- 
raîtra, et  charge  Satan  de  cette  commis- 
sion. 

SATHAN. 

Sans  longue  protestation 
Je  m'offre  à  faire  tout  debvoir  : 
Mais  il  fault  avant  le  mouvoir , 
Avoir  la  benisson  boussue  (266) 
De  vosire  ôrde  pâte  crossuë  (267) 
Bruslanie  en  feu  par  grant  ardeur. 

LUCIFER. 

Or,  va,  que  telle  roideur 
Te  puissent  les  diables  mener  , 
Que  gros  dragons  au  retourner 
Te  ramainent  tout  à  loti  aise. 
Aidant  comme  feu  de  fournaise, 
Plains  de  souffre  et  de  salpeslre. 

«  Satan  part  avec  ce  passeport.  » 

XXX.  De  V enfantement  d'Elisabeth. 

(Icy  tend  Marie  l'Enfant  d'Elizabelh,  et   le  monstre.) 

«  Elisabeth,  qui  vient  d'accoucher  der- 
rière la  scène  ,  paraît  avec  Marie  et  Utan, 
-(  chambrière.  »  On  la  félicite  sur  son  heu- 
reuse délivrance,  et  cependant  on  emmail- 
lote l'enfant. 

{Icy  accouslrent  l'Enfant.) 

«  Barbapanter,  Arbapanter  et  Abias,  vien- 
nent rendre  visite  à  Zacharie  et  sa  femme. 
Ils  apprennent,  en  arrivant,  la  naissance  de 
l'enfant  et  la  perte  de  la  parole  de  son  père. 
Comme  ils  veulent  circoncire  l'enfant,  il  est 
question  de  lui  imposer  un  nom,  et,  pen- 
dant qu'ils  se  débattent  pour  savoir  lequel, 
Zacharie,  recouvrant  l'usage  de  sa  langue, 
leur  dit  que  l'ange  lui  avait  enjoint  de  don- 
ner à  l'enfant  le  nom  de  Jean,  et  qu'il 
fallait  lui  obéir.  Ensuite,  comme  il  a  de 
l'impatience  de  revoir  son  épouse,  il  con- 
gédie ses  amis  et  les  prie  de  revenir  une 
autre  fois,  où  il  pourra  les  recevoir  plus  com- 
modément. 11  va  visiter  Elisabeth,  et  après 
quelques  compliments,  il  sort  pour  aller  au 
temple.  --  En  s'en  allant  il  dit  adieu  à 
Marie. 

(Zacharie  fine  icy.) 

«  Enfin  Marie  remercie  Dieu  de  la  nais- 
sance de  saint  Jean,  et  prenJ  congé  d'Elisa- 
betb.  » 

(Icy  s'en  va  Marie  par  devers  Joseph.) 

XXXI.  Le  double  de  Joseph  touchant   l'In- 
carnation du  Filz  de  Dieu. 

«  Marie  ,  de  retour  chez  elle  ,  apprend  à 
Joseph  -l'heureuse  naissance  de  saint  Jean. 
Après  plusieurs  discours,  Joseph  s'aper- 
çoit que  Marie  est  grosse;  il  ne  peut  croire 
ce  soupçon  et  veut  s'en  éclaircir. 

«  Marie  lui   proteste  qu'elle  a   toujours 

'  (266)  Ample  bénédiction. 
(267)  Crochue 
(288)  .Nous  mènerons. 


gardé  son  vœu  de  virginité,  mais  Joseph  a 
bien  de  la  peine  à  se  rendre. 

«  Il  lui  dit  de  s'en  aller  coucher ,  et  que 
le  lendemain  il  lui  ouvrirait  son  cœur.  Marie 
après  l'avoir  quitté,  prie  Dieu  de  vouloir 
bien  apaiser  l'esprit  de  Joseph,  qui,  de  son 
cÔlé,  inquiet  et  ne  sachant  à  quoi  se  dé- 
terminer, tantôt  croit  Marie  innocente,  et 
tantôt  la  croit  coupable.  Pour  sortir  de  cet 
embarras  et  n'avoir  eh  môme  temps  rien  à 
se  reprocher,  il  se  résout  à  se  séparer  de 
son  épouse.  Dans  cette  pensée  le  sommeil 
vient  s'emparer  de  ses  sens,  et  il  va  se  cou- 
cher. 

(Icy  s'en  va  dormir  Joseph.) 

«  Dieu  qui  voit  le  trouble  et  l'agitation 
de  Marie  et  de  Joseph  ,  ne  voulant  pas  les 
laisser  dans  cette  incertitude,  ordonne  à 
Gabriel  d'aller  dire  à  Joseph  que  son  épouse 
Marie  était  enceinte  du  Christ,  et  qu'il  ne 
devait  point  avoir  de  mauvaise  pensée  contre 
sa  pudicité,  attendu  que  ces  choses  avaient 
été  faites  par  l'opération  du  Saint-Esprit. 
L'ange  exécute  cet  ordre  et  le  fait  savoir  à 
Joseph  pendant  son  sommeil. 

(Icy  se  absente  l'ange  de  Joseph.) 

«  Joseph  à  son  réveil ,  honteux  d'avoir 
conçu  de  tels  soupçons  contre  Marie,  court 
lui  en  demander  pardon.  » 

XXXI i.  Du  mandement  publié  en  Judée. 

«  Cirinus,  prévôt  de  Judée,  ordonne  à 
Rapporte-Nouvelle  de  publier  le  mande- 
ment de  l'empereur  des  Romains,  qui,  vou- 
lant savoir  le  nombre  de  ses  sujets,  ordonne 
à  tin  chacun  de  se  retirer  à  la  ville  de  sa 
naissance,  pour  s'y  faire  enregistrer.  Rap- 
porte-Nouvelle lui  obéit.  » 

XXXIII.  Comme   Marie   et    Joseph  vont   en 
Bethléem. 

«  Quoique  ce  mandement  vienne  fort  mal  à 
propos  pour  Joseph  et  Marie  qui  n'ont  point 
d'argent,  cependant  ils  sont  obligés  de  s'y 
conformer. 

JOSEPH. 

El  bien,  Marie,  puisque  ainsi  est 
Mener  nostre  aune  conviendra  , 
Pour  nous  porter  quant  la  viendra 
Que  nous  nous  trouverons  fors  las; 
Àussy  pour  ce  que  n'avons  pas 
Tant  d'argent  que  pourrions  despendre, 
Nous  marrons  (268)  ce  beuf  cy  pour  vendre, 
Si  nous  survient  aucune  affaire. 

«  En  s'en  allant,  ils  rencontrent  Abias, 
qui  s'offre  à  les  accompagner..  Cependant 
Rapporte-Nouvelle  vient  rendre  coiuj  te  à 
Cirinus  de  son  expédition. 

Mabommet  le  grant  Dieu  vous  garde  (269) 
El  tienne  en  vosire  auctorité  :  > 
y-.\y  le  mandement  exploicle    . 
Pubi.icqueuieni  en  muinte  Ville.  > 

(269)  Voici  l'ignorance  de  l'anleSir,  ifoirt  nous  avons 
parlé  au  septième  mystère  ci  dessus. 


68S 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


use 


XXXIV.  Du  logis  de  Marie  et  Joseph. 

«  Marie  et  sa  compagnie  arrivent  à  Beth- 
léem. Abias  fait  ce  qu'il  peut  pour  trouver 
un  logement  à  Marie  ;  il  s'adresse  au  maître 
d'une  hôtellerie,  et  lui  demande  une  cham- 
bre, si  petite  qu'il  .voudra.  Joas  (c'est  le 
nom  du  maître  de  ce  logis),  les  reçoit  fort 
rudement. 

JOAS. 

Vous  n'y  povez,  croyez-vous  pas; 
El  quant  place  pour  vous  auroye, 
Ja  ne  vous  y  logeroye  : 
Ce  n'est  pas  \c)  l'Ospital, 
.  C'est  Logis  pour  gens  de  Cheval , 
El  non  pas  pour  gens  si  ineschans. 
Allez  loger  eniniy  les  champs  (270), 
El  vuidez  hors  de  ma  maison. 

«  Enfin ,  après  bien  des  pi lères  et  des 
supplications,  Joas,  par  importunité,  leur 
peruet  de  se  loger  dans  un  vieux  appentis 
à  moitié  découvert  et  qui  ne  ferme  point. 
Marie  et  Joseph  sont  forcés  de  s'en  passer. 
Us  s'y  accommodent  du  mieux  qu'ils  peu- 
vent, et  Marie  dit  à  Joseph  d'avoir  soin  de 
leurs  animaux. 

JOSEPH. 

Us  sont  très-bien  lyez  tons  deux., 
Mais  icy  endroit  cesle  bresche 
Leur  fera  y  une  belle  creschc  , 
Avanl  que  je  face  dépari, 
Pour  mettre  leur  inengaille  à  part  : 
Hz  seront  très-bien  ordonnez. 
Or  vous  tournez,  bauldel,  tournez 
Le  museau  devers  la  înengoire, 
Vous  avez  bien  gaigné  à  boire 
Car  peine  avez  eue  à  foison. 

XXXV.  Des  pastoureaux. 

«  Aloris ,  Pelyon  ,  Ysambart  et  Hilîlart, 
bergers  des  environs  de  Bethléem,  se  ras- 
semblent pour  se  préparer  à  la  veillée,  ils 
s'entretiennent  de  plusieurs  choses,  et  enfin 
tombent  sur  les  affaires  d'Etat,  et  raisonnent 
sur  l'édit  d'Auguste. 

ALORIS. 

Mais  à  quel  propos  ? 
Esse  pour  faire  une  bataille? 

R1FFLAKT. 

Voire  pour  payer  une  taille, 
Peut-estre  que  nous  sera  dure. 

«  Cela  est  horrible,  ajoutent-ils,  et  depuis 
«  le  règne  de  David,  on  n'a  jamais  rien  va 
«  de  semblable.  »  Enfin  après  avoir  bien 
discouru,  leur  conversation  se  termine  à  se 
bien  défendre  des  loups. 

XXXVI.  Uoraison  de  Sijmeon, 

«  Siméon,  accablé  des  ans,  prie  Dieu  avec 
ardeur  de  lui  faire  la  grâce  de  pouvoir, 
avant  la  lin  de  ses  jours  ,  avoir  le  bonheur 
de  voir  son  Christ.  Le  Seigneur  envoie 
l'ange  Raphaël  pour  lui  dire  que  sa  prière 
est  exaucée.  Siméon  en  remercie  Dieu.  » 

XXXVII.  De  la  Nativité  de  Jésus. 
«  Dieu  qui  a  prévu  le  moment  de  la  nais- 

(270)  Dehors. 

(271)  Sur  le  chemin. 


sance  de  son  Fils,  envoie  cette  nuit  ses  an- 
ges pour  le  servir  d'abord  qu'il  sera  né. 

MARIE. 

0  doulx  Dieu ,  de  moy  le  souvienne. 
Comme  y  a  parfaite  crédenca 
A  ta  haulle  magnificence 
El  clere  illumination  : 
0  riche  trésor  de  clémence 
0  divine  Incarnation.' 
Bien  doy  en  cxallacion 
En  vertu  de  dévotion 
Honnorer  ce  mislere  en  moy, 
Quant  sans  quelque  vexation  , 
Sans  fracture  ,  ne  corruption, 
Le  fruit  de  mon  ventre  recoy. 

(Icy  monstre  Marie  l'Enfant  Jésus.) 

«  Saint  Michel ,  Raphaël  ,  Gabriel  ,  Uriel, 
Séraphin  et  Chérubin  ,  chantent  les  louan- 
ges de  l'Enfant  Jésus  ,  et  en  remercient 
Dieu.  Joseph,  qui  était  allé  chercher  quel- 
ques provisions  et  qui  n'était  pas  présent  à 
ce  grand  événement,  revient  au  logis. 

JOSEPH. 

Puisque  j'ay  fait  mes  provisions, 
Saison  est  que  retourner  doye  : 
Peut  eslre  se  trop  altendoye', 
Marie  auroit  nécessité. 

(Icy  apperçoit  Joseph  r Enfant  el  Marie  à  genoulx.) 

JOSEPH. 

0  liés  glorieuse  Trinité  , 
Quesse  que  que  je  voys  de  cesie  heure! 
Certes,  c'est  un  enfant  qui  pleure 
Tout  nnd,  sur  le  feure  (271)  gesaut 
Et  la  mère  à  genoulx  devant,  etc. 

(Icy  se  met  à  genoulx  el  chante  avec  Marie  les  louan- 
ges de  l'Enfant.) 

MARIE. 

Mon  cher  enfant,  ma  très-doulce  portée , 
Mon  bien,  mon  cueur,  mon  seul  avencement 
Ma  tendre  fleur  que  j'ay  longtemps  porlée, 
Et  engendré  de  mon  sang  proprement  : 
Virginalemenl  en  mes  flancs  le  conceuz, 
Virginalemenl  ton  corps  humain  receuz 
Virginalemenl  t'ay  enfanté  sans  peine, 
Tu  m'as  donné  cognoissance  certaine 
Que  à  ton  pouvoir  ame  ne  se  compère; 
Parquoy  te  adore,  et  le  clame  à  voix  plaine; 
Mon  doux  enfant,  mon  vray  Dieu,  et  mon  père, 

JOSEPH. 

Tu  es  le  Saulveur  du  monde  , 
Enfant  où  tout  bien  abonde, 
Pur  el  monde, 
Par  pouvoir  espicial 
Car  au  ventre  virginal, 
As  prinse  le  ceptre  royal 

Très  loyal , 
Pour  tout  juger  en  la  ronde, 
Ce  beau  monde  en  général, 
El  comme  juge  féal 
TraségaJ  (272)  ; 
Te  adore  en  crainte  profonde. 

«  Après  quelques   discours  pareils,  pa- 
raissent les  anges. 

(/ci/  fault  une  nuée  où  seront  les  Anges.) 

«  Gabriel   dit  aux  autres  anges  qu'il  va 

(272)  Très-c'gal,  très-juste. 


687 


PAS 


dictionnaire  les  mysteues. 


PAS 


css 


avertir  les  bergers  d 2  la  naissance  de  l'en- 
fant Jésus.  Saint  Michel  el  Raphaël  s'offrent 
à  l'accompagner.  » 

XXXVIII.  Comme  l'ange  s'apparut  aux  pas- 
toureaux. 
(Ici  respandenl  les  Anges  yrant  lumière.) 

«  Les  bergers  qui,  comme  nous  venons 
de  voir  ci-dessus,  passent  la  nuit  à  veiller, 
surpris  d'une  telle  splendeur,  ne  savent  à 
quoi  l'attribuer  :  «  —  Est-ce  que  le  jour 
«  commence?  se  disent-ils;  la  lune  pour- 
«  rait-elle  répandre  une  telle  clarté  ?  »  Pen- 
dant qu'ils  sont  dans  cet  étonnemeut,  Ga- 
briel les  rassure. 

GABRIEL. 

Rergiers,  ne  vueillez  crainte  avoirr 
Eiumyl  (273)  esl  accomply  l'esprit 
Car  noire  Saulveur  Jésucrist 
Sans  «toute  nous  esl  né  sur  lerrc 
Et  si  du  lieu  voulez  en  qucrre. 
C'est  en  Bethléem  la  cilé; 
El  en  ligure  de  vérité 
Silosl  que  au  lieu  arriverez 
Gepelil  Enfant  trouverez 
Couché  détiens  la  Crèche  aulx  beuf*. 

UR1EL. 

Chantons  un  chant  mélodieux. 

(Icy  chantent  les  Ange».) 

Gloria  in  excelsis  Deo, 
Et  in  terra  pax  honiinibuz 
Bonœ  volunlatis. 

MICHE].. 

Gloire  soit  au  hault  Dieu  donnée- 
Qui  à  son  plaisir  tout  ordonne. 

tIBRIEL. 

El  aulx  hommes  la  paix  ordonne  (274) 
Qui  sont  de  bonne  voulenlé. 

{Icy  retournent  les  Anges  en  Paradis,  et  en  demeure 
aucuns  avec  Marie.) 


«  Les  bergers  obéissans 


à  des  ordres  si 
favorables,  prennent  la  résolution  d'aller  à 
Bethléem. 

(Icy  vont  les  Pasteurs  en  Bethléem.) 

«  Marie  et  Joseph,  après  avoir  chanté  les 
louanges  de  Jésus,  font  réflexion  sur  leur 
misère,  qui  les  empêche  de  le  traiter  plus 
honorablement. 

MARTE. 

0  mon  cher  Filz,  trop  se  humilie 
Ta  hauliesse  pour  ceste  fois; 
Trop  simplement  loger  te  voys, 
Roy  divin  ,  pure  Majesté, 
Quant  il  fault  que  par  povreté, 
En  la  crèche  des  beufz  te  couche; 
Ton  indigence  au  cueurme  touch* 
El  si  ne  la  puis  amander. 

JOSEPB. 

J'ay  pitié  de  loy  regarder, 
El  me  faii  mal  que  le  ne  puis 
Mieulx  faire,  mon  Enfant,  je  suis 
Très  indigne  pour  le  servir 
Ta  grâce  puisse  déservir  : 
Excusa  ma  simplicité, 
Je  te  laisse  eu  nécissiié, 

(.273}  Aujourd'hui. 
^274)  A  présent. 


Je  l':iy  fait,  fais,  el  le  feray 

Tout  du  mieulx  fjiie  faire  pnnrray, 

Mais  ma  puissance  est  imparfaite. 

MARIE. 

La  voulenlé  de  Dieu  soil  faicle. 
Nous  ne  la  povous  irespasser  (275).  1 

XXXIX.  Des  trois  rois  et  de  l'estoille  qui  les 
conduisoit. 

«  Jaspar,  premier  roi,  ne  sachant  re  que 
peut  signifier  l'étoile  qu'il  voit  brid.  r  à  ses 
yeux,  lâche  d'en  découvrir  la  causi>. 

jaspar,  premier  roy. 

Elle  esl  vraye  Estnilîe  et  parfa'.cte, 
Clere  comme  seroit  Vénus. 

«  Oui,  ajoule-t-il,  je  ne  me  trompe  point, 
«  c'est  l'étoile  dont  le  prophète  Raraan  a 
«  parlé,  et  qui  doit  présager  l'enfantement 
«  d'une  vierge  et  la  naissance  du  roi  des 
«  Juifs.  —  Vous  avez  raison,  lui  dit  Anlio- 
«  chus  ,  l'un  de  ses  chevaliers.  —  Je  suis 
0  aussi  de  votre  avis,  »  ajoute  Celsander,. 
autre  chevalier  de  sa  suite. 

CELSANDER. 

LEstnille  qui  cler  resplendit 
A  cesle  heure  pas  ne  enlumine. 
Si  ce  n'est  par  grâce  divine, 
El  croy  qu'elle  nous  monstre  aussy 
Quelque  effet  en  ce  monde  cy 
Qui  soil  de  divine  ordonnance, 
Or  il  n'est  pas  nohle  alliance 
Que  celuy  Roy  en  terre  naisse, 
En  qui  gisl  la  plus  grant  hauliesse 
Que  jamais  nul  Roy  puisse  avoir. 

jaspar. 

Chevalier  vous  avez  dit  voir  (27G)  ; 
Vous  faicles  très-bon  Sîlogisme,  etc. 

«  Allons,  eonlînue-t-il,  apprêtez  tout  eo 
*  qu'il  faut  pour  mon  voyage,  car  je  veux 
«  trouver  ce  roi  en  suivant  celle  étoile.  — 
«  Tout  est  prêt,  Sire,  répondent  les  deux 
«  chevaliers.  —  Marclions  donc,  dit  le  roi, 
«  el  suivez-moi.  » 

(Icy  se  mettent  en  voye  Jaspar  et  ses  chevaliers.) 

«  La  même  étoile  fait  naître  une  sembla- 
ble pensée  dans  l'esprit  du  second  roi, 
nommé  Melchior.  Cadoras,  l'un  de  ses  che- 
valiers et  homme  prudent,  lui  conseille 
de  ne  pas  s'abandonner  à  ses  premières 
idées. 

CADORAS. 

Sire,  c'est  à  prénosliquei  hauft 
En  ce  cas,  gardez  que  vous  dictes 
Se  ne  sont  pas  choses  petites. 
De  pronostiquer  lels  exploic:» 
Don  fail  doubler  aucune  fois 
Pour  avoir  plus  granl  certitude 
El  vaull  mieulx  bonne  double  el  rude 
Que  savoir  trop  présomp.ueux. 

»  Non,  non,  je  suis  certain  de  ce  que  p? 
«  dis,  répond  Melchior,  et  vous,  njoutt-t-t i 
«  en  s'adressant  à  Cadoras  et  Polidorns, 
«  marchez  sur  mes  pas  el  no  tardons  pas, 

(273  Passer  ouire. 
(276)  Vrai. 


CS9  PAS  DICTIONNAIRE 

en  suivant  eu  fidèle  guide,  h  adorer  ce 
«  roi  des  nations.  » 

(Icij  départent  Melcyor  et  ses  Chevaliers.) 

«  Balthasar,  le  troisième  do  ces  roif,  fon- 
dé sur  la  môme  espérance  et  se  confiant  au 
même  conducteur  ,  ordonne  tout  pour  son 
départ,  et,  malgré  les  remontrances  de  Lu- 
cap  us  et  Pitrodès,  ses  chevaliers,  et  les  dan- 
gers qu'ifs  lui  représentent,  rien  ne  peut 
l'empêcher  de  suivre  le  même  chemin  que 
les  deux  précédents.  » 

XL.  Des  pastoureaux. 

«  Aloris,  Rifllart,  Ysambart  et  Pélyon  , 
s'entretiennent,  chemin  faisant,  des  présents 
qu'ils  vont  offrir  à  Jésus  :  «  Que  lui  donne- 
«  ras-tu,  dit  llifïïart  à  Pélyon  ;  ta  houlette 
«  ou  bien  ton  chapelet  ?  —  Non,  dit  Pélyon, 
«  j'en  ai  trop  besoin. — Tu  lui  feras  apparem- 
«  ment  présent  de  ton  chien,  ajoute  Uinlart. 
«  — Encore  moins,  répond  Pélyon;  qui 
«  garderait  mes  brebis?  Mais  je  lui  ferai  un 
«  joli  présent,  c'est  mon  <<  flageolet  »  qui 
«  m'a  coûté  dernièrement  deux  deniers  à  la 
«  foire  de  Bethléem  ,  et  qui  en  vaut  bien 
«  quatre. 

J'ay  advisé  ung  aullre  don 
Qui  est  gorgias  ot  douleel  (277) 

«  dit  Ysambart. 

RIFFLART. 

Quesse? 

YSAMBART. 

Mon  hochet 
Si  1res  bien  faict  que  c'est  merveilles, 
Qui  dira  clic  olic  aux  oreilles 
Au  moins  quant  l'Enfant  plorera 
Ce  hochet  le  rapaisera 
El  se  taira  sans  taire  pose. 

ALORIS. 

Je  luy  «lonray  bien  aullre  chose. 
Je  (278)  une  beau  Kalendrier  de  boys 
Pour  sçavoirles  jours  et  les  moys 
El  rognoisire  le  nouveau  temps, 
Il  n'y  en  a,  connue j'euleus, 
Si  jus'e  au  monde  qn'H  est , 
Chaque  Saincl  a  son  Marmouset  (279) 
Eseiïpi  de  lettre,  etc. 

«  Cela  lui  servira  quand  il  sera  grand, 
«  ajoute-t-il,  et  lorsqu'il  aura  appris  à  lire. 
«  —  Voici ,  dit  Rifflart,  ce  que  je  lui  don- 
«  ncrai.  » 

Lue  sonnelle 
Qui  est  pendue  à  ma  comelle 
Depuis  le  temps  Robin  fouette, 
Puis  une  helle  pirouette 
Qui  est  détiens  ma  gibecière. 

«  En  causant  ainsi,  nos  bergers  arrivent  à 
Bethléem.  Il  vont  d'abord  au' logis  où  est 
Jésus,  et  se  jettent  à  genoux  pour  l'ado- 
rer. 

{Icy  met  Marie  l" enfant  sur  son  qeron.) 
«  Après  que  chacun   a  offert    soi)    petit 
présentais  prennent  congé  de  Jésus.  Voici 
leurs  compliments  : 

(277)  Joli. 
.278)  J'ay. 


DE3  MYSTERES. 


PAS 


GpQ 


Ai.or,is. 
Adieu,  enfant  de  noble  gendre. 

rÉLYON. 

Adieu,  filz  de  nobililé. 

RIFFLART 

Adieu,  filz,  pour  bonne  odeur  rendre. 

YSAMBART. 

Adieu,  trésor  de  Oéiïé. 

ALORIS. 

Chef  de  foy. 

RIFFLART. 

Chef  de  charité. 

YSAMBART. 

Chef  d'honneur. 

PÉLYON. 

Chef  de  uiiliié. 
Adieu,  plus  ne  povons  attendri. 

ALORIS. 

Adieu,  très-noble  humanité. 

RIFFLART. 

Adieu,  liautle  divinité, 

Nous  le  adorons  au  congé  prendre. 

(Icy  se  départent  les  Bergiers.) 
«  En  s'en  retournant,  ils  se  félicitent  du 
bonheur  qu'ils  viennent  d'avoir.  En  leur 
chemin,  ils  rencontrent  Garnier  et  tioiu- 
bault,  deux  autres  bergers  de  leur  hameau, 
à  qui  ils  racontent  leur  aventure.  Ces  doux 
derniers  s'empressent  de  se  rendre  à  Beth- 
léem. 

COMBAULT. 

Si  en  ma  loge  le  lenoye, 
Dieu  sçait  que  je  lui  donneroye 
llng  morceau  de  rosli  tout  chaull 
De  bon  cueur. 


«  Ha!  si  je  n'étais  pas  si  gros  et  si  pe- 
sant, ajoute-t-il,  que  j'y  serais  bientôt  ar- 
rivé. —  Je  te  donnerai  le  bras,  dit  Gar- 
nier :  mais,  conlinue-t-il,  tu  n'en  peux 
déjà  plus.  » 

GOMBALLT. 

Tay  toy,  lay  loy  : 
Quand  je  voy  dessous  Parglantiôr 
La  Bergiere 

GARNIER. 

Ne  le  vante  poinl. 

COMBAULT. 

Et  pourquoyj? 

GARNIF.R. 

On  te  cognoislbien,  Dieu  mercy,  etc. 

«  Gombault  lui  répond  qu'il  a  fait  bien 
parler  de  lui  dans  le  village  :  «  Il  est  vrai, 
«  réplique  Garnier,  mais  c'élait  au  temps 
«  passé,  et  ce  temps  n'est  plus.  »  Apiès 
quelques  discours  sur  ce  sujet,  les  bergers 
se  retirent  sans  qu'on  puisse  savoir  s'ils 
vont  à  Bethléem  ou  s'ils  retournent  à  leur 
village.  » 

XLI.  Des  Troys  lioys. 
«  Joseph,  qui  voit  arriver  le  huilièiuejour 

£79)  Image. 


£91 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  M\STEHES. 


PAS 


6<y> 


<le  la  naissance  de  Jésus,  s'apprête  à  le  cir- 
concire el  sort  pour  inviter  ses  amis  à  cette 
cérémonie.  Cependant  les  trois  rois  se  ren- 
contrent en  chemin  et  s'apprennent  mutuel- 
lement le  sujet  de  leur  voyage,  et  comme 
un  même  dessein  les  conduit,  ils  se  joignent 
ensemble.  Joseph  va  trouver  Barhapanter, 
Arbapanter  et  Abias,  et  les  prie  de  vouloir 
bien  lui  faire  l'honneur  de  se  trouver  à  la 
circoncision  de  Jésus:  ceux-ci  lui  promettent 
de  s'y  rendre  avec  plaisir. 

(Icy  cheminent  vers  Nostre-Dame.) 

«  Lorsqu'ils  sont  arrivés,  la  Vierge  leur 
demande  pardon  sur  ce  que  sa  pauvreté 
l'empêche  de  les  bien  traiter. 

Ncus  n'avons  pas  force  ûnance 

leur  dit-elle. 

Or  sus  sans  que  plus  on  devise, 
Qu'il  soit  clrconsis, 

dit  brusquement  Barbapantcr. 

(Icy  se  absconse  VEstoille  qui  conduit  les  Rois.) 

«  Joseph ,  adressant  la  parole  a  Jésus, 
s'excuse  fort  de  ce  qu'il  est  indigne  de  faire 
une  telle  opération.  Ses  amis  commencent 
à  s'ennuyer,  et  Barhapanter  lui  dit  détermi- 
ner promptement. 

BARBAPANTER. 

Nos  préparatifz  sont  tons  fars,. 
Joseph,  père  très-vénérable, 
Faictes  conclusion  finable, 
Et  abrégez  car  il  est  (art. 

JOSEPH. 

Or  le  tournez  ung  peu  à  part, 
El  je  Pexpédiray  grant  erre. 

{Icy  le  circoncisl.  [280].) 

«  D'un  autre  côté,  les  rois,  fort  chagrins 
de  ne  plus  revoir  l'étoile,  ne  sachant  par 
quel  chemin  ni  à  quel  endroit  aller,  prennent 
le  parti  de  s'informer  des  habitants  de  Jé- 
rusalem du  lieu  où  vient  de  naître  le  roi 
des  Juifs. 

BARBAPA.NTER. 

L'on  ne  pourroit  niieulx  apprester 
De  circonsir  plus  genlement 
Que  l'Enfant  est. 

ABUS. 

Dénignement 
En  soit  loué  Dieu  noslre  Père. 

«  Quel  nom  lui  faut-il  donner?  »  dit  Ar- 
bapanter à  Marie. — «  Celui  de  Jésus,  »  ré- 
pond-elle.—  «Soit,  répliquent-ils,  et  que 
«  Dieu  veuille  qu'il  soit  notre  Sauveur, 
«  comme  ce  nom  le  porte.  » 

«  Lorsque  les  rois  sont  arrivés  a  Jérusa- 
lem, ils  s'adressent  à  Zorobabel,  Naasson  et 
Manassés  ,  pour  leur  demander  ce  qu'ils 
roulent  savoir. 

{Icy  s'en  vont  les  iroys  personnaiges  en  leurs  sièges.) 

«  Ces  Juifs,  pour  faire  leur  cour  à  Hé- 
rode ,  se  déterminent  à  lui  amener  ces 
princes. 

(280)  Dans  ce  mystère,  d'un  côte  du  théâtre  se 
passe  la  circoncision,  et  de  Pauire  les  trois  rois 
cuercbcDl  le  nouveau  roi  des  Juifs  :  cela  mérite  at- 


(Icy  s'en  vont  devers  Hérode.  nota.  Que  ces  trots 
Jhï\z  vont  parler  à  liérode,  el  demeurent  les  Hors 
arrière.) 

MANASSÉS. 

Trois  Roys  demandent  à  vous  parler 
Ils  sont  des  royaulmes  divers, 
De  Saba,  Arabe,  et  de  Tarse. 

«  Qu'on  les  fasse  entrer,  »  dit  Hérode: 
ils  entrent,  et  Hérode,  qui  paraît  suivi  de 
toute    sa    cour,    leur    fait    présenter    des 

sièges. 

(le y  se  seyent  près  de  Uércde.) 
«  Ces  rois,  après  quelques  civilités  assez 
mal  digérées,  font  à  Hérode  la  même  de- 
mande quils  viennent  de  faire  aux  trois 
Juifs.  Hérode  en  est  fort  surpris  et  ne  sait  à 
quoi  tend  ce  discours. 

HÉRODE. 

Contes,  Chevaliers,  el  Seigneurs, 
Escoulez  <y,  quel  dyablerie? 

«  Quoi  donc?  ajoule-t-il,  n'est-ce  pas  moi 
«  qui  suis  le  roi  des  Juifs,  sous  la  protection 
«  du  puissant  empereur  de  Rome?  » 

JASPVR. 

N^us  ne  voulons  pas  aller  contre, 
Mais  du  fait  tant  cuider  savons 
Que  celuy  Roy  que  nous  quêtons 
Est  plus  grant  que  vous,  est  plus  fort. 

«  Cette  réponse  rend  Hérode  tout  ù  fait 
interdit:  il  s'imagine  que  ces  princes  ont 
perdu  la  raison. 

HÉRODE. 

Seigneurs;  escoutez,  quel  erreur  ? 
Quel  perte  !  quel  courons  !  quel  raige! 
C'est  le  plus  dangereux  langaige, 
Le  plus  lïer,  le  plus  despaisanl, 
Que  oneques  oûys,  el  plus  cuisant. 
Que  dictes-vous  de  leur  blazon  ? 

ajoute-t-il  en  s'adressant  aux  seigneurs  de 
sa  cour.  «  Soigneur,  »  répond  Zorobabel,  en 
voulant  l'apaiser  : 

H  ne  faut  pas  tel  dueil  mener; 
Qui  Irop  de  courroux  en  soy  prentr 
Nature  et  raison  l'en  reprent  : 
Et  comme  Catbon  nous  afferme, 
T te  qui  excède  hors  terme 
Empesche  fort  l'entendement. 

«  Ensuite  il  lui  explique  comme  tout  se 
peut  concilier,  attendu  que  ce  roi  que  les 
Mages  demandent  est  apparemment  le  Chris- 
lus,  qui,  selon  le  prophète  Michéas,  doit 
naître  à  Bethléem.  Hérode  se  rend  à  ces 
raisons,  et,  après  quelques  politesses,  il  ap- 
prend des  rois  le  sujet  de  leur  voyage,  ce 
qui  fait  qu'il  les  prie,  à  leur  retour,  de  re- 
venir lui  dire  ce  qu'ils  auront  vu. 
(L'Esioille  marche.) 

«  Jaspar,  Melchior  et  Balthasar,  voyant 
reparaître  leur  étoile,  en  ressentent  une 
extrême  joie,  et  la  suivent  jusqu'à  ce  qu'elle 
s'arrête  sur  le  logis  où  est  Jésus. 

tention,  et  fait  connaître  retendue  du  lien  où  se  fai- 
saient ces  représentations.  Nous  en  parlerons  plus 
amplement  dans  la  suite. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


C95  PAS 

(Icy  se  arreste  l'Esloille  sur  la  maison.) 
«  A  un  signal  si  manifeste,  les  rois,  con- 
naissant que   ce   pauvre    logement  était  le 
palais  du  roi  qu'ils  cherchent,  ne  balancent 
pas  à  y  entrer.  » 

XLII.  Des  présents  que  les  troijs  Roys  firent 
à  Jésus  (281). 
«  Jaspar,  Melchior  elBallhasar,  accompa- 
gnés de  leurs  chevaliers,  offrent  leurs  pré- 
sents à  Jésus  ;  chacun  d'eux,  en  les  lui 
présentant,  lui  adresse  une  prière,  qu'il  finit 
par  ces  deux  vers  : 

Présent  te  fais  d'or  mierre,  et  d'ensens, 

Toy  démonstrans  Dieu,  Roy,  et  mortel  homme. 

(le y  tient  l'Enfant  en  son  geron.) 

«  La  Vierge  leur  fait  beaucoup  d'excuses, 
si  elle  ne  les  reçoit  pas  selon  leur  dignité. 

MARIE. 

Vous  voyez  Iclieu  mailienneste, 
Qui  ne  duyt  pas  en  faire  fcsle. 

«  Ces  princes  la  remercient  et  lui  disent 
que,  comme  ils  ne  sont  venus  que  pour  voir 
et  adorer  son  divin  Enfant,  ils  se  retirent, 
trop  contents  d'avoir  joui  de  ce  grand  bon- 
heur. Joseph  et  Marie  leur  souhaitent  mille 
bénédictions  à  leur  départ. 

(Icy  se  déparient  les  troys  Roys.) 

«  Comme  il  est  tard,  ils  cherchent  un 
logement  pour  passer  la  nuit.  Joas,  le  maître 
de  celui-ci,  leur  en  offre  un  et  leur  promet 
bon  vin  et  bonne  chère.  «  Cela  n'est  pas  à 
«  mépriser,  disent  les  chevaliers  ;  entrons 
«  ici,  seigneurs,  sans  aller  plus  loin.  » — Ils 
entrent  dans  un  bel  appartement,  et,  après 
avoir  fait  bonne  chère,  ils  vont  se  coucher, 
et  le  lendemain  ils  paient  Joas  si  libérale- 
ment,  que  celui-ci  les  assure  qu'il  est 
content. 

«  La  même  nuit  que  les  rois  passent  à 
Bethléem,  Dieu  ordonne  à  l'ange  Raphaël  de 
leur  détendre  de  sa  part  de  revoir  Hé- 
rode, et  de  leur  dire  de  s'en  retourner  par 
mer.  Raphaël  exécute  les  ordres  de  Dieu,  et 
les  rois  obéissent  à  ce  commandement.  » 

XL11I.  De  Symeon. 

«  Siméon  est  dans  une  tristesse  extrême 
de  ne  point  voir  encore  le  Christ  que  Dieu  a 
promis.  Pendant  ce  temps-là,  Joseph  fait 
souvenir  Marie  qu'il  est  temps  d'aller  pré- 
senter Jésus  au  temple.  Marie  lui  répond 
que  cela  est  juste,  mais  qu'il  faut  avoir  une 
olfiande  toute  prête,  deux  tourterelles  ou 
bien  deux  pigeons.  Barbapanter  et  Arba- 
panler  lui  disent  qu'ils  n'ont  que  faire  de 
s'en  embarrasser,  et  qu'ils  se  chargent  do  ce 
soin. 

«  Cependant  Hérode,  ne  voyant  point 
revenir  les  rois,  en  paraît  inquiet;  il  ne  sait 
que  penser  de  celte  aventure. 

cimnus. 

Je  double,  Sire,  qu'ils  ne  soyent 
Deceuz  de  leur  advision  : 


PAS 


O.rt: 


Et  n'esloil  que  une  illusion 
De  leur  Estoille,  et  de  leur  compte  : 
F'ar  quoy  espoir  ils  oui  eu  honte 
De  retourner  comme  je  tien. 

HÉRODE. 

A  !  Cirinus,  vous  dictes  bien,  etc. 

«  Hérode  s'arrête  à  cette  pensée,  et  ne 
songe  plus  au  retour  de  ces  princes. 

«  D'un  autre  côté,  Marie,  Joseph,  Arba- 
panter  et  Barbapanter  arrivent  au  temple.  » 
(Icy  se  mettent  à  genoulx.) 

XLIV.    Comme    Symeon    reçeut    Jésus    un 
Temple. 

«  Jechonias,  prêlre  de  la  Loi,  apercevant 
Marie,  la  fait  approcher,  et  lui  dit  que  l'Usage 
établi  par  leurs  pères  ordonnait  que  les 
premiers  nés  seraient  consacrés  à  Dh  u  ,  à 
moins  qu'on  ne  les  rachetât  par  une  offrande. 
La  Vierge  s'avance  et  présente  la  sienne. 
Siméon  voit  Jésus  et,  le  prenant  entre  ses 
bras,  il  remercie  Dieu  de  la  grâce  qu'il  lui 
fait. 

SYMEON. 

ISnnc  dimitlis  servum  tuum  : 

0  Sire,  laisse  désormais 

Ton  servant  demeurer  en  paix, 

Car  mes  yeux  ont  veu  ton  salut,  etc. 

«  Ensuite  il  prophétise  les  souffrances  et 
les  ennemis  que  cet  enfant  aura  un  jour  à 
essuyer,  et  les  tourments  que  sa  mère  en 
doit  ressentir.  Joseph  dit  à  Marie  de  faire 
attention  à  ce  que  dit  ce  bon  vieillard.  Après 
cela  survient  Anne  la  prophétesse,  qui  dé- 
clare ce  que  Jésus  doit  être  un  jour;  et  enfin 
chacun  s'en  retourne  chez  soi. 

(Icy  s'en  vont  en  leurs  premiers  lieux.) 

«  Ces  prophéties  de  Siméon  et  d'Anne 
causent  bientôt  de  grands  désordres.  Satan, 
qui  a  été  spectateur  de  tout  ceci,  descend 
aux  enfers  pour  en  faire  le  rapport  à  son 
maître,  et  c'est  ce  qu'on  va  voir  dans  le 
mystère  suivant.  D'un  autre  côté,  Zoroba- 
bel,  Naasson  et  Manassés  demandent  à  Si- 
méon et  à  Anne  un  éclaircissement  sur  ce 
qu'ils  viennent  de  dire.  Siméon  leur  rend 
témoignage  qn'il  a  eu  le  bonheur  de  tenir  le 
Messie  entre  ses  bras  ;  Anne  certifie  la  même 
chose. 

(Symeon  fine  icy.) 

«  Zorobabel  et  ses  deux  compagnons,  qui, 
aucommencement,  avaient  paru  si  contraires 
aux  violences  d'Hérode,  et  qui  depuis,  soit 
par  crainte  ou  autrement,  sont  dévoués  à 
ses  intérêts,  n'ont  pas  plutôt  entendu  le  dis- 
cours de  Siméon  qu'ils  vont  en  instruire  ce 
prince.  Hérode,  en  apprenant  cette  nouvelle, 
entre  dans  une  fureur  terrible,  il  vomit 
mille  injures  contre  les  trois  Mages,  qui 
sont  bien  loin  de  ses  Etats  et  à  couvert  de 
sa  rage. 

«  Pendant  ce  temps-là,  Dieu  charge  l'ange 
Gabriel  d'ordonner  à  Joseph  de  passer  en 


(281)  fauteur  suit  ici  l'ordre  des  fêles  que  l'Eglise      a  établi,  sans  s'embarrasser  de  l'ordre  historique. 


Ç95 


PAS 


DICTIONNAIRE  DKS  MYSTERES. 


PAS 


6C6 


Egypte  et  d'y  rester  avec  Jésus  et  Marie, 
jusqu'à  ce  qu'il  en  ordonne  autrement. 

(lcy  s'en  va  Hérode  et  ses  gens.) 

«Gabriel  s'acquitte  de  sa  commission,  et 
Joseph  se  met  en  devoir  d'obéir  aux  ordres 
du  Seigneur.  » 

(lcy  montent  Nostre-Dame  sur  VAsne,  et  C  Enfant,  et 
s'en  vont  en  Egiple.) 

XLV.  Enfer. 

«  Satan,  de  retour,  apprend  à  Lucifer  que 
Marie  a  mis  au  monde  un  fds,  qui  doit  un 
jour  racheter  les  fidèles.  Ce  fier  monarque 
des  enfers  en  frémit  de  douleur.  Pour  l'a- 
paiser un  peu,  il  s'en  décharge  d'une  partie 
sur  le  messager  qui  vient  de  lui  apporter 
une  nouvelle  si  contraire  à  ses  intérêts,  et 
ordonne  à  ses  démons  de  le  mener  au  sup- 
plice. 

LUCIFER. 

Que  Belzebulh  vient  si  le  lye 
Devant  nioy  de  cliaisnes  de  fer, 
Enfl;unbées  de  feu  d'Enfer, 
Plus  ardens  que  feu  de  lempesle, 
El  le  battez  par  tel  mollesle, 
()u'il  soil  bruslé  de  part  en  part. 

SATHAN. 

Ha  mercy,  Maislre. 

BELZEBUTH. 

C'est  trop  tard. 

LUCIFER. 

Chauffe- 1— il  ? 

CERBÉRUS. 

Mais  demandez  s'il  nrd 
Comme  brandons  au  vent  esmus. 

DERITH. 

Voyez  le  galant  bien  camus  ; 
Je  croy  qu'il  eu  a  bien  sa  part. 

SATHAN. 

Ha  !  merci,  Maislre. 

LUCIFER. 

C'est  trop  tard, 
Vous  aurex  un  punivimus  : 
Rifllea  dessus  grans  et  menus, 
Le est  abandonné. 

BELZEBUTH 

Les  diables  sont  bien  ramenez 
Pour  nous  rapporter  tel  langaige. 

LUCIFER. 

Comment  va  Sa i ban  ? 

SATHAN. 

J'enrage  : 
Helas,  Maistre,  miséricorde. 

ASTHVROTH. 

A  dûeil  !  passion  !  a  raige  î 
Comment  on  le  tire  et  détordre  ! 

LUCIFER. 

Traynez  le  d'une  grosse  corde. 
Tout  par  tout  l'infernal   menaigë 
Affln  que  plus  ne  se  y  amorde  (^82;. 

CERBÉRUS. 

J'ay  si  grant  paour  qu'il  ne  me  morde 

(?S2  Que  plus  il  n'y  retourne. 

1283)  llaul  et  bas. 

(2$4)  Voici  encore  Mahomet  sur  la  scène,  et  d'une 


Que  je  y  prens  bien  ennuys  voyage, 

SATHAN. 

Je  meurs,  je  foi  cène  en  couraige, 
El  n'esl  aine  qui  se  racorde. 

LUCIFER. 

Sallian,  comment  le  va? 

SATHAN. 

J'enrage  : 
Hélas,  Maislre,  miséricorde. 

LUCIFER. 

Sa  substance  vilaine  et  orde 
Tourne  ton  horrible  figure, 
Et  me  parcompte  Padvenliire, 

Que  lu  avoys  encommeiicé. 

SATHAN. 

Ha  Maislre,  tant  suis  laissé 
De  mutiner,  et  lorchonner, 

Qu'à  p  u  se  je  puis  mol  sonner; 
Le  Dial.le  y  ait  part  au  voyage, 
Je  n'en  puis  plus. 

LUCIFER. 

Si  soyez  plus  saige,  etc 

«  Hérode  sait-il  cela?  »  ajoute-t-il. 

Oùy,  Monseigneur; 
Mais  il  est  devers  l'Empereur,  etc. 

répond  Satan,  que  ce  tourment  a  rendu  plus 
souple.  '<  J'ai  commencé  à  le  tenter.  — 
o  Eh  bien  1  dit  Lucifer,  va  donc  achever  ton 
ouvrage,  et  conseille-lui  de  massacrer  les 
Innocents. —  Non,  répliqueSatan,  je  ne  me 
charge  point  de  cette  commission  :  qu'As* 
taroth  la  prenne.  » 


LUCIFER. 

Tu  yras,  ne  caquelics  plus; 
Tu  te  abuses  de  rebeller. 

«  Je  vous  demande  donc  une  grâce,  dit 
«  Satan;  ordonnez  à  Bérilh  de  m'y  accom- 
«  pagner.  —  J'y  consens,  répond  Lucifer.  » 

(lcy  s"en  vont  vers  Hérode.) 

XL  Vf.   De  la  fuite  de  Jésus  en  Egiple  et  du 
trébuihement  des  Ydoles. 

«  Joseph,  conduisant  l'âne  sur  lequel  est 
Marie,  tenant  l'enfant  Jésus,  arrive  en 
Egypte. 

(lcy  s'en  vont  loger,  et  emprès  doit  estre  ung  Temple 
où  il  y  a  plusieurs  Ydoles,  qui  trébuchent  en  leur 
venue.) 

«  Théodas,  prêtre  païen,  accompagné  d'un 
autre  païen  nommé  Torquatus.  vient  à  ce 
temple  pour  y  offrir  des  sacrifices  à  ses 
dieux;  il  est  fort  surpris,  en  y  entrant,  de 
les  trouver  tous  renversés  par  terre. 

THÉODAS. 

Tay  bien  regardé  sus  et  jus  (283). 

Mais  je  n'ay  y  mage  trouvé 

Qui  ne  gisse  sur  le  ftivé; 

Je  ne  scay  qui  ainsy  les  n>el, 

Voyey  le  grant  Dieu  Mahommel  (284) 

Qui  a  la  lesle  despecée, 

Voycy  Venus  touie  cassée. 

Voycy  Appollo  et  Jupin. 

façon  bien  plis  singulière,  puisqu'il  est  au  rang  des 
divinités  du  paganisme. 


CS7 


PAS 


DICTIONNAIRE. 


TORQUATUS. 

\oycy  Saturne  et  Adoyn, 
Pana,  Clnio  et  L  idicsis, 
Démogorgon  avec  Ysis 
Mis  par  terre  avec  Ycarus. 

Tiifr'n.vs. 
Voycy  Flora  et  Zopliirus, 
Jiiid,  l.'éTiôu  el  Minerve, 
Et  bref/veinent  loute  la  Callierve  (285) 
Des  Dieux  qui  sont  ions  ruez  bas. 

«  Ils  ne  savent  à  quoi  attribuer  celte  mer- 
veille, et  se  retirent  sans  en  pouvoir  péné- 
trer  la  cause.  Comme  dans  la  suite  il  n'est 
plus  question  (Je  ces  autres,  on  ne  peut 
savoir  les  suites  de  leurs  conjectures.  » 

XLVII.  Du  retour  d'Hérode. 

(laj  se  met  Ilérode  et  ses  yens  en  chemin,  puis  dit  .') 

Tantost  en  Judée  serons,  etc. 

NARINART, tyran! . 

J'ay  grant  fain  que  nous  y  soyons. 
Pour  incnger  ces  bons  gras  morceaux  : 
Nous  ne  uiengeons  que  pain  el  aulx 
A  passer  ces  liault.:s  montaigiiës. 

ADRASCUS. 

Cela  n'e-l  pas  peler  chasteignrs, 
Tu  seienes  du  bec,  Narinart  : 
Quel  gueulx  à  porter  l'Estendart, 
Soubz  une  vielle  cappeline! 

NARINART. 

Mais  que  re  soit,  à  la  cuisine, 
Yi/us  m'y  verrez  bon  champion. 

«  Hérode,  toujours  rempli  de  fureur  contre 
Jésus  et  excité  par  Satan  el  Rérilh,  ordonne 
à  ses  tyrans  de  tuer  tous  les  enfants  qu'ils 
rencontreront  au-dessous  de  deux  ans,  sans 
épargner  qui  que  ce  soit,  sous  peine  d'èlre 
pendus.  » 

(Icy  demeure  Adrnscns  avec  le  Roy,  el  tous  les  au- 
tres yens  s'en  vont.) 

XLV1I1.   De   la    Persécution   des    Innocents. 

«  Arfrappart ,  Agrippait,  Narinart,  Her- 
mogènes  et  Reehine,  tyrans  et  bourreaux 
d'Hérode,  courent  exécuter  ses  ordres  bar- 
bures. 

Ar.FRAPPAttT 

Yoicv  Agrippirt  qui  resongne, 
Et  dit  qu'il  ne  lui  chanli  «les  Pèies, 
Mais  il  redouble  bien  les  Mères, 
Qui  souvent  sont  de  grahl  couraige. 

«  Raisonnant  ainsi  et  regardant  comme 
un  divertissement  cette  sanglante  expédi- 
tion, ils  rencontrent  en  chemin  une  femme 
appelée  Raab,  qui  porte  un  enfant  enlre  ses 
bras  llechine  le  lui  demande.  «  Qu'en  voû- 
te lez- vous  faire?  »  luidii-elle. 

ACRIPPART. 

Ne  vous  cliaill,  vous  le  verrez, 
Il  ne  le  fait  que  pour  esballrc. 

lum. 

A  ce  ne  vueil  point  desbaltre, 
Tenez  le  voylà  bel  et  tendre, 
Vuillez  le  lani  doulceiuenl  prendre  ; 


DES  MYSTERES.  PAS  ofS 

Tost  luy  feriez  le  cueur  failli i*. 
(Icy  le  lue.) 

NARINART. 

Or  tenez,  portez-le  bouillir, 
Roslir,  ou  faire  des  p.;slcz. 

«  Raab  les  accable  d'injures,  donl  ils  ne 
font  pas  grand  compte.  Ensuite,  chemin 
faisant,  voyMit  passer  une  femme  nommée 
Raehcl,  Agrippait  dit  à  Arfrappart  :  «  Tiens, 
«  voilà  encore  une  femme  qui  porte  un  en- 
«  faut.  » 

Tasle  ung  lantel  combien  il  poise. 

«  Rachel,  qui  ignore  leur  mauvaise  inten- 
tion, leur  donne  son  enfant. 

(Icy  le  tue.) 

ARFRAPPART,  à  liiuliel. 

Or  luy  demandez  s'il  le  sent, 
Tenez,  portez  à  la  cuisine; 
Je  luy  ai  donné  Médecine, 
Dont  jamais  ne  sera  malade. 

RACHEL. 

Ha  faulx  ebiens,  el  félons  tyrans 

Ha  cueiirs  durs,  munlriers  desloyaux, 

Gens  infâmes,  luans  boureaulx. 


Puissiez  vous  mourir. 


a  Les  bourreaux,  sans  écouter  toutes  les 
malédictions  que  celte  pauvre  femme  leur 
donne,  continuent  d'exécuter  leur  commis- 
sion. Arrivent  Adtoinata,  troisième  femme. 
et  la  quatrième,  appelée  Herbeline  ,  qui 
tachent  do  soustraire  leurs  enfants  à  la  fu- 
reur de  ces  tigres*  Mais  ces  cruels,  enten- 
dant le  cri  des  enfants,  les  cherchent,  el,  les 
ayant  trouvés,  malgré  la  précaution  de  leurs 
mères,  les  tuent,  sans  s'embarrasser  du  dés- 
?S[ioir  de  ces  deux  femmes. 

o  Pendant  ce  temps-là,  Médusa,  nourrice 
du  fils  d'Hérode,  ignorant  les  ordres  inhu- 
mains de  ce  toi,  ou  croyant  qu'ils  ne  pou- 
vaient la  regarder  en  rien,  appelle  sa  cham- 
brière Sabine. 

SABINE. 

Que  vous  plaisl-il,  ma  Maislressc? 
Je  me  esbaloye  ung  petiot. 

MEDUSA. 

Apprestes  moy  le  Cbariot 

Pour  apprendre  à  aller  Monsieur. 

«  Elle  ordonne  ensuite  à  Sabine  de  prome- 
ner le  petit  prince.  Sabine  lui  obéit.  Sur  ces 
entrefaites,  arrivent  les  bourreaux,  qui  so 
vantent  de  leurs  prouesses:  «  Depuis  un 
«  mois,  dit  Arfrappart,  il  faut  que  j'aie  tué 
«  plus  de  deux  mille  enfants.  —  Pour  moi, 
«  répond  Narinart,  j'ai  cassé  la  cervelle  à 
«  plus  de  trois  milliers.  — Eh  !  ne  vous  van- 
«  le*  pas  tant,  dit  l'un  des  autres,  voilà  un 
«  enfant  qui  passe  devant  vos  yeux,  et  vous 
«  le  laissez  vivre?-  Il  est  vrai,  répond  un 
«  autre.  »  Aussitôt  ils  courrent  après  le  nour- 
risson de  Médusa  et  l'assomment. 

MEDUSA. 

Ha  !  faulx  munlriers  qu'avez  vous  fait? 
Occis  avez  Villaincmcul 


(2.S.'i)  La  troupe. 


699 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


700 


Le  Fil/.  d'Hérode  proprement. 
Quelle  horreur  vous  est  advenu? 


«  Médusa  court  promptement  dire  à  Hé- 
rode  ce  qui  vient  d'arriver.  Ce  prince  on 
paraît  un  peu  fâché.  Pour  le  consoler,  arri- 
vent ses  satellites,  qui,  glorieux  deleur  belle 
expédition,  en  viennent  demander  la  récom- 
pense. 

ARFRAPPART. 

Je  ne  sçay  Ville  ne  Cilé 

Par  tout  Belhléen  contenue 

Qui  n'ait  plouré  nostre  venue,  etc. 

«  Hi'rode  leur  dit  que,  quoiqu'ils  aient 
enveloppé  son  propre  fils  dans  le  massacre, 
néanmoins  il  leur  pardonne,  pourvu  qu'ils 
n'aient  point  laissé  échapper  «  Christus.» — 
«  Cela  n\st  pas  possible,  dit  Adrascus,  puis- 
«  qu'ils  ont  tué  tous  les  mâles.  » 

XLIX.  De  la  mort  d'Hérode  Ascalonite. 

«  Hérode  n'a  pas  plutôt  satisfait  sa  ven- 
geance qu'il  se  sent  tourmenté  par  des 
douleurs  insupportables.  «  Qu'est-ce  que 
«  vous  avez,  lui  dit-on;  quels  sont  les 
«  symptômesde  votre  mal  ?  »  Hérode  répond 
qu'il  sent  des  maux  affreux  par  tout  le  corps, 
et  que  ce  mal  a  commencé  au  massacre  du 
premier  enfant,  et  qu'à  la  mort  du  dernier 
il  a  monté  à  son  comble.  Arfrappart  lui  con- 
seille de  se  coucher  pour  reposer.  Satan  et 
Astaroth  accourent  promptement  se  tenir 
aux  aguets,  de  crainte  de  manquer  cette 
proie. 

ASTAROTH. 

Salhan,  garde  bien  qu'il  n'eschappe 
Ce  fauix  oppresseur  d'innocens. 

«  Salomé,  sœur  d'Hérode,  veut  s'appro- 
cher pour  le  consoler;  maison  l'en  empêche. 

ADRASCUS. 

Ne  aprochez  point  si  près  de  luy, 

Dame  pour  le  mal  sentent; 

H  put  le  plus  horriblement 

Qu'il  n'est  huy  rien  plus  corrumptif. 

HERMOGENES. 

Ces  vers  le  menguent  tout  vif, 
El  luy  saillent  parles  conduilz. 

«  Hérode  demande  qu'on  lui  donne  une 
pomme  et  un  couteau  pour  la  peler.  Salomé 
la  lui  donne.  Alors  ce  roi  sent  redoubler  ses 
maux. 

HÉRODE. 

Haro!  mes  piedz,  Iiaro!  ma  teste, 
Oespiie  effrénée  rage, 
J  :  n'en  puis  si  je  n'enrage, 
Veez-ey  ma  détresse  où  je  rentre. 

SATHAN. 

Meschanl  homme,  fiers  en  ion  ventre 
Ce  coustcau,  sans  tant  endurer  (286). 

(2S6)  L'auteur  feint  que  Satan  et  Astaroth  se  trou- 
vent à  la  mort  d'Hérode,  et  que  le  premier  lui  con- 
seille de  se  fourrer  un  couteau  dans  le  ventre,  pour 
se  délivrer  des  douleurs  qu'il  ressent.  On  sait  que 
de  pareilles  inspirations  ne  peuvent  venir  que  du 
diable.  El  c'est  ce  que  railleur  emploie  ici  avec  as- 
sez d'adresse;  car  il  es!  clair  anc  Satan  cl  son  com- 


HÉRODE. 

Diables,  je  ne  puis  plus  durer, 
Il  fault  qu'à  vous  tous  obéisse  : 
Ha  mort,  basie  loy  faulce  lisse, 
Veez  la  (287)  fait  pour  loy  advaneer, 
De  cueur,  de  corps,  et  de  penser, 
A  tous  les  dyables  me  commandz. 

(Ici)  se  tuê  Hérode.) 

SATHAN. 

Sus,  troussons  nous  deux  saquemens  (28K), 
Ce  faulx  murdrier  désespéré. 

ASTAROTH. 

Son  logis  est  jà  tout  paré, 
Portons  le  en  enfer  droicle  voye. 

«  Ces  deux  démons  amènent  l'Ame  d'Hé- 
rode à  Lucifer,  qui  ordonne  qu'on  la  jette 
dans  du  plomb  fondu,  pour  le  récompenser 
de  ses  belles  actions.  » 

(Icy  font  les  Dyables  îempeste.) 

L.  Du  retour  de  Jésus  de  VEgipte. 
«  Djpu  qui  voit  que  te  persécuteur  de  son 
Fils  est  mort,  envoie  Gabriel  à  Joseph,  lui 
dire  qu'il  peut  revenir  en  Judée. 
(Pause.) 

«  Gabriel  porte  cet  ordre  à  Joseph,  qui 
obéit  aussitôt. 

(Icy  romaine  Joseph,  Nostre-Dame  ei  r Enfant  sur 
son  Asne,  comme  devant.) 

«  Pendant  ce  temps-là,  Salomé  et  les  do- 
mestiques d'Hérode  lui  font  faire  de  magni- 
fiques funérailles.  » 

LI.  Comme  Jésus  est  mené  au  temple  de 
Hiérusalem. 

(Icy  commence  la  grant  Nostre-Dame  (289). 

«  Notre-Dame  et  Joseph  voulant  aller  au 
temple  par  dévotion,  y  conduisent  Jésus, 
qui  est  âgé  de  douze  ans. 

(Jésus  commence  icy.) 

«  En  chemin,  ils  rencontrent  les  deux 
sœurs  de  la  Vierge,  Marie  Salomé  et  Marie 
Jacobé,  avec  Zébédéus,  Aqueline,  Esdras  et 
Eliacin  ,  que  le  même  dessein  conduit. 
Eliacin  représente  que,  selon  la  loi,  les 
hommes  doivent  passer  par  un  chemin,  et 
les  femmes  par  un  autre  ;  ce  qui  fait  que  la 
Vierge  prend  Jésus  avec  elle  et  s'en  va  avec 
les  autres  femmes;  et  Joseph  et  les  hom- 
mes vont  par  l'autre.  En  se  quittant,  Jo- 
seph dit  adieu  à  Notre-Dame  et  à  Jésus. 

JOSEPH. 

Entiuy  vous  laisse,  n'en  doublez  ; 
Mais  avant  que  vous  déparlez, 
Je  vous  donrai  de  mes  chosetles, 
De  mes  pommes  et  de  mes  noysellcs  : 
Tenez,  velà  pour  vous  déduire. 

JÉSUS. 

Mon  cher  Père,  je  le  vous  mire, 
11  souffit  bien,  j'en  ay  assez. 

paçnon  ne  sont  visibles  que  pour  les  spectateurs,  et 
qu'Hérode  et  les  autres  acteurs  ne  les  voient  point. 

(287)  Voilà. 

(288)  Promptement. 

(289)  C'est-à-dire  une  personne  d'un  âge  assez 
convenable  pour  représenter  la  mère* de  Jésus. 


7M  PAS  WCTKKSMIRE  DES  UYSTEUES, 

«  Zorobabel,  docteur,  qui  commence  ici, 
avec  cinq  antres  docteurs,  appelés  Gamaliel, 
Roboam,  Manassès,  Nathan  et  Nalhor,  vont 
au  temple. 

(Icy  s'en  vont  an  temple  seoir  en  Imulles  chaires). 

«  Marie  et  sa  compagnie  de  femmes  arri- 
vent au  temple. 

(Icy  s'en  vont  faire  leurs  offrandes.) 


IMS 


702 


«  Quelque  temps  après  Joseph  vient  avec 
la  sienne.» 

(Icy  s'ch  vont  les  hommes  d'autre  costé  faire 
leurs  ablations.) 

LU.  De  la  Disputacion  des  Docteurs  de  la 
Ntitivité  de  Jésus. 

Ce  mystère  serait  plus  justement  intitulé  : 
De  la  Disputacion  des  Docteurs  de  la  Nati- 
vité du  Messie;  car  Zorobabel  propose  5 
ses  confrères  une  dispute  touchant  la  nais- 
sance du  Messie.  «  Que  l'un  de  nous,  dit-il, 
«  soutienne  que  le  Christ  est  né,  et  qu'un 
«  autre  combatte  celte  proposition.  » 

Cet  avis  plaît  aux.  docteurs,  et  ils  l'em- 
brassent avec  joie. 

(Icy  se  part  le  petit  Jésus  secrètement  d'avec  Nostre- 
Dame,  et  s'en  va  vers  les  Docteurs.) 

*  Zébédéus,  Esdras,  Eliacin  et  Joseph, 
après  avoir  fait  leurs  offrandes  se  retirent. 

(Icy  s'en  vont  les  hommes  ensemble.) 

«  Noire-Dame,  Marie  Salomé ,  Marie  Ja- 
cobé  et  Aqueline  en  font  de  même,  et  après 
avoir  cherché  inutilement  le  petit  Jésus, 
elles  sortent 

(Icy  s'en  retournent  les  femmes  en  leurs  loges.) 

«  Cependant  les  docteurs  s'apprêtent  à 
disputer.  Zorobabel  entasse  une  multitude 
de  faits  pour  prouver  que  Christus  est  né; 
Gamaliel  combat  son  opinion  avec  chaleur; 
Zorobabel  répond  à  son  adversaire,  et  sou- 
tient que  le  Christ  est  sur  la  terre. 

«  Vous  soutenez,  lui  dit-il,  que  le  Christ 
«  n'est  pas  né,  attendu,  ajoutez-vous,  que 
'<  sa  naissance  n'a  fait  aucun  bruit,  et  qu'il 
«n'a  paru  avec  aucun  éclat;  or,  je  vais 
«  vous  prouver-  que  cela  n'est  pas  consé- 
«  quenl,  ni  nécessaire  :  Et  je 

ZOROBABEL. 

Fonde  deux  argumens  bien  fors  : 
Le  premier,  si  bien* m'en  recors  (59!)) 
Ksi  qu'un  R<;y  lanl  plus  gr  nul  mai  sire 
El  tant  doit  pins  noblement  naisirc? 
Je  vous  nye  cesle  majeur. 
El  vueil  dire,  sauf  voslre  bonneur, 
Qu'il  n'est  point  de  nécessité, 
Que  cecy  soil  pour  vérité, 
Prenons  Romuluset  Rémus, 
Qui  à  lel  loz  furent  promeuz 
Que  d'esire  premiers  fondateurs, 
De  Homme,  ei  haulx  Impéraleurs, 
El  qui  tant  de  proésses  lirenl, 
ïouiesfois  simplement  naquirent 
Dune  fille,  qifl  les  conçeul  : 
Oncqucs  leur  père  sceu  ne  fusl, 

(2(IO'i  Ressouviens. 
1291) 


Mais  pour  icenlx  mienlx  renommer, 
Kilz  de  Mars  se  lirenl  nommer. 
Plusieurs  en  prendroye  à  garant, 
Comme  d'Alexandre  le  grant, 
Qui  tint  tout  le  monde  en  possesse  (291), 
El  loulesfois  quant  à  noblesse, 
Il  fui  d'ung  bien  petit  Hoy  né; 
Encore  l'ont  aucuns  répugné, 
El  a  dit  maint  reeilaleur. 
Qu'il  esioii  lilz  d'ung  enchanteur. 
El  dont  pas  néeessilé  nesse 
Que  Christus  si  baullcmcnt  naisse?  ele.» 


«  Jésus  arrive,  el,  sans  se  nommer,  il 
ies  fait  ressouvenir  de  ce  qui  est  arrivé  il  y 
a  douze  ans;  et  leur  ayant  demandé  quels 
sont  les  signes  par  lesquels  on  peut  recon- 
naître le  Christ,  il  les  oblige  à  convenir 
que  ce  Christ  est  déjà  né.  Nathan,  qui  est 
endormi,  ou  qui  songe  à  autre  chose, 
s'écrie  : 

Et  faiclez  taire  ce  garçon  ; 
Son  parler  ne  nous  sert  de  rien. 

«  Non,  non,  dit  Zorobabel,  il  parle  très- 
«  juste.  —  Comment,  répond  Nathan,  et  de 
«  quoi  s'agit-il  donc?  je  n'y  avais  pas  fait 
«  attention.  »  Zorobabel  lui  apprend  que  ce 
jeune  enfant  veut  leur  prouver  que,  puisque 
le  Christnedoitpointavoir  depère, il  n  a  que 
faire  de  naître  sur  le  trône.  Le  bon  vieillard 
Gamaliel  est  si  charmé  de  l'éloquence  de 
Jésus,  qu'il  en  témoigne  une  grande  sa- 
tisfaction. 

GAMALIEL. 

Et  deà,  velà  trop  gentil  filz; 
Comment  porte  il  scçhe  (292)  parolle! 
S'il  est  maintenant  à  l'Eseolle 
Il  sera  homme  de  bault  fait. 

«  Que  veut  dire  Christus?  »  dit  Roboam  a 
Zorobabel. 

ZOBOBABEL. 

Christus  vanll  à  dire  comme  unctus 

«Christus  signifie  donc  oint?  réplique 
«  Roboam  :  cela  étant,  il  faut  qu'il  soil  roi; 
«  el  c'est  une  conséquence  nécessaire.  »  ici 
la  dispute  recommence  avec  plus  de  chaleur, 
et  chacun  s'empresse  d'assaisonner  ses  dis- 
cours de  longs  passages  latins.  Jésus  les 
ramèneencoreàsonsenliment  enleur  parlant 
de  l'étoile  qui  conduisait  les  trois  rois  qui  sont 
venus  adorer  ce  Messie;  il  leur  rappelle  la 
paix  universelle  qui  régnait  dans  ce  temps- 
là  par  tout  le  monde,  assujetti  à  un  seul 
empereur  Les  docteurs  qui  se  voient  con- 
vaincus par  tout,  ont  recours  à  une  dernière 
objection,  qui  est  de  demander  à  Jésus  si 
tout  cela  pouvait  s'accorder  avec  le  nombre 
des  semaines  prédites  pnr  le  prophète  Da- 
niel. «  Oui,  répond  Jésus,  et  il  est  aisé  de 
«  le  supputer.  »  Les  docteurs  acceptent  le 
parti,  et  se  mettent  en  devoir  do  l'ac- 
complir. » 

(Icy  font  semblant  d'es'.udicr,    ei    les    autres  de 
u  ombrer.) 

'292)  Grave,  précise. 


703 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


704 


LUI.  Comme  Joseph  et  Notre-Dame  cherchè- 
rent Jésus. 

«  Notre Dame  prend  congé  des  deux  Ma- 
ric<  et  d'Aqueline,  et,  sentant  une  inquié- 
tude mortelle  sur  la  p>rte  de  son  fils,  elle 
court  pour  le  trouver.  Eu  chemin,  «die  ren- 
contre Joseph  et  lui  demande  s'il  ne  sait 
point  ce  qu'il  est  devenu.  «  Je  ne  l"ai  point 
«  vu,  lui  répond-il,  depuis  (pie  je  vous  ai 
«  rpiittée.  »  Esdras  et  Zébédéus,  en  arri- 
vant, prennent  part  a  la  douleur  de  la 
Vierge,  et  vont  avec  elle  chercher  le  petit 
Jésus  «  Joseph  a  eu  grand  tort,  dit  Esdras; 
«  il  ne  devait  pas  le  quitter.  —  Ce  n'est  pas 
«  sa  faute,  »  répond  Aqueline. 

AQLEL1.NE. 

Ha  !  le  poure  homme  n'en  peut  niais, 
Il  en  pence  comme  «le  soy  mesmes  ; 
Il  n  midé  quViilre  nous  Femmes 
L'eu  sions  par  deç»  amené. 

«  Cependant  on  cherchn  Jésus  de  tous  cô- 
tés; les  deux  Maries  y  emploient  tout  leur 
soin;  on  s'en  informa,  mais  en  vain,  à 
Ad<>rmnla  et  à  Herbeline,  deux  des  voisines 
de  Marie.  Joseph  le  demande  à  Priséus 
et  a  sa  femme  Raphiel  ,  et  croyant  qu'ils 
pourront  le  reconnaître,  il  leur  en  fait  le 
portrait. 

JO=EPH. 

Il  n  douze  ans.  ou  environ, 

Nonobstant  qu'il  est  grandellet, 

Lng  beau  filz  assez  vermeille!, 

Les  yeulx  vers,  la  chaire  blanche  el  tendre, 

Les  cheveulx  blonds  à  tout  comprendre  ; 

Il  a  la  boni  lie  vermeille, 

Il  esi  bel  Enfuit  à  merveille, 

Hresvemenl  le  fault  ainsi  dire. 

«  Notre-Dame,  accablée  de.  tristesse,  fait 
une  longue  complainte,  et  Joseph  la  con- 
sole de  son  mieux.  D'un  autre  côté,  les 
docteurs,  que  nous  avons  laissés  occupés  à 
calculer,  après  bien  des  peinset  des  soins 
ont  la  honte  de  se  voir  confondus  par  les 
discours  du  petit  Jésus,  qui  leur  objecte  de 
si  fortes  raisons,  qu'ils  ne  peuvent  répon- 
dre et  restent  dans  l'admiration.  Cependant 
la  Vierge  apercevant  Jésus,  en  avertit  Jo- 
seph ,  et  court  embrasser  ce  cher  enfant. 
(lcy  vient  Noslre-Dtime  à  l'Enfant  el  le  baise,  et  dit:) 

MARIE. 

O  mon  doiilx  Enfant  gracieulx, 
Filz  de  toute  doiilceui  parlait, 
Mon  cher  (ilz,  que  nous  as  lu  fait? 
Qu'as  lu  fait  à  la  poure  mère  ? 
l)i  u  scel  combien  je,  el  Ion  père 
T'avons  quis  doulens  el  yrez. 

ZOR0BABEL. 

0 

Chère  Dame,  je  vous  supplie. 
Esl-il  voire  Enfant,  ce  beau  Filz î 

MARIE. 

Oùy,  Monsieur,  c'csl  mon  Filz. 

MANASSÈS. 

Belle  Dame,  gardez  qu'il  n'entre 

(v293)  Ce  prologue  finable  devait  être  in ti t nié  : 
Epilogue;  mais  il  y  a  apparence  que  dans  ce  temps 
on  n'y  prenait  pas  garde  de  si  près. 

(204}  Ces  quatre  dernier»  ver»  nous  apprennent 


En  oyseuse  el  jeunesse  folle; 
Mais 't'entretenez  à  l'Escolle, 
Plus  soigneusement  que  pourrez  . 
El  au  temps  futur  vous  venez 
Qu'il  tiendra  ung  noble  chemin. 

«  Après  que  les  docteurs  ont  félicité  Marie 
d'avoir  un  enfant  si  charmant,  et  donné 
mille  louanges  a  Jésus,  Joseph  lui  dit  s'il 
veut  revenir.  «Je  le  veux  bien,  »  dil  Jésus. 

MARIE. 

C'est  parlé  de  tiès-lionne  affaire, 
Mon  cher  Filz. 

JOSEPH. 

El  pour  ce  tenez 
Du  bon  pain,  el  vous  en  venez 
Avec  nous  loin  rcsjouissanl. 

(Ensuite  ils  se  retirent  tous.) 

«  L'auteur,  qui  n'a  pas  pu  apparemment 
placer  un  prologue  à  la  tête  de  celte  jour- 
née, ne  voulant  rien  perdre,  en  met  un  à  la 
fin,  qu'il  intitule  :  «  Prologue  finable.  » 
Comme  il  est  très-court ,  nous  le  donnerons 
tout  entier,  avec  d'autant  plus  de  plaisir, 
qu'il  sert  de  sommaire  et  d'instruction  sur 
ce  que  l'on  vient  de  voir;  le  voici  : 

PROLOGUE  FINABLE  (2lJ3). 

Seigneurs,  en  la  déduction 

De  nnslre  petil  abrégé. 

Il  vous  a  esté  prorogué, 

A  nostre  possibilité, 

La  divine  Nativité 

De  Jesucrist  nostre  Salveur; 

La  charité  el  granl  faveur, 

Qui  a  eu  à  I  humain  lignage, 

Quant  pour  l'osier  hors  de  servage, 

A  voulu  en  vie  mondaine, 

Soy  couvrir  de  nature  humaine, 

E>ire  suliget  aux  Passions, 

Peines,  et  tribulations, 

Poiiretez,  ei  nécessitez, 

A  quoy  nous  sommes  incitez  ; 

Puis. avons  fait  ostencion, 

Monslranl  sa  Circoncision. 

Laquelle  humblement  veult   souffrir* 

Puis  l'avez  veu  au  Temple  offrir, 

Saincl  Syméon  le  recepvoir. 

Qui  nioull  le  désirait  à  veoir  : 

Puis  avez  veu  l'orrihie  l.oy, 

De  Herode  le  très-cruel  Roy, 

Qui  fisi  mer  les  Innocents, 

Dont- il  mourut  hors  de  son  sens  : 

L'enfant  Jésus  veisles  porter  : 

En  Egiple,  pour  éviter 

La  fureur  que  antres  encoururent. 

Où  imites  les  Ydoles  cheurenl, 

Quanl  à  la  Terre  fui  entré. 

Ilem,  depuis  avons  monslré, 

Comment  aux  Docteurs  disputa, 

En  quoy  sagement  se  porta. 

Les  inieiTOganl  sans  séjour; 

Etalant  fin  du  Premier  Jour  (29-i). 

Demain  retournez,  s'il  vous  plais!, 

Me  seauiez  eslre  sitosl  presi. 

Que  nous  nevieugnons  «courant, 

Pour  poursuirau  deinouranl.  » 

Fin  rt»  premier  jour  de  la  Passion  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ. 

pourquoi  le  mot  de  journée  est  employé  jusqu'à 
quatre  fois  dans  lp  mystère  dont  nous  donnons 
l'extrait,  et  dont  nous  avons  parlé  dans  le  discours 
qui  le  précède. 


705  PAS  dict;onna:rë  TES  MYSTERES. 

PERSONNAGES 

De  la  première  journée  du  mystère  de  la  Passion 

DIEU  LE  PÈRE. 
IÉsUi-CHRls.T. 
LE  >»AINT  E>>PRIT, 


PAS 


:oo 


d'un 


sous  lu 

Colomb 


(orme 
blanc. 

IV  SAINTE  VIERGE  MARIE 

saint  miciiel,  ange. 
GABRIEL,  idem. 
kaphael,  idem. 
lui ll,  idem. 
chérubin,  idem. 
séraphin,  idem. 

SAINT  JEHAN-BAPTISTE. 
SAINT  PIERRE, pCScheill 
SAINT  ANDRÉ,  SOI1    IlO- 

ie,  |  escheur. 
saint  j  vcules  «.lit  Ma- 
JO  ,  id  m. 

saint  ji:h\n  l'Evaugé- 
lisie.  id  m. 

SAINT  PHILIPPE. 
SAINT       BARTHÉLÉMY   , 
|»l  ilICC. 

saint   tiiomas,    char- 
pentier. 
saint  simon,  ouvrier 
saint  jlue,  sou  frère, 
idem. 

SAINT   .MATHIEU,  pllbli- 

cain. 

6AINT     JACQUES,       dit 

Miuor. 

JUDAS. 
ZEBEDÉE  , 

Jacques 

JlMII. 

V.ZARE. 

varthe,  sœur  de  Lazare. 
li'lnasiont,  page   île  La- 
zare. 

l'épousée  des  noces    de 
Cana. 

ARCllITlUCLIN.IliailrcMl'Ilô- 

ici  oes  noces  de  Cana. 
ajUs.    disciple  de   tainl 

Jean  Ltapiislc. 
sopiionia-.,  idem. 
Menasses,  idem. 
mcoi)E>me,  Docteur  de  l.i 

Luy. 
jAihus,  Archi>ynagogue. 
i  uabi  i  a,  fille  lie  Jayrus. 
tLLius,    Domestique    de 

J  yrus. 
uoab,  idem. 
i'iami.  Samaritaine. 
CÉDÉON,  Samaritain. 
AijACLiii,  idem. 
j;  llye,  Veuve  de  la  Ville 

de  M  aï  ni. 
LE  filz  de  Jullye. 
m.ptali.n,   llabilanl  de  la 


1ère   de  saint 
cl    de     saint 


ville  de  Naïm. 
malbhun,  idem 

CAIP1IE. 
ANNE. 

jéroboam,  Pharisien. 

iiardocuée,  idem. 

Naa-son,  idem. 

IOATHAN.  idem. 

ELiACiiiN,  idem. 

ban  anus,  idem. 

iacob,  Se'  ibe. 

i-ACiiAR,  i  em. 

NAiiiAN,  idem. 

nachor.  idem. 

iiérode  Telrarqnc  do  Ga- 
lilée. 

HÉiiODïAS  feinnie  de  Phi- 
lippe frère  d'il  rode  et 
enlevée  p  ir  ce  dernier. 

Florence, Il  Ile  d'Iléro.ly  as- 

iiodigon,  Comte  de  la  Cour 
dlleioile. 

abiron,  lu  if  attaché  à  Ilé- 
ro.le. 

andalus,  Maître  d'hôtel 
d'iléroite. 

grongnard,  servi  leur  d'Ilé- 
10  le. 

riLATE,  Prévôt  de  Judée. 

BARRAQutN,  conlidenl  de 
PiLle. 

brayard  ,  Tyran  ou  Sa- 
tellite de  P. laie. 

drillart,  id. 

claquedent, id. 

GRIFFON,  id. 

ruben. père  de  Judas. 

cyiioréi-,  femme  de  ruben, 
ei  uïére  de  Judas. 

le  filz  du  RiiYdeScariolh. 

PREMIER  BOURGEOIS  lie  Sca- 

RIOTII. 
DEUXIÈME  BOURGEOIS  deSca- 

rioth. 

rabanus,  Changeur. 

emelius,  Oiseleur. 

celcidon,  Marchand  d'A- 
gneaux. 

trouve  de  juifs  assistant 
au  Sermon  de  S.  Jean. 

troupe  de  juifs  témoins 
de  la  Résurrection  du  (ils 
de  la  veuve  de  Naïm. 

l'ame  de  saint  j<  han. 

troupe  dames  des  lidèles 
des  Limbes. 

Lucifer,  Roy  des  Enfers. 

sathan  ,   Diable. 

belzebutu,  id. 

bérith,         id. 

AS  I  A  ROT  II,     >d. 

lekbErus,     id. 


Donc  pour  dire  molz  de  vpIiic, 
Chacun  dévoieinciit  salué 
De  bon  cueur  la  bcuoisie  Dame 
Ave   Marui,  gruiia  plena,  Domnus  lecum, 
elc. 


EX.TnAIT   DU    MYSTERE    DE    l.A    PASSUN. 

PROLOGUE  CAPITAL 
au  Mystère  de  la  l'ussion  de  Jesuclirisl. 
Vertu  n  caro  faclu  n  esl. 
Le  Verbe  a  été  fait  ctlair, 

o  L'auteur  fait  ici  un  sermon  snr  ces  qua- 
tre mois  latins;  il  commence  par  invoquer 
k  Saint-Esprit,  puis  i!  demande  les  sudr-a^es 
de  la  saiule  Vierge, 


«  Sur  chacun  de  ces  mots  latins,  il  dispose 
les  i  oints  de  son  sermon.  Sur  le  premier 
Verbwn,  le  Verbe,  il  traite  de  \r.  général  ion 
éternelle  du  Fi's  de  Dieu.  — 11.  Caro.  Chair. 
«  Chapitre  du  «second  point;  De  la  Géné- 
«  ration  du  Filz  de  Dieu  fuit  homme  au  ven- 
«  Ire  de  la  Vierge  Marie.  »  —  Iil.  Factum, 
fait.  «  Chapitre  du  tiers  point,  qui  est  des 
«faits  de  Jésus,  lui  éiant  eu  ce  mo.de.» 
«  L'auteur  déclare  qu'il  ne  s'étendra  pas  sur 
ce  point,  attendu,  ajoule-t-il,  qu'il  va  élre 
expliqué  tout  au  long  dans  le  mystère  de  la 
Passion. 

«  Le  quatrième  point  roule  sur  ce  mo!, 
Est,  il  est,  et  l'on  y  tr-ile  de  l'essence  é  e  - 
ne  le  du  Fils  de  Dieu.  Pour  achever  en  de  ix 
mots  ce  que  nous  avons  à  dire  sur  ce  |  rolo- 
gue,  nous  ajouterons  que  l'auteur  y  l'ail  l'a- 
pologie de  ce  genre  d'ouvrage,  qui  a  été  com- 
posé, à  ce  qu'il  d  t,  pour  inspirer  de  In  dé- 
votion au  pjuple  ;  car  voici  comment  il 
s'exprime  : 

Ce  n'esl  seulement  qu'un  motif 
Non  lepiinaut  à  vérité, 
Qui  sera  cscripl  et  ditié 
Pour  es  louvoie  les  simples  gens, 
Les  ignorants  ci  négligens  , 
Ressentir  de  Noslre  Seigneur, 
Le  dont  on  peut  cire  meilleur 
Par cxorlacion  vulgaire,  etc. 

«  Après  avoir  parlé,  dans  son  qualrième 
point,  de  la  gloire  et  du  bonheur  tics  bien- 
heureux, il  lin: L  son  sermon  par  ces  mois  : 

A  laquelle  vous  doinl  venir 
Apivs  qu'auront  tout  laid  et  dit , 
Le  Père,  le  Fils  et  le  Sainct  Esprit 

Amen,  » 
Fin  du  Prologue  Capital. 

Cy  commence  le  Mistere  de  la  Passion  de  Nos- 
lre Saulveur  Jesu-Christ  avec  les  addicions 
et  corrections  [aides  par  très-éloquent  et 
scientifique  Docteur  Maislre  Jehan  Michel. 
—  Lequel  Mistere  fut  joué  à  Angrers  moult 
triumphantement ,  et  derrenieremcnl à  Puaris 
l'an  Mit  cinq  cens  et  sept. 

première;  journée. 

I.  Sermon  de  sainct  Jehan. 

«  Saint  Jean  parait,  et  fait  un  sermon  au 
peuple,  dans  le  désert,  qui  roule  sur  ces  pa- 
roles du  prophète  Isaïe  :  Parate  viam  Domtni, 
rectas  facile  in  soliludine  semilas  Dei  nostri. 
(Isa.,  \l,  i.)  «  Préparés  la  voie  du  Seigneur, 
«  aplanisses  dans  le  Désert  les  sentiers  de 
«  nôtre  Dieu.  »  Ce  sermon  esl  semé  de  vers 
laliiis,  que  l'auteur  rend  souvent  en  fran- 
çais. T> 

il.  Conseil  des  J  ai  fz. 

*  La  prédication  se  répand  d'une  telle  £i- 


;07 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


708 


pon,  que  les  principaux  Juifs  s'assemblent 
pour  savoir  ce  qu'ils  doivent  faire  à  ce 
sujet. 

«  Le  conseil  est  composé  de  Caïphe , 
d'Anne,  de  six  pharisiens,  dont  voici  les 
noms  :  Jéroboam,  Mardochée,  Naason,  Joa- 
ihan,  Eliacin  et  Bananias;  et  de  quatre  scri- 
bes, Jacob,  Isachar,  Nathan  et  Nachor.  Caïphe 
ouvre  le  discours,  et  dit  qu'il  lui  parait  que 
le  temps  de  l'avènement  du  Messie  est  ar- 
rivé, suivant  ce  que  les  prophètes  avaient 
prédit.  Anne  prend  ensuite  la  parole,  et  se 
trouve  du  même  sentiment;  mais  Jéroboam, 
premier  pharisien,  en  soutient  un  contraire, 
attendu  que  les  prophètes  avaient  prédit  que 
le  Messie  naîtrait  dans  un  temps,  qui,  parla 
description  qu'il  en  donne,  n'a  aucune  res- 
semblance avec  celui  dans  lequel  ils  vivent  : 
car,  ajoute-l-il  : 

Premièrement  l'Empereur  soubz  main  dure 
Nous  lient  subjeclz,  loul  le  peuple  murmure, 
Rien  n'est  en  paix,  tout  est  mal  gouverné, 
Erreurs  croissent ,  la  Sinagogue  endure, 
Raynes  puluient;  et  loul  mal  on  procure, 
Par  quoy  je  dis  que  Messyas  n'est  pas  né. 

«  Mardochée,  second  pharisien,  appuie  ce 
sentiment,  et  décrit  la  venue  du  Messie  sui- 
vant l'idée  des  Juifs. 

Quant  Messyas,  quant  le  Crisl  régnera, 

Nous  espérons  qu'il  nous  gouvernera 

En  forte  main,  eu  union  tranquille, 

Couronne  d'Or  sur  son  chef  portera  , 

Gloire  et  richesse  en  sa  maison  aura 

Justice  et  paix  régira  sa  famille  : 

El  si  le  fort  le  poure  oppresse  ou  pnle, 

Si  le  lyranl  son  franc  vaosal  exille , 

Quant  Crisl  viendra  loul  sera  mis  en  ordre  : 

David  le  Saiucl,  Salomou  ou  Siliille, 

Sanson  le  for; .  ou  le  subtil  Virgile, 

Sur  sa  prudence  ne  trouveront  que  mordre. 

«  Naason,  troisième  pharisien,  combat  les 
raisons  des  deux  précédents,  et  ne  doute 
point  que  le  Messie  ne  soit  né.  Il  en  trouve 
la  preuve  dans  ['extinction  de  la  race  des 
rois  de  Juda,  et  de  leur  sceptre  passé  en  des 
mains  étrangères.  «  De  plus,  ajoule-l-il,  la 
«  probité  et  la  sainteté  de  Jean  doivent  rendre 
«  sa  mission  croyable.»  Mais  Joathan,  qua- 
trième pharisien,  tâche  de  rabaisser  l'honneur 
de  ce  dernier. 

N'est-ce  pas  Jehan    (dil-il)  dont   vous   donnes 

l'enseigne , 
Filz  de  la  vieille  Elizabeth  brahaigne, 
El  du  vieillari  bon  homme  Zaehane? 
Quelque   doctrine  qu'il    presche,  ou   qu'il   cn« 

seigne , 
Ce  n'est  qu'abuz  qui  voudra  si  la  prengne, 
Car  quant  à  moy  je  n'en  ay  point  d'envye, 
El  est  à  nous  ce  me  semble  lolye 
De  tolérer  que  ces  paroles  die, 
Et  qu'il  baptise  au  lleuve  de  Jourdain? 
Comme  il  a  sceu  la  venue  du  Messye; 
Jamais  ne  vil  Lettre  ne  prophétie, 
C'est  ung  abuz  trop  grant  et  trop  vilain. 

«  Eliachin,  cinquième  pharisien,  embrasse 
le  parti  do  Joathan,  et  va  encore  plus  loin 
que  lui,  puisqu'il  opine  à  prendre  des  mesu- 
res pour  faire  cesser  les  prédications  de  saint 


Jean; mais  Bananias,  sixième  pharisien,  s'op" 
pose  à  cet  avis  : 

Eliachin,  très-éloquent  non  sic, 
Ne  prenons  pas  la  chose  si  au  rie. 

«  11  représente  que  c'est  vouloir  s'exposer 
à  la  haine  du  peuple,  en  faisant  quelque  vio- 
lence à  une  personne  pour  laquelle  il  s'inté- 
resse. Jacob,  premier  scribe,  l'interrompt  en 
lui  disant  que  peut-être  saint  Jean  est  lui- 
même  le  Messie.  Ce  sentiment  estadopté  par 
lsachar,  second  scribe.  Mais  le  troisième,  ap- 
pelé Nathan,  les  fait  revenir  de  cette  erreur 
en  leur  représentant  que  Jean  ne  pouvait 
être  le  Christ,  puisqu'il  était  de  famille  sa- 
cerdotale, et  que  les  prophéties  portaient 
expressément  que  ce  dernier  devait  descen- 
dre de  la  race  des  rois.  Pour  terminer  celte 
contestation,  Nachor,  quatrième  scribe,  pro- 
pose cet  expédient,  «  que  pour  entendre  lout 
«  le  faict  clerement  il  a  advisé  »  un  bon 
moyen,  qui  était  de  le  demander  à  Jean  lui- 
même.  Cet  avis  est  aussitôt  approuvé  par 
Caïphe.  chef  de  cette  assemblée,  qui  ne  man- 
que pas  de  leur  en  faire  de  grands  remercie- 
ments. Et  la  conclusion  est  que  l'on  députe 
Eliachin  et  Bannanias,  pharisiens,  avec  deux 
scribes,  Nachor  et  Nathan,  pour  interroger 
saint  Jean;  ensuite  ces  quatre  envoyés  vont 
à  la  prédication  de  ce  dernier  dans  l'inten- 
tion de  tirer  finement  de  lui  tout  ce  qu'ils 
veulent  savoir.  » 

111.  Sermon  de  S.  Jehan. 

«  Saint  Jean  vient  prêcher  les  Juifs,  et 
les  exhorte  à  la  pénitence.  Les  quatre  per- 
sonnes, dont  nous  venons  de  parler,  s'y 
trouvent  entre  autres,  qui  lui  demandent  s'il 
est  te  Christ. 

Non  suis  ,  je  ne  suis  pas  Chrisius; 
Mais  dessoubs  luv  je  me  humilie. 

répond  saint  Jean.  Ensuite  on  l'interroge  s'il 
n'est  pas  Elle  ou  un  prophète;  et,  sur  ce 
qu'il  leur  proteste  qu'il  n'est  aucun  d'eux, 
ils  le  prient  de  dire  qui  il  est;  mais  à  peine 
saint  Jean  leur  a  répliqué  : 

Ego 

Vox  clamantis  in  ae&erto, 

Je  suis  voix  au  désert  criant  ,  etc. 

qu'ils  se  retirent,  et  il  semble  qu'ils  n'ont 
plus  rien  à  lui  opposer.  Celle  prédication 
n'est  pus  cependant  infructueuse,  car  trois 
Juifs,  appelés  Sophonias,  Manassès  et  Abias, 
demandent  le  baptême,  et  suint  Jean  le  leur 
accorde.  » 

IV.  Dialogue  de  Je'sus  et  de  Notre-Dame. 

«  Jésus  paraît  avec  Noire-Dame  et  l'ange 
Gabriel.  Jésus  s'entretient  avec  eux  du  su* 
jet  pour  lequel  il  est  descendu  sur  la  terre. 
Notre-Dame  lui  dit  avec  regret  que  sa  vo- 
lonté soit  la  sienne.  Ensuite  Jésus  (rend 
congé  d'elle. 

(El  icy  se  dépari  d'avec  elle  ,  et  s  Vu  va  vers  S.  Jehan- 
Baptiste,  et  l'Ange  Gabriel  avec  luy  ;"  et  demeure 
iV.  D.  comme  en  Oraison."  ■    . 


709  PAS  DICTIONNAIRE 

V.  Baptême  de  Jésus. 

«  Jésus  s'approche  de  saint  Jean,  à  qui  il 
demande  le  baptême,  ce  dernier  s'en  défend 
fort  par  humilité. 

S.   JEHAN. 

Pas  requérir  ne  nie  (levés, 

Car  mon  cher  Seigneur,  vous  sçavés, 

Qu'il  n'affierl  pas  à  ma  nature, 

Je  suis  Créature, 

Et  poure  facture 

De  simple  stature, 

Humble  viateur  : 

Ce  seroil  laydure 

Et  chose  trop  dure 

Laver  en  eaiie  pure 

Mon  haull  Créateur. 

Tu  es  précepteur, 

Je  suis  serviteur; 

Tu  es  le  Pasteur , 

Ton  oùaille  suis, 

Tu  es  le  Docteur, 

Je  suis  l'Auditeur, 

Tu  es  le  Ducieur , 

Moy  consecuteur, 

Sans  qui  rien  ne  puis,  etc. 

«  Enfin  Jésus  le  lui  ayant  commandé  ab- 
solument, saint  Jean  se  met  en  devoir  de 
lui  obéir.  Pendant  que  Jésus  se  déshabille, 
et  que  l'ange  Gabriel  le  sert,  Dieu  le  Père  dit 
qu'il  veut  honorer  «  par  ung  signe  haultain 
«  ce  baptesme  vertueux.  «Saint  Michel  chante 
un  cantique,  «  durant  lequel  Jésus  entre 
«  dans  le  tleuve  de  Jourdain,  et  S.  Jehan 
«  prend  de  l'eaue  à  la  main,  et  en  jecte  sut 
«  le  chef  de  Jésus  ;  »  puis  dit  : 

Sire,  vous  estes  baptisé 
Qui  à  vosire  haulie  noblesse , 
N'appartient,  ne  à  ma  siinplesse 
Si  digne  service  vous  faire, 

Toutes  Ibis,  mon  Dieu  débonnaire, 
Yuiellés  supplier  le  surplus. 

lcy  sort  Jésus  hors  du  Fleuve  du  Jourdain,  et  se  jeele 
à  gënoutx  devant  Paradis.  Adunc  parle  Dieu  le 
Père,  et  le  Sainvl  Esperit  descend  en  [orme  du  Cou- 
lant blanc  sur  le  chef  de  Jésus  :  puis  retourne  en 
Paradis.  El  est  à  noter  que  la  loquence  de  Dieu  le 
Père  se  doit  pronuncer  enlendiblement ,  et  bien  à 
traici  en  trois  voix;  c'est-à-sçavoir,  ung  liault  dessus, 
une  Itaulle  contre ,  cl  une  basse  contre  bien  accor- 
dées; et  en  cette  armonic  se  doit  dire  toute  la 
clause  qui  suit  (295). 

DIEU  LE  PÈRE. 

Hic  est  Filins  meus  diledus, 
lit  quo  miclti  bene  complacui. 
Cestuy-cy,  c'est  mon  Fils  aîné  Jésus, 
Qui  bien  me  plaisl,  ma  plaisance   est  eu 
luy,  etc. 

(!cy  se  lieve  Jésus  de  genoulx ,  et  revesl  ses  habille- 
nwns,  et  S.  Jehan  cl  Gabriel  luy  aident,  cependant 
quêtes  Anges  parlent  en  Paradis.) 

«  Ce  dialogue  des  anges  roule  sur  les  grâ- 
ces que  Dieu  a  faites  aux  hommes  par  le 
moyen  du  sacrement  de  baptême,  et  se  passe 
entre  Raphaël,  Uriel,  Chérubin  et  Séraphin. 

(295)  Celte loquence  ou  discours  de  Dieu  ie  Père 
exprimé  par  un  trio  dans  le»  (ormes  ,  n'est  pas  sans 
art  de  tu  pari  de  l'auteur. 


DES  .MYSTERES.  PAS  710 

Après  quoi   «    chante  ung  Silete   en  Para- 
«  dis  (296).  » 

(lcy  va  Jésus  au  désert ,  cl  IWnge  se  départ  d'avec  luy, 
et  retourne  vers  Notre-Dame.) 

VI.  Enfer. 

(lcy  sont  Salhan  et  Berith  au  désert.) 

«  Ces  deux  démons  s'entretiennent  de 
quelle  façon  ils  pourront  tenter  Jésus  ;  Satan 
dit  à  son  compagnon  : 

SATHAN. 

J'ay  veu  au  désert  entrer 
Ne  sçay  quel  homme  que  je  crains, 
Plus  que  tous  les  autres  humains 
Devant  lequel  de  peur  je  tremble  : 
Nous  ne  pouvons  durer  ensemble, 
Jamais  je  n'en  vis  de  semblable, 
Et  croy  qu'en  Enfer  n'y  a  Diable 
Qui  en  sçeul  venir  au  dessus 


«  Ainsi,  se  voyant  sans  moyen  de  venir 
à  bout  de  leur  dessein,  ils  prennent  la  ré- 
solution de  retourner  aux  enfers  prendre 
conseil  de  Lucifer,  leur  maître.  Berith  y 
consent,  en  disant  : 

BERITH. 

Le  Dyable  nous  veueille  conduire, 
Sans  avoir  meilleur  saufeonduil. 

«  Lucifer  est  fort  étonné  de  les  voir  de 
retour  si  promptement,  et  Astaroth,  toujours 
prêt  à  faire  du  mal,  offre  charitablement  son 
ministère. 

ASTAROTH. 

Si  vous  voulés  qu'ils  soient  torchés 
Vecy  les  insirumens  touts  presls. 

;<  Mais  Lucifer  lui  dit  qu'il  faut  les  écou- 
ter auparavant.  Satan,  en  arrivant,  fait  pa- 
raître son  désespoir,  et  le  cœur  gonflé  de 
rage,  il  dit  avec  peine  ces  quatre  vers  . 

SATHAN. 

Lucifer,  je  crevé  de  rage, 
Des  fortunes  qui  nous  surviennent, 
El  si  les  Dyables  ne  me  tiennent, 
J'enragerai  de  desplaisauce. 

LUCIFER. 

Salhan,  tiens  un  peu  contenance, 
Et  compte  les  faicts  par  manière. 

BELZEBUT. 

Fay,  fay  hardiment  bonne  chère, 
Car  nous  sommes  plus  d'un  millier 
De  Dyables,  pour  bien  l'estrilliér, 
Si  n'y  a  rapine,  ou  conquesle. 

r  Cerbérus,  de    son   côté,   fait 
dents;  mais  Lucifer  les  apaise  et  dit  : 

Dyables,  ung  pelit  silete,  elc. 

«  Ensuite  il  interroge  Satan,  qui  lui  avoue 
qu'il  n'a  pu  tenter  Jésus. 

SATHAN. 

Je  l'ai  de  long-temps  butiné 

(290)  C'est-à-dire  que  pendant  un  grand  silence 
que  gardaient  les  acteurs,  on  entendait  un  couccil 
d'instruments; 


rage 


des 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEliES. 


PAS 


712 


Il  est  si  devol  on  prière 

Que  ung  jour  ne  doudte  qu'il  soil  Ange 

Il  semble,  à  son  parler  Prophète 
Kn  son  contempler  Séraphin 
Et  en  charité  Chérubin,  eic. 

Lucifer  entre  dans  une  fureur  terrible, 
et  lui  dit  avec  colère: 

Comment  ny  as  lu  scen  trouver 
Quelque  maie  subtilité? 

BEI.ZEBUT. 

Voiilés-vons  qu'il  soil  deserolé 
Par  manière  de  passe-temps? 

ASTAROTH. 

Deux  ou  Iroys  infernaux  lormens 
Ni  seront  pas  ir  p  mal  assis. 

LUCIFER. 

Va  hanlimeni  jusques  à  six 

Ou  te. il,  ou  lieux  cens  loul  content. 

BELZF.BUT. 

El  son  compaigimn  ? 
LUCIFER. 

Tout  autant. 
Esluffes  les  en  ce  brasier. 
Ung  laiilei,  pour  inieulx  les  aysier. 
Brilles  ces  Dyables  pleins  d'envye. 

BERITil. 

Ha!  Salhan,  vecy  dure  vie, 
Puisqu'il  convient  eslre  housses. 

[hij  les  bastent  en  Enfer,  et  on  les  étouffe   dans  un 
brasier  [i91].) 

SATUAN. 

Haro  Lucifer! 

LUCIFER. 

C'est  assés, 
Je  leur  pardonne  la  fortune. 

as ta uo TU. 

Passes,  Rihamlaillcs,  passés. 

SATHAN. 

Haro  Lucifer  ! 

LUCIFER. 

C'est  assés, 

Dyables  inauldils,  cessés,  cessés. 

CEUBEBUS. 

Encore  auronl-ils  celle  prune. 

SATUAN. 

Haro  Lucifer  ! 

LUCIFER. 

C'esl  assés. 
Je  leur  pardonne  la  fortune. 

ASTAROTU. 

Je  pense  qu'ils  en  ont  pour  une, 
Ils  sont  sonnés  à  grosse  cloche. 

LUCIFER. 

Comment  le  va  Salhan? 

SATUAN. 

Je  cloche, 
Descendre  ne  puis,  ne  mouler; 
Pourquoy  me  fais-tu  lornionter  T 
Mauldii  esperit  abhominable. 

(297)  Ce  jeu  de  théâtre  ne  se  passait  pas  anx  yeux 
ces  spectateur-.  Satan  et  son  compagnon  entraient 
dans  l'enfer  parla  gueule  du  dragon  qui  en  fermait 
Iti  porte,  et  là,   on  les  entendait  crier  et  demander 


Je  fais  mon  devoir  de  lempler  : 
Pourquoy  me  fais-lu  lornieuier? 
Où  est  cil  qui  se  peul  vanter 
Des  Dyables.  tant  soit  cxénable, 
Qui  devÂiil  loy,  et  en  la  lable 
Kaee  plus  d'aines  présenler. 
Pourquoy  me  fais  lu  lorn  emer, 
Maiiliiil  esperil  abhominable? 

«  Tu  sais,  ïijoule-t-il,  en  sa  Ircssant  à  Ln- 
«  cifer,  que  je  ne  puis  rien  sur  lui;  et  que 
«  si  nous  n'y  pourvoyons,  il  détruira  notre 
«  enfer;  c'est  pourquoi  il  faut  songera  en- 
«  vo,)er  quelqu'un  pour  le  tenter. 

Car  quant  à  moy,  je  ne  scauroye 
Préseni  y  aller  :  cai  je  suis 
Si  lormenié  que  je  ne  puis 
Aller  ou  venir  plus  avaul  , 
Plus  n'en  serai  le  poursuivant, 
Les  gaiges  y  sont  mal  coin  toys. 

BELZEBLTII. 

Si  feras  encore  une  foys, 

Si  le  graul  Dyahlo  le  commande. 

LUCIFER. 

Salhan  répond  à  ma  demamlc  ; 
Où  lient  ce  Jésus  sou  menaige? 

SATUAN. 

Lucifer,  hé  uuel  nyable  scay-je? 
H  esi  en  ung  désert  logé, 
Où  il  n'a  m:  lieu,  ne  mangé 
Depuis  l'eure  qu'il  y  entra. 

LUCIFER. 

Il  fault  le  lempler  qui  pourra, 
Pr  iroys  ou  quatre  façons, 

A  (lin  au  moins,  que  nous  saichons. 
S'il  est  Dieu,  homme,  ou  autre  chose. 

SATUAN. 

Tosl  y  courrusse,  mais  je  n'ose. 
De  peur  que  l'on  ne  nie  lorchonne. 

LUCIFER. 

Si  lu  l'aulx  je  le  le  pardonne, 
Pourveu  que  lu  l'y  eniploiras. 

SATUAN. 

Cà  donc,  le  congé? 

LUCIFER. 

Tu  l'auras. 
Or  va,  que  pour  loy  conformer 
Tous  ceulx  dcJ'Airel  de  la  Mer, 
Te  rainicnnent  à  sauve  garde, 
Pluslosl  que  pierre  de  bombarde.  > 

VII.  De  Pilate. 

«  Pilate,  richement  Iiabillé,  arrive  accom- 
pagné de  Barraquin  et  do  quatre  gai  des,  qui 
sont  Brayart,  Drillart,  Griffon  et  Claque- 
dent.  Pour  ne  point  faire  languir  le  specta- 
teur, il  rend  compte,  en  entrant,  du  sujet 
qui  l'amène  en  Judée,  et  en  quelle  qualité. 

riLATE. 

Los  el  honneur,  obéissance  cl  gloire, 
Seigneurieuse  iriumphante  victoire, 
Soil  à  lousiours  à  l'Empereur  Romain, 
Qui  m'a  commis  en  louice  territoire 
Prévost  ci  Juge  de  loul  crime  noioyrc, 
San  Lieutenant  Criminel  souverain. 

grâce,  pendant  que  leurs  camarades  disaient  el  fai- 
saient semblant  d'exécuter  ce  que  Ton  voit  dans  ce 
mystère. 


7Î5 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


m 


«  IP rappelle  ensuite  l'état  présent  de  la 
Judée,  des  princes  qui  y  commandent  et  du 
caractère  des  peuples  qu'il  se  prépare  fort 
à  tenir  «  soubz  la  verge  ferrée,  »  ne  voulant 
pas,  ajoute-t-il,  imiter  la  mollesse  et  l'ava- 
rice sordide  de  Valère. 

Qui  en  l'Office  fut  mon  prédécesseur, 
Fit  l'Evesché  de  Judée  mettre  à  pris, 
Au  plus  offrant  dernier  enchérisseur, 
Oui  plus  en  donne,  il  jouit  de  l'onneur. 

«  Enfin,  poursuit-il,  pour  m'acquitter  du 
«  devoir  de  ma  charge,  et  en  même  temps 
«  faire  respecter  l'empereur  Tibère,  je  veux 
«  faire  publier  deux  ordonnances  : 

Et  pour  ce,  je  rne  délibère, 
Pour  magnifier  celle  pompe, 
Faire  crier  à  son  de  trompe 
Qu'on  apporte  de  l'argent  ;  car 
Grans  liibulz  sont  deubz  à  César.  » 

«  Voilà  le  premier  article  et  le  plus  es- 
sentiel. Le  second  est  qu'un  chacun  soit  tenu 
de  venir  saluer  Yymage  de  l'empereur.  Bar- 
raquin,  qui  paraît  là  comme  son  capitaine 
des  gardes  et  son  confident,  lui  conseille  de 
persévérer  dans  ces  nobles  sentiments  et  de 
se  montrer  homme.  Pilale  le  charge  du  soin 
de  faire  crier  cette  ordonnance,  et  Barra- 
quin  appelle  ses  quatre  satellites,  ou  plutôt 
ses  quatre  bourreaux  (comme  ils  l'avouent 
eux-mêmes,  se  vantant  de  n'aller  jamais 
sans  cordes  ni  couteaux),  qui  sont  ensemble 
à  causer,  et  leur  dit  : 

Compagnons,  c'est  assez  bave 
Allons  à  cop  faire  ung  explel  (298). 

«  Ces  tyrans  accourent  au  plus  vite,  mais 
ils  sont  bien  surpris  en  apprenant  qu'il  ne 
s'agit  que  de  crier  une  ordonnance. 

Le  Dyable  vous  puisse  deffaire, 

Nous  faut-il  faire  si  grant  feste 
Pour  ung  cri? 

dit  Griffon  fort  en  colère. 


Y  aller 


Nous  ne  daignerions 


réplique  Brayart  d'un  air  dédaigneux.  .lin- 
fin,  pour  couper  court,  il  ne  se  trouve  que 
Claquedent,  qui  veut  bien  se  prêter  à  cette 
fonction,  assurant  que 

Gens  de  bien  en  sa  compaignie 
Ne  seront  jamais  tricotez. 

«  nncore,  semble-t-il  s'en  repentir,  car 
après  que  le  trompette  a  crié  trois  fois  : 
«  Or  escoutez,  »  etc.  et  que  Barraquin  a  fait 
la  lecture  de  l'ordonnance  de  Pilate,  Claque- 
dent  ne  peut  s'empêcher  de  dire 

De  cent  mille  têtes  buées 

On  ne  gaigneroit  une  maille; 

Si  j'eusse  eu  quelque  paillardaille, 

A  décapiter  ou  à  pendre, 

Il  y  eust  eu  au  moins  à  prendre 

Quelque  endose,  pour  les  dépens. 

(208)  Expédition. 

Dictionn    des  Mystères. 


VIII-  Le  Conseil  des  Juifz. 

(Icy  tiendront  les  Cytoyens  leur  Conseil,  et  y  présidtra 
Nicodesme.) 

«  Ce  conseil,  où  paraît  aussi  Jairus,  chei 
de  la  Synagogue,  se  tient  au  sujet  de  l'or- 
donnance de  Pilate,  dont  nous  venons  de 
parler  au  mystère  précédent,  et  surtout  lou- 
chant le  second  chef,  en  ce  qui  regarde  les 
honneurs  que  l'on  doit  rendre  à  la  statue  de 
l'empereur.  Les  Juifs  crient  fort  contre  cet 
ordre  tyranniquR,  et  se  résolvent  à  l'éluder 
de  tout  leur  pouvoir.  » 

IX.  De  Judas. 

«  udas  paraît  avec  le  fils  du  roi  de  «  Sca- 
«  rioth.  »  Comme  ce  prince  ne  sait  que  faire, 
Judas  lui  propose  une  partie  d'échecs.  Sa 
proposition  est  acceptée  et  ils  se  mettent  à 
jouer.  Le  fils  du  roi  avance  un  de  ses  échecs  ; 
Judas  lui  en  oppose  un  des  siens.  Le  fils  du 
roi  lui  dit  :  «  11  est  perdu.  —  Non  pas,  ré- 
«  pond  Judas. —  Si  fait,  »  dit  ce  prince. 

Si  en  mentirez  vous,  Judas; 
Jeje  gaigneray  devant  tous. 

JUDAS. 

Et  pourquoy  me  desmentez-vous? 
Qui  vous  moult?  Il  me  desplaist  trop; 
Corps  bien,  je  vous  donneray  tel  cop, 
Qu'il  y  pareslra  à  jamais. 

LE    F1LZ. 

Se  me  loucbe,  je  vous  promais, 
Que  oneques  ne  feistes  tel  folie. 

JUDAS 

Tous  noz  puissans  Dieux  je  regnie, 
Se  mettez  la  main  dessus  moy, 
Nonobstant  qu'estez  filz  du  roy, 
Par  moy  vous  serez  affollé. 

LE  F1LZ. 

Paix,  coquin,  maraull  avollé  (299), 
On  ne  sçail  dont  tu  es  venu  ; 

Tu  es  un incongnu, 

En  faiclz,  en  dilz  oullrecuidé. 

JUDAS 

Se.  devoye  eslre  lapidé, 
Ou  gecté  en  eaùe  en  ung  sac; 
Si  aurez  vous  en  estomac 
Cecy  planté  pour  reverdir  ; 
Nul  ne  me  sçauroit  refroidir 
Que  n'ayez  le  coup  de  la  Mort. 

(Icy  le  tue. 

«  Deux  bourgeois  de  la  ville  de  Scarioth 
arrivent,  et  voyant  le  fils  de  leur  roi  mort, 
ils  en  témoignent  leurs  regrets,  et  font  des 
réflexions  sur  le  chagrin  que  le  roi  aura» 
lorsqu'il  aura  appris  celte  fâcheuse  nou- 
velle. » 

(Icy  est  Judas  tout  effrayé,  et  tient  ung  glaive  tout 
nud  senglant  comme  se  il  venoist  de  faire  meur- 
tre.) 

X.  De  Judas  et  de  Pilate. 

«  Judas  sachant  bien  qu'après  avoir  com- 
mis un  tel  crime,  il  va  être  poursuivi,  prend 
le  parti  d'abandonner  le  pays  et  de  chercher 
*brtune  ailleurs. 


(299)  Ecervelé. 


23 


713                     PAS                      DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  PAS                        7<* 

(Icy  s'en  va  Judas  pourmener  de  loing  devant  le  siège  Venant  de  la  bouche  divfjie. 

de  Pilale.)  Donc,  si  le  pain  matériel 

«  Pilale  paraît  avec  sa  suite;  il  demanae  feDiSa lî'lre d-j!E!U 

à  ses  tyrans  ce  que  disent  les  Juifs  de  son  Qni  est  V(,oinej  el  slIff,sanl 

ordonnance,   et  s'ils  y  sont  rebelles.  «Ah!  A  parfaire  le  résidu. 

«  Seigneur,  lui   répond  Griffon,    les   Juifs  sathan 

«  sont  trop  sages,  et  les  gens  riches  n'osent  Cesl  80lilemeill  répondll) 

«  se  soulever  ;  il  n  y  a  rien  à  gagner  pour  El  me  aperçoy  bien  que  tu  scés 

«  nous.  »  Des  cavillations  assés. 

bravart.  «  Après  ce  dialogue,  Satan  «  se  retire  ung 

Le  plus  habille  «  peu  loing  de  Jésus,  et  ostant  son  habit 

D'entre  nous  n'en  a  pas  pendu  «  d'Armite  »  il  dit  : 
Troys  pour  ung  jour. 

Haut  Lucifer!  que  doy-je  faire? 

«  Cela  est  très-fâcheux,  seigneur,  comme  Legrant  Dyable  y  puisse  avoir  part, 

«  vous  le  voyez,  dit  Claquedent,  et  si  vous  Et  a  Jésus,  et  à  son  art, 

«  n'avez  la  bonté  d'y  remédier,  notre  métier  Tant  il  scet  d'Hebrieu  et  Latin. 

«  va  devenir  à  rien.  «Cependant  Pilate,  aper-  .  A,ors  Sat        se  sem     t  f    lifié  dps 

cevant  Judas  de  loin,  commande  à  Barra-  cours  infernaux   revient  tenter  Jésus  d'une 

quin  de  le  lui  amener.  autre  façon> 

11  semble  homme  sage  et  sçavant,  {Icy  pmiJ  Sathan  ung  habi,  de  Docteurj  et  puh  re_ 

ajOUte-t-il.  tourne  lempler  Jésus.) 

(Icy  vient  Barraquin  parler  à  Judas.)  «  11  dit    à  Jésus  qu'un    si   grand   docteur 

_                      .  ■•'     .    .     .  „.,  ,        .  „„  que  lui  ne  doit  point  laisser  ses  talents  dans 

«  Barraquin  amène  Judas  à  Pi.ate,  et  ce  roub|j   et       ,{f  fau[       ,,,       èche    et 

dernier  lui  dit  qu  il  veut  lui  parler  en  par-  ,ui  donner*une  [Aac^  commode  et  élevée, 

ticulier.  afjn  (je  pouvoir  être  entendu  d'un  plus  grand 

(Icy  salue  Judas,  le  Prévost  Pilate.)  nombre,  il  s'offre  à  porter  Jésus  sur  le  soni- 

_..'      .  .  ,          ,                    .     ..  .,     .  met  du  temple. 

«  Pilate  lui  demande  son  nom  et  qui  il  est  ;  * 

Judas,  après  le  lui  avoir  dit,  ajoute  qu'il  est  (Ici  se  met  Jésus  sur  les  épaules  de  Sathan,  et  p«* 

de  l'île  de  Sc'arioth,  où  il  était  employé  au  un9  soudain  contrepoys  sont  guindez  tous  deux  à 

service  du  roi.  Pilate  lui  propose  d'entrer  mont  sur  te  hauh du  pinacle.) 

au  sien;  Judas  accepte  la  proposition,  et  ce  «  Lorsque  Satan  voit  Jésus  sur  le  haut  du 

prévôt,   pour  voir  ce    qu'il   sait  faire,   le  temple,  il  lui  propose  de  se  jeter  en  bas,  et 

charge  de  l'intendance  de  sa  maison.  »  que  les  anges  viendraient  le  recevoir,  selon 

vt    T     .        .     ■        .    r,  .  „  qu'il  est  porté  en  l'Ecriture  sainte.  Jésus  lui 

XI.  La  lemptacion  de  Jésus.  ?épond  ^  egl  flUSsi  6gp.|  .  Vous  ne  tmte_ 

(Icy  commence  les  Temptacions  de  Jésus  au  désert,  rez  point  le  Seigneur  votre  Dieu.    Satan  est 

et  se  liève  de  Oraison,  et  dit  :)  au  désespoir  de  se  voir  encore  confondu. 

JÉSUS.  SATHAN. 

Quarante  jours  ay  jeune  plains,  C'est  bonne  évasion  trouvée, 

Dont  aucunement  me  complains,  Et  voy  bien  qu'en  ton  cueur  empraincte 

Car  la  faim  me  commence  à  prendre.  Est  toute  l'Escripture  saincle 

Et  la  congnois  de  pas  en  pas  : 

«  Dans  l'instant  «   vient  Sathan  en  habit  Mais  ainsi  n'eschapperas  pas, 

«  d'Armite,  vers  Jésus  pour  le  tempter.  »  Tu  auras  encore  ung  assault. 

sathan.  (Icy  descend  secrètement  Jésus  et  Sathan,  et  se   trou- 

Tu  ne  es  ne  larron   ne  murtrier.  vent  tous  deux  à  bas  assez  loing  l'un  de  l'autre,  et 

se  met  Sathan  en  habit  de  Roy.) 

«  "    '    •'<    \  ,\  p.",,» V«J-.;„*„  «  Satan,  voulant  encore  employer  un  der- 

aSK:  £2SP  "1er  effort  pour .Ucher  do  M  Jésus,  le 

Veu  que  tu  n'as  rien  offencé  vient   trouver  habillé   magnifiquement,   et, 

Vers  Dieu,  etc après  l'avoir  mené  sur  une  haute  montagne, 

,.  ,  '           .   .            .,               u...,j  il  lui  promet  que,  s'il   veut  l'adorer,  il  le 

«  Le  diable  emploie  ensuite  ses  subtilités  rendra  ,e     ,us  riche>  le     ,us  vaiilant  et  )e 

pour  l'engager  à  ne  plus  jeûner,  et  lui  de-  lus  puissant  prince  de  toute  ]a  terre  .  .  Jo 

mande  s'il  n'y  a  pas  dans  le  désert  de  quoi  J  possède  tout,  »  ajoute-t-il  ; 

prendre  «  viande  corporelle.  »  Et  qu  en  tout  ' 

jas  s'il  est  vrai  qu'il  soit  le  Fils  de  Dieu,  Mais  afin  de  mieulx  désigner 

^u'il   prenne  des   pierres  et  les  change  en  Le  bien  que  donner  jeté  veuil 

paiû,  Je  le  le  veu'l  monstrer  à  l'ueil  : 

Premier,  voy  en  sommacion 

Jésus.  La  terre  de  Promission, 

I/Omme  ne  vit  pas  seulement  Qui  est  Terre  où  tout  bien  abonde; 

De  pain  que  nature  luy  livre,  Vecy  tout  le  milieu  du  monde, 

Mais  aucunes  foys  peut-il  vivre,  Deçà  est  la  Terre  d'Europe, 

En  la  saincle  parolle  et  digne,  Delà  la  Tcrce  de  Ethiope, 


717 


PAS 


MCTION'NAIP.E  DES  MYSTERES. 


PAS 


ris 


TousRoyaulmes  de  noble  arroy, 
Desquels  je  suis  Seigneur  et  Roy. 
Romme  tiens,  Grèce  à  inoy  s'appliqua, 
Arabe,  Tliarse,  Asye,  Afrique, 
Egiple,  Calde,  Babilonne, 
Tout  est  à  moy,  et  tout  te  donne, 
Mais  que  devant  moy  lu  te  enclines, 
Et  m'adores,  et  me  domines, 
Comme  tu  scés  que  je  le  puis, 
Et  que  ton  Maistre,  et  Seigneur  suis, 
Jamais  faulle  de  rien  n'auias, 
Se  ainsy  se  fais. 

JÉSUS. 

Va  Sathanas. 

«  Jésus  ne  pouvant  plus  supporter  les  in- 
solents discours  de  Satan,  lui  ordonne  de  se 
retirer. 

{Icy  t'en  fuit  Sathan  comme  tout  enragé,  et]  demeure 
Jésus  tout  seul  sur  la  montaigne,  jusqu'à  la  venue 
des  Anges.) 

SATHAN. 

Haro,  haro,  haro,  j'enrage  ; 
Soubz  Ciel,  ne  sur  ierre  ne  tiens, 
Je  suis  vaincu,  je  ne  puis  rien  : 
En  mon  faicl  n'ay  point  de  recours 
Je  m'en'voys  en  Enfer  le  cours 
Plonger  au  fond  de  la  chaudière. 

«  Dieu  le  Père  commande  aux  anges  d'al- 
ler honorer  Jésus  et  de  le  servir. 

(Icy  descendent  les  Anges  de  Paradis,  et  apportent 
une  couppe  couverte,  et  du  pain  couvert  d'une  fine 
serviette  à  Jésus,  dont  il  pourra  boire  et  men- 
ger.) 

«  Lucifer,  qui  voit  revenir  Satan  en  dili- 
gence, lui  en  demande  le.  sujet,  et  ce  démon 
lui  raconte  le  mauvais  succès  de  ses  tenta- 
tions. 

(Icy  arryvent  les  Anges  devers  Jésus,  et  se  enclinent 
devant  luy  en  te  adorant,  et  le  ministrant.) 

«  Saint  Michel,  Raphaël  et  Uriel  chantent 
les  louanges  d'un  Dieu  si  bon,  qui  veut 
bien  souffrir  la  mort  pour  le  salut  des 
hommes.  » 

(Icy  se  retournent  les  Anges  en  chantant  ;  Jésus  des- 
cend de  la  montaigne.) 

XII.  De  Jésus  et  de  Nostre-Dame. 

«  Gabriel,  qui  est  resté  sur  le  théâtre,  fait 
un  petit  compliment  à  Notre-Dame,  et  cette 
dernière  fait  une  complainte  sur  les  maux 
que  Jésus  doit  souffrir.  » 

(Icy  arrive  Jésus  devers  Nostre-Dame,  et  s'encline  en 
la  saluant,  et  Nostre-Dame  se  jette  à  ses  piedz,  puis 
se  liève.) 

NOSTRE-DAME. 

Long-temps  ay  esté  en  absence 
De  vous;  mais  de  vostre  présence 
J'ay  le  cueur  hors  de  tout  soucy. 

JÉSUS. 

Il  me  fault  gouverner  ainsy 
Que  Dieu  mon  Père  le  me  ordonne, 
Et  que  tout  mon  faict  se  consomme, 
Ad  ce  que  l'Escripture  chante. 

XIII.  De  Sainct  Jehan  et  de  Hérode. 

«  Saint  Jean  et  ses  nouveaux  disciples 
paraissent;  Abias,  l'un  d'eux,  le  vient  aver- 


tir qu'Hérode  ne  se  gouvernait  pas  bien. 
«  Pourquoi  cela?  lui  demande  saint  Jean. — 
«  Parce  qu'il  tient  en  concubinage  la  femme 
«  de  sou  frère,  répond  Sophonias.  —  C'est 
«  laide  chose  et  infâme,  ajoute  Manassès.  — 
«  Vous  avez  raison,  reprend  saint  Jean,  et 
«  je  vous  sais  bon  gré  de  cet  avis.  » 

Je  luy  voys  remonslrer  l'ouenee, 
Avant  que  autre  chose  je  face. 

(Icy  s'en  va  Sainct  Jehan  seul  devers  Ilérod«.) 

«  Saint  Jean  arrive  chez  Hérode  :  en  l'a- 
bordant, il  commence  par  lui  faire  des  re- 
proches sanglants  sur  la  façon  dont  il  re- 
lient chez  lui  Hérodias,  femme  de  son  frère 
Philippe. 

SAINCT  JEHAN. 

Tu  voys  bien  les  oyseaulx  petils, 
Qui  en  soy  ont  cueur  si  genliiz 
Que  chacun  se  tient  à  son  per, 
Sans  l'autre  fiauuer,  ne  tromper,  etc. 

«  Hérode  est  fâché  de  cette  sincérité;  ce- 
pendant comme  il  a  dans  Je  fond  de  son 
cœur  du  respect  pour  ce  prophète,  il  le  prie 
de  se  taire,  et  veut  bien  excuser  ses  dis- 
cours. 

HÉRODE. 

Me  venir  dire  des  injures, 
Et  reprendre  publiquement, 
Sans  sçavoir  entendre  comment, 
Il  m'en  desplaist  trop  en  mon  cueur; 
Et  pour  ce,  Jehan,  sur  vostre  honneur, 
Taisez-vous  de  ce  que  vous  dictes  : 
Je  sçay  bien  que  entre  vous  hermites, 
Entre  vous  poures  ydyolz, 
Ne  prenez  pas  garde  à  vos  molz, 
Ne  devant  qui  vous  les  couchez. 


Mais  quand  est  d'entre  nous  Seigneurs, 

Qui  avons  nos  plaisirs  apprins, 

Il  nous  faicl  mal  d'être  reprins, 

Et  qu'on  congnoisse  nostre  offence  : 

Et  pour  ce,  prenez  pénitence 

Au  commun  et  au  populaire,  elc. 

«  Comme  saint  Jean  veut  continuer  ses 
remontrances,  Hérodias,  qui  est  présente, 
s'emporte  fort  contre  lui. 

hérodias,  à  Hérode. 

Son  cueur  est  de  mal  si  garny, 

Qu'il  fait  lousiours  de  pis  en  pis; 

Assez  esbahir  ne  me  puis 

De  telz  vieulx  bigolz  redoublez, 

Comment  ainsy  les  escoulez, 

Veu  qu'ils  sont  si  irez-mal  courloys. 

Il  a  tant  jeune  par  ces  boys 

Qu'il  n'a  pas  demy  de  cervelle. 

SAINCT  JEHAN. 

Ha!  perverse  femme  cruelle! 
Faulce  serpente  venimeuse! 
Ta  volonté  libidineuse- 
Machina  la  faulce  entreprinse, 
Quant  ravie  tu  fus  et  prinse 
D'avecques  ton  loyal espoux  ; 
Tu  as  bien  monstre  devant  tou. 
Que  lue  ne  crains  Dieu  ne  le  monde. 
Tu  es  lanl  ville,  tant  immonde, 
Que  la  fin  en  sera  maulvaise; 
El  ay  granl  peur  que  la  fournaise 
DT.nfcr  en  face  le  départ. 


719 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


720 


rérodias,  à  Uéroéte. 

Ha  dèa  !  ce  mescbanl  papelart, 
Nous  rompra  cy  meshuy  la  teste  : 
Monseigneur,  nous  estes  bien  besle 
De  tant  ouyr,  etc. 

«  Hérode,  pour  satisfaireHérodias,  ordonne 
i  Grongnart  d'arrêter  saint  Jean  et  de  le  con- 
duire en  prison.  Grongnard  obéit.  » 

Icy  demeure  Sainct  Jehan  en  la  Chartre  >usaues  à  la 
décolacion.) 

.cy  se  retirent  tes  trois  Juifz  devers  Archilriclin,  et 
commence  icy  la  mort  du  père  de  Judas.) 

XIV.  De  Iiuben  et  de  sa  femme. 

«  Ruben  et  Cyborée  sa  femme,  père  et 
mère  de  Judas,  se  plaignent  que,  quoiqu'ils 
aient  des  biens  abondamment,  cependant  ils 
sont  prêts  à  mourir  sans  héritier;  qu'à  la 
vérité  Dieu  leur  a  autrefois  donné  un  fils, 
mais  que  leur  misère  les  a  pour  lors  obligés 
à  jeter  cet  enfant  dans  la  mer,  et  que  depuis 
ce  jour  fatal  ils  ne  savent  ce  qu'il  est  de- 
venu. Pour  soulager  un  peu  leur  chagrin, 
ils  vont  se  promener  dans  leur  jardin. 

[Icy  se  départent  d'ensemble,  et  va  Iiuben  en  ung  Jar- 
din, où  il  y  a  un  pommier  fort  chargé  de  belles  pont' 
mes.) 

«  Pilate  arrive  avec  sa  suite,  en  se  prome- 
nant. Jetant  par  hasard  la  vue  sur  ce  pom- 
mier, il  en  trouve  les  fruits  si  beaux,  qu'il 
ordonne  à  Judas  d'en  aller  chercher,  et  de  les 
payer  ce  qu'on  lui  demandera. 

(Icy  s'en  va  Pilate,  et  Judas  demeure  pour  cuillir  des 
pommes,  et  pour  rompre  l'arbre.) 

(Icy  abat  Judas  deux  ou  trois  branches  de  l'Arbre.) 

«  Ruben,  s'apercevant  que  Judas  rompt 
l'arbre,  court  pour  l'en  empêcher. 

(Icy  vient  Ruben  parler  à  Judas.) 

«  Prenez  du  fruit  tant  qu'il  vous  plaira, 
«  mais  ne  rompez  point  l'arbre,  lui  dit  Ru- 
«  ben.  —  Il  me  plaît  de  le  faire,  répond  Ju- 
«  das.  »  Ruben,  fâché  qu'on  le  vienne  insul- 
ter chez  lui,  lui  réplique  avec  chaleur;  ils 
en  viennent  aux  injures  et  ensuite  aux 
coups. 

(Icy  s' entrebattent,  et  enfin  Judas  frappe  un  si  grant 
coud  sur  la  tête  de  Ruben,  qu'il  l'abat  à  terre.) 

«  Cyborée  arrive,  et  trouvant  son  mari 
assassiné,  elle  court  en  demander  justice. 

(Icy  vient  devers  Pilate  en  criant,  et  dit  :) 

CVBORÉE. 

0  Juge,  Juge,  Juge,  Juge, 

Je  requiers  vengeance,  vengeance,  etc. 

«  Pilate  l'écoute;  mais  comme  il  aime  Ju- 
das, pour  assoupir  cette  affaire,  il  propose 
à  Cyborée  d'épouser  son  intendant.  Il  ap- 
pelle ce  dernier,  et  l'ayant  tiré  à  quartier,  il 
lui  dit:  «Tu  vois,  Judas,  que  tu  es  sans 
«  bien,  et  que  voici  une  veuve  assez  bien 
«  faite  et  à  son  aise;  tu  ne  saurais  mieux 
a  faire,  mon  enfant,  que  de  l'épouser;  tu 
«  termineras  par  là  toutes  contestations  avec 

(300)  Calme. 


«  elle.  »  Judas  accepte  la  condition,  mais 
Cyborée  la  refuse  constamment,  et  proteste 
qu'elle  ne  veut  point  épouser  le  meurtrier 
de  son  époux.  Barraquin  leur  dit  d'aller  se 
consulter  ensemble  là-dessus. 

(Icy  prent  Judas  Cyborée'par  dessoulz  .e  bras,  et  se 
tirent  à  part  ensemble.) 

JUDAS. 

Ça,  mamye,  allons  y  penser, 
El  vous  vneillez  réconforter; 
Car  je  suis  pour  vous  avancer, 
Et  pour  voslre  bien  augmenter. 

CYBORÉE. 

Le  dicles-vous  pour  me  templer? 
Ou  pour  sortir  la  chose  effet? 

«  Je  vous  parle  très-sérieusement,  »  ré- 
pond Judas.  Somme  toute,  cette  veuve,  qui 
a  paru  si  rétive  lorsqu'elle  a  cru  que  la 
chose  était  pour  la  tromper,  y  consent  bien 
vite  quand  elle  voit  qu'on  lui  parle  tout  de 
bon;  et  ils  sortent  tous  deux  oour  se  ma- 
rier ensemble.  » 

(Icy  s'en  vont  Judas  et  sa  Mère  ensemble.) 

XV.  VEvocacion  des  Apostres,  ou  quelque- 
fois rinvocacion. 

(Icy  commence  l'Evocacion  des  Apostres.) 

«  Saint  Pierre  et  saint  André  paraissent 
occupés  de  leur  pêche,  qui  ce  jour-là  n'est 
guère  abondante. 

SAINCT  PIERRE. 

Si  le  vent  tourne  de  Nordeth, 
Ou  de  Seliu,  frère,  nous  aurons 
Du  poisson  plus  que  ne  seau  rions 
Despendre  pour  nostre  famille. 

SAINCT  ANDRÉ. 

Semble  la  Mer  assez  tranquille, 
Et  le  vent  calle;  fait-il  corme  (300) 
Assea  sur  l'eauë? 

SAINCT  PIERRE. 

Je  vous  afforme  (501) 
Qu'il  fait  oeau  voguer  sur  la  rive. 

JÉSUS, 

Enfants,  que  besongnez-vous  là? 
Quelles  sont  vos  intencions? 

SAINCT  PIERRE. 

Sire,  mon  frère  et  moy  peschons. 

JÉSOS. 

Laissez  cesopéracions  : 
Suivez-moy,  soyez  diligens, 
Je  vous  feray  pescheursde  gens. 
En  lieu  de  pescher  des  poissons  : 
Je  feray  qu  on  orra  vos  sons, 
Et  vostre  doctrine  parfonde, 
Par  toutes  les  parties  du  Monde, 
Pour  le  saluet  des  Créatures: 

(Icy  laissent  Sainct  Pierre  et  Sainct  André  leur  nari 
et  leurs  retht,  et  suivent  Jésus  en  habit  de  Pescheun 
jusques  à  la  seconde  Journée  qu'ilz  viennent  en  ha- 
bit d'Apostre.) 

«  Pendant  que  Zébédée  et  ses  fils,  sain) 
Jacques  dit  Major,  et  saint  Jean  l'Evangé- 
liste,  ne  songent  qu'à  leur  pêche,  Jésus,  ac- 

(301)  Assure. 


721 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


722 


compagne  de  saint  Pierre  et  de  saint  André, 
cppelle  ces  deux  derniers,  et  leur  dit  : 

Amis,  ne  vous  occupez  plus 
A  ce  mestier  que  vous  sçavez  ; 
Délaissez  lout  et  me  suyyez. 
Je  vous  désire  avoir  ensemble. 

«  Saint  Jacques  et  saint  Jean  quittent 
aussitôt  leur  père,  pour  obéir  aux  ordres 
de  Jésus. 

(Icy  suivent  S.  Jehan  et  S.  Jacques  Nostre-Seigneur, 
en  habit  de  pescheurs.) 

«  Chemin  faisant,  Jésus  trouve  saint  Phi- 
lippe, à  qui  il  dit  : 

Amy,  vouldroys  lu  point  venir 
A  moy,  et  estre  de  ma  sorte  ? 

SAINCT  PHILIPPE. 

Sire,  à  vostre  vueil  m'en  rapporte,  etc. 
(Icy  suit  Philippe  Nostre-Seigneur,  à  tout  en  habit  de 
pescheur,  comme  les  autres.) 

«  Ensuite  Jésus  aperçoit  saintBarthélemy, 
«  habillé  en  filz  de  Roy;  »  il  lui  dit  :  «  Bar- 
«  thélemy,  quittez  les  vanités  du  monde  et 
«  me  suivez.  » 

Sire,  vostre  suis  sans  contraincte, 

répond  Barthélémy. 

(Icy  suit  Saincl  Barthélémy  Nostre-Seigneur  en  habit 
de  prince.) 

«  Toujours  en  poursuivant  son  chemin, 
Notre-Seigneur  fait  rencontre  de  saint  Tho- 
mas, charpentier,  à  qui  il  dit  : 

JÉSUS. 

Thomas,  homme  d'activité, 
Laisse  tout,  et  fais  ton  devoii 
De  me  suivre,  pour  grâce  avoir, 
Comme  ces  autres  hom  mes  cy. 

SAINCT  THOMAS. 

Humblement  vous  remercie, 
El  à  vous  servir  me  conclus. 

(Icy  suit  Sainct  Thomas  Nostre-Seigneur  en  son  nabit 
de  Charpentier,  fors  qiCil  laisse  tous  ses  oulilz.) 

«  Après  cela,  Jésus,  voyant  passer  saint 
Simon  et  saint  Jude,  son  frère,  les  appelle, 
et  leur  ordonne  de  le  suivre.  Ces  deux  frè- 
res lui  rendent  grâces  de  l'honneur  qu'il  leur 
fait. 

SAINCT  SïMON. 

C'est  lout  noslre  intention, 
D'eslre  avecques  vous  habilans, 
Symon  suis  nommé  de  long- temps, 
Homme  simple,  ignorant  el  rude. 
El  vecy  mon  bon  frère  Jude 
Zélotès,  etc.  (302). 

(Icy  cheminent  les  Aposlres  en  leurs  habis  mécamaues 
après  Jésus.) 

«  Ensuite  paraît  saint  Matthieu  assis  de- 
vant une  table,  où  il  y  a  force  sacs  d'argent. 
Il  fait  quelques  réflexions  sur  sa  profession, 
et  après  avoir  bien  rêvé,  il  trouve  qu'il  a 
embrassé  un  métier  qui  le  conduit  à  la  dam- 


nation éternelle.  Comme  il  est  dans  cette 
pensée,  Jésus  tourne  ses  pas  de  son. côté,  et 
lui  dit  : 

Mathieu,  laisses  tout,  et  t'en  viens 
Aprez  moy,  tu  feras  que  saige. 

sainct  Mathieu, 

Mon  cher  Seigneur,  aussy  feray-je. 

«  Il  prie  le  Seigneur  de  lui  accorder  le 
pardon  de  ses  péchés,  et  Jésus  le  lui  promet. 
Saint  Matthieu  lui  demande  une  seconde 
grâce,  qui  est  de  vouloir  bien  venir  manger 
chez  lui  avec  ses  autres  apôtres  :  Jésus  y 
consent.  Pendant  ce  temps-là  saint  Jacques 
Alphé,  dit  Minor,  vient  trouver  Jésus,  et 
suivant  la  résolution  qu'il  a  prise,  le  prie  de 
l'admettre  au  nombre  de  ses  apôtres  :  Jésus 
le  reçoit  et  lui  dit  de  le  suivre.  » 

(Icy  suit  Sainct  Jacques  Nostre-Seigneur,  veslu  et 
abillé  près  ou  environ  comme  Nostre-Seigneur,  et 
après  commence  la  séparacion  de  Judas  el  de  sa 
mère.) 

XVI.  De  Judas  et  de  sa  Mère. 

«  Ce  mystère  serait  mieux  intitulé  la  Re- 
connaissance de  Judas,  car,  c'est  en  effet  ce 
dont  il  s'agit  dans  celui-ci.  Cyborée  se  sent 
inquiète  de  la  tendresse  qu'elle  a  pour  Ju- 
das. Pour  tâcher  de  dissiper  son  trouble, 
elle  lui  demande  qui  il  est  et  son  âge.  Judas 
lui  dit  qu'il  a  trente-cinq  ans;  mais  qu'il 
ignore  à  qui  il  doit  le  jour,  et  que  tout  ce 
qu'il  sait,  c'est  qu'on  lui  a  dit  qu'on  l'avait 
trouvé  sur  les  bords  de  la  mer.  Il  n'en  faut 
pas  davantage  pour  jeter  Cyborée  dans  une 
consternation  extrême:  elle  reconnaît  alors 
la  triste  confirmation  de  ses  soupçons. 

CYBORÉE. 

0  que  j'ay  de  rage  en  mon  cueur! 
0  Dieu  tout-puissant,  quel  horreur! 

Quelle  terreur! 

Quelle  erreur! 

Quel  forfaict  ! 
0  le  très-haullain  plasmateur, 
Qui  sera  le  réparateur 

Du  malheur, 

Deshonneur 

Que  j'ay  faict? 
0  Dieu  souverain  tout  parfaicl, 
Je  faict  le  faict  et  le  defaict, 

Par  vil  faict, 

Et  meffaict, 

Douloreux  : 
0  venlre  maternel  infaict, 
Très  ort,  très  vil,  très  imparfaict. 

Par  le  faict, 

De  ton  faict 

Malheureux? 
Las  Ciel  a  loy  je  me  deulx  : 
Venge  loy  sur  moy  si  lu  peulx, 

Des  griefz  d'eulx, 

Vicieulx, 

Que  je  porte. 
Terre  qui  nous  soustient  tous  deux, 
Pour  nos  péchez  libidineux, 

En  tes  lieux 

Ténébreux, 
'    Nous  transporte. 


(")02)  L'Evangile  saint  Luc,  chap.  vi,  y  15,  donne  Jacques,  (ils  d'Alphée.  L'aulcur  fait  saint  Simon  et 
oe  surnom  de  Zélotès  à  saint  Simon,  et  au  verset  saint  Jude,  frères,  à  cause  que  l'Eglise  en  célèbre  li 
suivant  il  nomme  sainl  Jndc  comme  frère  de  saint      fête  te  même  jour. 


7» 


PAS 


«  Judas,  qui  ne  sait  ce  que  tout  cela  veut 
dire,  lui  demande  le  sujet  de  son  affliction, 
et  C) borée  l'instruit  de  tous  ses  crimes. 

cyborée,  en  crtant  et  plorant. 

Vous  estes  mon  filz, 
Vous  estes  mon  filz  naturel; 
Et  le  vray  ventre  malcruel 
Avez  polu  en  mariage. 

judas,  en  ayant. 

Voslre  fiiz?  vostre  filz?  ho  rage! 
Rage  de  plaisir  involu  : 
A'ostrc  filz!  hélas  que  feray-je? 
A!-je  eu  ce  vouloir  dissolu? 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  PAS 

XVIII.  Murmures  des  Pharisiens. 


7-24 


«  Dans  cette  affreuse  situation,  ils  se  sou- 
viennent qu'il  y  a  un  prophète  appelé  Jésus, 
qui  accorde  le  pardon  à  tous  les  pécheurs; 
et  Cyborée  conseille  à  son  fils  d'aller  le 
irouver,  pour  obtenir  de  lui  le  pardon  des 
siens.  » 

{Icy  se  étongne  Judas  d'avecqucs  sa  Mère,  et  cepen- 
dant saincl  Mathieu  va  inviter  les  Publicains.) 

XVII.  Le  Convy  de  Sainct  Mathieu. 
«  Saint  Matthieu  va  inviter  Rabanus,  le 
changeur,  Emélius,  oiseleur,  et  Celcidon, 
marchand  d'agneaux,  de  se  trouver  au  festin 
qu'il  a  fait  préparer  pour  recevoir  Jésus. 
Ces  trois  Juifs  lui  promettent  de  s'y  rendre. 

{Icy  s'en  vont  les  troys  marchons  du  temple  en  fOstel 
de  Saincl  Mathieu  ;  et  est  à  noter  que  Saincl  Ma- 
thieu est  bien  richement  veslu,  il  fait  vieil  granl  ap- 
pareil de  Vaisselle  d'argent,  de  viandes  et  autres 
choses.) 

«  Jésus  et  ses  dix  apôtres  arrivent,  on  leur 
présente  des  sièges  ;  mais  avant  de  se  mettre 
a  table,  le  Seigneur  dit  : 

Benedicile 

TOUS. 

Dominus 

JÉSUS. 

Que  sumbluri  sumus 
lienedical  irinus  et  unus 

TOUS. 

Amen. 

{Icy  se  assiet  Jésus  au  milieu  de  la  table  et  tous  ses 
Aposlres  et  marchans  après.) 

«  Saint  Matthieu  n'oublie  rien  pour  les 
bien  traiter:  il  leur  sert  des  viandes,  et  les 
invite  à  boire. 

SAINCT  MATHIEU. 

Voire,  mais  vous  ne  dictes  rien 
Du  vin? 

SAINCT  MATHIAS  (305). 

Il  esl  très-excellent  : 
C'est  ung  fort  vin,  et  viollent, 
Si  doulx,  qu'il  se  laisse  avaller. 

RABANUS. 

C'est  ung  vin  pour  faire  parler 
Grec  et  Hébreu  tout  à  la  foys.  » 

(303)  C'est  une  laute,  car  tout  le  monde  sait  que 
saint  Malhias  ne  fut  appelé  à  l'apostolat  que  pour 
succéder  à  Judas.  Il  parait  même  que  c'est  l'impri- 


{Icy,  durant  le  disner,  murmurent  les  Scribes  et  Pha- 
risiens contre  Jésus.) 

«  Pendant  le  repas  de  saint  Matthieu, 
Joathan,  Eliachin ,  Mardochée  et  Naazon 
murmurent  contre  Jésus,  de  ce  qu'il  va  man- 
ger avec  des  publicains  et  des  gens  de  la  lie 
du  peuple.  » 

XIX.  La  Conversion  de  Judas. 

«  Cependant  le  repas  de  saint  Matthieu 
finit,  et  Jésus  dit  aux  assistants  de  rendre 
grâces. 

{Icy  se  lieve  Jésus  et  tous  les  autres  de  la  table,  et 
puis  dit  :) 

JÉSUS. 

Rendons  grâces  à  Dieu,  mes  amys. 
D'humble  vouloir  bien  disposé 
Cantemus  Domino  gloriose,  etc. 

■{Icy  dient  grâces  en  silence.) 

a  Comme  Jésus  est  prêt  de  se  retirer  avec 
ses  apôtres,  Judas  arrive  et  vient  se  jeter 
d'abord  à  ses  pieds;  il  lui  déclare  qu'il  est 
un  misérable  couvert  de  crimes,  quia  «  vécu 
«  sans  sçavoir  pourquoi,  tué  le  filz  du  Roy 
«  et  de  la  Royne,  »  assassiné  son  propre 
père,  et  épousé  sa  mère  sans  y  penser;  et 
qu'enfin,  ayant  appris  qu'il  faisait  miséri- 
corde à  tous  les  pécheurs,  il  vient  la  lui  de- 
mander humblement.  Non-seulement  Jésus 
la  lui  accorde,  mais  après  l'avoir  agrégé  au 
nombre  de  ses  apôtres,  il  l'établit  gardien 
de  la  bourse  commune.  Judas  lui  proteste 
fort  qu'il  en  usera  bien  et  en  assistera  cha- 
ritablement les  pauvres.  Alors  Jésus,  voyant 
lo  nombre  de  ses  apôtres  complet,  prend 
avec  eux  la  route  de  Nazareth,  pour  y  visiter 
sa  mère.  » 

{Icy  s'en  vont  Jésus  et  ses  douze  Aposlres  avec  leurs 
habis  séculiers  après  Jésus  :  et  après  commence  le 
miracle,  comme  il  mua  l'eaué  en  vin,  en  la  Chanane 
de  Galilée.) 

XX.  La  mutacion  de  l'Eaue  en  Vin. 

«  Architriclin,  maître  d'hôtel,  se  donne 
beaucoup  de  mouvement  pour  faire  les  pré- 
paratifs d'une  noce  qui  doit  se  faire  à  la 
Chanane  de  Galilée,  et  pour  envoyer  inviter 
les  conviés.  Il  se  repose  de  ce  dernier  soin 
sur  Abias,  l'un  des  disciples  de  saint  Jean. 
Abias  accepte  cette  commission  avec  plaisir; 
Sophonias  et  Manassès,  compagnons  de  ce 
dernier  et  disciples  de  saint  Jean,  restent 
pour  préparer  ce  qu'il  faut  pour  le  festin. 

(/cv  vient  Abyas  inviter  ISoslreDame  aux  Nopces.) 

ABVAS. 

Marie  ,  pleine  de  sagesse, 
Qui  toute  honnesteic  tenez, 
Je  vous  prie  que  vous  venez 
Aux  nopces  de  Jehan  Zébédée, 
Pour  introduire  l'Espouséc, 
En  honneste  et  simple  manière. 

meur  qui  a  mis  saint  Mathias  au  lieu  d'un  autre  apô- 
tre; et,  ce  qui  le  confirme,  c'est  que  ce  nom  ne  se 
trouve  que  dans  ce  seul  endroit. 


ÏZ& 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


PAS 


TiG 


KOSTRK-DAME. 

J'ay  affection  singulière 
A  Jehan  mon  nepveu... 

«  Abias  prie  aussi  Jésus  de  se  trouver  à 
cette  noce,  qui  promet  de  s'y  rendre  le  len- 
demain. Mais  à  peine  Jésus  et  Marie  ont  dit 
quinze  ou  vingt  vers,qu'Architriclin  se  pré- 
pare pour  recevoir  les  conviés.  Abias  est  si 
étonné  de  voir  ces  apprêts,  qu'il  s'écrie  qu'il 
n'en  a  jamais  vu  (Je  si  grands.  Cependant 
Jésus  dit  à  Notre-Dame,  qu'il  est  temps  de 
se  rendre  où  ils  ont  promis  de  se  trouver  la 
veille. 

(Icy  s'en  vont  Noslre-Dame,  Jésus  et  ses  douze  apô- 
tres aux  Nopces.) 

«  Dès  que  les  conviés  se  sont  rassemblés, 
Architriclin  les  exhorte  à  se  placer  prompte- 
ment. 

Voire,  car  les  premiers  assis 
Sont  tousiours  servis  les  premiers. 

dit  Sophonias.  Alors  Jésus  commence  à  dire 
lienedicite,  et  tous  les  assistants  répondent 
Dominus,  etc. 

(Icy  fait  Jésus  la  bénédiction  en  tenant  ung  pain  entre 
ses  mains,  et  le  rompant  par  le  milieu,  et  puis  se 
nssiet  l'Espousée  au  meilleu,  Noslre-Dame  à  costé, 
Jésus  à  l'autre  côté,  et  tous  les  Aposlres  après.  Et 
Architriclin  se  assiet  le  derrenier  au  bout  de  la 
Table.  S.  Jehan  l'Evangélisle,  vêtu  d'une  belle  robe 
blanche,  et  les  trois  autres  serviteurs  servent.) 

«  Après  bien  des  compliments  de  part  et 
d'autre,  les  conviés  s'excitent  à  boire. 

Si  vous  avés  peu  à  manger, 
Si  beuvés  bien  à  l'avenant. 

dit  Abias; 

Pour  faire  ces  barbes  nager 
Faites  ces*  hanaps  descharger. 

répond  Sophonias.  Enfin  ils  boivent  tant,  que 
le  vin  vient  à  manquer.  Abias  qui  s'en  aper- 
çoit le  premier  (apparemment  qu'il  avait 
plus  soif  que  les  autres)  ,  le  dit  à  son  com- 
pagnon, et  celui-ci  au  troisième. 

ABUS. 

Il  n'a  a  plus  de  Yinez  potz, 
Yecy  irès-maulvaise  nouvelle. 

SOPHONIAS. 

C'est  assés  pour  prendre  propos. 
Si  n'y  a  plus  de  Yin  ez  potz 
Et  on  dira  que  sommes  solz 
Si  le  Maislre  d'Hostel  appelle. 

U  AMASSÉS. 

Il  n'y  a  point  de  Yin  cz  potz, 
Vécy  irès-maulvaise  nouvelle. 

«  Que  dites -vous?»  dit  Architriclin 
élonné.  «  Qu'il  n'y  a  plus  de  vin  ez  potz, 
«  répond  Manassès.  » 

Vecy  très-maulvaise  nouvelle, 
réplique  le  maître  d'hôtel,  qui  ajoute  en  se 
levant  de  table  : 

Je  ne  puis  le  cas  bien  entendre, 
II  y  faut  pourvoir. 

Somme  toute 

d;t  Sophonias, 


On  n'en  sçauroit  recouvrer  goutte 
Pour  l'eure  présente. 


«  Pendant  ces  contestations  ,  Notre-Dame 
qui  s'aperçoit  de  ce  manque  de  vin,  le  dit  à 
Jésus,  qui  ordonne  de  remplir  d'eau  des 
Ydries  de  pierres. 

Puisque  le  Vin  des  nopces  fault, 
II  faut  de  l'Eaué  comme  vous  dites, 

dit  bonnement  Manassès. 

Nous  parfourniron 
Plus  d'Eauë  que  nous  n'en  beuron, 
Jà  ne  pense  moulier  mes  dens, 

conlinue-t-il. 

(Icy  emplentde  l'eau  les  Vaisseaux  de  terre,  qui  se- 
ront de  renc  sur  une  selle  haute.) 

«  A  présent,  »  dit  Manassès, 

Ne  plaignes  pas  nos  peines, 
Commandés,  nous  ne  fauldron  pas. 

«  Jésus  fait  le  signe  de  la  croix  sur  ces 
vases,  puis  commande  do  porter  de  ce  vin  à 
Architriclin. 

SOPHONIAS. 

Je  suis  seur  quant  il  en  beura 
Qu'il  n'aura  du  résidu  cure, 
Car  ce  n'est  que  eauë  toute  pure 
Dont  avons  empliz  les  vaisseaux. 

ABVAS. 

Je  croy  que  tels  frianz  museaux 
Comme  nous  n'y  feront  pas  presse. 

«  Manassès  porte  du  vin  de  ces  Ydries  à 
Architriclin,  qui,  le  trouvant  excellent,  fait 
venir  l'épousé,  qui  est  saint  Jean,  et  lui  re- 
proche que  contre  la  coutume  ordinaire,  il 
avait  fait  servir  le  meilleur  vin  à  la  fin  du 
repas.  Ce  vin  est  trouvé  si  exquis,  que  ce 
miracle  jette  un  étonnement  sans  égal  dans 
l'esprit  de  toute  l'assemblée;  Sophonias  ne 
peut  s'empêcher  de  le  publier  hautement, 
et  Abias  entre  autres  en  demeure  tout  ex- 
tasié 

ABVAS. 

Si  sçavoye  faire  ce  qu'il  fait, 
Toute  la  mer  de  Galilée 
Seroit  en  huyt  en  vin  muée  ; 
Et  jamais  sur  terre  n'âuroit 
Goutte  d'Eauë,  ne  plouveroit 
Rien  du  Ciel  que  tout  ne  fut  vin. 

«  Le  repas  fini»  ils  se  liëvent  et  dyrent 
«  grâces  Cantemus,  etc.,  puisse  tire  Jésus  à 
«  part  des  autres,  et  prend  saint  Jehan  par 
«  la  main»,  et  lui  conseille  de  garder  sa 
virginité.  Non-seulement  saint  Jean  suit  cet 
avis,  mais  il  s'offre  à  l'accompagner.  Il  est 
bon  de  remarquer  en  passant  que  l'auteur 
de  ce  mystère  ayant  déjà  parlé  de  la  voca- 
tion de  saint  Jean,  frère  du  grand  saint  Jac- 
ques, et  comme  lui  fils  de  Z'ébédée,  en  fait 
deux  personnes,  l'un  apôtre,  l'autre  évan- 
géliste.  Au  reste,  ce  n'est  pas  la  seule  inep- 
tie qui  se  trouve  dans  le  cours  de  cet  ou- 
vrage ,  comme  on  l'a  déjà  vu,  et  qu'on  le 
verra  dans  la  suite  :  des  auteurs  plus  graves 
et  plus   respectables  que  le  nôtre  scr.t  d« 


727  PAS  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

même  que  lui  tombés  dans  des  fautes  aussi 


PAS 


728 


grossières. 

«  Ensuite  Jésus  quitte  Notre-Dame,  pour 
aller  en  Judée  achever  sa  mission.  » 

(Icy  demeure  Nostre-Dame  avec  Gabriel,  et  Jésus  et 
ses  Aposlres  s'en  vont  en  Jérusalem  :  et  en  allant 
jait  Jésus  un  fouet  de  cordes  pour  jecter  les  Mar- 
chands hors  du  Temple.) 

XXI.  Des  Marchans  du  Temple. 

«  Emelius,  oiseleur  ,  Celidon,  marchand 
d'agneaux  et  de  chevreaux  ,  et  Rabanus, 
changeur,  paraissent  dans  le  temple  et  s'en- 
tretiennent sur  la  beauté  du  temps  ,  et  la 
recette  qu'ils  espèrent  faire  ce  jour-là. 

(Icy  vient  Jésus  à  grande  appresse  chasser  d'uHjf  fouêi 
les  Marchans  hors  du  Temple,  et  abbaltre  et  trébu- 
cher la  Table  et  la  monnoye  des  Changeurs. 

JÉSUS. 

Dehors,  dehors  sans  contredire, 
Cessés  de  vosire  œuvre  vaine. 

(Icy  frappe  dessus.) 

RABANUS. 

Jamais  je  ne  vy  face  humaine 
Dont  fusse  tant espovanlé; 
Ne  jamais  ne  fui  loùelté 
Si  trcs-vifpour  une  sepmaine. 

ÉMÉL1US. 

J'ay  veu  une  suyeur  soubdaine, 

En  sa  face,  et  une  clertc, 

Qui  m'a  tellement  hébété 

Que  j'en  suis  encor  hors  d'alaine; 

Et  jamais  ne  vy  face  humaine 

Dont  fusse  tant  espovanté. 

CELC1D0N. 

Tous  trois  nous  a  mis  en  grand  peine, 
El  a  tous  nos  estaux  jecté, 
Mais  dire  pourquoy  ça  esté 
Je  n'en  sçai  la  cause  certaine 

RABANUS. 

Je  n'ay  sur  moy  membre  ne  veine 
Qui  n'en  soit  pire  de  santé. 

celcidon. 

Jamais  ne  vy  face  humaine 
Dont  fusse  tant  espovanlé. 

ÉMÉLIUS. 

Jamais  je  ne  fus  fouetté 

Si  très-vif  pour  une  sepmaine. 

CELCIDON. 

Vecy  bien  estrange  fortune 
Pour  nous,  et  grande  couardie, 
Car  nous  avons  tous  de  coustume 
De  vendre  céans  Marchandise, 
Toutesfois  à  face  hardie 
C'est  homme  cy  (ait  ses  efforts, 
Et  d'un  grand  fouet  par  maislrie 
Nous  a  tous  du  temple  mis  hors. 

RABANUS. 

Je  croy  que  jen  suis  enchanté  ; 
Je  ne  sçay  d'où  vient  cet  ouvrage , 
One  ne  lus  si  espovanlé 
Que  de  voir  Jésus  au  visage , 
Il  a  tum.be  tout  mon  mesnage 
Et  m'a  fait  ma  place  quitter,  . 
Où  j'ay  bien  grand  perle  el  dor 
El  si  n'en  oze  caqueter. 

ÉMÉLIUS. 

Nous  ne  devons  point  endurer 


Les  fais  eJe  Jésus,  ne  ses  dis  ; 
*Iais  (huit  contre  lui  murmurer 
Et  eslre  constans  et  hardis, 
Car  nous  serions  interdilz 
De  nous  laisser  vilipender 
Et  serons  meschans  et  mauldits 
Si  ne  Talions  appréhender. 

«  Icy  vont  les  Marchans  à  Jésus,  »  et  lui 
demandent  raison  de  cette  violence.  Jésus 
leur  dit  de  détruire  ce  temple,  et  qu'il  le 
rétablira  en  trois  jours.  Eux  qui  n'entendent 
rien  à  ce  discours,  qui  est  au-dessus  d'eux, 
prennent  le  parti  de  s'aller  plaindre  à  la 
justice.  En  s'en  allant,  Celidon  dit  : 

Ce  n'est  que  ung  enchanteur  parfait 
A  ce  qu'il  dit,  el  ung  vanleur, 
Qui  nous  cuide  cy  faire  peur 
Pour  la  puissance  dont  il  ose.  » 

(Icy  se  départent  les  Marchans  du  Temple;  et  Jésus 
demeure.) 

XXII.  De  Jésus  et  de  Nicodesme. 

(Cy  après  commence  te  Mystère  de  Nycodesme,  qui 
vient  à  Jésus  de  nuyl.) 

«  mcoaeme,  frappé  des  prédications  de 
Jésus,  prend  la  résolution  de  l'aller  trouver 
la  nuit.  Jésus  l'entretient  sur  la  régénéra- 
tion de  l'homme  par  le  moyen  du  baptême; 
comme  Nicodème  n'est  pas  encore  au  fait  de 
ces  discours  pleins  de  mystères  ,  il  dit  à 
Jésus  : 

Je  ne  vous  entens  point. 

«  Alors  Notre-Seigneur  lui  reproene  qu'il 
est  honteux  à  un  docteur  de  la  Loi  d'ignorer 
ces  choses  :  il  les  lui  explique  ensuite  plus 
au  long,  et  plus  ouvertement  ;  et  Nicodème 
sort,  charmé  de  la  beauté  de  cette  doctrine.» 

XXIII.  La  Mondanité  du  Lazare. 

(Cy  après  commence  ia  mondanité  du  Lazare,  qui  sera 
habillé  bien  richement  en  état  de  Chevalier,  son 
oiseau  sur  le  poing  :  et  Brunamont  mainera  ses 
chiens  après  luy.) 

«  Après  que  Lazare  a  paru  sur  le  théâtre 
avec  l'équipage  ci-dessus  ,  et  tenu  les  dis- 
cours d'un  étourdi,  il  sort.  » 

(Icy  pend  sa  trompe  en  son  col,  et  son  page  maint  ses 
chiens,  cl  commence  la  résurrection  de  la  fille  d$ 
Jayrus. 

XXIV.  De  Jayrus  et  de  sa  Fille, 

«  Jésus  déclare  à  ses  apôtres  que  le  temps 
est  venu  qu'il  doit  manifester  sa  puissance 
à  Génézareth  et  sur  les  bords  de  la  mer.  Pen- 
dant qu'ils  sont  en  chemin  (ceci  se  passo 
sur  le  théâtre),  Jayrus,  archisynagogue, 
c'est-à-dire,  chef  d'une  synagogue  ,  et  qui 
possède  de  grands  biens,  implore  le  secours 
du  ciel,  pour  une  fille  unique  qui  fait  toute 
sa  consolation  et  celle  de  sa  mère,  malade 
à  l'extrémité.  Celius  et  Moab  ,  deux  Juifs, 
qui  selon  les  apparences  sont  de  sa  maison, 
emploient  toute  leur  éloquence  pour  le  con 
soler. 

CÊLIUS. 

Certes,  sire,  ce  n'est  pas  feinte, 
Toutesfois  on  en  a  veu  mainte 
Aussi  malade,  et  encore  vivre. 


729 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


750 


«  Jayrus  nonobstant  ces  raisons  déses- 
père de  la  santé  de  sa  fille,  ce  qui  lui  fait 
irendre  la  résolution  d'aller  trouver  le  pro- 
)hète,  pour  le  prier  de  la  guérir.  Il  sort 
iour  cet  effet.  Ensuite  paraît  Thabite  (c'est 
e  nom  de  la  fille)  couchée  sur  son  lit,  et  se 
plaignant  beaucoup.  Sur  ces  entrefaites, 
Jayrus  rencontre  Jésus,  àqui  il  fait  sa  prière, 
et  par  ses  instances  l'engage  à  venir  chez 
lui.  Pendant  leur  chemin  ,  Thabite  expire 
sur  son  lit.  Aussitôt  Moab  s'écrie  : 

Vecy  bien  piteuse  demande  : 
Celius?je  croy  qu'elle  est  niorie? 

Luy  faull-il  plus  vin  ne  viande? 

répond  Celius,  fort  à  propos  ,  apercevant  de 
loin  leur  maître  Jayrus;  ils  vont  au-devant 
de  lui,  et  Moab  lui  apprend  cette  fâcheuse 
nouvelle.  Jayrus,  qui  avait  devancé  Jésus 
de  quelques  pas,  revient  vers  le  Seigneur, 
et  implore  samiséricorde. Jésus  leur  dit  qu'il 
leur  suffit  d'avoir  delà  foi,  et  que  la  fille 
n'est  qu'endormie.  Les  deux  serviteurs  de 
l'archisynagogue  n'en  veulent  rien  croire. 
Enfin  «  Jésus  vient  près  du  lit  de  la  Fille,  et 
«  n'y  a  avecques  luy  que  Jayrus,  S.  Pierre, 
«  Jehan  et  Jacques,  et  tous  les  autres  de- 
«  meurent  assez  loing  :  et  Jésus  dit  à  haulte 
«  voix  : 

Tabita  cumy  (30  i) 

Entends  ma  parolle  divine 
Thabila  fille  très-bénigne, 
Je  veuil  que  mon  vouloir  acneves, 
Je  le  commande  que  lu  le  lieves 
Devant  ceulx  qui  le  voudront  veoir. 

«  Icy  se  lieve  la  fille,  et  se  met  à  genoulx  » 
et  remercie  Jésus.  Jayrus  et  toute  sa  famille 
lui  en  rendent  grâces  aussi  :  et  Jésus,  après 
une  courte  exhortation  ,  sort  de  ce  logis, 
chargé  de  mille  bénédictions. 

(Icy  s'en  vont  Jésus  et  ses  Aposlres., 

«  Jésus  leur  dit  qu'il  ne  veut  plus  de- 
meurer en  Judée,  où  le  peuple  a  trop  d'a- 
version pour  lui,  mais  qu'il  va  passer  en 
Galilée.  » 

(Icy  cheminent  Jésus  et  ses  Aposlres.) 

XXV.  De  la  Samaritaine. 

«  Raab,  Samaritaine,  s'entretientavecdeux 
Samaritains,  Abacuth  et  Gédéon,  de  la  diffé- 
rence de  leur  religion  avec  celle  des  Juifs. 
A  la  fin ,  Raab,  ennuyée  apparemment  de 
ces  disputes  où  elle  n'entend  rien,  quoique 
cependant  elle  les  ait  entamées,  dit: 

RAAB. 

Si  la  Loy  de  Dieu  le  raconte, 
Entre  nous  simples  ignorans, 
Nous  nous  en  rapportons  aux  grans 
A  débattre  entr'eux  de  la  Loy  : 
El  entant  que  louctie  pour  moy. 
Je  suispoure  Samaritaine, 
Ignorant,  ei  trop  peu  certaine, 

(304)  Ces  paroles  ont  été  un  écueil  pour  notre 
ignorant  auteur;  el  quoique  le  lexle  de  I évangile 
de  saint  Marc  (cbap.  v,  y  il)  d'où  ce  mystère  est 
lire,  les  explique   ensuite   par    celles-ci   :  Petite 


De  la  Loy,  mes  en  ma  simplcsse, 
Moy  poure  femme  peseberesse, 
Yueil  démon  mesnage  pencer; 
Et  affin  de  mieulx  m'advancer 
Aquerir  ce  qu'il  me  fauldra. 
Aller  au  puis  me  conviendra, 
Puiser  de  l'Eaue  pour  mon  besoingj 
El  cesle  belle  buye  au  poing 
Porleray,  qui  esl  grande  assés. 

Kicy  prend  la  Samaritaine  ung  pot  el   va  à  la   fon- 
taine.) 

«  Jésus,  qui  se  sent  fatigué  du  chemin, 
vient  se  reposer  auprès  de  la  fontaine  de 
Jacob.  Saint  Matthieu  et  saint  André  tâchent 
,1e  l'en  dissuader,  en  lui  disant  qu'ils  sont 
sur  les  terres  des  Samaritains,  gens  excom- 
muniés. Jésus  leur  répond  qu'il  est  venu 
pour  sauver  tout  le  monde 

(Icy  s'assiet  Jésus  près  du  puis.) 

«  Les  apôtres  le  quittent  pour  aller  cher- 
cher des  vivres  à  la  ville  de  Sychar,  et  lui 
promellent  de  revenir  au  plus  tôt. 

(Ici  s'en  vont  les  Aposlres  quérir  des  vivres,  et  la  Sa- 
maritaine arrive,  qui  tire  de  l'eaue  au  puis.) 

«  Après  plusieurs  discours  ,  le  Seigneur 
dit  ù  cette  femme  d'aller  chercher  son  mari. 

RAAB. 

Ha!  Sire,  je  suis  femme  veufvc; 
Présent  de  mary  n'ay-je  point. 

JÉSLS. 

Tu  dis  vérité  sus  ce  point, 
Cinq  marys  a  eu  d'ung  tenant  : 
Mais  cil  que  lu  as  maintenant, 
Avecques  lequel  tu  commet/. 
Tes  pécbez  celez  el  secrelz, 
N'est  pas  lient,  dont  lu  les  forfeieie. 

«  Raab,  étonnée  que  Jésus  connaisse  l'in- 
térieur de  son  cœur,  se  jette  à  ses  pieds,  et 
lui  demande  le  pardon  de  ses  péchés. 

(Icy  arrivent  les  Aposlres,  qui  apportent  du  pain,  el 
se  arrestenl  de  loing  à  regarder  Jésus.) 

«  Les  apôtres,  en  arrivant ,  sont  fort  sur- 
pris de  voir  Jésus  seul  en  conversation  avec 
une  femme.  Cependant  Raab  va  trouver  Gé- 
déon et  Abacuth,  et  leur  parle  de  son  aven- 
ture. Ces  deux  Samaritains  la  suivent  et  vont 
à  Jésus,  qui  les  instruit.  » 

XXVJ.  Comment  Je'sus  envoya  ses  Aposlres 
prescher 

«  Icy  chemine  Jésus  et  ses  Aposlres  et 
«  les  Samaritains  ung  peu  ensemble,  et  pois 
«  se  arreslent.  Et  cependant  parle  Jayrus  à 
«  sa  fille  Tabite  »  en  s'entretenant  du  mi- 
racle que  leSeisneur  vient  d'opérer  sur  cette 
fille. 

(Icy  déparlent  Jésus  cl  ses  Apostres  d'avec  les  Sama~ 
rilains,  et  Jésus  en  cheminant  se  relorne  aucunes 
foijs  vers  les  Apostres,  en  parlant  à  eux  selon  l'Evan- 
gile escrtvte  en  sainct  Matthieu,  en  son  dixiesmt 
Clinpitre,  comme  il  envoyé  ses  Apostres  par  tes  ci- 
lés,  prescher  et  yarir  les  malades.) 

fille,  levez-vous,  notre  poète,  sans  examiner  tant 
soit  peu  ce  passage,  el  ne  sacbani  quel  nom  donner 
à  la  fille,  lui  a  in. posé  celui-ci. 


731  PAS  ACTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

«  A  la  fin,  saint  Pierre  lui  dit  : 

Maisire,  bien  avons  entendu 

Les  enseignements  que  vous  dictes, 

El  sans  y  mettre  contredites 

Nous  sommes  preslz  iceulx  parfaire 

XXVII.  La  Conversion  du  Lazare. 

(Ici  chemine  Jésus,  el  ses  Apostres  tous  deux  à  deux 
après  lui.  El  est  à  noter  que  Jullye,  Neptalin,  et 
Malbrun  ensevelissent  l'adolescent  devant  tout  le 
inonde,  et  puis  le  mettent  en  sercuel  sur  deux  tré- 
teaux; el  cependant  Lazare  regarde  de  loing  venir 
Jésus,  cl  plusieurs  Jnifz  vers  ladicte  Jullye  veufve.) 

«  Lazare,  étonné  de  voir  une  si  grande 
foule,  demande  à  Brunatnont  ce  que  c'est. 
Ce  page  lui  apprend  que  c'est  l'envie  de 
voir  Jésus  qui  a  assemblé  tout  ce  peuple. 
Cela  fait  venir  à  Lazare  un  tel  désir  de  le 
voir,  qu'il  proteste  que  quand  il  lui  en  de- 
vrait coûter  tous  ses  chiens  et  ses  oiseaux 
de  proie,  il  veut  se  contenter.  » 

XXVIII.  De  la  Veufve  et  de  son  Fils. 


TAS 


El  prendrai  souvent  mon  adresse 
Vers  son  Chasleau  de  Béthanie 


73* 


(!cy  se  aproche  Lazare  devers  la  cité  de  Naïm,  pour 
veoir  le  miracle  que  Jésus  fera,  et  commence  le 
viiracle,  comme  Jésus  resuscita  l'adolescent  seul 
fils  de  la  Veufve,  ainsi  comme  il  est  esctipl  en  l'E- 
vangile S.  Luc,  en  son  sepliesme  Chapitre,  et  y 
êloil  Lazare  présent,  parquot  il  se  convertis!  à  Nos- 
Ire-Seigneur,  comme  nous  lisons  en  la  Légende  de 
S.  Lazare.) 

«  Ici  paraît  «  Jullye  veufve,  mère  de  l'a- 
«  dolescent ,  qui  après  fust  marchand  du 
«  suaire  de  Jésus,  »  qui  se  désole  de  la  mort 
de  son  fils;  Neptalin  et  Malbrun  lâchent  de 
la  consoler. 

'lcy  porte  Neptalin  et  Malbrun  l'Enfant  mort  estant 
en  uuq  sarcuel,  couvert  d'un  drap  mortuaire,  el  la 
mère  les  suyt  comme  fort  desconfortée.  Et  est  à  no- 
ter que  la  première  foys  que  Jésus  parle  à  elle  ,  les 
deux  qui  portent  l'Enfant  mort  ne  se  attestent 
point,  jusque$  ad  ce  que  Jésus  commande  qu'ilz  ar- 
resleni.) 

«  Jésus,  prenant  pitié  de  cette-veuve  dé- 
solée, fait  arrêter  le  cercueil,  et  enfin  or- 
donne à  l'enfant  de  se  lever. 

(Icy  se  liève  l'Enfant  de  dans  le  sarcuel,  enveloppé 
d'un  drap,   et  se  met  à  genoulx  devant  Jésus.) 

«  Sa  première  action  est  de  remercier  son 
bienfaiteur;  il  parle  ensuite  à  sa  mère,  et 
cette  veuve,  conjointement  avec  les  deux 
autres  Juifs  qui  sont  présents  à  sa  résurrec- 
tion, remercient  Jésus  du  miracle  qu'il  vient 
d'opérer. 

«  Suite  de  la  conversion  du  Lazare. —  La- 
zare, sensiblement  touché  de  ce  miracle,  se 
jette  à  genoux  aux  pieds  de  Jésus  ,  à  qui  il 
demande  pardon  «  de  ses  plaisirs  mondains.» 
Jésus  le  lui  accorde,  en  lui  disant: 

JÉSUS. 

Tu  as,  par  foy,  si  bien  cbassé, 
Et  si  bonne  venayson  prise, 
Que  lu  as  en  ton  aine  acquise 
La  grâce  de  Dieu  aujouru  liuy. 
Désormais  seras  mon  amy 
El  Marthe  ta  sœur  mon  liostesse, 


«  Sainte  Marthe  ,  qui  ignore  toutes  ces 
choses,  déplore  l'égarement  de  son  frère  et 
de  sa  sœur. 

MARTHE. 

Je  me  travaille,  et  me  débas 
En  fervente  sollicitude, 
Et  à  mesnager  hault  et  bas 
Songneusement  melz  mon  estude; 
La  vie  active  est  fort  rude 
Qui  curieusement  la  niaine, 
Mais  Dieu  en  rend  I  éalilude 
Lassus  (305)  en  l'éternel  domaine. 

Ma  seur  Magdeleine 

De  fol  désir  plaine 

En  Liesse  vaine, 

S'esbal  et  pourmaine, 

Chantant  ses  chansons. 

Mon  frère  Lazare 

Porte  liaulte  care  (306), 

Ses  Chiens  hue  et  hare, 

Et  souvent  s'esgare 

Parmy  les  buysons. 

Ils  n'ont  soing  en  eulx 

Fors  d'eslre  joyeulx, 

En  sont  curieux 

Desbas,  et  des  jeux. 

A  leurs  volontés 

On  les  y  souslient, 

Rien  ne  les  relient, 

De  Dieu  ne  souvient, 

Fol  désir  les  lient 

En  leurs  volenlés. 

«  Brunamont  de  son  côté  veut  empêcner 
son  maître  de  suivre  le  parti  qu'il  vient  de 
prendre;  mais  Lazare  lui  répond  qu'il  veut 
absolument  changer  de  vie.  I!  va  trouver  sa 
sœur  Marthe,  à  qui  il  apprend  sa  conversion, 
et  la  bonté  que  Jésus  a  pour  eux  de  lui  pro- 
mettre de  les  venir  visiter.  Marthe  en  rend 
grâces  à  Dieu. 

(Icyjecte  Lazare  son  oyseau  au  vent,  el  oste  sa  trompe 
de  son  col,  el  la  jecle  :  et  Brunamonl  les  reprend.) 

«Ce  page,  surpris  de  la  résolution  subite  de 
son  maître,  prend  celle  d'aller  offrir  ses  ser- 
vices à  Madeleine  ;  il  fait  réflexion  que  cette 
condition  est  fort  avantageuse,  parce  qu'elle 
ne  songe  qu'à  se  réjouir  parmi  les  danses  et 
la  bonne  chère,  en  son  château  de  Magda- 
lon.  » 

(Icy  s'en  va  Brunamonl  rendre  [visite]  à  la  Magde- 
laine.) 

XXIX.  La  Décolacion  de  S.  Jehan. 
«  Hérode,  qui  se  prépare  à  célébrer  avec 
solennité  le  jour  de  sa  naissance,  fait  publier 
par  Grongnart  que  le  lendemain  il  va   tenir 
ses  grands  jours,   et  qu'il  y  invite  tous  les 
seigneurs  de  sa  cour  qui  voudront  s'y  trou- 
ver. Grongnart,  après  avoir  obéi  à  cet  ordre, 
paraît  être  content  de  lui-même ,  ce  qu'H 
témoigne  assez  par  ces  paroles  : 
Pour  parler  pareil  à  pareil, 
Il  n'esl  pas  homme  plus  propice. 
Que  moy,  pour  bien  faire  ang  office 
Haulte  ou  basse  quand  je  m'y  rolle. 
El  aller  quérir  mon  salaire. 


(305)  L  i  haut. 


(300)  Habillement,  trais,  équipa  fie. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


vient  trouver  Hérode  , 
de   se  défaire  de  saint 


h  qui 
Je;!i), 


733  TAS 

«  Hérodias 
elle  conseille 
qui  ne  cesse,  ajoute-t-elle,  de  leur  reprocher 
leur  hymen.  Le  roi  lui  répond  qu'il  craint 
la  fureur  du  peuple.  Sur  ces  entrefaites, 
Grongnard  vient  annoncer  que  les  tables 
sont  servies. 

(Icy  se  lavent  le  Roy  el  la  Royne  à  pari.) 

GRONGNART. 

Seigneurs,  la  viande  se  gasle; 
Que  or  eusse-je  le  meilleur  plat 
Je  tronçonneroye  loi esclat 
Qu'il  y  par  est  roi  l  an  retour. 

(Icy  se  assiet  le  Roy  el  la  Royne,  et  la  Fille  :  Ici  se 
ussient  Rodigon,  Jayrus,  Nitodcsme,  Phares  et 
Abirou,  et  en  une  autre  table,  et  sonnent  les  Mènes- 
triers.) 

andalus,  Maislre  cTHostel. 

Seigneur  la  viande  se  empire, 
Vous  vous  y  prenez  laschement. 

a  Alors  tous  les  assistants  commencent  à 
manger.  Vers  la  fin  du  repas,  Hérodias  com- 
mande à  Florence,  sa  fille,  de  danser,  ajou- 
tant que  le  roi  lui  accordera  un  don  :  à  l'ins- 
tant la  fille  obéit. 

(Icy  commence  à  danser  et  sonne  le  Tabourin  une  en- 
trée de  Morisque,  puis  cesse  uny  petit,  et  la  fille 
danse  lousiours,  cependant  que  les  Seigneurs  par- 
lent :  puis  commence  le  Tabourin  d'una  cordéon.) 

ARIRON. 

Hardiment  gente  Damoyselle, 
N'ayez  point  de  vergogne  lionlc. 

«  La  danse  finie,  le  roi  jure  à  Florence  de 
lui  accorder  tel  don  qu'elle  voudra  deman- 
der. Florence  s'adresse  aussitôt  à  la  reine, 
qui  lui  dit  de  demander  la  tôte  de  saint  Jean- 
Baptiste.  Elle  lui  obéit;  mais  comme  Hé- 
rode a  quelque  peine  à  y  consentir,  Héro- 
dias lui  représente  qu'un  si  vil  objet  ne  mé- 
rite pas  qu'il  ait  à  se  reprocher  d'avoir  rompu 
son  serment.  Grongnart  se  présente  sans 
peine  pour  exécuter  cet  ordre  ;  car,  dit-il. 

Si  sa  sentence  n'est  escriple, 
Il  n'en  faull  ja  tant  discuter, 
Je  l'yrai  bien  exécuter 
Sans  autre  forme  de  procès  : 
El  s'il  appelle  de  l'excès, 
Je  relèvera  son  appeau 
Si  sanglant ement  sur  sa  peau. 
Qu'il  n'en  fera  jamais  de  noise, 

«  Hérode  lui  donne  celte  commission  :  et 
«  icy  vont  Grongnart  et  Florence  à  l'uis  de 
«  la  Chartre  pour  décoller  S.  Jean.  »  On  no- 
tera encore  en  passant  que  maîlre  Gron- 
gnart fait  toujours  le  mauvais  bouffon 

GRONGNART. 

Ça,  Maislre,  çà,  saillés  dehors; 
Vecy  vostre  derrenier  mes, 
Dont  vous  serez  servy  jamais  : 
Baissez-vous,  vous  estes  irop  liault. 

«  Saint  Jean  ne  répond  à  ce  discours  que 
pour   demander  la   permission  de 
faire  une  courte  oraison. 


TAS 


73i 


pouvoir 


«  Saint  Jean  ayant  achevé  sa  prière,  Flo- 
.rence  dit  : 

Grognart,  fait  ton  office,  etc. 

«  Grongnart  lui  conseille  de  se  retirer  un 
peu,  de  crainte,  lui  dit-il,  que  la  vue  du 
sang  ne  lui  fasse  quelque  peine.  Ensuite, 
s'adressatit  à  saint  Jean,  en  lui  coupant  la 
tête,  il  lui  dit  : 

Or  tien,  ton  procès  est  complet, 
Prens  ce  cop  si  feras  de  fe»le. 

FLORENCE. 

Grongnarl  délivre  niny  la  (este, 
Car  je  ne  l'ose  receuillir. 

(Icy  prenl  Grongnart  la  Teste,   el  la  met  dedans  le 

plat.) 

GRONGNART. 

Or,  tenez,  porlés-là  bouillir, 
Rostir,  ou  faire  des  pastés. 

«  La  fille  apporte  le  plat,  et  le  pose  sur  la 
table  des  conviés  ,  devant  Hérodias,  qui 
comme  une  furie  se  jette  dessus  «  et  frape 

le  chef  de  S.  Jehan,  et 


«  d'ung  cousteau  sut 


GRONGNART. 

Fais-le  donc  court,  qu'il  ne  se  croie, 
Je  ne  venil  plus  attendre  à  l'uis. 


«  le  sang  en  sort.  » 

«  Pendant  ce  temps-là,  Dieu  le  Père  dé- 
clare que  l'âme  de  saint  Jean-Baptiste  va 
descendre  aux  limbes  pour  annoncer  aux 
justes  leur  prochaine  rédemption.  Les  an- 
ges chantent  dans  le  ciel  les  louanges  de  ce 
grand  prophète. 

(Silete  en  paradis.) 

.  «  Le  festin  fini,  ils  «  se  lievent,  et  puis 
«  se  départent  chacun  en  son  lieu,  et  Nyco- 
«  desme  et  Jayrus  vont  ensemble,  »  en  s'en- 
tretenant  de  la  cruelle  mort  de  saint  Jean, 
dont  ils  paraissent  très-aftligés.  Jayrus  dit 
à  son  compagnon  : 

0  !  le  fol  disner  dont  on  disne, 
Quant  en  disnanton  se  repaisl 
De  pasture  qui  tant  desplaisl, 
El  est  si  dcsplaisanl  à  veoir.    » 

XXX.  Les  Limbes. 

«  L'Esprit  de  S.  Jehan  es  Limbes  »  con- 
sole à  son  arrivée  les  âmes  des  patriarches 
et  des  autres  fidèles,  à  qui  il  annonce  la 
venue  du  Messie.  » 

(Icy  chantent  es  Limbes  ung  Silete.) 
XXXI.  Enfer. 

«  Lucifer,  qui  entend  les  cris  de  joie  dos 
patriarches,  demande  ee  qui  est  arrivé  de 
nouveau.  Berith  lui  apprend  que  c'est  l'âme 
de  saint  Jean  qui  vient  de  descendre  aux 
lymbes.  Lucifer  se  désespère  et  ne  reçoit 
de  consolation,  que  sur  la  promesse  que  lui 
fait  Astaroth  de  faire  tomber  aux  enfers 
une  infinité  d'âmes,  pour  le  dédommager 
de  celle  de  saint  Jean  qui  est  bienheureuse.» 

XXXII.  Enterrement  de  S.  Jehan. 
«.  Abias,  Sophonias  et  Manassès,  disciples 
de  saint  Jean,  et  dont  ou  a  parlé  ci-dessus 
en  plusieurs  endroits,  ayant  appris  la  mort 
de  leur  maîlre,  en  vont  chercher  le  corps,  et 
l'ensevelissent  en  chantant  ses  louanges.  » 

Fin  de  la  première  journée. 


733  PAS  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

PERSONNAGES 
De  la  seconde  journée  du  Mystère  de  la  Passion. 
dieu  le  père,  tubal,  Paralytique 


PAS 


738 


iésus-christ.  jesabel,  femme  adultère. 

LA  SAINTE     VIERGE   MARIE.    LA  FEMME  COURBÉE    depuis 

saint  pierre,  Apôlre.  18  ans. 

saint  andré,  idem.  THiMÉE,pèredeBarthimée. 

saint  Jacques,  dit  Major,  la  mère  de  Barthimée. 

idem.  barthimée,  Aveugle-né. 

saint  jehan,  idem.  un  sourd  et  muet,  possédé 

saint  Philippe,  iàem.  du  Diable. 

saint  Barthélémy,  idem,  lacédon  Juif  ayant  soin  de 

saint  thomas,  idem.  ce  Sourd. 

saint  symon,  idem.  cepiias,  idem. 

saint  jude,  idem.  abacuth,  Samaritain  con- 

saint  Matthieu,  idem.  verti  à  Jésus. 

saint  jacuues,  dil  Miiior,  gédéon,  idem. 

idem.  abias,   Disciple   de  Saint 

iudas,  idem.  Jean-Baptiste  qui  sui- 

moyse.  vent  Jésus. 

hélie.  sophonias,  idem. 

Lazare.  manassès,  idem. 

SAINCTE   MARTHE.  BENJAMIN  jeune  enfant,  fils 

saincte  magdaleine.  de  Manassès. 

perusine,   Demoiselle   de  célius.  Servit.  deJayrus. 

la  Magdeleine.  moab 

pasiphée,  idem.  salmanazar,  Juif. 

brunamont,   Page  de    la  phares,  idem. 

Magdeleine.  abiron,  idem. 

cayphe.  nembroth, idem. 

anne.  célius,  idem. 

jéroboam,  Pharisien.  malbrun,     Habitant      de 

mardochée,  idem.  Naïm,  qui  suit  Jésus. 

naason,  idem.  neptalin,  idem. 

joathan,  idem.  emélius,  Oyseleur. 

eliachin,  idem.  celcidon,  Marchand  d'A- 

bananias,  idem.  gneaux. 

jacob,  Scribe.  rabanus,  Changeur. 

isachar,  idem.  premier    juif,    sacrifiant 

nathan,  idem.  eu  Galilée,  et  lue  par  les 

nachor,  idem.  Tyrans  de  Pilale. 

mcodesme,  Docteur  de  la  deuxième  juif,  idem. 

Loy.  troisième  juif,  idem. 

jayrus,  Archisynagogue.  quatrième  juif,  idem. 
symon  lépreux.  malchus,  Tyran  ou  Satel- 

pilate,    Gouverneur    de      lite  de  Cayphe. 

Judée.  bruyant,  idem. 

barraquin,   Confident  de  dragon,  idem. 

Pilale.  roullart,  Tyran  ou  Sa- 

urayart,  Tyran  ou  Satel       tellite  d'Anne. 

lite  de  Pilale.  dentart,  idem. 

drillart,  idem.  gadiffer,  idem. 

claquedent,  idem.  maucourant,  Messager  de 

griffon,  idem.  Cayphe. 

HÉRODE,  Tétrarque  deGa-  brayault,  Geôlier. 

lilée.  barrabas,  Meurtrier. 

rodigon,  Seigneur  de   la  gestas,  Mauvais  Larron. 

Cour  d'Hérode.  dismas,  Bon  Larron. 

andalus,  Maître   d'Hôtel  troupe  de  juifz  suivant  les 

d'Hérode.  Prédications  de  Jésus. 

grongnart,     Domestique  lucifer,  Roy  des  Enfers. 

d'Hérode.  sathan,  Diable. 

la  chananéesirophénisse.  belzebutii,  idem. 
la  fille  de  la  Chananée.  bérith,  idem. 
la     chamberière    de   la  astaroth,  idem. 

Chananée.  cerbérus,  idem. 

SECONDE  JOURNÉE. 

Cy  commence  la  seconde  Journée  du  Mystère 
de  la  Passion  Jesucrist.  Et  commencent  les 
Apostres,  faisans  une  récapitulation  des 
fais  de  Jésus  traictés  en  la  Première  Jour- 
née.   Neantmoins   la  fille   de  la    Cananée 


pourra  commencer  la  Journée,  en  parlant 
comme  une  démoniacle,  jusques  ad  ce  que 
bonne  silence  fust  faicte  (307). 

PROLOGUE. 

«  Saint  Pierre,  saint  André,  saint  Jacques 
Major,  saint  Matthieu,  saint  Barthélemi  et 
les  autres,  vêtus  de  leurs  habits  d'apôtres, 
apprennent  à  Jésus  la  sanglante  fin  de  saint 
Jean-Baptiste.  » 

I.  De  la  Chananée  et  de  sa  Fille. 

{Icy  cheminent  Jésus  et  ses  Apostres,  et  commence  te 
Mystère  de  la  Chananée,  et  de  sa  fille  Démoniacle.) 

LA  FILLE  DE  LA  CHANANÉE. 

Je  voy  tous  les  Dyables  en  l'air, 
Plus  espès  que  troupeaux  de  mouches, 
Qui  vont  faire  leurs  escarmouches 
Avec  un  las  de  sorcières; 
Et  ont  pleines  leurs  gibecières 
De  gros  tysons,  el  de  charbons, 
Pour  faire  rostir  les  jambons 
El  ung  las  de  larrons  pendus, 
Qui  se  sont  nagueres  rendus,  etc. 

«  Ceci  n'est  qu'un  échantillon  des  dis- 
cours de  cette  possédée,  qui  dit  et  fait  en- 
suite mille  extravagances  ,  toujours  sur  le 
même  ton;  et  encore  plus  fortes,  dont  on 
ne  veut  point  profaner  ce  sujet.  Les  auteurs 
de  ce  mystère  ayant  mis  daus  la  bouche  de 
cette  fille  tout  ce  que  le  menu  peuple  pense 
touchant  les  discours  qu'il  attribue  à  ses 
sortes  de  gens.  «  La  Chamberière  témoigne 
«  son  affliction  aussi  bien  que  la  »  Chana- 
néenne  Sirophenisse.  Cette  dernière,  voyant 
passer  Jésus,  veut  implorer  son  assistance; 
Judas  la  repousse;  mais  comme  nonobstant 
ces  difficultés,  elle  trouve  le  moyen  de  s'ap- 
procher davantage,  saint  Jude  demande  à 
Jésus  la  guérison  de  cette  fille.  Notre-Sei- 
gneur  lui  répond  qu'il  n'est  venu  que  ponr 
les  brebis  d'Israël,  et  qu'il  ne  fallait  pas 
donner  aux  chiens  le  pain  destiné  aux  en- 
fants. «  Sire,  réplique  la  Chananéenne  ,  qui 
«  a  entendu  ce  discours,  puisque  vous  vou- 
«  lez  me  comparer  aux  chiens,  vous  savez 
«  qu'ils  ont  les  miettes  de  la  table  de  leur 
«  maître.  » 

Ainsi  si  vous  plaist  m'eslargieres 
Au  moins  une  poure  miette. 

JÉSUS. 

0  femme,  ta  foy  est  moult  grande, 
Va  l'en,  soit  fait  comme  tu  vculx. 
{Icy  sort  une  fumée  el  ung  canon  de  dessoubz  tu  fille, 
et  Astaroth  sort  de  la  llle  en  pestant  et   en  ju- 
rant.) 

LA  FILLE. 

0  Dieu  d'Israël  très  begnin 
Grâce  te  rend  de  ce  grant  don 
Quant  de  mes  maux  me  fais  pardon 
El  que  par  puissance  a  mis  hors 
Le  Dyable,  el  mis  hors  de  mon  corps, 
Qui  si  long-temps  m'a  fait  vergongne. 

«  La  chamberière,  qui  ne  sait  à  qui  attri- 
buer une  guérison  si  subite  et  si  miracu- 
leuse, en  paraît  fort  étonnée,  aussi  bien  qu( 


(307)  «  Bonne  silence  fust 
que  le  Mystère  commençait. 


faicte,  »  c'est-à-dire  le  bruit  que  les  spectateurs  Lisaient  dans  le  moment 


737 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


738 


la  Chananéenne  qui,  en  entrant  chez  elle, 
l'apprend  de  sa  fille  môme.  Elle  l'instruit  de 
son  côté  à  qui  ils  en  ont  obligation,  et  tous 
ensemble  rendent  grâces  à  Dieu  et  à  son 
saint  Messie.  » 

II.  Enfer. 

«  Pendant  que  ceci  se  passe  sur  la  terre, 
Astaroth  qui,  comme  nous  le  venons  de  voir, 
vient  d'ôtre  chassé  honteusement  du  corps 
de  la  fdle,  revient  aux  enfers,  où  il  apprend 
à  Lucifer  le  grand  nombre  de  miracles  que 
Jésus  opère  tous  les  jours,  et  dont  il  vient 
lui-même  d'ôtre  le  témoin.  Lucifer,  forcené 
de  rage  à  cette  nouvelle,  pour  punir  ce  dé- 
mon de  s'être  laissé  vaincre,  le  livre  aux  fu- 
reurs de  Belzébulh  et  de  Satan,  qui  prennent 
ici  leur  revanche,  et  restilueni  à  Astaroth 
ce  qu'il  leur  a  prêté  dans  la  première  jour- 
née de  cet  ouvrage,  au  sixième  mystère. 

«  Après  ce  miracle  Jésus  retourne  à  Jéru- 
salem. » 

III.  De  la  Mondanité  de  Magdalaine. 

(Cy  après  commence  la  Mondanité  de  la  Magdalaine. 
et  est  à  notter  que'le  pourra  chanter  de  choses 
laides  à  plaisance,  ce  qui  s'ensuit,  et  après  le 
pourra  dire  sans  chanter.) 

«  La  Madeleine  paraît  à  sa  toilette,  assistée 
de  ses  deux  demoiselles,  Pérusine  et  Pasi- 
phée  ;  elle  ne  cesse  de  se  louer  elle-même 
sur  tous  les  dons  qu'elle  a  reçus  de  la  na- 
ture, sur  les  richesses  qu'elle  possède  et  sur 
la  vie  gracieuse  qu'elle  mène  ;  ses  demoisel- 
•cs  lui  applaudissent  en  tout,  et  l'entretien- 
nent (Lins  celte  pensée.  Elle,  de  son  côté, 
semble  vouloir  continuer  comme  elle  a  com- 
mencé. 

magdalaine. 

Je  vueil  eslre  toujours  jolye, 

Maintenir  estai  hauli  et  lier, 

Avoir  train,  suyvir  compagnie 

Encore  liuy  meilleur  que  liyer. 

Je  ne  quiers  que  magnifier 

Ma  pompe  mondaine,  et  ma  gloire. 

Tant  me  vueil  au  monde  fier 

Qu'il  en  soit  à  jamais  mémoire. 

J'ay  mon  chasteau  de  Magdalon, 

Dont  on  m'appelle  Magdalaine, 

Où  le  plus  souvent  nous  allon 

Gaudir  en  toute joye  mondaine. 

El  vueil  estre  de  tous  biens  plaine, 

Tant  que  au  monde  n'ait  la  pareille 

El  passer  en  plaisance  humaine 

Tout  aulre  qu'à  moy  s'appareille  (308). 

[M agdalaine  quiert  tous  les  sept  péchés  mortels,  et 
premièrement.) 

ORGUEIL. 

Je  suis  en  Orgueil  si  haultaine. 

ENVIE. 

Que  je  ne  vueil  point  qu'on  me  passe. 

LUXURE. 

El  suis  si  charnelle,  et  si  vaine. 

PARESSE. 

Qu'en  oysiveié  le  lemps  passe. 

IRE. 

D'autre  part  je  lence  ei  menace. 
(508)  Se  compare. 


GLOTONME. 

Après  que  en  viandes  habonde. 

AVARICE. 

El  si  m'esiouys  quant  j'amasse 
Les  grandes  richesses  du  Monde. 

«  Après  un  semblable  aveu,  Madeleine  em- 
ploie ce  correctif. 

Si  à  tous  deliclz  je  me  donne, 

Mon  honneur  pourtant  n'abandonne, 

Ne  l'ordonne 
A  honte,  ou  à-reproche  vil  : 
Ce  que  maintenant  j'arraisonne 
Soit  entendu  selon  qu'il  sonne 

A  part  bonne, 
Car  mon  souhait  n'est  que  civil. 

IV.  Le  Mistere  du  Paralitique. 

(Icy  commence  le  Mystère  du  Paralitique,   lequel  est 
couché  en  son  grabaton,  près  la  Piscine.) 

«  Le  paralytique,  nommé  Tubal ,  est  cou- 
ché près  de  la  piscine,  et  se  plaint  de  la  mi- 
sère où  son  mal,  qui  dure  depuis  trente-huit 
ans,  l'a  réduit.  Jésus  s'approche  de  lui,  et, 
après  l'avoir  guéri,  il  lui  défend  d'en  rien 
dire  à  personne,  ensuite  de  quoi  il  lui  or- 
donne d'emporter  son  lit  et  de  s'en  aller. 
Jésus  se  retire.  Tubal  est  si  disposé  à  obéir 
à  l'ordre  qu'on  vient  de  lu-i  prescrire,  qu'il 
n'a  pas  plutôt  rendu  grâces  à  Dieu,  et  ensuite 
chargé  son  lit  sur  ses  épaules,  qu'il  s'en  va 
en  disant  : 

TUBAL. 

Je  suis  chargé  vaille  que  vaille, 
A  lout  ma  couche  m'en  iray 
Le  plus  doulcemenl  que  pourray 
Cheminant  petit  à  petit  : 
Et  si  ay  1res  bon  appétit 
De  dire  le  cas  à  plusieurs. 

«  lsachar,  Jacob  et  Nachor,  scribes,  veu- 
lent empêcher  Tubal  d'emporter  son  lit,  at- 
tendu, disent-ils,  que  c'est  un  jour  de  sabbat. 
Comme  Tubal  refuse  de  leur  obéir,  ils  l'ac- 
cablent de  malédictions.  Enfin,  taisant  ré- 
flexion qu'une  telle  licence  peut  préjudiciel' 
à  la  loi  de  Moïse,  ils  prennent  la  résolution 
de  questionner  Tubal.  Ce  dernier  trouve  Jé- 
sus dans  le  temple,  et,  l'ayant  reconnu  pour 
son  bienfaiteur,  il  croit  ne  pouvoir  faire  un 
plus  grand  dépit  aux  Juifs  que  de  leur  nom- 
mer celui  à  qui  il  est  redevable  de  sa  guéri- 
son.  Sur  cela  les  Juifs  prennent  le  parti  d'al- 
ler écouter  les  sermons  de  Jésus,  dans  le 
dessein  de  le  surprendre  par  ses  propres 
discours.  » 

(Jcy  vont  les  Scribes  au  Sermon  de  Jésus  et  va  Tubal 
au  Sermon,  auquel  seront  les  Scribes  et  tous  le* 
Juifz,  fors  les  Pharisées.) 

V.  Sermon  de  Jésus. 

«  Jésus  fait  un  sermon  sur  les  récompen- 
ses que  Dieu  promet  à  ceux  qui  posséderont 
les  vertus  dont  saint  Matthieu  fait  mention 
au  ve  chapitre  de  son  évangile,  et  sur  les- 
malédictions  que  Dieu  répandra  un  jour  sur 
ceux  qui  auront  les  vices  contraires. 

«  Voici  en  deux  mots  l'arrangement  de  co 


739 


PAS' 


DIC'IIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


Ï40 


sermon.  Jésus  dit  en  vers  latins,  de  la  même 
mesure  que  les  français,  une  des  béatitudes, 
et  ensuite  la  paraphrase  en  un  huilain  fran- 
çais. Le  sermon  fini,  les  scribes  veulent  l'in- 
terroger au  sujet  de  la  guérison  de  Tubal, 
et,  se  voyant  confondus,  ils  se  retirent,  mé- 
ditant une  conspiration  contre  lui.  » 

VI.  De  Symon  Lépreux. 

«  Simonie  lépreux  déplore  sa  triste  situa- 
tion, et  se  plaint  de  la  maladie  infecte  dont 
il  est  affligé.  Jésus  passant  près  de  sa  mai- 
son, saint  Simon,  apôtre,  touché  de  la  misère 
d'un  homme  qui  portait  un  nom  pareil  au 
sien,  prie  Jésus  de  le  soulager.  Jésus  le  gué- 
rit et  lui  ordonne  de  s'aller  montrer  aux 
prêtres  de  la  Loi.  Simon  le  remercie  de 
tout  son  cœur,  et  se  prépare  à  lui   obéir.  » 

VII.  La  Transfiguration. 

x  Jésus  prend  avec  lui  Pierre,  Jean  et  Jac- 
ques, et,  après  avoir  ordonné  aux  autres 
apôtres  de  l'attendre,  il  monte  avec  ces  trois 
le  mont  ïhabor.  Les  apôtres  ont  bien  de  la 
peine  à  le  suivre. 

SAINCT  PIERRE. 

C'est  peine  de  mouler  si  hault 
A  gens  deschaussés  comme  nous. 

SAINT  JACQUES  MAJOR. 

A  peine  que  le  cueur  ne  me  fault, 
El  (lue  je  ne  lombe  dessoubz. 

SAINCT  PIERRE. 

Je  suis  hors  d'haleine  cl  de  poulz' 
De  monier  si  1res  grosse  masse. 

«  Après  ces  discours,  et  autres  pareils, 
Jésus  et  ses  trois  apôtres  parviennent  enfin 
au  haut  de  la  montagne. 

(Icy  entre  Jésus  dedans  la  Montaigne  pour  soy  vestir 
d'une  robe  la  plus  blanche  que  faire  se  pourra  ;  et 
une  face  et  les  mains  toute  d'or  bruny;  et  ung 
(jranl  soleil  à  raijs  bruny  par  derrière,  Puis  sera 
levé  liaull  en  l'air  par  ung  subtil  coutre-poys.  Et 
tantôt  après  sortiront  de  ladicte  Montaigne  Hélye 
en  habit  de  Canne,  et  ung  chapeau  de  Pro- 
phète [r>09]  a  la  leste.  Et  Moyse  d'autre  côté  qui 
tiendra  les  Tables  en  sa  main.  Et  cependant  par- 
lera la  Magdalaine.) 

«  Pendant  que  ceci  se  passe  d'un  côté,  de 
l'autre  parait  la  Madeleine  qui  s'entretient 
avec  ses  deux  demoiselles,  et  qui  leur  de- 
mande des  «  chansons  nouvelles  pour  mener 
«  joyeuse  vie.  »  Elles  se  mettent  à  chanter, 
et  un  seigneur  de  la  cour  d'Hérode,  appelé 
Rodigon,  s'étant  trouvé  à  la  toilette  de  la 
Madeleine,  apparemment  en  qualité  de  sou- 
pirant, se  môle  de  la  partie,  et  chante  aussi 
sa  chanson. 

(Icy  sort  Jésus  de  la  Montaigne,  ainsy  transfiguré, 
comme  dit  est,  Hélye  à  désire,  Moyse  à  sénestre, 
et  se  mettent  les  trois  Apostres  en  grande  admi- 
ration.) 

a  Les  apôtres,  étonnés  de  cette  merveille, 
s'interrogent  les  uns  les  autres,  pendant  que 
Jésus  parle  avec  Elie  et  Moïse  des  maux 
qu'il  doit  souffrir  à  Jérusalem. 

^309)  Chapeau  pointu. 


SAINGT  PIERRE.) 

Sire,  ce  lieu  cy  nous  plaist  tant 
Que  jamais  n'en  vouldron  partir; 
Et  pour  ce  vueilles  consentir 
Que  jamais  d'icy  ne  parlons. 
Trois  Tabernacles  y  ferons, 
L'un  pour  loy,  l'autre  pour  Movse, 
L'autre  pour  Hélye  :  Advise 
S'il  est  bon  de  cy  nous  tenir. 

(Icy  descend  une  clere  nuê  sur  Jésus.—  icy  parle 
Dieu  le  Père  en  troys  voix,  ainsy  comme  il  (isl  au 
baplesmede  Jésus.) 

«  Après  quoi  «  Jésus  descend  dedans  la 
«  Montaigne,  pour  retourner  en  ses  premie.s 
«  habillements.  » 

«  Les  trois  apôtres,  qui  ont  accompagne 
Jésus,  tombent  à  terre  entendant  la  voix  de 
Dieu  le  Père.  Pendant  ce  temps-là,  les  neuf 
autres,  qui  sont  restés  au  pied  de  la  monta- 
gne, ne  sachant  ce  que  leur  maître  est  devenu, 
sont  dans  une  grande  impatience  de  son  re- 
tour. 

(Icy  sort  Jésus  de  la  Montaigne  en  ses  premiers  lia- 
billemens,  et  parle  aux  trois  Apostres.) 

«  Ceux-ci  sont  fort  surpris  de  ne  plus  voir 
Moïse  et  Elie.  Jésus  leur  ordonne  de  descen- 
dre avec  lui. 

JÉSUS. 

Or  sus,  dévalons  la  Montaigne, 
Qui  est  bien  pénible  et  bien  granoe. 

SAINCT  PIERRE. 

l  evallon  donc. 

«  Enfin  Jésus  leur  défend  de  oatier  à  qui 
que  ce  soit  de  cette  vision.  » 

VIII.  Assemblée  des  Juifz. 

«  Douze  Juifs,  nommés  Abaculh,  Moab, 
Célius,  Tubal,  Gédéon,  Salma'iazar,  Phares, 
Neptalin,  Abias,  Manassès,  Célius  et  Nem- 
broth  ,  s'étant  assemblés  pour  décider  co 
qu'ils  vont  faire,  et  sur  ce  qu'ils  doivent 
croire  des  miracles  de  Jésus,  dont  le  bruit  et 
la  renommée  augmentent  tous  les  jours,  s'en- 
tretiennent ensemble,  et  enfin,  convaincus 
par  ses  prodiges,  ils  prennent  la  résolution 
de  le  suivre.  » 

(Icy  vont  les  douze  Juifz  après  Jésus,  et  tous  les  au- 
tres Juifz  hommes  et  femmes  y  vont  après,  fors  les 
Princes  et  Scribes.) 

IX.  La  Mondanité  de  la  Magdalaine 

«Nous  avons  vu  ci-devant  que,  pendant  que 
Jésus  prend  une  figure  nouvelle  sur  le  mont 
Thabor,  la  Madeleine  paraît  dans  un  autre 
coin  du  théâtre  avec  ses  deux  demoiselles  et 
Rodigon.  Elle  est  occupée  à  sa  toilette,  où 
elle  se  lave  et  se  farde  Je  visage,  elle  se  re- 
garde dans  son  miroir  et  consulte  ses  sui- 
vantes sur  son  ajustement.  La  toilette  finie, 
elle  fait  répandre  sur  le  plancher  des  fioles 
d'eau  de  rose.  Ensuite,  pour  se  désennuyer, 
elle  propose  à  ce  seigneur  un  dialogue  en 
forme  de  ballade:  il  roule  sur  la  galanterie, 
Madeleine  interroge,  et  Rodigon  répond.  En- 
fin ce  jeune  homme  prend  congé  d'elle,   et 


m 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


742 


comme.c'est  un  seigneur  fort  poli,  il  ne  man- 
que pas  de  dire  adieu  aux  deux  demoisel- 
les. » 

(Rodigon  en  prenant  congé,  pourra  baiser  Mngdalaine 
el  ses  Demoiselles  ;  et  après  commence  le  miracle 
de  la  multiplication  descinq  pains  el  deux  poissons-) 

X.  Le  Miracle  de  la  Multiplicacion  des  cinq 
Pains  et  deux  Poissons. 

(lcy  se  assiet  tout  le  Peuple  au  Sermon.) 

«  Jésus,  avant  de  le  commencer,  exhorte 
tout  le  peuple  à  la  prière. 

JÉSUS. 

Àfiln  que  puissiez  plaire 
A  Dieu,  el  sa  grâce  impelrer, 
Dictez  lous  Pater  noster. 

(lcy  se  agenouille  tout  le  peuple.) 

La  prière  finie,  Jésus  propose  la  paraboln 
du  semeur,  et  comme  ses  apôtres  lui  avouent 
qu'ils  n'entendent  rien  à  ces  paroles  mysté- 
rieuses, il  les  leur  explique.  Ensuite,  faisant 
réflexion  qu'il  y  a  trois  jours  que  le  peuple 
le  suit,  sans  prendre  aucune  nourriture,  il 
demande  à  saint  Philippe  comment  on  peut 
faire  pour  rassasier  celte  multitude.  «  Sei- 
«  gneur,  répond  saint  Jacques  Minor,  cela 
«  n'est  pas  aisé,  car  ils  sont  plus  de  cinq 
«  mille  sans  comprendre  les  femmes  et  les 
«  enlants.  »  Saint  André  dit  qu'il  y  a  un 
enfant  qui  porte  cinq  pains  et  deux  pe- 
tits poissons  :  «  Mais  qu'est-ce  que  cela, 
«  ajoule-t-il  pour  une  si  grande  quan- 
«  tité  de  monde?  »  Jésus  lui  ordonne  de  les 
acheter;  et  cet  apôtre,  pour  lui  obéir,  s'a- 
dresse à  Benjamin  (c'est  le  nom  de  l'enfant) 
qui  lui  répond  qu'il  veut  bien  les  livrer, 
pourvu  qu'on  le  paye. «Combien  vous  faut-il?» 
lui  demande  saint  André. —  «  Tenez,  voici 
«  mon  père  qui  vous  le  dira,  »  répond  Ben- 
jamin. Manassès,  c'est  ainsi  que  s'appelle  le 
père  de  l'enfant,  n'apprend  pas  plutôt  que  c'est 
pour  Jésus,  qu'il  oblige  l'apôtre  à  les  pren- 
dre sans  vouloir  recevoir  son  argent-  Saint 
André  revient  à  Jésus  avec  les  pains  et  les 
deux  poissons. 

(Icy  présente  les  pains  et  les  poissons  à  Jésus.  —  lcy 
tient  Sainct  André  les  pains  et  les  poissons  devant 
Jésus,  et  il  fait  la  bénédiction.) 

i  ÉSL'S 

Benedii  ils 

TOUS. 

Dominus,  elc. 

«  Après  que  Jésus  a  donné  sa  bénédiction 
sur  les  cinq  pains  et  les  deux  poissons,  il 
ordonne  aux  apôtres  d'en  distribuer  à  toute 
l'assemblée. 

(Icy  s'asient  six  des  Apôtres  el  départent  le  pain  par 
quartiers  à  grant  nombre  :  et  les  autres  six  ser- 
vent le  peuple  de  pain  et  de  plusieurs  plan  de  pois- 
sons. —  lcy  menguenl  tout  le  peuple  el  tous  les 
Aposlres  jusques  à  ce  que  Jésus  die  que  l'on  dé- 
serve; el  cependant  y  a  interlocutoire.) 

«  Ces  interlocutoires  se  [tassent  entre  La- 


zare, Marthe  et  Madeleine.  D'abord  le  pre- 
mier s'entretient  avec  Marthe  de  la  vie 
scandaleuse  de  leur  sœur.  Marthe  prend  cette 
chose  si  à  cœur,  qu'elle  prend  la  résolution 
de  l'aller  trouver  et  de  lui  remontrer  vive- 
ment l'étendue  de  ses  crimes. 

(lcy  va  Marthe  parler  à  Magdalaine.) 

«  Celle  dernière  paraît  à  sa  toilette.  Commo 
elle  entend  que  Brunamont  parle  à  quel- 
qu'un à  la  porte,  elle  demande  qui  c'est.  Ce 
page  lui  répond  que  c'est  sa  sœur  Marthe  qui 
vient  pour  la  voir.  «  Faites  entrer,  dit  Mado- 
«  leine.  Ah!  ma  chère  sœur,  ajoute-t-elle, 
«  vousarrivezfortàpropos, venez  voircommo 
«  je  vais  me  divertir.  »  Marthe,  qu'une  inten- 
tion bien  différente  amène  chez  elle,  lui  de- 
mande la  permission  de  lui  dire  un  mot;  et, 
lorsque  tout  le  monde  est  retiré,  elle  lui  fc\l 
de  sanglants  reproches  sur  sa  conduite. 

(lcy  se  lient  Marthe  et  Magdalaine  à  part.* 

MARTHE. 

Vous  vous  donnez  à  tous  péeliez, 
De  lotis  villains  fais  approchez, 
Et  faites  tant  d'accueil  à  tous, 
Que  nous  en  sommes  mal  couchez, 
El  ions  noz  païens  reprochez, 
Seulement  pour  l'amour  de  vous. 

MAGDALAINE. 

Seulement  pour  l'amour  de  vous, 
Ma  sœur,  je  vouldroye  à  lous  coups 
A  vostre  voulenlé  complaire  : 
Ceulx  qui  parlent  de  moy  sont  foulx, 
El  quand  de  parler  seront  soulx, 
Au  moins  ne  peuvenl-ilz  que  se  taire. 

MARTHE. 

Velà  le  point  où  je  me  fonde  , 
Péché  tant  dedens  vous  hahonde, 
Que  la  fin  en  sera  mauvaise. 

MAGDALAINE. 

Bonne  ou  malle,  il  faut  qu'on  responde: 
Se  par  péché  suis  orde  ou  monde, 
Ne  me  chaull,  mais  que  soye  bien  aise. 

MARTHE. 

Hélas  !  ma  Sœur,  ne  vous  desplaise, 
Péché  vous  lient  à  grant  malaise, 
Pour  Dieu  retournez  à  Jésus. 


Si  mal  vous  vient  ? 

MACDALAINE 

Prou  vous  face  ; 
Allez,  allez. 

PÉRUSINE. 

Quel  partemuse  (510)  ! 
Voise,  ailleurs  faire  la  grimace. 

«Marthe,  ainsi  congédiée  par  la  maî- 
tresse et  par  la  suivante,  se  retire  assez  mal 
satisfaite. 

(lcy  s'en  retourne  Marthe  en  Béthanie.) 

«  D'un  autre  côté  les  Juifs  remercient  Jé- 
sus de  ses  bienfaits,  et  lui  en  rendent  grâ- 
ces; Abacuth,  Moab,  Manassès,  Abias,  So- 
phonias  et  Tubal  en  témoignent  leur  recon- 
naissance. 


(310)  Ennuyeuse. 


743 


PAS 


(Icy  recueille  les  douze  Apostres  la  demourant  en 
chacun  sa  corbeille,  et  en  emplienl  douze  corbeilles, 
eiselieve  le  Peuple.) 

«  Jésus,  après  avoir  donné  la  bénédiction 
au  peuple,  se  retire  avec  ses  apôtres. 

(Icy  s'en  va  Jésus  d'une  part,  et  tout  le  peuple  de 
l'autre.) 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES  PAS  744 

XII.  La  Conversion  de  la  Magdalaine. 

«  Le  sermon  achevé,  le  peuple  se  retire, 
et  chacun  s'en  retourne  chez  soi  pénétré 
d'une  sainte  frayeur,  excepté  les  pharisiens 
qui  vont  tenir  Jeur  conseil.  La  Madeleine 
n'est  pas  la  dernière  à  ressentir  les  effets  de 
cette  prédication.  Son  cœur  en  est  si  fort  at- 
tendri, qu'elle  fait  une  longue  complainte 
entre-coupée  de  pleurs  et  de  sanglots,  et  dé- 


«  Phares,  Abiron,  Salmanasar,  Nembroth, 
Tubal,  Gédéon,  Abacuth,  Sophonias,  Abias,     plore  ses  péchés  et  ses  égarements.  Elle  est 


Malbrun  et  Neptalin,  pendant  leur  chemin, 
s'entretiennent  de  ce  miracle. 

(Icy  cheminent  tous  les  Juif z  par-devant  le  Chasteau 
de  Magdalaine,  et  y  en  a  troys  Juifs  aui  se  arres- 
tent  à  parler  à  elle.) 

«  Tubal,  Gédéon  et  Abacuth,  qui  sont  ces 
trois  Juifs,  entrent  dans  ce  château  ,  et  sa- 
luent la  Madeleine,  à  qui  ils  racontent  les 
miracles  que  Jésus  fait  tous  les  jours,  et  par- 
ticulièrement celui  des  cinq  pains  ,  aussi 
bien  que  les  admirables  sermons  dont  il  édi- 
iie  le  peuple.  Ce  rapport  fait  naître  quelque 
curiosité  dans  le  cœur  de  Madeleine,  qui  leur 
fait  une  infinité  de  questions  sur  la  personne 
du  Sauveur. 

«  Après  quelques  autres  discours ,  les 
trois  Juifs  prennent  congé  de  la  Made- 
leine. 

(Icy  se  départent  les  troys  Juifz.) 

«  Madeleine,  se  trouvant  seule  et  désoccu- 
pée,  veut  aller  au  sermon  de  Jésus.  Comme 
sa  passion  dominante  est  celle  de  briller 
beaucoup  et  de  plaire  à  tout  le  monde,  elle 
ne  manque  pas  de  bien  consulter  Pérusine 
et  Pasiphée  sur  le  goût  de  ses  ajuste- 
ments. 

(Icy  s'en  va  au  Sermon  de  Jésus.) 

«  Jésus,  allant  à  Jérusalem,  demande  à 
saint  Pierre  ce  qu'il  pense  de  lui.  Cet  apô- 
tre, sans  hésiter,  lui  répond  que  lui  et  ses 
compagnons  le  croient  fermement  le  Chri- 
stus.  Alors  le  Seigneur  lui  promet  les  clefs 


accompagnée  de  ses  deux  demoiselles,  qui 
l'imitent  aussi  fidèlement  dans  sa  pénitence 
qu  elles  l'ont  suivie  dans  ses  désordres.  » 

(Icy  se  lieve  tout  le  peuple,  et  se  départ  du  SermGn;  et 
Magdalaine  fait  sa  piteuse  complaincte  ,  et  les 
Pharisées  vont  tenir  Conseil.) 

XIII.  La  Prinse  des  Larrons. 

(Ici  est  faicle  la  prinse  des  trois  Larrons;  et  porte 
Dismas  une  robe  sur  les  épaules,  comme  s'il  l'uvoil 
emblée;  ei  Barrubas  ung  glaive  senglanl,  comme 
s'il  venait  de  faire  ung  martre. ) 

cestas,  mauvais  Larron. 

Je  ne  crains  ne  Dieu,  ne  le  Dyable, 
Ne  homme  tant  soit  espovenlabte 
Quanti  je  me  despile  une  foys. 

BARRABAS. 

Je  ne  fais  compte  d'estrangler 

Ung  homme  non  plus  qu'ung  sanglier 

De  tnenger  le  gland  par  le  boys. 

dismas,  bon  larron. 

Je  deslrousse  par  les  chemins 
Tous  bons  marchans,  et  pèlerins. 
Quant  puis  mettre  sur  eulx  la  patte. 

«  Avec  ces  louables  intentions,  ils  conti- 
nuent leur  chemin.  Gestas  se  vante  de  son 
habileté  à  crocheter  les  portes,  et  Barrahas 
de  son  intrépidité  h  commettre  un  meurtre. 
Enfin  Dismas,  qui  ne  paraît  pas  leplus  brave 
des  trois,  leur  dit  :  «  Messieurs,  il  nous  faut 
«  de  l'argent.  —  Vous  raisonnez  fort  juste, 
«  répond  Gestas.  »  Pendant  qu'ils  sont  dans 
cette  pensée  et  qu'ils  rêvent  à  quelque  ex- 


des  cieux.  Ensuite  cet  apôtre,  à  qui  cette  fa-     pédient,  arrivent  six  tyrans  ou  valets  appe- 


veur  a  donné  un  peu  de  présomption,  tâche 
de  le  dissuader  de  la  mort  qu'il  veut  souffrir. 
Mais  Jésus  lui  impose  silence,  et  le  reprend 
aigrement  par  ces  paroles. 

JÉSUS. 

Va  derrière  moy,  Salhanas. 

En  ccslc  affaire  me  es  csclandc,  etc. 

XI.  Sermon  de  Jésus. 

«  Jésus  arrive  à  Jérusalem  ;  son  premier 
soin  est  de  monter  au  temple,  et  d'y  conti- 
nuer à  prêcher  et  convertir  les  Juifs. 

(Au  Sermon  de  Jésus  sont  tous  les  Juifz  et  les  Scribes 
et  Pharisées.  El  est  la  Magdalaine  assise  sur  ung 
carreau  assés  loing  du  Peuple;  et  à  la  fin  du  Ser- 
mon elle  fait  manière  el  contenance  de  plourer.) 

«  Ce  sermon  roule  sur  les  crimes  et  les 
péchés  des  hommes,  les  peines  qui  sont  dues 
aux  pécheurs,  et  la  redoutable  vengeance 
que  Dieu  en  prendra  au  jour  de  son  dernier 
jugement.  » 


lés  Bruyant,  Malchus,  Dragon,  Roullart, 
Dentarl  et  Gadifer,  dont  les  trois  premiers 
sont  au  service  de  Caïphe,  et  les  autres  à 
celui  d'Anne.  Ces  gens-ci,  qui  ne  cherchent 
que  les  occasions  de  pouvoir  battre  et  as- 
sommer, atin  de  profiter  des  dépouilles  des 
malheureux  qui  leur  tombent  sous  la  main, 
ne  font  pas  plutôt  rencontre  des  voleurs 
qu'ils  se  jettent  dessus,  deux  à  deux,  et, 
malgré  leur  résistance  et  leurs  jurements,  ils 
les  font  prisonniers.  Bruyant,  ayant  saisi 
Dismas  le  premier,  dit  : 

Cestny-cy  n'est  pas  le  plus  fort, 
Je  festourdis  comme  ung  poulet. 

Allons  mettre  ces  gallans  pondre 
Sur  la  belle  paille  jolye. 

dit  Gadiffer  en  les  liant,  et  en  les  conduisant 
en  prison.  Ils  appellent  plusieurs  fois  le  geô- 
lier Brayault,  mais  en  vain,  car  il  ne  répond 
point;  à  la  fin,  Malchus  s'emporte  contre 
lui. 


.  *■> 


PAS 


DICTlOiNiNAlRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


T4C 


llault  Brayault;  le  Dyao.e  l'emporte, 
Le  paillaû  nous  (ait  cy  le  souri  ; 
Brayault,  Brayâiilt,  il  est  si  gourl  (311); 
Qu'il  ne  scet  de  quel  pié  marcher. 

orayault  arrive  e-iiin,  en  jurant  et  pestant, 
aussi  bien  que  les  voleurs  qu'il  lit  entrer 
dans  la  prison;  ce  qui  termine  ce  mys- 
tère. » 

XïV.  Conseil  des  Ja;fz. 

(Icy  se  lient  le  Conseil  des  Pharisées,  et   commence 
la  Conspirucion  et  la  Mort  de  Jésus.) 

«  Les  pharisiens,  qui  ne  cherchent  que  les 
moyens  de  perdre  Jésus,  commencent  par 
mander  les  scribes.  Lorsqu'ils  sont  tous  as- 
semblés, le  conseil  se  trouve  très-partage, 
les  uns  en  faveur  de  Jésus,  et  les  autres  con- 
tre. Nicodôme  et  Jayrus  se  retirent,  et  le 
reste  de  celte  assemblée  prend  la  résolution 
de  tenter  Jésus;  ce  qu'ils  font  dans  le  mys- 
tère suivant.  » 

XV.  De  la  Femme  adultère. 

«  Les  pharisiens,  pour  exécuter  le  dessein 
qu'ils  viennent  de  projeter,  vont  à  la  pri- 
son,  et  ordonnent  au  geôlier  Brayault  de 
leur  amener  une  femme  appelée  Jésabel, 
qui  est  prête  à  être  condamnée  pour  crime 
d'adultère.  Brayault  leur  obéit;  et  ils  em- 
mènent avec  eux  Jésabel  qui,  dans  le  che- 
min, ne  cesse  de  se  lamenter  et  de  pleurer 
ses  péchés.  Lorsqu'ils  sont  arrivés  au  tem- 
ple avec  elle,  ils  cherchent  Jésus.  Et  dès 
qu'ils  l'ont  trouvé,  Marduchée,  l'un  des  pha- 
risiens, prenant  la  parole,  lui  demande  ce 
qu'il  juge  à  propos  que  l'on  fasse  de  celle 
femme.  Jésus,  au  lieu  de  leur  répondre,  se 
met  à  écrire  sur  la  terre  avec  son  doigt;  en- 
lin,  voyant  qu'on  le  presse  de  rendre  une  ré- 
ponse, il  commande  à  celui  d'entre  eux  qui 
n'a  point  transgressé  la  loi,  de  lui  jeter  la 
première  pierre,  et  il  continue  toujours  d'é- 
crire. Isachar,  croyant  que  Jésus  écrit  sur  la 
lerre  ses  péchés  secrets,  se  retire  du  tem- 
ple, craignant  de  se  les  voir  reproeber  publi- 
quement. Jéroboam,  autre  pharisien,  s'en- 
fuit aussi  frappé  d'une  pareille  idée;  et  peu 
à  peu,  tous  les  autres  Juifs,  saisis  d'un 
mémo  esprit,  s'écartent  et  sortent  du  tem- 
ple. Enfin  Jésus,  se  trouvant  seul  avec  ses 
apôtres  et  Jésabel,  lui  pardonne  ses  péchés, 
et  les  apôlrcs  la  délient.  » 

(Icy  s'en  vont  Jésus  et  ses  Apostrës  d'une  part,  cl  la 
femme  de  l'autre.) 

XVI.  Le  Convy  de  Si/mon  le  Lépreux,  et   le 
Sindcrcse  de  la  Magdaleine. 

('.y  après  commence  le  Sinderese  de  Magdaleine.) 

«  Simon  le  Lépreux,  qui  a  obligation  de 
son  salut  et  de  sa  santé  à  Jésus,  vient  le  prier 
de  lui  faire  la  grâce  de  manger  chez  lui  avec 
ses  douze  apôtres.  Jésus  y  consent  et  ne 
manque  pas  de  s'y  rendre  avec  eux. 

(Icy  se  assict  Jésus  au  meilleu,  suint  Pierre  à  désire, 

(311)  Engourdi. 

(ôl 2)  L'auteur  a  voulu  montrer  iri  inj'il  a\ail  lu 

DlGTlONN.    DF.S    MYSTERES. 


saint  Jehan  à  Séneslre,  et  tous  les  antres  après.  El 
est  Symon  Lépreux  au  bout  de  la  Table,  cl  Judas 
ayde  à  servir,  puis  se  assiel  :  et  est  à  noter  qu'en 
l'Ostel  de  Symon  se  treuvent  Phares  et  Abyron.) 

«  Les  pharisiens  commencent  par  prendre 
place  le  plus  loi  qu'ils  peuvent;  mais  avant 
toutes  choses  on  dit  Bcnedicitc  (312). 

(Icy  rompt  Jésus  ung  pain,  cl  se  assienl  tous.) 

MALBRUN. 

Chacun  mcngiissc  d'apelit 
Et  si  de  vivres  à  pelit 
Si  vous  efforcées  de  bien  hoir 
C'esl  le  remède  peremploire 
A  qui  vit  de  promissioiv. 

(Icy  est  Magdaleine  habillée  bien  richement  comme- 
devant,  fors  que  sur  sa  teste  n'a  que  une guinple 
bien  konnesle.) 

«  Madeleine,  par  une  espèce  (Va  parte,  dé- 
clare aux  spectateurs  que,  pour  obtenir  la 
rémission  de  ses  péchés,  elle  a  pris  la  réso- 
lution de  venir  trouver  Jésus,  et  que,  sachant 
qu'il  est  à  dîner  chez  Simon,  elle  l'y  a  suivi. 
Etant  arrivée  à  la  porte  de  cette  maison, 
elle  se  sent  fort  émue,  la  honte  et  le  regret 
combattent  dans  son  âme;  mais  enfin,  faisant 
un  effort  sur  elle-même,  elle  s'y  introduit 
sans  que  personne  s'en  aperçoive. 

(Icy  Magdaleine  se  met  soubz  la  Table  par  derrière 
Jésus,  et  tantôt  après  se  lieve,  et  jecte  l'Eau-Rose 
sur  son  chef.) 

«  A  peine  les  pharisiens  qui  sont  à  table 
s'aperçoivent  de  son  arrivée  et  de  son  action, 
qu'ils  "en  paraissent  fort  surpris,  ils  en  té- 
moignent même  leur  indignation. 

PHARES. 

Cesle  femme 
Qui  s'est  mise  cy  entre  nous 
5>ous  cesle  lubie,  et  sçavons  Ions 
Comme  elle  est  partout  diffamée  ? 

ABIRON. 

Elle  est  si  très-mal  renommée 
Que  c'esl  grant  horreur  de  son  faict. 
On  la  deust  renvoyer  de  faict 
Ailleurs  l'aire  telle  fredaine 

SIMON. 

Esse  la  helle  Magdaleine 
Qui  est  si  pleine  de  jeunesse. 

THARÈS. 

Oui,  c'est  cesie  pcsclieressc. 
Dont  jamais  ne  lu  si  la  pareille 

«  Comme  Simon  commence  à  se  scandali- 
ser, aussi  bien  que  les  autres  pharisiens, 
Jésus  le  fait  revenir  de  son  erreur,  en  lui 
alléguant  la  parabole  des  deux  débiteurs  ; 
ensuite  s'adressant  à  la  Madeleine,  il  lui  dit 
que  ses  péchés  lui  sont  pardonnes.  Madeleine 
le  remercie  et  lui  demande  pour  seconde 
grâce  de  la  venir  visiter,  aussi  bien  que  sa 
sœur  Marthe  et  son  frère  Lazaron. 

(Icy  s'en  retourne  Magdaleine.) 

«  Là  Madeleine,   en  s'en   retournant,  fait 

l'évangile  où  Jésus  reproche  aux  pnarisiens  d'aflVc- 
Icr  les  premières  places  dans  les  fesiins 

24 


747 


PA^ 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


745 


durant  son  chemin  la  confession  des  sept 
péchés  capitaux,  auxquels  elle  a  été  adon- 
née. Ses  deux,  demoiselles,  Pasiphée  et  Péru- 
sine,  suivent  son  exemple  et  quittent  leur, 
pompe  et  leur  mondanité. 

(Icy  s'en  vont  Magdaleine  et  ses  Demoiselles  en 
Réthanie.) 

«  Après  le  dîner,  Jésus  et  ses  apôtres  sor 
tent  de  chez  Simon,  qui  le  prie  de  lui  faire 
souvent  l'honneur  de  manger  chez  lui  ;  il  fait 
ensuite  la  même  prière  aux  apôtres,  en  con- 
sidération de  leur  maître;  et  ces  derniers 
reçoivent  ses  offres  avec  de  grands  remer- 
ciements. 

«  L'arrivée  de  la  Madeleine  chez  son  frère 
et  sa  sœur  leur  cause  une  surprise  mêlée 


nue  aux  oreilles  d'Hérode,  que,  regardant 
cette  action  comme  une  entreprise  de  Pi- 
late  sur  ses  droits,  il  vomit  mille  injures 
contre  lui. 

HÉRODE. 

.e  .uy  monslreray  qu'il  a  tort  : 
Par  mes  Irès-liauh  el  puissans  Dieux, 
Je  le  déclaire  mou   hayiieux  '313), 
Et  si  le  réputé  inhumain 


Fils  de  la  fille  d'ung  Monnier  (314), 
Tel  est-il,  ne  le  peut  nyer,  etc. 

«  Andalus,  Rodigon  et  Grongnart  s'exha- 
lent en  beaux  discours  et  en  rodomontades, 
pour  seconder  leur  maître.  Mais  tout  cela 
est  sans  effet ,  car  il  n'est  plus  question  de 


d'étounement  ;  ils  ne  savent  à  quoi  attribuer     cette  dispute,  jusqu'au  cinquième  mystère 


un  si  grand  changement. 

MARTHE. 

Bien  doiut  qu'elle  viengne  pour  bien, 
Picçà  ne  la  vis  aussi  simple  ; 
Ojii  lui  a  baillé  ceste  guimple 
Sur  son  paliol  si  terni  ? 

LAZARE. 

J'ay  si  granl  peur  de  sou  cunuy 
Que  de  courroux  le  cucur  me  l'ont. 

«  Madeleine  à  son  arrivée  dissipe  ces 
frayeurs,  en  leur  apprenant  son  heureuse 
conversion  et  les  obligations  qu'elle  a  au 
Sauveur.  » 

XVII.  De  la  dissension  de  Hérode  et  Pilate 

«  Pilate  entre  sur  la  scène  accompagné 
de  Barraquin  et  de  ses  quatre  satellites.  11 
demande  à  ce  confident  si  les  Juifs  obéissent 
à  l'ordonnance  qui  leur  défend  de  sacrifier. 
«  Oui,  Seigneur,  répond  Barraquin;  mais  ce» 
«  ordre  n'est  exécuté  que  dans  la  Judée  :  et 
«  ces  mômes  Juifs  passent  en  Galilée,  où  ils 
sacrifient  tous  les  jours  impunément,  se 
confiant  en  la  prodeelion  d'Hérode.  — 
Quoi!  Hérode  le  souffre  !  réplique  Pilate: 
lgnoie-t-il  que  ces  sacrifices  font  autant 
d'attentats  à  l'autorité  suprême  de  l'em- 
pereur ?  —  Eh  bien  1  ajoule-t-il,  allez  en 
Galilée,  et  massacrez  tous  les  Juifs  que 
vous     irouverez  rebelles 


ces  ordres.  » 
échapper  une 
de  piller,  el 
ce   temps-là, 


Irouverez  rebelles  à 
J.es  satellites  ne  laissent  pas 
.si  belle  occasion  de  tuer  et 
obéissent  à  Pilate.  Pendant 
Abias.  Sophonias  et  Manassès,  avec  quatre 
J.'.ifs,  passent  auisi  en  Galilée,  pour  y  sa- 
crifier en  liberté. 

(Icy  sacrifient  des  besles.) 

a  Ces  sacrifices  sont  interrompus  par  l'ar- 
rivée de  Grillon  et  de  ses  trois  autres  com- 
pagnons, satellites  de  Pilate,  qui,  sans  leur 
donner  le  temps  de  se  reconnaître,  poignar- 
dent inhumainement  les  quatre  Juifs.  On 
ne  sait  pas  trop  pourquoi  ils  épargnent 
Abias,  Sophonias  el  Manassès,  si  ce  n'est  à 
cause  que  l'auteur  a  voulu  leur  sauver  la 
vie,  pour  les  charger  du  soin  d'ensevelir  les 
Mitres.  Ce  qu'ils  ne  manquent  pas  de  faire. 
(Icy  les  entèrent.) 

c.  Celle  nouvelle  n'est  pas    plutôt    parvç- 

(3!Ô)  Euucaii. 


de  la  quatrième  journée,  où  on  verra  que 
Pilate  et  Hérode  se  réconcilient,  sans  qu'il 
paraisse  que  ce  dernier  ait  eu  satisfaction 
de  celte  insulte. 

«  Abias,  Sophonias  et  Manassès  vont  trou- 
ver Jésus  ,  pour  lui  apprendre  la  triste 
aventure  des  quatre  Juifs,  dont  nous  ve- 
nons de  parler.  Pendant  ce  temps-là  se  pré- 
sente une  pauvre  femme  qui  est  courbée 
depuis  dix-huit  ans,  qui  prie  le  Seigneur  de 
la  guérir,  Abias  et  les  deux  autres  Juifs  joi- 
gnent leurs  prières  à  la  sienne. 

«^  t  JÉSUS. 

Le  mauvais  esperil  la  lya, 
Eu  ce  point  comme  elle  est  lyéc  ; 
Mais  par  moy  sera  deslyée, 
En  mettant  la  main  sur  elle. 

(Icy  met  la  main  sur  elle  et  se  lieve  et  sort  ung  canon 
de  terre.) 

«  Celle  pauvre  femme  remercie  Jésus  d« 
sa  bonté.  » 


XVIII.  De  l'Aveugle  né. 
(Icy  commence  le  miracle  de  l'Aveugle  né,  qui 


assis    pies   du   Temple, 
loimj  pour  le  regarder.) 


et    s'arrestc    Jésus 


est 
asset 


«  L'aveugle-né  l'ait  des  plaintes  sur  son 
affreuse  situation.  Il  implore  sans  cesse  la 
charité  des  personnes  pieuses  ,  et  ne  paraît 
pas  être  fort  content  des  aumônes  qu'on  lui 
fait. 

l'aveugle  né. 

Je  regarde  sur  mes  drapeaux 

Son  y  a  jeelé  quelque  maille  : 

Oûy,  lanlost  :  baille  luy  baille, 

Y  n'y  a  denier  ne  demy. 

Ung  poure  homme  n'a  point  d'amy,  etc. 

(Icy  chemine  Jésus  sans  dire  mot.) 

«  Noire -[Seigneur  ordonne  à  ses  apôtres 
de  faire  approcher  ce  pauvre  homme. 

(Icy  (mains  Sainct  Pierre  l'Aveugle  devant  Jésus,  et 
Jésus  prcnl  de  la  poudre  à  terre,  et  la  met  en  sa 
main,  puis  crache  dedens,  et  mesle  avec  le  doy, 
puis  en  met  sur  les  yeulx  de  l'Aveugle.) 

«  Ensuite  il  ordonne  à  Barlhimée  (c'est  le 
nom  de  cet  aveugle)  d'aller  laver  ses  yeux 
avec  de  l'eau  de  la  fontaine  de  Siloé.  Bar- 

(314)  Meunier. 


7*9 


TAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


nt 


Ihi-mée  lui  ooc-it,  et  ayant  recouvré  la  vue, 
il  en  rend  grâces  à  Dieu.  Tous  les  Juifs  sont 
surpris  d'un  élonnement  sans  pareil,  lors- 
qu'ils s'aperçoivent  d'un  si  grand  change- 
ment. Les  uns  l'attribuent  au  pouvoir  de 
Jésus;  mais  les  autres  le  nient,  et  disent 
que  ce  n'est  pas  là  la  même  personne  qui 
était  aveugle.  Celte  contestation  est  portée 
devant  les  pharisiens,  à  qui  Barlhimée  sou- 
tient qu'il  est  ce  même  aveugle  de  naissance, 
et  que  Jésus  l'a  entièrement  guéri.  La  dis- 
pute recommence  alors.  Pour  éclaircir  ce  fait. 
Jéroboam  dépèche  Maucouranl,  avec  ordre 
d'amener  le  père  et  la  mère  de  Barlhimée, 
nCii  qu'ils  puissent  reconnaître  si  cet  enfant 
leur  appartient.  Maucouranl  exécute  cet  or- 
dre, mais  ce  n'est  pas  sans  peine,  car  ils 
redoutent  la  fureur  des  Juifs.  Cette  crainte 
leur  fait  prendre  en  chemin  le  parti  de  ne 
rien  dire,  soit  à  l'avantage,  soit  au  désavan- 
tage du  Sauveur.  Dès  qu'ils  sont  arrivés,  les 
pharisiens  les  interrogent,  et  leur  deman- 
dent si  c'est  là  leur  (ils.  Oui,  disent-ils,'nous  le 
reconnaissons  et  nous  savons  bien  aussi  qu'il 
était  né  aveugle.  Les  Juifs  furieux  de  cette 
réponse  s'adressent  à  Barlhimée,  et  veulent 
l'obliger  à  dire  que  ce  n'est  pas  Jésus  qui 
l'a  guéri.  Comme  cet  enfant  refuse  de  se 
prêtera  ce  faux  témoignage,  ils  l'accablent 
de  coups  et  de  malédictions,  et  enfin  le  chas- 
sent du  temple. 

('ci  s'en  va  l'Aveugle  près  de   Jésus,  et  Nicodcsme, 

Juyrus,  Pliures,  Abiron,  Salmanazar  cl  Nembrolh 

se  déparient  du  Conseil,  eJ  s'en  vont  Nicodetme  et 

\Jayrus  ensemble,  el  tes  autres  quatre  d'autre  pari.) 

«Phares,  Abiron,  Nembrolh  et  Salma- 
nazar se  demandent  l'un  à  l'autre  qui  peut 
être  Jésus?  et  par  quel  pouvoir  il  fait  de  si 
grands  prodiges?  Nous  ne  le  savons  pas,  ré- 
«  pondent-ils  tous;  retournons  au  temnle  et 
«  sachons  cela  de  lui.  »  Ils  ne  manquent  pas 
de  l'y  trouver,  environne:  d'une  foule  do 
peuple.  Là  ils, l'interrogent,  et  sous  prétexte 
que  le  Seigneur  se  dit  Fils  de  Dieu,  ils  pren- 
nent des  pierres  pour  le  lapider.  Mais  Jésus 
disparaît  à  leurs  yeux,  et  va  rejoindre  ses 
apôtres.  » 

(Icy  s'en  vont  Jésus  el  ses  Aposlresouitre  le  Fleuve  de 
Jourdain  ,  el  commence  le  iiessussiiement  de 
Lazare.) 

XIX.  La  mort  du  Lazare. 

«  Lazare  se  plaint  d'un  grand  mal  de  cœur. 
Marthe  et  Madeleine  lui  conseillent  de  se 
coucher,  en  lui  disant  oue  le  repos  pourra 
dissiper  son  mal. 

(Icy  se  couche  Lazare  sur  ung  beau  lit  paré,  et 
Marthe  est  d'ung  cosié,  Magdaleiae  de  l'autre,  et 
lug  mettent  ung  covrechef  à  ta  lente.) 

«  Comme  Lazare  continue  à  se  plaindre 
q  une  grosse  fièvre  et  d'une  grande  débilité, 
Marthe  lui  offre  des  conserves  et  des  confi- 
tures pour  lui  relever  le  cœur  :  ce  malade 
les  remercie  ,  et  se  met  à  soupirer  après 
l'arrivée  de  Jésus.  Madeleine,  pour  le  satis- 
faire, ordonne  à  Brunamont  de  l'aller  prier 
devenir.  Lorsque  Brunaraonl  est  parti  pour 


exécuter  cet  ordre,  Lazare  pousse  de 
grands  soupirs  de  l'absence  du  Seigneur,  et 
après  un  nombre  infini  de  plaintes,  il  expire. 
Peu  de  temps  après,  Brunamont  vient  rap- 
porter que  Jésus  lui  a  ordonné  de  dire  que 
celte  maladie  de  Lazare  n'est  pas  mortelle, 
que  l'on  ne  s'inquiète  point ,  et  qu'il  va  ar- 
river au  plus  tôt.  Pendant  ce  temps-là,  So- 
phonias  et  Abias,  qui  sont  aulour  du  lit  du 
malade,  s'écrient  qu'il  vient  de  rendre  l'es- 
prit. Les  deux  sœurs  se  mettent  aussitôt  à 
pleurer. 

MAGDALEINE. 

Est-il  mon? 

MANASSÈS. 

Sans  plus  de  remorl 
Il  est  trespassé,  n'en  doublez. 

MARTHE. 

0  grief  el  dolent  liesconforl  ! 
Esi-il  mon? 

SOPIIONiAS. 

Sans  plus  de  remorf, 
Lever  de  cliarongne  le  mort, 
Voslre  cuenr  aulne  pari  boulez. 

MAGDALCINE. 

Est -il  mort  ? 

ABYAS 

Sans  plus  de  remorl  : 
Il  est  Ircspassé  n'en  doublez. 

«  Enfin,  les  deux  sœurs,  no  pouvant  plus 
douter  d'une  si  triste  vérité,  recommencent 
leurs  cris  et  leurs  gémissements.  Les  autres 
Juifs, que  celte  affliction  touche  moins,  son- 
gent à  enterrer  promptement  le  Lazare,  qui 
commence  déjà  à  sentir  mauvais  :  ce  qu'ils 
exécutent  sans  perdre  de  temps.  » 

(Icy  quatre  Jui[z  ensepvelissenl  Lazare,  puis  le  por- 
tent en  terre,  assez  lohig  de  Béthanie,  cepeudenl 
que  tous  les  autres  Juifz  se  assemblent.  Et  \\  i  eui- 
on  porter  torches,  armoiries  el  autres  Iriumphes 
mortuaires. 

XX.  Ressussilcment  du  Lazare 

«  Comme  Lazare  est  un  grand  seigneur, 
sa  mort  se  répand  bien  vite  par  toute  la 
Judée,  et  surtout  dans  la  capitale.  Jairus, 
Simon  le  Lépreux,  Moab  etCélius  l'ayant  ap- 
prise, vont  dès  le  lendemain  en  Bélhanie 
pour  consoler  Madeleine  et  sa  sœur,  Jésus, 
accompagné  de  ses  anôlres,  en  prend  aussi 
le  chemin. 

(Icy  s'en  va  une  autre  compaignie  de  Jui^z  en  Bétha- 
ihanie  vcoir  Lazare.) 

«  Abiron,  Phares,  Nembrolh  el  Salmanazar, 

que  la  curiosité  y  conduit,  plutôt  que  toute 

autre  chose,  forment  celle  troisième  troupe. 

Icy  s'en  vont  ces  quatre  Juifz  ensemble  en  Béihan:e, 

el  cependant  la  quarte  compaignie  s'assemble  pour 

y  aller.) 

«  Celle  aernière  est  composée  d'Abacuc, 
de  Gédéon  ,  d'Emelius  ,  de  Rabanus  et  do 
Celcidon.  Ces  trois  derniers  sont  les  trois 
marchands  que  Jésus  chassa  du  temple,  et 
qui  ne  sont  pas  troo  bien  intentionnés  en 
sa  faveur. 


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PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


783 


(/ci/  s'en  vont  ces  cinq  Juifz  en  Bélkank  ;  et  cepen- 
dant Abyas  et  ses  compagnons  retournent  du  tom- 
beau.) 

«.Simon  le  Lépreux  ,  Jayrus  et  les  (rois 
autres  Juifs  de  la  première  bande,  étant  ar- 
rivés,ces  deux-ci  s'approchentde  Madeleine 
et  de  sa  sœur  pour  les  consoler. 

(Jcy  arrive  Jésus  assez  loing  de  Marthe  et  de  Magda- 
leine, et  se  arreste  :  et  Magdaleine  se  assiet  à  terre 
près  du  lit  :  El  est  à  noter  que  Noslre-Dame  est  en 
Bélhanie,  comme  en  oraison  à  part ,  et  ne  se  trcuve 
point  en  tout  le  mystère  de  la  résurrection  de  La- 
Z'ire ,  jusqu'au  retour  de  Jésus,  quand  Hz  parlent 
ensemble.) 

«  Brunamont  vient  avertir  que  Jésus  ar- 
rive. Marthe  court  aussitôt  au-devant;  et 
comme  Jésus  lui  demande  où  est  Madeleine, 
elle  revient  la  chercher.  Madeleine  la  suit  ; 
et  les  Juifs  croyant  qu'elle  va  au  tombeau 
pour  l'arroser  de  ses  larmes,  sortent,  afin 
de  calmer  son  désespoir.  Ils  la  trouvent 
prosternée  aux  pieds  de  Jésus,  le  priant  en 
faveur  de  son  frère  ;  ils  joignent  leurs 
prières  aux  siennes,  et  supplient  le  Seigneur 
de  vouloir  bien  les  assister.  Alors  toute 
l'assemblée  se  met  à  pleurer.  Jésus,  qui  se 
sent  attendri  de  leurs  larmes,  demande  à 
voir  le  tombeau,  et  lorsqu'il  y  est  arrivé  il 
ordonne  qu*on  ôte  la  pierre  qui  le  couvre. 
Marthe  veut  l'en  empêcher. 

M  AT.  THE. 

0  Benoist  Sauveur  Jésus, 
Quatre  jours  y  a  maintenant 
Qu'il  y  est;  il  est  si  puant 
Qu'aine  ne  le  pourroit  sentir. 

«Mais  Jésus  la  rassure  et  lui  dit  de  ne 
rien  craindre. 


M\XA?SES. 


(/(•y  esloupent   tous  les   Juifz    leurs   nez, 
mettent  à  lever  la  pierre.) 

abacith  prend  ung  bout. 


et  puis  se 


Que  la  pierre  soit  donc  ostee, 
Messcigueurs,  chacun  s'y  attire  (ôlo). 

gédéon  prend  d'ung  autre  coslé. 
El  fut  rôdeur  quatre  foys  pire, 
Si  lievrons  nous  cesle  tombe. 

sofuonias  d'autre  coslé. 
Garde  bien  que  sur  toy  ne  tombe , 
Puis  du  demouranl  enqueron  (31 0). 

makassés,  d'ung  bout. 

Pensons  de  Poster  si  verron 
De  Jésus  quel  vouloir  il  a. 

moac,  d'ung  coslé. 
Sus  levez. 

abïas,  d'ung  bout. 

Mes  levez  de  là , 
Vous  ne  faicles  que  caquetler. 

AEACUTH. 

De  force. 

GÉDÉON. 

He  grant. 
HOAB, 

Aussy  là. 


Sus  levez. 


SOPHONIAS. 

Mais  vous  de  là. 

ABYAS 

Elle  branle  par  ce  bout 

ABACl'TH. 

Ha!  Hat 

11  ne  tient  plus  cy ,  qu'à  bouler. 

GÉDÉON. 

Sus  levez, 

M    AD. 

Mais  levez  de  !à; 
Vous  ne  faicles  que  eacuetler. 

MANASSÈS. 

Chacun  pence  ses  piedz  oster 

Qu'il  ne  prengne  un  pinson  tout  vert 

(Icy  niellent  la  tombe  d  terre.) 

«  Jésus  se  met  à  genoux,  et  après  avoir 
fait  sa  prière,  il  ordonne  au  Lazare  de  sor- 
tir du  sépulcre. 

(Icy  sort  Lazare  du  tombeau  emeioppé  d  ung  suaire  , 
les  bras  liez  et  tout  le  corps,  et  se  met  à  genoulx. 

«  Le  Lazare  remercie  le  Sauveur;  ensuite 
il  est  délié.  » 

(!cy  se  revest  Lazare  d'abillemens  lotis  nouveaux  bien 
simples  et  honnestes,  et  Brunamont  lui  aide,  et  s'en 
va  avec  Marthe  el  Magdaleine.  Et  Jésus  cl  set 
Aposlres  se  retirent  vers  Nostre-Dame;  el  les  Juifx 
s'en  retournent  après  tous  ensemble.) 

XXI.  Enfer 

«  La  résurrection  du  Lazare  occasionne 
une  vive  contestation  aux  enfers;  Cerbérus 
a  bien  de  la  peine  à  éviter  le  châtiment,  pour 
avoir  laissé  échapper  son  âme;  Les  démons 
entrent  dans  une  si  étrange  fureur  contre 
le  Sauveur,  qui  leur  en  ravit  tous  les  jours 
un  si  grand  nombre,  qu'ils  se  promettent 
de  tout  employer  contre  lui;  Luciferdépêche 
tous  ses  esprits  pour  une  affaire  si  impor- 
tante, et  c'est,  selon  toutes  les  apparences, 
a  leur  suggestion  que  se  projette  la  résolu- 
tion que  les  Juifs  vont  prendre  aux  mystères 
suivants.  » 

XXII.  Conseil  des  Juifz. 

«  Les  Juifs  qui  se  sont  trouvés  à  la  résur- 
rection de  Lazare,  rencontrent  en  s'en  re- 
tournant les  autres  troupes  de  Juifs,  à  qui  ils 
la  racontent.  Les  uns  ajoutent  foi  à  ce  récit, 
mais  la  plupart  n'en  veulent  rien  croire: 
entre  ces  derniers  Abiron,  Phares,  Celcidon, 
Emélius  et  Salmanazar  prennent  le  parti 
d'aller  faire  le  rapport  de  ceci  aux  princes 
de  la  loi. 

(Icy  vont  ces  quatre  Juifz  parler  avx  Pharisiens  et 
Scribes;  el  tous  les  autres  Juifz  s'en  vont  autre 
part,  excepté  Jayrus  et  ISicodesme,  qui  viennent 
avec  Lazare.) 

«  Les  scribes  et  les  pharisiens  ,  après 
avoir  remercié  ces  Juifs  de  leur  avis,  vont 
d'abord  annoncer  cette  nouvelle  à  Caïphe  , 


(3.13)  S'y  emploie. 


(316)  Soignerons. 


1»T 


PAS 


DICTIONNAIUE  DES  MYSTERES. 


PAS 


754 


qui  leur  fait  beaucoup  de  politesse;  mais, 
comme  il  no  veut  rien  résoudre,  sans  pren- 
dre le  conseil  d'Anne  ,  il  envoie  Maucourant 
pour  le  prier  de  venir. 

(Ici)  va  le  M essagier  quérir  Anne ,  et  cependant  y  a 
dialogue  entre  Jésus  et  Noslre-Dame,  qui  se  tirent 
eulx  deux  à  part.) 

«  Le  Seigneur  s'entretient  avec  la  sainte 
Vierge  des  maux  et  des  tourments  qu'il  doit 
souffrir  à  Jérusalem.  Cependant  Maucou- 
rant arrive  chez  Anne,  à  qui  il  rend  compte 
du  sujet  qui  le  conduit.  Anne  lui  dit  qu'il 
ne  manquera  pas  de  se  trouver  chez  Caïphe. 
En  etfot ,  il  pari  tout  aussitôt  et  va  s'y 
rendre  accompagné  de  ses  trois  estafiers,  qui 
restent  à  la  porte.  Dès  qu'il  est  entré,  on 
tient  conseil  pour  perdre.Jésus  ;  et  le  résul- 
tat est  que  Caïphe  et  Anne  ordonnent  à  leurs 
satellites  de  se  saisir  de  sa  personne  par- 
tout où  ils  pourront  le  rencontrer. 

(Icy  s'en  vont  ces  six  tyrans  au  Temple  pour  cyder 
prendre  Jésus  ;  et  Marthe ,  Muydaleine  et  Lazare 
se  tirent  à  part.) 

«  Lazare,  qui  revient  d'un  grand  voyage, 
où  il  a  vu  une  infinité  de  choses  surpre- 
nantes ,  en  a  la  tête  si  remplie,  qu'il  lui 
faudrait  un  jour  pour  en  donner  un  détail 
un  peu  circonstancié.  Madeleine  le  prie  de 
vouloir  bien  lui  faire  en  gros  le  récit.  Son 
frère,  pour  la  satisfaire,  commence  d'abord 
par  les  instruire  de  «  l'Enfer  en  général.  » 
Ensuite  il  fait  la  description  «  du  Limbe  des 
«  Pères  ,  du  lieu  du  Purgatoire  ,  du  Limbe 
«  des  petits  enfants,  »  et  «  du  bas  Enfer.  » 
Ce  dernier  lieu  lui  fournit  une  ample  ma- 
tière pour  exposer  à  ses  sœurs  les  tourments 
affreux  et  les  douleurs  insupj  ortables  quo 
souffrent' justement  les  malheureux  qui  se 
sont  attiré  la  colère  du  ciel.  Un  rapport  si 
tidèle,  et  fait  par  une  personne  qui  a  été  té- 
moin oculaire  de  tout  ce  qu'il  dit,  jette  une 
extrême  frayeur  dans  leur  esprit  et  les  con- 
firme puissamment  danslarésolulion  qu'elles 
ont  prise  de  mener  une  vie  mortifiée,  cl  de 
passer  lo  reste  de  leurs  jours  dans  une  péni- 
tence continuelle.  » 

XXIII.  Du  Sourd  et  Muet  possédé  du  Dyable. 

(Icy  est  uncj  homme  sourt  et  muet  possédé  du  Dyable.) 

«  Deux  Juif-,  appelés  Céphas  et  Lacédon  , 
amènent  sur  le  théàlre  un  homme  muet  et 
sourd,  qui  par-dessus  tout  cela  est  encore 
possédé  d'un  esprit  malin.  Ils  ont  bien  de 
la  peine  a  le  conduire,  car  ce  malade  qui  pa- 
raît assez  robuste,  et  dont  le  démon  aug- 
mente encore  les  forces,  leur  cause  beau- 
coup d'embarras,  et  s'agite  d'une  façon  ex- 
traordinaire. 

LE  MUET. 

Ail!  bc:i ,  b .11. 

LACÉDON. 

Si  fori  se  lempesle 
Que  c'est  une  chose  admirable  : 
Il  se  roni  cueur,  corps,  membres,  icsie. 

LE   M  Ci.  T. 

Eli!  lieu  ,  I  eu  ,  heu. 


«  Ces  deux  Juifs  prient  le  Seigneur  de 
vouloir  bien  accorder  la  santé  à  ce  miséra- 
ble. Jésus  le  fait,  et  ordonne  à  cet  hommo 
de  no  plus  pécher;  ensuite  de  quoi  il  se  re- 
tire. Les  pharisiens  arrivent  avec  Isachar, 
Jacob  et  Nachor,  Scribes,  et  malgré  le  té- 
moignage de  l'homme  qui  vient  d'être  guéri 
et  des  autres  qui  l'aecompagnent,  ils  refusent 
de  croire  ce  miracle.  » 

XXIV.  Murmure  de  Judas 

«  Simon  le  Lépreux  vient  prier  Jésus  de 
lui  faire  l'honneur  de  souper  chez  lui  avec 
ses  apôtres.  Il  invite  aussi  à  ce  repas  Lazare 
et  ses  deux  sœurs,  aussi  bien  que  Jayrus  et 
Nicodème. 

(Icy  vont  Jésus,  Nostre-Dame,  Lazare,  Marthe,  Jaij' 
rus  ,  Nicodesme,  et  les  A].<ostres  en  ÏOstel  de  Symon, 
et  Muydaleine  demeure  derrière.) 

«  Les  six  tyrans  rque  nous  avons  laissés 
cherchant  Jésus  au  temple,  se  lassant  entîn 
d'attendre,  sans  l'y  voir  venir,  s'en  re- 
tournent 

(Icy  s'en  retournent  les  six  tyrans  devers  les  Princes 
de  la  Loy,  et  Jésus  et  sa  compagnie  arrivent  en 
rOstel  de  Simon  en  Béthanie,  près  du  lieu  où  esloii 
Lazare  ressuscité.) 

«  Avant  que  de  se  mettre  à  table,  on  dit 
le  Benedicite,  selon  que  nous  l'avons  déjà 
observé  plus  d'une  fois. 

{Icy  se  assiet  Jésus  au  milieu,  Noslre-Dame  d'unq 
coslé,  S.  Jehan  de  l'autre,  et  puis  tous  les  Apoî' 
1res.  Lazare,  Jayrus  et  ISicodesme  se  assient.  Ju- 
das sert,  et  ne  s'assiel  point,  Marthe  et  Symon 
servent,  et  puis  se  assient ,  cl  Magdaleine  n'y  est 
point.) 

Madeleine,  qui  ne  se  trouve  point  à  ce 
repas,  est  occupée  d'une  pensée  bien  dif- 
férente. Pour  témoigner  sa  reconnaissance  a 
Jésus,  elle  prend  une  boite  remplie  du  par- 
fum le  plus  exquis,  en  intention  de  l'aller 
trouver  chez  Simon,  et  de  répandre  sur  lo 
Seigneur  cet  aromate  précieux, 

(Icy  s'en  va  Magdaleine  ci  tout  sa  boè'te  songneusement 
au  souper  de  Symon,  et  cependant  arrivent  Us  six 
tyrans  devers  les  Princes  de  la  Loy.) 

«  Ces  tyrans  viennent  rendre  compte  de 
leur  commission  et  de  leur  poursuite  in- 
fructueuse. Le  conseil,  ne  pouvant  se  saisir 
de  Jésus,  se  résout  à  faire  mourir  Lazare, 
dont  la  résurrection  fait  un  si  grand 
bruit, 

(Icy  se  départent    tous  les  Princes  delà  Loy,  et  les 
tyrans  s'en  vont.) 

«  Pour  revenir  au  repas  de  Simon,  Made- 
leine arrive  enfin  chez  lui,  et  répand  sur  la 
têie  du  Sauveur  l'excellent  parfum  qu'elle 
vient  d'apporter.  Son  odeur  réjouit  toute 
l'assemblée,  qui  témoigne  qu'on  n'en  peut 
trouver  do  plus  excellent.  Cependant  quel- 
ques-uns des  conviés  murmurent  de  cette» 
prodigalité,  et,  entre  ces  derniers,  Judas 
ne  peut  s'empêcher  de  s'en  plaindre  hau- 
tement. 


judas. 
J ".  slime  'iu'o.i  l'eusi 


icn  vendu 


& 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


755 


La  somme  (ie  troys  cous  dealers, 
Desquelz,  pour  le-moios,  j'en  eusse  eu 
Trenle  pour  ma  pari  îles  premiers. 

«  Il  est  à  présumer  que  ces  deux  derniers 
vers  sont  dits  tout  bas,  et  il  est  censé  que 
les  autres  personnages  né  les  entendent  pas. 
Jésus  le  reprend  fort  aigrement,  el  ce  traî- 
tre en  conçoit  un  si  grand  dépit  que  dès 
ce  moment  il  forme  le  dessein  de  se  dé- 
dommager de  cette  perte  aux  dépens  de  son 
maître. 

{Icy  se  lievent  loua,  et  Miilbrun  dessert,  cependant  que 
Jésus  el  ses  Apostres  dyent  grâces  en  silence  ;  puis 
parle  Jésus  à  Nostre-Dame.) 

«  Avant  que  de  se  retirer  ils  remercient 
Simon  de  sa  lionne  chère;  les  apôtres  sur- 
tout en  .sont  fort  contents,  el  saint  Judo 
«rntre  autres  n'en  peut  cacher  sa  satis- 
faction. 

S.   JUDE. 

Pour  Dieu,  ne  vous  vueille  desplaire, 
Si  souvent  céans  revenons.  > 

XXV.  De  Jésus  sur  l'Âsne. 

«  Jésus  ordonne  h  saint  Pierre  et  à  saint 
Jean  de  lui  amener  l'ânesse  et  l'ûnon  qu'ils 
trouveront  attachés  aux  murs  du  château 
voisin.  Ces  deux  apôtres  vont  aussitôt  exé- 
cuter ces  ordres.  Ils  trouvent  l'ânesse  et 
l'ânon  comme  Jésus  le  leur  a  dit,  et  comme 
ils  se  mettent  en  devoir  (ie  les  détacher, 
Neptalin  s'y  oppose.  Saint  Pierre  lui  dit 
qu'il  ne  faut  pas  s'en  prendre  à  eux,  et  qu'ils 
ne  font  qu'obéir  au  commandement  de 
Jésus.  A  ce  nom,  Neptalin  n'insiste  plus, 
et  leur  répond  qu'ils  n'ont  qu'à  faire  ce 
qu'ils  souhaiteront.  Alors  les  deux  apôtres 
emmènent  ces  animaux  ,  et  les  conduisent 
à  leur  maître:  ensuite  voyant  qu'il  s'ap- 
prête h  monter  l'ânesse,  ils  lui  offrent  de  met- 
tre leurs  manteaux  dessus.  » 

(Jetj  monte  Jésus  sur  IWsncsse,  et  y  a  quatre  Apostres 
qui  vont  devant;  Judas  mai  te  l'Asne  par  le  licol, 
el  les  autres  Apôtres  vont  après.  El  est  fin  de  la  se- 
conde Journée.) 

Fin  delà  seconde  journée  du  Mustèredc  la 
Passion. 


PERSONNAGES 

De  la  troisième  journée  du  Mystère  de  la  Pas- 
sion. 

s.  symon,  A  poire, 
s.  jude  ,  idem. 


TUEU  LE  PERE. 
JÉSUS-CHRIST. 
LA  SAINTE    VIERGE. 

saingt  kiciiel,  Ange. 
Gabriel,  idem. 
raphael  ,  idem. 
driel',  idem. 
chérubin,  idem. 
séraphin,  idem. 
s.  pierre,  Apôtre. 
S.  André,  idem. 
s.  Jacques  d'il  Major  ,  ta 
s.  jehan,  idem. 
s.  Philippe  ,  idem. 

S.  BARTHÉLÉMY,  idem. 

s.  Mathieu,  idem. 
$.  tiiomas,  idem. 


s.  Jacques  ,  dit  Minor ,  id. 
judas,  idem 

LAZARE. 
MARTHE. 
MAGDALEINE. 

pérusine,  demoiselle  de 
la  Magiialeine. 

pasiphée,  idem. 

nicodesme  ,  Docteur  de  la 
Eoy. 

jayrus  ,  Archisymgogue. 

symon  lépreux,  Pharisien 
converti. 

zachée,  autrement  nom- 
mé LAM>ULPUE,  Ct  liis- 


oinle  orciillc  de  Jésus. 

juj.lye,  veuve  ^e  Naïni , 
convertie  à  Jésus. 

yèronne,  femme  pieuse 
que  Jésus  a  guérie  d'un 
flux  de  sans. 

abias  ,  disciple  de  saint 
Jean-Baptiste  cpii  suit 
Jésus. 

sophonias,  idem. 

manassès, idem. 

benjamin,  fils  de  Manas- 
sès, E niant  chaulant  les 


louanges 


i   Seigneur 


à  son  entrée  dans  Jé- 
rusalem. 

ei.iud,  idem. 

JAPHET,  idem. 

a  bel  ,  idem. 

abacuth,  samaritain  con- 
verti. 

gée-éon,  idem. 

neptalin,  Habitant  de 
Naïm,  converti. 

malbrun, idem. 

GÉi.ius,    domestique    de 

J  iJ'IUS. 

moab,  idem. 

tubal,  autrefois  Para.y- 
lique ,  el  à  présent 
domestique  de  Za- 
chée. 

CAYPIIE. 
ANNE. 

jéroboam,  pharisien. 
mardocuée ,  idem 
naason,  idem. 
joathan,  idem. 
lliachin,  idem. 
bananias    idem. 


jacob,  scribe. 

1SACHAR,  idem. 

nathan,  idem. 

naciior  ,  idem. 

phares,  Juif  ennemi  de 
Jésus. 

abiron  ,  idem. 

salmanazar,   idem. 

nembroth, idem. 

emélius.  oiseleur. 

rabanus  changeur. 

celcidon  marchand  d'a- 
gneaux. 

nÉDRoiT.servante  d'Anne. 

maucourant,  messager 
d'Anne. 

griffon  ,  Tyran  de  Pilale. 

brayart,  idem. 

»rillart  ,  idem 

claquedent ,  idem. 

roullart,  Tyran  d'Aune 

dentart,  idem. 

cadiffer  ,  idem. 

bruyant,  Tyran  de  Cay- 
phe. 

malchus, idem. 

IjRagon  ,  idem. 

crongnart  Domestique 
d'ilérode. 

brayault  ,  Geôlier. 

un  charpentier. 

troupe    de   juifs   et   me 

JUIVES. 

Lucifer,  Roi  des  Eifers. 
satiian  ,  Diable. 

BE&ZE8CTH,  idem. 
bérii  il ,  idem.. 
aktarotii,  idem. 
cerbères,  iitem. 


TROISIÈME   JOURNEE. 

Cy  commence  la  Tierce  Journée  du  Mystère  de 
la  Passion  Jésuchrist  :  Et  est  à  entendre  que 
Jésus  vient  sur  l'Asnesse  jusqu'au  Parc,  ct 
se  assemblent  tous  les  Juifz  en  plusieurs 
bandes  pour  aller  au-devant  de  luy  avec  Ra- 
meaux vers;  et  sus  l'entrée  du  Parc  y  aura 
en  fans  chantons  mélodieusement  ,  jusques 
ad  ce  que  bonne  silence  soit  faicte  au  lieu 
de  Prologue. 

1.  L'Entrée  de  Hiérusalcm. 

«  Aussitôt  que  les  fidèles  habitants  do 
Jérusalem  apprennent  que  le  Sauveur  vient 
faire  son  entrée  dans  cette  grande  ville,  ils 
accourent  au-devant  de  lui  pour  le  rece- 
voir et  lui  rendre  les  honneurs  dont  ils 
sont  capables.  Dès  la  pointe  du  jour  Nico- 
dème,  Jayrus,  Abacuc,  Gédéon,  Simon  le 
Lépreux»  Malbrun,  Neptalin,  Célius,  Moab, 
Sophonias,  Abias,  et  une  infinité  de  Juifs 
de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  témoignent  le 
même  empressement;  Manassès  vient  aussi, 
conduisant  le  petit  Benjamin,  son  lils,  par 
la   main. 

(Icy  vont  quérir  Rameaux  vers,  et  Manassès  vest  une 
robbe  ne.ttfve  à  benjamin  son  filz,  el  luy  met  uug 
chapeau  à  la  teste,  et  après  se  faicl  rassemblée  des 
Femmes.) 

«  Jullye  et  Veronne,  à  la  tête  de  quelques 
autres  'femmes ,    ne  voulant    pas  être  les 


757 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MTSTERES. 


PAS 


Ï^S 


dernières  à  témoigner  leur  reconnaissance, 
courent  au-devant  du  Sauveur. 

[Icy  vont  les   bonnes  Dames  qncrîr  des  Hameaux,  et 
te  tient  autre  Conseil  des  Marchant  de  la  Ville.) 

«  Pendant  ce  temps-la,  Emélius,  Rabanus 
et  Celcidon,  dont  nous  avons  parlé  dans 
les  deux  journées  précédentes,  sont  réveil- 
lés en  sursaut  par  le  bruit  et  les  cris  des 
gens  qui  vont  au-devant  de  Jésus.  Ils  s'irri- 
tent du  contre-temps  qui  interrompt  leur 
sommeil  ;  mais  enfin  la  curiosité  les  en- 
traîne, et  ils  sortent  pour  voir  passer  le  Sei- 
gneur. D'un  autre  côté  un  père  de  famille, 
appelé  Zachée,  demande  à  son  valet  Tubal, 
qui  est  le  même  paralytique  du  quatrième 
Mystère  de  la  seconde  Journée,  ce  que  si- 
gnifie cette  rumeur.  Tubal  lui  apprend  que 
c'est  le  peuple  qui  est  en  mouvement  pour 
l'arrivée  de  Jésus.  «  Je  veux  le  voir  aussi, 
«  dit  Zachée;  allons-y.  »  Ensuite  ils  y  vont 
tous  les  deux. 

(Icy  est  Jésus  sur  .  Asne,  et  y  a  quatre  des  Aposlret 
devant,  et  linyt  après  :  et  sont  bien  loing  de  la  Cité, 
et  voyent  venir  ceulx  de  la  Ville  tous  par  ordre,  pur- 
t.ms  rameaux  vers.) 

«  Tout  le  peuple  chante  les  louanges  do 
Jésus  :  lorsque  le  peuple  a  cessé,  les  apô- 
tres commencent  une  hymne  dont  chacun 
d'eux  chante  une  strophe. 

(Icy  approchent  Nicodesme,  Jayrus ,  Symon,  et  tous 
les  autres  au-devant  de  Jésus,  et  se  tiennent  assés 
loinrj  de  lny,  puis  dijent  par  ordre  chacun  sa  saluta- 
tion, et  se  arreslent  tous  au-devant  de  Jésus.) 

«  Les  femmes  et  les  enfants  nommés  Ben- 
jamin, Eliud,  Japhet  et  Abel,  s'approchent 
du  Seigneur  et  chantent  des  cantiques  à  sa 
louange,  qui  finissent  par  ces  mots  :  Osanna 
Filio  David. 

{Icy  s  arreslent  toutung  peu  loing  de  la  Porte  de  Hié- 
r  usaient,  cl  chantent  gloria  lads,  et  est  à  noter, 
que  il  se  mettra  une  grande  partie  du  peuple  devant 
Jésus,  et  le  résidu  derrière.) 

«  Pendant  que  Jésus  enlredans  Jérusalem, 
Dieu  le  Père  fait  éclater  par  un  signe  l'in- 
térêt qu'il  prend  à  son  fils 

(Icy  se  faict  un  doulx  tonnaire  en  Paradis  de  quelque 
gros  tuyau  d'Orgue.) 

«  Ce  bruit  épouvante  les  Juifs,  mais  les 
fidèles  se  rassurant  redoublent  leurs  chants, 
et  Jésus,  le  long  de  son  chemin,  prophétise 
les  malheurs  qui  sont  près  d'accabler  cette 
malheureuse  ville. 

(Icy  se  descend  Jésus  dessus  l'Asnesse,  et  chemine  ung 
pelil,  et  Judas  lient  l'Asnesse.  Ensuite  ramaine  Ju- 
das rAsnc  et  l'Asnesse  quelque  part  bien  loing.) 

;<  Lorsque  Jésus  est  arrivé,  son  premier 
soin  est  d'aller  au  temple  prêcher  au  peu- 
ple, pour  les  exciter  à  un  prompt  repentir, 
afin  d'éviter  les  maux  qui  vont  fondre  sur 
fiux.  Une  foule  innombrable  de  Juifs  se 
trouvent  à  son  sermon,  et  surtout  les  pha- 
risiens et  les  scribes,  aussi  bien  que  Caïphe 
et  Aune.  Jésus  leur  reproche  fortement 
leur  hypocrisie   et  leur  mauvaise  conduite, 

(317)  Suppî*Jc,v 


par  laquelle  ils  entraînent  tout  le  peuple 
qu'ils  séduisent  à  une  damnation  éternelle. 
Ces  orgueilleux  pharisiens  sont  outrés  de 
rage,  et  principalement  les  deux  pontifes, 
que  les  discours  de  Jésus  attaquent  encore 
davantage  que  les  autres,  et  ils  ne  peuvent 
contenir  leur  fureur. 

CAYPHE. 

C'est  homme-cy  presche  le  diable, 

El  congnoisl  noz  cas  si  exprès 

Qu'il  nous  touche  au  cticur  île  si  prè$ 

Que  je  ne  le  puis  endurer  : 

H  me  failli  de  dépit  furer 

Et  crever  de  rage  mortelle. 

«  Les  Juifs  se  retirent  et  complotent  en- 
semble comment  ils  pourront  trouver  les 
moyens  de  perdre  Jésus,  qui,  ayant  fini  sa. 
prédication,  dit  à  ses  apôtres  qu'il  veut  al- 
ler en  Béthanie.  Ceux-ci  en  sont  d'autant 
plus  aises  qu'ils  sont  fort  fatigués  et  qu'il* 
ont  besoin  de  manger. 

SAlNCT    PIERRE. 

Il  est  ltesoing  que  ainsi  soit, 
Car  depuis  que  cy  arrivasmes 
Nous  ne  beusmes  ne  ne  niangeastties, 
Et  est  près  que  soleil  couchant. 

(Icy  vont  Jésus  et  ses  Apostret  en  Béthanie  rftf* 
Marthe,  et  Judas  demeure  derrière.) 

IL  Le  Murmure  de  Judos. 

«  Judr.s  qui  reste  seul  fait  quelques  ré- 
flexions sur  l'étal  qu'il  a  embrassé  en  de- 
venant disciple  de  Jésus.  Comme  ce  n'est 
pas  les  vues  de  son  salutqui  le  conduisent, 
et  qu'il  ne  songe  qu'à  son  intérêt  temporel, 
il  comprend  que  les  rapines  qu'il  exerce  ne 
peuvent  pas  beaucoup  l'enrichir,  <t  qu'il 
ne  saurait  amasser  de  grosses  sommes  en. 
suivant  ce  parti  ;  c'est  pourquoi  il  se  ré- 
sout à  le  quitter  au  plus  tôt  et  à  travailler 
sérieusement  à  sa  fortune.  » 

III.  De  Jésus  et  de  Marthe. 

(Icy  est  traictée  la  complainte  que  (il  Marthe  à  Jésui 
de  sa  sœur  Magda'.aine,  combien  que  selon  le  texte 
de  l'Evangile,  ce  fut  avant  le  Dimenche  des  Ha- 
meaux; et  se  atterra  Jésus,  et  Marthe  servira  de 
boire  et  de  manger.  Nostre-Dame  et  Lazare  seront 
assis  à  table,  mais  Magdaleine  sera  assise  à  terre 
près  de  Jésus  :  cl  est  a  noter,  aue  on  ne  i,erl  <jite  di 
poisson  et,  de  beure.) 

«  Jésus  et  ses  apôtres  font  de  grands  re- 
merciements à  Marthe  pour  les  peines  et  les 
soins  qu'elle  prend;  elle  se  plaint  à  Jésus 
de  ce  qu'étant  si  occupée,  sa  sœur  Made- 
leine reste  sans  rien  faire  et  la  laisse  char- 
gée de  tout  l'embarras.  Jésus  la  reprend 
avec  douceur,  et  lui  dit  que  Madeleine  a  rai- 
son d'en  user  ainsi  :  Marthe  n'insisle  pas 
davantage. 

MARTHE 

Vive  donc,  comme  elle  vouldro, 
Mais  le  plaise  accepter  sans  vice 
Le  mien,  comme  le  sien  service; 
El  supplier  (317)  mon  ignorance. 

IN".  Les  Complaintes  de  Nostre-Dame. 

(Icy  se  tievenl  tous,   et    dyenl  grâces  :  Après  giaca 


m 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MïSTEKES. 


PAS 


7G0 


aides,  Jésus  et  yjstre-Damc  se  tirent  eulx  deux  à 
pais  assez  loing.) 

«  Notre-Dame  a  un  long  entretien  avec 
Jésus  sur  la  mort  qu'il  veut  endurer;  elle 
veut  rengager,  puisque  la  chose  est  en  son 
pouvoir,  à  diminuer  ses  souffrances;  mais 
Jésus,  qui  veut  éprouver  tous  les  maux  aux- 
quels noire  nature  est  sujette,  lui  déclare 
que  rien  ne  peut  changer  sa  résolution.  » 

{Icy  se  déparlent  Jésus  cl  Noslre-Dame  d'ensemble, 
et  vient  Jésus  aux  Aposlres.) 

V.  Figuier. 

(Icu  demeure  Noslre-Dame  avecqv.es  Marthe  ci  Slug- 
dalcine,  cl  Jésus  et  ses  Aposlres  s'en  veut  en  Hiéru- 
salcm  ,  et  en  allant  va  veoir  le  Fiquier  vlain  de 
feuilles  seulement.) 

«  Jésus,  se  sentant  pressé  delà  faim,  s'ap- 
proche de  ce  figuier,  et  y  ayant  cherché  du 
fruit  inutilement,  il  lui  donne  sa  malédic- 
tion. 

(Icy  s'en  vont  Jésus  et  les  Aposlres,  et  après  qiïilzsont 
bien  loinrj  l'arbre  demeure  tout  sec.) 

«  Les  scrihes  et  les  pharisiens  se  ras- 
semblent encore  et  prennent  la  résolution 
d'aller  entendre  Jésus,  pour  lâcher  de  le 
surprendre  en  quelque  erreur.  » 

VI.  Interrogation  de  Jésus. 

(Icy  vont  tous  au  Sermon  de  Jésus.) 

«  Lorsque  Jésus  a  prêché  quelque  temps, 
Caïphe,  pour  interrompre  un  discours  qui 
l'importune,  lui  demande,  à  dessein  de  l'em- 
barrasser, par  quel  pouvoir  il  fait  tous  ces 
miracles.  Mais  Jésus,  qui  connaît  la  malignité 
de  cetle   question,   lui  dit  qu'il  le  satisfera 
lorsqu'il  lui  aura  répondu  si  la  prédication 
de  Jean  vient  de  Dieu  ou  des  hommes.    Le 
pontife  interdit  demande  du  temps  pour  ré- 
pondre,   et  après    qu'il    s'est    retiré,   il   va 
consulter  les  docteurs  de  la  Loi.  La    chose 
souffre  bien  des    difficultés,  car  d'un  coté 
s'ils    reconnaissent    la   vocation    de    saint 
Jean,  ils  se  condamnent   eux-mêmes;    s'ils 
la    rejettent,    ils    se  voient    exposés  à    la 
haine  do  tout  le  peuple,  qui  a  une  vénéra- 
tion   singulière    pour  ce    grand    prophète. 
Ainsi,  ne  sachant  quel  parli  prendre,   Elia- 
cliim,  l'un  des  pharisiens,  conseille  de  ré- 
pondre qu'ils  n'en  savent  rien.  Caïphe  suit 
cet  avis,  mais   il   est   bien   étonné  lorsque 
Jésus  lui  réplique  que,  puisqu'il  ne  donne 
aucune  solution  sur  la  question   qu'il  vient 
de  proposer,  il  se  croit  dispensé  de  répondre 
à  la  sienne.  Caïphe  et  les  princes  de  la  Loi, 
voyant    ensuite   que  Jésus  continue  à  leur 
reprocher  leurs  vices,  se  retirent,  et   Jéro- 
boam, l'un  d'eux,  suggère  un   moyen  pour 
tenter  le  Seigneur,  qui  est  de  lui  demander 
ce   que  l'on  doit  faire    touchant  l'édit  que 
César  vient  de  faire  publier  pour  les  tributs. 
Ce  conseil  plaît  à  l'assemblée,  qui  dépêche 
Nathan,  Naehor,  Joâthan   Phares  et  Abiron 
pour  l'exécuter.  Mais,  bien  loin  d'y  réussir, 
ils  sont  contraints  de  s'en  retourner  rem- 
plis de  confusion.    Lnsuile  Jésus    sort    du 
temple  avec  ses  a;  ôtres  et  prend  le  chemin 


de  Réihanie  :  en  passant  ils  voient  te  figuier 
sans  aucune  verdure,  portant  les  marques 
de  la  malédiction  du  Seigneur.  » 

VII.  Enfer. 

«  Tant  ne  victoires  que  Jésus  remporte 
sur  les  scribes  et  les  pharisiens,  le  nombre 
de  miracles  qu'il  opère  continuellement, 
jettent  l'enfer  dans  une  consternation  ex- 
trême. Lucifer  s'en  prenant  à  Satan,  qu'il 
soupçonne  de  n'avoir  pas  bien  fait  son  de- 
vi, ir,  l'accable  d'injures,  et  quoiqu'il  affirme 
par  serment  que  ce  n'est  pas  sa  faute,  ce 
cruel  monarque  l'abandonne  aux  fureurs  de 
ses  compagnons;  il  ne  sort  de  ce  tourment 
qu'en  promettant  d'aller  avec  deux  autres 
démons  tenter  Judas  et  les  pharisiens,  et 
les  engager  à  perdre  Jésus.  Ces  trois  es- 
prits sortent  des  enfers  pour  obéir  à  cet 
ordre.  » 

VIII.  La  Trayson  de  Judas. 

«  Satan,  Belzébuth  et  "Bérith  ont  trop 
grand  intérêt  à  exécuter  leur  commission 
pour  ne  s'en  pas  acquitter  de  tout  leur  pou- 
voir. D'abord  ils  s'adressent  à  Judas,  et  pro- 
fitant des  coupables  intentions  de  ce  scé- 
lérat, qui  a  déjà  envie  de  quitter  son  maître, 
ils  lui  suggèrent  le  dessein  de  le  trahir  et 
de  se  récompenser,  par  ce  moyen,  du  profit 
qu'il  aurait  retiré  si  on  lui  avait  remis  l'ar- 
gent qu'a  coûté  le  parfum  répandu  par  Ma- 
deleine. Ils  lui  représentent  le  bonheur  dont 
il  jouira  en  acquérant  ces  richesses,  et  en 
même  temps  que  l'amitié  des  princes  de  la 
Loi  (qui  ne  manqueront  pas  de  lui  accorder 
leur  protection)  est  préférable  à  la  vie  pé- 
nible et  laborieuse  qu'il  a  menée  à  la  suite 
de  Jésus.  Toutes  ces  promesses  ne  peuvent 
que  faire  un  sensible  effet  sur  Judas;  l'ava- 
rice et  l'espoir  de  se  venger  sont  deux  pas- 
sions trop  fortes  pour  ne  pas  entraîner  un 
cœur  corrompu  comme  le  sien;  il  enlro 
dans  les  sentiments  que  lui  inspirent  ces  es- 
prits malins  et  se  détermine  aisément  à  les 
suivre. 

«  Ces  trois  démons,  satisfaits  de  celte  pre- 
mière démarche,  ne  tardent  pas,  pour  ache- 
ver ce  qu'ils  ont  entrepris,  d'aller  trouver 
Caïphe  et  les  pharisiens,  qui  sont  assemblés 
et  songent  aux  moyens  de  perdre  Jésus  à 
quelque  prix  que  ce  soit,  ne  pouvant  plus 
soutenir  les  sanglants  reproches  dont  il  les 
accable;  Satan  et  ses  deux  compagnons  les 
fortifient  dans  celte  pensée,  et  Judas  en  ai  ri- 
vant les  y  trouve. 

(/cy  arrive  Judas  au  Conseil  des  Juifz,  et  snns  faire 
pause,  vient  parler  à  eulx.) 

JUDAS. 

Seigneur,  jesçai  liicn  que  vous  flirtes, 
Il  ne  fauli  jà  t;«ni  sermonner  : 
Dictes  que  me  voulez  donner, 
El  je  le  vous  baillcray. 

A.VNC 

judas  ! 
Il  semble  que  lu  scès  le  cas. 

«  Tu  le  fais  donc  fort,  conlinue-t-il,  do 
«  nous  livrer  Jésus?—  Oui,  je  vous  le  pro- 


'G! 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEKLS. 


PAS 


702 


«  mois,  répond  Judas.  »  Lo  marché  n'est 
pas  longtemps  à  se  conclure.  Ils  conviennent 
donc  a  trente  deniers  pour  livrer  Jésus. 
Mais  comme  Judas  veut  être  payé  par 
avance,  Anne  lui  jette  sa  bourse  où  est  jus- 
tement cette  somme,  et  que  l'auteur  a  voulu 
rendre  recommamlable  par  les  vers  qu'il  met 
dans  la  bouche  d'Anne  : 

ANNE. 

Tien  donc  Judas,  pian  ceslc  bource  : 
Velà  (renie  deniers  d'argent 
Qui  ont  passé  par  maint  genl, 
Dont  Joseph  fut  jadis  vendu. 

«  Judas  relève  celte  bourse  de  terre  et  la 
met  dans  sapoohe,  en  réitérant  la  promesse 
qu'il  vient  de  faire;  pourvu,  ajouta-t-il,  que 
de  leur  côté  ils  aient  le  soin  de  se  munir 
d'une  bonne  troupe  de  gens  armés.  On  lui 
dit  qu'il  n'a  que  faire  de  se  mettre  en  peine 
à  se  sujet  et  qu'on  y  pourvoira. 

«  D'un  autre  côté,  Jésus  et  ses  apôtres 
quittent  Béthanie  après  avoir  pris  congé  de 
Notre-Dame  et  des  autres  femmes,  qui  «  se 
vont  mettre  comme  en  oraison  »  et  prennent 
la  roule  de  Jérusalem. 

«  Pour  revenir  à  Satan,  il  est  bon  de  re- 
marquer qu'il  reste  toujours  sur  la  scène 
jusqu'à  la  mort  de  Jésus-Christ,  excepté 
quelques  voyages  qu'il  fait  aux  enfers  pour 
instruire  sou  roi  du  succès  de  son  entre- 
prise. A  l'égard  de  Belzébulh  et  de  Bérith, 
ils  retournent  aux  enfers.  » 

IX.  La  Cesne  de  Jésus 

;<  Zachée  père  de  famille,  autrement 
«  nommé  Landulphe,  disciple  occulte  de 
•<  Jésus,  »  se  prépare  à  faire  la  Pàque  sui- 
vant l'usage  des  Juifs.  En  môme  temps  il 
ordonne  à  Tubal  son  valet  d'aller  chercher 
de  l'eau.  Tubal  va  à  la  fontaine  probalique, 
et  après  avoir  puisé  de  l'eau,  il  se  ressou- 
vient qu'étant  paralytique  depuis  trente- 
huit  ans,  il  avait  eu  le  bonheur  de  rece- 
voir la  guérison  auprès  de  cetle  même  fon- 
taine, et  touché  de  reconnaissance,  il  en 
rend  grâces  à  Dieu  et  à  son  bienfaiteur. 

(Icy  puise  Tubal  de  Te. ni,  puis  s'en  retourne.) 

«  Saint  Pierre  et  saint  Jean,  à  qui  Jésus  a 
ordonné  de  suivre  une  personne  qu'ils 
verront  portant  de  l'eau,  ayant  aperçu  Tu- 
bal avec  son  vase,  marchent  sur  ses  pas  et 
entrent  avec  lui  dans  la  maison  de  Zachée, 
à  qui  ils  disent  que  Jésus  leur  a  commandé 
de  lui  annoncer  de  sa  part  qu'il  veut  faire 
ce  même  soir  la  Pàque  avec  lui. 

Luy  et  ses  douze  commenssaulx. 

"  Zachée  les  remercie  fort  et  dit  qu'il  re- 
çoit cet  honneur  avec  joie.  Aussi  toi  les  deux 
apôtres  se  mettent  en  devoir  d'apprêter  lout 
ce  qu'il  faut  pour  le  repas. 

(Icy  dressent  Sninct  Pierre  et  Saificl  Je/uni  tu  table  el 
la  tonaiHe,  et  des  fouasses  dessus,  avecques  deslaic- 
tues  vertes  en  des  plats  lurquins,  et  ubillcnl  l'Ai- 
ijneau  Pascal.) 

Cependant  Judas,  craignant  qu'on  ne  le 


soupçonne,  vient  rejoindre  les  autres  disci- 
ples; «  car,  dit-il,  si  je  m'éloigne,  on  se 
«  doutera  peut-ôlro  de  quelque  chose,  et 
«  l'on  pourrait  bien  à  la  tin  découvrir  ma 
«  trahison  ;  mais  voici  ce  que  je  vais  faire 
«  pour  empêcher  que  cela  n'arrive.  » 

JUDAS. 

Et  sonbzfainté  dévocion 
Celer  ma  traîtresse  entreprise, 

El  pour  ce,  nie  failli  par  fanilise 
Simuler  le  «loti Ix,  le  bigot, 
Le  bon  preiid'homine,  le  dévot, 
Que  l'on  ne  se  deffie  de  moy. 

Après  que  saint  Pierre  et  saint  Jean 
tout  préparé,  comme  ils  ne  voient  point 
ver  Jésus,  ils  commencent  à  s'impalien- 


« 
ont 
arri 
ter. 


SAINCT    HERRF. 

Viengné  hardiment  nostre  Maistre. 
Quant  il  lui  plaira,  tout  est  prest. 

SAINCT  JEHAN. 

Je  ne  sçay  d'où  vient  cet  arrest 
Qu'il  n'est  venu? 

SAINCT  P1FRRE. 

I.a  place  est  prin.se, 

Le  vin  lire,  la  laide  mise, 
L'Aigneau  rosty,  la  satilce  faicie, 
Il  lie  failli  sinon  qu'on  se  nielle 
A  table,  elc. 

«  Enfin  Jésus  arrive,  et  Zachée  fait  servir 
promptenient.  Avant  de  se  mettre  à  table,  on 
dit  Dcnedicite. 

(Icy  rompt  Jésus  un  g  pain  par  le  meitieu  ;  et  est  à 
noter  que  ions  1er,  Apostres  se  chaussent  de  sotiers 
blancs,  et  se  ccynent  de  baudriés,  et  ont  unq  bour- 
don au  poing  :  a  sur  la  table  n'y  a  point  de  pain, 
sinon  petites  fouaces,  el  des  laiaues  en  trois  plalz, 
el  mangeront  Itaslivement. 

«  Un  peu  avant  que  de  manger  la  Pàque, 
les  apôtres  moralisent  sur  cetle  fôle  mysté- 
rieuse, qui  leur  rappelle  la  mémoire  des 
bonlés  que  Dieu  a  eues  pour  leurs  pères 
en  les  retirant  de  la  servitude  de  l'E- 
gypte. » 

(Icy    menguent    Jésus ,  cl    tous     le  Apostres   l'Ai- 
gneau.) 

X.  Assemblée   des  Tyrans. 

«  Anne,  qui  a  promis  à  Judas  de  rassem- 
bler un  bon  nombre  de  gens  bien  armés, 
envoie  son  messager  Maucourant  pour  en 
amener  le  plus  qu'il  pourra.  Pendant  que 
Maucourant  va  de  côté  et  d'autre  pour  en 
trouver,  arrivent  les  six  tyrans  d'Anne  et 
de  Caïphe  cherchant  à  pouvoir  faire  quelque 
capture.  Heureusement  pour  eux  le  mes- 
sager d'Anne  les  rencontre  fort  à  propos  : 
il  leur  dit  de  venir  avec  lui  pour  quelque 
chose  de  conséquence,  et  les  emmène;  en 
chemin  il  aperçoit  (Jrongnart,  le  serviteur 
d'Hérode,  le  geôlier  Brayault  et  un  char- 
pentier, qui  lui  demandent  où  il  va  si  bien 
accompagné,  et  s'il  y  a  quelque  chose  à  ga- 
gner :  «  Oui,  répond  Maucourant,  la  [irise 
«  est  bonne   et    sera   bien   payée.  —  Nous 


7C3  PAS  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

x'en  sommes,  dit  Grongnart.  —  Suivez-moi 
i  donc,  »  réplique  Maucourant.  » 

XI.  La  Ccne  de  Jésus. 


PAS 


?SI 


[Icy  se  lieve  Jésus  de  table,  et  les  Aposlres  demeurent 

assis.) 

«  Jésus  se  prépare  à  faire  la  Cène. 

(Icy  se  despoil  le  Jésus  de  sa  robe,  et  demeure  en  une 
robe  blanche  qui  est  comme  une  longue  jaquette,  et 
ceincl  d'ung  cuuvrecliej  ,  puis  verse  de  l\'aue  dam 
ung  bacin.) 

JÉSUS. 

Je  vuei!  en  ce  bacin  verser 

De  l'Eiiue  pour  vous  laver  à  lotis 

Les  pietlz. 

SAINCT  JACQUES. 

Sire,  que  faicies  vous?  etc. 

[Icy  se  lièrent  tous  les  Apostres  de  la  table,  et  se  as- 
sieut  de  renc  sur  une  longue  selle,  et  oslent  leurs 
souliers,  et  se  mettront  tous  en  l'ordre  qu'ils  par- 
lent ci-après.  Puis  se  met  Jésus  j  genoulx  devant 
Sainct  Pierre  pour  lajer  les  piedz.) 

«Sainl  Pierre  protesteà  Jésus  qu'il  ne  souf- 
frira pas  qu'il  lui  lave  les  pieds;  le  Seigneur 
lui  répond  qu'il  faut  que  cela  se  fasse  ainsi,  et 
lui  ordonne  d'obéir.  Saint  Pierre  reçoit  avec 
humilité  l'honneur  que  Jésus  lui  fait.  Voici 
l'ordre  dans  Ipquel  ils  sont  assis;  saint 
Pierre,  saint  André,  Judas,  saint  Jean,  saint 
Jacques  Majeur,  saint  Simon,  saint  Jude, 
saint  Jacques  Mineur,  saint  Matthieu,  saint 
Philippe,  saint  Barthélémy,  saint  Thomas. 
Après  que  Jésus  leur  a  lavé  et  essuyé 
Jcs  pieds,  il  leur  commande  de  se  lever. 

(Icy  se  lièrent  tous  les  Apostres  surboul,  et  Jésus 
parle  à  eux. 

«  Le  Sauveur  leur  ordonne  de  suivre  son 
exemple,  et  surtout  d'imiter  son  humilité, 
et  d'en  user  ainsi  les  uns  envers  les  autres; 
ensuite  il  se  dispose  à  leur  donner  des  mar- 
ques plus  éclatantes  de  sa  bonté. 

(Icy  failli  entendre  que  les  Aposlres  osteront  tout  des- 
sus la  table,  et  tiy  demourera  que  la  touaille,  et 
puis  y  mettront  ung  Calice  au  milieu  des  Hosties  ; 
et  est  à  entendre  que  les  Aposlres  se  assiéront  en 
rentre  qui  est  cy  déduire.) 

JÉSUS. 

S.  Jehan.  S.  Pierre.  S.  André. 

S.  Jacques  Major.  S.  Symon 

S.  Matthieu.  S.  Jude. 

S.  Philippe.  S.  Thomas. 

S.  Jacques  Minor.  S.  Barthélémy.  Judas 

«  Après  quelques  instructions,  Jésus  se 
lève. 

(Icy  prend  Jésus  une  Hostie  ,   et  la  lient  à  la  main 
gauche,  et  met  la  main  dextre  dessus.) 

«  Jésus  donne  la  sain'e  communion  a 
ses  apôtres,  qui  chacun  en  particulier  lui 
en  témoigne  sa  reconnaissance. 

JÉSUS. 

Je  seray  livré  cesie  imyt, 
Et  Pung  »le  vous  qui  estes  assis 
A  cosie  table,  et  qui  a  mis 
La  main  au  plat  avec  moi; 
Me  irayra. 


SAINCT  JACQUES  MAJOR. 

Esse  poin  moy? 

SAINCT  JEHAN. 

Et  moy  aussy? 

SAINCT    PIERRE. 

Ou  moy  qui  suis  icy  assU? 

SAINCT  ANDRÉ. 

Esse  moy? 

SAINCT    SYMON. 

Suis-je  point  celuy  ? 

SAINCT   JUDE. 

Esse  point  moy? 

SAINCT  THOMAS. 

Ou  moy  aussy 

JUDAS. 

Nunquid  ego  sum  Iîaby? 
Nesse  point  moy,  Maislre? 

JÉSUS. 

Tu  le  dis. 

SAINCT  BARTHÉLÉMY. 

Esse  moy  ? 

SAINCT  JACQRES  MINOR. 

Ou  moy  aussy  ? 

SAINCT  PHILIPPE. 

Ou  moy  qui  suis  icy  assis? 

(Icy  s"  encline  Sainct  Jehan  sur  la  poitrine  de  Jésus, 
et  Jésus  baille  ung  morceau  de  pitin  à  JudasA 

IÉSUS. 

Judas  Scarioth, 
Ce  que  tu  fais,  fay  le  plus  lost, 

Car  l'heure  approche. 

JUDAS. 

De  ta  main 
Je  prondray  ce  morceau  <le  pain. 
El  mascheray  cesle  bouchée. 
(Icy  masche  Judas  una  morceau  de  pain,  eteepend  ut 
il  se  fait  une  lempesle  en  Enfer,  et  vient  Sathan  le 
saisir  au  corps,  par  derrière,  et  luy  sort  ung  diable 
faincl  sur  les  espaules.) 

«  Judas  dit  qu'il  va  à  Jérusalem  pour 
quelque  affaire  importante  et  qu'il  revien- 
dra bientôt.  » 

(Icy  va  Judas  en  Jhérusalem.) 

XII.  De  la  Trayson  de  Judas. 

«  Judas  sent  quelques  remords  de  cons- 
cience que  la  coupable  action  qu'il  va  com- 
mettre lui  inspire;  Satan,  Belzébuth  et  Bé- 
rith,  craignant  do  perdre  en  un  instant 
toutes  les  peines  qu'ils  ont  prises  à  cor- 
rompre son  cœur,  redoublent  leurs  efforts, 
et  lui  représentent  qu'il  s'est  trop  engagé 
pour  pouvoir  se  dispenser  de  remplir  sa 
parole,  surtout  ayant  reçu  le  payement  de 
son  salaire.  Judas,  après  avoir  balancé  quel- 
que temps,  se  raffermit  dans  le  malheureux 
parti  qu'il  a  embrassé,  et  veut  satisfaire  a  sa 
parole  quoi  qu'il  puisse  lui  en  coûter. 

11  ne  me  chault  d'estre  damné, 
dît-il  en  s'en  allant. 

(Icy  s'en  va   Judas  guérir  la  cohorte  des   Juifx,  tt 
Sainct  Jehan  se  lieve  de  dessus  la  poitrine  de  Jésus.) 

«  Le  repas  fini,  Jésus  et  ses  apôtres,  après 


705 


PAS 


DICTIONNAIRE  DFS  MYSTERES. 


TAS 


766 


avoir  dit  grâces,  Caniemw,  etc.,  remer- 
cient Zachée  et  prennent    congé  de  lui.  » 

(Icy  s'en  va  Jésus  el  ses  Apostres.) 

XIII.  La  prinse  de  Je'sus. 

«  Jésus  déclare  à  sesapôlres  qu'ils  vont 
bientôt  l'abandonner;  suint  Pierre  lui  pro- 
teste que  la  mort  seule  pourra  le  séparer 

de  lui,- tous  les  apôtres  lui  t'ont  une  pareille 
protestation.  Au  bout  de  quelque  temps, 
Jésus  leur  dit  qu'il  veut  aller  au  jardin 
d'Olivet,  et  prenant  pour  l'accompagnet 
Pierre,  Jacques  et  Jean,  il  laisse  les  autres 
derrière  lui. 

(Icij  cheminent  Jésus  el  ses  trois  Apostres  ung  petit 
loing.) 

«  Le  Seigneur  dit  à  ces  derniers  de 
le  laisser  seul,  et  qu'il  veut  l'aire  sa  prière. 

(Icy  chemine  Jésus  ung  peu  arrière  de  ces  troys  Apos- 
tres, el  se  jette  à  uenoulx  le  visage  contre  terre, 
jusques  à  ce  qu'il  face  sit  première  Oraisun.) 

«  D'un  aulre  côté,  Caïphe  demande  si 
tout  le  monde  est  prêt  à  partir  (318).  On  lui 
dit  que  oui.  Cette  troupe  est  composée 
d'Anne,  des  six  pharisiens,  îles  quatre 
scribes,  de  Phares,  Nembrolh,  Salmanazar, 
Emélius,des  six  tyrans  d'Anne  el  de  Caïphe, 
des  quatre  de  Pi  la  te,  de  Grongnart,  Brayault 
et  le  charpentier;  et  enfin  de  Judas,  qui  sert 
de  guide.  On  demande  à  ce  dernier  s'il  est 
temps  de  marcher.  Judas  répoid  qu'on  n'a 
qu'a  le  suivre,  et  qu'il  faut  aller  au  jardin 
d'Olivet,  où  il  sait  bien  que  son  maître  ne 
manquera  pas  de  se  rendre.  Comme  c'est  la 
nuit  et  qu'il  faut  des  flambeaux,  Grongnart 
et  Malchus  courent  en  demandera  Hédroit, 
la  servante  d'Anne. 

(Jcy  s'enionl  Grongnart  et  Malchus  parler  à  la  vieille 
Hédroit.) 

MALCHUS. 

Hédroit,  liaull? 

HÉDROIT. 

Qui  va  là? 

HALCHOS. 

Deux  motz. 

HÉDROIT. 

Que  diable  vous  faut  il  si  tari? 

Qui  esse? 

GRONGNART. 

Malchns  et  Grongnart, 

Deux  des  plus  grans  de  vos  amis. 

HÉDROIT. 

Pendu  soit  qui  vous  a  là  mis, 
ot  qui  vous  iiyinc  mieulx  que  moy  '. 
Quelz  a«ijg,  pour  faire  ung  desroy  (319), 
Loges  lelz  liosies  pivs  de  vous? 

GRONGNART. 
Mon  beau  petit  musequh)  doulx 
Ouvrez  nous  rimys,  ma  dmilce  amye. 

«  Hédroit,  perdant  patience,  répond   par 

(318)  Cesie  assemblée  se  fait  à  Jérusalem. 

(3U))  Désordre. 

(320)  Nous  avons  vu  ci-Jevant.  au  xiv  irvslèrc 


un  torrent  d'injures  que  nous  ne  jugeons 
pas  à  propos  de  transcrire  ici.  Malchus  et 
son  camarade,  après  avoir  riposté  par  quel- 
ques vives  reparties,  jugent  bien,  parla  ré- 
ponse d'Hélroit,  qu'elle  est  fort  en  Irain  de 
leur  dire  des  injures  et  qu'ils  [tasseraient 
là  la  nuit  avant  que  de  les  épuiser,  et 
voyant  d'un  autre  côté  que  le  temps  presse, 
ils  prennent  le  parti  de  l'amener  parla  dou- 
ceur. 

GRONGNART. 

Ne  faisons  plus  icy  la  lieslc  : 
Hédroit,  ma  doulce  seur,  ma  n.yr>, 
Entendez  à  moy,  je  vous  prie? etc. 

«  Ensuite  il  dit  qu'ils  viennent  chercher 
des  flambeaux  pour  éclairer  la  troupe  qui 
vase  saisir  de  Jésus,  Aussitôt  qu'Hédroit 
apprend  que  c'est  pour  Jésus,  elle  court 
promptement. 

(Icy  s'en  va  Hédroit  quérir  torches,  fullos  el  lanternes.) 

«  Et  peu  après  elle  revient  avec  cet 
équipage,  et  s'offre  même  à  les  accompa- 
gner et  de  marcher  la  première  avec  son 
flambeau. 

(Icy  s'en  vont  devers  tes  Seigneurs,  el  aportent  grant 
nombre  de  torches,  fallos  et  lanternes.) 

«  Lorsqu'ils  sont  arrivés,  Judas  les  dis- 
pose dans  l'ordre  où  ils  doivent  être 

(Icy  fait  mettre  Judas  les  gens  d'armes  en  bataille  en 
deux  esles.) 

«  Lorsque  les  deux  pontifes,  les  scribes 
et  les  pharisiens  voient  tout  en  état,  ils  se 
retirent,  ne  jugeant  pas  à  propos  de  se 
trouver  à  la  prise  do  Jésus,  craignant  d'y 
recevoir  quelques  coups. 

(Icy  s'en  vont  les  Scribes  el  Pharisiens.) 

«  Judas  avertit  ceux  de  sa  troupe,  qu'en- 
tre les  apôtres  de  Jésus  il  y  en  a  un  qui  lui 
ressemble  si  fort,  qu'ils  pourraient  s'y  mé- 
prendre (320)  :  c'est  pourquoi,  ajoute-t-il, 
saisissez  celui  que  je  baiserai,  et  à  qui  je 
dirai  Ave  Raby,  et  vous  ne  uourrez  vous 
tromper,  car  ce  sera  Jésus. 

(Icy  eheminent  tons  par  ordre,  comme  secrètement  à 
la  ville  :  à  tout  la  lanterne  va  devant  assez  loing,  Ju- 
das va  après  qui  a  ung  baslon  à  son  poing,  et  tous 
les  autres  par  ordre,  el  Jésus  est  seul  en  oraison.) 

(Icy  se  lieve  d'oraison,  et  vient  à  ses  trois  disciples.) 
«  Il  les  voit  endormis  et  leur  reproche  de 
sôlre  laissé  abattre  par  le  sommeil,  et  leur 
ordonne  de  craindre  les  tentations  qui  les 
peuvent  surprendre  pendant  ce  temps  si  fa- 
vorable aux  assauts  du  démon. 

(Icy  s'en  retourne  Jésus  à  son  lieu  faire  la  seconde 
oraison.) 

«  Lorsqu  elle  est  finie,  il  revient  trouver 
ses  apôtres,  et  les  apercevant  dans  la  môme 
situation,  il  leur  réitère  les  mêmes  con- 
seils. 

(Icy  retourne  à  ses  disciples  qui  aorment.) 

de  la  première  journée,  (pie  saint  Jacques,  t5t  le  Mi- 
Bor,  porte  un  habillement  pareil  à  celui  de  Jésus,  et 
qu'il  lui  rcsseml  le. 


DICTIONNAIRI 


Ibl  PAS 

«  Jl  leur  dit  de  veiller,  parce  que  le 
temps  ordonné  approche;  ces  apôtres  s'ex- 
cusent sur  le  chagrin  et  la  lassitude  qu'ils 
ont,  qui  leur  cause  un  si  grand  assoupisse- 
ment. 


MYSTERES. 


PAS 


7G8 


SAINCT    PIERRE. 

Le  dormir  si  iresfort  me  grefve 
Que  à  peine  nie  puis  esveijlcr. 

SAINCT    JEHAN. 

C'est  d'ennuis  et  de  desplaisir 
Que  ec  graîit  somme  nous  abal. 

«  Jésus  fait  sa  troisième  oraison,  et  après 
qu'il  a  un  peu  prié,  il  «  sue  sang  par  le  vi- 
sage. »  Dieu  le  Père  entend  sa  voix,  mais  il 
dit  qu'il  est  nécessaire  que  toutes  ces  choses 
s'exécutent.  Saint  Michel,  Raphaël  et  Uriel 
le  supplient  de  vouloir  modérer  ces  souf- 
frances, et  Dieu  leur  ordonne  d'aller  conso- 
ler son  tils. 


(Icy  descendent  les  Anges,  et  viennent  devers  Jésus. 

Ces  trois  anges   viennent  consoler  Jé- 
,  après  quoi  ils  remontent  au  ciel. 


« 
sus 


[Icy  s'en  retournent  les  Anges,  et  Jésus  vient  à  ses 
troys  disciples.) 

«  Jésus  leur  ordonne  de  ne  plus  dormir, 
t3;.  leur  dit  qu'il  est  temps  d'aller  rejoindre 
leurs  compagnons.  Il  les  ramène  avec  les 
autres,  et  s'étant  assis  auprès  d'eux,  au 
bout  de  quelque  temps  il  leur  dit  de  se  le- 
ver et  de  le  suivre. 


{Icy  se  lièrent  tous  les  Apostres,  et  Jésus  chemine  de- 
vant à  rencontre  de  Judas,  et  vient  Judas  baiser 
Nostre-Seianeur  au  Jardin  ;  et  es!  à  noter  que  loue 
la  cohorte  demeure  assez  loiug.) 

JUDAS. 

Ave  Raby  : 
Maistre,  en  honneur  soyez  maintenu. 

JÉSUS. 

Amice  ad  quid  venisli  ? 
Amy,  à  quoy  es-lu  venu? 
Judas,  par  ung  baiser  polu 
Tu  trahis  cy  le  Fils  de  l'Homme. 

(Icy  approche  toute  la  cohorte  près  de  Jésus.) 

«  Il  leur  demande  ce  qu'ils  cherchent. 

(Icy  nimbent  tous  à  terre  à  revers  (52!),  et  Judas  aussi 
pareillement.) 

«  Jésus  leur  demande  une  seconde  fois 
ce  qu'ils  cherchent,  et  que  si  c'est  Jésus, 
c'est  à  lui-même  qu'ils  parient. 


MALCHUS. 

Voysent  au  gibet  les  Apostres, 
Puisque  avons  empoigné  le  Malsire. 

SAINCT  PIERRE. 

Si  aurez  vous  pour  me  connoislre 
Ce  cop  bien  assis  de  ma  main. 
(Icy  frappe  Saincl  Pierre  sur  la  leste  de  Malchus,  et 
luy  abat  l'oreille.) 

malcuus  chet  à  terre. 

Je  suis  blecé  ;  ho!  le  hauli  Dieu' 
A   malleheure  vins  en  ce  Ken, 
Car  navré  me  sens  à  merveille  : 
Hélas!  on  m'a  couppé  l'oieille, 
Hélas!  j'ay  l'oreille  perdue, 
Pas!  on  m'a  l'oreille  abattue. 


Jésus 
guéri  I 


ayant  pitié  du    mal   de   Malchus 
et   fait    une   réprimande  à  saint 
Pierre,  en  lui  disant  que  ceux  qui  se  servi- 
ront de  l'épée  en  périront. 

(Icy  s'approche  Malchus  de  Jésus,  et  Jésus  lui  garit 
r  oreille.) 


Jcy  cheenl  derecliief  tous  comme  devant.) 

«  Enfin  Notre-Seigneur  leur  ayant  or- 
donné de  se  lever,  leur  déclare  que  c'est 
lui  qu'ils  demandent  et  qu'ils  peuvent  l'em- 
mener. A  ces  mots  ious  ces  archers  se  jet- 
lent  sur  lui;  et  s'étant  saisis  du  maître, 
ils  veulent  en  faire  autant  de  ses  disci- 
ples. 

BRAVART. 

Ne  reste  plus  que  de  frapper 

Sus  ces  villains,  ilz  sont  tous  nostres. 

(321)  A  revers,  c'est  à-dire  à  la  renverse,  couchés 
qui  est  dans  l'exemplaire  que  nous  avons  suivi. 


) 

«  Cet  ingrat  satellite,  au  lieu  de  remer- 
cier son  bienfaiteur,  lui  promet  de  le  battre 
de  toutes  ses  forces. 

(Icy  mainent  Jésus  tout  lyé,et  Hédroil  va  la  première, 
et  ta  moitié  des  Juifz  devant  Jésus  •  et  Vautre 
après.) 

«  En  conduisant  Jésus,  ces  archers  l'acca- 
blent de  coups  et  d'injures.  » 

XIV.  La  Fuyte  des  Apostres. 

(Cependant  que  on   mai  ne  Jésus  chez  Anne,  tes  Apos- 
tres sont  dispars  ça  et  là  et  font  leurs  plaintes.) 

«  La  blessure  de  Malchus  et  la  hardiesse 
de  saint  Pierre,  ayant  ralenti  l'ardeur  de  ces 
satellites,  donnent  le  temps  aux  apôtres  de 
s'enfuir  les  uns  d'un  côté  et  les  autres  de 
l'autre.  Cependant  saint  Jean,  ne  voulant 
quitter  son  cher  maître  de  vue  que  le  plus 
tard  qu'il  pourra,  le  suit  de  loin  pour  voir 
ce  qu'il  va  devenir;  comme  il  veut  s'appro- 
cher un  peu  plus  près,  les  Juifs  l'aperçoivent 
et  courent  après  lui,  mais  il  s'enfuit  de 
toutes  ses  forces. 

(Icy  chemine  Saincl  Jehan  loin  après    Jésus  couvert 
de  son  manteau,  et  puis  s'enfuyl.) 

GRONGNART. 

Prenez,  prenez,  c'esl  une  espie, 
Qui  nous  poursuit  sans  dire  mot. 

(Icy  laisse  Sainct  Jehan  son  manteau   à    Grongnart. 
et  s'enfuyl.) 

«  i^cs  Juifs,  voyant  que  leur  poursuite  est 
inutile,  retournent  rejoindre  leur  troupe.  » 

Icy  mainent  Jésus  comme  devant  est  dit,  et  cepen- 
dant Ilédroit  va  devant  garder  rituys  de  chez  Anne, 
et  ulumer  du  feu.) 

XV.  De  S.  Jehan  et  de  Nostre-Damc. 

«  Saint  Jean  ne  sachant  où  se  réfugier, 
après  la  perte  de  son  maître,  prend  le  parti 
d'aller  trouver  la  Vierge  Marie. 

(Icy  vient  Sainct  Jehan  devers  Marie  en  Delhanie.) 

sur    le  dos.    C'est     ce  que  représenta    la  figure 


/C'J 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


770 


«  Pendant  que  Noire-Dame,  Madeleine  et 
sa  sœur  Marthe  sont  inquiètes  sur  ce  qui 
peut  être  arrivé  à  Jésus,  arrive  saint  Jean, 
jjui  leur  fait  le  récit  de  ce  qui  s'est  passé, 
sans  en  rien  oublier.  Ce  discours  fait  éva- 
nouir la  sainte  Vierge;  les  autres  femmes 
font  beaucoup  de  plaintes  ;  enfin  Madeleine, 
s'apercevant  de  l'état  où  est  saint  Jean,  dit 
y  sa  sœur  qu'il  faut  y  remédier  promple- 
ment. 

MAGDAI.E1NF. 

Qu'ung  veslement  lui  soil  donne, 
Ma  seur,  ne  le  laissons  ainsi 
De  douleur  cl  de  boit  iransi. 

(Icy  apporte  Marthe  une  belle  robe  blanche  de  Damas, 
à  Saincl  Jean,  ci  il  s'en  test.) 

«  Notre-Dame,  revenue  de  son  évanouis- 
sement, pousse  une  infinité  de  plaintes; 
dans  sa  vive  douleur,  elle  s'en  prend  à  tout, 
elle  croit  tous  les  hommes  complices  du 
malheur  arrivé  à  son  fils,  et  fait  une  excla- 
marion  contre  elle-même,  ensuite  contre  les 
disciples,  qu'elle  accuse  d'une  lâcheté  ex- 
trême, d'avoir  abandonné  leur  maître.  Con- 
tre Judas,  ce  traître  qui  l'a  livré  après  tant 
de  bontés  qu'il  en  a  reçues  :  enfin  elle  en- 
gage l'assemblée  dans  ses  intérêts  ,  par  une 
Persuasion  aux  assistants,  et  finit  par  une 
Exclamacion  à  Jésus. 

(/ci/  s'en   retourne  Saincl  Jehan   en   Uiérusatem,  cl 
rencontre  Saincl  Pierre.) 

«  Saint  Jean,  se  trouvant  en  état  de  pa- 
raître, propose  à  saint  Pierre,  qu'il  rencontre, 
de  suivre  Jésus,  pour  être  témoins  de  tout 
ce  qui  lui  arrivera.  » 

XVI.  En  la  Maison  d'Anne. 

(Icy  suyvent  Saincl  Pierre  et  Sainct  Jehan  de  (oing 
Jésus,  que  Cou  maine;  et  tous  tes  Juifz  arrivent  à 
l'Ostel  d'Anne.) 

«  Nous  avons  dit  à  la  fin  du  quatorzième 
mystère,  que  la  servante  Hédroit  avait  pris 
les  devants,  et  avait  eu  soin  de  faire  un  bon 
feu.  Comme  il  fait  froid,  Salmanazar  etNem- 
brolh  viennent  s'y  chauffer;  cependant  les 
tyrans  d'Hérode  et  de  Pilatc  sont  très-cons- 
ternés de  n'avoir  pu  piller.  Ils  s'en  vont, 
prolestant  fort  de  ne  plus  se  mêler  de  choses 
de  si  peu  d'importance.  Sur  ces  entrefaites, 
saint  Jean,  qui  a  froid,  frappe  à  la  porte 
d'Anne,  et  comme  il  est  connu  de  la  ser- 
vante (parce  qu'autrefois,  pendant  qu'il  fai- 
sait son  métierde  pêcheur,  il  venait  apporter 
du  poisson  dans  cette  maison),  Hédroit  veut 
bien  le  laisser  entrer  pour  se  mettre  auprès 
du  feu.  Saint  Pierre  vient  se  présenter  à  la 
porte,  mais  tant  s'en  faut  que  cette  servante 
lui  fasse' la  même  grAce ,  qu'elle  le  rebute 
avec  toute  la  hauteur  et  la  dureté  possible. 
La  nécessité  où  se  trouve  cet  apôtre  l'oblige 
à  passer  sur  toutes  ces  insolences  sans  faire 
semblant  de  les  entendre,  et  de  renouveler 
ses  instances. 

SAINCT    PIERRE. 

Vous  plairoit-il  point  que  j'entrasse, 
Daine,  par  voire  courtoisie  ? 


hédroit. 
Que  vous  faut-il? 

sainct  pierre. 

De  vostre  grâce 
Vous  plairoil-il  que  j'entrasse? 
Il  fait  si  fi  oit,  je  nie  chauffasse? 

HÉDROIT. 

Attendez  là,  si  vous  ennuyé. 

SAINCT    PIERRE. 

Vous  plairoil  il  point  que  j'entrasse 
Dame,  par  yosU'C  courtoisie. 

hédroit. 

Rien,  rien,  vous  n'y  entrerez  mie, 
Si  de  vous  congnoissance  n'ay  : 
Dcsquelz  esies-vous  ? 

SAINCT  PIERRE. 

Je  ne  sçay  : 
En  inoy  n'y  a  pas  grand  aeqiicst. 

SAINCT   JEHAN. 

Helas,  Chambrière,  s'il  vous  plaisl , 
Laissés  l'entrer  à  ma  rcquesle; 
C'est  ung  vaillant  homme  et  honneste, 
Aussy  bon  que  vous  veisies  huy. 

HÉDROIT. 

Le  congnoissez-vous,  Jehan? 

SAINCT    JEHAN. 

Ouy  : 
Je  vous  répons  de  sa  personne. 

HÉDROIT. 

Pour  l'amour  de  vous  >e  luy  donne 
Congé  d'entrer. 

(Ici)  entre  Sainci  Pierre  dedans.) 

SAINCT    PIERRE. 

Certes,  Hédroit, 
Oncques  mes  je  n'eus  si  granl  froil, 
Je  sens  mon  cucur  si  refroly, 
Qu'à  peine  sçay-je  que  je  dy  ; 
Je  viens  céans  à  l'avanlure. 

(Icy  s  approche  Saincl  Pierre  du  feu,  cl  y   sont  tout 
les  Juifz  auprès.) 

PBARÊS. 

Ce  poure  a  si  granl  froidure, 
Qu'il  se  met  presque  jusqu'au  feu. 

HÉDROIT. 

Il  m'est  advis  que  je  l'ay  véu 
Aller  souvent  par  la  Cité. 
Homme,  viens  çà,  dy  vérité, 
Es  lu  pas  d'aveeques  celuy 
Jésus  île  Nazareth? 

SAINCT  JEHAN. 

Qui  luy  ! 

HÉDROIT. 

Voire  luy,  je  enide  qu'il  est 
Des  gens  de  Jésus  de  Nazareth  . 
Des  foys  lui  ay  vu  plus  de  dix. 

(Icy  la  première  interroyacion  Sainct  Pierre,  cl  le  coq 
citante  assés  bus.) 

SAINCT  PIERRE. 

Femme,  je  ne  sçay  que  lu  dis  : 
Je  ne  congneus  en  ma  vie, 
Ne  ne  fus  de  sa  compaignie, 
Je  ne  sçay  qui  esl  ce  Jésus. 

«  D'un  autre  côlé,  le  pontife  Anne  oroonno 
qu'on  lui  auiène  Jésus,  pour  l'interroger. 

(Icy  vient   Anne  asseoir  en   une  Chaire  parée,   et  or 
amené  Jésus  devant  luy  tout  lyé.) 

«  Anno  fait  plusieurs  questions  a  Jésu: 


771 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


772 


sur  sa  doctrine;  il  tâche  de  le  iaire  couper, 
et  de  pouvoir  lui  imputer  quelques  erreurs: 
comme  il  ne  peut  venir  à  bout  de  ses  des- 
seins, il  prend  le  parti  de  le  faire  tourmen- 
ter, et  ordonne  à  ses  tyrans  de  le  lier  à  une- 
colonne. 

(Icy  lyent  Jésus  au  pilier  tout  vestu.) 

«  Pendant  ce  temps-là  ,  saint  Pierre  est 
fort  embarrassé  ;  dans  la  crainte  qu'il  a  que 
l'on  le  reconnaisse,  il  veut  se  retirer,  mais 
son  inquiétude  ne  sert  qu'à  le  découvrir. 

ilXCT    PIERRE. 

Je  trembles  de  peur 
El  a  y  au  cueur  telle  frayeur 
D'esire  congneu  tel  que  je  suis 
Qu'il  me  vaut  inieulx  a;lviser  l'iiis(522;. 
Et  m'en  sortir  dehors. 

HÉDROIT. 

Il  semble 
Que  cet  homme  a  tehe  peur  qui  tremble, 
Jamais  ne  vys  homme  si  simple, 
El  croy  de  vray  qu'il  esl  Disciple 
De  Jésus. 

«  Oui,  assurément,  il  est  de  sos  disciples, 
«  dit  Nembroih.  —  Je  croy  que  vous  avez 
«  raison  »  répond  Hédroit.  Saint  Pierre, 
pour  leur  ôter  celte  pensée,  leur  proteste 
avec  serment  qu'ils  se  méprennent. 

SAINCT   PIERRE. 

Ce  me  serait  trop  grande  injure; 

Par  ma  conscience  te  jure, 

lu  par  le  Dieu  de  Paradis, 

Je  ne  suis  pas  tel  que  lu  dis, 

Ne  je  n'en  sçay  chose  quelquonqucs 

Jésus  ne  COiignots,  ne  vys  oueques, 

Puisqu'il  en  failli  jurer  si  hauli. 

(Icy  sortent  Saincl  Pierre  et  Saiiicl  Jehan  dehors,  et 
ne  s'eslonynenl  pas  de  là,  le  coq  chante.) 

«  Les  trois  tyrans  d'Anne,  Uoullart,  Den- 

arl  et  Gadilfer,  exercent   toute   leur  fureur 

sur  Jésus;   au   bout   de  quelque   temps,  il 

prend  une  curiosité  à    Anne,  qui  descend 

pour  voir  à  quoi  ses  gens  s'occupent. 

«  Il  les  loue  fort  et  leur  permet,  pour  se 
délasser,  de  passer  le  reste  de  la  nuit  à  jouer, 
pendant  que,  de  son  côté,  il  va  se  mettre 
un  peu  sur  son  lit.  Le  jour  venant  les  trouve 
accablant  d'outrages  le  Sauveur.  Et  Anne, 
s'élant  réveillé,  leur  ordonne  de  conduire 
Jésus  à  Gaïphe.  » 

(Icymainent  Jésus  à  Cayphe.) 

XVII.  En  la  Maison  de  Cayphe. 

«  Saint  Pierre  et  saint  Jean,  inquiets  du 
sort  de  Jésus,  le  suivent  chez  Caïplie  ;  el, 
tout  de  môme  que  chez  Anne,  ils  vont  pren- 
dre place  auprès  du  feu,  avec  les  six  tyrans 
de  ces  deux  pontifes. 

(Icy  demeure  Jésus  tout  seul  aevant  Cayphe  lié  des 
muins  et  le  corps,  el  se  tirent  ses  tyrans  et  Juifz 
arrière.) 

«  Caiphe  interroge  Jésus  ;  mats  voyant 
qu'il  ne  répond  point  à  toutes  les  demandes 
qu'il  lui  fait,  il  appelle  Maucouranl ,  el  lui 

(322)  La  porte. 


oraonne  de  publier  à  haute  voix,  que  si 
quelqu'un  a  quelque  sujet  de  plainte  contre 
Jésus,  il  peut  librement  s'adresser  à  lui,  et 
qu'il  promet  de  lui  en  faire  raison.  Mau- 
couranl sort  pour  exécuter  cet  ordre.  Pen- 
dant ce  temps-là,  saint  Pierre,  qui  estaupiès 
du  feu  avec  les  Juifs,  souffre  une  étrange 
peine,  on  l'examine  beaucoup,  on  lui  de- 
mande s'il  n'est  point  un  des  disciples  de 
Jésus,  et  enfin  on  le  reconnaît  justement 
pour  celui  d'entre  eux  qui  a  cou|  é  l'oreille 
à  Malchus.  Cet  apôtre,  pour  démentir  toutes 
ces  preuves,  prend  le  parti  de  leur  faire 
croire  le  contraire  à  force  de  serme*"  ' 
sainct  pierre,  près  du  feu. 

Je  puisse  eslre  excommunié 

Anaihéinalisé  de  Dieu 

El  mourir  en  si;  propre  .îeu. 

Maudisl  avec  les  maudiz, 

Si  je  sçay  que  lu  dis  : 

Car  p;ir  le  Dieu  vivant  Iassus, 

Je  ne  sçay,  ne  congnois  Jésus. 

GADIFFER. 

Croire  le  failli,  en  conscience, 
Puisqu'il  iure,  cl  qu'il  se  maudit 
Si  forl. 

(A  donc  le  toq  chante  bien  hault.) 

(Icy  Sainct  Pierre  se  part  de  la  maison    de   Cayvtte 

tout  seul.) 

«  Pendant  que  saint  Pierre  va  pleurer  son 
crime,  Miucourant  publie  l'ordre  dont  il  est 
chargé.  Aussitôt  accourt  un  grand  nombre 
de  Juifs,  les  uns  pour  accuser  Jésus  de  mille 
crimes  imaginaires,  et  les  autres  pour  le 
défendre  des  calomnies  des  premiers.  Dans 
le  nombre  de  ces  derniers,  se  trouvent  Za- 
chée,  Nicodème,  Tubal,  Gédéon,  Moab,  Aba- 
cuc,  Neptalin  et  Célius. 
(Icy  arrivent  tous  les  Juifz  ensemble  chez   Cayphe.) 

«  Pour  être  au  fait  de  la  forme  de  celte 
procédure,  il  esl  bon  de  savoir  que  voici 
comment  s'en  fait  l'instruction.  D'abord  un 
des  accusateurs  se  présente,  el  charge  Jésus 
de  Quelque  crime.  Un  des  Juifs,  zélateurde 
la  vraie  religion,  répond  à  son  accusation, 
soit  en  cndémonlrantlafausseté,ouen  taxant 
son  adversaire  d'une  ingratitude  extrême, 
de  reprendre  Jésus  pour  des  actions  qui  ne 
vont  qu'au  profil  de  la  nation.  A  ce  fi  Jèle 
citoyen  succède  un  nouvel  accusateur;  et  à 
ce  dernier  un  second  défenseur,  et  ainsi  de 
suite.  Voici  en  deux  mots  de  quoi  les  Juifs 
l'accusent.  Emélius  lui  fait  un  crime  d'avoir 
dit  qu'il  est  né  avant  Abraham.  Salmanazar 
lui  reproche  qu'entre  les  guérisons,  qu'il 
prétend  qu'il  a  opérées  par  enchantement, 
il  a  rendu  la  vue  à  un  aveugle-né.  Uabanus 
lui  impute  comme  un  mépris  de  la  Loi,  d'a- 
voir fait  des  guérisons  miraculeuses  les  jours 
de  sabbat.  Nembroth  soutient  qu'il  s'est  dit 
descendu  des  cieux.  Abiron  s'écrie  haute- 
ment que  c'est  un  séducteur,  qui  veut  se 
faire  chef  d'une  nouvelle  secte,  et  introduire 
une  religion  inconnue  à  leurs  pères.  Nem- 
broth  vient  encore  l'accuser  de  s'être  vanté, 
devant  tout  le  peuple, 'de  rebâtir  le  leinple 
en  trois  jours.  Ll  Celcidon  Jui  objecte  d'à- 


I  10 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


774 


voir  tenu  des  discours  séditieux,  attenta- 
toires à  l'autorité  de  l'empereur,  dans  le 
dessein  de  détourner  le  peuple  de  lui  payer 
le  tribut  ordinaire.  Toutes  ces  calomnies  et 
ces  fausses  imputations  sont  bientôt  détrui- 
tes par  les  Juifs -fidèles  :  cependant,  comme 
Jésus  ne  répond  rien,  Caïphe  qui  ne  cher- 
che qu'à  le  .perdre,  fait  retirer  l'assemblée, 
et  veut  l'interroger  a  part,  pour  lâcher  de 
lui  trouver  quelque  apparence  de  crime. 

(Icy  met  Jésus  tout  seul   devant  Cayplie,  et  puis  se 
reculent  de  lui.) 

«  Caïphe  le  conjure,  au  nom  du  Très-Haut, 
de  lui  dire  s'il  est  le  Fils  de  Dieu.  «  Oui,  » 
répond  Jésus.  A  ce  mot,  ce  pontife,  entre 
dans  une  fureur  qu'il  n'e^t  pas  possible  d'ex- 
primer. 

caïphe  eu  criant. 

lilasphemavit,  blaspliemavil  : 
Qu'esl-î!  besoin;,'  d'aller  plus  loing  ? 

«  Que  nous  faut-il  davantage?  ajoute-t-il 
«  avec  transport;  ne  venons-nous  pas  d'ap- 
«  prendre  de  sa  propre  bouche  l'arrêt  de  sa 
«  mort?  Il  ne  reste  plus,  pour  lui  donner 
«  une  formejuridique,  qu'à  lefaire  prononcer 
«  par  Pilale.  »  Tous  !es  Juifs,  à  l'exception 
d'un  très-petit  nombre,  applaudissentau  sen- 
timent du  pontife;  mais,  comme  il  est  en- 
core trop  matin  pour  parler  à  Pilate,  Caïphe 
ordonne  à  ses  valets  d'employer  ce  temps  à 
tourmenter  Jésus  ;  les  tyrans  d'Anne  s'offrent 
à  leur  tenir  compagnie. 

(Icy  les  six  tyrans  prennent  Jésus,  et  lui  crachent  au 
visage,  et  Cayphe  et  tous  les  Juifs  se  retirent  à 
bart.) 

«  Lorsqu'ils  sont  las,  ils  le  frappent  avec 
leurs  butons. 

(Icy  le  baient  de  basions.) 

«  Au  bout  de  quelque  temps,  comme  ils 
s'aperçoivent  que  tous  ces  tourments  l'ont 
extrêmement  détiguré,  ils  se  retirent  et  lais- 
sent Jésus  tout  seul.  «  J'ai  mal  au  cœur 
«  quand  je  le  regarde,  dit  Roullart. —  Fai- 
«  sons  autre  chose  ,  dit  Dragon,  couvrons- 
«  lui  le  visage,  et  en  le  frappant  à  grands 
«  coups  de  poing,  nous  lui  dirons  de  iioqi- 
«  mer  celui  qui  lui  aura  donné  le  coup.  » 

(Icy  le  bendenl  et  le  laissent  sur  une  selle  basse.) 

«  Comme  Caïphe  voit  qu'il  esta  peu  près 
l'heure  de  parler  à  Pilale, il  descend,  et  trou- 
vant ces  six  bourreaux  dans  l'occupation  que 
nous  venons  de  dire  ,  il  leur  dil  de  cesser, 
et  de  conduire  Jésus  chez  ce  gouverneur, 
où  il  s'apprête  à  les  suivre  avec  sa  troupe. 
Ensuite  il  ordonneà  Maucourant  d'aller  prier 
Anne  de  s'y  rendre  aussi. 

(Icy  va  Maucourant  quérir  Anne  cl  ses  gens.) 

(Icy  s'en  vont  les  tyrans  les  premiers,  qui  meinenl 
Jésus  lyé  :  et  puis  Cayplie  vient  tout  seul,  et  les 
Pharisiens,  Scribes  et  Juifz  après,  chacun  en  son 
ordre.) 

«  Maucourant  arrive  chez  Anne.  Ce  pon- 
tife, apprenant  le  sujet  qui  l'amène,  lui  dit 


qu'il  est  prêt  à  aller  chez  Pilale,  et  ordonne 
à  ce  messager  de  le  suivre.  » 

(Icy  s'en  va  Anne  et  Maucourant  Messayier  à  l'Os'el 
de  Pilate,  où  il  trouvera  Cayphe  et  ses  Pharisiens 
et  Scribes,  qui  mainenl  Jésus.  El  est  la  fin  de  la 
Tierce  Journée  du  Mystère  de  la  Passion  Jésu- 
Chrisl.) 

Fin  de  la  troisième  journée  du  Mystère  de  la 
Passion. 


PERSONNAGES 


De  la    quatrième  journée 

si  01 

DIEU  LE  PERE. 
JÉSUS  CHRIST. 
LA   SAINTE  VIERGE. 
SAINCT  MICHEL,  Ange. 

gabhiel.  idem. 
Raphaël,  idem. 
uriel,  idem. 
chérubin,  idem. 
séraphin,  idem. 

SAINT  PIERRE,  ApÔll'e. 

saint  andré,  idem. 

SAINT  JACQUES    dll    M.ljor, 

idem. 
saint  jeiian,  idem. 
saint  Philippe,  idem. 

SAINT  BARTHÉLÉMY,    iddll 

saint  Matthieu,  idem. 
saint  thomas,  idem. 
saint  symon,  idem. 
saint  jude,  idem. 
SAINT  JACQUES,  dit  Minor, 

idem . 
judas,  idem. 
marie  j\cob,  Sœur  de  la 

Vieige. 
marie  salomé,  idem. 

LAZARE. 

MAGDAi.EiNE.Sœur  de  La- 
zare, 

Marthe,  idem. 

pérusine,  Demoiselle  de 
la  Magdeleine. 

pasipiiée,  idem. 

nicodesme,  Docteur  de  la 
Loy. 

JOSEPH  d'arimathie,  Olfi- 
cier  Juif  commis  par 
l'empereur. 

îavrus,  Arehisynagogue. 

SYMON  LÉPREUX. 

jullye,  veuve  de  Naîm, 
et  marchande  de  Suai- 
res. 

véronne.  Juive  attachée 

à  la  doctrine  de  Jésus. 
bartiiimêe     aveugle     de 
naissance ,    guéri    par 
Jésus. 

LE   FEMME   COURBÉE. 
LE    DÉM0N1ACLE. 
SÉMON     CYRÉNÉUS,    Char- 
pentier. 

CAYPHE. 
ANNE. 

jéroroam,  Pharisien. 
mardociiée,  idem. 
naason,  idem. 
joatiian,  idem. 
eliaciiin,  idem. 
bananias,  idem. 
jacob,  Scri  c. 


du   Mystère   de  ta    Pas- 

î  t 

isaciiar,  Scribe. 
nathan,  idem. 
naciior,  idem. 
phares,  Juif  ennemi   de 

Jésus. 
abiron,  idem. 

SAL11ANAZAR,   iddll. 

nfmbroth,  idem. 

ceicidon,  idem. 

raranus,  idem. 

emélius,  idem. 

pilate.  Gouverneur  de 
la  Judée. 

progilla,  femme  de  Pi- 
lale. 

barraquin,  Confident  do 
Pilale. 

griffon,  Tyran  de  Pilale. 

brayabt,  idem. 

drillart,  idem. 

CLAQur.DENT,  idem. 

LE  CENTURION. 

rubion,  Soldat  du  Centu- 
rion. 

ascanius,  idem. 

MARCHaNtonne,  idem. 

longis,  Sol  lai  Romain. 

hérode,  Té  ira  roue  de  Ga- 
lilée. 

rodigon,  Seigneur  de  la 
Cour  d'Hérode. 

andalus,  Maislre  d'Hôtel 

f  d'Hérode. 

groncnart,  Domestique 
d'Hérode. 

DISMAS,  bon  Larron. 

barrabas,  Meurtrier. 

gestas,  mauvais  Larron. 

roullart, T.yran  d'Anne. 

deniart,  idem. 

GADiffer,  idem. 

bruyant,  Tyrans  de  cay- 
piie. 

malchus    idem. 

dragon, idem. 

hédroit,  Servante  d'An- 
ne. 

brayault.  Geôlier. 

UN  CHARPENTIER. 

TROUPE    DE    JUIFS,   Fidèlcj 

à  Jésus. 

troupe  de  juifs,  ennemis 
de  Jésus. 

l'ame-jf.sus  ,  Aux  Lim- 
bes. 

a  m  m,  idem. 

EVE, 

moyse,  idem. 
D\vn>,  idem. 
iiéi.ye,  idem 
WKRÉMI3,  idem. 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTEKES, 


/  fa 

bAl.NCT      jr.HAN  -BiSTlsTE,       BÉR1TH ,  Diable. 

idem.,  astaroth,  idem. 

l'ame    du     box    LÀURON,  cerbérus,  idem. 

idem.  désespérance. 

locifer,  Roy  (les  Enfers,  l'ame-judas. 

sathan  Diable,  l'ame  de  malvais  larron. 
BELZEBOTH,  idem. 

QUATRIÈME    JOURNÉE 

Cy  commence  la  Quatrième  Journée  du  Mys- 
tère de  la  Passion  Je'su-Christ. 

(Et  est  à  noter  que  les  tyrans  de  Anne  et  de  Cayphc 
mainent  Noslre-Seigneur  moult  rudement,  et  les 
Evesques,  Pharisées..  Scribes,  et  autres  Juifz  le 
suivent  les  ungs  devant,  et  tes  autres  après.  El  Ju- 
das qui  les  veoit  de  loing,  commence.) 

.  La  Sindresse  de  Judas. 

«  Quoique  le  démon  se  soit  empare  pour 
toujours  du  cœur  de  Judas,  ce  malheureux 
ne  laisse  pas  de  ressentir  les  reproches  de 
sa  conscience,  qui  lui  remet  sans  cesse  de- 
vant les  yeux  le  crime  afl'reux  qu'il  vient  de 
commettre,  et  dont  il  voit  les  tristes  effets. 
Comme  il  n'y  a  plus  de  remède  au  mal  qu'il 
a  fait,  il  croit  soulager  sa  conscience,  et  di- 
minuer la  punition  qu'il  mérite,  en  resti- 
tuant le  prix  de  sa  trahison,  et  sort  pour 
exécuter  ce  dessein. 

«  Pendant  ce  temps-là,  saint  Jean  arrive 
en  Bélhanie,  et  apprend  à  la  sainte  Vierge 
■  tous  les  tourments  que  Jésus  vient  d'endu- 
rer. Notre-Dame,  ne  pouvant  plus  résister  à 
l'impatience  qu'elle  a  de  le  voir,  part  pour 
l'aller  trouver;  les  trois  Maries,  ne  voulant 
pas  la  quitter,  s'offrent  à  l'y  accompagner 
et  sortent  avec  elle.  » 

Icy  vient  iXoslrc-Dame  vers  Jésus,  qui  est  en  mains 
des  tyrans,  et  avecques  elle  sont  Marie  Jacob  , 
Marie  Salomé,  Maydaleine,  Pasipliée,  Pérusine, 
Saincl  Jehan  le    Vierge.) 

II.  Devant  Pilate. 

«  Caïphe  arrive  enfin  avec  sa  troupe  au 
palais  de  Pilate  :  il  envoie  aussitôt  un  de  ses 
valets  pour  savoir  si  l'on  veut  parier  à  ce 
gouverneur  :  Barraquin  vient  lui  dire  qu'il 
n'estpas  sûr  qu'on  puisse  le  voir  de  quelque 
temps,  parce  qu'il  croit  que  son  mailre  est 
encore  au. lit.  Caïphe  redouble  ses  instances, 
et  le  prie  de  dire  à  Pilate  que  c'est  pour  une 
affaire  de  conséquence.  Barraquin  ,  impor- 
tuné des  prières  de  Caïphe,  va  à  la  chambre 
de  son  maître,  et  l'ayant  trouvé  éveillé,  il  lui 
dilquelesdeuxpontifesel  une  IroupedeJuifs 
l'attendent  pour  quelque  chosede  fort  pressé. 
Pilate  lui  ordonne  de  préparer  son  prétoire, 
et  qu'en  attendant,  il  va  s'habiller.  Peu  de 
temps  après  il  descend. 

(Icy  vient  Pilate  dedeus  le  Prétoire:  cl  est  à  noter 
que  il  y  a  au  milieu  du  jeu  ung  parquet  tout  clos 
en  carré  :  et  dedens  ce  parquet  il  y  a  une  chaire 
haulte  bien  parée,  et  une  autre  seconde  châtre  :  et 
en  celle  seconde  chaire  se  siet  Pilaie  pour  faire  le 
procès  de  Jésus.  Et  ne  se  siet  point  à  la  haulte 
chaire,  jusgues  ad  ce  quil  donne  sa  Sentence  con- 
tre Jésus  pour  le  crucifier,  item,  est  à  noter  que 
dedens  le  Parquet  qui  est  le  l'ictoire,  ny  a  que 
Pilule  assis  en  la  seconde  chaire,  et  Jésus  devant 
luy  lyé  par  le  corps,  et  pur  les  bras  de  cordages,  et 


TAS 


776 


tous    les    Juifs    scnl   dehors    au    Prétoire    asset 
loing.) 

«  Pilate,  assis  dans  son  tribunal,  et  ayant 
à  la  porte  de  son  prétoire  ses  quatre  gardes 
et  son  confident,  demande  aux.  deux  pontifes 
le  sujet  qui  les  conduit.  «  Seigneur,  lui  dit 
«  Caïphe,  en  prenant  Ja  parole  pour  toute 
«  l'assemblée,  voici  un  homme  chargé  de 
«  crimes  que  nous  amenons  devant  vous  ;  il 
«  mérite  la  mort,  et  je  vais  vous  dire  en  peu 
«  de  mots  les  principaux  chefs  dont  il  est 
«  accusé.  En  premier  lieu,  il  séduit  le  peu- 
«  pie,  et  veut  introduire  une  religion  extra- 
«  ordinaire.  Secondement  ,  il  prêche  sans 
«  cesse  contre  nos  cérémonies.  Troisième- 
«  ment,  il  conseille  au  peuple  de  se  sous- 
«  traire  de  l'obéissance  qu'il  doit  à  l'empe- 
«  reur,  et  de  ne  point  lui  payer  le  tribut. 
«  Et  enfin,  il  se  dit  le  roi  des  Juifs.  Pour 
«  vous  prouver  qu^  ce  n'est  ni  la  haine,  ni 
«  un  esprit  de  vengeance  qui  nous  force  à 
«  vous  porter  nos  plaintes,  prenez  ce  papier, 
«  ajouie-l-ii,  en  lui  remettant  les  dépositions 
«  des  Juifs  qui  ont  témoigné  conlre  Jésus, 
«  et  vous  y  verrez  les  noms  de  ceux  qui 
«  l'accusent,  et  les  crimes  dont  ils  le  cliai- 
«  gent.  »  Pilate  reçoit  ce  papier ,  en  disant 
que  les  deux  premiers  chefs  ne  le  regardent 
point  ;  qu'il  n'y  a  que  le  troisième  qui  l'in- 
téresse, et  qu'à  l'égard  du  dernier,  il  s'en 
embarrasse  très-peu.  Cependant,  pour  con- 
tenter les  Juifs,  il  ordonne  à  Barraquin  de 
faire  venir  Jésus.  Ce  confident  ne  l'aperçoit 
pas  plutôt,  qu'il  le  reconnaît  pour  la  môme 
personne  qui  a  fait  il  y  a  quelques  jours  une 
si  triomphante  entrée  dans  Jérusalem,  aux 
cris  et  aux  acclamations  de  tous  les  habi- 
tants ;  il  se  ressouvient  aussi  d'avoir  lui- 
même  jeté  son  manteau  sous  ses  pieds,  lors- 
que a  passé  devant  lui  :  il  revient  à  Pilate, 
et  lui  rend  compte  de  celle  aventure. 

(Icy  entre  au  Prétoire  Jésus,  cl   les  lances  s'cncli- 
nent.) 

«  Pilate  csl  fort  étonné  à  la  vue  de  ce  pro- 
dige, les  Juifs  soutiennent  que  les  satelli- 
tes de  ce  gouverneur  favorisent  le  parti  do 
Jésus.  Enfin,  pour  terminer  ce  différend, 
Babanus,  Abiron  et  quelques  autres  Juifs, 
ennemis  du  Seigneur,  s'offrent  à  tenir  les 
lances.  Pilate  veut  bien  encore  une  fois  faire 
rentrer  Jésus. 

(Icy  vient  Jétus  dedens    le  Prétoire,   et    les   tances 
plient  derechef.) 

«  Les  Juifs  continuent  à  dire  que  c'est 
par  art  magique;  et  Pilate,  qui  commence  à 
s'apercevoir  de  leur  animosité,  lestait  re- 
tirer pour  écouter  le  témoignage  des  défen- 
seurs de  Jésus. 

'  (Icy  se  tirent  à  part,  excepté  les  bons  tesmoings.) 

«  Pilate  les  interroge  les  uns  après  les 
autres.  Lazare,  l'Aveugle-né,  Simon  le  Lé- 
preux ,  Joyrus,  la  démoniacle  ,  la  femme 
courbée,  et  Véronique  que  Jésus  a  guérie 
d'un  flux  de  sang,  font  un  rapport  fidèle  des 
grâces  qu'ils  ont   reçues   de  Jésus,  cl  des 


777  PAS 

miracles  qu'il  a  faits  en  leur  faveur;  un  grand 
nombre  d'autres  Juifs  certifient  la  sainteté 
de  Jésus. 

tous  les  bons  ensemble. 
Cet  homme  icy  est  sainct  Prophète. 

ANNE. 

Pylale,  juge  sans  demeure 

Cest  homme  à  mort,  il  lault  qui  meure, 

La  conclusion  en  est  faicle. 

tous  les  bons  ensemble. 

Cest  homme  icy  est  saincl  Prophète. 

CAYPHE. 

S'en  criant  (323)  le  peuple  s'efforce 
Pour  le  sauver,  si  est-il  force 
Que  sa  mort  hrefvement  on  traicte. 

tous  les  bons  ensemble. 

Cest  homme  icy  est  sainct  Prophète. 

*'Çnfin  Pilate  interroge  Jésus,  et  lui  ayant 
ûémandé  qui  il  est,  le  Seigneur  lui  répond 
qu'il  est  la  Vérité.  Sur  cette  réponse,  Pilate 
fait  tout  ce  qu'il  peut  pour  sauver  Jésus,  et  va 
trouver  les  Juifs  pour  tâcher  de  les  adoucir, 
en  leur  remontrant  qu'il  n'est  point  cou- 
p*Me. 

\icy  tort  Pilate  dehors  du   Prétoire,   et  vient  aux 
Juifz.) 

PILATE. 

Seigneurs  Juifz  et  Gouverneurs 

Qui  pour  punir  les  malfaicteurs 

Suis  icy  Juge  subrogué  : 

J'ay  ce  poure  homme  inlerrogué, 

De  qui  la  mort  avez  requis, 

Et  examiné,  et  enquis 

De  son  faict  au  mieulx  que  j'ay  peu  : 

Mais  je  n'ay  trouvé  tant  soit  peu 

Qui  soit  coupable  des  péchez 

Dont  l'accusez,  et  empêchez. 

a  Les  Juifs,  sans  écouter  Pilate,  persistent 
à  demander  la  mort  de  Jésus.  Pilate,  ayant 
appris  que  Jésus  est  de  Nazareth  ,  et  que 
cette  ville  est  située  dans  la  Galilée  ,  et  du 
ressort  d'Hérode ,  tétrarque  de  cette  pro- 
vince, est  fort  aise  de  trouver  un  moyen 
pour  s'exempter  de  prononcer  une  sentence 
si  injuste,  et  déclare  que  puisque  Jésus  est 
sujet  d'Hérode,  c'est  à  ce  prince  à  le  juger, 
et  que  pour  lui  il  ne  veut  point  en  connaî- 
tre. D'un  autre  côté,  les  quatre  satellites, 
s'ennuyant  de  ne  rien  faire,  se  plaignent 
d'être  si  longtemps  oisifs.  Heureusement 
pour  eux,  Pilate  les  fait  appeler  par  Barra- 
quin,  qui,  les  trouvant  dans  cesdispositions, 
les  en  loue. 

«  Ensuite  il  leur  dit  que  le  gouverneur  a 
besoin  d'eux.  Ces  quatre  soldats  accourent 
au  plus  vite,  et  saluent  leur  maître  en  en- 
trant. 

GRIFFON. 

I 

Monseigneur  ie  Préposile 
Bvna  (lies  en  ce  malin. 

l'ILATE. 

Comment  dea,  lu  parle  latin, 
Maislre  Griffon,  vecy  beaux  mol/.. 

«  Ces  deux  mois  latins,  sortant  de  la  bou- 
(323)  Si  en  criant. 

Diction n.  des   Mystères. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


778 


che  d'un  soldat  romain,  qui  ne  sait  que  le 
gaulois,  causent  de  l'élonnement  à  Pilate. 
Cela  ne  l'empêche  pas  cependant  de  leur 
ordonner  de  conduire  Jésus  chez  Hérode  ; 
il  dit  à  Barraquin  d'y  aller  [avec  eux,  et  de 
rendre  compte  à  ce  prince  du  sujet  pour  le- 
quel il  le  lui  envoie  Caïphe  et  le  reste  des 
Juifs  se  retirent,  et  vont  au  temple  tenir 
conseil  sur  ce  qu'ils  ont  à  faire.  » 

III.  Conseil  des  Juifz. 

«  Pendant  que  les  Juifs  tiennent  icur 
conseil,  Hérode  s'entretient  avec  Rodigon, 
Andalus,  son  maître  d'hôtel,  et  son  valet 
Grongnart.  La  conversation  tombe  sur  les 
actions  surprenantes  de  Jésus  ;  Rodigon  et 
Andalus  en  racontent  quelques  miracles, 
qui  font  naître  à  ce  prince  une  extrême  en- 
vie de  lé  voir. 

«  D'un  autre  côté,  les  Juifs  délibèrent 
quel  parti  ils  vont  prendre  :  comme  ils  sont 
encore  dans  cette  incertitude,  arrive  Judas, 
qui,  pressé  des  remords  desa  conscience, leur 
déclare  qu*il  a  livré  le  Juste,  et  «  jecte  la 
;<  bource  contre  terre  »  celte  fatale  bourse 
où  est  le  prix  desa  trahison,  et  s'enfuit.  Les 
Juifs  tiennent  un  nouveau  conseil,  pour 
savoir  ce  qu'ils  doivent  faire  de  cet  argent; 
comme  on  ne  peut  appliquer  au  profit  du 
temple  un  bien  qui  a  été  le  prix  du  sang  hu- 
main, ils  concluent  entre  eux  de  le  remettre 
entre  les  mains  de  Phares,  pour  le  garder 
jusqu'à  ce  qu'on  puisse  trouver  moyen  de 
l'employer.» 

IV.  La  Désespérance  de  Judas. 
«  Judas,  pressé  de  plus  en  plus  par  ses 
remords,  entre  dans  un  si  grand  désespoir, 
que  ne  considérant  pas  la  miséricorde  infi- 
nie de  Dieu,  il  se  met  à  invoquer  tous  les 
démons,  et  même  toutes  les  divinités  infer- 
nales adorées  par  les  anciens  païens  et  les 
fameux  damnés,  dont  les  poètes  de  l'anti- 
quité ont  fait  mention. 

JUDAS. 

Lucifer,  envoyé  sans  demeure 
Ton  maling  adhérant  Salhan  , 
El  pour  faire  la  ebose  seiire, 
L'oiguelleux  ebien  Lévialhan  : 
Belphégor  aussy  plein  d'envie, 
Cachodemon,  Baal,  Aslarolb, 
Belberilh  (524)  plain  de  gloutonie, 
Zabulon,  Hur  et  Begcmoili, 
;  Belial,  Galast  et  Malost 

•  •  •         •         •  -  » 

Les  furies  à  vous  je  m'ingère , 
El  conforme  ma  mauvaistié, 
Thésiphone,  Aletbo,  Megere; 
Juges  des  rigueurs  infernales, 
Radamente,  Cacus,  Minos, 
Avec  les  Déesses  fatales 
Clolho,  Lachesis,  Alropos. 
Amenez  moy  tous  vos  suppos, 
Bryarye,  Chimère  et  Gourgonne, 
Cylcs,  Centaure,  fdra,  Cacos, 
Slimpbalide  plein  de  vergongne. 

Plusmauldit  soye  que  Tanlalus, 

Que  les  Bélkles,  que  Texion, 

Que  les  Harpies,  que  Cysipbus,  , 


(324)  Beritli. 


2* 


77-9 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


780 


Palamiius  ou  Yxion. 
Plongez-moy  de  tiens  Acheron, 
DedensStix,  Letes  ou  Cochile, 
Car  pire  suis  que  Gercheon, 
Par  ma  irayson  très  maukiite. 
J'appelle  Plu lo,  Proserpine, 
Et  le  baveur  (525)  Ascalaphus, 
Tesmoing  de  ma  fraude  vulpine, 
El  de  mon  très-énorme  abus, 
Par  le  conseil  de  Cerbérus, 
Chien  d'Enfer  hurlant  à  trois  lestes; 
Centiceps  fera  le  surplus, 
Qui  en  a  cent  de  laides  bestes. 


Diables,  Diables,  venez  avant. 
Venez  aider  votre  servant 
Qui  a  haulte  voix  vous  appelle. 

«  Lucifer  convoque  tous  ses  diables  pour 
les  envoyer  vers  Judas.  Désespérance  se  pré- 
sente, et  promet  à  ce  monarque  des  enfers 
de  lui  amener  le  corps  et  l'âme  de  Judas. 
Lucifer  lui  donne  son  passeport,  et  ordonne 
aussi  à  quelques  démons  de  l'accompagner 
pour  l'aider  en  cas  de  besoin. 

(Desespérance  vient  à  Judas.) 

«  Cette  redoutable  furie  lui  dit  d'abord 
son  nom,  et  ensuite  elle  lui  annonce  qu'il 
faut  qu'il  soit  damné.  Un  spectacle  si  terri- 
ble et  des  paroles  si  effrayantes  font  frémir 
Judas;  il  voudrait  capituler  avec  elle,  et  lui 
demande  si  par  la  pénitence  il  ne  peut  pas 
effacer  son  péché,  et  si  Diennehii  accordera 
pas  de  pardon?  «N'espère  rien,  lui  répond- 
«  elle;  Dieu  peut  bien  te  l'accorder,  mais 
«  certainement  il  ne  le  voudra  pas,  car  tu  en 
«  es  trop  indigne. —  Hélas  l  continue  triste- 
«  ment  Judas,  et  si  je  priais  la  Vierge  Marie? 
«  —Tous  ces  efforts  sont  inutiles,  réplique 
«  Desespérance ,  tu  las  trop  offensée ,  en 
«  trahissant  son  fils.  » 

Il  faut  que  tu  passe  le  pas. 

ajoute-t-elle,  en  le  regardant  avec  des  yeux 
menaçants  ;  «  toute  la  satisfaction  qui  te 
«  reste  à  présent,  c'est  que  je  laisse  à  ton 
«  choix  le  genre  de  mort  qui  te  fera  le  moins 
«  de  peine.  Tiens,  choisis.  » 

DÉSESPÉRANCE. 

Vecy  dagues,  vecy  cousieaux, 

Forcetles,  poinçons,  allumelles  (326); 

Advise,  choisis  les  plus  belles, 

El  celles  de  meilleure  forge, 

Pour  te  copper  à  cop  (327)  la  gorge. 

(Icy  prent  Desespérance  une  dague  en  sa  main,  et  la 
monstre  à  Judas.} 

(Icy  luy  monstre  ung  cordeau.) 

Ou  si  lu  ayme  mieulx  te  pendre, 
Vecy  las  et  cordes  à  vendre, 

(325)  Babillard. 

(326)  Lames  de  couteaux. 

(327)  Tout  à  coup. 

(528)  Joignons  ici  une  remarque  convenable  au 
sujet.  Outre  que  peu  de  gens  connaissent  l'auteur 
d'où  nous  la  lirons,  c'est  qu'elle  servira  à  justifier 
les  nôtres,  qui,  en  qualité  de  poêles,  pouvaient  bien 
employer  quelque  fiction  dans  ce  mystère,  puisqu'un 
homme  qui  se  donne  pour  un  voyageur,  et  pour  té- 
moin oculaire  de  ce  qu'il  rapporte,  Ta  bien  couchée 
par  écrit  dans  son  livre.  C'est  le  voyageur  Jean 


Pour  le  estrangler  tout  à  cop. 
Que  allens-iu?  tu  demeure  trop  : 
Ba  Je  fer  tandis  qu'il  est  chault. 

«  Judas,  voyant  que  c'est  une  nécessité 
inévitable,  s'abandonne  entièrement  à  Dé- 
sespérance, et  se  détermine  enfin,  après  bien 
des  discours,  à  suivre  le  second  parti  qu'elle 
lui  propose. 

(Icy  monte  Judas  au  liautl  d'ung  arbre  feullu  de 
bronches  de  Seur,  et  Désespérance  monte  avecques  luy 
pour  luy  aider,  et  les  Diables  demeurent  au  bas.) 

«  Ce  malheureux,  se  sentant  proche  de  sa 
fin,  veut  profiter  des  instants  qu'il  a  encore 
à  vivre,  et  ordonne  à  tous  les  diables  de  venir 
reeevbir  sa  dernière  volonté. 

JUDAS. 

Haro!  mon  maislre  Lucifer, 
Et  tous  les  grans  dyables  d'Enfer, 
En  mon  despit  trespassement 
Venez  passer  mon  testament, 
Ainsy  que  je  deviserai. 

«  Ne  t'embarrasse  pas ,  »  répond  Satan, 
nous  sommes  tous  prêts. 

Dy  hardiment  ;  je  signeray. 

«  Judas  ayant  déclaré  ses  dernières  vo- 
lontés, lcsduelles  sont  dignes  de  lui,  se 
pend. 

(Icy  se  pend  Judas,  et  les  Diables  sont  dessoubz  luy 
[328].) 

«  D'abord  que  Judas  s'est  pendu  ,  tous  les 
diables  accourent  pour  se  saisir  de  son  âme. 
Lucifer  ordonne  qu'on  la  lui  amène  promp- 
tement.  Aslaroth  la  cherche,  mais  inutile- 
ment. 

(Ici  crevé  Judas  par  le  ventre,  et  ses  trippes  saillent 
dehors,  et  l'Ame  sort.) 

«  Cette  âme  en  sortant  répand  une  foule 
de  malédictions,  et  s'en  va  au  lieu  préparé 
pour  son  tourment.  Pendant  ce  temps-là, 
Désespérance,  qui  a  fait  l'office  de  bourreau, 
dépend  le  corps,  et  les  diables  l'emportent 
aux  enfers  avec  une  extrême  joie. 

(Icy  fait  (empeste  en  Enfer.) 

V.  Devant  Rérode. 

«  Barraquin,  à  la  tête  des  archers  qui  con- 
duisent Jésus,  arrive  enfin  au  palais  d'Hé- 
rode  ;  il  va  parler  à  ce  prince,  et  lui  dit  que 
Pilate,  son  maître,  ayant  appris  que  Jésus, 
accusé  par  les  Juifs,  était  né  son  sujet,  n'a 
pas  voulu  s'en  mêler,  et  qu'il  le  lui  envoie 
comme  à  son  juge  naturel,  pour  en  ordon- 
ner ce  qu'il  souhaitera.  Hérode  reçoit  avec 
beaucoup  d'amitié  la  politesse  de  Pilate,  et 
proteste  à  Barraquin ,  qu'en  faveur  de  cet 

de  Mandeville,  qui,  en  parlant  des  choses  curieuses 
qu'il  a  remarquées  à  la  terre  sainte,  se  vante  d'a- 
voir vu  l'arbre  où  Judas  se  pendit.  Voici  le  passage 
tel  qu'il  est.  i  Item,  à  l'endroit  de  Natatoire  Siloé, 
y  a  une  ymage  de  pierre  i\  ouït  anciennement  ou- 
vrée que  Absalon  îii  faire,  et  pour  ce  est  appellee 
Absalon;  et  assez  près  est  l'arbre  de  Such  où  Judas 
se  pendit,  par  despérance,  pour  qu'il  avoit  trahi 
Noslre-Seigneur  :  Mais  sçachez  que  ce  n'est-il  pas, 
mais  c'est  ung  autre  qui  rsi  regérée  dudict  arbre.  » 
(Voyage  de  Mandeville,  édition  iii-40.) 


781 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


honnête  procédé,  il  veut  bien  oublier  toutes 
les  altercations  qu'il  a  eues  avec  lui,  et  le  re- 
garder désormais  comme  son  ami.  Barra- 
quin,  s'étant  acquitté  de  sa  commission,  or- 
donne aux  satellites  d'amener  Jésus. 

(lcy  mettent  Jésus  tout  seul  devant  Hérode.) 

«Ce  prince,  qui  est  porté  par  son  inclina- 
tion aux  choses  curieuses,  et  qui  a  entendu 
raconter  des  actions  surprenantes  de  Jésus, 
se  sent  une  obligation  infinie  envers  Pilate, 
qui  lui  a  procuré  cet  avantage,  espérant  que 
rtatre-Seigneur  fera  quelque  prodige  devant 
lui.  Dans  cette  idée,,il  fait  paraître  beaucoup 
de  bonne  volonté  pour  lui,  et  se  dispose  à 
l'interroger  avec  toute  la  douceur  possible. 

(lcy  les  Seigneurs  sont  encore  ensemble  au  Temple,  et 
délibèrent  venir  après  Jésus  devers  Hérode.) 

«  Les  deux  pontifes  que  nous  avons  lais- 
sés assemblés  avec  les  scribes  et  les  phari- 
siens, craignant  qu'Hérode ,  de  l'humeur 
dont  il  est,  ne  prenne  Jésus  en  amitié,  et  le 
remette  en  liberté,  se  résolvent  à  traverser 
ce  dessein  de  tout  leur  pouvoir,  et,  pour  ce 
faire,  ils  vont  chez  ce  prince  ,  afin  de  l'en 
empêcher. 

(lcy  viennent  Cayphe  et  tous  les  Pharisées  et  Scribes 
vers  Hérode.) 

«  Hérode  fait  quelques  questions  à  Jésus, 
qui  ne  lui  répond  rien. 

«  Les  Juifs  entrent  chez  Hérode,  qui  leur 
fait  beaucoup  d'honnêtetés,  et  les  prie  de 
s  asseoir. 

(lcy  se  assient  Anne,  Cayphe,  et  tous  les  Juifz,  cha- 
cun en  son  ordre.) 

«Hérode  fait  encore  des  demandes  à  Jé- 
sus, mais,  n'en  pouvant  tirer  aucune  réponse, 
il  reste  fort  étonné,  et  s'imagine  que  c'est 
par  mépris  pour  sa  personne.  Les  Juifs,  sai- 
sissant cet  avantage,  le  confirment  par  leurs 
calomnies  dans  ce  sentiment. 

«  Hérode  ne  voulant  faire  aucun  mal  à 
Jésus,  et  cependant  désirant  le  punirdu  mé- 
pris qu'il  fait  paraître  par  son  silence,  or- 
donne à  Grongnart  de  le  revêtir  d'un  ha- 
billement blanc. 

(lcy  Grongnart  vest  Jésus  d'ung  habit  blanc  sur  sa 
robe  de  pourpre,  où  il  y  a  comme  une  cappe  derrière, 
et  sera  long  jusques  au  dessoubz  du  gras  de  la 
jambe,  et  pourra  estre  cainct  de  une  cainclure 
blanche.) 

«  Hérode  ordonne  qu'on  le  ramène  à  Pi- 
late en  cet  équipage.  » 

(lcy    remainent  Jésus  vêtu  de  blanc  vers  Pilate,  et 
tous  les  Juifs  vont  deux  à  deux  après.) 

VI.  Les  lamentacions  de  Nostre-Dame  et  des 
Maries. 


789. 
trouver     et 


«  Notre-Dame,  les  trois  Maries,  saint  Jean 
et  les  deux  suivantes  de  la  Madeleine,  ayant 
perdu  de  vue  Jésus  depuis  quelque  temps, 
en  paraissent  fort  alarmées.  La  sainteVierge 
qui  y  prend  un  plus  grand  intérêt ,  en  té- 
moigne sa  douleur  et  son  inquiétude.  Mal- 
gré tous  les  risques  qu'elle  peut  courir,  elle      (lcy  vont  les  Bourreaux  prendre  Jésus  qui  est  dedent 


prend  la  résolution  de  l'aller 
tous  les  autres  la  suivent.  » 

VIL  Devant  Pilate. 


(lcy  arrivent  au  Prétoire  et  mettent  Jésus  dedens  :  les 
Juifz  demeurent  dehors,  et  cependant  Griffon  et  Bar- 
raquin  vont  parler  à  Pilate.) 

«  Barraquin  vient  lui  rendre  compte  de 
ce  qui  s'est  passé  chez  Hérode,  et  de  l'ordre 
qu'il  leur  a  donné  de  lui  ramener  Jésus, 
avec  pouvoir  d'en  faire  ce  qu'il  voudra.  Pi- 
late, qui  croyait  être  débarrassé  de  cette 
affaire,  est  fort  fâché  de  ce  contre-temps  : 
les  plaintes  et  les  cris  des  Juifs  recommen- 
cent avec  plus  de  force  que  jamais,  et  les 
bons  témoins  ne  cessent  de  justifier  Jésus. 
Dans  ces  circonstances ,  Pilate  imagine  un 
expédient  pour  contenter  les  uns  et  les  au- 
tres :  comme  il  sait  que  c'est  la  coutume  que 
l'on  délivre  un  criminel  pour  honorer  la 
solennité  de  la  fête  de  Pâques,  et  qu'il  voit 
cette  fêle  proche,  il  demande  aux  Juifs  s'ils 
veulent  que  Jésus  profite  de  cette  grâce. 
Les  Juifs  rejettent  sa  proposition,  et  de- 
mandent la  liberté  de  Barrabas,  l'un  des 
trois. larrons  que  nous  avons  vu  prendre  au 
treizième  mystère  de  la  seconde  journée;  et 
Pilate  l'envoie  chercher. 

(lcy  met  Pilate  Barrabas  du  coslé  gauche,  et  Jésus 
du  costé  droict.) 

«  Ce  gouverneur,  qui  voudrait  sauver  Jé- 
sus, tâche  de  leur  faire  changer  de  résolu- 
tion   mais  ils  y  persistent  toujours. 

PILATE. 

Et  que  feray-je  de  Jésus 
Vostre  Prophète  qui  cy  est 

TOUS. 

Toile,  toile. 

PILATE. 

Vostre  Roy  ? 

TOUS. 

Ce  mot  nous  déplaist. 
Toile,  toile,  etc. 

«  Enfin  Pilate,  voyant  la  fureur  du  peuple, 
se  prépare  à  le  satisfaire. 

(lcy  monte  Pilate  à  la  haulte  chaire  du  Prétoire,    et 
prononce  la  délivrance  de  Barrabam.) 

«  Ce  meurtrier,  ayant  entendu  son  abso- 
lution, prie  les  Juifs  de  lui  ôter  ses  chaînes. 
Quelques-uns  d'entre  eux  le  font,  et  Barra- 
bas s'enfuit  aussitôt  qu'il  se  voit  en  liberté. 

(lcy  s'enfuit  Barrabam,  cl  sort  Pilate  dehors  du  Pré- 
toire, et  parle  aux  Juifz,  et  demeure  Jésus  tout  seid 
dedens  le  Prétoire.) 

«  Pilate  va  trouver  les  princes  des  prêtres, 
et  leur  dit  que,  ne  pouvant  se  résoudre  à 
condamner  Jésus  à  la  mort  ,  il  va  le  faire 
fouetter  par  ses  bourreaux,  et  ensuite  le  lais- 
ser aller.  Comme  ils  ne  répondent  point, 
Pilate  prenant  leur  silence  pour  un  consen- 
tement tacite,  ordonne  à  ses  gens  d'exécuter 
ces  ordres. 


783 


IPAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


784 


le  Prétoire,  et  Vameinent  Iiors,  et  le  despoullent, 
puis  le  lient  aupilter  qui  est  assez  près  du  Prétoire 
de  Pilote. 
(Icy  se  assiet  Malchus  près  des  quatre   bourreaux  et 
fait  des  verges.) 

«  Les  bourreaux  saisissent  avec  ardeur  cette 
occasion,  à  chaque  instant  viennent  deman- 
der des  verges  à  Malchus,  et  ce  dernier  a 
de  la  peine  à  Jes  contenter.  Pilate,  s'aperce- 
vant  qu'ils  commencent  à  se  lasser  leur  en 
fait  des  reproches,  et  leur  conseille  de  se 
servir  de  leurs  fouets  de  cordes. 

PILATE. 

Avant  garsons,  vous  vous  rendez, 
Reprenez  alaine,  et  vertu. 

(Icy   prenne  chacun  son    fouet  que    Malchus   leur 
baille.) 

«  Les  valets  d'Anne  et  de  Caïphe  s'offrent 
à  les  aider,  et  se  mettent  aussi  de  la  partie 
avec  eux.  Au  bout  de  quelque  temps,  Pilate, 
voyant  que  Jésus  est  tout  couvert  de  sang, 
leur  ordonne  de  cesser. 

PILATE. 

Ho  !  il  souffist  pour  ceste  foys, 
Compaignons,  cessez  au  surplus  : 

«  Seigneur,  dit  Griffon,  il  me  vient  une 
«  bonne  idée?  —  Quest-ce?  répond  Pilate. 
«  —  C'est  que,  puisqu'il  se  dit  roi,  ajoute 
«  ce  satellite,  j'ai  envie  de  le  revêtir  en  roy 
«  avec  de  vieux  haillons.  —  Cela  n'est  pas 
«  mal  imaginé  »,  réplique  Pilate. 

PILATE. 

Ton  opinion 
Me  plaisl  bien  et  me  semble  propre. 

(Icy  prenne  ung  vieil  habit  de  rouge  fouré  comme  de 
martres  décirées  par  aucun  sort  :  et  le  délient  de 
rattache,  et  puis  le  veslent.) 

DR1LLART. 

Vecy  ung  roseau  très  bien  fait 
Pour  faire  un  ceplre  bien  aposte. 

(Icy  lut)  baillent  ung  roseau,  puis  assient  Jésus  sur 
une  basse  selle  assez  près  de  festache,  et  assez 
loing  de  Pilate.) 

«  Ensuite  de  quoi  ils  le  frappent  à  grands 
coups  de  roseaux,  accompagnant  cet  indigne 
traitement  de  paroles  insultantes. 

GRIFFON. 

Hce  :  Ave  Rex  ludeorum, 

Roy  des  Juifs  je  vous  salue,  etc. 

(Icy   apporte  Malchus   la  couronne  d'espines,   et  la 
monstre  aux  autres.) 

«  Malchus,  qui  a  promis  à  Jésus  de  le 
bien  tourmenter,  pour  reconnaître  le  bien 
qu'il  lui  a  fait,  vient  effectuer  encore  ses 
promesses,  et  lui  apporte  ce  triste  pré- 
sent. 

MALCHUS. 

Tenez,  vecy  ce  qu'il  vous  fault. 
Pour  le  couronner  baullement. 

(Icy  lui  asseoient  la  Couronne  d'espine  sur  la  teste, 
et  lui  enferment  avec  basions,  tant  que  le  sang  en 
sort.) 

(329)  Sapprocne. 


«  Après  lui  avoir  donné  encore  quelques 
coups  de  roseaux  pour  diversifier  leur  amu- 
sement ils  veulent  lui  arracher  la  barbe. 

(Icy  luy  arrachent  la  barbe.) 

«  Enfin,  Pilate  se  lève,  et  croyant  que 
tous  ces  tourments  auront  pu  adoucir  l'es- 
prit furieux  des  Juifs  et  assouvir  leur  insa- 
tiable cruauté,  il  ordonne  qu'on  lui  amène 
Jésus;  il  espère  qu'un  pareil  spectacle  atten- 
drira les  cœurs  de  ces  perfides. 

(Icy  ameine  Jésus  abillé  comme  dist  est,  à  Pilate  qui 
est  au  Prétoire,  et  Pilate  sort  dehors  du  Prétoire, 
et  le  monstre  aux  Juifz.) 

PILATE. 

Ecce  Homo,  vecy  l'Homme  : 
Regardez  bien,  Messeigneurs,  comme 
Je  le  vous  rends  doulx  et  traictable; 

Ecce  Homo,  vecy  l'Homme, 
L'Homme  voire  bien  misérable. 

Ecce  Homo,  véritable, 

Ecce  Homo,  raisonnable, 

Ecce  Homo,  l'innocent. 

Peuple,  soyez  pitoyable, 

Ecce  Homo,   ton   semblable  : 
Regarde  où  ton  pouvoir  s'eslend. 

Ecce  Homo,  qui  ne  lent 
A  orgueil,  et  rien  ne  prêtent 
Qui  vous  puisse  porter  nuysance; 

Ecce  Homo,  qui  n'aient 
Fors  que  Dieu  soit  de  vous  content. 

«  Pilate  leur  demande  s'ils  veulent  don- 
ner la  liberté  à  Jésus.  Malgré  tout  ce  qu'il 
leur  peut  représenter  de  plus  touchant,  ces 
esprits  endurcis  persévèrent  de  plus  eu 
plus  ,dans  leur  rage.  «Non,  non,  il  faut 
«  qu'il  périsse,  s'écrient-ils  avec  transport, 
«  puisqu'il  s'est  dit  Fils  de  Dieu.  —  Ha  , 
«  ha!  dit  Pilate,  ceci  est  autre  chose,  vous 
«  ne  l'aviez  pas  accusé  de  ce  crime?  Je  veux 
«  l'interroger  sur  ce  fait.  » 

(Icy   rentre  Pilate  dedens  le  Prétoire,  et  y  ameine 
Jésus,  et  puis  se  assiet  en  la  petite  chaire.) 

«  Réfléchissez  bien  sur  ce  que  vous  avez 
«  à  faire,  dit  Pilate  au  Sauveur  ;  vous  n'i- 
«  gnorez  pas  qu'il  est  en  mon  pouvoir  de 
«  vous  accorder  la  vie  ou  de  vous  livrer  à 
«  une  mort  cruelle.  —  Il  est  vrai  ,  répond 
«  Jésus,  mais  de  qui  tenez-vous  ce  pouvoir, 
«  si  ce  n'est  du  ciel?  »  Cette  noble  réponse 
frappe  Pilate,  il  va  rejoindre  la  troupe  des 
Juifs  et  fait  un  dernier  effort  pour  sauver 
Jésus  ;  comme  leur  obstination  rend  ses 
soins  inutiles,  il  leur  dit  avec  fureur  qu'il 
va  les  satisfaire. 

PILATE. 

Qui  vouldra  sa  sentence  ouyr, 
Se  tire  (329)  à  la  chaire  Royalle.  » 

(Icy  s'en  va  Pilate  revestir  d'une  robe  rouge  bien  ri- 
chement, et  Barraquin  et  ses  tyrans  vont  avecqu.es  luy, 
et  laissent  Jésus  tout  seul  au  Prétoire.) 

VIII.  Les  Limbes. 

«  Pendant  que  Satan  instruit  le  roi  des 
enfers  du  succès  de  ses  travaux,  et  lui  ap- 
prend qu'enfin,  grâces  à  ses  soins,  Jésus  va 


785 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


786 


être  sacrifié  h  la  fureur  du  peuple  juif,  et 
est  prêt  d'être  condamné  par  Pilale,  pen- 
dant, dis-je,  que  ce  démon  fait  ce  récit  à 
Lucifer,  les  saints  Pères,  renfermés  dans  les 
limbes,  prient  Dieu  avec  ardeur  de  vouloir 
bien  hâter  leur  rédemption.  Dieu  le  Père, 
pour  les  soulager,  envoie  ses  anges  avec 
ordre  de  les  consoler  et  de  leur  annoncer 
que  Jésus  allait  les  délivrer  dans  peu. 
Moïse,  Elie  et  saint  Jean-Baptiste  en  témoi- 
gnent leur  satisfaction  par  des  actions  de 
grâces.  » 

IX.  Enfer. 

«  Progilla,  femme  de  Pilate,  n'ayant  pu 
dormir  de  la  nuit,  à  cause  du  bruit  et  de  la 
rumeur  que  la  prise,  et  ensuite  le  jugement 
de  Jésus  ont  causés,  veut  se  jeter  un  moment 
sur  son  lit  pour  se  délasser  de  cette  fatigue 
et  trouver  le  repos  qu'elle  a  perdu. 

(Icy  se  couche,  la  femme  de  Pilale  sur  nng  beau  lit  ae 
camp  bien  paré,  et  Barraquin  se  siet  en  une  chaire 
auprès  du  lit.) 

«  Lucifer,  qui  vient  d'apprendre  de  Satan 
que  Jésus  va  être  condamné,  est  fort  surpris 
d'enlendrepar  les  cris  de  joie  des  saintsPères, 
que  ce  Jésus  est  le  Messie  qui  va  mourir 
pour  les  délivrer  ensuite.  «  Nous  sommes 
«  perdus,  maudit  Satan,  s'écrie- 1- il  avec 
«  une  fureur  inconcevable;  tes  soins  n'ont 
«  servi  qu'à  avancer  notre  malheur;  mais, 
«  pour  l'empêcher,  il  reste  encore  un  moyen: 
«  vas  trouver  la  femme  de  Pilate,  elle  est 
«  endormie  ;  inspire-lui,  par  un  songe  ef- 
«  frayant,  le  dessein  d'empêcher  son  mari 
«  de  prononcer  cette  terrible  condamna- 
«  tion.  »  Satan ,  malgré  le  peu  d'espérance 
qu'il  a  de  pouvoir  réussir,  part  pour  obéir  au 
commandement  de  son  maître  f» 

X.  Crucifiment  de  Jésus. 

«  Le  songe  que  Satan  procure  à  l'épouse 
de  Pilate  produit  en  elle  tout  l'effet  qu'il 
peut  désirer.  Elle  se  réveille  tout  épou- 
vantée et  dans  une  agitation  inexprimable. 
Elle  appelle  aussitôt  Barraquin,  et  lui  or- 
donne d'aller  dire  promptement  à  son  mari" 
de  ne  point  juger  l'homme  innocent  qu'il 
est  prêt  de  condamner.à  la  mort,  parce  que 
cela  lui  causera  des  malheurs  infinis,  ajou- 
tant qu'il  a  grand  tort  de  s'être  laissé  sé- 
duire par  l'or  que  les  Juifs  lui  ont  donné. 
Barraquin  va  aussitôt  trouver  Pilate  qui  est 
assis  dans  son  tribunal,  prêt  à  prononcer. 
Ce  gouverneur,  sachant  que  Barraquin  vient 
lui  dire  quelque  chose  en  secret,  fait  éloi- 
gner l'assemblée,  et  ce  fidèle  domestique 
exécute  ponctuellement  sa  commission.  Pi- 
lale, saisi  de  crainte,  descend  de  son  siège 
et  va  parler  aux  Juifs,  pour  les  engager  à 
prendre  un  parti  plus  doux.  Cette  dernière 
tentative  fait  aussi  peu  d'effet  que  les  pré- 
cédentes sur  l'esprit  de  ce  peuple  furieux; 
enfin,  Pilate  continuant  :  «  Puisque  vous 
«  persévérez,  leur  dit-il,  à  me  demander  sa 
«  mort,  je  vais  vous  contenter,  mais  je  vous 
«  déclare  que  je  n'ai  aucune  part  à  ce  juge- 

(350)  Nappe. 


•     ! 
I 


«  ment,  que  j'en  rejette  sur  vous  toute  l'inir 
«  quilé,  et  que  désormais  vous  répondrez 
«  de  son  sang.  Approche ,  Barraquin  ,  » 
ajoute-t-il, 

PILATE. 

Aporle  le  pot  à  laver, 

Et  le  bassin  et  la  toùaille  (530), 

Puis  à  laver  icy  me  baille, 

J'ay  grant  baste,  abrege-moy  tost. 

(Icy  Barraquin  donne  à  laver  à  Pilate.) 

«  Les  Juifs  disent  à  Pilate  qu'ils  consen- 
tent qu'eux  et  leur  postérité  demeurent  char- 
gée de  la  mort  de  Jésus. 

EMÉL1US. 

Tout  son  sanc  descende  et  redonde      '  • 
Sur  nous  et  sur  tous  noz  enfans. 

RABANUS. 

Tant  que  nous  serons  en  ce  monde 
Et  fusse  jusqu'à  dix  mille  ans, 
Nous  en  serons  participans, 
Si  fault  que  sa  mort,  nous  confonde. 

,  CELCIDON. 

Tout  son  sanc  descende  et  redonde 
Sur  nous  et  sur  tous  noz  enfans. 

«  Faites  silence  ,  »  dit  Pilate,  étourdi  de 
leurs  cris. 

PILATE. 

Nous  Ponce  Pilate, 
Garde,  par  charte  bien  fondée, 
De  la  Prévosté  de  Judée, 
Juge  criminel  soubz  la  main 
Du  très-craint  Empereur  Romain. 
Après  les  informations, 
Charges  et  accusations, 
Enquestes  et  tesmoings  produis 
De  par  la  partie  des  Juifz, 
Encontre  Jésus  qui  cy  est, 
NOUS-le  condamnons  par  Arrest 
Quoiqu'en  adviengne  droict  ou  tort, 
Souffrir  et  endurer  la  mort,  etc. 

«  Comme  me  voilà  tout  prêt,  dit  Pilate 
«  aux  deux  Pontifes,  voulez-vous  que  je 
«  juge  les  voleurs  qui  sont  dans  la  Prison  ? 
«  —  Volontiers,  »  répondent  Anne  et  Caï- 
phe.  On  les  envoie  chercher  aussitôt,  et 
Brayhault  l'es  amène.  Ces  larrons  reçoivent 
leur  condamnation  d'une  façon  bien  diffé- 
rente. Gestas  ne  l'entend  pas  plutôt  pronon- 
cer qu'il  commence  à  vomir  une  infinité 
d'imprécations;  maisDismas,  s'avouant  cou- 
pable de  plusieurs  crimes,  envisage  son 
supplice  comme  l'expiation  do  ses  péchés. 
Lorsque  tout  cela  est  fait,  Pilaledemandeaux 
pontifes  de  quelle  grandeur  ils  veulent  les 
trois  croix.  lis  le  prient  d'en  faire  construire 
une  fort  grande  pour  Jésus,  et  les  deux 
autres  à  l'ordinaire.  Pilate  donne  ordre  qu'on 
les  satisfasse;  et  Griffon  va  chez  le  char- 
pentier pour  les  lui  commander.  Ce  dernier 
dit  qu'il  n'a  pas  de  pièce  de  bois  assez 
longue  pour  faire  celle  de  Jésus,  à  moins 
qu'on  ne  lui  permette  de  prendre  une  vieille 
planche,  qui  est  auprès  du  temple  de  Salo- 
raon.  Pilate  la  lui  fait  délivrer,  et  cet  ouvrier 
se  met  en  devoir  de  fabriquer  ces  trois 
croix,  et  d'y  faire  des  trous  pour  iC  passage 


787 


PAS 


[DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


788 


des  clous.  D'un  autre  côté,  Brayard  va  chez 
un  maréchal  pour  les  faire  apprêter.  Ne 
trouvant  personne  dans  la  boutique,  il  se 
met  àjurer;  le  bruit  qu'il  fait  attire  la  vieille 
Hédroit,  qui  lui  en  demande  le  sujet;  et, 
lorsqu'elle  l'apprend,  elle  dit  à  Brayarl  qu'il 
ne  s'inquiète  point  et  qu'elle-même  va  les 
forger,  ce  qu'elle  fait  ensuite.  Sur  ces  ^en- 
trefaites,  le  charpentier  ayant  achevé  les 
croix,  prie  Griffon  de  l'aider  à  les  porter  ; 
celle  de  Jésus  est  si  pesante  que  ces  deux 
hommes  ont  beaucoup  de  peine  à  la  traîner. 
Enfin,  lorsque  tout  est  prêt,  les  satellites  de 
Pilate  dépouillent  Jésus. 

(Icy  commence  à  cheminer  Jésus  portant  sa  Croix  sur 
les  espaules  au  meilleu  des  deux  Larrons,  et  est 
à  noter  que  une  partie  des  Bourreaux  ae  Anne  et 
de  Caijplie  vont  devant  et  derrière,  après  luy  Anne, 
Cayphe,  Pylale,  les  Pharisiens  et  Scribes,  et  tout 
le  Peuple  ;  et  lantost  arrive  Centurion  et  les  femmes.) 

«  Centurion,  suivi  de  Rubion,  d'Ascanius 
et  de  Marchantonne,  obéissant  aux  ordres 
de  Pilate,  arrivent  oour  accompagner  Jésus 
au  supplice. 

«  D'uu  autre  côté,  Notre-Dame,  la  Made- 
leine, Marthe,  Julie,  Vérone,  Pérusine  et 
Pasiphée  s'empressent  pour  voir  Jésus  ; 
Joseph  d'Arimathie  prend  part  à  leur  peine, 
et  les  conduit  par  un  chemin  détourné,  mais 
plus  court,  ce  qui  fait  qu'elles  arrivent  bien 
plus  vite.  Jayrus,  Nicodème ,  Sophonias, 
Simon  le  Lépreux  et  Bartbimée,  qui  est  le 
même  aveugle  de  naissance  que  Jésus  a 
guéri,   s'entretiennent  de   la   mort  injuste 


porter  sa  croix,  à  moins  qu'on  ne  lui  donne 
quelqu'un  pour  lui  aider.  Pilate  commande 
qu'on  exécute  cet  ordre,  et  Griffon,  qui  en 
est  chargé,  voyant  passer  «Symon  Cyrénéus» 
ce  juste  «  comme  ung  Charpentier  qui 
«  porte  ces  fermens  au  coul  ,  »  le  saisit  au 
collet,  et,  malgré  sa  résistance  et  ses  re- 
présentations, l'amène  à  Pilate. 

GRIFFON. 

Sire,  je  vous  commet  et  baille 

Cest  homme  qui  vous  quiert  et  trace  (331). 

SYMON. 

Ha!  Messeigneurs,  sauf  vostre  grâce, 
Pas  ne  vous  quiers  en  vérité. 

«  Je  passais  mon  chemin,  Messieurs , 
«  ajoute-t-ii.  —  C'est  en  vain  que  tu  pré- 
«  tends  nous  résister,  répondent  ces  ar- 
«  chers  ;  il  faut  obéir  aux  ordres  de  notre 
«  gouverneur.  » 

«  Enfin,  après  quelques  coups,  ils  le  for- 
cent à  se  rendre  à  leur  volonté. 

{Icy  porte   Symon  une  partie  de  la  Croys    et  Jésus 
l'autre,  et  les  bâtent  les  Sercjens.) 

«  Pendant  ce  temps-là,  Dieu  le  Père,  qui 
veut  soulager  les  tourments  de  son  Fils, 
ordonne  à  ses  anges  d'aller  le  consoler. 

(Icy  descendent  les  Anges  de  Paradis.) 

«  D'un  autre  côté,  tout  l'enfer  se  met  en 
mouvement  ;  l'approche  du  Messie  alarme 
mortellement  le  roi  de  ce  lieu  sombre  ;  ri 
appelle  tous  ses  esprits  et  leur  ordonne  de 


que  Jésus  va  souffrir,  de  l'inhumanité  des     se  bien  tenir  sur  leurs  gardes,  en  s'apprê- 


pontifes  et  des  scribes  et  de  la  lâcheté  du 
gouverneur. 

«  Lorsque  Jésus ,  succombant  sous  le 
poids  de  sa  croix,  passe  devant  les  fenmes 
dont  nous  venons  de  parler,  elles  se  met- 
tent à  pleurer;  le  Seigneur  leur  dit  de  ré- 
server ces  larmes  pour  elles-mêmes.  Comme 
il  a  le  visage  baigné  de  sueur,  Véronno 
s'approche  un  linge  à  la  main  pour  le  lui 
essuyer. 

(Icy  approche  Veronne  ung  couvrecef  sur  la  face  de 
Jésus,  et  la  Véronique  y  demeure.) 

«  Les  fidèles  Juifs  qui  se  trouvent  pré- 
sents à  ce  miracle,  après  en  avoir  loué 
Dieu  ians  leurs  cœurs  ,  conseillent  à  Ve- 
ronne de  conserver  avec  soin  ce  linge  pré- 
cieux. 

«  Les  femmes  recommencent  leurs  pleurs 
et  leurs  plaintes  à  la  vue  des  maux  que 
Jésus  souffre,  et  Pilate  ordonne  à  ses  satel- 
lites de  hâter  leur  marche  et  de  faire  reti- 
rer ces  femmes  qui  les  importunent. 

PILATE. 

Que  ne  les  chassez-vous  arrière? 
Ce  semble  femmes  forcenées. 

(Icy  demeure  Jésus  chargé  de  sa  Croix,  comme  s'il 
devoit  lumber  soubz  le  fais.) 


tant  à  une  vigoureuse  résistance.  Les  démons 
lui  promettent  de  s'y  employer  de  toutes 
leurs  forces,  et  Cerberus  lui  dit  de  ne  rien 
craindre. 

CERBERUS. 

Laissez  le  venir,  s'il  entre  ens  (332) 
Je  veux  qu'on  m'arde  le  museau. 

«  Lucifer,  un  peu  rassuré  par  toutes  ces 
protestations,  dit  à  Satan  de  remonter  sur 
la  terre,  pour  être  spectateur  de  tout  ce  qui 
se  passera,  et  lui  enjoint,  sur  toutes  choses, 
de  ne  pas  manquer  à  venir  l'avertir  au  mo- 
ment qu'il  verra  Jésus  expirer.  Satan  part 
pour  obéir  à  ces  ordres. 

(Icy  arrivent   au  Mont  Calvaire,  et  demeure  Sainct 
Michel  et  les  autres  Anges  avec  Jésus.) 

«  Les  bourreaux  demandent  qui  est  celui 
que  l'on  veut  crucifier  le  premier.  Caïphe 
leur  ordonne  de  commencer  par  Jésus,  et , 
avant  toutes  choses,  de  le  dépouiller  entiè- 
rement. 

(Icy  te  deveslent  tout  nu,   et    Nostre-Dame  derrière 

avecques  les  Maries.) 

(Icy  Nostre-Dame  et  ses  seurs  s'approchent  de  Jésus 

et  cainct  Nostre-Dame  Jésus  d'un  cuévrechef.) 


«  Après  que  l'on  a  fait  retirer  les  femmes, 

«  Le  centurion,  qui  s'aperçoit  de  la  fai-      les  bourreaux  étendent  la  plus  grande  des 

blesse  où  Jésus  se  trouve,  en  avertit  Pilate,      trois  croix  par  terre,  et  y  attachent  Jésus. 

et  lui  dit  qu'il  est  impossible  qu'il  puisse      Lorsqu'ils  ont  cloué  une  main,  il  se  trouve 


(331)  Qui  vous  cherche  et  suit, 


(332)  Ici  dedans. 


789 


PAS 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


PAS 


-fi 


;so 


que  l'autre  ne  peut  allèindré  au  trou  que 
l'on  a  percé,  ce  qui  les  oblige,  pour  plus  de 
diligence,  à  lui  tirer  le  bras  avec  des  cordes 
pour  lefàire  Venir  au  point  qu'ils  demandent. 
Le  même  inconvénient  se  rencontrant  quand 
ils  veulent  lui  attacher  les  pieds,  ils  se  ser- 
vent d'un  pareil  moyen.  Pendant  ce  temps- 
là,  les  trois  Maries,  qui  voient  les  tourments 
inouïs  que  Jésus  souffre, fondent  en  pleurs, 
et  saint  Jean,  qui  les  accompagne,  ne  peut 
cacher  ses  larmes.  Ensuite,  lorsque  l'on  est 
prêt  à  lever  la  croix,  Caïphe  prie  Pilate  de 
composer  une  inscription  pour  l'y  attacher; 
Pilate  y  consent,  et  se  retire  à  part  pour  la 
l'aire. 

(Icy  escript  Pilate.} 

«  Lorsqu'il  l'a  achevée,  il  la  place  lui- 
même  au  lieu  où  elle  doit  être,  et  ordonne 
aux  bourreaux  de  poser  cette  croix  à  l'en- 
droit du  supplice. 

(Icy  lièrent  Jésus   crucifié,  à  force  de  gens,  et  de  pi- 
ques  et  basions  tout  bellement  [555].) 

«  Silôl  que  les  Juifs  aperçoivent  l'inscrip- 
tion, ils  en  font  leurs  plaintes  à  Pilate  et  le 
supplient  de  vouloir  bien  la  changer.  Ce 
gouverneur,  pour  la  première  fuis,  rejette 
leur  demande,  en  leur  disant  qu'il  n'a  pas 
le  temps. 

PILATE. 

Messeigneurs,  quod  scripsi,  scripsi  : 
Et  en  murmure  qui  vouldra, 
Car  ce  que  j'ay  escript  icy, 
Est  escript  et  y  demourra. 

«  Les  Juifs  se  retirent  tous  confus,  et 
Pilate  ordonne  que  l'on  expédie  les  deux 
larrons,  qui  sont  crucifiés  d'une  façon  un 
peu  différente  de  celle  de  Jésus 

(Icy  dressent  les  eschelles  pour  pendre  les  deux  Lar- 
rons.) 

(Icy  pendent  les  deux  Larrons  les  tyrans  de  Pilate,  et 
les  attires  leurs  aydent.) 

«  Satan,  qui  voit  tout  ce  qui  se  passe, 
maudit  la  facilité  qu'il  a  eue  à  séduire  les 
Juifs. 

La  première  parolle  de  Jésus  en  croix. 

Père,  qui  tes  servans  eslis, 
Et  eu  (jui  toutes  choses  sont, 
Tu  voys  de  quelz  gens  je  suis  pris, 
El  le  dur  courage  qu'ilz  ont  ; 
Pardonne-leur  s'ilz  ont  mespris, 
Car  ilz  ne  sçavcnt  pas  qu'ilz  font, 

«  Gestas  maudit  avec  imprécation  le  fatal 
moment  où  il  a  été  arrêté ,  et  le  bon  larron,  au 
contraire,  bénit  le  juste  supplice  qu'on  lui  lait 
endurer.  Cependant  les  princes  de  la  Loi  et 
tous  les  autres  Juifs  ajoutent  aux  tourments 
de  Jésus  des  paroles  insultantes. 

(Icy  tes  Princes  de  la  Loy  se  mocquent  de  Jésus.) 

«  Les  bourreaux  enchérissent  encore  sur 
eux. 

(Icy  se  moquent  les  tyrans  de  Jésus.) 
«  Gestas  même ,  tout  attaché  à  la  croix, 
(355)  Tout  doucement. 


lui  dit  mille  injures.  Mais  Dismas  ,  après 
l'en  avoir  repris,  se  tourne  du  côté  de  Jésus, 
et  le  supplie  d'avoir  pitié  de  son  Ame.  Te 
Seigneur  l'exauce,  et  lui  promet  entière  mi- 
séricorde. 

La  seconde  parolle  de  Jésus. 

Et  certainement  je  le  dis, 
Que  pour  le  désir  que  en  loy  voy, 
Ceste  journée  en  Paradis 
Seras  colloque'  avec  moy. 

«  Ce  pécheur  pénitent  le  remercie  de 
celte  grâce  qu'il  n'osait  attendre.  Noire- 
Dame,  qui  est  toujours  au  pied  de  la  croix, 
fond  en  larmes  à  la  vue  des  maux  que  souf- 
fre son  Fils.  Le  Sauveur  la  console  en  lui 
adressant  ces  mots  : 

Le  tiers  mot  de  Jésus. 

Mulier  ecce-  filins  tuus. 

Femme,  ayez  cueur  et  pacience  bonne, 
Cessez  ce  ducil,si  de  mon  suis  perçus  (554); 
Prenez  en  gré  le  filz  que  je  vous  donne, 
Voslre  nepveu,  qui  de  voslre  personne 
Songnera  bien  aprez  mon  gref  irespas; 
Prenez-la,  Jehan,  voslre  maislie  l'ordonne, 
Servez  la  bien,  et  ne  la  laissez  pas. 

«  La  sainte  Vierge  et  saint  Jean  lui  pro- 
mettent une  obéissance  parfaite.  Cependant 
les  quatre  satellites  de  Pilate  se  partagent 
entre  eux  les  habillements  des  deux  lar- 
rons. 

(Icy  fait  Griffon  quatre  lots  des  robes  des  Larron»!) 

«  Lorsque  chacun  d'eux  a  pris  son  lot, 
ils  en  veulent  faire  autant  de  ceux  de  Jésus; 
mais,  voyant  que  sa  robe  est  toute  d'une 
seule  pièce  et  sans  aucune  couture,  ne  vou- 
lant pas  la  mettre  en  morceaux,  ils  se  pro- 
posent de  la  tirer  au  sort.  Toute  la  difficulté 
consiste  à  savoir  quelle  espèce  de  sort  ils 
choisiront.  Après  avoir  rêvé  quelque  temps, 
ils  se  séparent,  dans  la  résolution  d'en 
chercher  quelqu'un,  et  prennent  des  routes 
différentes  les  uns  des  autres.  Le  hasard 
veul  que  Griffon  va  du  côté  de  Jérusalem  ; 
comme  il  marche  tout  rêveur,  il  se  sent 
tout  à  coup  saisir  par  une  personne  dont  le 
visage  lui  est  inconnu. 

(Icy  jeele  Salhan  un  manteau  sur  ses  espaules,  et  puis 
arreste  Griffon  par  te  bras.) 

«  Ne  crains  rien,  lui  dit  ce  démon,  je  sais 
«  le  dessein  qui  te  conduit,  et  je  veux  te 
«  protéger;  tiens,  conticnue-t-il  en  lui  don- 
«  nant  deux  dés  à  jouer,  pour  te  montrer 
«  que  je  prends  part  à  ce  qui  te  regarde,  je 
«  t'apporte  un  nouveau  jeu,  dont  je  suis 
«  l'inventeur.  »  Griffon  reçoit  ces  dés,  mais 
ignorant  leur  usage,  il  le  demande.  Satan 
lui  en  donne  l'explication,  aussi  bien  que 
la  manière  de  s'en  servir;  il  lui  recommande 
sur  toutes  choses,  que  s'il  veut  y  être  heu- 
reux, il  doit  jurer  fortement,  et  que  c'est  là 
le  moyen  le  plus  sûre  pour  réussir.  Griffon 
lui  proteste  de  n'y  pas  manquer,  et  après 
l'avoir  remercié,  il  s'en  retourne.  A  quel- 
ques pas  de  là,  Satan  le  rappel.  «  Ecoute, 

(334)  Frappé. 


791 


PAS 


DICTIONNAIRE 


«  lui  dit-il,  si  l'on  te  demande  à  qui  tu  es 
«  redevable  de  celte  invention,  dis  hardi- 
«  ment  que  c'est  le  diable  qui  te  l'a  ensei- 
«  gnée.  » 

La  quarte  parolle  de  Jésus  eu  croix. 

Hely,  liely,  lamazabalani  : 

Deus  meus,  ut  quid  rue  dereiiquislil 

Mon  Dieu,  mon  Père  de  lassus, 
,  Comme  quoy  m'a  lu  lessé  cy  ? 

•  J'en  souffre  tant  que  n'en  puis  plus, 

Et  d'apre  douleur  suis  transi  : 

Je  né  reconfort  de  nulli, 

Non  plus  qu'ung  poure  homme  oublyé, 

Recoy  la  douleur  de  celuy 

Que  lu  voys  tant  humilié. 

(Icy  retourne  Griffon,  qui  apporte  deux  douloùeres.) 

«  Griffon,  apportant  ces  instruments,  de- 
mande à  ses  compagnons  s'ils  n'ont  point 
trouvé  quelque  jeu.  «  Non,  répondent-ils. — 
«  Oh  bien,  pour  moi,  dit  ce  satellite,  j'en 
«  sais  un  qui  fera  justement  notre  affaire. 
«  —  Qui  te  l'a  donc  enseigné,  répliquent 
«  les  autres? — Le  diable,  ajoute  Griffon. 
«  — Le  diable?  répondent  ceux-ci,  cela 
«  doit  être  fort  joli  ;  dis-nous-le  donc  promp- 
te tement.  »  Griffon  les  instruit  de  la  façon 
dont  il  faut  en  jouer,  sans  leur  déclarer  ce- 
pendant le  secret  dont  Satan  lui  a  parlé. 
Mais  il  est  trompé  dans  celte  pensée,  car 
ses  compagnons  n'ont  pas  besoin  d'ins- 
truction sur  cet  article.  Pour  couper  court 
Brayart  prend  un  dé,  et  en  jurant  amène 
un  as;  Griffon  le  raille  sur  ce  mauvais  coup. 
griffon. : 

Il  semble  que  lu  soyez  maistre  ; 
Que  Dyable  l'en  a  tant  apris? 

Drillard,  suivant  les  tracesde  son  compa- 
gnon, arrache  le  dé  et  jette  un  deux;  Cla- 
quedenl  continuant  sur  le  même  ton,  tourne 
un  trois  ;  et  Griffon,  renchérissant  sur  les 
autres,  amène  un  six  et  emporte  la  robe. 
Les  trois  satellites' entrent  dans  une  fureur 
extrême,  et  vomissent  mille  imprécations 
contre  le  jeu,  l'inventeur,  celui  qui  le  leur 
vient  d'enseigner,  et  tous  ceux  qui  s'en 
serviront  à  jamais. 

(Pause,  —  Icy  se  font  ténèbres.) 

«  Lecentenicr  et  ses  soldats  sont  fort 
épouvantés  de  cette  nuit  subite.  Anne  pour 
les  rassurer  leur  dit  que  ce  n'est  qu'une 
éclipse  de  soleil. 

La  quinte  parolle  de  Jésus  encroix. 

Scitio,  j'ay  soif  désirée, 

De  Paradis  à  l'homme  rendre; 

J'ay  soif  de  ma  mort  bien  eurée  (535), 

Pour  la  vie  aux  pécheurs  eslendre  ; 

J'ay  ma  chair  pour  tous  martirée, 

Autant  qu'elle  se  peult  comprendre,  etc. 

«  Abiron  prend  une  éponge  et  la  trempe 
dans  du  vinaigre  mêlé  de  fiel  et  où  l'on  a 
fait  infuser  de  l'hysope. 

(Icy  luy  met  une  esponge  au   bout  d'ung  baston,  et 
donne  à  boire  à  Jésus.) 


DES  MYSTERES.  PAS  m 

La  sixième  parolle  de  Jésus  en  croix. 

Consummatum  est,  il  suffist, 
Toute  l'Escripture  sommée 
Qu'oncques  homme  de  moy  escript 
Est  de  cesle  heure  consommée  : 
Tanlost  sera  terminée  i 
Ma  Mort  et  dure  Passion, 
Et  de  Dieu  mon  Père  acceptée 
Pour  l'humaine  Rédemption. 

«  La  sainte  Vierge  continue  ses  plaintes 
et  ses  pleurs. 

La  septième  parolle  de  Jésus, 

en  criant  le  plus  haut  qu'il  pourra 

crier  :  In  manus. 

0  Pater;  in  manus  tuas 
Commendo  spiritum  meum. 
Par  la  puissance  que  lu  as 
Mon  Père,  et  par  ton  digne  nom, 
Je  n'ay  plus  jour  que  cesluy  non, 
Et  me  pars  du  règne  mondain  : 
El  au  partir  par  piteux  son 
Mon  esperit  commande  en  ta  main. 

(Icy  se  jera  tremblement  de  terre,  et  le  voile  du  Tem- 
ple se  rompt  par  lemeilleu,  et  plusieurs  mors  tous 
ensevelis  sortiront  hors  de  terre  de  plusieurs 
lieux,  et  yront  deçà,  et  delà.) 

«  Ces  prodiges,  qui  surviennent  au  mo- 
ment que  Jésus  expire,  sont  suivis  de  plu- 
sieurs désordres.  Satan,  qui  reconnaît  son 
maître,  frémit  de  rage,  et  descend  comme 
un  furieux  aux  enfers,  pour  apprendre  cette 
nouvelle  à  son  monarque.  Notre-Dame 
tombe  dans  un  évanouissement  d'où  l'on  a 
bien  de  la  peine  à  la  faire  revenir,  et  Pilate, 
saisi  de  crainte ,  ordonne  au  centurion 
d'avoir  soin  de  tout,  et  se  retire  avec  ses 
satellites. 

(Icy  s'en  vont  Pylate  et  tous  ses  gens.) 

«  Le  centurion  est  touché  jusqu'au  fond 
du  cœur,  aussi  bien  que  ses  soldats.  «Nous 
«  n'en  pouvons  plus  douter,  s'écrie  le  pre- 
«  mier,  c'est  là  le  Fils  de  Dieu.  »  Après  cela 
ils  s'entretiennent  ensemble  sur  tout  ee 
qu'ils  viennent  de  voir.  Pendant  ce  temps-là, 
Dieu  le  Père  ordonne  à  ses  anges  de  célé- 
brer par  leurs  chants  le  trépas  de  son  Fils. 
Ces  esprits  bienheureux  obéissent  et  enton- 
nent une  espèce  d'hymne  latine,  en  forme 
de  chant  royal,  qui  est  une  sorte  de  poésie 
iort  en  usage  au  temps  de  nos  auteurs. 

(Chant  Royal  en  latin,  qui  se  pourra  chanter  bien 
piteusement.) 

«  Nous  n'en  rapportons  que  la  fin 

MICHAEL. 

Kyry  penitenlibus. 

RAPHAËL. 

Eley  languentibus. 

UR1EL. 

Zon  libi  credenlibus. 

MICHAEL. 

Christe,  confidentibus. 


(355)  Bienheureuse. 


.  —  ■» 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ï93  PAS 

RAPHAËL. 

Parce  peccaloribus. 

UR1EL.' 
Pacem  donans  omnibus. 

MICHAEL. 

Tibique  sit  gloria. 
In  sempiterna  secula. 

'<  Gabriel  do  son  côté  console  la  Vierge 
Marie  et  lui  représente  qu'elle  doit  se  res- 
souvenir, que  si  Jésus  est  mort,  il  doit 
aussi  ressusciter  dans  trois  jours,  x 

XI.  Les  Limbes. 

«Satan,  pour  montrer  à  son  maître  le 
zèle  qui  l'anime,  ne  voit  pas  plutôt  Jésus 
expirer,  qu'il  descend  aux  enfers  pour  l'ins- 
truire de  cette  fâcheuse  nouvelle.  Lucifer 
est  très-surpris  de  le  voir  si  effaré. 

LUCIFER. 

Comment  le  va,  Sallian  ? 

SATHAN. 

Très  mal. 

LUCIFER. 

Qu'as-tu,  quel  giaut  Dyable  le  lient? 

SATHAN. 

Veez  cy  l'Ame  Jésus  qui  vient, 

Pour  nous  despouiller  cent  contre  ung. 

LUCIFER. 

Haro  !  Dyables,  tous  en  commun, 
Fermez  vos  portes  à  puissance, 
Mettez  vous  trestous  en  deffence, 
Chargez  barres  de  dix  milliers, 
Soyez  plus  fermes  que  pilliers  ; 
Vecy  venir  noire  adversaire. 

l'ame  JÉSUS. 
Attoltite  portas  principes  vestras, 
Et  elevamini  porte  eternales,  etc. 
Pi  ince  d'Enfer,  ouvre/  vos  portes, 
Si  entrera  le  Roy  de  gloire. 

LUCIFER. 

Qui  est  ce  Roy  dont  nous  exortes? 

l'ame  JÉSUS. 
Princes  d'Enfer,  ouvrez  vos  portes. 

«  Les  démons  font  beaucoup  de  résistance, 
enfin,  après  quelques  discours,  Satan  s'a- 
vance. 

SATHAN. 

Qui  est  ce  Roy  tant  glorieux? 

l'ame  JÉSUS. 
C'est  un  Seigneur  fort  et  puissant, 
(/ci/  chêenl  les  portes  d'Enfer.) 

LES  DIARLES. 

Haro,  haro,  haro,  hélas  ! 
Vecy  ung  terrible  ebarroy. 

«  Les  diables  prennent  la  fuite  et  Jésus 
prend  par  la  main  les  âmes  d'Adam,  d'Eve, 
de  saint  Jean-Baptiste  et  de  Jérémie,  et  leur 
dit  de  le  suivre  sans  crainte. 

(/ci/  les  maine  Jésus  en  Paradis  terrestre,  et  cepen- 
dant se  fait  tempesle  en  Enfer.) 

«  Lucifer,  pour  se  dédommager  de  la  perte 
qu'il  vient  de  faire,   dépêche   ses    esprits 


PAS 


794 


pour  aller  chercher  les  âmes  des  deux  lar- 
rons. » 

Suite  du  crucifiment  de  Jésus.  —  «  Caïphe 
et  Anne,  se  voyant  à  la  veille  d'un  sabbat 
très-solennel,  et  ne  voulant  pas  que  les 
corps  de  ceux  qui  viennent  d'être  crucifiés 
y  restent  exposés  devant  tout  le  peuple, 
vont  prier  Pilale  d'ordonner  qu'on  leur 
rompe  les  os ,  afin  qu'ils  meurent  plus 
promptement.  Pilale  appelle  ses  satellites  et 
leur  commande  d'exécuter  la  volonté  des 
pontifes. 

(Jeu  prennent  les  quatre  tyrans  chacun  sa  douloùere, 
et  retournent  à  la  Croix,  el  rencontrent  Longis.) 

«  Ce  soldat  romain,  qui  est  aveugle,  leur 
demande  où  ils  courent  si  vile.  Les  satel- 
lites satisfont  sa  curiosité,  el  ce  misérable, 
malgré  son  incommodité,  se  sent  une  haine 
si  violente  contre  Jésus,  qu'il  les  prie  de  le 
vouloir  bien  conduire  a  la  croix  du  Sau- 
veur, afin,  leur  dit-il,  que  je  puisse  avoir 
le  plaisir  de  lui  donner  un  coup  de  ma 
main. 

«  Les  tyrans  de  Pilate,  en  arrivant,  com- 
mencent par  expédier  les  deux  larrons 

(Icy  monte  Claquedent  à  reschelle,et  va  frapper  sur 
les  cuisses,  et  sur  les  bras,  et  sur  les  jambes  du 
bon  Larron,  et  en  sort  le  sang.) 

«  Dismas  expire  en  implorant  la  miséri- 
corde de  Dieu. 

(Icy  monte  à  l'eschelle,  pour  coupper  les  os  du  mau- 
vais Larron.) 

«  Et  celui-ci  meurt  le  blasphème  à  la 
bouche.  Ils  ne  tardent  pas  l'un  et  l'autre  a. 
recevoir  le  salaire  qu'ils  méritent;  car 
l'ange  Gabriel  conduit  l'âme  du  bon  larron 
au  ciel,  et  Satan,  d'un  autre  côté,  se  saisit 
de  celle  do  Gestas  et  l'entraîne  aux  enfers. 

«  Lorsque  ces  bourreaux  vont  à  Jésus, 
ils  sont  étonnés  de  le  trouver  sans  vie  : 
«  Tu  es  venu  trop  tard,  disent-ils  à  Longis. 
«  —  Au  moins,  répond  ce  dernier  ;  aidez- 
«  moi,  je  vous  prie,  à  le  frapper  tout  mort 
«  qu'il  est.  » 

(Icy  lui    baille  Brayart   une  lance,  et  lui  ayde  à  la 
mettre  contre  la  cosle  de  Jésus.) 

<  Le  sang  sort  en  abondance  mêlé  avec 
de  l'eau.  Ce  spectacle  surprenant  touche  le 
centurion  et  ses  soldats,  qui  embrassent  dès 
lors  la  doctrine  du  Sauveur;  Emélius,  Ra- 
banus,  Celcidon,  Phares,  Abiron,  Salmana- 
zar  et  Nembroth  cessent  d'être  ses  persé- 
cuteurs, à  cette  vue,  et  témoignent  le  re- 
pentir qu'ils  ressentent  d'avoir  outragé  celui 
qu'ils  reconnaissent  à  présent  pour  le  Fils 
de  Dieu.  Ils  se  retirent  en  gémissant  et 
frappant  leur  poitrine.  Leur  exemple  occa- 
sionne la  conversion  de  Longis,  qui  se  jette 
à  genoux  el  les  larmes  aux  yeux,  prie 
Jésus  de  lui  pardonner  son  crime. 

(Icy  met  Longis  du  sang  de  Jésus  dedens  ses  yeulx.) 
«  Pendant  ce  temps-là,  les  bourreaux  dé- 
tachent les  corps  des  larrons.  » 
(Icy  despendent  deux  cl  deux  ung  Larron,  et  les  lais- 
sent à  terre.) 


79ë  Ï>AS  DICTIONNAIRE  DES 

Xll.  Sépulture  de  Jésus. 

«Joseph  d'Arimathie,  seigneur  juif,  et 
revenu  par  l'empereur  d'une  charge  considé- 
rée, va  trouver  Pilate,  dont  il  est  fort 
connu  et  qui  est  de  ses  amis,  et  le  prie  de 
lui  permettre  d'ensevelir  le  corps  de  Jésus; 
ce  gouverneur  lui  accorde  sans  peine  ce 
qu'il  demande. 

PILATE. 

Qui  que  s'en  marrisse,  ou  s'en  fume, 
Pour  l'honneur  de  vostre  personne, 
Joseph..  Jésus  le  corps  vous  donne  : 
Allez,  et  l'osiez  hien  en  haste 

«  Joseph  se  retire  fort  satisfait ,  et  va 
pour  exécuter  ce  qu'il  a  projeté.  En  son 
chemin  il  rencontre  Nicodème  qui,  appre- 
nant son  dessein,  offre  ses  soins  pour  l'ai- 
der en  celte  entreprise.  «  J'ai,  dit-il  à  Jo- 
«  seph,  des  parfums  précieux  qui  nous 
«  serviront,  et  il  ne  nous  manque  plus 
«  qu'un  suaire.  »  Heureusement  pour  eux 
se  présente  Julie,  celle  môme  veuve  de 
Naïm,  dont  nous  avons  vu  que  Jésus  a  res- 
suscité l'enfant.  Nicodème  et  Joseph  s'adres- 
sent à  elle  et  Ja  prient  de  leur  vendre  un 
suaire;  Julie  leur  en  livre  un  du  plus  fin 
lin  que  l'on  puisse  trouver,  et  demande  un 
besan  d'argent  pour  son  payement;  comme 
elle  n'en  veut  rien  rabattre,  assurant  qu'elle 
le  donne  à  juste  prix,  Joseph  lui  paye  ce 
qu'elle  demande  et  emporte  le  suaire. 

(Icy  emporte  Joseph  le  suaire,  el  Nicodesme  apporte 
les  boueltes  aux  ongnemens.) 

«  Ces  deux  Juifs  vont  encore  prendre 
quelques  outils,  et  munis  de  tout  ce  qu'il 
leur  faut,  ils  prennent  le  chemin  du  Cal- 
vaire pour  descendre  le  corps  de  Jésus. 

(Icy  monte  Nicodesme  pardevant  la  Croix,  el  Joseph 
derrière,  et  porte  Joseph  tes  tenailles  et  marteau, 
et  Nicodesme  porte  le  suaire.) 

«  Joseph  a  bien  de  Ja  peine  à  détacher  les 
clous  qui  sont  enfoncés  si  profondément, 
que  ce  Juif  est  obligé  de  se  reposer  quel- 
quefois. 


MYSTERES. 


PAS 


796 


(Icy  le  descendent  de  la  Croix,  et  Sainct  Jehan  leur 
pourra  bien  aider,  el  la  Mugdalene.) 

«  Lorsque  cela  est  fait,  la  sainle  Vierge 
demande  que,  pour  dernière  consolation,  on 
lui  laisse  la  liberté  d'embrasser  un  moment 
son  cher  Fils. 

(Icy  s'assiet  Nostre-Dame  à  terre,  el  prenl  Jésus  en 
son  giron,  el  les  Maries  sont  auprès.) 

«  Madeleine,  voyant  la  Vierge  occupée 
autour  du  corps  de  Jésus,  va  embrasser  la 
croix  du  Sauveur,  et  là  continue  ses  pleurs; 
Noire-Dame,  Marthe  et  les  Maries  en  font 
de  même  de  leur  côté.  Au  bout  de  quelque 
temps,  Joseph,  les  interrompant,  leur  repré- 
sente que  la  nuit  approchant  le  force  à 
faire  plus  de  diligence,  et  que  c'est  a  re- 
gret qu'il  les  prive  de  cette  triste  satisfac- 
tion 

(Icy  oingnent  le  corps  de  Jésus  après  quoi  ils  l'ense- 
velissent et  ensuite  ils  le  portent  au  monument.) 


«  L'ange  Gabriel  console  la  Vierge  Marie; 
pendant  ce  temps-là  on  met  le  corps  de 
Jésus  dans  le  tombeau,  et  lorsque  lout  est 
prêt,  saint  Jean,  Joseph  et  Nicodème  le 
ferment  d'une  grosse  pierre. 

(Icy  mettent  la  pierre  à  ïuys  du  monument.) 

«  La  Vierge  et  les  Maries,  qui  ont  tou- 
jours suivi  le  corps  de  Jésus,  se  retirent 
en  pleurant  et  prennent  le  chemin  de  Bé- 
thanie;  saint  Jean  les  y  accompagne,  et 
Joseph  et  Nicodème  s'en  retournent  à  Jéru- 
salem. 

«  D'un  autre  côté,  Caïphe,  Anne,  avec  les 
scribes  et  les  pharisiens,  se  souvenant  que 
Jésus  a  promis  de  ressusciter  le  troisième 
jour  après  sa  mort,  et  craignant  que  ses 
disciples  n'enlèvent  son  corps  pour  faire 
courir  ce  faux  bruit,  vont  chez  Pilate,  pour 
le  prier  de  faire  mettre  des  gardes  à  son 
tombeau  pendant  quelques  jours. 

(Icy  viennent  les  Scribes  et  Pharisiens  devers  Pilate.) 

«  Caïphe  demande  à  Barraquin  si  l'on 
peut  parler  à  son  maître.  «  Je  n'en  sais  rien, 
«  répond  celui-ci,  car  il  est  de  fort  mau- 
«  vaise  humeur.  — C'est  pour  quelque  chose 
«  qui  presse,  réplique  le  pontife.  —  Pour 
«  vous  contenter,  dit  Barraquin,  je  vais  voir 
«  s'il  peut  vous  donner  audience. 

BARRAQUIN 

Monseigneur,  les  pharisiens 
Viennent  vers  vous. 

PILATE. 

Maulgré  ma  vie, 
Barraquin,  tay  toy,  je  le  prie  • 
Car  d'eulx,  ne  de  leur  fait  n'ay  cure, 
En  despisl  du  hanlt  Dieu  Mercure, 
Quant  oneques  je  fis  rien  pour  eulx. 

BARRAQUIN. 

Haro  !  que  Dyable  il  est  fumeux  ! 

«  Monseigneur,  continue  Barraquin,  ils 
«  m'ont  dit  que  c'est  pour  une  affaire  d'une 
«  grande  importance.  Eh  bien,  répond  Pi- 
«  laie,  fais-les  donc  entrer.  »  Caïphe  ne 
larde  pas  à  se  présenter  avec  toute  sa  com- 
pagnie, et  prenant  la  parole,  il  commence 
un  discours  dont  Pilate,  ne  voyant  point  le 
but,  s'impatiente  fort. 

PILATE. 

Venez  au  point  qui  vousamaine; 
Besoing  n'est  de  interlocutoire 

«  Seigneur,  réplique  Anne,  comme  nous 
«  avons  appris  que  ce  Jésus  que  vous  avez 
«  condamné  à  la  mort    s'est  vanté  de  res- 

«  susciter  au  bout  de   trois  jours — 

«  Eh  bien  1  »  dit  Pilate  en  l'interrompant. 

PILATE. 

Et  puis,  quant  il  seroit  ainsi, 

Que  voulez-vous  qu'on  vous  y  face  ? 

«  La  grâce  que  nous  vous  demandons , 
«  ajoute  Mardochée,  c'est  que,  comme  nous 
«  sommes  persuadés  que  ce  n'est  qu'une 
«  imposture,  vous  vouliez  bien  nous  accor- 
«  der  des  gardes,  de  crainte  que  ses  disci- 
«  pies  n'enlèvent    son  copps  et  ne  fassent 


707 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


798 


«  courir  le  bruit  qu'il  est  ressuscité.  —  Je 
«  n'en  ferai  rien». répond  Pilatè,  et  je  n'ai  que 
«  trop  consenti  à  vos  volontés;  c'est  vous 
«  qui  m'avez  forcé  à  prononcer  l'injuste 
«  arrêt  de  sa  mort.  » 

PILATE. 

Après  sa  mort  suffist-il  mye 
Qu'il  ail  en  Croix  perdu  la  vie; 
Que  diable,  demandez-vous  plus  ? 
Que  luy  feriez-vons  au  surplus? 
En  esl-on  pas  assez  vengé? 

«  Vous  avez  vos  gardes,  continue-t-il  ; 
«  prenez-les,  car  pour  moi,  je.  ne,  veux  plus 
«  m'en  mêler.  »  Les  deux  pontifes,  remplis 
de  confusion,  se  retirent  avec  leur  suite; 
ils  vont  au  plus  tôt  chercher  des  soldats  et 
s'adressent  à  ceux  du  centenier. 

(lcy  viennent  parler  aux  gens  de  Centurion.) 

«  lUibion ,  Ascarius  et  Marchantonne 
veulent  bien  se  charger  de  cette  commis- 
sion, mais  avant  toutes  choses  ils  deman- 
dent l'ouverture  du  tombeau,  pour  voir  si 
véritablement  le  corps  do  Jésus  y  est. 
Caïphe  leur  permet  de  lever  la  pierre" qui  le 
ferme,  ce  qu'ils  font  en  présence  de  tous 
ces  Juifs;  et  qui,  y  ayant  trouvé  le  corps  du 
Sauveur,  font  remettre  la  pierre,  et  pour 
plus  grande  sûreté  y  posent  chacun  leur 
sceau.  Ensuite  ils  s'en  retournent  chez  eux, 
après  avoir  averti  les  soldats  d'appeler  du 
secours  en  cas  qu'on  vînt  pour  les  forcer, 
et  ceux-ci  restent  pour  la  garde  du  tom- 
beau. » 

PROLOGUE  FINAL. 

Puis  qu'avons  eu  temps  et  espace 
De  réduire  C:>  brief  par  escript 
La  Passion  de  Jesu  Christ, 
Ayons-en  recordacion, 
Aflin  que  par  compassion, 
Puission  mériter  messoùen  (336), 
El  en  la  (in  gloire.  Amen. 

Cy  finit  le  Mystère  de  la  Passion  ISostre- 
Seigneur  Jesuchrist. 

EXTRAIT 

DU  MYSTÈRE    DE  Là    RÉSURRECTION   DE    NOTRE- 
SEIGNEUR    JÉSLS-CIIRIST. 

PERSONNAGES. 


DIEU  LE  PÈRE. 
JÉSUS-CHRIST. 
LE  SAINCT-ESPEUITCnsigne 

de  Lingues  de  feu. 

LA  SAINCTE  VIERGE  MARIE. 

sainct  'iichkl,  ange. 
CABRIEL,  idem. 
raihaf.l,  idem. 
cricl,  idem. 
chérubin,  idem. 
séraphin,  idem. 
sainct  pierre,  apôtre. 
sainct  andray,  idem. 

SAINCT  JACQUES  (lit  BtàjOf, 

idem. 

SAINCT  JEHAN,   idem. 

sainct  Philippe,  idem. 
(336)  Désormais. 


SAINCT  BARTHÉLÉMY,  lûem. 

Sainct  Mathieu,  idem. 
sainct  thomas,  idem 
sainct  s  y  mon,  idem. 
sainct  JUDE,  idem. 

SAINCT     JACQUES     ALPIIAY, 

d'il  Minor,  idem. 
sainct  MATiiiAs,  idem 

MARiE  JACOB. 
MARIE  SW.OMÉ. 
MARIE  MAGDALEINE. 

sainct  Luc  Disciple  de  Jé- 
sus. 

cléopiias,  idem. 

joseph  barsabas,  surnom- 
mé le  Juste. 

nicodesme,  Docteur  de  la 


Loy. 

JOSEPH  d'ARI.MATIUE,  Ol'fi- 

cier  Juif  commis    par 

l'Empereur. 
rubem,  Disciple  de    saint 

Jacques  dit  Minor. 
gédéon, idem. 
neptalin,  idem. 
moab,  Juif  suivant  le  parti 

de  Jésus. 
abiron,  idem. 
tubal,  idem. 
celius,  idem 

UN   ESPICIER. 

L'osTEdu  Bourg d'Einaiïs. 

CAYPlIE. 
ANNE. 

jéroboam,  pharisien. 

mardochée,  idem. 

naasson,  idem. 

joathan,  idem. 

eliachin,  idem. 

bannanus,  idem. 

jacob,  scribe. 

ISACHAR,  idem. 

natiian,  idem. 

naciior,  idem. 

pilate,  Gouverneur  de  la 
Judée. 

progilla,  femme  de  Pi- 
late. 


•:.- 


barraquin,  Confident  de 
Pilate. 

CENTURION. 

ascanius,  soldat. 
rubion,  idem. 

MARCHANTONNE,    idem. 

roullart,  Tyran  d'Anne. 
dentart,  idem. 
cadiffer,  idem. 
bruyant,    Tyran  de  Cay- 

phe. 
mai. chus,  idem. 
dragon,  idem. 

BRAYAULT,  Geôlier. 
TROUPE  de  juifz. 
adam,  aux  Limbes. 
eve,  idem. 
david,  idem. 
isaye,  idem 
B1ÉRÉMIE,  idem 
EZÉciiiEL,  idem. 

SAINCT     JEHAN-BAPTISTE  , 

idem. 
le  bon  larron,  idem. 
lucifer,  Roy  des  Enfers. 
sathan,  Diable. 
astaroth, idem. 
fergalus,  idem. 
bérith,  idem. 
cerbérus,  idem. 


MYSTÈRE    DE    LA    RESURRECTION. 

Icy  commence  le  Mistere  de  la  Résurrection 
etAssencion  Nostre-Seigneur  Jésus-Christ. 

I.  Des  Chevaliers  du  Sépulchre. 

«  En  finissant  l'extrait  de  la  quatrième 
journée  du  mystère  de  la  Passion,  nous  avons 
laissé  Ascanius,  Marchantonne  et  Rubion, 
auprès  du  tombeau  de  Jésus  dont  on  leur  a 
confié  la  garde;  nous  les  retrouvons  ici  dans 
la  même  occupation,  et  s'entretenant  ensem- 
ble de  leur  valeur.  Ils  en  paraissent  telle 
ment  persuadés  qu'ils  protestent  ne  pas 
craindre  une  vingtainede  personnes  qui  vou^ 
d raient  leur  faire  violence.  » 

II.  Conseil  des  Juifz. 

«  Pendant  ce  temps-là,  Caïphe  et  Anne 
tiennent  conseil  avec  les  scribes  et  les  pha- 
risiens, pour  délibérer  sur  la  démarche  de 
Joseph  d'Arimathie.  C'est  le  scribe  Jacob  qui 
le  défère  et  qui  soutient  que,  malgré  la 
charge  dont  il  est  revêtu,  il  n'a  pas  pu,  sui- 
vant sa  religion,  sur  la  seule  permission  de 
Pilate,  ensevelir  le  corps  de  Jésus  qui  a  fini 
sa  vie  par  une  mort  ignominieuse.  L'assem- 
blée ne  balance  pas  à  déclarer  Joseph  cri- 
minel, et  Caïphe  ordonne  aux  satellites  de 
se  saisir  de  lui  et  de  ramener. 

BRUYANT. 

Et  après? 

elyachin,  pharisien. 

Et,  Sire,  esse  à  vous 
Que  nous  en  devons  rendre  compte?  etc. 

bruyant. 

Pardonnez-moy,  je  m'éjouye, 
Et  alloyc  à  la  bonne  foy.  i 


799 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


800 


III.  Des  troys  Maries. 

«  Madeleine,  Marie  Saloraé  et  Marie  Jacobi 
paraissent  en  pleurant  la  mort  de  Jésus  : 
comme  elles  n'ont  point  eu  la  satisfaction 
d'embaumer  son  corps,  elles  se  munissent 
chacune  d'une  boîte,  et  prennent  de  l'argent 
suffisamment  pour  aller  acheter  des  parfums, 
et  ensuite  les  répandre  sur  lui.  » 

IV.  Joseph  d'Arimathie  devant  les  Scribes  et 
les  Pharisiens. 

«  Les  satellites  d'Anne  et  de  Caïphe  cou- 
rent de  tous  côtés  pour  trouver  Joseph  d'A- 
rimathie  ;  lorsqu  ils  le  rencontrent,  ils  se  jet- 
tent tous  sur  lui,  et  le  traitent  avec  beaucoup 
d'inhumanité. 

ROULLART. 

Sa,  Maislre,  ne  rebellez  point  : 
Faictesvous  icy  du  grobis? 
Vous  vendrez  par  devers  nobis; 
Passez  avant  légieremeut. 

JOSEPH. 

Seigneurs,  menez-moy  doulcement. 
Quel  ebose  me  demandez-vous? 

MALCHUS. 

Vous  le  sçaurez  à  vos  cbiers  couslz,  etc. 

«  Ces  malheureux,  malgré  leur  nombre, 
craignant  que  Joseph,  tout  désarmé  qu'il 
est,  ne  leur  échappe,  ils  le  lient  avec  de  for- 
tes cordes,  sans  écouter  ses  raisons,  et  ne 
le  regardant  que  comme  un  scélérat  qui  va 
bientôt  subir  une  mort  cruelle. 

JOSEPH." 

Comment  ?  je  n'enlens  point  cecy  ; 
Messeigneurs,  que  voulez-vous  faire? 

MALCHCS. 

Vous  le  sçaurez  par  exemplaire, 
Avant  qu'il  soit  gueres  d'espace; 
Sus-lost,  esebarissez  la  place, 
11  n'est  pas  saison  de  preseber; 
11  fault  le  païs  despecher 
De  voslre  sanglante  ebarongne. 

JOSEPH. 

Vecy  douloureuse  besongne. 
De  moy  si  rudement  traicter  : 
Vueillez  moy  nng  peu  supporter, 
Larron  ne  suis,  ne  couveulx  (337). 

MALCHUS. 

Et  si  tu  ne  vaulx  gueres  mieulx. 

«  En  accompagnant  ces  paroles  insultantes 
d'une  infinité  de  coups,  ils  l'amènent  au 
conseil  des  Juifs.  Dès  que  Joseph  se  voit 
devant  eux,  il  se  défend  du  crime  qu'on  lui 
impute,  et  allègue  un  grand  nombre  de  pas- 
sages de  l'Ecriture  sainte,  qui  non-seulement 
Eermettent  de  rendre  aux  morts  ce  charita- 
le  soin,  mais  même  le  commandent  comme 
une  œuvre  méritoire  aux  yeux  de  Dieu. 
«  Tout  ce  que  vous  dites  est  vrai,  lui  répond 
«  Caïphe,  mais  vous  vous  trouvez  dans  un 
«  cas  bien  différent.  —  Armez-vous  de  pa- 
«  tience,  »  ajoute  Anne  d'un  ton  charitable. 

ANNE. 

Vous  avez  la  mort  desservie, 
Josepb,  or  la  prenez  en  gré. 

(337)  Envieux. 

(338)  Quelles. 


«Comment,  réplique  Joseph,  quel  mal 
«  ai-je  fait  en  ensevelissant  le  corps  d'un 
«  homme  innocent  ?  »  Cette  dernière  parole 
inspire  à  l'assemblée  une  fureur  inexprima- 
ble; sans  observer  aucune  formalité,  les 
deux  pontifes  ordonnent  qu'on  le  conduise 
en  prison.  «  Je  suis  officier  de  l'empereur, 
«  s'écrie  Joseph,  et  j'en  appelle  à  son  tribu- 
«  nal.  »  Les  Juifs  méprisent  ces  défenses, 
et  commandent  aux  satellites  d'obéir  promp- 
teruent;  ces  derniers  exécutent  cet  ordre 
avec  leur  rigueur  ordinaire,  et  amènent  Jo- 
seph au  geôlier  Brayault,  qui  l'enferme  dans 
un  cachot  affreux.  » 

V.  Des  Maries,  et  de  VOingnement  qu'ils  (338) 
achetèrent. 

«  Madeleine  et  ses  deux  compagnes,  pour 
accomplir  le  dessein  qu'elles  ont  pris  dans  le 
troisième  mystère,  vont  trouver  un  épicier, 
et  lui  demandent  combien  il  lui  faut  pour 
remplir  les  trois  boîtes  qu'elles  portent  du 
parfum  le  plus  exquis.  «  Je  ne  puis  le  faire, 
«  répond-il,  à  moins  de  cent  besans  (339). — 
«  La  somme  est  un  peu  forte,  répliquent- 
«  elles 

MARIE  JACOB. 

N'en  pourrait-on  point  rabaisser, 
Cher  maistre?  Soyez-nous  bénin 

l'espicier. 
En  vérité,  Dame,  nennyn  ; 
Croyez,  que  je  n'y  gagne  guère,  ele. 

«  Je  vous  parle  en  conscience,  ajoute-t-il. 
«  —  Puisque  cela  est  ainsi,  disent  les  fem- 
«  mes,  tenez,  voilà  votre  argent,  et  donnez- 
a  nous  de  la  meilleure  marchandise  que 
«  vous  avez.  »  L'épicier  leur  livre  des  bau- 
mes'précieux,  et  elles  les  emportent,  en  in- 
tention d'aller  au  tombeau  de  Jésus,  dès  le 
lendemain,  a  la  pointe  du  jour.  » 

(Icy  s'envont  mcllre  à  point  les  oingnemens.) 

VI.  De  Sainct Jacques  le  Mineur  et  de  ses 
Disciples. 

«  Rubem,  Gédéon  et  Neptalin ,  disciples 
de  saint  Jacques  le  Mineur,  font  tous  leur 
possible  pour  consoler  leur  maître  qui  pa- 
rait dans  une  tristesse  extrême.  Tous  leurs 
efforts  sont  inutiles,  et  cet  apôtre  est  si  in- 
consolable de  la  mort  de  Jésus,  dont  il 
porte  la  ressemblance,  que,  malgré  toufee 
qu'ils  peuvent  dire,  il  persiste  dans  le  dès- 
sein  qu'il  a  pris  ,  de  ne  boire,  ni  manger, 
qu'il  n'ait   vu  son  Sauveur.  » 

VIL  De  Sainct  Pierre  en  la  fosse. 
(Icy  doit  eslre  Sainct  Pierre  en  la  fosse  tout  seul.) 

«  Le  regret  que  saint  Pierre  a  conçu  d'a- 
voir renié  son  maître,  lui  ayant  fait  prendre 
Ja  résolution  de  s'enfermer  dans  le  lieu  où 
nous  le  voyons  ici,  il  y  pleure  amèrement 
son  crime. "Quelque  temps  après,  faisant  ré/- 
flexion  que  les  conseils  de  ses  frères  pour- 
ront le  fortifier,  il  sort  de  ce  triste  rédruit,  et 
va  .pour  les  rejoindre.  » 

(Icy  s'en  va  vers  ses  compaignvns.) 

(539)  Le  besan  vaut  50  livres. 


801 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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802 


VIII.  Des  regrelz  des  Apostres  pour  la  mort 
de  Jésus 

«  Saint  Pierre,  en  arrivant  au  logis  des 
apôtres,  les  trouve  consternés  de  la  perte  de 
leur  maître.  Chacun  d'eux  en  témoigne  sa 
douleur,  et  saint  Pierre  lui-même  ne  peut 
cacher  le  chagrin  qu'elle  lui  cause. 

SAINCT  PIERRE. 

Mes  frères,  bien  devons  mener 
Grant  pleur ,  et  grant  dueil  démener; 
Quant  nostre  fait  bien  considère 
Quant  sil  qui  nous  souloit  donner  (340\ 
Doctrine,  et  refectionner 
Nos  âmes  par  divin  mystère , 
Est  mort  à  si  grant  vitupère  (341)|; 
Or,  demourra  nostre  repaire  (342) 
Sans  Pasteur  pour  nous  gouverner 
Ou  ung  Docteur  qui  nous  appere  (343) , 
(Si  double  que  ne  le  compère  [344]), 
Nostre  anie  avant  le  deCîner  (345). 

«  Dans  cette  triste  situation,  les  apôtres 
craignant  la  fureur  des  Juifs  qui,  après  avoir 
fait  mourir  le  maître,  pourront  bien  traiter 
de  môme  les  disciples,  et,  n'osant  plus  sor- 
tir, prennent  le  parti  de  s'enfermer  chez  eux, 
et  de  se  tenir  sur  leurs  gardes.  » 

IX.  Des  Chevaliers  qui  gardoient  le 
Sépulchre. 

«  Les  trois  soldats,  dont  nous  avons  parlé 
au  premier  mystère,  continuent  leur  fonc- 
tion arec  beaucoup  de  zèle;  de  'peur  d'être 
surpris,  ils  visitent  le  contour  du  tombeau, 
pour  voir  si  personne  ne  s'y  serait  point  ca- 
chA  Loisque-cela  est  fait,  ils  se  mettent  à 
leurs  places. 

MARCHANTONNE. 

S'il  y  a  ribault  qui  cy  s'embuebe, 
Quel  qui  soit  estrange  ou  privé , 
Et  il  y  peult  estre  trouvé, 
Il  ne  fauldra  pas  à  la  feste  , 
Car  les  espaulles  et  la  leste 
Jeluy  fendray  jusques  aux  dens.  i 

(Icy  se  racienl  leurs  basions  sur  eulx. 

X.  Enfer. 

«  Lucifer,  toujours  attaché  au  fond  de  ses 
cachots,  sans  en  pouvoir  sortir,  est  dans 
une  étrange  inquiétude  de  savoir  tout  ce  qui 
se  passe.  Comme  depuis  Je  moment  que 
Jésus  est  venu  le  dépouiller  de  sa  proie,  il 
n'a  entendu  parler  de  rien,  il  appelle  tous 
ses  démons  d'une  voix  épouvantable,  pour 
être  instruit  de  tout  ce  qui  s'est  fait  sur  la 
terre,  depuis  la  descente  du  Sauveur  aux 
enfers. 

LUCIFER. 

Diables  de  L'infernal  déluge  , 
En  crueux  (346)  lourmens  estendus, 
Serpens  dampnez,  et  confondus 
A  riufernale  feu  perdurablc 
Mauldis  soubs  peine  interminable, 
Venez  moy  brefvement  à  secours,  etc. 

(340)  A  voit  coutume. 

(341)  Honte. 

(542)  Retraite. 

(543)  Découvre. 


SATIIAN. 

tlaro  !  Lucifer  est  entre 
Ce  m'est  advis ,  en  raige  inlecle  : 
Escoutez-là  quel  cbaiisonnetle 
11  nous  cbanle  au  profleiat. 

ASTAROTU. 

Ainsi  fait-il,  quand  il  s'esbat, 
Ce  sont  les  beaulx  jeux  qu'il  scel  faire 
Que  de  crier,  hurler,  et  braire, 
Comme  un  loup  de  rage  affamé. 

FEKGALUS. 

11  ne  huche  (347)  ne  deux  ,  ne  troys; 

11  a  lout'd'ung  coupappellée 

La  grant  légion  dèsollée 

De  tous  ceulx  qui  sont  en  Enfer. 

LUCIFER. 

Commun  mauldict,  gendre  infernal , 
Monstrez  divers  substances  viles  , 
Ors  Serpens  ,  hideux  Cocodrilles, 
Vielz  aspiez,  orribles  dragons, 
Vendrez-vous  point? 

SATHAN. 

Nous  nous  hastons,  etc. 

«  Comment  donc  ?  dit  Lucifer,  on  me  laisse 
«ici,  sans  m'apprendre  aucune  nouvelle?» 
Satan  lui  fait  le  récit  de  tout  ce  qui  s'est 
passé  sur  la  terre  depuis  la  mort  de  Jésus  , 
et  Lucifer  lui  donne  ordre  d'y  remonter  pour 
prendre  garde  à  ce  qui  va  arriver,  afin  de 
l'en  informer  ensuite.  » 

(Icy  s'en  va  Sallian  vers  le  Tombeau.) 

XI.  Résurrection. 

Dieu  le  Père,  qui  prévoit  le  moment  que 
Jésus  va  ressusciter,  ordonne  à  ses  anges  de 
se  préparer  à  un  si  grand  événement  et  d'ex- 
citer un  tremblement  de  terre  ;  en  môme 
temps.il  charge  Gabriel  du  soin  de  consoler 
la  sainte  Vierge. 

(Icy  se  doit  faire  une  grande  tempeste  en  Enfer,  et 
sus  la  Tertre,  pour  faire  trembler.) 

«  Les  gardes  qui  sont  autour  du  tombeau, 
se  sentant  fatigués,  s'abandonnent  à  un 
sommeil  si  profond,  que  le  bruit  que  cause 
le  tremblement  de  terre  ne  les  peut  réveil- 
ler. 

(Icy  s'endorment  les  Chevaliers;  et  doit  venir  l'Ange, 
qui  oste  la  pierre  du  monument ,  et  alors  se  doit  le- 
ver Jésus  du  Sépulcre  à  tout  une  croix  vermeille, 
et  incontinent  se  absconse.) 

«  Notre-Dame,  qui  ignore  ce  qui  se  passe, 
est  dans  une  grande  affliction  ;  néanmoins 
l'espérance  qu'elle  a  de  voir  Jésus  res- 
suscité, jointe  aux  discours  consolants  de 
l'ange  Gabriel,  apaise  un  peu  sa  vive  dou- 
leur. 

MARIE. 


Exurge  gloria  mca; 
Lieve-loy  ma  gloire  parfaicle, 
Psalterinm  et  cylliara, 
Ma  mélodie  très-  parfaite 

,344)  Qu'on  le  trouve. 

(345)  Mourir.  .    ■'," 

(346)  Cruels 
347)  Appelle. 


FM 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


80-'. 


Ne  laisse  ta  Mère  deffaicte  , 
Desolatam  in  seculo  ; 
Mais  selon  la  voix  du  Prophète  , 
Dis ,  exurgam  diluculo. 

JÉSUS 

Ma  très-ehère  Mère ,  et  loyalle  , 
La  paix  du  Ciel  imperialle 
Ayez  en  vostre  humilité. 

«  La  sainte  Vierge  se  sent  fort  consolée  à 
cette.  Vuu;  Jésus  lui  apprend  qu'il  vient  de 
ressusciter,  et  que  désormais  il  nel'abandon- 
nera  pius.  Notre-Dame  le  remercie  avec  une 
profonde  humilité. 

NOSTRE-DAME. 

Loué  en  soit  la  Trinité, 

Que  mon  cher  Filz  s'est  présente 

A  moy;  plus  joyeuse  en  seray. 

(lcy  esvanoù'U  Jésus  d'elle.) 

XII.  Des  troys  Maries. 

«  Les  trois  Maries,  poursuivant  toujours 
leur  dessein,  vont  à  la  pointe  du  jour  au 
tombeau  de  Jésus,  pour  répandre  sur  son 
corps  les  aromates  qu'elles  ont  achetés. 

(Nota.  Que  la  pierre  esl  ôiée,  et  sont  les  Anges  assis 
dessus.) 

(Icy  entrent  au  monument  en  regardant.) 

«  Madeleine  est  fort  affligée,  lorsque  regar- 
dant le  tombeau,  qui  est  ouvert,  elle  n'y  voit 
point  le  corps  de  Jésus.  Ses  deux  compagnes 
en  paraissent  aussi  surprises  qu'elle,  sitôt 
qu'elles  sont  entrées;  dans  la  croyance  où 
elles  sont  qu'on  l'ait  emporté,  elles  fondent 
en  larmes.  Leur  crainte  et  leur  effroi  redou- 
blent en  apercevant  Michel  et  Gabriel  qui 
sont  assis  sur  le  tombeau.  Mais  ces  bienheu- 
reux esprits  les  rassurent  en  leur  disant  que 
ce  Jésus  qu'elles  cherchent  avec  tant  d'em- 
pressement est  ressuscité,  et  que  si  elles 
veulent  le  voir,  elles  n'ont  qu'à  aller  en  Ga- 
lilée. Les  trois  Maries  ne  tardent  pas  à  obéir 
à  un  ordre  si  favorable,  en  prenant  le  che- 
min de  cette  contrée.  » 

(Icy  se  mettent  en  voye.) 

XIII.  Des  Chevaliers  qui  gardent  le 
Sépulchre. 

«  Nos  gardes  endormis  sont  fort  étonnés 
en  s'éveillant  de  trouver  le  tombeau  ouvert; 
leur  étonnement  augmente,  lorsqu'en  s'en 
approchant,  ils  n'y  voient  plus  le  corps  de 
Jésus.  Comme  ils  ne  savent?  à  qui  atlribuer 
ce  prodige,  ils  se  disent  force  injures,  et 
s'accusent  mutuellement  de  n'avoir  pas  veillé 
avec  assez  de  soin. 

ASCANIUS. 

C'est  par  vous. 

MARCHANTONNE. 

Vous  avez  menty , 
Ne  me  imposez  point  lâcheté  : 
J'ay  mieulx  gardé  de  mon  coslé 

(348)  Arrivé. 

(349)  Qui  que  ce  soit. 

(350)  C'est  par  loi. 

(351)  C'était  autrefois  la  coutume  de  jeter  ungand, 
ou  autre  chose,  lorsqu'on  défiait  quelqu'un. 


Que  vous ,  et  de  meilleur  parti. 

RUBlON.j 

Jamais  il  ne  fust  départy 

Si  vous  eussiez  songneux  esté; 

C'est  par  vous. 

ASCANIUS. 

Vous  avez  menty , 
Ne  me  imposez  point  lâcheté  : 
Tout  ce  mal  nous  esf  reverly  (348) 
Par  vostre  grant  nieschanselé  , 
Vous  avez  prins  et  emporté  , 
Qui  que  ait  (349)  le  moyen  basly, 
C'est  par  vous. 

RUBION. 

Vous  avez  menty, 
Ne  me  imposez  point  lacheié  : 
J'ay  mieulx  gardé  de  mon  coslé 
Que  vous,  et  de  meilleur  par  ty 
Et  qui  me  dira  c'est  par  ly  (550) 
Je  l'appelle  le  champ  de  gaige  (351). 

«  Hé!  de  grâce,  Messieurs,  dit  Marchan- 
«  tonne,  ne  nous  échauffons  pas  davantage; 
«  quoi?  voudrions -nous  nous  égorger?  Il 
«  vaut  bien  mieux  nous  excuser  envers  les 
«  Juifs.—  Et  le  moyen?  répond  Ascanius. — 
«  En  leur  disant,  réplique  Marchantonne, 
«  que  Jésus  est  ressuscité.  » 

RUBION. 

Voyre,  mais  vous  ne  comptez  mye  , 
Que  nous  les  ferons  crever  d'ire  ? 

MARCHANTONNE. 

Ne  vous  chaiile  (552)  que  scachent  dire. 

«  En  un  mot,  ajoute-t-il,  le  meilleur  parti 
«  que  nous  puissions  prendre,  c'est  de  dire 
«  la  vérité;  et  puis,  vous  n'ignorez  pas  que 
«  c'est  le  ciel  qui  a  opéré  cette  merveille,  et 
«  que,  ne  pouvant  résister  aux  dieux  (353), 
«  il  n'y  a  point  de  faiblesse  à  leur  céder.  — 
«  Il  est  vrai,  reprend  Ascanius,  et  je  uj 
«  ressouviens  de  l'avoir  vu  ressusciter.  » 

ASCANIUS. 

Oncques  rien  ne  cuyday  (354)  veoir  mieulx 
Que  je  l'ai  choisy  à  mes  yeulz, 
Issir  du  tombeau  tout  vivant  (355). 

x  Je  m'en  souviens  aussi ,  dit  Rubion.  — 
«  Puisque  cela  est,  répond  Marchantonne, 
«  ne  lardons  pas  à  aller  trouver  les  Princes 
«  de  la  Loi.  » 

(Icy  s'envont  vers  tes  Pharisiens.) 

XIV.  Des  Maries  et  des  Apostres. 
«  Madeleine  vient  annoncer  aux  onze  apô- 
tres que  le  corps  de  Jésus  n'est  plus  dans  le 
tombeau  et  qu'elle  ne  sait  ce  qu'il  est  de- 
venu. Celte  triste  nouvelle  les  afflige;  saint 
Pierre  et  saint  Jean,  qui  en  paraissent  plus 
alarmés,  courent  au  tombeau,  Madeleine  les 
y  suit. 

(Icy  s'en  vont  courant  Sainct  Pierre  et  Sainct  Jehan 
au  monument,  et  vient  Sainct  Jehan  tout  premier.) 
(Icy  s'en  va  Magdaleine  devant  les  autres  Maries.) 

■ 

(352)  Ne  vous  importe. 

(353)  11  est  bon  de  remarquer  que  ces  soldats 
sont  païens. 

(354)  Crus. 

(355)  Sortir. 


805  PAS  DICTIONNAIRE  DES 

«  Marie  Jacobi  et  Marie  Salomé  marchent 
sur  les  pas  de  leur  compagne,  mais  sans  té 
moigner  un  aussi  grand  empressement 

(Icy  s'en  vont  bellement  (356)  après. 

«  Saint  Jean,  qui  arrive  Je  premier,  ne 
trouvant  que  les  linges  dont  on  s'est  servi 
pour  ensevelir  Jésus,  le  dit  à  saint  Pierre; 
ces  deux  apôtres  sont  fort  sensibles  à  cetle 
aventure,  mais,  ne  voyant  point  de  remède, 
ils  prennent  le  parti  d'aller  en  avertir  leurs 
confrères;  saint  Jean  qui  est  plus  jeune  de- 
vance de  beaucoup  son  compagnon.  » 

(Icy  s'enva  Sainct  Jehan  aux  Apôtres ,  et  Sainct  Pierre 
demeure  derrière.) 

XV.  De  l'Aparicion  de  Jésus  à  la  Magda- 
leine. 

«  Enfin  la  Madeleine  arrive  tout  en  pleurs, 
mais  avec  plus  de  jsuccès;  l'ange  saint  Mi- 
chel lui  demande  le  sujet  de  ses  larmes. 
«  Seigneur,  lui  répond-elle  ,  je  cherche  le 
«  corps  de  mon  maître,  qu'on  a  enlevé  de  ce 
«  tombeau.  » 

(Icy  s'en  vient  Jésus  par  derrière  en  forme  d'un    Jar- 
dinier.) 

JÉSUS. 

Femme,  que  quiers-lu  là? 

«  Madeleine,  trompée  par  ce  déguisement, 
lui  fait  la  même  réponse  qu'à  l'ange,  et  le 
prie,  si  c'est  lui  qui  a  enlevé  le  corps  de 
Jésus,  de  lui  enseigner  où  il  l'a  mis. 

JÉSUS. 

Marie? 

«  A  cette  parole,  la  Madeleine  reconnaît 
le  Sauveur,  et,  remplie  de  respect  et  de  re- 
connaissance, elle  va  se  jeter  à  ses  pieds 
pour  les  embrasser. 

MAGDALEINE. 

0  mon  Maistre,  etc. 

JÉSUS. 

Cesse,  Marie,  ne  me  louche. 

«  Madeleine,  satisfaite  de  cette  agréable 
vue,  obéit  au  Seigneur,  qui  disparaît  à  ses 
yeux;  elle  va  aussitôt  faire  part  à  ses 
compagnes  du  bonheur  qu'elle  vient  d'avoir. 


MYSTERES. 


PAS 


f.Otî 


MARIE  JACOB. 

Comment? 

MAGDALEINE. 

Jésus  le  débonnaire 
Nostre  Maistre  est  ressuscité. 

MARIE  SALOMÉ. 

Jésus 

MAGDALEINE. 

Oui,  en  vérité,  etc. 
(Icy  vient  Jésus  à  rencontre  d'eux. 

«  Les  troies  Maries  embrassent  les  genoux 
de  leur  Rédempteur,  et  arrosent  ses  pieds 
des   larmes  que  la  joifl   leur  fait  répandre. 

(356)  Doucement. 

(357)  En.  puisse. 

(358)  Et  croit. 


(Icy  se  doivent  incliner  toutes  trois ,  et  luy  baisent  les 
piedz.) 

«  Jésus  leur  dit  d'apprendre  aux  apôtres 
sa  résurrection,  et  ensuite  disparaît.  t 

XVI.  De  l'Aparicion  de  Jésus  à  Sainct 
Pierre. 

(Icy  doit  estre  Sainct  Pierre  à  part  soy  arrière  des 
[autres  Aposlres.) 

«  Cet  apôtre,  accablé  de  douleur,  se  retire 
seul  pour  y  rêver  plus  profondément;  la 
crainte  où  il  est  que  son  offense  ne  le  prive 
du  bonheur  de  voir  son  cher  maître,  redou- 
ble encore  sa  peine.  Comme  il  est  dans  cette 
triste  pensée,  Jésus  se  présente  tout  à  coup 
à  lui. 

(Icy  s'apparest  Jésus  à  Sainct  Pierre.) 

«  Le  Sauveur  l'assure  qu'il  lui  pardonne 
son  prehé;  saint  Pierre  embrasse  ses  genoux, 
et  le  remercie  de  sa  bonté  ;  pendant  ce  temps- 
là  Jésus  s'évanouit  à  ses  yeux.  » 

(Icy  se  part  Jésus  sublillement. 

XVj'I.  La  difficulté  des  Apostres   touchant  la 
Résurrection  de  Jésus. 

«  Les  trois  Maries  accourent  avec  joie  an- 
noncer eux  apôtres  qu'elles  ont  vu  Jésus  de- 
puis sa  résurrection,  et  qu'elles  lui  ont  parlé. 
Ces  derniers  refusent  d'ajouter  foi  à  un  ré- 
cit, qui,  n'étant  appuyé  que  sur  la  déposi- 
tion de  quelques  femmes,  pourrait  n'être  pas 
véritable. 

MARIE   JACOB. 

Sans  double  quelconque  , 
Pour  vérité  vous  affermons 
Qu'il  est  ressuscité,  etc. 

SAINCT   ANDRAY. 

Telz  sermons 
Ne  sont  pas  bons  à  conliou  c   , 
Qui  n'est  bien  scur  de  les  prouver 
Tellement  qu'il  est  lout  notoire; 
Car  par  une  telle  invenloire 
Plusieurs  se  pourroient  abuser. 

SAINCT  JAQUES  MAJOR. 

Dames',  ne  vueillez  pas  user 

De  telles  parolles  soudaines, 

Se  vous  n'en  estes  si  certaines, 

Qu'on  ne' vous  en  puisl  (357)  accuser,  etc. 

MAGDALEINE. 

Sur  la  foy  qu'à  mon  Dieu  je  dois, 
Mon  Maistre ,  et  mon  bault  Créateur 
Il  est  tout  vray. 

SAINCT  SVMON. 

Sauf  voslre  honneur, 
Magdaleine,  irès-cliere  Amye, 
Nous  ne  vous  en  desdiron  myc  : 
Bien  povez  dire,  avons  ensemble  , 
Qu'ainsi  est,  ou  que  le  vous  semble; 
(El  cuide  (558)  qu'il  fault  là  venir; 
Car  on  voit  souvent  advenir  , 
Quant  ou  perd  ung  amy  léal  (559) 
Et  pour  ciuise  qu'il  en  lait  mal , 
On  le  requiert  (300)  par  mainte  voyc  , 
Et  semble  lousiours  qu'on  le  voye, 

(350)  Loyal. 
(360)   Cherche. 


«07  PAS  DICTIONNAIRE 

El  peut  eslre  qu'on  ne  voit  rien  : 
Et  •vient  cela  .par  le  moyen 
D'une  «bien  forte  fantaisie, 
Qui  lousiours  songe,  et  fantaisie  (361^ 
Ce  qui  lui  touche  au  cueur  plus  fort. 

«  Je  suis  aussi  de  votro  avis,  »  dit  saint 
Judc. 

SAINCT   JUDE. 

Aux  femmes  de  liger  (362)  courage 
Qui  en  ung  tel  haull  tcsmoignage 
Ne  sont  creùes  en  quelque  saison. 

SAINCT  MATHIEU. 

Jude,  amy  ,  vous  avez  raison,  etc. 

«  Pour  moi,  ajoute  saint  Philippe,  j'entre 
«  fort  dans  votre  sentiment. —  Je  l'approuve 
«  aussi,  dit  saint  André,  car, 

SAINCT  ANDRAY. 

Leur  rapport  fin ,  ne  raison  n'a ,  etc. 

SAINCT    BARTHÉLÉMY. 

Ce  sont  paroleâ  féminines , 
Qui  ne  servent  rien  que  pour  rire, 
On  sçail  que  femmes  sçavenl  dire; 
Ainsi  que  leur  vouloir  les  meult. 

«  De  quoi  vous  embarrassez  -  vous  , 
«  Messieurs  ?  »  s'écrie  saint  Jacques  le  Ma- 
jeur. 

SAINCT  JAQUES   MAJOR. 

Quand  ad  ce,  il  le  croit  qui  veult; 
>  Jà  n'en  fault  plus  avant  parler, 

On  ne  les  peult  que  oùyr  parler, 
Mais  on  n'y  regarde  ne  compte, 

«  En  un  mot,  les  apôtres  persistent  à  ne 
rien  croire  du  rapport  des  Maries,  jusqu'à 
ce  qu'ils  en  soient  convaincus  par  leurs  pro- 
pres yeux.  Pendant  ce  temps-là,  saint  Jac- 
ques le  Mineur  persiste  de  plus  en  plus  dans 
la  résolution  qu'il  a  prise,  de  ne  boire,  ni 
manger,  avant  qu'il  ait  vu  le  Sauveur;  les 
remontrances  de  ses  trois  disciples  sont  inu- 
tiles, et  ne  peuvent  rien  sur  son  esprit. 
(Icy  s'appart  Jésus  subtillemenl.) 

«  Le  Seigneur,  en  se  manifestant,  leur 
donne  sa  paix  ;  ensuite  il  commande  aux  dis- 
ciples de  dresser  la  table.  Rubem,  Gédéon  et 
Neptalin  lui  obéissent. 

'Icy  Jésus  brise  le  pain,  en  faisant  sus  la  bégnisson 
[303]  et  en  présente  à  Sainct  Jaques.) 

«  Cet  apôtre,  satisfait  au  delà  de  ce  qu'on 
peut  s'imaginer,  rend  grâces  au  Seigneur,  et 
lui  promet  de  publier  sa  glorieuse  résurrec- 
tion par  toute  la  terre.  » 

(Icy  se  part  [364]  Jésus  subtillemenl.) 

XVIII.  De  Jésus  et  de  Joseph  d'Arimathie. 

«  Pendant  que  Joseph  se  plaint  des  tour- 
ments injustes  que  les  Juifs  lui  font  souffrir, 
et  qu'en  même  temps  il  bénit  Dieu  qui  lui 
donne  la  force  de  les  endurer  pour  un  sujet 
si  innocent,  Jésus  vient  le  consoler. 

(361)  Se  représente  un  objet  qui  n'existe  point. 
(562)    Léger. 

(363)  Bénédiction. 

(364)  Disparaît. 

(365)  C'est-à-dire,  soulevant  la  tour   à  une  cei- 


DES  MYSTERES.  PAS  806 

(Icy  entre  Jésus  dans  la  prison.) 

«  Le  fidèle  Israélite,  surpris  à  cette  vue,  le 
prend  pour  Elie  :  «  Tu  te  trompes,  lui  dit 
«  Jésus,  reconnais  en  moi  ce  même  Fils  de 
«  Marie,  à  qui  tu  as  rendu  les  derniers  de- 
«voirs;pour  t'en  récompenser,  ajoute-t-il, 
«  sans  lui  donner  le  temps  de  répondre,  et 
«  te  faire  connaître  ma  puissanee,  tu  n'as 
«  qu'à  me  suivre,  et  lu  vas  être  délivré  du 
«  péril  que  tu  cours.  » 

(Icy  se  doit  lever  la  Tour  en  estant  [365],  et  depuis 
Jésus  le  maine  vers  le  Sépulchre.) 

«  Joseph,  revoyant  le  lieu  où  il  a  enseveli 
le  Seigneur,  le  remercie  de  la  bonté  qu'il  a 
eue,  de  l'avoir  choisi  pour  faire  cette  noble 
fonction.  Jésus,  lui  ayant  rendu  la  liberté, 
lui  ordonne  de  se  retirer  à  Arimathie,  et  d'y 
rester  quarante  jours.  » 

(Icy  se  esvanouyt  Jésus  comme  dessus.) 

XIX.  Des  tyrans  qui  cherchent  Joseph  d*A- 
rimathie. 

«  Les  scribes  et  les  pharisiens  viennent 
trouver  Anne  et  Caïphe  ,  et  leur  représen- 
tent que  la  fête  de  Pâques  étant  passée,  il 
est  temps  déjuger  Joseph  d'Arimathie;  cela 
est  juste,  dit  Caïphe.  Il  appelle  Maucourant, 
et  lui  ordonne  de  prendre  quelques  satelli- 
tes avec  lui  et  d'amener  Joseph.  Le  messa- 
ger obéit  à  ce  commandement  et  va  à  la  pri- 
son. Le  geôlier  Brayault  vient  à  la  porte  de 
la  tour  qu'il  trouve  bien  fermée;  mais  il  est 
fort  surpris  lorsque,  l'ayant  ouverte,  il  ne 
voit  plus  le  prisonnier. 

MAUCOURANT. 

II  s'en  est  bien  et  beau  foùy  (366) 
Croyez  qu'il  y  a  tromperie. 

BRUYANT. 

Vecy  la  plus  forte  farie  (567) 
Dont  onc  homme  ouyl  parler  : 
Je  treuve  l'uys  sans  desceller, 
Je  treuve  l'iiuys  tout  veroùillé, 
Serré,  bandé  et  falroùillé, 
El  c'est  mon  homme  transporté. 

BIUYHAULT. 

Les  Dyables  l'en  ont  emporté 
Par  enchantemens,  soyez  seurs> 

«  Ils  viennent  faire  ce  rapport  aux  Juifs, 
qui  leur  ordonnent  de  le  chercher  partout 
avec  grand  soin.  » 

XX.  Des  Chevaliers  qui  gardent  le 
Sépulchre. 

(Icy  vienent  les  trois  chevaliers  du  Sépulchre.) 

«  En  arrivant,  ils  trouvent  Maucourant 
à  la  porte,  à  qui  ils  souhaitent  le  bon- 
jour. 

4SCANIUS. 

Dieu  gard  Maucourant, 
Et  le  doint  (368)  d'argent  plaine  bource. 

laine  hauteur,  afin  que  l'on  cuisse  passer  dessous. 

(366)  Caché  sous  terre. 

(367)  Enchantement. 
(568)  Te  donne. 


809 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


810 


«  Je  vous  suis  obligé,  leur  répond-il,  quel 
«  sujet  vous  amène?  —  Nous  voulons,  disent 
€  les  soldats,  parler  à  Anne  et  à  Caïphe.  — 
«  Vous  venez  fort  à  propos,  réplique  le  mes- 
«  sager,  passez  là-dedans,  et  vous  les  trqu- 
«  verez  assemblés  avec  les  princes  de  la  Loi.  » 
Lorsqu'ils  sont  entrés,  Marchantonne  leur 
apprend  que  Jésus  est  ressuscité. 

CAVPHE. 

Escoutez-ey,  quel  diablerie? 
Quel  ducil,  quel  passion  de  raige? 
Escouiez  quel  bydeui  langaige, 
Pour  ung  cueur  humain  embraser? 

NATHAN. 

Sire,  vueillez  vous  appaiser  : 
II  se  joue,  que  vous  pencez. 

JACOB. 

Hola!  compagnons,  c'est  assez, 
Coulez  le  cas  ainsi  qu'il  va 

«  Ce  n'est  point  une  raillerie,  répond  As- 
«  camus,  c'est  la  pure  vérité  que  nous  vous 
«  racontons.  —  Oui,  certainement,  »  ajoute 
Rubion.  Ensuite,  ils  assurent  les  Juifs  qu'ils 
n'ont  pu  empêcher  cette  chose,  ni  appeler  du 
secours,  attendu  qu'ils  ont  été  saisis  d'un  tel 
effroi"  qu'ils  n'avaient  pas  la  force  de  remuer, 
ni  de  parler  :  que  seulement,  ils  ont  vu  deux 
jeunes  hommes  habillés  de  blanc  et  quelques 
femmes  qui  cherchaient  le  corps  de  Jésus. 
Les  Juifs,  consternés  par  ce  discours,  em- 
ploient toutes  sortes  de  moyens  pour  leur 
faire  tenir  un  autre  langage;  mais,  ne  pou- 
vant en  venir  à  bout,  ils  se  retirent  à  part  et 
concluent  entre  eux  qu'il  faut  corrompre  ces 
soldats  è  force  d'argent,  pour  leur  faire  dire 
dans  le  public  que  Jésus  n'est  point  ressus- 
cité, mais  que  les  apôtres  ont  enlevé  son 
corps.  «  C'est  le  meilleur  parti  que  vous 
«  puissiez  prendre,  »  dit  Nathan  le  scribe. 

NATHAN. 

11  n'est  chose  qu'argent  ne  face  : 

Argent  courrousse,  argent  relessc  (369), 

Argent  abat,  argent  redresse, 

Argent  donne,  argent  aust  (570)  office, 

Argent  corrompt  droit  et  justice, 

El  d'autres  choses  cent  milliers. 

«  Ils  retournent  vers  les  soldats,  et  après 
leur  avoir  fait  cette  proposition,  ils  offrent 
cinq  cents  hesans(371)  pour  l'accepter;  cesder- 
nierss'obstinentà  vouloir  le  double;  comme 
c'est  une  affaire  de  conséquence,  et  que  cette 
somme  est  exorbitante,  ils  prient  Caïphe,  qui 
est  fort  riche,  de  la  leur  prêter,  et  lui  permet- 
tent d'imposer  une  taxe  sur  les  prêtres  de  la 
Judée  pour  s'en  dédommager.  Caïphe  compte 
les  mille  besaus  aux  soldats  qui  se  retirent 
en  jurant  d'exécuter  leur  promesse. 

(Icy  s'en  vont  partir  leur  argent.) 

«  Nos  avides  soldats,  n'étant  point  encore 
satisfaits  d'une  si  grosse  somme,  vont  chez 

(369)  Adoucir. 

(570)  Ole. 

(371)  Le  hesanl  était  une  monnaie  d'or  valant  cin- 
quante livres,  selon  Borel.  Ainsi  les  cinq  cents  be- 
sar.ls  font  vingt-cinq  mille  livres,  et  les  mille  qu'ils 

DlCTlONN.    DES    MYSTÈRES. 


Pilate,  pour  y  semer  le  bruit  coniorme  aux 
désirs  des  Juifs,  espérant,  par  ce  moyen,  ti- 
rer quelque  argent  de  lui.  D'un  autre  côté 
saint  Luc  et  Cléophas  (372),  voyant  le  temps 
serein,  prennent  chacun  un  bourdon,  et  se 
mettent  en  chemin  pour  aller  à  Emails. 

(Icy  se   mettent  en  voye,  et  les  Chevaliers  vont  vers 
Pilate.) 

MARCHANTONNE. 

Prévos!,  le  granl  Dieu  Apollin 
Accomplisse  vostre  désir,  elc. 

«  Pilate,  qui  est  accablé  de  chagrin  depuis 
le  moment  qu'il  a  condamné  Jésus,  ne  fait 
pas  d'attention  à  ce  discours. 

PILATE. 

Ha  !  fortune  très-variable, 
Variant  variablemenl, 
Tu  m'as  fait  faire  ung  jugement 
Dessus  l'innocent  et  le  juste, 
Le  plus  faulx  et  le  plus  injuste, 
Qu'oncques  juge  senlencia. 

ASCANICS. 

Taisez-vous,  sire,  c'est  mal  dit,  etc. 

«  Vous  ne  savez  pas  ce  qui  se  passe,  di- 
«  sent-ils.  —  Quoi?  répond  Pilate.  —  C'est, 
«  répliquent  les  soldats,  que  les  disciples  de 
«  Jésus  ont  enlevé  son  corps. —  Et  pourquoi, 
«  dit  Pilate,  n'avez-vous  pas  appelé  du  se- 
«  cours?  —  Parce  que,  répondent-ils,  iisont 
«  pris  le  temps  que  nous  dormions.  —  Si 
«  cela  est,  dit  le  gouverneur,  vous  êtes  en- 
«  core  plus  condamnables  de  ne  point  veil- 
<■<  1er  avec  soin  ;  mais,  ajoule-t-il,  je  ne  crois 
«  point  ces  impostures,  je  saisquevousn'êles 
«  que  des  misérables  ,  corrompus  par  les 
«  Juifs;  et  je  vous  assure  qu'au  premier 
«jour  je  vous  ferai  tous  pendre.  »  Les  sol- 
dats se  retirent  pleins  de  confusion. 

MARCHANTONNE. 

Or  sus,  que  le  Diable  y  ait  part; 
Quels  moiz  ^ela? 

RUBION. 

Il  est  joyeu  x. 

ASCANILS. 

Esse-cy  le  vin  gracieux, 

Que  nous  avons  pour  nostre  peine? 

MARCHANTONNE. 

Je  n'y  r'enlreray  de  sepmaine, 
Il  y  gist  un  mauvais  escol.  » 

XXI.  Des  Pèlerins  (TEmaulx. 

«  Saint  Luc  et  Cléophas  s'entretiennent 
pendant  leur  chemin  de  la  mort  de  Jésus. 

(Icy  suroient  Jésus  en  forme  d'ung  Pèlerin.) 

«  Le  Seigneur,  sous  ce  déguisement,  se 
joint  à  leur  compagnie.  11  leur  demande  le 
sujet  de  leur  conversation,  et  prend  celte  oc 
casion  pour  leur   expliquer   l'accomplisse- 

exigenl  en  valent  cinquante. 

(57'2)  L'auteur  suit  ici  la   tradilion   vulgaire,  qui 
veut  que  le  compagnon  de  Cléophas  soit   l'évangé 
liste  même  qui  nous  rapporte  celait. 

26 


m 


pas 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


PAS 


?r2 


ment  des  prophéties;  enfin,  sans  s'ennuyer, 
nos  pèlerins  arrivent  à  Emraaùs. 

(Icy  faint  Jésus  d'aller  plus  loing  et  les  deux  Pèlerins 
le  retiennent.) 

«  Seigneur,  dit  Cléophas,  demeurez  avec 
«  nous,  puisqu'il  est  tard;  nous  aurons  l'a- 
«  vanlage  de  jouir  plus  longtemps  du  plaisir 
«  de  vous  entendre.  »  Jésus  y  consent,  et  le 
maître  d'une  hôtellerie  de  ce  bourg  s'avance 
peur  ies  prier  d'entrer  chez  lui. 

SAINCT    LUC. 

Vive  tonsiours  ung  Hoste  le! 
Qui  ainsi  scel  servir  ses  gens. 

l'oste. 

Se  pain  esl-il  bon  et  bel? 

CI.ÉOPHAS. 

Vive  tousiours  ung  Hoste  leî. 

l'oste. 

Et  vecy  du  vin,  Dieu  seet  quel, 
Il  semble  qu'on  morde  dedens 

SAINCT  LUC. 

Vive  lonsiours  ung  Hoste  tel, 
Qui  ainsi  scel  servir  ses  gens. 

«  lorsqu'ils  sont  à  table,  Jésus  prend  un 
pain,  et,  après  l'avoir  rompu  en  deux,  il  leui 
dit  de  manger. 

(Icy  s'esvanoùit  Jésus  de  leur  compaignie.  depuis  quil 
eut  brisé  te  pain,  en  faisant  la  bénédiction.) 

«  O  ciell  s'écrie  saint  Luc,  qu'est  donc 
«  devenu  ce  pèlerin?  —  Mon  cher  frère,  ré- 
«  pond  Cléophas,  c'est  Jésus  qui  nous  est 
«  apparu  en  personne.  » 

SAINCT  LUC. 

II  n'en  fault  point  doubler 
Maintenant  en  suis  reeordant. 

«  Sans  différer  davantage,  ils  paient  l'hôte 
et  sortent  en  diligence  pour  annoncer  aux 
apôtres  cette  grande  nouvelle;  ils  hâtent  un 
peu  leur  marche,  parce  que  la  nuit  appro- 
che. » 

XXII.  De  Jésus  et  de  ses  Disciples 

«  Saint  Luc  et  son  compagnon  ne  tardent 
pas  a  joindre  les  apôtres,  qui,  voyant  leur  ac- 
tivité, demandent  s'il  est  survenu  quelque 
chose  de  nouveau.  «  Oui,  »  répond  saint 
Luc,  qui  leur  fait  le  récit  de  leur  aventure,  et 
de  quelle  façon  admirable  le  Seigneur  leur 
a  expliqué  les  Ecritures  sacrées. 

SAINCT  LUC. 

Là  nous  commença  à  Moyse, 

El  de  là  vint  à  Isaye, 

El  de  Ysaye  à  Hyérémie, 

De  Hyérémie  à  Daniel, 

A  David,  à  Ezécbiel  : 

El  LotU.  couclié  en  si  bel  ordre, 

Qu'il  n'est  bonis  qui  y  sceust  que  morare. 

«  Saint  Thomas  ne  veut  point  ajouter  foi 
à  ce  discours,  et  quitte  les  apôtres,  alléguant 
ces  deux  raisons  qui  l'y  obligent  :  l'une,  de 
la  nécessité  où  il  se  trouve  de  gagner  sa  vie  ; 
et  l'autre  pour  sauver  sa  liberté  de  la  fureur 
des  Juifs 


(Icy  se  pari  Sainct  Thomas  des  autres,  et  a.ors  doit 
venir  Sainct  Pierre,  sainct  Jehan,  Sainct  Jaques  le 
Mineur,  et  s'en  doivent  venir  dix  ensemble.) 

«  Lorsqu'ils  sont  ainsi  rassemblés,  le  Sei- 
gneur vient  tout  à  coup. 
(Icy  vient  Jésus  invisiblcment  au  meilleu  de  eulx.) 

«  Les  apôtres  étonnés  le  prennent  pour  un 
fantôme,  mais  Jésus,  pour  leur  prouver  le 
contraire,  demande  à  manger, 

SAINCT  PIERRE. 

Je  suppose 
Sire,  qu'il  y  en  a  voirement. 
Mais  ce  n'est  pas  si  largement, 
Ni  si  bon  qu'on  sçauroit  bien  dire. 

«  On  lui  présente  du  miel,  un  petit  pois- 
son rôti  et  du  pain,  le  Sauveur  mange  de 
toutes  ces  choses,  et  donne  le  surplus  aux 
apôtres. 

(Icy  Jésus  les  aspire  de  son  ait aine ,  puis  s  esvanoitit 
comme  dessus  dit.) 

«  Pendant  que  les  apôtres  s'entretiennent 
de  l'honneur  que  Jésus  leur  vient  de  iaire, 
ils  entendent  frapper  à  la  porte  à  grands 
coups  redoublés;  ,1a  crainte  des  Juifs  les 
oblige  à  bien  des  précautions,  ils  n'osent  y 
alier;  enfin,  après  beaucoup  d'instances,  oiï 
ouvre  à  saint  Thomas,  qui,  ne  pouvant  trou- 
ver aucun  repos,  vient  rejoindre  ses  frères 
pour  se  consoler  avec  eux.  Aussitôt  on  lui 
fait  part  de  l'apparition  du  Seigneur  :  mais 
cet  apôlre  incrédule  reiuse  de  se  rendre  à 
leur  témoignage. 

SAINCT  THOMAS. 

Je  vouldroye  eslre  plus  subtil. 

3  Je  vous  avoue,  continue-t-il,  qu'à  moins 
«  quejenetâte  les  trousdeses  plaies,  je  n'en 
«  croirai  rien.  » 

(Icy  se  doit  apparoir  Jésus  comme  dessus,  an  meilleu 
d'eulx  urne,  et  dit  :) 

JÉSUS. 

Pax  vobis. 

«  Regarde,  Thomas,  ajoute-l-il,  et  reviens 
«  de  ton  erreur.  »  Saint  Thomas,  convaincu 
par  lui-même  de  la  vérité,  se  jette  aux  pieds 
du  Sauveur,  et  le  Drie  de  lui  pardonner  son 
offense.  » 

(Icy  s'esvanoïrii\Jésus.) 
(Icy  viennent  les  trois  Maries  à  Nostre-Dame.) 

XXIII.  Des  Apostrcs  de  Jésus. 

«  Comme  les  apôtres  sont  sans  argent,  ils 
prennent  la  résolution  qu'une  partie  d'entre 
eux  restera  dans  la  maison,  et  que  les  autres 
iront  à  la  pêche. 

(Icy  s'en  vont  Pierre,  Jehan,  Jaques,  Andray,  Tho- 
mas èl  Barthélémy,  et  les  autres  demeurent.) 

«  Ces  six  apôtres  vont  au  bord  de  la  mer, 
et,  étant  entrés  dans  un  petit  bateau,  ils  jet- 
tent leurs  filets. 

(Icy  posent  ung  peu.) 

'(  Comme  ils  ne  prennent  presque  rien,  ils 
commencent  à  s'impatienter. 


815 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


m 


SAIXCT  THOMAS. 

Commenivcsse  tout? 
Le  mesnage  esl  très-bien  pugny 
Il  n'y  a  poisson  ne  demy 
Dont  ung  clial  se  peuli  desjeuncr.  i 

XXIV.  De  la  Paricion  de  Jésus  aux  Apostres 
qui  pechoicnt. 

(lcy  survient  Jésus  sur  le  bord.) 

«  Jésus  leur  dit  de  jeter  leur  filet  du  côté 
droit,  et  qu'ils  trouveront  une  pêche  abon- 
dante, 

SAINCT  ANDRAY. 

La  chose  esl  ligere, 
II  ne  cousle  rien  d'essayer. 

«  D'un  autre  côté,  saint  Matthieu  et  les 
autres  apôtres,  qui  sont  restés  au  logis,  font 
des  vœux  pour  le  salut  de  leurs  compagnons, 
qui,  ayant  jeté  leur  filet  suivant  l'ordre  du 
Seigneur,  sentent,  en  le  voulant  retirer, 
qu'il  est  plein  de  poisson,  ce  qui  les  oblige 
à  y  prêter  tous  la  main. 

SAINCT   THOMAS. 

Sus,  compagnons,  avant  : 

SAINCT    ANDRAY. 

Amont 
Les  poissons  si  Ires-aurs  y  sont, 
Que  toute  l'eschine  m'en  ployé  : 
Sus,  compagnons,  amont. 

SAINCT     PIERRE. 

Amont. 
Chacun  sa  puissance  y  employé. 


«  Enfin,  avec  bien  de  la  peine, 
retirent  leur  filet. 


(lcy  s'en  va  sainct  Pierre  tout  seul  au  port  où  Jésus 

est.) 

«  Tous  les  apôtres  viennent  bientôt  trou- 
ver Jésus,  et  le  remercient  du  succès  de  leur 
pêche. 

SAINCT    JAQUES   MAJOR. 

J'ay  noslre  marée  comptée, 
Nous  avons  que  Bars  que  Esgrephfns, 
Que  saulmons,  que  gros  marsouins 
Près  de  cent  et  cinquante  mille. 

«  Jésus  leur  dit  de  venir  manger;  à  la  fin 
du  repas,  il  les  invite  à  se  trouver  tous  sur 
le  mont  Thabor,  après  quoi  il  disparaît.  Les 
apôtres  se  retirent  ensuite  pour  aller  vendre 
leurs  poissons,  et  en  faire  île  l'argent,  » 

(lcy  s'en  vont.) 
XXV.  Enfer. 

SATHAN. 

Dyables  dcspis,  dyahlcs  félons, 
Ennemis  de  gloire  forclos 
Ne  me  lenez  plus  vos  huys  clo-, 
Ouvrez-moi  prestement  les  portes, 
Car  telles  nouvelles  vous  aporle, 
Dont  vous  me  devez  festoyer. 


ASTAROTIt 

lay  donc  sans  si 


Conte  lay  donc  sans  si  h  au  11  braire, 
Si  orrons  quel  bout  va  devant. 


«  Jésus  est-il  ressuscité  ?  demande  Luci- 


fer. 


«Quelles   nouvelles?  dit   Lucifei 


«  viens  vous 
Salan. 


Je 


en  dire   de   bonnes,  »   répond 


SATHAN. 

C<>sluy  est  jà  vieu'x  comme  terre 
S'il  est  suscité  qui  s'en  doute, 
El  plus  de  cinq  fois  en  louie 
il  esl  à  ses  gens  apparu, 
Ou  apparu,  ou  desparu 


les  apôtres     XXVI, 


Mais  j'ay  jà  trouvé  la  manière 
Que  les  Juis  n'en  croiront  jà  rien. 

«Comment  cela?  dit  Lucifer.  —  C'est, 
«  répond  Satan,  que  j'ai  engagé  les  Juifs  à 
«  corrompre  les  soldats  du  sépulcre,  pour 
«  leur  faire  tenir  un  discours  contraire  à  la 
«  vérité.  » 

LUCIFER. 

Par  ma  pale,  lu  es  vaillant, 
1!  n'y  a  dyable  qui  le  vaille  : 
Et  ma  grant  couronne  le  baille, 
Qui  esl  de  Terpié  tout  ardent,  etc. 

«  Ce  n'est  pas  tout,  dit  Satan,  je  veux  voir 
«  le  succès  de  ceci,  mais  il  faut  que  vous 
«  me  donniez  Astaroth  et  Berith  pour 
«.  m'accompagner. 

LUCIFER. 

Allez,  que  des  élernauiz  lents, 
Vous  puist  on  le  museau  brûler,   i 

{lcy  s'er  «onteulx-  trois.) 

L'Aparidon  de  Jésus   aux   disciples 
sur  la  Montagne  de  Tabor. 

«  Les  apôtres,  obéissants  aux  ordres  du 
Seigneur,  prennent  le  chemin  du  Thabor; 
saint  Jacques  le  Mineur  y  conduit  ses  trois 
disciples,  Rubom,  Gédéon  et  Neptajin  ;  saint 
Mathias  et  Joseph  Barsabas,  surnommé  le 
Juste,  y  accourent  promptement,  aussi  bien 
qu'un  bon  nombre  de  Juifs  zélateurs  de  la 
vraie  religion;  entre  ce?  derniers  se  trou- 
vent Moab ,  Abiron  ,  TuDal ,  Célius  et 
Abacuth. 

lcy  montent  amont  et  là  s'appert  Jésus  derechef.) 

«  Le  Seigneur  leur  donne  sa  bénédiction, 
et  en  même  temps  il  les  instruit.  Toute  l'as- 
semblée lui  rend  grâces  de  ce  bonheur. 

•       Tl'BAL. 

A  loy  venir,  el  loy  remirei 

Toul  bon  cueur  se  regarde  et  myre 

Car  lu  es  Médecin  et  Myre 

Pour  poures  dolens  cueurs  myrer. 

«  Le  Sauveur  leur  promet  d'être  toujours 
avec  eux  en  esprit  et  de  ne  jamais  les  aban- 
donner ;  ensuite  il  disparaît,  et  l'assemblée, 
ne  le  voyant  plus,  se  sépare,  et  chacun  s'en 
retourne  chez  soi.  Les  apôtres  ferment  bien 
les  portes  et  les! fenêtres  de  leur  maison, 
de  crainte  des  "Juifs.  D'un  autre  côté  la 
sainte  Vierge  dit  aux  trois  Maries  qu'il  est 
temps  d'aller  trouver  les  apôtres,  parce  que 
Jésus  doit  dans  peu  monter  au  ciel.  » 
Iry  se  parlent.) 


815  PAS  DICTI0NNA1P%E 

XXVII.  Du  déconfort  de  Pilate. 

«  Pilate,  tourmenté  de  plus  en  plus  oes 
remords  de  sa  conscience,  demande  à  Bar- 
raquin  ce  que  le  peuple  pense  de  son  juge- 
ment. Comme  il  paraît  extrêmement  agile, 
Progilla,  sa  femme,  tâche  en  vain  de  l'apai- 
ser ;  Barraquin  rompt  enfin  le  silence  et  lui 
apprend  que  Jésus  est  ressuscité  :  le  cen- 
turion qui  se  trouve  présenta  cette  question 
lui  avoue  avec  sincérité  que  tout  le  monde 
blâme  beaucoup  la  conduite  qu'il  a  tenue  en 
rendant  cet  injuste  arrêt.  Sa  franchise  ne 
plaît  point  à  Pilate. 

PILATE. 

Taisez-vous-en,  Centurion,  elc. 

«  Vous  devriez,  ajoute-il,  en  parier  moins 
«  que  les  autres,  après  avoir  prêté  vos  sol- 
«  dats,  qui  ont  été  capables  de  se  laisser 
«  gagner  pour  faire  courir  un  faux  bruit. 
« — Ce  n'est  pas  ma  faute,  réplique  le 
«  centurion,  cependant  il  n'est  pas  moins  vrai 
«  que  Jésus  est  ressuscité.  » 

BARRAQUIN. 

Jésus  on  confesse  de  bouche 
Eslre  vray  Filz  de  Dieu  le  vif. 

-«  Ha  ciel  1  »  s'écrie  ce  gouverneur. 

PILATE. 

Velà  ung  mol  pénélralif  (373). 
Qui  nie  donne  peu  de  secours  : 
Je  m'en  suis  bien  doublé  lousjours,  elc. 

«  Voilà,  continue-t-il,  ce  qui  cause  mon 
«  désespoir;  car  je  suis  persuadé  que  si 
«  l'empereur  Tibère  apprend  ma  faiblesse, 
«  il  ra'ôtera  la  vie.  »  Joseph  d'Arimalhie 
arrive  sur  ces  entrefaites  et  raconte  les  in- 
dignes traitements  qu'il  a  reçus  des  Juifs. 
Pilate  gémil  au  récit  de  ces  violences  et 
l'interrompt  à  chaque  instant  par  ces  vers 
qu'il  dit  alternativement. 

J'ay  fa  il  ung  mauvais  jugement. 

Faulx  Juifz,  que  in'avcz-vous  fait  faire? 

«  Enfin  Joseph,  sachant  l'embarras  où  est 
Pilate,  lui  con.seille  de  demander  à  l'empe- 
reur la  vérité  de  tout   ce  qui  s'est  passé.  » 

XX VIII.  De  Rostre-Dame  ctdesAposlres 
(lcy  viennent  les  trois  Marie  aux  AnostresA 

«  Leur  arrivée  les  console  et  les  réjouit 
beaucoup.  Comme  ils  sont  prêts  à  se  mettre 
a  tnble,  ils  les  invitent  d'y  prendre  place 
et  s'excusent  sur  la  mauvaise  chère. 

«  Saint  Thomas  et  Rubem  ne  se  mettent 
point  à  table,  mais  restent  pour  servir. 

NOSTRE  DAME. 

Pierre  si  duil  (374)  à  voslre  fait 
Devant  celle  réfection, 
Faictes  la  bénédiction  : 
Car  mon  filz  Jésus  en  ses  jours 
L'avoil  de  couslume  lousjours. 
El  nous  le  devons  ensuivir. 

SAINCT   PIERRE. 

Maislresse  à  vous  vucille  obéir, 
(373;  Pénétrant 


DES  MYSTERES. 


TAS 


S16 


Nonobstant  qu'il  ne  m'apai  liengne. 
(lcy  fait  la  bénédiction  en  bas.) 
(lcy  s'apart  Jésus  devant  eulx.) 

JÉSUS. 
Paix  soil  à  vous. 
\icy  se  doit  soir  Jésus  au  dessus  d'eulx ,  et  luy  font 
tous  honneur:  el  après  qu'il  a  mengé.  fonl  semblant 
de  dire  grâces  tout  bas.) 

XXIX.   Des   soudars  qui   cherchent    Joseph 
d'Arimalhie, 

«  Pendant  que  le  Seigneur  est  à  table 
avec  la  sainte  Vierge  et  les  apôtres,  Joseph 
d'Arimathie  s'entretient  d'un  autre  côté 
avec  Nicodème  de  l'inhumanité  des  Juifs: 
comme  le  premier  craint  la  rencontre  des 
satellites  qui  le  cherchent,  il  prend  le  parti 
de  ne  point  sortir  de  chez  lui. 

«  Cependant,  ce  repas  fini,  Jésus  déclare 
u  ses  disciples  qu'il  va  bientôt  monter  au 
cieux  ,  et  comme  {il  veut  qu'ils  soient  té- 
moins de  ce  grand  mystère,  il  leur  ordonne 
de  se  trouver  tous  au  mont  d'Olivet  et  de 
ne  pas  manquer  d'y  conduire  sa  mèie.  Les 
apôtres  lui  promettent  d'obéir  avec  joie  et 
se  mettent  en  devoir  de  le  faire.  » 

XXX.  Des  Pères  des  Limbes. 

«  Adam,  Eve,  Isaïe,  Jérémie,  David,  Ezé- 
ehiel,  saint  Jean-Baptiste  et  le  bon  Larron, 
voyant  approcher  le  moment  que  le  Sei- 
gneur va  monter  au  ciel  pour  les  conduire 
à  la  béatitude  éternelle,  en  témoignent  leur 
joie  par  des  cantiques  d'actions  de  grâces.  » 

DAVID 

Jadis  en  esprit  prophétique, 
Fis  de  l'Assencion  beaux  dilz. 
En  prophétisant,  quant  jediu 
Que  Dieu  ferc.it  Assencio 
En  haulle  jiibilacion, 
En  voix  de  trompes  bien  sonnaus, 
Et  d'inslrumens  bien  raisonnant; 
Si  liens  qu'à  ceslc  mélodie 
Toule  la  granl  cbevallerie 
Des  haulx  Cieulx  sy  emuloyera. 

XXXI.  Assencion. 

«  Les  apolres  el  les  autres  fidèles,  qui  ont 
été  présents  à  l'Apparition  de  Jésus  sur 
le  Thabor,  ne  manquent  pas  de  se  trouver 
à  celui  d'Olivet  ;  outre  ceux-ci  les  apôtres 
ont  le  soin  d'y  amener  la  sainte  Vierge  et 
les  trois  Marie;  et  Joseph  d'Arimathie,  se 
trouvant  en  pleine  liberté,  s'y  rend  avec 
Nicodème. 

(lcy  se  appert  Jésus  comme  dessus  entre  eulx.) 

«  Il  leur  donne  sa  bénédiction,  et  leur 
déclare  qu'un  jour  il  descendra  sur  la  terre 
pour  y  juger  tous  les  hommes.  Rubem  et 
Neptalin  lui  demandent  si  ce  jour  est  bien 
prêt  d'arriver. 

JÉSUS 

Amys,  cessez  vos  questions. 

«  Qu'il  vous  suffise  ajoute-t-il,  de  vous  pré- 
«  parer  à  recevoir  le  Saint-Esprit  avec  toute 
«  l'humilité  dont  vous  êtes  capables.  »  En- 

(374)  Si  vous  le  voulez  bien. 


sn 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


818 


suite  il  recommande  encore  à   saint  Jean  le 
soin  de  sa  mère,  à  qui  il  dit  adieu. 

JÉSUS. 

Mère  doulcc  en  f;iilz  et  en  dilz, 
El  <les  humides  la  plus  bénigne, 
Vers  Dieu  mon  Père  m'achemine,  elc. 

(Icy  se  monte  Jésus  au  Ciel,  à  tout  aucuns  engins  ;  et 
lors  se  doivent  les  Patriarches  absconcer.) 

«  Pendant  que  ies  fidèles  étonnés  ont  ies 
yeux  tournés  vers  le  ciel,  l'ange  Raphaël 
se  présente  et  leur  annonce  que  Jésus  des- 
cendra un  jour  pour  juger  le  monde.  En- 
suite l'assemblée  se  retire  dans  nne  mai- 
son, avec  la  résolution  de  n'en  point  sortir 
qu'après  avoir  reçu  le  Saint-Esprit.  » 

XXXII.   Paradis. 

(Icy  vient  Jésus  en  paradis./ 

«  Après  avoir  salué  Dieu  le  Père,  il  s'as- 
sit dans  son  trône. 

DIEU    LE    PERE. 

Mes  Anges,  voicy  vos  ire  Sire,  elc. 


Venez,  ei  lui  rendez  hommaige,  elc. 

(Icy  viennent  les  Anges  adorer  Jésus  chacun  en  son 
ordre.) 

,SAINCT    MICHEL. 

Ilaulte  préférence, 

Et  magnificence 

Soil  au  bon  Seigneur, 

Qui  à  lel  honneur 

Vienl-cy  en  présence  (375). 

«  Gabriel, Raphaël,  Uriel  et  Séraphin  vien- 
nent ensuite  lui  rendre  leurs  hommages. 

DIEU  LE  PERE. 

C'est  mon  Filz,  c'est  ma  Sapience, 
Mon  hoir  parfail,  et  nalurel  ; 
Anges,  par  ung  chant  solempnel  ; 
Esmouvez-vous,  elc. 

«  Les  anges  obéissent  sans  peine  à  ce  com- 
mandement. » 

(Icy  chantent  ung  Silete.) 

XXXIII.  Enfer. 
«  Pendant  que  le  ciel  et  la  terre  retentis- 
sent de  cris  de  joie,  les  enfers  sont  rem- 
plis de  désespoir;  Satan,  qui  a  été  présent 
a  tout  ce  qui  s'est  passé,  en  frémit  de  rage  : 
«  Ne  crie  donc  pas  si  fort,  »  dit  Astarolh, 

BÉRITH. 

Il  brait  comuae  ung  loup  affamé  ; 
Je  ne  sçay  que  dyable  il  lui  faull. 

SATHAN. 

Si  je  peusse  braire  si  hault, 
Que  je  peusse  eslonner  ions  ceiu 
Qui  sonlen  gloire  si  joyeulx,  elc. 

«  Mais,  dit  Astaroth,  qu'esl-il  arrivé?  — 
«  C'est,  répond  Satan,  que  Jésus  vient  de 
«  monter  au  ciel, 

Pour  gloire  parfaicle  acquérir.  » 

«  Cependant  il  est  question  de  retourner 
aux  enfers,  et  ces  malins  esprits  craignent, 

(37,'>)  En  personne.  , 


avec  raison,  que  leur  injuste  roi  ne  les 
fasse  punir,  en  apprenant  cette  funeste  nou- 
velle qu'ils  ne  peuvent  lui  cacher.  Fergalus, 
qui  les  voit  revenir  avec  un  air  triste,  en 
reçoit  une  noire  satisfaction. 

FERGiLUS. 

Cerbérus,  lost  prens  les  hotilayes,  (570). 
Pour  radoulcir  un  peu  leurs  veines. 

CEKfcÉRUS. 

Voyez  en  cy  quelques  deux  douzaines 
Singlant  droiciement  à  l'essile,  elc. 

FERGALUS. 

Hz  eussent  mestier  d'Advocalz, 

Pour  playdoyer  un  peu  leur  cause,  elc. 

«  D'abord  que  Lucifer  apprend  ce  qui 
s'est  passé,  il  entre  à  son  ordinaire  dans 
une  fureur  extrême,  et  commande  qu'on 
plonge  ces  trois  démons  dans  les  tour- 
ments. » 

(Icy  tonne  en  Enfer. 

XXXIV.    Election   de   saine t  Mathias. 

(Icy  se  lieve  Sainct  Pierre  pardessus  tous  (es  autres 
Aposlres.) 

«  Cet  apôtre  propose  à  ses  frères  de  choi- 
sir quelqu'un  entre  les  disciples  du  Sei- 
gneur pour  remplir  la  place  dont  Judas 
s'est  rendu  indigne.  Toutel'asserablée,  après 
avoir  approuvé  cet  avis,  prie  saint  Pierre 
de  faire  lui-même  le  choi-x  des  deux  qu'il 
croit  les  plus  capables,  afin  qu'erisuilo  le 
sort  décide  de  celui  que  Dieu  appelle  à 
l'apostolat.  Saint  Pierre  se  défend  quelque 
temps  de  cet  honneur,  et  enfin,  pressé  par 
leurs  prières,  il  présente  saint  Malhias  et 
Joseph  Barsabas,  surnommé  le  Juste.  On 
les  fait  tirer  au  sort,  et  le  sort  tombe  sur  le 
premier.  Tous  les  assistants  rendent  grâces 
a  Dieu  d'un  si  heureux  choix,  et  Joseph  est 
lui-même  le  premier  à  féliciter  le  nouvel 
apôtre.  » 

XXXV.  Du  Sainct  Esperit  sur  les  Aposlres. 

«  Jésus  prie  Dieu  le  Père  d'envoyer  le 
Saint-Esprit  sur  les  apôtres  [tour  les  rassu- 
rer et  leur  inspirer  la  force  qui  leur  est 
nécessaire.  Dieu  le  Père  lui  répond  que 
sa  volonté  s'accorde  toujours  avec  la  sienne. 

(Icy  se  doit  faire  ung  grant  son  en  manière  de  ton- 
nere,el  doit  descendre  le  Sainct-Esperil  en  signe  do 
langues  de  feu.) 

«  Les  apôtres  sont  effrayés  de  ce  bruit 
éclatant,  mais  la  sainte  Vierge  les  rassure. 

NOSTRE-DAME. 

Mes  amys,  n'ayez  souspeçon, 
Vucillez  vos  cueurs  arraisonner, 
Car  c'est  Dieu  qui  nous  veull  donner, 
Le  Saincl-Esperit,  il  en  esl  saison. 

«  Les  fidèles  rendent  grâces  à  Dieu  de 
ce  qu'il  a  bien  voulu,  en  leur  communi- 
quant son  Saint-Esprit,  raffermir  leur  foi  et 
leur  accorder  le  don  d'entendre  les  langues 
étrangères.  La  sainte  Vierge  ne  tarde  pas 
a  en  remercier  Dieu. 

(376)  Fouels. 


S!0  TAS 

NOSTïlE-DAME. 

Ilaulle  Trinilé, 
Parfaicte  Unité, 
Singulière  Essence; 
A  la  Magesiè, 
Soil  protesté 
Los  et  préférence, 
Car  par  la  clémence, 
En  nostre  présence 
Nous  a  envoyé 
L'Esperit  de  Science, 
Qui  nos  ire  crédence 
A  fortifié. 

«  Saint  Pierre  et  les  autres  assistants,  qui 
composent  la  môme  assemblée  que  nous 
avons  vue  présente  à  l'Ascension,  suivent 
l'exemple  de  la  sainte  Vierge.  Après  quoi 
saint  Pic-rre  et  saint  Mathias  font  une 
courte  exhortation  aux  spectateurs,  ce  qui 
tient  lieu  de  prologue  final.  » 

C'y  fine   le  Mister e  de  la  Résurrection  Jesu- 
christ,  par  personnages  (377). 

IV. 

TRAVAUX    DES    ERUDITS    DE    LA    RENAISSANCE. 

A  coté  de  l'œuvre  spontanée,  sont  nés  des 
travaux  érudits  et  des  pantomimes  qui  ne 
méritent  pas  moins  d'attention.  Parmi  eux 
il  faut  compter  : 

I. 

Le  Mystère  de  la  Passion,  conservé  dans 
le  manuscrit  de  la  Biblioihèciuc  Sainte-Gene- 
viève, à  Paris. 

Il  date  du  xv'  siècie. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  françois ,  ou- 
vrage attribué  au  duedu  la  Vallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1",  ;>.  36)  l'a  mentionné 
pour  la  première  fois. 

Il  a  été  publié  par  M.  Achille  Jubinal, 
dans  les  Mystères  inédits  du  xve  siècle. 
(Paris,  1837,in-8°,  2  vol.,  t.  II,  p.  133-312.) 

[577)  Un  manuscrit  en  lettres  lonibardiqnes  de  la 
bibliothèque  Barberine,  n°  1855,  contient  la  (race 
d'un  rit  dramatisé  delà  Passion.  A  Leipsick,  chaque 
personnage  était  joué  par  un  acteur  différent;  dans 
d'autres  localités,  il  y  avait  un  choeur  de  Juifs. 
(Cf.  Grif.shaceu,  i'elier  die  Oslerseqttenz,  p.  21  , 
M.  Edele^tand  Duhéril,  Origines  latines  du  théâtre 
moderne  ;  Paris,  1849,  in-8°,  p.  47.) 

Dans  un  manuscrit  du  xiv  siècle  île  la  Bibliothè- 
que maz.irine,  n°  2l(i,  le  récitatif  de  la  Passion  est 
précédé  d'un  C  en  encre  rouge  (Clerus)  ;  la  partie 
des  Juifs,  de  Pilule  et  de  Judas  y  est  marquée  par 
un  S  (subdiaconus);  et  le  rôle  du  Christ  est  marqué 
par  une  croix. 

—  La  Passion  fut  jouée  à  Péronne  en  1491,  le  jour 
du  grand  vendredi  (Cf.  Lafons-Melicocq.  Annales 
archéologiques,  t.  Mil,  p.  100);  à  Amhoise,  en  1507, 
dans  l'église  Saint-Thomas  (Cf.  Cartier,  M  m.  dt 
lu  Soc.  des  aut.  de  l'Ouest,  1841,  p.  246-247.) 

On  connaît  eu  langue  bretonne  une  Passion  qui 
date  au  moins  du  x.ive  siècle,  dont  les  exemplaires 
imprimés  sont  delà  plus  grande  rareté.  En  voici  le 
li:  r  :  Les  mgstètes  de  la  Passion  et  de  la  Résurrection 
de  Jésus-Christ,  du  trépas  de  la  Sainte  Vierge  et  de  la 
Vie  di  l'homme,  imprimes  à  Paris  chez  Quitletere, 
rite  de  ta  Bùclierie,  1550; 

—  Un  manuscrit  du  xni"  siècle  de  la  Bibliothèque 
de  Munich  contient  une  Passion  publiée  par  Docen, 
*p.  Areti.n.  Beilragen  zur  Lilterutur  mul  geschichte, 
l.  Ml,  p.  297.  Hoitma.vn,  Fundgruben.,1  11,  p,  -215 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAS 


850 


On  peut  remarquer,  non  sans  quelque 
étonnement,  l'analogie,  lointaine  sans  Joute, 
de  ce  mystère  avec  la  Passion  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze.  Les  amateurs  de  vieilles. 
choses  n'y  trouveront  pas  non  plus,  sans  plai- 
sir, l'énumération  des  objets  qui,  au  xv'  siè- 
cle, remplissaient  la  balle  d'un  marchand 
ambulant  de  soieries,  et  les  rayons  nom- 
breux de  la  boutique  d'un  épicier. —  Vcij. 
Sainte-Geneviève  {Manuscrit  de.) 

1°  Le  prologue  nous  donne  un  rapide  ex- 
posé d^  la  vie  entière  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ. 

2°  Jésus,  sous  le  nom  de  Dieu  dans  tout  le 
cours  de  la  pièce,  est  rencontré  de  Marie- 
Madeleine  qui  le  eberebe,  et  à  qui  il  remet 
ses  pécbés.  Madeleine  chante  : 

Dieu  le  tout  puissans, 
De  tout  bien  cognoissans, 
M'a,  pour  1  petit  don, 
Rendu  grant  guerredon; 
Bien  me  doy  louer  de  luy 
Douhlcnicni  désert  (578")  à  eelley 
Qui  le  sert  et  qui  l'onneurc! 

3"  Lazare  meurt;  il  est  ressuscité,  Jésus 
esl  ému  : 

[>IEl\ 

Je  pleure 
Parce  que  je  scay  bien  de  voir  '579 
tju'cncor  te  convient  recevoir 
La  mort  que  lu  as  jà  soufferte; 
Sy  aras  peine  sans  déserte  (380) 
De  souffrir  mon  c'est  dure   chose! 

4°  Jésus  entre  dans  Jérusalem 

LE  PREMIER  enfant  d'iskael  chante  sus  ; 

GLORIA   IMS. 

Tu  viens  cy  au  nom  de  Dieu,  se  savons  : 

Tu  soie/  le  bien  venu/. 

Nul  ne  puet  estre  maintenus 

Sans  loy.  Sire.  Sauve-nous. 

5'  Les  princes  des  prêtres  séduisent  Judas. 

SciiMi.M.Kit,  Carmina  burina  ,  p.  95.  Ficha  nia  publié 
dans  les  Franckfurtischarchtv.  t.  III,  p.  13; ,  un 
1 1 1 \  stère  de  la  Passion  ;  Moue,  dans  ses  Altteutsche 
Sehauspiels,  p  142,  donne  le  texte  d'une  autre  Pas- 
sion intitulée  Ludus  u'.ilis.  —  En  Angleterre,  'c  |»ro- 
lestanl  Baies  avait  écttil  une  Passion  of  Christ;  $cr. 
illustre,  Hagnae  Britnun.  Jo.  Bale,  p.  702.)  —  Eu 
1243,  fu  (alla  la  rappresentazione  délia  pas&ione  e 
resurrecione  di  Christ  0  nelprà  délia  val  te  (Cf.  catalog» 
de"  podesla  di  Padova,  dans  Mckatori,  Script,  rer, 
ital.  I.  VIII,  p.  505).  Il  y  eut  une  Passion  en  lai  in  df 
Bernardo  Campagna  (Cf.  Majefeï,  Verona  ilhtslrala, 
P.  ii,  p.  20v2)  ;  Tominaso  Dipralo  et  Trcviso  en  li- 
mèrent aussi  en  vers  virgiliens.  (Cf.  Ruth,  (Jesciii- 
clile  der  itulientselien  Poésie,  t.  Il,  p.  I0U.)  Enfin  un 
cite  encore,  en  Italie,  sur  ce  vaste  sujet  de  la  Pas- 
sion, le  drame  composé  vers  le  milieu  du  xve  siècle 
par  Giuliano  Dali,  Bernardo  di  Maslro  Antonio  et 
Mariano  Pariicappo,  intitulé  :  La  reppresentuzione 
del  nostro  signor  Cesu  Cristv,  la  qfiale  si  rapvresenla 
net  colliseo  di  Roma,  il  Vernerdi  samo,  con  la  sauta 
Resitrrezionc  istoriàia. 

—  Dans  le  Crilicon  de  M.Gallardo,  p.  25  et  suiv., 
on  trouve  une  Représentation  de.  la  Passion,  datée  des 
premières  années  du  xvi<  siècle;  ce  drame  était  de 
Liicaz  Fernandez  ;  Juan  de  la  Encina  écrivit  aussi 
une  Eglogn  de  la  Pasion. 

(578)  Est  utile. 

(379)  En  vérité. 

(380  Profit. 


m  PAS  DICTIONNAIRE 

Pinceguerre  se  charge  de   prendre  Jésus; 
il  assemble  Baudin,  Mossé,  Malquin,  etc. 

6°  Jésus  commande  la  Pûque;  Ladre  fait 
le  Fécit  des  ix  tourments  des  âmes  dans 
l'enfer,  qu'il  a  visité  : 

Le  premier  est  de  feu  ardant 

Qui  lout  le  corps  leur  va  lardant; 

convoitise. 

Ou  seconl 

Ils  sont  en  feu  et  puis  en  glace 

froide  mallice 

Le  tiers  tourmant  est  de  vermine  : 

Cil  qui  ont  pecliié  par  lieine 

Ont  compaignic  de  couleuvres 

fît  cil  qui  ont  fait  les  œuvres 

D'envie.. 

Le  dragon  les  runge  souvent 

Les  cuers  et  toutes  lez  entrailles; 

La.  crapout  leur  peut  aus  oreilles. 

Ou  quart,  ils  ont  trop  graiil  lueur... 

Ou  quint,  mil  dyables  les  batenL.. 

Ou  sixte,  n'a  point  de  seurlé; 

Ils  sont  tous  jours  en  obscurté. 

Cil  qui  le  bien  pour  le  mal  laissent 

En  celle  obscurté  Luit  abaissent. 

Ou  vu.  tourment  ils  lisent  : 

Les  pechiés  l'un  l'autre  devisent... 

C'est  pour  ce  qu'ils  ne  confessèrent... 

Eu  le  vin.  voient  lez  diables... 

Ne  von  t  pas  [ceux  qui]  au  mouslier  orer  (58 1  ) 

Ainçois  ne  cessent  de  plorer... 

Le  îx 

.     .     .  Tourmenté  sont  de  la  poigne 
De  tous  les  inaulx  qu'en  Enter  sont... 
Encore  y  a  une  autre  estage 
Qui  est  dessus  celui  ombrage, 
Là  est  le  l'eu  du  Purgatoire... 

7°  Au  Jardin  des  Olives. 

un  a.nge  citante  sus  :  Eteiine. 

Fils  de  Dieu,  je  le  vien  conforter... 
Rien  ne  double  ne  petit  ne  graul, 
Va  à  la  mort  Ion  corps  souffrir... 

Judas  livre  Jésus  à  Pinceguerre  et  à  ses 
hommes. 
8°  S.  Pierre  renie  Jésus: 

LA    BÉASSE. 

A  celle  barbe  blanchinasse. 
Musars,  que  quiers  en  ceste  place  ? 
N'es-lu  des  disciples  ce  maislre? 

SAIN'CT  PIERRE. 

Par  ecllui  Dieu  qui  me  fist  neslre, 
Ne  cognoiz  celuy  que  me  dictes. 

Les  Princes  des  prêtres  interrogent  le 
Sauveur,  les  soldats  en  font  risée  et  le  frap- 
pent. 

9°  Judas  se  rspent.  : 

Au  diable  je  me  vois  donner 
Quant  mon  maislre  ay  ainssy  grevez... 
Quant  j'ay  osé  mon  Seigneur  vendre 
Sans  remède  je  me  vois  pendre. 
Diables,  prenez  mon  esperit. 

10°  Hérode  et  Pilate  se  renvoient  Jésus;  la 
femme  de  Pilate  intercède  en  vain  pour  le 
Seigneur,  Pilate  le  livre  aux  Juifs.  Les  bour- 
reaux s'en  emparent,  la  dernière  scène  de 
la  Passion  commence.  La  mère  de  Dieu, 


DES  MYSTERES. 


TAS 


82$, 


En  chantant,  die  : 

Beau  fils  je  doy  bien  forcener 
Il  n'est  nulz  qui  nie  conforlast  : 
Bien  voudroie  la  mort  m'emportas!. 
Au  cuergrant  angoesse  me  point... 
Or  est  bien  du  lout  abessez 
Le  soûlas  que  vous  nie  taisiez 
Quant  en  la  bourbe  ne  besiez 
Par  doulceur  pleine  d'amitié... 

11°  Aussitôt  après  la  Passion  apparaissent 
Sainte  Eglizeel  Vielle  Loy,  ou  Synagogue,  dis- 
cutant ensemble  :  Vielle  Loy  se  déclare  vain- 
rue. 

SYNAGOGUE. 

Je  me  rens  vaincue  ;  or  pourras 
Désormais  régner  par  tous  règne 
Chevauche  à  bandoti  et  règnes 
Partout;  plus  ne  m'ose  vanter. 

12°  Pilate  accorde  à  Joseph  le  corps  de 
*ésus.  Joseph  veut  acheter  d'un  mercier  col- 
porteur passant  «  beaulx  draps  neuf  soye.  » 

LE  MERCIER. 

J'ay  soye  rouge,  Indes  et  Perses, 
J'ay  soie  noire,  soies  fines 
Plus  blanche  que  n'est  fleur  d'espines. 
J'ay  beaulx  poilles  seur  argenicz 
A  teilles  d'or  par  my  piaulez; 
Draps  vers  de  soye  à  or  berniez 
Et  sy  ay  de  plusieurs  sendels, 
Soye  vermeille  et  puis  morée 
Et  ay  soye  qui  est  dorée. 
J'ay  bougueren  eteslamincs, 
J'ay  bources  failes  de  eu  vies  fines, 
J'ay  saintures  et  gibecières 
Courroyes  de  diverses  manières, 
Pourpres,  samis  tressierset  guindés, 
Voilles  noirs  et  rouges  et  Indes, 
Coeffes  à  or  bonnes  et  riches 
Queuvrechiez,  crêpez  cl  aliches, 
Espinglesd'argentsororées 
Grosses  courroyes  d'argent  dorées, 
Cîiapiaus  apellez  et  couronnes 
Et  pierres  précieuses  el  bonnes 
Noires  el  vers  el  rouges  sarges, 
Couverloers  de  sendal  bien  Liges. 
J';iy  paille  de  divers  ouvrages  : 
'  Pourtra.it  sonl  à  bestes  sauvages 
Qui  semblent  lion  et  liéparl; 
El  en  ay  encore  d'autre  pari 
De  riches  fais  nouvellement 
Qui  sont  pourlrait  mesmement. 
De  blanches  el  de  rouges  roses 
Qui  sont  parmy  le  drapl  encloses; 
Poilles  roiez,  couroyes  à  perles, 
Draps  à  papegauls  el  à  merles. 

Le  Christ  est  enseveli.  Les  gardes  s'empa- 
rent du  sépulcre  ;  après  mille  vanleries,  à  loi 
vue  des  anges,  ils  ne  songent  plus  qu'à  fuir 

13°  Satan  s'enferme  dans  l'enfer.  Jésus 
frappe  aux  portes.  David,  Isaïe,  saint  Jean- 
Baplisle  s'écrient  de  joie.  Jésus  emmène 
Adam  et  Eve. 

ik°  Marie-Madeleine,  Marie  Jacobi,  Marie 
Salomé  vont  chez  l'épicier  acheter  des  par- 
fums :  celui-ci,  comme  le  mercier, fail  l'énu- 
méralion  de  ses  marchandises  : 
l'espicier. 
J'ay  poivre,  gingembre  cl  canclle, 


(381)  Prier  à  l'église 


823 


PAS 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TAS 


8-21 


Poudre  de  saffran  bien  nouvelle 
Nois  inugueltes,  pouies  gaina  les 
Giroifle,  citonal  el  dates, 
Garingat,  folion,  peniles, 
Cubèbes,  rasis,  nois  confines; 
J'ay  gingenbranl  et  pignolat, 
J'ay  trop  bon  sucre  violât, 
J'ay  grosse  et  grêle  dragie 
De  giroufïïe  el  d'anis  glagie, 
Poivre  lonc,  connu  in,  reguelice, 
Amendes,  ris  et  verdegrice; 
J'ay  gruel  c'on  n'a  pas  pillé, 
Coton  hatu,  colon  lillé; 
J'ai  sire  jaune  et  sire  vierge 

J'ay  du  persin  Massidoine  ; 
Je  lineroye  bien  d'un  siroiue; 
J'ay  bon  candil  gros  el  brisé 
Et  graine  de  paradis  é 
Sucre  dur  pour  faire  claré, 
Gingembre  blanc,  coniitparé; 
J'ay  poudre  pour  bon  pignemeul  faire. 
El  ay  séens  bon  laicluaire  ; 
J'ay  pondre  de  sucre  à  cassons 
Et  alun  plus  cler  que  glassons 
J'ay  encens  gales  baie  noire 
Que  je  achelay  en  cesle  foire, 
Etay  de  lion  mugueliet 
Qui  en  cesle  boîle  cy  est; 
J'ay  blanc  de  flour  et  roige  mine 
El  aullre  arquenele  fine  ; 
J'ay  vermeillon  et  teinture  Inde, 
Figues  et  raisin  de  Corinde; 
J'ay  yaue  rose  et  oille  d'olive... 
J'ay  brésil,  miel  et  erremenl, 
Et  de  quoy  on  fait  oignement  ; 
Plusieurs  herbes,  bonnes  espices... 
En  ces  m  boestes  qui  sont  closes, 
C'est  ornement  moult  précieux 
Qui  est  moult  bon  et  glorieux 
A  plaies  garir  et  blessures, 
A  gens  malades  el  coupures, 
A  des-douloir  ceulz  qui  se  deuleni, 
Se  bien  oingdre  le  corps  se  veullenl  : 
Fait  est  de  mine  et  d'aloé. 

15"  La  scène  anliquo  des  offices  figurés  de 
la  Résurrection  se  renouvelle.  Saint  Michel 
et  les  anges  apprennent  aux  trois  Marie  que 
le  Seigneur  est  ressuscité.  Jésus  môme  leur 
apparaît,  et  elles  annoncent  aux  disciples  que 
leur  divin  Maître  les  attend  en  Galilée.  Les 
disciples  partent  «  droit  sans  arrester.  » 

Un  centurion  clôt  le  mystère  par  ces  pa- 
roles : 

Vous  devez  bien  mil  appreslep 
Voss  cuers  vers  Dieu  qui  délivranc 
Vous  a  faicle  par  sa  puissance 
Nous  eslion  luit  mal  bailly  : 
Diex  ne  nous  a  pas  défailly. 
Par  sa  mort  a  d'enfer  gelté 
Ses  amis,  c'est  bien  vérité. 
Prions-ly  luit  que  par  sa  grâce 
De  nos  méfiais  pardon  nous  face... 
Sy  vous  diray  que  nous  ferons  : 
Tuit  à  une  vois  chanterons 
De  cuer  :  Te  Deum  luudumus 
El  puis  le  Benedicamus. 
Amen. 
(Explicit.) 


IL 

La    Bibliothèque    du    théâtre    françois , 
ouvrage    attribué   au  duc  de   La  Vallière, 


(Dresde,  1768,  in-8°  3  vol.,  t.  I",  p.  117,) 
donne  deux  titres  différents  du  mystère, 
qui  suit  : 

Le   premier  est  celui  d'un  manuscrit  m- 
fol.,sur  vélin,  de  la  première  moitié  du  xvi* 
siècle,  il  est  ainsi  conçu  : 
Moralité  et  figure  sur  la   Passion  de  Notre- 

Seigneur    Jésus-Christ,    par    personnages 

bien  dévoles. 

Le  second  est  celui  d'une  édition  de  ce 
manuscrit  : 

Mystère,  moralité  et  figure  de  la  Passion  de 
Notre -Seigneur  Jésus  -  Christ ,   nommée  : 

QUOD    SECUNDUM    LEGEM    DEBET    MORI,     à  XI 

personnages.   Lyon    Benoît  Rigaud,  in-8". 

(Vers  1600.) 

Suit  l'analyse  du  mystère  : 

«  Dévotion  explique  le  sujet  dans  un  pro- 
logue. Nature  humaine,  chargée  d'infirmités, 
se  plaint  de  son  sort  malheureux  au  Roi 
Souverain,  qui  lui  dit  que  son  état  ne  peut 
être  changé  si  VJnnocent  n'est  mis  à  mort 
en  faveur  d'elle;  et  si  elle  ne  se  lave  dans 
.son  sang.  Nature  cherche  et  trouve  Daine 
Débonnaire,  et  lui  demande  la  mort  de  son 
lils  l'Innocent.  Révoltée  de  celte  proposi- 
tion, la  Dame  va  avec  Nature  chez  le  Juge. 
Noé.  Le  patriarche  lès  ayant  entendues,  donne 
gain  de  cause  à  Nature.  La  Dame  appelle  de 
la  sentence  devant  Moïse,  qui  confirme  l'ar- 
rêt. Nouvel  appel  de  ce  jugement  à  la  Cour 
Souveraine,  ou  au  Parlement  ;  saint  Jean  et 
saint  Siméon,  présidents  de  ce  tribunal,  dé- 
cident comme  Moïse  et  Noé.  Il  ne  reste  plus 
à  la  Dame  Débonnaire  que  le  Roi  Souverain, 
auprès  duquel  elle  va  demander  justice  et 
grâce.  Le  Roi  prononce  que  VJnnocent  doit 
mourir,  pour  purger  la  nature  humaine.  En 
conséquence,  celle-ci  invite  Envie  Judaï- 
que et  Gentil  Trucidateur  de  se  saisir  de 
Y  Innocent,  à  qui  on  fait  souffrir  les  tourments 
décrits  dans  l'Évangile.  Dévotion  ferme  le 
spectacle  par  un  sermon  aux  assistants. 

Le  corps  s'en  va,  niais  le  cœur  vous  demeure... 

VoiJ.  QUOD   SECUNDUM    LEGEM. 


(Pantomimes.) 

La  Passion  a  été,  à  la  fin  du  moyen-âge, 
le  sujet  de  pantomimes  que  citent  les  vieux 
historiens.  Jean  de  Troyes  (Chronique  de 
Louis  XI  )  rapporte  qu'on  la  jouait  «  par 
personnages  sans  parler  »  en  1461,  à  l'entrée 
de  Louis  XI;  elle  fut  représentée  encore  en 
1484,  à  l'entrée  de  Charles  VIII  (Cérémonial 
françois,  p.  214)  et  en  1504  à  l'entrée  de  la 
reine  Anne  de  Bretagne.  (  Registres  de  VHô- 
tel  de  ville.) 


i; 


On  lit  dans  le  Recueil  des  offices  de  France 
ar  Jean  Chenu,  qu'à  l'entrée  du  roi  C hai- 
es VII  à  Paris,  le  12  novembre  1437,  «  de- 
vant la  Trinité  esloit  un  grand  théâtre  sur 
lequel  estoient  représentez  les  mystères  de 
la  Passion  et  Judas  faisant  sa  trahison  ;  ains 
représentoient  ces  mystères  par  gestes  seu- 
lement. » 
«  Devant  le  Sépuicre  était  un  autre  théâtre 


825 


TAU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAU 


826 


où  furent  représentées  la  Résurrection  du 
Sauveur  et  son  Apparition  à  la  Magde- 
laine...  (381*).  » 

PA  UL  (  Conversion  de  Saint  ).  —  Le  mys- 
tère de  saint  Paul  date  du  xi"  siècle  ;  il  nous 
à  été  conservé  dans  le  précieux  recueil  do 
mystères  du  xme  siècle,  dont  nous  avons 
donné  la  description  et  l'hisioire  sous  le  litre 
de  manuscrit  de  Saint-Benoît  sur  Loire. — 
Voy.  Saint-BenoÎt-sur-Loike  (Manusc.  de). 

Dans  son  cours  professé  à  la  Faculté  des 
lettres  en  1835,  M.  Magnin,  examinant  le 
Saint  Paul,  le  considéra  comme  très-proba- 
blement destiné  à  être  représenté  aux  ordi- 
nations ou  prises  d'habit.  [Voy.  Journ.  gén. 
de  rinslruc.  publ.,  13  septembre  1835,2° 
semestre,  vie  art.,  p.  4-78.  ) 

M.  Wright,  en  Angleterre,  l'a  rapproché 
du  mystère  du  môme  nom  édité  par  les 
soins  de  M.  A.  Jubinal  (Mystères  inédits  du 
xve siècle;  Paris,  1837,  2  vol.  in-8°.) 

MYSTÈRE   DE    LA    CONVERSION    DE    SAINT    PAUL. 

PERSONNAGES. 

NOTRE-SEIGNEUR     JHÉSUS- 

CHRIST.  ANAN1AS. 

SAUL.  LES   APÔTRES. 

LE    PRINCE    DES   PRÊTRES.  DES   CHRÉTIENS. 

LE   CHEF   DE  LA  SYNAGOGUE  GARDES. 

OE    DAMAS. 

Pour  représenter  la  Conversion  de  saint  Paul,,  apôtre, 
mettez  en  lieu  convenable  pour  figurer  Jérusalem,  un 
siégp,  sur  lequel  s'assiéra  le  prince  des  Prêtres;  sur 
un  autre  siège,  un  jeune  homme,  faisant  le  personnage  de 
Saul,  entouré  de  gardes;  à  quelque  distance  de  ceux-ci, 
de  l'antre  côté, les  deux  sièges  de  Damas, où  seront  Judas 
sur  l'un,  et  sur  l'autre  le  Chefde  la  Synagogue  ;  entre  ces 
deux  sièges  un  lit  sur  lequel  est  couché  l'acteur  représen- 
tant Anauias. 

saul,  à  ses  satellites.  Je  ne  puis  garder  en  moi  la 
naine  immense  que  m'inspirent  ces  Chrétiens  dont 
les  artifices  séduisent  lotit  ce  pays.  Allez,  de  suite, 
empoigne/  Ions  ceux  que  vous  trouverez,  enchaînez- 
les,  amenez-les 

les  ministres.  (Partis  svr  l'ordre  de  Saul,  ils  ra- 
mènent deux  hommes  à  leur  maître.)  Nous  avons  trouvé 
beaucoup  de  ces  Chrétiens,  en  voici  que  nous  avons 
arrêtés,  lotit  le  reste  de  ces  séducteurs  assemblés  a 
lui  dans  Damas. 

sacl.  (Il  se  lève  irrité  et  va  vers  le  Prince  des  prêtres). 
Donnez-mondes  lettres  pour  Damas,  où  les  Chrétiens 
séduisent  le  peuple  par  d'impudents  mensonges. 

le  prince  des  prêtres  donnant  à  Saul  un  bref  scellé. 
Jo  vous  donne  commission  pour  Damas,  contre  les 
Chrétiens;  ne  laissez  échapper  aucun  d'eux. 

une  voix  d'en  haut.  Saul,  Saul,  pourquoi  me  per- 
sécules-lu?  Je  vois  tous  les  maux  que  lu  me  fais. 
Pourquoi  nuis-tu  au  peuple  que  j'ai  choisi.  Tu  regim- 
bes en  vain  sous  l'aiguillon. 

saul  (A  ces  mots  il  est  comme  à  demi  mort).  Qui 
parle  ainsi?  Qui  es-tu.  Seigneur?  Pourquoi  m'as-lu 
privé  de  la  vue?  Quand  ai  je  allligé  ton  peuple?  Qui 
es-tu?  et  quel  est  ton  nom? 

(Il  tombe  à  terre  en  parlant.) 

le  seigneur.  On  me  nomme  Jésus,  et  je  suis  celui 
que  tu  persécutes,  dont  lu  affliges  sans  eesse  les  ser- 
viteurs; lève-toi,  rentre  dans  la  ville,  lu  apprendras 
là  ce  que  tu  dois  faire. 

(381  *)  M.  Douhaire,  dans  son  Cours  sur  la  poésie 
chrétienne  :  cycle  des  Apocryphes,  publié  dans  l'Uni- 
versité catholique...  (Paris,  1811,  gr.  in-8°,  61'  li- 
vraison ,  janvier  ,  15e  et  déni,  leçon,  p.  5"2,  53), 
remarqua  que,  aujourd'hui  encore,  dans  l'ouest  cl 
le  midi  ife  la  France,  non-seulement  la  Passion  est 
dans  le /familles  l'objet  de  sortes  de  represcnl  uions 


(Saul  se  levé;  ses  hommes,  >e  voyant  aveutjle,  le  condui- 
sent à  Damas,  dans  la  maison  de  Juda.) 

le  seigneur  se  rendant  auprès  d' Anauias.  Ananias, 
lé'.e-toi  vile,  entre  dans  la  maison  de  Juda  ;  là  t'al- 
lend  un  homme  dont  le  nom  est  Saul,  à  qui  lu  don- 
neras mes  ordres. 

an/vnias.  J'ai  souvent  ouï  parler  de  ce  Saul;  il  a 
fait  bien  du  mal  à  les  servileurs;  il  n'en  est  pas  de 
connu  de  lui  contre  qui  ne  se  soil  armée  sa  fureur 
et  qui  n'ait  succombé.  Il  a  des  lettres  du  prince  (des 
piètres)  pour  tuer  tous  les  Chrétiens, aussi  ai-jepeur 
de  ce  Saul,  je  n'ose  aller  vers  lui. 

le  seigneur.  Ananias,  lève-loi  vile,  cherche  Saul 
on  toute  iranquillilé  d'esprit,  déjà  lui-même  le  prie 
de  venir  et  de  lui  rendre  la  vue;  j'ai  choisi  Saul  lui- 
même  pour  me  servir,  m'honore r,  (n'annoncer  et 
glorifier  mon  nom. 

anan  i  as,  se  levant,  entre  dans  la  maison  de  Juda  et  voit 
Saul.  Saul,  le  Seigneur  Jésus-Christ,  Fiis  du  Toul- 
Puissani,  m'a  envoyé  vers  loi  ;  c'esl  celui  même  que  lu 
as  vu  dans  ton  chemin,  de  qui  j'ai  reçu  l'ordre  devenir 
auprès  de  loi  :  lu  annonceras  son  nom  devant  les  puis- 
sanlseiles  peuples,  el  avant  d'être  ciloyen  du  céleste 
royaume,  lu  subiras  bien  des  maux  au  nom  du  Christ. 
sa  il  se  lève  el  nouveau  néophyte  il  commence  de  prê- 
cher. Juifs,  pourquoi  ne  vous  repentez-vous  pas? 
Pourquoi  vous  élever  contre  la  vérité?  Pourquoi  nier 
la  Vierge  Marie,  mèie  d'un  Dieu  el  d'un  homme?  Jé- 
sus Christ,  lils  de  Marie,  esi  Dieu  aussi  bien  qu'homme 
charnel,  il  tient  la  divinité  de  son  Père  el  reçoit  la 
chair  du  sein  maternel. 

le  chef  de  la  synagogue  de  damas,  à  ses   satel- 
lites. Gardez  les  porîes  de  la  ville,  les  lèles  des  che- 
mins, el  aussitôt  que  vous  verrez  Saul,  tuez-le. 
(Les  soldats  parlent,  ils  cherchent  Saul;  celui-ci,  avec 
ses  disciples,  en  ayant  connaissance,  descend  dans  la 
campaqne  dansun  panier,  en  un  coin  du  mur  de  la 
ville.   Arrivé  à  Jérusalem,  Saul  est  rencontré  par 
l'homme  jouant  Barnabe  qui,  en  le  voyant,  lui  dit  :  ) 
barnabé.  Le  Fils  de  Marie  l'a  choisi  pour  compa- 
gnon de  nos  frères;  viens  donc  avec  nous  louer  le 
Seigneur  ;  voici  notre  assemblée.  (Aux  Apôtres).  Mes 
frères,  réjouissons-nous  dans  le  Seigneur,   soyons 
heureux  d'un  si  bon  compagnon.  Celui-là  même,  au- 
trefois le  plus  cruel  des  loups,  est  aujourd'hui  le  plus 
tendre  des  agneaux. 
tous  les  apôtres.  Te  Deum  laudamns...,  etc. 

PAUL  (Saint).  —  Cette  aulre  Conversion  de 
saint  Paul  est  tirée  du  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque de  Sainte-Geneviève  à  Paris.  Ce 
drame  date  du  xv'  siècle. 

Mentionné  et  analysé  dans  la  Bibliothè* 
que  du  théâtre  françois,  ouvrage  attribué 
au  duc  de  La  Vallière  (  Dresde,  1768,  in-8% 
3  vol.  t.  1",  p.  36),  il  a  été  publié  seulement 
de  nos  jours  par  M.  Achille  Jubinal,  dans 
ses  mystères  inédits  du  xv'  siècle.  (Paris, 
1837,  in-8°,  2  vol.,  t.  I",  p.  25-^2.  ) 

Les  acteurs  sont  nombreux  ;  ce  sont  : 
SAUL  et  ses  compagnons,     saint  pierre, 

LES  PHARISIENS.  SAINT  ANDRIK.U. 

ANNAS.  SAINT  JACQUES  LE  GRAND. 

CAYPHAS.  SAINT   JEAN. 

ALEXANDCR.  *A!NT    THOMAS. 

ANANIAS.  SAINT  BARTHÉLÉMY. 

SAINT    BARNABÉ.  SAINT    SIMON. 

figurées,  mais  même,  dans  les  foires,  cl  dans  les  as- 
semblées de  villages,  il  n'est  pas  rare  de  voir  la  Pas- 
sion  jouée  par  des  marionnettes.  Ces  deux  vers  des 
bateleurs  sont  cités  par  M.  Douhaire  : 

Pierre,  (.rends  ton  sar  et  ton  épée 
Païens  pour  la  Guidée. 


827 


PAO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAU 


82£ 


SAINT    JL'DE    t't  SAINT     MA-       PEUPLE    JUIF. 

TIIIAS.  PHARISIENS. 

JI1ÉSUS  Cl  NOSTRE-DA'.ÎE. 

SAULUS  ET  SES  COMPAGNONS. 

Dieu  gari  les  maislres  de  la  loy. 

LES    PHARISIENS. 

Bien  ve  gniez,  amis,  par    oj 

saulus. 
Mes  Seigneurs,  sachiez  que  Damasce 
De  folz  crestiens  a  grant  masse, 
Oui  noslre  loy  du  tout  confondent 
El  une  loy  nouvelle  fondent 
Qui  noslre  loy  confondra  toule. 
Qui  losl  n'y  pourverra,  sans  doubste. 
Nous  avons,  i.  <le  leurs  prescherres 
Tué  et  lapidé  à  pierres. 
Les  autres  plus  en  doubleront  : 
S'en  les  lient  court  ilz  cesseront. 
Sy  me  vailliez  s'il  vous  plaisl  lellre 
Que  je  lier  les  puisse  el  ineclre 
En  vos  prisons  sans  contredit. 

ANNAS,   CAYPHAS,    ALEXANDER. 

Benoisl  soit  il  qui  a  ce  dit. 
Efi  effet  les  Pharisiens  remettent  à  Saul  une 

....  Commission 
D'aler  par  cesle  région. 
Encerchier  (chercher)  ces  faux  cresliens... 
(Lors  Saulus  monte  à  cheval  en  disant  :) 

A  cheval,  à  cheval  tout  homme  ! 
Nous  ne  valons  pas  une  pomme 
S'il  y  a  nulz  qui  nous  eschappe. 
Se  je  ne  les  vous  metsoulz  trappe 
Sy  me  couronnez  d'un  trépié. 

SES  COMPAIGNONS. 

Chevauchiez,  nous  yrons  de  pié. 

(Lors  voisent  (ils  s'en  vont  en)  passant  par  dessoulz 
Paradis. 

saulus  en  s'en  allant 

A  Ion  en  ce  Damas  bon  erre 

Le  cuer  d'ire  (colère)  ou  ventre  me  serre 

De  ce  que  ces  faulz  cresliens... 

Sy  vont  noslre  loy  destruisant... 

SES   COMPAIGNONS. 

Or  tost,  tost,  penssons  de  l'aler. 

Au  moment  où  Saul  passe  par-dessous 
Paradis,  Jésus  apparaît,  un  éclair  échappé 
de  sa  main  toute-puissante  renverse  Saul. 

jhésus  die. 

Saule,  Saule,  trop  est  lesln, 
Dy  pourquoy  me  guerroies-tu? 

SAULUS. 

Qui  es-lu  qui  es  cy  venu 

JHÉSUS. 

Je  suis  Jhésus  Nazaretnus. 

Que  lu  poursuis,  quant  guerroianl 

Vas  ceulz  qui  en  moy  vont  croi;n.t 

Tu  fais  (pie  fol  el  que  félon 

De  regiber  contre  a quîl ion. 

SAULUS. 

Sire,  que  vcull-lu  que  je  face? 

JHÉSUS. 

Lieve  sus,  va-t-en  a  Damasce  ; 

Sy  orras  (ouïras)  que  lu  devras  faire 


ja  toute-puissance  de  Jésus.  Mais  le  Sauveur 
a  eu  pitié  de  lui,  sitôt  après  l'avoir  frappé, 
il  lui  envoie  Ananias  oui  lui  rend  la  lutine'"' 
et  le  baptise. 

Saint  Paul  revient  a  Damas.  Il  est  a^sis 
sur  le  bord  de  la  route,  tout  poudreux,  bien 
las,  mais  animé  déjà  de  l'ardeur  invincible 
de  l'apostolat  : 

Loé  soit  Dieu  qui  m'a  gelé 

Hors  d'erreur  et  de  fausseté, 

Qui  m'a  à  sa  grâce  apellé 

Qui  m'a  ses  secrets  révélé, 

Qui  en  moy  a  tout  mal  sechié, 

Qui  m'a  à  lout  bien  alechié, 

Qui  m'a  en  doulz  aignel  (agneau)  changie 

De  lou  sauvage  el  enragié, 

Qui  m'a  de  persécucion 

Eslen  à  prédicacion, 

Qui  m'a  mis  à  salvacion 

De  voie  de  dampnation  ! 

Je  n'aray  pas  sa  grâce  en  vain. 

Je  vueil  loul  mettre  sous  sa  main, 

Je  vueil  avant  huy  que  demain 

Sa  loy  prcschier  à  mon  prochain. 

L'âpre    néophyte   est  entré  dans  Damas, 
î.  s'adresse  anx  premiers  qu'il  rencontre  et 
les  salue  du  nom  de  Jésus.  Nul  d'abord  ne 
peut  le  reconnaître.  Cependant   l'un  d'eux, 
s'adressant  à  quelqu'un  de  la  foule  : 

Sire,  la  char  de  moy  soit  arsse  (brûlée) 
Se  ce  n'est  Saulolin  de  Tharsse 
Qui  est  yssu  hors  de  son  sens... 

Aussitôt  les  sectateurs  de  l'ancienne  loi 
prennent  l'alarme. 

Il  est  homme  de  grant  courage, 
Puisqu'il  commance  il  fera  rage  : 
Alons  le  montrer  au  prévost... 

La  scène  est  transportée  dans  le  prétoire 
du  prévôt  de  Damas.  Les  dénonciateurs  ont- 
prévenu  l'autorité,  qui,  dans  ces  jours  de 
grand  trouble  de  l'esprit  humain,  s'émeut, 
au  moindre  bruit  ;  Les  Juifs  cherchent 
saint  Paul ,  Ananias  lui  conseille  de  fuir  : 

ANANIAS. 

Frère  Pol,  Dieu  vous  croisse  honneur 

Les  faulz  Juifz  grant  et  meneur 

Qui  demeurent  en  ceste  ville 

De  vous  Hier  onlprins  concile  (conseil)  J 

Por  Dieu,  alcz-en,  n'y  lardez! 

SAINT    POL. 

Se  vous  dictes  bien,  resgardez 
Qu'au  premier  assaullje  m'enfuie, 
Qui  ne  doy  doubler  vent  ne  pluie, 
Roys  ne  princes,  ne  duc  ne  conte  : 
Sire,  ce  seroit  trop  grant  honte... 

ANANIAS. 

Bien  sçay,  frère,  qu'estes  sy  fermes 

Que  vous  ne  doublez  point  mourir  ; 

Mais,  pour  Dien,  vueillez  secourir 

Au  monde  qui  est  en  erreur! 

Ce  n'est  estande  ne  horreur 

S'un  pou  (si  un  peu)  voslrc  mon  différez; 

Mes  granl  bien  et  grant  sen  ferez 

Por  mielx  (mieux)  en  la  foy  labourer... 

Paul,  touché  de  ces  considérations, 


Saulus  se  relève   en   effet;  ce  n'est  plus  Saint  Paul, 

le  persécuteur  farouche,  l'ennemi  implaca-  se  résigne  à  fuir,  et  pourtant  il  s  assied  tout 

cable  des  Chrétiens,  «  toute   malice  est  en  pensif. 

lui  arsse  (détruite)  »  il  prie  déjà,  il  implore  Sa  méditation  profonde  est  troublée  sou- 
la  miséricorde  divine,  il  redemande  la  vue  dain  ;  le  bruit  de  la  conversion  miraculeuse 
(pic  lui  avait  ravie  la  présence  redoutable  et  de  saint  Paul  s'est  répandu  parmi  les  Chré- 


820 


fie 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PIE 


8ÔO 


tiens,  et,  curieux  de  tenir  de  lui  les  détails 
merveilleux  de  l'apparition  du  Seigneur, 
avides  de  presser  sur  leur  sein  le  nouveau 
frère,  ils  ont  envoyé  près  de  lui  saint  Bar- 
nabe, qui  le  salue  et  l'emmène. 

Nous  touchons  au  dénouement,  dont  le 
pnëte  a  laissé  deux  formules  :  ou  le  jeu 
iinit  au  milieu  de  la  joie  des  Chrétiens  ser- 
rant saint  Paul  dans  leurs  bras;  ou  il  con- 
tinue, et  saint  Pierre  le  présente  à  Notre- 
Dame,  dont  il  reçoit  les  félicitations.  Un 
dernier  tableau  montre  les  a  poires  disper- 
sés selon  la  parole  évangélique  :  saint  Pierre 
à  Rome,  saint  Paul  à  Athènes. 

C'est  par  là  que  le  mystère  ne  la  Con- 
version de  saint  Paul  se  relie  à  celui  de  la 
Conversion  de  saint  Denis. —  Voyez  cetarlicle. 
—  Voyez  aussi  IcMautyr  de  saint  Etienne. 

PÈLERINS  D'EMAUX  (  Les  ).— Un  mys- 
tère delà  liésurrection  fut  joué  en  15i8,  h 
Rélhune,  le  jour  de  la  Fèle-Dieu,  sous  le 
titre  «  des  Pellerins  d  Emaux  »  (Cf.  Lafons- 
Melicocq,  Annales  archéol.,  I.  VIII,  p.  2G9; 
et  extraits  de  chartes  dans  les  Mél.  hist. 
publiés  par  M.  CnAMPOLLiox-FiGEAC,  t.  IV). 

PENTECOTE  {Lu}.  — L'abbi  de  Lame, 
dans  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes, 
les  jongleurs  et  les  trouvères  normands  et  an- 
glo-normands (Caen,  Mancel,  1834,  in-8°,  3 
vol.,  t.  1",  p.  166),  a  fait  mention  d'un  Mys- 
tère delà  Pentecôte,  réprésenté  e:i  Angleterre, 
à  Chester,  en  1327. 

PIERRE  (Saint)  ET  SAINT  PAUL.—  Le 
Martyre  de  saint  Pierre  et  saint  Paul  est  tiré 
du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte- 
Ceneviôve,  à  Paris. 

Ce  drame  date  du  xvc  siècle. 

La  Ribliothèque  du  théâtre  françois,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 
1768,  in-8%  3  vol.,  t.  1er,  p.  36),  l'a  men- 
tionné pour  la  première  fois  et  en  a  donné 
une  analyse  trop  incomplète  pour  que  nous 
puissions  la  reproduire. 

M.  Achille  Jubinal,  dans  ses  Mystères 
inédits  du  xv*  siècle  (Paris,  1837,  in-8%  2 
vol.,  t.  1",  p.  61-100),  en  a  publié  le  texte. 

Les  personnages  sont  très-nombreux  ;  ce 
sont  • 


L  EMPEREUR  NERON. 

DOMITIEN. 

AGRIPPA. 

PAULIN. 

m .v rus,  bourgeois  romain. 

SECOND  BOURGEOIS 
PEUPLE  ROMAIN. 
HASQUEBIQUET, 
HVPF.LOPIN, 


iVrséeu- 

ICIH'S 

aux 
gages 

deNéron. 


SERGIUS  ET  GARDES. 

JHESUCRIST. 

L'ARCHiNGE  GABRIEL. 

L'ARCHANGE   MICHEL. 

SAINT  r  PIERRE. 

SAINCT   POL. 

SAINCT    LUC. 

TITUS. 

SAINCT  CLÉMENT,  écolier. 

SYM    N  LE  MAGICIEN. 

IN  MORT. 

PREMIER  DIABLE. 

SECOND  DIABLE. 


EUHBROUET, 
MENJUUATIN, 
H  O  BUÉ, 
QASTËNIN, 
RIFFLARS, 

Saint  Pierre  reproche  aux  Romains  le  mé- 
pris de  Dieu;  en  vain  s'en  défendent-ils  sur 
ce  qu'ils  honorent  les  dieux  «  qui  leur  sont 
propices,  »  leurs  paroles  ne  démontrent  (pie 
mieux  leur  profonde  et  funeste  ignorance. 
Saint  Clément,  encore  écolier,  mêlé  dans  la 
foule   assemblée  autour  de  saint  Pierre,  ne 


peut  entendre  que  la  moit  du  Christ  no 
soit  pas  la  preuve  de  son  impuissance. 
Saint  Pierre  essaie  de  lui  faire  compreudro 
le  sacritice  formidable  du  Fils  de  l'homme. 
Entre  les  assistants  est  Simon  le  magicien, 
qui  s'élève  contre  saint  Pierre  et  réclame, 
dans  Rome  môme  et  vivant,  les  honneurs 
divins.  Un  enterrement  vient  à  passer.  La 
foule  demande  des  preuves.  Simon,  par  les 
plus  terribles  conjurations,  parvient  à  obte- 
nir le  secours  de  l'enfer.  Le  mort  remue  la 
tôle,  mais  saint  Pierre  lui  rend  la  vie.  Simon 
s'élève  dans  les  airs,  soutenu  par  deux  dé- 
mons. Saint  Pierre  implore  le  Seigneur. 
Lucifer  lâche  le  magicien,  qui  se  lue  en 
tombant.  L'enfer  rit  de  sa  chute  et  l'emporte. 
Les  spectateurs  de  ces  choses  étranges  se 
jettent  aux  genoux  de  saint  Pierre  et  lui 
demandent  le  baptême.  L'écolier  saint  Cié- 
ment  est  élu  par  saint  Pierre  comme  son 
successeur  futur. 

La  foule  s'est  retirée,  animée  de  mille  im- 
pressions diverses,  mais  favorables  à  la  reli- 
gion nouvelle.  Saint  Pierre,  saint  Paul  :-o 
sont  assis  à  terre. 

Déjà  le  bruit  de  cette  scène  merveilleuse 
est  airivéjusqu'à  l'empereur  Néron.  La  scène 
est  transportée  au  milieu  de  sa  cour;  Domi- 
licn,  qui  lui  succédera,  Agrippa,  Paulin,  sont 
auprès  de  lui  et  reçoivent  l'ordre  de  mettre 
a  mort  quiconque  se  déclarera  chrétien. 

Titus  se   haie   de  [devenir   saint  Pierre. 
Ci  bii-ci,  pressé   par  Titus,  saint  Luc,  <aint 
Clément,  quittait  Rome,  lorsque,  en  son  che- 
min, il  rencontre  Jésus  môme  : 
Pierres,  Lien  soies- tu  venu  ! 

SAINCT  PIERRE,  à  geilOllIz. 

Sire  Jhésus,  el  où  vas  lu? 

JHÉSUS. 

Pierres,  Pierres,  à  Homme  vois 
Pour  mourir  de  recliief  en  croix. 

Saint  Pierre  est  touché  de  cedoux  reproche. 
Il  éprouve  une  amère  confusion,  et  se  hâte 
de  rentrer  dans  Rome  et  do  courir  au  devant 
du  martyre. 

En  effet,  Agrippa  a  lâché  contre  lui  les  sup- 
pôtsdclajusticeromaine,qui  saisissent  lesaint 
apôtre  et  le  mènent  à  Néron,  avec  saint  Paul. 

Néron  reproche  à  saint  Pierre  la  mort  de 
Simon  : 

Tu  fais  merveilles,  lu  Tus  rages, 
Tu  es  lotit  plain  de  maléfices; 
Syfaul  faire  de  toy  justice; 
Raison,  les  drois,  la  loy  le  veulent. 

Il  donne  l'ordre  de  mettre  à  mort  les  deux 
«  christicoles,  »  de  pendre  et  lier  saint  Pierre: 

A  Pol,  qui  csl  noble  Romain, 
Me  faicles  la  teste  couper. 

Saint  Pierre  et  saint  Paul  sont  entre  les 
mains  des  bourreaux,  qui,  sur  le  théâtre 
môme  et  devant  les  spectateurs  accourus 
aux  représentations  du  mystère,  décapitent 
Paul  et  crucifient  saint  Pierre,  la  tête  en  bas. 

Le  martyre  des  deux  saints  a  profondément 
ému  le  peuple  de  colère,  de  douleur  et  de  pi  lié. 
Des  bourgeois  romains,  déjà  convertis  par 
saint  Pierre,  ont  voulu   le   délivrer;  mais  lo 


831 


PIE 


DICTIONNAIRE  DE3  MYSTERES. 


PIE 


832 


pieux  m.-rlyr  expirait.  Ses  dernières  paroles 
ont  été  pour  leur  demander  la  «race  d'ache- 
ver «  sa  passion.  » 

Chiers  frères,  faictes-moy  silence. 

S'a' (si  à)  moy  avez  nulle  (qite'que)  amil'ié, 

Je  vous  supply  que,  par  pilié, 

Vous  ne  donnez  occasion 

De  retarder  ma  passion. 

31a  passion  sy  est  victoire: 

C'est  i(un)  pont  pour  saillir  (sauter)  en  gloire. 

Jhésucrist  m'altenl,  roy  des  roys, 

A  Dieu  soiez,  à  ly  (lui)  m'en  vois  (je  vais). 

Saint  Paul,  en  mourant,  a  convoqué  le 
peuple  pour  le  lendemain  à  son  tombeau; 
les  bourreaux  et  les  sergents  sont  des  pre- 
miers à  s'y  rendre;  ils  y  trouvent  pourtant 
Titus  et  Lucas,  dont  ils  reçoivent  le  baptême. 

Cependant  l'émeute  gronde  dans  Rome; 
une  conspiration  s'est  formée  contre  Néron  ; 
les  bourgeois  romains  méditent  sa  mort;  ils 
se  résolvent  à  l'attaquer  dans  son  palais,  et, 
comptant  sur  le  succès  d'une  surprise,  ils 
se  précipitent  soudain  vers  la  demeure  im- 
périale. 

De  son  côté,  Jésus  a  envoyé  ses  anges 
Gabriel  et  Michel  recevoir  les  deux  apôtres  : 

Tu  Gabriel  et  toy  Michiel, 

Levez  sus,  descendez  du  ciel. 

Alez-moy  bonne  alcure  (ftesn  Ue)  «pierre  (chercher) 

Mes  il  (deux)  Aposires  Pol  et  Pierre 

Et  leur  portez  ces  n  (deux)  cliapiauls 

El  ces  vesleinens  bons  et  biauls 

Puis  sy  (ainsi)  les  montrez  à  Néron. 

Les  deux  archanges  revotent  Pierre  et  Paul 
de  chaperons  garnis  de  fleurs  et  de  dalma 
tiques  rouges,  et  les  emmènent.  Saint  Paul, 
en  [tassant,  rend  à  Pautille  le  «  cuevre-chief  » 
qu'elle  lui  pr^ta  pour  se  bander  les  yeux,  au 
moment  du  supplice. 

r-AUTlLLE. 

Diex!  (Dieu)  j'ai  vu  monseigneur  Saint  Pol 
Que  les  tirans  lindrenl  (firent  passer)  pour  fo.... 
Fol  n'estoit  pas,  mais  fol  esloit 
Qui  son  Dieu  et  ly  (lui)  despiUnl. 
En  sa  foy  vueil  mourir  et  vivre; 
Dieu  me  vueille  escripre  en  son  livre 

Saint  Pierre  et  saint  Paul  apparaissent  à 
Néron  : 

Néron,  nous  vivons  à  honneur, 
Mais  lu  mourras  à  déshonneur. 

lit  ils  disparaissent  avec  les  anges,  qui  les 
remmènent  «  en  paradis.  » 

Néron,  dans  le  mystère,  est  si  grandement 
surpris,  qu'au  lieu  des  dieux  romains,  il  in- 
voque Mahomet,  dont  le  nom  ne  sera  connu 
que  six  ou  sept  siècles  après  lui  dans  Rome, 
longtemps  après  la  chute  de  l'empire  romain. 
Ha  Mahommet!  dor-je  ou  je  vueille?  (veille.) 

(382)  <  Se  ensuit  le  Mislère  de  Monseigneur  saine' 
Pierre  et  sainct  Paul ,  par  Personnages,  contenan' 
plusieurs  autres  Vies,  Marti  res  et  Conversions  de 
Sainclz,  comme  de  sainct  Eslienne,  sainct  Clément, 
sainct  Lin,  sainct  Gelé,  avec  plusieurs  grans  mi- 
racles faiclz  p;ir  l'intercession  desdietz  Sainclz,  et  la 
mort  de  Symon  .Magus;  avec  la  perverse  vie  el  manl- 
vaise  de  l'Empereur  Néron;  comment  il  fil  mourir 
sa  mère,  et  comment  il  mourut  piteusement  :  el  est 
ledict  Mislère  à  cent  Personnages,  dont  les  noms 
s'ensuivent,  ele  ..  Cy  Quisl  la  vie  de  sainct  Pierre  et 


Pierre  cl  Pol,  dont  j'ay  grant  merveille 

Sont  venus  à  moy  par  grant  jre(engrandecolère). 

Ces  mots  sontà  peine  échappésà  ces  lèvres 
condamnées  par  Dieu,  qu'un  des  bourreaux 
des  saints  apôtres,  se  précipitant  dans  le 
palais,  arrive  jusqu'à  lui  et  lui  annonce  que 
sa  mort  est  résolue  par  les  bourgeois  ro- 
mains, maîtres  des  lieux  et  le  cherchant  en- 
core. Néron  n'échappe  à  la  juste  fureur  du 
peuple  qu'en  se  tuant. 

L'enfer  est  ouvert  |  our  l'attendre.  Déjà 
des  démons  l'y  ont  emporté.  On  le  voit,  au 
milieu  de  grandes  flammes,  assis  dans  une 
chaudière,  tourmenté  par  des  diables  ;  les 
uns  avivent  le  feu,  les  autres  lui  font  boire 
des  liqueurs  dévorantes.  Tous  lui  reprochent 
ses  crimes.  Il  courbe  la  tête  sous  les  huées 
el  les  risses,  et  encore  n'est-ce  que  le  com- 
mencement de  ses  tortures  éternelles. 

Néron  encor  pis  le  feron, 
A  Lucifer  le  porleron 
Qui  leeslraindra  legavion 
Sans  fin  et  sans  rédemption. 

Le  arame  se  termine  par  deux  scènes: 
dans  le  palais  témoin  de  la  mort  de  Néron. 
Donatien  est  élu  empereur,  et  peut  être, 
dans  les  catacombes,  une  assemblée  chré- 
tienne consacre  saint  Clément  en  la 

.     .     .     .     Papal  dignité 
El  général  auctorité. 

PIERRE  (Saiht)  ET  SA] NT  PAUL  (mys- 
tère de).  —  xvr  siècle.  —  Ce  mystère  a  été 
mentionné  par  de  Beauchamps,  dans  ses  Re- 
cherches sur  les  théâtres,  (Paris,  1735,  in-8% 
3  vol.,  t.  I",  p.  225),  et  analysé  dans  la  Bi- 
bliothèque du  théâtre  français,  ouvrage  attri- 
bué au  duede  La  Vallière  (Dresde,  1768,  in-8°, 
3  vol.,  t.  I",  p.  26).  Les  frères  Parfait,  dans 
leur  Histoire  du  théâtre  français  (Paris, 
15  vol.  in-12,  1735,  t.  II,  p.  563-568),  en 
ont  laissé  la  notice  suivante  : 

«Ce poème (382)  commence  à  l'élection  des 
apôtres  (383).  Jésus  ordonne  à  Pierre,  à 
André  et  aux  deux  fils  de  Zébédée  de  quitter 
leur  occupation  pour  le  suivre.  Zébédée  et 
Marie  sa  femme,  chagrins  de  perdre  leurs 
enfants,  les  prient  avec  instance  de  rester 
chez  eux. 

ZÉBÉDÉE. 

Hélas!  el  que  voulez-vous  faire? 
Faire  deussiez  bien  aullremenl, 
Aullrement  envers  voslre  père  : 
Père  des  auires  plus  dolent. 
Dolent  suis  plus  que  nul  vivant  : 
Vivant  ne  doy  longuement  eslre, 
Eslre  je  doy  en  grant  tourment; 

sainct  Paul  par  Personnages,  etc.,  nouvellement  im- 
primé à  Paris,  par  la  veufve  feu  Jehan  Tiepperel  et 
Jehan  Johannot  Libraire  et  Imprimeur  demou- 
rani  en  la  rué  Neufve  N.  D.  ,  à  l'enseigne  de 
l'Escu  de  France.  >  C'est  un  in-4°  de  260  pages  à 
deux  colonnes  :  qui  contient  environ  vingt  mille  vers,  ' 
suivant  Lacaille,  Hist.  de  rimpr.,  lib.  u,  page  C8. 
La  veuve  Trepperel  imprimait  vers  l'an  1520 

(383)  Myst.  xv«  de  la  première  journée  de  la  Pat- 
sion 


853 


PIE 


DICTIONNAIRE 


Tourment  me  vient  mes  douleurs  croistre, 
Croistre  voy  ma  peine  et  douleur; 
Douleur  me  vient  en  ma  féblesse  ; 
Féblesse  nie  oste  ma  vigueur  ; 
Vigueur  n'ay  plus,  ce  fait  weillessc  : 
Vieillesse,  las!  que  feras-tu? 
Toy  poure  viellart  descends, 
Desconfis  que  dcviendras-lu, 
Quant  ainsi  le  lessent  tes  lilz? 

«  Les  apôtres,  fidèles  aux  ordres  du  Sei- 
gneur, ne  tardent  pas,  après  son  Ascension, 
à  prêcher  son  saint  Evangile  et  à  choisir  les 
sept  Diacres  pour  les  soulager  dans  leurs 
travaux.  Satan  descend  furieux  aux  enfers, 
rendre  compte  à  son  maître  des  progrès  du 
christianisme. 

SATIUN. 

Ilau  !  Lucifer,  nous  sommes  fris- 

«  Pour  lâcher  de  les  traverser,  il  monte 
sur  la  terre,  accompagné  de  Bérilh  et  de  Bel- 
zébulh,  dans  le  temps  que  Simon  Magus, 
rejeté  parles  apôtres,  de  qui  il  veut  acheter 
le  don  du  Saint-Esprit,  prend  un  grimoire 
et  l'invoque.  Leur  appui  ne  peut  empêcher 
ce  magicien  de  succomber  dans  une  dispute 
publique,  qu'il  a  contre  saint  Pierre  cl  saint 
Jean.  D'un  autre  côté,  Saul,  changé  en  pré- 
dicateur de  la  loi  de  Jésus-Christ,  reçoit  le 
baptême  des  mains  d'Ananie,  ce  qui  jette  les 
Juifs  dans  un  étonnemcnt  sans  égal. 

ï'sMAF.L,    juif. 
Est  Saul  devenu  hérétique  . 

«  Cependant  saint  Jacques  Majeur,  reve- 
nant d'Espagne,  est  arrêté  par  les  ordres 
d'Hérode,  qui  lui  fail  trancher  la  tête.  Prêt 
à  faire  périr  saint  Pierre  d'un  pareil  supplice, 
il  est  enlevé  de  sa  prison  par  un  ange.  Cet 
apôtre  baptise  ensuite  saint  Clément,  que 
saint  Barnabe  lui  amène,  et  va  prêcher  le 
peuple  d'Antioche.  Théophile,  roi  de  celle 
contrée,  le  fait  mettre  dans  un  cachot,  d'où 
saint  Paul  le  relire.  Les  miracles  que  ces 
deux  apôlres  opèrent  dans  cette  ville  con- 
vertissent le  roi  et  les  habitants. 

(Adonc  préparent  ung  lieu  en  manière  d'une  église,  et 
une  cliaize  pour  saint  Pierre. 

«  Après  quelque  séjour  à  Anlioche,  saint 
Pierre  passe  à  Home.  Sur  ces  entrefaites, 
Noiron  (384),  qui  recherche  en  mariage 
Octavie,  fille  de  l'empereur  Claudien  (385), 
envoie  le  messager  Passevite  à  Théophile, 
pour  le  prier  d'engager  l'empereur  à  con- 
sentir à  son  mariage  :  le  roi  d'Antioche  ré- 
pond au  messager  qu'il  ne  veut  point  se 
mêler  de  celte  affaire,  et  que  d'ailleurs  Noi- 
lon  n'est  pas  d'une  maison  assez  illustre, 
pour  pouvoir  prétendre  à  une  telle  alliance. 
Agrippine,  pour  faire  monter  son  fils  sur  le 
trône,  fait  présent  d'une  pomme  et  d'un 
bouquet  empoisonnés  à  Brelhaincus  (386), 
fils  de  Claudien,  qui  expire  peu  de  temps 
après;  l'empereur  meurt  aussi  la  nuit  sui- 
vante. Cependant  Pierre  fait  plusieurs  mi- 
racles dans   Home;  il  ressuscite  Thabita  et 

(r>8i)  Néron. 
385)  Claude. 


DES  MYSTERES.  PU!  83i 

convertit  par  ses  sermons  Lini  et  Cleti,  et 
enfin  les  maîtresses  du  |  révôl  Agrippe. 
Symon  Magns,  arrivé  dans  celte  ville,  féJuit 
quelque  temps  le  nouvel  empereur  Noiron  ; 
mais  enfin,  vaincu  dans  une  dispute  qu'il 
entreprend  contre  saint  Pierre  et  saint  Paul, 
e  peuple  se  jette  avec  fureur  sur  lui  et  l'as- 
omme  a  coups  de  pierres,  pour  se  venger 
de  ses  impostures.  Noiron,  très-fâché  de  sa 
perte,  ordonne  que  Ion  ensevelisse  son 
corps. 

NOIRON. 

Soit  enterré. 
sathan,  emportant  le  corps  de  Symon  Magut  : 

Non  sera  niye; 
Il  sera  porlé  en  Enfer. 

«  L'empereur  commando  à  saint  Pierre  de 
sorlir  de  Rome,  et,  sur  le  refus  de  cet  apôtre, 
le  prévôt  Agrippe  le  fait  arrêter,  et  ensuite 
attacher  à  une  croix,  tandis  que,  par  ordre 
de  Noiron,  on  conduit  saint  Paul  sur  un 
échafaud,  où  le   bourreau  lui  enlève  la  tôle. 

«  Cependant  ce  prince,  oubliant  ce  qu'il 
doit  a  Agrippine,  tâche  de  la  faire  em|  oi- 
sonner  :  ne  pouvant  réussir  dans  cette  entre- 
prise, il  fait  préparer,  dans  une  île,  un  su- 
perbe festin,  pour  régaler  sa  maîtresse 
Pompée  (387)  ;  il  y  invite  cette  misérable 
princesse,  et  lui  lait  ouvrir  le  ventre  avec 
une  extrême  cruauté.  La  vengeance  du  ciel 
poursuit  enfin  ces  meurtriers  :  le  prévôt 
Agrippe  expire  en  souffrant  des  tou  ments 
incroyables.  Ses  quatre  satellites  prennent 
querelle  en  sortant  d'un  cabaret  et  s'égor- 
gent mutuellement.  Et  Noiion,  craignant  de 
subir  un  houleux  supplice,  se  perce  le  sein 
avec  sa  propre  épée.  Les  diables  viennent 
ramasser  les  âmes  tt  les  corps  de  ces 
misérables,  et  les  lidèles  rendent  grâce  au 
Seigneur.  » 

PLUSIEURS  QUI  N'A  POINT  DE  CONS- 
CIENCE.—  Duverdier  {Bibliothèque  fran- 
çaise, p.  G35)  : 

«  Moralité  intitulée:  Plusieurs  qui  n'a 
point  de  conscience,  composée  par  Jean 
d'Abundance  et  imprimée  à  Lyon.  » 

Les  frères  Parfait  ajoutent,  sous  la  date 
de  1538:  «  On  pourrait  s'imaginer  qu'il  y  a 
ici  une  faute  d'impression,  mais  nouscroyons 
que  l'auteur  a  voulu  personnifier  Plusieurs 
par  un  seul  personnage.  »  (Hist.  du  théât. 
fr.;  Paris,  15  vol.,  in-12, 1715,  t.  111,  p.  152.) 
—  Voy.  A«unda>ce  (Jean  d'j. 

PRISE  DE  CALAIS  {La).  —  La  Prise  de 
Calais  est  tirée  du  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque impériale,  fonds  La  Vallière,  n°  63. 

Ce  petit  drame  dale  de  la  seconde  moitié 
du  xvi*  siècle. 

Il  a  été  publié  à  Paris,  chez  Téchener,  en 
1837,  format  gr.  in-12,  par  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Francisque  Michel;  et  réuni  avec 
soixanle-lreize  autres  pièces,  parmi  les- 
quelles il  porte  le  n°  8  ;  il  fait  partie  du 
Recueil  de  farces,  moralités  et  sermons  joyeux, 
qu'ont  édile   les  deux  précédents    ailleurs, 


(38G)  Britaniiicus. 
(387)  Poppcc 


$35 


PRI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

sous  le  nom  de 


PRI 


8->G 


mais  qui   est  plus   connu 
Collection  Téchcncr. 

Celte  édition  unique  est  très-défectueuse. 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les  mys- 
tères (Paris,  1837,  in-8u,  p.  373),  a  donné  de 
cette  pièce  une  appréciation  singulièrement 
incomplète,  accompagnée  de  quelques  cita- 
tions. '(  C'est  parce  qu'ils  ont  abandonné  leur 
religion,  dit-il,  que  les  Anglais  ont  perdu 
leurs  possessions  dans  le  saint  royaume  de 
France.  Toute  la  pièce  aboutit  à  ce   but.  » 

Sans  doute  ce  point  de  vue  n'est  pas  étran- 
ger au  drame  de  la  Prise  de  Calais,  mais  il 
est  singulier  que  M.  Leroy,  qui  a  tant  cher- 
ché la  tragédie  nationale,  ait  laissé  de  côté 
Je  caractère  principal  de  cette  œuvre  impor- 
tante. Outre  la  profonde  croyance  en  l'ave- 
nir supérieur  de  la  France,  il  y  a,  dans  celte 
petite  pièce,  l'idée  de  la  puissance  matérielle 
énorme  de  l'Angleterre,  et  de  la  force  morale 
supérieure  de  la  France  : 

Superbes  mon  la  ignés 
Aux  humbles  campaignes 
On  vont  csgaller 
Par  grosses  rivières 
Bruyantes  et  fières 
Qui  les  l'ont  grouller. 

L'Anglais  ne  croit  qu'en  la  puissance  hu- 
maine ;  la  France  cherche  sa  force  en  dehors 
d'elle,  dans  le  mouvement  de  l'éternité.  C'est 
ce  qu'exprime  celle  belle  slrophe,  digne  des 
meilleurs  temps  : 

Tu  avoys  fiance 
A  la  grand  puissance 
Du  superbe  lieu; 
Mais  toute  la  force 
Estoit  sans  escorce 
Oubliant  ton  Dieu. 

Nous  croyons  devoir  reproduire  tout  en- 
tière, dans  son  langage  original,  facile  à 
comprendre,  ce  singulier  dialogue. 

MORALITE    NOUVELLE   DE  LA  PRINSE    DE   CALAIS 
(1552)    A  II   PERSONNAGES,    C'EST  A  SCAUOIR  : 

IN  FRANCOYS  ET 
CS  ANGI.OYS. 

le  francoys  commence. 
Dieu  gard  compaignon. 

l'angloys. 
Dieu  vous  gard. 

LE  FRANCOYS. 

De  grâce!  dictes  de  quel  part 
Vous  venes  et  où  vous  lires 

l'angloys 
De  Calays. 

LE   FRANCOYS. 

Quoy  !  vous  soupires 
l'angloys. 

Sy  ie  soupire  quant  à  moy, 
Compaignon,  l'en  ay  le  de  quoy. 

LE    FRANCOYS. 

El  pouiquoy? 

l'angloys. 
Car  peu  esloys  bourgnys 
Au  temps  qu'on  le  disoyl  Angloys. 
Il  y  a  plus  de  deulx  cens  ai:s 
Que  de  père  en  (ils  la  dedens 


Angloys  y  faisoyenl  ieur  demeure. 
Mais  maintenant  à  la  maie  heure 

Y  nous  faull  retirer  grand  erre 
Chelis!  en  eslrangère  terre. 

LE   1RANC0YS. 

Compaignon,  certes  passience 
Comme  l'on  dict  passe  science. 

Y  failli  donc,  sans  vous  tourmenter, 
Ce  mal  paciamant  porter. 

Saves  vous  pas  bien  qu'Edouarl 
Tiers  y  planta  son  eslendarl 
Apres  ung  siège  douze  moys 
El  qu'il  en  chassa  les  Francoys 
Lesquelz  y  perdirent  leur  bien? 

l'angloys. 
Compaignon,  cela  ie  say  bien. 

LE  FRANCOYS. 

Sy  donques  mon  seigneur  de  Cuisse, 
En  excersant  son  entreprisse, 
De  Henry  le  baull  roy  de  France 
Reduicl  soubz  royalle  puissance 
Calais  qu'on  usurpait  sur  nous, 
Vous  faict  y  pas  grâce  à  vous  Ions 
Oui  dédaignant  ce  prince  baull 
l'iésuiner  d'alendre  l'asault 
S' après  la  vicloyre  ensuyvie 
On  void  qu'i  vous  sauue  la  vye  ? 
Cela  vous  deut  payer  conlani. 

l'angloys. 

Esdouarl  en  feist  bien  autant. 

Mais  de  Guisse  en  moingiz  de  buicl  iouri 

La  reprist  cl  nos  fortes  tours. 

Tant  la  fouille  que  le  risban 

Quant  le  second  iour  de  cesl  an 

De  furie  estant  canonnes 

Furent  soudain  liabandonncs 

El  n'eûmes  onques  le  loysir 

De  les  deffendre  ou  secourir, 

C'est  pouiquoy  maincl  regret  l'en  fais. 

LE  FRANCOYS. 

Ce  sont  du  Seigneur  Dieu  les  fais 

l'angloys. 
Nous  auyons  sy  fortes  murailles. 

LE  FRANCOYS. 

Les  hommes  font  bien  les  batailles 
Et  Dieu  de.  iusiice  et  gloyre 
Donne  à  qui  y  plaist  la  vicloyre. 

l'angloys 
Ilclas!  nous  la  gardions  sy  bien. 

LE  FRANCO YS. 

Compagnon,  cela  n'y  faict  rien 
Car  si  Dieu  la  cite  ne  garde 
En  vain  posée  y  la  garde 
Ce  n'est  rien  que  des  fortes  poys  ; 
ivlaissi  Dieu  la  garde  une  Poys  * 
En  vain  on  y  lende  le  siège. 

l'angloys. 
Nous  disions  que  plus  losl  le  liège 
Sans  floter  fut  fondu  dens  l'eau 
El  que  de  plomb  ung  grand  fardea 
Plus  losl  floter  on  eut  peu  voyr 
Que  d'asault  ceste  vile  auoir 
Voyre  bien  que  d'esne  assaillye. 

LE  FRANCOYS. 

C'est  le  comble  de  la  folye 

O  genl  par  irop  ficre  et  superbe  ! 

l'angloys. 

A  !  on  nous  a  bien  fauclic  l'erbe 
Desoubz  le  pie. 


857 


tri 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PRO 


838 


le  rr.v.NCOYS. 

Qu'aiioiis  perd». 
Quant  aux  Franeoys  nues  rendu 
Cela  que  leur  auies  pille. 

l'anglovs. 
Yrayment  voucla  bien  habille. 
Pille  le  bien  pris  à  la  guerre! 
Sy  pour  s'en  servir  on  le  serre 
Ce" bien  est  y  pas  bien  aquis? 

LE  FRANCOVS. 

Sy  les  Franeoys  ont  reconquis 
Par  le  vouloir  de  Dieu  leurs  biens, 
Les  Angloys  n'y  ont  donc  plus  riens 
El  bien  ferey.  Qu'en  dicies-vous? 

LANCLOYS. 

le  ne  présente  tant  de  trous 
Que  ne  trouve  plus  de  chevilles 
Pour  bien  raffiHer  nos  aguilles 

Y  me  fault  chercher  autre  lieu. 
Adieu,  compaignon. 

LE  FRANCOYS. 

Or  adieu. 
i/àngloys. 
Tu  scmliloys,  Calays,  dont  ic  gronde 
Menacer  les  iroys  pars  du  inonde. 
Bien  en  vain  lu  le  sentz  fier 
A  ton  rampait  superbe  et  lier 
Par  deulx  cens  dis  ans  imprenable. 
Que  ta  perte  m'est  importable  ! 
Tu  t'esiouissoys  du  butin 
Que  l'on  feisl  dedens  Saincl  Quciilin 
En  démenant  vue  grand  leste 
Pour  vue  sy  belle  conquestc, 
Car  lu  penses  par  cela  veoir 
France  hors  du  Franeoys  pour  voit- 
Mais  tu  rens  ce  butin  au  double 
Pour  vn  petit  denier  vu  double. 
0  !  quel  malheur  a  cesie  foys! 

Y  le  fault  quicter  aux  Engloys. 
Adieu  Calays  la  forte  vile  ! 

Or  adieu  Guignes  adieu  mile  ! 

Mile  et  mile  maisons 

Qu'au  Franeoys  bâtis  auons  ! 

Que  pleust  a  Dieu  que  la  lempeste 

Du  ciel  luinbast  desus  ma  leste  ' 

Ou  que  ce  deust  la  terre  ouurir 

Afin  de  soudain  m'engloulir  1 

Ou  que  pasionne  de  rage 

le  peusse  venger  mon  courage  ! 

le  me  sens  naure  jusque  au  sang 

N'ayanl  rien  que  ce  baslon  blang. 

LE   FRANCOYS. 

0  fierté  Angloisse  ! 
La  doulceur  francoiss 
Te  deust  contenter. 
Or  l'en  va  grand  erre 
A  Ion  Englelerre 
Tes  malheur  conter. 


L'Angloys  se  tourmente 
Se  pl.iincl  et  lamente 
Pour  auoir  perdu 
Calais  que  sans  liltrc 
Sans  loy  ne  chapitre 
Auoyi  détenu. 

Soublz  la  grande  espasse 
Du  ciel  le  temps  passe 
Par  vu  cours  léger, 
El  n'est  si  haull  m  iuce 
Ciic  ni  prouince 
Qui  ne  scayl  changer. 

Calais  fui  francoyssc, 
Puys  elle  fui  angloisse 


Par  deulx  cens  dix  ans; 
Puis  Monssieur  de  Cuisse 
Nous  l'a  reconquisse 
En  bien  peu  de  temps. 

0  Angloys  !  courage  ! 
Vys  lu  poincl  l'orage 
Teinpeste  et  meschef? 
Vys  lu  poincl  la  perte 
Fort  grande  et  aperte 
Menacer  ton  chef? 

Non!  la  voyne  enflée 
Parorgueuil  soufflée 
Ne  le  l'a  pcrmys, 
Disant  misérable 
Calais  imprenable 
De  tcseniieiiiys. 

Tu  auoys  fiance 
A  la  grand  puissance 
Du  superbe  lieu. 
Mais  loule  la  force 
Estoyt  sans  escorce 
Oubliant  ton  Dieu 

Superbes  montaigues 
Aux  humbles  campaignes 
On  void  esgaller 
Par  grosses  riuieres 
Bruyantes  et  fyercs 
Qui  les  font  grouler. 

Ainsy  la  lempeste 
Tonnant  sur  la  tcsle 
De  ces  liers  Ang'oys 
Fil  qu'ilz  s'abaissèrent 
Et  prendre  laissèrent 
Calais  aux  Franeoys. 

Malureux  donq  l'homme 
Qui  se  fye  en  somme 
Au  bras  de  la  chair  ! 
Heureux  se  doibt  due 
Qui  de  Dieu  désire 
Sou  secours  chercher  ! 

De  ceslc  vicloyrë 
Or  donques  la   gloire 
Fauli  a  Dieu  donner 
Qui  Calais  nous  donne 
C'est  l'antique  bourne 
Pour  la  France  bourner. 

FINIS. 

PRISE  DE  JÉRUSALEM  (La).  —  Le  mys- 
tère de  la  Prise  de  Jérusalem  ,  écrit  en  Kymri 
comme  la  Vie  de  sainte  Nonne  et  la  Création 
du  monde,  a  élé  cité  par  MM.  Rilson  ,  en 
Angleterre  ,  et  Edelestand  Duraéril  ,  en 
France.  (Origines  latines  du  théâtre  moderne; 
Paris,  18V9,  in-8",  p.  3k,  note  3.) 

PROCÈS  DU  DIABLE  (Le).—  Voici  un 
des  rares  exemples  du  mystère  juridique. 
Il  date  du  commencement  du  xiv'  siècle.  Sun 
auteur  est  connu  :  c'est  Barthble  même.  On 
trouve  ce  drame  parmi  1rs  œuvres  de  ce  grand 
jurisconsulte  (Bartholi  Opéra;  Lugdnn. , 
1516,  fol.,  10  vol.,  t.  VIII,  fol.  93,  verso-do 
verso.  L'abbé  Tcrrasson  (Met.  d'Iust.  de  litt. 
et  de  crit.,  in-12),  l'a  cité  dans  une  Disser- 
tation sur  les  indécences  des  anciens  commen- 
tateurs du  droit;  et  Lcber,  d'après  lui  (Coll. 
des  mille  diss.  ;  Paris,  1838,  in-8°,  20  vol., 
t.  IX  ,  p.  278,  note.)  En  183G  ,  dans  son 
cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres,  M.  Ma- 
gnin  n'oublia  pas  la  comédie  du  Docteur 
Barthole.  (Cf.  Jôurn.  gén.  de  Finstr.  pubt., 


5"»0 


PRO 


DICTIONNAME  DKS  MYSTERES. 


rno 


S41) 


28janv.  183G,  cours,  2*  semestre,  xvr  art., 
p.  202.)  Il  n'est  pas  impossible  que  ce  drame 
juridique  ait  été  représenté  par  les  disciples 
du  grand  maître.  Le  sujet  en  esl  extrême- 
ment singulier,  et  les  développements,  trop 
nombreux  malheureusement,  ne  le  sont  pas 
moins  ;  nous  regrettons  d'èlre  réduits  à  cette 
courte  analyse. 

«  Le  diable,  prétendant  remettre  les  hom- 
mes sous  le  joug  auquel  le  crime  d'Adam 
les  avait  soumis ,  assigne  le  genre  humain 
devant  le  tribunal  de  Jésus-Christ.  L'assi- 
gnation, donnée  aux  termes  du  droit,  psI  à 
trois  jours  :  elle  se  trouve  écheoir  un  ven- 
dredi saint.  Le  diable  cite  à  Jésus-Christ  les 
lois  qui  ne  permettent  pas  d'assigner  à  un 
jour  de  fête.  Jésus-Christ  dispense  de  celte 
formalité,  en  vertu  d'autres  lois  qui  donnent 
ce  droit  aux  juges  en  certains  cas.  Alors  le 
diable  comparaît  et  demande  si  quelqu'un 
ose  parler  pour  le  genre  humain.  La  sainte 
Vierge  se  présente.  Le  diable  la  récuse 
comme  mère  du  juge  et  comme  femme,  ex- 
clue, par  son  sexe  seul,  des  fonctions  d'avo- 
cat. La  sainte  Vierge  allègue  les  lois  qui 
autorisent  les  femmes  à  plaider  pour  les 
veuves,  les  pupilles,  et  ceux  qui  sont  dans 
la  misère.  L'incident  est  viJé  en  faveur  de 
la  sainte  Vierge.  Au  fond,  le  diable  fait  va- 
loir qu'd  a  été  possesseur  du  genre  humain 
depuis  la  chute  d'Adam,  et  veut  user  de  la 
prescription.  La  sainte  Vierge  soutient  qu'un 
possesseur  de  mauvaise  foi  ne  peut  acquérir 
par  la  voie  de  la  prescription.  Enfin  ,  après 
force  citations  de  textes,  arguments  ,  inci- 
dents, dilatoires,  déboutenients,  intervient 
le  jugement  délinitif.  Le  jour  de  Pâques, 
Jésus-Ciirist  rend  une  sentence  par  laquelle, 
en  déchargeant  le  genre  humain  des  impu- 
tations à  lui  faites  par  le  diable  ,  condamne 
celui-ci  à  la  damnation  éternelle.  Les  té- 
moins sont  saint  Jean  l'évangéliste,  saint 
Jean-Baptiste,  saint  François  ,  saint  Domi- 
nique, saint  Pierre,  saint  Paul,  saint  Mi- 
chel, etc.  Les  anges  célèbrent  le  triomphe 
de  la  sainte  Vierge  par  le  Salve  Regina.  Le 
diable  déchire  de  rage  ses  habits,  et  se  retire 
épouvanté  dans  les  ténèbres  et  les  horreurs 
de  l'enfer.  » 

PROCESSION  DE  LA  FÊTE -DIEU  D'A  IX 
(La).  —  La  Procession  de  la  Fête-Dieu  d'Aix, 
»  si  un  des  usages  funestes  qu'avait  produits 
ai  moyen  âge  la  fête  des  Fous. 

Ou  attribue  aux  premières  années  du  xv' 
siècle  et  au  roi  René  d'Anjou  cette  proces- 
sion, où  étaient  (igurées  diverses  des  grandes 
scènes  de  l'Ecriture.  La  musique,  en  tète  de 
la  procession,  jouant  des  airs  de  danse,  était 
suivie  par  des  enfants  déguisés  en  amours. 
Les  corps  de  métiers  précédaient  des  ber- 
gers et  des  nymphes.  Les  pauvres  des  hôpi- 
taux, les  enfants-trouvés,  les  ordres  men- 
diants, avaient  derrière  eux  le  chef  du  peuple, 
accompagné  de  populace  sautant  au  bruit 
du  fifre  et  du  tambourin,  et  de  Turcs  prison- 
niers, traînés  la  chaîne  au  cou.  Puis  Y  abbé 
des  marchands  et  le  prince  des  amoureux. 
Au  coin  des  rues  et  sur  les  places,  sur  des 
échàfauds,  on  représentait,  ici  la  Création, 


ailleurs,  la  sortie  d'Egypte,  autre  part,  les 
trois  mages  ,  les  quatre  évangélistes  ,  saint 
Michel,  saint  Chrystophe,  et  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  lui-môme.  Le  chef  du  peuple 
portait  le  nom  de  duc  Urbin.  Les  disposi- 
tions et  les  scènes  de  ces  processions  impies 
ont  varié  beaucoup.  On  y  a  vu  des  caval- 
cades, des  danseurs,  le  jeu  ignoble  des  tei- 
gneux, et  de  nombreux  symboles  des  dieux 
du  paganisme.  On  a  essayé  d'expliquer  l'his- 
toire de  ces  folies,  en  les  considérant  comme 
des  imitations  de  tournois,  comme  le  triom- 
phe de  l'adorable  sacrement  ou  le  sacre, 
comme  la  punition,  par  un  affront  public, 
de  la  lâcheté  d'un  certain  duc  Urbin,  qui, 
commandant  pour  René  en  Italie,  lâcha  pied 
dans  une  bataille,  ou  enfin,  comme  une  fêle 
importée  à  l'imitation  de  ce  même  duc  Urbin, 
qui  aurait  régné  en  Italie  au  xiv'  siècle.  Il 
faut  consulter  sur  tout  ceci  Mathurin  Nelré 
(Querrlu  ad  Gasscndum...  ex  occasione  lu- 
dicrorum  quœ  Aquis-Sextiis...)  ;  Grégoire 
(Explication  des  cérémonies  de  la  Fête-Dieu 
d'Aix  ;  Aix,  1777,  in-12);  Pierre-Joseph  De 
Haitze  {Esprit  du  cérémonial  d'Aix  ;  A'w, 
1738,  in-12),  et  Leber  (Collect.  des  meilleures 
dissert.;  Paris,  1838,  in-8%  20  vol..  t.  X, 
p.  77-125.) 

PUOCESSION  DU  HARENG  (La).  —  La 
fêle  des  Fous  avait,  à  Reims,  donné  lieu  à 
une  pratique  singulière  qui  so  conservait 
encore  au  xve  siècle.  «  Le  mercredi  saint, 
tout  le  clergé  (de  l'Eglise  de  Reims)  se  ren- 
dait à  Saint-Remi  pour  y  faire  une  station. 
Les  chanoines,  précédés  de  la  croix,  étaient 
rangés  sur  deux  files,  et  tous  traînaient  der- 
rière eux  un  hareng  qu'ils  tenaient  attaché 
par  un  ruban.  Chacun  d'eux  n'était  occupé 
que  du  soin  de  marcher  sur  le  hareng  qui 
le  précédait,  et  de  sauver  le  sien  des  sur- 
prises de  la  personne  qui  le  suivait.»  (An- 
quetil,  Hist.  de  Reims;  Leber,  Collection  des 
meill.  dissert.;  Paris,  1838,  20  vol.  in-8% 
t.  IX,  p.  2H.  Note.) 

PUOCESSION  NOIRE  dÉVREUX  (La).— 
Parmi  les  folies  de  la  fête  des  Fous,  il  n'en 
esl  pas  qui  ait  excité  plus  d'horreur  que  la 
Procession  noire  d'Evreux,  ou  cérémonie  de 
saint  Vital. 

Le  28  avril,  dans  l'église  de  Notre-Dame 
d'Evreux,  le  chapitre  avait,  à  une  époque 
antérieure  au  xnr  siècle,  la  coutume  d'aller 
au  bois  l'Evêque,  qui  est  fort  près  de  la 
ville,  couper  des  branches,  au  bruit  de  tou- 
tes les  cloches  de  lacaihédrale.  Les  chanoines 
y  assistaient  d'abord;  il  n'y  eut  ensuite,  à 
cause  des  excès  qui  se  commettaient,  que 
les  clercs  de  chœur,  les  chapelains,  les  hauts 
vicaires.  Pendant  l'office,  le  clergé  jouait 
aux  quilles  sous  les  voûtes  de  la  cathédrale; 
l'on  y  dansait  et  l'on  y  chantait.  (Voir  le 
Mercure  d'avril  1726,  Lettre  sur  la  saint  Vital 
et  la  procession  noire  d'Evreux. i 

PROCESSION  DE  SAINT  PAUL  A  VIENNE 
(La).  —  La  Procession  de  saint  Paul  est  un 
des  rites  restés  fameux  de  la  fête  des  Fous; 
il  était  particulier  au  diocèse  de  Vienne.  Lf 
1er  mai,  dès  l'aube  du  jour,  se  réunssaien' 
dans  le  palais  archiépiscopal,  quatre  hommes 


841 


QUE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


Ql  I 


£42 


nus  et  barbouillés  cntièremen.  de  noir,  qu'a- 
vaient nommés  pour  ce  qui  va  suivre  l'ar- 
chevêque de  Vienne,  le  chapitre  de  Saint- 
Maurice,  l'abbé  de  Saint-Pierre  et  l'abbé  de 
Saint-André.  Us  sortaient  aussitôt  réunis, 
couraient  les  rues  et  rentraient,  après  lo 
dîner,  à  l'archevêché,  où  s'étaient  réunis 
les  garçons  bouchers,  pour  recevoir,  du  choix 
de  l'archevêque,  un  roi  dont  ils  formaient 
Ja  garde  à  cheval.  Les  nègres,  le  roi,  les 
gardes  allaient  frapper  aux  portes  de  l'Hôtel- 
Dieu,  appelé  hôpital  Saint-Paul.  Ils  deman- 
daient saint  Paul.  Quelqu'un  de  la  maison 
répondait  :  //  dit  ses  heures.  Le  garde  frap- 
pait une  seconde  fois,  on  répliquait  :  Il  monte 
à  cheval.  Au  troisième  coup,  on  ouvrait  la 
porte,  en  disant  :  Vées-te  ci  tout  prest.  Et 
saint  Paul  paraissait  à  cheval,  vêtu  en  er- 
mite, portant  en  bandoulière  un  baril  de 
vin,  un  pain,  un  jambon,  et  devant  lui  une 
coupe  pleine  de  cendres,  pour  jeter  dans  les 
yeux  des  curieux.  Le  recteur  de  l'Hôtel- 
Dieu  remettait  saint  Paul  eutre  les  mains  du 
roi,  qui  en  délivrait  un  reçu  et  s'en  reridait 
caution.  De  l'Hôtel-Dieu  on  se  rendait  à 
l'abbaye  des  Dames  de  Saint-André,  où 
l'abbesse  fournissait  une  reine,  parée  et 
ajustée  comme  le  roi,  et  de  là  on  courait  la 
ville,  au  travers  des  huées  et  des  clameurs 


de  la  foule.  (Ancien  missel  mss. du  viv*  siècle, 
consulté  par  Du  TiiLioxet  l'abbé  d'Artic.ny. 
Notice  sur  la  fêle  des  Fous,  dans  les  Mém. 
delitt.,  t.  IV;  réimprimée  par  Leber,  Collect- 
ées meill.  dissertai.:  Paris,  1838,  in-8°,  20 
vol.,  t.  IX.  n.  261-265.) 

PROPHÈTES  DU  CHRIST  (Les).  — 
M.  Edelestand  Duméril,  dans  ses  Origines 
latines  du  théâtre  moderne  (Paris,  1849,  in-8°, 
p.  179),  donne,  sous  ce  titre ,  les  rites  dra- 
matisés où  interviennent  les  divers  person- 
nages de  l'Ancien  Testament  pour  porter 
témoignage  des  prédictions  relatives  è  Jésus- 
Christ.  Le  même  auteur  signale  un  Proces- 
sus Prophetarum dans  la  vi'  partie  du  Tour- 
neleij  mgsleries  ;  dans  le  Ludus  Coventriœ 
un  tableau  est  intitulé  :  The  prophets.;  un 
jeu  des  prophètes  à  York,  en  1415,  dans 
Mariott,  Coll.  of  engl.  miracles  - play  ,  or 
myst.,  p.  xvm. 

PURIFICATION  DE  NOTRE-DAME  (Les 
jeux  de  la).  —  On  trouve  dans  les  Regis- 
tres des  comptes  de  l'hôtel  de  ville  d'Ab- 
beville  la  mention  de  jeux  de  la  Purifica- 
tion-Nostre-Dame,  qui  eurent  lieu  vers  14-52 
dans  le  cimetière  Saint-Jacques.  (Cf.  F.-C. 
Louandre,  Hist.  d'Abbev.;  Abb.,  1834,  in-8", 
p.  238  [387*] .) 


Q 


QUENTIN  (Saint).  —  On  lit  dans  Claude 
He'meré,  chanoine  de  Saint-Quentin  et  doc- 
teur en  Sorbonne  ,  (  Augusta  Vcromanduor. 
illustrata;  Paris,  16V3,  tn-4°,  p.  194),  sous 
la  rubrique  de  l'an  1206,  ces  deux  passages 
curieux  :  1°  Page  194.— «  Une  vieille  tradi- 
tion de  Baïonvilliers  raconte  que  cette,  terre 
avait  été  donnée  par  un  certain  Baion , 
propriétaire  du  lieu,  à  saint  Quentin  lui- 
même,  en  reconnaissance  d'un  miracle  par 
lequel  la  santé  avait  été  rendue  à  ce  sei- 
gneur. Saint  Quentin  était  alors  traîné  sur 
le  chemin  de  Saint-Quentin  à  Amiens,  et 
Baion,  affecté  de  la  lèpre,  s'étant  essuyé 
d'un  linge  trempé  de  la  sueur  du  martyr, 
fut  guéri  à  l'instant.  Ce  miracle  avait  été 
sculpté  autour  du  chœur  de  l'église  de  la 
ville  avec  beaucoup  d'élégance,  comme  le 
reste  des  travaux  dont  cette  partie  de  l'é- 
glise est  entourée,  et  l'on  y  avait  ajouté 
des  vers  pour  expliquer  le  sens  des  figures  : 
ces  vers  étaient  tirés  d'un  très-long  poëme 
qui  servait  à  nos  compatriotes  de  Saint- 
Quentin  pourles  représentations  du  martyre 
du  saint,  qui  avaient  lieu  sur  un  théâtre,  en 
treis  ou  môme  en  quatre  journées.  Le  vo- 
lume qui  contenait  ce  ma.tyre  était  conser- 
vé avec  beaucoup  de  soin  dans  le  trésor  de 
l'église,  et  il  y  en  avait  une  copie  à  Saint- 
Victor  de  Paris.  Mais  la  tradition  relative  à 
Baïon  n'attestait  dans  l'esprit  de  nos  pères 

(387*)La  Purification  de  Noire-Dame  a  été  l'objet 
d'un  mystère  imprimé  à  Florence  en  1559  sons  ce 
titre  :  La  reppresenlalione  délia  Curificalione  di  Xos- 

Dictionn.  des  Mystères. 


qu'une  étrange  confusion/car,  du  temps  du 
saint,  il  n'y  avait  point  d'évêché  à  Saint- 
Quentin,  et  c'est  bien  longtemps  après,  à 
une  époque  inconnue,  que  le  don  de  Baïon- 
villiers avait  eu  lieu.  Eu  i288, ce  lieu  fut 
vendu,  »  etc.  2"  Page  3V0.  «Le  15  novembre 
1501,  l'archiduc  d'Autriche,  Philippe,  fit 
son  entrée  à  Saint-Quentin  :  les  ordres 
mendiants,  les  Franciscains,  les  Domini- 
tains,  le  doyen  et  les  chanoines  de  l'église, 
allèrent  au  devant  de  l'archiduc  et  de  l'ar- 
chiduchesse... Les  habitants  de  la  ville  il- 
luminèrent... et  l'on  avait  élevé,  dans  les 
carrefours,  des  théâtres  où  fut  représentée 
la  légende  de  saint  Quentin...  »  L'abbé  Le- 
beuf  (Remarques  envoyées  d'Auxerre  le  6  dé- 
cembre 1728,  Mercure  de  France,  1729,  dé- 
cembre, p.  2983j,  mentionne  le  Mystère  de 
saint  Quentin,  d'après  Hémeré.  Un  auteur 
plus  moderne  en  a  aussi  parlé.  En  1452,  un 
an  après  les  représentations  du  mystère  de 
la  Passion,  de  Raoul  Greban,  dans  le  temps 
même  où  la  cité  achetait  de  l'auteur  le  ma- 
nuscrit de  la  Passion,  furent  joués  à  Abbe- 
ville  les  Jeux  de  monsieur  saint  Quentin. 
(Cf.  F.-C.  Louanure,  Ilist.  d' Abbeville  ,  Ab- 
beville,  1834.  in-8",  p.  238.) 

QUIRIN  (Les  jeux  de  monsieur  saint). 
—  M.  F.-C.  Louandre  (Hisl.  d'Abbeville; 
Abbeville,  1834,  in-8°,  p.  238)  indique, 
comme  ayant  eu  lieu  à  Abbeville,  les  repré- 

Ira  Donna,  che  si  fa  per  la  (esta  di  santa  Maria  délia 
candellaia,  nuovamcnle  ristampala. 


27 


643 


RAI) 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RAD 


844 


tentations  suivantes  :  En  H51,  le  mystère 
de  la  Passion,  <le  Raoul  Greban,  et  la  Puri- 
fication de  Notre-Dame,  jouée  dans  le  cime- 
tière Saint-Jacques  en  145*2,  les  jeux  de  la 
Vie  de  monsieur  saint  Quentin,  en  1458  ,  le 
Mystère  du  viel  Testament  et  du  nouvel,  ainsi 
que  les  Jeux  de  monsieur  saint  Andrieu 
(•André) ,  et  en  1493  ceux  de  monsieur  saint 
Roch.  Le  môme  auteur  indique  encore  les 
Jeux  de  monsieur  saint  Quirin,  mais  sans 
date,  et  les  mystères  de  Jonas,  de  la  ven- 
geance de  Jésus-Christ,  de  la  vengeance  do 
la  mort  de  Jésus-Christ,  des  histoires  de 
Joseph  et  d'un  mystère  tiré  dû  psaume  Do- 
minus  régit.  Toutes  ces  indications  sont  ti- 
rées des  Registres    des   comptes  de  l'hôtel 

QUOD  SECUNDUM  LEGEM  DEBET 
MOHI  -Mystèke  sur).  —  Duverdier  (Biblio- 
thèque françoise,  p.  635)  atlrbue  à  Jean  d'A- 
bundance  un  mystère  intitulé  : 

Quod  secundum  legem  débet  mori. 


Il  indique  ce  mystère  comme  imprimé  à 
Lyon. 

Les  frères  Parfait  (ffist.  du  théâtre  fran- 
çais, Paris,  15  vol.  in-12,  174.5.  t.  III,  p.  4-9) 
considèrent  I  impression  nomma  très-dou- 
teuse. 

«  Le  sujet  du  poëme  est,  comme  on  lo 
voit,  »  disent-ils,  «  tiré  du  Nouveau  Testa- 
ment, et  se  trouve  compris  dans  la  quatriè- 
me journée  du  mystère  de  la  Passion.  » 

On  lit  dans  la  Bibliothèque  du  théâtre 
françois  ,  ouvrage  attribué  au  duc  de  La- 
vallière (Dresd,  1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p. 
117)  :  «  M.  (leReauchamps  croit  que  cet  ou- 
vrage n'a  pas  été  imprimé  ;  MU.  Parfait  as- 
surent qu'il  ne  l'a  pas  été.  L'exemplaire  que 
j'ai  vu  est  peut-être  unique.,.  »  Et  l'auteur 
encore  inconnu  de  la  Bibliothèque  donne 
l'analyse  de  ce  mystère,^»-  l'gy.  tU^siox, 
IV%  §  2. 


Fi 


RACHEL.  —  Les  Lamentations  de  Rachel 
étaient  chaulées  à  Beauvais,  au  xuc  siècle, 
par  un  homme  habillé  en  femme.  (Cf.  Jouvet, 
Histoire  de  Beauvais,  t.  II,  p.  297).  —  Voy. 
Innocents  [Massacre  des),  Hékode  (388). 


«  y  A  qui,  ômére,  n( 
«  Mues?  A  qui,  nous,  désolées,  nous  recom- 
«  mandes-tu  ?  Nous  avons  abandonné  nos  fa- 
ce milles,  et  nos  biens,  ei  la  patrie,  et  nous 
«   t'avonssuivie!^  A  qui  nous  laisses-tu? Aux 


RADEGONDE  (Chant  funèbre  de  sainte).      «   larmes  éternelles,  à  une  perpétuelle  dou- 
Eu  1835,  dans  son  cours  professé  à  la     «  leur  I  f  Ah  1  jusqu'à  présent,  ce  monastère 


Faculté  des  lettres,  M.  Magnin  signala, 
parmi  les  monuments  subsistants  du  théâtre 
au  vic  siècle,  les  improvisations  autour  du 
tombeau  de  sainte  Radegonde,  <!onl  Grégoire 
de  Tours  (De  glor.  conf.,  e.  106)  nous  a  con- 
servé la  mémoire  et  des  fragments.  (Journ. 
gén.  de  l'instr.  publ.,  29  mais  1835,  1e'  se- 
mestre, xiir  art.,  p.  194-.)  M,  O.  Leroy 
(Elncles  sur  les  mystères;  Paris,  1837,  in-8°, 
p.  2)  eu  renouvela  la  mémoire  en  1837. 
Voici  le  passage  de  Grégoire  de  Tours  : 
«  Suinte  Radegonde...,  api  es  les  méritants 
travaux  de  sa  vie,  se  relira  du  monde. 
Ayant  reçu  la  nouvelle  de  cette  mort,  nous 
nous  rendîmes  au  monasière  de  la  ville  de 
Poitiers  qu'elle-même  avait  créé.  Nous  trou- 
vâmes la  sainte  couchée  dans  un  cercueil; 
son  visage  sacré  avait  un  éclat  a  elfacer  la 
fraîcheur  des  lis  et  des  roses.  Autour  du 
cercueil  se  tenaient  un  nombre  considéra- 
ble de  sanclimonialcs,  près  de  deux  cents, 
qui,  dans  des  chants  improvisés,  récitaient 
la  vie  île  la  sainte;  parmi  ces  religieuses,  il 
y  en  avait  d'issues,  selon  les  dignités  du 
temps,  non-seulement  de  sénateurs,  mais 
môme  quelques-unes  du  sang  royal,  sous 
leur  habit  consacré.  Elles  étaient  debout,  et 
dans  leurs  chants  disaient  : 

(38S)  Le  massacre  des  Innocents  s'est  rencontré 
dans  un  manuscrit  du  \ic  siècle  de  la  bibliothèque 
de  Munich,  n°  G-204,  fol.  27,  verso.  (Cf.  Edel.  Du- 
MiiML,  Origines  lutines  du  tliéàt.  rnod.  ,  Paris,  184l>, 
in  8°,  p.  171.)  Il  l'orme  la  dixième  pièce  du  Chesier 
Wkiisun  ptays,  la  vingtième  du  Ludus  Coventriœ. 
John  l'a rire  est  auteur  d'un  Cnndlemas  duy.  (Ap. 
Hawkins,  The  origin  vf  ihe  English  druma,  t.  1", 


a  était  plus  vaste  pour  nous  que  les  vastes 
«  villas  ou  les  vastes  cités;  à  chacun  de  nos 
«  pas,  devant  ta  face  glorieuse,  nous  trou- 
«  vions  ici  or  ou  argent;  l'a,  nous  possé- 
«  diois  des  vignes  magnifiques  ou  des  mois- 
«  sons  épaisses;  ailleurs,  des  prés  verdoyants 
«  de  mille  fleurs  diverses.  $  C'est  de  toi  que 
«  nous  recevions  ces  violettes;  lu  étais  pour 
«  nous  la  rose  enflammée  et  le  lis  blanchis- 
«  sant-  y  Ta  voix  était  pour  nous  le  soleil 
«  resplendissant.. ,  i^  Toile  la  lune;  dans  les 
«  ténèbres  de  nos  consciences,  tes  paroles 
«  allumaient  la  claire  lampe  de  la  vérité. 
«  f  Désormais  toute  la  terre  est  dans  l'om- 
«  bre  pour  nous,  r)  L'espace  est  resserré  en 
«  ce  lieu,  depuis  qu'on  ne  peut  plus  y  voir 
«  ton  visage,  y  Hélas!  nous,  abandonnées 
«  par  la  sainte  mère!  Heureuses  celles  qui, 
«  tant  que  tu  vivais,  ont  quille  ce  monde!... 
«  Oui,  nous  le  savons,  tu  lais  partie  des 
«  chœurs  des  saintes  vierges;  tu  es  dans  le 
«  paradis  de  Dieu.  Ivlais,  dans  cette  consola- 
«  lion,  il  ne  nous  est  pas  moins  à  pleurer 
«  de  ne  pouvoir  plus  le  voir  des  yeux  de 
«  notre  corps...  » 

«  Au  milieu  de  ces  plaintes  et  d'autres,  nul 
ne  pouvant  retenir  ses  larmes,  tourné  vers 
î'abbesse,  je  dis  :  «  Ménagez  un  peu   ces 

p.  5,  ei  Mariott,  Coll.  of  Enalish  mîjrneles-plnys  or 
mysieries,  p.  199-219.)  A  la  suite  de  la  pastorale  s'ir 
la  naissance  de  Jésus  Christ,  par  frère  Glaude  Ma- 
cée,  hermile  de  lu  province  de  saint  Antoine  (saint 
Malo,  Hovins  fils,  1805,  in-18),  est  un  Massacre  des 
Innocents  qui  se  joue  par  personnages  '  dlleinsius, 
Herodes  infanliciua,  tragédie. 


845 


REL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


REiM 


816 


«  pleurs,  et  tenez  plutôt  prêt  tout  ce  qu  il 
«  faut...  »  Mais,  dès  que,  en  enlevant  le 
saint  corps,  nous  fûmes  en  marche  en  chan- 
tant les  psaumes,  aussi  tôt  les  possédés 
crièrent,  confessant  la  sainte  de  Dieu  et  se 
déclarant  tourmentés  par  elle.  En  passant 
sous  le  mur,  tout  le  troupeau  des  vierges, 
par  les  fenêtres  des  tours  ou  sur  le  pignon 
du  mur,  se  mit  à  continuer,  à  loule  voix, 
les  chants  funèbres  ci-dessus,  si  bien  qu'au 
milieu  du  tumulte  des  cris,  des  battements 
de  mains,  nul  ne  pouvait  retenir  ses  larmes, 
et  que  les  clercs,  dont  l'office  élait  de  réciter 
les  psaumes,  dans  li  urs  sanglots  et  leurs 
pleurs,  pouvaient  à  peine  poursuivre  l'an- 
tienne. »  (  Lib.  de  qlor.  confess.,  c.  108  ) 

RAMEAUX  (Les).  —  M.  l'abbé  La  Boude- 
rie {Li  jus  saint  Nicolai,  publié  par  la  So- 
ciété des  bibliophiles  français,  1834,  in-8% 
Pièces  jointes  au  jeu,  Observation,  p.  170)   a 


fait  remarquer  que,  bien  que 
présentations    théâtrales    ait 

longtemps  dans    les   é«li 
fôles,  «  il   en 


usage  dvS  re- 
cessé  depuis 
es   églises   aux  jours    de 
existe  cependant    un  qui   a 


quelque  analogie  avec  celui  qui  fait  l'objet 
de  ces  recherches:  c'est  l'espèce  de  dialogue 
qui,  au  retour  de  la  procession  du  dimanche 
des  Rameaux,  s'établit  entre  le  célébrant  et 
les  choristes. 

«  Le  célébrant  frappe  a  .a  porte  principale 
de  l'église. 

AllniUtc  portas, principes,  rentras,  et  elevamini porlœ 
(éternelles,  el  introibit  rex  ytoiiw. 

Les  choristes.  Quis  est  iste  rex  gloriœ. 

te  cÉLKBiu.NT.  Dominus  foi  lis  et  polens;  Dominus 
païens  in  prœlio.  Auolliie  portas,  etc. 

i.f.s  r.notusTES.  Qui*  est  isle  rex  ijloriœ? 

le  ciixoiUNT.  Dominus  viriutum  ipse  est  rex  giO- 
iiœ.   » 

REDEMPTION  (L^).  —  En  1835,  dans  son 
cours  professé  à  la  Faculté,  M.  Magnin,  s'il 
est  permis  toutefois  de  s'en  rapporter  aus 
comptes-rendus  du  Journal  général  de  l'ins~ 
traction,  publique,  fort  incomplets  el  très- 
souvcnl  inexacts,  aurait  signalé,  sous  le  lilre 
<! e  Mystère  de  la  Rédemption,  les  mystères  de 
la  Justice  atlribués  ù  Guillaume  Bermann 
ou  à  Etienne  Langlon.  (Cf.  Journal  général 
de  l'instruction  publique,  18  oct.  1833,  â"  se- 
mestre, vin'  art.,  p.  539.) —  Voy.  Justice. 

REINE  (Sainte).  —  Ou  lit  dans  le  Mercun 
de  France,  1729,  décembre,  p.  2985,  Remar- 
ques envoyées  d'Auxerre  par  l'abbé  Lebeuf, 
0  décembre  1728,  celle  note  curieuse  :  «  De 
ma  connaissance,  il  n'y  a  plus  de  nos  cotés 
que  la  représentation  du  Martyre  de  sainte 
Reine,  qui  se  fait  à  la  procession  du  7  de 
septembre  dans  le  bourg  de  son  nom...; 
mais  c'est  un  spectacle  ou  il  y  a  plus  d'ac- 
tions que  de  paroles,  et  auquel  les  yeux 
prennent  plus  de  part  que  les  oreilles  :  et 
peut-être  même  que  peu  à  peu  ces  vestiges 
de  l'ancienne  représentation  de  la  tragédie 
de  sainte  Reine  disparaîtront  entièrement  de 
la  cérémonie,  quoique  le  tout  ensemblo 
setve  admirablement  à  attirer  chaque  annéo 
en  ce  lieu  des  milliers  de  pèlerins...  » 

RELIGIEUSE  (La).  —  Le  drame  de  la  Re- 


ligieuse est  tiré  du  manuscrit  des  Miracles 

de Noslre-Dame,  I"  volume,  f°  69.  (Bibl.  imp. 

n°  7208  k A  et  4B.) 
Il  y  est  intitulé  : 

Miracle  de  N.  D.  d'une  monie  qui  laissa  son 
abbaye  pour  s'en  aller  avec  un  chevalier 
qui  i'espousa,  et  depuis  qu'ils  avaient  eu  de 
beaux  enfants,  N.  D.  s'apparut  à  elle,  dont 
elle  retourna  en  s'abbaie  et  le  chevalier  se 
rendit  moine. 

On  sait  que  le  manuscrit  d'où  celte  pièce 
est  tirée  en  contient  quarante,  et  date  du 
xiv*  siècle. 

Elle  est  encore  inédite. 

Nous  en  donnons  l'analyse  très-succincte, 
en  partie  empruntée  à  M.  0.  Leroy. 

Séduile  par  un  chevalier,  neveu  de  son 
abbesse,  une  jeune  nonne  consent  à  fuir  le 
couvent.  Elle  se  lève  la  nuit,  mais  il  faut 
traverser  la  chapelle  de  .Marie,  et  elle  ne 
l'ose  sans  s'agenouiller  aux  pieds  de  la  slaïuo 
de  la  Vierge.  Elle  prie  donc,  puis  se  lève 
pour  sortir,  mais  au  seuil  môme  est  la 
statue, 

.  .  .  Droit  au  travers  de  cest  huis. 

Impossible  de  franchir  l'obstacle;  la  reli- 
gieuse rentre  dans  son  dortoir.  Cette  scène 
se  répète  une  seconde  fois.  Alors  la  nonne 
prend  parti 

Dépasser  parmi  la  chapelle, 

Sans  dire  ave  ne  kyrielle 
Devaiil  l'image  <ie  Maiie. 


se   hasarde,   en  effet,   encore,    mais 
prier.  La  porte  reste  libre;  elle  en  ap- 


Elle 
sans 
proche,  elle  la  franchit,  disant 

Dame,  dame,  tenez-vous  15  ! 
Puisque  passée  su î  de  ça, 
Je  ne  reiburneray  mais  Imy 

Ne  desmais  ;  car  je  voi  celuy 
Que  j'aiiu  de  tueur  el  que  je  qtiier. 

«  Et  elle  se  jette  dans  les  bras 
qui  l'enlève  et  qui  l'épouse.  E 
enfants,  et  ce  n'est  que    longtem  s   api  es 


du  chevalier, 
le  en  a  deux 


qu'elle  lui  avoue  qu  avant  de  se  donner  à 
lui,  elle  s'était  vouée  a  Marie 


que  la  Vierge, 


jalouse  do  ^as  droits,  avait  en  vain,  par  un 
double  miracle,  essayé  de  la  retenir.  Le 
chevalier,  enrayé  de  son  triomphe  sacrilège, 
rend  sa  femme  à  son  premier  état,  et  se  sé- 
pare d'elle  a  jamais,  en  entrant  lui-même 
dans  un  monastère.  »  (0.  Leroy,  Eludes  sur 
les  mystères;  Paris,  1837,  in-8°,  p.  93.) 

RÈMI(Smht).  —  M.  O.  Leroy,  dans  ses 
Eludes  sur  tes  mystères  (Paris,  1837,  in-8°, 
p.  Ci)  a  signalé  le  manuscrit  du  xW  siècle 
de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  in-fnl.,  ïlk, 
qui  contient  le  Mystère  de  sainct  Rémi.  «  Cette 
pièce,  à  peine  lisible,  est  d'une  fa. blesse  telle 
que  je  ne  l'eusse  pas  mentionnée,  si  l'auteur 
anonyme,  qui,  je  crois,  éta:t  un  piètre,  ne 
s'élevail  tout  à  coup  à  la  hauteur  de  son 
sujet,  dans  ces  instructions  de  saint  Rend  a 
Clovis  : 

Vous  devez  croire, 

Et  le  mêlez  bien  en  mémoire. 

Que  leFilz  de  Dieu,  proprement  (cm  pertome), 


847 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


M  8 


Venra,  au  jour  du  jugement, 
Jugier  les  bons  et  les  maulvais. 
Là  poriera  chacun  son  fais  ; 
Là  sera  gardée  équité, 
Et  déboulée  iniquité. 
Du  juge  nul  n'appellera. 
Qui  ces  articles  ne  croira 
ïl  cherra  en  perdition... 
Or  aiez  cogilacion 
De  ce  royaume  gouverner, 
De  voz  suligeiz  bien  ordonner, 
El  de  si  bien  garder  justice 
Que  le  roiauuie  ne  périsse, 
Car  quant  justice  y  périra, 
En  giant  péril  ruiaume  yra.» 

REPPREZZENTATIONI.  —  Muratori 
(Anliquit.  Italie,  medii  œvi,  sive  Dissertalio~ 
nés;  Milan,  1732,  in-fol.,  t.  11,  col.  847-850) 
remarque  qu'au  xme  et  au  xivc  siècles,  il  y 
avait,  en  Italie,  un  genre  de  scènes  pieuses 
figurées  qu'on  nommait  repprezzenlationi , 
et  qui  est  resté  très-obscur.  C'est  probable- 
ment a  une  de  ces  représentations  qu'arriva 
l'accident  dont  parle  Villani  (VIII,  70),  et  où 
il  périt  plusieurs  personnes  par  la  chute 
d'un  pont. 

RESURRECTION  (La).  —La  Résurrection 
a  été,  durant  le  moyen  âge,  l'objet  de  repré- 
sentations figurées  dans  l'intérieur  des 
églis  s,  qui,  malgré  les  efforts  contraires  du 
hautclergé,  sesonlintroduites  dans  les  rites, 
et  y  ont  persisté,  au  travers  des  siècles, 
presque  jusqu'à  nos  jours.  En  second  lieu, 
à  partir  au  moins  du  xnc  siècle,  l'esprit 
civil  a  tenié  de  s'emparer  de  l'élément 
dramatique  de  ce  miracle  suprême,  et  d'en 
transporter,  dans  un  but  pieux  il  est  vrai, 
les  émotions  au  théâtre.  Quoique  ces  deux 
tentatives,  également  hostiles  au  fond  à  la 
simplicité  ecclésiastique,  aient  eu  pour 
mobile  un  même  espritde  licence  religieuse, 
comme  l'Eglise  a  été  contrainte  d'y  avoir 
part,  et  que  la  sévérité  des  cérémonies 
ecclésiastiques  contint  toujours  les  rites 
dans  des  bornes  rigoureuses,  tandis  qu'au 
contraire  il  s'introduisit  dans  les  représen- 
tations des  mystères  beaucoup  de  choses 
étrangères  à  la  nature  du  sujet,  nous  avens 
divisé  cet  article,  en  deux  parties. 

1°  Les  rites  figurés. 

2°  Les  représentations  dramatiques. 

I. 

RITES  FIGURÉS. 

ixe  siècle. 

France. — 1°  Poitiers.  —  On  trouve  dans  le 
De  antiquis  Ecclesiœ  ritibus  de  dom  Marlènc 
(Antuerpiœ,  1736,  in-fol.,  4  vol.,  t.  III,  con- 
tenant l'édition  revue  et  augmentée  du  De, 
disciplina  ecclesiastica  du  même  auteur, 
col.  484)  un  rile  figuré  de  la  Résurrection, 
que  le  savant  Bénédictin  dit  extrait  d'un 
très-ancien  rituel.  Malheureusement  les  deux 
tables  du  De  ritibus  ou  du  De  disciplina,  qui 
fournissent  la  note  des  manuscrits  consultés, 
laissent  quelque  vague  à  l'égard  de  l'origine 
de  cette  représentation  figurée,  et  la  date 
peut  paraître  empreinte  de  quelque  incerti- 
tude. En  effet,  la  liste  des  manuscrits  de 


Poitiers  consultée  ne  contient  que  deux 
missels  du  xve  siècle,  et  un  autre  intitulé  : 
Liber  Sacramentorum,  titre  qui  ne  corres- 
pond pas  exactement  à  celui  de  Rituale. 
Malgré  celte  erreur,  nous  n'hésitons  pas  à  con- 
sidérer le  rite  dont  nous  donnons  ci-dessous 
la  traduction  comme  extrait  du  Liber  Sacra- 
mentorum,  et  ce  manuscrit  datant  du  ixc  ou 
même  du  vnr  siècle,  le  fragment  de  Poitiers 
devient  l'un  des  plus  anciens  monuments  du 
mystère  de  la  Résurrection. 

(Après  les  Matines,  on  se  rend  au  sépulcre ,  avec  des 
cierges.) 

marie  commence.  Où  est  mon  Christ' 
l'ange  répond.  H  ifesl  pas  ici. 
marie  ouvre  la  poite  du  sépulcre  et  dit  à  voix  haute. 
Le  Christ  est  ressuscité. 

tous  répondent.  Deo  qralias... 

2°  Metz.  —  On  a  pensé  qu'au  ix'  s'ècle, 
dans  les  rites  de  l'église  de  Metz,  subsis- 
taient déjà  les  premiers  éléments  d'une 
scène  dramatique.  Le  passage  suivant,  tiré 
de  Àmalarii  Fortunali  Mellensis  diaconi,  de 
Ecclesiasticis  officiis,  1.  i,  c.  31,  {Ribl.  max. 
PP.;  Lug  I.,  *•  X1Y,  p.  961)  a  donné  lieu  à 
celle  opinion  : 

...On  remit  ensuite  en  mémoire  la  résur- 
rection du  Seigneur,  le  colloque  des  anges 
et  dis  femmes,  el  l'émotion  des  femmes. 
L'Evangile  selon  saint  Marc  raconte  en  ees 
termes  la  réunion  des  femmes  :  «  Après  le 
«  jour  du  sabbat,  Marie-Madeleine,  Marie 
«  Jacob  et  Salomé  achetèrent  des  aroma- 
«  les  afin  d'aller  oindre  Jésus...  »  L'ange 
leur  parla  :  N'ayez  pas  peur  :  vous  cherchez 
Jésus  de  Nazareth  !  il  est  ressuscité  et  n'est  plus 
ici.  Les  femmes  sont  alors  très-émues...,  etc. 

x'  siècle. 

1°  Angleterre.—  En  Angleterre,  au  temps 
du  roi  Edgar  et  de  saint  Dunstan,  c'est-à-dire 
vers  le  xc  siècle,  subsistaient  encore  d'an- 
ciennes coutumes  que  le  saint  fut  obligé  de 
respecter  dans  sa  grande  charte  des  couvents 
anglais,  et  que  le  H.  P.  dom  Martène  a  rap- 
portées dans  les  anc  eus  rites  ecclésiasti- 
ques. Les  mêmes  coutumes  que  l'on  trouve 
en  France  dans  ce  même  siècle  subsistaient 
donc  en  Angleterre,  et  y  fiaient  déjà  très- 
anciennes.  C'est  ce  qui  ressort  du  passage 
que  imus  donnons  ci-dessous  (S.  Dunstanus, 
Reyular.  concordia  mon.  sanclimorialium- 
que  Anylicœ  nalionis,  dans  le  De  ontiquis  Ec- 
clesiœ ritibus...  studio  R.  P.  Edmundi  Mar- 
tène ;  Anluerp.,  1738,  in-fol.,  4  vol.,  t.  IV, 
col.  419,  b,  c.) 

«  Durant  le  récitatif  de  la  troisième  leçon, 
quatre  frères  s'habillent.  L'un  d'eux  prend 
une  aube,  et,  sortant  sans  faire  semblant  de 
rien,  gagne  furtivement  l'endroit  où  est  Je  sé- 
pulcre. Il  élève  sa  palme  dans  sa  main  et  s'as- 
sied d'un  air  tranquille. 

«Pendant  le  troisième  répons,  les  trois  au- 
tres s'approchent,  couverts  de  chappes , 
ayant  dans  les  mains  des  encensoirs  enflam- 
més, et  faisant  mine  de  chercher,  ils  arri- 
vent à  l'endroit  où  est  le  sépulcre. 

«  Tout  cela,  en  effet,  n'est  que  pour  imiter 


84'J 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


850 


l'ange  assis  dans  le  tombeau  et  les  femmes 
accourant  avec  des  parfums  pour  oindre  le 
corps  de  Jésus. 

«  Lorsque  celui  qui  est  assis  voit  venir  les 
trois  autres  q.ui  cherchent  de  tous  côtés,  il 
commence  à  chanter  à  mi-voix  etdoucement  : 
qui  cherchez-vous  ? 

«  Celui-ci  ayant  terminé  ,  les  trois  autres 
ensemble  :  Jésus  de  Nazareth. 

«  Lui  :  Iln'est  pas  ici  ;  il  eslressuscitc  comme 
il  l'avait  prédit  ;  allez  annoncer  qu'il  est  res- 
suscité d'entre  les  morts. 

«Les  trois  autres,  pendant  ce  rhythmo,se 
tournent  vers  le  chœur,  et  disent  à  la  fin  : 
Alléluia  !  le  Seigneur  est  ressuscité. 

«  Après  ces  mots,  toujours  assis,  il  les  rap- 
pelle, en  chantant  l'antienne  :  Venile  et  vi- 
dete  locum.  Tout  en  parlant,  il  se  lève,  écarte 
le  voile,  leur  montre  le  sépulcre  où  manque 
la  croix,  mais  où  restent  les  linges  dont 
elle  était  enveloppée.  A  celte  vue,  les  trois 
autres  déposent  leurs  encensoirs  mis  aupa- 
ravant dans  le  sépulcre,  prennent  les  linges, 
et  les  étendent  devant  le  clergé,  pour  mon- 
trer que  le  Seigneur  est  ressuscité  et  qu'il 
n'y  a  plus  rien.  Ils  chantent  l'antienne  :  Le 
Seigneur  est  sorti  du  sépulcre,  et  posent  les 
linges  sur  l'autel. 

«A  la  fin  de  l'antienne, le  prieur,  réjoui  du 
triomphe  de  notre  Roi,  victorieux  de  la 
mort  et  ressuscité,  entonne  l'hymne  :  Te 
Deum  laudamus.  Aussitôt  les  cloches  son- 
nent... » 

11°  France.— Werdun.— Dans  les  ancien- 
nes coutumes  du  célèbre  monastère  de  Saint- 
Viton,  à  Verdun,  que  l'on  juge  écrites  au  x° 
siècle,  et  qui,  tirées  d'un  manuscrit  de  Saint- 
Viton  par  le  R.  P.  dam  Cal  met  (Auguste), 
abbé  de  Sens,  ont  été  pour  la  première  fois 
éditées  par  le  R.  P.  dom  Edmond  Marlène, 
de  l'ordre  de  Saint-Benoît ,  dans  l'appendice 
de  De  antiquis  Ecclesiœ  rilibus;  Anvers, 
1738,  in-fol.,  k  vol.,  t.  IV,  col.  853,  b,  c,  on 
trouve  ce  précieux  passage  qui  constate,  au 
x'  siècle,  l'usage  déjà  bien  établi  d'une  re- 
présentation scénique,  le  jour  de  la  Résur- 
rection, dans  l'intérieur  des  monastères  du 
nord  de  la  France.  Une  certaine  obscurité 
de  style  rend  presque  inintelligible  ce  [tas- 
sage  que  dom  Marlène  n'a  malheureusement 
point  tenté  d'éclaircir  ;  nous  indiquons  nos 
restitutions  par  ce  signe  :  [  ] 

«  Aux  premiers  chants  des  oiseaux  et  au 
point  du  jour,  toutes  les  cloches  sonneront 
en  l'honneur  de  la  Résurrection  de  Noire- 
Seigneur  Jésus-Christ.  Les  frères,  dès  les 
premiers  coups  des  cloches,  diront,  chacun 
à  part,  le  Gloria  tibi,  Domine,  qui  surrexi- 
sti,  etc.  D'instant  en  instant  chaque  cloche 
sonnera.  Le  chantre  sera  debout  dans  le 
chœur,  revêtu  du  pallium  ;  il  aura  avec  lui 
deux  frères,  en  chapes  blanches,  pour  chan- 
ter l'offerte. 

«  Après  le  troisième  répons,  quatre  frères 
vêtus  d'aubes  s'avanceront. 

[deux]  feront  semblant  de  chercher  dans  des  ca- 
vernes sous  terre. 

Iles  deux  autres.]  Qui  cherchez-vous  dans  le  sé- 
pulcre, 6  chrétiens  ? 


les  deux  [premiers]  salueront  et  feront  doucement 
celte  réponse.  Jésus  de  Nazareth,  qui  a  été  crucifié, 
ô  hahiianls  des  cienx. 

les  premiers  [derniers?]  répondront  au  lienet  place 
dérange.  Il  n'est  pas  i<'i,  il  est  ressuscité,  allez  l'an- 
noncer. 

les  derniers  [vremiers]  ?,  à  ces  mots,  et  pendant  la 
durée  du  verset,  entreront  prompt emenl  dans  le  chœur 
avec  les  thuriféraires  et  la  croix  sans  image,  il$ 
s'écrieront  :  Le  Seigneur  est  sorti  du  tombeau. 

l'arbé,  quand  ils  auront  fini,  entonnera  le  Te  Deum 
laudamus.  » 

«  Les  laudes  du  matin  suivront  ;  on  allu- 
mera tous  les  cierges,  et  après  l'antienne 
Et  valde  morne  et  l'oraison,  la  messe  com- 
mencera. » 

2°  Limoges.  — Le  fragment  suivant  d'un 
Office  dialogué  du  Sépulcre,  ou  d'un  mystère 
de  la  Résurrection,  est  l'un  de  ceux  que  nous 
a  conservés  le  manuscrit  de  saint  Martial  do 
Limoges,  datant  du  xr  siècle.  (Bibliothèque 
impériale,  fonds  latin,  n"  1139.) 

Publié  par  Raynouard,  [Choix  de  poésies 
originales  des  troubadours,  t.  11,  p.  139),  par 
M.  Fr.  Michel  à  deux  fois,  et  par  M.  Wright, 
en  Angleterre,  il  a  été,  pour  la  première  fois, 
distingué  du  Mystère  des  Vierges  sages  et  des 
Vierges  folles,  par  M-  Magnin. 

Antérieur  au  manuscrit,  ce  fragment  re- 
monte jusqu'au  x.e  siècle. 

PERSONNAGES. 

LES    FEMMES.  l'a.NOE  GARDIEN  DU   SÉPULCRE. 

les  femmes.  Où  est  le  Clirisl,  mon  seigneur  et 
mon  fils  très-haut?  Allons  voir  le  sépulcre. 

l'ange  gardien  du  sépulcre.  Celui  que  vous 
cherchez  dans  le  sépulcre,  ô  chrétiens,  n'y  est  pas. 
Il  est  ressuscité  connue  il  l'avait  pré  lit.  Allez,  an- 
noncez à  ses  disciples  qu'il  vous  précède  en  G  lilée. 
En  vérité,  il  est  sorti  du  tombeau  dans  sa  gloire.  Al- 
léluia. 

Voyez  Saint-Martial  de  Limoges  (Manu- 
scrit de). 

xi' et  xu«  siècles 

Iu  France.  —  1°  Soissons.  —  Un  rituel  ma- 
nuscrit de  l'église  de  Soissons  duxii'  siècle, 
cité  par  dom  Edmond  Marlène  (De  anliq.Ec- 
cles.  discipl.;  Lyon,  1706,in-4°,  1  vol.,  p.  W6, 
et  Deantiq.Eccles.ritibus;  Antuerp.,  1736,  iu- 
Pâques,fol.,4  vol.,  1. 111, col. 500),  contient,  le 
jour  de  une  scène  d'un  caractère  très- 
a ff ai b I i  déjà  du  drame  de  la  Résurrection. 

«  ...La  process  on  se  rendait  au  sépulcre 
dans  l'ordre  suivant  :  deux  enfants  portant  des 
sonnettes,  d'autres  avec  des  étendards,  des 
cierges,  des  encensoirs,  la  croix  et  quatre 
sous-diacres  en  aubes;  deux  prêtres  avec 
chapes  et  manteaux;  le  chapelain  ;  au  sépul- 
cre on  trouve  deux  diacres  en  aubes  sim- 
ples, l'amiet  sur  la  tôle,  et  parés  de  dalma- 
tiques  blanches.  Ils  représentent  les  anges, 
et  se  tiennent  à  la  fenôt'  e,  l'un  à  droite,  l'au- 
tre h  gauche.  Tournés  vers  le  sépulcre,  la 
tête  baissée,  ils  disent  doucement  :  Qui  cher- 
chez-vous dans  le  sépulcre,  ô  chrétiens!  Deux 
prêtres  en  chapes,  figurant  les  deux  Maries  : 
O  habitants  des  deux,  nous  cherchons  Jésus 
de  Nazareth.  Les  deux  anges  :ll  n'est  pas  ici, 
il  est  ressuscité  comme  il  l'avait  prédit.  Allez 
annoncer  qu'il  est  ressuscité:  Les  Maries,  plus 


8>i 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


HES 


haut  :  Alléluia  !  le  Seigneur  est  ressuscité 
aujourd'hui  !  Il  est  ressuscite'  le  lion  fort! 
le  Christ,  Fils  de  Dieu  l  Gloire  à  Dieu  !  Eija  ! 
Le  chapelain  prend  dans  le  sépulcre  le  ca- 
lice, on  sonne  les  cloches,  le  chantre  en- 
tonne le  Christusresurgens,  etc.,  quatre  sous- 
diacres  étendent  un  voile  sur  le  corps  du 
Seigneur,  les  cierges,  les  étendards  les  en- 
censoirs et  les  croix  se  remettent  en  mar- 
che... L'évoque  ,  debout,  commence  le  Te 
Deum  Inudamus... 

2a  Rouen.  —  A  Rouen,  aux  xic  et  xii'  siè- 
cles, d'après  le  témoignage  de  Jean  d'Avran- 
ches  (Joawis  Abrincensfsepisc.  Liber  de  off. 
ecctes,,  édition  de  Joli.  Prevot,  1679;,  in-8"j , 
on  célébrait  aussi  la  Résurrection  par  une 
représentation  figurée. Dom  Marlène  remar- 
qué que  ces  fêtes  étaient  surtout  particuliè- 
res à  la  Gaule.  (Dont  Edmond  Martène,  De 
antiq  Eeticsiœ  disciplina  ;  Lyon,  1706,  in-i", 
1  vol.  p.  &80,  et  De  anliq.'Eccles.  ritibus ; 
Antuerp.,  1736,  in-fol.,  k  vol.,  t.  111,  col. 

Iiu  -Allemagne.  —Une  représentation  figu- 
rée de  ia  Résurrection,  publiée  par  Mous 
(Schnuspiele  des  mitlelnlters  ;  [nièces  du 
moyen  âge] ;Karlsruhe,Macklot.  1846,  2  vol., 
t.  I",  p.  12;,  se  pratiquait  dans  les  églises 
d'Allemagne,  aux  xie  et  xne  siècles. 

l'ange.  Qui  cherchez -vous.  6  servantes  du 
Christ? 

les  saintes  femmes.  Jésus  Nazarenus   le  crucifié, 
6  habitant  du  ciel. 
l'ange.  Il  n'est  pas  ici  :  il  est  ressuscité,  selon  sa 

Erédielion.  Allez,  annoncez,  il  est  sorti  du  loin- 
eau. 

une  femme,  en  elle-même.  Et  qui  nous  ôlera  la 
pierre  île  rentrée,  oui  bouche  à  nos  yeux  le  saint 
sépulcre. 

l'ange  cherchant.  Qui  cherchez-vous,  ô  femmes, 
tremblantes,  éplorées,  dans  ce  sépulcre? 

les  femmes.  Nous  cherchons  Jésus  Nazarenus  le 
crucifié. 

l'ange.  Il  n'est  pas  ici,  il  est  ressuscité.  Vile,  allez, 
dites  aux  disciples  et  à  Pierre  que  Jésus  est  ressu- 
scité. 

les  femmes  *V«  vont,  en  chaulant  :  Que  les  Juifs 
disent  donc,  à  cette  heure,  comment  les  gardes  du 
sépulcre  ont  perdu  notre  Roi  scellé  par  eux  sous  la 
pierre.  La  pierre  de  justice  ét:iil-elle  sans  gardes? 
Qu'ils  rendent  donc  celui  qu'ils  ensevelirent  ou 
qu  ils  adorent  avec  nous  le  Ressuscité,  et  s'écrient  : 
Aliclu.a! 

(lîtie.i  disent  aux  disciple*  :)  Nous  sommes  allées 
en  pleurs  au  sépul-re,  nous  avons  vu  assis  l'ange 
du  Seigneur,  et  il  nous  a  dit  :  Jésus  est  ressuscité. 

Le  chœur.  Te  Deum  laudamus ! 

111  Suisse.  —  Zurich.—  Dans  l'office  de  Zu- 
rich, on  trouve  celle  scène  pieuse  qui  se  jouait 
encore  lepur  de  la  Résurrection,  vers  1260: 

les  femmes,  debout  en  face  de  l'anae,  disent  :  en 
récitatif.  Qui  roulera  la  pierre,  etc. 

l'ange.  Qui  cherchez-vous? 

les  femmes.  J  sus  de  Nazareth 

l'ance.  Il  n'est  pas  ici. 

les  femm:;s  s'en  retournant  tiers  les  clercs  et  chan- 
tant. Vers  le  monument,  etc. 

(Quand  elles  ont  fini,  les  clercs  chantent  à  mi-voix.) 
les  clercs.  Tous  deux  couraient  ensemble,  etc. 

(Cependant  les  deux  doyens  d'âge  cl  les  deux  plus 
respectables  parmi  les  chanoines,  en  chasuble,  font 


852 


semblant  de  courir  vers  Pou'.el  des  martyrs,  pour 
représenter  Pierre  et  Paul.  Le  plus  jeune  gagne  les 
devants  sur  le  plus  âgé,  le  chanoine  qui  fuii  le  pei- 
sonnage  de  l'ange  prend  alors  des  linges  bien  blancs, 
tous  trois  les  montrent  au  peuple  et  au  clergé,  et 
chantent.) 

saint  pierre,  saint  paul  et  l'ange.  Vous  voyez, 
bons  compagnons,  etc. 

le  choeur  s'écrie  alors  à  haute  voix.  Te  Deum  lau- 
damus. 

(Tout  le  clergé  rentre  dans  l'intérieur   du  chœur  de 
l'église.) 

(Martin  Gerbrrt,  Vêtus  liturgia  aleman- 
nica  ;  Saint-Biaise,  1776,  in-4°,  2  vol., 
t.  II,  p.  86i.) 

xiii'  siècle. 

FnANCE.  —  Sens.— M.  l'abbé  La  Bouderie  a 
donné,  dans  une  Observation  imprimée  à  la 
suite  du  mystère  do  la  Résurrection  (du  ma- 
nuscrit deSaint-Benoît-sur-Loire du  xm'siè- 
cle),  une  autre  scène  pieuse  tirée  d'un  ma- 
nuscrit de  l'église  de  Sens,  datant  du  xin'  siè- 
cle, et  dont  une  copie  moderne,  existant  à  fa 
mairiedeMelun,aélécommuniquéeau  savant 
éditeur.  (Cf.  Li  Jus  saint  Nicholai  par  Jean 
Bodes,  publié  par  la  Soeiélé  des  bibliophiles 
français;  Paris,  Firmin  Didot,  1834-,  in-8°,  et 
édité  par  MM.  l'abbé  La  Bouderie  et  Mon- 
merqué  ;  Pièces  jointes  au  jeu  de  saint  Nicolas^ 
p.  16a,  166,  167.) 


PERSONNAGES. 


LE  CHOEUR. 
UN  ANGE. 


LES  TROIS  MARIES. 
DF.UX    VICAIRES. 


(Très-anciennement,  aans  l'église  de  Sens,  après  te 
dernier  répons  :  Et  valde....,  on  chantait  la  prose 
suivante  :) 

le  choeur.  Les  décrets  éternels  avaient,  pour  le 
court  espace  d'une  semaine,  choisi,  non  loin  delà 
cité  glorieuse,  un  jardin,  moins  riche  encore  en 
lions  fruits  qu'immense,  magnifique,  semblable  £î 
l'Elysée.  C'est  là  qu'un  grand  décurion  et  un  no- 
ble centurion  ensevelirent  dans  le  tombeau  qui  leur 
appartenait  la  Y  leur  de  Marie;  celle  Fleur,  fleurie 
depuis  les  siècles,  qui,  le  troisième  jour,  prit  un 
nouvel  éclat  dan.  le  tombeau,  à  la  première  aube 
du  jour. 

(Un  enfant,  en  habits  d'ange,  assis  sur  un  siège  éle- 
vé, au  coin  gauche  de  l'autel,  chantait.) 

l'ange.  Chrétiennes,  qui  cherchez-vous  dans  le  sé- 
pulcre? 

les  trois  maries  répondent  ensemb)c ,  en  s'age- 
noudlaui.  Jésus  de  Nazareth,  le  crucifié,  ô  habitant 
du  ciel. 

l'ange  soulevant  la  tapisserie  de  l'autel  et  faisant 
semblant  de  regarder  dans  le  sépulcre.  Il  n'y  est  plus, 
il  csi  ressuscite  comme  il  l'avait  prédit.  Allez,  an- 
noncez qu'il  esl  resssuscilé. 

les  trois  maries  s'en  allant  dans  le  chœur.  Le  Sei- 
gneur esl  ressuscité  aujourd'hui  ;  il  esl  ressuscité 
le  lion   puissant,  le  Christ,  Fils  de  Dieu. 

deux  vicaires,  revêtus  de  chapes  de  soie,  chantent 
au  milieu  du  chœur.  Dis-nous,  Marie,  ce  uue  lu  as 
vu  dans  ton  chemin. 

la  première  marie,  à  gauche,  répond.  J'ai  vu  le 
sépulcre  el   la  gloire  du  Christ  vivant  et  ressuscite. 

la  seconde  marie.  Les  anses  portaient  témoi- 
gnage, ainsi  que  le  suaire  et  les  vêlements. 

la  troisième  marie.  Le  Christ,  noire  espoir,  est 
ressuscité,  il  précède  les  siens  en  Galilée. 

les  deux  vicaires,  faisant  le  réoons.  Il  vaut  mieux 


853 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


8S1 


croire  en  laivéridiqrte  Marie  tonte  seule  que  dans  la 
tourbe  lroui|ieuse  t!es  Juifs. 

tout  le  choeur.  Nous  savons  que  le  Christ  est 
vraiment  ressuscité  d'entre  les  morts;  ô  rot  vain- 
queur, aie  pitié  île  nous. 

(On  dit  alors  te  decm,  etc.) 

xiv*  siècle. 

1°  Allemagne.  —  Saint-Biaise  de  la  Forêt- 
Noire.  —  Au  xiv'  siècle,  le  jour  de  la  Ré- 
surrection ,  d;ins  un  Rituel  de  l'abbaye 
Saint-Biaise  dans  la  Forêt-Noire,  on  trouve 
les  traces  d'une  représentation  figurée  de 
la  scène'  du  sépulcre  que  le  temps  semble 
avoir  tranformée  et  mitigée  à  cette  dernière 
époque.  (Cf.  Martin  Gerbert,  Monum.  veter. 
liturg.  Alemann.,  pars  altéra;  Saint-Biaise, 
1777,   t    1",  et  1770,  t.    II,  p.  236-237.) 

12°  France.  —  1°  Toul.  —  A  Toul,  au  xiv' 
siècle,  dans  l'Ordinaire  de  saint  Apre,  on 
trouve  une  coutume  dont  l'analogie  avec 
celle  d' Angleterre  et  des  rites  consacrés  par 
saint  Dunslan,  au  x'  siècle,  a  été  remarquée 
pardon  Martène.  (In  Tullcnsi  S.  Apri  Ordi- 
nario,  dans  le  De  antiquis  Ecclesiœ  ritibus, 
studio  H.  P.  dom  Edmundi  Martène  ;  An- 
tuerp., 1738,  iu-fol.,  4  vol.,  t.  IV,  col.  420, 
o,  h.) 

2"  Strasbourg.  —  Un  passage  d'un  Ordi- 
naire du  diocèse  de  Strasbourg,  dont  le 
manuscrit  date  de  l'an  1364-,  et  qu'a  cité 
dom  Martène  (De  antiq.  Ecries,  disciplina; 
Lyon,  1706,  in-4°,l  vol.,  p.  50'i-,  et  De  anliq. 
Éccles. ritibus;  Anluerp.,  1736,in-lb!.,  4  vol., 
t.  III,  col.  507)  prouve  que  l'Eglise  de  Stras- 
bourg conservait  aussi,  dans  les  cérémonies 
du  jour  de  Pâques,  une  trace  obscure  de 
quelque  ancienne  représentation  figurée  ; 
mais  il  ne  subsistait  plus  qu'un  dialogue 
enlre  les  prêtres  et  les  diacres. 

3°  Laon.  — Dom  Martène  {De  anliq.  Ecoles, 
disciplina  ;  Lyon,  1706,  in-4°,  1  vol.,  p.  478, 
et  De  antiq.  Eccles.  ritibus;  Antuerp.,  1736, 
in -fol.,  4  vol.,  t.  III,  col.  482,)  a  cité, 
d'après  l'Ordinaire  du  diocèse  de  Laon,  un 
rite  de  ce  diocèse  sur  la  Résurrection  datant 
du  \iy'  siècle  ,  qui  se  célébrait  le  jour  de 
Pâques. 

Les  clercs,  les  enantres,  ies  chanoines 
se  formaient  en  procession  pour  aller  au 
sépulcre. 

les  diacres  arrivés  à  la  porte  du  sépulcre.  Le  sé- 
pulcre est  illuminé. 

le  petit  clerc  dans  le  sépulcre.  Qui  cherchez- 
vous  ? 

les  diacres.  Jésus  de  Nazareth. 

le  petit  clerc  11  n'est  pas  ici. 

le  chantre  et  le  sous  cuantre.  Le  Seigneur  est 
ressuscite.  Alléluia  ! 

Ensuite  le  Victimœ  paschali  Laudes,  »  etc. 

4°  Tours.  —  L'Eglise  de  Tours,  le  jour  de 
Pâques,  d'après  un  Ordinaire  de  ce  diocèse, 
datant  du  xive  siècle  et  cité  par  dom  Mar- 
tène (De  antiq.  Eccles.  disciplina;  Lyon, 
1706,  in-4°,  1  vol.,  p.  501  et  De  anliq.  Eccles. 
ritibus;  Antuerp,,  1786,  iu-fol.,  4  vol.,  t.  III, 
col.  505),  célébrait  encore,  dans  un  dialo- 
gue entre  les  cleics,  le  souvenir  de  quelque 
antique  représentation  figurée  de  la  Résur- 
rection. 


uri\  enfants,  en  aubes,  l'un  à  droite,  l'autre  à 
gauche  de  l'autel,  chantent  Qui  cherchez-vous? 

trois  chapelains,  en  dalmatiques  blanches,  la  tête 
couverte,  devant  l'autel.  Jésus  de  Nazareth. 

LES    INFANTS.    Il    llVsl  p.lS  ici. 

(Les  trois  chapelains  moulent  à  l'autel,  regardent,  se 
tournent  vers  le  chœur,  e>  à  haute  voix  :  Alléluia  !  Le 
Seigneur  est  ressuscité.) 

xv  siècle, 

France. — {"Vienne. — Le  diocèse  de  Vienne, 
d'après  do  ru  Martène  (De  anliqua  Ecclesiœ  dis- 
ciplina, Lyon,  1706,  in-4°,  1  vol.,  p.  504  et 
536,  et  De  ont.  Eccl.  ritibus  ;  Anluerp.,  1736, 
in-fol.,  4  vol.,  t.  III,  col.  506)  répétait  encore, 
au  xve  siècle,  dans  f office  de  Pâques  et  du 
iour  de  l'Ascension,  une  scène  de  la  Résur- 
rection; mais  il  ne  subsistait  plus  qu'un 
dialogue  entre  deux  chanoines  et  les  chan- 
tres, que  l'on  chantait  aux  offices  des  deux 
solennités.  M.  de  Moléon  (Lebrun-Desma- 
rettes)  (Voyages  liturgiques  en  France;  Paris, 
1718,  in-4°,  p.  28  et  31)  observa  que  cet 
usage  antique  se  renouvelait  deux  fois  dans 
l'année  :  à  l'Ascension,  ainsi  que  l'avait 
remarqué  dom  Martène,  et  à  Pâques,  où  l'on 
figurait  la  scène  du  sépulcre,  outre  que  le 
dialogue  était  dit  entre  les  chanoines  et  les 
chantres. 

2°    Narbonne.   —  L'Eglise    de  Narbonne 

i d'après  dom  Edmond  Martène,  De  antiq. 
ïcclcsiœ  disciplina  ;  Lyon,  170S,  in-4°,  1 
vol.,  p.  479,  et  De  ant.  Eccl.  ritibus;  Antuer- 
piœ,  1736,  in-fol.,  4  vol.,  t.  III,  col.  483 
et  484)  gardait  encore,  au  xve  siècle,  des 
rites  dramatiques  de  la  Résurrection,  le 
jour  de  Pâques,  qui  furent  continués  pres- 
que jusqu'à  nos  jours,  où  ils  furent  abolis 
par  le  très-éminenl  cardinal  de  Bouzi,  ar- 
chevêque de  Narbonne. 

Après  le  dernier  répons,  suit  la  petite 
prose  Almum  te;  ensuite  s'avancent  trois 
clercs  en  chapes  blanches,  l'amict  sur  la 
tête,  et  portant  chacun  un  flacon  d'argent. 
Celui  d'entre  eux  qui  fait  le  personnage  de 
Madeleine  prend  le  milieu.  A  l'entrée  du 
chœur,  ils  chantent  ensemble  :  Omnipolens 
Pater  aliissime,  etc.  A  la  fin,  5  genoux,  ils 
disent  :  Hélas!  quelle  douleur  est  la  nôtre! 
Arrivés  en  face  du  pupitre  :  Nous  avons 
perdu  notre  consolation.  À  l'autel  :  Allons 
acheter  des  parfums. 

Il  y  a  sur  l'autel  deux  enfants  parés  d'au- 
bes, d'amicts,  avec  des  éto'es  violettes,  un 
ruban  rouge  sur  le  visage  et  des  ailes  aux 
épaules,  qui  disent  :  Oui  cherchez-vous  dans 
le  sépulcre  ? 

les  trois  maries  répondent  :  Jésus  de  Nazareth. 

LES  ENFANTS.  Il  ll'esl  pas  ÎCÏ . 

(Ils  soulèvent  le  voile  étendu  sur  les  livres  d'argent  qui 
figurent  sur  l'autel  le  sépulcre.  Les  trois  Maries  se 
tournent  vers  le  chœur  et  Madeleine  chante  seule  : 
Gloire  à  la  victime  de  Pâques.) 

marie  jacor.  L'Agneau  a  racheté  ses  brebis. 
marie  salomé.  Mors  et  vila  duello,  etc. 
decx  CHtNOlNE    se  .sont  placés  auprès  du  pupitre.  Die 
tiobis.    Marin,  llC. 

madeleine,  seule.  Sepulcrum  Christi  vivenlis,  etc. 
(Arrivée  à  angki.icos  testes,  elle  montre  de  la   main 
les  anges  de  l'autel,  puis,  se  tournant  vers  te  chœur; 


855  RES  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

Credendum  magis  soli,  etc.,  et  Scimus   Chnstum 
sunexisse,  etc. 

le  choeur.  Te  Deum  laudamus. 

(Alors  les  Maries  et  les  enfants  rentrent  au  vestiaire 
pour  se  déshabiller. 

xvie  siècle. 


RES 


8S« 


France.  —  Troyes.  —  La  représentation 
figurée  des  trois  Maries  subsisiait  encore  à 
Troyes  auxvr  siècle,  d'après  le  témoignage 
des  historiens  de  cette  ville.  (Cf.  Vallkt  de 
Viriville.  Archiv.  hislor.  de  VAube;  Paris, 
1841,  in-8°,  p.  329.) 

xvn«  et  xvme  siècles. 

France. — i"  Angers. — A  Angers,  à  la  fin  du 
xvn*  siècle,  le  dimanche  de  Pâques,  subsis- 
tait encore  une  scène  ûgurée  de  la  Résur- 
rection ;  le  dialogue  ordinaire  s'échangeait 
entre  les  deux  maires-chapelains  du  chœur 
et  deux  corbeliers;  chose  très-singulière, 
en  entrant  dans  le  sépulcre,  les  corbeliers 
qui  figuraient  les  Maries  prenaient  deux 
œufs  d'autruche  enveloppés  dans  une  étoffe 
de  soie.  On  trouve  ces  détails  dans  les 
Voyages  liturgiques  en  France,  par  M.  de  Mo- 
léun  ;  Paris,  1718,  in-4n,  p.  98. 

2°  Bourges.  —  A  Bourges,  le  malin  du  di- 
manche de  Pâques,  avait  lieu  un  petit  spec- 
tacle puéril,  sous  le  nom  des  Trois  Maries 
(Cf.  Fevret,  Traité  de  Vabt*s\  qui  fut  sup- 
primé par  le  parlement. 


H 

REPRÉSENTATIONS  dramatiques. 
xi*  siècle, 

France.  —  Saint-Benoît-sur-Loire.  —  La 
Résurrection  est  l'un  des  dix  mystères  latins 
attribués  au  xir  siècle  et  même  au  xi%  que 
nous  a  conservés  le  précieux  recueil  du  xm* 
siècle  dont  on  trouvera  ici  la  description  et 
l'histoire  au  litre  de  Manuscrit  de  Saint-Be- 
noit-sur-Loire. —  [Voy.  Saint-Benoît-sur- 
Loire  {Manuscrit  de).  —  M.  O.  Leroy  en  fait 
vaguement  mention  dans  ses  Etudes  sur  les 
mystères  (Paris,  1837,  in-8°,  p.  4)  ;  M.  Ju- 
bin^i  dans  ses  Mystères  inédits  du  xv*  siè- 
cle. 

MYSTÈRE  DE    LA   RÉSURRECTION  DE    NOTRE-SEI- 
GNEUR   JÉSUS-CHRIST. 

.PERSONNAGES. 

NOTRE  -  SEIGNEUR      JÉSUS-      LA  DEUXIÈME  MARIE. 
CHRIST.  L\   TROISIÈME   MARIE. 

le  même,  sous T habit  d'un    pierre,  apôlre 
jardinier.  jean,  idem. 

DEUX  ANGES.  LE  PEUPLE. 

LA  PREMIÈRE  MARIE. 

Devant  le  sépulcre  du  Seigneur,  s'avan- 
cent d'abord  trois  frères  vêtus  de  manière  à 
représenter  les  trois  Maries,  marchant   len- 
tement et  d'un  air  désolé;  ils  chantent  tour 
,    à  tour. 

1  la  première  marie.  Hélas.!  le  saint  pasleur  a  suc- 
combé, sans  péché  et  sans  tache.  O  douloureux  évé- 
nement t 

,    la  seconde.  Hélas!  le  vrai  pasleur  est  mort, source 
de  vie  pour  les  saints.  O  mort  lamentable! 


la  troisième.  Oh  !  race  des  Juifs,  mauvaise, 
cruelle,  furieuse  ;  exécrable  population  ! 

la  première.  0  race  impie,  jalouse,  pourquoi  as-tu 
condamné  le  pieux  Jésus?  0  furie  criminelle! 

la  seconde.  Comment  le  juste  avait- il  mérité  la 
croix  ?  ô  peuple  condamné! 

la  troisième.  Ah  !  malheureuses,  que  devenir, 
veuves  de  notre  doux  maître!  Ah!  déplorable  extré- 
mité! 

la  première.  Hàlons-nous,  accomplissons  ce  qui 
nous  est  possible,  d'une  âme  dévouée. 

la  seconde.  Nous  oindrons  le  corps  très-saint  des 
plus  précieux  aromates. 

la  troisième.  Le  nard  défendra  de  toute  corrup- 
tion, dans  le  cercueil,  cette  chair  bienheureuse. 

(Elles  arrivent  dans  le  chœur,  cherchent  dans   le  sé- 
pulcre, et  chantent  ensemble.) 

les  trois  maries.  Mais  comment  ouvrir  le  sépulcre 
sans  aide,  et  qui  ôtera  la  pierre  de  l'entrée? 
(L'ange,  assis  au  dehors,  en  avant  du  sépulcre,    vêtu 

d'une  robe  blanche  dorée,  une  mitre  sur  la  tête  [elsi 

deinlulatus,]  tenant  un  branchage  delamain  gauche 

et    de  la  droite  des  cierges ,  parle.) 

l'ange.  Qui  cherchez-vous  dans  le  sépulcre,  chré- 
tiennes? 

les  femmes.  Jésus  de  Nazareth,  qui  a  été  crucifié, 
6  habitant  des  cieux. 

l'ange  ,  leur  répondant.  Chrétiennes  ,  pourquoi 
cherchez-vous,  parmi  les  morts  celui  qui  est  vivant. 
Il  n'est  pas  ici,  il  est  ressuscité,  selon  qu'il  l'avait 
dit  à  ses  disciples.  Souvenez-vous  qu'il  a  dit  en  Ga- 
lilée :  Il  faut  que  le  Christ  ait  sa  passion  et  sa  ré- 
surrection glorieuse  au  troisième  jour. 

les  femmes  regardant  le  sépulcre.  Nous  sommes  ve- 
nues éphiiées  au  tombeau  du  Seigneur,  nous  avons 
vu  assis  l'ange  de  Dieu,  et  ii  nous  a  dit  que  Jésus 
était  ressuscité  d'entre  les  morts. 

marie-madeleine,  laissant  les  deux  autres,  s'ap- 
proche du  sépulcre  et  regarde  plusieurs  fois  au  dedans. 
Oh  !  douleur!  oh  !  cruelle  angoisse!  oh!  douleur! 
Suis  je  privée  de  la  vue  du  Maître  aimé?  Hélas  !  qui 
a  enlevé  du  cercueil  ce  corps  chéri? 

madeleine.  (Elle  va  rapidement  auprès  de  Pierre 
et  de  Jean  debout,  s'arrête  devant  eux,  et  désolée  s'é- 
crie :)  On  a  ravi  mon  Seigneur,  et  je  ne  sais  où  on 
l'a  placé;  le  tombeau  a  été  trouvé  vide,  et  le  suaire 
gisant  à  côté  des  linges? 

(Pierre  et  Jean,  à  cette  nouveue,  se  précipitent  en 
courant  au  sépulcre;  saint  Jean,  le  plus  jeune,  ar- 
rive le  premier,  mais  il  s'asseoit  à  l'entrée.  Saint 
Pierre  qui  le  suit,  entre  sans  hésiter.  Jean  entre  en- 
fin. Tous  deux  sortent  bientôt.) 

jean.  Quelle  merveille  avons-nous  vue?  Le  Sei- 
gueur  a  élé  ravi. 

pierre  à  Jean.  Je  crois  le  Seigneur  ressuscité  se- 
ion  sa  parole. 

jean.  Mais  pourquoi  a-t-il  laissé  dans  le  sépulcre 
le  suaire  et  les  linges? 

pierre.  A  quoi  lui  eussent-ils  servi,  vivant,  et 
n'élaient-ce  pas  les  indices  de  sa  résurrection? 

(Ils  s'en  vont,  Marie  s'approche  du  sépulcre  en  par- 
lant.) 


marie.  Oh!  douleur!  oh!    cruelle 


oh 


angoisse: 

douleur!  Suis-je  privée  de  la  vue  du    Maine  aimé- 
Hélas  !  qui  a  enlevé  du  cercueil  ce  corps  chéri  ? 

(Deux  anges  assis  [en  dedans]    au  pied  du  sépulcre 
lui  parlent.) 

les  deux  anges.  Femme,  pourquoi  pleurcs-iu? 

marie.  On  a  enlevé  mon  Seigneur  et  je  ne  sais  où 
on  l'a  mis. 

l'ange,  au  dehors.  Ne  pleure  oas,  Marie,  le  Sei- 
gneur est  ressuscité.  Alléluia. 


857  RES  iDICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

uarig.  Mon  cœur  brûle  du  désir-do  voir  mon  Sei- 
gneur. Je  cherche  en  vain  où  on  l'a  mis.  Alléluia,! 

(On  voit  venir  alors  une  espèce  de  jardinier  qui  s'ar- 
rête à  la  porte  du  sépulcre.) 

le  jardinier..  Femme,  pourquoi  pleures-tu,  et  qui 


cherches  lui  (Jean,  xx,  13. ) 

.  marie.  Seigneur,  si  vous  l'avez  enlevé,  dites- moi 

où  vous  l'avez  mis,  et  je  remporterai.  (Ibid.,  17.) 

le  jardinier.  Marie. 

marie,  tombant  à  ses  viens.  Maître! 

jésl'3,  se  reculant  pour  tien  être  pas  touché.  Ne  me 
louchez  pas,  je  ne  suis  pas  encore  monté  vers  mon 
Père  et  le  vôtre,  mon  Seigneur  elle  vôtre. 

{Le  jardinier  disparaît,  Marie  se  tourne  vers  les  spec- 
tateurs.) 

marie.  Réjouissez-vous  tous  avec  moi,  ô  vous  qui 
aimez  le  Seigneur,  car  j'ai  vu  celui  que  je  cherchais; 
au  milieu  de  mes  larmes  auprès  du  sépulcre,  j'ai  vu 
le  Seigneur.  Alléluia. 

(Les  deux  anges  apparaissent  alors  'à  la  porte  du  sé- 
pulcre et  se  montrent.) 

les  deux  anges.  Venez  et  voyez  le  lieu  où  avait 
clé  mis  le  Seigneur.  Alléluia!  Soyez  sans  crainte; 
ne  gardez  plus  ce  sombre  aspeci ;  annoncez  Jésus 
vivant,  allez  en  Galilée,  et,  s'il  vous  est  agréable  de 
voir  le  Maître,  hâtez-vous.  Dites  néanmoins  rapi- 
dement aux  disciples  que  le  Seigneur  est  ressuscité. 
Alléluia. 

les  femmes  s'éloignant  du  sépulcre,  au  peuple  [aux 
spectateurs].  Compagnons,  voyez;  ce  sont  les  linges 
ih\  corps  bienheureux, qui  gisaient  abandonnés  dans 
Je  sépulcre  vide. 

(Elles  mettent  le  suaire  sur  V autel,  et  en  s'en  allant 
elles  chantent  tour  à  tour.) 

la  première.  Aujourd'hui  est  ressuscité  le  Dieu 
des  dieux. 

la  seconde.  En  vain  tu  avais  scellé  le  granit,  ô 
nation  juive. 

la  troisième.  Hàle-loi  de  l'unir  au  peuple  chré- 
tien. 

la  première.  Aujourd'hui  est  ressuscite  le  Roi  des 
anges. 

la  seconde.  La  multitude  des  hommes  pieux  est 
arrachée  aux  ténèbres. 

la  troisième.  La  porte  des  cieux  est  ouverte. 

(A  ce  moment,  au  lieu  du  jardinier,  apparaît  le  Sei- 
gneur, enveloppé  d'une  dalmatigue  blanche  [candida 
inlula  infulatus],  un  philactère  précieux  sur  la  tèle, 
tenant  de  la  droite  un  étendard  ou  est  peinte  la 
croix,  et  dans  la  main  gauche  le  voile  d'or  qui  enve- 
loppe le  calice.  Il  dit  aux  femmes) 

christ.  Soyez  sans  crainte,    allez,   dites  à    mes 
frères  de  se  rendre  en  Galilée:    ils  m'y  verront, 
comme  je  lo  leur  avais  prédil. 
le  choeur.  Alléluia  !  Le  Seigneur  est  ressuscité  ! 

(A  ta  fin,  TOUT  LE  MONDE  dit  .') 

Le  Christ,  Fils  de  Dieu,  est  un  lion  puissant  (Léo 
fortis,  Christus  Filius  Dei  [388*].) 
le  choeur.  Te  Ueum  laudamus,  etc 

xir  siècle. 

Angleterre  ou  Normandie.  — Le  Mystère 
de  la  Résurrection  du  Sauveur  est  tiré  du 
manuscrit  n*  72GS.  3.  3.  A,  format  in-i° 
parvo,  de  la  Bibliothèque  impériale;  le  ms. 
est  intitulé  au  dos  et  au  catalogue  :  —  Bible. 

Il  est  malheureusement  incomplet,  la  fin 
étant  pe rdue. 

L'âge  du  manuscrit,  fixé  pas  son  écriture 
au  plus  tôt  au  xne  siècle  et  au  plus  tard  au 

(*388)  Celle  expression,  usitée  dans  le  diocèse  d'Or- 
léans, se  retrouve  dans  les  rites  de  la  foie  des  Fous 
du  diocèse  de  Sens,  (L.  IL),  —  et  dans  ceux  de  la 


RES  8f58 

xur,  ne  permet  pas  de  faire  remonter  le 
drame  plus  haut  que  le  xie  siècle;  il  a  semblé 
plus  sûr  d'en  fixer  le  temps  au  xir  siècle 
seulement. 

Le  mystère  est  écrit  en  langue  d'oïl. 

M.  Achille  Jubinal  l'a  édile,  avec  une  tra- 
duction en  regard,  pour  la  première  fois  sous 
le  litre  de  la  Résurrection  du  Sauveur,  fra- 
gment d'un  mystère  inédit;  Paris,  Téeher.er, 
1834-,  in-8°  de  35  pages.  On  le  trouve,  en 
second  lieu,  dans  le  Théâtre  français  du 
moyen  âge,  publié  par  MM.  Momuerqué  et 
Francisque  Michel  (Paris,  Delloye,  1839, 
gr.  in-8");  les  seconds  éditeurs  ont  repro- 
duit la  traduction  de  M.  Jubinal,  sauf  quel- 
ques changements,  et  après  une  nouvelle 
collation  du  texle. 

Dans  son  édition  de  la  Résurrection  du 
Sauveur,  M.  Achille  Jubinal  a  déclaré  inso- 
luble la  question  de  savoir,  «  si  l'espèce  de 
prologue  ou  plutôt  ia  description  de  mise 
en  scène,  dont  [ce  mystère]  offre  le  seul  mo- 
dèle [aussi  ancien]  connu  jusqu'à  présent, 
était  chose  destinée  à  être  récitée  avant  la 
représentation,  ou  si  elle  n'a  été  ajouiée  à 
l'œuvre  dramatique  que  lors  de  sa  trans- 
cription. » 

M.  Maguin,  dans  son  cours  professé  à  la 
Faculté  des  lettres  en  1835,  considérait  le 
mystère  de  la  Résurrection  comme  composé 
en  Angleleire  et  représenté  par  des  laïques. 
(Journ.  gén.  de  l'instr.  publ.,  1"  nov.  1835, 
p.  k.)  Le  même  savant  s'est,  depuis  lors,  ar- 
rêté de  nouveau  à  l'élude  de  ce  reste  pré- 
cieux des  représentations  théâtrales  ,  non 
écrites  en  latin,  dont  on  ne  connaît  pas 
d'exemple  antérieur.  Ce  mystère  est  moins 
français  qu'anglo-normand.  Toutes  les  indi- 
cations scéntques  ont  été  ajoutées  après 
coup  et  pour  la  lecture.  Il  est  écrit  en  vers 
de  huit  syllabes  et  presque  toujours  en  ri- 
mes plates,  les  tirades  monorimes  parais- 
sant avoir  été  composées  dans  une  inten- 
tion rhythmique  déterminée.  L'âge  du  ma- 
nuscrit est  fixé  par  les  indices  paléogra- 
phiques, qui  dénotent  une  écriture  anglo- 
normande  du  xmc  siècle,  et  par  la  rencontre, 
dans  le  même  manuscrit,  d'une  ballade  re- 
lative à  Hugues  de  Lincoln,  assassiné  en 
1255,  dont  l'auteur  fait  des  vœux  pour  Henri 
III,  roi  d'Angleterre,  mort  en  1272;  mais 
la  rédaction  du  mystère  anonyme,  incom- 
plet, ne  portant  ni  le  titre  de  jeu,  ni  celui 
de  mystère,  d'une  roideur  et  d'une  conci- 
sion liturgiques  bien  éloignées  des  libertés 
prolixes  qu'on  remarque  dans  les  ouvrages 
laïques  un  peu  plus  récents,  attestent  son 
antériorité  et  en  reculent  la  date  au  moins 
aux  dernières  années  du  xir  siècle.  Le 
mystère  a  dû  être  représenté  en  dehors  d-e 
l'église,  sur  la  place  publique,  et  non  pas 
récité  ou  lu  par  quelque  trouvère,  comme 
le  prétendent  quelques  critiqués,  entre 
autres  M.  Onésime  Leroy.  (Etudes  sur  les 
mystères;  Paris,  Hachette,  1837,  in-8°,  p.  35), 
les  distiques    ou    quatrains    qui     contien- 

Résurreclion,  diocèse  de  Soissons.  —  Voy.  ci-det- 
sut,  Rites  figurés,  xie  et  xm  siècles. 


859 


RES 


nentdes  indications  scéniqucs  ayant  dû  être 
insérés  a;  rès  coup  pour  la  lecture  du  drame, 
comme  il  a  été  dit  plus  haut.  «  On  n'y  ren- 
contre aucune  plaisanterie  indécente...  tout 
au  plus  nolera-t-on  un  ou  deux  traits  de 
naïve  ignorance,  qui  trahissent  une  main 
laïque  ou  celle  d'un  clerc  peu  lettré.  Par 
exemple,  une  des  sentinelles  chargées  de  la 
garde  du  sépulcre  proteste  que  si  quelqu'un 
vient  pour  enlever  le  corps  de  Jésus, 

N'averal  membre  que  ne  li  loille, 
Jà  ne  quer  que  prestrè  me  soille. 

«  Caiphe,  le  grand  prêtre  des  Juifs,  est 
qualifié  (ïévêque. 

Veez  ci  l'evesque  Caïphas...  » 

(Journal  des  savants,  184-6,  cahier  d'août.) 

En  effet,  dans  ses  Etudes  sur  les  mystères 
(Paris,  1837,  in-8%  p.  35-39),  M.  0.  Leroy  ne 
trouvait  dans  la  jR&Hrreo/ion  du  Sauveur  rien 
d'un  drame;  c'était  une  de  ces  récitations 
comme  on  en  trouve  encore  dans  les  ollices 
de  l'Eglise,  où  l'action  n'entrait  que  pour 
très-peu  de  chose,  quoiqu'il  y  eût  «  du  na- 
turel dans  les  vers  et  de  l'imagination  dans 
le  sujet...  »  Un  peu  plus  tard,  le  même  au- 
teur, changeant  d'opinion,  avouait  dans  ce 
drame  le  premier  monument  du  théâtre 
français,  en  cela  qu'écrit  en  langue  vulgaire 
et  tombé  en  des  mains  laïques,  il  représentait 
un  point  du  développement  de  nos  mœurs, 
tandis  que  les  pièces  latines  antérieures  ne 
rappelant  que  les  traditions  ecclésiastiques, 
n'avaient  rien  des  temps  où  elles  furent 
écrites  et  représentées  dans  les  églises  ou 
les  cloîtres.  «  Un  fait  remarquable,  dit-il, 
et  qui  tient  à  l'enfance  de  l'ait,  c'est  (pie 
tout  n'est  pas  dialogué  dans  ce  mystère  ;  un 
personnage  chargé  de  la  partie  narrative  an- 
nonce le- sujet,  et  se  mêle  au  drame,  qui 
probablement  était  débité  par  plusieurs  in- 
terlocuteurs et  par  ce  narrateur.  »(0.  Leroy, 
Epoques  de  rhist.  deFr.;  Paris,  18i3,  in-8°, 
p.  71.) 

Enfin,  le  dernier  critique  qui  s'en  soit 
occupé  est  M.  Paulin  Paris,  dans  1rs  Ma- 
nuscrits j'rançois  de  la  bibliothèque  du  Roi; 
Paris,  Techeuer,  18V8,  t.  Vil,  p.  260.  «  Le 
jnorceau  curieux,  dit  cet  érudit,  a  été  pu- 
blié deux  fois  :  la  première,  par  M.  Jubinal, 
in-8',  Paris,  Techeuer,  1834;  la  seconde,  par 
M.  Francisque  Michel,  Théâtre  français  au 
moyen  âye,  gr.  in-8";  Paris,  Delloye,  1831), 
p.  10  à  20.  Les  deux  éditeurs  ont  oublié  do 
l'aire  remarquer  la  patrie  du  copiste  de  notre 
volume...  » 

M.  Magni.n,  depuis  1835,  en  avait  pour- 
tant signalé  l'origine  anglaise  ou  normande. 
Raynouard  en  toucha  quelques  mots  dans 
le  Journal  des  savants,  1836,  juin  (p.  369). 
M.  Emile  Morice,  dans  son  Etude  sur  la 
mise  en  scène  des  mystères,  jmbliée  par 
la  Revue  de  Paris,  années  1833-1834-,  et 
MM.  Chabailles  et  Dessales,  dans  V Avant- 
propos  de  leur  édition  du  Mystère  de 
saint  Cre'pin,  ont  donné  lieu,  par  leurs  er- 
reurs, à  quelques  critiques  du  détail. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  RES 

LA.  RÉSURRECTION    DU   SAUVEUR. 

PROLOGUE. 


800 


Récitons  de  celle  manière  la  sainte  résurrection. 
Premièrement ,  notons  tous  les  lieux  el  les  stations  : 
le  crucifix  d'abord  et  puis  après  le  tombeau;  il  doit 
y  avoir  une  geôle  pour  enfermer  les  prisonniers; 
l'enfer  sera  mis  île  ce  eôié  el  les  maisons  de  Parti  ré  , 
puis  le  ciel.  —  El  sur  les  sièges,  avanl  lotit,  Pilale 
avec  ses  vassaux  ;  il  aura  six  on  sepl  chevaliers,  C  ï- 
phas.de  l'autre côié;  avec  lui,  «  la  juefiei  (la  juive- 
rie,  la  nai  ion  juive). Puis  Joseph  d' A  rimncliie. Quatriè- 
mement donNiehodème.  Chacun  a  auprès  de  lui  les 
siens.  Cinquièmement  les  di>ciples  du  Cliri  t.  Sixiè- 
mement,  les  ti  ois  Maries-  —  On  pourvoir»  à  faire 
Galilée  au  milieu  de  la  place;  el  aussi  Jéimiiis 
(Emmaùs)  où  Jésus  reçut  l'hospitalité-  —  Quand  tous 
les  gens  seront  assis,  el  la  p.iix  de  tous  côtés  mise, 
don  Joseph,  celui  d'Ariuialhie ,  s'avancera  vers 
Pilaie  et  lui  parlera. 

SCENE  IV 

JOSEPH,    PILATE,   SERGENTS. 

josf.ph.—  Dieu,  qui  des  mains  du  roi  Pharaon  sau- 
va Moyse  el  Àaron  ,  suive  Pilale,  mon  seigneur,  et 
lui  donne  cl  dignités  el  honneur. 

pilate.  Hercule,  qui  ina  le  dragon  et  détruisit  l'an- 
tique Gério  i,  donne  biens  el  honneur  à  celui  qui  me 
salue  si  aimablement. 

Joseph.  Sire  Pilale,  soyez  vous  béni.  Dieu  vous 
aide  de  sa  grande  vertu  ;  ipie ,  par  sa  puissance,  il 
vous  inspire  pour  moi  de  lionne  grâce,  et  que  ce  Dieu 
omnipotent  m'accorde  voue  oreille,  votre  vouloir  cl 
voire  honte. 

pilate.  Don  Joseph,  soyez  le  bien  venu.  Vous 
devez  être  bien  reçu  de  moi  ;  certes  ce  n'est  pas  de 
moi  que  vous  douteriez :,  et  si  vous  croyez  ce  «pie 
vous  disiez,  c'esl  simplicité.  Sachez  bien  el  dûment 
que  je  vous  écoulera j  avec  beaucoup  de  douceur. 

josepb.  Beau  sire,  ne  vous  emportez  pas  si  je  vous 
parle  du  Fils  de  Marie,  de  celui  oui  esi  là  pendu. 
Vous  savez  liés  bien  qu'il  était  prud'homme  ,  el  qu'eu 
beaucoup  de  choses  il  était  d'accord  avec  le  Sei- 
gneur Dieu.  Tantôt  vous  l'avez  mis  à  mon  ,  vous 
elles  Juifs.  Aussi  devez-vous  grandement  craindre 
qu'il  ne  vous  en  résulte  de  grands  malheurs. 

pilate.  Don  Joseph  de  Ariinarhic,  je  ne  laisserai 
pas  que  de  vous  le  dire  :  les  Juifs,  en  grande  j.ilou- 
sie,  oui  accompli  ml  grand  alternat.  J'y  ai  consenti 
dans  la  visée  de  ne  pas  perdre  mon  gouverne  cent, 
car  ils  m'eussent  accusé  à  R-mie  (  <  en  Rouiantei), 
mais  quelque  jour  prochain  ,  j'en  pourrai  perdre  la 
vie. 

joseph.  Ah!  si  vous  voyez  que  vous  avez  mal  fait, 
demandez-lui  pardon;  vous  ferez  une  bonne  allai re. 
Nul  i.o  crie  vers  lui  sans  rien  avoir,  pas  même  ceux 
qui  l'ont  traîné  à  la  mort.  Mais  je  suis  venu  pour 
quelque  chose  :  donnez-moi  seulement  son  corps. 
Je  vous  en  prie  tant,  faites-m'en  la  grâce  :  j'en  ferai 
ce  que  j'en  dois  faire. 

pilate.  Bel  ami ,  qu'en  voulez-vous  faire?  Pensez- 
vous  à  le  rendre  à  la  vie?  Il  a  subi  de  bien  terribles 
angoisses;  croyez-vous  qu'il  puisse  revivre? 

joseph.  Certes,  nenni ,  beau  sire  Pilale,  et  pour- 
tant il  se  relèvera  loul  entier.  Mais,  alin  de  nie 
conformera  nos  coutumes,  el  pour  l'amour  de  Dieu, 
je  veux  l'ensevelir. 

pilate.  Il  esi  donc  sorti  de  ce  monde 

joseph.   Hélas!  beau  sire,  sans  doule. 

pilate.  C'esl  ce  que  nous  allons  à  l'instant  savoir 
par  nos  sergents. 

jose»h.  Appelez-les;  voyez-en  là  lanl. 

pilate    aux    sergents.   Hé ,  sergenls , 
vile  .  allez  toi  là  où  il  pend.  Allez  voir  le  crucilie  , 
savoir ,  oui  ou  non ,  s'il  est  mort. 


•? 


levez-vous 


811 


LES    SOLDATS 


RES 

SCÈNE  II. 


LE   CHRIST 


LONGIN     L  AVEUGLE, 

sur  sa  croix. 

«  A. ors  deux  des  sergents  sVn  allèrent, 
portant  avec  eux  des  lances  à  la  main,  et 
ils  parlèrent  à  Longin,  qu'ils  trouvèrent  sur 
le  chemin 

l'un  des  soldats.  Camarade  Longin,  veux-lu  ga- 
gner l:i  journée? 

longin     Oui,  beau  sire,  n'en  douiez  pas. 

le  soldxt.  Viens,  tu  auras  douze  deniers  pour 
percer  le  côlé  de  l'Homme. 

longin.  J'irai  très-vnlon  tiers  avec  vous,  car  j'ai 
grand  besoin  de  gagner  .  je  suis  pauvre,  j'ai  «les  be- 
soins; je  mendie  bien,  mais  ça  ne  vaut  guère. 

«  Quant  ils  furent  arrivés  devant  la  croix, 
ils  lui  mirent  une  lance  au  poing. 

l'un  des  soldats.  Prends  celle  lance  en  la  main  , 
pousse  bien  profond  el  non  en  vain.  Laisse-la  glisser 
Jusqu'au  poumon.  Nous  saurons  bien  s'il  esl  mort  ou 
non. 

«  L'aveugle  prit  la  lance  et  frappa  Jésus- 
Christ  au  cœur.  Il  en  sortit  du  sang  et  de 
l'eau,  qui  lui  tombèrent  sur  les  mains  et 
dont  il  eut  le  front  mouillé,  et  quand  il  y 
en  eut  à  ses  yeux,  il  vit  soudain  et  s'é- 
cria : 

longin.  Ali!  Jésus!  ab!  beau  sire,  ali  !  je  ne  sais  que 
dire!  Mais  quel  bon  médecin  ii'éles-vous  pus  quand 
vous  changez  voire  colère  en  pilié?  J'ai  mérité  la 
mon  envers  vous  el  vous  m'avez  fait  une  si  grande 
grâce  de  nie  faire  voir  avec  des  yeux  qui  jaunis  n'a- 
vaient vu.  Je  me  rends  à   vous,  je  vous  crie  merci. 

«  Donc  il  se  prosterna  en  pleurant,  et  dit 
tout  doucement  ses  oraisons.  Los  cheva- 
liers s'en  retournèrent,  et  parlèrent  de  cette 
sorte  : 

SCÈNE  III 

LES  DEUX  SOLDATS,  PILA  TE,  JOSEPH. 

l'un  des  soldats.  Beau  sire,  prince,  sacbez  tout 
de  point  eu  point  :  Jésus-Cbrisl  esl  bois  de  la  vie, 
nous  avons  vu  un  grand  miracle.  Ho,  beau  compa- 
gnon, ne  le  vis-tu  * 

l'autre  soldat.  Ensemble  et  tous  deux  nous  l'a- 
vons vu. 

pilate.   Silence,  sols,  taisez-vous. 

«  Alors  Pilate  se  tourna  vers  Joseph,  qui 
I  admirait,  lorsqu'il  dit  : 

pilate.  Don  Josepb,  vous  m'avez  bien  servi, 
prenez  le  corps  ,  je  vous  l'octroie. 

Joseph.  Sire  ,  c'esl  une  grâce  suprême  ,  et  si  ja- 
mais je  vous  fus  utile,  j'en  ai  beau  non. 

SCÈNE  IV. 

PILATE,  UN     DES   DEUX     SOLDATS 

«  Quand  Joseph  eut  pris  congé  et  s'en  fut 
allé  vers  Nicodôiue,  Pilate  parla  .iux  sergents, 
et  dit  à  l'un  d'eux ,  qu'il  appela  : 

pilate.  Holà,  vassal;  avance  ici.  Quel  miracle 
vis-tu  là-bas?  Dis  vite  comment  lu  avisas  ce  sur  quoi 
je  l'ai  loul  à  l'Iieure  imposé  silence. 

le  soldat.  Longin  l'aveugle,  ayant  frappé  de  la 

(389)  i  A  bon'bure  à  son  os  le  fist  >  MM.  Aeb. 
Jtibinal  et  Fr.  Mi  bel  rendaient  ce  vers  par  «  ce 
fui  lanl  mieux  pour  lui.  »  Le  sens  d'os,  audace  , 
Oser, leur  a  échappé. 

(590)  •  N'est  pas  veir  que  lu  veis  ricn...>  Quelque 
clair  que  fui  le  sens,  il  n'a  pas  clé  compris  par  les 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  RES  i'.'2 

lance  le  cô:é  de  ce  pendu,  prtj  du  sang  ci  le  mil  à 
ses  veux,  et  son  audace  lui  porta  chance  (3î>9),  car 
auparavant  il  était  aveugle  et  maintenant  il  voit. 
Aussi  ce  nVsl  pas  merveille  s'il  croil  en  Jésus-t  brisl. 

PILATE.  Tais-loi,  vassal!  Désormais  que  nul  n'en 
parle.  C'esi  pu  e  imagination  ,  el  n'y  rioyea  ras.  Je 
donne  ordre  que  de  snile  on  prenne  Longin  el  que  du 
mêmepason  lemelie  sous  clef. Eli  vile,  allez,  mettez- 
le  eu  prison,  et  qu'on  ne  le  voit  nulle  part  prêcher 
un  tel  sermon. 

«  Alors  on  alla  vite  à  Longin,  là  où  il  s'était 
mis  à  terre,  la  tôte  inclinée. 

SCÈNE  V. 

SOLDATS,     LONGIN. 

Çà ,  l'ami,  çà.  Tu  vas  venir  en  prison,  tu  auras 
un  mauvais  bôtel  aujourd'hui.  Il  n'esi  pas  vrai  que 
lu  n'y  voyais  rien  (3911),  c'élail  mensonge,  nous  le 
savons  bien.  Parceqne  lu  crois  on  un  pendu  ,  lu  dis 
qu'il  l'a  rendu  la  vue. 

longin.  El  vraiment,  il  m'a  rendu  la  vue,  et  je 
crois  parfaitement  eu  Jésus-Christ.  Cet  les,  je  crois 
en  lui  :  Qu'y  a-l-il  la?  car  il  esl  Seigneur  ei  Koi  du 
ciel. 

un  autre  soldat.  Déjà  vous  avez  mal  parié  ,  et 
maintenait!  c'est  pis  ;  pour  cela  vous  irez  en  prison. 
Marchez  de  snile,  bientôt  vous  y  serez, 

longin.  Ma  foi!  j'en  suis  content  el  joyeux. 


«  Arrivés  à  la  geôle,  on  lui  dit  : 

le  soldat.  Entre  là- dedans.  Tu  n'en  sortiras  que 
pour  perdre  tout  f.e  que  In  as,  les  membres  el  la  vie, 
si  tu  ne  renies  le  fils  de  Marie. 

longin.  Le  fils  de  Marie  esl  Roi  el  Seigneur  ;  je  le 
crois  bien  ,  el  je  veux  bien  îe  dire.  Je  lui  recommande 
ma  vie,  el  peu  m'importe  ce  qu'aucun  de  vous  peut 
dire. 

SCÈNE  VI. 

JOSEPH,     NICHODEM. 

«  Durant  cela,  le  preux  Joseph  était  allé 
vers  Nichodem. 

josepii.  Don  Nichodem ,  venez  avec  moi.  Allons 
dépendre  noire  Roi.  Pas  un  mol  contre.  Toul  mort 
qu'il  esl,  il  nous  sera  encore  ne  bon  secours  Portez 
des  tenailles  et  un  marteau  pour  arracher  les  clous. 
Quiconque  aura  fait  honneur  à  Jésus-Chrisl  en  re- 
cevra quelque  chose,  soyez-en  sûr.  C'est  pourquoi, 
bel  ami,  dépêchons.  El  si  lu  veux,  faisons  lui  l'hon- 
neur de  déposer,  comme  il  convient,  son  corps  dans 
un  tombeau. 

nichodem.  Sire  Joseph ,  j'ai  bien  vu  que  le  Sei- 
gneur qui  esl  là  pendu  fui  un  sainl  homme,  el  voire 
un  prophète,  plein  de  Dieu  et  de  grande  vertu.  II 
me  le  lit  bien  connaître,  quand  je  fus  vers  lui  pour 
m'inslruire;  et  cependant  je  n'ose  pas  me  risquer  à 
aller  le  dépendre  avec  vous,  quelque  convoitise  que 
j\.ie  de  lui  rendre  un  grand  service.  Mais  je  crains 
lanl  la  justice,  que  je  n'ose  le  faire  en  aucune  façon. 
Ton  el'ois  j'irai  bien  avec  vous  vers  Pilate, el  quand 
je  l'aurai  entendu,  je  ferai  plus  tranquillement  ce 
qu'il  faut  (391). 

josepu.  Venez  à  l'instant ,  je  vous  mènerai  chez 
lui. 

SCÈNE  VII. 

J09EPH,    NICHODEM,   PILATE,    VALETS. 

«  Ils  s'en,   vont  tous  deux,  ensemble  vers 

précédents  traducteurs  qui  ont  rendu  ainsi  ce  pas- 
sage. :  i  11  n'est  pas  vrai  que  tu  vis  quelque  chose. 
C'esl  un  mensonge..,  >  eic. 

(391)    ♦  Plus  seulement  idunl  le  frai.  >   Idunt , 
cloneum;  ce  qu'il  faut. 


t"> 


C3 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


Pilale,  et  deux  vaietsavec  eux,  l'un  ponant 
ies  outils,  et  l'autre  la  boile  à  onguents. 

joseph,  avec  Pilale.  Sire,  il  me  faut  un  compa- 
gnon ,  el  je  ne  yiiis  en  avoir  un  que  par  vous.  Dites 
à  celui-ci  d'avoir  confiance  el  d'aller  avec  moi  bans 
crainle. 

pilate.  Vous  pouvez  y  aller,  bel  ami.  11  n'en  sera 
rien,  au  plus.  Allez  donc  hardiment,  je  serai  votre 
garant  partout. 

SCÈNE  VIII. 

JOSEPH,    NICODEME,    LES    VALETS. 

«  Arrivés devantla  croix,  Joseph  criaàvoix 
haule  : 

joseph.  Ali  !  Jésus,  fils  de  Marie,  vierge  sainle, 
douce  et  pieuse!  quelle  grande  trahison  (il  Judas,  et 
diiis  son  audace  quelle  grande  folie,  de  l'avoir  ven- 
du par  ambition  à  les  ennemis  ! 

mchcdem.  Son  âme  y  a  succombe,  quand  lui- 
même  s'est  ôlé  la  vie.  Ces  misérables  Juifs,  mes 
propres  parents,  peuvent,  non  moins  que  Judas, 
être  désespérés,  car  ils  sont  plus  infortunés  que  tous 
autres.  Aussi  vrai  que  lu  ne  mens  pas... 

«  Nicoilôme  prit  ses  outils  et  don  Joseph 
lui  dit  alors  : 

joseph.  Allez  aux  pieds  d'abord. 
nichodem.  Volontiers,  sire,  et  doucement. 
joseph.  Moulez  aux  mains,  ôlez  les  clous. 
nichodem.  Eli!  seigneur,  de  tout  mon  cœur,  tous 
les  deux. 

«  Quand  Nicodème  eut  fini,  il  dit  a  Joseph 
qui  souleniit  le  corps  : 

nichodem  Doucement,  prenez-le  enlre  vos  bras. 
joseph.  Oui,  c'est  ce  que  je  fais. 

«  Ils  descendirent  le  corps  avec  soin,  et 
Joseph  (iit  au  valet  : 

joseph.  Donnez-moi  là  les  onguents,  nous  en  oin- 
drons tout  ce  corps. 

«  Tandis  qu'on  donnait  l'onguent,  Nico- 
dème dit  tout  haut  : 

nichodem.  Ah!  Dieu  tout-puissant!  le  ciel  el  la 
terre  et  l'eau  ei  le  vent,  tout,  sans  faute,  est  sou- 
mis à  ion  commandement,  (oui  ainsi,  hormis  sur  la 
terre  les  méchantes  gens  qui  ont  mis  celui-c.  aux 
tourments,  qui  l'ont  sans  jugement  livre  à  la  mort. 
Un  jour  la  vengeance  viendra;  mais  tu  es  un  Sei- 
gneur bien  patient  !..  Accorde-nous  d'inhumer  di- 
gnement ce  saint  corps. 

«  Le  corps  oint,  ils  le  mettent  dans  la 
bière. 

nichodem.  Seigneur  Joseph,  vous  êles  l'aîné  :  allez 
à  la  têie,  je  vais  aux  pieds.  Allons  vile  l'ensevelir. 
Avez  vous  quelque  lieu  où  le  déposer9 

joseph.  J'ai  un  très-beau  sépulcre  de  pierre  tout 
neuf;  allons-y  sur-le-champ.  Nous  l'enterrerons  là- 
dedans. 

SCÈNE  IX. 

CAÏPHE,    P1LATE,    SOLDATS,    LÉV1  ,    PRÊTRE 
JUIF. 

«  Quand  il  fut  en  terre  et  la  pierre  mise, 
Caïphe  s'ètnnt  levé,  dit  : 

caïpiie.  Seigneur  Pilale,  écoulez  mon  avis  :  j'au- 
rais tort  de  ne  pas  parler.  Le  traître  Jhésu-Crisf, 
le  tricheur  qu'on  pcndil  là  comme  un  larron,  osait 
dire  de  son  vivant  (ce  que  plusieurs  croient  à  tort) 
qu'il  ressusciterait  le  troisième  jour.  Mais  bien  fou 
qui  y  croit.  Faisons  garder  le  sépulcre,  pour  que 
les  siens  ne  viennent  pas  l'enlever,  car  ils  iraient 
prêcher  partout  et  annoncer  dans  le  pays  qu'il  est 


vivant  et  ressuscilé,  ceia  donnerait  lieu  aux  peureux 
de  croire  des  sottises;  car  s'il  en  était  ainsi,  il  n'y 
aurait  rien  de  plus  mauvais. 

px.vte.  Vous  avez  raison,  ce  me  semble. 

«  Là-dessus,  un  des  sergents  se  leva  et 
parla  ainsi  à  Pilale. 

un  certain  soldat.  Si  l'on  veut  m'en  donner  le 
soin,  je  garderai  le  sépulcre,  et  si  par  aventure  quel- 
qu'un des  siens  venait  pour  l'enlever,  il  ne  s'en  re- 
tournera pas  sans  se  plaindre,  il  n'aura  membre  sain 
el  peu  m'importe  l'absolution  d'un  piètre. 

«  Trois  autres  se  levèrent  et  parlèrent  ainsi 
au  premier  : 

un  autre  soldat.  Beau  compagnon,  nous  irons 
avec  vous  et  nous  garderons  le  sépulcre;  nul  n'y 
viendra  sans  eue  pris,  nul  n'enlèvera  rien  à  nuira 
insu. 

le  troisième.  Allons  y  tout  de  suite  hardiment 
el  gardons  bien  le  tombeau.  S'il  en  vient  un  pour 
l'enlever,  nous  lui  ferons  avoir  grand'peur. 

un  quatrième.  Par  la  foi  due  à  Pilale,  s'il  vient 
quelqu'un  pour  nous  attraper,  je  lui  paierai  quinze 
si  bons  coups  que  du  premier  je  P étendrai. 

pilate.  Ce  serment ,  le  tiendrez-vous  de  bonne 
foi  ?  Si  quelqu'un  est  assez  hardi,  si  à  la  vesprée 
quelqu'un  vient  ici  épier  el  guetter  le  moyen  d'en- 
lever le  corps,  qu'il  l'ait  avoué  ou  lent**,  jurez-moi 
ici  que,  quel  qu'il  soit,  petit  ou  grand,  (sauve  la  ga- 
rantie des  princes),  vous  le  prendrez  parmi  vous,  et 
sitôt  pris,  vous  nous  l'amènerez.  Jurez  loyalement. 
Où  e^t  le  livre  ?  qu'on  l'apporte. 

«  On  vit  alors  un  prêtre  nommé  Lévi  avec 
la  loi  écrite  de  Moïse  : 

lévi.  Voici  la  loi  de  Moyse,  telle  que  Dieu  la  lui 
dicta.  Elle  comprend  los  dix  commandements.  Que 
celui  qui  se  parjurerait  se  taise. 

caïphe.  Maintenant  jurez  tous  sur  la  loi  de  tenir 
tout  ce  qui  a  élé  dit. 

un  des  soldats.  Par  la  loi  ci-présente,  si  quel- 
qu'un vient  mystérieusement,  je  m'efforcerai  de  le 
prendre,  selon  mon  pouvoir,  el  de  vous  le  rendre. 

un  autre.  Par  la  grande  vertu  de  celte  loi,  je 
tiendrai  sûrement  ce  qui  est  dit. 

le  troisième.  Je  le  tiendrai  s'il  plaît  à  Dieu,  par 
la  sainle  loi  ci-présenle,  et  si  elle  m'est  en  aide. 

caïphe.  Quant  à  moi,  je  le  tiendrai  si  bien,  que 
j'irai  avec  vous  el  vous  guiderai  en  cette  affaire.  (.4 
Pilale.)  Consentez-vous,  seigneur? 

pilate.  Volontiers,  seigneur  Caïphe. 

SCÈNE  X. 

«  Comme  ils  s'en  allaient  tous  ensemble, 
quelqu'un  leur  parla  : 

quelqu'un  regardant  sur  le  chemin  Où  allez -vous 
en  si  grande  hàle  ? 

un  des  soldats.  Nous  allons  garder  le  tombeau 
de  Jésus,  qui  est  enseveli  et  qui  a  dil  qu'il  ressusci- 
terait le  troisième  jour. 

le  même.  Pilate  l'a  donc  commandé? 

un  autre  soldat.  Oui,  en  vérité,  sachez-le.  Voi- 
ci le  grand  prêtre  Caïphe  qui  vient  avec  nous  de  ce 
pas  el  qui  nous  commandera.  A  présent  vienne  qui 
voudra. 

«  Caïphe  les  ayant  amenés,  leur  fit  ces 
recommandations  : 

caïphe.  Vous  êtes  enfin  au  tombeau,  gardez-le 
avec  soin.  Si  vous  dormez  et  qu'on  vous  ravisse  le 
corps,  jamais  nous  ne  serons  bons  amis...» 

(  La  fin  est  perdue.  ) 

xur*  siècle, 
Allemagne.  —  Neubourg.  —  «  Il  y  a  aans 
un  manuscrit  du  chapitre  de  Neubourg  un 


605 


MES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


860 


Jeu  paschal,  dont  le  manuscrit  date  au 
moins  du  xme  siècle,  et  qui  expose  la 
Résurrection  du  Seigneur  en  vers  élégants 
et  avec  une  action  dramatique. 

«  Commencement  : 

«  D'abord  s'avance  Pi.ate. 

«Etant  entré,  il  s'asseoit  dans  un  lieu 
préparé  d'avance. 

«  Ensuite....  les  prêtres  cnantent  :  «  0 
«  Seigneur,  nous  avons  gardé  bonne  mé- 
«  moire  de  ces  paroles  de  la  foule;  le  sé- 
«  ducteur  avait  coutume  de  dire  :  Je  veux 
«  ressusciter   sous    trois  jours..-.  » 

«  Pilate  répondra  :  «  Selon  ce  que  veut  la 
«  discrétion,  »  etc. 

«  A  la  (in,  tout  le  peuple  ayant  vu  le  Sei- 
gneur, le  chantre  entonne  :  Christ  der  ist 
erslanden.  » 

(  Dom  Bernard  Pez,  Thésaurus  anecdotor. 
noviss.,  Augustœ  Vindelicor.,  6  vol.  in-fol., 
t.  II,  1721,  Dissertât,  isngogica,  p.  lui.  ) 
xnie  siècle  {suite). 

Allemagne. — Saint-Florian.  —  Dom  Ber- 
nard Paz  (Thesaur. anecdotor. nov.;  Aug.  Vin- 
dcl.,6  vol. in-fol.,  1. 11, 1721. Dissertât,  isagog., 
p.  lui)  signale  ainsi  une  scène  figurée  de  la 
Résurrection  pratiquée  dans  le  monastère 
de  Saint-Florian  à  la  fin  du  xmc  siècle. 

«  Dans  les  notes  du  chapitre  xxm  de  la 
Vie  de  la  vénérable  recluse  Wilburge  ou 
AVilbirge  éditée  par  nous  (  1715,  Augustœ 
Vindelicor.,  in-V°  ),  nous  avons  été  d'avis 
que  le  Jeu  paschal  auquel  la  vierge  de  Dieu 
regrettait  si  vivement  de  ne  pouvoir  assister, 
ne  pouvait  être  qu'une  de  ces  scènes  dra- 
matiques relatives  à  la  glorieuse  Résurrec- 
tion du  Chri.st,  et  analogues  à  celles  de  la 
Nativité  et  de  la  Passion  que  l'on  représente 
aujourd'hui  en  tant  de  lieux  divers...  » 

On  lit  dans  la  Vie  de  sainte  Vilburge  : 

«  Une  nuit  du  dimanche  de  la  Résurrec- 
tion, comme  le  clergé  et  le  peuple  jouaient 
dans  le  monastère  le  Jeu  paschal,  la  sainte, 
empêchée  d'y  assister,  fut  prise  du  vif  désir 
de  recevoir  de  Dieu  quelque  gulce  spéciale 
ou  milieu  des  réjouissances  par  lesquelles 
on  célébrait  la  Résurrection...  » 
xnc  siècle, 

«  On  trouve  h  la  Bibliothèque  royale  une 
pièce  manuscrite  portant  :  «  Charles...  a 
«  nos  amez  et  féaux  les  gens  de  nos  comptes 
«  à  Paris....  nous  vous  mandons  que  la 
«  somme  de  soixante  francs  d'or,  que  nous 
«  avons  receuz  comptant  de  Taque  Hemon 
«  gênerai  receveur  des  aides  ordennés  pour 
«  la  guerre...  les  avons  donnés  et  fait  bai)- 
«  1er  et  distribuer...  assavoir  quarante 
«  francs  à  certains  chapelains  et  clercs  de  la 
«  Sainte-Chapelle...  lesquels  jouèrent  de- 
«  vaut  nous  le  jour  de  Pasques  nagaires 
«  passé  le  jeu  de  la  Résurrection  Notre- 
«  Seioelr,  etc.,  du  5  avril  1390.  »  (Jour- 
nal des  Savants,  1836,  juin,  art.  de  .M.  Ray- 
nolard  sur  le  Mijsl.  de  saint  Crcspin, 
p.  309,  note  2.  ) 

xv*  siècle, 

Le  mystère  de  la  Résurrection  ac  Nôtre- 
Seigneur    est    tiré    d'un    manuscrit    de    la 


Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  à  Paris. 

Il  date  du  xv'  siècle. 

Il  a  été  mentionné,  pour  la  première  fois, 
dans  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  :  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière. 
(Dresde,  Michel  Groell,  1708.  in-8°,  3  vol. 
t.   I",  p.  30.) 

M.  Jubinal  l'a  publié  dans  ses  Mystères 
inédits  du  xve  siècle.  (  Paris,  Techcner,  1837, 
in-8°,  2  vol.,  t.  1",  p.  312-381.) 

I.  Le  mystère  débute  par  une  invocation 
h  la  sainte  Vierge: 

Eh  royne  et  mère  clamée 
Des  anges  servie  et  aînée 
Comme  non  pareil  de  value... 

Braves  gens,  écoutez  et  regardez  bien.  Dans  ce 
pieux  speciacle,  dirigé  contre  Salan,  vous  allez  voir 
la  vraie  mère  du  monde,  celle  qui  sans  tache  et 
sans  douleur  porta  le  Juste  crucifié,  celle  de  qui 
voudrait  être  née  toute  créature,  la  reine  acclamée 
de  la  fortune,  la  mère  de  la  nature,  qu'adorent  et 
que  servent  seuls  les  anges.  Si  j'ai  bien  dit,  saluez-la 
tous  de  ce  salut  sauveur  pour  nous  que  Gabriel 
prononça  en  lui  révélant  les  voloniés  de  Dieu,  et 
disons  à  genoux  en  son  honneur  un  Ave  Maria. 

In  pruteipio...  Gènes,  c.  1.  Dieu  a  le  premier  for- 
mé le  monde,  selon  les  récits  de  la  Genèse,  et  David, 
dans  ses  psaumes  a  dit:  lpse  dixit  et  facta  sunt, — 
Mandavit  et  creata  sunt.  Il  fil  Adam  d'un  peu  de  terre, 
connaissant  qu'Adam  retournerait  à  la  terre;  il  le 
plaça  dans  le  paradis  et  fil  Eve  d'une  des  côtes  d'A- 
dam. Eve  fil  le  mal  d'Adam,  elle  le  tourmenta  tant 
pour  le  fruit  défendu  qu'Adam  en  prit  enfin,  en 
mangea;  et  celle  désobéissance  fut  pendant  cinq 
mille  ans  la  cause  de  la  chuie  en  enfer  de  lous  les 
nommes  et  des  meilleurs,  de  ceux  mêmes  à  qui  Dieu 
avait  laissé  connaître  qu'un  jour  son  Fils  les  rachè- 
terait. 

Je  vous  en  prie  de  tout  mon  cœur,  écoulez  de 
bonne  volonté  mes  paroles,  car  lout  ce  que  je  vous 
dis  est  traduit  du  latin  en  fiançais. 

Rraves  gens,  voici  de  grandes  vérités.  Aussilôt 
que  le  Fils  de  Dieu  eut  élu  pour  mère  et  pour  amie 
la  Vierge  dont  il  naquit,  il  prit  chair  dans  son  sein; 
c'est  ce  que  le  prophète  Jérémie  avait  annoncé  en 
ces  termes  que  j'abrège  :  Malgré  la  mort  de  l'homme, 
la  vie  s'échappera  du   milieu  des  morls,  par  l'effet 

de  la  pitié L'homme   ressuscitera  après  sa  mort, 

cl  on  le  verra  vivant  dehors  du  lombeau.  Celte  pro- 
phétie s'appliquait  évidemment  à  notre  salut. 

Ce  prologue  se  termine  par  l'annonce  des  scènes 
principales  du  mystère.  , 

IL  La  première  est  celle  de  la  Créa- 
tion. 

Dieu  apparaît  et  ouvre  l'action  :  «  J'ai 
tout  fait  déjà  autour  de  moi  :  le  ciel,  la 
terre,  la  mer  immense,  les  étoiles,  le  soleil, 
la  lune;  j'ai  rempli  le  monde  d'animaux, 
d'oiseaux,  de  poissons,  j'ai  donné  des  noms 
à  toutes  choses  ;  il  ne  me  reste  à  faire  que 
l'homme  et  la  femme,  et  mon  œuvre  sera 
entière.  Faisons  l'homme  d'abord  et  ensuite 
la  femme.  » 

Adam  est  étendu  par  terre  et  caché  sous 

une  couverture.  Dieu   le   fait  lever Le 

premier  homme  remercie  Dieu  et  s'endort. 
Le  Créateur  fait  lever  Eve  à  son  tour,  la 
donne  à  Adam  et  les  place  dans  le  paradis. 
Le  diable  Bclgibus  conseille  à  Eve  de  goû- 
ter du  fruit  défendu,  Adam  et  Eve  sont 
séduits,  mais  aussitôt  le  crime  commis,  le 
premier  homme  s'écrie  :  «  Hélas  !  hélas  !  que 
m'as-tu  fait  faire?...  Où  aller?  J'ai  offensé 


867 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


809 


mon  Seigneur,  j'en  mourrai.  Je  ne  vois  que 
trop  mon  crime.  »  Dieu  les  appelle  et  les 
chasse.  Adam  exprime  sa  douleur  en  ces 
termes  étranges  :  «  Doux  Jésus-Clu  isl,  tu  me 
v  l'avais  dit,  mais  j'ai  méprisé  tes  commande- 
ments... Hélas,  Sire,  ayez  pitié  de  moi.  »  — 
L'un  et  l'autre  disparaissent  en   enfer. 

III.  Le  sujet  de  l'action  change  brusque- 
ment. Caiphe  et  Pihte  font  entourer  de  gar- 
des le  saint  sépulcre. 

IV.  Adam,  Eve,  saint  Jean-Baptiste,  Noël 
retenus  eu  enfer,  implorent  le  secours  de 
Jésus.  Les  démons  s'émeuvent  de  ces  cris  ; 
et  déjà  le  Seigneur,  levé  «  du  tombel  », 
frappe  aux  portes  du  noir  séjour. 

V.  Notre-Dame  se  plaint  à  saint  Jean  l'E- 
vangélisle,  aux.  trois  Maries,  des  conditions 
terribles  dans  lesquelles  s'est  accompli  le 
mystère  de  sa  maternité  tout  ensemble 
douloureuse  et  glorieuse.  Tous  se  rendent 
au  saint  sépulcre. 

•  VI.  Les  gardes  du  tombeau  s'entre-qucrel- 
.ènl,  se  reprochant  aux  uns  les  autres  d'avoir 
manqué  de  vigilance. 

Vil.  Dieu  apparaît  aux  trois  Maries.  Ma- 
delaine  s'écrie  : 

Toutes  m  sanz  feindre  depuis 
Qu'il  le  nous  a  ainssy  chargié 
lirons,  qnaiil  c'est  par  sou  congié 
Sa  résnreccion  ammssaut 
En  général  ei  exaussanl  ; 
E    vous  prie  que  pour  l'evellance 
De  s;1  loenge,  sans  cillancc, 
Nous  csmovons  sans  larder  plus, 
Chantent  :  Te  Deum  laudamus. 
Amen! 

Yoij.  Sainte  Geneviève  [Manuscrit  de). 
xve  siècle. 
Il  subsiste  deux  éditions  imprimées  à  la 
fin  du  XVe  siècle,  de  deux  mystères  diffé- 
rents de  la  Résurrection. 

Le  premier,   de  l'édition   de   li8G,  porte 
le   nom  de  Jean  Michel  qui   l'a   remanié. 
Le    second    est    considéré    comme    une 

(392)  M.  E  ielesiantl  Duméril  signale  comme  dra- 
matiques cpi. tire  peiiis  dialogues  ue  la  Résurrection, 
appartenant  au  xi'  siècle,  et  conservés  dans  1rs  ma- 
uiiscrils  de  la  Bibliothèque  Impériale,  nos  9v)i),  loi. 
%l,  verso,  11-20,  loi.  20,  verso,  rliO,  fol.  50,  verso, 
et  Su  peinent  latin,  n»  1S *,  loi.  171),  recto  (Missel 
de  Cnrbie). 

Du  xiie  siècle,  on  trouve  encore  une  Résurrection 
dans  un  manuscrit  de  la  liiiiliollièque  de  Vienne 
(Cf.  Denis,  Càdiceê  m.inuscr.  tlieolugtci  Bibl.  Paint. 
Vindubonensis,  l.  Il,  col.  2100);  une  autre  dans  un 
inanusciii  conservé  à  Einsiedeln,  n°  79.  publiée  par 
Mono.  [Schauspiele  des  .Mittclal  ers,  l.  Ier,  p.  12.) 

Le  xme  sic.  le  Fournil,  outre  les  pièces  ci-publiees, 
un  office  de  la  Résurrection  selon  l'usage  de  l'église 
canoniale  de  Dlosler-Neubonrg,  publié  par  Vurz 
(OEsierieicli  miter  Herzog  Albrechl  IV,  T,  II,  p. 
425-427);  un  office  du  Sépulcre,  publié  par  Monc 
(Schausp.  T.  L  p.  15),  d'après  le  manuscrit  de  la  hi- 
1  liolhèqiie  d'Einsiedeln ,  n"  3U0,  ei  reproduit  par 
M.  Cdelestand  Duinéril  dans  ses  Origines  la.ines  du 
théâtre  moderne  (Paris,  1849,  in -8°,  p.  101);  un  can- 
tique dialogué  de  la  Résurrection.  (Ci.  Mone,  ib.,  i.  11, 
p.  19.) 

M.  l'abbé  Desroches,  dans  son  Histoire  du  mont 
Sainl-Micliel,  i.  Il,  p.  10b  107,  a  publié,  d'après  un 
manuscrit  du  \iv<  siècle,  de  la  bibliothèque  d'Âvran- 
ches,  n»  inier.  14  et  exler.  2524.  un  Office  du  Sé- 


ceuvre  originale  de  ce  même  Jean  Michel. 
L'un  et  l'autre  appartiennent  au  mystère 
de  la  Passion,  et  n'en  sauraient  être  sépa- 
rés, quoiqu'ils  aient  été  représentés  à  part. 
On  trouvera  l'.malyse  du  premier,  d'après 
les  frères  Parfait,  au  titre  de  la  Passion.  M. 
Louis  P;nis  (Toiles  peintes  et  tapisseries  de 
la  ville  de  Reims  ;  Paris,  1843,  in-i0,  2  vol., 
t.  I",  p.  385-605)  a  donné  aussi  l'analyse 
de  ce  mystèie.  Il  remarque  que  ce  n'est  que 
la  reproduction  du  récit  de  l'Evangile,  et 
que  le  travail  est  excessivement  médiocre. 
xvie  siècln  (suite). 

Onfai>aitVopieren  1337a  Saint-Pierre d'isle 
le  Jeu  de  la  Résurrection,  moyennant  trois 
sous  (Tabul.  S.  Pet.  insul.,  dans  Du  Cange, 
Gloss.  ve.t ,  et  med.  lat.,  v°  Ludus  Chrisli, 
édit.  Henschell;  Paris,  Didot,  18i5,  in-fol., 
G  vol.,  L  IV.  p.  157.) 

De  Beauehamps  (Recherches  sur  les  théâ- 
tres de  France;  Paris,  1735,  in-8°,  3  vol., 
t.  1",  p.  2-28)  mentionne  «  la  Résurrection 
de  Notre-Seigneur  par  personnages,  par  Eloi 
Constantin,  2  vol.  m-k"  (392).  » 

Il  nous  reste,  pour  compléter  cet  article, 
à  reproduire  le  mystère  de  la  Résurrection 
qui  a  Jean  Michel  pour  auteur  au  xv'  siè- 
cle; nous  en  empruntons  l'analyse  aux 
frères  Parfait.  (Hist.  du  théâtr.  français  ; 
Paris,  15  vol.  in-12,  1735,  t.  II,  p.  512- 
532.) 

MYSTÈRE  DE   Là    RÉSURRECTION  (393). 

S'ensuit  le  Mistcre  do  la  Résurrection  de 
Nostre-Seigneur  Jésu-Crist,  de  son  Ascen- 
sion, cl  de  la  Pcnlhccousle  :  duquel  est  ;  re- 
miercment  à  noter  qu'il  doit  durer  troys 
jours  ;  et  commencera  le  premier  Jour,  Jesn- 
Crist  estant  en  la  Croix,  qui  finira  quant 
les  Femmes  auront  acheté  des  oignemens  , 
cl  seront  retournées  de  chez  l'Àpoticaire 
devers  Nostre-Dame. 

Nous  laisserons  le  prologue,  qui  ne  con- 

pulcre. 

Un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Vienne,  datant 
du  xve  siècle,  n°  2054.  contient  une  Visilatiôseput- 
criinnoele  paschati.  (Cf.  Denis,   Codices  manusxripli 

theolog.  Ribliotli.  Palatinœ  Vindobon.;  t.  11,  col. 
2054.) 

En  1549,  à  Bciliuue,  furent  représentées,  le  jour 
de  la  Fêle- Dieu,  les  Trois  Maries.  (Cf.  Lafo.ns-Mi.l!- 
cocq,  Ann.  archéo!.,  I.  VIII. 

(303)  Ce  mystère  est  entièrement  de  la  composi- 
tion (la  docteur  Jean  Michel,  nalif  d'Angers,  ci  fut 
représenté  dans  celte  ville,  devant  le  roi  René, 
comme  nous  rapprenons  par  le  lilre  de  l'ouvrage, 
que  voici  :  «  C'est  le  Mistere  de  la  Résurrection  de 
N.-S.  Jes.-Crisl,  imprimé  à  Paris...  Cy  liuisl  le  Mis- 
lére  de  la  Résurrection  de  M. -S.  Jhésu  Crist,  com- 
posé par  Ha i sire  Jehan  Michel,  et  joué  à  Ângicrs 
Iriuinpbammenl  devant  le  Roy  de  Cécile,  imprimé  à 
Paris  pour  Antho'me  Verar.l  Libraire,  demonrant 
sur  le  Pont  Nostre-Dame  à  l'enseigne  de  Sainet  Je- 
han rtvangéliste,  ou  au  Palais  au  premier  pilier  de- 
vant la  Chapelle  où  l'en  chante  la  Messe  de  Messev- 
gneurs  les  Président  »  (Bibtiutiicque  du  Ro>).  )  C'est 
un  in-fol.  de  153  feuillets,  ou  200  pages  à  deux  co- 
lonnes, chacune  de  4-2  lignes,  ce  qui  peut  composer 
environ  vingt  mille  vers.  Gotliiq.  Ce  mystère  se 
trouve  aussi  manuscrit  sur  vélin,  avec  des  miniatu- 
res. (Bibl.  du  Roy.) 


809 


RES 


t.ent,  suivant  l'ordinaire,  que    l'argument 
de  la  journée  qu'on  va  représentai?  (3%). 

PREMIER    JOUR. 

«  Lucifer,  effrayé  des  cris  de  joie  des  Pè- 
res des  Limbes  (395,,  songe  à  la  sûreté  de  son 

inrder 


empire,  et  ordonne  à  Cerbérus  d'en 
soigneusement  l'entrée. 

llcy  l'Ame  de  Jésus,  vesluè  de  blanc  ("96l  estant  près 
de  sa  Croix,  se  agenoitle  devers  Paradis  el  dit  les 
mains  jointes  ce  qui  s'ensuit.) 

l'âme. 

Créateur  de  toute  nature, 

Mon  Dieu,  mon  l'ère,  et  mon  Seigneur, 

Qui  m'a  voulu  faire  Pollueur 

i>  estre  au  corps  de  Jésus  posée  : 

Où,  pas  ne  nie  suis  reposée 

Longuement,  sans  adversité. 

Je  te  mereye,  en  vérité, 

De  ma  noble  céaeion, 

El  de  ce  que  ma  Passion 

De  mon  corps  j'ay  eu  pacience; 

Et  de  la  divine  science 

Que  m'a  daigné  communiquer; 

Et  de  ce  que,  sans  répliquer, 
;Mon  corps,  qui  gist  maintenant  mon, 
{A  eu  victoire  de  la  mort, 

Maulgré  le  Dyahle,  et  son  envie. 

«  Dieu  le  Père  ordonne  à  ses  anges  d'aller 
chercher  l'âme  de  Jésus;  pendant  ce  temps- 

(394)  Le  tumulte  el  le  bruit  que  chacun  faisait 
avaisKtL  prendre  place  étaient  cause  qu'on  perdait  le 
commencement  de  la  pièce,  et  qu'on  prêtait  peu  d  at- 
tention au  prologue,  que  les  auteurs  ne  composaient 
guère  que  pour  donner  aux  spectateurs  l«'  loisir  de 
se  ranger.  C'est  ce  que  nous  avons  remarqué  au 
commencement  de  la  seconde  fournée  du  mystère  de 
la  PasuioH,  où  il  est  marqué,  qu'après  le  prologue  : 
<  la  Fille  île  la  Chaiianée  pourra  commencer  ia  jour- 
née en  parlant  comme  une  démoniacle,  jusqu'à  ce 
que  bonne  silence  fusl  faicte.  i 

(59N)  «  Icy  chantent  Veni  Hedcmptor  Genchim.  i 
(396)  Nous  avons  dit,  secl.  vu,  de  la  Moralité  du 
Pien-Adrisé  et  M  al- Ad  visé  que  l'on  représentait  les 
âmes  bien  lieu  reuses  vêtues  de  blanc,  el  celles  des 
damnés  sous  un  habillement  noir  ou  rouge  :  en 
voici  la  preuve. 

(597)  Voir  la  note  précédente. 
(j'JS)  Pendant  celle  pause,  le  bruit  des  tambours 
cl  des  armes  à   feu  lient  lieu    des    concerts  d'or- 
gues, ou  autres  instruments  musicaux. 

(599)  Voyez  le  ue  mystère  de  la  ivc  journée  de  la 
Passion. 

(4U0)  *  ley  les  Pères  des  Limbes  chantent  Condi- 
lor  aime  Syderum,  >  eic. 

(101)  i  Noie/,  que  l'Ame  de  Jésus  jecte  Salban  au 
Puis,  el  crie  inoull  horriblement.  El  iceluy  Puis  doit 
estre  édifie  jouxte  le  pallonrde  dessus  le  Portai  d'En- 
fer, entre  icelluy  Portai  et  la  Tour  du  Limbe,  par- 
aevers  le  champ  du  Jeu  :  pour  mieux  estre  veu.  El 
doit  esire  fan.t  ledicl  Puis  en  telle  manière,  qu'il 
ressemble  par  dehors  estre  massonné  de  pierres  noi- 
res de  laille.  El  si  doit  eslre  si  large,  qu'il  puisse 
avoir  séparation  entre  les  deux  parties  :  en  l'une 
desquelles  soit  fait  l'eu  île  souffre,  ou  autrement  sail- 
lant coii'ir.uellement  hors  dudit  Puis.  El  doit  esire 
fait  par  soufflez,  ou  autrement,  subtilement,  qu'on 
ne  s'apperçoive.  El  en  l'autre  partie  du  Puis,  en  la- 
quelle seia  gecté  Salban  ,  n'aura  point  de  l'eu,'  el 
s'en  isra  ledit  Salban  par  une  fenestre  qui  sera 
faicte  par  devers  Enfer,  assez  bas.  El  après  qu'il 
aura  esté  gecié,  ledil  feu  doit  gecter  plus  grande 
flambe  que  paravaul.  El  doii-on  tirer  aucuns  citions 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  RES  870 

là  les  diables  emportent  l'Ame  du  mauvais 
larron,  qui  est  revêtue  d'une  chemisé  noire 
(397;.  Enfin  Jésus  descend  aux  enfers,  en- 
chaîne Satan  et  brise  les  por.es  de  ce  séjour 
ténébreux 
(Icy  se  doit  faire  pause  [3'J8]  el  tous  les  Dit  blés, 
excepté  Sullian,  viennent  tous  à  l'entrée  d'Enfer;  el 


lors  comme  espoventei,  feront  signes  amirulïfz  en 
mettant  Coullcvrines,  Arbalestes  el  Canons,  pur  ma- 
nière de  dt'ffence  :  et  eulx  esians  sur  le  Portai, 
l'Ame  de  Jesu-Crist,  accom  aignée  de  qua  re  An- 
ges, et  de  l'Ame  du  bon  Larron,  viendra  aux  Portes 
d'hnfer,  traînant  après  elle  Sullian  enclicsné  d'une 
chesne  [599 J.) 

«  Lorsque  Jésus  est  entré  (400),  il  pro- 
nonce un  arrêt  contre  les  princes  de  l'en- 
fer :  Mammona,  le  démon  de  la  convoitise 
et  de  l'avarice  ;  Hasmodéus,  de  ia  luxure  ; 
Belzébnth,  de  l'envie;  Belphegor,  de  gour- 
mandise; Baalderich,  de  la  colère;  Baalin, 
de  l'oisivt  té  ;  Astaroth,  le  démon  d'orgueil  ; 
Berich,  d'inobédience;  el  Béhémolh,  du  dé- 
sespoir; et  enfin  il  condamne  Salhan  à  demeu- 
rer enfermé  pour  toujours  dans  le  puits  de 
l'abîme  (401).  Le  Fils  de  Dieu  passe  ensuite 
au  limbe  des  Pères  (402),  où  Adam  chante 
pour  lui  et  ses  compagnons  Libéra  nie  Do- 
mine,  et  rompt  leurs  liens  (403).  De;  là  i!  dé- 
livre dix  âmes  prisonnières  dans  le  purga- 
toire (404),  et  sort  de  ce  lieu  souterrain  sans 

en  ce  faisant,  el  avoir  tonneaux  pleins  de  pierres  et 
d'autres  choses,  que  l'on  doit  faire  tourner,  allii» 
qu'ilz  fassent  fa  plus  horrible  no.se  el  lempesle  que 
l'on  pourroil  faire,  après  lesquelles  choses  ainsi 
faictes,  silence  doit  estre  imposée.  * 

(402)  «  Notez  que  le  Limbe  doit  estre  au  coslé  du 
Parloér  qui  est  sur  le  Portai  d'Enfer,  et  plus  battit 
que  ledicl  Parioër,  en  une  habitation  qui  doit  esire 
en  la  l'asson  d'hile  grosse  Tour  quarrée,  environnée 
de  rez,  et  de  liiez,  ou  d'autre  chose  elere,  afin  que 
parmi  les  Assisians  puissent  voir  les  Ames  qui  se- 
ront, quant  l'Ame  de  Jésus  aura  rompu  ladicte 
porte,  el  sera  entré  dèdeiis.  Mais  paravaul  la  venue 
de  l'Ame  de  Jésus  eu  Enfer,  ladicte  Tour  doit  eslre 
garnie  tout  à  l'cnviron  par  dehors  de  rideaux  de 
loille  noire,  qui  couvriront  par  dehors  lesdils  retz  et 
lileiz,  el  empesclieronl  qu'on  qu'on  ne  voyes,  jus- 
ques  à  l'entrée  de  ladicle  Ame  de  Jésus;  el  lors,  à  sa 
venue,  seronl  iceulx  rideaux  subtilement  lirez  à 
cosié,  tellement  que  les  Assistons  pourront  veoir  tte- 
dens  la  lotir.  Et  notez  que  à  la  venue  de  l'Ame  de 
Jésus,  doit  avoir  plusieurs  torches  el  f'alolz  ardans 
deiiens  ladicte  Tour,  en  quelque  lieu  qu'on  ne  les 
puisse  veoir,  qui  feront  grand  clarté.  Et  derrière,  la- 
dicte Tour,  en  ung  attitré  lieu  qu'oit  ne  puisse  esire 
veu,  doit  avoir  plusieurs  gens  cria  s  cl  ullans  horri- 
blement (a)  tous  à  une  voix  ensemble  :  el  l'ungd'en 
lie  eulx,  qui  aura  bonne  voix,  et  grosse,  parlera, 
après  ce  l'ait,  pour  luy,  et  pour  les  autres  Ames 
dampnées  de  sa  contpaiguie,»  etc. 

(405)  Adam,  E\e,  Ahel,  Malnstalé,  Noé,  Melchi- 
sédech,  qui  autrement  esl  appelé  Sem,  filas  de  iNoé; 
Job,  Abrahan,  Sarra,  Loth,  Isaac,  Jacob,  Judas  Pa- 
triarche, Joseph,  Moyse,  Aaron,  Josué,  Sam- 
son,  Samuel,  David  ,  Tobie,  Judich  ,  llcsler,  Isaye, 
Hiérémie,  Dan  SI,  Judas  Machauéus,  Z.chane,  isy- 
nicon,  Joachin,  Anne,  Mère  de  iN.  D.  S.  Jehan-Bap- 
liste,  quatre  Innoeens,  Joseph,  niary  de  la  sainte 
Vierge,  Carin  el  Leoncinus,  (ilz  de  Sy.;  éon. 

(Mb)  i  II  esl  à  noter  que  la  cbarlre  de  Purgatoire 
doit  eslre  au-dessoubz  du  Limbe,  à  cosié;  auquel 
doit  avoir  dix  Ames,  sur  lesquels  doil  apparoir  sem- 
blance   d'aucuns  tournions  de   feu   arliliciellcmeut 


(a)  C'est  ici  le  lieu  ou  sont  tourmentées  lésâmes  des  damnés. 


871 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RES 


872 


vouloir  écouter  les  pleurs  des  enfants  (4-05) 
qui  ont  eu  le  malheur  de  mourir  avant  d'a- 
voir été  circoncis,  et  qui,  par  conséquent,  ne 
sont  pas  dignes  de  cette  grâce. 

c  PendantqueCayphas  et  Annas,  évéquesde 
Jérusalem,  vontposer  des  gardes  autombeau 
de  Jésus,  et  qu'ils  t'ont  mener  Joseph  d'Ari- 
mathie  en  prison,  pour  avoir  aidé  à  l'ense- 
velir, un  aveugle,  appelé  Galleboys,  arrèteà 
sou  service  un  garçon  nommé  Sauldret,  sur 
le  pied  de  cent  sois  par  an.  Au  bout  de  quel- 
que temps  il  appelle  ce  valet  :  «  —  Hau! 
«  que  me  voulez-vous?  répond  Sauldret. — 
«  Comment,  hau?  réplique  l'aveugle,  je  pré- 
«  tends  que  vous  m'appélliez  monseigneur 
«  ou  mon  maître.  »  Après  s'être  dit  l'un  h 
l'autre  bien  des  injures  :  «  Ne  nous  fâchons 
«  pas,  ajoute  Galleboys,  traite-moi  de  maî- 
«  ire,  et  je  te  paierai  bien.  »  Le  valet  accepte 
enfin  cet  accord,  et  ils  chantent  ensemble 
des  chansons. 

Orescoulés  mes  bonnes  gent, 
El  vous  orés  présentement 

Une  Chanson  nouvelle 
Des  biens  que  l'on  neuve  souvent 

En  mariage  vraymenl, 

C'est  chose  bonne  et  belle; 
Ce  ne  sont  point  mots  controuvés, 

Ne  plains  de  menterie; 
Mais  sont  certains,  et  esprouvés, 

Je  le  vous  certifie. 

«  Après  cet  exorde,  qui  n'est  que  pour 
appeler  les  passants,  ils  récitent  une  chan- 
son en  douze  couplets,  dont  voici  le  der- 
nier (406). 

Moull  vaut  femme  en  fais  et  en  dis, 
Soit  riche,  basse,  ou  haulle; 

Mariés-votis  grans  et  petis, 
Si  verrez  se  c'est  laulle. 

«  Un  messager  qui  passe  par  ce  chemin 
achèle  de  ces  chansons,  et  raconte  à  l'aveu- 
gle qu'il  se  fait  tous  les  jours  des  miracles 
au  tombeau  de  Jésus;  Galleboys  dit  à  Saul- 
dret de  l'y  conduire,  mais  ce  dernier  ne  veut 
obéir  que  lorsque  l'aveugle  lui  a  payé  six. 
mois  d'avance,  alléguant,  pour  ses  raisons, 
que  l'aveugle-né(407j,au  service  dequi  il  a  été 

faits  par  eauë  de  vie,  et  d'icelluy  Purgatoire  l'Ame  de 
Jésus  rompra  la  porte  pareillement  à  force,  et  puis 
entrera  de.lcns,  accompagné  desditi  Anges.  » 

(405)  i  Icy  doit  avoir  ung  autre  Limbe  député 
pour  les  petits  Enfaiis  non  circoncis,  cl  sans  avoir  eu 
remède  contre  le  péché  originel.  Lequel  Limite  des 
petits  Enf.ins  doit  être  au-dessoubz  de  celuy  des  Pé- 
rès, à  costé  :  dont  une  Ame  d'Enfant  pour  soy,  et 
pour  les  autres  estans  avecques  elle,  dil,  >  etc. 

(4t6)  Celle  chanson  roule  sur  le  bonheur  des  gens 
mariés. 

(407)  Voyez  le  xvm«  myst.  de  la  m  journée  de  la 
Passion. 

i40S)  Le  porlocolle,  ou  porleroolle,  comme  Nicot 
le  nomme,  élail  aussi  appelé  meneur  du  jeu.  C'était 
lui  qui  lenail  la  pièce,  pour  souiller  les  acteurs,  et 
ordinairement  se  chargeait  de  réciter  les  prologues, 
i  Uncleredes  Sepl  de  la  guerre  de  Metz  ,  dit  la 
Chonique  manuscrite  de  celle  ville,  fut  Maislre  du 
Jeu,  el  Pourtour  de  l'Original,  i  lorsque  le  mystère 
de  la  Pussion  fut  joué  auprès  de  celle  ville  au  mois 
de  juillet  1437.  Rabelais  (a),  en  parlant  d'une  repré- 
sentation de  ce  mèineMystère,  ajoute  que,  de  frayeur, 

(a)  Rabelais,  liv.  ni,  ch.  27. 


très-longtemps,  n'a  plus  voulu  lui  payer  ses 
gages  d'abord  qu'il  a  été  guéri. 

«  D'un  autre  côté,  les  anges  demandent,  à 
l'âme  de  Jésus  la  permission  d'aller  visiter 
son  sacré  corps. 

sainct  Michel,  à  l'Ame  de  Jésus. 

Madame,  vous  nous  donnerez, 
S'il  vous  plaist,  en  ceste  présence, 
Gracieulx  congié,  el  licence 
D'aler  vosire  Corps  visiter. 

Icy  vont  visiter  le  Tombet  de  Jésus.) 
«  Les  trois  Maries  vont  chez  un  apothi- 
caire, pour  acheter  des  parfums. 

(Icy  est  la  fin  de  la  première  journée;  el  le  Portocole 
peut  dire  ce  que  ensuit  ^408). 

Ceulx  qui  de  Jésus  vouldront  voir 

Jouer  le  Resuscilement, 

Si  reviennent  cy  vislement, 

Demain  le  malin  (409),  car  pour  l'eure 

Plus  ne  ferons  cy  de  demeure, 

Ne  de  Mislere  pour  ce  jour  : 

Mais  nous  en  alons,  sans  séjour. 

SECOND    JOUR. 

(Icy  l'Ame,  de  Jésus  accompagné  de  trois  Anges,  c'est 
assavoir  saint  Michel,  Raphaël,  et  L'riél  prennent 
l'Ame  de  Adam  par  la  main;  el  Adam  prent  sa 
femme,  el  ainsi  de  main  en  main  jusques  à  la  der- 
nière, cl  au  dehors  d'Enfer,  elvonl  le  champ  droit  en 
Paradis  Terrestre  [410]' 

«  Jésus  ordonne  au  bon  larron  de  prendre 
sa  croix,  et  d'aller  avertir  le  séraphin  d'ou- 
vrir la  porte  du  paradis  terrestre  où  toutes 
ces  âmes  suivent  le  Sauveur,  en  chantant 
Hœc  dies,  quam  fecit  Dominus.  Enoch  et 
Hélye  viennent  à  la  porte  pour  le  recevoir. 

«  Le  Seigneur  ressuscite,  et  va  visiter 
sa  sainte  mère,  et  ensuite  les  apôtres, 
et  les  trois  Maries.  Carinus  et  Léonci- 
nus,  fils  de  Siméon  ,  sortent  de  leur  tom- 
beau,  et  vont  trouver  Joseph  d'Arimalhie. 
Cependant,  les  gardes  du  sépulcre  de  Jésus 
arrivent  chez  Cayphas  et  lui  certifient  sa 
résurrection.  Cayphas  et  Armas  leur  donnent 
quatre  mille  francs  pour  faire  courir  un 
bruit  contraire,  el  vont  eux-mêmes  l'assurer 

le  Portecole  abandonna  sa  copie.  On  voit  par  tout 
ceci  que  le  portocole,  ou  le  maislre  et  meneur  du 
jeu,  n'était  que  ce  que  nous  appelions  aujourd'hui, 
en  tenues  île  théâtre,  le  souffleur. 

(409)  Nouvelle  preuve  de  ce  que  nous  avons 
avancé  dans  les  noies  du  septième  liv.  du  Mystère 
des  Actes  des  Apôtres. 

(41<'),<l«y  l'Ange  Séraphin  garde  Paradis  terrestre, 
el  a  vesiemens  de  rouge,  et  visaige  rouge,  tenant 
une  e>pée  toute  nue  en  sa  main,  et  parle  à  l'Ame  du 
bon  Larron  par  ung  carneau  du  mur,  endroit  ledicl 
guichet  de  Paradis  terrestre.  El  icelluy  Paradis  ter- 
restre doit  eslre  fait  de  papier,  au-dedens  duquel 
doil  avoir  branches  d'Arbres,  les  ungs  fleuriz,  les 
autres  chargésde  fruits  de  plusieurs  espaces,  comme 
Cerises,  Poires,  Pommes,  Figues,  Raisins,  et  'e  les 
choses  artificiellement  faictes,  el  d'autres  branches 
vertes  de  beau  May  el  des  Rosiers,  dont  les  Roses 
et  les  fleurs  doivent  excéder  la  bailleur  des  Gar- 
neaux;  el  doivent  eslre  de  frais  couppez,  el  mis  en 
vaisseaux  plains  d'eauë,  pour  les  tenu  plus  fresche- 
ment.  > 


873 


RES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERE'. 


RES 


87-4 


a  Pilatc,  qui  mande  aussitôt  les  gardes,  et 
apprend  d'eux  la  vérité  et  la  mauvaise  foi 
des  pontifes.  «Vous  ôtes  des  scélérats,  »  dit 
Pilate  à  ces  derniers. 

CAYPHAS. 

Vous  avez  dit  vray,  nostre  Maistre  ; 

Certainement  bien  le  sçavons, 

Mais,  autre  remède  n'avons, 

Pour  couvrir  nostre  villcnye; 
Aussi  le  Peuple  n'entend  inye, 
Les  subtilités  de  Clergise,  etc. 

PILATE. 

El  le  Dyable  emportera  tout, 
Et  vous  et  moy  :  bien  m'y  a  liens, 
Avant  que  soit  gaire  de  temps 
Mais  pour  évader  tous  périlz, 
J'en  suis  d'acorl  et  m'y  consens. 

«  Joseph  dit  au  messager  qu'il  trouve  sur 
la  route  de  Jérusalem,  que  les  deux  fils  de 
Siraéon  sont  ressuscites;  ce  messager  en 
chemin  chante  cette  chanson,  et  boit  quel- 
ques coups  pour  se  désaltérer. 

Verdure  le  boys,  verdure 
Je  revenois  de  lure 
Verdure  le  boys  : 
Tronvay  une  vieille  dure, 
Verdure  le  boys,  verdure. 
Qui  avait  une  gianl  bure, 
Verdure  le  boys,  verdure  : 
Plaine  de  toute  l.iydure; 
Verdure  le  boys,  verduie. 

«  Sur  le  récit  de  ce  messager,  les  deux 
pontifes  vont  trouver  Joseph  do  qui  il  le 
tient;  et  ensuite  ils  ordonnent,  de  la  part 
de  Dieu,  à  Carinus  et  5  son  frère,  de  leur 
parler.  Carinus  et  Léoncinus  certifient,  par 
leurs  écrits,  la  vérité  de  la  religion  chré- 
tienne, et,  disparaissant,  vont  rejoindre  les 
Ames  bienheureuses  du  paradis  terrestre, 
où  celle  de  Jésus  vient  les  consoler. 

«  Cependant  Galleboys  et  Sauldrct,  en 
sortant  d'un  cabaret,  renouvellent  leur  an- 
cienne querelle;  et,  après  s'ôlre  déliés  l'un 
et  l'autre,  ils  prient  un  nommé  Ficlus  de 
leur  fournir  des  chevaux,  des  armes  et  des 
lances  :  comme  ils  ne  se  sont  jamais  servis 
de  ces  choses,  Fictus  a  bien  de  la  peine  à 
les  mettre  en  état,  ce  qui  fait  un  jeu  de 

(il i)  Comme  dans  ce  mystère,  les  diables,  que 
Jésus  a  renfermés  dès  le  commencement  de  la  pre- 
mière journée,  paraissent  peu,  l'auleur  a  inséré  les 
scènes  de  l'aveugle  et  de  son  valet,  pour  divertir 
l'assemblée,  qui  (comme  on  le  voit  encore  aujour- 
d'hui) veut  pleurer  et  rire  au  spectacle.  Car  ces  scè- 
nes tenaient  alors  la  place  de  nos  petites  pièces  dont 
nos  anciens,  ignorant  l'usage,  se  Irouvaient  obligés 
à  mêler  le  sérieux  avec  le  comique. 

(412)  Le  Protocole. 

(415)  Les  Patriarches  visibles  aux  yeux  des  spec- 
tateurs ne  le  sont  pas  pour  les  acteurs. 

(414)  <  Ici  soit  Jésus  vcslu  de  blanc et  si  doit 

avoir  ses  cinq  playes  fort  laiules  de  rouge et 

sera  tiré  à  part  le  premier  loul  en  paix,  et  les  deux 
filz  Syinéon  ressuscites,  et  les  xlix  qu'il  mènera 
monter  secrètement  en  Paradis  par  une  voye,  sans 
que  on  les  voye,  mais  leurs  slalures  de  papier  ou  de 
parchemin  bien  contrefaicles,  jusques  audit  nombre 
de  li  parsonnages,  seront  attachées  à  la  robe  de 
Jbésus,  et  tirées  à  mont  quant  et  quant  Jhésus,  cl 
seront  les  eslabliz  environnes  de  unes  blanches.  » 

(115)  «  hy  eu   droit   doivent    (hanter  les  Ames 

Dictions,  de*  My>tèhes. 


théâtre  assez  plaisant  (Mi).  Malgré  tout  cela, 
l'aveugle  est  si  persuadé  que,  pour  son 
coup  d'essai,  il  va  renverser  son  adversaire, 
qu'il  dit  : 


L  AVEUGLE. 


Je  n'auray  point  de  déshonneur. 
Ce  croy-jc  pour  ceslc  journée  : 
Car  oneques  César,  ne  Pompée, 
Ne  se  monslrèrenl  plus  vaillans. 

«  Sauldret  le  jette  cependant  à  terre,  et 
Galleboys,  l'appelant  à  son  tour  monsei- 
gneur et  maître,  est  obligé  de  lui  demander 
la  vie,  et  de  lui  promettre  qu'il  le  traitera 
bien  dans  la  suite  ,  et  ils  s'en  retournent 
ensemble  au  cabaret  pour  faire  leur  rac- 
commodement. » 

(Icy  est  la  fin  de  la  seconde  Journée  :  et  est  à  noter 
que  t'Aveugle  et  son  varlel  s'en  vont,  faisans  ma- 
nière d'aler  boire,  et  conséquemment  tout  le  monde 
se  doit  départir.  El  celuy  qui  porte  le  Livre  (412) 
dira,  clc. 


TIEKS    JOUR. 

«  Jésus  vient  visiter  les  apôtre?)  qui  sont 
occupés  à  la  poche,  et  leur  ordonne  de  se 
trouver  tous  sur  le  mont  Thabor.  Après  le 
repas,  il  les  instruit  de  l'ordre  et  de  la  dis- 
cipline qu'ils  doivent  prescrire  aux  fidèles, 
ensuite  de  quoi,  en  présence  de  la  sainte 
Vierge  ,  des  apôtres,  des  disciples  et  des 
trois  Maries,  il  s'élève  au  ciel ,  accompagné 
des  âmes  bienheureuses  (M3),  qui  chantent 
Mterne  Rex  allissime  ;  Jesu  noslra  Redemptio 
et  le  Regina  Cœli,  lœtare  alléluia,  etc.  (Mi). 
Et  lorsqu'il  est  entré  dans  le  paradis,  il  les 
fait  asseoir  sur  les  sièges  qui  leur  sont 
préparés,  entre  ceux  des  anges  (Mo),  qu'il 
bénit  ensuite  selon  les  vertus  qui  leur  sont 
principalement  affectées.  Et  les  fidèles  s'en 
retournent  au  cénacle  attendre  l'arrivée  du 
Saint-Esprit. 

«  Peu  de  temps  après  ,  trois  prêtres  juifs 
viennent  trouver  Cayphas,  pour  lui  appren- 
dre qu'ils  ont  vu   monter  Jésus  dans   les 

mélodieusement  ce  respons;  Omnis  pulchritudo  Do- 
mini  exaltala  est  super  sidéra,  etc.  El  ce  fait  Jésus 
se  liève  et  doit  colloquer  lesdiles  Ames  comme  il 
s'ensuit  :  c'est  assavoir  x  en  l'Ordre  des  Anges,  vm 
en  l'Ordre  des  Archanges  :  vin  en  l'Ordre  des  Prin- 
cipautés; vm  en  l'Ordre  des  Puissances,  dont  l'Ame 
de  Job  en  sera  l'une.  Et  vi  en  l'Ordre  des  Vertus, 
dont  Carinus  et  Léoncinus  frères  soient  les  deux.  En 
l'Ordre  des  Dominations  ni.  En  l'ordre  des  Thros- 
nes  m.  En  l'ordre  des  Chérubins  m.  El.  deux,  c'est 
assavoir  Abraham  etsamel  Jehan -Baptiste,  en  l'Or- 
dre des  Séraphins  :  sans  les  nommer  et  les  nielle  en 
chacun  Ordre.  Et  doivent  eslre  les  Chaieres  appa- 
reillées selon  le  nombre  desdieles  Ames.  Et  est  à 
noter  que  en  lesasséanl  en  leurs  dictes  Chaieres. 
Jhésus  leur  doit  metire  sur  leur  chef  une  couronna 
elles  baiser.  El  au  regard  de  Noé,  de  Melchisédeclt 
et  de  Job,  et  de  Abraham,  et  de  Joseph,  qui  fureni 
de  la  Loy  de  Nature;  el  semblablemenl  île  Mnysc,  cl 
de  Aarou,  et  de  Samuel,  el  de  David,  el  de  Daniel; 
chacun  doit  avoir  avecqnes  sadicle  couronne,  uuu 
chappe  de  docteur,  Et  baye  cl  Ily iréinio  auront 
double  couronne.  > 

28 


&75                      ROB                     DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  ROB                       87G 

cieux.  Le  pontife  consulte  avec  Annas  quel  Dame,  il'  volume,  fol.  157,  qui  contient  qua- 

parli  ils  doivent  prendre  là-dessus.  rante  mystères,  et  date  du  siv*  sièçlp. 

ANNAS.  Il  y  est  intitulé  :  De  Robert  le  Dyable,  fils 

_              •     i      j             •  „  du  duc  de  Normandie. 

Or  ne  voy-je  plus  de  quoy  nre.  „  fl  été  ^  en  m^  ^   |eg          ÎCM 

«  Ils  offrent  deux  cents  francs  à  chacun  deM.  Edouard  Frère,  a  Rouen,  par  plusieurs 

de  ces  prêtres,  à  condition  qu  ils  ne  feront  membres  de  la  Société  des  antiquaires  de 

part  de  cette  nouvelle  à  personne,  et  qu  ils  Normandie,  et  avec  une  préface  de  M.  Deville 

sortiront  de  Jérusalem.  Les  prêtres  accep-  et  des  notes  de  M.  Paulin  Paris, 

lent  la  condition  ;  et,  en  quittant  cette  ville,  M.  q.  Leroy  en  a  donné  une  analyse  dans 

ils  prennent  une   route  détournée,  dans  la  scs  Etudes  sur  les  mijslères  (Paris,  1837,  in-8% 

rrainte  où  ils  sont  que  Cayphas  ne  les  fasse  p>  ioi)  ;  et  dans  ses  Epoques  de  l'histoire  de 

voler  sur  le  grand  chemin.  France  (Paris,  1843,  in-8°,  p.  180)  ;  il  a  dit, 

«  Les  apôtres  rassemblés  dans  le  cénacle,  erî  appréciant  le  même  sujet  une  seconde 

attendent  le  Saint-Esprit  avec  impatience.  f0js  : 

«  Je  croyais,  dit  saint  Jacques  Mineur,  que  «  nous  serions  tenté  de  regarder  le  héros 

«  nous   le  recevrions    le    dimanche  qui    a  de  notre  drame  comme  le  type  de  l'idéal  de 

«  suivi  son  Ascension  ,  parce  que,  à  pare;!  ,ous  ces  tyrans  du  moyen  âge,  sous  lesquels 

«  jour,  il  a  créé  la  lumière.  —  Et  moi,  le  i'humonité  gémissait  trop  souvent  en  vain  , 

«  lundi,  répond  saint  Jacques  le  Majeur,  h  majs  qu'un  éclair  d'en  haut  ou  de  la  chaire 

«  cause  que  ce  jour  Dieu  fît  le  firmament,  et  évangélique  venait  arracher  à  leur  vie  dé- 

«  divisa  les  eaux.  —  Je  ne  l'attendais  que  sastreuse,  pour  los  faire  entrer  dans  la  voie 

«  le  mardi,  parce  qu'il  créa  ce  jour-là  les  de  réparation...» 

«  plantes ,  réplique   saint  Barthélémy.    —  Avant  M.  Leroy,  M.  Berger  do   Xivrey 

«  Moi,  le  mercredi,  jour  qu'il  a  formé  le  So-  avail  donné  de  l'édition  de  M.  Frère,  et  du 

«   leil ,  ajoute  saint  Matthieu.  —  Ou  bien  drame  lui-même,  une  notice  et  une  analyse 

«  plutôt  le  jeudi,  continue  saint  Simon,  qui  que   nous  empruntons  au  Journal  général 

«  était  l'octave  de  son  Ascension.  —  J'aurais  àe  l'instruction  publique,  13  et  20  mai  s  183G, 

«  plutôt  cru  le  vendredi,  qui  est  le  jour  de  (p,  310.) 

«  sa  Passion,  dit  saint  Judo.  —  Pour  vous  «  m.  Deville,  dans  une  savante  disseria- 

«  prouver  que  nos   sentiments   sont  bien  tion...,  a  publié  des  recherches  fort  cuiicu- 

«  différents,  je  vous  avouerai,  reprend  saint  ses  sur  l'histoire  de  Robert  le  Diable,  sur  les 

«  Philippe,  que  je  comptais  fort  que  nous  fajts  historiques  qui  en  sont  la  base,  et  sur 

«  recevrions  celte  grâce  hier,  attendu  que  ies  compositions  diverses  dont  elle  a  été  le 

«  ce  même  jour   nous  allâmes   visiter   le  sujet...  L'auteurdu  miracle  que  vient  de  pu- 

«  tombeau  de  Jésus  le  lendemain    de    sa  jjher  M.  Frère,  étant  du  xiv'  siècle,  a  donc 

«  mort.  »  traité  un  sujet  très-connu  de  son  temps,  et 

sainct  thomas.  qui  paraît  avoir  joui  d'autant  de  popularité 

Eije  suis  le  poure  Thomas,  qu'en   eurent,  dans    l'ancienne    Grèce,    les 

Qui  nesçaii  souldre  cesie  double;  malheurs  des  familles  de  Laïus  et  d'Allée. 

Fors  seulement  que  je  me  double  11  ne  faut  pas  plus  voir  dans  le  vieux  poète 

Qu'il  y  ait  quelque  occasion.  français  un  inventeur,  que  dans  Sophocle  et 

«  Les  apôtres  redoublent  leurs  prières,  et  dans  Euripide.  Ce  qui  lui  appartient,  comme 

la  sainte  Vierge  les  console.  }  eux'  c.?sl  la  combinaison  dramatique,  ç  est 

la  manière  de  concevoir  son  sujet  et  de  le 

(Icy  endroit  se  mectent  tous  et  toutes  en  Oraison  à  ge-  mettre  en  œuvre.  Dans  cette  mise  en  scène 

nolz,  cesl  assavoir  les  femmes  (Tune  part   et  les  se  rcflètent  les   mœurs  (lu  moyen  âge,  avec 

hommes  det  autre  en  ladicle  Maison  du  leaacle,lw  une  vérite  quu  fait  ressortir...  l'intérêt  des 

quelle  doibt  être  dessoubz  Paradis.)  situations.  »  (P.  310.) 

«  Pendant  que  les  fidèles  chantent  Veni,  «  Pour  peu  que  l'on  soit  familiarisé  avec 

sancte  Spiritus,  etc.,  le  Saint-Esprit  descend  notre  ancienne  langue,  celte  lecture   offre 

sur  cette  assemblée  (4-16).  l'entraînement  de  toute  action  bien  conduite. 

«Après  avoir  remercié  le  Seigneur,  les  Joignez  à  cela  quantité  de  remarques  cu- 
apôtres  composent  les  douze  articles  du  rieuses  sur  le  style,  comme,  par  exemple,  la 
Symbole  que  saint  Pierre  récite  en  hébreu,  règle  du  demi-vers  qui,  terminant  chaque 
en  grec  et  en  latin,  et  saint  Jean  évangéliste  couplet,  indique  toujours  la  reprise  à  Fin- 
en  français.  On  charge  ce  dernier  d'en  faire  terlocuteur,  retour  régulier  qui  donnait 
plusieurs  copies  :  ensuite  de  quoi  ils  pren-  probablement  à  la  déclamation  théâtrale 
nent  tous  congé  de  la  sainte  Vierge,  et  se  d'alors  une  nuance  particulière  d'harmonie, 
séparent  pour  aller  annoncer  l'Evangile  en  «  Des  archives  silencieuses  où  la  lecture 
plusieurs  endroits  de  la  terre.  »  exclusive  des  livres  imprimés  relègue  au- 

ROBERT  LE  DIABLE. —  Robert  le  Diable  jourd'hui  les  manuscrits,  on  a  extrait  si  peu 

est  tiré  du  manuscrit  des  Miracles  de  Nostre  de  pièces  de  théâtre,  qu'on  se  demande  en 

(41G)  «  Icy  en  droit  doitdescendre,  ayant  brandon  soient  gros  tuyaulx  bien  concors  ensemble,   cl  en 

de  l'en  artificiellement  faict  par  eau  de  vie,  et  doit  doulceur  su'rchascun  d'eutx  doilclioir  une  langue  «te 

visiblement  descendre  en  la  maison  du  Cénacle,  sur  l'eu  aidant  dudicl  brandon  :  el  seront xxi  en  nombre, 

No>ire-Daine  et  sur  les  femmes  elapostres,  qui  alors  e:  ce  faict,  ilz  chantent  Veni,  Creator  Spiritus,  etc.; 

doivent  eslre  assis,  et  tant  comme  il  descendra,  se  Qui  paraclytus,  etc.  ► 
diiii  l'aire  uni,"  tonnerre  d'Orgues  au  Cénacle,  el  qu'ils 


877 


rob 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


878 


lisant  un  drame  tel  que  le  Miracle  de  Ro- 
bert le  Dyable,  si  ce  morceau  est  une  œuvre 
d'exception,  ou  s'il  a  été  choisi  au  milieu  de 
tout  un  vaste  répertoire  dramatique,  dans 
lequel  nous  aient  été  transmis,  sous  celte 
forme  vive  et  animée,  la  peinture  de  la  so- 
ciété d'alors,  la  tradition  de  ses  croyances, 
ses  idées  d'art  et  la  manière  de  les  appli- 
quer. Alors  on  s'aperçoit  que  le  mouvement 
de  la  Renaissance,  dans  son  excès  d'admira- 
tion pour  les  beautés  simples  et  pures  de 
l'antiquité,  a  dépassé  le  but  en  nous  pré- 
parant celle  éducation  littéraire  qui  nous 
fait  sauter  à  pieds-joints  par-dessus  le  moyen 
âge,  en  passant,  sans  intermédiaire,  de  l'an- 
tiquité classique  au  xvn\ou  tout  au  plus  au 
xvic  siècle.  Or,  la  littérature  dramatique  du 
xme  et  du  xiv°  siècle  ne  le  cède  pas  en 
abondance  à  notre  moderne  répertoire,  dont 
la  classification  peut  môme  s'y  appliquer, 
sauf  toutefois  pour  la  tragédie  en  style  en- 
tièrement soutenu.  Une  composition,  comme 
celle  dont  nous  venons  d'offrir  l'analyse,  a 
de  fréquentes  analogies  avec  celles  de  Shak- 
speare  et  des  Espagnols.  Pour  une  scène 
plus  rétrécie,  M.  de  Montmcrqué  a  publié 
deux  volumes  de  Jeux  du  xmc  et  du  xivc  siè- 
cle; ce  sont  des  espèces  de  proverbes,  de 
pastorales,  d'opéras  comiques.  Le  fatalisme, 
provenant  de  l'influence  du  diable,  est  une 
«les  idées  les  plus  fécondes  du  moyen  âge, 
soit  que  le  personnage  soumis  à  celte  mysté- 
rieuse influence  devienne,  comme  ici,  par 
ses  forfaits,  la  personnification  du  génie  du 
mal;soit  qu'il  arrive,  comme  l'enchanteur 
Weriin,  à  des  sciences  qu'il  n'élait  pas  donné 
à  l'homme  de  connaître.  Voilà  certainement, 
dans  cette  littérature,  un  trait  saillant  et 
original  qui  a  servi  de  motif,  même  à  des 
chefs-d'œuvre  modernes.  Mais  jusqu'où  doit- 
on  étendre  l'originalité  de  celte  littérature? 
.11  est  difficile  que  la  tradition  soit  jamais 
assez  complètement  interrompue,  pour  qu'il 
ne  reste  pas  quelques  traces  des  grandes 
civilisations  qui  ont  péri.  Cependant  on  peut 
dire  qu'entre  le  polythéisme  de  l'antiquité 
et  le  christianisme  du  moyen  âge  se  trouve 
une  des  séparations  les  plus  complètes  que 
présente  I  histoire  de  l'esprit  humain;  et 
c'est  l'opinion  des  hommes  les  plus  versés 
dans  la  connaissance  de  notre  ancienne  his- 
toire littéraire,  que  celles  des  traditions  de 
l'art  classique  dont  nos  aïeux  ont  pu  profi- 
ter sans  le  savoir,  leur  étaient  arrivées  par 
l'Orient.  Là  ils  avaient  trouvé  une  civilisation 
vivante,  supérieure  par  son  élégance  et  son 
instruction  a  celle  de  leur  pays;  et  bien  que 
leur  haine  religieuse  fût  presque  aussi  ar- 
dente contre  les  ennemis  des  Chrétiens  d'O- 
rient que  contre  les  Sarrasins,  cependant  la 
supériorité  intellectuelle  de  ces  peuples 
exerça  sur  eux  son  ascendant  et  sema  les 
germes  féconds  de  cette  littérature  si  ani- 
mée du  un* siècle.  L'instrument  tout  neuf 
de  la  langue  française  s'y  exerça  d'une  ma- 
nière infatigable.  De  là,  exubérance  et  pro- 
lixité, défaut  qui  sans  doute  a  trop  vile  éloi- 
gné de  celle  étude  tant  d'esprils  faciles  à  re- 
buler.  Mais  que  de  choses  à  recueillir  dans 


ce  laisser-aller  de  la  poésie  de  nos  pores  1  Ce 
n'est  pas  tout  :  il  s'y  rencontre  des  écrivains 
d'un  goût  plus  sévère,  qui,  comme  l'auteur 
du  miracle  de  Robert  le  Diable,  en  élaguant 
les  accessoires  inutiles,  savent  renfermer 
dans  de  justes  proportions  l'ensemble  d'une 
œuvre  dramatique  ;  qui,  en  peignant  aussi  la 
société  au  milieu  de  laquelle  ifs  vivaient,  en 
retraçant  ses  goûts  el  ses  croyances,  savent 
faire  "ressortir  ce  qu'elle  avait  surtout  de 
pittoresque  et  de  dramatique.  Nous  devons 
donc  encourager  de  toules  nos  forces  la  pu- 
blication intelligente  des  chefs-d'œuvre  lit- 
téraires du  moyen  âge...»  (P.  325-32G.) 

M.  Rerger  de  Xivrey  termine  en  signalant, 
dans  l'excellente  édition  de  M.  Edouard 
Fi  ère,  le  choix  curieux  de  pièces  et  de  noies 
relatives  à  Robert  le  Diable,  fait  par  M.  De- 
ville,  et  imprimé  en  tête  du  texte  du  mira- 
cle. M.  Deville  semble  incliner  à  croire  que 
parmi  les  héros  auxquels  les  traditions  ont 
attribué  le  surnom  de  Robert  le  Diable,  celui 
qui  y  aurait  le  plus  de  titres  serait  le  féroce 
Robert  de  Bellême,  de  la  turbulente  famille 
des  Talvas,  dont  plusieurs  membres  s'illus- 
trèrent en  Italie.  Les  exploits  des  Normands 
dans  cette  contrée  auraient  pu  avoir  quel- 
que influence  sur  la  dernière  partie  du  mi- 
racle de  Robert  le  Diable. 

Le  môme  volume  contient  la  notice  des 
manuscrits  relatifs  à  Robert  le  Diable,  par 
M.  Paulin  Paris,  et  celle  de  divers  imprimés 
sur  le  même  sujet  par  M.  Edouard  Frère. 

De  l'œuvre  des  modernes  éditeurs,  passons 
au  travail  du  vieux  poêle  ; 

«  A  l'ouverture  de  la  pièce,  dit  M.  de  Xi- 
vrey, le  duc  de  Normandie  reproche  à  son 
fils  Robert  ses  excès.  Celui-ci  répond  en  s'en 
faisant  gloire,  et  il  ajoute  : 

Desoresniais,  laissiez  m'en  (moi  en)  paiz, 
Ailleurs  m'en  vois  (je  in  en  vais),  el  cy  vous  lais 
Où  j'ay  des  conipaigiions  assez... 

«  On  le  voit  ensuite  au  milieu  d'une  troupe 
de  brigands  (ce  sont  le  ses  compagnons),  oc- 
cupé à  projeter  un  des  exploits  qui  leur  sont 
familiers,  le  pillage  d'un  couvent...  Des  pa- 
roles, ces  estimables  associés  ne  lardent  pas 
à  passer  aux  effets.  Il  y  a  beaucoup  d'art 
dans  la  manière  dont  Je  poêle  représente 
Robert  ne  reculant  devant  aucun  excès.  Le 
moine,  forcé  de  montrer  les  trésors  de  l'ab- 
baye, refuse  longtemps  d'ouvrir  le  coffre  où. 
sont  les  dépôts  faits  par  les  étrangers  : 

11  sert  que  nous  y  mêlions.  Sire, 

Les  choses  eslranges,  sans  faille  (mensonge), 

Qu'à  garder  souvent  on  nous  baille 

De  bonne  foy. 

«  Mais  Robert  dit  à  ses  bandits  : 

Seigneurs,  vous  lous  avant  passez. 
En  besongne  vous  convient  meltre 
Sans  plus  longuement  icy  cslre. 
Rrise-Godel,  pren  les  premiers 
Cesjoiaux;  et  loi  ces  derniers. 
Lambin,  et  loi.  Route-cn-Couroyc 
Lèves  toute  celte  monnoyc, 
Et  loi  cesjoiaux,  Rigolel 
PrCn  avec  Brise-Godet. 
Rien  n'y  laissiez. 

«L'es barons  de  Norftlandie se  plaignent  au 


879 


ROB 


D1CTIO.VNAIRE    DES  MYSTERES. 


EOB 


S80 


«lac,  quf  se  décide,  d'après  leur  conseil,  à 
faire  enfermer  son  fils.  11  lui  envoie  donc 
deux  messagers  pour  le  mander.  Mais  Ro- 
bert leur  fait  à  chacun  arracher  l'œil  droit,  et 
ne  répond  à  leurs  supplications  que  par  des 
plaisanteries...  Le  duc  à  cette  nouvelle,  et 
d'après  l'avis  de  ses  barons,  bannit  Robert, 
ordonnant  que  chacun  lui  courre  sus. 

«  L'auteur,  fidèle  à  la  gradation  qu'il  met 
dans  les  crimes  de  Robert,  le  représente  bien- 
tôt dans  un  tel  état  de  fureur  qu'il  lue  pour 
le  p'aisir  de  tuer.  Il  rencontre  sept  ermites: 

...  Qui  vous  a  mis  ensemble 
Cy  en  ce  lieu? 

PREMIER  ERMITE. 

Sire,  nous  y  sommes  por  Dieu 
Prier  el  servir  jour  el  nuit  ; 
El  sommes,  voir  (?iroi)  ne  vous  annuyt  (sauf 

[voire  plaisir) 
Povres  hennites. 

ROBERT. 

Je  n'y  acoule  pas  deux  milles. 
Jamais  cy  plus  ne  demourrez 
Mais  en  l'eure  irelouz  (sur  Clieure  tous)  mour- 
rez. 

«  Et  il  les  tue  tous.  En  ce  moment  passe 
un  valet;  Robert  lui  demande  d'où  il  vient; 
le  valet  lui  répond  qu'il  vient  du  château 
d'Arqués, 

Où  dîner  doit  la  duchesse. 

«  Robert  s'informe  si  le  duc  y  est  aussi, 
et  sur  la  réponse  négative  du  valet,  il  se  rend 
à  Arques.  A  son  approche,  écuyers,  demoi- 
selles, tout  le  monde  s'enfuit.  Ici  commence 
une  scène  intéressante  qui  est  le  nœud  de  la 
pièce... 

«  Robert,  accablé  de  remords,  aborde  sa 
mère  avec  des  paroles  de  honte  et  d'horreur 
de  lui-même,  et  il  ajoute  : 

Je  vous  déniant  (demande) que  mediez  (disiez) 

Se  savez(si  vous  savez)  dont  (d'où)  ce  peul  venir 

Que  je  ne  nie  puis  abstenir 

De  maulvaislié,  tant  m'en  sens  plein. 

Je  crois  qu'aucun  péché  villain 

En  mon  père  ou  en  vous  eusies 

A  l'eure  que  me  conceustes. 

t  La  duchesse,  à  ces  mots,  prie  son  fils  do 
la  tuer  :  c'est  d'elle  que  vient  le  péché. 

ROBERT. 

Mère,  ce  neferai-je  pas. 

Mauvais  suis  trop,  mais  je  seroye 

Pires  encore  se  vousferoye(si <  je  vous  frappais.) 

Mais  dites  moy  pour  quel  pècliié 

Je  sui  de  mal  si  entachié... 

«La  duchesse... apprend  à  R;>berl que, dé- 
sespérée de  ne  pas  avoir  d'enfanis  après  un 
assez  long  temps  de  mariage... 

Par  ire  (en  colère  elle)   dis  :  Puisque  Dieu 

[mettre 
Ne  veull  enfant  dedans  mon  corps 
Sy  li  mette  le  dyable  lors... 

«  Voi  à  pourquoi  Robert  est  si  méchant... 

«  La  fin  de  la  scène  est  fort  touchante.  Ro- 
bert adresse  à  Dieu  une  prière  pleine  de  re- 
pentir; puis  il  annonce  à  sa  mère  qu'il  va 
aller  à  Rome  se  confesser  au  Pape;  il  la 
charge  de  ses  adieux  pour  sou  père,  et  s'en 
,  *a.  La  duchesse  tout  éplorée  apprend  cello 


nouvelle  a  son  mari,  qui,  plus  sévère,  de- 
mande si  Robert  est  vraiment  repentant... 

«  Robert,  avant  de  partir,  veut  faire  amen- 
der ses  compagnons;  ceux-ci  refusent...  Alors 
il  les  tue  tous...  Puis  il  veut  mettre  le  feu  à 
son  fort;  mais  comme  tous  les  bons  senti- 
ments lui  reviennent,  il  va  trouver  l'abbé, 
iui  remet  la  clef  du  fort,  et  lui  dit  • 

Au  duc  mon  père  porterez 
Ceste  clef,  et  li  requerrez 
Qu'aies  vous  tiens  en  mon  manoir  : 
La  trouverez  muli  grani  avoir 
Qu'à  vous  et  autres  ay  loin  (enlevé). 
Lequel  je  vueil  (i'eua')que  soil  rendu 
A  tous  ceulx  que  dire  saront 
Combien  el  quoy  perdu  a  roue 
De  ce  (je)  charge  vous  dens  en  somme 
Car    des    cy   (de    ce   pus)   ie   m'envoie    à 

[Rome... 

«  L'abbé  est  si  étonné  que  d'abord  il  ne 
reut  pas  le  croire. 

«  La  duchesse,  en  apprenant  le  départ  de 
son  fils,  dit  avec  une  naïveté  de  tendresse 
prise  dans  la  nature  : 

Par  foy,  j'ay  de  li  grant  pitié, 
El  pour  Dieu  s'en  va-il  à  pie 
Ou  à  cheval  ? 

l'abbé. 

A  pied,  se  Dieu  me  gart  de  mal, 
S'en  va  pour  plus  sentir  grevance. 
Et  vous  dy ,  si  grani  repen lance 
Ol(eul),  quant  de  moy  duhl  de  partir, 
Que  je  cuyday  le  cuer  parlyr 
Ly  deust  en  tiens  vraiemenl; 
Tant  plouroil  des  yex  fondammcnl 
Ses  melfaix,  dame. 

(P.  310-511.) 

«  La  fin  du  drame  montre  les  elfels  sur- 
prenants du  repentir  de  Robert. 

«  Après  que  le  duc  et  l'abbé  ont  rempli  ses 
intentions  au  sujet  de  son  manoir,  l'auteur 
nous  transporte  tout  de  suite  au  moment  où 
il  se  présente  au  Pape.  Les  sergents  île  ce 
pontife  le  maltraitent;  un  d'eux  lui  dit  en 
l'accablent  de  coups. 

Es-tu  de  la  place  Mauberi? 
Tien  el  lien,  fuy  de  cy ,  Trubcrt, 
Ou  mal  pour  loy. 

«...  Le  Pape  arrête  ses  sergents  et  fait  ap- 
procher le  pèlerin  de  son  trône. 

ROBERT. 

Saint  Père,  je  vous  requier  ,  sire, 
Confession. 

LE  PAPE. 

Dis  rnoy  de  quelle  nascion 
Tu  es,  avant,  ne  de  quel  cslre, 
Ne  se  chevalier,  ne  preslre 
Ou  homme  lay. 

«  Robert  lui  répond  : 

Fil  sui  du  duc  de  Normandie 
Mais  je  me  réputé,  el  scé  bien, 
Sire,  que  je  vail  pis  qu'un  chien 
Tant  suy  a  Dieu  aldioininable; 
Robert  ay  nom ,  siirnon  de  Dyabie. 

«Le Pape,  qui  le  connaît  déjà  de  réputation, 
commence  par  l'adjurer  de  ne  pas  lui  faire 
de  mal;  puis  il  écoute  sa  confession  et  le 
renvoie  à  un  ermite.  —  Celui-ci  remet  à 
l'entendre  au  lendemain,  et  J'engage  à  sou- 


881  ROB  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

per  et  à  coucher  dans  l'ermitage.  Mais  Ro 


ROB 


m 


berl  refuse  de  manger,  et  veut  passer  la  nuit 
sans  se  coucher.  L'ermite  va  prier  Dieu  de 
roi  indiquer  la  pénitence  a  imposer  à  Ro- 
bert; puis,  après  sa  prière,  il  s'endort. 

«  Alors  arrive  l'intervention  des  puissan- 
ces célestes.  Dieu  vient  avec  Notre  Dame, 
saint  Jean  et  deux  anges  pour  répondre  à 
la  prière  de  l'ermite  pendant  son  sommeil... 

«  Voici  la  pénitence  que  Dieu  indique  à 
l'ermite  : 

Tu  li  diras 
Qu'il  faut  que  le  loi  contreface  : 
N'en  quelque  lieu  qu'il  soil,  n'en  place, 
Ne  parle  oient  plus  qu'un  muel; 
Et  avec  ce,  pour  faim  qu'il  ail, 
Li  enjoins  qu'il  ne  mangera 
Jamais  ,  fors  ce  qu'aux  chiens  pourra 
Tollir  (arracher).  Sanz  celle  peuiiauce, 
Il  ne  me  plais  meure  ordonnance 
Plus  legeretie. 

«  Robert  accepte  avec  humilité  celte  pé- 
nitence, et  il  se  prépare  à  s'y  conformer  le 
jour  môme,  quoiqu'il  ne  sache  pas  bien 

Comment  me  pourray  déguiser, 
Pour  le  fol  faire. 

«  Mais  l'ermite  répond  que  la  sainte  Vierge 
le  lui  indiquera. 

«  Dans  la  scène  suivante,  Robert  fait  le 
fou  sans  parler.  Le  colloque  des  autres  per- 
sonnages fait  très-bien  ressortir  son  jeu.  Plu- 
sieurs compagnons  lui  font  une  foule  de  tours 
et  de  mauvais  traitements  qu'il  endure  en 
riant  d'un  air  hébété.  L'empereur  qui  passe 
par  là  et  qui  fait  dresser  sa  table  en  cet  en- 
droit, l'aperçoit  aussi,  et  veut  le  faire  man- 
ger, ruais  il  ne  peut  y  parvenir.  Pendant  ce 
temps-là,  le  prince  appelle  son  chien  et 
lui  jette  un  os.  Robert  se  précipite  sur  le 
chien,  et  parvient  à  lui  arracher  l'os.  Celte 
scène  (pour  laquelle  il  fallait  un  chien  qui 
fût  bien  dressé  )  est  habilement  con- 
duite. 

l'emperere  (à  son  chien). 

Louvet,  Louvel,  lien,  Louvcl,  tien, 
Mange  cela. 

PREMIER   CnEYALIER. 

Regardez,  au  chien  s'en  va  là. 
Osier  li  veult  son  os  sans  faille. 
Et  le  chien  aux  denz,  qu'il  ne  faille, 
Le  lient  forment  (fortement). 

DEUXIÈME  CHEVALIER. 

A  li  osier  lent  durement; 
Mais  le  chien  le  lire  et  débat; 
Sans  faille,  vez  ci  bon  esbal 
El  bien  rire. 

l'escuier. 

Combien  qu'ans  deus  le  chien  fort  lira 
Tire  encore  plus  fort  le  fol; 
El  happe  l'a  si  par  le  col 
Que  oslé  li  a. 

«  Ils  se  le  montrent  ensuite  rongeant  son 
os.  L'empereur,  pour  dédommager  son 
chien: 

Tien,  lu  arras  ce  pain,  Louvet, 
Louvel ,  lien  ,  lien. 


PRI.MIKR    CHEVALIER. 

Le  fol  le  va  lollir  au  chien 
Avant  que  point  en  ail  gotislé; 
C'eut  f;i il;  il  li  a  lotit  oslé, 
Vucille  ou  ne  veuille. 
l'empf.rere. 

Je  voy  de  ecl  homme  merveille, 
Et  lieu  qu'il  est  vray  fol  à  plain; 
Il  a  brisé  en  deux  son  pain 
El  s'en  a  au  chien  départi 
La  plus  grand  part. 

«  Il  suit  partout  le  chien.  Il  se  couche  avec 
lui  sous  l'escalier:  l'empereur  lui  fait  poiter 
un  bon  lit,  mais  il  le  repousse  et  se  couche 
dans  la  paille  du  chenil. 

«  Survient  un  messagerqui  apprend  à  l'em- 
pereur l'arrivée  des  païens.  Ce  prince  fait 
aussitôt  crier  Varrière-ban> 

Aussi  ben  au  clerc  comme  au  lay. 

«  Dieu  envoie  alors  l'ange  Gabriel  ordon- 
ner à  Robert  de  s'armer  d'armes  blanches 
qu'il  trouvera  près  d'une  fontaine  dans  uu 
pré  et  d'aller  combattre  les  païens. 

«  Puis  vient  la  représentation  de  la  bataille. 
Les  guerriers  s'excitent  au  combat.  Le  jar- 
gon barbaredes  païens  divertissait  sansdoula 
beaucoup  les  spectateurs. 

premier  paie:». 

Sabando!  bahe  fuzaille, 
Draguilone,  baragailer 
Arabium  malagnimm 
Hernies  zak)! 

second  païen. 

Jupiter  naquit  Apolo 
Perhegalis! 

«  C'est  un  fait  curieux  que  ces  traces  du 
polythéisme  dans  le  langage  que  les  auteurs 
du  moyen  âge  prêtent  toujours  aux  maho- 
métants.  Cela  venait  de  l'étude  et  de  l'emploi 
des  anciens  textes  chrétiens  où  Ton  n'aurait 
pu  trouver  d'imprécations  contre  les  maho- 
métans  qui  alors  n'existaient  pas,  mais  où 
l'on  en  trouvait  beaucoup  contre  les  païens. 
En  considérant  comme  tels  les  mahométans, 
on  avait  contre  eux  une  arme  puissante  sur 
les  esprits  dans  l'autorité  des  premiers  doc- 
teurs de  l'Eglise. 

«  Les  Romains  remportent  la  victoire,  après 
laquelle  l'empereur,  devisant  avec  ses  che- 
valiers ,  remarque  avec  peine  des  blessures 
au  visage  du  fou,  qui 

A  nid  ne  fait  mal  ne  contraire; 
Ains  est  un  droit  fol  débonnaire. 

«  Il  croit  donc  qu'on  l'a  maltraité  ainsi 
par  un  jeu  cruel,  et  en  témoigne  son  mécon- 
len tentent.  Puis  on  vient  à  parler  du  cheva- 
lier inconnu  qui  a  fait  gagner  la  bataille  et 
cherche  qui  ce  peut  être.  La  fille  de  l'em- 
pereur, qui  est  muette,  montre  le  fou. 
L'empereur  demande  à' la  maîtresse  ce  que 
sa  fille  veut  dire  :  la  maîtresse  le  lui  expli- 
que, mais  l'empereur  trouve  celte  exr  iica- 
lion  si  absurde  qu'il  s'écrie  : 

Diex  vous  envoit  maie  meschanec! 
Esl-ce  le  sens  dont  l'cscolez? 
En  lieu  d'enseigner,  l'affolez. 


SX3 


ROC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


H03 


884 


«  Puis  il  fait  quelques  réflexions  satiri- 
ques sur  les  femmes  qui,  dit-il , 

Sonl  si  limages, 
Que  vous  verriez  que  les  plus  sages 
Sonl  les  plus  nices. 

«  11  se  met  à  table  avec  ses  chevaliers. 
Mais  arrive  encore  un  messager  annonçant 
le  retour  des  païens.  Nouveau  combat,  nou- 
veaux exploits  de  Robert.  L'empereur  le 
fait  suivre  par  un  chevalier,  pour  savoir 
enfin  qui  il  est.  Le  chevalier  ne  pouvant 
obtenir  de  réponse  de  Robert,  court  sur  lui 
avec  sa  lance;  Robert  ne  se  défend  pas  et 
reçoit  un  coup  de  lance  dans  la  cuisse,  où 
la  lance  se  casse.  Il  s'échappe  et  le  chevalier, 
tout  affligé,  vient  raconter  cela  à  l'empereur, 
et  pour  parvenir  à  trouver  ce  chevalier 
inconnu,  il  lui  donne  ce  conseil  : 

Que  qui  à  vous  armé  veura  (viendra) 
D'armes  blanches  s'apportera 
Lo  fer  de  ceste  liante  cy, 
Mais  que  la  plaie  monstre  aussy 
Que  du  fer  li  a  este  faite, 
Yostre  fille  gente  et  nonneste 
A  femme  ara  sanz  contredire, 
Et  la  moitié  de  vostre  empire. 

a  L'empereur  goûte  ce  conseil  et  fait  aus- 
sitôt faire  la  proclamation.  Or  le  sénéchal, 
qui  était  amoureux  de  la  princesse,  en  en- 
tendant cette  proclamation,  pense  à  se 
faire  passer  pour  l'invincible  chevalier.  11 
donne  donc  à  son  écuyer  la  commission 
suivante  : 

Va  l'en  chez  Jehan  de  Savoie 

L'armurier,  et  dis  qu'il  m'envoie 

Un  parement  à  armer  gent , 

Tout    Manc,   combien,  qu'il  coust  d'argent; 

Et  tandis  je  me  garni ray 

De  fer,  et  itel  me  feray 

Coin'  l'empercre  a  fait  crier. 

«  Il  se  fait  à  la  cuisse  une  blessure  qui 
lui  cause  beaucoup  de  douleur,  puis  il  s'arme 
de  l'armure  blanche  que  lui  apporte  son 
écuyer  et  part. 

«  La  scène  suivante  se  passe  au  ciel.  Dieu, 
avec  sa  mère  et  deux  anges,  en  descend  pour 
aller  trouver  l'ermite  pénitencier  de  Rome, 
et  lui  ordonne  d'aller  faire  cesser  la  péni- 
tence de  Robert. 

«  Le  sénéchal  se  présente  ensuite  à  l'em- 
pereur, lui  débite  sa  fable  et  demande  la 
main  de  la  princesse.  L'empereur,  fidèle  a  sa 
parole,  envoie  aussitôt  chercher  le  Pape  pour 
les  unir.  Le  Pape  reçoit  l'envoyé  de  I  em- 
pereur et  se  rend  auprès  de  lui.  Les  sergents 
font  ranger  la  foule. 

Sus  de  cy  ,  sus  ,  allez  arrière  ! 
Que  de  ma  masse  ne  vous  fière. 

«  Un  autre  sergent  leur  fait  la  même  me- 
nace av?c  un  jeu  do  mot,  par  allusion  à  sa 
masse  d'argent  : 

Faites  nous  voyc  cy  devant... 
Ou  je  vous  donray  de  l'argent 
Qu'en  mon  poing  lien. 

«  Le  Pape  arrive  chez  l'empereur,  et  de- 
mande au  sénéchal  s'il  veut  épouser  la  prin- 
cesse. 


Senescbal,  diies,  y  avez 
Bien  le  plaisir? 

LE  SE.NESCIUL. 

Sire,  je  viens  tant  ne  désir  (e)  * 

Corn'  la  fillette. 

LE  PA.PC 

Et  vous  savez  qu'elle  est  muette... 

LE  SENESCIUL. 

Sire  ne  me  chant  de  ce  point 
Tout  à  un  mol. 

«  C'est  alors  qu'a  neu  le  miracle  du  dé- 
nouement. La  princesse  recouvre  la  parole 
pour  démasquer  l'imposture  du  sénéchal. 
Le  Pape  demande  quel  est  donc  le  chevalier 
inconnu.  La  princesse  raconte  qu'elle  l'a  vu 
s'armer  deux  fois  dans  le  pré,  à  côté  de  la 
fontaine,  et  ensuite  tirer  de  sa  blessure  un 
fer  qu'elle  a  ramassé  et  qu'elle  présente.  Le 
chevalier  qui  a  blessé  Robert  rapproche  co 
fer  du  bâton  de  sa  lance;  il  s'y  rapporte  par- 
faitement. Le  Pape  demande  où  est  cet 
homme,  et  la  princesse  répond  qu'on  le  trou- 
vera avec  le  chien.  Le  Pape  et  l'empereur 
vont  donc  chercher  le  prétendu  fou.  Le  pre- 
mier a  beau  lui  dire  : 

De  Romme  sui  P;>pe  clamez; 
Parlez  à  moy, 

«  Robert  continue  ses  folies.  Mais  arrive 
enhn  l'ermite  pénitencier  qui  lui  annonce 
son  pardon.  Alors  Robert  se  jette  à  genoux, 
et  fait  une  action  de  grâces  à  Diem  L'empe- 
reur s'adresse  h  l'ermite  : 

Preudomme,  tu  qui  scez  ces  fais, 
Di,  qui  esl-il? 

l'iiermite. 

[I  est  haull  baron  et  gentil , 
Très  chier  sire,  soiez  en  fis; 
Du  dne  de  Normandie  esl  filz 
Et  son  droil  hoir  (héritier.) 

«  Toujours  repentant,  Robert  refuse  res 
hautes  faveurs  de  l'empereur  et  veut  >c  faire 
ermite;  mais  le  pénitencier  lui  dit  que  Dieu 
en  a  ordonné  autrement,  qu'il  doit  se  ma- 
rier, et  que  sa  postérité  sera  la  joie  du  para- 
dis. 

«  Le  prince  normand  obéit,  et  le  Pape, 
suivi  de  toute  l'assemblée,  les  conduit  au 
palais,  au  son  d'une  chanson  finale,  en  l'hon- 
neur de  la  Vierge,  qui,  comme  mère  de 
Dieu,  a  racheté  l'homme  du  péché  d'Adam.» 
(P.  324-325) 

ROCII  (La  vie  de  monsieur  saint).  —  Lu 
1493,  à  AbbevîHe,  furent  joués  les  jeux  de  la 
Vie  de  monsieur  saint  Rock.  (Cf.  F.-C.  Louan- 
dres,  Hist.  (VÂbbevillc,  Abbeviilo,  183V,  in- 
8°,  p.  238.)  Lo  manuscrit  ne  semble  ni  Être 
parvenu  jusqu'à  nous  ,  ni  avoir  été  im- 
primé. 

«  A  Réthune,  en  1500,  Jehan  le  Tardieu,  Je- 
han Rordel,  Pierre  le  Maire,  Guillaume  Ra- 
cheler,  Colard  Petit ,  Esticnne  Héreng,  et 
aultres  compaignons,  en  nombre  de  30  à  3(5, 
remonslroient  sur  le  marché,  par  ysfôire,  la 
Vie  monseigneur  saint  Rocq.  »  (De  Lafon?, 
baron  de  Mèlicocq,  Extraits  de  chartes,  dans 
les  Mélanges  historiques,  publiés  pnrM.Cu.iu- 


88: 


SÀI 


niCTIONNASKK  DES  MYSTEKES. 


SAI 


88(1 


POLUON-FlGEAC,  t.  IV,  |).  326;  Coll.  des  do- 

ruments    inédits ,    relatifs    à    V Histoire  de 
France.) 

KUTEBEUF.— «  Rutebeuf  est  un  des  poètes 
les  plus  remarquables  du  xiii'  siècle.  Pour- 
tant il  n'en  est  point  peut-être  sur  lequel 
J'histoire  soit  restée  plus  muette;  nul  de  ses 
contemporains,  poètes  ou  chroniqueurs,  ne 
nous  a  transmis  son  nom.  C'est  à  peine  môme 
si  quelques  érudits  modernes  ont  essayé  de 
rompre  la  chaîne  de  cet  injuste  oubli;  en- 
core  se  sont-ils  montrés  presque  tous  inexacts 
on  trop  sévères.  »  (A.  Jubinal,  Œuvres 
compl.  de  Rutebeuf;  Paris,  1839,  in-8%  2 
vol.,  t.  I",  préf.,  p.  vi.)  Fauchet,  Lcgrand 
<l'Aussy,  Barbazan,  Méon,  Roquefort,  Dau- 
mon  lui-même,  ou  méconnaissent  le  talent 
de  cet  auteur,  ou  lui  attribuent  des  dates, 
des  faits  et  des  ouvrages  qui  lui  sont  étran- 
gers. Rutebeuf,  ou  plutôt  Rnlebuef,  ou  en- 
core Rustebuef,  Rustabucs,  Rudebués,  parle 
la  langue  romane  du  centre,  et  naquit  pro- 
bablement à  Paris,  entre  1235  et  12W),  de 
gens  de  condition  moyenne  et  malaisée.  Sa 
vie,  sur  laquelle  on  n'a  d'autres  renseigne- 
ments que  ceux  donnés  par  lui-même,  quoi- 
que chargée  d'ennuis  et  de  misère,  fut  mê- 
lée pourtant  à  celle  des  plus  grands  sei- 
gneurs du  temps;  et,  quoique  poète,  il  ne 
tut  ni  vielleur,  ni  faiseur  de  tours,  ni  mon- 
treur d'ours,  ni  marchand  d'herbes  et  d'or- 
viétans, ni  même  voleur  sur  la  chaussée  du 
Temple,  comme  la  plupart  de  ses  confrères. 
On  suppose  qu'il  mourut  vers  1286.  On  a  re- 


marqué (pie  cette  rude  intelligence,  si  émi- 
nemment française,  n'a  rien  écrit  sur  l'a- 
mour, au  contraire  des  fadaises  do  tous  ses 
contemporains  et  devanciers  ,  et  qu'il  n'a 
cité  ni  les  Grecs  ni  les  Romains. 

Parmi  les  poésies  de  toute  nature  qu'il 
écrivit,  la  Vie  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie 
lui  fut  ordonnée  par  Herart  do  Valeripour  la 
reine  Isahelie  de  Navarre,  et  le  Miracle  de 
Théophile,  composé  vers  1260,  après  divers 
autres  mystères  à  ce  qu'il  semble  (A.  Ju- 
jwnal,  t.  Ier,  ibid.,  p.  n),  eut  un  succès  pro- 
digieux-..- «  Je  fais  plus  signer  de  têtes  que  si 
«  je  chantais  Evangile,  »  dit-il  de  lui-même  ; 
«  mes  merveilles  arrachent  des  signes  de 
«  croix  dans  la  ville,  et  on  doit  bien  les 
«  conter  aux  veillées,  car  elles  n'ont  pas  do 
«  rivales...  »  (A.  Jubiinal,  ibid.,  p.  xvi.) 

Une  opinion  sur  Rutebeuf,  qu'on  no  peut 
passer  sous  silenco,  a  été  émise  par  M.  Oné- 
sime  Leroy,  reproduisant  dans  ses  Etudes 
sur  tes  Mystères  (Paris,  1837,  in-8°,  p.  33), 
un  article  précédemment  publié  par  lui- 
même  dans  le  journal  le  Temps. 

«  Rutebeuf,  dit  M.  Leroy,  semble  s'êlro 
peint  lui-même  dans  Théophile.  On  voit  que 
ce  n'est  pas  de  nos  jouis  seulement  qu'ont 
existé  des  hommes  dévorés  du  besoin  d'une 
vaine  gloire  et  de  jouissances  matérielles  , 
lesquels,  pour  se  les  procurer,  se  sont  préci- 
pités dans  des  voies  infernales.  Seulement, 
au  lieu  du  désespoir  qui  pousse  aujourd'hui 
dans  l'abîme  un  infortuné,  jadis  la  religion 
le  ramenait  ordinairement.  » 


SACRIFICE  D'ISAAC  (Le).—  Le  Sacrifice 
<l  Isaac,  par  Feo  Belcari,  fut  joué  dans  une 
église  de  Florence,  en  14H.  (Cf.  Libui,  Cata- 
logue de  sa  bibliothèque,  p.  190.)  Ce  mystère 
a  été  imprimé  dans  le  Poésie  del  Feo  Rclcari; 
Florence,  1833,  p,  3,  sous  ce  titre  :  Larep- 
presentazion  «  festa  d'Abraam  e  d'isaac  suo 
figliuolo. 

SAINTE  HOSTIE  (La;.—  Il  no  subsiste 
du  Mistere  de  la  Saincte  Hostie  qu'une  édi- 
tion du  xv'  siècle,  imprimée  en  lettres  gothi- 
ques, de  format  petit  in-8°. 

Un  exemplaire  de  cette  édition  ayant  été 
vendu  parmi  les  livres  do  la  bibliothèque  du 
duc  de  La  Vallière,  fut  acquis  par  la  biblio- 
thèque de  la  ville  d'Aix.  En  1817,  un  impri- 
meur érudit  de  cette  ville,  Augustin  Pontier, 
lit  exécuter  dans  ses  ateliers  une  réimpres- 
sion fac-similé  de  l'original',  qu'on  tira  à  02 
exemplaires. 

L'auteur  de  la  Sainte  Hostie  est  resté  in- 
connu. 

Le  litre  porte  seulement  : 

Le  mistere  de  la  Saincte  Hostie  nouvellement 
imprimé.  A  Paris. 

Au-dessous  du  titre  ,  on  lit  ces  quatre 
vers  : 

Lise/,  ce  fait  gratis  et  peiis, 
Comment  ung  f.uilx  et  mauldii  Juïfz 


Lapida  mouii  cruellement 

De  l'Aulel  le  sainct  sacrement. 

L'ouvrage  entier  est  écrit  en  vers  français, 
dont  voici  un  spécimen  : 

LA   FEMME  DU  IU1F. 

Ilelas  il  seigne  quel  blasphcsme 
lia  par  Mabom  il  est  en  vie. 

la.  fille,  «  ger.oulx. 

Ilelas  doulx  père  ie  vous  prye 
Que  vous  ne  le  desperez  pas. 

le  filz,  en  pleurant. 

Ilelas  il  seigne  helas  helas  : 
Mon  père  pour  Dieu  cessez  vous 
Helas  il  est  tant  bel  et  doulx. 
Baillez  ca  ie  le  gardera  y. 

le  iuif,  tout  esbalnj. 
Or  paix  ou  ie  vous  baleray 
Merdailles  vous  fanlt  il  parler 
Paix  tout  quoy  sans  plus  babiller 
A  ce  coup  ie  vous  frapperay 
De  ceste  escourgee  singlant 
Tant  que  verray  couler  le  sang 
De  vos  flans  et  île  vos  coslez 
Aussi  bien  que  le  temps  passe 
Fut  onques  Jésus  croyez  de  vray. 

LA    FILLE. 

Ifeîas  mon  doulx  père  ie  voy 
(•ou  1er  le  sang  de  lotîtes  pars 
Et   pour  Dieu  ne  le  tuez  pas 
Yostrc  fa<  on  si  est  trop  licre. 


m 


SA! 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAI 


88S 


LE  ILIF. 

le  m'en  voys  quérir  la  derrière 
Mon  granl  cousteau  que  ce  despece 
La  chair  en  feray  mainte  pièce 
En  preu  i.  n.  m.  mi.  v.  Il  me  semble 
Par  le  grant  Dieu  qu'il  se  rassemble 
Il  est  entier  comme  devant 
le  snys  force  ne  maintenant 
lenragc  ie  ne  scay  que  dire. 

Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  français,  ont  donné  une  assez  longue 
analyse  du  mystère  de  la  Sainte  Hostie  (Pa- 
ris, 15  vol.  in-12, 1735,  t.  II,  p.  365-377).  Us 
fixent  la  dale  de  ce  drame  à  l'an  1444,  s'ap- 
puyant  sur  deux  mentions  de  représentations 
du  mystère  celte  même  année.  «  Ce  mys- 
tère, disent-ils,  est  d'un  genre  singulier,  et 
o'est  la  raison  pour  laquelle  nous  nous  som- 
mes un  peu  étendus.  » 

De  Beaucbamps  (Recherches  sur  les  théâ- 
tres de  France;  Paris,  1735,  in-8°,  3  vol., 
t.  1",  p.  226),  et  la  Bibliothèque  du  théâtre 
français,  ouvrage  attribué  au  duc  de  La  Val- 
iière,  (Dresde,  1768,  in-8°,  3  vol.,  1. 1",  p.  13), 
uni  mentionné  aussi  ce  mystère. 

Négligé  par  les  critiques  modernes,  il 
nous  a  paru  assez  curieux  pour  mériter  une 
version  complète  en  français,  qui  en  mît  la 
lecture  à  la  portée  de  tout  le  monde. 

Il  est  basé  sur  un  fait  qui  se  passa  à  Paris, 
en  1290,  et  dont  parlent  en  ces  termes  dom 
Fëlibién  et  dom  Lobineau. 

«  Au  commencement  du  pontifient  de  Si- 
mon Maliphas,  arriva  dans  la  rue  des  Jardins 
le  miracle  de  l'Eucharistie,  devenu  depuis 
si  Gélèbre...  » 

[Ici  le  récit  du  miracle,  d'après  un  monu- 
ment contemporain,  qu'a  édité  Labbe  (Nov. 
Biblioth.,  10,  1,  p.  663).  Comme  le  drame  ne 
supprime  ni  n'ajoute  rien,  et  suit  exactement 
la  légende,  nous  supprimons  la  narration 
des  deux  Bénédictins;  toutefois,  il  est  à  re- 
marquer qu'ils  ne  font  nulle  mention  de  la 
mort  de  la  Femme  et  que  l'acte  IV  du  mys- 
tère semble  tout  à  fait  original.  ] 

«  Tulle  est  l'histoire  de  la  sainte  hostie 
que  l'on  conserve  encore  aujourd'hui  dans 
l'église  de  Saint-Jean  en  Grève,  où  elle  est 
portée  en  procession  tous  les  ans,  le  jour  de 
l'Octave  du  Saint-Sacrement.  Le  miracle  lit 
bruit  dans  les  pays  étrangers,  et  Jean  Vil  - 
lani,  auteur  du  temps,  le  rapporte  dans  son 
histoire  de  Florence.  «  Un  Bourgeois  de  Paris, 
nommé  Bainier  Flaming  baslit  au  mesme 
lieu  où  la  chose  estoit  arrivée,  une  cliapelle 
qui  fut  appelée  la  Chapelle  des  miracles, 
en  1294.  On  la  donna  ensuite  aux  frères 
hospitaliers  de  la  Charité  N.  D.  de  Châlons- 
sur-Marne,  à  la  demande  de  Louis  de  Join- 
ville,  pour  y  fonder  un  monastère...  » 

«  Les  religieux  qui  «  pot  toient  aussi  le 
nom  des  Billettes  qui  estoit  peut-eslre  celui 
de  la  maison  du  Juif.»  vendirent,  le  24-  juil- 
let 1631  leur  établissement  aux  Carmes.  Les 
Bénédictins  ajoutent  : 

«  Ils  (les  Carmes)  ont  conservé  la  fête  so- 
lennelle de  la  Quasimodo  establie  par  leurs 
prédécesseurs  en  mémoire  du  miracle  de  Ja 
mainte  hostie,  et  montrent  encore  !e   canif 


dont  le  Juif  s'estoit  servi  pour  son  crime, 
avec  le  vase  de  bois  dans  lequel  i'hostie  fut 
portée  au  curé  de  Saint-Jean...  »  Histoire  de 
la  ville  de  Paris;  Paris,  in-fol.,  5  vol.,  1725, 
t.  IX,  §  64,  t.  !•%  p.  458-460. 


Acte  ï". 

SCÈNE  I". 

LA  FEMME,  Seule. 

la  femme  commence.  Mon  Dieu  !  je  ne  sais  que  de- 
venir, que  faire?  La  fortune  m'est  toujours  enne- 
mie. Hélas!  je  n'ai  plus  rien,  sauf  ma  robe,  à  ven-i 
dre.  Jamais  je  n'en  aurai  d'autre.  C'est  à  mourir  de 
désespoir.  Plus  rien,  ni  sou  ni  maille,  rien  à  boire, 
rien  à  manger.  De  quel  cô:é  tourner?  Allons,  sans 
balancer  davantage,  droit  à  la  rue  des  Jardins,  trou- 
ver un  de  ces  maudits  et  pervers  juifs,  un  de  ces  in-; 
famés  usuriers,  aussi  gros  de  péchés  que  d'écus. 
J'emprunterai  quelque  argent  pour  vivre,  car  je  n'o^ 
serais  jamais  mendier  mon  pain.  Je  ne  suis  pas  d'as- 
sez viie  naissance.  J'étais  bonne  marchande,  et 
joyeuse  et  jolie,  à  l'aise,  ne  manquant  de  rien  jusque-là. 
Mais  j'ai  si  mal  mené  mes  affaires  que  je  suis  lom-. 
bée  du  plus  au  moins.  Enfin  j'y  suis!  Plus  rien... 
Nécessité  fait  loi  ;  allons-y  donc  :  c'est  ce  que  jYi 
de  mieux  à  faire. 

SCÈNE  IL 

LA    FEMME,    LE    JUIF. 

le  juif.  Par  le  grand  Dieu!  il  ne  vient  personne. 
J'ai  vu  le  temps  où  l'on  venait  de  loin  pour  emprun- 
ta mon  argent.  Je  prêtais  à  tout  venant,  sur  bon 
gage,  à  bonne  usure.  C'est  ma  manière  d'opérer, 
c'est  ma  vie,  c'est  mon  travail.  Mais  aujourd'hui  ne 
vieiulra-l-il  donc  personne  pour  emprunter? 

la  femme.  Vraiment  je  suis  toute  troublée,  allons 
pourtant,  et  vite;  il  me  faut  engager  ma  robe  et  em-- 
prunler  au  Juif  pour  me  tirer  d'embarras  et  sortir 
de  celte  misère.  (Au  Juif.)  Jacob,  je  t'apporte  ma 
robe,  prête-moi  trente  sous  que  je  te  rendrai  sous 
peu. 

le  juif.  Avec  plaisir,  mais  lu  paieras  l'escompte. 
Voilà  trente  sons,  compte-les.  Voyons  pourtant  ta 
robe.  (//  la  regarde). 

la  femme.  Le  compte  y  est  bel  et  bien.  Merci. 
Votre  servante,  à  une  autre  fois. 

le  juif.  Entre  nous,  je  le  dirai  un  petit  mol  :  lou- 
les  les  fois  que  tu. seras  gênée,  viens  me  trouver, 
apporte-moi  des  vases  de  cuivre  ou  de  l'argenterie 
ou  des  objets  d'or,  du  linge,  des  étoffes  ou  du  bon 
drap,  et  lu  seras  la  bienvenue.  Sois  tranquille  ,  n'aie 
pas  de  craintes,  quant!  il  y  aura  de  l'argent  à  gagner, 
ma  porte  te  sera  toujours  ouverte. 

la  femme.  Bien,  bien.  Jacob,  c'est  dit.  Je  revien- 
drai certainement.  A  une  autre  fois.  Adieu. 

le  juif.  Adieu,  in'amie. 

SCÈNE  III. 

LA  FEMME,  SClllc. 

la  femme.  Adieu.  Qu'on  te  rompe  le  cou!  sois  tu 
pendu!  Enfin  j'ai  l'argent,  et  puisse-l-il  faire  bon 
usage?  Quand  le  moment  de  payer  sera  venu,  ait 
ma  robe  qui  voudra.  Usera  mort  d'ici-là,  ou  bien  moi. 
Je  le  paierai  peut-être.  Si  je  pouvais  le  tromper, 
l'attraper.  Au  pis  aller,  je  perdrai  ma  robe.  Je  met- 
trai peut-être  d'ici  là  la  main  sur  une  autre;  il  ne 
faut  qu'une  occasion.  El  je  trouverai  bien  moyen  d\  n 
avoir  une  autre.  11  m'en  tombera  une  de  quelque 
pari. 

SCÈNE  IV. 

LE  JUIF,    Si  FEMME. 

if.  juif.  Femme,  fermez  celte  robe;  j'y  ai  misuuq 


889 


SA1 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAI 


830 


carie.  Ayez-en  Lien  soin,  s'il  vous  plaît,  car  je  ne 
crois  pas  qu'elle  sorte  de  nos  mains. 

la  femme  du  juif.  C'est  aussi  mon  avis,  Jacob.  Li 
robe  csl  bonne  el  vaut  plus  de  trente  sous.  Voila, 
certes,  une  brave  femme. 

SCÈNE  V. 

LE  JUIF,  LA  FEMME,  LA  FEMME  DU  JUIF. 

la  femme,  (A  pari.)  Je  suis  bien  avancée.  Nous  voici 
à  Pâques,  et  je  ne  pourrai  pas  faire  de  toilette.  Si  je 
reste  si  mal  velue  ,  on  me  regardera  avec  mépris, 
on  me  tournera  en  ridicule,  mais  comment,  com- 
ment ? 

le  juif.  (Aussi  à  pari.)  Le  commerce  ne  va  guère. 
Voici  li  Pàque  des  Chrétiens,  et  personne  ne  se 
presse  de  venir  m'emprmitcr  ou  m'appot  ter  de  Par» 
gent.  Je  n'ai  pas  de  chance. 

la  FEMME.  (A  pari.)  Mon  Die»!  ai-jede  l'ennui  !  II 
y  a  de  quoi  se  désespérer.  J'ai  emprunté  à  ce  misé- 
rable juif  Irenie  sous  il  y  a  quelque  temps  sur  la 
meilleure  de  mes  robes.  Il  faut  absolument  que  je 
so  s  parée  aujourd'hui,  aussi  bien  que  mes  voisines, 
mes  cousines,  ma  famille,  et  je  n'ai  pas  une  robe  à 
mettre.  Ma  foi,  c'est  à  maudire  le  jour  de  ma  nais- 
sance. Quelle  vie!  Un  tel  jour,  sortir  sans  un  sou, 
sans  ma  robe,  sans  toilette!  J'en  crevé  de  dépit,  rien 
qu'à  y  songer.  Mais,  enfin,  si  j'essayais  d'aller  au- 
près du  Jnif.  Je  lui  parlerai  sérieusement,  je  le  prie- 
rai de  me  prêter  ma  robe  jusqu'à  demain  malin  de 
bonne  heure;  je  lui  ferai  serment  de  la  lui  rappor- 
ter. Il  f.ml  voir  s'il  consentirait;  peiil-èlrc.  (Au juif.) 
Que  le  Seigneur  tout-puissant  sur  les  hommes, 
vous  donne  bonheur  et  profil,  ainsi  qu'à  voire  fa- 
mille. 

le  juif.  Dieu  vous  garde!  Que  demandez-vous? 
Voulez-vous  emprunter  de  l'argent? 

la  femme.  Ilelas!  non,  sire.  Au  contraire,  je  ve- 
nais vous  prier,  pour  l'amour  de  Dieu,  el  par  respect 
pour  ce  saint  jour  de  Pâques,  où  je  dois  commu- 
nier, de  me  prêter  ma  robe.  Vous  l'aurez  de  nou- 
veau dès  demain  ;  sur  mon  honneur  cl  sur  mon  bap- 
lè  ne,  je  vous  la  rapporterai ,  cl  je  vous  serai  à  ja- 
mais reconnaissante.  Je  dirai  du  bien  de  vous  à  lout 
le  monde,  étranger  ou  connaissance. 

lejlif.  Par  Mahomet!  vous  ne  l'aurez  qu'après 
m'a\or  donné  trente  sous.  Et  vraiment,  pourquoi 
vous  la  donnerais-je,  Madame?  Je  n'ai  rencontre  de 
ma  vie  une  femme  si  singulière  que  vous  et  si  har- 
die. Non-seulement  vous  n'aurez  pas  votre  robe, 
mais  il  eu  tournera  mal,  si  vous  ne  me  donnez  de 
l'argent. 

la  f  ti..WE.  Impossible,  je  vous  le  jure.  Au  nom  du 
Dieu  qui  nous  a  remis  nos  péchés  en  soullranl  pour 
nous,  je  n'ai  rien,  jj i  b'é,  ni  vin,  ni  rente.  Je  n'ai 
plus  que  ce  que  je  porte  sur  moi.  Aussi,  au  nom  de 
Dieu  e.i  qui  j'ai  loute  foi,  pivlez-moi  ma  robe. 

le  ju:f.  (.'est  absurde.  I!  n'y  a  pas  à  en  parler.  Et 
pouiianl,  si  lu  veux  faire  quelque  chose  que  je  vais 
le  demander,  pourvu  (pie  lu  agisses  loyalement  et 
tiennes  la  promesse,  je  le  rendrai  la  ro  je  sans  récla- 
mer llll  sou. 

la  femme.  Parle,  lu  obtiendras  tout,  si  je  puis. 

le  juif.  C'est  chose  possible  pour  loi,  aujourd'hui 
même,  avant  qu'il  soii  midi;  je  le  sais.  Il  ne  faut 
qu'un  peu  d'adresse  ci  surtout  de  la  h  yaulé, 

la  FEMME.  C'c>l  promit».  Il  n'y  a  rien  de  si  difficile 
que  je  ne  lisse  pour  loi,  el  pour  ma  robe. 

il  juif.  Approche  un  peu.  Ne  m'as- lu  pas  dit 
qu'aujourd'hui  même  lu  devais  communier.  I  il  bit», 
je  saurai  si  les  Chrétiens  ont  un  Dieu  supérieur  à 
celui  de  ma  loi.  Si  tu  veux  donc  m'apporter  l'hos- 
tie entière,  lu  auras  la  robe  graiis.  Réfléchis.  Le 
peux-iu?Le  vcux-lurCe  s. ni  trente  sous  à  gagner 
aisément. 

la  femme  C'esl  terrible!  vendre  mon  Dieu  !  Re- 
commencer Judas  !  Quelle  abomination  !  je  serais 
damnée  L'.Vicr  jour  un  peu  d'argent  l'hostie  sacro- 


sainte,  qui  est  le  corps  môme  de  Jésus*  Christ.  Quelle 
horreur! 

le  juif.  Tu  n'ignores  pas  que  nous  sommes  au 
bout  du  prêt,  el  si  lu  refuses,  crois  bien  que  je  vais 
vendre  de  suite  la  robe  sans  attendre  un  seul  jour, 
un  seul  instant. 

la  femme  du  juif.  Tu  es  bien  bêle  de  t'entèler 
ainsi  pour  une  religion  si  perverse  el  si  peu  iinpor- 
lanle.  Reçois  l'hostie  dans  la  bouche,  n'y  touche 
point  de  la  langue,  mets-la  vile  dans  la  main  el  dans 
la  poche;  reviens  vile.  Qui  en  saura  quelque  chose. 
Au  moins  lu  seras  parée,  sans  avoir  rien  payé. 
N'est  ce  pas  une  bonne  affaire  dans  la  détresse? 

le  juif.  Si  tu  ne  le  fais  pas,  Ion  babil  sera  vendu 
à  l'instant;  au  contraire,  jj  vais  te  le  rendre,  si  lu 
veux  :  choisis. 

la  femme.  Je  te  le  promets.  Attendez-moi,  je  vais 
revenir  et  le  rapporter  l'hostie,  avant  midi. 

le  juif.  Va,  je  L'attends.  Resle  le  moins  longtemps 
possible.  (.4  part.)  Si  elle  m'apporte  l'hostie,  celle- 
ci  en  verra  de  dures;  je  veux  que  le  diable  m'em- 
porte, si  je  ne  lui  donne  à  souffrir. 

SCÈNE  VI. 

LE  JUIF,  SA  FEMME. 

la  femme  du  juif.  Par  Mahomet,  je  suis  conlentel 
Au  moins,  celte  fois,  je  verrai  celte  grande  affaire 
des  Chrétiens  dont  ils  font  tant  de  bruit. 

le  juif.  Si  je  liens  ce  Dieu  des  Chrétiens  dans  ma 
maison,  je  le  réponds  qu'il  n'en  sortira  pas,  dès  qu'il 
y  sera  entré,  sans  avoir  subi  auparavant  un  rude 
assaut. 

SCÈNE  VII. 

LA  FEMME,  UN  PRETRE,  UN  CLERC,  BOURGEOIS. 

la  femme.  Allons,  du  courage,  il  me  faut  accom- 
plir ce  que  j'ai  promis  à  ce  misérable  Juif,  autrement 
je  suis  perdue,  je  resle  sans  parure  en  ce  jour  do 
Pâques.  Voici  l'église  Saiul-Merry.  Je  vais  y  rece- 
voir mon  Dieu  et  je  parferai  l'œuvre  à  laquelle  je 
me  suis  librement  engagée.  (A  un  prêtre.)  Mon  cher 
seigneur,  s'il  vous  plaît,  donnez-moi  la  communion, 
puisque  vous  avez  le  lenips.  J'éiais  hier  «  au  divin 
plaisir  >  je  me  confessai  le  matin  à  vous-même,  et 
je  me  suis,  de  tout  mon  coeur,  réconciliée  dans  la 
maiinée.  Je  vous  prie  <  que  me  déliurez  preste- 
ment. » 

le  prêtre  revêtu.  Donne  dame,  à  l'instant,  s'il 
plaît  à  Dieu.  Meilez-vons  à  genoux  el  dites  voire 
Lotifueor.  (Aux  clercs.)  Clercs,  allez  à  la  sacristie  et 
allumez  quelques  cierges. 

le  clerc.  <  Liber,  ça  lost  venez  auanl,  »  vous 
aiderez  à  donner  la  communion  à  une  femme  qui 
la  demande  incontinent. 

le  premier  bourgeois.  Mes  amis,  allons  au  cloilrc 
en  l'honneur  de  la  Vierge  honorée,  car  nous  ne  sau- 
rions jamais  faire  une  meilleure  action. 

le  second  bourgeois.  La  communion  csl  instituée 
pour  le  bonheur  du  monde  entier  :  c'esl  le  corps 
même  du  Seigneur  vivant  qui  voulut  mourir  pour 
nous. 

la  femme;  elle  fait  semblant  d'avaler.  (Aux  bour- 
geois.) Beaux  seigneurs,  Dieu  vous  rende  l'honneur 
que  vous  me  files.  J'ai  communié  en  bonne  compa-» 
griie.  La  Trinité  en  soit  louée! 

le  premier  bourgeois.  Dieu  vous  donne  la  paix  c| 
la  santé;  je  vous  recommande  à  Dieu,  ma  sœur. 

SCENE  VIII. 

LA  FEMME,   LE   JUIF,   S.V  FEMME,   SA    FILLE,    SON 
FILS. 

la  femme.  (A  pari.)  Je  suis  toute  joyeuse,  je  puis 
m'en  vanter,  je  suis  venue  à  bout  de  ma  lâche,  (.lu 
Juif.)  Tiens,  regarde,  le  voici  «  le  Saulueui  de  l'hu- 
main  lienaige.  »   Je  l'ai  conquis   un  esclave   a>v  ? 


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SU 


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beau  pour  que  lu  me  remercies.  11  y  en  a  bien  qui 
auraie.il  donné  mille  ftancs  pour  1  obtenir.  Certai- 
nement, on  ne  peul  pas  mieux  réussir. 

le  juif,  à  sa  femme.  Tiens,  mets-le  en  lieu  sûr, 
et  apporte  la  robe.  Nous  verrons  plus  lard  ce  qu'il 
y  a  à  en  faire. 

la  fille  du  juif.  Ab  !  maman,  comme  il  esl  blanc 
et  tondre,  laissez-le-moi  un  peu  tenir. 

le  fils  du  juif.  Non,  à  moi.  ParMabomel!  que 
c'est  joli!  il  esl  blanc  comme  un  agneau.  Ah!  mon- 
tri'z-le  moi,  maman. 

la  femme  du  juif,  cherchant  la  robe  de  la  femme. 
Taisez-vous,  taisez-vous  donc.  Si  votre  père  vous  en- 
tendait vous  seriez  battus.  Laissez  cela;  McUez-le 
ici.  Voire  père  se  fâcherait  contre  moi. 

la  fille.  Eh  !  vraiment,  il  n'y  a  rien  au  momie  de 
si  beau  à  voir.  Ah!  ma  sœur,  quelle  belle  chose! 

i.a  femme  du  juif.  Voici  la  robe  et  la  pelisse,  ainsi 
que  les  marquent  leurs  caries.  Tenez,  faites-en  ce  que 
vous  voudrez. 

le  juif.  M'amie,  pour  bien  peu  de  chose,  je  vons 
fais  une  grande  concession.  Cachez  cela,  allez-vous- 
en  sans  bruit,  et  prenez  garde  d'èlre  vue  par  vos  voi- 
sines. 

la  femme.  N'ayez  crainte,  qui  saurait  ce  qui  s'est 
pissé  entre  nous.  Je  vous  salue,  bonhomme.  Adieu. 
Au  revoir. 

le  juif.  Adieu... 

SCÈNE  IX. 

LE  JUIF,  SA   FEMME,  SA   FILLE,   SON  FILS,  L'iIOS- 
TIE  SANGLANTE,   LE   CRUCIFIX. 

le  juif.  Nous  allons  savoir  si  ce  Dieu,  objet  de  la 
croyance  des  Chrétiens,  et  au  nom  de  qui  ils  nous 
méprisent  tant,  a  vertu,  force  ou  puissance.  Rangez- 
vous  autour  de  ce  coffre,  el  voyez  la  sollise  de  ces 
Chrétiens  qui  croient  dans  ce  pain,  qui  disent  qu'il  y 
a  là  sang  el  vie,  el  que  c'est  Dieu  même. 

la  femme  De  juif.  C'est  vrai,  c'est  là  ce  qu'ils  pré- 
lendent.  Sur  quoi  se  fondent-ils?  Il  est  impossible 
d'en  savoir  plus  long  que  nous  n'allons  en  connaî- 
tre à  l'instant. 

le  juif.  Et  vraiment,  oui.  Aussi  je  vais  essayer  de 
ce  petit  couteau.  (A  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  re- 
présenté sur  Vhoslie.)  Au  mépris  de  votre  puissance 
comme  Créateur,  et  des  dires  d'ici-bas  suivant  les- 
quels vous  auiiez  pris  chair  dans  le  sein  d'une  Vierge, 
tenez.  (Il  frappe  rhoslie  du  couteau.) 

la  femme  du  juif.  Ab!  ah!  Il  saigne...  Quel  sacri- 
lège! Ah!  par  Mahomet!  il  est  en  vie! 

la  fii. le,  à  genoux.  Ah!  bon  papa,  je  vous  en  prie, 
ne  le  frappez  pas. 

lb  fils,  en  pleurant.  Hélas!  il  saigne!  Hélas!  hé- 
las!!! Mon  père,  pour  Dieu!  arrêtez!  Ah!  Il  esl  si 
beau,  si  doux.  Donnez-le-moi,  je  le  garderai. 

le  juif,  très-élonné.  Silence,  ou  je  vous  bals.  Im- 
béciles !  Qu'avez-voua  à  crier  ?  Silence,  ou  sinon, 
sans  plus  d'avis,  je  frappe,  el  durement,  de  ce  bàlon, 
jusqu'à  ce  que  le  sang  coule  de  vos  lianes.  En  atten- 
dant, le  temps  passe.  Comme  s'il  y  avait  jamais  eu 
un  J/é.sus.  Vous  croyez  cela,  peut-èlre? 

la  fille.  Ah!  mon  bon  papa,  je  vois  couler  le 
sang  «le  tous  côtés.  Pour  Dieu!  ne  le  tuez  pas.  Vous 
êtes  trop  hardi. 

le  juif.  Je  vais  chercher  là  derrière  mon  grand 
couteau  à  couper  la  viande.  J'en  veux  faire  maint 
morceau.  Un,  deux,  trois,  quatre,  cinq.  Par  le  grand 
Dii'ii  !  il  me  semble  qu'il  se  réunit  à  chaque  coup.  Il 
est  entier  comme  devant.  Je  me  sens  furieux  comme 
mie  bêle  fauve.  J'enrage.  Je  ne  sais  que  dire.  Mais 
lu  souffriras  pis  encore,  si  c'est  possible. 

la  femme  du  juif.  Eh  !  Monseigneur,  que  vous 
dire  ?  Mais  pour  l'amour  de  Dieu,  laissez-là  celte 
hostie  me  veilleuse.  Je  suis  épouvantée  de  ce  sang 
nui  en  est  sorti  :  je  n'en  pourrai  voir  davantage.  Ah  ! 
rvjyr  Dieu  !  cessez. 


le  juif.  Pourquoi  vous  mêlez-vo:is  de  mes  pa- 
roles ou  de  mus  actions  ?..  Je  veux  le  mer.  (A  V 'hostie.) 
Par  le  grand  Dieu,  maître,  je  n'ai  pas  oublié  les 
temps  passés  ni  vos  erreurs  perverses.  Vous  avez 
é;é  crucifié  à  cause  d'elles,  vous  le  serez  encore, 
malgré  tout,  malgré  Dieu,  votre  appui  et  voire  père, 
comme  disent  les  Chrétiens. 

(//  prend  l'hostie,  et  la  cloue  à  une  colonne,  le  sang 
coule  à  terre.) 

la  femme  du  juif.  0  désespoir  qui  m'accable  ! 
mon  ami,  quelle  horreur  !  quel  spectacle!  Pour 
l'amour  de  moi,  cessez,  mon  ami,  je  vous  en  sup- 
plie. 

le  juif.  Tu  es  folle,  je  pense.  Je  veux  aller  jus- 
qu'au bout,  je  veux  le  brûler  sur  mon  feu,  el  j'en 
jure  sur  ta  têle. 

(Il  jette  au  feu  Vhoslie  qui  ny  resle  pas.) 

la  fille.  Don  papa,  elle  ne  veut  pas  y  rester; 
pour  Dieu,  cessez,  calmez  votre  colère.  Je  vous  en 
prie  à  mains  jointes. 

le  juif.  Ces  femmes  ne  me  laisseront  pas  de  re- 
pos, Dieu  les  confonde  !  (//  prend  sa  lance  el  pique 
l'hostie  sur  le  brasier.)  En  serai-je  bientôt  débarrassé? 
Mais,  malgré  Dieu,  malgré  les  cris  de  ces  peureuses, 
je  frapperai  ce  Dieu  des  Chrétiens  de  ma  lance. 

(//  prend  ensuite  un  couteau  de  cuisine  et  hache  l'hos- 
tie au  travers  de  sa  maison.) 

le  fils  du  juif,  pleurant.  Ah  !  la,  la,  bon  papa, 
arrêtez  donc.  Voulez-vous  tuer  ce  bel  enfant?  Voyez 
comme  le  sang  coule.  On  ne  vit  jamais  chose  plus 
pitoyable. 

le  juif.  Silence  ici,  car,  si  je  me  fâche,  les  diables 
emporteront  tout.  Ne  ferai-je  point  ma  volonté  de  ce 
mécréant  que  j'ai  acheté?  (A  riiostie.)  Dieu  ou  non 
vous  allez  être  bouilli  dans  celte  chaudière,  j'en  jure 
par  Dieu  el  sa  loi. 

la  femme  du  juif.  Hélas  !  mon  seigneur,  restez 
tranquille.  Vous  èlez  bien  pervers  et  bien  cruel  de 
ne  pas  être  ému  d'un  miracle  si  glorieux.  C'est  de  la 
furie,  de  la  haine,  du  venin,  de  ne  point  voir  Dieu 
même,  grand  et  lion,  dans  celle  hoslie  ruisselante 
de  sang.  Vous  devenez  un  monstre,  un  fou,  un  in- 
fâme, un  indigne  persécuteur.  Mon  doux  ami,  apai- 
sez-vous. Mettez- vous  à  gonoux,  adorez  Jésus, 
priez-le,  demandez-lui  grâce  pour  voire  crime. 

le  juif.  Là,  là,  je  vous  prie,  débattez-vous  moins. 
Jamais  il  ne  sortira  de  mes  mains  que  bouilli,  brûlé, 
mis  en  mille  morceaux  pour  le  vrai  Dieu.  Mes  aïeux 
l'onl  combattu  il  y  a  des  siècles.  Taisez-vous.  Nous 
verrons  bientôt  s'il  demeurera  vivant  ou  non. 

la  fille.  Hélas,  hélas.  Quelle  abomination  !  Dans 
l'eau  sanglante,  je  vois  le  noble  et  digne  corps  de 
Dieu  se  jouer  comme  un  enfant.  Très-Haut  puissant 
et  glorieux,  faites  témoignage  de  votre  puissance, 
arrêtez  la  fureur  el  la  malice  de  mon  père. 

le  juif.  Hors,  hors  d'ici,  sauvez-vous,  ou  vous 
sentiriez  les  effets  de  moi  colère.  Par  nia  loi! 
quelles  imbéciles  ! 

(On  voit  apparaître  un  crucifix  dans  la  chaudière  le 
long  de  la  cheminée.) 

la  femme.  Doux  Seigneur,  quelle  lutte.  Roi  glo- 
rieux, Seigneur,  vrai  Dieu,  voilà  ton  cher  fils  sous 
la  ligure  d'un  crucilix.  Doux  Seigneur,  doux,  grâce! 
Vraie  hostie  du  sacrifice,  je  le  prie  de  lont  mou 
cœur  avec  une  profonde  piété. 

le  juif.  Eh  quoi,  faut-il  céder  la  place?  Comment 
rester  ici  ?  Je  ne  puis  tenir  les  yeux  levés  sur  ce 
Dieu.  Démons  d'enfer!  qu'ai-je  fait?  Je  reconnais 
mon  crime  affreux.  Je  suis  au  désespoir  de  ma  furie 
sanglante. 

L*  fille.  0  précieuse  image,  injustement  itèj-a 
rondamiée  à  la  mort,  devais-iu  souffrir  une  seconde 
f  lis  ici  la  cruelle  passion,  objet  d'un  si  indicible 
désespoir.  Oh  !  ilaigttc  pardonner  ù  ma  mèr.\  à  mat* 


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SAl 


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SAl 


8b  & 


frère  et  à  moi  qui  la  confessons,  ci  le  reconnais- 
sons pour  le  Sauveur  du  monde. 

le  fii.s.  0  crucifix  divin  et  pur,  je  le  demande 
grâce.  Je  quille  ces  lieux  que  la  Grandeur  aliliorrc. 
Maudit  soil  celui  qui  m'engendra  et  maudite  la 
femme  qui  t'a  apporté  ici  pour  y  souffrir  de  tels 
maux. 

la  femme  nu  juif.  Je  ne  veux  plus  resier  ici; 
viens,  nia  fille;  allons  chez  quelque  parent  chercher 
un  asile. 

i  a  fille.  Oui,  ma  mère,  car  avant  la  fin  de  ce 
jour,  mon  père  aura  subi  la  punition  de  son  forfait. 

(La  femme  et  les  enfants  s'en  vont.  Le  Juif  reste  sur 
■    son  lit,  dans  le  désespu  r.) 

la  femme  du  juif.  Ali  !  ce  n'est  que  Irop  sûr,  je 
m'y  attends.  Aussi  veux-je  èlre  loin  de  celle  maison. 
Ton  père  seul  doit  être  puni  de  ses  méfaits. 

SCÈNE  X. 

Martine,  servante,  deux  enfants  de  paris, 

LE  FILS  DU  JUIF. 

(On  voit  un  oratoire  de  Sainte-Croix  et  l'on  entend  la 
cloche  sonner  /'a  dieu  leuer.  ) 

maktinr,  vieille  femme  reconnaissable  à  son  costume. 
Benedicile  Dominus.  Ah  !  la  grand'nnsse.  Que  va 
('ir--,  Madame  ?  La  laide  n'est  pas  dressée.  Tant  pis, 
j'irai  à  l'église,  car  les  offices  passent  avant  tout, 
puis  je  reviendrai  vite  à  l'hôtel. 

un  enfant  de  paris.  Vile,  vile,  Robinet.  La  clo- 
che sonne  à  Sainte-Croix,  Je  veux  aller  à  la  inesse. 

le  second  gamin.  Attends-moi,  Miclielel;  je  ne 
veux  pas  y  manquer  non  plus. 

le  fils  du  juif,  les  rencontrant.  Enfants,  où  cou- 
rez-vous si  lestement?  qu'allez-vous  faire  ? 

le  premier  gamin.  Nous  allons  voir  ce  Roi  de 
houle  qui  souffrit  la  mort  pour  nous  et  ressuscita 
aujourd'hui  même,  pour  le  salut  des  hommes. 

le  fils  du  juif.  Par  ma  loi,  ne  courez  pas  de  ce 
côlé,  car  il  n'est  pas  au  couvent  (de  Sainte-Croix). 

le  second  gamin.  Allons,  marche,  ne  vois-tu  pas 
qu'on  se  moque. 

Martine.  L'nfanls,  que  vous  a  dit  ce  Juif?  que 
vous  veut- il  ? 

le  premier.  Ce  qu'il  veut?  Le  sait-il  lui-même? 
Il  nous  a  demandé  où  nous  allions,  et  lorsque  nous 
avons  eu  fait  réponse  :  auprès  de  Dieu,  il  nous  a 
dit  que  Jésus,  noire  Sauveur,  n'était  point  au  cou- 
vent. 

martine.  Il  veut  rire.  J'ai  envie  de  lui  donner  un 
coup  i'e  poing  sur  son  chapeau. 

le  fils  du  juif.  Mais  oui,  il  est  chez  nous  et  non 
pas  au  couvent.  Aussi  vrai  que  vous  l'honorez,  mon 
père  l'a  percé  d'un  coup  de  couieau,  crucifié,  le 
sang  coulait;  il  a  voulu  le  brûler,  il  l'a  piqué  de  sa 
lance,  mis  au  feu,  et  enfin  dans  notre  chaudière  où 
il  csi  devenu  brillant  comme  un  vil  rail  et  s'est  chan- 
gé en  un  crucifix.  Allez  voir,  si  vous  ne  me  croyez 
pas;  sur  ma  loi,  c'est  vrai.  El  c'est  pourquoi  j'ai  dit 
qu'il  ne  pouvait  èlre  dans  voire  couvent. 

hartine.  Mes  durs  enfants,  restez  ici  auprès  du 
Juif.  Je  vais  voir  ce  qu'il  y  a  de  vrai  en  tout  ceci. 
El  par  Dieu,  à  mon  retour,  je  vous  donnerai  quel- 
que chose.  Mais  ne  dites  rien  à  personne. 

u  second  enfant.  Revenez  vile,  nous  allons  vous 
ai  tendre.  L'ami,  joue  avec  nous.  Voici  des  œufs. 
Veux-Iu   <  bouler,  i 

i  e  fils  du  juif.  Oui  si  vous  voulez  m'en  donner, 
car,  pour  le  moment,  je  n'en  ai  pas. 

le  premier  enkant.  Eli  bien,  lu  cil  auras  à  l'ins- 
tant  «  Boulons  an  long  du  cumetiète,  i 

martine.  Bonne  vierge,  ma  gardienne,  mon  cœur 
est  serré  comme  s'il  portail  une  grosse  ch:.iue  .ic 
fer.  Je  n'entendis  jamais  un  récit  qui  me  fil  plus 
d'horreur  que  celui  de  ce  Juif.  Dieu  !  je  vais  prendre 
ce  plateau,  propre  et  luisant,  et  -.ais  fane  semblant 


d'être  une  servante  qui  va  chercher  du  feu.  Peut- 
être  saurai-je  quelque  chose  devrai. 

SCÈNE  XI. 

MARTINE,  LE  JUIF. 

(Pause.) 

martine  (reprenant).  Rose  précieuse  et  sainte, 
mère  de  mon  Dieu  immortel,  quels  lieux  sanglants, 
quelle  scène  funeste,  quel  spectacle  affreux  !  Dieu  de 
gloire!  Roi  de  gloire!  armé  de  voire  signe  de  croix, 
j'ose  avancer  (Elle  se  signe,  prend  du  feu  et  l'hostie 
saute  sur  le  plateau.)  Glorieux  père  spirituel,  est-ce 
vous  dans  celle  extrémité  ?  Ah  !  Dieu  soil  héni  !  Les 
désirs  de  mon  cœur  sont  satisfaits,  et  je  vais  a  l'é- 
glise porter  ton  corps  très-précieux,  si  sacré,  si 
plen  d'une  gloire  ineffable.  Loué  soil  le  nom  du  Très- 
Haut!  Il  l'a  plu  de  l'humilier,  de  l'abaisser  jusqu'à 
ma  main.  Béni  soit  ce  jour! 

le  juif.  Haro  !  haro  !  quelle  destinée  !  Grand  Dieu  ! 
je  suis  perdu,  perdu.  Misérable,  maladroit,  impuis- 
sant en  mes  volontés  conlre  ce  Dieu,  contre  ce  fils 
de  Marie  que  j'ai  tourmenté...  Mais  il  s'agit  de  la  vie 
pour  moi,  si  l'on  s'en  doute.  Aussi  vidons  promple- 
menl l'eau  de  ma  chaudière...  Qu'est-ce?  celte  eau 
est  blanche,  rouge,  noire,  ma  maison  est  verte 
comme  un  fruit...  Il  y  a  de  quoi  devenir  fou...  Je 
vais  jeter  l'eau  dans  un  lieu  secret,  afin  que  le  jour, 
le  lieu,  tout  soit  ignoré. 

SCÈNE  XII. 

MARTINE,     LES  ENFANTS  DE    PARIS,  LE  FILS    DU  . 

JUIF. 

martine.  Souverain  Dieu  de  ma  naissance  !  Toute 
créature  raisonnable  est  soumise  à  mon  Dieu,  à  ce 
très-doux  Seigneur,  et  ce  Très-Haut  descendu  sur 
moi  !  Tu  es  venu,  avec  une  suprême  bonté,  sur  une 
grande  pécheresse,  en  état  de  grâce  il  est  vrai,  mais 
bien  indigne  de  te  porter.  Mais  me  voici  au  couvent, 
josuis  à  bout  de  mes  forces,  il  me  semble  que  je 
suis  entourée  de  liens,  j'ai  un  nuage  sur  les  yeux, 
que  peut-ce  être?  Hélas!  n'y  a  t-il  pas  un  prêtre  par 
ici  qui  puisse  venir  me  parler.  Je  veux  tout  raconter, 
ne  pouvant  plus  garder  Un  si  grand  secret. 

le  fils  du  juif.  N'avais-je  pas  dit  vrai  ?  avez- 
vous  trouvé  voire  Dieu  ?  H  est  certainement  bien 
mouillé  et  coupé  en  bien  des  morceaux. 

LE    PREMIER   ENFANT   DE    PARIS.     VenCZ-VOIIS,     IllèrO 

Jumeaulx,  nous  vous  avons  bien  entendue.  Avez-vous 
trouvé  le  roi  Jésus,  comme  le  disait  ce  sol  Juif  ? 

martine.  Ma  foi  il  ne  ineniaii-pas,  et  je  vous  prie, 
allez  chercher  le  prêtre  pour  qu'il  reçoive  à  genoux 
mon  trésor. 

SCÈNE  XIH. 

MARTINE,  LE   FILS  DU    JUIF,  LE  CURE  DE  SAINT- 
JEAN  ,    UN   PRÊTRE,   PLUSIEURS    ROLRGKOIS. 

LE  CURÉ    DE    SAINT-JEAN.    Qu'y  3-l-il  ? 

martine.  Seigneur,  regardez.  C'est  Dieu  même 
qu'à  l'instant  je  viens  de  trouver  dans  la  maison 
(l'un  misérable  Juif.  On  l'avait  mis  sur  le  feu,  dan-; 
une  chaudière.  En  pénétrant  dans  ce  logis,  je  fus  si 
glacée  de  crainte  que,  sans  le  signe  de  la  croix,  je 
n'aurais  pu  faire  un  pas  de  plus...  Mais  j'avais  l'in- 
tention de  pisser  outre  cette  église  cl  de  garder 
pour  moi  mou  Dieu...  Les  anges  m'ont  arrêtée,  je  les 
sens  encore  autour  de  moi.  Aussi,  seigneur,  je  vous 
remets,  je  vous  livre  celle  bosiie.  Ariélez  le  Juif,  lui 
seul  peut  dire  ce  qui  b'esl  passé. 

ir.  CURÉ,  à  genoux,  ainsi  que  tous  les  assistants,  et 
prenant  l'hostie.  Très-glorieux ,  très-doux  Jésus , 
soyez  le  hein  venu  dans  votre  église.  Voici  un  très- 
noble  miracle.  Seigneurs  bourgeois,  allez  avec  ni 
enfant,  et  diles  au  prévôt  de  se  rendre  en  toute  ha^e 
nie  des  Jardins,  n<ju,r  arrêter  l'hoi  ril.de  scélérat  qui 


sy* 


SA! 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAI 


8G6 


a  tenté  un  crime  si  odieux  contre  no're  souverain 
créa  leur. 

le  premier  bourgeois.  C'est  juslc,  j'y  vais.  (A  un 
nuire  bourgeois.)  Vous,  allez  auprès  de  l'évêque, 
pour  ((ue,  sans  autre  relard,  il  vienne  avec  tons  ses 
clercs  :  il  faut  que  ce  Juif  soit  puni  à  l'instant  même. 

le  fils  du  juif.  Mon  père  doit  dormir,  chez 
lions,  sur  son  lil  el  vous  allez  tout  surprendre,  tel 
que  c'était,  dans  la  maison. 

le  curé  de  saint-Jean.  Je  vais  mettre  sur  l'autel  ce 
saint  sacrement  béni.  Il  faut  que  ce  faii  éclatant  soil 
connu. 

un  autre  prêtre.  Ce  sera  bien  vu,  el  fera-l-on 
bien  de  sonner.  Chantons  tous  un  Te  Deum  lauda- 
mus. 


ILrte  II. 

SCÈNE  I". 

LE   PREMIER    BOURGEOIS,  LE    PRÉVÔT,   LE    PRE- 
MIER    SERGENT. 

le  premier  rourgeois.  Monseigneur ,  au  nom  de 
Jésus  el  de  la  Vierge  Marte!  si  ma  voix  tremble,  ne 
vous  étonnez  pas.  Il  faut  que  vous  vous  hâtiez 
avec  vos  sergents.  Il  y  a  plus  de  mille  ans  qu'il  n'ar- 
riva pareille  chose  à  Paris  ooinnie  en  ce  jour  :  c'est 
ce  (pie  tout  tout  le  monde  dit. 

le  prévôt.  Quoi  donc? 

le  bourgeois.  Un  misérable  ,  qui  demenre  dans  la 
rue  des  Jardins  ,  a  tant  frappé,  torturé  une  sainte 
hostie-,  que  le  sang  coule  dans  toute  la  maison.  Une 
1)0)  ne  el  digne  femme  a  rapporté  l'hostie  à  Saint- 
Jean,  si  émue,  si  troublée,  que  Dieu  seul  sait  ce 
qui  s'esl  passé.  Sire,  au  nom  de  Dieu  ,  allez  vite 
arrêter  le  Juif.  Il  est  sur  son  lit.  C'est  ce  que  dit  son 
fils  qui  a  tout  révélé. 

le  prévôt.  Eh!  sergents,  apprêtez-vous!  Il  y  a 
miracle  évident.  Courons  prendre  ce  scélérat  Itéré- 
lique.  On  lui  fera  son  affaire  ,  ou  que  je  sois  à  jamais 
debout! 

le  premier  sergent  au  nom  de  ses  camarades.  Mon- 
seigiicur,  nous  ne  manquerons  pas  à  notre  devoir , 
nous  qui,  à  loules  heures,  sommes  à  vos  comman- 
dements. 

SCÈNE  II. 

LE    SECOND    BOURGEOIS,    L'ÉVÊQUE. 

le  second  bourgeois  parlant  à  l'évêque  de  Paris. 
Souverain  et  révérend  Père,  il  faut  sans  retard  el 
absolument  venir  à  Saint-Jean  pour  être  témoin  d'un 
miracle  sans  pareil  :  une  sainte  hostie  a  été  lour- 
inei'iée  par  un  misérable  Juif,  selon  la  volonté  du 
Très-Haut.  Enfin  une  femme  l'a  emportée  pour  son 
propre  bonheur,  et  suivant  son  devoir.  Mais  vous 
saurez  tout  en  venant  de  suite.  Amenez  du  couvent 
des  clercs  t  mendiants  ou  possesseurs.  >  car  vous 
n'arriverez  qu'après  le  prévôt  qui ,  déjà  averti ,  a  dû 
s'emparer  du  Juif  et  commencer  l'enquête. 

l'évêque.  t  Celuy  qui  vil  en  union  »  soil  loué 
pour  ce  jour!  nous  allons  assembler  nos  clercs.  V«  us, 
allez  au-devant  du  prévôt  pour  qu'il  nous  attende. 

le  second  bourgeois.  Oui,  monseigneur,  Dieu  vous 
garde! 

SCÈNE  III. 

l'évêque,    l'official. 

l'évêque.  Officiai ,  réfléchissez  qu'il  nous  faut  de 
6iiile  des  clercs  sages,  rusés,  prudents  cl  expérimen- 
tés pour  ce  procès.  II  faut  qu'il  soil  habilement  con- 
duit el  reste  comme  modèle. 

l'official.  Monseigneur,  soyez  sans  crainte,  nous 
sommes  pourvus  au  mieux;  il  n'y  a  qu'à  faire  dili- 
gence au  i.om  de  Jésus. 

l'évêque.  S'il  en  est  ainsi,   cl  je  veux  le  croire  , 


ce  sera  loi  l'ait  :  le  Juif  sera  brûlé,  ou  que  jamais  je 
ne  goûte  de  pain 

SCÈNE  IV. 

LE  PRÉVÔT,  Le  SERGENT,  LE  PREMIER  ET  L3 
SECOND  BOURGEOIS,  LE  CURÉ  DE  SAINT- 
JEAN,  LE  JUIF,  SA  FEMME  ET  SON  FILS. 

(Le  prévôt,  le  bourgeois  et  le  sergent  se  rendent  en- 
semble à  Saint-Jean  de  Grève. 

le  prévôt.  Allons,  vite,  mieux  vaut  aujourd'hui 
que  demain.  Prenez  cet  imbécile  de  petit  Juif  et 
qu'il  nous  mène  à  la  maison  de  son  coquin  de  père. 
(En  entrant  an  couvent.)  C'est  vrai,  voici  l'hostie. 

le  second  bourgeois.  Conservez-la  avec  bien  du 
respect,  car  l'évêque  approche. 

le  curé  de  saint  jean.  Holà,  sonnez  à  sa  glorieuse 
arrivée;  lotit  est  connu,  ce  sera  bientôt  fait. 

le  fils.  Voici  la  maison  de  mon  père ,  la  maison 
du  crime,  Monseigneur. 

le  prévôt.  Entrez,  prenez  femmes,  enfants,  avec 
ce  scélérat  Juif.  (Dans  la  maison.)  Voici  les  instru- 
ments de  torture,  saisissez-les. 

le  premier  sergent.  Je  ne  bougerai  d'ici  que  tout 
ne  soit  dehors. 

le  juif.  Qu'y  a-t-il?  seigneurs,  qu'y  a-l-il  ?  que 
demandez-vous? 

le  prévôt.  Ah!  scélérat,  tu  étais  donc  là? 

la  femme  du  juif.  Qu'y  a-l  il?  Messieurs,  qu'y  a- 
t-il? 

le  premier  sergent.  Vous  le  saurez.  Est-ce  vous 
qui  avez  commis  ce  crime? 

le  premier  bourgeois.  Ah!  Dieu,  combien  de  dou- 
leurs a  m  ères  a  subies  l'hostie  divine  en  ces  lieux! 
Voyez  celle  eau  sanglante  qui  bouillait  sous  leurs 
yeux. 

le  second  bourgeois.  Prenez  garde  au  prisonnier. 
Voici  une  grande  demi-lance  dont  le  manche  est 
couvert  de  sang.  C'est  avec  cela   qu'ils  ont  frappé. 

le  second  enfant  de  paris.  11  faut  recueillir  celte 
eau  si  précieuse. 

le  juif.  Vraiment,  c'est  incroyable,  que  deman- 
dez-vous, mes  beaux  seigneurs?  vous  me  dévalisez, 
qui  ma  chaudière,  qui  mon  trépied.  Pourquoi  ce 
pillage?  ai-je  tué,  ai-je  blessé  quelqu'un  ? 

LA  FEMME  DU  JUIF.    HcluS  !   Olli. 

la  fille.  Helas!  oui. 

le  fils.  Tout  est  connu,  il  n'y  a  plus  de  res- 
source. 

le  prévôt.  Enchaînez  le  prisonnier ,  el  marchons 
vite.  Nous  trouverons  Monseigneur  l'évêque  à  l'hô- 
tel de  ville. 

le  premier  rourgeois.  Avec  la  grâce  de  Dieu  el  de 
saint  Cille,  je  veux  emporter  ce  couteau  taché  du  san^ 
précieux  qui  jaillissait  de  l'hostie. 

le  second  bourgeois.  El  moi  j'aurai  au  moins  celle 
chaudière  pour  relique,  car  le  miracle  esl  certain. 

SCÈNE  V. 

L'ÉVÊQUE,  LE  CURÉ  DE  SAINT-JEAN,  LE  PRÉ- 
VÔT, LE  JUIF,  SA  FEMME,  SA  FILLE,  SON 
FILS,  MARTINE,  CLERCS,  BOURGEOIS,  PEU- 
PLE. 

le  prévôt.  Père  en  Dieu,  Révérend  et  très-cher 
Seigneur,  el  vous  tous,  sages  clercs,  cl  tous  vous  aussi 
laïques,  je  vous  amène  le  scélérat  Juif,  coupable  du 
plus  horrible  forfait  que  jaimis  Paris  ail  vu.  J'ai  fait 
mon  enquête,  sa  femme,  son  fils  en  témoignent. 
Ces  bourgeois  honorables,  dont  la  parole  ne  saurait 
être  l'objet  d'un  doute,  confirmeront  de  leurs  dépo-. 
silions  ces  accusations  irrésistibles.  Enfin,  j'ai  à  pro- 
duire devant  vous  celle  femme  pieuse  el  héroïque 
qui  a  reçu  sur  un  plateau  l'hostie  sacrée  au  milieu 
de  son  martyre.  Tels  sont  les  éléments  de  ce  procès; 
il  vous  reste  à  découvrir  la  vérité;  quant  à  moi,  ma 
conviction  esl  foi  niée  et  mon  indignation  es!  piclc  à. 
s'appesantir  sur  cet  hû'mmii 


857 


SAI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAI 


898 


l'évêque.  Juif,  avance  jusqu'ici.  Dis  la  vérité,  on 
te  fera  grâce.  D'où  t'est  venu  celte  pensée  sacrilège 
cl  comment  s'est  accompli  le  forfait? 

le  juif.  Evoque,  et  vous  prévôt,  je  vous  dirai 
toul.  Un  jour  je  prêtai  trente  sous  sur  une  robe  à 
une  chrétienne  ennemie  de  mes  dieux.  Elle  vint  à 
Pâques  me  demander  sa  parure,  sans  argent,  ne 
m'apporta  ni  que  la  promesse  de  me  remettre  une 
garantie  le  lendemain  sans  faute.  Je  refusai  net, 
sauf  le  cas  où  elle  voudrait  m'apporter  l'hostie  de 
sa  communion.  Elle  l'appoila  en  effet  de  l'église  de 
Saint Méry  et  je  lui  rendis  sa  robe.  Possesseur  du 
corps  de  votre  Dieu,  je  voulus  savoir  s'il  était  vi- 
vanl,  et  il  se  trouva  que  oui;  c'est  alors  que  je  fus 
saisi  de  fureur  et  (pie  je  commençai  de  le  crucilier, 
cl  de  le  jeter  au  feu,  persécuter,  précipiter  à  terre, 
frapper,  lapider  ,  plonger  dans  l'eau  bouillante.  Mais 
il  demeura  entier  néanmoins;  et  il  se  changea  enlin 
en  un  crucifix  dont  je  ne  pus  supporter  l'aspect.  Ma 
femme  s'écriait,  les  lèvres  pleines  de  blâmes,  mes  en- 
fants avec  elle;  tous  m'accusaient  de  rage  et  de  folie. 
Ma  fureur  devint  telle  que  n'en  pouvant  soutenir  le 
poids,  je  me  laissai  tomber  sur  mon  lit.  Que  savez- 
vous  davantage,  seigneurs  :  c'est  là  toute  la  vérité. 
Sans  doule  vous  avez  dessein  de  me  faire  un  mau- 
vais parti ,  mais  songez  qu'il  csl  écrit  dans  vos  livres  : 
Je  ne  veux  pas  la  mort  du  pécheur,  mais  sa  conversion 
el  sa  vie.  El  dans  ma  situation  actuelle,  je  suis 'prêt 
à  recevoir  le  baptême  ,  qui  seul  peut  m'arracher  au 
dernier  supplice. 

l'évêque.  Récit  terrible ,  obstination  surprenante! 
Juif  coupable,  comment  ne  cédais-tu  pas  aux  re- 
proches de  la  femme?  ne  te  souvenais-tu  pas  des 
douleurs  de  la  Passion?  As-tu  cessé  un  instant  de 
bonne  volonté?  clercs  el  laïques,  vous  avez  entendu  : 
le  fait  est  avoué,  et  ce  criminel,  par  crainte  de  la 
mort,  demande  le  baptême. 

le  prévôt.  Non,  non!  La  mort.  Sa  demande  n'est 
qu'une  fourbe,  et  il  retomberait  dans  le  même 
crime,  s'il  ne  faisait  pis  encore. 

le  premier  bourgeois.  Evidemment,  car  c'est  un 
scélérat  consommé.  Quant  à  sa  femme  etàsesenfauls, 
s'ils  veulent  le  b;ipleme  ,  on  peut  le  leur  donner. 

la  femme  du  juif.  Je  veux  servir  et  aimer  Dieu; 
ma. s  je  luirai  mon  mari  toute  ma  vie,  car  c'est  le 
plus  grand  brigand  du  royaume. 

le  fils  du  juif.  El  moi  aussi  ;  j'abandonne  mon 
père,  car  c'est  un  misérable  ,  el  je  veux  eue  chré- 
tien. 

le  juif.  Vous  renoncez  la  Loi  ;  quant  à  moi  au 
milieu  de  cet  abandon  universel,  je  choisis  la 
mort. 

le  prévôt.  Révérend  évêqué,  prononcez.  Qu'en 
faire?  Le  crime  est  prouvé  el  avoué. 

l'évêque.  Laissez  finir  celle  l'été  de  Pâques,  je 
vous  en  piie,  Prévôt.  Ensuite  on  s'en  occupera. 

le  pre\ôt.  A  voire  bon  plaisir,  Seig.ieur.  Quand 
vous  aurez  le  temps  on  terminera, 

l'évêque.  Vous  ,  ma  chère  amie,  et  vous,  mes 
beaux  enfants,  croyez-vous  de  bon  cœur  en  Dieu 
descendu  ici-bas  pour  racheter  les  esclaves  égares 
par  suite  du  péché  du  premier  père;  en  sa  nais- 
sance du  sein  de  la  Vierge-Mère,  en  sa  passion  sur 
la  croix  où  l'eau  el  lesaug  jaillirent  deson  côté,  en  sa 
résurrection  le  troisième  jour,  en  sou  ascension  glo- 
rieuse à  la  vue  des  hommes,  el  en  la  transmutation 
de  ce  pain  après  le  saint  sacrifice  à  l'autel? 

la  femie  du  juif.  Père  eu  Dieu ,  je  crois  tout  cela 
el  demande  le  baptême. 

la  fille.  Père  en  Dieu,  je  crois  tout  cela  d'un 
cœur  pur  et  loyal. 

l'énêque.  Comment  les  nommer? 

le  second  bourgeois.  Isabelle,  Jean  et  Jeanne. 

l'évêque.  Croyez-vous  avec  foi? 

le  fils  du  juif.  Père  ,  en  Dieu ,  je  crois  lotit  cela  , 
et  vous  demande  le  baptême. 

l'£\eque.  Au  nom  du  Dieu  tout- puissant  je  vous 


baptise  :  In  nomine  Patris  et  Filii  et  spiriius  Sancti. 
El  vous,  amis,  qui  les  avez  nommés  ,  vous  avez 
charge  de  leur  enseigner  la  loi ,  de  leur  expliquer  ce 
que  je  leur  ai  demandé,  et  de  les  instruire  le  mieux 
possible,  sou»  peine  d'excommunication.  Vous,  res- 
pectable curé,  vous  garderez  cette  boslie  merveil- 
leuse; nous  accordons  cent  jours  d'indulgence  à  lous 
ceux  qui  se  cotiseront  pour  lui  faire  une  cbâsse  cl, 
pour  y  meure  de  l'ordre,  nommez  des  majors.  Sur 
ce,  je  vous  recommande  à  Dieu. 

le  curé  de  saint-ji:an.  l'ère  en  Dieu,  la  Vierge 
pure 'qui  porta  dans  ses  lianes  Jésus-Christ ,  vous 
ait  en  sa  garde  éternelle.  Je  vais  mettre  dans  celle 
armoire  celle  boslie  sacro-sainie.  Bonnes  gens  ,  lo 
noble  prélat  ayant  accordé  cent  jours  d'indulgence 
pléuierc  à  quiconque  donnera  pour  la  châsse  de  celle 
relique  précieuse  ,  Dieu  vous  les  remettra.  Ne  soyez 
donc  pas  négligents.  Vous  avez  vu  tous  ce  grand  et 
sérieux  miracle,  gardez-en  la  mémoire;  respectez 
celte  hostie,  fondez  el  conservez  une  confrérie  au 
lieu  même  où  ce  fait  s'est  passé ;el  que  les  confrères 
se  montrent  pour  la  première  lois  autour  du  bûcher 
de  ce  Juif  pervers  el  obstiné.  C'est  ainsi  que  nous 
obtiendrons  le  paidon  et  la  grâce  de  Dieu.  Amen. 


Acic  III. 

LA  CONDEMPNATION  DU  FAULX  JUIF.  COM- 
MENT IL  FUT  AHS  BIUJSLE  DEHORS  PARIS  OU 
MARCHÉ    AUX    POURCEAUX. 

Comment  il  fut  brûlé  sur  le  marché  aux  porcs 
de  Paris. 


SCÈNE  I". 


DE      LA 


L  EVEQUE,     L  OFF1CIAL,     UN     SERGENT 
COUR     DU     PARLEMENT. 

l'évêque.  Il  faut  qu'une  punition  éclatante  montre 
à  tous  le  sort  dernier  de  ce  faux  Juif,  dont  la  folle 
erreur  et  l'incrédulité  ont  donné  lieu  à  un  miracle 
si  grand.  Officiai,  il  faut  aviser  à  cela  aujourd'hui. 

l'official.  Frappez  le  coupable,  Monseigneur, 
vous  le  pouvez  ,  le  cas  étant  manifeste. 

l'évêque.  Mais  je  ne  puis. 

l'official.  Evidemment  si ,  néanmoins  le  fait  se 
présente  pour  la  première  l'ois. 

l'évêque.  N'y  a-t-il  pas  d'autre  exemple? 

l'official.  Ou  cherchera  ,  ce  sera  bientôt  fait. 

L'ÉVÊQUE.  Je  vais  mander  l'inquisiteur;  et  l'on  dis- 
cutera sur  ce  point  important.  Je  vais  aussi  mander 
l'Université  el  le  prévôt  de  Paris  qui  garde  le  Juif 
dans  ses  prisons.  On  va  aussi  conclure  sans  discus- 
sion ni  plaidoyers.  Faites  entrer  un  huissier. 

LE  SERGENT  DE  LA  COUR  DU  PARLEMENT.  Monsei- 
gneur! 

l'évêque.  Ecoulez.  Allez  à  l'Université  el  priez  le 
recteur  de  se  rendre  auprès  de  nous  avec  ses  pro- 
fesseurs, parce  qu'il  s'agit  d'une  affaire  importante 
pour  lui. 

le  sergent.  Vous  serez  obéi  très-volontiers. 

l'évêque.  Ensuite  vous' irez  auprès  du  prévôt  de 
Paiis  le  prier  de  venir  ici  accompagné  de  son  con- 
seil. 

le  sergent.  Soyez  sans  inquiétude,  Monseigneur; 
vous  serez  ponctuellement  obéi. 

l'évêque.  Attendez,  vous  êtes  trop  prompt  ;  dites- 
lui  aussi  qu'il  lasse  conduire  ici  le  Juif. 

le  sergent.  Je  n'y  manquerai  pas,  Monseigneur, 
sur  mon  honneur. 

SCÈNE  II. 

LE    SERGENT,    L'UNIVERSITÉ,     L  INQUISITEUR. 

le  sergent  (à  l'Université),  Noble  assemblée,  Dieu 
vous  garde  !  Seigneurs  el  amis,  l'évêque  m'envoie 
vers  vous  pour  que  vous  l'alliez  trouver  ici  près.  Jer 
vais  en  toute  hâte  vers  le  prévôl. 


899 


SAI 


DICTIONNAUΠ DES  MYSTEKES. 


SAI 


990 


i.e  recteur.  C'est,  selon  moi,  pour  l'affaire  île  « 
misérable  Juif. 

l'inquisiteur.  Le  cas  est  certes  merveilleux,  par- 
lons. 

SCÈNE  111. 

LE    SERGENT,    LE    PRÉVÔT. 

le  sergent.  Sire,  Monseigneur  de  Paris  m'envoie 
vous  quérir  ;  venez,  s'il  vous  plail  :  il  dit  que  vous 
savez  pourquoi. 

le  prévôt.  C'est  bon,  je  sais,  on  en  parie  assez; 
je  me  rends  auprès  de  l'évêque. 

SCÈNE  IV. 

LE     PRÉVÔT,    MAIGREDOS,    L'AFFAMÉ,     LE     JUIF 
JACOR   MOUSSE. 

le  prévôt.  Sus,  sergents,  dépêchez  :  amenez  de- 
vant nous  ce  Juif  qui  est  dans  nos  prisons,  cl  sans 
plus  de  discours.  Je  veux  l'interroger. 

maigredos.  Monseigneur,  à  votre  désir.  Vous  l'au- 
rez. 

l'affamé.  Dieu  le  maudisse!  il  nous  cause  plus  de 
peine  qu'il  ne  vaut. 

maighedos.  Imbécile,  maudit  Juif,  membre  du 
diable,  sortez,  sautez,  venez  dehors. 

l'affamé.  Soriez.Oii  va  habiller  voire  corps  damné 
d'un  beau  gibet  à  une  branche.  Gouffre  d'enfer,  c'est 
aujourd'hui  que  votre  àme  sera  accrochée. 

mugredos.  Hegardez.  Quelle  tournure.  La  lignée 
en  soit  maudite. 

le  juif  jacob  mousse.  La  colère  dicte  vos  paroles, 
parce  que  je  veux  mourir  daus  la  loi  juive  et  non 
pas  dans  la  vôtre. 

l'affamé.  Noyez-moi  cet  apôtre,  i  C'est  ung  er- 
reur inlinilif.  > 

maigredos  (au  prévôt).  Seigneur,  dépêchez  ce  Juif. 
Nif  juif,  nif  juif,  nif  juif,  nif  !  et  voilà  pour  vous  tous, 
voilà! 

SCÈNE  V. 

L'ÉVÊQUE,   L'INQUISITEUR,  LE  PRÉVÔT,   LE   JUIF 
JACOR    MOUSSE,    MAIGREDOS,    sergotl. 

;.e  prévôt.  Viens  ici  ;  n'as- lu  pas  commis  un  hor- 
rible forfait? 

le  juif.  Eu  quoi  ai-jc  péché,  n'ayant  altaoué  que 
voire  Jésus  ? 

le  prévôt.  Prends  garde,  tu  es  en  mes  mains. 
Marche,  maître.  Ni  le  droit  ni  la  loi  ne  peuvent  em- 
pêcher un  homme  de  faillir.  Soit  dit  pour  con- 
clure. 

le  juif.  Que  voulez-vous  conclure? 

le  prévôt.  A  la  liberté. 
.  le  juif.  Vraiment. 

le  prévôt.  Crois  en  Jésus. 

le  juif.  Non,  certes,  il  est  inutile  de  m'en  parler; 
car  enchaîné,  torturé,  je  ne  céderai  pas  à  vos  sug- 
gestions insensées. 

l'inquisiteur.  Le  diable  le  possède.  Mousse,  je  le 
demande,  une  seule  chose  :  Tu  vois  celle  hoslie,  eh 
bien,  Jacob,  dis  la  vérité  .  la    reconnais-la? 

le  juif.  Oui,  Messeigneurs,  d'autant  que  c'est  la 
seule  (pie  j'aie  jamais  vue. 

l'évêque.  Regarde  mieux  :  ce  n'est  pas  l'hostie. 

le  juif.  C'est  elle,  c'esl  bien  elle,  (pie  j'ai  coupée 
avec  mon  couteau  et  dont  les  morceaux  se  réunis- 
saient sans  cesse. 

i.e  recteur.  Tu  fais  un  plein  aveu.  Mais,  Juif,  après 
ce;te  preuve  si  certaine  de  sa  puissance,  pourquoi 
ne  crois-tu  pas  ? 

le  juif.  C'est  que  Jésus-Christ  n'est  pas  le  pain 
de  vie,  et  qu'il  n'y  a  là  qu'une  œuvre  du  diable. 

le  prévôt.  Obstination  invincible  !  Il  ne  chan- 
gera pas  de  langage.  Seigneurs,  terminez  sans  plus 
de  discours. 

l'inquisiteur.  Maudit  Juif,  plein  de  rage,  après 
avoir  tourmenté  ainsi  cette  h  is'.ift;  peux-lu  nier  en- 


core sa  puissance?  Ta  LA  n'est  qu'une  dérision  dont 
Jésus  a  fait  justice. 

l'évêque  (au  prévôt).  Seigneur,  PEgli-e  vous  remet 
ce  sorcier;  prenez  connaissance  des  faits  et  termi- 
nez ce  scandale. 

le  prévôt.  Jacob  Mousse,  ton  crime  va  subir  sa 
punition.  Qu'as-tu  à  dire  encore?  Convertis-toi, 
crois  en  Jésus  et  invoque.  C'esl  une  question  de  vie 
ou  de  mort.  Choisis.  Ilàie-loi,  la  cour  attend. 

le  juif.  Prévôt,  en  un  mot  :  Jamais  je  ne  me  dé- 
dirai. 

le  prévôt.  Tu  subiras  le  supplice  du  feu.  Mcs>e"-> 
gnetirs,  la  cause  est  entendue.  De  mon  pouvoir  sans 
conteste,  et  sans  appel,  je  te  condamne  donc  à  être 
brûlé  au  marché  des  porcs,  à  l'heure  même.  Ser- 
gents, allez  chercher  le  bourreau.  <  Froide  ioie  ayt 
il  de  sa  peau...  i 

maigredos.  Il  attend,  je  vais  vers  lui. 

SCÈNE  VI. 

MAIGREDOS,    LE     BOURREAU,     LE     PRÉVÔT,     LE 
JUIF,     L*AFFVMÉ. 

maigredos.  Manpileux. 

le  dourreau.  Que  veux-tu  dire? 

maigredos.  Viens  auprès  du  prévôt,  à  l'instant 
même,  brûler  ce  Juif. 

le  dourreau.  Alors  il  me  faut  une  chaîne. 

maigredos.  Il  ne  le  faut  qu'une  charrcllc,  car  tout 
est  prêt,  enlcnds-lu  bien  maître  Hapart. 

le  dourreau  (au  prévôt).  Seigneur,  que  le  diable 
ail  sa  part  de  ce  Juif  et  de  lotis  les  siens.  11  n'y  n  rien 
de  bon  en  tous  ces  gens-là.  Les  instruments,  la  char- 
rette el  la  chaîne  sont  prêts.  Tout  sera  bientôt  ter- 
miné. Montez  là-dessus,  l'ami,  vous  sentirez  sous 
peu  le  rôti. 

le  juif.  Erreur  profonde,  prévôt.  Fais-moi  donner 
mon  livre,  et  bientôt  je  serai  libre  el  hors  de  tes 
mains.  Ni  Ion  Jésus,  ni  sa  puissance,  ni  loi,  vous 
ne  pourrez  me  faire  ni  mal,  ni  douleur,  ni  tor- 
ture. 

le  prévôt.  Ce  magicien,  cet  enchanteur  veut  une 
épreuve.  L'affamé,  va  chercher  son  livre  pour  le 
confondre.  Va  vile  devant.  Bourreau,  en  marche  et 
mets  le  coupable  sur  le  bûcher. 

le  juif.  Mon  livre  !  mon  livre! 

le  dourreau.  Maigredos,  de  l'activité,  mets  du 
bois,  il  ne  faut  pas  laisser  languir  le  Juif. 

le  juif.  Mon  livre!  mon  livre! 

le  bourreau.  Je  serre  ses  chaînes,  je  mets  ces 
bourrées  el  le  feu  ;  la  mort  de  ce  Juif  m'agrée. 

le  juif.  Mon  livre  !  mon  livre  ! 

le  prévôt.  Misérable  coquin  de  Juif,  cs-iu  ivre? 

l'affamé.  Voilà  son  livre. 

le  prévôt.  Juif,  voici  ce  livre  que  lu  demandes 
tant...  Porlez-le  lui  de  suite. 

le  juif.  Oui,  oui,  c'est  lui,  c'est  bien  lui!  Je  suis 
sauvé...  Mais  quoi,  ô  diable  !  je  brûle...  Diables! 
diables!  je  brûle,  je  brûle,  je  brûle...  feu,  flamme! 
je  vais  périr...  Corps,  esprit  et  àme,  tout  eslen  feu  ! 
Diables!  à  la  bâte!  Diables!  emportez-moi... 

le  prévôt.  Vous  voyez...  ee|sorcier est  brûlé  avec 
son  livre,  el  on  emporte  déjà  l'appareil; 

l'affamé.  Messeigneurs  el  mes  chers  amis,  spee- 
taieurs  de  ce  beau  mystère,  maudit  soit  la  nation  de 
ces  Juifs  scélérats. 

maigredos.  Pour  conscrveiNla  tradition  dans  Paris 
de  toutes  ces  choses,  on  va  fonder  un  couvent  dans 
l'hôtel  du  maudit  Juif. 

le  prévôt.  Vrai  Dieu  débonnaire!  quel  éclatant 
miracle!  Grâces  vous  soient  rendues,  etque  chacun 
en  lire  profil  pour  sa  foi. 

l'affamé.  Il  l'a  payé  cher,  ce  coquin  de  Juif. 

maigredos.  Lui  el  son  livre  sont  brûles  :  li  de  lui 
et  de  ses  arliiiccs!  Il  l'a  payé  cher. 


Mi 


SAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAP 


902 


Acte  IV. 

SCÈNE  1". 

LA    FEMME,  SCule. 

la  femme.  Il  me  faut  chercher  un  autre  abri.  Je 
suis  née  avec  le  malheur  et  je  le  porle  avec  moi. 
Jinlas  avait  vendu  son  Dieu  ;  et  moi  ?  Moi.  j'ai  vendu 
mon  Dieu  à  un  Juif  pour  un  bon  repas.  Femme  du 
diable!  folle!  quel  espoir?  quelles  ressources?  Je 
ne  sais.  Je  viens  de  Paris  chercher  à  Senlis  une 
ploce  de  servante  dans  une  hôtellerie,  il  me  faut 
demander. 

SCÈNE  II. 

LA    FEMME,    L'HÔTELIER   DE    SENLIS,    l'hÔTE- 
L1ÈRE. 

la  femme.  Seriez-vous  assez  bon  pour  prendre  à 
voire  service,  pour  bien  peu  d'argent,  une  pauvre 
malheureuse? Auriez-vous  besoin  de  quelqu'un?  Si- 
non, il  ne  me  reste  qui  aller  plus  loin. 

l'hôtelier  de  senlis.  Et  combien  voud riez-vous 
gagner? 

la  mauvaise  femme.  Oh!  bien  peu. 

l'hôtelière.  Encore...  Parlez. 

la  mauvaise  femme.  Peu  m'importe,  pour  vous  êlrc 
agréable. 

l'hôtelier.  Voilà  une  bonne  servante ,  nous  ne 
trouverons  jamais  mieux,  etc.,  etc. 

Los  dérèglements  de  la  Mauvaise  femme 
alliant  l'attention;  la  voix  publique  l'accuse 
d'infanticide,  la  justice  informe,  se  convainc 
et  condamne  la  coupable  à  mort  ;  la  sentence 
est  exécutée,  et  ce  singulier  drame,  dont 
nous  avons  donné  de  si  longs  extraits,  se 
termine  enfin  par  un  discours  du  bourreau, 
dont  voici  les  derniers  vers  : 

Nous  priions  Jésus,  le  fruicl  de  vie, 
Qui  est  la  vraye  et  sacrée  hoslie, 
Dont  e  en  faicl,  tous  les  jeudis  de  l'an, 
A  Paris,  en  greue,  a  saincl  Jehan, 
Grand  solempnité  de  la  saincle  hostie; 
Toute  femme  grosse  est  begnie  ; 
Aussi  sont  toulcs  gens  gratis  cl  petits  ; 
Jésus  nous  doint  à  la  fin  Paradis  ! 
Amen  ! 

SAPIENCE.  —  Cette  pièce  de  Hrolsvitha, 
qui  date  du  x°  siècle,  est  empreinte  de 
traits  de  mœurs  et  d'idées  du  temps  où  vé- 
cut la  célèbre  religieuse,  plus  qu'aucun  au- 
tre des  drames  qu'elle  nous  a  laissés.  Plu- 
sieurs ont  été  signalés  par  les  critiques  qui 
s'en  sont  occupés  avant  nous  ;  mais  le  plus 
grand  nombre  et  les  plus  importants  leur 
ont  échappé.  Parmi  ces  derniers,  nous   en 

(417)  «  Au  lieu  du  nom  d'Hadrien,  le  manuscrit 
porte  ici  le  nom  de  Dioclélicn.  J'ai  pensé  qu'il  ne 
fallait  voir  dans  celte  variante  qu'une  faute  de  co- 
piste, et  j'ai  rétabli  dans  l'argument  le  premier  nom 
qu'on  lit  dans  tout  le  cours  de  la  pièce.  Cependant 
relie  leçon  acquiert  un  certain  intérêt,  quand  on 
\ oit  dans  la  dissertation  préliminaire  des  BollandisleS 
i  qu'on  ne  sait  pas  bien  si  le  martyre  des  trois  sœurs 
Eoy,  Espérance  el  Charité  a  en  lieu  à  Home  ou  à 
Nicomédie,  ni  même  si  cet  événement  s'est  passé  du 
temps  d'Hadrien  ou  sous  le  règne  de  Dioctétien.  > 
(M.  Magnin.) 

(•118)  «  Les  noms  significatifs  des  principaux  ac- 
teurs de  ce  drame  m'avaient  d'abord  induit  à  croire 
que  foi/.  Espérance  et  Charité,  filles  de  Sapienee, 
étaient  une  pièce  allégorique  du  genre  de  nos  an- 
ciennes  moralités  ,   plutôt   que   la    mise  en  action 


choisirons  quelques-uns  des  plus  curieux. 
Ainsi,  scène  VI,  l'empereur  Hadrien  dit 
à  ses  soldais  :  Vengez  mon  injure,  tout 
comme  parlaient  les  barbares  du  y'  siècle, 
établis  en  Gaule,  ou  les  farouches  bâtons 
allemands  au  temps  de  Hrolsvitha.  Dans  le 
cours  du  drame  domino  l'idée  de  l'autorité 
inviolable  :  on  sent  le  mot  populaire  de  la 
France  étranger  à  la  société  romaine  :  ah  ! 
si  le  roi  savait  l  En  effet,  ce  n'est  pas  l'em- 
pereur qui  fait  le  mal  ;  s'il  donnne  des  or- 
dres, s'il  est  cruel,  impitoyable,  c'est  An- 
tiochus  qui  l'y  pousse;  le  maître  suprême 
reste  partout  inconscient  et  non  couj  able. 
—  Voy.  Hrotsvitha. 

SAPIENCE  OU  FOI,   ESPERANCE    et  CHARITÉ. 

Argument.  —  Passion  des  vierges  saintes,  Foi,  Espé* 
rame  el  Charité,  qui,  sous  les  yeux  de  leur  misérable 
mère  Sapienee, dont  les  entrailles  maternelles  les  invitaient 
à  supporter  les  lorlures,  turent  soumises  par  l'ein,  ereur 
Hadrien  (417)  à  divers  supplices  et  périrent.  Quand  le 
martyre  fut  consommé,  la  sainte  mère  recueillit  les  corps 
de  ses  tilles,  les  embauma  el  leur  donna,  à  cinq  miles  de 
Home,  une  honorable  sépulture,  lille-mêine,  au  buut  de 
quarante  jours,  rendit  son  aine  au  ciel  auprès  de  leurs 
tombes,  en  prononçant  les  derniers  mois  d'une  pieusa 
oraison  (418). 

PERSONNAGES. 

antiochcs, préfet deRome  espérance,  idem. 

(419).  charité,  idem. 

hadrien,  empereur.  matrones  romaines, 

saimence,  princesse  grec-  soldats    et    bourreaux", 

que.  personnages  muels. 

foi,  fille  de  Sapienee. 

SCÈNE  I". 

ANTIOCHUS,   HADRIEN. 

antiociius.  Tout  ce  qui  vous  concerne,  ô  empereur 
Hadrien,  votre  repos,  l'accomplissement  de  vos  sou- 
haits, votre  puissance,  le  salut  de  {'empire,  le  bon- 
heur des  peuples,  la  paix  des  provinces,  étant  l'ob- 
jet de  tous  mes  soins,  je  m'efforce  d'arracher  pronip- 
lemeni  et  d'anéantir  loules  les  causes  de  troubles  dans 
la  république,  dont  votre  âme  aurait  à  souffrir. 

hadrien.  Et  vous  n'avez  pas  tort;  car  votre  bon- 
heur esl  attaché  à  notre  prospérité  :  nous  vous  éle- 
vons sans  cesse  d'années  en  années  à  de  plus  grands 
honneurs. 

antiociius.  J'en  rends  grâces  à  votre  bonté  pater- 
nelle. Aussi  à  peine  vois-je  surgir  quelque  obs- 
tacle à  votre  pouvoir,  que,  loin  de  le  dissimuler,  je 
vous  le  dénonce  sans  retard. 

iiadrien.  Bien,  bien,  vous  ne  serez  pas  accusé  de 
lèse-majesté,  pour  avoir  caché  ce  qui  ne  devait  point 
l'être. 

antiociius.  Une  accusation  de  celte  nature  est  le 
moindre  de  mes  soucis. 

d'une  légende.  Je  m'étais  trompé.  Un  assez  grain! 
nombre  d'auteurs  grecs  el  latins  oui  mentionné  l'his- 
toire de  celle  mère  intrépide  el  de  ses  trois  jeunes 
filles.  Les  Hullandisles,  à  la  dale  du  1er  août  (Ac.a 
Sanctor.;  August.,  t.  1,  p.  16),  donnent  une  notice 
des  écrivains  qui  ont  parlé  de  ces  courageuses  hé- 
roïnes, et  regrettent  que,  hors  leur  martyre  ,  on 
ignore  ce  qui  les  concerne.  En  effet,  tous  les  agéo- 
graphes,  sauf  le  déclamaleur  Mélaphrastc,  n'ont  ac- 
cordé qu'un  très-petit  nombre  de  lignes  à  celle  his- 
toire. IJrolsvilha  a  eu  rarement  moins  de  secours.  M 
faut  encore  remarquer  qu'elle  a  un  soin  particulier 
de  faire  parler  chaque  personnage  suivant  le  carac- 
tère ipie  son  nom  suppose.  »  (Id.) 

(il'J)  c  C'est  le  litre  que  les  légendes  donnent  » 
Antiociius.  »  (Id.) 


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SAP 


DICTIONNAIRE  DLS  MYSTERES. 


SAP 


m 


Hadrien.  Nous  le  pensons.  Mais  dites-nous  si  vous 
ne  savez  rien  de  nouveau. 

antiochus.  Une fetrimé étrangère- e?t  arrivée  depuis 
peu  dans  Rome,  accompagnée  de  Lrois  jeunes  enfanta 
qui  sont  nés  d'elle. 

hadrien.  De  quel  sexe  sont  ces  enfants? 

antiochus.  Tous  trois  du  sexe  féminin. 

hadrien.  El  l'arrivée  de  ces  faibles  femmes  pour- 
rait-elle causer  quelque  dommage  à  l'État,? 

antiochus.  Oui;  un  très-grand. 

hadrien.  Quoi  donc? 

antiochus.  Le  renversement  de  la  paix  publique. 

hadrien.  Comment  cela? 

antiochus.  El  qu'y  a-t-il  de  plus  capable  de  rom- 
pre la  concorde  civile  que  les  différences  de  reli- 
gion? 

hadrien.  Rien  n'est  plus  grave,  rien  n'est  plus  fu- 
neste, en  effet,  comme  le  prouve  assez  la  situation 
du  inonde  romain,  souillé  en  lous  lieux  par  les  flols 
impurs  du  sang  chrétien. 

antiochus.  Eli  bien,  celle  femme,  que  je  vous  dé- 
nonce, exborle  les  citoyens  à  abandonner  le  culte  de 
nos  ancêtres,  et  à  se  vouer  à  la  religion  chrétienne. 

hadrien.  Et  ses  paroles  soni-elles  bien  reçues? 

antiochus.  Trop  bien;  car  déjà  nos  femmes  nous 
traitent  avec  tant  de  bailleur  et  de  mépris  qu'elles 
ne  daignent  plus  prendre  place  à  nos  tables,  encore 
bien  moins  partager  nos  lils. 

hadrien.  Vraiment,  alors  il  y  a  danger. 

antiochus.  C'est  voire  devoir  ,  empereur  ,  de 
veiller  au  salut  de  l'Etal  (420). 

hadrien.  J'en  conviens.  Faites  conduire  ici  celte 
femme;  c'est  devant  nous-mèine  que  celte  affaire 
sera  vidée  ;  nous  verrons  si  elle  cédera. 

antiochus.  L'ordre  m'en  est-il  donné?  La  ferai-je 
Conduire  ici? 

hadrien.  Oui,  sans  doute. 

SCÈNE  II. 

ANTIOCHUS,   SAPIENCE,    FOI,  ESPÉRANCE 
€t    CHARITÉ. 

antiochus.  Qnel  est  votre  nom,  femme  étrangère? 

sapience.  Je  suis  Sapience. 

antiochus.  L'empereur  Hadrien  vous  ordonne  de 
Comparaître  devant  lui  dans  son  palais. 

sapience.  Je  n'ai  aucune  crainte  d'entrer  dans  le 
palais,  pourvu  que  je  ne  sois  pas  séparée  de  mes  en- 
fants dignes  de  leurs  aïeux;  et  je  ne  redoute  nulle- 
ment devoir  de  près  le  visage  menaçant  de  l'empe- 
reur. 

antiochus.  Celle  odieuse  race  des  Chrétiens  est 
toujours  prête  à  résister  aux  princes. 

sapience.  Le  prince  de  l'univers,  l'invincible,  ne 
laisse  p  is  les  siens  faibles  devant  l'ennemi. 

antiochus.  Trêve  à  ce  flux  de  paroles  et  venez 
sur-le-clmnp  au  palais. 

sapience.  Allez  devant,  montrez-nous  la  roule; 
nous  vous  suivrons  aussi  vite  que  possible. 

SCi^NE  111. 

LES  MÊMES,  HADRIEN,  GARDES. 

antiochus  (à  Sapience).  Voici  l'empereur  en  per- 
sonne, devant  vos  yeux,  assis  sur  son  trône  :  pesez 
bien  vos  paroles. 

sapience.  La  sagesse  du  Christ    nous  défend   de 


tels  soins;  lui-même  nous  a  promis  la    grâce  d'une 
invincible  raison  (421). 
iiADRir.N.  Approchez,  Anlioclius. 

antiochus.  Me  voici  à  vos  ordres,  Seigneur. 

hadrien.  Soni-ce  là  ces  femmes  que  vous  m'avez 
signalées  comme  chrétiennes? 

antiochus.  Oui,  ce  sont-elles. 

hadrien.  Je  suis  frappé  de  leur  beauté,  et  je  ne  puis 
surtout  assez  admirer  la  sage  dignité  de  leur  main- 
lien. 

antiochus.  Cessez,  ô  mon  seigneur,  de  les  ad- 
mirer, et  forcez-les  d'adorer  les  dieux. 

hadrien.  Si  je  débutais  dans  celle  affaire  par  la 
douceur,  peut-être  céderaient-elles  plus  volontiers? 

antiochus.  C'eslle  meilleur  moyen.  Car  la  fragi- 
lité de  leur  sexe  ne  cède  jamais  plus  facilement  qu'à 
l'impression  des  douces  paroles. 

hadrien.  Illustre  matrone,  je  vous  invile  tout  dou- 
cement et  sans  colère  à  rendre  hommage  aux  dieux, 
afin  que  vous  puissiez  mériter  notre  amitié. 

sapience.  Je  ne  veux  ni  rendre  hommage  aux  dieux, 
ni  satisfaire  à  vos  désirs,  ni  contracter  avec  vous 
aucune  amitié. 

hadrien.  Ma  colère  est  tout  entière  contenue, 
et  nulle  indignation  i\e  s'élève  encore  contre  vous 
dans  mon  àme;  au  contraire,  toutes  les  sollicitudes 
de  mon  cœur  paternel  combattent  pour  vous  et  vos 
enfants. 

sapience  (bas  à  ses  plies).  Prenez  garde,  ô  mes 
filles ,  n'ouvrez  pas  vos  cœurs  aux  perfidies  de  ce 
serpent  salanique;  faites  en  fi,  à  mon  exemple. 

foi  (bas  à  sa  mère).  Il  n'y  a  dans  noire  esprit  que 
dédain  et  mépris  pour  ces  propos  frivoles. 

hadrien.  Qu'avez-vous  dit  loul  bas? 

sapience.  Quelques  mois  à  mes  filles. 

hadrien.  Vous  semblez  issu  d'un  sang  considé- 
rable, c'est  pourquoi  je  souhaite  apprendre  de  vous- 
même  votre  patrie,  votre  famille  et  voire  nom. 

sapience.  Quoique  la  naissance  compte  peu  parmi 
nous,  je  ne  nierai  pas  néanmoins  maa  descendance 
d'une  souche  illustre. 

hadrien. Je  le  crois  volontiers, 

sapience.  Les  plus  grands  princes  de  la  Grèce 
comptent  parmi  mes  ancêtres  et  je  me  nomme  Sa- 
pience (422). 

hadrien.  L'éclat  de  votre  naissance  est  empreint 
sur  tome  voire  personne,  et  la  sagesse  dont  vous 
portez  le  nom  (sapienlia)  brille  sur  vos  traits. 

sapience  (à  pari).  Flatteries  perdues,  nous  ne  cé- 
derons pas  à  (|iielques  vaincs  paroles. 

hadrien.  Dites-moi  le  motif  de  votre  voyage  et 
quelles  affaires  vous  ont  appelées  parmi  nous. 

sapience.  Nous  n'avons  d'affaire  que  la  recher- 
che de  la  vérité,  la  connaissance  plus  entière  de  la 
religion  dont  vous  êtes  l'ennemi,  el  la  consécration 
de  mes  filles  au  Christ. 

hadrien.  Apprenez -moi  le  nom  de  chacune 
d'elles. 

sapience.  La  première  s'appelle  Foi,  ia  seconde 
Espérance,  et  la  troisième  Charité. 

hadrien. Combien  onl-elies  accompli  d'années? 

sapience.  Ne  vous  plaîl-il  pas,ô  mes  filles,  que  je 
déroule  cet  esprit  grossier  par  quelques  problèmes 
d'arithmétique  |42ôj? 

foi.  Vraiment  oui,  ma  mère,  el  nous  vous  prête- 
rons l'oreille  avec  beaucoup  de  plaisir. 


(420)  <  N'y  a-t-il  pas  là  un  souvenir  lointain  de 
l'ancienne  formule  caveanl  comules.  >  (M.  Magnin.) 

(421)  c  Ce  commandement  est  tiré  de  saint 
Marc,  ch.  xn,  11 ,  el  de  saint  Luc,  ch.  xn  ,  H 
12.  *  (Id.) 

(422)  i  Celle  circonstance  semble  prouver  que  la 
légende  de  Sapience  ou  de  Sophie  el  de  ses  filles  est 
d'origine  hellénique.  >  (Id.) 

(423)  <  llrosvitha  retombe  ici  dans  une  de  ces  di- 
gressions pc  iantesques  où  elle  aime  tant  à  se  jeter 


en  écolière  émerveillée  de  son  savoir  de  fraîche 
date.  Ce  ne  sont  pas  celle  fois  des  lambeaux 
de  philosophie  scolastique,  comme  à&iisGallimaque, 
ni  une  exposition  technique  de  la  science  musicale, 
comme  dans  \Paphnuce.  Nous  allons  assister  bon 
gré  mal  gré  à  une  leçon  sur  la  théorie  des  nom- 
bres. 11  semble  que  Ilrolsvillia  ail  eu  à  cœur  lia 
prouver  sa  compétence  dans  presque  toutes  les 
branches  du  tiïvium  ou  du  quadrivium.  »  (In.) 


905 


SA? 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAP 


900 


sapience.  Empereur,  puisque  vous  désirez  savoir 
l'âge  de  ces  jeunes  filles,  Charité  a  accompli  un 
nombre  d'années  diminué  pairemcnt  pair,  Espérance, 
un  nombre  aussi  diminué,  mais  pairemcnt  impair: 
Foi,  au  contraire,  un  nombre  suuerflu  elimpuiremcnt 
pair. 

H.vDRiEN.  Une  semDiame  réponse  ne  me  fait  nulle- 
ment connaître  l'objet  île  ma  demande. 

sanence.  Et  il  n'y  a  rien  là  d'étonnant,  car  sous 
l'apparence  de  ces  définitions,  il  n'y  a  pas  rien  qu'un 
nombre;  il  en  lombe  plusieurs. 

hadrien.  Expliquez  vous  avec  plus  île  clarté  , 
sinon  toute  mon  attention  est  vaine.  : 

sapience. Charité  a  vu  la  révolution  île  deux  olym- 
piades, Espérance  de  deux,  lustres  et  Foi  de  trois 
olympiades. 

hadrien.  El  pourquoi  appelez-vous  diminué  le  nom- 
bre huit  qui  forme  deux  olympiades,  ainsi  que  le 
nombre  dix  qui  compose  deux  lustres?  Enfin,  pour- 
quoi le  nombre  douze,  qui  contient  trois  olympia- 
des, est-il,  selon  vous,  un  nombre  superflu? 

sapience.  C'est  qu'on  appelle  diminué  tout  nombre 
dont  les  parlies  additionnées  forment  un  total  infé- 
rieur au  nombre  qu'elles  composent,  comme  8,  par 
exemple;  car  la  moitié  de  8  est  4,  le  quart  2  et  le 
huitième  1  ;  or  4,  2  el  1  réunis  ne  font  que  7.  De 
môme  la  moitié  de  10  est  5,  le  cinquième  2,  le  dixiè- 
me 1,  qui,  additionnés,  ne  donnent  que  8.  Au  cou- 
traire,  on  appelle  superflu  un  nombre  dont  les  par- 
ties additionnées  forment  un  total  supérieur  à  ce 
nombre  même,  comme  12.  En  effet,  la  moitié  de  12 
est  G,  le  tiers  4,  le  quart  3,  le  sixième  2,  le  dou- 
zième 1,  lesquels  additionnés  donnent  16.  El  pour 
ne  point  passer  sous  silence  le  nombre  principal,  qui 
lient  le  milieu  entre  les  deux  inégalités  contraires, 
ou  appelle  parfait  le  nombre  que  ses  parlies  addi- 
tionnées reproduisent  exactement,  sans  différence  en 
pins  ni  en  moins,  comme  G,  dont  les  parlies,  c'est- 
à-dire  3,  2  et  1,  forment  le  même  nombre.  Ainsi,  28, 
49G  cl  8128  sont  aussi  des  nombres  parfaits  (424L 

HADRIEN.  El  les  autres  nombres? 

sapience.  Tous  les  autres  nombres  sont  ou  super- 
flus ou  diminués 

Hadrien.  Qu'est-ce  qu'un  nombre  pairement  pair? 

sapie.nce.  Celui  qu'on  peu!  diviser  en  deux  parties 
égales,  qui,  elles-mêmes,  pc.ivent  se  diviser  en  deux 
autres  parties,  et  ainsi  de  suite,  jusqu'à  ce  qu'on 
atteigne  l'unité  indivisible,  comme  8,  1G,  et  Jes  nom- 
bres qu'on  obtient  en  doublant  ceux-là. 

hadrien.  El  qu'est-ce  qu'un  nombre  pairement  im- 
pair? 

sapience.  Celui  qu'on  divise  en  parlies  égales,  qui 
sonl  elles-mêmes  aussitôt  indivisibles,  comme  10  cl 
ions  les  nombres  qu'on  obtient  en  doublant  un  nom- 
bre impair;  car  ce  nombre  est  d'une  nature  con- 
traire à  celui  dont  nous  venons  de  parler,  en  ce  sens 
que  dans  le  pairement  pair  le  terme  mineur  est  divi- 
sible, et  que  dans  le  pairement  impair,  le  terme  ma- 
jeur  peut  seul  êlre  divisé.  De  plus,  dans  celui-là, 
toutes  les  parties  sont  pairement  paires,  quant  à  la 
dénomination  cl  à  la  quantité  des  parties;  cl  dans 
celui-ci,  lorsque  la  dénomination  esl  paire,  la  quan- 
tité des  parties  esl  impaire,  et  si  la  quantité  des  par- 
ties esl  paire,  la  dénomination  esl  impaire. 

hadrien.  Je  ne  sais  ce  que  signifie  le  mol  terme  que 
vous  venez  d'employer,  ni  ceux  de  dénomination  ou 
de  quantité  des  parties. 

sapience.  Lorsque  des  nombres  aussi  grands  qu'on 
voudra  sonl  rangés  dans  un  ordre  croissant,  le  pre- 

(i2'»)«  Toute  celle  théorie  des  nombres  se  retrouve 
dans  IJoéce...  jusqu'à  ces  quatre  nombres  parfaits 
cités  pour  exemples...  »  (M.  Hagoiu.) 

('ri:'))  «41  esl  nécessaire  d'interpréter  ici  la  défini- 
lion  de  la  dénomination.  Quand  on  dit  qu'un  nombre 
ésl  la  moitié,  le  tiers,  etc.,  d'un  antre  nombre,  cela 
signifie  que  le  premier  entre  exactement  deux  fois, 

Dictions,  nus  Mystères. 


mier  est  appelé  terme  mmeurjei  le  second  terme  ma- 
jeur;  et  lorsque,  faisant  une  division,  nous  disons  que  tel 
nombre  forme  (elle  partie  d'un  autre  nombre,  nous  fai  - 
sons  une  dénomination  (425)  ;  et  quand  nous  énumé- 
rons  combien  il  a  y  d'unités  dans  chaque  partie,  nous 
exposons  ce  qu'un  appelle  la  quantité  des  parties. 

hadrien.  El  que]  est  ce  nombre  impairemenl  paii  ? 

sapience.  Celui  qui  esl  non- seulement  divisible 
une  fois,  comme  le  pairement  pair,  mais  deux  fois, 
trois  fois  et  plus,  mais  qui  néanmoins  ne  peut  des- 
cendre jusqu'à  l'unité  indivisible. 

hadrien.  Ob  !  quelle  difficile  cl  inextricable  ques- 
tion s'est  élevée  à  propos  de  l'Âge  de  ces  petites 
filles  ! 

sapience.  C'est  en  cela  qu'il  faut  admirer  la  su- 
prême sagesse  du  Créateur  et  la  science  merveil- 
leuse de  l'Artisan  de  l'univers,  qui  non-seulement, 
an  commencement  des  choses,  a  créé  le  monde  du 
néant,  et  en  a  disposé  toutes  les  parlies  avec  nom- 
bre, mesure  et  équilibre,  mais  qui  encore,  dans  la 
suite  de»  temps  et  des  générations  humaines,  nous 
a  permis  d'arriver  à  la  connaissance  des  arts. 

hadrien.  Longtemps  j'ai  supporté  vos  dissertations, 
dans  l'espoir  de  vous  amener  à  in'obéir. 

sapience.  En  quoi  ? 

hadrien.  Relativement  au  culte  des  dieux. 

sapience.  Certes  non;  je  n'y  consens  point. 

hadrien.  Si  vous  résistez,  vous  serez  mise  à  \.t 
torture. 

sapience.  Vous  pouvez  briser  mon  corps  par  les 
supplices,  mais  mon  âme  ne  cédera  pas  a  la  force; 
ne  l'espérez  pas. 

antiochus.  Le  jour  baisse,  la  nuit  lombe;  ce  n'est 
plus  le  moment  de  discuter,  car  l'heure  du  souper 
approche. 

hadrien.  Qu'on  enferme  ces  femmes  dans  la  pri- 
son attenante  au  palais:  trois  jours  leur  sonl  accor- 
dés pour  réfléchir. 

antiochus.  Soldats,  veillez  soigneusement  autour 
d'elles,  et  ne  leur  laissez  aucune  occasion  de  s'é- 
chapper. 

SCÈNE  IV 

SAPIENCE,  FOI,  ESPÉRANCE  et  CHARITÉ. 

sapience.  O  mes  tendres  filles!  chères  enfants  si 
jeunes!  dans  cet  étroit  cachot  d'une  prison  soyez 
sans  tristesse,  et  sous  la  menace  imminente  des 
supplices,  sans  terreur  ! 

foi.  Nos  faibles  corps  frissonnent  à  l'idée  des 
tourments,  mais  noire  esprit  n'a  en  vue  que  les 
récompenses  du  martyre. 

sapience.  Triomphez  de  la  faiblesse  enfantine  de 
voire  âge  par  la  force  et  la  maturité  de  la  raison. 

espérance.  Vous,  aidez-nous  de  vos  prières,  afin 
que  nous  puissions  vaincre. 

sapience.  Je  prie  sans  cesse;  je  demande  sans 
cesse  votre  persévérance  dans  la  foi  dont  je  ne  ces- 
sai ,  au  milieu  même  des  jeux  de  l'enfance,  de  mê- 
ler ie  suc  au  développement  de  voire  esprit. 

charité.  Les  soins  de  la  mamelle,  les  leçons  du 
berceau  ne  sonl  pas  perdus,  ils  ne  le  seront  pas, 

sapience.  C'esl  pour  cela  que  mon  lait  maternel 
coulait  si  abondamment,  et  vous  nourrissait  ;  je 
vous  ai  élevées  si  tendrement  pour  ce  jour;  je  vous 
livre,  non  à  un  époux  d'ici-bas,  mais  à  l'Epoux  dans 
les  cieux,  et  je  vomirais  obtenir  en  vous  le  litre  de 
belle-mère  du  Roi  éternel. 

foi.  Pour  l'amour  de  cel  Euoax.  nous  sommes 
préparées  à  la  mort. 

sapience.  Ces  dispositions  me  donnent  plus  de 
joie  que  les  plus  douces  saveurs  du  nectar. 

espérance.   Envoyez-nous  devant  le  tribunal  du 

trois  lois  dans  ie  second.  Ce  sonl  tes  nombres  de 
lois  tpie  llrotsviiha  considère,  quand  elle  dit  (dus 
haut  que  la  dénomination  des  parlies  esl  paire- 
ment paire,  paire  ou  impaire.  »  (In.) 

£9 


9'J7 


SAP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAP 


('08 


juge  el  vous  verrez  combien  l'amour  ue  i  Hpoux 
nous  donne  d'intrépidité. 

sapience.  Tout  mon  souhait  est  la  couronne  de 
votre  virginité  el  la  gloire  de  votre  martyre. 

charité.  Marchons  les  mains  enlacées  et  faisons 
rougir  le  front  du  tyran  ! 

sapience.  Attendez;  l'heure  est  proche;  on  va 
nous  appeler. 

koi.  Les  délais  nous  fatiguent;  il  faut  ..attendre 
pourtant. 

SCÈNE  V. 

HADRIEN,    ANTIOCHUS,   ensuite  SAPIE.NCE,    FOI, 
ESPÉRANCE   et  CHARITÉ. 

iiadrien.  Anliochus,  donnez  les  ordres  et  faites 
comparaître  ces  captives  grecques. 

a.ntio ..nus.  Approchez,  Sapieucc,  et  comparaissez 
devant  l'empereur  avec  vos  filles. 

sapience.  Venez  avec  moi,  mes  filles.  Du  courage, 
de  la  persévérance,  une  même  âme  dans  la  foi, 
afin  que  la  conquête  heureuse  de  la  palme  s'accom- 
plisse \ 

espérance.  Marchons,  nous  aurons  à  nos  côtés 
pour  compagnon  celui  oour  l'amour  duquel  on  nous 
mène  à  la  mort. 

iiadrien.  Trois  jours  cte  délai  vous  ont  été  accordés 
par  Notre  Sérénité,  el  si  vous  en  avez  tiré  profit, 
<:é  lez  à  nos  ordres. 

sapie.nce.  (le  délai  a  été  un  grand  bien  pour  nous, 
un  grand  profit;  car  nous  ne  cédons  pas. 

antiochus  [à  Hadrien].  A  quoi  bon  ces  discours 
avec  cel'.e  femme  obstinée,  qui  vous  fatigue  de  son 
insolente  présomption? 

hadrien.  La  renverrai-jc  impunie? 

antiochus.  Mais  non. 

iiadrien.  Qu'en  faire  ? 

ANTioc.nus.  Invitez  ces  enfants,  et  si  elles  résis- 
tent, sans  pitié  pour  leur  âge,  faites-les  périr.  Leur 
mère  rebelle  subira  les  plus  horribles  tortures  dans 
le  dernier  supplice  de  ses  filles. 

hadrien.  Je  vais  faire  ce  que  vous  me  conseillez. 

ANTior.uus.  C'est  ainsi  qu'en !in  vous  en  aurez 
raison. 

SCÈNE  VI. 

LES  MÊMES,  HADRIEN,   FOI. 

hadrien.  Foi,  regardez  celle  image  vénérable  de 
la  grande  Diane,  el  offrez  des  libations  à  la  déesse 
sacrée,  afin  d'obtenir  sa  protection. 

foi.  Quelle  sottise!  Cei  ordre  d'un  empereur  ne 
mérite  que  mépris. 

hadrien.  Qu'avez-vous  dit  tout  bas  de  cet  air  mo- 
queur? De  qui  riez-vous,  en  fronçant  le  sourcil? 

1 01.  Je  ris  de  votre  sotlise,  ei  je  me  moque  de  votre 
folie. 

hadrien.  Dama  folie? 

roi.  De  votre  folie. 

ANTiociius.  De  la  folie  de  l'empereur  * 

roi.  De  qui  donc? 

ANTiociius.  0  crime! 

roi.  Quelle  plus  lourde  sotlise  ?  quelle  plus  grande 
folie?  quoi  déplus?  11  nous  exhorte,  au  mépris  du 
Créateur  de  l'univers,  à  adorer  un  métal  ! 

antiochus.  Foi,  vous  êtes  insensée. 

foi.  Anliochus,  vous  ne  dites  pas  ce  que  vous 
pensez. 

antiochus.  N'esl-ce  pas  le  comble  de  l'extrava- 
gance el  du  délire  aue  de  traiter  d'insensé  le  maître 
du  monde? 

roi.  Je  l'ai  dit,  je  le  répèle,  el  je  le  redirai  aussi 
longtemps  que  je  vivrai. 

antiochus.  Ce  temps  seracourl;  vous  allez  mou- 
rir sur-le-champ. 

foi.  Je  ne  souhaite  que  la  mort  en  Jésus-Christ. 

iiadrien.  Que  douze  centurions,  se  relayant,  la 
frappent  sans  cesse  de  leurs  verges  sanglantes. 


antiochus.  C  est  justice. 

hadrien.  Braves  centurions  !  approchez  el  venges 
mon  injure. 

antiochus.  C'est  la  loi. 

iiadrien.  Demandez-lui,  Antiochus,  si  elle  veui 
céder. 

"^ antiochus.  Foi,  voulez-vous,  avec  ce  langage  in- 
solent qui  vous  est  familier,  outrager  encore  l'em- 
pereur? 

foi.  El  pourquoi  moins  qu'auparavant 

antiochus.  Parce  que  les  coups  de  fouet  vous  en 
empêcheront. 

foi.  Les  coups  ne  me  contraindront  pas  au  si- 
lence, car  ils  ne  me  font  aucun  mal. 

antiochus.  0  déplorable  obstination!  incorrigible 
audace  ! 

hadrien.  Son  corps  succombe  sous  les  supplices, 
et  son  cœur  est  gros  d'orgueil. 

foi.  Erreur,  Hadrien;  ne  me  croyez  pas  lasse  de 
tortures;  ce  n'est  pas  moi,  ce  sont  vos  faibles  bour- 
reaux qui  succombent,  qui  sont  trempés  de  sueur  cl 
qui  sont  épuisés. 

hadrien.  Anliochus,  ordonnez  qu'on  lui  coupe  les 
seins;  peut-être  la  pudeur  la  domptera. 

antiochus.  Oh!  plût  aux  dieux  qu'il  y  eût  un 
moyen  quelconque  de  la  faire  céder. 

hadrien.  Elle  cédera  peut -être. 

foi.  Mon  chaste  sein  est  déchiré,  mais  je  suis  sans 
blessure.  Voyez,  an  lieu  d'un  ruisseau  de  sang,  il 
jaillit  une  source  de  lait. 

hadrien.  Meilez-la  sur  les  grils,  allumez  les  bra- 
siers, qu'on  la  biùle,  que  dans  l'ardeur  des  feux  elle 
soit  anéantie! 

antiochus.  Elle  mérite  cette  fin  miséraile,  celte 
fille  qui  résiste  à  vos  ordres  sans  crainte. 

foi.  Tous  vos  apprêts  ne  sont  pour  moi  que  dou- 
ceur el  repos;  je  suis  bercée  sur  ce  gril  connue  sur 
une  barque  légère 

hadrien.  Que  ce  brasier  reçoive  une  chaudière 
pleine  de  poix  et  de  cire,  et  dans  ce  liquide  bouillant 
plongez  cette  femme  rebelle. 

foi.  Je  m'y  précipite  moi-même. 

hadrien.  Dali  !  faites  donc. 

foi.  "Eh  bien,  qu'est-ce  que   vos   menaces  ?  Me 
oiei  sans  blessure  dans  le  liquide  ardent,  j'y  joue, 
je  nage,  el  au    lieu  d'affreuses  brûlures    :e  ne  sens 
que  la  fraîcheur  de  la  rosée  du  malin. 

hadrien.  Anliochus?  eh  bien!  que  faire 

antiochus.  il  faut  veiller  à  ce  qu'elle  ne  nous 
échappe  pas. 

hadrien.  Qu'on  lui  coupe  la  tète. 

antiochus.  C'esl  le  dernier  moyen  d'en  triompoer.. 

foi.  C'e.-a  le  moment  de  la  joie,  de  la  'oie  suprê- 
me en  Dieu. 

SCÈNE  VII 

LES  MEMES,   SAPIENCE,    FOI. 

sapience.  0  Christ!  ô  invincible  vainqueur  du 
diable,  donnez  votre  force  a  Foi,  à  mon  enfant  ! 

foi.  0  ma  vénérable  mère!  dites  un  dernier 
adieu  à  votre  fille,  embrassez  l'aînée  de  vos  enfants, 
et  n'ayez  pas  de  tristesse  ni  de  désespoir  dans  le 
cœur,  car  je  suis  sous  le  sceau  de  l'éternité. 

sapience.  0  ma  fille  !  ma  tille!  je  n'ai  ni  accable- 
ment, ni  désespoir  ;  au  contraire,  je  le  dis  adieu 
avec  allégresse,  et  je  baise  les  lèvres  et  tes  yeux 
avec  des  larmes  de  joie,  car  tout  mon  vœu  est  que, 
sous  le  coup  du  bourreau,  lu  conseives  intact  le 
mystère  de  ton  nom. 

foi.  0  mes  sœurs  sorties  du  même  sein  !  donnez- 
moi  le  baiser  de  paix,  el  soyez  prêles  el  fortes  pour 
le  combat  qui  approche. 

espérance.  Aide-nous  de  les  prières,  prie  sans 
cesse,  afin  que  tous  puissions  suivre  tes  liâtes. 

foi.  Soyez  dociles  aux  conseils  de  noire  sa  nie 
mèie,  qui  nous  a  toujours  enseigne  le  mépris  J.s 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAP 


!0 


choses  d'ici-bas,  par  lequel  on  obtient  pari  aux 
choses  éternelles. 

CftAïtlfÉ.  Nous  obéissons  <lc  grand  cœur  aux  or- 
dres (te  noire  mère,  pour  obtenir  la  jouissance  des 
biens  éternels. 

foi.  Bourreau,  viens  ici  et  accomplis  l'office  que 
l'on  l'impose,  en  me  donnant  la  mort. 

SAPiEN'crc.  Par  celte  lète  coupée  de  ma  fille  morte 
que  j<?  liens  dans  mes  liras,  et  sur  les  lèvres  de  la- 
quelle je  pose  mille  baisers,  je  me  réjouis  en  vous, 
ô  Christ,  auteur  du  triomphe  d'un»  <■'  faible  enfant  ! 

SCENE  vin. 

lES  MÊMES,   HADRIEN,  ESPERANCE. 

hadrien.  Espérance,  cédez  à  mes  ordres;  c'est 
avec  l'émotion  d'un  père  que  je  vous  donne  ce 
conseil. 

espérance.  Que  voulez-vous?  oucls  sont  vos  con- 
seils? 

hadrien.  Méfiez-vous  de  l'obstination,  vous  tom- 
beriez dans  les  mêmes  malheurs. 

espérance.  Oh!  s'il  m'était  possible  de  l'égaler 
dans  sa  Passion,  pour  obtenir  le  même  prix  quelle! 

hadrien.  Laissez-là  celle  dureté  de  cœur,  concé- 
dez quelque  chose,  offrez  l'encens  à  la  grande 
Diane  et  je  \ous  traite  comme  une  de  mes  filles,  et 
je  vous  fais  grande  et  puissante  par  mon  affection. 

EsrÉR\NCE.  Je  repousse  vos  soiirs  paternels  et  vo- 
ire proleci  ion,  je  n'ai  nulle  envie  de  vos  bienfaits, 
ei  vous  êtes  le  jouet  de  vaines  illusions  si  vo"" 
croyez  que  je  vais  vous  céder. 

hadrien.  Moins  de  mots,  cela  m'ennuie. 

espérance.  Ennui  ou  non,  que  m'importe? 

àntioc.iil'S.  Auguste,  je  vous  admire.  Comment 
pouvez-vous  supporter  si  longtemps  les  abomina- 
tions de  celle  misérable  petite  iille?  moi,  je  n'y  liens 
plus  de  fureur,  en  entendant  ces  téméraires  aboie- 
ments contre  vous. 

hadrien.  J'ai  fait  jusqu'ici  la  part  de  son  âge,  mais 
pas  de  grâce,  je  (ui  infligerai  le  châtiment  qu'elle 
mérite. 

antiochus.  En  soil-il  ainsi! 

hadrien.  Licteurs,  approchez,  ei  frappez  cette 
tille  rebelle  de  vos  nerfs  de  bœuf  solides  jusqu'à  ce 
que  mort  s'ensuive. 

antiochus.  C'est  bon,  elle  seul  ira  le  poids  de  vo- 
tre colère,  puisuu'elle  dédaigne  le  bienfait  de  votre 
indulgence. 

espérance.  Je  suis  avide  de  ces  bontés,  envieuse 
de  celle  indulgence. 

antiochus.  O  Sapicnce,  que  murmurez-vous,  les 
yeux  levés  au  ciel  el  debout  auprès  du  corps  inanimé 
de  voire  enfant? 

sap.ence.  J'invoque  le  Père  universel,  afin  qu'il 
donne  à  Espérance  l'énergie  el  la  ouissance  qu'il  ac- 
corda à  Foi. 

espérance.  Orna  mère!  ma  mère!  qu'elles  sont 
efficaces  !  qu'elles  sont  bien  écoulées,  vos  prières  ! 
J'en  fais  l'épreuve.  Voyez,  tant  qu'elles  durent,  les 
bourreaux  hors  d'haleine  me  frappent  à  coups  re- 
doublés, el  je  ne  sens  aucune  atteinte,  aucune  dou- 
leur. 

hadrien.  Si  vous  ne  sentez  pas  les  fouets,  il  y  a 
des  chàliniens  plus  rudes  auxquels  vous  serez  sou- 
mise. 

espérance.  Employez,  employez  toute  votre  science 
des  cruautés  et  delà  mon;  plus  le  supplice  aura 
été  affreux,  plus  grandes  seront  voire  défaite  et  vo- 
tre confusion. 

uadrien.  Suspendez-la  en  l'air,  déchirez  la  avec 
des  ongles  de  fer  jusqu'à  ce  que  les  entrailles  arra- 
chées etlesos  mis  à  nu,  elle  exoire  membre  par  mem- 
bre. 

ANTIOCHUS.  Ordre  digue  de  l'empereur  et  punition 
assez  convenable, 

espérance.  Antiochus,  vous  parlez  avec  la  f.m  ,se;<* 


du  renard  cl  il  y  a  île  l'astuce  du  caméléon  da  us  vos 
(laiteries. 

antiochus.  C'est  bon,  malheureuse,  voire  verbiage 
ne  durera  pas  longtemps. 

espérance.  Votre  attente  sera  déçue,  el  votre 
prince  et  vous,  vous  n'aurez  que  confusion. 

hadrien.  Que  sens-jc?  quel  parfum  inconnu? 
quelle  odeur  d'une  merveilleuse  suavité? 

espérance.  Ce  sont  les  lambeaux  de  mon  corps 
déchiré  qui,  dans  leur  chute,  répandent  .ces  brû- 
lants arômes  du  paradis,  afin  que,  malgré  vous, 
vous  confessiez  l'impuissance  de  vos suDolices  contre 
moi. 

hadrien.  Antiochus,  que  faire? 

antiochus.  Il  csl  d'autres  tortures  qu'il  faut  mettre 
en  œuvre. 

hadrien.  Mêliez  sur  le  brasier  un  vase  d'airain 
rempli  d'huile  et  de  graisse,  de  cire  et  de  poix,  liez- 
la  eljetez-la  dedans. 

antiochus.  Enlre  les  mains  de  Vnlcain,  elle  ne 
trouvera  sans  don  le  pas  de  voie  de  salut. 

espérance.  C'est  une  des  vertus  ordinaires  du 
Christ  d'éteindre  la  puissance  du  feu  et  d'en  altérer 
l'essence. 

SCÈNE  IX. 

LES  MEMES,   HADRIEN,  ANTIOCIIUS. 

hadrien.  Qu'y  a-l-il  ?  Antiochus, 'j'entends  le  bruit 
'un  liquide  renversé. 

antiochus    Hélas!  hélas!  seigneur. 

hadrien.  Que  nous  est-il  arrivé? 

antiochus.  Dans  la  violence  de  l'ébull.'lion,  le  vase 
s'est  brisé,  vos  serviteurs  sont  brûlés  et  cette  sor- 
cière est  demeurée  sans  blessure. 

hadrien.  Je  le  confesse,  nous  sommes  vaincus. 

antiochus.  Complètement. 

hadrien.  Qu'on  lui  tranche  la  tête. 

antiochus.  Aulicmenl.  on  n'en  viendrait  pas  à 
bout. 

SCENE  X. 

LES»  MÊMES,  ESPÉRANCE  Ct  CHARITÉ. 

espérance.  O  Charité  aimée,  ô  non  unique  sœur 
maintenant!  Ne  redoutez  pas  les  menaces  du  lyran, 
ne  tremblez  pis  devant  les  châtiments,  faiies  sur 
vous-même  l'effort  constant  de  la  foi  de  vos  sœuis 
qui  vous  précèdent  dans  le  palais  du  ciel, 

charité.  Tout  m'ennuie:  et  la  vie,  et  le  présenl, 
el  celle  terre,  el  ce  corps,  qni  me  séparent  encore 
de  vous  pour  un  peu  de  temps. 

espérance.  Chassez  cet  ennui,  amendez  la  recoin* 
pense,  nous  ne   serons  pas  séparées  longtemps,    le 
ciel  va  nous  réunira  l'instant. 
'charité.  Soit,  soit! 

SCÈNE  XI. 

LES  MÊMES,    SAFIENCE   et  ESPÉRANCE. 

espérance.  Courage  et  joie,  6  mon  illustre  mère  ! 
Que  n  on  martyre  n'éveille  point  en  vous  le  déses;  o:r 
maternel,  laissez  le  chagrin  pour  l'espoir  ;  \ous  le 
voyez  :  je  meurs  pour  le  Chiisl. 

sapience.  Je  suis  joyeuse  en  ce  moment,  niais  je 
vais  loucher  au  comble  du  délire  quand  j'aurai  en- 
voyé au  ciel  votre  dernière  sœur  morte  pour  la 
même  cause  une  vous,  el  quand  je  vous  suivrai  tou- 
tes enfin. 

espérance.  La  Trinité  éternelle  vous  rendra  dans 
les  siècles  votre  comple  d'enfants. 

sapience.  Courage!  ma  fille!  le  bourreau  s'élance 
sur  nous,  l'épée  nue. 

espérance  O  joie!  Je  sens  le  glaive.  Et  vous,  6 
Christ,  prenez  mon  âme  qui,  pour  confesser  voire. 
nom   es!  chassée  de  son  habitation  corporelle, 


0!  I 


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SAP 


OSi 


SCÈNE  XII. 

LES  MÊMES,  SAPIENCE  et  CHARITÉ. 

sapience.  0  Charité,  illustre  enfant,  unique  espoir 
de  mes  flancs,  n'affligez  pas  votre  bonne  mère  (|iii 
attend  la  consommation  de  votre  épreuve,  méprisez 
le  bien-être  présent  pour  parvenir  au  bon  Item*  sans 
fin,  dans  lequel  vos  sœurs  resplendissent  déjà  cou- 
ronnées de  îeur'vireinilc  sans  tache. 

charité.  Soutenez-moi,  ô  ma  mère,  de  vos  sain- 
tes prières,  et  j'obtiendrai  ma  place  auprès  de  mes 
sœurs  et  ma  part  de  leur  joie. 

sapience.  Je  prie;  vous  irez  jusqu'au  bout  pleine 
de  foi  et  de  fermeté,  et  sans  nul  doute  vous  obtien- 
drez le  don  des  fêtes  éternelles. 

SCÈNE  XIII. 

LES    MÊMES,  HADRIEN   et  CHARITÉ. 

hadrien.  Charité,  je  suis  excédé  de  l'insolence  de 
vos  sœurs  et  on  ne  peut  plus  courroucé  de  leurs 
prolixes  arguties.  Aussi,  sans  plus  longue  discussion 
avec  vous,  ou  vous  allez  obéir  à  mes  ordres  et  je 
vous  enrichirai  de  mille  biens,  ou  bien,  si  vous  ré- 
sistez, je  vais  vous  accabler  de  maux. 

charité.  J'ai  de  tout  mon  cœur  le  désir  du  bien 
et  la  profonde  horreur  du  mal. 

Hadrien.  Voici  < 1 1 1 i  vaut  mieux  pour  vous  et  me 
plail  davantage  ;  c'est  pourquoi,  dans  ma  clémence, 
je  n'exige  de  vous  qu'une  chose  très-facile. 

charité,  Quoi  ? 

hadrien.  Dites  seulement  :  <  Grande  Diane!  »  et 
je  ne  demande  pas  d'autre  hommage. 

charité.  Non  pas,  certes. 

hadrien.  Pourquoi  ? 

charité.  Je  ne  veux  pas  mentir.  Mes  sœurs  et 
moi,  sorties  du  même  sang,  ayant  reçu  l'onction  des 
mêmes  sacrements,  nous  n'avons  qu'une  même  foi, 
une  même  constance  et  une  même  force.  Sachez 
donc  que  nos  volontés,  nos  sentiments,  nos  con- 
naissances sont  absolument  identiques  et  qu'entre 
elles  et  moi  il  n'y  a  aucune  dissidence  sur  aucun 
point. 

hadrien.  O  rage  !  celle  faible  créature  se  joue  de 
moi. 

charité.  Quoique  lonle  petite,  je  sais  bien  discu- 
ter et  je  vous  confonds. 

iudrien.  Emmenez  la,  Anliochus,  failes-îa  bisser 
sur  un  chevalet  et  battre  affreusement. 

antiochls.  Je  crains  que  les  coups  n'en  aient  pas 
raison. 

hadrien.  S'ils  ne  font  rien ,  donnez  des  ordres 
pour  que,  durant  trois  jours  et  trois  nuits,  on  ait 
une  fournaise  embrasée,  et  qu'on  la  jette  dans  les 
flammes  dévorantes. 

charité.  O  juge  impuissant  !  qui  craint  de  ne 
pouvoir  vaincre  un  entant  de  huit  ans  sans  le  se- 
cours du  feu' 

hadrien.  Anez,  Anliochus,  et  tenez  la  main  au 
mandat  dont  vous  êtes  chargé. 

charité.  Votre  cruauté  sera  satisfaite;  il  obéira, 
mais  il  ne  me  fera  aucun  mal;  ni  les  coups  ne  dé- 
chireront mon  pelil  corps,  ni  les  flammes  ne  pour- 
ront roussir  mes  cheveux  ou  mes  vêlements. 

hadrien.  On  verra. 

charité.  Vous  verrez. 

SCÈNE  XIV 

HADRIEN.   ANTIOCHUS 

hadrien.  Anliochus,  quel  mal  souffrez-vous  ?  Pour- 
quoi revenez-vous  plus  triste  que  de  coutume? 

antiochus.  Quand  vous  connaîtrez  la  cause  de  ma 
irislcsse ,  vous  ne  serez  pas  moins  triste  que 
moi. 

hadrien.  Parlez  ;  ne  me  cachez  rien. 

antiochus.  Celle  fille  impudente  que  vous  m'aviez 
donnée  à  torturer,  a  élé  flagellée  en  ma  présence, 


mais  l'épi  derme  même  de  la  peau  n'a  pas  éié  déchi- 
rée. Ensuite,  je  l'ai  fait  jeler  dans  une  fournaise 
que  l'excès  de  la  chaleur  avait  rendue  rouge  comme 
le  feu... 

hadrien.  Pourquoi  bésilez  vous  à  continuer?  Ex- 
posez-moi la  fin  de  tout  ceci. 

antiochus.  La  flamme  a  jailli  au  dehoi's  el  il  y  a 
eu  cinq  mille  personnes  brûlées... 

hadrien.  Et  que  lui  est-il  arrivé? 

antiochus.  A  Charité  ? 

HADRIEN.  Oui. 

antiochus.  Elle  se  promenait  tranquillement  au 
milieu  des  tourbillons  de  flammes  el  de  fumée  cl 
chaulait  les  louanges  de  son  Dieu;  on  ne  l'a  pas  per- 
due de  vue  et  l'on  assure  que  trois  jeunes  gens  vêtus 
de  blanc  se  promenaient  avec  elle... 

hadrien.  Je  rougirais  de  la  revoir,  ne  pouvant  lui 
faire  de  mal. 

antiocuus.  Il  n'y  a  plus  qu'à  la  faire  périr  par  le 
glaive. 

hadrien.  Failes-le  sans  différer. 

SCÈNE  XV. 

ANTIOCHUS,   CHARITÉ,    SAPIENCE,  LE  BOURREAU. 

antiochus.  Charité,  décoiffez  voire  lêle  dure,  pour 
recevoir  les  coups  de  l'épée  du  bourreau. 

charité.  Pour  cela,  je  ne  résiste  pas  à  vos  sou- 
haits, c'est  de  bon  cœur  que  j'obé  s  à  votre  or- 
dre. 

sapience.  Maintenant,  maintenant,  ma  fille,  ré- 
jouissons-nous! Maintenant  soyons  joyeuses  dans  le 
Chrisi!  Je  n'ai  plus  un  souci,  car  je  suis  sûre  de  no- 
tre triomphe. 

charité.  Donnez-moi  un  baiser,  ma  mère,  et  re- 
commandez au  Christ  mon  âme  nui  retourne  à 
lui. 

sapience.  Que  celui  qui  vous  donna  la  vie  dans  mes 
entrailles  reprenne  celle  âme  qu'il  souffla  en  vous 
du  haut  des  deux. 

charité.  O  Christ,  gloire  à  vous,  qui  m'avez  appe- 
lée auprès  de  vous  avec  la  palme  du  martyre  ! 

sapience.  Adieu,  ma  fille  très-douce,  et  quand  lu 
seras  unie  au  Christ,  souviens-loi  de  ta  mère  déjà 
avancée  en  âge  lorsqu'elle  te  donna  le  jour. 

SCÈNE  XVK 

SAPIENCE,  MATRONES   ROMAINES,   LES  CORPS 
DES  TROIS  JEUNES  FILLES. 

sapience.  Accompagnez-moi,  illustres  matrones 
et  ensevelissez  avec  moi  les  corps  de  mes  filles. 

les  matrones.  Nous  répandons  les  parfums  sur 
ces  petits  corps  ei  nous  leur  rendons  les  honneurs 
funèbres. 

sapience.  Grande  est  la  bonté  el  merveilleuse  la 
piété  dont  vous  failes  preuve  pour  moi  et  mes 
mortes. 

les  matrones.  Puisque  c«la  vous  est  ulile,  nous  le 
faisons  avec  plaisir. 

sapience.  Je  n'en  doute  pas. 

les  matrones.  Où  voulez-vous  les  ensevelir? 

sapience.  A  trois  milles  de  Ilome,  si  réloignement 
ne  vous  rebute  pas. 

les  matrones.  Nullement,  nous  les  suivrons  volon- 
tiers jusqu'au  lieu  choisi  par  vous. 

SCÈNE  XVII. 
les  mêmes. 

sapience.  Voici  le  lieu. 

les  matrones.  11  est  convenable  pour  conserver 
leurs  restes. 

sapience.  O  terre,  je  le  confie  le  soin  de  ces  ten- 
dres fleurs  de  mes  entrailles;  réchauffe-les  dans  loa 
sein  matériel  jusqu'au  jour  de  la  résurrection,  où 
elles  reprendront  leur  verdeur  avec  un  éclat  plus 
vif.   El  vous,  ô  Chrisi,  comblez  en  attendant  Lurs 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SCL 


011 


âiiics  de  splendeurs  cl  donnez  à  leurs  os  la  paix  et 
le  repos  ! 

LES  MATUONES.    AniCfl. 

sapience.  Merci  «le  votre  bonté  et  des  consola- 
tions que  vous  m'avez  données  dans  mon  aban- 
don. 

LES   MATRONES.  VoilleZ-VOUS    qUC   MOUS    l'CSliOllS  ICI 

avec  vous? 

su'jexce.  Non. 

les  matrones.  Pourquoi  non? 

smmexce.  Vos  soins  pour  moi  vous  deviendraient 
à  charge.  C'est  assez  d'avoir  passé  trois  nuits  avec 
moi.  Allez  en  paix  et  rentrez  chez  vous  avec  ma  bé- 
né  fiction. 

les  matrones.  Voulez-vous  venir  avec  nous? 

saimence.  Nullement. 

les  matrones.  Quelle  idée  avcz-vous  ?  que  ferez- 
vous? 

saimence.  Je  veux  rester  ici  ;  peul-èire  ma  dé- 
ni; nde  sera-t-elle  accomplie  et  mes  désirs  exau- 
cés. 

les  matrones.  Quelle  demande,  quels  désirs? 

sapience.  Seulement  de  mourir  en  Jésus-Clirist 
an -sitôt  que  j'aurai  iini  ma  prière. 

les  matrones.  Eh  bien,  il  Lui  que  nous  'atten- 
dions pour  vous  ensevelir. 

sapience.  A  votre  gré.  —  Adonaï  Emmanuel,  toi 
qu'avant  les  temps  la  divinité  du  Père  universel 
a  engendré,  et  qui ,  dans  les  temps,  es  né  d'une 
vierge  !  Toi  dont  les  deux  natures  forment  miracu- 
leusement un  seul  Christ,  sans  que  la  diversité  de 
ces  natures  détruise  l'unité  de  la  personne,  ni  que 
l'unité  de  la  personne  confonde  la  diversité  des  na- 
lures  !  Sois  réjoui  de  l'aimable  sérénité  des  anges  et 
de  la  douce  harmonie  des  astres  !  Sois  loué  par  la 
science  de  tout  ce  que  l'on  peut  savoir  et  par  tout 
ce  qui  est  composé  de  la  matière  des  éléments!  Car 
seul  avec  le  Père  cl  le  Sainl-Fsprit,  tu  as  une  l'orme 
immatérielle.  Parla  volonté  du  Père  el  la  coopéra- 
lion  du  Saint-Esprit,  tu  n'as  pas  dédaigné  de  te  faire 
homme,  passible  dans  ta  nature  humaine  el  impas- 
sible dans  ion  essence  divine  inattaquable.  Pour 
qu'aucun  de  ceux  qui  croient  en  loi  ne  périt,  el  pour 
■que  loul  fidèle  eùl  la  vie  éternelle,  lu  n'as  pas  dé- 
daigné le  calice  de  noire  mon,  anéantie  par  ta  ré- 
surrection! Dieu  parfait,  homme  véritable,  je  me 
rappelle  que  tu  as  promis  à  Ions  ceux  qui,  par  res- 
pect pour  ton  saint  nom,  renonceraient  à  l'usage 
des  biens  terrestres  ci  le  préféreraient  aux  affec- 
tons de  parenté  charnelle,  une  récompense  au  cen- 
tuple el  le  cadeau  des  couronnes  de  la  vie  éter- 
nelle (426).  C'est  dans  cet  espoir,  c'est  sous  l'in- 
fluence de  celle  promesse,  el  selon  tes  ordres,  que 
j':i  agi  jusqu'ici  el  perdu  sans  murmure  les  enfants 
auxquels  j'avais  donné  le  jour.  Eh  bien,  ô  Saint,  ne 
larde  pas  à  dégager  la  parole;  fais  qu'au  plus  lot 
délivrée  des  liens  corporels,  je  sois  reçue  par  mes 
filles  dans  le  ciel.  Je  n'ai  pas  hésité  à  le  les  offrir  en 
sacrifice,  afin  d'obtenir,  quand  elles  le  suivent,  ô 
Agneau  de  la  Vierge,  cl  quand  elles  chantent  le  nou- 
veau cantique,  la  joie  de  les  entendre,  ci  afin  d'avoir 
ma  pari  de  bonheur  dans  leur  triomphe.  El  enfin, 
quoique  je  ne  puisse  dire  avec  elles  les  chants  des 
vierges,  je  puis  néanmoins  le  louer  éternellement, 
ô  loi  qui  n'es  point  le  Père,  mais  qui  es  de   même 

(12'>)  «  C'est  ici  une  allusion  aux  paroles  de  saint 
Matthieu,  plutôt  qu'une  citation  textuelle.  Voy. 
Evang.  c.  xix,  v.  20.  »  (M.  Macmn.) 

(427)  Ce  dénouement  me  paraît  avoir  un  frappant 
caractère  de  solennité  el  de  grandeur.  Celle  vieille 
mère  éplorée,  celte  llécube  calme  et  chrétienne 
qui,  après  avoir  enterré  de  ses  mains  ses  trois  fil- 
les offertes  au  ciel,  se  relire  à  l'écart  el  n'émet  qu'un 
vœu,  celui  de  mourir  après  une  courte  el  Fervente 
prière,  cl  qui  meurt  comme  elle  l'a  souhaité,  me 
semble  rappeler   un   autre  grand  cl  noble  type   de 


nature  que  lui!  ô  mailrc  de  l'univers  avec  le  Père  el 
le  Saint-Esprit!  ô  régulateur  unique  du  sysième  su- 
périeur, moyen  el  inférieur  !  ô  loi  qui  règnes  el 
domines  durant  les  siècles  infinis  des  temps  immor- 
tels (427).  (Elleexpirel) 

les  matrones,  liecevcz  son  àmc,  ô  Scigneurl 
Amen, 

SCLAFFARDS  (Les).  —  L'élection  de  l'abbé 
des  Scia/fards ,  propre  à  la  fête  des  Fous, 
était  pratiquée  dans  le  diocèse  de  Viviers, 
au  milieu  du  xiv'siècle,  avec  des  rites  étran- 
ges et  sacrilèges  que  nous  a  conservés 
Du  Cange.  Il  dit  avoir  tiré  ce  fragment  d'un 
Ordinaire  du  diocèse  de  Viviers,  datant 
de  13G5. 

«(Le  17  décembre ,  tous  les  Sclaffarns 
el  tout  le  bas  clergé  s'assemblent  pour  élire 

Y  Abbé.  )  Quand  il  est  élu,  on  chante  le  T-e 
Dcum;  les  compagnons  l'enlèvent  ensuite, 
et  le  portent  avec  des  cris  de  joie  en  un  lieu 
où  toutelacompagnie  s'est  réunie  pourboire; 
on  le  met  sur  une  estrade  préparée  tout  ex- 
près pour  lui,  on  l'y  installe  et  on  l'y  fait 
asseoir.  A  son  entrée,  tout  le  monde  se  lève, 
môme  l'évoque  ,  s'il  est  présent...  Après 
boire,  Y  Abbé  commence  à  chanter,  ou  son 
premier  chantre  ,  accompagné  par  les  Sclaf- 
fards  et  les  clercs...  d'autres  font  les  répons... 
Cela  dure  jusqu'à  ce  que,  a  force  décrier 
(clamando,  e  fort  cridar),  l'un  des  deux  par- 
tis fasse  taire  l'autre...  C'est  un  tumulte 
elfrayant  de  cris,  de  sifflets,  de  quintes  do. 
toux,  d'éclats  de  rire,  de  hurlements,  a  uxquels 
se  mêlent  toutes  sortes  de  mouvements  de 
mains...  Le  côté  de  Y  Abbé  dit:  Héros  !  Le 
parti  opposé  :  Et  polie  polierno.  Le  côté  do 

Y  Abbé:  ad  fons  sancti  bacon.  Les  autres: 
Kyrie  eleison.  Quand  le  tapage  a  cessé,  le 
Portier  s'avance  et  dit  cette  formule  :  «  De 
«  par  Mgr.  l'Abbé  et  ses  conseillers,  on  fait 
«  savoir  que  tout  homme  doit  suivre  son 
«  Abbé  partout  où  il  ira,  sous  peine  d'avoir 
«  sa  culotte  coupée.  »  L'Abbé  et  sa  suite  se 
ruent  alors  hors  du  logis,  les  plus  jeunes 
chanoines  et  les  enfants  de  chœur  en  tète,  et 
vont  visiter  avec  YAbbé  les  chanoines  et 
l'évêque.  Quiconque  les  rencontre,  est  tenu 
de  se  découvrir.  (Ces  visites  durent  du  17 
décembre  à  la  veille  de  Noël.)  UAbbé  doit 
porter  un  manteau  ou  un  labard  ou  une 
chape,  avec  un  large  chapeau.  (S'il  se  passe 
quelque  chose  d'inconvenant,  c'est  lui  qui 
décide  et  punit.) 

«  (A  la  fête  des  Innocents,  on  élisait  un 
Evéque.)  Aussitôt  élu,  il  était  porté  par  les 
Sclalïards,  clochelles  en  tète,  à  l'évêclié,  où, 
soit  que  YEvéquc  fût  absent  ou  présent,  les 
oortes  devaient  être  toutes  grandes  ouvertes; 

maternité  courageuse,  la  vénérable  duchesse  Oda, 
qui  consacra  cinq  de  ses  filles  à  Dieu,  en  vit  mourir 
quatre  el,  ne  devançant  la  dernière  que  de  peu  d'an- 
nées, descendit,  en  priant,  dans  la  tombe.  Ilrotsvi- 
Iha,  dans  son  poème  sur  la  fondation  du  monastère 
de  Gandersheini  a  rappelé  avec  émotion  la  glorieuse 
vieillesse  d'Oda  et  les  tombeaux  de  la  mère  et  des 
filles...  Je  me  figure  que  llrotsvilba  et  ses  compa- 
gnes, en  attendant  la  béatification  de  leur  digne 
fondatrice,  aimaient  à  la  glorifier  par  anticipation, 
sous  le  nom  cl  sou,  les  traits  de  Sapience.  »  (In.) 


<j:5 


SIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SIK 


SiG 


on  le  niellait  sur  le  balcon,  et  de  là  il  don- 
nait sa  bénédiction. 

«  (A  la  fête  de  S.  Etienne),  VEvéque  des 
Fous  assistait  aux  matines,  à  la  grand'messe 
et  aux  vêpres,  avec  son  chapelain,  pendant 
trois  jours  de  suite,  assis  sur  la  chaire  de 
luarhre  épiscopale, parée  à  l'ordinaire...  (On 
lui  donnait  chapes  de  soie  et  mitre,  prises 
au  vestiaire,  son  chapelain  s'y  habillait  aussi, 
il  était  précédé  de  cierges  toutes  les  fois 
qu'il  marchait  dans  l'église...)  Après  les 
matines,  la  messe  et  les  vêpres,  son  chape- 
lain disait  :  Silence  ,  silence,  silence.  —  Le 
choeur.  Deo  gratias.  —  L'Évèquiï  des  Fous. 
Adjutorium  nostrum,  etc. —  Le  choeur.  Qui 
fecit,  etc.  L'ÉvÊque  :  SU  nomen,  etc.  Bene- 
dicat  vos  divina  majeslas,  Pater,  et  Filius,  et 
Spirilus  sanctus.On  donnait  les  Indulgences: 

De  par  Mossenhor  l'Evesque 

Que  Dieus  vos  donne  gran  mal  .ii  oesc.e  (jeun) 

Avec  una  plena  balasta  de  pardos 

E  dos  das  de  raycha  de  sol  lo  nienlo. 

«  (Une  autre  formule  d'Indulgences  était 
récitée  à  la  Fête  de  saint  Jean  l'évaugélisle.) 

Mossenhor  ques  ayssi  presenz 
Yos  dona  xx,  balaslas  de  mal  de  dens 
H  à  vos  a  titras  donas  atressi 
Dona  i*  coa  de  rossi.  i 

(Du  Cange  ,  Gloss.  Inf.  et  mcd.  Lut., 
édit.  Henschel;  Paris,  Diu'ol,  G  vol. 
in-4°,  v"  Kalendœ.) 

SÉBASTIEN  (Saint).  —  L'abbé  de  Lame, 
dans  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes, 
les  jongleurs  et  les  trouvères  normands  et 
anglo-normands  (Caen,  Mancel  ,  183V,  in-8°, 
3  vol.,  t.  1",  p.  105),  fait  mention  d'un  Mi- 
racle de  Saint  Sébastien,  qui  aurait  été  re- 
présenté a  Caen,  vers  1520. 

SEMEUR  (Le),  En  1431,  à  l'entrée  d'Henri 
IV,  roi  d'Angleterre,  à  Paris,  parmi  les  mys- 
tères-pantomimes qui  furent  représentés 
«  par  personnaiges ,  sans  parler,  »  Enguer- 
rand  de  Monslrelet  cite  le  «  Bon  homin 
qui  semait  son  blé  »  à  la  porte  Saint  De- 
nis. Le  personnage  du  semeur  est  reproduit 
dans  divers  myslères  qui  eurent  les  hon- 
neurs do  représentations  publiques,  et  avec 
beaucoup  d'originalité  et  de  force  dans  les 
Trois  Rois  du  manuscrit  de  Sainte  -  Gene- 
viève. —  Voq.  Trois  Rois  (le  geu  des),  IL  2°. 

SEPT  VERTUS  ET  LES  SEPT  PÉCHÉS 
MORTELS  (Les).  —On  représenta  à  Tours 
e  25  juillet  1390,  Le  Gieus  des  sept  vertus  et 
des  sept  péchiez  mortels,  (Congrès  scientifiqw 
de  France,  \V  session,  t.  1er  p.  121.) 

SE  VERIN  (SAiyT).  —  Le  Mystère  de  saint  Sé- 
vérin  est  une  partie  de  celui  des  Trois  Doins 
qui  fut  représenté  les  27,  28  et  29  mai 
Ï509  à  Romans  ,  et  dont  le  manuscrit, 
connu  encore  en  1787  (Journal  de  Paris, 
1787,  n°  •liîï,  p.  1143),  est  aujourd'hui  perdu. 

SIEGE  D ORLEANS  (Le  Mystère  du).  — 
^cvc  'siècle — «  Cet  ouvrage-,  dont  l'auteur  est 
inconnu  n'a  pas  moins  de  vingt-cinq  nulle 
vers.  Il  est  conservé  à  la  bibliothèque  du 
Vatican  parmi  les  manuscrits  de  la  reine  de 
Suède,  occupant  à  lui  seul  tout  le  manus- 
crit   1022  do  celte  collection,  qui   est    un 


petit  in-folio  en  papier,  composé  de  509 
.euillets  et  écrit  en  cur>ive  gothique  du 
.commencement  du  xvie  siècle 

«  M.  Paul  Lacroix  est  lo  premier,  à  ma 
connaissance,  qui  ait  signalé  aux  curieux  le 
mystère  du  siège  d'Orléans  et  cela  dans  le 
septième  volume  de  ses  Dissertations  sur 
quelques  points  curieux  de  l'histoire  de 
France  (Paris,  1839).  Depuis,  un  érudit  al- 
lemand, M.  Adelbert  Keller,  en  donna  une 
notice  plus  étendue,  accompagnée  d'extraits, 
jans  un  livre  qui  parut  à  Manheim  en  1844 
sous  le  titre  de  Romrart.  Enfin,  j'ai  moi- 
même  entre  les  mains  un  volumineux  cahier 
de  notes  prises  sur  le  manuscrit  du  Vati- 
can par  M.  Salmon,  élève  de  l'école  des  Char- 
tes. Grâce  à  ces  notes,  aussi  bien  qu'aux 
indications  de  MM.  Lacroix  et  Keller,  j'ai 
)u  me  faire  une  juste  idée  de  la  valeur  que 
>résente ,  comme  document  historique  , 
'ouvrage  en  question. 

«  Cette  valeur  est  nulle,  je  me  hAte  de  lo 
dire,  non  parce  que  l'auteur  s'est  éloigné  de 
l'histoire,  mais  au  contraire  parce  qu'il  l'a 
suivie  de  trop  près.  Sa  pièce  n'est  autre 
chose  que  le  journal  du  siège,  dialogué  et 
mis  en  vers  ,  avec  une  exposition  dont 
l'idée  est  empruntée  à  la  Chroniuue  de  la 
Pucelle. 

«  L'ouvrage  commence  ainsi  sur  le  pre- 
mier feuillet  du  manuscrit  : 

Le  Mister  e  du  Siège  d'Orléans,  composé  et 
compillé  en  la  manière  cy  après  déclarée. 
Et  premièrement  Sallebry  commance  en 
Angleterre  et  dit  ce  qui  en  suit  : 

Près  lianlx  et  très  pnissans  seigneurs, 
Vous  remercy  des  gratis  honneurs 
Dont  vous  a  pieu  ainsi  me  faire, 
Quant  vous  autres,  princes  greigneurs. 
Qui  esies  les  conservateurs 
De  tout  p.osire  leniloire, 
Me  vouloir  faire  commissaire 
Eslre  [etj  lieutenant  exemplaire  : 

C'est  de  ilomy  noble  roy  de  renom. 
Pour  le  jour  d'uy  n'est  de  si  noble  affaire. 
D.'  France  est  roy,  il  en  e«.l  tout  notoire, 
Kl  d'Engleterre  qui  est  sou  propre  nom. 
Or  suis-je  dont  ,  par  la  vosirc  sentence, 
Son  lieutenant  par  la  vosire  ordonnance 
Esleti  par  vous,  pour  conduire  s:i  guerre; 
Dont  plusors  sont  de  vosire  appartenance 
Plus  sullisant  et  de  magnificence 
Pour  besoigner  miculx  et  savoir  conqm-rre; 
Mais  puisquY.insi  l'ave/,  voiu  requene 
Obeyr  veul  à  vous  Ions  sans  enquérie 
El  y  vaquer  de  tout  mon  pansement. 
Sur  les  François  nous  devons  Ions  acqnerro. 
Que  de  bon  droit  nous  appartient  leur  lerre 
El  leur  royauiine  aussi  entièrement,  e.'c,  etc. 

«  Ce  discours  tenu  devant  les  lords  est 
fort  long,  et  plus  longues  encore  sont  les 
reparties  qui  le  suivent.  La  un  de  tout  cela 
est  d'amener  en  scène  le  duc  d'Orléans, 
alors  prisonnier  à  Londres,  qui  conjure  Sa- 
lisbury  d'épargner  les  villes  et  terres  de  son 
domaine.  Le  général  anglais  promet,  puis 
change  de  propos  aussitôt  qu'il  a  mis  le 
pied  en  France.  Telle  est  l'exposition. 

«  La  Pncelle  ne  paraît  qu'au  tiers  envi- 
ron de  l'ouvrage  (f"  172  du  manuscrit).  On 


017  S1E  DICTIONNAIRE 

ia  voit  «  gardant  les  brebis  de  son  père  et 
«  gueusanl  en  linge.  »  Les  orgues  jouent  et 
l'archange  Michel  so  présente  devant  elle 
pour  lui  transmettre  les  ordres  de  Dieu. 
On  passe  de  là  à  Vaucouleurs,  dans  l'hôtel 
de  Baudricourt;  [mis  on  retourne  à  Or- 
léans pour  assister  a  la  passe  d'armes  qui, 
selon  le  journal  du  siège,  eut  lieu  a  le  der- 
nier  jour  de  l'an  »  entre  deux  hommes 
d'armes  français  et  deux  anglais.  On  voit 
après  cela  l'escarmouche  où  le  Bour  de  Bar 
fut  fait  prisonnier,  puis  l'arrivée  des  Auver- 
gnats, .puis  la  bataille  des  Harengs,  etc.,  etc., 
et  ainsi  so  succèdent  toutes  les  actions  mili- 
taires du  siège,  à  grand  renfort  de  trompet- 
pettes  et  de  clairons  qui  prennent  la  plupart 
du  temps  la  place  des  discours.  L'étendue 
des  rubriques  destinées  à  expliquer  les 
mouvements  de  scène  montre  que  le  spec- 
tacle était  plutôt  pour  les  yeux  que  pour 
les   oreilles. 

«  Voici,  par  exemple,  comment  le  dernier 
assaut  des  Tourelles  est  expliqué  aux  feuil- 
lets 339  et  3V0  du  manuscrit  : 

«  Lors  les  Irompetes  sonneront  do  plus 
«  fort  en  plus  fort  et  seront  les  Anglois  tout 
«  esbayz  de  voir  cette  puissance  revenir  sur 
«  eulx;  et  y  a  un  grand  assault  ;  et  ceulx  do 
«  la  ville  sonneront  et  saudront  pour  venir 
«  secourir  la  Pucelle  et  gens  d'armes,  et  fe- 
«  rôtit  des  planches  de  bois  pour  ve:iir  aux 
«  Tourelles  et  passer  sur  les  arches  rom- 
-<  pues,  et  puis  viendront  ayderau  bouloart 
«  île  la  Belle-Croix,  etde  si  grant  force,  d'un 
«  couslé  et  d'autre,  que  les  François  gaigne- 
«  ront  le  bouloart  des  Tourelles  et  se  re- 
«  [raieront  Glasidas  et  autres  cappitaines 
«  grantnombre  d'Angloissur  le  pont,  lequel 
«  avoyent  rompu.  Et  tout  à  coup  cherra  ledit 
«  pont  soulz  lesdits  Anglois  et  seront  tous 
«  noyez  :  c'est  assavoir  Glasidas  et  le  sei- 
'<  gneur  de  Pont,  le  sire  deMolins,  le  bailly 
«  de  Mente  et  plusieurs  autres.  Et  fuient 
«  prises  les  Tourelles  d'assault  et  tout  tué, 
«  fors  que  ung  peu  de  prisonniers  qu'on 
«  amena  en  la  ville.  » 

«  Le  mystère  se  termine  par  le  retour 
triomphal  de  la  Pucelle  et  des  capitaines  h 
Orléans,  après  la  victoire  do  Patai.  Talbot  et 
les  autres  prisonniers  anglais  marchent  de- 
vant le  cortège  aux  cris  de  Noël!  poussés 
par  la  population  entière.  Jeanne  s'arrête, 
l'ait  faire  silence  à  la  multitude,  et  débite 
une  harangue  d'actions  de  grâces,  dont  voici 
la  péroraison  : 

Si  vous  encharge  faire  les  processions 
El  louer  Dieu  el  la  Vierge  Marie, 
Donl  par  Anglois  n'a  point  eslé  ravie 
Voslre  ci  lé  ne  ses  possessions. 

«  J'ajoute...  que  la  Pucelle  avait  un  rôlo 
dans  une  pièce  jouée  à  Ualisbonno  en  H30. 
C'est  M.  de  Hormayr  qui  allègue  ce  fait  d'une 
manière  tout  à  fait  incidente  dans  son  Jas- 
chenbuch  (p.  326).  Le  sujet  de  la  pièce  alle- 
mande  étant  la  guerre  contre  les  hussites, 
Jeanne  n'y  figurait  «ans  doute  qu'à  raison 
de  la  lettre  qu'elle  adressa  à  ces  hérétiques 
le  3  m,vs  1430.  »  (Jules  Qlicbeiut  ,   Procès 


DF.S  MYSTMRF.S.  SOU  9-l.S 

de  condamnation  et  de  réhabilitation  de  Jeanne 
d'Arc [pou  ria  Société  de  l'Histoire  de  France], 
Paris,  Bcnouard,in-8\3vol.,t.  V,  p.  70-83.) 

Ou  trouve  dans  le  même  ouvrage  (mémo 
volume,  p.  309)  la  note  suivante,  extrait» 
des  registres  originaux  des  comptes  el  dé- 
penses de  la  ville  d'Orléans,  à  la  bibliothèque 
de  cette  villft,  imprimée  aussi,  mais  d'une 
manière  moins  correcte,  dans  les  Recherches 
historiques  sur  la  cille  d'Orléans,  de  M.  Lollin, 
t.  1"  de  la  première  partie,  passim  : 

«  A  Guillaume  le  Charron  et  Michelet 
Filleul,  pour  don  à  eulx  fait  pour  leur  aider 
a  paier  leurs  eschaffaulx  el  autres  despenses 
par  eulx  l'aides  le  vme  jour  de  may  mil 
ccccxxxv  que  ilz  firent  certain  mistère  au 
boloart  du  pont,  durant  la  procession  :  trois 
réaulx  d'or.  Pource,  72  s.  p.  » 

Cette  note  reporte  la  date  du  mystère  du 
Siège  d'Orléans,  aux  premières  années  du  xv* 
siècle. 

SORTIE  d'EGYPTE  (La).—  La  Sortie 
d'Egypte,  d'Ezéchiel  le  Tragique,  a  péri, 
sauf  des  fragments  conservés  pur  saint  Clé- 
ment d'Alexandrie  (Stromat.,  1.  i,  p.  3ii), 
par  Euslatlie  (Ad  Hexaëmcr.,  p.  25),  et  par 
Eusèbe,  dans  la  Préparation  évangétique  du- 
quel  on  trouve,  outre  les  citations  très- 
courtes  de  saint  Clément  et  d'Eustalhe,  tous 
les  fragmens  dont  nous  donnons  ci-dessous 
Ja  traduction. 

Les  débris  précieux  de  ce  monument  sont 
les  plus  anciens  restes  connus  du  théâtre 
religieux  inspiré  par  les  grandes  traditions 
juives  et  chrétiennes;  en  effet,  il  date  très- 
probablement  du  ne  siècle,  el  a  été  écrit  en 
grée  par  le  juif  Ezéehiel,  à  qui  l'antiquité, 
admiratrice  de  ses  œuvres,  a  légué  le  nom 
d'E/.échiel  le  Tragique. 

Les  éditions  en  sont  très-nombreuses  ; 
outre  celles  de  saint  Clément,  d'Eusèbo  et 
d'Eustalhe,  on  trouve  la  Sortie  dEgypte  im- 
primée deux  fois,  en  1500,  chez  le  libraire 
Presvoleau,  la  première  en  grec  seulement, 
et  la  seconde  fois,  accompagnée  d'une  tra- 
duction en  vers,  par  les  soins  de  Fédpric 
Morel,  imprimeur  du  roi  :  1°  Ezechiel  Tra- 
gici...  Educlio  scu  Liberatio...  plerisque  it} 
locis  castigata  (Paris,  Presvoteau,  in-16,  de 
16  pages);  2"  Ezech.  Tr.  Exagogc  scu  Edu- 
clio... Latinis  versibus  oxpressa  et  nolis 
illuslrata  per  Fed.  Morei.l.  (Idem.)  Eu  1609, 
elle  fut  rééditée  dans  les  Poelœ  christ,  grœc; 
una  cum  Homeri  centonibus;  Paris,  Già.ude 
Chapelet,  1600,  in-8°;  et  un  peu  après  dans 
le  Corpus  Poetar.  grœcor.  irag.  et  comic, 
Genev.,  1604-,  in-fol.  ;  enfin  M.  Diibner  l'a 
donnée  dans  la  collection  Didot,  avec  quel- 
ques autres  fragments  de  poètes  chrétiens. 

Les  principales  traductions  latines  sont 
celles,  en  vers  latins,  de  Féderic  Morel,  qui 
appartient  au  xvr  siècle;  le  P.  Jésuite  Fran- 
çois Viger,  dans  son  édition  d'Eusèbe  Pam- 
phile  (Paris,  1628,  in-fol.,  p.  436-M7)  en  a 
laissé  une  fort-belle  version;  et  l'on  puni  se 
servir  non  moins  utilement  du  travail  plus 
récent  de  M.  Dùbner. 

Il  n'existe  de  traductions  françaises  que 
de  for!  modernes.  La  plus  ancienne  estcella 


S 10 


éou 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


soft 


«Ji'O 


de  M.  l'abbé  M"*,    Recueil  des    démonstra-  malique,  après  les  efforts   de   1  école  d'A- 

tions  évangéliques,  Paris,  1812,  in-8°,  1.1";  lexandrie,  n'avait  pius  rien  produit.  Une  tra- 

M.  Séguier  de   Saint-Brisson    a  publié  une  gédie  sur  un  sujet   biblique  par  un  auteur 

traduction  complète  dans  la  Préparation  évan-  juif,  jouée  devant  des  spectateurs  juifs,  dé- 

ye'%ued'Eusèbe,en  I8i6,  Paris,  2  vol.  in-8°;  ment  tout  ce  nu' 


et  M.  Magnin  en  a  donné  des  fragments  dans 
fe  Journal  des  savants  de  18i9. 

Un  théologien  de  Leyde,  Etienne  Lemoyne, 
pensait  que  ce  drameétait  un  reflet  lointain 
de  la  grande  catastrophe  qui  dispersa  la  na- 
tion juive.   Jean  Leclerc  (Joann.  Cleric, 


qu  on  a  dit  de  trop  exagéré  sur 
la  répugnance  des  Juifs  pour  le  théâtre  et 
les  représentations  figurées,  au  moins  à  l'é- 
poque d'Ezéchiel.  Ce  drame,  fidèle  encore 
à  l'iambe  de  Sophocle  et  d'Eschyle,  n'a  pour- 
tant plus  rien  des  anciennes  formes  tragi- 
ques.  Rien  de  la  concentration  habiie  re- 


Histor.  eccles.;  Amstelod.,1716,in-40,  p.  797)  commandée  par  Aristole  ,  et  pratiquée  avec 
s'est  permis  d'en  douter.  Cette  opinion  a 
été  relevée  de  nos  jours  par  M.  Magnin  (loc. 
sup.  cit.).  De  même  que  Lemoyne, cet  illus- 
tre savant  s'est  appuyé  sur  l'analogie  du 
sujet  et  de  la  situation;  toutefois  ,  il  a  re- 
porté les  souvenirs  évoqués   par  Ezéchiel, 

.4'.,..   .,U.,_„„„    „».    j' i:ur__i >.  l_ i„ 


tant  de  succès  par  les  maîtres  de  la  scène 
grecque.  C'est  une  sorte  de  drame  chronique, 
écrit  dans  un  système  que  la  scène  grecque 
aborda  vers  ses  plus  hautes  origines,  mais 
qui  y  disparut  presque  aussitôt,  tandis  qu'en 
Europe  plusieurs  nations  l'ont  préféré  jus- 


d'un  pharaon  et  d'un  libérateur,  à  la  grande     qu'à  nous,  et  qu'il  a  rendu  possible, au  moyen 


insurrection  qui  éclata  en  Judée,  sous  Bar- 
cochébas, l'an  136  après  J.-C,,  et  au  long 
siège  de  Bither;  Hadrien  est  le  pharaon  ; 
Barcochébas,  le  Moïse.  Mais,  si  grandes  que 
soient  les  autorités  quenous  citons,  on  peut 
se  demander  si  ces  prétendues  analogies 
des  travaux  de  la  littérature  fct  des  faits  de 
l'histoire,  au  moyen  desquelles  on  a  soulevé, 
dans  nos  derniers  temps,  beaucoup  de  pous- 
sière poétique,  ne  sont  pas  une  pure  illu- 
sion. Quand  la  société  est  profondément 
agitée,  et  que  l'esprit  humain  branle  en  son 
assiette,  il  n'est  pas  probable  qu'on  rétléchisse 
beaucoup,  et  qu'on  polisse  des  œuvres  d'art. 
L'homme  observe,  au  contraire,  et  il  met 
de  côté,  pour  les  heures  plus  paisibles,  où 
s'élaborent  enfin,  dans  le  calme,  les  secrètes 
tendances  de  l'âme. 

M.  Magnin  a  soulevé,  à  propos  de  la 
Sortie  d'Egypte,  une  question  nouvelle  et 
grave  :  ce  drame  a-t-il  été  représenté?  Si 
Ezéchiel  est  antérieur  à  l'ère  chrétienne, 
dit  M.  Magnin,  la  pièce  n'a  pu  être  jouée, 
ni  à.  Alexandrie,  ville  égyptienne  et  peu  fa- 
vorable par  cela  même  aux  Hébreux,  ni  en 
Judée,  les  Juifs  ayant  horreur  des  specta- 
cles, nul  théâtre  d'ailleurs  n'existant  dans 
le  pays,  et  la  personnification  de  Dieu  de- 
vant y  apparaître,  aux  yeux  de  tous,  comme 
un  sacrilège.  Malgré  l'introduction  des  mœurs 
grecques  et  la  couslruction  d'un  gymnase  à 
Jérusalem,  sous  Antiochus  Epiphane,  il  n'est 
pas  de  représentation  scénique  connue  avant 
Hérode.  C'est  lui  qui,  au  péril  de  sa  vie, 
Éleva,  le  premier,  des  théâtres  a  Sébaste. 
On  y  jouait  les  pièces  de  son  familier,  Nico- 
las de  Damas.  Mais  si,  au  contraire,  la  Sortie 
d'Egypte  a  rapport  au  siège  de  Bither  et  à 
Barcochébas,  ce  drame  a  pu  être  joué  dans 
quelqu'une  des  villes  révoltées,  et  jtrès-pro- 
bablement  dans  Bilher  même,  ville  savante, 
remplie  de  professeurs  et  d'écoliers. 

Enfin,  M.  Magnin  considère  la  rencontre 
de  cette  pièce  à  la  fin  du  i"  siècle ,  comme 
un  grand  sujet  d'étonnement.  Le  génie  dra- 

(428)  M.  Edelcsland  Duméril  a  dit  à  propos  d'Ezé- 
chiel v  «  Il  est  impossible  de  ramener  son  Eçay^y»  à 
rimilalion  d'aucun  modèle  classique;  c'esl  une  œu- 
vre toute  juive,  qui  ne  s'csl  visiblement  inspirée  que 


âge,  les  autos  et  les  mystères.  Cette  pièce 
constitue  une  époque  dans  l'histoire  géné- 
rale du  théâtre  ;  elle  a  été  le  modèle,  ou,  sr 
l'on  peut  parler  ainsi,  le  précurseur  de  nos 
jeux-partis,  de  nos  moralités,  et  de  nos  mys- 
tères (-V28).  Voy.  Ezéchiel  le  Tragique. 

Elsèbe,  Préparation  Evangélique,  livr.  ix, 
ch.  28.] 

(Le  pcëe  tragique  Ezéchiel  raconte  aut&i  [dans  la  fic- 
tion intitulée  isagoge  [la  Sortie  d'Egypte]),  que 
Moyse  fut  exposé  sur  un  marais  par  sa  mère,  re- 
cueilli là  par  la  fille  du  roi  et  élevé  :  cette  histoire 
remonte  jusqu'au  temps  de  Carrivée,  des  Hébreux  en 
Egypte,  avec  Jacob  auprès  de  Joseph.  L'auteur  fait 
parler  ainsi  Moyse  en  l'introduisant  sur  la  scène.) 

PROLOGUE. 

moyse.  Depuis  le  jour  où  Jacob,  quittant  la  terre 
dcChanaan,  vint  en  Egypte,  avec  une  suite  de  soixante- 
dix  persounes,  d'où  sortit  un  peuple  nombreux,  mi- 
sérable et  opprimé,  jusqu'à  ces  derniers  lemps,  nous 
avons  élé  accablés  par  la  perversité  des  hommes  et 
la  puissance  de  leurs  bras.  En  etTet,  le  roi  Pharaon, 
dans  l'idée  que  noire  race  avait  assez  crû.  médita 
contre  nous  des  desseins  artificieux  et  funestes  : 
tantôt  il  écrasait  le  peuple  de  constructions  en  bri- 
ques, de  constructions  immenses;  tantôt  il  construi- 
sait les  murs  des  villes,  crénelés  et  garnis  de  tours, 
pour  en  l'aire  usage  contre  des  infortunés;  et  enfin, 
dans  une  proclamation  générale  il  ordonna  aux  Hé- 
breux de  jeter  tous  leurs  enfants  mâles  daus  le  Nil 
profond.  En  ce  temps-là,  ma  mère,  m'ayanl  mis  au 
monde,  me  tint  caché  durant  trois  mois,  comme 
elle  me  l'a  raconte  depuis  lors,  et  ne  pouvant  plus 
me  garder,  elle  m'enveloppa  de  ce  qu'elle  avait  de 
plus  beau  et  m'exposa  au  bord  du  fleuve,  dans  un 
endroit  marécageux,  bas  et  rempli  d'herbes.  Mais 
ma  sœur  Marie  se  tenait  en  observation  dans  un  lieu 
voisin.  Ce  jour-là  la  fdle  du  roi  descendit ,  avec  ses 
suivantes,  pour  baigner  dans  le  fleuve  son  corps  dé- 
licat. Elle  me  vit,  me  souleva  aussitôt  de  ses  mains, 
et  reconnut  que  j'étais  Hébreu.  Ma  sœur  Marie  ac- 
courut auprès  de  la  reine  et  lui  dit  :  «  Voulez-vous 
une  nourrice?  Je  vous  en  trouverai  à  l'instant  une 
pour  ce  petit  hébreu?  »  La  reine  répondit  :  «  Jetme 
tille,  hâtez-vous.  »  Ma  sœur  courut;  elle  dit  tout  a 
ma  mère,  et  celle-ci  était  déjà  auprès  de  moi,  me 
serrant  sur  son  sein.  La  fille  éin  roi  parla  ainsi: 
i  Femme,  allaite  cet  enfant,  cl  je  saurai  moi-même 

de  VExode  el  que  des  idées  du  lemps.  »  (Origines  la- 
tines du  théâtre  moderne;  Paris,  1819,  in-8",  p.  2, 
note  2  ) 


.721 


SoR 


riCTIONNAIRE  DES  MYbîEUES. 


o-ia 


te  récompenser,  i  Elle  même  me  donna  encore  U 
nom  de  Moyse,  parce  que  elle  m'avait  relire  dosbordi 
humides  du  fieuve. 

(Apres  quelques  attires  détails,  Ezéchiel  ajoute  en- 
core, dans  sa  tragédie,  les  vers  qui  suivent  sur  le 
même  sujet;  c'est  toujours  Moyse  qui  parle) 

Le  temps  de.  mon  enfance  écoulé,  ma  mère  'me 
conduisit  au  palais  de  la  reine,  non  sans  m'avoir 
(oui  révélé  et  m'avoir  appris  la  race  de  mes  pères 
et  les  bienfaits  du  Soigneur.  La  princesse,  tant  que 
dura  mon  adolescence;  me  traita  en  roi  et  m'en  lit 
donner  l'éducation,  <le  même  que  si  j'eusse  été  le 
fils  de  ses  entrailles.  J'avais  atteint  déjà  làge 
d'homme,  lorsque  je  quittai  le  palais  du  roi  :  mi 
élan  intérieur  me  poussait  à  faire  actes  et  œuvres 
de  roi.  Je  vis  d'abord  deux  hommes  qui  se  battaient  : 
l'un  était  Hébreu,  l'autre  Egyptien;  nous  trouvant 
seuls  et  sans  témoins,  je  délivrai  mon  frère,  et  je 
misa  mort  1  étranger,  puis  je  l'enterrai  dans  le 
sable,  pour  qucpersoiine  nouons  vît  et  ne  révélât  le 
meurtre.  Le  lendemain,  ayant  rencontré  encore 
deux  hommes  aux  prises,  mais  celte  fois  tous  deux 
de  ma  nation,  je  dis  à  l'un  :  Pourquoi  frappes-tu  cet 
homme  qui  est  plus  faible  que  loi?  II  me  répondit  . 
«  Qui  vous  a  envoyé  pour  juge  entre  nous,  ou  comme 
surveillant  ici?  Allez -vous  me  luer  comme  l'homme 
d'hier?  >  Alors,  effrayé,  je  dis  à  part  moi  .  «  Coni- 
n  enl  celte  action  est  elle  déjà  connue?»  Cependant 
cet  homme  ne  larda  pas  à  tout  dénoncer  au  roi  et 
Ptiar.ion  nie  lit  chercher  pourin'ôter  la  vie.  J'en  fus 
instruit,  je  m'éloignai  elmejvoici,  depuis  ce  temps, 
errant  sur  la  terre  étrangère... 

Ensuite  Moyse,  à  la  vue  des  filles  de  Raguel,  dit  en- 
core : 

Mais  j'aperçois  sept  jeunes  filles... 

SCÈNE  1". 

SI  oyse  leur  demande  qui  elles  sont,  Seppnora   (i29) 
répond  : 

sepphora.  0  étranger,  toute  cette  terre  porte  le 
nom  de  Lijbie  ;  des  tribus  de  races  diverses  l'habi- 
tent, entre  autres  les  noirs  Ethiopiens  (450);  elle 
n'est  soumise  qu'à  un  seul  homme,  qui  en  est  le  roi, 
le  gouverneur  et  le  chef  ;  mon  père  et  celui  de  ces 
jeunes  filles  est  le  grand- prêtre  delà  ville  voisine; 
il  y  commande  et  il  y  juge  les  hommes. 

SCÈNE  11. 

(Le  yoële  passe  ensuite  à  la  scène  des  troupeaux  qu'on 
abreuve,  puis  au  mariage  de  Sepphora  dont  Chus 
et  elle  parlent  ensemble;  c'est  là  que  l'on  trouve  ces 
vers  ) 

SCÈNE  III. 

culs.  Il  faut  pourtant,  Sepphora,  que  vous  me  fas- 
siez ce  récit... 

sepphora.  Mon  père  m'a  donné  pour  épouse  à  cet 
étranger  (-451). 

SCÈNE  IV. 

[M.  29. 

(Pémétrius  (132)  rappelle  absolument  comme  VÈcri- 
lure  sainte,  le  meurtre  de  l'Egyptien,  et  l'issue  de 
la  querelle  nvec  l'homme  qui  avait  été  témoin  de  ce 
meurtre.  En  outre,  Moyse  ayant  pris:  la  fuite  chez 
les  Madianites,  épousa  la  fille  de  Jothor,  dont  le 
nom  de  Sepphora  indique  la  race  issue  des  enfants 
de  Cheltura,  et  par  eux  d'Abraham  mente;  car 
Abraham  reçut  Jexane  de  Chettura ;  il  en  cul  Da- 

(129)  Sepphora,  en  hébreu,  petit  oiseau. 

(450)  La  dénomination  d'Ethiopiens  se  retrouve 
dans  les  Nombres,  xn,  1,  traduction  des   Septante. 

(431)  Les  citations  d'un  vers,  d'un  vers  et  demi, 
piouveut  combien  la  pièce  était  dans  toutes  les  mc- 


danp,  père  de  Iiagnct,pcre  de  Jothor  et  d'Ababus; 
enfin  Jothor  enl  pour  fille  Sepphora ,  épouse  de 
M  oyse.  Les  générations  se  trouvent  concorder  avec 
'argumentation  de  Démet  tins;  en  effet,  Moyse  est 
compté  comme  la  septième  génération  et  Sepjiltora 
comme  la  sixième  après  Abraham,  celui-ci  ayant. 
déjà  pour  fils  Isauc,  duquel  descendait  Moyse,  lors- 
qu'à l'âge  de  cent  quarante  ans,  il  épousa  Cheltura. 
En  second  lieu,  lorsqu' Abraham  cul  d'elle  Isaac, 
comme  Isaac  était  né  que  son  père  avait  déjà  cent 
ans,  il  avait  an  moins  quarante-deux  ans  de  plus 
qu  Isaac,  de  qui  descendait  Sepphora.  On  ne  peut 
donc  pas  dire  que  Moyse  cl  Sepphora  n'ont  pu  vivre 
à  la  même  époque.  En  outre,  c'est  bien  la  ville  des 
M adiauiles 'qu'ils  habitaient,  car  elle  a  reçu  son  nom 
de  l'un  des  fils  d'Abraham.  Abraham  lui-même  en- 
voya les  siens  chercher  vers  l'orient,  une  contrée  oit 
il  pût  habiter,  et  dans  la  suite  Aaron  et  Marie,  se 
trouvant  à  Haseroth,  reprochèrent  à  Moyse  d'avoir 
épousé  une  Ethiopienne.  Ce  sonl-là  les  événements 
que  remet  en  scène  Ezéchiel,  dans  su  sortie  d'Egypte  ; 
il  ajoute  en  outre  le  récit  d'un  songe  de  Moyse  que 
son  beau-père  explique.  On  voit  s'approcher  Moyse 
et  son  beau-père;  ils  parlent  ensemble  et  Moyse 
dit:) 

SCENE  V. 

mo.^e.  il  me  semblait  que,  devant  mes  yeux,  au 
sommet  du  mont  Sinaï,  était  un  trône  immense  et 
perdu  dans  les  deux.  Sur  ce  trône  était  assis  un 
homme  éminent,  le  front  ceint  du  diadème  et  te- 
nant un  grand  sceptre  dans  la  main  gauche.  Il  me 
fit  signe  de  la  droite,  et  je  me  lins  immobile  devant 
lui.  Il  me  donna  le  sceptre  et  me  fit  asseoir  sur  ce 
trône  puissant;  il  me  donna  la  couronne  royale,  et 
de  son  plein  gré  quitta  ces  lieux  élevés.  Je  vis  alors 
le  globe  entier  du  monde.  Au-dessous  de  moi  état  la 
terre;  au-dessus,  le  ciel.  Une  multitude  d'étoiles 
tomba  sur  mes  genoux,  je  les  comptai  toutes  :  elles 
passaient  devant  moi  comme  une  armée  humaine. 
Enfin,  je  me  réveillai  avec  effort,  dans  une  grande 
terreur. 

(Le  beau-père  explique  le  songe  en  ces  termes  :) 
r.vgcel.  0  étranger,  Dieu  vous  envoie  une  heu- 
reuse prédiction.  Puissc-je  vivre  encore  quand  ces 
grandes  choses  s'accompliront.  Sans  nul  doute,  vous 
renverserez  un  trône,  cl  vous  gouvernerez  vous- 
même,  et  vous  serez  un  conducteur  de  nations; 
et  de  même  que  vous  avez  vu  toute  la  lerre  habi- 
table en  même  temps  que  les  immensités  des  cieux 
qui  appartiennent  à  Dieu,  ainsi  vous  aurez  la  science 
du  passé,  du  présent  cl  de  l'avenir. 

SCÈNE  VI. 

(Ezéchiel  met  ensuite  en  scène  le  buisson  ardent  et 
l'ordre  que  reçut  Moyse  d'aller  trouver  Pharaon.  Il 
introduit  deux  fois  Moyse  conversant  avec  Dieu) 
moyse.  Hé!  quel  signe  ni'ollre  ce  buisson?  Prodige 
surprenant  et  incroyable  aux  hommes!   Il   vient   de 
s'enflammer  tout  à  coup,  et  pourtant  ses  feuilles  res- 
tent vertes!  Qu'est-ce  que  cela?  Avançons  pour  ob- 
server ce  grand  phénomène;   non,   non,  cela  n'est 
réellement  pas  croyable. 

SCÈNE  Vil. 

(Dieu  commence  alors  de  lui  parler.) 

dieu.  Arrête,  excellent  homme.  N'approche  pas, 
ô  Moyse,  avant  d'avoir  quitté  la  chaussure.  La  terre 
que  lu  foules  est  sainte.  C'est  le  Verbe  divin  qui 
flamboie  à  tes  yeux  dans  ce  buisson.  O  mon  fils,, 
rassure-loi  et  écoule  ma  voix  :  les  veux  d'un  mortel 

moires  du  temps  d'Eusèbe;  elles  rappellent  des  ti- 
rades. 

(152)  C'est  Eusèbe  ici,  et  non   Alexandre  Poly- 
.  histor,  qui  remarque  l'accord  des  récits   de   Deme- 
uras avec  l'Ecriture  sainte. 


9^23 


SOR 


niCTKHNAIKE  DES  MYSTERES. 


SOR 


CWU 


lin  peuvent  contempler  ma  l.<ce,  mais  il  l'est  permis 
(i'enlendre  mes  paroles;  c'est  pour  cela  que  je  suis 
venu.  Je  suis  celui  que  lu  appelles  le  Dieu  de  les  pè- 
res, le  dieu  d'Abraham,  d'isaac  et  de  Jacob;  je  me 
mis  souvenu  d'eux  el  de  mes  dons;  el  je  viens  dé- 
livrer mon  peuple,  touché  (te  l'affliction  el  des  souf- 
frances de  mes  serviteurs.  Va  dune,  «l  retenant 
mes  paroles,  déclare  d'abord  aux  Hébreux  assemblés 
el  ensuite  a =i  roi  que  je  l'ai  ordonné  de  conduire  mon 
peuple  h  rs  do  celte  terre. 

(Moyse  récite  alors  quelques  vers.) 

moyse.  Je  n'ai  pas  la  parole  facile,  ma  langue  esl 
embarrassée  ci  ma  voix  trop  faible  pour  que  je  puisse 
parler  devant  le  roi. 

(A  ces  paroles,  ûieu  répond  :) 

dieu.  Envoie  promplemenl  au  roi  Aaron  loa  fière, 
à  qui  lu  rapporteras  loules  mes  paroles,  l'.'esl  lui 
qui  parlera  devant  Pharaon.  Tu  recevras  m  s  or- 
dres de  ma  bouche  el  Ion  frère  les  recevra  de  la 
tienne. 

SCÈNE  VIII. 

(//  y  a  ensuite  un  dialogue  dans  lequel  il  esl  question 
delà  verge  el  des  autres  prodiges.) 

dieu.  Que  liens-lu  à  la  main?  Réponds-moi  sur-le- 
champ. 

moyse.  Une  verge,  pour  diriger  les  troupeaux  el 
les  hommes. 

dieu.  Jelie-la  à  lerre  el  recule  promplemenl;  car 
elle  va  se  changer  en  un  serpent  terrible  qui  le  gla- 
cera d'clonnemenl. 

moyse.  Voilà,  je  l'ai  jetée...  0  Seigneur,  à  mon 
secours!  qu'il  esl  terrible!  qu'il  est  grand!  Prenez 
pi'.ie  de  moi!  Sa  vue  me  frappe  d'horreur,  el  tous 
nies  membres  sont  tremblanls. 

dieu.  Ne  crains  rien.  Etends  la  main,  prends  ia 
queue  de  ce  reptile,  il  va  redevenir  verge  comme  au- 
paravant. Plonge  maintenant  la  main  dans  Ion  sein 
cl  reiire-la. 

moyse.  J'ai  obéi;  ma  main  esl  blanche  comme  de 
la  neige. 

dieu.  Plonge-la  une  secondefois,  elle  redeviendra 
telle  qu'elle  était. 

(Dieu   ajoute    encore  d'autres  paroles  à  celles  qu'il 
vient  d'adresser  à  Moyse.) 

SCÈNE  IX. 

(Bien'ôl  Ez*cliiel  énumère  dans  son  drame  les  pro- 
diges qui  doivent  frapper  l'Egitote  et  il  introduit 
Dieu,  qui  parle  ainsi  :) 

dieu.  Avec  celte  verge,  lu  produiras  tous  les  maux. 
D'abord,  le  fleuve  routera  des  eaux  pleines  de  sang; 
cl  ainsi  les  sources  el  les  marais.  Puis ,  j'enverrai 
sur  la  terre  une  multitude  île  grenouilles  et  d'in- 
sectes. Je  répandrai  des  cendres  brûlantes  comme 
d'un  foui  ne;. u,  el  il  naîtra  sur  ces  hommes  des  ul- 
cères effrayants  cl  terribles.  Ees  mouches,  qui  tour- 
mentent les  chiens  ,  viendront  alors  el  accableront 
un  grand  nombre  de  ces  Egyptiens.  A  ees  fléaux  suc- 
cédera la  peste,  et  tous  les  hommes  au  cœur  dur  pé- 
riront. J'armerai  le  ciel  même;  la  grêle  tombera 
avec  le  feu,  et  des  hommes  périront/en  même  temps 
que  seront  perdues  toutes  les  récolles  el  succom- 
beront les  animaux.  Pendant  trois  jours  entiers,  je 
couvrirai  l'Egypte  de  ténèbres.  J'enverrai  d'itmoiu- 
brables  sau'.ei elles  qui  dévoreront  les  blés  et  les 
verts  pâturages.  Enfin, pour  comble  à  ces  maux,  je 
frapperai  de  mort  les  premiers-nés  des  hommes, 
pour  effacer  [parma  vengeance]  l'injure  que  vous  (il 
ce  peuple  impie.  Mais  Pharaon  ne  cédera  à  aucun  de 
«nés  avertissements  avant d'avoir  perdu  son  fils  aîné; 
alors  seulement,  frappé  de  terreur,  il  laissera  s'é- 
loigner mon  peuple.  Tu  diras  cependant  à   lous   les 

(435)  M.  Dùbncr  considère  comme  une  gbsc  dans 


Hébreux  assemblés  :  «  Ce  mois-  eat  pour  vous  le  pre- 
mier de  l'année,  car,  dans  ce  unis,  j'emmènerai  mon 
peuple  au  milieu  île  ce;  le  terre  promise  à  vos  pères.  > 
Dis  encore  à  ce  peuple  :  «  Lors  de  la  pleine  lune  de 
ce  mois,  et  dans  la  première  nuit,  vous  célébrerez  la 
pàqnes  au  nom  de  Dieu,  et  ensuite  teignez  de  sang 
vos  portes,  afin  qu'à  h  vue  de  ce  signe,  l'ange  ex- 
terminateur passe  outre;  et,  dans  celle  nuit  même, 
vous  mangerez  lous  les  viandes  rôties.  »  Alors  le  roi 
s'empressera  dé  congédier  les  Hébreux,  et  quand 
vous  en  serez  au  départ,  je  ferai  une  grâce  à  mon 
peuple".  Toule  femme  demandera  à  une  femme  tons 
les  vases  cl  lous  les  habits  doni  usenl  les  hommes 
(or,  argent  et  parures),  en  récompense  des  travaux 
faits  pour  les  Egyptiens  (433).  Lorsqu'après  sept 
jours  de  marche,  à  compter  de  celui  de  votre  départ 
d'Egypte,  vous  serez  entrés  dans  la  lerre  que  je  vous 
accorde  en  propre,  vous  mangerez  lous,  et  cela 
chaque  année,  pendant  mi  nombre  égal  de  jours, 
le  pain  azyme  (ou  sans  levain);  c'est  moi-même  qui 
l'ordonne,  et,  en  sacrifiant  les  premiers-nés  de  lous 
les  animaux,  vous  consacrerez  à  Dieu  lous  les  pre- 
miers enfants  mâles  oui  ouvriront  le  sein  de  leurs 
jeunes  mères. 

(Kzécliiel  s'arrête  sur  celle  fêle  et  met  dans  la  bouche 
de  Dieu  les  prescriptions  les  ptus  détaillées  pour  la 
célébrer.) 

Chaque  Hébreu  ,  le  dixième  jour  de  ce  mois ,  pren- 
dra, autant  qu'il  en  faul  pour  sa  famille,  des  veaux 
el  des  brebis  sans  défaut  ;  on  les  gardera  jusqu'au 
lever  du  quatorzième  jour.  Après  les  avoir  immoles 
et  rôtis,  y  compris  les  entrailles,  le  soir,  vous  les 
mangerez,  les  reins  ceints,  les  pieds  chaussés  cl  un 
bâton  à  la  main.  Or  le  roi  ordonnera  de  vous  chas- 
ser de  dessus  sa  terre,  cl  chacun  de  vous  aura  à 
répondre  à  l'appel.  Après  les  sacrifices,  prenez  à  la 
main  une  brandie  d'hysope,  Irempez.-la  dans  te  sang 
el  teignez  les  deux  montants  de  votre  porle,  afin  que 
la  mort  passe  et  s'éloigne  des  Hébreux.  Vous  obser- 
verez, pendant  sept  jours,  celte  fêle  des  azymes,  à 
la  gloire  du  Seigneur,  el  vous  ne  mangerez  rien  qui 
ail  fermenté.  Car  c'est  le  temps  de  votre  délivrance 
de  lous  les  maux,  el  Dieu  vous  mènera  au  loin  pen- 
dant ce  mois  même;  qu'il  soit  donc  pour  vous  le 
commencement  des  mois  et  des  temps. 
(A  ces  commandements ,  Dieu  en  ajoute  quelques 
autres.) 

SCÈNE  X. 

(Puis  Ezéchiel,  dans  sa  pièce  de  a  sortie,  amené  un 
messager  qui  expose  el  l'ordie  suivi  par  les  Hébreux 
dans  leur  fuite  el  la  destruction  de  l'armée  égyp~ 
tienne. 

LE  MESSAGER 

le  messager.  Lorsque  le  io i  Pharon  fut  dehors  de 
son  palais,  au  milieu  de  celle  multitude,  de  tant  de 
milliers  d'hommesarmés,  avec  sa  cavalerie,  sesch.rs, 
ses  généraux  el  ses  gardes ,  celte  armée  rangée  en  bon 
ordre  offrait  un  aspecl  terrible.  L'infanterie  el  les 
phalanges  occupaient  le  centre,  laissant  par  inter- 
valles des  places  libres  pour  les  chars.  La  cavalerie 
fut  rangée  à  droite  et  à  gauche.  Je  nie  suis  informé 
du  nombre  de  ses  troupes  :  il  n'y  avait  pas  moins 
d'un  million  de  bons  soldais.  Quand  noire  armée 
découvrit  celle  des  Hébreux,  ils  étaient  lous  rassem- 
blés au  bord  de  la  mer  Rouge,  les  uns  couchés  sui- 
te rivage,  les  autres,  malgré  leur  fatigue,  apprê- 
tant la  nourriture  de  leurs  femmes  cl  de  leurs  en- 
fants. Prés  d'eux  reposaient  les  bêles  de  somme  cl 
les  bagages.  Tous  étaient  sans  armes.  A  noire  aspect 
on  n'entendit  qu'une  clameur  lamentable  :  tous  ces 
bras  si  nombreux  étaient  levés  au  ciel;  chacun  in- 
voquait le  Dieu  de  sa  race.  La  confusion  etaii  im- 
mense. Au  contraire,  nous,  nous  étions  lous  joyeux. 

4 

le  texte  celle  idée  d'indemnité. 


m 


SOT 


DICTIONNAIRE   DES  MÏSTEKES. 


SL'Z 


92G 


Nos  camps  Cirent  placés  \is  a-vis  d'eux  ,  non  loin  de 
la  ville  que  les  nommes  Oui  nommé;;  Béelzëphon ; 
après  le  coucher  ifu  soleil  ardent,  nous  nous  repo- 
sâmes, remettant  lecomhat  au  lendemain  matin  ei 
confiants  dans  noire  nombre  cl  dans  la  force  de  nos 
armes.  Mais  alors  commencèrent  sons  nos  yeux  d'é- 
Iranges  prodiges  :  lout-à-  oup  une  noire   barrière 
de  nuées  s'éleva  de  terre  cl  s'interposa  entre  notre 
camp  et  celui  des   Hébreux;  ensuile    Moïse,    leur 
chef,  prenant  en  main  la  verge  divine  dont  il  avait 
cpndn  lanl  de  maux  prodigieux  sur  l'Egypte,  frap- 
pa le  dos  île  la  mer  Rouge  et  ouvrit  les  abîmes  des 
iio's  divisés  de  coté  cl  d'autre.  Alors,  les  Hébreux, 
en  lignes  sériées,  s'élancèrent  en  toute  haie  dans  ce 
chemin  salé.  Nous   nous  pressâmes  de  suivie  leurs 
pas  dans  celle  roule.  Nous  touchions  à  leurs  cohortes, 
en  poussant  <!c  grands  cris,  échauffés  de  la  courte, 
lorsque  ,  soudain,  les  roues  de  nos  chars  cessent  de 
tourner,  comme allachées  à  des  chaînes.  Dans  le  ciel 
une  lueur  inin  ense,  une  flamme  ardente  s'étendent 
au-dessus  de   nous,  el  selon    toute  vraisemblance, 
c'est  Dieu  même,  protecteur  des  Hébreux,  qui  se  ma- 
il rosit*.  Ap  i:ie  sont  ils  hors  de  la  mer, qu'une  énorme 
Il  il  mugit  contre  nous.  A  sa  vue,  une  voix  s'écrie  : 
«  Fuyo.  s  en  Egypie  devant  la  main  du  Très-Haut  qui 
le  ir  p  rie  secours  et  prépare  no  re  ruine!  »  aussitôt 
la  ri  ule  que  i  i  mer  Uouge  avait  ouvert.;  se  referme,  et 
l'armée  csl  engloutie  (431). 

SCÈNE  XI. 

(Un  peu  plus  loin  on  les  voil  faire  une.  roule  de  (rois 
jours,  comme  le  rappelle  Démélrius ,  d 'accord  sur 
ce  point  avec  les  livres  sucrés. 

[Comme  le  lieu  delà  halle  manquait  d'eau  aouce. 
Moyse,  par  Tordre  de  Dieu,  jette  un  certain  bois 
diits  l'eau  suumâlre  ci  aussitôt  Teau  devient  po- 
table.) 

SCENE  XII. 

(De  là  les  Hébreux  viennent  à  t'Aime  où  ils  trouvent 
douze  fontaines  el  soixante-dix  palmiers.  Ezécliiel 
fuit  paraître  dans  son  drame  un  homme  qui  vient 
annoncer  à  Moyse  cette  découverte  et  décrit  un  oi- 
seau qu'il  a  vu.  Voici  d'abord  comment  il  parle  des 
palmiers  et  des  fontaines.) 

un  ÉCLAiREim.  Puissant  Moyse,  écoulez  :  nous 
avons  trouvé  un  lieu  propice  dans  ces  vallées,  c'est 
là  même,  so'S  vos  regards.  Celle  lumière  l'illumine, 
qui  nous  guide  d.ms  l'ombre  des  nuits  sous  l'as- 
pect d'une  colonne  de  feu.  Il  y  a  là  une  prairie  om- 
bragé •,  des  sources  fraîches,  un  sol  fertile  et  profond. 
Douze  fontaines  jaillissent  d'un  seul  rocher.  Là  s'é- 
lnenl  un  grand  nombre  de  palmiers  chargés  de 
fiuits;  j'en  ai  com;>té  soixante-dix.  L'herbe  est  épaisse 
pour  la  nourriture  des  troupeaux. 

(Un  peu  après ,  »7  reprend  la   parole  pour  décrire  un 
oiseau  qui  a  été  vu  en  ce  lieu. 

Nous  y  avons  vu  aussi  un  oiseau  tout  nouveau , 
que  nul  n'a  jamais  vu,  admirable  :  deux  fois  plus 
long  que  l'aigle,  aux  ailes  de  couleurs  variées;  la 
gorge  pourpre,  les  pâlies  vermeilles,  le  cou  orné 
d'un  duvet  couleur  de  safran;  la  lêle  semblable  à 
celles  des  coqs  domestiques;  la  prunelle  d'un  jaune 
pale  enfermée  dans  une  cornée  ccarlate;  le  chant  le 
plus  harmonieux  qu'on  pùl  entendre.  Il  semblait 
être  le  roi  de  ions  les  oiseaux,  car  tous  volaient  li- 
inidcmenl  à  sa  suile,  et  lui  s'avançait  à  leur  lèle, 
superbe  comme  le  taureau  uui,  d'un  uas  rapide, s'a- 
vanc  (Î3'.j. 

SOTS  (Les).  —  Les  sols  sonl  l'une  des 
formules  de  la  fêle  des  Fous;  ils  ont  eu 
leurs  abbés  et  leurs  odiees.  Ils  se  sonl  per- 

(iô't)  M.  Magnin  a  remarqué  que  ce  récit  du  dé- 
sasire  dos  Egyptiens  rappelle  les  Verses  d'Eschyle. 
(\7>-S)  Eusiathe,  évoque   d'Aniioche  (Cvmnunlar. 


pétués  au  théâtre,  vers  le  xvT  siècle  el  la 
Sottie  a  eu  alors  ses  princes  dont  l'histoire 
n'appartient  [dus  au  génie  religieux.  — 
Toi/.  Fête  des  fols. 

SUZANNE  (Sainte).  —  Un  drame  de  la 
chaste  Suzanne  a  élé  écrit  dans  des  temps 
très-reculés  ;  il  est  perdu  aujourd'hui;  il 
n'en  reste  qu'une  courte  mention  ;  et  l'on 
ne  peut  même  dire  quel  en  était  l'auteur. 

C'est  Eustathe  qui  en  a  conservé  le  souve- 
nir. En  elfel,  cet  auteur  a  cité  deux  fois  ce 
mystère  célèbre  do  son  lemps.  Il  se  con- 
tente d'abord  d'en  rappeler  le  titre  et  d'at- 
tribuer la, pièce  à  un  auteur  incertain  pour 
nous,  qu'il  nomme  Damascène  (In  Dyonis. 
v.  950,  édition  de  Londres  1638,  1.  ï",  p. 
179);  dans  un  autre  ouvrage,  précisant  mieux 
son  affirmation,  il  donne  une  faible  idée  de 
la  pièce  el  indique  comme  son  auteur  saint 
Jean  Damascène. 

Voici  le  passage  dont  il  est  question  : 

«  Ce  drame  était  conçu,  pour  ainsi  dire, 
a  la  manière  d'Euripide.  Suzanne  faisait  le 
compte  des  membres  de  sa  race  et  se  déso- 
lait du  malheur  qui  iui  élait  arrivé  dans  le 
jardin  ;  assimilant  alors  son  jardin  à  celui 
du  paradis,  où  la  première  mère  fut  trom- 
pée: «  Par  quelle  fatalité  du  mal,  s'ecrie- 
«  t-elle  harmonieusement,  le  serpent,  au- 
«  leur  du  mal,  devait-il  s'efforcer  de  tenter 
«  encore  Eve  en  moi  ?  »  Les  vers  en  sont 
très-doux,  très-coulants,  pleins  d'éclat,  et 
dans  la  manière  sévère  et  pleine  do  clarté 
de  l'illustre  Damascène...  » 

Les  anciens  critiques  n'ont  pas  fait  de 
doule  que  ce  fût  en  effet  saint  Jean  Damas- 
cône.  Néanmoins,  au  xvti"  siècle,  Henri  de 
Valois  s'y  est  opposé  el  a  attribué  à  Nicolas 
de  Damas,  auteur  d'autres  drames,  et  auteur 
juif,  écrivant  pour  des  Juifs,  cette  pièce  qui 
serait  antérieure  ainsi  à  l'ère  chrétienne,  ou 
du  moins  contemporaine,  mais  qui  n'appar- 
tiendrait pas  à  l'histoire  du  théâtre  chrétien. 
Celte  opinion  a  élé  suivie  dansées  derniers 
temps  par  M.  Magnin.  (Journ.  des  Sav., 
1849.)  Cependant  il  faut  considérer  que  le 
grand  éditeur  de  saint  Jean  Damascène,  le 
P.  Michel  Lequin,  n'a  pas  osé  rejeler  abso- 
lument cette  œuvre,  et  est  reslé  dans  le 
doule.  (5.  Joann.  Dam.  Opéra;  Paris,  1712, 
in-fol.,  2  vol.,  t.  Ier,  Proletj.,  p.  xlvii  j 

SUZANNE  (Mystère  de  sainte).— xvVsie- 
cle.  —  On  lit  dans  la  BiOliotlurjuc  du  théâtre 
françois,  ouvrage  attribué  au  duc  de  LaVai- 
liôre  (Dresde,  17G8,in-8°,  3  vol.,  t.  Ier,  p. 29;: 

«  L'histoire  de  sainte  Suzanne.  Exemplaire 
de  toutes  sages  femmes  et  de  tous  bons 
juges,  à  14  personnages  ;  Troyes,  Nicolas 
Oudot,  in-12. 

«  Joachim  el  sa  femme  Suzanne  se  réjouis- 
sent de  l'union  qui  règne  entre  eux;  cepi  n- 
dant  deux  Juges,  les  mêmes  que  les  deux 
vieillards  de  l'Ecriture  ,  s'avouent  l'un  à 
l'autre  la  passion  qu'ils  ont  conçue  pour 
Suzanne  et  cherchent  des  moyens   pour  eu 

in  Uexaemer.)  répète   à   propos  du  phénix  les  vers 
d'E/.échiel.  Eustathe  est  mort  en  357. 


927 


THE 


DICTIONNAIRE  DLS  MYSTERES. 


THE 


«J-23 


jouir.  Ils  prennent  le  parii  (Je  l'attendre 
dans  le  jardin,  de  la  surprendre  lorsq.u'elle 
sera  dans  le  bain,  et  de  la  l'aire  consentir 
de  gré  ou  de  force  à  leurs  désirs.  Ils  font 
une  visite  à  Joachim,  qui  veut  les  retenir  à 
dîner;  ils  refusent  et  se  retirent.  Joachim, 
sa  femme  et  ses  enfants  se  mettent  à  table; 
les  deux  Juges  se  cachent  dans  le  jardin. 
Suzanne  y  vient  après  le  repas  :  elle  entre 
dans  le  bain,  et  envoie  ses  demoiselles  lui 
chercher  des  parfums.  Les  juges  s'appro- 
chent d'elle  et  lui  l'ont  l'aveu  de  leur  passion  : 
elle  refuse  de  les  satisfaire;  ils  la  menacent 
de  l'accuser  d'adultère,  si  elle  ne  consent  à 
leurs  désirs...  Elle  leur  résiste  cependant,.. 


elle  crie  au  secours.  Les  valets  accourent: 
les  juges  disent  qu'ils  l'ont  surprise  avec 
un  jeune  homme.  Le  mari,  les  enfants,  les 
demoiselles  se  désespèrent.  On  la  conduit 
au  tribunal  et  on  la  condamne  à  mort  sur  le 
témoignage  des  deux  juges.  Joachim  la  croit 
toujours  innocente...  On  mène  Suzanne  dans 
les  champs  pour  la  lapider.  Le  jeune  Daniel 
rencontre  la  troupe  qui  la  conduit,  déclare 
que  Suzanne  est  innocente,  rappelle  le  peu- 
ple au  tribunal,  et  confond  les  accusateurs, 
qui  subissent  le  môme  supplice  auquel  Su- 
zanne avait  été  condamnée.  Le. tout  est  ter- 
miné par  quelques  quatrains  sur  différents 
sujets  de  morale.  » 


T 


THEOBALDE  (Saint).  —  Dans  la  vie  de 
saint  Ayberl,  prêtre  du Tournaisis,  qui  vivait 
à  la  fin  du  xic  et  d;  ns  la  première  moitié 
du  xu*  siècle,  écrite  entre  1140  et  11-VS,  par 
l'archidiacre  Robert  pour  Alvise ,  évoque 
d'Arias, on  trouve  une  indication  précieuse 
îles  effets  que  pouvait  ça  et  là  produire  la 
mise  en  action  de  la  vie  des  saints  ou  des 
scènes  religieuses ,  déjà  condamnée  pour- 
tant par  les  conciles,  mais  seulement,  il  est 
vrai,  à  cause  des  abus.  Saint  Ayberl  avait, 
dès  l'enfance,  accoutumé  de  suivre  rigou- 
reusement les  pratiques  chrétiennes,  «  crai- 
gnant de  se  rendre  l'ennemi  de  Dieu  s'il 
restait  ami  du  monde...  Il  était  encore  bien 
jeune  et  n'avait  pas  quitté  la  maison  pater- 
nelle, où,  malgré  la  liberté  de  la  vie  laïque, 
le  retenait  l'ardeur  de  la  piété,  lorsqu'un 
jour  il  eut  occasion  d'entendre  un  comédien 
ambulant  qui  déclamait  sur  un  rhythme 
mesuré  la  Vie  de  saint  Tbéobalde,  la  con- 
version et  l'àpreté  de  celte  existence  qui, 
poursuivie  avec  ardeur  et  sans  relâche, 
avait  eu  enfin  pour  prix  la  vie  éternelle.  Ces 
récits  percèrent  le  cœur  de  saint  Aybert,  et 
il  fut  saisi  dès-lors  d'un  si  profond  amour 
de  Dieu...  qu'il  commença  aussitôt  de  mener 
la  vie  d'une  personne  en  religion,  morti- 
fiant son  corps  prr  la  faim,  la  soif,  les 
jeûnes,  les  veilles,  et  la  fréquence  des 
prières,  et  fortifiant  son  esprit  par  la  servi- 
tude et  le  joug  de  la  chair...  »  (C.  Boll.  , 
7  avril,  Yita  sancti  Ayberti,  1. 1  ",  p.  674-, 
co.,  2.  c.) 

THEODORE.  —  Théodore  est  tiré  du  ma- 
nuscrit des  Miracles  de  Nostre-Dame,  1"  vo- 
lume, f°  197  (Bibl.  Imp.  n°  7208,  4  A  et 
4  B.) 

Il  y  est  intitulé  :  D'une  femme  nommée 
Théodore  qui,  pour  son  péchié,  se  mist  en 
habits  d'homme,  et  pour  sa  penance  (péni- 
lence)  faire,  déteint  moine,  et  fut  tenue  pour 
homme  jusques  après  sa  mort. 

On  sait  que  le  manuscrit  d'où  ce  drame 
est  tiré,  et  qui  en  contient  qi  ■•ante  est  du 
xive  siècle. 

Théodore  n'a  pas  été  publié 

M.  O.  Leroy,  dans  ses  Etudes  sur  les 
Mystères  et  dans  ses  Epoques  de  l'histoire 


de  France,  a  seul  jusqu'ici  donné  de  cette 
pièce  une  analyse  très-complète,  accom- 
pagnée d'observations  que  nous  reprodui- 
sons : 

«  Une  jeune  femme,  Théodore,  en  l'ab- 
sence de  son  mari,  s'est  laissé  séduire  par 
un  amant  et  vit  en  sécurité  dans  l'adultère, 
quand  on  vient  lui  parler  d'un  grand  pré- 
dicateur. Elle  se  rend  à  son  sermon,  auquel 
l'auteur  nous  fait  assister  aussi.  A  peine 
l'a-t-elle  entendu  qu'elle  s'écrie  : 

Qu'ay-je  fait!  j'ay  mon  mariage 
Crise  el  à  perdition 
Mis  m'a  me  (mon) ,  et  à  destruction 
Ma  biaulé,  mon  honneur,  mon  corps. 
Ha,  très-doulx  Dieu  misericors  ! 
Comment  ay  je  eslé  si  surprise! 
Lasse  (hélas)  l  l:isse!  à  tort  m'en  av.*S3' 
Certes  du  dueil  morir  voulroie. 
Lasse!  jamais  jour  n'aurait  joye, 
El  a  bon  droit! 

«  .es  triomphes  de  l'éloquence  chrétien- 
ne n'étaient  pas  rares  dans  les  temps  de  foi 
vive  et  profonde.  M.  Saint-Marc-Girardin 
racontait  l'an  dernier,  à  son  cours  de  poésie 
française,  qu'au  xive  siècle,  un  Messinois, 
coupable  d'adultère  et  d'empoisonnement, 
entendant  de  la  bouche  d'un  orateur  chré- 
tien les  châtiments  réservés  dans  l'autre 
monde  aux  crimes  qui  n'ont  pas  été  expiés 
dans  celui-ci  ,  se  leva  épouvanté,  et  fit  à 
l'auditoire  étonné  le  terrible  aveu  de  tout 
ce  que  lui  reprochait  sa  conscience.... 

«  Se  jugeant  désormais  indigne  d'appro- 
cher du  mari  qu'elle  a  trompé,  et  ne  son- 
geant qu'à  se  cacher  et  à  mater  son  corps 
(la  religion  avait  déjà  ses  Lavallière),  Théo- 
dore se  dépouille  de  ces  ornements  dont 
elle  était  si  vaine  et  de  ses  cheveux  mêmes. 
Bésolue  de  faire  pénitence,  pour  échapper  à 
toutes  les  recherches,  elle  prend  des  habits 
d'homme,  et,  après  avoir  quitté  le  toit 
conjugal,  adresse  ces  adieux  aux  objets 
qu'elle  laisse,  et  recommande  au  ciel  sou 
époux  : 

Iloslels  el  meubles ,  je  vous  lais 
Mes  amis  lous,  et  tiers  el  lais  (laïques), 
Le  menilrc   (moindre)    coin  le   gréigtienr 

[(plus  grand), 


929 


tue 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


THE 


95'} 


Comanl   (je   recommande)   à    Dieu    noslre 

[Seigneur. 
Mais  sur  louz ,  par  cspccial, 
A  Dieu,  mon  cliier  seigneur  loyal, 
Qui  vous  el  moi  ail  en  sa  garde, 
0  douce  mère  Dieu,  regarde 
En  pitié  cesie  pescheresce, 
Et  prie  ton  Filz  qu'il  m'adresce 
Et  me  setpieure  (secourren)  à  ce  besomg. 
De  mon  pais  sui  jà  si  loing!... 
Siquejesui  toute  esbahie. 

«  Elle  aperçoit  une  abbaye  d'hommes,  et 
à  la  faveur  de  son  travestissement,  va  s'y 
présenter,  et  demande  si  l'on  veut  l'y  ad- 
mettre. L'abbé,  qui  ne  soupçonne  pas  son 
sexe,  après  quelques  questions,  la  reçoit  en 
qualité  de  frère  mineur,  chargé  des  commis- 
sions au  dehors.  On  la  voit  remplir  par 
humilité  les  emplois  les  plus  bas,  et  l'on 
assiste  en  même  temps  au  désespoir  de 
son  mari,  qui  la  cherche  en  vain  dans  son 
hôtel.  La  disposition  du  théâtre,  qui...  re- 
présentait plusieurs  lieux  a  la  lois,  permet- 
tait ces  rapprochements  intéressants.  L'au- 
leur  n'exprime  pas  mal  dans  les  vers 
suivants  la  cruelle  irrésolution  du  mari  : 

La  suiveray-je?  que  feray  ? 
Oil  voir,  mais  où  iray? 
Las!  je  ne  scé  de  queile  part. 
Le  cucr  de  dueil  pour  li  me  pari. 
Confortez  moi,  biau  sire  Diex! 

«  Dieu  lui  envoie  alors  l'ange  Gabriel, 
qui  lui  dit  d'aller  au  chemindes  martyr»  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  s'il  veut  voir  encore  sa 
femme.  Pendant  qu'il  se  dirige  vers  l'en- 
droit qui  lui  est  indiqué,  Théodore,  qui  a 
reçu  du  supérieur  l'ordre  d'aller  chercher  à 
Rougeval  de  l'huile  à  brûler, dont  les  moines 
ont  besoin,  s'arrête,  fatiguée,  au  milieu  do 
la  voie  des  Martyrs. Qu'aperçoit-elle?..  Lais- 
sons-la parler  : 

Lasse  !  je  voy  la  mon  mari. 
Je  croy  pour  nioy  esl  moult  marri, 
Car  je  le  voy  pensis  et  moine. 
Ne  sçay  s'il  vaull  miex  ipie  rclorne 
Ou  qu'en  passant  a  li  nie  monstre... 
Saluer  le  vueil  en  passant. 
Monseigneur,  Dieu  le  loul  puissant. 
Joye  vous  doinl  (donne)! 

LE  MARI. 

Amen,  dan  moine,  et  si  pardoiul  (qu'il  pa 
A  vous  et  à  moy  les  péchiez  {donne 

Dont  les  cuers  avons  enlaichiez 
Et  enlaidiz. 

THÉODORE. 

lia!  mon  ban  mari!  comme  en  diz 
Lien  faiz  de  nuilct  de  jour 
Je  travailleray  de  labour 
A  fin  qu'escliapper  le  menait 
Puisse  que  j'ay  contre  loy  fail 
El  conceu. 

«  C'est  après  s'être  éloignée  de  son  mari 
qu'elle  prononce  ses  regrets.  Le  malheu- 
reux époux  ne  doit  plus  voir  sa  femme  que 
bien  longtemps  après... 

«  Cependant  Théodore ,  obligée  de  sé- 
journer à  Rougeval, dont  l'abbaye  était  assez 
distante,  à  ce  qu'il  paraît,  a  hien  innocem- 
ment séduit,  par  sa  jolie  ligure  la   fille   de 


l'auberge,  qui,  la  croyant  un  homme,  vient, 
sans  façon,  la  requérir  d'amour.  Théodore, 
indignée  de  cette  impudence,  la  repousse. 
La  demoiselle  jure  de  se  venger...  Sollicitée 
par  un  de  ses  amants,  elle  devient  mère.  — 
Et  de  qui  cet  enfant?  lui  demande  son  père. 
—  De  frère  Théodore,  répond-elle.—  Grand 
scandale  dans  Landerneau  !  L'abbé  en  est 
informé  par  l'hôte  lui-môme,  qui  apporte 
l'enfant  a  l'abbaye,  et  dit  goguenarde- 
mcnl  au  père  abbé,  en  lui  présentant  le 
marmot: 

D;ins  abbes,  (maître  aooe)  au'ici   voy  pré- 
Tcnez,  recevez  le  présent  [sent, 

Que  vous  apport. 

l'abbé. 
A  moy,  mon  ami  ?  c'est  à  ton, 
Portez-le  ailleurs.  Vous  estes  mees  (niais) 
En  (ici)  ne  sommes-nous  pas  non  ices 
D'enfans  peliz. 

l'oste. 

\oslre  moine  à  mon  pain  feins 
L'a  fait,  que  le  dyable  y  ait  pari  ! 
Si  demourra,  se  Dieu  me  garl 
A  l'abbaie. 

l'abbé. 

Vous  me  faites  toute  esbaye 
Ma  pensée,  et  cslre  en  iristesce. 
Pour  Dieu  !  Diles-moy  :  lequel  est-ce? 
Ne  l'celez  ore. 

l'oste. 

C'est  vostre  moine  Théodore. 
Or  le  gardez. 

l'abbé. 

Ha  Théodore  !..  Or  regardez 
Le  honlage  et  le  grand  anui 
Que  par  vous  avons  au  jour  d'ui... 
Voi renient  dit-on  voir  (vrai)  :  l'ahhil 
Ne  fait  pas  le  religieux. 
Comment  avez  si  oultragcux 
Esté,  biau  frère  ? 

THÉODORE. 

Merci,  merci,  doulz  abbés  père 
Merci,  merci. 

l'abbé. 
Vous  larez  quelle  vez  la  ci. 
De  (éens  vous  Ijoutcniy  hors, 
Si  me  soit  Diex  miscricors  ! 
El  vostre  enfant  emporterez; 
Autre  merci  de  moy  n'aurez. 
Tenez,  de  céens  lôsl  yssiez  (sortez). 
Alez,  et  si  le  norrissiez 
De  nous  bien  loing. 

«  Théodore...  se  garde  bien  de  se  justi- 
fier. C'est  là  le  sublime  de  l'humilité,  de  la 
pénitence  chrétiennes.  Vous  ne  trouverez 
rien  dans  l'antiquité  profane  de  comparablo 
à  cette  situation... 

«  Théodore  est  chassée  de  l'abbaye  por- 
tant son  enfant;  car  c'est  déjà  le  sien,  elle 
sera  sa  mère.  Mais  comment  le  nourrir, 
l'abriter?.. 

Confortez-moi  à  ce  besoing, 
Fontaine  de  miséricorde  ' 
Car  je  voy  bien  el  me  rceortfe 
Que  ceste  fortune  perverse 
Qui  ainsi  me  trébuche  <>i  verse, 
Me  vient  à  cause  du  méfiait 
Qu'envers  mon  bon  BeisucuraV  fait... 


931 


«  E 

nuit.  I 


THE 

le  aperçoit  un 


anlr 


ui  servir  de  refuge. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 
i[ui  pourra ,    h 


THE 


932 


El  Dieu,  s'il  li  plaist  parfera 
Ce  qui  parfaire  y  sera. 
A  ces  gens  m'en  vois  demander, 
Puisqu'il  me  convient  truander  ! 
Donnez  à  ce  povre  pécheur, 
Pour  l'amour  de  nosire  Seigneur, 
Et  à  ce  petit  orphelin... 

«  Des  années  entières  clans  l'ignominie, 
dans  la  fatigue  et  le  travail  dont  elle  nourrit 
son  enfant,  elle  endure  tout.  L'esprit  Ten- 
tateur vient  lui-môme,  en  personne...,  lui 
proposer  de  la  délivrer  de  ses  maux.  La 
Chrétienne  résiste.  Quand  enfin  sa  résigna- 
tion est  au  comble,  les  cieux.  s'ouvrent... 
Nous  nous  sentons  transportés  sans  effort 
au  milieu  de  la  cour  céleste  :  «  Voyez-vous, 
dit  Marie  au  Dieu,  Père  des  affligés,  » 
voyez-vous  le  poids  de  tribulalion  qui  grève 
Théodore? 

El  si  (pourtant),  bcnigneinenl  le  porte 
Pour  voslre  amour. 

«  Àlez,  »  répond  Dieu  à  sa  mère,  «  alez  con- 
forter Théodore.» 

«  Notre-Dame,  accompagnée  des  anges, 
et  dans  un  rayon  lumineux,  apparaît  à  la 
femme  forte. —  «0  qui  estes-vdus?  »  lui  dit 
Théodore. 

Qui  esies-vous,  dites-le  moy 
De  la  grain  biaulé  qu'en  vous  voy 
Ai  granl  merveille. 

«  Marie  se  nomme,  console  son  amie  et 
disparaît.  Théodore  se  tait  et  demeure  sans 
doute  en  extase,  pendant  que  des  chants  se 
font  entendre  :  c'est  le  chœur  des  anges, 
que  le  poète  qualifie  rondes  à  voix  bien  mé- 
lodieuses. La  poésie  antique  est  ici  retrou- 
vée avec  tout  ce  qu'y  aioute  de  sublimité  le 
christianisme... 

«  Sept  ans  se  sont  passés  depuis  l'expul- 
sion de  Théodore.  L'abbé,  informé  de  ses 
soulfrances  et  de  sa  résignation  dans  le  mi- 
sérable gîte  qu'elle  habite,  la  rappelle  au 
couvent,  de  l'aveu  de  ses  frères,  et  lui  dit 
que,  touché  de  sa  patience,  il  la  fera  moine 
ainsi  que  son  fils.  Théodore  se  jette  à  ses 
pieds  pour  le  remercier,  l'abbé  continue  : 

Mes  frères,  sans  arresloi>on, 
Cest  enfant  coin  moine  vcsiez, 
Puis  vueil  qu'a  lettre  le  mettez, 
El  je  vous  ordene  son  ntaistre. 
Or  vueillez  en  li  peine  mettre 
Par  amour,  Frères. 

KtEMlER    MOINE. 

J'en  ferai  mon  pouvoir   Liau  père, 
Je  vous  promet. 

«  Théodore  est  enfin  au  terme  d^  ses 
souffrances.  Dieu  la  rappelle  à  lui...  Elle 
expire  et  l'enfant,  effrayé  de  sa  perle,  s'é- 
crie : 

Las  !  Las  !  seray-je  orphelin  filz  ! 
Mon  père,  esies-vous  lies  passé! 

«  Tout-à-coup  l'aurore  se  lève  et  l'abbé, 
qui  ne  croyait  pas  môme  Théodore  malade, 


accourt,  assemble  ses  frères  et  leur  fait  part 
d'une  vision  qui  pendant  son  sommeil  l'a 
frappé  :  transporté  dans  la  cour  céleste,  il 
vient  d'y  voir  des  fêtes,  une  noce  que  les 
anges  y  préparaient  avec  une  magnificence 
dont  il  n'avait  aucune  idée.  Une  femme 
longtemps  calomniée,  couverte  d'infamie, 
mais  en  ce  moment  rayonnante  de  grâce  et 
revêtue  de  gloire,  allait  être  couronnée;  et 
celte  femme  et  celle  reine  n'était  antre  que 
Théodore.  «D'où  vient, »|demande-l-on,'< que 
«  Théodore  n'est  pas  levé?»  Son  absence  ap- 
puie les  conjectures  que  l'on  commence  à 
faire,  on  court  à  sa  cellule,  on  rencontre 
l'enfant  :  «  Qu'as-tu?  »  lui  dit  l'abbé.  Et 
l'orphelin  répond  : 

Sire,  quej'ay  assez  perdu. 
Ion  père  à  n.oy  orc  parloir, 
El  m'aceoloit,  et  «se  baisoil, 
Eiprioilsi  lié-,  doulcement 
De  penser  à  mon  sauvement, 
El  il  csl  mort. 

«  La  vérité  se  découvre  de  plus  en  plus, 
lorsque  l'homme  qui  peut  éclaircir  tous  les 
doutes,  l'époux  de  Théodore  arrive  a  point 
marqué  ;  et  ici,  pas  d'invraisemblance  :  le 
ciel  conduit  tout.  Dans  son  désespoir  le 
mari  se  jette,  en  présence  des  moines  sur 
le  corps  de  sa  femme  et  s'écrie  : 

Chière  Théodore,  comment 
T'es- tu  vers  moy  si  longueiiic" 
Celée,  quant  céeus  eslois? 
La  graul  amour  dont  lu  m'aimois 
Que  peut  elle  cslre  devenue  ? 
Dieu,  ce  semble,  la  ma  lolue  [me  /'«  ètée) 
El  l'a  prise  à  soy  de  tous  poins. 
Las  !  je  dois  bien  lortre  mes  poins 
Et  clamer  sur  loy  de  rcebief. 
Suer  [Sœur),  lu  m'as  mis  a  granl  meschief, 
Longtemps,  et  lolue  la  lesec  (olé  le  plaisir); 
Mais  or  [aujourd'hui)  double  ci  ma  tristesse, 
Quant  lé  vois  morte. 

«  Sire,  lui  dit  le  premier  moine,  vous 
devez  èlre  plutôt   en  joie  ; 

Car  lanl  a  fait  la  bonne  dame 
One  je  lieug  qu'en  gloire  est  son  ame 
Certainement 

LE    MARI. 

Pour  Dieu  !  diles-moy  comment 
Elle  a  vcscii  ? 

l'abbé. 

Comment,  dil<  s,  elle  a  vaincu... 

Et  ii  raconte  ses  victoires  sur  l'orgueil, 
sur  le  monde,  sur  elle-même.  Cette  répli- 
que : 

Diles  comment  elle  a  vaincu  ! 

serait  justement  admirée  dans  Corneille 

«  Le  récit  de  l'abbé  louche  si  profondé- 
ment le  mari  de  Théodore,  qu'il  fait  le  ser- 
ment de  consacrer  à  Dieu  le  reste  de  ses 
jours  dans  les  lieux  saints  où  sa  compagne 
est  morte.  Les  religieux  qui  entourent  le 
corps  entonnent,  non  un  chant  de  deuil, 
mais  un  chant  de  victoire,  le  Te  Dcum,  et  la 
pièce  finit  d'une  manière  aussi  solennelle 
que  touchante.  » 
Le  môme  auteur  a  fait  suivre  celte  aria- 


935  THE  DiCTIONiNAHΠ DES  MYSTERES.  THE  034 

lyse  de  deux  observations  :  1°  que  le  village  Théophile  de  Rutebeuf,  qu'on  a  surnommé 

do  Itougeval  ne  se  trouvait  nulle  part,   et  à   toi  l  le   Faust  du  moyeu  âge,  a  été  prodi- 

2U  que  l'aventure  de  Théodore  n'avait  d'à-  gieusement  réputé. 

riàlogue   (pie  celle  de  sainte  Marine,   rap-         Les   légendes  nous  montrent   Théophile 

portée  dans  la  Vie  des  Saints  de  Godescard.  vivant  vers  l'an  518,  vidame  (ou  selon  Paul 

(O.  l.EROY,a  Etudes  sur  les  Mystères  ;  —Paris,  Diacre,  niais  à  lort,  évoque)  de  l'église  d'A- 

1837,  in  8°,  p.  7J-87.J  cjana  en  Cilicie.  A  la  mon  de  son  évêque, 

THEOPHILE.  (Le  miracle  die).  —  jl.6  Mt-  tandis  qu'il  n'était  encore  que    vidame,   il 

racle  de   Théophile  est    lire    du    manuscrit  faillit  être   élu  évoque.  Mais  ayant  élé  rc- 

n°  7218  de  la  bibliothèque  Impériale.  poussé,    maltraité    par    son    ex-concûrrcut 

Rutebeuf,  son    auteur,    vivait    au    xm'  devenu  son  supérieur,  et  expulsé  de    ses 

siècle.  fonctions,  il  s'abandonna  à  la  colère  contre 

Le  Théophile  a  été  édile,  pour  la  première  i*iiijo*Eioe  et  la  mauvaise  fortune,  el  s'a- 
fois,  par  M.  Achille  Jubinal :  Le  Miracle  de  d.ressant  a  un  juif  qui  parlait  au  dmblequand 
Théophile,  par  Rutebeuf ;  Paris,  1838,  in-  il  vloldal^  ù  ™D»  Jésus-Cbns  ,  «t  lit  u  , 
8°  de  40  pages  ;  et  dans  les  OEuvres  de  Rate-  l,acte  avec  Satan,  par  lequel  il  livrait  soi 
beuh  Paris.  1839,  in-8%  2  vol.  publiés  par  le  ame  e,n  é^a^e  d  donneurs  terrestres.  A 
même  érudii.  MM.  Monmerque  et  Francis-  peine  tombé  dans  cet  excès  de  désespoir  et 
que  Michel  ont  reproduit  l'édition  de  M.  Ju-  de  faiblesse,  il  eut  horreur  de  son  forfait  et 
Binai,  dans  leur  Théâtre  Français  au  moyen-  se  repentit.  La  sainte  Vierge  qu  il  implo- 
dge;  Pans,  Dellove  et  Didot  1830,  gr.  i$it  sans  cesse,  touchée  de  sa  désolation, 
j^.go  s  interposa  entin,  et  le  diable  lut  contraint 
'„,,,..             .                  ,  de  rendre  h  Théophile  le  sous-seing  passé 

Les   Bénédictins   avaient    pensé   que    ce  entre  eux. 

drame  n'était  qu'un  de  ces  dialogues  précé-  '  ,,   ,     ..'      ,     ,.,  ,     .  P      , 

dés  et  interrompus  par  des  récits  que  Tau-         hntychien  (qu  il    ne  faut   pas   confond;  e 

teur  fait  en  son  propre  nom.  (Bût.  littér.  de  ? ve.c  son  d'sc,IjIc  Eutych.us)   Sunéon  le  Mé- 

la  France,  t.  X,  p.  213.)  Legrand  d'Aussy  en  taphraste,  écrivirent  d  abord  en  grec  celte 

donna   une   analyse  très-vague.    (Fabliaux,  his  oire.  Paul   Diacre  de  Naples,  la  traduisit 

p.  180.)  De  Roquefort,  au  contraire,  déclara  f"  latin.  La  fameuse  abbessedebandersheam, 

le  Théophile  évidemment  destiné  à  la  repré-  H'?lsvitha,  au  x«  siècle,  la  mil  en  vers.  Elle 

sefttation.   (De  l'Etat  de  la   poésie  française  élait   contenue  dans  le  leeUonna.re  manus- 

dans  les   xn°  et  xm'  siècles,;  Paris,   1815,  frlt  'iel  église  de  Sa.nt-Omer,   parmi    les 

in-8»,    i).    262.)   Daunou,    prenant    dans  eçons  du  septième  jour  de  1  octave  de  la  Na- 

V Histoire  littéraire  de  la  France,  continuée  {!v,le   de    ,a  ,Vlerge.  Sainl  Damien,    saint 

par  l'Institut,   la  thèse  des  Bénédictins,   et  Bernard,  sain  Bonaventure,  Albert  le  Grand, 

hi  donnant  une  rigueur  systématique  que  AJ '•'llhei?Cî    Y,USS1,JS.'   Zachanas    Lipelous, 

ceux-ci  ne  lui  avaienlpas  attribuée,  nia  de-  Vincent  de   Beanvais,  Lanisius,    Bren.leba- 

uchef  le  caractère  dramatique  du  Miracle  °hl,us'  MbJnc.   d,e  Twus-l«ontaines,   Martin 

de  Théophile;  il  n'y  vit  qu'un  simple  dialo-  ^Unms,  Sigebert  et  quelques  autres  en  font 

gue.  [Uist.  littér.  t.  XVI;  Paris,  1824,  in-V,  mention.  On  la   retrouve  inédite  dans  les 

fî.  213.)   M.  Jubinal  lut   d'avis  que    «cet  manuscrits  des  bibliothèques  Harléienno  et 

essai    dramatique  curieux...  fut  probable-  aeGlascOw,  en  Angleterre;  du  roi,  a  Pans, 

ment  commandé    à  Rutebeuf  par   quelque  e,1  du  Mans'  en   Franfe"  U,J  8rand,  nombre 

corporation   religieuse  et  joué  dans  Tinté-  de.  Poemef  nous  sont  r(iS[{s  sur  le  môme 

rieur  de  quelque  couvent  ou  sur  le  parvis  suJe  '  en  .  axn.B«e  vulgaire,  a  partir  du  xm' 

de    quelque   église.»  M.  Chabailles   ht  re-  siècle,  soit  édités   soit  manuscrits,  cités  par 

marquer   la  supériorité    dramatique  de  ce  M_A-  i"bl2J^ J^»%?%J\ *"    L    "» 

mystère   sur  ceux  des  xiv*  el  xv<  siècles.  P.'  2W'2b5>  2bJ-d27,  à'il-àdl.) 
(Journal  des  Savants,  1838,  avril.)  11  semblait         La  sculpture  s'empara  de  celle  tradition, 

à  M.  O.   Leroy  que  le  Théophile  préludait  Elle  est  reproduite  an  flanc  gauche  de  Notre- 

en  quelque  sorte  à  cette  longue  suite   de  Dame  de  Paris,  en  deux  endroits  différents  ; 

drames   qui  portent  le  litre  de  Miracles  de  les  verrières  des  cathédrales  do  Laon,   du 

Notre-Dame.    Le    Théophile    indiquait    un  Mans  el   de  Troyes  la  répètent;  elle   a  élé 

temps  de  désespérance  de  la  foi  et  ce  temps  peinte  sur    les   murs   de  la  chapelle  de  la 

était  celui  de  saint  Louis  I  (Epoq.  delhist.  Conception   de  la  paroisse  de   Saint-Epvro 

de  Fr.i    Paris,   1843,  in-8",    p.    123,    133.)  (l'abbé    Lionnois  ,    llist.   de  Nancy,    t.  l'r, 

Enfin  M.  Magnin fit  le  reproche  au  M.  M iracle  p.  234),    non  par  Léonard  de  Vinci,   mais 

de  Théophile,  quelque  proportionné  et  émou-  bien  plus  avant,  dans  une  manière  qui  se 

vaut  qu'il  lui,  de  manquer  d'imagination  et  rapproche  de  celle  d'Albert  Durer, 
d'èlre  copié  sur  les  légendes  nées  en  Orient         Enfin,  le  drame  de  Rutebeuf  semble  avoir 

au  vic  siècle.  La  conjuration,  ajoutait  ce  sa-  été  imité  plusieuis  fois.  En  138V,  un  jeu  de 

vant,    nappai  tient  a  aucun  langage,  quoi-  Théophile  eut  lieu  dans  la  paroisse  d'Aunav 

quon   cioie  y   reconnaître  quelques  mots  (DuCasge,  G/om.,  V   Ludus  Christi),  el  uïi 

hébreux.  (Journal  des  Savants,  18'iG,  p.  451.)  miracle  de  Théophile  fut  donné  au  Mans,  en 

Le    jugement  singulièrement  sévère  de  1539.  (Cf.  M.  A.  Jcbinal,  tôid.,  note  B,  t.  IL 

M.  Magnin  sur  le  Théophile,  est  le  dernier  n  262-357.) 
de  quelque  importance  qui  ait  élé  exprimé. 
Il    est  certain    pourtant  nue  le  Miracle   de 


m  tue 

LE    MIRACLE    DE    THEOPHILE. 

PERSONNACES. 

pincegiere ,  valcl  de  l'é- 
voque. 


DICTIONNAIRE  DES  MVSTERES. 


THE 


'j3tî 


IlOTRE-DAME. 

LES  ÉVÊQUI'.S. 

THÉOPHILE. 

SATHAN  OU    LE    DIABLE 

salatin,  sorcier. 


pierre    el  Tuons,  cnm- 
p;ignons  de  Théophile. 


SCÈNE  Ir\ 

THÉOPHILE,  Seill 

Théophile.  Hélas!  hélas!  Dieu,  roi  de  gloire,  je 
vous  ai  eu  toujours  si  présent  à  l'esprit,  (pie  j'ai  tout 
donné,  dissipé,  partagé  entre  les  pauvres,  et  qu'il  ne 
me  reste  rien  de  la  valeur  même  d'un  sac.  L'évèque 
m'a  bien  dit  échec,  il  m'a  maté  dans  un  coin,  et 
m'a  laissé  tout  nu  sans  avoir.  Or  il  me  faut  mou- 
rir de  faim,  si  je  n'envoie  ma  robe  en  échange  d'un 
pain.  Et  mes  gens  que  feront-ils  ?  Je  ne  sais  si  Dieu 
les  nourrira.  Dieu!  oui!  qu'en  a-t  il  affaire?  11  me 
faut  les  mener  en  un  autre  lieu,  car  Dieu  méfait 
la  sourde  oreille,  il  se  soucie  bien  de  mes  ennuis. 
Mais  je  lui  ferai  la  moue  à  mon  tour.  Honni  soit 
qui  se  loue  de  lui  !  Il  n'est  rien  que  je  ne  fasse  pour 
redevenir  riche  et  je  me  moque  bien  de  Dieu  et  de 
ses  menaces,  liai-jeme  noyer  ou  me  pendre?  Je  ne 
puis  m'en  prendre  à  Dieu,  car  on  ne  peut  arriver 
jusqu'à  lui.  Ah!  celui  qui,  maintenant,  pourrait  le 
tenir  et  le  bien  battre  en  retour,  aurait  certes  fait 
une  bonne  journée.  Mais  il  s'est  mis  en  si  haut 
lieu,  pour  éviter  sesaniis,  que  ni  trait  ni  lance  n'y 
atteint.  Si  maintenant  je  pouvais  le  disputer,  me 
battre  et  nf escrimer,  je  lui  ferais  frissonner  la 
chair.  11  est,  à  cette  heure,  là-haut  dans  sa  béati- 
tude, el  moi,  hélas!  imbécile,  je  suis  dans  les  filets 
de  la  pauvreté  el  de  la  souffrance.  Voici  bien  mon 
illusion  poétique  brisée,  on  peut  dire  que  je  n'étais 
qu'Un  sol,  et  ce  sera  le  mot  de  tout  le  inonde,  Je 
n'oserai  voir  personne  ni  nie  montrer  au  public,  car 
l'on  me  montrerait  au  doigt.  Mais  que  faire?  Je  ne 
sais.  Certes,  Dieu  m'a  servi-là  un  bon  plat  de  son 
métier. 

SCENE  II. 

THÉOPHILE,    SALATIN. 

(Théophile  s'avance  vers  Salatin  qui  parlait  au  Dia- 
ble quand  il  voulait.) 

salatin.  Qu'y  a-t-il?  Qu'avez  vous,  Théophile? 
Pour  le  grand  Dieu!  quelle  funeste  pensée  vous  fait 
si  triste,  vous  d'ordinaire  si  joyeux? 

Théophile.  Moi  qu'on  appelait  seigneur  et  maître 
de  ce  pays,  tu  ne  l'ignores  pas,  à  cette  heure,  il  ne 
me  reste  plus  rien,  et  j'ensuis  d'autant  plus  accablé, 
Salatin,  qu'en  français  ou  en  latin,  jamais  je  n'ai 
cessé  de  prier  celui  qui,  aujourd'hui,  me  veut  tant 
de  mal  el  me  laisse  si  dépouillé  qu'il  ne  me  reste 
rien,  mais  rien  au  monde.  Or  il  pas  de  chose  n'est  de  si 
rude,  ni  de  si  contraire  à  mes  idées,  que  je  ne  lisse 
de  grand  cœur,  pour  me  tirer  de  là  avec  honneur! 
Tout  perdu,  j'en  ai  houle  el  c'est  dommage. 

salatin.  Beau  sire,  vous  parlez  comme  un  sage, 
car  pour  qui  a  goûté  de  la  richesse,  il  y  a  bien  du 
mal  et  de  la  misère  à  tomber  sous  la  main  d'autrui 
pour  le  boire  et  le  manger.  11  y  a  trop  de  gros  mots 
à  entendre. 

Théophile.  C'est cequi  me  fait  perdrelalèle.  Sala- 
tin, beau  très  doux  ami,  depuis  que  je  suis  sous  le 
pouvoir  d'autrui,  il  s'en  faut  de  peu  que  le  cœur  ne 
me  crève. 

salatin.  Je  sais  maintenant  là  où  vous  êtes  blessé; 
vous  êtes  tout  à  fait  abattu,  comme  un  homme  de 
quelque  valeur;  vous  êtes  bien  maté,  bien  pensif. 

Théophile.  Frère  Salatin,  certes,  il  en  esl  ainsi. 
Si  lu  connaissais  quelque  moyen  pour  recouvrer  mon 
honneur,  mon  gouvernement  et  ma  fortune,  il  n'y 
a  rien  que  je  ne  fisse. 


salatin.  Iriez  vous  jusqu'à  renier  ce  Dieu  que 
vous  priiez  tant  autrefois,  et  lous  ses  saints  et 
toutes  ses  saintes?  Vous  feiiez-vous,  la  main  dan9 
la  main,  l'homme  de  celui  qui  vous  rendrait  votre 
grandeur  passée?  El  vous  seriez  plus  honoré  de  res- 
ter à  son  service  que  jamais  vous  ne  le  fûtes.  Croyez- 
moi,  laissez  votre  maître.  Eh  bien,  qu'en  pensez- 
vous? 

Théophile.  Je  n'en  ai  que  trop  bonne  volonté,  et 
bientôt  je  serai  tout  à  votre  discrétion. 

salatin.  Allez  en  paix,  el  malgré  tout  ce  qu'on  en 
dit,  je  vous  rendrai  voire  puissance.  Revenez  demain 
malin. 

Théophile.  Volontiers,  frère  Salatin;  et  si  tu  res- 
tes dans  ces  bonnes  dispositions,  que  le  dieu  en  qui 
lu  crois  el  que  lu  adores,  le  garde. 

SCÈNE  III. 

THÉOPHILE,    Seul 

(Théophile  quitte  Salatin  et  pense  que  c'est  trop  fort 
de  renier  Dieu;  il  dit  :) 

Théophile.  Hélas!  hélas!  que  vais  je  devenir?  Le 
cœur  me  faillira  avant  d'en  venir  à  celle  extrémité. 
Hélas,  que  faire?  Si  je  renie  saint  Nicolas,  saint 
Jean  saint  Thomas  el  Noire-Daine,  que  deviendra 
mon  ,imc  chélive.  Elle  brûlera  dans  les  fl  mimes  i\n 
sombre  enfer.  C'est  là  qu'elle  devra  rester.  Quel 
hideux  manoir!  Cen'eslpas  une  vaine  parole  :  dans 
ces  feux  perpétuels,  il  n'y  a  personne  qui  ail  le  cœur 
bon;  lous  sont  mauvais.  Ce  sont  des  démons.  Telle 
esl  leur  nature.  Leur  maison  esl  si  obscure  qu'on 
n'y  vit  jamais  la  lueur  du  soleil.  C  est  un  non  ple.n 
d'ordures.  Irai-je  là?  Les  dés  sont  bien  autres,  quand 
pour  le  peu  que  j'aurai  mangé,  Dieu  m'aura  chassé 
comme  étranger  de  ses  demeures;  et  il  aura  raison. 
Fut-il  jamais  un  homme  aussi  perplexe  que  moi? 
D'autre  côté,  Salatin  dit  qu'il  me  rendra  ma  richesse, 
mon  avoir,  que  jamais  personne  n'en  saura  rien.  Je 
le  ferai.  Dieu  m'a  accahlé,  je  l'accablerai.  Moi,  le 
servir  jamais?  Non!  non!!  Je  serai  riche,  de  pau- 
vre que  je  suis.  Si  Dieu  me  hait,  je  le  haïrai.  Qu'il 
s'avise,  qu'il  mette  en  mouvement  ses  escadrons,  il 
q  toul  en  main,  el  le  ciel  el  la  terre.  Eh  bien,  je  lui 
crie  quille,  si  Salatin  me  lient  ses  promesses. 

SCÈNE  IV. 

SALATIX,    LE  DIABLE. 

salatin,  au  diable.  Un  chrétien  se  fie  en  moi, 
et  je  me  suis  beaucoup  occupé  de  celle  affaire, 
parce  que  je  suis  de  les  amis;  entends-tu,  Satan? 
11  viendra  demain.  Allenus-ie.  Je  le  lui  ai  promis 
quatre  fois;  attends-le  donc.  C'était  un  homme  très- 
sage,  et  le  cadeau  ne  vaut  que  mieux.  Mcls  les  tré- 
sors à  sa  disposition.  Ne  m'entends  lu  pas?  Je  te  fe- 
rai venir  de  suile,  vraiment.  Oui,  lu  viendras  encore 
aujourd'hui,  car  les  longueurs  m'ennuient.  J'ai  assez 
attendu. 

(Salatin  conjure  le  diable.) 

salatin. 

Bagahi laça  bachahé, 
Lamac  cahi   achabahé , 

Karrclyos. 
Lamac  lamec  bachalyos, 
Cahahagi  sahalyos; 

Baryolas. 
Lagozalha  cabyolas, 
Samahac  et  lamyolas, 
Harrahya. 
\(Le  Diable  conjuré  parait.) 
le  diable.  Tu  as  bien  dit  la  formule,  el  celui  qui 
l'a  instruit  n'oublia  rien.  Tu  me  tourmentes  fort. 

salatin.  Esl-il  convenable  que  lu  me  négliges,  el 
que  lu  renverses  mes  desseins,  quand  j'ai  besoin  de 
loi?  Je  l'ai  donc  bien  rudement  malmené?  Venx-iu 
nue  nouvelle?  Nous  avons  un  clerc.   C'est  un  bien, 


537 


THE 


riCTIONNAlIΠ DES  MYSTERES. 


t;:f« 


«.•58 


comme  nous  savons,  qui  souvent  nous  Fait  faute  pour 
nos  affaires.  Or,  que  comptez-vous  faire  pour  celui- 
ci  ,  s'il  consent  à  venir  à  vous? 

le  di\ble.  Comment  se  nomme-t-il? 

salatin.  Théophile;  c'est  son  vrai  nom.  Il  a  une 
grande  réputation  céans. 

le  diable.  J'ai  toujours  eu  maille  à  partir  avec 
lui  et  jamais  je  n'ai  pu  le  subjuguer.  Puisqu'il  veut 
s'offrira  nous,  qu'il  vienne  dans  ces  vallées,  seul  à 
pied.  Ce  n'est  pas  mal-aisé,  c'est  tout  près  d'ici. 
J'aurai,  moi,  Satan,  et  les  autres  noirs  démons, 
raison  de  lui,  s'il  n'appelle  pas  par  Jhésus,  fils  de 
Marie.  Alors,  adieu  mon  secours.  Je  m'en  vais. 
Mais  soyez  plus  courtois  dorénavant  à  mon  égard... 
(Salqlin  s'en  va  et  le  diable  le  suit  en  ajoutant  :)  Ne 
me  tour  mentez  plus  pendant  quelques  mois,  ni  en 
hébreu,  ni  en  latin. 

SCÈNE   V. 

THÉOPHILE,    S  AL  ATI  N 

Théophile,  venant  à  Salatin.  Eh  bien,  viens-je  de 
trop  bonne  heure?  n'avez-vous  rien  fait? 

sala-tin.  J'ai  si  bien  conduit  votre  affaire,  que 
voire  évèque  réparera  tout  le  mal  qu'il  vous  a  causé. 
Il  vous  honorera  davantage  et  vous  fera  plus  grand 
seigneur  que  vous  ne  fuies  jamais,  car,  si  vous  refu- 
sez voire  position  passée,  vous  aurez  encore  plus. 
Soyez  sans  crainte.  Descendez  dans  ces  vallées  sans 
délai  ;  ne  vous  avisez  pas  d'y  parler  de  Dieu,  ni  de 
tous  en  réclamer,  si  vous  aimez  voire  propre  intérêt. 
Vous  avez  trouvé  Dieu  trop  dur,  quand  il  vous  a 
délaissé;  vous  éles  tombé  dans  un  état  funeste,  et 
dans  quel  abîme  scriez-vous,  si  je  ne  vous  aidais? 
Allez,  on  vous  attend.  Marchez  vite,  et  n'ayez  souci 
de  Dieu. 

Théophile.  Je  m'en  vais.  Dieu  ne  peut  ni  me  nuire 
ni  m'aider  en  rien,  aussi  ne  puis-je  en  parler. 

SCÈNE  VI. 

THÉOPHILE,    LE    DIABLE. 

le  diable.  Approchez,  à  grands  pas,  à  grands  pas. 
Prenez  garde  d'avoir  l'air  d'un  vilain  qui  va  à  l'of- 
frande. Que  vous  veut  et  que  vous  demande  votre 
évèque  ?  il  est  bien  fier... 

Théophile,  approchant  du  diable,  trcs-effraijé.  C'est 
vrai,  seigneur.  Il  a  élé  chancelier  pourtant,  et  il 
songe  à  m'envoyer  mendier  mon  pain.  Aussi  je  viens 
vous  prier,  je  vous  demande  votre  aide  dans  celle 
extrémité. 

le  diable.  M'en  requérez-vous  ? 

THÉOPHILE.    Oui. 

le  diable.  ÈIi  bien  joignez  les  mains,  et  devenez 
ainsi  mon  homme:  je  vous  secourrai  plus  qu'il  ne 
faudra. 

Théophile.  Certes  je  vous  fais  hommage,  mais 
pour  recouvrer  ce  que  j'ai  perdu,  beau  sire,  et  pour 
toujours  désormais. 

le  diable.  El  je  le  repèle  nos  conventions  :  Je  le 
ferai  si  grand  seigneur  qu'on  ne  te  vit  jamais  plus 
grand;  mais,  pour  qu'il  en  soit  ainsi,  apprends  qu'il 
nie  f.uit  de  loi  des  lettres  pendanz,  bien  nelles  et  fa- 
ciles à  entendre  :  car  maintes  cens  m'ont  atlrappé, 
dont  je  n'avais  pas  pris  des  écrits;  aussi  me  les  faut- 
il  bien  rédigés. 

théohile.  Les  voici  tout  prêis. 
(Théophile  tend  au  diable  un  papier  que  celui-ci  prend.) 

le  diable.  Théophile,  mon  bel  et  doux  ami,  puis- 
que lu  l'es  mis  en  mes  mains,  j'ai  à  le  dicler  la 
conduite  à  venir:  Jamais,  tu  n'aimeras  homme 
pauvre;  si  un  pauvre  en  détresse  le  prie,  tourne  la 
tète,  poursuis  ton  chemin.  Si  quelqu'un  s'humilie 
devant  loi,  réponds-lui  avec  orgueil  et  mauvaise  foi. 
Le  pauvre  dcmande-l-il  à  ta  porte,  prends  garde  qu'on 
lui  fasse  aumône.  La  douceur,  l'humilité,  la  pitié,  la 
chaiité,  l'amitié, !a  pratique  du  jeune  et  la  pénitence, 
me  mettent  l'ennui  au  ventre.  L'action  de  l'aumône 

Dictionn.  des  Mystères. 


et  les  prières  à  Dieu  me  tracassent  et  me  tourmen- 
tent. L'amour  de  Dieu  et  une  vie  chaste  sonteonimo 
des  serpents  et  des  guivres  qui  me  rongent  le  cœur 
et  les  entrailles.  Les  visilcsà  l'hôpital,  les  regards 
jetés  sur  les  malades,  me  laissent  l'âme  si  défail- 
lante, si  moribonde,  que  je  n'en  veux  poinl  subir 
l'horreur.  Quiconque  fait  le  bien  me  tourmente. 
Allez-vous-en  :  vous  serez  sénéchal,  laissez  le  bien, 
faites  le  mal,  el  dans  celte  vie  ne  pensez  jamais  à 
la  justice  qui  n'est  que  folie  et  qui  est  mon  enne- 
mie. 

Théophile.  Je  ferai  mon  devoir;  vous  avez  droit  a 
l'obéissance,  pourvu  que  vous  me  rendiez  le  bon- 
heur. 

SCÈNE  Vil. 
l'évèqle,  pince-guerre. 

l 'évèque,  envoyant  chercher  Théophile.  Allons, 
vile,  lève-toi  à  l'instant,  Pince-guerre,  et  va  me 
chercher  Théophile;  je  veux  lui  rendre  c  sa  bailiie.  » 
C'est  une  grande  sottise  que  de  la  lui  avoir  ô'.ée. 
car  c'est  le  meilleur  autour  de  moi,  ce  que  je  puis 
dire  sans  erreur. 

pince-guerre,  répondant  à  l'évêque,  La  vérité  est 
sur  vos  lèvres,  beau  très-doux  seigneur. 

SCÈNE  VIII. 

PINCE-GUERRE,    THÉOPHILE 

pince-guerre.  Va-l-il  quelqu'un  ici  ? 

Théophile.  Holà  qui  ètes-vous ? 

pince  guerre.  Je  suis  clerc. 

Théophile.  El  moi  prêtre. 

pince-guerre.  Théophile,  beau  et  cher  seigneur, 
ne  soyez  pas  maintenant  si  dur  envers  moi.  Monsei- 
gneur vous  demande  à  l'instant,  vous  allez  avoir 
votre  prébende,  votre  bailiie  tout  enlière.  Soyez 
joyeux,  faites  bonne  chère,  montrez  votre  sens  et 
votre  esprit. 

Théophile.  Le  diable  en  ait  sa  part  !  J'aurais  eu 
l'évèché,  je  l'y  mis,  el  j'eus  tort,  car  à  peine  y  fut-il, 
que  nous  eûmes  querelle,  et  qu'il  médita  de  m  en- 
voyer mendier  mon  pain.  Je  me  moque  de  sa  haine, 
el  de  ses  querelles  sans  fin.  Je  vais  y  aller  pour 
l'entendre  parler. 

pince-guerre.  A  votre  vue,  il  va  rire  el  vous  con- 
ter que  tout  n'était  qu'épreuve;  il  veut  vous  donner 
une  compensation,  el  vous  serez  amis  comme  de- 
vant. 

Théophile.  Et  les  chanoines  ont-ils  maintenant 
assez  débité  de  contes  sur  moi  ?  Soient-ils  à  tous  les 
diables. 

SCÈNE  IX. 

l'ÉVÉQUE,    THÉOPHILE. 

l'évêque,  allant  à  Théophile  et  lui  rendant  lu 
charte  de  son  emploi.  Sire,  vous  avez  pu  venir... 

Théophile.  Pourquoi  pas?  Ne  sais-je  plus  marcher? 
suis-je  tombé  en  roule? 

l'évêque.  Beau  sire,  je  m'amende  de  la  méprise 
commise  envers  vous,  et  je  vous  rends  de  irès-bon 
cœur  votre  bailiie;  prenez-la:  vous  éles  un  homme 
sûr  et  sage,  tout  ce  que  j'ai  est  à  votre  service. 

Théophile.  Voici  de  beaux  mois,  comme  je  n'en 
sus  dire  jamais.  Aussi  quand  les  vilains  viendront 
en  troupe  pour  me  prier,  je  les  ferai  pâlir.  Nul  n'est 
rien,  à  moins  qu'on  ail  peur  de  lui.  Ah  !  l'on  croit 
que  je  ne  vois  rien,  eh  bien,  je  serai  félon  et  colé- 
rique. 

l'évêque.  Théophile,  qu'avez-vous  dans  l'esprit  ? 
ne  songez,  bel  ami,  qu'au  bien.  Voici  désormais 
votre  appartient,  ma  maison  esl  la  vôtre,  nos  ri- 
chesses el  nos  biens  sont  désormais  communs.  Nous 
serons  bons  amis,  ce  me  semble,  car  loulest  à  vous 
comme  à  moi. 

THÉOPHILE.  Ma  foi  !  seigneur,  je  veux  bien. 

30 


'9Zd  THE 

SCÈNE  X. 

THÉOPHILE,    PIERRE,     THOMAS. 

Théophile,  allant  à  Pierre.  Pierre,  veux- Lu  ap- 
prendre une  nouvelle  ?  La  fortune  t'est  contraire,  lu 
•  as  amené  double  as;  tiens-toi  à  ce  que  lu  as,  car  m 
as  manqué  ma  place,  l'évèque  me  l'ayant  rendue. 
Du  reste,  je  ne  le  dois  ni  reconnaissance  ni  remer- 
ciements. 

pierre.  Théophile,  pourquoi  ces  mots  amers? 
Hier  encore  je  priais  monseigneur  qu'H  vous  rendit 
votre  charge,  el  ce  n'était  que  justice  et  raison. 

Théophile.  Eh  !  c'était  sans  doute  sans  machina- 
tion qu'on  m'avait  ainsi  expulsé,  el  ce  n'est  pas 
malgré  vous  que  je  rentre  en  mon  bien...  Vous  avez 
vite  oublié... 

pierre.  Ma  foi,  cher  el  beau  seigneur,  suivant 
mon  désir,  vous  eussiez  été  élu  évéque,  après  ta 
mort  du  dernier;  c'est  vous  seul  qui  avez  refusé, 
par  crainte  du  Roi  des  eieux. 

Théophile  à  Thomas.  Thomas!  Thomas!  lu  joues 
de  malheur,  on  m'a  de  nouveau  fait  sénéchal.  Tu 
laisseras  de  côté  désormais  ton  humeur  indépen- 
dante (le  regiber)  el  les  disputes  el  les  coups;  lu 
n'auras  pas  de  pire  compagnon  que  moi. 

thomas.  Sauf  le  respect  qui  vous  est  dû,  Théo- 
phile, on  vous  croirait  ivre. 

Théophile.  Je  serai  demain  en  fonction,  malgré 
tous  vos  grands  airs. 

thojlvs.  Par  Dieu!  vous  n'êtes  pas  raisonnable: 
je  vous  jiiuie  et  vous  estime  tant. 

Théophile.  Thomas,  Thomas,  je  ne  suis  pas  pris 
de  vin,  je  puis  encore  faire  du  mal  et  du  bien. 

thomas.  On  dirait  que  vous  voulez  quereller  ; 
Théophile,  laissez-moi  en  paix. 

Théophile.  Thomas,  Thomas,  que  vous  fais-je? 
Ah  !  dans  peu  vous  aurez  de  la  pitié,  je  le  crois,  je 
le  sens. 

SCÈNE  XI. 

THÉOPHILE. 

(Il  se  repenl  el  entre  dans  la    chapelle   de   Notre- 
Dame.) 

Théophile,  seul.  Hélas,  misérable!  malheureux! 
que  vais  je  devenir?  Terre,  comment  peux-tu  me 
porter,  renégat  de  mon  Dieu,  et  sujet  par  mon  seul 
vouloir  de  ce  seigneur  et  maître,  auteur  du  mal. 
Renégat  de  Dieu!  comment  le  cacher?  J'ai  laissé  le 
baume  et  choisi  le  sureau.  Il  a  pris  la  charte  et 
reçu  le  bref  maudit,  j'ai  à  lui  rendre  le  tribut  de 
mon  àme.  Oh!  Dieu,  que  feras-tu  de  ce  misérable, 
de  ce  malheureux,  dont  l'âme  tombera  dans  l'enfer 
brûlant,  el  sur  qui  les  maudits  passeront,  en  la  fou- 
lant aux  pieds.  Ah!  terre,  ouvre-loi  et  m'en- 
gloutis. 

Seigneur  Dieu,  que  fera  ce  malheureux  insensé, 
repoussé  par  toi,  haï  par  le  inonde,  tombé  dans  les 
e  nbûches  des  maudits,  trahi  par  le  diable,  chassé 
de  tous  côtés,  poursuivi  par  tous?  Hélas!  insensé! 
avoir  renié  Dieu  pour  un  peu  de  bien!  Les  richesses 
d'ici-bas  que  j'ai  désirées  m'ont  précipité  dans  l'a- 
bîme sans  retour. 

Satan,  j'ai  suivi  la  voie  plus  de  sept  ans  :  les 
vins  de  ma  cave  m'ont  fait  passer  de  funestes  heu- 
res de  joie,  celui  qui  les  paya  s'en  fera  rendre  un 
compte  terrible,  les  félons  charpentiers  charpente- 
ront  ma  chair. 

L'àme  a  droit  à  l'amour;  mon  âme  sera-telle 
aimée?  Oserai-je  demandera  la  Vierge  mon  salut? 
C'est  un  mauvais  grain  jeté  dans  les  semailles  qu'une 
âme  tombée  en  enfer.  Hélas!  fou  bailli,  vaine  bail- 
lie,  mon  àme  el  moi  sommes  bien  lotis.  Encore  si 
j'osais  me  présenter  devant  la  douce  maîtresse,  elsi 
mon  âme  el  moi  en  étions  accueillis.  Je  suis  souillé, 
la  souillure  ne  peul  aller  qu'avec  la  souillure.  J'ai 
moi-même  accompli  mon  abaissement  :  qui   le  sait 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


T!iE 


9i0 


mieux  que  l'Eternel?  Quelle  mon  effroyable  !  Mau- 
dit, vous  m'avez  mordu  d'une  cruelle  dent.  Quel  re- 
fuge ai- je  nulle  part,  dans  les  cieux,  sur  la  terre? 
lïélas!  quel  lieu  me  cachera?  L'enfer  me  fait  hor- 
reur; j'y  suis  allé  de  mon  gré  pourtant!  Le  parads 
n'est  pas  pour  moi,  car  je  suis  en  guerre  avec  le 
Seigneur.  Je  n'ose  implorer  ni  Dieu,  ni  saints,  ni 
saintes...  N'ai-je  pas  fait  hommage  au  diable,  les 
mains  jointes,  le  maudit  n'a-t  il  mes  lettres  el  mon 
sceau?  0  fortune!  pour  l'avoir  vu  de  près,  que  de 
maux  !  Je  n'ose  implorer  Dieu,  ni  saints,  ni  saintes, 
ni  la  très-douce  Dame,  objet  de  loin  amour;  et 
pourtant,  qu'y  a-t-il  en  elle  qui  ne  soit  sagesse  et 
douceur,  el  qui  me  blâmerait  d'implorer  ma 
grâce? 

(A  la  Vierge.)  Sainte  Reine,  belle,   vierge  glo- 
rieuse, dame  pleine  lie.gràces,   par   qui  tout  bien 
arrive,    quiconque   vous  implore  dans  le   malheur 
est  sauvé,  quiconque  vous  donne  son  cœur  obtient 
la  joie  perpétuelle  de  l'éternel    royaume;  ô  source 
inépuisable  de  délices  et  de    saute,  ramenez-moi  à 
voire  Fils.  Mon  âme  fui  autrefois  à  votre  doux  ser- 
vice, mais  je  fus  trop  vite  séduit  par  celui  qui  at- 
tire le  mal  el  anéantit  le  bien.  Je  suis  le  jouet  du 
séducteur;  arrachez-moi    à    ses   illusions,  ô  vous 
dont  la  volonté  seule  suffit  pour   ma  liberté,    sinon 
de  quelles  horribles  plaies  ne  paraîtra  point  couvert 
mon  corps  devant  la  justice  suprême?  Dame  sainte 
Marie,  mon  cœur  bal  ;    reçois-le  à  ion  service;  car 
autrement  ses  maux  sont  sans  trêve  ni  fin.  Mon  àme 
sera  votre  esclave.  Quelle  horrible  situation  si,  avant 
les  affres  de  la  mort,   mon  àme,    cachée  en  vous, 
n'est  protégée  par  votre  union.  Laissez  le  corps  au 
mal,  mais  que  l'âme  soit  sauvée.  Daine  de  charité, 
si  humble  en  portant  le  Sauveur  qui  nous  a  tous  ti- 
rés de  la  douleur,  de  la  bassesse  et  du  bourbier  de 
l'enfer;  Daine  salutaire,  qui  m'as  sauvé  déjà  et  que 
confesse  de  bon  cœur,  garde-moi  du  compagnon 
aniale  et  d'une  place  dans  les  fureurs  de  l'enfer. 
C'est  là  que  mon  âme  doit  s'enfuir,  vers  ces  geuffres 
béants  ;  ô  péché!  quelle  ruine  !   quelle  évidente  fo- 
lie!   est-ce  là  mon  partage?  Oh!   Dame,  je  te  fais 
hommage,  tourne  les  doux  regards  vers  mon  affreux 
abandon,  au  nom  de  ton  Fils  divin  !  Faut-il  que  tous 
les  témoignages  de  mon  passé  s'anéantissent  dans 
une  telle  misère!   Semblable  à  ces  vitraux  où  passe 
el  disparaît  le  soleil  sans  qu'il  y  ait  trace,  lu  es  res- 
iée vierge,   quoique  Dieu,   descendu  des  cieux,  ait 
fait  de  loi  une  dame  et  une   mère.  Ah!  pe  re  res- 
plendissante, tendre  el  pitoyable  femme, entends  ma 
prière,  arrache  mon  corps  vif  et  mon  àme  à  la  flam- 
me éternelle.  Reine  de  bonté,  rends-moi  la  vue  du 
cœur,  efface  les  ombres  en  moi,  pour  te  plaire  et 
faire  la  volonté.   Accorde-moi  la  grâce,  il  y  a  trop 
longtemps  que  je  suis  dans  les  ténèbres.  Encore  ces 
esclaves  de  mal  comptent-ils  nf  entraîner  plus  avant! 
O  Dame,  s'il  le  plaisait  qu'un  tel  outrage  ne  fût  p  s! 
J'ai  tant  passé  de  jours  dans  l'abaissement,  la  cor- 
ruption, l'aveuglement!  Reine  immaculée  et  pure, 
prends  soin  de  moi,  guéris-moi.   Que  ta  vertu   di- 
vine, toujours  entière,  illumine  mon  cœur  de  son 
éclat  magnifique  et  doux,  dessille  mes  jeux  impuis- 
sants à  me  conduire.  Le   chasseur  infernal  a  l'œil 
sur  moi  ;  je  serai  pris,  emporté...    Oh!  dure  an- 
goisse !  oh  !  Dame,  prie  ton  Fils  de  me  délivrer.  Oh  ! 
Dame,  vous  voyez  les  ruses,   vous  voyez  les  mau- 
dits, lirez-moi  de  leurs  lacs.  Oh!  Dame,  là-haut  a  - 
sise,  dérobez  leur  mon  àme,  el  que  nul  d'entre  eux 
ne  la  voie... 

SCÈNE  XII. 

NOTRE-DAME,    THÉOPHILE. 

notre-dame  à  Théophile.  Qui  es-tu?  Hé,  qui  va 
là? 

Théophile.  Ah  !  Dame,  ayez  pitié  de  moi!  Je  suis 
ce  misérable  Théophile,  ce  possédé  pris  et  lié  par 


t 


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THE 


DICTIONNAIKE  DES  MYSTERES. 


TIII 


9H 


l'enfer.  Je  viens  vous  prier,  Dame,  vous  demander 
grâce.  Arrachez-moi  à  l'heure  funeste  où  viendra 
me  dévorer  celui  qui  est  l'auteur  de  ma  ruine.  Au- 
trefois vous  me  regardiez  comme  de  vos  enfants; 
ô  belle  reine. 

notre-dame.  Peu  m'importent  les  bavardages, 
va-l'en ,  sors  de  ma  chapelle? 

Théophile.  Dame,  je  ne  puis.  Fleur  d'églantier, 
lis  et  rose,  en  qui  se  repose  le  Fils  de  Dieu,  que 
ferai-je?  J'ai  un  affreux  engagement  avec  le  diable 
en  fureur.  Que  devenir  ?  Jamais  je  ne  cesserai  de 
crier.  Vierge  de  bonté,  dame  d'honneur,  mon  âme 
scra-t-elle  dévorée,  lombera-l-elle  en  enfer  auprès 
du  diable? 

NOTRErDAME.  Théophile,  je  le  sais,  tu  fus  à  moi  il 
y  a  longtemps...  Eh  bien,  sache  en  vérité  que  je 
rapporterai  ton  écrit  insensé...  Je  vais  le  chercher. 

SCÈNE  XIII. 

NOTRE-DAME,    SATAX. 

notre-dame.  Satan,  Salan,  es-tu  enfermé?  ou  si, 
aujourd'hui  lu  es  venu  sur  la  terre  pour  commencer 
guerre  à  mon  clerc,  c'est  vain  effort.  Rends  l'écrit 
du  clerc,  car  lu  as  fait  là  une  abomination. 

satan.  Le  rendre,  j'aime  mieux  la  potence.  Na- 
guère ne  lui  rendis-je  pas  sa  prébende,  et  il  me  fit 
don  de  sa  personne,  sans  relard,  corps,  àme  et 
substance. 

notre-dame.  Je  le  frapperai  au  cœur. 

SCÈNE  XIV. 

NOTRE-DAME    THÉOPHILE. 

notre-daml,  rapportant  l'écrit.  Ami,  je  te  rapporte 
ta  charte.  Tu  aurais  pu  arriver  à  mauvais  port,  sans 
secours,  sans  repos.  Eooiiie-moi.  Va  vers  l'évêque, 
sans  larder,  donne-lui  l'écrit,  qu'il  le  lise  devant  le 
peuple,  dans  la  cathédrale,  afin  que  les  gens  simples 
ne  puissent  èlre  pris  à  semblable  fourbe.  C'est  irop 
aimer  la  richesse  que  l'acheter  ainsi;  l'àme  n'y  a 
que  honte  et  perle. 

Théophile.  Volontiers,  dame.  Car  j'eusse  péri 
corps  et  àme,  et  je  vois  bien  que  semer  ainsi,  cVst 
perdre  sa  peine. 

SCÈNE  XV. 

THÉOPHILE,    L'ÉVÊQUE,    LE   PEUPLE. 

Théophile  à  l'évêque.  Sire,  écoulez-moi,  pour  l'a- 
mour de  Dieu!  quoi  que  j'aie  fait,  je  suis  ici  pour 
vous  apprendre  les  causes  de  ma  détresse.  Je  fus 
pauvre,  nu,  maigre,  glacé.  Le  diable,  assaillant 
perpétuel  de  l'homme,  fil  choir  mon  àme  dans 
l'abîme  de  la  mort.  La  dame  qui  guide  ses  amis 
m'a  tiré  du  mauvais  chemin,  et  d'un  tel  pourvoie- 
ment  que  j'étais  attendu  en  enfer  parle  diable.  Le 
diable  même  m'avait  fait  abandonner  Dieu,  le  Père 
spirituel,  el  les  œuvres  de  charité.  Il  eut  de  moi  une 
charte  sanctionnant  tout  ce  que  je  viens  de  dire, 
scellée  à  sa  requête.  J'en  fus  accablé  de  repenlir,  à 
en  mourir  même.  La  Vierge,  mère  de  Dieu,  si  bonne, 
si  pure,  si  éclatante,  mè  rapporte  mon  écrit,  et  je 
viens  vous  prier,  comme  mon  père,  d'en  faire  lec- 
ture, afin  que  nul  ne  soit  déçu  par  ce  piège  encore 
ignoré. 

l'évêque,  prenant  la  charte.  Ecoutez,  pour  l'amour 
«le  Dieu,  Fils  de  Marie  :  gens  de  bien,  vous  enten- 
dez la  vie  de  Théophile,  jouet  du  démon.  Ceci  est 
vrai  comme  Evangile  el  mérite  un  récil.  Ecoulez. 

i  A  tous  ceux  qui  verront  celte  lettre  rédigée 
suivant  l'usage,  Salan  fait  savoir  que,  la  fortune 
ayant  tourné  naguère,  et  son  évêqi.e  n'ayant  laissé 
nul  bien  à  Théophile,  celui-ci  en  conçut  de  la  co- 
lère. Désespéré  d'un  tel  outrage,  il  s'en  vint  à  Sala- 
tin,  qui  avait  la  rage  au  corps,  el  dit  qu'il  lui  ferait 
volontiers  hommage,  si,  par  sa  puissance,  il  recou- 
vrait son  honneur  et  ses  perles.  Je  l'avais  combattu 
sans  relâche  durant  sa  vie  sainte,  et  jamaisje  n'avais 


pris  d'avantage  sur  lui.  Aussi,  quand  il  vint  nie 
prier,  j'eus  grande  envie  de  lui,  el  comme  il  se  lit 
mon  homme,  je  lui  rendis  sa  charge.  Celte  lettre 
fut  scellée  de  l'anneau  de  son  doigl,  écrite  de  son 
sang,  et  non  d'aucune  encre,  avant  que  je  ne  vou- 
lusse m'employer  pour  lui  el  que  je  ne  l'eusse  fai* 
rentrer  dans  ses  dignités.  > 

Ainsi  fil  ce  prud'homme. 

La  servante  de  Dieu  l'a  absolument  libéré  ;  la 
Vierge  Marie  l'a  arraché  à  son  malheur. 

Chantons  tous  pour  celle  nouvelle 

Debout  donc. 

Disons  :  Te  Deum  laudamus. 

XIV«  siècle 

Le  Jeu  du  miracle  de  Théophile.  —  Oi 
trouve  dans  Du  Cange  (Gloss.  inf.  Lat.,  v* 
Ludus,  éd.  Hensch. ,  Paris,  Didot,  18i5, 
in-4°,  6  vol.,  1.  IV,  p.  157)  cette  mention, 
datée  de  1384  et  tirée  d'une  ancienne  clarté: 
«  Comme  les  habitants  de  la  ville  d'Aunay 
et  du  pays  d'environ  eussent  entrepris  que 
le  dimenche  après  la  Nativité  S.  Jehan  Bap- 
tiste, ilz  feroient  uns  Jeux  ou  commémora- 
tion du  miracle  qui  à  la  requeste  de  la  Vierge 
Marie  fust  fait  à  Théophile  ;  ouquel  jeu  avoit 
un  personnage  de  un  qui  devoit  getter  d'un 
canon » 

XVP  siècle. 

M.  Jubinal,  dans  son  édition  des  Œuvres 
de  Rutebeuf,  t.  II,  p.  260-357,  note  B,  donne 
l'indication  suivante  : 

«  M.  Michelel  (du  Mans),  dans  la  lettre 
qu'il  voulut  bien  m'écrire,  m'apprend,  mais 
sans  me  citer  son  autorité,  qu'un  miracle 
de  Théophile  fut  joué  au  Mans,  sur  la  place 
des  Jacobins,  en  l'année  1539.  » 

THIERRY  (Le  roi).  -  Le  Roi  Thierry  est 
tiré  du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  im- 
périale, n°7208.  k.  B,  folio  139,  recto,  connu 
sous  le  nom  des  Miracles  de  Notre-Dame,  et 
datant  du  xiy"  siècle. 

Ce  mystère  a  élé  publié  ,  accompagné 
d'une  version  française,  par  MM.  Monmerqué 
et  Francisque  Michel  ,  dans  leur  Théâtre 
français  aie  moyen  Age;  Paris,  1839,  gr.  in-8% 
p.  551-609 

PERSONNAGES. 


OSANNE. 

ROY  THIERRY. 

LA  MÈRE  DU  ROY. 

bethis,  damoiselle. 
renier,  charbonnier. 

LACHARBONMÈRE. 

NOTRE-DAME. 

DIEU. 

SAINT  JEHAN. 

LE  PREMIER  ANGE 

Mir.HiEL,  deuxième  ange. 

ALIXANDRE. 

RAINFROY. 

GOBI». 

LE   PREMIER  CHEVALIER. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER. 


L'OSTELLIER  DE  JÉRUSA- 
IEM. 

dame  sebille,  osiellière. 

LE   PREMIER  FIL. 

renier,  deuxième  fil. 

LE  TROISIÈME  FIL. 

grossart,  premier  ser- 
gent d'armes. 

llbin,  premier  veneur. 

rigaut  ,  deuxième  ser- 
gent. 

LE   DEUXIÈME   VENEUR. 
LE  MESSAGIER. 
PU  LE-A VAINE. 

pierre  le  page,  tabellion. 

LE  VALET  ESTRANGE. 


Ici  commence  un  Miracle  de  Notre-Dame  au 
sujet  du  roi  Thierry,  à  qui  sa  mère  fit  en- 
tendre qu'Osannne,  sa  femme,  avait  eu  trot* 
chiens,  tandis  qu'elle  avait  eu  trois  fils  :  par 
suite  de  quoi  il  la  condamnaàmort;et  ceux 


9V3 


THI 


DICTIONNAIRE  DES  U\  STERES. 


TK1 


94  i 


qui  durent  ta  punir  la  mirent   en  mer;  et 
depuis  le  roi  trouva  ses  enfants  et  sa  femme. 

SCÈNE  Ie. 

LE  ROI  THIEHRY,     OSANNE,  Sa  femme,  LA   MÈRE 
DU  ROI,  SA   SUIVANTE. 

osanne.  Mon  Irès-clier  seigneur,  s'il  vous  plaît,  je 
ne  puis  causer  plus  longtemps  avec  vous;  veuillez 
vous  déciiler  à  partir  d'ici  et  à  aller  en  quelqu'aulre 
lieu,  car  il  me  semble  que  mon  corps  va  se  séparer 
en  deux  parties.  Ah,  Dieu  !  en  vérité,  je  suis  en  mal 
d'enfant,  cher  sire. 

le  roi  thieuiiy.  Dame,  que  vous  dire?  Je  ne  sais. 
Je  m  en  vais  sans  plus  Larder.  Que  la  mère  de  Dieu 
vous  soit  propice!  —  53a  mère,  tenez-vous  avec 
elle,  votre  demoiselle  et  vous  :  vous  le  savez,  il  faut 
beaucoup  de  personnes,  dans  une  telle  extrémité, 
pour  la  garder. 

la  mère  du  roi.  Cher  (ils,  vous  avez  dit  vrai  :  on 
lient  nombreuse  compagnie  à  de  bien  moindres  da- 
ines. Néanmoins,  de  grâce,  ne  nous  envoyez  per- 
sonne pour  être  avec  elle:  ma  demoiselle  el  moi, 
ce  sera  suffisant. 

le  roi.  Ah  !  si  vous  vous  en  chargez,  ma  mère,  je 
ne  vous  enverrai  plus  personne  ;  mais  comment, 
dame,  me  fere'z-vons  savoir  quel  enfant  elle  aura 
eu?  Si  loi  né,  qu'on  me  l'apporte;  je  vous  en 
prie. 

la  mère  du  roi.  C'est  moi-même,  sans  tarder, 
mon  cher  fils,  qui  irai  vous  porter  la  nouvelle.  Al- 
lez et  tenez-vous  en  joie. 

SCÈNE  II. 

les  mêmes,  moins  le  roi. 

la  mère  du  roi-  Dame,  eh  bien!  comment  vous 
sentez-vous  ?  Ce  dos,  ces  reins  et  ces  côtés  vous 
font-ils  mal? 

osaîsne.  S'ils  me  font  mal  ?  Certes,  oui.  Je  souffre 
tant,  j'ai  tant  d'angoisses  que  Dieu  seul  peut  le  sa- 
voir. Ali,  Mère  de  Dieu  !  secourez-moi.  Dieu  ,  les 
reins'  Dieu!  je  crois  que  je  meurs,  tant  je  sens  de 
peine  el  de  faiblesse  !  Ah,  dame  sainte  Marguerite! 
et  vous,  glorieux  saint  Jean!  secourez-moi  dans  ma 
douleur  et  cet  akan. 

la  mère.  Dame,  contenez-vous  au  milieu  de  ces 
maux  cruels.  Vous  allez  souffrir  de  plus  en  plus; 
mais  prenez  en  vous  de  la  force  et  du  courage,  puis- 
qu'il le  faut. 

la  demoiselle.  Très-chère  dame.il  faut  que  vous 
souffriez  encore  un  peu.  Au  moment  où  vous  y 
prendrez  le  moins  garde,  Dieu  vous  fera  la  grâce 
de  vous  délivrer  heureusement  ,  j'en  suis  cer- 
taine. 

osanne.  Certes,  je  souffre  lani  que  la  vie  s'éteint 
chez  moi  et  que  la  parole  me  manque;  en  vérité,  je 
me  meurs. 

la  mère  du  roi.  Allons,  Délbis,  je  vais  mainte- 
nant savoir  si  vous  m'aimez.  Il  faut  faire  pour  moi 
ce  que  je  vais  vous  dire. 

la  demoiselle.  Qu'est-ce,  dame?  Dites,  je  ferai 
tout  ce  que  vous  me  commanderez;  en  sorte  que, 
je  le  crois,  vous  m'en  saurez  gré,  si  je  puis  le 
faire. 

la  mère  du  roi.  Celle  femme  ne  peut  me  plaire  et 
ne  me  plui  jamais  de  ma  vie,  bien  qu'elle  soit  l'é- 
pouse de  mon  fils.  Je  ne  sais  trop  même  si  Dieu  s'est 
mêlé  Je  leur  union.  Mais  elle  n'est  pas  issue  d'assez 
bon  lieu  pour  être  sa  compagne  :  j'en  ai  du  chagrin 
et  de  la  colère  au  cœur,  et  il  n'y  a  pas  à  s'en  éton- 
ner. Je  veux,  tandis  qu'elle  est  en  cel  état,  qu'elle 
n'enlendo  ni  ne  parle,  que  tu  nie  portes  au  bois  ces 
cnfanls-ci,  el  qu'aussitôt  lu  les  étrangles  el  les  en- 
larres,  en  sorte  qu'il  n'en  soit  jamais  plus  question. 
Par  mon  âme  !  ce  que  je  te  donnerai  à  ton  retour  fera 
de  toi  une  femme  riche  à  jamais. 

la  demoiselle.   Dame,    je   ferai   votre  volonté  ; 


mais,  pour  l'amour  de  Dieu,  tenez  le  fait  bien  se- 
cret. Encore  m'en  saurez-vous  gré  plus  tard. 

la  mère.  N'en  doute  pas,  ma  chère  amie;  je  nô 
te  manquerai  jamais,  j'tn  fais  lesermenl.  En  roule, 
en  roule  sur-le-champ. 

la  demoiselle.  Je  pars  loutde  suite,  je  serai  bien- 
tôt de  retour. 

SCÈNE  III. 

LA  REINE   OSANNE,   LA    MÈRE  DE  THIERRY. 

la  mère  du  roi.  Elle  est  partie,  allons  chercher 
les  trois  chiens  de  ma  chienne.  Ah!  si  je  réussis, 
elle  n'a  pas  longtemps  à  vivre,  ma  bru.  Mon  fils  en 
a  i  té  trop  épris  :  et  le  diable  s'en  est  certainement 
mêlé  pour  qu'il  l'ait  tant  aimée.  [Elle  sort  el  revient.] 
Eli,  voyez!  elle  est  encore  évanouie  comme  je  la 
laissai  :  c'est  bon,  ce  n'est  pas  moi  qui  la  tirerai  de 
cet  élat  ni  qui  lui  dirai  rien. 

SCÈNE  IV. 

BÉTIÎIS. 

la  demoiselle.  Or  çà,  faul-il  que  ma  main  égorge 
ces  enfants,  el  puis  les  mette  en  terre?  Je  suis  as- 
sez enfoncée  dans  ce  bois.  Hélas!  voyez!  ces  pau- 
vres petits  me  font  fêle  et  me  sourient  lous  trois. 
Quoi  !  les  mettre  à  mort,  alors  qu'ils  me  sourient  si 
doucement?  En  vérité,  je  n'en  ferai  rien,  quand  ils 
me  donnent  signe  d'amitié.  —  Doux  enfants,  j'en 
pleure  de  pitié.  Que  faire  de  vous?  Certes,  je  ne  vous 
mettrai  pas  à  mort;  car,  si  je  vous  luais,  je  serais 
une  indigne  homicide.  Vous  reporter  au  logis?  je  se- 
rais maltraitée  el  punie  de  mort.  Eh  bien,  je  ne 
vous  ferai  pas  de  mal  et  ne  vous  reporterai  pas  ; 
mais  vous  serez  couverts  ici  par  moi  de  fougère  et 
d'herbes  vertes  :  je  ne  puis  pour  le  moment  rien 
faire  de  mieux.  C'est  l'ail;  que  Dieu  vous  veuille 
sauver!  Je  vous  laisse  el  vais  faire  entendre  à  ma 
maîtresse,  afin  d'acquérir  davantage  son  amour,  que 
je.  vous  ai  lues  el  mis  en  lerre.  Allons  !  retournons 
sur  nos  pas. 

SCÈNE  V. 

BÉTHIS,   LA  MÈRE  DU    ROI,  OSANNE. 

la  mère  du  roi.  Eh  bien,  Béthis? 

la  demoiselle.  Toul  va  bien.  Pour  l'amour  de 
vous,  j'ai  fait  ce  que  jamais  femme  ne  fil.  Cepen- 
dant, que  s'esl-il  passé  ici,  madame?  Dites,  n'a- 
t-elle  ni  bougé  depuis  ce  moment,  ni  parlé?  Peut- 
être  m'entend-elle? 

la  mère  du  roi.  Béthis,  elle  n'a  pas  dit  un  mot 
depuis.  Tu  la  trouveras  dans  l'étal  où  elle  était 
quand  tu  l'en  es  allée  :  ce  dont  je  m'émerveille. 

osanne.  Pour  l'amour  de  Dieu  !  montrez-moi  le 
fruit  qui  esl  né  de  mon  covps,  je  veux  le  voir;  puis- 
que Dieu  m'a  donné  un  enfant,  que  je  le  voie. 

la  mère  du  roi.  Il  faul  bien  qu'on  vous  le  mon- 
tre ;  tenez  ;  miséricorde,  bon  Dieu  !  dame,  regar- 
dez :  le  voici.  Devons-nous  en  faire  fêle  el  en  avoir 
bien  de  la  joie.  Par  ma  tête  !  si  j'étais  le  roi,  je  vous 
ferais  mourir  sur  un  bûcher;  el  je  promets  à  Dieu  et 
lui  fais  vœu  que  je  ne  m'arrêterai  pas  ici  ni  ailleurs 
tant  que  je  lui  aie  montré  votre  portée. 

SCÈNE  VI. 

osanne,  seule. 

osanne.  Eh,  Mère  de  Dieu,  Vierge  honorée,  se- 
courez-moi ;  je  suis  trahie!  Il  esl  évident  que  l'on  a 
de  l'envie  contre  moi.  Mais  pour  quelle  cause  m'a- 
t-on  l'ail  celte  trahison?  Non,  non.  H  est  impossible 
qu'un  bouime  mette  dans  une  femme  ou  engendre 
une  autre  créature  que  celle  que  la  nature  lie  naine 
a  ordonnée.  Que  m'a-l-on  montré?  Suis-je  la  mèie 
de  ces  monstres,  semblables  à  des  chiens'  Ah  !  beau 
sire  Dieu  !  vous  savez  bien  que  jamais  je  ne  songeai 
à  être  criminelle,  que  jamais  je  n'ai  violé  la  foi  con- 


SIS 


THI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


r;n 


946 


jubile;  jo  tciP  en  prends  A  témoin,  Sire;  el  je  vous 
prie  lien  de  me  secourir  el  m'aider  dans  cette  né- 
c  s>ité,  car  vous  savez  qm:  j'en  ai  besoin,  beau  sire 
Dieu. 

SCÈNE  VII. 

LA  MÈBK  DU  BOI,  LE  ROI. 

la  mère  du  Roi.  Il  y  a  bien  du  temps  que  je  vous 
disais,  mon  cher  fils,  «pie  celui  qui  ne  croit  ni  son 
père  ni  sa  mère  ne  peut  que  s'en  mal  trouver.  Vous 
avez  pris  une  épouse,  vous  avez  fait,  une  reine  e( 
maîtresse,  au  grand  élonnenient  de  tout  le  monde. 
Car  elle  n'allait  de  pair  avec  vous  ni  pour  la  nais- 
sa  ce  ni  sous  le  rapport  de  la  fortune  tl  des  mœurs 
non  plus.'  Je  ne  cachai  pas  la  vérité.  Mais,  quand  je 
vous  parlais  d'elle,  vous  me  contredisiez  toujours 
el  souvent  vous  me  gardiez  rancune.  Je  dus  renon- 
cer. Eh  bien,  tenez  !  voici  sa  portée  :  en  devez- 
vous  avoir  beaucoup  dj  joie?  Certes,  elle  mérite  le 
feu  pour  avoir  donné  naissance  à  ces  trois  chiens, 
vils  el  dégoûtants,  que  je  vois  ici. 

le  roi.  Ma  mère,  cachez-les,  pour  l'amour  de 
Dieu!  Je  veux  aller  avec  vous  auprès  d'elle  et  lui 
parler  devant  vous. 

SCÈNE  VIII. 

LES   MÊMES,  OSANNE,  BETHIS. 

le  roi.  Ah  !  voilà  donc  île  tes  jeux!  c'est  là  l'hon- 
neur que  lu  me  fais,  trompeuse  el  méchante  sodo- 
miie!  Tu  n'en  es  pas  quille,  je  t'assure.  Jamais 
femme  ne  lit  pareil  outrage  à  un  roi.  Est-ce  parce 
que  je  l'aimais  au  point  d'avoir  fait  de  toi  ma  com- 
pagne, que  lu  m'as  fait  l'outrage  d'enfanter  ces  pe- 
tits chiens,  au  lieu  d'une  créature  humaine?  Femme 
plus  fausse  que  toute  autre  déloyale,  s'il  plaît  à 
Dieu,  jamais  je  n'aurai  avec  loi  de  rapports  en  pa- 
roles ni  en  action;  je  le  renie. 

osanne.  Cher  sire,  veuillez  avoir  pitié  de  moi  ; 
certes,  l'action  que  je  me  vois  imputer  par  votre 
mère  ne  peut  pas  cire  vraie. 

la  mère  nu  roi.  Ecoutez  la  menteuse!  Celui  qui 
la  croit  est  bien  trompé  :  voici  celle  qui  les  a  reçus. 
—  Dis-je  vrai,  dis  ? 

la  demoiselle.  Oui,  nia  dame;  je  ne  vous  dédis 
pas.  —  Cher  sire,  sachez  qu'elle  les  a  mis  au  jour 
avec  beaucoup  de  peine  el  degrandesdouleurs  qu'elle 
a  souffertes. 

le  roi.  Ma  mère,  que  ce  fait-ci  soit  bien  tenu  ca- 
ché, je  vous  en  prie.  Mais,  quant  à  elle,  je  veux  que, 
pour  son  crime,  vous  la  fassiez  mettre  dans  la  pri- 
son la  plus  dure  qu'on  pourra  trouver,  car  je  ne 
veux  plus  la  voir.  Je  m'en  vais  d'ici  et  vous  la 
laisse  :  ordonnez-en,  de  manière  qu'il  n'en  soit  plus 
parlé. 

la  mère.  Puisque  tel  est  voire  plaisir,  cher  fils, 
c'est  moi  qui  vous  en  débarrasserai  de  manière  à 
garder  votre  honneur,  el  tellement  qu'on  ne  saura  ce 
qu'elle  sera  devenue,  je  vous  promets. 

le  roi.  C'est  bien  dit;  je  vous  l'abandonne  el  m'en 
vais  d'ici. 

SCÈNE  IX. 

les  mêmes,  moins  le  roi. 

la  mère  du  roi.  Osanne ,  croyez-vous  avoir  un 
mois  pour  vous  relever  de  couches?  Debout,  sans 
plus  tarder,  ni  sans  plus  demeurer  ici  ;  il  vous  faut 
venir  dans  un  autre  lieu  où  je  vais  vous  mener. 

osan.ne.  Puisqu'il  le  faut,  dame,  j'y  vais  morte  ou 
vive.  Aujourd'hui  l'envie  triomphe  de  moi,  j'espère 
qu'il  viendra  un  autre  lemps,  s'il  plaît  à  Dieu,  où  mes 
ennemis  seront  vaincus  el  où  mes  affaires  iront 
mieux.  Allons-nous-en,  allons  sans  relard;  je  m'en 
ronicls  à  Dieu. 

la  mère  du  roi.  Allons,  en  avant  !  Entrez  ici  de- 
d ..ns  tout  du  suite. 


osanne.  Que  peut-il  m 'arriver  de  pi?  Rien,  quar.» 
à  présent.  Néanmoins  que  Dieu  soit  loué. 

la  mère  du  roi.  Je  ne  sais  si  vous  êtes  pie  ou 
geai,  alouette  ou  pigeon  ramier;  mais,  m'amie,  vous 
voici  en  cage.  Je  ferme  celle  porte  à  clef.  J'emporte 
cette  clef  afin  que  nul  ne  vienne  auprès  d'elle.  Je 
m'en  \ais.  Qu'elle  se  tienne  ici,  et  qu'elle  ronge  la 
mur  si  elle  a  faim;  <ar  désormais  elle  n'aura  qu'un 
peu  de  pain  et  qu'un  peu  d'eau  pour  sa  nourriture 
de  chaque  jour,  afin  que  j'en  sois  plus  tôt  débar- 
rassée. 

SCÈNE  X. 

LE  CU  A  P.  BON  M  EU. 

le  charbonnier.  Eh,  holà  !  n'eiilonds-je  pas  des 
enfants  crier  par  ce  taillis  ?  Allons  voir  sans  délai. 
D'où  viennent-ils,  pour  être  à  celle  heure  en  cel  en- 
droit du  bois?  Ils  sont  plus  d'un,  et  à  leur  voix,  que 
j'entends  venir  de  là.  il  semble  que  ce  soient  de  tout 
petits  enfants.  Certainement,  avant  la  nuit,  j'en  sau- 
rai la  vérité.  Ecoulons.  Comme  ils  crient  fort  !  Il  est 
évident  qu'il  n'y  a  avec  eux  ni  père  ni  mère.  Je  ne 
m'arrêterai  pas  que  je  n'en  sois  sûr  et  que  je  ne  les 
aie  vus  en  face.  Je  crois  qu'ils  sont  en  cel  endroit  : 
j'y  vais;  ce  sont  eux;  les  voici,  el  ils  sont 
trois  ,  miséricorde  du  bon  Dieu  !  Ils  sont  cou- 
verts de  fougère.  Voyons  si  de  ce  côté  ou  de  celui-ci, 
près  ou  loin,  quelqu'un  ne  se  montre  pas.  Personne; 
ni  homme  ni  femme.  —  Enfants,  vous  n'avez  guère 
d'amis,  puisqu'on  vous  a  déposés  en  ce  lieu.  Par  ma 
foi!  j'ai  grandement  pitié  de  vous,  tellement  que, 
peur  l'amour  de  Dieu,  je  vous  emporte  tous  trois,  je 
vous  nourrirai,  moi.  Vous  ne  demeurerez  certes  pas 
en  ce  bois.  Je  vous  prends,  el  en  route. 

SCÈNE  XI. 

LE  CHABBONNIEB,  SA  FEMME. 

le  charbonnier.  Ma  femme,  je  vous  trouve  bien  à 
propos.  Eh  !  regardez,  dame,  ce  que  je  vous  apporte  ; 
je  vous  les  donne  tous  trois. 

la  charbonnière.  Vous  avez  donc  fait  fortune,  Re- 
nier, pour  m'apporter  ici  trois  enfants.  El,  pour  l'a- 
mour de  Dieu,  d'où  viennent-ils? 

le  charbonnier.  Le  voulez-vous  savoir? 

la  charbonnière.  Oui,  je  vous  en  prie. 

le  charbonnier.  Je  vous  le  dirai  sur  l'heure. 
Comme  je  passais  par  le  bois  pour  m'en  venir  \ers 
le  laillis,  j'entendis  les  voix  de  ces  enfants;  el,  pour 
être  bref,  j'y  allai,  car  ils  criaient  très-forl.  Je  les 
trouvai  là  où  ils  étaient,  tous  trois  couverts  de  fou- 
gère, couchés  à  l'envers  l'un  à  côté  de  l'autre  et  ar- 
rangés sur  l'herbe  verte.  Alors,  craignant  qu'ils  ne 
fussent  mangés  des  bêtes  sauvages  ou  qu'ils  ne  mou- 
russent de  misère,  je  n'ai  vraiment  pas  balancé  à  les 
apporter. 

la  charbonnière.  Dieu  soit  loué!  Renier.  Eh  bien! 
puisqu'il  en  est  ainsi,  nous  en  ferons  nos  enfants  el 
nous  les  nourrirons  ;  quant  à  moi,  je  le  veux  bien, 
car  nous  n'en  avons  pas  :  ce  sera  une  bonne  œuvre, 
pour  l'amour  de  Dieu. 

le  charbonnier.  Vous  dites  vrai.  Mais  je  crain-» 
qu'ils  ne  soient  pas  chrétiens  :  je  suis  donc  d'avis 
que  sur-le-champ  vous  et  moi  nous  les  portions  à 
l'église  pour  qu'on  les  baptise.  Je  vous  le  demande 
el  vous  en  prie,  n'y  manquons  pas. 

la  charbonnière.  Je  ne  refuse  pas,  sire  Renier  : 
c'est  bon  conseil.  Prenez-en  un,  j'en  prendrai  deux; 
allons-nous-en;  en  roule! 

le  charbonnier.  Allons  !  loul  est  pour  le  mieux  ; 
passez  devant. 

SCÈNE  XII. 

OSANNE. 

Osanne.  Ali,  Mère  de  Dieu!  combien  suis-je  acca- 
blée de  peine,  de  maux,  dans  celte  prison,  sans  avoir 
mérité  le  sort  que  je  6iibis.  —  Beau  sire  Dieu,  c'ebl 


9Ï7 


TIU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


THI 


9J8 


à  vous  mie  Je  m'en  plains.  Pardonnez  à  ma  douleur. 
J'élais  accoutumée  à  êlre  reine,  et  il  n'y  a  pas  dans 
le  monde  de  fille  aussi  pauvre  que  moi  ni  qui  ait  au- 
tant (te  peines  et  de  chagrin  que  j'en  souffre  dans 
cette  prison.  Chaque  jour,  l'on  ne  m'y  donne  pour 
aliment  qu'un  peu  de  pain  et  d'eau.  Ah,  Mère  du 
doux  et  souverain  Roi  !  quelle  petite  provision  !  Je 
suis  livrée,  pour  être  punie,  à  la  personne  de  ce 
monde  qui  me  hait  le  plus  et  qui  est  ma  plus  grande 
ennemie.  Que  Dieu  la  confonde  !  Ah,  roi  Thierry  !  en 
quoi  ai-je  donc  mérité  que  vous  fussiez  si  cruel  à 
mon  égard  ,  jusqu'au  point  de  charger  de  me  punir 
celle  qui  me  hait  tant  et  sans  raison,  Dieu  le  sait! 
celle  qui  est  si  acharnée  contre  moi,  et  qui  me  fait 
tant  souffrir  d'outrages  depuis  un  an.  A-t-elle  cessé 
un  seul  jour  de  m'accahler  d'injures  et  de  mauvais 
traitements?  Ne  dit-elle  pas  qu'elle  n'agit  ainsi  que 
pour  me  faire  périr?  Ah!  Mère  de  Dieu  ,  je  me  re- 
commande dévotement  à  vous  u'un  cœur  plein  d  a-* 
mour,  et  je  vous  prie  tant  que  je  puis  de  ne  pas  me 
refuser  votre  aide  dans  celle  peine  cruelle  et  dans 
cette  lutte. 

SCÈNE  XIII. 

DIEU,  NOTRE-DAME,  ANGES,  SAINT  JEAN. 

notre-dame.  Cher  Fils,  avant  que  le  jour  et  l'heure 
ne  s'écoulent  davantage,  si  tel  est  voire  plaisir,  nous 
irons,  dans  cette  prison  ,  réconforter  celle  femme 
innocente  qui  me  tend  si  dévotement  son  cœur  et 
son  corps,  et  qui  attend  mes  secours. 

dieu.  Je  le  veux  bien.  Allons-y  sans  retard ,  Mère  ; 
je  veux  ce  que  vous  voulez.  D'ailleurs  celle  malheu- 
reuse est  vraiment  trop  accablée  de  maux  injustes. 
—  Allons,  anges!  descendez  bon  pas,  Jean  et  vous. 

saint  jean.  Vrai  Dieu .  Père  de  gloire ,  nous  ferons 
tous  sans  contredit  votre  volonté;  mais  dites-nous 
où  aller. 

dieu.  Suivons  ce  chemin  devant  nous.  —  Anges  , 
allez  tous  deux  devant ,  Jean  viendra  à  votre  suite  et 
nous  après. 

le  premier  ange.  Sire  Dieu,  nous  sommes  tout 
prêts  à  faire  vos  volontés. 

notre-dame.  Il  ne  faut  pas  vous  taire;  je  ve.ix  que 
vous  chantiez  en  allant  un  gracieux  cantique  avec 
vos  voix  d'anges. 

le  deuxième  ange.  Puisque  telle  est  votre  volonté  , 
nous  le  ferons,  ma  chère  Dame.  —  En  avant!  disons 
avec  allégresse  et  amour  ce  rondeau-ci. 

Rondeau. 

Vierge  sans  prix  ,  celui  qui  vous  sert  avec  soin  de 
cœur  et  de  pensée,  emploie  bien  sa  peine  car  il  dé- 
livre son  âme  de  la  peur  du  ténébreux  séjour.  Vierge 
sans  prix,  celui  qui  vous  sert  emploie  bien  sa  peine, 
car  il  acquiert  l'amour  de  Dieu.  Votre  miséricorde 
lui  gagne  la  vie  glorieuse  des  cienx  ,  Vierge  glo- 
rieuse, il  emploie  bien  sa  peine  ,  celui  qui  vous  sert 
avec  soin  de  cœur  et  de  pensée. 

SCÈ^JE  XIV. 

LES  MÊMES,   OSANNE. 

dieu.  Femme  ,  n'aie  pas  peur  de  nous  voir  auprès 
de  loi  en  ces  lieux.  Sans  doute,  lu  ne  nous  connais 
pas  encore,  néanmoins  suspends  pour  nous  les  en- 
nuis. Je  viens  pour  le  donner  des  consolations,  moi 
lils,  frère,  ami,  époux  et  père  de  ma  G. le  et  de  ma 
mère.  Si  tu  entends  bien  ma  parole  et  que  lu  y  arrêtes 
la  pensée,  lu  pourras  me  connaître  un  jour  el  com- 
prendre qui  je  suis;  il  n'y  a  pas  à  en  douter. 

notre-dame.  Osanne,  mon  amie,  lu  as  mis  en  moi 
ion  espérance,  tu  as  eu  confiance  en  moi  dans  tes 
tribulations;  aussi  je  viens  l'apporter  des  consola- 
lions  el  réjouir  ton  cœur.  Apprends  que,  sans  que 
tu  l'en  occupes,  tu  seras  vengée  de  ceux  qui  l'ont 
mise  en  celte  peine.  En  vérité ,  Dieu  sera  toujours 
ton  ami,  si  lu  l'aimes  bien;  et  si  tu  as  d'autres  ad- 


versités, souflre-Ies  avec  résignation  pour  l'amour 
de  Dieu  :  lu  feras  par  là  grandement  ton  profit.  Je 
n'ai  plus  rien  quant  à  présent  à  te  dire.  —  Allons! 
répétez  tous  trois  ce  chant  que  vous  avez  f  il  en- 
tendre en  venant ,  et  allons-nous-en  sans  plus  rester 
ici. 

le  premier  ange.  Volontiers ,  Dame  de  la  gloire 
céleste  ,  puisque  bon  vous  semble.  — Allons,  Michel, 
commençons  ensemble  et  ne  demeurons  plus  ici. 

Rondeau. 

El  il  acquiert  l'amour  de  Dieu.  Votre  miséricorde 
lui  gagne  dans  les  cieux  une  vie  glorieuse.  Vierge 
sans  prix  ,  il  emploie  bien  sa  peine  celui  qui  vous  sert 
avec  soin  de  cœur  el  de  pensée. 

SCÈNE  XV. 

OSANNE. 

osanne.  Oh!  douce  el  glorieuse  Vierge,  trésor  da 
bonté  infinie,  en  qui  Dieu,  mû  par  une  cliariié  vé- 
ritable, se  fit  homme  semblable  à  nous.  0  vous  qui 
aujourd'hui  m'êtes  secourable  au  point  d'être  venue 
me  consoler  et  m'exborter  si  doucement  à  avoir  de  la 
patience,  en  vérité,  je  dois  bien  m'efforcer  de  vous 
louer  el  de  vous  rendre  grâces  et  de  remercier  voire 
doux  Fils;  aussi  le  ferai-je  en  vérité,  d'un  cœur  dé- 
vot, plus  ardemment  que  je  ne  l'ai  fait,  el  avec  une 
plus  humble  affection  que  je  ne  le  fis  jamais. 

SCÈNE    XVI. 

LA   MÈRE  DU  ROI. 

la  mère  du  roi.  Si  les  mauvais  traitements  ne 
l'ont  bientôt  mourir  ma  bru  dans  sa  prison,  je  crains 
qu'elle  puisse  encore  me  nuire.  Mais,  à  bien  réflé- 
chir elle  ne  peut  guère  vivre  longtemps  encore  avec 
le  peu  d'eau  et  de  pain  que  je  lui  donne  chaque 
jour.  Autant  que  je  le  puis,  je  tâche  qu'elle  n'ait  de 
consolation  de  personne,  pour  qu'on  ne  puisse  la 
réconforter ,  je  porte  moi-même  sans  cesse  la  def 
de  son  cachot.  C'est  moi  seule  aussi  qui  vais  lui 
porter  sa  pilance;  je  ne  veux  point  qu'aucune  autre 
personne  y  aille,  afin  qu'on  ne  lui  donne  rien  auire 
chose  que  du  pain  et  de  l'eau.  Plût  à  Dieu  qu'elle  fût 
à  présent  morte  de  faim!  Je  veux  entrer  dans  l'en- 
droit où  elle  est. 

SCÈNE  XVII. 

LA  MÈRE  DU  ROI,  OSANNE. 

la  mère  du  roi.  Es-tu  ici ,  misérable  :  tiens, 
mange,  et  puisses-tu  en  crever!  Plùl  à  Dieu  que  ton 
corps  puant  fût  à  celle  heure  enfoui  en  terre! 

osanne.  Si  Dieu ,  qui  est  miséricordieux  el  doux  , 
ne  m'eût  soutenue,  ce  que  vous  désirez,  madame, 
fût  arrivé  depuis  longtemps. 

la  mère  du  roi.  Je  prie  Dieu  que  l'âme  de  celui 
ou  de  celle  qui  apporta  le  premier  à  mon  fils  la  nou- 
velle que  tu  serais  sa  femme,  soit  damnée  éternel- 
lement, car  jamais  une  aussi  grande  honte  n'arriva 
à  un  roi. 

osanne.  Dame ,  que  le  Roi  des  cieux  ,  si  tel  est 
son  bon  plaisir,  vous  pardonne  les  outrages  et  le 
mal  que  vous  me  faites! 

la  mère  du  roi.  Tiens-toi  en  paix  ;  tu  as  trop  de 
caquet  :  cela  l'a  nuit  el  le  nuira. 

SCÈNE  XVII I. 

LA  MÈRE  DU  ROI,   Seule. 

la  mère  du  roi.  Non ,  jamais  plus  elle  ne  verra 
personne,  quelque  chagrin  que  cela  lui  fasse.  Je  suis 
vraiment  étonnée  que,  malgré  toutes  ses  peines  et 
ses  souffrances,  elle  n'ait  rien  perdu  de  sa  beauté; 
au  contraire  elle  a  la  figure  plus  polie  el  plus  fraîche. 
11  me  faut  un  autre  moyen  de  m'en  débarrasser.  En 
vérité,  je  n'en  viendrai  à  bout  qu'eu  la  faisant  jeter 
à  la  mer;  mais  je  l'ai  déjà  trop  longtemps  soufferte 


*9 


Till 


DICTIONNAIRE 


et  endurée,  et  aussi  bien  elle  a  trop  vécu  :   je  veux 
m'en  débarrasser  sans  retard. 

SCÈNE  XIX. 

LA  MÈRE  DU   ROI,   SES    OFFICIERS. 

la  mère  du  roi.  Venez  ici ,  venez  ,  Alexandre,  et 
tous,  Rainfroy  ,  cl  vous ,  Gobin.  Je  veux  voir  en  ce 
moment  si  vous  eûtes  jamais  de  l'affection  pour  moi. 
Eles-vous  prêts  à  m'obéir,  quels  que  soient  mes  com- 
mandements? 

Alexandre.  Ma  chère  dame,  je  crois  qu'il  n'y  a 
personne  de  nous  qui  n'exécute  vos  ordres  avec  joie; 
je  le  liens  pour  certain. 

kai.nfroy.  Pour  ce  qui  est  de  moi,  vous  parlez 
bien  et  dites  vrai,  mon  ami. 

gobin.  Je  le  ierai,  certes,  dussé-je  être  mis  à 
mort. 

la  mère  du  roi.  Chacun  est  donc  ainsi  prêt  à  exé- 
cuter toutes  mes  volontés;  eb  bien,  je  vous  ordonne 
d'aller  jeter  dans  la  mer  celte  misérable  Osaune  ,  qui 
n  esl  plus  digne  de  vivre;  celte  mauvaise  et  impu- 
dique coquine  qui  a  bien  mérité  d'être  brûlée,  tanl 
elle  a  commis  de  crimes! 

Alexandre.  Chère  dame,  vous  serez  obéie  volon- 
tiers et  promplemenl,  si  vous  prenez  la  responsabi- 
liié  de  tout  et  nous  protégez. 

la'mère  du  roi.  Oui  !  je  vais  vous  la  livrer,  et  je 
prends  la  responsabiliié  de  l'action.  Je  vous  f;iis 
serment  de  vous  en  décharger  tous  :  cela  vous  suflii- 
il? 

rainfroy.  Si  cela  nous  suffit?  oui,  dame.  C'est 
dit,  nous  vous  obéirons;  nous  en  délivrerons  ce  pays 
pour  l'amour  de  vous. 

SCÈNE  XX 

LES  MÊMES,  OSA  N  NE. 

la  mère  du  roi.  Venez  dehors,  ma  bonne!  sortez 
un  peu,  ma  belle.  Je  mens,  sans  aucun  doute  en  vous 
nommant  ainsi.  —  Tenez,  seigneurs ,  je  vous  la 
livre;  emmenez-la  vite  où  vous  savez,  et  faites 
promplemenl  votre  devoir. 

gobin.  Bien. 

SCÈNE  XXI. 

les  mêmes,  moins  la  mère  du  roi. 

f.oBiN.  Allons,  dame!  avancez.  Nous  ne  restons 
pas  ici.  Venez  avec  nous  pour  vous  distraire  un 
peu. 

osanne.  Seigneurs ,  soyez  assez  bons  pour  me  dire 
où  vous  nie  menez  véritablement. 

Alexandre.  Dame,  nous  ne  sommes  dans  ce  monde 
«lue  pour  mourir  un  jour;  tous  lant  que  nous  sommes 
il  nous  faut  en  passer  par  là.  Or,  il  ne  plaît  ni  au 
roi  ni  à  ma  dame  sa  mère  (si  je  vous  liens  un  lan- 
gage désagréable,  pardonnez-le-moi,  je  vous  prie) 
que  vous  viviez  davantage;  c'est  pourquoi  il  vous 
faill  mourir  aujourd'hui  sans  faute.  Quant  à  nous, 
nous  ne  pouvons  rien  pour  vous  sauver  ,  dame. 
Puisqu'il  en  est  ainsi ,  implorez  de  tout  votre  cœur 
la  miséricorde  de  Dieu  ,  afin  qu'il  voifs  pardonne 
tous  vos  péchés  et  donne  la  gloire  à  votre  âme;  je 
ne  vois  rien  de  mieux. 

osanne.  Hélas,  beaux  seigneurs!  miséricorde!  que 
Dieu  soit  compatissant  pour  vous  tous!  Epargnez 
n. on  corps  par  pitié;  ne  m'ôtez  pas  la  vie;  car  si  l'on 
m'a  livrée  à  vous  pour  être  mise  à  mort,  c'est  par 
h;iine  et  par  envie,  sans  cause  et  sans  que  je  l'aie 
mérité.  Si  par  pitié  vous  ne  me  faisiez  pas  mourir, 
certes,  Dieu  vous  le  rendrait  et  vous  en  récompen- 
serait bien;  je  n'en  doute  pas. 

rainfroy.  Seigneurs,  tout  le  cœur  me  fond  en 
larmes  de  la  pi  lié  que  je  ressens  pour  celle  femme. 
Par  Noire-Dame!  j'ai  bien  peur,  si  nous  la  mettons» 
à  mort,  que  nous  ne  nous  en  repentions  à  la  fin. 


DES  MYSTERES.  THI  9o0 

gobin.  Après  ce  que  je  lui  ai  ouï  dire,  certes,  je 
ne  suis  point  d'avis  non  plus  de  la  mettre  à  mort , 
Dieu  me  protège! 

Alexandre.  Mais  comment  la  sauver  de  la  mort 
sans  manquer  à  notre  parole?  Voyons. 

rainfrov.  Je  ne  sais...  Si  fait  Lien.  11  y  a  un  moyen 
que  je  vais  vous  indiquer.  Nous  nous  sommes  engagés 
à  l'abandonner  à  la  nier  ;  mettons-la  donc  dans  un 
bateletsans  pilote,  n'ayant  avec  elle  ni  perches,  ni 
voiles,  ni  avirons;  laissons-la  aller  ainsi  où  la  mer 
la  voudra  porter.  Les  (lots  l'éloigneront  bientôt,  qu'on 
ne  la  trouvera  pas,  et,  si  elle  doit  être  sauvée,  Dieu 
fera  sa  volonté  à  cet  égard.  Quant  à  nous  ,  nous  se- 
rons quilles  de  noire  mission. 

gobin.  Alexandre,  c'est  vrai  :  qu'il  soit  donc  fait 
comme  il  a  dit. 

Alexandre.  Soit!  je  n'y  mets  pas  d'opposition.  En 
avant!  allons  chercher  un  bateau.  Ah!  en  voici  un 
bon  et  bel  que  j'ai  trouvé  ici. 

gobin.  C'est  bien,  lu  t'en  es  habilement  lire.  Il 
nous  faut  penser  au  reste.  —  Dame,  voici  tout  ce 
que  nous  pouvons  pour  vous  garantir  de  la  mort. 
Vous  avez  le  désir  de  vivre  ,  entrez  dans  ce  batelet, 
cl  nous  vous  laisserons  aller  au  bon  plaisir  de  Dieu 
où  la  mer  vous  mènera.  S'il  plaît  au  Seigneur,  vous 
serez  aisément  sauvée.  Si  non  ,  il  ne  vous  reste  qu'à 
vous  noyer  ici  ,  sans  larder  davantage.  Ainsi  dites- 
nous  ce  que  vous  voulez,  lequel  des  deux  vous  choi- 
sissez. 

osanne.  Seigneurs,  de  deux  maux  on  doit  choisir 
le  moindre.  Dieu  soit  loué  du  mal  que  vous  m'épar- 
gnez. Quant  à  ce  que  j'aime  mieux,  c'est  de  des- 
cendre dans  le  bateau  et  d'attendre  les  accidents 
qui  pourront  me  venir  de  la  mer. 

rainfrov.  Allons  vile!  appiélez-vous  donc  à  y 
entrer. 

osanne.  Volontiers,  seigneurs,  sans  difficulté.  J'v 
suis,  voyez. 

Alexandre.  Dame,  au  moins  sachez-nous  gré  de 
cette  action.  Nous  nous  en  allons,  en  vous  recom  • 
mandant  à  Dieu  ;  qu'il  vous  donne  aide  et  consola- 
lion,  et  qu'il  veuille  vous  mener  au  port  de  salut  ! 

gobin.  Ainsi  soit-il  !  Maintenant  allons-nous-en. 
Nous  avons  bien  besoin  de  nous  en  aller  vite. 
Eh  !  regardez  comme  la  mer  l'a  déjà  portée  loin  de 
nous! 

rainfrov.  Gobin,  c'est  l'habitude  de  la  mer.  Si  lu 
restais  encore  un  peu  de  temps  ici,  je  le  dis  que 
bientôt  lu  ne  verrais  ni  bateau  ni  femme. 


SCÈNE  XXII. 

RAINFROI,  GOBIN  ,   ALEXANDRE,  LA  MÈRE   DU 
ROI. 

Alexandre.  Ho  !  attention.  Voilà  madame  qui 
nous  attend,  je  n'en  doute  point.  Pressons  un  peu 
le  pas  pour  aller  à  elle. 

rainfrov.  C'est  ce  que  nous  faisons  tous,  à  ce 
qu'il  me  semble. 

la  mère  du  roi.  Soyez  tous  irois  les  biei.venus. 
Comment  va  notre  affaire  ! 

gobin.  Bien,  ma  chère  dame;  nous  venons  d'en 
terminer  selon  vos  ordres.  Je  vous  le  promets. 

la  mère.  C'est  bon;  et  puisqu'il  en  est  ainsi,  je 
vous  défends  (nul  autre  que  vous  ne  m'écoule),  si 
vous  m'aimez  quelque  peu,  de  parler  de  ce  qui  s'est 
passé  enlre  nous.  Sur  la  foi  que  je  dois  à  mon  âme, 
je  ferai  de  vous  de  riches  hommes. 

Alexandre.  N'ayez  crainte,  chère  dame.  Nul  n'en 
saura  rien. 

la  mère  du  roi.  En  attendant  que  je  me  sois  pro- 
curé ce  dont  je  pense  vous  enrichir,*  que  chacun  de 
vous  retourne  chez  lui 

rainfrov.  Dame,  nous  ferons  ce  qui  vous  plaira; 
nous  prenons  congé  de  vous.  —  Allons-nous-en,  ne 
rêvons  pas  davantage,  parlons  d'ici. 


551 


TH1 

SCÈNE  XXII!. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ÏHI 


953 


LA  MERE  DU  ROI,  BETHIS. 

la  mère.  Enfin,  ma  bru  a  donc  péri  d'une  mort 
honteuse.  C'est  moi  qui  veux  être  la  messagère  de 
ceile  nouvelle.  J'irai  moi-même  annoncer  sa  mort 
au  roi.  —  Bélhis,  venez  avec  moi  ;  dépêchez-vous. 

la  demoiselle.  Volontiers,  dame.  Où  allons-nous? 

la  mère  du  roi.  Vous  et  moi,  nous  allons  de  ce 
pas  vers  mon  fils,  l'informer  d'une  chose  qu'il  ne 
sait  pas,  de  la  santé  de  son  amie  Osanne. 

SCÈNE  XXIV. 

LES    MÊMES,  LE  ROI. 

le  roi.  Soyez  la  bienvenue,  ma  mère.  A  quel  su- 
jet venez-vous  ?  dites. 

la  mère  du  roi.  Cher  fils,  vous  êtes  délivré  et  dé- 
barrassé de  votre  femme  Osanne,  que  j'ai  pour 
son  crime  gardée  en  prison,  comme  vous  me  l'avez 
permis.  Grâce  à  Dieu,  elle  a  si  peu  bu  et  mangé 
qu'elle  est  morte.  Je  l'ai  fait  enterrer  en  secret  et 
sans  bruit. 

le  roi.  Hélas!  ma  mère,  ce  sont  tontes  les  perfi- 
dies dont  vous  l'avez  poursuivie  qui  sont  causes  que 
j'ai  fini  par  la  haïr  et  la  persécuter  jusqu'à  la  mort. 
Je  ne  sais  si  vous  avez  tort  ou  raison;  mais  sur 
mon  àrne  !  je  l'aimais  beaucoup.  Aussi  est-ce  en 
pleurant  des  yeux  et  du  coeur,  que  je  prie  Dieu  et 
Noire-Dame,  si  vous  l'avez  fait  périr  à  tort,  de  ne 
pas  tarder  longtemps  à  vous  en  punir.  Nous  verrons 
bien  comment  vous  avez  agi  à  son  égard.  Sur  ce,  je 
ine  lais. 

la  mère  du  roi.  Mon  fils,  je  prends  à  l'instant 
rongé  de  vous.  Vous  vous  courroucez  contre  moi, 
parce  i|iie  je  ne  me  suis  occupée  que  de  votre  bien. 
Cessez,  cessez. 

SCÈNE  XXV. 

LA   MÈRE  DL"   ROI,  SA  SUIVANTE. 

la  mère  du  roi.  Par  saint  Georges  !  un  jour  vien- 
dra, si  l'occasion  se  rencontre,  qu'il  me  souviendra 
de  ceci. 

(Ici  elle  tombe.) 

la  demoiselle.  Douce  Mère  de  Dieu,  comment  ma- 
dame peut-elle  être  tombée?  Dieu!  qu'est-il  arrivé? 
«es  traits  sont  tout  changés,  son  visage  tout  noir. 
Hélas!  elle  se  meurt  bien  cruellement. 

SCÈNE  XXVI. 

LA  SlIVANTE,    LE   ROI,  SEIGNEURS. 

la  suivante.  Venez  ici  vers  votre  mère,  monsei- 
gneur le  roi. 

le  roi.  Qu'y  a-l-il,  Bélhis?  Par  saint  Pierre! 
qu'a-t-elle,  dis? 

la  demoiselle.  Je  ne  sais;  je  n«  vis  jamais  femme 
choir  aussi  lourdement.  Pour  l'amour  de  Dieu, 
seigneur!  venez  voir  c«  qu'il  vous  en  semble. 

le  premier  chevalier.  Allons-y  tous  ensemble  , 
sans  tenir  ici  de  plus  longs  discours,  et  nous  ver- 
rons. Je  le  conseille. 

le  deuxième  cuevalier.  Cher  sire,  le  conseil  est 
bon  à  suivre;  allons  vile  sans  plus  tarder  :  c'est 
chose  à  faire. 

le  roi.  Allons,  nous  venons  comment  elle  va.  — 
Sainte  Marie!  qu'est-ce  que  ceci?  Dieu!  comme  son 
visage  et  tout  son  corps  sont  noirs! 

le  premier  chevalier.  Qu«  Dieu,  par  sa  bonté 
infinie,  lui  soit  doux  et  miséricordieux  !  Certaine- 
ment elle  est  morte  dans  de  grandes  souffrances. 

le  deuxième  chevalier.  Beau  sire  Dieu,  que  veut 
dire  ceci?  Comment,  pour  être  tombée  dans  une  si 
Lelie  place,  sa  face  et  son  corps  peuvent-ils  être 
devenus  si  noirs!  En  vérité,  j'en  ai  le  cœur  étonné 
et  effrayé  en  même  temps. 

le  roi.  Seigneurs,  puisqu'elle  est  étendue  morte 


ici  (plus  je  la  regarde,  plus  j'ai  de  frayeur),  faite- . 
vous  aider,  emportez.-la  et  procurez-lui  un  cercueil. 
Qu'on  l'enterre  d'abord,  plus  tard  nous  ferons  les 
cérémonies  funèbres  tout  à' loisir! 

le  premier  chevalier."  Cher  sire,  nous  ferons 
sur-le-champ  tout  ce  qui  vous  plaira. 

SCÈNE  XXVII. 
les  mêmes,  moins  le  roi. 

le  deuxième  chevalier.  Je  vais  chercher  deux 
ou  trois  hommes  qui  remporteront  hors  d'ici  et  qui 
l'enterreront  tout  de  suite  pour  un  peu  d'argent; 
tous  et  moi  nous  ne  sommes  pas  gens  à  nous  char- 
ger d'une  pareille  besogne. 

le  premier  chevalier.  C'est  vrai.  Allez-y  donc 
tout  de  suite,  mon  doux  ami. 

le  deuxième  chevalier.  Allons ,  je  viens;  sei- 
gneurs, metlez-vous en  mesure  et  ne  vous  amusez 
pas,  apportez-moi  et- corps  jusque  là- bas,  et  faites 
vile. 

Alexandre.  Prenez  vous  deux  vers  la  tète;  pour 
moi,  je  porterai  les  jambes.  Allons,  debout!  tournez, 
j'irai  devant  :  c'est  comme  il  faut. 

GOBiN.  Nous  savons  bien  qu'il  faut  que  les  pieds 
s'en  aillent  devant.  Nous  sommes  tournés;  allons  ! 
va  devant,  sans  l'amuser. 

uainfroï.  Jamais  je  n'aidai  à  porter  un  corps 
aussi  pesant  que  l'est  celui-ci,  ni  loi  non  plus,  ûa 
crois.  Dieu  en  ail  l'Ame  ' 

GoBiN.  Non  vraiment,  par  Notre-Dame!  Si  nous 
avions  à  aller  un  peu  loin,  je  perdrais  bientôt  ba- 
leine assurément. 

Alexandre.  Eh  !  cessez  de  vous  plaindre  ainsi  : 
nous  eu  serons  débarrassés  dans  l'instant.  Voici  le 
lieu  où  nous  la    déposerons  :  venez  bon  pas. 

SCÈNE  XX VI II. 
le  roi,  chevaliers. 

le  premier  chevalier.  Sire,  un  peu  de  calme. 
L'agitation  ne  vous  avancerait  en  rien.  Dieu,  s'il  lui 
plait,  peut  nous  traiter  tous  de  même. 

le  roi.  Mes  amis,  je  n'ai  pas  qu'un  sujet  d'ennui, 
non-seulement  à  cause  de  ma  mère  morte  si  sou- 
dainement, sans  doute  par  un  juste  jugement  de 
Dieu,  mais  encore  à  cause  de  la  mort  injuste 
d'Osanne,  ma  très-chère  épouse.  Il  n'y  avait  pas 
d'ici  jusqu'à  Lausanne  une  dame  plus  vertueuse 
qu'elle  :  elle  jeùnail  et  ne  portait  point  de  linge  , 
mais  ceignait  la  corde  autant  qu'elle  le  pouvait; 
elle  niellait  la  paix  et  la  concorde  entre  les  gens, 
et  toujours  elle  était  diligente  à  repaître  ei  à  sou- 
tenir les  pauvres.  J'ai  été  fou  de  la  mettre  à  la  dis- 
crétion de  ma  mère  qui  ne  l'aima  jamais  :  mainte 
fois  elle  l'avait  diffamée  auprès  de  moi,  ei  sans 
doule  elle  seule  aura  causé  sa  mon  ;  ce  donl  je 
Buis  affligé,  n'en  doutez  pas.  —  Ali,  Osanne,  ma 
chère  amie!  je  regrette  et  regretterai  voire  mort 
aulanl  que  je  vivrai  :  c'est  bien  juste. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  j'ai  tellement  bâté 
les  choses  que  votre  mère  est  couchée  dans  une 
bière,  là-bas  en  la  chapelle;  demain  l'on  fera  son 
service,  et  on  l'enterrera  lout  de  suite,  si  vous 
voulez. 

le  roi.  Ma  foi!  je  suis  si  chagrin  que  cela  n'im- 
porte peu  :  qu'elle  soit  mise  en  lerre,  ei  débarras- 
sez-\ous-en  bien  vile. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  je  ferai  de  lout 
mon  cœur  voire  commandement. 

SCENE  XXIX. 

DIEU,  SAINT    MICHEL. 

dieu.  Michel,  écoute  ce  que  j'ai  à  le  dire  :  Je  veux 
que  lu  ailles  tout  de  suite  vers  ce  bateau,  ouest 
celle  dame  toute  seule.  Je  l'aime,  car  c'est  une 
honnête  femme.  Ne  lui  dis  pas  un  mol;  mais  sans 
retard  mène-la  et  conduis- la  jusflu'-ai  P*>' >  -QUI  est 


9Î3 


TIII 


DICTIQNNAIIIE  DES  MYSTERES. 


TIII 


951 


le  pins  près  de  Jérusalem  :   cela  fait,  reviens  do 
guilt'.  Pas  un  mol. 

MiciiiL.  Sire,  je  vais  sans  retard  faire  ce  que  vous 
me  commandez. 

SCÈNE  XXX. 

OSANNE. 

osanne.  Ali  Dieu!  comme  je  tremble!  que  j'ai 
peur  de  sombrer  dans  cette  mer  profonde!  Faut-il 
donc  que  j'y  meure.  Rien  pour  conduire  ce  bateau. 
Et  quand  même  j'aurais  quelque  chose,  à  quoi  bon? 
par  ma  foi  !  Ab  !  ma  vie  est  bien  aventurée.  Eh  , 
leiume,  pauvre  créature!  le  monde  te  fuit  avec  tous 
ses  biens,  la  Fortune  le  nuit  autant  qu'elle  peut,  la 
mer  se  gonfle  contre  loi;  il  n'est  rien  qui  ne  veuille 
le  nuire.  J'aurais  grand  besoin  de  pain,  bêlas!  Fa- 
mine me  presse  si  fort,  pour  se  venge.-  de  moi,  que 
je  crains  qu'il  ne  me  faille  manger  mes  mains  par 
nécessité.  Ab,  Mère  de  Dieu,  bonne  Vierge  qui  êtes 

firèle  à  toute  misère,  qui  secouiez  de  près  et  de 
oin  ceux  qui  espère. il  en  vous,  Dame,  puisque  j'ai 
confiance,  ne  m'abandonnez  pas  entièrement;  veuil- 
lez prier  pour  moi  votre  doux  Fils  qu'il  nie  console; 
aussi  bien  sait-il  que  je  ne  suis  pas  plongée  avec 
justice  dans  ces  maux  affreux.  Ab!  n'ai-je  plus  que 
la  mort  à  attendre?  Devais-je  la  recevoir  de  la  main 
même  de  la  mère  de  mon  mari.  Ab,  Thierry,  bon 
roi  d'Aragon  !  combien  est  loin  l'amour  que  vous 
aviez  pour  moi!  Votre  mère  n'esl-elle  pas  assez 
vengée  de  moi,  depuis  que  Ton  m'a  mise  par  ses 
ordres  en  un  danger  pareil.  Adieu,  tous  ce  ix  que 
j'ai  aimés,  nous  ne  nous  verrons  plus  ;  car,  certes,  je 
ne  sais  ni  ne  vois  de  quel  côié  an  secours  me  vien- 
drait, et  qui  m'arrachera  à  la  mort.  Oh  !  comme 
mon  cœur  est  serré  de  douleur.  (Ici  elle  se  lait  un 
peu.)  Eb,  beau  sire  Dieu  !  je  vois  la  terre,  où  ce  ba- 
teau va  tout  droit  tomme  s'il  y  était  attiré.  Ab,  sire 
Dieu  !  je  vous  remercie  ,  puisque  je  suis  venue  à  ce 
port.  Je  veux  descendre  bien  vile  d'ici.  —  Douce 
Hère  de  Dieu,  en  quelle  terre  suis-je  maintenant.? 
certes,  je  ne  sais.  Comment  éprouver  de  la  haine 
pour  celle  qui  m'a  trahie  ainsi?  Ah!  je  suis  ici 
aussi  ébahie  qu'une  bête,  et  il  n'y  a  pas  à  s'en 
étonner.  Mais  que  Dieu  veuille  me  diriger!  Puisque 
je  suis  dans  un  pays  étranger,  il  faut  que  je  change 
d'allures  comme  de  position ,  car  si  je  puis  être 
chambrière  el  avoir  pour  maître  un  prud'homme, 
ce  sera  assez  pour  ma  vie. 

SCÈNE  XXXI. 

OSANNE,  UN  HÔTELIER. 

l'hôtelier  de  Jérusalem.  Dame,  Dieu  vous  bé- 
nisse! où  étes-vous  née  el  qui  vous  a  amenée  ici  ? 
Vous  êtes  toute  seule? 

osanne  Sire,  laissez-moi  en  paix.  Point  de  ques- 
tion, s'il  vous  plaît  ;  seulement,  dites-moi  en  quel 
pays  je  suis  :  vous  ferez  ainsi  une  grande  charité. 

l'hôtelier.  Mon  amie,  en  bonne  vérité,  je' vous 
le  dirai  sans  relard  :  sachez  que  vous  êtes  an  port 
le  plus  prochain  de  Jérusalem.  Je  vous  dis  vrai,  par 
saint  Jean.  Comme  souvent  il  arrive  par  ici  des 
esclaves  el  d'autres  gens  qu'on  appelle  épaves,  j'é- 
tais venu  m'ébatlre  pour  trouver  quelqu'un  qui 
voulut  nous  servir,  ma  femme  et  moi,  cl  gagner  de 
bons  el  gros  gag  s.  Dame,  n'auriez-vous  pa->  le 
soeur  désireux  de  servir? 

osanne.  Ne  vous  déplaise,  oui,  sire,  par  mon  âme! 
je  servirai  volontiers  de  tout  mon  cœur  el  sans  ré- 
pugnance pour  gagner  mon  pain  ;  el  je  crois  que 
vous  vous  tiendrez  satisfait  de  mon  service. 

l'hôtelier.  Certes,  vous  y  êtes  bien  propre.  En 
avant!  ne  restez  plus  ici,  venez  avec  moi  :  je  de- 
meure dans  le  plus  beau  quartier  de  la  ville. 

SCÈNE  XXXI I. 

LES   MÊMES,  l'hÙTESSI:. 

l'hôtelier.    Dame  Sibylle,  étes-vous  là?  Faites- 


nous  bonne  et  joyeuse  mine.  El  regardez  !  vous  ne 
manquerez  plus  de  chambrière. 

l'hôtelière.  Ma  chère  amie,  soyez  la  bienvenue. 
Là,  sérieusement,  est-ce  pour  nous  servir  que  vous 
venez  ici  ? 

osanne.  Oui,  dame,  si  cela  peut  vous  êlre  agréa- 
ble. 

l'hôtelière.  Soyez  la  très-bien  venue,  je  crois 
que  je  vous  aimerai  beaucoup;  car  à  votre  visage 
il  me  semble  que  vous  ne  pourrez  que  bien  vous 
conduire.  Si  vous  m'êtes  utile,  jamais  vous  ne  quit- 
terez de  chez  nous  que  vous  ne  soyez  riche  el  com- 
blée de  biens  ;  je  vous  promets. 

osanne.  Dame,  je  me  mets  en  votre  grâce,  et  je 
ferai  tant,  s'il  plai  l  à  Dieu,  que  vous  n'aurez  par 
moi  ni  bruit  ni  querelle;  je  vous  servirai  tout  à  (ait 
selon  votre  humeur,  aussitôt  que  je  la  connaî- 
trai. 

l'hôtelière.  Allons,  venez,  je  vous  montrerai  à 
quoi  vous  vous  emploierez.  Hegardez  :  vous  ferez 
les  lits,  ensuite  nettoyez  la  maison.  Mais,  m'amie, 
voire  nom? 

osanne.  Je  ne  vous  le  tairai  pas  :  dame,  s'il  vous 
plaît,  appelez-moi  Osaunette;  vous  direz  bien  :  c'est 
mon  vrai  nom. 

l'hôtelière.  Faites  bien,  tant  que  je  puisse  don- 
ner un  bon  témoignage  sur  voire  compte.  Je  m'en 
vais  travailler  ailleurs;  allons!  conduisez-vous 
bien. 

osanne.  Dame,  ne  soyez  en  peine  d'ancu;  e  chose  : 
quand  je  sortirai  d'ici,  je  n'y  laisserai  rien  à  arran- 
ger ou  à  nettoyer. 

SCÈNE  XXXÎ1Ï. 

LES   ENFANTS   DU   ROI. 

le  premier  fils.  En  roule  et  marchons  jusqu'à 
ce  que  je  sois  au  logis,  puisqu'aussi  bien  j'ai  vendu 
tout  mon  charbon.  Holà,  enavani,  holà  ! 

le  deuxième  fils.  Voici  longtemps  que  je  n'avais 
vendu  mon  charbon  comme  aujourd'hui.  Retournons 
donc  joyeusement  au  logis  :  ma  journée  est  faite. 
Mou  cheval  va  lestement  étant  sans  charge 

le  troisième  fils.  Je  ne  pense  pas  avoir  aujour- 
d'hui de  mon  père  une  mine  renfrognée  :  je  lui 
porte  de  l'argent  dans  ma  bourse,  il  ne  me  gour- 
inandera  pas.  Eh!  je  vois  mon  frère. —  Ho,  Renier, 
arrête,  arrête  ! 

le  deuxième  fils.  Est-ce  toi,  mon  frère,  allons, 
viens-tu  ? 

le  troisième  fils  Un  moment.  Me  voici.  J'ai  été 
bientôt  ven'u?  Dieu  l'aide!  combien  as-tu  vendu  la 
charge? 

le  deuxième  fils.  Combien?  Trois  sous,  à  un 
brave  homme  qui  me  semble  doux  et  courtois,  car 
il  m'a  fait  boire  un  grand  coup  de    son  vin. 

le  troisième  fils.  En  vérité,  lu  dois  en  être  aise 
cl  joyeux. 

le  deuxième  fils.  Je  ne  suis  pas  le  moins  du 
monde  fatigué,  il  ne  faut  pas  en  parler.  Allons!  son- 
geons à  nous  en  retourner,  c'e^l  notre  meilleur 
parti. 

SCÈNE  XXXI V. 

LES  MÊMES,    LE  CHARBONNIER. 

LE  premier  fils.  Père,  que  Dieu  vous  donne  uno 
belle  soirée!  Faut-il  mettre  le  cheval-ci  à  l'écurie  et 
lui  donner  à  manger  avant  tout? 

le  charbonnier.  Oui,  mon  fils  ;  mais  ne  le  cou- 
vre pas  :  il  n'en  a  pas  besoin. 

le  premier  f/ '.s.  De  par  Dieu  !  il  ne  le  sera 
point,  au  moins.  \r  moi. 

le  troisième  f.ls.  Eh  regardez  !  je  vois  là-bas  no- 
tre frères  qui  mène  son  cheval  à  l'écurie  :  il  f;"11 
aussi  rentrer  les  noires,  cl  puis  nous  pourrons  re- 
venir tous  les  trois  ensemble. 

le  deuxième  ni. s.    Allons    donc  ;    puisque    cela. 


9 


oO 


1111 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


THI 


P^fi 


vous  semble  bon,  j'y,  consens.  —  Père,  nous  so-.n- 
n  es  ici  lous  les  trois,  el  nous  méritons  la  bienve- 
nue, car  nous  avons  vendu  nos  trois  charges  tle 
charbon  ;  je  vous  dis  vrai.  Ah!  si  vous  saviez  quel 
beau  cheval  gris  j'ai  vu  tout  à  l'heure.  Par  mon  sei- 
gneur saint  Vincent  !  cher  père,  si  j'en  avais  un  pa- 
reil, je  ne  le  donnerais  pour  aucun  trésor. 

i.e  premier  fii.s.  Et  moi,  mon  père,  j'ai  rencon- 
tré lanlôl  dans  ma  roule  un  écuycr  qui  portail  un 
faucon  sur  son  poing.  Par  mon  àme,  si  j'en  avais 
un  pareil,  je  le  préférerais,  je  puis  l'affirmer,  à  cent 
muids  de  bon  charbon. 

^  le  troisième  fils.  El  moi,  j'ai  rencontré  aujour- 
d'hui un  lévrier  si  bel  el  bon,  si  gentil  et  si  propret, 
qu'un  valet  menait  en  dexlre  assez  matin.  J'ai  de 
suite  souhaité  d'avoir  pour  lors  cent  livres  el  d'être 
obligé  de  les  donner  à  la  condition  que  le  chien  lui 
à  moi  ;  car,  certes,  il  les  valait  bien. 

le  charbonnier.  Mes  enfants,  cessez  voire  conver- 
sation :  ce  sont  choses  où  vous  ne  pouvez  atteindre 
maintenant.  Asseyez-vous,  vous  vous  reposerez.  Vous 
aurez  votre  dîner  dès  qu'il  sera  prêt. 

SCÈNE  XXXV. 

LE  ROI  ET  SA  CHASSE. 

le  roi.  Seigneurs,  il  s'agit  d'aller  chasser  ;  don- 
nez ordre  aux  veneurs  de  biei  mener  la  chasse. 

le  premier  sergent  d'armes.  S  re,  vous  plaîl-il 
que  je  fasse  ce  message?  Je  vais  sur  le-cbauip  y  al- 
ler, el  je  leur  répéterai  toul  de  suite  ce  que  vous 
avez  dit,  sire. 

le  roi.  Oui  ;  lu  parles  bien  :  va  leur  dire  ce  que 
je  leur  mande. 

le  premier  sergent.  Je  vais  faire  votre  commis- 
sion. —  Seigneurs,  il  faut  chasser  au  bois;  mettez 
lous  les  chiens  en  état  et  venez,  car  le  roi  l'or- 
donne. 

le  premier  veneur.  Nous  ferons  de  suite  ce  qu'il 
commande.  Allez  hardiment  lui  dire  que  nous  y 
serons  avant  que  noire  sire  se  melie  en  che- 
min. 

le  premier  sergent.  Volontiers,  seigneurs;  al- 
lons, en  avant!  —  Cher  sire,  mettez-vous  en  roule  : 
vous  trouverez  au  bois  les  veneurs  el  les  chiens  tout 
prêts,  quelque  célérité  que  vous  nielliez  à  y  venir  ; 
dépêchez-vous. 

le  roi.  C'est  bien  dit.  —  Allons,  à  cheval,  vous 
lous  !  Allons  monter. 

le  deuxième  sergent.  Laissez  le  chemin  libre, 
sans  larder;  sinon  je  vous  appliquerai  sur  le  dos 
de  grands  coups  de  celle  masse-ci.  Allez  en  ar- 
riére. 

SCÈNE  XXXVI. 

LES   VENEURS. 

le  deuxième  veneur.  Lubiii,  allons-nous-en  par 
la  traverse  avec  les  chiens,  de  manière  à  arriver 
avant  le  roi  en  la  forêt. 

le  PiŒMiER  veneur.  Allons  !  j'y  consens  :  c'est 
dit  et  ce  sera  fait. 

SCÈNE  XXXVII. 

LES  MÊMES,  LE    ROI. 

le  roi.  Seigneurs,  il  faut  partir,  puisque  nous 
sommes  montes;  hâlez-vous  d'aller  devant  moi  tous 
ensemble. 

LE    PREMIER   CHEVALIER.    Allons!   je  VOIS  là-bas,  CC 

nie  semble,  les  veneurs  dans  ce  carrefour  :  ils 
nous  diront  s'ils  n'ont  rien  vu  aux  alentours 
d'ici. 

le  deuxième  cnEVALiER.  C'est  vrai  ;  nous  le  sau- 
rons bientôt;  allons  à  eux. 

le  roi.  Auparavant,  dites-moi  votre  avis,  sei- 
gneurs :  en  quel  endroit  faul-il  que  nous  pénétrions 
pour  ne  pas  manquer  la  grosse  bêle  cerf  ou  san- 
g  ier? 


le  deuxième  veneur.  Sire,  Dieu  me  veuille  aider  l 
Vous  en  trouverez  assez  si  vous  allez  par  ce  cue- 
min  ;  mais  n'abandonnez  pas  le  senlier. 

le  roi.  Nenni,  ce  n'est  pas  mon  intenlhn.  J'en 
vois,  beaux  seigneurs;  en  avant!  allez  par  ici  au- 
devant,  et  si  je  vous  envoie  quelque  chose,  barrez 
le  chemin  tant  que  vous  pourrez. 

le  premier  chevalier.  C'est  ce  que  nous  ferors, 
vous  le  verrez  bien,  s'il  s'en  trouve  l'occasion. 

le  deuxième  chevalier.  Pour  ma  part,  je  n'y 
manquerai  point,  mon  cher  seigneur. 

SCÈNE  XXXVIII. 

LE  ROI. 

le  roi.  Eh!  Eh!  je  vois  ici  le  plus  grand  sanglier  que 
je  vis  jamais.  Je  ne  sors  pas  de  ce  bois  qu'iï  ns  soit 
pris.  Approchons  plus  près  de  lui  pour  lui  faire  sen- 
tir mon  épée.  Oh!  silôt  qu'il  m'a  vu,  il  s'est  m  fui 
dans  cette  vallée;  mais  je  n'abandonne  pas  la  par- 
lie  :  je  m'en  vais  après  lui. 

SCÈNE  XXXIX. 

LES  SEIGNEURS. 

le  premier  chevalier.  Holà  !  ho  !  je  n'entends 
dans  ce  bois  aucun  bruit  qui  annonce  monseigneur. 
Au  moins,  si  je  voyais  quelque  grosse  bêle  s'élancer 
par  ici,  j'espérerais  (pie  sans  manquer  il  dût  bientôt 
venir  après;  mais  je  n'entends  rien  ni  près  ni  loin, 
ni  la  voix  d'un  homme  ni  le  bruit  de  la  course  d'une 
bêle.  Je  vous  le  jure  sur  ma  tête,  je  crains  qu'il  ne 
soi!  égaré. 

le  deuxième  chevalier.  Moi  aussi  :  courons  vile 
après  lui,  pour  l'amour  de  Dieu  ! 

le  premier  chevalier.  Mais,  sans  nous  en  aller 
de  ce  lieu,  donnons  du  cor  pour  savoir  s'il  entendra 
ou  s'il  n'appellera  point;  c'est  mon  avis. 

le  deuxième  chevalier.  Vous  avez  bien  dit  :  je 
veux  sonner  du  cor  aussi  fort  que  je  pourrai  le 
faire;  cornez  aussi  comme  moi,  afin  qu'il  nous  en- 
tende. 

le  premier  chevalier.  Toute  la  tête  me  tourne 
d'avoir  corné  si  fort  el  si  longtemps,  el  je  crois 
que  je  perds  ma  peine  :  je  n  'entends  âme  qu» 
vive. 

le  deuxième  chevalier.  Ni  moi  non  plus,  par 
Notre-Dame!  Maintenant  que  faire?  Irons-nous 
plus  avant?  11  esl  bien  lard. 

LE   PREMIER    CHEVALIER.    Si  I10US   Savions    OÙ  il  est, 

je  dirais,  «  Allons-y;  >  mais  nenni,  et  il  n'y  a  per- 
sonne qui  ne  s'expose  ;  allons-nous-en,  car  la  nuit 
sera  obscure  el  noire. 

le  deuxième  chevalier.  Certainement,  c'est  sûr, 
el  nous  serions  mal  arrangés.  D'ailleurs,  il  esl  sans 
doute  retourné  au  palais.  Je  suis  donc  d'avis  que 
nous  retournions  aussi,  droit  à  la  ville. 

le  premier  chevalier.  Ce  parti  est  le  meilleur; 
par  Saint-Gilles  !  allons-nous-en. 

SCÈNE  XL. 

LE   ROI. 

le  roi.  Eh  Dieu!  où  suis-je?  Je  puis  bien  dire  à 
présent  que  c'est  moi  qui  suis  attrapé.  Je  croyais 
avoir  happé  une  proie  ;  mais,  à  en  juger  par  mon 
embarras,  je  puis  dire  que  c'est  moi  qui  suis  pris  eu 
chassant,  ce  qui  me  rend  tout  éperdu.  Je  suis  tout 
seul,  j'ai  perdu  mes  gens.  Par  où  retourner  pour  les 
trouver?  Vraiment,  je  crois  que  Dieu  m'a  égaré  el 
envoyé  ce  malheur  pour  l'amour  de  nia  femme 
Osanne,  qui  était  une  dame  vertueuse  el  que  je  re- 
mis aux  mains  de  ma  mère,  qui  a  été  si  dure  el  si 
cruelle  à  son  égard  qu'elle  l'a  fait  mourir  sans  qu'elle 
eût  mérité  en  rien  son  sort.  Oui,  c'est  là  mon  opi- 
nion; car  il  n'esl  pas  vrai  qu'elle  ait  porté  des 
chiens,  comme  ma  mère  me  le  fil  entendre.  Je 
crois  bien,  au  contraire,  que  Diev  n'a  fait  mourir 
ma  mère  d'une  mort  si  honteuse  qu'à  cause  du  pé 


957 


TI1I 


DICTIONNAIRE    DES  MYSTERES. 


THI 


938 


ché  qu'elle  commit  alors.  Mais   comment  se  put-il  le  roi.  Volontiers,  puisqu'il  faut  que  je  fasse  ici 

i]ue  je  me  prêtai  à  la  croire  et  que  je  consentis  qu'elle  mon  souper. 

fil  souffrir  ma  femme?  Doux  Dieu,  Père  miséiïcor-  le  charbonnier.  Cher  sire,  vous  n'en  eûtes  jamais 

dieux,  je  requiers  de  vous  pardon  et  merci;  veuillez  un  pareil,  j'en  suis  bien  persuadé.  —  Dame,  appor 

me  guider  ici  de  manière  à  ce  que  je  trouve  quelque 

habitation  où  je  puisse   me   retirer,  caria   nuit  est 


pleine  d'obscurité.  Eh,  Dieu!  je  vois  là  bas  briller 
du  feu  :  il  doit  y  avoir  du  inonde;  dirigeons-nous  de 
ce  côté.  —  Ouvrez,  ouvrez  celle  porte,  valet  ou 
maître  ;  ouvrez. 

SCÈNE  XLI. 

LE  KOI,  SES  ENFANTS,  LE   CH  AIIUONNIER,  SA 
FEMME. 

LE  premier  fils.  Qui  est  là  ?  qui?  —  Père,  atten- 
dez, tenez-vous  coi  ;  j'irai  savoir  ce  que  c'est. — Sire, 
voulez-vous  avoir  du  charbon? 

le  roi.  Je  saurai  bientôt  le  le  dire.  Mon  cher  fils, 
puisque  je  suis  descendu,  Dieu  soit  céans!  je  veux 
aujourd'hui  coucher  ici. 

le  charbonnier.  Très-cher  sire,  nous  feronscequi 
vous  plaira  :  c'esl  notre  devoir.  Soyez  le  très-bien 
venu;  nous  nous  appliquerons  à  vous  servir.  Sainte 
Marie!  sire,  qui  vous  amène  ici  à  celte  heure? 

le  roi.  Je  vous  le  dirai  lout  de  suile.  J'ai  aujour- 
d'hui tellement  poursuivi  un  sanglier  que  j'ai  laissé 
en  arrière  tous  mes  gens  et  que  je  me  suis  égaré 
dans  le  bois,  tant  je  l'ai  vivement  traqué,  et  encore 
sans  le  prendre! 

la  charbonnière.  Renier,  apprenez-moi  quel  est 
cel  homme. 

le  charbonnier.  Dame,  par  saint  Pierre  de  Rome! 
c'esl  le  roi  noire  cher  seigneur.  Failes-lui  lout  l'hon- 
neur possible. 

le  fremier  fils.  Sire,  je  veux  vous  ôter  vos  épe- 
rons dorés. 

le  deuxième  fils.  Le  beau  surcot!  Mon  frère,  re- 
garde :  dis-jela  vérité?  Par  mon  àme!  j'en  voudrais 
un  pareil. 

le  troisième  fils.  Moi  aussi,  par  ma  foi  !  je  le  vê- 
tirais demain.  —  Qu'evl-ce  que  vous  avez  dans  la 
main,  sire,  qui  est  si  beau  ? 

le  charbonnier.  Je  donnerai  une  taloche  à  chacun 
de  vous  si  vous  ne  vous  éloignez  pas  de  lui.  Vous 
êtes  trop  ennuyeux  :  allons!  sortez  d'ici. 

le  roi.  Prud'homme,  souffre-les,  pour  l'amour  de 
Dieu  ;  voici  plus  de  trente  ans  entiers  que  je  n'ai 
pas  vu  des  enfants  aussi  volontiers  que  je  vois 
ceux-ci. 

le  charbonnier.  Sire,  je  me  lais  donc,  puisque 
vous  y  prenez  plaisir.  Eu  vérité,  je  craignais  que 
cela  ne  vous  fût  désagréable  el  que  ce  qu'ils  font  ne 
vous  déplût. 

le  roi.  Nenni,  car  cerlainement  ils  sont  on  ne 
peut  plus  gracieux  :  je  ne  puis  assez  rassasier  mes 
yeux  à  les  regarder. 

la  charbonnière.  Très-cher  sire,  laissez-les  là; 
venez  souper,  si  cela  vous  esl  agréable  :  les  mets 
sont  apprêtés. 

le  roi.  Dame,  j'accepte  avec  plaisir  votre  sou- 
per. * 

la  charbonnière.  Cher  sire,  je  vous  étendrai  une 
nappe  blanche  :  elle  vaudra  un  mets.  Je  crois  que 
vous  voudrez  bien  agréer  ce  qui  sera  préparé.  Ja- 
mais je  n'eus  le  cœur  aussi  joyeux  comme  je  l'ai  de 
votre  venue,  el  il  n'y  a  pas  à  douter  que  je  doive 
naturellement  en  avoir  de  la  joie. — Tiens,  mon  fils, 
tiens  celte  serviette; — et  loi,  lu  lui  donneras  à  laver 
avec  ce  pol  que  lu  lui  verseras  sur  les  mains. 

le  premier  fils.  Je  le  ferai  bien  comme  vous  me 
le  dites;  bon,  bon. 

le  roi.  Puisque  loul  estprèi,  j'irai  me  laver.  — 
Versez.  Que  Dieu  et  saint  Pierre  de  Ruine  fassent 
un  prud'homme  de  vous!  Ho  !  cela  suffit. 

le  charbonnier.  Celles,  jamais  il  n'en  fit  tant  ; 
excusez-le,  sire,  pour  l'amour  de  Dieu.  Allons,  sire, 
asseyez-vous  ici  :  c'esl  votre  place. 


tez  vile  ici  à  manger. 

la  charbonnière.  Bientôt;  attendez  un  peu.  Te- 
nez, Renier. 

le  charbonnier.  C'est  bien.  Allons!  je  veux  décou- 
per devant  vous,  sire  :  c'est  juste,  sans  aucun  doute. 
Voici  un  oison  fin,  gras  el  tendre. 

le  roi.  Puisqu'il  est  si  bon,  j'en  veux  prendre; 
mais  auparavant  vous  en  ferez  l'essai  :  vous  man- 
gerez ce  morceau  premièrement. 

le  charbonnier.  Cher  sire,  vous  l'ordonnez  :  je  le 
mangerai. 

le  roi.  Je  tàlerai  de  ce  morceau-ci,  et  puis  j'en 
dirai  mon  avis.  Il  esl  très-bon,  je  vous  assure  :  j'en 
veux  manger. 

le  charbonnier.  Bravo  !  sire,  sans  façons.  La  bêle 
naquit  dans  ce  log.is;  et  voici  de  ma  réserve  dont 
vous  boirez,  quand  il  vous  plaira;  mais  aujourd'hui 
vous  n'aurez  point  d'autre  vin,  car  je  n'en  pourrais 
trouver  sans  faire  trois  lieues  de  chemin. 

le  roi.  Hôte,  loul  esl  bon  quand  on  a  besoin.  Ne 
vous  embarrassez  point  de  moi.  Versez.  Holà  !  lenez, 
essayez;  je  boirai  ensuite. 

le  charbonnier.  Très-cher  sire,  j'obéirai  à  votre 
volonté. 

le  roi.  Allons,  versez!  je  veux  boire,  celte  fois; 
mais  il  y  en  a  trop  peu,  el  cet  oison  m'a  donné 
soif. 

le  charbonnier.  Cher  sire,  cela  esl  bien  croyab'<\ 
Tenez,  buvez,  à  votre  santé!  C'est  pour  m'èlre  fa- 
miliarisé avec  lui  qu'il  me  semble  bon. 

le  roi.  llôle,  je  vous  liens  pour  prud'homme  d'a- 
voir une  provision  d'un  vin  pareil  :  il  esl  sain  et  net, 
clair  el  lin.  Allons,  du  vin!  Assez. 

la  charbonnière.  Très-cher  sire,  aujourd'hui  co:i- 
tentez-vous  en,  tel  qu'il  esl,  pour  l'amour  de  Dieu; 
car  il  n'y  a  aux  alentours  aucun  endroit  où  l'on  ei. 
trouvât  d'autre,  quelque  argent  que  l'on  donnât;  je 
vous  promets. 

le  roi.  Bel  hôte,  il  est  bon  el  net  el  me  suffit, 
soyez-en  sûr;  mais,  par  saint  Amant!  où  sont  vos 
fils? 

la  charbonnière.  Les  voil'i. — Allons'  avancez  vite 
tous  trois  sans  relard  et  tenez-vous  bien,  mellez- 
vous  à  côté  l'un  de  l'autre,  el  ôiez-moi  ces  chape- 
rons :  il  ne  fait  pas  froid. 

le  roi.  M'amie,  desservez  :  j'ai  assez  pris  ici  mon 
repas.— Bel  hôte,  ne  me  mentez  point  :  quels  sont 
ces  enfants?  Sans  mentir,  mon  cœur  ne  peut  jamais 
croire  que  vous  les  ayez  engendrés,  que  vous  soyez 
leur  père  véritable,  ou  qu'ils  soient  nés  du  corps  de 
votre  femme;  je  vous  jure  par  mon  àme  que  je  ne 
puis  le  croire. 

le  charbonnier.  Très-cher  sire,  Dieu  me  donne 
joie!  je  vous  dirai  une  chose  vraie  :  Il  y  a  bien  douze 
ans,  ou  environ,  que  je  revenais  de  Sarragosse,  où 
j'avais  vendu  du  charbon.  Quand  je  fus  dans  ce  bois, 
j'entendis  les  voix  de  ces  enfants,  qui  élaienl  cou- 
chés sur  un  peu  d'herbe;  à  peine  venaient-ils  de  naî- 
tre. Avaient-ils  des  amis?  je  ne  sais.  Ils  étaient  cou- 
chés el  placés  l'un  à  côté  de  l'autre  à  la  renverse,  et 
assez  couverts  de  fougère.  En  les  entendant  crier, 
je  m'en  allai  en  suivant  la  direction  de  le;ir  voix,  et 
je  cheminai  jusqu'à  eux.  Je  les  trouvai  comme  je  voirs 
l'ai'dil;  ému  de  pitié,  je  les  emportai,  el  je  les  fis 
baptiser  tous  trois;  bientôt  après,  pour  leur  bien, je 
cherchai  une  nourrice  à  chacun  d'eux  :  ce  dont  je 
ne  me  repens  pas,  bien  qu'ils  m'aient  coûté  beau- 
coup d'argent,  plusieurs  personnes  le  savent;  et  de- 
puis qu'ils  furent  sevrés,  je  les  ai  nourris  el  élevés  : 
c'est  pourquoi  ils  m'appellent  leur  père.  Dieu  veuille 
que  je  puisse  bientôt  savoir  d'une  manière  certaine 
s'ils  onl  père,  mère  ou  tante  !  car  si  je  pouvais  le  sa- 
voir, en  vérité,  j'en  aurais  une  grande  joie.  Eh  quoi, 


9.S1 


T1II 


D1CTI0.\NA!RE  DES  MYSTERES. 


THI 


960 


6ire,  je  vous  vois  pleurer.  (Ici  il  tombe  aux  genoux 
du  roi.)  Pour  l'amour  de  Dieu!  pardonnez-moi,  si 
j'ai  rien  dit  ou  rien  fait  contre  Votre  Majesté;  car, 
en  vérité,  je  ne  pensais  nullement  à  mal. 

le  roi.  Nenni;  mais  il  nie  revient  en  mémoire  un 
événement  d'autrefois  et  dont  je  ne  me  souviens  ja- 
mais sans  pleurer  de  désespoir.  Allons!  je  veux  que, 
sans  plus  de  relard,  ces  enfants  se  mettent  en  roule, 
et  qu'eux  et  t  i  vous  m'accompagniez  jusqu'à  ce 
que  je  sois  à  Sarragosse.  Là,  par  saint  Josse!  je 
v  sus  ferai  un  bel  et  grand  présent. 

le  cHAnBONMF.ii.  Tès-oher  sire,  je  ferai  vol"C 
commandement  de  tout  mon  cœur.  —  Allons,  en- 
fants! allons-nous-en  tous;  nous  conduirons  le  roi 
au  travers  du  bois,  et  nous  le  mènerons  droit  à  Sar- 
ragosse. 

le  premier  fils.  Père,  si  je  trouve  en  allant  au 
travevs  du  bois  prune  ou  beloce,  poires,  pommes, 
nèfles  ou  noix,  j'en  mangerai. 

le  charbonnier.  Cher  ti  I  s ,  je  le  veux  bien.  Allons! 
en  route.  —  Sire,  par  ce  sentier  à  droite  ;  je  le  con- 
seille. 

le  roi.  Allez  devant  ;  je  veux  vous  suivre,  mon 
cher  ami. 

SCÈNE  XLII. 

LES  CHEVALIERS,  IE   ROI. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  je  suis  d'avis  que 
nous  allions  battre  haies  et  buissons  par  le  bois, 
jusqu'à  ce  que  nous  trouvions  le  roi  quelque  part. 

le  premier  chevalier.  Allons  y,  sire;  car  certes, 
il  nie  tarde  de  le  voir.  Où  a-l-il  couché  celle  nuit? 
j'en  suis  fort  en  peine. 

le  deuxième  chevalier.  Je  ne  sais;  j'en  suis  in- 
quiet. S'il  n'a  pas  trouvé  quelque  retraite  où  il  ait 
clé.  par  mon  âme!  il  y  a  de  quoi  prendre  une  grande 
maladie  :  c'est  pourquoi  je  ne  sais  qu'en  dire  jus» 
qu  à  ce  que  je  le  voie. 

le  premier  chevalier.  Je  le  vois  venir  par  ce  che- 
min, avec  lui  est  un  charbonnier.  Mon  cher  ami,  liâ- 
lons-noiis  d'aller  vers  lui. 

le  deuxième  chevalier.  Sire,  il  n'y  a  personne  de 
nous  à  qui  vous  n'ayez  fait  verser  des  larmes.  Par 
saint  Georges  !  j'aimerais  mieux  que  celte  chasse  lût 
à  commencer.  Eles-vous  resté  dans  ce  bois  celle 
nuit?  je  crois  que  oui. 

le  roi.  lîeaux  seigneurs,  je  vous  demande  pardon  ; 
non  pas.  Ne  parlons  pas  davantage  ici  ;  mais  allons 
au  palais  sans  plus  de  relard. 

le  premier  chevalier.  Allons,  de  par  le  Roi  des 
cieux!  Aussi  bien,  à  ce  qu'il  me  semble,  c'est  le 
mieux.  Car' là  nous  pourrons  parler  à  notre  aise. 

SCÈNE  XLI11. 

LE  ROI,   SERGENTS  D'ARMES. 

le  roi.  Grossart,  cl  toi,  Rigaut,  ne  manquez  pas 
d'aller  vous  deux  quérir  promplement  Bélhis,  que 
ma  mère  lit  sa  demoiselle;  dites-lui  qu'elle  se  dé- 
pêche de  venir  nie  parler  un  peu,  et  demandez-lui 
d'où  vient  que  je  ne  lu  vois  pas  plus  souvent. 

le  premier  sergent.  Très-cher  sire,  j'y  vais  bon 
pas,  sans  plus  me  tenir  ici 

le  deuxième  sergent.  Je  vais  avec  vous;  puisque 
le  roi  l'a  commandé,  ce  serait  mal  à  moi  de  ne  pas 
y  aller. 

le  pbemier  sergent.  Savez-vous  le  chemin  de  son 
logis,  dites,  Rigaul? 

le  deuxième  sergent.  Oui,  Grossart,  ou  à  peu 
près.  Allons  ensemble  par  celle  rue.  Eh  !  regardez  ! 
Grossart,  il  me  semble  que  je  la  vois  là-bas. 

le  premier  sergent.  Vous  dites  vrai,  par  saint 
Eloi  !  Vous  la  connaissez  bien  :  c'e.sl  elie. 

SCÈNE  XL1V. 

LES   SERGENTS,  BÉTU1S. 

le  premier  sergent.  Demoiselle  Bélhis,  que  Dieu 
vous  garde  ['âme  cl  le  corps  ! 


la  dfmoiselle.  Et  Dieu  vous  soit  miséricordieux 
quand  vous  en  aurez  besoin,  Grossart!  Dites-moi  la 
vérité  :  Dieu  vous  garde!  quel  vent  vous  pousse? 

le  deuxième  sergent.  Bélhis,  vous  allez  le  savoir: 
le  roi  vous  envoie  chercher,  venez  bien  vile  auprès 
de  lui.  Ma  chère  amie,  nous  irons  avec  vous  et  nous 
vous  tiendrons  compagnie. 

la  demoiselle.  Seigneurs,  ce  n'est  certes  pas  mon 
intention  de  ne  pas  y  aller.  Marchons  sans  plus  lar- 
der, n'attendez  plus. 

le  premier  sergent.  Sire,  voici  Bélhis  que  vous 
demandez;  elle  s'esi  empressée  de  venir  aussitôt 
qu'elle  nous  a  entendu  dire  que  vous  la  mandiez. 

SCÈNE    XLV. 

LE    ROI,  BÉTHIS. 

le  roi.  Demoiselle,  soyez  la  bienvenue.  J'ai  quel- 
que chose  à  vous  demander.  Levez  la  main;  jurez 
sur  les  reliques  que  vous  me  direz  la  vérité ,  et  je 
vous  donne  nia  parole  qu'il  ne  vous  arrivera  rien  de 
mauvais.  Même  je  vous  tiens  quille  de  tout  méfait, 
si  vous  nie  dites  la  pure  vérité.  Mais,  si  vous  men- 
tez, sachez, 'à  n'en  pas  douter,  que  je  vous  ferai  trai- 
ter très-ignominieusement. 

la  demoiselle.  Cher  sire,  dussé-je  en  perdre  la 
vie,  certes,  je  ne  vous  mentirai  point;  je  dirai  la 
vérité  autant  que  je  la  saurai. 

le  roi.  Eh  bien,  dites-moi  comment  se  comporta 
ma  mère  quand  ma  femme  Osanne  enfanta,  car  je 
ne  puis  raisonnablement  croire  qu'il  n'ait  pas  été 
alors  commis  une  trahison.  Qui  y  était! 

la  demoiselle.  Ah!  cher  sire,  il  n'y  avait  à  l'en- 
fantement que  madame  votre  mère  et  moi  ;'mais, 
sire,  usez   de  pitié  à  mon  égard  :  je  vois  bien  que, 
si  je  vous  dis  et  découvre  la  vérité,    suivant  votre 
bon  plaisir,  je  suis  une  femme  morte. 

lï;  roi.  Parle  hardiment;  el  je  te  jure,  par  ma 
foi,  que  lu  n'auras  de  moi  aucun  mal.  Je  te  le  jure. 

la  demoiselle.  Sire,  je  me  mets  à  votre  merci. 
Au  moment  où  la  reine  en  travail  enfantait,  elle 
éprouva  des  souffrances  si  cruelles,  il  n'y  a  pas  à  en 
douter,  que  je  ne  sais  comment  elle  put  les  endurer, 
si  ce  n'est  par  la  permission  de  Dieu;  ce  n'était  pas 
étonnant,  car-,  chose  sans  pareille!  elle  s'élail  déli- 
vrée de  trois  bis.  Elle  nous  donna  beaucoup  de 
peine;  elle  resta  pendant  fort  longtemps  étendue 
et  sans  connaissance,  privée  de  mouvement,  et  sans 
prononcer  un  seul  mol,  comme  si  elle  fùl  morle. 
Alors,  votre  mère  me  commanda  de  prendre  les  en- 
fants, de  les  porter  sur-le-champ,  sans  attendre  da- 
vantage, dans  la  forêt,  de  les  y  étrangler  tous  trois, 
et  puis  de  les  couvrir  de  terre.  Or,  cher  sire,  crai- 
gnant de  m'allircr  son  ressentiment,  je  pris  sans 
retard  les  trois  fils,  je  les  emportai  au  bois,  et  je 
ne  cessai  point  de  marcher  jusqu'à  ce  que  je  vins  à 
la  houssaie.  Là  je  m'arrêtai  el  je  voulus  les  meure  à 
mort;  mais  au  moment  que  je  les  regardai,  ils  com- 
mencèrent à  me  sourire.  Alors  je  me  dis  à  moi- 
même  :  t  En  vérité,  il  faudrait  être  insensée  pour 
faire  du  mal  à  ces  innocents  qui  sourient  et  font 
si  bonne  mine.  Reviendrai-je  sur  mes  pas  avec 
eux?  Nuii,  je  les  laisserai  ici  après  les  a  voi  recouverts 
de  fougère,  i  C'est  ce  que  je  fis,  et  je  les  laissai; 
mais  je  ne  sais  ce  qu'ils  sont  devenus  depuis.  Je 
vous  dis  seulement  que  la  reine,  ma  chère  mailresse, 
dont  Dieu  ait  l'âme!  a  souffert  à  tort  une  mort  cruelle 
par  suite  delà  haine  de  votre  mère;  croyez-le,  cher 
sire. 

SCÈNE  XLVI. 

LES  MÊMES,   LE  CHARBONNIER. 

le  charbonnier.  Certainement,  seigneurs,  je  puis 
bien  dire  que  voilà  les  trois  enfants;  car,  parcelle 
croix,  je  vous  le  jure, lorsque  je  les  levai  de  lerre,  ils 
étaient  près  de  la  houssaie.  J'ai  voulu  les  élever,  et 
maintenant  ce  sont  de  beaux  enfants  :  je  n'en  do* 


9G1 


THl 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


THI 


9ni 


pas,  suivant  ce  qu'il  me  semlile,  en  valoir  moins  à 
vos  yeux  :  qu'en 'dites-vous? 

le  premier chevalieb.  Vous  diles  vrai,  mon  doux 
ami;  ce  ne  serait  pas  juste. 

le  deuxième  chevalier.  Oui  vraiment,  sire,  ce 
ne  le  serait  pas;  au  contraire,  il  devra  en  être  ré- 
compensé, et  je  crois  que  c'est  aussi  tla  volonté  du 
roi. 

le  roi.  Prud'homme,  n'aie  à  cet  égard  aucun 
souci  :  je  reconnaîtrai  bien  ce  que  lu  as  fait.  Je  te 
donnerai  tant  du  mien,  avant  qu'il  s'écoule  trois 
jours  entiers,  que  lu  n'auras  plus  besoin  de  vendre 
du  charbon. 

le  charbonnier.  Dieu  veuille  vous  rendre  tout  le 
bien  que  vous  me  ferez  ! 

le  roi.  Vous  aurez  tous  les  jours  dix  livres  à  dé- 
penser :  C'est  le  premier  point;  cela  ne  vous  man- 
quera pas.  Après  je  ferai  de  vous  l'un  de  mes  gens, 
et  je  vous  donnerai  robes,  chevaux  et  autres  biens. 

le  premier  chevalier.  Prud'homme,  considère-toi 
comme  riche  désormais. 

SCÈNE  XLVII. 

LES  MÊMES,  UN  MESSAGER. 

le  messager.  Il  faut  que  je  vous  parle  de  suite. 
Cher  sire,  j'apporte  des  nouvelles.  Les  Sarrasins 
sont  arrivés  au  port  de  Rance,  à  Perpignan  et  à 
Valence  et  jusqu'au  port  de  Gironde.  Us  sont  en  si 
gran  I  nombre  que  c'est  un  monde;  en  un  mot,  on 
ne  peut  les  compter.  Ils  font  grand  mal  au  pays,  cl 
ils  veulent  le  conquérir  par  les  armes.  Il  faut,  sire, 
ou  que  vous  veniez  en  délivrer  le  royaume  et  qu'on 
leur  livre  bientôt  bataille,  ou  que  les  gens  se  ren- 
dent. Sans  en  dire  plus,  ils  attendent  voue  réponse. 
Voici  les  lettres  du  pays;  ils  sont  de  jour  en  jour 
plus  fortement  harcelés  par  les  Sanasins. 

le  roi.  Messager,  retourne  sans  l'arrêter.  Dis 
aux  bourgeois  de  se  défendre  tant  qu'ils  pourront,  et 
de  m'attendra  en  loule  confiance  :  je  ne  leur  man- 
querai pas  dans  cette  nécessité,  et  je  serai  prés  d'eux 
dans  une  quinzaine,  au  plus  tard. 

le  messager.  Je  ferai  le  message;  adieu,  cher 
sire. 

SCÈNE  XLVIII. 

LES  MÊMES,  LE  HÉRAUT   D'ARMES. 

le  roi.  Seigneurs,  il  laut  se  tenir  prêts  àdéfendre 
le  pays  contre  les  Sarrasins  qui  veulent  le  conqué- 
rir si  Ton  n'y  apporte  remède  et  secours.  J'ordonne 
de  faire  proclamation  par  les  carrefours  que  nul  ne 
se  dispense  de  venir  sur-le-champ  après  moi;  je 
parle  de  ceux  qui  seront  en  âge  el  qui  pourront 
porter  les  armes.  Allez  me  chercher  lout  de  suite 
Pille-Avoine,  qui  est  chargé  de  fairede  ces  missions. 

le  deuxième  sergent.  Sire,  me  voilà  en  roule  ;  je 
ne  m'arrêterai  pas  que  je  ne  l'amène.  Je  le  vois  là- 
bas.  —  Holà,  Pille-Avoine!  le  roi  vous  mande  d'al- 
ler partout  crier  sur-le-champ  que  tous  ceux  qui 
pourront  porter  les  armes  se  rendent  à  l'armée  sans 
relard. 

pille-avoine.  Sire,  je  le  ferai  lout  de  tuile,  n'en 
douiez  nullement.  —  Petits  et  grands,  écoulez  :  Le 
roi  vous  fail  savoir  que  les  Sanasins  sont  venus  en 
force  sur  sa  terre  :  il  commande  à  tous,  faibles  el 
forts,  de  marcher  immédiatement  et  sans  retard  ;  car 
son  intention  est  de  livrer  bataille  pour  en  débar- 
rasser le  pays.  Et  celui  qui  différera  de  le  suivre 
après  que  celle  proclamation  aura  élé  faite,  sera  à 
la  merci  du  roi  :  niellez-vous  donc  tous  en  mesure 
sur-le-champ. 

le  DEUXIÈME  sergent.  Sire,  quand  il  vous  plaira, 
allons-nous-en,  la  proclamation  est  faite. 

le  roi.  Seigneurs,  pour  que  dans  celle  occasion 
Dieu  veuille  me  rendre  victorieux  à  son  honneur  et 
à  sa  gloire,  je  lui  fais  le  vœu  et  la  promesse  , 
s'il  me  donne  la  victoire,  d'aller  en  pèlerinage  au 
Sjiint-Sepulcre. 


LE     PREMIER     CHEVALIER.     Sire  ,     11101  lOMS-tîOI! S     dT\ 

roule  pour  aller,  si  nous  le  pouvons,  à  Valence;  car 
j'ai  l'idée  que  Dieu  nous  donnera  la  victoire;  et  dé- 
fera complètement  les  païens. 

le  roi.  S'il  plaîl  à  Dieu,  nous  en  viendrons  à 
bout.  Holà!  allons -nous-en  sans  délai,  el  sans  mus 
effrayer  de  rien  :  c'est  ce  (pie  nous  avons  de  mieux 
à  faire. 

LE    DEUXIÈME    CHEVALIER.   AlloilS,  Cl  que   Dieu  I101IS 

conduise  dans  ce  voyage! 

SCÈNE   XLIX. 

L'HÔTELIER,   SA  FEMME 

l'hôtelier.  Je  veux  vous  dire  une  pensée  que  j'ai  ; 
ma  femme,  écoutez-moi  un  peu;  voici  hr^iemps 
que  j'ai  le  désir  <le  parler. 

l'hôtelière.  S'ie,  dites  ce  qui  vous  p,aira  :  je 
vous  é  oulerai  volonlieis,  el  ne  vous  contredirai  eu 
rien  de  ce  qui  vous  semblera  bon. 

l'hôtelier.  Nous  sommes  seuls.  Je  veux  vous  de- 
mander un  avis.  Par  voire  foi,  que  pensez-vous  d'O- 
sanne? 

.  l'hôtelière.  Sire,  parla  foi  que  je  vous  dois!  on 
ne  peut  la  blâmer  en  rien;  au  contraire,  nous  devons 
tous  deux  l'aimer;  car  il  nous  est  arrivé  beaucoup 
de  bien  depuis  le  jour  qu'elle  vint  demeurer  céans. 
Sire,  pourquoi  me  demandez-vous  cela?  Veuillez, 
s'il  vous  plait,  nie  le  dire;  je  vous  en  prie. 

l'hôtelier.  Je  vous  le  dirai  sans  retard.  Je  me 
vois  sans  enfants,  ni  lils  ni  fille,  quoique  je  n'aie  pas 
laissé  passer  le  temps  sans  amasser  du  bien.  Mais 
j'ai  fait  peu  de  bonnes  œuvres  pour  Dieu,  'en  sorte 
(iue,  quoique  je  sois  au  lieu  où  Jésus  souffrit  sa  pas- 
sion, je  vous  déclare  que  mon  inlen  ion  esl  d'aller 
jusqu'à" Rome  la  grande;  voici  longtemps  que  j'en 
ai  le  désir  :  c'e>i  pourquoi  je  veux  me  mettre  en 
mesure,  donner  tous  mes  biens  à  Osanneelen  faire 
mon  héritière;  car,  dame,  en  vérité,  il  me  semble 
qu'elle  le  mérite  bien. 

l'hôtelière. Monseigneur,  votre  inteniion  esl  bonne, 
car  la  pauvre  créature  a  toujours  employé  ses  pei- 
nes el  ses  soins  à  garder  soigneusement  nos  biens  el 
à  nous  servir  lidelemeni  ;  elle  a  reçu  si  gracieuse- 
ment les  hôtes  que  nous  avons  eus,  que  l'on  s'en- 
voyait céans  à  l'envi  pour  les  bonnes  qualités  qu'on 
remarquait  en  elle;  el  puisque  nous  n'avons  pas  d'eu- 
fanls  el  que  depuis  plus  de  douze  ans  elle  nous  ser* 
sans  salaire,  il  esl  juste  qu'elle,  soit  récompenser. 
Dieu  merci!  nous  avons  assez.  Mais  quant  à  vol/e 
résolution  d'aller  à  Rome,  si  lel  esl  votre  plaisir, 
j'irai  avec  vous  et  je  lui  laisserai  ma  pari  des  biens, 
comme  vous  lui  laissez  la  vôire,  en  sorle  qu'elle 
sera  maîtresse  de  noue  avoir,  si  nous  trépassons 
en  ce  voyage.  Je  la  connais  {femme  à  ne  pas  le 
garder  à  noire  retour;  et  en  nous  attendant,  elle  fera 
des  aumônes  à  noire  intention. 

l'hôtelier.  Dame,  si  vous  passez  la  mer,  je  crains 
qu'elle  ne  vous  fasse  mal;  car  il  n'y  a  presque  per- 
sonne qui  la  passe  sans  rejeter,  en  vomissant  jus- 
qu'au sang,  ce  qu'il  a  dans  le  corps. 

l'hôtelière.  Avec  un  ami  aussi  franc  que  vous, 
je  ne  crains  rien;  je  supporterai  très-bien  la  fatigue, 
n'ayez  pas  peur. 

l'hôtelier.  Eh  bien!  écoutez  moi.  11  faut  parler 
à  Osanne  avant  notre  dépari  el  lui  faire  un  acie  de 
donation,  autrement  le  juge  pourrail-y  mettre  la 
main. 

l'hôtelière.  Sire,  pour  l'amour  de  Dieu,  faisons 
cei  acle  aujourd'hui  plutôt  que  demain. 

SCÈNE  L. 

LES  MÊMES,  OSANNE. 

l'hôtelier.  Nous  nous  en  allons  pour  quelque? 
instants  :  Osanne,  ne  bougez  pas  d'ici,  s'il  vient 
quelqu'un,  recevez-le,  ma  chère  amie. 


9<>5 


TIII 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TIH 


9U 


osanne.  Sire,  volonliers,  a  bras  ouverts  «l  comme 
il  faut. 
l'hôtelière.  Eu  vérité,  nous  ne  larderons  point. 

SCÈNE  LI. 

L'HÔTELIER,  L'HÔTELIÈRE  ,   LE  TABELLION. 

l'hôtelier.  Dame,  allons  tout  droit  chez  maître 
Pierre  le  Page  :  c'est  un  homme  sage  et  subtil,  et  il 
est  tabellion  île  Rome.  Nous  lui  exposerons  som- 
mairement notre  affaire,  et  il  nous  en  dressera  un 
acte  qu'il  nous  rendra  fait  et  signé. 

l'hôtelière.  Mais,  à  cette  heure,  ne  sera-t-il  pas 
à  dîner  ? 

l'hôtelier.  Nous  le  saurons  tout  de  suite.  Cela  va 
bien,  je  le  vois  qui  se  tient  à  sa  porte.  Allons.  — 
Maître,  que  Dieu  vous  donne  un  bonjour!  Il  fau- 
drait que  vous  nous  fissiez,  sans  retard,  un  peu  de 
besogne  que  je  vous  dirai. 

le  tabellion.  Dites,  et  je  vous  la  ferai  sans 
délai. 

l'hôtelier.  Ma  femme  et  moi,  nous  avons  résolu 
d'aller  à  Rome,  s'il  plaît  à  Dieu;  c'est  une  chose 
arrêtée.  Or  nous  voudrions  un. acte  par  lequel  fût 
héritière  et  maîtresse  absolue  de  nos  biens  notre 
chambrière  Osanne,  en  sorte  que  personne  ne  pût 
élever  de  discussion  à  ce  sujet.  Maître,  vous  m'en- 
tendez assez  bien  dans  celte  circonstance. 

le  tabellion.  Oui  vraiment,  n'en  doutez  pas  ;  je 
vais  vous  en  dresser  un  bon  et  bel  acte  que  je  vous 
porterai  :  est-ce  suffisant? 

l'hôtelière.  Bien  dit,  maître  Pierre,  oui.  Soit  ! 
nous_vous  attendrons,  et  pour  le  moment  nous  pre- 
nons congé  de  vous. 

le  tabellion.  Allez,  j'irai  chez  vous. 

l'hôtelier.  C'est  bien,  et  je  vous  payerai  très- 
volontiers  ce  que  vous  voudrez,  sans  qu'il  soit  be- 
soin d'arbitre  entre  nous. 

l'hôtelière.  Nous  avons  donc  fini.  Adieu,  maître. 
Retournons-nous-en,  sire. 

l'hôtelier.  Aussi  voulais-je  le  dire.  Allons,  en 
marche  ! 

l'hôtelière.  Volontiers,  sire,  et  sans  difficulté, 
sachez-le. 

SCÈNE  LU. 

l'hôtelier,  l'hôtelière,  osanne. 

l'hôtelier.  Osanne,  nous  n'avons  pas  demeuré 
trop  longtemps  où  nous  avons  été.  Hein  ?  je  crois 
que  nous  revenons  assez  promplement  :  qu'en  dites- 
vous? 

osanne.  Mon  doux  seigneur,  en  vérité,  vous  n'êtes 
pas  restés  longtemps.  Mais  pour  l'amour  de  Dieu  ! 
où  êies-vous  donc  allés? 

l'hôtelier.  Dame,  asseyez-vous  ici  près  de  moi. 
—  (A  Osanne.)  Approche,  j'ai  à  le  parler.  Depuis 
longtemps  j'avais  l'intention  d'aller  jusqu'à  Rome 
en  pèlerinage  à  Saint-Pierre  pour  obtenir  le  pardon 
de  mes  péchés.  Ta  dame  veut  venir  avec  moi. 
Comme  nous  t'avons  à  noire  service  reconnue  hon- 
nête, tranquille  el  discrète,  aussi  bien  que  loyale, 
si  je  ne  me  trompe,  nous  te  laissons  indivis  tous 
nos  liiens,  nous  te  faisons  notre  unique  héritière,  el 
nous  le  remettrons  un  acte  relatif  à  celte  donation, 
afin  de  mieux  te  mettre  en  possession  tant  des  meu- 
bles que  des  immeubles.  Maintenant  songe  à  faire 
en  sorte,  par  de  pieuses  pratiques,  des  aumônes, 
des  messes,  des  prières,  et  des  bonnes  œuvres  d'au- 
ires  espèces,  que  nous  puissions,  si  nous  sortons  de 
ce  inonde,  venir  au  repos  d'en-haul,  être  délivré  du 
purgatoire  et  voir  Dieu. 

osanne.  Je  vous  promels  d'y  pourvoir,  si  cela  esl 
nécessaire;  mais  je  désire  que  cela  n'arrive  pas,  el 
vous  remercie  beaucoup. 

SCÈNE  LUI. 

les  mêmes,  le  tabellion. 
Ui  TàUtLLlON.  Dieu  soit  céans!  Je  vous  vois  assis: 


oh  !  ne  bougez  pas  de  votre  place.  Je  vous  apporte 
votre  acte;  tenez,  sire. 

l'hôtelier.  C'est  bien,  vous  venez  fort  à  propos. 
Or  ça!  combien  vous  donnerai-je?  dites,  etje  payerai 
volontiers,  en  vérité. 

le  tabellion.  Je  ne  puis  en  avoir  moins  d'un 
franc  :  c'est  bon  marché. 

l'hôtelier.  Je  m'étais  muni  en  conséquence; 
tenez,  mon  maître. 

le  tabellion.  Que  Dieu  veuille  vous  mettre  en 
bonne  année!  Je  m'en  vais  ailleurs. 

l'hôtelière.  Eu  vérité,  il  me  semble  assez  cour- 
lois. 

l'hôtelier.  Dame,  il  est  bon  diable,  par  (ma)  foi  t 
—  Tiens  :  voici  ion  acte.  Osanne.  Maintenant,  si 
nous  le  faisons  du  bien,  fais-nous-en  aussi. 

osanne.  Monseigneur,  je  vous  remercie.  Certaine- 
ment, j'en  ferai  tant  que  vous  devrez  être  satisfait 
quand  vous  reviendrez. 

l'hôtelière.  M'ainie ,  nous  nous  (ions  à  vous 
pour  faire  bien  :  c'est  pourquoi  nous  laissons  tout 
en  vos  mains,  n'en  douiez  pas. 

l'hôtelier.  C'esl  vrai,  dame;  nous  laissons  tout. 
Mais  ne  parlons  plus  de  cela  ;  dépêchez-vous,  et 
niellons-nous  en  voyage. 

l'hôtelière.  De  bon  cœur.  C'est  fait.  Dites-moi 
en  ami,  ressemblé-je  bien  àunepèlerine  en  cet  équi- 
page? 

l'hôtelier.  Oui.  Sus,  sans  plus  de  relard,  par- 
lons :  il  en  esl  lemps.  —  Adieu,  Osanne.  Eh,  bon 
Dieu  !  ne  pleure  poini  après  nous. 

osanne.  Si,  mon  doux  seigneur;  certes,  je  ne 
puis  m'en  empêcher.  Laissez-moi  vous  accompagne? 
un  peu? 

l'hôtelier.  Nenni,  en  vérité,  je  ne  le  veux  point  ; 
demeure,  demeure. 

osanne.  Certes,  sire,  cela  me  fait  de  la  peine. 
Mais  puisque  vous  le  voulez,  adieu. 

SCÈNE  LIY. 

osanne,  seule. 

osanne.  Maintenant  il  me  faut  penser  à  gouver- 
ner la  maison  de  mon  mieux.  Je  ne  la  laisserai  pas 
déchoir,  elje  m'efforcerai  d'en  maintenir  l'achalan- 
dage, comme  depuis  douze  ans;  j'en  ai  l'habitude  et 
c'esl  bien  mon  intention. 

SCÈNE  LV. 

LE  ROI,  SES  FILS,  CHEVALIERS,   SERGENTS 
D'ARMES,   MÉNESTRELS. 

le  roi.  Seigneurs,  rentrons  sans  relard  en  mon 
palais,  dont  nous  partîmes  quand  nous  vînmes  dé- 
fendre ce  pays  des  Sarrasins,  et  faites  venir  tout  de 
suile  les  ménestrels  :  ils  feront  ce  qu'il  faut  pour 
nous  amuser  et  nous  exciter  à  la  joie  ;  en  vérité,  je 
le  veux  pour  l'amour  de  la  grande  victoire  que  nous 
avons  remporlée. 

le  deuxième  sergent  d'armes.  Je  vais  les  chercher 
sans  retard.  En  avant,  seigneurs  !  mettez-vous  tous 
en  mesure  de  venir  auprès  du  roi;  que  chacun  se 
hâte.  —  Très-cher  sire,  voici  les  ménestrels  que 
j'amène. 

le  premier  chevalier.  Allons  !  f.iiles  votre  mé- 
tier, sans  un  mot  de  plus,  pour  mettre  le  peuple  en 
joie,  et  prenez  par  ce  chemin  sans  plus  arrêter. 

le  roi.  Beaux  seigneurs,  je  ne  dois  pas  oublier  le 
vœu  que  j'ai  fait  :  ce  serait  une  trop  vilaine  action. 
La  victoire  que  nous  avons  obtenue,  certes,  n'est 
pas  venue  de  nous,  mais  de  Dieu  :  j'en  suis  persuadé 
pour  ma  pari.  En  effet,  nous  étions  à  peine  deux 
contre  une  douzaine.  Comme  il  esl  certain  aussi 
que  je  promis  à  Dieu,  si  je  remportais  la  victoire 
sur  mes  ennemis,  d'aller  le  prier  et  le  remercier  au 
Saint-Sépulcre  ;  je  veux  accomplir  mon  vœu  sans 
retard.  Désormais  donc,  je  vous  le  promels,  je  ne 
m'arrêterai  pas  que  je   ne  sois  au  lieu  où  Dieu  fut 


%l 


TU! 


battu  au  poteau  et  où  il  souffrit  sa  passion.  Telle, 
est  mou  intention,  mes  enfants;  et  je  veux  aussi 
que  vous  y  veniez  et  que  vous  me  teniez  compagnie. 
Le  ferez  vous  ? 

LE  premier  riLS.  Oui,  mon  très-clier  seigneur, 
nous  irons  tous  les  trois. 

I.E  DEUXIÈME  CHEVALIER.    Polir  I10US,  IlOUS   UC  VOUS 

laisserons  pas  ;  moi,  au  moins. 

le  premier  chevalier.  Très-cher  sire,  moi  de 
Biènie,  en  vérité,  sachez-le. 

le  premier  sergent.  Certes,  (lussé-je  n'y  avoir 
pour  vivre  que  du  pain  et  de  l'eau,  je  veux  y  aller, 
si  Dieu  me  donne  la  santé. 

le  deuxième  sergent.  Mon  très-cher  seigneur,  je 
le  ferai,  pourvu  que  cela  vous  plaise. 

le  roi.  C'est  liien,  que  chacun  se  taise  et  se 
tienne  coi.  Ail  z-moi  chercher  Pille-Avoine  :  il  a  élé 
dans  un  grand  nombre  de  pays,  à  ce  qu'on  me  dit. 

LE  PREMIER     SERGENT.    Tlès-CllCr    SÎTC,  j'y  vais.  — 

Holà,  holà,  Pille-Avoine!    holà,  hien   vile!    le  roi 
vous  envoie  chercher,  il  vous  demande. 
pille-avoine.  Je  vais  y  aller  de  grand  cœur. 

SCÈNE  LVI. 

LES  MEMES,  PILLE-AVOINE. 

pille-avolne.  Que  désirez-vous,  sire? 

le  roi.  Pille-Avoine,  j'ai  ouï  dire  que  vous  avez 
vu  maints  lieux  sauvages,  que  vous  savez  plusieurs 
langues  et  que  vous  êtes  allé  en  mainte  terre.  J'ai 
la  volonté  de  passer  la  nier,  et  veux,  en  vous  em- 
menant avec  moi,  vous  donner  un  nouvel  office  :  je 
vous  fais  mon  fourrier;  vous  aurez  donc  à  relenir 
des  logis  pour  moi  et  mes  gens.  Ja  crois  que  vous 
remplirez  mieux  cel  emploi  que  nul  autre  homme  de 
ma  cour  :  c'est  pourquoi  je  vous  prends. 

pille-avoine.  Cher  sire,  je  ne  vous  dédis  pas  :  je 
m'en  vais  donc  dès  l'heure  prendre  des  logements 
pour  vous  et  pour  vos  gens;  vous  y  descendrez  au- 
jourd'hui, sire,  et  vous  vous  y  reposerez  jusqu'à 
demain. 

le  roi.  Seigneurs,  je  vous  mène  dans  un  pays 
lointain  :  nous  n'aurons  pas  toutes  nos  aises;  con- 
tenions-nous de  loutce  que  nous  pourrons  avoir. 

LE  DEUXIÈME  CHEVALIER.  SailS    dOIllC,     il    le     faut, 

sire,  et  c'est  raison. 

SCÈNE  LVII. 

LN   VALET,   OSAÎSNE. 

le  valet  étranger.  Dites,  m'aniie,  n'est-ce  pas  ici 
la  maison  d'un  prud'homme  qui  est  allé  à  Rome  avec 
sa  femme  et  qui  avait  pour  chambrière  une  nom- 
mée Osanne.  C  est  là  le  nom. 

osanne.  Oui,  mon  ami,  soyez  le  hien  venu.  C'est 
moi  qui  suis  Osanne.  Pour  l'amour  de  Dieu,  quelle 
nouvelle  apportez- vous? 

le  valet.  Dame,  ils  sont  trépassés  tous  deux. 
Voilà  ma  nouvelle.  Si  vous  ne  croyez  pas  que  je 
dise  la  vérité,  voici  des  lettres  que  je  vous  apporte 
et  qui  marquent  comment  ils  sont  morts  à  l'issue 
d'un  port  qui  est  en  Chypre.  Mais  avaiy.  leur  mort 
ils  me  louèrent  pour  vous  apporter  ces  lettres  et 
pour  vous  dire  et  vous  prier  d'accomplir  votre  pro- 
messe, afin  que  Dieu  les  relire  de  la  tristesse  et  les 
nielle  dans  les  cieux. 

osanne.  Certes,  j'en  ferai  tant  que  Dieu  m'en 
saura  gré» 

le  valet.  S'ils  en  éprouvent  du  hien,  il  ne  vous  en 
sera  que  mieux.  Dante,  je  ne  veux  plus  en  parler  ; 
mais  aoicu;  je  m'en  retourne  au  lieu  d'où  je  viens, 
dame. 

osanne.  Mon  cher  ami,  que  Dieu  vous  guérisse  le 
corps  et  Pâme  ! 

SCÈNE  LV11I. 

LE    ROI,  SES   FILS   et    SES  GENS. 

pille-avoine.  Seigneurs,  vrai  comme  Evangile,  la 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTKRES.  Tïîl  9:>fi 

première  ville  dans  laquelle  vous  enlrerez  sera  Jé- 
rusalem. J'y  vaux  pour  vous  un  drogman,  pirsque 
j'entends  hien  le  latin  et  que  je  parle  le  sarrasin  et 
le  luic. 

le  premier  chevalIer.  Dieu  soit  loué  !  cela  va 
hien,  puisque  enfin,  après  une  si  longue  roule,  nous 
en  sommes  prés,  comme  in  dis. 

le  roi.  Allons,  va-t'en  doucement  savoir  où  nous 
nous  logerons;  pendant  ce  lemps-la  nous  le  suivrons 
à  notre  aise;  dépèche-loi. 

pille-avoine.  Très-cher  sire,  j'y  vais,  par  ma  foi  ' 

SCÈNE  LIX. 


er  ici, 


PILLE-AVOINE,   OSANNE. 

pille-avoine.  Daine,  si    nous    voulions  lo 
potirriez-vous  nous  procurer  des  vivres  et  des  lus 
pour  dix   hommes  dont  se   compose  notre  compa 

tr 
O 


doux  ami  ;    et  vous 


dix    hommes  dont   se   ce 
nie?  qu'en  dites-vous  ? 
osanne.   Oui,    certes,    mon 
pourrez  dire,  sans  tromperie,  que  vous  serez  logés 
dans  le  meilleur  hôtel  de  la  ville. 

pille-avoine.  C'est  hien,  ne  hougez  d'ici  :  je  re 
viendrai  tout  à  l'heure. 

SCÈNE  LX. 

PILLE-AVOINE  ,  LE  roi. 

pille-avoine.  Mon  cher  seigneur,  j'ai  pris  loge- 
ment pour  vous  dans  la  meilleure  hôtellerie  de  loule 
la  ville.  C'est  ce  que  l'on  m'en  a  dit.  Venez-vous-en. 

le  premier  chevalier.  Sire,  allons  d'ahord  au 
temple  pour  rendre  grâces  à  Dieu  et  le  remercier 
dévoiemenl  :  c'est  noire  devoir. 

le  deuxième  chevalier.  C'est  raison  de  la  part 
d'un  seigneur  tel  que  vous.  Pendant  ce  lemps-là, 
loi,  Pille-Avoine,  va,  prends  les  chambres  les  plus 
décentes  et  les  plus  agréables,  fais  faire  les  lils  et 
mets  les  labiés  pour  le  dîner. 

pille-avoine.  Je  saurai  bien  m'en  acquitter.  J'y 
vais  sur-le-champ. 

SCÈNE  LXI. 

LES    MÊMES. 

le  roi.  En  avant!  Poussons  jusqu'au  lemple;je 
ne  veux  m'arrèler  nulle  part  avant  d'y  être  entré. 

le  premier  sergent.  Mon  cher  seigneur,  entrez. 
Le  lempleesl  ouvert, et  surl'auiel  il  y  a  des  reliques 
découvertes. 

le  roi.  Doux  Jésus,  qui  dans  les  cantiques  êles 
appelé  1  époux  et  l'ami  des  saintes  aines,  au  milieu 
de  voire  saini  temple,  je  vous  remercie,  doux  Roi 
des  cieux ,  de  lous  les  bienfaits  dont  vous  m'avez 
comblé  et  que  vous  me  prodiguez  sans  cesse  de  jour 
en  jour.  Ah  ,  Seigneur!  veuillez  diriger  mes  actions 
ici-bas  de  manière  à  ce  qu'elles  profilent  à  mon  sa- 
lul.  Je  veux  ici  terminer  mon  oraison.  —  Seigneurs, 
il  est  lemps  d'aller  dîner  ;  demain  nous  reviendrons 
ici ,  s'il  plaît  à  Dieu ,  et  nous  y  entendrons  la  messe. 
Allons-nous-en. 

le  deuxième  sergent.  Par  sainle  Hélène!  je  n'ai 
pas  envie  de  vous  dédire. 

le  premier  chevalier.  Je  vois  là-has  Pille-Avoine 
qui  vient  commue  un  homme  pressé. 

pille-avoine.  Votre  dîner  se  gale,  monseigneur  : 
ce-sez  de  rêver.  —  Seigneurs,  engagez-le  à  venir; 
en  avant,  en  avant! 

le  deuxième  chevalier.  Nous  y  allons  ;  va  toujours 
devant  jusqu'à  la  porte. 

pille-avoine.  C'est  ce  que  je  fais  tant  (pie  je  peux; 
je  n'ai  pas  envie  de  rester  ici.  —  Dame,  voici  venir 
nos  gens  lous  ensemble. 

SCÈNE  LX1I. 

LES   MÊMES,  OSANNE. 

osanne.  Ce  sont  donc  eux ,  sire ,  qui  vous  suivent! 
iillk-avoine.  Je  vous  promets  qu'ils  ne  s'attendent 


961 


TIll 


m'importe;    \a   sans   délai,  fais-la 
vous  prie  de 


pas,  être  aussi  bien  qu'ils  seront  dans  leurs  chambres. 
—  Cher  sire,  c'est  ici.  —  tu  avant,  seigneurs,  cu- 
irez ions  ici  et  mettez-vous  à  table. 

le  premier  sergent.  Pour  être   plus  agréable  au 
roi ,  je  veux  servir. 

le  deuxième  sergent.  Moi  aussi ,  et  je  veux  des- 
servir, quand  il  en  sera  Ismps. 

le  roi.  Tous  vous  dînerez  aujourd'hui  à  ma  table. 
Hrolà,  de  l'eau!  Holà!  Je  veux  me  laveries  mains 
avant  de  m'asseoir. 

le  premier  sergent.  Certainement,  sire,  vous  al- 
lez en  avoir  en  abondance. 

osanne,  sans  être  vue.  Beau  sire  Dieu,  miséri- 
corde! comment  me  tirer  de  là?  quel  déguisement 
prendre?  Eh  quoi  !  le  roi  d'Aragon  lui-même.  Je  le 
reconnais  très-bien  à  sa  figure  et  à  sa  voix.  Certes  , 
je  suis  mo  le  s'il  m'envisage.  Courons  dans  ma 
chambre  m'affubler  d'un  grand  bonnet  et  me  rat  lier 
la  tète  et  la  ligure  de  telle  sorte  qu'il  ne  puisse  me 
reconnaître. 

le  premier  sergent.  La vcz-vous ;  sire,  (pie  Dieu 
veuille  vous  combler  de  grâces. 

le  roi.  Seigneurs,  je  veux  qu'on  fasse  venir  ici 
mon  hôte  el  mon  hôtesse  pour  dîner  :  il  serait  ridi- 
cule que  je  :ie  les  eusse  pas  avec  moi.  — Pille- 
Avoine,  allons!  mets- loi  eu  mesure  d'aller  les  cher- 
cher. 

pille-avoine.  Je  ferai  tout  de  suite  voire  comman- 
dement; mais  vous  n'aurez  que  la  dame. 

le  roi.  Pourquoi  ? 

pille-avoine.  Parce  que  c'est  une  veuve;  je  vous 
l'ai  dit. 

le  roi.  Peu 
venir. 

pille-avoine.  Dame,  monseigneur 
dîner  à  sa  laide  avec  lui;  venez. 

osanne.  Je  viens  de  déjeuner  à  l'instant  même ,  et 
.  il  faut  que  je  surveille  ici.  Remerciez-le  de  ma  part  ; 
je  n'irai  point. 

pille-avoine.  Si  fait  ,  car,  si  vous  ne  veniez  pas  , 
il  vous  en  saurait  très-mauvais  gré  ;  mais  que  ce  que 
je  vous  dis  soit  secret. 

osanne.  Sire,  j'ii'ai  donc,  puisqu'il  pourrait  m'en 
savoir  mauvais  gré.  Je  ne  veux  pas  m'atlirer  sa 
haine  :  eh  bien  donc!  j'y  vais. 

le  roi.  Allons ,  mon  hôtesse!   Je  veux  que,  pour 

celle  fois,  vous  soyez  assise  devant  moi;  car, Quand 

e  vois  une  femme  à  ma  table ,  j'en  suis  plus  joyeux. 

osanne.  Sire,  je  vous  prie  de  vouloir  bien  me  dis- 
penser de  m'y  asseoir. 

le  roi.  Cn  vérité  ,  vous  serez  assise  aussi  long- 
temps (pie  nous;  ne  faites  pas  de  cérémonies.  Allons! 
pensez  à  manger  ,  el  faites  bonne  min»! ,  dame.  Par 
votre  ime!  comment  vous  nommez-vous?  dites-le 
moi . 

osanne.  Servante,  sire,  en  vérité,  attendu  que 
je  sers  volontiers  grands  el  petits  ,  libres  et  serfs  ; 
je  m'appelle  Servante. 

le  roi.  Voilà  un  noble  renom  el  qui  devra  de  plus 
en  plus  vous  être  profitable.  Eh  ,  quoi?  daine,  Dieu 
vous  protège!  pourquoi  pleurez-vous? 

osanne.  Certes  ,  sire  ,  je  voudrais  mourir  quand 
je  me  souviens  de  mon  mari  ,  qui  est  mort  :  c'est 
pourquoi  j'ai  le  cœur  chagrin,  je  ne  puis  me  retenir. 

le  roi.  Dune  ,  je  n'en  parlerai  plus  désormais  :  je 
\ois  que  vous  n'êtes  pas  en  joie  ;  votre  oîiagri ;•  m'af- 
fecte, et  il  ne  peut  que  vous  faire  du  mal.  —  Allons! 
apportez-moi  de  quoi  me  laver;  desservez. 

le  deuxième  sergent.  Toul  de  suile,  cher  sire. 
Çà  !  toul  esl  prêt  :  lavez-vous. 

le  roi.  Vous  avez  bien  l'ail  liédir  cette  eau.  Verse, 
verse!  Dieu!  quelle  est  bonne!  Allons,  donnez-en 
.*  mon  hôlesse.  —  Lavez-vous,  mon  hôtesse. 

osanne.  Sire,  bien  qu'il  n'y  ail  pas  de  graisse  à 
mes  mains  ,  j'obéiraià  votre  commandement  ;  mais 
auparavant  je  mettrai  cet  anneau  ici  devant  moi. 

le  roi.  Daine  .  vous  plairait-il  de   me  vendre  cet 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  TIII  H53 

anneau  que  je    vois   ici  ?  M'amie  répondez  sur-le- 


(hamp   :  si  cela  vous  plaît,  je  vous  rachèterai  ,  et 
sachez  que  je  vous  en    donnerai  plus  qu'il  ne  vaut. 

osanne.  Sire ,  je  vous  prie,  r.e  veuillez  plus  le 
marchander  ainsi;  car  je  le  garderai  pour  l'a. iour 
d'un  chevalier,  qui,  en  vérité,  me  l'a  donr.é,  sre, 
et  qui  est  encore  dans  celte  ville.  Certes,  je  ne  le 
vendrai  jamais  de  ma  vie. 

le  roi.  Je  ne  sais  pas  d'où  il  lui  vint;  mais  autre- 
fois je  le  donnai  à  une  dame  que  j'aimais  foi  tel  qui 
est  passée  de  ce  momie  en  l'autre  Que  son  âme  soit 
en  paradis  nourrie  de  gloire  avec  les  sai.  ts!  car 
c'était  une  brave  dame  :  malheureusement  ma  mère 
la  fit  mourir  traîtreusement  el  sans  rai  on,  en  lut 
imputant  par  haine  une  action  très-honteuse  qu't lie 
n'avait  pas  commise  el  en  me  donnant  de  fans  avis 
sur  son  compte.  C'est  elle  qui,  je  vous  le  dis  bien,  por- 
ta neuf  mois  entiers  ces  trois  fils  ,  el  les  enfanta  tous 
en  un  'jour,  la  bonne  et  la  belle  !  Certes,  quand  il 
me 'souvient  d'elle,  men  cœur  se  serre  el  se  d  cidre 
tellement  que  je  suis  forcé  de  pleurer. — Ah,  Osanne, 
très-chère  sœur?  ah  !  mon  amie,  que  de  fois  je  sens 
pour  vous  une  grande  douleur  au  cœur. 

osanne.  Ah,  sire  roi  !  je  vous  défends  de  pleurer: 
je  nepuis  le  souffrir.  Je  veux  vous  montrer  mon  vi- 
sage à  découvert ,  et  à  vous  tous  tant  que  vous  êtes. 
Suis-je  Osanne  ?  que  vous  en  semble  ?  dites-le  moi. 

le  roi.  Chère  amie  ,  puisque  je  vou->  vois  ,  je  suis 
délivré  de  mon  amère  douleur.  —  Mes  enfants,  voici 
voire  mère,  elle  ne  peut  être  blâmée  de  personne. 
Eh  Dieu  !  elle  s'est  pâmée  d'attendrissement.  — 
Osanne,  ma  très  chère  amie,  je-  l'en  prie,  baise- 
moi.  —  Je  ne  sais  si  elle  m'entend. 

le  premier  chevalier.  Sire ,  elle  ne  peut  dire  un 
mot ,  auiani/le  joie  que  d'attendrissement  ;  laissez-la 
par  amitié,  revenir  à  elle. 

le  roi.  Je  ne  puis  plus  m'empècher  de  la  baiser 
cl  de  la  serrer  entre  mes  bras.  —  Ma  sœur,  faites 
trêve  à  voire  chagrin  cl  parlez- moi. 

osanne.  Ah!  mon  très- cher  seigneurie  roi!  que 
j'ai  eu  sans  cause  d'amères  peines,  et  le  tout  par 
voire  mère  ,  vous  le  savez. 

le  roi.  Dame,  c'esl  vrai ,  el  vous  en  avez  été  tel- 
lement vengée  que  Dieu  ,  qui  par  ses  jugements 
équitables  donne  à  chacun  ce  cèu'il  mérite  ,  l'a  frap- 
pée de  inoil  subite.  Son  corps  devint  aussi  noir  que 
de  l'encre,  je  vous  dis  la  vérité.  Maintenant  nous  ne 
nous  arrêterons  plus  ici;  mais  nous  vous  emmène- 
rons avec  joie  en  Aragon,  notre  patrie.  Faites 
promptemenl  venir  mes  ménestrels  pour  jouer ,  et 
mes  clercs  pour  bien  chanter,  pendant  la  route.  Ja- 
mais je  n'eus  une  aussi  grande  joie ,  personne  ne 
doit  en  douter. 

le  deuxième  chevalier.  Les  voici .  ils  so:  t  déjà 
venus.  Allons  loul  droit  par  ce  sentier.  — En  avant , 
seigneurs!  faites  votre  métier  p.mr  nous  ébattre. 

(Icy  les  ménestrels  jouent,  el  le  jeu  s'en  va.) 

TOMBEAU  DE  NOTRE-SEIGNEUR  (Le). 
—  Le  Hrob  Basij,  écrit  en  bohémien,  a  été 
publié  par  Hanka,  dans  son  Starobyla  Skla- 
danic,  I.  in,  p.  82-92,  et  t.  V,  p.  198-219, 
d'après  un  manuscrit  qu'il  prétend  être  du 
xme  siècle.  Ni  l'authenticité,  ni  la  date  n'en 
sont  pas  certaines;  il  n'en  a  point  été  donné 
de  traduction. 

TRÉPASSEMENT  DE  NOTRE-DAME 
(Le). —  Le  Trépas  Notre-Dame  fut  joué  en 
1501  à  Bélhuue.  (Cf.  De  Lafons-Méucocq, 
Extraits  de  chartes,  dans  les  Mél.  hist..,  pu- 
bliés par' M.  Clïampollion  Figeac  ,  t.  IV, 
p.  32G  ,  Coll.  des  Doc.  inéd.  de  Vllist.  de 
France) 

De  Reauchamps  [Recherches  sur  les  théâ- 
tres ;  Paris  1735,  in-8°,  1  vol.,  t.  Ier,  P.  22a), 


PC9 


TRE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES, 


TKO 


970 


et  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  (In La  Valliôre  (Dresde, 
1708,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  53),  ont  fait  men- 
tion d'un  Mystère  duTrespassemcnt. 

Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre. françois  (Paris,  15  vol.  in-12,  1735, 
t.  II,  p.  471-475),  en  ont  laissé  la  notice 
suivante  : 

mystere  du  trespassemem  nostre- 
dame(43G.) 

S'ensuit  le  Trespnssement  Nostre-Dame,  la- 
quelle fut  visitée  par  l'Ange  Gabriel ,  et 
clamée  des  Anges. 

DIEU  LE  PERE. 

Do'ilce  Marie,  Vierge  Dame 

Royne  de  Paradis  et  Dame, 

Dieu  ion  Filz  à  loy  se  m'envoye, 

Kl  ilicl  que  de  rien  ne  l'esmoye 

Des  choses  que  lu  oye  parler. 

Je  connoisl  la  vie  finel 

Eu  ce  monde  ,  plaiit  de  discours; 

Tu  n'y  seras  plus  que  trois  jours  , 

Au  tiers  ,  tu  te  ordonneras, 

Li  à  cely  trespasseras 

De  ccsiuy  monde  indurable  : 

Prendras  Royaulme  perdurable. 

Je  l'apporte  cesluy  rameau 

De  Palme,  lequel  est  moult  beau  : 

De  Paradis  je  le  l'apporte  ; 

El  te  dis,  quant  lu  seras  morte, 

Devant  loy  porter  le  feront 

Les  Aposlres  qui  là  seront , 

Afin  de  ton  corps  importer. 

MARIE. 

Loué  soit  Jésus  mon  doulx  Seigneur, 
Eutens  à  moy,  mon  loyal  amy 
El  irès-cher  Amour,  je  te  prye 
Les  Aposlres  fay  assembler , 
Llque  soyenl  à  mon  Trespasser. 

«  L'ange  Gabriel  vient  consoler  la  Vierge; 
pendant  ce  temps-là,  l'acteur  annonce  l'arri- 
vée des  apôtres. 

S.   I'IERRE. 

Dame  ,  je  le  vueil  demander  : 
Dis-nous  pourquoy  nous  a  mandez 
Sl-iosl  venir  eu  ta  maison? 
Dis-nous  si  c'est  pour  trayson? 

«  La  sainte  Vierge  leur  dit  qu'elle  ne  craint 
lien,  mais  qu'elle  va  quitter  ce  inonde. 

En  ceste  nuilz  ,  à  la  tierce  heure. 
jesi:s.  ' 

Pax  vobis. 
t'aix  soit  a  vous  lotis, 

Ma  doulec  mere,  etc.  barrasse  ,  dans   son  Traité  des  Images  ,  du 

«  Jésus  ordonne  aux   apôtres  d'ensevelir     <bre   pourquoi  l'on    représente    auprès    de 

Je  corps  de  la  Vierge  dans  un  tombeau  neuf,     saint  Nicolas  une  cuvette  d'où  sortent  trois 


dès  que  son  âme  en  sera    séparée,  et  d'y 
veiller  jusqu'au  troisième  jour. 

marie. 
Je  le  gracie  mon  Créateur, 
Père,  Eilz,ei  mon  Seigneur, 
Je  requières  ta  benisson. 

«  L'acteur  rend  compte  aux  spectateurs  de 
la  mort  de  la  sainte  Vierge,  dont  les  anges 
ont  enlevé  l'âme,  et  du  miracle  qui  arrive  à 
un  Juif  à  son  tombeau.  Au  bout  de  trois 
jours,  Jésus  survient,  emporte  son  corps  au 
ciel,  et  bénit  les  apôtres.  Le  mystère  finit 
par  une  prière  à  la  Vierge  Marie.  » 

TRIOMPHE  DES  NORMANDS  (Le). — 
Duverdier  (Bibliothèque  françoise,  p.  512], 
indique  l'édition  suivante: 

Le  Triumphe  des  Normands  traictant  de  V im- 
maculée Conception  Noslre-Dame  escrit  en 
rimes  par  personnages  par  Guillaume  Tas- 
serie.  —  Imprimé  à  Rouen,  in-octavo, 
sans  date. 

Les  frères  Parfait  (Hist.  du  théâtre  fran- 
çais, Paris,  15  vol.  in-12,  1735,  t.  II,  p.  261, 
et  562,  ont  répété  la  note  de  Duverdier. 

En  marge  de  l'exemplaire  de  leur  ou- 
vrage, appartenant  à  la  BibliolhèqueSainte- 
(ieneviève  (V,  2256),  on  lit  cette  note: 

Guillaume  Tasserie  «  a  composé  aussi 
beaucoup  do  ballades;  je  n'ai  jamais  pu 
trouver  son  mystère  que  manuscrit,  et  je  ne 
le  crois  pas  imprimé.  En  tous  cas,  je  vais 
l'éditer.»  a.  j.  — M.  Achille  Jubinal  n'a  pas 
encore  rempli  cet  engagement. 

TROIS  CLERCS  (Les).  Les  Trois  Clercs 
sont  tirés  du  Manuscrit  de  Saint-Benoît-sur- 
Loire,  où  ils  forment,  sous  le  titre  de  Second 
Miracle  de  saint  Nicolas,  la  seconde  partio 
de  ce  précieux  recueil. 

Le  manuscrit  date  du  xine  siècle  ,  et  rien 
n'empêche  de  croire  que  les  drames  qu'il 
nous  a  conservés  sont  antérieurs  ;  on  a 
pensé,  en  effet,  qu'ils  pouvaient  être  re- 
portés jusqu'au  xn*  et  même  jusqu'au  xi' 
siècle. 

Nous  avons  indiqué  à  l'article  Saint-Be- 
noit-sur-Loire  (Manuscrit  de),  les  différen- 
tes éditions  des  Miracles  de  saint  Nicolas, 
dont  les  Trois  Clercs  font  partie. 

L'abbé  Lebeuf  (Remarques  envoyées  d'Au- 
xerre,  6  décembre  1720  ;  Mercure  de  France, 
1729,  décembre,  p.  2986)  a  fait,  au  sujet  do 
ce  drame,  quelques  réflexions  parmi  les- 
quelles nous  notons  la  suivante  :  «  Mole- 
nus,  docteur  deLouvnin,  dit-il,  est  fort  em- 


(i3G)  Ce  mystère,  qui  n'a  jamais  paru  imprimé  , 
n'a  de  recommamlable  que  sa  rareté.  On  ignore  la 
date  de  sa  composition  et  de  sa  première  représen- 
laiion  ,  eu  cas  qu'il  en  ait  eu  ,  ce  que  nous  n'oserions 
assurer.  Il  est  repend  ml  certain  qu'il  lut  composé 
vers  le  milieu  du  xv«  siècle.  Ce  qui  nous  le  prouve, 
est  que  la  copie  manuscrite  qui  nous  en  a  été  com- 
muniquée à  la  Bibliothèque  du  Roi ,  cl  qui  en  même 
temps  est  la  seule  dont  on  ail  connaissance,  est  sui- 
vie d'un  petit  poème  écrit  de  la  même  main,  dont 

Diction n.  des  Mystères, 


voici  le  titre]  et  la  date  de  l'année  qu'il  fut  composé. 
«  S'ensuit  une  excellente  Méditation  des  looir- 
mens ,  lamentations ,  et  complaincles  que  faist  la  glo- 
rieuse Vierge  Marie  ,  des  peines,  doienrs.  Mort  et 
Passion  que  soullïisl  pour  nous  Nostre  Rédempteur, 
son  très-cber  Enfant  :  composé  par  ung  Charlrem 
de  Paris  n'aguéres  de  temps,  c'est  assavoir  m  if 
cccclx  cl  huit.  >  Ce  mystère  au  reste  est  in-4°  con- 
tenant 13  feuillets  ou  2tf  pages  à  23  vers  chacune  -, 


tenant  \a  ieuillels  ou  zb  pages 
et  peut  avoir  environ  fîOO  vers. 


31 


071 


TttO 


D1CTIOSNAIUE  DES  Ml  STERES. 


TKO 


973 


jeunos  gens...  Mais  il  semble  que  Molanus 
n'aurait  pas  dû  hésiter  à  dire  que  la  repré- 
sentation des  trois  jeunes  gens  tout  nus  au- 
près de  ce  saint  vient  de  ce  que  souvent  on 
t  représentait  au  public  réellement  et  sur  le 
théâtre  l'histoire  de  la  résurrection  des  trois 
jeunes  gens,  qui  fut  faite  par  le  saint  prélat. 
Il  était  naturel  qu'ils  figurassent  ensuite  les 
choses  comme  ils  les  avaient  tu  représenter 
sur  le  théâtre.  Les  traditions  populaires 
avaient  un  peu  varié  là-dessus,  puisqu'en 
certains  pays  on  disait  que  c'étaient  trois 
enfants  dont  les  chairs  avaient  été  taillées 
en  morceaux  et  salées...  » 

SECOND    MIRACLE    DE    SAINT    NICOLAS. 

PERSONNAGES. 

SAINT   NICOLAS.  LE   VIEILLARD. 

LE   PREMIER   CLERC.  LA    VIEILLE  FEMME,  épouse 

le  deuxième  —  du  vieillard. 

LE   TROISIÈME  —  LE   CHOEUR. 

le  premier  clerc' Nous  que  le  désir  d'apprendre 
a  conduits  parmi  les  peuples  étrangers,  lundis  que 
le  soleil  étend  encore  ses  rayons,  cherchons  un 
asile. 

ce  second  clerc.  Le  soleil  a  déjà  conduit  son 
char  au  rivage,  il  va  le  plonger  dans  les  ondes,  el 
ce  pays  nous  est  inconnu  ;  il  faut  donc  chercher  uu 
abri. 

le  troisième  clerc.  Nous  avons  ici  devant  les 
yeux  un  vieillard  d'a-spe  t  grave;  peul-ètre  louché 
de  nos  prières,  sera-t-il  noire  hôle. 

les  clercs,  parlant  ensemble  au  vieillard.  Cher 
liôlo,  nous  avons  quille  noire  pays  pour  étudier,  el 
nous  sommes  arrives  jusqu'ici  ;  donne-nous  l'hospi- 
talilé,  seulement  pendant  l'espace  d'une  nuit. 

le  vieillard.  (jue  le  Fauleui'  de  Tout  vous  loge, 
moi  je  ne  vous  donnerai  point  l'hospitalité;  quel 
profil  en   relirerais-je?  Je  n'y  vois  nul  avantage. 

les  clercs,  à  la  vieille  femme.  Chère  dame,  fais- 
nous  obtenir  ce  que  nous  demandons,  quoiqu'il  n'y 
aii  nul  profil  ;  peul-ètre,  pour  ce  bienfait,  Dieu  vous 
lionneru-t-il  un   enfant  ! 

la  femme,  au  vieillard.  La  charité  seule  nous 
oblige  au  moins,  ô  mon  époux,  à  donner  asile  à 
ceux  qui  voyagent  ainsi  pour  l'élude;  il  n'y  a  ni 
perle  ni  profit. 

le  vieillard,  à  6a  femme.  Je  cède  à  ion  désir,  et 
je  les  recevrai  dans  mon  logis.  (Aux  clercs.)  Appro- 
chez donc,  écoliers  ;  voire  demande  vous  csl  accor- 
dée. 

le  vieillard,  à  sa  femme,  pendant  le  sommeil  des 
clercs.  Vois  donc,  quelle  bourse;  il  y  a  là  bien  de 
l'argent,  el  ce  trésor  pourrait  nous  appartenir  sans 
que  nul  en  sût  jamais  rien. 

la  vieille  femme.  Mon  ho'nine,  nous  avons  sup- 
porté le  poids  de  lu  pauvreté  toute  noire  vie;  en 
tuant  ces  clercs,  nous  pouvons,  à  notre  gré,  éviter 
la  pauvreté.  Tire  donc  de  suite  ton  épée,  car  lu  peux, 
en  égorgeant  ces  gens  couchés,  être   riche  tout  le 

(137)  Daniel  (Thésaurus  Injmoloyicus...  L'psi;o, 
184M846,  3  vol.  in-8°,  t.  H,  p.  JbO)  a  publié  un 
Dialogue  entre  Madeleine  et  le  Christ,  reproduit  par 
M.  Edèlcsiand  Duméril  dans  ses  Origines  lutines  du 
théâtre  moderne.  (Paris,  1841),  gr.  iu-8°,  p.  45, 
uole  G.) 

madeleine.  O  juste  douleur,  éclate  enfin.  C'>mmoni.  me 
consoler?  ne  chenlié-je  pas  eu  vain?  Jésus  u  disparu. 
Ali  !  qui  me  l'a  enlevé?  celle  fleur,  mon  amour  1  Sia, 
sanglots!  larmes  brûlâmes!  mou  cnur  tsl  brisé  d'amour, 
brisé  pur  la  douleur  eo  mille  éclats. 

le  cubist.  tli  quoi,  femme,  pourquoi  lombr-s-lu  épui- 
sée daus  les  champs?  errante  dans  les  jardins,  dam,  les 
prairies,   quelle  fkur  cherches-tu  ?  Pourquoi  ces  bonnes 


reste  de  les  jours,  et  nul  ne  saura  ce  que  lu  auras 
l'ail. 

nicolas.  Voyageur  fatigué  du  chemin,  je  ne  pui* 
aller  plus  loin,  donnez-moi  donc,  je  vous  en  prie, 
l'hospitalité  pour  celle  nuit. 

le  vieillard,  à  sa  femme.  Recevrai-j'e  celui-là  au 
logis?  ma  chère  femme,  qu'en  penses-tu? 

la  vieille  femme,  Son  air  en  impose  étrange- 
ment, il  est  convenable  de  lui  donner  l'hospilaliié. 

le  vieillard.  Voyageur,  approche  davantage;  tu 
parais  un  homme  considérable.  Si  tu  veux  je  te 
donnerai  à  manger  et  je  m'efforcerai  de  satisfaire  à 
tous  les  désirs. 

nicolas,  à  table.  Je  ne  puis  rien  manger  de  toiu 
cela,  je  voudrais  de  la  chair  fraîche. 

LE  vjF.rLLAûD.  Je  le  donnerai  la  viande  que  j'ai, 
mais  je  n'ai  rien  de  plus  fiais. 

nicolas.  Tu  as  certes  proféré  un  mensonge,  (il 
n'as  que  irop  de  chair  fraîche  ;  n'as-tu  pas  celle  de 
ce  grand  crime  accompli  pour   l'amour  de  l'argent. 

le  vieillard  et  la  femme  ensemble.  Aie  pitié  de 
nous,  nous  l'en  supplions,  car  nous  te  confessons 
comme  un  saint  de  Dieu.  Notre  forfait  abominable 
n'est  pourtant  point  encore  en  dehors  de  pardon. 

nicolas.  Apportez  les  cadavres  des  victimes,  et 
que  vos  cœurs  soient  contrits!  Ils  vont  ressusciter 
par  la  giâce  de  Dieu,  et  vous,  vous  chercherez  voire 
grâce  dans  le  repentir. 

PRIÈRE   DE   SAINT    NICOLAS. 

Dieu  de  bonlé,  auteur  de  toutes  choses, 
Du  ciel,  de  la  terre,  de  l'air  et  de  l'océan, 
Ordonne  la  résurrection  des  victimes 
Et  prèle  l'oreille  aux  plaintes  des  meurtriers. 
tout  le  choeur  s'écrie  : 

Te  Deum  laudamus,  etc. 

TROIS  DOMS  (Les).  —  Ce  mystère,  joué 
à  Uomans  les  27,  28  et  29  mai,  aux  fêtes  de 
Pentecôte  de  l'an  1509,  comprenait  les  mys- 
tères de  saint  Séverin,  saint  Exupère  et  saint 
Félicien,  patrons  de  la  ville. 

Le  manuscrit  existait  encore  en  1787,  et 
le  Journal  de  Paris  de  celle  année,  n°  264, 
en  donne  une  analyse  très-mauvaise  el  très 
incomplète  ;    aujourd'hui  on   ne   retrouve 
plus  le  texte  original. 

•  M.  Giraud,  dans  son  livre  intitulé  :  Com- 
position, mise  en  scène  et  représentation  des 
Mystères  des  trois  Bonis  (Lyon,  Perrin,  1848, 
gr.  in-8°  de  132  p.),  a  donné  les  comptes 
écrits  dans  le  temps  môme  des  représenta- 
tions, des  sommes  qui  furent  dépensées. — 
Voy.  Saint  Séverin  ,  —  Saint  Exlpère,  — 
saint  Félicien. 

TROIS  MAGES  (Les).  —  Voy.  les  Trois 
Rois. 

TROIS  MARIES  (Les).  — On  connaît  sous 
le  nom  d'office  des  Trois  Maries,  les  rites  li- 
gures de  la  résurrection  (437).  —  Voy.  Ilé- 
surrection  :  I,  Rites  figurés. 

qui  mouillent,  et  ces  p. s  qui  dévastent  cet  étroit  es- 
pace ? 

wadei.eke.  On  a  enlevé  mon  maître.  Dis-moi,  où  Pa- 
t-on  niis?Ofi  I  qui  me  montrerait  ce  lis,  ce  dis  de  Dieu, 
mon  bien  aimé.  Est-ce  toi  qui  m'as  ravi  celte  fleur.  Parle, 
où  lus-tu  déposé.  J'y  cours,  je  vais  rejoiudre  mon  époux 
avec  la  joie  d'une  mère. 

le  christ.  C'est  moi,  Marie,  moi  qui  suis  celle  fleur 
de  délices  :  Je   suis  Jésus   le  Nazaréen,    ion  bieu-amié 
l'unique  élu,  l'élu  des  dix  mille. 

Madeleine.  O  Jésus,  mon  bon  maître,  combien  votre 
vue  me  réjouit.  Accorde  a  ma  passion  les  faveurs  de  les 
cliastes  el  étroits  euibrassemeols. 

jksds.  Ces  baisers  le  seront  refusés  Ici,  mais  dans  las 
cieux,  a  ma  vue,  dans  la  splendeur  des  feux,  tu  jouiras 
de  plus  près  du  fracas  de  ma  gloire. 


9.5 


TRO 


TROIS  ROIS  (Les).  —  Les  Trois  Rois  ont 
été,  pendaut  le  moyen  âge,  l'objet  «le  rites 
figurés,  de  scènes  dramatiques  et  de  pan- 
tomimes qui  se  sont  continuées  dans  l'in- 
térieur des  églises  ou  sur  les  places  publi- 
ques, presque  parallèlement,  depuis  le  xi" 
siècle  jusqu'à  nos  jours. 

Il  est  resté  de  ces  représentations  figu- 
rées et  de  ces  drames  un  certain  nombre 
de  débris  plus  ou  moins  considérables,  dont 
nous  donnons  ci-dessous  les  principaux  : 

I. 

RITES     FIGLRÉS. 

xu*  siècle. 
Solcure,  Fribourg,  Besançon.  —  Dans  son 
cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres,  en 
1835,  M.  Magnin  fit  remonter  jusqu'au  xu' 
siècle  l'usage  de  la  représentation  figurée 
des  Trois  Rois,  dont  M.  Moléon  avait  signa- 
lé les  vestiges.  (Cf.  Tourn.  gén.  de  VJnstr. 
publ.,  13  sept.  1835,  2e  semestre,  vie  art.,  p. 
478.)  Il  affirma  en  avoir  trouvé  dans  d'an- 
ciens rituels  d'analogues  sur  tout  le  chemin 
des  reliques  fameuses  transportées  de  Milan 
à  Cologne,  en  116*2;  Soleure,  Fribourg,  Be- 
sançon, célébraient  l'Office  de  l'Etoile;  dans 
celte  dernière  ville ,  cet  office  était  autre 
que  celui  de  Rouen. 

xiv*  siècle. 

1*  France.  —  Rouen. — DomMarlèneaédilé 
en  ces  termes,  d'après  des  manuscrits  du 
xive  etdu  xv'  siècle,  un  office  des  Trois  Rois. 
(Cf.  De  ant.  Ecoles,  discipl.;  Lyon,  1706,  in- 
4°,  p.  3,  et  De  anliq.  Eccles.  rilibus  ;  An- 
tuerp.,  1736,  in-fol.,  4  voL,  t.  111,  col. 
122.) 

Il  y  a  dans  les  anciens  Livres  des  Offi- 
ces du  diocèse  de  Rouen  un  Office  des 
Tnois  Rois,  que  nous  ne  pouvions  dérober 
à  la  piété  des  fidèles,  sans  encourir  le  re- 
proche de  mauvaise  grâce.  On  trouve  dans 
Jean  d'Ayrancbe  (  Joann.,  Abrinc.  ep.,  liber 
de  off.  eccl., cum  nolis  Job.  Prevotii  ;  Rouen, 
1G7U,  in-8")  la  mention  singulièrement  obs- 
cure d'un  Office  de  l'Etoile,  qui,  néanmoins 
pourrait  passer  pour  le  même  que  celui  des 
Trois  Rois  ci-dessous,  reproduit  d'après  les 
manuscrits  : 

Office  des  Trois  Rois  selon  l'usage  de  l'église 
de  Rouen.  4 

Le  jour  de  l'Epiphanie,  après  la  tierce, 
trois  chanoines  des  premières  stalles,  parés 
de  chappes  et  de  couronnes,  et  dont  les 
noms  sont  portés  au  tableau,  arrivent  de 
1  rois  cotés  devant  l'autel,  avec  leur  suite 
revêtue  de  tuniques  et  d'amicts,  et  chargée 
de  présents,  (dont  les  membres  ont  été 
pris  dans  les  stalles  du  second  rang  et  ins- 
crits au  tableau,  au  gré  du  scribe). 

Celui  des  trois  rois  qui  est  au  milieu  et 
qui  vient  du  côté  est  de  l'église  montre 
l'étoile  avec  sun  bâton. 

[le  premier'.]  L'étoile  est  étrangement,  brillante. 
le  BECUKB  noi  qui  vient  du  côté  droit.   Elle   nous 
montre  q:ic  le  Roi  dos  rois  esl  ne, 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  TRO  974 

le  troisième  not    qui  vient  de   gauche.  Les  an- 
tiennes prophéties  avaient  annoncé  sa  venue. 

_._. „{ I .      /',.„.„/         c' 


les  trois  mages,  réunis  devant  l'auiel,  s'embras- 
sent et  chantent  ensemble.  Marchons,  rherchons-le, 
pour  lui  oîTrir  les  présents,  for,  l'encens  cl  la 
myrrhe. 

A  la  fin,  le  chanlre  entonne  le  répons  : 
JUlagi  veniunt,  etc.,  et  la  procession  se  met 
en  mouvement.  On  dit,  s'il  le  faut,  le  second 
répons  :  Inlerrogabat  magos ,  etc.  La  pro- 
cession, arrivée  dans  le  vaisseau  de  l'Eglise. 
on  fait  halte  ;  mais  dès  qu'elle  a  commencé 
d'envahir  la  nef,  on  allume  les  cierges  [«la- 
cés au  milieu  d'une  couronne  qui  est  de- 
vant l'autel,  et  pour  figurer  l'étoile.  Les  Ma- 
ges se  montrent  l'étoile,  ils  vont  d'abord 
vers  l'image  de  sainte  Marie,  posée  sur  l'au- 
tel de  la  croix,  et  ils  chantent  ainsi  : 

[les  trois  mages.]  Celle  étoile  vue  en  Orient 
avant  (le  Clirisi]  marche  encore,  élincelante,  devant 
nous.  C'est  celle  étoile,  dis-je,  qui  annonce  celui 
qui  esl  Né  et  dont  Balaam  av;>.it  dit  :  Uneéloile  sor- 
tira de  Jacob  et  un  Homme  dTsfaël  s'élèvera,  et  ce- 
lui-là brisera  sous  lui  tous  les  conducteurs  des 
nations  étrangères, et  toute  la  terre  sera  en  sa  puis- 
sance. 

(A  ces  mots,  deux  chanoines  du  premier  rang,  en  dal- 
malique.  debout  de  chaque  côté  de  l'autel,  deman- 
deront doucement  :) 

[deux  du  premier  rang  des  stalles.]  Qui  sont 
ceux-là  qui,  sous  la  conduite  d'une  étoile ,  viennent 
à  nous  et  parlent  une  langue  étrangère. 

les  mages,  répondant.  INous  que  vous  voyez,  nous 
sommes  les  rois  de  Tarse,  de  l'Arabie  el  de  Saba. 
Nous  apportons  des  présents  au  roi  Christ,  au  Sei- 
gneur qui  esl  né;  nous  venons,  sous  la  conduite 
d'une  étoile,  pour  l'adorer. 

les  deux  [chanoines]  en  DAL5IA.TI0UE,  ouvrant  la 
courtine.  Voici  l'Enfant,  voici  celui  q,*.e  VOUS  '  her- 
chez,  liàlez-vous  de  l'adorer,  car  il  esl  le  Rédemp- 
teur du  monde. 

les  rois  se  prosternent  à  terre  el  saluent  ensemble 
l'Enfant.  Salut,  prince  des  siècles. 

in  homme  de  leur  suite,  prenant  l'or.  0  Roi,  re- 
çois cet  or.  El  il  r offre. 

le  second  roi  parle  ainsi,  en  offrant  l'encens.  0  toi 
qui  es    vraiment  Dieu,  prends  cet  encens. 

le  troisième  dit,  en  offrant  la  myrrhe,  qu'elle  est  le 
symbole  des  tombeaux. 

(Cependant  on  fait  l'offerte  au  clergé  el  au  peuple, 
après  en  avoir  réservé  deux  parts  aux  deux  cha- 
noines. Les  Mages  sont  en  prière,  et  font  semblant 
de  dormir.  Soudain  un  enfant,  au  pupitre,  vêtu  d'une 
aube  el  l'amicl  sur  la  tête,  figurant  l'ange,  dit  celle 
antienne  :) 

[l'ange.]  Toutes  les  prophéties  sont  accomplies; 
allez-vous-en  par  un   autre  chemin,  afin  de  ne  pas 
trahir  un  si  grand  Roi,  el  de  n'être  pas  punis. 
[A  la  fin,  les  liois  se  retirent  du  côté  de  l'église  oit 
sont  les  fonts  baptismaux;  ils  rentrent  dans  le  chœur 
par  le  côté  gauche,  la  procession  les  y  suit,  comme 
à  l'ordinaire   des   dimanches  ;   les   chantres    com- 
mencent s'il  le  faut,  le  répons:  Tria  suiil  numéro. 
y  Salmis,  etc.,  les  Rois  mènent  le    chœur  et    l'on 
chante  le  Kyrie,  fons  bonitaiis,  alléluia,  Sanclus, 
el  /'Agnus.) 

2°  Limoges.  —  L'église  de  Limoges  répé- 
tait annuellement,  dans  ses  rites  du  jour 
des  Rois,  une  scène  que  les  anciens  ordi- 
naires du  diocèse  ont  conservée,  et  que  d<>m 
Marlène  a  citée  d'après  des  manuscrits  da- 
tant au  moins  du  xiv*  siècle.  (De  antiq.  Ec- 
cles. disciplina;  Lyon ,  1706,  p.  1H,  et  /)« 


TRO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TIIO 


973 


tint.  Eccles.  ritibus ;  Antuerp.,  1736,  in-fol., 
i  vol.,  t.  III,  co!.  124.) 

»  L'ordinaire  de  l'église  de  Limoges  pres- 
crit ce  rile. 

(Après  le  clian!  de  V Offerte,  et  avant  de  s'y  présenter, 
TKOIS  DES  SERVANTS  DU  CHOEUR,  portant 
des  habits  en  soie,  sur  ta  tête  des  couronnes  d'or, 
dans  les  mains  des  ciboires  dorés  ou  quelqu  autre 
vase  précieux,  représentent  les  trois  rois  venant 
adorer  le  Seigneur.  Ils  entrent  par  la  porte  princi- 
pale du  chœur,  s'avancent  avec  majesté  enchantant 
celle  pelile  prose  :) 

<  0  jour  précieux,  magnifique  el  célèbre  !  jour  de 
l'annonce  du  Christ  qui  est  né,  de  la  paix  sur  la 
lerre,  de  la  gloire  dans  les  cieux  !  Un  signe  répand 
la  nouvelle  de  l'enfantement  dans  les  régions  orien- 
tales; les  Rois  d'Orient  aecourenl  sous  la  conduite 
d'une  étoile  ;  ils  accourent  ces  Rois,  el  adorent  Dieu 
dans  i'étahle  !  Trois  Rois  l'ont  hommage  à  un  seul; 
et  l'offrande  est  triple  !  > 

le  premier,  en  élevant  le  ciboire  (scyphum).  L'or, 
en  premier  lieu. 

le  second.  L'encens,  en  second  lieu. 

le  troisème.  La  myrrhe  est  le  troisième  présent. 

(Ensuite,  debout,  au  milieu  du  chœur,  l'un  d'eux 
élève  la  main  pour  montrer  l'étoile  qui  les  précède 
(elle  est  suspendue  h  une  corde),  el  il  chante  d'une 
intonation  plus  forte.  Voilà  le  signe  du  grand 
Roi.) 

Tous  les  trois  vont  vers  le  grand  autel  en  chantant. 
Allons,  cherchons-le,  offrons-lui  les  présents,  l'or, 
l'encens  et  la  myrrhe. 

(Ils  vont  à  l'Offerte  et  placent  sur  l'autel  leurs  vases 
précieux.) 

Aiors,  derrière  le  grand  autel,  un  enfant,  au  lieu 
de  l'ange  qui  parla  au  Roi,  entonne  ce  rhyihme.  Je  vous 
apporte  une  nouvelle  du  haut  des  cieux  :  le  Christ 
est  né;  il  est  né  en  Judée,  dans  Bethléem,  selon  les 
prophéties  antérieures,  le  Dominateur  de  l'Univers  ! 

(A  cette  voix,  les  Rois  sont  saisis  d'élonnement  el 
d'admiration.  Ils  s'en  retournent  par  la  porte  qui 
conduit  à  la  sacristie  en  chantant  l'Antienne  :  In 
Bethléem  nalus  est  Rex  Cœlorum.) 

Italie.  —  Milan.  —  Muratori  (Antiq.  ital. 
weed  œvi,  XII,  1017)  fait  mention  d'un 
ollice  de  l'Etoile,  qui,  en  1336,  subsistait 
encore  dans  le  couvent  des  frères  Prêcheurs 
de  Milan,  à  l'Epiphanie. 

\vine  siècle. 

Orléans,  Jargcau,  Angers,  Clermonl-Fer- 
rand.  —  Au  commencement  du  xvnr  siècle, 
de  Moléon  (Lebrun-Desmareltes),  dans  ses 
Voyages  liturgiques  en  France  (Paris,  1718, 
in-i°),  retrouvait  encore  les  usages  de  l'of- 
fice figuratif  dos  l'rois  Rois,  à  Orléans,  à 
Jargeau,  près  d'Orléans,  à  Angers  et  à  Cler- 
mont.  —  A  Orléans,  un  bréviaire  manuscrit 
du  xivc  siècle,  consulté  par  le  même  au- 
teur, parlait ,  «  au  jour  de  l'Epiphanie  ,  des 
trois  mystères  de  l'Adoration  des  Mages,  du 
Baptême  de  Jésus-Christ  et  de  son  Miracle 
aux  noces  de  Cana.  »  (P.  193.)  —  A  Cler- 
mont,  «  à  la  messe  de  minuit,  la  Pastourelle 
se  l'ait  encore  par  cinq  prêtres  et  par  un  prê- 
tre qui  conclut  la  cérémonie...  Les  paroles 
sont  à  peu  près  les  mêmes  qu'on,  disait  au- 
trefois à  Rouen.  »  [lbid.y  p.  76.) 


IL 


MYSTÈRES. 

1°  —  xie  siècle. 
Limoges.  —  Le  litre  du  mystère  des  Trois 
Rois  du  manuscrit  de  Saint-Martial  de  Li- 
moges, intitulé  :  Ilérode  ou  l'Adoration  des 
Mages,  nous  a  contraint  de  reporter  ce  drame 
h  Hérode.—  Voy.  Hérode, —  Saint  Martial 
de  Limoges  (Manuscrit  de). 

2»  —  xvc  siècle. 

Le  geu  des  Trois  Rois. 

Le  geu  des  Trois  Rois  est  tiré  du  manus- 
crit de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  à 
Paris. 

Il  date  du  uv'  siècle. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  français  ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Valiière  (Dresde, 
1708,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  30),  l'a  men- 
tionné pour  la  première  fois. 

Il  a  été  publié  par  M.  Achille  Jubinal, 
dans  les  Mystères  inédits  du  xv*  siècle  (Paris, 
1837,  in-S°,  2  vol.,  t.  II,  p.  79439). 

Les  acteurs  sont  au  nombre  de  douze  : 

baltazar,  roi    d'Arable,  notre- dame, 

melchion,  roi   de  Sézile.  joseph. 

jaspah,  roi  de  Tarée:  l'enfant  Jésus. 

trotemenu,  messager.  dieu  le  père. 

IIEUODE.  GABRIEL. 

Hermès,  conseiller  d'Ile-    le  semeur. 
rode. 

Premièrement  le  sermon.  L'auteur  se  place 
sous  la  proleclion  de  Marie,  et  raconte  lon- 
guement la  légende  des  trois  rois. 

Deuxièmement.  L*a<;tion  s'ouvre  par  le  dé- 
part des  trois  rois  d'Arable,  de  Sézile  et  de 
Tarcc,  pays  tributaires  de  Cologne,  selon  le 
puëte;  longtemps  ennemis,  les  trois  chefs, 
en  se  rencontrant  sur  le  chemin  de  Beth- 
léem, oublient  leurs  anciennes  querelles  et 
lient;  initié.  Tout  en  marchant  sous  la  con- 
duite de  l'étoile  merveilleuse  qui  les  pré- 
cède, un  doute  s'empare  de  leur  esprit;  sou- 
mis à  l'omnipotence  du  puissant  Hérode, 
«  grant  hoins entre  lez  homes,  »  ils  ne  peuvent 
[tasser  près  de  lui  sans  lui  rendre  leurs  de- 
voirs, ni  faire  la  démarche  très-grave,  dans 
les  idées  du  \\'  siècle,  d'un  nouvel  hom- 
mage, sans  lui  donner  avis.  Le  messager 
Trotemenu  a  vu  les  trois  rois  dans  le  che- 
min; en  sujet  fidèle,  il  court  prévenir  son 
seigneur  Hérode,  qui  le  renvoie  sommer, 
comme  suzerain,  les  feudataires  de  se  ren- 
dre à  sa  cour.  Ils  comparaissent  en  cll'ct,  et 
racontent  comment  ils  vont  adorer  le  Roi 
des  rois.  Cette  déclaration  laisse  Hérode 
étrangement  surpris.  Hermès,  son  conseil- 
ler, lui  apprend  que  les  prophètes  annon- 
cent ce  Roi  des  rois.  Epouvanté  ,  Hérode 
dissimule.  Il  feint,  auprès  des  trois  rois,  de 
voufoir  aussi  faire  hommage  à  Tentant,  et 
leur  demande  de  revenir  auprès  de  lui  quand 
ils  auront  a  trouvé  l'enfanl,  de  cuer  prié  et 
«  aouré,  servi,  amé  el  honouré...  » 

Troisièmement.  Les  trois  rois  ont  promis, 
sont  partis  et  arrivés  devant  Notre-Dame  qui 
lient  Jésus  dans  ses  bras.  liallhaz.r  d  Ara- 
ble offre  de   l'or,  «  car    or   sy  apaitienl  à 


077 


t:.o 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TRO 


973 


smgu- 


roy;  »  Mclchion,  lYncens  ;  Jaspar,  la  mirre, 
oignement  de  grande  vertu.  Noire-Dame  con- 
jure son  fils  de  garder  mémoire  des  trois 
rois,  et  de  les  avoir  en  sa  miséricorde  fu- 
ture ;  et  Joseph  leur  promet,  en  retour,  la 
fortune  et  la  santé  en  termes  assez 
Jiers  : 

JOSEPH. 

Traveillez  sont  de  tant  aler; 
Ey  prie  Dieu  dévotement 
Qui  lez  conduise  à  sainement, 
Car  ilz  n'ont  mie  estez  avers. 
Certes  beans  dons  ly  ont  nffers; 
Sy  leur  sera  bien  guerJonné. 

JOSEPH. 

Ils  doivent  être  las  d'un  si  long  voyage.  Aussi  je 
prie  Dieu  de  tout  mon  cœur  pour  qu'il  les  reconduise 
sains  et  saufs.  Eh  !  ils  n'ont  certes  pas  été  avares, 
et  nia  toi!  ils  ont  f:iil  là  de  beaux  cadeaux.  Sûre- 
ment ils  en  seront  un  jour  récompensés. 

Les  Mages  se  remettent  en  roule,  et  re- 
prennent d'abord  le  chemin  du  palais  d'Hé- 
rode.  Mais  Dieu  leur  envoie,  dans  leur  som- 
meil ,  l'ange  Gabriel  pour  les  avertir  de 
prendre  une  route  opposée.  Ils  obéissent  et 
disparaissent. 

Quatrièmement.  L'action  continue  néan- 
moins. Un  personnage  austère,  le  Semeur, 
symbole  populaire  du  travail,  de  la  sagesse 
et  de  la  foi,  apparaît,  labourant,  semant, 
suant,  souffrant,  courbé  sur  le  sillon;  il 
prend  la  parole  : 

LE   SEMEUR. 

Grant  temps  ce  que  je  oy  dire 
i.  proveibe  à  i.  grant  sire, 
Et  sy  disoit,  bien  m'en  souvient  : 
Qui  vcult  manger  ouvrer  convient 
Sy  n'a  renies  qui  le  souslicgne 
Dont  blé  et  vin  souvent  ly  vieugne, 
Il  n'est  roy,  duc  ne  emperière 
Tant  soit  sage  de  granl  manière 
Qui  sans  peine  povist  avoir  : 
Pour  ce  faull  faire  son  devoir. 
Qui  louz  jours  en  quoy  se  tend  roi  t 
Oiseure,  sy  l'afamineroil. 
Diex  dit  :  «  Aide-toy,  je  te  ayderai, 
«  Ou  se  senon  je  le  fauldray...  > 

LE    SEMEUR. 

Il  y  a  longtemps  que  j'ouïs  ce  proverbe  de  la  bou- 
che d'un  grand  seigneur;  il  disait,  et  }e  m'en  sou- 
viens bien  :  Celui  qui  veut  manger  doit  travailler. 
Quand  on  n'a  ni  rentes  pour  vivre,  ni  du  blé  ni  du 
vin  qui  se  renouvellent  souvent,  il  n'y  a  ni  duc,  ni 


p  lisse  rien  avoir  sans  travail.  Chacun  a  son  devoir 
à  i emplir.  Celui  que  l'oisiveté  tiendrait  Ions  les 
jours  inutile,  serait  bientôt  affamé.  Dieu  a  dit  :  Aide- 
toi,  je  t'aiderai;  sinon,  je  le  ferai  défaut...  » 

Cinquièmement.  Hérode  a  donné  l'ordre  du 
massacre  des  Innocents,  l'enfer  s'en  éb.t; 
mais  Dieu  a  envoyé  déjà  Raphaël  prévenir 
Joseph  et  Marie.  Ils  fuient;  le  Semeur  leur 
indique  la  route  d'Egypte,  et  cache  leur  pas- 
sage aux  meurtriers  qui  cberchent  la  trace 
des  fugitifs.  L'enfer  excite  Hérode  au  sui- 
cide, et  s'empare  de  son  âme;  Joseph  et  Ma- 
rie reviennent  à  Nazareth,  et  l'assemblée  en- 
tonne le  Te  Deum  final. 

5°  —  xvi*  siècle  (  lre  moitié). 

La  Bibliothèque  du  théâtre  françois,  ouvrage 
attribuéauduc  de  La  Vallière  (Dresde,  1768  ; 
in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  119),  fait  aussi  men- 
tion de  ce  mystère.  Les  frères  Parfait,  dans 
leur  Histoire  du  théâtre  françois  (Paris, 
1745  ;  15  vol.,  in-12,  t.  111,  p.  47,  48),  en  ont 
laissé  la  notice  suivante  : 

LE   JOYEUX    MYSTÈRE    DES   TROIS    ROIS.    A    dix- 

sept  Pcrsonnaiges,  composé  par  Jehan  d'A~ 
bondance,  Bazochien,  et  Notaire  Royal  de 
la  Vilte  du  Pont  Saint-Esprit  (437*). 

«  Ce  serait  ennuyer  le  lecteur  que  de  lui 
donner  un  extrait  circonstancié  de  cette 
pièce.  Il  suffit  dédire  que  l'histoire  est  sui- 
vie assez  passablement;  mais  pour  qu'on 
puisse  juger  de  la  versification  de  l'auteur, 
nous  allons  en  extraire  quelques  endroits. 

«  Un  ange  défend  aux  trois  rois  de  repas- 
ser chez  le  roi  Hérode,  comme  ils  l'avaient 
promis,  et  leur  ordonne  de  prendre  un  autre 
chemin. 

l'ange. 

Du  hault  Dieu,  Roy  allilonanl, 
De  Paradis,  suis  Messagier; 
El  pour  vous  garder  de  daugier, 
llelournez  par  aultre  chemin  : 
Car  Hérode,  félon,  malin, 
Tasche  de  vous  faire  mourir. 
Pour  son  ire  non  encourir, 
Vous  fault  autre  voye  choisir. 
S'il  vous  tenoyl  en  son  pouvoir,  etc. 

«  Voici  comment  Hérode  débute. 

Hault  Empereur,  Monarque  primitif, 
Sublimalif,  partout  dommatif, 
Sur  lous  vivants  je  suis  impératif, 
Superlatif,  si  puissant,  ne  chelif 
N'est  contre  moy,  ele   » 


roi,  ni   empereur,  tel  sage  et  savant    soil-il,   qui  Voy.  Abundance  (Jean  d). 


(437*)  Ce  mystère  des  Trois  Rois  n'est  point  im- 
punie, quoi  qu'en  ait  dit  Duvcrdier  (  page  (J35  de 
sa  Bibliothèque).  Il  n'exisle  que  manuscrit;  nous 
n'avons  pu  le  trouver  que  dans  le  cabinet  curieux 
de  M.  le  marquis  de  C"*,  à  qui  nous  sommes  rede- 
vable de  plusieurs  pièces  rares.  A  la  tête  de  cet  ou- 
vrage e>l  la  noie  suivante  que  nous  transcrirons 
ici  avec  plaisir,  en  faveur  des  amateurs  du  théâ- 
tre. 

<  Ce  mystère  est  aussi  rare  qu'aucun  de  tons  ceux 
qu'on  recherche  avec  lanl  de  soin;  j'ai  tire  celui-ci 
u'un  manuscrit  presque  indéchiffrable.  Le  farceur  de 


celte  pièce  (car  il  en  fallait  toujours  un  suivant  le 
génie  de  ce  lemps-là),  est  un  vilain  ou  un  paysan, 
à  qui  l'auteur  fait  toujours  parler  un  mauvais  pa- 
tois languedocien,  qui  donne  lieu  à  beaucoup  d'é- 
quivoques, avec  les  serviteurs  des  trois  Mages. 

i  11  n'y  a  nulle  division  particulière  en  différents 
aclcs,  mais  seulement  des  pauses  qui  annoncent  or- 
dinairement l'arrivée  de  quelqu'un  des  personnages, 
et  qui  doivent  par  conséquent  tenir  lieu  de  scènes. 
La  "devise  ou  le  dicton  de  Jean  d'Abondance  était 
Fin  sans  fin.  C'élail  parmi  ces  ouvriers  une  espèce 
de  signalement.  > 


979 


VAC 


DICTIONNAIRE  DE3  MYSTERES. 


VAL 


380 


4°  —  XTi'Jiède  U""  moitié). 

La  Comédie  de  l Adoration  des  trois  rois,  de 
la  reine  Marguerite  de  Navarre,  contenant 
près  de  seize  cents  vers,  a  été  mentionnée 
dans  la  Bibliothèque  du  théâtre  français,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Yallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  1er,  p.  120)  ;  et  analy- 
sée par  les  frères  Parfait  dans  leur  Histoire 
du  théâtre  français,  (Paris,  1745,  15vo!.in-12, 
t.  111,  p.  63,  64.) 

COMEDIE   VZ    L'ADORATION  DES  TROIS    ROIS 
A    JÉSLS-CHRIST    (438j. 

«  Pour  étendre  ses  grâces  sur  les  na- 
tions les  plus  éloignées,  Dieu  ordonne  à 
Philosophie,  ïrihulation  et  Inspiration,  d'a- 
mener les  trois  mages  à  la  connaissance  du 
Messie  rpui  vient  de  naître.  Balthasar,  éclairé 
par  Philosophie,  se  détermine  aisément  à 
l'accompagner.  Tribulation  fait  périr  tous 
les  parents  et  amis  de  Melchior,  et  par  ce 
moyen  le  force  à  la  suivre;  et  Gaspard,  ne 
pouvant  résister  aux  conseils  d'Inspiration, 
s'abandonne  à  sa  conduite.  Ces  trois  puis- 
sances mènent,  de  cette  manière,  les  mages 
a  l'intelligence  divine;  elle  les  instruit  et 
leur  donne  l'étoile  pour  guide.  C'est  en  sui- 
vant ce  conducteur,  que  les  trois  rois  arri- 
^enl  à  la  crèche  pour  y  adorer  le  Maître  du 
monde,  et  lui  offrir  des  présents. 

GASPARD. 

J'.!}'  créa,  j'ay  yen  ;  mais,  D.r.ne,  ta  parole, 
M'a  c  ulirmé  lanl  que  m'y  veux  tenir. 
Par  loy  je  sens  que  mon  ame  s'envole 
A  son  Espoux,  sans  plus  vouloir  tenir, 
Au  inonde  bas;  parce  que  retenir 
Elle  a  bien  sceu  ta  parole,  et  tes  dits. 


Pour  à  son  Dieu  pouvoir  fost  parvenir. 
Mu  ri  el  tourment  luy  semblent  Paradis. 

-<  Les  mages  se  retirent,  et,  suivant  l'aver- 
tissement des  anges.,  ils  s'en  retournent 
sans  passer  chez  Rérode.  » 

Yoy.  Marguerite  de  Navarre. 
5°  —  iwii"  siècle. 

Allemagne.—  On  lit  dans  Martin  Gerberf, 
moine  de  l'abbaye  de  Saint-Biaise  dans  la 
Forêt-Noire  [De  eantu  el  musica  sacra  a 
prima  ecclesiœ  œtate  usque  ad  prœsens  tem- 
pus,  auctore  Martin  G'erb....;  San-Blasianis. 
J774,  in-4%2  vol.,  t.  II,  p.  82)  :  «Notre  mo- 
nastère possédait  encore  en  1768,  où  tout  pé- 
rit dans  un  épouvantable  incendie,  le  manus- 
crit d'un  Jeu  des  trois  Mages.  Dans  ce  mys- 
tère, qui  jouissait  d'une  grande  réputation, 
les  rôles  des  trois  mages  étaient  d'ordinaire 
joués  par  les  représentants  des  plus  grandes 
familles  des  environs,  soit  parle  comte  de 
Lupfen,  soit  par  le  comte  deFurstenberg.  » 

III. 

Pnniosnimes. 

Les  trois  Rois,  dans  le  cours  du  moyen 
âge,  ont  été  le  sujet  de  pantomimes  aux  en- 
trées des  rois  à  Paris,  que  rapportent  divers 
historiens.  En  1378,  le  continuateur  de  Guil- 
laume de  Nangis  raconte  que,  le  jour  de  l'E- 
piphanie, le  roi  de  France  allait,'  à  l'instar 
des  Mages,  offrir  l'or,  l'encens  et  la  myrrhe. 
Godefroi  de  Paris  (Chroniq.  métrique,  p.  190, 
191)  rapporte  un  fait  analogue.  Ln  1431,  ou 
les  représentai!  «  par  personnages,  sans  par- 
ler »  à  l'entrée  d'Henri  VI,  roi  d'Angleterre. 
Le  même  spectacle  se  retrouve,  en  1504,  à 
l'entrée  de  la  reine  Anne  de  Bretagne  {Regis- 
tres de  l'Hôtel  dv  Ville),  à  Paris  (439).  '  ■ 


y 


VACHE  GRISE  (La).—  Une  ancienne  re- 
devance attribuait  un  nombre  assez  considé- 
rable de  mesures  de  blé  aux  principaux 
membres  du  clergé  d'Auxerre,  et  au  célé- 
brant la  messe  le  jour  de  la  fête  de  saint  Ai- 
gnan;  cette  redevance  portant  le  nom  de  la 
Vache  grise  (Vacca  varia) ,  on  en  a  conclu 
qu'il  existait,  dans  les  usages  de  la  fête  des 
Fous,  un  Office  de  la  Vache,  comme  de  Y  Ane 
ou  du  Bœuf.  (Cf.  Dv   Casge,  Gloss.  inf.  et 

(iô8)  Ce  mystère  contient  environ  seize  cents 
vers. 

(17)91  Un  office  des  Mages  du  xi*  siècle  est  con- 
servé dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Mu- 
nich. n0  6-20 i.  A,  fol.  t.  (Cf.  M.  Edelesland  Doié- 
bil,  Origines  latines  du  théâtre  mod.;  Paris,  1849, 
in-8',  p.  15(3.)  M.  Denis [Codie.  man.iheol.  bibt.  pa- 
iat.  vindab.  t.  Ier,  col.  5049  )  signale  tin  Office  des 
Mages  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de 
Vienne.  n°  941,  datant  du  xiv  siècle  •  nous  y  re- 
marquons ce  passage  : 

l'étoile.  Apportez  au  Fils  de  Dieu  le?  parfums  de 
Saba,  il  joiui  à  l'Arabe,  peuples  èlraugers,  en  avant,  l'or, 
la  myrrhe,.. 

le  r-nftTECR  d'ob.  O'i'esl-ceque  cette  étoile  ? 

LE  PORiEL'H  DE  PARFUMS.  O  Sllipetirl 

i.e  P'IRtei  r  de  mvrrhf..  Lumière  nom  elle  ! 


mcd.  tat.,  éd.  Henscheil  ;  Paris,  184G,  in-4° 
G  vol.,  t.  VI,  p.  714,  V  Vacca  varia.) 

VÂLENTiN  (Saint).  —  Ce  mystère,  du 
xvi'  siècle,  est  tiré  du  manuscrit"de  la  Bi- 
bliothèque impériale,  n°  720S,  4.  B.,  intitulé 
Miracles  de  Notre-Dame. 

MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel,  dans  leur 
Théâtre  français  au  moyen  âge  (Paris,  1839, 
gr.  in-8°,  p.  29V,  327),  en  ont  donné  une  édi- 

le  premier.  Que!  éclit. 
le DEiMi.ME.  Le  soleil  eu  pâlit. 
ls  troisième.  La  lune  s'eiiace. 
le  premieii.  Quel  feu!  etc. 

On  trouve  les  Trois  Rois  dans  la  huitième  el  la 
neuvième  pièce  du  Chester  )Yhilsi<n  plays ,  la  dou- 
zième du  Towneley  mysterics,  el  la  dix-huitième  dn 
Ludus  copentriœ.  Collier  (Annals  of  thé  stage,  I.  I«% 
)».  52)  mentionne,  sous  la  date  de  1508,  une  repré- 
seniation  des  Trois  Rois  à  la  cour  d'Angleterre. 

(îtialvaneo  de  la  Flaniina  (De  rébus  gesns  Azonis 
vicecomiiis)  a  conservé  le  souvenir  d'une  représen- 
tation figurée  des  Trois  Maget  en  1320  el  eu  Italie. 
(Cf.  Miratori,  Rer.  Italie. scriplor.,  t.  XII,  col.  KM?.) 

En  Portugal,  VAu'.o  de  los  reges  inag<>$  île  Gil  VI- 
reute. 


S81 


VAL 


DICTIONN'AIUE  DES  MYSTERES. 


VAL 


98* 


tion  unique  jusqu'ici,  et  une  version  en  fran- 
çais moderne. 

Les  personnes  sont  au  nombre  de  vingt- 
deux. 


VAl.ENTIN. 

l'empereur. 

PREMIER  SERGENT. 
DEUXIÈME      id. 
CHATON. 

LE  FILS   DE  L'EMPEREUR. 
LE  CHEVALIER. 
I.E  FILS  DE   CHATON. 
JO-IAS,  PREMIER  ÉCOLIER. 
DORECH,   DEUXIÈME. 
JOSEPH,  TROISIÈME. 


buzi,  quatrième, 
le  cinquième, 
l'innermien. 

DIEU. 

NOTRE-DAME. 

LE  PREMIER  ANGE. 

DEUXIÈME  ANGE. 

GABRIEL. 

vide-bourse,  geôlier. 

PREMIER  DIABLE. 
DEUXIÈME     id. 


Le  titra  est  conçu  dans  les  termes  sui- 
vants : 

Ici  commence  un  miracle  de  Saint  Valentin 
qu'un  empereur  fit  décoller  devant  sa  ta- 
ule, et  aussitôt  le  dit  empereur  fut  étranglé 
par  un  os  gui  lui  traversa  la  gorge;  et  les 
diables  l'emportèrent. 

UN    MIRACLE    DE   SAINT    VALENTIN. 

SCÈNE  V 
l'empereur,  sergents  d'armes 

l'empereur.  Beaux  seigneurs. 

les  sergents.  Que  vous  plaîl-il,  cher  sire? 

l'empereur.  Allez- moi  dire  toiil  de  suile  au  s.ige 
<lalou  que  je  le  demande,  el  que  pour  cause  je  lui 
yiande  qu'il  vienne  ici. 

le  premier  sergent.  Cel  i  lui  sera  dit  lexlm'lle- 
menl,  sire,  comme  vous  le  commandez,  et  que  vous 
le  demandez  en  loule  hàle. 

SCÈNE  II. 
sergents  d'armes,  caton,  le  premier. 

SERGENT. 

le  premier  sercent.  Allons  le  chercher. 

deuxième  sergent.  Allons,  prcnor.s  par  ici  :  m'est 
avis  que  c'est  le  plus  court.  Je  le  vois  là  au  milieu 
(te  sa  cour,  c'est  bien  tombé. 

premier  sergent.  Sire,  que  Mahomet  vous  donne 
un  bon  jour!  L'empereur  vous  emoie  chercher  :  ve- 
nez donc  bien  vite  vers  lui,  puisqu'il  vous  mande. 

caton.  Seigneurs,  j'obéirai  de  grand  cœur  à  son 
ordre;  je  suis  tout  prêt  :  allons,  parlons! 

SCÈNE  III. 

caton,  chevaliers  ,  l'empereur,  son  fils. 

CATON. 

caton.  Sire,  que  nos  dieux,  vous  liennenl  en  hon- 
neur cl  vous  donnent  des  jours  heureux! 

l'empereur.  Qu'il  en  soit  ainsi  !  je  le  désire.  — 
Maître  Caton,  voici  pourquoi  je  vous  ai  mandé  au- 
près de  moi  :  j'ai  l'intention  de  vous  donner  mon 
fil«,  pour  que  vous  l'instruisiez.  Il  esl,  dès  à  pré- 
sent, assez  grand  pour  recevoir  vos  leçons.  Ainsi, 
emmenez-le,  car  je  veux  qu'il  soil  lettre.  Je  vous  prie 
de  lui  consacrer  tous  vos  soins  el  loule  votre  alleu* 
l'ion. 

caton.  Cher  sire,  pourvu  qu'il  y  consente  el  qu'il 
s'en  donne  la  peine,  je  le  ferai  bientôt  clerc.  —  Mais 
d  les-moi,  mon  doux  enfant,  travaillerez-vous  bien 
I  o  ir  être  clerc? 

le  fils  de  l'empereur.  Oui,  maître  ,  sans  négli- 
gence, suivant  mes  forces. 

le  chevalier.  En  vérité,  il  répond  sagement  pour 
un  euf.uit. 

caton.  Veuillez  me  donner  la  permission  de  me 
retirer;  très-cher  sire;  car  je  crains  de  larder  trop 
kmglemps  à  aller  lire. 


l'empereur.  Matlre,  allez-  oonc  sous  de  bons  aus- 
pices ;  prenez  soin  de  mon  «ils. — Vous  deux,  accom- 
pagnez tout  de  suite. 

deuxième  sergent.  Sire,  nous  exécuterons  vos  or- 
dres de  bon  cœur. 

SCÈNE  IV. 

CATON,   SON   FILS. 

le  fils  de  caton.  Hélas!  que  je  m'ennuie  d'être 
couché!  Hélas!  sous  quelle  étoile  suis-je  né  !  Hélas! 
suis-je  destiné  à  supporter  longtemps  encore  cette 
langueur,  celle  souffrance  el  celle  maladie  qui  me 
consume  el  me  hrise!  Hélas!  il  m'est  avis  que  l'on 
me  rompt  el  que  Ton  me  tranche  les  nerfs.  Jamais 
personne  ne  Supporta  un  mal  aussi  cruel  (pie  celui 
que  je  souffre,  .le  n'ai  plus  ni  joie  ni  plaisir.  Ah, 
père!  je  ne  sais  que  dire  :  je  souffre  trop  el  ressens 
un  trop  grand  mal  dans  le  corps. 

caton.  Cher  fils,  que  nos  dieux  te  soient  doux, 
miséricordieux  el  propices,  et  qu'en  vertu  de  leur 
bonté  el  de  leur  puissance  ils  le  guérissent  bientôt 
de  ce  mal  cruel!  car  mon  cœur  en  éprouve  plus  de 
chagrin  que  j<:  ne  puis  dire.  Chose  étrange,  incroya- 
ble! Comment  ne  peut-on  trouver  un  médecin  qui 
connaisse  ta  maladie.  J'ai  en  vain  fait  chercher  par~, 
tout  une  consultation  pour  loi. 

SCÈNE  V. 

C  VTûN,   ÉCOLIERS,  JOSIAS,  BORECH,  JOSEPH, 
IilZI. 

le  premier  écolier.  Maître,  voudriez-vous  m'écon- 
ler  au  sujet  de  votre  lils,  qui  esl  mon  maître,  el  que 
personne  ne  sait  comment  traiter?  Par  nos  dieux! 
c'est  grand  dommage.  Je  veux  vous  découvrir  ma 
pensée.  Dans  la  Nervie,  où  je  suis  né,  il  y  a  nn 
homme  (tenez  ceci  pour  vrai  cl  certain)  qui  esl  plein 
de  si  grande  sainteté  ,  si  juste  el  si  pur  de  lout  pé- 
ché, qu'il  n'esl  mal  dont  homme  ou  femme  soient  af- 
fligés, qu'il  ne  renvoie  guéris,  après  les  avoir  vus. 
C'est  ce  qui  esl  arrive  envers  nn  grand  nombre  de 
personnes,  et  il  ne  prend  ni  salaire  ni  argent.  Sire, 
laites  donc  mener  votre  fils  auprès  de  lui,  et  je  suis 
convaincu  que  le  saint  homme,  l'ayant  vu,  le  ren- 
verra radicalement  guéri. 

caton.  Josias,  son  mal  esl  si  violent  qu'il  ne  pour- 
rail  supporter  le  voyage.  Penscs-lu  qu'il  vive  en- 
core longtemps? 

premier  écolier.  Maître,  n'en  doutez  pas.  Après, 
tout,  il  vit,  à  moins  qu'il  ne  soit  trépassé  seulement 
depuis  deux  jours. 

dorech,  second  écolier.  Maître,  vous  êtes  assez  ri- 
che ;  je  vous  dirai  ce  que  je  ferais  (à  votre  place)  : 
j'enverrais  un  beau  et  riche  joyau  au  nervien,  en  le 
suppliant  de  venir  ici.  S'il  lient  à  garder  le  joyau, 
il  viendra,  je  n'en  fais  aucun  doute;  dans  tous  les." 
cas,  il  peut  donner  par  écrit,  de  point  en  point,  le 
traitement  nécessaire  pour  rendre  la  santé  à  voire 
lils.  Maître,  n'hésiiez  pas. 

Joseph,  troisième  écolier.  Dorech  a  dit  ce  qu'il  eu. 
peut  être  el  ce  qui  doit  naturellement  arriver  :  ou 
vous  le  verrez  venir  ici,  ou  il  ne  recevra  pas  le  pré- 
sent. Envoyez-y  donc  tout  de  suile  :  vous,  agirez 
sagement. 

caton.  Seigneurs,  je  m'en  rapporte  à  vous.  Mais 
il  me  faut  un  homme  sage,  capable  de  faire  cette 
coin  mission  et  de  bien  parler. 

buzi  ,  quatrième  écolier.  Maître,  je  m'offre  volon- 
tiers à  y  aller,  par  amour  pour  vous,  si  vous  ne  pou- 
vez trouver  mieux;  je  vous  dis  vrai. 

le  cinquième  éqolier.  Maiire,  s\l  vous  plaît,  je 
ferai  de  bon  cœur  et  Irès-volontiers  ce  voyage  pour 
vous. 

caton.  Je  vous  remercie,  mes  écoliers,  de  l'offre 
que  vous  me  faites;  .maintenant  allendez-moi  nu 
peu  ici,  et  je  reviens  à  vous  sur  l'heure  sans  le  moin- 
dre retard.  —Mes  bons  amis,  me  voici!  Prenet  ca. 


9S1 


VAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VAL 


<j9\ 


sac  de  florins  et  ce  joy;iu,  qui  est  bel  et  riche,  et  je 
vous  prie,  niellez  tous  les  deux  de  la  diligence  à  al- 
ler chercher  cet  homme.  Vous  le  requerrez  douce- 
ment qu'il  lui  plaise  de  prendre  la  peine  de  venir  ici 
guérir  mon  fils.  S'il  veut  venir  en  ce  pays,  qu'il  ne 
s'embarrasse  de  rien;  il  aura  robes  et  avoir  en  abon- 
dance. Enfin,  pour  le  déterminer,  vous  lui  présen- 
terez de  ma  pari,  tout  en  lui  parlant,  le  sac  et  le 
joyau  que  je  vous  remets. 

le  quatrième  écolier.  Maître,  je  vous  jure  par  la 
ioi  que  je  liens,  cl  par  tous  nos  dieux,  que  je  ferai 
tout  ce  que  je  pourrai  le  mieux  possible. 

le  cinquième  écolier.  El  moi  aussi,  en  vérité. 

SCÈNE  VI. 

LES  ÉCOLIERS,  JOSIAS,    BORECH,    JOSEPH,   BLZI. 

le  cinquième  écolier.  Mais  puisque  nous  avons  à 
faire  ce  message,  Josias,  faites-nous  maintenant  sa- 
voir  le  nom  de  ce  prud'homme  que  vous  vantez  et 
louez  tant. 

josias,  premier  écolier.  Il  se  nomme  Valenlin,  sei- 
gneurs. J'ose  bien  dire  que,  arrivés  au  pays,  vous  en 
trouverez  plus  que  je  n'en  dis. 

le  quatrième  écolier.  Allons-nous-en.  Avant  qu'il 
soit  jeudi  je  pense  faire  si  bien  que  je  saurai  de  lui, 
de  manière  à  n'en  pas  douter,  ce  qu'il  voudra  faire. 

SCÈNE  VII. 

BUZI,  €t  LE  CINQUIÈME  ÉCOLIER. 

le  cinquième  écolier.  Duzi  ,  cher  et  bon  compa- 
gnon, je  fais  ce  voyage  de  bon  cœur  ;  Mahomet 
veuille  qu'il  soit  prolilubJe  à  ceint  pour  lequel  nous 
l'entreprenons  !  C'est  pitié  qu'il  soit  en  proie  à  une 
pareille  maladie. 

le  quatrième  écolier.  C'est  vrai ,  d'autant  plus 
qu'il  est  jeune  et  sage,  et  profond  clerc;  je  le  pense 
ainsi.  Allons,  allons!  nous  serons  bientôt  en  Nervie, 
et  nous  nous  empierrons  du  lieu  où  nous  pourrons 
trouver  Valenlin  que  nous  venons  chercher. 

le  cinquième  écoi  ier.  Nous  sommes  entrés  dans 
le  pays  :  il  nous  faut  lâcher  de  savoir  où  nous  pour- 
rons le  trouver.  Voilà  loin. 

le  quatrième  écolier.  Paix!  voici  venir  un  prud'- 
homme, je  ne  sais  s'il  est  de  celle  terre  :  je  veux 
prendre  des  informations  auprès  de  lui. 

SCÈNE  VIII. 

LES  MÊMES,  UN  PRUD'HOMME  NEKVIEN. 

le  quatrième  écolier.  Sire,  où  demeure  en  celte 
terre  un  homme  qu'on  appelle  Valenlin?  Le  savez- 
vous?  Dites;  vous  ferez  bien,  si  vous  le  savez. 

le  nervien.  Je  ne  sais  trop  quelle  affaire  vous 
avez  avec  lui,  beaux  seigneurs;  mais  c'est  un  saint 
qui  ne  se  prise  pas  la  valeur  d'une  pomme,  et  qui 
est  humble,  doux  et  compatissant.  Il  a  rendu  hou 
nète  maint  homme  pervers  et  endurci.  Nul  malade 
ne  va  à  lui  qu'il  ne  le  guérisse  radicalement,  quel- 
que maladie  qu'il  ail,  sans  user  d'herbes  ni  de  raci- 
nes; il  fait  de  si  belles  cures  qu'il  est  appelé  le  saint, 
et  il  est  aimé  de  tout  le  inonde  à  cause  des  bonnes 
choses  qu'il  enseigne  et  montre.  Voyez-vous  cette 
loge  là-bas?  Là,  vous  apprendrez  des  nouvelles  de 
lui;  vous  l'y  trouverez  la  nuit,  n'en  doutez  pas. 

LEçtNQUiÈME  écolier.  Nousy  allons.  Voici  lesenlier. 
Beau  sire,  nous  vous  remercions.  Nous  avons  eu  du 
bonheur  de  vous  trouver. 

le  quatrième  écolier.  Allons-nous-en.  Eh  ,  re- 
gardez! il  m'est  avis  que  voilà  le  saint  de- 
bout devant  sa  porle,  ou  c'est  un  autre  qui  attend 
l'instant  de  lui  parler. 

le  cinquième  écolier.  Il  nous  faut  marcher  sans 
relâche  jusqu'à  ce  que  nous  soyons  là. 

SCÈNE  IX. 

LES  DEUX  ÉCOLIERS,  VALENTIN. 

LE  Cinquième  écolier.  Sire,  c'eil  à  vous  que  nous 


allions;  enseignez  nous,  s'il  vous  plaît,  un  homme 
de  ce  pays  nomu  é  Valenlin.  Nous  sommes  de  la  cité 
de  Rome,  et  nous  sommes  envoyés  vers  lui.  Répon- 
dez-nous, s'il  vous  plaît,    par  bonne  amitié. 

valentin.  Beaux  seigneurs,  Dieu  vous  comble 
d'honneurs!  Je  ne  sais  ce  (pie  vous  voulez;  mais  je 
dois  dire  de  bonne  foi  que  je  ne  connais  en  ce  pays 
aucun  autre  homme  que  moi  qui  porte  le  nom  de 
Valenlin. 

le  cinquième  écolier.  Sire,  puisque  nous  sommes 
arrivés,  nous  allons  vous  dire  pourquoi  nous  sommes 
envoyés  auprès  de  vous.  Le  sage  Caton,  dit  la  fleur 
de  science  de  Rome,  vous  fait  présent  de  ce  joyau 
et  de  cet  or  que  voici.  Il  vous  supplie  en  amilié  d*a-< 
voir  pitié  de  son  (ils  qui  est  grandement  malade,  ce 
qui  est  grand  dommage,  car  ce  jeune  homme  est 
merveilleusement  savant.  La  maladie  l'a  entièrement 
contrefait,  il  a  les  nerfs  comme  tout  retirés.  Ayant 
entendu  raconter,  sire,  les  grandes  cures  que  vous 
avez  faites  cl  que  vous  opérez  de  jour  en  jour,  il 
vous  prie,  si  c'est  voire  bon  plaisir,  de  venir  sans 
retard  guérir  son  enfant;  son  intention  est  de  recon  • 
naître  ce  service  et  de  vous  en  récompenser  de  lelle 
manière  que  vous  serez  étonné,  tant  il  vous  don- 
nera! 

valentin.  Seigneurs,  il  me  faudra  réfléchir  à  celte 
affaire,  avant  que  de  vous  donner  plus  ample  ré- 
ponse. En  attendant  vous  pouvez  aller  vous  ébattre  dans 
celte  ville  ,  et  faire  connaissance  avec  le  pays,  puis- 
que vous  êtes  venus  me  chercher  jusqu'ici.  Quant  à 
vos  présents ,  j'e  n'en  ai  que  faire ,  el  la  vue  ne  m'en 
causerait  que  de  la  peine, 

le  cinquième  écolier.  Gardez-le  néanmoins,  sire  , 
ne  fût-ce  que  pour  l'amour  du  prud'homme  qui  de 
Rome  vous  l'envoie  pour  vos  ébats. 

valentin.  Non ,  qu'il  n'en  soil  plus  question  ;  certes 
il  ne  me  restera  point,  rendez  le  au  prud'homme; 
et  allez,  comme  je  l'ai  dit,  vous  ébattre  un  peu  on 
la  ville.  Pendant  ce  temps-là  j'aviserai  si  j'irai  avec 
vous,  ou  non.  Allez,  seigneurs. 

le  quatrième  écolier.  Rien,  sire  ,  puisque  vous 
le  voulez.  — Eh  bien!  allons- nous-ci». 

SCÈNE  X 

valentin,  seul. 

valentin.  Père  tout-puissant  des  cieux,  qui  avoj 
créé  le  monde  de  rien,  et  l'avez,  malgré  la  chule 
de  l'homme,  recréé  par  la  mort  du  béni  Jésus;  Sei- 
gneur, j'ai  eu  par  votre  bonté  la  grâce  do  guérir 
plusieurs  maux  ,  et  aujourd'hui  le  sage  Caton  de 
Rome  m'envoie  chercher.  Je  prie,  Seigneur,  voire 
saint  nom  avec  toute  l'ardeur  dont  je  suis  capable, 
de  me  faire  savoir  s'il  m'est  bon  ,  vrai  Dieu  ,  d'y 
aller,  si  le  peuple  en  deviendra  meilleur,  el  si  la  foi 
chrétienne  ne  s'en  accroîtra  point.  Sire,  entendez- 
moi  ;  vous  voyez  ma  dévotion .  répondez  à  ma  prière; 
que  ferai-je  pour  vous  plaire? 

SCÈNE  XI. 

DIEU,  notue-dame,  anges. 

dieu.  Allons,  mère-,  allons!  sans  plus  attendre, 
descendez  sur  la  lerre  el  allez-vous-en  vers  Valentin; 
dites-lui  de  ma  part  qu'il  s'en  aille  à  Rome  sans  dé- 
lai. Là  par  sa  prédication  il  amènera  plusieurs  du 
pays  dans  la  voie  du  salut ,  et  il  les  arrachera  au 
service  des  faux  dieux. 

notre-dame.  Mon  Fils,  j'ai  bien  retenu  toutes  vos 
paroles  de  point  en  point;  je  les  lui  redirai  fidèlement, 
n'en  douiez  pas. — Seigneurs,  ne  vous  tenez  plus  ici; 
venez-vous-en  avec  moi  en  chantant  tous  deux. 

le  premier  ange.  Douce  mère  du  roi  de  gloire, 
nous  exécuterons  votre  ordre,  et  nous  irons  devant 
vous  en  chantant  joyeusement. 

deuxième  ange.  Gabriel,  disons  ce  rondeau  avec 
allégresse  en  partant  d'ici. 


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VAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VAL 


9.^6 


Hondeau, 

Dame,  par  qui  les  cœurs  repentants  obtiennent 
grâce  el  merci,  quand  véritablement  ils  gémissent 
des  fautes  commises  ici-bas  ,  et  qu'ils  s'adressent  à 
vous,  par  qui,  etc. 

Nous  savons  bien  qu'il  en  est  ainsi,  el  nul  n'en 
doit  douter;  car  votre  puissance  est  grande,  Dame  , 
par  qui,  elc. 

SCÈNE  XII. 

NOTRE-DAME,   ANGES,    VALENTIN. 

Notre-Dame.  Valculin ,  va  sans  crainte  à  la  cité  de 
Rome;  car  en  vérité,  je  le  le  dis,  par  les  prédica- 
tions plusieurs  abandonneront  le  paganisme  el  em- 
brasseront la  loi  chrétienne,  et  tu  en  verras  plus 
d'un  se  convertir  à  Dieu  qui  m'envoie  ici  :  ainsi 
mets-loi  en  roule  tout  de  suite  :  Dieu  le  le  com- 
mande. Je  m'en  vais.  —  Seigneurs,  chaulez  à  liante 
voix  en  parlant  d'.ci. 

cabriel.  Dame,  nous  faisons  volontiers  ce  qui 
vous  plaît,  sitôt  que  vous  le  souhaitez. 

Rondeau. 

Nous  savons  bien  qu'il  eu  est  ainsi,  et  nul  n'en 
doit  douter;  car  voire  puissance  est  grande,  Dame, 
par  qui ,  elc. 

SCÈNE  XIII. 

LES  DEUX  ÉCOLIERS. 

le  cinquième  écolier.  Je  ne  sais  si  Valenlin  est 
satisfait  de  nous.  Compagnon,  je  vous  en  prie  de 
tout  mon  cœur,  allons  savoir  sa  volonté.  Peut-être 
aurons-nous  tardé  trop  longtemps. 

le  quatrième  écolier.  Alloue  donc  promplemcni 
vers  lui  ,  sans  plus  de  débals. 

SCÈNE  XIV. 

VALENTIN,   Seul. 

valentin.  Père  des  cieux  ,  puisqu'il  vous  plaît 
que.  j'entreprenne  ce  voyage,  je  le  ferai  de  bon 
cœur,  el  je  m'y  regarde  comme  obligé;  je  n'attends 
plus  que  les  messagers. 

SCÈNE  XV. 

LES  DEUX  ÉCOLIERS,  VALENTIN. 

le  cinquième  écolier.  Sire,  veuillez  nous  rendre 
réponse.  Venez-vous  à  Rome  avec  nous?  reiourne- 
rons-nous  sans  vous,  et  rapporterons-nous  à  notre 
ami  un  bon  remède. 

valentin.  Seigneurs,  je  pars  avec  vous,  quoi  qu'il 
advienne;  n'en  douiez  point. 

le  quatrième  écolier.  Alors,  si  cela  vous  est 
agréable,  il  serait  bien  temps  de  se  mettre  en  roule. 

valentin.  Oui,  sans  plus  de  relard  allons  nous- 
eu  tous  les  trois  ensemble.  C'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux 
à  faire  ,  ce  me  semble. 

le  cinquième  écolier.  C'est  le  mieux  ,  el,  de  mon 
côté  ,  j'y  consens. 

le  quatrième  écolieu.  La  chose  ainsi  réglée ,  m'est 
avis  de  prendre  les  devants  pour  savoir  comment  se 
trouvent  nos  amis  et  pour  montrer  quelle  diligence 
nous  avons  déployée  en  cette  affaire. 

valentin.  Je  le  veux  bien.  Quant  à  nous  deux , 
nous  suivrons  tout  doucement  el  irons  plus  à  notre 
aise.  —  Allez,  l'ami. 

le  quatrième  écolier.  Je  m'en  vais,  puisque  vous 
y  conseillez;  et  je  veux  hâter  le  pas. 

SCÈNE  XVI. 

LE   QUATRIÈME  ÉCOLIER,  CATON.  ÉCOLIERS. 
LE  QUATRIÈME  ÉCOLIER.    Pour    réjouir   VOlIC  CCCUT  , 

maiire,  je  viens  devant. 
caton.  Tu  csi  le  bienvenu.  Quelles  nouvelles? 

LE    QUATRIÈME   ÉCOLIER.  Quelles  IlOUVelicS  ,  lUailIC? 

de  bonnes  et  de  belles  :  le  prud'homme  Valenlin 
vient;  il  faut  le  bien  recevoir,  car  il  le  mérite 
bien. 


caton.  Que  Mahomet  t'aide  !  à  quelle  distance 
peu i- il  être? 

LE   QUATRIÈME  ÉCOLIER.    A  moillS  d'tillC  lidie,  clitr 

maiire;  n'en  doutez  pas. 

caton.  Je  m'en  vais  sur-le-champ  à  sa  rencontre. 
—  Seigneurs ,  accompagnez-moi ,  je  vous  prie. 

premier  écolier,  naître,  volontiers. 

deuxième  écolier.  Je  me  tiendrais  bien  pour  une 
bêle,  si  je  n'y  allais  pas. 

le  troisième  écolier.  Par  Mahomet!  moi  aussi. 
En  avant ,  en  avant  ! 

le  quatrième  écolier.  S'il  vous  plaît,  j'irai  un  peu 
devant,  maître;  el  sitôt  que  je  le  verrai  ,  sachez 
que  je  vous  le  montrerai  à  vue  d'oeil. 

caton.  Allons  ,  va  devant,  je  le  veux;  et  montre- 
le-moi. 

le  quatrième  écolier.  Volontiers.  Voyez-vous  lo- 
bas mon  compagnon  qui  vient  ici?  Cel  homme  qu'il 
tient  par  la  main  ,  c'est  lui ,  sans  aucun  doute. 

caton.  Il  saura  aujourd'hui  toute  ma  pensée. 

SCÈNE  XVII. 

LES  MÊMES,  VALENTIN,  LE  CINQUIÈME   ÉCOLIER. 

l'écolier.  Cher  sire,  je  vous  souhaite  tout  hon- 
neur el.  une  vie  bonne  el  longue  qui  ne  soit  jamais 
troublée  par  l'envie. 

valentin.  El  à  vous  bonne  destinée  ,  sire;  el  s'il 
vous  plaît,  faites-moi  savoir  qui  vous  êtes,  vous  qui 
me  présentez  ce  bonjour- 

caton.  Je  ne  le  cacherai  pas,  d'autant  que  vous 
me  l'avez  demandé  :  je  suis  Caton  qui  vous  ai  prié 
de-venir;  el  puisque  vous  êtes  venu  pour  moi ,  je 
suis  tenu  de  vous  honorer  ,  comme  de  justice  et  de 
raison.  Allons-nous-en  ,  entrons!  au  logis  :  là  je  vous 
ferai  Pèle,  là  je  vous  dirai  quels  sont  nies  désirs. 

valentin.  l'.hbien!  je  m'y  rendrai  de  bon  cœur 
pour  vous  entendre  et  pour  prendre  un  peu  de  re- 
pos, car  je  viens  de  loin. 

SCÈNE  XVIII. 

LES  MÊMES,  LE  FILS  I>E  CATON. 

caton.  Sire,  vous  ayant  ici,  si  loin  déjà  de  voire 
pays,  voici  ce  dont  je  veux  vous  requérir  :  prenez,  je 
vous  prie,  la  moitié  de  lonl  mon  avoir,  laol  en  ar- 
gent qu'en  bijoux,  en  rentes,  en  étoffes,  en  ch-vaux; 
je  vous  les  offre  de  bon  cœur  ,  el  guérissez  lût  mou 
(ils  du  mal  dont  il  souffre  depuis  longtemps. 

valentin.  Caton,  écoule-moi,  s'ii  le  plaît  :  je  ne 
me  soucie  point  vraiment  des  biens,  temporels  que 
lu  m'offres,  et  que  tuas  dans  tes  huches  et  dans 
les  bahuts.  Ce  sont  des  biens  passagers  qui  n^: 
durent  pas  plus  que  la  fleur  des  champs.  Biou  que 
lu  aies  le  nom  de  sage,  je  ne  sais  encore  si  cYsl 
d'un  bon  cœur  el  sincèrement  que  lu  veux  le  salut 
de  ton  fils.  Je  n'ai  à  le  demander  qu'une  chose  a>Sf  $ 
f.icile  et  brève,  et  non  pénible  à  faire;  je  m'en- 
tends. 

caton.  Sire,  demandez  sur-le-champ  ;  je  vous  eu 
prie. 

valentin.  Je  vous  requiers,  loi  et  ton  fils  tout 
d'abord,  et  pareillement  tous  les  liens,  de  croire 
sans  balancer  au  sainl  Fils  de  Dieu  qui  nous  a  faits 
et  créés,  et  qui  est  appelé  Jésus  Christ;  à  celui  dont 
il  est  écrit  qu'il  naquit  d'une  vierge  sans  tache 
homme  el  Dieu  en  toute  nature,  qui  pour  nous  ra- 
cheter souffrit  sur  la  croix  une  cruelle  passion  (je  dis 
cruelle,  car  il  y  mourut),  et  qui  laissa  mettre  son 
corps  au  sépulcre,  où  il  habita  li ois  jours  el  d'où  il 
ressuscita  ,  personne  n'en  doute. 

caton.  Sire,  quel  est  ce  Jésus-Christ  au  sujet  du 
quel  vous  me  pressez   de  celle  manière?  Munirez- 
moi,  je  vous  prie,    comment  ce  que  vous  me  dilcs 
e>l  vrai, et  pourquoi  je  dois  croire  qu'il  en  esl  ainsi. 

valentin.  La  raison,  Caton,  la  voici  :  sans  «Joule 
lu  la  connais  en  la  qualité  de  clerc,  toi  qui  es  si  sa- 
vant   :   ne  lis- lu   pas  il  ans   la   prophétie  qulsaiea 


087 


VAL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VAL 


9S0 


écrite  pour  tons  :  Ecce  Virgo ,  et  cetera?  c  Voici 
(fii'il  sera  une  vierge  qui,  sans  cesser  de  l'être,  en- 
fantera le  Fils  de  Dieu  le  très-haut,  lequel  sera  nom- 
mé Jésus;  car  il  sauvera  son  peuple  du  péché.  » 

caton.  Sire,  j'ai  bien  vu  clairement  dans  le  livre 
d'isaïe  ce  que  vous  me  prêchez  ;  mais  comment 
sra-t-il  possible  qu'une  vierge  puisse  concevoir  et 
«niant  t,  tout  en  restant  vierge?  C'est  un  point  qui 
fait  naître  des  doutes  trop  forts. 

valentin.  Non  pas,  et  je  te  dirai  comment  :  tu 
dos  savoir  qu'il  est  la-haut,  dans  le  ciel,  un  Dieu 
eu  trois  personnes,  qui  n'est  qu'une  divinité,  un: 
essence,  une  majesté  unique;  et  cependant  nous  sa- 
vons qu'il  y  a  (rois  personnes  en  ce  Dieu  par  qui  le 
monde  fui  créé.  Mais  revenons  à  no're  (ait.  Le  pé- 
ché du  premier  homme  nous  accabla  d'une  IftHe 
délie  que  l'homme  ne  put  acquitter  selon  la  loi, 
pour  apa'sir  Dieu  le  Père.  H  en  advint  que  Dieu  la 
Fils  se  lit  homme,  uniquement  pour  nous.  Tout  se 
consomma  en  l'Esprit-Saint  qui  prit  une  partie  du 
sang  le  plus  pur  dans  le  corps  de  celle  vierge 
mè  e,  donc  la  divinité  se  couvrit  de  noire  humani- 
té, en  sorte  que  Dieu  fut  homme  et  l'homme  Dieu. 
Désormais,  tu  peux  entendre  mieux  ce  que  tu  as  lu 
cans  Isaïe,  et  lu  n'ignores  plus  quel  est  celui  qui 
acquitta  la  dette  et  répara  le  crime  du  premier 
homm3.  A  n  i  ce  Fils,  lu  dois  en  être  persuadé,  a 
fait  le  monde  el  tout  ce  qu'il  contient;  et  quand  nos 
corps  mourront,  ils  seront  ressuscites  par  lui;  el 
alors  nous  serons  tous  invinciblement  emportés  au 
tribunal  suprême  pour  le  jugement  au  dernier  jour. 

caton.  Sire,  vous  dites  de  votre  plus  grosse  voix, 
afin  que  je  lïn'emle  mieux,  que  ce  Jésus  est  Dieu, 
à  ce  qu'il  me  semble 

valentin.  C'est  vrai ,  il  est  ensemble  Dieu  cl 
homme;  il  esl  époux,  lils  et  père.  De  qui?  de  sa 
fille  cl  à  sa  mère,  li  Vierge  dont  il  naquit.  Comme 
lils,  tant  qu'il  fui  vivant,  il  lui  obéissait  ici-bas; 
comme  père,  il  l.i  nourrissait;  comme  époux,  il  la 
revêtit  de  foi,  quand  elle  consentit  à  croire  ce  qui 
ne  pouvait  arriver  naturellement.  Ainsi  le  Créa- 
te  ir  se  daigna  faire  créature,  pour  n  us  amener 
davantage  à  l'aimer. 

caton.  Sire,  que  sur-le-champ  ce  Jésus-Christ  à 
v  tire  requête  cl  prière,  donne  par  sa  puissance 
santé  complète  à  mon  (ils;  el  en  vérité,  soyez-en 
certain,  tous  i\eu\  nous  nous  ferons  chrétiens  aus- 
sitôt qu'il  sera  guéri.  Oui,  je  croirai  qu'il  esl  mon 
Sauveur,  qu'il  voulut  naître  d'une  vierge  el  subir  sa 
passion  sur  la  croix  pour  notre  rédemption,  el  qu'an 
troisième  jour  il  ressuscita,  qu'après  il  monta  aux 
saints  cieux,  ci  .qu'il  jugera  les  vivants  elles  morts. 
Je  consens  à  croire  tout,  si  mon  lils  recouvre  la 
santé. 

valentin.  Ali!  sire  Dieu  plein  de  bonté,  je  vous 
rmds  grâce  d'un  cœur  humble  de  ce  que  vous  pre- 
nez ces  gens-ci  dans  les  lilels  de  voire  miséricorde  ; 
car  je  vois  que  leur  cœur  incline  à  croire  en  vous, 
à  vous  aimer  el  à  vous  servir  pour  mériter  à  la  fin 
votre  gloire  !  Vendiez,  Seigneur,  la  leur  accorder. 
—  Vite,  Calon  !  allez  sans  hésiter  vous  mettre  là  à 
genoux,  et  vous  tous  aussi,  beaux  seigneurs,  et 
priez  Jésus  que  par  sa  grâce  il  nous  donne  de  la 
joie  au  sujet  de  cet  enfant;  quant  à  moi,  je  demeu- 
rerai ici  avec  lui,  et  je  prierai  Dieu  dévotement 
aussi. 

caton  Sire,  je  vais  accomplir  votre  commande- 
ment. 

deuxième  écolier.  Nous  ferons  de  même  de  grand 
cœur.  Seigneurs,  melions-nous  à  genoux  ici  et 
consacrons  nos  pensées  à  Jésus  le  fils  du  Roi  des 
cieux,  pour  qu'il  accorde  la  santé  au  fils  do  notre 
maître. 

valentin.  Doux  Jésus,  qui,  dans  toute  votre  con- 
duite, eûtes  loujou'-s  voulume  d'user  d'amour  et  de 
charité,  de  même  que  vous  avez  guéri  le  paralyti- 
que par  un  mira»  le  puissant,  authentique,  de  voire 


volonté  seule,  et  que  vous  avez  arrêté  le  flux  de 
fcang  de  la  veuve,  selon  ce  que  dit  saint  Marc,  par 
voire  grâce,  avant  que  je  m'en  aille  d'ici,  guérissez 
eel  enfant  et  faites  cesser  en  tous  points  le  mal  au-, 
quel  il  esl  en  proie.  —  Beau  fils,  tends-moi  un  peu 
les  mains  :  je  veux  les  tenir. 

le  fils  de  caton.  Ah!  je  suis  si  fai'ile  et  si  souf- 
frant que  je  ne  le  puis,  si  vous  ne  m'aidez.  Je  vou- 
drais mourir,  croyez-le  bien. 

valentin.  Je  vais  donc  les  tirer  doucement  de- 
hors. Allons!  que  Dieu  les  signe  et  les  bénisse,  et 
que  la  douce  Vierge  Marie  y  nielle  sa  grâce! 

le  fils  de  caton.  Père,  voici  un  homme  honnête, 
juste,  saint  et  serviteur  du  vrai  Dieu.  Venez  voir, 
mes  bonnes  gens,  combien  nous  devons  le  chérir  : 
il  ne  m'a  fait,  sans  rien  de  plus,  que  loucher  de  sa 
main  droite,  et  voici  que  je  suis,  grâce  à  lui,  sain 
comme  une  pomme. 

caton.  Disciple  du  vrai  Dieu,  saint  homme,  com- 
ment pourrai-je  vous  récompenser  de  ce  qu'il  vous 
a  plu  guérir  mon  fils,  que  je  vois  ici  debout?  Je  ne 
sais;  car  si  j'avais  dix  fois  aulanl  de  richesses  que 
je  puis  en  rassembler,  en  vous  les  donnant,  je  ne> 
serais  pas  encore  convenablement  acquitté  du  ser- 
vice que  vous  m'avez  rendu  ;  il  n'y  a  pas  à  en 
douter. 

valentin.  Calon,  écoule-moi  maintenant,  s'il  le 
p'aîl  :  si  j'ai  fait  du  bien  à  Ion  lils,  ce  n'est  pas  par 
moi-même,  mais  en  vertu  de  la  puissance  de  Jésus- 
Chrisl.  Aie  en  lui  ferme  croyance  :  il  n'en  sera  que 
mieux  pour  loi. 

caton.  Je  ne  sais  ce  qu'un  autre  fera;  mais  tant 
que  je  vivrai,  je  servirai  Jésus  comme  mon  Dieu,  et 
je  renie  tous  les  autres  pour  lui  ;  car  je  liens  et 
(  rois  que  c'est  celui  qui  a  conjoint  si  divinité  sans 
tache  à  l'humaine  nature,  qui  a  souffert  mon  et 
passion  pour  la  rédemption  de  l'homme,  et  qui  nous 
viendra  juger  à  la  lin  cl  purger  de  lous  maux  par 
le  feu  el  les  quatre  éléments  aussi.  Je  liens  cela 
pour  vrai,  el  le  crois  et  croirai  ainsi. 

le  fils  de  caton.  Père,  je  suis  el  serai  de  votre 
opinion,  certes,  n'en  douiez  pas  :  il  m'a  montré  par 
des  miracles  évidents  qu'il  esl  le  vrai  Dieu. 

premier  écolier.  Nous  lous  aussi,  et  c'est  pour  le 
mieux,  nous  renonçons  à  la  loi  païenne  pour  tenir 
désormais  la  loi  des  Chrétiens. 

valentin.  H  vous  faut  encore  à  loul  jamais  le 
ferme  propos  dans  le  cœur  de  persévérer,  malgré 
les  dons,  les  caresses,  les  menaces,  les  coups,  les 
supplices.  Rien  ne  doit  effacer  de  votre  comr  la 
croyance  que  Jésus  le  Fils  de  Dieu  le  Père,  esl  Dieu 
cl  né  d'une  mère  vierge,  qu'il  n'eut  jamais  de  com- 
mencement et  qu'il  n'aura  pas  de  fin  en  divinité. 

LE  TROISIÈME   ÉCOLIER.   NoilS  I10US    accordons  lOUS 

ensemble   à  croire  celte  vérité;  car  il   me  semble 
qu'il  n'y  a  rien  de  plus  vrai  sous  le  ciel. 

valentin.  Que  chacun  se  souvienne  donc  de  le 
servir  el  de  l'aimer  sans  réserve,  de  manière  à  ce 
qu'il  puisse  mériter  sa  gloire  qui  n'a  pas  de  terme. 

le  fils  de  caton.  Pour  le  servir,  je  renie  lous  les 
autres  dieux  ;  car  je  vois  clairement  que  ce  sont 
tous  de  fausses  idoles  sans  aucune  puissance. 

caton.  Seigneurs,  dans  mes  écoles  je  n'ai  donné 
des  leçons  que  de  logique,  de  lences,  de  dialectique 
et  d'autres  sciences  mondaines,  auxquelles  je  me 
suis  fort  appliqué  ;  sachez  que  j'y  renonce.  Désor- 
mais je  ne  vous  apprendrai  rien,  sinon  hi  théologie 
et  cette  nouvelle  loi;  car  je  sais  el  vois  clairement 
que  toute  autre  science  esl  vainc,  tandis  que  celle-ci  4 
mène  à  la  connaissance  du  premier  principe,  c'est- 
à-dire  de  Dieu;  elle  enseigne  comment  Dieu  esl  tout 
bon  sans  qualité,  comment  sans  quantité  il  a  la 
grandeur,  el  comment  sans  être  mu  il  meut  toutes 
choses  comme  il  veut,  à  sa  guise. 


989 


VAL 

SGii&E  XIX. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VAL 


930 


l'eUPEKEI.K,    CHEVALIERS,   SERGENTS  d'aRMES. 

l'empereur.  Soigneurs,  j'ai  grand  désir  de  voir 
mon  (ils,  ei  je  suis  fori  contrarié  de  ne  pas  le  pos- 
séder souvent.  Depuis  que  Caton  l'emmena,  il  n'est 
pas  revenu- auprès  de  moi.  Que  veut  dire  cela  ? 

in  chevalier.  Sire,  il  n'en  a  peut-être  pas  la  per- 
mission. 

l'empereur.  Vous  deux,  allez  bon  train  ;  prenez 
l'autorisation  de  son  maître,  et  amenez-le-moi  ici 
eu  personne  :  je  veux  le  voir. 

deuxième  sergent.  Sire,  nous  ferons  votre  vo- 
lonté incontinent. 

premier  sercent.  Allons  le  chercher  promplcmenl, 
ne  lardons  pics. 

SCÈNE  XX. 

LES   SERGENTS,   CATON,   ÉCOLIERS,  LE   FILS 
DE  L'EMPEREUR. 

premier  sergent.  Que  Mahomet  vous  garde,  sire 
Caion,  et  tous  les  vôtres  ! 

catom.  Or  çà,  seigneurs,  soyez  les  bienvenus. 
Qu'avez-vous  de  nouveau?  Gomment  se  porte  mon- 
beigneur?  Bien,  Dieu  merci? 

deuxième  sergent.  Oui;  il  nous  a  ordonné  de  ve- 
nir ici  pour  que  vous  envoyiez  son  fi!s  auprès  de 
lui  avec  nous  ;  il  le  demande. 

caton.  Ge  serait  à  moi  une  faute  grave  si  je  le 
refusais  ou  si  je  disais  le  contraire.  Il  va  y  aller.  — 
Josias,  allons  !  et  vous,  Doreeh  et  Joseph,  apprêtez- 
vous  à  vous  mettre  en  roule  pour  accompagner  cet 
enfant-ci,  que  son  père  demande.  Recommandez- 
moi  à  lui  Irès-humbleinenl. 

deuxième  écolier.  Maître,  nous  ferons  de  bon 
cœur  votre  volonté. 

premier  sergent.  Allons-nous-en  sans  plus  lar- 
der; nous  demeurons  Irop. 

le  troisième  écolier.  Allons  ;  nous  serons  lanlôl 
vers  lui  :  il  n'y  a  d'ici  là  que  deux  pas;  mais  il  faut 
nous  garder  de  p  irler  en  sa  présence. 

premier  écolier.  Oui,  certes,  cl  pas  un  mot  non 
plus  à  l'enfant. 

SCÈNE  XXI. 

LES    MEMES,    I.'eMPERELR,    CHEVALIERS. 

deuxième  sergent.  Sire,  que  nos  dieux ,  par  leur 
courtoisie,  veuillent  vous  donner  tout  ce  dont  vous 
avez  besoin,  c'est-à-dire  loyal  conseil  et  joie  royale, 
cl  avec  cela  vous  pourvoir  de  longue  vie! 

i.'empi  relu.  Fils,  j'avais  grand  désir  de  vous  voir: 
soyez  h'  bienvenu.  Comment  avez-vous  pu  rester  si 
longtemps  sans  venir?  Je  m'en  élonue  fort.  El  com- 
ment vous  portez-vous? 

le  fils  de  l'empereur.  Bien,  très-cher  sire  et  doux 
père;  je  vous  remercie  de  voire  demande.  —  (Au 
sergent)  Avance,  je  veux  rectifier  Ion  salulàmon 
père;  car  il  y  a  vice  el  méfait  dans  ce  qfie  lu  as  du. 

l'empereur.  Beau  lils,  en  quoi  a-t-il  mal  parlé?  il 
a  i rès-bien  dit,  à  mon  avis.  Je  veux  connaître  par 
toi  en  quoi  il  a  erré. 

le  fils  de  l'empereur.  Sire,  il  a  dit  dans  son  dis- 
cours nos  dieux;  el  c'est  une  bévue,  un  mensonge 
el  une  bourde.  Il  n'y  a  qu'un  Dieu. 

i.  iMn.r.Ei  r.  Eli  :  non  pas!..  Mais  comment  donc 
ne  nomme,  beau  fils,  ce  Dieu  dont  vous  me  parlez? 
Veuillez  me  le  dire  tout  de  suite 

le  fils  de  l'empereur.  Mon  cher  seigneur,  n'avez- 
vous  pas  entendu  parler  de  l'homme  sainl  el  juste 
qui  est  venu  pour  un  peu  de  temps  dans  cette  ciié 
de  Rome,  homme  paisible  cl  sans  esprit  de  dispute, 
disciple  du  vrai  Dieu  infini,  el  qui  s'appelle  Va- 
leniin  ?  Ne  vousa-l-on  pas  dit  comment  il  a  guéri 
d'un  mal  cruel  le  lils  du  sage  Galon  par  la  puissance 
el  la  verlu  de  Jésus-Christ  Noire-Seigneur,  qui 
dans  les  cieux  a  un  père  sans  mère,  el  sur  la  terre, 


nne  mère  sans  pere  ?  C'est  de  lui  que  nous  (enons 
celle  foi,  celle  croyance  el  celte  loi,  qui  consistent, 
à  proprement  parler,  à  croire  qu'il  n'est  qu'un  seul 
Dieu,  Jésus,  Fils  de  Dieu  le  Père. 

le  cnEVALiER.  Ce  n'est  pas  une  vérité  bien  claire; 
car  an  moins  le  l'ère  devrait  être  de  droit  Dieu 
plulôl  que  le  Fils,  s'il  était  ainsi  qu'il  eût  en  loi 
cause  à  devoir  être  appelé  Dieu. 

le  f;ls  de  l'empereur.  Beaux  seigneurs,  répondez 
sur-le-champ  à  celle  objection  :  vous  êtes  clercs,  et 
ce  chevalier  n'est  que  laïque. 

premier  écolier.  Sire,  vous  avez  dit  que  le  Père 
devrait  être  appelé  Dieu  plutôt  que  le  Fils,  supposé 
qu'il  dût  êlrc  Dieu.  Pour  confondre  el  anéantir,  si 
je  le  puis,  cel  argument,  je  réponds,  sire,  qu'il  faut 
qu'il  y  ail  eu  d'abord  au  commencement  un  principe 
par  qui  tontes  les  choses  ont  été  créées  el  ordon- 
nées en  leur  place;  el  quelques  anciens  sages,  doc- 
leurs,  logiciens  cl  philosophes  l'appelèrent  premier 
moment,  auteur  de  louies  créatures;  ainsi  font  vos 
écritures  mêmes,  qui  le  disent  pareillement. 

le  fils  de  l'empereur.  Aliendez.  C'est  vrai,  ils  ne 
ie  nient  pas  ;  le  philosophe  le  montre  ainsi;  mais  je 
veux  ici  aller  plus  loin  :  pourquoi  le  nommèrent-ils 
principe,  et  l'appelèrent-ils  premier  moment?  c'est 
que  le  temps  n'était  pas  encore  venu  pour  lui  de 
faire  son  apparition  et  de  demeurer  ici-bas  sur 
terre  ;  c'est  pourquoi,  quelque  recherche  qu'ils  fis- 
sent, ils  ne  le  connurent  pas  clairement  comme 
nous  à  celte  heure,  qui  l'appelons  une  essence  en 
divinité,  une  majesté.  Dans  celle  unité  dont  nous 
parlons,  nous  établissons  une  irinilé  :  le  Père,  le 
Saint-Esprit  et  le  Fils;  cependant  ils  ne  foui  qu'un 
Dieu,  soyez-en  convaincus.  Nous  niellons  de  la 
différence,  non  quanta  l'essence  divine,  mais  quant 
aux  personnes,  c'est  chose  certaine;  Car  le  Fils, 
sans  en  dire  davantage,  se  revêtit  de  notre  humani- 
té pour  nous  donner  gloire  dans  les  cieux  :  c'est 
pourquoi  nous  disons  qu'il  csl  homme  et  Dieu,  el 
que  Dieu  esl  homme. 

l'empereur.  Seigneurs,  par  les  dieux  en  qui  je 
crois!  je  ne  prise  pas  mon  pouvoir  la  valeur  d'une 
pomme  si  je  ne  fais  pas  mourir  très-ignominieuse- 
ment ceux  qui  tiennent  celle  loi  et  la  sèment  par  la 
cilé.  Emprisonnez  ces  trois  individus-ci,  et  après, 
allez-moi  chercher  aussi  ce  Valenlin. 

premier  sergent.  Sire,  nous  ferons  de  bon  cœur 
(ont  ce  que  vous  nous  commanderez.  —  Passez. 
Vous  serez  emprisonnés  lous  Irois  ensemble. 

SCÈNE  XXII. 

LES  SERGENTS,    VIDE-BOURSE,  LE  GEÔLIER. 

deuxième  sergent.  Il  nous  les  faut  livrer,  ce  me 
semble,  à  Vide-Bourse  le  geôlier;  par  là  nous  en 
serons  débarrassés.  Menons-les-y. 

premier  sergent.  C'est  .bien  dit.  —  Geôlier,  çà  ! 
voici  trois  prisonniers  que  nous  vous  livrons  : 
tenez,  nous  nous  en  débarrassons;  gardez  -  les 
bien. 

le  geôlier  En  avant!  enlrez  ici.  —  S'ils  man- 
geril  du  mien,  ils  le  payeront.  N'ayez  pas  peur,  ils 
ne  m'échapperont  pas. 

SCÈNE  XXIII. 

LES  SERGENTS,  VALENTIN. 

deuxième  sergent.  Beau  compagnon,  il  faut 
maintenant  nous  aller  mettre  en  qnéie  el  nous  effor- 
cer de  trouver  Valenlin  en  quelque  endroit  qu'il 
soit. 

premier  sergent.  Attends;  s'il  ne  me  donne  le 
change,  je  le  le  mettrai  euire  les  maies  :  c'est  ce 
qui  me  donne  le  moins  de  souci.  Je  le  connais  un 
peu.  Eh,  regarde!  cel  homme  que  tu  vois  venir  là 
le  visage  en  lerre,  c'est  lui  :  il  ne  nous  faut  plus  le 
chercher  ;  allons  le  prendre. 

deuxième  sri.cr.NT.  Çà,  maître!  il  vous  faut  sans 


991 


Y\>L 


DICTIONNAIRE  DES  11 Y  STERES. 


VAL 


09? 


peu  s'en  faut  que 
yeux  ici  même.  Un 
ainsi  à  l'empereur 


retard  venir  devant  l'empereur.  Et  tôt!  sans  nous 
lenir  ici  davantage,  passez  lion  train. 

valentin.  Déjà!  je  ne  suis  meurtrier  ni  voleur. 
Seigneurs,  menez-moi  doucement,  sans  me  lenir 
u'une  manière  si  pesanle;  je  vous  en  prie. 

premier  sergent.  Allons,  vile  !  passez  donc  sans 
raisonner. 

SCENE  XXIV. 

LES  MÊMES,  L'EMPEREUR,  LE  FILS  DE  I.' EMPE- 
REUR ,  LES  TROIS  ÉCOLIERS  ,  LE  GEÔLIER, 
CHEVALIERS  ROMAINS,  PEUPLE,  DIEU,  NOTRE- 
DAME,   ANGES. 

premier  sergent.  Cher  sire,  nous  avons  si  bien 
cherché  Valentin  que  nous  vous  l'amenons  déjà. 
Parlez-lui. 

l'empereur.  Comment,  maître!  c'est  vous  qui  avez 
exhorté  le  peuple  à  croire  en  un  Dieu  né  d'une  vierge 
comme  vous  dites?  Par  mes  dieux!  vous  n'en  serez 
pas  quitte.  Ou  vous  déferez  ce  que  vous  avez 
l'ait,  ou  vous  serez  bientôt  livré  à  une  mort  hon- 
teuse. 

valentin.  Empereur,  premièrement,  vous  qui 
soutenez  une  loi  damnable,  si  vous  cherchiez  de  qui 
vous  tenez  vos  dignités  et  votre  grandeur;  si  vous 
faisiez  effort  pour  aimer,  mieux  que  vous  ne  le  faites, 
mon  Dieu,  par  qui  vous  lûtes  formé,  le  créateur 
de  toute  créature  et  Dieu  de  la  nature,  il  n'y  a  pas 
de  doute... 

le  chevalier.  Par  Mahonicl  ! 
de  mes  doigts  je  ne  le  crève  les 
homme  comme  toi  doit  il  parler 
de  Rome?  Malheur  à  loi! 

l'empereur.  Alterniez.  —  (A  un  sergent.)  Va,  et 
tantôt  amène  ici  devant  moi  ces  trois  compagnons 
que  pour  leur  crime  lu  as  incarcérés  aujourd'hui. 

le  deuxième  sergent.  Sire,  par  la  foi  que  je 
vous  dois!  volontiers,  sans  rechigner.  • —  (Au  geô- 
lier.) Allons!  je  reviens,  Vide-Bourse.  Prenez  ces 
trois  prisonniers  :  il  faudra  que  vous  veniez  avec 
moi  pour  les  mener  jusqu'à  la  cour.  Tenons-les  ser- 
rés et  près  de  nous. 

le  geôlier.  Mon  doux  ami,  n'ayez  à  ce  sujet  au- 
cune crainte; —  Allons!  sortez,  vous  trois.  —  Oh! 
il  nous  les  faut  lier  enscinple  par  le  corps. 

le  deuxième  sergent.  C'esl  bien  dit  :  car,  ce  me 
semble,  nous  les  emmènerods  avec  plus  de  sûreté, 
liés  ainsi  que  lu  le  dis. 

le  geôlier.  C'est  ainsi  que  toujours  je  mène  court 
ceux  que  je  sais  avoir  méfait.  Eu  avant!  allons- 
nous-en.  Tiens,  c'est  fait  :  ils  sont  accouplés. 

deuxième  sergent.  C'est  vrai  :  ils  ne  peuvent  pas 
s'échapper.  —  En  avant,  canaille!  iroltez  en  avant, 
si  vous  ne  voulez  pas  être  frollés  de  ce  bâton-ci. 

le  geôlier,  à  l'empereur.  Voici,  mon  cher  sei- 
gneur et  maître,  les  prisonniers  que  vous  deman- 
dez. Maintenant,  s'il  vous  plait,  ordonnez  ce  qu'on 
en  fera. 

l'empereur.  On  te  le  dira  bientôt.  — Truand, 
attendu  que  lu  as  converti  ceux-ci  et  que  lu  les  as 
pervertis  par  ta  doclrine,  ils  seront  décollés  devant 
loi  :  c'esl  le  profit  qu'ils  en  retireront.  — Allons! 
coupez-leur  vite  la  tète,  puis  laissez  les  bêles  sau- 
vages manger  leurs  corps. 

valentin.  Mes  frères  et  mes  chers  amis,  ne  vous 
occupez  pas  de  la  mort  du  corps,  soyez  de  forts 
lutteurs  contre  le  serpent  ;  car  je  vous  le  dis,  vous 
acquerrez  une  gloire  qui  durera  toujours  el  une  vie 
qui  ne  finira  jamais.  Oui,  par  ce  bref  el  court  mar- 
tyre vous  verrez  sans  lin  Dieu,  notre 
comme  il  est. 

troisième  écolier.  Homme  de  Dieu,  nous  som- 
mes prêts  à  faire  tout  ce  que  iu  nous  recomman- 
des ;  prie  donc  Dieu  qu'il  melle  nos  âmes  en  para- 
dis. 

valentin.  Votre  volonté  sera  faite  de  bon  cœur: 


Seigneur, 


nies  chers  amis,  je  veux,  sans  plus  tarder,  adresser 
ici  à  Dieu  celte  prière. 

le  geôlier.  Tu  seras  mis  à  mort  le  premier. 
Passe  en  avant,  agenouille-toi.  —  C'esl  fait;  il  n'y 
a  plus  de  quoi  jamais  dire  un  seul  mol. 

valentin.  Doux  Jésus,  recevez  ces  personnes  en 
la  compagnie  de  vos  sainls  anges,  et  donnez-leur 
votre  gloire  ;  en  sorte  qu'ils  voient  votre  Mère  et 
vous,  Fils,  comme  ils  vous  ont  vus  par  les  yeux  de 
la  foi  ici-bas  sur  la  lerre. 

dieu.  Mère,  je  veux  que  vous  alliez  bien  vite  à 
mes  amis  que  je  vois  là-bas,  el  que  l'on  veul  mettre 
à  mort  pour  mon  nom.  — Anges,  conduisez  là  vous 
deux,  el  3ii  chemin  récréez-là  d'un  Yteau  can- 
tique. 

le  premier  ange.  Sire  ,votre  volonté  doit  nous 
plaire;  c'esl  juste. 

deuxième  ange.  Nous  nous  en  irons  par  là  quand 
nous  serons  en  bas. 

le  geôlier.  Allons,  seigneurs!  allons!  quand  j'au- 
rai ici  travaillé  sur  vous  de  mon  métier,  vous  n'au- 
rez, certes,  jamais  besoin  de  chaperons. 

premier  ange.  Michel,  dites  avec  moi  ce  chant  ci  ; 
vous  n'en  aurez  pas  de  reproches. 

Rondeau. 

Venez-vous-en  ,    bienheureux  ,    là-haut  dans    le 
royaume  divin  ;  vous  serez  au  milieu   de    la  gloire 
éternelle;  venez-vous-en,  bienheureux,  et  vous  vi- 
vrez toujours  sans  mourir  tant    le  lieu  est  délec 
table.  Venez-vous-en,  etc. 

le  geôlier.  Maintenant  je  sais  bien  que  vous  ne 
prêcherez  jamais  en  aucun  lieu  une  nouvelle  loi.  il 
m'est  avis  que  chacun  dort  bien  tranquille. 

notre-dame.  Allons  vite,  mes  amis  !  sans  plus 
chanter,  prenez  ces  âmes;  el  en  avant!  J'ordonne 
que  chacun  se  mette  en  route  el  qu'on  reprenne  le 
chemin  que  nous  avons  suivi  pour  venir  ici. 

deuxième  ange.  Dame  des  cieux,  dame  des  hom- 
mes, fontaine  de  miséricorde,  chacun  de  nous  con- 
sent à  faire  votre  volonté. 

premier  ange.  C  est  vrai.  Mon  doux  ami,  conti- 
nuons notre  chant  jusqu'à  ce  qu'il  soit  fini. 

Rondeau. 

Et  vous  vivrez  toujours  sans  mourir,  tant  le  lieu 
est  délectable.  Venez  vous-en,  etc. 

l'empereur.  Seigneurs,  écoulez  :  D'où  vient  ce 
chani  mélodieux?  jamais  de  ma  vie  je  n'en  ouïs  de 
pareil. 

le  chevalier.  Mon  cœur  en  a  ressenti  un  vif  phi- 
sir  ;  mais  d'où  cela  vient-il?  Je  m'en  émerveille  fort, 
car  de  mes  yeux  je  ne  puis  apercevoir  qui  chante 
aussi  mélodieusement.  A  leur  chant,  il  semble  qu'ils 
soient  près  de  nous. 

valentin.  Empereur,  sache,  à  n'en  pas  douter, 
que  ce  chant  que  tu  as  ouï  de  les  oreilles,  c'esl  (ne 
t'en  émerveille  pas)  celui  de  la  douce  mère  du  roi 
Jésus  el de  ses  anges  qui  sont  venus  chercher  les 
âmes  de  ces  corps,  gisant  ici,  misa  mort  par  loi. 
Ils  les  emportent  vers  Jésus-Christ,  el  en  les  em- 
portant, ils  leur  font  fêle,  comme  lu  as  ouï. 

l'empereur.  Comment?  ne  te  tairas  lu  pas  devant 
moi  au  sujet  de  ton  Jésus-Christ?  Voici  ce  q;:e  j'or- 
donne de  loi  :  ou  lu  adoreras  nos  dieux,  ou  lu  mour- 
ras par  divers  tourments,  je  te  promets. 

valentin.  Je  me  mets  entièrement  en  Jésus- 
Christ,  en  sorte  que  lu  ne  peux  me  tourmenter,  je 
dois  te  l'apprendre  ;  car  quelque  peine  que  tu  me 
fasses  subir,  lu  ne  pourrais  surmonter  la  grande 
joie  que  je  ressentirais.  Mais,  moi  aussi,  j'ai  à  te 
dire  une  chose  :  si  lu  abandonnais  et  laissais  tes 
idoles  fausses  et  vaines,  pleines  du  démon,  et  si  lu 
adorais  seulement  le  vrai  Dieu,  dans  l'ennui,  dans 
la  détresse,  tu  trouverais  une  joie  sans  mélange,  un 
repos  durable  sans  peine,  el  un  règne  éternel  et 
sans  fin.  Je  te  dis  la  vérité. 

l'empereur.  A  les  paroles  on  peut  bien  voir  que 


!>'j3 


VAL 


tu  es  possédé  du  démo.i.  —  Allons,  vite,  seigneurs  '. 
vile,  dépouillez-le  au  milieu  de  celle  place.  Quand 
Usera  tout  nu,  liez-le  debout  à  ce  poteau;  ei  puis 
battez-le  jusqu'à  ce  qu'il  n'y  ail  plus  sur  son  corps 
ni  lâche  blanche  ni  lâche  v.  rie,  majs  qu'il  soit  tout 
couvert  de  sang  pour  son  châtiment. 
(Oit  met  alors  la  table  pour  le  dîner  de  rempereur.) 
i.e  premier  sergent.  Mon  cher  seigneur,  il  sera 
fait  connu.;  vous  l'avez  dit. 

SCENE  XXV. 

VALENTIN,  LE   GEÔLIER,  SERGENTS,   PEUPLE, 
LES  ÉCOLIERS  DE  CATON. 

un  sergent.  Allons,  maître!  il  faut  ici  vous  dé- 
pouiller en  entier. 

valentin.  Volontiers,  seigneurs,  sans  y  manquer. 
Suis-je  comme  vous  voulez?  que  vous  en  semble? 
Ne  craignez  pas  que  je  m'échappe  de  vos  mains  :  ce 
n'est  pas  mon  intention. 

le  geôlier.  Je  veux,  sans  retard,  vous  le  lier  de 
la  manière  que  j'ai  apprise.  Est-il  solidement  atta- 
ché? dites-le-moi. 

le  deuxième  sergent.  II  sera  battu,  comme  un 
fou  qu'il  est,  depuis  le  bas  des  reins  jusqu'au  cou. 
En  avant!  que  chacun  prenne  sa  verge,  et  ne  man- 
que pas  de  bien  frapper  sur  ce  robuste  dos. 

le  premier  sergent.  Quand  même  sa  chair  serait 
entièrement  ossifiée,  j'en  ferai  jaillir  le  sang.  Je 
veux  d'abord  le  ballre  sur  ce  flanc. 

le  deuxième  sergent.  El  moi  sur  celui-ci,  telle- 
ment qu'il  y  paraîtra. 

le  ceôlier.  Je  serai  le  troisième  qui  frapperai 
le  long  du  corps. 

valentin.  Spectateurs,  prêtez  attention  à  mes  pa- 
roles. Ne  balancez  plus,  je  vous  en  prie  pour  Dieu, 
à  croire  en  celui  qui  me  garde,  qui  voit  tout  et  re- 
garde partout,  qui  créa  le  monde,  et  qui  par  sa 
mon  nous  créa  de  nouveau,  qui  daigna  naître  d'une 
vierge  et  se  melire  à  notre  image  pour  racheter  le 
genre  humain  que  Satan  retenait  dans  la  servilude, 
qui  eut  tant  de  soin  et  de  souci  de  nous,  bien  qu'il 
n'en  eût  pas  besoin,  que  pour  nous  il  inourui  sus- 
pendu à  la  croix,  et  par  là  nous  rendit  la  vie.  Re- 
connaissez le  donc,  reconnaissez  le,  et  délaissez 
vos  idoles  trompeuses  qui  ne  sont  pas  des  dieux, 
mais  des  dénions  ;  ne  les  ayez  pas  pour  agréables, 
servez  seulement  le  vrai  Dieu  pour  lequel  je  souffre 
ce  tourment  qui  n'en  est  pas  un  pour  moi  :  au  con- 
traire, c'est  un  bain;  car  il  m'est  avis  que  ceux  qui 
m'arrangent  ainsi  me  frottent  d'un  doux  parfum 
Vous  pensez  quMs  me  martyrisent,  tandis  qu'ils  ne 
font  que  nie  purifier  et  qu'ils  glorifient  mon  corps 
et  mon  finie. 

le  quatrième  écolier.  Père,  bénie  soit  la  femme 
qui  t'a  nourri  !  Tu  as  arraché  tout  ce  peuple  à  l'en- 
fer et  lu  l'as  gagné  à  Dieu  par  la  vérité  de  les  pa- 
roles. * 

le  cinquième  écolier.  Père,  écoute  :  ces  gens 
en  foule  demandent  le  baptême,  pour  effacer  leurs 
méfaits  envers  Dieu. 

vuentin.  Qu'ils  soient  fermes  en  cette  volonté, 
cela  suffira  à  Dieu,  jusqu'à  ce  qu'il  se  soit  passé  un 
peu  de  temps;   alors  on  le  leur  donnera. 

le  premier  sergent.  Par  Mahomet!  monseigneur 
saura  à  l'instant  même  ces  nouvelles-ci. 

SCÈNE  XXVI. 

LE  SERGENT,  i/EMPEREUR  ,  CUEVAL1ERS. 

le  premier  sergent.  Sire,  je  viens  vous  «lire  que 
sept  mille  personnes  ont  quille  noire  loi,  converties 
par  Valentin  pendant  qu'on  le  bailait  à  ce  poleau- 
ti.  tu  un  mot,  tout  le  peuple  croit  sincèrement  au 
Dieu  île  ce  Valentin,  je  vous  l'a->sure. 

l'empereur.  Va,  fais-le  amener  ici  devant  moi, 
sur  l'heure. 


DICTIONNAIUE  DES  MYSTF.UF.S.  VAL  994 

LE    PREMIER   SERGENT.   Sil'C,  Jlahomet   IRC  SCCOlire  ! 

j'y  vais. 

SCÈNE  XXVII. 


LE  SERGENT,   VALENTIN,  LE    GEOLIER,   SOLDATS, 
PEUPLE. 

le  premier  sercent.  Holà,  seigneurs  !  ne  frappez 
plus,  il  nous  faut  mener  le  condamné  à  l'empe- 
reur. 

le  deuxième  sergent.  Nous  l'y  mènerons  arrangé 
comme  il  esi  ;  seulement  déliez-le.  Aussi  bien,  plug 
il  reste  ici,  plus  il  égare  de  gens. 

le  geôlier.  C'est  vrai ,  de  plus  il  nous  fait  tort 
et  nous  empêche  de  faire  ailleurs  du  profit;  enfin 
lui-même  est  tout  déconfit.  Il  est  délié,  allons-nous- 
en  et  emmenons-le.  Nous  restons  trop  longtemps 
ici. 

le  premier  sergent.  Allons. 

SCÈNE  XXVIII. 

LE     SERGENT,     L'EMPEREUR,     VALENTIN,     LE 
GEÔLIER. 

le  premier  sergent.  Mon  cher  seigneur,  voici  ce 
que  vous  demandez. 

l'empereur.  Eh  bien!  ne  t'es-lu  point  amendé? 
Dis-moi  la  vérilé  à  cœur  ouvert.  Au  moins,  je  te  vois 
tout  couvert  de  sang.  Pourquoi  ton  Dieu  n'a-t-il 
pas  jeté  les  yeux  sur  toi?  Pourquoi  ne  l'a-l-il  pas 
gardé  de  ce  tourment,  de  cette  peine?  Je  le  le  dis 
(et  ce  n'est  pas  en  vain),  si  je  vois  que  lu  persistes 
à  ne  pas  adorer  mes  dieux,  je  ferai  mettre  ici  un 
terme  à  les  jours.  Oui ,  je  le  répèle ,  je  le  ferai  cou- 
per la  tète. 

valentin.  Tes  jours  sont  plus  courts  que  les  miens. 
Pourquoi  me  menacer  !  Fais  ce  que  lu  pourras  do 
pis. 

l'empereur.  Par  mes  dieux!  tu  mourras  sur 
l'heure. —  Vide-Bourse,  sans  plus  attendre,  va-le- 
moi  mettra  à  mort  là  dehors;  et  si  lu  vois  qu'il 
y  survienne  aucun  qui  se  tienne  pour  Chrétien,  traite- 
le  de  même. 

le  geôlier.  Sire ,  volontiers,  par  mon  dieu  Apol- 
lon! il  n'en  aura  pas  moins. 

SCÈNE  XXIX. 

VALENTIN,  LE  GEOLIER,  ÉCOLIERS  DE  CATON. 

le  geôlier.  Allons,  maître,  allons!  puisque  vous 
êtes  entre  mes  mains,  vous  ne  serez  pas  longtemps 
envie.  Passez,  vous  mourrez  bientôt  ignominieuse- 
ment. 

le  quatrième  écolier.  Courage,  père!  soutenez 
vigoureusement  ce  dernier  combat  comme  un  bon 
et  loyal  chevalier  ;  par  la  mort  que  tu  souffriras, 
lu  gagneras  une  couronne  dans  la  vie  éternelle. 

le  cinquième  écolier.  Père,  loi  qui  es  la  cause 
et  l'auteur  que  nous  sommes  Chrétiens  et  tenons  la 
même  loi  que  toi,  montre-nous  ici  ta  perfection. 
Sache-le,  c'est  notre  intention  de  le  suivie  ions  les 
deux  comme  compagnons  et  amis,  en  quelque  lieu 
que  tu  ailles. 

SCÈNE  XXX. 

L'EMPEREUR,  CHEVALIERS,  SERGENTS,  DIABLES, 

l'empereur.  Holà!  j'ai  avalé  un  os.  Il  s'est  arrêté 
dans  ma  gorge,  ici  dans  ce  cou.  Seigneurs,  cer- 
tainement, j'étrangle  el  suis  un  homme  mort. 

le  premier  diable.  En  av.inl,  vile  ensemble  !  Sa- 
tan, prenons  cet  empereur.  H  a  tant  fail  depuis 
longtemps  qu'il  est  à  nous  de  droit.  Je  me  suis  lon- 
guement en«;.uis  de  ses  gestes,  il  est  bon  à  livrer  à 
l'enfer.  Débarrassons-nous-en  bien  vile  :  emportons- 
le  hors  d'ici. 

le  deuxième  diable.  Il  ne  reviendra  pas>  hi  ccllî 


99j 


VAL 


dictionnaire;  des  mystères. 


YEN 


»I96 


année  ni  jamais,  tanl  ses  crimes   sont  grands;  c. 
puisque  nous  l'avons  saisi  el  pris  ,  je  l'emporte. 

SCÈNE  XXXI. 

LE  FILS  DE  L'EMPEREUR,  CHEVALIERS. 

le  fils  de  l'empereur.  Seigneurs,  je  suis  plein  de 
tristesse  de  la  mort  honteuse  et  terrible  de  mon 
père.  Eh  quoi!  il  s'est  étranglé  en  mangeant,  el 
nous  sommes  tellement  aveuglés  qu'aucun  de  nous, 
à  ce  qu'il  me  semble,  ne  sait  ce  qu'est  devenu  son 
corps  :  c'est  bien  étonnant. 

le  chevalier.  Que  Mahomet  veuille  en  avoir  pitié! 
car  je  suis  fort  ébahi  à  son  sujet.  Je  crois  que  nous 
sommes  les  victimes  d'un  enchantement. 

le  fils.  Laissez,  cela  ne  tient  pas  à  celle  cause.  Je 
ne  demeurerai  plus  ici,  j'irai  chercher  ailleurs  une 
résidence  où  je  serai  plus  en  sûreté.  Pensez  à  vous 
meure  lous  trois  en  roule.  Allons  vile  !  accompa- 
gnez-moi :  je  vais  au  château  de  Bel-le-Voy. 

le  deuxième  sergent.  Allons,  sire,  sans  plus  de 
paroles,  puisque  lel  esl  voire  plaisir. 

SCÈNE  XXXII. 

VALENTIN,   LE  GEÔLIER. 

le  geôlier.  Yalenlin,  il  faut  que  je  le  coupe  la 
tête  sans  plus  de  répit,  si  lu  ne  renies  entièrement 
Ion  Dieu  pour  les  nôtres. 

valektin.  J'aime  bien  mieux ,  te  dis-je  encore, 
que  lu  me  coupes  le  chef  sans  retard;  mais  donne- 
moi  un  peu  de  temps  (je  ne  veux  le  demander  rien 
de  plus)  pour  que  je  puisse  recommander  mon  àmo 
à  mou  Dieu. 

le  geôlier.  Allons?  dépèche-loi  vile  ici,  en  ce 
lieu  même. 

SCÈNE  XXXIII. 

DIEU,  GABRIEL. 

dieu.  Allons,  Michel,  el  toi,  Gabriel!  allez-vous- 
en  là  bas  sur  la  lerre  chercher  l'àme  de  mon  bon 
ami,  qu'on  veut  décoller  parce  qu'il  m'aime.  Je 
veux  qu'elle  ail  éternellement  son  séjour  dans  la 
gloire. 

garriel.  Sire,  sans  plus  nous  tenir  ici,  nous  y 
allons. 

SCÈNE  XXXI Y  . 

VALENTIN,   LE  GEOLIER,  PELPLE. 

le  geôlier.  Maintenant  que  lu  es  à  genoux,  n'es- 
père poinl  le  relever  jamais,  el  je  n'attendrai  pas 
aujourd'hui  davantage.  Tu  as  assez  prié  Ion  Dieu, 
el  tu  m'as  suffisamment  retardé;  étends  le  cou, 
baisse  la  tête,  el  pleure,  si  tu  veux,  ou  sois  dans  la 
joie  :  lu  ne  me  causeras  aucune  peine.  Tiens,  sois 
chevalier  en  gaigne  :  lu  as  eu  de  moi  le  coup  sur  le 
cou.  —  Mettons  maintenant  mon  épée  en  lieu  sûr. 
—  Mahomet,  hélas!  où  suis-je?  autour  de  moi  je  ne 
vois  que  diables  hideux,  furieux...  Ils  me  saisissent. 
Est-ce  pour  m'emporler  dans  un  lieu  de  lerrihles 
louriuenls? 

le  deuxième  diarle.  Nous  te  donnerons  bientôt 
pour  toujours  un  hôtel  neuf.  —  Satan,  mon  compa- 
gnon ,  il  n'y  a  pas  à  dire,  il  m'est  égal  qu'il  soit  clerc 
ou  laïque;  emportons-le  vile,  sans  délai,  avec  sou 
ir.ailrc. 

le  premier  diable.  H  fera  bon  de.  les  mettre  en- 
semble ;  aussi  bien  sont-ils  d'une  même  clique.  — 
Eu  avant,  achemine-loi  sur-le-champ  avec  moi. 

SCÈNE  XXXV. 

ÉCOLIERS,  UN  ANGE. 

le  cinquième  écolier.  Buzi,  à  celle  heure  Dieu 
venge  le  saint  homme  sous  nos  yeux.  Je  suis  d'avis, 
sans  plus  rêver  ici,  que  lous  deux  nous  remportions 
bien  vile,  el  nous  le  ferons  meure  en  lerre  comme 
Chrétien* 


le  quatrième  écolier.  Certes,  cela  me  plaît  fort. 
Allons!  peu  m'importe  qui  nous  voie,  allous-nous-cu 
loui  droit  parce  chemin  au  logis. 

le  deuxièeme  ange.  Gabriel ,  sans  larder,  potions 
aux  cieux  celle  sainie  aine,  el  en  la  ponant  a  mu- 
sons-nous à  chanler  ce  doux  chant:  Ordres  angéliqaes, 
citoyens  apostoliques  et  martyrs,  réjouissez-vous!  mir 
un  heureux  sort,  saint  Yalenlin  a  pris  le  nom  d'âme 
de  Dieu;  clianiez. 

Ordines  angelici, 
Cives  aposiolici 
El  mariires,  letlale 
Ab  islo  qui  j'elici 
Sorte  uomen  amici. 
JJei  cepil;  cantate. 

VENGEANCE  DE  JERUSALEM(La).-Cq 
drame  du  xvic  siècle,  imprimé,  mais  dont 
ies  exemplaires  sont  devenus  singulièrement 
rares,  est  intitulé  : 

La  vengeance  et  destruction  de  Jérusalem,  exé- 
cutée par  Vespasien  et  son  fils  Titus. 

M.  O.  Le  Roy  en  a  dit  dans  ses  Etudes  sur 
les  Mystères  (  Paris,  1837,  in-8°,  p.  261}  :  Vous 
trouverez,  dans  celle  pièce  qui  est  très- 
rare,  Pilate  vivant  encore,  et  toujours  le 
môme,  toujours  dans  sa  place,  et  tremblant 
toujours  qu'on  ne  la  lui  ôle.  Rien  de  plus  naît 
que  cette  espèce  de  confession  qu'il  l'ait  à  un 
île  ses  amis,  et  que  le  sang  d'un  Dieu,  versé 
par  sa  faiblesse,  semble  lui  arracher: 

Vous  scavez  que  je  refusay 
A  le  juger,  el  m'exciisay 
Tanl  que  je  peu.  Mais  toutefois 
Les  Juifs  ciioienl  à  plaine  voix 
Contre  moy  ,  je  ne  le  jugoye 
Ennemi  de  César  seroye. 
Lors  craignant  queue  lusse  oslé 
De  l'office  de  prevoslé, 
A  eux  me  voulut  condescendre, 
Et  condamnay  Jésus  à  pendre 
Entre  deux  larrons  en  la  croix 
Coude  la  loy ,  contre  les  drois 
Car  je  scavoye  certainement 
Qu'il  esluil  pur  el  innocent. 

«  Effrayant  aveu,  inspiré  par  la  crainte  ; 
car  il  craint  surtout  qu'on  ne  revienne  sut- 
son  arrêt  et  qu'on  ne  le  metle  sous  les  .veux 
du  nouvel  empereur... 

0  iraislre  maulvais  que  je  fus 
De  le  juger!  Las  !  que  dira 
L'Empereur,  quand  il  apprendra 
Que  j'aurai  laid  celle  injustice? 
Bref,  il  m'oslera  mon  ollice... 

VENGEANCE  DE  NOTRE-SEIGNEUR- 
JESUS-CHR1ST  (La).—  Ce  drame  fut  joué 
àTroyesau  xvr siècle, d'après  le  témoignage 
des  historiens  de  celle  ville.  Duhalie,  Cour- 
talon,  Grosley.  (Cf.  A  de  Viriville,  Arcfiiv. 
hisl.,  de  l'Aube;  Paris,  1841,  in-8°,  p.  329.)  — 
A  Abbeville,  dans  ce  môme  temps,  on  la  re- 
présentait au  cimetière  Sailli-Jacques.  (Cf. 
Registres  des  comptes  de  C  Hôtel  de  Ville. — 
C.-F.  Louandre,  Hist.  d'Abbcville;  1834,  i;i- 
8%  p.  238. 

M.  Louis  Paris  (  Toiles  peintes  et  tapisse- 
ries de  la  ville  de  Reims;  Paris,  I8i3,  in-4", 
2  vol.,  t,  I,  Préf.,  p.  lxi),  donne  un  extrait 
de  Jehan  Pussol,  chroniqueur  du  xvt'  siècle, 
qui  témoigne  de  la  représentation  à  Keiuis, 


99" 


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NCTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


YEN 


998 


en  l'année  1530,  du  Mystère  de  la  vengeance. 

Le  même  auteur  (Ibid.,  t.  Il  ,  p.  007  ) 
accuse  de  négligence  et  d'inattention  les 
frères  Parlait  et"M.  O.  Le  Roy,  à  propos  du 
Mystère  de  la  vengeance  de  Noire-Seigneur. 
Ce  drame  seraill'œuvre  de  Jean  Michel,  évè- 
que  d'Angers,  auteur  du  drame  de  La  Passion; 
car  les  principaux,  personnages  de  ce  grand 
mystère,  réapparaissent  dans  celui  de  La 
Vengeance,  qui,  joué  à  Metz  en  1437,  ne  peut 
être  attribué  au  docteur  Jean  Michel,  mort 
seulement  en  li93,  et  dont  le  frontispice 
dans  l'une  des  meilleures  éditions  représente 
nn  évoque.  L'analyse  que  donne  M.  Louis 
Paris  occupe  305  pages  in-4.°. 

La  Bibliothèque  du  théâtre  françois,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  La  Vallière  (Dresde, 
17G8,  in-8°,  3  vol.,  t.  I,  p.  06),  donne  une 
analyse  très-succincte  de  ce  mystère. 

Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  françois  (Paris,  15  vol.,  in-12,  1735, 
t.  111,  p.  352-355),  en  ont  laissé  la  notice 
suivante  : 

MYSTÈRE    DE    LA    VENGEANCE    (440). 

La  Vengeance  de  Notre-Seigncur  Jésus-Christ 
par  personnages  bien  au  long  (441).  Paris, 
Jehan  Petit,  in-t'ol.,  gothique  sans  datte 
(442)  contenant  176  feuillets,  ou  352  pages 
à  deux  colonnes  :  environ  trente  mille 
vers. 

«  Cet  ouvrage  est  divisé  en  quatre  jour- 
nées, comme  celui  de  la  Passion;  avec  un 
prologue  à  la  tète  de  chacune.  Comme  la 
versification  en  est  fort  mauvaise,  nous  don- 

(440)  Le  mystère  de  la  Vengeance  fui  représente  à 
Metz  dés  l'année  1437  connue  nous  rapprend  Tau- 
leur  de  l'histoire  manuscrite  de  Metz.  <  Item  en  la- 
dicle  année  (1437)  le  17  jour  de  septembre,  fust  laid 
le  Jeu  de  la  Vengeance  Noslre-Seigneur  Jesu-Clirist 
au  propre  Parc  que  la  passion  avoil  été  l'aide  :  et 
fust  irés-gen  liment  la  cité  de  Uierusalem,  et  le  port 
«le  Jalfé,  dedans  ledit  parc;  et  fui  Jehan  Mathieu  le 
Plaidons  Vespasien,  ci  le  Curé  de  S.  Victour,  qui 
avoit  esté  Dieu  de  la  Passion,  l'ut  Titus,  cl  dura  en- 
viron quatre  jours.  >  Ce  passage  se  trouve  écrit  à  la 
main  à  la  tète  de  l'exemplaire  sur  lequel  nous  avons 
l'ail  cet  extrait. 

Dans  la  suite  on  fil  quelques  changements  à  ce 
mystère,  cl  il  lin  joue  de  celle  sorte  à  Paris  devant 
le  roi  Charles  Ylll,  avec  un  prologue  qui  lui  est 
adressé. 

PROLOGUE. 

Pour  présenter  au  plus  noble  vivant, 
Très-Cbrestien  bien  curé  Roy  de  France, 
A  esté  laicl  ce  Livre,  contenant 
Le  Mystère  comme  Dieu  priât  Vengence 
Des  Iruislres  Juil'z,  qui  |>ar  leur  arrogance 
tirent  mourir  le  beuoisl  Jesu-Clirisl. 


Nous  prierons  Dieu,  et  la  Vierge  Marie, 
(jmi  le  Imiii  liuy  Charles  liustiéme  de  ce  nom, 
Uu'il  au  lousiour»  joye  iuliuie, 
El  de  ses  faiclz  bonne  protection,  etc. 

(441)  La  plus  ancienne  édition  de  cel  ouvrage, 
in-fol.  gothique,  est  imprimé  à  Paris,  chez.  Anloine 
Yérard,  le  28  mai  141)1.  La  note  manuscrite  nui  esl 
à  la  léle  de  l'édition  de  Petit,  qui  nous  apprend  ceci, 
ajoute  qu'elle  csi  préférable  à  celle  de  Vérard.  Comme 
nous  ne  l'avons  poim  vue,  nous  ne  pouvons  assurer 
te  l'ail.  Depuis  l'édition  de  Petit,  Trepperel  imprima 
ce  mystère  iu-40  gothique   sous  le    lilrc  suivant  : 


lierons  en  peu  de  mots  l'extrait  de  ce  mys- 
tère, ne  nous  attachant  qu'aux  endroits  h  s 
plus  singuliers. 

PREMIÈRE    JOURNÉE. 

«  Quelque  temps  après  la  mort  du  Fils  do 
Dieu  ,  les  habitants  de  Jérusalem  aperçoi- 
vent dans  les  airs  des  signes  menaçants. 
Aunas  et  Cayphas,  ne  les  envisageant  que 
comme  des  phénomènes,  productions  natu- 
relles et  de  nulle  considération,  méprisent 
ces  présages,  dont  les  gens  les  plus  sensés 
sont  mortellement  alarmés.  Pilate  etsa  femme 
sont  de  ce  nombre.  Ce  n'est  pas  tout  (443), 
Laucius  et  Carius,  morts  depuis  quelque 
temps,  se  montrent  aux  Juifs,  et  leur  appor- 
tent des  lettres  pour  leur  attester  de  la  vérité 
de  la  résurrection.  Les  honnêtes  gens  trem- 
blent de  frayeur  a  la  lecture  de  ces  lettres. 
D'un  autre  côté,  Vespasien  attaqué  d'une 
ati'reuse  lèpre,  et  abandonné  des  médecins, 
n'attend  que  la  mort.  Un  ange,  sous  la  ligure 
d'un  pèlerin,  vient  lui  raconter  les  miracles 
de  Jésus.  Titus,  quoique  païen  aussi  bien 
que  son  père,  demande  au  pèlerin  si  celui 
dont  il  parle  n'est  pas  le  Messie  et  le  répa- 
rateur de  la  nature  humaine.  Sur  sa  réponse, 
Vespasien  écrit  à  Pilate  pour  le  prier  de  lui 
envoyer  quelque  chose  qui  ait  appartenu  à 
Jésus.  Sur  ces  entrefaites  Pilate  apprenant 
queMételle,  soldat  païen,  possède  la  robe 
de  Noire-Seigneur  et  la  conserve  avec  une 
vénération  particulière,  feint  d'être  malade, 
et  la  lui  ayant  empruntée  ne  veut  plus  la 
Juirendre,  espérant  queceprécieux  vêtement 
le  garantira  des  périls  qu'il  craint. 

<  La  Vengeance  et  Destruction  de  Jérusalem  par 
personnages,  exécutée  par  Vespasien  et  son  fils  Ti- 
tus, contenant  en  soy  plusieurs  Chronicqucs  roni- 
maines,  tant  du  règne  de  Néron  Lu  pereur,  que  do 
plusieurs  autres  belles  Histoires,  à  I  honneui  et  à  la 
louange  de  N.-S.  J.-C.  et  de  la  Court  de  Paradis,  el 
a  eslé  imprimé  ce  présent  Livre  intitulé  de  la  Yen- 
geance, eic,  le  17.  jour  de  Juing  l'an  1510,  par 
Jean  Trepperel  Libraire  et  Imprimeur,  demouanl  à 
Paris  en  la  rucKeufve  Noslre-Dame,  à  renseigne  de 
l'Lscu  de  France.  >  (Bibliolli.  de  M.  de  Sardiere.) 

Sa  veuve  associée  avec  Denis  Jehannot,  le  réim- 
prima ensuite  sous  un  pareil  titre,  cl  de  la  même 
forme,  sans  date.  (Diblioili.  de  M  Barré.) 

(44"2j  Jean  l'élit  imprimait  vers  l'on  i478.(Lacaille, 
Ilisl.  de  l'Imprimerie,  p.  71.) 

Duverdier  pp.  899  et  1189  de  sa  Dibl.  franc., 
parle  de  cette  édition,  el  n'en  connaissait  point 
d'au  ires. 

(445)  De  crainte  qu'on  révoque  en  doute  une  par- 
lie  des  laits  qui  sont  dans  ce  mystère,  l'auteur  a  eu 
la  précaution  d'indiquer  à  la  lin  de  la  quatrième 
journée  les  sources  où  il  les  a  pris. 

De  la  Passion  Jesncrisl. 
Icy  termine  la  Vengence, 
Comme  Josepttus  la  escript 

D«  dans  les  Livres  eu  substance. 
Aiecqucs  cela  concordance 
De  Kgésippus,  qui  grandement 
Lncscripl;  et  semblablemcnl 
De  I'Vstoire  Ecclésiastique, 
Ll  aussy  île  la  Scolaslique 
A  esté  la  sul  slanre  pruise. 
Pour  part  qui  esi  ici  couiprinse  : 
Sur  tous  autres  Ue  lliéréiiiye, 
(jui  esl  approuvé  de  l  Kghse. 
Lu  ce  ca>,  il  ne  inei.toii  ucje. 


f.i 


39 


YEN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


YEN 


1,00 


'<  Cayphas  et  Annas  écrivent  à  l'empereur  clui-ci  à  Néron.  Les  Juifs  se  révoltent  contre 
Tibère  pour  se  justifier  delà  mort  de  Jésus,  ce  prince,  qui  envoie  Vespasien  avec  une 
et  accompagnent  leur  lettre  d'un  riche  pré-  forte  armée  pour  réduire  ces  rebelles.  Vis- 
sent. Pilate  dépêche  de  son  côté  Centurion  pasien  arrive  au  port  de  Jaffet,  et  cette  jour- 
et  Mételle  dans  le  même  dessein  (44&).  »  née  finit  par  quelques  escarmouches  entre 

les  troupes  romaines  et  juives.  » 


SECONDE    JOURNÉE. 

«  Mételle  et  son  compagnon  présentent  à 
l'empereur  les  lettres  de  Pilate,  dans  les- 
quelles ce  gouverneur  lui  fait  récit  de  la  vie 
et  des  miracles  de  Jésus.  Tibère  (44-5),  saisi 
d'étonnement,  convoque  le  Sénat  pour  lui 
en  faire  part.  Cependant  les  chevaliers  de 
Vespasien  arrivent  en  Judée,  et  s'adressent 
à  Cayphas  qui  les  renvoie  avec  menaces. 
Pilate,  qu'ils  vont  trouver  ensuite,  les  ins- 
truit sur  la  sainteté  de  la  vie  de  notre  Sau- 
veur, mais  il  ajoute  qu'il  ne  peutcontenterles 
désirs  de  leur  maître.  Les  chevaliers  déses- 
pérant de  pouvoir  trouver  ce  qu'ils  cher- 
chent, vont  au  Temple  de  Jérusalem,  où  i's 
rencontrent  Véronne  qui,  obéissant  aux  or- 
dres de  Dieu,  leur  dit  qu'elle  possède  la 
Véronique  et  qu'elle  veut  bien  les  accom- 
pagner. Vespasien,  guéri  par  l'attouchement 
de  celte  sainte  relique,  remercie  Jésus  et 
promet  de  venger  sa  mort.  Il  sort  ensuite 
pour  apprendre  sa  guérison  miraculeuse  à 
l'empereur.  Cette  nouvelle  irrite  ce  prince 
contre  Pilate;  il  ordonne  à  des  archers  d'aller 
Je  prendre  chez  lui,  et  de  l'amener  à  Rome, 
où  il  le  fait  aussitôt  enfermer  dans  un  ca- 
chot. Le  démon  Forgibus  vient  trouver  ce 
prisonnier,  et  lui  conseille  de  se  pendre. 
Pilate  résiste  à  cette  tentation.  Sur  ces 
entrefaites  Sabin  son  valet  lui  apporte  de 
l'argent  et  la  robe  de  Noire-Seigneur,  que 
Pilate  met  aussitôt.  Par  l'effet  de  cette  robe, 
Tibère  lui  fait  beaucoup  de  caresses  lors- 
qu'il l'en  voit  revêtu,  mais  dès  qu'il  n'est 
plus  deyant  lui  il  veut  le  faire  mourir.  On 
soupçonne  enfin  l'artifice  du  criminel,  et 
après  l'avoir  dépouillé  de  sa  robe,  Tibère, 
de  l'avis  du  Sénat  le  condamne  à  l'exil.  Ou 
Je  conduit  à  Lyon,  où  on  l'attache  aussitôt 
au  Pilori  avec  un  éctiteau  devant,  et  un 
autre  derrière  :  et  de  là  on  le  ramène  dans 
la  prison  de  cette  ville.  Pilate  désespérant 
de  sortir  jamais  de  ce  lieu  obscur,  suit  les 
conseils  du  démon  Fergaius  et  se  tue  d'un 
coup  de  poignard  :  on  jette  son  corps  dans 
le  Rhône. 

«  Tibère  meurt,  Caius  lui  succède,  et  par 
sa  prompte  mort  laisse  l'empire  à  Claude,  et 

(444)  Chaque  journée  de  ce  mystère  est  précédée 
par  un  discours  que  t'ait  le  meneur  du  jeu,  sur  ce 
que  Ton  vient  de  voir,  et  ce  qui  va  être  représenté; 
cl  est  terminée  par  une  autre  où  il  congédie  l'as- 
semblée, et  la  prie  de  revenir  le  lendemain. 

(445)  Les  auteurs  des  mystères  se  sont  tous  ac- 
cordés pour  nous  représenter  Tibère  comme  un  bon 
prince,  et  assez  porté  en  laveur  de  ta  religion  chré- 
tienne. Il  y  a  toute  apparence  que  la  juste  sévérité 
qui  lui  lit  exiler  Pilate  en  est  la  seule  cause. 

(446)  «  Nota,  qu'ilz  la  lien"  icy  sur  ung  long  banc, 
le  ventre  dessus;  et  faull  avoir  un  corps  fainl  pour 
ouvrir.  >  Pendant  qu'on  dssèque  ici  le  corps  faint 
d'Agrippine,  la  personne  qui  joue  ce  rôle,  est  cachée 
derrière  le  théâtre  et  parle  à  Néron  et  aux  bour- 


TROIS1ÈME   JOURNÉE. 

«  Néron,  importuné  des  remontrances  de 
Sénèque,  ordonne  qu'on  lui  tranche  la  tête, 
et  se  résout  à  faire  mourir  Agrippine.  Lu- 
cifer instruit  de  ses  desseins,  envoie  un  dé- 
mon qui,  sous  l'habit  d'un  médecin,  conseille 
à  ce  prince  de  faire  ouvrir  le  ventre  de  cette 
princesse  (446). -Pour  accroître  encore  le 
crime  de  Néron,  l'auteur  suppose  ici  qu'A- 
grippine  perd  la  vie  dans  l'opération  ;  elle 
vomit,  en  expirant,  mille  injures  contre  co 
filsdénaturé.  Les  sénateurs,  informés  de  cette 
cruauté,  conspirent  contre  l'empereur;  qui 
cependant  t'ait  mettre  le  feu  dans  Rome,  et 
écorcher  deux  sénateurs.  Le  peuple  se  sou- 
lève, et  Néron  se  tue  enfin  à  la  suggestion 
des  malins  esprits  qui  emportent  son  âme. 
D'un  autre  côté  Vespasien  remporte  quel- 
ques avantages  sur  les  Juifs,  et  prend  Jota- 
pate.  Joseph,  jeté  dans  une  fosse,  en  est 
retiré  miraculeusement  par  un  ange  que 
Dieu  envoie  exprès  pour  lui  sauver  la  vie.  » 

QUATRIÈME  JOURNÉE. 

«  Galba  n'est  pas  plutôt  élevé  à  l'empire, 
qu'il  se  voit  disputer  cette  dignité  par  deux 
compétiteurs  Vilelle  et  Othes.  (Vitellius  et 
Othon).  11  succombe  sous  les  coups  du  der- 
nier, qui  devient  par  là  son  successeur. 
Othes  ne  conserve  pas  longtemps  sa  nouvelle 
dignité  :  poursuivi  par  Vitelle  et  ses  adhé- 
rents, il  s'arrache  la  vie  et  laisse  le  Irôue  à 
Vitelle.  Au  bout  de  quelque  temps  les  Ro- 
mains, las  des  débauches  de  ce  dernier  empe- 
reur, l'assassinent  et  jettent  son  corps  dans 
le  Tibre.  Les  diables  emportent  son  âme  en 
triomphe  aux  enfers.  Cependant  Vespasien 
presse  les  Juifs  de  plus  en  plus,  et  fait  ar- 
borer trois  étendards,  l'un  blanc,  le  second 
rouge  et  le  dernier  noir  (447).  La  résistance 
des  rebelles  l'oblige  à  donner  un  assaut  gé- 
néral. Cayphas  et  Annas  sont  faits  prison- 
niers, et  Vespasien,  seressouvenantdela  pro- 
messequ'il  a  faite  au  Seigneur,  les  condamne, 
comme  auteurs  de  la  révolte,  à  être  pendus 
par  les  pieds.  On  attache  aussi  avec  eux  des 

reaux.  II  faut  remarquer  qu'on   appelle  ici  tailleur 
celui  qui  l'ait  cette  opération. 

(447)  Si  l'on  en  croit  les  auteurs  chrétiens  qui  ont 
parlé  du  grand  Tamerlan,  ce  prince  avait  coutume, 
lorsqu'il  assiégeait  quelque  ville  d'importance,  de 
faire  tendre  en  premier  lien  un  pavillon  blanc,  pour 
signifier  que  si  les  assiégés  voulaient  se  soumettre, 
ils  éprouveraient  les  eflels  de  sa  clémence.  Si  la 
ville  refusait  de  se  rendre,  il  faisait  poser  le  lende- 
main un  pavillon  couleur  de  feu,  signal  de  sa  colère  : 
et  enfin  lorsque  les  habitants  persévéraient  à  se  dé- 
fendre, il  leur  annonçait  par  un  pavillon  noir  qu'il 
les  abandonnait  à  la  fureur  de  son  armée.  Noire  au- 
teur fait  imiter  ici  ce  trait  de  Tamerlan  par  Vespa- 
sien. 


1031 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


1002 


Shiens,  des  chats  et  des  singes  pour  les  dé- 
vorer. On  vient  apprendre  à  Vespasien  que 
le  sénat  l'a  proclamé  empereur.  Sur  celte 
heureuse  nouvelle,  ce  prince  charge  son  fils 
Titus  du  soin  de  l'armée  et  de  cette  guerre, 
et"  s'en  retourne  à  Rome.  Titus  exécute  les 
ordres  de  son  père  avec  beaucoup  d'ardeur, 
ce  qui  jette  les  rehelles  dans  une  extrême 
consternation.  Une  femme  appelée  Marie, 
pressée  par  une  faim  cruelle,  met  son  jeune 
enfan'%à  la  broche  comme  un  cochonde lait.  Ce- 
pendant les  Romains,  par  un  dernier  elfort, 
entrent  dans  la  ville;  on  met  le  feu  au  tem- 
ple, et  les  vainqueurs  exercent  mille  cruau- 
tés, violant  les  femmes  et  les  filles,  en  pré- 
sence de  leurs  maris  et  de  leurs  mères,  qui 
sont  emmenés  en  esclavage.  » 

VIC  (Saint).  —  On  lit  dans  les  Recherches 
sur  les  Théâtres  de  France  de  De  Beau- 
champs  (Paris,  1735,  in-8",  3  vol.,  t.  Ier,  p. 
251): 

«  FRÈRE  GEOFFROY  MUNSTER. 

«  Saint  Vie. 

«  L'an  1420,  le  jour  de  la  fête  Saint-Privey, 
fut  fait  le  jou  (jeu)  de  saint  Vie  par  frère 
Geoffroy  Munster,  qui  fi  les  personnages, 
lui  fi  le  curé  de  saint  Vie,  xi  sols  davan- 
tage. » 

VICTOUK  (Saint).  —  On  trouve  dans  les 
Recherches  sur  les  Théâtres  de  France  de  De 
Beauchamps  (Paris,  1135,  in-8°,  3  vol.,  t.  1", 
p.  242)  la  note  suivante  : 

".  Saint  Vie  tour. 

«  L'an  1425,  le  premier  jour  du  mois 
d'août  fut  fait  le  jeu  de  saint  Viclour,  et  fut 
M"  DidierGerbin  maître  des  echolles  de  saint 
Vie,  saint  Victour,  et  duroit  le  dit  jeu  trois 
jours  et  fu  fait  un  chanci.  »  (Chr.  de  Metz, 
ms.) 

VIERGE  (Dialogue  de  la).  —  M.  Edéles- 
tand  Duméril  considère  la  forme  du  drame 
comme  complète  dans  le  Dialogue  de  la  Vierge 
de  saint  Anselme  (Cf.  S.  Anselimi  opéra;  éd. 
de  Paris,  1721,  p.  488-493;  Ed.  Duméril. 
Origines  latines  du  théâtre  moderne,  Paris, 
1849,  in-8°,  p.  3).  Ce  dialogue  n'a  jamais  élé 
destiné  a  la  représentation. 

VIERGES  SAGES  ET  LES  VIERGES 
FOLLES  (Les).  —  Ce  beau  mystère  qui 
date  au  moins  du  xie  siècle  et  qu'on  peut 
sans  exagération  faire  remonter  au  x%  ainsi 
que  l'a  indiqué  Raynouard,  est  l'un  de  ceux 
dont  le  manuscrit  de  Saint-Martial  de  Limo- 
ges, appartenant  à  la  Bibliothèque  impé- 
riale, n°  1139,  nous  a  conservé  des  frag- 
ments. (Voy.  Saint-Martial.) 

Raynouard  (Choix  de  poésies  originales  des 
troubadours,  t.  II,  p.  139)  l'a  publié  le  pre- 
mier. M.  Fr.  Michel  en  a  donné,  pour  la  so- 
ciété des  bibliophiles,  une  édition  repro- 
duite en  Angleterre,  par  M.  Thomas  Wright 
(Early  mysterics,  anciens  mystères  et  poèmes 
latins;  Londres,  Nichol ,  i838,  in-8°,  de 
xxvni-135  pages),  et  en  France,  dans  le 
Théâtre  Français  du  moyen  âge  (Paris, 
1839,  gr.  in-8°),  de  MM.  Monmerqué  et  Fr. 
Michel. 

M.  Magnin,  dans  son  cours  professé  à  la 
Faculté  des  Lettres  en  1835  (Cf.  Journ.  gén. 
Dictionn.  des  Mystères. 


de  rinslr.  publig,,  26  juillet  1835,  p.  395), 
et  dans  le  Journal  des  Savants,  cahier  dejan- 
vier  1840,  a  signalé  cet  office  dialogué  comme 
le  plus  ancien  drame  connu  jusqu'ici,  où  ap- 
paraisse au  milieu  du  latin  expirant  l'emploi 
d'un  idiome  moderne.  C'est  un  monument 
bilingue  et  même  trilingue,  le  latin  et  l'an- 
glo-normand  y  étant  associés  à  la  langue  ro- 
mane. Ce  drame  a  dû  être  non  pas  seule- 
ment récité  mais  représenté  dans  l'église; 
ce  qu'indique  la  rubrique  prœcipitentur  in 
infernum... 

Ces  conclusions,  si  pleines  de  sagacité,  ont 
été  universellement  adoptées;  il  n'y  a  guère 
que  M.  O.  Leroy  qui  s'y  soit  soustrait  pour 
rapprocher  le  mystère  des  Vierges...  de  quoi? 
—  Du  bel  opéra  de  la  Vestale.  (Etudes  sur 
les  mystères;  Paris,  1837,  in-8°,  p.  7. 

Nous  n'avons  qu'une  observation  à  faire  : 
il  nous  a  semblé  que  ce  que  M.  Magnin  con- 
sidère comme  un  Mystère  de  l'arrivée  de  Té- 
poux,  n'était  que  le  prologue  des  trois  scè- 
nes du  mystère  des  Vierges,  et  ne  pouvait 
être  nullement  considéré  à  pari.  —  Voyez 
Saint-Martial  de  limoges  (Manuscrit  de). 

PERSONNAGES 


UNE   VOIX    D  EN   HAUT. 
L'ANGE    GABRIEL. 
LES   VIERGES   SAGES. 
LES   VIERGES   FOLLES. 


LES  MARCHANDS. 

LE   CHRIST,  OU  L'ÉPOUX. 

LES   DÉMONS. 


PROLOGUE. 

UNE    VOIX  D'EN   HALT,    L'ANGE   GABRIEL,    LE» 
VIERGES  SAGES  et   LES  VIERGES  FOLLES. 

une  voix  d'en  haut.  Voici  l'Epoux  qui  est  le 
Christ.  Veillez,  ô  vierges.  A  son  approche  les  hom- 
mes se  réjouissent  et  se  réjouiront.  Car  il  est  venu 
ôler  leurs  liens  aux  herceaux  des  nations  tombées 
par  la  faute  de  la  première  mère  sous  le  joug  des 
démons.  11  est  le  second  Adam  du  prophète,  par  qui 
le  crime  du  premier  est  détruit  en  nous.  11  a  élé  mis 
en  croix  pour  nous  rendre  à  la  céleste  patrie  et  nous 
libérer  du  diable.  11  vient,  l'Epoux  qui  a  lavé  la 
souillure  de  nos  péchés  par  la  mort  et  souffert  le 
supplice  de  la  croix. 

l'ange  Gabriel.  Ecoutez ,  vierges,  ce  que  je  vais 
vous  dire  à  l'instant,  et  vous  commander  :  Atten- 
dez un  époux,  Jésus  Sauveur  a  nom  :  Guères  ne 
donnait,  cet  époux  que  vous  attendez. 

11  vient  sur  celle  terre  pour  vos  péchés.  H  naquit 
de  la  Vierge  en  Bethléem.  Au  fleuve  du  Jourdain  il 
fut  lavé  et  baptisé.  Guères  ne  donnait,  cet  époux  que 
vous  attendez. 

Il  fut  battu,  gabé  et  là  renié,  en  haut  sur  la  croix 
battu,  au  clou  fiché  :  et  sous  le  monument  il  reposa. 
Guères  ne  donnait,  celui  que  vous  attendez. 

Il  est  ressuscité,  l'Ecriture  le  dit. 

Je  suis  Gabriel,  moi  placé  ici. 

Attendez-le  ;  car,  bientôt,  il  viendra  par  ici. 

Guères  ne  donnait,  cet  éuoux  que  vous  attendez. 

SCÈNE  I". 

LES    VIERGES  SAGES,   LES  VIERGES  FOLLES. 

*es  vierges  folles.  O  vierges ,  nous  venons  à 
vous.  Nous  avons  versé  l'huile  avec  peu  de  soin.  O 
sœurs,  nous  vous  prions  avec  ardeur,  nous  avons 
espoir  en  vous.  Indolentes!  misérables  !  nous  avoua 
trop  dormi  !! 

Compagnes  du  même  voyage,  sœurs  de  1 1  même 
famille,  sans  doute  le  malheur  est  juste  aux  misé- 
rables, mais  il  csl  en  votre  pouvoir  de  nous  rendre, 
au  ci«u 

32 


1003 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


1004 


indolentes!  misérables!  nous  avons  trop  dormi!,! 

Parlagez  avec  nous  la  lumière  de  vos  lampes,  ayez 
pitié  de  notre  inexpérience.  Ah  !  serons-nous  à  la 
porte  ;  et  vous,  au  contraire,  appelées  par  l'Epoux 
dans  la  maison. 

Indolentes  !  misérables  !  nous  avons  trop  oormj  !  ! 

les  sages.  Cessez  vos  prières,  nos  sœurs;  nous 
vous  en  conjurons;  car  il  ne  «ms  servira  de  rien,  de 
nous  prier  plus  longtemps  à  ce  sujet.  Ce  que  vous 
nous  demandez,  le  don  de  notre  huile,  vous  ne  l'ob- 
tiendrez point.  Allez-en  acheter  de  ces  marchands 
que  vous  voyez  là-bas. 

les  folles.  Indolentes  !  misérables  !  nous  avons 
trop  dormi  !  ! 

les  sages.  Allez  donc,  allez  vite.  Priez  douce- 
ment les  marchands.  Paresseuses,  ils  vous  donne- 
ront de  l'huile  pour  vos  lampes. 

les  folles.  Indolentes  !  misérables  !  nous  avons 
trop  dormi  !  ! 

Hélas  !  Hélas!  que  faisons-nous  ici  ?  ne  pouvions- 
nous  veiller?  le  désespoir  dont  nous  sommes  acca- 
blées, c'est  notre  œuvre  à  nous-mêmes. 

Indolentes!  misérables!  nous  avons  trop  dormi!! 

SCÈNE  IL 

LES  VIERGES  FOLLES,  LES  MARCHANDS. 

les  folles.  Hé  !  à  nous,  marchand.  (A  pari.)  Vite, 
qu'il  nous  donne  ce  qu'il  aura,  lui  ou  son  compa- 
gnon. (Aux  marchands.)  Nous  venons  chercher  de 
l'huile,  en  ayant  versé  par  accident.  (A  part.)  Indo- 
lentes !  misérables!  nous  avons  trop  dormi  !  ! 

les  marchands.  Dames  gentilles,  il  n'est  pas  con- 
venable que  vous  soyiez  ici  ;  n'y  restez  pas  plus 
longtemps.  L'avis  que  vous  cherchez,  nous  ne  pou- 
vons vous  le  donner;  cherchez-le  de  qui  peut  vous 
conseiller. 

les  folles.  Indolentes  !  misérables!  nous  avons 
trop  dormi  !  ! 

les  marchands.  Allez  arrière  à  vos  sages  sœurs, 
et  priez-les  par  la  gràee  de  Dieu,  de  venir  à  votre 
aide  pour  de  l'huile.  Dépêchez  ■  car,  à  l'instant, 
va  venir  l'Epoux. 

les  folles.  Indolentes!  misérables!  nous  avons 
trop  dormi  !  ! 

Hélas!  Ilélas  !  que  sommes-nous  là?  qu'y  a-t-il 
que  nous  cherchions?  11  a  été  prophétisé  et  bientôt 
nous  verrons...  Nous  n'enlrerons  jamais  aux  noces. 

Indolentes!  misérables!  nous  avons  trop  dormi!! 

(A  la  porte  de  la  maison.)  Ecoule,  Epoux,  nos  voix 
éplorées.  Fais-nous  ouvrir  l'huis,  et  de  même  qu'à 
nos  compagnes,  donne-nous  du  secours... 
(L'Epoux  paraît.) 

SCÈNE  III. 

LES    VIERGES    FOLLES  ,   LE  CHRIST,   LES  DÉMONS 

le  christ.  En  vérité  je  vous  le  dis  :  Je  ne  vous 
connais  pas.  Où  sont  vos  lumières?  Ceux  qui  mar 
client,  marchent  loin  à  la  lumière  des  cieux. 

Allez,  misérables!  allez,  malheureuses  !  Four  tou- 
jours, désormais,  vous  êtes  la  proie  du  mal...  En 
enfer,  à  l'instant,  qu'elles  soient  précipitées!.. 

(Aussitôt  les  démons  s'en  emparent  et  elles  sont  jetées 
en  enfer.) 

VIERGES  SAGES  ET  LES  VIERGES  FOL- 
LES (Les).  —  On  trouve  clans  le  Cronicum 
Sampctrinum  (Erfurt,  Mencken  ,  t.  III  ,  p. 
32G),  la  mention  d'un  mystère  des  Vierges, 
joué  à  Elsenach,  le  14  avril  1322,  devant  le 
margrave  Frederick.  La  plupart  des  auteurs 
ui  se  sont  occupés  du  mystère  des  Vierges 
u  Manuscrit  de  Saint-Martial,  ont  rappelé  ce 
fait 

VIEUX-TESTAMENT  (Mystère  du).  —Il 
D'existé  plus  du  Vieux-  Testament  que  di- 


3 


verses  éditions  fort  rares,  qu'ont  citées  les 
frères  Parfait.  Ce  mystère  fut  joué  en  14-58, 
à  Abbeville,  selon  M.  F.-C.  Zonandre.  (His- 
toire anc.  etmod.  d 'Abbeville  et  de  son  arron- 
dissement; Abbeville,  183i,in-8°,  p.  236.) 
Vers  1540,  un  bourgeois  de  Lyon,  nommé 
Neyron,  fit  jouer  dans  sa  ville  natale  le  ravs- 
•  1ère  du  Vieil  Testament.  Le  P.  Colonia,  qui 
cite  ce  fait ,  donne  une  sorte  d'analyse  du 
mystère  qu'il  attribue  à  Louis  Choquet.  (Le 
R.  P.  de  Colonia  ,  Hist.  litt.  de  la  ville  de 
Lyon;  Lvon,  1730,  in-4%  2  vol.,  t.  II,  p. 429- 
433.) 

DeBeauchamp  (Recherches  sur  les  théâtres 
de  France;  Paris,  1735,  in-8°,  3  vol. ,  t.  1er, 
p.  226)  l'a  mentionné. 

La  Bibliothèque  du  Théâtre  françois  ,  ou- 
vrage attribué  au  duc  de  LaVallière  (Dresde, 
1768,  in-8°,  3  vol.,  t.  I",  p.  69),  et  M.  Louis 
Paris,  en  ont  donné  l'analyse  d'après  la  plus 
ancienne  édition  de  Paris,  par  Geoffroy  de 
Marnef,  contenant  environ  60,000  vers.  (Toi- 
les peintes  et  tapisseries  de  Reims;  Paris,  18i3, 
in-4°,  2  vol.,  t.  II,  p.  921-1027.) 

M.  Sainte-Beuve  a  noté  ,  dans  le  mystère 
du  Vieil  Testament,  quelques  rares  et  cour- 
tes réminiscences  classiques  (Sainte-Beuve, 
Tableau  hist.  et  crit.  de  la  Poésie  française  et 
du  théâtre  français  au  xvi'  siècle;  Paris,  1828, 
2  vol.,  t.  I",  p.  217-224.) 

M.  0.  Leroy,  dans  ses' Etudes  sur  les  Mys- 
tères; Paris,  1837,  in-8°,  introd.,  p.  xxm  et 
xxiv,  en  a  cité  diverses  scènes,  entre  autres 
celle  dans  laquelle  «  deux  vieillards  »  dès  le 
temps  de  Jacob,  regrettaient  déjà  le  bon 
temps ,  dans  ce  dialogue  d'un  naturel  par- 
fait : 

Le  bon  temps,  qu'est-il  devenu, 
Jelhau  ?  il  n'en  est  plus  nouvelles. 
—  A  cesie  heure,  il  est  (îescognu 
Le  bon  temps  !  —  Qu  est  il  devenu? 
Plus  n'est  comme  je  l'ai  cogna. 
Est-il  ange,  ou  s'il  a  des  aeles, 
Le  bon  (emps  !  qu'esl-il  devenu, 
Jelhau  ?  —  11  n'en  est  plus  nouvelles... 

Le  même  auteur  est  revenu,  dans  ses  Epo- 
ques de  l'Histoire  de  France  (Paris,  1843,  in- 
8°,  p.  123),  sur  «  l'excellent  dialogue  entre 
deux  vieillards...,  lesquels,  dès  le  temps  de 
Jacob,  regrettent  déjà  Je  bon  temps  qui  ne  re- 
viendra plus.  » 

Enfin  M.  0.  Leroy  a  cité  encore  la  scène 
du  mystère  du  Vieil  Testament  où  il  est  ques- 
tion «  d'Aman  gonflé  de  sa  colère,  se  parlant 
à  lui-même,  ne  voyant  plus  rien  que  Mar- 
dochée  qui  ne  l'a  pas  salué,  et  n'entendant 
pas  Zarès,  sa  femme,  qui  lui  dit  : 

ZARÈS. 

Qu'avez-vous  ?  dictes,  je  vous  prie. 

AMAN. 

Vers  moy  tout  chascun  s'humilie! 

zvrÈs. 
Vostre  cueur  est  un  grand  eslrif  ? 

AMAN. 

Un  povre  malheureux  chestif  1 

ZARÈS. 

Le  cueur  avez  si  fort  troublé  .. 


1005 


VIE 


AMAN. 

Ung  estrangier,  ung  avolle  ! 

Z.UiÈS. 

El  qui  esl-il  a  qui  a-i-il  meffakt? 

AMAN. 

Voire  qu'on  ne  scait  dont  il  csl. 

ZARES. 

Vous  estes  niallenienl  esmu. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  VIE  1006 

très.  Plusieurs  toiles  cachent  les  établis  ou 
échafauds  aux  yeux  des  spectateurs  :  l'acteur 
qui  représente  Dieu  paraît  d'abord  seul  (450), 
et  crée  le  ciel  (45i)  et  les  anges  (452).  Ces 
derniers  remercient  le  Seigneur  :  mais  bien- 
tôt Lucifer,  aidé  de  quelques  auges,  conspire 
contre  son  Créateur,  qui  le  précipite  aux 
enfers  avec'ses  complices,  en  prononçant  ces 
terribles  paroles  : 


AMAN. 

Ne  dou  grant  dyable  il  est  venu. 

ZARÈS. 

Mais  qui  dictes  voslre  pensée. 

AMAN. 

C'est  ce  paulonnicr  Mardocliée 
Qui -jamais  ne  me  fist  honneur. 
Kl  il  n'y  a  si  grant  seigneur 
En  cour  ne  me  chaperonne 
Comme  appartient  à  ma  personne. 

Les  frères  Parfait  ont  donné,  dans  leur 
Histoire  du  Théâtre  français  (Paris,  15  vol. 
in-12,  1725,  t.  II,  p.  307-351),  l'analyse  sui- 
vante : 

MYSTÈRE    DU    VIEIL    TESTAMENT. 

Le  mystère  du  Vieil  Testament  par  personna- 
ges, joué  à  Paris,  hystorié,  et  imprimé  nou- 
vellement audit  lieu,  auquel  sont  contenus 
les  Al  y  stères  cy  après  déclair  ez. 

«  C'est  un  petit  in-folio  gothique,  avec  des 
figures  en  bois,  contenant  336  feuillets,  ou 
f'72  pages  à  deux  colonnes,  de  50  vers  cha- 
cune ;  ce  qui  peut  composer  environ  soixante 
deux  mille  vers.  On  lit  ces  mots  à  la  tin 

Cy  finist  le  Vieil  Testament  parpersonnai- 
ges,  joué  à  Paris,  et  imprimé  nouvellement 
audit  lieu,  par  Maistre  Pierre  le  Dru,  pour 
Geoffroy  de  Mamcf  (4-4.8),  Libraire  Juré  de 
l'Université  de  Paris,  demourant  en  la  rue 
S.  Jacques,  à   l'Enseigne  du  Pellican  (44-9). 

I.  La  création  du  ciel,  de  la  terre  et 
des  anges. 

«  La  décoration  du  commencement  de  ce 
mystère  est  absolument  différente  des  au- 

(44S)  Geoffroy  de  Marnef  imprimait  vers  l'an 
1498.  (lacaille,  Hist.  Hp.  ï Imprimerie,  liv.  n  p.  70.) 

(449)  Ce  mystère  fut  réimprimé  in-4°  gothique  eu 
oeux  parties  ;  en  \ oioi  le. litre  :  <  S'ensuit  le  Mystère 
du  Vie'l  Testament  par  personnages,  hyslorié,  joiié 
à  Paris,  cl  imprimé  nouvellement  audit  lieu,  auquel 
sont  contenus  les  Mystères  comment  les  Enl'ans 
d'Israël  parurent  d'Egypte,  et  passèrent  la  Mer 
Rouge,  et  conquirent  la  Terre  Saincle,  avec  plu- 
sieurs aunes  belles  Hysloires,  comme  il  est  ci-après 

déclairé  en  la  Table  de  ce  présent  Livre Cy 

finist  le  premier  Volume  du  Viel  Tesiament.par  per- 
sonnages, joiré  à  Paris,  et  imprimé  audit  lieu  par  la 
veuve  feu  Jehan  Trepperel  et  Jelian  Jehannot  Li- 
braire et  Imprimeur,  demourant  en  la  rue  Neufvft 
N.  P.  à  l'Enseigne  de  l'Escu  de  France.  »  (Diblioth. 
du  Roi.) 

Celte  première  partie  contient  114  feuillets. 

«  S'ensuit  le  second  Volume  du  Viel  Testament 
par  personnaiges,  contenant  liuvi  llysioires  de  la 
Bible;  c'est  assavoir,  l'IIysloi  rè  de  Job,  l'hysloire  de 
Tobie,  l'IIysloire  de  Daniel,  l'IIysloire  de  Susannc, 
l'Histoire  de  Hester,  l'IIysloire  de  Ociavieu  Empereur, 
et  de  la  Sibille  Tbibunine,   et  les  Prophéties  des 


DIEU. 

Non  ascendes,  sed  descendes. 

(Adoncques  doivent  Iresbucher  Lucifer  et  ses  Anges,  le 
plus  soudainement  qu'il  sera  possible  :  et  doit  avoir 
autant  de  Diables  tous  prêts  en  l'Enfer,  lesquels  en- 
mcnanl  grande  temveste,  et  gettenl  feu  dudit  En- 
fer.) 

«  Dieu  crée  ensuite  le  jour  et  la  nuit;  que 
nos  anciens  représentaient  de  cette  ma- 
nière: 

(Adoncques  se  doit  montrer  un  drap  peint,  c'est  assa- 
voir la  moylié  toute  blanche,  et  l'autre  noire.) 

«  Après  cela,  il  forme  le  soleil,  la  lune  , 
les  étoiles,  les  arbres,  les  animaux,  et  le 
paradis  terrestre. 

(Adoncques  se  doivent  monstrer  quatre  ruisseaux,  à 
manière  de  petites  Fontaines,  lesquelles  soient  aux 
quatre  parties  de  Paradis  Terrestre,  et  chacun  jd'/- 
ceulx  escriplz  et  ordonnez.) 

«  Le  Seigneur  crée  enfin  Adam,  qui,  après 
avoir  regardé  de  tous  côtés  avec  admiration, 
remercie  son  Créateur,  qui  ,  pendant  le 
sommeil  de  notre  premier  père,  forme  Eve, 
d'une  de  ses  côtes,  et  la  lui  donne  pour 
épouse;  à  peine  ces  nouveaux  époux  se 
sont-ils  promenés  quelque  temps,  que  Satan 
lente  Eve  et  l'engage  à  manger  du  fruit 
défendu.  Eve  en  porte  à  son  m«ri. 

(Icy  prenl  Adam  la   Pomme  que  Eve   lui  baille,   ei 
mort  dedens,  puis  se  pvent  par  la  gorge.) 

«  Ils  reconnaissent  bientôt  leur  crime  et 
vont  se  cacher.  Miséricorde  veut  parler  en 
faveur  de  l'infortuné  Adam;  mais  l)ieu  n'é- 
coutant que  Justice  divine,  descend  sur  la 
terre,  et  après  lui  avoir  donné  sa  malédiction, 

douze  Sibilles,  et  plusieurs  autres  manières,  »  etc. 

Ce  mystère  fut  corrigé  ensuite,  et  imprimé  aussi 
in-4°.  «  Le  très  excellent  et  saincl  Mystère  du  Viel 
Testament  par  personnages,  auquel  sont  contenus 
les  llysioires  de  la  Bible,  revu  et  corrigé  de  nou- 
veau, et  imprimé   avec  les  ligures  pour  plus  facile 

intelligence ù  Paris  1542.  par  Guill.  le  Bret  au 

(dos  Bruneau.  504.  feuillets,  »  Quelques  exemplaires 
portent,  rue  S.  Jacques  cbez  Vivant  Caulberot.  Peut- 
être  ces  deux  imprimeurs  étaient  associés. 

«  S'ensuit  le  second  Volume,  etc..  . .  revu  et  cor- 
rigé oullre  la  précédente  impression  imprimée  à  Paris 
nouvellement  par  Jean  Real  15-iâ.  »  115  feuillets. 

(450)  Nota  que  celuy  qui  joue  le  personnage  de 
Dieu,  doibl  eslre  au  commencement  tout  seul  en  Pa- 
radis, jusqu'à  ce  qu'il  ait  créé  les  Anges. 

(loi)  Adoncques  se  doit  tirer  ung  Ciel  de  couleur 
de  feu,  auquel  sera  escripl  celum  empireum.' 

(45"2)  Adoncques  se  doivent  monslrer  tous  les  Anges, 
chascun  par  ordre,  comme  dit  le  texte,  et  au  milieu 
d'eulx  l'Ange.  Lucifer,  ayant  ung  grant  Soleil  resplen- 
dissant darriere  lug Adoncques  le  doivent  este- 
ver  Lucifer  et  ses  Anges  par  une  roue  secrètement  (aide 
dessus  un  pivot  à  vis. 


1007  VIE  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

il  ordonne  à  Chérubin  de  chasser  Adam  et  Eve 
du  paradis  terrestre;  les  herbes  sèchent  sous 
les  pas  des  deux  coupables,  et  les  arbres 
perdent  leur  verdure.  » 

II.  D'Adam  et  d'Eve. 


VIE 


1008 


ver  Enoch,  et  ordonne  à  Noé  de  construire 
une  arche  et  de  s'y  retirer  avec  sa  famille. 
Noé  obéit  promptement. 


«  Adam  marie  Caïn  et  Abel  avec  Calmana 
et  Delbora  leurs  sœurs.  Le  premier,  pour 
conserver  une  autorité  sur  son  frère  ,  fait 
construire  par  Enoch,  Irard,  et  ses  autres 
enfants,  une  ville  à  qui  il  donne  le  nom  de 
l'aîné.  Adam  vient  visiter  leur  nouvelle  de- 
meure, et  leur  ordonne  d'offrir  au  Seigneur 
la  dîme  de  leurs  biens.  Abel  obéit  en  sacri- 
fiant un  bel  agneau  ;  mais  Caïn  murmure 
contre  le  commandement.  A  quoi  bon  ces 
sacrifices,  ajoute-t-il 

Je  croy  que  mon  père  radoute. 

«  Enfin,  par  complaisance  pour  Adam,  il 
Hûet  le  feu  à  une  botte  de  méchante  paille. 

CAYN. 

Icy  ne  prens  point  plaisance 
Qu'on  me  vienne  brusler  ma  paille. 

«  Comme  les  holocaustes  d'Abel  sont  fa- 
vorablement reçus  du  Seigneur,  Caïn  en  con- 
çoit une  si  vive  jalousie  qu'il  l'assassine.  La 
voix  du  sang  d'Abel  porte  ses  plaintes  à 
Justice  divine,  et  Dieu  maudit  le  meurtrier. 
Calmana  et  la  veuve  Delbora  vont  apprendre 
ces  tristes  nouvelles  à  Adam  et  à  Eve.  Cette 
dernière  meurt,  et  Adam,  se  sentant  proche 
do  sa  fin,  ordonne  à  Seth  d'aller  h  la  porte 
du  paradis  terrestre,  lui  chercher  quelque 
soulagement.  Le  chérubin  qui  en  garde  l'en- 
trée donne,  suivant  l'ordre  du  Seigneur,  trois 
grains  de  l'arbre  de  vie  à  Seth,  en  l'avertis- 
sant de  mettre  ces  trois  grains  dans  la  bou- 
che d'Adam,  lorsqu'il  sera  expiré,  parce 
qu'ils  doivent  produire  l'arbre  qui  doit  un 
jour  servir  à  la  rédemption  des  hommes. 
Selh  exécute  ce  commandement,  et  partage 
la  terre  avec  son  frère  Caïn.  Lametli,  des- 
cendant de  ce  dernier,  quoique  privé  de  la 
vue,  veut  aller  à  la  chasse  et  s'y  fait  conduire 
ar  son  fils  Tubalcaïn  :  mais  se  confiant  trop 
son  guide,  il  blesse  mortellement  Caïn.  » 

III.  Du  déluge. 

«Pendant  ce  temps-là,  Cainan,  Mathusaël, 
et  quelques  autres  descendants  de  Seth,  de- 
viennent amoureux  des  filles  sorties  du  sang 
de  Caïn;  et  oubliant  la  défense  de  leur  pre- 
mier père,  ils  les  recherchent  en  mariage. 

MVTHUSAEL. 

Les  filles  (le  Cayn  sont  belles, 
El  ne  demandent  autre  chose, 
Fors  que  avecques  elles  on  repose 
Par  desordonnée  volupté. 

«  Dieu  ,  pour  punir  les  hommes  de  leurs 
péchés,  se  résout  à  les  exterminer  par  un 
déluge  d'eaux;  il  envoie  un  ange  pour  enle- 

(455)  C'est-à-dire  le  plancher  de  la  salle,  ou  du 
lieu  dans  lequel  sont  construits  les  échafauds. 

(454)  Ces  nudités  n'étaient  pas  effectives. 

(455)  Pour  conserver  la  vraisemblance,  nos  an- 
ciens faisaient  jouer  un  même  rôle  par  plusieurs  ac- 


{Icy  surmonteront  les  eaues  tout  le  lieu  là  oh  l'en  joue 
[453]  le  Mistere,  et  y  pourra  avoir  plusieurs  hommes 
et  femmes  qui  seront  semblants  d'eulx  noyer,  et  qui 
ne  parleront  pas.) 

«  Lorsque  le  déluge  cesse,  Noé  sort  de 
son  arche  et  offre  un  sacrifice  au  Seigneur. 
Après  quoi  il  plante  la  vigne,  et  exprimant 
le  jus  de  deux  ou  trois  grappes,  il  boit  celte 
liqueur. 

(Icy  boit  Noé,  et  puis  s'endort  tout  déeouverl  [454]) 

«  Cham  se  moque  de  son  père,  qui  maudit 
la  race  de  cet  ingrat,  »  etc. 

IV.  De  la  tour  de  Babel. 

«  Pour  éviter  un  second  déluge,  Cham  con- 
seille à  ses  enfants  de  bâtir  une  tour  dont 
la  hauteur  puisse  les  en  défendre.  Ils  choi- 
sissent Nembroth  pour  leur  chef,  à  cause  de 
sa  férocité  et  de  sa  taille  avantageuse  ;  Dieu 
dissipe  leur  dessein  et  les  furce  d'abandon- 
ner cet  ouvrage.  Ensuite  Nynus,  fils  de  Bel- 
lus,  forme,  sans  qu'on  sache  pourquoi,  le 
bizarre  projet  de  faire  adorer  l'idole  de  son 
père.  Mais  ce  qui  est  plus  singulier,  c'est 
que  non-seulement  Nembroth  se  soumet  à 
cet  ordre,  mais  qu'il  s'offre  même  à  le  faire 
exécuter.  Nynus,  charmé  de  celte  aventure, 
lui  en  confie  le  soin  avec  plaisir,  et  Nem- 
broth, pour  lui  donner  des  preuves  de  son 
zèle,  veut  obliger  Aram  et  Abraham  à  ren- 
dre hommage  à  la  nouvelle  divinité.  Ces 
deux  frères  refusent  d'y  consentir,  et  Nem- 
broth les  jette  dans  un  brasier  ardent.  Aram 
y  est  consumé,  mais  Abraham  en  sort  sans 
aucun  mal  ;  et,  pour  se  mettre  à  couvert  de 
ces  violences,  il  passe  en  Egypte,  où  le  roi 
Pharaon  devient  amoureux  de  Sara,  qu'il 
croit  sœur  d'Abraham  ,  et  l'enlève,  mais  il 
est  obligé  de  la  lui  rendre.  » 

(Cy  fine  la  jeune  Sarra  [455].) 

V.  D'Abraham  et  de  Melchisédech,  et  de  la 
délivrance  de  Loth. 

«En  quittant  la  cour  du  roi  d'Egypte, 
Abraham  passe  dans  la  Palestine  et  la  par- 
tage avec  son  neveu  Loth ,  qui  choisit  la 
contrée  de  Sodome.  Cordelamor,  roi  des 
Elamites,  ravage  le  pays  habité  par  le  der- 
nier, et  emmène  le  peuple  en  captivité. 
Abraham  vole  au  secours  de  son  neveu,  dé- 
fait ce  roi  victorieux  et  en  rend  grâces  à 
Dieu  par  un  sacrifice  qu'il  fait  offrir  par 
Melchisédech.  Cependant  Sara,  fâchée  de 
n'avoir  point  d'enfants,  propose  à  son  mari 
de  prendre  Agar,  pour  se  procurer  un  héri- 
tier. Abraham  y  consent,  et  Sara  ayant  tiré 
celte  fille  à  part,  lui  déclare  son  intention, 
et  lui  ordonne  d'obéir  sans  répliquer. 

leurs,  selon  les  différents  âges  des  personnages 
qu'ils  introduisaient.  Comme  dans  cet  endroit,  où  la 
personne  qui  venait  de  paraître  se  relirait,  et  Cnsuile 
arrivait  un  autre  d'un  âge  plus  avancé. 


1009 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


iOîÔ 


SA  Rit  A. 


Accomplissez  à  son  désir, 
Obtempérez  à  sa  demande. 
Se  quelque  cliose  vous  commande, 
Gardez-vous  bien  de  l'esconduire. 

«  Agar  lui  promet  une  pleine  soumission. 

lcij  prenl  Abraham  Agar,  et  la  maine  en  sa  chambre. 

«  Celte  fille  apercevant  qu'elle  est  en- 
ceinte, devient  insolente  et  parle  à  sa  maî- 
tresse avec  mépris. 

AGAR. 

Au  moins  ne  suis-je  pasbrehaigne, 
Comme  vous 

SAURA.. 

Un  jour  vous  vous  repentirez.    .    . 

AGAR. 

Et  quesse  que  vous  me  ferez, 

Je  ne  vous  crains,  ne  vous  double. 

«  Sara  porte  ses  plaintes  à  Abraham,  qui 
ordonne  à  Agar  de  se  retirer.  L'ange  du  Sei- 
gneur console  cette  dernière,  et  après  lui 
avoir  commandé  de  retourner  chez  son  maî- 
tre, il  parle  à  Abraham  et  lui  promet  la  nais- 
sance d'un  fils.  » 

VI.  De  la  destruction  de  Sodome  et  de 
Gomorrhe. 

«Le  Seigneur, justement  irrité  des  crimes 
des  habitants  de  Sodome  et  de  Gomorrhe, 
se  prépare  à  en  tirer  une  vengeance  écla- 
tante. 

JUSTICE  DIVINE. 

C'est  ung  péché  trop  diffamable, 
Plus  infaict  que  celui  du  Dyable, 
Qui  transgressa  voslre  vouloir. 

«  Miséricorde  veut  en  vain  excuser  leur 
aveuglement. 

DIEU. 

Sans  tenir  plet  (456) 
Leur  péché  si  fort  me  desplest, 
"Veu  qu'il  n'y  a  raison,  ne  rime, 
Qu'ilz  descendront  tous  en  abisme. 

«  Cet  arrêt  prononcé,  le  Seigneur  ordonne 
à  un  ange  de  l'exécuter,  et  de  faire  retirer 
Lolh  et  sa  famille  de  cette  ville  criminelle. 
Loth  remercie  l'ange  et  se  met  e»  devoir  de 
lui  obéir.  Cependant  des  habitants  de  So- 
dome courent  après  Je  messager  du  ciel  et 
veulent  lui  faire  quelque  violence  :  Lolh  s'y 
oppose  de  tout  son  pouvoir. 

LOTH. 

Or  je  vous  diray,.j'ay  deux  filles, 
Autant  Vierges  que  femmes  furent  ; 
Prenez-les.     .        .     . 

(450)  Plaids. 

(457)  Ce  mystère  fut  joué  à  Paris  à  l'hôtel  de 
Flandres  devant  le  roi  François  Ier  l'an  1539,  et  se 
trouve  imprimé  séparément  in-8.°  gothique,  avec  le 
titre  suivant  :  <  Le- sacrifice  d'Abraham  à  huyt  per- 
sonnages, c'est  assavoir  Dieu,  Miséricorde,  Raphaël, 
Abraham,  Sarra,  Isaac,  Ismaël  et  Kliezcr.  nouvel- 
lement corrigé  et  augmenté,  et  joué  devant  le  roy  en 
l'hôtel  de  Flandres  à  Paris  l'an  mil  dxxxix.  .  .  . 
On  les  vend  à  Paris  en  la  rue  Ncufve  N.  D.   à  Pen- 


«  L'ange  aveugle  ces  malheureux  ,  ce  qui 
donne  à  Lolh  le  temps  de  s'enfuir.;  pendant 
ce  temps-là  le  feu  du  ciel  tombe  sur  les  deux 
villes  et  les  réduit  en  cendres.  » 

VIL  Le  Sacrifice  d'Abraham  (457). 

«  Sara,  suivant  la  promesse  de  l'ange,  met 
au  monde  un  fils,  à  qui  Abraham  donne  le 
nom  d'Isaac. 

(lcy  fault  ung  enfanl  nouveau-né.) 

«  Pendant  qu'Isaac,  devenu  grand,  va  se 
réjouir  avec  Ismaël,  son  frère,  et  Eliézer, 
jeune  garçon  qu'Abraham  leur  a  donné 
pour  camarade,  et  qu'il  joue  à  la  fossette  et 
a  Pique- Romme ,  le  Seigneur  ordonne  à 
Abraham  de  lui  sacrifier  ce  cher  fils.  Isaac, 
à  son  retour,  est  fort  étonné  lorsque  son  père 
lui  commande  de  le  suivre,  et  lui  déclare 
ensuite  le  commandement  de  Dieu,  auquel 
il  ne  peut  se  dispenser  d'obéir.  Isaac,  quoi- 
que entièrement  soumis  aux  ordres  du  Sei- 
gneur, a  cependant  quelque  regret  à  quitter 
la  vie;  les  remontrances  de  son  père  le  dé- 
terminent enfin. 

ISAAC. 

Mais  veuillez-moy  les  yeux  cacher, 
Afin  que  le  glaive  ne  vove  : 
Quant  de  moy  vendrez  approebe-, 
Peut-estre  que  je  fouyroye. 

ABRlBAM. 

Mon  amy?  si  je  te  lyoye? 

Ne  seroit-il  point  dé-hontnste? 

ISAAC. 

Hélas!  c'est  ainsi  que  une  beste 

Dans  le  moment  qu'Abraham  s'apprête  à 
ôler  la  vie  à  son  fils,  Miséricorde  obtient 
du  Seigneur  la  révocation  de  cel  arrêt  san- 
glant. Cependant  Isaac  et  son  père,  ignorant 
les  secrets  du  ciel,  se  disent  un  tendre 
adieu. 

ABRAHAM. 

Adieu,  mon  filz. 

ISAAC. 

Adieu ,  mon  père, 
Bendésuis,  de  bref  je  mourray, 
Plus  ne  vois  la  lumière  clere. 

ABRAHAM. 

Adieu,  mon  filz. 

ISAAC. 

Adieu,  mon  père, 
Recommandez-moi  à  ma  mere, 
Jamais  je  ne  la  reverray. 

ABRAHAM. 

Adieu,  mon  filz. 

seigne  de  la  Rose  Ronge,  et  sainct  Jehan  FEvangé- 
liste,  devant  saincte-Geneviefve  des  Ardents.  >  (Bi- 
bliolh.  du  collège  Mazarin.) 

Le  privilège  accordé  par  le  parlement  à  Gilles  Pa- 
quol,  libraire,  en  date  du  il  juin  1559,  nous  prouve 
qne  ce  mystère  fut  représenté  avant  ce  temps. 

A  quelques  vers  près,  qui  ont  été  retouchés,^  et 
que  l'on  retrouve  aussi  dans  l'édition  de  1542,  c'est 
la  même  chose  que  le  mystère  inséré  ici  dans  le 
Vieux  Testante)!'. 


loti 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


{012 


isaac.  dessein  de  le  vendre  la  somme  de  v-mgl  de- 
Adieu,  mon  père,  niers  à  des  marchands  gallatides  et,  hismaé- 
. Rende  suis,  de  bref  je  mourray.  lites,  et  ceux-ci  le  revendent  ensuite  à  Puti- 

«  L'ange  arrête  le  bras  d'Abraham,  prêt  a     Pnar- 


percer  le  sein  de  son  fils,  et  lui  apprend 
que  Dieu  est  satisfait  de  son  obéissance. 
Abraham  et  Isaac  se  retirent  fort  contents, 
vont  faire  part  de  cette  aventure  à  Sara,  qui 
en  reçoit  une  joie  inexprimable.  » 

VIII.  Le  Mariage  de  Isaac  et  de  Rebecque. 
Comme  Jacob  et  Isaii  furent  nez.  Comment 
Isaac  bailla  la  bénédiction  à  Jacob  en  lieu 
d'Esaii. 

«  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  ce  mys- 
tère, qui,  ne  contenant  que  la  vie  d'Isaac  et 
la  naissance  de  Jacob  etd'Esau,  ne  présente 
rien  de  singulier  que  la  rencontre  que  ce 
dernier  fait  à  la  chasse.  Nous  venons  de  voir 
ci-dessus,  que  lorsqu'Adam  fut  enterré, 
Seth  lui  mit  dans  la  bouche  les  trois  grains 
de  l'arbre  de  vie,  qu'il  a  reçus  de  Chérubin. 
Ces  trois  grains  ont  germé ',  et  produit  trois 
arbres  sortant  d'un  seul  tronc;  c'est  ce 
qu'Esau  aperçoit  ici  avec  étonnement.  » 

(Icy  voit  les  Arbres  de  ta  Croix  et  les  Oy&eaux  qui 
tes  adorent,  et  parlent  lesditz  troys  Arbres  d'une 
même  souche  et  tige  ,  et  portent  divers  feuillages  et 
fruiclz.) 

IX.  De  la  Servitude  de  Jacob. 

«  Jacob  craignant  la  fureur  de  son  frère,  son,  et  avertit  le  roi  de  né  point'manger  de 
passe  en  Mésopotamie  et  devient  amoureux  ces  mets  dangereux.  Pharaon  fait  aussitôt 
de  Rachel.  Laban,  son  père,  la  lui  promet  arrêter  son  bouteiller  et  son  panetier.  Le 
en  mariage,  à  la  charge  de  le  servir  pendant  médecin,  par  son  art  de  «  nygromancie,  dont 
sept  années.  L'amoureux  Jacob  accepte  celte  «  il  sait  un  chapitre,  »  découvre  que  le  pa- 
condition,  et  la  remplit  fidèlement.  Cet  heu-  netier  est  seul  coupable.  Le  roi,  inquiet  des 
reux  jour  arrivé,  Laban  ordonne  à  Lia,  sa  songes  qui  le  tourmentent,  fait  appeler  son 
fille  aînée,  d'aller  se  coucher  au  lit  destiné 
pour  l'épouse,*  et  après  avoir  averti  Zelpha, 
sa  chambrière,  de  souffler  la  chandelle  aussi- 
tôt que  J'acob  sera  entré  dans  sa  chambre,  il 
fait  servir  un  magnilique  souper  et  invite 
son  nouveau  gendre  à  boire.  «  Allez-vous 


(Fin  du  petit  Joseph.) 

«  L'épouse  de  Putiphar,  devenue  amou- 
reuse de  Joseph,  le  fait  entrer  dans  sa 
chambre. 

LA  DAME. 

Joseph  ? 

JOSEPH. 

Que  vous  plaist-il,  Madame? 

LA  DAME. 

Mon  amy,  veuillez  approcher 
De  moy,  et  nous  allon  coucher 
Ensemble,  toul  secrelemenl? 

JOSEPH. 

Quesse-cy,  Madame,  comment? 
Le  fàicles-vous  par  l'arcerie, 
Ou  autrement? 

«  Joseph  la  quitte  avec  indignation,  et  elle 
l'accuse  à  son  mari,  qui  fait  jeter  l'innocent 
Joseph  dans  une  prison.  Sur  ces  entrefaites, 
Cordelamor,  roi  d'Assyrie,  voulant  s'emparer 
de  l'Egypte,  envoie  des  émissaires  pour  cor- 
rompre les  domestiques  de  Pharaon,  et 
)es  engager  à  empoisonner  les  viandes  que 
l'on  sert  à  ce  prince.  Heureusement  pour  ce 
roi  un  de  ses  médecins  (458)  s'aperçoit  du  poi- 


médecin  pour  les  lui  expliquer.  Le  bouteil- 
ler voyant  que  ce  sage  ne  peut  satisfaire  le 
roi,  lui  conseille  de  se  faire  amener  Joseph  ; 
Pharaon  suit  cet  avis,  et  prend  tant  d'amitié 
pour  le  fils  de  Jacob  qu'il  lui  confie  le  soin 
de  son  royaume.  Le  reste  de  ce  mystère  ne 
reposer  avec  votre  épouse,  »  dit-il  à  Jacob      contient  que  la  suite  des  aventures  de  Jacob 


à  la  fin  du  repas 

JACOB. 

Puisque  Dieu  veult  que  soit  ma  femme, 
Aussy  feray-je,  si  je  puis. 

«  Mais  quel  est  son  étonnement  lorsque, 
le   lendemain    malin,    il    s'aperçoit   de  la 


et  de  ses  enfants  en  Egypte  jusqu'à  la  mort 
de  Joseph.  « 

XL  De  Pharaon,  roi  d'Egypte,  et  de  sa 
cruauté.  De  la  nativité  de  Moise. 
«  Après  la  mort  de  Pharaon, .les  Egyptiens 
choisissent  pour  leur  roi  Cordelamor,  second 
tromperie  de  son  beau-père  ;  îi  court  lui  en  pharaon  (459).  Ce  nouveau  monarque  igno- 
faire  de  vives  plaintes  :  mais  Laban  le  con-  ranl  les  obligations  que  son  Etat  avait  à  la 
sole  en  lui  promettant  Rachel  au  même  prix  maison  de  Jacob,  persécute  ses  descendants 
qu'il  vient  d'obtenir  son  aînée.  Jacob  y  con-  avec  une  dureté  incroyable.  Moïse  craignant 
sent,  et  n'a  pas  plutôt  épousé  Rachel  qu'il     la  fureur  du  roi  se  retire  auprès  de  Jéthro, 

e  en  Palestine,  »  etc.      s'offrant  à  garder  ses  troupeaux.  Jéthro  ac- 


quitte Laban  et  retourne 

X.  De  Joseph  qui  exposa  les  songes ,  et  de  sa 
vendit  ion. 

«  La  jalousie  que  les  enfants  de  Jacob 
conçoivent  contre  Joseph  leur  fait  former  le 

(458)  Nos  anciens  confondaient  assez  souvent  les 
noms  de  médecin,  de  physicien,  d'asti ologue,  de  ma- 
gicien, etc. 

(459)  L'auteur,  qui  n'a  pu  s'imaginer  qu'un  roi 
aussi  bon  et  affectionné  à  la  famille  de  Jacob,  que  l'a 


cepte  sa  proposition  avec  plaisir,  et  Moïse 
lui  raconte  qu'ayant  été  retiré  des  eaux,  et 
élevé*par  Thérimit,  fille  de  Pharaon,  il  a 
passé  ensuite  à  la  cour  du  roi  d'Ethiopie, 
dont  il   a  épousé   la  fille  appelée  Tarbis  ; 

été  le  premier  Pharaon,  ait  laissé  pour  successeur 
un  prince  aussi  cruel  et  barbare  que  celui-ci,  a  élé 
obligé  de  feindre,  sans  aucune  autorité,  que  ce  der- 
nier était  un  roi  étranger,  monté  sur  le  trône  d'E- 
gypte par  ses  brigues  et  ses  artitices. 


1013 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


1914 


qu'enfin  Aaron  et  Marie,  ses  frère  et  sœur, 
l'ont  obligé 'à  quitter  ce  pays  barbare  pour 
revenir  en  Egypte  y  consoler  les  Israélites, 
et  que,  dans  ce  dernier  pays,  il  a  eu  le  mal- 
heur de  tuer  un  Egyptien  qui  maltraitait  un 
Hébreu;  ce  qui  cause  son  exil.  » 

XII.  Du  buisson  ardent.  De  la  mer  Rouge,  où 
passèrent  les  enfants  d'Israël,  et  de  la  mort 
de  Pharaon. 

«  Moïse  ne  songeant  qu'à  garder  avec  soin 
les  troupeaux  de  Jétbro,  va  vers  le  mont 
Horeb.-  Là,  un  ange  du  Seigneur,  sous  la 
figure  du  Fils  de  Dieu,  lui  parle  derrière  un 
buisson  «  qui  brûle,  et  qui  est  vert,  »  et  lui 
ordonne  ce  qu'il  doit  •exécuter  pour  la  dé- 
livrance des  enfants  d'Israël.  Moïse,  rempli 
d'admiration,  va  faire  part  de  cette  nouvelle 
à  Aaron,  et  ils  vont  ensemble  avertir  les 
Hébreux  de  se  tenir  prêts. 

{Icy  fault  ung  désert.) 

«  Moïse  ordonne  aux  Hébreux  de  manger 
l'agneau  pascbal  et  de  le  suivre. 

{Icy  s'aparest  l'Escu  au  Ciel  [460].) 

«  Les  Israélites,  ayant  Moïse  à  leur  tête, 
quittent  l'Egypte,  et  suivent  le  chemin  que 
l'écu  leur  montre.  Ils  passent  ainsi  la  mer 
Rouge  à  pied  sec,  et  jouissent  de  la  satis- 
faction d'y  voir  périr  leur  persécuteur  aVce 
son  armée.  » 

XIII.  Des  dix  commandemens\de  la  Loy  baillez 
à  Moyse.  Du  Veau  d'Or  que  les  Enfans 
d'Israël  adorèrent.  De  Choré,  Datan,  et 
Abiron  que  la  terre  engloutit.  De  Balaam 
Prophète,  et  de  son  Asne  qui  parla. 

«  Comme  les  Hébreux  n'ont  emporté  avec 
eux  aucuns  vivres,  Dieu  y  pourvoit,  et  leur 
envoie  une  multitude  d'oiseaux  et  de  la 
manne. 


pour  les  retirer  de  cette  pensée,  de  leur 
composer  un  veau  de  l'or  qu'ils  avaient 
amassé  avec  tant  de  soins  et  de  peines. 

(Icy  font  [462]  le  Veau  d'Or.) 

ROBEN. 

Etquesse-cy? 

AARON. 

Que  c'est?  Soyez  bien  tous  records 
Que  c'est  le  Dieu  de  voz  trésors. 
Regardez,  c'est  ung  Dieu  nouveau. 

JUDA. 

El  comment,  Aaron,  c'est  ung  Veau! 

AARON. 

Voyez  que  c'est. 

SIMÈON. 

Il  suffit 
Nous  en  ferons  nostre  prouffit, 
Pour  Dieu  le  voulons  recongnoistre. 

AARON. 

C'est  u»g  Veau? 

JUDA. 

Vous  ne  dittes  rien  (463). 
Ung  Veau  soit,  pour  Dieu  nous  l'aurons. 

«  Moïse,  à  son  retour,  fait  punir  les  cou- 
pables. Choré  et  ses  complices  ressentent 
ensuite  à  leur  malheur  la  protection  du  ciel 
sur  ce  saint  législateur,  qui  meurt  enfin,  et 
Josué  est  élu  à  sa  plaGe.  » 

XIV.  De  Sanxon  Fortin  (464).  De  Samuel.  Du 
règne  de  Saiïl.  De  Goullias. 

«  Helcana,  et  Anne  son  épouse,  vont  offrir 
Samuel,  leur  fils,  au  temple  du  Seigneur; 
le  grand  prêtre  Héli  le  reçoit  et  l'élève  avec 
soin. 

Icy  fine  le  petit  Samuel  ,  et  Hely  dort,  et  le 
grant  Samuel  est  couché  près  de  l'autel. 


«  Samuel   vient  de  la  part  du  Seigneur 

dire  à  Hely  que   sa  maison  sera  détruite. 

L'accomplissement  de  cette  prophétie  arrive 

bientôt.  Samuel  succède  au  grand  prêtre,  et 

«  Josué  combat  contre  Amalec,  ligué  avec     pour  contenter  les  désirs  du  peuple  il  sacre 

Saùl,  qu'Israël  reconnaît  pour  son  roi.  Saûl, 
par  sa  désobéissance,  perd  bientôt  la  grâce 


{Icy  chet  la  Manne  du  Ciel,   c'est  assavoir  pain 
et  blé  [461].) 


les  Ismaélites,  et  le  met  en  fuite. 

{Icy  s'en  vont  hors  de  l'Eschafaut.) 

«  Le  peuple  d'Israël  va  vers  le  mont  Sinaï  : 
Moïse  monte  sur  celte  montagne, «malgré  les 
éclairs  redoublés  qui  partent  de  ce  lieu. 

{Icy  se  tourne  vers  le  Peuple,  et  on  gecle  du  feu.) 

JÉTRO. 

Et  me  semble  que  soit  cornu 
Et  qu'on  voit  ses  cornes  reluire? 


du  Seigneur,  qui  ordonne  au  prophète  d'al- 
ler trouver  David,  qu'il  a  élu  pour  régner 
sur  les  Hébreux.  Cependant  le  malin  esprit 
tourmente  le  misérable  Saul  et  le  rend  fu- 
rieux. 

SAUL. 

Le  Dyable  me  vient  pourchasser 
Je  cuyde  qu'il  me  mangera. 


«  Pendant  que  Moïse  reçoit  de  l'ange  les  «  On  amène  David,  qui,  par  le  son  de  sa 
tables  du  Décalogue,  le  peuple,  impatient  harpe,  suspend  les  maux  de  Saul.  Les  Phi- 
de  ne  plus  le  voir,  s'adresse  à  Aaron,  et  le  listins  arment  contre  Israël,  et  Goliath  paraît 
force  de  lui  faire  un  dieu;  Aaron,  après  leur  à  leur  tète.  Le  généreux  David  s'offre  à  Je 
avoir  remontré  inutilement  leur  devoir  et  combattre,  et,  prenant  cinq  pierres,  il  mar- 
ie crime  dont  ils  vont  se  souiller,  s'avise,  cho  contre  cet  énorme  géant,  et  lui  en  lance 


(460)  Cet  écu  tient  lieu  de  la  colonne  de  feu  qui 
autrefois  servit  de  guide  au\  Israélites. 

(461)  On  voit  que  l'auteur  ne  s'est  pas  seulemeut 
contenté  d'ajouter  au  texte  sacré  des  traditions  in- 
certaines el  souvent  ridicules,  mais  qu'il  a  voulu 


aussi  l'interpréter. 

(462)  Font,  pour  fond  ;  c'est  d'Aaron  dont  il  est 
question. 

(463)  Vous  ne  dites  rien  qui  vaille. 

(464)  De  Samson  le  fort. 


1045 


VIE 


DICTIONNAIRE 


une.  Goliath  ressent  une  vive  douleur,  mais 
n'apercevant  pas  David  il  ne  sait  -à  qui  en 
attribuer  la  cause. 

COULLIAS. 

Dyable  !  quesse  qui  m'a  piqué? 
Oncques  ne. sentis  tel  douleur. 

«  David  lui  jette  une  seconde  pierre,  et 
enfin  le  renverse  d'un  troisième  coup,  et  lui 
coupe  la  tête.  * 

(Icy  vient  David  In  ieste  portant  de  Goullias.) 

XV.  De  la  mort  Saiil,  et  du  règne  de  David. 

«  Saùl  persécute  toujours  David,  mais  se 
voyant  pressé  par  les  Philistins,  il  demande 
pardon  à  Dieu,  et  va  consulter  une  devine 
sur  son  sort. 

(Icy  fait  tin  las  de  mynes,  et  conjuremens...  Une  ap- 
paricion  [465]  pour  Samuel.) 

«  L'ombre  du  prophète  déclare  au"  roi 
qu'il  va  perdre  la  vie.  11  est  tué  dans  le 
combat  qu'il  livre  aux  Philistins,  et  Jonathas 
est  mortellement  blessé  dans  une  autre  ac- 
tion. David  se  voyant  paisible  possesseur  de 
la  couronne,  ordonne  à  Joab  d'aller  faire  la 
guerre  contre  les  Ammonites,  dont  il  veut 
châtier  l'insolence.  Pendant  ce  temps-là , 
Bersabée,  accompagnée  de  ses  deux  demoi- 
selles, va  à  la  fontaine  pour  se  baigner  :  le 
roi  /aperçoit  d'une  des  fenêtres  de  son  palais, 
et  en  devient  éperduement  amoureux. 

NATHAN. 

David 

Garde  loy  bien  de  le  forfaire? 
Si  tu  veuix  â  nalure  complaire, 
Dieu  à  loy  se  courroucera. 

damd,  à  part. 

Doy-je  croire  Nalhan?  Nenny... 
Et  si  fais,  très-bien  me  conseille. 
Mais  j'ay  tant  la  puce  à  l'oreille 
De  ceste  femme  icy  présente, 
Qu'il  faut  que  mon  esprit  conlenle, 
Et  que  je  la  tienne  accolée 
Enlre  mes  bras. 

(A  Nathan.) 
Ne  vous  en  rompez  plus  la  leste. 

«  Architophel  obéissant  aux  ordres  de 
David,  lui  amène  Bersabée,  qui  rejette  d'a- 
bord les  caresses  de  David.  Mais  enfin  elle  y 
consent,  et  le  roi  la  fait  conduire  dans  «  son 
«  secret.  » 

david,  à  Bersabée. 

Si  ayse  suis,  quant  je  vous  liens, 
Qu'il  m'est  advis,  je  vous  le  dis, 
Que  soye  en  ung  droit  Paradis. 

«  Bersabée  se  sentant  enceinte  va  trouver 
le  roi  et  lui  l'ait  part  de  ses  inquiétudes.  Da- 
vid mande  Urie,  et  lui  ordonne  d'aller  se 
coucher  chez  lui.  Gomme  Urie  s'en  défend, 
le  roi  le  fait  souper  et  tâche  de  l'enivrer. 
Toutes  ces  précautions  ne  pouvant  lui  ser- 
vir de  rien,  il  donne  une  lettre  à  Urie,  qui 
porte  ainsi  son  arrêt  de  mort  à  Joab.  Le  pro- 

(465)  Les  apparitions  n'élaient  autre  cbose  que  les 
trappes  de  nos  ibéàlres  d'aujourd'hui,  et  servant  aux 


DES  MYSTERES.  VIE  1016 

phèle  Nathan  vient  voir  David,  et  lui  apprend 
les  menaces  du  ciel.  David  pleure  son  péché, 
et  en  voit  bientôt  les  tristes  effets.  Amon, 
amoureux  de  sa  sœur  Thamar,  feint  d'être 
malade.  Thamar  le  va  voir  par  ordre  de  son 
père,  et  Amon  saisit  ce  moment  pour  décou- 
vrir sa  passion.  Sa  sœur  rejette  sa  proposition 
avec  horreur. 

AMON. 

Jo  ver-ray  se  j'ay  la  puissance 
Plus  for'le  que  vous. 

«  Il  la  couche,  »  et  ensuite  la  chasse  bru- 
talement. 

THAMAR. 

Hélas!  bêlas!  je  suis  dçstruicte, 
Après  que  ay  esté  viollée? 
Encores  s'il  m'eust  consollée. 

«  Elle  raconte  son  infortunée  Absalon, son 
frère  utérin,  et  ce  dernier,  surprenant  Amon, 
le  poignarde.  Un  chevalier  de  la  suite  de 
David  vient  lui  faire,  en  peu  de  mots,  le  ré- 
cit de  ce  qui  vient  d'arriver 

I.E  CHEVALIER. 

Amon  a  Thamar  viollée, 
El  puis  Absalon  l'a  occis. 

«  David  bannit  Absalon  de  sa  présence. 
Ce  perfide  se  révolte  contre  son  père,  et  perd 
la  vie  dans  un  combat.  David  se  désespère 
lorsqu'il  apprend  sa  mort. 

DAVID. 

Mon  filz  Absalon, 
Absalon  mon  filz, 
Las!  perdu  t'a  von, 
Mon  filz  Absalon, 
Il  faut  que  soyon 
En  grief  deuil  confis, 
Mon  filz  Absalon, 
Absalon  mon  filz. 

«  David  remet  le  jeune  Salomon  entre  les 
mains  de  Nathan,  et  en  même  temps  il  or- 
donne à  Joab  de  faire  le  dénombrement  de 
son  peuple.  Joab  exécute  cet  ordre  avec 
beaucoup  de  répugnance.  Gad,  le  prophète, 
vient  de  la  part  de  Dieu  offrir  au  roi  le 
choix  des  trois  fléaux  du  ciel,  la  famine,  la 
guerre  et  la  peste.  David  se  détermine  au 
dernier ,  et  aussitôt  l'ange  exterminateur 
frappe  quatre  hébreux  qui  ne  songent  qurà 
se  divertir.  Le  Seigneur  s'apaise  enfin.  Peu 
de  temps  après,  le  prophète  Nathan  vient 
apprendre  à  David  que  Joab  et  Abiathar  veu- 
lent placer  Adonias  sur  le  trône. 

NATHAN. 

Hz  crient,  en  faisant  leurs  sabas, 
Vive  le  roy  Adonyas. 

«  Le  roi  commande  à  Sadoc  de  sacrer 
promptement  Salomon.  On  promène  ce 
jeune  roi  sur  une  mule,  au  son  de  la  butine. 
Joab  s'enfuit  de  frayeur,  et  Adonias  se  ré- 
fugie à  l'autel  et  obtient  sa  grâce.  David 
meurt  et  laisse  sa  couronne  à  Salomon.  » 

(Fin  du  petit  Salomon.) 

mêmes  usages;  soil  pour  faire  sorlir  des  acteurs  de 
dessous  le  théâtre,  soil  pour  les  y  faire  descendre. 


1017  VIE 

XVI.  Du  règne  de  Salomon.  Des  Jugemens  de 
Salomon.  De  Salomon,  et  de  la  Royne  de 
Saba. 

«  Thamar  et  Jézabcl,  jeunes  femmes  de 
Jérusalem,  se  réjouissent  par  avance  du 
bonheur  dont  Je  peuple  va  jouir  sous  le 
nouveau  roi,  qui  paraît  ne  songer  qu'à  le 
rendre  heureux. 

JÉZABEL. 

Car  nous  avons  ung  nouveau  Roy  clos  Juifz, 
Saige,  counois,  en  tous  les  ars  inslruys, 
Bel,  advenant,  qui  aime  lesdéduys; 

Parquoy  puis  dire, 
Que  les  Juifves  ont  maintenant  beau  rire. 

«  Elles  vont  coucher  ensemble,  avec  leurs 
enfants.  Cependant  Salomon  fait  massacre. 
Adonias  exile  Abiathar,  et  ordonne  à  Bana- 
nias  d'ôter  la  vie  à  Joab.  Bananias  va  avec 
ses  tyrans  ou  satellites  pour  obéir  à  cet  or- 
dre, niais  trouvant  Joab  à  l'autel  il  n'ose 
l'exécuter,  et  ce  n'est  que  sur  l'ordre  réitéré 
du  roi  et  l'approbation  du  prophète  Nathan 
et  du  grand  prêtre  Sadoc  qu'il  retourne 
l'assassiner. 

«  Salomon  demande  à  Dieu  le  don  de  sa- 
pience,  et  en  donne  aussitôt  des  preuves 
danslejugement  qu'il  rend  aux  deux  femmes 
dont  nous  venons  de  parler,  dont  la  der- 
nière a  étouffé  son  fils.  Trois  frères  se  pré- 
sentent ensuite,  chacun  prétendant  que  le 
testament  de  leur  père  le  regarde  seul.  L'aîné 
représente  à  Salomon  que  son  père  ne  pos- 
sédant pour  tout  bien  qu'un  seul  arbre,  lui 
en  avait  laissé  le  droit  et  le  tort.  Le  second, 
soutient  que  le  testament  est  entièrement 
en  sa  faveur,  puisqu'il  lui  lègue  le  vert  et  le 
sec  du  même  arbre;  et  le   troisième  prétend 

3ue  son  père  lui  ayant  fait  don  du  dehors  et 
u  dedans,  l'arbre  doit  lui  appartenir.  Pour 
terminer  une  dispute  si  épineuse  le  roi  or- 
donne qu'on  déterre  le  corps  du  défunt,  et 
dit  aux  contendants  que  celui  qui  tirera  une 
flèche  le  plus  près  du  cœur  gagnera  l'héri- 
tage. Les  deux  premiers  emploient  toute 
leur  adresse  pour  atteindre  ce  but,  mais  le 
troisième  refuse  d'obéir,  et  déclare  qu'il  re- 
nonce à  un  bien  qu'il  ne  peut  obtenir  que 
par  une  action  si  inhumaine.  A  ces  mots,  où 
Salomon  reconnaît  la  voix  de  la  nature,  il 
adjuge  l'héritage  à  ce  dernier  comme  le  mé- 
ritant a  plus  juste  titre  que  les  deifx  autres. 

SALOMON. 

Tu  es  son  enfant  naturel, 
Tu  es  son  filz,  le  cas  est  tel, 
Et  les  autres  deux  sont  bastars. 

«  La  reine  de  Saba  entendant  parler  de  la 
sagesse  de  Salomon  veut  voir  un  roi  si  cé- 
lèbre, et  après  avoir  écouté  un  grand  nom- 
bre de  ses  sentences  elle  s'en  retourne  fort 
contente.  » 

FIN  DU    PREMIER  VOLUME   DU   VIEIL    TESTAMENT. 

XVII.  L'Histoire  de  Job. 

XVIII.  L'Histoire  de  Thobie. 

«  Dans  le  dessein  d'exterminer  la  nation 
Juive,  Sennachérib,  roi  d'Assyrie,  défend  à 

(iGG)  Emmij,  au  milieu. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIE 


1018 


ce  peuple  d'enterrer  ses  morts.  Gabellus, 
fuyant  une  ordonnance  si  tyrannique,  em- 
prunte 500  livres  à  Tobie,  et  se  retire  en 
Médie.  Des  meurtriers  entrent  chez  Tobie 
et  pillent  sa  maison.  Tobie  se  sauve  de 
leur  fureur  avec  sa  femme  et  son  jeune  fils. 
Sennachérib  va  cependant  au  temple  de  ses 
dieux,  et  promet  de  l^ur  sacrifier  ses  fils. 
Ces  derniers,  à  qui  on  a  donné  avis  de  cette 
résolution,  assassinent  ce  prince,  et  se  re- 
tirent dans  «  la  belle  cité  d'Arménie.  » 
Tobie  va  enterrer  les  corps  de  Lubin  et  de 
Sadoc,  qui  viennent  de  périr  par  le  fer  des 
Assyriens.  D'un  autre  côté  Raguel  console 
sa  fille  Sara. 

RAGUEIL. 

Comment  va,  fille? 

SARRA. 

Tout  esplorée. 
En  moy  n'y  a  ne  jeu,  ne  ris  : 
Vous  sçavez  que  tous  mes  marys 
Sont  mors  la  première  nuitée  : 
Je  ne  suis  en  rien  viollée 
El  si  fort  je  m'en  dest  onforle, 
Que  bref,  je  vouldroie  estre  morte. 

(Icy  se  siet    Thobie  sur  une  pierre,  tout  nu  leste,  et 
les  Arundelles  lui  crèvent  les  yeux.) 

«  Pen  lant  ce  temps-la  Sara  gronde  Del- 
bora,  sa  servante,  qui  lui  paraît  un  peu  trop 
coquette 

SARRA. 

Mais  venez  ça, 
Delbora,  quand  je  vous  regarde, 
A  voslre  fait faull  prendre  garde; 
Vous  esies  nng  peu  trop  dissolue; 
L'autre  jour  emmy  (46(î)  cesle  rue, 
Je  vous  vis  faire  plusieurs  tours,  etc. 

DELBORA. 

Me  reprenez-vous  ?  Quessecy? 
Vous  estes  une  vaillante  femme! 
Parlez  de  vous,  parlez,  infâme  : 
Sans  faire  lelz  charivaris. 
Vous  avez  tue  sept  maris. 

«  Sara  se  met  à  pleurer,  et  cependant 
l'aveugle  Tobie  retourne  chez  lui  :  «  Que 
«  vous  est-il,  arrivé,  mon  père,  »  lui  dit  son 
jeune  fils? 

THOBIE. 

Ung  las  d'Arundelles 
M'ont  fienlé  sur  le  visage. 

«  Anne  gronde  son  mari,  qui  ordonne  au 
petit  Tobie  d'aller  à  Ragez,  chez  Gabellus, 
recevoir  les  cinq  cents  livres  qu'il  lui  a 
prêtées  ;  l'ange  Raphaël  s'offre  pour  conduire 
ce  jeune  homme,  lui  enseigne  les  moyens 
d'épouser  la  belle  Sara,  et  le  ramène  en 
bonne  santé.  » 

XIX.  Le  Livre  de  Daniel. 
XX.  L'Histoire  de  Susanne. 

«  Nabuchodonosor,  inquiet  sur  les  songes 
qu'il  a  eus  la  nuit  précédente,  et  dont  il  ne 
se  souvient  plus,  envoie  chercher  ses  méde- 
cins pour  en  avoir  l'explication.  Ne  pouvant 
lui  répondre  sur  une  chose  qu'ils  ignorent, 
le  roi  .ordonne  qu'on  les  fasse  mourir  et  fait 


4019 


VIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


appeler  Daniel,  qui  ne  demande  qu'un  jour 
pour  satisfaire  sa  curiosité.  Pendant  ce 
temps-là,  Susanne,  épouse  de  Joachim,  ac- 
compagnée de  ses  deux  pucelles,  prend 
le  chemin  du  bain,  en  causant  avec  elles, 
et  leur  donnant  d'excellentes  instructions. 

SUSANNE. 

Et  pourtant  une  fille  sage, 
Se  doit  montrer  doulce  et  honnesle, 
Sans  souffrir  qu'on  la  laste  ou  baise  : 
Car  baiser  attrait  autre  chose. 

«  Daniel  vient  trouver  le  roi,  lui  raconte 
le  songe  qu'il  a  eu,  et  le  lui  explique.  Na- 
buchodonosor  en  est  si  content  qu'il  lui 
donne  toute  sa  confiance.  D'un  autre  côté, 
deux  juges  Israélites,  amoureux  de  la  belle 
Susanne,  vont  chez  elle,  et  en  chemin  se 
font  mutuellement  confidence  de  leur  pas- 
sion. Daniel,  cependant,  découvre  au  roi 
d'Assyrie  l'artifice  des  prêtres  de  Bel,  qui 
lui  faisant  accroire  que  ce  Dieu  mange  tou- 
tes les  viandes  qu'on  lui  présente,  les  empor- 
tent secrètement  pour  s'en  nourrir  avec 
leurs  servantes.  Une  de  ces  dernières,  par 
un  à  parte,  rend  compte  aux  spectateurs  de 
cette  friponnerie. 

LA  CIIAMBÉK1ÈRE. 

Ce  qu'on  apporte  sur  l'Autel, 
De  ce  irès-liaull  puissant  Dieu  Bel, 
Les  Preslres  en  font  bonnes  cberes 
Avec  entre  nous  Chainbérieres 
Nous  dévorons  l'Oblacion. 

«  Le  roi  fait  mourir  ces  prêtres;  Daniel 
délivre  ensuite  le  pays  d'un  dragon  énorme 
que  le  peuple  adore,  ce  qui  oblige  Nabu- 
chodonosor  à  consentir  que  le  fidèle  pro- 
phète soit  enfermé  dans  la  fosse  aux  lions. 
Dieu  le  tire  de  ce  péril,  et  peu  de  temps 
après  Daniel  sauve  l'innocente  épouse  de 
Joachim,  que  les  deux  vieillards,  dont 
nous  avons  parlé,  étaient  prêts  à  faire  pé- 
rir, » 

XXI.  L'Histoire  de  Judich. 


VIE  1020 

remettre  ses  clefs.  Mais  Béthulie  se  met  en 
défense.  Le  général  assyrien  enire  dans  une! 
telle  fureur  contre  les  habitants  de  cette 
ville,  qu'il  fait  pendre  Achior,  Mésopotamien, 
qui  veut  parler  en  leur  faveur.  Comme  cette 
exécution  se  fait  auprès  de  Béthulie  même, 
deux  espionsjuifs  sauvent  ce  misérable,  et 
le  font  entrer  dans  la  ville;  Holopherne  fait 
donner  l'assaut,  et  est  repoussé. 

TURELUTUTU  (468). 

C'est  une  rudequoquinaille, 
El  sont  courageux  à  merveille. 

GRANCHE. 

Je  n'y  ay  perdu  qu'une  oreille. 

TURELUTUTU. 

Et  moy  un  œil,  tout  simplement. 

«  Je  ne  vois  qu'un  moyen  pour  réussir, 
«  dit  le  maréchal.  —  Ce  serait  ajoute-t-il, 
«  d'arrêter  les  eaux  du  fleuve.  » 

HOLOFERNES. 

C'est  bien  dit 
S'il  est  possible  qu'on  le  fist. 

«  Ce  projet,  tout  difficile  qu'il  paraît, 
s'exécute  pourtant,  et  les  Béthuliens  sont 
forcés  de  promettre  qu'ils  rendront  la  ville 
dans  cinq  jours.  Judith  apprend  celte  nou- 
velle, et  ordonne  qu'on  redouble  les  prières 
au  Seigneur. 

(/cy  sera  licite  d'avoir  des  en  fans  qui  chanteront 
quelque  dit  pileux,  comme  domine,  non  si.cundum 
peccata  nostra,  qui  se  dit  en  Karesme,  et  pareil- 
lement  avoir  certains  personnages  tout  nuds,  en 

MANIÈRE   DE  PÉNITENS.) 

«  Judith,  habillée  richement,  sort  de  Bé- 
thulie, suivie  d'Abra,  sa  chambrière.  Les 
soldats  assyriens  l'arrêtent,  et  la  conduisent 
à  leur  général. 

(Icy  en  lieu  de  pose  [469],  on  pourra  chanter  en  Bé- 
thulie quelque  dit  pileux;  ainsi  que  dessus  est  die, 
en  priant  Dieu  pour  Judich  et  les  Pénilens  tout 
nudz.) 

«  Holopherne  se  réjouit  avec  les  chefs  de 


«  On  vient,   rapporter  à  Nabuchodonosor     son  armée  de  la  prise  prochaine  de  Béthulie 
ue  plusieurs  villes   de   la  Judée  refusent     Jl    eur  donne  un  grand  repas.  On  ia.t  entrer 

Judith  et  sa  suivante,    et   lorsqu  elles  sont 
assises  à   la  table,   Judith   demande  la  per- 


que  p 

d'adorer  sa  statue. 


nabuchodonosor. 

Quel  outrage  ! 
Oullrageuseincnl  oultragcuse 
Oullrage  main  si  somptueuse  ! 
Somptueux  bras  victorieux! 
Victorieux  Roy  glorieux, 
Glorieusement  triumpliant  ! 

«  Il  ordonne  à  Holopherne  de  marcher  avec 
son  maréchal  et  le  grand  maître  de  l'artille- 
rie, et  de  massacrer  tous  ceux  qui  se  trou- 
veront rebelles  à  cette  ordonnance.  Holo- 
pherne prend  d'assaut  le  château  d'Esdrelon  ; 
la   ville  de    Mésopotamie   (467)    lui    vient 


mission  de  pouvoir  aller  et  venir  où  bon  lui 
semblera.  L'amoureux  Holopherne  lui  ac- 
corde celte  grâce,  et  cependant,  lui  et  sa 
compagnie,  boivent  h  longs  traits.  A  la  fin 
du  repas  le  général  dit  à  Vagar,  son  valet  de 
chambre,  de  venir  le  déshabiller,  et  ensuite 
de  lui  envoyer  Judith,  avec  qui  il  veut  pas- 
serla  nuit.  Vagar,  en  déshabillant  son  maître, 
le  félicite  sur  sa  bonne  fortune. 

VAGAR. 

Ung  beau  petit  Ilolofernès 
Ferez  ceste  nuyl? 


(467)  On  emploie  ici  le  nom  d'une  province,  pour  (469)    Ces   poses  ou  interruptions  de  spectacle, 

"  "î  bê-      étaient  autrefois  employées  pour  les  marches  ou  dif- 


\*\J  I  I    V/II    GlIIJMWIt    IVI    1C    1IUI1I    II    UIIU     piUïlIICt;, 

celui  d'une  ville.  Nous  avons  vu  une  semblable 


ceiui  (i  une  viuu.  nous  avons  vu  une  semmaoïe   ne-  étaient  autrefois  employées  pour  les  inarcnes  ou  uu- 

tise  de  l'auteur  du  mystère  de  Thobie ,  ci-dessus,  férenlsjeux  de  théâtre  des  acteurs,  qui  pendant  ce 

mystère  18,  qui  fait  retirer  les  fils  de  Sennaebérib  temps-là  cessaient  de  parler.  On  suppléait  ordinai- 

dans  la  ville  d'Arménie.  renient  à  ceci   par  des  concerts  d'orgues  ,  ou  d'au- 

i    WiSM      T  nwllll  11  I  II      t't     lir'Hkj-lu*     CAnl     licko     cr\l/l..lc     nt>  !«,-.,.     InolnunlÀnlfi.       /mi       , .  i  . . .  I .  .  i  t , .  I'i  \  î  c       ïvlr      .l»w     i    li-ml*. 


(468)  Turelulutu  et  Grandie  sont  des  soldats  as- 
syriens. 


1res  instruments;   ou   quelquefois  par  des  chants , 
comme  on  le  voit  ici. 


1021 


YIE 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


VIO 


1022 


HOLOFERNÈS 

Point  n'en  double. 


Comme  sucre  fault  avaller 
Ta  poison! 


«  Judith  entre/  dans  la  chambre  d'HoIo- 
pherne,  et  Vagar  s'étant  retiré  elle  coupe  la 
tête  du  général  des  Assyriens,  et  appelant 
Abra,  lui  ordonne  de  la  suivre. 


JUDICH. 


Dors-tu? 


ABRA. 

Nenny,  mais  je  sommeille. 

«  Elles  s'en  retournent  à  Béthulie,  et  cau- 
sentune  joie  inexprimable  à  ses  habitants. 
De  l'autre  côté,  les  Assyriens  s'apercevant 
de  la  mort  de  leur  chef,  disent  beaucoup 
d'injures  aux  Béthuliens,  et  prennent  hon- 
teusement la  fuite.  » 

XXII.  L'Histoire  de  Hester. 

«  Pendant  que  Vasthi  est  à  table  avec  les 
dames  de  sa  suite,  Assuaire  régale  les  sei- 
gneurs de  sa  cour. 

ASSUAIRE. 

Je  suis  eu  plaisir  fort  esmeu. 

BARATHA   (470). 

Assuaire  à  ung  petit  beu  : 
Bien  voy,  ineâluit  vino. 

«  Pour  rendre  la  fête  plus  complète,  ie 
roi  ordonne  qu'on  fasse  venir  la  reine  et  les 
dames  de  sa  compagnie.  Vasthi  refuse  d'o- 
béir, ce  qui  cause  tant  de  chagrin  a  Assuaire 
que,  de  l'avis  des  seigneurs  qui  sont  à  sa 
table,  il  la  répudie  et  épouse  Hester  :  il 
prend  ensuite  Mardochée  pour  son  portier, 
et  choisit  Aman  pour  premier  ministre. 

assuaire,  à  Aman. 

Nous  voulons  aller  le  premier, 
Mais  nous  voulons,  parfais  exprès, 
Que  soyez  le  second  après. 
Et  gardez  que  n'y  faillez  înye. 

AMAN. 

Cher  Sire,  je  vous  remercye. 

«  Mardochée,  exerçant  son  emploi  à  la 
porte  du  palais  d'Assuaire,  entend  Tharès  et 
Bagathan  qui  méditent  d'étrangler  le  roi 
pour  venger  l'affront  qu'il  vient  défaire  à 
Vasthi.  Il  court  en  averf'r  Esther,  qui  Je 
fait  aussitôt  savoir  à  son  mari.  Le  roi  or- 
donne à  Aman  de  lui  faire  justice  de  ces 
deux  criminels.  Aman  les  interroge,  et  en- 
suite commande  au  bourreau  de  les  pendre. 
Micet,  valet  de  l'exécuteur,  le  prie  assez 
plaisamment  de  lui  permettre  d'en  expédier 
un.  Gournay  (c'est  le  nom  du  bourreau)  le 
refuse;  Micet  se  plaint  à  Aman  qui,  par 
compassion  pour  lui,  lui  permet  d'enlever 
les  corps,  et  ordonne  à  Gournay  de  l'aider. 
Peu  de  temps  après  le  roi  se  ressouvenant 
des  obligations  qu'il  a  à  Mardochée  ,  le  fait 
monter  sur  un  beau  cheval,  et  oblige  Aman 
à  le  conduire  ainsi  par  toute  la  ville. 

AMAN. 

Faulce  fortune  forcennée 
(470)  Domestique  du  roi. 


«  Assuaire  apprenant  ensuite  la  conspira- 
tion de  ce  ministre  contre  les  Juifs  ordonne 
au  bourreau  de  le  pendre;  Gournay  exécute 
cet  ordre,  et  Micet,  son  valet,  prend,  à 
l'insu  de  son  maître,  les  habits  du  mal- 
heureux Aman,  et  les  va  vendre  à  la  frip- 
perie.  » 

XXIII.  De  Octovien,  et  des  Sibilles. 

«  On  vient  de  raconter  à  l'empereur  Oc- 
tavien  (471)  les  prodiges  qui  ont  paru  à  la 
mort  de  Jules  César.  Il  mande  aussitôt  la 
sibylle  Tiburte  pour  les  lui  expliquer. 
Arrive  aussi  un  peintre,  qui  offre  de  faire  la 
statue  de  l'empereur.  Avant  que  de  lui  ré- 
pondre, ce  prince  demande  à  la  sibylle  s'il  y 
a  dans  l'univers  quelqu'un  plus  puissant 
que  lui,  et  s'il  peut  se  faire  adorer,  comme 
tout  son  empire  le  demande  avec  instance. 
La  sibylle,  pour  le  tirer  de  cette  erreur,  lui 
fait  voir  la  sainte  Vierge  tenant  l'enfant  Jé- 
sus entre  ses  bras.  L'empereur  l'adore,  et 
renonce  pour  jamais  à  satisfaire  le  désir  des 
Romains.  Enfin  paraissent  les  douze  sibyl- 
les, qui  chacune  à  leur  tour  viennent  pro- 
phétiser la  venue  du  Messie.  » 

VIGILES  DES  MORTS.  —  xv<  siècle.  — 
Duverdier  (  Bibliothèque  françoise,  p.  827  ) 
donne  la  note  suivante  :  «  Les  Vigiles  du 
morts  par  personnages 

A  savoir  : 

CREATOR  OMNIUM; 
VIR  FORTISSIMUS; 
HOMO  NATUS  DE  MULIEREJ 
PAUCITAS   D1ERUM 

Imprimées  à  Paris,  in-16,  par  Jean  Janot. 
Sans  date.  —  «  Je  m'esbay,  ajoute  cet  auteur, 
comme  il  nomme  les  personnages  en  latin, 
vu  qu'il  les  fait  parler  en  françois,  mais 
possible  etoit-ce  trouvé  beau  de  ce 
temps-là.  » 

Les  frères  Parfait  déclarent  ne  connaître 
aucun  exemplaire  de  celte  édition.  (  Hist. 
du  théâtre  fr.;  Paris  15  vol.  in-12,  1745, 
t.  III,  p.  85.  )  —  Voy.  Molinet  (  Jean). 

VIGNE  (  André  ou  Adrien  de  la  ).  — 
La  vie  de  saint  Martin  par  personnaiges,  que 
contient  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  im- 
périale (fonds  La  Vallière,  51)  est  précédé 
d'un  procès-verbal  de  la  représentation  du 
drame,  en  1496,  à  Seurre,  ville  de  Bourgo- 
gne, qui  a  bien  perdu  de  son  importance, 
en  tète  duquel  on  trouve  que,  le  9  mai, 
maistre  André  ou  Adrien  de  la  Vigne,  natif 
de  la  Rochelle,  commença  de  faire  copier 
sous  sesyeux  dansla  cure  delà  ville,  la  pièce 
dont  il  est  l'auteur  de  façon  à  ce  qu'on  pût 
procéder  à  la  réprésentation.  M.  0.  Leroy 
a  observé  que  l'auteur  de  l'article  de  la 
Vigne,  Biographie  universelle,  n'a  eu  con- 
naissance ni  du  manuscrit  de  Saint-Martin, 
ni  de  deux  farces  dont  de  la  Vigne  est  éga- 
lement auteur.   —  Nous  allons  apprendre 

(471)  L'empereur  Auguste. 


i02S 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1024 


par  de  La  Vigne  lui-même,  qu'il   élait  de  VOIA1GE  DE  EMAUX  ( Le).  —  Un  mys- 

La  Rochelle.  Connu   jusqu'aujourd'hui  par  1ère  de  V Apparition  fut  joué  à  Béthune,  en 

quelques  poésies  légères  et  par  son  Journal  15i9,  le  jour  de  la  Fête-Dieu,  sous  le  titre 

de  Naples,  qu'il  entreprit  a  la  demande  de  de  «  Voiaige   de    Emaux.  »    (  Cf.    Lafons- 

Charles  VIII,  A.  de    La  Vigne  mourut   en  Mélicoq,  Annales    archéologiques ,   t.  VIII, 

1527.  »   (  O.  Leroy,  Etudes  sur  les  mystères  ;  p.  270.  ) 

Paris,  1837,  in-8°,  p.  285.  )   —  Ses   biogra-  VOYAGEURS  (Office  des).  —  Du  Cange 

phes  ont  jusqu'ici  ignoré  aussi  qu'il  fût  né  à  (  t.  V,  p.  201,   col.  1)    a    publié  un    office 

La  Rochelle.  des  voyageurs,  dans  un  Ordinaire  de  Rouen, 

VINCEM  (Saint).  —  L'abbé  de   Larue,  que  conserve   aujourd'hui   la  bibliothèque 

dans  ses  Essais  historiques  sur  les  bardes,  de  celle  ville,  n°   4829,  Y.  M.   Edelestand 


les  jongleurs  et  les  trouvères  normands  et 
anglo-normands  (Caen,  Mancel,  183^,  in-8°, 
3  vol.,  t.  Ier,  p.  165),  fait  mention  d'un  Mi- 
racle de  saint  Vincent  qui  fut  joué  à  Caen5 
en  U22. 

VISITE  DES  PASTEURS.  —  M.  Philibert 


Duméril,  dans  ses  Origines  latines  du  théâtre 
(Paris,  18W,in-8°  p.  117),  voudrait  lire  Of- 
fice de  V Etranger  (peregrini). 

VYE  MERÔN  (La).  —  «  A  Péronne,  on 
représentait  au  commencement  du  xvr  siè- 
cle, le  Mislère  de  la  vye  méron,  le  Mistère  et 


Leduc,  dans  ses  Noëls  bressans  (p.1,  noie),  a  passion  du  bancquel.  »  (  Cf.  De  Lafons-Mé- 

signalé  une  Visite  des  pasteurs  (  4-72).  licoq,  dans  les  Mélanges  historiques,  publiés 

VITAL   (  Cérémonie  de   saint.  )  —  Voy.  par  M.  Champollion-Figeac,  t.  IV,  p.  329, 

Procession  noire  d'Evreux  (La).  noie  3.  ) 


Y 


YSAUDE.  —  «  L'ystoire  d'Ysaude  for- 
geant les  doux  Dieu  fut  représentée  par  per- 
sonnaiges,  en   15V6,  à  Béthune.  (Cf.  de  La- 

(472)  M.  Clément  a  publié  les  fragments  d'un 
Office  des  Pasteurs  dans  les  Annales  archéologiques, 
l.  VII,  VIII  cl  IX;  VOrdinaire  tus.  de  la  bibliothèque 
de  Rouen  (probablement)  d'où  il  les  lire  ,  dale  du 
x?ii«  siècle.  Cetle  même  bibliothèque,  ms.  n°  48,  Y, 
du  xiv  siècle,  et  n°  50,  Y,  du  w  siècle,  offre  deux 
autres  types  du  même  office.  On  en  trouve  des  traces 
dans   le   Diurnale  Andegavense  (Paris,  1754,  p.  1GG) 


fons-Mélicoq  ,  dans  les  Mélanges  histori- 
ques publiés  par  M.  Champollion-Figeac, 
t.  IV,  p.  331.  ) 

et  dans  le  Diurnale  secund.  consuelud.  Roman,  curiœ, 
fol.  157,  verso.  Le  Cliesler  Yhitsun  plays,  le  Toivne- 
ley  mysleries,  el  le  Ludus  Coventriœ  offrent  chacun 
un  exemple  d'un  mystère  des  pasteurs.  En  Espagne, 
on  a  de  Juan  de  la  Encina  une  Egloga...  entre  cualrs 
pastores;  Gil  Yicenle  avait  écrit  un  auto  pastoris  del 
JSacimicnlo. 


NOTICE 


PAR    ORDRE   ALPHARETIQUE 

SUR 

LE    THEATRE  LIRRE 

DEPUIS  LES  PREMIERS  SIÈCLES  DE  L'ÈRE  CHRÉTIENNE  JUSQU'AU  XVIIe  SIÈCLE. 


POLEMIQUE  DES  DERNIERS  SIECLES, 

POUR  ET  CONTRE  LE  THEATRE. 


Outre  les  querelles  sur   les  origines  du  de  pamphlets  oubliés  aujourd'hui,  mais  qui 

théâtre,  et  sur  les  rapports  de  l'Eglise  avec  néanmoins    méritent    d'être   replacés  sous 

lui,  il  en  est  d'autres  qui  n'ont  pas  moins  les   yeux  des   hommes   studieux  ,   comme 

profondément  remué  les  esprits.   La  plus  bases    de    toute    histoire     du    théâtre    en 

importante  est  celle  qui ,  à  partir  surtout  France 

du  xvie  siècle,  donna  lieu  à  une  multitude  Le  théâtre,  condamné  par  les  conciles  et 


025 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1026 


)ar  les  Pères,  s'était  imposé,  sans  se  dé- 
fendre; cène  fut  guère  qu'à  partir  du  xvie 
iiècle,  nous  l'avons  remarqué  déjà,  qu'il 
mtreprit  de  se  justifier,  et  il  semble  que  ce 
ut  la  licence  des  idées  de  la  Renaissance 
it  de  la  Réformation  qui  lui  donna  l'audace 
l'aborder  cette  tâche  difficile. 

Il  eut  ses  apologistes,  ses  adversaires,  et 
:n  même  temps  un  parti  de  médiistes  ou 
ransactionnaires  put  se  former  et  se  sou- 
enir  au  travers  des  passions  surexcitées 
>our  et  contre  le  théâtre. 

L'esquisse  de  ces  violents  débats,  bien 
lu'ils  soient  ultérieurs  à  l'ensemble  des 
nonumenls  publiés  dans  ce  Dictionnaire, 
it  bien  que  nous  n'ayons  l'intention  de 
ious  y  arrêter  que  depuis  la  Réformalion 
usqu'à  la  Révolution,  nous  a  semblé  néan- 
noins  indispensable  ici,  en  cela  que  cette 
lispute,  touchant  au  fond  même  du  théâtre, 
iclaire  la  conduite  de  l'Eglise  vis-à-vis  de 
ni  ,  justifie  la  réprobation  dont  elle  n'a 
:essé  de  l'accabler;  en  second  lieu,  l'ex- 
>osé  des  témoignages  pour  et  contre  le 
béâtre  que  nous  avons  empruntés  à  Dés- 
irez de  Roissy  ,  montrant  toute  la  société 
eligieuse  aux  prises  avec  ceux  qu'elle  qua- 
itie  de  sceptiques,  d'athées  ou  d'abusés,  au 
noment  du  triomphe  du  théâtre  libre,  ap- 
)artenait  en  propre  à  la  notice  sur  les  nio- 
mments  de  ce  théâtre  ,  en  même  temps 
ju'il  continuait  presque  jusqu'à  nos  jours 
histoire  des  rapports  de  l'Eglise  avec  le 
héâtre  de  notre  premier  Avant- Propos. 

Les  esprits  reljgieux,  les  philosophes,  les 
uristes,  les  auteurs  dramatiques,  les  poètes, 
outes  les  diversités  du  monde  littéraire  se 
leurtent  confusément  dans  ces  singuliers 
lébats> 

Les  apologistes  font  appel  à  la  religion 
jui  s'est  servie,  durant  tout  le  moyen  âge, 
les  représentations  théâtrales  pour  exposer 
»es  vérités.  La  philosophie  enseigne  qu'on 
ie  doit  point  exclure  de  plaisirs ,  dans  une 
fie  si  rapide.  Quant  aux  mœurs,  les  simples 
îe  risquent  rien,  les  sages  gagnent,  et  les 
bus  n'ont  rien  à  perdre.  D'ailleurs  le 
béâtre  n'est-il  pas  l'école  des  mœurs?  Sans 
loute  à  lui  seul,  il  n'a  pas  Ja  prétention  de 
es  réformer,  mais  il  joint  ses  efforts  à  peux 
le  la  religion  et  des  gouvernements.  11  faut 
listinguer  avec  soin  la  comédie  nouvelle 
le  l'ancienne  :  celle  de  Molière,  par  exem- 
)le,  n'est-elle  pas  parfaitement  propre  à 
mseigner  !a  vertu;  et  si  l'on  objecte  enfin, 
;ur  cette  question  des  mœurs,  les  désordres 
le  la  vie  des  personnes  de  théâtre  ,  le 
héâtre  lui-même  n'en  saurait  être  accusé 
ju'à  tort ,  parce  que  la  vie  dépravée  des 
icteurs  est  un  accident  indépendant  de  leur 
irofession  et  sans  doute  passager.  11  faut 
lire  même  qu'il  serait  loisible  à  la  société 
l'y  porter  les  remèdes  ,  si  les  lois  obli- 
geaient aux  représentations  de  la  comédie 
outes  les  personnes  des  deux  sexes,  durant 
a  jeunesse  (473).  La  cause  des  progrès  de 

(473)  Celle  étrange  idée  est  île  Rabelleau. 
(414)  Le  mot  est  de  Dorai. 


l'esprit  n'est  pas  moins  intéressée  que  celle 
des  mœurs  au  maintien  et  au  triomphe  du 
théâtre.  Son  éclat  est  la  preuve  de  la  gran- 
deur de  la  civilisation.  C'est  là  enfin  que  les 
masses  populaires  pourront  seulement  ap- 
prendre l'art  dépenser,  d'écrire  et  d'agir; 
le  théâtre  est  ainsi,  chez  toutes  les  nations, 
une  sorte  de  sauvegarde  pour  la  langue 
nationale.  Aussi  ,  chaire  populaire  du 
dogme ,  gymnase  de  philosophie,  école  de 
morale,  appui  du  progrès,  le  théâtre  n'a 
d'ennemis  qu'une  frivole  minorité  ,  et 
s'avance  gardé  par  les  gros  bataillons  (474). 

Tels  sont  les  principaux  arguments  des 
défenseurs  du  théâtre,  au  nombre  desquels 
sont  Hédelin  d'Aubignac,  Scudéri,  Samuel 
Chapuzeau,  le  P.  Calfaro  qui  désavoua, 
Royer,  de  Sautour,  François  Gacon,  Fagan; 
les  Encyclopédistes,  de  Campigneules,  Do- 
rât, l'abbé  Gros  de  Resplas,  l'abbé  Talbert, 
Nougaret  et  Rabelleau,  pour  n'en  citer  qu'un 
petit  nombre. 

Durant  les  trois  siècles  au  milieu  desquels 
nous  sommes  transportés,  les  critiques  du 
théâtre  sont  infiniment  plus  nombreux  que 
les  apologistes  :  la  gloire  est  de  leur  côté; 
ils  ont  le  mérite  de  la  science  et  celui  du 
bien  dire. 

Le  moyen  âge  tout  entier  est  condamné 
par  eux  ;  les  scènes  légendaires  qu'il  a 
mises  en  actions,  et  qui  ont  trait  aux  mys- 
tères et  aux  dogmes,  n'auraient  pas  dû  être 
employées  à  des  représentations  théâtra- 
les. Dans  les  vieux  mystères,  comme  dans 
les  pièces  modernes  qui  attirent  la  foule 
frémissante,  les  passions  humaines  sont  éga- 
lement soulevées  ;  il  en  résulte,  en  morale, 
des  dérèglements  perturbateurs  que  con- 
damne la  loi  chrétienne,  que  les  conciles 
ont  anathématisés  et  que  les  Pères  ont  cin- 
glés du  fouet  vengeur  de  leur  puissante  pa- 
role. La  Genèse  a  dit  :  Sub  te  eril  appetitus, 
«  sous  toi  Je  désir  !  »  et  le  désir  règne  au  théâ- 
tre. La  vertu  y  est  constamment  offensée, 
le  désordre  y  est  canonisé  (475).  L'âme  hu- 
maine ne  sort  pas  du  spectacle  sans  blessu- 
res; le  théâtre  ne  convertit  pas,  il  pervertit; 
il  est  un  obstacle  à  toutes  les  vertus,  et  une 
entrée  à  tous  les  vices.  L'oisiveté,  le  luxe  , 
des  désirs  impossibles  à  satisfaire  s'empa- 
rent de  l'homme,  Je  maîtrisent,  l'entraînent, 
il  va  jusqu'au  crime  :  duel,  vol,  assassinat 
ou  homicide.  C'est  dans  les  salles  de  comé- 
die que  se  réunit  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
vain,  de  plus  frivole  dans  les  deux  sexes. 
Qu'attendre  d'une  pareille  assemblée  ?  Les 
comédiens  qui  vont  paraître  devant  elle 
sont  avec  justice  notés  d'infamie  par  les  lois 
et  les  mœurs.  Les  œuvres  théâtrales  aux- 
quelles se  prête  leur  art  perfide  se  vantent 
faussement  de  propager  la  vérité  et  la  mo- 
rale, car  quel  progrès  a  fait  la  morale  de- 
puis la  multiplication  des  théâtres?  Les 
hommes  sont-ils  devenus  plus  appliqués  à 
leurs  devoirs  ?  leslemmesse  respectent-elles 
davantage?   les  enfants  sont-ils  plus  sou- 

(475)  Forte  expression  échappée  à  la  fougue  de 
l'espagnol  Dom  Ramira. 


1027 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1028 


mis?  l'union  dans  les  familles  est-elle  plus 
grande?  la  patrie  est-elle  mieux  défendue? 
et  qui  voudrait  avoir  pour  filles  ou  pour 
femmes  les  héroïnes  de  théâtre?  Enfin,  si  la 
comédie  a  pour  elle  les  préjugés  du  monde 


suet,  le  P.  Souciet  de  l'ordre  de  Jésus,  le 
prince  de  Conli ,  Jean  de  Longuy  ,  de  La 
Roque,  Simonet,  Gachet,  Jean  La  Placelte, 
le  poëte  Arcère ,  le  savant  espagnol  Don 
Ramira  ,    François- Daniel    Concina,    Zuc- 


poli,  c'est  que  ce  monde  n'est  pas,   dans  les     chino  Stephani,  l'abbé  Clément,  Trebuchet, 
sociétés,  celui  qui  donne  le  plus  d'exemple     le  P.  Joseph-Romain  Joly,  l'abbé  Secousse, 


de  la  pureté  dans  les  mœurs.  Aussi,  com- 
bien sont  funestes  les  habitudes  du  théâtre 
parmi  les  hommes  1  La  grossièreté  des  vieux 
siècles  qu'on  en  efface,  n'en  augmente  que 
le  péril.  Toutes  choses  s'y  jugent  par  les 
sens,  on  s'y  ennuie  de  tout  ce  qui  est  sé- 
rieux, cet  ennui  devient  insupportable;  on 
cherche    un  remède  dans  les   dissipations 


les  frères  Parfait,  le  professeur  Garnier, 
Desprez  de  Boissy ,  Gresset,  Boileau,  Ra- 
cine, le  P.  dominicain  Richard  ,  Fléchier, 
et  Fénelon,  théologiens  ,  philosophes,  mo- 
ralistes, hommes  d'Etat,  historiens,  poètes 
ou  artistes,  tous  renient  également  le  théâ- 
tre. 
Les  protestants   s'associent  à  cette  doc- 


brutales  ;  en  sorte  qu'en  même  temps  que  triue  ;  c'est  pour  eux  une  occasion  de  dia- 
le  moral  s'affaiblit,  le  physique  se  dégrade,  tribes  contre  la  complaisance  prétendue  de 
et  la  jeunesse  décrépit  ,  qui  fréquente  les  l'Eglise  romaine.  Bodin,  demande  sa  sup- 
Ihéâlres.  Ce  monde,  vieilli  avant  l'heure,  pression;  André  Rivet,  Louis  Fabrice,  Sa- 
dans  ses  aspirations  malsaines  ,  n'a  plus  inuel  Werenfels,  Philippe  Vincent,  Jean- 
d'idée  que  celle  d'une  indépendance  ruons-  Gérard  Voss,  en  Allemagne;  Charles  Po- 
trueuse,  et  il  met  sans  cesse  en  péril  le  gou-  wey  ,  Jérémie   Collier,   répètent  contre  lui 


vernement  des  sociétés  ,  parce  qu'il  n'a 
qu'une  maturité  illusoire,  et  qu'une  trom- 
peuse précocité.  Contre  tous  ses  intérêts,  le 
pouvoir  civil  peut  tolérer  le  théâtre,  mais 
la  tolérance  ne  rend  pas  licite  la  chose  tolé- 
rée, la  coutume  ne  prévaut  pas  contre  la 
raison  de  tous  les  siècles  et  contre  la  tra- 
dition des  sages  dans  les  sociétés  chrétien- 
nes, et  même  dans  l'antiquité  :  aussi,  de 
droit  et  dans  le  for  intérieur,  le  théâtre  est-il 
condamné  ;  et  comme  dernière  conséquence, 
toute  transaction  avec  le  mal  étant  illogi- 
que et  impossible,  nulle  réforme  n'étant 
possible  dans  la  comédie,  il  est  bon  et  ur- 
gent de  fermer  les  spectacles,  et  de  mettre 
à  néant  le  théâtre. 

Les  catholiques  ne  varient  pas  sur  ces 
conclusions  depuis  le  xvr  siècle  ;  Chesnot, 
François  Estienne,  le  moine  sicilien  Frau- 
cisco-Maria,  Ottonelli,  Nicole,  Voisin,  Bour- 
delot,  Nicolas  Harres,  le  P.  de  La  Grange; 
les  savants  Fromageau,  Durieux,  Blanger, 
Lhuillier,  de  La  Coste,  Bonnet,  docteurs  en 
Sorbonne;  de  Levai,  le  P.  Lebrun  de  l'Ora- 
toire, Jean  Gerbois,  le  P.  Caffaro,  dans  son 


es  arguments  des  catholiques. 

C'est  entre  les  apologistes  et  les  critiques, 
que  les  médiistes  ou  transactionnaires  es- 
saient de  poser  leur  scepticisme  éclecti- 
que. Les  uns  désirent  un  théâtre  chrétien 
destiné  à  êlre  une  récréation  des  exercices 
de  piété,  une  distraction  du  travail.  C'est 
le  système  de  Juillard^du  Jarry.  Les  au- 
tres voudraient  un  théâtre  sans  passions; 
ainsi,  Pierre  deVilliers,  de  l'ordre  de  Cluny. 
Le  P.  Porée,  auteur  d'un  grand  nombre  de 
tragédies  latines,  est  d'avis  que,  par  sa  na- 
ture, le  théâtre  pourrait  êlre  une  école  de 
mœurs,  et  que  s'il  ne  l'est  point,  c'est  par 
la  faute  des  hommes.  Il  devrait  y  avoir  des 
spectacles  dignes  du  citoyen,  de  l'honnête 
homme  et  du  chrétien.  Mais  quelque  cor- 
rompu que  soit  le  théâtre,  encore  faut-il  le 
supporter  par  considération  pour  la  tran- 
quillité publique,  et  à  cause  de  la  dureté 
ie  cœur  des  hommes.  Le  Franc  répète  le 
P.  Porée.  J.-J.  Rousseau,  Grosley,  l'abbé  de 
Saint-Pierre,  Aluratori  ,  Maffei  (Scipion), 
Darnaud  ,  Saint-Evremond ,  Louis  Ricco- 
boni  souhaitent  une  réforme  dans  les  spec- 


désaveu;  l'évêque  Guy-de-Sève  de    Roche-  tacles,  qu'ils  considèrent  comme  indispen- 

chouart,  Bordelon  ;  les    comédiens   italiens  sables  à  la  correction  des  mœurs,  à  la  con- 

Andreino-Lelio,  Barbieri ,  et  Bdtrame-Cec-  servation  des  belles-lettres  ,   et  à   l'amuse- 

chino;  le  P.   Soanen ,  Bourdaioue  et  Bos-  ment  du  peuple. 


ECRITS 

RELATIFS  A  LA  POLÉMIQUE  MODERNE 

POUR  ET  CONTRE  LE  THEATRE. 


NOTICE   PRELIMINAIRE. 

Dans  les  premiers  siècles  de  notre   mo-  point  alors  d'autres  divertissements  publics 

narchie,  nos  rois,  occupés  à  conserver  ou  à  que  ces  fêtes  que  des  auteurs  ont  appelées 

étendre  leurs   conquêtes,  négligèrent  long-  des  fêtes  nationales,    parce  qu'elles    étaient 

temps  les  jeux  et  les  plaisirs.  11  n'y  avait  données  à  l'occasion  d'événements  intéres- 


4029 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1050 


sauts,  et  qu'on  y  invitait  majores,  c'est-à- 
dire  les  grands  de  la  nation.  Telles  étaient 
celles  qui  avaient  lieu  lorsque  nos  premiers 
rois  tenaient  leurs  cours  plénières,  où,  rela- 
tivement à  la  forme  primitive  de  noire 
gouvernement,  les  prélats  étaient  obligés 
d'assister. 

Ces  fêtes  n'avaient  rien  de  ce  goût  de 
galanterie  que  l'esprit  de  l'ancienne  cheva- 
lerie introduisit,  ni  de  celui  qu'on  a  connu 
dans  les  siècles  suivants  :  mais  elles  avaient 
un  ton  de  grandeur  et  de  majesté.  Elles 
s'ouvraient  ordinairement  par  une  messe 
solennelle  qui  était  suivie  d'un  repas 
splendide.  Les  évoques  et  les  ducs  avaient 
j'honneur  d'être  à  la  table  du  roi,  et  il  y 
avait  des  tables  pour  les  abbés,  les  comtes 
et  les  autres  seigneurs.  On  faisait  des  dis- 
tributions d'argent  au  peuple.  Les  amuse- 
ments de  l'après-dîner  étaient  la  pêche,  la 
chasse,  le  jeu  et  le  spectacle  d'animaux, 
comme  d'ours,  de  chiens,  de  singes  qu'on 
avait  habitués  à  différents  exercices. 

On  vit  ensuite  paraître  successivement 
les  poètes  provençaux,  mimes,  histrions  ou 
farceurs,  les  troubadours,  jongleurs  ou  mé- 
neslriers,  etc.  Les  jeux  de  ces  mimes  con- 
sistaient en  récils  bouffons  et  en  gesticula- 
tions. Ceux  qui  faisaient  des  tours  d'adresse 
et  de  force  avec  des  épées  ou  bâtons,  furent 
appelés  balatorcs  et  en  français  bateleurs. 
Ils  allaient  de  ville  en  ville;  et  lorsque  dans 
leurs  routes  ils  avaient  à  payer  des  péages, 
ils  étaient  autorisés  par  les  ordonnances  à 
satisfaire  le  péagcr  par  leurs  jeux  ou  par  les 
tours  de  leurs  singes;  ce  qui  a  donné  lieu  à 
ce  proverbe  populaire  :  payer  en  monnaie  de 
singe  ou  en  gambades. 

Il  y  a  dans  les  Capitulaires  des  rois  de 
Fiance  une  ordonnance  de  Charlemagne  de 
l'an  789,  qui  comprend  parmi  les  personnes 
notées  d'infamie  tous  ces  farceurs  et  his- 
trions :  Omnes  infamiœ  maculis  aspersi,  id  est 
histriones,  ut  viles  personœ  non  habeant  po- 
testalem  accusandi  (V7G).  On  voit  dans  ces 
mêmes  Capitulaires,  (pie  les  gens  vertueux 
évitaient  de  voir  et  d'entendre  ces  farceurs, 
bateleurs,  etc.  La  défense  en  était  expressé- 
ment faite  aux  ecclésiastiques,  et  on  leur 
faisait  un  devoir  d'en  détourner  par*  leur 
exemple  et  par  leurs  conseils  les  fidèles  (V77). 

Il  y  a  des  écrivains  .qui  ont  donné  comme 
des  images  des  anciennes  fêtes  nationales, 
les  tournois  et  les  carrousels,  dont  on  sait 
quel  était  l'appareil.  Ils  passèrent  de  mode 
après  celui  où  le  roi  Henri  II  fut  blessé  à 
mort  en  1559.  Un  envoyé  du  Grand  Seigneur 
sous  Charles  YU  disait  très-sensément  de 
ces  fêtes  militaires,  que  si  c'était  tout  de 
bon  ce  n'était  pas  assez,  et  que  si  ce  n'était 
qu'un  jeu,  cen  était  trop  (478). 
'La  cour  abandonna   ces  divertissements 

(476)  Capit.  reg.,  lib.  m. 

(477)  Qiiaecunque  ad  aurium  et  oculoruni  perti- 
nent illeeebras  unde  vigor  aninii  emolliri  possc  ue- 
ilaïur,  ut  de  aliquibus  generibus  musicoruin  aliisquc 
nommllis  reluis  seuliri  polesl,  ab  omnibus  Dei  si- 
ce idoles  se  abslinerë  debeul  :  quia  par  aurium  ocu- 
loruinque  illeeebras  viliorum   Inrba  ad  animum  in- 


où  il  arrivait  toujours  malheur;  et  en  les 
vit  remplacés  par  les  jeux  de  théâtre  et  les 
ballets  où  le  roi,  les  princes  et  les  seigneurs 
étaient  acteurs:  mais  ce  n'étaient  que  des  fêtes 
extraordinaires  qui  n'avaient  lieu  que  dans 
des  événements  qui  rassemblaient  à  la  cour 
les  personnes  d'état  à  y  paraître. 

On  sait  que  lorsque  les  grands  seigneurs 
ne  furent  plus,  comme  le  dit  le  président 
Hénault  (479),  que  des  courtisans  que  le 
plaisir  et  l'ambition  fixèrent  à  Paris,  on  vit 
cette  capitale  parvenir  successivement  à  une 
grandeur  colossale.  Elle  n'a  pu  y  arriver  sans 
être  de  plus  en  plus  surchargée  d'une  mul- 
titude de  citoyens  désœuvrés  dont  on  crut 
devoir  occuper  le  loisir,  selon  le  goût  des 
temps,  par  des  représentations  pieuses  qui 
furent  l'enfance  et  le  bégaiement  de  nos 
tragédies,  de  nos  opéras  et  de  nos  comé- 
dies. 

On  s'accorde  assez  pour  rapporter  l'ori- 
gine de  l'établissement  des  spectacles  de 
Paris  à  Tannée  1398,  que  des  bourgeois  de 
celle  ville  se  réunirent  pour  donner  les  re- 
présentations des  mystères  de  la  Passion  de 
Jésus-Christ,  et  pour  vivre  aux  dépens  de 
leurs  spectateurs.  Le  caractère  de  ces  repré- 
sentations dont  les  pèlerins  de  la  terre  sainte 
avaient  donné  l'idée,  procura  à  la  compagnie 
de  leurs  inventeurs  le  privilège  d'être  érigée 
en  confrérie  pieuse  : 

De  nos  dévols  aïeux  le  lliéàlre  abborré 

Fut  longtemps  dans  la  France  un  plaisir  ignoré  ; 

De  pèlerins,  dit-on,  une  troupe  grossière 

En  public  à  Paris  y  monta  la  première  ; 

El,  sottement  zélée  en  sa  simplicité, 

Joua  les  saints,  la  Vierge  et  Dieu  par  piété. 

(Despréaux.) 

On  pourrait  bien  faire  remonter  vers 
l'année  1313  l'époque  de  ces  sortes  de  repré- 
sentations publiques;  mais  alors  elles  n'é- 
taient pas  ordinaires,  11  y  en  eut,  par  exem- 
ple, à  l'occasion  de  la  chevalerie  des  lils  de 
Philippe  le  Bel,  Louis  le  Hutin,  Philippe  le 
Long  et  Charles  le  Bel.  Enfin  si  l'on  voulait 
avoir  une  trace  plus  ancienne  de  ces  jeux 
de  théâtre,  on  la  trouverait  en  1179.  Un 
moine  nommé  Geoffroi,  qui  depuis  fut  abbé 
de  Saint-Alban,  en  Angleterre,  chargé  de  l'é- 
ducation des  jeunes  gens,  leur  faisait  alors 
représenter  avec  appareil  des  espèces  de 
tragédies  de  piété,  dont  la  première  eut  pour 
sujet  les  miracles  de  sainte  Catherine.  On 
doit  présumer  que  ce  drame  répondait  au 
mauvais  goût  du  xne  siècle. 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Charles  VI  que  les 
confrères  de  la  Passion  établirent  leur  théâ- 
tre dans  la  grande  salle  de  l'hôtel  de  la  Tri- 
nité. Les  sujets  de  leurs  espèces  de  poèmes 
étaient  tirés  de  l'Ecriture  sainte  et  des  lé- 
gendes des  saints.  Voici  les  titres  de  quel- 

gredi  solct.  Histrioimm  quoque  hirpium  et  obscae- 
noiuin  iusolenlias  jocorum  et  ipsi  anima  effugere 
cneleiïsquc  effugienda  pnedicarc  debent.  (Capitulaires 
des  rois  de  France,  l.  Ier,  pag.  1170.) 

(478)  Histoire  de  France  ,  par  le  président  Ut- 
nai;lt. 

(479)  lbid. 


1031 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1032 


ques-uns  :  Le  Mystère  de  la   vengeance   de  souci.  Le  chef  de  celte  troupe  s'appelait   le 

la  mort  de  Jésus-Christ;  —  le  Mystère  de  la  prince  des  Sots,  et  leurs  draines  étaient  in- 

Conception  et  de  la  Nativité  de  la  Vierge,—  titulés  la  Sottise.   Ces  comédiens,  pour   se 

la  Passion,  etc.  Leurs  auteurs  les  plus  con-  mettre  en  honneur,  commencèrent  à  donner 

nus  étaient  Jean  Petit,  d'Abondance,  Louis  sous  le  règne  de  Charles  VI  quelques  mora- 

Choquet,  etc.  lités  burlesques,  comme  le  Fief  ou  Châlel  de 

Mais  dès  le  crépuscule  du  rétablissement  joyeuse  destinée,  le  Débat  du  cœur  et  de  l'œil, 

des    lettres,   c'est-à-dire,  sous   le  règne  de  l'Amoureux  au  Purgatoire,  de  VAmour,  etc 


Les  clercs  des  procureurs  au  parlement 
transigèrent  avec  les  Enfants  sans  souci , 
pour  donner  au  public  de  pareilles  repré- 
sentations. Ils  s'appelaient  Basochiens.  Les 
clers  de  la  Chambre  des  comptes  qui  prirent 
Je  titre  de  Jurisdiction  du  saint  Empire,  et 
ceux  du  Châtelet  élevèrent  aussi  des  théâ- 
tres; mais  ils  furent  moins  fréquentés.  Les 
basochiens  et  les  enfants  sans  souci  eurent 
la  préférence.  Ils  avaient  pour  auteurs  les 
meilleurs  poètes  du  temps,  comme  Clément 
Marot,  et  avant  lui  Corbueil  dit  Villon  dont 
Boileûu  a  dit 

Villon  sut  le  premier  dans  ces  siècles  grossiers, 
Débrouiller  l'art  confus  de  nos  vieux  romanciers. 

(Art.  ipocl.) 

La  plus  célèbre  des  anciennes  farces  est 
celle  de  Patelin.  Le  principal  personnage, 
dont  celte  pièce  porte  le  nom  ,  était  un 
nommé  Patelin.  Ses  fourberies,  ses  impos- 
tures et  ses  intrigues  étaient  si  connues, 
les  défendit  par  ses  arrêts  des  9  décembre  qu'on  en  fit  le  sujet  d'une  pièce  de  théâtre. 
1541  et  10  novembre  1548,  et  on  ne  vit  plus  C'est  ce  qui  a  donné  lieu  de  se  servir  de  ces 
représenter  que  des  sujets  profanes.  mots  :  patelin,  palelinage,  pour  exprimer  le 

Le  concile  de  Trente  défend  aussi  défaire  caractère  d'un  homme  de  mauvaise  foi. 
jamais  servir  l'Ecriture  sainte  à  des  sujets  Celte  farce,  si  vantée  par  Pasquier  dans  le 
de  divertissement;  et  il  ordonneaux  évoques  livre  vin  de  ses  Recherches  de  la  France,  a 
de  punir  des  peines  de  droit  ou  arbitraires  servi  de  fond  et  de  canevas  à  la  comédie  in- 
les  téméraires  violateurs  de  son  décret,  tilulée  V Avocat  Patelin,  qui  se  joue  encore 
aussi  bien  que  de  la  parole  de  Dieu  (481).         sur  le  Théâtre-Français. 

Les  protestants  même  reconnurent  la  né-  Les  auteurs  et  les  acteurs  les  plus  fameux 
cessité  de  réformer  un  pareil  abus.  Ils  firent  des  anciennes  farces  sont  Tabarin,  Turlupin, 
à  ce  sujet  une  loi  qui  se  trouve  dans  le  Gaultier-Garguille ,  Gros-Guillaume,  etc.; 
recueil  intitulé  :  De  la  discipline  des  protes-  leurs  noms  ont  été  admis  dans  la  nomencla- 
tnnts  de  France,  chap.  14,  art.  28.  En  voici  ture  française  pour  signifier  un  bouffon,  un 
les  termes  :  «  Ne  sera  loisible  aux  fidèles  baladin  et  un  farceur, 
d'assister  aux  comédies  et  autres  jeux  joués 

en  public  ou  en  particulier,  vu  que  de  tout     :    :  .  ;    ■•    •    Les  Turlupins  restèrent, 
temps  cela  a  été  défendu  entre  les  Chrétiens,     lns,Pldes  Posants,  bouffons  infortunes, 


François  I", 

Le  savoir  à  la  fin  dissipant  l'ignorance, 
Fit  voir  de  ce  projet  la  dévole  imprudence. 

(Despréaux.) 

L'ignorance  avait  répandu  les  ténèbres  les 
plus  épaisses  sur  tous  les  ordres  de  l'Etat. 
Néanmoins  dans  le  cours  de  cette  nuit,  il 
parut  assez  de  lumières  pour  conduire  les 
vrais  philosophes  (480).  Ces  temps  ténébreux 
nous  offrent  une  multitude  de  canons  de 
conciles,  de  statuts  synodaux  et  de  mande- 
ments d'évèques  pour  Je  rappel  des  bonues 
règles.  Ces  réclamations  ne  furent  pas  sans 
effet  pour  ceux  qui  dans  le  temps  y  furent 
attentifs,  et  par  la  suite  elles  produisirent 
de  plus  grands  fruits. 

Le  parlement  de  Paris  reconnut  l'indé- 
cence qu'il  y  avait  à  faire  servir  au  plaisir 
du  peuple  les  mystères  de  la  religion,  d'au- 
tant plus  que,  pour  plaire  au  plus  grand 
nombre,  on  les  déshonorait  par  une  mixtion 
de  farces  scandaleuses.  Cet  auguste  tribunal 


comme  apportant  corruption  de  bonnes 
mœurs  ,  mais  surtout  quand  l'Ecriture 
sainte  y  est  profanée.  Et  si  en  un  col- 
lège il  élait  trouvé  utile  à  la  jeunesse  de 
représenter  quelque  histoire,  on  ne  pourra 
le  tolérer  qu'à  condition  qu'elle  ne  sera  pas 
tirée  de  l'Ecriture  sainte  qui  n'est  pas  baillée 
pour  être  jouée,  mais  pour  être  purement 
piêchée.  » 
Lorsque  les   confrères  de  la  Passion    ne 


D'un  jeu  de  mois  grossiers  partisans  surannés, 

Apollon  travesti  devint  un  Tabarin. 

Cette  contagion  infecta  les  provinces, 

Du  clerc  et  du  bourgeois  passa  jusques  aux  prinees. 

(Despréaux,  An.  poét.) 

Ces  anciennes  farces,  dont  le  mérite  con- 
sistait en  pointes,  en  équivoques  et  en  bouf- 
fonneries, devinrent  des  satires;  et,  dans 
tous  les  ordres,  il  y  avait  des  gens  attaqués 


purent  plus  représenter  les  mystères,  ils  de  la  manie  d'en  faire  les  représentations, 
cédèrent  leurs  privilèges  à  une  troupe  de  Le  parlement  de  Paris  réforma  cette  licence, 
comédiens   qu'on  appelait  les  enfants  sans     et  il  n'y  eut  que  les  enfants  sans  souci  qui, 

(480)  Nunquam  defuit  veritas  Dei  in  sanctis  ejus 
modo  paucioribus ,  modo  pluribus  ut  se  lem- 
poram  veritas  habuit  et  liabebit.  (  Saint  Au- 
gustin.) 

(481)  Temeritalem  illam  reprimere  volens  qua 
ad  profana  quseque  converlunlur  et  lorquenlur 
verba  et  seutenlice  sacra  Scriptura,  od  scurrilia 


scilicet,  fabulosa,  vana,  et  mandat  et  pracipit  ad 
tollendam  hujusmodi  irreverentiani  et  contemptum, 
ne  de  c.Ttero  qnispiam  quomodolibel  verba  Scriptu- 
ra sacra  ad  haec  et  similia  audeat  usurpare,  et 
omnes  bujusinodi  homines  temeratores  et  violatores 
verbi  Dei  juris  el  arbitrii  pœnis  per  episcopos  coer- 
ceanlur.  (Concil.  Trident.) 


1033                                                NOTICE  SUR  I.E  THEATRE  LIBRE.                                               105. 

pendant  quelque  temps,  demeurèrent  seuls  chefs-d'œuvre    de  ce  poêle,  on  obtint  do 

en  possession  de  divertir  ic  public.  Louis  XIII  la  déclaration  du  1G  avril  16VJ, 

Jodelle  (mort  en  1573)  fut  le  premier  qui  dont  les  comédiens  s'autorisent  tant.  Il  en 

rappela  les  idées  de  l'art  dramatique  par  ses  est  parlé  dans  la  seconde  Lettre  sur  les  spec- 

tragédies  de  Cléopdtre  et  Didon.  tacles    de  Desprez  de   Boissj.    (Voir   plus 

Les  représentations  qui  se  faisaient  par  loin.) 

les  enfants  sans  souci,  rue  des  Malhurins,  à  Les  drames  de  Racine  (né  en  1639),  ne  Mo- 

l'hôlel  do  Cluny,  parvinrent  à  mériter  d'être  lière  (né   en    1622),  et  de   llcgnard   (né  en 

défendues  par  arrêt  du  parlement  de  Paris,  1647)  ;  les  représentations  des  tragédies  ly- 

du  6  octobre  1584.  riques  de  Lulli  (né  en  1633)  et  de  Quinaull  ; 

On  vit  paraître,  vers  l'année  1588,  deux  en'in  'a  gaieté  de  la  Comédie  italienne  aug- 

nouvelles   troupes  do  comédiens.  Les  uns  monta  lil  séduction  des  partisans  des   théâ- 

étaient  Français  et  les  autres  venaient  d'Ita-  lJes-  On  soutint  que,  en  égard  aux  progrès 

lie.  Ces  derniers  se  nommaient  li  Gelosi.  Le  "e  '  art  dramatique,  il  n  y  avait  rien  à  crain- 

parlement  de  Paris  refusa  de  consentir  à  dre  P°ur  Ies  mœurs.  Il  fallut  combattre  les 

leur   établissement.  Desprez  de  fBoissy  en  a  défenseurs  de  ce  iaux  préjugé.  C'est  ce  qui 

rapporté  les  motifs  dans  sa  première  Lettre  occasionna  les  écrits  polémiques  dont  on  va. 

sur  les  spectacles,  que  nous  donnons   plus  donner  l'histoire. 

loin.  Les  apologies  de  nos  théâtres  y  étant  mi- 
Ce  ne  fut  qu'au  commencement  du  xvn'  ses  en  opposition  aux  écrits  qui  les  ont 
siècle,  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII,  que  combattues,  elles  n'y  paraîtront  que  comme 
Hardy  et  Rotrou  tirèrent,  dit-on,  du  milieu  des  ouvrages  dangereux  dont  il  faut  éviter 
des  rues  et  des  carrefours,  la  tragédie  et  la  l'illusion.  On  verra  qu'elles  tendent  toutes, 
comédie.  Mais  les  poètes  étaient  encore  ce  plus  ou  moins,  à  favoriser  l'empire  de  la  vo- 
qu'ils  ont  presque  tous  été  et  ce  qu'ils  se-  lupté,  et  que  les  défenseurs  des  théâtres  doi- 
ront  toujours.  «  Non-seulement,  dit  le  pré-  vent  succomber  sous  les  armes  de  la  raison 
sident  Hénault  (482),  ils  se  ressentaient  de  et  de  la  religion.  Ce  sera  toujours  en  vain 
la  corruption  du  siècle,  mais  encore  ils  l'aug-  qu'on  emploiera  éloquence,  astuce  et  so- 
menlaient  et  ils  gâlaienl  l'esprit  et  le  cœur  phisuies  contre  la  vérité.  II  suffît  qu'elle  se 
des  jeunes  femmes  par  des  vers  libertins  et  montre  pour  triompher  et  ramener  à  son 
des  chansons  licencieuses.  »  drapeau  les  cœurs  droits  qui  auraient  eu  la 
La  troupe,  qui  était  alors  chargée  des  rc-  faiblesse  de  s'en  écarter.  0  magna  visverila- 
présentations  dramatiques,1  se  qualitiait  de  tis  quœ  contra  ftominum  ingénia,  calliditatem, 
comédiens  de  ['Elite  royale.  Corneille  (né  en  solertiam",  contraque  fictas  omnium  insidias 
1606)  la  mit  ensuite  tellement  en  faveur,  facile  et  per  seipsam  defendal  !  (Ciceu.,  Pro 
que,  dans  l'enthousiasme  de  l'admiration  des  M.  Cœlio) 

{482)  Dans  son  Abrégé  de  V Histoire  de  France. 


HISTOIRE  DES   OUVRAGES 

POUR  ET  CONTRE  LES  THEATRES  PURL1CS. 


Il  parut  sur  la  fin  du  dernier  siècle  un  li-  des  conciles  et  des  Pères  de  l'Eglise  sur   ia" 

vre  intitulé  :  Histoire  et  abrégé  des  outrages  comédie. 

latins,    italiens   et  français ,  pour  et   contre  L'auteur  cite  de  l'Ecriture  sainte  le    livre 

la  Comédie  et  V Opéra;  Orléans,  1697.  des  Proverbes,  c.  iv,  y  23,  le  Livre  de  YEc- 

M.  Lalouette,  qui  en  est  l'auteur,  y  a  clésiastique,  c.  ni,  y  27,  c.  ix,  y  8  et  9;  l'in- 
compris tous  les  écrits  qui,  dans  le  temps,  vangile  do  saint  Matthieu,  c.  v,  y  28,  c.  xvm, 
firent  le  plus  d'impression.  Comme  co  livre  y  6;  YEpître  de  saint  Paul  aux  Ephes.,  c.  v, 
intéressant  est  devenu  rare,  on  va  y  sup-  y  3  et  4,  etc. 

pléer  par  un  extrait  qui,  à  l'égard  du  der*  On  sait  que  le  mot  de  comédie  n'est   pas 

nier  siècle,  donnera  des  notices  exactes  sur  nommé  dans  l'Ecriture  sainte,  parce  que  les 

les  ouvrages  dont  il  s'agit  de  donner  l'his-  jeux  scéniques  n'étaient  pas  en  usage  chez 

toire.  le  peuple  juif  Mais  comme  ils  n'ont  d'autre 

Le  livre  de  Lalouette  est  dogmatique   et  fin   que  d'inspirer   des   passions   déréglées 

historique.  qui,   selon  môme  la  philosophie  païenne, 

L'auteur  donne  dans  la  partie  dogmatique  sont  les  maladies  des  âmes;  ils  se  trouvent 

un  exposé  de  la  doctrine  de  l'Ecriture  sainte,  implicitement  condamnés  (483)   par  ce  pre- 

(183)  Veritas,  si  ad  hrce  iisque  descenderet,  pes-  cra  eoniicuit.  Probibuit  speclari  quos  proliihel  geri. 

sime  ;lc  (idelibus  suis  sensisset.  Plorumque  in  prœ-  Oninia  isia  speclaculorum  gênera  damnavii  quand» 

ceplis  qusedam  utilius  lacciiinr.  Pneceplorum  loco  idololalriam  sustulit  unde  hase  vanilalis  ci    évitât1» 

severilas  loquilur,  ci  ratio  ilocel  quae  Scriplura  sa-  monstra  vencruni.  (S.  Cypr.,  De  speci.) 

Diction»,  des  Mystères*  33 


1035  DICTIONNAIKE 

mier  précepte  do  la  morale  sacrée:  «  Régnez 
sur  vos  sens  et  vos  passions  :  Sub  te  crit  ap- 
petitus,  tu  dominaberis  illius  (484);  »  pré- 
cepte dont  un  Sénèque,  par  les  seules  lu- 
mières de  la  raison,  reconnaissait  la  néces- 
sité pour  conserver  à  l'âme  la  supériorité 
qu'elle  a  sur  le  corps.  «  L'âme,  dit-il,  lient 
dans  le  corps  le  même  rang  que  Dieu  dans 
l'univers,  que  le  corps  obéisse  donc  à  l'âme, 
comme  l'univers  à  Dieu;  elle  est  trop  éle- 
vée par  sa  nature  pour  que  je  veuille  la  dé- 
grader jusqu'à  la  rendre  esclave  du  corps, 
en  me  livrant  au  langage  des  sens  (485).  » 
C'est  par  une  conséquence  de  ce  principe 
que  ce  philosophe  était  si  sévère  à  l'égard 
des  spectacles  dramatiques ,  comme  on  le 
verra  dans  la  première  Lettre  de  Desprcz 
de  Boissy. 

Lalouette  passe  des  citations  de  l'Ecri- 
ture sainte  aux  canons  des  conciles.  Il  cite 
les  canons  62  et  67  du  concile  d'Elvire,  tenu 
l'an  305.  Le  canon  5  du  premier  concile 
d'Arles,  tenu  l'an  314,  et  ce  canon  fut  con- 
firmé par  le  deuxième  concile  d'Arles,  tenu 
l'an  452.  Le  sixième  concile  général,  tenu  à 
Constantinople  en  680,  est  aussi  très-sévère 
contre  les  théâtres  publics;  le  quatrième  ca- 
non du  concile  de  Bourges,  tenu  l'an  1584, 
ne  l'est  pas  moins. 

Et,  depuis  qu'on  n'a  plus  tenu  de  conciles 
aussi  fréquemment,  la  doctrine  de  l'Eglise, 
a  l'égard  des  spectacles,  se  trouve  constatée 
par  les  Rituels  ou  les  Actes  des  synodes  des 
diocèses.  Lalouette  cite  entre  autres  le 
Rituel  de  Châlons-sur-Marne  de  1649,  celui 
de  Paris  de  1654  et  1674,  ceux  de  Sens,  d'A- 
leth,  de  Langres,  de  Goutances,  de  Bayeux, 
Reims,  etc. 

Quant  à  la  tradition  des  Pères  de  l'Eglise, 
Lalouette  rapporte  des  passages  du  livre  de 
Tertullien  sur  les  spectacles,  du  traité  de 
saint  Cyprien  sur  le  même  sujet,  de  la  qua- 
trième homélie  de  saint  Basile  in  Hexaeme- 
ron,  de  la  quinzième  homélie  de  saint  Jean 
Chrysoslomc  au  peuple  d'Antioche,  de  la 
troisième  homélie  du  môme  Père  sur  Saul 
et  David.  On  cite  encore  de  saint  Ambroise 
le  premier  chapitre  de  son  Traité  de  la  fuite 
du  siècle,  le  troisième  livre  des  Confessions 
de  saint  Augustin,  etc. 

Enfin  Lalouette  indique  un  bref  du  Pape 
Innocent  XII,  auquel  on  peut  ajouter  ceux 
des  Papes  Clément  XI,  Benoît  XIV  et  Clé- 
ment XIII,  qui  sont  autant  de  décisions  con- 
tre les  spectacles  publics,  et  qui  sont  citées 
dans  la  première.  Lettre  de  Boissy. 

Voilà  ce  qui  concerne  la  partie  dogmati- 
que du  livre  de  Lalouette.  La  partie  histori- 
que contient  les  notices  des  ouvrages  qui 
parurent  dans  le  siècle  dernier,  pour  et 
contre  les  théâtres.  On  va  les  indiquer  dans 
l'ordre  de  leurs  dates. 

Lalouette  nous  apprend  que  Hédelin  d'Au- 
bignac  est  le  premier  auteur  français  qui, 
dans  le  dernier  siècle,  ait  osé  entreprendre 

l\U)  Gènes.  îv. 

(•iSS)  Quein  in  hoc  mundo  locnm  Dons  ohlinel , 
huue  animua  in  homme;  semant  ergo  détériora 


DES  MYSTERES. 


lO 


de  justifier  les  théâtres  publics.  Il  le  fit  oon.i 
deux  ouvrages  qu'il  donna  en  1657,  le  pre- 
mier intitulé  :  Pratique  du  théâtre.  Le  se- 
cond a  pour  titre  :  Projet  pour  le  rétablisse- 
ment du  Théâtre-Français.  Ce  dernier  est  de- 
meuré imparfait.  Hédelin  y  avoue  les  diffi- 
cultés de  justifier  les  théâtres.  «  On  a  contre 
soi,  dit-il,  1°  la  créance  commune  des  peu- 
ples, que  c'est  pécher  contre  les  règles  du 
christianisme  que  d'y  assister;  2°  l'infamie 
dont  les  lois  ont  noté  les  comédiens.  » 

Cet  aveu  accuse  et  condamne  la  témérité 
de  cet  auteur...  Habemus  con filent em  reum. 
D'ailleurs,  c'était  un  poëte  de  théâtre,  il  dé- 
fendait sa  propre  cause. 

D'Aubignac  n'est  pas  le  premier  de  nos 
dramaturges  qui  ait  écrit  en  faveur  du  théâ- 
tre. Il  parut  en  1639  un  ouvrage  intitulé  : 
Apologie  du  théâtre,  par  Georges  de  Scudéri  ; 
Paris,  Aug.  Courbé,  1639,  in-4°.  Georges  de 
Scudéri,  qui  mourut  à  Paris  vers  1666,  est 
le  versificateur  infatigable  dont  Boileau  Des- 
préaux a  dit  : 

Bienheureux  Scudéri,  dont  la  fertile  plume 
Peut  tons  les  mois,  sans  peine,  enfanter  un  volume; 
Tes  écrits,  il  est  vrai,  sans  art  et  languissans, 
Semblent  être  formés  en  dépit  du  hon  sens. 

Scudéri  avait  composé  seize  pièces  drama- 
tiques :  ainsi  il  était,  comme  d'Aubignac, 
intéressé  à  soutenir  la  cause  du  théâtre,  dont 
il  s'était  fait  aussi  une  ressource  contre  la 
faim  :  Magis  fami  quarn  famœ  inserviebat. 

En  1666  on  vit  paraître  une  apologie  de 
la  comédie  sous  ce  titre  :  Dissertation  sur  la 
condamnation  des  théâtres. 

On  l'attribua  à  Hédelin  d'Aubignac. 

Le  Théâtre  Français,  divisé  en  trois  livres, 
où  il  est  traité  :  1°  de]  l'usage  de  la  comédie; 
2°  des  auteurs  qui  soutiennent  le  théâtre  ; 
3°  de  la  comédie  et  des  comédiens,  par  Samuel 
Chapuzeau,  à  Lyon,  1674,  in-12. 

«  Samuel  Chapuzeau,  dit  M.  l'abbé  Gou- 
jet  (486),  s'est  montré  très-zélé  pour  les  théâ- 
tres. Il  s'en  est  déclaré  l'apologiste,  et  il  a 
voulu  les  venger  contre  ceux  qui  ont  de 
bonnes  raisons  pour  les  condamner.  Des 
trois  livrs,  dont  son  ouvrage  est  composé, 
il  aurait  pu  en  retrancher  le  premier,  où  il 
ne  dit  rien,  enfaveurdes  spectacles,  qui  n'ait 
été  cent  fois  réfuté.  » 

Néanmoins  Chapuzeau  convient,  pages  40 
et  131,  que,  depuis  la  mort  du  cardinal  do 
Richelieu,  notre  théâtre  s'était  beaucoup  amé- 
lioré sous  le  rapport  des  mœurs. 

En  1694,  les  partisans  du  théâtre  imaginè- 
rent de  donner  le  fameux  et  pitoyable  écrit 
intitulé  :  Lettre  d'un  théologien  illustre  par 
sa  qualité  et  par  son  mérite.  Cette  lettre, 
avec  un  si  beau  titre,  n'eut  pour  approba- 
teurs que  des  poètes  dramatiques,  et  elle  ne 
put  être  imprimée  qu'à  la  tête  et  qu'à  la  fa  - 
veur  d'un  recueil  de  pièces  comiques.  On 
l'attribua  au  P.  Calïaro,  mais  on  doit  s'vn 
tenir  au  désaveu  qui  en  fut  fait  par  ce  reli- 

meliorihus.  Major  sum  quarn  ut  mancipium  sim  e©f- 
poriS  nici.  (Sf.nf.c,  ep.  G5.) 

(48(5)  lliblioi.  (ranç.,  tom.  VIII,  pag.  358. 


1037 


NOTICE  SLR  LE  THEAT1Π LIBRE. 


1055 


gieux  (4-87).  Aussi  ne  la  vit-on  plus  paraître  Tous  les    efforts  de  l'auteur  pour  donner 

sous  son  premier  titre,  mais  seulement  sous  quelque  couleur  à  une  mauvaise  cause,  ne 

celui  d'un  homme  d'érudition  et  de  mérite,  tendent  qu'à  essayer  d'embrouiller  la  rna- 

Co  dernier  titre  ne  lui  convient  pas  mieux,  tière  qui  en  est  l'objet;  et  les  raisons,  dont 


(487)  RETRACTATION  DU  PÈRE  CAFFARO. 

Soin.  L'abbé  Meusy  observe  avec  raison  dans  le 
second  tome  du  Code  de  la  religion  et  des  mœurs, 
page 583,  que  Tailleur  de  l'ouvrage  inlilulé:  Querelles 
litéruires  (l'abbé  lrailii,  ebanoinede  Monislrol)  dont 
il  sera  parlé  <  aurait  dû  y  dire  quelque  ebose  de  la 
rétractation  du  Père  Caffaro.  i  Mais  que  pouvait  en 
«lire  l'abbé  Irailb  ,  après  avoir  loué  le  Père  Caffaro 
d'avoir  fait  l'apologie  des  tbéàtres,  et  l'avoir  appelé 
pour  relie  raison,  un  religieux  philosophe?  (Toin.  Il 
des  Querelles  littéraires.)  Néanmoins  il  a  hasardé  ces 
mots  :  «  L'archevêque  de  Paris,  Noailles,  exigea  du 
Père  Caffaro  un  rétractation  authentique.  »  Irailh 
laisse  à  douter  si  elle  a  eu  lieu.  Il  parait  qu'il  ne  s'est 
pas  intéressé  à  s'instruire  du  fait.  Cependant,  comme 
historien,  il  y  était  obligé.  Il  aurait  appris  que  le 
Père  Call'aro  ne  lit  que  suivre  l'inspiration  de  sa 
consciente  en  donnant  sa  rétractation,  et  qu'ayant 
satisfait  à  Ce  devoir  le  1 1  mai  1694,  c'était  M.  de  Har- 
layqui  était  alors  archevêque  de  Paris,  et  non  M.  de 
Noailles,  qui  ne  lui  succéda  qu'au  mois  d'août  1693. 
Irailh  paraît  si  attaché  à  l'erreur  rétractée  par  le 
Père  Caffaro,  qu'il  a  osé  avancer  dans  le  même  lome, 
page  595,  que  «  si  Racine  et  Quinault  eussent  déposé 
leurs  scrupules  dans  te  sein  d'un  casuiste  tel  que  le 
Père  Caffaro,  ils  n'eussent  jamais  abandonné  le 
théâtre.  »  L'abbé  Irailh  aurait  dû  plu  tôt  conclure 
que  ces  deux  poêles  célèbres  auraient  eu  le  plus 
grand  mépris  pour  un  casuiste  qui  aurait  voulu  les 
détourner  de  leur  juste  repentir.  Mais  on  a  beau- 
coup d'autres  erreurs  à  reprocher  à  l'ouvrage  inti- 
tulé :  Querelles  littéraires.  Elles  onlelé  relevées  dans 
un  recueil  de  neuf  lettres  imprimées,  dont  huit  sont 
de  l'abbé  Baral ,  et  une  est  de  D.  Clémencet,  Béné- 
dictin. Celle-ci  commence  à  la  page  42.  II  est  parlé 
de  ces  lettres  dans  VHisloire  littéraire  dé  la  congré- 
gation de  Saint-Maur,  que  dont  Tassin  a  donnée  en 
1770,  et  qui  est  aussi  intéressante  pour  la  littéra- 
ture qu'honorable   pour  celle  célèbre  congrégation. 

LETTRE   FRANÇAISE   ET    LATINE   DU    RÉVÉREND   PÈRE 
FRANÇOIS    CAFFARO,    THÉATIN. 

A  Monseigneur  l'archevêque  de  Paris  (a), 

Imprimée  en  1694,  in-4°. 

A  Monseigneur,  Monsei-     lllustrissimo    domino  D. 


gneur  l'archevêque  de 
Paris ,  duc  et  pair  de 
France  ,  commandeur 
des  ordres  du  roi,  pro- 
viseur de  la  maison  de 
Sorbonne,  et  supérieur 
de  celle  de  Navarre. 

Monseigneur, 
Je  n'ai  pu  apprendre 
qu'on  me  croyoit  dans  le 
monde  auteur  d'un  libelle 
f.iii  en  faveur  de  la  comé- 
die, sous  le  titre  de  Lettre 
d'un  théologien,  etc.,  et 
voir  en  même  temps  le 
scandale  qu'a  donné  cet 
ouvrage,  sans  en  être  sen- 
siblement affligé;  et  j'ai 
cru  même  qu'il  éioit  de 
mut  devoir,  pour  l'édifi- 
cation de  l'Eglise  et  pour 
l'honneur  de  mon  minis- 
tère, de  déclarer  publi- 
quement que  celte  Lettre 

{a  M.  de  Ilarîay. 


archiepiscopo  Parisien- 
si,  duci  et  pari  Fran- 
ciœ,  regiorum  ordinum 
commendulori  ,  Sorbo- 
nteprpvisori,  reçue  Na- 
varrœ  superiori. 


Libelli  cujusdam  gallice 
ad  comœdia:  dejensionem 
compositi,  et  sic  inscripti, 
Lettre  d'un  théologien  , 
etc. ,  même  vulgo  aucto- 
rem  circumferri  audire, 
simul  et  natam  ex  eo  of- 
fensionem  nossenonpotui, 
archiprœsul  illustrissime, 
quin  acri  inde  Oolore  per- 
cellerer,  mihiqne  tum  ad 
Heipablicœ  Christianœ  uli- 
litatem,  tum  ad  sacri  quo 
fungor  muneris  honorent 
censui  incumbere ,  publi- 
ée, ni  pro/ffererEpùslolam 


n'est  point  de  moi,  et  que 
je  n'y  ai  aucune  part,  que 
je  n'en  ai  rien  su  qu'a- 
près qu'elle  a  paru  ,  et 
que  je  la  désavoue  absolu- 
ment. Mais  je  ne  puis  me 
dispenser  de  reconnoîlre 
humblement,  comme  je 
le  dois,  ce  qui  peut  avoir 
donné  lieu  à  me  L'attri- 
buer, d'avouer  ingénue- 
menl  les  senlimens  que 
j'ai  eus  sur  ce  qui  en  fait 
le  sujet,  et  de  marquer 
en  réparation  ceux  où  je 
suis  Sur  cela  présente- 
ment.C'est,  Monseigneur, 
ce  qui  me  fait  prendre  la 
liberté  d'écrire  à  Votre 
Grandeur  ,  vous  recon- 
noissant  pour  mon  juge- 
né  et  d'institution  divine 
en  matière  de  doctrine, 
comme  vous  l'êtes  aussi 
de  tout  le  troupeau  qui 
vous  est  confié  ,  donl  je 
me  fais  honneur  d'être , 
et  auquel  le  Saint-Esprit 
vous  a  donné  pour  pas- 
leur,  établi  par  Jésus- 
Christ  même,  et  me  te- 
nant par  celle  raison  obli- 
gé de  faire  cette  déclara- 
lion  de  mes  senlimens 
entre  vos  mains,  pour  la 
rendre  publique  sous  vo- 
tre autorité  ,  si  vous  le 
jugez  convenable. 

Je  lis*  il  y  a  douze  ans, 
un  écrit  latin  sur  la  co- 
médie, où,  sans  avoir 
mûrement  examiné  la  ma- 
tière, et  par  une  légèreté 
de  jeunesse,  je  prenois  le 
parti  de  la  justifier  de  la 
manière  que  je  me  figu- 
rois  qu'elle  se  représen- 
toil  à  Paris  ,  n'en  ayant 
jamais  vu  aucune,  et  m'en 
faisant,  sur  les  rapports 
que  j'en  avois  oui  j  une 
idée  trop  favorable,  et  je 
ne  puis  que  je  ne  recon- 
naisse à  ma  confusion , 
que  les  principes  cl  les 
preuves  qui  se  trouvent 
dans  la  Lettre  qui  s'est 
donnée  au  public  sans  ma 
participation  ,  sont  les 
mêmes  que  dans  mon 
écrit  particulier;  quoi- 
qu'il y  ait  quelques  en- 
droits de  différons  entre 
les  deux  où  railleur  de  la 
Lettre  dit  ce  que  je  ne  dis 
pas,  et  parle  autrement 
que  je  ne  fais  moi-même 
dans  mon  écrit,  comme 
en  ce  qu'il  apporte  sans 
raison  en  faveur  de  la  co- 


hanc  non  esse  meam,  meas- 
que  in  ea  partes  esse  nul- 
tas,  eam ,  pri.tsqnam  ede- 
relur,  meam  ad  notiliam 
non  pervenisse ,  et  plane 
omnem  quœ  in  me  conji- 
ceretur  de  ea  scripla  sus- 
picionem,  a  meipsojam  re- 
pclli.  Ab  hac  lamen  dé- 
laissa, ut  par  est,  conj'es- 
sione,  me  nolim  immuKem, 
qua  ipse  aperiam ,  quid 
causœ esse  potueril,  cur  ea 
mihi  adscriberetur,  pristi  ■ 
uam  meam  de  ipsius  argu- 
tnentosentenliamdetegam, 
et  hodiernam  quasi  in  pria- 
ris  expialionem  patej'a- 
ciatn.  Facilhoc,  Archi- 
prœsul illustrissime ,  ut 
tuant  ad Celsitudinem sert- 
bam,  cum  te  meum,  ul  et 
univers'/  gregis  tibi  creditij 
ex  quo  esse  honori  duco, 
in  doclrina  Judicem  jure 
divino  naium,  a  Sptrilu 
sanctuposilum,  et  a  Chri- 
sio  ipso  conslitutum  ha- 
beam ,  meque  eo  nomine 
obslriclum  sentiam  ,  ul 
hanece  meœ  mentis  expli- 
caÀonem  pênes  le  depo- 
num  ,  quam  ipte ,  si  tibi 
expedire  videbitur  publi- 
blicam  in  lucem  prodire 
jubeas. 


Ab  annis  décent  aul  duo- 
decim  talinum  mihi  in  co- 
mœdiam  scriptum  excidit; 
in  quo,  prœvio  non  habita 
rei ,  de  qua  agerem  ,  mn- 
turo  examine  ,  juvenilis 
animi  levilaie  elatus ,  ab 
itlius  vindicandœ  parlibus 
slabant  ,  quo  eam  more 
Parisiis  haberi  mihi  finxe- 
ram ,  cum  nulli  unquam 
adfuissem ,  et  ex  aliorum 
relalione  nonnunquam  au- 
dita  illiits  mihi  in  mentent 
efpZgiem  induxissem  purio  • 
rem.  Et  vero  pudore  suf- 
fusus  non  possum  non  fn- 
leri,  quin  epislolœ  me  in- 
consulto  editœ  capila  et 
momenta ,  illa  ipsa  sint , 
quœ  et  meo  inprivatoscri- 
pto  haberenlur ;  elsi  duo 
hœc  in  quibusdam  diffé- 
rant,  ubi  hoc  habet  Epi- 
sloUe  auclor  quod  ego  non 
atligi,  et  alia  ille  ratione 
loquitur  ,  quam  qua  meo 
sim  in  scripto  usus  :  que- 
madmodum  cum,  in  co- 
mœdiœpalrocinium,tuuni, 
Archiprœsul  illustrissime, 
de  ea  habenda  silentiuiu 


î;>39 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1010 


il  se  sert,  sont  si  frivoles,  qu'elles  ne  peu- 
vent éblouir  que  des  personnes  faciles  à 
tromper  sur  ce  qui  les  flatte.  Cette  Lettre 
excita  avec  raison  la  plus  grande  cla- 
meur 


nicJie;  voire  silence  sur 
sa  représentation,  Mon- 
seigneur, pour  en  inférer 
un  consentement  et  une 
approbation  tacite  dévo- 
ile pari;  ce  que  je  n'ai 
point  fait  dans  mon  écrit, 
où  je  ne  dis  rien  du  tout 
qui  puisse  regarder  per- 
sonnellement Voire  Gran- 
deur, iiinsi  <|ue  l'illustre 
M.Pirol,qui  \\\  vu  depuis 
peu  par  voire  ordre,  vous 
en  pe.ii  rendre  témoigna- 
ge, aussi  bien  que  de  la  dif- 
férence d'expression  qu'il 
y  a  enlre  la  Lettre  el  mon 
écrit  au  sujet  des  Rituels, 
que  la  Lettre  semble  trai- 
ter d'un  air  qui  ne  mar- 
que pas  d'assez  grands 
égards  pour  des  livres 
aussi  dignes  de  respect 
que  le  sont  des  Rituels, 
en  parlant  de  celte  ma- 
nière, certains  Rituels,  an 
lieu  que  je  dis  simplement 
dans  mon  écrit,  quelques 
[iiluels  :  Nonnulla  Ritua- 
Lia  aliquarum  diœceseum. 
Je  ne  puis  disconvenir 
qu'à  comparer  la  Lettre 
avec  mon  écrit,  il  ne  soit 
visible  qu'elle  en  est  tirée 
presque  de  mot  à  mot,  et 
que  par-là  ce  que  j'ai  fait 
avec  précipation  a  donné 
malheureusement,  et  con- 
tre mon  dessein ,  ouver 
luro  à  celle  Lettre.  Je  n'ai 
jamais  fait  étal  d'impri- 
mer mon  écrit  :  11  n'éloil 
pas  composé  avec  assez 
d'exactitude  p  iur  préten- 
dre le  rendre  public;  je 
ne  m'élois  pas  assez  ins 
trait  du  sujet  que  j'y 
traiiois,  ni  des  autorités 
que  j'apporloisou  pour  ou 
contre,  enlre  autres  de 
celle  de  S.  Charles  dont 
je  me  faisois  fort;  je  ne 
sçavois  pas  bien  même  ce 
que  c'éloil  que  la  comé- 
die française,  de  la  ma- 
nière qu'elle  se  joue  à 
Paris,  n'ayant  jamais  lu 
de  comédies  de  Molière, 
et  n'en  ayant  lu  que  fort 
peu  d'autres,  el  sans  ap- 
plication, n'ayant  d'ail- 
leurs qu'entendu  parler 
des  Rituels  sur  les  comé- 
diens, sans  avoir  même 
lu  celui  de  Paris.  C'esl  ce 
manque  d'attention  cl  de 
réflexion  qui  m'a  voit  en- 
gagea prendre  dans  mou 
écrit  particulier,  el  que 
je  n'ai  jamais  voulu  ren- 
dre public,  la  défense  (h;  la 


temere  adducit ,  unde  il- 
tant  a  te ,  tacilo  sallem 
consentit  probari  inférât, 
cui  simile  ni/iil  meo  in 
srripto  prœslilerim,  in  quo 
nequicquam  dixerim  quod 
tuam  nominalim  celsitu- 
dinem  ultaienus  spectare 
possit  ;  cujus  quidem  inler 
ulrumque  discriminés,  exi- 
mius  tir  D.  Pirot  qui  hoc 
non  ita  pridem  jussu  tuo 
exploruvit,  (idem  libi  fa- 
cere  poteril  ;  non  minus 
quam  et  alterius ,  ritua- 
lium,ul vacant,  occasione, 
quippe  quee  ita  Epistola 
videlur  excipere,  quasi  mi- 
nus iis  exhiberel  observan- 
liœ,  quam  ad  hoc  librorum 
genus  lanta  dignum  reve- 
rentia  par  esse  possit ,  de 
quibus  sic  illa  loquilur, 
certains  Rituels,  cum  meo 
in  scrtplo  candide  tant  uni 
ita  Itabeam,  Nonnulla  Ri- 
(ualia  aliquarum   diœce- 

SUUIII. 


Non  est  quod  negem, 
quin,  si  semel  Epistola 
meo  cum  scripto  confera- 
tur,  ex  hoc  illa  prope  ad 
verbum  collecta,  alqueila 
meo  ex  prœcipili  scripto, 
prœtermeam  mentem  orla 
infeliciler  Epistola  perspi- 
cialur.  Scriptum  meum 
nunquam  slalui  apttd  me 
prœlo  mandandum;  ne- 
que  vero  accurate  adeo 
elaboralum  illnd  crat,  ni 
juris  ipsum  publici  jieri 
contenderem.  Quod  in  eo 
tractabam  argumentum  , 
mibi  non  sat  erat  explo- 
rntum  ;  neque  auclorum, 
quos  allerutram  in  par- 
tent afferebam  testimo- 
nium  salis  comperlum  ; 
imprimis  vero  quod  ex 
divo  Carolo  pelebam,  cu- 
jus in  auctoritale,  periiute 
ac  si  meœ  senlentiœ  suf- 
fragarelur,  vim  faciebam. 
Imo  nequidem  noveram 
quoniam  more  comœdia 
l'arisiis  d  retur,  cum  co~ 
miea  Motieri  carmina 
nulla  unquam ,  aliorum 
paucissima,  nec  attenta 
animo,  evolvissem,  et  ali- 
unde  nna  ex  lama  Ritua- 
lium  notiliam  haberem, 
nec  ipso  etiam  Parisiensi 
lecto.  Hoc  atlentionis  el 
recognitionis  vilio  conti- 
nu, ut  meo  in  scripto, 
quod  palam  edere  mihi 
uftnquam  fuii  in   animo. 


On  opposa  à  toutes  ces  apologies  du  théâ- 
tre un  grand  nombre  d'écrits  lumineux, 
qu'on  va  indiquer  dans  l'ordre  de  leurs  da- 
tes, en  commençant  par  faire  connaître  deux 
bons  ouvrages  qui  avaient   paru   en  Italie, 

comœdiœ  causant  agerem. 
llujus   me  consilii  vehe- 
menter  pœnilet  ;  nihilque 
non    prceslurem    lubens , 
quo    suborlum    inde  im- 
provisum  offendiculum  a- 
moverelur.    Gravis     non 
fuit  operœ  ut  primœvum 
meum  de  comœdia  sensum 
deponerem,  et    ejus  loco 
alium     caperem  ,     quem 
deinceps  sequar.  Re  peni- 
tus   excussa    mihi    plane, 
persuasum    est    quidquit! 
altéra  ex  parte  ad  coma- 
diam    excusatam   haben- 
dam    afferlur ,    levé   esse 
prorsus  ac  frivolum;  &la- 
bile  vero  el  inconcussum 
quod    e    contrario     tend 
Ecclesia  ,    non   nimiriun 
iis,  quos  in  morbo  a  sacio 
viatico  arcendos  decernis 
ni  vitœ  ante  aclœ  institu- 
tœ   penitus  abdicalo  im- 
pactam  eo  poputis  offen- 
sionem  eluunt,  comœdos 
annumerat,  nec    ad  san- 
ctos   ordines,    si   quand* 
eos  ipsi  postulent,   sus,i- 
piendos,  vnlladmilti.  #>j) 
ha'c  sunt  prœ  cœleris  de 
illis   hominibus  in    Pari 
siensi   Riluum  volumine, 
aliisque  per  mullis  ezte- 
nus  consonis,  sancita  ca- 
pita.  Ilancce  F.cclesiœ  di- 
sciplinant,   dorlrinamqui 
qua  leges  hujusmodi  ni- 
tuntur  loto    animo,    loin 
obtemperalioneanipleclor, 
eaque  omnia  sine  ulla  ex- 
ceptione  subscriberemqua>' 
tno  in  Riluali  habenlur. 
cum     qua:    in    comœdos 
quomodocunque  incidunt, 
sive  eos  recla  spectent,  sive 
ad  ipsos  oblique  referan- 
lur,  tum  quœ  aliud  quid 
quodeunque  sit,  attingunt. 
Id  equidem,  Archiprœsul 
illustrissime ,  omni   àsse- 
veratione  Tuœ  Celsitudiui 
religiose  con/irmo,  ad  cx- 
sequendum  paralus  quid- 
quid  imperes,  ut  mesensa- 
que  mea  Reipublicœ  Lhfi- 
slianœ  probem,   el   ei  fiai 
satis.   bumma   sum  re  e- 
rentia, 

Archiprœsulillusirissime, 
Tuœ  Celsitudiuis 


comédie.  J'en  ai  un  très- 
grand  regret,  el  il  n'y  a 
rien  que  je  ne  fisse  volon- 
tiers pour  réparer  le  scan- 
dale qui  s'en  est  suivi,  et 
que  je  ne  prévoyoispoini. 
Il  ne  m'a  pas  été  difficile 
de  changer  mou  premier 
sentiment  sur  la  comédie, 
el  de  prendre  celui  où 
je  suis  présentement.  Je 
suis  très-convaincu  après 
avoir  examiné  la  chose  à 
fonds ,  que  les  raisons 
qu'on  apporte  d'un  côté 
pour  excuser  la  comédie 
sont  toutes  frivoles,  et 
que  celles  qu'a  l'Eglise 
au  contraire  sont  très- 
solides  et  incontestables, 
quand  elle  met  les  comé- 
diens au  nombre  de  ceux 
à  qui  elle  refuse  dans  la 
maladie  le  viatique ,  à 
moins  qu'ils  ne  réparent 
le  scandale  qu'ils  ont  don- 
né au  public  en  renon- 
çant à  leur  profession,  et 
qu'elle  ne  les  veut  pas 
admettre  à  recevoir  des 
ordres,  s'ils  s'y  présen- 
loienl.  Ce  sont  deux  arti- 
cles entr'autres,  qui  sont 
marqués  dans  le  Rituel 
de  Paris,  el  en  un  très- 
grand  nombre  d'autres 
qui  y  sont  conformes.  Je 
reçois,  Monseigneur,  de 
tout  mon  cœur  el  dans  un 
esprit  de  parfaite  soumis- 
sion, celle,  discipliné  ec- 
clésiastique, et  la  doc- 
trine qui  en  fait  le  fonde- 
ment; el  je  souscrirois 
sans  réserve  tout  ce  qui 
est  dit  dans  voire  Rituel, 
soiteontre  les  comédiens, 
directement  ou  indirecte- 
ment, soit  en  toute  autre 
matière.  C'est,  Monsei- 
gneur, ce  que  je  prolesie 
à  Votre  Grandeur,  avec 
une  entière  sincérité,  prêt 
a  faire  tout  ce  que  vous 
m'ordonnerez  pour édifier 
l'Eglise. 


Je  suis,  avec  un  irès- 
profond  respect, 

Monseigneur, 
De  Voire  Grandeur, 
Le  très-humble  et  très- 
obéissant  Serviteur, 

François  Caffaro, 
clerc  régulier. 

A  Paris,  lel  I  mai  1691. 

»  Enfin,    dit    Bossuet 


Iluniillimus  et  obsequen- 
tissimus  servus, 


Franciscus  Caffaro-, 
cleric.  regul. 

Parisiis  die  Maii  M  1G94. 

dans  ses   Maximes  el  r«/> 


1041 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1053 


uelques  années  avant  les  écrits  scandaleux 
de  l'abbé  d'Aubignac. 

In  adores  el  speclolorcs  comœdiarum  Pa- 
rœnesis,  auctore  Francisco  Maria  del  Mona- 

(îexions  sur  la  comédie  ,  le  PèreCafTaro,  à  qui  l'on 
avait  attribué  la  Lettre  ou  Dissertation  pour  la  dé- 
fense de  la  comédie,  a  satisfait  au  public  par  un  dé- 
saveu aussi  humble  que  solennel.  L'autorité  ecclé- 
siastique s'est  fait  reconnaître,  et  la  vérité  a  été 
vengée. 

j  Qui  que  vous  soyez  qui  plaidez  la  cause  des 
théâtres,  vous  n'éviterez  pas  le  jugement  de  Dieu. 
Cessez  de  soutenir  ce  genre  d'amusement  où  la 
vertu  et  la  piété  sont  toujours  ridicules,  la  cor- 
ruption toujours  excusée  et  la  pudeur  toujours  of- 
fensée. 

«  Qu'on  nous  dise,  comme  du  temps  de  saint 
Chrysostome,  que  condamner  les  théâtres,  c'est 
contredire  le  gouvernement  civil  qui  les  tolère. 
Nous  leur  répondrons  que  lout  ce  que  nous  sommes 
de  prêtres,  nous  devons  imiter  l'exemple  des  Chry- 
sostome et  des  Augustin,  et  dire  que  l'esprit  des 
lois  civiles  même  est  contraire  à  tous  ces  spectacles 
qui,  en  Dallant  les  yeux  et  les  oreilles,  introduisent 
dans  l'âme  une  troupe  de  vices,  per  aurium  oculo- 
rumque  illecebras  ad  animum  turba  vitiorum  ingredi 
solet.  El  si  la  coutume  l'emporte,  si  l'abus  prévaut, 
ce  qu'on  en  peut  conclure,  c'est  tout  au  plus  que  1rs 
spectacles  dramatiques  doivent  être  rangés  parmi 
ces  maux,  dont  un  habile  historien  (Mézerai)  a  dit 
qu'on  les  défend  toujours  et  qu'on  les  a  toujours.  El 
si  l'Eglise  ne  prononce  pas  contre  ceux  qui  fréquen- 
tent les  théâtres  les  mêmes  censures  dont  les  comé- 
diens ont  toujours  été  frappés,  c'est  que,  comme  le 
dit  saint  Augustin,  elle  n'exerce  la  sévérité  de  ses 
censures  que  sur  les  pécheurs  dont  le  nombre  n'est 
pas  grand,  afin  de  ne  pas  troubler  l'ordre  de  la  so- 
ciété.   Severilas  exercenda  est  in  peccata  paucorum. 

t  Quant  à  ceux  qui  voudraient  qu'on  réformât  le 
théâtre  pour,  à  l'exemple  des  sages  païens,  y  ména- 
ger à  la  faveur  du  plaisir,  des  exemples  et  des  ins- 
tructions sérieuses  pour  les  rois  et  pour  les  peuples  , 
qu'ils  songent  que  le  charme  des  sens  est  un  mau- 
vais introducteur  des  sentiments  vertueux.  Les 
païens,  dont  la  vertu  était  imparfaite,  grossière,  su- 
perficielle, pouvaient  l'insinuer  par  le  théâtre;  mais 
il  n'a  ni  l'autorité,  ni  la  dignité,  ni  l'efficace  qu'il 
faut  pour  inspirer  les  vertus  convenables  à  des 
chrétiens.  Dieu  renvoie  les  rois  à  sa  loi  pour  y  ap- 
prendre leurs  devoirs.  Qu'ils  la  lisent  tous  les  jours 
de  leur  vie;  qu'ils  la  méditent  nuit  et  jour  comme 
David  ;  qu'ils  s'endorment  entre  ses  bras,  et  qu'ils 
s'entretiennent  avec  elle  en  se  levant  confTne  un 
Salomon  (<i).  Mais  pour  les  instructions  du  théâtre, 
la  touche  en  est  trop  légère,  et  il  n'y  a  rien  de 
moins  sérieux,  puisque  l'homme  y  fait  à  la  fois  un 
jeu  de  ses  vices  et  un  amusement  de  la  verlu.  . 

Rien  ne  devait  êlre  plus  imposant  que  les  maxi- 
mes et  réflexions  de  Rossuet,  dont  ou  vient  de  don- 
ner un  extrait.  On  sait  que  ce  prélat  savait  toujours 
mettre  la  vérité  en  évidence  et  l'erreur  en  déroule. 
Cependant  les  défenseurs  des  théâtres  osèrent  encore 
élever  la  voix. 

(488)  11  y  eut  en  Italie,  vers  l'année  1650,  trois 
fameux   comédiens  appelés  Andreino,  dello  Lelio; 

(a)  L'Ecriture  sainte,  dit  l'abbé  Gros  de  Besplas,  est  le. 
code  des  rois;  c'est  le  livre  du  gouvernement  de  l'Etal. 
On  sait  que  Bossuet  composa,  par  ordre  de  Louis  XIV,  m 
ouvrage  intitulé  :  Politique  tirée  des  paroles  del' Ecriture 
sainte,  Des  causes  du  bonheur  public,  pag.  211. 

(b)  Sicilien  d'une  illustre  famille,  dont  il  est  parlé  dan^ 
le  Diclionaire  de  Morghi,  i.  VII,  p.  51  i,  éilit.  de.  17o9,  à 
l'occasion  de  Thomas  del  Monaii'"  el  Jacques  del  Mona- 
clio. 

(c)  Jésuite  espagnol,  mort  à  Tolède  va  1621.  «  Quod 
t;,»  dil-il,  i non obtincuius  ut  ludi  scouici  pendus  auio- 


eno  Siculo  ;  Patavii,  1G30.  Cel  ouvrage  se 
trouve  à  la  Bibliothèque  du  roi.  Son  objet 
est  de  soutenir  celte  asseriion  de  3V!a- 
riana  (V88)  :  Censeo  licentiam  theatri  affererre 

Barbieri,  dctlo  Bellrame ;  el  Cecchino.  Us  firent  l'a- 
pologie (les  théâtres  dans  des  écrits  qu'ils  donnèrenl  ; 
le  premier,  sous  le  litre  de  Haijionnmenti,  eic;  le 
second  sous  celui  de  la  Supplicadi  Nicole  flarbieri, 
dello  Bellrame;  et  le  troisième,  sous  celui  de  Dis- 
corsi  a  favore  délia  virluosa  e  modesta  comedia. 

Les  comédiens  n'y  sont  pas  flallés,  surtout  dans 
le  troisième  écrit,  où  il  est  dit,  p.  17,  que  leur  état 
est  de  vivre  de  la  fange  des  vices  :  Specie  infâme,  la 
quale  in  altro  non  studia,  ne  d'  allro  si  compiace,  b 
vive,  che  di  corrultele  di  costumi,  di  cbbrobrii  palesi, 
e  di  aperteimmonditic.  Non  insullans,  sed  gemens  et 
dolens  hœe  dico. 

Ce  fut  à  l'occasion  de  ces  trois  écrits  que  Mona- 
cho  (b)  donna  l'ouvrage  intitulé  :  D.  Francisci-Mariae 
del  Moxacho.  Siculi  Drepanilani,  etc.,  In  adores  et 
speclatorcs  comœdiarum  nostri  temporis  Parœnesis. 
On  en  a  fait  en  France  une  édition,  et  il  s*en  trouve 
quelques  exemplaires  à  Paris,  chez  Billard.  Il  y  a 
dans  la  Bibliothèque  du  roi  un  exemplaire  de  l'édi- 
tion originale,  coté  D,  1130,  n°  10. 

Le  P.  Jean-Dominique  Ouonelli  ,  Jésuite ,  de  la 
ville  de  Tagnane  en  Italie ,  donna  ensuite  son  ou- 
vrage en  quatre  lomes  in-4°,  qui  parurent  successi- 
vement à  Elorence,  en  1645,  1649  el  1652,  el  qu'on 
a  à  la  Bibliothèque  du  roi  en  trois  volumes  colés 
D,  4533,  D,  4554,  D,  4535.  En  voici  les  titres  abré- 
gés :  Délia  Cristiana  Moderalione  del  teatro;  libro 
dello  la  Qualilà  dette  Comédie  lecile  ,  etc.;  —  Libro 
dctlo  la  solulione  dé1  nodi,  etc.;  —  Libro  detlo  /'  am- 
monilioni  a'  comedianli ,  etc.; — Libro  detlo  P  in- 
stanza  per  supplicare  a'  signori  superiori  che  si  mo- 
deri  christianamenle  il  teatro  dalf  oscenità,  e  da  ogni 
altro  eccesso  net  recilare,  etc. 

Le  P.  Oltonelli  a  épuisé  son  sujet  :  il  l'a  traité 
dans  le  plus  grand  détail  el  avec  la  plus  vaste  éru- 
dition. 11  n'est  point  de  cas  ni  d'objections  qu'il 
n'ait  prévus;  le  tout  y  est  décidé  par  les  auteurs  les 
plus  respectables. 

Quant  au  traité  de  François-Marie  del  Monacho, 
il  ne  contient  qu'un  1res  petit  volume;  mais  il  est 
fait  avec  une  telle  méthode  el  avec  une  précision  si 
énergique,  qu'il  pourrait  tenir  lieu  d'un  corps  de 
doctrine  sur  celle  malière. 

Quelques  auteurs,  persuadés,  comme  le  P.  Olto- 
nelli, de  la  difficulté  d'obtenir  la  suppression  totale 
des  théâtres,  ont  proposé  du  moins  les  moyens  de 
les  rendre  conciliables  avec  la  vertu  chrétienne. 

Mariana  (c)  s'en  étail  déjà  occupé;  mais  désespé- 
rant du  succès,  il  pensait  que  le  ton  scandaleux  des 
théâtres  ne  pouvait  cire  susceptible  d'aucune  ré- 
forme, comme  ces  vers  de  Térence  le  disent  de  la 
folle  passion  de  l'amour  : 

Hère.  Quœ  res  in  se  neque  consilium  neque  modum 
Uubel  ullum,  eam  consilio  regere  non  potes. 

(Terent.,  Eun.,  act.  i,  se.  1.) 

Néanmoins  Louis-Antoine  JVIuratori  (d)  eut  aussi 
le  désir  de  rendre  moins  pernicieux  les  théâtres;  et 
l'on  trouve  ses  vues  sur  cel  objet  dans  les  chapi- 
tres 14  et  26  d'un  de  ses  ouvrages  intitulé  :  Délia 
publica  félicita;  in  Lucca,  174'J;  in  8°,  460  pages. 

veantur impetrare  cerie  cupimus  ut  legibus  ceriis 

circumscribanlur  el  linibus  quos  neino  impune  transgre- 
diatur.  Ouid  eniin  juval  leges  scriherc,  quarum  nulla 
l'ulura  est  obser\aniia?  tanielsi  nullis  legibus  puiab;>rn 
l'urorem  buuc  salis  frenari  posse.  »  (De  iiimil.  reg.,  c.  Ici, 
De  speel.) 

(d)  Savant  célèbre,  né  dans  le  territoire  de  Boulogne. 
mon  en  1750.  Ses  ouvrages  mentent  à-  4i>  vol.  in- fol., 
H  vol.  in -4°,  13  vol.  iii-8°,  el  plusieurs  aunes  volumei 
in'-li 


10 ;3  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  10U 

cerCissimam     pestem    moribus     Christianis  ;  Délia  Moderazione  Chistiana  del  tcatro,  da 

c'est-à-dire  j'estime  que  la  liberté,  qu'on  se  Ottonelli;  Florenza,  1645  et  1652,  3  vol. 

donne  d'assister  aux  spectacles  du  théâtre,  in-4°.  Cet  ouvrage  italien  se  trouve  aussi  à 

est  assurément  une  peste  pour  les   mœurs  la  Bibliothèque  du  roi.  Le  résultat  de  cet 

des  Chrétiens.  ample  traité  est  de  prouver  qu'il  serait  plus 


Le  marquis  François  Scipion  Maffei  (a)  s'en  est 
également  occupé,  dans  la  prélace  d'un  recueil  in- 
li Lulé  :  Tealro  ilaliano  o  &ia  scella  di  tragédie  per  uso 
délia  scena  ;  vol.  in-8°. 

Il  parut  encore  à  Rome,  en  1755,  un  ouvrage 
italien  en  un  vol.  in-4%  sur  les  vices  et  les  défauts 
du  théâtre  moderne,  et  sur  les  moyens  de  le  cor- 
riger. L'auteur,  qui  était  de  l'Académie  des  Arcades, 
l'a  donné  sous  ce  titre  :  Dei  vizi  e  de  i  difelli  del 
modemo  tcatro  e  del  modo  di  correqqergli  e  d'  emen- 
darli  Itagionamen'i  vi,  di  Lauriso  Tragiense  Pastore 
Arcade  in  Roma,  1753;  nella  slamperia  di  Pallade; 
in-4°,  315  pages. 

Tous  ces  savants  s'eflorcent  de  soutenir  l'iion- 
neur  de  l'art  dramatique  en  lui-même.  //  lealro,  dit 
Muiutori,  in  se  stesso  non  è  illecito,  ma  taie  lo  fan 
div entre  le  oscenità  de  comici  e  le  comédie  di  cultivo 
costume.  —  Il  lealro,  dit  le  nnrquis  Maffei  ,  mode- 
rato, e  corrello  dagli  abusi  pub  essere  mile  al  buon 
costume. 

Nous  convenons,  avec  ces  littérateurs,  qu'effecti- 
vement l'art  dramatique  ne  devient  condamnable 
que  par  les  sujets  des  drames ,  par  la  qualité  des 
acteurs  et  par  le  lieu  de  la  représentation. 

Ou  sail  que  cet  art  doit  avoir  pour  objet  de  con~ 
tribuer  aujtanl  à  la  correction  des  mœurs  et  à  la  con- 
servation des  lettres  qu'à  l'amusement  du  peuple. 

C'est  même  à  celte  condition  que  le  gouverne- 
ment est  censé  en  tolérer  l'usage.  Or,  noire  théâtre 
remplit-il  cet  objet?  Oui,  répondent  atlirmalivement 
nos  comédiens  et  leurs  partisans.  Mais  quand  celte 
assertion  serait  donnée  par  l'organe  même  de  l'au- 
torité publique  (b),  ce  serait  moins  un  éloge  pour 
nos  comédiens  qu'une  injonction  qui  leur  serait 
faite  de  se  conformer  aux  règles  primitives  et  es- 
sentielles de  l'art  dramatique. 

Si,  suivant  une  réflexion  de  Montesquieu  (c),  l'é- 
lévation et  la  cbule  des  empires  prouvent  que  ce 
n'est  peint  la  fortune  qui  régit  le  monde,  mais  que 
c'est  la  vertu;  que  n'aurait-on  pas  à  craindre  pour 
un  gouvernement  qui  se  dégraderait  jusqu'à  honorer 
des  acteurs,  chanteurs  et  danseurs  de  spectacles', 
c'est-à-dire,  des  gens  qui,  comme  l'a  observé  de- 
puis peu  un  lilléraleur  estimable  (d),  sont  dans  l'un 
et  Vautre  sexe  des  membres  inutiles  à  la  société,  des 
pierres  d'achoppement  et  de  scandale. 

Néanmoins  c'est  à  ces  ge,ns-là  que  nos  poêles  sa- 
crifient l'honneur  de  l'art  dramatique;  ils  s'en  ren- 
flent honteusemenl  les  clients,  ei  ils  en  reçoivent  la 
loi  pour  leurs  poèmes. 

Sous  la  verge  du  comédien, 
Esda\e,  la  muse  se  range  (e). 

«  11  y  a,  dit  Le  Franc  de  Pompignan  (/"),  une 
grande  différence  entre  composer  des  tragédies  pu- 

(fl)  Né  d'une  famille  illustre  à  Vérone  en  1675,  connu 
par  sa  tragédie  de  M e'rone,  sa  Verona  illustrala,  et  par 
un  grand  nombre  d'autres  ouvrages,  dont  un  sur  les  usa- 
ges des  anciens  pour  terminer  les  différends  des  particu- 
liers. I!  y  (ait  voir  que  le  prétendu  point  d'iionneur,  et  le 
duel  en  lui-même,  sont  opposés  a  la  religion,  au  bon  sens 
et  a  l'intéiêl  de  la  vie  civile. 

(b  )  Comme  dans  les  lelires  patentes  du  ô0  juillet  1773, 
pour  la  conslrncion  des  bâtiments  devant,  servir  à  la  Co- 
médie française. 

{O  Considérations  sur  les  causes  de  m  qrandeur  et  de 
h  décadence  des  Rmiains. 

(d)  Giosleyt  associé  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
nelles-lettres,  tome  III  de  ses  Observations  sur  /  Italie, 
dont  il  paraît  une  nouvelle,  édition  en  i  vol  ,  *-ous  la  date 
de  Tannée  1774  ;  à  Paris.  eh>z  de  Hansy  le  jeune. 

(e)  Epure  aux  comédiens,  sur  le  théâtre  et  les  causes  de 
ta  décadence  ;  par  Billard,  auteur  du  Suborneur 


res,  et  les  faire  représenter  par  des  acteurs  gagés 
et  publics,  dont  l'état  est  le  centre  de  la  corruption. 
N'aurions-nous  pas  besoin  qu'on  exécutât  en  France 
ce  qui  avait  été  proposé  à  Londres  par  le  docteur 
Swifit,  qu'on  ne  doit  p;*s  accuser  d'une  morale  trop 
sévère? 

<  11  aurait  voulu  qu'il  y  eût  des  censeurs  éclairés 
et  vertueux,  qui  fussent  en  droit  de  retrancher  des 
pièces  anciennes  et  nouvelles  toute  grossièreté, 
toute  équivoque,  tout  détail  capable  d'offenser  la 
modestie  et  la  pudeur.  Jusque-là,  ajoute  Pompignan, 
il  sera  vrai  de  dire  que  dans  nos  spectacles,  le  bon 
est  trop  mêlé,  trop  confondu  avec  le  mauvais,  pour 
qu'on  puisse  se  reposer  sur  une  jeunesse  inconsi- 
dérée et  bouillante,  du  soin  d'en  faire  la  séparation, 
et  de  profiler  de  l'un  sans  ressentir  l'impression  de 
l'autre. 

«  11  faudrait  donc  (continue  le  respectable  acadé- 
micien) réformer  le  théâtre  :  il  faudrait  des  règle- 
ments faits  par  des  théologiens  et  par  des  magistrats 
unis  ensemble  pour  les  concerter.  Ces  règlements 
revêtus  de  l'autorité  du  prince,  et  dont  on  empêche- 
rait que  le  crédit  ni  la  faveur  n'altérassent  jamais 
l'exécution,  rempliraient,  si  je  ne  me  trompe,  cet 
objet  important.  Je  les  réduirais  à  ces  deux  points  : 

t  A  l'égard  des  pièces,  supprimer  totalement  cel- 
les dont  le  fond  est  vicieux  ou  impie  ;  car  nous  en 
avons  de  ces  dernières,  soit  dans  le  tragique,  soit 
dans  le  comique  :  corriger  celles  qui  ne  pèchent  que 
dans  les  détails  ;  en  ôter  les  expressions  libres  , 
grossièrement  indécentes,  n'y  rien  laisser  en  un  mot 
qui  sente  le  libertinage  du  cœur,  encore  moins  celui 
de  l'esprit. 

<  A  l'égard  des  acteurs,  n'en  point  recevoir  don» 
la  conduite  et  les  mœurs  ne  fussent  irréprochables  ; 
les  punir  sévèrement,  les  priver  même  de  leur  em- 
ploi, quand  ils  tomberaient  dans  des  désordres  pu- 
blics; car  il  est  des  fautes  secrètes  et  cachées  qui 
ne  sont  pas  du  ressort  de  la  police.  > 

Ces  idées  de  Pompignan  seront  peut  être  trailées 
de  rêves  édilianls,  dulcia  semnia.  Rare  vox  virtutis 
sitiiur.  Au  reste  elles  ont  pour  objet  de  réconcilier 
l'art  dramatique  avec  la  vertu  ;  et  l'on  doit  savoir 
gré  à  Fréron  de  les  avoir  exposées  dans  le  18e  ca- 
hier de  l'Année  littéraire  de  1773;  l'éloge  qu'il  eu 
fait  répond  à  son  zèle  contre  nos  faux  philosophes, 
qui ,  plus  aveugles  que  ne  l'étaient  de  s;iges  païens  (g)t 
ne  veulent  point  convenir  avec  un  Senèque,  que 
sans  religion  il  ne  peut  y  avoir  de  bonheur  pour 
l'homme  : 

fida  Pi,  las  est  cornes  ; 

Nec  illa  vivwn  deserit,  nec  mortuum. 

(Senec.) 

C'est  aussi  par  un  effet  de  ce  zèle  si  estimable 

(f)  Dans  sa  Lettre  à  Louis  Racine,  sur  le  théâtre  en 
gêner*),  et  sur  les  tragédies  de  Jean  Raciue  sou  père. 
Celte  Lettre  tut  imprimée  pour  la  première  fois  en  1752  : 
sa  dernière  édition  a  été  donnée  en  1773,  pour,  dit  avec 
justice  l'éditeur,  remettre  sous  les  yeux  ce.  qui  a  paru  de 
plus  sagement  pensé  et  de  mieux  écrit  sur  les  productions 
elle  génie  de  Corneille  et  de  Jean  Racine. 

(g)  Les  sages  païens  rejetaient  cette  philosophie  in- 
sensée, qui  méconnaît?  l'autorité  divine.  Horace  paraît, 
d:;ns  une  de  ses  odes,  s'être  repenti  de  s'être  livré  à  cette 
folle  philosophie  : 

Par  eus  Deorum  cidlor,  et  infrequew 
Insamenlis  dum  sapienlia' 
Comultus  erro  :  nunc  retrormm 
Vêla  dare  algue  iterare  cursus 
Çogor  relie tos. 

(Lin.  r,  nd,  28 eu  31.) 


lui.") 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


104G 


sûr  et  plus  utile  de  défendre  absolument  les  et  virorum  accuralior  cultus,  ipsa  constnsio,. 

speetaclesque  d'entreprendre deles  réformer,  ipsa  in  favoribus  aut  conspiratio  aut  dis- 

Et  cette  thèse  est  établie  surcette  maximed'un  sensio,  inler  se  de  commercio  scintillas  libidi 

ancien  auteur  :  In  omnispcctaculonullum  ma-  num  conflabellant.   Nemo  denique  in  specta- 

gis  scandalum  occurit  quamille  ipse  mulierum  culo  ineundo  prius  cogitât nisivideri  etvidere. 


que  dans  le  premier  cahier  de  la  même  Aunée  litté- 
raire, Fréron  a  reproché  à  La  Harpe  d'avoir  avancé 
que  le  célèbre  Jean  Racine  cessa  de  travailler  pour 
la  scène,  parce  qu'il  fui  découragé  par  les  critiques 
qu'on  faisait  de  ses  pièces.  «  Rien  de  plus  faux,  dit 
Fréron,  ni  de  moins  vraisemblable!  Racine  n'était 
pas  d'une  trempe  d'esprit  à  céder  si  facilement  le 
champ  de  bataille  à  ses  ennemis,  il  était  né  avec 
le  talent  de  l'épigramme,  et  plus  d'une  fois  il  em- 
ploya cette  arme  avec  succès  contre  ses  ennemis. 
Est  ce  que  les  critiques  ont  arrêté  dans  leur  vol  les 
Corneille,  les  Molière?  Ne  voyons-nous  pas  tous  les 
jours  qu'elles  ne  peuvent  même  écarler  de  la  lice 
les  auteurs  les  plus  médiocres,  qui,  toujours  chassés, 
y  rentrent  toujours  avec  une  inflexible  opiniâtreté? 
Pourquoi  dissimuler  le  véritable  motif  delà  retraite 
de  Racine?  Pourquoi?  La  raison  en  est  simple. 
Dans  ce  beau  siècle  de  philosophie,  on  croirait  avi- 
lir un  littérateur  illustre  si  l'on  citait  la  religion 
pour  le  principe  de  ses  démarches.  On  aime  mieux, 
en  faire  un  homme  faible  et  pusillanime,  que  d'en 
faire  un  Chrétien.  Ce  serait  une  tache  trop  hon- 
teuse à  sa  mémoire.  Mais  la  vérité,  dont  la  voix 
é  ouffera  toujours  celle  de  la  philosophie,  la  vérité, 
qui  s'annonce  clairement  dans  l'histoire,  nous  dit 
que  les  grands  sentiments  de  piété  que  Racine  avait 
puises  dès  son  enfance  à  Port-Royal,  où  il  avait  été 
élevé,  se  réveillèrent  dans  son  âme,  et  qu'il  re- 
nonça pour  toujours  au  théâtre ,  quoiqu'il  n'eût 
que  trente  huit  ans;  sa  ferveur  alla  même  jusqu'à 
vouloir  se  faire  Chartreux  :  son  confesseur,  qui 
trouva  ce  parti  trop  violent  et  trop  peu  conforme 
à  son  caractère,  l'en  détourna,  lui  conseilla  de  res- 
ter dans  le  monde,  et  l'engagea  même  à  se  marier 
avec  quelque  personne  vertueuse.  C'est  d'après  l'a- 
vis de  ce  sage  directeur  qu'il  épousa  Catherine  de 
Romanel,  fille  d'un  trésorier  de  France. 

<  11  était  possible  que  l'injustice  des  hommes 
l'eût  rapproché  de  Dieu.  Ce  ne  serait  pas  la  pre- 
mière fois  qu'on  eût  vu  celte  espèce  de  miracle 
s'opérer;  mais  toujours  était -il  certain  que  ce  fut 
la  religion  qui  se  fit  entendre  au  cœur  de  Racine  ; 
cl  la  conduite  qu'il  tint  depuis  son  changement  le 
prouve.  Voilà,  dit  Fréron,  en  finissant  cet  arlicle, 
ce  que  La  Harpe  ne  devait  pas  laisser  ignorer.  » 

Bayle,  en  parlant  de  la  vie  du  pieux  et  célèbre 
Pascal,  a  dit  :  «  Cent  volumes  de  sermons  ne  va- 
lent pas  celle  vie-là,  et  sont  beaucoup  moins  capa- 
bles de  désarmer  les  impies.  L'humilité  et  la  dévo- 
tion de  Pascal  mortifient  plus  les  libertins  que  si  on 
lâchait  sur  eux  une  douzaine  de  missionnaires.  Ils 
ne  peuvent  plus  dire  qu'il  n'y  a  que  de  petits  esprits 
qui  aient  de  la  piélé;  car  on  leur  en  fait  voir  de 
la  mieux  poussée  dans  l'un  des  plus  grands  géo- 
mètres, des  plus  subtils  métaphysiciens,  el  dei  plus 
pénétrants  esprits  qui  aient  jamais  été  au  monde. 
On  fait  bien  de  publier  l'exemple  d'une  si  grande 
venu;  on  en  a  besoin  pour  empêcher  la  prescrip- 
tion de  l'cspril  du  monde  contre  l'esprit  de  l'évan- 
gile \a).  » 

Ce  que  Bayle  a  dit  de  Pascal  no  doit-il  pas  èlre 
également  dit  de  Jean  Racine?  Quel  poids  l'exemple 
édifiant  de  ce  grand  poète  n'ajoule-i-il  pas  à  loul 
ce  qu'on  a  écrit  contre  les  théâtres  1 

Mais  comme  dans  ce  siècle,  loul  ce  qui  parait 
(Ire  émane  de  la  piété  est  attribué  à  des  opinions 
de  dévols  illuminés,  il  n'y  a  rien  de  moins  suspect 

{a)  Nouv.  de  la  répull,  des  lettres,  décembre  108fc, 

gage  531. 

(b)  Cet  ouvrage  est  de  Chaudron. 


ni  de  plus  fort  à  opposer  aux  spectacles,  que  le 
jugement  qui  en  a  é  é  porté  par  quelques-uns  de 
nos  philosophes  anlichrélicns.  Quel  succès,  par 
exemple,  n'a  pas  eu  la  Lettre  de  J.-J.  Rousseau? 
Nous  rapporterons,  plus  loin  ce  qu'il  y  a  de  plus 
frappant.  Nous  allons  ajouter  ici  le  témoignage 
qu'un  auteur  protestant,  Antoine-Jacques  RoustanI, 
en  a  donné  dans  un  ouvrage  imprimé  en  1769, 
sous  ce  litre:  Offrande  aux  autels  et  à  la  patrie; 
in-8°  de  215  pages.  «  Je  suis  témoin  ,  y  est -il  dit 
page  80,  que  la  Lettre  de  M.  Rousseau  a  éclairé  sur 
les  mauvais  effets  des  théâtres  une  foule  de  gens 
à  Genève.  Il  a  démontré  que  les  charmes  trom- 
peurs des  spectacles  ravissent  à  la  fois  aux  ci- 
toyens leur  subsistance,  leur  temps,  leur  santé  et 
leurs  mœurs.  Les  arts  voluptueux,  tels  que  la  musi- 
que, la  comédie,  etc.,  ne  prouvent  poinl  l'augmen- 
tation et  la  durée  du  bonheur  d'une  nation  ;  ils 
prouvent  le  nombre  des  fainéants  el  leur  goùl  pour 
la  fainéantise.  Enfin  ces  amusements  frivoles  infec- 
tent l'Etat  entier,  et  amollissent  les  âmes  jusqu'au 
point,  comme  l'observe  M.  de  Montesquieu ,  liv.  m 
de  l'Esprit  des  lois,  que  les  Athéniens,  peu  d'années 
avant  leur  défaite  à  Chéronée ,  firent  une  loi  qui 
condamnait  à  mort  le  premier  qui  proposerait  de 
convertjr  aux  besoins  de  la  guerre  l'argent  destiné, 
aux  théâtres.  Qu'importe  en  effet  de  n'avoir  poinl 
de  liberté,  pourvu  qu'on  ail  des  comédiens!  » 

Nous  le  répétons,  faut-il  que  la  cause  des  specta- 
cles ait  été  soutenue  ex  professo  ou  incidemment, 
par  quelques  ministres  de  la  communion  romaine? 
Nous  pourrions  en  citer  plusieurs,  tels  que  Leslrade, 
Hédelin  d'Aubignae,  Irailh,etc.  Nous  nous  y  sommes 
crus  obligés,  afin  qu'on  ne  nous  reprochât  pas  d'i- 
gnorer les  apologies  que  [lesj  partisans  du  théâtre 
ionl  le  plus  valoir.  Au  resle,  elles  sont  en  si  petit 
nombre,  qu'il  faut  en  juger  comme  l'on  juge  des 
exceptions,  qui,  par  leur  rareté,  confirment  la  règle. 
C'est  une  réflexion  judicieuse,  qui  se  trouve  sur 
ce  même  objet,  dans  un  Recueil  intéressant  d'entre- 
liens,  imprimé  en  1774,  sous  ce  titre  :  L'Homme  du 
monde  éclairé  (b).  Le  huitième  de  ces  entretiens 
regarde  le  théâtre;  el  il  y  est  donné  comme  le  ré- 
sumé d'un  ouvrage  qui  y  est  indiqué  sous  le  litre 
de  Réflexions  morales,  politiques,  historiques  el  litté- 
raires, sur  le  théâtre;  en  5  volumes.  Qu'on  ne  se 
prévale  donc  pas  du  scandale  qu'ont  donné  quelques 
ecclésiastiques,  en  écrivant  en  faveur  du  théâtre! 
Nous  y  répondons  en  plusieurs  endroits  de  ce  tra- 
vail. On  ne  doit  les  citer  que  comme  des  littérateurs 
séduits. 

C'est  par  celle  considération  que  nous  refusons 
d'admettre  les  témoignages  du  cardinal  de  Richelieu, 
de  Fénelon ,  archevêque  de  Cambrai,  etc.,  que 
l'abbé  Gros  de  Besplas  a  cités  (c)  en  faveur  de  nos 
spectacles,  cl  nous  opposerons  son  opinion  à  celle  de 
Bodin.  Nous  sommes  persuadés  que  Gros  de  Besplas 
n'aura  point  prévu  l'abus  qu'on  pouvait  faire  de 
quelques-unes  de  ses  idées  sur  cet  objet.  Il  n'hésite- 
rait pas  sans  doute  à  conseillei  de  leur  préférer  le» 
Maximes  et  Réflexions  de  Bcssuel  sur  la  comédie. 

C'e.->l  en  effet  un  excellent  ouvrage  ,  nous  en 
avons  parlé.  Mais  nous  avons  omis  d'observer  qu'il 
ne  fallait  pas  adopter  le  jugement  que  l'abbé  Tal- 
berl,  chanoine  de  Besançon,  en  avait  porté  dans  un 
Eloge  historique  qu'il  a  fait  de  Bossuel,  el  qui  rem- 
porta, en  1772,  le  prix  de  l'Académie  de  Dijon.  Tal- 

ie)  Ibns  un  livre  intitule  :  Des  causes  du  bonheur  py 

''<!.",  page  563,  édit,  de  17G8.  in-b\ 


1047 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


§018 


Ce  passage  cïpose  tous  les  risques  que  l'on 
court  pour  les  mœurs  dans  des  spectacles, 
où,  comme  le  disait  Ovide  ,  les  hommes  et 
les  femmes  ne  sont  excités  à  aller  que  par  le 
désir  de  voir  et  d'y  être  vus,  et  de  s'animer 


ri  y  a  parlé  de  oel  ouvrage  de  manière  à  faire 
aire  que  le  prélal  s'élait  chargé  d'une  ea'isc  équi- 


beri 

croire  que  le  prélal  s'élait  chargé  d'une  ea'isc  éqi 
voque,  el  qu'on  ne  doil  y  admirer  que  Varl  avec 
lequel  il  en  a  tiré  paru,  par  son  adresse  à  saisir  le 
côté  faible  de  notre  scène ,  si  elle  en  a  un.  Talberl 
ajoule  que  la  sévérité  de  Bossuel  trouvera  des  con- 
tradicteurs éclairés  ;  qu'il  y  parle  du  théâtre  en 
homme  qui  fa  fréquenté;  qu'on  assure  qu'il  n'a  cessé 
d'y  aller  que  lorsqu'il  fut  dans  les  ordres  sacrés  ; 
qu'il  y  avait  reçu  des  leçons  pour  se  former  à  l'action 
oratoire  ;  qu'on  peut  opposer  à  cet  ouvrage  l'éloge  que 
ce  même  prélat  a  fait  de  Térence  dans  sa  lettre  à  In- 
nocent XI  ;  qu'au  reste,  en  lisaiit  les  Maximes  sur 
la  comédie,  il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  un  évoque 
qui  parle. 

L'abbé  Talberl  devail  donc  lui  même  ne  pas  l'ou- 
blier ;  et,  au  lieu  de  s'abaisser  jusqu'à  paraître  par- 
tager l'intérêt  que  les  gens  du  siècle  prennent  au 
théâtre,  il  devait  conserver  à  renseignement  de 
Bossuel,  sur  ce  point  de  morale,  loule  son  autorité  ; 
il  devail  enfin  ne  pas  contribuer  à  en  augmenter 
les  futiles  contradicteurs,  en  leur  suggérant  des 
sophismes  inconciliables  avec  une  lumière  pure  et 
dégagée  des  nuages  de  l'illusion.  Le  Discours  de 
l'abbé  Talberl  n'aurait  pas  moins  mérilé  d'être  cou- 
ronné par  les  académiciens,  qui  ont  rendu  justice  à 
son  éloquence. 

Nous  pouvons  assurer  que  les  gens  du  monde 
qui,  pour  l'intérêt  de  leurs  passions,  paraissent 
accueillir  dans  les  ecclésiastiques  ct's  sortes  de  fai- 
blesses, n'en  sont  pas  moins  scandalisés  intérieure- 
ment, et  quelquefois  ils  le  manifestent.  En  voici  un 
exemple  : 

Les  habilans  de  Marseille  ont  fait  construire,  hors 
de  l'enceinte  de  leur  ville,  un  cirque  qui,  eoinine  le 
Vaux-Hall  (a)  ou  le  Colysée  de  Paris,  est  destiné  à 
des  bals,  comédies,  opéras,  cafés,  et  autres  specta- 
cles. La  nouveauté  de  cet  établissement  voluptueux 
excita  plusieurs  ecclésiastiques  à  se  permettre  de  le 
fréquenter.  On  en  fit  des  plaintes.  De  Belloy,  évèque 
de  Marseille,  donna,  le  13  octobre  177-2,  une  or- 
flonnance  imprimée,  précédée  du  réquisitoire  de 
Long,  chanoine,  promoteur  général,  pour  réformer 
une  licence  qui,  y  est-il  dil,  avait  scandalisé  les  gens 
du  inonde.  Celle  ordonnance  défend  la  fréquenta- 
tion du  cirque  ,  et  enjoint  d'exéculer  l'article  5  du 
litre  premier  des  Statuts  synodaux  du  diocèse,  par 
lequel  «  il  est  défendu  même  aux  simples  clercs,  el 
à  l'égard  des  prêtres  séculiers  el  réguliers,  sous 
peine  de  suspense  ipso  facto,  de  se  trouver  aux  bals, 
comédies,  opéras  el  aulres  spectacles,  si  contraires 
à  la  sainteté  de  leur  étal  et  à  l'esprit  du  christianisme.! 

Cet  acte  de  zèle  et  de  vigilance  de  l'évèque  de 
Marseille  fut  annoncé  dans  quelques  écrits  pério- 
diques. Il  est  en  effet  très-intéressant,  dans  un 
siècle  où  les  incrédules  osent  insulter  la  pureté  de 
la  doctrine  évangélique,  connue  l'a  f;iit  un  d'entre 
cuv,  dans  un  ouvrage  imprimé  en  1773,  sous  le  litre 
de  Système  social. 

Cet  écrivain  a  la  témérité  d'y  soutenir,  dans  le 
chapitre  3,  que  la  religion,  loin  d'éclairer  et  de  fa- 
ciliter la  morale,  ne  fait  que  l'affaiblir  et  l'obscurcir  ; 
que  le  Dieu  des  chrétiens  n'est  pus  un  guide  sûr 
pour  nous  cauduirc  à,  la  vertu  réelle,  que  la  nature, 
/'expérience  et  la  raison  sont  les  seuls  guides  auxquels 
nous  devons  nous  adresser  pour  découvrir  ce  que  nous 

(a)  binguel  reconnût  qu'il  s'était  trompé  en  prenant  lr>. 
mot  Hall  pour  un  nom  d'homme;  que  ce  mol  anglais 
signifie  salle;  que  le-  mot  Vaux  la  caractérisait;  que  ce 
moi  a  pour  et  jmolegie  vax,  qui  en  anglais  signifie  ?tj  fji-, 


réciproquement  aux  passions  qui  résultent 
nécessairement  d'un  pareil  motif. 

Traité  de  la  comédie.  Nicole  (né  à  Char- 
tres le  13  oclohre  1625,  et  mort  à  Paris  le  16 
novembre  1695),  en  est  l'auteur.  Ce  Traité 

nous  devons  à  nous-mêmes,  el  ce  que  nous  devons  à  la 
société. 

Il  est  évident  que  ces  guides  ont  très-mal  en- 
doctriné sur  la  religion  cet  écrivain  ,  mais  ils  l'ont 
très-bien  instruit  sur  les  spectacles. 

c  On  voit,  y  esl-il  dil  chap.  10,  part,  ni,  que  dans 
des  nations  corrompues,  et  surtout  dans  les  grandes 
villes,  qui  sont  communément  des  senlines  infectées 
par  le  vice,  les  usages,  les  lois,  les  institutions  hu- 
maines, loin  de  chercher  à  rendre  les  citoyens  plus 
sages  et  plus  heureux,  contribuent  très-souvent  à 
les  rendre  insensés  cl  misérables.  Leurs  folies  et 
leurs  maux  sont  encore  aggravés  et  multipliés  par 
le  luxe,  la  vanité,  la  passion  du  plaisir.  Dans  un 
pays  où  les  esprits  sont  ainsi  disposés,  la  contagion 
du  vice  entre,  pour  ainsi  dire,  par  toutes  les  portes. 
Toul  invile  à  la  débauche  el  à  la  dépravation.  Quels 
funesles  effets  ne  doivent  poinl  produire  des  specta- 
cles dans  lesquels  toul  conspire  à  nourrir  ou  à  faire 
éclore  des  passions  amoureuses,  qui  sont  le  plus 
souvent  une  source  intarissable  de  peines?  Que 
penser  des  gouvernements  qui,  non-seulement  to- 
lèrent, mais  encore  donnent  ouvertement  leur  pro- 
tection à  des  amusements  qui  sont  évidemment 
pour  la  jeunesse  les  écoles  du  vice;  des  lieux  pri- 
vilégiés, destinés  à  irriler  les  passions  ;  des  écueils 
où  l'innocence,  attaquée  par  les  yeux  cl  les  oreilles, 
séduite  par  les  maximes  d'une  morale  lubrique,  ré- 
chauffée par  la  musique  el  par  des  danses  lascive», 
s'expose  à  des  naufrages  continuels? 

«  On  nous  dit  chaque  jour  que  le  théâlre,  épuré 
par  le  goût  cl  la  décence,  est  devenu  pour  les  mo- 
dernes une  école  de  mœurs.  Ne  sulTn-il  pas  d'ou- 
\rir  les  yeux  pour  se  détromper  de  celte  blàe  ? 
L'objet  de  la  plupart  des  drames  les  plus  eslimés 
n'esl-il  pas  de  nous  peindre  sans  cesse  des  intri- 
gues amoureuses,  des  vices  que  l'on  s'efforce  de 
rendre,  aimables,  des  désordres  fails  pour  séduire 
la  jeunesse  inconsidérée,  des  fourberies  capables  de 
suggérer  mille  moyens  de  mal  faire?  Le  ridicule 
destiné  à  corriger  les  hommes  de  leurs  extrava- 
gances n'est  il  pas  souvent  jeté  sur  la  droiture,  l'in- 
nocence, la  raison,  la  vertu  même,  pour  lesquelles 
toul  devrait  inspirer  le  plus  grand  respect?  Enfin, 
peut-on  prétendre  de  bonne  foi  que  ce  soit  pour 
prendre  des  leçons  de  sagesse  que  tant  de  désœuvrés 
vont  journellement  courir  à  des  spectacles,  où,  peu 
attentifs  à  la  pièce,  nous  les  voyons  perpétuelle- 
ment volliger  autour  d'une  troupe  de  sirènes,  qui 
vivent  du  trafic  de  leurs  charmes,  et  qui  mettent 
loui  en  usage  pour  entraîner  dans  leurs  pièges  ceux 
dont  elles  ont  irrilé  les  désirs?  Après  avoir  vu  la 
tendresse  conjugale  tournée  en  ridicule  dans  un 
grand  nombre  de  comédies,  une  femme  renlre-t-elle 
donc  chez  elle  bien  pénétrée  des  devoirs  de  son 
étal  el  des  sentiments  qu'elle  doil  à  son  époux? 
Quelles  impressions  peuvent  faire  sur  le  cœur  novice 
el  tendre  d'une  jeune  fille  les  exemples  séducteurs 
que  lui  montrent  tanl  de  drames,  à  la  représen- 
tation desquels  ses  parents  ont  eux-mêmes  la  folie 
de  la  conduire?  A  combien  d'éeueils  une  ànte  sen- 
sible n'esl-elle  pas  continuellement  exposée  par 
l'imprudence  de  ceux  qui  devraient  la  garantir  des 
dangers  ?  ,Si  quelques  auteurs  illustres  el  chers 
aux  nations  ont  connu  le  vrai  but  de  l'art  drama- 
tique,  combien  d'autres  n'ont   fait  qu'alliser    des 

et  qu'ainsi  Vaux-Mali  signifiait  une  grande  salle  bien 
é<  lairéft  (  Votiez  la  Réponse  de  l.inguet  aux  docteurs  mo- 
dernes, part,  i,  rage  (U9  ) 


13ii> 


NOTICE  SIK  LE  THEATRE  LILR! 


IDiiO 


se  trouve  dans  le  tome  III  do  ses  Essais  de 
morale.  Il  fut  fait,  vers  1658,  pour  réfuter  les 
écrits  d'Hédelin  d'Aubignac. 

Pensées  sur  les  spectacles.  Elles  sont  aussi 
de  Nicole,  el  elles  se  trouvent  dans  le  tome  V 
de  ses  Essais  de  morale.  On  sait  que  tous 
ses  Traités  de  morale  ont  produit  des  biens 
innombrables.  On  y  trouve  un  enchaînement 
continuel  de  preuves  et  de  raisonnements  si 
suivis  de  principes  en  principes,  et  de  con- 
séquences en  conséquences,  qu'un  fameux 
incrédule  disait  de  cet  auteur  :  Quand  on  le 
lit,  il  faut  prendre  garde  à  soi;  si  on  lui  passe 
quelque  chose,  il  arrache  le  consentement,  et 
on  est  bientôt  confondu. 

Le  début  du  Traité  de  la  comédie  fait  con- 
naître que  ce  n'est  guère;  que  dans  le  siècle 
dernier  que  l'on  a  entrepris  de  justifier  la 
fréquentation  des  théâtres.  «  Les  autres  siè- 
cles, dit  Nicole,  étaient  plus  simples  dans  le 
bien  et  dans  le  mal. Les  personnes  quiavaient 
la  passion  du  théâtre  reconnaissaient  au 
moins  qu'elles  ne  suivaient  pas  en  cela  les 
règles  de  la  religion  chrétienne;  mais  dans 
ce  siècle  on  ne  se  contente  pas  de  suivre  le 
vice,  on  veut  encore  qu'il  soit  honoré,  et 
qu'il  ne  soit  pas  flétri  par  le  nom  honteux 
du  vice  qui  trouble  toujours  un  peu  le  plai- 
sir que  1  on  y  prend  par  l'horreur  qui  l'ac- 
compagne. » 

Toutes  les  pensées  de  ce  grand  philoso- 
phe sur  les  spectacles  sont  intéressantes: 
on  n'en  citera  que  celles-ci  du  tome  V  de 
ses  Essais  de  morale. 

«  C'est  un  effet  du  premier  péché  ,  et  la 
source  de  tous  les  autres,  de  n'avoir  point 
de  goût  pour  les  biens  spirituels,  et  de  n'en 
avoir  que  de  faibles  idées.  La  religion  et  la 
foi  tâchent  de  remédier  à  ce  désordre;  mais 
les  spectacles  rendent  le  dégoût  des  vrais 
biens  encore  plus  grand,  et  en  affaiblissent 
encore  plus  les  idées.  On  y  apprend  à  juger 
de  toutes  choses  par  les  sens,  à  ne  regarder 
comme  bien  que  ce  qui  les  satisfait,  el  5  ne 
considérer  comme  subsistant  et  réel  que  ce 
qui  les  frappe.  Au  lieu  de  travailler  à  guérir 
les  plaies  qu'ils  ont  faites  à  l'âme,  et  à  la 
délivrer  de  la  dépendance  où  elle  est  à  leur 
égard,  on  fortifie  les  liens  qui  l'asservissent, 
on  les  multiplie,  et  on  la  contraint  en  quel- 
que sorte  à  être  toute  dans  les  yeux  et  dans 
les  oreilles.  On  l'attire  du  dedans  au  dehors, 
où  elle  avait  déjà  tant  d'inclination  à  se  pro- 
duire et  à  se  répandre;  et  on  la  fait  sortir 
de  son  cœur,  où  elle  avait  déjà  tant  de  peine 
à  rentrer.  On  lui  cache  son  véritable  bon- 
heur; on  l'amuse  par  des  choses  frivoles  : 
et  au  lieu  de  satisfaire  sa  faim  par  une  nour- 
riture solide,  on  la  trompe  en  ne  lui  donnant 
que  des  viandes  peintes,  ou  en  l'empoison- 

passions  nuisibles,  cl  alimenter  des  folies  dange- 
reuses, également  contraires  au  vrai  bonheur  de  la 
société!  i 

La  nature,  la  raison  el  Vexpéricncc,  que  les  déisles 
reconnaissent  pour  leurs  seuls  guides,  oui  égale- 
ment éclairé  le  marquis  d'Argcns  sur  les  funestes 
eHV-ls  de  la  passion  pour  le  théâtre.  «  Elle  est  por- 
tée, dit-il.  à  un  (cl  cvcès,  qu'on  a  vu  de  uns  jouis 
une  armée  marchant  avec  Jeux  ou  nuis  iroupes  de 


nant  par  l'erreur  el  le  mensonge.  On  apprend 
aussi  aux  spectacles  deux  choses  également 
funestes  :  l'une,  à  s'ennuyer  de  tout  ce  qui 
est  sérieux,  el  par  conséquent  de  tous  ses 
devoirs;  l'autre,  à  trouver  cet  ennui  insup- 
portable, et  à  en  chercher  le  remède  dans  la 
dissipation.  Le  premierde  tous  cesdésordres 
est  un  obstacle  à  toutes  les  vertus,  et  le  se- 
cond est  une  entrée  à  tous  les  vices; 
mais  l'un  et  l'autre  sont  certainement  la 
suite  des  spectacles,  el  toujours  dans  la  même 
proportion  qu'on  les  aime  et  qu'on  y  est 
assidu.  » 

On  trouve  les  cinq  ouvrages  suivants  in- 
diqués dans  VElnt  actuel  de  la  musique  du 
roi  et  des  trois  spectacles  de  Paris;  1768: 
Traité  des  danses,  auquel  est  démontré  qu  elles 
ne  doivent  pas  être  en  usage  parmi  les  chré- 
tiens, par  Thomas  Chesnot;  1754-,  in-12. — 
Traité  des  danses,  auquel  est  amplement  réso- 
lue la  question  s'il  est  permis  aux  chrétiens 
de  danser,  par  François  Estienne;  1759, 
in-12. —  David  Vethery,  Discursus  exhibent 
très  sermones  de  comœdiis  ;  quorum  primus 
comœdias  laudat,  altcr  vitupérât  et  damnât, 
tertius  districte  respondet;  Basileœ,  1619, 
in-i". —  Lettre  sur  les  désordres  qui  se  com- 
mettent à  Paris  louchant  la  comédie  ,  et  sur 
les  représentations  qui  s'en  font  dans  les  mai- 
sons particulières,  par  M.  Bourdelot,  avo- 
cat; 1660,  in-12.  — Réflexions  morales  sur 
les  spectacles,  par  M.  Diî  Jean,  prieur  de 
Longwy;  1760,  in-12. 

Traité  contre  les  danses  et  les  comédies, 
composé  par  saint  Charles  Borromée  ;  Pa- 
ris, 1664.  Cette  traduction  fut  imprimée  à 
Toulouse  en  1662,  el  elle  fut  dédiée  à  la 
princesse  de  Conli. 

Il  a  paru  depuis  un  très-bon  ouvrage,  où 
l'on  trouve  des  armes  de  toute  espèce  pour 
combattre  avec  succès  les  apologistes  de  la 
danse  et  de  la  musique  voluptueuse  Voici 
le  titre  de  cet  ouvrage  :  Traité  contre  les 
danses  et  les  mauvaises  chansons,  dans  lequel 
le  danger  et  Je  mal  qui  y  sont  renfermés, 
sont  démontrés  par  les  témoignages  multi- 
pliés des  saintes  Ecritures,  des  saints  Pères, 
des  conciles,  de  plusieurs  évoques  du  siècle 
passé  et  du  nôtre,  d'un  nombre  de  théolo- 
giens moraux,  de  casuistes,  de  juriscon- 
sultes, de  plusieurs  ministres  protestants, 
et  enfin  des  païens  mômes;  Paris,  Boudet, 
1769. 

Traité  de  la  comédie  et  des  spectacles,  par 
le  prince  de  Conti  ;  Paris,  1666. 

Défense  du  Traité  de  M.  le  prince  de  Conti 
sur  la  comédie  et  les  spectacles,  par  Voisin, 
prêtre,  docteur  en  théologie,  conseiller  du 
roi  ;  Paris,  1672. 

Traité  de   la  comédie,  inséré  dans  YEéu- 

comédiens,  el  le  maréchal  général  des  logis  aussi 
occupé  de  la  place  et  du  logement  des  troupes 
comiques,  que  le  commandant  de  l'armée  du  parc 
d'artillerie.  Or,  quand  on  esl  parvenu  à  pousser  la 
corruption,  ci  l'amour  du  théâtre  jusqu'à  un  tel 
point,  ne  doit- on  pas  craindre,  que  les  nations  où 
cet  usage  s'est  introduit,  aient  le  même  sort  que 
les  Grecs  cl  les  Romains,  qui  ne  furent  détruits  que 
poui  s'êlrî  livrés  à  t.»  mollesse?  » 


1CM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1032 


calhn  chrétienne  des  enfants;    Paris,  1672. 

Nie.  Harrf.s  Libellus  de  comœdiis  et  tra- 
<jœdiis  occasione  ,  libri  xi ,  tit.  xl,  Cod.  de 
spectac,  in  quo  duae  qurestiones  de  ludorura 
scenicorura  apttd  Christianos  et  in  scholis 
u  ilitate  et  noxa  ;  Francofurti  ad  Mamum, 
H91,  in-8°. 

Les  apologistes  des  théâtres  publics  ne 
seraient  pas  fondés  à  réclamer  pour  eux  cet 
ouvrage. 

Réponse  à  la  lettre  d'un  théologien,  défen- 
seur de  la  comédie  ;  Paris,  169V,  dans  le  Cata- 
logue de  la  Bibliothèque  du  roi,  n°  D,  45i3. 
On  attribue  cette  réponse  au  sieur  de  Ble- 

VAL. 

Réfutation  d'un  Ecrit  favorisant  la  comé- 
die; Vans,  1694. 

On  y  a  mis  cette  épigraphe  :  Donare  res 
suas  hislrionibus,  vilium  est  immane  :  Donner 
son  bien  aux  comédiens,  c'est  un  vice 
énorme.  Le  P.  de  La  Grange,  chanoine  régu- 
lier de  Saint-Victor,  est  l'auteur  de  celte  Ré- 
futation. 

Décision  faite  en  Sorbonne  touchant  la  co- 
médie; Paris,  1694.  Cette  décision  est  du  20 
mai  1694  ;  elle  est  signée  de  six  docteurs 
dont  voici  les  noms:  Fromageau,  Durieux, 
de  Blanger,  l'Huillier,  de  Lacoste,  et  Bonnet. 
Celte  décision,  qui  contient  132  pages  in-12, 
est  un  t roi  té  intéressant  sur  la  matière  qui 
en  est  l'objet. 


On  donna,  en  1731,  une  nouvelle  édition 
de  ces  Discours ,  et,  a  cette  occasion,  il  parut 
dans  le  Mercure  du  mois  d'août  de  la  même 
année,  l'écrit  suivant  :  Lettre  écrite  de  Mar- 
seille le  1"  juillet  1731,  à  M.  de  La  reçue  (au- 
teur du  Mercure)  au  sujet  des  Discours  du 
P.  Lebrun  sur  la  comédie.  Laroque,  en  ren- 
dant compte,  dans  le  Mercure  du  mois  de 
mai  1731,  de  la  nouvelle  édition  des  Dis- 
cours du  P.  Lebrun,  avait  dit  :  «  qu'il  avait 
raison  de  dépeindre  notre  théâtre  comme 
l'école  de  l'impureté,  la  nourriture  des  lias- 
sions, un  assemblage  où  les  yeux  sont  en- 
vironnés d'objets  séducteurs  ,  et  où  les 
oreilles  sont  ouvertes  à  des  discours  sou- 
vent obscènes  et  toujours  profanes,  qui  in- 
fectent le  cœur  et  l'esprit.  » 

Ce  témoignage  était  d'autant  plus  impo- 
sant, que  c'était  le  suffrage  d'un  littérateur 
qui,  par  une  suite  de  ses  fonctions  de  jour- 
naliste, était  l'historien  des  spectacles  pu- 
blics. 

Un  partisan  fanatique  des  théâtres  en  fut 
si  irrité,  qu'il  adressa  à  l'auteur  du  Mercure 
la  lettre  qu'on  vient  d'indiquer.  En  voici  un 
échantillon  :  «  Je  n'ai  pu  lire  sans  étonne- 
nient,  Monsieur,  les  éloges  avec  lesquels 
vous  annoncez  dans  votre  Mercure  du  mois 
de  mai  dernier,  les  Discours  du  P.  Lebrun 
sur  la  comédie.  Si  vous  dites  qu'il  a  réfulô 
si  solidement  la  Lettre  du  P.  Caffaro,  qui  a 
Réfutation  des  sentiments  relâchés  du  nou-     justifié  la  comédie;  pourquoi,  homme  pieux 

veau  théologien,  touchant  la  comédie;  Paris,      et  rigoriste  comme  vous  Je  paraissez  dans 

1694.  L'auteui  de  ce  solide  ouvrage  déclare 


(pag  133)  avoir  été  amateur  des  spectacles. 
«  Je  ne  conuais  point,  dit-il,  d'esprit  plus 
opposé  à  l'esprit  du  christianisme  que  l'es- 
prit de  la  comédie.  J'en  ai  été  peut-être  aussi 
entêté  qu'un  autre;  mais  j'avoue,  à  ma  con- 
fusion, que  je  n'ai  jamais  été  moins  chré- 
tien que  pendant  cet  entêtement.  On  se 
trouve  dans  un  certain  relâchement,  dans  un 
je  ne  sais  quel  vide  de  Dieu,  dans  une  in- 
disposition et  une  inapplication  si  grande 
dans  les  exercices  de  la  religion,  que  quand 
même  on  ne  serait  pas  engagé  dans  de  grands 
désordres,  on  peut  dire  que  l'on  vil  parmi 
les  chrétiens  d'une  manière  toute  païenne; 
et  c'csl  un  mal  qui  ne  vient  pas  tout  d'un 
coup,  mais  peu  à  peu  ,  d'une  manière  im- 
perceptible et  par  degrés;  car  le  crime  aies 

siens  de  même  que  la  vertu L'harmonie 

de  l'âme  est  entièrement  dissipée  à  la  co- 
médie, pnisqu'on  y  perd  ordinairement  les 
sentiments  de  la  pudeur,  de  la  piété  et  de 
la  religion,  si  l'on  y  va  souvent;  et  elle  y 
est  fort  ébranlée  pour  peu  qu'on  y  aille,  en 
ce  qu'elle  excite  et  réveille  les  passions, 
qu'elle  fait  ou  doit  faire  cet  effet  dans  tout 
I ô  monde  ;  parce  que  c'est  son  but,  sa  fin  et 
son  dessein,  et  que  ce  n'est  que  par  acci- 
dent qu'elle  ne  le  fait  pas  toujours.  » 

Discours  sur  la  comédie;  Paris,  1694. 

Le  prétendu  théologien  défenseur  de  la 
comédie,  est  réfuté  dans  cet  ouvrage  parles 
tenliments  des  docteurs  de  l'Eglise,  depuis 
h'  i"  siècle  jusqu'à  présent.  Le  P.  Lebrun, 
d  ;  l'Oratoire  ,  est  l'auteur  de  ces  discours 
dont  il  y  a  eu  plusieurs  éditions. 


votre  extrait,  nous  donnez-vous  dans  vos 
Mercures  des  analyses  de  toutes  les  pièces 
de  théâtre,  si  vives  et  si  expressives,  que 
vous  engagez  la  plupart  de  vos  lecteurs  à 
aller  participer  à  ces  spectacles  ,  que  vous 
d  des,  avec  le  P.  Lebrun,  être  si  pernicieux?.. 
Sachez  que  Ton  serait  mieux  fondé  à  deman- 
der au  P.  Lebrun  une  rétractation,  s'il  vivait 
encore,  qu'on  ne  l'a  été  à  en  exiger  une  du 
P.  Caffaro?»  L'auteur  du  Mercure  n'hésita 
pas  h  insérer  celte  lettre  dans  son  journal. 
Il  n'y  ajoula  aucune  réflexion,  persuadé  qu'il 
se  trouverait  vengé  par  le  peu  de  cas  que  le 
public  ferait  de  cette  lettre.  Mais  ,  quelque 
inépris  qu'elle  méritait,  il  y  eut  un  homme 
de  lettres  (Simonel),  qui  observa  que  «  la 
plupart  des  partisans  des  spectacles  sont 
portés ,  plutôt  par  inclination  que  par  lu- 
mières, à  juger  favorablement  d'un  écrit  fait 
exprès  pour  justifier  les  théâtres.  »  El,  en 
conséquence,  il  se  chargea  de  faire  à  celle 
Lettre  une  réponse,  qui  fut  imprimée  sous 
le  titre  qui  suit  :  Dissertation  sur  la  comédie, 
pour  servir  de  réponse  à  la  Lettre  insérée 
dans  le  Mercure  d'août  1731,  au  sujet  des  Dis- 
cours du  P.  Lebrun  sur  la  même  matière,  par 
M.  Simonet;  Paris,  1732. 

Cette  Dissertation  fut  insérée  dans  le 
Mercure  du  mois  de  février  1732.  Simonet  y 
démontre  qu'il  ne  faut  pas  prendre  pour  une 
apologie  des  théâtres  les  jugements  favora- 
bles que  les  journalistes  portent  dés  pièces 
dramatiques.»  Une  même  chose,  dit-il,  con- 
sidérée sous  différents  rapports  et  sous  diffé- 
rents points  de  vue  ,  peut  être  bonne  «f 
mauvaise,  louable  et  repréhensible  en  même. 


4035 


NOTICE  SUIl  LE  TIIEATIΠ LIBRE. 


10."Ï4 


temps;  et  tels  sont  les  spectacles  1  Ils  ont 
leur  beauté,  et  môme  leur  bonté  en  un  sens. 
On  dit  tous  les  jours,  et  avec  raison  :  voilà 
une  bonne  pièce,  en  parlant  d'une  comédie 
qui  plaît;  c'est  un  ouvrage  d'esprit  qui  est 
lion  en  ce  genre,  mais  souvent  très-perni- 
cieux par  rapport  au  cœur  :  et  rien  n'em- 
pêche qu'on  ne  le  roue  d'un  côté,  et  qu'on 
iie  lu  blâme  de  l'autre.» 

Un  journaliste  estimable  montre  siraple- 
m  ni  dans  ses  analyses  ce  qu'on  a  trouvé  de 
beau  ou  de  bon  dans  les  pièces  de  théâtre; 
«  mais  cela  ne  regarde  que  l'esprit  ,  sans 
toucher  aux  mœurs  et  à  la  conscience,  dont 
alors  il  n'est  point  question.  D'ailleurs  ,  le 
dessein  de  ces  analyses  n'est  pas,  comme  on 
le  suppose,  d'attirer  les  lecteurs  aux  spec- 
tacles, mais  seulement  de  leur  en  donner 
une  légère  teinture  qui  peut  avoir  son  uti- 
lité pour  plusieurs,  et  qui  ne  fera  pas  une 
grande  impression  ni  sur  les  personnes  por- 
tées d'elles-mêmes  à  y  participer,  ni  sur 
celles  qui  en  ont  de  l'éloignement.  Au  reste, 
quelque  bien  qu'un  journaliste  dise  des  piè- 
ces dramatiques,  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  notre  théâtre,  tout  épuré  qu'on  prétend 
qu'il  soit,  est  très-dangereux  a  fréquenter, 
parce  que  si  les  pièces  présentent  quelque- 
fois des  leçons  de  vertu,  on  n'en  rapporte 
cependant  que  les  impressions  du  vice.» 

Sentiments  de  l'Eglise  et  des  saints  Pères, 
pour  servir  de  décisions  sur  la  comédie  et  sur 
tes  comédiens,  avec  cette  épigraphe  :  Nolite 
communicare  operibus  infructuosis  tenebra- 
rum,  magis  autem  redarguite.  (Ephes.,  v,  Il .) 
Paris,  1G94,  dans  le  Catalogue  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi,  n°  D,  4540.  On  attribue  cet 
écrit  à  Cou  tel. 

Lettre  d'un  docteur  de  Sorbonne  à  une 
personne  de  qualité,  sur  le  sujet  delà  comé- 
die, par  Jean  Gerbois  ;  Paris,  1G94. 

Lettre  française  et  latine  du  P.  François 
Caffauo,  à  M.  de  Harlay,  archevêque  de  Pa- 
ris; IGO'i-. 

Ce  religieux  y  désavoue  la  lettre  du  pré- 
tendu théologien,  qu'on  lui  avait  attribuée. 
Cette  rétractation  éditianle  est  imprimée  à 
la  lin  de  ce  volume,  elle  donna  lieu  a  l'ou- 
vrage suivant:  Maximes  et  réflexions  sur  la 
comédie,  par  Jacques-Bénigne  BosscET,évê- 
oue  de  Meaux,  né  à  Dijon  le  27  septembre 
1G27,  et  mort  a  Paris  le  12  avril  1704;  Pa- 
ris, 1G94. 

Voici  le  jugement  que  l'auteur  du  Journal 
des  Savants,  Ue  l'année  1G94  ,  porta  de  cel 
ouvrage:  «  Cesraaximesel  réllexions  pleines 
de  principes  de  religion,  découvrent  avec 
une  entière  évidence  le  mal  que  font  ceux 
qui  assistent  à  la  comédie,  et  le  scandale 
qu'ils  y  donnent.  On  y  voit  les  dispositions 
dangereuses  et  imperceptibles  qui  s'y  ap- 
portent et  qui  s'y  prennent,  la  concupis- 
cence qui  s'y  répand  par  tous  les  sens  dans 
l'esprit  et  dans  le  cœur.  » 

Cet   écrivain    périodique    cul    à    pendre 

(i89)  Voyez  les  Mém.  de  M.  de  Monlchal,  loin  1", 
p,  107;  ol  loin.  Il,  p.  59  cl  215. 

(190)  Infaiilc  d'Espagne  qui,  n'étant  pan  encore  ma- 
riée,  dit  Bossuel,  faisait  vuraUie  vins  de  belles  quiilï- 


compte  d'ouvrages  fort  opposés  les  uns  aux 
autres  sur  la  matière  des  spectacles.  Il  sou- 
tint le  caractère  d'un  bon  el  judicieux  jour- 
naliste. On  ne  le  vit  pas  dans  ses  extraits 
prêler  du  secours  aux  partisans  de  l'erreur. 
Et  il  manifesta  son  respect  pour  la  vérité 
dans  le  compte  qu'il  rendit  des  écrits  où  l'on 
soutenait  la  bonne  cause. 

Que  ceux  qui  citent  comme  favorable 
aux  théâtres  la  réponse  que  Bossuel, 
évoque  de  Meaux,  fit  à  Louis  XIV,  et  que 
l'on  trouvera  dans  la  première  Lettre  do 
Boissy  sur  les  spectacles,  lisent  les  maximes 
et  les  réflexions  de  ce  prélat  sur  la  comédie. 
Ils  ne  reconnaîtront  dans  celte  réponse 
qu'une  instruction  donnée  ingénieusement 
et  avec  prudence  à  un  grand  monarque.  Et 
alors  ils  ne  s'autoriseront  plus  du  préjugé 
vulgaire  sur  le  banc  qu'on  dit  que  les  évo- 
ques avaient  autrefois  aux  spectacles  de  la 
cour,  et  dont  il  sera  parlé  dans  la  seconde 
Lettre  de  Boissy. 

Il  est  vrai  qu'il  est  rapporté  dans  les  Mé- 
moires de  Montchal  que  le  cardinal  de  Riche- 
lieu fit  exécuter  à  la  cour  et  dans  son  palais 
plusieurs  représentations  de  drames  et  de 
ballets.  Et  comme  dans  ces  ballets,  les  prin- 
ces elles  seigneurs  étaient  acteurs,  on  y 
invitait  toutes  les  personnes  de  lacoursans 
en  excepter  les  prélats;  mais  ce  que  nous 
devons  penser  de  la  faiblesse  de  ce  cardinal 
nous  est  suggéré  par  les  mômes  Mémoires. 
«  Le  cardinal  de  Richelieu,  y  est-il  dit,  au- 
torisait la  comédie  par  sa  présence  aux  spec- 
tacles de  la  cour,  et  l'introduisant  dans  son 
Palais-Cardinal,  en  quoi  il  se  conduisait  par 
un  esprit  bien  contraire  à  celui  de  tous  les 
Pères  de  l'Eglise,  qui  l'ont  rejetée  el  con^ 
damnée  comme  la  corruption  des  mœurs,  et 
une  école  publique  de  libertinage.  » 

Convient-il  de  s'autoriser  de  faits  rappor- 
tés comme  des  scandales?  Aussi  Montchal 
nous  apprend  que  les  prélats  vertueux  éle- 
vèrent leur  voix  contre  cette  licence,  tel  fut, 
entre  autres, Godeau,  évêquedeGrasse  (489). 

Un  amateur  zélé  des  spectacles  en  a  donné 
une  Histoire  sous  ce  titre  :  Lettres  histori- 
ques sur  tous  les  spectacles  de  Paris;  1719. 
Cet  auteur  cite  comme  des  anecdotes  avan- 
tageuses aux  théâtres,  que  le  cardinal  Ma- 
zarin,  en  1G47  et  1G60,  fit  venir  d'Italie  des 
acteurs  pour  représenter  les  opéras  italiens, 
Orfeo  è  Euridice,  et  Hercolc  amante,  et  qu'il 
doit  ôlre  regardé  comme  l'instituteur  de 
l'Opéra  en  Fiance. 

Cependant  cet  historien  convient  que  si 
ce  cardinal  avait  prévu  les  abus  qui  se  sont 
introduits  dans  ce  spectacle,  il  ne  l'aurait 
pas  établi. 

Mais  ces  anecdoles  de  1647  et  de  1GC0 
n'ont  pour  objets  que  des  fêtes  de  cour  ex- 
traordinaires. L'opéra  par  exemple,  Hercolc 
amante,  orné  de  ballets  magnifiques,  fut  re- 
présenté à  l'occasion  du  mariage  de  Louis 
XIV  avec   Marie-Thérèse  d'Autriche  (490). 

tés  quelle  n'attendait  de  couronnes'.  Elle  mourut  le 
50  juillet  1083.  Le  roi,. qui  honorait  sa  vertu,  dit 
eu  apprenant  sa  mon  :  S'oHà  le  premier  chagrin 
qu'elle  m'ait  jamais  camé; 


*C25 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


I0.V6 


Mais  ,  de  l'appareil  cl  dos  cliquettes  des 
fûtes  de  la  cour,  il  ne  faut  rien  conclure  en 
faveur  des  théâtres  publics. 

Ainsi  c'est  sans  fondement  que  l'auteur 
des  Lettres  historiques  sur  les  spectacles, 
donne  le  cardinal  Mazarin  pour  l'instituteur 
de  l'Opéra,  c'esl-ii--dire,  de  ce  spectacle  pu- 
blic de  Paris,  que  Sainl-Evremont  appelle 
«  une  sottise  chargée  de  musique,  de  danses, 
de  machines,  de  décorations,  une  sottise 
magnifique,  mais  toujours  une  sottise,  un 
travail  bizarre  de  poésie  et  de  musique  ,  où 
le  poète  et  le  musicien,  également  gênés  l'un 
par  l'autre,  se  donnent  bien  de  la  peine  à 
luire  un  méchant  ouvrage  (4-91).  » 

Quand  il  serait  vrai  que  le  cardinal  Ma- 
zarin  eût  été  l'instituteur  de  ce  spectacle, 
oa  aurait  à  observer  que  si  l'on  a  à  citer 
quelques  ecclésiastiques  élevés  en  dignité, 
qui  se  sont  déclarés  en  faveur  du  théâtre, 
ils  n'étaient  pas  alors  la  bonne  odeur  du 
clergé. 

On  peut  aussi  remarquer  en  général  que 
le  zèle  des  apologistes  du  théâtre  a  toujours 
été  assez  en  proportion  avec  le  plus  ou  le 
moins  de  respect  qu'ils  ont  eu  pour  la  re- 
ligion chrétienne.  Quand,  par  exemple, 
Chamfort  dans  Y  Eloge  de  Molière,  ne  réduit 
les  cérémonies  funèbres  de  la 'sépulture 
ecclésiastique  qu'à  un  peu  de  terre  qu'on 
jette  sur  le  cercueil,  et  qu'on  doit  accorder 
indifféremment,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il 
soit  surpris  de  ce  qu'on  l'a  refusé  à  Molière 
(492).  Mais  il  ignore  donc  que  les  prières  et 
les  cérémonies  sacrées  des  obsèques  des 
Chrétiens  n'ont  toujours  été  censées  être 
accordées  qu'à  ceux  dont  les  fautes  publi- 
ques ou  secrètes  sont  présumées  avoir  été 
réparées  par  un  repentir  sincère.  Si  M.  de 
Chamfort  en  avait  eu  cotte  idée,  il  ne  se  se- 
rait pas  sans  doute  permis  une  expression 
qui  insulte  à  cet  égard  la  religion  du  mo- 
narque et  de  la  patrie,  comme  le  fit  Voltaire 
à  l'occasion  d'Adrienne  Lecouvreur.  Il  en 
est  parle  aux  Lettres  sur  les  spectacles  de 
Desprez  de  Boissy,  que  nous  donnons  plus 
loin.  On  sait  que  cette  actrice  qui  mou- 
rut le  30  mars  1730,  n'ayant  voulu  donner 
aucun  signe  de  repentir  sur  sa  profession, 

(491)  Œuvres  de  Sainl-Evremond,  tome  III,  édition 
de  1739. 

(492)  i  L'homme  le  plus  extraordinaire  de  son 
temps  (Molière)  meurt.  Ses  amis  sont  forcés  de  ca- 
baler  pour  lui  obtenir  un  peu  de  terre.  On  la  lui  re- 
fuse long-temps.  On  déclara  sa  cendre  indigne  de  se 
mêler  à  la  cendre  des  Harpagons  et  des  Tartufes  dont 
il  a  vengé  son  pays.  El  il  faut  qu'un  corps  illustre 
(l'Académie  française)  attende  cent  années  pour  ap- 
i  r  ndre  à  l'Europe  que  nous  ne  sommes  pas  tous  des 
barbares.  »  (Eloge  de  Molière,  par  Chajifort,  cou- 
ronné par  l'Ac.  franc,  en  1709.)  Fréron,  en  relevant 
dans  le  31e  cahier  de  son  Année  littéraire  de  1769 
les  défauts  littéraires  de  YEIoge  de  Molière,  par 
(Ihamforl,  laisse  ingénieusement  entrevoir   sa   sur- 

Jtrise  de  ce  que  l'Académie  française  a  proposé  l'é- 
oge  d'un  poète  comédien  après  ceux  des  Sully,  des 
d'Aguesseau  ,  des  Saxe,  des  Duguay-Trouin,  des 
Qescarles.  On  doit  en  être  d'autant  plus  étonné,  que 
Molière,  dit  Fiéron,  parut  faire  si  peu  de  c:»s  (l'une 
place  dans  l'Académie  française,  qu'il  ne  voulut  pas, 


Languel,  curé  de  Saint-Sulpice,  tpji  l'avait 
exhortée  avec  le  plus  grand  zèle,  lui  refusa 
constamment  la  sépulture  chrétienne  (493). 
Elle  fut  enterrée  sur  le  bord  de  la  Seine,  et 
c'est  du  lieu  qui  renferme  ses  cendres,  que 
Voltaire  a  dit:  Voilà  mon  Saint-Denis.  Tels 
sont  les  écarts  de  ceux  qui  sont  plus  ama- 
teurs de  la  volupté  que  de  la  sagesse,  et  qui 
étant  dans  l'erreur  s'y  fortifient  de  plus  en 
plus  en  y  faisant  tomber  les  autres.  Leur 
commerce  est  à  fuir,  parce  qu'il  ne  peut 
conduire  qu'à  l'impiété.  Leur  conversation 
et  leurs  écrits  sont  comme  une  gangrène 
qui  se  communique  insensiblement  à  ceux 
qui  s'y  exposent  témérairement.  Yolupta- 
tum  magis  amatores  guam  Dei,  mali  homines 
et  seductores  proficient  in  pejus  errantes  et 

in  errorcm  mittentes profana  et  vanilo- 

quia  eorum  devila,  multum  enim  proficiunt 
ad  impietatem;  et  sermo  eorum  ut  cancer  ser> 
pit.  {I  Timot.,  II,  16,  17;  III,  13.) 

Mandement  de  M.  Guy-de-Sève  de  Itoche- 
chouart,  évéque  d'Arras,  du  4  décembre  1695, 
contre  la  comédie.  —  Mandement  du  même 
évêque,  du  25  septembre  1698,  au  sujet  des 
tragédies  qui  se  représentent  dans  les  collèges. 

Réponse  à  la  préface  de  la  tragédie  de  Judith  ; 
Paris,  1695. 

Boyer,  auteur  de  cette  tragédie,  préten- 
dait faire  illusion  par  le  sujet  de  ee  drame, 
et  rendre  légitime  la  fréquentation  des  théâ- 
tres; mais  l'auteur  de  la  réponse  qui  lui 
fut  adressée  démontre  qu'en  exposant  des 
sujets  saints  sur  le  théâtre,  la  piété  s'y 
trouve  profanée:  que  d'ailleurs  la  plupart 
des  pièces  saintes  ne  le  sont  que  par  le 
nom;  et  que  la  liberté  que  les  poètes  prennent 
toujours  d'ajouter  à  la  vérité  historique  les 
incidents  propres  à  amuser  les  spectateurs, 
en  fait  des  drames  doublement  scandaleux, 
comme  dans  la  tragédie  de  Judith,  on  a  in- 
venté l'intrigue  de  Mizael.  Les  auteurs  de 
ces  prétendues  pièces  saintes 

Pensent  faire  agir  Dieu,  ses  saints  et  ses  prophètes, 
Comme  les  dieux  éclos  du  cerveau  des  poètes. 
(Despréaux,  Art  poétique.) 

«  Puisque  M.  Boyer,  dit  l'abbé  d'Olivet 
(494),  avait   du    génie,  de  l'inclination  au 

pour  se  la  procurer,  renoncer  à  jouer  les  rôles  de 
valet.  Au  reste,  il  n'y  avait  eu  que  quelques  acadé- 
miciens qui  individuellement  avaient  eu  la  pensée 
de  l'avoir  pour  confrère.  Mais  il  y  a  lieu  de  présumer 
qne  si  la  proposition  en  avait  été  faite  au  corps 
académique  assemblé,  elle  aurait  été  rejetée,  parce 
qu'on  n'était  pas  encore  parvenu  à  manquer  facile- 
ment aux  égards  qu'on  doit  à  la  religion  et  aux 
mœurs. 

(493)  Rosimond,  comédien,  étant  mort  subitement 
en  1691,  fut  enterré  sans  clergé,  sans  luminaire  et 
sans  aucune  prière,  dans  un  endroit  du  cimetière  de 
Saint  Sulpiceoù  l'on  enterre  les  enfants  morts  sans 
baptême.  —  Floridor,  fameux  comédien,  étant  atta- 
qué d'une  maladie  dangereuse,  Martin,  curé  de 
Saint-Euslaclie,  ne  lui  administra  les  derniers  sa- 
crements qu'après  qu'il  eut  promis  de  ne  plus  re- 
monter sur  le  théâtre  s'il  recouvrait  la  santé.  Floridor 
revint  de  celle  maladie,  el  il  renonça  à  sa  profession. 

(494)  Dans  VHistoire  de  C Académie  française,  pag. 
5(31 


mi 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


Î0o8 


travail  etqu'il  portait  l'habit  ecclésiastique, 
n'aurait-il  pas  dû  choisir  une  autre  route 
plus  convenable  à  ses  talents  et  à  son  hon- 
neur que  celle  du  théâtre?  » 

Boyer  éprouva  la  difficulté  de  faire  goûter 
longtemps  aux  spectateurs  les  prétendues 
pièces  saintes:  Periculosœ plénum  opusalcœ. 
Sa  tragédie  de  Judith  fut  à  la  vérité  applau- 
die pendant  un  carême .  Mais  quelque 
égayée  qu'elle  fût  par  les  intrigues  de  l'a- 
mour profane,  elle  fut  sifflée  à  la  rentrée 
d'après  Pâques.  Il  y  eut  même  à  ce  su- 
jet un  de  ces  impromptus  malins  qui 
échappent  quelquefois  au  parterre.  L'actrice 
Champmeslé,  qui  représentait  le  rôle  do 
Judith,  témoigna  sa  surprise  de  ce  qu'on 
avait  tant  différé  l'affront  qu'on  faisait  à 
cette  pièce:  «  C'est,  lui  répondit-on,  parce 
que  les  sifflets  étaient  à  Versailles  aux  ser- 
mons de  l'abbé  Boileau.  » 

La  plupart  de  ceux  qui  ont  des  talents 
pour  la  poésie  voudraient  que  cet  art  con- 
servât son  honneur  sur  le  théâtre.  Il  y  a 
quelques  poètes  qui  en  ont  formé  le  vœu 
avec  les  meilleures  intentions. 

Pierre  de  Villiers,  de  l'ordre  de  Cluny, 
mort  en  1728,  prieur  de  Saint-Taurin,  était 
du  nombre  de  ces  honnêtes  littérateurs. 
On  a  dans  le  recueil  de  ses  dissertations  sur 
les  tragédies  de  Corneille  et  de  Racine^  un  dia- 
logue, dont  l'objet  est  de  prouver  la  possi- 
bilité de  faire  avec  succès  une  tragédie 
sans  amour. 

Mais  ses  prétentions  à  cet  égard  tiennent 
un  peu  du  ton  impérieux  qui  dominait  dans 
son  caractère,  et  qui  avait  donné  lieu  à 
Boileau  Despréaux  de  l'appeler  le  Matamore 
de  Cluny. 

Le  prince  de  Conti,  dans  son  Traité  sur 
la  comédie,  convient  queHeinsiusavait  réussi 
à  faire  une  pareille  tragédie  dans  son 
Hérodc;  mais  il  assure  que  la  représentation 
en  aurait  été  très-ennuyeuse  sur  le  théâtre 
public. 

L'abbé  Juillard  du  Jarry  était  aussi  dans 
le  cas  de  s'intéresser  à  l'honneur  des  muses 
poétiques.  Il  remporta  à  l'Académie  fran- 
çaise plusieurs  prix  de  poésie,  et  entre  autres 
celui  do  171i,  qu'il  eut  de  préférence  à 
Voltaire  qui  avait  aussi  concouru  pour  le 
même  prix. 

Il  donna,  en  1715,  un,  Kecueil  de  poésies 
chrétiennes,  morales  et  héroïques.  On  voit 
dans  la  Préface,  que  dans  un  moment  d'en- 
thousiasme pour  la  tragédie  de  Polyeucte,  il 
désira  que  l'on  pût  établir  un  théâtre  chré- 
tien. 

Le  détail  dans  lequel  il  entre  pour  dési- 
gner les  citoyens  a  qui  il  croyait  que  cet 
établissement  serait  utile,  est  assez  singu- 
lier. Il  le  proposait,  1°  pour  les  personnes 
d'une  santé  délicate,  qui,  après  avoir  donné 
une  heure  ou  deux  à  une  forte  application, 
sont  forcées  do  passer  le  reste  du  jour  à  ne 
rien  faire;  2°  pour  des  pécheurs  nouvelle- 
ment convertis,  qui,  pour  persévérer  dans 
un  changement  de  vie,  veulent  remplacer 
les  plaisirs  criminels  par  des  plaisirs  per- 
mis;  3°  pour  certains   tempéraments,   qui, 


même  dans  l'exercice  de  la  piété,  ont  besoin 
d'une  récréation  innocente.  Et  pour  lors  il 
voulait  que  dans  les  pièces  il  ne  fût  ques- 
tion que  de  nos  mystères  et  des  vérités  mo- 
rales, sans  aucun  mélange  qui  pût  les  al- 
térer. On  peut  présumer  que  s'd  avait  été 
question  de  réaliser  ce  beau  rêve,  l'abbé 
du  Jarry  aurait  aussi  exigé  qu'un  eût  choisi 
les  acteurs  dans  l'ordre  même  des  personnes 
qu'il  se  proposait  d'amuser.  On  ne  disci- 
tera pas  si  dans  un  siècle  aussi  corrompu 
que  le  nôtre,  il  serait  possible  d'exécuter  ce 
projet  dans  toute  la  régularité  proposée  par 
l'auteur.  Mais  en  admettant  celte  possibilité 
serait-il  décent  de  faire  de  nos  mystères  et 
de  nos  dogmes  sacrés  un  sujet  de  diver- 
tissement? N'est-il  pas  vraisemblable  que 
par  l'habitude  de  s'en  amuser,  on  n'aurait 
plus  h  leur  égard  toute  la  vénération  qu'ils 
doivent  inspirer? 

Gérard -Jean  Vossius ,  célèbre  écrivain 
prolestant,  mort  en  1669,  a  fait  un  Traité 
sur  l'art  poétique.  Il  y  demande  si  l'Histoire 
sainte  peut  fournir  un  sujet  au  poëme  dra- 
matique. Il  n'était  point  du  sentiment  de 
Boyer.  Il  conclut  que  le  plus  sûr  est  de  ne 
l'y  pas  employer. 

Jacques  Bernard,  autre  savant  calviniste, 
cul  occasion  de  parler  de  cet  ouvrage  de 
Vossius,  dans  le  mois  d'août  1702  des  Nou- 
velles de  la  République  des  lettres.  Il  y  adopte, 
page  189,  le  sentiment  de  ce  savant.  «  En 
ell'et,  dit-il,  il  est  bien  difficile  que  les  poètes 
ne  corrompent  point  par  des  opinions  in- 
certaines et  par  des  fables,  une  histoire 
pour  laquelle  on  doit  avoir  le  plus  grand 
respect.  » 

Lettre  de  M.  Bordelon;  Paris,  1699. 

L'auteur  prouve  que  si  l'on  exige  de  ceux 
qui  vont  au  spectacle  une  aumône  pour 
l'Hôpital  général,  elle  ne  justifie  en  rien 
l'opéra  ni  la  comédie. 

On  voit  par  tous  ces  ouvragrs,  que  dans 
le  dernier  siècle  les  défenseurs  des  théâtres 
furent  frappés  de  toutes  parts:  Gravibu» 
confixi  vulneribus.  On  les  réduisit  enfin  au 
silence,  en  leur  disant:  Malheur  h  vous  qui 
appelez  bon  ce  qui  est  mauvais,  Vœ  qui  di- 
citis  malum,  bonum,  et  bonum,  malum.  (Isa. 
\.f  20.)  Et  les  chaires  sacrées,  dit  le  P.  Poréef 
continuèrent  de  tonner  contre  les  théâtres. 
Pergunt  quidem  sacri  oratores  eloquio  tonare 
de  suggeslu,  et  sua  fulmina  in  théâtrales  con-* 
ventus  extcnlo  brachio  jaculari. 

Cependant  une  guerre  où  les  passions- 
sont  intéressées  ne  se  termine  pas  comme1 
celle  de  Troie,  par  la  chute  d'Hector  ou 
par  l'incendie  du  palais  de  Priam.  In  sua 
sententia  persévérant  theatri  asseclœ  et  illitd 
densa  corona  protegunt.  Il  y  a  eu  encore 
dans  notre  siècle  de  nouvelles  attaques  do 
la  part  des  partisans  du  théâtre.  On  sait  que 
ce  qui  n'est  pas  permis  a  toujours  des  appas, 
et  on  se  séduit  pour  s'en  permettre  l'usage: 

Nilimur  in  veliluin  semper,  cupimusque  negata. 

Sautour  fit  le  nouvel  acte  d'hostilité,  en 
donnant  un  écrit  intitulé:  Dissertation  sur 
le  poème   dramatique;  1729.    —    L'auteur  y 


î  059 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


UtdO 


montre  un  grana  zèlo  pour  les  comédiens; 
mais  il  se  condamne  lui-même,  lorsqu'il  se 
plaint'  de  ce  que  Houdard  de  La  Molto, 
poé'e  dramatique,  avait  refusé  d'approuver 
celte  dissertation  dont  il  avait  été  nommé 
le  censeur.-  elle  fut  en  effet  imprimée  clan- 
destinement. On  ne  doit  pas  être  surpris  du 
refus  de  La  Motte,  ce  que  rapporte  Desprez 
de  Boissy  dans  sa  premièrele//re  sur  les  spec- 
tacles, prouve  qu'il  connaissait  trop  les  dan- 
gers des  spectacles  pour  donner  son  appro- 
bation à  une  apologie  aussi  mal  fondée. 

On  n'a  point  cru  devoir  parler  ici  de  Fran- 
çois Gacon.  II  mit  à  la  tête  de  sa  traduction 
des  Odes  d'Anacréon  et  de  Sapho,  qui  parut 
en  1712,  une  longue  dissertation  sur  la  poé- 
sie, où  il  fait  une  apologie  outrée  des  théâ- 
tres. Quelle  autorité  pourrait  avoir  l'auteur 
du  Poète  sans  fard,  et  d'une  multitude  de 
libelles  décriés  par  les  satires  et  les  obscé- 
nités qui  les  animent  ? 

On  hasarda  de  donner  en  1720,  dans  le 
tome  VU  de  la  continuation  des  Mémoires 
de  littérature,  une  lettre  sous  le  nom  de 
Despréaux,  pour  la  justification  des  théâtres, 
et  on  joignit  une  réponse  à  cette  lettre; 
mais  on  reconnut  qu'on  avait  abusé  du  nom 
de  ce  grand  poète.  C'était  une  fiction  que 
l'auteur  même  de  la  Réponse  avait  imagi- 
née, avec  intention  de  se  défendre  si  fai- 
blement, qu'il  se  mettrait  dans  le  cas  de 
rendre  les  armes  à  son  prétendu  adversaire. 
C'est  en  effet  la  conclusion  de  sa  Réponse. 
Si  Despréaux  avait  vécu,  il  aurait  désavoué 
la  Lettre  qu'on  lui  attribuait. 

Observations  sur  la  comédie,  par  L.  Yart  ; 
174-3.  Ces  observations  sont  insérées  en 
totalité  dans  le  Mercure  du  mois  de  mars 
17i3  :  elles  ont  pour  objet  l'apologie  des 
théâtres  Mais  l'auteur  hésite  à  accorder  à 
la  comédie  l'honneur  de  la  devise  :  Ridendo 
castigat  mores;  c'est-à-dire  :  «  Elle  corrige 
les  mœurs  en  riant.  » 

«  Le  vice,  dit-il,  ne  se  corrige  pas  si  ai- 
sément. L'avare,  dont  le  caractère  est  si 
ridicule  dans  Molière,  n'a  point  corrigé 
d'avares.  Notre  théâtre  ne  se  réformera  pas 
non  plus  sur  la  passion  de  l'amour.  Comme 
elle  est  la  première  de  toutes  les  [tassions  , 
il  est  raisonnable  qu'on  la  fasse  entrer  dans 
toutes  les  pièces.  C'est  pourquoi  on  n'y 
verra  toujours  que  des  amants  qui  se  décla- 
rent leurs  inclinations  en  secret,  qui  trou- 
vent mille  obstacles  à  leur  amour  et  qui  ne 
parviennent  enfin  au  mariage  qu'après  mille 
difficultés.  Voilà  le  fond  de  presque  toutes 
nos  comédies.  » 

Cette  apologie  ingénue  prouve  que  tout 
se  traite  sur  nos  théâtres  non  sublato  jure 
nocendi  ;  c'est-à-dire,  toujours  au  préjudice 
des  bonnes  mœurs. 

Fagan  s'est  présenté  plus  ouvertement.  Il 
donna,  en  1751,  un  écrit  intitulé  :  Nouvelles 
observations  au  sujet  des  condamnations  pro- 
noncées contre  les  comédiens.  Elles  se  trou- 
vent insérées  dans  la  collection  de  ses 
OEuvres. 

Observations  sur  le  théâtre,  dans  lesquelles 
on  examine  avec  impartialité  l'état  actuel 


des  spectacles  de  Paris,  par  Chevrier  ;  Paris, 
1755,  in-12.  Ce  n'est  pas  l'utilité  morale  de 
nos  théâtres  qui  est  examinée  avec  impar- 
tialité dans  ces  Observations  ;  l'auteur  y 
traite  de  préjugés  odieux  les  jugements  de 
nos  moralistes  contre  les  spectacles.  La  bi- 
goterie, dit-il,  voudrait  proscrire  des  spec- 
tacles, où,  pour  20  sous,  on  apprend  l'art 
de  penser,  d'écrire  et  d'agir.  » 

Au  reste,,  cette  opinion  répond  à  cette 
maxime  voluptueuse  que  l'auteur  a  choisie 
pour  servir  d'épigraphe  à  ses  Observa- 
tions : 

....  Vous  èlcs  des  plaisirs. 

11  n'en  est  poinl  qu'on  doive  exclure; 

(Voltaire,  Temple  du  Goût.) 

Lettre  à  M.  Jean-Jacques  Rousseau ,  au 
sujet  de  sa  Lettre  à  M.  d'Alembert,  par 
madame  Bastide;  1758. 

Lettre  à  M.  Jean-Jacques  Rousseau,  sur 
tçjfet  moral  du  théâtre,  par  M.  de  Xime- 
nès  ;  1758. 

Marmontel  rassembla  dans  les  volumes  du 
Mercure  de  novembre  et  décembre  1758  et 
janvier  1759,  tous  les  sophismes  de  l'art 
dramatique  pour  éluder  les  coups  redouta- 
bles que  J.-J.  Rousseau  venait  de  porter 
contre  les  auteurs,  les  acteurs  et  les  Specta- 
teurs scéniques. 

Considérations  sur  Vart  du  théâtre,  D*** 
à  M  J.-J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève;  à 
Genève,  1760. 

Critique  d'une  Lettre  contre  les  spectacles, 
intitulée  :  J.-J.  Rousseau,  citoyen  de  Ge- 
nève, a  M.  u'Alembert  ;  Amsterdam,  1760, 
ii!-8°. 

J.-J.  Rousseau  ne  s'est  pas  ému  à  l'occa- 
sion de  toutes  les  critiques  de  sa  Lettre 
contre  les  spectacles.  I)  les  a  considérées 
tomme  des  débals  d'ennemis  terrassés,  et 
irrités  de  ce  qu'il  avait  arraché  à  la  poésie 
dramatique  le  masque  des  vertus. 

Huer  ne  de  La  Mothe,  avocat  au  parlement, 
fil  imprimer  en  1761,  sur  les  censures  ecclé- 
siastiques prononcées  contre  les  comé- 
diens, une  consultation  dont  il  eut  lieu  de 
se  repentir.  Son  ouvrage  a  pour  titre  :  Li- 
bertés de  la  France  contre  le  pouvoir  arbi- 
traire de  l'excommunication  ;  Paris,  1761. 

Observations  sur  les  spectacles  en  général, 
et  en  particulier  sur  le  Colysée  ;  par  L.  Ca- 
chet; Paris,  1772;  in-8°.  —  Essai  sur  les 
moyens  de  faire  du  Colysée  un  établissement 
national  et  patriotique  ;  Paris,  1772,  in-12. 

Les  auteurs  de  ces  deux  écrits  trouvent 
dans  la  fureur  de  notre  siècle  pour  les  spec- 
tacles de  tout  genre,  le  pronostic  du  retour 
des  délices  de  l'âge  d'or. 

L'un  voudrait  que  tous  ceux  qui  fréquen- 
tent nos  spectacles  y  prissent  l'idée  d'une 
vie  pleine  de  joie  et  de  délices,  exprimée 
par  ces  deux  vers  d'un  poète  du  xvi*  siècle  : 

O  pleiia  gaudiorum, 
O  vita  plena  nectarh! 

L'autre  fait  dépendre  de  la  perfection  du 
Colysée  le  bonheur  et  la  durée  de  l'empire 
français,   en  y  appliquant  ce  que  l'oracle 


1031 


NOTICE  Sl'R  LE  THEATRE  LIBRE. 


\GCA 


avait  (Jit  du  Colysée  de  Vospasien  .'  Quandin 
stabit  Colysœus,  stabil  et  Roma;  quand o  cadet 
Co'lysœus,  cadet  et  Roma;  quand o  cadet  Ro- 
ma, cadet  et  mundus  :  «  Tant  que  le  Colysée 
subsistera,  Rome  subsistera  ;  quand  le  Co- 
lysée tombera,  Rome  tombera;  et  quand 
Rome  tombera,  l'univers  s'écroulera.  »  C'est 
à  cette  durée,  dit  M.  Gaclict,  que  j'augure 
que  parviendront  Paris  et  le  Colysée.  Ce 
sont  là  les  vœux  désintéressés  et  sincères 
que  je  forme  pour  l'agrément,  la  gloire  et 
le  bonheur  de  ma  patrie. 

«  Mais,  dit  un  auteur  (495),  ne  sait-on 
pas  que  la  fureur  des  spectacles,  en  fomen- 
tant la  mollesse,  a  produit  l'oisiveté  et  le 
luxe;  que  ces  causes  réunies  ont  occasionné 
le  débordement  d'une  licence  effrénée;  que 
celle-ci  a  enfanté  l'impiété  et  l'irréligion  ; 
qui  à  son  tour  a  fait  pulluler  les  meurtres, 
les  duels,  les  suicides,  et  enfin  une  indé- 
pendance monstrueuse,  toujours  funeste  au 
gouvernement.  » 

Les  encyclopédistes  se  sont  aussi  ralliés 
pour  défendre  la  cause  des  théâtres  publics 
dans  leur  Dictionnaire,  aux  mots  Genève, 
Comédien,  etc.  ;  et  ils  l'ont  soutenue  avec  un 
zèle  digne  de  la  doctrine  hétérodoxe  qu'on 
leur  a  si  souvent  reprochée. 

Enlin,  Campigneulles  s'est  rangé  sous  leur 
drapeau,  et,  pour  preuve  de  son  adhésion 
à  leurs  principes  en  faveur  des  théâtres,  il 
donna  en  1758,  au  public,  un  imprimé  sous 
le  litre  de  Réponse  pour  M.  le  chevalier 
de  ***  à  la  Lettre  de  M.  Desprez  de  Boissij, 
sur  les  spectacles.  Celte  Réponse  se  trouve 
dans  une  brochure  intitulée  :  Essais  sur 
divers  sujets. 

Mais  on  a  vu  théologiens,  magistrats,  ju- 
risconsultes ,  académiciens  ,  philosophes  , 
rhéteurs,  poêles  dramatiques,  et  môme  un 
ancien  et  fameux  comédien,  prendre  avec 
zèle  les  armes  littéraires;  et  ils  ont  com- 
battu tous  ces  apologistes  des  jeux  scéni- 
ques  par  des  ouvrages  qu'on  va  indiquer 
dans  leur  ordre  chronologique.  Plus  apud 
nos  valeal  vera  ratio  quam  vulgi  opinio  : 
que  sa  saine  raison  ait  plus  d'autorité  sur 
notre  esprit  que  les  faux  préjugés  de  Ja 
multitude. 

Mandement  de  M.  Bonnin  de  Chalucct , 
évéque  de  Toulon,  du  5  mars  1702  ,  contre 
les  spectacles. 

Il  y  est  ordonné  aux  confesseurs,  sous 
peine  de  suspense,  de  dilférer  l'absolution 
aux  ûdèles  qui,  au  mépris  de  son  mande- 
ment, auront  assisté  aux  spectacles. 

Réflexions  sur  divers  sujets  de  morale,  par 
Jean  La  Placette  ;  Amsterdam,  1707 

On  sait  que  cet  auteur  est  célèbre  par  ses 
Traités  de  morale,  et  qu'à  cet  égard  on  le 
regarde  comme  le  Nicole  des  protestants.  11 
démontre,  dans  les  chapitres  12  et  13  de 
ses  Réflexions  sur  l'usage  du  temps,  combien 
les  spectacles  sont  pernicieux  aux  mœurs. 
«  L'un  des  plus  justes,  dit-il,  et  des  plus 
raisonnables  soins  que  nous  puissions 
prendre,  est  celui  de  nous  rendre  maîtres 


de  nos  passions  quelles  qu'elles  soient,  do 
les  mortifier,  de  les  réprimer,  de  les  étoulfer 
môme  si  nous  le  pouvons,  et  de  nous  mettre 
dans  un  tel  état ,  que  nous  nous  condui- 
sions, non  par  ces  mouvements  brutes  et 
aveugles,  mais  par  la  vive  lumière  de  la 
raison  ;  c'est  à  quoi  les  philosophes  même 
du  paganisme  exhortent  le  plus  fortement 
leurs  lecteurs.  Or,  il  n'y  a  presque  point  do 
passion  qui  ne  paraisse  sur  le  théâtre,  et 
qui  n'y  soit  excitée.  On  y  voit  l'orgueil, 
l'ambition,  la  colère,  le  désir  de  vengeance, 
la  haine,  la  jalousie,  et  surtout  l'amour.  La 
poésie  dramatique  ne  s'occupe  qu'à  les  far- 
der et  qu'à  accoutumer  l'esprit  à  les  regar- 
der sans  horreur.....  On  y  voit  un  certain 
esprit  de  coquetterie,  très-éloigné  non-seu- 
lement des  règles  sévères  du  christianisme, 
mais  encore  de  celles  de  la  vertu  philoso- 
phique et  païenne Si  le  théâtre  est  purgé 

des  anciennes  grossièretés,  il  n'en  ,est  que 
plus  dangereux.  On  y  reçoit  tout  sans  dis- 
tinction, en  sorte  que  les  semences  du  mal 
qui  y  sont  répandues  pénètrent  jusque 
dans  le  fond  de  l'âme,  et  trouvent  le  moyen 
d'y  germer  et  d'y  fructifier 

Mandement  de  M.  Esprit  Fléchier,  évéque 
de  Nîmes,  du  8  septembre  1708,  contre  les 
spectacles. 

«  Nous  voyons  avec  douleur,  dit  cet  élo- 
quent prélat  à  ses  diocésains,  l'affection  et 
l'empressement  que  vous  avez  pour  les 
spectacles,  que  nous  avons  si  souvent  dé- 
clarés contraires  à  l'esprit  du  christianisme, 
pernicieux  aux  bonnes  mœurs  et  féconds  et 
mauvais  exemples,  où,  sous  prétexte  de  re- 
présentations et  de  musiques  innocentes  par 
elles-mêmes,  on  excite  les  passions  les  plus 
dangereuses;  et  par  des  récils  profanes  et 
des  manières  indécentes  on  offense  la  vertu 

des  uns  et  l'on  corrompt  celle  des  autres 

Cessez  d'aller  repaître  vos  yeux  des  agré- 
ments affectés  et  du  pompeux  ajustement  do 
quelques  femmes  licencieuses,  et  de  prêter 
l'oreille  à  la  voix  et  aux  récits  passionnés 
de  ces  sirènes  dont  parle  Isaïe,  qui  habitent 
les  temples  de  la  volupté...  Evitez  les  pièges 
funestes  que  le  démon  vous  a  tendus;  no 
fournissez  pas  à  vos  convoitises  de  quoi  se 
soulever  conlre  vous.  Ecoutez  la  voix  du 
pasteur  qui  vous  exhorte  et  vous  sollicite, 
et  qui  aime  mieux  devoir  votre  obéissance 
à  ses  charitables  conseils  qu'aux  censures 
que  l'Eglise  lui  a  mises  en  main.  » 

De  theatro  oratio,  discours  sur  les  specta- 
cles, prononcé,  Iel3mars1733,  parleP.Porée. 

Ce  célèbre  rhéteur  y  discute  cette  ques- 
tion :  Si  le  théâtre  peut  être  une  école  capable 
de  former  les  mœurs.  L'orateur  élait  par 
état  client  de  Melpomène  et  de  ïhalie  qu'il 
avait  cultivées  avec  succès,  et  il  était  chargé 
de  les  faire  connaître  aux  jeunes  gens  qu'il 
avait  pour  disciples  :  il  ne  traita  pas  la  cause 
avec  la  gravité  du  théologien,  ni  môme  du 
philosophe;  mais  il  n'oublia  pas  qu'il  était 
citoyen,  puisqu'on  doit  toujours  l'être,  cujus 
mania  ubique  servare  decel,  ni   qu'il   était 


(495)  Dialogue  sur  les  spectacles,  imprimé  sous  le  litre  d'Amsterdam,  l""v2. 


I0C3 


DX'lïO.NNAIRE   DES  MYSTERES 


1061 


chrétien,  parce  qu'on  ne  doit  jamais  en  ou- 
blier les  devoirs,  cujus  officia  nunquam  licet 
deserere.  Il  prit  donc  le  parti  de  démontrer 
que  le  théâtre  par  sa  nature  pourrait  être 
une  école  capable  de  former  les  mœurs, 
mais  qu'il  ne  l'est  point  par  notre  faute. 
Theatrum  schola  informandis  moribus  idonea 
natura  sua  esse  potest,  sed  culpa  nostra  non 
tst.  Cette  cause  est  traitée  avec  tant  d'art 
par  cet  orateur,  qu'en  sauvant  l'honneur  de 
Melpomène  et  deThalie,  il  fait  sentir  que  le 
mauvais  goût  des  spectateurs,  la  faiblesse 
que  les  auteurs  ont  de  s'y  prêter,  et  la  cor- 
ruption des  acteurs ,  feront  toujours  du 
théâtre  l'école  la  plus  pernicieuse.  Et  il  est 
évident  que  s'il  avait  eu  à  parler  en  théolo- 
gien, en  censeur  ou  en  philosophe,  il  aurait 
conclu,  non  pour  la  réforme,  mais  pour  la 
destruction  de  nos  spectacles  dramatiques. 
On  peut  en  juger  par  cette  dernière  phrase 
de  sa  harangue:  «  S'il  est  vrai,  dit-il,  qu'il 
faille  tolérer  des  théâtres  dans  des  empires 
chrétiens,  rendez  donc  ces  spectacles  dignes 
du  citoyen,  de  l'honnête  homme  et  du  chré- 
tien. Si  quod  in  republica  christiana  haben- 
dum  est  Ihealri  speclaculum,  illud  et  bono 
cive  et  hotnine  chrisliano  dignum  habeamus.  » 
Ainsi  les  défenseurs  des  théâtres  ne  peuvent 
citer  en  leur  faveur  ce  discours  du  P.  Porée. 

Le  danger  des  spectacles,  ode  de  M.  Ar- 
cère,  qui  remporta  le  prix  de  poésie  en  l'an- 
née 1748,  à  l'Académie  des  Jeux-Floraux  de 
Toulouse. 

Triumpho  sagrado  de  la  concicncia,  c'est- 
à-dire,  le  Triomphe  sacré  de  la  conscience, 
par  D.  Kamire;  à  Salanianque,  1751,  1  vol. 
in -4°. 

Le  P.  Berlhier  était  surpris  de  ce  qu'on 
n'avait  pas  traduit  en  français  cet  excellent 
ouvrage  espagnol.  C'est  pour  y  suppléer  que 
cet  estimable  journaliste  en  donna,  dans  le 
Journal  de  Trévoux,  du  mois  d'avril  1753, 
un  ample  extrait,  terminé  par  une  anecdote 
qui  fait  l'éloge  le  plus  complet  du  livre  de 
D.  Ramire.  On  a  cru  devoir  donner  ici  une 
partie  de  cet  extrait. 

Ce  traité  de  D.  Ramire  est  une  réponse  à 
trois  questions  qui  font  tout  le  plan  de  son 
ouvrage.  1°  Dans  le  spectacle  dramatique, 
qu'y  a-t-il  de  licite?  2°  Peut-on  l'autoriser? 
Quelle  confiance  peut-on  prendre  dans  les 
sophismes  des  apologistes  des  Uiéâtres? 

Pour  prouver  que  Us  jeux  scéniques  ne 
sont  pas  aussi  innocents  que  le  prétendent 
leurs  défenseurs,  D.  Ramire  remonte  à  leur 
origine  :  ce  qu'il  en  dit  est  trop  connu  pour 
nous  y  arrêter.  Passons  aux  accidents  qui 
en  font  le  vice  et  le  crime  :  1°  Le  concours 
des  assistants.  Ce  no  sont  pas  les  sages  qui  y 
font  la  foule,  c'est  tout  ce  qu'il  v  a  de  plus 
vain,  de  plus  frivole,  de  plus  oisif,  de  plus 
libre  dans  les  deux  sexes.  Est-ce  là  une  as- 
semblée où  l'on  puisse  se  confondre  sans 
scrupule  et  sans  péril  ?  N'est-ce  pas  plutôt 
un  théâtre  où  la  vanité  et  la  galanterie  éta- 
lent le  luxe  des  modes  profanes,  et  dé- 
ploient les  ressorts  de  la  coquetterie  mon- 
daine? Point  de  riche  taille,  point  du  jeunes 
attraits,  qui  n'y  viennent  mesurer  ou  mon- 


trer leurs  av-«.nlages  avec  une  complaisance 
de  mauvais  .lugure.  —  2°  Les  acteurs  et  les 
actrices.  —  Leur  vertu  n'est  rien  moins  que 
rigide.  Leur  parure  n'est  guère  plus  hon- 
nête que  leur  intention.  Leur  air  n'annonce 
que  trop  leur  caractère  et  leur  profession. — 
3°  Le  sujet.  —  C'est  toujours  quelque  intri- 
gue galante  ou  honteuse.  Tout  y  tend  à  la 
séduction:  messages  secrets,  billets  furtifs, 
présents,  etc.  Rien  n'est  oublié  pour  trom- 
per la  vigilance  des  époux,  des  mères  et  des 
domestiques.  —  '*"  La  représentation.  —  Sur 
la  scène  on  ne  parle  que  de  prison,  de  chaî- 
nes, de  captivité',  on  ne  vit  que  de  soupirs 
et  de  larmes  ;  le  soleil,  les  astres,  les  fleurs 
les  plus  brillantes  fournissent  à  peine  des 
métaphores  assez  nobles  ;  on  divinise  son 
objet  pour  l'adorer,  on  encense  ses  autels 
et  on  s'immole  dans  son  temple;  envie,  ja- 
lousie, soupçons,  haine,  vengeance,  dépil, 
rage,  fureur,  désespoir,  etc.  En  un  mot, 
toutes  les  passions  s'emparent  du  théâtre. 
Pour  se  peindre,  elles  empruntent  des  cou- 
leurs allégoriques;  à  l'ombre  des  allusions 
ingénieuses,  sous  le  voile  des  équivoques 
fines,  elles  exhalent  une  contagion  pestilente, 
elles  canonisent  jusqu'à  leurs  déseriies. 
Ycnena  non  dantur,  nisi  melle  circumlita,  et 
vitianon  decipiunt  nisi  sub  specie,  umbraque 
virtutum,  dit  saint  Jérôme. 

D.  Ramire  peint  et  déplore  ces  scandales 
et  leurs  ravages  avec  les  couleurs  et  les  lar- 
mes de  tous  les  saints  Pères  :  son  zèle, 
comme  le  leur,  se  fonde  sur  l'Ecriture,  qui 
nous  ordonne  de  fermer  les  yeux  dès  qu'une 
femme  folâtre  paraît,  de  peur  de  tomber 
dans  ses  filets;  et  qui  nous  avertit  que  les 
artifices  d'une  actrice  ou  d'une  danseuse 
sont  encore  plus  puissants  pour  nous  per- 
dre :  Ne  respicias  millier em  multivolam,  ne 
forte  incidas  in  laqueum  illius.  Cumsaltatrice 
ne  assiduus  sis,  vel  audias  illam,  ne  perças  m 
efficacia  ejus.  (Eccli.,  ix,  3.)  D.  Ramire. 
après  avoir  prouvé  sa  thèse,  se  propose  des 
objections  et  les  résout.  La  première  avec 
sa  solution  est  tirée  de  saint  Chrysostome. 

Les  partisans  des  spectacles  disaient  à  ce 
Père  :  Nous  y  assistons  sans  en  recevoir  au- 
cune impression  :  Spectamus  quidem  sed  nil 
movemur.  Ahl  reprenait  le  saint  docteur, 
vous  croyez-vous  donc  invulnérable  :  Et  tu 
putas  non  posse  lœdi?  Etes-vous  donc  un 
rocher?  Nunquid  lapideus  es?  Quoi!  les 
grottes  de  la  Thébaïde  n'ont  pas  toujours 
été  pour  l'innocence  des  asiles  inviolables  ; 
et  vous,  au  sein  de  la  jouissance  théâtrale, 
vous  seriez  inaccessible  à  la  tentation,  ou 
impénétrable  à  celte  vapeur  empoisonnéu 
qui  s'exhale  de  la  scène? 

Mais  ce  n'est  pas  à  mauvaise  intention 
qu'on  va  aux  spectacles;  on  n'y  cherche 
qu'une  honnête  récréation.— Pour  montrer  la 
fausseté  de  cette  excuse,  D.  Ramire  se  sert 
des  moyens  et  des  raisons  les  plus  sensi- 
bles. Retranchons,  dit-il,  du  spectacle  tout 
ce  qui  en  fait  le  péri I ,  aura-t-ii  alor^  les 
mêmes  charmes  pour  récréer?  Si  les  dames 
n'y  trouvaient  que  des  acteurs  et  des  specta- 
teurs  de  leur  sexe,  auraient-elles  le  même 


-1065 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1066 


empressement  à  s'y  rendre  (496),  ete.  ?  Pour 
•ne  prendre  qu'un  honnête  délassement  à 
une  scène  dont  le  jeu  réunit  tant  d'objets  si 
capables  de  faire  des  impressions  contraires 
•à  l'honnêteté,  quelle  violence  ne  faut -il  pas 
.•faire  à  ses  sens  el  à  son  imagination!  Qu>  1 
■plaisir  peut-on  donc  trouver  à  se  contrain- 
dre si  fortement? 

On  a  beau  dire  qu'on  en  sort  sans  bles- 
sure, on  ne  le  persuadera  jamais  a  saint  Jé- 
rôme, qui  proleste  qu'il  n'ajoute  point  foi  à 
quiconque  se  vante  de  n'avoir  point  été 
ïblessé  de  ces  spectacles  :  Se  nulli  crederc 
viro,  si  dicat  se  illœsum  evasisse  a  spectacu- 
lis  talium.  Dès  qu'il  s'agit,  dit  saint  Cyprien, 
de  pedre  quelque  chose  des  intérêts  et  des 
plaisirs  du  siècle,  quelque  ignorant  qu'on 
soit,  on  est  toujours  assez  habile  à  trouver 
•des  raisons  et  des  arguments  pour  s'en  dé- 
fendre :  Quam  sapiens  arqumrnlatrix  igno- 
ratifia  humana,  cum  aliquid  ejusmodi  de  gau- 
diis  et  fructibus  sœculi  meruit  amittere. 
■iVt'tullicn  va  plus  loin  :«  Quelque  gracieux, 
-dit-il ,  quelque  simples,  quelque  honnêtes 
que  paraissent  ces  accords,  ces  jeux  de 
théâtre,  les  impressions  agréables  qui  en 
dérivent  ne  sont  que  les  goulles  d'un  miel 
qui  coule  d'une  liqueur  empoisonnée  :  Sint 
dulcia  licet  et  grata  et  simplicia,  et  eliam  ho- 
nesîa,  seu  sonora,  seu  canora,  seu  subtilia, 
perinde  habe  ut  stillicidia  mellis  de  tibaculo 
nenenato.  » 

Nous  ne  croyons  pas  que  la  plupart  des 
Chrétiens  assidus  aux  spectacles  puissent 
lire,  sans  se  sentir  troublés  et  alarmés,  tout 
•ce  qu'un  zèle  éclairé  et  véhément  dicte  à 
notre  auteur  espagnol  conire  leur  fausse 
sécurité.  L'Ecriture  et  les  Pères  lui  fournis- 
sent toujours  ses  couleurs  les  plus  vives  et 
ses  traits  les  plus  pathétiques  :  il  emprunte 
jusqu'au  langage  des  païens  pour  faire  sen- 
tir le  danger  aux  Chrétiens  qui  s'y  exposent. 
Le  théâtre,  leur  dit-il, est  un  champ  pe;ûde; 
pour  être  douces,  les  blessures  qu'on  y  re- 
çoit n'en  sont  pas  moins  meurtrières,  per- 
tiicies  delicala,  etc.  La  vue  en  eût-elle  été 
innocente,  le  souvenir  ne  le  sera  pas.  Quel 
désordre  ne  porte  pas  dans  une  ville  l'arri- 
vée et  le  séjour  d'une  troupe  de  comédiens! 
On  en  trouve  ici  de  vives  peintures  tracées 
d'après  les  plus  graves  auteurs.  On  ne  re- 
vient point  du  spectacle  comme  on  y  était 
allé;  l'innocence  n'en  sort  point  sans  tache, 
ni  le  vice  sans  crime  :  quos  attulisti  mores, 
nunqwtm  réfères,  etc.  {Cet.  Rod.,  1.  vin , 
c.  7.) 

Après  avoir  fait  éclater  son  zèle  en  orateur 
Chrétien,  notre  auteur  reprend  le  ton  d'un 
profond  moraliste  et  examine  encore  de 
plus  près  la  nature  des  spectacles  :  il  re- 
cueille, sur  celte  matière,  les  définition  des 
docteurs  les  moins  accusés  de  rigorisme  et 
îlen  conclut  que,  si  l'on  ouvrait  une  école 
dont  l'affiche  annonçât  les  leçons  qu'on 
donne  et  qu'on  prend  au  théâtre,  tous  les 
magistrats   et  tous  les  citoyens,  jaloux  des 

(496)  Si  fueran  (aies  las  companias,  que  solo  hu- 
biera  farsas  de  mugeres ,  para  solas  mugeres  sin  que 

Diction .  des  Mystères. 


mœurs  publiques,  s'uniraient  pour  la  fermer 
et  pour  en  proscrire  les  maîtres  pernicieux. 
L'Evangile  et  le  théâtre  opposés,  leurs 
maximes  contraires  forment  ici  un  con- 
traste frappant,  dont  l'auteur  profite  pour 
rappeler  aux  Chrétiens  la  sainteté  de  leur 
profession  et  surtout  l'obligation  où  sont 
les  pères  et  mères  d'instruire  leurs  enfants 
dans  la  foi,  de  les  former  a  la  piété,  de 
veiller  sur  leur  innocence  et  d'eu  écarter 
tout  ce  qui  peut  la  séduire  et  la  corrompre, 
soit  en  affaiblissant  les  attraits  vertueux  par 
le  ridicule  qu'on  y  attache,  soit  en  fortifiant 
les  penchants  vicieux  par  l'honneur  qu'on 
en  lire.  Conduire  ses  (ils  et  ses  filles  aux 
spectacles,  c'est  les  conduire  aux  autels  des 
démons  et  les  y  immoler  :  lmmolaverunt 
fil ios  snos  et  (ilias  suas  dœmoniis. 

Les  défenseurs  des  spectacles  opposent  à 
leurs  adversaires  l'autorité  de  saint  Thomas 
et  de  quelques  autres  docteurs  très-respec- 
tables :  c'est  là  le  plus  fort  de  leurs  retran- 
chements. D.  Ramire  le  renverse  sans  peine, 
et  il  y  trouve  des  armes  dont  il  se  sert 
contre  ses  ennemis  avec  le  plus  grand  avan- 
tage. En  efl'et ,  ces  docteurs  n'ont  jamais 
permis  que  des  amusements  où  la  pudeur  et 
la  décence  chrétienne  ne  peuvent  rien  aper- 
cevoir qui  les  alarme  :  ils  onl  anathématisé 
tout  théâtre,  toute  assemblée  qui  pourrait 
donner  la  plus  légère  atteinte  aux  bonnes 
mœurs.  Leurs  lexles,  qu'on  nous  rapporte, 
sont  si  formels,  qu'on  ne  conçoit  pas  com- 
ment on  ose  les  citer  en  faveur  des  specta- 
cles. Ils  n'approuvent  donc  Vart  dramatique 
dans  son  essence  que  pour  le  réprouver  dans 
ses  productions. 

Ici  l'auteur  reprend  de  nouvelles  forces, 
il  se  met  à  la  tête  d'une  légion  innombrable 
de  docteurs  ;  il  s'arme  de  canons  et  de  lois, 
de  décrets  pontificaux  et  d'écrits  impériaux; 
il  s'en  sert  pour  foudroyer  les  partisans  des 
spectacles.  A  la  vue  de  tant  de  décisions,  de 
censures  et  d'anathèmes  contre  les  théâtres, 
on  ne  peut  s'empêcher  de  gémir  sur  l'endur- 
cissement ou  l'aveuglement  des  Chrétiens 
qui  les  fréquentent. 

Pour  rendre  ces  autorités  aussi  efficaces 
que  convaincantes,  D.  Ramire  y  joint  encore 
de  ces  grands  traits  d'éloquence  qui  ont 
signalé  le  zèle  des  Basile  et  des  Chrysos- 
toiue.  C'est,  nous  disent-ils,  c'est  du  théâtre 
que  la  volupté  assiège  tous  les  sens  du  corps 
et  toutes  les  facultés  de  l'âme.  De  là,  elle 
souffle  la  licence  parmi  la  jeunesse  ,  elle 
réveille  l'impudicité  dans  la  vieillesse,  elle 
jotte  le  trouble  dans  les  maisons,  elle  sème 
l'opprobre  dans  les  familles.  De  là  tant  de 
séductions,  d'adultères,  de  divorces,  de 
brigandages,  de  larcins,  de  dépenses  rui- 
neuses, etc. 

Mais  après  tout,  dit-on,  si  le  désordre  et 
le  scandale  étaient  aussi  énormes  que  D. 
Ramire  le  prétend, comment  les  tolère-t-on? 
Comment  ont-ils  passé  en  coutume  ?  Com- 
ment des  ecclésiastiques  osent-ils  y  paraître? 

se  permutera  en  ellas  la  meicla  de  esfos  dos  sexos, 
etc. 

34 


1067 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1068 


A  cela  il  répond  :  1°  Que  ces  ecclésiastiques 
en  sont  plus  coupables,  et  que  les  specta- 
cles n'en  sont  pas  plus  innocents.  Il  ne 
craint  point  d'avancer  que  ces  abbés  qui 
suivent  les  spectacles  n'ont  pas  les  vertus 
que  leur  état  exige.  2"  Quant  à  la  tolérance , 
il  avertit  qu'elle  ne  rend  pas  licite  la  chose 
tolérée,  qu'elle  n'ôte  pas,  aux  raisons  tirées 
de  la  règle  des  mœurs  et  de  l'Evangile,  la 
force  qu'on  ne  peut  y  méconnaître  quand 
on  est  de  bonne  foi.  3°  Pour  la  coutume,  il 
dit  que  dans  le  monde,  elle  prévaut  souvent 
sur  les  préceptes  de  Jésus-Christ  et  que  c'est 
ce  qui  en  fait  une  excuse  si  faible  et  si  peu 
recevable.  Toute  cette  doctrine  est  ici  soli- 
dement et  formellement  appuyée  sur  l'au- 
torité des  Pères,  des  docteurs  et  des  con- 
ciles. 

Mais  n'est-ce  pas  aux  vices  que  le  théâtre 
fait  la  guerre?  On  répond  que  les  comédiens 
n'en  sont  pas  assez  exempts  pour  les  cor- 
riger. Ce  ne  sont  pas  de  pareils  organes  qui 
doivent  nous  prêcher  la  justice.  Jamais  ils 
n'ont  converti  personne;  combien  en  out- 
ils perverti  ?  Dans  les  sujets  les  plus  édi- 
fiants, dans  leurs  scènes  les  plus  religieuses, 
le  pécheur  s'attendrit  sans  se  repentir;  on 
sent  le  plaisir  de  la  compassion  sans  sentir 
l'amertume  delà  componction;  ce  n'est  pas 
une  pluie  qui  tombe  du  ciel,  c'est  une  rosée 
qui  s'élève  de  la  terre;  elle  ne  nourrit  que 
des  feuilles  maudit<*s;  à  l'ombre  de  l'arbre 
qu'elle  rafraîchit,  le  vice  s'engraisse  et  la 
vertu  se  dessèche. 

Sans  ncus  arrêter  avec  D.  Ramire  à  dé- 
truire les  autres  prétextes  qu  emploient  les 
partisans  des  spectacles,  [tassons  à  la  se- 
conde question:  Peut-on  autoriser  les  théâ- 
tres? On  peut  aisément  deviner  la  réponse 
qu'y  fait  notre  auteur:  des  principes  qu'il 
vient  de  nous  exposer,  il  conclut  qu'on  ne 
peut  ni  permettre  ni  favoriser  aucun  spec- 
tacle indécent  :  qu'aucune  raison  de  bien, 
même  plus  grand,  ne  peut  l'autoriser,  et 
qu'on  est  obligé  de  s'y  opposer  de  tout  son 
pouvoir:  en  un  mot,  D.  Ramire  met  les 
spectacles  au  rang  des  poisons  dont  on  doit 
empêcher  le  débit.  Pour  persuader  le  lecteur, 
S'.n  zèle  joint  toujours  à  ses  exhortations 
la  même  abondance  Je  doctrine. 

L'auteur  entre  dans  la  troisième  question 
par  une  exposition  de  la  doctrine  qu'on  lui 
oppose  ;  savoir:  1°  que  dans  le  christianisme 
ces  jeux  scéniques  sont  un  plaisir  indillé- 
rent,  où  les  simples  ne  risquent  rien,  les 
sages  gagnent  et  les  fous  sont  les  seuls  à 
perdre;  2°  qu'ils  sont  nécessaires  comme 
un  remède  contre  l'oisiveté  de  la  jeunesse 
et  ses  dangers.  Des  principes  si  relâchés 
forment  une  trop  faible  défense  pour  ré- 
sister à  la  force  des  raisons  et  des  grandes 
maximes  que  leur  oppose  D.  Ramire;  il  y 
ajoute  une  réflexion  dont  la  vérité  et  la 
simplicité  do. vent  frapper  ses  adversaires: 
c'est  qu'en  plaidant  pour  les  spectacles,  ils 
en|  montrent  le  danger;  leur  langage  favo- 
rise trop   les  passions  pour   ne   pas   trahir 


leur  cause  :  le  spectacle  est  pour  la  jeu- 
nesse ce  qu'est  un  peu  d'eau  pour  un  bra- 
sier ardent,  elle  ne  susj  end  d'abord  l'ac- 
tivité du  feu  que  pour  la  rendre  bientôt  plus 
vive. 

Mais  enfin,  dit-on,  les  Pères  n'ont  éclaté 
avec  tant  de  force  contre  les  spectacles  qu'à, 
cause  de  l'idolâtrie  et  de  l'obscénité  qui 
régnaient  alors  sur  le  théâtre  :  or,  entre 
ces  spectacles  et  les  nôtres,  il  y  a  autant 
d'opposition  qu'entre  le  jour  et  la  nuit.  Si 
nos  drames,  réplique  D.  Ramire,  étaient 
aussi  dévots  que  les  Méditations  de  saint 
Bernard,  ou  aussi  apostoliques  que  les 
Sermons  de  saint  Vincent  Ferrier,  on  n'en 
parlerait  pas  plus  avantageusement.  En- 
suite, il  prouve  que  la  plupart  des  anciens 
anathèmes  lancés  contre  les  spectacles  por- 
tent sur  des  raisons  communes  et  transcen- 
dantes, qui  sont  que  tout  le  drame  est  une 
occasion  de  chute  et  une  école  de  liberti- 
nage, et  il  soutient  avec  Lactance  que  i'élé- 
ganceet  la  politesse  qui  régnent  aujourd'hui 
sur  les  théâtres  ne  font  que  rendre  plus 
aigus  et  plus  pénétrants  les  traits  qu'on  y 
enfonce  dans  l'âme  des  spectateurs. 

Enfin,  dit  le  P.  Berthier  en  terminant  cet 
Extrait,  on  nous  assure  que  cet  ouvrage  de 
D.  Ramire  a  suffi  pour  engager  les  magis- 
trats de  Burgos  à  abattre  le  beau  théâtre 
de  leur  ville,  qui  avait  coûté  vingt  mille 
ducats. 

Essai  sur  lacomédie  moderne;  Paris,  1752. 

On  y  réfute  les  nouvelles  Observations  do 
Fagan  au  sujet  des  condamnations  pronon- 
cées contre  les  comédiens. 

Danielis  Concina,  ordinis  Prcedicato- 
rum,  Collectio  dissertationumde  spectaculis ; 
1752. 

Ce  fut  le  Pape  Benoît  XIV  qui  engagea  ce 
religieux  à  composer  cet  ouvrage. 

Vert  senlimenti  di  San  Carlo  Borromeo 
inlorno  al  teatro  tratti  dalle  sue  Leltere;  in 
Roma,  1753. 

S.  Caboli  RorromjEi,  arehiepiscopi  Medio- 
lanensis,  Opusculum  de  choreis  et  spectaculis 
in  festis  diebus  non  exkibcndis.  Accedit  Cul- 
lectio  selectarum  'sententiarwn  cjnsdem  ad- 
versus  cfioreas  et  spectacula  ex  ejus  slalulis, 
ediclis ,  institutionibus  ,  homiliis  ;  Romœ, 
1753. 

Consultazione  theologico-tnorale  se  chi  in- 
terviene per  nécessita  ai  teatri  publici  vi  possa 
intervenire  legittimameitte;  in    Roma,   175V. 

Lo  Speccfuo  del  disinganno ,  aulore  Zuc- 
chiiso  Stefani. 

Ce  traité  de  morale,  dit  l'abbé  Ri- 
chard (V97) ,  dévoile  avec  une  hardiesse 
étonnante  tous  les  dangers  des  spectacles 
pour  les  mœurs.  On  y  condamne  les  plaisirs 
qui  sont  en  usage  à  Rome  dans  le  temps 
du  carnaval,  de  même  que  les  Festini  et 
les  villégiatures,  et  les  autres  passe-temps 
scandaleux  de  la  noblesse  et  du  peuple  de 
Rome. 

Veri  senlimenti  di   S.  Francesco   di  Sales 


(497)  Description  de  l'Italie,  lom.  V. 


m»  NOTICE  SUR  LE 

vescovo  di  Genevra  intorno  al  teatro  ;  in 
Roma,  1755. 

Veri  senlimenli  di  S.  Philip po  Neri  intorno 
al  teatro  ;  in  Roma,  1755. 

Ces  sept  derniers  ouvrages,  imprimés  à 
Rome,  prouvent  1°  que  c'est  sans  aucun 
fondement,  comme  on  le  verra  dans  la  se- 
conde Lettre  de  Desprez  de  Boissy  sur  les 
spectacles,  qu'on  s'autorise  de  saint  Charles 
Borromée  etdesaint  François  de  Sales  pour 
justifier  les  théâtres  publics  ;  2°  que  si  des 
personnages  illustres  par  leur  piélé  et  par 
Jour  doctrine,  et  même  canonisés  par  l'Eglise, 
ont  paru  être  moins  sévères  sur  quelques 
abus,  ils  ont  h  cet  égard  plus  besoin  (J'excuse 
que  d'apologie;  ce  sont  des  fautes  qui  auront 
été  couvertes  par  l'abondance  de  leur  cha- 
rité, nœvus  qitem  tegebant  ubera  charilalis. 
On  sait,  dit  Benoît  XIV,  que  la  canonisa- 
Lion,  en  établissant  1 3  culte  des  saints,  n'ôte 
pas  la  liberté  de  condamner  avec  la  prudence 
convenable,  ce  qui  leur  serait  échappé  de 
réjiréliens  ble.  Servi  Dci  doctrina  débita  cum 
reverenlia  polest  élira  ullam  temeritatis  no- 
tam  impugnari,  si  modesta  impugnatio  bonis 
rationibus  innixa  sit ,  etiam  postquam  Dei 
servus  qui  scripsil  inter  beatos  a  ut  sanctos 
fuerit  relatus ab  humano  guident  exem- 
ptas est  judicio,  ne  de  gloria  ejus  dubitemus, 
sed  non  ut  minus  de  ejus  dtetis  dispute- 
mu  s  (498).  3°  Enfin,  ces  écrits  manifestent 
qu'on  connaît  à  Bonté  les  dangers  des  spec- 
tacles, et  (pièces  sortes  de  divertissements 
y  sont  condamnés  in  foro  conscientiœ,  quoi- 
que, par  considération  pour  la  tranquillité 
publique  et  propter  durit iam  cordis,  on  les 
tolère  dans  un  temps  d ••  l'année,  minoribus 
id  guod  majus  est  émeutes  quietem  et  securi- 
tatem,  comme  on  le  verra  dans  la  première 
Lettre  sur  les  spectacles  de  Boissy,  que  nous 
donnons  plus  loin. 

La  Description  de  l'Italie  que  M.  l'abbé 
Richard  a  donnée  au  public  en  J7G6  et  celle 
qui  a  paru  en  1769  (4:)9)  font  connaître 
«  que  je  peuple  de  Rome  a  un  goût  outré 
pour  tout  ce  qui  est  divertissement  et  spec- 
tacles. »  C'est  une  maladie  qui,  dans  celle 
ville,  a  ses  accès  périodiques,  et,  dans  cer- 
tains temps  de  l'année  comme  dans  le  car- 
naval, c'est  une  frénésie  épidémique. 

Ou  a  vu  les  Souverains  Pontifes  prendre 
souvent  des  moyens  pour  diminuer  les  scan- 
dales des  divertissements  pubics,  et  leur 
conduite  à  cet  égard  a  varié  suivant  leur 
manière  de  spéculer  en  politique.  Les  uns 
avec  les  mêmes  intentions  ont  alternative- 
ment rétabli  ce  que  d'autres  avaient  hasardé 
de  supprimer,  lin  voici  un  exemple  re- 
mar  uable  : 

«  Clément  XIII  avait  fait  fermer  le  théâtre 
Aliberti  et  il  avait  supprimé  les  Feslini  ou 
assemblées  de  danses  qui  étaient  de  cou- 

(408)  De  servomm  Dei  beatificalione,  auclore  Sttmmo 
Pomifice  Benedieto  XI  V. 

(499)  Ces  deux  bonnes  descriptions,  dont  une  er, 
6  volumes,  par  l'abbé  Richard,  el  l'attire  en  8  vol., 
par  Lalande,  doivent  faire  oublier  la  Description  in- 
iklelc  de  Misson. 

\500)  V.  le  t.  V  de  la  Descrip.  de  l'Italie,  par  Lalande. 


THEATRE  LIBRE 


Î07O 


tume  parmi  la  noblesse,  les  veillées  de  la 
place  Navonue,  et  même  le  carnaval  en 
1707  (500).  »  Clément  XIV  a  cru  devoir  en 
tolérer  le  rétablissement  pour  contenter  un 
peuple  à  qui  il  ne  faut  que  du  pain  et  des 
spectacles,  pancm  et  circens<>s.  Ce  ne  serait 
pas  rendre  justice  aux  lumières  et  aux  émi- 
nehtes  qualités  de  ce  Souverain  Pontife,  si 
l'on  n'attribuait  pas  à  des  vues  qu'il  croiyat 
être  <le  prudence  les  irrégularités  morales  que 
son  gouvernement  civil  pourrait  présenter 
sur  quelques  objets.  L'avantage  qu'on  pré- 
tend pouvoir  tirer  de  ces  irrégularités  est 
souvent  cause  qu'on  s'empresse  à  les  Caire 
annoncer  dans  les  gazelles,  quelquefois  in- 
fidèlement et  presque  toujours  sa.is  en  ex- 
poser les  motifs  et  les  circonstances  qui  en 
diminueraient  les  mauvaises  impressions; 
mais  les  gens  ii  struits  et  bien  intentionnés 
savent  y  suppléer. 

Ils  considèrent  qu'un  pays  qui  change  si 
souvent  de  maître  est  moins  susceptible 
d'un  gou7ernement  uniforme  et  nerveux. 
Eu  ellet,  comme  l'observe  Lalande  (501),  «  on 
voit  à  Rome  chaque  nouveau  règne  y  ,ime- 
ner  de  nouveaux  principes  et  un  nouveau 
plan  de  conduite.  Chaque  Pape  tAche  tou- 
jours d'éviter  les  excès  qui  ont  dép  u  dans 
son  prédécesseur.  Mais  il  ne  peut  guère  évi- 
ter de  tomber  dans  quelques  autres.  » 

Au  reste,  Clément  XiVa  manifesté  à  toute 
l'Eglise  qu'il  donnait  toute  l'étendue  de  la 
charge  du  suprême  apostolat  qui  lui  a  été 
imposé.  Sa  lettre  circulaire  du  12  décembre 
1769  (502)  à  tous  les  évoques  à  l'occasion  de 
son  élévation  sur  le  Stfint-Siége  donna  les 
plus  grandes  espérances  sur  son  gouverne- 
ment. Les  avis  <pie  Sa  Sainteté  y  donne  aux 
prélats  supposent  son  zèle  h  s'occuper  du 
soin  d'éloigner  du  peuple  chrétien  toute  con- 
tagion du  mal,  toute  séduction  d'erreur.  C'est 
à  l'Ecriture  sainte  et  à  la  tradition  que  le 
saint  Père  veut  que  l'on  puise  tout  ce  qu'on 
doit  croire  et  tout  ce  qu'on  doit  pratiquer, 
«  parce  que,  dit-il,  c'est  dans  ce  double  dé- 
pôt également  sûr  et  fidèle  qu'est  renfermé 
tout  ce  qui  concerne  le  culte  de  la  religion. 
la  discipline  des  mœurs,  la  manière  de  bien 
vivre  et  qu'on  y  apprend  nos  sublimes  mys- 
tères, les  devoirs  de  la  piété,  de  la  justice 
et  de  l'humanité.  » 

Or,  en  nous  envoyant  à  cette  école,  c'est 
nous  défendre  implicitement  de  nous  auto- 
riser de  quelques  tolérances  qu'arrache  la 
corruption  d'une  multitude  aveugle  et  eifré- 
née;  «  puisque,  comme  l'a  dit  un  ancien, 
rien  ne  peut  prescrire  contre  la  vérité  de  la 
doctrine  évangélique,  ni  la  longueur  du 
temps  et  la  succession  des  années,  ni  |a  qua- 
lité des  personnes  qui  autoriseraient  certa  ns 
abus,  ni  les  privilèges  d'aucun  pays  (503).  » 

(501)  Dans  le  tom.  V  du  Voyage  d'un  Français  en 
Italie;  Paris,  1709. 

(502)  Elle  a  nie  traduite  en  français  et  imprimée. 

(503)  i  Verlali  nemo  prescrit  ère  polest,  non 
spalium  lempormn,  non  palrocinia  persoitarttm,  no;i 
privilégia  regionuiii.  »   (Tektul.)  —  «  Ectlesia  Dei 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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On  ne  peut  refuser  d'attribuer  cette  inten- 
tion à  Clément  XIV  qui  a  si  souvent  dé- 
claré vouloir  employer  tout  ce  qu'il  a  d'ac- 
tivité, de  lumière,  de  force  et  d'autorité  pour 
opposer  une  digue  au  torrent  de  l'impiété  et 
de  l'erreur. 

Ce  Souverain  Pontife  a  donné  une  nouvelle 
preuve  de  son  zèle  actif  et  lumineux  en 
adressant  au  roi  de  France,  un  bref  daté  du 
21  mars  1770  pour  engager  ha  Majesté  très- 
ehrétienne  a  seconder  les  prélats  de  son 
royaume  qui,  étant  assemblés  à  Paris,  en 
1770,  pour  les  affaires  générales  du  clergé 
de  France,  délibéi  èrent  entr'eux.  «  pour  (est- 
il  dit  dans  ce  bref,  traduit  en  français  et  im- 
primé) trouver  un  moyen  capable  d'arrêter 
et  de  repousser,  avec  le  secours  de  Dieu,  la 
contagion  de  ces  hommes  impies  qui  ne  rou- 
gissent pas  de  produire  chaque  jour  une 
foule  d'écrits,  monuments,  non  de  leur  sa- 
voir mais  de  leur  folie,  pour  détruire,  s'ils 
le  pouvaient,  jusqu'aux  premiers  principes 
des  bonnes  mœurs,  aux  fondements  de  la 
religion,  aux  droits  de  l'humanité  et  de  toute 
société,  et  pour  séduire  ces  âmes  simples  en 
leur  insinuant,  comme  par  une  espèce  de 
charme,  leurs  dogmes  pervers  et  corrom- 
pus. »  Il  semble,  en  effet,  que  nous  soyons 
revenus  aux  premiers  temps  du  christia- 
nisme, où  toutes  les  sectes  de  philosophie, 
sans  compter  le  polythéisme,  é  aient  liguées 
contre  lui.  Mais  alors  notre  religion  se  dé- 
fendait mieux  par  les  mœurs  de  tous  eux 
qui  la  professaient  que  par  tous  les  raison- 
nements humains.  «  Nous  penserons  tou- 
jours, dit  Querlon  (504),  que  la  sauvegarde 
la  plus  sûre  de  notre  religion  est  dans  sa 
pratique  môme  et  dans  les  mœurs  qu'elle 
a  formées.  » 

Essai  sur  la  comédie  moderne,  où  l'on  ré- 
fute   les   NOUVELLES    OBSERVATIONS  (le  M.  Fa- 

gan,  au  sujet  des  condamnations  prononcées 
contre  les  comédiens;  Paris,  1752.  iu-12. 

Fagan  est  convenu  dès  le  commencement 
de  ses  nouvelles  observations  (pie  toutes  les 
apologies  qui  avaient  paru  jusqu'alors  en 
faveur  de  la  comédie  étaient  assez  faibles. 
Comme  il  s'est  flatté  que  celle  qu'il  a  donnée 
est  la  plus  parfaite,  il  a  paru  convenable  de 
donner  un  extrait  un  peu  étendu  de  la  réfu- 
tation qui  en  a  été  faite-  On  va  commencer 
pardonner  le  résumé  que  Fagan  a  fait  lui- 
même  de  ses  nouvelles  observations  qui, 
de  son  aveu,  contiennent  tout  ce  cjue  l'on 
peut  dire  à  ce  sujet.  Et  ce  tout  se  réduit  aux 
trois  assertions  qui  suivent  :  1°  Que  les  rai- 
sons que  l'on  arapportées  jusqu'à  présent  pour 
prouver  que  la  comédie  condamnée  n'est  point 
celle  qui  existe  aujourd'hui  n'ont  point  été 
exposées  avec  assez  de  soin.  —  2U  Que  la  co- 
médie, telle  quelle  a  été  traitée  par  Molière, 
est  suffisamment  bonne  pour  les  mœurs.  — 
'S"  Que  les  désordres  que  ton  pourrait  repro- 
cher aux  personnes  du  théâtre  sont  indépen- 
dants de  leur  profession. 


Voilà  donc  une  apologie  annoncée  avec 
la  plus  grande  confiance.  Mais  qui  est-ce  qui 
n'est  point  prévenu  pour  sa  propre  cause? 
Fagan  est  un  poëte  dramatique,  ainsi  il  n'est 
pas  étonnant  qu'il  paraisse  sensible  auxana- 
thèmes  défavorables  à  un  art  pour  lequel  il 
a  des  talents  reconnus,  n'aurait-il  en  safiveur 
que  le  succès  de  sa  petite  pièce,  VHcureux 
retour  où.  il  a  si  bien  caractérisé  les  tendres 
et  légitimes  senlimen  s  des  Parisiens  péné- 
trés de  joie  en  revoyant  le  roi  que  la  mort 
avait  presque  enlevé  en  17i4,  et  que  le  ciel 
avait  rendu  aux  vœux  de  toute  la  nation? 

Néanmoins  quels  que  soient  les  talents 
dramatiques  de  Fagan,  peu t-i J  se  flatter  d'ê- 
tre plus  intéressé  à  la  cause  des  théâ  res  pu- 
blics que  ne  l'était  Jean  Racine?  Si  un  aussi 
célèbre  poëte  s'est  vu  forcé  de  l'abandonner 
après  en  avoir  été  l'honneur  et  le  défenseur, 
est-il  probable  que  Fagan  ait  mieux  vu  dans 
cette  même  cause  ?  C'est  ce  qui  lui  a  été  con- 
testé par  V Essai  sur  la  comédie  moderne, 
dont  on  va  donner  l'extrait,  en  suivant  pres- 
que toujours  sa  diction. 

Il  parait  que  l'auteur  n'a  pas  été  ébloui 
par  les  Observations  de  Fagan. 

«  Je  ne  suis,  dit-il  dans  sa  Préface,  ennemi 
déclaré  ni  de  la  comédie  ni  des  comédiens. 
Je  n'ai  point  pris  la  plume  précisément  pour 
attaquer  les  spectacles,  mais  les  nouvelles 
observations  de  M.  Fagan  ont  percé  jusqu'à 
moi;  il  m'a  paru  si  facile  de  les  réfuter  que 
je  l'ai  fait.  Voilà  tout.  Plus  une  apologie  est 
faible,  plus  la  critique  est  aisée.  Cela  n'est 
pont  brave;  mais  cela  est  commode.  » 

Tous  les  censeurs  du  théâtre  pourraient 
tenir  ce  dernier  propos.  Ils  n'ont  que  des 
sophismes  à  combattre,  et  ils  ont  les  meil- 
leures armes  à  leur  choix.  Mais  tous  ne  ma- 
nient pas  leurs  armes  avec  autant  de  dexté- 
rité et  de  succès  que  l'auteur  de  ['Essai  sur 
la  comédie  moderne. 

1°  Quoi  qu'en  dise  Fagan  qu'il  n'y  a  ja- 
mais eu  avant  lui  d'habiles  défenseurs  de 
la  comédie,  notre  écrivain  lui  rappelle  que 
les  requêtes  que  les  comédiens  de  France 
présentèrent  aux  Papes  Innocent  XII  et  Clé- 
ment X,  pour  se  plaindre  de  ce  que  les  con- 
fesseurs leur  avaient  refusé  les  sacrements 
aux  jubilés  de  1690  et  de  1701,  s'ils  ne  re- 
nonçaient à  leur  état,  contenaient  les  mêmes 
motifs  que  Fagan  a  employés  dans  ses  nou- 
velles Observations. 

On  y  disait  aussi  que  «  la  comédie,  con- 
damnée dans  les  derniers  siècles,  n'était  point 
celle  qui  existe  dans  celui-ci,  que  l'on  était 
en  droit  dès  lors  d'espérer  de  l'Egb'sc  l'ab- 
solution des  comédien,  et  que  les  motifs 
qui  ont  occasionné  les  respectables  déci- 
sions des  conciles  n'existaient  plus.  » 

Voilà  ce  que  ces  requêtes  disaient  et 
s'efforçaient  de  prouver  avec  tout  l'art  pos- 
sible. 

Pouvait-il  y  avoir  circonstance  où  ces 
moyens  de  défense  pussent  être  mieux  pe- 


inler  niuUam  palcani  mullaque  zizania   constilula,      (S.  Aucustinus,  ton).  II,  episl.  55,  adJanuar.) 
multa  lolerat,  el  tamen  qaae  suni  contra  fidem,  vel         (504)  Tienie-deu.vièuie  Feuille  hebdom,  des  prov.t 
bonum  viiam  non  approbai,  nec  lacet,  nec  facil.  >      de  l'année  1770. 


107$ 


NOTICE  SUR  LE 


ses?  Us  furent  examinés  dans  une  assemblée 
de  prélats  tenue  à  Rome  où  le  peuple  a  la 
plus  grande  fureur  pour  les  théâtres. 

Néanmoins  ces  requêtes  furent  rojetées 
par  les  Souverains  Pontifes;  et,  parée  refus, 
c'était  déclarer  qu'ils  condamnaient  ce  qu'ils 
se  voyaient  avec  peine  obligés  de  tolérer 
dans  leurs  Etats. 

Nous  rappellerons  ici  à  celte  occasion  que 
ce  futccntie  toute  vraisemblance  qu'on  ha- 
sarda d'annoncer  dans  la  Gazette  d'Amster- 
dam, du  25  février  1735  :  «  que  le  Pape,  à  la 
sollicitation  de  M.  le  duc  de  Saint-Aguan, 
ambassadeur  du  roi  de  France  à  Rome,  ve- 
nait d'accorder  un  bref  qui  relevait  de  toutes 
censures  ecclésiastiques  les  acteurs  de  la  co- 
médie et  de  l'Opéra,  leur  permettant  l'usage 
des  sacrements. 

Nous  avons  déjà  ci-devant  observé  que  les 
gazettes  étaient  toujours  très-suspectes  sur 
ces  sortes  de  bruits,  et  qu'elles  se  char- 
geaient de  toutes  nouvelles  vraies  ou  faus- 
ses ;  Tarn  dicli  pravique  tenax,  quair*  nuntia 
veri. 

Le  fait  que  la  Gazette  d'Amsterdam  an- 
nonça en  1735,  et  dont  il  est  ici  question, 
est  une  imposture  qu'on  attribua  avec  rai- 
son aux  ennemis  de  la  communion  romaine. 
Ils  auraient  en  eti'et  souhaité  avo  r  à  repro- 
cher au  Souverain  Pontife  un  bref  aussi 
scandaleux,  qui  d'ailleurs  n'aurait  pu  pres- 
crire contre  les  bonnes  règles. 

«  Les  communions  dissidentes  de  la  ro- 
maine, dit  M.  Grosley,  académicien  libre 
de  l'Académie  royale  des  inscriptions  et  bel- 
les-lettres, s'épuisent  en  clameurs  contre  la 
tolérance  des  Papes  à  l'égard  des  spectacles 
et  des  théâtres.  Elles  opposent  avec  complai- 
sance Genève  à  Rome;  mais  l'oisiveté  du 
peuple  et  des  grands  de  Rome  détruit  cette 
comparaison.  Rome  moderne,  Rome  chré- 
tienne a  conservé  tous  les  goûts  de  Rome 
païenne;  et  le  Roi-Pontife  auquel  elle  est 
aujourd'hui  soumise  ne  peut  ne  pas  tolérer 
ce  que  ne  purent  déraciner  les  Conslanlins, 
les  Théodoses  (505;.  » 

Dès  le  temps  du  célèbre  Laurent  de  Mé- 
dicis,  surnommé  le  Grand  et  le  Père  des 
Lettres,  moit  en  14-92  à  quarante-quatre  ans, 
Rome  était  si  décriée  par  la  corruption  des 
mœurs  qu'il  l'appelait  un  égout  de  tous  les 
vices.  Celte  expression  se  trouve  dans  une 
lettre,  qu'il  écrivit  à  son  jeune  fils  Jean, 
qui  fut  depuis  le  Pape  Léon  X  (506).  Il  y 
donne  à  ce  jeune  prince  les  meilleurs  con- 
seils pour  le  préserver  des  écueils  auxquels 
Je  séjour  qu'il  allait  faire  à  Rome  expose- 
rait ses  mœurs. 

Est-ce  donc  bien  justifier  les  théâtres, 
que  de  nous  citer  pour  exemple  ceux  de 
Rome?  Leur  établissement  y  a  été  comme 

(505)  Dans  1rs  Nouveaux  Mémoires  sur  l'Italie , 
imprimés  en  176i  en  3  vol.  in- 12. 

(5UG)  <  Conosco  che,  andaiido  voi  à  Roma ,  cite  l 
seutina  de  tutti  li  mali,  enlraie  in  magidor  dilïieolià 
di  tare  quanlo  vi  dico  di  soprà  à  conservarsi  nella 
gr.izia  di  Dio,  perche  non  solamcnle  gli  essenipi 
nniovono,  ma  non  vi  maneheranno  partieelari  inci- 
laionè  cwrullori.  i  Celte  lettre  est  imprimée  dans 


THEATRE  LIBRE.  10.71 

partout  ailleurs  le  fruit  de  la  corruption; 
et  h  proportion  de  la  fureur  avec  laquelle 
on  s'y  est  livré,  ils  ont  donné  lieu  à  de 
nouveaux  désordres.  Les  tempéraments 
mêmes  dont  ont  a  prétendu  user  pour  les 
concilier  avec  les  bonnes  mœurs  sont  d'au- 
tres scandales.  Tel  est  dans  la  plus  grande 
partie  de  l'Italie  J'usage  de  faire  représen- 
ter par  des  femmes  les  rôles  d'hommes.  Tel 
est  à  Rome  l'usage  de  faire  jouer  les  rôles 
de  femme  par  des  hommes  dégradés  par 
une  opération  inhumaine,  qu'un  empereur 
païen  ,  et  lequel  !  un  Domitien  avait  dé- 
fendue sous  les  plus  grandes  peines  (507). 

Mais  quels  que  soient  les  scandales  du 
peuple  de  Rome,  Grosley,  en  observateur 
éclairé  et  judicieux,  remarque  «  que  de  tout 
ce  qu'il  a  observé  et  recueilli,  il  ne  résulte 
rien  qui  puisse  justifier  les  injustes  préju- 
gés répandus  dans  certains  pays  contre  la 
régularité  de  mœurs  et  de  conduite  qui  ho- 
nore la  très-grande  partie  du  Sacré-Collège 
et  de  la  haute  prélature.  * 

Dès  que  la  corruption  est  devenue  si  gé- 
nérale et  si  impérieuse  qu'elle  fait  taire 
toutes  les  lois,  les  Souverains  P',ntifcs,  à 
l'exemple  de  saint  Charles  Borromée,  se 
sont  vus  obligés  de  réduire  leur  zèle  à  de- 
mander au  ciel  la  patience  pour  supporter, 
en  gémissant,  les  scandales  qu'ils  ne  peu- 
vent abolir, 

Ustos  zelo  domvs  tuœ, 
Da  mitlis  obsistere  : 
Queis  non  possumus  mederi 
Da  ferenles  getnere  (508). 

Mais  revenons  à  notre  auteur  de  VEssai 
sur  la  comédie  moderne.  Il  appréhendait  que 
sa  critique  ne  fûl  traitée  de  cagotisme  par 
Fagan.  C'est  pourquoi  il  a  jugé  à  propos  de 
se  caractériser.  «  Je  suis,  dit-il,  un  homme 
étranger,  pour  ainsi  dire,  à  la  piété,  sans 
vocation  décidée,  en  un  mot  un  homme  du 
monde.  Amateur  des  spectacles,  je  désire- 
rais peut-être  plus  que  qui  ce  soit  que  l'on 
pût  les  rendre  tels  qu'on  les  fréquentât  sans 
scrupule  et  qu'on  nous  les  procurât  sans 
rougir.  Dans  l'état  où  ils  sont  aujourd'hui, 
il  y  aurait  bien  du  chemin  à  faire.  » 

L'impiété,  dit-on,  la  grossièreté,  l'indé- 
cence n'y  régnent  plus  tant  :  a  Mais,  dit 
notre  écrivain,  le  danger  y  est  plus  grand. 
Cette  politesse,  cette  élévation  de  sentiments, 
ces  grandes  leçons  pour  les  mœurs,  sont  des 
fleurs  agréables  sous  lesquelles  le  serpent 
est  caché.  » 

11  est  bien  éloigné  de  croire  avec  Fagan, 
que  si  la  comédie  eût  toujours  été  telle  quelle 
est  aujourd'hui,  elle  ne  se  serait  pas  attiré 
les  censures  ecclésiastiques.  Et  en  le  suppo- 
sant pour  un  moment,  il  croit  que  s'il  était 
vrai  que  l'Eglise  n'eût  pas    alors  assez  de 

le  second  volume  des  Nouveaux  Mémoires  sur  l'Italie. 

(507)  <  Velerem  landare  jnv.it  Domiiianum,  qui. 
licet  pairi  fralrique  dissîmilis,  memoriam  nominis 
sui  inexpiabrfi  deieslalione  peiiudii,  tamen  receptis- 
sima  inclarnit  lege,  qua  minaciter  interdixerat  ne, 
inlra  icrminos  jinisdichonis  Romamc,  qiiisqnaiû 
pueriim  easlrarcl.   »  ( Amjiif.n  Marcem.in,  1  ï v.  xviii.) 

(508)  Dernière  strophe  de  la  prose  de  S.  Charles. 


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DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


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motifs  pour- lancer  l'analhème;  il  n'est  pas 
moins  certain  qu'elle  n'en  a  pas  assez  à 
présent  pour  le  retirer. 

2°  C'est  au  temps  de  Molière  que  Fagan, 
dans  sa  seconde  Observation,  soutient  que 
les  pièces  sont  devenues  suffisamment  bonnes 
pour  les  mœurs.  C'est  là,  selon  cet  apolo- 
giste, la  première  époque  d1  la  pureté  et 
de  l'utilité  de  la  comédie;  utilité  si  grande, 
quelle  compense  le  danger  quelle  pourrait 
causer. 

Mais,  répond  noire  critique  judicieux, 
que  l'on  jette  un  coup  d'œil  sur  le  théâtre 
de  Molière,  ce  grand  précepteur  des  mœurs. 
Depuis  la  première  de  ses  pièces  jusqu'à 
la  dernière,  on  ne  le  verra  combattre  ipie 
des  faiblesses  indifférentes,  des  ridicules, 
des  petits  riens,  qui  déparent  l'intérieur, 
sans  dégrader  et  altérer  le  fonds;  et  à 
cet  égard  il  entre  dans  le  détail  qui  suit  : 

«  Quelles  bonnes  leçons,  par  exemple, 
peuvent  donner  au  cœur:  «  L'Etourdi.  — Un 
jeune  homme  dont  l'indiscrétion  et  la  viva- 
cité retardent  le  succès  d'une  intrigue 
amoureuse  qui  l'intéresse  et  dont  un  va- 
let fourbe  a  la  direction. 

«  Le  Dépit  amoureux.  —  Deux  amants 
qui  se  brouillent  pour  un  mal  entendu,  afin 
de  se  procurer,  ainsi  qu'aux  spectateurs,  le 
plaisir  du  raccommodement 

«  Les  Précieuses  ridicules.  — Des  femmes 
romanesques,  qui  affectent  un  langage  à  la 
mode. 

«  Les  Femmes  savantes.  —  C'est-à-dire  des 
femmes  follement  entêtées  d'être  savantes 
et  de  le  paraître, 

«  L'Ecole  des  Maris,  les  Fâcheux,  V Avare, 
etc.  —  Des  vieillards  amoureux  ,  surveil- 
lants sévères,  incommodes,  intéressés. 

«  Le  Festin  de  Pierre.  —  Un  libertin  dé- 
cidé, dont  la  punition  théâtrale  ramène 
moins  à  la  vertu  que  sa  conduite  n'ins- 
pire le  vice  par  les  couleurs  qu'il  lui  prête. 

«  George  Dandin.—  Des  maris  scrupuleux 
ou  dupes  de  leur  simplicité  et  de  la  coquet- 
terie de  leurs  femmes. 

«  Le  Bourgeois  Gentilhomme.  —  Des  bour- 
geois copiant  ridiculement  Jesgens  de  qua- 
lité. 

«  Le  Médecin  malgré  lui.  — Une  querelle 
de  ménage  qui  produit  un  incident  plus 
fastidieux  que  comique. 

«  Amphitryon.  —  Une  fable  du  paganisme 
mise  en  action;  fable  qui  n'a  pour  objet  que 
l'intrigue  la  plus  licencieuse  et  la  passion 
la  plus  criminelle. 

«  Le  Misanthrope.  —  Une  espèce  de  phi- 
losophe, ou  pour  se  servir  des  termes  de 
Fagan,  un  faux  philosophe  rempli  de  lui- 
même,  qui  se  complaît  dans  le  mérite  sauvage 
de  délester  l'humanité ,  mais  qui  ne  la  dé- 
teste que  sur  de  vains  prétextes,  et  qui  ne 
reproche  à  son  siècle  que  des  défauts  super- 
ficiels, plus  intéressants  pour  la  société  que 
pour  les  mœurs. 

«  Le  Tartufe.  —  Un  fourbe,  dont  l'intrigue, 
les  maximes  et  les  démarches,  de  l'aveu 
même  des  sectateurs  de  Molière,  sont  dan- 
gereuses à  tous  égards.  » 


Voilà  un  tableau  des  pièces  de  Molière. 
«  Les  vices,  continue  notre  auieur,  n'y  sont 
jamais  peints  avec  des  couleurs  qui  les 
rendent  odieux  et  méprisables.  Les  tableaux 
y  sont  ménagés  de  façon  que  les  préceptes 
sont  un  badinage  qui  attire  plus  au  mal 
qu'il  n'en  éloigne;  et  on  y  répand  sur  les 
défauts  un  certaiu  ridicule  trop  plaisant 
pour  en  donner  de  l'horreur;  où  les  carac- 
tères y  sont  si  chargés  qu'ils  n  offrent  que 
des  vertus  au-dessus  de  la  force  humaine 
ou  des  vices  rares  à  trouver.  Or,  si  l'on  re- 
présente desdéfauts  qui  surpassent  de  beau- 
coup les  nôtres,  au  lieu  de  chercher  à  nous 
corriger,  nous  nous  applaudissons  de  ce  pré- 
tendu avantage.  » 

Nous  ajouterons  ici,  pour  fortifier  ce  que 
dit  notre  auteur,  le  sentiment  de  l'abbé  de 
Saint-Pierre,  qui,  en  politique,  voulait  que 
l'on  tolérât  les  théàres;  mais  il  ne  les  croyait 
pas  toi  érables  dans  le  prétendu  état  de  pu- 
reté dont  Fagan  se  contente.  On  trouve 
dans  le  second  tome  de  ses  OEuvres  diverses, 
qui  parurent  en  1730,  un  Projet  pour  la  ré- 
formation  du  théâtre.  Ce  projet  est  analogue 
à  ses  autres  idées,  que  le  cardinal  Dubois 
appelait  les  rêves  d'un  homme  de  bien.  Il 
voulait  en  effet  que  les  pièces  de  théâtre, 
soit  tragédies  soit  comédies,  ne  tendissent 
dans  toutes  leurs  parties  qu'à  inspirer  l'hor- 
reur «lu  vicp  et  l'amour  de  la  vertu  ;  et  pour 
rentrer  dans  notre  sujet,  voici  ce  qu'il  dit 
de  Molière  :  «  C'est  un  grand  peintre;  mais 
il  n'a  point  eu  assez  de  soin  de  peindre  tou- 
jours eu  estimable  ce  que  les  hommes 
avaient  d'estimable,  et  en  méprisab'e  ce 
qu'Ut  avaient  de  méprisable:  et  c'est  celle 
confusion  qu'il  a  laissée  dans  ses  peintures, 
qui  fait  que  ses  comédies  sont  plus  perni- 
cieuses qu'utiles  au  perfectionnement  des 
mœurs.  » 

Notre  auteur  de  YEssai  sur  la  comédie 
moderne  trouve  que  c'est  le  défaut,  non- 
seulement  des  comédies  de  Molière,  mais 
de  toutes  celles  qui  paraissent  journelle- 
ment sur  le  théâtre;  telles  que  celles  de  He- 
gnard,  qui  est  le  poêle  qui  a  le  mieux  imité 
Molière;  celles  de  Scarrou,  Mntilfleurv,  Ba- 
ron ,  Dancourt,  Poisson,  Dufresny,  Le- 
grand,  etc. 

Noire  critique  convient  que  les  pièces  de 
La  Chaussée,  citées  par  Fagan  pour  un  mo- 
dèleront, sans  contredit,  les  moins  impures  : 
«  Mais,  ajoute-l-il,  en  est-il  une  seule  dont 
l'amour  ne  soit  le  mobile  et  où  il  ne  soit 
point  caractérisé  avec  des  traits  et  des  dé- 
tails d'autant  plus  dangereux  qu'ils  sont 
mieux  ménagés?  Tout  y  est  si  tendre  et  si 
touchant  que  le  cœur  est  affecté  dès  les  pre- 
mières scènes.  L'intérêt  qu'on  y  prend  est 
si  vif  qu'il  peut  être  très-funeste,  et  qu'elles 
perdent  par  là  l'avantage  qu'elles  auraient 
sur  toutes  les  autres  d'être  plus  capables  de 
corriger  les  hommes  et  de  les  rendre  meil- 
leurs. » 

Quant  aux  tragédies,  notre  auteur  leur 
reproche  que  les  leçons  du  vice,  commode 
l'ambition,  de  ia  vengeance,  etc.  ,y  sont 
données  d'une  manière  d'autant  plus  dan» 


1077 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1«78 


gereose  qu'elle 'est  plus  pleine  d'élévation, 
sinon  de  cœur  et  de  sentimerls,  m;iis  du  moins 
des  rit  et  de  pensées. 

Les  poètes  draop i tiques,  en  général,  se 
croient  toujours  obligés  de  céder  à  la  néces- 
sit ■■''.  Pourquoi,  peuvent-ils  dire,  faut-il  que 
tout  ce  qu'où  expose  sur  les  théâtres  ait 
pour  pouvoir  plaire  à  la  multitude  un  air  de 
débauche  et  (Je  libertinage? 

3°  Quant  à  celte  opinion  que  les  désordres 
que  l'on  pourrait  reprocher  aux  personnes 
du  théâtre,  sont  indépendants  de  leur  pro- 
fession, notre  auteur  est  bien  éloigné  de  l'a- 
dopter. 

Il  pense  qu'indépendamment  de  leur  con- 
duite, leur  seule  profession  contribue  à 
rendre  le  spectacle  très-dangereux.  Les  co- 
médiennes, en  effet,  fussent-elles  vertueu- 
ses, pourrait-on  croire  qu'elles  peignissent 
si  bien  les  passions  si  elles  n'étaient  pas 
habituées  à  les  sentir?  Ajoutons  :  voilà, 
comme  l'a  observé  Voltaire,  pourquoi  les 
acteurs  jouent  infiniment  mieux  les  rôles 
de  tendresse  que  les  rôles  héroïques.  «  Vous 
trouverez,  dit-il,  vingt  acteurs  qui  plai- 
ront dans  Andronic  et  dans  Hippolyte,  et 
à  peine  un  seul  dans  Cinna  et  dans  Ho- 
race (509).  » 

Or,  comment  des  actrices,  toutes  dévouées 
a  la  volupté  et  la  prêchant  sans  cesse,  ne 
l'inspireraient-elles  pas?  On  les  voit  si  ten- 
dres et  si  passionnées  qu'on  désire  être 
l'objet  de  celte  sens.bilité  et  réaliser  des 
ticiions  si  séduisantes.  Leur  réputation,  Je 
peu  de  risque  de  l'entreprise,  la  facilité  de 
l'exécution,  l'habitude  du  succès  fournissent 
des  armes  au  vice. 

Nous  ne  suivrons  pas  notre  auteur  dans 
ce  qu'il  dit  conire  les  sophismes  et  les  para- 
logisraes  usités,  pour  interpréter  en  faveur 
des  théâtres  les  textes  de  quelques  écrits  de 
personnages  respectables,  comme  de  saint 
Thomas  d'Aquin,  de  saint  Charles  Borromée, 
de  saint  François  de  Sales,  de  Bossuet,  etc. 
Desprez  de  Boissy,  dans  sa  seconde  Lettre 
sur  les  spectacles,  démontre  à  cet  égard  le  ri- 
dicule des  prétentions  des  apologistes  des 
spectacles. 

Nous  passons  à  la  conclusion  de  notre 
auteur.  En  voici  la  substance  : 

Il  est  impossible  que  le  théâtre  subsiste 
sans  êlre  mauvais,  et  par  conséquent  sans 
être  condamnable.  On  ne  doit  donc  point 
traiter  (Je  rigueur  non  méritée  les  censures 
que  l'Eglise  a  prononcées  si  souvent  contre 
les  comédiens. 

L'extrait  que  nous  venons  de  donner  pa- 
raîtra peul-etre  un  peu  lo  ig  ;  mais  il  fallait 
démontrer  que  l'écrit  donné  par  Fagan,  pour 
la  meilleure  apologie  des  spectacles  drama- 
tiques, n'était  pas  dans  le  cas  d'avoir  plus 
de  succès  que  toutes  celles  qui  l'avaient 
précédée,  ou  qui  ont  paru  depuis 
On  sait  que  d'Alembert,  avec  son  génie 

(509)  Lettre  de  M.  de  Voltaire  à  M.  de   Laroque ; 
elle  se  trouve  tlans  le  Mercure  du  mois  d'août  175-2. 

(510)  Les  trois  siècles  de  notre  tiltéralure,  depuis 
François  1"  jusqu'à  Vannée  1772.  Cei  ouvrage,  im- 


géométrique,  n'a  pu  triompher  des  arguments 
de  la  Lettre  de  M.  J  -J.  Rousseau  contre 
les  spectacles.  «  Cette  Lettre,  est  il  dit,  dans  un 
ouvrage  nouveau  (510),  n'a  pu  êlr*  réfutée 
par  aucun  de  ceux  qui  ont  osé  l'attaquer. 
On  ne  pouvait  mieux  faire  sentir  la  surémi- 
nenee  des  talents  de  M.  Rousseau,  qu'en 
plaçant  à  côté  de  sa  Lettre,  la  Réponse  qu'y 
a  faite  VI.  d'Alembert.  La  nuance  est  trop 
sensible  pour  qu'on  ne  s'en  aperçoive  pas. 
Cette  Réponse,  comme  toutes  les  autres,  ne 
co  nient  q  le  de  faibles  arguments  exprimés 
encore  plis  faiblement.  » 

Au  moins  Fagan  a  témoigné  conserver 
quelque  respect  pour  les  censures  ecelé-das- 
ques,  puisqu'il  est  convenu  j[ue  «  Cor- 
neille et  Racine  ont  eu  raison  de  gémir 
d'avoir  passé  leur  vie  dans  une  occupation 
condamnée.  » 

Mais  devait-il  traiter  de  cruelle  la  religion 
qui  leur  en  a  l'ait  un  devoir?  «  N'est-il  pas 
bien  cruel,  dit-il,  que  les  auteurs  de  Cinna, 
û'Héraclius,  de  Phèdre,  aient  été  fondés  à 
verser  des  larmes  d'un  juste  repentir?  » 

Ce  repentir,  qui  avait  pour  objet  la  séduc- 
tion de  leurs  drames,  aurait  eu  également 
lieu,  quand  il  n'y  aurait  pas  eu  de  censures 
ecclésiastiques  contre  les  comédiens.  L'E- 
glise, en  humiliant  les  acteurs  des  théâtres 
publics,  n'a  fait  que  se  conformer  au  mépris 
que  les  sociétés  profanes  avaient  toujours  eu 
pour  eux.  L'Eglise  pouvait-elle  ne  pas  trai- 
ter en  infâmes  des  gens  avec  qui  l'on  ne 
peut  contracter  honnêtement  dans  le  monde 
aucune  liaison,  et  que  les  voluptueux  mêmes 
n'admettent  chez  eux  que  pour  les  faire 
servir  d  instruments  à  leurs  plaisirs? 

La  cause  des  théâtres  a  été  tant  de  fois 
plaidée  et  perdue  au  tribunal  de  la  raison, 
que  de  droit  et  de  fait  la  justice  de  leur 
condamnation  est  une  vérité  incontestable, 
suivant  cet  axiome  :  Res  judicata  pro  veri- 
tate  habenda  est. 

Le  gouvernement  civil  pourra  bien  avoir 
toujours  des  raisons  pour  les  tolérer;  mais 
de  droit  et  dans  le  for  intérieur,  ils  seront 
toujours  défendus  :  Semper  vetabuntur ,  et 
semper  retinebuntur. 

Ils  auront  toujours  contre  eux  la  tra- 
dition des  sages,  tant  anciens  que  mo- 
dernes. 

On  sait  que,Cyrus  demandant  à  son  con- 
seil quelle  était  la  meilleure  méthode  pour 
retenir  sous  le  joug  une  nation  vaincu»;  et 
amortir  son  courage,  un  de  ses  conseillers 
lui  répondit  qu'il  suffisait  d'y  envoyer  des 
troupes  de  danseurs  et  de  chanteuses.  «  Qu'on 
y  fasse,  ajouta-t-il,  élever  la  jeunesse  au 
milieu  des  spectacles  et  des  plaisirs.  C'est 
l'ennemi  le  plus  funeste  qu'on  puisse  y  in- 
troduire :  Luxuria  omni  hoste  pejor.  » 

Un  Spartiate  observant  à  Athènes  la  pro- 
digieuse dépense  qu'on  y  faisait  pour  les 
jeux  et  l'air  de  gravité  avec  lequel  le  magis- 

primé  sous  le  litre  d'Amsterdam  en  1772,  en  3  vol. 
in  8°,  est  ailribùé  à  Pal)i)é  Sabaiier  de  Castres  ,  au- 
teur d'un  Dictionnaire  de  liitéraiure,  imprimé  en  1770 
en  trois  vol.  in-8*. 


Î07Ô  DICTIONNAIRE 

irai  môme  entrait  dans  ce  soin,  s'écria  :  «11 
reste  bien  peu  dé  sagesse  dans  une  ville  où 
l'on  se  fait  une  sérieuse  occupation  de  ces 
bagatelles  !  » 

«  Si  nous  considérons,  dit  Plutarque,  les 
meilleurs  même  des  spectacles,  qui  étaient 
les  tragédies,  de  quel  avantage  étaieni-ils 
pour  la  nation?  Thémistocle  entoura  la  ville 
d'excellents  murs.  Périclès  l'embellit  avec 
beaucoup  de  magnificence  et  de  goût.  Mil- 
tiade  assura  la  liberté  des  Athéniens  par  son 
courage.  Conon,  par  la  modération  de  sa 
conduite,  leur  acquit  le  gouvernement  de 
tonte  la  Grèce.  Si  les  sages  poèmes  d'Euri- 
pide, le  sublime  langage  de  Sophocle  et 
l'esprit  d'Eschyle,  ont  été  aussi  utiles  à  la 
patrie,  je  consens,  ajoute  Plutarque,  que 
les  pièces  dramatiques  soient  comptées  au 
nombre  des  trophées  de  la  République.  » 

Mais  laissons  les  théAlres  des  anciens  pour 
ce  qu'ils  étaient.  11  est  certain  que  les  nôtres 
n'auront  une  apologie  parfaite  que  lorsque 
la  nation  sera  dans  le  cas  de  'a  faire  par  la 
pureté  de  ses  mœurs.  Or,  à  cet  égard,  le 
caractère  de  notre  siècle  ne  fait  pas  l'éloge 
de  l'école  de  Melpomène  et  de  Thalie. 

En  voici  une  preuve  toute  récente  dans  le 
jugement  qu'on  a  porté  d'un  roman  de  Do- 
rat,  dont  il  paraît  une  seconde  édition  (511). 

L'héroïne  de  ce  romain  est  la  vicomtesse 
de  Senanges.  Elle  se  trouve  engagée  dans 
les  liens  d'un  mariage  malheureux  ;  elle  n'y 
connaissait  que  les  frémissements  de  la 
crainte,  les  terreurs  de  l'antipathie  et  la  ri- 
gueur des  devoirs.  Elle  s'en  dédommagea 
en  se  livrant  à  une  forte  inclination  pour  le 
chevalier  de  Versenai  ;  mais  à  condition  que 
leur  bonheur  réciproque  ne  parviendrait  à 
son  apogée  qu'après  la  mort  du  mari,  que 
l'auteur  fait  arriver  à  volonté  pour  opérer  le 
dénouement  de  cette  galante  intrigue. 

Or,  ce  roman  a  été  critiqué.  Est-ce  parce 
que  l'auteur  l'ayant  donné  sous  la  forme  de 
lettres,  l'action  y  est  tournée  en  sentiment, 
et  est  par  conséquent  présentée  d'une  ma- 
nière plus  séduisante?  non.  Est -ce  parce 
que  l'amour,  qui  est  le  sujet  de  la  fable  de 
ce  roman,  présente  d'abord  l'image  du 
crime?  non.  La  critique  a  porté  sur  ce  que 
l'auteur  a  donné  trop  de  vertu  à  son  héroïne, 
en  lui  faisant  tenir  la  conduite  d'une  Sabine 
ou  d'une  farouche  Gauloise. 

«  Celte  critique,  dit  Dorât,  prouve  singu- 
lièrement à  quel  point  nos  mœurs  sont  dé- 
pravées. On  a  crié  à  l'invraisemblance  , 
parce  qu'une  femme,  malgré  sa  passion, 
respecte  ses  liens,  est  fidèle  à  ses  devoirs 
et  se  défend  de  consommer  une  faiblesse.... 
li  est  étrange  qu'on  ne  puisse  plus  supporter 
dans  notre  siècle  une  résistance  de  six  mois, 
sans  scandaliser  la  moitié  de  Paris.  » 

Telles  sont  les  influences  respectives  des 
mœurs  sur  les  écrits  et  des  écrits  sur  les 
mœurs.  Voilà  comme  les  auteurs  dramali- 

(511)  Les  Sacrifices  de  V amour,  ou  Lettres  de  la 
vicomtesse  de  Senanges  et  du  chevalier  de  Versenai, 
par  Dorât;  Paris,  1772;  2  vol.  in-8°. 

(512)  Dans  une  de  ses  Lettres  à  M.  de  Laroque  ; 
elle  se  trouve  dans  le  Mercure  du  mois  d'août  1732. 


DES  MYSTERES. 


1080 


ques,  de  même  que  les  compositeurs  de  ro- 
mans, se  voient  obligés  de  se  conformer  à 
ce  qu'on  appelle  la  facilité  et  V aménité  des 
mœurs  modernes;  c'est-à-dire,  au  goût  cor- 
rompu du  plus  grand  nombre. 

«  Je  croyais,  a  dit  Voltaire  (512),  que 
l'amour  n'était  point  fait  pour  le  théâtre  tra- 
gique; et  dans  l'âge  même  des  passions  les 
plus  vives,  je  ne  regardais  cette  faiblesse 
que  comme  un  défaut  qui  avilissait  l'art  des 
Sophocles.  Les  connaisseurs  qui  se  plaisent 
plus  à  la  douceur  élégante  de  Racine  qu'à  la 
force  de  Corneille  me  paraissaient  ressem- 
bler à  ceux  qui  préfèrent  les  nudités  de  Cor- 
rège  au  chaste  et  noble  pinceau  de  Raphaël. 
Mais  le  public  qui  fréquente  les  spectacles 
est  aujourd'hui  plus  que  jamais  dans  le 
goût  de  Corrège.  Il  ne  lui  faut  que  de  la 
tendresse.  Il  4  doinc  fallu    me  plier   aux 

MOEURS     DU     TEMPS     ET     COMMENCER     TARD    A. 
PARLER    D'4M0UR.   » 

Quelle  faiblesse  dans  un  homme  de  lettres,, 
que  ses  sectateurs  appellent  le  poète  philo- 
sophe l  Ne  aevail-il  pas  dire  avec  le  patrio- 
tisme d'un  ancien  romain,  Quinlius  Capito- 
linus  :  «  Mes  chers  concitoyens,  quand  mon 
naturel  ne  me  ferait  pas  préférer  le  vrai  ai 
1  agréable,  j'y  serais  forcé  en  celte  occasion  : 
j'ai  grand  ;  envie  de  vous  plaire  ,  mais 
dussé-je  encourir  la  rigueur  de  vos  cen- 
sures, j'aime  mieux  sauver  vos  mœurs  :  Me 
vera  pro  gratis,  et  si  meuin  ingenium  non  mo- 
ncret,  nécessitas  cogit  :  vellem  quidem  vobis 
placcre,  Quiritcs  ;  sed  multo  malo  vus  salvos 
esse  qualicumque  erga  me  anîino  futur i  estis.  » 
(ïit.  Liv.,  dec.  i,  I.  m,  c.  67.) 

On  <i  du  P.  Souciet,  Jésuite,  une  Lettre 
imprimée  (513),  dont  l'objet  est  de  prouver 
que  pour  faire  une  excedente  tragédie,  il 
faudrait  du  moins  être  aussi  philosophe  que 
poète.  «  Mais,  dit-il,  comme  ces  deux  caraC' 
tères  ne  se  concilient  pas  ordinairement,, 
c'est  pour  celte  raison  que  le  théâtre  sera 
toujours  une  école  du  vice.  » 

On  en  peut  dire  autant  des  romans.  Néan- 
moins, Dorât  est  si  enthousiasmé  de  ce 
genre  d'écrits,  qu'il  va  jusqu'à  soutenir  (514) 
que  «  le  roman  est  une  des  plus  belles  pro- 
ductions de  l'esprit  humain,  parce  qu'il  en 
est  une  des  plus  utiles  ;  il  l'emporte  même 
sur  l'histoire.  L'histoire  n'est  le  plus  sou- 
vent qu'un  tableau  monotone  de  vices  sans 
grandeur,  de  faiblesses  sans  intérêt;  qu'une 
collection  de  faits  piquants  pour  la  curiosité 
seulement,  et  en  pure  perte  pour  la  morale  , 
au  lieu  que  le  roman  est  pris  dans,  le  sys- 
tème actuel  de  la  société  où  l'on  vit.  C'est, 
osons  le  dire  ,  l'histoire  usuelle,  l'histoire 
utile,  celle  du  moment.  » 

Mais  comme  le  lui  a  observé  un  critique 
très-éclairé,  Querlon  (515).  «  N'est-ce  pas 
dire  que  la  fiction  l'emporte  sur  la  vérité? 
Le  roman  le  mieux  fait  n'est  qu'une  belle 
fable,  dont  le  principal  effet,  ou  du  moins 

(513)  Dans  les  Hêm  de  Trévoux,  année  1709. 

(514)  Dans  l'Avaiil-Propos  de  Sacrifices  de  l'A- 
mour. 

(515)  Dans  la  Feuille  hebdomadaire  des  provinces, 
du  12  novembre  1772. 


4061 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1082 


celui  qu'on  ne  veut  pas  manquer  (comme 
dans  les  drames),  est  d'agiter,  d'émouvoir, 
de  nourrir  et  d'augmenter  môme  la  sensibi- 
lité naturelle;  entin,  de  relâcher,  d'amollir 
et  de  détremper  rame,  en  quelque  sorte, 
sans  laisser  à  l'esprit  aucun  fondement  so- 
lide, sans  fournir  à  la  raison  d'autre  appui 
que  des  possibilités  idéales.  L'esprit  humain 
n'est-il    donc  pas  assez  porté  de  lui-même 
au  merveilleux,  au  mensonge,  sans  lui  pré- 
senter continuellement  des   fictions    et    le 
nourrir  de  viandes  peintes,  comme  dit  Ni- 
cole? Le   fruit    le  p'us   évident  et  le  plus 
réel  de  nos  compositions  romanesques  est 
de  tout  dénaturer  parmi  nous  et  de   nous 
former    insensiblement    un    esprit   et    des 
mœurs  factices,  dont  d  est  aisé  d'apercevoir 
les  progrès,  qui  sont  assez  sensibles.  Quant 
à  l'histoire,  que  l'on  veut  subordonner  au 
roman,  une  grande  partie  du  mal  est  faite. 
Les  histoires  les  plus  goûtées   aujourd'hui 
sont  celles  où  tous  les  temps  sont  assimilés, 
où  les  plus  éloignés  de  nous,  les  mœurs  les 
plus  étrangères  aux  nôtres,  sont  peintes  de 
nos  propres  couleurs,  où  notre  génie  est  la 
mesure  de  l'esprit  de  tous  les  siècles  et  de 
tous  les  âges.  C'est  ce  qu'on  nomme  la  phi- 
losophie de  l'histoire  ;  grand  nom  sous  lequel 
on  comprend  l'art  de  tout  romaniser  pour 
le  bien  des  hommes  et  la  plus  grande  gloire 
de    l'auteur  1   Concluons  que    les   romans, 
quels  qu'ils  soient  et  quoique  nous  ne  puis- 
sions  pas  nous-mêmes   nous  défendre  du 
plaisir  que  nous  font  certains  écrits  de  ce 
genre,  gâteront   toujours   plus  de  têtes  et 
d'esprits,  qu'ils  n'en  pourront  jamais  for- 
mer. » 

Rien  n'est  plus  solide  que  ces  réflexions 
de  Querlon  :  elles  sont  dignes  de  ce  sa- 
vant journaliste  qui,  avec  le  laconisme  au- 
quel la  forme  de  son  écrit  périodique  l'as- 
sujettit, en  dit  toujours  assez  pour  faire 
connaître  ce  que  les  ouvrages  nouveaux  ont 
d'honnête  et  d'utile,  de  vicieux  et  de  nui- 
sible : 

Qui  qui  l  sit  pulclnnm,  qttid  turpe,  quid  utile, qitid  non 
Plunius  ac  melius :     .     dicit. 

On  le  voit,  pour  l'honneur  des  lettres, 
protiter  de  toutes  les  occasions  pour  venger 
les  insultes  et  les  torts  que  les  littérateurs 
corrompus  font  à  la  religion  et  aux  mœurs. 
La  même  feuille,  par  exemple,  d'où  l'on  a 
tiré  les  réflexions  qu'on  vient  de  citer  sur 
les  romans,  contient  les  pensées  les  plus  lu- 
mineuses sur  la  domesticité,  dans  le  cours 
desquelles  on  trouve  celles-ci  :  «  L'établis- 
sement du  christianisme  a  l'ait  cesser  parmi 
nous  l'esclavage;  et  c'esi  d'abord  un  bien 
qu'il  a  fait,  dont  on  ne  lui  tient  pas  assez  de 
compte.  Mais  est-ce  le  seul  qu'on  lui  doive? 
C<  Ile  religion,  si  méprisée  de  nos  prétendus 
philosophes,  combien  a-t-elle  intlué  sur  les 
mœurs?  Combien  lui  doit-on  d'institutions 
raisonnables?  Que  d'ordre,  de  règle,  de  prin- 
cipes ,  (pie  toute  la  philosophie  païenne, 
toute  la  sagesse  et  la  raison  des  hommes 
n'avaient  pu  gagner  sur  eux  ,  comme  le  |iar- 

(5IG)  Né  le  6  janvier  1G47,  et  mort  à  l'abbaye  de  la 


don  dos  injures,  l'amour  de  nos  ennemis: 
effort  d'un  courage  au-dessus  <ie  tous  ceux 
dont  l'humanité  peut  être  capable,  »  etc. 

Mous  ajouterons  qu'on  conçoit  de  l'éloi- 
gnemenl,  ou  plutôt  de  la  haine,  pour  celle 
religion  si  bienfaisante,  à  proportion  qu'on 
se  livre  à  la  morale  des  théâtres  et  des  ro- 
mans. C'est  à  toutes  leurs  lictions  qu'on  doit 
attribuer  cet  esprit  de  frivolité  et  d'enfantil- 
lage qu'on  ne  pardonnait  pas  autrefois, 
même  à  la  jeunesse,  et  que  tous  les  âges 
affei  tent  aujourd'hui.  Ou  pourrait  appliquer 
à  la  fréquentation  des  théâtres  et  à  la  lecture 
des  romans  ce  (pie  Dorai  dit  de  l'air  enve- 
nimé de  Paris  :  «  Le  désordre  y  est  autorisé 
par  l'exemple  ;  la  faiblesse,  ou  piulôt  le  vice, 
s'y  trouve  en  quelque  sorte  indispensable. 
On  s'y  sent  [tressé  a  suivre  la  pente:  on  s'y 
laisse  entraîner  et  l'abîme  est  au  bout.  Les 
bons  naturels  luttent  quelque  temps;  mais 
à  la  fin  le  torrent  les  emporte  et  ceux  qu'il 
entraîne  sont  d'autant  plus  à  plaindre,  qu'il 
se  joint  au  remords  du  vice  quelques  retours 
impuissants  vers  la  vertu  qu'ils  ont  perdue. 
Corrumpere  et  corrumpi;  corrompre  et  être 
corrompu,  disait  Tacite  voilà  ce  qu'on  ap- 
pelle le  train  du  siècle.  11  semble  qu'en 
écrivant  cette  sentence  foudroyante  le  pein- 
tre des  Néron  et  des  Tibère  ait  deviné  la 
plaie  incurable  de  nos  mœurs  et  i'étal  actuel 
de  notre  société.  Tons  les  liens  y  sont  rom- 
pus, tous  les  principes  renversés.  A  force 
de  généraliser  la  vertu  ,  on  parvient  à  l'a- 
néantir. Sous  prétexte  d'être  philosophe,  on 
n'est  ni  père,  ni  époux,  ni  citoyen.  L'adul- 
tère n'est  plus  qu'un  vieux  mot  de  mauvais 
ton  :  ce  qu'il  désigne  est  reçu,  accrédité, 
affiché  même  en  cas  de  besoin.  La  probité 
pleure,  la  vertu  se  cache,  la  scélératesse 
lève  le  front,  et  il  n'y  a  plus  de  frein  à  atten- 
dre pour  la  corruption,  quand  une  fois  la 
pudeur  du  vice  a  disparu.  » 

Enfin,  de  degrés  en  degrés,  comme  le  dit 
un  Anglais  qui  a  fait  des  dissertations  sur 
Tacite,  «  nous  sommes  parvenus  à  l'empor- 
ter sur  la  corruption  de  Rome  ;  et  nous  pou- 
vons dire  avec  Juvénal  :  Nîlulterius,  etc.  La 
postérité  ne  peut  rien  ajouter  à  notre  disso- 
lution ;  ce  qu'elle  peut  faire  de  pis  est  de 
nous  imiter.  Et  ce  qui  prouve  que  nous 
sommes  au  comble,  c'est  que  ces  descrip- 
tions mêmes  sent  si  éloignées  de  nous  cou- 
vrir de  honte,  qu'elles  ne  servent  qu'à  nous 
faire  rire  ,  comme  il  arrive  aux  représenta- 
tions dramatiques,  où  l'on  s'amuse  des  por- 
traits de  ses  propres  vices.  » 

Maximes  pour  se  conduire  chrétiennement 
dans  le  monde,  par  l'abbé  Clément,  prédica- 
teur du  roi;  Paris,  1753.  On  y  trouve,  arti- 
cle 17,  de  solides  rétlexions  contre  les  spec- 
tacles. 

On  vient  d'imprimer  les  sermons  de  cet 
orateur,  dont  on  connaît  la  réputation.  Le 
tome  II  contient  un  excellent  Discours  con- 
tre les  spectacles. 

Il  a  paru  un  recueil  de  sermons  du  célèbre 
P.  Soaneu  (516),  dont  l'éloquence  fut  admi- 

Cliaise-Dieu  le  25  décembre  1740. 


1085 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1084 


rée  et  récompensée  par  Louis  XIV.  Ce  re- 
cueil contient  contre  les  théâtres  un  sermon 
qui  fut  prêché  à  la  cour,  eu  168G  et  en  168S. 
Le  maréchal  de  La  Feuillade  le  trouva 
trop  sévère,  et  il  prit  la  liberté  d'en  dire  son 
sentiment  au  roi.  Mais  ce  grand  monarque 
lui  tit  cette  réponse  judi<  ieuse  el  imposante  : 
«Monsieur  de  La  Feuillade,  le  prédicateur  a 
fait  son  devoir;  tâchons  de  faire  le  nôtre 
(517).  » 

Ce  courtisan  ne  devait  pas,  à  cet  égard, 
trouver  moins  sévère  le  premier  modèle  des 
prédicateurs  en  Europe,  c'est-à-dire  le 
P.  Bourdaloue  (518),  qu'on  a  caractérisé  en 
l'appelant  Nicole  éloquent. 

Bourdaloue,  invincible  en  ses  raisonnements, 

Des  passions  en  nous  confond  les  arguments  (519). 

Voilà  pourquoi  ses  sermons  imprimés 
plairont  toujours.  Aussi  Louis  XIV  voulait- 
il  entendre,  tous  les  deux  ans,  ce  prédica- 
teur aimant  mieux  ses  redites  que  les  choses 
nouvelles  d'un  autre.  On  a  de  cet  illustre  ora- 
teur, un  excellent  sermon  (520)  contre  les 
divertissements  publics,  qui  fiassent  pour 
légitimes,  et  que  l'opinion  commune  auto- 
rise, mais  que  le  christianisme  condamne, 
et  qui  ne  peuvent  s'accorder  avec  1  intégrité 
et  la  pureté  des  mœurs. 

La  comédie  contraire  aux  principes  de  la 
morale  chrétienne;  Auxerre,  1754. 

On  y  a  joint  un  mandement  que  le  cha- 
pitre d'Auxcrre  donna,  le  15  novembre  175i, 
contre  la  comédie. 

Lettre  de  M.  Lefranc,  de  l'Académie  fran- 
çaise, ancien  premier  président  de  la  Cour 
des  aides  de  Montauban,  à  M.  Louis  Racine, 
sur  le  théâtre  ;  Paris,  1755. 

Cet  académicien  considère  les  spectacles 
dramatiques  sous  le  même  point  de  vue  que 
le  P.  Porée  l'a  fait  dans  son  Discours.  Il  y 
p;trle  en  homme  de  lettres,  en  philosophe  et 
en  chrétien. 

Jean-Jacques  Rousseau,  citoyen  de  Genève, 
à  M.  d'Alembert,  sur  le  projet  d  établir  un 
théâtre  de  comédie  à  G  entre  ;  Amsterdam, 
1758.  Cette  lettre  combat  supérieurement  les 
théâtres  publics  ;  mais  on  y  trouve  sur  d'au- 
tres objets  une  empreinte  contagieuse  des 
égarements  de  l'auteur. 

Première  lettre  de  Desprez  de  Boissy,  avo- 
cat au  parlement,  à  M.  le  chevalier  de  ***,  sur 
les  spectacles  ;  Pans,  1756;  on  en  donna,  en 
1758,  une  seconde  édition,  et  une  troisième 
en  17f>9. 

«  Vous  me  paraissez  bien  prévenu,  Mon- 
sieur, contre  mon  peu  de  goût  [tour  ce  qu'on 
appelle  commerce  de  galanterie.  Vous  regar- 
dez mes  sentiments  à  cet  égard  comme  une 
suite  de  mes  préjugés  contre  les  spectacles. 
Vous  ne  voudriez  pas  que  le  théâtre  me  pa- 
rût une  école  où  les  cœurs  les  plus  indilfé- 
rents  apprennent  à  devenir,  sensibles  ,  et 
à  ne  connaître  que  trop  la   passion   sur  la- 

(517)  Mêm.  du  temps. 

(318)  Ne  le  20  aoûl  1652,  el  mort  le  15  mai  1704. 

(519)  Linanl,  dans  son  |»oëme  des  Progrès  de  l  é- 
toquence ,  couronné  en  1759  par  l'Académie  fran- 
çaise. 


quelle  vous  me  reprochez  d'être  si  réservé. 
Vous  pensez  que  je  m'attire  un  ri  iicul  ■  en 
me  privant  de  ce  qui  fait,  selon  vous,  l'amu- 
sement et  le  plaisir  des  honnêtes  gens.  Exis- 
ter sans  aimer  vous  paraît  impossible.  Vous 
avez  raison. 

On  n'a  reçu  du  ciel  un  cœur  que  pour  aimer. 

(Despreaux.) 

«  Mais  quoique  l'amour  soit  la  vie  du  cœur, 
il  mesemble  que  c'est  de  tous  les  sentiments 
de  l'àme  celui  dont  on  doit  le  moins  se  faire 
un  jeu.  Lorsque  ce  sentiment  n'a  d'autre  ob- 
jet que  ce  qui  peut  tlalter  les  sens,  on  perd 
de  vue  ce  que  Cicéron  renferme  sous  l'idée 
de  l'honnête,  c'est-à-dire,  les  principes 
qui  doivent  assujettir  notre  conduite  à  la 
raison. 

«Selon  cet  ancien  moraliste,  qu'on  ne  peut 
accuser  de  rigorisme,  on  ne  doit  se  prêter 
aux  objets  sensibles  qu'avec  une  extrême 
réserve.  En  effet,  les  impressions  qu'ils  f(;nt 
sur  nos  organes  agissent  assez  souvent  sur 
notre  cœur  avec  une  telle  violence,  q.e  nous 
en  sommes  tyrannisés, 

«Vous  savez,  Monsieur,  à  quel  s  excès  <e  por- 
tent ceux  qui  fonl  consister  leur  bonheur  à 
réunir  le  plus  d'honneurs  et  le  plus  de  riches- 
ses qu'il  est  po  sible.  Je  suis  de  moitié  avec 
vous  dans  le  mépris  que  vous  avez  pour  c 'S 
gens  qui,  s'aimant  eux  seuls,  s'abandonnent 
aux  passions  que  nous  ne  pouvons  satisfaire 
qu'au!  dépens  de  nos i  concitoyens;  car  un 
ambitieux,  un  avare  heureux,  s'il  en  pei  t 
être,  ne  le  sont  qu'en  possédant  ce  qui  pou  - 
rait  faire  le  partage  et  la  félicité  de  plusieurs 
familles.  Vous  réprouvez  donc,  avec  raison, 
ces  passions  qui  portent  un  caractère  si  nui- 
sible à  là  société.  Mais  ce  qui  s'appelle  là 
ten  ire  passion  vous  parait  être  celle  de  fhu- 
maniié  ;  et  en  conséquence  vous  no  sauriez 
me  pardonner  de  ne  pas  en  suivre  les  at- 
traits. Vous  m'adressez  cette  maxime  du 
Sage  :  Ne  soyez  ni  trop  juste  ni  plus  sage 
quil  convient  (521).  La  connaissance  que  j'ai 
de  votre  zèle  pour  m  n  bonheur  ne  me  per- 
met pas  d'être  indifférent  à  vos  conseils.  Je 
les  attribue  à  cette  noble  inclination  qui 
vous  porte  à  souhaiter  et  à  communiquer 
à  vos  amis   tout  ce  qui  leur  est  avantageux. 

«  Vous  voudriez  donc  me  rassurer  sur  les 
risques  qui  me  semblent  être  attachés  à  la 
galanterie,  et  me  persuader  de  la  grande  uti- 
lité des  spectacles.  Mais  j'ai  a  vous  opposer 
d'anciens  préjugés  d'autant  plus  difliciles  à 
détruire,  que  je  les  crois  très-équivaients  à 
des  raisons  homologuées  du  tribunal  de  la 
prudence.  Souffrez  que  je  vous  les  expose. 
<".e  n'est  pas  un  discours  moral  que  je  pré- 
tends vous  adresser.  J'ai  seulement  inten- 
tion de  vous  faire  confidence  des  principes 
qui  me  dirigent  sur  ces  objets.  Je  vais  d'a- 
burd  vous  exposer  en  peu  de  mots  ce  que 
je  pense  sur  cette  tendre   et  voiage  passion 

(520)  Dans  le  tome  II  de  ses  Sermons  sur  les  di- 
manches de  Vunnée. 

(5-21)  iNoli  esse  juslus  mullum,  neque  plus  sapias 
quam  necesse  est. 


S  085 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1086 


dont  le  terme  de  galanterie  nous  présente 
l'idée. 

«  L'amour  qui  se  rapporte  à  l'union  des 
deux  sexes  adonné  heu  à  beaucoup  d'évé- 
nements, dont  le  récit  ne  serait  pas  à  son 
avantage  (522.) 

o  Celte  pas»ion  est,  dit-on,  si  naturell»1,  que 
les  (h  ux  sexes  semblent  se  faire  une  prière 
réciproque  pour  s'unir  l'un  à  l'autre.  Je 
conviens  qu»1  cel  allrait,  qui  depuis  la  dégra- 
dation de  l'homme  a  dégénéré  en  une  ré- 
volte des  sens  contre  l'esprit  (523,',  est  si  in- 
séparable de  notre  être,  que  la  sagesse  ne 
consiste  point  à  ne  pas  en  ressentir  l'im- 
press  on,  mais  à  l'assujettir  à  la  retenue 
qu'exige  le  devoir  (524). 

«  Plus  on  est  assuré  du  pouvoir  impérieux 
de  celle  passion,  plus  ou  est  obligé  de  la 
CDU  ire  lire  ou  de  ne  s'y  prêter  que  selon  les 
lè- des  établies  parla  religion  et  par  les  lois, 
en  ne  se  permettant  qu'une  alliance  légi- 
time (525),  dont  on  peut  dire  avec  M.  Gres- 

Sct. 

,  .  .  .  L'union  de  deux  cœurs  vertueux, 

L'un  pour  l'autre  fermés,  eil'un  par  l'autre  heureux, 

Peut  adoucir  les  maux,  peut  embellir  la  vie. 

«  Si  la  raison  n'oppose  point  de  digues  à 
l'impétuosité  de  ce  penchant,  il  n'est  point 
d'excès  où  l'on  ne  puisse  être  entraîné  ;  et  si 
l'on  n'est  pas  en  garde  contre  les  attraits  qui 
peuvent  nous  séduire  ,  ou  l'on  se  prépaie 
des  touimenis  inévitables  par  la  contrainte 
dans  laquelle  le  devoir  vous  retiendra,  ou 
l'on  s'expose  à  se  salbfaire  jusqu'au  point  de 
de  ne  respecter  aucunes  lois.  Ces  mésallian- 
ces indécentes  dont  il  résulte  quelquefois 
un  contraste  humiliant  de  condition,  sou- 
vent une  extiême  indigence,  et  ces  unions 
clandestines  où  les  droits  sacrés  de  l'hymen 
se  trouvent  violés,  ne  sont  que  les  suites  de 
l'imprudence  avec  laquelle  on  s'est  livré  aux 
objets  séducteurs. 

«  Je  sais  que  si  je  communiquais  mes 
idées  sur  celle  passion  que  l'on  croit  enno- 
blir en  l'appelant  le  faible  des  grands  cœurs 
et  des  héros,  je  m'exposerais  à  être  laxé  de 
misanthropie.  On  me  jetterait  dans  la  classe 
de  ces  censeurs  de  mauvaise  humeur,  qui, 
s'aimant  eux  seuls  sans  rivaux,  critiquent 
tout  ce  qui  n'est  pas  assorti  à  leur  goût  et 
condamnent  les  plaisirs  dont  ils  ne  veulent 
point  faire  usage. 

«  Je  suis  trop  ami  du  genre  humain  pour 
ne  pas  redouter  les  effets  de  ce  caractère  cha- 
grin qui  fait  le  plus  d'ennemis  dans  la  so- 
ciété. 11  y  a  plus  de  sûreté  a  recevoir  des 
leçons  qu'à  vouloir  en  donner  (526).  Je 
m  instruis  donc  par  les  écarts  de  ceux  qui 
abusent  de  l'inclination  que  la  nature  nous 
inspire  pour  le  sexe.  Ils  me  continuent  qu'il 


n'est  pas  prudent  de  se  faire  un  amusement 
ue  la  passion  de  l'amour. 


Ce  n'est  point  à  Cydière 


Qu'il  faut  chercher  et  les  jeux  cl  les  ris. 
(Rousseau,  liv.  î,  Ep.  2.) 

«  On  peut  en  juger  par  les  plaintes  qui 
échappent  quelquefois  a  ceux  dont  la  vertu 
a  été  y  faire  naufrage.  Quinauit  les  a  assez 
heureusement  exprimées  dans  quelques- 
uns  de  ses  poëmes.  Ce  sont  comme  autant 
de  maximes  dont  je  me  suis  fait  sur  cet  ob- 
jet une  espèce  de  code.  Quelle  idée,  par 
exemple,  peut-on  se  former  de  notre  pré- 
tendue belle  et  héroïque  passion,  lorsque 
d'après  le  sentiment  on  nous  dit  : 

Garaons  nous  de  souffrir  que  l'amour  nous  engage 
Dans  ses  trompeurs  enchantements. 
Gantons-nous  des  embarquements 

Où  le  repos  du  cœur  fait  un  fatal  naufrage. 

^Phaélon,  act.  i,  se. 


Ah!  qu'il  est  dangereux 
De  s'engager  sur  la  vaine  assurance 
Des  serments  amoureux  ! 


•) 


•) 


(lbid.,  act.  il ,  se. 

Quel  tourment  ne  fuit  point  souffrir 
Un  malheureux  amour  que  l'on  ne  peut  éteindre 
Et  que  l'on  n'ose  découvrir  ! 

[Versée,  act.  u,  se.  5.) 

Plus  on  connaît  l'amour  et  plus  on  le  déleste. 
Détruisons  son  pouvoir  funeste, 
Rompons  ses  nœuds,  déchirons  son  bandeau, 
Brûlons  ses  traits,  éteignons  son  flambeau. 

(Armide,  act.  i,  se.  4.) 

Redoublons  nos  soins,  gardons-nous 

Des  perds  agréables. 
Les  enchaînements  les  plus  doux 

Sont  les  plus  redoutables. 

(Ibid.,  act.  iv,  se.  i.) 

Ce  que  l'amour  a  de  charmant 

N'esl  qu'une  illusion  qui  ne  laisse  après  elle 

Qu'une  boule  éternelle 

(Ibid.,  se.  5.) 

Fuyons  les  douceurs  dangereuses 
Des  illusions  amoureuses  : 
On  s'égare  quand  on  les  suil  ; 
Heureux  qui  n'en  est  pas  séduit! 

(Ibid.,  se.  5.) 

Dans  l'empire  amoureux 
Le  devoir  n'a  point  de  puissance. 

(Alliis,  act.  m,  se.  2.) 

L'amour  trouble  tout  le  monde, 
C'esi  la  source  de  nos  pleins, 
C'est  un  feu  brûlant  dans  l'onde, 
C'est  l'écueil  des  plus  grands  cœurs. 

(Ibid.,  act.  iv,  se  5.) 


(522)  Sxvus  amor  docuit  natorum  sanguine  matrem 
Conimacuiare  mantis.  (Vino  ,  Ej,\.  8  ) 

;52r,)  E\  ami  uo  Décote  hoc  u  alum  (stimulus 
carms)  accidil.  (S.  Aug.  Lib.  ami.  lu  .) 

Id24)  Virlus  est  mors  concupiscentiarnni  aut  ea- 
rum  quies  secundum  quo.l  oportet.  (Aristote.) 

(525)  lllam  concupiscentiani  carnis,  qua  caro  con- 


cupisrit  adversus  spirilum,  in  usum  juslitiae  couver - 
IiiiiI  lidelium  nupli:e.  Proinde  Duplise  quia  eliam  de 
illo  malo  (Mituulo  carnis)  aliquid  boni  laciunl  glo- 
riantur,  quia  sine  illo  tieri  non  potest,  erubescuui. 
(S.  Aug.,  De  nupl..  lib.  i.) 
(526)  Tutius  verilas  auditur  quam  pradicatur. 


1087  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

Le  chagrin  suil  toujours  les  cœurs  que  l'amour  blesse, 


1038 


Dans  les  beaux  jours  le  doux  zépbir 
Fait  inouïs  naître  d^  fleurs 
Que  le  cruel  amour,  dans  son  funeste  empire, 
Ne  fait  verser  de  pleurs. 

(his,  act.  m,  se.  7.) 

«  Que  résulte-t-il,  Monsieur,  de  ces  belles 
pensées?  J'en  conclus  qu'il  faut  sérieuse- 
ment réfléchir  avant  que  d'aimer,  de  peur 
que  la  raison  ne  devienne  en  un  instant  la 
dupe  du  cœur. 

Un  pas  hors  du  devoir  peut  nous  mener  bien  loin. 

(Corneille.) 

«  La  Fontaine  nous  dit  que 

Lorsque  l'amour  prend  le  fatal  moment 
Devoir  et  tout  et  rien  c'est  même  chose. 

«  Je  pousse  peut-être  la  pusillanimité  jus- 
qu'à l'excès,  mais  elle  fait  ma  sûreté.  Ovide 
nous  avertit  que  l'amour  s'empare  des  cœurs 
qui  ne  pensent  pas  à  s'en  défendre  (527). 
La  connaissance  du  péril  ne  m'enhardit  pas. 
Craindre  tout  et  ne  rien  hasarder  me  paraît 
le  plus  sûr.  C'est  pourquoi ,  aussi  craintif 
qu'un  pilote  sur  une  route  qu'il  n'a  pas  en- 
core pratiqué1,  je  me  donne  bien  de  garde 
d'approcher  de  trop  près  des  écueils  signalés 
par  des  naufrages. 

«  Nous  arrivons  novices  à  chaque  âge  de 
notre  vie.  Je  crois  qu'il  n'est  qu'un  moyen 
de  remédier  à  cet  inconvénient,  c'est  de  s'en 
rapporter  à  ceux  qui  ont  fait  part  de  leur 
expérience  à  la  postérité.  M.  de  Bussy- 
Rabulio  mérite  à  cet  égard  notre  reconnais- 
sance. Cet  ingénieux  courtisan,  dont  le  nom 
est  si  célèbre  dans  les  faites  delà  galanterie, 
nous  dit  que  la  "passion  de  l'amour  est  la 
plus  dangereuse  de  toutes  les  faiblesses  et 
qu'on  revient  plus  aisément  des  sottises  de 
l'esprit  que  de  celles  du  cœur.  En  effet,  Mon- 
sieur, le  cœur  s'attache,  au  lieu  que  l'esprit 
rie  s'occupe  point  toujours  des  mêmes  idées. 
Il  réfléchit  et  peut  apercevoir  ses  extrava- 
gances; mais  lorsque  le  cœur  est  enflammé 
par  l'enchantement  des  sens,  la  raison  ne 
tarde  pas  a  être  sédui  e  et  l'esprit  trouve 
son  poison  dans  ce  qui  charme  le  cœur.  Or, 
selon  Cicéron,  un  pareil  trouble  est  un  dé- 
sordre honteux  (528)  ;  et  je  ne  le  trouve  pas 
moins  funeste  qu'humiliant.  Dès  que  la  ga- 
lanterie exclut  de  son  commerce  la  pru- 
dence et  la  raison,  elle  doit  être  plus  propre 
à  firmer  un  engagement  indécent  qu'à  pro- 
duire un  mariage  heureux, 

Où  l'honneur  ait  son  lustre,  où  la  venu  préside. 

(Corneille.) 

«  Voilà  ce  qui  donne  lieu  à  mes  préjugés 
contre  ce  qui  excite  la  passion  de  l'amour. 
Vous  comprenez  que  ces  préjugés  doivent 
beaucoup  influer  sur  la  prévention  que  vous 
me  reprochez  d'avoir  contre  les  spectacles, 
et  dont  je   vais    vous  entretenir.  Peut-être 


goûterez-vous  les   motifs  qui  m'ont  déter- 
miné à  ne  point  les  fréquenter? 

«  On  m'a  prévenu  dès  mon  enfance  contre 
les  dangers  des  théâtres.  On  m'a  dit  qu'ils 
n'étaient  propres  qu'à  allumer,  fomenter  et 
nourrir  les  passions.  Mais  cette  leçon  m'a 
paru  fort  contredite  dans  la  pratique ,  et 
même  par  plusieurs  de  ceux  qm  par  état 
devaient  le  moins  se  permettre  les  spectacles. 
Il  est  vrai  qu'en  fait  de  morale  pratique, 
l'exemple  du  plus  grand  nombre  est  une 
autorité  assez  équivoque.  Cependant  j'ai  cru 
devoir  examiner  si  mes  idées,  qu'on  traitait 
de  préjugés  inspirés  par  des  précepteurs, 
étaient  fondées  sur  de  bons  principes.  Je 
n'ai  pas  pensé  pour  cela  qu'il  fallût  commen- 
cer par  aller  aux  spectacles,  j'aurais  offensé 
la  prudence.  C'aurait  été  juger  avant  les  in- 
formations. On  me  dit  qu'il  y  a  dans  cette 
rivière  un  tel  endroit  où  l'on  court  risque 
de  se  noyer.  Je  n'y  vais  pas  pour  l'éprouver, 
mais  j'emploie  les  moyens  usités  pour  m'en 
assurer. 

«  C'est  ce  que  j'ai  fait  par  rapport  aux 
spectacles.  J'ai  été  aux  enquêtes.  Je  ne  me 
suis  [tas  adressé  à  ceux  qui  fréquentent  les 
théâtres.  Je  les  ai  réservés  en  preuve  de  ce 
que  j'apprendrais  à  ce  sujet.  De  plus  ,  leur 
partialité  me  rendait  suspect  le  bon  témoi- 
gnage qu'ils  auraient  pu  m'en  donner.  J'ai 
consulte  ceux  qui  ne  les  fréquentaient  plus; 
ce  qu'ils  m'en  ont  dit  m'a  fait  conjecturer  que 
le  théâtre,  quelque  idée  que  l'on  s'en  forme  en 
spéculation,  est  l'école  et  l'exercice  des  pas- 
sions, puisque  son  objet  est  de  les  excUer, 
et  que  c'est  de  cet  effet  que  dépend  le  succès 
de  toute  pièce  dramatique.  J'ai  poussé  plus 
loin  ma  conjecture  :  j'ai  pensé  qu'il  était 
impossible  d'y  avoir  aucun  plaisir,  si  l'on 
n'était  animé  de  quelque  passion,  ou  si  l'on 
n'était  disposé  à  en  recevoir  les  impres- 
sions. 

«  Si  je  me  préviens  contre  les  spectacles, 
parce  que  les  passions  y  sont  excitées,  il  ne 
s'ensuit  pas  que  je  sois  du  nombre  de  ces 
stoïciens  outrés  qui  proscrivaient  les  pas- 
sions, même  les  plus  innocentes.  Je  sais  (pie 
ce  serait  détruire  l'homme  que  de  vouloir 
ôter  à  l'âme  les  sentiments  du  plaisir  et  de 
la  douleur,  à  quoi  se  .réduisent  toutes  les 
passions.  Mais  pour  faire  un  bon  usage  de 
ces  liassions,  il  faut  qu'elles  se  rapportent 
toujours  à  des  objets  légitimes  ;  et  lorsque, 
pour  une  fin  honnête,  on  veut  les  exciter 
dans  les  autres,  on  doit  le  faire  d'une  ma- 
nière qui  ne  soit  ni  vicieuse  ni  dangereuse. 
Or,  mes  préjugés  contre  les  spectacles  sont 
fondés  sur  ce  que  le  théâtre  n'offre  presque 
toujours  que  des  passions  folles  ou  crimi- 
nelles, et  que  les  plus  légitimes  y  devien- 
nent répréhensibles  et  dangereuses  par  la 
manière  dont  elles  sont  présentées  :  c'est 
relativement  à  ce  principe  que  j'ai  cru  ne 
pouvoir  me  permettre  d'aller  aux  spectacles, 
quelque  intention  que  j'en  pusse  avoir. 
«  En  effet,  qui  sont  ^eux  qui  croient  les  fré- 


(527)  Affluit  incaulis  insidiosus  amor. 

(528)  Peiturbatio  ipsa  mentis  in  a  more  fœda  per  se  est.  (Cicer.,  Tusc,  lib.  iv.) 


1089 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  L1RRE. 


1090 


quenier  avec  le  plus  de  droit, et  avec  les  dis- 
positions lesplus  innocentes  ?  Ce  sont  ceux 
qui  prétendent  y  aller  pour  juger  du  mérite 
de  la  pièce.  Ils  ne  sont  pas  en  grand  nombre, 
parce  (pie  celte  vue  suppose  du  goût  et  des 
connaissances;  mais  cette  intention  ne  ga- 
rantit pas  des  mauvais  effets  des  passions 
qui  triomphent  le  plus  sur  le  théâtre.  C'est 
toujours  le  cœur  qui  prend  le  plus  de  part 
au  spectacle:  il  en  est  même  pour  cette  rai- 
sou  le  premier  juge,  puisque  ce  n'est  que 
relativement  à  l'émotion  qu'il  y  éprouve 
qu'on  applaudit  plus  ou  moins  à  la  repré- 
sentation (52(-)).'Si  on  se  sent  fortement  ému 
par  le  vif  intérêt  que  l'on  prend  à  l'action, 
si  l'on  se  croit  transporté  sur  le  lieu  de  la 
scène  et  comme  dans  la  situation  du  per- 
sonnage qui  nous  attache  le  plus,  si  on 
l'3nten-l  parler  et  si  on  le  voit  agir,  comme 
on  parlerait  et  comme  on  agirait  soi-même 
étant  animé  de  la  même  passion,  alors  le 
cœur  prononce  que  le  poète  et  les  acteurs 
ont  bi«n  réussi  à  intéresser  les  spectateurs. 
La  nature,  dira-l-on,  est  bien  exprimée;  mais 
un  bon  juge  de  spectacles  ne  s'en  tient  pas 
seulement  à  ce  que  lui  suggère  le  sentiment; 
il  a  un  jugement  de  plus  à  porter. 

«  Il  doit  examiner  si  les  règles  de  l'art 
ont  été  bien  observées.  Si  le  poète  a  été  li- 
d'èle  à  l'unité  d'action,  qui  consiste  pour  la 
comédie  dans  l'unité  d'intrigue  ou  d'obsta- 
cle au  dessein  des  principaux  acteurs;  et 
pour  la  tragédie,  dans  l'unité  du  perd,  soit 
que  le  héros  y  succombe,  soit  qu'il  en  sorte 
victorieux  ;  si  l'action  est  complète  et  ache- 
vée, c'est-à-dire,  si  dans  l'événement  qui  la 
termine,  le  spectateur  se  trouve  parfaite- 
ment instruit  des  sentiments  de  tous  ceux 
qui  y  ont  quelque  paît,  ou  du  sort  du  prin- 
cipal personnage.  Il  faut  examiner  dans  la 
tragédie  si  le  héros  qu'on  a  vu  dans  le  péril 
en  est  sorti,  ou  comment  il  y  a  succombé; 
et  dans  la  comédie,  si  les  oppositions  à  l'in- 
trigue ont  été  levées  ;  si  dans  Tune  ou  dans 
l'autre  le  dénouement  s'opère  par  quelque 
événement  et  non  simplement  par  la  volonté 
du  poète;  si  le  nœud  de  l'action  est  formé 
d'une  suite  de  ce  qui  s'est  passé  hors  du 
théâtre  avec  le  commencement  de  l'action 
qui  s'y  passe  ;  si  l'action  a  une  juste  éten- 
due soit  pour  le  temps  soit  pour  le  lieu,  ce 
qui  constitue  les  deux  autres  unités,  c'est- 
à-dire,  si  elle  ne  passe  point  la  durée  de 
vingt-quatre  heures  et  si  elle  paraît  se  pas- 
ser dans  le  même  lieu  ;  s'il  n'a  point  paru 
ou  disparu  quelque  acteur,  sans  qu'on  ait 
su  pourquoi  ;  si  les  sentences,  ou  les  pen- 
sées morales  ne  sont  pas  trop  multipliées  et 
comme  détachées  du  tissu  de  la  pièce  ;  si  les 
mœurs  des  personnages  se  trouvent  bien 
exprimées  et  ont  été  annoncées  à  propos; 
si  les  caractères  sont  bien  soutenus  et  si 
toutes  les  parties  de  l'action  sont  traitées 
selon  le  vraisemblable  ou  selon  le  nécessaire, 
c'est-à-dire  comme  elles  ont  pu  ou  dû  se 
passer. 

(529)  Omne  speclaculum  sine  coimnolionc  spirilus 
oon.esi. 
(550)  Amoveanlur,  si  ficri  polest,  si  minus  cène 


«  Il  faut  ensuite  juger  la  poésie  ,  c'est-à- 
dire  le  choix  des  pensées,  leur  disposition, 
la  manière  dont  elles  sont  énoncées,  la  va- 
leur des  rimes,  le  mécanisme  du  vers.  Il 
faut  enfin  décider  sur  la  dignité  du  dialogue 
dans  la  tragédie  et  dans  la  comédie  sur  ce 
que  les  Latins  appellent  cm  comica  ,  c'est-à- 
dire,  le  sel  attique. 

«  On  conviendra  aisément  qu'il  n'y  a  pas 
beaucoup  de  spectateurs  qui  soient  capables 
de  s'occuper  de  tant  d'objets  et  qui  puissent 
par  conséquent  se  glorifier  de  n'aller  aux 
spectacles  que  pour  les  juger.  Mais  quand 
j'aurais  assez  de  mérite  pour  pouvoir  en 
porter  mon  jugement,  devrais-je  y  aller? 
J'ai  fait  réflexion  que  je  devais  m'en  dispen- 
ser, parce  qu'il  faut  que  l'âme  y  sorte  de 
son  assiette  pour  se  livrera  la  passion  qu'on 
veut  représenter. 

«  Il  n'en  est  pas  de  même  du  jugement 
que  l'on  porte  d'une  pièce  imprimée.  Le 
lecteur  est  privé  de  la  partie  la  plus  tou- 
chante, qui  est  celle  de  la  déclamation.  On 
sait  ce  qu'on  doit  ,  à  cet  égard  attendre  de 
nos  acteurs  dont  on  n'a  coutume  de  n'ad- 
mettre les  talents  qu'après  avoir  éprouvé 
l'énergie  et  les  grâces  de  leur  jeu.  La  décla- 
mation, dans  de  pareils  acteurs,  est  un  lan- 
gage des  plus  éloquents.  Par  elle  les  cœurs 
peuvent  se  parler  immédiatement  sans  le 
secours  des  mots,  et  un  geste  seul  peu!  pro- 
noncer dans  toute  sa  force  un  sentiment 
passionné  que  le  poète  n'aurait  que  faible- 
ment exprimé.  La  passion  ne  peut  donc  être 
parfaitement  excitée  que  par  le  jeu  de  la 
représentation.  Cela  est  si  vrai,  que  le  sénat 
de  Meljiomène  et  de  Th'alie  ne  se  chargera 
pas  d'une  pièce  sur  la  simple  lecture.  Il  faut 
qu'elle  soit  déclamée  dans  ce  sanhédrin  où 
l'on  juge  si  elle  peut  être  exposée  au  public 
ou  non,  c'est-à-dire  si  l'on  a  lieu  d'espérer 
que  les  spectateurs  se  sentiront  fortement 
affectés  des  sentiments  passionnés  que  le 
poète  s'est  proposé  d'exciter.  Voilà  l'objet 
de  toutes  les  pièces  dramatiques.  Et  c'est  ce 
qui  en  rend  même  la  lecture  souvent  perni- 
cieuse. Vous  savez  ce  que  Quintilien  pen- 
sait de  ces  sortes  de  productions.  Il  voulait 
qu'on  ne  hasardât  d'en  permettre  la  lecture 
aux  jeunes  gens  que  quand  leurs  mœurs  se- 
raient en  sûreté  (530).  Il  serait  à  souhaiter 
que  ce  célèbre  rhéteur  nous  eût  appris  t^n 
même  temps  à  quel  âge  il  les  croyait  hors 
de  danger;  mais  en  attendant  la  solution  du 
problème,  je  crois  que  les  mœurs  ne  peu- 
vent jamais  être  en  sûreté  aux  spectacles; 
les  risques  qu'elles  y  courent  sont  plus  cer- 
tains que  les  avantages  qu'elles  en  retirent. 
La  corruption  s'y  communique  par  plus  d'un 
moyen.  Tous  les  spectateurs  ne  sont  pas 
attirés  par  le  seul  objet  de  la  pièce.  Le  nom- 
bre de  ceux  qui  pensent  n'est  pas  si  grand. 

«  Combien  de  gens  qui  ne  fréquentent 
les  théâtres  que  pour  se  réjouir  du  coup 
d'œil  éblouissant  des  femmes  que  la  cou- 
tume y  conduit,  afin  d'y  disputer  entre  elles 

ad  fninius  aclatis  robur  reserveuLur   cura  mores  in 
lulc-  fuerinl. 


1091  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

à  qui  l'emportera  sur  la  richesse  des  pierre- 
ries, sur  le  luxe  des  habits,  sur  les  grâces, 


1092 


sur  la  beaulé,  sur  l'adresse  à  suppléer  aux 
agréments  que  l'a  nature  a  refusés,  enfin  sur 
Je  nombre  des  adorateurs! 

'<  Et  combien  d'autres  ne  sont  excités  à 
aller  au  spectacle  que  pour  y  admirer  les 
actrices  qui,  par  !es  talents  de  leur  profes- 
sion, relèvent  tellement  les  grâces  de  leur 
sexe  qu'elles  semblent  être  des  divinités  , 
qui  intéressent  d'autant  plus  qu'on  a  plus 
de  discernement  pour  juger  le  mérite  de  leur 
jeu!  Leurs  riches  et  pompeux  ajustements, 
plus  eu  moins  indécents,  suivant  que  l'exige 
\a  scène,  donnent  encore  un  tel  pouvoir  à 
leurs  charmes  qu'on  ne  peut  guère  les  con- 
sidé.er  sans  être  tenté  d'exprimer,  par  ces 
vers  d'Ovide,  les  violents  sentiments  qu'elles 
inspirent  : 

Auferimur  cullu  :  gemmis,  (invoque  leguntur. 

Decipil  liac  oculos  œgide  dites  amor. 

«  Je  comprends  ,  Monsieur,  quelle  doit 
êlre  l'influencé  et  la  tyrannie  de  tous  leurs 
attraits  sur  le  cœur  des  spectateurs  :  scintil- 
las libidinum  couflubellant,  et  combien,  par 
conséquent,  elles  doivent  faire  de  martyrs, 
parce  qu'à  l'exception  des  courtisans  de  la 
première  volée  et  de  quelques  favoris  de 
Plu  tus,  il  faut  se  contenter  d'admirer  en  se- 
cret leurs  appas  séducteurs,  sans  espoir  de 
satisf  lire  la  coupable  passion  dont  on  brûle 
pour  elles.  Qu'en  arrive-t-il  ?  Une  fougueuse 
jeunesse  va  chercher  ailleurs  à  se  dépiquer, 
muni  animum  alio  conferunt  (531).  Or,  ces 
etfets  sont-ils  bien  capables  de  détruire  mes 
préjugés  contre  les  spectacles? 

«  Il  est  vrai  qu'il  y  en  a  qui  voudraient 
faire  croire  qu'ils  n'y  vont  que  pour  se  dé- 
lasser de  leurs  occupalions  et  qu'ils  en 
sorient  sans  y  avoir  ressenti  aucunes  mau- 
vaises impressions. 

«  Je  conviens  que  si  l'on  n'avait  aucun 
reproche  a  faire  à  nos  jeux  de  théâtre,  les 
citoyens  occupés  y  auraient  plus  de  droit 
que  cette  foule  de  spectateurs  qui  n'y  vont 
que  pour  se  délivrer  du  dégoût  que  leur 
cause  leur  désœuvrement.  Mais  je  ne  crois 
pas  que  des  gens  occupés  (missent  y  trouver 
un  délassement  cou  vriiab  ei  t  même  physique. 
11  ne  leur  faut  pas  de  ces  plaisirs  tumultueux 
qui  ébranlent  l'esprit  et  le  cœur,  en  inspirant 
des  pensées  et  des  sentiments  capables 
de  dégoûter  de  toute  occupation  sérieuse. 
D'ailleurs,  je  n'ai  jamais  pu  concevoir  qu'on 
puisse  se  délasser  en  allant  se  renfermer 
pendant  trois  ou  quatre  heures  dans  une 
salle  dont  l'air,  par  les  haleines  et  le  désa- 
gréable luminaire,  ne  peut  être  que  préju- 
diciable à  la  santé  et   par  conséquent  peu 

(SM)  Térence. 

(532)  Septa  pudicilia  agunt.  Liilerarum  sécréta  viri 
pariier  ac  l'cmiiise  ignorant.  Nemo  enim  illic  vilia 
ridet,  nec  corrumpere  el  corrumpi  syeculum  vocalur. 
Paucissima  in  lara  numéros;»  gente  adulleria  quo- 
rum pœua  pryesens.  (Tac,  De  mor.  Gernian.) 

(533)  »  Qui  eiiam  modeste  spectaculis  fruiiur  pro 
digmtatis  vel  aelatis,  vel  eliam  nature  suae  conditio- 


gue    amoureuse  ;     toule 
était  en  horreur   et  ne  s  excusait 


propre  à  affecter  utilement  des  organes  fati- 
gués du  travail-, 

«  Au  reste,  j'ai  pensé  que  le  temps  que  je 
sacrifierais  aux  spectacles  pourrait  être  beau- 
coup mieux  employé  en  le  destinant  à  la 
compagnie  de  quelques  amis  avec  lesquels 
on  multiplie,  pour  ainsi  dire,  son  être,  eu  se 
communiquant  réciproquement  tout  ce  qui 
peut  intéresser  de  louables  affections. 

«  Une  lecture,  une  promenade  sont  assu- 
rément très-capables  de  délasser,  ainsi  que 
quelques  jeux  d'usage.  Et  si  l'on  veut  des 
plaisirs  délicieux,  ne  peut-on  pas  s'en  pro- 
curer en  fréquentant  ces  sociétés  choisies 
où  l'on  a  le  spectacle  de  tous  les  talents  et 
de  toutes  les  vertus,  et  où  l'on  rencontre  des 
femmes  qui  ont  l'avantage  de  plaire  et  même 
de  charmer  par  leur  mérite,  mais  qui  savent 
en  même  temps  inspirer  tout  le  respect  qui 
est  dû  à  leur  sexe?  Ces  compagnies  sont,  à 
cet  égard,  aussi  sévères  que  fêtaient  les  an- 
ciens Germains,  chez  qui,  selon  Tacite  (532), 
on  ne  plaisantait  point  sur  les  vices,  on 
ignorait  ce  que  c'était  que  de  mener  sour- 
dement une  intri 
licence  y 

point  en  disant  :  Tel  est  le  siècle  ;  et  par  ce 
moyen  'a  vertu  des  femmes  élai-  à  l'abri  de 
toute  occasion.  J'aime  ces  sociétés  où  ces 
bonnes  mœurs  de  nos  a-miens  Germains 
sont  encore  de  mode.  On  n'y  manque  point 
de  tous  les  amusements  que  la  décence 
peut  permettre;  on  y  jouit  au  moins  de 
quoique  avantage  réel,  au  lieu  que  les  spec- 
tacles ne  nous  fournissent  que  des  plaisirs 
et  des  idées  chimériques  dont  il  résulte  mille 
désordres.  Je  trouve  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
dangereux  pour  les  mœurs  que  d'aller  voir 
ce  qu'on  ne  veut  pas  êlre;  car  on  se  con- 
forme aisément  à  ce  qu'on  regarde  avec 
plaisir,  puisque  c'est  le  plaisir  qui  dispose  ou 
cœur. 

«  Or,  quel  est  l'objet  de  ce  prétendu  dé- 
lassement qu'on  va  chercher  aux  spectacles  3 
C'est  d'y  sentir  son  âme  se  livrera  l'illusion 
des  passions  qui  y  sont  représentées.  Il  laul 
v  éprouver  ce  plaisir,  ou  s'y  ennuyer,  à 
moins  qu'on  n'y  assiste  que  comme  des  au- 
tomates. 

«  J'avoue  que  la  plupart  prétendent  n'y 
ressentir  aucune  mauvaise  impression.  M  os 
quelle  est  la  cause  de  leur  insensibilité! 
N'est-ce  point  parce  que  leurs  passions  son' 
déjà  en  mouvement  avant  qu'ils  y  entrent,  el 
qu'elles  se  trouvent  à  l'unisson  de  celles  que 
l'on  représente  (533)?  Est-il  étonnant  qu'é- 
tant habitués  à  mener  une  vie  molle  et  vo- 
luptueuse, ou  à  s'amuser  de  tout  ce  qui  en 
est  l'expression,  ils  ne  se  sentent  pas  offen- 
sés de  ce  que  le  spectacle  offre  de  conta- 
gieux? xMais  le  plaisir  qu'ils  y  goûtent  est 

ne,  non  tamen  immobilis  animi  est,  sine  lac'ta  spi- 
ri tus  passione  :  nemo  ad  voltiptatem  venit  sine  aflè- 
clu.  i  Cette  pensée ,  qui  est  de  Tefiullien,  paraît 
moins  sévère  que  celle  de  Sénèque  :  «  Qui  minios 
in  speclaculis  fréquentât ,  non  est  oliosus,  hic  apger 
est,  imo  morluus.  i  (Senkc,  De  beala  i>ùu,cap. 
13.; 


1095 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1094 


une  preuve  qu'ils  en  éprouvent  réellement 
toutes  les  mauvaises  impressions. 

«  Leur  insensibilité  à  cet  égard  serait 
même  un  reproche  fort  humiliant  pour  le 
poêle  et  les  ac  eurs,  puisque  les  succès  de 
leur  art  ne  sont  pariai  s  que  lorsque  les 
spectateurs  paraissent  devenir  autant  d'ac- 
teurs qui  annoncent  dans  leurs  yeux  que 
l'action  représentée  se  passe  dans  leur  unie. 

«  Les  amateurs  des  spectacles  ne  sont  donc 
satisfaits,  ou  mécontents,  que  selon  qu'ils  y 
rencontrent  plus  nu  moins  ce  qu'ils  y  vont 
chercher,  et  ce  qu'ils  n'y  trouvent  que  trop, 
c'est-à-dire  l'agitation  de  l'esprit  et  du 
cœur;  disposition  indigne  d'un  véritable 
philosophe  (534)  et  encore  plus  d'un  Chré- 
tien. Pourquoi  ne  te  dirais-je  pas?  Je  con- 
nais, Monsieur,  votre  respect  pour  la  reli- 
gion. Vous  m'avez  dit  assez  souvent  que 
vous  la  regardiez  comme  le  premier  li  n 
qui  doit  unir  les  hommes,  comme  le  meil- 
leur garant  que  nous  puissions  avoir  de 
nol  e  probité,  et  comme  étant  st-ule  capable 
de  faire  des  citoyens,  de  former  de  grands 
hommes  et  de  conserver  la  gloire  et  le  bon- 
heur d'un  Etat.  Vous  méprisez  la  supersti- 
tion, mais  vous  respectez  la  piété;  ceux  qui 
attaquent  la  religion  ne  vous  prouvent  point 
la  Supériorité  de  leur  esprit,  mais  le  dérègle- 
ment de  leur  cœur;  et  vous  dites  avec  La 
Bruyère  :  «  Je  voudrais  voir  un  homme  so- 
«  bre,  modeste,  chaste,  équitable,  révoquer 
«  en  doute  la  vérité  de  la  religion  chré- 
«  tienne,  il  parlerait  du  moins  sans  inlé- 
«  rêt  ;  mais  cet  homme  ne  se  trouve  point.  » 

«  Quand  on  dit  que  les  vices  ne  sont  re- 
présentés sur  nos  théâtres  que  pour  y  paraî- 
tre plus  hideux,  je  n'en  crois  rien.  On  a 
grand  soin  de  soustraire  au  spectateur  tout 
ce  qui  pourrait  le  blesser.  Ainsi  les  vices 
son  toujours  en  masque  sur  la.  scène.  On  se 
croit  obligé  de  les  représenter  avec  une  cer- 
taine convenance  qui  dépend  des  modes,  des 
usages  et  du  goût  du  temps.  Enfin  toute 
l'adresse  de  l'auteur  est  de  rendre  aimable  ce 
qui  doit  déplaire. 

Qui  pense  finement  et  s  exprime  avec  grâce 

Fait  tout  passer,  car  tout  passe 

Quanti  le  mot  est  bien  trouvé; 
Le  sexe  en  sj  faveur  à  la  chose  partonnç. 
Ce  n'est  plus  elle  alors,  c'est  elle  encor  pourtant. 

Ainsi  chastes  sont  les  oreilles, 

Encor  que  le  cœur  soit  fripon. 

(Rec.  dépensées.) 

«  Mais  si  pour  nous  rendre  meilleurs  il 
faut  nous  représenter  les  vices ,  de  quoi 
nous  servirait  d'être  plus  cultivés  que  les 
Scythes?  Nous  penserions  moins  parfaite- 
ment que  ces  barbares.  Ils  croyaient,  dit  un 
ancien,  qu'il  était  plus  avantageux  d'igno- 
rer les  vices  que  de  connaître  les  ver- 
tus (535). 

«  Je  me  rappelle  à  ce  sujet  une  pensée 
ingénieuse  de  ce  célèbre  poêle  (536; ,  qui 
illustra  ces  talents  en  les  consacrant  à  la 

(534)   lnlemperanlia   quœ  est  a  tola  menle  et  a 
recta  ratione  defeclio.  (Cicer.,  Tnscut.,  lit),  iv.) 
(555)  Plus  prodest  apud  Scythas  ignoratio  vitio- 


religion  et  qui  répondit  si  parfaitement 
aux  derniers  sentiments  d'un  père  dont  le 
plus  grand  regret  a  été  de  ne  devoir  l'im- 
mortalité de  son  nom  qu'à  ces  ouvrages 
que  le  Théâire-Krançais  s'estime  si  heureux 
de  posséder.  Ct-t  académicien,  dont  les  pro- 
ductions sont  si  intéressantes  ,  compare  les 
poètes  dramatiques  à  des  médecins  qui  don- 
nent par  insertion  la  petite  vérole  pour  la 
guérir  plus  efficacement;  de  même,  dit-il, 
les  poêles  dramatiques  donnent  par  inser- 
tion les  maladies  de  l'âme  pour  les  guérir 
ensuite. 

«  Mais,  Monsieur,  si  l'inoculation  dn  la 
petite  vérole  se  pratique  assez  heureuse- 
ment, je  suis  encore  à  apprendre  les  bons 
effets  de  l'insertion  des  vices. 

«  J'entends  souvent  dire  que  les  intrigues 
amoureuses  qui  se  représentent  sur  le 
théâtre  ne  peuvent  être  nui  ibles ,  dès 
qu'elles  se  terminent  par  une  allian.-e  qu'on 
voudrait  faire  servir  de  modèle  à  tous  les 
mariages.  Quel  modèle  I 

Un  hymen  qui  succède  à  ces  folles  amours, 
Après  quelques  douceurs  a  bien  de  mauvais  jours. 

(Corneille.) 

«  D'ailleurs,  la  plupart  de  ces  intrigues 
se  traitent  sur  la  scène  sans  aucune  bien- 
séance. Le  poète,  il  est  vrai,  doit  prescrire 
des  bornes  à  la  passion  de  ses  personnages, 
il  n'a  besoin  que  d'un  trait  de  plume;  mais 
est-il  le  maître  d'en  imposer  aux  specta- 
teurs? Ceux-ci  reçoivent  l'impression  de 
l'amour,  en  suivent-ils  la  règle  qui  consiste 
à  n'avoir  pour  objet  que  le  mariage?  C'est 
ce  que  peut  concevoir  l'esprit,  mais  le  cœur 
est  affecté  et  ne  s'occupe  que  de  l'impres- 
sion qui  l'a  agité.  Voilà  ce  qui  fait  assez 
ordinairement  courir  du  spectacle  au  temple 
de  la  divinité  qu'on  s'est  choisie. 

«  Qu'il  y  ait  des  personnes  qui  ne  se 
livrent  poiiit  à  ces  excès  et  qui  mettent  des 
bornes  h  leurs  passions,  il  me  sufîit  d'eu 
connaître  qui  ne  doivent  qu'à  la  fréquenta- 
tion des  spectacles  l'origine  et  la  continua- 
tion de  leurs  désordres. 

a  Je  regarde  le  théâtre  comme  le  berceau 
des  passions.  On  se  trouve  au  sortir  du 
collège  dans  un  inonde  où  les  bons  princi- 
pes qui  nous  ont  été  inspirés  ne  sont  pas 
fort  accueillis.  On  croit  devoir  se  procurer 
une  nouvelle  éducation.  On  se  regarde 
comme  des  lames  d'acier  qui,  au  sortir  de 
la  trempe,  ne  paraissent  guère  être  propres 
à  l'usage  auquel  elles  sont  destinées.  On 
s'imagine  qu'en  fréquentant  les  spectacles 
on  se  polira  et  que  l'on  apprendra  les 
belles  manières  et  les  grands  sentiments; 
mais  y  réussit-on?  C'est  une  question  que 
nos  yeux  peuvent  décider.  Vous  savez  qu'en 
morale  comme  en  physique  ,  l'expérience 
est  utile.  J'ai  considéré  de  près  les  disci- 
ples de  nos  théâtres,  et  je  me  suis  attaché  à 
ceux  qui  avaient  commencé  à  fréquenter  les 
spectacles   avec  les    dispositions   les    plus 

mm  quam  cognirio  virlulum.  (Quinte-Cduce.) 
(530)  Louis  Racine,  mort  en  1703. 


1095 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1096 


éloignées  du  vice.  J'ai  vu  (tour  l'ordinaire 
leurs  vertus  disparaître  ,  leurs  mœurs  se 
corrompre,  leurs  manières  décentes  et  natu- 
relles se  métamorphoser  en  affectations  ri- 
dicules, en  frivoles  compliments,  en  jargon 
théâtral,  qui  les  annoncent  pour  des  petits— 
maîtres,  que  M.  de  Voltaire  appelle  avec 
raison  l'espèce  la  plus  ridicule  qui  rampe 
avec  orgueil  sur  la  surface  de  la  terre.  Et 
s'ils  sont  sincères,  ils  peuvent  dire  avec 
vérité  :  J'ai  vu  et  j'ai  été  vaincu,  Vidi  et 
perii. 

«  Et  combien  de  femmes  dont  on  peut 
dire  avec  Martial  :  «  Elle  y  est  entrée  Péné- 
«  Jope,  et  elle  en  est  sortie  Hélène.  » 

Pénélope  venu,  abit  Hélène. 

(Lib.  i,  cp.  63.) 

«  Ce  n'est  donc  pas  en  fréquentant  les 
spedacles  qu'on  peut  apprendre  à  mettre 
dans  ses  vertus  une  certaine  noblesse,  dans 
ses  mœurs  une  certaine  régularité,  dans  ses 
manières  une  politesse  aisée  et  naturelle. 
Les  mauvais  effets  que  j'en  vois  résulter  ne 
me  donnent  pas  la  présomption  de  croire 
que  je  saurai  résister  à  des  charmes  si 
puissants.  Les  exemples  trop  communs  de 
ceux  qui  s'y  laissent  séduire  accréditent 
dans  mon  esprit  ce  qu'en  ont  pensé,  non 
des  casuites,  mais  des  courtisans,  des  hom- 
mes d'un  génie  supérieur  qui  ont  fait  part 
au  public  de  ce  qu'ils  avaient  éprouvé. 
Tels  sont  entr'autres  un  duc  de  La  Roche- 
foucauld, un  La  Bruyère,  un  Racine  ,  un 
Bussy-Rabutin  ,  personnages  qui  passent 
assurément  pour  avoir  connu  le  monde  et 
Je  cœur  de  l'homme. 

«  Ils  ont  écrit  qu'il  est  impossible  d'ai- 
mer nos  théâtres  ,  si  l'on  n'a  jamais  eu 
d'amour  ni  d'aulre  passion.  «  Tous  ces 
«  grands  divertissements,  dit  M.  le  duc  de 
«  La  Rochefoucauld  ,  sont  dangereux  :  on 
«  sort  du  spectacle  le  cœur  si  rempli  de 
«  tontes  les  douceurs  de  l'amour  et  l'esprit 
«  si  persuadé  de  son  innocence  qu'on  est 
«  tout  préparé  a  recevoir  ses  premières  im- 
«  pressions,  ou  plutôt  à  chercher  l'occasion 
«  de  les  faire  naître  dans  le  cour  de  quel- 
«  qu'un  pour  recevoir  les  mêmes  plaisirs  et 
«  les  mêmes  sacrifices  que  l'on  a  vus  si  bien 
«  représentés  sur  le  théâtre.  » 

«  Qu'on  préconise  tant  qu'on  voudra  la 
décence  de  notre  théâtre  ,  les  meilleures 
pièces  peuvent  bien  donner  quelques  leçons 
de  vertu,  mais  elles  laissent  en  même  temps 
l'impression  de  quelque  vice. 

«  Je  n'y  comprends  pas  Athalic  et  Esther. 
Ces  deux  pièces  sont  des  chefs-d'œuvre  ca- 
pables d'affecter  utilement  l'esprit  et  le 
cœur.  La  (iction  y  a  si  peu  de  part  que  ce 
n'est  presque  que  l'histoire  même  enrichie 
des  ornements  de  la  poésie.  Et  ce  caractère 
de  vérité  les  rend  infiniment  plus  touchan- 
tes. On  n'y  trouve  point  de  passions  frivo- 
les, peintes  de  façon  à  en  faire  goûter  le 
plaisir.  L'art  n'y  est  employé  que  pour  ins- 
pirer de  l'horreur  pour  le  crime  et  de 
l'amour  pour  la  vertu. 


Mais,  ces  deux  pièces  se  trouvent  comme 
dénaturées,  lorsqu'elles  sont  représentées 
par  des  acteurs  qui  sont  habituellement  les 
organes  de  la  volupté.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
pur  se  corrompt  par  leur  jeu  et  devient  nui- 
sible. Or,  si  des  drames  aussi  intéressants 
ne  peuvent  se  voir  sans  risque  sur  un 
théâtre,  qui  est  le  trône  des  vices,  que  n'a- 
t-on  pas  à  craindre  de  cette  multitude  de  piè- 
ces où  la  raison  nesl  pas  moins  offensée  que 
la  pudeur  (537)?  Et  même  dans  celles  qu'on 
nous  donne  pour  les  plus  pures  et  qu'on 
qualifie  de  saintes,  ne  s'y  rencontre-l-il  pas 
toujours  quelque  personnage  d'un  caractère 
vicieux,  dont  les  plus  mauvais  sentim  rits 
se  trouvent  pour  l'ordin;:ire  exprimés  d'une 
manière  qui  les  rend  contag  eux  ? 

«  Nous  ne  sommes  pas  si  scrupuleux 
qu'on  l'était  à  Athènes  du  temps  d'Eu- 
ripide, où  l'on  ne  tolérait  sur  le  théâtre 
aucun  mauvais  propos  qui  pût  alarmer  la 
vertu,  pas  même  sous  "prétexte  d'y  faire 
parler  les  personnages  selon  leur  caractère. 
On  sait  qu'Euripide  ayant  fait  dire  à  Be!Ié- 
rophon  :  Les  richesses  font  le  souverain 
bonheur  du  genre  humain,  et  c'est  avec  raison 
qu  elles  excitent  l'admiration  des  dieux  et  des 
hommes;  tous  les  spectateurs  se  soulevè- 
rent, et  ce  poète  aurait  été  aussitôt  chassé 
de  la  ville  s'il  n'avait  représenté  qu'à  la 
fin  de  la  pièce,  on  verrait  périr  misérable- 
ment le  panégyriste  des  richesses.  Combien 
sur  notre  théâtre  ne  hasarde-t-on  po  nt  de 
discours  infiniment  plus  pernicieux?  Le 
poêle  s'y  croit  autorisé  sous  prétexte  de 
soutenir  le  caractère  des  personnages,  et 
de  donner  du  relief  à  la  vertu  de  son 
héros. 

«  Mais  quelle  est  la  vertu  de  ces  héros  de 
théâtre?  Quel  en  est  l'objet  ?  En  quoi  pa- 
raît-elle consister?  C'est  le  plus  souvent  à 
triompher  de  ce  qui  s'oppose  à  une  con- 
quête amoureuse,  à  s'exposer  au  plus  grand 
péiil  pour  la  mériter,  à  se  livrer  tour  a  tour 
h  ce  que  peut  suggérer  un  amour  violent  et 
à  ce  que  prescrit  le  devoir.  Et  lorsque  l'obs- 
tacle ne  cède  point  à  la  passion,  le  héros, 
réduit  au  désespoir,  se  porte  aux  dernières 
fureurs;  ce  qui  donne  lieu  à  quelque  catas- 
trophe, qui  amène  le  dénouement  de  la 
pièce. 

«  Tel  est  le  spectacle  qu'on  donne  le  plus 
fréquemment  sur  notre  théâtre,  où  l'amour 
a  été  érigé  en  vertu  héroïque  qui  doit  do- 
miner dans  tous  les  ouvrages  dramat  ques. 
C'est  une  opinion  que  les  partisans  du  théâ- 
tre des  Grecs  traitent  d'hétérodoxe,  et  que 
les  philosophes  censurent  avec  raison.  Mais 
elle  est  trop  analogue  au  caractère  de  la 
nation,  pour  qu'on  puisse  en  espérer  la  ré- 
forme. L'amour  rè^ne  jusque  d*ns  nos 
graves  tragédies  avec  une  telle  indiscrétion, 
que  le  Père  Rapin  les  appelle  des  comédies 
un  peu  rehaussées. 

«  M.  de  Voltaire  se  plaintaussi  de  ce  désor- 
dre dans  la  Dissertation  qui  précède  sa  tra- 
gédie de  Sémiramis.  «  D'environ  quatre  cents 


(537)  M.  de  Boissy,  poète  dramatique.  {Mercure  de  mars  1750,  p.  108.) 


1007 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


hKkS 


«  tragédies,  nous  dit-il,  qu'on  a  données  au 
«  théâtre  depuis  qu'il 'est  en  possession  de 
«  quelque  gloire  en  France,  il  n'y  en  a  pas 
«  dix  ou  douze  qui  ne  soient  fondées  sur 
«  une  intrigue  d'amour.  C'est  presque  tou- 
«  jours  la  môme  pièce ,  le  même  nœud 
«  l'orme  par  une  jalousie  et  une  rupture,  et 
«  dénoué  par  un  mariage....  C'est  une  co- 
«  quetterie  perpétuelle.  —  Les  femmes,  dit-il 
a  ailleurs,  qui  parent  nos  spectables  ne 
4  veulent  point  souffrir  qu'on  leur  parle 
«  d'autre  chose  que  d'amour.  » 

«  Mais  quand  notre  théâtre  deviendrait 
plus  réservé  à  l'égard  de  cette  passion, 
n'est-il  pas  encore  pernicieux  pour  les  au- 
tres sentiments  du  cœur?  Il  faut  en  juger 
par  nos  pièces  où  il  n'.y  a  point  d'amour, 
c'est-à-dire  où  il  n'entre  point  de  ces  dis- 
cours tendres  et  passionnés, 

Que  dicte  la  mollesse  aux  amants  ordinaires. 

(Voltaire.) 

«  Quels  sont  les  héros  de  ces  tragédies? 
Un  usurpateur,  un  tyran,  un  fanatique,  un 
rebelle,  à  qui  on  ne  fait  respirer  que  les 
sentiments  les  plus  violents  d'ambition,  de 
vengeance,  de  colère,  de  cruauté  et  de  per- 
fidie. Et  le  poëte  ne  doit-il  pas,  selon  les 
règles  de  l'art,  donner  à  ces  caractères 
poussés  à  leur  plus  haut  point,  un  air  de 
noblesse  et  d'élévation  qui  les  embellisse  et 
les  présente  comme  des  effets  de  la  gran- 
deur d'âme?  Aussi  ces  passions  ne  parais- 
sent-elles jamais  aussi  hideuses  qu'elles  le 
devraient  paraître  1 

«  On  ne  s'occupe  que  de  ce  qua  le  spec- 
tacle offre  de  plus  flatteur,  et  l'on  n'aperçoit 
;>as  tout  ce  qu'il  contient  de  vicieux.  Ce  que 
l'esprit  y  trouve  de  plus  admirable  est  as- 
sez souvent  ce  que  le  cœur  doit  le  moins  ap- 
prouver. Telles  sont  ces  pensées  énergi- 
ques et  éblouissantes,  qui  donnent  aux  sen- 
timents les  plus  passionnés  un  faux  bril- 
lant qui  séduit  et  attire  des  applaudisse- 
ments à  ce  qui  n'est  que  le  transport  d'une 
ambition  excessive  ou  d'un  amour  violent, 
passions  si  honorées  sur  le  théâtre,  qu'on 
y  entend  souvent  annoncer  avec  pompe  ce 
que  Messala  dit  à  Titus  : 

Eh  bien!  l'ambition,  l'amour  el  ses  fureurs, 
Sonr-ce  des  passions  indignes  des  grands  coeurs? 

«  Nos  pièces  de  théâtre  peuvent-elles  donc 
sérieusement  nous  être  données  pour  des 
leçons  de  vertu,  de  raison  et  de  bienséance? 
Tout  le  mystère  dramatique  nous  a  été  ré- 
vélé par  M.  de  Lamolte.  Voici  l'aveu  que 
ce  poêle  a  fait  au  public  dans  son  Discours 
sur  la  tragédie  :  «  Nous  ne  nous  proposons 
«  pas  d'éclairer  l'esprit  sur  le  vice  et  la 
«  vertu,  en  les  peignant  de  leurs  vraies  cou- 
«  leurs.  Nous  ne  songeons  qu'à  émouvoir 
«  les  passions  par  le  mélange  de  l'un  et  de 

(558)    Quisquis  Flaminiam  teris,  viator, 
Noli  nobilft  praeterire  mnrmor 
Orbis  delicia?,  salesque  Nili, 
Ars  el  gralia,  lusus  et  volupias, 
Romani  decus  et  dolor  ibealri, 

Dictionn.  des  Mystères. 


«  l'autre;  et  les  hommages  que  nous  ren- 
«  dons  quelquefois  à  la  raison,  ne  détrui- 
te sent  pas  l'effet  des  passions  que  nous 
«  avons  flattées.  Nous  instruisons  un  mo- 
«  ment,  mais  nous  avons  longtemps  sé- 
«  duit;  quelque  forte  que  soit  la  leçon  de 
c  morale  que  puisse  présenter  'a  catastro- 
«  phe  qui  termine  la  pièce,  le  remède  est 
«  trop  faible  et  vient  trop   tard.  » 

«  Faut-il,  Monsieur,  après  cet  aveu,  s'é- 
tonner des_mauvais  effets  que  l'on  voit  ré- 
sulter de  toutes  nos  pièces  dramatiques  , 
surtout  lorsqu'elles  sont  représentées  par 
des  acteurs  dont  les  efforts  ont  pour  objet 
celui  de  charmer  tous  les  spectateurs  et  de 
mériter,  s'il  était  possible,  les  éloges  ridi- 
cules que  les  Romains  accordèrent  à  un  fa- 
meux comédien?  Us  mirent  sur  son  tom- 
beau uneépilaphe  qui  invitait  les  passants 
à  rendre  leurs  hommages  à  ce  qui  renfer- 
mait, s.elon  les  expressions  de  Martial  ,  tou- 
tes les  grâces,  toutes  les  amours,  toutes  les 
voluptés,  la  gloire  du  théâtre  et  les  délices 
de  Rome  (538).  N'est-ce  pas  un  excès  de 
folie  qu'on  a  vu  renouveler  de  nos  jours 
dans  une  épître  impie ,  adressée  par  un 
poëte  aux  mânes  d'une  de  nos  plus  célèbres 
actrices  (539)?  Rien  n'est  donc  plus  dange- 
reux que  toutes  nos  représentations  théâ- 
trales; et  l'on  peut  leur  appliquer  ce  qu'un 
auteur  a  dit  de  toutes  les  notions  roma- 
nesques :  «  Elles  mettent  du  faux  dans  l'es- 
«  prit;  elles  échauffent  l'imagination,  affai- 
«  blissent  la  pudeur,  mettent  le  désordre 
«  dans  le  cœur,  et  pour  peu  qu'on  ait  de  la 
«  disposition  à  la  tendresse,  on  en  hâte  et 
«  en  précipite  le  penchant,  on  augmente  le 
«  charme  et  l'illusion  de  l'amour,  qui  est 
«  d'autant  plus  dangereux  qu'il  est  plus 
«  adouci  el  plus  modeste.  » 

Le  péril  le  plus  à  craindre 
Est  celui  qu'on  ne  craint  pas. 
(Rousseau.) 

«  Comme  l'on  ne  représente  sur  Je  théâ- 
tre que  des  galanteries  el  des  aventures  ex- 
traordinaires, et  que  les  discours  des  per- 
sonnages qu'on  y  fait  parler  sont  assez  éloi- 
gnés de  ceux  dont  on  use  dans  la  vie  com- 
mune, je  ne  suis  point  surpris  qu'on  en 
remporte  une  disposition  d'esprit  romanes- 
que et  même  licencieuse.  Les  femmes  sont 
extrêmement  flattées  des  adorations  qu'on  y 
rend  à  leur  sexe;  elles  s'habituent  à  être 
traitées  en  nymphes  et  en  déesses.  Qu'en 
arrive-t-il?  Elles  dédaignent  de  s'abaisser 
jusqu'à  s'occuper  du  soin  de  leurs  maisons; 
elles  abandonnent  à  la  bourgeoisie  ces  con- 
naissances de  détail  que  les  mœurs  ancien- 
nes réservaient  aux  mères  de  famille;  elles 
préfèrent  d'exercer  tous  ces  talents  séduc- 
teurs dont  Salluste  fait  un  sujet  de  honte  à 
Sympronia,  comme  de  savoir  danser  et  chan- 
ter mieux  qu'il  ne  convient  à  une  honnête 

\lque  omnes  vénères,  cupidinesque 
Hic  sunl  condila,  quo  Paris,  sepulcro 
(Mart.,  lib.  xi,  ep.  14.) 
(530)  La  Lcccuvreur. 

35 


WM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


Il  00 


femme  (540)  ;  les  jours  ne  leur  paraissent 
pas  assez  longs  pour  orner  et  embellir  leur 
personne,  afin  de  s'attirer  le  plus  d'hommage 
et  le  plus  d'encens.  La  gloire  d'avoir  une 
cour  qu'elles  se  flattent  ne  devoir  qu'à  leurs 
charmes  est  le  seul  objet  dont  elles  s'a- 
musent, et  les  maris  sont  négligés,  oubliés 
et  assez  souvent  méprisés,  parce  qu'il  n'est 
ni  de  la  décence  ni  d'usage  qu'ils  aient 
pour  elles  toutes  ces  fades  et  ridicules  com- 

Klaisances  que  nos  petits-maîtres  ont  pourles 
éroïnes  de  coulisses  et  pour  ces  femmes 
qu'une  affaire  de  cœur  n'effarouche  point. 
«  Les  écarts  amoureux  de  nos  jeunes  gens 
et  toutes  leurs  autres  folies  ne  sont  aussi 
que  des  imitations  de  ce  qu'ils  ont  vu  sur 
les  théâtres  où  il  est  d'usage  de  découvrir 
aux  spectateurs  ce  qui  dans  le  monde  ne 
s'opère  que  mystérieusement. 

«  Qu'ai-je  donc  besoin  d'aller  m'exciter 
h  ce  que  je  dois  éviler  ou  d'aller  apprendre 
des  mystères  que  je  dois  ignorer?  Je  pense 

3ue  c'est  là  un  motif  suffisant  pour  détourner 
e  la  fréquentation  des  spectacles.  Vous  sa- 
vez ce  que  dit  à  ce  sujet  l'empereur  Justi- 
nien.  11  ne  pouvait  regarder  comme  un  di- 
vertissement ces  jeux  dont  il  résulte  tant  de 
mauvais  effets  (541). 

«  Tous  les  sages  de  l'antiquité  n'en  ont 
pas  eu  une  meilleure  opinion.  L'on  sait  que 
le  célèbre  législateur  d'Athènes  s'opposa 
fortement  a  leur  établissement.  Il  disait  que 
si  on  les  tolérait,  on  les  verrait  bientôt  con- 
tredire les  lois  et  corrompre  les  mœurs; 
conjecture  qui  n'eut  que  trop  son  effet  par 
I.?  suite.  Plutarque  attribue  la  corruption  et 
\ù  porte  des  Athéniens,  à  leur  passion  ou 
piulôt  à  leur  fureur  pourles  spectacles. 

«  Le  gouvernement  de  Lacédémone  était 
plus  sage.  On  n'y  représentait  ni  tragédies 
ni  comédies  ,  «  parce  que  ,  dit  un  historien, 
«  ils  ne  voulaient  point,  même  par  amuse- 
«  ment ,  se  permettre  les  moindres  propos 
«  contre  les  bonnes  lois.  »  Vous  voyez , 
Monsieur,  que  ce  n'est  pas  êlre  si  rigoriste 
que  de  désapprouver  ce  qui  a  offensé  tant 
de  philosophes. 

«  Je  suis  étonné  que  M.  de  Voltaire,  qui 
est  appelé  par  ses  clients,  le  poêle  philosophe, 
ne  regarde  la  condamnation  des  spectacles 
que  comme  une  suite  des  disputes  qui  agi- 
tent depuis  plus  d'un  siècle  le  clergé  'de 
France  et  le  divisent  en  deux  partis  assez 
renommés.  Si  l'on  en  croit  ce  grand  poète, 
il  ne  faut  attribuer  les  déclamations  contre 
les  spectacles  qu'au  faux  zèle  de  l'un  de  ces 
deux  partis,  qui,  mécontent  des  cardinaux 
de  Richelieu  et  de  Mazarin,  voulut  s'en  ven- 
ger en  anathématisant  des  plaisirs  innocents. 
Il  suffit,  dit-il,  d'être  novateur  pour  être 
austère  (542). 
«  Si  cet  académicien  n'a  point  d'autre  rai- 

(540)  Psallere  el  saltare  eleganlius  qiiam  necesse 

est  prolKfi jocum  movere,  seriuoiie  uti  vel  molli, 

vel  procaci,  vel  nui  lia  faeeliu quae  instrumenta 

luxuria:  ei  cariora  quam  riecus  atque  pudicilia  fuit, 
pecunix  an  fam;i>  nimis  parcere  baud  facile  discer- 
ueres.  (Sallust.,  Bel.  Caiil.) 

(541)  Quis  ludos  appelle!  eos  ex  quibus  crimina 


son  pour  défendre  ce  qu'il  a  intérêt  de  sou- 
tenir, je  doute  qu'il  se  Halte  sérieusement  du 
succès  de  sa  cause.  Qu'on  attache  l'idée  que 
l'on  jugera  à  propos  à  ce  parti  dont  le  nom 
paraît  si  fort  annoncer  l'austérité,  il  faut 
avouer  qu'en  condamnant  les  spectacles ,  il 
ne  soutient  à  ce  sujet  que  la  doctrine  qui  est 
annoncée  par  les  plus  réguliers  du  parti  qui 
lui  est  opposé.  Avant  la  naissance  de  leurs 
disputes,  les  chaires  chrétiennes  n'étaient 
pas  plus  favorables  à  ces  sortes  de  diver- 
tissements. 

«  Les  luthériens  et  les  calvinistes, auxquels 
notre  poêle  historien  reproche  aussi  de  s'être 
déclarés  avec  éclat  contre  les  spectacles  sous 
Léon  X,  n'innovèrent  pas  en  cela  dans  la 
doctrine  ,  ils  ne  firent  que  soutenir  une 
ancienne  pratique  de  la  discipline  de  l'Eglise 
catholique. 

«  Vous  savez,  Monsieur,  qu'il  y  a  encore 
des  protestants  qui  les  proscrivent  très-sé- 
vèrement. La  république  de  Genève  ne  tolère 
aucun  spectacle.  Les  comédiens  qui  oseraient 
aller  s'y  établir,  en  seraient  chassés  comme 
corrupteurs,  et  le  poëte  le  plus  célèbre  ne 
pourrait  se  flatter  d'y  en  introduire  l'usage. 
Tous  les  citoyens  de  cette  république  étant 
occupés,  on  n'y  redoute  point,  comme  dans 
d'autres  Etats,  les  désordres  de  l'oisiveté. 
L'on  craindrait  que  les  spectacles  n'y  dimi- 
nuassent le  goût  du  travail  et  n'y  introdui- 
sissent la  licence.  En  effet,  Tacite  attribue 
une  des  causes  de  la  pureté  des  mœurs  des 
Germains  à  leur  opposition  pour  les  specta- 
cles, qui  rendent  le  vice  aimable  et  réveillent 
les  passions  (543).  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
que  les  spectacles  ne  puissent  se  concilier 
avec  les  grands  principes  de  la  religion  chré- 
tienne. 

«  Notre  poëte  philosophe  ne  rend  point  sa 
cause  meilleure  en  citant  des  prélats  et  des 
docteurs,  qui  ont  eu  la  faiblesse  défavoriser 
le  théâtre  par  leur  présence,  par  leurs  suf- 
frages et  môme  par  leurs  compositions.  L'on 
sait  que>  si  l'on  veut  bien  profiter  de  leur 
exemple  pour  autoriser  ce  que  l'on  souhai- 
terait êlre  permis,  on  les  en  blâme  assez 
intérieurement.  D'ailleurs,  s'il  y  a  de  grands 
exemples  pour  les  speclacles ,  comme  le 
dit  un  jour  Bossuet  à  Louis  XIV,  il  y  a 
de  plus  fortes  raisons  contre. 

s  Et  s'il  était  possible  qu'il  y  eût  quelques 
évêques  ou  quelques  docteurs  qui  parussent 
penser  autrement  que  ce  grand  évêque,  on 
pourrait  bien  les  défier  de  déposer  leur 
avis  dans  un  écrit  muni  de  leur  signature. 
Un  ecclésiastique  de  distinction,  dont  la  mé- 
moire est  respectable  par  la  piété  avec 
laquelle  ij  vécut  à  la  cour,  et  par  la  retraite 
austère  qui  termina  sa  vie  (544),  proposa  un 
jour  à  une  auguste  el  vertueuse  prin- 
cesse (545)  de  faire  ce  défia  quelques  pré- 

oriuntur. 

(542)  Siècle  de  Louis  XIV. 

(543)  Nullis  speclaculorum  illecebris  corrupli. 
(Tac,  Lib.  demor.  Verni.) 

(544)  M.  l'abbé  de  Puntac. 

(545)  Marie-Cbai  lolte-Sophie-Félieité  l'Eszeinska, 
princesse   de   Pologne,  reine  de  France  et  de  Na- 


1101 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1102 


lats  qui  avaient  paru  reconnaître  la  préten- 
due innocence  des  spectacles.  Mais  celte 
princesse  regarda  le  défi  comme  indécent  à 
leur  proposer,  présumant  avec  justice  que 
ces  mêmes  prélats,  consultés  sérieusement, 
auraient  été  plus  sévères. 

«  II  ne  faut  donc  pas.sur  ce  point  s'en 
laisser  imposer  par  l'exemple  de  ces  ecclé- 
siastiques dont  la  conduite  est  si  équivoque, 
que  M.  de  Voltaire  les  appelle  des  êtres  in- 
définissables. Leur  faiblesse  n'est  pas  une 
autorité  :  Canone  régit ur  Ecclesia,  non  exem- 
plo.  C'est  la  réponse  que  fit  à  ce  sujet  un 
ancien  évêque  de  Noyon  (546)  à  Louis  XIV, 
et  ce  monarque  en  fut  d'autant  plus  satisfait, 
qu'on  sait  combien  il  était  jaloux  que  le 
clergé  de  son  royaume  ne  dégénérât  pas  de 
la  grande  réputation  où  il  avait  toujours  été, 
tant  par  rapport  à  la  science  que  par  rapport 
aux  bonnes  mœurs. 

«  Pourquoi  ne  pas  convenir  que  le  goût 
des  spectacles  se  rencontre  toujours  avec  la 
licence,  ou  avec  la  pente  quo  l'on  a  à  la 
tolérer,  ou  avec  la  faiblesse  que  l'on  a  de  ne 
pas  résister  au  torrent  de  la  coutume. 

Le  grand  monde  esl  léger,  inappliqué,  volage; 
Sa  voix  trouble  el  séduil  :  est-on  seul,  on  est  sage. 

«  J'admets  bien  cette  maxime  : 

Il  faut  des  hochets  pour  tout  âge. 

«  Mais  si  les  spectacles  sont  de  ces  plai- 
sirs dont  l'innocence  n'est  point  équivoque, 
pourquoi  donc  ces  personnes  qui  doivent  à 
leurs  années,  ou  à  d'autres  motifs,  un.  goût 
pour  la  vie  sérieuse,  D'osent-elles  plus  con- 
tinuer de  s'y  montrer?  N'est-ce  point  parce 
qu'en  y  allant  elles  croiraient  se  permettre 
ce  qui  n'est  qu'une  suite  des  folles  passions 
de  la  jeunesse,  et  par  là  s'attirer  un  ridicule 
qui  donnerait  lieu  de  leur  adresser  ce  que 
Martial  dit  à  Caton  :  «  Pourquoi  venez-vous 
«  en  ces  lieux  profaner  votre  sagesse?  »  (547) 
Or  peut-il  être  quelque  âge  où  il  soit  per- 
mis d'entretenir  et  d'exciter  nos  passions  ? 
On  nous  exerce  dès  notre  enfance  à  les  con- 
tredire et  à  les  combattre. 

«  Ne  doit-on  exiger  que  des  personnes 
âgées  la  régularité  et  l'assujettissement  des 
liassions  à  la  raison  ?  N'est-on  pas  forcé 
d'admirer  ces  jeunes  gens  d'un  naturel  heu- 
reux, qui  n'emploient  la  vigueur  de  l'âge 
qu'à  remplir  tout  devoir  avec  plus  de  force, 
et  qui,  possédant  en  même  temps  toute  la 
prudence  de  la  vieillesse  ,  s'interdisent  ce 

varre,  morte  à  Versailles  le  24  juin  1768,  âgée  de 
soixante-cinq  ans.  Celle  princesse,  qui  mérite  à  tant 
de  titres  nos  regrets,  eut  pour  vertu  dominante  la 
modestie.  Que  d'auteurs  dont  elle  {mit  l'obéissance 
à  l'épreuve  en  leur  ordonnant  de  taire  ce  qu'elle 
seule  se  plaisait  à  ignorer  et  ce  qui  faisait  l'admira- 
tion et  l'amour  de  ses  sujets!  Elle  exigea  ce  sacrifice 
du  célèbre  annaliste  M.  le  président  Hénaull.  Mais 
«omme  le  dit  cet  académicien,  dans  l'épilre  dédica- 
loire  de  Y  Abrégé  de  l'Histoire  de  France  :  «  La  mo- 
désiie  n'est  pas  comme  les  autres  vertus.  Elle  a  cela 
f!e  particulier,  que  sa  récompense  esl  de  n'obtenir 
jamais  ce  qu'elle  demande.  Plus  elle  veut  se  cacher, 
plus  elle  se  découvre.  » 


qu'ils  seraient  un  jour  obligés  de  quitter? 
Ou  les  loue  intérieurement  de  leur  sagesse, 
lors  même  qu'on  semble  les  condamner  : 
Eamdem  virtutem  admirantes  cui  irascuntur. 
(Tac.it.,  lib.  i  Hislor.) 

«  On  admire  les  effets  d'une  bonne  édu- 
cation (548),  et  l'on  prévoit  que  ces  jeunes 
gens  recueilleront  les  fruits  de  leur  retenue, 
lorsque  dans  un  âge  avancé  la  bienséance 
n'aura  pas  à  exiger  d'eux  la  privation  d'un 
plaisir  dont  on  quitte  avec  peine  l'habi- 
tude (549).  Ainsi  ce  que  le  poids  des  années 
exigede  la  vieillesse,  la  prudence  le  demande 
des  autres  âges.  Il  n'en  est  aucun  où  l'on 
puisse  sans  danger  se  livrer  à  toutes  les 
productions  que  la  fiction  enfante  pour  le 
théâtre. 

«  Ce  n'est  pas,  Monsieur  ,  que  je  me  pré- 
vienne conlre  tout  ce  qui  est  fiction.  Je  sais 
qu'il  y  a  des  ouvrages  de  ce  genre  qui  doi- 
vent être  regardés  comme  des  chefs-d'œu- 
vre capables  d'instruire  et  de  plaire.  Tels 
sont  les  poèmes  épiques,  les  odes  de  Rous- 
seau, les  fables  de  La  Fontaine  et  quelques 
autres  productions  semblables.  Ce  serait 
renoncer  à  une  source  de  plaisirs  honnêtes 
que  de  rejeter  ces  ouvrages  de  génie.  Mais 
les  inconvénients  inséparables  des  représen- 
tations des  meilleures  pièces  sur  nos  théâ- 
tres publics  me  rendent  un  peu  austère 
pour  l'art  dramatique. 

«  L'histoire  de  cet  art  est  beaucoup  plus 
«  la  liste  des  fautes  célèbres  et  des  regrets 
«  tardifs,  que  celle  des  succès  sans  honte  et 
«  de  la  gloire  sans  remords.  »  C'est  l'idée 
que  nous  en  donne  M.  Gresset,  qui,  après 
avoir  apprécié  dans  sa  raison  ce  phosphore 
qu'on  nomme  l'esprit,  ce  rien  qu'on  appelle  la 
renommée,  et  avoir  écouté  la  voix  solitaire  du 
devoir,  annonça  par  une  lettre,  imprimée  en 
1759,  sa  retraite  du  service  de  Melpomène 
et  de  Thalie,  et  son  repentir  d'y  avoir  acquis 
de  la  célébrité. 

«  Je  conviens  que  les  poètes  dramatiques 
qui  ont  travaillé  avec  le  plus  de  succès,  ont 
mérité  leur  réputation.  J'admire  la  fécondité 
de  leu-r  génie,  mais  je  pense  qu'il  aurait  été 
à  souhaiter  qu'ils  l'eussent  employée  à  des 
productions  plus  utiles,  et  dont  le  mérite  ne 
consistât  pas  à  nous  faire  perdre  la  tranquil- 
lité de  l'âme. 

«  Telle  est  notre  faiblesse.  Un  auteur  nous 
dit  que  nous  sommes  presque  tous  comme 
des  enfants  qui  ne  haïssent  rien  tant  que  la 
tranquillité;  c'est  ce  qui  fait  que  la  poésie 

(546)  M.  de  Clermont-Tonnerre. 

(547)  Cur  in  thealruin,  Calonc  severe,  venisli? 

(Mart.,  lib.  xxxvn,  ep.  3.)  • 

(548)  Sensere  quid  métis  rite,  quid  indoles 
Nutrila  faustissub  pcnelialibus 
Possel. 

(Horat.,  lib.  iv,  od.  4.) 

(549)  Virtutes  in  omni  state  cultae ,  cuin  diu  mul- 
tumque  vixeris,  mirificos  cITerunt  lïucius  non  solum 
quia  nuuquamdeserunt,  ne  in  exlremo  quidem  teni- 
pore  ;elaiis  (quanquam  id  maximum  esl),  verum 
etiam  quia  conscienlia  bene  acire  vit* ,  muliorum- 

Îue  benefaclorum  recordalio  jucundissiuia  esl.  (Cic-, 
ai,  Maj.) 


1103 


DICTIONiNAIRE  DES  MYSTERES. 


HOi 


dramatique  cherche  à  nous  amuser  en  nous 
arrachant  à  cette  tranquillité  qui  fait  notre 
ennui.  Elle  y  réussit  dans  la  tragédie  en  nous 
ébranlant  par  la  terreur  ou  par  la  pitié,  et 
dans  la  comédie  en  excitant  nos  ris;  mais 
de  manière  que  dans  l'une  et  dans  l'autre 
les  spectateurs  éprouvent  les  passions  qu'on 
leur  représente  :  c'est  ce  succès  que  je  re- 
doute infiniment. 

«  Les  poêles  dramatiques  prétendent  nous 
instruire  en  nous  exposant  le  jeu  des  pas- 
sions; mais  ils  ne  nous  représentent  que  ce 
que  nous  avons  assez  souvent  sous  les  yeux. 
Tous  les  chefs-d'œuvre  du  théâtre  ne  nous 
offrent  que  des  copies.  Nous  voyons  les  ori- 
ginaux dans  le  spectacle  que  nous  donne  la 
conduite  de  nos  concitoyens.  Qu'ai-je  donc 
besoin  d'aller  chercher  des  fictions?  Nous 
nous  suffirons  les  uns  aux  autres,  satis  ma- 
gnum aller  alteri  Iheatrum  sumus  ,  c'est  ce 
tjue  nous  dit  Rousseau  dans  une  de  ses  meil- 
leures épigrammes: 

Ce  monde-ci  n'est  qu'une  œuvre  comique 
Où  chacun  fait  des  rôles  différents. 
Là,  sur  la  scène,  en  habit  dramatique, 
Brillent  prélats,  ministres,  conquérants. 
Pour  nous,  vil  peuple,  assis  aux  derniers  rangs, 
Troupe  futile  et  dés  grands  rebutée, 
Par  nous  d'en  bas  la  pièce  est  écoutée: 
Mais  nous  payons,  utiles  spectateurs; 
El  quand  ia  farce  est  mal  représentée, 
Pour  notre  argent  nous  sifflons  les  acteurs. 

«  Le  bal  môme  n'est  qu'une  copie  do  ce 
qui  se  passe  dans  le  monde.  Un  auteur  l'a 
tort  bien  dit  depuis  peu  : 

Ce  monde-ci  n'est  qu'un  grand  bal 
Où  chacun  cherche  à  se  connaître. 
On  paraît  ce  qu'on  devrait  être, 
El  l'on  cache  l'original  : 
Theisile  est  souvent  sous  un  casque. 
L'air  dévot  cache  des  Phrinés. 
Plusieurs  s'en  vont  avec  leurs  masques 
Sans  avoir  élé  devinés. 

«  Presque  tous  les  hommes  sont  dominés 
par  quelque  passion  ou  par  quelque  fai- 
blesse, dont  l'excès  est  souvent  le  principe 
d'un  ridicule  qui  les  caractérise.  11  n'est 
point  de  ville  ni  même  de  quartier  qui  n'en 
offre  plusieurs  exemples.  En  observer  les 
effets  n'est  point  hors  de  propos.  Les  fautes 
d'autrui  sont  les  miroirs  de  nos  défauts,  et 
c'est  une  sorte'd'instruclion  que  l'on  peut 
étendre  sans  avoir  recours  à  la  fiction.  Si  le 
théâtre  du  monde,  dans  la  sphère  duquel  je 
me  trouve,  ne  m'offre  point  assez  de  ces  ob- 
jets, j'ai  recours  à  l'histoire. 

C'est  un  théâtre,  un  spectacle  nouveau 

Où  lous  les  morts,  sortant  de  leur  tombeau, 

(550)  Nulla  capitalior  pestis  quam  corporis  volu- 
plas  :  cujus  voluplalis  avidre  libidines  temere  et  ef- 
frenate  ad  potiuudum  incilanlur.  Hinc  palriae  pro- 
diliones,  hinc  rerum  publicarum  exlorsiones,  hinc 
cuni  hoslibus  clandeslina  colloquia  nascunlur  :  nul- 
lum  denique  scelus,  nullum  malum  facinus  est  ad 
quod  suscipiendum  non  libido  voluplalis  impelleret  : 
siupra  vero  et  adulteria  et  omne  taie  flagilium, 
nullis  alHS  illecebris  exciianiur,  nisi  voluplalis... 
Nec  libidine  dominanle  lemperantiae  locus  est  :  iin- 
pedit  enim  consilium  voluptas  rationi  inimica,   ac 


Viennent  encor  sur  une  scèiie  illustre, 
Se  présenter  à  nous  dans  leur  vrai  lustre, 
Et  du  public  dépouillé  d'intérêt, 
Humbles  acteurs,  attendre  leur  arrêt. 
Là  retraçant  leurs  faiblesses  passées, 
Leurs  actions,  leurs  discours,  leurs  pensées, 
A  chaque  état  ils  reviennent  dicter 
Ce  qu'il  faut  fuir,  ce  qu'il  faut  imiler. 

(Rouss.,  1.  u.  ép.  6.) 

«  Ce  spectacle  n'esl-il  pas  préférable  à  ce- 
lui de  toutes  nos  pièces  de  théâtre,  qui  n'ont 
pour  objel  ou  que  d'inspirer  une  fausse  gran- 
deur d'âme,  ou  que  d'augmenter  l'attrait  na- 
turel que  nous  avons  pour  la  volupté? 

«  On  sait  que  les  anciennes  tragédies  des 
Grecs  étaient  assez  graves,  puisque  chez 
cette  nation,  il  fut  un  temps  où  elles  in- 
fluaient beaucoup  sur  le  gouvernement  po- 
litique. Cependant  Platon  en  prévit  les  dés- 
ordres. Il  les  réprouvait  comme  des  jeux 
qui  tendaient  à  faire  des  hommes  passion- 
nés et  à  fortifier  le  libido  sentiendi,  c'est-à- 
dire  les  agréables  impostures  de  cette  partie 
animale  et  déréglée  qui  est  la  source  de 
toutes  nos  faiblesses  (550).  Combien  ne  de- 
vons-nous pas ,  à  plus  forte  raison  ,  nous 
prévenir  contre  nos  tragédies  où  il  n'est 
question,  selon  M.  de  Voltaire,  que  de  vio- 
lentes passions  et  de  sottises  héroïques  con- 
sacrées par  de  Vieilles  erreurs  de  fables  ou 
d'histoire. 

«Pouvons-nous  avoir  une  meilleure  idée  de 
nos  comédies.  Il  est  vrai  que  le  grand  Corneille 
croyait  que  le  genre  comique  était  plus  utile 
pour  les  mœurs  que  la  tragédie;  mais  que 
cette  opinion  soit  vraie  ou  fausse,  je  doute 
que  la  comédie  soit  fort  utile  dans  un  pays 
où,  selon  M.  de  Voltaire,  la  dissipation,  le 
goût  des  riens,  ia  passion  pour  l'intrigue 
sont  les  grandes  divinités. 

«  Les  poêles  se  croient  obligés  de  se  con- 
former au  goût  de  la  nation.  Or  quelles  le- 
çons peuvent  recevoir  les  mœurs  sur  un 
théâtre  où  ce  qu'il  y  a  de  plus  licencieux  est 
accueilli,  pourvu  que  par  la  manière  dont  on 
l'exprime,  on  laisse  à  l'esprit  le  plaisir  de 
s'en  occuper  plus  longtemps  ?  Nos  acteurs 
ne  sont  pas  plus  réservés  que  l'étaient  ceux 
des  Romains.  Vous  savez  ,  Monsieur,  que 
Cicéron  nous  donne  à  entendre  qu'on  voulait 
de  son  temps  que  les  comédiens  lussent  aussi 
exacts  que  les  orateurs  à  ne  rien  exposer  qui 
pût  offenser  les  bienséances.  «  Cardons- 
«  nous,  dit-il  (551) ,  de  tout  ce  qui  choque 
«  les  oreilles  et  les  yeux.  En  quelqu'état  que 
«  nous  soyons,  debout  ou  marchant,  assis 
«  ou  à  table ,  que  la  bienséance  s'annonce 
«  toujours  sur  notre  visage ,  dans  nos  yeux 
«  et  dans  nos  gestes.  Evitons  également  sur 

mentis,  ut  ita  dicam  prreslringit  oculos  i  ec  liabet 
utluin  cuni  virtnte  coimncrciuin.  (Cicer.,  Cal.  Jfa/>, 
46,  47,  48,  49.) 

(55t)Omne  quod  abhorrel  oculorum  auriumque 
approbatione  fugiamus.  Status,  incessus,  sessio,  ac- 
cubilio,  vulius,  oculi,  manuum  motus  teneamus  illud 
décorum;  quibus  in  rébus  duo  maxime  efliigienda 
sunt,  ne  quid  effeminalum  an t  molle  et  quid  duruni 
aut  ruslicum  sit.  Nec  vero  hislrionibus,  oraioribus- 
que  concedendum  est  ut  iis  hœc  apta  sint,  nobis  dis- 
soluta.  {De  Off.,  lib.  I,  cap.  3.) 


1105 


NOTICE  SUR  LF,  THEATRE  LIBRE. 


110* 


«  cela  tout  ce  qui  parait  efféminé  et  qui  lien- 
«  drait  delà  mollesse, ainsi  quetoutcequi  est 
«  rude  et  grossier,  et  ne  disons  pas  que  c'est 

«  AUX  ORATEURS  ET  AUX  COMÉDIENS  A  OBSER- 
«   VER    CES    SORTES    DE    BIENSEANCES  ,    et    qU6 

«  nous  n'avons  que  faire  de  nous  y  assu- 
«  jellir.  » 

«  Cependant,  quelque  réservés  que  dus- 
sent être  alors  les  comédiens  ,  Cicéron  re- 
gardait les  speclacles  comme  un  divertisse- 
ment obscène,  dangereux  et  presque  toujours 
funeste  (552). 

«  Ce  n'est  donc  pas  en  fréquentant  nos 
spectacles  qu'on  réformera  ses  mœurs.  On 
n'y  va  pas  pour  se  réformer.  Aussi ,  pour 
l'ordinaire,  y  est-on  lynx  pour  apercevoir 
les  vices  et  ies  ridicules  que  l'on  n'a  pas,  et 
taupe  à  l'égard  de  tout  ce  qui  pourrait  re- 
présenter ce  que  l'on  a: 

L'avare,  des  premiers,  ril  du  tableau  fidèle 
D'un  avare  souvent  tracé  sur  son  modèle, 
El  mille  fois  un  fat  finement  exprimé, 
Méconnaît  le  portrait  sur  lui-même  formé. 

(Despréaux.) 

«Bayle,  cet  écrivain  dont  les  ouvrages 
seraient  utiles  si,  pour  leur  donner  plus  de 
cours,  il  n'y  avait  souillé  l'érudition  par  l'in- 
décence et  par  l'impiété;  cet  auteur,  dis-je, 
trop  fameux  et  qui  est  si  cher  à  tous  ces  li- 
bertins dont  le  cœur  est  comme  dissous  dans 
la  corruption,  a  avancé  dans  un  des  volumes 
de  sa  République  des  Lettres,  au  mois  do  mai 
i68i,  qu'il  ne  croyait  nullement  que  la  co- 
médie fût  propre  a  corriger  les  crimes  et  les 
vices  de  la  galanterie  criminelle,  de  l'envie, 
de  la  fourberie ,  de  l'avarice,  de  la  vanité  et 
d'autres  choses  semblables.  Il  ne  croit  pas 
que  Molière  ait  fait  beaucoup  de  mal  a  ces 
désordres;  et  l'on  peut  même  assurer,  dit- 
il,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  propre 'à  inspirer 
la  coquetterie  que  les  pièces  de  ce  comique, 
parce  qu'on  y  tourne  continuellement  en  ri- 
dicule les  soins  que  les  pères  et  mères  pren- 
nent de  s'opposer  aux  engagements  amou- 
reux de  leurs  enfants.  Il  se  moque  ,  avec 
raison,  de- ces  personnes  qui  disent  fort  sé- 
rieusement que  Molière  a  plus  corrigé  de 
défauts  à  la  cour,  lui  seul,  que  tous  les  pré- 
dicateurs ensemble.  Il  croit  que  l'on  ne  se 
trompe  pas,  pourvu  «  qu'on  ne  parle  que  de 
«  certaines  qualités  qui  ne  sont  pas  tant  un 
«  crime  qu'un  faux  goût  et  qu'un  sot  entê- 
«  tement,  comme  vous  diriez  l'humeur  des 
«  prudes,  des  précieuses,  de  ceux  qui  ou- 
«  tient  les  modes,  qui  s'érigent  en  marquis  , 
«  qui  parlent  incessamment  de  leur  noblesse, 
«  qui  ont  toujours  quelque  poème  de  leur 
«  façon  à  montrer.  »  Voilà  les  désordres  dont 
il  pense  que  les  comédies  de  Molière  ont  pu 
arrêter  le  cours. 

«  Si  le  théâtre  s'est  encore  épuré  depuis 
Molière,  c'est  que  nos  mœurs  sont  devenues 
plus  polies.  Je  conviens  que  sur  notre  théâ- 
tre ou  veut  à  présent  des  expressions  moins 

(552)  Genus  jocandi  petiilans,  flagitiosum,  obscœ- 
Ailih,  rerum  lurpitudini  adhibelur  verborum  obscoe- 
nilas. 


grossières;  mais  en  revanche  l'esprit  de 
corruption  n'y  est-il  pas  ordinairement  ré- 
pandu d'une  manière  infiniment  plus  pi- 
quante? (553)  Ce  poète  sait  que  ce  n'est  pas 
tant  un  voile  qu'on  exige  ,  qu'une  gaze  lé- 
gère qui  laisse. le  plaisir  d'apercevoir  et  de 
sentir  ce  qui,  présenté  trop  à  découvert, 
choquerait  le  goût  de  notre  siècle.  J'ai  pour 
garant  de  mon  opinion  un  auteur  assez  mo- 
derne et  nullement  suspect. 

«  Le  fameux  Riccoboni ,  après  être  con- 
venu que,  dès  la  première  année  qu'il  monta 
sur  le  théâtre,  il  ne  cessa  de  l'envisager  du 
mauvais  côté,  déclare  qu'après  une  épreuve  de 
plus  de  cinquante  années  il  ne  pouvait  s'em- 
pêcher d'avouer  que  rien  ne  serait  plus  utile 
que  la  suppression  entière  des  spectacles.. 

«  Je  crois,  dit-il,  que  c'était  précisément 
«  à  un  homme  telque  moi  qu'il  convenait  d'é- 
«  crire  sur  cette  matière  ;  et  cela  par  la  même 
«  raison  que  celui  qui  s'est  trouvé  au  milieu 
«  de  la  contagion  et  qui  a  eu  le  bonheur  de 
«  s'en  sauvor,  est  plus  en  état  d'en  faire  une 
«  description  exacte...  Je  l'avoue  donc  avec 
«  sincérité,  je  sens  dans  toute  son  étendue 
«  le  grand  bien  que  produirait  la  suppres- 
«  sion  entière  du  théâtre,  et  je  conviens  sans 
«  peine  de  tout  ce  que  tant  de  personnes 
«  graves  et  d'un  génie  supérieur  ont  écrit 
«  sur  cet  objet  (554).  » 

«  Le  théâtre,  selon  lui,  était  dans  son 
commencement  le  triomphe  du  libertinage 
et  de  l'impiété,  et  il  est  depuis  sa  correction 
l'école  des  mauvaises  mœurs  et  de  la  cor- 
ruption. 

«  C'est  relativement  à  ce  sentiment  qu'il 
a  proposé  son  plan  de  la  réformation  du 
théâtre  pour  la  tragédie  et  la  comédie.  Il  ne 
prétend  pas  y  pouvoir  comprendre  l'Opéra. 
Il  pense  que  ce-  spectacle  est  si  dangereux 
dans  toutes  ses  parties,  qu'il  mériterait  plu- 
tôt d'être  supprimé  que  d'être  réformé.  La 
musique  et  la  danse,  qui  en  sont  l'âme,  lui 
paraissent  être  des  écueils  où  la  modestie  et 
la  pudeur  échouent  presque  toujours. 

«  Je  vous  avoue,  Monsieur,  que  le  témoi- 
gnage d'un  si  grand  praticien  m'a  fort  pré- 
venu contre  ce  spectacle.  Je  l'ai  considéré 
en  philosophe,  et  il  m'a  paru  qu'il  n'y  en 
avaU  point  où  les  sens  pussent  être  plus 
fortement  frappés  ,  puisque  ,  comme  le 
dit  La  Bruyère,  son  caractère  est  de  tenir 
les  esprits,  les  yeux  et  les  oreilles  dans  un 
égal  enchantement. 

«  La  fiction  lui  appartient  encore  plus 
qu'à  tout  autre  spectacle.  Aussi  y  emploie- 
t-on  tous  les  ressorts,  toutes  les  machines  et 
toutes  les  décorations  qui  peuvent  le  plus 
l'augmenter  et  l'embellir,  afin  que  le  mer- 
veilleux, qu'on  s'attache  à  y  faire  briller, 
[misse  soutenir  les  spectateurs  dans  la  douce 
et  charmante  illusion. qu'ils  viennent  y  cher- 
cher. 

«  Vous  avez,  sans  doute,  remarqué  dans 
le  poème   de  la  Henriade  la  belle  descrip- 

(553)  Admitiunl  occulta  dedecoris. 

(554)  Préface  de  son  Traité  de  ta  ré  formation  du 
théâtre.  .  .    •     ■  ■ 


1107 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1108 


tiondu  temple  de  l'amour,  où  M.  de  Voltaire  a 
cru  devoir,  à  l'imitation  de  Virgile,  faire 
chanceler  la  vertu  de  son  héros.  Ne  pour- 
rait-on pas  appliquer  plusieurs  vers  de  cette 
belle  description  à  notre  théâtre  lyrique, 
qui  mérite  bien  d'être  appelé  le  temple  de 
l'amour  :  Sacrarium  Veneris  et  ars  omnium 
turpitudinum? 

...  On  entend  le  bruit  de  concerts  enchanteurs 
Dont  la  molle  harmonie  inspire  les  langueurs  : 
Les  voix  de  mille  amants,  les  chants  de  leurs  maî- 
tresses 
Qui  célèbrent  leur  honte  et  vantent  leurs  faiblesses. 


Par  des  liens  secrets  on  s'y  sent  arrêter; 

On  s'y  plaît,  on  s'y  trouble,  on  ne  peut  les  quitter. 

On  y  boit  à  longs  traits  l'oubli  de  ses  devoirs. 

Tout  y  paraît  changé,  tous  les  cœurs  y  soupirent; 
Tous  sont  empoisonnés  du  charme  qu'ils  respirent. 
Tout  y  parle  d'amour. 

(Henriade,  chant  ix.) 

«  Un  grand  évêque  de  France  (555)  voulut 
un  jour  éprouver  quel  pouvait  être  l'effet 
de  ce  jeu  d'instruments  que  l'on  appelle  le 
premier  coup  d'archet.  Il  fit  venir  chez  lui 
les  meilleurs  musiciens,  et  leur  dit  d'exécu- 
ter ce  que  tout  le  public  regarde,  avec  jus- 
tice, comme  un  chef-d'œuvre  de  la  musique 
instrumentale.  Le  premier  essai  fut  suffisant 
pour  l'ébranler  de  manière  qu'il  congédia 
sur-le-champ  ces  habiles  artistes.  El,  par  ce 
prélude,  il  jugea  des  funestes  impressions 
de  tout  le  spectacle  de  l'Opéra. 

«  En  effet,  on  n'y  entend  retentir  que  des 
airs  efféminés  et  lascifs  de  ce  genre  de  mu- 
sique, auquel  Quintilien  reproche  de  con- 
tribuer à  éteindre  et  à  étouffer  en  nous  ce 
qui  peut  nous  rester  encore  de  force  et  de 
vertu  (556). 

«  Mais,  quoique  tout  bon  philosophe  doive 
gémir  sur  le  goût  de  corruption  qui  exerce 
son  empire  sur  les  sciences  et  sur  les  arts, 
il  ne  faut  pas  pour  cela  nous  rejeter  dans  la 
barbarie  d'où  les  lettres  nous  ont  tirés.  On 
leur  doit  les  plus  grands  avantages  (557).  Un 
peuple  ne  date,  pour  ainsi  dire,  son  exis- 
tence que  du  temps  où  le  flambeau  des 
sciences  a  commencé  à  l'éclairer;  il  serait 
seulement  fort  à  souhaiter  que  l'éclat  de  ce 
flambeau  ne  fût  jamais  obscurci  par  l'im- 
piété et  par  la  corruption,  et  que  l'on  fût 
aussi  scrupuleux  à  cet  égard  que  l'était  le 
célèbre  Erasme  :  ses  paroles  à  ce  sujet  sont 
remarquables  (558). 

«  Il  ne  faut  donc  pas  imputer  h  la  musiq.ue 
les  abus  que  l'on  en  fait.  C'est  un  art  agréa- 
ble, et  même  ses  triomphes  sur  nos  organes 
sont  quelquefois  salutaires.  Vous  savez , 
Monsieur,  que  pour  certaines  maladies  l'on 

(555)  Bossuet,  évêque  de  Meaiix. 

(556)  Musica  nunc  in  scenis  effeminata,  et  impu- 
dicis  modis  fracta  non  ex  parle  miiùma,  si  quiri  in 
nobis  virilis  roboris  manebat,  cxcidit.  (Quint.,  lib.  i, 
cap.  tO.) 

(557)  Ipsa  mullarum  arlium  scient ia  eliam  agentcs 
nos  ornât,  atque  ubi  minime  credas,  eminet  et  ex 
eellil.  {Dial.  de  Orat.,  cap.  52  ) 


a  recours  à  l'agitation  qu'elle  a  le  pouvoir 
de  causer  dans  notre  cerveau. 

«  Je  ne  voudrais  pas  proscrire  un  art  pour 
lequel  la  nature  nous  a  donné  un  penchant 
dont  nous  devons  lui  savoir  gré  (559).  Je 
m'intéresse  au  contraire  à  sa  perfection. 
L'harmonie  des  sons  me  plaît  et  me  délasse 
infiniment  :  c'est  même  un  motii  qui  excite 
ma  mauvaise  humeur  contre  le  dangereux 
de  toutes  nos  pièces  d'opéra,  que  La  Bruyère 
regardait,  fort  judicieusement,  moins  comme 
fies  poèmes  que  comme  des  vers  rassem- 
blés. L'asservissement  de  la  poésie  à  la  mu- 
sique y  rend  nécessaires  les  fautes  les  plus 
ridicules  ;  ce  qui  déplaisait  tant  à  cet  auteur 
que  tous  les  charmes  de  ce  spectacle,  plus 
propres  à  flatter  les  yeux  et  les  oreilles  qu'à 
plaire  à  l'esprit,  ne  pouvaient  l'erapêcherde 
s'y  ennuyer;  mais  c'est  le  moindre  défaut 
de  ces  drames,  qui  ont  le  plus  ordinairement 
pour  objet  la  représentation  d'une  action 
merveilleuse.  Us  sont  composés  de  manière 
qu'il  n'en  est  presque  pas  dont  les  vers  n'ex- 
priment ces  lieux  communs  demorale  lubrique 
dont  parle  Boileau. 

*  C'est  ce  qui  fait  le  principal  mérite  du 
théâtre  de  Quinault;  car  vous  savez,  Mon- 
sieur, qu'il  ne  doit  pas  sa  réputation  aux 
belles  sentences  dont  je  lui  ai  fait  tant  d'hon- 
neur. La  morale  licencieuse,  qui  règne  dans 
ses  ouvrages,  est  tellement  uniforme  que  les 
versqueje  vousai  cités  sont  presqueles  seuls 
que  l'ondoiveretenir/maisilsse  trouvent  dis- 
persés et  perdus  parmi  tant  d'autres  si  pas- 
sionnés, que  si  on  les  lisait  dans  les  OEuvres 
mêmes,  ils  ne  seraient  point  capables  de 
produire  l'effet  pour  |lequel  je  les  ai  em- 
ployés. Si  c'est  à  ce  prix  qu'on  obtient  des 
brevets  de  poète  des  gr'âces  dans  le  temple  du 
goût,  il  faut  renoncer  au  titre  et,  dût-on 
n'être  qualifié  que  de  poète  de  la  raison,  il 
vaut  mieux  dire  avec  Louis  Racine  : 

Ah!  périsse  notre  art,  que  nos  lyres  se  taisent 
Si  les  sons  de  l'amour  sont  les  seuls  qui  nous  plaisent. 
Ce  feu  toujours  couvert  d'une  trompeuse  cendre 
S'allume  au  moindre  souffle   et  cherche  à  se  ré- 
pandre. 
Gardons-nous  d'irriter  ce  perfide  ennemi  : 
Dans  le  cœur  le  plus  froid  il  ne  dort  qu'à  demi. 

«  Riccoboni  a  donc  eu  raison  d'exclure 
l'opéra  de  son  plan  de  réformation.  Mais  ce 
qu'il  propose  pour  la  réforme  de  la  tragédie 
et  de  la  comédie  est  trop  peu  favorable  à  la 
licence  des  mœurs  pour  faire  espérer  qu'on 
en  fasse  jamais  usage  (560). 

«  Le  célèbre  Mariana  prouve,  dans  un  de 
ses  ouvrages,  que  les  spectacles  devraient 
être  abolis.  Il  y  dit  que  le  théâtre  ne  pourra 
jamais  se  réformer,  parce  que,  s'il  se  réfor- 
mait, il  serait  désert. 

«  Il  ne  faut  donc  pas  être  surpris  si  les  ac- 

(558)  Ipse  mihi  persuasi  ut  semper  incruentas  et 
imioxias  haberem  litteras,  nec  eas  ullius  inali  no- 
mine  coniaminarein. 

(559)  Musicam  natura  ipsa  videtur  ad  lolerai.iias 
fa»  ilius  labores  velul  muneri  nobis  dédisse.  (Quint., 
lit),  i,  cap.  10.) 

<3(j0)  Multo  eitius  munda  corrumpuntur  quant 
cornipla  mimdautnr. 


nos 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  L1BKE. 


1110 


(eurs  de  notre  Théâtre-Italien  n'ont  point 
ciéiéré  aux  conseils  de  Riccoboni,  leur  an- 
cien confrère.  Leur  fortune  aurait  été  com- 
promise. Ils  savent  que,  pour  attirer  le  pu- 
blic, il  faut  flatter  la  corruption  du  cœur. 
Et,  en  elFet,  pourquoi  leur  théâtre  est-il  si 
fréquenté?  N'est-ce  point  parce  que  la  bouf 
fonnerie,  [qui  en  fait  le  caractère  domi- 
nant, y  donne  lieu  à  une  plus  grande  li- 
cence ? 

«  Ce  spectacle,  qui  pourrait  être  comparé 
à  celui  des  mimes  des  anciens,  me  rappelle 
un  trait  de  Valère  Maxime.  Cet  historien 
nous  dit  que  les  anciens  habitants  de  la  ville 
de  Marseille,  que  l'on  sait  avoir  été  une  il- 
lustre colonie  grecque,  ne  voulaient  point 
admetlrecetle  sorte  de  spectacle  qui,  n'expo- 
sant aux  yeux  que  des  objets  obscènes  et  des 
gestes  indécents,  ne  pouvait  qu'introduire 
un  mauvais  goût  et  que  corrompre  lus 
mœurs  (561). 

«  Il  me  semble  que  le  jeu  de  nos  comé- 
diens italiens  tient  beaucoup  de  ce  specta- 
cle. Autre  trait  do  ressemblance.  Ces  mimes 
des  anciens  avaient  un  acteur  qu'on  appelait 
Planipes  chez  les  Romains,  parce  qu'il  mar- 
chait sans  brodequins;  et,  selon  un  passage 
d'Apulée,  il  était  vêtu  d'un  habit  formé  de 
différentes  pièces,  centunculo  vcstitus,  ce 
qui  convient  à  cet  Arlequin  des  Italiens,  le 
plus  intéressant  de  leurs  acteurs.  On  saitque 
son  mérite  consistait  à  exciter  les  ris  par  ses 
propos,  par  ses  gestes  et  par  ses  mouvements 
indécents  et  ridicules,  de  manière  qu'on  en 
peut  dire  ce  que  Cicéron  dit  d'un  pareil  ac- 
teur :  Ore,  vultu,motibus,  voce,  denique  cor- 
pore  ridetur  ipso.  C'est  par  ce  ton  excessif 
de  bouffonnerie  que  le  Théâtre-Italien  plaît 
à  tani  de  personnes.  Tout  le  monde  ne  se 
l'ait  pas  un  divertissement  d'aller  verser  des 
larmes  sur  des  malheureux  en  peinture. 
Aussi  les  comédiens  français,  qui  ont  la  li- 
berté de  satisfaire  les  différents  goûts  du 
public,  ne  manquent  point  de  terminer  le 
spectacle  d'unetragédie  par  celui  d'une  pièce 
comique  ou  bouffonne. 

«  On  vient,  dit  un  respectable  académi- 
«  cien  (562),  de  jouer  Polyeucte,  le  théâtre 
«  change  :  on  joue  l'Ecole  des  Maris.  En 
«  esl-ce  une  d'amour  conjugal  ?  Et  cette  sa- 
«  lire  du  mariage  achèvera-helle  les  beaux 
«  sentiments  que  la  vertu  de  Pauline  aurait 
«  commencé  d'inspirer?  On  vient  de  repré- 
«  senter  Athalie.  J'ai  vu  la  maison  du  Sei- 
«  gneur,  les  livres  de  la  Loi,  les  cérémonies 
«  du  sacre  des  rois  de  Juda.  J'ai  la  tête 
«  remplie  de  nouvelles  prophéties  des  gran- 
«  deurs  et  de  la  puissance  de  Dieu,  tout  cela 
«  m'a  pénétré  d'une  terreur  religieuse  et 
«  d'un  respect  profond  pour  le  Roi  des  rois. 

(561)  Massiliensis  civitas,  severilalis  cuslos  acer- 
riina,  iiulluin  adilum  in  scenam  minus  dando  quo- 
rum argumenta  majore  ex  parle  sluprorum  comi- 
nenl  aclus,  ne  lalia  speclandi  consueludo  eliam 
imitandi  liccntiam  sumal. 

(502)  M.  Lefranc,  ancien  premier  président  de  la 
Cour  des  aides  de  Monlauban  ,  Lettre  à  Louis  lia- 
âne. 

(563)  Nimium  risus  prelium  est,  si  probilatis  ira- 


«  Les  violons  jouent,  George  Dandin  paraît  ; 
«  et,  dans  le  même  lieu  où  était  le  temple 
«  de  Jérusalem,  je  vois  le  rendez-vous  noc- 
«  turne  d'un  jeune  homme  avec  une  femme 
«  mariée...  Je  voudrais  savoir  si  les  effets 
«  de  ces  différents  contrastes  peuvent  jamais 
«  tourner  au  profit  de  la  religion  et  des 
«  mœurs.  »  On  est  donc  exposé  à  acheter 
trop  cher  le  plaisir  du  spectacle,  commo 
Quintilien  le  disait  des  comédies  d'Aristo- 
phane (563). 

;<  Cicéron,  dont  les  Œuvres  philosophi- 
ques sont  si  propres  à  former  l'honnête 
homme,  pensait  aussi  sévèrement  à  ce  su- 
jet. «  O  la  belle  école,  s'écrie-t-il,  que  la 
«  comédie  et  la  tragédie'  Si  l'on  en  ôtait 
«  tout  ce  qu'elle  offre  de  vicieux,  il  n'y  au- 
«  rait  plus  de  spectateurs  (564). 

«  Aussi  M.  de  Voltaire  nous  dit-il  «  que 
«  bien  en  prit  au  grand  Corneille  de  ne  s'ê- 
«  tre  point  borné  dans  son  Polyeucte  à  faire 
«  casser  les  statues  de  Jupiter  par  les  néo- 
«  phytes.»Il  nous  avoue  aussi  que  «tous  ceux 
«  qui  vont  au  spectacle  l'avaient  assuré  que 
«  si  Zaïre  n'avait  été  que  convertie,  elle  au- 
«  rait  peu  intéressé;  mais  elle  est  amou- 
«  reuse  de  la  meilleure  foi  du  monde,  voilà 
«  ce  qui  a  fait  sa  fortune.  Telle  est  la  eor- 
v<  ruplion  du  genre  humain.  » 

Pe  Polyeucte  la  belle  âme 

Aurait  faiblement  attendri, 

El  les  vers  chrétiens  qu'il  déclamo 

Seraient  lombes  dans  le  décri , 

N'eûl-ce  été  l'amour  (te  sa  femme 

Pour  ce  païen  son  favori, 

Qui  méritait  bien  mieux  sa  flamme 

Que  son  bon  dévol  de  mari. 

(Œuvres  de  M.  de  Voltaire,  lom.  V.) 

a  J'applaudis  en  cette  occasion,  à  la  bonno 
foi  de  cet  auteur.  C'est  nous,  apprendre  par 
son  propre  exemple  à  n'user  d'aucune  po- 
litique dans  la  littérature  et  à  dire  toute 
vérité. 

«  Les  spectateurs  exigent  donc  qu'on  parle 
à  leurs  passions  plus  qu'à  leur  raison.  «  C'est 
«  pourquoi,  suivant  M.  de  Fontenelle,  tout 
«  ce  qui  est  régulier  et  sage  aurait  je  ne  sais 
«  quoi  de  froid  sur  le  théâtre,  et  pourrait 
«  même  donner  prise  au  ridicule.  Les  ca- 
«  ractères  qui  flattent  le  plus  sont  ceux  où 
«  la  force  l'emporte  sur  la  raison  et  le 
«  courage  sur  la  prudence.  Ladislas,  par 
«  exemple,  dans  Vinceslas  paraît  aimable , 
«  tout  fougueux,  tout  impétueux  et  tout 
«  violent  qu'il  est.  »  Vous  savez  que  le 
terrible  Abramane,  dans  Zoroastre2  plaît 
plus  par  sa  fureur,  par  sa  haine  et  "par  sa 
ïage,  que  le  caractère  de  Zoroastre  qui  n'a 
que  la  vertu  pour  briller  :  c'est  ce  que  nous 
dit  un  célèbre  journaliste,  sans  doute,  d'a- 

pendio  constat.  (Quint.,  Mb.  vi,  cap.  3.) 

(564)  O  praeclaram  emendatricem  vitae  poeticam 
(|u:e  amorem  flagilii  et  levilatis  auclorem  in  concilia 
deorum  collocandum  esse  putal!  Decomœdia  loquor, 
qn.i'  si  flagitia  non  probaremus  nulla  essel  omnino. 
Quid  autem  ex  tragœdia  princeps  ille  Argonolariim, 
lu  me  amoris  magis  quam  honoris  servavisti  gratial 
{Tutc.  lib.  iv.) 


JIM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


4  ï  12 


prés  le  jugement  du  public.  De  mode  un 
Caton,  une  Sophonisbe,  un  Ajax  réduits  au 
désespoir,  et  n'ayant  pas  la  force  de  se  sou- 
tenir dans  le  malheur  (565),  se  donnent-ils  la 
mort?  Ils  paraissent,  dit  M.  de  Fontenelle, 
mourir  noblement  en  faisant  eux-mêmes 
leur  destinée,  suivant  cette  maxime  que 
M.  de  Voltaire  met  dans  la  bouche  de  Mérope: 

Quand  on  a  toul  perdu  ,  quand  on  n'a  plus  d'espoir, 
La  vie  est  un  opprobre,  et  la  mort  un  devoir. 

«  Croyez-vous  qu'il  n'y  ail  pas  autant  d'in- 
convénients à  exposer  de  semblables  héros  à 
notre  admiration  (566),  qu'il  y  en  aurait  à  ne 
point  soustraire  à  la  vue  des  spectateurs  une 
Médée  égorgeant  elle-même  ses  propres  en- 
fants? (567)  N'est-ce  point  nous  accoutumer 
à  prendre  souvent  le  change  en  fait  de  gran- 
deur d'âme?  Pour  moi,  je  pense  que  ces  hom- 
mes tourmentés  par  la  fièvre  de  l'ambition 
ou  par  la  soif  de  la  vengeance,  n'en  peuvent 
devenir  que  plus  animés  dans  leurs  pas- 
sions, lorsqu'ils  entendent  dire  à  un  Abra- 
mane  (ce  qui  ne  se  passe  que  trop  réelle- 
ment dans  le  cœur  de  tout  ambitieux)  : 

Osons  achever  de  grands  crimes, 
J'en  attends  un  prix  glorieux. 
Leur  nom  change  s'ils  sont  heureux. 
Tous  les  succès  sont  légitimes. 

«  Cependant  ce  sont  là,  comme  vous  sa- 
vez, les  caractères  les  plus  féconds  pour  des 
tragédies.  Ou  bien,  si  l'on  expose  des  vertus 
sur  la  scène,  l'usage  est  d'en  présenter  les 
excès  sous  prétexte  de  donner  de  la  vigueur 
et  de  la  chaleur  aux  caractères  :  et  pour  lors 
ce  ne  sont  plus  que  des  vices,  puisque  les 
vertus  finissent  où  commencent  les  excès. 

«  M.  de  Montesquieu  nous  dit  que  si  nos 
mœurs  ne  sont  pas  pures,  c'est  que  chez  nous 
l'honneur  (ce  sophiste,  qui  justifie  tous  les 
vices)  nous  donne  pour  quelque  chose  de 
noble  la  galanterie,  lorsqu'elle  est  unie  à 
l'idée  de  conquête  :  or  ce  faux  préjugé 
n'acquiert-il  pas  encore  tout  un  autre  em- 
pire sur  notre  théâtre,  par  les  heureux  suc- 
cès dont  le  vice  y  est  si  souvent  couronné  ? 
C'est  ce  qui  arrive  dans  toutes  ces  comé- 
dies où  l'on  voit  les  intrigues  des  amants 
les  plus  indiscrets  et  les  plus  téméraires, 
terminées  par  le  mariage  :  dénoûment  qui 
tend  à  inspirer  que,  pour  être  heureux  dans 

(565)  Rébus  in  angustis  facile  est  contemnere  vitam, 

Fortiier  ille  facit  qui  miser  esse  potest. 
(Makt.,  ep.  lvh,  lib.  il.) 

(566)  Lxempla  fiunt  quai  esse  jam  facinora  deslile- 

[  runt. 

(567)  Nec  coram  populo  natos  Medea  trucidet. 

(568)  Nihil  est  lam  damnosum  bonis  moribus  quam 
in  aliquo  speclaculo  desidere.  Tune  enim  per  volu- 
ptaletn  facilius  vilia  surrepunt.  Quid  me  existimas 

dicere  ;  avarior  redeo,  ambitiosior,  Iuxuriosior 

quia  inter  homines  fui?  Nemo  nostrum  ferre  impe- 
tum  vitiorum  tam  magno  comitatu  venientium  potest. 
(Sen.  èp.  7.) 

(569)  Lascivus  quidem  in  heroicis  quoque  Ovidius 
et  nimiuin  arnator  ingenii  sui,  laudandus  lamen  in 
parlibus. 

(§70)  Ille  locus  casli  damna  pudoris  fiabet. 


sa  passion,  il  faut  tout  hasarder.  C'est  donc 
avec  raison  que  Cicéron  se  moque  d'une  pa- 
reille école,  et  l'on  pourrait  douter  qu'il  eût 
adopté  la  devise  Castigat  ridendo  mores. 

«  Comment  en  effet  pourrait-on  attribuer 
aux  spectacles  la  gloire  de  corriger  les 
mœurs?  «  Je  n'ai  jamais  entendu,  dit  M.  de 
«  Fontenelle  à  ce  sujet,  la  purgation  des  pas- 
«  sions  par  le  moyen  des  passions  mêmes.  » 
Ne  serait-ce  point,  Monsieur,  dans  l'ordre 
moral  un  phénomène  fort  singulier?  Je  vou- 
drais au  moins  qu'on  me  citât  quelqu'un 
qui  se  fût  purgé  par  cette  voie-là,  c'est-à- 
dire  que  le  théâtre  eût  rendu  meilleur. 

«  Sénèque  n'était  pas  moins  incrédule  à 
cet  égard.  Il  vous  paraîtrait  même  un  peu 
trop  sévère.  Il  pensait  que  personne  ne  pou- 
vait jamais  assister  à  aucun  spectacle*  sans 
s'y  corrompre  (568).  Mais  je  laisse  ce  phi- 
losophe pour  consulter  Ovide. 

«  Ce  célèbre  poëte,  que  Quinlilien  a  ca- 
ractérisé d'une  manière  si  énergique  en  peu 
do  mots  (569),  pouvait  connaître  ce  qui  était 
le  plus  capable  de  séduire  le  cœur.  Vous 
savez  qu'il  déclare  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
funeste  pour  la  pureté  des  mœurs  que  \es 
spectacles  (570)  ;  c'est  en  quoi  je  trouve 
qu'il  mérite  d'être  loué,  laudandus  tamen  in 
parlibus. 

«  Croyez-vous  qu'il  eût  été  plus  indulgent 
pour  les  spectacles  de  notre  temps  ?  Nous 
avons,  avec  raison,  rejeté  ces  jeux  sanglants 
de  l'amphithéâtre,  qui  étaient  si  contraires  à 
l'humanité  :  mais  nosjeux  scéniques  sont-ils 
beaucoup  moins  dangereux  que  ne  l'étaient 
ceux  du  temps  d'Ovide. 

«  Je  sais  quelle  était  l'impureté  du  théâ- 
tre des  anciens,  et,  par  conséquent,  quelle 
horreur  nous  devons  en  avoir.  Mais  s'il  fal- 
lait ne  le  juger  que  par  les  effets  qu'il  devait 
produire  sur  les  spectateurs,  peut-être  ne 
paraîtrait-il  plus  si  éloigné  du  nôtre  1  La  ré- 
formation dont  nous  nous  prévalons  si  fort, 
ne  tombe  presqueque  sur  des  obscénités  qui 
étaient  comme  honorées  dans  la  religion 
païenne,  et  entraient  même  souvent  dans  le 
culte  public.  Elles  pouvaient  donc  ne  point 
fairesur  le'peupleautantd'impressions qu'on 
voudrait  le  faire  connaître. 

«  Je  fais  celte  observation  pour  répondre 
à  un  écrit  imprimé  ou  pour  soutenir  la  pré- 
tendue pureté  de  nos  spectacles;  l'on  m'a 

ftespiciunt,  oculisque  notant sibiquisquepuellam. 
Quw  vult,  et  lacito  peclore  multa  movent. 

Elige  eux  dicas:  Tumihi  sola  places. 
Ces  vers  ne  font-ils  pas  bien  le  portrait  de  nos 
jeunes  coureurs  de  spectacles,  qui  ne  sont  presque 
occupés  qu'à  y  rencontrer  leurs  dulcinées,  ou  qu'à 
s'en  choisir  une  à  qui  ils  puissent  dire  avec  succès  : 
Vous  êtes  la  seule  qui  me  plaisez.'  Est-il  facile  de 
sauver  sa  vertu  au  milieu  de  ce  tourbillon?  Aussi, 
que  de  jeunes  sujets  en  qui  l'on  avait  admiré  les 
germes  des  talents  les  plus  intéressaulspourla  patrie, 
ne  sont  devenus  des  citoyens  inutiles  ou  dangereiT, 
immolés  à  l'oisiveté  ou  au  libertinage,  que  pour  avoir 
été  respirer  imprudemment  aux  théâtres  cet  air  de 
frivolité  et  de  corruption  qui  pervertit  le  jugcmeal, 
et  fait  perdre  le  goût  de  toute  application  ! 


1113 


NOTICE  SFR  LE  THEATRE  I.ICRE. 


1111 


objecté  la  différence  qu'il  y  avait  à  cet  égard 
entre  nos  pièces  d'aujourd'hui  et  celles  des 
anciens. 

«  On  n'y  a  pas  omis  de  les  comparer  aussi 
avec  les  farces  grossières  qui  amusaient  nos 
pères.  Je  pourrais  répondre  également,  par 
rapport  a  ces  dernières  ,  qu'elles  pouvaient 
ne  point  faire  sur  les  spectateurs  les  mômes 
impressions  qu'elles  feraient  présentement 
sur  nous.  Une  nation  varie  dans  son  langage, 
dans  le  goût  de  ses  plaisirs,  comme  dans  la 
manière  de  s'habiller. 

«  Vous  savez,  par  exemple,  que  dans  les 
neuf  premiers  siècles  de  notre  monarchie, 
les  femmes  portaient  des  robes  si  haut  mon- 
tées que  leur  gorge  était  entièrement  cou- 
verte. Ce  ne  fut  que  sous  Charles  VI  qu'elles 
commencèrent  à  découvrir  leurs  bras  et 
leurs  épaules.  Or,  de  même  que  les  femmes 
qui  se  prêtent  avec  réserve  à  l'usage  pré- 
sent, ne  passent  point  pour  immodestes,  ne 
doit-on  pas  aussi  présumer  que,  dans  nos 
siècles  d'ignorance ,  l'on  ne  se  choquait  pas 
de  la  plupart  de  ces  farces,  qui  nous  parais- 
sent aujourd'hui  si  monstrueuses?  Mais 
n'est-ce  pas  humilier  la  nation  que  de  nous 
les  rappeler  encore?  Les  progrès  que  nous 
avons  faits  dans  l'art  dramatique  doivent  les 
faire  oublier. 

«  Il  ne  faut  donc  plus  comparer  le  théâtre 
français  qu  avec  ceiui  des  Grecs  et  des  Ro- 
mains. On  sait  le  jugement  qu'on  en  doit 
porter  comme  littérateur  ;  mais  il  n'est  ques- 
tion ici  que  de  ses  effets  sur  le  cœur.  Or 
notre  théâtre,  pour  être  purgé  de  ce  qui  ne 
pouvait  êlre  supporté  que  dans  la  corruption 
du  paganisme,  en  est-il  beaucoup  moins  à 
craindre  ?  Il  mo  semble  que  la  force  des 
agents  qui  y  sont  employés  est  assez  bien 
proportionnée  à  l'inertie  ou  à  la  résistance 
des  spectateurs  qu'il  s'agit  d'émouvoir.  N'y 
représente-t-on  pas  toujours  les  passions 
les  plus  vives  ?  Et  si  les  personnages  qui  en 
sont  animés  ne  touchent  plus  de  si  près  au 
moment  de  se  satisfaire,  le  jeu  ne  laisse-l-il 
pas  assez  entrevoir  ce  qui  ne  doit  plus  se 
passer  que  derrière  la  toile?  Notre  théâtre 
est  donc  réellement  toujours  aussi  dange- 
reux (571). 

«  En  effet,  pour  en  revenir  pleinement  sa- 
tisla.t,  ne  faut-il  pas  encore  y  porter  un  cœur 
exercé  dans  la  milice  des  passions  (572)? 
C'est  un  préalable  toujours  nécessaire  pour 
bien  juger  du  jeu  d'une  pièce,  parce  que 
l'esprit  connaît  mal  les  passions  que  le  cœur 
n'a  point  senties.  Ainsi, je  crois  que  celui 
qui  irait  aux  spectacles  avec  une  humeur 
philosophique,  c'est-à-dire  avec  une  inten- 

(571)  La  maxime  de  Catulle  est  toujours  de  mode. 
Le  sage  l'iine  l'admettait  bien  lui-même.  Nous  per- 
mellonsaiix  poêles  d'être  cliasles  dans  leur  conduite; 
mais  nous  voulons  que,  pour  nous  amuser,  leurs 
vers  soient  assaisonnés  de  ce  poivre  que  Rousseau 
reproche  à  Catulle  d'avoir  un  peu  trop  prodigué. 

Nam  casliim  esse  débet  pium  poelam 

Ipsum  versiculos  nihil  necesse  est. 

Qui  tune  denique  habent  salem  elleporem, 

Si  sutit  mollicuti  et  parum  pudici. 

(Cil  CL.) 


tion  de  s'y  défendre  contre  les  charmes  de 
l'illusion  et  de  la  commotion,  serait  souvent 
dans  le  cas  de  s'y  ennuyer  et  de  désapprou- 
ver ce  qui  serait  le  plus  universellement  ap- 
plaudi. 

«  Les  rôles  d'Amélile  et  de  sa  rivale,  par 
exemple,  dans  Zoroastre  (573),  ne  plairaient 
pas  à  ce  philosophe.  Cependant,  comme  ledit 
un  de  nos  fameux  aristarques ,  qui,  en  cette 
occasion  fait  la  fonction  d'historien,  ils  ont 
charmé  par  le  feu  de  leurs  passions  et  ont 
procuré  aux  spectateurs  les  sensations  les  pi  us 
agréables.  «  On  a  été,  dit  cet  écrivain,  jus- 
te qu'à  les  plaindre  toutes  deux,  parce  que 
«  toutes  deux  sont  malheureuses ,  l'une  en 
«  faisant  des  crimes,  l'autre  en  les  souffrant, 
«  et  que  toutes  deux  y  sont  forcées  par  leur 
«  passion.  » 

«  Je  ne  doute  point  que  les  spectacles  no 
pussent  peut-être  me  flatter  par  certains  ob- 
jets; mais, 

Il  ne  faut  pas  tout  voir,  tout  sentir,  tout  entendre. 

L'occasion  fait  un  cœur  différent. 

«  D'ailleurs,  quand  je  me  proposerais 
de  ne  m'y  occuper  que  des  beaux  senti- 
ments que  la  pièce  peut  contenir,  ne  sont- 
ils  pas  souvent  débités  en  pure  perte  sur  le 
théâtre?  Le  bon  y  est  toujours  trop  mêlé, 
trop  confondu  avec  le  mauvais,  pour  qu'on 
puisse  être  assuré  d'en  faire  la  séparation, 
et  de  profiler  de  l'un  sans  ressentir  l'im- 
pression de  l'autre. 

«  De  plusBiccoboni,  cet  homme  si  expert 
et  si  distingué  dans  son  art,  nous  assure 
«  que  Jes  sentiments  qui  seraient  les  plus 
«  corrects  sur  le  papier,  changent  de  nature 
«  en  passant  par  la  ;bouche  des  acteurs,  et 
«  deviennent  criminels  par  les  idées  cor- 
«  rompues  qu'ils  font  naître  dans  l'esprit  du 
«  spectateur  même  le  plus  indifférent.  »  Je 
ne  crois  donc  pas  qu'il  soit  prudent  de  se 
permettre  des  spectacles,  où  il  n'y  a  de 
triomphes  assurés  que  pour  le  vice. 

«  Je  sais  qu'on  y  rencontre  quelquefois 
des  personnes  dont  la  gravité  pourrait  don- 
ner lieu  de  croire  qu'elles  n'y  vont  que  pour 
se  délasser  d'une  longue  ou  pénible  applica- 
tion ,  ou  pour  dissiper  un  ennui  vaporeux 
qui  leur  noircit  les  objets  les  plus  riants  ;  et 
il  me  semble  leur  entendre  dire  : 

Je  puis  du  moins  admettre  une  folie 
Qui  sert  de  cure  à  ma  mélancolie. 

(Rouss.,  Ep.  à  Th.) 

«  Mais  ces  personnes  refuseraient-elles 
d'avouer  que  si  le  remède  dont  elles  usent 

(572)  Eo  magis  eis  movelur  quo  quisque  minus  al, 
eis  saniis  est. 

(575)  On  sait  qu'une  tragédie  chantée  ne  diffère 
d'une  tragédie  déclamée  que  par  une  plus  grande 
rapidité  dans  sa  marche,  et  par  une  plus  parfaite 
concision  dans  son  langage.  Le  plaisir  do  spectateur 
ne  consiste  toujours  dans  l'une  ou  dans  l'autre  q«  a 
éprouver  une  continuité  vive  de  passions  qui  l'em- 
pêche de  sentir  que  ce  qu'on  lui  expose  n'est  qu'une 
lielion. 


4215 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1113 


ifallère  point  leur  verlu  ,  il  n'en  est  pas 
moins,  pour  le  plus  grand  nombre,  un.  poi- 
son funeste?  Elles  désapprouvent  sans  doute 
tout  ce  que  le  spectacle  offre  de  licencieux  : 
cependant  leur  présence  est  censée  en  faire 
l'apologie.  On  la  cite  comme  une  autorité 
décisive  ;  et  parmi  ceux  qui  ont  la  faiblesse 
de  céder  aux  influences  de  celte  autorité, 
combien  en  est-il  qui,  au  lieu  d'imiter  le 
discernement  de  ces  graves  spectateurs,  ou- 
vrent leur  cœur  à  toute  la  contagion  du 
spectacle  et  adoptent  ce  que  Corneille  fait 
dire  à  Cornélie  : 
0  ciel  !  que  de  vertus  vous  me  faites  haïr  ! 

(Pompée.) 
ou  ce  que  Molière  met  dans  la  bouche  d'Or- 
gou  : 

C'en  est  fait,  je  renonce  à  tous  les  gens  de  bien  ; 
J'en  aurai  désormais  une  horreur  effroyable. 

(Tartufe.) 

«  Est-ce  donc  nous  donner  une  bonne 
caution  de  la  puielé  de  nos  théâtres  que 
de  citer  les  personnes  graves  qu'on  y  ren- 
contre? Cette  autorité  peut-elle  balancer 
celle  de  nos  respectables  citoyens  qui  oc- 
cupent les  hautes  places  de  la  judicature  et 
qui  en  ont  les  mœurs?  Pourquoi  ces  sages 
magistrats  ne  vont-ils  pas  à  nos  spectacles? 
N'est-ce  point  parce  qu'il  y  a  quelque  in- 
compatibilité entre  leur  fréquentation  et 
la  pratique  de  la  vertu  1  M.  de  Voltaire  a  bien 
senti  cette  conséquence  si  défavorable  à 
nos  jeux  de  théâtre  ;  et  pour  l'affaiblir ,  il  a 
eu  recours  au  ridicule.  «  Il  y  aura  toujours, 
«  dit-il,  clans  notre  nation  de  ces  âmes  qui 
«  tiendront  du  Golh  et  du  Vandale....  Un 
«  magistrat  qui,  parce  qu'il  a  acheté  cher  un 
«  office  de  judicature,  ose  penser  qu'il  ne 
«  lui  convient  pas  d'aller  voir  représenter 
«  Cinna,  montre  beaucoup  de  gravité  et  bien 
«  peu  de  goût.  »  Croira-l-on  jamais  que 
M.  de  Vollaire  (574)  ait  pensé  qu'il  y  a  des 
juges  qui  prennent  pour  tarif  de  leur  gravité 
la  tinance  de  leurs  offices?  Au  reste,  quelque 
fausse  que  soit  son  idée  burlesque  et  sati- 
rique, elle  constate  au  moins  la  régularité  de 
nos  sages  magistrats.  Je  suis  persuadé,  Mon- 
sieur, que  vous  ne  vous  offensez  pas  de  la  gra- 
vité de  leur  conduite.  Vous  savez  que  l'état 
de  judicature  est  une  espèce  de  sacerdoce, 
dont  le  caractèreexige  toutes  les  vertus  et  ex- 
clut tous  les  vices.  Ainsi  l'on  pourrait  y 
appliquer  ce  que  Cicéron  dit  de  la  philoso- 
phie :  Dux  vitœ  ,  virlulis  indagatrix,  expnl- 
trixquevitiorum.  C'est,  en  effet,  ne  pas  trop 
exiger  de  tous  ceux  qui,  dans  un  degré  plus 
ou  moins  éminent,  partagent  l'auguste  fonc- 
tion de  décider  de  la  fortune,  de  l'honneur 
et  de  la  vie  des  citoyens,  et  qui  à  cet  égard 
ont  l'honneur  d'être  les  organes  du  souve- 
rain, radiis  régis  coruscant.  Ne  sera-t-on 
pas  toujours  intéressé  qu'ils  puissent  se 
reconnaître  dans  ce  beau  portrait  que  Méze- 
i  ai  fait  du  Parlement  de  Paris,  sous  Charles 

(574)  Œuvre»  de  M.  de  Voltaire,  Lettre  à  un  pre- 
mier commis. 

(575)  Abrégé  de  Mézerai,  lom.  IV,  page  48,  -Million 


VIII  ?  «  Cette  grande  compagnie  était  comme 
«  un  sanctuaire  de  toutes  sortes  de  vertus, 
«  de  tempérance,  de  continence,  de  modestie, 
«  de  zèle  pour  le  bien  de  l'Etat  et  du  pu- 
te blic.  Sa  religion  se  laissait  rarement  sur- 
«  prendre  et  jamais  corrompre.  On  ne  lui 
«  demandait  point  d'injustices,  parce  qu'on 
«  Je  connaissait  incapable  d'en  commettre. 
«  Ses  arrêts  étaient  reçus  comme  des  ora- 
«  des,  d'autant  qu'on  savait  que  ni  l'inté- 
»  rêt,  ni  les  parentés,  ni  la  faveur,  quelle 
«  qu'elle  fût,  n'y  pouvaient  rien.  Les  mœurs 
«  innocentes  de  ces  magistrats  et  leur  ex- 
«  térieur  même  servaient  de  loi  et  d'exem- 
«  pie.  La  gravité  de  leur  profession  les 
«  éloignait  des  vanités  du  grand  monde,  du 
«  luxe,  des  jeux,  de  la  chasse,  de  la  danse» 
«  encore  bien  plus  de  la  dissolution  et  de  la 
«  débauche.  Ils  trouvaient  leur  plaisir  et  leur 
«  gloire  a  exercer  dignement  leurs  charges. 
«  Un  grand  fonds  d'honneur,  d'intégrité  et 
«  de  suffisance  faisait  leur  principale  ri- 
«  chesse,  et  la  frugalité  leur  plus  certain 
«  revenu.  N'aimant  point  le  faste  et  la  dé- 
«  pense,  ils  n'avaient  point  d'avidité  pour 
«  les  grands  biens,  et  ils  croyaient  leur  for- 
«  tune  juste  et  honorable  quand  elle  était 
«  médiocre  et  juste.  Ainsi  se  rendant  vé- 
«  nérables  par  eux-mêmes,  ils  étaient  en 
«  vénération  à  tout  Je  monde.  Et  on  les  res- 
te pectaità  la  cour,  parce  que,  n'y  ayant  au- 
«  cunes  prétentions,  ils  n'y  allaient  jamais 
«s'ils  n'étaient  mandés  par  les  ordres  du 
«  roi  ou  pour  son  service  (575).  » 

«  L'intégrité  de  toutes  ces  vertus  a  pu 
par  la  suite  éprouver  quelque  altération, 
néanmoins  celte  auguste  cour,  réunie  dans 
son  sanctuaire,  n'en  a  pas  été  plus  favo- 
rable à  nos  théâtres.  Elle  leur  refusa  sous 
Henri  III  un  établissement  légal.  «  Le  luxe. 
«  dit  Mézerai,  appela  du  fond  de  l'Italie 
«  une  bande  de  comédiens  surnommés  Li 
«  Gelosi,  dont  les  pièces  toutes  d'intrigues, 
«  d'amourettes  et  d'ihvenlions  agréables 
«  pour  exciter  et  chatouiller  les  passions, 
«  étaient  de  pernicieuses  leçons  d'impudi- 
«  cité.  Us  obtinrent  des  Jeltres-patentes 
«  pour  leur  établissement,  comme  si  c'eût 
«  été  quelque  célèbre  compagnie.  Le  parle- 
«  ment  les  rebuta  comme  personnes  qua 
«  les  bonnes  mœurs,  les  saints  canons  et 
o  les  Pères  de  l'Eglise  avaient  toujours 
«  réputées  infâmes,  et  leur  défendit  de  jouer 
«  ni  de  plus  obtenir  de  semblables  lettres, 
«  sous  peine  de  dix  mille  livres  d'amende 
«  applicable  aux  pauvres.  » 

«  Ce  fut  sans  succès  qu'un  avocat  osa,  en 
1761,  dégrader  son  ministère  jusqu'à  vou- 
loir dans  [une  consultation  imprimée  inno- 
center la  profession  de  comédien  et  la  faire 
relever  de  toutes  les  flétrissures  dont  elle 
avait  été  tant  de  fois  frappée.  Le  parlement 
prononça  contre  cette  consultation  et  contre 
l'auteur  un  arrêt  qu'on  avait  lieu  d'attendre 
de  son  zèle  pour  les  bonnes  mœurs  (576).  Il 

d'Amsterdam  de  1723. 

(576)  Cet  arrêt  est  du  22  avril  1761.  Nous  le  pu- 
blions vers  la  fin  de  la  présente  notice. 


1111 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1113 


fut  précédé  du  vœu  unanime  de  l'ordre  des 
avocats,  qui  s'empressèrent  de  rejeter  de 
leur  sein  un  confrère  qui  s'était  si  fort 
écarté  du  respect  que  ce  premier  barreau 
du  Foyaume  a  toujours  eu  pour  les  lois  de 
la  religion  et  de  l'Etat. 

«  Le  parlement  reconnut  à  cette  occasion 
tout  ce  qu'on  avait  a  craindre  du  goût  ex- 
cessif de  notre  siècle  pour  les  théâtres,  et, 
afin  de  nous  préparer  à  cet  égard  une  pos- 
térité moins  passionnée,  il  a  ordonné  que 
dans  les  collèges  il  ne  sera,  en  aucun  cas, 
représentéaucune  tragédie  ou  comédie  (576*). 
Les  amateurs  des  spectacles  s'autorisaient 
de  ces  sortes  de  représentations  ;  cependant 
ils  ne  s'appuyaient  que  sur  un  abus  dont 
lus  bons  instituteurs  de  la  jeunesse  dési- 
raient la  réforme.  Ces  drames  étaient  à  la 
vérité  ordinairement  assez  purs,  mais  ce 
qui  avait  été  toléré  par  des  motifs  illusoir 
res  introduisit  plusieurs  licences,  et  d'ail- 
leurs on  habituait  les  jeunes  gens  à  avoir 
moins  d'horreur  des  théâtres  publics.  Enfin 
cette  coutume,  qui  s'était  établie  contre 
les  sages  statuts  de  l'Université,  était  une 
vieille  erreur  à  détruire  (577). 

«  Est-il  doncétonnant  que  nos  respectables 
magistrats  s'interdisent  les  spectacles  comme 
un  plaisir  incompatible  avec  la  sagesse? 
Or  ne  devons -nous  pas  aussi  soutenir 
l'honneur  de  notre  vertu?  S'ils  paraissent 
singuliers  en  se  privant  des  spectacles,  c'est 
parce  qu'ils  soni  plus  exacts  à  observer  ce 
qui  est  d'une  obligation  universelle.  Us 
croient  que  leur  exemple  serait  encore  plus 
pernicieux  que  leur  faute  (578),  s'ils  usaient 
d'une  licence  qui  n'est  tolérée  que  parce 
qu'il  y  aurait  des  inconvénients  à  la  sup- 
primer. Aufer  merelrices  de  rébus  humants, 
turbaveris  omnia  libidinibus  (579). 

«  C'est  là  le  motif  qui  engage  même  le 
chef  de  l'Eglise  è  souffrir  dans  ses  Etats 
l'usage  des  spectacles.  Comme  cet  abus 
existait  avant  que  la  souveraineté  tempo- 
relle fût  unie  à  la  puissance  spirituelle,  les 
Papes,  pour  maintenir  la  tranquillité  dans 
l'ordre  civil  et  politique,  tolèrent  ce  qu'ils 
souhaiteraient  pouvoir  supprimer. 

«  Ce  n'est  point  par  négligence,  ni  par 
«  relâchement,  disait  le  Pape  Gélase,  que 
«  mes  prédécesseurs  ont  usé  de  tolérance 
«  à  l'égard  de  ce  scandale  que  j'espère  abo- 
«  Mr.  Je  suis  persuadé  qu'ils  ont  fait  les  plus 
«  sincères  tentatives  pour  le  détruire  et  que 
«  leurs  bonnes  intentions  furent  alors  tou- 
«  jours  traversées  (580).  » 

(576*)  Art.  49  de  l'arrêt  du  parlement  du  29 
janvier  1765.  ponant  règlement  pour  les  collèges. 

(577)  Gonsucludo  sine  veritate  erroris  vetustas  est. 
J  (S.  Cypr.) 

(578)  Plus  exemplo  quam  peccato  nocent.  (Cicer.) 

(579)  S.  Aug. 

(580)  Ego  negligenliam  accusare  non  audeo  prae- 
decessorum,  cuin  magis  credam  tentasse  eos  ut  hsec 
praviias  tollerelur,  et  quasdam  exslilisse  causas  et 
contrarias  volunlales  quœ  eorum  intenliones  praïpe- 
dirent. 

'5bl)  Ces  requêtes  furent  lues  et  examinées  dans 
la  congrégation  du  concile,  comme  une  affaire  qui 
regardait  la  discipline  et  les  décision*  des  conciles. 


«  Il  n'est  donc  pas  douteux  que  les  Sou- 
verains Pontifes  ont  toujours  réprouvé  les 
spectacles;  mais  que  peuvent-ils  contre  lo 
torrent  qui  s'y  porte?  Ils  n'ont  à  y  oppo- 
ser que  des  décrets  qui  puissent  les  ren- 
dre moins  contagieux  et  en  préparer  l'aboli- 
tion. 

«  Innocent  XI  défendit  aux  femmes  do 
montersurle  théâtre,  Innocent  XII  rejeta  la 
requête  que  les  comédiens  de  France  lui 
tirent  présenter  en  1696,  pour  être  relevés 
de  la  rigueur  des  canons  à  leur  égard.  11 
les  renvoya  à  l'archevêque  de  Paris  pour 
qu'ils  fussent  traités  suivant  le  droit,  ut  pro- 
videat  eis  de  jure.  Clément  XI  eu  usa  de 
même  en  1701  sur  la  nouvelle  requête  qu'ils 
osèrent  lui  adresser  à  l'occasion  du  Jubilé, 
auquel  ils  prétendaient  pouvoir  participer 
sans  renoncer  à  leur  profession  (581).  Be- 
noît XIV  donna,  le  1er  janvier  17'i8,  une 
déclaration  authentique  par  laquelle  il  pro- 
testa qu'il  ne  tolérait  U'S  spectacles  qu'à 
regret.  Aussi  diminua-t-il  à  Rome  lo  nom- 
bre des  théâtres  (582).  Et  après  les  avoir 
précédemment  combattus  dans  plusieurs  de 
ses  ouvrages,  dont  la  collection  est  pré- 
cieuse, il  engagea  le  célèbre  P.  Concina, 
Dominicain,  à  composer  sur  les  spectacles 
le  traité  latin  que  ce  religieux  fit  imprimer 
à  Rome  en  1752.  C'est  avec  le  même  zèle 
que  Clément  XIII  renouvela  en  1759  la  dé- 
lense  faite  aux  ecclésiastiques  d'assister  aux 
représentations  qui  se  font  sur  des  théâtres 
publics  (583). 

«  Au  reste,  ce  n'est  que  dans  les  derniers 
jours  qui  précèdent  le  carême,  que  les 
théâtres  sont  ouverts  à  Rome  (584). 

«  On  ne  connaît  point  dans  l'Italie  l'usage 
des  spectacles  pendant  toute  l'année.  Les 
troupes  de  comédiens  y  sont  ambulantes, 
et  restent  plus  ou  moins  dans  les  Etats  qui 
les  admettent.  C'est  sans  doute  par  cette 
raison  qu'on  n'y  publie  pas  les  peines  pro- 
noncées par  l'Eglise  (585)  contre  leur  état; 
maiselles  n'y  sont  pas  moins  connues.  Ainsi, 
comme  il  a  élé  judicieusement  observédans 
un  ouvrage  moderne  de  jurisprudence  (586)  : 
«  La  distinction  que  quelques  personnes 
«  font  entre  l'es  comédiens  français  et  les 
«  italiens,  est  regardée  avec  dérision  parmi 
«  les  gens  sensés  et  instruits.  Il  faut  au  cen- 
«  traire  se  renfermer  dans  ce  principe  in- 
«  contestable  qu'où  les  lois  du  royaume  et 
«  de  l'Eglise  ne  distinguent  point,  il  ne 
«  faut  pas  distinguer.  »  On.  sait  que  les 
plus  grandes  licences  étant  passées  en  cou- 

(llist.  des  ouvrages  sur  la  Com.) 

(582)  Voyez  le  Dictionnaire- des  sciences  ecclésias- 
tiques, par  le  P.  Richard  et  autres  religieux  Domini- 
cains, au  mot  Spectacles,  tome  V. 

(583)  Voyez  la  Omette  de  France  du  10  fé\rier 
1759. 

(584)  Voyez  les  Réflexions  historiques  et  critiques 
sur  les  différents  théâtres  de  l'Europe,  par  Louis  Ûio- 

COBOM. 

(585)  De  theatricis  et  ipsos  placuit  quandiu  agunt 
a  communione  separari.  (Canon  du  concile  d'Arles 
tenu  en  314.) 

(586)  Collection  de  décisions  de  jurisprudence,  par 
Demzart,  au  ir.ot  Comédien,  edit.  de  17<>8. 


1119 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1120 


tume,on  s'habitue  non-seulement  à  ne  plus 
s'en  offenser,  mais  même  à  en  faire  l'apolo- 
gie; et  pour  lors,  quoique  toujours  réprou- 
vées, elles  parviennent  à  forcer  l'autorité 
publique  de  les  tolérer  (587). 

«  Tels  ont  été  les  progrès  de  rétablisse- 


monarque  fut  si  sévère  a  leur  égard,  n'y 
a-t-il  pas  à  présumer  que  s'il  eût  vécu  dans 
notre  siècle,  il  ne  l'aurait  pas  moins  été 
pour  nos  théâtres?  Le  respect  pour  l'autorité 
publique  qui  les  tolère,  doit  nous  tenir 
dans  l'incertitude    sur   la  conduite  que  ce 


ment  des  spectacles  chez  les  anciens  comme     prince  aurait  tenue  sur  cet  objet 


chez  les  modernes. 

«  Ovide,  devenu  sensé  dans  le  cours  de 
ses  disgrâces,  avait  représenté  è  Auguste, 
que  le  moyen  le  plus  capable  de  réformer 
les  mœurs  de  Rome  était  d'y  détruire  tous 
les  théâtres  (588).  Marc-Aurèle  voulut  exé- 
cuter cet  avis,  mais  il  ne  put  y  parvenir, 
puisque,  pour  avoir  seulement  modéré  la 
licence  des  comédiens,  avoir  réduit  leurs 
gages  et  le  nombre  de  leurs  jeux,  toute  la 
multitude    des  désœuvrés    se  répandit   en 


«  On  connaît  les  changements  arrivés 
dans  nos  mœurs  depuis  que  les  grands  sei- 
gneurs, devenus  oisifs  dans  leurs  terres 
par  la  privation  de  l'exercice  de  la  justice 
et  des  autres  privilèges  de  l'ancien  droit 
féodal,  commencèrent  à  être  attaches  à  la 
cour  et  à  la  capitale,  autant  par  le  plaisir 
que  par  l'intérêt  et  l'ambition. 

«  Du  temps  de  saint  .'Louis,  ces  seigneurs 
ne  quittaient  point  leurs  terres  où  ils  vi- 
vaient en  bons  pères  de  familles,  et   ils  y 


murmures  et  lui  reprocha  de  vouloir  rendre     jouissaient  de  presque  tous  les  droits  de  la 


philosophes  tous  les  sujets  de  l'empire  (589). 

«  Théodoric,roi  d'Italie,  éprouva  en  pareil 
cas  la  même  résistance.  Il  était  persuadé 
que  la  fréquentation  des  spectacles  était  in- 
compatible avec  lagravitédesbonnes mœurs, 
que  les  propos  licencieux  s'y  trouvaient 
toujours  excusés;  néanmoins,  il  se  vil  forcé 
de  condescendre  à  la  folie  de  la  multitude, 
atin  d'en  contenir  les  accès  (590).  * 

«  Cosme  111  grand  duc  de  Toscane  (591), 
qui  dans  sa  jeunesse  avait  été  grand  parti- 
san des  représentations  dramatiques,  en  re- 
connut le  danger.  II  voulut  ensuite  les 
proscrire,  mais  ce  fut  sans  succès.  11  se 
contenta  d'adopter  le  règlement  du  Pape 
Innocent  XI  (592). 

«  On  croirait  que  saint  Louis  eut  à  cet 
égard    plus    d'autorité,     puisque,   suivant 


souveraineté.  Ainsi,  lorsque  l'on  dit  que  ce 
saint  roi  chassa  de  son  royaume  tous  les 
comédiens  qu'on  appelait  en  ce  temps  les 
auteurs  de  la  science  gaie ,  les  troubadours 
ou  les  trouvères,  il  faut  entendre  qu'il  ne 
les  chassa  que  des  provinces  et  des  villes 
de  son  domaine,  puisque,  entre  autres  exem- 
ples, Alphonse, comte  de  Toulouse,  son4frère, 
les  soutirait  à  sa  cour. 

«  Il  eu  fut  de  même  lorsque  saint  Louis 
voulut  abolir  la  pratique  barbare  des  épreu- 
ves et  des  combats  judiciaires  où  il  suffisait 
de  succomber  et  d'être  vaincu  pour  être 
déclaré  incontestablement  criminel  ou  usur- 
pateur, et  quelquefois  même  pour  faire 
décider  des  questions  de  discipline  ecclé- 
siastique. Ce  saint  roi  ne  put  détruire  cet 
usage  monstrueux  que  dans  les  tribunaux 


quelques  airteurs,  il  chassa  de  son  royaume     de  ses  domaines.  II  ne  lui  fut  pas  possible 


tous  les  comédiens.  C'est  un  fait  qui  serait 
à  discuter.  Y  avait-il  alors  des  théâtres 
publics?  Les  Alains,  les  Suèves,  les  Vanda- 
les, les  Goths  et  les  Francs  à  qui  l'art  dra- 
matique était  inconnu,  en  avaient  fait  cesser 
l'usage  dans  les  pays  qu'ils  avaient  conquis. 
Il  n'est  pas  douteux  que  les  prétendus  co- 
médiens qu'on  dit  avoir  été  chassés  par 
saint  Louis,  étaient  de  ces  poètes  proven- 
çaux qui  allaient  de  château  en  château 
réciter  des  espèces  d'héroïdes  au  son  de 
quelques  instruments.  Mais,  dira-t-on,  si  ce 

(587)  Peceala,quamvis  mngnacl  horrenda,  cum  in 
consuelutlinem  venesunt,  aul  parva  aul  rutila  cre- 
(lunt,  usque  adeo  ni  non  solum  occullanda  verum 

eliain  pradicanda  videantur Sic  noslris  lempori- 

lius  milita  mala  ita  in  apertam  consiieliidinem  vene- 
rinil,  ut  pro  Ii is  non  solum  excoinmuuicare  aliqucm 
laicum  non  aiideamus,  sed  nec  clericum  degra- 
dare...  inusitala  pecoala  sola  exhorrescimus  :  usiiaia 
vero  saepe  videndo  oniiiia  lolerare,  sajpe  lolerando 
nonnulla  eliain  lacère  coginiur.  (S.  Aie,  loin.  VI, 
p.  227.) 

i588)  Ut  tamen  hoc  fatear:  ludiquoque  seminaprœbenl 
Nequitiœ  :  tolti  theatra  jubé. 

(589)  Temperavii  scenicai  donaliones  :  fuit  populo 
liic  sermo  qnud  populum  sublalis  ludis  vellet  cogère 
ad  philusopliiam. 

(590)  Voici  les  propres  paroles  de  Tliéodoric  : 
i  Mores  graves  in  speclaculis  quis  rcquiral?  ad  cir- 
«  uni  ncsciiinl  convenire  Calories.  Quidquid  illic  gau- 
oenii  populo  dicilur,  injuria  non  pulalur.  Locus  est 


de  le  supprimer  par  tout  le  royaume,  parce 
que  la  France  se  trouvait  alors  divisée  en 
une  infinité  de  seigneuries  qui  ne  recon- 
naissaient qu'une  dépendance  féodale.  Mais 
cela  ne  regarde  point  le  sujet  do  cette 
lettre. 

%  Je  crois,  Monsieur,  avoir  assez  justifié 
mes  idées  sur  les  spectacles.  Elles  sont 
soutenues  d'autorités  si  peu  suspectes  que 
vous  me  reprocheriez  peut-être  présente- 
ment un  ridicule,  si  j'avais  la  faiblesse  do 
m'en  écarter.  D'ailleurs,  re  vincimus]  ipsa, 

qui  défendit  excessum...  Spectaculum  expelïit  gravis- 
simos  mores,  invitât  levissimas  coiitenliones,  est 
evaenalio  honeslaiis,  fous  irriguus  jurgiorum  ,  quotl 
velustas  quidam  ha!niit  sacrum,  posteritas  fecilèsse 
liidibrium...  lue  nos  l'oveinus  nécessitante  populorum 
imminenlium  quibus  volum  est  ad  lalia  convenire, 
dum  cogilationes  sérias  delectanlur  abjieere.  Paucos 
enim  raiio  capitel  raros  probabilis  obleclal  intestin, 
ad  illud  polius  turba  duciiur  quod  ad  curarum  remis- 
sionem  conslal  invenlum,  nain  quidquid  œslimat  vo- 
Itipluosum,  hoc  ad  bealiliidinein  temporum  judicat 
applicandum.  Quapropler  largiamur  expensas,  non 
semper  ex  judicio  demus.  Expedil  inlerdum  desipere 
ut.  populi  possimus  desiderata  gaudia  contineie.  » 
(Apud  CAssioD.Jib.i  VariarumEp.,  p.  27,  Theodor., 
cl  lib.  in,  epi.-l.  53.  Theodor.) 

(591)  Mon  en  1(188. 

(592)  Voyez  les  Inflexions  historiques  et  critiques 
sur  les  différents  théâtres  de  l'Europe,  par  Louis 
Hiccobom. 


1121 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1122 


ces  idées  sont  fondées  sur  les  principes  de 
la  plus  exacte  philosophie,  puisqu'elles  ne 
désapprouvent  que  ce  que  la  religion  con- 
damne. 

«  Je  conviens  que  c'est  une  autorité  fort 
peu  respectée  par  tous  ces  beaux  esprits  li- 
cencieux que  Rousseau  appelle  des  écuoueurs 
de  dogmes  arbitraires  ;  mais 

Pour  moi  qu'en  saule  même  un  autre  monde  étonne, 
Qui  crois   l'âme   immortelle   et  que  c'est  Dieu  qui 

[tonne, 

(Despréaux.) 

il  me  semble  que  la  religion,  qui  fixe  notre 
foi ,  doit  aussi  régler  nos  mœurs. 

«  C'est  pourquoi  dût-on  me  compter  parmi 
ces  gens  qui  tiennent  du  Goth  et  du  Vandale, 
je  ne  saurais  regarder  le  spectacle  de  U  *ra- 
gédie comme  l'école  de  la  grandeur  d'âme,  ni 
celui  de  la  comédie  comme  l'école  de  la  vie 
civile.  Ce  sont  de  ces  plaisirs  qu'il  faut  fuir 
quand  on  craint  l'inquiétude. 

Curam  horrescenti  non  est  quœrenda  voluptas. 

«  Et  je  ne  pense  pas  que,  pour  soutenir 
cette  maxime,  on  puisse,  tout  bien  pesé, 
me  déclarer  ennemi  de  la  patrie  (593).  Ce 
serait  une  espèce  de  fanatisme  que  je  serais 
en  droit  de  dénoncer  au  tribunal  de  la  rai- 
son. Philosophia  non  tollit  affectus.  On  peut 
ôtre  bon  patriote  sans  cesser  d'être  philo- 
sophe ,  pourvu  qu'on  prenne  ce  dernier 
mot  dans  son  véritable  sens;  car  vous  savez 
combien  on  en  abuse  aujourd'bui.  Ce  ne 
sera  plus  un  nom  honorable ,  s'il  continue 
d'être  usurpé  et  comme  profané  par  ces  in- 
crédules qui  s'efforcent  d'ébranler  tous  les 
fondements  du  raisonnement  humain  ,  dans 
l'espérance  de  pouvoir  contester  avec  plus 
de  succès  les  preuves  de  la  religion.  Le 
système  de  ces  prétendus  inconvaincus  vous 
parait  aussi  insensé  qu'impie  ,  et  vos  sen- 
timents à  cet  égard  répondent  à  la  justesse 
de  votre  esprit  et  à  la  droiture  de  votre 
cœur  ,  dont  j'espère  éprouver  les  effets  dans 
le  jugement  que  vous  porterez  de  cette 
lettre. 

«  Je  suis  ,  etc.  » 

Seconde  lettre  de  M.  Desprez  de  Boissy  , 
sous  le  titre  de  :  Lettre  de  M.  le  chevalier 
de***  à  M.  de  Campigneulles ,  membre  de 
plusieurs  académies  des  sciences  et  belles' 
lettres,  au  sujet  de  la  lettre  de  M.  Desprez  de 
B* ,  sur  les  spectacles;  Paris,  1759;  elle 
fut  réimprimée  en  1769. 

«  Je  suis  fort  surpris  ,  Monsieur,  que  de 

(593)  Qualification  odieuse  que  M.  de  Voltaire  a  ap- 
pliquée, sans  doute  dans  un  délire  poétique ,  aux 
censeurs  des  spectacles  ,  sous  prétexte  qu'ils  s'oppo- 
sent au  bien  des  pauvres.  11  ne  savait  pas  apparem- 
ment que  la  taxe  dont  il  veut  parler  a  pour  origine 
une  imposition  de  800  livres  parisis,  que  les  acteurs 
de  la  Passion  furent  obligés  de  payer  par  un  arrêt  du 
parlement  de  1511,  pour  que  les  pauvres  fussent  in- 
demnisés del'exlrèuie  diminution  des  aumônes  depuis 
l'établissement  des  spectacles.  Au  reste,  est-il  éton- 
nant que  l'on  s'écarte  toujours  de  la  raison  dans  les 
ouvrages  faits  pour  le  pur  amusement  et  pour  exci- 
ter au  plaisir?  Si  l'on  trouve  quelquefois  à  y  récla- 


votre  noble  office  vous  vous  soyez  chargé 
de  répondre  (594)  pour  moi  à  la  lettre  que 
M.  Desprez  (le  Boissy  m'a  écrite  sur  les 
spectacles.  Vous  êtes  si  fort  éloigné  du 
point  de  vue  dans  lequel  j'ai  considéré  cette 
lettre  et  des  impressions  qu'elle  a  faites  sur 
moi ,  que  je  me  crois  obligé  de  donner  un 
désaveu  public  à  votre  réponse. 

«  La  lettre  que  vous  critiquez  est  un  ou- 
vrage philosophique  qui  ne  m'a  jamais  paru 
capable  d'offenser  personne.  Son  objet  est 
de  prouver  l'évidence  du  danger  de  nos 
spectacles  pour  les  mœurs  et  surtout  pour 
les  jeunes  gens.  Et  il  m'a  semblé  qu'il  était 
fort  propre  à  fournir  des  armes  défensives 
à  ceux  qui ,  élant  dans  de  bons  principes  , 
sont  souvent  exposés  à  lutter  contre  ces 
tourbillons  d'esprits  follets  pour  qui  le 
langage  de  la  religion  est  trop  sublime. 

«  Quoi  que  vous  en  disiez  ,  Monsieur  , 
la  thèse  que  M.  de  B***  soutient  est  trop 
établie  par  l'expérience;  et,  s'il  n'a  pas  jugé 
à  propos  de  fréquenter  nos  spectacles,  pour 
y  faire  l'épreuve  à  laquelle  je  l'avais  plus 
d'une  fois  excité  et  que  vous  lui  reprochez 
de  ne  pas  avoir  faite  ,  je  n'ai  pu  que  l'ap- 
plaudir, dès  que  j'ai  su  la  sagesse  de  ses 
procédés  (595)  pour  se  faire  une  règle  de 
conduite. 

«  On  dirait  que  vous  auriez  adopté  le 
système  de  ce  livre  pernicieux  (596)  qui 
réduit  l'homme  à  la  seule  faculté  de  sen- 
tir. Vous  prétendez  que  M.  de  B***  ne  pou- 
vait être  en  état  de  bien  prouver  la  thèse 
qu'il  soutient  que  par  les  sensations  qu'il 
aurait  éprouvées  en  fréquentant  les  specta- 
cles, parce  que  l'on  ne  voit  jamais  bien  par 
les  yeux  des  autres. 

«  Il  s'ensuivrait  donc  aussi  que  pour 
avoir  une  juste  idée  de  ces  lieux  consacrés 
au  plus  honteux  libertinage  et  pouvoir  en 
persuader  le  danger  aux  autres,  il  faudrait 
les  avoir  fréquentés.  A  combien  d'incon- 
vénients ne  serions-nous  pas  exposés,  s'il 
fallait ,  comme  vous  le  dites,  n'acquérir  la 
sagesse  qu'en  se  livrant  aux  écueils  où 
l'on  sait  qu'elle  échoue  presque  toujours  1 
Vous  entendez  mal  ce  vers  de  Corneille  que 
vous  citez  : 

A  vaincre  sans  péril,  on  triompbe  sans  gloire. 

«  Cette  maxime  est  fort  belle ,  lorsqu'on 
l'applique  aux  efforts  que  l'on  est  dans  le 
cas  de  laire  pour  remplir  mieux  son  devoir  , 
et  non  à  la  témérité  de  ceux  qui  se  permet- 
tent tout  ce  qui  peut  irriter  les  passions. 

mer  des  pensées  favorables  à  la  saine  philosophie, 
l'on  sait  bien  que  l'or  a  son  prix  partout  où  il  se 
rencontre,  mais  qu'il  n'en  donne  jamais  à  l'impureté 
qui  fait  son  alliage. 

(594)  Cette  réponse  se  trouve  dans  une  brochure 
qui  porte  pour  litre  :  Essais  sur  différents  sujets,  par 
M.  de  C"  (Cbarles-Claude-Florenl  Thorf.l  de  Cam- 
pigneulles). Il  est  auteur  de  quelques  écrits  indiqués 
dans  la  France  littéraire,  tome  I,  p.  «205,  édition  de 
1709,  et  à  la  page  208  du  tome  1  des  Trois  siècles  de 
notre  littérature,  édition  de  1772. 

(595)  Voyez  la  première  Lettre. 
(536)  Dt  l'Esprit. 


1123 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1124 


I 


Et  assurément  Corneille  n'a  pas  eu  l'inten- 
tion de  contredire ,  comme  vous  le  faites 
indécemment ,  cette  maxime  :  Qui  amat  pe- 
riculum,  in  illo  peribil  (597)  ;  qui  aime  le 
péril  y  périra.  Un  homme  sensé  ne  peut 
compter  sur  sa  vertu  que  dans  les  périls  où 
l'imprudence  ne  l'a  pas  conduit. 

«  Vous  reprochez  à  M.  de  B***  de  donner 
sa  décision  sur  une  matière  qu'il  ne  connaît 
pas  ;  mais  le  ton  dogmatique  n'est  point  ce 
qui  domine  dans  sa  Lettre.  On  n'y  trouve 
que  les  motifs  et  les  principes  qui  ont  déter- 
miné son  sentiment ,  et  il  m'a  paru  qu'ils 
étaient  fondés  sur  la  connaissance  de  la  na- 
ture,  du  but  et  des  effets  de  nos  théâtres. 
L'exposition  que  M.  de  B***  fait  des  règles 
de  l'art  dramatique  prouve  bien  qu'il  con- 
naît la  matière  qu'il  traite  (598). 

«  Mais  je  vous  accorde  qu'il  eût  ajouté 
sa  propre  expérience  aux  preuves  que  la 
raison  ,  la  connaissance  de  l'art  et  le  récit 
des  autres  lui  ont  fournies,  n'aurait-on  pas 
encore  eu  l'injustice  de  lui  reprocher  déju- 
ger du  cœur  des  autres  par  la  sensibilité  du 
sien  ? 

«  Je  ne  trouve  rien  de  plus  décisif  que 
les  autorités  qu'il  rapporte  de  Bussy-Rabu- 
lin  ,  de  Lamotte  ,  du  duc  de  La  Rochefou- 
cauit ,  de  La  Bruyère  ,  de  Fontenelle  ,  de 
Riccoboni.  Et,  lorsque  j'y  ai  vu  les  aveux 
de  M.  de  Voltaire  sur  les  pièces  (599)  qui, 
après  Alhalie  et  Esther ,  passent  pour  les 
)lus  chrétiennes  ,  il  m'a  semblé  que  vou- 
oir  se  charger  de  faire  l'apologie  des  spec- 
tacles au  tribunal  de  la  raison,  c'était  s'ex- 
poser à  s'y  faire  siffler. 

«  Quelque  partisan  que  vous  m'ayez  sup- 
posé des  spectacles  ,  je  n'en  ai  pas  moins 
approuvé  la  Lettre  de  M.  de  B***.  J'ai  re- 
connu l'erreur  où  j'étais  en  voulant  engager 
cet  ami  à  changer  de  sentiment ,  et  j'ai  eu 
la  satisfaction  de  voir  le  public  ratifier  le 
jugement  que  j'avais  porté  de  cet  ouvrage. 
Tous  les  journalistes  (600)  l'ont  annoncé 
avantageusement.  Il  est  vrai  que  M.  de 
Boissy  ,  l'ancien  auteur  du  Mercure,  a  un 
peu  critiqué  l'austérité  de  la  morale  ,  mais 
de  manière  à  faire  sentir  l'intérêt  personnel 
qu'il  avait  à  la  querelle Nous  lais- 
sons à  d'autres,  dit-il,  le  soin  de  faire  l'a- 
pologie \de  la  comédie  ,  de  peur  qu'en  nous 
récusant ,  on  ne  nous  réplique  :  «  Monsieur 
Josse  ,  vous  êtes  orfèvre.  »  (  Mercure  de 
mars  1756.  ) 


I     (597)  Ecc//.,  ni,  27. 

(598)  Voyez  la  première  Lettre. 

(599)  Polyeucle  cl  Zaïre. 

(000)  Voyez  les  Journaux  de  l'année  1756,  savoir, 
de  Trévoux  el  Verdun,  avril;  le  Journal  des  savant*, 
septembre;  le  septième  cahier  du  Journal  chrétien; 
la  onzième  Feuille  hebdomadaire  des  provinces,  du 
17  mars  1756,  et  la  cinquième  Feuille  du  14  décem- 
bre 1757. 

(601)  Trente-huitième  cahier  de  l'année  1757. 

(602)  Sous  le  titre  de  Lettre  de  M.  D...,  licencié  en 
droit,  à  M.  Fréron,  directeur  de  /'Année  littéraire 
et  du  Journal  étranger.  Voici  quelques-unes  de  ces 
règles  qu'on  ne  saurait  trop  faire  connaître  dans  un 
temps  où  les  journaux  littéraires  se  sont  si  fort  mul- 


«  M.  Fréron  s'est  chargé  de  faire  cette 
apologie  dans  l'extrait  qu'il  a  donné  de  la 
lettre  de  M.  de  B¥**  dans  V Année  littéraire 
(601),  lorsque  la  seconde  édition  parut. 
Mais  cet  extrait  est  fait  contre  toutes  les 
règles  que  doit  suivre  un  journaliste,  et  que 
l'on  trouve  si  bien  exposées  dans  une 
Lettre  que  M.  de  Querlon  donna  au  public 
en  1756  (602). 

«  Quelle  idée  peut  donner  de  lui  Fréron 
lorsqu'il  ose  profaner  l'autorité  de  saint 
Thomas,  de  saint  Antonin,  pour  en  faire 
les  apologistes  du  théâtre  en  abusant  de 
certains  passages  dont  on  a  mille  fois  ex- 
posé le  véritable  sens?  L'idée  la  plus  favo- 
rable qu'on  puisse  avoir  de  lui,  est  de  le 
croire  fort  ignorant  en  matière  de  morale. 

Du  vieux  Zenon  l'antique  confrérie 
Disait  •  Tout  vice  est  issu  d'ànerie. 

(Rouss.,  liv.  i,  épit.  3.) 

«  Mais  n'est-ce  pas  encore  avoir  trop 
d'indulgence,  lorsqu'on  le  voit  manquer 
aux  égards  que  tout  honnête  homme  doit 
avoir  pour  les  ministres  de  la  religion?  Il 
s'autorise  des  abus  que  ce  corps  respectable 
a  condamnés  dans  tous  les  temps;  et  non 
content  de  tirer  avantage  de  la  licence  de 
ces  ecclésiastiques  qui,  par  leurs  mœurs, 
appartiennent  plus  au  siècle  corrompu  qu'à 
la  religion,  il  ose  remuer  les  cendres  d'un 
des  plus  illustres  prélats  du  "clergé  de  France, 
pour  en  souiller  la  mémoire.  Il  ne  craint 
pas  enfin  d'accuser  Bossuet  d'avoir  sou- 
tenu par  une  réponse  équivoque  et  par  sa 
présence,  l'innocence  des  spectacles.  Et 
vous,  Monsieur,  vous  allez  jusqu'à  avancer 
que  cet  illustre  prélat  a  fait  un  écrit  en  fa- 
veur de  la  comédie.  Qui  croirait  qu'au  lieu 
d'aller  chercher  la  lumière  dans  les  admi- 
rables écrits  de  ce  grand  homme,  on  n'au- 
rait pas  honte  d'en  faire  l'apologiste  de  la 
licence  1 

«  On  a  négligé  de  relever  dans  le  temps 
l'extrait  que  l'on  a  donné  de  la  Lettre  de 
M.  de  B***  dans  VAnnée  littéraire,  parce 
que  l'on  a  présumé  que  les  fausses  alléga- 
tions qui  y  étaienî  employées,  tomberaient 
comme  des  absurdités.  Mais  par  la  réponse 
que  vous  venez  de  faire  indiscrètement 
pour  moi  à  la  Lettre  de  M.  de  B***,  M.  Fré- 
ron peut  s'applaudir  d'avoir  suivi  le  conseil 
qu'un  fameux  délateur  donnait  aux  courti- 

tipliés.  t  La  critique,  cet  art  si  nécessaire  et  si  mile, 
ne  doit  avoir  pour  fondement  et  pour  principe  que 
l'amour  des  lettres  et  le  goût  du  vrai.  Or,  suivant 
celte  maxime,  un  journaliste  qui  sait  respecter  ses 
lecteurs,  ne  prostitue  point  sa  plume  pour  accréditer 
des  principes  faux  el  dangereux.  Il  n'affecte  point  de 
déprécier  des  écrits  donl  le  plus  grand  défaut  est  de 
con! redire  son  goût  el  ses  idées  propres.  Jl  ciie  avec 
exactitude;  il  ne  déguise  et  n'allère  rien.  Il  ne  se 
pare  point  des  expressions  d'aulrui,  il  se  garde  bien 
de  rapporter  de  longs  textes  sans  les  distinguer,  el 
sans  avertir  que  c'esl  un  autre  qui  parle;  il  ne  pro- 
duit point  du  ridicule  où  il  n'y  en  a  pas,  el  quand  il 
y  en  aurait,  il  ne  le  montre  que  quand  l'intérêt  du 
goût  ou  de  la  raison  l'exige  nécessairement.  > 


11*5 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  L1DRE. 


4126 


sans  de  Philippe,  roi  de  Macédoine,  en  leur 
disant  : 


Messieurs. 


Quelque  grossier  qu'un  mensonge  puisse  être. 
Ne  craignez  rien,  calomniez  toujours. 
Quand  l'accusé  confondra  il  vos  discours, 
La  plaie  est  faile;  et,  quoiqu'il  en  guérisse, 
On  en  verra  du  moins  la  cicatrice. 

(Rousseau.) 

«  Oui,  Monsieur,  l'imposture  ne  fait  que 
trop  de  prosélytes.  Et  la  calomnie  n'a  mal- 
heureusement que  trop  son  effet,  lorsqu'elle 
rencontre  des  gens  intéressés  à  la  croire  lé- 
gèrement. 

«  On  a  souvent  relevé  les  imputations  que 
l'on  a  faites  à  saint  Thomas  et  à  saint  An- 
tonin.  Cependant  ceux  qui  cherchent  à  se 
séduire  eux-mêmes  dans  leurs  passions,  les 
réclament  toujours  en  leur  faveur.  Il  en 
sera  de  même  de  ce  que  l'on  attribue  à 
Bossuet;  on  ne  cessera  de  l'entendre  répéter 
par  ceuxqui,  en  proieà  leurs  mauvais  désirs, 
saisissent  sans  la  moindre  réflexion  tout  ce 
qui  peut  être  favorable  à  leurs  penchants. 
Mais  pour  rendre  moins  contagieux  les  au- 
teurs qui  osent  reproduire  ces  impostures, 
on  doit,  non  répéter  tout  ce  qui  a  été  écrit 
à  ce  sujet,  mais  leur  donner  un  démenti 
public  et  se  contenter  d'annoncer  de  nou- 
veau les  ouvrages  qui  ont  délruii  ces  fausses 
imputations. 

«  Qu'on  lise  les  discours  du  P.  Lebrun, 
l'ouvrage  du  prince  de  Gonti ,  les  Ré- 
flexions de  Nicole  sur  la  Comédie ,  et 
celles  que  Bossuet  a  faites,  non  comme 
vous  le  prétendez  faussement  pour  la  justi- 
fier, mais  pour  la  réprouver,  on  verra  tom- 
ber les  fausses  idées  que  les  partisans  des 
spectacles  donnent  sur  la  doctrine  de  quel- 
ques illustres  personnages. 

«  On  y  apprend  que  parmi  les  écrivains 
ecclésiastiques  des  douze  premiers  siècles, 
l'on  n'en  peut  citer  aucun  qui  se  soit  ex- 
primé d'une  manière  équivoque  sur  cette 
matière.  Et  si  depuis  l'établissement  de  la 
méthode  scolastique  l'on  croit  trouver  quel- 
ques théologiens  qui  paraissent  avoir  été 
favorables  aux  spectacles,  on  se  trompe, 
faute  de  connaître  le  langage  ou  plutôt  la 
méthode  des  scolasliques  ;  et  pour  en  bien 
juger,  voici  un  principe  qu'il  faut  savoir. 

«  Ces  théologiens  ne  se  contentent  pas  de 
résoudre  les  cas  par  rapport  aux  circons- 
tances qui  les  accompagnent  ordinairement  ; 
ils   vont  au  devant   des   objections   qu'on 

(603)  In  omni  eo  quod  est  dirigibile  secundum  ra- 
tionem,  superfluum  dicilur  quod  régulant  rationis 
cxcedii...  diclum  est  aulem  quod  ludicra,  sive  jo- 
cosa  verba,  vcl  facla,  sunt  dirigibilia  secundum  ra- 
lioncm,  et  ideo  superfluum  in  lu  ilo  accipilur  quod 
excedil...  régulant  rationis.  Quodquidein  polest  esse 
dupliciler.  IJno  modo  ex  ipsa  specie  aclionum  quœ 
assumunlur  in  ludum,  quod  quidem  jocandi  geuus 
secundum  Tullium  dicilur  esse  illiberalc,  pelulans, 
flagitiosum,  obscenum,  quando  scilioet  ulilur  aliquis 
causa  ludi  lurpibus  vertus,  vel  factis,  vçl  eliam  bis 
quae  vergunt  in   proximi  nocunientum,  quae  de  se 

Mut  peccala  mortalia Alio  aulem  modo  pott-st 

ess.e  excessus  in  ludo  secundum  defecluin  debitanuu 


pourrait  leur  opposer.  Ils  examinent  quel- 
quefois les  difficultés  par  rapport  à  plusieurs 
suppositions  abstraites  et  métaphysiques. 

«  Il  suit  de  là  qu'ils  approuvent  on  cer- 
taines hypothèses  ce  qu'ils  condamnent 
dans  la  pratique  commune.  Or  on  est  sou- 
vent induit  en  erreur,  lorsqu'on  ne  sait  pas, 
ou  plutôt  lorsqu'on  ne  veut  point  distinguer 
les  décisions  absolues,  d'avec  celles  qui  ne 
se  rapportent  quà  des  suppositions  méta- 
physiques. 

«  Saint  Thomas,  par  exemple,  pose  pour 
principe  que  tout  ce  qu'on  fait  devant  être 
réglé  par  la  raison,  les  mots  pour  rire  et 
tous  autres  jeux  deviennent  condamnables: 
1°  lorsque  dans  les  jeux  on  mêle  des  actions 
ou  des  paroles  déshonnêtes  ou  nuisibles  à 
la  réputation  du  prochain;  2°  lorsque  le  jeu 
étant  de  soi-même  indifférent,  il  se  trouve 
joint  à  des  circonstances  qui  le  rendent 
mauvais,  comme  si  l'on  voulait  jouer  des 
ieux  que  l'Eglise  aurait  défendus  (603). 

«  Je  ne  crois  pas  que  jusqu'à  présent  vous 
soyez  fondé  à  réclamer  ce  saint  docteur  en 
faveur  des  spectacles,  puisque  vous  conve- 
nez qu'ils  sont  défendus  par  l'Eglise.  Il  est 
vrai  que  vous  pensez  que  celle  défense  ne 
devrait  plus  avoir  lieu  présentement,  eu 
égard  à  la  prétendue  perfection  de  nos  théâ- 
tres. Mais  pour  être  purgés  de  termes  obs- 
cènes et  grossiers,  ils  n'en  sont  pas  moins 
dangereux,  et  il  ne  faut  n'avoir  de  chaste 
que  les  oreilles  pour  les  trouver  aussi 
purs  qu'on  le  prélen.l.  «  Il  est  faux,  dit 
«  Bossuet,  que  les  Pères  n'aient  blâmé  dans 
«  les  spectacles  que  l'idolâtrie  et  les  impu- 
«  dicités  manifestes.  Ils  y  ont  blâmé  l'inu- 
«  tililé,  la  dissipation,  la  commotion  de  l'es- 
«  prit,  les  passions  excitées,  le  désir  de 
«  voir  et  d'être  vu,  les  choses  honnêtes  qui 
«enveloppent  le  mal,  le  jeu  des  passions  et 
«  l'expression  contagieuse  des  vices.  »  Cha- 
que siècle  a  eu  sa  manière  de  couvrir  les 
idées  propres  à  flatter  la  volupté.  Nous  en 
avons  une  preuve  dans  Duchesne  (604).  On 
y  voit  que  dans  les  spectacles  des  anciens 
temps  de  notre  monarchie,  on  ne  se  propo- 
sait d'exciter  les  passions  qu'avec  les  égards 
qu'exigeait  le  goût  de  ceque  nous  appelons 
communément  les  honnêtes  gens,  c'est-à- 
dire,  des  personnes  de  la  cour  et  de  la  ca- 
pitale. 

«  Je  passe  à  l'endroit  de  saint  Thomas 
dont  les  partisans  du  théâtre  ont  le  plus 
souvent  fait  usage.  Ce  grand  théologien  se 
fait  cette  objection  :  «  Si  l'excès  dans  le  jeu 

circumstantiarum,  pula  cum  aliqui  ulunlur  ludo,  vel 
temporibus,veI  locis  indebilis,  aut  eliam  praetercon- 
venienliam  negolii  scu  personne.  El  boc  quidem 
quandoque  polesl  esse  peccalum  rnorlale  propler 
vebemenliam  afleclus  ad  ludum,  cujus  deleclationem 
preeponit  aliqnis  dileclioni  Dei,  ila  quod  contra  prae- 
ccpium  Dei,  vel  Ecclesix,  lalibus  ludis  uli  non  ré- 
fugiai. (-2-2,  quaesi.  i(38,  art.  3.) 

(tiM)  Verba  joculatoria  omnes  delidas  cl  lepnres 
et  risu  (lignas  urbauiiaies  et  cœleras  ineplias  buccis 
Irucînanlibus  in  médium  eruclare  non  erubescunl. 
(Higord.,  in  Phil.  Aug.  De  jocul.;  Duchesne,  Mit. 
loin.  V.) 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


11*8 


«  est  un  péché,  les  histrions,  dont  toule  la  ait  des  hommes  qui  puissent  nous  divertir 

«  vie.se  rapporte  au  jeu,  seront  donc  dans  en  jouant  de  quelqu'instrument,  ou  en  nous 

-■  un  état  de  péché;  et  il  faudra  (remarquez  récitant  divers  contes  agréables;©!  qu'ainsi 

.«  la  conséquence)  condamner  de  même  ceux  ils  ne  peuvent  être  en  état  de   péché.   Mais 


«  qui  se  servent  de  leur  ministère,  ou  qui 
•<  leur  donnent  quelque  secours.  Cependant 
«  saint  Paphnuceeut  révélationqu'unjoueur 
<i  de  flûte  jouirait  avec  lui  du  même  degré 
«  de  gloire  dans  le  ciel.  » 

«  Le  P.  Lebrun  que  les  seuls  préjugés  ne 
dirigeaient  pas,  mais  qui  était  versé  dans 
la  connaissanceded'antiquité,  remarque  que, 


voici  les  conditions.  «  Pourvu,  dit-il,  qu'ils 
«  ne  disent  et  ne  fassent  rien  d'illicite;  que 
«  le  jeu  soit  modéré;  qu'il  ne  dérange  pas 
«  les  affaires  et  qu'il  ne  se  rencontre  point 
«  dans  des  temps  défendus  (607).  » 

«  On  voit  que  par  cette  décision  saint 
Thomas  laisse  le  cas  dans  la  supposition 
métaphysique,  qui    n'est  pas  certainement 


pour  bien  entendre  la  réponse  à  cette  ob-  celle  où  se  trouvent  nos  spectacles  (608), 
jection,  il  faut  observer  qu'il  n'était  pas  qui  sont  de  la  nature  de  ceux  que  ce  saint 
question  de  spectacles  tels  que  les  nôtres  du      docteur  a  condamnés,  parce  qu'ils  excitent 


temps  de  saint  Thomas;  que  ce  saint  en 
tendait  par  histrions  ceux  qui  n'avaient 
d'autre  emploi  que  de  divertir  quelquefois 
les  hommes,  ou  par  la  récitation  de  quel- 
ques contes  agréables,  ou  par  des  instru- 
ments, comme  faisait  le  joueur  de  flûte  dont 
il  parle. 

«  Ces    histrions    pouvaient  être  ce  qu'on 
appelait  troubadours  ou  chanteurs;  et  parmi 


aux  vices  les  spectateurs.  Il  n'est  pas  ques- 
tion ici  de  l'art  dramatique  considéré  en 
lui-même.  M.  de  B***  déclare  assez  dans  sa 
Lettre  le  jugement  qu'on  en  doit  porter 
comme  littérateur.  Mais  quant  à  l'effet  mo- 
ral de  la  représentation  de  nos  drames, 
quelle  différence  entre  notre  théâtre  et  ce- 
lui des  anciens  Grecs!  Tout,  jusqu'aux  jeux 
scéniques,  dans  ies  beaux  jours  d'Athènes, 


eux,  les  poètes  provençaux  étaient  les   plus      se  rapportait  a  l'utilité  publique.  Les  poêles 


estimés.  Les  princes  elles  grands  seigneurs 
les  faisaient  venir  à  leur  cour  pour  s'en 
amuser.  Deux  ou  trois  de  ces  poètes  s'asso- 
ciaient quelquefois,  et  allaient  de  chAteau 
en  château  s'offrir  à  réciter  au  son  de  quel- 
qu'instrument  (605),  lespièces  qu'ils  avaient 
composées.  Elles  avaient  pour  objet,  tantôt 
de  récréer  par  des  plaisanteries,  tantôt  de 
louer  les  exploits  des  princes  ou  des  sei- 
gneurs qui  les  avaient  mandés,  comme  on 
le  voit  dans  l'Histoire  de  Louis  VIII,  père 
de  saint  Louis.  Ces  histrions  n'avaient  point 
de  théâtres  publics.  Il  en  était  d'eux  comme 
ûe  ces  comédiens  dont  parle  Pline  le  Jeune, 
que  l'on  faisait  venir  pour  être  récréé  pen- 
dant le  repas  par  quelques  récits  amusants 
ou  instructifs  (606)  ;  et  ceux-là  n'étaient 
point  regardés  infâmes  à  Rome,  comme  l'é- 
taient ceux  qui  montaient  sur  des  théâtres 
publics  et  comme  le  font  nos  comédiens, 

«  Cela  posé,  comment  saint  Thomas  ré- 
pond-il à  l'objection  qu'il  s'est  faite?  Il  dé- 
cide que  Le  divertissement  étant  quelque- 
fois nécessaire,  il  n'est  pas  défendu   qu'il  y 

(605)  Ceux  qui  jouaient  des  instruments  se  nom- 
maient jongleurs. 

(6u6l i  Fréquenter  comœdis  Jcœna  distinguilur,  ut 
voluplales  quoque  sludiis  condiantur.  (Plin.  lib.  m, 
ep.  U) 

(607)  Ludus  est  necessarins  ad  conversalionem 
humante  vite.  Ad  omnia  auiem  quse  sunl  ulilia  con- 
versation'! lmmaïuw  deputari  possuiU  aJiqua  officia 
licita,  et  ideo  eiiam  ofiicium  hislrionum,  quod  or- 
dinalur  ad  solatium  hominibus  exhibendum,  non  est 
secundum  se  illicilum,  nec  sunt  in  statu  peccati, 
dummodo  moderale  ludo  ulanlur,  id  est  non  ulendo 
aliquibus  illicilis  verbis  vel  faclis  ad  ludum  ,  et  non 
adhibendo  ludum  negoliis  et  temporibus  indebilis. 
(2-2,  qusesl.  168,  ail.  3,  ad  finem.) 

(608)  Inspeclio  speciaculorum  viliosa  redditur  in 
quantum  bo:no  Pu  pronus  ad  vitia  lascivia?  vél  cru- 
deliiàlis,    per   ea    quae    ibi    repraesentanlur.   (2-2 
q.  167,  art.  2.) 

(609)  Aurait-il  échappé  une  vérité  à  M.  Frérot)  ? 
IL  de  B*",  en  parlant  des   femmes  qui  vont  à  nos 


dramatiques  et  les  acteurs  étaient  considé- 
rés comme  des  hommes  d'Etat,  des  philoso- 
phes, des  censeurs  même  chargés  d'instruire 
et  de  réformer  le  peuple,  en  rendant  pres- 
que toujours  leurs  drames  relatifs  ou  à  la 
religion  ou  au  bien  de  la  patrie,  ou  à  l'his- 
toire de  la  nation;  et  on  ne  leur  laissait 
rien  avancer  qui  pût  offenser  le  goût  de 
l'ordre,  l'amour  de  la  vertu,  ni  l'intérêt  des 
mœurs  publiques  et  particulières .  Les 
femmes  ne  montaient  point  sur  le  théâtre. 
Or  quel  contraste  n'aperçoit-on  pas  dans 
nos  spectacles  du  côté  d*es  poètes,  qui  en 
font  une  école  où  l'on  présente  presque  tou- 
jours les  vices  colorés  en  beau  et  la  vertu 
rendue  ridicule;  du  côté  des  acteurs,  dont 
la^ie  scandaleuse  n'inspire  que  la  volupté; 
du  côté  des  spectateurs  qui,  pour  la  plupart 
(609),  n'aiment  à  y  goûter  que  des  pensées 
libertines  et  qu'un  jeu  indécent,  incitati- 
vum ad  lasciviam?  Est-ce  là  ce  que  M.  Fré- 
ron  prétend  faire  appeler  par  saint  Antonin, 
comédie  de  bonnes  mœurs?  Je  profite,  Mon- 
sieur, de  l'aveu  que  vous  faites,  que  si  les 

spectacles,  dit  dans  sa  lettre,  page  56  :  «  Combien 
en  est- il  dont  on  peut  dire  avec  Martial  :  Elle  y  est 
entrée  Pénélope,  el  elle  en  est  sortie  Hélène.  »  Notre 
journaliste  soutient  que  M.  de  B  *'  se  trompe.  //  est 
pins  vrai,  dit-il ,  de  dire  que  la  plupart  des  femmes 
qui  vont  à  la  comédie,  y  entrent  comme  M.  de  B" 
prétend  qu'elles  en  sortent,  c'esi-à-dire  qu'elles  y 
entrent  déjà  toutes  corrompues.  M.  Fréron  paraii 
êlre  moins  zélé  pour  l'honneur  du  sexe  que  pour 
l'Arlequin  de  la  Comédie-Italienne,  dont  il  voudrait 
taire  un  héros  de  vertu.  L'inimitable  Carlin ,  dit-il, 
est  bien  éloigné,  avec  raison  ,  de  se  croire  un  person- 
nage capable  de  corrompre  les  mœurs.  Cet  éloge  liii 
ôierait  le  caractère  de  son  rôle,  dont  l'objet  consiste 
non  à  ébranler  le  spectateur  par  c»s  passions  qui 
causent  la  terreur  et  la  pitié,  mais  à  exciter  et  à 
flatter  le  libertinage  dans  presque  toutes  les  scènes 
bouffonnes  el  licencieuses  dont  il  est  l'àme,  et  qui 
certainement  sont  d'un  ton  plus  fort  que  ce  qui  se 
passe  dans  les  bonnes  compagnies. 


U'29 


NOTICE  SUR  LK  THEATRE  LliiUE. 


U3J 


comédiens  ne  jouaient  que  des  pièces  telles 
que  souhaiteraient  les  honnêtes  gens,  leur 
salle  serait  souvent  déserte,  et  qu'avec  d'e.i- 
ccllentes  pièces,  les  meilleurs  comédiens  mour- 
raient de  faim.  Or,  saint  Antonin  décide for- 
melleraent  que  si  les  histrions  représentent 
quelquefois  des  pièces  honnêtes  et  quel- 
quefois des  déshonnêtes,  on  doit  /es  aban- 
donner et  n'assister  à  aucune  do  leurs  re- 
présentations (010).  Ces  histrions  sont  pour 
lors  dans  le  cas  de  ceux  dont  saint  Thomas 
déclare  le  gain  aussi  illicite  que  celui  des 
femmes  prostituées  (011),  et- auquel,  par 
conséquent,  il  n'est  point  permis  de  contri- 
buer. Mais  n'est-ce  poinl  parler  à  un  homme 
qui  dort,  que  d'entrer  avec  vous  dans  ces 
discussions,  dès  que  vous  vous  dites  (012) 
engagé  dans  les  délires  de  l'amour  et  de  la 
poésie?  Cum  dormienle  loquilur  qui  enarrat 
stu'.to  sapientiam.  [Eccti.,  XXII,  9.) 

«  Je  crois  encore  que  vous  rêvez  quand 
vous  citez  saint  Charles  Borromée  comme 
une  autorité  favorable  aux  spectacles.  C'est 
un  reproche  qu'on  a  à  faire  à  tous  les  apo- 
logistes du  théâtre.  Ils  ne  s'autorisent  que 
trop  souvent  d'auteurs  graves  :  mais  ils  ne 
citent  jamais,  ou,  s'ils  citent  quelquefois,  ils 
sont  toujours  intidèles,  soit  parce  qu'ils  tron- 
quent les  passages,  soit  parce  qu'ils  les  in- 
terprètent ma1,  soit  parce  qu'ils  ont  la  mau- 
vaise foi  de  taire  ce  qui  pourrait  découvrir 
l'esprit  des  au  leurs  dont  ils  font  usage.  «  Les 
«  personnages,  disent-ils,  les  plus  recom- 
«  mandates  ont  regardé  le  théâtre  comme 
«  étroitement  lié  à  l'ordre  public.  Saint  Char- 
«  les  Borromée  corrigeait  de  sa  propre  main 
«  des  pièces  destinées  à  la  déclamation.  Ki- 
«  cheheu  s'occupa  de  réformer  la  scène  ; 
'<  Fénelon  avait  les  mômes  vues  :  M.  Lan- 

*  guet,  archevôquede  Sens,  dans  son  discours 
«  pour  la  réception  de  M.  de  la  Chaussée  à 
«  l'Académie  française,  dit  à  ce  poêle  dra- 
«  matique  :   Je  puis  donner,  non  aux  spec- 

«    TACLES  QUE  JE   NE  PLIS    APPROUVER,  mais  à 

*  des  pirces   aussi  sages  que  les  vôtres,  une 

«    CERTAINE  MESURE   DE  LOUANGES.  Le  Sacré  et 

«  le  profane,  le  sérieux  et  le  comique,  la 
«  chaire  et  le  théâtre  doivent  se  liguer  pour 
«  rendre  le  vice  odieux:  ainsi,  disent  nos 
«<  apologistes  des    spectacles,  les  saints -les 

*  politiques  et  les  sages,  ont  cru  que  le 
«  théâtre  méritait  une  attention  particulière 
«  du  gouvernement.  »  Ces  autorités  ne  sont 
pas  d'une  bonne  valeur.  Le  cardinal  de  Ki- 

(610)  Cum   liislrionus  ulunlur    indifferenier    tali 
excrciiaiione  ad  rcprxseiiiamlum  eiiam  lurpia,  ii!i 
cita  ars,  et  cum  oporlel  dimiiieie,  et  prccaiiini  «M 
«ali»  aspiccre,  et  talibus  pro  illu  opère  aliquid  dure. 
(Smm.,  lit.  8.) 

(611)  Quaedam  vcrodieunlur  maie  acq.dsita ,  quia 
arquirunttir  ex  lurpi  causa,  sicul  de  mercliicio  ci 
hislnnualu.   (2-2.  quaest.  87,  ail.  2.) 

(tii2k  D.iiis  une  pièce  inlilulée  :  Rêve  à  mademoi- 
seiledà'". 

(013)  Principes  et  magislralus  commnncndos  esse 
duviiinis,  ni  hisiiiones  et  uiiiiios  càeterosqne  circu- 
lalores  el  ejus  generis  perditos  hommes  é  suis  li.ii- 
bus  ejciaui;  ei  caiiponés  et  alios  quiconque  eo>  ré- 
c»>periul  acriier  an imad venant.....  Omnes  heqaitte 
tCHlinas  e  provincia  lollendas  curent.    (Vonc.  proc  , 

DlCTIOX.W   DES    MxSTERES. 


chelieu  tolérait,  par  des  considérations  poli- 
tiques, ce  qu'il  devait  désapprouver  comme 
ministre  ecclésiastique.  Le  sentiment  de  M. 
de  Fénelon  ne  doit  être  regardé  que  comme 
une  faiblesse  de  littérateur.  Et  celte  mesure 
de  louanges  que  H.  Languet  accorda  a  M.  d« 
la  Chaussée,  manifeste  l'embarras  où  il  était 
de  eoncilierle  devoir  ecclésiastique  avec  l'é- 
tiquette  de  la  cérémoire  du  moment.  11  me 
semble  que  prétendre  lirer  avantage  de  celte 
anecdote  littéraire  pour  le  théâtre,  c'est  man- 
quer aux  égards  qu'on  doit  à  la  bonne  idéo 
que  l'on  avait  des  mœurs  canoniques  de  ce 
prélat. 

«  Quant  à  saint  Charles  Borromée,  cet  il- 
lustre cardinal  était  bien  éloigné  d'approu- 
ver les  spectacles.  On  peut  en  juger  par  ses 
ordonnances  pastorales  qui  se  trouvent  dai  s 
les  actes  des  conciles  de  Milan.  «  Nous 
«  avons,  dit-il,  jugé  à  propos  d'exhorter  les 
«  les  princes  et  les  magistrats  de  chasser 
«  de  leurs  provinces  les  comédiens,  les  far- 
«  ceurs,  les  bateleurs  et  autres  gens  sem- 
«  blables  de  mauvaise  vie, etde  défendre  aux 
«  hôtelliers  et  à  tous  autres,  sousdegrièves 
«  peines,  de  les  recevoir  chez  eux.  »  11  or- 
donna aux  prédicateurs  de  reprendre  avec 
force  ceux  qui  suivent  les  spectacles,  et  du 
ne  pas  cesser  de  représenter  aux  peu  pi  <  s 
combien  ils  doivent  les  avoir  en  horreur  (013; 
Enfin  en  10G2,  on  lit  imprimer  à  Toulouse 
Un  livre  que  saint  Charles  avait  fait  compo- 
ser pour  prouver  que  les  spectacles  drama- 
tiques sont  mauvais  à  cause  des  circonstan- 
ces qui  les  accompagnenl  et  de  leurs  effets. 
Ce  vénérable  cardinal  rappela  sur  cet  objet 
les  principes  de  l'Eglise,  que  les  abus  avaient 
fait  oublier;  mais  il  se  conduisit  avec  ht 
prudence  d'un  pontife  éclairé, 

«  On  sait  que  l'Eglise  est  souvent  obligée 
de  tolérer  des  abus  dont  la  suppression 
pourrait  causer  de  plus  grands  désordres, 
ou  qu'elle  ne  peut  détruire  sans  le  concours 
de  la  puissance  séculière  (014).  Et  alors  les 
ministres  de  la  religion  ne  peuvent  que  les 
déclarer  mauvais,  en  détourner  les  tidèles 
par  tous  les  moyens  possibles  et  proposer 
les  tempéraments  qui  peuvent  les  rendra 
moins  contagieux. Ce  l  ce  que  fit  saint  Char- 
les. Les  désordres  de  son  diocèse  étaient 
extrêmes  et  la  réforme  ne  pouvait  s'en  faire 
que  pa:  degrés.  -Il  obtint  du  gouvernement 
de  Milan  an  ordre  qui  défendit  de  représeï  - 
ter  aucune  pièce  qui  n'eût  été  examinée  1 1 

I,  part,  il.) 

Publicorum  peccalonim  illeccbras  quas  homme* 
depravalap  consueiudinis  errore  dècepti  pro  nibilo 
pulanl,  concionuior  perpelno  reprebendel  alquc  in 
summum  odium  addueere*conlendet ,  osiemleiqu» 
quaiu  graviter  Deum  offeudaïu...  Scenicaî  persona- 
laqne  aciiones,  onde  ta-nquam  qiiodam  seminanu 
semina  malcfacloriim  ac  flagiiioruui  pt*ne  omnium 
existant,  quam  a  cbrtsliana:  disciplina:  ollieiis  adhu- 
re.ites,  quam  valde  cum  paganorum  titsti tittis  con- 
vi'iiieules  alquc  diaboli  astu  inventa  ,  onini  ollicio  a 
populo  chlisliano  cxlerminandrc  sint,  quam  maxime. 
poieril  îeligione  conlendet.  (Acior.,  pari,  iv,  pajj. 
483.) 

v!3 1 4-)   Ecclesia  multa  loleral  quai  non  probai.  (S. 
At'c.) 

20 


U7A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 


ir-2 


trouvée  conforme  à  la  morale  chrétienne. 
Mais,  comme  ledit  l'historien desa  vie,  cette 
loi  parut  si  sévère  aux  comédiens  qu'ils  ai* 
nièrent  mieux  quitter  la  ville.  Et  quand  il 
•H- rail  vrai  que  saint  Charles  eût  corrigé  des 
pièces  destinées  à  la  déclamation,  on  doitsup* 
l>oser  que  l'examen  en  était  si  sévère  qu'il 
ne  pouvoit  tendre  qu'à  la  destruction  des 
spectacles.  C'est  du  moins  l'effet  qui  en 
résulterait  si  l'on  don  îait  des  censeurs 
aussi  scrupuleux  à  nos  théâtres,  de  même 
qu'il  n'y  aurait  plus  de  spectateurs  s'il  fal- 
lait n'aller  aux  spectacles  qu'aux  conditions 
que  saint  François  de  Sales  en  permettait 
l'usage. 

«Il  y  a  des  gens  qui  ont  de  faux  préjugés  à 
l'égatd  de  ce  saint  évoque,  ils  le  supposent 
si  complaisant  qu'ils  le  feraient  presque  le 
patron  des  casuistes  relâchés;  c'.  r.ette  opi- 
uion  les  porte  à  taire  de  saint  Charles  Borro- 
mée  le  patron  des  casuistes  rigoristes.  Néan- 
moins ces  deux  saints  ne  diffèrent  que  dans  la 
ma  îièi-e  dont  ils  ont  annoncé  la  doctrine  de 
l'Eglise,  et  dans  le  fond  ils  sont  tous  deux 
aussi  rigides;  Saint  François  de. Sales  no 
l'esi-il  pas  assez  lorsque  pour  le  choix  d'un 
confesseur  il  veut  qu'on  en  choisisse,  non  un. 
entre  mille,  comme  l'avait  dit  Avila,  mais 
un  entre  dix  mille? Il  permet,  dit-on, d'aller 
aux  biset  autres  divertissements  dange- 
reux. Mais  comment  le  permet-il  ?  C'est  en 
exigeant  des  disposilions  qu'on  ne  pourrait 
essayer  de  garder  avec  tidelilé  sans  renon- 
cer à  tous  ces  plaisirs,  il  compare  ces  di- 
vertissements aux  champignons  dont  les 
meilleurs  ne  sont  pas  salubres.  «  Toutes  ces 
«  assemblées,  dit-il,  attirent  ordinairement 
«  les  vi.es  et  les  péchés  qui  régnent  en 
=  «  une  ville,  les  jalousies,  les  bouffonneries, 
«  les  railleries,  les  querelles,  les  folles  a- 
«  uiours:  parce  que  leur  appareil,  leur  tu- 
«  multe  et  la  liberté  qui  y  dominent,  éciiauf- 
«  lent  l'imagination,  agitent  les  sens  et  oc- 
«  eu,  eut  le  cœur  au  plaisir;  si  le  sev- 
«  peut  vient  souiller  aux  oreilles  une  pa- 
ît rôle  sensuelle  ou  quelque  cajolerie ,  si 
«  l'on  est  surpris  des  regards  de  quelque 
«  basilic,  les  cœurs  sont  tous  disposés  à  en 
«  recevoir  le  venin.  Ces  ridicules  uivertis- 
«  semenis  dissipent  et  affaiblissent  les  forces 
k  de  la  volonté  pour  le  bien  et  réveillent  en 
«  l'âme  mille  sortes  de  mauvaises  disposi- 
«  lions.  C'est  pourquoi  l'on  ne  doit  jamais 
«  se  les  permettre  dans  la  nécessité  môme, 
«  qu'avec  de  grandes  précautions  et  sans 
«  avoir  ensuite  recours  à  quelques  eonsidé- 
«  rations  saintes  et  fort  vives, qui  préviennent 
«  les  dangereuses  impressions  que  les  plai- 
«  sirs  pourraient  faire  sur  l'esprit;  et  voici 

(615)  Œuvres  de  saint  Fruncoh  de  Suies. 

(626)  Censeo  licenliam  theatii  aile  ire  certissJmam 
peslem  montons  clirislianis.  EUcxcal  nimiriim  prava 
«Dnsucliiilo  animas,  et  qinepassini  fieri  viderons  e!e- 
fâihtere  coiianni!-  quidam  licencia?  patroni...  Popnlus 
iulelligal  histrion  es  non  prohari  a  republica,  se<i  po- 
pali  obleclalioni  al\jue  importants  precibus  darj; 
q;ue,  emo  non  potest  qiix  meli-na  suni  ohiinere,  so- 
.  )î'i  alnpiaihlo  minora  inala  Loferai"*1,  ei  populi  le.viI.Vli 
al).|Uiu  confédéré.  (Makiana,  li'j.  ni,  De  fetfe  et  ityi» 


«  celles  que  je  vous  conseille.  En  mon  o 
«  temps  que  vous  étiez  à  ces  divertissements 
<*  que  je  suppose  avoir  été  b:en  réglés  dai.s 
«  toutes  leurs  circonstances  pour  la  bonn» 
«  intention»  pour  la  modestie,  pourla  dignilé 
«  et  la  bienséance,  pensez,  dis-je,  qu'en  m£- 
«  me  temps  que  vous  y  étiez,  plusieurs  âmes 
«  brûlaient  dans  l'enfer  pour  des  péchés 
«  commis  dans  ces  divertissements  ou  par 
«  leurs  mauvaises  suites.  Plusieurs  religieux 
«  et  personnes  de  piété  él aient  à  la  môme 
«  heure  devant  Dieu, chantaient  ses  louanges 
«  et  contemplaient  sa  divine  bonté. ^Plusieurs 
«  personnes  dans  ce  môme  temps  sont  moi- 
«  tes  dans  une  grande  angoisse;  mille  et 
«  milliers  d'hommes  et  de  femmes  onlsouf- 
«  fert  les  douleurs  des  maladies  les  plusfio- 
«  lentes  en  leurs  maisons  et  dans  les  liôpi- 
x  taux  :  Hélas!  ils  n'ont  eu  nul  repos  et  vous 
«  n'avez  eu  nulle  compassion  d'eux  :  ne 
«  pensez-vous  pas  qu'un  jour  vous  géiiiftèi 
«  comme  eux,  tandis  que  les  autres  seront 
«  à  ces  mômes  divertissements.  Nolre-S -i- 
«  gnour,  la  sainte  Vierge,  les  anges  et  les 
«  saints  vous  voyaient  à  cesdivertissemeuts. 
«  Ah  !  que  vous  leur  avez  déplu  en  cet  état  l 
«  Enfin  tandis  que  vous  éliez  là,  le  temps 
«  s'est  écoulé,  la  mort  s'est  approchée.  Çon- 
«  sidérez  qu'elle  vous  appelle  à  ce  pas- 
«  sage  atfreus  du  temps  a  l'éternité,  niais  h 
«  l'éternité  des  biens  ou  des  peines.  Voilà 
«  les  considérations  que  je  vous  suggère; 
«  mais  Dieu  vous  en  fera  naître  d'nutn  s 
«  plus  fortes  si  vous  avez  sa  crainte  (615).  » 

«  Croyez-vous,  Monsieur,  que  ce  soi'i  Ri 
permettre  Ci'S  divertissements?  N'est-il  pas 
évident  que  ce  saint  évoque  cache  sou  zôfe 
sous  une  indulgence  apparente,  qui  en  mô- 
me temps  inspire  le  plus  grand  mépris  du 
monde  corrompu  el  l'aversion  la  plus  héroï- 
que de  ses  maximes  et  de  ses  théâtres  ?  Con- 
sequentia  isla  adeo  lucuîenta  ut  nullti  valcat 
lergiversalione  eludi? 

«  Quelle  vrais  uiblancey  a-l  il  a  attribuer 
à  des  personnages  dont  la  sainteté  esi  si 
bien  établie,  des  opinions  que  les  Pères  Cus- 
man  el  Mariana  (G16)  déclarent  n'avoir  ja- 
mais été  soutenues  que  par  ceux  qui  appel- 
lent bon  ce  qui  est  mauvais  et  mauvais 
ce  qui  est  bon?  Et  quand  môme  on  trouve- 
rait dans  des  siècles  d'ignorance  quelques 
auteurs  respectables  aqui  l'on  pourrait  repro- 
cher d'avoireutropde  complaisance  pour  cer- 
tains abus,  leurautorité  ne  ferait  point  loi,  et, 
par  conséquent, l'exempledes  ecclésiastiques 
qu'on  dit  rencontrer  aux  spectacles,  ne  d.oii 
pas  en  imposer  (617).  C'est  un  scandale  humi- 
liant pour  les  Etals  catholiques,  puisque  les 
protestants  se  piquent  à  cet  égard  d'une  plus 

instituiione,  cap.  De  spectacidis.) 

(617)  Atcum  lliealra  fréquentant,  non  probi,  sel 
suaiprofessionis  violalores  oinninosunl.  Non  ad  vu  gi 
opinionein  sed  ad  regtilam  mares  snos  coiifor»  are 

débet»! An  ne  facimn  quodpiam  a  lege  severnma 

vetilUin  ideirco  de  criinine  purgare  deb'inus  qr.oJ 
boulines  non  uiideqiioque  scelesii  illiul  perpetuuu. 
(Francis.  Daniel.  Co.ncina.  ordin.  prajdicaior.  Col  en. 
dissert,  de  speclac.) 


1!33 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


t'.Zl 


grande  régularité.  Si,  dit  un  auteur  luthérien 
cité  dans  un  ouvrage  du  P.  Concilia,  quel- 
ques princes  évangéliques  tolèrent  dans  leurs 
coursées  sortes  de  divertissements*  ou  ne 
pourra  pas  du  moins  reprocher  à  nos  mi- 
nistres de  se  les  permettre,  ils  savent  trop 
ce  que  la  sainteté  de  leur  caractère  exige  et 
quelle  i  fluenee  leur  conduite  a  sur  les  laï- 
ques. Quodsi  tamen  in  aulis  evangelicorum 
principum  lucc  gandin  admittuntur,  haud  fa- 
cile clericis  el  verbi  Dri  ministris  jure  dedecus 
hoc  poterit  objici.  Oplime  enim  inlelligunt. 
qnid  décent  veneranda/n  hune  ordinem,  quan- 
lumque  suo  exempio proficial  vcl  noceul  (G  18). 
Au  leste,  suivant  l'observation  du  P.  Con- 
cilia, que  les  hérétiques  ne  se  prévalent  pas 
dm  mauvaises  mœurs  de  ceux  qui  ne  pro- 
fessent que  de  bouche  notre  religion.  La 
sainteté  de  notre  uocli  ineel  la  puretéde  notre 
morale  n'en  sont  pas  moins  inaltérables.  C'est 
de  Dieu  et  non  des  hommes  (pie  l'Eglise  a 
reçu  ses  lois  :  ainsi  elle  ne  dépend  point  des 
exemples  (6I9J.  Rien  n'est  plus  satisfaisant 
(pie  les  réponses  laconiques  et  énergiques  que 
M.  liossuetet  uii  évéquo  de  Noyon  liront  à  ce 
sujet  à  Louis  XIV.  M.  de  B***,  a  fait  usage 
de  ces  anecdotes  (620)  pour  réfuter  ce  que 
vous  révélez  d'après  AI.  de  Voltaire  au  sujet 
du  banc  que  les  évoques  avaient  à  Versailles 
sous  Louis  XIV  dans  la  salle  de  la  comédie. 
Ce  prétendu  banc  dont  M.  Fréron  s'autorise 
aussi,  ne  subsiste  plus;  c'était  donc  un 
abus  qui  c'aurait  pas  été  loiérablc,  nonob- 
stant la  différence  qu'on  prétend  mettre 
fe'\lre  les  spectacles  de  la  ville  et  ceux  de  la 
cour. 

«  Je  conviens  que  ceux-ci  ne  sont  que  des 
représentations  tlomes tiq nés  qu'on  regarde 
comme  d'étiquette.  La  présence  de  la  ma- 
jesté du  monarque  doit  y  tenir  en  respect 
lousjesspeciateurscl  attirer  tous  les  regards. 
Mais  quoiqu'il  en  soit,  les  acteurs,  pour  sep- 
tir  à  ces  amusements  de  cour,  ne  peuvent 
en  rien  conclure  en  faveur  de  leur  profes- 
sion envers  le  public.  Elle  n'en  parait  pas 
moins  odieuse  aux  permîmes  vertueuses  île 
la  cour.  M.  l'abbé  Clément  [621)  nous  a  con- 
servé à  cet  égard  un  illustre  témoignage.  Cet 
orateur  dont  l'éloquence  a  toujouis  éié  con- 
sacrée au  saint  ministère,  rapporte  dans  un 
de  ses  ouvrages  (622)  un  trait  qui  caractéri- 
sera à  la  postérité  la  vertu  de  madame  An- 
ne-Henriette de  Fiance,  morte  à  Versailles 
le  10  lévrier  1752  :  «  Celle  excellente  prin- 
«  cesse  disait  un  joirà  une  personne  qu'elle 
«  honorait  de  auelque  confiance,  qu'elle  ne 

(018)  Celle  citation  se  trouve  dans  une  dissertation 
du  F.  Concina,  De&peclac. 

.019)  LHiiiani  sahcni  vel  ab  ipsa  nalura  insilus  dc- 
fendendi  prnprix  religiouis  décorent  inslincius  se- 
vocarel  calboliros  clericos  ah  iis  inanissimis  falmlis 
el  (ornipit  lis  quas  vel  ipsi  iiaereiici  lampiam  clerieali 
sialui  iniesius  deleslaulur.  li  omues,  q'tiibûs  vera 
calholica  relig'mcc-rdi  est,  batld  possunl  non  suinino- 
pere  conunoveri  el  lubore  perfnidi  el  iiMBSfîtia  arigt 
dum  lalia  in  hanclicis  legmil.  Quoniam  bine  disenut 
lùlforiius  liaereiîcoruiu  couverskHiein  remoran  qttam 
eaiiiolicorii'ii  cl  maxime  clerieontm  pessiums  urores 
isioiuii)  y  i  lia  in  errure  oLîirinaiit  bouiiues  a  vera  do- 


«  concevait  pas  comment  on  pouvait  goûter 
«  quelque  plaisir  aux  représentations  du 
«  théâtre»  (pie  pour  elle  c'était  un  vrai  sup- 
«  plice.  La  personne  à  qui  elle  parlait  ainsi, 
«  ne  put  s'empêcher  d'en  marquer  de  l'élou- 
«  nemeiit  et  prit  la  liberté  de  lui  en  de- 
«  manier  la  raison.  —  Je  vous  avoue,  ré- 
«  pondit  la  princesse,  que  quelque  gaie  que 
«  je  sois  en  allant  à  la  comédie,  sitôt  que  je 
«  vois  les  premiers  acteurs  paraître  sur  la 
«  scène,  je  tombe  tout  à  coup  dans  la  plus 
«  profonde  tristesse  :  Voilà,  me  dis-je  à  moi- 
«  même,  des  hommes  qui  se  damnent  de  pro- 
«  pos  délibéré  pour  me  divertir.  Celte  ré~ 
«  flexion  m'occupe  et  m'absorbe  tout  entière 
«  pendant  le  spectacle.  Quel  plaisir  pourrais- 
«  je  y  goûter?  » 

«  Celle  princesse  n'ignorait  pas  Ions  les 
grands  et  frêles  raisonnements  des  apolo- 
gistes du  théâtre;  mais  elle  savait  que  toutes 
leurs  vaines  prétentions  étant  approfondies, 
paraissent  puériles  cl  dépourvues  de  sens.  «Les 
«  sopliismcs,  comme  le  dit  M.  Gressel,  les 
«  noms  sacrés  et  vénérables  dont  on  abuse 
«  pour  justifier  la  composition  des  ouvrages 
«  dramatiques  et  le  danger  des  spectacles; 
«  les  textes  prétendus  favorables,  les  anec- 
«  dotes  fabriquées,  lout  cela  n'est  que  du 
«  bruit  et  un  bruit  bien  faible  pour  ceux 
«  qui  ne  refusent  point  d'écouter  les  récla- 
«  mations  de  la  religion  et  qui  reconnaissent 
«  que  lorsqu'on  est  réduit  à  disputer  avec 
«  la  conscience,  on  a  toujours  tort. 

«  Tous  les  suffrages  de  l'opinion,  de  la 
«  bienséance  et  de  la  vertu  purement  hu- 
«  maine  fussent-ils  réunis  en  faveur  de  nos 
«  théâtres  publics,  on  aura  toujours  à  leur 
«  opposer  la  loi  de  Dieu  qui  les  défend.» 
On  ne  pourra  jamais  acquérir  de  prescrip- 
tion contre  celte;  loi.  Los  partisans  de  spéc- 
ial les  manqueront  toujours  de  la  condition 
la  plus  essentielle,  c'est-à-dire  de  la  posses- 
sion de  la  bonne  foi.  Comment  en  effet 
pourraient-ils  l'avoir  ?  La  raison,  indépen- 
damment de  la  perfection  qu'exige  le  ebris- 
tianiMne,  a-t-elie  jamais  cessé  de  protester 
contre  cette  sorte  d'amusement,  dont  l'effet 
est  de  nuire  aux  mœurs  en  donnant  sur  plu- 
sieurs crimes  des  idées  opposées  à  celles  que 
donnent  la  raison  et  la  religion  ?  «  il  est  par 
«  exemple,  dit  l'abbé  Desfontaincs,  défendu 
«  sur  le  théâtre  n'ensanglanter  la  scène  mê- 
«  me  en  le  faisant  suivant  les  règles  de  la 
«  justice  et  de  l'honneur  et  il  est  permis 
«  néanmoins  de  s'ôler  la  vie  à  soi-même,  co 
«  qui  hors  du  théâtre  ferait  horreur.  La  rai- 

vios  religions,  enjus  lamen  verilali  niliil  m'ali  eveniru 

poicsl  ex  malilia  eorum  qui  illam  piofuerrtur 

Sciants  alitinde  religiouis  veriialem  (piain  ab  eorum 
qui  i  1  l.i  i  il  prolilenlur  motions  iiauriendaui  esse. 

Accessits  ad  llicnira  omnibus  lirctimslaniiis  inspe- 
ctes resesl  simple  nalura  periculoruni  pleua  omnium • 
que  laxiialuui  el  dissolulioniim  occasio  vcl  ipsis  sa- 
ciil.nibus  lioniïnibtis.  (Conci.n.  ibid.) 

(Ii20)  Voyez  la  première  Lettre. 

(G2I)  Prédicateur  .-lu  roi 

(U2"2)  Maximes  four  se.  conduire  ckri  lennemcr.^ 
duns  le  monde  i  édition  de  174.5, 


f!53 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


t  133 


son  nous  (lit  que  c'est  une  vraie  faiblesse 
de  ne  pouvoir  survivre  a  son  malheur,  et 
qu'il  est  bien  plus  noble  de  braver  la  tfor- 
lune  et  de  ne  jamais  s'abandonner  lors- 
qu'elle nous  abandonne.  D'ailleurs  notre 
religion  nous  représente  cette  action  de 
désespoir  comme  le  plus  grand  et  le  plus 
funeste  des  péchés  qu'un  chrétien  puisse 
commettre:  comment  oublie-t-on  ainsi  la 

morale  et  la  ridisyinnan  IhiVflfre? 


re 


igion  au  théâtre?  De  même 


que  la  lecture  des  romans  rend  l'esprit  ro- 
manesque, l'assiduité  au  théâtre  rend 
aussi  l'âme  tragique.  Parmi  les  spectateurs 
il  se  peut  trouver  un  malheureux  réduit 
au  désespoir,  ou  qui  sera  au  premier  jour 
dans  cette  affreuse  situation  ;  l'exemple  de 
tant  de  héros  qu'il  a  vus  se  délivrer  de  la 
vie,  se  retracera  dans  son  imagination  et 
le  portera  peut-être  à  cette  fatale  extré- 
mité. Enfin  nos  lois  ont  attaché  des  pei- 
nes infamantes  à  une  action  que  nous 
osons  regarder  comme  très-belle  et  très- 
glorieuse  sur  le  théâtre  (623).  » 
«  L'abbé  Desfontaines  savait  assez  res- 
pecter la  religion  pour  ne  pas  comparer, 
comme  l'a  fait  indécemment  M.  Fréron(§24), 
la  parole  de  Dieu  avec  la  parole  empoison- 
née du  théâtre,  ni  pour  juger  des  effets  d* 
l'une  par  ceux  de  l'autre.  L'émotion  causée 
par  un  bon  sermon  ne  s'opère  que  par  l'es- 
prit divin  dont  le  prédicateur  est  l'organe, 
quelle  que  soit  la  durée  de  cette  émotion  ; 
au  lieu  que  rien  n'est  plus  naturel  que  les 
impressions  des  représentations  d'ama  tiques, 
elles  sont  même  inévitables,  mais  pour  le 
mal.  Kl  si  le  drame  contient  quelques  bon- 
nes pensées  morales ,  c'est  d'elles  quel 
M.  Fréion  devait  dire  que  leurs impressions 
ne  laissent  pas  plus  de- traces  dans  l'âme  qu'un 
vaisseau  en  fendant  (a  mer,  parce  quelles 
sont  déplacées  sur  des  théâtres  où  il  n'y  a 
de  victoires  assurées  que  pour  le  vice.  Ses 
attraits  y  sont  toujours  efficaces  parce  qu'en 
général  lecœurdef  hommeeslfort  combustible 
par  sa  nature  et  tout  disposé  à  s'enflammer 
à  la  moindre  éi incelle  des  [tassions  dont  il  pos- 
sède tous  les  germes.  N'en  déplaise  à  M.  Fré- 
ron,  il  me  paraît  qu'il  n'a  pas  aussi  bien  étu- 
dié l'homme  que  Va  fait  La  Bruyère. 

Ce  journaliste  ne  se  montre  pas  meilleur 
connaisseur  en  ouvrages  de  casuistes.  Il 
nous  donne  pour  un  écrit  judicieux  et  rai- 
sonnable, fait  par  un  habile  casuiste  et  un  ce- 


ec 


vouée,  produclion  indiscrète  d'un  jeune 
hommequi  n'avait  presqueaucune  iué.'de  nos 
spectacles, qui  n'avait  pas  seulement  lu  Moliè- 
re, quis'était  laissé  séduire  par  de  faux  expo 
ses,  qui  confondait  les  usages  d'un  tempsavei 
ceux  d'un  autre,  qui  ignorait  enfin  l'esprit 
des  auteurs  dont  il  avait  fait  usage  pour 
s'autoriser  dans  son  illusion?  Voilà  les  ca- 
suistes dont  on  veut  se  prévaloir  quand  on 
s'oublie,  comme  M.  Fréron,  jusqu'à  traiter 
de  divines  et  de  justes  idoles  du  public  (626) r 
des  créatures  dont  la  profession  est  incom- 
patible avec  les  bonnes  mœurs.  S'il  en  était 
de  la  question  des  spectacles,  comme  de  ces 
points  de  doctrine  sur  lesquels  on  voit  les 
théologiens  disputer  ouvertement  pour  ou 
contre  et  chaque  parti  s'applaudir  d'un 
triomphe  indécis,  le  P.  Calfaro  se  serait-il 
cru  obligé  de  donner  la  rétractation  la  plus 
authentique  de  la  Lettre  dont  M.  Fréron  os» 
s'autoriser?  Mais  est-il  facile  de  détromper 
des  gens  qui,  à  force  de  s'être  figuré  que  ce 
qui  tlalle  leur  goût  pour  la  v.dupté  est  per- 
mis, s'en  font  une  espèce  de  convielion  ? 
L'on  sait  que  l'ignorance  de  l'esprit  de  l'hom- 
me, comme  le  dit  un  grand  génie  de  l'auli- 
quilé,  n'est  jamais  plus  présomptueuse,  ni 
ne  prétend  jamais  mieux  philosopher  ni  rai- 
sonner que  quand  on  veut  lui  interdire  l'u- 
sage de  quelque  divertissement  onde  quel- 
que plaisir  dont  elle  est  en  possession  (627). 
«  On  voit  quelquefois  la  vérité  recevoir 
des  hommages  de  ceux  même  qui  n'en  soi.t 
pas  les  fidèles  disciples.  On  en  a  un  exemple 
dans  la  Lettre  que  M.  Jean-Jacques  Rous- 
seau de  Genève  a  adressée  à  M.  d  Alemberl 
pour  réfuter  les  ridicules  reproches  que  les 
auteurs  encyclopédistes  avaient  faits  à  la  ré- 
publique de  Genève,  sur  ce  qu'elle  n'a  pas 
de  théâtres  publies.  Je  conviens  que  le  ca- 
ractère de  cet  auteur  est  de  paraître  plein 
du  langage  philosophique  sans  être  vérita- 
blement philosophe,  qu'il  est  livré  aux  pa- 
radoxes d'opinions  et  de  conduite;  qu'en 
même  temps  qu'il  peint  la  beaulô  des  ve.  tus 
il  l'éteint  dans  l'âme  de  ses  lecteurs.  C'est  ce 
dernier  effet  que  sa  Lettre  à  M.  d'AIcmb.  rt 
paraît  avoir  produit  sur  vous,  Monsieur, 
puisque  vous  rejetez  tout  ce  qu'elle  contient 
du  vrai  à  l'égard  de  l'état  de  comédien,  de 
la  morale  qui  se  débite  sur  le  théâtre  et  de 
ses  funestes  impressions  sur  les  spectateurs. 
Mais  quoique  cet  écrivain  insinue  dans  cet 


lèbrc  directeur  de  conscience,  ta  Lettre  que  le  ouvrage  le  poison  de  la  volupté  en  paraissant 
P.  Cafïaro  fît  pour  prouver  qu'il  était  permis  Je  proscrire  ;  quoiqu'il  y  soit  dangereux  soi 
non-seulement  de  composer  des  pièces  de  théâ-     quelques  points  très-importants  de  doctrine 


tre,  mais  de  tes  jouer  et  d'y  assister.  Ce  jour- 
naliste en  aurait  sans  doute  porté  un  autre 
jugement,  s'il  avait  eu  connaissance  de  la 
rétractation.  (625).  11  est  vrai  que  l'écrit  qu'il 
donne  pour  uueauioriîôreeevable,  est  fort  peu 
imposant  parlui-même;  mais  combien  de  gens 
qui,  faute  de  raison  elde  lumières, s'aulorbe  t 
u'après  notre  journaliste  de  cette  Lettreàésa- 

(6Î1»)  Esprit  de  l'abbé  Desfontaines,  t.  II,  p.  «59. 

(oii)  Dansta  30«  cahier  cie  l'Année tiltérn tre  17*>8. 

^îi;jj  Nous  l'avons  reproduite  (tins  liaul. 

(tizti)  Année  littéraire,  57'  cahier  de  t7;*iS. 

Ifciïi  i  Miiiwu  qu  ppe  qtiaiu  sapiens  aigumeuluir  x 


et  de  morale,  néanmoins  les  vérités  qui  Jut 
sont  échappées  n'en  sont  pas  moins  respec- 
tables, elles  doivent  être  recueillies  comme 
de  l'or  que  les  honnêtes  gens  onl  droit  de 
réclamer.  On  sait  combien  est  pernicieux  le 
plan  d'éducation  que  ce  même  auteur  a 
donné  sous  le  titre  d'Emile  (628).  Loin  de 
s'accorder  avec  le  christianisme,  il  n'est  pas 

sibi  videiur  ignoranlia  huinana,  cuiu  aliquid  de  Im- 
insmodi  gaudiis  ac  IVuclinus  verelur  admiltere  (Ter- 

TUL1.1EÎ*). 

(028)  Condamné  par  t*  arrêt  <!u  parlement  de  Paris, 
du  9  juin  170-2,  par  te  uutuJeiueul  de  M.  de  beau- 


1137 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1138 


t?ï-?mc  propre  à  former  des  citoyens  et  des 
bommes;  cependant  faut-il  rejeter  cet  hom- 
mage admirable  qui  y  est  rendu  à  l'authen- 
ticité de  l'Evangile.  «  J'avoue,  dit-il,  que  la 
a  majesté  de  l'Ecriture  m'étonne;  la  sain- 
t  tetéde  l'Evangile  parle  à  mon  cœur.  Voyez 
«  les  livres  des  philosophes  avec  toute  leur 
«  pompe;  qu'ils  sont  petits  près  celui-là! 
«  Se  peut-il  qu'un  livre  à  la  fois  si  sublime 
«  et  si  simple  soit  l'ouvrage  des  hommes? 
«  Se  peut-il  que  celui  dont  il  fait  l'histoire 
«  ne  soit  qu'un  homme  lui-même?  Est-ce 
«  là  le  ton  d'un  enthousiaste  ou  d'un  ambi- 
«  tieux  sectaire?  Quelle  douceur,  quelle  pu- 
«  relé  dans  ses  mœurs  !  Quelle  grûce  tou- 
«  ch.mle  dans  ses  instructions!  Quelle  élé- 
«  vation  dans  ses  maximes!  Quelle  profonde 
«  sagesse  dans  ses  discours  !  Quelle  présence 
«  d'esprit,  quelle  finesse  et  quelle  justesse 
«  dans  ses  réponses  !  Quel  empire  sur  ses  pas- 
«  sionsl  Ouest  l'homme, oùestle  sage  qui  sait 
«  agir,  souffrir  et  mourir  sans  faiblesse  et 
«  sans  ostentation?  Oui,  si  la  vie  et  la  mort 
«  de  Sociale  sont  d'un  sage,  la  vie  et  la 
«  mort  de  Jésus  sont  d'un  Dieu.  Dirons- 
«  nous  que  l'histoire  de  l'Evangile  est  in- 
v<  ventée  à  plaisir?...  Ce  n'est  pas  ainsi  qu'on 
«  invente;  et  les  faits  de  Socrate,  dont  per- 
«  son  ne  ne  doute, sont  moins  attestés  que  ceux 

«  de  Jésus-Christ Il  serait  plus  inconce- 

«  vable  que  plusieurs  hommes  d'accord 
«  eussent  fabriqué  ce  livre,  qu'il  ne  l'est 
«  qu'un  seul  en  ail  fourni  le  sujet.  Jamais 
«  les  auteurs  juifs  n'eussent  trouvé  ce  ton 
«  ni  celle  morale.  Et  l'Evangile  a  des  carac- 
<'  léressi  grands,  si  frappants,  si  parfaite- 
«  ment  inimitables,  que  l'inventeur  en  se- 
«  rait  plus  étonnant  que  le  héros.  »  Ce  té- 
moignage, Monsieur,  doit  certainement  faire 
autorité,  quoique  l'auteur  ait  refusé  de  se 
.'O'imetlre  à  la  doctrine  de  ce  saint  Evangile 
et  qu'après  en  avoir  bien  établi  les  augustes 
caractères,  il  en  rejette  la  révélation  divine  et 
se  dit  ami  de  toute  religion  où  l'on  sert  l'Eslrt 
étrmel,  selon  la  raison  quil  nous  a  donnée. 
Tels  sont  ces  beaux  esprits  du  temps.  Us  se 
piquent  de  raisonner  en  philosophes  et  vi- 
vent en  insensés.  Ils  sont  souvent  en  con- 
tradiction avec  eux-mêmes;  et  ils  n'ont  que 
quelques  moments  lucides  où  ils  parlent  le 
langage  de  la  vérité;  mais  ce  n'est  que  de 
la  plénitude  de  l'esprit  ou  de  l'imagination, 
et  non  de  l'abondance  du  cœur,  C'est  dans 
de  pareils  moments  que  M.  J.-J.  Rousseau 
a  dit  avoir  reconnu,  qu'on  ne  pouvait  être 
vertueux  sans  religion  et  qu'il  a  porté  un 
aussi  bon  jugement  sur  les  théâtres  pu- 
ulics. 

'<  Il  parle  d'après  sa  propre  expérience  et 
eu  observateur  sensé  des  influences  des 
spectacles  sur  les  mœurs.  Ainsi  vous  ne 
pouvez  point  dire  qu'il  esl  l'écho  do  ce  qu'on 
appelle  indécemment  déclamations  de  pré- 
dis. 

«  Il  ne  pense  pas  comme  ces  modernes 
Arisdpes  dont  vous  paraissez   avoir  adopté 


l'école,  que  des  spectacles  et  des  mœurs 
puissent  jamais  être  choses  compatibles.  1* 
nie  que  les  représentations  théâtrales  soient 
nécessaires  pour  former  le  goût  des  citoyens 
et  leur  donner  une  finesse  de  tact  et  une  déli- 
catesse de  sentiment  (629),  ou  qu'elles  puis- 
sent jamais  être  utiles  aux  mœurs  quand 
même  Ton  y  verrait  toujours  le  vice  puni  et 
la  vertu  récompensée,  Et  afin  qu'on  ne  me 
soupçonne  pas  d'exagérer,  je  vais  le  faire 
parler  lui-même.  Ouvrez  donc  vos  oreilles. 
Erigant  aures  oblusas  qui  compressis  labiis 
mussitant  nostram  senlentiarii  non  esse 
certam. 

,  «  Demander  si  les  spectacles  sont  bons  ou 
«  mauvais,  il  suffit  pour  décider  la  question. 
«  de  savoir  que  leur  objet  principal  a  ton» 
«  jours  été  d'amuser  le  peuple,  Voilà  d'où. 
«  naît  la  diversité  des  spectacles,  selon  les 
«  goûts  des  diverses  nations.  Un  peuple  in- 
«  trépide,  grave  et  cruel,  veut  des  fêtes  meur- 
«  trières  et  périlleuses,  où  brillent  la  valeur 
«  et  lesang-froid.  Un  peuple  féroce  et  bouil- 
«  lant  veut  du  sang,  des  combats,  des  passions 
«  atroces.  Un  peuple  voluptueux  veut  de  la 
«  musique  et  des  danses.  Un  peuple  galant 
«  veut  de  l'amour  et  de  la  politesse.  Un  peu- 
«  pic  badin  veut  de  la  plaisanterie  et  du  ri- 
«  dicule.  Trahit  sua  quemquevoluptas.  Il  faut, 
«  pour  leur  plaire,  des  spectacles,  non  qui 
«  modèrent  leurs  penehanîs,  mais  qui  K* 
«  favorisent  et  les  fortifient...  Il  n'y  a  que 
«  la  raison  qui  ne  soit  bonne  à  rien  sur  la 
«  scène. 

«  Une  bonne  conscience  éteint  le  goût  des 
«  plaisirs  frivoles  ;  c'est  le  mécontentement 
o  de  soi-même,  c'est  le  poids  de  l'oisiveté, 
«  c'est  l'oubli  des  goûts  simples  et  naturels 
«  qui  établissent  la  prétendue  nécessité  des 
«  spectacles...  Attacher  incessamment  son 
«  cœursur  la  scène,  c'est  annoncer  qu'il  était 
«  mai  à  son  aise  au  dedans  de  nous.  L'on 
«  croit  s'assembler  au  spectacle  et  c'est  là 
«  qu'on  s'isole  ;  c'est  là  qu'on  va  oublier  se.» 
«  amis,  ses  voisins,  ses  proches,  pours'inté- 
«  resserà  des  fables,  pour  pleurer  les  raal- 
«  heursdes  morts,  ou  rire  aux  dépens  des 
«  vivants,  de  manière  qu'on  pourrait  dire  de 
«  ceux  qui  les  fréquentent  :  N'ont<ls  dont 
«  ni  femmes,  ni  enfants,  ni  amis,  comme  ré- 
«  pondit  un  barbare  à  qui  l'on  vantait  les 
«  jeux  publics  de  Rome  ?...Le  théâtre  purgo 
*  les  passions  qu'on  n'a  pas,  et  fomente  cel- 
«  les  qu'on  a...  J'entends  dire  que  la  tragédie 
«  mène  à  la  pilié  par  la  terreur;  soit,  mais 
«  quelle  esl  cette  pitié?  Une  émotion  passu- 
«  gère  ei  vaine, qui  ne  dure  pas  plus  que  l'illu- 
«  sion  qui  l'a  produite  ;un  reste  de  sentiment 
«  naturel,  étouffé  bientôt  par  les  passions, 
c  une  pilié  stérile  qui  se  repaît  de  quelques 
'<  larmes,  et  n'a  jamais  produit  le  nioindie 
«acte d'humanité...  On  s'attendrit  plus  vo- 
«  lonlier*  à  des  maux  feints  qu'à  des  maux 
«  véritables.  Les  imitations  du  théâtre  n'exi- 
«  gent  que  des  pleurs,  au  lieu  que  les  objets 
«  imites  exigeraient  de  nous  des  soins,  du 


nimil,  archevêque  de  P;iris  fin  20  aoiH  1762.  r>l  par      même  rmnc>. 
t.»  («'ii-tno  do  I.»  Faculté  de  l  néologie  <lo  Paris  «)<■  la  ('••^'•,)  Kvjwt 


•vous  df*  nti!f>urB  encyrlnpc  !i«'<:s. 


UÔ9  DICTIONNAIRE 

o  soulagement,  des  consolations  dont  on  veut 
«  s'exempter. 

«  La  vertu  dans  la  tragédie  ne  paraît  que 
«  comme  un  jeu  de  théâtre  bon  à  amuser  le 
«  public;  mais  qu'il  y  aurait  de  la  folie  à 
«  vouloir  transporter  sérieusement  dans  la 
«  société...  On  me  dira  que  dans  les  bonnes 
*  pièces  dramatiques,  le  crime  est  toujours 
«  puni,  et  la  vertu  toujours  récompensée. 
«Je  réponds  que  quand  cela  serait,  la  plu- 
«  part  des  actions  tragiques  n'étant  que  de 
«  pures  fables,  des  événements  qu'on  sait 
«  être  de  l'invention  du  poêle,  ne  font  pas 
«  une  grande  impression  sur  les  spectateurs... 
«  Je  réponds  encore  que  ces  punitions,  et 
«  ces  récompenses  s'opèrent  toujours  par  des 
«  moyens  si  extraordinaires  qu'on  n'attend 
«  rien  de  pareil  dans  le  cours  nature!  des  cha- 
ises humaines.  Enlin  je  réponds  en  niant  le 
«  fait  :  Il  n'est,  ni  ne  peut  être  générale- 
«  ment  vrai;  car  cet  objet  n'étant  pas  celui 
«  sur  lequel  les  auteurs  dirigent  leurs  pièces, 
«  ils  doivent  rarement  l'attendre; et  souvent 
«  il  serait  un  obstacle  au  succès.  Vice  ou 
«  vertu,  qu'importe  pourvu  qu'on  en  impose 
«  par  un  air  de  grandeur.  Aussi  la  scène 
«  française  n'est-elle  pas  moins  le  triomphe 
«  des  grands  scélérats,  que  des  plus  illus- 
•*  très  héros,  témoins,  Catilina,  Mahomet, 
«  Atrée,  etc. 

«  Quel  jugement  porierons-nous  d'une  tra- 
«  gédie,  où,  quoique  les  criminels  soient  pu- 
«  nis,  ils  nous  sont  présentés  sous  un  aspect 
«  si  favorable,  que  tout  l'intérêt  est  pour 
«eux?  où  €alon,  le  plus  grand  des  Romains, 
«  fait  le  rôle  d'un  pédant;  où  Cicéron,  le 
«  sauveur  de  la  république,  est  monirécoiume 
«  un  vil  rhéteur,  un  lâche,  tandis  que  l'infâme 
«  Calilina,  couvert  de  crimes  qu'on  n'ose 
«  nommer,  fait  leroled'un  grand  homme, et 
«  réunit  par  ses  talents,  sa  fermeté  et  soncou- 

«  rage,  toute  l'estime  des  spectateurs A 

«  quoi  donc  aboutit  la  morale  d'une  pareille 
«  pièce,  si  ce  n'est  à  encourager  des  Caiili- 
«  na,  et  à  donner  aux  méchants  habiles  le 
«  prix  de  l'estime  publique  due  aux  gens  de 
«  bien?  Mais  tel  est  le  goût  qu'il  faut  flatter 
«  sur  la  scène.  Le  savoir,  l'esprit,  le  courage 
«ont  seuls  notre  admiration,  et  toi,  douce  et 
«  modeste  vertu,  tu  reste  toujours  sans  bon* 
«  neur 1 

«  Atrée  et  Mahomet  n'ont  pas  même  la  fai- 
«  ble  ressource  du  dénouement.  Le  monstre 
«  qui  sert  de  héros,  dans  chacune  de  ces  deux 
«  pièces,  achève  paisiblement  ses  forfaits, 
«  en  jouit,  et  l'un  des  deux  ledit  en  pro- 
«  pies  termes  au  dernier  vers  de  la  tragé* 
«  die  : 

El  je  jouis  enfin  du  prix  de  mes  forfaits. 

«  Mahomet,  aux  yeux  des  spectateurs,  di- 
«  minue  par  sa  grandeurd'âme  l'atrocité  de 
a  ses  crimes.  Celle  pièce  peut  faire  plus  de 
«  Mahomels  que  de  Zopires. 

«  L'art  du  théâtre  ne  consiste  plus  qu'à 
«  donner  une  nouvelle  énergie  et  un  nou- 
«  veau  coloris  à  la  passion  de  l'amour.  On 
«  ne  voit  plus  réussir  que  des  romans  sous 
«  le  nom  de  pièces  dramatiques.  Et  comme 


DES  MYSTERES.. 


H  40 


«  l'amour  est  le  règne  des  femmes,  un  effet 
«  naturel  de  ces  pièces  est  d'étendre  l'empire 
«  du  sexe,  et  de  donnerdes  femmes  pour  les 
«  précepteurs  du  public.  De  là  les  jeunes 
«  gens  que  les  parents  ont  l'indiscrétion 
«  d'envoyer  à  celle  mauvaise  école,  remar- 
«  quenl  que  le  seul  moyen  de  se  former 
«  dans  le  monde,  est  de  chercher  une  maî- 
«  tresse,  c'est-à-dire,  une  femme  sans  hon- 
«  neur. 

«  L'amour  qu'on  expose  au  théâtre  y  est, 
«  dit-on,  rendu  légitime.  Son  but  est  liran- 
«  nèle  ;  souvent  il  est  sacrifié  an  devoir  et  à  la 
«  vertu,  et  dès  qu'il  est  coupable,  il  est  puni. 
«  Fort  bien  ;  mais  n'est-il  pas  plaisant  qu'on 
«  prétende  ainsi  régler  après  coup  les  mou- 
«  vemenls  du  cœur  sur  les  préceptes  de  la 
«  raison,  et  qu'il  faille  altendre  les  événe- 
«  ments  pour  savoir  quelle  impression  l'on 
«  doit  recevoir  des  situations  qui  les  amè-> 
«  nent,  Quand  le  théâtre  n'inspirerait  pas 
«  des  passions  criminelles,  il  dispose  au 
«  moins  l'àme  à  des  sentiments  qu'on  salis- 
«  fait  ensuite  aux  dépens  de  la  vertu. 

«  Si  dans  la  comédie  on  donne  un  appa- 
«  reil  plus  simple  à  la  scène  ;  et  si  l'on  rap- 
«  proche  le  ton  du  théâtre  de  celui  du  monde, 
«  on  ne  corrige  point  peur  cela  les  mœurs. 
«On  les  peint,  et  un  laid  visage  ne  paraît 
«  point  laid  à  celui  qui  le  porte.  Que  si  l'on 
«  veut  les  cortigerpar  leur  charge,  on  quitte 
«  la  vraisemblance  delà  naîure,  et  le  tableau 
«  ne  fait  (dus  d'effet.  La  charge  ne  rend  pas 
«  les  objets  haïssables,  elle  ne  les  rend  que 
«  ridicules.  Comœdia  détériores,  tragœdia 
«  meliores  quamnunc  sunt  imitari  conantur, 
«  nousdit  Àristotte.  Ne  voilà-!-il  pas  une  imi- 
«  talion  bien  entendue,  qui  se  propose  pour 
«  objet  ce  qui  n'est  point,  et  laisse  entre  le 
«  défaut  et  l'excès,  ce  qui  est  comme  une 
«  chose  inutile  ? 

«  Rien  n'est  plus  ordinaire  que  de  vo^r  sur 
«  le  théâtre  la  malice  triompher  de  la  sim- 
«  plicilé;  ce  qui,  pour  n'être  que  trop  vrai 
«  dans  le  monde,  n'en  vaut  pas  mieux  à 
«  mettre  sur  la  scène  avec  une  espèce  d'ap- 
«  prob.ition,  comme  pour  exciter  lesamisper* 
«  tides  à  punir  sous  le  nom  de  sotlise,  la  can- 
«  deur  des  honnêtes  gens.  Dut  veniam  cor- 
«  vis,  vexât  censura  columbas.  Les  poètes 
«  dramatiques  sontdes  gens  qui,  tout  au  plus 
«  raillent  quelquefois  les  vices,  sans  jamais 
«  faire  aimer  la  vertu  ;  ils  sont  de  ces  gens, 
«  disait  un  auteur,  qui  savent  bien  moucher 
«la  lampe,  mais  qui  n'y  mettent  jamais 
«  d'huile. 

«  La  tragédie,  telle  qu'elle  exisle,  est  si 
«  loin  de  nous,  nous  représente  des  ôlies  si 
«  gigantesques,  si  boursouflés,  si  chiméri- 
«  ques,  que  l'exemple  de  leurs  vices  pour- 
ce  rail  être  moins  contagieux.  Mais  il  n'en 
<»  est  pas  ainsi  delà  comédie,  dont  les  mœurs 
«  ont  avec  les  nôtres  un  rapport  plusimmé- 
«  diai,  et  dont  les  personnages  ressemblent 
«  mieux  à  des  hommes.  Tout  en  est  mau- 
«  vais,  pernicieux,  tout  tire  à  conséquence 
«  pour  les  spectateurs;  et  le  plaisir  même 
«  du  comique  élaut  fondé  sur  un  vice  du 
«  cœur  humain,  c'est  une  suite  de  ce  priu- 


1141 


NOTICE  SUU  LE  THEATP.E  LIBRE. 


1141 


«  ripe,  que  pitts  a  comédie  est  agréable  et 
«  parfaite,  plus  son  effet  est  funeste  aux 
«  mœurs, 

«  Qn'ap;)reud-t-on  dans  Phèdre  et  dans 
«  OEdipc,  sinon  que  l'homme  n'est  pas  libre, 
«et  que  le  ciel  punit  des  crimes  qu'il  lui 
x  fut    commettre  ?    Qu'apprend-l-on    dans 

*  Médée,  si  ce  n'est  jusqu'où  la  fureur  de  la 
c  jalousie  peut  rendre  une  mère  cruelle  et 
s  dénaturée?  Suivez  la  plupart  des  pièces  du 
«  Théâtre-Français,  vous  trouverez  presque 
«  dans  toutes  des  monstres  abominables  et 
o  des  actions  alroces,  utiles  ,  si  l'on  veut,  à 

*  donner  de  l'intérêt  aux  pièces,  mais  dan- 
«  gereuses  certainement  en  ce  qu'elles 
«  accoutument  les  .yeux  du  peuple  à  des 
«  horreurs  qu'il  ne  déviait  pas  môme  con- 
«  naître,  et  à  des  forfaits  qu'il  ne  devrait 
«  pas  supposer  possibles.  Il  n'est  pas  même 
«  vrai  que  le  meurtre  et  le  parricidey  soient 

*  toujours  odieux.  A  la  faveur  de  je  ne  sais 
«  quelles  commodes  suppositions  ,  on  les 
«  rend  permis  ou  pardonnables.  On  a  peine 
«  à  ne  pas  excuser  Phèdre  incestueuse,  et 
«  versant  le  sang  innocent.  Syphax  empoi- 

*  sonnant  sa  femme,  le  jeune  Horace  poi- 
t  gnardanl  sa  sœur,  Agameinnon  immolant 
«  sa  fille,  Oresle  égorgeant  sa  mère,  ne  lais- 
«  sent  pas  d'être  des  personnages  iniéres- 

*  .sauts L'un    tuo  son  père,  épouse  sa 

•<  mè;e,  et  se  trouve  le  frère  de  ses  enfants; 
«  un  autre  force  son  fils  d'égorger  son  père, 
u  un. troisième  fait  boire  à  son  père  le  sang 
i  de  son  lils.  On  frissonne  à  la  seule  idée 
a  des  horreurs  dont  on  pare    la  scène  fran- 

«  çnise Je  le    soutiens,   et   j'en   atteste 

«  l'effroi  des  lecteurs,  les  massacres  des  gla- 
«  dialeurs  n'étaient  pas  si  barbares  que  ces 
«  affreux,  spectacles.  On  voyait  couler  du 
«  sang,  il  est  vrai  ;  mais  on  ne  souillait  pas 
«  son  imagination  de  crimes  qui  font  frémir 
«  la  nature. 

x  Quel  est  l'esprit  général  de  Molière,  des 
«  alents  duquel  je  suis  plus  l'admirateur 
o  que  personne?  Il  tourne  en  dérision  les 
«  respectables  droits  des  pères  sur  leurs  en- 
«  fjnts,  des  maris  sur  leurs  femmes,  des 
«  maîtres  sur  leurs  serviteurs.  Il  fait  rire, 
«  il  est  vrai,  et  n'en  devient  que  plus  eou- 
«  pabJe  en  forçant,  par  un  charme  invinci- 
<«  ble,  les  sages  mêmes  de  se  prêter  à  des 
«  railleries  qui  devraient  attirer  leur  indi- 
«  gnatioi.  J'entends  dire  qu'il  attaque  les 
■  vices;  mais  je  voudrais  bien-que  T'on  com- 
«  parât  ceux  qu'il  .iliaque  avec  ceux  qu'il 
«  favorise.  Quel  est  le  plus  blâmable  d'un 
«  bourgeois  sa^sespritet  vain,  qui  fait  sotle- 
«  ment  le  gentilhomme,  ou  du  gentilhomme 
«  fripon  qui  le  dupe?  Dans  la  pièce  dont 
«  je  parle,  ce  dernier  n'esl-il  pas  l'honnête 
«  homme  ?N'a-t-il  pas  pour  lui  l'intérêt ,  et 
«  le  public  n'applaudit-il  pas  à  tous  les  louis 
«  qu'il  fait  à  l'autre?  Quel  est  le  plus  cri  mi- 
«  nel,  d'un  paysan  assez  û»u  pour  épouser 
(-■  une  demoiselle,  ou  d'une  femme  qui  cher- 
«  che  à  déshonorer  son  époux  ?  Que  penser 
«  d'une  pièce  où  le  parterre  applaudit  à  l'in- 

*  fidélité,  au  mensonge,  à   l'impudence  de 

*  r elfe-ci,  et  rit  de  la  bêlisedu  naana:  t  puni? 


«  C'est  un  grand  vice  d'être  avare  et  de  prê- 
«  ter  à  usure  ;  mais  n'an  est-ce  pas  un  plus 
«  grand  encore  a  un  fils  de  voler  son  père, 
«de  lui  manquer  de  respect,  de  lui  fairo 
«  mille  insultants  reproches;  et  quand  ce 
«  père  irrité  lui  donne)  sa  malédiction  ,  de 
«  répondre  d'un  air  goguenard,  qu'il  n'a  que 
o  faire  de  ses  dons?  Si  la  plaisanterie  est 
«  excellente,  en  est  elle  moins  punissable? 
«  et  la  pièce  où  l'on  fait  aimer  le  fils  inso- 
«  lent  qui  l'a  faile,  en  est-elle  moins  une 
<t  école  de  mauvaises  mœurs?  Le  Misait- 
«  thrope  est  la  pièce  où  l'on  joue  le  plus  le  ri- 
«  diciile  de  la  vertu.  Alcestedans  celte  pièce 
«  est  un  homme  droit,  sincère,  estimable, 
«  un  véritable  homme  de  bien  ;  l'auteur  lui 
«  donne  un  personnage  ridicule  :  cependant 
«  c'est  la  pièce  qui  contient  la  meilleure  et 
«  la  plus  saine  morale.  Sur  cclle-la  jugeons 
a  des  autres,  et  convenons  que  l'intention 
a  de  l'auteur  étant  déplaire  à  des  esprits 
«  corrompus,  ou  sa  morale  porte  an  mal,  ou 
a  le  faux  bien  qu'elle  prêche  est  plusdan- 
«  gereux  que  le  mal  même,  en  ce  qu'il  fait 
«  préférer  l'usage  et  les  maximes  du  monde 
«  à  l'exacte  probité  ;  en  ce  qu'il  fait  consis- 
«  1er  la  sagesse  dans  un  certain  milieu  entre 
«  le  vice  et  la  vertu;  en  ce  qu'au  grand  sou- 
«  lagement  des  spectateurs,  il  leur  persuade 
«  que  pour  être  honnête  homme,  il  suffit 
«  de  n'être  pas  un  franc  scélérat. 

«  J'aurais  trop  d'avantage  si  je  voulais 
«  passer  de  l'examen  de  Molière  à  celui 
«  de  ses  successeurs,  qui  n'ayant  ni  son  gé» 
«  nie,  ni  sa  probité,  n'en  ont  que  mieux 
«  suivi  ses  vues  intéressées,  en  s'attachent 
«  à  flatter  une  jeunesse  débauchée  et  des 

«  femmes  sans  mœurs Regnard  plus  mo- 

«  deste,  n'en  est  pas  moins  dangereux.  C'est 
«  une  chose  incroyable  qu'avec  l'agrément 
«  de  la  police,  on  joue  publiquement  au  mi- 
«  lieu  de  de  Paris  une  comédie,  où  dans  l'ap- 
te parlement  d'un  oncle  qu'on  vient  de  voir 
«  expirer,  son  neveu,  l'honnête  homme  de 
«  la  pièce,  s'occupe,  avec  son  digne  cortège, 
«  de  soins  que   les  lois    paient  de  la  corde, 

«  faux  acte,  supposition,  vol,  fourberie, 

«  mensonge  ,  inhumanité,  tout  y  est,  et  tout 

«  y  est  applaudi Belle  instruction  pour 

«  des  jeunes  gens,  nesciiaurœ  faliacis,  qu'on 
«  envoie  à  cette  école  où  les  hommes  faits 
«  ont  bien  de  la  peine  à  se  défendre  de  la 
«  sé'duclion  du  vicel 

«  Tous  nos  penchants  y  sont  favorisés,  et 
«  ceux  qui  nous,  dominent  y  reçoivent  un 
«  nouvel  ascendant.  Les  continuelles  émo- 
«  lions  qu'on  y  ressent  nous  enivrent,  nous 
«  affaiblissent,  nous  rendent  plus  incapables 
«  de  résister  à  nos  passions,  détruisent  l'a- 
«  mour  du  travail,  découragent  l'industrie, 
«  inspirent  le  goût  de  subsister  sans  rien 
«  faire.  On  y  apprend  à  ne  couvrir  quod'un 
«  vernis  de  procédé  la  laideur  du  vice,  à 
«  tourner  la  sagesse  en  ridicule  ,  a  substi- 
«  tuer  un  jargon  de  théâtre  à  la  pratique  des 
«  vertus,  à  mettre  toule  la  morale  en  méta- 
«  physique,  à  travestir  les  citoyens  en  beaux 
«esprits,    les  mères  de  famille   <n   petites 


JU3 


DICTIONNAIRE  DF.S  MYSTERES. 


nu 


«  maîtresses,  les  liMes  en  amoureuses  de  co- 
■  médies. 

«  Enfin,  quelle  idée  peut-on  seformerdes 
«  spectacles,  si  Ton  en  juge  parle  caractère 
«  des  personnes  qu'on  s'y  propose  princi- 
«  paiement  d'y  amuser,  et  qui  abondent  dans 
«  les  grandes  villes?  Ce  sont  des  gens  intri- 
«  gants,  désœuvrés,  sans  religion,  sansprin- 
««  cipes ,  dont  l'imagination  ,  dépravée  par 
«  l'oisiveté,  la  fainéantise  et  l'amour  du  plai- 
«  sir,  n'engendre  que  des  monstres,  et  n'ins- 
«  pire  que  des  forfaits.  Ce  sont  des  personnes 
«  qu'il  faut  empêcher  de  mal  faire  r  d'où  l'on 
<«  conclut  que  deux  heures  par  jour  dérobées 
«  à  l'activité  du  vice,  sauvent  la  douzième 
«  partie  des  crimes  qui  se  commettraient.  Et 
«  tout  ce  que  les  spectacles  vus  ou  à  voir 
«  causent  d'entretiens  dans  les  cafés  et  au- 
«  très  refuges  de  fainéants  et  de  libertins,  est 
«  encore  autant  de  gagné  pour  les  pères  de 
«  famille,  soit  sur  l'honneur  de  leurs  filles 
«  ou  de  leurs  femmes,  soit  sur  leur  bourse 
«  ou  sur  celle  de  leurs  fils.  Or,  sied-t-il  bien 
«  à  des  personnes  veidueuses  d'aller  se  con- 
«  fondre  avec  ces  gens  oisifs  et  corrompus, 
*  à  qui  il  n'est  pas  bon  de  laisser  le  choix 
"  de  leurs  amusements,  dé  peur  qu'ils  ne 
«  les  imaginent  conformes  à  leurs  inclina- 
«  lions  vicieuses,  et  ne  deviennent  aussi 
«  malfaisants  dans  leurs  plaisirs  que  dans 
«  leurs  affaires?» 

a  Quel  cri  contre  les  spectacles,  a  dit  un 
auteur  (630)  !  Ce  çri  est  parti  d'un  homme 
fuit  connaisseur  dans  le  genre  dramatique, 
grand  admirateur  de  Racine,  de  Molière  Ht 
des  autres  héros  de  la  scène,  d'un  homme 
«niin  qui  ne  peut  passer  pour  un  émissaire 
•fe  ce  que  dans  le  monde  on  appelle  dévots, 
enthousiastes  ,  êtres  superstitieux  ,  esprits 
qui  ne  pensent  point,  et  gens  sans  consé- 
quence (63î).  Ce  cri  est  le  vrai  armé  de  tous 
les  traits  de  l'éloquence  ;  c'est  la  patrie  qui 
venge  les  bonnes  mœurs  sacrifiées  aux  li- 
cences de  la  scène;  c'est  la  philosophie  qui 
emprunte  la  littérature  d'Athènes,  pour  fou- 
droyer Sophocle,  Euripide  ,  Aristophane,  et 
tous  leurs  descendants.  C'est  enfui  un  coup 
formidable  qui  ressemble  à  l'attaque  brus- 
que et  impétueuse  de  ces  guerriers  u 'Ho- 
mère, qui  terrassaient  quiconque  osait  pa- 
raître sur  le  champ  de  bataille. 

«  Qui  pourrait  donc,  Monsieur,  fût-il  un 
Démostoène,  se  charger  présentement  de 
luire  l'apologie  de  nos  théâtres,  et  de  sou- 
tenir, comme  vous  l'avez  fait,  que  la  vertu 
n'y  court  pas  plus  de  risques  que  dans  la 
fréquentation  du  monde?  Tout  est  capable 
dans  le  monde,  dit-on, d'exciter  les  passions. 
Quelle  conséquence  faut-il  en  tirer?  Tout 
est  plein  d'inévitables  dangers,  même  à  l'é- 
glise; donc  il  faut  en  augmenter  le  nombre; 

(636)  Le  P.  Berlhier,  Journal  de  Trévoux  av.  il 
fïoih 

(65i)  Toutes  ces  qualifications  n'ébranlent  pas  un 
Chrétien  fermement  allaché  à  l'Evangile;  et  en  les 
Méprisant,  il  se  montre  supérieur  aux  faux  sages  qui 
l'iitsulient.  Qunm  mutti  ubicunque  invenerntChrisiia- 
rmm  soient  insultarc ,  vocare  hebeiem  nullins  cordis, 
m-vZ/îki  peritice,  et  dicvnt  :  tu  faeiurtn  e$,  quod  tiemo 


la  conséquence  est  belle  î  On  sait  bien  qu'il 
y  8  partout  mélange  de  bien  et  de  mal,  mais 
a  divers  degrés.  On  abuse  de  tout,  il  est 
vrai,  mais  on  sait  la  règle  :  quand  le  bien 
surpasse  le  mal,  la  choso  doit  être  admise 
maigre  ses  inconvénients  ;  et  quand  le  mal 
surpasse  le  bien,  on  doit  la  rejeter  même 
avec  ses  avantages.  C'est  lorsqifon  a  la  vo- 
Jonté  d'observer  celle  règle,  dont  la  raison 
nous  fait  un  devoir,  qu'on  peut  admettre 
la  pensée  de  M.  de  Crébiilon>  que  vous  citez  : 

Pour  être  vertueux,  on  n'n  qu'à  le  vouloir. 

«  Mais  rien  n'est  plus  capable  de  nous 
ôter  cette  volonté  d'être  vertueux,  que  tout 
l'ensemble  du  spectacle. 

«  Un  de  nos  poêles  tragiques  dont  les  ta- 
lents sont  connus,  a  entrepris  (63*2;  de  défen- 
dre nos  théAtres  contre  l'attaque  de  M.  Jean- 
Jacques  Kousseau.  Il  s'appuie  sur  les  lieux 
communs  ordinaires,  c'est-à-dire  sur  les 
beaux  sentiments,  les  pensées  éblouissantes, 
en  un  mot,  sur  la  meilleure  face  de  plusieurs 
de  nos  drames.  Mais  les  partisans  des  théâ- 
tres ne  sont-ils  pas  dans  le  cas  de  lui  repro- 
cher de  s'être  chargé  de  leur  cause?  1°  Parce 
que,  comme  le  pensait  M.  de  Boissy,  l'an- 
cien auteur  du  Mercure,  les  poètes  drama- 
tiques ont  besoin  de  lettres  de  créance  pour 
être  reçus  à  faire  l'apologie  de  nos  specta- 
clesi  et  que  de  droit  ils  sont  recusables. 
2°  Parce  qu'il  lui  est  échappé  des  aveux  qui 
ruinent  la  cause  qu'il  défend,  ne  serait-ce 
que  celui-ci.  Il  convient  que  s»  un  poète  reut 
gagner  la  faveur  du  public,  il  doit  ménager 
et  flatter  les  passions  nationales,  comme  était 
chez  les  Homains  l'amour  de  la  domination, 
et  à  Cartilage  l'amour  du  gain  ;  comme  serait 
l'amour  de  la  piraterie  à  Tunis ,  et  parmi 
nous  l'amour  de  la  galanterie,  cl  cette  an- 
cienne fureur  des  duels,  que  M.  Marmontel 
appelle  un  tisagt  établi  et  une  opinion  adhé- 
rente au  principe  fondamental  de  la  monar- 
chie, que  Corneille  a  eu  raison  de  flotter  dans 
le  l'id.  Mais  ignore-l-i!  que  nos  rois  ont 
proscrit  ce  prétendu  usage  qui  avait  pour 
origine  la  barbarie  des  anciens  peuples  de 
la  Scandinavie,  et  qui  s'était  introduit  avec 
lesVisigolhsdans  l'Italie  et  ensuite  dans  tous 
les  Etats  de  l'Europe?  La  France  s'y  était 
livrée  avec  un  tel  excès,  que  Henri  III, 
Henri  IV  et  Louis  XIII  ne  purent  parvenir 
à  le  détruire  avec  toute  la  sévérité  de  leurs 
édils;  mais  Louis  XIV  y  porta  les  derniers 
coups  par  les  édits  de  16i3,  1651,  et  1679, 
ef  par  l'établissement  d'un  tribunal  pour  ju- 
ger les  querelles  de  la  noblesse.  Le  projet 
en  avait  été  donné  par  le  comte  de  La 
Noue,  dont  Henri  IV  fit  ce  bel  éloge,  en  di- 
sant que  c'était   un  grand  homme  de  guerre, 

fat  il?  Tu  solus  eril  Chrislianus?  quisquis  Chrixliprœ- 
ceplti  implere^votnerit,  iucidii  in  lioniimun  qui  nolun' 
converti  sacritegam  dicacitatem ,  ab  Us  qui  sanari 
nolun'.,  vocalur  instants  ;  sed  divinœ  miserieordia:  tv«- 
nere  adjutus,  inter  eorum  verba  rersalur  qvtii.ûie,  et 
non  exil  de  itinere  prœcepiorum  Dei.  (S.  Aigist.) 

(632)  M.  à°,  Marmontel ,  <I3DS  le  ÙlKnfe  du  tuoift 
de  ii.oveffîbr?  1738. 


■  {!« 


va  .NOTICE  SI  II  LE 

tt  rvcore  plus  un  grand  homme  de  bien  (633). 
o  La  cause  de  la  fureur  des  duels  (dit  ce 
«  héros,  loué  par  un  roi  connaisseur  en  cou- 
«  rage)  gît  en  nos  erreurs  et  folies,  et  en  un 
«  faux  honneur.  Si  Ja  noblesse  continue  de 
«  marcher  ainsi  égarée  tant  en  paroles  qu'en 
«  faire,  elle  ira  toujours  profanant  la  vertu 
«  et  les  armes  en  se  consumant.il  serait  bon 
«  que  le  roi,  les  princes  et  les  seigneurs  hlâ- 
«  massent  en  public  ceux  qui  auront  ainsi 
«  ensanglanté  leurs  armes;  et  montrassent 
«  qu'ils  les  abhorrent  comme  gens  qui  n'ont 
«  autre  plaisir  que  de  s'exalter  par  la  mort 
«  d'aulrui.  Il  serait  besoin  que  Sa  Majesté 
«  fil  assembler  les  maréchaux  de  France  et 

*  les  plus   vieux    capitaines,   pour  faire  (\3 

*  bonnes  ordonnances  sur  ce  fait.  Faudrait 
«  aussi  être  soigneux  qu'elles  fussent  bien 
a  observées  à  la  cour,  à  Paris,  et  aux  lieux 
«  où  il  y  a  corps  de  gens  de  guerre.  Il  n'y  a 

*  pas  de  doute  que  les  bons  exemples  et  les 

*  punitions  montreraient  comme  on  doit  se 
4  gouverner  au  vrai  point  de  l'honneur.  C'est 
«  aux  guerres  qu'on  doit  montrer  sa  valeur 
i  et  hasarder  libéralement  sa  vie.  Les  gens 
«  d'honneur  doivent  servir  généreusement 

*  leur  patrie,  et  ceux  qui  exposent  leur  vie 
a  ions  les  jours  pour  elle,  ne  doivent  pas  à 
h  son  service  ô'.re  chîches  des  biens  de  for- 
-  tune.  Pour  moi,  tandis  que  j'aurai  une 
«  voutte  de  sang  et  un  arpent  de  terre,  je 
«  l'emploierai  pour  la  défense  de  l'Etat  au- 
<  quel  Dieu  m'a  fait  naître.  Garde  son  argent 
«  quiconque  l'estimera  plus  que  son  hou- 

*  neur,  comme  le  font  ceux  qui  semblent 
a  n'être  nésque  p.our  l'oppression  du  peuple, 

*  et  pour  s'enrichir  aux  dépens   de   l'Etat. 

*  Mais  quant  h  ^eux  qui  vont  précipitant 
«  leur  valeur  dans  les  querelles  personnelles, 

*  ils  font  croire  qu'ils  ne  l'estiment  pas  de 
«  grand  prix.  » 

«  Tels  étaient  lessentimentsdecebrave  offi- 
cier, que  son  courage,  dit  M.  deThou  (63i), 
son  habileté  consommée  dans  la  guerre,  et 
sa  prudence  faisaient  aller  de  pair  avec  les 
plus  grands  capitaines  de  son  siècle,  mais 
qui  remportait  sur  la  plupart  d'entre  eux 
par  l'innocence  de  ses  mœurs,  par  sa  modé- 
inlion,  par  sa  droiture  et  par  sou  équité.  Il 
savait  qu'il  devait  à  Dieu  fidélité  et  service, 
et  qu'en  acceptant  un  duel  ,  on  combattait 
'le  iront  le  commandement  de  Jésus-Christ. 
«  Quelle  fureur,  dit   un  auteur  célèbre,  et 

*  quel  désespoir  que  celui  d'un  duelliste, 
«  qui  va  de  sang-froid  se  livrer  a  son  juge, 
«  chercher  son  bourreau,  et  se  jeter  dans  la 

*  prison  éternelle,  en  se  faisant  tuer,  ou  par 


THLATUL  LIUUK. 


ll'ifi 


«  l'engagement  d'un  faux  honneur,  ou  par 
a  une  sotte  vanité,  ou  en  suivant  le  torrent 
«  d'une  coutume  "détestable,  ou  môme  riais 
«  le  moment  actuel  d'une  haine  mortelle,  et 
«  le  cœur  tout  occupé  et  tout  enflammé  du 
«  désir  et  du  dernier  effet  de  la  vengeancel 
«  Le  comte  de  Sales  (C35)  attaqué  par  un  faux 
«  brave  dont  il  avait  repris  les  blasphèmes, 
«  lui  répondit  qu'après  avoir  osé  défendre 
«  la  cause  de  Dieu,  il  ne  devait  pas  la  trahir 
«  pour  les  maximes  d'un  honneur  mal  en- 
«  tendu.  » 

Il  no  faut  pas  confondre  l'abus  du  cou- 
rage avec  le  courage  môme.  Il  est  de  l'inté- 
rêt de  l'Etat  qu'on  ne  se  livre  pas  à  de  faus- 
ses idées  sur  la  valeur.  «  Il  arrive,  dit  l'il- 
><  lustre  Philippe  de  Mornay  ,  que  par  la 
«  témérité  si  familière  à  notre  nation,  les 
«  meilleurs  de  notre  noblesse  se  trouvent 
«  cueillis  tous  verts,  el  se  perdent  avant 
«  que  'de  connaître  où  le  devoir  ies  appelle, 
«  c'est-à-dire,  avant  que  de  savoir  éviter  le 
«  péril  sans  reproche  ,  ou  le  défier  avec 
«  louange  (f>3G).  »  M.  de  Mornay  voulait 
qu'on  imitât  les  Grecs  et  les  Romains,  chez 
qui,  dans  les  beaux  siècles  de  leur  empire», 
le  courage  ne  consistait  pas  seulement  à 
braver  les  périls  pour  la  gloire  et  ia  défense 
delà  patrie,  mais  encore  à  oser  être  ver- 
tueux, el  en  soutenir  constamment  le  carac- 
tère contre  le  torrent  du  plus  grand  nom- 
bre :  Heroem  enim  non  un  a  virlus  efficil,  sed 
multiplex.  On  sait  que  les  héros  dont  les 
talents  se  trouvent  relevés  par  le  coloris 
de  Ja  vertu,  sont  placés  au  temple  de  mé- 
moire dans  un  degré  supérieur.  L'historien 
Paterculus  en  louant  la  grandeur  de  César 
dans  ses  projets,  sa  rapidité  dans  la  manière 
de  faire  la  guerre,  et  sa  hardiesse  intrépide 
à  i'.'f'onier  les  dangers,  le  compare  à  Alexan- 
dre le  Grand  ,  mais,  dit-il,  Alexandre  en- 
core sobre  et  maître  de  sa  colère  (G37). 
Si  le  même  historien  nous  dit  que  Pompée 
était  un  général  très-habile  dans  la  gueire, 
il  relève  son  mérite  en  assurant  qu'il  avait 
des  mœurs  très-pures,  une  probité  irrépro- 
chable; qu'il  était  citoyen  très-modéré,  ami 
constant,  facile  à  pardonner  les  injures,  de 
bonne  foi  lorsqu'il  se  réconciliait ,  el  n'exi- 
geant point  de  satisfactions  à  la  rigueur 
(638).  Mais  si  le  paganisme  a  eu  d'aussi 
beaux  modèles  en  ce  genre,  le  christianisme 
en  a  formé  de  plus  parfaits.  Chaque  siècle 
a  eu  les  siens,  dont  on  peut  dire  comme 
de  Scipion  Emilien  (639),  qui  réunissait  les 
mœurs  de  Caton  d'Ulique  (6V0)  avec  les 
vertus  militaires  :  ils  sont  recommandables 


(033)    Vie  du  comte  de  La  Noue,  dit  Bras  de  fer. 

(  >îi)  Histoire  universelle,  tome  XI. 

(635)  Frère  de  sainl  François  de  Soles. 

(!>5(>)  Lettre  de  Phi!,  de  Mornay  à  M.  de  Hnr'a'j, 
*an»n  de  Dolol,  morl  en  1(>{7. 

(G37)  C;esar...  nugnitudiue  consilionmi.  celorilalc 
heli.imii,  paiiemia  peiieulonim,  Maguo  illi  Alcxan- 
<lr<>,  sed  sobrio  neqoe  iracundo  simillimiis  :  <|ui  de- 
nique  seiupcr  cl  soumn  et  cibo  in  vilain  non  m  vo- 
tuplaietn  uterelur.  (Patkrc.  lit),  u,  cap.  41.) 

(b3S)  Dnx  liello  perilîsstmtis ,  innoreniia  exiinius, 
fctuctilate prxcinmis,  amicitiaruin  lenax,  in  oftensis 


exorabilis ,  in  reconcilianda  gralia  fidcîissimns,  in 
Bccipiei.da  saiistadione  facrllimrrg.  (Paterc,  lil>.  Il, 
cap.  18  ) 

((>3'.>)  Pub.  ScipiovEmiliaims  vir  avilis  P.  Africain 
paiernisque  L.  Pauh  virlulibus  simillimus,  omnibus 
belli  ac  loga:  dotibus...  qui  niliil  in  vila  nisi  laudan 
diiin  aul  d'cii,  ant  dixit  ac  sensil.  Nequc  enim  «inis- 
quam  hoc  Scipionc  eleganlius  inlervalla  negolmrmii 
olio  disputait,  semperque  aul  befli  aul  pacis  sèryfis 
ariibis,  senipêr  inler  arma  aut  stadia  et  officia  cin- 
lia  versalns.  (Lib.  i,  r»p.  12  et  13.)  . 

(fi.iO)  Homo  \i;nni  similTîmtis  péi'orifnîà  îifghrri* 


nn 


MGTI0MNÀ1RE  DES  MYSTERES. 


H  ** 


par  toutes  les  qualités  qui  peuvent  illustrer 
ia  robe  et  l'épée.  On  ne  voit  rien  que  de 
louable  (tans  leurs  actions,  leurs  discours 
et  leurs  sentiments.  Ils  ne  font  rien  de  ver- 
tueux pour  le  paraître,  mais  parce  qu'ils 
ne  doivent  pas  l'aire  autrement;  ils  ne  trou- 
vent rien  de  raisonnable  que  ce  qui  est 
juste;  ils  entremêlent  le  repos  et  l'action; 
ils  mettent  à  profit  les  vides  que  leur  lais- 
sent leurs  emplois.  Ils  partagent  leur  temps 
entre  les  armes  et  les  livres,  entre  les  tra- 
vaux militaires  et  les  devoirs  d'une  société 
honnête. 

«  Mais  sera-ce  sur  le  théâtre  qu*on  expo- 
s"ra  sans  altération  ni  déguisement  toutes 
<;es  vertus?  Il  faudrait  pour  cet  effet,  comme 
io  dit  le  P.  Porée  ,  «  que  les  spectateurs, 
«  c'esl-à-dire,  ces  esprits  légers,  vrais  papil- 
«  Ion*  voltigeants,  ces  oisifs  de  toute  es- 
«  pèce  ,  ces  paresseux  de  profession,  ces 
«  hommes  enfin  esclaves  de  la  coutume  et 
•  spectateurs  de  toutes  choses  ,  excepté 
«  d'eux-mêmes,  cessassent  d'être  plus  avi- 
«  des  de  mets  nuisibles  et  dangereux  que 
«  de  choses  saines  et  profitables  ;  qu  ils 
«  contraignissent  les  auteurs  de  ne  point 
«  peindre  les  vices  avec  tout  le  cortège  des 
«  grAces,  avec  tout  les  pièges  des  senti- 
«  ments  délicats  ,  et  avec  tout  le  venin  de 
«  l'enchantement;  qu'ils  défendissent  aux 
«  acteurs  de  faire  rougir  un  front  vertueux; 
«  qu'ils  tirassent  eniin  l'art  dramatique, 
«  innocent  en  lui-même,  de  la  cruelle  né-r 
«  cessité  où  on  l'a  réduit  d'être  coupable 
«  des  crimes  d'aulrui  et  de  la  perle  des 
«  cœurs.  »  Ainsi,  Monsieur,  tant  que  notre 
nation  continuera  d'être  caractérisée  par  le 
goût  de  la  frivolité  et  du  plaisir,  nos  théâ- 
tres seront  toujours  en  mauvaise  réputation 
auprès  du  sage.  Ils  sont  non-seulement  la 
source  de  la  licence  des  mœurs:  mais  en- 
core de  ce  prétendu  bel  esprit,  dont  la  con- 
tagion a  dégradé  tous  les  genres  de  littéra- 
ture, et  qui  du  théâtre  commence  à  gagner 
1rs  chaires,  et  des  romans  a  passé  dans  les 
traités  de  dévotion  ((5 VI). 

a  Les  spectacles  n'ont  eu  jusqu'à  présent 

diis  qnam  hoininilms  propior,  qui  nunquam  rerlc 
IVcil,  ut  lacère  videretur,  sel  quia  aliter  lacère  non 
paierai;  cniqtie  id  soltim  visiiin  est  raiionem  haltère, 
«pioil  haberel  jusliiiam,  omnibus  humanis  viliis  im- 
inunis.  (Patehc,  tib.  ii,  cap.  35  ) 

(i>4!)  Ce>i  le  reproche  que  M.  L'abbé  Clément» 
prédicateur  du  roi,  fait  à  l'éloquence  chrétienne  de 
n  Ue  siècle  El  il  pense  qu'on  ne  pourra  y  remédier 
c;u  en  s'orcup  int  davantage  «les  Pères  de  l'Eglise, 
(ioni  il  croil  qu'on  ne  saurait  trop  déplorer  l'espèce 
d'oubli,  où,  depuis  quelque  temps,  on  les  laisse.  <  il 
.emhle.  dit-il,  qu  on  se  fasse  un  point  d'honneur  de 
les  néglige-.  Le  clinquant  du  siée  e  a,  pour  ainsi  dire, 
obscurci  à  nos  yeux  l'or  purel  solide  des  premiers 
ministres  île  la  religion.  »  [Ils  prêchaient  avec  le 
/,e|e  des  apôtrt  s,  non  Arislotelico  more  sed  piscalorio<] 
<  Je  crois  que  si  les  personnes  pieuses,  surtout,  les 
dames  chrétiennes;  commençaient  à  s'en  occuper  un 
peu  sérieusement,  bientôt  on  en  ramènerait  !a  mo.'e  i 
On  lit  les  sermons  des  prédicateurs  modernes,  cl  à 
peire  connaîl-on  ceux  des  premiers  prédicateurs  de 
r  ^v.votzile.  Je  conseille  de  lire  les  traductions  des 
EtKi  nio-v3  de   saint   Chrysos'ome,   de  ceux    do    saint 


pour  défenseurs  que  ceux  qui  en  so;  t  par- 
tisans,   soit  par  affection,  soit  par  intérêt. 
Je.  voudrais  qu'on  me  citât  de   bons  philo- 
sophas (reconnus  pour  tels)  qui,  après  avoir 
balancé  le  pour  et  le  contre,  se  déclarassent 
en  leur  faveur.  Mais  il  faudrait  (ce  qui  serait 
un   grand    phénomène)    qu'ifs    convinssent 
d'admettre  dans  un  Etat  policé  et  chrétien,  la 
nécessité  de  renforcer  des  vices  dont  l'honnê- 
teté païen  ne  a  lirait  eu  honte,  el  qui  ne  cessent 
point  d'êtres  vices  pour  être  qualifiés  de  pas- 
sions nationales  et  constitutives  qui  vivifient  In 
monde  moral  :  n'en  déniaisa  à  nos  Raison- 
neurs \  petite  cervelle.  Passez-moi  cette 
expression;  elle  est  d'un   d>e  nos  plus  célè- 
bres poètes   :  et  peut-elle  être  mieux  appli- 
quée qu'à  fous  ces  ingénieux  pijgmées,  qui, 
tout  bouffis  et  fiers  de  leur  corruption,  véu* 
lent ,  sans  craindre    D-ieu  ni  respecter  les 
hommes,  élever  sur  les  ruines  de  la  religion 
un  trône  à  cette  philosophie  insensée  dont 
les  principes  dégradent  l'homme,  a  Glissent 
son  être,  bornent  ses  espérances  et  rédui- 
sent,  son    bonheur  à  l'esclavage  du  la  vo> 
lupté,  dont  l'empire,  comme  le  dit  Cicéron,. 
doit  nécessairement  miner  sourdement  tou- 
tes   les    vertus  et  les  écraser  (642)?  Esl-it 
étonnant  que  depuis  le  temps  que  ces  so~ 
phistrs  (643)  nous  prêchent  que  le  feu  des 
passions  est  le  moteur  unique  et  universel  et 
le  germe  productif  de  tout  sentiment  ,  on  ait 
vu  paraître  un  livre   (644)  où  l'on  a  réduit 
en    maximes  toutes    les  conséquences  qui 
résultant   de   ce  monstrueux    principe?  Il 
sied  à  de  pareilles  gens  qui  travestissent  les 
vices  en   vertus  et  qui  soutiennent  que  les 
hommes  sensés  ne  peuvent  jamais  être  que  des 
hommes  médiocres,  et  que  les  plaisirs  physi- 
ques du  genre  le  pltis  lascif  devraient  être 
la    seule  récompense   des  actions   utiles  à 
l'Etal;  il  sied  à  de  pareilles  gens,  qui,  sui- 
vant l'expression  d'un  ancien,  ensevelissent 
dans  la  boue  ce  soufie  divin  qui  anime  leurs 
corps  et  qui  est  comme  une  portion  de  la 
divinité   (645);   il   leur  shd,   dis-je,   d*èlre 
zélés  défenseurs  du  théâtre,  où   la  volupté 
qui  fait  leur  béatitude  est  si  fort  excitée. 

Augustin,  enfin  de  leurs  homélies  sur  le  Nouveau 
Testament, c'est-à-dire  sur  ce  livre  des  livres  où  tous 
les  docteurs  se  S'Uit  instruits,  dont  je  voudrais  qu'un 
chrétien  ne  quittai  la  lectire  que  quand  il  lésait 
toul  entier  par  cœur.  Encore  faudrait-il  qu'il  le  re- 
li'iî.,  t0  pour  ne  pas  l'oublier;  2° pour  y  apprendre 
quelque  chose,  de  nouvca.u  i  [M.iximes  pour  vivre 
chrétiennement  dum  le  monde;  édition  de  1753.) 

(942)  Maximas  virilités  jacere  omnes  oporlel  do- 
minante volupiate.  (De  (inib.) 

(6i3)  Les  Grecs  donnèrent  ce  nom  à  une  secte  de 
corrupteurs  de  la  morale  el  de  l'éloquence  qui  s'é- 
tait élevée  parmi  les  philosophes.  L'eiait  une  foule 
de  discoureurs  ipii  ne  cherchaient  qu'à  briller;  ils 
abusaient  de  leur  esprit,  ne  remployant  qu'à  soute- 
nir des  paradoxes,  el  à  donner  aux  vertus  les  appa- 
rences des  vices,  el  aux  vices  la  fausse  ressemblance 
des  vertus.  La  Grèce  ne  voulut  appeler  philosophes 
que  les  sages  dont  la  doctrine  ne  servait  qu'à  l'appui 
des  lois  divines  el  humaines. 

(64i)  De  l'Esprit. 

i6i.;))  Afiigil  limiii  divin*  parlicnlain  unnr. 


i  1 40 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


«  Mais  qu'ils  no  prétendent  pas  que  ceux 
qui  réprouvent  les  jeux  scéniqnes  comme 
nuisibles  aux  bonnes  mœurs,  cessent  d'être 
de  vrais  Français  et  d'être  animés  de  l'amour 
des  arts  (6V6).  L'Académie  des  Jeux  Floraux 
de  Toulouse  n'offensa  ni  la  pairie,  ni  les 
Muses,  lorsqu'elle  proposa  pour  sujet  du 
prix  de  poésie  de  l'année  1748,  le  danger  des 
spectacles  (6V7).  On  ne  peut  que  lui  savoir 
gré  d'avoir  prévenu  les  citoyens  contre  les 
abus  qui  obscurcissent  l'honneur  des  belles 
lettres,  et  dont  les  funestes  effets  donne- 
raient lieu  de  croire  que  le  rétablissement 
«les  sciences  et  des  arts  a  contribué  à  cor- 
îompre  plus  qu'à  épurer  les  mœurs.  Mais  il 
ne  faut  pas  imputer  aux  sciences  ce  qu'on 
ne  doit  attribuer  qu'à  la  corruption  de  ceux 
qui  les  éloignent  de  leur  fin  légitime.  Elles 
ne  doivent  avoir  pour  objet  que  de  procurer 
aux  hommes  leur  bien  moral  et  physique; 
et  de  leur  faire  mieux  connaître  l'auteur  de 
toutes  choses  en  l'annonçant  comme  la 
source  de  toutes  les  vérités.  C'est  aux  aca- 
démies littéraires  à  s'élever  contre  tout  ce 
qui  tend  h  décréditer  la  littérature.  Us  y 
sont  obligés  par  le  caractère  de  leur  établis- 
sement. «  Ces  compagnies,  dit  M.  Rousseau 
«  de  Genève  (648)  ,  doivent  se  regarder 
«  comme  chargées,  non-seulement  du  dépôt 
«  des  connaissances  humaines,  mais  encore 
«  du  dépôt  sacré  des  mœurs.  Il  en  résulte 
«  qu'il  faut  qu'elles  aient  l'attention  d'en 
«  maintenir  chez  elles  toute  la  pureté,  et 
«  de  l'exiger  des  membres  qu'elles  reçoi- 
«  vent.  Elles  serviront  de  frein  aux  gens'de 
«  lettres,  si  l'on  ne  peut  mériter  d'y  être 
«  admis  que  par  des  ouvrages  utiles  et  des 
«  mœurs  irréprochables.  Celles  de  ces  com- 
«  pagnies,  qui  pour  le  prix  dont  elles  hono- 
«  rent  le  mérite  littéraire,  font  un  choix  de 
«  sujets  propres  à  ranimer  l'amour  de  la 
«  vertu  dans  le  cœur  des  citoyens,  montrent 
«  que  cet  amour  règne  parmi  elles.  Et  elles 
«  donneront  au  peuple  le  plaisir  si  rare  et 
«  si  doux  de  voir  des  sociétés  savantes  se 
«  dévouer  à  verser  sur  le  genre  humain, 
«  non-seulement  des  lumières  agréables  , 
«  mais  aussi  des  instructions  salutaires. 
«  Elles  en  imposeront  à  cette  troupe  de 
•t  charlatans  qui  crient  chaoun  de  son  côté 
«  sur  une  place  publique  :  Venez  à  moi. 
«  C'est  moi  seul  qui  ne  trompe  point.  L'un 
«  prétend  qu'il  n'y  a  point  de  corps,  et  que 
«  tout  est  en  représentation;  l'autre  qu'il 
<t  n'y  a  d'autre  substance  que  la  matière,  ni 
«  d'autre  Dieu  que  le  monde.  Celui-ci 
<«  avance  qu'il  n'y  a  ni  vertus  ni  vices,  et 
«  que  le  bien  et  le  mal  moral  sont  des  cbi- 
c  mères.  Celui-là  ,  que   les  hommes  sont 

(616)  Ces  injures  sont  sans  doute  échappées  à 
M.  de  Voltaire  dans  des  momente  de  fermentation 
d<-  hile  On  en  a  relevé  i!e  pareilles  dans  la  première 
Le:  lie. 

(647)  M.  Arcère  fil  sur  ce  sujet  une  ode  qui  fut 
couronnée. 

(648)  Dans  son  discours  qui  remporta  le  prix  de 
Pacadémie  de  Dijon  en  1T50,  et  ilom  le  sujet  était  si 
le.  rétablissement  des  sciences  .et  des  arts  a  épuré  les 
léonins.  On  sait  oue  M.  Ji'au-Jjcouc»  Rousseau  sou- 


îtSO 

«  des  loups  et  peuvent  se  dévorer  en  sûreté 
«  de  conscience.  Le  paganisme  livré  à  tous 
«  les  égarements  de  la  raison  humaine,  a- 
«  t-il  laissé  à  la  postérité  rien  qu'on  puisse 
«  comparer  aux  monuments  honteux  que 
«  lui  a  préparés  l'imprimerie,  sous  le  règne 
«  de  l'Evangile?  On  en  peut  dire  autant  de 
«  la  sculpture,  de  la  peinture  et  de  la  gra- 
«  vtire,  dont  le  ciseau,  le  pinceau  et  le  bu- 
«  rin  ne  sont  occupés  qu'à  tracer  les  images 
«  des  passions,  pour  n'offrir  aux  yeux  que. 
«  des  modèles  de  mauvaises  actions.  Et  ne 
«  sont  ce  pas  les  premières  leçons  que  l'on 
«  donne  aux  enfants  avant  même  qu'ils  sa- 
«  sachent  lire?  * 

«  C'est  dans  la  classe  de  ces  corrupteurs 
qu'il  faut  ranger  ces  écrivains  amateurs  des 
spectacles  ,  jusqu'au  point  d'employer  la 
mauvaise  foi  et  l'imposture  pour  communi- 
quer leur  aveuglement  et  leur  passion  à 
ceux  qui  ne  sont  pas  épris  du  môme  goût, 
et  qu'ils  voudraient  séduire  par  le  ridicule 
dont  ils  les  chargent.  Comme  ils  veulent  res- 
ter dans  leurs  erreurs,  ils  rejettent  la  vérité 
qui  les  condamne,  et  ils  voudraient  qu'elle 
n'existât  pas.  Elle  leur  paraît  si  amère,  qu'ils 
haïssent  même  ceux  qui  la  leur  présentent 
pour  les  engagera  se  rendre  à  sa  lumière 
et  à  prévenir  le  temps  qu'ils  l'auront  pour 
juge.  Ils  se  soulèvent  contre  ceux  qui  leur 
rendent  ce  bon  olfice,  et  la  plupart  sont  des 
aveugles  qui  crient  sans  savoir  pour  qui  ni 
contre  qui  ils  s'emportent  (649). 

Les  hommes,  à  tout  prendre. 

Ne  sont  méchants  que  parce  qu'ils  sont  fous. 
Ce  sont  enfants  moins  dignes  de  courroux 

Que  de  risée 

(Rousseau,  liv.  i,  cp*  i.) 

«  Je  passe  à  l'idée  singulière  où  vous  êtes 
de  trouver  la  lecture  des  pièces  dramatiques 
plus  dangereuse  que  leurs  représentations 
sur  des  théâtres  publics.  Cicéion  et  Quitili- 
lien  n'étaient  pas  de  votre  sentiment.  Ils 
pensaient  qu'il  y  avait  autant  de  différence 
qu'il  y  en  a  entre  un  corps  vivant  et  un 
corps  mort,  qui  a  des  yeux  sans  feu,  des 
pieds  sans  mouvement,  des  membres  sans 
action.  Telle  est  la  comédie  sur  le  papier. 
On  y  voit  le  corps  des  passions  sans  âme. 
Néanmoins  je  conviens  que  la  lecture  de  la 
plupart  de  nos  drames  a  ses  dangers  ,  et 
qu'on  doit  se  l'interdire  suivant  le  conseil 
d'Ovide  : 

Teneros  ne  lange  poêlas. 

Mais  soyez  persuadé,  Monsieur,  que  c'est 
aux  spectacles  que  le  poison  des  pièces 
dramatiques  se  glisse  par  degrés  des  sens  au 

tint  la  négative. 

(640)  Cuin  esse  volunt  mali,  iiolunt  esse  verita- 
tem  qua  damnautur  mali  ;  amant  eam  lucentem, 
oderunl  cani  redarguonlcui...  nolunl  eam  esse  quod 
est,  cnm  seipsos  deheani  nulle  esse  quod  sunt  ut 
ipsa  manenle  miilcntur,  ne  ipsa  judicanlo  damnen- 
tur...  quibns  panis  verilalis  ita  atnarus  est,  ut  inde 
os  vera  dicenlis  oderint...  Lalranl  mulii  «a'.cis  nerç» 
lis  iiescienlcs  pn>  quilius  aui  contra  qiiOS  lalranl. 
(S.  Aggsstis  I 


1IM 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


«•,» 


coeur,  et  du  cœur  à  ta  raison.  Rarement  en 
reçoit-on  d'aussi  mauvaises  influences  dans 
!e  sang-froid  du  cabinet,  à  moins  que  vous 
ne  veuillez  parler  de  ces  possédés  d'une  im- 
portune verve,  dont  parle  Rousseau,  qui 

.     .     .     Pour  de  don!  eux  succès, 
tassant  leur  vie  dans  d'éternels  accès, 
Toujours  troublés  de  fureurs  couvulsives. 
De  leur  plancher  ébranlent  le.-,  solives. 

«Ce  ne  peut  être  que  riansd^  pareils  accès 
que  vous  avez  imaginé  la  réponse  que  vous 
avez  faite  pour  moi  à  M.  de  B***,  Il  faut  ea 
effet  être  dans  le  délire  pour  avoir  entrepris 
la  défense  de  PEpîlre  aux  mânes  de  la  Le- 
«  ouvreur,  où  le  poëte  (650)  abjurant  la  vé- 
nération que  tout  Français  doit  avoir  pour 
l*apôTre  de  sa  nation  ,  a  l'impiété  d'appeller 
son  Saint-Denis  la  terre  qui  renferme  les 
viles  cendres  d'une  méprisable  créature  qui 
a  vécu  et  est  morte  infâme.  M.  Rousseau  de 
C-encve  prouve  que  ce  n'est  point  par  pré- 
jugés de  bourgeois,  mais  avec  raison,  que 
les  comédiens  ont  toujours  été  regardés 
comme  des  objets  de  mépris.  Il  y  avait  à 


toute»  exemples  d'impuretés  et  de  parolrt 
lascives  ou  a  double  entendre;  il  veut  eu* 
leur  exercice  ne  puisse  leur  être  imputé  à 
blâme  ,  ni  préjudiciel'  à  leur  réputation  dam 
le  commerce  public.  Ce  que  nous  faisons,  dit 
le  prince,  afin  que  le.  désir  qu'ils  auront  d'é- 
viter le  reproche  qu'on  leur  a  fait  jusqu'ici , 
leur  donne  autant  de  sujet  de  se  contenir  dans, 
les  termes  de  leur  devoir,  des  représentations 
publiques  qu'ils  feront,  que  la  crainte  des 
peines  qui  leur  seraient  inévitables.  Mais  cette 
déclaration  que  vous  citez  en  leur  faveur, 
et  qui  se  trouve  dans  le  Code  pénal ,  ne  les 
décharge  nullement  de  leur  noie  d'infamie, 
puisque  l'objet  principal  de  cette  déclaration 
était  d3  modérer  la  licence  de  leurs  jeux,  et 
de  prononcer  des  peines  contre  leurs  excès. 
Elle  ne  fait  que  constater  encore  plus  l'opi- 
nion du  public  à  leur  égard,  et  prouver  quo 
la  bonté  du  prince  cédait  à  la  nécessité  où, 
il  paraissait  être  de  les  tolérer,  mais  avec 
l'intention  de  les  rendre  moins  malfaisants. 
Au  reste,  il  est  certain  qu'il  s'en  faut  do 
beaucoup  qu'ils  aient  rempli  la  condition 
qui  leur  ét.iit  imposée,  puisqu'on  a,  depuis 


Rome  des  lois  expresses  qui  les  déclaraient     celle  époque,  une  tradition  de  plaintes  sur 


infâmes,  et  mettaient  les  actrices  au  rang 
des  prostituées  :  Quisquis  in  scenam  prodie- 
rit,  ait  prœtor,  infamis  est.  Celte  loi  ne  re- 
gardait que  les  acteurs  des  théâtres  publics, 
et  cette  distinction  était  fondée.  L'on  ne  di- 
vertit la  multitude  qu'en  flattant  la  licence  % 
dont  le  goût  est  partout  celui  du  plus  grand 
nombre.  Les  confrères  de  la  Passion  établis 
vers  l'an  li-02,  qui  succédèrent  à  nos  trou- 
badours, les  Enfans  sans  souci ,  les  clercs  de 


la  licence  de  leur  profession;  aussi  n'a-t-on 
jamais  cessé  d'exercer  les  peines  ecclésias- 
tiques prononcées  contre  leur  état  (633).  Et 
comme  l'observe  l'auteur  de  VEssai  sur  la 
comédie  moderne  (651-55),  «  quand  il  serait  vrai 
«  que  l'Eglise  eût  dans  l'origine  prononcé 
«  légèrement  cet  anathème  (ce  qui  ne  doit 
«  se  supposer),  elle  n'aurait  pas  cerlaine- 
<c  ruent  à  présent  assez  de  motifs  pour  le 
«  lever.  Amateur  des  spectacles,  dit  le  même 
la  Basoche,  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  «auteur,  je  désirerais  peut-être  plus  quo 
que  ce  ne  serait  point  en  ne  jouant  que  dos  «  qui  que  ce  soit  que  l'ont  pût  les  rendre 
moralités  ,  ou  en  ne  représentant  que  des  «  tels  qu'on  les  fréquentât  sans  scrupule  ,  et 
mystères  de  la  religion,  qu'ils  amuseraient  «  qu'on  nous  les  procurât  sans  rougir;  mais 
le  peuple;  ils  y  joignirent  des  farces  asscr-  «  j'ai  de  la  peine  a  croire  ce  que  nous  dit  le 
lies  au  goût  corrompu  du  temps,  ce  qui  al-     «  P.  Porée,  qu'on  pourrait  faire  du  théâtre 


tira  contre  eux  plusieurs  arrêts  du  parle- 
ment. Et  depuis  que  Jodelle,  qui  vivait  sous 
Henri  II  ,  nous  a  fait  connaître  et  goûter  la 
forme  des  anciens  poèmes  dramatiques,  les 
romédiens  n'en  sont  pas  moins  les  ministres 
du  vice;  et  si  le  gouvernement  a  cru  depuis 
devoir  tolérer ,  on  en  voit  le  motif  dans  la 
déclaration  du  16  avril  16V1  (651)  qu'ils  ob- 
tinrent de  Louis  X1I1  dans  les  circonstances 
qui  leur  étaient  les  plus  favorables.  Il  y  est 
énoncé  que  c'est  pour  divertir  (65*2)  les  peu- 
ples de  diverses  occupations.  Il  est  vrai  qun  le 


«  une  très-bonne  école  pour  les  mœurs.  »  Ne 
doit-on  pas  en  effet,  Monsieur,  savoir  par 
l'expérience  des  anciens,  que  les  spectacles 
qui,  dans  leur  commencement ,  furent  les 
plus  purs,  tombèrent  toujours  dans  la  plus 
grande  licence.  Ab  sano  initio  ad  insaniam 
vix  tolerabilem  (656)?  Pub.  Cornel.  Scipion 
Nasica  prévoyait  les  inconvénients  de  ces 
sortes  de  divertissements  publics  ,  lorsqu'il 
proposa  de  faire  abattre  le  superbe  théâtre  , 
que  les  censeurs  Messala  et  Cassius  avaient 
commencé  de  faire  constrnireetqui  était  déjà 


monarque  y  ajoute  qu'en  cas  qu'ils  règlent      presque  fini  (  657  j.  Ïite-Live  donne  les  plus 
lentement  tes  actions  du  théâtre  qu'elles  saisit     grands  éloges  au  sénatus-consulle  qui ,  sur 

publici  usnrariî,  conrubinnrii,  coince  li Nisi 

pUblicae  offensioni  prout  de  jure  saiislaeeiïnl.  (Ri- 
tuel de  Paris.) 

(G5i-55>  Imprimé  en  1752.  pour  réfuter  los  Nou- 
velles observations  île  M.  Eagui,  au  sujet  des  con- 
damnations prononcées  contre  tes  comédiens. 

(056)  Tit.  Liv, 

(657)  Mulluin  prospexisse  sapienlissînii  viri  Stn- 
pionis  aniinum  sequoniis  «Vl  vecordia  démons!  ra- 
vil,  cum  ingenli  ci  vi  la  lis  dedecorc  ac  dnniiio  tliea- 
tralilms  ludis  quidquid  enervarc  virilem  indulcm, 
quidquid  imbuerc  fiagitiis,  impudenlia,  scdilionibiis 
liomiites  poiesi.  spectenrfnm  publier  nique  per  hoc 
imi!;indnui  pr«»poRcrrtUir.  Tuw  intern  aectiutti  wlco 


(650)  M.  «le  Voltaire.  Je  ne  l'aurais  pas  nomme  si 
vous  aviez  imité  la  discrétion  de  M.  de  B"  à  cet 
égard. 

(651)  Dans  la  Collection  de  décisions  nouvelles  de 
jurisprudence,  par  Uenisart,  édition  de  1768,  au  mol 
Comédien,  roue  déclaration  y  est  ci:ée  sous  la  dale 
de  1741.  C'est  une  faute  (Fimprcssiou,  il  faut  lire 
1641.  Ce  (fui  donne  lieu  de  relever  cette  faute,  c'est 
que  dans  la  première  Lettre,  on  a  cité  cet  article  de 
:  p-ie  collection. 

(652)  C'est-à-dire  détourner;  on  sail  que  le  mol 
divertir,  pris  en  ce  sens,  n'es!  plus  d'il  âge. 

(655)  Cavcndum  imprttiiis  ne  viaticum  ad  iiult- 
Çmw  cum  nlionim  s~aiidalo  deferalitr,   «inales  sunt 


HS5 


NOTKL'  SUR  LE  THEATRE  LÎBIŒ. 


mt 


la  proposition  do  Scipion,  avait  ordonné  la 
démolition  de  ce  théâtre ,  et  il  observe  que 
c'était  le  seul  moyen  de  conserver  les  mœurs 
des  anciens  Romains,  dont  Valère-Maximc 
fait  un  si  beau  portrait:  «  Dans  ces  temps, 
«  dit-il,  la  chasteté  des  femmes  ne  courait 
t  aucun  risque;  les  deux  sexes  se  regar- 
«  daient  toujours  modestement,  s'inspiraient 
«  un  respect  réciproque  et  vivaient  dans  une 
«  pureté  de  mœurs  inaltérable.  Le  gouver- 
«  nement  fut  alors  très-heureux,  parce  que 
«  l'on  avait  en  horreur  la  licence  ,  et  que 
«  l'on  était  persuadé  que  les  familles,  les 
«  villes  et  les  empires  n'ont  point  d'autre 
«  principe  destructif  à  craindre  que  la  vo- 
«  lii|  té,  dont  le  règ'e  Suppose  toujours  le 
«  désir  insatiable  de  l'argent,  et  est  par  eon- 
«  séquont  le  germe  de  tout  mal  (658}.» 
M.  J. -J.Rousseau  a-t-il  donc  eu  tort  d'élever 
avec  tant  de  force  la  voix  pour  persuader  à 
sa  patrie  de  ne  consentir  à  l'établissement 
d'aucun  théâtre?  Documentum  illustre  dédit 
cum  efficaci  fncundiâ  summœ  auctoritatis , 
comme  Tile-Live  l'a  dit  de  Scipion.  Vous 
n'êtes  pas  mieux  fondé  à  critiquer  ce  zèle 
que  vous  l'êtes  lorsque,  pour  justifier  Ravie, 
vous  dites  qu'il  était  lié  avec  des  gens  de 
mérite.  Ne  sait-on  pas  qu'il  en  est  des  gens 
de  lettres  comme  des  négociants?  L'inlérét 
des  sciences  et  des  arts,  comme  celui  du 
commerce,  exige  qu'on  soit  lié  avec  des 
personnes  de  toutes  religions,  de  tout  état 
et  de  mœurs  bien  différentes.  Ce  ne  sont 
pour  lors  que  des  liaisons  d'intérêt  et  non 
de  ces  liaisons  intimes  qui  ne  peuvent  être 
fondées  que  sur  la  conformité  de  religion  , 
de  sentiments  et  de  mœurs  :  Ad  connecten- 
das  amicitias  ,  tel  tenacissimum  rinculum 
morum  similitudo  (659).  Quel  que  soit  le  mé- 
rite de  Rayle  à  l'égard  de  certaines  parties 
de  littérature,  la  plus  juste  idée  qu'on  aura 
de  sa  personne  sera  celle  que  M.  Joly  de 
Fleury  nous  en  a  donnée  dans  son  réquisi- 
toire du  9  avril  1756.  «  Il  est,  dit  ce  grand 
«  magistrat ,  l'apologiste  du  pyrrhonisme  et 
«  <Je  l'irréligion.  Ami  de  toutes  les  sectes  , 
«  dont  il  fait  également  l'éloge,  il  apprend 
«  à  suspendre  en  tout  son  jugement,  parce 
u  qu'il  n'admet  aucune  certitude.  Toujours 
«  en  garde  contre  ses  ennemis  redoutables 
«  qui  combattaient  ses  impiétés,  il  répand 

«  comme  furtivement  ses  erreurs Les 

*  demi-savants  enfant  trouver  dans  ses  ou- 
«  vrages  des  preuves   invincibles   contre  la 

dcgcneranlibusapristinaiule;;niaiemenlibuspersua- 
siiin  eslut(lcstniialTcrliiiiH)|)us,  subhaslaiiqueomiiia 
quse  comparata  theatio  tuèrent,  juberentur  senalus- 
eonMÉta  digno  quodinter  uubilissima  Uomamc  gv.ui- 
l.ilisargumenlanolan'lur.  (Tit.'I.iv.  lib.  xlviivc.  27.) 

(t>58)  Nulli  lune  subsessores  alicnorum  maliimo- 
nioruin  occ'.i  metuebauiur  ,  sed  panier  el  videre 

sanele  cl  aspici  muluo  pudore  custodiebanlur 

li  pénales,  ea  eivitas,  id  regnum  seterno  in  gradu 
latrie  sleteril,  ul»i  n> tiitiiiimi  viriuin  veneris,  pecu- 
ni.eque  cupido  sibi  vindicaverit.  Nain  quo  isu;  ge- 
neri's  Iminani  pestes  pciielra\erint,  ibi  injuria  iîo- 
ininalur,  infainia  Ilagral.  (Valhii.  Maxiu.,  hb.  u, 
i  -i.  5;  .  iv.lib  c.  5,  ail.  1.) 
r^5>)  Pli.n.,  lïb.  iv,  ep.  15.  ..  .     . 

(wQJ  Voyez  {'Eloge  de  il.   de   Henteiqnieé,  par 


«  religion  ,  méprisent  ces  hommes  dociles 
«  et  prudents,  qui  font  un  usage  légitimcdo 
«  leur  raison  et  qui  pensent  avec  justice 
«  qu'une  raison  droite  conduit  à  la  foi  ,  et 
«  qu'une  foi  pure  perfectionne  la  raison.  » 

«  Vous  convenez  avec  M.  Desp.  de  R¥*r 
que  la  profession  de  comédien  répugne  à 
l'esprit  de  l'Evangile,  et  vous  prétendez 
concilier  avec  cet  aveu  les  assertions  éma- 
nées de  votre  enthousiasme  :  Ne  noua  décla- 
rons pas,  dites-vous,  les  ennemis  de  Melpo- 
mène  et  de  Thalic,  tandis  que  presque  toute 
l'Europe  leur  dresse  des  autels,  et  songeons 
que  le  plus  grand  tort  qu'on  puisse  faire  à 
l'homme  est  de  lui  ravir  ses  plaisirs  ,  et  celui 
qui  le  fait  mérite  de  subir  la  rigueur  des  lois 
connue  malfaiteur.  Je  ne  badiw  point  :  crin 
est  plus  sérieux  quon  ne  pense.  Notre  théâtre 
est  vraiment  utile,  il  anime  l'esprit  et  nourrit 
h  cœur;  cessons  donc  de  mépriser  les  comé- 
diens qui  prêtent  leur  organe  aux  auteurs. 
Pourquoi  laisser  dans  l'opprobre  celte  pro- 
fession ? 

«  Mais  permettez-moi  de  vous  demander 
quel  degré  d'autorité  a  sur  votre  cœur  el 
sur  voire  esprit  la  morale  du  saint  Evangile 
que  M.  de  Montesquieu  a  déclaré  être  une 
excellente  chose,  et  le  présent  le  plus  estima- 
ble que  l'homme  pouvait  recevoir  de  son  Créa- 
teur (660).  Cette  déclaration  est  imposante 
eu  égard  au  moment  qu'elle  fut  faite.  Cet 
académicien  louchait  alors  au  derniers  ins- 
tant de  sa  vie.  Il  commençait  à  ne  plus 
apercevoir  la  céléb.ilé  de  ses"  ouvrages  (661) 
et  toutes  les  choses  de  ce  monde  qu'à  la 
lueur  de  ce  crépuscule,  qui  annonce  évi- 
demment l'approche  d'un  Dieu  rémunéra- 
teur ou  vengeur.  Ce  flambeau  ne  fait  sentir 
que  trop  tard  au  plus  grand  nombre  «  que, 
«  pour  que  l'homme  soit  quelque  chose  et 
«  ne  demeure  point  dans  une  espèce  d'avi- 
«  lissement  et  d'anéantissement,  il  faut  qu'il 
«  se  tourne  vers  son  Créateur;  que  quand  il 
«  s'en  est  écarté,  il  est  comme  dans  un  état 
«  de  mort;  que  quand  il  s'en  rapproche  ,  il 
«  reprend  toute  sa  vigueur;  que  quand  il 
«  s'en  éloigne,  il  tombe  dans  les  ténèbres; 
«  que  quand  il  s'en  rapproche,  il  rentre  dans 
«  la  lumière,  et  qu'il  ne  reç/oit  le  bon  être 
«  que  de  celui  même  duquel  il  tient  l'ô- 
«  tre  (662).  » 

Or,  Monsieur,  ces  véiités  que  lanl  de  per- 
sonnes n'apprennent  presqu'au  dernier 
moment  de  leur  vie,  et  pour  en  être  trou- 

M.  de  Maupehtuis;  imprimé  à  Hambourg  en  1755. 
L'auteur  de  cet  Eloge  assure  «  que  M.  de  Montes- 
quieu, avant  que  de  mourir,  déclara  à  tous  ceux  qui 
étaient  autour  de  lui,  el  en  particulier  à  madame  la 
duchesse  d'Aiguillon,  que  c'était  l'idée  qu'il  coure  - 
vail  de  l'Evangile,  i 

Celle  anecdote  se  trouve  ainsi  rapportée  à  la  fin 
dn  troisième  tome  d'un  ouvrage  qèr  vient  de  pa- 
raître sous  le  litre  de  Nouvelle  démonstration évàvgéii- 
que,  pirJ.  LeL.vnd,  docteur  en  théologie,  *  vol  io-t2. 

(Ml)  Mois  maie  coloraCe  gloiiaî,  niloiein  dclel. 

{(i6i)  Ut  bomosil  aliquid  convertit  se  ad  illum  a 
quo  ereatus  est.  Reeedendo  eiiim  lYigcscit,  acce- 
deudo  ferveseil  ;  reeedendo  tonebreseil ,  acec- 
<lendo  clarescil.  A  quo  enim  h  ibel  tu  sil,  apïnl  il'cin 
babet  utei  bene  sh.  li  t>o::i  siuiiis,  Deu  indiquais. 


1153  nïCTiONN.MUR  DES  MYSTERES. 

blées  (663),  nous  sont  inspirées  par  l'Évan- 
gile ;  «ce  divin  livre  qui  étant  le  seul 
v  nécessaire  à  un  chrétien  et  le  plus  utile  de 
«  tous  à  quiconque  même  ne  le  serait  pas, 
«  n'a  besoin  que  d'êlre  médité  pour  porter 


UNS 


«  dans  l'âme  l'amour  de  son  auteur  et  la 
«volonté  d'accomplir  ses  préceptes.»  Ce  sont 
encore  les  expressions  de  M.  Jean-Jacques 
Rousseau  (66i).  Il  vous  en  parait  peut-être, 
[dus  inconcevable  dans  ses  égarements.  Il 
est  vrai  que  n'aimer  que  l'éclat  de  la  lumière 
de  l'Evangile,  et  ne  pas  en  l'aire  la  règle  de 
sa  vie,  c'est  en  abuser  contre  le  dessein  de 
Dieu  et  commettre  une  injustice  contre  lui  ; 
c'est  s'exposera  en  être  privé,  et  à  tomber 
dans  les  ténèbres  et  l'aveuglement  du  cœur, 
jusqu'à  parvenir  a  ne  pi  us  connaître  Dieu 
d'une  connaissance  salutaire  (663).  Mais 
n'est-il  pas  étonnant  de  vous  voir  justifier 
la  profession  de  comédien  en  même  temps 
nue  vous  reconnaissez  qu'elle  répugne  à 
J  esprit  de  l'Evangde? 

«  Je  ne  serais  pas  surpris  qu'un  Hotlentot 
à  (pii  l'on  reprocherai!  son  attachement  aux 
infâmes  usages  de  son  pays,  répondît  qu'il 
convient  qu'ils  répugnent  à  l'esprit  du 
christianisme,  qu'au  reste,  il  n'est  pas  dans 
le  cas  de  se  conformer  à  la  morale  de  cette 
religion 


Mais 


qui  lui  est  étrangère. 


un  Chrétien  ne  manque-t-il  pas 
aux  égards  qu'il  doit  à  ce  qu'il  y  a  de  plus 
sacré  ,  lorsque  convenant  de  ce  que  l'esprit 
de  l'Evangile  décide  sur  un  objet,  il  ose  sou- 
tenir publiquement  une  opinion  qui  y  est 
contrait  ietoi rement  opposée?  et  n'est-il  pas 
encore  infiniment  plus  coupable,  si  on  lui  a 
démontré  que  cette  mauvaise  opinion  qu'il 
soutient,  a  toujours  été  condamnée  par  la 
seule  sagesse  humaine,  c'est-à-dire  par  les 
philosophes  païens  et  par  plusieurs  de  ceux 
qui  étaient  intéressés  à  se  croire  excusables 
dans  les  faiblesses  de  leur  conduite  sur 
l'objet  en  question  (666). 

«  Il  me  >emble  que  quand  on  ne  croirait 
pas  de  cœur  le  saint  Evang.lt>  que  l'on  pro- 
fesse de  bouche,  on  devrait,  suivant  les 
principes  des  déistes,  respecter  la  religion  (te 
la  patrie,  et  ne  point  marquer  pour  elle  le  plus 
grand  mépris,  en  refusant  publiquement  de 
recevoir  de  celte  religion  la  règle  des 
mœurs  (667)  Tel  estl'ex ..ès<>ù  voire  zèle  pour 
les  théâtres  vous  a  porta.  Il  faut  donc  que  ce 


quela  sagesse  appelle  V ensorcellement  des  ba- 
gatelles (668)  ail  répandu  des  ténèbres  sur 
votre  esprit  pour  que  vous  vous  soyez  chargé 
de  défendre  une  cause  tant  de  fois  con- 
damnée au  tribunal  de  la  raison  isolée  de 
la   religion   chrétienne. 

«  Vous  finissez  votre  lettre  par  ce  sophisme 
dont  Jean  Racine  avait  fait  usage  :  Saint 
Augustin  s'accuse  de  s'être  laissé  attendrira 
la  comédie  ;  qu'est-ce  que  vous  concluez  (i:  là  ? 
Dites-vous  qu'il  ne  faut  point  aller  à  la  co- 
médie? Mais  saint  Augustin  s'accuse  aussi 
d'avoir  pris  trop  de  plaisir  au  chaut  de  l  E- 
glise  :  est-ce  à  dire  qu'il  ne  faut  point  aller  à 
'l'Eglise  ? 

«  C'est  un  faux  raisonnement  dont  M.  Ra- 
cine sentit  bien  par  la  suite  tout  le  ridicule. 
Voici  la  réponse  qu'on  y  lit  et  qu'on  trouve 
dans  deux  lettres  qui  furent  écrites  à  ce 
célèbre  poëte  ,  l'une  par  M.  Dubois,  l'autre 
par  M.  Barbier  d'Aucourt  :  «  Ce  raisonne- 
«  ment  prouve  invinciblement  ce  que  vous 
«  dites  six  ou  sept  lignes  plus  haut,  que  vous 


«  n'êtes  point  théologien 


«  douter  après  cela 
«  êlre  si  vous  êies 


;  mais  on 
chrétien  , 


On  ne  peut  pas  en 
doutera  peut- 

puisque  vous 


«  osez  comparer  le  chant  de  l'Eglise  avec  les 
«  déclamations  du  théâtre;  qui  ne  sait  que 
«  la  divine  psalmodie  est  une  chose  si  bonne 
«  d'elle-même, qu'elle  ne  peut  devenir  mau- 
«  v.isc  que  par  le  même  abus  qui  rend 
«  quelquefois  les  sacrements  mauvais?  <jt 
«  qui  ne  sait  au  contraire  que  la  comédie 
«  es!  naturellement  si  mauvaise,  qu'il  n'y. a 
«  point  de  détour  d'intention  qui  puisse  la 
«  rendre  bonne. 

«  S'il  faut  quilter  les  choses  qui  sont 
«  mauvaises  et  dont  nous  ne  saurions  lairo 
«  un  bon  usage,  faut-il  aussi  quilter  les 
«  bonnes  ,  parce  que  nous  en  pouvons  faire 
*  un  mauvais  ?  » 

«  Je  crois  devoir  aussi  ajouter  la  réponso 
que  lui  firent  les  mêmes  personnes  au  sujet 
du  reproche  qu'il  avait  fait  à  I  égard  îles 
traductions  de  Téreuce  et  d'autres  poêles, 
destinées  à  l'instruction  de  la  jeune&se. 
«  Vous  voulez  abuser  du  mot  de  comédie  et 
«  confondre  celui  qui  les  fait  pour  les  Uiéà- 
«  tresaveccelui  qui  leslraduitpoui  les  écoles. 
«  Mais  il  y  a  tant  de  différence  entre  eux, 
«  qu'on  ne  peut  point  tirer  de  conséquence 
«  <le  l'un  à  l'au  ro.  Le   traducteur  n'a  dans 


(6  iô)  A  paucis  ermiitis  corde  major  Dei  ira  inlel- 
tigitur.  (S.  Augustin  ) 

(6>>i)  Dans  ses  Observations  sur  la  réponse  qui 
:»;vaii,  été  fa  i  le  à  son  discours  qui  avait  remporté  le 
prix  à  l'Académie  de  Dijon  en  1750. 

(63-">)  Evangelio  contra  Dei  ennsilium  abnlilur  et 
h;ju>vliliam  advcrsns  Deiim  cbmmiltii.  qui  non  amat 
lifel  liiminis  ipsins  splendorcm,  nec  illud  pro  regnl.i 
xitiesmercipsababel.  Primm-pumiionisgradus  est  lu- 
men am'illerv.  qno  abul'nnur,  et  in  le.ebias  ac  cae- 
cii.item  vordis  prolam,  eo  tisque  ni  nec  Deun  ani- 
plius  cognos»  amns  notai;»  saluiari.  Secundos  gradus: 
i!on  astipliiiscogiioscere  seipsum,  imsque  eredere  eo 
simieulKiies,  qno  insipienliores  sunius.  Kvangelinin 
salvai  non  enui  qui  istwd  legit  vel  audit,  sed  qui  re- 
cipil,  amat  et  fide  vivu  ;kJ  pmxiin  redigit.  Qmc 
sliilliiia,  et  quant  commuais,  Dei  justifiant  cogno- 
scsre,  oi  site  lanquam  jusuiia  non  essel  vitam  iusli- 


tucre!  Exspec'.m  Deus  qnia  lwnus  est  et  .•cternu»; 
sed  puiiiei  quia  sanclus  est  cl  jnstns.  Qui  aures  cLn  - 
dit  vnce  miséricorde.»,  dum  vivit,  ferre  deltebti,  du  n 
morietnr  et  misciïcoidiaio  cir  teiuplam  et  jusltliam 
irritalam.  (Conipènd.  mor.  Ep.  S.  P.) 

(606)  Mniti  verum  iutell  g  uni  nec  il>i  pormanrnl, 
am^mlo  ea  qn:e  aven  uni  a  vero.  (S.  AuGUsTlN.) 

(0(i7:  Alind  est  quando  qiiisque  conalur  aliqnl  I 
intvlligere  et  per   infii  mitaient   carni&  non  polest. 
Allud  (ptando  pernieiosins   adversum    seipsum   agit 
cor  bumanum  ui  quod  possel  intelli<;ere  si  bona  vu~ 
hmias  acce ■ieret,  mm  inlelligal,  non  quia  difficile  est, 
sed  qnia  voluuias  advçtsa  est.   Hoc  auletu   ht  ctiin 
atuaui  pecca»a  sua  et  odetiul  piaecepla  Dei'......  Cre- 

dere  in  Deum  esl  eredendt»  adluerere  ad  bene  cin>- 
perandum  bona  «peranti  Deo.  (S.  Augustin.) 

(668)  Fascinait»  nug.icilaîis  obscaral  bona.  (&tp. 
iv,  12.) 


H57 


NOTICE  SUK  LE  THEATRE  LIBRE. 


118 


«  l'esprit  que  des  eègles  de  grammaire  qui 
«  ne  sont  point  in.iuv.uses  par  elles-mêmes, 
«  et  qu'un  bon  dessein  peut  rendre  Irès- 
<*  bonnes;  m;iis  le  poëte  a  bien  d'autres 
«  idées  dans  l'imagination  :  il  sent  toutes 
<•  les  passions  qu'il  conçoit  et  il  s'efforce 
«  môme  de  les  sentir,  afin  de  les  mieux  con- 
«  Devoir.  Il  s'échauffe,  il  s'emporte,  il  se 
«  flatte,  il  s'offense,  i!  se  passionne  jusqu'à 
«  sortir  de  lui-même  pour  entier  dans  ce 
«  sentiment  des  personnes  quM  représente. 
«  Il  est  quelquefois  Turc,  quelquefois  Maure, 
«  tantôt  homme,  tantôt  femme,  et  il  ne  quitte 
«  une  passion  que  pour  en  prendre  une 
«  autre. De  l'amour,  il  tombe  dans  la  haine; 
«de  la  colère,  il  passe  à  la  vengeance,  et 
«  toujours  il  veut  faire  sentir  aux  autres  les 
«  mouvements  qu'il  souffre  lui-même  II  est 
«  fâché"  quand  il  ne  réussit  pas  dans  ce 
«  malheureux  dessein  et  il  s'attriste  du  mal 
«  qu'il  n'a  pis  fait. 

«  Quelquefois  les  vers  du  poëte  peuvent 
«  être  assez  innocents,  mais  la  volonté  du 
«  poëte  est  toujours  criminelle;  les  vers 
«  n'ont  pas  toujours  assez  de  charmes  pour 
«  empoisonner,  mais  le  poëte  veut  toujours 
«  qu'ils  empoisonnent  ;  il  veut  toujours  que 
«  faction  soit  passionnée  et  qu'elle  excite  <Ju 
«  trouble  dans  le  cœur  des  spectateurs. 
«  Quelle  différence  donc  entre  le  poêle  et 
«  celui  qui  le  traduit  pour  l'instruction  de 
«  jeunesse  et  qui  en  ôte  tout  le  venin  ,  aiin 
«  de  conserver  la  pureté  et   l'innocence  de 

*  ceux  qui  ne  cherchent  dans  les  ouvrages 

*  des  anciens  que  ce  qu'on  y  doit  chercher, 
«  qui  est  d'y  prendre  une  teinture  de  l'air  et 
«  du  si}  le  de  ces  auteurs  ,  et  d'y  apprendre 
«  la  pureté  de  leur  langue...  Vous  obligez 
«  toutes  les  personnes  justes  de  vous  dire 
«  avec  saint  Jérôme,  qu'il  n'est  rien  de  plus 
«  honteux  que  de  confondre  ce  qui  se  fait 
«  pour  le  plaisir  inutile  des  hommes,  avec 
«  ce  qui  se  fait  pour  l'instruction  des  en- 
«  fants,  et  quod  in  pueris  necessitatis  est, 
«  erimen  in  se  faccre  voluptat  s.  »  Au  re>le, 
dans  quel  temps  de  sa  vie  Jean  Racine  lit-il 
ce  taux  raisonnement  dont  vous  vous  pré- 
valez? N'est-ce  pas  dans  celui  sur  lequel 
il  a  vevsé  des  larmes?  J'aime  bien  mieux 
considérer  ce  célèbre  poëte  dans  cet  âge,  où 
connaissant  et  aimant  la  religion  ,  son  cœur 
était  aussi  parfait  que  les  productions  de  son 
génie  avaient  été  éclatantes.  Le  respect  que 
l'on  doit  à  sa  mémoire  m'oblige  de  détruire, 
par  l'expression  de  quelques-uns  de  ses 
sentiments,  l'abus  qu'on  pourrait  faire  des 
écarts  de  sa  jeunesse  que  vous  osez  rappe- 


ler et  dont  il  aurait  souhaité  pouvoir  faire 
perdre  le  souvenir.  Ecoutezde  :  c'est  un  pèra 
qui,  éclairé  par  les   lumières  de  la  vérité, 
désire  de  procurer  le  même  bonheur  à   se* 
enfants,   en  faisant  tourner  h   leur   propre 
instruction  les  écueils  dont  il  avait  connu   lo 
danger.  M.  son  fils,  qu'on  appellera  à  jamais 
le  poète  de  la  religion,  non  content  d'avoir 
profile    du   zèle   d'un   si  bon  père,  a  bien 
voulu  le  rendre  encore  utile  h  d'autres,  en 
donnant  au   pubilc  ce  recueil  de  lettres  si 
propre  à  faire  connaître  le  cœur  de  ce  grand 
homme.  Voici  ce  que  Jean  Racine  écrivit  à 
un  de  ses  lils  et  qu'on   peut  adresser  à  tous 
ceux  qui  voudraient  s'autoriser  de  ce  qui 
lui  était  échappé  dans  l'ardeur  des  passions. 
«  Ci  oyez- moi,  mon  fils;  quand  vous  sau- 
«  rez  parler  île  romans  et  de  comédies,  vous 
«  n'en    serez  guère   plus  avancé  pour    le 
«  monde  et  ce  ne  sera  point  par  cet  endroit  là 
«  que  vous  serez  plus  estimé...  Vous  savez 
«  ce  que  je  vous  ai  dit  des  opéras  et  des  co- 
«  médies;  on  doit  en  jouer  à  Marly.  Le  roi 
«  et    la  cour  savent  le  scrupule  que  je  me 
«  fais  d'y  aller  et  ils  auraient  une  mauvaise 
«  opinion  de  vous,  si  à  l'âge  où  vous  êtes 
«  vous  aviez  si   peu  d'égards  pour  moi  et 
«  pour  mes  sentiments. 

«  Le  plus  grand  déplaisir  qui  puisse  m'ar- 
«  river  au  monde,  c'est  s'il  me  revenait  que 
«  vous  êtes  un  indévot  et  que  Dieu  vous  est 
«  devenu  indifférent. 

«  Je  sais  bien  que  vous  ne  serez  pas 
«  deshonoré  devant  les  hommes  en  allant 
«  aux  spectacles,  mais  comptez-vous  pour 
«  rien  de  vous  déshonorer  devant  Dieu  ? 
«  Pensez-vous  vous-même  que  les  hommes 
«  ne  trouvassent  pas  étrange  de  vous  voir 
«  pratiquer  des  maximes  si  différentes  des 
«  miennes  ?  Songez  que  M.  le  duc  de  llour- 
«  gogue,  qui  a  un  goût  merveilleux  (G69) 
«  pour  toutes  ces  choses,  n'a  encore  été  à  au- 
«  cun  spectacle.  » 

a  Tels  étaient  les  sentiments  de  ce  célèbre 
poëte,  lorsqu'il  n'écouta  plusque  la  religion, 
c'est-<wlire  celte  vraie  philosophie  qui  ap- 
prend à  l'homme  ce  qu'il  a  été,  ce  qu'il  est 
et  ce  qui  peut  le  rendre  tel  qu'il  doit  être. 
Ce  fut  à  cette  école  que,  dès  l'âge  le  plus 
critique  pour  la  vertu  et  les  talents,  l'illustre 
M.  le  chancelier  d'Aguesseau,  avait  appris 
ce  qu'il  fallait  penser  des  spectacles.  Les 
idées  qu'il  conçut  de  leurs  dangers,  sont 
déposées  dans  la  collection  de  ses  excellents 
ouvrages ,  où  il  continue  d'être,  lex  lo- 
quens  (670)  ;  'c'est-à-dire  la  lumière  •  et  le 
modèle  de  la  magistrature  (671]  ;  je  vous  les 


(669)  On  peut  donc  connaître  et  goûter  celle  par- 
tie <le  littérature,  quoiqu'on  n'ait  pus  fréquenté  les 
llicairrs  put. lies. 

(G70)  Yerc  clici  potest  inagislratum  legcm  esse  lo- 
quentciu,  legein  auteui  inuium  inagislratum.  (GlC, 
De  leg.,  lib.  vin.) 

(07 1)  Que  cet  ordre  (de  la  magistrature)  soit  sans 
reproches,  et  qu'il  serve  de  modèle  à  tous  les  ci- 
toyens. Celle  loi  e.->t  belle  et  d'une  gratifie  portée. 
Cardés  qu'elle  exige  une  exeinpion  de  tous  vices, 
aucun  vicieux  n'osera  donc  se  présenter  pour  eue 
revu  dans  cet  ordre.  Et  si  celle  loi  exige  aussi  que 


chaque  membre  soit  le  modèle  des  citoyens,  nous 
avons  tout  gagné.  Car  comme  une  ville  entière  se 
laisse  corrompre  parles  dissolutions  et  les  vices  de 
ses  chefs  et  de  ses  juges,  de  même  elle  est  corrigée 
et  réformée  par  leur  régularité.  Je  conviens  que  cria 
est  difficile  dans  la  pratique,  mais  si  nous  n'y  re- 
connaissons pas  les  hommes  d'à  piéseut,  une  sage 
éducation  et  l'exactitude  à  eu  suivre  les  principe», 
pourront  en   préparer  pour  l'avenir.  Is  oroo  vitio 

CAItETO,  C/ETKRIS  SPECIMEN  ESTO,  Piaclul»  esl  Uu  li'X 

el  Iule  palet;  num  cum  omne  viliu  ennre  lex  ntOeni, 
ne  venut  quidem  in  rtim  ordinem  qmsciuam  vitii  /  «r- 


1159' 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


H  CD 


indique  pour  vous  désabuser  sur  la  fausso 
opinion  où  vous  êtes,  que  la  voie  la  plus 
sûre  pour  connaître  l'utilité  morale  des 
spectacles,  est  de  les  fréquenter;  vous  êtes 
étonné  de  ce  qu'on  s'est  servi  du  nom  et  de 
l'autorité  de  M.  Jean  Jacques  Rousseau  pour 
proscrire  les  théâtres.  Il  avait  cependant  pris 
la  voie  la  plus  sure,  selon  vous  pour  en  bien  , 
juger,  puisque  vous  citez  l'aveu  qu'il  a  fait" 
de  n'avoir  jamais  manqué  volontairement  la 
représentation  d'une  pièce  de  Molière;  mais 
eu  égard  aux  vices  de  sa  conduite,  vous 
dites  que  c'est  un  philosophe  qni  se  moque  de 
nous,  en  faisant  semblant  de  nous  instruire. 
Vous  aurez  donc  peut-être  plus  d'égard  au 
témoignage  de  l'immortel  chancelier  que  je 
viens  de  nommer.  La  pureté  et  l'uniformité 
de,  ses  mœurs,  la  gravité  de  sa  conduite,  son 
zèle  [tour  le  bien  de  l'Etat ,  son  respect  et 
son  amour  pour  la  religion  étaient  comme 
une  censure  publique,  qui  apprenait  aux 
personnes  élevées  en  dignité  ou  distinguées 
par  leur  naissance,  à  en  soutenir  le  lustre 
par  une  vie  régulière  (672),  fortifiait  dans  la 
pratique  de  tous  devoirs  les  âmes  les  plus 
faibles,  animait  les  plus  indifférentes,  faisait 
rougir  les  moins  vertueuses,  instruisait 
enfin  les  bons  citoyens  et  condamnait  les 
méchants.  Son  autorité  est  donc  à  citer. 
C'est  en  effet  par  de  pareils  organes  que  la 
vérité  se  manifeste  avec  plus  de  succès. 
Consultez  ses  savantes  Remarques  sur  les 
causes  métaphysiques  du  plaisir  que  l'âme 
goûte  aux  représentations  des  drames,  prin- 
cipalement des  tragédies  (673),  vous  recon- 
naîtrez que  pour  n'avoir  jamais  été  aux 
spectacles,  il  eu  connaissait  mieux  les  objets 
et  les  effets  que  la  plupart  de  leurs  plus  zélés 
partisans,  que  l'amour  des  bagatelles  nui- 
sibles éloigne  de  la  saine  raison  (674). 

«  11  appelle  cette  production  littéraire  une 
douce  et  dangereuse  rêverie,  qui,  dit-il,  a  tant 
abusé  de  mon  oisiveté ,  que  je  rougis  presque 
d'être  devenu  prodigue  pour  le  théâtre  d  un 
temps  que  je  n'y  avais  jamais  perdu.  Il  ne  la 
regardait  comme  dangereuse,  que  par  la 
crainte  qu'il  avait  qu'on  abusai  de  ce  qu'il 
y  dit  en  faveur  de  la  tragédie,  considérée  en 
elle-même  dans  sa  plus  giande  perfection, 
telle  enfin  que  les  philosophes  anciens  la 
concevaient, 

«  Ces  sages,  peut-être  plus  sévères,  dit 
«  M.  d'Aguesseau ,  que  nos  nouveaux  ca- 
«  suisles,  nous  ont  appris  que  la  tragédie, 
«  aussi  bien  que  le  poëmc  épique,  ne  devait 
«  cherchera  plaire  que  pour  instruire.  Ils  ont 
•  cru  que  l'une  et  l'autre  n'étaient  vérilable- 


ticeps.  Cœleris  spécimen  eslo.  Quod  si  est,  tenemus 
omnia.llt  enim  cupidilaiibus  priucipum  et  vitiis  in- 
(ici  solet  ipta  civitas,  sic emeuduri  et  corrigi  con'.i- 
nentitu  Id  tiuic.m,  difficile  faci-u  est  nisi  ettucalione 
Hiuuiatu  et  disciplina,  non  enim  de  hoc  senalii,  nec 
Itis  de  fiomiiiibv&%  qui  nunc  sum,  sed  de  futuris,  si 
qui <[one  liis  legibus  parère  voluerint  (Cic,  De  (eg., 
ldi,iu.)  s     , 

V"»7i)  ÇicérQii,  Cujus  (ère  omîtes  mirautur  linguant, 
eciusnon  ita%  dit  que  pour  corrompre  ou  réformer 
es  moeurs  de  toute  une  ville,  il  ne  faut  que  irès-peu 
de  personnes,  mais  de  celles   qui  sont   élevées  au 


i 


«  ruent  qu'une  fable  plus  noble,  à  la  vérité» 
«  plus  étendue,  plus  ornée  que  celle  d'Esope, 
«  mais  du  même  genre  et  qui  avaient  le 
«  même  but  ,  c'est-à-dire  d'employer  lu 
«  secours  et  l'agrément  de  la  fiction  pour 
«  faire  entrer  plus  aisément  dans  l'esprit  et 
«  pénétrer  plus  avant  dans  le  cœur,  une 
«  vérité  morale  qui  en  est  J'âmc  et  qui  en 
«  doit  animer  tout  le  corps.  L.?  le  poëte  tra- 
«  gique  entrait  bien  dans  son  art,  il  fallait 
«  que  toute  la  conduite,  toute  l'économie  de 
«  sa  pièce,  tendît  uniquement  à  établir,  à 
«  développer,  à  mettre  dans  tout  son  jour, 
«  le  point  de  morale  qui  en  était  le  véri'tablo 
«  sujet.  Il  ne  prenait  la  route  des  sens  que 
«  puur  aller  à  !a  raison.  L'imagination  par- 
«  lait  sa  langue,  non  pour  séduire  l'imagi- 
«  nation  des  spectateurs,  mais  pourla  rendre 
«  plus  attentive,  plus  docile  à  la  raison.  Il 
o  n'est  pas  douteux  que  de  pareils  poëme* 
«  renfermaient  une  espèce  de  philosophie, 
«  si  les  poètes  pouvaient  être  philosophes.  » 

«Je  crois,  Monsieur,  qu'il  pouvait  y  en 
avoir  dans  les  temps  héroïques  ;  mais,  comnra 
lu  pensait  M.  le  chancelier  d'Aguesseau,  il 
ne  serait  pas  facile  d'en  rappeler  la  modo 
dans  des  temps  où  l'esprit  est  préféré  à  la 
raison  ;  cependant  si 

Raison  sans  sel  esl  fade  nourriture, 
Sel  sans  raison  n'est  solide  pâture  : 
De  tout  les  deuv  se  forme  esprit  parfait. 

(Rousseau,  liv.  i,  ep.  5.) 

Nous  avons  bien  vu  dans  Jean  Racine  un 
poète  qui  devient  philosophe,  et  plus  véri- 
table philosophe  qu'on  ne  pouvait  l'être  dans 
le  prétendu  âge  d'or  du  paganisme.  Il  nous 
a  donné, dans. ilhalie  elEsther,ûeux  modèles 
de  la  plus  grande  perfection,  tant  pour  le 
drame  que  pour  la  morale.  Un  homme,  alors 
très-connu  par  sa  piété  et  par  son  esprit, 
écrivit  dans  l'enthousiasme  «  que  ce  poêle 
«  était  devenu  l'apôtre  des  Muses  et  le  pré- 
«  dicateur  du  Parnasse,  dont  il  semblait  n'n- 
«  voir  appris  le  langage  que  pour  leur  prê- 
«  cher  en  leur  langue  l'Evangile  et  leur  an- 
ci  noncer  le  Dieu  inconnu.  » 

«  Mais  vous  savez  quel  fut  le  sort  de  ces 
deux  chefs-d'œuvre.  Le  public  se  prévint  et  se 
déclara  fortement  contre  eux.  Ce  n'était,  di- 
sa.i  on,  que  des  sujets  de  dévotion  propres 
à  amuser  des  enfants ,  et  Racine  mourut 
très-persuadé  que  ces  deux  tragédies  n'au- 
raient jamais  de  succès  sur  le  théâtre  pu- 
blic ;  son  intention  au  reste  était  qu'elles  n'y 
fuissent  jamais  représentées.  Et  il  obtint 
qu'on  l'énonçât  dans  le  privilège  qui  fui  ac- 

ilessus  des  aulres  par  leur  naissance  on  par  Ictus 
charges.  Puuci  algue  admodum  pauci  honore  et  g!o- 
ria  amplificati  vel  corrumpere  mores  civilalis,  vet  cor- 
rnjere  possunl....  nobilium  rita  viatique  mutato  mu- 
res muiuri  civitatum  puto.  {De  leg .,  Iil>.  v.) 

(673)  M.  le  chancelier  d'Aguesseau  fit,  dans  nu 
séjour  à  Fresnes,  ces  remarques  sur  un  discèiirs 
de  M.  de  Yaliiteourl,  qui  avait  pour  litre  :  De  Fimi- 
talion  par  rapport  à  la  tragédie. 

(674)  Inquisi  ores  nugarum  qui  lanqnam  Auvics 
a  crealove  suo  averluntur  et  la!  untur  in  hujus 
safCiili  amaricaiitem  Diaiitiaiu  (S.  Accu  tin.) 


1161                                               NOTICE  SUR  LE  THEATRE  EliiUE.  !'!« 

cordé  en  1G89  (675)  aux  Dames  de  Saint-Cyr,  que  des  fables  et  des  frivolités  qui  leui  plai- 
nour  qui  ces  deux  drames  avaient  été  corn-  sent,  ils  se  livrent  à  toutes  opinions  nouvel- 
posés.    Ce  fut    une   dispute   littéraire   qui  les.  Us  méconnaissent  la  vérité,  cette  raison 
donna   lieu  à  l'infraction  de  cetto  clause,  souveraine,  cette  loi  universelle  que  Pin- 
pour  la  tragédie  il' Athalie.  Despréaux  avait  dare  disait  être  la  reine  des   dieux  et  des 
été  presque  seul  à  soutenir  contre  tout  le  hommes,  et  que  les  Chrétiens,  dit  saint  Clé- 
public,  que  celle  pièce  était  le  chef-d'œuvre  ment  d'Alexandrie,  appellent  la  lumière  de 
et  du  roële  et  de  la  tragédie.  M.  Philippe,  la  vie  (680).  Les  poètes  sont  persuadés  que, 
duc  d'Orléans,  régent  du  royaume,  voulut  pour  plaire  au  plus  grand  nombre,   il  iaut 
faire  juger  cette   ancienne  querelle  acadé-  moins  les  instruire  que  flatter  les  écarts  de 
rnique,  et  il  ordonna  aux  comédiens  français  leur  cœur  et  de  leur  esprit  (681). 
do  représenter  Athalie  sur  leur  théâtre;  elle  «  C'est  pourquoi  les  mœurs,  dit  M.   le 
fut  applaudie,  mais  la  représentation,  qui  en  «  chancelier  d'Aguesseau,  le  caractère  des 
avait  déjà  été  faite  à  la  cour  par  les  mômes  «  personnages  mis  sur  la  scène,  leurs  pen- 
acteurs,  avait  préparé  cet  accueil.  Comme  *  sées,  leurs  sentiments,  leurs  expressions, 
Louis  XV  était  alors  à  peu  près  de  l'âge  de  «  tout  conspire  à  réveiller  ou  à  flatter  les 
Joas  et  portait  sur  son  front  le  présage  du  «  inclinations  que  nous  avons  tous  pour  la 
surnom  de  Bien-Aimé,  on  ne  pouvait,  sans  «  gloire,  pour  la  grandeur,   pour  l'amour, 
s'attendrir  sur  le  jeune  monarque,  entendre  «  pour  la  ^vengeance,  qui  sont  les  mobiles 
quelques  vers  comme  ceux-ci  :  «  secrets  du  cœur   humain.    Les    passions 

„.-..-.                 .               .  «  feintes    que    nous   y    voyons  nous  plai- 

Voila  donc  votre  roi,  voire  unique  espérance,  ^  gent  par*Jes  roêmeg  rais()-$  quQ  ,es   rée,_ 

j'ai'pris  soin  jusqu'ici  de  vous  lé  conserver,'    '  «  les,  parce  qu'en  effet  elles  en  excitent  de 

.    .    .    . «  réelles  dans  notre  âme,  ou  parce  qu  elles 

Du  fidèle  David,  c'est  lé  précieux  reste,"  «  nous  rappellent  le  souvenir  de  celles  que 

«  nous  avons  éprouvées  :  Rapiebanl  me  spe- 

Songez  qu'en  cet  enl'aut  tout  Israël  réside.  «   ctacula  theatrica  plena  imaginibus  miseria- 

«  Les  circonstances  du  temps  contribué-  «  riu™  mca™m  «.Ce  sont  ces  misères 

rent  donc  beaucoup  au  succès  <ie  cette  Ira-  «  mômes  V  °"  ainm-eo  \  J™  «*  *  *  f  enJ»; 

gédie  sur  un  théâtre  si  peu  convenable  à  un  «  0n  l  .foû  le  e°c?F£  Jg    ïltî 

sujet  aussi  saint  et  traité  avec  tout  le  respect  «  ses  faiblesses  justifiées,  autorisées,  enno- 

dû  à  l'Ecriture  sainte  *  blies'  S0lt  Par  ,,e  Srands  exemptes,  soit 

«  D'ailleurs,  dit  madame  la  comtesse  de  «  P*r  le  tour  ingénieux  et  la  morale  sédui- 

«  Caylus  (676),  M.  Racine  y  aurait  vu  celle  «  jante  dont  le  poète  se  sert  souvent  pour 

«  tragédie  aussi  défigurée  qu'elle  m'a  paru  «  les  déguiser,  pour  les  colorer,  pour  les 

«  l'ôlre  par  une  Josabeth  fardée  (677),  par  «  Peindre  en  beau  et  les  faire  paraître  au 

«  une  Athalie  outrée  (678)  et  par  un  grand  «  ,noins  PluTs  d'lnes  do  compassion  que  de 

«  prêtre  (679)  si  peu  digne  de  représenter  la  '(  censure..  Le  charme  du  spectacle   les  ac- 

«  majesté  d'un  prophète  divin.  »  -  «  De  «    ^ns  qui  y  sont  représentées,    artifice  de 

«  pareils  sujets,  dit  aussi  madame  de  Sévi-  «  ,a  P,oésie  ,et  1  enchantement  des  paroles 

«  gné,  ne  conviennent  pas  à  de  tels  acteurs.  «  par  lesquelles  elles  flattent  la  corruption 

«  Il   faut' des   personnes    innocentes   pour  «  du  cœur,  étouffent  peu  à  peu  les  remords 

«  chanter  les  malheurs  de  Sion  et  des  âmes  «  df  la  conscience,  en  apaisent  les  scrupules 

«  vertueuses  pour  en  voir  avec  fruit  la  re-  «  9l  effacent  insensiblement  cette   pudeur 

«  présentation    »  *  importune  qui  fait  d  abord  qu  on  regarde 

«  Voilà  sans'  doute  ce  qui  a  donné  lieu  «  le  crime  comme  impossible,  qu'on  en  voit 

à   M.   le  chancelier  d'Aguesseau  de  traiter  «  ensuite  non-seulement  la  possibilité,  mais 

de    rêverie  sa    lumineuse  Dissertation.    Il  «  'a  facilité.  On  en  apprend  le  chemin,  on  en 

croyait  qu'il  était   moralement    impossible  *  é.tudie,  le  langage  et  surtout  on    en  re- 

aux  poètes,  non  de  composer  des  drames  «  ilent  ,es  excuses.  Quelle  impression  ne 

vraiment  philosophiques,   mais  de  les  faire  «  falt    Pas.  Phfre  s,ur,  ' âme    dune   jeune 

goûtera  la  multitude  des  spectateurs,  à  qui  «  spectatrice  lorsciu  elle  charge    Vénus  de 

l'on  pourrait  appliquer  te  qu'un  prêtre  égvp-  «  toute  la  honte  de  sa  passion,  lorsqu'elle 

tien  disait  des  Grecs,  en  parlant  à  Solon  :  a  Prend  les  dieux  à  témoin  : 

Ce  ne  sont  que  des  enl'anls,  on  n'y  trouve  Ces  dieux  qui  dans  son  flanc 

point  de  vieillards  par  les  mœurs,  il  n'y  a  Ont  allume  ce  feu  fatal  à  tout  son  sang, 

(675)  Ce  privilège  est  du  5  février  1089;  il  y  est  halienles  opinionem  ;  nec  disciplinant  ullani  cauani 

dit:  «  Ayant  vu  nous-mêmes  plusieurs   représenta-  tempore;  nec  legem  qua.',  inqui t  Pindarus,    regina 

lions  desdils  ouvrages   dont  nous  avons  éle  salis-  est  omnium   morlaliuin   et   immorlalium;  luccrna 

f;iiis,  nous  avons  donné  par  ces  présentes  aux  Dames  aiilem  est  prœccplum  lionum,  ut  vult  Sciiplura  san- 

de  Sainl  Cyr,  avec  défenses  à  lotis  acteurs,  >  etc.  cia,  lex  est  lumen  vita?  (S.  Clem.  Alex.,  lib.  i  Stro- 

(C7ti)  Dans  son  ouvrage  intitulé  :  Mes  souvenirs.  matum.) 

(677)  C'est-à-dire  la  Duclos.  (081)  Slullorum  infinilus  est  numerus...  stullilia 

(078)  La  Desmares.  aiiiem  est  rerum  appeiendarum  et  vilandarum  ,vi- 

(079)  Beauhourg.  — Les  fameux  acteurs  du  temps,  liosa    ignoranlia.    ÎSon    per   mores  quos    sapieniia 
(680)   Apml    l'Ialonem,    in   Timœo,  pulciierrime  juuet,  pervenire  volunl  ad  lucem  Dei,   sel  tanlum 

sacerdos  iÊgyplius  :  O  Solon,  inquil,  ex  Grœcis  nul-  ad  laudes  hominum  quod  est  vanilas  et  insipienlia. 

lus  eslsenex;  vos  Graci  semper  eslis  pueri  nullam  (S.  Augustin.) 

penilusin  animisper  veterem  audilionem  antiquam  (082)  S.  Âogvst.,  Confès.,  lib.  m,  c.  2. 

Dictionn.  des  Mystères.  37 


Hu5 


DICTIONNAIRE    DES  MYSTERES. 


1164 


Ces  dieux  qui  se  sonl  fail  une  gloire  cruelle 
De  séduire  le  cœur  d'une  faible  mortelle. 

«  Il  est  vrai  qu'on  n'accuse  plus  les  dieux 
«  du  dérèglement  de  son  cœur  et  qu'on  ne 
«  cherche  plus  à  l'autoriser  par  leur  exem- 
«  pie,  comme  ceux  dont  saint  Cyprien  a  dit  : 
«  peccant  exemplo  deorum;  mais  on  l'attri- 
«  bue  à  l'étoile,  à  la  destinée,  a  la  nécessité 
«  d'un  penchant  invincible;  on  retrouve  avec 
«  plaisir  ses  mauvais  sentiments  dans  ceux 
«  qu'on  appelle  des  héros,  et  une  passion 
«  qui  nous  est  commune  avec  eux,  ne  pa- 
«  raît  plus  une  faiblesse.  On  se  répète  en 
«  secret  ce  qu'OEnone  dit  pour  apaiser  le 
«  trouble  de  sa  maîtresse  : 

Mortelle,  subissez  le  sort  d'une  mortelle. 

«  On  s'étourdit  au  moins  de  ces  pensées 
«  vagues  et  confuses  qu'on  n'approfondit 
«  jamais.  On  sort  du  théâtre  rassuré  contre 
«  l'horreur  naturelle  du  crime  (683)  ;  ce 
«  même  plaisir  y  ramène  souvent  ceux  qui 
«  l'ont  une  fois  goûté.  Ainsi,  soit  que  le 
*  spectacle  ne  cause  aucun  trouble  et  une 
«  émotion  passagère,  qui  faussement  paraît 
«  d'abord  innocente  ,  soit  qu'il  excite  ou 
«  qu'il  rappelle  des  passions  plus  durables 
«  que  l'action  et  le  langage  du  drame  auto- 
«  risent  et  justifient ,  c'est  sans  doute  dans 
«  ces  deux  effets  que  consiste  principalement 
«  le  grand  plaisir  que  les  hommes  y  pren- 
«  nent.  Enfin,  avoir  montré  pourquoi  les 
«  spectacles  sonl  dangereux,  c'est  avoir  fait 
«  voir  combien  ils  sont  agréables  ,  parce 
«  qu'en  effet  ce  qui  en  fait  le  plaisir  est  ce 
«  qui  en  fait  le  danger,  et  qu'on  peut  dire 
«  presque  toujours  que  la  meilleure  pièce 
«  en  un  sens  est  en  un  autre  sens  la  plus 
«  mauvaise.  » 

«  Que  conclure,  Monsieur,  d'après  cet  ora- 
cle? je  crois  ne  pouvoir  mieux  vous  faire 
goûter  la  conséquence  qui  en  résulte,  qu'en 
vous  les  présentant  sous  les  grâces  de  la 
poésie.  Je  vais  donc  vous  citer  un  poète  ly- 
rique, qui  pourra  vous  rendre  ce  bon 
olliee. 

Qu'à  jamais  le  théâtre  se  ferme , 

Les  dogmes  qu'il  contient,  les  leçons  qu'il  renferme,  ' 
Loin  de  nous  corriger,  de  nous  rendre  meilleurs, 
Séduisent  l'innocence  et  corrompent  les  mœurs. 
Sa  Morale  suspecte  est  un  faible  antidote  : 
C'est  vainement  qu'Horace  appuyé  d'Aristole, 
Nous  dit  qu'en  celle  école  ou  apprend,  on  s'inslruil  : 
De  ces  instructions  quel  peut  cire  le  fruit? 
Les  sentiments  qu'elle  aime  et  qu'elle  nous  inspire, 
Des  folles  passions  affermissent  l'empire  : 
Par  ces  principes  faux  les  crimes  déguisés, 
Sous  le  nom  de  verlus  sont  métamorphosés. 
J'y  vois  l'ambition  ,  l'amour  el  la  vengeance, 
En  tyrans  suborneurs  faire  agir  leur  puissance, 
Nourrir  notre  faiblesse,  et  sur  noire  raison 
Jeter  un  voile  épais  el  verser  leur  poison. 
J'y  vois  avec  horreur  Clylemneslrc  perfide, 
OÊdipe  incestueux  ,  Oresle  parricide  , 
L'innocent  Hippolyle  à  la  mort  condamné, 
Et  Néron  triomphant  d'un  frère  empoisonné. 
Corneille  du  théâtre  abjurant  les  maximes, 
Eût  voulu  n'en  avoir  jamais  souillé  ses  rimes  : 

(685)  In  thealris  congaudent  amanlibiis  qui  seso 
fruuulur  per  flas'Uia.  (S.  Auc,  I.  m  Conf.) 


Racine  en  gémissant,  comme  lui  détesta 

Le  vol  pernicieux  dont  l'essor  l'y  porta  (6S4). 


«  Je  tiens  à  ces  principes.  Ils  sont  soute- 
nus d'autorités  imposantes  et  en  grand  nom- 
bre. Maisje  vous  invile  moins  h  les  compter 
qu'à  les  peser  avec  équité.  Elles  dissiperont 
sans  doute  le  nuage  de  l'illusion  qui  couvre 
à  vos  yeux  les  dangers  des  théâtres.  Si  jus- 
tics  es,  non  numéro,  sed  oppende.  Non  respicias 
ad  theatrum  insaniw  ;  mendax  est.  Noli  imi- 
tori  turbas  concurrentes.  (S.  Aug.) 

«  Je  suis,  etc.  » 

Lettre  de  M.  Grcsset,  Vun  des  quarante  de 
V Académie  française,  à_M.  ***,  sur  la  comé- 
die; Paris,  1759. 

«  Les  sentiments ,  Monsieur,  dont  vous 
m'honorez  depuis  plus  de  vingt  ans,  vous 
ont  donné  des  droits  inviolables  sur  tous 
les  miens;  je  vous  en  dois  compte  et  je 
viens  vous  le  rendresur  un  genre  d'ouvrages 
auquel  j'ai  cru  devoir  renoncer  pour  tou- 
jours. Indépendamment  du  désir  de  vous 
soumettre  ma  conduite  et  de  mériter  votre 
approbation,  votre  appui  m'est  nécessaire 
dans  le  parti  indispensable  que  j'ai  pris,  et 
je  viens  le  réclamer  avec  toute  la  confiance 
que  votre  amilié  pour  moi  m'a  toujours 
iuspirée.  Les  litres,  les  erreurs,  les  songes 
du  monde  n'ont  jamais  ébranlé  les  princi- 
pes de  religion  que  je  vous  connais  depuis 
si  longtemps  :  ainsi  le  langage  de  cette  let- 
tre ne  vous  sera  noint  étranger,  et  je 
compte  qu'approuvant  ma  résolution  ,  vous 
voudrez  bien  ru'appuyer  dans  ce  qui  me 
reste  à  faire  pour  l'établir  et  pour  la  ma- 
il ifes  1er. 

;(  Je  suis  accoutumé  ,  Monsieur,  à  pen- 
ser tout  haut  devant  vous; je  vous  avouerai 
donc  que,  depuis  plusieurs  années,  j'avais 
beaucoup  à  souffrir  intérieurement  d'avoir 
travaillé  pour  le  théâtre,  étant  convaincu, 
comme  je  l'ai  toujours  été,  des  vérités  lu- 
mineuses de  notre  religion,  la  seule  divine, 
la  seule  incontestable;  il  s'élevait  souvent 
des  nuages  dans  mon  âme  sur  un  art  si  peu 
conforme  à  l'esprit  du  christianisme,  et  ju 
me  faisais,  sans  le  vouloir,  des  reproches 
infructueux  ,  que  j'évitais  de  démêler  et 
d'approfondir;  toujours  combattu  et  tou- 
jours faible,  je  différais  de  me  juger,  par 
la  crainte  de  me  rendre  el  par  le  désir  de 
me  faire  grâce.  Quelle  force  pouvaient  avoir 
des  réflexions  involontaires  contre  l'empire 
de  l'imagination  et  l'enivrement  delà  fausse 
gloire?  Encouragé  par  l'indulgence  dont  le 
public  a  honoré  Sidney  el  le  Méchant,  ébloui 
par  les  sollicitations  les  plus  puissantes,  sé- 
duit par  mes  amis,  dupe  d'autrui  et  de  moi- 
même,  rappelé  en  même  temps  parcelle 
voix  intérieure,  toujours  sévère  et  toujours 
juste,  je  souffrais  et  je  n'en  travallais  pas 
moins  dans  le  même  genre.  Il  n'est  guère 
de  situation  plus  pénible,  quand  on  pense, 
que  de  voir  sa  conduite  en  contradiction 
avec  ses  principes  et  de  se  trouver  faux  à 
soi-même  et  mal  avec  soi.  Je   cherchais  à 

(«84)  M.  Lebrun  ,  connu  par  plusieurs  odes. 


1165 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ii<W 


étouffer  cette  voix  des  remords  à  laquello 
ou  n'impose  point  silence,  ou  je  croyais  y 
répondre  par  de  mauvaises  autorités  que  je 
rne  donnais  pour  «bonnes  ;  au  défaut  de 
solides  raisons  ,  j'appelais  à  mou  secours 
tous  les  grands  et  frêles  raisonnements  des 
apologistes  du  théâtre  ;  je  tirais  môme  des 
moyens  personnels  d'apologie  de  mon  at- 
tention à  ne  rien  écrire  qui  ne  pût  être 
souruis  à  toutes  les  lois  des  mœurs,  mais 
tous  ces  secours  ne  pouvaient  riea  pour  ma 
tranquillité.  Les  noms  sacrés  et  vénérables 
dont  on  abuse  pour  justifier  la  composition 
des  ouvrages  dramatiques  et  le  danger  des 
spectacles,  les  textes  prétendus  favorables, 
les  anecdotes  fabriquées,  les  sophismes  des 
autres  et  les  miens  ;  tout  cela  n'était  que 
du  bruit,  et  un  bruit  bien  faible  contre  ce 
sentiment  impérieux  qui  réclamait  dans 
mon  cœur.  Au  milieu  de  ces  contrariétés  et 
<!e  ces  doutes  de  mauvaise  foi,  poursuivi  par 
l'évidence,  j'aurais  dû  reconnaître  dès  lors, 
comme  je  le  reconnais  aujourd'hui,  qu'on 
a  toujours  tort  avec  sa  conscience,  quand 
on  est  réduit  à  disputer  avec  elle.  Dieu  a 
daigné  éclairer  entièrement  mes  ténèbres 
et  dissiper  à  mes  yeux  tous  les  enchante- 
ments de  l'art  et  du  génie;  guidé  par  la  foi, 
ce  flambeau  éternel ,  devant  qui  toutes  les 
lueurs  du  temps  disparaissent,  devant  qui 
s'évanouissent  toutes  les  rêveries  sublimes 
et  profondes  de  nos  faibles  esprits  forts,  ainsi 
que  toute  l'importance  et  la  gloriole  du 
bel  esprit;  je  vois  sans  nuage  et  sans  en- 
thousiasme que  les  lois  sacrées  de  l'Evan- 
gile et  les  maximes  de  la  morale  profane, 
le  sanctuaire  et  le  théâtre  sont  des  objets 
absolument  inalliables;  tous  les  suffrages  de 
l'opinion,  de  la  bienséance  et  de  la  vertu 
purement  humaine  fussent-ils  réunis  en  fa- 
veur de  l'art  dramatique,  il  n'a  jamais  ob- 
tenu ,  il  n'obtiendra  jamais  l'approbation 
de  l'Église;  ce  motif  sans  réponse  m'a  dé- 
cidé invariablement  :  j'ai  eu  l'honneur  de 
communiquer  ma  résolution  à  Monseigneur 
l'évêque  d'Amiens  et  d'en  consigner  l'en- 
gagement irrévocable  dans  ses  mains1  sa- 
crées; c'est  à  l'autorité  de  ses  leçons  et  à 
l'éloquence  de  ses  vertus,  que  je  dois  la  fin 
de  mon  égarement;  je  lui  devais  l'hom- 
mage de  mon  retour,  et  c'est  pour  consacrer 
la  solidité  de  celte  espèce  d'abjuration,  que 
je  l'ai  faite  sous  les  yeux  de  ce  grand  prélat 
Si  respecté  et  si  chéri  ;  son  témoignage  saint 
s'élèverait  contre  moi,  si  j'avais  la  faiblesse 
et  l'infidélité  de  rentrer  dans  la  carrière  :  il 
ne  me  reste  qu'un  regret  en  la  quittant,  ce 
n'est  point  sur  la  privation  des  applaudisse- 
ments publics,  je  ne  les  aurais  peut-être  pas 
obtenus,  et  quand  même  je  pourrais  être 
assuré  de  les  obtenir  au  plus  haut  degré, 
tout  ce  fracas  populaire  n'ébranlerait  point 
ma  résolution  ;  la  voix  solitaire  du  devoir 
doit  parler  plus  haut  pour  un  Chrétien  que 
toutes  les  voix  de  la  renommée.  L'unique 
regret  qui  me  reste ,  c'est  de  ne  pouvoir 
point  assez  effacer  le  scandale  que  j'ai  pu 
donner  à  la  religion  par  ce  genre  d'ouvrage, 
et  de  n'être  uoint  à  nortée  de  réparer  le  mal 


que  j'ai  pu  causer  sans  le  vouloir  j  le  moyen 
le  plus  apparent  de  réparation,  autant  qu'elle 
est  possible,  dépend  de  votre  agrément  pour 
la  publicité  de  cette  lettre;  j'espère  que  vous 
voudrez  bien  permettre  qu'elle  se  répande 
et  que  les  regrets  sincères  que  j'expose  ici 
à  l'amitié,  aillent  porter  mon  apologie  par- 
tout où  elle  est  nécessaire;  mes  faibles  ta- 
lents n'ont  point  rendu  mon  nom  assez  con- 
sidérable pour  faire  un  grand  exemple;  mais 
tout  fidèle,  quel  qu'il  soit,  quand  si  s  égare- 
ments ont  eu  quelque  notoriété,  doit  en  pu- 
blier le  désaveu  et  laisser  un  monument  de 
son  repentir.  Les  gens  du  bon  air,  les  demi- 
raisonneurs,  les  pitoyables  incrédules  peu- 
vent à  leur  aise  se  moquer  de  ma  démarche  ; 
je  serai  trop  dédommagé  de  leur  petite  cen- 
sure et  de  leurs  froid'es  plaisanteries,  si  les 
gens  sensés  et  vertueux,  si  les  écrivains  di- 
gnes de  servir  la  religion,  si  les  âmes  hon- 
nêtes et  pieuses  que  j'ai  pu  scandaliser, 
voient  mon  humble  désaveu  avec  cette  sa- 
tisfaction pure  que  fait  naître  la  vérité  dès 
qu'elle  se  montre. 

«  Je  profile  de  cette  occasion,  pour  rétrac- 
ter aussi  solennellement  tout  ce  que  j'ai  pu 
écrire  d'un  ton  peu  réfléchi  dans  les  baga- 
telles rimées  dont  on  a  multiplié  les  éditions, 
sans  que  j'aie  jamais  été  dans  la  confidence 
d'aucune.  Tel  est  le  malheur  attaché  à  la 
poésie,  cet  art  si  dangereux,  dont  l'histoire 
est  beaucoup  plus  la  liste  des  fautes  célèbres 
et  des  regrels  lardifs  que  celle  des  succès 
sans  honte  et  de  la  gloire  sans  remords  ;  tel 
est  l'écueil  presque  inévitable,  surtout  dans 
les  délires  de  la  jeunesse  :  on  se  laisse  en- 
traîner à  établir  des  principesqu'on  n'a  point  ; 
un  vers  brillant  décide  d'une  maxime  har- 
die, scandaleuse,  extravagante  :  l'idée  est 
téméraire,  le  trait  est  impie;  n'importe,  le 
vers  est  heureux,  sonore,  éblouissant,  on 
ne  peut  le  sacrifier;  on  ne  Yeut  que  briller, 
on  parle  contre  ce  qu  on  croit,  et  la  vanité 
des  mots  l'emporte  sur  la  vérité  des  choses. 
L'impression  ayant  donné  quelque  existenco 
à  de  faibles  productions  auxquelles  j'attache 
fort  peu  de  valeur,  je  me  crois  obligé  d'en 
publier  une  édition  très-corrigée,  où  je  ne 
conserverai  rien  qui  ne  puisse  être  soumis 
à  la  lumière  de  la  religion  et  à  la  sévérité  de 
ses  regards;  la  même  balance  me  réglera 
dans  d'autres  ouvrages  qui  n'ont  point  eu- 
core  vu  le  jour.  Pour  mes  nouvelles  comé- 
dies (dont  deux  ont  été  lues,  Monsieur,  par 
vous  seul),  ne  nie  les  demandez  plus;  le 
sacrifice  en  est  fait,  et  c'était  sacrifier  bien 
peu  de  chose.  Quand  on  a  quelques  écrits  à 
se  reprocher,  il  faut  s'exécuter  sans  réserve, 
dès  que  les  remords  les  condamnent  ;  il  se- 
rait trop  dangereux  d'attendre  ;  il  serait  trop 
incertain  de  compter  que  ces  écrits  seront 
brûlés   au  flambeau  qui  doit  éclairer  noire 


agonie. 


«  J'ai  cru,  pour  l'utilité  des  mœurs,  pou- 
voir sauver  de  cette  proscription  les  princi- 
pes elles  images  d'une  pièce  que  je  finissais, 
et  je  les  donnerai  sous  une  autre  forme  que 
celle  du  genre  dramatique:  celte  comédie 
avait  pour  objet  la  pciuturo  et   la  critique 


U67 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1168 


d'un  caractère  plus  à  la  mode  que  le  Méchant 
même,  et  qui,  sorti  de  ses  bornes,  devient 
tous  les  jours  de  plus  en  plus  un  ridicule  et 
un  vice  national. 

«  Si  la  prétention  de  ce  caractère,  si  ré- 
)andue  aujourd'hui,  si  maussade,  comme 
'est  toute  prétention,  et  si  gauche  dans 
ceux  qui  l'ont  malgré  la  nature  et  sans  suc- 
cès, n'était  qu'un  decGS  ridicules  qui  ne  sont 
que  de  la  fatuité  sans  danger,  ou  de  la  sot- 
tise sans  conséquence,  je  ne  m'y  serais  plus 
arrêté;  l'objet  du  portrait  ne  vaudrait  pas 
les  frais  des  crayons  ;  mais  outre  sa  comi- 
que absurdité,  cette  prétention  est  de  plus 
si  contraire  aux  règles  établies,  à  l'honnê- 
teté publique  et  au  respect  dû  à  la  raison, 
que  je  me  suis  cru  obligé  d'en  conserver  les 
traits  et  la  censure,  par  l'intérêt  que  tout 
citoyen  qui  pense  doit  prendre  aux  droits  de 
la  vertu  et  de  la  vérité  ;  j'ai  tout  lieu  d'es- 
pérer que  ce  sujet,  s'il  doit  être  de  quelque 
utilité  ,  y  parviendra  bien  plus  sûrement 
sous  cette  forme  nouvelle  que  s'il  n'eût  paru 
que  sur  la  scène  ,  celte  prétendue  école  des 
mœurs,  où  l'amour-propre  ne  vient  recon- 
naître que  les  torts  d'autrui,  et  où  les  véri- 
tés morales  le  plus  lumineusement  présen- 
tées n'ont  que  le  stérile  mérite  d'étonner 
un  instant  le  désœuvrement  et  la  frivolité, 
sans  arriver  jamais  à  corriger  les  vices  et 
sans  parvenir  à  réprimer  la  manie  des  faux 
airs  dans  tous  les  genres  et  les  ridicules  de 
tous  les  rangs. 

«  Je  laisse  de  si  minces  objets  pour  finir 
par  des  considérations  d'un  ordre  bien  supé- 
rieur à  toutes  les  brillantes  illusions  do  nos 
arts  agréables,  de  nos  talents  inutiles  et  du 
génie  dont  nous  nous  flattons.  Si  quelqu'un 
de  ceux  qui  veulent  bien  s'intéresser  à  moi 
est  tenté  de  condamner  le  parti  que  j'ai  pris 
de  ne  plus  paraître  dans  cette  carrière,  qu'a- 
vant de  me  désapprouver,  il  accorde  un  re- 
gard aux  principes  qui  m'ont  déterminé  ; 
après  avoir  apprécié  dans  sa  raison  ce  phos- 
phore qu'on  nomme  l'esprit,  ce  rien  qu'on 
appelle  la  renommée ,  ce  moment  qu'on 
nomme  la  vie,  qu'il  interroge  la  religion, 
qui  doit  lui  parler  comme  à  moi  ;  qu'il  con- 
temple fixement  la  mort,  qu'il  regarde  au 
delà  et  qu'il  me  juge.  Cette  image  de  notre 
lin,  la  lumière,  la  leçon  de  notre  existence 
et  notre  première  philosophie,  devrait  bien 
abaisser  l'extravagante  indépendance  et  l'au- 
dace impie  de  ces  superbes  et  petits  disser- 
tateurs ,  qui  s'efforcent  vainement  d'élever 
leurs  délires  systématiques  au-dessus  des 
preuves  lumineuses  de  la  révélation.  Le 
temps  vole,  la  nuit  s'avance,  le  rêve  va  finir  : 
pourquoi  perdre  à  douter,  avec  une  absurde 
présomption,  cet  instant  qui  nous  est  laissé 
pour  croire  et  pour  adorer  avec  une  sou- 
mission fondée  sur  les  plus  fermes  principes 
de  la  saine  raison?  Comment  immoler  nos 
jours  à  des  ouvrages  rarement  applaudis, 


souvent  dangereux,  toujours  inutiles?  Pour- 
quoi nous  borner  a  des  spéculations  indif- 
férentes sur  les  majestueux  r  hénomènes  de 
h»  nature?  Au  moment  où  j'écii-,  un  corps 
céleste,  nouveau  à  nos  regards,  est  descendu 
sur  l'horizon  ;  mais  ce  spectacle,  également 
frappant  pour  les  esprits  éclairés  et  pour  le 
vulgaire,  amuse  seulement  la  frivole  curio- 
sité, quand  il  doit  élever  nos  réflexions. 
Encore  quelques  jours,  et  cette  comète  que 
notre  siècle  voit  pour  la  première  fois  va 
s'éteindre  pour  nous  et  se  replonger  dans 
l'immensité  des  cieux,  pour  ne  reparaître 
jamais  aux  yeux  de  presque  tous  ceux  qui 
la  contemplent  aujourd'hui.  Quelle  destinée 
éternelle  nous  aura  été  assignée,  lorsque 
cet  astre  étincelant  et  rapide,  arrivé  au  ternie 
d'une  nouvelle  révolution,  après  une  mar- 
che de  plus  de  quinze  lustres,  reparaîtra  sur 
cet  hémisphère?  Les  témoins  de  son  retour 
marcheront  sur  nos  cendres. 

«  Je  vous  demanderais  grâce,  Monsieur, 
sur  quelques  traits  de  celte  lettre,  qui  pa- 
raissent sortir  des  limites  du  ton  épistolaire, 
si  je  ne  savais,  par  une  longue  expérience, 
que  la  vérité  a  toute  seule  par  elle-même  le 
droit  de  vous  intéresser,  indépendamment 
de  la  façon  dont  on  l'exprime  ;  et  si,  d'ail- 
leurs, dans  un  semblable  sujet,  dont  la  di- 
gnité et  l'énergie  entraînent  l'âme  et  com- 
mandent l'expression,  on  pouvait  être  arrêté 
un  instant  par  de  froides  attentions  aux 
règles  du  style  et  aux  chétives  prétentions 
de  l'esprit. 

«  Je  suis,  etc. 

«  A  Amiens,  le  \k  mai  1759.  \> 

Celte  lettre  est  un  témoignage  du  repentir 
de  Gresset  d'avoir  travaillé  pour  le  théâtre. 

Desprez  de  Boissy  donne  celte  lettre  en 
appendice  ;  nous  la  rétablissons  ici  en  son 
entier. 

Les  partisans  du  théâtre  ont  beaucoup 
murmuré  contre  cette  lettre  lumineuse  et 
édifiante  de  Gresset.  Il  en  est  très-mal  parlé 
dans  le  deuxième  tome  d'une  Histoire  infi- 
dèle et  dangereuse,  intitulée  Querelles  lit- 
téraires (085).  Elle  y  est  donnée  comme 
une  déclamation  qui  a  moins  paru  le  langage 
du  remords  que  celui  de  l'amour-propre.  La 
Lettre  de  J.-J.  Rousseau  contre  les  spectacles 
n'y  est  pas  mieux  traitée.  Le  panégyriste  de 
l'ignorance  et  des  brutes,  y  est-il  dit,  devait 
être  le  censeur  du  théâtre,  Vécole  de  la  poli- 
tesse et  du  goût. 

L'abbé  Irail,  à  qui  cette  Histoire  des  que- 
relles littéraires  est  attribuée  (686),  ne  donne 
pas  une  meilleure  idée  de  son  jugement  et 
de  ses  lumières,  lorsque,  dans  le  même  en- 
droit, il  loue  (687)  le  P.  Caffaro  d'avoir  eu  le 
courage  de  s'élever  au-dessus  des  préjugés  de 
son  état,  en  écrivant  en  faveur  de  la  comédie 
avec  ce  ton  de  force  et  de  véhémence  qu'il  n'ap- 
partient qu'aux  gens  persuadés  d'avoir. 


(685)  VHistoire  des  querelles  littéraires  parut  en  (6S6)  Dans  la  France  littéraire,  et  depuis  dans  le 

1701.  L'abbé  Baral  en  donna  dans  le  temps  une  cri-  Dictionnaire  littéraire  de  la  France,  édition  de  4709, 

tique  sous  ce  titre  :  Lettre  à  M.  sur  l'ouvrage  inti-  t.  1,  p.  303,  et  t.  Il,  p.  184. 

(uU  :  Qjitr.ELLES  littéraires.  (68")  Querelles  littéraires,  loin.  II. 


1169 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBIŒ. 


1170 


Il  paraît  qu'Irail  n'a  pas ,  sur  les  de- 
voirs de  l'état  ecclésiastique ,  les  mêmes 
idées  que  Charlemagne  en  avait.  «  Nous 
souhaitons,  écrivait  cet  empereur  aux  évo- 
ques de  ses  Etals,  nous  souhaitons  que  vous 
soyez  comme  doivent  l'être  des  soldats  de 
l'Eglise,  c'est-à-dire  des  hommes  pieux  et 
savants,  que  vous  viviez  bien,  que  vous 
parliez  bien  et  que  vous  soyez  instruits 
dans  les  lettres  saintes.  Car,  quoique  ce  soit 
une  meilleure  chose  de  faire  le  bien  que 
de  le  connaître,  il  faut  cependant  le  con- 
naître avant  que  de  le  faire  (688).  » 

Si  Irail  avait  connu  l'Ecriture  sainte,  il 
n'aurait  pas  avancé  qu'elle  est  favorable  au 
P.  Caffaro,  quelle  n'a  rien  tant  en  recom- 
mandation que  les  jeux,  la  danse  et  les  spec- 
tacles, et  quelle  fait  un  mérite  à  quelques-uns 
de  ses  plus  saints  personnages  d'avoir  dansé 
au  son  du  tambour  (689). 

L'abhé  Irail  n'aurait  pas  sans  doute  répété 
ce  sophisme  suranné,  s'il  avait  su  que,  du 
temps  de  saint  Cyprien,  on  avait  osé  s'auto- 
riser de  l'exemple  de  la  danse  de  David 
pour  justifier  les  théâtres,  mais  que  saint 
Cyprien  répondit  à  ces  faux  raisonneurs  : 
«  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  que  ces  gens-là 
n'eussent  jamais  appris  à  lire  que  de  faire 
un  tel  usage  de  leur  lecture? Qu'ils  sachent 
que  l'exemple  de  David,  qui  a  dansé  devant 
l'arche,  ne  favorise  en  rien  les  Chrétiens  qui 
assistent  aux  théâtres,  parce  qu'il  n'y  a 
rien,  dans  l'exemple  de  David,  qui  soit  hon- 
teux ni  qui  ressente  la  licence  des  scènes  et 
des  fables  dramatiques  (690).  » 

C'est  à  la  rétractation  du  P.  Caffaro  qu'Irail 
aurait  dû  donner  des  louanges.  C'est  alors 
que  ce  religieux  montra  du  courage.  On 
pouvait  lui  appliquer  ce  que  saint  Ambroise 
disait  d'un  grand  roi  :  il  a  eu  des  faiblesses 
qui  ne  sont  que  trop  ordinaires  aux  rois, 
mais  il  s'en  est  repenti,  ce  qui  leur  arrive 
rarement:  erravit  quod soient reges,pœnituit 
quod  non  soient. 

(088)  <  Optamus  vos,  sicul  decet  Ecclesiac  milite  s, 
et  interius  devolos  et  exlerius  doclos,  caslosque  bene 
vivendo  et  scholaslicos  bene  loquendo.  Quamvis 
oiin  melius  sil  benefacere  quam  nosse,  prius  lamen 
est  nosse  quam  facere.  »  Ceci  est  extrait  d'une  let- 
tre que  Charlemagne  écrivit  à  un  abbé  du  monastère 
de  Fulde,  et  elle  devait  être  communiquée  à  tous  les 
cvèques  et  abbés  de  la  province,  comme  l'ordonne 
telle  dernière  phrase  :  «  Hujus  epislolœ  exemplaria 
ad  omnes  sufl'raganies  luosquecoepiscopos  et  per 
universa  monasteria  dirigi  non  negligas  si  graliani 
noslrain  habere  vis.  i  Celle  lettre  est  rapportée  dans 
le  tome  V  du  Recueil  des  Histoires  de  Fiance,  donné 
par  les  Bénédictins,  pag.  021. 

(689)  Querelles  litiéruires,  lom.  II ,  pag.  396. 

(690)  i  Pudor  me  tend  prœscriptiones  eorum  in 
bac  causa  et  patrocinia  referre,  ubi  inquiunl  scripla 
sunt  isla,  ubi  sunt  prohibila?  Anle  arcam  David  ipse 
saltavit.  Nabla  cynares,  aéra,  lympana,  tibias,  c-ytha- 
ras,  clioros  legimus.  Cur  ergo  homiui  Chrisliano  li- 
deli  non  liceal  speclarc  quod  licuil  divinis  liiteris 
scribere?  Hoc  in  loco  non  immeriio  dixerim  longe 
melius  fuisse,  islis  nullas  lilleras  nos  quam  sic  li lie- 
ras légère.  Verba  enim  et  exempta  qu;e  ad  exhorla- 
lionem  evangeliesc  virlulis  posita  sunt  ad  viiiorum 
patrocinia  translerunliir....  0,,o<l  David  in  conspeclu 
Dci  choros  egii,  itibiJ  adjurât  in  Thealro  scdenlcs 


Au  reste,  il  a  échappé  à  Irail  un  aveu 
très-défavorable  aux  théâtres,  lorsqu'il  dit 
(691-92)  que  la  religion  etlalégislalion  ont  tou- 
jours réprouvé  la  profession  des  comédiens, 
et  que  cet  accord  des  magistrats  et  des  casuis- 
tes  pourrait  donner  lieu  à  de  sérieuses  ré- 
flexions. 

M.  l'abbé  Irail  puisse-t-il  en  faire  d'assez 
bonnes,  pour  imiter  le  repentir  du  P.  Caffaro! 
car  il  faut  aimer  les  hommes  et  ne  haïr  (pie 
leurs  erreurs.  Diligite  homines,  inlerficite 
errores. 

Lettre  d'un  ancien  officier  de  la  reine  à  tous 
les  Français,  sur  les  spectacles,  par  M.  Tré- 
blchet;  Paris,  1759. 

Lettre  d'un  curé  du  diocèse  de***,  à  M.  de 
Marmontel,  sur  son  Extrait  critique  de  la 
Lettre  de  M.  Jean-Jacques  Rousseau  à  M.  d'A- 
lembert:  Paris,  1760. 

L'auteur  de  celte  Lettre  est  M.  Secousse, 
curé  de  la  paroisse  de  Saint-Eustachede  Pa- 
ris. Cet  écrit  intéressant  est  à  joindre  aux 
autres  monuments  du  zèle  avec  lequel  le 
respectable  corps  des  curés  de  cette  capitale 
a  si  souvent  combattu  les  moralistes  re- 
lâchés. 

Lettres  historiques  et  critiques  sur  les  spec- 
tacles, à  Mlle  Clairon,  actrice  de  la  Comédie 
Française,  dans  lesquelles  on  prouve  que  les 
spectacles  sont  contraires  aux  bonnes  mœurs  ; 
Avignon,  Paris,  1762. 

Ces  Lettres  sont  une  bonne  critique  de  la 
consultation  que  M.  Huerne  do  La  Moite 
avait  adressée  à  mademoiselle  Clairon  ;  on  y 
a  fait  imprimera  la  fin  l'arrêt  du  parlement 
de  Paris,  du  22  avril  1761,  qui  condamne  la 
consultation. 

L'auteur  de  ces  Lettres  est  le  P.  Joseph- 
Romain  Joly.  Il  en  a  donné  tout  le  fond 
sous  une  forme  différente  dans  le  troisième 
tome  d'un  autre  de  ses  ouvrages  quia  pour 
titre  :  Conférences  sur  les  principaux  sujets 
de  la  morale  chrétienne  ;  Paris,  1768. 

Le  Dictionnaire  universel  des  sciences  ecclé- 

Chrisiianos  fidèles.  Nulla  enim  obscaenis  motibus 
membra  dislorquens  desallavit  Graece  libidinis  fa- 
bubm.  INabulae,  cynarae ,  tibise,  tympana,  cythara» 
Domino  servierunl  non  voluptalibus.  »  (  S.  Cïpu.  , 
De  specl.  ) 

<  Non  prœcipil  Scriptura  nisi  charilalem,  non  cul- 
pal  nisi  cupiditatem,  et  eo  modo  mores  hominum 
informat....  Omnis  morbus  anima:  habet  in  Scriplu- 
iïs  medicamenlum  suum....  >  Il  faut  lire  les  Ecri- 
tures saintes  comme  le  faisait  S.  Augustin,  en  de- 
mandant à  Dieu  qu'elles  ne  Ini  servissent  jamais  pour 
se  tromper  ni  pour  tromper  les  autres,  «  nec  fallar  in 
eis,  nec  fallam  ex  eis.  »  El  pour  lors  elles  nous  de- 
viennent un  miroir  qui  nous  montre  nos  défauts  et 
les  moyens  de  nous  guérir.  «  Utere  lectione  divina 
vice  speculi.  Scriptura  enim  est  spéculum  fœda  os- 
lendens,  et  corrigi  docens.  >  Ceux  qui  osait  faire 
autoriser,  par  l'Ecriture  sainte,  un  usage  licencieux, 
ne  néritenl  point  d'autre  réponse  que  celle  que  saint 
Augustin  fil  souvent  à  Julien  :  Ce  que  vous  dites  n'ai 
pas  vrai,  vous  êtes  un  séducteur  et  un  insensé,  i  Mon 
est  verum  quod  dicis,  lingua  tua  amplexa  est  dolo- 

silalem erras  et  tibi  consenlienles  millis  alios 

in  errorem.  Ista  non  diceres  si  lu  sanum  animiiui 
haberes.  »  (S.  Ait..,  Cont.  Jul.) 

',694-92)  Querelles  littéraires,  lom.  II 


117» 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


UTÎ 


siastiques,  parle  R.  P.  Richard  et  autres 
religieux  dominicains,  imprimé  chez  Jom- 
bert,  en  6  vol.  in-fol.  On  y  trouve  au  mot 
Spectacles,  une  suite  méthodique  des  meil- 
leurs principes  sur  cette  matière. 

De  l  éducation  civile,  par  M.  Garmer,  pro- 
fesseur au  Collège  noyai  et  de  l'Académie 
royale  des  inscriptions  et  belles-lettres; 
Paris,  1765. 

Le  troisième  chapitre  de  ce  solide  ou- 
vrage contient  les  réflexions  les  plus  justes 
contre  la  prétendue  utilité  morale  de  nos 
spectacles.  On  sait  que  les  poètes  dramati- 
ques attribuent  à  leur  art  la  gloire  d'avoir 
triomphé  de  la  barbarie  et  d'avoir   adouci 


n'oserais  nommer  parleur  nom  et  qui  sem- 
blent n'avoir  d'autres  fonctions  que  de  cor- 
rompre ceux   qu'ils  conseillent Quels 

modèles  osez-vous  offrir  aux  femmos,  des 
Phèdres,  des  Cle'opâtres,  des  Hermiones,  des 
Roxanes ,  des  Eriphiles,  etc.  Voudriez-vous 
avoir  de  pareilles  héroïnes  pour  filles  et 
pour  femmes?  Enfin,  que  peuvent  faire  de 
mieux  ceux  qui  vont  vous  entendre,  que 
d'armer  leur  cœur  contre  des  impressions 
funestes  à  leurs  repos  et  d'oublier  si  parfai- 
tement ce  qu'ils  viennent  d'apprendre,  qu'il 
ne  leur  en  reste  aucun  souvenir  en  rentrant 
dans  le  sein  de  leur  famille?  Mais  on  ne 
peut  espérer  cette  modération  de  celle  foulo 


les  mœurs  publiques.  M.  Garnier  est  bien  déjeunes  gens  que  l'on  voit  si  ordinaire- 
éloigné  d'en  convenir.  ment  se  pâmer  au  doux  chant  des  sirènes, 
a  C'est  véritablement  un  grand  service,  Ils  passent  bientôt  de  l'image  à  la  réalité  et 
leur  dit-il ,  si  en  adoucissant  les  mœurs  vous  finissent  par  s'énerver  l'âme  et  le  corps.  Les* 
les  avez  rendues  meilleures  et  plus  pures,  moins  coupables  sont  ceux  qui  cultivent  la 
Mais  si  vous  ne  les  aviez  adoucies  qu'en  les  musique  et  la  danse,  qui  sont  idolâtres  de 
amollissant,  si  votre  magie  n'avait  servi  leur  figure  et  qui  veulent  plaire  aux  femmes 
qu'à  transformer  des  tigres  et  des  lions  en  en  s'ell'orçant  de  leur  ressembler  ;  et  cepen- 
(les  renards  et  en  des  singes,  le  beau  secret  dant  ces  gens  sont  pourvus  de  charges,  sans 
que  vous  auriez  trouvé  1...  Vous  vous  van-  qu'ils  songent  aux  moyens  de  les  bien  reni- 
iez d'être  les  précepteurs  de  la  nation.  Eh  plir....  Qui  consolera   la  patrie   en  proie  h 


LienI  dites-nous  donc  depuis  plus  d'un  siè- 
cle que  nous  prenons  de  vos  leçons,  avons- 
jious  fait  bien  des  progrès  dans  le  chemin 
«le  la  vertu?  Les  hommes  parmi  nous  sont- 


des  âmes  de  boue?  Qu'un  cordonnier,  qu'un 
tailleur  fassent  mal  une  chaussure  ou  un 
habit,  c'est  un  malheur  facile  a  réparer  et 
qui  retombe  à  la  fin  sur  eux-mêmes;  mais 


ils  devenus  plus  appliqués  à  leur  devoir  et  qu'un  homme  en  place  se  conduise  mal,  la 

plus  délicats  sur  leur  réputation?  Les  fem-  patrie  entière    s'en  ressent  et   souvent  la 

mes  se  respectent-elles  davantage?  Les  en-  plaie  devient  incurable....  Qu'on  ait  donc 

fauta  sont-ils  plus  soumis  à  leurs  parents?  soin  d'inculquer  de  bonne  heure  aux  jaunes 

L'union  règne-l-elle  davantage  dans  les  fa-  gens  qu'ils  ne  sont  point  faits  comme  de  vils 

railles  ?  Les  droits  de  l'amitié  sont-ils  mieux  animaux,  pour  se  procurer  des  sensations 

connus  et  plus  respectés?  La  patrie  a-t-elle  voluptueuses,  que  leur  raison  est  le  flam- 

ncquis    un    plus  grand  nombre   d'illustres  beau  qui  doit  les  éclairer  ;  que  cette  raison, 

défenseurs?  Enfin  ceux  qui  vous  fréquentent  épurée  par  la  religion,  dicte  des  devoirs; 

valent-ils  mieux  que  ceux  qui  vous  négli-  que  la  satisfaction  qui  provient  des  actions 

gent?  Tâchez  surtout  de  nous  prouver  bien  vertueuses  est  le  plus   grand  de  tous   les 

clairement  ce  dernier  point;   car  j'observe  plaisirs  et  le  seul  permanent;  qu'un  homme 

que  les  parents  qui  s'occupent  de  l'éduca-  qui  néglige  sa  raison  est  plus  à  plaindre  que 


tion  de  leurs  enfants,  vous  redoutent  étran 
gement;  que  'es  personnes  à  qui  leurs  places 
prescrivent  de  la  gravité  et  de  la  décence 
craindraient  d'être  surpris  dans  les  temples 
où  l'on  débite  si  pompeusement  vos  maxi- 
mes; que  bien  des  gens  sensés  s'y  ennuient, 
que  vos  prêtres  et  vos  prêtresses  ne  jouis- 
sent pas  encore  des  droits  que  les  lois  ac- 
cordent au  dernier  des  citoyens....  J'ouvre 
vos  livres  et  je  ne  trouve  partout  que  cer- 
taines amours  romanesques,  dont  l'absur- 
dité et  la  triste  uniformité  sont  encore  les 
moindres  défauts.  Le  devoir  et  la  vertu  sont 
dans  vos  pièces  de  malheureuses  victimes  que 


celui  qui  renoncerait  volontairement  à  l'u- 
sage de  ses  yeux  ;  qu'il  est  aussi  impossible 
d'être  heureux  avec  une  âme  souillée  de 
vices,  que  de  se  bien  porter  avec  un  corps 
couvert  d'ulcères;  que  la  science  est  la 
source  des  biens,  comme  l'ignorance  est  la 
source  de  tous  les  maux.  » 

Des  causes  du  bonheur  public ,  par  M.  l'abbé 
Gros  de  Resplas;  Paris,  1768.  Cet  ouvrage 
intéressant  contient  un  chapitre  sur  le  dan- 
ger des  théâtres  et  la  nécessité  de  les  ré- 
former. 

Bodin,  cet  écrivain  du  xvie  siècle,  qui  pa- 
rait avoir  fourni  à  M.  de  Montesquieu  l'idée 


vous  parez  de  quelques  fleurs  pour  faire  à  de  VEsprit  des  lois,   et  celle  de  ce  système 

l'amour  un  sacrifice  plus  éclatant.  Comment  qui  règle  sur  l'échelle  des  climats  les  mœurs 

avez-vous  remplacé  le  chœur  des  anciens  ?  et  la  religion  des  peuples  (693)  ;  Bodin  qui, 

Par  des  confidents  et  des  confidentes  que  je  dans  ses  rêveries  politiques  tolère    toutes 


(G93)  Ce  système  a  paru  merveilleux  aux  malé 
rialisles  qui  n'attribuent  nos  faculiés  intellectuelles 
qu'à  des  modifications  de  la  matière,  de  sorle  que, 
selon  eux,  l'existence  des  âmes  est  une  chimère,  et 
l'homme  ne  diffère  du  singe  que  par  l'organisation 
matérielle.  Ce  n'est  pas  après  avoir  été  endoctriné 

{>ar  une  pareille  philosophie  qu'on  d,ra  ce  que  lecé- 
èbre  Bouchardon,  enthousiasmé  de  la  lecture  d'Ho- 


mère ,  disait  à  l'illustre  antiquaire,  M.  le  comte  de 
Cavlus  :  Depuis  que  y  ai  lu  ce  livre,  les  hommes  ont 
quinze  pieds,  la  nature  s'est  accrue  pour  moi.  Mais 
c'est  la  religion  chrétienne  qui  nous  rehausse  réel- 
lement et  bien  davantage  lorsqu'elle  nous  enseigne 
que  notre  âme  est,  non  une  vapeur  déliée,  ou  un  air 
subtil,  mais  une  subsiance  spirituelle  et  immortelle, 
qui,  comme  un  miroir,  doit  recevoir  et  réfléchir  l'i- 


1173 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1171 


les  religions,  excepté  la  religion  chrétienne 
dont  il  était  ennemi ,  désirait  plutôt  la  sup- 
pression que  la  réformation  de*  jeux  de 
théâtre.  Il  pensait  sur  cet  objet  comme  les 
anciens  législateurs  des  Grecs....  «  Les  jeux 
scéniques,  dtt-il  (694),  sont  une  peste  de  la 
république  des  plus  pernicieuses  qu'on  sau- 
rait imaginer.  Car  il  est  d'expérience  qu'il 
n'y  a  rien  qui  gâte  plus  les  bonnes  mœurs, 
la  simplicité  et  la  bonté  naturelle  d'un  peu- 
ple. Ce  qui  a  d'autant  plus  d'efficace  et  de 
puissance  que  les  paroles,  les  accents,  les 
gestes  ,  les  mouvements  et  actions  conduits 
avec  tous  les  artifices  qu'on  puisse  imagi- 
ner, laissent  une  impression  vive  en  l'âme 
de  ceux  qui  tendent  là  tous  leurs  sens;  et 
i>our  faciliter  encore  plus  cette  impression, 
l'on  met  toujours  à  la  tin  des  tragédies 
comme  un  poison  es  viandes,  la  farce  ou 
comédie.  Quand  les  jeux  de  théâtre  seraient 
lolérables  aux  pays  méridionaux  pour  être 
d'un  naturel  plus  pesant  et  plus  mélancoli- 
que, et  pour  leur  constance  naturelle  moins 
sujets  à  changer,  si  est-ce  que  cela  doit  être 
défendu  aux  peuples  tirant  plus  vers  le 
septentrion  pour  être  de  leur  nature  san- 
guins, légers  et  volages,  et  qui  ont  presque 
toute  la  force  de  leurâme  dans  l'imagination 
du  sens  commun  et  brutal.  Mais  il  ne  faut 
pas  espérer  que  ces  jeux  soient  défendus  ou 
empêchés  par  les  magistrats,  car  ordinaire- 
ment on  en  voit  qui  sont  les  premiers  à  ces 
jeux  (695). 

C'est  sans  doute  relativement  à  l'impos- 
sibilité morale  de  supprimer  les  théâtres, 
(jue  M.  de  Besplas  en  demande  au  moins  la 
réformation.  Elle  est  nécessaire  à  plus  d'un 
égard,  car  pour  se  borner  au  genre  qui 
aurait  dû  être  le  moins  dangereux,  combien 
chez  tous  les  modernes  la  tragédie  a-t-elle 
toujours  été  éloignée  de  ce  qu'elle  était  dans 
les  beaux  jours  d'Athènes,  qui  finirent  sous 
Alexandre  !  Elle  ne  se  proposait  alors  que 
l'instruction  des  citoyens.  Elle  avait  même 
des  rapports  avec  la  religion  et  l'adminis- 
tration politique  du  pays,  comme  on  l'a  ci- 
devant  dit.  C'est  par  cette  considération  que 
les  magistrats  de  l'Aréopage  pouvaient  com- 
poser des  tragédies,  au  lieu  qu'il  y  avait  une 
loi  expresse  qui  leur  défendait  de  faire  des 
comédies.  M.  Le  Franc  de  Pompignan  nous 
a  donné  une  belle  idée  (696)  de  ces  tragédies 
anciennes  composées  par  des    philosophes 

mage  de  toutes  les  perfections  de  Dieu;  c'est-à-dire, 
«  que  la  vie  de  l'âme,  comme  le  dit  Bossuet,  doit 
être  une  imitation  de  celle  de  Dieu,  qu'elle  doit  vivre 
comme  lui  de  raison  et  d'intelligence,  et  qu'elle  est 
desiimic  à  lui  être  unie,  en  le  contemplant  et  en  l'ai- 
mant >  (Disc,  sur  rtlist.  univ.)  Tarn. magnum  bonuni 
esl  nature  ralionalis,  ut  nullum  sil  bonum  quo  beala 
$it,  nisi  Ueus. 

(694)  D;*ns  le  vi«  livre  de  sa  République. 

(695)  On  a  ci-devant  vu,  page  158,  que  sous 
Charles  VIII  les  magistrats  ne  méritaient  pas  le  re- 
proche que  Bodin  faisait  à  ceux  de  son  temps.  Mais 
chaque  siècle  a  £u  ses  Calons  et  ses  Scipions.  On  sait 
avec  quelle  chaleur  ce  dernier,  qui  était  Scipion 
l'Africain,  s'élevu  contre  l'usage  où  l'on  était  de  son 
temps  de  se  ser*ir  des  comédiens  pour  apprendre 
aux  jeunes  gens  a  danser,  à  chanter  ou  à  déclamer, 


et  par  des  hommes  d'Etat  (697).  Et  en  com- 
parant ces  drames  avec  ceux  de  notro 
siècle  qui  a  prostitué  les  lettres  et  les  arts  à 
la  mollesse,  au  luxe  et  à  la  volupté,  cet 
académicien  fait  des  réflexions  dignes  d'un 
poète  philosophe. 

«  Je  ne  pense  point  sans  étonnement, 
dit-il  ,  au  prodigieux  avantage  que  les 
païens  ont  sur  les  Chrétiens  à  l'égard  de  la 
morale  du  théâtre...  Tout  ce  qui  pouvait 
avilir  l'âme  était  banni  des  anciennes  tragé- 
dies grecques.  VHippolyte  d'Euripide  est, 
à  proprement  parler,  la  seule  où  l'amour 
agisse;  on  ne  l'employait  pas  pour  exciter 
la  terreur  et  la  pitié.  Les  auteurs  drama- 
tiques mettaient  en  œuvre  d'autres  ressorts. 
Ils  n'exposaient  sur  le  théâtre  les  malheurs 
et  les  crimes  de  l'humanité,  que  pour  ren- 
dre les  hommes  plus  sages  et  plus  vertueux. 
Les  mœurs  de  nos  tragédies,  opposées  aux 
mœurs  de  la  tragédie  athénienne,  ont  uu 
caractère  mou  qui  se  fait  jour  à  travers  le 
pathétique  et  la  (erreur  dont  nos  meilleures 
pièces  sont  remplies.  C'est  que  le  théâtre  a 
pris  les  mœurs  de  la  nation ,  comme  il  con- 
tribue à  son  tour  à  les  amollir  et  à  les  éner- 
ver. 

«  Il  n'y  a  point  en  cela  d'exception  a 
faire  de  nation,  ni  d'auteur.  Français,  An- 
glais,  Espagnols,  Italiens,  habitants  du 
Nord,  Corneille,  Racine,  tous  se  réunissent 
pour  consacrer  à  l'acr.our  la  muse  de  la  tra- 
gédie. 

*  Il  y  a  toujours  de  la  conformité  entre 
l'humeur  d'un  peuple  et  le  genre  de  ses 
spectacles.  Où  les  deux  sexes  sont  galants, 
frivoles,  voluptueux,  il  faut  que  le  théâtre 
enseigne  et  respire  le  plaisir,  qu'il  nour- 
risse les  passions,  qu'il  les  rende  intéres- 
santes jusque  dans  leurs  égarements,  et 
qu'il  fasse  de  l'amour  la  faiblesse  des  grands 
cœurs. 

«  La  conjuration  de  Cinna  sera  échauffée 
par  l'amour  d'Emilie;  Pauline  sera  fidèle  à 
son  époux,  mais  elle  aimera  Sévère.  César 
mènera  de  front  le  renversement  de  la  répu- 
blique et  le  concubinage  de  Cléopâtre.  Le 
vieux  Sertorius  voudra  séduire  une  jeune 
femme  éperdument  amoureuse  de  son  mari. 
Voilà  les  mœurs  de  la  tragédie  chez  le  plus 
grave  et  le  plus  sublima  de  nos  poêles. Nous 
donnons  àMelpomèuela  ceinture  de  Vénus... 
Pour  purifier  notre  théâtre,  nous  disons  que 

exercices,  dit-il,  qui  auraient  paru  honteux  à  nos 
ancêtres,  qui  n'auraient  pas  voulu  pour  la  moindre 
partie  de  l'éducation  ,  confier  leurs  enfants  à  des 
gens  décriés  parleur  profession  ou  par  leurs  mœurs. 
lîrunt  in  lutlutn  Inslrionum,  discunt  cantare  et  sal~ 
lare  quod  majores  uostri  ingenuis,  probro  duci  volue- 
runl.  (Macrob.,  Salurn.,  lib.  il,  c.  8.) 

(096)  Dans  sa  Dissertation  en  forme  d'averlisse- 
menl,  qui  est  au  commencement  de  sa  traduction 
des  tragédies  d'Eschyle,  qui  a  paru  en  1770. 

(G97)  Eschyle  avait  été  disciple  de  Pylhagorc,  et 
il  servit  dans  les  batailles  de  Marathon  et  de  Sala- 
mine.  Sophocle  fut  magistrat  et  militaire,  il  fut  as- 
socié à  Périclès  d4ns  la  guerre  contre  les  Lacédé- 
moniens.  Euripide,  élève  de  Soerule,  Ut  le  voyagu 
d'Egypte  avec  Platon. 


Ii75 


DICTIONiNAlUF,  DES  MYSTERES. 


f  17£ 


les  faiblesses  y  sont  combattues  par  le  re- 
mords, condamnées  par  la  raison,  convain- 
cues par  l'honneur,  punies  par  l'événement, 
que  le  contre-poison  marche  à  côté  du  venin, 
et  que  la  vertu  triomphe  toujours.  Mais  ce 
raisonnement  n'est  que  spécieux.  Quels  pré- 
dicateurs ont  jamais  canonisé  le  vice?  Et 
cependant  parmi  nos  prédicateurs»  combien 
n'en  voit-on  pas  qui  le  couvrent  de  fleurs; 
en  croyant  l'accabler  de  foudres, lui  ôtent  sa 
difformité,  l'embellissent  presque,  et  par 
des  portraits  passionnés  et  par  des  descrip- 
tions fleuries,  ils  le  font  rentrer  dans  des 
cœurs  d'où  la  parole  évangélique  devrait 
l'arracher.  Si  tel  est  l'effet  de  ces  instruc- 
tions trop  peu  chrétiennes,  quel  sera  celui 
d'un  théâtre  où  l'on  prête  à  nos  faiblesses 
les  attraits  séduisants  de  la  poésie  et  la 
chaleur  de  l'action  ?  Avec  de  pareils  re- 
mèdes, on  rend  incurable  le  mal  qu'on  pré- 
tend guérir,  » 

Nos  jeux  de  théâtre  ne  sont  pas  seulement 
vicieux  dans  leur  constitution  morale,  ils 
ont  aussi  de  gra;,ds  défauts  dans  leur  consti- 
tution littéraire.  Et  leur  imperfection  à  ce 
àernier égard  a  son  avantage  en  ce  qu'elle 
doit  diminuer  les  regrets  de  ceux  qui,  pour 
conserver  leurs  mœurs, nese  permettent  pas 
la  fréquentation  des  spectacles. 

Le  célèbre  Fénelon,  archevêque  de  Cam- 
brai, donne  à  entendre  dans  sa  Lettre  à 
l'Académie  française,  que,  par  une  considé- 
ration philosophique,  il  ne  s'intéressait  pas 
à  la  réforme  des  fautes  graves  que  les  litté- 
rateurs éclairés  ont  à  reprochera  la  plupart 
de  nos  meilleurs  poëmes  dramatiques.  «  Je 
ne  souhaite  pas,  dit-il,  qu'on  perfectionne 
les  spectacles  où  l'on  ne  représente  les 
passions  corrompues  que  pour  les  allumer. 
Nous  avons  vu  que  Platon  et  les  sages  lé- 
gislateurs du  paganisme  rejetaient  loin  de 
toute  république  bien  policée  les  fables  et 
les  instruments  de  musique  qui  pouvaient 
amollir  une  nation  par  le  goût  de  la  vo- 
lupté. Quelle  devrait  donc  être  la  sévérité 
des  nations  chrétiennes  contre  les  specta- 
cles! Loin  de  vouloir  qu'on  perfectionne  les 
théâtres,  je  ressens  une  véritable  joie  de 
leurs  défauts  littéraires.  Nos  poètes  ont 
rendu  les  spectacles  languissants,  fades  et 
doucereux  comme  les  romans.  On  n'y  parle 
que  de  feux,  de  chaînes  et  de  tourments. 
On  y  veut  mourir  en  se  portant  bien.  Une 
personne  très-imparfaite  est  nommée  un 
soleil  ou  tout  au  moins  une  aurore.  Ses  yeux 
sont  deux  astres.  Tous  les  termes  sont  ou- 
trés. Tant  mieux.  » 

L'art  dramatique  ne  s'est  pas  perfectionné 
depuis  Fénelon.  Et  afin  qu'on  n'attribue 
pas  cette  opinion  a  un  préjugé  d'une  philo- 
sophie cynique,  on  va  citer  les  historiogra- 
phes et  les  maîtres  de  l'art. 

«  Notre  comédie,  disent  les  frères  Par- 
fait (G98),  n'est  pas  propre  à  amuser  les 
personnes  sensées  et  à  corriger  le  ridicule 

(008)  Dans  VIHsloire  du  Théâtre  français. 

((•99)  Dans  son  nouveau  Théâtre  anglais, 

(700)  Feuilles  hebdomadaires  des  provinces,  île  l'an- 


des  hommes.  Elle  n'offre  que  du  faux  mer- 
veilleux, que  des  scènes  décousues,  que  des 
intrigues  compliquées,  que  des  événements 
qui  ne  sont  pas  amenés,  ou  que  des  farces 
dignes  tout  au  plus  d'avoir  le  peuple  pour 
spectateur. 

«  On  ne  voit  pas  une  imagination  sage 
en  inventer  les  sujets,  un  jugement  bien 
réglé  en  tracer  les  desseins  ;  on  n'y  voit  pas 
les  grâces  naturelles  et  piquantesj'enjoue- 
ment  tin  et  délicat  tenir  le  pinceau  ;  enfin 
notre  comédie  n'est  pas  un  tableau  vrai  et 
animé.  » 

«  Egarés  par  l'imagination,  dit  Madame 
RiccolK>ni  (699),  nousiperdons  les  traces  du 
sentiment  et  de  la  vérité.  Et  si  nous  ne 
retournons  sur  nos  pas,  il  est  à  craindre  que 
le  goût  dominant  ne  nous  replonge  dans  lu 
barbarie  des  premiers  siècles. 

C'est  où  nous  conduiront  ces  merveil- 
leux, qui,  selon  M.deQuerlon(700),  «  croient 
avoir  fait  des  découvertes  pour  nous  avoir 
apporté  le  goût  faux,  maniéré,  petit,  pué- 
rile ou  sauvage,  atroce,  slravaganle,  s/rr- 
nato,  et  les  nouveaux  genres  de  pantorai 
mes....  La  corruption  du  goût  tient  plus 
qu'on  ne  pense  aux  mœurs.  Et  l'influence 
qu'on  attribuait  à  la  musique  sur  celle  des 
Grecs,  tous  les  arts  l'ont  aujourd'hui  sur  les 
nôtres.  Us  ne  portent  aux  yeux,  aux  oreilles 
et  à  l'esprit  que  l'image  et  le  sentiment  de 
la  volupté  qu'ils  respirent.  » 

«  Il  est  prodigieux,  dit  Darnaud  (701), 
combien  nous  sommes  livrés  à  tout  genre 
d'imposture.  11  est  des  bornes  dans  tous  les 
arts  au  delà  desquelles  se  trouvent  le  gigan- 
tesque, l'extravagant,  l'absurde,  en  un  mot 
le  faux  et  l'opposé  du  naturel.  Et  ces  bornes 
si  sages,  nous  les  avons  passées.  Nous  res- 
semblons précisément  à  ces  femmes  qui,  à 
leur  entrée  dans  le  monde,  mettent  si  peu 
de  rouge  qu'on  peut  douter  si  ce  ne  sont 
pas  leurs  propres  couleurs.  Ensuite  leurs 
yeux  s'accoutument  à  cet  éclat  étranger,  et 
elles  eh  abusent  au  point  qu'elles  se  défigu- 
rent. Tout  meurt  sous  les  efforts  d'un  art 
corrupteur.  Nos  pièces  de  théâtre  sont  dé- 
fectueuses. Les  développements  y  sont  vi- 
cieux. Les  scènes  ne  sont  qu'indiquées.  Les 
entrées  et  les  sorties,  une  des  premières 
règles  de  l'art  dramatique,  sont  totalement 
négligées.  Les  coups  de  théâtre  n'ont  jamais 
été  amenés  avec  plus  de  maladresse.  La 
nature  est  partout  affichée  au  bel  esprit,  et 
l'on  crai'H  surtout  d'être  simple  et  de  ne 
pas  entasser  les  ornements.  Nos  poètes  sont 
des  espèces  de  jongleurs  qui  amusent  la 
populace  aux  dépens  les  uns  des  autres.... 
Le  public  se  laisse  abuser  par  des  talents 
factices,  et  il  est  la  dupe  de  la  fausseté  du 
bel  esprit.  Ut  omnium  rerum  sic  litterarum 
intemperantia  laboramus.  Or,  dès  que  le  goût 
du  public  est  corrompu,  rien  n'est  plus 
rare  que  de  trouver  un  littérateur  qui  aiflo 
couraged'aimer  la  littérature  pour  elle-mêm* 

née  1770.  ,'..««.     , , 

(70t)  Dans  sa  Lettre  sur  sa  trneedie  d  tuphmte , 
dont  la  deuxième  édition  parut  en  1708 


un 


iNOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1178 


et  de  s'exposer  à  déplaire  à  la  multitude.  Un 
tel  homme  ne  confond  pasle  bruit  avec  la  ré- 
putation. Il  «ait  supporter  jusqu'à  l'obscu- 
rité et  l'indigence.  11  est  prêt  à  immoler  la 
richesse  et  les  emplois  à  ses  talents.  Il  fuit 
le  monde  pour  courir  s'enfoncer  dans  le 
silence  de  la  solitude.  Il  se  redit  sans  cesse 
que  l'éclat  littéraire  n'est  rien  san's  l'amour 
de  la  vertu  ;  que  le  plus  honnête  homme  est 
toujours  celui  qu'on  doit  le  plus  estimer,  et 
il  n'oublie  jamais  ces  paroles  de  Montaigne: 
La  vertu  est  plus  jalouse  des  loyers  d'honneur 
que  des  récompenses  où  il  y  a  du  gain  et  du 
profit.  Ce  n'est  pas  merveille  si  la  vertu  re- 
çoit et  désire  moins  volontiers  cette  sorte  de 
monnaie  commune  que  celle  qui  lui  est  propre 
et  particulière.   » 

C'est  sans  doute  conséquemment  à  cette 
morale  que  Darnaud  déclare  (702)  n'avoir 
pas  voulu  se  traîner  sur  les  pas  àe  ses  maîtres 
au  théâtre. 

Il  est  vrai  que  ses  tragédies  de  Comminge 
et  d'Euphémie,  énergiquement  rembrunies, 
ont  tout  le  sérieux  du  cothurne.  Mais  n'au- 
rait-il pas  été  à  souhaiter  que  Darnaud  eût 
donné  la  préférence  à  des  sujets  profanes 
plutôt  que  de  mettre,  comme  il  le  dit,  la 
religion  aux  prises  avec  la  passion  de  Va- 
mour  (703),  et  de  placer  le  lieu,  la  scène  do 
tes  drames  dans  des  monastères? 

Le  sacré  sera  toujours  défiguré  dans  les 
poèmes  dramaliques  qui  ne  sont  applaudis 
qu'autant,  comme  le  dit  Darnaud,  quon  y 
fait  jaillir  et  éclater  les  grandes  passions 
dont  la  fougue  est  si  nécessaire  à  l'action 
théâtrale  (704),  et  où,  pour  intéresser  les 
spectateurs,  il  faut  présenter  les  images 
les  plus  vives  des  faiblesses,  des  fautes  et 
des  crimes  qui  sont  la  honte  de  l'huma- 
nité (705).  Voici  à  ce  sujet  le  sentiment  de 
Saint-Evreraond  : 

«  L'esprit  de  notre  religion,  dit-il  (706), 
est  directement  opposé  à  celui  du  théâtre. 
L'humilité  et  la  patience  de  nos  saints  sont 
trop  contraires  aux  vertus  des  héros  drama- 
tiques. Le  théâtre  paraît  toujours,  à  la 
plupart  des  spectateurs,  perdre  de  son  agré- 
ment dans  la  représentation  des  choses 
saintes;  et  les  choses  saintes  perdent  du 
respect  qu'on  îeur  doit  quand  on  les  repré- 
sente sur  le  théâtre. C'est  inutilement  qu'on 
y  opposerait  la  doctrine  la  plus  sainte,  les 
actions  les  plus  chrétiennes,  et  les  vérités 
les  plus  utiles  pour  produire  cette  purga- 
lîon  (707)  qu'Aristote  avait  eu  la  simplicité 
d'admettre  comme  un  remède  propre  a 
arrèterles  mauvaisesimpressionsdes  poèmes 
dramatiques.  Ce  rhéteur  philosophe  est  à 
cet  égard  en  défaut:  car  y  a-t-il  rien  de  si 
ridicule  que  de  former  une  science  qui 
donne  sûrement  une  maladie  qui  travaille 
incerlainement  à  la  guérison  d'une  autre; 
y  a-t-il   rien    de  si  ridicule  que  de  mettre 

(702)  Dans  sa  Lettre  sur  Euphémie. 

(703)  Lettre  sur  la  tragédie  d'Euphémie. 

(704)  Ibid. 

(705)  «  Colhurnus  est  Tragicus  prisca  faeinora 
carminé  recensere.  >  (S.  Cypr.) 

(7C0)  Œuvres  de  Saint-Eircinond ,  toni.  III,  d'uù 


la  perturbation  dans  une  âme  pour  lâcher 
après  de  la  calmer  par  des  réflexions  qu'on 
lui  fait  faire  sur  le  honteux  étal  où  on  l'a 
mise  ?  »  Enfin  comme  Despréaux  le  dit  aux 
poètes  dans  son  art  poétique  : 

De  la  foi  d'un  chrétien  les  mystères  terribles. 

D'ornements  égayés  nf  sont  point  susceptibles. 

L'Evangile  à  l'esprit  n'offre  de  Ions  côtés 

Que  pénitence  à  faire  et  tourments  mérités  i/G8)  : 

El  de  vos  fictions  le  mélange  coupable, 

Même  à  ses  vérités  donne  l'air  de  la  fable. 

La  nécessité  de  réformer  la  licence  de  nos 
spectacles  est  donc  bien  connue.  Mais  celle 
réformalion  est-elle  moralement  possible? 
On  a  ci-devant  rapporté  une  opinion  mo- 
tivée qui  décide  négativement  la  ques- 
tion. 

En  effet,  il  a  paru  des  projets  de  réfor- 
mation. Quelque  peu  sévères  qu'ils  soient, 
ils  ont  été  regardés  comme  des  spéculations 
vaines  et  impraticables. 

Néanmoins,  comme  ces  ouvrages,  qu'il 
reste  à  indiquer,  ont  été  composés  par  des 
auteurs  attachés,  par  état  ou  par  goût,  aux 
théâtres,  ils  ont  un  caractère  singulier 
d'autorité  pour  la  peinture  qui  y  est  faite 
des  vices  et  des  dangers  des  représenta- 
tions théâtrales:  Hoc  est  argumentum  rei. 

Il  n'est  pas  surprenant  que  l'art  drama- 
tique n'ait  presque  toujours  enfanléque  des 
productions  folles  et  dangereuses.  Cet  art 
est  né  de  la  folie  et  de  l'ivresse  que  le  Dieu 
des  raisins  inspirait.  En  voici  Ja  généa- 
logie: 

La  tragédie  informe  et  grossière  en  naissant 
N'était  qu'un  simple  chœur,  où  chacun  en  dansant, 
El  du  Dieu  des  raisins  entonnant  les  louanges, 
S'efforçait  d'attirer  de  fertiles  vendanges. 
Là  le  vin  et  la  joie  éveillant  les  esprits 
Du  plus  habile  chantre  un  bouc  était  le  prix. 
Thespis  fut  le  premier,  qui  barbouillé  de  lie, 
Promena  dans  les  bourgs  celte  heureuse  folie; 
El  d'acteurs  mal  ornés  chargeant  un  tombereau 
Amusa  les  passants  d'un  spectacle  nouvoau 
Eschyle  dans  le  chœur  jeta  les  personnages; 
D'un  masque  plus  honnête  habilla  les  visages; 
Sur  les  ais  d'un  théâtre  en  public  exhaussé. 
Fil  paraître  l'acteur  d'un  brodequin  chaussé. 
Sophocle  enfin  donnant  l'essor  à  son  génie, 
Accrut  encore  la  pompe,  augmenta  l'harmonie, 
Intéressa  le  chœur  dans  toute  l'action, 
Des  vers  trop  raboteux  polit  l'expression, 
Lui  donna  chez  les  Grecs  celte  hauteur  divine 
Ou  jamais  n'atteignit  la  faiblesse  latine. 

(Desfréaux,  Art  poétique.) 

Mais  quels  chants  pourrait-on  attendre  de  Thalie, 
Lorsque  d'Aristophane  épousanl  là  folie, 
El  par  son  impudence  assurant  ses  succès, 
Elle  s'abandonnait  aux  plus  honteux  excès. 

(Lotis  Racine,  Epîl.  à  M.  de  Vuliucouri.) 

La  poésie  ne  devait  pas  être  profanée  pap 
de  pareilles  fictions.  C'est  la  dégrader  que 
de   ne  pas  lui   conserver  la  pureté  de   sa 

l'on  a  aussi  tiré  ce  qui  a  élé  dil  sur  l'Opéra,  afin  (te 
continuer  l'idée  qui  en  avait  élé  donnée  dans  la  pre* 
mière  Lettre. 

(707)  Il  a  élé  ci-devant  parlé  de  celle  purgalion  . 
dans  la  première  Lettre. 

(708)  Flore  comniissi,  cl  llenda  non  commillcrt. 


1179 


divine  institution.  Elle  a  pour  titre  primor- 
dial de  sa  naissance  le  cantique  qui. fut 
composé  par  Moïse  après  le  passage  de  la 
mer  Rouge.  «  De  là,  dit  Bossuet,  est  née  la 
«  poésie.  C'était  Dieu  et  ses  œuvres  mer- 
ci veilleuses  qui  en  étaient  les  sujets.  Dieu 
«  les  inspirait  lui-même.  Et  il  n'y  a  propre- 
«  ment  que  le  peuple  de  Dieu  où  la  poésie 
«  soit  venue  par  enthousiasme.  » 

Moïse,  le  plus  ancien  des  poètes,  con- 
sacra donc  la  poésie  à  la  vérité  éternelle.  Et 
plusieurs  siècles  après  on  vit  Homère  la 
consacrer  au  mensonge.  Elle  devint  l'instru- 
ment des  passions. 

Elle  osa  nous  prêcher  le  vice  effrontément  : 
Elle  rail  en  tous  lieux  sa  gloire  à  nous  séduire. 
Et  corrompit  d«îs  cœurs  qu'elle  devait  instruire. 
Homère  le  premier,  fertile  en  fictions, 
Transporta  dans  le  ciel  toutes  nos  passions, 
t.'esl  lui  qui  nous  fit  voir  ces  maîtres  du  tonnerre. 
Ces  dieux  dont  un  clin  d'œil  peut  ébranler  la  terre, 
Injustes,  vains,  craintifs,  l'un  de  l'autre  jaloux. 
Au  sommet  de  l'Olympe  aussi  faibles  que  nous. 
Ei  c'est  lui-même  encor  dont  la  main  dangereuse, 
A  tissu  de  Vénus  la  ceinture  amoureuse. 
Les  feux  qui  de  Sapho  consumèrent  le  cœur, 
Dans  ses  écrits  encore  exhales!  leur  chaleur. 
Pour  chanter  les  exploits  des  héros  qu'il  admire 
Le  faible  Anacréon  en  vain  monte  sa  lyre, 
Les  cordes  sous  ses  doigts  ne  résonnent  qu  amour. 

bans  ces  temps  malheureux  Vénus  avait  des  lem- 

[ples, 
Le  crime  autoris.é  par  d'augustes  exemples, 
Ne  paraissait  plus  crime  aux  yeux  de  ces  mortels, 
Qui  d'un  Mars  adultère  encensaient  les  autels. 
Sur  une  terre  impie  et  sons  un  ciel  coupable, 
l^e  chantre  des  plaisirs  pouvait  être  excusable. 
Cependant  aujourd'hui  les  enfants  de  la  foi 
D'un  plus  sage  transport  ont-ils  suivi  la  loi? 
Hélas!  dressant  partout  un  piège  à  l'innocence, 
bes  Romains  et  des  Grecs  ils  passpnt  la  licence. 
Je  pleure  avec  raison  tant  de  rares  esprits 
Qui  pouvant  nous  charmer  par  d'utiles  écrits 
De  ces  précieux  dons  oubliant  l'avantage, 
Ont  souillé  des  talents  dignes  d'un  autre  usage, 
bes  discours  trop  grossiers  le  théâtre  épuré 
Est  toujours  à  l'amour  parmi  nous  consacre. 
Là,  de  nos  passions,  l'image  la  plus  vive, 
Frappe,  enlève  les  sens,  tient  une  âme  captive. 
Le  jeu  des  passions  saisit  le  spectateur; 
Il  aime,  il  hait,  il  craint,  et  lui-même  est  acteur, 
b'un  héros  soupirant  là  chacun  prend  la  place, 
Et  c'est  dans  tous  les  cœurs  que  la  scène  se  passe. 
Le  poison  de  l'amour  a  bientôt  pénétré, 
D'autant  plus  dangereux  qu'il  est  mieux  préparé. 

L'homme   est  longtemps  trompé   par   de    fausses 

[images  ; 
Mais  la  mort  qui  s'approche  écarte  les  nuages. 
Captive  jusqu'alors,  enfin  la  vérité 
Sort  du  fond  de  nos  cames  et  parle  en  liberté 
On  écoute  sa  voix,  on  change  de  langage  : 
De  l'esprit  et  du  temps  ou  regrette  l'usage; 
Regrets  tardifs  d'un  bien  qui  n'est  jamais  rendu  : 
L'esprit  est  presque  éteint,  et  le  temps  est  perdu. 
Ne  perdons  point  le  nôtre.   Heureux  dans  sa  jeu- 

[nesse 
Qui  prévoit  les  remords  de  la  sage  vieillesse  : 
Mais  plus  heureux  encore  qui  sait  les  prévenir, 
El  commence  ses  jours  comme  il  veut  les  finir. 
Ainsi  quoique  à  mes  yeux  le  théàlie  ait  des  char- 
nues, 
Je  fuis  et  ne  veux  point  me  préparer  des  larmes. 

(Louis  Racine.) 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

Al  tant)  tibi  fit  non,  indulyeie  lliealris 


use 


Enervant  animas  cilharœ,  cantusque  lijrœque, 
El  vox  el  numeris  brackia  mola  suis. 

(Ovide.) 

Traité  de  la  Réformation  du  Théâtre,  par 
Louis  Riccobom,  ancien  acteur  italien,  nou- 
velle édition;  Paris,  1767.  Cette  édition  est 
pareille  à  celle  de  1743.  Cet  auteur  dit  dans 
la  préface  que  son  plan  de  réformation  ne 
devrait  avoir  lieu  que  dans  le  cas  qu'il  ne 
serait  pas  possible  de  supprimer,  sans  des 
inconvénients,  les  théâtres  dans  une  grande 
ville. 

Mais  ce  plan  de  réformation  se  ressent  de 
la  difficulté  de  réformer  des  théâtres,  dont, 
dit  Riccoboni,  les  pièces  les  plus  modestes 
sont  fort  au-dessous  de  la  pureté  des  meil- 
leures pièces  de  Plante.  Aussi  cet  auteur 
croil-il  avec  raison  que  son  plan  est  encore 
susceptible  de  réformation.  «  J'exclus,  dit-il, 
tout  à  frtit  la  passion  de  l'amour  des  pièces 
qu'on  écrira  pour  le  théâtre  réformé.  Je 
prétends  aussi  abolir  entièrement  la  danse 
des  femmes.  Mais  mon  système,  toute  pro- 
portion gardée,  pourrait  être  comparé  à  celui 
de  Platon  par  rapport  h  sa  république.  11 
aurait  fallu,  pour  la  peupler,  que  ce  philo- 
sophe eût  créé  des  hommes  nouveaux;  et 
pour  fonder  le  théâtre  que  je  propose,  il 
faudrait  pétrir  des  hommes  d'une  pâte  toute 
nouvelle.  Il  est  impossible  que  des  specta- 
teurs qui  n'ont  jamais  connu  d'autres  spec- 
tacles (pie  ceux  où  l'amour  sert  de  base,  où 
celle  passion  anime  les  inlrigues,  où  elle 
détermine  presque  les  caractères,  où  enfin 
les  épisodes  et  la  diction  ne  respirent  que 
l'amour;  il  est  impossible,  dis-je,  que  de 
tels  spectateurs  adoptent  précisément  le 
contraire  et  ne  soient  pas  révoltés  par  mon 
système.  » 

Au  reste,  cet  auteur  indique  la  voie  la 
plus  sûre  pour  faire  tomber  le  goût  de  nos 
spectacles  tels  qu'ils  sont;  c'est  d'élever  les 
jeunes  gens  de  manière  qu'ils  ne  s'exposent 
jamais  à  y  aller.  C'est  en  effet  à  la  mauvaise 
éducation  qu'il  faut  attribuer  la  corruption 
des  mœurs. 

«  Communément  jusqu'à  l'âge  de  dix  ans, 
dit  Riccoboni,  les  enfants  sont  très-hion 
élevés  ;  depuis  dix  ans  jusqu'à  quinze,!  édu- 
cation faiblit,  et  les  enfants  commencent  à 
être  gâtés,  souvent  môme  par  leurs  pères  et 
par  leurs  mères:  enfin  depuis  quinze  ans 
jusqu'à  vingt,  les  jeunes  gens,  maîtres  de 
leurs  actions,  achèvent  eux-mêmes  de  se 
corrompre. 

«  Les  parents  sont,  pour  l'ordinaire,  plus 
occupés  de  l'apparence,  de  l'extérieur,  que 
du  fond  et  de  l'essentiel  de.  l'éducation  de 
leurs  enfants.  On  ne  s'attache  à  leur  ap- 
prendre que  la  politesse,  les  belles  manières 
et  l'usage  du  monde;  en  sorte  qu'à  dix  ans, 
ils  sont  en  état  de  paraître  dans  ce  qu'on 
appelle  les  meilleures  compagnies  où  on  a 
grand  soin  de  les  présenter.  C'est  là  qu'ils 
entendent  parler  de  toutes"  sortes  de  ma- 
tières qui  peuvent  ou  exciter  leur  curto- 
silé,   ou  développer   les  germes  de  leurs. 


Uët 


NOTICE  SUR  LE  TiihATRb  MURE. 


1182 


passions.  El  c'est  la  que  clans  un  âge  encore 
tendre  et  .c-i  susceptible  des  impressions  du 
vice,  ils  commencent  à  le  connaître  et  à  se 
familiariser  avec  lui. 

«  Ces  principes  de  corruption  reçoivent 
une  nouvelle  force  des  spectacles  publics, 
où  les  pères  et  les  mères  ont  l'imprudence 
de  s'empresser  de  conduire  leurs  enfants  de 
l'un  et  l'autre  sexe.  Or,  quelles  atteintes 
mortelles  ne  doivent  pas  donner  à  leur  in- 
nocence le  nombre  intini  de  maximes  em- 
pestées qui  se  débitent  dans  les  tragédies, 
dans  les  opéras,  et  les  expressions  et  les 
images  licencieuses  que  présentent  les  co- 
médies. Ils  ne  les  effacent  jamais  de  leur 
mémoire....  Ils  y  voient  des  grands,  des 
personnes  élevées  en  dignité,  des  vieil- 
lards, etc. ,  y  applaudir.  Ils  s'imaginent  que 
tout  ce  qu'on  leur  expose  est  à  retenir....  J I s 
agissent  enconséquence  lorsqu'ils  jouissent 
de  leur  liberté,  et  les  voilà  corrompus  dans 
le  cœur  et  dans  l'esprit  pour  le  reste  de 
leur  vie....  Mais,  dit-on,  quel  inconvénient 
y  a-t-il  qu'ils  entendent  parler  de  la  passion 
de  l'amour,  il.  faut  bien  qu'ils  la  connais- 
sent tôt  ou  tard?  C'est  ce  que  je  suis  très- 
éloigné  de  croire.  On  doit  toujours  ignorer 
le  libertinage.  Mais  quand  cette  passion 
serait  traitée  avec  plus  de  réserve  sur  le 
théâtre,  il  n'y  aurait  pas  moins  d'inconvé- 
nient, et,  si  j'ose  le  dire,  moins  de  cruauté  à 
leur  donner,  surune  matière  si  délicate,  des 
leçons  prématurées  et  infiniment  dange- 
reuses, et  à  leur  faire  courir  le  risque  de 
perdre  leur  innocence  avant  même  qu'ils 
sachent  quel  est  son  prix  et  combien  cette 
perte  est  affreuse  et  irréparable.  Mais  les 
parents  s'inléresseront-ils  à  leur  conserver 
cette  vertu,  s'ils  n'en  connaissent  pas  eux- 
mêmes  le  prix  ?  Néanmoins,  ils  sont  ensuite 
au  désespoir  quand  leurs  enfants  donnent 
dans  des  désordres  préjudiciables  à  leur  for- 
tune. » 

Essai  sur  les  moyens  de  rendre  la  comédie 
utile  aux  mœurs,  par  M.  B*;  Paris,  1767. 

Cet  écrit  se  trouve  joint  à  la  dernière 
édition  de  l'ouvrage  précédent.  L'auteur 
soutient  que  toutes  nos  comédies  n'ont  pas 
atteint  le  véritable  but  de  la  comédie,  qui, 
dans  son  essence,  est  une  satire  des  mœurs 
capable  de  les  corriger.  Il  propose  des 
moyens  de  réformera  cet  égard  notre  théâ- 
tre, mais  en  même  temps  il  convient  de 
1  impossibilité  d'y  réussir  relativement  au 
mauvais  goût  de  notre  nation,  «  qu'on  ne 
peut,  dit-il,  amuser  qu'en  n'introduisant 
sur  le  théâtre  que  des  personnages  plutôt 
semblables  à  des  marionnettes  qu'à  des 
hommes.  » 

Causes  de  la  décadence  du  goût  sur  le 
théâtre;  Paris,  1768. 

Il  n'est  question  dans  cet  ouvrage  que 
d'observations  littéraires;  néanmoins,  elles 
font  connaître  que  l'auteur  n'ignore  pas 
qu'il  y  a  des  risques  pour  les  mœurs  à  fré- 
quenter les  spectacles.  Il  pense  que  la  plu- 
part des  spectateurs  ne  s'y  portent  que  pour 
y  perdre,  par  une  foule  de  distractions  et 
d'amusements,  un  temps  qui  est  pour  eux 


un  fardeau  insupportable.  Il  impute  aux 
comédiens  d'être  la  principale  cause  de  tous 
les  reproches  que  les  moialistes  font  aux 
théâtres  publics.  Il  déclame  contre  l'en- 
thousiasme avec  lequel  presque  tous  les 
amateurs  des  spectacles  parlent  des  comé- 
diens. H  ne  pense  pas  qu'un  étal  qui,  rela- 
tivement à  ses  fonctions,  ne  saurait  être 
embrassé  que  par  l'indigence  et  le  liberti- 
nage, puisse  jamais  cesser  d'être  honteux. 
Et  à  l'égard  de  ce  qu'on  dit  vulgairement 
qu'on  peut  exercer  cette  profession  sans 
déroger,  il  répond  qu'il  en  est  de  même  de 
plusieurs  autres  actions  qu'un  gentilhomme 
a  la  faiblesse  de  se  permettre  sans  qu'il  en 
résulte  une  dérogation  légale,  mais  qu'il 
n'encourt  pas  moins  le  mépris  des  gens 
honnêtes;  que  c'est  ridiculement  que  des 
personnes  prétendent  relever  la  profession 
de  comédien,  sous  prétexte  que  Louis  XIV 
joua  dans  sa  jeunesse  avec  les  acteurs  do 
l'Opéra  quelques  rôles  dans  des  ballets; 
que  d'ailleurs  ce  monarque,  comme  ledit 
M.  de  Voltaire,  en  reconnut  les  inconvé- 
nients quand  il  eut  conçu  l'idée  de  la  véri- 
table grandeur. 

De  l'art  du  théâtre  en  général,  où  il  est 
parlé  de  différents  genres  de  spectacles  et  de 
la  musique  adaptée  au  théâtre;  Paris,  1769. 

Nougaret,  à  qui  l'on  attribue  cet  ouvrage 
didactique,  paraît  très-amateur  des  specta- 
cles. Il  exagère  beaucoup  leurs  avantages, 
lorsqu'il  dit . 

«  H  est  démontré  que  la  tragédie  et  la  co- 
médie sont  l'école  des  mœurs  ;;  les  hommes 
viennent  s'y  instruire  en  s'amusant.  On  leur 
doit  les  progrès  de  l'esprit  et  peut-être  ceux 
de  la  vertu.  Lorsqu'un  peuple  est  plongé 
dans  la  barbarie  ,  il  ignore  ce  qu'on  entend 
par  spectacle;  mais  à  mesure  qu'il  se  polit , 
on  le  voit  caresser  les  muses  et  courir  en 
foule  au  théâtre.  » 

Ces  assertions  dérivent  d'une  passion  fa- 
vorite qui  trouble  J'équilibre  et  l'harmonie 
du  cerveau.  Cependant  cet  auteur  ne  se 
livre  pas  à  son  zèle  jusqu'à  s'aveugler  sur 
les  défauts ,  les  dangers  et  la  corruption 
actuelle  de  nos  théâtres.  Il  convient  que  ce 
qu'il  appelle  gens  à  préjugés ,  c'est-à-dire  les 
ennemis  des  spectacles ,  ont  quelque  appa- 
rence de  raison.  Voici  quelques-unes  de  ses 
réflexions. 

«  On  sait  ,  comme  le  dit  M.  Nadal  dans 
la  Préface  de  la  tragédie  de  Marianne  , 
qu'on  ne  peut  faire  réussir  une  pièce  dra* 
matique  qu'en  flattant  les  passions  des  cœurs 
corrompus.  Peut-être  même  qu'en  recher- 
chant la  mécanique  de  celles  de  nos  pièces 
qui  ont  fait  le  plus  de  bruit,  on  trouvera 
que  c'est  en  elles  un  fond  de  ce  môme  liber- 
tinage qui  produit  dans  la  représentation  je 
ne  sais  quelle  espèce  d'illusion  et  d'ensor- 
cellement; et,  si  l'on  se  plaît  aux  specta- 
cles les  plus  tragiques,  quelque  déchirement 
qu'ils  fassent  éprouver  à  l'âme  sensible  , 
n'est-ce  point,  comme  le  dit  l'abbé  Dubos, 
parce  q.ue  le  cœur  est  ennemi  du  repos  qui 
le  fait  tomber  dans  l'indolence,  dans  une 
langueur  insipide  ?  Et  alin  de  s'occuper,  il 


#183 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1134 


se  remplit  de  passions  tristes  ou  enjouées  ,      Puisqu'on  tolère  de  telles  licences  ,  que  ne 
peu  lin  importe,  pourvu  qu'elles  le  retirent     devons-nous  pas  attendre  à  voir  représen- 


du  désœuvrement 

«  La  magie  du  spectacle,  dit  Nougaret  , 
la  vue  des  actrices,  les  femmes  qui  remplis- 
sent les  loges  ,  tout  nous  porte  assoz  à  l'a- 
mour sans  qu'il  soit  nécessaire  de  composer 
des  drames  dont  l'intrigue  agréable  et  ga- 
iante  ,  Je  style  léger  et  délicat  nous  invitent 
à  nous*  livrer  à  cette  passion.  Je  fais  une 
remarque  :  je  suis  un  des  premiers  poêles 
qui  ,  en  parlant  de  drames  ,  ait  averti  d'en 
bannir  la  licence. 

Je  ne  puis  estimer  ces  dangereux  auteurs, 
Qui  de  l'honneur  en  vers,  infâmes  déserleurs, 
Trahissant  la  vertu  sur  un  papier  coupable, 
Aux  yeux  de  leurs  lecteurs  rendent  le  vice  ai- 

[mahle. 

(Despréaux,  Art  poétique.) 

«  Il  faudrait  que  les  auteurs  ,  surtout 
ceux  qui  travaillent  pour  le  théâtre,  n'eus- 
sent rien  à  voiler.  La  comédie  et  la  tragédie 
mettent  toujours  l'amour  en  jeu  ;  mais  le 
spectacle  moderne,  c'est-à-dire  le  Théâtre- 
Italien  (709) ,  met  dans  ses  opéras  bouffons, 
dans  ses  comédies  à  ariettes,  l'indécence  eu 
action,  ou  du  moins  peu  s'en  faut. 

«  Tout ,  dans  les  drames  de  ce  théâtre , 
conspire  à  faire  rougir  la  pudeur.  Le  sujet 
est  contre  la  décence.  L'intrigue  et  l'action 
forment  des  images  révoltantes,  les  détails 
respirent  la  passion  même  ;  en  un  mot  , 
tout  peint  et  célèbre  la  volupté.  On  la  fait 
pénétrer  par  les  yeux  et  par  les  oreilles 
jusque  dans  le  fond  de  l'âme.  L'harmonie 
d'une  musique  voluptueuse  achève  de  por- 
ter i'ivresse  dans  les  sens  des  spectateurs. 
Je  doute  que  les  sybarites  aient  eu  des 
spectacles  plus  dignes  de  'leur  mollesse  et 
des  passions  auxquelles  ils  s'abandon- 
naient   On  met  dans  les  scènes  ces  petits 

airs  coupés  qui ,  dit  M.  de  Voltaire  ,  inter- 
icmpent  l'action  et  font  valoir  les  frétions 
d'une  voix  efféminée,  mais  brillante  aux 
dépens  de  l'intérêt  et  du  bon  sens.  On  y 
multiplie  ces  ariettes  qui ,  comme  le  dit  M. 
J.-J.  Rousseau ,  ne  sont  qu'un  misérable 
jargon  criminel  qu'on  est  bienheureux  de 
ne  pas  entendre,  une  celleclion  faite  au 
hasard  d'un  très-petit  nombre  de  mots  so- 
nores que  notre  langue  peut  fournir,  tour- 
nés et  retournés  eu  toutes  les  manières  , 


ter  (710)  ?  » 

Le  même  auteur  se  plaint  aussi  du  ca- 
ractère de  nos  opéras. 

«  Les  héros  de  la  scène  lyrique,  dit-il, 
sont  trop  tendres  et  trop  langoureux;  ils 
sont  remplis  de  maximes  d'amour  qui  ré- 
voltent les  gens  scrupuleux.  » 

On  sait  que  Boileau  a  bien  peint  la  sé- 
duction de  ce  théâtre,  lorsque,  dans  sa  di- 
xième satyre  ,  il  en  décrit  les  funestes  et 
inévitables  influences  sur  la  femme  la  plus 
pure  qu'on  y  conduirait.  Personne  n'ignore 
cette  description  ,  mais  peut-on  se  refuser 
de  la  comprendre  dans  cette  nuée  de  témoi- 
gnages qu'on  a  rassemblés  ici  contre  les 
théâtres  ? 

Par  toi-même  bientôt  conduite  à  l'Opéra, 

De  quel  air  penses-tu  que  ta  sainte  verra 

D'un  spectacle  enchanteur  la  pompe  harmonieuse, 

Ces  danses,  ces  héros  à  voix  luxurieuse; 

Entendra  ces  discours  sur  l'amour  seul  roulants, 

Ces  doucereux  Renauds,  ces  insensés  Rolands, 

Saura  d'eux  qu'à  l'amour,  comme  au  seul  Dieu  su- 

[prême , 
On  doit  immoler  tout,  jusqu'à  la  vertu  même. 
Qu'on  ne  saurait  trop  tôt  se  laisser  enflammer, 
Qu'on  n'a  reçu  du  ciel  un  cœur  que  pour  aimer; 
Et  tous  ces  lieux  communs  de  morale  lubrique, 
Que  Lulli  réchauffa  des  sons  de  sa  musique? 
Mais  de  quels  mouvements,  dans  son  cœur  excités, 
Senlira-t-elle  alors  tous  ses  sens  agités? 
Je  ne  te  réponds  pas  qu'au  retour,  moins  timide, 
Digne  écolière  enfin  d'Angélique  eld'Armide, 
Elle  n'aille  à  l'instant,  pleine  de  ces  doux  sons, 
Avec  quelque  Médor  pratiquer  ces  leçons. 

L'auteur  de  VArt  du  théâtre ,  en  parlant 
de  la  musique  voluptueuse  de  nos  specta- 
cles ,  donne  incidemment  aux  femmes  un 
avis  très-sage. 

«  J'ose  ,  dit-il  ,  conseiller  aux  dames  , 
malgré  tous  les  avantages  qu'elles  en  reti- 
rent,  de  ne  se  livrer  qu'avec  réserve  à  l'é- 
tude du  chant.  Mézerai  a  dit  qu'Anne  de 
Boulen  ,  femme  de  Henri  VIH  ,  savait  trop 
bien  chanter  pour  être  sage.  Cet  historien 
avait-il  si  grand  tort  de  faire  un  tel  juge- 
ment d'Anne  de  Boulen  ?  Il  est  désagréable 
de  s'exposer  à  de  pareils  soupçons.  Il  est  vrai 
qu'on  peut  avoir  une  très-belle  voix  et  ai- 
mer la  vertu.  La  musique  n'est  pas  tout  à 
fait  incompatible  avec  la  sagesse  ;  mais  les 


excepté  de  celle  qui  pourrait  leur  donner  dangers  auxquels  elle  expose  une  jeune 
du  sens.  C'est  sur  ces  impertinents  amphi-  femme  doivent  la  lut  faire  craindre.  Celle 
gouris  que  nos  musiciens  épuisent  leur  qui  possède  un  organe  flatteur  en  tire  bien- 
goût  et  leur  savoir,  et  nos  acteurs  leurs  tôt  vanité.  Les  applaudissements  qu'on  lui 
gestes  et  leurs  poumons.  C'est  sur  ces  mor-  prodigue  la  remplissent  d'orgueil.  On  s'a- 
ceaux  extravagants  que  nos  femmes  se  pâ-  perçoit  de  son  faible ,  on  la  loue  avec  en- 
menl  d'admiration.  Voilà  quel  est  ce  théâ-  thousiasme;  l'éloge  séduit,  et  la  tête  tourne, 
tre  qu'on  fréquente  chaque  jour,  qu'on  ap-  D'ailleurs,  à  force  de  répéter  des  chansons 
plaudit  ,   qu'on    élève  jusqu'aux    nues....  tendreset  voluptueuses,  le  cœur  s'enflamme; 


(703)  On  sait  que  ce  théâtre  fut  dès  son  origine 
fort  enclin  aux  indécentes  bouffonneries.  11  est  rap- 
porté dans  la  Gazette  de  France  du  17  mai  16'J7 
«  que  Louis  XIV  le  proscrivit,  parce  que  l'on  n'y 
gardait  pas  les  règlements,  que  l'on  y  jouait  des 
pièces  licencieuses,  ci  que  l'on  ne  s'y  élait  pas  cor- 
rigé des  obscénités  et  des  gestes  indécents;  que 


quelques  personnes  de  la  première  qualité,  protec- 
teurs de  la  Comédie  Italienne,  avaient  agi  auprès 
du  roi  pour  la  révocation  de  son  édit  contre  elle, 
mais  que  leurs  démarches  furent  inutiles. 

(710)  Celle  peinture  du  Tlicâlre-llalien  juslilie  ce 
qui  a  été  dit  dans  la  première  Lettre. 


i |83  NOTICE  SUR  LE 

l'on  est  moins  révoltée  de  s'entendre  adres- 
ser ce  que  l'on  prononce  tous  les  jours  avec 
sentiment,  et  il  arrive  souvent  que  la  mou- 
rante sagesse  d'une  jeune  personne  jette  le 
dernier  soupir  lorsqu'elle  ne  croit  encore 
que  fredonner  une  chanson.  » 

«  La  musique,  dit  Corneille  Agrippa,  est 
des  plus  propres  et  chéries  chambrières  du 
vice;  avec  la  douce  voix  et  le  venin  em- 
miellé des  chants,  sons  et  accords  volup- 
tueux de  ses  instruments,  elle  enflamme  les 
désirs  déréglés  et  *ôte  toute  force  et  toute 
vertu  à  l'esprit ,  et  corrompt  en  toute  las- 
civeté  et  délices;  pervertit  les  bonnes  mœurs, 
excite  impétueusement  les  cupidités  et  af- 
fections déshonnêtes.  » 

Au  reste,  on  s'est  expliqué  sur  l'.nom- 
mage  que  l'on  doit  à  !a  musique  ,  dont  l'in- 
vention doit  être  môme  considérée  comme 
un  présent  que  l'Auteur  de  la  nature  nous 
a  fait  pour  l'employer  à  chanter  sa  gloire, 
à  lui  exposer  nos  besoins  ,  à  le  remercier  de 
ses  dons  ,  à  manifester  notre  joie  dans  la 
prospérité,  à  dissiper  nos  chagrins  dans 
nos  afflictions  ,  à  soulager  nos  peines  dans 
nos  travaux  ,  à  exciter  enfin  l'ardeur  mar- 
tiale dans  le  cœur  des  combattants  :  Quid 
autem  aliud  in  nostris  legionibus  cornua  ac 
tubœ  faciunl  ?  Quorum  concentus  qnanto  est 
vehementior  tanto  Romana  in  bellis  gloria  cœ- 
teris  prœstal  (711).  11  est  vrai  que  l'abus  do 
la  musique,  presque  aussi  ancien  que  son 
invention  ,  a  fait  ,  dit  Rollin ,  plus  d'imita- 
teurs de  Jubal  (712)  que  de  David  ;  mais  il 
faut  reconnaître  avec  Plutarque  que  tout 
homme  de  bon  sens  n'imputera  jamais  aux 
sciences  mêmes  ce  qu'on  ne  doit  attribuer 
qu'aux  dispositions  vicieuses  de  ceux  qui 
les  corrompent. 

Dissertation  sur  les  spectacles ,  par  M. 
Rabelleau;  Paris,  1769.  —  Cet  auteur  pro- 
pose sérieusement  do  faire  de  la  profession 
de  comédien  une  espèce  de  milice  que 
chaque  citoyen  serait  obligé  d'exercer  avant 
d'être  admis  à  aucune  place  publique  à  la 
cour,  dans  le  ministère  et  dans  la  magistra- 
ture. Ce  projet,  tout  ridicule  qu'il  est,  a 
pour  motif  l'impossibilité  de  réformer  les 
comédiens  de  profession.  Rabelleau  leur  re- 
proche d'être  seuls  la  cause  de  la  corruption 
actuelle  des  théâtres.  «  Une  troupe  de  gens, 
dit-il  ,  faisant  métier  de  renoncer  à  tous  pa- 
rents ,  à  toute  patrie  et  de  courir  de  ville  en 
ville,  jouant  la  comédie  pour  de  l'argent , 
tous  les  jours  indistinctement  devant  des 
gens  que  le  désœuvrement,  la  dissipation 
et  le  hasard  y  conduisent.  Ces  comédiens, 
ne  jouassent-ils  d'abord  que  des  pièces  les 
plus  épurées,  entraîneront  nécessairement 
avec  eux  le  désordre,  la  licence  et  le  re- 
lâchement des  mœurs  qui  règne  toujours  au 
milieu  de  la  multitude.  Eu  vain  les  souve- 
rains rendront  dos  édits  en  leur  laveur,  ils 
n'en  profiteront  pas.  » 


TI1EATHF.  LIHUE. 


U8o 


Mais  on  peut  assurer  à  Kaholleau  que  , 
quand  son  projet  serait  exécutable  ,  le  théâ- 
tre n'en  serait  pas  moins  nuisible  aux 
mœurs.  Il  serait  toujours  question  d'y  amu- 
ser la  multitude  des  désœuvrés;  ainsi  la 
cause  première  de  la  corruption  des  specta- 
cles subsisterait. 

Les  poètes  dramatiques,  comme  l'observe 
Garnier  (713)  ,  ne  veulent  point  travailler 
sans  succès.  «  Us  savent  que  l'accueil  do 
«  leurs  drames  dépend  du  suffrage  déjeunes 
«  femmes  ou  de  jeunes  gens  inappliqués, 
«  qui  n'accourent  au  théâtre  que  pour  se 
«  procurer  des  sensations  agréables.  Les 
«  choses  sérieuses  leur  paraîtraient  froides, 
«  et  les  vérités  fortes  les  écraseraient.  » 

Jean  Racine  était  bien  capable  de  se  met- 
tre au-dessus  des  idées  de  son  siècle  et  de 
ne  travailler  que  dans  un  goût  qui  pût  lui 
mériter  dans  tous  les  temps  l'approbation 
des  sages.  Néanmoins  il  eut  pendant  plu- 
sieurs années  la  faiblesse  de  vouloir  plaire 
aux  personnes  futiles.  On  sait  la  réponse 
qu'il  fit  au  célèbre  Arnaud  qui  lui  taisait 
des  reproches  sur  ce  qu'il  avait  l'ait  JJip- 
polyle  amoureux  :  Eh  !  Monsieur ,  lui  dit 
Racine,  sans  cela  qu'auraient  dit  nos  petits 
maîtres  ? 

Voilà  pourquoi  nous  voyons  nos  poètes 
dramatiques  mettre  en  usage  toutes  les  res- 
sourcesde  leur  génie,  pour  retracer  aux  spec- 
tateurs les  moments  les  plus  agréables  de 
leu-r  vie  licencieuse.  «  On  aime,  dit  Gar- 
nier (71i)  à  se  retrouver  dans  leurs  peintu- 
res, à  comparer  ce  qu'on  a  quelquefois 
senti  au  dedans  de  soi-même.  On  se  livre 
aux  impressions  qne  la  magie  dramatique 
fait  éprouver.  On  apprend  par  cœur  'les 
poèmes,  on  dresse  des  théâtres  et  op.  de- 
vient des  comédiens.  Ainsi  ce  qu'un  auteur 
satyrique  disait  d'un  peuple  s'est  réalisé 
de  nos  jours  :  Natio  comœda   est.  » 

Cette  réllexion  de  Garnier  n'est  que  trop 
véritable.  La  passion  pour  les  représenta- 
tions dramatiques  n'est -elle  pas  portée 
jusqu'au  point  qu'une  salle  de  théâtre  est 
presque  devenue  comme  un  besoin,  au 
moins  à  la  campagne  ?«  Cette  sorte  d'amu- 
sement, dit  l'abbé  Clément  (715),  est  un 
nouvel  artifice  mis  à  !a  mode  dans  notre 
siècle,  sans  doute  pour  arracher  tout  à  fait 
un  reste  de  répugnance  qu'on  avait  jusqu'à 
présent  conservé  pour  le  théâtre  et  ses  ac- 
teurs; mais  surtout  infaillible  moyen  de 
remire  la  séduction  plus  certaine  encore 
et  plus  prompte,  en  imprimant  pins  forte- 
ment des  passions  dans  lesquelles  on  est 
obligé  de  mieux  enlrer  pour-  les  représen- 
ter soi-même,  en  donnant  plus  de  liberré 
et  de  hardiesse  à  parler  le  langage  de  la 
volupté,  en  mettant  dans  l'occasion  la  plus 
prochaine  d'inspirer  et  de  prendre  des  sen- 
timents, mieux  réglés  peut-être  dans  leur 
objet,  mais  aussi  déréglés  dans   leur  prin- 


(711)  Qli.ntiv.,  .'ih.  i,  cap.  10. 

(512)  Jubal,  l'un  des  descendants  du  chef  des  im- 
pies, ccsi-à-dirc  île  Caîn,  esl  donné  po.ir  l'invenleur 
de  ce  genre  de  musique.,  asservi  ans  objets  des  lias- 


sions. 


(715)  Dans  son  Traité  de  Vêdvtciitïon  civile. 
(7 IV)  Dans  son  Z'raiiè  de  {'éducation  civile 
(715)  Dans  son  Sermon  sur  Us  spectacles. 


«187 


DICTIONNAIRE  DES  MYbîEKES. 


1188 


cipe  et  communément  plus  dangereux  dans 
leurs  suites ,  désordre  qui  fut  déploré  par.des 
du    paganisme  comme    le  présage  le 


sages 


plus  certain  de  la  prochaine  et  de  l'entière 
décadence. 


contre  le  privilège  que  l'ordre  du  clergé» 
toujours  eu  d'occuper  dans  l'Etat  le  pre- 
mier rang.  Il  attribue  les  censures  de  l'E- 
glise contre  les  spectacles  a  une  jalousie 
des  prêtres  qui,  dit-il  page  309,  ne  devaient 


Tout   projet  de  réformation  de  nos  spec-     pas  laisser  partager  le  droit  de  représenter 

qui  leur  appartient  éminemment  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  cultes. 

On  sait  que  l'autorité  des  rois  est  une 
participation  de  l'autorité  de  Dieu ,  de 
même  que  celle  de  leurs  ministres  poli- 
tiques et  judiciaires  est  un  écoulement  de 
l'autorité  royale.  On  sait  aussi  que  le  mi- 
nistère sacerdotal  est  un  moyen  choisi  de 
Dieu  pour  transmettre  son  autorité  à  l'E- 
glise, pour  être  le  canal  de  ses  grâces  et 
pour  lui  porter  nos  vœux,  nos  prières 
et  nos  sacrifices. 

Ces  pricipes  incontestables  et  précieux  à 


tacles  sera  toujours  sans  effets  dans  des 
temps  où  i.  n'y  a  que  les  objets  licencieux 
qui  enchantent  et  qui  séduisent.  Le  carac- 
tère du  siècle  où  nous  vivons  est  suffisam- 
ment élabli  par  la  témérité  avec  laquelle 
on  offre  au  public  les  ouvrages  les  plus 
scandaleux  et  les  plus  impies.  En  voici  un 
de  celte  espèce  sur  la  matière  des  spec- 
tacles. C'est  un  arsenal  d'impiété,  arinenta- 
rium  impielatis.  11  a  pour  titre  :  Le  Mimo- 
graphe,  ou  Idées  d'une  honnête  femme  pour 
la  réformation  du  théâtre  national;  Amster- 
dam, 1770. 


C'est    une    espèce  de  roman   épistolaire     conserver  dans  toute  leur  intégrité  pour  le 

bonheur  des  peuples,  sont  niés  et  insultés 
dans  le  Mimographe,  pag.  302  et  305.  On 
y  donne  comme  des  établissements  odieux 
le  sacerdoce  et  la  royauté.  L'Ecriture  sainte 
y  est  profanée  et  tournée  en  ridicule. 

Est-il  étonnant  que  l'autorité  royale  et 
les  dépositaires  de  la  puissance  ecclésiasti- 
que soient  insultés  dans  des  ouvrages  qui 
méritent  d'éprouver  la  sévérité  des  lois  (719)? 
La  cause  des  théâtres  ne  peut  certainement 
que  paraître  encore  plus   mauvaise  à  des 


dont  le  principal  personnage  est  une  comé- 
dienne. Cet  ouvrage  est  aussi  ridicule,  bi- 
zarre et  ennuyeux  dans  sa  contexture  et 
dans  son  néologisme  que  monstrueux  par 
la  licence  des  idées  et  par  leur  contradic- 
tion. C'est  enfin  un  ouvrage  digne  de  celle 
foule  d'écrivains  obscurs,  qui,  ne  pouvant 
s'illustrer  par  l'éclat  des  talents,  tentent 
de  se  faire  une  réputation  par  la  licence  do 
leurs  écrits. 
L'avertissement  préliminaire   est  terminé 


parcette  proposition  extraite  de  Y  Apologie     gens  sensés,  quand  ils  voient  ses  défenseurs 


de  la  religion,  par  l'abbé  Bergier  :  «  L'ex- 
périence nous  apprend  qu'il  faut  des  spec- 
tacles pour  attacher  le  peuple.  Vue  reli- 
gion, dépouillée  de  tout  culte  extérieur,  ne 
peut  ni  l'affecter  ni  l'instruire.  Les  pro- 
testants ne  s'aperçoivent  que  trop  aujour- 
d'hui des  inconvénients  d'un  culte  trop  dé- 
charné. » 

Cette  proposition  est  relative  à  la  néces- 
sité d'établir  un  culte  extérieur  (710)  qui 
soit  l'expression  et  l'image  d'un  culte  in- 
térieur digne  du  christianisme,  «  qui  est 
une  religion  véritable,  chaste,  sévère,  en- 
nemie des  sens  et  uniquement  attachée  aux 
biens  invisibles  (717.)  » 

Mais  le  Mimographe  ose  abuser  de  la 
proposition  de  Bergier  jusqu'à  en  faire  un 
principe  pour  établir  la  nécessité  d'avoir 
des  spectacles  voluptueux,  comme  si  nous 
étions  dans  l'idolâtrie  «  qui,  dit  Bos- 
suet  (718),  étant  faite  pour  le  plaisir,  faisait 
consister  une  partie  du  culte  diviu  dans 
les  divertissements,  les  spectacles,  et  dont 
les  fêtes  étaient  des  jeux  d'où  l'on  avait 
soin  de  bannir  la  pudeur.  » 

Le  Mimographe  confondant  les  ministres 
de  notre   religion  avec  les  prêtres  des  ido- 


donner  dans  des  excès  aussi  odieux.  C'est 
pour  cette  raison  qu'on  a  cité  quelques- 
unes  des  assertions  de  ce  Mimographe. 

11  n'est  pas  surprenant  que  cet  auteur 
y  déclare,  page  311,  avoir  été  révolté  par 
tous  les  écrits  faits  contre  les  spectacles; 
aussi ,  en  conséquence,  traite-t-il  d'mfer- 
prèles  atrabilaires  de  la  religion  Nicole,  Bos- 
suet,  le  P.  Lebrun,  l'abbé  Clément,  Gres- 
set,  etc.,  etc.  Cependant  il  convient,  page 
373,  que  «  un  Chrétien  ne  peut  se  dissimuler 
que  la  représentation  d'Athalie  et  de  Po- 
lyeucte  est  viciée  sur  les  théâtres  actuels,  et 
qu'en  condamnant  les  spectacles,  le  Chré- 
tien raisonne  conséquemment.  » 

Le  projet  de  réformation  qu'il  propose 
ne  rend  pas  les  théâtres  plus  conciliables 
avec  la  morale  chrétienne.  Il  trouve  impra- 
ticable la  sévérité  de  celui  de  Biccoboni.  Il 
voudrait,  comme  Babelleau,  que  nous  fus- 
sions tous  des  comédiens,  et,  quant  aux 
pièces  dramatiques,  après  en  avoir  exclu 
quelques-unes  comme  licencieuses,  il  re- 
vient à  les  tolérer,  pour  donner,  dit-il,  aux 
pères  et  mères  de  famille  le  moyen  de 
connaître  le  cœur  humain,  d'autant  plus 
que,  selon  lui,  les  peintures  de  l'amour  ne 


les,  les  compare  à  des  comédie-is.  Il  déclame     sont  pas  dangereuses. 


(716)  <  Ciim  lanlo  cœremoniarum  apparaît]  célé- 
brai Ecrlesia  divinum  ofïiciuin  ni  excilelnr  ellicacius 
clirisliaua  plelts  ad  Dei  cullur.i.  >  (Insiii.  calhot., 
pari,  m,  secl.  2,  rap.  U.) 

(717)  Bossuet,  Disc,  sur  Mist.  utiiv. 

(718)  Bossuet,  Disc,  sur  CHist.  unie. 

(719)  Celle  sévérité  a  souvent  été  réclamée  par  les 
premiers  magistrats  chargés  tTarimitter  le  roi  de  ses 
devoirs  J'évêquo  extérieur  de  ses  Euils,  connue  saint 


Rémi  appelait  Clovis.  On  en  trouvera  des  preuves 
récentes  dans  des  extraits  de  deux  réquisitoires  de 
MM.  Joly  deFleury  el  Séguier,  avocats  généraux  du 
parlement  de  Paris.  Ce  sont  des  témoignages  qui 
manifestent  le  zèle  des  magistrats  à  protège/  cl  à 
venger,  au  nom  du  roi,  les  lois  fondamentales  <-!c  la 
religion  et  des  mœurs.  Tutores  sumut  vetus'.ulis  cl 
vinAices,  disait  l'empereur  Jusùuicn. 


1139 


NOTICE  SUR  l-t:  THEATRE  LIBRE. 


1100 


Cette  doctrine  épicurienne  est  réellement 
celle  de  nos  théâtres,  et  on  l'adopte  plus  ou 
moins  en  les  fréquentant.  On  peut  s'en 
procurer  la  preuve  par  le  poërne  des  Saisons 
que  M.  de  Saint-Lambert  donna  en  17<i9;on 
y  trouve  la  description  la  plus  naïve  de 
tous  nos  spectacles.  Ils  paraissent  avoir  été 
peints  d'après  nature;  il  y  a  môme  lieu  de 
croire  que  M.  de  Saint-Lambert  tenait  le 
pinceau  dans  le  moment  de  l'ivresse  de 
leur  séduction.  C'est  sans  doute  cette  sé- 
duction qu'il  a  voulu  exprimer  lorsqu'il 
dit  dans  le  quatrième  chant  : 

L<>s  Muses,  les  amours,  unis  pour  me  séduire, 
M'enlèvent  à  l'instant  dans  un  monde  enchanté, 
Où  tout  vante,  respire  et  peint  la  volupté. 

0  spectacles  divins,  écoles  respectables. 
Du  véritable  honneur,  des  vertus  véritables! 

ils  nous  ont  délivrés  des  gothiques  usages. 
Des  antiques  travers,  du  vernis  des  vieux  âges. 
Us  corrigent  en  nous  ces  défauts,  ces  erreurs, 
Qui  pourraient  altérer  les  chai  nies  de  ros  mœurs. 
Quels  sons  harmonieux,  quels  tableaux  ravissants! 
Tous  les  arts  à  la  fois  séduisent  tous  mes  sens. 

L'auteur  se  ressentait  encorede  ce  funeste 
enchantement,  lorsque  dans  des  notes  de  son 
poërne  fpag.  86  et  168,  etc.)  il  soutient  que 
les  spectacles  tels  qu'il  les  a  peints,  sont 
une  véritable  école  oiï  ion  reçoit  des  leçons 
de  vertu,  où  l'on  apprend  la  saine  philoso- 
phie et  les  vérités  d'usage  ;  qu'il  faudrait  éri- 
ger des  statues  aux  inventeurs  de  ces  plai- 
sirs qui  font  jouir  tout  à  la  fois  tous  nos 
sens,  et  qu'on  doit  dire  avec  Bernier,  que  la 
privation  d'un  seul  plaisir  innocent  est  un 
grand  péché. 

Il  faut  présumer  que  M.  de  Saint-Lam- 
bert n'a  fait  que  prêter  son  génie  poétique 
à  cette  morale  sensuelle,  et  que  de  cœur  il 
tient  à  la  philosophie  de  Despréaux,  dont 
on  va  citer  quelques  vers  pour  faire  oppo- 
sition. 

Le  seul  honneur  solide 

(''est  de  prendre  toujours  la  vérité  pour  guide, 
De  regarder  en  tout  la  raison  et  la  loi. 

El  ce  n'est  qu'en  Dieu  seul  qu'est  l'honneur  véritable. 

(Desi\,  salir.  11.) 

Car  qu'est-ce,  loin  de  Dieu,  que  '.'humaine  sagesse? 

[Ici.,  salir.  lw2.) 


Le  faux  est  toujours  fade,  ennuyeux,  languissant, 
Dieu  n'est  beau  que  par  la  vérité. 

C'est  par  elle  qu'on  plaîl  cl  qu'on  peut  long-temps 

|  plaire. 
(ld.,  épilre  9.) 

Que  votre  âme  et  vos  mœurs,  peintes  dans  vos  ou- 
vrages, 
N'offrent  jamais  de  vous  que  de  nobles  images. 

Un  auteur  vertueux,  dans  ses  vers  innocents, 
Ne  corrompt  point  le  cœur  en  chatouillant  les  sens. 
Son  l'eu  n'allume  point  de  criminelles  flammes; 
Aimez  donc  la  vertu,  nourrissez-en  voire  àme, 


Eu  vain  l'esprit  est  plein  d'une  noble  v'gieur, 
Le  vers  se  seul  toujours  des  bassesses  du  cœur. 

(Art  poé.ique.) 

Jean  Racine  prêtait  l'oreille  aux  instruc- 
tions de   ce  grand   poëte  qui  était   pour  lui 

Un  sage  ami,  toujours  rigoureux,  inflexible, 
Sur  ses  fautes  jamais  ne  le  laissant  paisible. 

En  voici  une  preuve.  Jean  Racine  avait  eu 
la  faiblesse  de  composer  en  faveur  des  théâ- 
tres une  lettre  où  il  avait  mis  toute  la  cha- 
leur d'un  poëte  intéressé  à  défendre  !  hon- 
neur de  ses  lauriers.  Despréaux,  à  qui  il 
Pavait  communiquée,  lui  fit  cette  réponse  : 
Votre  lettre  est  très-bien  écrite,  mais  vous 
défendez  une  très-mauvaise  cause.  Racine 
reconnut  qu'il  est  d'une  belle  âme  de  no 
jamais  compromettre  sa  réputation  par  nuciu 
écrit  dangereux  :  Negligere  quid  de  se  homi- 
nes  (val.  présentes,  vel  posteri)  sentiont 
dissoluti  animi  est.  (Cicer.  De  off.)  Et  no- 
nobstant toute  l'ardeur  de  son  ressentiment 
contre  les  moralistes  qu'il  avait  alors  pour 
adversaires,  il  déchira  sa  lettre  en  présenco 
de  Despréaux. 

Tel  aurait  été  le  sort  de  toutes  les  apolo- 
gies des  spectacles,  si  leurs  auteurs  avaient 
sincèrement  consulté  des  gens  de  lettres 
qui  eussent  une  teinte  de  ce  qu'on  appelle 
présentement  le  vernis  des  vieux  âges,  c'est-à- 
dire  un  jugement  sain,  un  respect  pour  les 
lois  divines  et  humaines,  en  un  mot,  du 
zèle  pour   les    mœurs. 

Toutes  ces  apologies  ne  sont  établies  que 
sur  la  coutume  et  l'amour  du  plaisir.  Tout 
l'art  de  leurs  auteurs  ne  consiste  qu'à  éblouir 
par  des  subtilités  et  des  sophismes.  On  sait 
que  l'erreur  n'a  pas  d'autres  armes  à  em- 
ployer. Il  n'en  est  pas  de  même  des  écrits 
qui  combattent  le  théâtre,  lis  sont  fondés 
sur  la  raison,  sur  l'intérêt  des  bonnes  mœurs 
et  sur  la  religion,  trois  sources  d'arguments 
invincibles.  Ne  pourrait-on  pas  encore  citer 
en  preuve  le  témoignage  intérieur  d'un 
grand  nombre  de  ceux  qui  fréquentent  les 
spectacles?  On  en  voit  qui  ont  assez  do 
bonne  foi  pour  se  condamner  eux-mêmes, 
plutôt  que  la  vérité,  et  qui  disent  ingénu- 
ment :  je  désapprouve  ce  que  j'ai  la  faiblesse 
de  me  permettre  : 

Video  meliora,  proboque. 

Détériora  iequor 

Enfin,  concluons:  «  Le  spectacle  tel  qu'il 
est,  »  dit  Le  Franc  (720),  «  n'étant  pas  à  beau- 
coup près  un  lieu  sûr  pour  la  sagesse  et  pour 
la  vertu  ;  et  les  acteurs  de  ce  spectacle  étant 
toujours  dans  les  liens  de  l'excommunica- 
tion, un  auteur  élevé  dans  la  morale  chré- 
tienne ne  saurait,  sous  quelque  prétexte 
que  ce  soit,  ni  par  quelque  ouvrage  que  ce 
puisse  être,  concourir  au  soutien  du  théâ- 
tre, sans  se  rendre  lui-même  responsable 
des  inconvénients  et  des  abus  qui  y  sont  at- 
tachés, ni  contribuer  à  l'entretien  des  ac- 
teurs, sans  partager  le  mal  qu'ils  causent  et 


(720)  De  l'Académie  française. 
Lettre  à  L.  /(«<  ine.) 


ancien  président  de    la  Cour  de»   aides  de   Montauban.   (Voyez  sa 


s  m 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


H92 


celui  qu'ils  font....  On  s'efforce  depuis  long- 
temps de  réduire  en  problème  théologique 
cette  question  :  si  c'est  un  péché  d'aller  à  la 
comédie.  On  ne  manque  pas  d'appuyer  la  néga- 
tive de  toutes  les  distinctions  possibles,  de 
toutes  lesconditionscapablesde  rassurer.On 
exige  qu'il  n'y  ait  rien  de  déshonnête,  ni  de 
criminel  dans  la  pièce;  que  celui  qui  va  au 
spectacle  n'y  apporte  point  de  penchant  au 
vice, ni  uneâmefacile  à  émouvoir  ;  qu'il  y  soit 
maître  de  son  cœur,  de  ses  pensées,  de  ses  re- 
gards; que  rien  de  ce  qu'il  entend,  que  rien 
de  ce  qu'il  voit  ne  soit  pourlui  une  occasion 
•Je  chute  ni  de  tentation.  Cette  théorie  est 
certainement  admirable.  Qui  me  répondra 
de  la  pratique?  Sera-ce  notre  casuiste?  Qu'il 
aille  plutôt  à  la  comédie.  Au  retour  je  m'en 
rapporte  à  lui.  » 

Le  Franc  propose  le  défi  avec  trop  de  con- 
fiance pour  qu'il  soit  prudent  de  l'accepter. 
Il  faut  donc  conclure  pour  l'affirmative  du 
problème.  Bussy-Rabutin  en  résolut  un  au- 
tre du  même  genre,  dans  une  lettre  qu'il 
écrivit  à  M.  de  Hoquette,  évoque  d'Autun. 
Il  est  question  des  bals.  On  sait  qu'il  avait 
titre  pour  avoir  autorité  consultative  sur 
cette  matière.  Sa  lettre  ne  sera  pas  ici  une 
pièce  disparate  ;  on  va  donc  la  rapporter. 
Kl  le  se  trouve  dans  le  quatrième  tome  du 
recueil  de  ses  Lettres,  édition  d'Amster- 
dam, 1738. 

«  De  Chaseu  ce  25  juin  1677. 

«  J'ai  lu,  Monsieur,  l'avis  sur  les  bals  que 
vous  m'avez  envoyé  ;  et  puisque  vous  sou- 
haitez de  savoir  ce  que  j'en  pense,  je  vous 
dirai  que  je  n'ai  jamais  douté  qu'ils  ne  fus- 
sent très-dangereux.  Ce  n'a  pas  été  seule- 
ment ma  raison  qui  me  l'a  t'ait  croire,  c'a 
encore  été  mon  expérience  et  quoique  le 
témoignage  des  Pères  de  l'Eglise  soit  bien 
loi  t,  je  liens  que  sur  ce  chapitre  celui  d'un 
courtisan  sincère  doit  être  d'un  plus  grand 
poids.  Je  sais  bien  qu'il  y  a  des  gens  qui 
courent  moins  de  hasard  en  ces  lieux-là  que 
d'autres  ;  cependant  les  tempéraments  les 
dIus  froids  s'y  réchauffent,  et  ceux  qui  sont 
assez  glacés  pour  n'y  être  point  émus,  n'y 
ayant  aucun  plaisir,  n'y  vont  point.  Ainsi  il 
n'est  pas  nécessaire  de  les  leur  défendre  ;  ils 
se  les  défendent  assez  eux-mêmes.  Quand 
on  n'y  a  point  de  plaisir,  les  soins  de  sa  pa- 
rure elles  veilles  en  rebutent  et  quand  ou 
y  a  du  plaisir,  il  est  certain  qu'on  court 
grand  hasard  d'y  offenser  Dieu.  Ce  ne  sont 
d'ordinaire  que  des  jeunes  gens  qui  compo- 
sent ces  assemblées,  lesquels  ont  assez  de 
peine  à  résister  aux  tentations  dans  la  soli- 
tude, à  plus  forte  raison  dans  ces  lieux-là, 
où  les  beaux  objets,  les  flambeaux,  les  vio- 
lons et  l'agitation  de  la  danse  échaufferaient 
des  anachorètes.  Les  vieilles  gens  qui  pour- 
raient se  trouver  dans  les  bals  sans  intéres- 
sai) Nemo  sallat  fere  sobrius,  nisi  forte  insanit. 
[Orttt.  pro  Mur.) 

(724)  La  danse  en  général  «l'est  pas  en  elle-même 
lin  vice;  mais  elle  est  devenue  pernicieuse  paire 
qu'on  l'a  éloignée  de  la  noblesse  de  son  origine.  Elle 
fui  d'aboi  d  l'expression  de  l'enthousiasme  des  sen- 


ser  leur  conscience,  seraient  ridicules  û'y 
aller;  et  les  jeunes  à  qui  la  bienséance  le 
permettrait  ne  le  pourraient  pas  sans  s'ex- 
poser à  de  trop  grands  périls.  Ainsi  je  liens 
qu'il  ne  faut  point  aller  au  bal  quand  on  est 
chrétien  et  je  crois  que  les  directeurs  fe- 
raient leur  devoir,  s'ils  exigeaient  de  ceux 
dont  ris  gouvernent  les  consciences,  qu'ils 
n'y  allassent  jamais.  » 

On  peut  joindre  à  ce  témoignage  la  pein- 
ture suivante  que  Saint-Lambert  a  faite  des 
bals  dans  son  poëme  des  Saisons  ,  mais 
avec  une  intention  bien  différente  de  celle 
de  Bussy-Rabutin.  Celui-ci  nous  dit  avec  une 
sincéritéadmirable:/u(7iYe/îœc,fuyezlacoupe 
empoisonnée  de  Circé,  au  lieu  que  Saint- 
Lambert  nous  dit  :  accurrite,  accourez. 

...  Le  bal  va  s'ouvrir  cliez  Hébé,  chez  Alcine, 
L'or  et  l'émail  des  fleurs,  les  perles  et  l'hermine 
De  la  foule  élégante  orne  les  \ éléments. 
L'incarnat  des  rubis,  le  feu  des  diamants 
Répandent  un  jour  doux  sur  les  charmes  des  beiles, 
El  les  yeux  avertis  vont  se  fixer  sur  elles. 
Le  désir  de  tout  vaincre,  et  l'espoir  du  succès 
Brillent  modestement  dans  leurs  yeux  satisfaits. 
Le  feu  de  leurs  regaids  s'anime  avec  la  danse 
L'amour,  suis  se  montrer,  fait  sentir  sa  présence, 
El  plein  d'un  sentiment  vif  et  délicieux 
Chacun  sent  le  plaisir  qu'il  voit  dans  les  yeux. 

A   la  mélancolie 

Opposez,  s'il  ie  faut,  les  jeux  de  la  folie 

Opposez  des  excès,  bâiez-vous  de  saisir 

En  seul  instant  de  joie,  un  moment  de  plaisir. 

Entrez  dans  ces  salons  où  de  brillants  Prolées 

Changent  en  rianl  leurs  formes  empruntées, 

Où  la  nuit,  le  tumulte,  el  les  masques  trompeurs 

Font  naître  à  chaque  instant  d'agréables  erreurs. 

Là  le  maintien  décent,  ta  froide  retenue, 
Là  les  sexes,  les  rangs  ;  les  âges  confondus 
Suivent  en  se  jouant  la  folie  el  Momus. 

Il  paraît  que  Saint-Lambert  ne  s'était  pas 
muni  d'antidote  contre  le  venin  de  la  coupe 
qu'il  nous  présente.  Il  loue  la  danse  parles 
effets  pour  lesquels  Cicéron  (721)  l'attribait 
à  une  espèce  de  délire.  Et,  selon  jËmilius 
Probus  ,  les  Romains  vertueux  rejetaient 
l'usage  de  la  danse,  comme  un  vice  qui  ré- 
veille et  fortifie  une  passion  dont  le  senti- 
ment inévitable  est  à  combattre,  dont  le  sou- 
venir est  incommode  et  fâcheux,  la  modéra- 
tion difficile,  la  tentation  violente  et  l'atta- 
chement criminel  :  Scimus  saltare  eliam  in 
vitiis  poni  (722). 

Sui  /ons  donc  les  sages  conseils  de  Bussy- 
Rabutin.  Ils  sont  fondés  sur  des  principes 
qui  peuvent  en  général  s'appliquer  à  tout 
ce  qui  est  inventé  dans  les  grandes  villes 
pour  amuserla  multitude  des  citoyens  oisifs, 
fastueux,  vains,  légers  et  voluptueux.  Tout 
divertissement  qui  occupe  leurs  passions, 
est  certainement  conforme  à  leur  goût  dé- 
pravé.... 

limenls,  soit  de  reconnaissance  envers  Dieu  ,  soit 
d'une  joie  légitime.  Enfin  on  en  fit  un  exercice  pro- 
pre à  former  te  corps  ei  à  donner  à  toute  la  personne 
ce  que  Kollin  appeHe  une  certaine  politesse  d'exté- 
rieur.* Omnia  majorum  instituas  judicentur.)  (Con*. 
Nep.) 


1 193 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


♦194 


Tels  sont  -les  cflVls  do  la  passion  épidé- 
niique  pour  les  théâtres,  comme  l'a  fort  bien 
observé  deQuerlon,  toujours  intéressant,  ju- 
dicieux et  énergique  dans  ses  notices  pério- 
diques. «  Les  spectacles,  dit-il,  ont  répandu 
un  esprit  de  frivolité  dans  tous  les  états 
dont  aucun  âge  n'est  exempt  :  ils  remplis- 
sent l'imagination  d'idées  fausses  et  super- 
ficielles, qui  ne  font  que  des  turlupins.  Ils 
ont  enfui  introduit  des  licences  et  des  ri- 
dicules dans  les  mœurs  (723). 

N'en  résulle-t-il  pas  aussi  des  influences 
sur  le  physique?  «  La  volupté,  dit  Plutarque 
par  l'organe  d'Amyot,  son  traducteur,  dis- 
sout les  corps,  les  amollissant  de  jour  à  au- 
tre par  délices,  dont  l'usage  fauche  le  cœur, 
éteignant  ses  forces  tellement  que  les  fai- 
blesses et  les  maladies  viennent  en  foule,  et 
dès  la  jeunesse  on  commence  à  faire  appren- 
tissage des  infirmités  de  la  vieillesse....  » 

La  jurisprudence  fournit  une  multitude 
d'ordonnances  et  d'arrêts  concernant  les 
spectacles,  soit  pour  les  supprimer,  soit 
pour  en  réformer  la  licence. 

On  peut  consulter  à  ce  sujet  un  livre 
utile  qui  a  paru  à  Paris  chez  Humblot  en 
1770,  sous  ce  titre  :  Code  de  la  religion  et 
des  mœurs,  ou  Recueil  des  principales  ordon- 
nances depuis  rétablissement  de  la  monarchie 
française,  concernant  la  religion  et  les  mœurs, 
par  M.  l'abbé  Meusy,  prêtre  du  diocèse  do 
Besançon,  2  vol.  in-12. 

Ce  recueil  sur  les  deux  ressorts  les  plus 
précieux  d'un  gouvernement  fixe  et  stable, 
a  été  annoncé  par  de  Querlon  (724)  comme 
une  exposition  abrégée  de  la  religion  de 
l'Etat,  ou  comme  la  profession  de  foi  natio- 
nule. 

On  y  voit,  comme  Meusy  le  dit  dans  la 
préfacé,  que,  depuis  l'établissement  de  la  mo- 
narchie en  France,  la  religion  et  la  vertu  ont 
toujours  trouvé  dans  nos  rois  des  protecteurs, 
des  défenseurs,  et  les  mœurs  des  censeurs  et 
des  juges. 

La  législation  semble  avoir  tout  prévu  ;  il 
n'y  a  point  d'abus  qu'on  ne  pût  réprimer  en 
réveillant  quelques  lois  tombées  en  désué- 
tude :  Lex  Julia.  dormis.  En  effet,  combien, 
par  exemple,  n'y  a-t-il  pas  de  lois  somp- 
luaires  pour  arrêter  les  progrès  du  luxe, 
qu'on  appelle  avec  raison  une  fièvre  politi- 
que, qui  donne  aux  Etats  travaillés  de  ce 
funeste  mal  un  faux  éclat,  une  vigueur  pas- 
sagère, suivis  tôt  ou  tard  d'un  épuisement 
réell 

Meusy  n'a  pas  omis  l'article  des  specta- 
cles. Ou  trouve  dans  le  second  tome  de  son 
recueil  un  chapitre  qui  contient  à  ce  sujet 
plusieurs  extraits  d'ordonnances  et  d'arrêts. 
Ces  sortes  de  divertissements  ont  mérité 
l'attention  do  tous  les  bons  gouvernements, 
et  ils  ont  toujours  été  regardés  comme  in- 
compatibles avec  l'exercice  véritable  de  la 
religion  chrétienne.  C'est  pour  cette  raison 
ou'ils    sont   au  inoins   défendus    dans    les 

* 

(723)  Douzième  Feuille  hebdoni.  de  17(59. 
(1-ii)  Feuille   hebdomadaire   des  provinces,  du  5 
septembre  1770. 

Diction  n.  r>ES  Mystères. 


temps  plus  particulièrement  consacrés  au 
culte  divin  et  a  la  célébration  des  saints 
mystères. 

Cette  police  est  observée  dans  tous  les 
Etats  chrétiens  avec  plus  ou  moins  de  ri- 
gueur. L'abbé  Meusy  a  donné  sur  cet  objet 
une  notice  d'un  Règlement  que  l'illustre 
impératrice  Elisabeth,  reine  de  Hongrie,  fit 
pour  ses  Etats  en  1754.  «  Les  comédies, 
opéras,  concerts  et  autres  spectacles  pu- 
blics y  sont  défendus,  1"  tous  les  vendredis 
de  l'année;  2°  dans  l'A  vent,  à  commencer 
au  14  décembre  ;  3°  le  jour  de  Noël,  le  jour 
des  Rois,  tout  le  Carême,  le  jour  de  Pâ- 
ques, les  jours  des  Rogations  ;  4°  les  jours 
de  la  Pentecôte,  de  la  Trinité,  toute  l'octave 
de  la  Fête-Dieu;  5°  les  fêles  de  la  sainte 
Vierge  et  leurs  veilles,  quai  <1  même  ces 
dernières  ne  seraient  point  fêtées;  6°  les 
jours  des  Quatre-Temps,  le  jour  de  la  Tous- 
saint, celui  des  Trépassés;  7°  le  1"  octobre 
et  lo  14  novembre,  jour  anniversaire  de  la 
naissance  et  du  nom,  c'est-à-dire  du  bap- 
tême de  l'empereur  Charles  VI.  Le  28  août 
et  le  19  novembre,  jour  delà  naissance  et 
du  nom  de  l'impératrice  Elisabeth,  et  le  20 
octobre,  jour  do  la  mort  de  l'empereur 
Charles  VI.  » 

Voici  une  des  réflexions  de  l'abbé  Meusy 
sur  les  spectacles  :  «  Les  apologistes  du 
théâtre  ne  font  pas  d'honneur  à  leur  esprit, 
peut-être  même  à  leurs  mœurs,  quand  ils 
en  prennent  la  défense.  Ils  conviennent 
eux-mêmes  ;de  la  nécessité  de  réformer  I<î 
théâtre,  et  conséquemmenl  ils  le  condam- 
nent, et  il  sera  condamnable  tant  qu'il  sera 
dans  l'état  actuel.  »  (Code  de  la  Religion  et 
des  mœurs,  loin.  II.) 

Il  n'est  pas  douteux  que  l'abbé  Meusy 
reconnaît  que  la  licence  et  la  multiplicité 
de  nos  spectacles  démontrent  qu'on  est  bien 
éloigné  de  se  réformer  sur  cet  objet.  Com- 
ment en  effet  y  parviendrait-on,  lorsque  le 
plus  grand  nombre  prétend  avec  Le  Cendre 
de  Saint-Aubin  (725)  «  que  c'est  à  tort 
«  qu'on  a  reproché  à  nos  poètes  tragiques 
«  d'avoir  amolli  la  scène  et  abaissé  la  tra- 
«  gédie,  en  rapportant  toute  l'action  du 
«  théâtre  à  l'amour;  que  les  poètes  en  cela 
«  ont  suivi  une  voie  plus  sûre  pour  aller 
«  au  cœur,  qu'ils  ont  mieux  connu  oue  les 
«  tragiques  anciens  ?  » 

Celle  opinion  de  Saint-Aubin  est  établie 
sur  le  mauvais  goût  de  notre  nation,  dont 
la  passion  excessive  pyur  les  jeux  de  théâ- 
tres a  donné  lieu  à  de  Lalande  de  rappor- 
ter dans  son  Voyage  d'Italie,  tom.  V,  les 
deux   vers  suivants  d'un  poêle  anonyme  : 

Mais  au  Français  plus  que  Romain 
Le  spectacle  sullii  s.ms  pain. 

Jatuque  eadem  suinmis  panier  minim:sque  libido. 

(Jlven.,  lit),  il,  sat.  G.) 

C'est  pour  réprimer  un  accès  outré  do 
celle  oassion  épidémique  que  le  parlement 

(725)  Dans  le  i"  livre  de  son  Traité  de  l'opinion  , 
chap.  5  de  la  Poésie,  p.  219 

38 


HS5 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1196 


de  Pans  a  donné  l'Arrêt  qui  suit,  et  dont  on 
a  ci-devant  parlé.  Il  sera  précédé  des  ex- 
traits des  réquisitoires  de  Joly  de  Fleury  et 
Séguier,  des  25  janvier  1759  et  18  août 
1770,  dont  il  aaussiétéci-devant  parlé.  La  li- 
cence des  mauvais  écrits  a  fait  tant  de  pro- 
grès, que  les  magistrats  ont  été  forcés  de 
dire  avec  saint  Augustin  :  «  Empressons- 
nous  de  réprimer  des  excès  que  nous  avons 
dû  prévoir.  Sed  nos  tardiores  vel  experti 
corrigamus  quod provider e  debuimus.  » 

Extrait  du  Réquisitoire  de  M.  Joly  de  Fleury, 
du  25  janvier  1759  (726). 

«  La  société,  l'Etat  et  la  religion  se  pré- 
sentent aujourd'hui  au  tribunal  de  la  jus- 
tice pour  lui  porter  leurs  plaintes.  Leurs 
droits  sont  violés,  leurs  lois  sont  mécon- 
nues, l'impiété  qui  marche  le  front  levé  pa- 
raît, en  les  offensant,  promettre  l'impunité 
à  la  licence  qui  s'accrédite  de  jour  en  jour. 

«  L'humanité  frémit,  le  citoyen  est  alar- 
mé; on  entend  de  tous  côtés  les  ministres 
de  l'Eglise  gémir  à  la  vue  de  tant  d'ouvra- 
ges que  l'on  ne  peut  affecter  de  répandre  et 
de  multiplier  que  pour  ébranler,  s'il  était 
possible,  les  fondements  de  notre  religion. 

«  Il  suffirait  d'être  homme  et  citoyen 
pour  être  sensible  à  tous  ces  maux;  mais 
vous,  Messieurs,  magistrats  et  chrétiens, 
défenseurs  des  lois  et  protecteurs  de  la  reli- 
gion, de  quel  œil  regarderez-vous  des  ten- 
tatives aussi  téméraires?.... 

o  Qu'il  est  triste  pour  nous  de  penser  au 
jugement  que  la  postérité  portera  de  noire 
siècle  en  parlant  de  ces  ouvrages  qu'il  pro- 
duit  

«  Telle  est  la  philosophie  des  faux:  sa- 
vants de  notre  siècle.  Ils  se  donnent  gratui- 
tement le  nom  d'esprits  forts,  et  appellent 
lumière  ce  qui  n'est  que  ténèbres. 

«  Comment  des  hommes  que  l'on  croit 
si  profonds  et  d'un  génie  si  distingué  des 
autres,  ignorent-ils  jusqu'à  la  définition  de 
l'esprit  fort?  Qui  établit  en  effet  la  vérita- 
ble force  de  l'esprit?  ne  sont-ce  pas  les  prin- 
cipes, les  témoignages,  les  autorités  sur 
lesquelles  il  se  fonde,  les  vertus  que  lui 
mérite  le  bon  usage  qu'il  fait  des  lumières 
que  lui  accorde  le  Dieu  qui  est  le  Seigneur 
de  toutes  les  sciences'!  (I  Rois,  II,  3.) 

«  Un  esprit  (véritablement  fort  est  un  es- 
prit éclairé  [par  la  lumière  supérieure,  et 
qui  connaît  la  vérité  par  des  principes  cer- 
tains. Soutenu  au-dehors  par  des  témoigna- 
ges qu'on  ne  peut  récuser,  jamais  le  dérè- 
glement des  passions  ne  l'affecte,  ni  influe 
sur  ses  connaissances  et  ses  jugements.  Le 
tidèle  seul  possède  celte  force  d'esprit,  l'er- 
reur et  l'aveuglement  sont  le  partage  de 
l'incrédule  guidé  par  son  sens  particulier  et 
par  sa  fa-ble  raison. 

«  L'esprit  docile,  dit  un  auteur  célèbre 
(La  Bruyère),  admet  la  vraie  religion  ;  et  l'es- 

(7 26)  Ce  réquisitoire  est  imprimé  avec  l'arrêt  du 
23  Janvier  1759,  pour  la  condamnation  des  ouvrages 
suivants,  intitulés  :  De  l'esprit,  le  Pyrrhonisme  du 
sane,  la  Philosophie  du  bon  sens  ,  la  Religion  natu- 
relle, Leitr/>$$cmi-vhilosoi>liiques,  Etrenncsdes  Esprits 


prit  faible,  ou  n'en  admet  aucune  ou  en  ad- 
met une  fausse;  or  V esprit  fort  ou  n'arpoint 
de  religion,  ou  se  fait  une  religion  :  donc  l'es- 
prit fort,  c'est  l'esprit  faible.... 

«  La  conséquence  est  juste;  quelle  plus 
grande  faiblesse  que  de  vouloir  être  sanscer- 
titude  sur  le  principe  de  son  être,  de  sa  vie, 
de  ses  sens,  de  ses  conna  ssances,  de  la  na- 
ture et  la  destination  de  son  âme?  L'idée 
d'un  premier  être  parfait,  éterne1,  de  qui 
tous  les  autres  tiennent  leur  existence,  à 
qui  tout  se  rapporte,  qui  nous  a  faits  à  son 
image,  cette  idée  ne  prouve-t-elle  pas  plus 
de  force  et  de  noblesse  dans  l'homme  qui 
l'adopte,  qui  la  croit  et  qui  la  prenJ  pjur 
la  règle  et  le  terme  de  ses  actions?.... 

«  Dieu  est  visible  dans  tous  ses  ouvra- 
ges... La  lumière  de  son  visage  est  gravée  sur 
nous.  [Ps.  IV,  7.)  Nous  portons  en  nous- 
mêmes  les  caractères  ineffaçables  de  sa  di- 
vinité et  les  gages  précieux  des  biens  éter- 
nels qu'il  nous  destine.  L'insensé  a  dit  dans 
son  cœur  :  Il  n'y  a  point  de  Dieu.  (Ps.  LU, 
t.)  Mais  son  âme  naturellement  chrétienne 
dépose  souvent  malgré  lui  en  faveur  de  la 
vérité  de  cet  Etre  suprême,  dont  l'existence 
renferme  celle  d'une  religion.  C'est  contre 
cette  religion  que  nos  philosophes  s'élè- 
vent; ils  ont  formé  une  sorte  de  ligue 
pour  la  faire  disparaître  du  milieu  de  nous, 
pour  inspirer  l'indépendance  et  nourrir  la 
corruption  des  mœurs. 

«  Eh  1  quel  mal  leur  a  fait  cette  religion 
sainte  pour  exciter  leur  fureur?  Si  ses  dog- 
mes, ses  cérémonies  et  sa  morale  les  offen- 
sent, s'ils  ne  peuvent  en  être  les  disciples, 
pourquoi  troubler  l'Etat  et  vouloir  dispu- 
ter aux  autres  la  liberté  de  suivre  les  maxi- 
mes de  la  catholicité? 

«  Ils  déchirent  le  sein  de  l'Eglise  qui  les 
a  adoptés  pour  ses  enfants;  <t  comme  si 
l'Etat  était  coupable  à  leurs  yeux,  parce 
qu'il  est  chrétien,  ils  conjurent  la  perle  de 
1  un  et  de  l'autre,  et  cherchent  à  les  saper 
par  les  fondements. 

«  Enfants  ingrats  et  rebelles,  ils  mécon- 
naissent l'Auteur  de  tous  les  dons ,  et  sem- 
blables à  ees  insensés  dont  parte  un  écri- 
vain sacré  (Job..  XXI,  14)  :  Relirez'ious  de 
nous,  lui  disent-ils,  nous  n'avons  pas  besoin 
de  vos  lumières.  Nous  ne  connaissons  ni  vos 
promesses  ni  vos  miracles,  Dans  celte  folle 
présomption  ils  sont  comme  dans  une  sorte 
de  délire  et  marchent  en  plein  jour  comme 
des  aveugles  au  milieu  des  ténèbres.  (Deut., 
xxviii.  28-29.) 

«  Tel  sera  dans  tous  les  temps  le  sort  des 
écrivains  profanes  qui  refuseront  de  subor- 
donner la  science  des  mœurs  è  celle  de  la 
religion.  Le  caractère  de  la  vraie  philoso- 
phie est  de  terminer  les  siennes  par  des  ac- 
croissements de  sainteté  et  d'amour  envers 
l'Etre  suprême;  celle  delà  fausse  philoso- 
phie  est  de  terminer  les  siennes  uar  des 

forts,  Lettre  au  R.  P.  Derlhier  sur  le  matérialisme  , 
Encyclopédie  ou  Dictionnaire  raisonné  des  sciences  et 
des  arts  et  métiers,  publiés  par  MM.  Diderot  et  d'A- 
lembcrl. 


1137 


NOTICE  SUtt  LE  THEATKE  LIBKE. 


llfJ8 


systèmes  impies,  par  un  accroissement  de 
présomption  et  d'ignorance,  et  de  rendre  le 
philosophe  vain,  plus  superbe  et  plus  aveu- 
gle qu'il  n'était  avant  ses  recherches. 

«  Des  hommes  qui  abusent  du  nom  de 
philosophe  pour  se  déclarer  par  leurs  sys- 
tèmes les  ennemis  de  la  société,  de  l'Ktat 
et  de  la  religion,  sont  sans  doute  des  écri- 
vains qui  méritent  que  la  Cour  exerce  con- 
tre eux  toute  la  sévérité  de  la  puissance  que 
le  prince  lui  confie,  elle  bien  de  la  religion 
l'exige  de  l'attachement  de  tous  les  magis- 
trats à  ses  dogmes  et  à  sa  morale. 

«  Vos  prédécesseurs,  Messieurs,  ont  con- 
damné aux  supplices  les  plus  affreux,  comme 
criminels  de  lèse-majesté  divine,  des  au- 
teurs (727)  qui  avaient  composé  des  vers 
contre  l'honneur  de  Dieu,  son  Eglise  et  l'hon- 
nêteté publique;  ils  ont  môme  déclaré  soumis 
à  la  peine  des  accusés  ceux  qui  s'en  trou- 
veraient saisis,  et  les  libraires  furent  dé- 
crétés de  prise  de  corps  et  poursuivis  sui- 
vant la  rigueur  des  ordonnances.  » 

Extrait  du  Réquisitoire  de  M.  Séguier,   du 

18  août   1770   (728) ,  imprimé  par  ordre 

exprès  du  roi. 

«  Jusques  à  quand  abusera-t-on  de  notre 
patience?  s'écriait  l'orateur  romain,  dans 
un  temps  où  la  république,  exposée  à  tou- 
tes les  fureurs  d'une  faction  prêle  à  éclater, 
comptait  au  nombre  des  conjurés  les  ci- 
toyens les  plus  illustres,  môles  avec  la  plus 
vile  populace. 

«  Ne  pouvons-nous  pas  aujourd'hui  adres- 
ser les  mêmes  paroles  aux  écrivains  de  ce 
siècle,  à  la  vue  de  cette  espèce  de  confé- 
dération qui  réunit  presque  tous  les  au- 
teurs en  tout  genre  contre  la  religion  et  le 
gouvernement?  Il  n'est  plus  possible  de  se 
le  dissimuler,  cette  ligue  criminelle  a  trahi 
olle-même  son  secret.  Son  but  principal  est 
de  détruire  l'harmonie  établie  entre  tous 
les  ordres  de  l'Etat  et  maintenue  par  la  re- 
lation intime  qui  a  toujours  subsisté  entre 
la  doctrine  de  l'Eglise  et  les  lois  politi- 
ques.... 

«  Depuis  l'extirpation  des  hérésies  qui  ont 
troublé  la  paix  de  l'Eglise,  on  a  vu  sortir 
des  ténèbres  un  système  plus  dangereux 
par  ses  conséquences  que  ces  anciennes 
erreurs,  toujours  dissipées  à  mesure  qu'el- 
les se  sont  reproduites.  Il  s'est  élevé  au 
milieu  de  nous  une  secte  impie  et  auda- 
cieuse. Elle  a  décoré  sa  fausse  sagesse  du 
nom  de  philosophie;  sous  ce  titre  imposant, 
elle  a  prétendu  posséder  toutes  les  connais- 
sances. Ses  partisans  se  sont  élevés  en  pré- 
cepteurs du  genre  humain.  Liberté  de  pen- 
ser, voilà  leur  cri;  et  ce  cri  s'est  fait  enten- 
dre d'une  extrémité  du  monde  à  l'autre. 
D'une  main  ils  ont  tenté  d'ébranler  le  trône, 
de  l'autre  ils  ont  voulu  renverser  les  autels. 

(727)  Voyez  entre  autre  l'arrêt  du  19  août  1G23, 
contre  Théophile,  Berlelol,  etc. 

(728)  Pour  la  condamnation  de  sept  ouvrages  im- 
pies, savoir:  La  contagion  sacrée,  Dieu  et  les  hom- 
mes, Discours  sur  les  miracles  de  Jésus-Clirisl,  Exa- 
men critique  des  apotog'nlcs  de  la  religion  clirélienne , 


Leur  objet  était  d'éteindre  la  croyance,  de 
faire  prendre  un  autre  cours  aux  esprits  sur 
les  institutions   religieuses  et  civiles,  et  la 

révolution  s'est,  pour  ainsi  dire,  opérée 

Ils  se  sont  acharnés  à  déraciner  la  foi,  k 
corrompre  l'innocence  et  à  étouffer  dans  les 
âmes  tout  sentiment  de  vertu. 

«  Ceux  qui  étaient  le  plus  faits  pour  éclai- 
rer leurs  contemporains  se  sont  mis  à  là 
tête  des  incrédules;  ils  ont  déployé  l'éten- 
dard de  la  révolte,  et,  par  cet  esprit  d'indé- 
pendance, ils  ont  cru  ajouter  à  leur  célé- 
brité. Une  foule  d'écrivains  obscurs,  ne  pou- 
vant s'illustrer  par  l'éclat  même  des  talents, 
a  fait  paraître  la  même  audace,  et  ils  n'ont 
dû  leur  réputation  qu'à  la  licence  de  leurs 
écrits  et  au  funeste  appareil  du  pyrrhonismo 
qu'ils  ont  présenté. 

«  Tantôt  ils  ont  fait  de  l'irréligion  le 
fond  même  de  leurs  ouvrages,  tantôt  ils 
l'ont  mêlée  dans  des  écrits  obscènes  et 
voluptueux,  comme  pour  l'insinuer  dans 
l'esprit  de  la  jeunesse,  avec  le  charme  des 
peintures  lascives,  et  pour  faire  tourner  au 
profit  de  l'impiété  le  désordre  même  qu'ils 
portaient  dans  les  sens. 

«  Les  cœurs  purs,  les  âmes  honnêtes  ont 
été  attirés  par  des  maximes  insidieuses 
qui  semblaient  dictées  par  la  bienfaisance, 
et  la  droiture  de  leurs  sentiments  leura  fait 
illusion  sur  des  principes  d'autant  plus 
dangereux  qu'ils  paraissaient  tendre  au 
bonheur  de  l'humanité. 

«  Avec  les  esprits  graves,  on  a  pris  le 
ton  de  la  méthode  et  de  la  réflexion.  On  a 
présenté  des  écrits  légers  et  agréables  aux 
esprits  frivoles  et  superficiels.  On  a  semé 
des  doutes  que  le  simple  n'était  pas  en  état 
de  résoudre;  et  Je  ridicule  a  achevé  d'en- 
traîner ceux  que  les  faux  raisonnements 
n  avaient  pu  persuader. 

«  Cettesecte  dangereuse  a  employé  toutes 
les  ressources,  et  pour  étendre  la  corrup- 
tion, elle  a  empoisonné,  pour  ainsi  dire, 
les  sources  publiques.  Eloquence,  poésie, 
histoire,  romaus,  jusqu'aux  dictionnaires, 
tout  a  été  infecté  ;  et  nos  théâtres  eux- 
mêmes  ONT  RENFOUCÉ  CES  MAXIMES  PERNICIEU- 
SES, D  iNT  LE  POISON  ACQUÉRAIT  UN  NOUVEAU 
DEGRÉ  DACTIVITÉ  SUR  L'ESPRIT  NATIONAL, 
PAR     l'AFFLUENCE     DES     SPECTATEURS    ET  l'É- 

nergie  de  l'imitation.  Enfin  la  religion 
compte  aujourd'hui  presqu'autant  d'enne- 
mis déclarés,  que  la  littérature  se  glorifie 
d'avoir  formé  de  prétendus  philosophes; 
et  le  gouvernement  doit  trembler  de  tolé- 
rer dans  son  sein  une  secte  ardente  d'in- 
crédules qui  semble  ne  chercher  qu'à  sou- 
lever les  peuples  sous  prétexte  de  les 
éclairer. 

«  Nous  n'ignorons  pas  à  quelle  haïno 
nous  nous  exposons,  en  osant  déférer  aux 
magistrats  une  cabale  aussi  entreprenante 

par  M.  Fiéiel;  Examen  impartial  des  principales 
religions  du  monde,  le  Christianisme  dévoilé,  et  le 
Système  de  la  nature.  L'arrêt  du  parlement  intervenu 
sur  ce  réquisitoire  le  18  août  1770,  a  condamné 
tous  ces  ouvrages  à  être  brûlés. 


1199 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1200 


qu'el.e  est  nombreuse.  Mais  quelque  ris- 
que qu'il  puisse  y  avoir  à  se  déclarer  con- 
tre ces  apôtres  de  la  tolérance ,  les  plus 
intolérants  des  hommes  dès  qu'on  se  refuse 
à  leurs  opinions,  nous  remplirons  le  mi- 
nistère qui  nous  est  confié,  avec  l'ntrépi- 
dilé  que  donnent  la  défense  de  la  vérité  et 
l'amour  du  bien  publie...* 

«  Non,  il  ne  nous  est  plus  permis  do 
garder  le  silence  sur  ce  déluge  d'écrits 
que  l'irréligion  et  le  mépris  des  lois  ont 
répandus  depuis  quelques  années L'im- 
piété féconde  les  esprits,  elle  fait  lever 
chaque  jour  des  semences  nouvelles  non 
moins  pernicieuses  «pie  les  premières  et 
toujours  répandues  avec  la  môme  impu- 
nité. Elle  dédaigne  déjà  la  précaution  de 
s'envelopper  sous  des  voiles  ;  ses  blasphè- 
mes éclatent,  les  dépôts  d'irréligion  sont 
dans  toutes  les  mains  ,  on  les  met  a  plus 
haut  prix  pour  exciter  la  curiosité  et  leur 
donner  plus  d'imporlance  et  plus  d'attrait. 
Les  femmes  elles-mêmes  s'initient  à  ces 
connaissances  d'impiété  ou  de  scepticisme  ; 
et  négligeant  les  devoirs  qui  leur  sont 
propres  et  qu'elles  seules  peuvent  remplir, 
elles  liassent  une  vie  oisive  dans  la  médita- 
tion de  ces  ouvrages  scandaleux. 

«  A  peine  sont-ils  devenus  publics  dans 
la  capitale,  qu'ils  se  répandent  comme  un 
torrent  dans  les  provinces  et  dévastent  tout 
sur  leur  passage.  Il  est  peu  d'asiles  qui 
soient  exempts  de  la  contagion  ;  elle  a  pé- 
nétré dans  les  ateliers  et  jusque  sous  les 
chaumières^:  bientôt  plus  de  loi,  plus  de 
religion  et  plus  de  mœurs:  l'innocence 
primitive  s'est  altérée,  le  souffle  brûlant  de 
l'impiété  a  desséché  lésâmes  et  a  consumé 
la  vertu.  Le  peuple  était  pauvre,  mais  con- 
solé; il  est  maintenant  accablé  de  ses  tra- 
vaux et  de  ses  doutes.  Il  anticipait  par  l'es- 
pérance sur  une  vie  meilleure,  il  est  sur- 
chargé des  peines  de  son  étal  et  ne  voit 
plus  de  terme  a  sa  misère  que  la  mort  et 
l'anéantissement... 

«  S'il  n'était  que  des  esprits  nés  droits  et 
bons,  incapables  d'être  séduits  par  les  so- 
phismes,  nous   aurions  peut-être  gardé  le 

silence  sur  des  écrits  aussi  monstrueux 

Mais  les  esprits  qui  ont  leur  sauvegarde  en 
eux-mêmes  sont  trop  rares,  les  passions 
dont  la  plupart  des  hommes  sont  le  jouet, 
leur  ignorance  ou  leur  faiblesse,  l'indépen- 
dance mêmTî  qu'on  a  voulu  leur  inspirer  et 
à  laquelle  ils  ne  sont  que  trop  enclins,  tout 
les  entraînerait  en  foule  dans  l'abîme  ca- 
ché dont  l'impiété  leur  aplanit  la  pente. 

«  Dans  la  situation  actuelle,  une  sévé- 
rité salutaire  peut  seule  remédier  à  la  témé- 
rité des  auteurs,  à  la  frénésie  d'une  secte 
dangereuse,  à  l'avidité  même  dus  impri- 
meurs et  à  la  fermentation  qui  se  renou- 
velle sans  cesse  dans  les  esprits...  Quelques 
menaces  que  puisse  faire  l'impiété,  elle  ne 
trouvera  qu'un  ennemi  redoutable  et  vigi- 
lant dans  le  corps  dépositaire  des  lois. 
Rien  ne  pourra    suspendre  le  cours  de  la 


justice.  Le  poison  ues  nouveautés  profanes 
ne  peut  corrompre  la  sainte  gravité  de 
mœurs  qui  caractérise  les  vrais  magistrats. 
Tout  peut  changer  autour  d'eux,  ils  restent 
immuables  avec  la  loi.  » 

Dans  ces  réquisitoires,  comme  le  dit  de 
Querlon  en  rendant  compte  de  celui  de 
Séguier  (729),  «  on  reconnaît  le  caractère 
des  magistrats  publics  chargés  de  la  cen- 
sure des  mœurs,  obligés  conséquemmtnt 
par  état  d'avoir  sans  cesse  les  yeux  ou- 
verts sur  tout  ce  qui  pourrait  les  corrom- 
pre et  troubler  l'ordre  civil.  Ils  ne  peuvent 
donc  rien  dissimuler.  Il  faut  qu'ils  éclatent, 
qu'ils  tonnent,  qu'ils  dénoncent  avec  cou- 
rage, avec  force,  sans  aucun  de  ces  ména- 
gements inconnus  dans  les  tribunaux  de 
justice,  et  que  l'intérêt  public  ne  comporte 
point  tous  les  abus,  tous  les  excès  qu'il 
importe  de  réprimer.  » 

L'arrêt  intervenu  sur  le  réquisitoire  de 
Séguier  en  a  aussi  suivi  les  conclusions  sur 
h  nécessité  «  de  prendre  les  mesures  les 
plus  efficaces  pour  arrêter  la  contagion,  dé- 
concerter les  progrès  de  cette  fausse  et 
allière  philosophie  qui  ne  veut  s'emparer 
des  esprits  que  pour  les  mouvoir  à  son 
gré,  qui  ne  cherche  à  les  instruire  que  pour 
les  égarer,  et  qui  ne  réclame  la  liberté  do 
penser  que  pour  s'affranchir  de  toule  dé- 
pendance civile  et    politique.  » 

Ces  vices  de  l'incrédulité  sont  bien  expo- 
sés et  combattus  dans  l'instruction  pastorale 
que  le  clergé  de  France,  assemblé  à  Paris  en 
1770,  a  donnée  sous  le  titre  d'Avertissement 
aux  fidèles  du  royaume. 

Un  peu  de  ph  losophie,  dit  Bacon,  peut 
éloigner  de  Dieu,  mais  une  connaissance 
approfondie  ramène  à  la  religion.  Les  incré- 
dules ne  sont  donc  que  de  faux  philoso- 
phes, puisqu'ils  sont  discordants  entre  eux 
sur  la  nature  de  Dieu,  de  l'âme  humaine  et 
du  monde.  Il  n'est  pas  d'artisan  chrétien, 
qui,  sur  ces  objets  ne  soit  meilleur  philo- 
sophe qu'eux,  puisqu'il  connaît  Dieu  et 
qu'il  peut  le  faire  connaître  aux  autres. 
Deum  quilibet  opifex  Chrislianus  et  invenit 
et    ostendit.  (ïertul.  ,  Apolog.  ,c.  46.) 

Arrêt    du  parlement,  du   22  avril    1761. 

«  Ce  jour,  les  gens    du  roi  sont  entrés, 
et  M'  Orner  Joiy    de  Fleury,  avocat  dudit 
seigneur  roi,  portant  la  parole,  ont  dit: 

«  Que  M"  Etienne-Adrien  Dains,  bâton- 
nier des  avocats,  demandait  d'être  entendu. 

«  Lui  mandé  et  entré  avec  plusieurs  an- 
ciens avocats,  ayant  passé  au  banc  du  bar- 
reau, du  côté  du  greffe,  a  dit: 

«  MESSIEURS, 

«  La  discipline  de  notre  ordre,  l'honneur 
«  de  notre  profession,  notre  attachement 
«  aux  véritables  maximes  et  notre  zèle 
«  pour  la  religion,  ne  nous  ont  pas  permis 
«  de  garder  le  silence  ni  de  demeurer  dans 
a  l'inaction  au  sujet  d'un  livre  pernicieux 
«  qui  a  pour  titre  :  Libertés  delà  France  con- 
«  tre  le  pouvoir  arbitraire  de  /' '  excommunica- 


(729)  Dans  la  feuille  du  10  septembre  1770. 


1-201 


NOTICE  Slïl  LE  THEATRE  LIBRE. 


12<fc 


«  tion,  et  qui  est  terminé  par  une  consul- 
«  talion  signée  Hcerne  de  la   mothe. 

«  A  cette  signature  est  ajouté  (contre 
«  l'usage  ordinaire)  la  qualité  d'avocat  au 
«  parlement:  il  en  a  abusé  pour  parvenir  à 
«  faire  imprimer  un  ouvrage  scandaleux, 
«  dont  J'approbation  et  la  permission  lui 
«  avaient  été  refusées. 

«  La  question  touebant  i  exeommunica- 
«  tion  encourue  par  le  seul  fait  d'acteur  de 
«  la  comédie  (730),  suc  laquelle  il  appartient 
«  également  au  théologien  et  au  juriscon- 
«  suite  de  donner  son  avis  (mais  qui  doit 
«  être  traitée  par  l'un  ou  par  l'autre  avec  au- 
«  tant  de  sagesse  que  de  lumières;)  cette 
«  question,  disons-nous,  est  soutenue  aflîr- 
«  mativement  et  décidée  audacieusement 
«  en  faveur  des  comédiens  par  la  Consulta- 
it lion,  fondée  uniquement  sur  les  faux  prin- 
«  cipes  avancés  dans  deux  Mémoires  â  con- 
«  sulter,  et  sur  des  maximes  odieuses,  ha- 
«  sardées  dans  les  autres  pièces  qui  la  pré- 
«  cèdent,  notamment  dans  sa  Lettre  à  l'ac- 
«  Irice,  conçue  en  termes  les  plus  outrés  et 
«  les  plus  scandaleux:  l'uni  fortuite- du  style, 
«  la  répétition  fréquente  d'expressions  sill- 
et gulières,  l'adoption  des  mêmes  idées  a  sa 
«  propre  lettre,  font  connaître  évidemment 
«  que  le  tout  est  l'ouvragedu  môme  homme, 
«  suivant  qu'il  en  a  été  convaincu  dans  la 
«  première  assemblée. 

«  Du  moins  il  a  avoué  avoir  vu  et  retouché 
«  les  Mémoires  à  consulter,  et  autres  pièces, 
«  avoir  écrit  le  tout  de  sa  main,  avoir  cor- 
«  rigé  les  épreuves. 

«  Enfin,  il  a  ratifié  le  tout,  en  le  faisant 
«  imprimer  sursa  minute  restée  a  l'impri- 
"  meur  et  sous  sa  signature,  sans  en  rien 
«  improuver  dans  sa  Consultation. 

«  Par  ce  détour  artificieux,  l'auteur  s'est 
«  ilonné  la  coupable  licence  de  hasarder  les 
«  propositions  les  plus  contraires  à  la  re'li- 
«  gion  et  aux  bonnes  mœurs,  et  de  con- 
«  tondre  la  nalure  elles  bornes  des  deux 
«  puissances. 

«  11  n'y  a,  Messieurs,  aucune  de  ces  pièce  s 
«où  il  n'y  ait  du  venin;  nous  oserions 
«  môme  assurer  qu'à  chaque  page,  pour 
«  ainsi  dire,  il  y  a  des  propos  indécents,  ou 
«  des  erreurs,  ou  des  impiétés:  j'en  citerai 
«  seulement  quelques  traits 

«  On  annonce  que  l'ouvrage  est  fait  (731) 
«  pour  tous  les  citoyens  qui  en  ont  besoin  si 
<■  souvent,  surtout  dans  ces  temps  de  nuage  et 
«  d'obscurité  que  les  contestations  du  clergé 
«  élèvent  fréquemment  contre  la  liberté  du  cï- 
«  toijen  fidèle,  en  le  rendant  esclave  d'une  do- 
!■  initiation  arbitraire. 

«  Le  début  audacieux'découvre  l'applica- 
«  tion  fausse  et  injurieuse  qu'on  entend 
«  faire  de  ce  qui  sera  établi  dans  tout  l'ou- 
«  vrageau  sujetde  l'excommunication  contre 
«  les  comédiens.  ■ 

(730)  Page  première  du  Mémoire  a  consulter. 

(751)  Page  première  de  l'Avis  de  l'éditeur. 

(752)  Page  25  du  second  Mémoire. 
(755)  Page  12  de  l'Avis  de  l'éditeur. 

(731)  Page  13. 
(73.5)  Ibid. 


»  En  abusant  de  maximes  sages  (732),  et 
«  en  confondant  les  objets,  on  attaque  l'au- 
'<  torrlé  de  l'Eglise,  et  on  fait  injure  à  celle  du 
«  souverain. 

«  On  assure  que  la  Consultation  renferme 
«  en  peu  de  mots  la  certitude  des  principes 
«  de  l'auteur  du  Mémoire  (733;,  et  qu  elle 
«  couronne  le  zèle  d'une  actrice  digne  de  l'é- 
«  loge  de  l'Eglise  même. 

«  On  ajoute:  elle  ne  trouve  de  vraie  gloire 
«  (734-),  qu'à  répandre  dans  le  sanctuaire  de 
«  la   religion  quelle  professe,    celle,   que  la 
«  France  lui  défère. 

«  Il  y  a  plus:  la  nation  (735)  et  la  religion 
«  doivent  â  Venvi  former  réloge  de  cette 
«  femme  forte,  qui  seule  prend  en  main  la  dé- 
«  fense  du  citoyen  fidèle. 

«  Elle    nous   fait  voir   (73G),  dit-on,  que 

<  c'est  depuis  peu  seulement  que  les  ministres 

<  de   l'Eglise    usent  envers  elle  et  sa  société 
-  d'une  autorité  arbitraire. 

«  Enfin,  on  tire  une  fausse  conséquence 
«  de  cette  maxime  vraie  en  matière  crimi- 
«  neile,  Non  bis  in  idem.  Si  l'acteur  et  l'au- 
«  teur  sont  infâmes,  dit-on,  dans  l'ordre 
«  des  lois,  il  résulte  de  cette  peine  d'infa- 
«  mie  que  la  peine  de  la  loi  contre  un  dé- 
«  lit  détruit  toute  autre  peine;  parce  que 
«  la  règle  est  certaine,  qu'on  ne  doit  jamais 
«  punir  deux  fois  pour  le  même  délit. 

«  Ainsi  l'infamie  prononcée  par  !a  loi 
«  contre  les  comédiens  les  mettrait  à  cou- 
"  vert  de  l'excommunication  de  la  part  de 
«  l'Eglise. 

«  La  mémoire  du  vénérable  prélat  (737) 
«  qui  pendant  nombre  d'années  a  gouvernné 
«  ce  diocèse  avec  autant  de  sagesse  que 
«  d'édification,  est  traitée  avec  mépris  et 
«  même  calomnieusement  offensée.  Son  rc- 
«  fus  du  sacrement  de  mariage  aux  comé- 
«  diens  est  traité  de  scandale,  ainsi  que 
«  celui  de  la  sépulture  de  l'Eglise. 

«  On  applaudit  (73S)  à  la  noblesse  des  sen- 
«  timents  de  l'actrice,  qui  la  porte  à  rompre 
«  des  fers  que  les  seuls  préjugés  ont  pris  soin 
«  de  forger. 

«  On  ajoute  que  l'Eglise  ne  peut  que  com- 
«  hier  d'éloges  son  courage  mâle,  vraiment  et 
«  héroïquement  chrétien,  qui  l'anime  à  récla- 
«  mer  les  droits  qui  lui  sont  acquis,  etc. 

«  On  annonce  (739)  qu'elle  ne  peut  manquer 
«  de  parvenir  à  établir  sa  société  en  titre  d'a- 
'i  cadémie,  et  que  dès  l'instant  elle  ensevelira 
«  pour  toujours  l'ignominie  que  l'ignorance  et 
s  une  super slilieuse  prévention  ont  élevée  contre 
«  l'état  des  comédiens. 

«  On  lui  fait  espérer  (740)  que  l'Eglise 
«  elle-même, bien  loin  d'autoriser  ses  ministres 
«  à  user  d'une  autorité  arbitraire,  s'élèvera 
«  ou  contraire  contre  la  sévérité  de  ces  zèles 
«  amers  que  la  charité  ne  connut  jamais, 

(75G)  Page  54,  ibid. 

(737)  Page  51  du  premier  Mémoire,  e!  10'i  .1  i  se 
coud  Mémoire, 
(758)  Page  53. 
(75911V;.  51. 
(740)  Ibid. 


1203 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


«  On  invite  le  public  (741)  à  lire  cet  ou- 
«  vrage,  en  assurant  que  les  gens  instruits 
«  seront  charmés  d'y  retrouver  leurs  prîn- 
'.  cipes,  et  les  autre*  seront  charmés  de  s'y 
«  instruire. 

«  Les  moments  précieux  de  la  cour  ne  me 
-<  permettent  pas,  Messieurs,  de  faire  IV- 
«  nalyse  du  second  Mémoire  à  consulter, 
«  contenant  220  pages.  C'est  une  critique  in- 
«  décente  de  tout  ce  qui  condamne  la  co- 
«  méuie  et  frappe  sur  les  acteurs.  Ce  n'est 
«  qu'un  tissu  de  propositions  scandaleuses, 
«  de  principes  erronés,  de  fausses  maximes 
«  et  de  propos  injurieux  à  la  religion,  con- 
«  traires  aux  bonnes  mœurs,  attentatoires 
«  aux  deux  puissances. 

«  On  oppose  ce  qui  est  toléré  dans  les 
«  Etats  du  Pape  par  rapport  aux  comédiens, 
«  aux  usages  de  l'Eglise  de  France  a  leur 
«  égard,  qu'on  impute  au  pouvoir  indiscret 
«  d'une  anarchie  effroyable. 

«  On  fait  la  comparaison  blasphématoire 
«  de  la  comédie,  non-seulement  avec  les 
«  panégyriques  des  saints,  dans  les  chaires, 
«  mais  encore  avec  les  cérémonies  de  l'E- 
«  glise  dans  la  semaine  sainte,  et  à  l'usage 
«  de  certaines  églises  où  la  Passion  est 
«  chantée  à  trois  voix. 

«  Outre  ces  blasphèmes,  les  maximes  vi- 
«  cieuses  sur  les  mœurs  sont  poussées  jus- 
«  qu'au  point  de  dire  que  la  conduite  des 
■'  comédiennes  qui  vivent  en  concubinage 
«  avec  celui  qu'elles  aiment  n'est  pas  dés- 
«•  honorante,  qu'elle  est  seulement  irrégu- 
«  lière;  que  ce  concubinage  était  autorisé 
«  chez  les  Romains,  et  môme  dans  les  pre- 
«  miers  siècles  de  l'Eglise;  qu'elle  est  to- 
«  lérée  dans  nos  mœurs,  et  qu'il  n'y  a  que 
«  celles  qui  mènent  une  vie  scandaleuse 
"  qui  doivent  être  rejetées. 

«  Enfin  on  dégrade  toutes  sortes  d'états, 
«  à  l'exception  du  militaire,  pour  mettre  les 
*  comédiens  au  pair  et  de  niveau  avec  tous 
«  les  autres  citoyens,  marchands,  avocats 
«  et  même  avec  la  magistrature. 

«Voilà,  Messieurs,  le  précis  du  système 
«  confus  et  odieux  adopté  par  la  Consulta- 
«  tion.  Le  tout  est  un  ouvrage  de  ténèbres, 
«  qui  part  de  la  même  plume. 

«  La  conclusion  outrée  de  la  Consultation 
«  achève  de  révolter  les  esprits  et  d'exciter 
«  l'indignationcontrele  livre  entier  et  contre 
«  l'auteur. 

«  Le  cri  public  qui  s'est  élevé  contre  ce 
«  livre,  à  l'instant  qu'il  a  paru,  nous  a 
«  porté  a  en  faire  un  prompt  examen,  avec 
«  plusieurs  de  nos  confrères,  et  à  prendre 
«  l'avis  de  l'ordre  dans  une  assemblée  gé- 
«  nérale  qui,  pour  manifester  la  pureté  de 
«  nos  sentiments  et  la  sévérité  de  notre  dis- 
'<  cipline,  a,  d'une  voix  unanime,  retranché 
«  du  nombre  des  avocats  l'auteur,  et  m'a 
«  chargé  de  dénoncer  son  ouvrage  à  la 
«  Cour,  dont  le  zèle, en  matière  de  religion, 
«  de  bonnes  mœurs  et  de  police  publique, 
c  se  manifeste  en  toutes  occasions. 

«  Ainsi,  Messieurs,  c'est  pour   remplir  le 


[  1204 

«  vœu  de  l'ordre  des  avocats,  nue.) 'ai  rhon- 
«  rieur  de  dénoncera  la  Courte  livre  inti- 
«  lu  lé  :  Libertés  de  la  France  contre  le  pou- 
«  voir  arbitraire  de  i excommunication.  » 

i  Ledit  Bâtonnier  entendu  ; 

«  Les  Gens  du  Roi,  Me  Orner  Joly  de 
«  Fleury,  avocat  dudit  seigneur  roi,  por- 
«  tant  la  parole,  ont  dit: 

«  Que  l'exposé  qui  vient  d'être  fait  à  la 
«  Cour  du  livre  intitulé  :  Libertés  de  la 
«  France  contre  le  pouvoir  arbitraire  de 
«  i 'excommunication,  ne  justifiait  que  trop  la 
«  sensation  que  sa  distribution  avait  excitée 
«dans  le  public;  qu'ils  se  seraient  même 
«  empressés  de  le  déférer,  il  y  a  plusieurs 
«jours,  s'ils  n'avaient  été  instruits  des  me- 
«  sures  que  prenaient  à  ce  sujet  ceux  qui 
«  se  dévouent,  sous  les  yeux  de  la  Cour,  à  la 
«profession  du  barreau;  que  leur  délica- 
«  lesse ,  leur  attachement,  à  l'épreuve  de 
«  tout,  aux  maximes  saintes  de  la  religion 
«  et  aux  lois  de  l'Etat,  ne  leur  avaient  pas 
«  permis  de  garder  le  silence;  et  que,  dans 
«  les  sentiments  qu'ils  venaient  d'exprimer, 
«  on  y  reconnaissait  cette  pureté,  cette  tra- 
«  dition  d'honneur  et  de  principes,  qui  dis- 
tinguent singulièrement  ce  premier  bar- 
«  reau  du  royaume. 

«  Qu'ils  n'hésitaient  pas  a  requérir  que  le 
«  vœu  unanime  des  avocats  sur  la  personne 
«  de  l'auteur,  qu'ils  rejettent  de  leur  sein, 
«  fût  confirmé  par  l'autorité  de  la  Cour,  et 
«  que  le  livre  fût  flétri. 

«  Que  dans  .ces  circonstances  ils  croient 
«  donc  devoir  proposer  à  laCour  d'ordonner 
«  ipie  le  livre  en  question  sera  lacéré  et 
«  brûlé  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice, 
«  au  pied  du  grand  escalier  du  Palais;  qu'il 
«  sera  fait  défenses  à  tous  imprimeurs,  li- 
«  braires,  colporteurs  ou  autres,  del'impri- 
«  mer,  vendre,  colporter  ou  autrement  dis- 
«  tribuer,  à  peine  de  punition  exemplaire. 
«  Que  ledit  François-Charles  Huerne  de 
«  La  Mothe  sera  et  demeurera  rayé  du  la- 
«  bleau  des  avocats  étant  au  greffe  de  la 
«  Cour,  en  date  du  9  mai  dernier,  et  que 
«  l'arrêt  qui  interviendra  sur  leurs  présentes 
«  conclusions  sera  imprimé,  lu,  publié  et 
«  affiché  partout  où  besoin  sera.  » 

«  Eux  retirés; 

«  Examen  fait  dudit  imprimé,  la  matière 
«  sur  ce  mise  en  délibération; 

«  LA  COUR  ordonne  que  le  livre  en  ques- 
tion sera  lacéré  et  brûlé  par  l'exécuteur  de 
la  haute  justice,  au  pied  du  grand  escalier 
du  Palais;  fait  défenses  à  tous  imprimeurs, 
libraires,  colporteurs  ou  autres,  de  l'impri- 
mer, vendre,  colporter  ou  autrement  dis- 
tribuer, à  peine  de  punition  exemplaire: 
ordonne  en  outre  que  ledit  François-Charles 
Huerne  de  la  Mothe  sera  et  demeurera  rayé 
du  tableau  des  avocats  étant  au  greffe  de 
la  Cour,  en  date  du  9  mai  dernier;  comme 
aussi  ordonne  que  le  présent  arrêt  sera  im- 
primé, lu,  publié  et  affiché  partout  où  be- 
soin scn. 


(741)  Page  53. 


1205 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LlhRE 


1206 


«  Après  quoi  le  bâtonnier,  accompagné 
desdits  anciens  avocats,  étant  rentrés-,  Mon- 
sieur le  premier  président  leur  a  fait  en- 
tendre l'arrêt  ci-dessus,  et  adressant  la  pa- 
role au  bâtonnier,  leur  a  dit:  «  Qu'ifs  trou- 
«  veraient  toujours  la  Cour  disposée  à  con- 
«  courir  avec  eux  pour  appuyer  de  son  au- 
«  torité  le  zèle  dont  ils  étaient  animés  pour 
«  tout  ce  qui  intéresse  l'ordre  public  et  la 
«  discipline  du  barreau.  » 

«  Fait  en  Parlement,  le  vingt-deux  avril 
mil  sept  cent  soixante-un. 

«  Signé:  Isabeau.  » 

«  Et  le  vingt-trois  avril  audit  an  mil  sept 
cent  soixante-un,  à  la  levée  delà  Cour,  récrit 
mentionné  en  l'arrêt  ci-dessus  a  été  lacéré  et 
brûlé  dans  la  cour  du  Palais,  etc. 

«  Signé:  Isabeau.  » 

Huerne  de  la  Mothe  fut  insensible  à  cet 
arrêt  flétrissant.  Il  osa  encore  donner  en 
1762  une  brochure  scandaleuse,  intitulée: 
Apologie  du  théâtre  adressée  à  Mlle  Clairon, 
actrice  de  la  Comédie-Française.  11  s'y  donne 
(p.  5)  pour  un  écrivain  obscur;  il  aurait  dû 
ajouter  et  téméraire,  puisqu'il  avait  si  peu 
de  respect  pour  l'esprit  des  lois  sur  la  pro- 
fession de  comédien.  On  a  sur  cette  matière 
une  tradition  de  jugements.  En  voici  un  qui 
était  récent. 

Deux  particuliers  s'étaient  associés  en 
17G0  pour  une  entreprise  de  spectacles. 
L'un  des  deux  y  renonça  par  un  motif  de 
conscience.  L'autre  n'y  eut  aucun  égard,  et 
il  en  résulta  une  instance  judiciaire.  L'avo- 
cat Elie  de  Beaumont  se  chargea  de  défendre 
Ja  cause  du  dernier,  et  hasarda  de  prouver 
que  l'état  de  comédien  était  légitime  et 
honnête.  Il  perdit  honteusement  sa  cause 
par  lejugement  qui  intervint. 

L'arrêt  du  9  décembre  1541,  ci-devant 
cité  page  4-17,  fut  aussi  rendu  contradictoi- 
iement.  On  y  voit  que  les  entrepreneurs 
des  jeux  de  théâtres  eurent  la  liberté  de  se 
défendre,  et  que  leurs  futiles  arguments 
succombèrent  sous  le  poids  des  raisons  qui 
leur  furent  opposées  par  M.  Le  Maistre, 
qui  dans  celte  cause  parla  pour  M.  le.  pro- 
cureur général. 

Il  est  vrai  qu'il  n'y  était  encore  question 
que  de  nos  sotties  ou  farces  pieuses,  et  des 
premiers  rudiments  de  notre  théâtre.  Mais, 
lorsqu'après  avoir  abandonné  ces  spectacles 
indigènes,  nous  avons  imité,  bien  ou  mal, 
le  génie  soit  du  théâtre  des  anciens  Grecs  et 
Romains,  soit  de  celui  de  nos  voisins, 
comme  des  Italiens,  Espagnols,  etc. ,  les 
mœurs  n'en  ont  pas  été  plus  en  sûreté. 

C'est  contre  ce  nouveau  genre  de  specta- 
cles que  le  10  décembre  1588,  sur  le  réqui- 

(742)  «  Jusgo  convenir  mas  dcslerrar  estas  co- 
inctlias,  conio  cl  calliolico  rey  Don  Phelippe  H,  lo 
rùzo,  cig.  >  (Pedro  de  Gu.vmAn,  dise.  G,  §  8,  c.  4.) 

i  Philippns  IV,  coinxdius  ab  H'ispaniui  regnis  lioc 
anoo  I  i4>,  ni  coininiiiH'in  pcslem  regio  ablegavit 
edirlo.  »  (Ant.  de  Esc,  Mor.,  iract.  5,  c.  4.) 

(74">)  «  Quaeque  crescenlia  perniciosa  suni,  eadem 


sitoire  d'Antoine  Séguicr,  a. ors  avocat  gé- 
néral, il  intervint  un  arrêt  qui  défendit  à 
tous  comédiens  italiens  et  fiançais  de  jouer 
des  comédies  soit  aux  jours  de  fêtes  ou  ou- 
vrables, quelque  permission  qu'ils  eussent 
impélrée  ou  obtenue. 

Les  comédiens  espagnols  éprouveront 
aussi  les  mêmes  échecs  sous  Philippe  H  et 
Philippe  IV,  qui  les  chassèrent  d'Espa- 
gne (742).  «  Ces  deux  monarques,  disent 
Mariana  et  Gusman ,  s'y  déterminèrent, 
parce  qu'ils  reconnurent  que  ce  qui  est  es- 
sentiellement mauvais  dans  son  objet  ne 
peut  jamais  devenir  bon.  »  Tout  établisse- 
ment, en  effet,  qui,  comme  le  dit  Cicéron, 
est  pernicieux  dans  ses  orogrès,  est  mauvais 
en  naissant  (743). 

Art.  49  de  l'arrêt  du  parlement  de  Paris,  du 
29  janvier  17G5,  portant  règlement  pour  les 
collèges  qui  ne  dépendent  pas  de  l'Univer- 
sité. 

«  La  distribution  des  prix  se  fera  dans 
chaque  collège  à  la  fin  de  la  tenue  des  clas- 
ses, au  jour  qui  sera  réglé  par  le  bureau  ; 
elle  ne  pourra  être  précédée  que  d'un  exer- 
cice de  rhétorique  ou  d'humanités,  sans 
qu'il  puisse,  en  aucun  cas,  conformément  aux 
statuts  de  l'Université  de  Paris,  être  représenté 
dans  les  collèges  aucune  tragédie  ou  comé- 
die. » 

Extraits  des  statuts  de  l'Université. 

Omnes  collegiorum  prœfecti  et  moderato* 
res  caveant  ne  in  suis  gymnasiis  satyrae  et 
declamationes  recitentur,  aut  tragœdiœ,  co- 
mœdiœ,  fabule?.,  aut  alii  ludi  latini  vel  Gal- 
lici  cxhibeanlur,  quibus  lascivia,  petulantia, 
procacitas  excitetur.  (Statut  35.)  «  Tous  les 
principaux  et  recteurs  des  collèges  pren- 
dront garde  qu'on  ne  récite  pas  dans  leurs 
écoles  des  satires  ou  des  déclamations,  et 
qu'on  n'y  représente  point  des  tragédies  ni 
des  comédies,  ni. des  fables,  ni  d'autres  jeux, 
soit  en  latin,  soit  en  français,  ces  sortes 
d'exercices  étant  dangereux  pour  les 
mœurs.  » 

Ut  omnis  occasio  tollatur  scholasticos  a 
studiis  avocandi,  aut  ad  nequitiam  adducen- 
di,  omnes  hislriones  ab  Academiœ  finibus  mi* 
grenl,  et  ultra  pontes  ablegentur.  [Ibid.,  Stat, 
29.)  «  Afin  d'ôter  aux  écoliers  toutes  sortes 
d'occasions  qui»  les  pourraient  détourner  de 
leurs  études  et  les  porter  au  mal,  que  tous 
bateleurs  comédiens  soient  chassés  du  quar- 
tier de  l'Université,  et  qu'ils  soient  relégués 
au-delà  des  ponts.  » 

«  Qu'on  lise,  dit  de  Voisin  (744),  tous  les 
écrilsqui  nous  restentde  l'antiquité,  louchant 
les  exercices  des  écoliers  dans  les  collèges, 
on  ne  trouvera  pas  que  dans  les   plus  beaux 

snnl  viliosa  nascenlia...  Qui  ciiam  \iliis  modtim 
apponit ,  is  parlera  suscipit  viiiorum.  i  l  Cic, 
Tus.  4.) 

(744)  Dans  son  ouvrage  intitulé  :  Défense  du 
Traité  de  M.  le  prince  deConti  contre  ta  cotnédi?  , 
cic;  Paris,  1071. 


1207 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1208 


siècle*  de  la  république  romaine  ,  on  ait 
exercé  les  entants  à  représenter  dus  tragé- 
dies et  des  comédies.  » 

On  sa\\  que  Néron  porta  le  dernier  coup 
aux  mœurs,  en  communiquant  aux  jeunes 
gens  sa  passion  pour  les  théâtres.  «  De  Ici, 
dit  Tacite,  vinrent  des  désordres  honteux; 
et  Ton  vit  jusqu'aux  grands  de  l'Etat  se  des- 
honorer en  mantant  sur  le  théâtre,  sons  pré- 
texte de  s'exercer  à  la  déclamation  (745).  » 

Il  convenait  donc  de  défendre  d'occuper 
.es  enfants  à  des  exercices  qui  leur  donne- 
raient du  goût  pour  des  amusements  qu'un 
Tcicile  traite  de  honteux.  Il  n'est  que  trop 
ordinaire  de  s'engager  insensiblement  dans 


belles-lettres,  nous  a  donné,  sur  le  môme 
ohjet ,  les  réflexions  les  plus  solides,  dans 
son  ouvrage  intitulé  :  Principes  de  la  litté- 
rature.. 

«  C'est  assurément,  dit  cet  habile  rhéteur, 
une  perte  de  temps  pour  les  jeunes  gens, 
que  de  leur  donner  des  rôles  dramatiques  à 
représenter.  Cet  exercice  n'apprend  rien  que 
le  goût  et  la  lecture  ne  leur  apprissent  suf- 
fisamment sans  cela.  Ils  perdent  le  Irain  de 
leurs  études  et  prennent  du  goût  pour  la 
dissipation.  Et  cet  inconvénient,  tout  gnnd 
qu'il  est,  est  peut-être  encore  le  moindre 
qui  puisse  en  arriver.  » 
Quant  à  ceux  qui  disent  qu'on  ne  fait 
la  milice  des  passions,  lorsqu'on  en  étudie  le  jouer  aux  jeunes  gens  des  pièces  de  théâ- 
langage,  comme  on  le  fait  dans  les  jeux  scé-  Ire  que  pour  leur  bien  et  pour  les  former, 
niques.  D'ailleurs,  quelle  perte  de  temps  Batteux  démontre  qu'on  n'en  prend  pas  les 
danslesétudes  classiques  n'en  résulte-l-il  pas     moyens. 

pour  les  acteurs  des  exercices  dramatiques  1  «  Les  maîtres,  dit-il,  qui  distribuent  les 
Enfin,  disait  Du  Vair,  on  n'envoie  pas  les  rôles,  n'ont  pas  toujours  ce  but.  Comme  ils 
enfants  aux  écoles  pour  en  faire  des  corné-  veulent  se  faire  honneur  de  l'exécution  d'une 
diens.  Aussi  ce  grand  magistrat,  dès  qu'il  fut  pièce,  ils  font  la  distribution  des  rôles  selon 
élevé  à  la  dignité  de  garde  des  sceaux  (745  ce  point  de  vue.  Ainsi,  ils  choisissent  ceux 
bis),  fit  défendre  aux  principaux  et  recteurs  qui  peuvent  le  mieux  rendre  les  caractères 
des  collèges  les  représentations  des  comédies  des  personnages  de  la  pièce,  qui  ont  poul- 
et tragédies  (746);  et  il  les  obligea  den'exer-  cela  une  disposition  déjà  naturelle;  ce  qui 
cer  les  jeunes  gens  dans  l'art  de  la  pronon-  assure  aux  enfants  un  défaut,  quelquefois 
ciation  que  selon  la  méthode  des  anciens  même  un  vice  pour  toute  leur  vie.  Frequens 
rhéteurs.  imitalio  transit  in  mores. 

«  Je  ne  veux  pas,  dit  Quintilien ,  que  le  «  Par  exemple,  un  jeune  homme  est  petit 
disciple  à  qui  j'apprends  l'art  de  prononcer  maître,  précieux,  on  le  choisit  pour  relie 
déguise  sa  voix  en  celle  de  femme,  ou  la  raison  pour  faire  le  petit  marquis,  le  fat.  Il 
rende  tremblante  comme  celle  des  vieillards;  est  paresseux  et  indolent,  on  lui  fera  jouer 
je  ne  veux  point  aussi  qu'il  contrefasse  les  l'indolence  et.  la  paresse.  Il  est  haut,  il  fera 
vices  des  ivrognes  ni  le  libertinage  des  le  glorieux.  Il  est  menteur,  il  fera  le  prin- 
valets,  ni  qu'il  apprenne  les  passions  d'à-  cipal  rôle  dans  la  comédie  de  Corneille.  11" 
mour,  d'avarice  ou  '.de  crainte,  qui  ne  sont  est  dur,  il  jouera  Atrée.  S'il  est  dissipé,  po- 
point  nécessaires  à  un  orateur,  et  qui  peu-  lisson,  étourdi,  il  fera  le  valet,  de  manière 
vent  corrompre  l'esprit  tendre  des  enfants  que  des  défauts  et  des  vices  qu'on  devrait 
dans  leurs  premières  années  ;  car,  ce  qu'on  corriger  par  l'éducation  se  concentrent  par 
imite  souvent  passe  en  coutume  et  en  ha-  ce  moyen  dans  le  caractère, 
bitude;  et  même  toutes  sortes  de  gestes  et  «  L'éducation  chrétienne,  l'éducation 
de  mouvements  de  comédienne  doivent  pas  mondaine,  même  si  elle  est  sérieuse  et  dé- 
être imités;  parce  qu'encore  que  les  gestes  conte,  a-t-elle  besoin,  pour  être  parfaite,  de 
elles  mouvements  conviennent  à  l'orateur  leçons  de  comédiens  ?  Ne  peut-on  point  trou- 
en  quelque  manière,  ils  doivent  toutefois  ver  d'autres  moyens  d'exercer,  de  former 
être  fort  différents  de  ceux  des  acteurs  de  la  les  jeunes  gens  et  de  leur  donner  des  grâ- 
scène;  il  faut  que  dans  le  mouvement  de  ces?  Ne  peuvent-ils  s'essayer  devant  le  pu- 
son  visage,  et  dans  les  gestes  de  ses  mains,  blic,  sans  prendre  la  voix  aigre  d'un  vieillard 
et  dans  ses  digressions,  il  n'y  ait  rien  qui  quinteux,  ou  les  airs  impertinents  d'un  fa- 
ne soit  modéré;  car,  s'il  y  a  quelque  art  à  quin?  En  un  mot,  ne  peuvent-ils  entrer  dans 
observer  en   es   choses,  c'est  de  prendre     le   monde   honnête    qu'en     descendant  du 


garde    qu'il    n'y     paraisse    rien     d'artifi- 
ciel (747).  » 

Batteux,  professeur  au  collège  royal,  et 
de  l'Académie  royale  des   inscriptions    et 

(745)  c  Nero  instiluit  ludos....  inde  gliscere  fla- 
giiia  el  infamia...  vix  anibtisboneslispudor  reline- 
tur,  nedum,  inler  cerlamiaa  vilioruin,  pudicilia  , 
aut  modeslia,  aut  quidquam  probi  nioris  reservare- 
tur...  dégénérât  juventus  el  otia  el  turpes  amores 
exercendo;  et  proccres  Romani  specie  oraiionum  et 
carminum  scena  polluunlur.  •  (Annal.,  lit»,  xit.) 

(745*)  En  1616. 

(746)  Ce  fait  est  rapporté  page  286  du  livre  de 
M.  Voisin,  cwdevant  eilé. 

(747)  «  Non  enim  puerum,  quem  in  pronunliandi 
scienlia  insliluinms,  aul  feminx  vocis  [exililale 
fj.angi  volo,  aul  sembler  iremere.  Ncc  vilia  ebric- 


théâtre?  » 

On  peut  ajouter  à  ces  réflexions  de  Bat- 
teux l'anecdote  suivante,  rapportée  dans  le 
uremier  tome  du  Dictionnaire  des  passions, 

lalis  eiTingat,  nec  servili  vernililale  imbuatur  :  nec 
anioris,  avarilix,  motus  discal  afloclum  :  quse  neque 
oraiori  sunt  necessaria,  et  mentem  praecipue  in 
xlale  prima  leneram  adbuc  el  rudem  inliciunt.  Nain 
lïcquens  imilalio  transit  in  mores.  Ne  gestus  quidem 
omnis,  ac  moins  a  comœdis  pclendus  esl.  Quam- 
quam  enim  ulrumque  eorum  ad  qucmdam  mort  uni 
praeslare  debcl  oraior,  plurimum  (amen  aberit  a 
scenico,  nec  vullu,  ncc  manu,  nec  excursionibus 
nimius.  Nain  si  qua  in  bis  ars  esl  dicenlium,  ea 
prima  est,  ne  ars  videalur...  i  (QoiNT.,  Institut 
oral.,  lib.  i,  cap.  1 1.) 


1209 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1210 


des  vertus  et  des  vices,  imprimé  en  1769. 

«  M.  Hébert,  curé  de  Versailles,  et  en- 
suite évêque  d'Agen,  disait  à  madame  de 
Mainlenon  que  les  divertissements  du  théâ- 
tre devaienl  être  proscrits  de  toute  bonne 
éducation.  Voire  grand  objet,  Madame,  lui 
disait-il,  est  de  porter  vos  élèves  de  Saint- 
Cyrà  une  grande  pureté  de  mœurs.  N'est  ce 
pas  détruire  cette  pureté  que  de  les  exposer, 
sur  un  théâtre,  aux  regards  avides  de  toute 
la  cour?  C'est  fortifier  ce  goût  qu'il  est  si 
naturel  à  leur  sexe  d'avoir  pour  la  parure, 
que  souvent  les  femmes  les  plus  chastes, 
comme  le  dit  saint  Jérôme,  ont  cette  fai- 
blesse, non,  à  la  vérité,  pour  plaire  aux 
yeux  d'aucun  homme,  mais  pour  plaire  à 
elles-mêmes  (748).  C'est  leur  ôter  cette 
honte  modeste  oui  les  retient  dans  le  devoir. 

(7-i-S)  «  ©àox05'fjtov  genus  feminenm  est.  Mullas- 
que  eliam  insignis  padicilise,  quamvis  nulli  viroruiii, 
l.mi'jii  sibi  scitnus  libenter  ornari. ..  Ad  quae  ardent 


Une  fille  redoutcra-l-clle  un  tôle-à-tête  avec 
un  homme,  après  avoir  paru  hardiment  de- 
vant plusieurs?  Les  applaudissements  que 
les  spectateurs  prodiguent  à  la  beauté,  aux 
talents  de  ces  jeunes  personnes,  ne  doivent- 
ils  pas  produire  les  plus  mauvais  effets?  » 

Tous  les  exemples  qu'on  pourrait  citer 
pour  contredire  ces  principes  de  morale  ne 
peuvent  faire  autorité  contre  des  règles  sug- 
gérées par  la  raison,  et  prescrites  par  la  re- 
ligion. Il  ne  faut  'point  se  livrer  aux  cou- 
tumes licentieuses  qui  tendent  à  détruire  les 
germes  des  vertus  et  à  y  substituer  les  vices 
contraires.  Corruptela  malœ  consuetudinis 
igniculi  extinguuntur  a  natura  dati,  exoriun- 
turque  et  confirmantur  vilia  contraria. 
(Cicer.  ,  lib.  ii  De  leg.) 

et  iiisaniiinl  stndia  inatronanim.  »  (Iîierom.,    Epist. 
ad  Gaudent.  et  ad  Demetr.) 


ADDITION 


On  a  eu  ci-devant  occasion  d'avancer  que 
les  ministres  de  l'Eglise  protestante  con- 
damnaient aussi  les  théâtres  publics.  Il  a 
paru  convenable  d'ajouter  ici,  en  preuve  de 
cette  assertion,  les  notices  de  quelques  ou- 
vrages faits  sur  ceUe  matière  par  les  écri- 
vains de  cette  communion. 

On  en  vit  plusieurs  s'élever  contre  les  ef- 
forts que  l'on  fit  dans  le  dernier  siècle  pour 
justifier  les  spectacles  dramatiques,  sous 
prétexte  que  du  côté  de  l'art  ils  étaient  de- 
venus plus  intéressants. 

Martin  Buccr,  célèbre  ministre  luthérien, 
mort  en  Angleterre  vers  1551,  avait  attaqué 
vivement  les  spectacles  de  son  temps,  dans 
son  traité  De  regno  Chrisli.  Cependant,  ce 
ministre,  qui  établit  le  premier  la  prétenduo 
réforme  à  Strasbourg,  ne  devait  pas  avoir 
des  mœurs  bien  austères.  Il  avait  été  domi- 
nicain ;  et  il  paraît  qu'il  ne  déserta  de  son 
ordre  et  de  TEglise  catholique,  que  pour 
satisfaire  sa  passion  pour  une  religieuse, 
dont  il  eut  treize  enfants.  Au  reste,  son  té- 
moignage contre  les  spectacles  en  doit  avoir 
en cor a  plus  de  force. 

André  Rivet,  ministre  calviniste  de  France, 
mort  a  Breda  en  1651,  donna,  en  1639,  l'é- 
crit qui  suit,  et  qui  se  trouve  aussi  en  latin 
dans  le  recueil  de  s<'S  OEuvres,  qui  forment 
3  vol.  in-fol.  Cet  écrit  e.«-t  intitulé:  Instruc- 
tion touchant  tes  spectacles  publics  des  comé- 
dies et  des  tragédies,  où  est  décidée  la  ques- 
tion, s'ils  doivent  être  permis  par  le  magistrat, 
ci  si  l'on  peut  y  assister  en  bonne  conscience, 
avec  le  jugement  de  l'antiquité  sur  le  même 
objet  :  par  André  Rivet,  docteur  en  théolo- 
gie ;  à  La  Haye,  chez  Théod.  Le  Maire,  1639. 

Dreux  Du  Radier  en  a  donné  un  extrait 
dans  le  troisième  volume  d'un  de  ses  ouvra- 
ges, intitulé  :  bibliothèque  historique  et  cri- 
tique du  Poitou.  5  vol.  in-12.  Ce  savant  phi- 
lologue y  paraît  surpris  de  ce  que  cet  écrit 
de  Rivet  n'est  pas  aussi  connu  qu'il  le  mé- 


rite. Ses  regrels  à  cet  égard  sont  une  preuve 
de  l'intérêt  qu'il  prend  aux  bonnes  mœurs. 
On  a  lieu  de  penser  que  les  lecteurs  ne  trou- 
veront pas  mauvais  qu'on  insère  ici  en  en- 
tier son  extrait. 

«  L'ouvrage  de  Rivet,  sur  les  speclacles 
publics,  est  divisé  en  dix  chapitres.  Rivet 
y  parle,  dans  le  premier,  de  la  nécessité 
qu'il  y  avait  de  publier  son  Traité  contre  la 
comédie,  dans  un  temps  où  l'on  va  jusqu'à 
ériger  les  comédiens  en  docteurs  et  les  corné 
dies  en  leçons  morales  propres  à  réformer 
le  vice.  Il  ajoute,  en  répondante  ceux  qui 
prétendent  qu'il  ne  se  trouve  point  de  dé- 
fense expresse  dans  l'Ecrilure  sainte  Je  fré- 
quenter les  spectacles  ;  que  quand  cela  se- 
rait, ces  défenses  sont  si  nécessairement 
conséquentes  de  la  pureté  évangélique, 
qu'elles  doivent  être  regardées  comme  bien 
disertement  exprimées. 

«  Il  déclare  dans  le  second  chapitre,  qu'il 
n'entend  parler  |que  des  speclacles  usités, 
tels  que  la  comédie  et  la  tragédie,  qu'il  croit 
également  dangereux  jour  les  mœurs. 

«  Dans  le  troisième  chapitre,  il  examine 
la  fin  des  acteurs  et  celle  des  spectateurs. 
La  première  consiste  dans  le  désir  d'uu  gain 
peu  honnête,  et  fondé  sur  le  plaisir  du  spec- 
tateur dont  on  cherche  à  irriter  les  passions 
par  la  voie  des  sens,  et  surtout  par  celle  do 
l'ouïe  et  celle  des  yeux.  La  fin  que  se  pro- 
pose le  spectateur  est  la  volupté.  Il  prouve 
(pie  l'une  et  l'autre  sont  presque  toutes  fon- 
uées  sur  la  ruine  des  mœurs  et  de  l'inno- 
cence du  cœur  et  de  l'esprit. 

«  Il  ajoute  que  si  le  spectacle  n'offrait 
qu'une  morale  saine  et  sérieuse,  le  théâtre 
serait  bientôt  abandonné.  Et  il  faut  coinrii- 
nir  qu'il  a  raison.  Phèdre,  tout  incestueuse 
qu'elle  est,  touche  plus  qu'elle  n'instruit. 
Les  tons,  les  regards,  le  geste,  l'âme  (pie 
l'auteur  donne  à  toutes  les  [lassions,  sont  ia 
source  de  la  volupté  et  du  plaisir  qui  affecta 


5211                                                     DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.  1212 

le  spectateur  ;  et  la  volupté  n'est  guère  ani-  Qu'on  joigne  à  cela   les  enchantements  et 

logue  aux   préceptes  de  la  vie  vertueuse,  l'ensemble  du  spectacle;  on  conviendra  de 

C'est  ce  qu'il  prouve  dans  le  quatrième  cha-  la  différence  d'une   lecture   tranquille  à  la 

pitre,  qui  fait  la  suite  du  précédent.  représentation  animée  d'une  pièce. 

«  11  s'élève  fortement  dans  le  cinquième  «  L'auteur  emploie  le  dixième  et  dernier 

contre  ceux  qui  emploient  des  sujets  tirés  chapitre  à  prouver  que  la  dépravation  des 

de  l'Ecriture  sainte  pour  le   théâtre.  Il  se  mœurs  ne  justifie  que  trop  son  Traité.  » 

fonde  sur  le  respect  dû  à  la  majesté  des  tex-  On  doit  savoir  autant  de  gré  à  Dreux  du 

tes  sacrés,  qu'on  ne  saurait  faire  servir  aux  Radier  d'avoir  donné  cet  extrait,  qu'on  en  a 

passe -temps  sans  la   profaner.  Il   cite   le  su  au  P.  Berthier,  lorsqu'il  a  donné  celui  de 

sentiment  du   Jésuite  Marianna  daus  son  l'ouvrage  de  D.  Ramire,  qu'on  a  ci-devant 

Traité  des  spectacles,  sur  l'indécence  de  Pu-  rapporté.  Ces  deux  extraits  établissent  que, 

sage  où  l'on  était  en  Espagne  de  représcn-  dans   les  communions  romaine  et  protes- 

ler  des  comédies  dans  1rs  églises,  et  ce  que  tante,  il  y  a  toujours  eu,  de  la  part  des  gens 

dit  le  même  auteur  sur  la  sainteté  des  sujets,  sensés,    une    ligue    offensive    contre    les 

qu'il  ne  convient  pas  que  les  actions  des  théâtres. 

saints  soient  représentées  par  des  infâmes.  Jl  y  en  a  eu  quelques-uns  qui,  s'intéres- 

II    rapporte  ce  que  dit  le    même  Mariana  sant,  comme  littérateurs,  à  l'art  dramatique, 

d'une  comédienne  qui  représentait  la  Ma-  en  ont  parlé  avec  éloge;  mais  ils  n'ont  pas 

deleine  et  qui  fut  surprise  derrière  le  théâ-  prétendu  faire  l'apologie  des  théâtres  pu- 

tre,  dans  une  action  bien  opposée  à  la  di-  blics,  tels  qu'ils  sont  et  qu'ils  seront  tou- 

gnité  du  rôle,  avec  un  acteur  qui  représen-  jours,  pour  être  capables  d'attirer  et  d'amu- 

tait  celui  du  Sauveur,  Il  parle  de  l'abus  des  ser  la  multitude. 

drames  appelés  mystères,  et  de  ces  farces,  Louis  Fabrice,  par  exemple,  auteur  pro- 

en  personnifiant  ties   êtres  métaphysiques,  testant,   professeur  en  théologie  à  Heidel- 

on  mettait  des  principes  de  morale  en  action,  berg,  a  donné  un  petit  traité  sur  les  jeux 

Il  termine  ce  chapitre  par  la  défense  que  scéniques,    intitulé  :  De  iudis  scenicis.  On 

fit  de  ces  pièces  le  Pape  Innocent  III.  pourrait  abuser  de  ce  qui  y  est  dit  en  fa- 

«  Dans  les  6,  7  et  8e  chapitres,  l'auteur  vcur  de  l'art  dramatique.  Mais   Bayle,   en 

prouve  les  Jangersdes  spectacles.  La  prohi-  rendant  compte  de  cet  écrit  dans  les  Nou- 

b  tion  expresse  que  l'Eglise  en  a  faite  aux  telles  de  la  République  des  lettres,  du  mois 

chrétiens  dans  tous  les  temps  et  l'infamie  de  juillet  1G84,  y  déclare,  page  478,   que 

allachée  à  la   profession  de  comédien.  On  «  Fabrice   n'a   eu  en    vue  que  les   poésies 

trouve  dans  ces  chapitres  tous  les  passages  dramatiques  qui  n'ont  pour  but  que  d'exer- 

les  pi  us  décisifs  de  l'Ecriture,   des  Pères,  cer  la  jeunesse  et  de  l'instruire  agréable- 

des  conciles  et  des  législateurs.  ment  par  des  exemples   bien  représentés. 

«  Il  répond  dans  le  neuvième  chapitre  aux  Ce  n'est,  continue-t-il,  que  de  celte  sorte 

objections  qu'on  peut  faire  en  faveur  des  de  comédies  qu'il  se  rend  le  protecteur,  et 

théâtres.  Les  réponses  sont  les  plus  solides,  nullement  de  celles  où  l'on  fait  entrer  des 

«  Il  faut, 'dit-on,  quelque  amusement  au  raffinements  de    coquetterie    et    de  médi- 

peuple.  Mais  est-ce  pour  le  peuple  que  sont  sance.  » 

faits  nos  théâtres?  et  ne  sont-ils  pas  le  plus  On  a  vu  ci-devant,  première  lettre  de  Des- 
o  dinairemeit  fréquentés  par  une  classe  de  près  de  Boissy,  que  Bayle  pensait  sensé- 
personnes  su,  érieures  à  celles  à  qui  l'on  ment  sur  cette  malière. 
donne  le  nom  de  peuple?  Un  pareil  amuse-  On  voit  aussi,  dans  le  cinquième  tome  de 
ment  est  p'us'propre  à  donner  de  l'activité  la  Bibliothèque  ancienne  et  moderne,  que  Le- 
aux passions  qu'à  Ijs  amuser.  Il  inspire  la  clerc,  aussi  protestant,  était  du  sentiment 
paresse  et  les  autres  défauts  aussi  dange-  de  Bayle  contre  la  prétendue  utilité  qu'on 
reux.  à  la  société.  La  comédie,  dit-on,  cor-  attribue  aux  théâtres  pour  la  correction 
rige  les  vices.  Plaisante  correction  du  v  ce  des  mœurs.  Il  y  rend  compte  d'un  ouvrage 
que  celle  qu'en  font  des  gens  qui  y  sonties  italien  de  Paul  Matthias  Doria,  intiulé  :  La 
plus  livrés  1  On  évite  de  plus  grands  désor-  Vie  civile,  imprimé  à  Augsbourg,  en  1770. 
dres;  mais  n'est-ce  pas  plutôt  le  moyen  de  11  y  est  parlé  des  spectacles  publics, 
les  inspirer  ou  de  les  entretenir?  Eh*!  d'ail-  Doria,  eu  politique,  en  admet  la  tolé- 
Seurs,  un  mal  en  excuse-t-il  un  autre?  Enfui,  rance;  mais  il  observe  que  les  drames  mo- 
dit-on  encore,  on  met  Piaule,  Térence,  An-  dénies  devaient  être  réformés,  parce  que, 
stophane,  Sophocle,  Euripide,  dans  les  mains  dit-il,  on  y  tlattede  fausses  vertus,  et  qu'on 
des  jeunes  gens;  mais  la  ditférence  n'est-  y  fait  passer  des  vices  grossiers  pour  des 
elle  pas  infinie  entre  la  lecture  et  la  repré-  choses  très-pardonnables, 
sentalion  d'une  pièce?  Le  lecteur  n'est  sen-  Cet  auteur  voulait  qu'on  se  rapprochât  du 
sible  qu'aux  grâces  du  style,  qu'à  la  beauté  goàt  des  Athéniens,  chez  qui  le  théâtre  séi- 
des pensées,  au  lieu  que  le  spectateur  est  vait  non-seulement  à  encourager  la  vertu, 
exposé  à  tous  les  charmes  d'une  déclama-  mais  encore,  en  des  cas  particuliers,  pour 
tion  animée,  d'un  geste  vif,  d'une  voix  se-  des  vues  politiques,  et  il  en  cke  cet  exemple: 
duisanle,  des  attitudes  d'une  actrice  qui  «  Les  tyrans  d'Athènes,  craignantla  grande 
n'épargne  rien  pour  séduire  le  cœur,  et  s'at-  vénération  que  le  peuple  avait  pour  Socrate, 
tirer  tout  le  tribut  qu'on  peut  rendre  aux  et  voulant  le  condamner  à  la  mort,  comme 
grâces  et  à  If.  beauté  d'un  sexe  qui  n'a  pas  coupable  d'avoir  découvert  au  peuple  les 
besoin  de  tant  d'art    oour   nous  séduire  ornières  les  dIus  cachés  de  la  philosophie. 


12-13 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


1414 


?ie  se  hasardèrent  point  à  le  faire,  avant 
qu'Aristophane  ne  l'eût  tourné  en  ridicule 
en  ces  comédies,  afin  qu'après  l'avoir  décré- 
dité dans  l'esprit  des  gens,  ils  le  pussent 
faire  mettre  en  prison  et  le  condamner  à  la 
mort  sans  danger.  » 

Leclerc  fait,  à  ce  sujet,  celte  réflexion  : 
«  Cet  exemple  est  plus  propre  a  décréditer 
l'usage  des  spectacles  qu'à  l'appuyer,  puis- 
qu'ils servaient  à  perdre  la  plus  pure  vertu 
autant  qu'à  amuser  le  peuple.  Ces  tyrans 
haïssaient  la  vertu  de  Socrate,  et  ne  le  firent 
mourir  que  parce  qu'il  n'approuvait  pas  leur 
conduite,  sous  prétexte  qu'il  enseignait  des 
choses  contraires  à  la  religion  de  leurs  an- 
cêtres, et  qu'il  corrompait  la  jeunesse. 

«  Je  croirais  qu'au  lieu  des  théâtres,  un 
des  meilleurs  moyens  pour  établir  de  bon- 
nes habitudes  serait  l'observation  rigou- 
reuse des  bonnes  lois.  On  s'accoutume  par 
là  à  bien  faire,  plus  que  par  toutes  les  leçons 
du  monde.  Et  sans  cela,  les  lois  sont  inu- 
tiles, selon  ce  mot  d'Horace  : 

Qttid  leges  sine  moribus 
Vanœ  pruficiuiit  ? 

(Od.  24,  lib.  in.)| 

«  C'est  donc  aux  princes  et  aux  magis- 
trats de  faire  en  sorte  qu'elles  soient  cons- 
tamment observées,  s'ils  ne  veulent  point 
voir  leurs  Etals  tomber  en  décadence  en 
très-peu  de  temps.  Ils  doivent  constamment 
récompenser  ou  protégerau  moins  la  vertu, 
et  punir  ou  décourager  le  vice  sans  accep- 
tion de  personnes.  » 

On  doit  conclure  de  ces  réflexions  que 
Leclerc  était  du  nombre  des  censeurs  des 
théâtres  publics: 

On  peut  encore  y  admettre  Samuel  We- 
renfels,  célèbre  protestant,  professeur  d'élo- 
quence, mort  à  Bâle  en  1740.  L'ouvrage  qui 
donne  lieu  de  parler  ici  de  ce  rhéteur  est 
vu  discours  latin  qu'il  fit  sur  l'art  drama- 
tique. Il  se  trouve  dans  le  second  volume 
du  Recueil  de  ses  Dissertations. 

Werenfels  n'avait  pas  vingt  ans  quand  il 
lecomposa.il  paraît  qu'il  avait  alors  beau- 

(749)  Nemo  veslrum  vilio  niihi  verlct  si  in  hoc 
humanissiniorum  bominum  concurs»  ego  non  mer- 
cede  condnclonim  liistrionum  ,  non  vilissiniorum 
pantoiuinioriiin,  non  vagorum  circumforaneorum, 
'sed  adolescenliuin  ingenuorum,  el  ipse  adolescens 
pairocininm  snscipio,  qui  a  viris  discrlis  et  ingenio- 
sis  ex  aMis  regulis  elaborala  dramala,  casia,  bo- 
nesla,  plena  utilissimarum  pnrcepiionum ,  plena 
gravissimarura  senlenliarnm,  convenienii  rébus  el 
voce  etgeslu  agcre  consueveriinl.  ...  Al  liic  vereor 
ne  qui  Si  ni  inier  vos,  qui  ex  nie  quxrunl  :  Quid  agis, 
adolescens?  Tu  ne  coinœdos,  hisiiïones,  ininios,  ex 
eloquenlia;  sludiosis  facere  paras?  Ego  ne  bisirio- 
«es?  Quos?  An  viles  illos,  qui  in  scenain  prodeunt, 
mercede  conducli  ?  Qui,  qu;eslus  c.iu^a,  quamlibel 
persouam  induunl?  Qui  passiin  per  urbes  vaganles 
arlem  suam  venaient  habcnl  ?  Qui  Roinano  jure 
inf.tinia  nolanlur?  Qui  non  nisi  spurcos  aniores, 
lurpissimas  merelrices,  impuros  hallioncs  produ- 
cmii?  Qui  obscenis  alquc  impudu  is  diclis,  I  scivis 
niolibus  risuin  spcctalorum  caplanl?  Qui  virtuleiri 
rident,  vltiis  applaudunif  Quibus  fur  la,  adullcria, 
siupra,  fraudes,  cavdei,  pcrjuria,   udi  jcciquc  suhtï 


r 


coup  de  goût  pour  les  jeux  do  Thalie  et  de 
Mclpomène  :  néanmoins,  l'éloge  qu'il  en  fait 
ne  s'étend  pas  aux  théâtres  publies. 

Ce  discours,  qu'il  prononça  dans  une  as- 
sembléeacadémique,estétabli  surles  mêmes 
principes  que  celui  du  P.  Porée,  dont  il  a  été 
ci-devant  parlé. 

«  Je  ne  prétends  point,  dit  Werenfels, 
ilaider  la  cause  de  ces  vils  histrions  que 
'intérêt  dévoue  au  divertissement  du  peuple. 
Je  ne  m'intéresse  que  pour  les  jeunes  gens 
de  mon  âge  qu'on  exerce  à  apprendre  et  à 
déclamer  des  drames  que  des  savants  et 
vertueux  littérateurs  ont  composés,  et  où 
tout  se  rapporte  à  la  formation  du  cœur  et 
de  l'esprit....  ISe  croyez  pas  que  je  veuille 
vous  conduire  aux  théâtres  publics,  où  des 
histrions,  du  genre  de  ceux  que  Rome 
païenne  notait  d'infamie,  n'exposent  à  leurs 
spectateurs  que  des  amours  illégitimes,  des 
obscénités,  des  adultères,  des  parjures;  où 
l'on  traite  de  folie  el  d'imbécillité  la  mo- 
destie, la  candeur,  la  retenue,  la  pudeur, 
la  probité  scrupuleuse,  la  religion....  Ne 
croyez  pas  que  je  veuille  vous  exciter  à  des 
spectacles  dont  l'effet  réel  est  de  nous  faire 
passer  des  mœurs  du  christianisme  à  celies 
du  paganisme,  en  nous  donnant  pour  des 
actes  de  grandeur  d'âme  a  l'ambition ,  ia 
cruauté,  la  vengeance,  les  duels,  le  sui- 
cide, etc.  Dieu  me  préserve  de  vous  inviter 
à  fréquenter  une  école  d'impiété,  sous  pré- 
texte de  vous  perfectionner  l'esprit  I  11  vaut 
mieux  bégayer  et  même  être  muet,  que  de 
s'exposer  à  de  si  grands  risques  pour  de- 
venir plus  éloquent....  Quand  je  loue  les 
drames,  j'entends  ceux  où  de  jeunes  in- 
génus se  trouvent  comme  forcés  à  con- 
tracter des  mœurs  honnêtes,  à  aimer  la 
vertu  et  à  concevoir  de  l'horreur  pour  le 
vice  (74-9).   © 

Un  pareil  discours  est  une  censure  évi- 
dente de  tous  les  théâtres  publics  et  de  tous 
ces  spectacles  dont  la  perfection,  selon  Ga- 
chet,  consiste  à  flatter  tous  les  sens.  C'est  la 
définition  qu'il  en  donne,  dans  un  écrit 
qu'il  vient  de  donner  sous  ce  titre  :  Obset- 

Quibus  moileslia,  candor,  caslitas,  frdes,  probiîas, 
religio,  esl  slullilia  ?  Qui  nos  ex  Cbrisliana  Ectle- 
sia  in  paganisnium  idenlideni  iraducunl  ?  Nil  nisi 
deos  deasqne  crepanl,  hos  invocanl,  bis  vola  fa- 
ciuiil,  per  hos  dejeranl,  borum  flagilia  lam'anl, 
lioi  uni  cxenipluin  sceleribiis  suis  praeiexum . . . 
Qui  superbiam  qui  immanilatem,  qui  duella,  qui 
Rvroxst/Mun  lanquain  niagni  el  geueiosi  aninii  signa 
depingunl. . . .  Absil  a  me  !  absil  ul  iu  bac  iinpie- 
lalis  schola  lenerosadolescenliuni  animos  eloquenlia 
iinbui  vcliin  !  Quanlicunque  eani  fado,  lanli  lameii 
non  esl.  Salins  esl  el  balbuiiie,  imo  salius  muluin 
esse,  quain  non  sine  suinmo  aniuii  periculo  eloquen- 
liani  discere.  Hoc  prelio  si  eloquenlia  enierelur, 
niagno  niinis  enierelur....  Coniœdias  probo,  non 
condiK'loruin  liisli ionuin ,  sed  iiigenuorain  adole- 
srenliuiu. ..,  Coniœdias  probanius,  sed  caslas,  gra- 
ves, boneslas  :  sales  commendanuis,  sed  non  scur- 
liles,  non  obscenos. . . .  Lepores  |  laccnl,  sed  ur- 
bani;  joci,  sed  pudici  ;  dramala  quorum  loin  œvo- 
uomia  lendil  ad  ir.oruni  elegunliam,  ad  virlnlil 
amorem,  viliurura  boirorcni. 


1215 


DICTIONNAIRE  DES  MÏSTEKES. 


1216 


valions  sur  les  spectacles  en  général,  et  en 
particulier  sur  le  Colisée.  Paris,  1772.  «  Je 
crois,  y  dit  l'auteur,  page  22,  que  le  specta- 
cle qui  flattera  le  plus  sera  celui  qui  frap- 
pera plus  les  sens.  Tous  nos  sens,  dit  l'in- 
génieux auteur  du  livre  de  V Esprit,  sont 
autant  de  portes  par  lesquelles  les  impres- 
sions agréables  peuvent  entrer  dans  nos 
âmes  :  plus  on  en  ouvre  à  la  fois,  plus  il  y 
pénètre  de  plaisir.  Donc  toutes  les  fois 
qu'un  spectacle  en  sera  susceptible,  on 
doit  y  admettre  tout  ce  qui  peut  augmenter 
la  sensation,  l'illusion,  le  ravissement; 
c'est  par  là  que  l'Opéra  l'emporte  sur  les 
autres  spectacles.  »  C'est  aussi  par  cette 
considération  que  Cachet  prétend  que  le 
Colisée,  dont  on  a  ci-devant  parlé,  mérite 
de  grands  éloges  en  le  regardant  comme 
une  espèce  de  Panthéon  consacré  aux  plai- 
sirs. 

Quanu  on  se  livre  à  des  idées  aussi  épi- 
curiennes, on  ne  doit  point  se  flatter  de 
pouvoir  persuader  que  les  théâtres  publics 
n'ont  pour  objet  que  la  correction  des 
mœurs,  comme  on  a  essayé  de  le  faire  dans 
un  livre  qui  parut  dans  Te  dernier  siècle  et 
qu'on  a  omis  d'indiquer  page  430;  il  a  pour 
titre  :  Le  théâtre  françois,  divisé  en  trois 
livres  ;  à  Lyon,  chez  Michel  Mayer,  167i. 

Quelques  années  avant  que  ce  livre  parût, 
il  y  eut  à  La  Rochelle  un  discours  de  pro- 
noncé contre  les  danses  et  les  autres  specta- 
cles de  ce  genre,  par  Philippe  Vincent,  mi- 
nistre protestant. 

Le  P.  d'Estrade,  Jésuite  de  la  même  viile. 
s'otfensa  de  voir  un  hérétique  attaquer  des 

Claisirs  que  des  catholiques  avaient  la  fai- 
lesse  d'excuser  et  de  se  permettre.  Il  eut 
la  témérité  d'adresser  à  Philippe  Vincent 
une  lettre  où  il  lui  reprochait  à  cet  égard 
une  austérité  déplacée. 

Vincent  y  ût  une  réponse  où  il  mit  en 
évidence  le  scandale  de  la  doctrine  relâchée 
du  Jésuite. 

Néanmoins  ce  dernier  ne  se  déconcerta 
point.  Il  soutint  sa  mauvaise  opinion  par 
une  seconde  lettre. 

Ce  religieux  fut  couvert  de  honte  pr.r  une 
réplique  que  son  adversaire  lui  lit.  On 
y  trouve  la  philosophie  chrétienne  et  même 
la  sagesse  profane  réunies,  pour  manifester 
et  combattre  la  turpitude  des  faux  raison- 
nements que  le  P.  d'Estrade  avait  employés 
au  soutien  de  sa  cause.  Ce  sont  les  mêmes 
sophismes  que  les  partisans  des  théâtres  ne 
cessent  de  répéter. 

Ce  P.  d'E>lrade  avait  d'autant  plus  de  tort 
de  soutenir  avec  tant  de  chaleur  les  jeux  de 
théât;e,  que,  dans  le  début  de  sa  première 
lettre,  il  n'avait  pu  s'empêcher  de  dire  qu'il 
était  éloigné  de  conseiller  de  tels  divertis- 
sements. 

,  On  peut  présumer  qu'il  ne  se  chargea  d'en 
faire  l'apologie  que  pour  complaire  au  car- 
dinal de  Richelieu,  dont,  comme  en  l'a  ci- 
devant  dit,  on  connaissait  la  passion  pour 
les  théâtres. 


Le  P.  d'Estrade  ne  manqua  point  de  don- 
ner comme  une  autorité  imposante  l'accueil 
qu'on  faisait  à  ces  sortes  d'amusements  dans 
les  cours  de  plusieurs  princes  souverains. 

«  Mais,  lui  répondit  Philippe  Vincent, 
est-ce  là  un  bon  argument  en  matière  de 
doctrine?  Certes,  je  ne  crois  pas  que  les 
princes  eux-mêmes  le  voulussent  dire,  ni 
qu'il  y  eût  aucun  d'eux  qui  voulût  donner 
les  pratiques  de  sa  cour  pour  règle  de  la 
conscience.  En  tout  cas  je  vous  fais  juge  : 
auxquelles  de  ces  cours  y  a-t-il  lieu  de 
donner  plus  d'approbation  :ou  à  celles  dont 
vous  vous  appuyez,  qui  admettent  ces  spec- 
tacles; ou  à  ceile  de  saint  Louis,  dont  Du 
Haiilan  et -Nicole  Giles  disent  qu'il  chassa  de 
sa  cour  les  comédiens,  bateleurs,  farceurs,  et 
toutes  ces  sortes  de  gens  qu;  ne  servent  qu'à 
donner  plaisir  et  à  corrompre  les  mœurs?» 

Les  écrits  polémiques  de  Vincent  et  du 
P.  d'Estrade,  dont  on  vient  de  parler,  ont 
été  recueillis  en  un  volume  in-12,  imprimé 
sous  ce  titre  : 

Le  Procès  des  danses  et  théâtres,  débattu 
entre  Philippe  Vincent ,  Ministre,  du  saint 
Evangile  en  l'Eglise  réformée  de  La  Rochelle, 
d'une  part;  et  aucuns  des  sieurs  Jésuites  de 
la  même  ville,  d'autre  part  ;  et  se  vendent  à 
La  Hochelle  par  Jean  Chappin,  16V6. 

Philippe  Vincent  dédia  ce  recueil  5  ma- 
dame Marie  de  la  Tour,  duchesse  de  la  Tré- 
moille.  L'Epître  dédicatoire  fait  honneur  à 
la  vertu  de  celte  princesse,  qu'on  peut  citer 
aussi  en  témoignage  contre  les  spectacles. 
Voici  les  premières  phrases  de  celte  épitre. 

«  Si  je  m'enhardis,  Madame,  de  vous  appe- 
ler en  la  cause  que  je  défends,  c'est  que  j'ai 
considéré  que  bien  souvent  le  bon  droit  a 
besoin  d'aide.  J'y  attaque  des  plaisirs,  qui, 
à  la  vérité,  portent  contre  eux-mêmes  de 
grands  reproches,  mais  d'ailleurs  aussi  sont 
appuyés  [tarde  très-ccnsidérables  partisans. 
Ainsi  j'ai  désiré  me  fortifier  contre  eux  de 
la  gloire  de  votre  nom  ;  vu  qu'il  est  notoire 
à  tous  que  vous  les  combattez  encore  mieux 
par  la  sagesse  de  vos  exemples,  que  je  ne  le 
puis  faire  par  tous  mes  raisonnements.  » 

On  voit  avec  satisfaction,  à  la  p.  166  de 
ce  Recueil,  que  Philippe  Vincent  ne  put 
s'empêcher  de  témoigner  son  étonnemenl 
de  voir  un  ministre  de  la  communion  ro- 
maine prendre  la  défense  des  théâtres  pu- 
blics. Il  en  résulte  que  ce  protestant  était 
persuadé  que  l'universalité  morale  de  nos 
docteurs  les  condamne. 

11  savait  sans  doute  qu'en  1581,  il  y  eut 
un  traité  imprimé  contre  ces  divertissements 
dangereux,  au  nom  des  pasteurs  de  l'Eglise 
gallicane,  sous  ce  titre  :  Tractalus  contra 
saltationes  et  choreas  ;  per  pastorcs  Ecclesiœ 
gallicanœ;  1581,  in-8°. 

Si  J.-J.  Rousseau  a  eu  aussi  pour  contra- 
dicteur de  sa  célèbre  Lettre  contre  les  spec- 
tacles un  ministre  de  l'Eglise  romaine  (750), 
on  sait  que  ce  prolestant  l'a  regardé  comme 
une  voix  discordante,  étouffée  par  le  juge- 


(750)  L'abbc  bail,  dont  il  a  clé  ci-devant  parlé. 


1-217 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


12!  8 


mont  que  l'Eglise  universelle  a  porté  dans 
Ions  les  siècles  contre  les  théâtres. 

Le  P.  Vincent  Houdry.,  Jésuite,  a  rassemblé 
sur  cet  objet,  dans  le  tome  huitième  de  la 
Bibliothèque  des  prédicateurs,  une  quantité  de 
témoignages  qui  réclameront  toujours  effica- 
cement contre  les  déserteurs  de  la  sainte 
morale. 

Seraient-ils  revêtus  du  caractère  et  des  di- 
gnités les  plus  respectables,  on  sait  que 
leurs  opinions  ne  doivent  être  pesées  qu'a- 
vec le  poids  de  la  vérité  et  non  avec  celui 
des  titres  qui  décorent  leurs  personnes. 

On  a  déjà  observé  qu'on  n'ignorait  pas 
qu'il  y  a  eu  quelques  ministres  ecclésias- 
tiques du  premier  ordre  qui  ont  eu  la  fai- 
blesse, non-seulement  de  ne  pas  élever 
la  voix  contre  les  scandales  des  théâtres 
publics,  mais  encore  de  paraître  les  tolé- 
rer, 

M  y  a  quelques  années  qu'on  en  vit  une 
nouvelle  preuve  dans  un  écrit  périodi- 
que (751),  qui  exposa  les  principes  dange- 
reux que  contenait  un  édit  qu'un  prélat, 
gouverneur  de  Rome,  venait  de  donner  pour 
la  réforme  des  abus  des  théâtres  :  Editto  so- 
pragliabusi  de  leatri. 

Au  reste  ces  écarts  éclatants  donnent 
souvent  lieu  à  des  actes  de  zèle,  qui  rappel- 
lent les  bonnes  règles. 

Nous  en  avons  rapporté  un  exemple.  En 
voici  un  autre  qui  n'est  pas  ancien  et  qui 
py  ses  circonstances,  mérite  d'avoir  ici  sa 
place.  Il  est  tiré  du  même  écrit  périodique 
qu'on  vient  de  citer  (752). 

Paul  Caisotli,  évêque  d'Asti  dans  le  Pié- 
mont, entreprit,  dès  le  commencement  de 
son  épiscopat,  d'attaquer  vivement  tous  les 
faux  préjugés  des  partisans  des  spectacles. 
Il  ordonna  à  tous  les  prédicateurs  de  son 
diocèse  de  seconder  son  zèle;  et  lui-même, 
dans  les  catéchismes  et  instructions  qu'il 
fait  avec  la  plus  grande  édilication  dans  sa 
cathédrale,  il  ne  cesse  d'exposer  sur  cet 
objet  les  principes  qui  ont  toujours  fait 
proscrire  les  théâtres  comme  une  école  du 
vice. 

Un  seigneur  de  la  ville  osa  publier  un 
écrit  en  faveur  des  spectacles,  L'évêque 
d'Asti  ne  s'est  point  laissé  -ébranler  par 
toutes  les  contradictions  qu'il  essuyait;  et 
sa  fermeté  n'a  pas  été  sans  succès. 

Un  seigneur  de  la  même  ville,  le  comte 
de  lîeslag'io,  longtemps  sourd  aux  remon- 
trances de  son  évêque,  louait  un  théâtre 
qu'il  avait  fait  construire  dans  une  de  ses 
maisons.  Il  eut  le  malheur  d'avoir  les  deux 
jambes  brisées  sous  les  roues  de  son  car- 
rosse. Réduit  à  l'extrémité  par  les  suites  de 
cet  accident,  il  reconnut  entin,  avec  beau- 
coup de  larmes,  la  vérité  qu'il  n'avait  pas 
voulu  voir  jusqu'alors. 

Par  son  testament  du  6  octobre  1767,  il 
ordonna  à  son  héritier  de  détruire  ce 
théâtre  aussitôt  oue  le  bail  passé  avec  le  di- 


recteur de  l'Opéra  serait  fini;  et,  dans  le 
cas  où  cette  clause  ne  serait  pas  exécutée, 
il  veut  et  ordonne  que  la  maison  et  toutes 
ses  dépendances  passent  en  toute  propriété 
à  l'évêque,  pour  en  être  fait  par  ce  prélat 
tel  usage  qu'il  jugera  à  propos.  Il  défendit 
aussi  de  construire  jamais  dvs  théâtres 
dans  aucune  de  ses  maisons. 

Les  adversités  font  donc  souvent  tomber 
le  bandeau  qui  rendait  invisible  le  flambeau 
de  la  vérité. 

On  a  également  vu  plus  d'une  fois,  en  An- 
gleterre, les  littérateurs  sensés  prendre  les 
armes. 

On  a  de  Charles  Powei,  écrivain  anglais, 
un  ouvrage  politique  qu'il  donna  en  1701. 
sous  ce  titre  :  The  unhappines  of  Englar.d 
as  to  ils  trade  by  see  and  land  Irulysladed, 
etc.,  c'est-à-dire  Le  malheur  de  l'Angleterre 
par  rapport  à  son  commerce  tant  de  mer  que 
de  terre,  véritablement  représenté  avec  une 
vive  description  de  la  misère  des  pauvres, 
de  la  pernicieuse  conséquence  qu'a  fia  cou- 
tume de  porter  l'épée,  des  irrégularités  des 
théâtres. 

Ce  dernier  objet  est  traité  de  manière 
qu'on  y  trouve  le  théâtre  anglais  chargé  des 
mêmes  chefs  d'accusation  que  le  nôtre  : 
«  On  y  voit,  y  est-il  dit,  la  gravité  méprisée, 
la  vertu  avilie,  le  vice  applaudi.,  la  religion 
profanée,  le  clergé  quelquefois  injurié,  le 
mariage  déshonoré,  les  infirmités  humaines 
tournées  en  plaisanterie,  la  vieillesse  rendue 
ridicule,  les  plaisirs  de  la  débauche  mis  en 
honneur,  »  etc. 

Quelques  années  auparavant  on  avait  vu 
Jéréinie  Collier,  Anglais  de  la  secte  des  non- 
conformistes,  mort  en  1726,  se  déclarer  en- 
core plus  vivement  contre  les  théâtres  de  sa 
nation. 

Cet  écrivain,  comme  l'a  dit  depuis  peu  un 
auteur  (753),  «  réunissait  l'esprit  du  Chré- 
tien avec  la  politesse  du  gentilhomme.  Ega- 
lement profond  dans  la  philosophie,  la  théo- 
logie, l'éloquence,  les  antiquités  sacrées  et 
profanes,  il  a  enrichi  sa  nation  de  plusieurs 
ouvrages  estimables,  dont  deux  critiques  du 
théâtre  anglais  sont  du  nombre.  » 

L'une  parut  en  1698,  sous  ce  titre  :  A  short 
view  of  the  immorality  and  profanenes  of  0>e 
English  stage,  etc  ,  c'est-à-dire,  De  l'impu- 
reté et  de  l'impiété  du  théâtre  anglais  ,  1698  ; 
in-8°  de  288  pages. 

L'autre  fut  donnée  en  1699,  sous  ce  titre  : 
The  ancient  and  modem  stages  surveyed,  etc., 
c'est-à-dire  :  Réflexions  sur  la  comédie  an- 
cienne et  moderne,  etc.,  1699  in-8°  de  367 
pages. 

LeP.de  Courbeville,  Jésuite,  nous  a  donné 
la  traduction  d'un  des  ouvrages  de  Collier 
contre  les  théâtres;  elle  parut  en  1715,  sous 
ce  litre  :  La  critique  du  théâtre  anglais 
comparé  au  théâtre  d'Athènes,  de  Rome  et  de 
France;  et  l'opinion  des  auteurs  tant  profa- 
nes que  sacrés  touchant    les  spectacles  ;  tra- 


(751*)    Xouv.  Ecclés.,  Feuille  du  26  juin    1762, 
pag.  101. 
("52)  Feuille  du  6  février  1768,  p;ig  2. 


(75")  Dici.  hislor.,  par  une  Société  de  gens  de 
lettres,  édition  de  1772. 


1210 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


1i'20 


duit  de    'anglais  de  M.  Collier;  Paris,  1715:  mais  on  veut  qu'ils  puissent  servir  de  uio- 

in-12  de  W3  pages.  dèles.  On  prend  plaisir  à  voir  ces  spectacles 

On  ne  donnera  pas  ici  le  détail  de  tous  impurs,  parce  que  l'on  aime  à  voir  ce  qu'on 

les  reproches  que  Collier  fait  au  théâtre  de  a  fait  et  à  apprendre  ce  que  l'on  peut  faire. 

sa%nation  ;  mais  on  croit  y  suppléer  par  la  Ou  y  fait  des  leçons  publiques  de    galante- 

.seule  citation  qu'on  va  faire,  en  se  servant  rie.  Une  femme  y  étaitentrée  vertueuse,  elle 


des  expressions  du  traducteur. 

«  Je  me  lasse,  dit-il,  de  glaner  après  nos 
poëtes  dramatiques  et  de  recueillir  leurs 
profanations,  objet  d'horreur  pour  moi. 
J'ai  presque  envie  d'y  fermer  désormais  les 
yeux  et  de  les  dérober  à  la  vue  des  autres. 
Cependant  exposons-les  au  public  dans  le 
même  esprit  qu'on  expose  au  grand  jour  les 
criminels,  non  pour  la  pompe,  mais  pour 
l'exécution.  Il  faut  quelquefois  lancer  un 
regard  sur  les  serpents  et  sur  les  vipères, 
pour  s'animer  à  les  détruire  ;  car  justement 
indigné  au  point  que  je  le  suis,  je  ne  sau- 
rais obtenir  de  moi  de  m'exprimer  sans 
quelque  chaleur.  Et  quel  est  l'homme  rai- 
sonnable qui  puisse  envisager  d'un  air 
tranquille  tant  de  désordres  inouïs?  Qui 
peut  enflammer  le  zèle  à  plus  juste  titre? 
C'est  pour  de  tels  sujets  que  l'auteur  de  la 
nature  a  donné  au  sang  qui  coule  dans  les 
veines  l'usage  de  se  soulever.  » 

Un  morceau  aussi  véhément  nous  en  rap- 
pelle un  autre  du  même  ton,  qui  se  trouve 


en  sortie  crime  et  l'adultère  dans  le  cœur, 
Et  n'est-ce  pas  de  là  que  naissent  tant  de 
désordres  dans  les  familles,  tant  de  divi- 
sions et  de  querelles,  tant  de  guerres  intes- 
tines? On  rentre  chez  soi  avec  un  cœur 
blessé,  qui  porte  encore  le  trait  empoi- 
sonné. On  a  perdu  le  goût  de  la  vertu  et  de 
la  pudeur;  les  plaisirs  légitimes  deviennent 
insipides,  le  libertinage  devient  un  assaison- 
nement nécessaire  pour  les  rendre  agréables 
et  piquants.  On  méprise  tout  ce  qui  ne 
porte  pas  écrit  sur  le  front  le  caractère  du 
vice;  on  n'ose  découvrir  ses  propres  sen- 
timents, on  n'ose  montrer  ses  plaies;  mais 
0:1  affecte  une  indifférence  extrême,  on 
cherche  divers  prétextes  pour  s'éloigner  de 
ce  qui  est  permis,  on  prête  une  oreille  at- 
tentive à  la  voix  de  la  volupté  qui  semble 
encore  se  faire  entendre.  » 

Quel  fonds  de  vérité?  s'écrie  le  journa- 
liste en  finissant  cet  extrait.  Quel  tour! 
quelle  véhémence  1 

On  n'est  pas  surpris,  comme  l'a  dit  Bas- 


rapporté  comme  un  modèle  dans  le  Journal     nage  (755),  de  voir  la  nation  des  poëtes  s'ar- 


des  savants,  du  mois  de  février  1728.  11 
frappa  l'abbé  Bignon  (75i),  qui  avait  alors 
la  direction  de  ce  journal. 

Il  y  était  question  d'un  livre  intitulé  :  Ré- 
flexions sur  les  principales  vérités  de  la  reli- 
gion; dédiées  à  madame  la  duchesse  d'Or- 
léans, première  princesse  du  sang;  Paris, 
17*28,  vol.  in-12  de  509  pages.  Voici  ce  que 
le  journaliste  en  a  cité  sur  la  matière  des 
spectacles  :,' 

«  Je  vous  conjure  d'éviter  les  spectacles 
et  d'en  éloigner  tous  ceux  pour  qui  vous 
vous  intéressez.  Tout  ce  qui  s'y  fait  est  la 
mort  de  l'âme.  Ce  ne  sont  point  des  diver- 
tissements; ce  sont  des  meurtres;  ce  sont 
des  sources  de  crimes  et  de  remords.  Les 

fassions  humaines  débitent  sur  le  théâtre 
es  maximes  de  tous  les  vices.  On  prend  le 
cothurne,  on  se  pare  avec  des  habits  magni 


mer  contre  de  pareils  censeurs.  «  Mais, 
«  continue-t-il,  si  un  Jérémie  Collier  a  eu 
«  contre  lui  presque  tous  ceux  qui  aiment 
«  la  joie  et  les  plaisirs,  il  a  eu  de  son  côté 
a  tous  les  gens  graves,  sérieux  et  sages.  » 
On  dira  peut-être  que  le  théâtre  français 
est  moins  grossièrement  corrompu  que 
celui  des  Anglais,  mais  on  sait  que  les 
bons  littérateurs  ne  cessent  de  reprocher  à 
nos  dramatiques  modernes  de  trop  copier 
les  mœurs  anglaises.  Elles  sont  devenues  à 
la  mode  sur  notre  théâtre,  comme  les  mœurs 
espagnoles  y  ont  été  fort  longtemps.  «  C'est, 
dit  un  auleui  (756),  chez  les  autres  nations  que 
nous  prenons  le  plus  souvent  les  caractères 
originaux,  comme  les  dramatiques  latins  le 
firent  en  représentant  toujours  des  mœurs 
grecques.  »  Un  Anglais  nous  a  définis  à  cet 
égard,    en  disant  que  nous  étions  des  piè- 


fiques  pour  retracer  dans  l'esprit  des  hom-      ces  de  monnaie  dont  l'empreinte  est  usée  par 


mes  la  mémoire  des  crimes  passés.  On  y 
représente  des  incestes,  des  parricides,  des 
traîtres,  des  conjurateurs,  qui  devraient 
être  ensevelis  dans  un  éternel  oubli.  Il  sem- 
ble qu'on  craint  que  les  hommes  venant  à 
oublier  ces  forfaits,   ne  fussent  plus  tentés 


le  frottement.  Or,  en  imitant  les  moeur»  an- 
glaises, n'est-ce  pas  leurs  vices  plutôt  que 
leurs  vertus  qui  nous  servent  de  modèles? 
N'avons-nous  pas  adopté  plusieurs  de  leurs 
licences  scandaleuses?  Combien  de  fois,  en 
effet,  la  scène  n'a-t-elle  pas  retenti  des  scan- 


de les  commettre.  Ces  crimes  ne  sont  plus;     dales  de  nos  pièces  dramatiques? 


(754)  Bibliothécaire  du  roi,  mort  à  l'Islc-Bel,  le 
14  mars  1744. 

(755)  Mois  1699,   de  V Histoire  des  ouvrages   des 


savants. 

(750)  De  Querlon  ,  Feuille  'tebdomad.  des  pro~ 
vinces,  du  50  janvier  1771. 


V2i\ 


ACT 


NOTICE  SDK  LE  TltEATUK  LIBRE 


ACT 


I22i 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


AVIS. 


Le  théâtre  libre  est  à  peine  indiqué  dans  celle  Notice;  il  nous  était  impossible,  soit  à  cause  des 
bornes  fixées  à  retendue  de  ce  volume,  soit  à  cause  des  convenances  à  y  observer,  de  donner  le  pins  sou- 
vent autre  chose  que  le  litre,  quelquefois  un  aperçu  des  pièces;  nous  avons  lâché  d'édiler  dans  leur  entier 
les  plus-curieuses. 


ACHILLE  (La  mort  »),  —  Voy.  Mort 
d'Achille  (La). 

ACTEURS.  —  I.  Epoque  romaine.  —  Orelli 
(Jnscr.  lat.  ampliss.  collecl.,  n°  88k,  262i, 
2625)  donne  les  trois  inscriptions  suivantes 
relatives  à  des  auteurs  antiques  : 

M.  AUR.  AUG.  LIB.  ||  AG1LIO 

Seplenlrio  |j  ni  pantomino  sui  || 
lemporis  primo  sacerdoli  synhodi 
Apollinis  parasilo  alumno  Fauslinae 
Aug.  produelo  ab  Imp.  M.  |j  Aurel. 
Commodo  Auloni  ||  no  pio  felice 
Auguslo  |]  ornamenlis  decurional  || 
decreloordinis  exornato  ||  et  allecto 
!n'.er  iuvenes  |  S.  P.  y.  Lanivinus. 

Idus  Commodas 
Eliano  Cos  (757). 

(Lanuvii  Gruter,  330,  5,) 

N°  2621. 

VERONE. — DATE  INCONNUE. 

Lvria   privala  J|  mima   v.   A. 
XIX.  BleptusH  fecit. 

N°  2625. 

AN  DE  J.-C.  169. 

L.  Acilio  L.  F.  Pompl  Eutycluc  ||  nobili 
archimimo  coinmun.|i758)  miner  ||  adleclo 
diurno  parasilo  Apoll.  tragico  ||  comico 
primo  sui  lemporis  et  omnib.  ||corporib.  ad 
scaenam  Honor  (759)  ||  Decurioni  bovillis  I 
quemprimum omnium  adleci.  paire  (76l);  | 
appellârunl  ||  adlecli  scamicorum  ci    aère 

(75")  Septembre  de  l'an  184  ou  187. 

(758)  Le  corps  des  mimes,   commune   idem  quod 
eolleqium  corpus,  etc.  (Orell.) 

(759)  Omnibus   corporibus   ad  scœniun  honorants. 
(Idem.) 

(760)  Adlectorum  palrem.  (Orell.) 

(761)  benurios.  (Id.) 

(762)  Mulieres  honoratœ  alibi  vix  reperiuntur.  (Id.) 

(763)  Chr.  169. 

(761)  Nota  iMtmerum  adeo  insignem  corporis  scœ- 
nicorum  Bovillis,  ut  videtur,  consiiluti.  (Id.) 

(765)  Edelestand  Duméril,  Origine»  latines  du 
théâtre  moderne;  Paris,  1849,  in  8°,  p.  19-24. 

(766)  On  trouve  son  nom  dans  la  solie  de  1511, 
où  il  écrit  de  celte  dernière  façon  et  jouait  un  lôle. 

(767;  Pour  rentrée  de  la  reine  Eléonor  d'Au- 
triche, seconde  femme  de  François  Pr,  les  prévois 
des  marchands  el  échevins  de  Paris  mandèrent  les 
maîtres  de  la  Passion  de  la  Trinité,  etc.,  maître 
Jean  du  Ponl-Alais,  les  invcnlions  «les  Italiens, 
messire   Maillée  et    ses  compagnons    (licgistres  de 


collalo  j|  ob  munera  et  pielalem  ipsius  erga 
se  ||  ciiitis  ob  dedication.  spot  tulas  dedil  II 
adleclis  sing.  x.(761)-xxv  îlecur.  bovid.  || 
sing.  xv.  augustal.  sing.  x-m  ||  muhrr. 
honor.  (762)  sing.  vi  ||  dedic.iu  Idas  Aug. 
Sossio  PriscOMel  Cœlio  Apollinari  cos. 
(763)  curalore||  Q.  Sosio  Augustiano. — 
ordo  adleciorum  (sequuntur 
no  mina  lx  (764). 

Burman  (Anlhologia  latina,  t.  II,  J.  iv, 
p.  20)  rapporte  une  épitaphe  qui  semble 
païenne  et  dont  tous  les  termes  ont  paru 
singulièrement  exagérés  aux  adversaires  de 
l'idée  historique  de  la  continuité  du  théâtre 
ancien  dans  le  moyen  Age  (765). 

M.  Edelestand  Duméril  remarque,  à  pro- 
pos de  ces  inscriptions,  que  si  le  théâtre  se 
fût  poursuivi  depuis  sa  chule  de  J'empire 
romain  jusqu'aux  temps  modernes,  il  est 
impossible  qu'un  plus  grand  nombre  de  mo- 
numents de  celte  nature  n'ait  pas  survécu 

il.  —  xvt'  siècle.  —  Les  frères  Parfait 
o.  t  recueilli  quelques  documents  sur  les  au- 
teurs du  xvie  siècle  (Cf.  Bist.  du  théâtr.  fr. , 
t.  II,  p.  259,  275  et  suiv.);  nous  reprodui- 
sons ces  remarques  curieuses: 

JEAN  DU  VONT-ALAIS,  OU  DU  PONT-ALLETZ  (766). 
An  1510. 

Contemporain  et  camarade  de  Gringore, 
fut  également  comme  ce  dernier,  auteur  et 
acteur,  et  devint  par  la  suite  entrepreneur 
de  mystères  par  représentations  (767).  11  y 

rHôtel-de-Ville  insérés  dans  le  Cérémonial  français, 
p.  783,  sous  l'année  1330). 

Ont  élé  mandés  au  bureau  (de  l'Hôtel-de-VilIe^, 
par  mondil  sieur  le  gouverneur,  maître  Jean  du  Pont- 
Alais  el  maître  André  Italien,  étant  au  service  du 
roi,  auxquels  mondil  sieur  gouverneur  a  enjoint 
laire  tl  composer  farces  el  moralités  les  plus  ex- 
quises, el  le  plus  bref  que  faire  se  pourra,  pour  ré- 
jouir le  roi  el  la  reine,  à  l'entrée  de  ladite  dame, 
lesquels  ont  promis  ce  faire,  el  outre  ledit  Pont- 
Alais  a  dit  qu'il  veul  être  sujet  audit  maître  André 
cl  lui  obéir  (Le  même,  p.  789). 

Maître  Jean  de  Ponl-Alais  a  baillé  par  écrit  en 
ma  présence  au  receveur  de  la  ville,  Philippe  Macé, 
l'intelligence  pour  le  sens  moral  des  mystère*  qu'il  a 
joués  es  portes  St-Uenis  et  porte  aux  Peintre»,  el 
au  Ponceau,  le  jour  de  l'entrée,  lequel  receveur 
Macé  ne  me  les  a  voulu  bailler  pour  faire  ce  présent 
registre,  au  moyen  de  quoi  je  n'en  ai  pu  écrire  plus 
au  long  (Le  même,  p.  800). 


«223 


ALT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ACT 


12-24 


a  grande  apparence  que  le  nom  sous  lequel 
il  est  connu  lui  avait  été  donné  par  le  pu- 
blic, ou  qu'il  l'avait  pris  lui-même  pour  se 
distinguer  des  autres  joueurs  de  farces  qui 
parurent  de  son  temps  (768). 

Les  bons  mots  de  Pont-Alais,  (car  comment 
le  nommer  autrement)  et  la  façon  dont  il  les 
débitait,  lui  procurèrent  l'avantage  d'être 
reçu  chez  les  personnes  les  plus  qualifiées 
de  la  cour.  11  eut  même  l'honneur  d'appro- 
cher souvent  des  rois  Louis  XII  et  Fran- 
çois Pr.  Un  seul  trait  fera  connaître  à  quel 
point  on  tolérait  ses  plaisanteries. 

Pont-Alais  était  bossu,  un  jour  il  aborda 
un  cardinal  qui  l'était  aussi,  et  mettant  sa 
bosse  contre  la  sienne,  «  Monseigneur,  lui 
dit-il,  nous  voici  en  état  de  prouver  que 
deux  montagnes  aussi  bien  que  deux  hom- 
mes peuvent  se  rencontrer,  en  dépit  du  pro- 
verbe qui  dit  le  contraire.  » 

On  trouve  dans  Bonaventure  Despériers 
le  récit  d'un  tour  que  Pont-Alais  joua  à  un 
barbier- éluvisle,  qui  mérite  d'être  placé 
ici. 

«  Il  y  avoit  un  barbier  d'étuves  qui  éloit 
fort  glorieux,  et  ne  lui  sembloit  point  qu'il 
y  eût  homme  dans  Paris  qui  le  surpassât  en 
esprit  et  en  habileté,  et  quoique  dans  une 
extrême  indigence  il  disoit  à  ceux  qu'il  étu- 
voit  :  «  Voyez-vous  ce  que  c'est  que  d'avoir 
«  d'avoir  du  génie!  tel  que  vous  me  voyez, 
«  je  me  suis  avancé  moi-même,  jamais  pa- 
«  rent,  ni  ami  que  j'eusse,  ne  m'aida  en  rien.» 
Or,  Pont-Alais.  qui  connoissoit  cet  original, 
en  faisoil  bien  son  prolit,  l'employant  à  tou- 
tes heures  à  ses  farces  et  jeux,  et  lui  disoit 
qu'il  n'y  avoit  homme  dans  Paris  qui  sçut 
mieux  jouer  son  personnage.  «  Et  n'ai  ja- 
«  mais  honneur,  continuait  Pont-Alais,  si- 
a  non  quand  vous  êtes  en  jeu,  et  puis  on  me 
«  demande  quel  étoit  celui-là  quijoùoil  un 
«  tel  rôle  î  Oh  qu'il  joue  bien  !  mon  ami,ajou- 
«  toit-il,  vous  serez  tout  ébahi  que  le  roi 
«  vous  voudra  voir.  »  Ne  demandez  pas  si 
le  barbier  augmentait  de  suffisance;  et  d'ef- 
fet, il  dit  un  jour  à  M'  Jean  du  Pont-Alais  : 
«  Savez-vous  qu'd  y  a,  Pont-Alais!  Je  n'en- 
«  tens  pas  que  d'ici  en  avant  vous  me  met- 
«  liez  à  tous  les  jours,  et  ne  veux  plus  jouer, 
«  si  ce  n'est  en  quelque  belle  moralité,  où  il 
«  y  ait  quelque  grand  personnage,  comme 
«  roi,  prince,  ou  seigneur  :  et  si  je  veux 
«  avoir  le  plus  apparent  lieu.  —  Vraiment, 

(768)  Parmi  les  artisans  on  est  assez  dans  l'usage 
d'appeler  les  filles  el  les  garçons  du  nom  qu'on  leur 
a  imposé  au  bapième.  Celui  de  Jean  fui  donné  à 
l'auteur  dont  nous  parlons.  Dès  sa  [plus  tendre  jeu- 
nesse il  joua  el  composa  des  farces;  ces  deux  ta- 
lents réunis,  et  qu'il  posséda  parfaitement  pour  le 
siècle  où  il  vécut,  lui  attirèrent  une  grande  réputa- 
tion, el  comme  il  demeurait  peut-cire  auprès  du 
petit  portail  de  l'église  de  St-Euslache,  on  qu'il  y 
faisait  ses  jeux,  on  le  distinguait  des  autres  farceurs 
par  l'épiihete  du  Pont-Alais,  espèce  de  ponl  ou  égoui 
qui  était  autrefois  en  cet  endroit,  qu'on  fil  ôler  en 
1719,  el  que  Duverdier  (Biblioth.  [ranç.,  p.  749), 
sur  la  foi  d'un  oui-dire,  assure  avoir  été  construit 
pour  servir  de  sépulture  à  Jean  du  Pont-Alais;  mais 
il  est  visible  que  cel  auteur  s'est  trompé,  el  qu'il  a 
confondu  celui  dont  nous  parlons  avec  Jean  Alais, 


«  lui  répondit  M*  Jean  du  Pont-Alais,  vous 
«  avez  raison,  et  le  méritez  ;  mais,  que  ne 
«  m'en  avisiez-vous  plutôt!  Mais  j'ai  bien 
«  de  quoi  vous  contenter  d'ici  en  avant,  et 
«  pour  commencer,  je  vous  prie  ne  faillir 
«  dimanche  prochain,  que  je  dois  jouer  un 
«  fort  beau  mystère,  auquel  je  fais  parler 
«  un  roi  d'Inde  la  Majeure.  Vous  le  jouerez. 
«  N'est-ce  pas  bien  dit?  —  Oui,  oui ,  dit  le 
«  barbier,  et  qui  le  joûeroit,  si  je  ne  lejoùois 
«  point?  Baillez-moi  seulement  mon  rôle.  » 
Pont-Alais  le  lui  donna  le  lendemain.  Quant 
ce  vint  le  jour  des  jeux,  mon  barbier  se  pré- 
senta en  son  trône,  avec  son  sceptre,  tenant 
la  meilleure  majesté  royale  que  fit  oneques 
barbier.  Cependant  Poiit-Alais,  qui  faisoit 
volontiers  lui-même  l'entrée  des  jeux  qu'ii 
jouait,  quand  le  monde  fut  amassé,  vint  tout 
ilerrière  sur  l'échatfaut  et  il  commença  tout 
le  premier,  et  va  dire  : 

Je  suis  des  moindres  le  mineur, 
El  n'ay  pas  vaillant  un  lésion; 
M. lis  le  Roy  d'Inde  la  majeur 
M'a  souvent  razé  le  menton. 

«  Et  disoit  cela  de  telle  grâce,  qu'il  étoit  be- 
soin, pour  faire  connoître  la  forte  vanité  du 
razeur;  et  si  avoit  fait  son  jeu  en  telle  sorle, 
que  le  roi  d'Inde  ne  devoit  quasi  point  par- 
ler, seulement  tenir  bonne  mine,  afin  que  si 
le  barbier  se  fut  dépilié,  que  le  jeu  n'en  cY. 
pas  moins  valu. 

«  Un  dimanche  matin  Ponl-Alais  eut  l'im- 
pudence de  faire  battre  le  tambourin  (769) 
dans  le  carrefour  qui  est  proche  de  l'Eglise 
de  saint  Eu.-tache,  pour  annoncer  une  Pièce 
nouvelle  qu'il  devoit  donner  le  même  jour. 
Le  curé  qui  faisait  alors  le  prône,  interrompu 
par  le  bruit  qu'il  enlendoit  et  voyant  ses  au- 
diteurs sortir  en  foule  pour  aller  entendre 
Pont-Alais,  descendit  de  sa  chaire,  se  ren- 
dit dans  le  carrefour,  et  s'approc  haut  de  Ponl- 
Alais  :  «  Qui  vous  a  fait  si  hardi,  lui  dit-il, 
de  tambouriner  pendant  que  je  prêche?  — 
Et  qui  vous  a  fait  si  hardi  de  prêcher  pen- 
dant que  je  tambourine?  reprit  insolemment 
Pont-Alais.  »  Cette  réponse  fit  juger  au  curé 
qu'il  ne  lui  convenoit  pas  de  [tousser  plus 
loin  la  conversation,  mais  il  porta  ses  plain- 
tes au  magistrat  qui  fit  mettre  Pont-Alais  en 
prison.  Et  ce  ne  fut  qu'au  bout  de  six  mois 
que  ce  dernier  oblint  sa  liberté  et  la  permis- 
sion de  continuer  ses  jeux. 

que  les  auteurs  qui  ont  traité  des  antiquités  de  Paris 
disent  avoir  commencé  la  fondation  de  l'église  de 
Sainl-Euslaclie,  et  s'èlre  fait  enterrer  dans  l'endroit 
appelé  de  son  nom,  le  Ponl-Alais. 

(769)  Avant  que  l'on  fût  dans  l'usage  d'afficher  le 
tilre  des  pièces  au  coin  des  rues,  on  faisait  battre  le 
tambourin  par  les  carrefours  de  la  ville,  el  lorsqu'un 
cerlain  nombre  de  gens  s'était  assembre,  un  acteur, 
qui  accompagnait  le  joueur  de  tambourin,  faisait 
l'éloge  de  la  pièce  et  invitait  le  public  à  la  venir 
voir.  Cet  éloge  ou  annonce  était  le  plus  souvent  en 
prose,  el  au  choix  de  l'acteur,  mais  quelquefois 
c'était  une  pelite  pièce  de  poésie  en  forme  de  bal- 
lade, qu'on  appelait  le  Cry.  Les  confrères  de  la  Pas- 
sion el  les  Enfauls-Sans-Souci  en  faisaient  souvent 
dans  ce  dernier  genre. 


ar 


ACT 


NOTICE  SUR  LE  THEATKE  LIBRE. 


ACT 


1526 


il  ne  nous  reste  aucun  ouvrage  de  Pont- 
Alais;  cependant  Duverdier  assure  qu'il  y 
en  avait  d'imprimés.  «  Jean  du  Pont-Alais, 
chef  et  maître  des  joueurs  de  moralitez  et 
farces  h  Paris,  a  composé  plusieurs  jeux, 
mystères,  moralitez,  satyres  et  farces,  qu'il  a 
fait  réciter  publiquement  sur  eschalfaut  en 
ladite  ville,  aucunes  desquelles  ont  été  im- 
primées, et  les  autres  non.  »  Le  surplus  de 
l'article  que  nous  venons  de  citer  contient 
deux  faits  qui  ne  sont  guère  vraisemblables. 
«  On  dit  (c'est  toujours  de  Pont-Àlais  que  Du- 
verdier parle)  que  par  son  testament,  il  or- 
donna son  corps  être  enseveli  en  un  cloaque, 
en  laquelle  s'égoûte  l'eau  delà  marée  des  hal- 
les de  la  ville  de  Paris,  assez  [très  de  l'église 
Saint-Eustache,  là  où  il  fut  mis  après  son  dé- 
cès, suivant  sa  disposition  et  dernière  vo- 
lonté. Le  trou  qu'il  y  a  pour  recevoir  ces  im- 
mondices,  est  couvert  d'une  pierre  en  façon 
de  tombe;  etest  ce  lieu  appelle  du  nom  du  tes- 
tateur, le  Pont-Alais  (770).  J'ai  oui  dire  que 
la  repenlance  qu'il  eut  sur  la  lin  de  ses  jours, 
d'avoir  donné  l'invention  d'imposer  un  de- 
nier tournois  sur  chaque  manequin  de  ma- 
rée arrivant  aux  belles,  de  tant  que  cela  ve- 
noit  à  la  foule  du  peuple,  l'occasionna  de 
vouioir  être  ainsi  enterré  en  tel  puant  lieu, 
comme  s'eslimant  indigne  d'avoir  une  plus 
honnête  sépulture.  » 

JEAN  DE  SEP.RE. 
Environ  l'an  1500. 

ïcan  de  Serre,  excellent  joueur  de  farces, 
mourut  sous  le  règne  de  François  Ier.  Clé- 
ment Marot  a  fait  passer  jusqu'à  nous  son 
nom  et  le  détail  de  ses  talents  pour  le  théâ- 
tre par  l'épitaphe  suivante  : 

Epitaphc  de  Jean  de  Serre,  excellent  joueur 
de  farces. 

Cy-dessous  gist  et  loge  en  serre 

Le  irès-gcnlii  fallol  la  Serre, 

Qui  tout  plaisoit  alloil  suivant, 

Kl  granl  joueur  en  son  vivant  : 

Non  pas  joiïcur  de  dez,  ne  de  quilles, 

Mais  de  lielles  Farces  gentilles; 

Auquel  jeu,  jamais  ne  perdit, 

Mais  y  gagna  bruit  et  crédit; 

Amour  cl  populaire  estime, 

Plus  que  d'escuz,  comme  j'estime. 

Il  lui  en  son  jeu  si  adexlre, 

Qu'à  le  voir  on  le  pensoil  cslre 

Yvrogne,  quand  il  s'y  preuoil, 

Ou  badin  (771)  s'il  l'entreprenoil; 

Kl  n'eusl  sceu  faire  en  sa  puissance 

Le  sage;  car  en  sa  naissance 

Nature  ne  lui  fist  la  trogne 

Que  d'un  Badin,  ou  d'un  Yvrogne. 

Touicsfois,  je  croy  fermement 

(770)  On  a  déjà  fait  voir  (pie  ce  fait  est  absolu- 
ment faux.  A  l'égard  du  second  qui  regarde  l'impôt, 
dont  Pont-Mais  donna  la  premièrre  idée,  Duverdier 
n'en  parle  que  sur  un  onï  dire.  Une  pareille  autorité 
n'impose  guère  aux  gens  sensés. 

(771)  Badin,  ce  nom  se  donnait  à  l'acteur  qui 
remplissait  les  rôlesles  plus  comiques  ei  prononçait  le 
peiii  compliment,  qui  se  faisait  ali  commencement  mi 
à  la  fin  delà  farce.  Guillaume  Bouclietquairième  Sé- 
téc  di(  :  <  On  convia    ce  soir-là    les   Enfjus   saus- 

Dictionn.  des  Mystères. 


Que  ne  fit  onc  si  vivement 

Le  Badin  qui  rit,  ou  se  mord, 

Comme  il  fait  maintenant  le  mort. 

Sa  science  n'estoit  point  vile  , 

Mais  bonne,  car  en  cesie  Ville 

Des  trisies   trisleurs  des  tournoi  t, 

Kl  l'Iiommc  aise,  en  aise  lenoit. 

Or  bref,  quand  il  cnlroit  en  salle 

Avec  une  chemise  sale, 

Le  front,  la  joue,  et  la  narine, 

Toute  couverte  de  farine, 

Elcoëffé  d'un  béguin  d'enfant. 

Kl  d'un  liant  bonnet  triomphant, 

Garni  de  plumes  de  chapons  (774). 

Avec  tout  cela  je  réponds 

Qu'en  voyant  sa  mine  niaise, 

On  n'estoit  pas  moins  gay,  ni  aise, 

Qu'on  est  aux  Champs  Klisiens. 

0  vous  humains  Parisiens, 

De  le  pleurer,  pour  récompense, 

impossible  est  :  car  quand  on  pense 

A  ce  qu'il  souloit  faire  et  dire, 

On  ne  se  peut  tenir  de  rire. 

Que  dis-je?  On  ne  le  pleure  point  : 

Si  fait-on,  cl.  voicy  le  poinct. 

On  en  rit  si  fort  en  maints  lieux  , 

Que  les  larmes  sorten»  des  yeux; 

Ainsi  en  riant  on  le  pleure. 

Or  pleurez,  riez  vostre  saoul, 

Tout  cela  ne  luy  sert  d'un  3011I. 

Vous  feriez  beaucoup  mieux  en  somme, 

De  prier  Dieu  pour  le  poure  homme. 


LE  CO.UTF.  DE  SALLES. 

Acteur,  dont  on  ignore  le  véritable  nom. 
jouait  quelquefois  avec  les  clercs  de  la  Bazo- 
che.  Il  mourut  d'une  maladie  épidémique 
qui  courut  à  Paris  sous  le  règne  de  François 
1er,  et  fut  enterré  à  Saint-Laurent.  L'épitaphe 
suivante,  qu'on  trouve  dans  les  poésies  at- 
tribuées à  Clément  Marot,  nous  apprend  les 
particularités  que  nous  venons  de  rappor- 
ter. 

Epilaphe  du  comte  de  Salles,  en  forme  de 
ballade. 

S'oncques  à  pitié  il  le  convient  mouvoir 
El  d'autruy-eas,  ou  malheur,  te  douloir, 
O  vialeur,  ne  le  desdaisme  niye 
Veoir  cesl  escripl,  et  pyleuse  omélye  : 
Si  gémiras  le  grief  despari  d'ung  Comte  , 
Qui  vivant  pleusl  en  toute  compagnie, 
Mais  on  n'en  laict  mise,  recopie,  ou  compte. 

Je  suys  celuy,  comme  lu  dois  sçavoir, 
C*oinlède  Salles,  assez  plaisanta  venir; 
Qui  par  mes  gestes,  brocards  et  Tragédie, 
Mainte  assemblée  ay  souvent  resjonye, 
Kn  entretient,  ayant  plus  grâce  que  honte. 
Kl  en  accord/.,  et  doulz  cbanlz  armonie, 
Mais  on  n'en  faicl  mise,  receple,  ou  compte 

Cuydant  fuir  le  naturel  devoir, 

Mort  au  passaige  m'arresler  cul  vouloir, 

soucy,   avec  leur  badin ,  qui   promit   de  bien   ba- 
diner. » 

(772)  Sans  trop  donner  aux  conjectures,  on  peut 
supposer  que  l'habillement  dont  Clément  Marot  nous 
donne  ici  la  description,  était  commun  à  Ions  les 
acteurs  qui  jouaient  dans  le  genre  comique  adopté 
par  Jean  de  Serre.  Le  caractère  et  l'habillement  de 
lèle  du  Cille  semblent  avoir  été  pris  d'après  celui  dont 
nous  parlons. 


39 


v-m 


ADA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


l«îS 


El  n'est  amy  qui  à  m'aider  s'emplye  (773) 
Parquoy  laissay,  pour  bon  gaige,  ma  vie, 
Donl  j'ay  quittance,  sans  faillie,  ne  inescompte, 
Escrile  au  rolle  des  Moriz  d'Epidémie, 
Mais  on  n'en  faicl  mise,  recepie,  ou  comple. 

Prince,  iiiuiil  est  mon  ramenlevoir, 
Pourquoy  vous  dis  adieu  jusques  au  revoir. 
Iles  bonnes  parlz,  la  meilleure  ay  choysie; 
Fol  esl  pour  vray,  qui  au  moindre  se  fie; 
Car  lel  esl  liien  haut  juché,  qu'on  démonte  ; 
L'homme  prudent  à  ici  jeu  ne  l'envye, 
Maison  n'en  faicl  mise,  recepie,  ou  comple. 

Complaintes  de  dame  Bazoche  sur  le  trépas 
dudit  comte. 

0  sort  ineple  de  lubrique  repos, 

0  lil  couppé  par  la  dire  (774)  Atropos, 

Que  Lacbésis  en  commençoit  Piller. 

Les  Destinés  de  irop  ferme  propos, 

M'ont  losl  osié  mon  plus  plaisant  supposl, 

Par  le  vouloir  de  celuy  qui  fait  l'Aër. 

Pas  ne  falloilsi  soubdain  affiler 

Poincie  à  la  mort,  pour  chose  si  Irès-tendre, 

Que  Ton  pouvoit  sans  plus  tordre  cnliller; 

Plus  l'arc  esl  foiblc,  moins  de  force  à  le  tendre. 

S'cshahit-on  si  mon  cueur  triste  rendy, 
Quand  voy  mon  Comlc  au  Cloislre  Saint  Lau- 

[rens, 
Ainsi,  de  peste,  soubdainemenl  mourir? 
Ha!  mes  suppolz,  geliez  vous  sur  les  ranes, 
Pour,  avec  moy,  eslre  rémémorans 
La  perte  grande  qu'il  nous  convient  souffrir. 
Jadis  le  veistes  à  tous  voz  faicts  souffrir, 
El  en  vosjeulx  faire  florir  son  nom  : 
lie  fatalle  ores  le  faicl  pourrir. 
Par  faulx  esteuf  on  perl  souvent  le  bon. 
Vous,  Baroiiai  (775),  qui  fustes  son  Seigneur, 
El  vous,  Guisiaud  (77(5)  de  son  bien  en  seigneur, 
Voicy,  pour  vous,  pileuse  chansonnette. 
Vous,  Compaignon,  qui  l'aimasles  de  cueur, 
Avez  point  eu  tristesse  du  malheur 
Qui  succomba  si  simple  personnelle? 
Chacun  de  vous  à  lamenter  se  mené, 
Le  passe-temps,  la  joye,  et  le  confort, 
Que  son  vivant  pert  sa  façon,  et  gesle, 
A  ung  chascun  plaire  faisoil  effort  ele 


JACQUES   MEKNABLE. 

Il  n'est  connu  que  par  l'épilaphe  suivante 
de  la  composition  du  fameux  Ronsard.  Elle 
s'explique  assez  sur  la  misère  du  person- 
nage, sans  qu'il  soit  besoin  d'en  parler 
ici. 

Epilaphe   de  Jacques  Mernable  ,  joueur  de 
farces. 

Tandis  que  tu  vivois,  Mernable  , 
Tu  n'avais  ni  maison,  ni  laide, 
El  jamais,  pauvre,  lu  n'as  veu 
En  la  maison  le  pot  au  feu  ; 
Ores  la  mort  t'est  profitable  ; 
Car  lu  n'as  plus  besoin  de  laide, 
t  Ni  de  pot,  el  si  désormais, 

Tu  as  maison  pour  tout  jamais. 

ADA,  Y  AIDA  ou  VAUDE  (L').  —  De  Ro- 
quefort cite  l'Aida  de  Guillaume  de  Blois, 
frère  de  Pierre  de  Biois  (770*).  (Cf.  De  l'état 


(7*'3)  S'emploie. 

(774)  Dire,  cruelle. 

(775)  Acteur  baznehien. 

(776)  Autre  acteur  bazoehieu. 


de  la  poésie  fr.,  dans  tes  xii'  et  xnf  siècles  : 
Paris,  Fournier,  1815,  in-8°.)  M.  Amaury 
Duval  mentionne  aussi  cette  pièce.  (Cf.  His- 
toire litlér.,  delà  France,  t.  XV;  Discours 
sur  l'état  des  beaux-arts  en  France  au  xm*  siè- 
cle, par  M.  Amauby  Duval.  p.  276.)  L'abbé 
de  Larue  remarque  que  le  clergé  ne  fut  lias 
hostile jaux  pièces  profanes  au  moyen  âge, 
puisque  Pierre  de  Blois  (L.,  de  Balli.),  dans 
une  de  ses  Lettres,  félicite  son  frère  du  suc- 
cès de  la  tragédie  de  Flaura  et  de  la  comédie 
de  l'Aude,  ces  pièces  châtiées  étaient  écrites 
en  latin;  il  se  pourrait  néanmoins  qu'elles 
n'eussent  été  que  des  récits  et  des  contes, 
comme  la  Divine  Comédie  de  Dante,  qu'on 
pourrait  croire  une  pièce  de  théâtre  si  elle 
était  aujourd'hui  perdue.  (Cf.  L'abbé  de  La- 
rue, Essais  hist.,  sur  les  bardes,  les  jongleurs 
et  les  trouvères  normands  et  anglo-normands  ; 
C-ien,  Mancel,  1834,  in-8%  3  vol.,  t.  1er.,  n. 
186-187.) 

M.  Magnin  attribue  à  la  renaissance  de  la 
littérature  érudite  au  xne  siècle  Ja  comédie 
(YAdda  de  Guillaume  de  Blois,  aujourd'hui 
perdue.  (Cf.  Journ.,  gén.  de  Vhist..  publ., 
1833,  29nov,  p.  67.) 

M.  Edelestand  Duméril  en  nie  le  caractère 
dramatique.  (Cf.  Orig.,  lat.,  du  th.,  mod.; 
Paris,  1849,  in-8%  p.  33-34.) 

L'Addane  s'est  pas  relrouvée.  Voy.  Guil- 
laume de  Blois. 

ADAM  DE  LE  HALE  ou  LA  HALE.  — 

M.  Monmerqué  a  fait  précéder  le  Jeu  Adam, 
le  jeu  du  Pèlerin  et  celui  de  Robin  et  Marion, 
d'une  longue  notice  sur  leur  auteur,  dont 
il  écrit  le  nom  Adam  de  La  Halle. 

Il  le  considère  comme  un  des  fondateurs 
de  l'art  dramatique  en  France,  ce  qui  est 
méconnaître  toutes  les  pièces  antérieures  au 
xme  siècle,  qui  sont  assez  nombreuses  pour- 
tant et  dont  le  mérite  est  assurément  su- 
périeur. Il  remarque  que  les  jongleurs  et 
les  trouvères  étaient  souvent  des  bossus, 
assertion  bizarre  dont  il  n'y  a  pas  de  preu- 
ves. 

«  Adam,  dit-il,  naquit  à  Arras  vers  12^0  ; 
maître  Henri,  son  père,  était  bourgeois  do 
celte  ville  alors  féconde  en  poètes.  Adam 
passa  ses  premières  années  à  l'abbaye  de 
Vauxcelles,  située  sur  l'Escaut,  à  peu  de  dis- 
tance de  Cambrai.  Il  y  prit  l'habit  des  clercs 
et  y  étudia  les  sept  arts  :  c'était  le  grand 
cours  des  études.  A  peine  fut-il  revenu  chez 
son  père,  qu'il  s'éprit  d'un  vif  amour  pour 
Marie,  jolie  personne,  plus  riche  d'agré- 
ments que  des  avantages  de  la  fortune.  Le 
père  d'Adam  (il  de  vains  efforts  pour  le  dé- 
tourner de  ce  mariage.  Le  cœur  du  jeune 
homme  battait  d'amour  pour  la  première 
fois:  sourd  à  la  voix  de  la  raison,  il  de- 
manda et  il  obtint  la  main  de  la  jeune  fille  ; 
mais  à  peine  l'eul-il  épousée,  que  rassasié 
de  courtes  délices  et  effrayé  des  dépenses  et 
des  embarras   du  ménage,  ses    illusions  se 

(776')  Il  faut  ajouter  archidiacre  do  Ra  h,  pour  le 
distinguer  d'un  autre  Pierre  de  Blois.  (ttvA.  litt.  de 
la  France,  t.  XV.) 


M  29 


À!)A 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


iîoO 


dissipèrent,  et  ne  voyant  plus  dans  Marie 
qu'une  femme  ordinaire,  foulant  aux  pieds 
ï>es  devoirs  d'époux,  Adam  abandonna  celle 
dont  i!  avait  tant  désiré  la  possession.  On 
connaissait  peu  dans  ces  vieux  temps  les  lois 
des  convenances,  dont  nous  sommes  rede- 
'frbiès  â  la  politesse  de  nos  mœurs  et  aux 
progrès  de  la. civilisation  ;  non  content  de 
délaisser  sa  femme,  Adam  ne  craignit  pas 
de  l'immoler  à  la  risée  de  ses  omis.... 

«  Adam. sortait  de  l'abbaye  de  Vauxeelles, 
lorsqu'il  se  maria,  et  il  projetait  de  quitter 
sa  femme  pour  venir  continuer  ses  éludes  à 
Paris  : 

Sacliiés  (dit-il),  je  n'ai  mie  si  chier 

Le  séjour  d'Arras,  ne  le  joie 

Que  l'aprendre  laissier  en  doie  : 

Puis  que  Diex  m'a  donné  engien, 

Tans  esl  que  je  l'alour  à  bien  ; 

J'ai  cbi  assés  me  bourse  escousse  ("77). 

«  Adam  vint-il  à  Paris  comme  il  en  annon- 
çait le  projet?  Changea-t-il  d'avis,  comme 
semblerait  l'indiquer  le  don  de  la  fée  Ma- 
glore? 

De  l'autre  qui  se  va  van  tan 
D'aler  à, 'l'école  à  Paris, 
Yoeil  qu'i  soit  si  alruandis 
En  le  compaignie  d'Arras, 
Et  qu'il  s'ouvrît  entre  les  bras 
Se  femme  qui  esl  mole  et  tenre, 
El  qu'il  perge  et  hache  l'aprenie 
El  mèche  sa  voie  en  respil  (778). 

«  Nous  ne  déciderons  pas  cette  question, 
sur  laquelle  les  ouvrage*  du  vieux  poêle  ne 
nous  ont  rien  appris.  Nous  ferons  seulement 
observer  que  Maglore,  dans  le  poëcne,  est 
un  mauvais  génie  qui  ne  donne  que  malé- 
dictions, tandis  que  les  deux  autres  fées 
viennentde  combler  de  biens  le  jeuneAdam. 
Ainsi  Morgue  dit 

El  de  l'autre,  voeil  qu'il  soit  teus 
Que  che  sois  li  plus  amoureus 
Qm  soit  trouvés  en  nul  pais  (779). 

«  Et  Arsile  ajoute 

Aussi  Vieil- je  qu'il  soit  jolis 

El  bons  faiscres  de  canchons  (780). 

«  On  pourrait  penser  que  les  prédictions 
favorables  étaient  les  seules  qui,  dans  la 
pensée  du  poëte,  devaient  se  réaliser... 

«  Adam  composa  le  Jeu  du  mariage  vers 
1262  ou  1263. 

«  Ce  fut  vers  ce  temps  qu'Arias,  ville  de 
luxe  et  de  plaisirs,  devint  le  théâtre  de  dis- 
cordes à  la  suitedesquellesémigra  une  partie 
des  habitants.  M.  Monmerqué  pense  que 
Adam  se  retira  à  Douai. 

«  L'exil  d'Adam  ne  fut  pas  éternel,  il  re- 
vint dans  sa  patrie;  l'époque  de  ce  retour 
est  incertaine,  Sa  trente-deuxième  chanson 
nous  le  fait  voir  sur  le  chemin  de  sa  ville 
natale  : 


De  lanl  coin  plus  apioime  mon  pais, 
Me  renovele  amours  plus  et  espreni; 
El  plus  me  sanle  en  aprochanl  jolis, 
El  plus  li  airs  et  plus  truis  douche  gent... 

«  Notre  poëte  finit  par  s'attachera  la  mai- 
son de  Robert,  deuxième  du  nom,  comte 
d'Artois,  neveu  de  saint  Louis.  Ce  prince, 
en  1282,  suivit  en  Italie  le  comte  d'Alençon. 
que  Philippe  le  Hardi  envoyait  au  secours 
du  duc  d'Anjou,  roi  de  Naples,  son  oncle,  et 
il  y  fut  déclaré  régent  du  royaume  en  1284. 
Adam  de  la  Haie  accompagna  ce  prince,  et 
il  composa,  pour  le  divertissement  de  sa 
cour  la  jolie  pastorale  de  Robinet  Marion. 
C'est  encore  un  poëte  du  temps  qui  nous 
fait  connaître  ces  détails.  L'auteur  du  Jeu 
du  Pèlerin  les  met  dans  la  bouche  de  son 
principal  acteur. 

Par  Puille  m'en  reving,  où  on  tint  maint  concilie 
D'un  clerc  nelet  soustieu,  grascieus  et  nobile 
Et  le  nomper  du  mont.  Nés  fu  dece&le  vile; 
Maislre  Adans  li  Bochus  esloit  chi  apelés. 

«  Le  comte  d'Artois,  suivant  le  P.  An- 
selme, revint  de  Naples  en  1289.  Maître 
Adam  y  était  mort  pendant  son  séjour,  et 
sa  sépulture  avait  été  entourée  des  hon- 
neurs dus  à  un  grand  poëte.  On  place  ainsi 
la  mort  d'Adam  de  la  Haie  vers  1286.  M.  Pau- 
lin Paris  a  fait  connaître  un  document 
qui  vient  corroborer  cette  opinion.  Ce  sont 
des  vers  écrits  en  1288,  à  la  fin  d'un  exem- 
plaire du  Roman  de  Troies,  par  un  neveu 
d'Adam  de  la  Haie,  nommé  Jehan  Mados, 
qui,  ainsi  que  son  oncle,  était  trouvère  et 


Mais  cisqiii  e'escril,  bien  saciés, 
N'esloit  mie  irop  aaissiés, 
Car  sans  colele  et  sans  surcol 
Estnit,  par  un  vilain  escot 
Qu'il  avoil  perdu  et  paiié 
Par  le  dé  qui  l'ot  engignié. 
Cis  Jchanès  Mados  ot  non. 
Qu'on  lenoil  à  bon  compaignon; 
D'Arras  estoil;  bien  fu  connus 
Ses  oncles,  Adans  li  hoçus, 
Qui  pour  revel  cl  pour  compaignie 
Laissa  Arias  :  ce  fu  folie, 
Car  il  iert  cremus  et  amés. 
Quand  il  morut  ce  fut  piles, 
Car  onques  plus  engignex  lion 
Ne  morul,  pourvoir  le  sel-on... 
Ensi  coin  vos  oi  l'avés, 
Cis  livres  fu  fais  el  fines 
Eu  l'an  de  'l'Incarna lion 
Que  Jhésus  soufri  passion 
Qualre-vingl  et  mil  et  deus  cens 
El  wit;  biax  fu  li  tans  el  gens. 
Fors  tant  ke  ciex  avoil  trop  froit 
Qui  surcot  ne  rote  n'avoit,  etc. 

«  Adam  de  la  Haie  tient  un  des  premiers 
rangs  parmi  nos  anciens  trouvères  d'Ar- 
ias. Il  était  à  la  fois  poëte  et  musicien;  feu 
Bottée  de  Toulmon,  très-versé  dans  l'his- 
toire de  la  musique,  a  bien   voulu  se  char- 


(777)  Li  Jus  Adan,  vers  28. 

(778)  lbid.,  vers  683. 


(779)  Li  Jus  Adan,  vers  0G0. 
(780;  lbid. 


4251  ADA  J)ICT10iNNAIUE  DES  MYSTERES. 

ger  de  faire  connaître  Adam  sous  ce  dernier 
rapport  (781). 

ADAN. —  Li  Jus  Adnn,  dit  aussi  de  la 
Fueillie,  ou  du  Mariage,  qui  dale  du  xm" 
siècle  et  a  pour  auteur  Adan  de  la  Haie  ou 
de  le  Haie,  se  trouve  dans  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  du  roi,  fonds  de  La  Vallière, 
n°  81,  olim  2736,  fol.  xxx  recto-xs.wiu  verso. 
Le  manuscrit  n°  7218,  ancien  fonds,  en  con- 
tient les  174.  premiers  vers.  Le  langage  y  est 
plus  moderne.  On  en  trouve  auss-i  le  com- 
mencement dans  le  manuscrit  du  Vatican, 
n°  H90,  fonds  de  Christine,  dont  la  biblio- 
thèque de  l'Arsenal  possède  la  copie  dans 
le  recueil  de  Sainte-Palayo,  intitulé  :  An- 
ciennes Chansons  francoises,  avant  1300,  t.  1er, 
fol.  290. 

Le  Jeu  Adam  a   été  imprimé  par  M.  de 


A!)  A 


i*:>2 


Monmerqué  pour  la  première  fois,  en  18*28, 
a  trente  exemplaires  seulement,  pour  ia  société 
des  Bibliophiles  français. 

11  est  reproduit  dans  le  Théâtre  français  au 
moyen  âge  de  MM.  Moutmerqué  et  Fran- 
cisque Michel  (Paris.  1839,  gr.,  in-8u). 

Adan  ou  la  Vueillie  était  connu  de  Roque- 
fort. (Cf.  De  l'état  de  la  poésie  fr.,  dans  les 
xne  et  xnic  siècles  ;  Paris.  1815,  i:i-8°,  p.  261). 

«  M.  Daunou  n'y  voyait  qu'un  dialoguent 
nullement  une  pièce  destinée  à  la  repré- 
sentation. (Cf.  Histoire  lit  ter.  de  la  France, 
t.  XVI,  Discours  sur  Vétat  des  lettres  en 
France,  p.  213.)  Enfin,  M.  Magnin  a  men- 
tionné aussi  dans  son  cours  à  la  Faculté  des 
Litres,  sous  la  date  du  xme  siècle,  le  Jeu 
d'Adan.  (Cf.  Journ.,  gén.,  de  l'hist.,  publ., 
1836,  3  janv.,  p.  150,  et  l'i- janv.,  p.  172.) 


LI    JUS    ADAN,    OU    DE    LA    FEL'ILLIE. 

PERSONNAGES. 


ADANS. 

K1KECE  AHURIS. 
HANE  LI   MERCIERS. 

RIK1ER6. 

ClU  LOS  II  PETIS,   Oïl  CIL- 
LOT. 


MAISTRE  KF.NRIS,  OUIIENR'.S 

iie  le  hale,  père  d*A- 
dans. 

M   flSlSClENS. 
bAME  DOUCE,  OU  LV.GROSSE 
FEME. 


RA1XNELÉS.  CROKESOS. 

LI  M'INES.  MORGUE, 

WALÉS.  MAGLORE, 

LI  KEML'MS.  ARMLE, 

1.1   PERES  AL'  DERVÉS.  LI   OSTES. 
LI  DERVÉS. 


focs. 


SCÈNE  l". 

ADAM,    RIKECE-AURIS,    IUQUIKRS,    GUILLOT    LE    PETIT. 


ADANS. 


S*»i 


Cignciir,  saves  pour  (pioi  j  ai  mon  abil  cangietr 
J'ai  esté  avœc  feme,  or  revois  au  eieigiel  ; 
Si  avertirai  cliou  que  j'ai  pieclia  songiet  ; 
Mais  je  vœil  à  vous  ions  avant  prendre  congiel. 
Or  ne  porronl  pas  ilire  aucun  que  j'ai  anlés 
Oue  d'à  1er  à  Paris  soie  pour  nient  vaines  ; 
'.h.iscuns  puet  revenir  jà  tant  n'ierl  encuilés; 
Après  grant  maladie  ensieul  bien  grans  saules. 
D'autre  part  je  n'ai  mie  clii  nien  tans  si  perdu 
Que  je  n'aie  à  amer  loiauinenl  entendu. 
Encore  pcrt-il  bien  as  lés  quels  li  pos  i'u  ; 
Si  m'en  vois  à  Paris. 

RIKECES  AliRIS. 

Cailis!  qu'i  feras-lu? 
Onques  d'Arias  bons  tiers  n'issi, 
Et  lu  le  veus  faire  de  ti  ! 
Che  seroit  grans  abusions. 

ADANS. 

N'est  mie  Rikiers  Aillions 

lions  clers  et  soutiex  en  sen  livre? 

HANE  Ll  MERCIERS. 

Oïl,  pour  deus  deniers  le  livre  : 
Je  ne  vois  qu'il  sache  autre  cose  ; 
Mais  nus  reprendre  ne  vous  ose, 
Tant avés-vous  muante  chief. 

RIKIERS. 

Cuidics  vous  qu'il  venist  à  cliief, 
Biaus  dons  amis,  de  che  qu'il  dist? 

(781)  Feu  M.  de  Toulnion.  dans  la  Notice  sur 
Adam,  musicien  (Le  th.  fr.  au  moyen  âge,  p.  49), 
remarque  qu'au  xin"  siècle  lout  musicien  elaii  poêle, 
tout  poêle  musicien.  La  musique,  souvent  mélodique 
pour  la  chanson,  devenait  incompréhensible  lorsque 
le  musicien  voulait  réunir  des  notes  d'une  exécution 
simultanée.  Ainsi  Adam,  dans  ses  Jeux  populaires, 
choisit  parmi  les  modes  ecclésiastiques  ceux  qui  se 
rapprochent  le   plus  de  la  tonalité  indiquée  par  la 


ADAM. 

Seigneurs,  gavez-vous  pourquoi  j'ai  changé  d'ha- 
bit? Après  avoir  eu  femme,  je  reviens  -ju  clergé. 
Ainsi,  mes  vieux  songes  s'en  vonl,  et  je  \eux  d'a- 
bord prendre  congé  de  vous  tous.  Désormais,  aucun 
de  ceux  que  j'ai  hantés  ne  pourra  dire  que  je  me 
sois  vanté  pour  rien  de  mon  voyage  à  Paris.  Chacun 
peul  revenir,  même  des  plus  grands  délires  :  grande 
sanié  vient  bien  après  grande  maladie.  D'aune  pari, 
je  n'ai  pas  tellement  perdu  mon  lemps  ici,  que  je  ne 
me  sois  bien  entendu  à  aimer  loyalement.  II  parai; 
bien  aux  tessons  ce  que  fut  le  pot  (782).  Oui!  je 
m'en  vais  à  Paris. 

RIKECE  ALRIS. 

Malheureux!  qu'y  feras-tu?  Jamais  bon  clerc  ne 
sortit  d'Arras,  et  loi,  lu  veux  l'aire  un  bon  eltr^. 
Oh  !  la  bonne  folie! 


ADAM. 

Rikiers  Aillions  n'est-  il  pas  un  bon  clerc  cl  subtil 
en  fait  de  livres? 

HANE  LE  MERCIER. 

Bah!  j'en  donne  deux  deniers,  sans  savoir  ce  qu'il 
sait.  Mais  nul  n'ose  vous  reprendre,  tant  vous  avez 
la  tète  chaude. 

RIKIERS. 

Pensez-vous  qu'il  viendrait  à  bout,  beau  doux 
ami,  de  ce  qu'il  dit? 

nature.  Les  phrases  sont  chantantes.  Au  conlraire, 
la  musique  destinée  aux  claies  supérieures  n'est  que 
pédanlisme,  confusion  et  discord. 

(7S2)  Bien  pert  au  leesl  quil  li  pot  furent, 
Ce  d'il  li  Vilains. 

(De  Proverbes  e<  du  Vilain,  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque du  roi,  fonds  de  Saint-Germain  des  Prés, 
1259,  olim  n»  1850,  fol.  71,  redo,  col.  2  et  3.) 


1-2-3 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBBE, 


ADA 


liai 


ADVNS. 

Chasnms  mes  paroles  despisl, 
(Mie  me  sanlc,  et  giele  inoll  loue  ; 
Mais  puis  que  clie  vient  an  besoing, 
El  que  par  moi  m'esluel  aidicr, 
Sacbiésje  n'ai  mie  si  chier 
Le  séjour  d'Arras,  ne  le  joie, 
Que  l'aprendrc  laissicr  en  doie; 
Puisque  Diex  m'a  donné  engien 
Faut  est  que  je  l'a  tour  à  bien; 
J'ai  clii  assez  me  bourse  escouse. 

GUILLOS  11  PETIS. 

Que  devenra  dont  li  pagoussc, 
aie  commère  dame  Maroie? 

ADANS. 

Biaus  sire,  avœc  men  pèreerl  chi. 

GUILLOS. 

Maislres,  il  n'ira  mie  ensi 
S'ele  se  puel  mètre  à  le  voie  ; 
Car  bien  sai,  s'onques  le  connui, 
Que  s'ele  vous  i  savoil  liui, 
Que  demain  iroil  sans  respil. 

ADANS. 

El  savés-vous  que  je  ferai?... 

GUILLOS. 

Maislres,  tout  ebe  ne  vous  vaut  nient, 
Ne  li  cose  à  clie  point  ne  lient. 
Ensi  n'en  poês-vous  aler; 
Car  puis  que  sainte  Eglise  apaire 
Deus  gens,  cbe  n'est  mie  à  refaire. 
Garde  estuet  prendre  à  l'engrener. 

ADANS. 

Par  foi  !  lu  dis  à  devinaillc, 
Aussi  corn  par  chi  le  me  taille  : 
Qui  s'en  fust  vardés  à  l'emprendre? 
Amours  me  prist  en  ilel  point 
Où  li  amans  .ij.  fois  se  point, 
S'il  se  veut  contre  li  deffendre 
Car  pris  fu  au  premier  boullon, 
Tout  droit  en  le  varde  saison, 
El.  eu  l'aspreehe  de  jouvent, 
Où  li  cose  a  plus  grant  saveur  ; 
Car  nus  n'i  cache  sen  meilleur 
Fors  chou  qui  li  vient  à  talent. 
Esté  faisoit  bel  et  seri. 
Doue  et  vert  et  cler  et  joli, 
Delilaule  en  chaus  d'oiseillons, 
En  haut  bos,  p>ès  de  fontenele 
Courans  seur  maillie  gravele; 
A  dont  me  vint  avisions 
De  cheli  que  j'ai  à  feme  ore, 
Qui  or  me  saule  pâle  et  sore, 
llians,  amoureuse  et  deugie; 
Or,  le  voi  crasse,  mautaillie, 
i  riste  et  tenchans. 

RIKIF.RS. 

C'est  grans  merveille. 
Voi  rement  estes-vous  muaules 
Quant  failures  si  delilaules 
Avés  si  brié nient  ou  \  liées  : 
Bien  sai  pour  coi  estes  saous? 

ADANS. 

Pour  coi? 

RIKIF.RS. 

Ele  a  fait  envers  vous 
Trop  grant  marebié  de  ses  denrées. 


ADAM. 


Chacun  méprise  ma  parole,  ce  me  semble,  el  la 
rejette  fort  loin.  Eh  bien  !  puisque  cela  devient  né- 
cessaire, el  qu'il  me  faut  aider  par  moi-même,  sa- 
chez que  je  ne  liens  pas  tant  au  séjour  d'Arras  el  à 
la  joie  pour  laisser  à  cause  (Vcmx  l'élude.  Puisque 
Dieu  m'a  donné  de  l'esprit,  il  est  temps  que  je  la 
mène  à  bien;  j'ai  assez  secoué  ma  bourse  ici. 


GU1LL0T  LE   PETIT. 

Que  deviendra  donc  la  payse,  ma  commère  dame 
Marie? 

ADAM. 

Beau  sire,  elle  restera  ici  avec  mon  père. 

GU1LL0T. 

Maître,  que  non  pas,  si  elle  peut  se  mettre  en 
chemin; je  sais,  moi  qui  la  connais,  qu'aussitôt 
qu'elle  vous  saura  en  route  elle  s'y  mettra  file  - 
inêjiie  sans  répit. 


ADAM. 

Et  savez-vous  ce  que  je  ferai?... 

GU1LLOT. 

Maître,  lout  cela  ne  vaut  rien,  et  les  choses  ne 
sont  pas  si  aisées.  Vous  ne  pouvez  pas  vous  en  aller 
ainsi  ;  car  une  fois  que  sainte  Eglise  a  accouplé  deux 
individus,  ce  n'est  plus  à  refaire.  11  faut  prendre 
garde  avant  de  s'engager. 

ADAM. 

Ma  foij!  tu  parles  à  devinaille;  et  que  me.  tailles - 
tu  ici?  Qui  s'en  fut  gardé  au  commencement?  Amour 
me  prit  dans  un  coin  où  l'amant  se  pique  deux  fois 
s'il  veut  se  défendre  :  je  fus  pincé  au  premier  bouil- 
lon, justement  dans  la  verte  saison  et  dans  la  fougue 
de  la  jeunesse,  où  la  chose  a  plus  grande  saveur. 
El  qui  donc  garde  son  mieux,  el  le  refuse  au  plai- 
sir? Il  faisait  un  été  bel  et  serein,  doux,  vert  et  gai, 
délicieux  par  le  chanl  des  petits  oiseaux.  Dans  un 
bois  de  haute  futaie,  près  d'une  fontaine  qui  courait 
sur  un  gravier  entaillé,  j'entrevis  à  demi  celle  que. 
j'ai  actuellement  pour  femme  :  maintenant  pâle  et 
satire  (78r>);  mais  alors  riante,  amoureuse  et  déli- 
cate, autant  qu'aujourd'hui  grasse,  mal  taillée,  trisle 
et  chicanière. 


RIÛ.U1ER. 

C'est  grand'  merveille.  En  vérité,  vous  êtes  bien 
changeant  d'avoir  oublié  si  tôt  des  traits  si  délicieux: 
je  sais  bien  pourquoi  vous  êtes  saoul. 


ADAM. 

Pourquoi? 

r.iQiJiEii. 
Elle  vous  a  fait  trop  bon  marché  de  ses  déniées. 


f7S3)  C'est  de  là  que  vient  l'expression  de  harenrj- 
toie,  pour  le  hareng  fumé  : 

Il  j  en  a  de  deux  manières. 


L'un  s)r,  et  l'autre  est  blanc. 
{La  vie  de  mini  llarenc,  glorieulx  martyr,  ;\ 
la  suite  du   Début  dm  deux  dhmoyselte*  ; 
Paris,  Firmin  Didor,  I825,pa|.  61.) 


12 


•J» 


ADA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


H5i> 


AblNS. 

fia  !  Riquier,  à  <  lie  ue  tient  point; 
Mais  A  mors  si  le  gent  en  oint, 
Etchascune  grasse  enlumine 
En  famé,  et  fait  sanler  si  grande. 
Si  c'on  cuide  d'une  truande 
Bien  que  cite  soit  une  roïne. 
Si  crin  sanloienl  reluisant 
D'or,roilel  crespé  et  fremianl  : 
Or  sont  kéu,  noir  et  pendic. 
Tout  me  saule  ore  en  li  mué  ; 
Ele  avoit  front  bien  compassé , 
Blanc,  omni,  large,  feneslric  : 
Or  le  voi  cresté  et  estroit  ; 
Les  sourcliiex  par  saillant  avoit 
En  arcant,  souliex  et  ligniés, 
D'un  brun  poil  pourirait  de  pinchcl, 
Pour  le  resgart  faire  plus  bel  ; 
Or  les  voi  espars  et  drechiés 
Con  s'il  voellent  voler  en  l'air; 
Si  noir  œil  me  sanloienl  vais  {sic) 
Sec  et  fendu,  presl  d  acaintier, 
Grosdesous;  déliés  faucbiaus 
A  deus  petis  ploçons  jumiaus; 
Ouvrans  et  çloans  à  dangier, 
Et  regars  simples,  amoureus  ; 
Puis  si  descendoil  entre  dons 
Li  luiaus  du  nés  bel  et  droit 
Qui  li  donnoil  fournie  et  figure, 
Com passé  par  art  de  mesure, 
El  de  gaielé  souspiroit. 
En  tour  avoit  blanche  maisselc, 
Faisans  an  rire  .ij.  foisseles 
J.  peu  nuées  de  vermeil, 
Parans  desous  le  cuevrekief; 
Ne  Diex  ne  venisl  mie  à  cbiest  (sic) 
De  faire  un  viaire  pareil 
Que  li  siens  adont  me  sanloit. 
Li  bouche  après  se  poursiévoit 
Graille  as  cors  et  grosse  ou  moilou, 
Fresehe,  vermeille  comme  rose  ; 
Blanque  denture,  jointe,  close; 
En  après  four-chelé  menton, 
Dont  naissoil  li  blanche  gcrgele 
Dusc'as  espaules  sans  fosseie, 
Omni  et  gros  en  avalant  ; 
Haleivl  poiirsiévanl  derrière 
Sans  poil  blanc  et  gros  de  manière, 
Seur  le  cole  un  peu  reploiant; 
Espaules  qui  point  n'enermmoient, 
Dont  li  lonc  brac  adevaloienl, 
Gros  et  graille  ou  il  afferoil. 

Encor  esloil  (oui  che  du  mains, 
Qui  resgardoit  cbes  b[l]anchcs  mains, 
Dont  naissoienl  chil  bel  lonc  doit, 
A  basse  jointe,  grade  en  fin, 
Couvert  d'un  bel  ongle  sangin  , 
Près  de  le  char  omni  et  nci. 
Or  verrai  au  moustrer  devant 
De  le  gorgele  en  avaianl  ; 
El  premiers  au  pis  camtispl, 
Dur  et  court,  haut  et  de  point  bel. 
Enlrecloant  le  rivolel 
D'Amours  quichieien  le  fourohele; 
Bouline  avant  et  rains  vanliés, 
Que  manche  d'ivoire  entaillés 
A  che  couliaus  à  demoiseïc  : 
Plate  banque,  ronde  gambele- 
Gros  braon,  basse  quevilleue; 
Pié  vautic,  haingre,  à  peu  de  char. 

En  li  avoit  itel  devise  : 
Si  quit  que  desous  se  chemise 
N'aloit  pas  li  seurplus  en  dar; 
Et  tle  perchut  bien  de  li 
Que  je  l'amoie  miex  que  mi, 
Si  se  tint  vers  moi  fièrement, 
Et  con  plus  fieic  se  tenoit , 


ADAM. 


Ah!  Riquier,  ce  n'est  point  cela;  mais  Amour 
fascine  tellement  les  gens;  il  donne  un  tel  éclat  à 
chacune  des  grâces  dans  une  femme,  et  fait  sembler 
celle  grâce  si  grande,  qu'on  arrive  à  croire  qu'une 
truande  est  une  reine.  Ses  cheveux  semblaient  re- 
luisants d'or,  roides  et  bouclés  et  frémissants  :  main- 
tenant ils  sont  plats,  noirs  et  pendants.  Aujourd'hui 
tout  me  semble  changé  en  elle;  elle  avait  un  front 
bien  régulier,  blanc,  uni,  large,  ouvert,  qui  me  pa- 
rait maintenant  ridé  et  étroit;  elle  avait,  à  ce  qu'il 
me  semblait,  les  sourcils  arqués,  déliés  et  alignés, 
bruns  et  peints  avec  un  pinceau,  pour  rendre  le  re- 
gard plus  ardent,  et  maintenant  je  les  vois  épais  ei 
dressés  comme  s'ils  allaient  s'envoler.  Ses  yeux 
noirs  me  semblaient  vairs,  secs  et  fendus,  prêts  à 
caresser,  gros  dessous;  ses  paupières  déliées  avec 
deux  petits  plis  jumeaux,  ouvrant  et  fermant  à  vo- 
lonté; et  son  regard  bon  et  amoureux.  Puis  descen- 
dait entre  les  yeux  le  tuyau  d'un  nez  bel  et  droit, 
qui  complétait  la  régularité  de  la  figure.  Le  tout 
plein  de  gaieté.  Autour  de  sa  blanche  joue,  lorsqu'elle 
riait,  deux  fossettes  un  peu  nuancées  de  rouge,  et  on 
l'apercevait  dessous  la  coiffe.  Non!  Dieu  ne  viendrait 
pas  à  bout  de  faire  un  visage  tel  que  le  sien  me 
semblait  alors.  El  la  bouche  après,  mince  aux  coins, 
grosse  au  milieu,  fraîche,  vermeille  comme  rose;  et 
une  denture  blanche,  jointe,  serrée,  cl  un  menton  à 
fossette 


a  • 


*  • 


•  • 


•  • 


•  • 


•  • 


• 


*  • 


•  • 


La  voilà  belle  comme  elle  était...  Elle  aperçut 
bien  vite  que  je  l'aimais  plus  que  moi-même,  elle  me 
traita  avee  fierté;  mais  plus  elle  était  fiere,  plus 
croissaient  en  moi  l'amour,  le  désir  et  la  passion; 
à  ces  sentiments  se  mêlèrent  la  jalousie,  le  déses- 
poir et  le  délire,  et  l'amour  que  je  ressentais  pour 
elle  s'embrasa  de  plus  en  plus,  si  bien  que  je  perdis 


1237 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


i-203 


Plus  et  plus  croislre  en  mi  faisoit 
Amour  et  désir  et  talent; 
Avœc  se  merla  (sic)  jalousie, 
Desesperanche  et  derverie , 
Et  plus  en  plus  fui  en  ardeur 
Pour  s'aniour,  et  mains  me  connui, 
Tant  c'ainc  puis  aise  je  ne  fui, 
Si  eue  fait  d'un  maistre  .i.  segneur. 

Bonnes  gens,  ensi  fui-jou  pris 
Par  Amours,  qui  si  m'eut  souspris; 
Car  failures  n'ut  pas  si  bêles 
Comme  Amours  le  me  flst  sanler, 
Et  Désirs  le  me  fisl  gousler 
A  le  granl  6aveur  de  Vaucheles. 
S'est  drois  que  je  me  reconnoisse 
Tout  avant  que  me  feme  angroisse, 
Et  que  li  cose  plus  me  cousl; 
Car  mes  fains  en  est  apaiés. 


tout  empire  sur  moi,  si  bien  que  je  n'eus  d'aide  qu'en 
devenant  de  clerc  mari. 


Bonnes  gens,  par  fascination  ;  ainsi  me  prit  par 
Amour,  car  elle  n'avait  pas  les  traits  aussi  beaux  qu'il 
me  les  avait  fait  apparaître,  et  Désir  me  lit  venir  l'eau 
à  la  bouebe  à  ma  sortie  de  Yauxelles.  Il  est  donc 
convenable  que  j'ouvre  les  yeux,  avant  que  ma 
femme  devienne  enceinte,  et  qu'il  ne  m'en  cuise. 
Ma  foi  !  ma  faim  est  apaisée. 


RIKIERS. 

Maistres,  se  vous  me  le  laissiés, 
Ele  me  venroil  bien  à  goust. 

MAISTRE  ADANS. 

Ne  vous  en  mesquerroie  à  pieclie 
Dieu  proi  que  il  ne  m'en  mesquieche; 
N'ai  mestier  de  plus  de  mehaing, 
Ainsvaurrai  me  perte  rescourre  , 
Et  pour  aprendre  à  Paris  courre. 

MAISTRE  HENRIS. 

A!  biaus  dous  fiex,  oneje  le  plaîng, 
Quant  tu  as  cbi  tantstendn, 

El  pour  feme  len  tans  perdu  ; 
Or  fai  que  sages,  reva-t'enl. 

GUILLOS  LI  PET1S. 

Or  li  donnes  dont  de  l'argent; 
Pour  nient  n'esUon  mie"- à  Paris. 

MAITRES   HENRI  S. 

Las!  dolans!  où  seroit-il  pris? 
Je  n'ai  mais  que  .xxix.  livres. 

HA.NE  Ll  MERCIERS. 

.     .     .     .     Etes- vous  ivres? 

MAISTRES   HENRIS. 

Naie,  je  ne  bui  liui  de  vin! 
J'ai  tout  mis  eu  canebuslin; 
Honnis  soit  qui  me  le  loa! 

MAISTRES  ADANS. 

Quia,  kia,  kia,  kia? 

Or  puis  sur  chou  eslre  escoliers. 

MAISTRES  HEXRIS. 

Biaus  fiex,  fors  esles  et  légiers, 
Si  vous  aiderés  à  par  vous, 
Je  sui  .j.  vieus  boni  plains  de  tous, 
Enfers  et  plains  de  ruine,  et  fades. 


SCÈNE  II. 

les  mêmes,   HENRI,  père  d'Adam. 

UIOL'IER. 

Maître,  si  vous  me  laissiez  voire  femme,  elle  se- 
rait bien  à  mon  goût. 

MAÎTRE  ADAM. 

Je  n'ai  pas  de  peine  à  vous  croire.  Je  prie  Dieu 
qu'il  ne  m'en  mésavienne   pas;  je   n'ai  pas  besoin 


de  plus  de  chagrin,  mais  je  veun  recouvrer  ce  que 
j'ai  perdu  et  courir  à  Paris  pour  apprendre. 

MAÎTRE  HENRI. 

Ah!  beau  doux  fils,  que  je  le  plains  d'avoir  tant 
attendu  ici  et  d'avoir  perdu  ton  temps  pour  une 
femme.  Maintenant,  agis  en  sage,  va  l'en, 


GUILLOT  LE  PETIT. 

Or,  donne-lui  donc  de  l'argent  :  on  ne  vil  pas 
pour  rien  à  Paris. 

MAÎTRE    HENRI. 

Hélas!  malheureux  que  je  suis ,  où  le  prendrais- 
je?  je  n'ai  plus  que  vingt-neuf  livres. 

HANE  LE  MERCIER. 

.     .     .     .     Eles-vous  ivre? 

MAÎTRE  HENRI. 

Nenni!  je  n'ai  pas  bu  de  vin  d'aujourd'hui.  J'ai 
tout  mis  en  gage;  honni  soit  qui  me  le  conseilla! 

MAÎTRE  ADAM. 

Quia,  kia,  kia,  kia?  Sur  ce,  je  puis  maintenant 
êlre  écolier. 

maItre  HENRI. 

Beau  fils,  vous  êtes  fort  el  léger,  vous  vous  aide- 
rez par  vous-même.  Je  suis  un  \ieil  homme  plein 
de  toux,  infirme  el  plein  de  rhume,  el  languissant. 


SCÈNE  III. 


LES    MEMES,    LE    MEDECIN. 


Ll  FIS1SCIENS. 

Bit  n  sai  de  coi  esles  malades, 

Foi  que  dois  vous,  maistre  Henri  ; 

Ben  voi  vo  maladie  cbi  : 

L'est  uns  maus  c'on  claime  avarice. 

S'il  vous  plaist  que  je  vous  garisce, 

Coiement  à  mi  parlerés. 

Je  sui  maistres  bien  acanlés, 

S'ai  des  gens  amont  et  aval 

Cui  je  garirai  de  cest  mal  ; 

Noinméemcnl  en  ceste  vile 

En  ai-jo  bien  plus  de    ij.  mile 


LE    MÉDECIN. 

Je  sais  bien  de  quoi  vous  êtes  malade.  Oui  da  ! 
maine  Henri  ;  je  vois  bien  votre  maladie  :  c'est  un 
ma!  que  l'on  nomme  avarice.  S'il  vous  plaît  que  je 
vous  guérisse,  vous  me  parlerez  tranquillement.  Je 
suis  un  maître  bien  achalandé,  et  j'ai  des  pratiques 
en  haut  et  en  bas  que  je  guérirai  de  ce  mal;  nom- 
mément j'en  ai  dans  celle  ville  plus  de  deux  mille 
qui  n'ont  ni  espoir  de  guérison  ni  réconfort.  Halois 
en  est  déjà  à  l'article  de  la  mort,  lui  et  Robert  Cosiel 
et  ce  Bielu  le  Faveriel.  II  eu  est  ainsi  de  toute  leur 
lignée. 


!2J9 


ADA 

Où  i!  n'a  respas  ne  confor!. 
llalois  on  gist  ià  à  le  mort 
Entre  lui  el  Robert  Cosiel, 
Et  ce  Bietu  le  Faveriel. 
Aussi  l'ait  irestous  leur  lignages. 

GUILL0S  LI  PET1S. 

Par  foi  !  che  n'iert  mie  damages 
Se  cliascuns  esloit  niors  tous  frois. 

LI   FISISCIENS. 

Aussi  ai-jou  tiens  Ermenfrois, 

L'un  de  Paris,  l'autre  crespin, 

Qui  ne  l'ont  fors  traire  à  leur  fin 

De  ceste  cruel  maladie, 

Et  leur  enfant  et  leur  lignie  ; 

Mais  de  Haloi  est-clie  grans  hides, 

Car  il  est  de  lui  omicides. 

S'il  en  muert  c'ert  par  s'ocoison 

Car  il  acale  mort  pisson  ; 

C'est  grans  mervelle  qu'il  ne  criève. 

MAISTRES  HENRIS. 

Maistres,  qu'cst-clie  chi  qui  me  liève? 
Vous  connissiés-vous  en  cest  mal? 

LI  FISISCIENS. 

Preudons,  as-tu  point  d'oriiial. 

MAISTRE   HENRIS. 

Oïl,  maistres,  vés-ent  chi  un' 

LI    FISISCIENS. 

Feis-lu  orine  à  engun? 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


iî-ti) 


MAISTRE    IIENRÎS. 


Oïl. 


LI    FISISCIENS. 

Chà  dont,  Diox  i  ait  pari  ! 

Tu  as  le  mal  Sainl-Liénart, 

Riaus  preudons,  je  n'en  vœil  plus  uir. 

MAISTRE    IIENRIS. 

Maistres,  m'en  esluet-il  gésir? 

LI   FISISCIENS. 

Nenil ,  jà  pour  chou  n'en  gerrés. 
J'en  ai  .i.ij.  ensi  atirés 
Des  malades  en  ceste  vile. 

MAISTRE   IIF.NRIS. 

Qui  sont-il? 

Ll    FISISCIENS. 

jehans  d'Autevile, 
Willaumes  Wagons,  et  li  tiers 
A  à  non  Adans  li  Anstiers. 
Chascuns  est  malades  de  cliiaus, 
Par  trop  plain  emplir  lor  boucliiaus; 
Et  pour  cbe  as  le  ventre  enfle  si. 


GUILLOT  LE  PETIT. 

Ma  foi  !  ce  ne  serait  pas  dommage  si  chacun  d'eus 
était  mort  tout  roide. 

LE  MÉDECIN. 

J'ai  aussi  deux  Ermenfrois,  l'un  de  Paris,  l'autre 
de  Crespy  (en  Valois),  qui  ne  font  que  tirer  à  leur 
fin  de  celle  cruelle  maladie ,  eux,  enfants  et  lignée. 
Mais  quant  à  Haloi,  c'est  une  horreur,  car  il  est  ho- 
micide de  lui-même.  S'il  en  meurt,  ce  sera  de  sa 
faute,  car  il  achète  du  poisson  mort.  C'est  grande 
merveille  s'il  n'en  crève  pas. 


MAÎTRE  HENRI. 

Maître,  qui  est-ce  qui  me  soulagerait  ?  Vous  con- 
naissez-vous à  ce  mal? 

LE  MÉDECIN. 

Rrave  homme,  n'as-lu  point  d'urinal? 

MAÎTRE    HENRI. 

Oui,  maître,  en  voici  un. 

LE  MÉDECIN. 

Fis-tu  urine  à  jeun! 

MAÎTRE  HENRI. 

Oui. 

LE  MÉDECIN. 

Eh  bien!  Dieu  y  ait  pari!  Tu  as  le  mal  de  Sainl- 
Léonard.  Reau  prudhomme ,  n'en  parlons  plus. 

MAÎTRE  HENRI. 

Maître,  faut-il  me  meltre  au  lit? 

LE  MÉDECIN. 

Nenni,  vous  ne  vous  alilerez  pas  pour  cela.  J'ai 
déjà  trois  malades  en  pareil  état  dans  celte  ville. 


MAITRE  HENRI. 


Qui  sont  ils? 


LE   MÉDECIN. 

Jean  d'Aotevillc,  Guillaume  Wagon,  el  le  troi- 
sième a  pour  nom  Adam  le  Anslier.  Chacun  d'eux 
est  malade,  parce  qu'ils  remplissent  trop  leurs  bou- 
cauts;  el  c'est  pour  cela  que  tu  as  aussi  le  ventre 
enflé. 


SCÈNE  IV. 

LES    MÊMES,    DOUCE-DAME,    HANE. 


DOUCE    DAME. 


DOUCE   DAME. 


Riaus  maistres,  consillie-me  aussi, 
Et  si  prendés  da  men  argent, 
Car  li  ventres  aussi  me  lent 
Si  fort  que  je  ne  puis  aler. 
S'ai  aporléc  pour  mouslrer 
A  vous  de  .iij.  lieues  m'orine. 

Ll   FISISCIENS.  * 

Chis  maus  vient  de  gésir  souvine  ; 
Dame,  ce  distchis  orinaus. 

DOUCE    DAME. 

Vous  en  mentes,  sire  rihaus; 
Je  ne  suis  mie  lel  barnesse. 
Onques  pour  don  ne  pour  promesse 
ici  niesticr  faire  je  ne  vauc. 


Reau  maître,  conseillez-moi  aussi,  et  prenez  de 
mon  argent,  car  le  ventre  aussi  me  tend  si  fort  que 
je  ne  puis  aller.  J'ai  apporté  de  trois  lieues  mon 
urine,  pour  vous  la  montrer. 


LE  MÉDECIN. 

Ce  mal  vient  de  coucher  sur  le  dos;  dame,  cest 
ce  que  dit  l'urinai. 

DOUCE    DAME. 

vous  en  avez  menti,  sire  ribaud;  je  ne  suis  pas 
une  femme  de  ce  genre.  Jamais  ni  pour  don  ni  pour 
promesse  je  ne  fis  pareil  métier.,.. 


1211 


ADA 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


«2-të 


Il    FI51SC1ENS. 

El  j'en  ferai  warder  ou  pane, 
Pour  acomplir  vosire  fnenchongne. 
Rainclet,  il  convient  c'on  oigne 
Ten  pauc,  liève  sus  j.  peiil; 
Mais  avanl  esteul  c'on  le  nit. 
Fait  est.  Rewarde  en  cesle  crois, 
Et  si  di  chou  que  lu  i  vois. 

douce  dame. 

Bien  vœil,  certes,  c'on  die  tout. 

RAlNNCLÉS. 

Dame,  je  voi  ehi  c'on  vous  f....* 
Pour  nului  n'en  clielerai  rien. 

LI   PISISC1ENS. 

Enhenc,  Dieus  !  je  savoie  bien 
Comment  li  besoigne  en  aloit. 
Li  orine  point  n'en  mcnloil. 

DOUCE    DAME. 

Tien,  honnis  soit  le  rouse  tesle  ! 

RA1NNELÉS. 

Arma!  che  n'est  mie  chi  fesle. 

LI   FÎSISCIENS. 

Ne  l'en  caul,  Rainelet,  biaus  fiex. 
Dame,  par  amours,  qui  estchiex 
De  cui  vous  chel  enfant  avés? 

DOUCE    DAME. 

Sire,  puisque  tant  en  savés, 
Le  seurpius  n'en  chelerai  jà  : 
Chiex  viex  leres  le  vaegna. 
Si  puisse-jou  esiie  délivre! 

R1K1ERS. 

Que  dist  celé  feme?  est-ele  yvre? 
Me  mcl-ele  sus  son  enfant? 


DOUCE   DAME. 


Oil. 


RIK1ERS. 

N'en  sai  ne  tant  ne  quant  : 
Quant  fusl  avenus  chis  afaires? 

DOUCE    DAME. 

Par  foy  !  il  n'a  encore  waires; 
Che  fu  .j.  peu  devant  quaresme. 

GU1LLOS. 

Ch'est  trop  bon  à  dire  vo  feme  ; 
Rikier,  li  volés  plus  mander? 

R1UIERS. 

Ha!  genliex  hom,  laissiés  ester , 
Pour  Dieu  n'esmouvés  mie  noise, 
Elle  est  de  si  maie  despoise 
Qu'ele  croit  che  que  point  n'avicnl. 

GUILLOS. 

A  di  foy  bien  ail  cui  on  crient  ; 
Je  tieng  à  sens  et  à  vaillanche 
Que  les  femes  de  la  waranche 
Se  font  cremir  et  rcsoignier. 

1IANE. 

Li  feme  aussi  Mahieu  l'Anslier 
Qui  fu  feme  Ernoul  de  le  Porle, 
Fait  que  on  le  crient  et  déporte  ; 
Des  ongles  s'aïe  et  des  dois 
Vers  le  haillieu  de  Vermendois; 
Mais  je  tieng  sen  baron  à  sage 
Qui  se  laist. 

RIKIERS. 

Et  en  che  visnage 
A  chi  aussi  .ij.  baisseleies, 
L'une  en  est  Margos  as  Punictes, 
Li  autre  Aéilis  au  Dragon; 


DOUCE   D.UIE. 

Honnie  soit  la  lête  rousse! 

RAINELET. 

Anwa  !  ce  n'est  pas  ici  fête. 

LE    MÉDECIN. 

Ne  t'en  émeus  pas,  Rainelel,  beau  fils.  Dame,  par 
amitié,  (diies-moi)  quel  est  celui  de  qui  vous  avez 
cet  enfant. 

DOUCE    DAME. 

Sire,  puisque  vous  en  savez  tanl,  je  ne  cacherai 
pas  le  surplus:  ce  vieux  larron  l'engendra.  Puissé*je 
en  être  débarrassée! 

R1QUIER. 

Que  dit  celle  femme?  esl-elle  ivre?  met-elle  so:j 
enfant  sur  mon  compte? 

DOUCE  DAME. 

Oui. 

RIQUIER. 

Je  n'en  sais  ni  peu  ni  prou  ;  quand  advint  celle 
affaire? 

DOUCE    DAME. 

Par  ma  foi  !  il  n'y  a  pas  encore  longtemps;  ce  fut 
un  peu  avant  carême. 

GUILLOT. 

C'est  trop  bon  à  dire  à  voire  femme;  Riquier, 
voulez-vous  lui  mander  plus? 

RIQUIER. 

Ah!  gentilhomme,  laissez  cela;  pour  Dieu  r.a 
faites  pas  de  bruit;  elle  est  de  si  méchante  humeur, 
qu'elle  croil  ce  qui  n'arrive  point. 

GUILLOT. 

Ah  !  je  dis  qu'il  faut  lenir  sa  foi  envers  qui  Poft 
craint.  II  est  bon  que  les  femmes  par  leur  défense  se 
fassent  craindre  et  respecter. 

11  ANE. 

Ah  !  c'est  la  femme  de  Mathieu  l'Anslier,  veuvo 
d'Arnoul  de  la  Porle.  qu'on  craint  et  qu'on  supporte; 
elle  s'aide  des  ongles  et  des  doigts  vis-à  vis  du  bailli 
de  Yerinandois ,  cl  son  mari  fut  sage  de  s'être  m. 


RIOUIER. 

Et  dans  ce  voisinage  il  y  a  aussi  deux  femmes  : 
l'une  d'elles  est  Margot  aux  Pommeliez,  cl  l'autre 
Aélis  au  Dragon;  et  l'une  lencc  se-'  mari,  l'aulis 
parle  quatre  fois  autant. 


1243 


ADA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


12il 


El  Finie  lenohc  scn-barnu, 
Li  autre  '.iiij.  tans  parole. 

GUILLOS. 

A!  vrais  Diex  !  aporte  une  estoile  ! 
Chis  a  nommé  déus  ancmis. 

IIANE. 

Maislre,  ne  soies  abaubis 

S'il  me  convient  nommer  le  voc. 

ADANS. 

Ne  m'en  eant,  mais  qu'ele  ne  l'oe  ; 
S'en  sai-je  bien  d'aussi  lenebans  : 
Li  feme  Henri  des  Argans, 
Qui  grale  et  resproe  c'uns  cas, 
El  li  feme  maistre  Tlioumas 
De  Darneslal  qui  maint  labors. 

H  A  NE 

Cesles  ont  .c.  diables  ou  cors, 
Si  je  fui  onques  fiex  men  père. 

ADANS. 

Aussi  a  dame  Eve  vo  mère 

H  ANE. 

Vo  feme,  Adan,  ne  i  en  doit  vaires. 


GU1LLOT. 

Holà!  vrai  Dieu!  qu'on  apporte  uneétolc!  celui- 
ci  a  nommé  deux  diables. 

HANE. 

Maître,  ne  soyez  pas  étonné  s'il  me  faut  nomme; 
la  vôtre. 

ADAM. 

Il  ne  m'importe,  pourvu  qu'elle  ne  l'entende.  J'en 
sais  bien  d'aussi  querelleuses  :  la  femme  d'Henri  des 
Argans,  qui  gratte  et  se  hérisse  comme  un  chai,  et 
la  femme  de  maître  Thomas  de  Darnestal  qui  mène 
les  travaux. 

IIANE. 

Celies  là  ont  cent  diables  au  corps,  si  je  fus  onc- 
i|  nos  le  fils  de  mon  père. 

ADAM. 

Dame  Eve  votre  mère  en  a  autant. 

HANE 

Votre  femme,  Adam,  n'est  guère  en  reste  avec 
elle. 


SCENE  V. 

LES    MEMES,    UN    MOINE. 


LI    MOINES. 

Segneur.  me  sires  sains  Acaires 
Vous  est  cbi  venus  visiter; 
Si  l'aprochiés  tout  pour  ourer, 
El  si  mesche  chascuns  s'offrande, 
Qu'il  n'a  saint  de  si  en  Irlande 
Que  si  blés  miracles  fâche  ; 
Car  l'anemi  de  l'orne  encache 
Par  le  saint  miracle  devin, 
Et  si  warisl  de  l'esverlin 
Communément  et  sos  et  soles; 
Souvent  voi  des  plus  ediotes 
A  Haspre,  no  mouslicr,  venir, 
Qui  sont  liai  lié  au  départir  : 
Car  li  sainsesl.de  granl  mérite, 
Kl  d'une  ahenguelc  pelite 
Vous  poés  bien  faire  du  saint. 


MAITRE    HENRI, 

MAISTRE  HENRlS. 

Par  foy!  dont  lo-joil  c'on  i  maint 
Walel  ains  qu'il  voist  empirant. 

RIKIERS. 

Or  chà,  sus,  Walel!  passe  avant  :  \ 
Je  cuit  plus  sol  de  li  n'i  a. 

WALÉS. 

Sains  Acaires  que  Diex  kia, 


LE    MOINE. 

Seigneurs,  monseigneur  saint  Acaire  (784)  vous 
est  venu  visiter  ici.  Approchez  tous  pour  prier,  et 
que  chacun  mette  son  ollrande;  car  il  n'y  a  pas  de 
saint  d'ici  en  Irlande  capable  d'aussi  beaux  mira- 
cles :  en  effet  il  chasse  le  diable  hors  de  l'homme 
par  le  saint  miracle  divin,  et  il  guéril  de  la  démence 
les  fous  et  les  folles;  souvent  je  vois  venir  à  Haspre, 
notre  monastère,  des  plus  idiotes  qui  sont  guéries  à 
leur  départ;  carie  saint  esl  de  grand  mérite,  et 
avec  une  pelite  aumône,  vous  pouvez  tirer  bien  des 
avantages  de  notre  saint. 


Donne-me  assés  de  poi  piles 


785), 


SCENE  VI. 

RIQUIER,    WALÉS»    LE    MOINE. 

MAÎTRE  HENRI. 

Par  (ma)  foi!  je  suis  d'avis  alors  qu'on  ■  y  mène 
Walel  avant  qu'il  aille  en  empirant. 

RIQUIER. 

Or  ça!  sus,  Walel!  passe  avant  :  je  crois  qu'il  n'y 
a  pas  plus  fou  que  loi. 

WALÉS. 

Saint  Acaire,  donne-moi  mon  saoul  de  pois  piles, 
c'est  moi  qui  suis  appelé  fou.  Je  suis  lrès-J oyeux  >!e 


(78i)  Sainl  Macaire,  disciple  de  saint   Antoine. 

(785)  Pois  piles  :  pois  écrasés,  purée.  Celte  ex- 
pression, qui  semble  devoir  être  prise  dans  le  sens 
naturel  dans  le  vers  3i2  du  Jeu  Adam,  a  diverses 
significations  chez  nos  vieux  écrivains.  On  appelait 
ainsi  les  farces  el  les  soties  à  cause  du  mélange  de 
folies  et  de  choses  sérieuses  qui  s'y  rencontrait.  On 
donnait  aussi  ce  nom  au  lieu  où  ces  pièces  burles- 
ques étaient  représentées,  comme  dans  ce  passage 
îles  Aventures  du  baron  de  Fœneste,  liv.  III,  chap.  10  : 
«  Nous  estions  à  la  comédie  aux  poids  pilez,  un  Pa- 
risien beslu  de  biolel  se  leboil  à'  tous  coups  et  m'em- 
peschoil  la  bue  des  youurs,  »  etc.  (T.  II.  p.  51  de 
l'édition  de  mdccxxxi.)  On  lit  aussi  dans  le  Moyen  de. 
parvenir,  sous  le  n°  xxx,  l.  1,  p.  150^  de  l'édition  de 


1757.  «  Vous  m'avez  empêché  défaire  le  comte  de 
madame  des  Manigances,  que  vous  avez  nommée 
reine  des  pois  piles,  parce  qu'à  la  cour  elle  éloit  bien 
plus  chichement  habillée  que  les  autres-  »  Nicolas 
joubert,  sieur  d'Angoulevent,  prince  des  sols,  pre- 
nait le  titre  d'archipoéte  des  pois  piles.  Un  passage 
d'une  lettre  de  Malherbe  à  Peiresc,  du  21  mars 
1007,  donne  le  véritable  sens  de  ce  mol,  qui  s'était 
pour  ainsi  dire  perdu  comme  celui  de  beaucoup 
d'expressions  populaires  :  «  C'esl  assez,  monsieur; 
il  faul  finir  mes  fâcheux  discours,  qui  sont  plutôt 
pois  piles,  c'est-à-dire  une  purée,  un  salmigondis, 
qu'une  lettre.  »  (Lettre  de  Malherbe  à  Peiresc; 
Paris,  Biaise,  1822,  in-S°  p.  2k)  [«.  Fr.  Michel.] 


«••S 


ADA 


NOTICE  SUIl  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


124G 


Car  je  sui,  voi,  un  sol  clamés; 
Si  sui  moull  lié  que  je  vous  voi, 
El  si  t'aport,  si  con  je  croi, 
Biau  nie,  .j.  bon  froumage  cras  : 
Ton  mainLenan  le  mengeras  ; 
Aulre  fesie  ne  le  sai  faire. 

MUSTRE  HENRIS. 

Walei!  foy  que  dois  sainl  Acaire! 

Que  vauroies-lu  avoir  mis, 

Et  lu  fusses  mais  à  loudis 

Si  bons  menestreus  con  les  père  ? 

WALÉS. 

Biau  nié,  aussi  bon  vielere 
Vauroie  ore  estre  comme  il  lu. 
Et  on  m  eust  ore  pendu, 
Ou  on  m'éust  caupé  le  teste. 

LI    MOINES. 

Par  foy  !  voiremenl  est  chis  beslc, 
Droil  a  s'il  vient  a  saint  Acaire. 
Walel,  baise  le  saintuaire 
Errant  pour  le  presse  qui  souri. 

WALÉS. 

Baise  aussi,  biaus  niés  Walaincourt. 

LES    MOINES. 

Ho!  Walet,  biaus  niés,  va  le  sir. 


vous  voir,  et  je  l'apporte,  beau  neveu,  un  bon  fro- 
mage gras  à  tout  de  suite  manger;  je  ne  sais  le  faire 
aulre  fêle. 


MAITRE   HENRI. 

Walet!  par  la  foi  que  lu  dois  à  saint  Acaire!  que 
voudrais-tu  avoir  donné  pourêtre  toujours  aussi  bon 
inénéirier  que  ton  père? 

WALÉS. 

Beau  neveu,  je  voudrais  être  aussi  bon  joueur  de 
vielle  que  lui,  dussé-je  êire  bientôt  pendu,  ou  avoir 
la  tète  coupée. 

LE    MOINE. 

Par  ma  foi!  celui-ci  est  vraiment  une  bêle,  il 
doit  venir  à  saint  Acaire.  Walel,  baise  le  reliquaire 
lotit  de  suite  à  cause  de  la  foule  qui  s'avance. 

WALÉS. 

Baise-le  aussi,  beau  neveu  Walaincourl. 

LE     MOINE. 

Ho!  Walet,  beau  neveu,  va  l'asseoir. 


SCÈNE  VII. 


LES    MEMES,    DOUCE    DAME. 


DAME   DOUCE. 

Pour  Dieu,  sire,  vocillés  me  oïr  : 
Clii  envoient  défis  eslrelins 
(lolars  de  Bailloel  et  Heuvins, 
Car  il  ont  ou  sainl  granl  fianclie. 

LI   MOINES. 

Ben  les  connais  1res  k'es  enfanche, 
C'aloient  tendre  as  pavillons. 
iMelé-;  clii  devons  cbes  billons, 
El  puis  les  amenés  domain. 

WALÉS. 

Wes-ebi  pour  Waulier  Aleniain, 
Faites  aussi  prier  pour  lui  : 
Aussi  est-il  malades  bui 
Du  mal  qui  H  tient  ou  chcivel. 

IIANE. 

Or  en  faisons  tout  le  vieel, 

Pour  chou  c'on  dit  qu'il  se  couiecbe. 

S< 

LES    MÊMES,    LE 
LI  KEWJN6. 

LI  MOINES. 


DAME   DOUCE. 

Pour  Dieu,  sire,  veuillez  m'enlendre  :  Colars  de 
B.iilleul  el  H  eu  vin  envoient  ici  deux  esleilings,  car 
ils  ont  une  grande  conliance  dans  le  sainl. 

LE  MOINE. 

Je  les  connais  bien  depuis  l'enfance,  qu'ils  allaient 
tendre  aux  pavillons.  Meltez-ici  ces  pièces  de  mon- 
naie, el  puis  amenez-les  demain. 

WALÉS. 

Voici  pour  Waulier  Aleniain;  faites  aussi  prier 
pour. lui  :  il  est  malade  aujourd'hui  d'un  mal  au 
cerveau. 

HANE. 

Maintenant  faisons  toute  sa  volonté,  car,  dit-on, 
il  se  courrouce  aisément. 

:ène  vin. 

commun  (peuple),  le  fou. 


Moie' 


Ma  volonté? 


LE  COMMUN. 


LE    MOINE. 


N'esl-il  mais  nus  qui  mcclic? 
Avés-vous  le  sainl  ouvlié  ? 

IIFNRIS  DE  LE  IIALE. 

Et  ves-chi  .j.  meneau l  de  blé 
Pour  Jehan  le  Keu,  no  serjanl; 
A  saint  Acaire  le  commanl. 
Piecha  que  il  li  a  voué. 

LI    MOINES. 

Frère,  lu  l'as  bien  commandé  : 
El  où  esl-il,  qu'i  ne  vient  clii? 

HENR1S. 

Sire,  li  maus  l'a  rengrami, 
Si  l'a  on  .j.  petit  coukicl; 
Demain  revenra  cbi  à  piel, 
So  Dic\  plaist.  et  il  ara  micx. 


N'y  a-t-il  plus  personne  qui  nielle?  Ave/.-vous  ou 
blié  le  saint? 

HENRI   DE  LA  HALE. 

Et  voici  une  mesure  de  blé  pour  Jean  le  keu, 
noire  serviteur;  je  le  recommande  à  sainl  Acaire. 
Voici  longtemps  qu'il  lui  a  fait  un  vœu. 

LE    MOINE. 

Frère,  lu  l'as  bien  recommandé  :  et  où  est-il. 
qu'ilnc  vient  ici  ? 

HENRI. 

Sire,  le  mal  l'a  rendu  plus  malade,  cl  on  Ta  un 
peu  couché  ;  demain  il  reviendra  ici  à  pied,  s'il  plali 
a  Dieu,  el  il  at»ra  mieux. 


12*7 


AD  A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


12*8 


LI  TERES. 

Or  chà!  levés  vous  sus,  biaus  fiex; 
Si  vends  le  saint  aourer. 

LI   DERVÉS. 

Que  c'est?  me  volés-vous  tuer? 
Fiex  à  putain,  lcres,  érites, 
Créés-vous,  lâches  ypocriles. 
Laissie-me  aler,  car  je  suis  rois. 

LI  PERES. 

A!  biaus  doux  fiex,  séés-vous  cois, 
Ou  vous  ares  des  enviaus. 

LI  DERVÉS. 

Non  ferai;  je  sui  uns  crapaus 
Et  si  ne  inengue  fors  raines. 
Escouiés  :  je  fais  les  araines. 
Esl-clie  bien  fait?  ferai-je  plus? 

LI  PERES. 

Ha  !  biaus  flous  fiex,  séés-vous  jus  ; 
Si  vous  metés  à  genoillons, 
Se  che  non,  Uobers  Soumillnns, 
Qui  est  nouviaus  prinche  du  pui, 
Vous  ferra. 

LI    DERVÉS. 

Bien  lue  de  lui  : 
Je  sui  miex  prinches  qu'il  ne  soit. 
A  sen  pui  cam  bon  faire  doit 
Par  droit  maislre  Watiliers  as  Paus, 
El  uns  autres  leur  paringaus, 
Qui  a  non  Thoumas  de  Clari  : 
L'auslrier  vanter  les  en  oï. 
Maislre  YVausliers  jà  s'entremet 
De  chanter  par  mi  le  cornet, 
El  disl  qu'il  sera  couronnés. 

MAISTRE  HENRIS. 

Dont  sera  chou  an  ju  des  dés, 
Qu'il  ne  quierenl  autre  déduit. 

LI  DERVÉS. 

Escoutés  que  no  vache  mnil  ; 
Maintenant  le  vois  faire  prains. 

LI    PERES. 

A  !  sos  puans,  oslés  vos  mains 
De  mes  dras,  que  je  ne  vous  frape. 

LI   DERVÉS. 

Qui  est  cliieus  clers  à  celé  cape? 

LI  PERES. 

Diaus  fiex,  c'est  uns  Parisien*. 

LI  DERVÉS. 

Che  saule  miex  uns  pois  baiens, 
H  au  ! 

LI  PERES. 

Que  c'est?  Taisiés  pour  les  dames 

LI   DERVÉS. 

Si  li  sousvenoil  des  bigames, 
H  en  seroil  mains  orgueilleus. 

RIKIERS. 

Enhencl  maislre  Adan,  or  soni  .ij.;' 
l'ie.i  sai  que  cesle-chi  est  veç. 

ADANS. 

Que  set-il  qu'il  blâme  ne  loe? 
Point  n'a  conie  à  cose  qu'il  die; 
Ne  bigames  ne  sui  je  mie, 
El  s'en  sonl-ils  de  plus  vaillans. 

MA1STRE  Ï1ENRIS. 

Cerlesli  meffais  fu  Irop  grans, 
Et  chascuns  le  pape  encosa 
Quant  tant  de  bons  clers  desposa. 
Ncpourquant  n'ira  mie  ensi, 


LE   PÈRE. 

Or  cà,  levez-vous,  beau  fils,  et  venez  prier  le 
saint. 

LE    FOU. 

Qu'est-ce?  me  voulez-vous  tuer?  Fils  de  lar- 
rons, hérétiques,  croyez-vous ,  lâches  hypocrites. 
Laissez-moi  aller,  car  je  suis  roi. 

LE  PÈRE. 

Ah!  beau  doux  fils,  asseyez-vous  tranquillement, 
ou  vous  aurez  des  enviaus. 

LE  FOC. 

Non,  non,  je  suis  un  crapaud,  et  je  ne  mange  que 
des  grenouilles.  Ecoulez  :  je  fais  les  araignées.  Est-ce 
bien  fait?  ferai-je  davantage? 


LE  PÈRE. 

Ah  !  beau  doux  fils,  asseyez-vous;  mettez-vous  à 
genoux;  sinon  Roben  Soumillons,  qui  est  nouveau 
prince  du  puy,  vous  frappera. 


LE  FOU. 

Je  me  moque  bien  de  lui  :  je  suis  plus  prince  qu'il 
n'est.  Maître  Wautiers  aux  Pouces  doit  faire  chanson 

Îar  droil  à  son  puy,  et  un  autre  leur  égal,  qui  a  nom 
'boutas  de  Clari  :  l'autre  jour  je  les  entendis  s'en 
vanter.  Maine  Wauliers  se  mêle  déjà  de  chaîner 
dans  le  cornet,  et  dit  qu'il  sera  couronné. 


MAITRE  UE.NRI. 

Ce  sera  donc  au  jeu  des  dés,  car  ils  ne  cherchent 
d'autre  amusement. 

LE   FOU. 

Ecoutez  que  notre  vache   mugit;   maintenant  je 
vais  la  rendre  pleine. 

LE  PERE. 

Ah!  sol  puant,  ôlez  vos  mains  de  mes  h?bils, 
sinon  je  vous  frappe. 

le  fou. 
Quel  est  ce  clerc  avec  cène  cape? 

le  père. 
Beau  fi's,  c'est  un  Parisien. 

LE  FOU. 

Celui-ci  ressemble  mieux  à  un  pois  noir.  Bau  ! 

LE  PÈRE. 

Qu'est-ce?  Taisez  vous  pour  les  dames. 

LE  FOU. 

S'il  lui  souvenait  des  bigames,  il  en  serait  moins 
orgueilleux. 

RIQUIER. 

Enhenc!  mailre  Adam,  elles  sont  deux  a  présent; 
je  sais  bien  que  celle-ci  est  la  vôtre. 

ADAM. 

Que  sait-il  de  ce  qu'il  blâme  ou  loue?  qui  croit  à 
ce  qu'un  fou  dit?  Je  ne  suis  point  bigame,  quoiqu'il 
n'y  ail  guère  de  plus  vaillant. 

MAÎTRE  HENRI. 

Certes,  le  méfait  fui  irop  grand,  el  chacun  accusa 
le  pape  quand  il  déposa  tant  de  bons  clercs.  Cepen- 
dant cela  n'ira  pas  ainsi  ,  car  quelques-uns  des 
meilleurs  et  «tes  plus  riches  se  sont  roidis;   ils  ont 


IU9 


AOV 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ÂDA 


1250 


Car  aucun  se  sont  aali 

Des  plus  vaillans  ei  des  plus  rikes, 

Qui  ont  trouvées  raisons  Cliques, 

Qu'il  prouveront  tout  en  aperl 

Que  nusclers,  par  droit,  ne  désert 

Pour  mariage  estre  asservis; 

Ou  mariages  vaut  trop  pis 

Que  (leniourer  en  soignantage. 

Comment,  ont  prêtas  l'avantage 

D'avoir  fenies  à  remnier, 

Sans  leur  privilège  cangier, 

Et  uns  clers  si  perl  se  frauqiiise 

Par  espouser  en  sainte  Eglise 

Eame  qui  ait  autre  baron! 

Et  li  lil  à  putain  laron, 

Où  nous  devons  prendre  peulure, 

Mainenlen  pecliié  de  luxure 

Et  si  goent  de  leur  cleigie! 

Homme  a  bien  le  lierche  partie 

Des  clers  fais  sers  et  anialis. 

GllILLOS.  , 

Piumus  s'en  est  bien  aalis, 
Se  se  clergie  ne  li  tant, 
Qu'il  r'avera  «:he  c'on  li  laul  ; 
Poura  mètre  .j.  peson  d'esloupes. 
Li  papes,  qui  en  cliou  eut  coupes, 
Est  eueccux  quant  il  est  mors  ; 
Jà  ne  fusl  si  poissans  ne  fors 
C'ore  ne  l'éusl  desposé 
Mal  li  éusl  oneques  osé 
ïolir  privilège  de  clerc, 
Car  il  li  éusl  dit  esprec 
El  si  éusl  fait  l'escarbole. 

Il  ANE. 

;>îonl  est  sages,  s'il  ne  radote  ; 
Mais  Mados  et  Gilles  de  Sains 
Me  s'en  atisseut  mie  mains. 
Maislres  Gilles  ert  avoias  ; 
Si  mêlera  avant  les  cas 
Pour  leur  privilège  ravoir, 
El  disl  qu'il  livrera  s'avoir 
SeJebans  Crespins  livre  argent; 
lu  Jebans  leur  a  en  couvent 
Qu'il  livrera  de  l'aubenaille  ; 
Car  mont  ert  dolans  s'on  le  taille. 
Chis  fera  du  frail  par  tout  lin. 

MA1STKE  HENRI  S. 

Mais  près  de  mi  sont  doi  voisin 
Eu  cite  qui  sont  bon  notaire; 
Car  il  s'alissenlbien  de  faire 
Pour  nient  tous  les  escris  du  plail; 
Car  le  fait  iierient  à  irop  lait, 
Pour  ebou  qu'il  sont  andoi  bigame. 

UC1LL0S. 

Qui  sont-il? 

MA1STRE  IIENR1S. 

Colars  l''ousedante„ 
Et  s'est  Gilles  de  Douviguies  , 
Chisl  noteront  par  aalies, 
Eusaide  plaideront  pour  tous. 

GDILLOS. 

Enhenc!  maistre  Henri,  et  vous, 
Plus  d'une  feuie  avés  eue; 
El  s'avoir  volés  leur  aieuc 
Mètre  vous  i  couvienl  du  voe. 

MA1STRE  HENR1S. 

Gillol,  me  faites-vous  le  moe? 
Par  Dieu!  je  n'ai  goule  d'argent; 
Si  n'ai  mie  à  vivre  granmeni, 
Et  si  n'ai  meslier  de  plaidier, 
Point  ne  me  convient  nsoignier 
Les  tailles  pour  cliose  que  j'aie. 


trouvé  de  bonnes  raisons  par  lesquelles  ils  prouve- 
ront clairement  que  nul  clore,  suivant  le  droit ,  ne 
mérite  pour  se  marier  d'ëlre  réduit  en  servit :t  îe; 
sinon  le  mariage  esi  pire  que  le  concubinage.  Eli  ! 
quoi,  les  prélats  auraient  l'avantage  d'avoir  des 
femmes  à  rechanger  sans  changer  leur  privilège,  et 
un  clerc  perdrait  sa  franchise  en  épousant  en  sainte 

Eglise  femme  qui  ait  autre  mari!  et  les  lits  de , 

les  larrons,  sur  lesquels  nous  devons  prendre  mo- 
dèle, ils  demeurent  dans  le  pét-hié  de  luxure  et  se 
jouent  à  ce  point  de  leur  caractère  de  clere  !  Home 
a  bien  réduit  la  troisième  partie  des  clercs  à  l'état 
de  servitude  et  de  main  morte. 


GC1LLOT. 

Plumus  s'est  bien  décidé,  si  sa  science  de  clerc 
ne  lui  manque  pas,  à  ravoir  ce  qu'on  lui  enlève.  11 
pourra  mettre  une  eh  ,rgc  d'étoupes.  Le  pape  qui 
en  cela  esl  coupable,  est  heureux  d'être  mort.  Il 
n'eût  pas  été  tellement  puissant  ni  l'on  que  celui-ci 
ne  l'eût  déposé.  H  lui  serait  advenu  malheur  d'oser 
lui  enlever  son  privilège  de  clerc,  car  Plumus  lui 
aurait  dit  eaprec  el  aurait  fait  Vescarbote. 


hane. 

11  est  sage,  s'il  ne  radote  pas;  maisMados  et  Gilles 
de  Sens  ne  s'en  roidissenl  pas  moins.  Maître  Gilles 
l'avocat  mettra  en  avant  les  cas  pour  ravoir  leur 
privilège,  el  il  dit  qu'il  livrera  son  avoir  si  Jean 
Crespin  donne  âe  l'argent;  el  Jean  est  convenu  qu'il 
livrera  de  Wiubenaille;  car  il  sera  très-fàché  si  on 
l'impose  à  la  taille.  Celui-ci  fera  du  bruit  de  toute 
manière. 


MAITRE  HENRI. 

moi  sont  deux  voisins 


Mais  près  de  moi  sont  deux  voisins  en  ville  qui 
sont  bons  notaires,  car  ils  ée  proposent  bien  de  faire 
pour  rien  tons  les  écrits  du  procès  :  ils  ont  horreur 
du  débat,  car  ils  sonl  tous  deux  bigames. 


GU1LLOT. 

Qui  est  ce  donc? 

MAÎTRE  HENRI. 

Colars  Fouscdanic,  cl  Gilles  de  Bouvignies.  En 
voilà  qui  rempliront  leur  olliee  de  notaires  avec  ar- 
deur; à  eux  seuls,  ils  plaideront  pour  tous. 

GUILLOT. 

Enhenc!  maître  Henri,  et  vous,  n'avez-vous  pas 
en  plus  d'une  femme;  si  vous  voulez  avoir  leur  aide, 
il  vous  faut  y  mellre  du  vôtre. 

maItre  HENRI. 
Guillot,  me  faites-vous  la  moue?  Par  Dieu!  je  n'ai 
goutte  d'argent.  Je  n'ai  pas  grandement  à  vivre,  cl 
je  n'ai  pas  b'esoin  de  plaider,  je  n'ai  point  à  craindre 
les  tailles  pour  chose  que  j'aie.  Qu'ils  prennent  Mario 
la  Jaie  :  aussi  sait-elle  assez  de  chicane. 


a:,\  ada 

II  prengnent  Ma  rien  le  Jaie  : 
Aussi  set-ele  plais  assés. 

CUILLOS. 

Voire,  voir,  assés  amassés. 

MAISTRE  HENRIS. 

Non  fai,  loin  emporte  li  vins. 
J'ai  servi  lonc  lans  eskievins, 
Si  ne  vœil  point  eslre  contre  ans; 
Je  perderoie  anchois  .c.  saiis 
Que  g'ississe  de  leur  acort. 

CUILLOS. 

Tondis  vous  tenés  au  plus  fort, 
Chc  wardés-vous,  iraisire  Henri 
Par  foi!  encore  est-clie  bien  chi 
Uns  des  trais  de  le  vielle  danse. 

LI  DERVÉS. 

Ahai!  chis  a  dit  comme  Hanse 
Le  Geule  :  je  le  vois  tuer. 

LI  PERES  AU  DERVÉ. 

A!  biaus  dous  lies,  laissiés  este»  : 
C'est  des  bigames  qu'il  parole 

LI  DERVÉS. 

Et  vés  me  chi  pour  S'aposloile! 
Faites-le  donc  avant  venir. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


Iî5i 


GUILLOT. 

Vraiment,  vraiment,  vous  amassez  assez. 

MAÎTRE  HENRI. 

Non  pas,  le  vin  emporte  tout.  J'ai  servi  long- 
temps échevins,  je  ne  veux  point  être  contre  eux.  Je 
perdrais  cent  sous  plutôt  que  de  me  brouiller  avec 
eus. 


GUILLOT. 

Toujours  vous  tenez  au  plus  fort.de  ceci  vois 
prenez  garde,  maître  Henri.  Par  ma  foi?  encore 
esl-ce  bien  ici  un  des  traits  de  la  vieille  danse. 

LE   FOU. 

Ahai  !  celui-ci  a  dit  comme  Manse  la  Gueule  :  je 
le  vais  Hier. 

LE  PÈRE  DU  FOU. 

Ah!  beau  dous  (ils,  laissez  tomber  cela  :  c'est  des 
bigames  qu'il  parle. 

IF.    FOU. 

Et  me  voici  pour  le  pape!  Faites-le  donc  avant 
venir. 


SCÈNE  IX 


LES    MEMES,    LE    Pi:RF.    DU    FOL'. 


LI  MOINES. 

Aimi,  Dieus!  qu'il  fait  bon  oir 
Che  sol-là,  car  il  dist  merveilles' 
Preudons,  dist-il  tant  de  bn.beilles 
Quant  il  est  en  sus  de  le  g-.iiil? 

Ll    PERES. 

Sire,  il  n'est  onques  autrement  : 
Toudis  rede-il,  ou  cante,  on  lirait; 
Et  si  ne  sel  oneques  qu'il  fait. 
Encore  sct-il  mains  qu'il  dist. 

Il  MOINES. 

Combien  a  que  li  maus  li  prist? 

Ll  PERES. 

Par  foi?  sire,  il  a  bien  .ij.  ans. 

Ll  MOINES. 

El  dont  esles-vous? 

Il  PERES. 

De  Duisans. 
Si  l'ai  wardé  a  granl  meschief. 
Esgardés  qu'il  hoche  le  chief! 
Ses  cors  n'est  onques  à  repos. 
II  m'a  bien  brisiet  .ij.c.  pos, 
ar  je  sui  potiers  à  no  vile. 

Ll   DERVÉS. 

J'ai  d'Anséis  et  de  Marsile 
Bien  oï  canler  Hessclin. 
Di-je  voir,  tesmoins  ce  latin  ? 
Ai-je  emploie  bien  .xsx.  saus? 
II  me  bal  tant,  chi  grans  ribaus, 
Que  devenus  sui  uns  choies. 

LI   PERES. 

II  ne  sait  qu'il  [fait]  li  variés, 
Bien  i  pert  quant  il  bal  sen  pères. 

Ll  MOINES. 

Bians  preudons,  par  l'ame  te  mère, 
Fai  bien  :  maine  l'eut  en  maison  ; 
Mais  fai  chi  avant  l'orison  , 
Et  offre  du  lien,  se  lu' l'as; 
Car  il  est  de  veillier  trop  las, 
Et  demain  le  ramenras  chi 


LE  MOINE. 

Ah,  Dieu!  qu'il  fait  bon  entendre  ce  fou-là,  car 
il  dit  merveilles!  Prud'homme,  dit-il  autant  de  sot- 
tises quand  il  est  hors  de  la  présence  du  public? 

LE   PÈRE. 

Siie.il  n'en  est  jamais  autrement  :  toujours  il 
rêve,  ou  chante,  ou  brait;  et  s'il  ne  sait  pas  ce  qu'il 
fait,  encore  moins  sail-il  ce  qu'il  dit. 

LE    MOINE. 

Combien  y  a-l-il  que  le  mal  le  prit? 

LE   PÈRE. 

Par  ma  foi!  sire,  il  y  a  bien  deux  ans. 

LE   MOINE. 

Et  d'où  èles-vous? 

LE    PÈRE. 

De  Duisans.  Je  l'ai  gardé  a  mon  grand  souci.  Re- 
gardez comme  il  hoche  le  chef!  Son  corps  n'est 
jamais  en  repos.  II  m'a  bien  brisé  deux  cents  pots, 
car  je  suis  polier  dans  notre  village. 


LE  FOU. 

J'ai  d'Anséis  et  de  Marsile  bien  ouï  chanter  Hes- 
selin.  Dis-je  vrai,  témoin  ce  talin?  Ai-je  bien  em- 
ployé trente  sous?  II  me  bal  tant,  ce  grand  ribaud, 
que  je  suis  devenu  un  marlyr. 


LE  PERE. 

Il  ne  sait  ce  qu'il  fait,  le  jeune  homme;  il  y  parait 
bien  quand  il  bat  son  père. 

LE   MOINE. 

Beau  prud'homme,  par  l'âme  de  ta  mère,  fais 
bien  :  emmène-le  en  la  maison;  mais  fais  iri  avant 
tes  prières,  et  offre  du  lien,  si  lu  en  as;  car  ii  est 
un  peu  las  de  veiller.  Demain  tu  le  ramèneras  ici  , 
quand  nu  peu  il  aura  dormi  :  aussi  ne  fait-il  que 
rabâchages. 


1253 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


A  m 


«:;• 


Quanl  un  peu  il  ara  dormi  : 
Aussi  ne  faii-il  lors  rabâches. 

LI   DERVÉS. 

Disl  chiex  moines  que  tu  me  bâches? 

LI   PERES. 

Ncnil,  hiaus  liex.  Anons-nous-enl. 
Tenés,  je  n'ai  or  plus  d'argent. 
Biaux  (les,  alons  dormir  .j  pau  ;| 
Si  prendons  eongié  à  tous. 

LI    DERVÉS. 

Bail! 

IUQUIÈCE-AÙR1S, 
RIQUECE  AURR1S 

Qu'est-che?  Seront  hui  mais  riolcs? 
N'arons  hui  mais  fors  sos  et  soles? 
Sire  moines,  volés  bien  faire? 
Mêles  en  sauf  vo  sainluaire. 
Je  sai  bien,  se  pour  vous  ne  fust, 
Oue  piecha  chi  endroit  éust 
Granl  merveille  de  faërie  : 
Dame  Morgue  et  se  compaiguie 
Fusl  ore  assise  à  cesle  taule; 
Car  c'est  droite  coustume  eslaule 
Qu'eles  vienenl  en  cesle  nuit. 

LI    MOINES. 

Biaus  dous  sires,  ne  vous  anuil; 
Puis  qu'ensi  esl,  je  m'en  irai  ; 
Offrande  hui  mais  n'i  prenderai; 
Mais  souffres  voiaus  que  chaiens  soie, 
Et  que  ches  grans  merveilles  voie. 
Ne's  querrai,  si  verrai  pourcoi. 

RIKECE. 

Or  vous  laisiés  dont  trcsloul  coi, 
Je  ne  cuit  pas  qu'ele  demeure; 
Car  il  esl  aussi  que  seur  l'eure 
Eles  sont  oie  eus  ou  chemin. 

GU1LLOS. 

J'oi.le  maisnic  llielekin , 


(78G)  M.  Fr.  Michel  renvoie,  pour  Ilellequin,  au 
Livre  des  Légendes  do  M.  Leroux  «le  Lincy  (p.  148)  , 
«•l  y  joint  ici  une  curieuse  tradition  conservée  dans 
la  Chronique  de  Normandie  : 

Comme  Charles  te  Quint,  jadiz  roy  de  France,  et  ses 
yens  avec  tmj  s'aparurenl  après  leur  mort  au  duc 
llichurd  sans-paour. 

«  Une  autre  moult  (sic)  merveilleuse  aventure  ad- 
vint au  duc  Kichard-sans  paour.  Vray  esl  qu'il  esloit 
en  son  chasteau  deMoulineaux-sur-Saine,el  une  fois 
ainsi  comme  il  se  alloil  esbaue  après  souper  au  bois, 
luy  et  ses  gens  ouyrenl  une  merveilleuse  noise  et 
horrible  de  granl  multitude  de  gens  qui  estaient  en- 
semble, se  leur  sembloil ,  laquelle  noise  approchoil 
lousjoiirs  de  eulx  ;  et  si  comme  le  duc  et  ses  gens 
ouyrenl  la  noise  aprocher  ilz  se  resconsèrenl  delez 
ung  arbre,  ei  là  le  duc  Richard  envoia  de  ses  gens 
espier  que  c'esloit.  El  lors  ung  des  escuiers  an  duc 
vil  que  ceuly  qui  faisoicnl  celle  noise  s'esloient  ar« 
restez  dessoubs  ung  arbre  ,  et  commença  à  regarder 
leur  manière  de  faire  et  leur  gouvernement ,  et  vit 
que  c'esloilung  roy  qui  avoitavec  lui  granl  compai- 
gnie  de  toutes  gens;  et  les  appclloit-un  la  Mesguie 
lleni.  juin  en  commun  langaige;  mais  c'esloit  !a 
Mesguie  Charles  Quint,  qui  lui  jadiz  roy  de  France. 
Quant  celuy  roy  et  sa  iiiesgnie  qui  celle  noise  fai- 
saient lurent  partis,  l'escuyer  vint  au  duc  Richard  cl 
luy  coma  loul  l'affaire  et  le  gouvernement  que  il 
avoil  veu  de  la  mesguie  Charles  Quint  qui  telle  noise 
laisoient.  El  continuellement  venoil  celle  avanlure 
en  la  foresl  de  Moulineaux  près  du  ebasieau,  irois 


LE  IOU. 

Ce  moine  dit-il  que  lu  nie  battes? 

LE    PÈRE. 

Nenni,  beau  fils.  Allons-nous-en.  Tenez,  je  n'ai 
maintenant  plus  d'argent.  Beau  fils,  allons  dormi; 
un  peu;  ainsi,  prenons  congé  de  tous. 


LE   IOU. 


Rau  ! 


2    X. 
LE    MOINE,    GGILLOT. 

RIQUIÈCE  AURRIS. 

Qu'est-ce?  y  aura-l-il  aujourd'hui  davantage  de 
disputes?  IN'aurons-iious  aujourd'hui  que  fous  et 
folles?  Sire  moine,  niellez  en  sûreté  votre  reliquaire. 
Car,  sans  vous,  il  y  a  longtemps,  il  y  aurait  déjà  ici 
grand'  merveille  de  féerie  :  dame  Morgue  el  sa  com- 
pagnie seraient  maintenant  assises  à  celle  table; 
laiil  c'est  une  vieille  coutume  qu'elles  viennent  dans 
celle  nuit. 


LE   MOINE. 

Beau  doux  sire,  ne  vous  fâchez  pas...  je  m'en  irai; 
je  ne  recevrai  plus  aujourd'hui  d'offrande.  Ah! 
pourquoi  ne  me  pas  laisser  céans,  pour  que  je  voie 
ces  grandes  merveilles.  Je  n'y  croirai  qu'en  les 
voyant. 

RIKECE. 

Bon.  Taisez-vous  et  tenez-vous  tranquille.  Je  ne 
crois  pas  qu'elle  larde;  car  certainement,  à  celle 
heure,  elles  sont  en  chemin. 

GUILLOT. 

J'entends  la  suite  d'Hielekin  (786),  à  mon  escienl, 

fois  la  sepmaine.  Adonc  pensa  le  duc  Richard  que, 
s'il  povoil,  il  sauroit  quelz  gens  c'esioienl  qui  sur  la 
terre  venaient  faire  telles  assembleez  sans  son  eongié. 
Lors  assembla  de  ses  plus  privez  chevaliers  jusques 
au  nombre  de  cent  à  six  vingtz  des  plus  preux  el 
hardiz  qu'il  peut  finer  en  '.ouïe  Normendie,  et  leur 
conta  comme  en  sa  terre,  jouxte  son  chasteau  de  Mou- 
lineaux, en  la  foresl,  advenoil  par  plusieurs  fois  à 
l'asserant  ung  roy  qui  estait  acompaigné  de  plusieurs 
manières  de  gens  qui  merveilleusement  granl  noise 
el  horrible  laisoient,  et  se  reposoient  dessoubz  ung 
arbre  qui  là  esloit.  Si  leur  commanda  qu'il/,  s'armas- 
sent el  allassent  avec  luy  guetter  el  ouyr  quelz  gens 
c'esioienl.  Et  le?  chevaliers  respo:idirent  que  1res 
voulenliers  ilz  iroicnl  avec  luy,  et  que  pour  vivre 
ne  pour  mourir  ils  ne  le  laisseraient.  Si  advint  que 
le  dit  Richard  sans-paour  et  ses  chevaliers  s'en  vin- 
drent  à  Moulineaux,  et  là  firent  dedens  la  foresl 
leur  emhusche  jouxte  cl  joignant  de  l'arbre  sonhz 
lequel  le  roy  el  sa  mesgnie  s'arresloieni.  Et  inconii- 
nailt  comme  à  heure  d'entre  chien  el  leu,  à  l'aves- 
pranl,  ilz  vont  ouyr  une  si  très  grant  noise  el  si  h*  i- 
rihle  que  merveilles,  elveirenl  comme  deux  hommes 
prindrent  ung  drap  de  plusieurs  couleurs,  scieur 
sembloil,  nue  ilz  cslendirenl  sur  la  terre  el  ordon- 
nèrent par  sièges  comme  s'ils  vouloient  ordonner 
siège  royal.  El  puis  après  veirenl  venir  ung  roy  acom- 
paigné de  plusieurs  manières  de  gens,  qui  merveil- 
leusement grant  noise  el  espovanlable  laisoient. 
Celui  roy  se  seoil  en  siège  royal,  el  là  le  saluoient 
et sçr voient  ses  gens  comme  roy;  mais  tous  les 
chevaliers,  gens  du  duc  Richard,  eurent  si  liés  grau' 


(253  ADA  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

Mien  ensianl,  qui  vient  devant 

Et  mainte  clokcle  sonnant; 

Si  croi  bien  que  soienl  chi  près. 

LA   GROSSE  FEME. 

Yenront  dont  les  fées  après? 


ADA 


fi 


00 


qui  vient  devant  en    sonnant  mainte  cloche! te.  i" 
crois  bien  qu'ils  sont  ici  près. 


LA  GROSSE  FEMME. 

Les  lees  viendionl  donc  après? 


Fréetir  et  horreur  depaour  qu'ilz  s'enfuyrent  ça  et  là 
et  laissèrent  le  duc  Richard  tout  seul.  Adonc  le 
duc  Richard  vil  que  tous  ses  chevaliers  s'en  esioient 
fuys  sans  arroy  comme  gens  esperdus,  si  disl  en  son 
cueur  que  ja  reproche  ne  luy  seroil  qu'il  s'en  fiist 
enfuy;  mais  voit  que  le  roy  esloil  assiz  sur  le  drap 
en  siège  royal  avec  sa  mesgnie  dessoubz  le  grant 
arbre.  A  donc  le  duc  Richaid-saiis-paour  saidt  à 
deux  piez  sur  le  drap,  et  disl  au  roy  qu'il  le  conjure 
de  par  Dieu  qu'il  luy  die  qui  il  est,  et  qu'il  vient 
quérir  sur  sa  terre,  e<  queiz  gens  sont  avec  luy.  Et 
lois  le  roy  Charles  Quint  et  toute  sa  mesgnie,  quant 
ilz  se  voient  ainsi  contrains  de  par  Dieu  et  conjurez 
de  dire  qui  il  est  el  quelz  gens  ce  sont  avec  luy,  lors 
dit  au  duc  Richard  :  i  Je  suis  le  roy  Charles  Quint 
«  de  France,  qui  de  ce  siècle  suis  Irespassé,  et  f.tis 
«  ma  pénilance  despéchez  quej'ay  lais  en  ce  inonde; 
«  el  icy  sont  les  aines  des  chevaliers  et  autres  ge:;s 
«  qui  me  servoient,  lesquelz  par  les  démérites  de 
i  leurs  péchez  font  leur  pénilance.   »  —  «  Où  allez- 

<  vous?  »  dislle  duc  Richard.  Dit  le  roy  :  «  Nous  allons 
«  nous  combalre  sur  les  mescréans  Sarrasins  et 
«  aines  danneez  pour  nostre  pénilance  faire.  »  Or  »  dit 
le  duc  Richard:  «  Quant  revemlrez-vous?  >  Dit  le  roy  : 
«  Nous  revendrons  environ  l'aube  du  Jour,  el  toute 
i  nuyl  nous  comhalrons  à  eulx.  Laisse-nous  aller.  > 
—  <  Non  l'eray,  dit  le  duc  Richard;  car  pour  vous 

<  aider  à  combalre  veuil-je  aller  avec  vous,  i  Or  dit 
la  roy  :  <  Pour  quelque  chose  que  lu  voies  ne  laisse 
«  allerce  drap  sur  quoy  tu  es,  el  le  lieu  bien,  i — «  Si 
feray-je,  »  dit  le  duc  Richard.  «  Or  parlons,  t  Adonc 
partirent  le  dit  Riehard-sans  paour,  Charles-Quint 
el  sa  mesgnie  faisans  grant  noise  et  icinpesle;  et 
comme  vint  à  heure  de  inyuuyl,  ledit  Richard  ouyt 
son. ter  une  cloche  comme  à  une  abbaye  ;  el  lors  de- 
manda où  c'esloil  que  la  cloche  sonnoil  el  en  quel 
pais  ilz  esloienl.  El  le  roy  lui  dit  que  c'esloient  ma- 
tines qui  sonneient  en  l'église  de  saincie  Katherine 
du  monl  Sinay.  El  le  due  Richard,  qui  de  tout  temps 
avait  acoustumé  d'aller  à  l'église,  dit  au  roi  qu'il 
y  vouloit  aler  ouyr  matines.  Lors  le  roy  disl  au 
«lue  Richard  :  c  Tenez  ce  paon  de  ce  drap,  cl  ne 
«  laissez  poini  que  tous  jours  vous  ne  soiez  dessus, 
«  et  allez  à  l'église  prier  pour  nous,  el  puis  au 
«  retourner  nous  vous  revendrons  quérir,  i  Lors 
vinl  le  duc  Richard  à  lout  son  paon  de  drap  que 
le  roy  luy  avait  baillé,  el  entra  en  l'église  de  saincie 
Katherine  du  Mont  Sinay;  el  quand  il  eut  son 
oroison  linée,  il  tourna  parmi  l'église,  el  là  vil  de 
inonlt  belles  richess^s  el  de  moult  belles  reliques 
et  merveilleuses  choses,  comme  de  carquans  et  au- 
tres ferreniens  de  prisonniers.  Et  ainsi  comme  il  vint 
à  entrer  en  la  chapelle  fondée  de  la  glorieuse  vierge 
Marie  mère  de  Dieu,  il  vit  ung  sien  chevalier,  son 
parent,  lequel  esloil  léans  el  servoil  pour  gaigner 
sa  vie,  car  il  y  avoil  sept  ans  qu'il  estoit  prisonnier 
es  mains  des  Sarrasins;  mais  ung  religieux  de  l'é- 
glise l'avoii  pleigé  de  tenir  prison  léans.  El  adonc 
le  duc  Richard  vinl  à  luy  el  luy  demanda  connue  il 
le  faisoil  et  de  quoy  il  servoil  léans.  El  adonc  le 
chevalier  respondil  au  duc  Richard  qu'il  y  h  voit 
sept  ans  passez  que  il  avoil  esté  prius  en  la  bataille 
des  Sarrasins;  niais  ung  des  religieux  de  léans  l'avoit 
pleigé  de  tenir  prison  pour  le  servir  et  gaigner  sa 
vie,  car  il  n'a  voit  par  qui  il  peusl  mander  que  oit  le 
déhvrasl  par  rançon  ou  ung  homme  pour  homme. 
El  adonc  le  duc  Richard  luy  demanda  s'il  vouloit  au- 
cune chose  mander  à  sa  femme  el  à  ses  gens.  Et  il 
luy  dit  qu'il  se  recoinmandoit  à  elle.  Et  adonc  le 
<Juc  Richard  luy  dit  que  sa  femme  esloil  fiancée  cl 


qu'elle  devoit   espouser  dedens  trois  jours,  el  il  y 
seroil,  s'il  plaisoil  à  Dieu,  car  il  luy  avoil  enconve- 
n.tnlé  et  promis.   Et  adonc  le  chevalier  pria  au  due 
Richard  comme  il  dis!  à  sa  femme  qu'il  vivoil  <mco- 
res.  «  Elle  ne  me  croira   pas,  »   dit  le  duc  Richard, 
c  Sifera,»  dit  le  chevalier  ;i  cl  luy  direz  pour  voir  en 
«   icelles  enseignes  que  quand  je  partiz  d'elle  à  venir 
t  par  deçà  en  bataille  où  je  fus  prins,  que  l'anel  de 
i  son  doy  dont    l'espousay,  je  le  partyz   en   de  ix 
<  pièces  dont  une  partie  luy  demoura,  elj'ay  l'autre 
«  que  veez  cy,  nue  vous  luy  poilerez  pour  enseignes.  , 
—  «Or  bien,  •  dit  le  duc  Richard,»  ainsi  sera  l'ail,  et 
«  luy  dira  y  au  sourplus,  se  Dieu  plaisi,  que  je  mel- 
«   Iray  peine  à  voslre  délivrance.  >  Et  ainsi,  comme 
le  chevalier  demandoit    au  duc   Richard   qui  léans 
l'avoit  amené,  el   comme  il  y  estoit  venu,  el  quant 
il  parti  du  pais,  et  comme  il  relourneroit,  si  brief 
comme  il  disoil  el  aussi  parloienl  de  plusieurs  choses 
ensemble  comme  à  la  fin  de  matines.  Après  ces  cho- 
ses parleez  le  duc  Richard  ouyt  et   entend  venir  le 
roy  el  sa   mesgnie,  si  prend  congié  an  chevalier  et 
is't  hors  de  l'éjlise  saincie  Katherine  du  monl  Sinay, 
el  tr  uve  le  roy  el  sa  mesgnie  qui  s'en  veunieul  si 
travaillez,  si  bains  el  si  navrez  que  à  merveilles.  Et 
lors  le  duc  Richard  prenl  son  paon  de  drap  et  saull 
avec  le  roy  Chai  les  Quint  el  sa  mesgnie,  et  s'en  vio- 
drent  singlanl  comme  vent   cl  tempeste.   El  quant 
vint  aussi  comme  à  l'aube  du  jour  le  duc  se  apl'oinma 
pour  dormir,  qui  las  el  travaillé  esloil;  et  p.iis  s'es- 
veilla  et  se  trouva  au  bois  de  Moulmeaux  dessoubz 
l'arbre  où  il  avoil  premier   trouvé  le   ri=y  Charles 
Quint  cl  sa  mesgnie,  sans  plus  rien  veoir  ne  trou- 
ver; el  se  trouva  tout  seul,  el  lors  mer  ci  a  Dieu  qui 
grâce  luy  avoil  donnée  d'eslre  retourné  sauvéinent. 
Adonc  le   duc     Richani-sans- paour    s'en    vînt  au 
chasleau  de  Moulincaux,  el  là  trouva  partie  de  se» 
chevaliers  qui  fuys  s'en  esloienl,  el  partie  en  esloienl 
encores  dedens  les  bois  uiucez  pour  paour  de  ce  que 
ils  avoient  veu  et  ouy  et  aussi  pour  double  qu,^  leur 
seigneur,  le  duc   Riehaid,  ne  fusl  mort.  A  donc  partit 
le  iluc  Richard  de  Moulincaux  el  s'en  vinl  à  Rouen; 
el  là  esloil  la  dame  qui  espouser  devoit  le  second 
jour  ensuivant,  laquelle  estoit  femme  du  chevalier 
qui  esloil  prisonnier  cl  lequel  le  duc  avoil  trouvé  en 
l'église  de  saincte  Katherine  du  mont  Sinay.  Lors  dit 
le  duc  à  la  dame  que  son  seigneur  de  mari  vivoil 
encores  et  qu'il  se  recominandoil  à  elle.  El  elle  res- 
pondil au  duc   Richard  :   <    Sire,  mon  seigneur  de 
«  mary   esl  mort  el  enfouy  passé  a   vii.    ans,  car 
«  ceulx  qui  le  veirenl  mort  le  me  ont  dit  et  lesmoi- 
«  gué   pourvray;   et  ainsi  le  croy  :   Dieu  lui    face 
t  pardon   à   l'aine!   ^  Adonc  peint  le    dnc   Richard 
sans-paour  à  couleur  muer  et  dit  :  4  Daine,  par  n  a 
«  foy  !  hier  au  soir  à  myenuUje  le  viz  el    p.nlay  à 
i  luy  en  l'église  de  saincie  Katherine  du  mont  Sinay, 

<  et  vous  manie  par  moy  que  vous  l'attendez  1 1 

<  gardez  voslre  foy,  comme  vous  luy  promettes  au 
•  département  «le  luy,  en  iceiles  enseignes  do  l'anel 
«  de  vosire  »!oy  et  de  quoy  il  vous  avait  espomée  il 
s  (ist  deux  pailies,  dont  l'une  il  vous  laiss.i  el  l'ai:- 
t  ire  il  emporta.  El  pour  ce  veuil  que  la  partie 
«  que  vous  avez,  pré.-e.iicmenl  me  baillez.  »  Et  la 
dame  va  à  son  escrin  cl  prenl  la  partiede  l'ami 
qu'elle  avoil,  et  la  bailla  au  duc.  El  le  iiin'  Richard 
la  prinl  el  lire  l'autre  partie  de  l'anel  que  le  che- 
valier lui  avait  baillée.  El  lors  dit  devant  la  dame 
cl  ions  les  chevaliers  et  escuiers  qui  là  esloienl  : 
«  Doulx  Dieu,  si  comme  c'est  vray  (pie  le  chevalier 
«  vil  qui  cest  anel  partyl  en  deux,  en.  souvenance 
«  de  vraie  foy  de  mariage  puisse  rejoindre  prése.i- 


12»>7 


ADA 


NOTICE  SUR  LF  THEATRE  LIBilË. 


ADA 


1255» 


CIII.LOS. 

Si  m'aïl  Diex,  je  croi  c'oil. 

RAI.NNELÉS   A   aDANS. 

Aimi  !  sire,  il  i  a  péril; 

Je  vauroie  oie  estre  en  maison. 

ADANS. 

Tais-le,  il  n'i  a  fors  que  raison  ■ 
Çhe  sonl  bêles  daines  parées. 

RAINNF.LÉS. 

En  non  Dieu,  sire,  ains  sonl  les  fées, 
•e  m'en  vois. 

ADANS. 

Sic- loi,  lïbaudiaus. 


CUII.L0T. 

Si  Dieu  m'aide,  je  crois  que  oui. 

RA1NNELET  A   ADAM. 

Hélas!  sire,   il  y  a  péril;  je  voudrais  maintenant 
élre  en  ma  maison. 

ADAM. 

Tais-loi,  il  n'y  a  que  raison  :  ce  sonl  belles  dames 
parées. 

RAINNELET. 

Au  nom  de  Dieu ,  sire ,  mais  ce  sonl  les  fées.  J« 
m'en  vais. 

ADAM. 

Assieds  loi,  petit  ribaud. 
SCENE  XI, 


LES   MÊMKS,    CROQUESOS. 


CROQESOS. 

Me  siel-il  bien  li  hurepiaus? 
Qu'esl-che?  n'i  a-il  clii  autrui? 
Mien  ensient,  dechéus  sui 
En  che  que  j'ai  trop  demouré  , 
Ou  eles  n'on  (sic)  point  clii  esié. 
Diles-me,  vielles  reparée, 
A  clii  esté  Morgue  li  fée, 
Ne  ele  ne  se  compaignie? 

DAME   DOUCE. 

Nenil  voir,  je  ne  les  vi  mie  : 
Doivei  t  eles  par  clii  venir? 

crokesos. 

Oïl,  cl  mcngier  à  loisir, 

n   lemenl!  •  Et  ainsi  fut  fait  par  le  plaisir  de  Dieu. 
Adonc   dit  la   dame  qu'elle  attendrait  son  mari  et 
seigneur,  puisque  Dieu  luy  en  avoit  donné  par  son 
plaisir  grâce  d'en  avoir  vraie  congnoissance.  El  lors 
le  duc   Richard   demanda  aux   chevaliers  qui   fuys 
s'en  estoienl  que  esloienl  devenus  leurs  conipai- 
gp.ons;  ei  eulx,  qui   honteux  furent,   respondirent 
qu'ilz  ne  savoienl.  Adonc  les  fisl  cerclier  et  quérir 
paimy   le  bois,  et  puis   leur  coula   son   aventure 
comme    il   avoit    trouvé    le  roy   Charles   Quint  de 
Erance  et  sa  mesgnie,  el  comme  ilz  s'en   alloient 
rombatre  aux  aines  danneez  pour  leur  pénilanee 
faire,  et  comme  il  s'en  alla  avec  eux,  el  quant  vint 
à  mymtil  il  ouyt  sonner  une  cloche  el  lors  demanda 
en  quel  pais  il  es  toit;  el  le  roy  Charles  Quint  el  sa 
mesgnie  lui  dirent  qu'ilz  esloienl  sur  le  monl  Sinay 
el  que  c'esloit  en  l'église  de  saine  le  Kalherine;  el 
lors  le  duc  y  alla  el   là  trouva  le  chevalier  prison- 
nier, cl  quant  vint  comme  à  la  fin  de  matines,    il 
ouyt  le  roy  el  sa  mesgnie  venir,  el  prinl  congié  du 
chevalier,  el  issil  hors  de  l'église  el  puis  s'en  vinl  à 
eulx.  El  quant  vint  comme  à  l'aube  du  jour  le  sommeil 
le  pri ut,  et  se  aplomina  el  puis  s'esvcilla  el  se  trouva 
tout  S'iil  à  l'arbre  de  Moulmeaux ,  et  ne  sceusl  que 
te  roy  Charles  le  Quint,  jadiz  roy  de  France,  el  sa 
mesgnie  esloienl   devenus.  Adonc  le  duc  Richard- 
sans-paour,  en  L'honneur  de  Dieu  le  créateur  et  de 
la  glorieuse  vierge  Marie  et  de  la  glorieuse  sainte 
Kalherine  servie  eu  mont  de  Sinay,  el  pour  alléger 
la  péni tarée  de  l'aine  du  roy  Charles  le  Quint  et  de 
sa  mesgnie,  fisl  moull  de  biens  en  saincle  église,  et 
fisl  faire   le  service  moult  solennellement  pour  le 
roy  et  sa  mesgnie  que  l'en  disoil  la  mesgnie  Charles 
Quint,  qui  jadis  fut  roy  de  France,  comme  devant  est 
dit.  El  aussi  le  duc  Richard  avoit  en  sa  maison  ung 
admirai  sarrasin,  qu'il  délivra    pour  son  chevalier 
lequel  estoil  prisonnier   es   mains  des   Sarrasins  et 
lequel  servoit  en   l'église  de  saincle  Kalherine  du 
mont  du  Sinay  pour  sa  vie  avoir  seulement,  lequel 
chevalier  fut  délivré  pour  l'admirai  sarrasin,  et  s'en 
vinl  en  Nonnendie,  el  fut  avec  la   dame   sa  femme 

Diction*,  des  Mystères. 


CROQUESOS. 

Me  va-t-il  bien  le  chapeau?  Qu'esl-ce?  N'y  a-l-il 
ici  personne?  Suis-je  joué?  Ai-je  trop  tardé,  ou  ne 
viennent-elles  point  ici?  Diles-moi,  vieille  réparée, 
Morgue  la  fée  est-elle  passée  par  ici,  elle  el  sa  com- 
pagnie? 


CAME   DOUCE. 

Nenni  vraiment,  je  ne  les  vis  pas  :  doiveni-elles 
venir  par  ici? 

CROQUESOS. 

Oui,  et  manger  à  loisir,  ainsi  qu'on  me  l'a  fait  en- 

qui  sept  ans  l'avoil  attendu,  laquelle  se  vouloit  re- 
marier de  nouveau  quant  le  duc  Richard  luy  dil  que 
son  seigneur  vivoil,  el  par  lanl  délaissa  du  tout  son 
nouveau  espoux  ou  fiancé,  el  attendit  son  loyal 
seigneur,  et  vesquirenl  plus  longuement  ensemble.  > 
Les  Croniques  de  Nurmeiidie  imprimée z  el  acomplies 
à  Rouen  le  quatorzième  jour  de  may  mil.  cccc.  qua- 
tre-vingtt  et  sept,  eic,  in-folio,  chapitre  lvii,  feuille 
signée  eiii. 

Le  passage  suivant,  écrit  en  patois  qui  approche 
du  flamand,  nous  semble  aussi  contenir  une  allusion 
à  llcllcquin  : 

Syggeur,  or  escoulés,  que  Dex  vos  sot  amis 

Van  rui  de  sinte  glore  qui  en  de  croc  fou  mis  ! 

Assés  l'avés  oîi  van  Gerbert,  van  Gefin, 

Van  Willeme  d'Oeuge  qui  vail  de  ciel  haiclio, 

Van  coule  de  Boni  'igné,  van  conte  H<  .lequin 

El  van  Froiiiont  de  Lens,  van  son  til  Frctnondiii, 

Van  Karleiname  d'Ais,  van  son  pè  e  l'aipin  ; 

M»isjodir3  liiuns  mos  qui  bien  dol  estre  emprifl. 

Le  vi  r  istronl  bien  fat,  il  ne  sonl  pas  frurins, 

Ains  sont  de  tons  estuires,  si  com  dist  li  escr  ns  : 

Ce  fut  van  Kovison  que  de  lans  fu  saerins, 

Que  d'alusete  cauie  van  soir  et  van  malin, 

Le  losele.  est  kiie,  ce  fu  à  put  eslius, 

Por  aler  sour  Noevile  le  casiel  asahr  ; 

Le  vile  sont  sloumie  là  jus  en  ce  gardins, 

Flatnenc  se  sont  saidlé  plus  de  Iros  liés.xx 

Maquesai  Kaquuioghe  el  se  m  s  iioidekiu 

KtHues  Audenare  cl  Simon  M  n^sekin, 

ltiqueiore  du  Pré  et  Wisiasse  Stalin 

El  Vineanlde  Darbier  .i.  autre  Roelin, 

Fl  si  vinl  Escouarl  courant  *or  se  palin, 

J.  a\ilre  Sparoare  Gili-lteri  Dicrekin, 

Fl  loin  le  tJoc?rdenl  cascuu  dist  esquielic. 

Si  fn  escauveçani  Willeme  Scoueliu, 

F  si  fu  Hoitd  remarc  .i.  aulre  Claicquin  ; 

(Jne  pareni  de  Qucnmze  el  (pic  l'Armanl  cousin 

Il  l'ureui  bien  nos  mile,  ce  le&qioigue  lYscrin. 

(Manuscrit  du  Roi,  supplément  français,   ng  184, 
folio  "213  recto,  colonne  2,  v.  51.) 

40 


1259 


ADA 


Ensi  c'on  m'a  fait  à  entendre. 
Chi  les  me  convenra  atendre. 

rikece. 

A!  cui  ies-lii,  di,  barbuslin? 

crokesos. 

Qui?jou? 

RIKECE. 

Voire. 

CROKESOS. 

Au  roy  Hellekin* 
Qui  chi  m  a  tramis  en  mesage 
A  me  dame  Morgue  le  sage, 
Que  me  sire  aime  par  amour  : 
Si  ralentirai  chi  enlour, 
Car  eles  me  misent  chi  lieu. 

RIKECE. 

Séés-vous  dont,  sire  courlieu. 

CROKESOS. 

Volentiers,  tant  qu'eles  venront. 
0!  vés-les  chi! 

R1KIERS. 

Voi  rement  sont  : 
Pour  Dieu  or  ne  parlons  nul  mol. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES:  ADA  1260 

tendre.  Allons  c'est  bien  ici  qu'il  faut  les  attendre. 


RIKECE. 

A  qui  es-tu,  dis,  homme  d'armes? 

CROQUESOS. 

Qui?  moi? 
Oui  vraiment. 


RIKECE. 


CROQUESOS. 

Au  roi  Helleqnin,  qui  m'a  envoyé  en  message  ici 
à  ma  dame  Morgue  la  sage,  que  mon  seigneur  aime 
par  amour.  Je  l'attendrai  ici,  carie  rendez-vous  est 
ici-même. 


RIKECE. 

Asseyez-vous  donc,  sire  courrier. 

CROQUESOS. 

Volontiers,  en  attendant  qu'elles  viennent. 


Oh 


les  voici  ! 


RIQUIER. 

Vraiment    ce  sont  elles.  Pour  Dieu ,  ne  disons 
mot. 


SCÈNE  XII. 

IES     MÊMES  ,     Cachés,    MORGUE,    MAGLORE,     ARSILE,    CROQUESOS,    LA    FORTUNE;  —  ERMENFROI» 

crespin,    louchard,  sur  la  roue  de  la  Fortune;  —  thomas    de  bourrienne,   dessous  ;  — 


ENFANTS. 


MORGUE. 

A!  bien  viegnes-lu,  Croquesot 
Que  fait  les  sires  Hellequins? 

CROKESOS. 

Dame,  que  voslres  amis  fins; 
Si  vous  salue.  1er  de  lui  mui. 

MORGUE. 

Diex  benéie  vous  et  lui  ! 

CROKESOS. 

Dame,  besoigne  m'a  carquie 
Qu'il  veut  que  de  par  lui  vous  die  ; 
Si  l'orrés  quant  il  vous  plaira. 

MORGUE. 

Croquesot,  sié-te  .j.  petit  là 
Je  l'apelerai  maintenant. 
Or  chà,  Maglore,  aies  avant; 
El  vous,  Arsile,  d'après  li. 
Et  je  méismes  serai  chi 
Ençostevous  en  che  debout 

MAGLORE. 

Vois,  je  sui  assie  de  bout 

Où  on  n'a  point  mis  de  coutel. 

MORGUE. 

Je  sai  bien  que  j'en  ai  .j.  bel. 

ARSILE. 

Et  jou  aussi. 

MAGLORE. 

Et  qu'es-che  à  dire? 
Que  nul  n'en  i  a?  Sui-je  li  pire? 
Si  m'ait  Diex,  peu  me  prisa 
Qui  estavli  ni  avisa 
Que  toute  seule  à  coutel  faille. 

MORGUE. 

Dame  Maglore,  ne  vous  caille; 
Car  nous  dechà  en  avons  deus. 

MAGLORE. 

Tant  est  à  mi  plus  grans  li  deus 
Quant  vous  les  avés,  el  je  nient. 


MORGUE. 

Ah!  sois  le  bien-venu,  Croquesos!  Que  fait  ion 
seigneur  Hellequin? 

CROQUESOS 

Dame,  il  est  votre  ami  sincère.  11  vous  salue.  Je 
l'ai  quille  hier  seulement. 

MORGUE. 

Que  Dieu  le  bénisse  ! 

CROQUESOS. 

Dame,  je  suis  chargé  d'une  commission  de  sa 
part;  vous  l'enlendrez  quand  il  vous  plaira. 

MORGUE. 

Croquesos,  assieds-toi  un  peu  là,  je  t'appellerai 
tout  à  l'heure.  Or  cà ,  Maglore,  retirez-vous  ;  el 
vous,  Arsile,  avec  elle;  je  vais  ici,  à  côté  de  vous 
dans  ce  coin. 


MAGLORE. 

Vois,  je  suis  assise  en  ce  coin  où  l'on  n'a  point 
mis  de  tapis. 

MORGUE. 

Je  sais  bien  que  j'en  ai  un  beau. 

ARSILE. 

Et  moi  aussi. 

MAGLORE. 

El  qu'est-ce  à  dire  ?  qu'il  n'y  en  a  pas  ?  Suis-je  la 
pire?  Si  Dieu  m'aide,  il  me  prisa  peuceiui  qui  établit 
et  fut  d'avis  que  toute  seule  je  serais  sans  tapis. 


MORCUE. 

Dame  Maglore,  ne  vous  inquiétez  pas;  car  nous 
deçà  nous  en  avons  deux. 

MAGLORE. 

Mon  deuil  est  d'autant  plus  grand  q-ue  vous  les 
avez  el  que  je  n'en  ai  pas. 


1261 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


1262 


ARSILE. 

Ac  vous  caul,  dame;  ensi  avient; 
Je  cuit  c'on  ne  s'en  donna  garde. 

MORGUE. 

Bêle  douche  compaigne,  esgarde 
Que  chi  fait  bel  et  clerel  net. 

ARS1LE. 

S'est  drois  que  chiex  qui  s'entremet 
De  nous  appareillier  tel  lieu 
Ail  bîau  don  de  nous. 

MORGUE. 

Soit,  par  Dieu! 
Mais  nous  ne  savons  chi  chiex  est. 

CROKESOS. 

Dame,  anchois  que  tout  che  fust  presl, 
Ving-je  clii  si  que  on  meloit 
La  taule  et  c'on  appareilloil, 
Et  doi  clerc  s'en  enlremetoient; 
S'oï  que  c!»es  gens  apeloient 
L'un  de  ches  deux  Riquece  Aurri, 
L'autre  Adan  filz  maislre  Henri  ; 
S'estoit  en  une  cape  chiex 

ARS1I.E. 

SVsl  bien  drois  qu'i  leur  en  soit  roiex, 
El  que  chascune  .i.    don  i  mèche  : 
Dame,  qtu  donrés-vous  Riqueche? 
Commenchiés.... 

MORGUE. 

Je  li  doins  don  gent  : 
Je  vœil  qu'il  ail  plenté  d'argent: 
El  de  l'autre  vœil  qu'il  soil  leus 
Que  che  soit  li  plus  amoureus 
Qui  soil  trouvés  en  nul  pais. 

ARSILE. 

Aussi  vœil-je  qu'il  soil  jolis 
El  bons  faiseres  de  canchons- 

morgue. 

Encore  faut  à  l'aulre  .j.  dons. 
Commenchiés. 

ARSILE. 

Dame,  je  devise 
Que  loule  se  marchéandise 
Li  viegne  bien  et  monleplit. 

MORGUE. 

Daine,  or  ne  faites  lel  despit 
Qu'il  n'aient  de  vous  aucun  bien. 

MAGLORE. 

De  mi  certes  n'aront-il  nient  : 
Bien  doivent  falir  à  don  bel 
Puis  que  j'ai  fali  à  coulel. 
Honnis  soil  qui  riens  leur  donra  ! 

MORGUE. 

A  !  dame,  che  n'avenra  ]ï 

Qu'il  n'aient  de  vous  coi  que  ce  soit 

MAGLORE. 

Bêle  dame,  s'il  vous  plaisoit, 
Orendroit  m'en  deporteriés. 

MORGUE. 

11  convient  que  vous  le  fachiés, 
Dame,  se  de  rien  nous  amés. 

MAGLORE. 

Je  di  que  Riquiers  soit  pelés 
El  qu'il  n'ail  nul  cavel  devant. 
De  l'autre  qui  se  va  vantant 
D'aler  à  l'escole  à  Paris, 
Vœil  qu'i  soil  si  airuaudis 
En  le  compagnie  d'Anus, 


ARSILE. 

Ne  vous  tourmentez  pas,  dame;  s'il  en  est  ainsi, 
c'est,  je  pense,  simple  oubli. 

MORGUE. 

Belle  douce  compagne,  regarde  comme  il  lait  ici 
l>el  el  clair  et  nel. 

ARSILE. 

Il  esl  justice  que  celui  <rui  se  mêle  de  nous  pré- 
parer un  lel  lieu  ail  beau  don  de  m>us. 

MORGUE. 

Soil,  par  Dieu  !  mais  nous  ne  savons  qui  c'est. 

CROOLESOS. 

Dame,  avant  que  tout  ceci  fût  prêt,  je  vins  ici 
pendant  que  l'on  niellait  la  table  el  qu'on  se  prépa- 
rait, el  deux  clercs  s'en  mêlaient.  J'entendis  ainsi 
que  ces  gens  appelaient  l'un  de  ces  deux  Riquece 
Aurri,  l'autre  Adam  fils  de  maître  Henri.  Celui-ci 
était  en  cape. 


ARSILE. 

11  est  bien  justice  qu'il  leur  (■■:  soil  mieux,  el  que 
chacune  y  melte  un  don  :  dame,  que  donuerez-vous 
à  Uiqueee?  Commencez. 

MORGUE. 

Je  lui  donne  gentil  don  :  je  veux  qu'il  ail  abon- 
dance d'argent;  quanta  l'autre,  je  veux  qu'il  soit 
lel  que  ce  soit  le  plus  amoureux  qui  soit  trouvé  eu 
aucun  pays. 

ARSILE. 

Aussi  veuxje  qu'il  soil  gai  et  bon  faiseur  de 
chansons. 

MORGUE. 

Il  faut  encore  un  don  à  l'autre.  Commencez. 


ARSILE. 

Dame,  je  décide  que  sa  marchandise  lui  vienne  à 
bien  el  multiplie. 

MORGUE. 

Dame,  maintenant  ne  faites  tel  dépit  qu'ils  n'aient 
de  vous  aucun  bien. 

MAGLORE. 

Certainement  ils  n'auront  ri°n  de  moi.  Oui  (là  ! 
quels  beaux  dons,  moi  qui  n'ai  pas  eu 'de  tapis! 
Honni  soit  qui  leur  donne  quelque  ciiose! 

MORGUE. 

Oh  !  dame,  il  faut  bien  qu'ils  aient  de  vous  quelq  ie 
chose. 

MAGLORE 

Belle  dame,  s'il  vous  plaît,  dispensez-m'en. 

MORGUE. 

11  faut  que  vous  le  fassiez,  dame,  si  vous  nous  ai- 
mez le  moins  du  monde. 

MAGLORE. 

Eh  bien!  que  Riquier  soil  pelé  cl  qu'il  n'ail  nul 
cheveu  devant.  Quant  à  l'autre  qui  se  va  vantant 
d'aller  à  l'école  à  Paris,  je  veux  qu'il  soit  acocmiue 
avec  la  compagnie  d'Arias,  el  qu'il  s'oublie  entre 
les  bras  de  sa   femme,  qui  esl  molle  el  tendre;  jt. 


iîi'tô 


ADA 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


1264 


Et  qu'il  s'ouvlit  entre  les  bras 
Se  feme,  qui  est  mole  et  lenre, 
Et  qu'il  perge  el  .hache  l'aprenre 
El  mèche  se  voie  en  respit. 

ÀRSILE. 

Aiini  !  dame,  qu'avés-vous  dit! 
Tour  Dieu  !  rapelés  ceste  cose. 

MACLORK. 

Par  l'âme  où  li  cors  me  repose  ! 
11  sera  ensi  que  le  di 

MORGUE. 

Certes,  dame,  che  poise  mi  : 
Moul  me  repenc,  mais  je  ne  puis, 
Conques  hui  de  riens  vous  requis. 
Je  cuidoie  par  ches  deus  mains 
Q'il  déussent  avoir  au  mains 
Chascuns  de  vous  .i.  bel  jouel. 

"MAGLORE. 

Ains  comperronl  chier  e  coutcl 
Qu'il  ouvliercni  chi  a  mètre. 

MORGUE. 

Croquesol! 

CROKESOS. 

Dame? 

MORGUE. 

Se  l'as  lettre 
Ne  rien  de  ton  seigneur  à  dire. 
Si  vien  avant. 

CROKESOS. 

Diex  le  vous  mire! 
Aussi  avoie  je  grand  hasle  : 
ïenés. 

MORGUE. 

Par  foi  !  c'esl  paine  wastc  . 
Il  me  requiert  chaieus  d'amours  ; 
Mais  j'ai  mon  cuer  tourné  aillours  : 
Di-lui  que  mal  se  paine  emploie. 

CROKESOS. 

Aiini  !  daine,  je  n'oscroie  : 
11  me  geteroii  en  le  mer  ; 
Nepourquanl  ne  poés  amer, 
Dame    nul  plus  vaillant  de  lui. 

MORGUE. 

Si  puis  bien  faire. 

CROKESOS. 

Dame,  cui? 

MORGUE. 

Un  demoisel  de  ceste  vile 

Qui  est  plus  preus  que  lex  .c.  mile 

Où  pour  noient  nous  Iraveillons. 

CROKESOS. 

Qui  est-il? 

MORGUE. 

Kobers  Soumeillons, 
Qui  sel  d'armes  el  du  cheval; 
Pour  mi  jousle  amont  cl  aval 
Par  le  pais  à  taule  ronde. 
Il  n'a  si  preu  en  loul  le  inonde, 
Ne  qui  s'en  sache  miex  aidier; 
Rien  i  parut  à  Montclidier, 


veux  qu'il  perde  son  temps,  qu'il  laisse  l'élude,  et 
qu'il  mette  son  voyage  en  répit. 


ARSILE. 

Hélas!  dame,  qu'avez-vous  dit?  Pour  Dieu!  re- 
traciez celle  chose. 

MAGLORE. 

Par  l'âme  qui  repose  en  mon  corps  !  il  sera  ainsi 
que  je  dis. 

MORGUE. 

Certes,  dame,  cela  m'atirisie  :  je  me  repens  fort, 
mais  je  n'y  puis  rien,  de  vous  avoir  requise  de  quel- 
que chose  aujourd'hui.  Je  pensais  par  ces  deux  mains 
qu'ils  dussent  avoir  au  moins  chacun  un  beau  joyau 
de  vous. 

MAGLORE. 

Au  conlr.tire,  ils  payeront  cher  le  lapis  qu'il* 
oublièrent  de  înellre  ici. 


Croquesos ! 
Dame? 


MORGUE. 


CROQUESOS. 


MORGUE. 

s  lettre  ou  quelque  chose  à  dire  de  la  part 

1 1 1  »  1 1  t        vmne    'i  v  <  i  r  1 1 


Si  lu  .. 
de  ion  seigneur,  viens  avant 


CROQUESOS. 

Dieu  vous  en  récompense!  aussi  avais-je  grande 
hàlc  :  tenez. 

MORGUE. 

Par  (ma)  foi  !  c'est  peine  perdue  :  il  me  requiert 
céans  d'amour;  mais  j'ai  tourné  mon  cœur  ailleurs  : 
dis-lui  qu'il  emploie  mal  sa  peine. 

CROQUESOS. 

Hélas!  dame,  je  n  oserais  :  il  me  jetterait  dans 
la  mer;  néanmoins  vous  ne  pouvez  aimer,  dame, 
personne  qui  vaille  plus  que  lui. 


Je  le  puis. 
Dame,  qui  ? 


MORGUE. 


CROQUESOS 


UORGUE 

Un  damoiseau  de  celle  ville  qui  est  p:us  preux  que 
cent  mille  où  nous  travaillons  pour  rien. 

CROQUESOS 

Qui  csl-il 

MORGUE. 

Robert  Soumeillons,  qui  sait  d'armes  et  du  che- 
val ;  il  joule  amont  et  aval  par  le  pays  aux  lables- 
rondes  (787).  Il  n'y  a  si  preux  dans  le  monde  entier, 
ni  qui  sache  mieux  se  tirer  d'anVre.  Il  y  parut  hien 
à  Monldidicr,  s'il  jouta  le  mieux  ou  le  pire.  Il  s'en 
ressent  encore  à  la  poitrine,  aux  épaules  et  aux  bras. 


(787)  Espèce  de  tournoi.  Tristan,  t.  H,  p.  185, 
186;  la  Storia  ed  Analhi  degli  anliclii  romanzi  di 
C.avalleria  e  dei  poemi  romanzescHi  d'Itatia  del  doi- 
lorc  Giulio  Ferrario.  Mi  la  no,  dalla  lipografia  dell' 
sulore,  M.  dccc.  XXVIII  XXIX,  quatre  volumes  in-8°, 
t.  Il,  p.  82-84  ;  —  Vues  générales  sur  les  tournois  et  la 


'fable- Fionde.  —  Histoire  de  l'Académie  royale  des 
inscriptions  et  Belles-lettres,  t.  XVIII,  p.  511  315; 
Recveil  des  antiqvilez  et  privilèges  de  la  ville  de  Bour*- 
geset  de  plvsievrs  autres  Villes  capitales  du  Royaume. 
Par  lean  Chenu.  A  Paris,  chez  Nicolas  Duon,  mdcxxi. 
in-4°,  fol.  179.  (M.  Fr.  Michel.) 


:sr,5 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


t£8Q 


S'il  jousta  le  miex  ou  le  pis. 
Encore  s'en  dieul-il  ou  pis, 
Eus  esuaules  cl  eus  es  bras. 

CROKESOS. 

Est-clie  nient  uns  à  uns  vers  ciras 
Roiics  d'une  vermeille  rote? 

MORGUE. 

Ne  plus  ne  mains 

CROKESOS. 

Bien  le  savoie. 
Mesire  en  esl  en  jalousie, 
Très  qu'il  jousla  à  l'autre  lie 
En  cesle  vile,  ou  marchié  droit* 
De  vous  el  de  lui  se  vantoil, 
El  lantosl  qu'il  s'en  prisl  à  courre, 
Mesircs  se  mncha  en  pou  ne 
Et  fisl  sen  cheval  lcgambei. 
Si  que  caïr  h'st  le  varlel 
Sans  assener  son  compagnon. 

MORGUE. 

Par  foi  !  assés  le  dehaignon  ; 
Nonpruec  me  sanle-il  trop  vailluns, 
Peu  parliers  et  cois  et  chelans, 
Ne  nus  ne  porte  meilleur  bouque. 
Li  personne  de  lui  me  touque 
Tant  que  je  l'amerai,  que-vau-che 

ARSILE 

Le  cuer  n'avés  mie  en  le  cauclie, 
Dame,  qui  pensés  à  tel  home  : 
Entre  le  Lis  voir  el  le  Somme 
N'a  plus  faus  ne  plus  buholas, 
Et  se  veul  monter  seur  le  las 
Tanlost  qu'il  repaire  en  un  lieu. 

MORGUE. 

S'est  ieus  ? 

4RS1LE. 

C'est  mon. 

MORGUE. 

De  le  main  Dieu 
Soie-jou  saiunie  et  benile! 
Mont  me  tieng  ore  pour  despile 
Quant  pensoie  à  tel  cacoigneur, 
Et  je  laissoie  le  gringneur 
Prinche  qui  soit  en  faérie. 

ARSILE. 

Or  estes-vous  bien  conseillie, 
Dame,  quanl  vous  vous  repenlés 

MORGUE. 

Croquesot  ! 

CROKESOS. 

Madame" 

MORGUE. 

Amistés 
Porle  len  segnicur  de  par  mi 

CROKESOS. 

.Madame,  je  îous  en  merchi 
De  par  men  granl  segnieurle  roy. 
Dame,  qu'csl-che  là  que  je  voi 
En  chele  rode?  Sont  che  gens? 

MORGUE. 

Nenil,  ains  esi  esamples  gens, 
El  chele  qui  le  roc  lient 
Chascnne  de  nous  aparlient; 
El  s'est  très  doni  qu'ele  lu  née, 
Vuiele,  sourde  el  avulée. 

CROKESOS. 

Comment  a-ele  à  non? 


CROQUESOS. 

N'est-ce  pas  un  (damoiseau)  aux  babils  de  couleur 
verle  rayés  d'une  raie  rouge? 

MORGUE. 

Ni  plus  ni  moins. 

CROQUESOS. 

Ali!  je  le  savais.  Monseigneur  en  estjaloux.de- 
puis  qu'il  vint  l'autre  fois  en  celte  ville,  droit  au 
marché.  Le  damoiseau  se  vantail  sur  voire  compte 
et  sur  le  sien.  Aussi  lorsqu'il  se  prit  à  courir,  mon- 
seigneur se  cacha  dans  la  poussière  et  fil  buicr  son 
cheval,  tellement  qu'il  fil  cheoir  le  jeune  homme  sans 
atteindre  son  compagnon. 


MORGUE. 

Par  ma  foi  !  nous  n'y  tenons  pas  beaucoup  :  ce- 
pendant il  paraît  beaucoup  valoir,  peu  parleur,  tran- 
quille et  discret;  personne  ne  porle  meilleure 
bouche.  Sa  personne  me  louche  tant  que  je  pourrai 
en  venir  à  l'aimer.  Mais  à  quoi  bon? 

ARSILE. 

Vous  n'avez  pas  le  cœur  en  repos.  Quoi!  dame, 
penser  à  un  tel  homme  :  vraiment  enlre  la  Lys  et 
la  Somme  il  n'y  a  plus  faux  ni  plus  trompeur,  et  il 
veut  jouir  d'une  femme  aussitôt  qu'il  esl  avec  elle. 


Est-il  Ici? 


C'est  la  vérité. 


MORGUE. 


ARSILE. 


MORGUE. 

De  la  main  de  Dieu  sois-je  signée  el  bénite  !  je  suis 
folle  d'avoir  pensé  à  un  pareil  trompeur,  et  de  lais- 
ser pour  lui  le  plus  grand  prince  qui  soit  en  féerie. 


ARSILE. 

Vous  êles  bien  conseillée,  dame,  maintenant  que 
vous  vous  repentez. 

MORGUE. 

Croquesos! 

CROQUESOS 

Madame? 

MORGUE. 

Fais  des  amiliés  à  ton  seigneur  de  ma  part 

CROQUESOS. 

Madame,  je  vous  en  remercie  pour  mon  grand 
seigneur  le  roi.  Dame,  qu'est-ce  que  je  vois  dans 
celle  roue?  Sont-ce  (des)  gens? 

MORGUE. 

Nenni,  mais  c'est  une  belle  allégorie,  el  celle  qi.i 
lient  la  roue  appartient  à  chacune  de  nous;  elle  est 
depuis  qu'elle  fut  née,  muette,  sourde  et  aveugle 


CROQUESOS. 

Comment  a-l-clle  nom  ? 


12(i7 


ADA 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES. 


ADA 


1208 


MORGUE. 

Fortune. 
Ele  est  à  toute  riens  commune 
El  tout  le  mont  lient  en  se  main  ; 
L'un  fait  povre  liui,  riche  demain; 
Ne  point  ne  set  cui  ele  avaiielie. 
Pour  chou  n'i  doit  avoir  fianche. 
Nus,  tant  soil  haut  montés  en  roclie  ; 
Car  se  chele  roe  bescoche, 
Il  le  couvient  descendre  jus. 

CROKESOS. 

Dame,  qui  sont  cliil  doi  lassus 
Dont  chascuns  sanle  si  grans  sire? 

morgue. 

Il  ne  fait  mie  bon  tout  dire  : 
Orendroil  m'en  déporterai. 

MAGLORE. 

Croquesot,  je  le  te  dirai. 
Pour  chou  que  courechie  sui, 
Huimais  n'espargnerai  nului, 
Je  n'i  dirai  huimais  fors  honte  : 
Chil  doi  lassus  sont  bien  du  conte, 
El  sont  de  le  vile  signeur  ; 
Mis  les  a  Fortune  en  honnour  : 
Chascuns  d'aus  est  en  sen  lieu  rois 

CROKESOS. 

Qui  sonl-il? 

MAGLORE. 

C'est  sire  Ermenfrois 
Crespins  et  Jaquemes  Louchars 

CROKESOS. 

Bien  les  connois,  il  sont  escars. 

MAGLORE, 

Ai!  mains  regnent-il  maintenant, 
Et  leur  enfant  sont  bien  venant 
Qui  raigner  vauront  après  euls. 

CROKESOS. 

Li  quel? 

MAGLORE. 

Vés-enî  chi  au  mains  deus  t 
Chascuns  sieut  sen  père  drois  poins. 
Ne  sai  qui  chiex  est  qui  s'cmbrusque. 

CROKESOS. 

Et  chiex  autres  qui  là  trcbusquc, 
A-il  jà  fait  pille-ravane? 

MAGLORE 

Non,  c'est  Thoumas  de  Bouriane 
Qui  soloil  bien  estre  du  conte; 
Mais  Fortune  ore  le  desmonte 
Et  tourne  chu  dessous  deseure  : 
Pourtant  on  li  a  couru  seure 
Et  fait  damage  sans  raison, 
Meesmemenl  de  se  maison 
Li  voloil-on  faire  grant  tort. 

ARSILE. 

Pechié  fisl  qui  ensi  l'a  mort- 
Il  n'en  éusl  mie  mestier; 
Car  il  la  laissié  son  meslier 
De  draper  pour  brasser  goiulale. 

MORGUE. 

Che  fait  Fortune  qui  l'avale  : 
il  ne  l'avoit  point  deservi. 

CROKESOS. 

Dame,  qui  est  chis  auslreschi 
Que  si  par 


croquesos. 

Fortune.  Elle  est  commune  à  toute  chose  et  tien: 
tout  le  monde  en  sa  main;  l'un  pauvre  aujourd'hui, 
riche  demain;  et  l'on  ne  sait  point  qui  elle  avance. 
Aussi,  personne  n'y  doit  avoir  confiance,  tant  haut 
soit-il  monlé;  car  si  celle  roue  baisse,  il  lui  faut 
descendre. 


CROQUESOS. 

Dame,  qui  sont  ces  deux  là-haut  dont  chacun 
semble  si  grand  seigneur? 

MORGUE. 

Tout  n'est  pas  Don  à  dire.  Chui* 

MAGLORE. 

Croquesos,  je  le  le  dirai.  Je  suis  en  colère,  au- 
jourd'hui je  n'épargne  personne;  je  ne  veux  dire 
que  du  mal  ;  ces  deux  là-dessus  sont  bien  du  compte, 
et  sont  seigneurs  de  la  ville;  Fortune  les  a  mis  en 
honneur  ;  chacun  d'eux  est  chez  lui  un  roi. 


Qui  sont-ils? 


CROQUESOS. 


MAGLORE. 


est  nus  et  descaus? 


MORGUE. 

Chis'  c'est  Lèurins  li  Canelaus 
Qui  ne  puet  jamais  relever. 


Ce  sont  sire  Ermenfroi,  Crespm  el  Jacques  Lou- 
chard. 

CROQUESOS. 

Bien  les  connais   ils  sont  avares. 

MAGLORE. 

Au  moins  règnent-ils  maintenant,  et  leurs  enfants 
viennent  bien  ,  qui  voudront  régner  près  eux. 

CROQUESOS. 

Lesquels? 

MAGLORE. 

En  voici  au  moins  deux  :  chacun  suit  son  père 
en  tous  points.  Je  ne  sais  qui  est  celui  qui  se  cache. 

CROQUESOS. 

El  cet  autre  qui  là  trébuche,  a-l-il  déjà  fait/;i//e- 
ravane  ? 

MAGLORE. 

Non,  c'est  Thomas  de  Bourienne  qui  avait  cou- 
tume d'être  du  compte;  niais  Fortune  aujourd'hui  le 
monte  et  le  tourne  sens  dessus  dessous  :  on  lui  court 
dessus  et  fait  dommage  sans  raison ,  si  bien  qu'on 
lui  fait  tort,  même  de  sa  maison. 


ARSILE. 

Celui  qui  ainsi  l'a  fait  mourir  fil  péché.  Pourquoi! 
Il  a  laissé  son  métier  de  drapier  pour  brasser  de  la 
bière. 

MORGUE. 

Fortune  l'abaisse;  il  ne  l'avait  point  mériU 

CROQUESOS 

Dame,  quel  est  cet  aulre  ici  qui  est  si  nu  et  dé- 
chaussé? 

MORGUE 

Celui-ci  ?  c'est  Leui  in  le  Canelaus,  qui  ne  peut  ja- 
mais se  relever. 


12M 


ADA 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


1270 


ARSILE. 


Dame,  si  puel  bien  parlevcr 
Aucune  bêle  eose  amont. 

CROKESOS. 

Dame,  voleniés  me  semonl 

C'a  men  segneur  lost  m'en  revoise 

MORGUE. 

Croquesot,  di-lui  qu'il  s'envoise 
Et  qu'il  fiicbe  adés  bêle  chiere, 
Car  je  li  ierc  amie  chiere 
Tous  les  jours  mais  que  je  vivrai. 

CROKESOS* 

Madame,  sour  cbe  m'en  irai. 

MORGUE. 

Voire,  di-li  hardiement, 

El  se  li  porte  cbe  présent 

De  par  mi;  lien,  boi  anchois  viaus. 

CROKESOS. 

Me  siel-il  bien  li  hielepiaus? 


ARSILE 

Dame,  il  peul  bien  encore  élever  quelque  belle 
chose. 

CROQUESOS. 

Dame,  volonté  me  somme  qu'à  mon  seigneur  tôt 
m'en  retourne. 

MORGUE. 

Croquesos,  dis-lui  qu'il  s'amuse  et  qu'il  fasse  tou- 
jours bonne  chère,  car  je  lui  serai  amie  chère  lous 
les  jours  que  je  vivrai. 

CROQUESOS. 

Madame,  sur  ce  m'en  irai. 

MORGUE. 

En  vérité,  dis-le  lui  hardiment,  et  porte-lui  co 
présent  de  ma  pari  :  riens,  bois  avant  de  le  mettre 
en  route. 

CROQUESOS. 

Me  sied -il  bien  le  chapeau? 
SCÈNE  XIII. 


ARSILE,    MAGLORE,    MORGUE,    DAME-DOUCE. 


DAME   DOUCE. 

Reles  dames,  s'il  vous  plaisoi 
Il  me  sanle  que  tans  seroit 
D'aler-ent   ains  qu'il  ajournas!. 

ARSILE. 

..Ne  faisons  clii  de  séjour, 
Car  n'aller!  que  voisons  par  jour 
En  lieu  là  où  nus  boni  trespasi; 
Allons  vers  le  pré  esraument, 
Je  sai  bien  c'on  nous  i  aient. 

MAGLORE. 

Or  tost  alons-ent  par  illeuc. 
Les  vielles  femes  de  le  vile 
Nous  i  atendent. 

MORGUE. 

Est-chou  gille? 

MAGLORE. 

Vés,  Dame  Douche  nous  vient  pruec. 

DAME    DOUCE. 

Et  qu'est  ce  ore  chi,  bêles  dames? 
C'est  grans  anuis  et  grans  diffames 
Que  vous  avés  tant  demouré. 
J'ai  annuit  faite  l'avan-garde, 
El  me  fille  aussi  vous  pourwarde 
Toute  nuit  à  le  crois,  ou  pré. 
Là  vous  avons-nous  atendues, 
Et  pourwanlées  par  les  rues; 
Trop  nous  i  avés  fait  veillier. 

MORGUE. 

Pour  coi,  la  Douche? 

DAME   DOUCE. 

On  m'i  a  fait 
Et  dit  par  devant  le  gent  lait. 
Uns  hom  que  je  vœil  manier  ; 
Mais  se  je  puis,  il  erl  en  bière, 
Ou  tournés  che  devant  derrière 
Devers  les  pies  ou  vers  les  dois. 

MORGUE. 

Je  Tarai  bientost  à  point  mis 
En  sen  lit,  ensi  que  je  fis, 
L'autre  an,  J;ikemon  Pilepnis, 
El  l'autre  nuilGillon  Lavier. 

MAC.LORE. 

Alons!  nous  vous  irons  aidier 
Présidés  avœc  Agnès,  vo  fille, 


DAME   DOUCE. 


Belles  dames,  s'il  vous  plaisait,  il  serait  temps  de 
s'en  aller  avant  le  jour. 


ARSILE. 

Ne  restons  plus  ici,  car  il  ne  convient  pas  quo 
nous  marchions  de  jour  dans  des  lieux  où  quelqu'un 
passe;  allons  sur-le-champ  vers  le  pré;  on  nous  y 
attend. 


MAGLORE. 


Allons-nous-en  vile. 
ville  nous  y  attendent. 


Les  vieilles  femmes  de  la 


MORGUE. 

Est-ce  tromperie? 

MAGLORE. 

Voyez,  Dame  Douce  vient  auprès  de  nous. 

DAME   DOUCE. 

El  quoi,  belles  dames?  c'est  grand  ennui  et  grande 
honte  que  vous  ayez  tant  resté.  J'ai  celte  nuit  fait 
l'avant-garde,  et  ma  fille  aussi  vous  garde  louie  la 
nuit  à  la  croix,  au  pré.  Là  nous  vous  avons  atten- 
dues, et  gardées  par  les  rues  ;  vous  nous  y  avez  trop 
fait  veiller. 


MORGUE. 

Pourquoi,  la  Douce? 

DAME    DOUCE 

On  m'y  a  fait  et  dit  par-devant  le  monde  outrage. 
C'est  un  homme  que  je  veux  faire  passer  par  mes 
mains;  mais  si  je  puis,  il  sera  en  bière,  ou  tourné 
sens  devant  derrière  vers  les  pieds  ou  vers  les  doigls. 


MORGUE. 

Je  l'aurai  bientôt  à  point  mis  en  son  lit,  ainsi  que 
je  fis,  PatM.ro  année,  à  Jacques  Pilepois,  et  l'autre 
nuit  à  Cu^s  Lavier. 

UAGLORC. 

Allons!  nous  vous  irous  aider.  Prenez  avec  vous 


1-271  ADA 

Et  une  qui  maint  en  cliilé 
Qui  jà  n'en  avéra  pilé. 

MORGUE. 

Famé  Waulier  Mulel? 

DAME    DOUCE 

C'est  chiite 
Aies  devant,  et  je  m'en  vois. 

(Les  fées  cantenl  :) 

Par  chi  va  la  mi-giio-ti-se,  par  chi  où  je  vois 


H72 


DICTIONNAIRE   DES  MYSTERES  ADA 

Agnès,  voire  (iile,  et  une  femme  nui  demeure  en 
ville,  qui  n'en  aura  pas  pitié. 

MORGUE. 

La  femme  de  Waulier  Mulet? 

D.VME    DOLCE. 

C'est  elle.  Aile?  devant,  et  je  m'en  vais* 


(Les  fées  chantent  :) 
Par  ici  va  la  mignardise,  paruioù  je  vas 


SCÈNE  XIV 


LE    MONTE,    ANNE    LE    MERCIER. 


J.1    MOINES. 

Aimi,  Dieus!  que  j'ai  somneillié  ! 

HANE   Ll    MERCIERS. 

Marie!  et  j'ai  adés  veillié. 
Faites,  alés-vous-ent  errant. 

Ll    MOINES. 

Frère,  ains  arai  iiiengic  avanl, 
Par  le  foi  que  doi  saint- Acuire  ! 

HANE. 

Moines,  volés-vous  dont  bien  Faire? 
Alons  à  Raoul  le  waidier. 
Il  a  aucun  rehaignet  d'ier  : 
Rien  puct  eslre  qu'il  nous  donra. 

Ll   MOINES. 

Trop  volentiers.  Qui  m'i  menra? 

HANE. 

Nus  ne  vous  menra  miev  de  moi  ; 
Si  trouverons  laiens,  je  croi, 
Compaignie  qui  là  s'embnt, 
Failiche  où  nus  ne  se  combat  : 
Adan,  le  fil  maislre  Henri, 
Veelet  et  Riqueche  Aurri 
EtGillot  le  Petit,  je  croi. 

LI    MOINES. 

Par  le  saint  Dieu!  el  je  l'olroi, 
Aussi  est  chi  me  cose  bien, 
Et  si  vés-chi  un  crespei,  tien  ! 
Que  ne  sai  quels  cailis  olïïi  ; 
Je  n'en  conterai  point  à  ti, 
Ains  sera  de  comnienchemenl. 

HANE. 

Alons-ent  donc  ains  que  li  genl 
Aient  le  taverne  pourprise. 
Esgardés,  li  lauleesljà  mise 
El  vés  là  Rikeche  d'encosle. 


LE    MOINE. 

Eh  Dieu!  que  j'ai  sommeillé! 

HANE   LE    MERCIER. 

Marie  !  et  j'ai  toujours  veillé.  Faites,  allez-vous-en 
sur-le-champ. 

LE    MOINE. 

Frère,  mais  j'aurai  mangé  auparavant,  par  la  foi 
que  (je)  dois  à  saint  Acaire! 

HANE. 

Moine,  voulez-vous  bien  faire  ?  allons  à  Raoul  le 
garde  chasse.  II  a  quelque  petit  vesle  d'hier  :  peut- 
être  bien  il  nous  (en)  donnera. 

LE  MOINE. 

Très  volontiers.  Qui  m'y  mènera? 

HANE. 

Personne  ne  vous  mènera  mieux  que  moi.  Nous 

trouverons    là,  je  crois  ,   compagnie  agréable  qui 

s'amuse  et  dans  laquelle  nul  ne  se  bal  :  Adam,  le  li:s 

de  maître  Henri,   Veelet  el  Riqueche  Aurri  et  Gillol 

le  Petit ,  je  crois. 


LE    MOINE. 

Par  le  saint  Dieu  !  el  je  l'ociroie,  aussi  est-ce  bien 
mon  affaire,  el  voici  un  cresiiei,  tiens!  que  je  ne 
sais  quel  malheureux  offrit  ;  je  n'en  compterai  point 
avec  toi,  mais  il  sera  pour  commencer. 


HANE. 

Allons-nous-en  donc  avanl  que  les  gens  aient  rem 
pli  la  taverne.  Regardez,  la  table  esl  déjà  mise  cl 
voilà  Riquece  de  côlé. 


SCÈNE  XV. 

LES    MÊMES,    RIQUECE,    l'kÔTE. 


Rikeche,  véisles-vous  l'oste  ? 

RUvtERS. 

Que,  il  est  chaiens.  Ravelel! 

Il   OSTES. 

V ces  me  chi. 

HANE. 

Qui  s'entremet 
Dou  vin  sakier?  11  n'i  a  plus, 

LI    OSTES. 

Sire,  bien  soiés-vous  venus! 
Vous  yœil-je  fesler,  par  saint  Gille 
Sachiés  c'on  venl  en  ceste  vile 
Tastés,  je  l'venc  par  eschievins. 

LI   MOINES. 

"Yoleniiers.  Chà  dont. 


Riquece,  viles-vous  l'hôte. 

R1QIIER. 

Oui,  il  est  céans.  Ravelel  ! 
l'hôte. 
Me  voici. 

HANE. 

Qui  se  mêle  de  tirer  du  vin?  II  n'y  en  a  plus. 

l'hôte. 

Sire,  soyez  le  bien  venu!  je  vous  veux  fêler,  par 
saint  Cilles!  Sachez  qu'on  vend  dans  celle  ville 
tastés,  je  le  vends  de  la  part  des  échevins. 

le  moine. 
Volontiers.  Çà  donc. 


12 


<  j 


ADA 


NOTICE  SUT»  LE  TIIEAT11E  LIBRE. 


ADA 


1274 


Ll    OSTES. 

Esl-che  vins? 
Tel  ne  boit-on  mie  en  couvent, 
El  si  vous  ai  bien  en  couvent 
Qu'aven  ne  vint  mie  d'Auchcurc 

RIKIERS. 

Or  me  prestes  donqucs  .j.  voirrc 
Par  amours,  et  si  séons  bas 
Et  cite  sera  cbi  le  rebas 
Seur  coi  nous  mêlerons  le  pot. 

GUILLOS. 

C'est  voirs. 


t  UOTE. 

Quel  vin  !  On  n'en  Doit  pas  de  tel  dans  les  cou- 
vents, et  je  vous  garantis  bien  que  jamais  pareil  no 
vint  d'Auxerre. 


RIQLIER. 

Maintenant,    un   verre,   l'ami,  et  asseyons-nous. 
Voici  le  rebas  sur  quoi  nous  incluons  le  p<" 


GLILLOT. 


LES 


C'est  vrai. 
SCÈNE  XVI. 

MÊMES      GLILLOT. 


RIKIERS. 

Qui  vous  mande,  Gillos? 
On  ne  se  i»uct  mais  aaisier. 

GUILLOS. 

Che  ne  In  s  tes- von  s  point,  Rikicr 
De  vous  ne  nie  doi  loer  waires. 
Que  c'est?  mesires  sains  Aeaires 
A-il  fait  miracles  cliaiens? 

Ll    OSTES. 

Gilloi,  est  es- vous  hors  du  sens? 
Taisiés.  Que  mal  soies  venus! 

GUILLOS. 

Ho  !  biaus  hosles,  je  ne  rlî  [dus. 
Hane,  demandés  Ravelct 
S'il  a  cliaiens  nul  reltaignet 
Qu'il  ail  d'essoir  repus  en  mue. 

LI    OSTES. 


Oï 


herenc  de  Gerncmue, 


Sans  plus,  Gilîot,  je  vous  oc  bien 

GUILLOS. 

Je  sai  bien  que  vés-chi  le  mien 
Hane,  or  Ii  demandés  le  voe. 

L!    OSTES. 

Le  ban  fai  que  l'ostes  le  poe, 
El  qu'il  soit  à  tous  de  commun  ; 
11  n'alïïert  point  c'on  soit  enfrun 
Seur  le  viande. 

GUILLOS. 

Bé  !  c'el  jeus 

Ll    OSTES. 

Or  mêlés  dont  le  herenc  jus 

GUILLOS   LI    PETIS. 

Yés-le-clii,  je  n'en  gousierai 
.M  lis  .j.  petit  assaierai 
Che  vin,  ains  c'on  le  par  essiaue. 
II  fu  voir  escandés  en  yaue, 
Si  sent  .j.  peu  le  reboulure. 

LI  OSTES 

Ne  dites  point  no  vin  laidiirc 
Cillot  :  si  f<'iés  courtoisie; 
Nous  sommes  d'une  compagnie, 
Si  ne  le  blâmés  point. 

CUILLOS  Ll  PETIS. 

Non  fai-je. 


RIQUIER. 

Qui  vous  mande,  Guillol  ?  On  ne  se  peut  davan- 
tage mettre  à  l'aise. 

CUILLOT. 

Ah!  c'est  comme  cela,  Riquier  :  je  n'ai  guère  à 
me  louer  de  vous.  Monseigneur  saint  Acaire  a-l-il 
fait  miracle  céans? 

l'hôte. 

Guillol,  ctes-vous  hors  du  sens?  Taisez-vous,  le 
mal  soyez-vous  venu  ! 

WILLOT. 

Ho  !  bel  hôte,  je  ne  parle  plus.  Hane,  demandez  a 
Ravelet  s'il  a  céans  quelque  reste  d'hier  soir,  serra 
au  garde-manger. 

l'hôte. 

Oui,  un  hareng  de  Gerncmue,  mais  rien  de  plus, 
Guillol  je  vous  assure  bien. 

CUILLOT. 

Bien,  c'esl  à  moi.  Hane,  parlez  maintenant  à  vô- 
tre tour. 

l'hôte. 

Tout  beau  !  ôte  Ion  pouce,  le  hareng  est  à  tous  en 
commun  ;  il  ne  convient  pas  qu'on  soit  chiche  sur  la 
nourriture. 

CUILLOT. 

Bé!  c'est  un  jeu. 

l'hôte. 
Maintenant  mettez  donc  le  hareng  en  bas. 

GUILl.OT  LE   PETIT. 

Le  voici,  je  n'en  goûlerai  ;  mais  j'essayerai  un  peu 
ce  vin,  avant  qu'on  le  lire.  Il  fui  vraiment  échaudâ 
en  eau,  il  sent  un  peu  le  rebut. 


Ne  dites  point  d'injure  à  notre  vin,  Guillot:  vous 
ferez  courtoisie;  nous  sommes  compagnons,  ainsi 
ne  le  blâmez  point. 

GLILLOT  LE    PETIT. 


J;  ne  le  fais  pas. 
ÏNE  XVM. 

LES    MEMES,    ADAM,    HENRI,    LE    MOINE,  eilllormL 


M  ANC   LI   MERCIERS. 

Vois  que  maislre  Adans  fait  le  sage 
Pour  che  qu'il  doit  e>lre  cscolierx 
•I.-  vi  qu'il  se  sisl  volenlicrs 
^vœ.cques  nous  pour  desjuner. 


HANE   LE  MERCIER. 


Ah  !  voici  maîlre  Adam  qui  fait  le  sage  par  la  rai- 
son qu'il  doit  être  écolier.  II  faut  toutefois  qu'il  s'as- 
soie volontiers  avec  nous  pour  déjeuner. 


1273 


AD  A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


t<27G 


ADANS. 

Biaus  sire,  ains  convient  m'éurer 
Par  Dieu  !  je  ne  le  fac  pour  el. 

MA1STRE  HENRIS. 

Vai-i,  pour  Dieu  !  lu  ne  vaus  mel  ; 
Tu  i  vas  bien  quant  je  n'i  sui. 

ADANS. 

Par  Dieu  !  sire,  je  n'irai  hui, 
Se  vous  ne  venés  avœc  mi. 

MA1STRE   HENRIS. 

Va  dont,  passe  avant,  vés-me-chi. 

HANE  LI  MERCIERS. 

Aimi,  Diex?  con  fait  escolier! 
Clii  sont  bien  emploie  denier. 
Fontensi  li  autre  à  Paris? 

RIQUECE. 

Vois,  cbis  moines  est  endormis. 

LI   OSTES. 

Et  or  me  faites  lout  escont  : 
Melons-li  jà  sus  qu'il  doit  tout 
Et  que  liane  a  pour  lui  yué. 

LI  MOINES. 

Aimi,  Dieu!  que  j'ai  demouré! 
Osles,  comment  va  nos  affaires? 

LI  OSTES. 

Biaus  ostes,  vous  ne  devés  waires 
Vous  finerés  moult  bien  cliaiens 
Ne  vous  anuil  mie,  g'i  pens. 
Vons  devés  .xij.  sols  à  mi  : 
Mercbiés-ent  vo  bon  ami 
Qui  les  a  chi  perdus  pour  vous. 

LI  MOINES. 

Pour  mi? 

Ll  OSTES 

Voire. 

LI  MOINES. 

Les  doi-je  tous? 

LI  OSTES. 

Oïl,  voir. 

LI  MOINES. 

Ai-je  dont  ronquiel? 
J'en  eusse  aussi  bon  marchiet. 
Che  me  sanle,  en  langanerie; 
Et  n'a-il  as  dés  jué  mie 
De  par  mi,  ni  à  me  requesle. 

HANE    LI    MERCIERS. 

Vés-chi  de  cbascun  le  foi  preste 
Que  cbe  fu  pour  vous  qu'il  joua. 

LI   MOINES. 

Hé,  Diex  !  à  vous  con  fait  jeu  a 
Biaus  ostes,  qui  vous  vaurrait  croire? 
Mauvais  fait  cliaiens  venir  boire, 
Puis  c'on  cunkie  ensi  le  gent, 

LI   OSTES. 

Moines,  paies  cbà  men  argent 
Que  vous  me  devés;  est-che  plais? 

LI    MOINES. 

Dont  deviegne-jou  aussi  fais 
Que  fu  li  bordussens  ennui ti 

LI   OSTES. 

Bien  vous  poist  el  bien  vous  anuit, 
Vous  wailcres  chaiens  le  coc, 
Ou  vous  me  lairés  cbà  cbe  froc  : 
Le  cors  ares,  et  jou  l'escorcbe. 

LI    MOINES. 

Ostes,  me  ferés-vous  dont  forclie,. 


ADAM 

Beau  sire,  auparavant  il  faut  m'écouter;  par  Dieu! 
je  ne  le-fais  pas  pour  autre  chose. 

MAÎTRE  HENRI. 

Va.  Va,  pour  Dieu  !  lu  ne  vaux  pas  mieux  ;  lu  y 
vas  bien  quand  je  n'y  suis  pas. 

ADAM. 

Par  Dieu  !  sire,  je  n'irai  pas  aujourd'hui,  si  vous 
ne  venez  avec  moi. 

MAÎTRE   HENRI. 

Va  donc,  passe  avant,  me  voici. 

HANE  LE  MERCIER. 

Hélas!  Dieu!  quel  écolier!  ici  deniers  sont  bien 
employés.  Les  autres  font-ils  ainsi  à  Paris? 

RIQUECE. 

Vois,  ce  moine  est  endormi. 

l'hôte. 

Et  maintenant  écoutez-moi  lous  :  mctlonc-hii  i.cs- 
sus  qu'il  doit  loul  ci  que  liane  a  pour  lui  joue. 

LE  MOINE. 

Hélas!  Dieu!  que  j'ai  demeuré!  Hôte,  comment 
va  notre  affaire? 

l'hôte. 

Del  hôte,  vous  ne  devez  guère  :  vous  finirez  très- 
bien  céans;  qu'il  ne  vous  ennuie  pas,  j'y  pense. 
Vous  me  devez  douze  sous;  rcmcrcicz-c:i  votre  bon 
ami  qui  les  a  ici  perdus  pour  vous. 


LE  MOINE. 

l'hôte. 

LF  MOINE. 
L'l!ÔTE. 


Pour  moi  ? 
En  vérité. 

Les  dois- je  lous? 

Oui,  en  vérité. 

LE  MOINE. 

Ai-je  donc  ronquiel"! J'aurais  eu  aussi  bon  marché, 
ce  me  semble,  avec  les  premiers  fripons  venus;  et 
il  n'a  pas  joué  aux  dés  de  ma  part,  ni  à  ma  requête. 

HANE    LE    MERCIER. 

Voici  chacun  prêt  à  engager  sa  foi  qu'il  joua  pour 
vous. 

LE    MOINE. 

Ah!  Dieu,  comme  l'on  vous  joue!  bel  hô'e,  qui 
vous  croira?  il  fail  mauvais  de  venir  boire  céans, 
puisqu'on  dupe  ainsi  le  monde. 

l'hôte. 

Moine,  payez  ce  que  vous  me  devez;  est-ce  dis- 
pute? 

LE    MOINE. 

Fussè-je  le  fou  aujourd'hui  ! 

l'hôte. 

Coûte  que  vous  coûte ,  l'avare  !  vous  attendrez  ici 
le  chant  du  coq,  ou  vous  me  laisserez  votre  froc  : 
vous  aurez  le  corps,  et  moi  l'écorce. 

LE    MOINE. 

Hôte,  me  ferez-vous  donc  violence? 


1277 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


1273 


LI    OSTES. 

Oïl,  se  vous  ne  me  paies. 

LI    MOINES. 

Rien  voi  que  je  sni  cunkiés, 
Mais  c'est  H  darraine  fois. 
Par  mi  eliou  m'en  irai-je  andiois 
Qu'il  reviegne  nouviaus  escos. 

MAISTRES   HENRIS. 

Moines,  vous  n'estes  mie  sos, 
Par  mon  chief  !  qui  vous  en  aies. 


I.  HOTE. 

Oui,  si  vous  ne  me  payez  pas. 

LE   MOINS, 

Je  suis  attrapé;  mais  c'est  la  dernière  fois.  Sci- 
ée je  me  sauve  avant  qu'il  revienne  de  nouveaux 
écols. 

MAÎTRE   HENRI. 

Moine,  vous  n'êtes  pas  fou ,  par  mon  chef!  de 
vous  en  aller. 


LI    IISISCIENS. 

Certes,  segnieur,  vous  vous  tués, 
Vous  serés  tout  paralelique, 
Ou  je  tieng  à  fausse  fisique, 
Quant  à  ceste  eure  estes  cliaieus. 

GL'ILLOS. 

Maistres,  bien  kaiés  de  vo  sens, 
Car  je  ne  le  pris  une  nois. 
Sées-vous jus. 

LI    FISISCIENS. 

Chà!  une  fois 
Me  donnés,  si  vous  plaisl,  à  boire. 

GUILLOS. 

Tenés,  et  mengiés  ceste  poire 

LI    MOINES. 

Riaus  ostes,  escoulés  un  peu  : 
Vous  avés  fait  de  mi  vo  pieu  ; 
Wardés  .j.  petit  mes  reliques, 
Car  je  ne  sui  mie  ore  riques; 
Je  les  racaterai  demain. 

LI    OSTES. 

Aies,  bien  sont  en  sauve  main. 

GL1LLOS. 

Voire,  Dieus  ! 

LI    OSTES. 

Or  puis  pree.-chier  : 

De  saint  Acaire  vous  requier, 
Vous,  maistre  Adan  et  à  vous,  Hane; 
Je  vous  pri  que  ebascuns  recanc 
El  taché  granl  sollempnité 
De  cbe  saint  c'on  a  abevré. 

(Li  compaingnon  cautenl  .') 

Mais  c'est  par  j.  estrange  tour. 
A  !  ja  se  siet  en  haute  tour... 

Riaus  ostes,  est-ch~  bien  canté: 

li  ostes  respont  : 

Rien  vous  poés  esire  vanté 
C'onques  mais  si  bien  dit  ne  fii. 


SCÈNE  XVIII. 

LES    MÊMES,    LE    MEDECIN. 

LE   MÉDECIN. 

Holà!  seigneurs,  vous  vous  tuez,  vous  serez  tous 
paralytiques,  ou  je  liens  pour  fausse  la  médecine. 


GU1LI.OT. 

Maître,  bien  tombez  de  votre  sens,  car  je  ne  la 
prise  pas  une  noix,  asseyez  vous. 

LE   MÉDECIN 

Ça!  une  fois  me  donnez,  s'il  vous  plaît,  à  boire. 

GLILLOT. 

Tenez   et  mangez  celle  poire 

LE    MOINE. 

Rel  liôle,  écoulez  un  peu  :  vous  avez  fait  de  moi 
voire  dupe;  gardez  un  peu  mes  reliques,  en  ce  mo- 
ment je  ne  suis  pas  riche,  mais  je  les  racheter»! 
demain. 

l'hôte. 
Allez,  elles  sont  en  main  sûre 

GUILLOT 

Vraiment,  Dieu  ! 

l'hôte. 

Maintenant  je  puis  prêcher  :  je  vous  requiers  de 
par  saint  Acaire,  vous,  maître  Adam  et  vous,  Hane 
je  vous  prie  que  chacun  ricane  et  face  grande  solen- 
nité de  ce  sainl  qu'on  a  abreuvé. 


(Les  compagnons  chantent  :) 

Mais  c'est  par  un  étrange  lour 
Ah  !  déjà  il  s'assied  en  haute  tour.. 

Bel  hôte,  est-ce  bien  chanté? 

l'hôte  répond  : 

L'on  peul  bien  vous  vanter  que  jamais  l'on  ne  dit 
si  bien. 


SCÈNE  XIX. 


LES    MEMES,    LE 
Il    DEUVÉS. 

A  hore  le  fu,  le  lu,  le  lu  ! 
Aussi  bien  canté -je  qu'il  fonl  : 

LI     MOINES. 

Li  chenl  dyable  aporlé  vous  oui; 
Vo.is  ne  me  faites  fors  damage. 
Vo  père  ne  lieng  mie  à  sage. 
Quant  il  vous  a  ramené  chi. 

LI    PERES    AU    DERVÉ. 

Cerles,  sire,  die  poise  mi; 
D'autre  part,  je  ne  sai  que  faire  ; 
Car,  s'il  ne  vient  à  sainl  Acaire. 
Où  ira  il  ouerre  santé? 


KOLT,    SON    PÈRE 

LE   FOC. 

(Il  y)  a  dehors  le  feu,  le  teu,  le  feu! 
Je  chaule  aussi  bien  qu'eux,  vraiment. 

LE    MOINE. 

Les  cent  diables  vous  ont  apporté;  vous  ne  nie 
faites  q-ie  dommage.  Voire  père  n'esl  point  sage  de 
vous  avoir  ramené  ici. 

LE    PÈRE    M    IOU. 

Certes,  sir»,  cela  me  chauvine;  d'autre  pari,  je  lu1 
sais  que  faire;  car,  s'il  ne  vient  à  sainl  Acaire.  où 
ira-l  il  quérir  sanlé?  Cerles,  il  m'a  déjà  tant  coù'e 
qu'il  me  faut  demander  mon  pain. 


!'i7i)  ADA  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

Certes  il  m'a  jà  tant  cousté 

Qu'il  me  convient  querre  mon  pain. 

Ll    DERVÉS. 

Par  le  mort  Dieu!  je  muir  de  fain. 

Ll    PERES    AU    DERVÉ. 

Tenés,  mengiés  dont  ceste  pâme. 

LI    DERVÉS. 


ADA 


n.so 


Vous  i  meules,  c'est  une  plume- 
Aies,  ele  est  ore  à  Paris. 

LI    PERES. 

Biaii  sire  Diex  !  con  sui  honnis 
Ll  perdus,  et  qu'il  me  mescliiel  ! 

LI    MOINES. 

Certes,  c'est  trop  bien  emploie!; 
Pour  coi  le  ramenés-vous  chi? 

LI    PERES. 

Hé,  sire!  il  ne  feroit  aussi 
En  maison  fors  desloiauté  ; 
1er  le  trouvai  tout  emplumé 
El  mucliié  par  dedens  se  keule. 


le  rou. 
Par  la  mort  de  Dieu  !  je  meurs  de  faim. 

LE    PÈRE    DU    FOU 

Tenez,  mangez  donc  celte  pomme. 

LE   FOU. 

Vous  meniez,  c'est  une  plume;  allez,  elle  est 
maintenant  à  Paris. 

LE    PÈRE. 

Beau  sire  Dieu  !  comme  je  suis  honni  et  perdu,  et 
qu'il  me  mésadvienl! 

LE    MOINE. 

Certes,  c'est  très  bien  fait  ;  pourquoi  le  ramenez- 
vous  ici  ? 

EE    PÈRE. 

Hé!  sire,  il  ne  fait  à  la  maison  que  des  dégâts  ; 
hier  je  le  trouvai  tout  emplumé  et  caché  dans  sa 
couverture. 


SCÈNE  XX. 

les  mêmes,  moins  le  moine. 

MAÎTRE   HENRI. 

Dieu  !  quei  est  celui  qui  là  se  cache  ?  Bois  bien. 
Le  glouton  !  le  gloui^n!  le  glouton! 

GUILLOT. 

Pour  l'amour  de  Dieu  !  ôlons  tout,  car  si  ce  fou- 
là  nous  court  dessus...  Prends  la  nappe;  et  toi, 
tiens  le  pot. 

R1KECE. 

Par  la  foi  que  je  dois  à  Dieu  !  je  suis  de  cet  avis. 
Avant  qu'il  mésadvienne  prenons  chacun  noire 
pièce  :  aussi  avons-nous  trop  veillé. 


BIAISTRE    I1ENRIS. 

Diex!  qui  est  cbiex  qui  là  se  keule? 
Bci  bien.  Le  glout  !  le  gloul!  leglout! 

GLII.I.OS. 

Pour  l'amour  de  Dieu  !  osions  tout, 
Car  se  chis  sos-là  nous  ceurt  scure... 
Pren  !e  nape;  et  lu,  le  pot  lien. 

R1KECE. 

Loi  que  doi  Dieu  !  je  le  Io  bien. 
Tout  avant  que  il  nous  meskieche 
Chascuns  de  nous  prengne  sa  pieche  : 
Aussi  avons-nous  trop  villiet. 

SCÈNE  XXI. 

LES    MEMES,  LE   MOINE,   de  retour 
LI   MOINES. 

Osles,  vous  m'avés  bien  pilliel, 
Et  s'en  i  a  chi  de  plus  riques  ; 
Toutes  eures  chà  mes  reliques! 
Vés-chi  .xij.  sols  que  je  doi. 
Vous  el  vo  taverne  renoi  ; 
Se  g'i  revieng  dyable  m'en  porche! 

LI    OSTES. 

Je  ne  vous  eu  ferai  jà  forche 
Tenés  vos  reliques. 

LI   MOINES. 

Or  chà ! 
Honnis  soit  qui  m'i  amena! 
Je  n'ai  mie  apris  tel  afaire. 


LE   MOINE. 

Hôte,  vous  m'avez  pillé  ,  et  il  y  en  avair  ici  de 
plus  riche;  toutefois  çà  mes  reliques!  Voici  douze 
sous  que  je  dois.  Je  renie  vous  el  votre  taverne;  si 
j'y  reviens,  que  le  diable  m'emporte! 


GUILLOS. 


Di,  Hane,  i  a-il  plus  que  faire? 
Avons-nous  chi  rien  ouvlié? 

HANE. 

Netlil,  j'ai  tout  avant  oslé. 
Faisons  l'osle  que  bel  li  soil. 

GLILLOS. 

Ains  irons  anchois,  s'on  m'en  croit, 
Baisier  le  fierlre  Nostre-Dame, 
Et  che-chierge  offrir  qu'ele  flame  : 
ISo  cose  nous  en  vcnia  miex. 

LI    PERES. 

Or  chà!  levés-vous  sus,  biaus  fies, 
J'ai  encore  men  blé  à  vendre. 


L  HOTE, 

Je  ne  vous  y  force  pas;  voici  vos  reliques. 

LE     MOIME. 

Or  çà!  honni  soil  qui  m'y  amena  !  je  n'ai  pas  ap- 
pris telle  affaire. 

GUILLOT 

Dis,  Hane,  y  a-t-il  davantage  à  faire?  avons-nous 
ici  oublié  quelque  chose? 

HANE. 

Nenni ,  j'ai  tout  auparavant  ôlé.  Faisons  que 
l'hôte  soit  content. 

GUILLOT. 

Mais  nous  irons  auparavant,  si  l'on  m'en  croit, 
baiser  la  châsse  de  Notre-Dame,  et  offrir  ce  cierge 
pour  qu'il  brûle  :  noire  affaire  ira  mieux. 

LE   PÈRE 

Or  çà!  levez-vous,  beau  fils,  j'ai  encore  mon  blo 
à  vendre. 


1^31 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


12S2 


Ll    DERVÉS. 

Que  c'esl?  me  volés  mener  pendre, 
Fiex  à  putain,  lercs  prouvés? 

LI    PERES. 

Tnisiés.  Cor,  fussiés  enterés, 

Sos  puans!  Que  Diex  vous  lionnisse! 

LI    DERVÉS. 

Par  le  morl  Dieu  !  on  me  eompisse 
Par  là  deseure,  ciie  me  saule. 
Peu  faut  que  je  ne  vous  eslranle. 

LI    PERES. 

Aimil  or  lien  cbe  croquepois. 

LI    DERVÉS. 

Ai-je  fait  le  noise  don  prois? 

LI    PERES. 

Nient  ne  vous  vaut,  vous  eh  venrés. 

LI    DERVÉS. 

Allons,  jesui  li  espousés. 

Ll    MOINES. 

Je  ne  fai  point  de  men  pieu  chi, 
Puis  que  les  gens  en  vont  ensi, 
N'il  n'i  a  mais  fors  baisscletes, 
Enfans  et  garchonnaille  ;  or  fai, 
S'en  irons;  à  Sainl-Nicolai 
Commcnclie  à  sonner  des  cloqiicles. 

Expticit  li  jeus  de  la  Fuellie. 


LE    FOU. 

Qu'est-ce?  me  voulez-vous  mener  pendre,  fils 
de ,  voleur  prouvé? 

LE    PÈRE. 

Taisez-vous.  Fussiez-vous  enterré,  fou  puant, ! 
Que  Dieu  vous  honnisse! 

LE   FO0. 

Par  la  mort  de  Dieu!  ...  Peu  s'en  faut  que  je  ne 
vous  étrangle. 

LE   PÈRE. 

Hélas!  maintenant  liens  ce  croquepois. 

LE    FOU. 

Ai-je  fail  le  bruit  du  prois? 

LE    PÈRE. 

Rien  ne  vous  vaul  vous  vous  en  viendrez. 

LE    FOU. 

Allons   je  suis  l'épousé. 

LE    MOINE. 

Je  ne  fais  point  de  profit  ici,  puisque  les  gens  s'en 
vont  ainsi,  el  il  n'y  a  plus  que  bachelelles,  enfans 
el  garçonnaille.  Parlons  donc,  d'autant  qu'à  Saint- 
Nieolas  l'on  commence  à  sonner  les  cloches. 


Fin  du  jeu  de  la  Feuillée  (78S\ 


I. 

LE  JEU  ADAN  LE  BOÇU  D'ARRAZ  (780). 

Seignour,  savez  por  qoi  j'ai  mon  abil  ebangié? 

J'ai  esté  avoec  famé,  or  revois  au  clergié; 

Or  avertira  ce  que  j'ai  pieça  songié; 

Por  ce  vieng  à  vous  toz  ainçois  prendre  congié. 

Or  ne  porront  pas  dire  aucun  qui  j'ai  banlez 

Que  d'aller  à  Paris  soie  por  nient  vantez  ; 

Chascuns  puet  revenir  jà  n'en  si  enchantez, 

Quar  bien  grant  maladie  ensuit  bien  granz  sautez. 

D'autre  part  je  n'ai  pas  ci  si  mon  tems  perdu 

Que  je  n'aie  à  amer  leaumenl  entendu, 

Si  qu'encore  perl  il  ans  lès  quels  li  pos  fu. 

Or  revois  à  Paris. 

Chelis!  qn'i  fer  as -tu? 

Onques  d'Arras  bons  clers  n'issi, 

El  tu  le  veus  ferc  de  li  ! 

Ce  serait  granz  abusions. 

N'est  mie  Riquiers  Amions 

Bons  clercs  cl  soutiex  en  son  livre? 

Oïl,  per  .ij.  deniers  le  livre  : 
ie  ne  voi  qu'il  sache  autre  chose; 
Mes  nus  reprendre  ne  vous  ose, 
Tant  avez-vous  muante  chief. 

Ciiidiez-vous  qu'il  venist  à  (bief, 
Biaus  douz  amis,  de  ce  qu'il  disi? 

Chascuns  mes  paroles  despist, 
Ce  me  samble,  el  gelé  moult  loins; 
Mes  puis  que  ce  vient  au  besoins, 
Et  que  par  moi  m'csluet  aidier, 
Sachiez  que  je  n'ai  mie  si  chier 
Le  sejor  d'Arras,  ne  la  joie, 
Que  l'aprendre  lessicr  en  doie; 
Puis  que  Diex  m'a  donné  engien, 

(788)  M.  Francisque  Michel  a  réuni,  à  la  suilc  du 
jeu  Adam,  quelques  fragments  extraits  de  divers 
manuscrits,    dont   les  variantes  peuvent  servir    à 


Tans  est  que  je  le  (orne  à  bien  ; 
J'ai  ci  assez  ma  borse  escoussc. 
El  que  devendra  la  pagouese, 
Ma  commère  dame  Maroie  ? 

Biaus  sire,  avoec  mon  père  erl  ci. 

Mestrcs,  il  n'ira  mie  ainsi 
S'ele  se  puel  mètre  à  la  voie; 
Quar  bien  sai,  s'onques  la  connui, 
Que  s'ele  vous  i  savoit  bui, 
Qu'ele  irait  demain  sans  respil. 

El  savez-vons  que  je  ferai  ? 
Por  li  espaenter,  métrai 
De  la  moustarde... 

Meslre,  ton f  ce  ne  vous  vaul  nient, 
Ne  la  chose  à  C3  point  ne  lient. 
Ainsi  n'en  poez-vous  aler; 
Quar  puisque  sainle  Yglise  apairc 
.ij.  gens,  ce  n'est  mie  à  refaire. 
Prendre  esluet  garde  à  l'engrener. 

Par  foi!  cil  disl  par  devinaille 
Ausi  coin  par  ci  le  me  laiile, 
Qu'il  s'en  fust  gardez  à  l'emprendre. 
Amors  me  prist  en  un  lel  point 
Que  li  auianz  .ij.  foiz  se  point, 
S'il  se  veul  donl  vers  li  desfendre  . 
Quar  pris  sni  au  premier  bouillon, 
Tout  droit  en  la  verde  seson, 
El  en  l'aspresce  de  jovent, 
«Quanl  la  chose  a  plus  grant  saveur, 
El  nus  ne  chace  son  meilleur 
Fors  ce  que  micx  vient  à  talent. 
Estez  l'osait  bel  el  seri, 
Douz  el  clcr  el  vert  et  flori, 
Delîlable  en  chanz  d'oiseillons, 
En  haut  bois  près  de  fonlenele 

éclaircirle  texte,  et  que  nous  reproduisons  â  ce  litre. 
(7S9)  Bibliothèque  royale,  n«  7218,  ancien  fonds, 
fol.  250  verso   col.  1. 


1237» 


AD  A 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ADA 


îm 


Clere  sor  maitlie  gravele: 

Atlonc  nie  vint  avisions 

De  celi  que  j'ai  à  faîne  ore. 

Qui  me  samble  ore  et  pale  et  sore, 

Qu'ele  était  donc  blanclie  et  vermeille, 

Rianz.  anioreuse  et  deugie, 

Or,  samble  crasse  et  mal  laillie, 

Triste  et  lençans. 

C'est  granz  merveille. 
Voirement  estes  vous  muables 
Quant  fêlures  si  delilables 
Avez  si  briefmenl  oubliées  : 
Ne  sai  por  qoi  estes  saouls. 

Por  qoi? 

Elle  a  fel  envers  vous 
Trop  grand  marcliié  de  ses  denrées. 

Trop,  Ricliece!  à  ce  ne  tient  point  ; 

Quar  Amor  la  genl  si  enoint 

Que  cbascune  grâce  enlumine 

En  famé,  et  fet  sembler  plus  grande, 

Si  e'on  cuide  d'une  truande 

Que  ce  soit  bien  une  ruine. 

Si  crin  sambloienl  reluisant 

D'or,  crespé,  cler  et  bien  luisant  : 

Or  sont  ebéu,  noir  et  pemlic. 

Tout  me  samble  ore  en  li  mué  ; 

Ele  avoit  Iront  bien  compassé, 

Blanc,  ouni,  large,  fenestric  : 

Or  le  voi  cresté  et  estroil; 

Les  sorciex  par  samblance  avoit 

En  arçans,  souliex  et  lingniez 

De  brun  poil,  cou  trais  de  pincel, 

Por  le  regarl  fere  plus  bel  ; 

Or  les  voi  espars  et  drcciez 

Coin  s'il  vueillcnl  voler  en  l'air; 

Si  noir  oeil  me  sambloienl  vair, 

Sec  et  fendu,  près  d'aeointier, 

Crus  dessouz,  déliez  fauciaus 

A  .ij.  peiiz  ploiçons  jumiaus, 

Ouvranz  et  cloanz  a  dangier, 

En  simple  regarl  amourcus; 

El  si  tiescendoil  entre  .ij. 

Li  luiaus  du  nez  bel  et  droit, 

Porsivanl  par  art  de  mesure, 

Qui  h  donoit  forme  et  ligure, 

El  de  gayeté  souspiroil. 

Entor  avait  blancbes  maisseles, 

Fesanz  an  rire  .ij.  foisseles 

.j    poi  muées  de  vermeil, 

Paranz  parmi  le  cuevre-cbief; 

Ne  Diex  ne  vcndroil  mie  à  cbief 

De  1ère  .j.  viaire  pareil 

Corn  li  siens  adouc  me  sambloit. 

La  boucbe  après  le  porsivoit 

Graisle  au  cors  et  grosse  ou  moilon, 


Frescbe  et  vermeille  plus  que  rose, 
Blanche  en  denture,  jointe  et  close; 
Et  après  forcelé  menlon, 
Dont  naissait  la  blanclie  gorgetc 
Dusqu'aus  espaulcs  sanz  foissele, 
Ounie  et  grosse  en  avalant; 
Haterel  porsivant  derrière 
Sanz  poil,  blanc,  et  ert  de  manière 
Sor  sa  cote  .j.  poi  reploianl; 
Espaides  qui  pas  n'encrunclioient, 
Dont  li  loue  braz  adevaloienl, 
Gros  et  graisle  où  il  aferoit. 
Mes  encore  estoil-ce  du  mains, 
Qui  regardoit  ses  blanches  mains, 
IDwit  nessoient  si  bel  loue  doit, 
A  basse  jointe  cl  gresle  en  lin, 
Couvert  d'un  bel  ongle  sanguin, 
Près  de  la  char  ouni  et  net. 
Or  vendrai  au  monstre  devant. 
Puis  la  gorgete  en  avalant; 
El  premiers  ar  pis  cainuset, 
Dur,  cort  cl  haul  de  point  et  bel, 
Lnlrecloant  le  ruiolel 
D'Amors  qui  chiet  en  la  forcele  ; 
Bouline  avant  et  rains  voutices, 
Que  manche  (Pyvuire  enlaidies 
A  ces  couliaus  à  dainoiselc; 
Plaie  jambe,  ronde  jambeie, 
Gros  braon,  basse  chevilleic; 
Pié  vauliz,  haingre,  à  peu  de  char 
En  li  me  sambloli  tel  devise  : 
Si  croi  que  desouz  la  chemise 
N'aloil  pas  li  sorplus  endar; 
El  ele  perçut  bien  de  li 
Que  je  l'amoie  plus  que  mi, 
Si  se  tint  vers  moi  chiei  entent- 
El  corn  plus  chierc  se  lenoil, 
En  mon  cuer  plus  croistre  lesoil 
Amor  et  desir  ci  talent  ; 
Avoec  s'en  mcsla  jalousie, 
Désespérance  cl  derverie, 
El  plus  cl  plus  ert  en  aidant 
Por  s'atnor,  et  mains  me  commi, 
Tant  c'onques  à  aise  ne  fui, 
Si  oi  /cl  du  mestre  scignor. 
Boue  genl,  ainsi  fui -je  pris. 
Par  Amors,  qui  m'avoit  sorpris; 
Quar  fêlures  n'ot  pas  si  bêles 
Comme  Amors  le  Mies  fisl  sambler; 
Mes  Désirs  le  me  fisl  gousicr 
A  la  grani  saveur  de  Yauceles. 
S'est  lens  que  je  m'en  reconnoisse 
Tout  avant  que  ma  finie  engroisse, 
JNe  que  la  chose  plus  me  eousl; 
Quar  mes  fains  en  est  rapaiez. 

Explicil  uns  gens. 


II. 

c  est  li  coumencemens  du  jeu  adan  le 

boçu  (7901. 

Seignour,  saves  pour  koi  j'  ai  men  abil  cangié? 
j'ai  eslé  aveuc  feme,  or  revois  au  clergié; 
Or  avertirai  çou  que  j'ai  pieça  songié. 
Ancoi  Slli  à  vous  lous  venus  prendre   cougié. 
Dire  ne  porront  mie  aucun  que  j'ai  anlés 
Que  d'aler  à  Paris  soie  pour  nient  vanlés; 

(790)  Manuscrit  du  Vatican  n°  1490,  folio  132  recto. 
Nous  le  reproduisons  ici  d'après  la  copie  de  M.  de 
Sainle-Palaye,  insérée  dans  le  recueil  intitulé  :  An- 
ciennes Chansons  françoises  avant  1300,  t.  I,  folio 
290,  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  in-folio,  n°  6  .',  bel- 
les-lettres françaises.  M.  de  Sainle-Palaye  avait  fait 
le  voyage  de  Rome,  pour  veiller  lui-même  à  I'exac- 
liiude  de  ses  copies.  (Préface  des  Poésies  du  roi  de 
ISavarie,  pages  xiv,  xv.) 


Cascuns  puet  revenir  jà  si  ifert  cncanlés  : 
Car  en  grani  maladie  gisl  souvent  grans  sautés 
Nepourcant  n'ai-jou  mie  ci  men  lans  si  perdu 
Que  j'ou  n'aie  en  amer  loiaument  entendu, 
Si  k'encore  en  pcrl  il  à  lès  qieus  li  pos  fu. 
Or  revois  à  Paris. 

(Or  se  lieve  un  personnage  et  respont  :) 

Cailis  !  ki  feras-tu  ? 
Onques  d'Arras  boins  clers  n'isi  (791) 

(791)  Jamais  bon  clerc  n'est  sorti  d'Arras... 

M.  Fr.  Michel  fait  à  ce  sujet  les  réflexions  sui- 
vantes : 

<  Celle  imputation  fut  renouvelée,  en  1739,  par  !e 
sieur  de  Gouve,  dans  le  Mercure  de  celle  année,  vol  unie 
d'avril,  p.  092,  693.  L'abbé  Lebeuf  réponrtil  dans  le 
même  recueil,  juin  1739.  premier  volume,  p.  1156- 
1159,  et  à  la  suite  de  sa  dissertation  sur  lEtat  des 
sciences  en  France,  depuis  la  mort  du   roi  Iloberl, 


1485 


ADA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ADA 


I2S6 


El  lu  le  veus  faire  de  li  ! 
Ce  seroil  grans  abnisions. 

(Or  resportt  Adans:) 

N'est  mie  Rikiers  Amions 
Roins  clers  et  soutiexen  sen  livre  ? 
(Et  uns  autres  respont  : 

Ouail,  pour  .iiij.  deniers  le  livre  : 
Je  ne  voi  que  sace  autre  cose; 
Mais  nus  reprendre  ne  vous  ose, 
Tant  avés-vous  mule  chief. 

(Or  respont  uns  austres  a  ccli:  ) 

Cuidiés-vous  k'il  venisl  à  kief, 
Biau  dons  amis,  de  çou  qu'il  disl? 

(Or  respont  Adans:) 

Chascuns  mes  paroles  despit, 
Ce  mesamble,  et  jeté  molt  loing; 
Mais  puis  que  venroitau  besoing, 
Et  q'il  in'esluet  par  moi  aidier, 
Saciës  je  n'ai  mie  si  chier 
D'Aras  le  soûlas  et  la  joie, 
Que  l'aprendre  laissier  en  doie; 
Puis  que  Dieus  m'a  donné  engien, 
Tans  est  que  jou  l'alourne  à  lui; 
J'ai  ci  assés  me  bourse  escouse. 
(Or  H  responluns  austres  :) 

Et  que  devenra  li  pagouse, 
Me  coumere  daine  Maroie? 

(Et  Adans  respont  :) 

Biau  sire,  aveuc  men  père  iertei. 

(El  cieus  li  respont  :) 

Maislre,  il  n'ira  mid  ensi 
S'ele  se  puet  metre  à  le  voie , 
Car  bien  sai,  s'onques  le  counui, 
Que  s'ele  vous  i  savoit  bui, 
Qu'ele  iroit  demain  sans  respit. 

(Et  respont  Adans  :)  ■>: 

Et  savés-vous  que  j'en  ferai? 
Pour  li  espanir,  mêlerai 
De  le  niouslarde 

(  Et  cieus  li  respont  :  ) 

Maislre,  tout  çou  ne  vous  vaut  nient, 
Ne  poi;:t  li  cose  à  cou  ne  lient, 
N'ensi  n'en  poés-vous  aler  ; 
Car  puis  que  sainte  Eglise  apaire 
.ij.  gens,  ce  n'est  mie  à  refaire. 
Eusiés  pris  garde  à  l'engrener. 

(Et  Adans  li  respont  :) 

Pqr  foi  !  cts  disl  par  devinaille, 
Ainsi  que  par  ci  le  me  taille  : 
Qi  se  fust  wardés  à  l'emprendre  ? 
Amours  me  prinl  en  un  tel  point 

(792). 

S'il  se  veut  contre  li  desfendre  : 
Car  pris  fui  ù  premier  boullon, 
Tout  droit  en  le  verde  saison, 
Et  en  l'asprelé  de  jouvent, 
U  li  cose  a  plus  grand  saveur. 
Ne  nus  ne  qace  sen  meilleur 
Fors  çou  ki  li  vient  à  taienl. 
Eslcs  faisoit  bel  et  seri, 
Vert  et  cier  et  fiés  et  flouri, 

En  baul  bos,  prés  de  fonlenele 

utiivêe  en  1031 ,  jusqu'à  celle  de  Philippe  le  Bel,  arrivée 
en  1514.  (Dissertations  sur  l'Histoire  ecclésiastique 
".t  civile  de  Paris;  à  Paris,  rue  Sainl-Jacques,  chez 
Lambert  et  Durand,  m.dcc.xli,  in-8°,  tome  II,  p.  284- 
293.)  Pour  détruire  ce  reproche,  le  bon  abbé  cite 
les  noms  des  quatre  à  cinq  ccclésiasiiques  qui,  dans 
les  xi*  et  xii*  siècles,  oui  écrit  sur  l'office  divin.  Outre 


Clere  sus  maille  gravelc; 
Adonl  me  vient  avisions 
De  celi  que  j'ai  à  ferne  ore, 
Qi  or  me  samble  pale  et  sore  : 
Adonl  esloit  blanche  et  vermeille, 
Rians,  amoureuscl  deugie; 
Or,  saule  crase  et  maulaiilie, 
Trislre  et  tançans. 
(Or  respont  li  personne  de  devcinl  :) 

C'est  grant  merveille. 

Voirement  estes-vous  muaulee 
Qant  failuros  si  délilaules 
Avés  si  briémenl  oubliées  : 
Bien  sai  pour  qoi  eslcs  saous. 

(Et  respont  Adans  : 

Pour  koi? 

(El  cieus  lui  :\) 

Ele  a  fait  envers  vous 
Trop  grant  markié  de  ses  denrées. 
(Et  respont  Adans  :) 

Troutp  (sic),  Riqueee,  à  çou  ne  tient  point; 

Mais  Amours  si  le  gent  emonl, 

Et  de  grase  si  enlumine 

Em  feme,  et  fait  samblcr  plus  grande 

Si  c'on  cuide  d'une  truande 

Que  ce  soit  bien  une  roïne. 

Si  cring  samhloient  reluisant 

D'or,  crespe  et  roil  en  fourmiant  : 

Or  sont  kéu,  noir  et  pendic. 

Tout  me  sanle  ore  en  li  mué 

Eleavoil  front  bien  conpassé 

Blanc,  ouni,  large,  fcneslric  : 

Or  lo  voi  crelé  cl  estroit. 

Les  sourcieus  par  samblance  avoit 

En  arcans,  soutiens  cl  ligniés 

De  brun  poil,  con  irais  de  pinccl, 

Pour  le  rouart  (795)  faire  plus  bel; 

Or  les  vois  espars  et  dreciés 

Con  s'il  veulent  voler  en  l'air. 

Si  noir  oel  me  sembloient  vair; 

Sec  cl  fendu,  prest  d'acoinlier, 

Gros  desous;  delié  fouciaus 

A  deus  petis  ploçons  jumiaus, 

Ouvrans  cl  cloans  à  dangier 

En  rouars  simples,  amoureus; 

Et  se  descendoit  entre  deus 

Li  luiaus  du  nés  bel  et  droit, 

Poursievans  par  ars  et  mesure, 

Qi  li  dounoil  fourme  et  figure, 

Et  de  geclé  soupiroit. 

Enlour  avoit  blanques  maissailes, 

Faisant  au  ris  .ij.  foisselcs 

Un  peu  nuées  de  vermeil, 

Parant  par  mi  le  ccuvre-kief  ; 

Ne  Dicus  ne  venroil  mie  à  kief 

De  faire  un  viairc  pareil 

Que  li  siens  adonl  me  sanloil. 

Li  bouque  après  se  poursievoil 

Graile  à  cors  et  grosse  ù  nioilon, 

Fresque  et  vermeille  plus  que  rose  ; 

Blance  entenlure,  jointe  et  close 

El  après  foucelé  menton, 

Dont  naissoil  li  Manque  gorgele, 

Trusk'as  espaules  sans  fosele, 

Ounie.  cl  grosse  en  avalant; 

llarlerel  poursievanl  deriere 

Sans  poil,  gros  el  blanc  de  manière, 

cet  Adam  de  Le  Haie,  on  compte  parmi  les 
de  cette  ville  au  xin«  siècle,  Jean  Bodel  el 
lois.  » 

(792)  11  manque  ici  un  vers  au  manuscrit  du  Va- 
tican. Voyez  le  texte  d'après  les  deux  manuscrits 
du  Roi. 

(793*  Regard.  (Nvte  de  M.  de  Sainle-Palaye.) 


12S7 


A  MO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


AMO 


Seur  se  coie  un  peu  reploian  ; 
Espaules  qi  point  n'encruçoienl, 
Dont  li  loue  brac  adevaloient. 
Gros  el  graile  ù  il  aferoit, 
Et  encor  esloi-cc  du  mains, 
Qi  rewardast  ses  blances  mains, 
Dont  naissaient  li  biaus  lonc  doit, 
A  basse  jointe,  graille  en  fin, 
Couvert  d'un  bel  ongle  saugin, 
Près  de  le  car  ouni  et  net. 
Or  venrai  au  monstre  devant, 
Puis  le  gorgeteen  avalant; 
Tout  premier  au  pis  camuset, 
Dur,  corl  et  baul  de  point  el  bel, 
Entrecloant  le  ruiotel 
D'Aamours  qi  qiel  en  le  fourcele; 
Bouline  avant  et  rains  van  liés, 
Coin  menées  d'ivoire  entailliés 
A  ses  coulians  à  deniiseles; 
Plaie  banque,  ronde  ganbeie, 
Gros  bran,  basse  quillele; 
Pie'  vaulic,  baingre,  à  peu  de  char. 
En  li  me  sambloil  icus  devise, 
El  croj  que  desous  le  queinise 
N'aloit  point  li  sourplus  en  dar  (701). 
Bêle  genl,  ensi  lui-je  pris 
Pour  Amour  qi  si  m'eut  soupris; 
Car  failure  n'eut  point  si  bêles 
Q'Amours  me  les  iisl  sambler; 
Mais  Désirs  le  me  fist  gousler 
A  le  grand  saveur  de  Vaucclcs. 
Explicit. 

ALIONE  D'ASTI.  —  MM.  Monmerqué  et 
Francisque  Michel ,  dans  leur  Théâtre  au 
moyen  âge  (  Paris,  Delloye,  1839,  grand  in- 
8°  ),  signalent  la  réédition  chez  Silveslre,  à 
Paris,  en  1836,  des  Poésies  françaises  de  J.-G. 
Alionc  d'Asti,  composées  de  1494  à  1520, 
qui  contiennent  deux  farces  dont  suivent 
les  titres  :  1°  Farsa  de  la  dona  chi  se  eredia 
havere  una  roba  de  veluto  dal  Franzoso  alo- 
giato  in  casa  soa.  —  2°  Farsa  del  Franzoso 
alogialo  a  lostaria  del  Lombardo  a  tre  per- 
sonagii  (795). 

ALIT1UA  ET  PSEUSTIS.  —  Dans  son 
cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres, 
M.  Magnin  cite  le  colloque  iïAlithia  et  Pscus- 
tis  de  théodule,  sous  la  date  du  xe  siècle. 
(Cf.  Journ.  gén.  de llnstr.  publ.,  1833,  7  mai, 
p.  256.)  M.  Ach.  Jubinal  répète  M.  Magnin 
(  Myst.  inéd.  du  xve siècle;  Paris,  1837,2  vol. 
in-8°,  t.  1er,  préf.,  p.  vin.  ) 

M.  Fdélesland  Duméril  est  d'avis  qu'Ali- 
thia  n"a  rien  de  dramatique  et  n'indique  que 
la  tendance  constante  du  moyen  âge  vers  la 
forme  dramatique.  (Cf.  Origines  latines  du 
théâtre  moderne;  Paris,  I8i9,  in-8°,  p.  3.  ) 

ALLAMANDA  (L)  —  Yoy.  Parasols 
(B.  de). 

AMOUREUX  (  La  farce  des  DEUX.  )  — 
La  farce  des  deux  amoureux  recreatis  el 
ioyeux,  c'est  à  scaroir  : 

Ï.F.  PUEMiER    AlIOl'RElIX. 
Li:   DEUXIEME  1D. 

(794)  H  manque  ici  douze  vers  qui  sont  dans  les 
deux  autres  manuscrits. 

(795)  M.  Magniii,  dans  son  Cours  professé  à  la 
Faculié  des  lettres,  signale,  sous  la  dale  du  xvi° 
siècle,  en  Italie,  {'Orphée  d'Ange  Policier,  traduit 
récemment  du  laiin,  le  Ccphatc  de  Nicolas  da  Cor- 
rigio  le  Pliilosiraie  el  le  Demelrius  d'Antonio  da 


1288 


Tel  est  le  litre  d'u:ie  farce  conservée 
dans  le  manuscrit  de  la  Bddiothèque  impé- 
riale, fonds  La  Vallière,  n°  63. 

Cette  pièce  dale  du  commencement  du  xvr 
siècle;  on  l'attribue  à  Pierre  Taserye. 

Elle  a  été  éditée  dans  la  Collection  Techo- 
ner.  (Voy.  Recueil  de  Farces...) 

Les  amoureux  se  confient  leurs  amours  et 
font  le  portrait  de  leurs  belles 
Elle  vous  auoyt  un  corset 
De  fin  bleu  lasse  d'un  l;>sel 
latine... 

...  Puys  après 
Mancherons  d'escarlalte  verte, 
Robe  de  pers  large  elouuerle.. 

Chausses  noires,  petits  patins, 
Linge  blanc,  sainclure  houppée, 
Le  (•bapperon  faicl  en  ponppee, 
Les  clicueux  en  passe  sillo:.-, 
El  l'œil  gay  en  esmerilloi;, 
Souple  et  droicle  comme  une  gaule... 

AMOUREUX  ET  LE  JEUNE  {LE  VIEIL). 

—  Le  vieil  amoureux  et  le  jeune  amoureux, 
farce  à  11  personnages,  c'est  à  sauoir  :  Le 
vieil  amoureux  et  le  jeune  amoureux ,  est 
conservé  dans  le  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque impériale,  fonds  La  Vallière,  n°63. 

Celte  pièce  dale  de  la  première  moilié 
du  xvie  siècle;  il  est  probable  qu'elle  fut 
représentée  à  Rouen  ;  elle  parait  appartenir, 
comme  toutes  celles  du  même  recueil,  à 
Pierre  Taserye. 

Elle  a  élé  éditée  dans  la  Colhclion  Teche- 
ncr.  (  Voy.  Recueil  de  farces,  moralités  et 
sermons  joyeux,  par  MM.  Leroux  de  Linct 
cl  Francisque  Michel;  Paris,  1831-183*/, 
Tochener,  4  vol.,  petit  in-8°.  ) 

Le  vicl  Amoureux  commence  en  chantant. 

Vray  Dieu!  qu'amoureux  ont  de  peine. 

Par  Dieu  jaymase  mieux  la  morl. 

Sur  moy  n'y  a  ne  nerf  ne  vaine 

Oui  ne  se  sente  de  remorl.. 

Pour  soûlas  désolation, 

Poursagriu  toute  amarilude, 

Pour  gloire  malédiction, 

Desplaisir  pour  mondanité, 

Vouela  la  rétribution 

D'Amours... 

Le  jeune  Amoureux. 

D'amour  vieut  physance  infynie... 

Le  vicl. 

Femmes  nous  foui  besles 
Et  rompre  les  lestes, 
Par  cris  et  lempesles, 
Et  lousiours  sont  prestes 
Nous  esircs  nuysantes. 

Le  jeune. 

Eemmes  sont  segresles, 
En  amour  discrètes, 
Doulces  niygonnelcs, 
Et  tant  bien  parlantes... 

Toute  la  pièce  est  sur  ce  ton. 

Pisloia,  les  tragédies  de  GyraKIi,  la  Sophonisbe  <!e 
Trissino  el  la  liosemunde  de  Rmcelai  ;  le  Timon  mi-- 
sa:ilbrope  de  Boiardo,  les  pièces  de TAriosle,  la  C'a* 
landria  du  cardinal  Bibiena,  Ja  Mandragore,  Ceccki, 
et  Asainola  de  Machiavel  et  la  Courtisane  de  l'A- 
rclin. 


4289 


ARB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


A  VA 


1-290 


AMPHYTRION  ou   le   Gela  (L).  —  Voy. 

GÈTA. 

AJSDR1ASSE  (L).  —  Voy.  Parasols 
(B.  de). 

ANDROMAQUE.  —  M.  Magnin,  dans  son 
Cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres*  en 
183i-1835,  citait  au  vc  siècle  Andromaque  et 
Hélène,  d'après  Sidoine  Apollinaire  (Descrip- 
tion des  jeux  de  Narbonne). 

ANER1E.  —  Voy.  Science  et  Anerie. 
_  ANTECHRIST  (L).  —  La  farce  nouuelle  de 
T Antéchrist  et  de  trois   femmes  :  une   Rour- 
geoiseet  deux  Poissonnières,  à  quatre  person- 
nages.  C'est  à  scavoir  : 

Hamelot,  première  poisson-    L'Antéchrist, 

nière,  La  Bolt.geoise. 

Colechon,  deuxième  idem, 

Celte  pièce  du  xvic  siècle  a  été  mise  en 
meilleur  langage,  en  1612,  par  Nicolas  Rous- 
set,  éditeur,  qui  en  donna  à  Paris  une  réim- 
pression. 

Le  ton  en  est  extrêmement  licencieux; 
et  l'esprit  en  est  fort  éloigné  de  la  reli- 
gion. 

L1  Antéchrist  nous  fournit  les  vieux  pro- 
verbes suivants  : 

Cil  gaigne  r.ssez  qui  a  sa  vie, 
Après  le  beau  temps  vient  la  pluie, 
Après  Pasques  viennent  les  veaux... 

ARRALESTRE  (Là  farce  de  i:).  —  La 
fnree  de  l'arbalestrc,  a  il.  personnages,  est 
conservée  dans  le  manuscrit  du  xvr  siècle 
de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Val- 
] ière,  n°  63,  attribué  sans  preuve  à  Pierre 
Taserye. 

Elie  a  été  éditée  dans  la  collection  Téche- 
ner  (Paris.  1837,  in-8°,  k  vol. 

le  Mary  commence  : 

Je  ne  say  qui  me  confila 

Qui  mesmemenl  me  barbouito 

De  m'aler  mecire  en  mariage... 

ne  say  rien  faire 

Qui  plaise  ni  qui  soyl  utile 
A  ma  femme  sage  sébile. 
Marye  fus  a  !a  maie  heure, 
Quant  ie  luy  ris.  elle  m^  pleure 
Quant  ie  pleure,  elle  s'en  rit;     i 
Quant  ie  me  ioue,  el  se  ma  rit  ; 
Quant  ie  me  maris,  el  se  ioue; 
Quar.t  ie  me  ioue,  el  faicl  la  moue... 

la  femme. 

Qui  espousc  un  sot  de  nature 
Ne  seroyl  son  plaisir  auoir... 
C'est  un  sol  ie  plus  desplaisant 
Plus  yiliol,  plus  mal  plaisant 
Que  iamais  la  terre  ne  porta... 

L'un  et  l'autre  continuent  ainsi  en  échan- 
geant des  injures. 

LE  MARY. 

Femme  ne  doit  point  entreprendre 
De  vouloir  son  mary  reprendre 
Deuanl  les  gens  que  bien  a  poinct... 

Et  un  peu  plus  bas,  ce  mot  qui  ne  manque  [ 
pas  de  malice. 

...  L'homme  faict  la  femme  telle 
Qu'i  la  veuli  ou  douce  ou  rebelle... 

Diction n.  des  Mystères 


ASES  ET  LES  WOLFLNGEN  (Les).  — 

M.  Van  der  Hagen  (Eddalicdcr,  préf.  p.  xi), 
pense  que  les  anciennes  traditions  des  Ases 
et  des  Wolfungen  auraient  pu  être  repré- 
sentées dans  l'Hippodrome  de  Constanti- 
nople. 

M.  Edclesland  Duméril  critique  cette  opi- 
nion; il  n'en  voit  point  de  preuves.  (Cf. 
Orig.  lat.  du  th.  mod.  ;  Paris,  18i9,  in-8"  p. 
10,  note  5.  ) 

AUCASS1N.  —  De  Boquefort  est  d'avis 
qu'Aucassin  et  Nicolelle  fut  représenté.  (Cf. 
De  l'état  de  la  poés.  fr.  dans  les  xue  et  xm" 
siècles;  Paris,  1815,in-8°,  p.  259.) 

AULULAIRE  (L')  —  VAûluluire  ou  le 
Querolus  a  été  daté  comme  le  Gèta  du  xu* 
siècle. 

Ce  poëme  semble  appartenir  également  à 
Vital  de  Blois. 

On  n'en  signale  pas  les  manuscrits. 

La  plus  ancienne  édition  qui  en  existe- 
est  celle  de  Jérôme'  Commelin;  Ritter- 
shus  l'a  donné  de  nouveau;  puis  MM.  O- 
sann,  en  Allemagne,  et  Wright,  en  Angle- 
terre. 

M.  Osann  pense  que  ce  poëme  fut  com- 
posé d'après  le  Querolus  du  ive  siècle,  attri- 
bué à  Plaute  par  Vital  de  Blois;  le  style  en 
est  absolument  celui  du  Gi'ta. 

Ce  poëme  n'aurait  pas  plus  que  ce  dernier 
été  destiné  à  la  représentation. 

M.  Edelestand  Duméril  considère  VAulu- 
laire  de  Vilalis,  qu'il  date  du  iii"  siècle, 
comme  une  refonte  du  Querolus  dont  la  date 
ne  remonterait  qu'au  vu"  siècle  au  plus  tôt. 
(Cf.  Origines  lat.  du  th.  mod.;  Paris,  1839, 
p.  ik  et  15);  c'est  le  produit  de  la  renais- 
sance des  lettres  du  xne  siècle  :  on  remet 
alors  des  intentions  littéraires  dans  les 
compositions  dramatiques,  mais  on  se  sert 
du  vers  élégiaque,  on  amalgame  les  indica- 
tions scéniques  avec  le  dialogue  et  on  les  fait 
môme  entrer  dans  le  vers.  (16,  p.  33,  34.  ) 
—  Voy.  Gèta. 

AVÀNTUREULX  (  V  ).  —  L'Avuntureulx, 
farce  nouuelle  à  iim.  personnages, c'est  àsca- 
uoir  : 


L'AUANTUREULX, 
GbERMON'SET, 


CuiLLOT, 
Et  RlGNOT. 


Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La 
Vaiîière,  n°  63. 

Eile  date  de  la  première  moitié  du  xvi* 
siècle. 

L'unique  édition  très-fautive  qui  en  existe 
est  celle  donnée  dans  la  collection  Téchener 
(Voy.  Recueil  de  farces). 

l'auantureulx  commence  : 

Qu'esse  d'homme  qui  s'aventure, 
Qui  son  bruicl  et  honneur  procure, 
Et  qui  est  louiours  sur  les  rens, 
Sans  iamais  dire  :  ie  me  rens? 

,    Son  fils  Guefmonset  lui  demande  bénéfi- 
ces cl  cures,  surtout 


Le  bénéfice  de  Rignot, 

Qui  est  fils  Guillol  le  maire. 


kl 


1291 


BAB 


DICTIONNAIRE  DES  MY  STERES. 


BAC 


1295 


Le  grand  Avantureulx  envoie  Guermonset 
sommer  Rignot  d'abandonner  son  bénéfice. 
Guillot  défend  son  fils.  L' Avant ureuix  doit 
soutenir  le  sien,  il  se  prépare  à  l'attaque  : 

Mais  arme  moy  bien  par  derière 
El  que  mon  barnoys  soyt  bien  clos. 

GUERMONSET. 

Quoy  !  vonlez-vous  tourner  le  dos. 
l'auantureulx. 

Nenin  pas,  mais  quant  nous  fuyons, 

Y  fault  craindre  les  borions, 
Autant  deuanl  come  deriere... 

Les  deux  champions  sont  en  présence, 
aussi  émus  l'un  ^jue  l'autre  de  leur  futur 
combat. 

GUILLOT. 

Jésus  qu'esse  sy  que  i'o  ? 
L'auantureulx  aproebe  fort. 

Jauantureulx. 
A  mort,  vilain,  à  mort,  à  mort. 

GUILLOT. 

A!  Rignot,  il  est  eourageulx, 
Pour  un  home  et  auanluieulx-... 

l'auantureulx. 

Or  sa,  Guillot,  nous  sommes  pies, 
louslons  a  qui  esse  qui  lient. 

GUILLOT. 

Dictes-vous  a  bon  esient 
Yraymeni  ie  ne  vous  fauldray  pas. 

l'auantureulx. 

A!  dea.dea,  ne  me  frapes  pas; 
Combien  que  rien  ie  ne  vous  crains. 

GUILLOT. 

Sang  bien!  se  g'y  boute  les  mains 
le  m'en  raporle  bien  a  loy  ; 
Ne  l'aproche  pas  près  de  moy, 
Sy  tu  veulx  que  ie  me  deffende. 

l'auantureulx. 

"Vaull  y  poincl  mieux  que  ie  me  rende? 
Guermonset  que  s'en  semble  bon. 

GUILLOT. 

Y  vault  mieux  que  nous  apoincton 
Colin,  les  coups  sont  dangereulx... 

Les  deux  poltrons,  après  mines  de  combats, 
finissent  par  s'accorder;  le  récit  vantard  de 
leurs  exploits  passés  égayé  la  fin  de  celle 
farce  que  termine  la  conclusion  suivante  : 

De  soles  gens  sole  raison, 
De  les  hanter  on  ne  doibt  poincl, 
Mais  l'uyr  en  toute  saison. 
Prendre  ausy  de  Dieu  la  maison 
Les  biens  ei  la  diuine  office... 
C'esl  un  pesche  contre  l'esprit... 

AVENTURE  (Le  jeu  d'  ).  —  Li  jeus  d'a- 
venture sont  conservés  dans  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale,  ri°  7218. 

Legrand  d'Aussy  semble  y  voir  une  pièce 
dramatique  (Cf.  Fabliaux;  Paris,  Renouard, 
5  vol.  in-8%  t.  IV,  p.  2W)  ;  M.  Ach.  Jubiual 
est  d'avis  que  c'est  une  erreur  et  que  ce  pe- 
tit poëme  n'a  rien  de  dramatique;  toutefois 
pourrait-il  appartenir  au  théâtre  de  famille 


ou  de  feslins  du  moyen  âge.  (Cf.  Œuvres 
complètes  de  Rulebeuf  recueillies  par  M.  A. 
J.  .  .  .;  Paris,  1839,  2  vol.  in-8°,  p.  131.) 

M.  Trébutien  a  publié  un  Dit  d'Aven- 
tures dont  le  but  est  de  se  moquer  de  la  che- 
valerie. 

M.YVright (Anecdota  literaria,  Lond.,  1844, 
in-8°;f,  donne  un  jeu  d'aventure  d'après  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèaue  Bodléienne  qui 
commence  ainsi  : 

RAGEMON  LE  BON. 

Deu  vous  dorra  granl  honour, 
E  granl  ioie  et  grant  vigour, 
la  de  çeo  ne  fauderez, 
Taunl  cum  vous  viverez... 

Cette  pièce  appartient  au  xv*  siècle. 

AVEUGLE  (L').  —  L  Aveugle,  son  valet  et 
vue  tripière,  farce  joyeuse  à  .m.  personnages, 
■c'est  à  scauoir  : 

Vn  aveugle. 

Son  varlet. 

Et  VHE  TRIPIERE. 

Tel  est  le  titre  d'une  farce  conservés  dans 
.e  manuscrit  de  la  Bibliolhèque  impériale, 
fonds  La  Vallière,  n°  63. 

Celte  pièce  date  du  commencement  du 
xvr  siècle;  on  a  pensé  qu'elle  avait  pu  être 
représentée  à  Rouen  et  sortir  de  la  [ilumo 
de  Pierre  Teserye. 

On  la  trouve  éditée  dans  la  Collection  Te- 
chener.  (Voy.  Recueil  de  farces,  moralités,  etc.; 
Paris.  1831-1887,  k  vol.  petit  in-8°.  ) 

Le  Varlet  de  l'Aveugle  et  la  Tripière  se 
querellent,  le  varlet  renverse  les  «  pié  de 
beuf  et  boudin...  » 

LA    TRIHERE 

...  Je  vaulx,  mieulx  loy 
Ne  que  fusl  onq  ion  père 
Me  vien  tu  faire  lanl  d'esmoy? 
Par  l'ame  de  ton  grand-père! 
Huy  ie  le  desuisageray. 

LE    VARLET. 

Au  !  ma  douce  saincte  Agate  ! 
Elle  m'a  baille  de  sa  pâte, 
Et  sy  m'a  rompu  le  visage. 

LA   TRIPIERE. 

Ne  reuiens  plus  se  lu  es  sage. 

LE   VARLET. 

Lesser  y  nous  fault  le  caquet, 
Car  nous  ferions  fy  la  ferye. 
Prenes  eu  gre  la  compaignye. 

AVEUGLE  ET  LE   BOITEUX  (L'  ).  — 

La  Moralité  de  l'Aveugle  et  du  Boiteux,  at- 
tribuée à  André  de  Lavigne,  a  été  éditée  par 
M.  Francisque  Michel,  en  1831,  chez  Sil- 
vestre,  à  Paris;  elle  fait  partie  des  Poésies 
des  xve  ef  xvie  siècles  (Paris,  1830-1832,  grand 
in-8°.) 

M.  Raynouard  a  critiqué  ce  livre  dans  le 
Journal  des  Savants  (  cahier  de  juillet  1833, 
p.  385  ). 


B 


BABIO.  —  Le  Babio  daterait,  selon  ses 
éditeurs  au  plus  tôt  du  xne  siècle  ;  cette  date, 
indiquée  seulement  par  les  manuscrits,  est 


contredite  par  tous  les  détails  de  mœurs  de 
la  pièce. 
L'auteur  du  Babio  est  inconnu  ;  on  a  at- 


1293 


r.AB 


NOTICE  SUtt  LE  THEATRE  L1BUE 


BAB 


1294 


tribué  celle  pièce  à  Vital  de  Blois,  auteur  du 
(lèlabi  daQuerolus,  se  basant  sur  trois  faits 
également  insignifiants  :  le  premier  qui  est 
l'analogie  de  la  facture  des  vers.;  le  second 
qui  est  une  certaine  ressemblance  d'idées 
et  de  connaissances;  et  en  dernier  lieu,  la 
rencontre  dans  deux  manuscrits,  du  drame 
et  du  poëme.  La  simultanéité  de  copie  au 
xnc  siècle  du  Babio  et  du  Gèta  ne  prouve 
qu'une  chose,  c'est  le  goût  très-répandu  des 
vieilles  pièces  de  théâtre,  dont  on  recher- 
chait également,  sans  plus  de  critique,  les 
remaniements  et  les  originaux.  Le  mode  des 
vers  est  celui  qui  fut  le  plus  répandu  depuis 
l'invasion  des  barbares;  au  vr  siècle,  no- 
tamment Forîunat,  en  use  presque  constam- 
ment. Quant  au  style,  les  rapports  d'idées 
et  d'expressions  que  l'on  remarque  en',re  Jo 
Gèta ,  rAululaire  et  le  Babio,  ne  peivent 
que  témoigner  de  la  haute  antiquité  du  der- 
nier, puisque  le  Gèta  et  YAidulaire,  comme 
on  en  convient,  sont  des  poëmes  exécutés 
sur  d'anciennes  pièces  dont  les  didascalies 
mit  passé  dans  le  récit,  et  que  l'une  de  ces 
pièces,  le  Querolus  date  au  moins  du  vie  ou 
du  vnc  siècle,  a  contester  la  date  inûnimen 
probable  pourtant  du  ive  siècle. 

Les  Anglais  n'osent  s'attribuer  complète- 
ment le  Babio;  mais  ils  profitent  encore  du 
peu  d'éludé  que  l'on  a  lait  de  cette  pièce. 
De  nombreuses  et  positives  informations  ne 
permettent  pas  de  croire  qu'elle  ait  été 
écrite  en  Angleterre  ;  le  Soloen  et  le  Trans- 
Alpes qui  y  sont  répétés,  indiquent  un  point 
plus  rapproché  de  l'Italie.  Le  Babio  est  fran- 
çais, gaulois  si  l'on  veut,  et  l'Angleterre  l'a 
imité.  (Gower.  Voy.  plus  bas.) 

On  n'en  connaît  que  trois  manuscrits  qu'un 
hasard  qui  reste  à  expliquera  réunis  en  An- 
gleterre : 

Le  premier,  à  la  Bibliothèque  Cotton- 
rxienne  de  Londres,  Titus  A,  xx,  où  la  pièce 
est  enfouie  a  coté  du  Gèta  dans  un  recueil 
de  poésies  anglaises  et  latines  des  xn*,  xine 
et  xive  siècles,  datant  du  règne  d'Edouard  Ier, 
et  très-difficile  à  lire,  à  ce  qu'assure  M. 
Wright.  Il  contient  des  indications  margi- 
nales relatives  aux  personnages,  qu'a  relevé 
le  savant  anglais. 

Le  second  appartient  à  ia  Bibliothèque  Bo- 

(790)  «  Threc  manuscripls  areknown  oi  luis  poonu 
One  is  in  llie  Coltou  ins.  Titus.  A.  xx.  which, 
amongsl  a  vasl  mass  of  anglo-la  lin  poctry  of  ihe 
Iwolfih,  thirleenlh,  antl  fourieenlh  centuries,  con- 
lains  also  a  copy  of  llie  Gela,  m  imperfect  copy  of 
llie  Dcscripiio  Norfbléensium  and  the  only  copy  ( 
liavc  tnel  witli  of  John  of  S.  Orner's  answer  lo  il.  lt 
is  a  roanuscript  of  ihe  reign  of  Edward  III  of  En- 
gland,  and  is  very  diflicult  lo  read,  boolli  onaecount 
of  llie  hand-wriling,  and  of  llie  unusnal  contractions 
which  somelimes  occur.  The  style  of  the  Babio,  and 
niany  of  the  phrases  and  ideas,  resemble  so  closely 
those  of  the  Gela,  lhai  1  am  almosl  inclined  lo  iliiuk 
il  may  be  the  work  of  the  sanie  anlbor. 

c  The  two  olher  ms.  of  Ihe  Babio  arc  preserved 
in  ihe.Bodleiau  Library  al  Oxford;  one  of  which, 
ms.  Bold.,  n°  851  (3041  of  llie  old  Catalogue)  con- 
tins also  the  Gela.  The  ollier,  marked  Diglty,  n»  55, 
appears  to  be  miist  llie  best  manuscripi  ol  ihe  three. 
1  am  indcbted  for  the  description  of  thèse  ms.  lo 


dléienne  d'Oxford  (  n°  831,  3041  du  nouveau 
catalogue);  le  Gèta  s'y  rencontre  égale- 
ment. 

Le  troisième  se  trouve  également  dans  la 
Bibliothèque  Bodléiennc  (  Digby,  n°  53);  M. 
Wrigth,  assure  que  c'est  le  meilleur  des 
trois,  le  seul  qui  contienne  le  prologue  en 
prose  et  les  deux  derniers  vers  du  Ba- 
bio (  7%). 

Il  n'a  été  publié  du  Babio  qu'une  seule 
édition  complète  dans  le  recueil  de  mystè- 
res et  de  poëmes  latins  de  M.  Thomas 
Wright,  intitulé  :  Early  mysteries  and  olher 
latinpoems  oftwelfth  and  thirlhenth  centuries. 
(London,  Nichols,  1838,  gr.  in-8\) 

M.  Bruce-Whyte  (  Histoire  des  langues  ro- 
manes et  de  leur  littérature.  (Paris,  1841, 
in-8n,  3  voi.  [annoncés,  mais  deux  publiés 
seulement],  t.  Ier.,  p.  408.)  a  donné  quelques 
fragments  du  Babio;  il  attribue  au  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  Cottonnienne  la  liste 
suivante  des  personnagesaveedes  gloses,  qui 
contiennent  de  nombreuses  erreurs  inexpli- 
cables pour  le  temps  où  fut  écrit  le  manus- 
crit et  qu'on  est  contraint  à  supposer  mo- 
derne, M.  Bruce-Whyte  ne  donnant  pas  à 
leur  sujet  les  indications  nécessaires  : 

PERSONNAGES. 

Babio,  pauvre  vieillard,  amoureux  do  Viola,  méfiant 
et  soupçonneux,  dont  les  habitudes  d'ava"rice  ei 
les  tourments  font  le  fond  principal  de  la  comédie. 

Croceus,  jeune  homme  riche  et  libéral,  également 
amoureux  de  Viola,  dont  il  obtient  la  main  au  dé- 
triment de  son  rival. 

Fodius,  serviteur  de  Babio,  intrigant  avec  Peouli, 
cl  dupant  sans  cesse  son  mr.îlre. 

Viola,  jeune  femme  confiée  aux  soins  de  Babio,  el 
parfois  appelée  fille  de  Pécula. 

Pecul a,  parfois  appeiée  sœur  de  Babio;  mais,  d'a- 
près le  litre  et  le  dénouement  de  la  pièce,  il  sem- 
blerait qu'elle  est  sa  femme. 

Fama,  caractère  allégorique,  fréquemment  intro- 
duit sur  la  scène  dans  l'enfance  de  l'art  drama- 
tique en  Angleterre,  el  n'agissant  probablement 
dans  celle  pièce  que  parce  que  l'auteur  n'a  point 
trouvé  d'aulre  moyen  d'amener  la  calastrophe. 

Eustalus,  Gulius,  Bavo,  serviteurs  de  Croceus. 

La  plus  ancienne  opinion  formulée  à 
propos  du  Babio  est  celle  de  Boston  Bury  ; 
le  nom  de  Babio  rapproché  par  lui  du  nom 

the  exlrein  kindness  of  the  Bev.  William  Curelon, 
assistant  Keeper  of  the  manuscripts  in  the  Brilish 
Muséum,  who,  during  a  very  transilory  visil  io  Ox- 
ford, collaled  wilh  the  Digby  ms.  a  few  passage  in 
the  poem  which  were  so  corrupt  in  the  Colton  ms. 
as  lo  be  quile  (inintelligible.  1  regret  much  thaï  i 
bave  notbeen  abletoobtain  a  more  carofu!  collation. 
«  In  the  Digby  ms.  Ihe  poem  is  introducled  by  the 
following  préface  in  prose;  Incipit  liber,  elc.  The 
poem  ends  in  ibis  ms.  wilh  ihese  two  Unes  : 

Qui  scripsil,  valeal  :  Babio  tristis  eat, 
Explicil  comedia  de  Domino  Babione. 

c  In  llie  second  Oxford  ms.  (Bodl.  851.)  the  poem 
bears  ihe  following  tille  :  t  De  Babione,  et  croceo 
domino  Babionic,  et  Viola  (iliastra  Babionis,  quant 
Croceus  dilexit  invita  Babione,  el  Pecula  uxore  Ba' 
bionisel  Fodio  servo  ejus.  >  tWiuciiT,  Eatly  niyatc*- 
ries,  Préf  >  p.  xiv-xvi.) 


1295 


BAB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAR 


1206 


du  théologien  anglais  Pierre  ou  Ci. Babyon,  selme,  on  le  croit  île  Pierre  Babion  qui,  au 

lui  a  fait  supposer  que  le  titre  de   Comœdia  rapport  de  Posseviîi  (  Appar.,  sacer.,  t.  II, 

Babionis  se  rapportait  à  cet  écrivain  duxiv'  p.  240.),  florissait  vers  1360.  Il  est  facile  de 

siècle.  Baie  s'exprime  ainsi  d'après  lui  :  s'en  assurer,  car  on  trouve  à  la  Bibliothèque 

«  Pierre  Babion,  écrivain   très-élégant  et  royale  de  Paris,  manuscrit  n°  4123,  un  com- 

poëte  remarquable,  se   distingua  parmi  les  mentaire  sous  le  nom  de  Babion,  qui  com- 

savants,  de  manière  à  mériter  l'admiration  mence    par  les  mêmes  mots  que  celui  sur 

de  tous  les  âges.  Très-jeune  encore  il  excel-  l'Evangile  de  saint, Matthieu.  Babion  a  écrit 


lait  dans  la  poésie...  D'esprit  vif,  d'invention 
heureuse,  plein  de  grâce  et  de  majesté,  il  a 
laissé  un  nom  parmi  les  théologiens  par  ses 
discours  et  ses  commentaires.  Ses  écrits  sont, 
d'après  le  catalogue  de  Boston  de  Bury  :  Ex- 
position sur  saint  Matthieu; —  70  sermons; 
—  une  comédie  en  vers;  — Sur  l'office  de  la 

Messe;  —quelques  homélies  ;  —  et  diverses     Thomas  Smith  et  avec  lui  Warton,  le  grand 
poésies.  »  historien  de  la  poésie  anglaise, répètent  celte 

Boston  pense  qu'il  vécut  auxiv'siècle  (797).     absurdité  (800). 

John  Pits  (  De  illustr.  anglic.  scrip.  ,  Le  temps  môme  où  ces  critiques  anglais 
p.  406.)  reproduit  les  erreurs  de  Baie;  supposent  que  vécut  le  prétendu  Babyon  de 
Tanner  (798),  dit  :  la    Comœdia  Babionis  est    une  erreur,  ainsi 


encore  des  sermons  sur  divers  sujets,  dont 
les  copies  subsistent  dans  les  Bibliothèques 
d'Angleterre.  Il  vivait  vers  1320.  Jean-Pit- 
seus  (De  illustr.  Angliœ.  scriptor.)  en  fait 
mention  (  œtate  xiv,  Adam,  1317,  scriptore 
462,  p.  406). 

Enfin,   outre  Bury,  Pits,   Baie  et  Oudin, 


«  Babyon  (Pelrus)  Anglais  de  nation,  rhé- 
teur et  poète  remarquable,  a  écrit  : 

«  Un  commentaire  sur  saint  Matthieu  qui 
commence  au  livre  I,  par  ces  mots:  «  Domi- 
nus  ac  redemptor  noster,  etc.  » 

«  Des  sermons... 

«  Unecomédieen vers...mss.,l° Bibl.Bodt. 


que  le  prouve  la  note  suivante 

«  Bibliothèque  de  Laon. 

«109,  in-4°  sur  velin. —  (Glossœin  No~ 
vum  Testamentum)x\i'  et  xm°  siècles. — Pro- 
vient de  l'abbaye  de  Vauclair.  Sur  les  feuilles 
de  gardes,  au  commencement  et  à  la  fin  du 
volume,  sont  les  pièces  suivantes  :  n"  7,  In- 


Arch.  B.  52.—  2°  M.  Cotlon,  titre  A,  XX,30,      cipiunt  glose  G.  Babionis  super  Matheum  Do- 


«  Un  livre  sur  l'office  de  la  Messe. 

«  Quelques  homélies. 

a  Des  vers. 

«  Il  vivait  en  1317. 

(Cf.,  Bal.  vi,  23  v.  Pits,  p.  406.) 

Le  savant  C.  Oudin  n'échappe  pas  aux 
mêmes  erreurs  (799). 

«  Pierre  Babion,  dit-il,  Anglais,  qui  vécut 
au  xive  siècle, fut  élevé  dès  la  plus  tendre  en- 
fance par  les  meilleurs  précepteurs  dans  le 
commerce  des  lettres  ;  il  se  fit  un  nom  dans 


minus  ac  redemptor  noster.  Commentaire  im- 
primé parmi  les  œuvres  de  saint  Anselme, 
t.  III.  j).  799,  Oudin  nomme  l'auteur  Pierre 
Babion,  et  le  fait  vivre  au  xiv'  siècle  (801)  » 

En  Allemagne,  Possevin(802),Leyser  (803), 
reproduisent  les  indications  erronées  des 
savants  anglais. 

La  critique  moderne  évite  le  piège.  Avant 
même  que  Je  texte  du  Babio  ait  été  publié 
et  sur  la  seule  indication  du  titre.  M.  Ma- 
gnin,  dans  son  cours  professé  a  la    Faculté 


la  suite  par  son  habileté  dans  l'explication  des  lettres, en  1835,  citant  la  pièce  deBabion, 

des   livres   saints.    Boston  Bury,   dans  ses  l'indique  comme  une  œuvre  mal  attribuée  h 

écrits,  restés   manuscrits,  sur  les  écrivains  l'Anglais  Babion;  évidemment  l'on  a  prisa 

d'Angleterre,  lui  attribue  le  Commentaire  sur  tort  le   nom  de  l'un  des   personnages  de  la 

l'Evangile  de  saint  Matthieu,  commençant  par  comédie  pour  celui  de  l'auteur.  (Cf.  Journ., 

ces  mots  :  Dominus  ac  redemptor  noster,  qui  gén.,  de  l  inst.,publ.,  1835,  29  nov.,  p.  67.) 

a  été  imprimé  à  "Cologne  en  1573,  chez  Ma-  Mais  il  semble  douteux  au  savant  critique 

terne-Cholin,  avec  les  œuvres  de  saint  An-  que  cette  pièce,  née  au  milieu  de  la  renais- 

selme  de  Cantorbéry,  et  dans  toutes  les  an-  sance  de  la  littérature  érudite  du  xui'' siècle, 

ciennes   éditions  du    même  saint,  jusqu'à  ait   pu  être  jouée,  sauf  peut-être   dans  les 

celle  donnée  à  Lyon  parle  P.  Théophile  Ray-  universités. 

naud,  in-fol.,  1630,   purgée  de  tous  les  mé-  En  1838,   M.  Wright  donne  enfin  le  texte 

moires  étrangers.  Ce   commentaire  n'ayant  du  Babio,  d'après  les  trois  manuscrits  con^ 

ni  Je  style  ni  le  caractère  du  commencement  nus.  11  indique  la  fausse  attribution  du  Ba- 

du  xn*   siècle,    époque   où  vivait  saint  An  bio  au  théologien  anglais  Babjon  (804),  mais 


(797)  loann.  Bale.,  Sudovolgio  Anglo,  Ossoriensi 
ap.  Hibern.  episcope,  Scriptorum  illustrium  maioris 
Brytannie....  Calalogus;  Basileae,  loann.  Oporiii., 
4559,  in-fol.,  cenluna  vi,  n°  25,  p.  467. 

(798)  Thomas  Tannerus,  episcop.  Asapliens.  Bi- 
bliotheca  britannico  hibernica ,  sive  de  scr....  Com- 
menlnrius,  Londini,  Guill.  Bowyer,  1748,  in-fol., 
\°  Babyon. 

(799)  Casimir  Oudkn,  Commentai-,  de  scr.  Ecclesiœ 
antiq.  ;  Francforl-sur-le-Mein,  1725,  in-fol.,  3  vol., 
I.  III,  col.  799. 

(800)  Cf.  Thom.  Sm.,  Catalogus  ;  Warton's,  Ris- 
tory  of  Engl.  poelr.,  t.  Il,  p.  65,  3e  édition. 

'80IÏ  Calai,  gén.  des  Bibl.  des  Dép.;  Paris,  1849, 


in-4»,  t.  1er,  p.  95. 

(802)  Apparatus  Sacer,  t.  II,  p.  240. 

(805)  llist.  poel.  med.  œvi,  p.  1144. 

(SQiÎThcComœdia  Bab;o)iis,asirel\  ;is  Ihe  Geta,ha\e 
frequenlly  been  looked  upon,  by  those  who  had  not 
examined  lliem  closely, as  dramalic  pièces,  and  Iiavc 
been  more  ihen  once  a  snbject  of  controversy.  Ail 
doubt  inusl  now  be  exlinguished  by  iheir  publica- 
tion. But  tbe  lirst  oi  thèse  two  pièces  bas  been  the 
snbject  of  a  slill  grealer  niislake.  John  Bale,  and 
aller  him  Pils,  and  olhers,  look  the  lillle  of  this 
poem  liom  the  Cotlon  nis.  wilhoul  reading^any  far- 
llier,  and  inlerpreted  ComvBdia  Babionis  as  meaning 
a  comedy  written  by  Babio;  and  the  naine  of  Pelrus 


$297  BAB 

il  émet  l'avis  que  ]eBabio  et  le  Gèta  sont  du 
même  auteur. 

M.  Bruce-Whyte  constate  que  le  Babion 
n'est  point  une  copie  ou  une  refonte  d'une 
pièce  antérieure  ;  le  Gèta  au  contraire,  est 
calqué  sur  Y  Amphytrion  de  Piaule.  «  Le 
Babio  ,  ajoute-t-il  ,  pour  l'humeur  comi- 
que et  la  netteté  avec  laquelle  les  carac- 
tères sont  dessinés,  est  peu  inférieuràPlaute 
et  surpasse  considérablement  la  plupart  des 
productions  du  moyen  âge  sons  le  rapport 
delà  latinité.»  Après  cet  éloge,  M.  Bruce- 
Whyte  remarque  que  ce  drame,  quoique 
original,  présente  un  grand  nombre  d'imita- 
tions serviles  de  Piaule  et  de  Térence.  Mais 
la  scène  entre  Babio  et  Fodius,  à  propos  des 
préparatifs  du  festin,  est  écrite  avec  une 
verve  humoristique  inimitable.  Le Dimidium 
gallinœ  n'aurait  rien  d'égal  dans  Piaule 
bu  Molière.  Quant  à  la  date,  il  déclare  im- 
possible de  la  fixer:  toutefois  il  faut  noter 
que  Gower,  qui  écrivait  vers  l'an  1380,  donne 
uno  esquisse  du  Babio  dans  sa  Confessio 
umantis  et  que,  dans  la  table  de  ses  poëmes, 
édition  Berthel  (London,  1532,  in-foL), il  est 
fait  mention  de  Babio  en  ces  termes:  Hoive 
(lie  Romayne  nigarde  called  Babione  was  de- 
ceyved  ofliis  fayre  love  Viola  by  the  liberatie 
and gentelnesse  ofCroceus.  Au  xvi*  sièc'e,  l'é- 
diteur de  Gower  rapportait  donc  l'histoire 
de  Babio  à   une  époque  romaine. 

L'Histoire  littéraire  de  la  France  (t.  XXII) 
en  dernier  lieu  s'est  occupée  du  Babio.  L'ar- 

Babyon,  who  is  sa'ul  lo  have  been  an  Englishman  ami 
a  ibeologian,  is  lurnecl  very  uneëremoniosly  inio 
lliat  of  a  poet  also.  <  (Earlu  mysteries,  Prêt., 
p.  xiv-xvi.) 

(805)  COMOEDIA  BABIONIS. 

(«) 

Me  dolor  infestai  foris,  inlus,  jugiter  omnis, 

{Jllra  si  doleam,  non  ego  ferre  queam. 
Causa  quid  est,  laceo  :  sed  ohesl  lacuisse  dolorem  ; 

Quîc  laiet,  ut  référant,  plaga  salule  caret. 
Cui  relegara(o')  non  est,  non  eslcui  fidere  possum  ; 

Alba  nec  est  cornix,  lida  nec  alla  (kles. 
Hein  delegi  (b)  limeo,  timeo  ne  fabula  fiam. 

In  capuii  (c)  hoc  malo  clava  trinodîs  cat. 
Rem  releram  (d)  mecum,  soli  miclii  (e)  lidere  possum  ; 

Sed  quis  bic  est?  sonuii  vox  sua,  cerno  virum. 
Profuit  liin  lacuisse  (f)  miebi,  tenuisse  dolorem  (g); 

Profuil,  uldidici,  lendere  colla  grui. 
Sed    (/<)   quis   adesl?  fallor.    Fallit   dolor  ipse  do- 

[lenles  :  — 

Acccdam  propius  (i),  est  canis,  ecce  latrat! 
Care  Melampe,  lace  ;  slipis  hesternae  memor  eslo; 

Babio suin  :lalra,care  Melampe,  minus. 
Ecce  canis  transit,  sed  adliuc  dolor  isie  remansit; 

Est  individuus,  mobilitate  carens. 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAB 


MD8 


411.) 


(a)  BABIO. 

(a*)  Hcferam.  (Leçon  de  M.  Bruce  Whyte,  p. 

lu)  Dflpgi.  (Leçon  de  M.  B.  W.,  ibid.) 

(c)  l'.apul.  (B.  \V.,  ibid.) 

(d)  Relevai,  dans  le  Ms.   Bodléien.  M.  Bruce  W'hytc, 
en  la  donuani, déclare  celle  leçon  mauvaise. 

(e)  Milii  pour  michi,  partout  où  le  mot  se  rencontre. 
(B.  \V.,  passim.) 

(/")  Milii  lenuisse  dolorem.  (B.  W..  p.  412.  ) 
(g)  ïacuisse  loquelair,.  (Ms.  B.  )  Leçin  déclarée  mau 
%ai>>e  par  M.  B.  W.,  ibid.) 
(h)  Si.  (Idem.) 
(«)  Accédât  proprius.  (Idem.) 
(j)  De  siola.  (Id.) 


ticle  est  de  M.  Leclerc.  Cet  écrivain  débute 
par  remarquer  qu'au  moyen  Age,  de  même 
qu'aux  anciennes  époques  des  Grecs  et  des 
Latins,  les  remaniements  de  pièces  de  théâtre 
ne  sont  pas  inconnus,  ce  dont  YAulularia,  le 
Gèta  sont  la  preuve.  Le  Babion  toutefois  ne 
paraît  pas  venir  de  l'antiquité;  mais  si  elle 
y  était  pour  quelque  chose,  elle  serait  sin- 
gulièrement défigurée.  Ce  n'est  qu'un  récit, 
nullement  un  drame,  quoique  les  scènes  y 
occupent  une  grande  place,  et  que,  dans  le 
manuscrit  Cotlonnien,  les  noms  des  person- 
nages soient  indiqués  à  la  marge.  Pour  con- 
clure, M.  Leclerc  jette  cette  phrase  dédair- 
gneuse  :  «  Tout  cela  est  fort  insipide  :  un 
style  qui  ressemble,  mais  avec  plus  d'incor- 
rections, à  celui  du  Gèta,  non  moins  de  fau- 
tes de  prosodie,  une  copie  très-altérée, 
ajoutent  encore  à  l'ennui  de  ce  mauvais 
drame.  »  Il  est  évident,  par  la  légèreté  de  ce 
jugement  queM.  Leclerc,  versé,  si  l'on  veut, 
dans  la  connaissance  du  latin  des  bons  temps, 
ignore  la  langue  de  la  barbarie,  en  fait  natu- 
rellement fi  sans  la  connaître,  et  n'a  pas  pu 
lire  le  Babio. 

Sous  ce  titre,  il  y  a  deux  actions  distinc- 
tes qui  forment  un  drame  en  deux  journées, 
ou  deux  parties. 

PREMIÈRE    ACTION  (805^ 

PERSONNAGES. 

n 

Babio,  Croceus 

Vue!  Viola  0')!    Doleo,  non  aller  id  audiat  ullus: 

Eu  (k)  !  petit  banc  Croceus,  cor  petit  ille  meum. 
Non  dabo  ,  nec  dabitur  ;   Croceus  petit ,  hanequo 

[negabo; 
Sed  formido  preces  principis  esse  minas. 
Banc   dabo,  si  dicam,  morior   (l);  rapui  miclii  vi- 

[tam  (m)  : 
Si  dala  non  fuerit,  mors  (n)  michi  finis  erit. 
En  (o)\  moriar,    miclii  sit   limor,  hinc  amor,,  Ilinc 

[homicida. 
Sed  (p)  non  sum  (</)  limidus,  prastat  amure  mori. 

Sed,  Babio,  lepus  es,  et   mers,  si  te  bene  novi  : 

Amens,  si  libi  mus  parvus  oberrat  (s),  eris. 
Egi  miraïamen;  fuimus  très,  parait  umbra,  — 

Spes  erat  esse  lgpum,  mus  erat  ille  brevis. 
Fitiuga,  percurrunt,   sequor  hos  limido  pede  clau- 

[dus  : 
Laus  est  dum  fugimus  tardius  esse  michi. 
Qua  rationequeam  Viola  caruisse  sodali; 
Ejus(0  in  ore  favum  mellilicalis  apes; 
Skiera  sunt  oculi  ;  quales  fers,  Pboebe,  capilli  ; 

Pbillis  inest  digitis,  in  pede  pes  Tbelidis  (u) 
Feil   Ilclenye  faciem  ,    gracilem   praicincta  (v)  Co- 

[rinnam, 


leçon  non  admise.  ) 
sed  melius  :  rapilur 


(k)  «  Eu.  {Id.) 
(/)  Moriar.  (B.,  ibid 
(m)  Sic  uterque  mss 

(W.) 

(n)  C.rux. 
\o)  Ku. 
(P)  |-m 

(r)  Babio  ad  seipsum.  (Ms.  Coiton.)  —  (M.  Wn.) 

Is)  Oberret. 

(t)  Cujus. 

(«)   Taidis.  (Tliaidis.)  (B.)  . 

(v)  Dubiuslocus.  In  B.  legitur  precuncla;  in  l* 


mihi    vila. 


n  ugfr. 


Î299 

EtTALI 
C.UL1 

Bavj 


BAB 

serviteurs  de 

|   Croceus. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAB 


1300 


Pecula,  femme  de  Bubio. 
Viola,  sa  belle-fille. 
Fodius,  son  serviteur. 


Le  vieux  Babio  s'est  épris  c.  amour  pour 
ceus  décide  de  son  sort  en  l'arrachant  ù  la 


la  belle  Viola,  qui  favorise  en  secret  l'amour 
de  Croceus,  propriétaire  du  domaine  que 
régit  Babio.  Obligé  de  lutter  de  ruse  avec  son 
beau-père  qui  veut  disposer  d'elle,  Viola  ne 
repousse  point  les  tendres  épancbemenls 
du  vieillard    atrabilaire,  et  attend  que  Cro- 


Meridiem  risu,  dente  eoequal  ebur. 
Talem  cum  videat,  felix  cui  langere  l'as  csl; 

Tîiura  die  redolel,  balsama   nocte  sapit. 
Tota  nilet,  Viola;  niteat  si  peclore  fida! 

Sed  (a)  mecum  nianeal;  si  procul  ire  negct. 
Dum  Croceo  Violœ  sunl  convenienlia  nulla, 

'4jt  color  est  inipar,  sic  fore  corda  precor. 
Ibo  (b),  loquar,  nilar  fragilem  fmnare  puellam, 

Sed  solidum  fragile  non  eril  esse  levé. 
Flos  Viola  (c),  Viola?  floris  viror  inviolali 

Effigies  veris,  meridiane  décor; 
Gemma  lui  generis,  felix  genilura  parcnlis. 

Si  non  invideanl  nnmina,  pêne  dea. 
Plus  Viola  florens,  Viola,  plus  flore  reccnti, 

Pins  precio  piscslans,  plusque  décore  dccens. 
Et  quid  Denoneo  Croceo  plus  inclyla  flore? 

Cujus  si  spernas  nomina.  salvus  ero. 
Cum  te  non  genui,  geuito  michi  carior  omni, 

Filia  cum  non  sis,  filia  plusque  michi. 
Stabis  (d),  an  abcedes  (e)?  Si  slas,  tune  vivere  pos- 

fsum: 

Si  cedis  (/")»  nequeo  :  —  Tu  mea  fala  tenes 
Pulcra  liccl  Croceo  ,  deformis  sil  michi  forma  , 

Non  Paridem  superat,  non  ego  mouslra  sequor, 
Et  piper  cligilur,  et  vellera  nigra  legiintur, 

Etnix  cum  maneal  (g),  esse  molesta  solet. 
Esto  mictii  domina  ,  salvo  libi  subdar  (li)  honore  , 

Vult  fore  rex  Croceus  ,  Babio  servus  eril. 

(0 

Quid  michi  cum  Croceo?   Sibi  quam  vult  cligai  (j) 

[iHe; 

Vi,  prece,  vel  prelio,  non  ero  pignusei. 
Auro  si  pascal,  Tyric  (k)  si  me  tegat  oslro , 

Orbem  si  michi  det,  non  michi  carus  erit. 
Occidt't  ante  polus.'pelagus  siccahilur  ante, 

Ouam    Babio,  Viola  derytel  esse  tua. 

v      c  W 

Vita  foret  sine  te,  mors  est  michi  vivere  lecum  , 
Nunc  utinam  rapiar,  est  mora  pœna  michi. 

INox  mea  nunc  abiit,  michi  nunc  in  mente  diescU(«), 
Jaclatum  pelago  me  modo  (o)  poilus  habei. 

Dos  michi   nulla  (p)   deest,    Croesi  sum  dives  ad 

[instar, 
Liber  ut  Augustus,  plus  Jove  pêne  potens. 

Sum  lotus  felix  ,  si  nox  la^  est  ista  tidelis  ; 


(a)  Si. 

(b)  Ho. 

(c)  Babio  Violœ.  (M.  Wright,  Didascalie  des  Mss.) 
(<t)  Babio. 

(e)  Abscedes. 

(/")  Cèdes. 

(g)  Etnix  cum  nileat.  (Ms.  Cotton.)  —  (M.  Wbight.) 

(//)  Subter. 

(i)  Viola  Babioni.  {Didascalie  donnée  par  M.  Wn.  i 

(;')  Eligit. 

(fc)  Tirio. 

Il)  Viola  ad  se.  (Didascale  M.Wn.) 

(m)  Babio  ad  se. 

(«)  Babion...  irompé..  donne  un  libre  cours  à  sa  joie, 
dans  un  discours,  adressé,  comme  cela  esl  indiqué  en 
marge  dans  le  manuscrit,  en  partie  à  lui-même,  en  par- 
lie  à  Viola,  qui  prolile  de  l'occasion  pour  s'esquiver.  — 
(M.  B.  W.,  p  414.) 

(o)  Meus.  Sic  in  ms.  mendose. 

(p)  Nulli. 

(g)  Mox. 

(r)  A   Viola  dont  il  n'a  point  remargué  la  fuite.  (M. 
B.  W.  ) 
(*)  Quis.1 


Sum  felix  lotus ,  si  libi  par  sit  opus. 

(0 
Osc.ila  multa  dabis  ,  data    ssepius  hic  iterabis  : 

Oris  turribulum  spar^it  aroma  lui. 
In  lare  quid  (s)  soiniil?  Michi  lit  prurilus  in  aure; 

Bumores  aderuni  :  det  Deus  esse  bonos!  (t) 

(K) 

Multa  satis  numéro  michi  nunc  gradiunlur  aralra, 

Ad  libitum  fiant  amodo  seela  michi. 
lloslis  abil  Viola,  Peculam  securus  habebo, 

Post  Violam  poiero  liber  adesse  dolo. 
Ha  ne  odi,  nosiros  nam  semper  comperit  aclus 

Jam  non  insidias  qui  michi  tendat  crit. 
Rem  referam  Peculœ 

M 

Croceo  ma  filia  nubet. 

Vi  iota  sit  ut  id  nilere;  nitarego. 
Ilostia  (x)  rétro  steti  ,  Violam  lestudo  ht)  lenebat, 

Sic  Babio  Vioke,  sic  ea  dixil  ei. 
Inlulii  ad  noslra  la li tans  audiia  recepi 

Del  Deus  hinc  lollat!  plus  gemo  morte  moram. 
Ecce  domus  lenel  hune;  quidnam  gérai,  ibo ,  videbo, 

Audio  murinur  ibi,  murmura  pondus  habeut. 

(*) 

Ecce  venit  Croceus,  Violam  vult  ducere  nuplam, 

Ducere  vull  Violam,  me  premal  ense  prias. 
(aa) 
Fide  Fodi,  propera;  bovis,  hinc  procul  eice  {bb)  IW 

|  muni , 

Spargat  mundalam  (ce)  rite  papirus  liumum; 
Ligna  slruanl  ignem,  circumdant  (dd)  fœna  coronani, 

Hinc    sedem    cumulam  (ee)t  fultra  {(f)   deinde 

[•loca. 
Accelerate  coquos  (gg),hc  splendida  cœna  parclur, 

Macia  galliiiain  ;  sed  nimis  esse  pulo. 
Dimidium  serva  ,  Croceo  pars  altéra  delur, 

Quale  soles  sociis  fac  oins  alquc  fabas. 
Ecce  bonus  quadrans,  eme  panes,  pocula ,  pisecs; 

Non  opus  esl  tanlum  promere,  prome  lamen. 
De  thalanio  Pecula  facexeal,  liosque  salutel; 

Fac  laleal  Viola,  silqne  reclusa  sera. 
Oicurram,  vullusque  bonos  conabor  habere  ; 

llospitibus  vullus  quis  scil  habere  bonos? 
(//A) 
O  Babio  !  bubo  bubonc  perosior  omni  ! 

Cum  quadrante  luo  fœda  sub  an  ira  fores  (»') 

(l)  Il  sort.  (M.  B.  W.) 

(«)  Fcdls.  (,Vs.  Cott.  —  M.  Wr.) —Fodius  q'i,  ca- 
ché derrière  la  porte  a  loul  entendu,  entre. —  (M.  B. 
W.) 

(d)  Pecula  entre  ou  plutôt  se  rapproche  de  Fodius.  M. 
B.  W.)—  Fodius  Petulœ.  {Ms.  Cou.)  —  M.  Wa.) 

(x)  Ustia. 

(y)  Teslitudo.  (Cott.)  —  (M.  Wr.) 

(z)'Babio.  (Ms.  Coll.)  —  (M.  Wn.)  —  M.  Bruce  Wliite 
explique  ainsi  ce  jeu  de  scène,  «  Là-dessus,  ils  guitten'. 
scène,  et  l'on  voit  Babio  et  Fodius  en  conversation  dans  w 
autre  coin  du  théâtre,  rcpréseniani   l'intérieur  de  la  mai 
son  de  Bubio. 

(aa)  Babio  Fodio.  (M.  Wa.) 

(bb)  Ejice.'«  Eice.  in  ms.  de  more.  »  (B.  W.) 

(ce)  Mundalum.  (Velus  consueludo  pavinientum  jun cis 
sternere.  »  ) 

(dd)  Circumuent. 

(eej  Ciuulam  ,  in  mss.,  Forsilan  pro  slridulam.  (  B. 
W.) 

(ff)  Fulcra. 

(gg)  Accelerare  cocos 

(hh)  Kodhis  Bnboni.  (Cott.)  —  (M.  Wn. 

(ii)  SubaDlur  fores  mendose. 


1301 


BAB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAB 


130Î 


tutelle  de  Babio.  G'est  ce  qui  arrive  en  effet: 
sa  maison  est  envahie  par  Croceus  et  ses 
serviteurs,  qui  déguisent  d'abord  leur  des- 
sein, puis  finissent  par  enlever  Viola,  au 
suprême  deuil  de  Babio,  qui  reconnaît  alors 

0  quales  epulae!  brevis  aies  (a)  dimidiatur  ; 

Caufibus  aique  fabis  quam  bene  slabit  hymen! 
Semper  eris  quod  eras,  tribiilus  non  defereluvas! 

Cum  fueril  largus  fiel  asellus  equus  (b). 

En  video  Croceum;  praeil   Euialus ,   hune  que  se- 

[quunlur 

Venlripotens  Gulius  et  Bavo  vasa  vorans. 
Bis  duo  (d)  !  quis  l'eret  haec  ?  legio  sil  !  vse  Babioni  ! 

Euialus  et  Croceus,  Gulius  atque  Bavo 
Dent  digili  numerum  ;  ni  fallor,  unus  el  aller 

Terlius  et  quarlus:  vix  numerare  queo. 

(«) 

Domne  meus,  Croceus,  valeas!  valeantque  cohor- 
tes! 

Heu  (/")  michi!  duo  va'e  dicere  posse  velim. 
Os  animum  sequitur  (g),    Salhanœ  sinus  esse  re- 

feuso  ; 

L)et  Deus  ul  prosit,  sitque  faceta  salus. 
Pax  lihi!   paxque  luis!  lelix  sors  vos  lulit  ad  nos, 

Est  bene;  non  adeo  ruslicus  est  Babio. 
Non  parce  ,  doleo  vos  hue  tain  rafo  venisse. 

(Tràns  Alpes  vellem  vos  modo  ferre  gradum.) 
Inlreinus  ;  sedile  ;  maie  dixi;  dico  sedete; 

Erre  per  insolitum  grammalizare  volens. 
Nosco  tainen  logicam  ;  bene  pnemediiando  probabo 

Quod  Socralcs  Socrates(/«)  et  quod  homo  sil  homo. 
Caie  inagisler ,  ades,  ait  unus  falsa  loculus  ; 

Dicere  quod  docui,  care  magister,  veni. 
Deuluraquae  (i)  manibus;  infuudiie;  ponitemensam  : 

Doitipne,  sedete,  precor  ;  plebsque  deinde  tua. 
Fei  te  fabas  el  olus  ;  sociis  sinl  fercula  lanla 

G.allinse  Croceo  crus  sit  el  ala  cibi  (j) 
Cum  salîatus  erit ,  sibi  quisque  superflua  sumat , 

Euialus  el  socii ,  Gulius  aique  Bavo. 
Eulale,  quando  bibes? 

Bavo ,  non  bibis  ; 

Ebibe  Guli. 

Quam  maie  vos  bibilis? 

(In  mca  dampna  loquor.) 

(k) 
Domne  meus,  comede  ;  quia  agis?  Facilo  prior  (/) 

(m)  [olïas. 

(FIlimus  oro  cibi  (n)  offa  sit  ista  libi  !) 
Tollite;  suffecit,  datelympham,  morefaceto,  '■ 
Vull  medicus  lavacrumprandia^quœque  sequi. 

(°) 
Quam  polis,  repelo,  Violam  volo,  nolo  negelur, 

Introeat;  venial  ;  cur  Iatet  ?  (p) 

iEgra  jacet. 

Non  limor  esl;  venial;  veniat,  pax  est  el  abibil. 

jEgrajaces,  Viola?  Si  pôles,  intro  veni. 

(«)  Sales,  in  mss.,  mendose. 

(b)  Equs,  pro  equus,  al  semper,  in  mss. 

(C)  Babio.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(d)  Aisduo? 

(e)  Bab.o  Croceo. 

(f;  Clam.  (Didascalie  du  Ms.  C.)  —  (M.  Wr.) 

(g)  Os  anuin  seq.  Coilon. 

(U)  Q'iod  sortes  sortes.  {Coït.)—  (M.  Wr.) 

(i)  yKquae. 

(;)  (Sibi?) 

(k)  Babio  Croceo,  (Wr.) 

(I)  Facilo,  precor. 

(m)  Clam.  (Wr.) 

(n)  Cibus. 

(o)  Cro,  eus  Bab'oni. 

(p)  Glose  de  M.  Bruce  Win  te  -.Croceus  s'informe  de 
Viola  qu'il  faut  supposer  dans  une  chambre  conligue  à 
celle  du  repas,  1 1  Babio  répon-1  : 

(q)  Viola  entre  el  Babio  lui  dit.  (B.  W.) 


les  ruses  de  celle  dont  il  s  est  quelquefois 
cru  aimé;  il  lâche  de  se  consoler  en  se  ra- 
battant sur  les  vertus  de  Pécula  sa  femme. 
Là  s'arrête  la  première  action. 


Non  venies  ulinam;  sis  quolibet  ;egrior  œgro  ; 
Sed  non  ibis    habeal  femina  si  qua  (idem. 

M 

Sil  Croceo  Viola  ;  flos  hune,  fins  dénotât  illam; 

Sic  similis  simili,  consona  nulla  magis. 
Non  negal  hoc  Pecula  :  non  hoc  nego,  prospéra  nuWa 

Sinl  nobis;  mulier  fœdida ,  serve  nequani. 

(') 
Vis  Croceum,  Viola? 

(0 
Volo,  si  vis. 

(") 

Quid  michi  velle? 
Quod  vis  ipsa  velis,  hoc  michi  velle  nolo  (v) 
(x) 
Fumus  obest  oculis  noslris ,  hinc  tollite  fumum; 
lias  lacrymas  ,  Viola  ,  lu  facis  esse  michi. 

(y) 

SurgUe,  sancla  domus,  molœ  subternile  mulum; 
Pax  libi  sit,  Babio!  te  que  valere  precor! 

O)    t 
O  maie,  pax  non  est  cegro  (aa),  vale  Babioni; 

Vix  vivo;  lalis  passibus  intro  necem. 
(bb) 
Hoc  paleris  Pecula?  rapilur  libi  filia;  substas  ? 

Tu  1er  (ce)  Amazonia  forliter  arma  manu, 
(dd) 
Curre,  Fodi  ,  pugua,  fuuda  (ee)   stans  eminus  ular  : 

Cominus  hos  premite,  saxa  roiando  sequar. 
Sislile,  nonnisi  très  sumus  hue;  mulier  maie fortis, 

Pêne  puer  Fodius  ,  pêne  senex  Babio. 
Quam  procul  a  jaculis  convicia  sunl  Babionis! 

Nun  didici  facile  vulnus  habere  minas. 
Ilostes  si  laies  sentisses  Troja  ,  maneres  ; 

Nec  râpèrent  Danai  Tyndaridem  Paridi.  — 

(If) 
Jam  Violam  violât  Croceus,  ludumque  ibi  pareil; 

Abdila  jam  traclat;  pelle  nefanda  nephas. 

(99)  r 
Vi  pateris,  Viola  :  sed  vis  est  facla  voluntas 

Non  procul  esl  eliam  quodque  sil  inter  eos 
Quodposui,  tulit  hic;  sévi  sala;  messuit  aller  ; 

Excussi  dumos ,  occupai  aller  aves  (hh) 
Vivo  carens  anima  ;  lulii  hanc,detollituu  illa  :  (ii) 

Miror  quod  vivo  non  animalus  homo. 
Babio  sum  :  non  sum  ;  perii  dudum,  loquilur  quis? 

Babio,  more  novo ,  non  ego  sum  quod  ego. 
In  nil  ex  nichilo  redii,  vellem  nichil  esse  ; 

Esse  queror  quicquam,  nec  querar  esse  nichil. 
Fœmina  feeminei  cordis  non  desinit  esse, 

Non  cor,  at  omnis  habet  fœmina  corda  duo. 
Fœmina  quœque  vecors ,  linguam  gerit  ore  bifur- 

|cam  ; 

(r)  Fodics.  (Coït.)  —  (M.  Wb.) 

(s)  Babio.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(0  Viola.  (Coin 

(u)  Babio.  (Coll.) 

(v)  Volo. 

(x)  Babio  lacrifmans.  (Coll.)  —  (M.  Wr.). 

(y)  Croceus.  (Coll.)  —  (M.  Wr.)  Croceus  se  lève  et 
emmène  Viola  ;  Babio  appelle  alors  Pecula".  (M.  B.  W.) 

(2)  Babio.  {Coll.)  —  (M-  Wr.) 

(aa)  /F.gruro.  Ms.  (M.  Wr.) 

(bb)  Babio  Peculœ.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(ce)  Inler. 

(dd)  Babio  Fodio.  (Ms.  Coll.)  —  (M.Wr.) 

(ee)  Fundo. 

(ff)  Babio  secum.  (M.  Wr.) 

(gâ)  Babio  Violœ.  (M.  Wr.) 

(tin)  livas. 

(ii)  Babio,  enfin  convaincu  de  laduplicité  de  Viola,  dé- 
bile une  violente  Urade  contre  le  beau  sexe. ..'M.  B.^  .) 


1303 


BAB 


DICTIONNAIRE  DES  M\'STERES. 


BAB 


1304 


SECONDE  ACTION. 

PERSONNAGES. 


La  Renommée, 

B  A  BIOS, 

Fodius, 


Pecula, 

Amis  de  Babion, 

Serviteurs. 


SCÈNE  I 


BABION,    FODR'S. 

babion.  Or  ça  !  Fodius,  il  faut  mourir.  Ne  bouge 
d'ici.  Mets-toi  la  corde  au  cou. 

Ex  Viola  dupliei  lalia  disco  loqui. 
Quis  Violse  credet,  et  quis  non  crederct  illi , 

Non  credat  Croceus,  si  michi  crédit,  ei. 
Ut  lumen  tenebris  sub  noclibus  obviât  alris 

Sic  alie  (a)  Peculam  prœposuere  sibi. 
Nec  Violam  sequitnr;  haec  fallax,  illa  fioelis: 

Haec  nox  ,  illa  dies  ;  lisec  rubes,  iUa  rosa; 
Haec  lupus  ,  illa  bidens  ;  haec  serpens ,  iila  columba  ; 

Haec  levis  ,  illa  gravis;  haec  dolor,  illa  decus. 
Senlibus  (b)  in  mediis  genuii  lupus,  edidit  aspis, 

In  inedio  baralri  fovil  Erinnys  eam. 
0  quain  dissimiles!  haec  junior,  illa  senescens, 

Trila  magisque  recens,  plusque  minusque  decens. 
Non  genus  utgenitrix;  oleum  sic  promit  amurcam, 

Vina  luem,  lineam  lela  (c)  latex  laticem. 
Pénélope  Pecula  non  aliera  ,  pêne  sed  ipsa, 

Ipsa  pudicilia,  peneque  major  ea. 
Sic  peculam  Pecula  ;  nil  mobile  ;  nil  levé  sentit  ; 

Pêne  vir  esse  poiest ,  fœniina  plena  viro. 
Pénélope  Pelula  (sic)  pielate  ,  pudore  Sabina  , 

Labia  munda  situ  ,  Marcia  fida  fuie. 
Hanc,  Babio  ,  recolas,  buic  fœdera  débita  solvas  , 

Totus  in  bac  plaudes  amodo  fidus  ei... 
(d) 
(806)  Plebs  (e),  Babio,  récital  Fodio  Peculam  pa- 

[luisse], 

Ilosque  (f)   genu  quarto  connumerasse  genus. 
Pristina  si  memores,  si  menle  moderna  volutes, 

A  Fodio  Fodium  res  probat  esse  procul. 
Pauper  erat  Fodius,  facie  tennis,  pede  nudus 

Crine  malus,  liitcus  corpore,  veste  lacer. 
Mutatur  subito,  facie  pinguis,  pede  complus  (g), 

Crine  decens,  mundus  corpore,  veste  nitens. 
Splendidus  incedit,  bumeros  lâna  ardua  spécial, 

Verbis  magniloqnus,  arlibus  est  minimus. 
Lnde  tôt  buic  sunipius?  lot  svmbola?  fercula  tanla  ? 

Tôt  merilo  prelio  tanta  quîd  esse  facit? 
Hoc  tua  sunt,  Babio;  lua  non  libi  Pecula  servit: 

Hoc  deservit  ei  ;  dona  satelles  habet. 

(h) 
Dum  sic  servit  ei,  maie  servilur  Babioni  ; 

Servilii  talis  sit  maledictus  bonor. 
Prava  nimis  Viola,  Fodius  pejora  palravit; 

Nescio  quis  pejor,  pravus  uterque  nimis. 
Implumes  alui,  nec  deglutire  (i)  scienles, 

Nnnc  michi  sit  cucullus  illa,  sit  ille  Nero. 
Abdila  thesauri  sic  latro  rémunérât  hospes, 

(a)  Alis-ali.  (Coll  I  —  (M.  WB.) 

(b)  Dentilms.  (Cuit.)— [il.  Wr. 

(c)  Tela  lineam.  (Co'.t.)  —    VinaMevem  lineam.  (Diqb.) 
—  (M.  Wr.) 

(d)  Fama,  veniens   ad   Babionem.  (  Ms.  Cclt.  )  —  (M. 
Wr.) 

(e)  Bleps.  (Ifss.)— (M.  Wr.) 

(f)  t'sqoe.  (D  gb.)  —  (M.  Wr.) 

(g)  Compertus,  m  mss.  iM  B.  W  ) 

(h)  Babio  r,  s  ondens.  (Ms.Coli.)  —  (M.  Wb.) 

(i)  Implumes  aliuunduiu  glulire.  (Coton.  M.  Wr.) 

(/)  Sinu.  (Mss  )  —  (M.  WR  ) 

(k)  Trix.  Mss.)  —(M.  Wr.) 

(I)  Faetent.  (Collon.)  —  (M   Wr.) 

(m)  A   celle  révélation    surnaturelle,    dit  M.   Bruce 
Whyle,  Babio  devient  presque  furieux;  il   menace  de 
pendre  les  deux  coupables,  et  au  moment  où  U  mauifcsle 
sa  résolution,  Fodius  l'aborde.  —  (M.  Wr.) 
•  (n)  Babio  Fodio.  (Coït.)  —  (M.  We  \ 


fodîcs.  Eh  !  pourquoi  mourir? 

babion.  C'est  là  ce  qu'on  ne  doit  pas  dire.  Tiens- 
toi  en  paix  et  laisse-moi  l'emmener. 

fodius.  Et  ou  m'emmener? 

babion,  A  la  potence. 

fodius.  Là  ,  là,  pourquoi?  "La  raison  avant  la 
mort. 

babion.  Tu  as  commis  un  adultère. 

fodius.  Non  pas  ;  je  le  nie.  Je  me  réclame  des 
lois;  il  n'y  a  pas  d'arrêt  contre  ma  réclamation. 

babiok.  L'adultère  t'est  commun  avec  PécuVa. 

Mus  peram,  gremium  vipera,  flamma  sinumfj). 
Sic  trux  (k)  OEdippus,  sic  Jupiter  invictus  cgil; 

Hic  gladio  secuit,  expulit  ille  palrem. 
Dum  concinna  michi  fataha  fala  dedisti, 

Desque  michi  Lachesis  police  frla  truci. 
Quaeque  luenda  michi,  nec  me  loca  luta  luenltir; 

Dum  meus  hic  hoslis,  quis  michi  (î Jus  eril. 
0!  peculans  Pecula, Fodius  fœdissimus  ille; 

Sic  inea  consumunt,  —  ullor  amarus  ero. 
Judicium  sic  lit;  fur  scande,  mcecba  premelur 

Fur  cruce,  Mœcha  rogis;  hic  prius,  illa  sequens. 
Mille  patel  cubitus  michi  fraxinus,  arbor  in  bortis, 

Antra  sedenl  (/)  subtus,  intro  profunda  palus. 
Fune  capudvinclus  dabit  hic  speclacula  plebi, 

Hic  avibus  discet  pendula  prseda  fore. 
Ipse  traham  sursum;  forsan,  si  traxerit  aller 

Fraus  eril,  el  laxo  fune  perire  nequil; 
Si  funem  linquo,  quoniam  michi  non  bene  fido^ 

Babio  semper  eris,  virque  bovinus  erit. 
Milis  ero  PecuUe;  deerit  fraus,  fure  perempto; 

Yerbere  corripiens,  hanc  superesse  «inam  (im). 

(«) 

En  moriere,  Fodi!  suhsla,  funem  cape  collo. 

(°) 
Cur  moriar? 

Cat^as  ila  reJerrc  velat 
Siste,  irahi  paiere. 

Quo  sic  irabor. 

(') 

In  cruce  pendo. 

(s) 
Causa  quid  est    debel  ssusa  praire  neccm 

Mœchus  (u)  es. 

(f) 
Lsst  nego.  Michi  da  me  lege  lueri* 
Legem  quamque  sibi  curia  nulla  velat. 

(x) 
Mœchus  es  in  Peculam  (y). 

Nichil  est. 
(a.) 

vis  ne  igné  probare? 
(bb) 
Igné  volo,  aut  aqua,  si  magis  illa  placet  (ce). 

(u)  Fodîcs.  (Coll.) 

(p)  Babio.  (Cotl) 

(q)  Fodîcs.  (Cotl.)  -  (M.  Wr.) 

(r)  Babio.  (Coll  )  —  (M.  Wr.) 

(s)  Fodcs.  (M.B.-W.) 

(/)  Babio.  (Cotl)  —  (M.  Wr.) 

(m)  Mœcus.  (M.  B.  W.) 

(V)  Fodîcs.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(x)  Babio.  (Cutt.)  —  (M.  Wr.) 

(u)  lu  Pecula   (Mss.)t 

(i)  Fodius.  (Coll.)  —(M.  Wr.) 

laa)  Babio.  [Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(bb)  Fodids.  (Coll.)'—  (M.  Wr.) 

(ce)  «Fodius  dit  M.  Bruce  Whyte,  proteste  de  sod  inno 
cence;   Pecula  entre,  et  il  lui    fait  part  de  l'accusation 
dont  on  charge  son  honneur.  Elle  prend  un  air  de  Ter- 
tueuse  indignation  el  adresse  les  reproches  suivants  au 
oauvre  Babion.  » 


nos 


BAB 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAB 


1306 


fodius.  Non,  non  pas. 
babion.  Veux-l»  l'épreuve  par  le  feu? 
fodius.  Si  je  veuxîPar  le  feu,  par  l'eau,  à  voire  gré. 
0  venu  de  Fodius.  esi-ce  là  la  récoin oense.  Mais  le 


saule  ne  porte  point  de  grenades. 

Par  l'étendue  des  terres,  par  la  hauteur  des  cieux, 
je  le  jure  ;  et  je-  le  jure  encore  par  les  saints  :inlels  ? 
Fodius  n'a   point   eu  Pecula.   Ma   main  droite  €ft 


Clara  fides  Fodii,  non  sic  meruisse  putabal  : 
Sed  non  fruclilical  punica  ma  la  salix. 

Per  terne  planum,  per  cœli  culmina  juro, 
Juro  sacras  per  aras,  non  fodil  liane  Fodius. 

Dexlra  del  inde  fidem  ;  poleril  michi  sic  salis  esse. 

(«) 
Accipe,  pande  manum  ;  dextra  dal  inde  fidem. 

(*) 
0  Deus  aile  levi  quam  magna  pericula  vici  : 

Scil  ne(|ue  bu  ne  lia  Babio  lingua  bovis. 
Pro  lima  patinant,  Babio,  Fodius  tibi  vendit; 

Non  Fodius  fodil  banc,  fodil  eam  Fodius. 
Terra  nec  est  terra,  cœli  mous  ccelica  nescil; 

Est  ara  porcorum,  respicil  ara  deos. 
Fallitur  afiirmans,  sed  nesçil  fallere  virtus 

Hoc  virluliseral  fallere  fure  michi. 

(e) 

L'tsibi  prœvideai,  Pecula}  loqnor,  ni  mala  tanla, 
Expeclala  minus,  pungere  dampna  soient. 
(d) 

Tanla  luli.Pecula  :  vix  est  vixissc  remissum; 
Fie,  rivare,  geme,  ne  patiaris  idem. 

(e) 
Mœcha  tibi  videor  :  lia  me  das  pabula  fama?  ; 

Forsilan  bas  et  eas,  qualis  es  (/'),  esse  putas. 
De  Viola  laceo,  ne  fœdel  numina  sterno. 

Proh  facinus!  meus  est  ejus  uterque  p^.rens. 
Thaïs  ego  videor;  sludui  magis  esse  Sabina. 

Me  similem  similis  tarde  (g)  gravare  putas. 
Aut  frenesi  premeris,  aul  le  lelargus  abegil, 

Aul  furis,  aul  Lelbes  infaluaris  aquis. 
Mens  tua  zelolipa  le  non  sinil  esse  quietum  ; 

Nec  spem  née  requiem  suspiciosus  babel. 
Fama  lide  caret  (/<),  quae  cum  vull,  aira  nitescunl, 

Cum  volet  hœceadem,  Memnona  (i)  veslil  olor. 

0) 
Lœdem  quœso  minus,  populi  loqnor  illud  ab  ore, 

Mos  babel  hoc  mullis,  quod  placet,  esse  ratum. 
Non  falli  doleo;  decuil  sic  fallere  faniam  ; 

Non  volo  non  falli,  non  b'en'e  fallor  ego. 
Ficla  ruina  mali  monral  mala  vera  caveri, 

Pal  ma  fuisse  michi  non  eril  absque  fore. 

Est  ea  rcs  :  venia  mullis  dedil  ausa  malorum. 

Ausa  dedil  Niobœ  lardior  ora  dere  (/). 
Non  scelus  obturai,  ea  quœ  gémit,  hœc  sacra  jurai; 

Posl  sacra  poslque  fidem  fur  scelus  audet  idem. 
Fallere  quis  nolit,  redimens  discrimina  vitae? 

Ut  vivat,  dubital  perdere  nemo  fidem. 


Nnlla  verciiir,  amor  imperat,  borret,  obedil^ 

N'I  impossibile  ni  grave  lerrorci. 
Non  Paridi  ilaminas  clades  niinuere  lot  enses, 

Non  patris,  aul  Troja?,  sive  ruina  sni. 
Quod  juval  omne  libet  (m),    nec    abil  tibi  'sacra 

[voluplas, 

Slal  tibi  docta  sni  semper  habere  famem. 
Rem  seniel  (n)  experlos  nil  exterrebit  ab  illa  ; 

Quudquc  magis  cupio,  copia  ftirla  As  cit. 
Qmc  nio  o  luna  noval,  cum  corniia  plena  coibunl; 

Aile  nova  funclus  (o)  criminis  ulior  ero. 

(P) 
Ibo  michi  Soloen  ,  sit  cura,  Fodi,  tibi  rerum. 

Eslo  vigil,  pasc.il  languida  cura  hipiim. 
Qnando  queam  redeam.(<ji) 

Ncquas,  rogo,  mille  per  annos, 

Nil  nisi  nomeneal,  Babio,  relro  luum. 
Hic  michi  sit  requies  inter  dumela  sub  bonis  (r). 

Donec  in  Antipodes  sol  cadal  atque  dies  : 

(*) 

Tune  michi  surgenli  sil  iler  relro  nocie  sub  alra  ; 
Tuncopus  est  solita  callidilate  frui  (/). 

(a) 
Nox  fil  :  adest  <v)  Babio;   cessil  prope;  mane  re- 

[dibil  : 
Non  (x)    fit   iners   tempus,  dummundo  cuncia 

[liceni. 
Nox  iter  (y)  ingeminel,  noctem  Tilana  reducal, 
Quam  dedil  Almen*  duni  favet  illa  Jovi  (z). 
(aa) 
Noclis  adest  médium,  su  ni  somma  silenlia  rébus 

Nunc  luli  recubant,  nunc  michi  fala  fa  vent. 
Ibo:  foramen  eril  (bb)  ;  speculabor  ;  luna  juvabil. 

En!  video  loculus  non  babel  ejus  euni. 
Sunl  simul,  et  quid  eril  arcanum  porto  fidelem  (ce): 

Del  Deus  ausa  michi  prœsiel  acumen  ei. 
Caplus  eril  Fodius;  caplus  non  tutus  abibil; 

Meuni  devenienl  fiinda  petrae  (dd)  que  simul. 
Omen  eril  ,    sierruio  (ee),  seinel,  negat  esse  sc- 

[cundo; 
Non  limeo  levia.  nain  levé  pondus  habent. 

07). 
Quid  foris  est,  Pecula?  strepil;  auli;  naribus  (g  g) 

leffiat; 

Numquid  adest  Babio?  Non  ego  fallor,  adesi. 

Tula  cuba;  surgain;  ferel  ui  parai,  et  munietur 

Sordida  barba  pilis  aique  cruore  latus. 

Quis  slrepit  exlerius  secus  ostia?  currile"  fur  est. 


(u)  Fo.  ius  Babioni.  (Coll.)  —  (M.  Wb.) 
(b)  Fodius.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 
(e)  Fodius.  (Mss.  Cvtl  )  —  (M.  Wb.) 

(d)  Fodius  l'eculœ.  (Mss.  Coll.)  —  (M.  Wb.) 

(e)  l'KDLi  Babioni  (Coït  )  —  M.  Wb.) 

(f)  Eas  qualis  es.  (M.  R.  W.) 

(g)  Sic  mendose.  (M.  B.  W.) 
(h)  Careat. 

(i)  Nigra  Memnonis  statua  Thebis,  in  templo  Scrapi- 
dii  (Mole  de  M.  B.  W.) 

j)  Babio.    (Coll.)  —  (M.  Wr  ) 

H)  Babio.  (Mss.  Coll.)  —  (M.  W».) 
(/)  Ausa  dédit  Viola  lardior  ira  Dea?. (Coll.)—  (M. Wb.) 
(m)  Qui  juval  libet.  (Coll.)  — (M.  Wb.) 
(n)  Non  semel  (Coll.)  —  (M.  Wb.) 

(0)  FïctiJDiqb.)  —  (M.  Wr. 

(p)  Babio  Fodio.  (Coll.)—  (M.  Wb.) 
(g)  Fodius.(CoH  )  — (M.  Wr.  ) 
(r)  Subortus.  (M.  Wb.) 
(«)  Babio  rediens. 

(1)  M.  Bruce  Whyte  analyse  ainsi  ce  passage  :  «  Pe- 
cula continue...  accusant  pour  sejuslitier,  ei  parvient  a 
iminiider  Babio  qui  se  voit  obligé  de  se  détendre  lui- 
même...  Trop  heureux  de  se  défaire  a  tout  prix  de  la 


dame  et  de  son  galant;  il  les  renvoie  lous  deux,  leur  en. 
joignant  de  veiller  convenablement  à  sou  ménage.  Après 
s'être  consolé  de  la  sorte,  dit  M.  Bruce  Whyie,  il  quille 
la  scène,  et  nous  trouvons  Fodius  qui  prolile  de  son  ab- 
sence pour  mener  à  lin  son  intrigue  avec  Pecula.  »  Il  y  a 
ici  ineiaciilude,  Babion  ne  se  console  pas,  il  inédile  ven- 
geance, l'intrigue  de  FoJius  se  poursuit  tele  qu'elle  a 
élé  conçue  dès  le  commencement. 

(ii)  Fodius.  (Coll.)  (M.  Wb.) 

(»)  Abesi.  (M.  B.  W.) 

(x)  Nuin.  (Id.) 

(y)  Tune.  (Id.) 

(i)  Use  retire  dans  un  autre  coin  du  théâtre,  dil  M. 
Bruce  Whyte,  et  bientôt  après  on  l'aperçoit  couché  avec 
Técnla. 

(a<i)  Babio  secum.  (Coll.)  —  (M.  Wr.1 

(bb)  Fst.  (M.  B.  W.) 

(ce)  Prolidcle.  (M.  B.  W.) 

(dd\  Petra  que.  (Coll.)  —  (M.  Wb  ) 

(ee)  On  doit  lire  SlerntUo  semel.  Sternuto  manque 
dans  le  Ms.  Coll.  (M.  Wr.) 

(ff)  Fomus  Pecuioe.  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(qg)  Narribus.  (M.  B.  W.) 

(ftli)  Fodius.  (Coït)  -  (M.  Wb.) 


1507  BAB 

donne  l'assurance;  comment?  n'est-ce  point  assez? 
Tiens,  ouvre  la  main  ,  ma  main  droite  te  donne 
assurance. 

SCÈNE  II. 

fodius,  seul. 

fodius.  0  Dieu,  comme,  avec  un  peu  d'artifice, 
j'ai  vaincu  un  grand  péril!  0  Babinn  ne  sait  la 
lingue  du  bœuf,  ni  Bu  ni  Ba.  0  Babinn,  au 
lieu  d'une  lime,  c'est  une  bassine  que  Fodius  t'a 
vendue.  (Imitant  son  geste  précédent.)  Non  Fodius  n'a 
pas  en  Pécula...  (Reprenant  sa  voix  naturelle.)  Fodius 
l'a  eue.  La  terre  n'est  pas  la  terre,  la  grandeur  des 
cieux  ignore  les  choses  célestes,  il  est  un  autel  pour 
les  porcs,  l'autel  a  la  connaissance  des  dieux.  Toute 
caulion  est  dupée,  mais  la  vertu  ne  sait  point  duper. 
Tour  moi  c'éiait  vertu  que  de  feindre  en  eselave. 

Je  vais  parler  à  Pécula,  pour  qu'elle  se  tienne  sur 
ses  gardes,  et  pourtant  de  tels  méfaits  portent  le 
plus  souvent  avec  eux  leur  châtiment  trop  peu  at- 
tendu. 

SCENE  III. 

FODIUS,    PÉCULA. 

fodius.  Quel  coup,  Pécula!  A  peine  vis-je,  et  par 
rémission.  Pleure,  crie,  lamente-loi  alin  d'échapper 
au  môme  perd. 

(//  s'enfuit.  Babion  entre.) 

SCÈNE  IV.f 

PÉCULA,    BABION. 

técula.  Je  le  semble  adultère.  Est-ce  donc  ainsi 
que  tu  me  livres  en  pâture  aux  méchantes  langues? 
Peut  être  penses-tu  que  toutes  les  femmes  sont 
comme  loi. 

Je  ne  dis  rien  de  Violette.  Silence,  passons  là- 
dessus,  dans  la  crainte  d'offenser  les  dieux.  Oh  ! 
abomination  !... 

C'est  moi  qui,  selon  vous,  suis  Thaïs,  moi  qui 
ne  m'appliquai  jamais  qu'à  être  une  Sabine. 

Slrngiile  (a)  rompe  moras;  effugit,  olla  prrei. 
Fiircifer  hue  cèdes;  nellus  (b)  michi  barba  relin- 

[quil; 

lslud,  avelo,  cape;  postera  flagra  dabunt. 
(.lava  salulel  eum,  laleri  servi  te  ilagellis; 

Nos  lurhare  volens  ni  silit  ipse  bihal! 
Ultra  quam  salis  est;  Babio  sum;  parcilc. —  Non  es. 

Ksi  Soloen  (c)  ;  esse  nequit  et  siinul  hic  et  ibj. 
—  Babio  suin;  redii.    — Cur  stas  foris? —  Hic  re- 

[quievi,  (d) 

Vos  lurbare  cavens,  et  maie  turbor  ego. 

Cautus  eris  nunquam,  semper,  Babio,  sapis  ccque, 

Possel  ab  ignaris  nunc  libi  vila  rapi. 
El  nisi  cessarem,  fieret  ;  sed  parcius  egi 

Celle  quam  poteram  ;  non  minus  acer  cram. 
Semper  cum  lacrymis  nialefacla  domuin  redierc  : 

Baro  fraus  nocuil,  postera  nulla  gemens. 
Surge;    subi   lhalamum  :  requiem  cape  :  credulus 

[eslo; 

Et  qua  nemo  viget  snspicione  carc. 

Frustra  venaris;  labor  est,  sed  caplio  nulla; 

Nodus  erat  cirpi  fraus  mea  facla  libi. 
Felle  columba  caret,  et  olor.nigredine  corvi, 

Et  cirpus  nodis,  et  mea  facta  dolis.  (g) 
Non  nocuisse  libel;  dum  non  nocuisse  licebil; 

Bcs  non  posse  minor,  ouando  licebil  eril. 

fa)  Tegole.  (Digb.)  Hollo  f  I  (Cotton.)  —  (M.Wr.) 

(b)  I.e  ms.  C'iUon  donne  Vellus.  (Ib.) 

(c)  Solven.  (Digb.)  —  (M.  Wr.) 

(d)  Babio  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 

(e)  Fodius  Babioni.   iColt.)  —  (M.  \Vn.) 

(()  Fodics  Babioni.  (Mst.  Coll.)  —  (M.  Wr.) 

ig)  Uadio.  (Cou.)  — ;(M.  Wr. 


DICTIONNAIBE  DES  MYSTERES. 


BAB 


1508 


Vous  seul  ressemblez  à  Thaïs,  et  "c'est  moi  que 
vous  chargez ,  dans  mes  derniers  jours  de  celle 
odieuse  ressemblance. 
<  Vous  êtes  l'on,  quelque  songe  vous  poursuit,  vous 
délirez;  vous  êtes  tombé  dans  les  flots  de  l'oubli  du 
Lélbé.  Votre  âme  jalouse  ne  vous  laisse  donc  plus 
de  repos.  Ah  !  les  jaloux  n'ont  plus  ni  espoir  ni  paix. 
Mais  les  on-dit  ne  sont  pas  articles  de  foi,  Tantôt, 
les  bavards  blanchissent,  selon  leur  caprice,  ce  qui 
est  noir;  et  tantôt,  les  noirs  oiseaux  des  bûchers  de 
Memnon  reprennent  l'éclat  du  cygne. 

babion.  Eh!  je  ne  tiens  pas  tant  à  faire  moi-même 
mon  malheur.  Ce  que  j'en  ai  dit,  m'est  revenu  de 
bruits  des  voisins.  C'est  une  habitude  pour  bien  des 
gens  de  croire  surtout  ce  qui  leur  plaît.  Je  ne  me 
plains  pas  d'être  abusé;  il  a  plu  aux  bavards  de  me 
tromper  ainsi.  Je  souhaite  d'être  trompé ,  mais  je 
ne  suis  pas  bien  attrapé.  Un  malheur  faux  apprend 
la  crainte  d'un  vrai  malheur;  le  renom  n'est  pas 
sans  qu'il  y  ait  quelque  chose. 

(Pécula  sort.) 
SCÈNE  V. 

BABION  ,    SClll. 

babion.  C'est  un  fait.  Le  pardon  a  donné  plus  d'une 
fois  le  courage  du  crime.  La  tardive  colère  de  la 
déesse  favorisa  la  hardiesse  de  Niobé.  Le  crime  ne 
rend  pas  imbécile;  et  quiconque  est  dans  un  mau- 
vais cas,  est  prêt  à  jurer  par  ions  les  cieux  ;  ce  qui 
n'empêche  pas,  après  l'attestation  des  dieux  et  les 
serments,  le  voleur  d'oser  le  crime.  El  qui  ne  sait 
pas  ruser,  pour  se  tirer  d'une  crise  où  il  s'agit  de 
la  vie?  pourvu  qu'on  vive,  qui  donc  hésiterait  à 
livrer  sa  foi  ?  On  ne  craint  rien,  l'amour  commande; 
on  a  horreur,  on  obéit;  il  n'y  a  rien  d'impossible  a 
l'amour;  rien  ne  lui  p'se  trop,  ne  lui  fait  peur. 
Qu'importaient  à  Paris  les  flammes,  les  carnages, 
lanl  d'épées  ;  la  ruine  de  son  père,  de  Troyes  et  de 
lui-même?  Tout  ce  qui  séduit  plaît 

Expericre  dolos  si  stas  invictus  ad  ictus  (h), 

Par  virlute  putovineere  et.  absque  dolo. 
Sive  sues  au/0,  seu  lestas  cinxeris  oslro, 

Nec  sus  corde  caret,  nec  lue  lesta  luli. 
Nec  mitis  serpens,  nec  est  vulpecula  simplex, 

Nec  Fodium  credo  posse  carere  dolo. 
Quœ  dolco  duo  sunt  :  pudor  uxoris,  mea  dampn.v 

Me  (îoleo  plagas,  banc  subiisse  nepbas. 
Nunc  michi  more  novo  plaeet  ullio,  meuse  peracto, 

Nunc  volo  cum  sociis  forlis  adesse  dolis. 
Haerenl  sola  melu,  sont  aginina  lula  viarum, 

Victuseram  (i)  soins,  agininc  victorcro. 

0') 
Vado.Fodi,  Soloert,  redilurus  ad  orgia  Bachi  • 

Eslo  vigit,  s'il  agri,  sil  libi  cura  domus. 
Illa  quibus  redeas  lune  fient  orgia  Bachi, 

Cum  clarus  fidicen  (k)  nosler  asellus  eril. 
Curent  fata  domum,  dominant  curabo  tucri  ; 

Dum  dees,  incultus  non  eril  ejus  ager. 

En!   veniunt   (m)  socii,  opus  est  nunc    ferre  ju  va - 

[men; 

Quid  sit  amicilia  scire  necessc  facit. 
Hic  iter,  hic  lalebroe;  loca  sunt  incognila  nulli; 

Sitlocus  hic  melior  quam  fuit  ille  michi. 
Ante  rui,  pressus  que  fui,  labor  bine,  dolor  inde. 

De  capto  capior,  pnedoque  praeda  trahor. 
Repulil  ars  arlein;  foveam  fecique  lulique  ; 

(h)  Experire  dolos  si  stas  vertute   adutus.    (Coil  )  — 
(M.  Wr.) 
(j)  Tutus  rro.  (Coll.)  —  M.  Wr.) 
(;)  Babio  Fodio    (Coll.)— (M.  Wr.) 
(k)  riarius  fulicem   (Mss.)  —  (M.  Wr.) 
<l)  Babio.  (Cott.)  —  (M.  Wr.) 
{m)  Inveniuiit  (Cttt.i  —Eu  veniunt  comilis  res  est 


1309 


BAB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAB 


SCENE  VI. 


BABION,    FODIUS. 

babion.  Je  vais  à  Solocn,  Fodius,  aie  soin  de  lonl 
ici,  surveille  bien;  l'inattention  esl  la  pâture  du 
oup.  Je  reviendrai  quand  je  pourrai. 

SCENE  VII. 

fodius  ,  seul. 
fodius.Ei  je  souhaite  que  lu  ne  le  puisses  pas  d'ici 
mille  ans,  à  moins,  ô  Babion,  que  ton  nom  n'aille  en 
arrière! 

.  Je  vais  donc  me  donner  du  loisir,  au  milieu  des 
bois,  sous  l'ombre  des  jardins  jusqu'à  la  dispari- 
tion du  soleil  aux  antipodes  et  msqu'à  la  chute  du 
jour. 

SCÈNE  VIII. 
babion,  revenant ,  à  part  ;  fodius,  à  part. 

babion,  à  part.  Et  maintenant,  debout!  En  mar- 
che! retournons  au  milieu  de  l'obscurité  de  la  nuit. 
Voici  le  moment  de  cueillir  les  fruits  de  ma  linesse 
naturelle. 

fodius,  à  part.  Voici  la  nuit;  Babion  est  loin.  .  . 

Il  reviendra  demain.  Que  ce  temps  soit 

employé,  puisque  tout  nous  favorise.  Que  la  nuit 
passe  deux  fois  son  chemin  ,  que  Diane  ramène  les 
ombres  dont  elle  fit  largesse  à  Alcmène  pour  favori- 
ser Jupiter. 

(//  rentre  dans  la  maison.) 

SCÈNE  IX. 

BABION  ,  SCUI. 

babion.  Voici  le  milieu  de  la  nuit;  tout  esl  dans  le 
plus  profond  silence.  Ils  sont  couchés  bien  tran- 
quilles. Moi,  le  hasard  me  favorise.  Allons,  il  y  a  bien 
quelque  irou;  regardons,  la  lune  me  donne  sa  lu- 
mière. 

Oh  !  que  vois-je?  Le  lit  de  Fodius  est  vide.  Ils 
sont  ensemble. . . . 

Dum  volo  fraudari,  corruo  fraude  péri  : 
Nu  m  ausler  borea;  succedit,el  aura  procéda;, 

Et  risus  lacrymis,  et  bona  fa  la  malis. 
Persequor  mœchnin,  libi  mililo  casta  Diana, 

Prolege,  si  qua  potes,  militis  acta  lui. 
Cède  potens  ccelo,  slyge,  si I vis,  ordiuc  irino  ; 

Cède  soror  solis,  lilia  cède  Jovis. 
Surgi  le;  lergalli  Ixium  carmen  cecincre; 

Proxima  nos  mater  Memnonis  ire  monet. 
Jam  ludo  fessi  sompno  cubuere  repressi, 

Fiam  Vulcanus,  Mars  hic,  et  illa  Venus 
llinc  di.ili.ir,  hinc  plausus  ;  plausus  michi,  si t  dolor 

[illi; 

Cum  duo  de  trinis  planget  adempta  sibi. 
Hic  firmale  gradus;  caulus  moderabor  agenda; 

Incerlos  casus  impelus  oinnis  babet. 
Intima  quaeque  iioias,.oculis  scrulabor  et  aure; 

Insidias  oculus  quas  nequil,  auris  babet. 

Surgo;  moror  ninus  :  hic  vir  adest  mus  et  plebs; 

Nunc  ulinam  michi  sinldolia  pleua  dolis. 
jEger  ego  morior  !  ulinam  Babio  rediisscl! 

Plus  gemo  mori  nnlla  locutus  ei.  (b) 
lieu!  heu!    quam  fragilis    esl    noslra   (c)   gralia 

[vitœ; 
Spuma,  sopor,  fumus,  flos,  cinis,  aura  sumiis. 
Nunc  sial,  et  abslat  homo;  fiai  et  efflal;  fiorel  et 

Jaret; 

jla,  ferte.  (Digb.)  —  (M.  Wn.) 
(«)  Fodius.  (Coll.)  —  (M.  Wn.) 
(b)  Fodius  infirmons  (Coll.)  —  (M.  Wr.) 
(r)  Noslra;.  (M.  B.  W.) 

(d)  Badio  ad  soc  ion    (Coll.)  —  (M    Wn) 

(e)  Hypocrisis  ducius.  (Coll.)  —<\\.  Wr  ) 


Dieu  me  donne  du  courage  à  mo:,  et  à  Fodius  de 
l'embarras.  Fodius  va  être  pris,  et  une  fois  pris,  il 
ne  m'échappera  pas  sain  et  sauf.  La  fronde  ei  la 
pierre  s'en  mêleront.  (Hélernue.)  Holà!  ils  vont  être 
avertis;  j'éternue...  Eue  fois!  eh  non,  deux  fois!... 

SCÈNE  X. 

fodius,  pécula,  dans  i intérieur  de  la 
maison. 

fodius,  s'éveillent.  Eh!  Pécula,  qu'y  a-t-il  dehors? 
J'entends  quelque  chose.  Ecoule.  On  élcrnue.  Esl-ce 
que  Babion  est  ici?  Je  ne  me  trompe  pas,  il  esl  ici. 
Reste  tranquillement  au  lit;  je  vais  me  lever,  el  lui 
travailler  sa  sale  barbe  cl  le  dos  jusqu'au  sang. 

SCÈNE  XI 

BABION  ,  FODIUS      STROGILE,    DOMESTIQUES   DE 
LA    VILLA. 

fodius.  Holà  qui  fait  du  bruit  là  dehors,  le  long  de 
la  porte?  Au  secours!  c'est  un  voleur! 

Strogule,  vile ,3  vile  !  11  se  sauve,  barre-lui  le 
chemin. 

Coquin,  tu  mourras  m...  (Babion,  pris  par  la  barbe, 
s'échappe.)  Il  m'a  laissé  le*  poils  de  sa  barbe.  Tiens 
ce  coup...  Bon...  ce  coup  de  lanière  aura  bren  sou 
son  effet,  Ce  bâton  noueux  va  le  saluer;  servez-lui 
les  côtes  avec  vos  foucis.  Ah!  il  veut  porter  le 
désordre  ici  ;  eh  bien!  qu'il  boive  à  sa  soif. 

babion.  Holà!  c'esi  assez,  c'esl  irop.  C'est  moi, 
Babion.  Là,  là,  lenez-vous  tranquille. 

fodius.  Toi,  Babion?  Babion  est  à  Soloen  ;  il  ne 
peut  être  tout  à  la  fois  ici  el  à  la  ville. 

babion.  C'est  bien  moi  ;  je  suis  revenu  sur  mes 
pas. 

fodius.  Alors  que  faisiez-vous  dehors? 

babion.  Je  me  reposais,  dans  la  crainte  de  vous  dé- 
ranger, el  vous ,  vous  ne  m'avez  pas  mal  arrangé. 

fodius.  Ne  serez-vous  donc  jamais  prudent;  voilà 
de  vos  louis  ordinaires,  Babion.  Comme  on  n'était 
prévenu  de  rien,  ne  pouvait -on  vous  ôier  la  vie?  Si 

lucipil  el  leritur;  sunt  ea  penc  simul. 
Febre  premor  nimia  Babio  cum  cessit  aborla, 
Exlunc  absque  modo  me  lenel  isle  locus. 

(d) 

Ile  domiim  luti  ;  subit  uliiina,  nil  nisi  mors  esl  ; 

Vcnimus  ad  lerelrum;  vicimus;  ile  doniuni. 
Esl  bonus  isle  dolus  ;  evasi  ;  fallitur  boslis, 

llypocrisini  dolus  (e)  hic  religionis  habel. 

•'A 

Sum  felix  ;  dives  non  rex  ila,  non  ila  cives; 

Quem  lue  plus  odi,  cui  moriere,  Fodi. 
Decadis,  ascendis;  premeris,  de  morte  revixi  ; 

Dum  raperis,  redii;  crux  lua  palma  michi. 
Quod  volo,   nunc   video;   conlra  spem  sunio  quod 

[oplo. 

Amplector  quod  amor;  quod  cupio  leneo. 
Nunc  ri  sum  flebis;  lenebras,  lenebrose,  forebis  (g)  ; 

In  palria  Lethes  nunc,  prave,  fa  ta  mêles. 
Vel  Tilyi  volucrem,  vel  âges  Ixionis  orbem,  (h) 

Vel  sub  aquis  siliens  Tanlalus  esse  feres  (i). 
Babio,  mine  i u lies  ;  sunt  oinnia  lula  deinceps; 

Quidquid  âges  fasesl,  insidialor  abest. 
Surge,  soror,  Fodio  sudaria  lac  morienli  (j); 

Surge,  morare  nichil;  Fodius  efflal,  abest; 

Praîslolare,  precor;   nain  lam  cito  lam  prope  non 

[esi  ; 
Verbiim  quod  noies  eloquar  anle  tibi. 

(/)  Babio  de  Fodio  (Coll.)  —  (M.  Wn.) 

(g)  Favebis  (  Coll.  )  —  (M.  Wr.) 

{h)  Slatii,  Talii,  Orionis   (Coll.)  — (M-  B.  W.) 

(i)  (Entrant  duns  la  chambré  à  coucher)  — (  M.  B.  SV.) 

(/')  Moriemli.  (M.  B.  W.) 

(k)  FuuiL-s  Bubioni.  {Coll.)  —  (M.  Wn  ) 


1311 


BAB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAB 


1312 


je  ne  me  fusse  contenu,  ce  sérail  arrivé.  J'ai  bien 
sïtr  agi  avec  plus  de  modération  que  je  ne  devais;  et 
ce  n'est  pas  que  je  fusse  moins  décidé. 

Ah!  quand  on  fait  mal,  on  ne  rapporte  au  logis 
que  du  mal;  et  il  est  rare  que  la  ruse  ne  nuise  pas); 
elle  cause  toujours  quelque  mésaventure. 

Allons,  levez-vous,  gagnez  votre  lit ,  prenez  du 
repos,  ayez  l'esprit  en  paix,  et  mettez  de  côté  les 
soupçons,  car  ils  ne  font  de  bien  à  personne. 

SCÈNE  XII. 

BABION,    Seul. 

babion.  Cliassc  inutile;  bien  du  mai,  pas  de  prise. 
(Se  tournant  du  côté  où  Fodius  est  sorti.)  Ma  ruse 
contre  toi  était  mal  combinée.;  la  colombe  n'a  pas 
de  fiel,  le  cygne  n'est  pas  noir  comme  le  corbeau,  le 
jonc  n'a  pas  de  nœuds,  il  n'y  a  pas  eu  d'habileté 
dans  mon  fait.  11  me  va  de  ne  leur  avoir  point  fait 
de  mal,  puisqu'il  ne  leur  a  pas  été  possible  de  m'en 
faire  à  moi-même.  Il  est  évident  que  tout  cela  n'a- 
boutit à  rien;  il  en  sera  ce  qu'il  pourra.  Ils  ont 
éventé  mes  ruses.  Mais  si.... 

Moi  aussi,  je  suis  résolu  del'emporler  par  la  force, 
sans  plus  de  ruse.  Entourez  les  codions  d'or  ou 
les  huîtres  de  pourpre...  et  l'hui'lre  sera  couverte  de 
boue.  Le  serpent  n'est  pas  un  animal  domestique, 
le  renard  n'est  pas  une  bête,  et  je  ne  crois  pas  plus 
que  Fodius  manque  de  ruse.  Il  y  a  deux  choses  dont 
je  me  plains  :  de  la  vertu  de  ma  femme,  et  du  dom- 
mage fait  à  mon  bien.  Je  ne  suis  pas  trop  coulent 
de  mes  coups... 

J'ai  un  nouveau  moyen  de  vengeance  dans  la  tête. 
Laissons  finir  le  mois,  et  je  veux  (pie,  avec  le  secours 
de  mes  amis,  làler  encore  de  la  ruse... 

J'ai  été  battu  seul,  mais  en  compagnie  je  serai  le 
donneur  de  coups. 

SCÈNE  XIII. 

BABION,  FODIUS. 

babion.  Fodius,  je  vais  à  Soloen;  je  reviendrai 
après  les  fêles  de  Bacchus.  Sois  vigilant,  aie  soin 
au  dehors  el  au  dedans. 

SCÈNE  XIV. 

fodius  ,  seul. 

fodius.  Ces  fêles  de  Bacchus,  après  lesquelles  tu 
dois  revenir,  auront  lieu  lorsque  noire  âne  sera  dc- 

Posl  le  concludam,  dabil  enlimema  sophisina; 
Et  quod  non  faites  (a),  laie  sophisina  ferel. 

W 

Surge,  quis  es?  —  Babio.  —  Quis  Babio?  —  Vir  luus 

1  hic  est. 
Quis  meus?  Hic  fur  est;  perdor  :  adeslo,  Fodi. 
Et  quis  hic  est  fur  est.  —   Babio  sum.  —  Babio 

[non  es. 
Mœchns  es,  et  ferro  pendilla  membra  dabis. 
Desine  :  sum  Babio.  —  Non  :  desun!  orgia  Bachi  ; 

Tune  Babio  rediel.  Mœchns  es;  ausa  lues. 
Lumine  fac  videas.  —  Non  est  epus  addere  lumen, 

Id  scio  (c)  corde  tenus;  Babio  nullus  adest 
Nunc  eris  eclipsis,  non  bides  amodo  servis  (d) 

Symhola  (e)  sola  dabis,  nolo  nocere  magis.  — 
Vae  michi!  nunc  morior. —  Fur  est  ;  accendiie  lu- 

fmen 

(f) 
Proli  dolor!  est  Babio.  Slulie  vir;  undevenis? 
Quando  miser  sapies?  nec  erit  citharœdus  asellus, 
Nec  bos  docia  loquens,  nec  Babio  sapiens. 

(a)  Allas.  (M.  B.  W.) 

(b)  Hic  allercatio  inter  Fodium  et  Babionem.(Cott.) 
—  (M.  vYr.) 

(c)  Id  suo.  {Coït.  )  —  (M.  Wr.) 
id)  Erit.  Cervis.(Co«.)  —  I  M.  Wr.) 
(e)  Cimbala. (Coll.)  —  (M.  Wn.) 

([)  Fodics.  {Coït.)  -(M.  Wr  .) 


venu  un  bon  joueur  de  lyre.  Que  le  hasard  ait  soin 
de  la  maison,  moi  j'aurai  soin  de  protéger  ma  dame; 
et  en  ton  absence,  son  champ  ne  sera  pas  inculte. 

fcSCÈNE  XV. 

BABION,    SES    AMIS. 

babion.  Ah  !  celle  fois,  voici  mes  amis;  il  est  bien 
temps  de  porter  remède  au  mal;  il  est  bon  de  sa- 
voir ce  (pie  c'est  que  l'amitié.  Voici  le  senlier  et 
voilà  le  gite.  Chacun  connaît  les  lieux.  Puisse  fcet 
endroit  vous  être  plus  agréable  qu'il  ne  me  fuujC'esl 
là  qu'autrefois  je  tombai  ;  je  fus  accablé;  coups  par- 
ci,  coups  par-là.  Mon  prisonnier  me  prit,  la  proie 
malmena  le  chasseur,  l'artifice  fut  opposé  à  l'arti- 
fice, je  fis  la  fosse  ely  fus  mis  :  pour  avoir  voulu  ru- 
ser, je  succombai  sous  la  fraude  et  j'y  péris.  Mai:,, 
aujourd'hui,  l'Ausier  a  fait  placeau  Borée,  le  calme 
à  la  tempête,  le  rire  aux  larmes  el  le  bien  au  mal. 
Je  poursuis  cet  adultère.  0  chaste  Diane,  c'est  pour 
loi  que  je  combats,  et  prolége,  si  lu  peux,  les  hauts 
f;ii(s  de  ton  guerrier.  Montre  tes  œuvres,  ô  triple, 
puissance  du  ciel,  du  Slyx  el  des  bois  ;  montre  les 
oeuvres,  ô  sœur  du  soleil,  et  fille  de  Jupiter! 

Holà  !  debout!  Les  coqs  ont  chanté  trois  fois  leur 
chant  joyeux  ;  la  mère  de  Memnon  est  très-près  de 
de  nous,  el  nous  avise  de  nous  mettre  en  roule. 
C'est  l'heure  où,  las  de  leurs  jeux,  ils  sont  tombés 
sous  le  poids  du  sommeil.  Je  vais  être  Vulcain,  Fo- 
dius sera  Mars  el  Pé .nia  Vénus.  Il  y  aura  des  grin- 
cements de  dénis  et  des  fous-rires;  que  la  joie  soit 
pour  moi,  el^le  mal  pour  ce  Fodius;  et  je  veux  qu'il 
pleure  deux  fois  au  moins  les  choses  qu'il  a  el  qu'il 
aura  perdues. 

Marchez  avec  précaution;  c'est  moi  qui,  avec 
toute  ma  eau  telle,  vais  mener  toute  l'affaire,  car  i.t 
piécipitalion  entraîne  loujours  l'incerlilude.  Tous 
ces  laits  particuliers  que  vous  allez  remarquer, 
c'est  moi  qui  les  vais  peser  de  l'œil  et  de  l'oreille, 
car  l'embûche  qui  échaope  à  l'œil  tombe  dans  J'o- 
reille. 

(Ils  entourent  la  maison.) 

SCÈNE    XVI. 

LES    MÊMES,    FODIUS. 

fodius.  Levons-nous.  Il  est  bien  lard  déjà.  Eh,  lou 
maître  el  du  monde.  Plût  au  ciel  que  j'eusse  à  celle 
heure  des  tonneaux  de  ruses... 

(Contrefaisant  soudain  le  malade.)  Ah  !  que  je  suis 

Forlunatus  eras  quod  le  non  laïsimus  ultra. 

Ultra  quis  laedat;  est  minus  (h)  ista  quacri.    (t) 
Tanlula   dampna   gémis?   inedicus   sum    doclus  in- 

[arle; 
Sanalum  leviier  lam  levé  vulnus  erit. 
Est  levé  quaeque  loqui;  sed   non  (;')    bac    icge  pro- 

[balur, 

(*) 

Non  sapit  incolumes  triste  quod  aeger  habet. 
O  rea  res  merelrix!  res  rernni  pessima  leno! 

Non  est  qui  caivat  iinus  in  orbe  dolo. 
Tain  mala  nulla  mala ,  quant  copia  uulla  malorum; 

Angue  d  i u  socio  nemo  pericla  cavet. 
Prado  michi    conjunx;    liclor  meus   et  (/)    michi 

[se r vus; 

llaeclabor,  ille  dolor;  haec  lupus,  ille  leo. 
Haec  lenet,  ille    ligat;  haec  eicit   (m)  ille  coartaï  ; 

Ha:c  premil,  ille  feril;  haec  necat,  ille  terit. 
Currus  et  auriga  michi  nunc  sint  ad  loca  sarcia. 

Facta  priora  volo  claudere  fine  bono. 

(g)  Babio.  (Coll  )  —  M.  Wr.) 

(h)  Nimis.  (M.  B.  W.) 

(i)  Fodius   (Coït.)—  (M.  Wr.) 

(j)  Nunc.  (Cotl.)  —  (M.  Wr.) 

(k)  Babio.  [Coll.)  —  (M.  Wr.) 

J/)  Est.  (M.  B.  W.) 

(nV  Dieu.  'M.  B.  W.) 


1313 


BAB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAB 


1311 


malade!  Je  meurs  !  Ali!  plût  au  ciel  que  Babion  fût 
de  retour.  Ça  me  l'ait  bien  plus  de  peine  de  mourir 
avant  que  de  lui  avoir  parlé.  Hélas!  hélas!  que  c'est 
peu  de  chose  que  la  faveur  de  la  vie  ;  nous  ne  som- 
mes qu'écume,  sommeil,  fumée,  fleur,  cendre  el 
souffle.  Aujourd'hui  debout,  demain  à  bas  :  voilà 
l'homme!  il  aspire  cl  expire  ■  il  fleurit  et  se  fane  ; 
il  se  développe  cl  est  anéanti  ;  loulcela  comme  spon- 
tanément. Cette  terrible  lièvre  dont  je  suis  accablé 
a  commencé  au  départ  de  Babion  cl  depuis  lors  je 
suis  cloué  là  sans  repos. 

babion,  à  ses  amis.  Aile?,  chez  vous  en  paix  ;  no- 
ire homme  esl  à  l'extrémité,  et  il  ne  s'agil  rien 
moins  que  de  la  niorl.  Nous  sommes  arrivés  pour  son 
enterrement.  Nous  l'emportons;  rentrez  chez  vous. 
•  bodius,  à  i>arl.~h;\  fourbe  esl  bonne;-je  l'échappe 
belle;  l'ennemi  esl  dépisté;  l'habileté  de  mon  débit 
oratoire  a  eu  tin  plein  sucres  de  confiance. 

SCÈNE   XVII. 

BABION,    Seul. 

Babion.  Suis-je  heureux  !  Il  n'y  a  pas  de  roi  plus 
riche,  pas  d'homme  s  la  ville.  Ce  Fodius  que  je  liais 
plus  que  la  peste,  meurt  donc.|Ah  !  Fodius,  tu  baisses 
el  je  monte,  lu  es  sous  le  coup  de  la  mort  et  je 
renais  à  la  vie;  lu  es  pris,  je  rentre,  la 'croix  esl 
mon  triomphe.  Mon  vœu,  j'en  jouis,  contre  lonle  es- 
pérance; mon  souhait  esl  rempli,  mes  baisers  sonl  à 
l'objet  aimé,  el  mon  dé:>ir  est  satisfait.  C'est  main- 
tenant que  tu  pleureras  les  dérisions.  Homme  de 
ténèbres,  lu  vas  ouvrir  les  ténèbres.  Méchant!  lu 
vas  mesurer  le  temps  dans  le  pays  du  Lélhé.  Tu  au- 
ras l'aigle  de  Tilhys,  ou  la  pierre  ronde  d'Ixion,  ou 
lu  subiras  au  milieu  de  l'eau  la  soif  comme  Tantale. 

Entre  à  présent,  Babion  ;  l'avenir  esl  assuré  en 
tout  ;  tome  action  l'esl  permise,  car  le  tendeur  de 
pièges  est  bien  loin.  (//  entre  dans  la  maison.) 

SCÈNE  XVIII. 

BABION  ,    PECULA  ,    FODIUS  ,    AUTRES    DOMESTI- 
QUES. 

babion  à  Pécula.  Lève-loi,  ma  sœur;  fais  un 
suaire  pour  Fodius  mourant.  Lève- toi  en  louie  hâle. 
Fodius  expire,  il  esl  mort. 

fodius,  à  part.  Eh!  un  moment  de  grâce  ;  cela  ne 
va  pas  si  vile,  el  je  ne  suis  pas  si  bas';  si  encore 
aurai-je  auparavant  deux  mois  à  vous  dire,  quoi- 
qu'il vous  déplaise.  Je  tirerai  la  conclusion  après 
vous... 

babion.  Deboul  ! 

pécula.  Qui  es-luî 

babion.  Babion. 

pécula.  Qui,  Babion? 

b\bion.  C'est  moi  ton  mari. 

pécula.  Qui,  mon  maril?  C'est  quelque  voleur.  4e 
suis  perdue.  Au  secours!  Fodius! 

fodius.  Et  qui  esl  là  ? 

pécula.  C'est  un  voleur. 

Babion.  C'est  moi,  Babion. 

fodius.  Non,  lu  n'est  pas  Babion,  lu  es  quelque 
galant  el  lu  laisseras  ici  sous  cette  épée  lous  les  os. 

babion.  Arréle,  je  suis  Babion. 

fodius.  Non  pas,  c'est  à  la  lin  des  fêles  de  Bac- 
chus  que?  Babion  reviendra.  Tu  es  quelque  adul- 
tère et  lu  vas  payer  ion  audace. 

—  Tarn  cilo  nos  linques.  —  Doleo  vos  sero  relinqui, 
Nain  modo  malo  fugam,  quam  magis  arcta  pâli. 

(«) 
Fie,  domus  et  Pecula;  monachus  fil  Babio;  flete. 

(*) 

Donec  eum  revocem  non  red'.lurus  cal. 

0  (rater  Babio!  quantum  michi  flcmlus  abibis; 
Hos  flelus  faciunt  gaudia  magna  michi.  (c) 


babion.  Aie  de  la  lumière  cl  lu4  verras. 

fodius.  El  quel  besoin  encore  de  lumière?  Je  le 
sais  du  fond  du  cœur  :  il  n'y  a  ici  aucun  Babion. 
Tu  ne  nous  échapperas  pas,  ce  n'est  pas  ainsi  que 
l'on  se  joue  de  ses  serviteurs.  Tu  ne  payeras  que  ton 
cent,  je  neveux  pas  te  faircd'auire  mal.  (7/  le  frappe.) 

babion,  blessé.  Hélas!  hélas!  je  suis  mon. 

fodius.  C'est  un  voleur.  Allumez  de  la  lumière  ! 
(Peignant  Tâtonnement.)  0  douleur!  C'est  Babion! 
Et,  imbécile,  d'où  venez-vous  ?  pauvre  sol,  quand 
serez-vous  sage  ?  Notre  âne  ne  jouera  jamais  de  ci- 
thare, noire  bœuf  ne  pérorera  pas  en  docteur,  et 
jamais  Babion  ne  sera  raisonnable.  Vous  clés  bien 
heureux  que  nous  ne  vous  ayons  pas  mis  à  pis. 

bABiON.  Et  qui  frapperait  encore,  quand  il  n'y  a 
plus  lieu  que  de  gémir? 

fodius.  Pour  si  peu  de  chose,  gémir!  Je  suis  mé- 
decin cl  docte  dans  cel  art,  une  blessure  si  légère 
sera  bieniôi  guérie. 

babion.  11  y  a  de  la  hardiesse  à  parler  de  tout,  et 
c'est  ce  que,  dans  ce  moment,  prouve  ce  proverbe  : 
«  Ci  lui  qui  n'a  pas  le  mal,  ne  sait  pas  tout  Ce  que 
souffre  le  malade.  > 

SCÈNE  XIX. 

BABION,    Seul. 

babion.  0  coupable  chose  !  femme  de  mauvaises 
mœurs  !  la  pire  des  choses  !  ô  séducteur  !  Il  n'y  en 
a  pas  un.  dans  loul  le  monde,  qui  ne  soit  un  rusé. 

Mais  de  si  grands  maux  ne  sont  plus  dès  maux  ; 
leur  multitude  les  réduit  à  rien.  Quand  on  vil  avec 
le  serpent  depuis  longtemps,  ou  ne  craint  plus  le 
danger. 

Ma  femme  esl  une  scélérate;  mon  esclave  est  mon 
liOtirretu;  ennui  de  ce  côté,  douleur  de  l'autre;  elle 
est  le  loup,  lui,  le  lion  ;  elle  lient,  il  lie  ;  elle  donne 
la  chasse  el  il  étrangle  ;  elle  serre  de  près  et  il  frap- 
pe; elle  crie  :  à  mon!  el  il  tue. 

SCÈNE  XX. 

BABION,    PÉCULA,  FODIUS 

babion.  Tenez-moi  prêls  un  char  cl  son  conduc- 
teur pour  aller  de  nuit  aux  saints  lieux;  je  veux 
mettre  à  ma  vie  un  lerme  pieux. 

tous  ensemble.  Vous  nous  laissez  sitôt. 

babion.  Je  nie  plains  de  vous  laisser  si  lard,  el  je 
décamperai  plutôt  d'ici  en  mauvais  point  que  se  sup- 
porter plus  longtemps  vos  méchancetés.  Pleurez, 
gens  de  ma  maison,  pleure,  ô  Pécula,  Babion  se  fait 
moine,  pleurez! 

pécula.  (A  pari.)  Qu'il  attende  que  je  rappelle,  et 
marche  toujours  en  avant  sans  songer  au  retour. 
(Haut.)  O  frère  Babion,  quels  regrets,  ;qne  de  lar- 
mes me  cause  ton  dépari!  (A  pari.)  Ces  pleurs  me 
font  grand  plaisir. 

babion  à  Fodius.  Eh,  Fodius,  je  le  donne  Pécula. 
Ne  me  remercie  pas,  crois  à  mon  expérience  el  re- 
doute notre  sort. 

Que  Croceus  et  Violette  se  portent  bien,  et  vous 
aussi,  porlez-vous  bien.  Soyez  heureux  dans  voire 
vie,  vos  enfants  et  vos  biens.  Moi,  Babion,  je  vous 
l'ai  teste,  et  retenez  bien  ces  derniers  mots:  11  ne 
faut  se  fier  ni  à  sa  femme,  ni  à  la  fille  qu'on  a  «le- 
vée, ni  à  son  client  (80o'-7.) 

Ecce  Fodi,  Peculam  libi  do,  nonutere  votis  ; 

Experte  crede,  noslraque  fala  lime. 
Croceus  el  Viola  valeant!  cl  vos  valeaiis  ! 

Feliccs  sevo,  germine,  diviliis. 
Bdbio  leslis  adesl,  h:ec  ulliina  verba  leneto  : 

Soin  iucredibiles  uxor,  aluinpna,  (liens. 
(Explicit  comœdia  liabionis.) 

(80G-7)  M.  Bruce  Wry  te  analyse  ainsi  les  vers  3*^i  à 


(a)  Pecula. 
vers  suivant. 


'M.  B.  W.l  II.  Wright  ne  lil  Pecula  au'au 


Ib)  Pfcula.  (Cott.)  —  (M.  Wn.| 

(c)  Habio  l'odo  (Coll.)  —  [il.  Wh.) 


iZib 


RAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAV 


1310 


BARBIER  ET  DE  CHARIOT  (La  dispute 
du)-.  —  La  Dispute  du  Barbier  cl  de  Chariot  a 
été  considérée  comme  un  monument  dra- 
matique. (Cf.  Legband  d'Aussy,  Fabliaux, 
Contes,  Fables,  etc.;  Paris  ,  Ken  >uard,  1829, 
5  vol.  in  8",  t.  Il,  p.  203.) 

M.  Achille  Jubinal  a  édité  celle  pièce  dans 
les  Olùiv; es  complètes  de  Ruiebeuf,  trou- 
vère du  xme  siècle  (Paris,  1839,  2  vol.  in-8°, 
t.  I",  p.  212).  Il  y  voit  une  satire  person- 
nelle contre  un  certain  Charles  ou  Chariot, 
ménestrel  qui  avait  suivi  saint  Louis  en 
terre  sainte,  et  qui  semble  avoir  été  son  ri- 
val ou  même  son  ennemi. 

Il  n'est  pas  d'avis  que  cette  pièce  ait  pu 
donner  lieu  à  une  véritable  représentation 
théâtrale,  mais  il  pense  que  le  moyen  fige 
put  avoir  un  théâtre  de  famille  et  de  festins, 
où  se  rangent  tous  les  dicts  et  les  disputoi- 
sons  de  celle  nature.  [Ibid.,  note  Q,  p.  423- 
425.) 

BATARDS  DE  CAUX  (Les).—  Les  Bâtards 
de  Caux,  farce  nouuelle  et  ioyeuse  a  v.  per- 
sonnages, c'est  a  scauoir  : 


LES  BATARS  DE  CAUX, 

LA  MÈRE, 

L'AINE   QUI   EST   HENRY, 


le  petit  colin, 
l'escollier, 
et  la  fille. 


Celte  pièce  est  conservée  dans  ie  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  de 
La  Vallière,  n°  63. 

Elle  date  du  commencement  du  xvi'  siècle. 

L'unique  édition  qui  en  exisle  est  celle 
de  la  collection  Téchener  (Recueil  de 
Farces...) 

La  mère  se  lamente  avec  ses  enfants  de  la 
morl  de  son  mari  ;  Henri  l'aîné ,  hérite  de 
tout  le  bien,  ses  frères  réclament  : 

colin. 

Sommes  nous  plus  balars  que  iiiy 
Jamais  n'en  gaigna  un  denger. 

LA    MÈRE. 

Mes  enfans,  c'est  te  couslumyer 
Qui  esi  faict  passes  trois  cens  ans... 

LA    FILLE. 

Il  auoyl  bin  le  deable  au  corps 
Qui  cesle  loy  institua. 

La  querelle  se  termine  par  un  procès. 

571  :  «Fodius  se  lève, demande  qui  est  là,  et  crie  aus- 
sitôt :  Ah  voleur!  au  voleur!  11  éveille  les  autres  do- 
mestiques, et  feignant  de  ne  pas  reconnaître  Rabion, 
il  le  bal  sans  miséricorde.  Rabion  est  obligé  de  dé- 
cliner son  nom  :  j  Vitra  quam  salis  est,  Uabio,  sum; 
parcile!  »  Fodius  lui  reproche  sa  lâcheté  eH  ajoutant 
<pic  ses  indignes  et  injustes  soupçons  auraient  pu  lui 
coûter  la  vie.  Le  maître  cependant  n'est  ni  con- 
vaincu ni  apaisé.  (P.  421.) 

Le  critique  cite  les  quatre  vers  5*7 1  à  575  et  re- 
prend s  <  il  (Rabion)  son,  et  revient  à  (Instant  où 
'Fodius,  pour  le  mieux  tromper,  prétend  être  dange- 
reusement malade  ;  à  cet  effet  Fodius  s'écrie  (sui- 
vtnl  les  deux  vers  415  et  410). 

c  Babion  qui  entend  ces  mots,  se  réjouit  en  son- 
geant que  le  traître  est  si  près  de  sa  fin.  (M.  B.-W. 
cite  les  vers  432-442,  moins  le  440').  Fodius,  qui 
n'est  oas  si  pressé  de  rendre  visite  à  Plulon,  répli- 


LA    MÈRE. 

Entre  vous  qui  voulles  aquerre 
Des  biens  mondains  à  vos  enfahs, 
Faicles  leurs  pars  en  vos  viuans, 
Pour  euiter  entre  eulx  la  guerre... 

BATELEUR  (Le).  —  Le  Bateleur,  farce 
ioyeuse  a  \.  personnages,  c'est  a  scauoir. 

LM    BATELEUR,  B1NELE, 

SON   VARLET,  ET    DEULX   FEMMES. 

Le  manuscrit  du  xvie  siècle,  conservé  à  la 
Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Vallière, 
n°  03,  édité  par  MM.  Leroux  de  Liney  et 
Francisque  Michel  (Voy. Recueil  de  Farces...}, 
contient  celle  farce  que  le  varlel  termine 
oar  ce  conseil  aux  spectateurs  : 

Hardiment  faisons  nous  valloir, 
Soucy  d'argent  n'est  que  l'abil... 

BATELIÈRE  (La  fille).  —  La  Fille  basle- 
lière,  monologue  nouueau  et  fort  récréatif, 
est  conservée  dans  le  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  ,  fonds  La  Vallière, 
n°  63,  attribué  sans  preuve  à  Pierre  Taserye. 

Elle  a  été  éditée  par  MM.  Leroux  de 
Liney  et  Fr.  Michel,  dans  le  Recueil  de  far- 
ces, moralités  et  sermons  joyeux  (Paris,  Té- 
chener ,  1837,  in-8°,  4  vol.);  ce  Recueil, 
très-peu  soigné  typographiquement,  n'a  été 
tiré  qu'à  76  exemplaires. 

Un  bateleur  instruit  sa  chambrière,  et 
celle-ci  qui  le  remplace,  débite  au  lieu  et 
place  du  charlatan  : 

Icy  apporte  doygnemenU,  pouldres,  racines, 
Pour  faire  grosses  médecines 
A  ceulx  qui  en  eronl  besoing... 

Ehe  cite  un  grand  nombre  de  villes  où 
elle  a  passé;  tout  cela  est  entremêlé  de  ma- 
lice, de  plaisanteries,  de  grossièretés  et 
d'indécences  :  c'est  une  pièce  de  foire. 

BATON  (Martin).  —  Voy.  Martin  Bâton. 

BAVARDAGE  DU  MONDE  (Le).  —  Li 
Riole  de  V monde,  ou  le  Bavardage  du  monde, 
da'e  du  xve  siècle. 

Celte  pièce  ,  en  prose  et  anonyme,  est 
conservée  dans  le  tus.  de  la  Bibliothèque 
impériale,  n°  7595. 

Elle  a  été  publiée  par  M.  Francisque  Mi- 
chel, à  Paris,  chez  Silvestre,  en  1834. 

On  la  retrouve  en  vers  dans  le  ms.  de  la 
Bibliothèque  harléienne  à  Londres,  n°2253, 
sous  ce  titre  :  Le  Jongleur  d'Ely  et  le  roi 
d'Angleterre.   Cette  version  a  élé  éditée  à 

que  à  part.  (V.  439,431,  442).  (P.  422.) 

i  Alors  il  quitte  le  lit,  et,  ayant  rencontré  B.ibion 
au  milieu  des  ténèbres,  une  rixe  s'engage  entre  eux. 
Fodius,  comme  auparavant,  prétend  ne  pas  le  con- 
naître, l'accuse  d'être  un  débauché,  et  malgré  les 
protestations  réitérées  de  son  maître,  il  lui  porte 
un  coup  mortel.  Enfin,  comme  s'il  venait  de  recon- 
naître Rabion,  il  affecte  de  la  surprise,  et  exhale  en 
ces  termes  son  prétendu  désespoir.  (Vers  454  à 
459.) 

Alors  Fodius  propose  de  guérir  la  blessure  incura- 
ble qu'il  a  faite  : 

...  Medicus  sum...  (Vers  459.) 
t  Babio,  connaissant  son  état  et  trop  convaincu  de 
la  perfidie  de  son  serviteur,  refuse  le  secours  qu'il 
lui  offre,  cl  la  pièce  se  termine  par  les  lignes  sui- 
vantes (vers  403,404,  405  adftnem\ 


I3i7 


BAZ 


NOTICE  SUR  LL  THEATRE  LIBRE. 


BAZ 


\j\S 


Londres,  en  1818,  par  M.  Francis  Palgrave, 
et  en  "France  par  l'abbé  Dolarue  (Ilist.  des 
bardes,  jongleurs  cl  trouvères  normands  et 
anglo-normands,  t.  1er,  p.  283). 

M.  Achille  Jnbinal  cite  celte  petite  pièce 
dans  le  Pr  vol.  de  son  édition  des  OEnvres 
complètes  de   Rutebcuf  (Paris,   1829,2  vol. 

in-8°,  t.  1er,  p.  W3). 

La  Iiiote  del  monde  a  été  classée  par 
M.  Edélestand  Duméril  parmi  les  poésies 
empreintes  de  l'esprit  du  moyen  âge  à  tout 
dramatiser.  (Cf.  Origines  latines  du  théâtre 
moderne,  Paris,  1849,  in-8°,  p.  3.) 

Elle  appartient  probablement  à  la  fin  du 
xve  siècle. 

Voici  le  commencement  du  texte  en  prose  : 

le  me  chevauchoie  d'Amiens  à  Corbîe;  s'encon- 
trai  le  roi  et  sa  maisnie  : 

—  A  cui  es-lu?  dist-il. 

—  Sire,  je  suis  à  mon  signor. 

—  Qui  est  les  sires  ? 

—  Li  barons,  nie  dame. 

—  Qui  esl  la  daine? 

—  La  famé  mon  signor...  etc 

BAZOCHE  (La).  —  Dans  leur  Histoire  da 
théâtre  français,  t.  Ier,  39,  et  t.  11,  p.  78)  les 
frères  Parfait  ont  donné  sur  la  Bazoche  les 
notes  suivantes  : 

HISTOIRE    DE    LA    BAZOCHE. 

«  Cène  sont  plus  ici  de  grossiers  pèlerins, 
ni  de  bas  ouvriers  qui  jouent  des  pièces  en 
public,  c'est  un  roi  ,  accompagné  de  son 
chancelier,  de  plusieurs  maîtres  des  requê- 
tes, d'un  procureur  général  et  autres  per- 
sonnes revêtues  de  titres  éminenls  dans  la 
robe,  qui  prennent  ce  soin  eux-mêmes.  Mais 
pour  expliquer  ce  fait  qui  paraît  assez  sin- 
gulier, il  faut  remontera  l'origine  de  ce  roi 
et  de  ses  sujets. 

«  Le  pouvoir  de  la  Bazoche  s'étend  su" 
tous  les  clercs  qui  ne  sont  ni  mariés  ni  pour- 
vus d'offices  de  procureur.  Quelques  auteurs 
voulant  nous  donner  l'origine  de  ce  nom, 
l'ont  tiré  de  deux  mots  grecs  qui  signifient 
répandre  des  discours  ,  parce  qu'une  des 
occupations  les  plus  importantes  des  clercs 
delà  Bazoche  était  autrefois  de  représenter 
au  palais  des  pièces  de  théâtre  dans  le  goût 
de  l'ancienne  comédie.  Mais  sans  donner  la 
torture  au  mot  Bazoche,  il  suffit  de  remar- 
quer que  tous  les  lieux  qui  s'appellent  dans 
les  titres  latins  Basilica,  ont  porté  en  fran- 
çais, deouis   plusieurs  siècles  ,   le   nom  de 

(808)  Noua  sommes  obligés  de  suivre  deux  ail- 
leurs qui  sont  les  seuls  qui  aient  parlé  de  la  Bazoche 
un  peu  inélliodiipiemenl,  et  qui  cependant  se  sonl 
plus  attachés  à  rendre  compte  de  l'origine  et  des 
usages  établis  entre  les  clercs,  que  des  jeux  repré- 
sentés par  ces  derniers.  Le  premier  esl  Miraumonl, 
qui  a  l'ail  un  Traité  des  juridictions  royales  étant 
dans  l'enclos  du  l'uluis  ,  cl  le  second  un  particulier 
qui  prend  la  qualité  d'avocat  de  la  Bazoche,  à  la  lète 
d'un  liecueil  de  statuts,  ordonnances,  règlements,  an- 
tiquités, prérogatives  et  prééminence  du  royaume  de 
la  Bazoche,  imp.  en  158(i. 

(809)  Ce  titre  «le  roi,  donné  à  un  simple  clerc, 
ne  paraîtra  extraordinaire  qu'à  ceux  oui  ignorent 


Bazoche,  Bazoge,  ou  Bazouges.  Or,  le  pre- 
mier usage  que  les  Romains  aient  fait  du 
terme  Basilica  a  élé  pour  désigner  les  audi- 
toires spacieux  où  les  préteurs  adminis- 
traient la  justice.  Jamais  auditoire  n'a  mieux 
mérité  ce  nom,  que  la  grande  salle  du  palais 
de  Paris,  et  le  terme  basilique,  c'est-à-dire 
royal,  convient  encore  ajuste  titre  au  palais 
où  nos  rois  ont  si  longtemps  demeuré.  C'est 
sans  doute  de  ce  nom  de  basilique  que  la 
Bazoche  a  pris  le  sien. 

«  Cet  établissement  se  fit,  vers  l'an  1303, 
par  le  roi  Philippe  le  Bel,  qui  donna  même 
Je  nom  de  roi  au  chef  de  celte  juridiction, 
dont  les  officiers  furent  appelés  chancelier, 
maître  des  requêtes,  avocat  et  procureur 
général,  grand  référendaire,  grand  audien- 
cier  de  la  chancellerie,  secrétaires,  greffiers, 
huissiers,  etc.  Il  permit  aussi  à  ce  roi  de  la 
Bazoche  de  porter  la  loque  royale,  et  au 
chancelier  de  porter  la  robe  et  le  bonnet.  Il 
ordonna  que  les  plaidoiries  ordinaires  se 
tiendraient  deux  fois  la  semaine;  à  savoir* 
le  mercredi  et  le  samedi,  sur  les  cinq  heu- 
res de  relevée  :  et  que  tous  les  ans,  le  roi  de 
la  Bazoche  ferait  faire  montre  à  tous  les 
clercs  du  palais,  avec  tambour  et  trompette, 
accompagné  de  tous  les  clercs  ses  sujets, 
sous  la  conduite  d'un  colonel  et  de  douze 
capitaines... 

«  Ou  dit  (Statuts  et  Règlements  du  royaume 
de  la  Bazoche)  que,  sous  le  règne  de  Philippe 
le  Bel  (808),  le  nombre  des  procès  augmen- 
tant de  jour  en  jour,  les  procureurs  se  trou- 
vèrent obligés  ile  représenter  au  parlement 
qu'ils  ne  pouvaient  vaquer  aux  affaires  dont 
ils  étaient  chargés,  sans  être  aidés  dans  leur 
ministère.  La  cour  ayant  délibéré  sur  cette 
demande,  permit  aux  procureurs  de  recevoir 
des  jeunes  gens  pour  travailler  sous  eux, 
qui  par  ce  moyen  s'instruiraient  dans  leur 
profession,  et  deviendraient  capables  dans 
la  suite  de  parvenir  aux  mêmes  emplois. 
Ces  jeunes  gens,  à  qui  on  donna  le  nom  de 
clerc,  qui  revient  à  celui  d'étudiant,  se  ren- 
dirent si  utiles  au  public,  que  pour  récom- 
penser leur  vigilance  et  leur  exactitude, 
Philippe  le  Bel,  vers  l'an  1303,  voulut  non- 
seulement  qu'ils  eussent  un  roi  entre 
eux  (809),  à  qui  il  [terrait  de  porter  une 
loque  pareille  à  la  sienne  (810),  mais  encore 
un  chancelier,  des  maîtres  des  requêtes,  un 
avocat  et  un  procureur  général,  un  procu- 
reur de  la  communauté  des  clercs,  un  grand 

qu'il  y  avait  alors  à  Paris  plusieurs  particuliers  qui 
le  portaient.  Tels  étaient  le  roi  des  merciers,  qui: 
le  grand  chambellan  (a)  nommait;  et  qui  avait  au 
lorilé  sur  sa  communauté.  Celui  des  ribauds,  ayant 
Inspection  sur  les  mauvais  garçons  de  la  cour  et  de 
Paris,  et  enfin  le  roi  des  arbalétriers,  etc.  (Voy. 
Miiut'MONT,  p.  615,  de  son  Traité  des  jur. dictions 
royales  étant  dans  rendus  du  Palais.) 

(810)  Les  bonnets  de  chambre  ressemblent  beau- 
coup à  ces  loques  dont  on  peut  voir  la  ligure  dans 
les  anciennes  tapisseries,  surtout  celles  qui  furent 
fabriquées  sous  les  règnes  de  François  I",  Henri  U, 
etc.. 


(a)  On  l'appelait  autrefois  le  çrand  chambrier. 


1319                       BÀ£                    DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES.                   BAZ                        1320 

référendaire  et  rapporteur  en  chancellerie,  des  clercs.  Ces  deux  derniers  se  présentent 

un  grand  audiencier  et  aumônier ,  qui  se-  à  la  communauté  des  procureurs,  qu'on  ap- 

raient  niaiJLres  des  requêtes  extraordinaires,  pelle  l'ancien  conseil  (où  préside  toujours  le 

et  autres  officiers  dont  nous  parlerons  plus  chancelier   de  la  Bazoche),    et  demandent 

amplement;  et,  pour  gratifier  davantage  cette  deux  commissaires  (qui  sont  deux  anciens 

nouvelle  société,  le  même  roi,  Philippe  le  procureurs)  pour  les   aider  à  procéder  à  la 

Bel,  leur  concéda  le  droit  de  justice  souve-  nouvelle  élection.  Leur  réquisitoire  accordé, 

raine,  qui  s'exercerait  au  palais  sous  le  nom  les  deux  commissaires,  le  procureur  géné- 

et  autorité  de  la  Bazoche  (811),  laquelle  jus-  rai  et  le  procureur  de  la  communauté  des 

tice  serait  seule  et  sans  appel  pour  tous  les  clercs,  se  rendent  au  parquet  de  messieurs 

clercs,  sur  les  différends  qu'ils  avaient  et  les  gens  du  roi  du  parlement,  où,    pendant 

pourraient  avoir  à  l'avenir,  soit  les  uns  con-  trois  jours  consécutifs,  ils  y  recueillent  les 

tre  les  autres,  Ou  avec  d'autres  particuliers;  voix  de  tous  les  clercs.  Ensuite,  ces  quatre 

et  pour  donner  plus  d'étendue  à  la  puissance  personnes  et  tous  les  officiers  de  la  Bazoche 

du  nouveau  roi  de  la  Bazoche,  il   lui  fut  se  transportent  à  l'ancien  conseil.  Le  rap- 

permis  de  faire  frapper    une  monnaie  qui  port  fait,   le  chancelier  de  la  Bazoche,  qui 

aurait  cours  parmi  les  clercs  et  les  marchands  est  à  la  tête  de  cette  assemblée,  va  aux  opi- 

fournissant  cette  société  ,    mais   de  gré  à  nions,  en  commençant   par  les  procureurs 

gré.  au  parlement,  et   finissant  par  les  officiers 

«  Par  la  suite,  la  Bazoche  obtint  une  pleine  de  sa  juridiction  :  et  après  avoir  compté  les 

autorité,  non-seulement  sur  tous  les  clercs  voix,  il  nomme  par  un  arrêt  celui  qui  en  a 

du  palais  et  du  Châlelet,  mais  aussi  sur  tous  le  plus  grand  nombre.  On  lui  fait  passer  le 

ceux  des  juridictions  ressortissantes  au  par-  barreau  et  prêter  serment,  elc.  (Quelquefois 

lement  de  Paris  (812).  le  chancelier  est  continué  dans   son  emploi 

«  Comme  il  serait  difficile  d'entendre  plu-  encore  un  an  ;  mais  alors  c'est  la   Bazoche 

sieurs  faits  particuliers  des  jeux  de  la  Bazo-  seule  qui  proroge  ce  temps,  sans  être  obli- 

che,  sans  connaître  le  nombre   et  les  fonc-  gée  d'y  appeler  les  procureurs  au  parlement.) 

tions  des  officiers  de  ce  royaume,  nous  allons  Ensuite  on  lui  remet  les  sceaux  (814)  sur 

parler  de  ces  derniers.  lesquels  sont  gravés  les  armes  de  la  Bazo» 

«  Le  plus  considérable  officier  de  la  Bazo-  che  (815)   timbrées   de   casque   et  morion, 

che,  après  le  roi  de  cette  juridiction,  était  le  pour  marque  de  souveraineté.  Ce  chancelier 

chancelier  (813),  qui  ne  porte  ce  titre  et  n'en  préside  aux  audiences,   et  prononce  les  ju- 

exerce  les  fonctions  qu'un  an.  Il  est  élu  huit  gements  qui  s'y  rendent,  et  ses  arrêts  sont 

jours  après  la  Saint-Martin,  et  voici  corn-  exécutés  comme  ceux  du  parlement,  nonobs- 

ment  on  y  procède.  Lorsque  le  temps  d'é-  tant   oppositions   et  appellations    quelcon- 

lire  un    chancelier  approche,  le   procureur  ques  (816). 

de  la  communauté  des  clercs  requière  à  la  «  Les    maîtres   des   requêles   ordinaires, 

juridiction  qu'il  soit  nommé  quatre  conten-  dont  le  nombre  fut  fixé  à  douze,  rendent  la 

dants,  pour  faire  choix  parmi  eux  d'unnou-  justice  conjointement  avec  le  chancelier, 

veau  chancelier.  Le  procureur  général  con-  «  Le  grand  référendaire  et  rapporteur  en 

dut  aux  mêmes  fins,  et  la  Bazoche  rend  un  chancellerie,  le  grand  audiencier  et  le  grand 

arrêt  qui  nomme  le  nombre  de  sujets  re-  aumônier,  portaient  le  titre  de  maîtres  des 

ouis.  Il  est  à  remarquer  que  ce  choix  roule  requêtes  extraordinaires.   Le  premier  était 

sur  les  quatre  plus  anciens  maîtres  des  re-  chargé  du  soin  de  présenter  les   lettres  de 

quêtes  ordinaires,  l'avocat  général  ,  le  pro-  provisions  d'office  accordées  par  la  Bazoche, 

cureur  général,  et  celui  de  la  communauté  le  second,  celles émanésstdu  chancelier;  elle 

(811)  Ce  mot  Bazoche  vient  du  latin  Basilica.  Les  Bazoche  dattéas  de  l'an  1586,  sçavoir  les  villes  de 
clercs  s'en  servirent  sans  doute  à  cause  qu'ils  s'as-  Loches,  Chaumonl,  Lyon,  et  autres  lieux.  Plusieurs 
semblaient  dans  la  grande  salle  du  Palais.  (Voir  poursuites  sur  appellations  des  sentences  du  prévôt 
plus  haut.)  Au  reste,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'ils  hazochial  de  Lyon,  et  un  règlement  l'ail  en  la  Ba- 
avaient  déjà  établi  certaines  règles  entre  eux,  et  zoche  l'an  1599,  par  les  officiers  de  la  Bazoche  de 
que  les  privilèges  que  Philippe  le  Bel  leur  accorda  Verneùil.  »  (Recueil  des  statuts,  ordonnances,  règle- 
ifen  lurent  que  la  confirmation.  menls,  antiquités,    prérogatives   et  prééminences  du 

(812)  «  La  Bazoche  a  toujours  été  auclorisée  par  royaume  de  la  Bazoche,  pp.  29  et  50.) 

les  roys  de  Fiance,  et  approuvée  par  les  arrêts  de  (815)  Lorsque  Henri  III  eut  abrogé  le  titre  de  roi 

nos  seigneurs  du  Parlement;  et  si  on  en  voit  encore  et  de  royaume  de  la  Bazoche,  le  chancelier  devint 

aujourd'huy  deux   anciens,  l'un  en  dalle  du   mardy  et  est  encore  la  première  personne  de  la  juridiction 

ik  juillet  1528,  et  l'autre  du  3  avril  1545,  dans  les  dont  nous  parlons, 

registres  de  la  cour,  dans  lesquels  on  reconnoil  l'an-  (81  i)  Ils  sont  d'argent. 

cienneté  de  la  Bazoï  lie  et  leurs  beaux  privilèges.  Et  (815)  Les  armes  °de  l'a  Bazoche"  sont  trois  écri- 
il  se  remarque  dans  celui  de  1528,  qu'il  est  porté  toires  d'or  en  champ  d'azur, 
que  les  Bazochiens  de  Poicliers  tiennent  eu  fuy  et  (810)  Qu'on  ne  nous  blâme  point  de  ce  que  nous 
hommage  du  roy  de  la  Bazoche,  et  que  de  ce  il  se  parlons  des  officiers  de  la  Bazoche,  tantôt  au  pré- 
trouve une  complainte  en  manière  de  nouvellelé  de  sent,  el  tantôt  au  passé  :  c'est  un  moyen  qu'on  a 
1500,  laquelle  est  signée  en  queue  par  monsieur  le  employé  pour  distinguer  ceux  qui  subsistent  actuel  - 
president  Guillard,  lors  étant  maître  des  requêtes  lement  au  Palais,  d'avec  ceux  dont  les  droits  et  les 
du  roy,  parce  qu'ils  n'eloient  tenus  de  répondre  ail-  fonctions  sont  supprimées.  Par  là  on  évite  des  répé- 
leurs  qu'en  la  Bazoche.  Celle  même  Bazoclie  a  donné  titions  inutiles,  et  même  étrangères  au  sujet  que 
des  lettres  d'érection  de  Bazoche  à  plusieurs  villes;  nous  traitons, 
on  en  voit  la  preuve  dans  les  lettres  du  roy  de  la 


r>2i 


BAZ 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAI 


I3if 


dernier  de  la  distribution  des  aumônes  :  ce 
qu'ils  ne  faisaient  cependant  qu'en  présence 
du  chancelier  et  du  procureur  général.  Ces 
maîtres  des  requêtes  extraordinaires  ne  pou- 
vaient assister  en  qualité  de  juges  aux  affai- 
res qui  se  décidaient  aux  audiences,  qu'au 
défaut  du  nombre  compétent  des  maîtres 
dos  requêtes  ordinaires  (817),  ou  lorsqu'ils 
étaient  mandés. 

«  Le  procureur  généra,  ne  peut  être  des- 
titué de  son  emploi  qu'au  cas  de  mariage  ou 
d'achat  d'une  charge  de  procureur.  L'avocat 
du  roi  et  le  procureur  de  la  communauté 
des  clercs,  doivent  tenir  la  main  à  l'exécu- 
tion des  ordonnances,  règlements  et  statuts 
établis  par  la  Bazoche,  jet  de  plus  assister  à 
toutes  les  plaidoiries  ordinaires  et  extraor- 
dinaires, et  aux  assemblées  qui  se  font  «  pour 
«  empêcher  qu'il  ne  s'y  glisse  quelque  abus 
«  dans  l'ordre  établi  par  la  société,  qui  a 
«  toujours^observé  et  observe  encore  aujour- 
«  d'hui  très-exactement  l'ordonnance  qui 
«  fait  deffense  à  tous  les  officiers  de  la  Ba- 
«  zochc  de  prendre  aucun  salaire  pour  la 
«  Visitation  des  procès,  charges  et  informa- 
tions qui  leur  sont  communiquées  ,  pour 
«  sur  iceux  prendre  conclusions  civiles  et 
«.  criminelles.  » 

«  Les  trésoriers  ou  receveurs,  au  nombre 
de  quatre  (818),  qu'on  élisait  deux  jours 
avant  le  chancelier,  étaient  obligés  de  faire 
assembler  le  conseil  pour  les  audiences,  qui 
se  tiennent  le  mercredi  et  le  samedi  à  onze 
heures  (819)  «  de  recevoir  tous  les  Becs- 
«  jaunes  (820),  et  bien  venue  accoutumée 
«  être  prise  sur  tous-les  clercs  indifférem- 
«  ment  entrant  au  Palais,  qui  sont  d'un  tes- 
«  ton  de  roy  (821)  pour  l'ordinaire,  et  le 
«  double  pour  les  nobles  à  cause  de  leur 
«  qualité  plus  relevée.» 

«  Ces  trésoriers  ,  qui  sont  toujours  du 
nombre  des  maîtres  des  requêtes,  reçoivent 
les  gratiticatioiis  faites  à  la  Bazoche  par  le 

N817)  Ces  maîtres  des  requêies  devaient  être  au 
moins  sept  pour  rendre  un  jugement. 

(818)  Depuis  irès-longleinps  il  n'y  en  a  plus  que 
deux. 

(819)  Le  mercredi  qui  suit  la  rentrée  du  parle- 
ment, la  Bazoche  ouvre  ses  audiences  en  la  chambre 
de  S.  Louis.  La  première  séance  est  employée  au 
iceil  d'une  harangue  prononcée  ordinairement  par 
Irt  procureur  de  !a  communauté  des  clercs,  par  la- 
quelle il  exhorte  ses  confrères  à  remplir  dignement 
les  places  qu'ils  occupent.  Ensuite  on  fait  la  lecture 
du  tableau  des  avocats  bazoehiens. 

(820)  Métaphore  prise  des  oiseaux  quionllchec 
jaune  avant  que  d'avoir  de  la  plume.  11  y  a  grande 
apparence  que  l'einharras  où  se  trouvaient  les  nou- 
veaux clercs,  en  répondant  aux  questions  qui  leur 
étaient  faites  par  les  trésoriers,  a  donné  lieu  à  ce 
fio.iiquet.  Au  reste,  depuis  plus  de  cinquante  ans, 
les  clercs  ne  payent  plus  ce  droit. 

(821)  Monnaie  d'argent  du  poids  de  7  deniers 
12  grains  1/2  de  fin,  que  l'on  commença  de  fabriquer 
sous  Louis  XII,  en  1513,  qui  fut  évaluée  à  10  sous. 
Sous  les  règnes  suivants,  celte  monnaie  augmenta 
jusqu'à  3  livres. 

(822)  L'anonyme  qui  a  fait  un  Becueil  des  statuts 
et  règlements  du  royaume  de  la  bazoche,  nous  ap- 
prend que  ces  gratifications  (qui  sont  évaluées  pré- 
sentement à  150  livres  chacune)  furent   accordées 

Dictionn.  des  Mystères. 


parlement.  La  cour  des  aides,  et  la  cha  i- 
cellerie  (822)  qu'ils  emploient  aux  dépenses 
que  la  juridiction  fait  pour  élever  dans  la 
cour  du  palais  un  arbre  qu'on  appelle  le  Mai. 
Comme  cette  cérémonie  s'est  conservée  de- 
puis son  origine  (qui  suivit  de  près  ceile 
des  clercs),  il  est  nécessaire  d'en  parler. 

«  Tous  les  ans,  au  mois  d'avril,  le  procu- 
reur général  de  la  communauté  des  clercs 
se  présente  à  l'audience  de  la  Bazoche,  et 
demande  qu'il  plaise  à  la  juridiction  nommer 
deux  commissaires  pour  faire  la  recette  et 
la  dépense  ordinaire  de  la  fête  de  Mai;  l'a- 
vocat général  prend  la  parole,  conclut  à  la 
nomination  requise,  et  la  Bazoche  donne  un 
arrêt  qui  nomme  les  deux  commissaires. 

«  Ces  commissaires  sollicitent  et  touchent 
la  gratification  du  Parlement  et  celle  de  la 
Cour  des  Aides.  Ces  sommes  reçues  ,  ils  se 
transportent  dans  la  cour  du  Palais,  à  la 
maîtrise  des  eaux  et  forêts  et  conviennent, 
avec  les  officiers  de  celte  juridiction,  dujour 
qu'ils  se  trouveront  à  Bondy,  pour  y  choi- 
sir dans  la  forêt  lés  deux  arbres  qu'on  leur 
a  permis  d'y  faire  couper,  ce  qui  se  fait 
quelque  temps  après. 

«  Le  mercredi  qui  précède  le  dimanche 
que  la  Bazoche  en  corps  va  à  Bondy,  pour  y 
faire  marquer  les  deux  arbres  déjà  choisis, 
le  chancelier  en  habit  de  cérémonie  et  les 
deux  commissaires,  accompagnés  d'un  tim- 
balier, de  quatre  trompettes  ,  de  trois  haut- 
bois et  d'un  basson,  se  rendent  au  palais 
pour  aller  ensuite  donner  les  aubades  et 
réveils  accoutumés  au  premier  président , 
aux  présidents  à  mortier,  aux  procureurs  et 
avocats  généraux,  aux  officiers  des  eaux  et 
forêts,  et  enfin  à  la  Bazoche.  Le  même  jour, 
a  midi,  ils  recommencent  ces  aubades  et 
réveils  à  la  porte  du  parquet  des  gens  du 
roi  ,  à  celle  de  la  Grand'Chambre ,  au  bas  de 
l'escalier  de  la  Cour  des  Aides,  aux  requêtes 
de  l'hôtel, à  la  chancellerie  où  leur  est  déli- 

par  François  Ier  aux  Bazoehiens,  pour  les  récom- 
penser d'un  service  important  qu'ils  rendirent  à  ce 
prince.  Voici  comment  il  rapporte  ce  fait  dont  nous 
ne  nous  rendrons  point  garants  :  «  En  1547,  il  y 
eut  quelque  révolte  en  Guienne,  occasionnée  par 
des  impôts  qu'on  avait  été  obligé  de  mettre  sur 
celle  province.  Le  roi  de  la  Bazoche,  à  la  tète  de 
six  mille  de  ses  sujets,  vint  offrir  ses  services  à 
François  1"  pour  lui  aider  à  punir  les  mutins.  Le 
roi  accepta  ces  offres,  et  les  Bazoehiens,  ayant  joint 
les  autres  troupes  qui  étaient  en  Guienne,  se  com- 
portèrent avec  tant  de  valeur  et  de  sagesse,  qu'ils 
aidèrent  beaucoup  à  remettre  le  calme  dans  tous 
les  lieux  qui  voulaient  se  soustraire  à  l'obéissance 
due  à  leur  souverain.  François  1",  pour  faire  con- 
naître combien  il  était  content  des  Bazoehiens,  leur 
fil  don  i  d'un  lieu  de  promenade,  contenant  cent 
i  arpens  de  pré,  qu'  on  appeloit  le  Pré  de  la  Seine, 
«  et  qu'on  nomma  depuis  le  Pré  aux  Clercs.  A  ce 
c  don,  il  ajouta  la  permission  de  faire  couper  dans 
i  l'une  de  ses  forêls  deux  arbres,  pour  en  élever  un 
e  dans  la  cour  du  Palais,  et  pour  fournir  aux  frais 
«  qu'ils  étoienl  obligez  de  faire  le  jour  de  celle  cé- 
i  rémonie,  il  leur  accorda  une  somme  à  prendre 
«  sur  les  amendes  ajugées  au  roy,  tant  au  Parlement 
«  qu'en  la  Cour  des  aides  ;  et  à  l'instant,  il  leur  e» 
i  fil  expédier  des  lettres  qui  furent  enregistrées'uit 
<  parlement  en  1548.  > 

k-1 


1523 


BAZ 


DICTIONNAIRE    DES  MYSTERES. 


BAZ 


1324 


vrée   la  gratification  d'une  lettre  de  quatre 
sceaux  simples. 

<(  Le  matin  du  dimanche  arrêté  pour  aller 
à  Bondy,  tous  les  officiers  de  la  Bazoche,  à 
cheval  et  habillés  le  plus  magnifiquement 
qu'il  leur  est  possible,  ayant  avec  eux  un 
timbalier,  quatre  trompettes,  etc.,  vont 
prendre  à  sa  demeure  leur  chancelier  et  le 
conduisent  dans  la  cour  du  palais.  Un  clerc 
fait  un  discours  sur  l'antiquité  et  les  privi- 
lèges de  la  Bazoche;  ensuite,  au  son  des 
instruments  guerriers,  la  cavalcade  prend  la 
route  de  Bondy,  où  elle  trouve  en  arrivant 
tous  les  officiers  des  eaux  et  forêts  à  cheval 
suivis  des  gardes  qui  l'attendent.  Après  un 
déjeûner  assez  simple,  les  officiers  des  eaux 
et  forêts  et  les  gardes  se  rendent  à  la  forêt, 
dans  un  lieu  indiqué.  Le  chancelier  et  ses 
suppôts  se  remettent  en  marche,  et  à  une 
portée  de  fusil  de  l'endroit  désigné ,  la 
troupe  fait  halte  et  le  premier  huissier,  par 
ordre  du  chancelier,  vient  avertir  les  offi- 
ciers des  eaux  et  forêts  que  la  Bazoche  en 
corps  arrive,  etc.  On  lui  répond  qu'on  est 
prêt,  etc.  Aussitôt  les  deux  troupes  se  joi- 
gnent et  le  procureur  général  de  la  commu- 
nauté des  clercs  prononce  une  harangue, 
où  ,il  rappelle  les  droils  et  les  privilèges  de 
la '«juridiction  bazochiale;  ensuite  il  fait 
l'éloge  du  roi  régnant,  passe  au  mérite  du 
chancelier  en  place  et  finit  enfin  par  deman- 
der la  permission  de  faire  marquer  les 
deux  arbres  choisis. Cette  demande  accordée, 
les  timballes  et  les  trompettes  se  font  en- 
tendre ;  tous  les  officiers  des  eaux  et  forêts 
et  ceux  de  la  Bazoche  vont  de  compagnie, 
font  marquer  les  deux  arbres  par  le  garde- 
marteau  et  se  séparent.  Le  chancelier  et  sa 
compagnie  viennent  dîner  au  même  endroit 
où  ils  avaient  déjeûné;  quelques  jours  après 
cette  cérémonie,  le  charpentier  avec  lequel 
les  commissaires  ont  conclu  un  marché,  va 
à  Bondy,  y  fait  couper  les  deux  arbres  mar- 
qués, les  conduit  à  Paris  dans  la  cour  du 
Palais  et  en  donne  avis  aux  commissaires 

(823)  Tout  le  monde  sail  que  l'arbre  appelé  le 
Mai  est  dans  la  cour  du  Palais,  et  fait  face  d'un 
côté  à  la  rue  de  la  Vieille-Draperie,  et  de  l'autre  à 
l'escalier  qui  conduit  au  milieu  de  la  salle  Mercière. 
Les  armes  de  la  Bazoche,  qu'on  attache  à  cet  arbre 
et  qui  sont  entourées  de  lierre,  porient  au  bas  de 
l'écusson  les  noms  du  chancelier  et  des  deux  com- 
missaires en  exercice. 

(8*24)  Celle  montre  générale  est  aussi  ancienne  que 
l'érection  de  la  Bazoche,  puisque  Philippe  le  Bel  en 
autorisa  l'exécution.  Voici  les  termes  du  compila- 
teur anonyme  du  Recueil  des  règlements  du  royaume 
de  In  Baxoche  :  «  Philippe  le  Bel  ordonna  que  tous 
les  ans  le  roy  de  la  Bazoche  feroit  faire  montre  à 
ions  les  clercs  du  Palais  et  du  Chàlelel,  et  autres 
clercs  ses  suppôts,  elsujeis.  » 

(825)  Les  clercs  qui  s'enrôlaient  sous  ces  capi- 
taines, s'obligeaient  de  suivre  leurs  engagements,  à 
peine  de  dix  écus  d'amende.  «  En  1528,  un  clerc 
qui  a  voit  pris  parti,  ne  voulant  p;is  satisfaire  à  son 
engagement,  fut  condamné  à  l'amende  prescrite 
par  l'arrest  du  chancelier  de  la  Bazoche,  et  en  exé- 
cution, saisie  fut  faite  du  manteau  du  défaillant,  qui, 
pour  se  soustraire  à  la  jurisdiction  de  la  Bazoche, 
lit  citer  son  capitaine  devant  l'official  de  Paris.  Là- 
Uc-ssus  appel  comme  d'abus  au  Parlement  par  les 


qui  s'y  rendent;  on  abat  l'ancien  Mai  et 
l'on  élève  le  nouveau  au  son  des  timballes, 
trompettes,  haut-bois,  etc.  (823). 

«  Cette  fête  ou  cérémonie  du  Mai,  nous 
en  'rappelle  une  autre  plus  célèbre  qui  fut 
supprimée  par  Henri  III.  On  la  nommait  la 
Montre  générale  (824).  En  peu  de  mots 
voici  de  quoi  il  était  question. 

«  Une  fois  l'année,  vers  la  fin  du  mois  de 
juin  ou  au  commencement  de  juillet,  tous 
les  clercs,  tant  du  Parlement  que  du  Châ- 
telet,  s'assemblaient  et  se  distribuaient  en 
douze  compagnies  ou  bandes,  commandées 
par  autant  de  capitaines.  Ces  capitaines 
avaient  à  leur  tête  le  roi  de  la  Bazoche,  et 
sous  leurs  ordres,  chacun  un  lieutenant  et 
un  enseigne.  Chaque  clerc  enrôlé  portait 
sur  son  habit,  indépendamment  du  jaune  et 
du  bleu,  couleurs  adoptées  par  la  Bazoche, 
celle  désignée  par  le  capitaine,  qui  pour  cet 
effet  la  faisait  peindre  sur  un  morceau  de 
vélin ,  qui  s'attachait  au  drapeau  de  la 
compagnie  (825).  Les  trompettes,  les  haut- 
bois et  les  tambours  de  la  ville  accompa- 
gnaient la  Montre  générale  des  Bazochiens; 
ces  derniers  se  rendaient  tous  en  bon  ordro 
dans  la  cour  du  Palais,  et  après  avoir  passé 
en  revue  devant  leur  roi,  au  son  des  tam- 
bours, trompettes,  etc.,  ils  allaient  accom- 
pagnés de  ces  derniers  «  donner  des  au- 
«  bades  et  réveils  accoutumés  à  messieurs 
«  les  premier  et  second  présidents  de  la 
«  Grand'Chambre,  procureur  général,  chan- 
«  celier,  messieurs  les  gens  du  roi  et  plu- 
«  sieurs  conseillers  (826).  » 

«  Quelques  jours  après  cette  fête  ,  les 
Bazochiens  donnaient  la  représentation  d'une 
moralité  ou  d'une  farce,  autre  usage  établi 
parmi  eux,  et  pour  lequel  nous  n'avons 
rapporté  les  précédents  ,  que  pour  donner 
plus  de  clarté  à  ce  dernier,  qui  fait  le  prin- 
cipal objet  de  cet  article. 

«  Le  succès  des  mystères  représentés  à 
l'hôpital  de  la  Trinité,  excita  l'envie  et  l'é- 
mulation  des  clercs  de   la   Bazoche  (827), 

officiers  de  la  Bazoche,  pour  lesquels  plaidèrent  de 
Thou,  Poyet  et  Berruyer  :  Morin  pour  le  promoteur 
de  l'oificial,  dit  qu'il  se  désislail  de  la  citation,  et 
Favier  pour  le  défaillant,  demanda  pardon  de  sa 
faule.  La  Cour,  par  son  arresl  du  14  juillet  de  la 
même  année  1528,  renvoya  le  défaillant  pardevers 
le  roy  de  la  Bazoche  et  son  conseil,  et  ordonna  à 
ce  roy  de  traiter  aimablement  ses  sujets.  >  {Hist. 
de  la  ville  de  Paris,  liv.  x,  pp.  502  et  503.) 

(826)  Statuts  et  règlements  du  royaume  de  ra 
Bazoche. 

(827)  Il  serait  difficile  de  marquer  exactement  le 
temps  où  les  clercs  de  la  Bazoche  commencèrent  à 
représenter  des  moralités  et  des  farces,  mais  il  est 
certain  qu'ils  tardèrent  peu  après  l'établissement 
des  confrères  de  la  Passion,  puisqu'en  1442,  on 
trouve  qu'ils  étaient  en  possession  des  moralités,  des 
farces  et  des  soties  ousoilises,  et  que  le  Parlement 
fut  obligé  d'interposer  son  autorité  pour  réprimer  la 
licence  qui  régnait  dans  leurs  pièces.  Voici  ce  qu'en 
dit  l'abbé  d'Anbignac  :  «  Or  en  France  la  comédie  a 
commencé  par  quelques  pratiques  de  piété,  étant 
jouée  dans  les  temples,  et  ne  représentant  que  des 
histoires  saintes.  Mais  elle  dégénéra  bientôt  en  sa- 
tire et  bouffonnerie,  autant  contraire  à  l'honnêteté 
des  mœurs  qu'à  la  pureté  de  la  religion.  Elle  fui 


152a 


BAZ 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAZ 


15SS 


mais  arrêtés  par  le  privilège  exclusif  des 
confrères  de  la  Passion,  ils  furent  obligés  de 
chercher  une  autre  route.  La  morale  parut 
un  fonds  inépuisable  à  leur  dessein,  ils 
personnifièrent  les  vertus  et  les  vices,  et 
dépeignant  louto  l'horreur  des  derniers,  ils 
faisaient  voir  l'avantage  que  l'on  retire  en 
suivant  les  premiers.  C'est  ce  qui  fil  donner 
aux  pièces  dressées  sur  ce  plan  Je  titre  de 
moralité.  Cette  idée,  assez  heureuse,  fit  tout 
l'effet  que  ceux  qui  l'avaient  employée 
pouvaient  en  attendre,  et  ce  nouveau  genre 
de  spectacles  (qui  ne  paraissait  que  trois  ou 
quatre  fois  l'année  [828])  fut  estimé  par 
beaucoup  de  personnes ,  supérieur  à  celui 
des  mystères  (829). 

;<  Cependant  le  succès  des  moralités  fut 
peu  considérable  en  le  comparant  à  celui 
des  farces  qui  parurent  ensuite,  et  dont  l'in- 
vention est  due  également  aux  poètes  Bazo- 
chiens.  Ces  pièces,  travaillées  dans  un  goût 
singulier,  n'étaient  pas  sans  mérite.  Elles 
ridiculisaient  d'une  façon  vive  et  plaisante, 
dvs  vices  qui  ne  sont  que  trop  répandus 
dans  le  monde  et  que  l'on  a  la  bonté  de  ne 
qualifier  que  du  nom  de  défauts;  tels  que 
ceux  d'avarice,  de  fourberie,  de  débau- 
che, etc.  Mais  ce  fonds  excellent,  qui  ca- 
ractérise la  bonne  comédie  et  que  Molière 
sut  depuis  si  bien  faire  valoir  (830),  fut 
gâté  dès  qu'il  fut  découvert;  la  sale  équi- 
voque, la  satire  grossière  et  personnelle 
tinrent  pendant  plus  de  deux  cents  ans  la 
place  du  galant  badinage  et  de  la  fine  raille- 
rie (831). 

«  Les  farces  que  la  Bazoche  représenta 
pendant  un  certain  temps,  ne  satirisèrent 
que  des  tours  de  jeunesse  de  quelques 
clercs  de  la  société  ou  des  gens  d'un  ca- 
ractère méprisable;  mais  peu  à  peu  des 
personnes  d'un  état  plus  relevé  furent  dési- 
gnées et  même  nommées.  Ce  chemin  une 
fois  tracé,  il  ne  fut  plus  de  rang  ni  de  nais- 
sance à  l'abri  des  médisances  ou  des  calom- 

quclqiic  temps  ainsi  maltraitée  par  les  Bazocliiens^ 
qui  furent  comme  les  premiers  comédiens  en  ce 
royaume;  et  enfin  parmi  les  baieleurs  publics,  parmi 
lesquels  elle  a  demeuré  pendant  plusieurs  années, 
avec  autant  de  honte  que  d'ignorance.  »  (Pratique 
du  Théâtre,  loin.  I,  p.  549.) 

(828)  Les  clercs  de  la  Bazoche  ne  jouaient  ordi- 
nairement que  trois  fois  Tannée.  La  première  fois, 
le  jeudi  qui  précédait  ou  qui  suivait  la  féic  des  Mois, 
car  celle  représentation  variait  entre  ces  deux  jours; 
la  seconde,  le  jour  de  la  cérémonie  du  Mai  dans  la 
cour  du  Palais;  et  la  troisième,  quelque  temps  après 
la  montre  générale.  Mais  lorsqu'il  se  faisait  des  ré- 
jouissances publiques  à  Paris,  comme  aux  entrées 
des  rois  et  des  reines  de  France,  etc.,  la  troupe  des 
Bazocliiens  prenait  part  à  ces  événements,  et  don- 
nai) !'  divertissement  de  son  spectacle. 

(820)  Tout  contribuait  aux  applaudissements  que 
recevaient  les  clercs  de  la  Bazoche  :  ils  élaient  au- 
teurs et  acteurs  ;  ajoutez  que  ces  derniers  qui,  sans 
doule,  avaient  plus  d'éducation  que  ceux  qui  repré- 
sentaient les  myslèrcs,  menaient  plus  d'art  et  de 
convenance  dans  leur  déclamation  et  leurs  jeux  de 
théâtre. 

(850)  Molière  ne  s'y  conforma  peut-êire  que  trop, 
du  moins  Despréaux  lui  a  l'ait  ce  reproche  dans  le 
troisième  chant  de  son  Art  voétiaue.   Voici  le  pas- 


nies  répandues  dans  ces  pièces.  De  plus,  les 
Bazocliiens  joignirent  aux  représentations 
des  farces,  celles  des  soties  ou  sottises,  que 
le  prince  des  sots  et  ses  sujets,  jouaient  sur 
des  échafauds  en  place  publique,  et  qui 
ressemblaient  moins  à  des  comédies  qu'à  des 
libelles  diffamatoires  (832). 

«  Les  guerres  civiles  et  étrangères  dont 
la  France  fut  déchirée  sur  la  fin  du  règne 
de  Charles  VI  et  le  commencement  de  celui 
de  Charles  VII ,  suspendirent  toutes  les 
règles  prescrites  et  donnèrent  occasion  à  la 
licence  qui  s'introduisit  dans  les  farces  et 
sottises.  En  vain  le  parlement  aurait  voulu 
s'opposer  à  la  témérité  des  poètes  qui  don- 
naient de  pareils  ouvrages;  les  lois  n'étaient 
plus  écoutées,  et  celles  du  plus  fort  en  fai- 
saient l'équité.  Un  roi  étranger  était  presque 
le  maître  du  royaume,  l'héritier  présomptif 
n'avait  que  peu  de  gens  qui  lui  fussent  de- 
meurés fidèles;  les  princes  de  son  sang 
unissaient  tous  leurs  efforts  pour  lui  faire 
ùlcr  une  couronne  qui  lui  appartenait;  la 
ville  capitale  était  tyrannisée  par  des  gens 
de  la  lie  du  peuple,  qui  s'étaient  rendus  les 
arbitres  de  la  liberté  et  de  la  vie,  non-seule- 
ment des  simples  particuliers,  mais  même 
des  personnes  du  plus  haut  rang.  Parmi  tant 
de  factions  différentes,  chacun  suivait  le  ca- 
price ou  l'intérêt  qui  le  conduisait.  Les 
partisans  du  dauphin  n'étaient  pas  fâchés 
de  ce  qu'on  découvrait  au  public  les  défauts 
et  l'ambition  des  princes,  qui  s'étaient  em- 
parés du  gouvernement  par  la  faiblesse  du 
roi  régnant,  et  le  peu  de  respect  que  les  Pa- 
risiens portaient  à  celui  d'Angleterre.  Les 
princes  et  le  roi  d'Angleterre,  à  leur  tour, 
étaient  charmés  de  faire  répandre  des  dis- 
cours offensants  contre  l'honneur  du  Dau- 
phin :  de  sorte  que  toutes  les  pièces  qui 
parurent  alors,  n'étaient  remplies  que  d'in- 
jures grossières  contre  les  trois  partis  dont 
nous  venons  de  parler,  et  ceux  qui  les 
avaient  composées  ou  récitées,  bien  loin  de 

sage,  qui  ne  peut  manquer  de  faire  plaisir,  même  à 
ceux  qui  le  possèdent  de  mémoire  : 

Etudie?  la  cour,  et  connaissez  la  ville; 

L'une  et  l'autre  est  toujours  en  modèles  fertiles; 

C'est  par  l'a  que  Molière  illustrant  ses  écrits, 

Peut-être  de  son  art  eût  remporté  les  prix, 

Si  moins  ami  du  peuple,  en  ses  doctes  peintures, 

Il  n'eut  pas  fait  souvent  grimacer  .ses  ligures, 

Quitté  pour  le  bouffon,  l'agréable  et  le  fin, 

El  sans  honte  à  Térence  allié  Tabarin. 

Dans  ce  sac  ridicule,  où  Srapin  s'enveloppe, 

Je  ne  reconnais  plus  l'auteur  du  Misanthrope. 

Si  Despréaux  dit,  peut-être  en  parlant  de  Molière, 
quel  terme  aurait-il  employé  pour  ceux  qui  sont  ve- 
nus après  ce  grand  homme? 

(851)  Le  mot  adjectif  que  l'on  joignait  toujours 
au  nom  de  farce,  faisait  connaître  le  genre  dans  le- 
quel elle  avait  été  composée.  Ainsi  l'on  trouve  farce 
joyeuse,  Itistrionique,  fabuleuse,  enfarinée,  morale, 
récréative,  facétieuse,  badine,  française,  etc.  Les  notes 
qui  suivent  ces  farces  dont  nous  donnons  des  ex- 
traits, expliquent  ces  différents  termes. 

(852)  Le  prince  des  sots  donna  la  permission  aux 
clercs  de  la  Bazoche  de  jouer  ses  sofics  ou  sottises,  et 
en  échange  il  reçut  de  ces  derniers  celle  de  repré- 
senter des  larces.  (Voyez  l'article  du  Prince  des  Soit 
et  des  Enfants  sans  Soucy.) 


J5-27 


BAZ 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BAZ 


1328 


subir  une  punition  rigoureuse,   étaient  ré- 
compensés. 

«  Charles  VI  étant  mort  en  1422,  le  dau- 
phin, son  fils,  qu'on  nomma  Charles  VII, 
conquit  avec  autant  de  bonheur  que  de  cou- 
rage les  Etats  que  son  père  et  la  mauvaise 
intelligence  des  princes  du  sang  avaient 
laissé  prendre  aux  Anglais.  Il  força  ces  der- 
niers à  se  retirer  du  royaume,  et  revint  à 
Paris,  vainqueur  de  tous  ses  ennemis,  où  il 
fut  reçu  avec  des  acclamations  univer- 
selles (833). 

«  La  paix  qui  suivit  des  exploits  si  glo- 
rieux donna  les  moyens  de  réprimer  les 
abus  qui  s'étaient  introduits  pendant  les 
troubles  passés.  Ceux  des  théâtres  ne  furent 
pas  mis  au  dernier  rang.  Le  parlement,  en 
accordant  aux  clercs  de  la  Bazoche  la  per 


nonça  un  autre,  dont  le  motif  était  ton  t  con- 
traire ,  puisqu'il  ordonnait  à  la  Bazocho 
l'exécution  de  ses  jeux,  et  à  ne  se  départi* 
de  cet  usage,  que  par  une  permission  ex^ 
presse  de  la  cour. 

«  Nous  ignorons  les  causes  qui  firent  in- 
terdire à  la  Bazoche  la  continuation  de  son 
spectacle,  mais  nous  trouvons  un  arrêt  du 
parlement  en  date  du  15  mai  1476,  qui  dé- 
fend à  tous  clercs,  tant  du  Palais  que  du 
Châtelet,  non-seulement  de  représenter  des 
jeux  de  farces,  sottises  et  moralités ,  mais 
même  d'en  demander  la  permission  (834-). 
Jean  l'Eveillé,  roi  de  la  Bazoche,  ne  laissa 
pas  l'année  suivante  de  demander  cette  per- 
mission au  parlement,  qui,  par  son  arrêt  du 
19  juillet  1477,  réitéra  les  défenses,  sous 
peine,  aux  contrevenants,  d'être  battus  de 


mission  de  continuer  les  jeux  de  farces  et     verges  par  les  carrefours  de  Paris,  et  bannis 


de  sottises  y  leur  enjoignit  d'en  retrancher 
les  termes  contraires  à  la  pureté  des  mœurs, 
et  tout  ce  qui  pouvait  offenser  ou  préjudi- 
cier  à  la  réputation  de  qui  que  ce  fût.  Ces 
défenses  n'ayant  pas  été  observées  aussi 
exactement  qu'elles  auraient  dû  l'être ,  on 
les  renouvela,  et  on  y  ajouta  qu'à  l'avenir 
les  Bazochiens  ne  représenteraient  leurs 
pièces  qu'après  en  avoir  obtenu  l'ordre  du 
parlement 


du  royaume  (835).  Cette  suspension  du  spec- 
tacle de  la  Bazoche  s'étendit  jusqu'à  la  fia 
du  règne  de  Charles  VIII,  qui  mourut  en 
1497. 

«  Louis   XII,  qui  lui  succéda  et   qui  fut 

nommé  à   si  juste  titre  le  Père  du  peuple, 

rétablit  tous  les  théâtres  et  les  libertés  dont 

ils  avaient  joui  avant  les  règnes  des  rois 

Louis  Xi  et  Charles  VHJ,  et,  par  une  raison 

particulière,  il  permit  aux  poètes  de  repren- 

o  En  1442,  les  clercs  de  la  Bazoche  ayant     dre  dans  leurs  pièces  les  vices  et  les  défauts 

représenté  leurs  jeux  malgré  la  défense  qui     de  toutes  les  personnes  de  son  royaume, 

leur  en  avait  été  faite,   le  parlement,  pour     sans  aucune  exception  (836).  Les  Bazochiens 

lunir  cette  désobéissance,  rendit  un  arrêt     ne  furent  pas  les  derniers  à  éprouver   les 

e  14  août  de  la  même  année,  qui  condamna     bontés  de  Louis  XII;  entre   autres  grâces 

es  acteurs  à  quelques  jours  de  prison,  au     qu'il  leur  fit,  il  leur  accorda  la  permission 

iain  et  à  l'eau.  do  dresser  leur  théâtre  (toutes  les  fois  qu'ils 

«  Le  12  mai  1473,  le  parlement  en  pro-    joueraient)  sur  la  table  de  marbre  (837)  qui 


(833)  Alain  Chartier,  dans  son  Ilistcire  de  Char- 
tes Vil,  p.  109,  dit  (parlanl  de  l'enirée  de  ce  roi  à 
Paris  en  l'année  1437) que  <  foui  su  Icng  de  la  grande 
rttë  S.  Denis,  auprès  d'un  jel  de  pierre  l'un  de  l'au- 
tre, éloienl  fails  eschaffaultz  bien  el  richement  len- 
duz,  où  esloienl  faicls  par  personnages  l'Annoncia- 
tion Noslre-Dame,  la  Nativité  Noslre-Seigneur,  sa 
Résurrection,  el  Pentecosle,  el  le  Jugement  qui  scoil 
très-bien  ;  car  il  se  joùoil  devant,  le  Chaslelei,  où 
est  la  justice  du  roy,  el  emmy  (a)  la  ville  avoit  plu- 
sieurs jeux  de  divers  mystères,  qui  seroienl  trop 
longs  à  racompler;  et  là  venoienl  gens  de  toutes 
parts  criants  Noél,  el  les  autres  pleuroieni  de  joye.  > 

(834)  «  La  Cour,  pour  certaines  causes  à  cela 
mouvans,  a  deffendu  et  deiTeml  à  tous  clercs  el  ser- 
viteurs, tant  du  Palais  que  du  Cliasielel  de  Paris, 
de  quelque  estât  qu'ils  soient,  que  doresnavant  ils 
ne  jouent  publiquement  audicl  Palais  ou  Chastelct, 
ni  ailleurs  en  lieux  publics,  farces,  soties,  moralités, 
ne  autres  jeux  à  convocation  de  peuple,  sur  peine 
de  bannissement  de  ce  royaume,  et  de  confiscation 
de  tous  leurs  biens;  el  qu'ils  ne  demandent  congié 
de  ce  faire  a  ladille  Cour,  ne  autres;  sur  peine 
tl'eslre  privez  à  tousjours.  tant  dudict  Palais,  que 
«ludict  Cliasielel.  Faict  en  Parlement  le  15  may 
4476.  » 

(835)  <  Du  samedy  19  juillet  1447.  Vu  au  Conseil, 
en  la  Grand'Chainbre,  les  Chambres  assemblées, 
vue  par  la  Cour  la  requeste  baillée  à  Scelle  par  les 
.clercs  des  présidens  et  conseiller;;  de  ladicle  Cour, 
et  aussi  les  avocats  et  procureurs  d'icelle,  la  Cour  a 
défendu  et  défend  à  Jehan  l'Fsveillé,  soy  disant  roy 
delà  Bazoche,  Martin  Houssy,  Thcodarlde  Coaluan- 

'a]  Emmy,  au  milieu. 


pran,  et  autres  ayans  personnages,  de  jouer  farces, 
moralités  ou  sotises  au  Palais  de  céans,  ne  ailleurs, 
jusques  par  ladietc  Cour  en  soil  ordonné,  sur  peine 
d'eslre  battus  de  verges  par  les  carrefours  de  Paris, 
el  de  bannissement  de  ce  royaume.  A  aussi  deffendu 
et  deflend  audicl  l'Esveilié,  soy  disant  roy  de  la  Ba- 
zoche, et  Martin  Iloussy,  à  leurs  personnes,  qu'ils 
ne  soient  si  hardis  de  jouer  farces,  moraiilés,  publi- 
quement au  Palais,  ne  ailleurs,  sur  peine  d'eslre 
balius  de  verges  par  les  carrefours  de  Paris,  el  ban- 
nissement de  ce  royaume,  i 

(856)  <  Le  bon  loy  Louis  XII,  se  plaignant  que  de 
son  lerns  personne  ne  luy  vouloit  dire  la  vérité,  ce 
qui  étoit  cause  qu'il  ne  pouvoil  sçavoir  comme  son 
royaume  esloit  gouverné.  Et  pour  que  la  vérité  put 
parvenir  jusqu'à  luy,  il  permit  les  théâtres  libres,  et 
voulut  que  sur  iceux  on  joùast  librement  les  abus  qui 
se  commelloienl,  tant  en  sa  cour  comme  en  son 
royaume;  pensant  par-là  apprendre  et  sçavoir  beau- 
coup de  choses,  lesquelles  autrement  il  luy  esloit 
impossible  d'entendre.  >  (Guillaume  Bouchcl,  trei* 
zième  série  ,  pag.  18  el  19  de  l'édition  in  8°  impri- 
mée à  Rouen  chez  Louis  Lauilct  en  1035.) 

(837)  Celle  table  de  marbre  que  Louis  XII  prêla 
aux  clercs  de  la  Bazoche,  av;iil  éié construite  et 
posée  dans  la  grande  salle  du  Palais  pour  un  usage 
bien  différent,  puisqu'elle  servait  aux  festins  somp- 
tueux que  les  rois  de  France  donnaient  aux  empe- 
reurs el  rois  étrangers.  Sauvai  parle  de  celte  table 
de  marbre  dans  les  termes  suivants  :  «  Autrefois 
dans  la  grande  salle  du  Palais,  qui  fut  consumée  en 
1618,  il  étoit  dressé  une  lable  qui  en  occnpoU  près 
queiouiela  largeur,  et  qui  de  plus  portoil  tant  de 


1329 


BAZ 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BAZ 


1550 


existait  pour  lors  dans  la  grande  salle  du 
Palais,  et  qui  fut  détruite  par  l'incendie  qui 
y  arriva  en  1618  (838).  Avant  celte  permis- 
sion de  Louis  XII  les  Bazochiens  n'avaient 
point  eu  de  lieu  fixe  pour  faire  leurs  repré- 
sentations, elles  se  passaient  tantôt,  au  Pa- 
lais, tantôt  au  Châtelet  et  quelquefois  dans 
des  maisons  particulières  (839). 

«  Le  parlement  ne  se  montra  pas  moins 
favorable  que  le  roi  aux  amusements  des 
Bazochiens,  et  leur  accorda  souvent  des 
gntifications  pour  les  indemniser  des  frais 
qu'ils  éteienl  obligés  de  faire  pour  leurs 
montres  et  jeux 

«L'année  1514  fut  remarquable  parla  mort 
de  Louis  XII  et  l'avènement  de  François  de 
Valois  à  la  couronne,  sous  le  nom  de  Fran- 
çois 1er.  Le  nouveau  roi,  ayant  réglé  des  af- 
faires importantes,  fit  son  entrée  à  Paris  et, 
suivi  de  toutes  les  personnes  de  l'un  et  de 
l'autre  sexe  de  sa  cour,  il  se  rendit  le  même 
jour  à  l'Hôtel-de-Ville,  où,  après  un  magni- 
fique souper  qui  lui  avait  été  préparé  par  le 
prévôt  des  marchands  et  les  échevins,  les 
Bazochiens  furent  introduits,  qui  représen- 
tèrent une  farce  et  exécutèrent  des  danses 
dont  le  roi  fut  très-satisfait.  Flattés  d'un  si 
heureux  succès,  nos  acteurs  se  préparèrent 
à  donner  de  nouveaux  jeux,  mais  l'exécution 
en  fut  arrêtée  par  le  parlement,  attendu  que 
le  deuil  du  feu  roi  n'était  pas  encore  expiré. 
Cette  opposition  dérangeait  les  projets  de  la 
troupe  :  pour  la  faire  lever,  elle  s'adressa 
à  François  I"  et  lui  présenta  VEpîlre  sui- 
vante, que  Clément  Marot  avait  composée. 

longueur,  de  largeur  el  d'épaisseur,  qu'on  lient  que 
jamais  il  n'y  a  eu  de  iranclie  de  marbre  plus  épaisse 
plus  large,  ni  plus  longue.  »  Sauval,  livre  vin,  p.  5. 
(838)  L'incendie  du  Palais  arriva  la  nuit  du  5  au 
6  mars  1618  :  le  feu  prit  d'abord  à  la  charpente  de 
la  grande  salle,  el  comme  il  faisait  beaucoup  de  vent, 
loul  le  lambris,  qui  était  d'un  bois  sec  el  vernissé, 
s'embrasa  en  fort  peu  de  temps.  Les  solives  et  les 
poutres  qui  soutenaient  le  comble  ,  tombèrent  par 
grosses  pièces  sur  les  boutiques  des  marchands,  sui- 
tes bancs  des  procureurs,  el  sur  la  chapelle,  remplie 
alors  de  cierges,  elde  torches,  qui  s'enflammèrent  à 
l'instant,  el  augmentèrent  l'incendie.  Les  marchands 
accourus  au  bruit  du  feu ,  ne  purent  presque  rien 
sauver  de  leurs  marchandises.  On  sauva  seulement 
les  registres  de  quelques  greffes  qui  n'étaient  pas  dans 
la  grande  salle.  L'emhrasemeut,  augmentant  par  un 
venldumidi  fort  violent,  consuma  en  moins  u'une  de- 
mi-heure It  s  requêtes  île  l'nôlel,  le  greffe  du  Irésor, 
la  première  chambre  des  enquêtes,  elleparquel  des 
huissiers.  Le  l'eu  prit  incontinent  à  une  tourelle  près 
de  !a  Conciergerie  et  des  greffes  ,  dont  les  papiers 
lurent  brûlés  :  alors  s'éleva  une  clameur  des  pri- 
sonniers qui  crièrent  que  la  fumée  les  étouffait.  Plu- 
sieurs se  sau-èrcnl  malgré  les  geôliers;  mais  le  pro- 
cureur général  lit  conduire  les  principaux  au  Chàtc- 
lel  et  dans  les  autres  prisons  de  Paris.  Le  vent 
devint  si  violent,  qu'il  porta  des  ardoises  jusque  vers 
Saint- Eus  tache.  Lorsque  le  re.-ae  du  comble  de  la 
grande  chambre  vint  à  tomber,  un  brandon  de  feu 
enflammé,  emporté  par  le  vent,  alla  mettre  le  feu  à 
un  nid  d'oiseau  au  haut  de  la  tour  de  l'Horloge,  qui 
courut  un  grand  risque,  si  on  n'eùi  promptemeni  Aé- 
couvert  la  tour,  pour  couper  le  cours  au  feu.  Le 
premier  président,  le  procureur  général,  le  lieute- 
nant civil,  el  le  prévôt  des  marchands  donnèrent  de 
>i  bons  ordres,  que  l'on  fut  redevables  à  leur  pru- 


LA  BAZOCUE  AU  ROY  FRANÇOIS  I. 

Pour  implorer  votre  digne  puissance, 
Devers  vous,  Syre,  en  loulc  obéissance, 
Bazochiens  à  ce  coup  sont  venuz, 
Vous  supplier  d'oùir  par  le  menuz, 
Les  poincls  et  traits  de  noslre  comédie  : 
El  s'il  y  a  rien  qui  pique  ou  mesdie, 
A  vostre  gré  l'aigreur  adoucirons; 
Mais  à  quel  juge  est-ce  que  nous  irons, 
Si  n'est  à  vous?  qui  de  toule  science 
Avez  certaine  el  vraye  expérience  ; 
El  qui  loul  seul  d'auîhorilé  pouvez 
Nous  dire,  enfans,  je  veux  que  vous  jouez. 
0  syre,  donc,  plaise  vous  nous  permettre 
Sur  le  théâtre,  à  ce  coup  cy,  nous  mettre» 
En  conservant  nos  libériez  et  droits  , 
Comme  jadis  firent  les  autres  roys. 
Si  vous  tiendra  pour  père  la  Bazoche, 
Qui  ose  bien  vous  dire  sans  reproche, 
Que  de  lant  plus  son  règne  fleurira 
Votre  Paris  tant  plus  resplendira. 

«  Celte  Epître  fut  très-favorablement  re- 
çue et  le  roi  promit  d'avoir  égard  à  la  de- 
mande des  Bazochiens  qui,  encouragés  par 
cette  espérance,  présentèrent  requête  au  par- 
lement et  demandèrent  une  gratification  pour 
les  dédommager  des  frais  qu'ils  avaient  faits. 
La  Cour,  par  arrêt  du  1er  février  1515,  leur 
en  accorda  une,  à  condition  qu'ils  joueraient 
et  danseraient  (84-0).  Ces  mêmes  profitèrent 
d'une  pareille  faveur,  le  14  mai  1521,  pour 
les  monstres  et  jeux  qu'ils  avaient  faits  co 
même  mois  (841).  Ce  serait  abuser  de  la  pa- 
tience du  lecteur  que  de  rapporter  tous  les 
arrêts  que  le  parlement  rendit  tantôt  pour 
suspendre  et  tantôt  pour  permettre  les  jeux 

dence  aussi  bien  qu'à  la  hardiesse  et  à  l'adresse  des 
ouvriers,  de  la  conservation  de  la  grande  chambre, 
de  la  Cour  des  aides,  de  la  galerie  aux  merciers,  et 
des  autres  appartements  du  Palais,  qui  furent  ga- 
rantis de  l'incendie.  Pour  avoir  de  l'eau  eu  abon- 
dance, le  prévôt  des  marchands  ordonna  aux  habi- 
tants des  ponts  les  plus  voisins,  el  à  ceux  des  rues 
de  la  Cité  aux  environs  du  Palais,  de  tirer  de  l'eau 
de  la  Seine  et  des  puits,  el  de  la  répandre  dans  le 
ruisseau,  pour  la  faire  couler  de  là  dans  la  cour  du 
Palais,  où  il  se  forma  en  moins  de  rien  un  lac,  q;ii 
fournil  abondamment  loute  l'eau  dont  on  eut  besoin. 
On  se  servit  aussi  de  quantité  de  foin  mouillé  el  de 
fumier.  Mais  tout  cela  ne  put  empêcher  que  les  mu- 
railles ne  t fussent  fort  endommagées.  La  table  de 
marbre  fut  réduite  en  pièces,  el  toutes  les  statues  des 
rois,  depuis  Pharamond  jusqu'à  Henri  IV,  élevées 
contre  les  murs,  brisées  et  perdues.  (Journal  P.a- 
nuscrit  de  Hautei:?.) 

(8Ô9)  Voyez  ci-dessus  les  arrêts  du  Parlement  en 
date  du  15  mai  1476  et  19  juillet  1477. > 

(840)  Manè.  «  Sur  la  requeste  baillée  à  la  Cour 
par  le  receveur  de  la  Bazoche,  par  laquelle  ilsrequé- 
roient  que  pour  aider  à  supporter  les  frais  qu'il  Kmt 
avoit  convenu  faire  pour  les  préparations  par  eux 
faites  pour  jouer  et  danser  la  veille  des  Kois  der- 
niers, qu'il  ne  leur  avoit  été  permis  faire  par  la  Cour, 
au  moyen  du  décès  du  feu  roi  survenu ,  il  plûl  à  la 
Cour  leur  faire  délivrer  par  les  receveurs  des  aman- 
des d'icelle  Cour,  une,  ou  deux  amandes  de  60  liv. 
parisis,  ainsi  qu'il  étoil  accoutumé  par  cy  devant.  La 
Cour  a  ordonné  et  ordonne  que  en  jouant  par  ceux 
de  la  Bazoche,  et  dansant,  ainsi  qu'il  est  accoutume, 
l'amande  de  60  liv.  parisis  leur  sera  baillée  el  déli- 
vrée, pour  les  aider  à  supporter  lesdits^  frais.  Faicl 
en  Parlement  lejemly  premier  rétrier  1515,  > 

(841)  i  L>u  14  may  l'o±2.  La   Cour  du  parlement 


1551 


DEK 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BOB 


iz: 


elles  représentations  de  la  Bazoche;  nous 
nous  contenterons  de  parler  des  plus  impor- 
tants. Le  16  juin  1526,  la  Cour  de  parlement 
ordonna  «  une  somme  de  60  livres  aux  Ba- 
«  zochiens,  pour  leurs  jeux  et  sottises  en  fa- 
ce veur  du  retour  de  François  Ier  (842).  » 


M.  Mommerqué  n'y  voit  qu'une  récitation 
dramatique;  M.  Ach.  Jubinal  qu'une  pièce 
du  théâtre  de  famille  et  de  feslins  du  moyen 
âge  (Cf.  OEurr.  compl.  de  Rutebeuf.  t.  1", 
p.  424.) 

BON'  PAYEUR  (LE).— Le  bon  payeur  et  le 


un  personnages,  c  est  a  scauoir  : 

Lucas,  sergent  bouelt  ix  el  borgne 
Le  bon  payeur 

Fixe  mv.ne,  femme  du  sergent , 
Et  le  vert  galant. 

Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manus- 
crit du  commencement  du  xvr  siècle  de  îa 


«  Le  soin  que  prenait  le  parlement  de  ne  sergent  boiteux  et  borgne,  farce  nouuelle  a 
rien  laisser  passer  dans  les  pièces  que  jouait 
la  Bazoche  qui  pût  offenser  la  réputation  et 
les  mœurs,  engagea  ceux-ci  à  mettre  des  mas- 
ques qui  représentaient  les  traits  du  visage 
«tes  personnes  qu'on  désignait,  et  quelque- 
fois on  ajoutait  des  écr.iteuux,  pour  donner 
le  véritable  sens  à  plusieurs  discours  obs- 
curs répandus  dans  les  farces  et  qui  étaient 
justement  les  endroits  cyniques.  Pour  arrê-  Bibliothèque  impériale, fonds  La  Vallière,  n° 
1er  ces  nouveaux  abus,  le  parlement  manda  63,  attribué  sur  de  faibles  preuves  à  Pierre 
le  chancelier  et  les  trésoriers  et  leur  fit  dé-     Tasserye. 

fense  «  de  faire  monstrations  de  spectacle,         MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
«  ne  écriteaux  taxans  ou  no  tans  quelques     chel    en    ont  publié  l'unique   édition   qui 
«  personnes  que  ce  soit,  sur  peine  de  prison     existe  encore  (Voy.  Recueil  de  Farces). 
«  et  de  bannissement  (843).  »  Le  sergent   Lucas  redemande  de  l'argent 

c<  L'obéissance  que  la  Bazoche  marqua  aux     prêté  au  bon  payeur;  celui-ci  semble  peu  dis- 
ordres  qu'elle  avait  reçus,  fut  cause  que  le     posé  à  s'acquitter  : 
parlement,  en  1538,  lui  permit  de  jouer  en  la 


manière  accoutumée,  avec  ordre  pour  l'ave- 
nir de  remettre  à  la  cour  les  manuscrits  de 
leurs  pièces  quinze  jours  avant  la  représen- 
tation (383¥).  L'année  1540 lut  très-différente 
pour  les  Bazochiens,  puisqu'on  leur  défendit 
déjouer  leurs  jeux  sous  peine  de  la  hart  (844). 
Une  maladie,  qui  se  répandit  à  Paris  en  1545, 
et  qui  y  fit  beaucoup  de  progrès,  obligea  le 
parlement  à  refuser  aux  Bazochiens  la  per-     Lucas  surprend  en  effet  Anceline  Fine,  mais 


Lucas  le  borgne,  hélas!  lu  voyes 
Que  ie  nie  leue  el  mon  ami, 
Je  suys  encore  tout  endormy, 
Que  je  ne  seay  ou  est  ma  bource. 
Ce  serovi  chose  bien  rebource 
Que  de  bailler  argent  sy  malin 

Au  lieu  d'argent,  il  donne  à  son  créancier 
un  avis  qui  est  que  sa   femme  le  trompe. 


mission  de  représenter  leurs  jeux  (845).  Ce 
dernier  arrêt  nous  conduit  presque  au  temps 
où  les  confrères  de  la  Passion  cédèrent  leur 
théâtre  de  l'hôtel  de  Bourgogne  à  une  troupo 
de  comédiens...  » 

BERGER  ET  DE  LA  BERGÈRE  (Le  jeu 
du).  —  Le  Jeu  du  Berger  el  de  la  Bergère  a 


celle-ci,  mettant  la  main  sur  l'œil  de  Lucas 
qui  est  borgne,  fait  échapper  le  vert  ga- 
lant. 

BORDEORS  R1BAVZ  (Les  ii).— Le  Fabliau 
dus  deux  Ribauds  date  du  xine  siècle  (846). 

Il  est  conservé  dans  les  mss.  de  la  Biblio- 
thèque impériale,  n°  1830  Saint-Germain, et 


été  signalé   parmi  les  monuments  dramati-  n°72l8,  sousle  litrede  laGengle  au  Ribaul'et 

ques  du  moyen  âge  (Cf.  Legra.no  d'Alssy,  la  Contregengle. 

Fabliaux,  contes,  fables,  etc.;   Paris,  Be-         M.  Ach.  Jubinal  l'a  édité  dans  son  Recueil 

nouard,  1829,  5  vol.  in-8",  t.  II,  p.  203.)  de  contes  et  Fabliaux. 


a  ordonné  el  ordonne  à  Hervé  de  llaërquesinon,  re 
ceveur  des  exploits  et  amandes  d'icelle  Cour,  bailler 
el  délivrer  aux  receveurs  de  la  Bazoche  C0  liv.  pari- 
sis  pour  les  aider  à  supporter  les  frais  ci  mises  qu'il 
leur  convient  taire  pour  les  monstres  el  jeux  qu'ils 
ont  faicts  en  ce  mois  de  may.  > 

(842)  Registre  Gl  du  Parlement. 

(843)  «  Du  samedy  20  may  1536.  Ce  jour,  la  Cour 
a  mandé  les  chanceliers  el  receveurs  de  la  Bazoche, 
elle  chancelier  avec  l'un  desdicls  receveurs  venus, 
leur  a  fait  deûenses  de  ne  jouer  à  la  montre  de  la 
Bazoche  prochaine,  aucuns  jeux,  ne  l'aire  monstra- 
lion  de  spectacle,  ne  eserileaux,  taxans  ou  nolans  quel- 
que personne  que  ce  soit,  sous  peine  de  s'en  prendre 
à  eux,  el  de  prison  el  bannissement  perpétuellement 
du  Palais  ;  el  s'il  y  a  quelques-uns  qui  s'efforcent  de 
faire  le  contraire,  les  escrivenl,  et  baillent  parescript 
leurs  noms  à  ladicle  Cour,  pour  en  faire  les  punitions 
telles  qu'il  appartiendra.  » 

(845*)  t  Du  mercredy  23  janvier  1558.  Après  avoir 
\ù  par  la  Cour  le  cry  ou  le  jeu  présenté  à  icelle,  par 
les  receveurs  de  la  Bazoche,  pour  jouer  jeudy  pro- 
chain ;  ladicle  Cour  a  permis  audicls  receveurs  iceluy 
cry  ou  jeu  faire  jouer  à  la  table  de  marbre  en  la 
mau'cre  accoustumée,  ainsi  qu'il  est  à  présent  ; 
hormis  les  choses  rayées  ;  leur  a  lail  deffenscs,  sous 


peine  de  prison,  el  de  punition  corporelle  ,  de  taire 
jouer  autre  chose  que  ce  qui  est  hormis  lesdictes 
choses  rayées.  Et  pour  l'advcnir  à  ce  que  lesdicis 
receveurs  ou  leurs  successeurs  ne  se  mettent  en  frais 
frustra  loi  rement,  Ladiçtf.  Coub  leur  a  inhibé  cl  dé- 
fendu faire  faire  aulcun  cry  ou  jeu  que  première- 
ment ils  n'ayenl  la  permission  de  ce  faire  de  ladite 
Cour  ;  el  à  celte  fin  baillé  quinze  jours  auparavant 
leur  requcsle  à  ladicle  Cour.  » 

(844)  Registre  81  du  Parlement. 

(845)  «  Du  H  mars  1545.  Ce  jour,  après  avoir  vu 
par  la  Cour  le  jeu  présenté  à  icelle  parles  receveurs 
el  trésoriers  de  la  Bazocbe,  cl  pour  aucunes  consi- 
dérations à  cela  mouvans,|LA  dicte  Cour  leur  a  def- 
fendu  et  inhibé  procéder  à  l'exécution  d'iccluy  ,  at- 
tendu l'indisposition  du  teins,  el  péril  des  maladies 
ayant  de  présent  cours  :  cl  ce  sur  peine  de  s'en 
prendre  à  eux,  et  de  punition  telle  qu'il  appartiendra,  i 

|846)  On  peut  rapprocher  de  ce  poème  le  Pater 
nostre  au  ribaus.  (Barbasan,  Fabliaux,  (.IV,  p.  445.) 
Li  diz  des  Ribaus  de  Greives  de  Rutebeuf  (Œuvr. compl. 
de  Rut.,  par  M.  Ach.  Jub.,  t.  I"  p.  2G9L  Le  Puter 
nostre  aux  gouliardois  (Wright,  Waller  Mapes, 
Inlrod.,  p.  xl),  el  Vexcommunicalion  des  Ribauds 
(Wright,  Anecdota  lilteraria;  Lond.,  1844,  in-8», 
p.  60). 


*333 


BOU 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BRO 


1534 


Le  même  bibliophile^  reproduit,  d'après 
le  ms.  de  la  Bibliothèque  n°  1830  Saint-Ger- 
luain,  les  deux  Troveors  Ribauz,\&  Responce 
de  l'un  des  deux  Ribauz,  et  d'après  le  ms. 
273g,  fonds  La  Vallière,  ch'esi  du  llonleus 
Ménestrel  (Cf.  OEuvrcs  complètes  de  Rutc- 
beuf,  publiées  par  M.  A.  J.;  Paris,  1839,  2 
vol.  in-8°,  p.  331-345.) 

M.  de  Roquefort  est  d'avis  que  les  Bordeors 
Ribauds  furent  représentés  (Cf.  De  l'état  de 
la  poés.  fr.  dons  1rs  xne  et  xnr  siècles;  Paris, 
1815,  in-8°,p.  259.) 

M.  Edelestand  Duméril  n'y  voit  que  la 
tendance  constante  du  moyen  Age  à  tout  dra- 
matiser. (Cf.  Orig.  lat.  du  th.  mod.  ;  Paris, 
1-8V9,  in-8'  p   3.) 

BORNES  (Eloge  des).—  Wilhelra -Ernest 
Tenlzelius  a  publié,  dans  le  Supplementum 
Hisloriœ  Gothanœ  (Primum  Conr.  Mutiani 
Rufi..  epist.,  carm.  et  elogia.  complectens; 
leiMn,  Joann.  Bielcb,  1701,  in-4°,  p.  230)  [847] 
une  sorte  de  Jeu  littéraire,  (848)  écrit  sous 
les  auspices  du  jurisconsulte  Elirebord  Mar- 
garit,  intitulé  Eloges  des  Bornes;  l'auteur  de 
celle  pièce  classique  fort  singulière,  où  com- 
paraissent Beta,  Tiro,  Xénophon,  Ovide,  Cor- 
nélia,  Lyciscus  et  l'Hercule  des  Muses,  est 
l'érudit  jurisconsulte  Conrad  Mutianus  Ru- 
fus,  frère  de  Jean,  chancelier  des  princes  de 
Hesse,  qui  vécut  chanoine  de  Gotha  et  dans 
la  faveur  des  électeurs  de  Saxe,  et  mourut 
au  commencement  de  l'année  1526.  Ce  pe- 
tit drame  rustique,  qui  a  bien  pu  être  l'objet 
d'une  représentation  pédantesque,  dans  Fin* 
térieur  de  quelque  école,  roule  tout  entier 
sur  le  caractère  sacré  des  limites  agraires 
et  se  termine  par  ces  deux  vers  : 

Ergo  renidenli  custos  ponatar  in  agro 
Separet  expressa  qui  lapis  arva  (ide. 

110UTE1LLE  (La).  —  La  farce  de  la  bou- 
teille, farce  nouuelle  a  m  ou  iv  personnages 
c'est  a  sauoir  : 


Que  voulez-vous,  c'esi  la  couslume 
Des  jeunes  gens  de  maintenant... 


La  mère  du  badln  , 
Le  vocf.sin, 


Son  filz, 
La  bergère. 


Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Val- 
lière, n°  63,  datant  de  la  première  partie  du 
xvic  siècle,  et  édité  par  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Francisque  Michel.  (Voy.  Recueil  de  Far- 
ces.) 

la  mère  du  badin  commence  : 
Mon  Dieu  !  qu'est  une  femme  heureuse  , 
Quant  il  advient  que  Dieu  lui  donne  , 
lin  enfant,  et  puys  qu'il  s'adonne 
A  estre  sage  et  bien  aprins... 

Mais  son  fils  ne  lui  donne  pas  tant  de  sa- 
tisfaction; il  arrive  sur  la  scène  la  bouteille 
à  la  main,  et  débite  mille  propos  inter- 
rompus. 

LE  FILZ 

Beaucoup  de  gens  pensent  voler 

D -liant  qu'ils ayent  aulcuncs  plumes; 

(847)  Add.  Secundum  de  vario  arcis,  urbisque 
llatu  nec  pauca  conférais...  (Ibid.,  1702,  in-4"). 


La  mère ,  lo  vouesin  passent  en  revue  les 
divers  états  qu'on  pourrait  lui  donner.  Mais 
qu'en  faire  ? 

11  ne  respont  à  nulle  chosse 
Que  nul....  luy  imposse... 

Le  fils  veut  être  prêtre  pour  avoir  au 
moins  part  au  bien  de  Dieu,  car  Police  est 
morte,  et  Justice  n'y  voit  goutte.  Le  vouesin 
termine  par  ce  conseil  : 

Fuyon  nouuelle  inuenlion 

Qui  est  dangereuse  et  peruerse, 

Ce  n'est  que  toute  abusion. 

BRETOG  (Jean).  —M.  Georg»s  Duplessis 
a  publié  une  réédition  de  la  tragédie  de 
Brelog  sous  ce  titre  : 

Tragédie  françoise ,  à  huicl  personnages  : 
traiclarH  de  l'amour  d'vn  Seruiteur  entiers 
sa  Maislresse,  et  de  tout  ce  qui  en  aduint. 
Composée  par  M.  Jean  Bretog,  de  S.  Sau- 
ucur  de  ï  yue.  A  Lyon,  par  Noël  Grandon. 
1571  (Imprimerie  de  Garnier  fils,  h  Char- 
tres, 1er  avril  1831).  Petit  in-8°  de  42  feuil- 
lets, plus  un  feuillet  contenant  une  note 
signée  par  l'éditeur  G.  D.  (G.  Duplessis), 
et  trois  pages,  renfermant  une  petite  pièce 
de  vers. 

Cet  ouvrage  a  été  tiré  à  soixante  exem- 
plaires sur  divers  papiers. 

BROSSE  (  Pierre    de  la  )  —  Le    jeu  de 

Pierre  de  la  Broche,  qui  dispute  a  Fortune  par 
devant  Reson,  est  conservé  dans  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale  n°  7218, 
fulio  138. 

II  date  du  xm*  siècle. 

Celte  pièce  a  été  éditée  par  M.  Achille  Ju- 
binal  (Paris,  Teshcner ,  1835 ,  in-8°  de  76 
pages,  plus  un  feuillet  do  titre),  et  par  MM. 
Montmerqué  et  Francisque  Michel,  dans  le 
Théâtre  Français  au  tmyen  âge  (Paris,  183D, 
gr.  in-8°,  p.  208). 

Legrand  d'Aussy  en  parle  en  ces  termes: 

«  Dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
du  Roi  n°  7218,  folio  138,  est  une  pièce  dia- 
loguée  que  je  crois  une  vraie  pièce  drama- 
tique. Celle-ci  est  tout  entière  divisée  par 
strophes  de  huit  vers;  chaque  strophe  sur 
deux  rimes  croisées.  Elle  roule  sur  l'aven- 
ture de  Pierre  de  La  Brosse,  qui,  de  barbier 
de  saint  Louis,  devenu  le  favori  du  roi  son 
fils  et  son  successeur,  fut  convaincu  de  ca- 
lomnie, et  pendu,  en  1276,  pour  avoir  accusé 
la  reine,  Marie  deBrabant,  dont  il  redou- 
tait le  crédit,  d'avoir  voulu  empoisonner  nu 
fils  du  premier  lit   qu'avait  le  roi. 

«  Les  interlocuteurs  de  ce  drame  sont  : 
dame  Raison,  dame  Fortune  et  La  Brosse, 
ou  plutôt  La  Broche;  car  c'est  ainsi  qu'il 
est  appelé  dans  le  manuscrit.  Celui-ci  se 
plaint  des  soucis  et  des  chagrins  qu'il  eu- 
dure.  Il  murmure  contre  la  Fortune,  qu'il 
accuse  de  lui  avoir  vendu  trop  cher  les  ri- 

(848)  Elogium  sacrosanrti  Termini,  Ludi  lilfraîi 
diversoruni  acli  exercendi  ingenii  gratia... 


Î-SS5 


MtO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


DRO 


15~6 


chesses  et  les  honneurs  qu'elle  lui  a  procu- 
rés. Raison  exige  que  Fortune  se  disculpe; 
et  elle  l'amène  devant  La  Broche.  D'abord 
grandes  invectives  de  la  part  de  ce  dernier. 
Mais  dame  Fortune,  l'accusant  à  son  tour, 
lui  reproche  d'avoir  abusé  de  tout  ce  qu'elle 
avait  fait  pour  lui;  d'avoir,  sans  motif, 
déshonoré  une  reine  pleine  de  mérite; 
d'avoir  presque  avili  le  roi  et  sa  cou- 
ronne, etc.  Dame  Raison  prononce  sa  sen- 
tence, et,  faisant  droit  aux  plaintes  de  For- 
tune, déclare  que  La  Broche  a  mérité,  non 
seulement  les  peines  dont  il  se  plaint,  mais 
encore  d'autres  tourments  qu'il  ne  tardera 
pas  d'éprouver.  (Cette  pièce  fut  faite  proba- 
blement pendant  la  détention  et  le  procès 
de  La  Brosse.) 

«  Enfin,  je  ne  sais  si  l'on  ne  devrait  pas 
regarder  comme  de  vrais  jeux  ces  sortes  de 
scènes  que  les  ménétriers  débitaient  quel- 
quefois dans  les  fêtes  auxquelles  ils  étaient 
appelés,  et  qui  représentaient  des  querelles. 

J'ai  trouvé  dans  les  manuscrits  trois  de 
ces  pièces.  La  première  est  une  querelle 
entre  deux  femmes  de  mauvaise  vie.  Les 
deux  autres  sont  des  querelles  d'hommes  : 


l'une  sous  le  litre  de  Dispute  du  Barbier  et 
de  Chariot,  l'autre  sous  le  titre  de  Disput* 
de  Renard  et  de  Peau-d'Oie  (sobriquets  de 
deux  ménétriers).  Toutes  trois  sont  divi- 
sées par  strophes  ou  couplets  en  rimes 
croisées,  et,  alternativement,  chacun  des 
querelleurs  disait  un  des  couplets.  Très- 
probabiementc'élaient  là  des  farces  dramati- 
ques, qui,  comme  nos  proverbes  d'aujour- 
d'hui, n'étaient  composées  que  do  quelques 
scènes  détachées. 

«  Peut-être  pourrais-je  dire  la  même  chose 
du  Dict  de  VHerberie.  » 

(*  Fabliaux  ou  Contes  ,  Fables  et  Romans 
du  xii*  et  du  xme  siècle.  Paris,  Renouard, 
mdcccxxix,  cinq  volumes  in-8°,  t.  11,  p.  201- 
203.  Notes  au  Jeu  du  Berger  et  de  la  Bergère.) 

M.  Magnin  considère  le  Jeu  de  Pierre  de  La 
Broche  comme  une  espèce  de  moralité  demi- 
tragique  chantée  par  des  ménétriers  dans 
les  foires  et  les  marchés  du  Brabant  et  du 
nord  de  la  France  ,  pendant  la  détention  et 
le  procès  du  favori  disgracié  ;  celte  opinion, 
comme  le  remarque  l'illustre  critique,  est 
en  partie  celle  de  Legrand  d'Aussy.(cf.  Jour- 
nal des  Savants,  18k6,  janvier,  p.  7.) 


[  Ci  parole  pierre.] 


[Ici  parle  pierre.] 


Trop  ai  chier  achalé  l'avoir, 
La  richece  et  le  seignorage 
Qif  ele  m'a  fet  et  lonc  lens  avoir  : 
Tome  le  m'a  a  grant  domage. 
Tels  liom  riches  ,  plains  de  savoir, 
Ne  fu  aine  mes  à  lel  honlage. 

Dame  Reson  ,  dame  Reson 
Ma  grant  dolor  ne  puis  refraindre: 
Toz  jors  me  iruis  en  la  meson 
De  Plorer,  de  Crier,  de  Plaindre. 
Fortune  m'a  longue  seson 
Fei  en  grande  seignorie  maindre; 
Or  m'est  venue  en  tlesreson 
Ma  joie  el  ma  clarté  esiaindre. 
Eslaindre,  ce  puis  je  bien  dire 
Quar  amorlis  sui  el  esiains. 
Du  roiaume  sui  en  l'empire, 
De  mes  anemis  sui  elalains. 
Tels  me  soloil  dire  :  «  Biaus  sire.  » 
Qui  me  dit  :  <  Traîtres  alains.  > 
Or  ne  me  prent  latent  de  rire; 
De  dolor  sui  noircis  el  tains. 

Tains  sui  de  lainlure  perverse 
El  de  dolor  tristre  et  amere  ; 
Ma  robe  m'est  vestue  envtrse, 
Quar  celé  est  noire  qui  blanche  erc. 
Or  voi-je  chasse  trop  diverse  , 
Quar  Fortune  est  marraslre  et  mère  ; 
Trop  s'est  à  moi  mal  fere  aerse  : 
Si  vous  pri ,  droit  m'en  vueilliez  fere. 

(  Ci  parole  reson.  ) 

Pierres,  Fortune  est  en  présence 
Por  dire  ce  qu'il  li  plera  , 
El  cliascuns  par  droite  balance 
Son  loial  droit  enporlera. 
Selonc  les  moz  el  la  sentence 
Cliascuns  ici  proposera. 

[pierre.] 

Dame  ,  bien  le  vueil  sanz  doulancc  . 
Mal  ait  qui  s'en  descordera  ! 

(Ci  parole  fortune.) 
Avoi  «Pierre!  bien  nuis  entendre  : 


J'ai  acheté  trop  cher  la  Fortune ,  ses  trésors  et  la 
seigneurie  qu'elle  m'a  laissés  pendant  long-temps  : 
tout  a  tourné  à  mon  dommage.  Y  eut-il  jamais  m 
homme  riche  el  savant  comme  moi  qui  fut  l'objet  de 
la  haine  de  tous? 

Dame  Raison,  dame  Raison,  je  ne  puis  mettre 
un  frein  à  ma  grande  douleur  :  je  me  trouve  toujours 
dans  la  maison  de  Pleurs  ,  de  Cris  el  de  Plaintes. 
Forlunc  m'a  fait  pendant  long-temps  rester  en 
grande  seigneurie;  maintenant  elle  est  venue  à  tort 
éteindre  ma  joie  et  mon  éclat. 


Éteindre,  je  puis  bien  le  dire  ;  car  je  suis  amorti 
et  éteint.  Je  suis  des  plus  malades  du  royaume,  el 
atteint  par  mes  ennemis.  Tel  avait  coutume  de  me 
dire:  <  Reau  sire,  »  qui  me  dit  (maintenant)  : 
«  Traître  avéré  !  >  Aussi  je  n'ai  pas  envie  do  rire  ; 
je  suis  noir  el  livide  de  douleur. 


Je  suis  leinl  de  mauvaise  couleur  et  de  douleur 
triste  el  amère;  ma  robe  m'est  vêtue  à  l'envers, 
blanche  autrefois  ,  aujourd'hui  noire.  Combien  varie 
maintenant  ma  chasse.  Combien  Fortune  est  marâtre 
et  mère;  elle  s'est  trop  attachée  à  me  faire  du  mal  : 
el  je  vous*prie  de  m'en  faire  justice. 


(  Ici  parle  raison.  ) 

Pierre  ,  Fortune  se  présente  pour  donner  ses 
raisons.  Chacun  également  obtiendra  loyale  justice, 
selon  les  mots  cl  le  plaidoyer  qu'il  prononcera. 


[pierre.] 
Dame  ,  j'accepte  sans  hésiter  :  malheur  à  qui  s'y 
refusera  ! 

(h'<  parle  fortune.) 
Holà  !  Pierre  !  ou  va  m'cnlendre  :  celui  aui  fait  le 


1337 


DUO 


iNOTiCE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


imo 


1538 


Qui  bien  fcl  le  Lion  irovcra. 

Tu  le  plains  !  Or  mesluet  desfentlre 

Tout  ausi  coin  droiz  le  dira. 

Or  puis  je  bien  dire  et  entendre 

Que  li  proverbes  voir  dira  : 

<  Qui  le  larron  tome  de  pendre , 

Jà  li  lerres  ne  l'amera.  > 

Je  le  (ornai  de  povrelé 
Quant  je  te  vi  premièrement; 

Je  le  donnai  la  riclielé 
Où  tu  as  est.i  longuement. 
Or  as  faussement  esploilé , 
Dont  tu  reçois  le  paiement  : 
Se  lu  pers  en  la  fausseté  , 
Je  ne  l'en  puis  mes  vraiment. 

Pierres,  bien  voi ,  quoi  que  nus  die, 
Que  lu  viens  en  ta  reverdure  ; 
Quar  qui  melroit  loule  sa  vie 
A  servir  mauves  paine  et  cure 
El  si  lessast  à  la  foie 
l'or  son  mesfel  soufrir  ledure, 
Tantost  serait  l'amor  faillie; 
Quar  mauves  est  de  lel  nature. 

Pierre,  Pierre,  se  lu  penssoies 
Où  je  le  pris  ne  en  quel  point, 
Bien  croi  que  jamès  ne  feroies 
De  moi  fere  clamor  ne  plaint. 
Povres  boni  et  noient  esloics 
Quant  je  te  mis  en  si  baul  point  : 
Or  me  mesdis  et  me  guerroies  ! 
Ainsi  serl  mauves  tout  à  point. 

Povres  hom  ,  ce  di-je,  et  despris  , 
Sanz  ricbelé  et  sanz  poissance  , 
Quaiit  je  te  mis  en  si  baut  pris 
Que  sires  esloies  de  France. 
Or  as  par  ton  orgueil   mespris  : 
Se  droiz  en  a  pris  la  venjance 
El  la  fausseté  t'a  repris, 
Por  qoi  m'en  fez  noise  ne  tance 

(  Ci  parole  pierre.  ) 

Hé  !  Fortune  fausse  et  vilaine, 
Vessiaus  plains  de  niai  et  d'amer, 
Escorpie  de  venin  plaine  , 
Au  premier  fez  samblant  d'amer 
Et  en  la  fin  mesaise  et  paine 
D'envenimer  et  d'enflamcr. 
Jà  nus  hom  ne  t'aura  cerlaine; 
Plus  es  muablc  que  la  mer. 

Tu  me  méis  au  commencier 
Plus  aise  que  poisson  qui  noe 
Encore  por  moi  plus  essaucier 
Me  moulas  en  baut  sus  la  roe. 
Or  m'es  jà  venue  enchaucier 
Et  m'as  si  gelé  en  la  boe 
Que  tels  me  soloit  descbaucier 
Qui  maintenant  mcfet  la  moc. 

Quant  doné  m'eus  tel  bautcce  , 
Porqoi  ne  m'i  as  areslé  ? 
Por  moi  fere  plus  de  irislccc 
Le  féis,  (c'esl  la  )  vérité  ; 
Quar  [  hom  qui  n'a  plu  ]  siïchece 
Quant  il  dechiel  c   povrelé  , 
A  plus  dolor,  bonieel  destrece 
Que  s'onqucs  n'éusl  riche  esté. 

Trop  esl  fols  qui  en  toi  se  fie, 
Quar  en  la  fin  chier  le  compère  : 
Tu  me  fus  au  premier  amie 
El  norricc  loiaus  et  mère  ; 
Or  m'es  en  la  fin  anémie 
Et  marrastrc  dure  et  amere. 
Tu  es  ausi  com  lescopie 
Qui  oint  devant  et  point  derrière. 

Trahison  fu  cl  faussetez, 
Ce  voit-on  bien  aperlcmcrt 


bien  trouve  le  bien.  Tu  le  plains  ,  il  faut  que  je  me 
défende  selon  le  droit.  D'abord  je  citerai  ce  pro- 
verbe :  i  Celui  qui  arrache  le  larron  du  gibet  n'en 
sera  jamais  aimé,  i 


C'esl  moi  qui  l'arrachai  à  la  pauvreté  tout  d'abord 
que  je  le  vis  ;  je  t'ai  donné  les  richesses  au  milieu 
desquelles  tu  as  vécu  longuement.  Mais  à  celle 
heure,  après  avoir  agi  en  traître,  et  sur  le  poinl  de 
recevoir  le  payement  de  ion  crime,  si  lu  perds  tout 
par  ta  félonie,  qu'y  puis-je,  en  vérité? 


Pierre,  je  vois  trop,  quoi  qu'on  en  dise,  que  lu 
n'as  jamais  oublié  ton  premier  élal  de  vilain  ;  et, 
après  avoir  pris  peine  et  soin  loule  sa  vie  à  servir 
un  méchant,  si  une  seule  fois  ,  on  le  laisse  en  bulle 
aux  outrages  à  cause  de  ses  méfaits  ,  on  a  lotit  aus- 
sitôt perdu  son  amitié  ;  car  telle  esl  la  nature  du 
méchant. 

Pierre,  Pierre,  rappelle-toi  où  je  le  pris  et  en 
quel  point  ,  et  jamais  tu  n'élèveras  ni  réclamation 
ni  plainte  contre  moi.  Tu  étais  un  homme  pauvre 
et  (de)  rien  quand  je  le  mis  en  si  haut  poinl  :  main- 
tenant tu  me  maudis  etfme  guerroies  C'esl  ainsi 
que  le  méchant  sert  dans  l'occasion. 


Pauvre,  dis-je,  méprisé,  sans  richesse  el  sans  pou- 
voir, quand  je  le  mis  en  si  haut  lieu  que  lu  étais 
seigneur  de  la  France.  Mais  l'orgueil  l'a  égaré  :  si 
la  justice  en  a  pris  sa  vengeance  et  l'a  repris  de  la 
félonie ,  pourquoi  me  cherches-iu  noise ,  el  me  fais- 
tu  des  reproches? 


(  Ici  parle  pierre.  ) 

Eh  !  Fortune  félonne  el  vilain  vase  rempli  de  mal 
01  d'amertume,  scorpion  plein  de  venin,  sous  sem- 
blant d'aimer,  lu  ne  m'as  causé  que  malaise  et  peine 
envenimés  el  enflammés  Qui  peut  êlre  certain  de 
loi  ?  Tu  es  plus  changeante  que  la  nier. 


Au  commencement  tu  me  rendis  plus  aise  que 
poisson  qui  nage,  et  pour  m'élever  encore  davan- 
tage, lu  me  moulas  en  haut  sur  la  roue.  El  déjà  lu 
m'es  venu  chasser  et  lu  m'as  tellement  jeté  dans  la 
boue  que  tel  avait  coutume  de  me  déchausser  qui 
maintenant  me  fait  la  mine. 


Après  m'avoir  placé  à  une  telle  haùteui,  pour- 
quoi ne  m'y  as-tu  pas  fixé?  Tu  le  fis  un  instant  pour 
me  causer  plus  de  tristesse,  c'est  la  vérité;  cr.r  le 
riche,  quand  il  tombe  dans  la  pauvreté  ,  a  plus  de 
douleur,  de  honte  et  de  détresse  que  s'il  eût  tou- 
jours été  pauvre. 


Trop  est  fou  qui  en  loi  se  fie,  car,  à  la  fin,  il  le 
paye  cher  :  lu  fus  d'abord  pour  moi  une  amie  ,  une 
nourrice  loyale  et  une  mère,  maintenant  lu  m'esenfin 
ennemie,  dure  et  a  mère  marâtre.  C'esl  ainsi  que  le 
scorpion  esl  doux  par  devanl  et  pique  derrière. 


Trahison  el  fausseté,  on  le  voit  clairement  ,  quand 
lu  me  montras  au  commencement  lant  de  bicnveil- 


i"jd 


DUO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


BRO 


\Mb 


Q  tani  lant  de  biens  et  (Tamisiez 
Me  monsiras  au  commencement 
Et  me  donas  les  richetez  , 
Les  honors  et  le  tenemenl. 
Dont  je  sui  en  la  lin  gelez 
Et  chaciez  trop  honteusement. 

Ci  parole  fortune. 

Pierres,  moult  très  grant  félonie 
Me  dis  et  moult  très  grant  outrage 
Tu  dis  que  je  t'ai  vilonie 
El  trahison  Cet  et  domage; 
Non  ai  ,   Pierres  ,  mes  corloisie 
A  toi  et  à  tout  ion  lingnage; 
Mes  si  mauves  n'esloies  mie 
Quanl  je  le  mis  en  seignorage. 

Bons  ei  loiaus  et  preus  esloies  , 
Près  cl  de  bien  fere  et  d'entendre; 
A  loul  servir  l'abandonoies, 
Le  granl ,  le  petit  et  le  mendre. 
Dieu  et  trestoz  ses  sainz  servoies 
Piteusement  et  de  cuer  tendre 
Et  quant  Diex  vil  qu'ainsi  fesoies 
Si  l'en  vout  le  guerredon  rendre. 

Eors  le  pris  en  humilité 
Ou  commandement  Dieu  le  père  , 
El  te  fis  par  granl  amislé 
Ta  meson  sus  ma  roe  fere. 
Or  as  en  la  fin  esploité 
Mauveseinent  de  ta  matere  : 
Orgueil  as  pris  cl  vanité, 
El  lessié  la  voie  première. 

Ta  fausselez  et  les  orgueus 
T'a  fet  en  cesle  doloreslre; 
Traîtres  as  et  desloiaus 
Esté  vers  ion  seignor  terrestre. 
Li  lerres  privez  esl  trop  maus  , 
El  lu  savoies  tout  son  eslre  : 
Or  as  esté  coin  li  chaiaus 
Qui  runge  les  sollers  son  mestre. 

Tu  pooies  Irop  bien  savoir 
Qu'en  ma  roe  s'a  ,i.  tel  arl 
Qu'il  i  covienl  si  droit  seoir 
Que  il  ne  pende  mile  pari  ; 
El  qui  peut ,  il  l'estuel  cheoir  : 
Et  lu  pendis  (se  Diex  me  garlï  ) 
Vers  le  faus  et  lessas  le  voir  : 
Or  l'en  repentiras  à  larl. 

(Ci  parole  pierre.) 

Hé  !  Fortune  dure  et  sauvage, 
Bien  m'as  ore  por  fol  tenu  ! 
Je  voi  moult  bien  que  cil  domage 
Me  sont  par  toi  luit  avenu. 
Tu  me  méis  au  haut  estage, 
El  ne  m'i  as  pas  maintenu  ; 
En  dolor  m'a  mis  et  en  rage  : 
Par  loi  me  sonl  cil  mal  venu. 

Son  ami  puet-on  au  besoin 
Essaier,  ce  seut-on  retraire; 
Quar  li  ami  bon  et  certain 
Aident  de  ce  qu'il  pueenl  faire. 
Li  tricheor  fans  cl  vilain 
Si  ne  finiront  jà  de  brere; 
Tels  dit  :  «  Je  vous  aim  >, 
Qui  point  et  cunchie  derrière, 

Se  tu  fusses  loiaus  amie, 
De  do'or  m'eusses  gelé; 
Mes  lu  m'es  mortel  anémie, 
Ce  voit-on  bien  par  vérité; 
Quar  il  ne  le  soulisoil  mie 
A  lolir  ta  properilé, 
Ainz  m'as  loin  et.  mort  et  vie, 
Et  fet  morir  à  granl  ville. 
Au  premier  si  haut  me  méis 
Que  loz  li  nions  m'esloil  amis, 


lance  et  d'amilié  et  me  donnas  les  richesses-,  le» 
honneurs  et  la  lenance  dont  je  suis  à  la  fin  arraché 
et  chassé  honteusement. 


(  Ici  parle  fortune.  ) 
Pierre!  ta  parole  n'est  que  félonie  et  outrage: 
tu  disque  je  l'ai  fait  vilenie,  dommage  et  trahison. 
Non  !  Pierre;  j'ai  fait  courtoisie  à  loi  et  à  loul  ton 
lignage.  Ah  !  lu  n'élais  pas  si  mauvais  quand  je  t'é- 
levai  au  pouvoir. 


Tu  étais  bon,  loyal  et  preux  ,  prêt  à  bien  faire  et 
à  entendre;  lu  te  niellais  loul  entier  à  servir  lout 
le  monde  ,  le  grand,  le  petit  et  le  moindre.  Tu  ser- 
vais Dieu  el  tous  les  saints  pieusement  et  de  coeiiF 
tendre;  el  quand  Dieu  vil  que  lu  agissais  ainsi,  il 
voulut  l'en  récompenser. 


Alors  je  te  pris  dans  un  étal  humble  par  le  com- 
mendement  de  Dieu  le  Père,  et  te  fis  par  grande 
amitié  élever  ta  maison  sur  ma  roue.  C'est  dés  lors 
que  lu  as  malversé  dans  l'exercice  de  les  fonctions  : 
lu  as  pris  de  l'orgueil  et  de  la  vanilé,  el  laissé  la 
voie  première. 


Ta  fausseté  et  ton  orgueil  l'ont  seuls  fait  tomber 
dans  cet  abîme;  lu  aséié  traître  el  déloyal  envers 
ion  seigneur  terrestre.  Le  voleur  domestique  esl  .le 
plus  dangereux.  Qu'iguorais-tu  de  ce  qui  concernait 
ion  seigneur?  Eh  bien!  lu  as  élé  le  petit  chien  qui 
ronge  les  souliers  de  son  maître. 


Ignorais-tu  que  sur  ma  roue  il  faut  être  assis 
parfaitement  droit  el  ne  pencher  nulle  pari;  celui 
qui  penche  tombe,  el  loi  lu  as  penché  (que  Dieu  me 
garde!  )  vers  le  faux;  tu  as  laissé  le  vrai  :  mainte- 
nant il  esl  trop  tard  pour  l'en  repentir 


(Ici  parle  pierre.  ) 

Eh!  Fortune  dure  et  sauvage,  me  crois-lu  fou? 
Je  ne  vois  que  trop  que  tous  ces  dommages  me  sont 
arrivés  par  toi.  Tu  m'as  mis  en  haute  position,  el  ne 
m'y  as  pas  maintenu  ;  lu  m'as  mis  en  douleur  el  en 
rage  :  par  toi  me  sont  venus  ces  .maux. 


C'est  dans  la  nécessité  qu'on  éprouve  son  ami,  lel 
est  le  proverbe.  Alors,  les  amis  bons  et  sûrs  aident 
de  ce  qu'ils  peuvent  faire;  mais  les  tricheurs,  félons 
el  vilains  crienl  haro;  tel  d'entre  eux  dil  par  devant: 
<  Je  vous  aime  »,  qui  pique  el  conspue  derrière. 


Si  lu  eusses  élé  (une)  loyale  amie,  je  serais  à  l'a- 
bri du  malheur,  mais  lu  es  mon  ennemie  mortelle, 
évidemment  :  car  il  ne  l'a  pas  suffi  de  me  retirer  ta 
prospérité,  tu  m'as  enlevé  el  morl  et  vie,  el  lu  me 
prépares  une  mort  ignominieuse. 


Tu  me  mis  d'abord  si  haut  que  loul  le  monde  élù\ 
mon  ami  ,  et  à  la  fin  lu  me  mis  si  (bas)  que  loul  le 


1341 


BUO 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


BRO 


\U2 


El  on  la  fin  tant  me  fois 
Que  loz  li  mous  m'est  ancniis. 
Au  mains,  quant  tu  me  desméis 
Du  lieu  où  tu  m'avoies  mis, 
En  Testai  où  lu  me  pris 
Porqoi  ne  Hl'i  as-tu  remis' 

Se  en  mon  premier  estai  fusse; 
En  boue  grasse  le  préisse; 
Quar  le  cors  ei  la  vie  eusse 
El  avoir  dont  je  me  vesquisse, 
El  me  gardaiss?,  el  per*  eusse 
Comment  loiaument  me  tenisse  : 
Or  est  ma  vie  si  confuse- 
Quc  chascuns  me  liet  et  despise. 

Fortune,  ceste  desrcson 
M'as-lu  fête  et  cesle  durlé 
Venuz  sui  de  clore  meson 
En  dolor  et  en  obseurlé. 
Perdu  ai  ma  bone  seson, 
Chéus  sui  en  maléurlé  : 
Droit  m'en  féist,  dame  Reson, 
De  ce  que  ainsi  m'a  hurlé. 

(Ci  parole  fortune.) 

Pierres,  je  ne  t'ai  pas  oslée 
Ta  richeee  ne  la  poissance; 
Mes  ta  grant  fausseté  pvovée 
T'as  mis  en  coste  mescheance. 
A  poi  que  lu  n'as  vçrgondée 
La  corone  et  le  roi  de  France, 
El  sanz  reson  as  disfamée 
La  ruine  où  tant  a  vaillance. 

Garder  déusses  loiaumenl 
Ton  seignor  lige  et  maintenir, 
Et  lu  l'as  servi  faussement  : 
Fere  le  cuidoies  niorir; 
S'as-lu  fet  à  ce  jugement 
A  la  mort  maint  homme  venir  : 
Bien  doit  avoir  mal  paiement 
Qui  mal  œvre  veut  maintenir. 

Tu  as  fet  trop  d'iniquitez, 

Droiz  l'en  fet  le  guerredon  rendre  : 

Se  tu  pers  en  ta  faussetez, 

Tu  ne  l'on  dois  pas  à  moi  prendre. 

C'est  ma  droite  properilez 

Que  de  monter  et  de  descendre 

Jà  mes  estas  n'en  aresloz  : 

Or  le  faz  grant,  or  le  faz  mendie. 

Porqoi  sui  Fortune  nommée, 

Quar  je  faz  bien  le  fort  lumber 

El  irebuchîer  en  la  valée; 

El  quanl  d'eus  me  vueil  aprismer 

Je  les  remet  en  la  montée, 

Et  si  les  faz  seignors  clamer. 

Ainsi  est  ma  roe  tornée, 

Quar  je  faz  haïr  cl  amer. 

Ainsi,  Pierres,  le  plains  à  tort, 
C'ï  voit-on  bien  par  vérité; 
Tu  méismes  t'es  mis  à  morl 
El  de  richeee  l'es  gelé. 
Or  n'i  a  autre  réconfort, 
Fors  que  je  pri  par  amislé 
A  Reson  que  droit  nous  aporl 
Selonc  ce  qu'il  estdespuié. 

(Ci  rend  reson  sentence.) 
Pierres,  bien  as  Fortune  oie, 
Qui  se  desfent  moull'sagement, 
Et  tiisl  que  lu  ne  sivis  mie 
La  voie  du  commencement, 
Et  que  lu  as  de  tricherie 
Ton  scigner  servi  faussement 
Et  qnc  c'est  ses  droiz  et  sa  vie 
De  lorner  tost  isnclemenl. 
Ainsi,  Pierres,  à  tort  le  plains, 
E1  je  crois  bien  qu'clc  dil  voir  : 


inonde  est  mon  ennemi.  Au  moins,  quand  tu  nie 
déplaças  du  lieu  où  lu  m'avais  mis,  pourquoi  ne 
m'as-tu  pas  rendu  à  l'état  dans  lequel  lu  cr>e  pris? 


Si  j'étais  en  mon  premier  état ,  je  prendrais  la 
chose  de  bonne  grâce;  car  j'aurais  corps,  vie  et 
avoir  dont  je  pourrais  vivre,  el  j'aviserais  à  me  tenir 
loyalement  :  maintenant  ma  vie  est  si  confuse  que 
chacun  me  hait  et  me  méprise. 


Fortune,  c'est  toi  qui  es  l'auteur  de  celle  iniquité 
et  de  celle  infortune  :  je  suis  venu  de  claire  maison 
en  douleur  et  en  obscurité.  J'ai  perdu  ma  bonne 
saison,  je  suis  tombé  dans  le  malheur.  Faites-moi 
justice,  dame  Raison,  de  ses  mauvais  traitements  à 
mon  égard. 


(Ici  parle  fortune.) 

Pierre,  je  ne  l'ai  pas  ôté  la  richesse  ni  ta  puis- 
sance; mais  c'est  ta  grande  félonie  prouvée  qui  t'a 
mis  dans  celte  infortune.  Il  s'en  faut  de  peu  que  lu 
n'aies  avili  la  couronne  el  le  roi  de  France;  sans 
raison  tu  as  diffamé  la  reine,  dont  le  mérite  est  si 
grand. 


Tu  aurais  dû  garder  loyalement  ton  seigneur  lige, 
et  lu  n'as  été  qu'un  traître  :  tu  pensais  le  faire  mou- 
rir, el  par  ce  jugement  tu  as  fait  venir  maint  homme 
à  la  mort  :  celui  qui  veut  maintenir  mauvaise  œuvre 
doit  bien  avoir  mauvais  payement. 


Tu  as  commis  trop  d'iniquités,  Dieu  t'en  fait  don- 
ner la  récompense;  si  lu  perds  par  ta  fausseté, 
lu  ne  dois  pas  l'en  prendre  à  moi.  C'est  mon  vérita- 
ble bonbeurque  de  mouler  el  de  descendre;  jamais 
mon  élat  ne  sera  lixe  :  tantôt  je  le  fais  grand,  tantôt 
je  le  fais  moindre. 


C'est  pour  cela  que  je  suis  appelée  Fortune,  car  je 
fais  bien  tomber  et  trébucher  les  plus  forts  en  bas  ; 
puis,  qu'il  me  plaise  de  me  rapprocher,  je  les  remets 
en  la  montée  ,  el  les  fais  appeler  seigneurs.  Ainsi 
tourne  ma  roue;  car  >e  fais  haïr  el  aimer. 


Oui,  Pierre,  lu  te  plains  à  tort ,  véritablement. 
C'est  toi  seul  qui  t'es  mis  à  mort  et  privé  de  riches- 
ses. A  celle  heure  il  n'y  a  pas  à  s'en  consoler  au- 
trement, sinon  que  je  prie  par  amitié  Raison  qu'elle 
nous  rende  justice  suivant  les  débals  qui  ont  eu 
lieu. 


(Ici  raison  rend  sentence.) 

Pierre,  tu  as  bien  oui  Fortune,  qui  se  défend  tres- 
sagemenl,  en  ce  que  lu  n'as  pas  suivi  la  voie  que  lu 
pris  d'abord.  Tu  as  traîtreusement  triché  ton  sei- 
gneur, et,  d'ailleurs,  c'est  le  droit  et  la  vie  [de  For- 
tune] de  tourner  rapidement. 


Ainsi,  Pierre,  tu  le  plains  à  tort,  et  je  crois  bien 
qu'elle  dit  la  vérité  ;  lu  es  atteint  (et  convaincu)  de 


'345 


CES 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CI1R 


1544 


De  les  niaiivesiiez  es  atains, 

Ce  puei  chascuns  moult  bien  veoir, 

Et  par  jugement  es  contrains 

A  cesle  paine  recevoir  : 

Li  anemis  ne  s'est  pas  fains 

Qui  te  tenoil  en  son  pooir. 

Li  haras  son  seignor  enrichie, 
Jà  si  ne  le  saura  farder; 
Et  cil  qui  sert  de  tricherie 
Ceh;i  que  il  devroil  garder, 
Je  di,  par  la  virge  Marie, 
Qu'il  seroit  dignes  de  Tarder  : 
Por  ce  t'est  la  peine  ajugie, 
Une  m  recevras  sanz  larder. 

Droiz  le  condampne  par  droiture, 
Ei  je  le  confenn  la  sentence; 
Mes  sachiez  que  ce  n'est  coinlure 
De  lerriene  penitance; 
Mes  la  morl  vient  diverse  et  dure 
Là  où  Diex  vendra  sanz  doutance. 
Qui  mal  fet,  ce  dist  l'Escr'rplure, 
Mal  trovera  :  c'est  ma  créance. 

Explicit  de  Pierre  de  la  Bruche  qui  despute  à  Fortune 
par  devant  Re*on. 


crimes,  chacun  le  peut  très-bien  voir,  et  par  juge- 
ment m  es  contraint  à  recevoir  celte  peine  :  le  dia- 
ble, qui  te  tenait  en  son  pouvoir,  ne  s'esl  pas  dissi- 
mulé. 


Tout  fourbe  trouve  son  maîire;  la  iromperie  ne 
peut  entièrement  se  masquer,  et  l'homme,  qui  use  de 
tricherie  envers  celui  qu'il  devrait  garder,  je  dis, 
par  la  vierge  Marie,  m^ple  d'être  brûlé  :  voilà  la 
condamnation ,  et  lu  recevras  le  châtiment  sans 
larder. 


Droit  le  condamne  justement,  et  je  le  confirme  la 
sentence;  mais  sache  que  tes  peines  ne  seront  pas 
bornées  à  celle  pénitence  sur  !a  lerre;  car  la  mort 
vient  sévère  et  dure,  là  où  Dieu  viendra  sans  doute. 
Qui  mal  fait,  dit  l'Ecriture,  mal  trouvera  :  c'est  ma 
foi 


Fin  de  Pierre  de  La  Brosse  qui  dispute  contre  For- 
tune par-devant  Raison. 


BRUS  (La  fauck  des).  La  farce  des  Brus     manuscrit  du  xvi*  siècle,  conservé  à  la  Bi- 
a  v  personnages,  c'est  a  scauoir  :  bliothèque    impériale  ,   fonds  La  Vallière  , 

n«  AS 


TROIS  BRL'S 

et    DEUX  UERMITES. 


Cette  pièce  a  élé  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Francisque  Michel  dans  leur 
Recueil  de  Farces  [Voy.  ce  mot),  d'après  le 


n°6c. 

Les  Hermites  veulent  s'emparer  des  Brus, 
mais  celles-ci  ne  cèdent  qu'après  finance  : 

LA    VIEILLE   DRU 


Qui  a  argent,  il  a  des  brus. 


C 


CALPURN1US.  —  M.  Magnin  est  d'avis 
qu'il  y  avait  au  ive  siècle  des  représenta- 
tions figurées  des  églogues  de  Calpurnius, 
qui  se  poursuivirent  jusqu'au  xr  siècle, 
dans  les  monastères.  (Cf.  Revue  des  Deux, 
Mondes  ,  1835,  juin  ,  p.  633  67i,  La  Comédie 
au  ive  siècle.) 

CAP1FOL  (Le  jeu  du).  — LejeuduCapi- 
fol  ,  moralité  a  mi  personnages  ,  c'est  a 
scauoir 

LE  MINISTRE  DE  L'ÉGLISE,       Lr,  LvBOUREUR, 
NOBLESSE,  COJJML.N. 

Celt3  pièce  conservée  dans  le  manuscrit 
du  xvie  siècle  de  la  Bibliothèque  impériale, 
ionds  La  Vallière,  n°  63,  a  été  éditée  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Michel, 
dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris,  Techener, 
1831-1837,4  vol.  pet.  in-8°). 

commun  commence. 

le  suys  le  commun  populaire, 
Marchant  sur  le  climat  polaire, 
En  peine  et  pleur,  en  crainte  et  fain. 
Noblesse  est  sur  moi  si  colère, 
Laheur  me  fait  quérir  mon  pain; 
J'ey  eu  corps  malade,  cœur  sain. 
Je  suys  ainsy  qu'vn  pouiv  exain 
Qu'on  chasse  volant  d'arbre  en  arbre; 
le  n'ay  plus  sur  moi  chair  ne  sain , 
Chasiun  me  descouure  le  sain, 
Me  rendant  plus  froid  que  marbre. 

CÉSAR  (Jules).  —  On  trouve  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  des  antiquaires  de 
l'Ouest  (1841,  p.  2>3,  2i5)  le  Mistaire  de  Ju- 
lius  César. 


M.  Edélesland  Duméril  cite  ce  dramo 
comme  preuve  que  le  théâtre  échappe  au 
xv'  siècle,  à  l'Eglise  qui  l'aurait  fondé,  et 
devient  profane.  (Cf.  Orig.  lat.  du  th.  mod.  ; 
Paris,  18i9,  in-8%  p.  56.) 

CHASCUN.  —  La  moralité  a  iv  personna- 
ges, c'est  a  scauoir  : 


CHASCON, 

PLUSIEURS, 


LE  TEMPS  QUI  COURT  , 
LE   MONDE. 


Celte  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Francisque  Michel  dans  leur 
Recueil  des  Farces  (Paris,  Techener,  1831- 
1837,  k  vol.  pet.in-8°),  d'après  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale  (Fonds  La  Val- 
lière ,  n°  63)  datant  de  la  première  moitié 
du  xvi"  siècle. 


Et  puys' 


chascun  commence. 

plusieurs  entre. 
Comment? 


CHASCUN. 

Mais  quel  vent  court?... 

PLUSIEURS. 

Quand  ie  m'avise  et  prens  a  souvenir 

Du  temps  pase  auprès  du  temps  qui  court, 

Tout  esbahis  me  laict  devenir, 

Voyant  que  tout  va  en  mauais  decourl.. 

On  va,  on  vient,  on  diet,  on  faicl  merveilles, 

On  taille, on  rongne,  on  baille,  on  coupe et  court, 

El  lousiours  gros  ânes  ont  oreilles. 

CHRYSARGYRE.  —  On  lit  dans  Suidas  , 
iu  motTiué9ioj  :  «  Timotheus  de  Gaza,  grain- 


1345 


COL 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


COL 


1343 


roairien  qui  vivait  dans  le  temps  de  l'empe- 
reur Anastase,  auteur  d'une  tragédie  sur 
l'impôt  public  ,  connuo  sous  le  nom  de 
Chrysargire...  » 

Fabricius.(ffj'6l.  gr.,  t.  II,  p.  325,  et  t.  VI, 
p.  380)  a  signalé  cette  mention!;  M.  Edeles- 
tand  Duméril  l'a  relevée  de  même  dans  ses 
Origines  latines  du  théâtre  moderne  (Paris, 
1849,  in-8°,  p.  10,  note  5). 

CLYTEMNESTRE  |—  Une  tragédie  de 
Clytemnestre  a  été  retrouvée  au  commence- 
ment de  notre  siècle  et  publiée  à  Riga.  M. 
Ivlelestand  Duméril  la  cite  sous  la  date  du 
vi*  siècle;  (Or.  I.  du  th.  m.,  p.  10,  note  5); 
M.  Magma  en  parlait,  il  y  a  dix-huit  ans, 
dans  son  Cours.  Ni  l'antiquité,  ni  l'existence 
de  cette  tragédie  ne  sont  encore  suffisam- 
ment [trouvées. 

COLIN,  FILS  DE  THENOT  LE  MAIRE 
(La  farce  de).  —  On  treuve  dans  une  col- 
lection de  farces  malheureusement  mises 
au  xvn*  siècle  «  en  meilleur  langage  qu'au- 
paravant »  la  farce  en  vers  de  Colin,  fils  de 
Thenot  le  maire,  sous  ce  titre  :  La  Farce  de 
Colin  fils  de  Thenot  le  maire  gui  reuient  de 
lu  guerre  de  Naples  ,  et  ameme  un  pèlerin 
prisonnier,  pensant  que  ce  feust  un  turc,  a 
quatre  personnages,  cest  à  scauoir  : 


THENOT, 
LA   FEMME, 


COLIN, 

LE   PÈLERIN. 


Cette  farce  singulière  semble  faire  suite  à 
Y  Aventureux. 

Nous  en  extrayons  les  passages  les  plus 
remarquables  : 

thenot  commence. 

Vive  Thenot  monsieur  le  maire 

El  aussi  mou  grand  fils  Colin; 

lMeust-il  a  Dieu  qu'il  pleust  (peust.pûl?)  tant 

[faire 
De  mettre  le  grand  Turc  afin  (à  fin)... 

COLIN. 

Le  diable  y  ail  pari  à  l'armée 
Mon  pai!  Haut  ie  suis  venu. 

THENOT. 

Tu  ne  l'es  guère  au  combat  tenu. 
Comment  se  porte  la  babille. 

COLIN. 

frayez  pas  peur  que  plus  Paille 
Tant  que  i'auray  la  vie  au  corps. 

THENOT. 

En  y  a-il  beaucoup  de  morts?... 
Ma  minent  !  lia!  lu  l'as  perdue, 
N'est-ce  pas? 

COLIN. 

Quelqu'un  la  happa... 
El  ne  sçay  ce  qu'elle  devint... 
.  .  .  J'ay  un  prisonnier 
Par  moy  pris  en  passant  chemin 
le  crois  que  c'esl  un  Sanazin, 
Car  il  parle  baragouinois. 
le  le  trouvay  pies  une  croix 
En  venant  de  Naples  à  Rome... 

LE  PELERIN. 

long  dulain  mislrande. 

THENOT. 

Faut  chercher  autre  qui  l'entende  , 
De  moy  ie  n'entends  ce  iargon, 


Parle-il  Limosia  ou  Breton? 
le  ne  scay  sur  ma  conscience... 

LE  PELERIN. 

Haon  mar  god  mis  tri  namboust 
Tizon  graccrac  liourlirauconlre... 

THENOT. 

Seroil-ce  point  un  pèlerin? 

LE   PELERIN. 

Ouel,  ouel. 

THENOT. 

Le  grand  diable  ait  part  a  la  prise, 
l'eusse  eu  une  pièce  de  frise, 
Pour  m'ahiller  :  aussi  la  mère, 
S'il  éloil  du  parti  contraire. 
Mais,  puisque  c'est  un  pèlerin 
Ne  cherchant  qu'a  passer  chemin» 
Il  le  faut  laisser  en  aller... 
Tu  as  la  faict  un  bel  exploicl... 

V07.  YAvanturcux,  Collection  Curon,  et 
Recueil  de  Farces  de  Roussel. 

COLLECTION  CARON.  —  Càron  (  Pierre* 
Sioctéon  ).  Collection  de  différents  ouvrages 
anciens,  poésies  et  facéties,  réimprin.és  par 
ses  soins  (Paris,  1798-1806  ).  2  vol.  petit 
in-8°. 

Tirée  seulement  a  5G  exemplaires,  celle 
rarissime  collection  ne  contient  de  pièces 
anciennes  intéressant  le  théâtre  que  : 

1°  La  Sottie  a  x  personnages ,  jouée  a  Ge- 
nève   l'an  1523,  Pierre  Rigaud  ; 

2*  La  farce  de  la  querelle  de  Gaullier-Gar- 
guille  et  de  Perine,  sa  femme  ;  à  Vuugirard,  à 
l'enseigne  des  Trois-Raves; 

3°  Le  jeu  du  prince  des  Sots  et  mère  Sotte; 
1511; 

4°  Le  mystère  du  Chevalier,  sans  date. 

5°  La  Nouuclle  moralité  d'une  pauvre 
villageoise;  Paris,  Simon  Calvarin,  sans 
date. 

Caron  a  réimprimé  le  Recueil  de  Nicolas 
Roussel,  en  1612  (vol.  du  14-0  p.  ),  qui  con- 
tient : 

6°  La  Farce  nouuclle  (en  vers)  et  récréa- 
tive du  médecin  qui  gtiarist  de  toutes  sortes 

de  maladies  et  de  plusieurs  auslres a  iv 

personnages,  c'esl  à  scauoir  : 


LE  MÉDECIN, 
LE  BOITEUX, 


LE  MARY, 
LA  FEMME. 


7°  La  Farce  (en  vers)  de  Colin,  fils  de 
Thenot  le  Maure,  qui  reuient  de  la  guerre  de 
Naples  et  ameinc  un  pèlerin  prisonnier  pen- 
sant que  ce  feust  un  Turc  ;  a  iv  pers.,  as- 
sauoir  : 


THENOT 
I  \  FEMME, 


COLIN, 

LE  PELERIN. 


8°  La  Farce  nouuelle  (en  vers)  de  deux 
savetiers,  l'un  pauvre  et  l'autre  riche.  Le 
Riche  est  marry  de  ce  quil  void  le  Pauvre 
rire  et  se  resiouyr,   et  perd  cent  escus  et  sa 

robbe  que  le  pauvre  gaigne a  ni  per- 

sonn 


LE  PAUVRE, 
LE  RICHE, 


LE  SAGE. 


9°  La  Farce  nouuelle  (en  vers)  des  Fem- 
mes gui  ayment  miculx  suiure  et  croire  F  cl- 


151' 


COL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


(.ON 


4348 


conduit,  et  vivre  a  leur  plaisir,    que  d'ap-      Nostradamus,   pour    savoir   certaines    nou- 
prendre  aucusne  bonne  science,  a  iv  person-      uelles  des  clefs  de  Paradis  et  d'Enfer  que  le 


nages,  c  est  a  scauoir  : 


PROMPTITUDE, 
TARDIVE  A  BIEN  FAIRE. 


LE  MAISTRE, 
FOLCONOUIT, 

10°  La  Farze  nouuelle  de  ï Antéchrist  et  de 
trois  femmes,  une  bourgeoise  et  deux  Pois- 
sonnières ;  a  iv personnages  ;  c'est  a  scauoir: 

hamelot  ,  première  [pois-    la  bourgeoise  , 
sonnière,  l'anteciirist. 

colfchon,  deuxième     id. 

11°  La  Farce  ioyeuse  et  récréative  d'une 
Femme  qui  demande  les  arrérages  a  son  ma- 
ry  ;  a  v  personnages  ;  c'est  a  scauoir  : 


LE  MARY, 

LA   FEMME, 

LA  CHAMBRIERE, 


LE  SERGENT, 
LE  VOISIN. 


12°  La  Farce  nouuelle  contenant  le  débat 
d'un  ieune  moine  et  d'un  vieil  gen-d'arme, 
par  deuant  le  dieu  Cupidon,  pour  une  fille. 
Fort  plaisante  et  récréative.  A  iv  personna- 
ges, c'est  a  scauoir  : 


CUPIDON, 
LA   FILLE  , 


LE  MOINE, 

LE  GENDARME. 


On  y  joint  les  farces  suivantes,  publiées 
aux  frais  de  M.  Montaran  : 

13"  La  Farce  nouuelle  qui  est  très  bonne  et 
très  joyeuse   à  îv  personnages,   c'est  à  sca- 


uoir 


LA  MÈRE, 
IOUART, 


le  compère, 
l'escolier. 


Troyes,  Nie.  Oudot,  1624. 

14°  La  Farce  ioyeuse  et  récréative  de  Pon- 
cette  et  de  l'amoureux  transi;  Lyon,  Jcan- 
Marguerite,  1595 

15°  La  Farce  nouuelle  du  Munier  et  du 
gentilhomme;  Troyes,  Nie.  Oudot,  1628. 

16"  La  Farce  ioyeuse  et  profitable  à  un 
chacun,  contenant  la  ruse ,  meschancelé  et 
obstination  d'aucunes  femmes,  par  person- 
nages ;  1596. 

17°  Le  Discours  facétieux  des  hommes  qui 


pape  auoit  perdues;  Nismes,  1599. 

23°  La  ioyeuse  Farce  d'un  Curia  qui 
trompa  par  finesse  la  femme  d'un  laboureur; 
Lyon,  1595. 

21°  S'ensuyt  un  beau  mystère  de  N.  D.  à  la 
louenge  de  la  très-digne  Nativité,  d'une  jeune 
fille  qui  se  voulut  habandonner  pour  nourrir 
son  père  et  sa  mère  en  leur  extrême  pauvreté  ; 
Lyon,  1545. 

25°  La  Moralité  nouuelle  et  très-fructueuse 
de  l'Enfant  de  perdition  ;  Lyon,  1608. 

Quelques  exemplaires  du  recueil  de 
M.  de  Montaran  portent  le  litre  suivant  : 
Recueil  de  livrets  singuliers,  etc.  (Cf.  Brunet, 
Manuel  du  Libraire  [Caron].  ) 

COLLECTION  MONTARAN.  —  Voy.  Re- 
cueil de  livrets,  par  Al.  De  Montaran. 

COLLECTION  ROUSSEL.  —  Voy,  Recueil 
de  Farces  de  Roussel. 

COLLECTION  SILVESTRE.  —  Voy.  Poé- 
sies des  xv"  et  xvie  siècles,  etc. 

COLLECTION  TÉCHENER.  -  On  entend 
par  Collection  Téchener  le  Recueil  de  Farces, 
moralités  et  sermons  joyeux,  publié  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Michel 
(Paris,  1831-1837,  petit  in-8,  4  vol.,  76  piè- 
ces). —  Voy.  Recueil  de  Farces,  etc. 

CONFRÈRES  DE  LA  PASSION.  —  Les 
frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
français  (  t.  III,  p.  225),  tracent  ainsi  l'his- 
toire des  Confrères  de  la  Passion  ,  à  partir 
du  temps  où  il  leur  fut  défendu,  par  arrêt 
du  parlement,  de  représenter  des  scènes 
religieuses  (1548)  : 

«  Les  Confrères,  disent-ils,  restreints  à 
ne  faire  usage  que  des  pièces  profanes,  eu 
représenteront  dans  ce  genre  pendant  plus 
de  trente  ans,  et  ce  ne  fut  que  vers  1588 
qu'ils  louèrent  leur  privilège  et  leur  hôtel 
à  une  troupe  de  comédiens. 

«  Ce  fait  que  nous  prouverons  par  les 
lettres  patentes  des  rois  Henri  II,  Fran- 
çois II,  Charles  IX,  Henri  III,  et  par  plu- 
sieurs arrêts  du  parlement  où  les  confrères 


font  saller  leurs  femmes  par  ce  qu'elles  sont  y  sont  nommés  seuls,  et  exécutant  des  piè- 

trop  douces;  Rouen,  Ahr.  Cousturier,  1558,  ces  tirées   de   l'histoire  et  des  romans.  Ce 

18°    La    Tragi-comédie  plaisante  et  face-  fait,  dis-je,  n'a  pas  été  éclairci   par  les  his- 

lieuse  intitulée  la  subtilité  de  Fanfreluche  et  toriens,  qui  n'ont  point  mis  d'intervalle  en- 

Gaudichon  ;  Rouen,  Abr.  Cousturier.  tre  l'arrêt  du   parlement  du  17   novembre 

19°  La  Tragi-comédie  des  enfans  de  Tur-  1548    et    l'accommodement    des    confrères 


lupin,  malheureux  de  nature;  Rouen,  Abr. 
Cousturier. 
20°  La  Farce  plaisante  et  récréative  sur  un 


avec  cette  troupe  de  comédiens  (849).  Ainsi, 
rien  n'est  plus  sûr  que  les  confrères  conti- 
nuèrent leurs   spectacles    par   eux-mêmes, 


trait  qu'a  ioué  un  Porteur  d'eau  le  jour  de  mais  à  la  vérité  avec  moins  de  succès  que 

ses  nopees  dans  Paris  ;  1632.  par  le  passé  :  les  gens  de  goût  depuis  long- 

21°  La  Farce  de  la  Cornette,  à  v  person-  temps  méprisaient  les  productions  qui  pa- 

nages,  par  Jehan  d'Abundance  ;  1545.  raissaient    sur  leur  théâtre.    Ajoutons   que 

22°  La  Comédie  facétieuse  et  très  plaisante  peu  d'années  après  l'établissement  des  con- 

du  voyage  du  frère  Fecisti  en  Provence  vers  frères  à  l'hôtel  de  Boureogne,  il  parut  tout 


(849)  Les  confrères  de  In  Passion,  ne  pouvanteux- 
inèmes  exécuter  les  nouvelles  pièces,  qui  ne  conve- 
naient plus  au  titre  religieux  qui  caractérisait  leur 
compagnie,  acceptèrent  les  offres  d'une  troupe  de 
comédiens,  qui  se  forma  pour  la  première  fois,  cl 
qui  prit  à  loyer  le  privilège  de  l'hôtel  de  Bourgo- 
gne. Les  confrères  s'y  réservèrent  seulement  deux 
loges  pour  eux  cl  pour  leurs  amis  :  elles  étaient  les 


plus  proches  du  théâtre ,  distinguées  par  des  bar- 
reaux; on  les  nommait  les  loges  des  maîtres,  (flis- 
toire  de  la  ville  de  Paris,  tome  II,  liv.  xx.)  En  met- 
tant un  intervalle  de  plus  de  trente  ans,  entre  l'ori- 
gine de  l'hôtel  de  Bourgogne  ei  celle  troupe  de 
comédiens  dont  on  parle  ici,  tous  les  faits  sont 
vrais;  c'est  ce  que  nous  éclaircirons  plus  bas. 


1349 


CON 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


CON 


1350 


d'un  coup  cinq  ou  six  poêles,  qui  firent  con- 
naître aux  Français  le  véritable  genre  de 
ce  spectacle,  en  composant  des  tragédies  et 
des  comédies  sur  le  modèle  des  poètes  grecs 
et  latins.  Malheureusement  pour  les  progrès 
de  cet  art,  les  Latins  remportèrent  sur  les 
Grecs,  et  Sénèque  fut  préféré  à  Euripide. 
Les  sentences  et  le  langage  ampoulé  du 
premier  étaient  plus  à  la  portée  de  l'esprit 
de  l'idiome  français  de  ce  temps.  Ronsard,  qui 
avait  francisé  le  grec  ctlelalin[dansses  ouvra- 
ges (850),  donnait  le  ton  aux  beaux  esprits, 
qui  étaient  si  grands  admirateurs  de  ce 
poète,  qu'on  étudiait  la  langue  dans  ses 
vers  (851).  De  sorte  que  les  barbarismes  de 
Ronsard  et  le  style  entlé  de  Sénèque,  étaient 
]es  bases  sur  lesquelles  toutes  les  tragédies 
furent  taillées,  non-seulement  pendant  le 
cours  de  ce  siècle,  mais  encore  plus  de  trente 
années  dans  le  suivant. 

«  Malgré  les  défauts  qui  régnent  dans  les 
ouvrages  dramatiques  des  poètes  dont  nous 
venons  de  parler,  il  faut  cependant  avouer 
qu'ils  ouvrirent  une  route  fort  utile  à  de 
grands  hommes.  Sans  Jodelle  et  Grevin, 
peut-être  que  Garnier  et  Théophile  n'eus- 
sent jamais  pensé  à  devenir  auteurs  tra- 
giques ;  et,  sans  ces  derniers,  Mairel  , 
Rolrou  et  Duryer  n'auraient  pas  tant  donné 

(850)  Ronsard,  qui  lo  suivit, (a)  par  une  autre  méthode, 
lléglanl  tout,  brouilla  loul,  lit  un  ail  à  sa  mode, 
Et  toutefois  longtemps  eut  un  heureux  destin. 
Mais  sa  muse,  en  français  ,  parlant  grec  et  latin, 
Vil  dans  l'âge  suivant,  par  un  retour  grotesque, 
Tomber  de  ses  grands  mois  le  faste  pédantesque. 

(Despréaux.) 
(851)  Jean  de  La  Taille,  poëte  dramatique  qui 
vivait  du  temps  de  Ronsard,  va  nous  apprendre  le 
respect  que  l'on  avait  pour  ses  poésies.  <  Mais,  pour 
revenir  à  mon  frère,  voyant  en  lui  un  entendement 
el  sçavoir  plus  grand  que  le  commun,  et  qu'aussi  par 
son  destin  commençant  à  suivre  Apollon  et  les  Mu- 
ses, faisant  déjà  vers  latins  et  frariçois,  je  lui  voulus 
ouvrir  davantage  l'esprit,  et  lui  donnant  gousl  de  la 
poésie,  par  les  œuvres  de  Ronsard  ,  je  lui  communi- 
quai loul  ce  que  je  sçavois  de  l'art  poétique.  >  Par 
coque  nous  apprend  La  Taille,  on  doit  juger  que  les 
autres  poètes  pensaient  à  peu  près  de  même. 

L'invention  n'est  poin  du  vieux  Ménandre, 

Rien  d'estrauger  on  ne  vous  tait  entendre 

Le  style  est  noble,  et  chacun  personnage 

Se  dit  aussi  eslre  de  ce  langage. 

Sans  que  brouillant  avecques  nos  farceurs. 

Le  sainct  ruisseau  de  nos  plus  sainctes  sœurs, 

On  moralise  uu  conseil,  un  escrit, 

Un  temps,  un  tout,  une  chair,  un  esprit, 

Et  tel  fatras ,  dont  maint  et  maint  folasire, 

Faii  bien  souvent  l'honneur  de  son  theastre. 

(S52)  Grevin,    dans  le  prologue  de  sa  Trésorière, 
s'explique  encore  plus  clairement. 

Non  ce  n'est  pas  de  nous  qu'il  (ault , 
Tour  accomplir  cet  eschaltaull, 
Attendre  les  farces  prisées, 
Qu'on  a  tousiours  moralisées  : 
l'.ar  ce  n'est  nosire  intention, 
De  mesler  la  religion 
Dans  le  sujet  des  choses  feinrtesj; 
Aussi  jamais  les  lettres  sainctes 
Ne  furent  données  de  Dieu, 
Pour  en  faire  après  quelque  jeu. 
Celui  donc  qui  voudra  complaire 
Tant  seulement  au  populaire, 
Celui  choisira  les  erreurs 
Des  plus  ignorans  basteleurs 

(a  Marct. 


d'émulation  au  grand  Corneille.  C'est  ce 
que  nous  ferons  voir  dans  l'ordre  chronolo- 
gique des  pièces  de  théAtre. 

«  Ce  fut  en  1552  que  Jodelle,  par  une  har- 
diesse, substitua  aux  spectacles  ridicules  de 
son  temps  la  comédie  et  la  tragédie  dans  le 
goût  des  anciens.  Ce  nouveau  genre  de 
pièces  eut  tout  le  succès  que  l'auteur  pou- 
vait s'en  être  promis.  Le  roi  Henri  II  ho- 
nora plusieurs  fois  de'sa  présence  les  piè- 
ces de  Jodelle  qui,  aidé  de  ses  amis,  les  re- 
présenta luirmême.  Les  confrères  de  la 
Passion  ne  furent  pas  oubliés  dans  le  prolo- 
gue de  la  comédie  û'Eugène  (852).  Le  public 
approuva  la  critique,  et  c'est  ce  qui  com- 
mença à  donner  du  discrédit  au  théâtre  de 
l'hôtel  de  Bourgogne,  d'autant  plus  que  les 
antres  poètes,  tels  que  Baïf,  la  Péruse  et 
Grevin  suivirent  Jodelle  dans  le  môme 
genre. 

«  Cependant,  malgré  le  peu  de  cas  qu'on 
faisait  du  spectacle  des  confrères,  ils  ne 
laissèrent  pas  d'obtenir  du  roi  Henri  II  dé 
nouvelles  lettres  patentes  (853)  en  faveur  de 
leur  confrérie.  François  11  leur  en  accorda 
.de  pareilles  au  mois  de  mars  1559.  Charles 
IX  fit  plus,  il  leur  remit  ses  droits  de  lots 
et  ventes  du  terrain  de  l'hôtel  de  Bourgo- 
gne, tant  du   passé  que  de  l'avenir  (85'*), 

Quoi?  demandez-vous  ces  romans. 
Jouez  d'une  aussi  soite  grâce, 
Une  sotte  est  cette  populace. 
De  qui  tous  seuls  ils  sont  prisez? 

Vous  estes  bien  mieux  advisez 

N'attendez  donc  en  ce  théâtre 
Ni  farce,  ni  moralité, 
Mais  seulement  l'antiquité. 
Qui  d'une  face  plus  hardie 
Représente  la  comédie,  etc. 

(853)  En  janvier  1554. 

(854)  Lettres  d'amortissement  accordées  par  le  roy 
Charles  IX  aux  confrères  de  la  Passion,  pour  Vac- 
quest  d'une  portion  de  l'Hoslel  de  Bourgogne.  — 
i  Charles,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France,  à 
tous  présens  el  à  venir,  Salut.  Sçavoir  faisons,  Nous 
avoir  reçu  l'humble  supplication  de  nos  cliers  et 
bien  amés  les  doyens,  maistres  et  gouverneurs  de  la 
confraitie  de  la  Passion  de  N.  S.  J.  C.  conicnant 
que  feu  de  bonne  el  louable  mémoire,  le  roy  Char- 
les VI,  nosire  prédécesseur,  que  Dieu  absolve,  pour 
certaines  bonnes  causes  à  ce  le  mouvant,  créa  el  in- 
stitua dès  l'an  1402  ladicle  confrairie,  à  laquelle  il 
donna  el  concéda  plusieurs  beaux  privilèges,  fran- 
chises et  libériez,  à  plein  contenus  et  déclarez  par 
les  lettres  de  Chartres  de  nosire  dicl  prédécesseur, 
qui  leur  auroienl  successivement  par  nos  prédéces- 
seurs rois  estez  duemenl  confirmez  et  continuez, 
inesme  par  le  feu  roy  Henri  nosire  irès-honoré 
Seigneur  et  Père,  que  Dieu  absolve,  du  vivant  du- 
quel, el  dès  le  30  aousl  1548,  lesdicts  supplians  au- 
roienl pour  le  bien  et  augmentation  d'icelle  confrai- 
rie, acquis  d'un  nommé  Jehan  Ronvci,  marchand, 
demeurant  en  nostredicle  ville  de  Paris,  une  belle 
mazurc,  et  place  assize  en  icelle  ville  en  l'IIoslel  de 
Bourgogne,  contenant  dix-sept  toises  de  long,  sur 
seize  de  large,  tenue  el  mouvant  de  nous  à  la  charge 
de  payer  par  chacun  an  à  nosire  receple  ordinaire 
dudici  lieu  la  somme  de  seize  livres  parisis  de  cens 
et  rente,  elc,  ainsi  qu'il  est  plus  au  long  déclaré  par 
le  contract;  pour  raison  de  laquelle  vente  el  acqui- 
sition, el  des  lots  el  ventes  qui  nous  en  peuvent  estre 
deubs  à  cause  d'icelle,  nosire  suslilut  de  nosire  pro- 
cureur général  en  la  Chambre  de  nosire  ihrésor  à 
Paris,  les  auroit  puis  certain  temps  mis  eu  procès 


1351 


CON 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CON 


K5i 


pour  lesquels  le  substitut  du  procureur  gé- 
néral de  la  Chambre  du  Trésor  les  avait  fait 
assigner  et  saisir  tous  leurs  effets. 

«Cette  affaire  finie,  les  confrères,  quel- 
que temps  après  en  essuyèrent  une  autre, 
qui  fut  encore  plus  fâcheuse.  Le  curé  de 
Saint-Eustache.  Messire  René  Benoît,  obtint 
de  la  Chambre  séante  au  Châlelet,  que  les 
confrères  n'ouvriraient  les  portes  de  leur 
spectacle  qu'après  Vêpres  dites.  Il  fallut 
obéir  à  l'arrêt  et  le  théâtre  de  l'hôtel  de 
Bourgogne  devint  presque  désert.  Les  con- 
frères représentèrent  au  parlement  «  que 
«  cette  ordonnance  rendoit  leur  privilège  il- 
«  Jusoire,  et  sans  effet,  parce  qu'il  leur  se- 
«  r oit  impossible,  les  jours  étant  courts,  de 
«  vacquer  à  leurs  dits  jeux,  pour  les  prépa- 
«  ratirs  desquels  ils  avoient  fuit  une  infinité 
«  de  frais.  »  Ils  ajoutèrent  dans  cette  même 
requête  «  qu'ils  payoient  cent  écusde  rente 
«  à  la  recette  du  rby,  pour  le  logement  et 
«  trois  cent  livres  tournois  de  rente  aux 
«  enfans  de  la  Triniîé,  tant  pour  le  service 
«  divin  que  pour  l'entretien  des  pauvres  :  » 
Et  conclurent  «  qu'il  leur  fût  permis  d'ou- 
«  vrir  les  portes  de  leur  jeu,  pour  les  allans 
«  et  les  venans,  à  la  manière  accouslumée, 
«  à  la  charge  toutefois  qu'ils  ne  commence- 
«  roient  leurs  jeux  qu'à  trois  heures  sonnées, 
«  a  laquelle  heure  les  Vêpres  avoient  ac- 
«  couslumées  d'estre  dilles.  »  Le  parlement, 
par  arrêt  du  17  novembre  157i,  accorda  ces 
demandes;  mais  le  curé  de  Saint-Eustache 
ayant  fait  de  nouvelles  oppositions,  suspen- 
dit encore  près  de  trois  ans,  l'effet  de  cet 
arrêt.  Enfin  en  1577,  les  confrères  obtinrent 

en  ladicte  Chambre....  Pour  ce  est-il  que  Nous  dé- 
sirons le  bien  el  augmentation  d'icelle  confrairie, 
et  autres  bonnes  considérations  à  ce  Nous  mourons, 
avons  permis,  accordé  et  octroyé,  permettons,  ac- 
cordons el  octroyons,  voulant,  et  Nous  plaist  de 
grâce  spéciale,  pleine  puissance  et  aulborité  royale, 
par  ces  présentes,  que  lesdicls  supplians  el  leurs 
successeurs  doyens,  maislres  el  gouverneurs  de  la  • 
dicte  confrairie,  puissent  en  leur  loy  se  tenir  el  pos- 
séder perpétuellement  el  à  tousjours,  iadicle  mazure, 
ensemble  les  bastimens  el  édifices  susdicls,  jouir  el 
posséder  par  iceuk  supplians,  et  leurs  dicts  succes- 
seurs à  quelque  valeur  et  estimation  que  le  tout  se 
puisse  mouler,  comme  choses  admoriies  et  indem- 
nées,  el  lesquelles  nous  admortissons  et  indemnons 
du  tout  dès-à-presenl,  et  à  tousjours,  el  icelle  dé- 
dions à  Iadicle  confrairie;  el  laquelle  finance  el  in- 
demnité, pour  le  regard  d'iceluy  admorlissement, 
ensemble  ions  el  chacun  les  droits  de  relief,  lois  el 
ventes,  el  autres  droicls  seigneuriaux  qui  nous  peu- 
vent ou  pourroienl  eslre  deubs,  tant  pour  raison 
dudil  admorlissement,  que  de  la  dicte  acquisition,  à 
quelque  somme,  valeur  et  estimation  que  le  ionise 
puisse  mouler  el  revenir,  Nous  avons  auxdilcts  sup- 
plians, en  faveur  que  dessus,  donné,  quille  et  remis, 
donnons,  quittons  et  remettons  par  ces  présentes, 

à  la  charge  de  nous  payer,  el  continuer ladicte 

somme  de  seize  livres  parisis  de  cens  et  rente  seu- 
lement. Si  donnons  en  mandement,  etc....  Donné  à 
Moulins  au  mois  de  janvier  l'an  de  grâce  mil  cinq 
cent  soixante  el  six,  et  de  nostre  règne  le  six. 
Signé,  Cuarles,  el  sur  le  reply  :  par  le  roy.  de  l'Au- 
bespinf.,  el  scellé  de  cire  verie  sur  lacs  de  soye  rouge 
el  verte,  rcgisltées  en  la  Chambre  des  comptes  le 
vingt-cinq  (ouvrier  1567.  > 
(S35)   bu  vendredy  vingt  septembre  1577.  «    Vu 


un  nouvel  arrêt  du  parlement  qui  permi*  ce 
qu'ils  demandaient,  mais  à  condition  qu'ils 
répondraient  des  scandales  qui  pourraient 
arriver  à  leurs  jeux  (855). 

«  Pendant  que  les  confrères  disputaient 
pour  leurs  privilèges,  il  s'élevait  une  foule 
de. poètes  qui,  sur  .les  traces  de  Jodelle, 
composaient  des  tragédies  et  des  comédies. 
Le  nombre  de  ces  pièces  devint  si  considé- 
rable et  si  fort  à  la  mode,  qu'il  se  forma 
plusieurs  troupes  d'acteurs,  sous  le  titre  de 
comédiens,  pour  les  représenter.  Ces  comé- 
diens coururent  pendant  un  assez  long 
temps  les  provinces,  le  privilège  des  con- 
frères les  excluant  de  jouer  a  Paris.  Cepen- 
dant en  158i,  une  de  ces  troupes,  flattée  par 
les  applaudissements  qu'elle  avait  reçus  en 
plusieurs  villes  du  royaume,  vint  de  sa 
propre  autorité  s'établir  à  Paris  à  l'hôtel  de 
Cluny,  rue  des  Mathurins,  où  elle  loua  un 
jieu  propre  à  ses  représentations.  Cette 
troupe  eut  tout  le  succès  que  la  nouveauté 
donne  ordinairement,  mais  ce  succès  fut 
court  :  à  peine  avait-elle  joué  une  semaine 
que  le  parlement,  averti  de  son  entreprise, 
rendit  un  arrêt  pour  en  arrêter  le  progrès. 
11  «  fait  défenses  à  ces  comédiens  de  jouer 
«  leurs  comédies,  ni  de  faire  aucunes  as- 
«  semblées,  en  quelque  lieu  de  la  ville  ou 
«  des  fauxbourgs  que  ce  soit,  et  au  con- 
«  cierge  de  l'hôtel  de  Cluny  de  les  y  rece- 
«  voir,  à  peine  de  mille  écus  d'amende.  » 
Cet  arrêt  leur  fut  à  l'instast  signifié,  et  ils  se 
retirèrent  (856). 

«  Les  deux  autres  troupes  parurent  a 
Paris  quatre  ans  après,  et  firent  de  nouvelles 

par  la  cour,  la  requeste  à  elle  présentée  par  les  doyen 
et  maislres  de  la  Passion ,  fondée  en  celle  ville  de 
Paris,  par  laquelle,  attendu  que  plusieurs  privilèges 
des  rois,  confirmés  par  arrests  de  laditle  Cour,  leur 
auroit  été  permis  exhiber  au  peuple  certains  jeux 
anciens,  romans  el  histoires  aux  jours  accoustu- 
mez,  après  le  service  divin,  ils  requeroient  leur  eslre 
permis  exhiber  lesdits  jeux  en  la  forme  el  manière 
accouslumée  à  eux  prescrite  par  les  arrests  de  la- 
dille  Cour,  en  tieflendant  à  tous  de  les  troubler,  ni 
empescher,  à  peine  de  mille  livres  parisis.  Vu  aussi 
l'arresl  obtenu  par  lesdits  supplians,  le  17  novembre 
1574,  ensemble  les  conclusions  el  consentement  du 
procureur  général  du  roy,  et  tout  considéré  :  la 
cour  ayant  égard  à  ladilte  requesle,  et  conformé- 
ment audit  arrest,  a  permis  el  permet  aux  supplians 
de  jouer  en  la  manière  accouslumée,  pourveu  aue 
ce  ne  soit  peint  pendant  le  service  divin,  et  à  l'heure 
qu'on  ne  le  puisse  empêcher  ;  et  à  la  charge  qu'ils 
ne  commenceront  qu'à  trois  heures  sonnées,  et  qu'ils 
répondront  des  scandales  qui  y  pourront  advenir, 
suivant  ledit  arrest.  » 

(856)  Du  samedy  6  octobre  1581.  <  Ce  jour  ouy,  le 
procureur  général  du  roy  en  ses  conclusions  et  re- 
monslrances,  a  été  arresié  ei  ordonné,  que  présen- 
tement tous  les  huissiers  d'icelle  se  transporteront 
au  logis  des  comédiens  el  du  concierge  de  l'hoslel 
de  Cluny,  près  les  Mathurins,  ausquels  seront 
faictes  deffenses  par  ordonnance  de  la  Chambre  des 
vacations,  de  jouer  leurs  comédies,  ne  faire  assem- 
blée en  quelque  lieu  de  celle  ville,  et  fauxbourgs 
que  ce  soil  ;  et  au  concierge  de  Cluny  les  y  recevoir, 
à  peine  de  mille  escus  d'amende;  et  à  l'instant  a 
a  été  enjoint  à  l'huissier  Bujol  aller  faire  ladilte  si- 
guificalion  el  deffenses.  > 


1533 


CON 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


CON 


1354 


tentatives  pour  s'y  établir.  L'une  était  do 
Français  et  l'autre  d'Italiens  (857).  Ceux-ci 
introduisirent  des  pantomimes  dans  leurs 
pièces,  en  sorte  qu'à  l'imitation  des  anciens 
histrions,  c'était  un  mélange  de  récits  et  de 
gesticulations,  ou  de  tours  de  souplesse; 
cela  leur  attira  d'abord  un  fort  granj  con- 
cours, mais  l'ordre  public  ne  put  pas  les 
soulFrir  longtemps.  Le  parlement  rendit  un 
arrêt,  le  10  décembre  1588,  par  lequel  il  fit 
défense  à  tous  comédiens,  tant  iialiens  que 
français,  de  jouer  des  comédies  ou  de  faire 
des  tours  de  suolilité,  soit  aux  jours  de 
fête  ou  aux  jours  ouvrables,  à  peine  d'a- 
mende arbitraire  et  de  punition  corporelle. 

«  Nous  voici  eutin  arrivés  à  l'époque  où 
les  confrères  furent  obligés  de  louer  leur 
privilège  et  leur  hôtel  à  une  troupe  de  co- 
médiens. Le  jeu  et  le  genre  des  pièces  que 
ces  derniers  représentaient  avaient  pris  lo 
dessus  des  moralités  et  des  mystères  profa- 
nes. De  plus,  ces  confrères  occupaient  bien 
les  mômes  places  que  leurs  prédécesseurs, 
mais  ils  n'en  possédaient  pas  les  talents; 
et,  depuis  plusieurs  années,  les  honnêtes 
gens  avaient  abandonné  leur  spectacle,  et 
même  on  s'en  était  plaint  très-sérieuse- 
ment (858);  au  lieu  que  les  comédiens 
étaient  souhaités,  et  méritaient  de  l'être  par 
les  pièces  qu'ils  représentaient,  dans  les- 
quelles, si  on  ne  trouvait  guère  [dus  d'art, 
du  moins  y  trouvait-on  plus  de  bon  sens. 
Voilà  ce  qui  engagea,  sans  doute,  les  con- 
frères à  se  retirer  du  tbéAtrc.  Les  plus  fins 
répandirent  dans  le  monde  que  le  litre 
religieux  qui  caractérisait  leur  société  ne  leur 
permettait  pas  déjouer  des  pièces  profanes. 

«  Sans  avoir  des  mémoires  particuliers, 
on  peut  assurer  que  cette  première  troupe 
française  fut  souvent  interrompue  dans  ses 
représentations  par  les  guerres  civiles  et 
étrangères,  qui  désolèrent  le  royaume,  par- 
ticulièrement la  ville  de  Paris,  depuis  1588 
jusqu'en  1593.  Mais  lorsque  le  roi  Henri  IV 
lut  devenu  paisible  possesseur  de  ses  Etals, 
tont  reprit  une  face  riante,  les  plaisirs  revin- 
i  eut  en  foule,  et  les  comédiens  ne  furent  pas 
les  derniers  à  ressentir  la  douceur  du  règne 
et  les  bienfaits  de  ce  grand  monarque  (859). 

«  Les  toire;»  ont  une  prérogative  de  fran- 

(857)  Ces  Italiens  étaient  depuis  longtemps  en 
France.  Henri  III  les  avait  fait  venir  de  Venise. 
On  les  appelait  les  Gelosi.  Ils  jouèrent  d'abord  aux 
Etats  de  Mois  en  1577,  ensuite  I  Paris  à  l'Hôtel  de 
Bourbon  en  1588,  où  ils  représentèrent,  malgré  l'ar- 
iti  du  Parlement  du  10  décembre  de  la  même  an- 
née. Celle  troupe  trouva  le  moyen  de  rester  en 
France  jusque  vers  1601)  :  mais  comme  ceci  ne  re- 
garde point  notre  histoire,  nous  ne  suivions  point 
les  progrès  et  la  lin  de  celte  troupe. 

(858)  Voici  ce  qu'on  trouve  dans  un  livre  inti- 
mlè  :  Hemonslrances  très-humbtes  au  roy  de  France 
el  de  Polongne,  Henry  III  du  nom,  imprimé  en  1588, 
a  l'occasion  des  Etals  généraux  (pie  ce  prince  ve- 
nait de  convoquer,  el  qu'on  appelle  communément 
Ils  seconds  Etats  de  Blois.  «  H  y  a  encore  un  autre 
grand  mal  qui  se  commet  el  tolère  en  vostre  bonne 
ville  de  Paris,  aux  jours  de  dimanches  et  de  testes; 
ce  sont  les  jeux  et  spectacles  publics  qui  se  font  les- 
dils  jours  de  lestes  el  dimanches,  lanl  par  des  es- 

Dicnosx.  des  Mystères, 


chise  que  nos  rois  leur  ont  accordée  en  fa- 
veur du  commerce,  ce  qui  fait  cesser,  pour 
un  temps  et  en  certains  lieux,  tous  les  pri- 
vilèges des  corps  ou  communautés.  Sur  ce 
fondement,  quelques  comédiens  de  province 
élevèrent  un  théâtre  à  Paris,  dans  les  lieux 
et  dans  les  temps  de  la  foire  Saint-Germain. 
Les  propriétaires  de  l'Hôtel    de   Bourgogne 
s'en  plaignirent  au  lieutenant   civil,   et   ti- 
rent assigner  devant  lui  les  comédiens  fo- 
rains. Ils  cessèrent  aussitôt  leurs  représen- 
tations, en  attendant  que  le  magistrat  eût 
levé  cet  obstacle;  mais,  pendant  l'instance, 
le  peuple,  toujours  impatient  el  amateur  des 
nouveautés,    entreprit  do  s\'n   venger  sur 
l'Hôtel  de  Bourgogne,  et  il  s'y  fit  des  attrou- 
pements et  des  insolences  aux  jours  ordi- 
naires de  la  comédie.  L'affaire,  discutée  en 
peu  de  jours,  fut  enfin  jugée   par   sentence 
du  5  février  159G.  Le  magistrat  n'estima  pas 
(jue  le  privilège  exclusif  accordé  aux    maî- 
tres de  l'Hôtel  de  Bourgogne  fût  plus   fûrt 
que  les  staluis  des  corps  des  marchands  et 
des  arts  et  métiers  de  Paris,  dont  l'effet  est 
suspendu  en  faveur  des  forains  pendant  la 
foire.  Ainsi,   appliquant  ce   motif  au   sujet 
qui  se  présentait,  et  voulant  aussi  calmer  lo 
peuple  et  maintenir  la  tranquillité  des  spec- 
tacles, il  permit,  par  sentence,  à  ces  comé- 
diens forains    de    jouer   pendant    la   foire 
Saint-Germain    seulement    et   sans   tirer   à 
conséquence,  à  la  charge  de  ne  représenter 
que  des  sujets  licites  et  honnêtes,  qui  n'of- 
fensassent personne,  comme  aussi  à  condi- 
tion  de   payer,  par   chacune    année    qu'ils 
joueraient,  deux  écus  aux    administrateurs 
delà  Passion,  maîtres  de  l'Hôtel  de  Bourgo- 
gne; et  par  la  même  sentence,  faisant  droit 
sur  les  conclusions  du  procureur  du   roi,  il 
fit  défense    à  toutes  personnes,  de  quelque 
condition  qu'elles  fussent,  de  faire  aucune 
insolence  en    1  Hôtel  de    Bourgogne,   lors- 
qu'on y  représenterait  quelques  jeux;  d'y 
jeter  des   pierres,   delà  poudre   ou   autres 
choses  qui  pussent  émouvoir  la  sédition,  à 
peine  de  punition  corporelle,  et  que    cette 
sentence  serait  publiée  à  son  de  trompe  de- 
vant l'Hôtel  de  Bourgogne  un  jour  de   co- 
médie, et  aux  lieux  que  besoin  serait;  ce 
qui  fut  exécuté. 

trangers  italiens,  que  par  des  François,  ci  par  dessus 
tous,  ceux  qui  se  l'ont  une  cloaque  el  maison  il-- 
Satan,  nommée  l'iloslel  de  Bourgogne,  par  ceux  qui 
abusivement  se  disent  les  Confrères  de  la  passion 
de  J.-C.  En  ce  lieu  se  donnent  mille  assignations 
scandaleuses  au  préjudice  de  l'honnestelé,  cl  pudi- 
cilé  des  femmes,  cl  à  la  ruine  des  familles  des  pau- 
vres artisans,  desquels  la  salle  bisse  est  toute  pleine, 
el  lesquels,  plus  de  deux  heures  avant  le  jeu,  passent 
leur  temps  en  devis  impudiques,  en  jeu  de  dez,  en 
gourmandises  el  yvrogneries,  lant  publique  lient, 
d'où  deviennent  plusieurs  querelles  et  batteries.  > 

(859)  Nous  tirons  la  preuve  de  ce  que  nous  avan- 
çons ici  des  lettres-patentes  du  roi  Henri  IV,  don- 
nées aux  confrères  de  la  Passion  au  mois  d'avril 
lo!)7,  el  de  l'établissement  d'une  seconde  troupe 
française  au  Marais  du  Temple,  dans  une  maison 
dile  ïllôlel  d'Argent.  C'est  de  quoi  nous  parlerons 
plus  bas. 


i3 


1»  »•». 


CON 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CON 


HBa 


•  Celle  ordonnance,  quidevint  dans  la  suite 
une  espèce  de  loi,  porta  un  coup  terrible 
aux  confrères  :  ils  le  sentirent,  et  crurent  le 
parer  en  présentant  une  requête  adressée 
au  roi  Henri  IV,  dans  laquelle,  non-seule- 
ment ils  le  suppliaient  de  leur  accorder  la 
continuation  de  leurs  privilèges,  mais  encore 
la  permission  de  représenter  des  mystères  tels 
que  ceux  qui  avaient  paru  sous  les  règnes 
des  rois  Charles  VI ,  Charles  VII ,  Louis  XI , 
Charles  VIII,  Louis  XII  et  François  1". 

«  Henri  IV,  par  ses  lettres  du  mois  d'avril 
1597,  en  confirmant  les  lettres  de  ses  prédé- 
cesseurs, permit  aux  confrères  de  la  Pas- 
sion de  donner  les  mystères  de  l'Ancien  et 
du  Nouveau  Testament,  et  toutes  autres 
pièces  honnêtes  et  récréatives,  avec  défense 
à  tous  autres  de  les  représenter  ailleurs  que 
dans  la  salle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne.  Ces 
lettres  furent  portées  au  parlement,  qui  ne 
les  enregistra  le  28  novembre  1598  qu'à 
i'égard  des  pièces  profanes,  licites  et  honnê- 
tes, avec  défense  de  représenter  la  Pas- 
sion, ni  aucun  autre  mystère  sacré  (860)  ;  de 
sorte  que  le  projet  des  confrères  fut  anéanti 
par  cet  arrêt,  puisqu'il  les  mettait  dans  le 
cas  de  jouer  eux-mêmes  des  pièces  pour 
lesquelles  le  public  depuis  longtemps  mar- 
quait un  fort  grand  mépris,  et  qu'ils  étaient 
hors  d'état  de  représenter,  attendu  que  de- 
puis dix  ou  douze  ans  ils  n'avaient  point 
exercé  une  pareille  profession. 

«  D'un  autre  côté,  une  troupe  de  comé- 
diens de  province,  qui  peut-être  était  venue 
à  Paris  pour  y  jouir  des  franchises  de  la 
foire  Saint-Germain,  forma  le  dessein  de 
s'établir  dans  celte  ville.  Il  faut  croire  qu'elle 
avait  de  fortes  protections;  car,  malgré  une 
sentence  contradictoire  du  28  avril  1599  (861) 
qui.défendail  a  tous  bourgeois  de  louer  aucun 
heu  pour  y  représenter  la  comédie,  elle 
ne  laissa  pas  de   paraître  l'année  suivante 

«  (8G0)  Du  28  novembre  1598.  Vues  par  la  cour  les 
lettres  patentes  du  roy,  données  à  Paris  au  mois 
«l'avril  1597,  par  lesquelles  ledit  seigneur  inclinant 
à  la  supplication  des  maislrcs,  gouverneurs  de  la 
coitfraùrie  de  la  Passion  ci  Résurrection,  delà  Tri- 
nité à  Paris,  Jenr  confirme,  ratifie,  et  approuve  les 
privilèges,  libériez  el  exceptions  à  eux  octroyez 
par  leu  rois  ses  prédécesseurs,  pour  en  jouir  et  user 
comme  ils  en  oui  ci  «levant  bien  el  ducinent  el  jus- 
tement joui  et  usé,  et  encore  sont  a  présent.;  sieur 
donnant  de  ce  nouvel  ^en  tanl  <|iie  besoin  seroii) 
congé  el  licence  de  l'aire  jouer  les  mystères  delà 
Passion  et  Résurrection  de  N.  S.,  des  saincts  ci 
saiuctes,  el  meure  loutesfois  et  «piaules  qu'il  leur 
plaira,  ensemble  autres  jeux  bonnettes  el  récréa- 
tifs, sans  offenser  personne,  en  La  salle  de  la  Passion, 
dilte  l'Hoslel  de  Bourgogne,  ou  .autre  lieu  el  place 
licite  à  ce  faire,  qu'il»  pourraient  trouver  plus 
.commode,  si  bon  leur  semble,  avec  dellivnscs  à  tous 
antres  jouer,  ni  représenter  dans  la  ville,  banlieue,  el 
iauxbourgsde  Paris,  a  illeurs  que  en  lad  iliesalle.au  pro- 
Jil  et  sonsle  nom  de  ladille  confrairie,  suivant  l'arrêt 
tin  17  novembre  1548.  Ladille  Cour  a  ordonné  que 
■leadilles  lettres  seront  enregistrées  en  icelle,  ouy  le 
proonreiM1  général  du  roy,  pour  unir  par  lesimpéira.-is 
«In  contenu  en  icelle,  pour  le  regard  des  mystères,  et 
jeux  profanes,  honnesles  et  Uciies,  sans  offenser  ni  in- 
jurier personne,  sans  pouvoir  jouer  les  mysie- 
Ài's  sacrés,   ce  que   ladille  Cour  leur  déffend  sui- 


1600  sur  un  théâtre  qu'elle  avait  fait  bâtir 
au  quartier  du  Marais  du  Temple,  en  une 
maison  nommée  l'Hôtel  d'Argent  (862).  H 
est  vrai  que  ces  comédiens  furent  obligés  de 
payer  aux  confrères,  toutes  les  fois  qu'ils 
jouaient  (863),  un  écu  tournois. 

«  Chupuzeau  va  nous  rendre  compte  de 
l'établissement,  des  progrès  et  de  la  fin  de 
ce  théâtre,  dont  nous  aurons  souvent  sujet 
de  parler  dans  le  cours  de  cet  ouvrage  : 

«  Les  accroissements  de  la  ville  de  Paris 
«  donnèrent  occasion  à  une  troupe  de  comé- 
«  diens  (mais  avec  le  consentement  de  celle 
«  qui  représentait  à  l'Hôtel  de  Bourgogne), 
(t  d'élever  un  théâtre  dans  une  maison  noiii- 
«  mée  l'Hôtel  d'Argent,  au  quartier  du  Ma- 
«  rais  du  Temple.  Celte  troupe  s'y  est  main- 
'«  tenue  jusqu'en  1673,  et  a  toujours  été 
«  pourvue  de  bons  acteurs  et  d'excellentes 
«  actrices,  à  qui  les  plus  célèbres  auteurs 
«  ont  confié  la  gloire  de  leurs  ouvrages.  Elle 
«  n'avait  qu'un  désavantage,  qui  était  celui 
«  du  poste  qu'elle  avait  choisi  a  une  extré- 
«  mité  de  Paris  et  dans  un  endroit  de  rue 
«  fort  incommode  ;  mais  son  mérite  parti» 
«  culier,  la  faveur  des  auteurs  qui  l'ap- 
«  pu^aient,  et  ses  grandes  pièces  de  machi- 
«  nés,  surmontaient  aisément  les  dégoûs 
«  que  l'éloignement  du  lieu  pouvait  donner 
«  aux  bourgeois,  surtout  en  hiver,  et  avant 
«  le  bel  ordre  qu'on  a  apporté  pour  tenir  les 
«  rues  bien  éclairées  jusqu'à  minuit ,  xA 
«  nettes  partout  et  de  boue  et  de  filous. 
«  Cette  troupe  allait  quelquefois  passer  l'é  ô 
«  à  Hou  en,  étant  bien  aise  de  donner  celte 
«  satisfaction  à  une  des  premières  villes  du 
«  royaume;  de  retour  à  Paris  de  cette  petite 
«  course  dans  le  voisinage,  à  la  première 
«  affiche,  le  inonde  y  courait,  et  elle  se 
«  voyait  visitée  comme  de  coutume. 

«  il  est  arrivé  de  temps  en  temps  de  pe- 
«  tites  révolutions  dans  cette  troupe,  et  lou- 

vant  l'arrest  du  17  novembre  1548,  à  peine  d'amende 
arbilraireeide  privation  de>dils  privilèges.  Kl  outre 
faildetl'enses  à  tous  autres  jouer  ou  représenter  aucuns 
jeux  ou  mystères,  tant  en  ladileville,  fauxbourgs 
et  banlieue,  sous  autre  nom  que  de  ladille  conlrairie, 
el  au  profil  «ficelle,  conformément  audit  arresl.  » 

(Slîl)  Par  sentence  contradictoire  du  28  avr.l 
15'J9,  défenses  sont  faites  à  Léon  Fournier,  menui- 
sier, et  à  lous  autres  bourgeois,  de  louer  aucunes 
cours  ni  autres  lieux  aux  comédiens  François  ni 
étrangers,  pour  y  représenter;  el  à  lous  comédiens 
de  représenter  ailleurs  qu'à  l'Hôtel  île  Bourgogne. 

(8tr2)  Ce  lieu  occupé  par  ces  nouveaux  comédiens 
fui  nommé  le  Théâtre  du  Marais,  qui  subsista  pen- 
dant soixante-treize  ans,  mais  en  deux  endroits 
diûéreiils  :  te  premier,  nommé  rilôtel  d'Argent, 
éiail  an  coin  de  la  rue  de  la  Poterie,  près  la  Grève. 
En  1020,  les  comédiens  translérèrenl  leur  tbéàire 
dans  un  jeu  de  paume,  au  baul  de  la  vieille  rue  du 
Temple,  au  dessus  de  l'cgoul. 

(8(35)  Par  sentence  contradictoire  du  15  mars 
1010,  et  pour  les  causes  y  contenues,  Matthieu  Le 
Fèvre,  dii  La  Porte,  Marie  Vcrnier,  sa  lemme, 
el  leurs  compagnons  comédiens,  représentants  ea 
l'Uoiel  d'Argent  (l'Uôiel  de  Bourgogne  étant  alors 
occupé  par  d'autres  comédiens),  sont  condamnés 
de  payer  aux  doyen,  maîtres  el  gouverneurs,  trois 
livres  tournois  par  chaque  jour  île  ivpivsen  ation, 
et. aux  dépens.;    laquelle  sentence  a  élè  exécutée. 


j-J  ( 


CON 


NOTICK  SLR  LE  THEATRE  LlkRE. 


CON 


IS3S 


«  jouis  causées  par  quelques  mécontente- 

«  menls  particuliers,  ou  par  quelques  inlé- 
«  rets  nouveaux.  Il  y  a  eu  de  bons  comé- 
«  d;ens  qui  ont  quille  le  Marais  où  ils  étaient 
«  estimés,  sans  nulle  nécessité  el  de  gaieté 
«  de  cœur,  le  poste  de  Paris  leur  plaisant 
«  moins  que  la  liberté  de  la  campagne.  Mais 
«  la  plus  grande  révolution  de  la  troupe  du 
«  Marais  a  été  l'abandonnement  du  lieu,  et 
«>  sa  jonction  avec  la  troupe  du  Palais-Royal, 
«  dont  le  spectacle  fut  interrompu  par  la 
«  mort  de  Molière,  qui  arriva  au  commen- 
a  cernent  du  carême,  le  vendredi  17  février 
«  1673.  La  troupe  de  ce  di  mier  s'attendait 
w  de  continuer  après  Pâques  les  représenta- 
it lions  du  Malade  imaginaire,  que  tout  Paris 
«  souhaitait  de  voir,  niais  quatre  personnes 
«  de  cette  troupe  s'étanl  engagés  avec  l'Hô- 
«  tel  de  Bourgogne,  et  se  trouvant  en  pos- 
«  session  des  premiers  rôles  de  beaucoup  de 
'■.  pièces,  ceux  qui  restaient  lurent  hors 
*  d'étal  de  continuer.  Il  se  fit  de  part  et 
«  d'autre  des  voyages  à  la  cour,  chacun  y 
«  eut  ses  patrons  auprès  du  roi  ;  le  Marais 
«  se  remuait  de  son  côté,  et  comme  Etat 
«  voisin,  songeait  à  profiler  de  cette  rupture, 
«  le  bruit  courant  alors  que  les  deux  an- 
«  demies  troupes  travaillaient  à  abattre  en- 
-:  tièrement  la  troisième  qui  voulait  se  re- 
<i  lever. 

«  Sur  ces  entrefaites,  le  roi  (Louis  XIV) 
r  ordonna  que  les  comédiens  n'occupe- 
«  raient  plus  la  salle  du  Palais-Royal,  et 
«  qu'il  n'y  aurait  plus  que  deux  troupes 
«  françaises  dans  Paris.  Les  premiers  gentils- 
«  hommes  de  la  Chambre  eurent  ordre  de 
«  ménager  les  choses  dans  l'équité  et  de 
«  faire  en  sorte  qu'une  partie  de  la  troupe 
«  du  Palais-Royal  s'étanl  unie  de  son  chef 
«  h  l'Hôtel  de  Bourgogne,  l'autre  fût  jointe 
«  au  Marais  de  l'aveu  du  roi.  L'affaire  fut 
«  quelque  lemps  en  balance,  les  intérêts  des 
«  comédiens  étant  difficiles  à  démêler  par 
«  des  personnes  qui  ne  peuvent  entier  dans 
«ce  détail,  el  n'ayant  pu  être  terminée 
«  avant  le  départ  du  roi,  Sa  Majesté  ordonna 
«  à  M.  de  Colbert  d'avoir  également  soin  de 
«  la  troupe  du  Marais  et  du  débris  de  celle 
u  du  Palais-Royal,  en  faisant  choix,  comme 
«  il  le  jugerait  à  propos,  des  plus  habiles  de 
«  l'une  et  de  l'autre  pour  en  former  une 
«  belle  troupe.  Ce  grand  ministre  d'Elat, 
t  chargé  du  poids  des  premières  affaires  du 
«  royaume,  se  déroba  quelques  moments 
«  pour  régler  celles  des  comédiens.  Il  nomma 
«  les  personnes  qui  devaient  composer  la 
«  nouvelle  troupe,  ordonna  des  parts,  des 
«  demi-parts,  des  quarts,  el  trois  quarts  de 
«  paît;  lit  défense,  de  la  part  du  roi  ,  aux 
«  comédiens  du  Marais  en  général  de  paraî- 

(81)3')  Celte  déclara  lion  du  roi,  du  23  juin  1 073, 
que  nous  rapporterons  parla  sniie,  portail  que  les 
comédiens  du  M. irais  ne  joueraient  plus  sur  leur 
théâtre,  el  qu'ils  s'établiraient  avec  cens  qui  étaient 
ci-devant  an  Palais-Royal,  dans  le  jeu  de  paume  de 
la  rue  de  Seine,  ayant  issue  dans  celle  des  Fossés 
de  iV-sle,  vis-à-vis  la  rue  Guénégaud.  El  a  cet  effet, 
Sa  Majesté  leur  ordonnait  d'y  Faire  transporter  les 
lufjes,    théâtre    et   décorations  qui   étaient    da:.s  la 


«  Ire  jamais  sur  ce  théâtre,  et  en  tira  des 
«  particuliers,  selon  qu'il  le  trouva  bon, 
■s  pour  les  unir  à  ceux  du  Palais-Royal  (363*], 
«  qui  ne  fil  plus  qu'une  seule  troupe,  sous 
«  le  nom  de  la  Troupe  du  roi.  » 

«  Revenons  présentement  aux  comédiens 
de  l'Hôtel  de  Bourgogne,  donl  nous  sui- 
vrons l'histoire  préférablement  à  celle  de 
leurs  camarades,  avec  d'autant  plus  de  rai- 
son qu'ils  furent  les  premiers  établis  5  Paris, 
qu'ils  obtinrent  les  premiers  le  litre  de  co- 
médiens du  roi,  avec  une  pension  de  douze 
mille  livres,  et  que  successivement  les  uns 
aux  autres,  avec  les  mêmes  titre  et  préroga- 
tives, ils  ont  passé  de  l'Hôtel  de  Bourgogne 
au  théâtre  de  Guénégaud,  et  de  ce  dernier 
dans  un  hôtel  bâti  à  leurs  dépens,  rue  des 
Fossés-Sainl-Germain,  où  ils  représentent 
tous  les  jours. 

«  Pendant  que  la  troupe  du  Marais  s'éta- 
blissait, celle  de  l'Hôtel  de  Bourgogne  con- 
tinuait ses  représentations.  Elle  n'avait  au- 
cun sujet  de  se  plaindre  de  la  permission  que 
les  coméd.ens  du  Marais  avaient  obtenue, 
puisqu'elle  en  tenait  une  pareille  des  con- 
frères de  la  Passion  ;  et  ces  derniers  sejlrou- 
vaient  trop  heureux  de  recevoir  de  deux, 
endroits  de  quoi  payer  leur  dépenses  néces- 
saires, et  fournir  encore  à  d'autres  qu'ils 
faisaient  pour  leur  propre  satisfaction  ;  mais 
ce  bonheur  dura  peu,  Ja  société  des  Enfants 
sans  youci,  qui  subsistait  encore  sous  le  titre 
de  la  Sottise,  leur  fit  essuyer  un  procès  qui1 
dura  plus  de  cinq  ans;  ensuite  les  comé- 
diens du  Marais  s'élevèrent  contre  eux  et 
les  réduisirent  à  recevoir  simplement  le 
loyer  de  leur  hôtel.  Ce  règlement  fut  fait 
en  1620.  C'esl  par  où  nous  finissons  l'article 
des  confrères  de  la  Passion.  Rendons  compte' 
présentement  deecqui  se  passa  depuis  1600 
jusqu'en  1629. 

«  Ce  fut  en  1603  que  commença  le  procès 
du  prince  de  la  Sottise  contre  les  confrères  de 
la  Passion  et  les  comédiens  qui  représen- 
taient à  leur  hôtel.  Ces  derniers,  sous  pré- 
texte de  la  défense  qui  avait  été  faite  à  la 
Société  des  sots  attendants  (c'est  le  titre 
qu'ils  prenaient),  de  faire  une  entrée  dans  la 
ville,  leur  refusèrent  celle  de  leur  spectacle, 
avec  la  collation  le  jour  du  Marui-Gras, 
ainsi  qu'ils  en  étaient  convenus  el  qu'il 
avait  été  d'usage  jusqu'alors  :  disant  que 
celle  Société  n'étant  reçue  à  l'Hôtel  de 
Bourgogne  qu'en  vertu  de  son  entrée,  les 
confrères  et  ceux  qui  représentaient  n'é- 
taient plus  tenus  aux  mêmes  conditions, 
cette  entrée  leur  ayant  été  interdite.  Le 
prince  des  Sols  allégua,  pxjttr  évincer  ce  re- 
fus, qu'à  la  vérité  le  roi  avait  suspendu  la 
permission  de  faire  Mardi-Gras  une  entrée 

salle  du  Palais-Royal.  De  sorte  que  celle  troupe, 
avec  celle  du  Marais,  n'en  fil  plus  qu'une  sous  Je 
nom  de  la  Troupe  du  roi ,  ce  qui  était  gravé  en  lei- 
Ires  d'or  sur  une  pierre  de  marbre  noir,  au-dessus 
de  la  porte  de  leur  bôlel.  lille  lit  l'ouverture  île  son 
théâtre  le  dimanche  9  juillet  1673,  et  elle  subsista 
jusqu'au  21  octobre  IG80,  que  la  troupe  de  L'Hôtel 
tie  Rourgogue  y  l'ut  réunie,  jusqu'en  1088,  qu'elle 
vint  s'élublir  où  elle  est  présentement, 


1350 


CON 


DICT.ONNAIRE 


solennelle  avec  sa  troupe  dans  la  ville  de 
Paris,  mais  que  celle  défense  n'était  point 
relative  aux  droits  qu'il  avait  sur  l'Hôtel  de 
Bourgogne,  dont  il  était  chef  avec  les  con- 
frères, puisqu'il  avait  été  caution  et  pre- 
neur avec  eux  lors  de  leur  acquisition  de 
cet  hôtel,  ainsi  qu'il  le  justifiait  par  les  titres 
de  possession.  Malgré  celte  réponse,  les 
confrères  refusèrent  de  remplir  leurs  enga- 
gements, et  môme  usèrent  de  main-mise 
contre  le  prince  des  Sols  et  ses  suppôls.  En- 
fin en  1608  intervint  un  arrêt  du  parlement, 
qu'il  nous  a  paru  nécessaire  de  placer  ici  en 
entier  : 

«  Du  19 juillet  de  relevée.  Entre  Nicolas 
«  Joubert,  prince  des  Sols,  chef  de  la  Solise 
«  do  l'Hostel  de  Bourgogne,  demandeur  en 
«  exécution  des  arrêts  de  la  Cour,  selon  sa 
«  requête  du  3  juillet  1600,  d'une  part;  et 
«  les  inaistres  de  l'Hostel  de  Bourgogne, 
«  et  Valleran  Le  Comte,  comédien  audit 
«  théâtre  duditHostel,  et  Jacques  Besneau, 
«  défendeurs  et  opposans  d'autre  :  Veu  par 
«  la  Cour,  les  demandes,  deffenses,  appoin- 
te tement  en  droiet,  productions  desdietes 
«  parties  ;  arrest  du  7  février  1606  entre  le- 
«  dict  Joubert,  appellant  de  la  sentence 
«  donnée  par  le  prevost  de  Paris  le  19  mars 
«  1605,  et  demandeur  en  requeste  du  10  mai 
«  audit  an,  d'une  part  ;  et  Macloud  Poullet, 
«  guidon  de  la  Sotise,  et  Nicolas  Arnault, 
«  hérault  de  ladite  Solise,  et  les  maistres  du- 
ce dit  Hostel  de  Bourgogne,  intimés  et  def- 
«  fondeurs  d'autre;  par  lequel  sur  ledit  ap- 
«  pel,  les  parties  auroient  esté  appoinctées 
«  au  conseil  cl  ordonné  que  les  arresls  se- 
«  roient  exécutez,  et  à  eux  enjoint  d'y  obéir 
«  à  peine  de  punition.  Autre  instance  d'en- 
«  Ire  ledict  Joubert,  demandeur  et  reque- 
«  rant  l'entérinement  des  lettres  par  lui  ob- 
«  tenues  le  30  aoust  dernier,  tendant  à  fin 
«  d'eslre  dispensé  de  faire  entrée  dans  cette 
«  ville  de  Paris,  ainsi  qu"i!  y  estoil  tenu,  et 
«  nonobstant  qu'il  n'ait  fait  ladilte  entrée, 
«  qu'il  jouiroit  des  droits  et  profils  à  sa 
«  charge  appartenans,  d'une  part  :  cl  lesdits 
«  gouverneurs  et  administrateurs  dudit  Hos- 
«  tel  de  Bourgogne,  deffendeurs,  d'autre. 
«  Productions  et  contredits  desdiltes  parties 
«  sur  ledit  au  conseil.  Autre  production  dudit 
«  Joubert,  en  ladilte  instance  de  lettres. 
«  Forclusion  de  produire  par  lesdits  mais- 
«  1res,  administrateurs  en  ladite  instance. 
«  Information  faite  à  la  requeste.  dudit  Jou- 
te bert  les  15  décembre  1603,  14  et  28  jan- 
«  vier  1604.  Autre  information  faite  par 
«  Cordelle,  buissier  en  ladite  Cour,  à  la  re- 
«  queste  dudit  Joubert  les  2G  lévrier  el  9 
«  mai  audit  an.  Procès-verbal  de  Toussaint 
«  de  Chameau,  sergent,  du  23  janvier  J605, 
«  voulant  mettre  ledit  Joubert  en  posses- 
«  sion  de  sa  loge  audit  Hostel  de  Bourgo- 
«  gne,  contenant  l'empeschement,  el  injures 

(861)  <  El  puisque  la  vanité  les  emporte  si  avant, 
, ils  parlent  des  confrères)  si  l'on  épluche  leur  con- 
Irairie,  on  trouvera  qu'anciennement  le  chef  se  qua- 
liiioit  Maire  Solle,  el  depuis  prince  des  Sols,  jus- 
'eveul,  qui  a  «a  :  l  encore  dipuis 


ne  d'Amro'.i 


DES  MYSTERES.  CON  i3S0 

«  à  lui  ditles.  Antres  informations  aussi 
«  faites  à  la  requeste  dudit  Joubert,  par  les 
«  commissaires  Oudet,  Boudyer  et  Jacquet, 
«  et  par  Gaultier,  aussi  huissier  en  ladite 
«  Cour,  les  4  avril  el  12  aoust  1604,  14  mars 
«  1605,  H  février  el  4  mai  1606,  el  29  sep- 
«  tembre  1609.  Conclusions  du  procureur  gé- 
«  néral  du  roi.  Tout  considéré  :  il  sera  dit  : 
«  Que  ladilte  Couk  faisant  droit  sur  ladilte 
«  demande  à  exécution  d'arrest,  a  ordonné 
«  el  ordonne  que  les  arrêts  du  2  mars  et  27 
«  octobre  1604,  et  5  février  1606,  el  19  fê- 
te vrier  1608,  seront  exécutés,  et  conformé- 
«  ment  à  iceux  ;  a  maintenu  et  gardé,  main- 
te tient  el  garde  ledit  Joubert  en  la  posses- 
«  sion  et  jouissance  de  sa' principauté  des 
«  Sols,  et  des  droits  appartenans  à  ieelle, 
«  même  du  droit  d'entrée  par  la  grande 
«  porte  dudit  Hostel  de  Bourgogne,  et  pré- 
«  séance  aux  assemblées  qui  s'y  feront,  et 
«  ailleurs  par  lesdits  maistres  et  administra- 
«  leurs,  et  en  jouissance  et  disposition  de 
»  sa  loge,  a  lui  adjugée  par  lesdits  ar- 
te  resls;  a  condamné  et  condamne  lesdits 
te  administrateurs  lui  en  rendre  et  restituer 
«  les  fruits  depuis  son  installation,  sauCàdé- 
te  duire  ce  que  ledit  Joubert  aura  reçu.  Et 
et  fait  inhibition  et  delfenses  ausdits  admi- 
«  nistrateurs  de  le  troubler,  et  empescher 
te  en  la  possession  et  jouissance  de  ses 
«  droits,  de  lui  mesfaire,  médire,  ni  injurier, 
«  sous  peine  de  punition.  Et  pour  les  con- 
te traventions  ausdits  arresls,  condamne 
«  lesdils  administrateurs  en  quatre- vingt 
te  livres  parisis,  qui  seront  distribués  aux 
et  pauvres,  et  es  dépens  pour  ce  regard.  Et 
«  sur  l'appel  de  ladilte  sentence  du  19  mars 
te  el  incidens  de  lettres,  a  mis  et  met  l'ap- 
«  pellation  et  ce  dont  a  esté  appelle  au 
a  néant,  sans  amende  et  sans  despens,  lant 
«de  la  cause  principale  que  d'appel;  en 
te  émendant,  ayant  égard  ausdittes  lettres,  a 
«  deschargé  et  descharge  ledit  Joubert  de 
«  faire  son  enlrée  en  cette  ville  de  Paris, 
«  jusqu'à  ce  que  par  la  Cour  en  ait  esté  or- 
«  donné,  et  conilamne  les  dits  administra- 
is teurs  es  despens  de  ladilte  instance.  Et 
«  pour  le  regard  desdils  Valleran  Le  Comte 
«  et  Besneau,  a  mis  et  met  lesdites  par- 
te Iïe«  hors  de  Cour  et  de  procez,  sans  des- 
te  pens   » 

te  L'arrêt  que  nous  venons  de  rapporter 
n  eut  apparemment  qu'une  exécution  de 
peu  de  durée;  car,  depuis,  il  n'est  plus  fait 
mention  du  prince  des  Sots,  ni  de  sa  société, 
et  même,  en  1612,  quatre  ans  après  ce  même 
arrêt,  dans  la  requête  que  les  comédiens 
présentèrent  au  roi  Louis  XIII,  pour  lui  de- 
mander l'extinction  des  privilèges  des  con- 
frères de  la  Passion,  on  .y  parle  du  prince  de 
la  Soltise  comme  d'un  titre  méprisable  et 
qui  n'existait  plus  (864). 

«  Depuis  plusieurs  années  lcscoméuicusde 

nuinze  ans  éclater  hautement  ce  titre  dans  le  Par- 
lement, avec  ces  heaux  éloges  que  son  avocat  lui 
donna,  disant  que  c'éloil  un  prince  qui  porioit  la 
la  pesie  el  la  ruine  des  poêles  el  mainiiies;  qu.ri 
éluil  ne  el  mouiri  dans   la   conlrairic  des   grasses 


iîi:» 


CON 


NOTICE  SUft  LE  THEATRE  LIBRE. 


CON 


1362 


l'Hôtel  de  Bourgogne  cherchaient  à  s'affran- 
chir du  droit  qu'ils  payaient  aux  maîtres  et 
gouverneurs  de  la  Passion,  pour  avoir  celui 
de  représenter  sur  leur  théâtre.  Ces  pre- 
miers ne  voulaient  plus  dépendre  d'une  so- 
ciété qui,  par  succession  de  temps,  était 
devenue  le  réceptacle  des  plus  vils  artisans, 
plus  méprisables  encore  par  leurs  débau- 
ches que  par  leur  profession.  Ils  se  crurent 
d'autant  plus  autorisés  à  taire  éclater  leurs 
mécontentements,  que  le  roi  (Louis  XIII) 
las  avait  nommés  ses  comédiens,  et  que, 
ronséquemment  acelto  grAce,  ils  affichaient 
flans  Paris  avec  le  litre  de  Troupe  royale. 
C'est  pourquoi  ils  ne  balancèrent  plus  a  de- 
mander la  révocation  des  privilèges  accor- 
das aux  confrères-,  par  une  requête  qu'ils 
présentèrent  au  Conseil,  que  nous  allons 
rapporter  en  son  entier,  comme  une  pièce 
nécessaire  à  l'histoire  du  théâtre  : 

Remontrances  au  Roi  et  à  Nosseigneurs  de 
son  Conseil,  pour  l'abrogation  de  la  con- 
fruirie  de  la  Passion,  en  faveur  de  la  troupe 
royale  des  comédiens. 

«  Après  un  préambule  qui  contient  un 
éloge  de  la  comédie,  ils  continuent  : 

«Ainsi,  vos  comédiens,  Sire,  qui,  par 
«  leurs  bonnes  qualités,  ont  acquis  des  amis 
«  assez  puissants  pour  leur  faciliter  l'entrée 
«  de  votre  cabinet,  classez  zélés  en  leur  inté- 
«  rêt,  pour  les  favoriser  de  leur  présence,  ils 
«  s'adressent  de  plein  vol  à  Vostre  Majesté, 
«  sans  aucune  autre  recommandation  ni  as- 
«  sistance  que  leur  bon  droit,  dans  lequel 
«  ils  ont  establi  l'espérance  de  leur  vic- 
«  toire. 

«  Leurs  prétentions,  Sire,  à  présent,  ne 
«  sont  autres  que  celles  mêmes  qui  ont 
«  donné  lieu  au  différend  qui  se  mût,  il  y  a 
«  quelque  temps  à  votre  Conseil,  entre  vos 
«  comédiens  et  les  soy-disans  maislres  de 
«  la  confrairie  do  la  Passion,  lors  duquel 
«  Vostre  Majesté  trouva  bon  d'adjuger  à 
«  ceux-là  l'Hostel  dit  de  Bourgogne,  pour 
«  trois  ans  seulement,  par  provision,  etaus 
«  charges  portées  par  l'an  est,  attendant  la 
«  décision  du  principal  (8G5),  laquelle  vos 
«  comédiens  poursuivent    aujourd'hui  ;    et 

hèles,  qu'il  n'avoil  jamais  élud'é  qu'en  la  philoso- 
phie cynique,  qu'il  u'éioil  sçavant  qu'en  la  faculté  des 
bas  souhaits;  que  c'étoil  une  leste  creuse,  une  cou- 
cou rde  éventée,  vuide  de  sens,  connue  une  canne, 
un  cerveau  démoulé,  qui  n'avoil  ni  ressort,  ni  roue 
dans  la  leste,  qui  se  changeoit  comme  une  lune; 
bref,  qu'il  éioii  si  »ol,  que  l'on  en  pouvoil  faire  le 
Dieu  des  Stoïciens.  > 

(8Go)  Nous  n'avons  point  de  renseignement  au  su- 
jet du  procès  doni  il  esi  ici  parlé,  et  antérieur  à  la 
requête  que  nous  rapportons,  de  trois  ani.ées  ;  nous 
trouvons  au  contraire  une  confirmation  des  privilè- 
ges de  la  confrérie  de  la  Passion,  donnée  an  mois 
de  décembre  101-2,  par  le  roy  Louis  XIII,  registres 
au  Parlement  le  20  janvier  1015,  dans  lequel  enre- 
gistrement il  est  dil  que  <  Veu  par  la  Cour  les  let- 
tres patentes  du  roy,  signées  Louis,  el  sur  le  reply, 
par  le  IL//,  la  reine  régente  sa  mère,  présente.  I)i. 
Lomk.me,  ele,  par  lesquelles,  el  pour  les  causes  y 
«nulcnues,  ledit  seigneur  continue,  cl  confirme  tous 
et  chacun   Jes  p:  iv  leçes,   libertés,  exemptions,    el 


«  pour  cet  effet,  supplient  humblement  Vostre 
«  Majesté,  en  exécutant  les  ordonnances  de 
«  nos  rois,  vos  prédécesseurs,  qu'il  lui  plaise 
«  abroger  celte   confrairie   de    la   Passion, 
«  comme   inutile,   préjudiciable  et  scanda- 
«  le  use  à  la  religion,  à  l'Etat  et  au  particu- 
«  lier, avec  deffenses  aux  soy-disans confiè- 
«  resdela  continuer,  à  peine  d'être  convain- 
«  eus  de  leze-majesté,  et  en  conséquence, 
«  ordonner  que  les  biens  et  revenus  de  la- 
«  dite  confrairie  seront  unis  et  incorporés 
«  au  domaine  des  pauvres,  ou  de  l'Hôtel- 
«  Dieu,  ou  des  Petites-Maisons  de  Paris,  à 
«  la  réserve  néanmoins  dudit  Hostel  de  Bour- 
«  gogne,  lequel  demeurera  perpétuellement 
«  affecté  à  la  troupe  de  vos  comédiens,  en 
«  payant   par  eux  annuellement  touies  les 
«  réparations,  rentes  et   charges  foncières, 
«  dont  ils  demeureront  chargés,  la  somme 
«  de  cinq  cens   livres,  ou  telle  autre  que 
«  Vostre  Majesté  arbitrera  es-mains  du  rc- 
«  ceveur  à  ce  commis,  de  quartier  en  quai- 
«  lier,  et  à  la  charge  de  bailler  par  eux  et 
«  leurs  successeurs  bonne  et  sûre  caution, 
«  pour  assurance  desdits  payements  et  char- 
«  ges.  Il  est  vrai  que  d'abord  cette  requëstô 
«  semblera  aucunement  estrange;  mais  Vos- 
«  tre   Majesté,  qui  pesé  les  intérêts  cotu- 
«  muns  d'autre  sorte  que  ne  font  les  parti— 
«  cuiiers,  qui  ne  s'attachent  jamais  à  l'utilité- 
«  publique,  sinon  en  tant  que  la  leur   s'y 
a  trouve  raeslée,  jugera  que  cette  demande 
«  est  raisonnable  et  juste,  puisque  l'exécu- 
«  tion  d'icelle  est  utile  et  nécessaire.  Juste, 
«  d'autant  qu'elle   est  fondée  sur  tant  de 
«  saintes  ordonnances  et  de  si  bons  exeut- 
«ples;    utile,  d'autant    que    les     pauvres 
«  en  tireront  tout    le   profit,  qui   leur  est 
«  beaucoup  mieux  deub  qu'à  ces  gorges  de 
«  Diotime(866);  nécessaire,  parce  que  c'est  le 
«  vrai  moyen  de  retirer  de  la  débauche  tant 
«  de  malheureux  artisans,  qui  ayant  sou- 
«  vent  mis  femmes  et  enfans  en  chemises, 
«  pourarriveracesmaîtrises,où  leurviesem- 
«  ble  assurée,  négligent  tout  à  fait  le  soin  de 

«  leur  pauvre  famille Il  est  même  sans 

«  difficulté  que  la  comédie  a  l'avantage  du 
a  tems  sur  cette  confrairie,  laquelle  encore 
«  n'a  jamais  obteuu  aucun  establissement  ni 

fragilises  cy-devanl  donnez  el  oclroyez  par  ses  pré- 
décesseurs rois,  aux  maislres  et  gouverneurs  de  la 
confrairie  de  la  Passion  :  laditle  cour  a  ordonné  el 
ordonne  que  lesditlcs  lettres  seront  enregistrées  es 
registres  d'icelle  ;  Ouy  le  procureur  général  du  roy, 
pour  en  jouir  par  les  impélrans  de  l'elfel  el  conte- 
nu en  icelles  connue  ils  en  ont  cy-devant  bien  cl 
dûment  joui,  et  usé,  jouissent  et  usenl  encore  de 
piésent.  » 

Ccl  arrêt  ne  r;iit  aucune  mention  des  coinédiei  s 
qui  jouaient  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  ;  ainsi  il  est  a 
présumer  que  ces  derniers  ne  présentèrent  leur  re- 
quête au  Conseil  qu'a  la  majorité  du  roi  Louis  XIII. 
On  en  voil  la  preuve  par  le  lilrede  celle  même  re- 
quête, qui  n'est  point  adressée  à  la  reine  mère. 

(866)  Oiotime  est  le  nom  d'un  fameux  ivrogne 
d'Athènes  que  l'on  surnommait  l'entonnoir,  à  cause 
que  souvent  il  se  faisait  mettre  un  entonnoir  dans  la 
bouche,  et  ensuite  on  lui  versait  une  prodigieuse 
quantité  de  vin  qu'il  avalait  ainsi  tout  d'une  halei- 
ne. (Kiir-N,  Histoire»  diverses,  liv.  n,  chap.  4L) 


1563 


CON 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


CON 


i:Gi 


«  privilège  dont  elle  ne  soit  redevable  à  la 
«comédie,  puisqu'ils  n'ont  été  accordez 
«  qu'aftn  d'entretenir  le  peuple,  par  les  re- 
a  présentations  qui  se  faisoient  en  ce  temps- 
«  la,  et  pour  donner  courage  à  d'autres 
«  d'entrer  dans  la  confrairie,  et  monter  sur 
«  le  théâtre.  » 

«  Ensuite,  les  comédiens  rapportent  diffé- 
rentes ordonnances  dos  rois  François  I", 
Henri  II,  Charles  IX  et  Henri  III,  et  plusieurs 
arrêts  du  parlement,  qui  ont  abrogé  diffé- 
rentes confréries,  comme  illicites,  et  ajou- 
tent, au  sujet  de  celle  de  la  Passion  : 

«  Cette  confrairie  est  du  tout  piéjudicia- 
«  ble  aux  mœurs  et  au  bien  des  familles. 


«  ils  ne  peuvent  sçavoir  beaucoup  d'hon- 
«  neur,  ni  de  civilité,  comme  dit  Aristoie; 
«  par  conséquent  sont  incapables  des  hon- 
«  neurs  et  des  charges  publiques,  et  indi- 
«  gnes  du  titre  de  bourgeoisie,  par  la  raison 
«  des  anciens  qui  faisoient  marcher  les  es- 
«  claves  de  pair  avec  les  artisans.  » 

«  Cette  requête,  qui  paraîtra  sans  doute 
assez  mal  arrangée,  mais  qui  était  passable 
alors,  fut  assez  favorablement  écoutée.  Les 
comédiens  furent  maintenus  à  jouer  sur  le 
théâtre  de  1  Hôtel  de  Bourgogne,  sans  crain- 
dre d'être  dépossédés  par  les  confrères  ,  ot 
les  premiers  continuèrent  le  procès  qu'ils 
avaient  commencé.  Enfin,   en  1G29,  ils  pré- 


Aux  mœurs,  pour  autant  qu'en  elle  re-     semèrent  une   nouvelle  requête,  à  laquelle 


«  pose  le  fondement  de  la  débauche  de  tous 
«  ces  prétendus  confrères,  lesquels  despen- 
«  sent  inutilement  l'argent  qu'ils  amassent 
«  sans  peine,  et  dissipent  librement  le  fonds 
pour  lequel  ils  n'ont  jamais  beaucoup 
sué;  car  il  est  vrai  qu'ils  mangent  annuel- 
lement entr'eux  quatre  h  cinq  mille  li- 
vres qu'ils  ont  de  revenus,  à  la  réserve 
seulement  de  ce  qu'il  faut  pour  l'enlrete- 
neinent  d'une  messe  tous  les  dimanches; 


« 
« 

«  de  prétexte,  ou  pluslôt  de  rendez-vous, 
«  pour  passer  aux  débauches  tout  le  reste 
>'  de  la  semaine;  cependant  que  la  plusparl 
«  des  femmes  et  des  enfans  de  ces  confre- 
«  rcs,  à  l'imitation  de  ceux  dont  parle  Jé- 
«  renne,  demandent  inutilement  du  pain 
«  pour  sustenter  leur  vie  ;  au  reste,  entre-  les 
«  pots  et  les  tréteaux,  Dieu  sait  si  les  es- 
«  cols  se  passent  sans  médisances,  sans  blas- 
«  phêmes,  sans  jeux  et  sans  ivrogneries. 

«  Au  bien  des  familles,  parce  qu'aujour- 
«  d'hui  l'avarice  a  corrompu  les  lois  et  les 
«  plus  saiptes  ordonnances,  en  sorte  que 
*  pour  arriver  aux  maîtrises  de  celle  con- 
«  IVairie,  il  faut  faire  tant  de  dépenses,  de 
«  beuvettes  et  de  festins,  que  tous,  ou  la 
«  pluspart  demeurent  incommodez  le  reste 
«  de  leur  vie.  » 

«  Après  cela  on  trouve  un  éloge  de  la  co- 
médie et  des  acteurs  qui  la  composaient 
alprs,  et   la    roquêto  finit  par  ce  qui   suit  ; 

«  Celle  confrairie,  au  contraire,  n'a  ja- 
«  mais  reçu  ni  produit  que  de  gros  artisans, 
<<  comme  on  le  voit  par  leur  institution,  et 
«  dans  le  contrat  d'acquisition  de  l'Hostel 
«  de  Bourgogne,  quelque  vanité  qu'ils  se 
«  donnent  par  leurs  escriplures,  en  se  qua- 
«  lilians  honestes  gens  et  bons  bourgeois, 
«  honorez,  la  pluspart,  des  charges  des  pa- 
«  roisses  ei  du  quartier  ;  aussi  tels  honneurs 
«  répugnent-ils  à  leur  profession,  qui  les 
«  oblige  la  pluspart  de  mendier  leur  vie  du 


les  confrères  répondirent,  et  sur  lesquelles 
intervint  un  arrêt  du  conseil. 

«  Au  Roy  el  à  Nosseigneurs  de  son  Conseil. 

«  Sike, 

a  Robert  Guérin,  dict  La  Fleur;  Hugues 
Guéru  ,  dict  Fleschelies;  Henry  le  Grand, 
dict  Belleville;  Pierre  le  Messier,  dict  Belle- 
rose,  et  leurs  associez,  tous  comédiens  de 
Voslre  Majesté,  Vous  remonstrent  très-hum- 


et  laquelle,  s'il  est  permis  de  le  dire,  sert     blement  que  depuis  qu'il  <.uroit  plû  au  feu 

Boy,  que  Dieu  absolve,  et  à  Vous,  Sire,  les 
retenir  pour  leur  représenter,  et  au  public, 
la  comédie,  ils  se  seroient,  à  l'exemple  de 
leurs  prédécesseurs,  servis  d'une  maison 
seize  en  vostre  ville  de  Paris,  vulgairement 
appelle*!  l'Hostel  de  Bourgogne, qu'ils  avoient 
louée  de  quelques  particuliers  prenants  la 
qualité  de  maîtres  de  la  confrairie  de  la 
Passion  et  Résurrection  de  N.  S.  J.  C, qu'ils 
disent  leur  appartenir,  lesquels  ayant  fait 
croire  que  par  quelque  laps  de  temps,  que 
c'éloit  le  lieu  seul  destiné  pour  représenter 
loules  histoires  et  comédies;  et  ont  souvea- 
tes  fois  empesché,  non-seulement  les  sup- 
plians,  mais  leurs  devanciers,  et  autres  co- 
médiens estrangers  de  représenter  ailleurs, 
pour  s'attribuer  de  grands  profits  et  deniers 
qu'ils  tirent  et  exigent,  tant  pour  ledit  loua- 
ble de  ladicte  maison,  que  pour  la  réserve 
de  plusieurs  loges  qui  sonl  en  icelle,  en 
sorte  qu'il  se  rencontre  ordinairement  que 
lesilicts  prétendus  maislres  profitent  du  tra- 
vail desdiets  comédiens,  qui  bien  souvent  se 
sont  trouvez  sans  profit,  toutes  charges  fai- 
tes et  payées  ,  et  non  contens  de  ce  et  du- 
dict  profit  qu'ils  tirent  de  leur  bail,  elle  s'est 
encore  trouvée  ainsy  louée  par  les  comé- 
diens italiens,  et  autres  estrangers,  qui  en 
payent  grande  somme  outre  les  exactions  } 
ils  Ont,  par  sentence,  fait  defïVndre  le  t,héîk 
treauxdicls  supplians,  qui  s'accommodoiei.t 
en  autres  lieux,  s'il  ne  leur  esloit  par  eux 
«  ministère' de  leur  main,  au  moyen  de  quoi     payé  un  écu  par  jour  (867),  lesquelles  çon- 


(867)  Par  sentence  contradictoire  du  16.  février 
1622,  el  pour  les  causes  y  contenues,  Etienne  Ru* 
lin  dit  La  Fontaine,  Hugues  Gucru  dit  Fle&che!lesx 
Robert  Guérin  dit  La  Fleur,  Henry  le  Grand  dit  Bel- 
leuille,  el  autres  leurs  compagnons  comédiens  re- 
préseulans  à  l'Hôtel  d'Argent  (l'Hôtel  de  Bourgo- 
gne étant  alorsjoccupé  par  d'autres  comédiens),  sont 
«oihlamnés  j  payer  aux  doyen,  maîtres,  et  gou- 
verneurs de  la  Passion,  trois  livres  tournois  oar  cha- 


cun jour  de  représentation,  et  aux  dépens.  Laquelle^ 
sentence  a  été  exécutée.  Pré'édeminent  à  cette  se n 
lence,  les  confrères  en  avaient  obtenu  une  autre,  le 
15  novembre  1621,  portant  défense  à  tienne  Ro- 
bin, mailre  «lu  jeu  de  paume  >!n  Moutardier,  rue 
du  Rourg-l'Abbé,  de  louer  son  jeu  aux  comédien* 
pour  y  représenter:  et  en  cas  de  coniravonlionv 
permis  (rabattre  le  théâtre.  Le  A  mars  16*22,  aulre 
sentence  oui  défend  audit   Hobin  el  a  tous  a»  1res 


tsôs 


CON 


NOTICE  Sltl  LE  THEATRE  LIBRE. 


CON 


ncu 


damnations  lestlicts  supplians  oni  eslé  for- 
cez d'exécuter  par  le  peu  ou  point  do  con- 
noissance  qu'ils  avoient  de  l'usurpation  des- 
dicts  lieux,  et  des  mauvaises  actions  qu'un 
grand  gain  qu'ils  exigent,    produisent  jour- 
nellement: ce  qu'ayans  appris  lesdicts  pré- 
tendus maistres,  et  que  les  supplians  avoient 
tiré  quelque   lumière  par  plusieurs  person- 
nes qui  n'ont  pu  souffrir  la  mauvaise  appli- 
cation de  si  grands  deniers,  quoique  levez 
sous  prétexte  d'œuvres  pies,  ils  ont,  par  une 
pure  malice,    et  au   préjudice  de  la  parole 
qu'ils    avoient   donnée    auxdicts   supplians 
pour  la   continuation  de  leur  bail,  convenu 
avec  quelque  compagnie  de  comédiens  nou- 
vellement venus   à    Paris  pour  chasser   les 
Supplians  qui  sont  près  de  Vostre  Majesté, 
nour  satisfaire  à  ses  commandemens,  afin  de 
leur   osier   l'envie    de  faire    connoislre    le 
mauvais  employ  desdicls  deniers;  dequoy 
eslans  advertis,  ils  se  seroient  plaints  à  Klle, 
qui   auroit   eu    agréable  d'y  interposer  son 
aulhnrilé;  et  d'autant    qu'il  est  juste  que 
Vostre  Majesté  commisse  comme  icelle  pos- 
session n'est   qu'une    pure    usurpation,  ou 
quoique  ce  soit  soubz  un  tiltre  spécieux  et 
simulé,    ils  ont  recours  à  Vostre  Majesté,  à 
ce  qu'il    leur  soit   pourveu.   A  ces  causes, 
Sire,  et  attendu  ce  que  dessus,  il  Vous  plaise 
ordonner  que  dans  huiclaine  lesdicts  mais- 
tres de  ladicte  prétendue  confrairie,  appor- 
teront  leurs  libres   et  contracts,    en  vertu 
desquels  ils  s'attribuent  ledict  lieu  nommé 
l'Hostel  de  Bourgogne,  lesquels  ils  seront 
tenus  de  mettre  par  devers  lel  de  Messieurs 
qu'il  vous  plaira  commettre  et  députer,  dont 
les  supplians  pourront  prendre  communica- 
tion, et  contre  iceulx  dire  ce  qu'ils  verront: 
ce  faict,  prendre  telles  conclusions  qu'il  ap- 
partiendra.  Et  les  supplians  prieront  Dieu 
iour  Vostre  Majesté,  Signé  Rousseau,  après 
es  supplians. 

«  Il  est  ordonne  que  la  présente  requeste 
sera  signifiée  ausdicls  maistres  de  ladicte 
confrairie,  et  à  eux  enjoinct  de  mettre  ez- 
niains  du  sieur  de  Pommercu,  conseiller  du 
roy,  et  maistre  des  requestes  ordinaire  de 
son  Hostel,  dans  quinzaine  pour  tout  délay, 
les  libres  et  pièces  justificatives  du  d  roi  et 
prétendu,  pour  les  communiquer  auxdicts 
supplians,  et  rapport  faict  au  Conseil,  estre 
faict  droict,  ainsi  que  de  raison.  Faict  au 
Conseil  du  roy,  tenu  à  Fontainebleau  le  12 
octobre    1029.    Signé   Poim. 

Réponse  des  confrères  de  la  Passion. 

«  A  la  requeste  des  doyen,  maistres  et 
gouverneurs  de  la  confrairie  de  la  Passion, 
Maison  et  Hostel  de  Bourgogne,  soit  déclaré 
et  signifié  pour  réponse  à  la  requeste  pré- 
sentée au  roy  en  son  Conseil,  par  Hubert 
(îuérin,  dict  La  Fleur;  Hugues  Guéru,  diçt 
Flcschel'es  ;  Henry  le  Grand,  dict  lielleville; 
Pierre  le  Messier,  dict  liellerose,  et  leurs  as- 
sociés, comédiens  de  Sa  Majesté,  à  ce  que 
lesdicts  doyen ,  maistres  et  gouverneurs 
soient  tenus  de  représenter,  et  leur  eommu- 

ptnimiers  de  louer  leurs  jeux  de  paume  à   aucuns 
':  ;*  i  uv"»  l.°s  !u>  muiulers. 


niquer  les  libres  et  contracts  en  vertu  des- 
quels ils  jouissent  de  ladicte  Maison  et  Hos- 
tel de  Bourgogne,  el  ordonnance  dudict 
Conseil,  mise  sur  ladicte  requeste,  le  douze 
du  présent  mois  d'octobre;  que  lesdicts  co- 
médiens ne  sont  parties  capables  pour  leur 
faire  telle  demande,  n'eslans  propriétaires, 
possesseurs,  ni  créanciers  de  ladicte  Mai- 
son, et  n'ayant  aucun  droit  ni  intérest  quel- 
conque d'en  voir  les  libres  el  contracts;  et 
quand  ils  seroient  capables  de  ladicte  de- 
mande, il  la  faudroit  intenter  par-devant  le 
prévost  de  Paris,  ou  son  lieutenant  civilr 
juge  ordinaire  des  parties  el  de  ladicte  Mai 
son  et  Hostel  de  Bourgogne,  et  par-devant 
lesquels  ils  feront,  lorsque  besoin  sera,  et 
à  qui  il  appartiendra,  l'exhibition  et  commu- 
nication de  leurs  libres ,  et  monstreront 
qu'eux,  ou  leurs  prédécesseurs,  esdietes. 
charges,  ont  légitimement  acquis  la  place 
sur  laquelle  ladicte  Maison  est  bâtie;  icelle 
fait  bâtir  à  leurs  propres  cousts  et  despens,.. 
el  qu'au  surplus,  ce  qu'on  leur  impute  par 
ladite  requeste  a  esté  par  eux  légitimement 
faict,  et  en  vertu  des  jugements,  sentences 
el  arresls  contradictoires,  à  ce  que  lesdicts 
Guérin  et  associés  n'en  prétendent  cause 
d'ignorance.    Signé:    Réveillon  ,    Philippe 

BllISSE,   J.   COUILLARD,      J.    FONTENY,     MARTIN 

Boyvin,  Bertrand-Guillaume,  Javelle.  Si- 
gnifiée le  20  octobre  1629.  » 
Arrest  du  Conseil,  au  sujet  de  la  contestation 

entre  les  comédiens  et  les  confrères  de  la 

Passion. 

«  Sur  la  requeste  présentée  au  roy  en  son 
Conseil,  par  Robert  Guérin,  dict  La  Fleur  i 
Hugues  Guéru,  dict  Fleschelles  ;  Henry  le 
Grand,  dict  Belleville;  Pierre  Le  Messier, 
dicl  Bcllerose,  et  leurs  associés,  comédiens 
ordinaires  de  Sa  Majesté,  tendante  à  ce  que, 
p  -ur  les  causes  y  contenues,  il  plaise  à  Sa 
Majesté,  sans  s'arrêter  à  la  réponse  faicte 
par  quelques  particuliers,  se  disans  maistres 
de  la  confrérie  de  la  Passion  et  Résurrection 
de  Noslre  Sauveur  et  Rédempteur  J,  C,  et 
qui,  sous  cette  qualité  et  aultres  ti lires  spé- 
cieux, se  sont  emparés  de  la  maison  seize  à 
Paris,  vulgairement  appelée  l'Hostel  de  Bour- 
gogne ;  ordonner  (pie  lesdicts  prétendus 
maistres  satisferont  à  l'arrest  du  Conseil  du 
10  octobre  dernier.  Cependant,  attendu  que 
les  supplians  payent  le  prix  convenu  pour 
le  louage  d'icelle  maison,  de  laquelle  lesdicts 
prétendus  maistres  se  réservent  la  meilleure 
partie  des  loges  et  galeries  autour  d'icelle, 
par  des  puissances  comme  absolues;  ordon- 
ner pareillement  qu'ils  jouiront  de  toute  la 
totalité  d  icelle  maison  ,  sans  réservation 
d'aucunes  loges,  avec  defî'enses  auxdicts 
prétendus  maistres  de  commettre  ni  prépo- 
ser aucun  à  la  perception  des  deniers  qui 
se  reçoivent  aux  portes,  aux  jours  que  les- 
dicts supplians  représentent  la  comédie,  à 
peine  de  cinq  cens  livres  d'amende  contre 
chacun  desdicts  prétendus  maistres,  et  de 
prison  contre  ceux  qui  seront  commis  pour 
ladicte   réceple.     Veu    la    requeste   signée 

comédiens,   pour  ▼  représenter  :  ladite  défense    6Ï-» 


1357 


COR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


COR 


1308 


Rousseau,  odvocat;  autre  requcste  présen- 
tée au  Conseil  par  lesdicts  supplians  le  10 
octobre,  à  ce  qu'il  fût  ordonné  que  dans 
huictaine  lesdicts  prétendus  maistres  appor- 
teront leurs  tiltres  et  contrats,  en  vertu  (les- 
quels ils  s'attribuent  le  lieu  nommé  l'Hostel 
dé  Bourgogne,  au  bas  de  laquelle  est  l'arrest 
du  Conseil  dudict  jour,  par  lequel  est  or- 
donné que  ladicte  requeste  sera  signifiée 
aux  maistres  de  ladicte  confrérie,  et  à  eux 
enjoinct  de  mettre  ès-mains  du  sieur  de 
Pommereu,  conseiller  du  lloy  et  ma'stre  des 
requestes  ordinaire  de  son  Hoslel ,  dans 
quinzaine  pour  tous  délais,  les  tiltres  et 
pièces  justificatives  du  droict  par  eux  pré- 
tendu, pour  iceux  communiquer  auxdicts 
supplians,  et  rapport  faict  au  Conseil,  eslre 
faict  droict,  ainsi  que  de  raison.  Significa- 
tion d'icelui,  du  12  dudict  mois  d'octobre; 
acte  contenant  la  réponse  desdicts  maistres 
de  ladicte  confrérie  à  ladicte  requeste,  par 
laquelle  ils  demandent  leur  renvoy  par-de- 
vant le  prévost  de  Paris,  et  que  lesdicts  sup- 
plians ne  sont  parties  capables.  Signifié  le 
26  dudict  mois  d'octobre  dernier.  Ouy  le 
rapportdudict  sieur  de  Pommereu,  commis- 
saire à  ce  député,  et  tout  considéré.  Le  Roy 
estant  en  son  Conseil,  conformément  au- 
dict  arrest  donné  en  icelui  le  10  octobre,  a 
ordonné  et  ordonne  (pie  lesdicts  maistres  de 
ladicte  confrérie  mettront  entre  les  mains 
du  commissaire  à  ce  député  dans  huictaine 
pour  tous  délais  les  tiltres  et  pièces  justifi- 
catives dudict  droict  par  eux  prétendu  en 
l'Hostel  de  Bourgogne,  autrement  et  à  faute 
de  ce  faire,  sera  faict  droict  sur  la  demande 
desdicts  comédiens,  sans  aucune  forclusion, 
ni  signification  de  requeste.  Faict  au  Con- 
seil privé  du  Roy,  à  Saint-Germain-en-Laye, 
la  sept  novembre  1629.  Signé,  Le  Tenneur. 
Signifié  le  8  novembre  1629.  » 

CORNETTE  (La).  —  Les  frères  Parfait , 
dans  leur  Histoire  du  théâtre  français  (t.  III, 
p  193),  datent  de  l'an  1535  la  farce  delà 
Cornette. 

Ils  en  donnent  ainsi  le  litre  : 

Farce  de  la  Cornette   (868)  ,   nouvelle,  très- 
bonne   cl   fort  joyeuse,  à  v  personnages  , 
c'est  assavoir  : 
le  mary.  finet  varlel. 

LA  FEMME.  LES  DEUX  NEPVEUX. 

«  La  pièce  ouvre  par  la  femme  qui  de- 
mande à  Finet  s'il  a  fait  le  message  dont 
elle  l'a  chargé. 

FINET. 

Très-bien. 

LA    FEMME. 

Que  dit-il? 

FINET. 

Il  se  maudit 

Au  cas  qu'il  ne  vous  aime  plus 
Que  luy-mesine. 

(8F8)  Celle  farce  de  la  Cornette  n'existe  qn'-en  ma- 
nuscrit. Elle  nous  a  été  communiquée  par  M.  le 
marquis  de  C**\  qui  la  croit  de  Jean  d'AImndance. 
Nous  n'avons  trouvé  au  surplus  aucune  tlale,  ni  ren- 
çcigiiemcui  sur  celte  nièce.  —  Une  édition  ancienne 


LA  FEMME. 

Au  surplus? 

FINET. 

Q'eirtoul  temps  il  vous  servira, 
Et  fera  ce  qu'il  vous  plaira. 
Par  mon  serment,  il  est  mignon. 

LA    FEMME. 

N'esl-il  pas  gentil  compagnon, 
Finet? 

FINET. 

C'est  un  fin  affiné. 
De  soupirer  il  n'a  fine 
Tant  qu'on  luy  a  parlé  de  vous. 

LA   FEMME. 

Ton  maislre  n'est-il  point  jaloux? 
A  ton  ad  vis? 

FINET. 

Je  croy  que  non. 
Posé  qu'ayez  mauvais  renom, 
Pas  n'entend  que  luy  faicies  lorl. 

LA    FEMME. 

II  se  fie  en  moy  le  plus  fort 
Du  monde. 

FINET. 

11  a  bien  raison. 

LA     FEMME. 

Femmes  sçavenl  une  oraison 
Pour  endormir  maris. 

«  Cette  scène  finie,  les  deux  neveux  du 
mari  arrivent  dans  l'intention  d'avertir  leur 
oncle  des  mauvais  déportemcnls  de  sa 
femme;  Finet,  qui  entend  leurs  discours  , 
en  instruit  la  femme,  qui  prévient  son  mari, 
de  façon  que,  lorsque  les  deux  neveux  com- 
mencent à  lui  parler  contre  elle,  il  les  fait 
taire,  ajoutant  qu'il  connaît  la  vertu  de  sa 
femme,  et  qu'il  prétend  qu'elle  fasse  ce 
qu'elle  voudra. 

LE  MARY. 

Elle  ira  darriere,  delà, 
Tout  par-tout,  à  mont,  et  à  va., 
Son  aller  ne  m'est  pas  travail  : 
Allez,  et  ne  m'en  parlez  plus. 

LE   PREMIER    NEVEU. 

Elle  ira  doneques? 

LE  MARY. 

11  est  conclus, 
Il  ne  s'en  faull  plus  esehauffer. 
je  donne  à  l'ennemy  d'enfer 
Le  premier  qui  m'en  parlera. 

CORPS  ET  DE  LAME  (Dispute  du).  — 

L'abbé  Delarue  mentionne  parmi  les  pièces 
dramatiques  des  jongleurs  normands  la 
Dispute  du  Corps  et  de  VAme.  (Cf.  Essais 
Jiist.  sur  les  bardes,  les  jongl.  et  les  tr.  norm. 
et  anylo-n.  ;  Caen,  Mancel,  1834,  in-8",  3  vol., 
t.  1,  p.  189.) 

COUST CRIER  (  Le  ).  —  La  Farce  nouvelle 
à  v  personnages,  c'est  a  scavoir  : 

LE  COUSTL'RIER.  DEULX  JEUNES  FILLES. 

SON  VARLET.  Cl    UNE  VIELLE. 

de  la  Cornette  est  indiquée  sous  le  lilra  suivant  :  La, 
farce  de  la  Cornette  v.  personnages,  pai  Jmian  d'A- 
ru.nhance.  M.  de  Monlaran  a  réimprimé  celle  pièce 
du  xvi«  siècle.  —  Yoi/.  Collection  Caron,  cl  Re- 
cueil DE  LIVRETS  PAR  M.   DE  MONTARAN. 


1369 


EGL 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIHRE. 


EGL 


1370 


Coite  pièce,  conservée  dans  le  manuscrit 
du  xvi'  siècle  de  la  Bibliothèque  impériale 
(fonds  La  Vallière,  n°  63) ,  a  élé  éditée  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Michel, 
dans  leur  Rcueeil  de  Farces.  (Paris,  Techener, 
1831-1837,  4  vol.  pet.  in-8°). 

Est  il  soûl) l  la  machine  ronde, 
Cnusiiirior  qui  ouvrage  nieiris 
En  habis  que  moy?  Je  nie  fonde 
Qu'i  n'en  est  nul  debsoublz  les  cieulx. 
Je  fais  tant  aux  jeunes  qu'aulx  vieuli, 
Prcstres,  laïques  femmes  mequines 
El  Biles,  habis  a  basqnines, 
Feys  colles,  robes  et  pourpoinclz 
A  bien  souvent  remplir  mes  poinclz. 
Auilre  foys  ai  ge  faicl  sans  poinclz. 
Sans  pièce  cl  sans  cousluie  habit 
Qui  ne  me  faisoyl  grand  labil... 


CROISÉ  ET  DECROISE,  (Dispute  de).— 

De  Roquefort  cite  comme  ayant  été  repré- 
senté parmi  les  vieux  monuments  du  théâtre 
du  moyen  Age  la  Dispute  du  Croise'  et  du 
Décroisé.  (Cf  De  F  Etat  de  la  poésie  fr.  dans 
les  xii'  et  xiii'  siècles.  Paris,  1815,  in-8", 
p.  262.  ) 

On  peut  consulter  celte  pièce  très-souvent 
analysée,  imprimée  ou  traduite,  dans  l'édi- 
tion des  OEuvres  complètes  de  Rutebeuf, 
donnée  par  M.  Ach.  Jubinal  (Paris,  1839, 
2  vol.i n-8°,  t.  I ,  p.  124-). 

M.  Mommefqué  n'y  voit  qu'une  récitalion 
dramatique;  M.  Ach.  Jubinal  compte  celte 
pièce  dans  le  IhéAtre  de  famille  et  «le  festins 
du  moyen  Age.  (Cf.  OEuvres  compl.  de  Rute- 
beuf,  t.  I,  p.  424.) 


D 


DEBAT  DU  JEUNE  MOINE  ET  DU 
GENDARME  (Le).  —  La  grossièreté  du 
Débat  du  jeune  moine  et  du  gendarme  ne  nous 
permet  aucune  citation. 

Réimprimé  à  Paris,  en  1612,  chez  Nicolas 
Roussel  ;  on  trouve  cette  farce  du  xvi'  siècle 
reproduite  dans  la  collection  Caron. —  Voy. 
Coii.ection  Caron  et  Recueil  de  Rogssel. 

DELIRUS (Le).— Voy.  Extravagant  (L'). 

DIALOGUE  ENTRE  TERENCE  ET  UN 
ENTREPRENEUR  DE  SPECTACLES.  — 
Voy.  Entrepreneur  de  spectacles  (L') 

DIDIER  et  OG1ER.  -  Le  Dialogue  de 
Didier  avec  Ogicr  dans  la  Chronique  de 
Notker  (Perlz,  Monum.  Germ.  Hist.  ,  t.  II , 
[>.  517-759)  apparaît  à  M.  Edélestand  Dumé- 
ril  comme  une  des  fortes  preuves  de  la  ten- 
dance du  moyen  âge  à  tout  dramatiser,  sans 
toutefois  qu'il  y  ait  l'idée  du  véritable  drame 
et  du  théâtre.  (Cf.  Origines  latines  du  théâtre 
moderne.  Paris,  18i9,  in-8",  p.  3.) 

DIRE  ET  FAIRE.  —  Les  frères  Parfait, 
dans  leur  Histoire  du  théâtre  français  (t.  111, 
p.  187),  donnent  les  notes  suivantes  sur 
Dire  et  Faire  : 

La  farce  dont  on  parle  ici  parut,  pour  la 
première  fois,  le  mardi -gras  de  l'année 
1511,  sur  un  théAîredressé  aux  halles  à  Paris; 
à  la  suite  d'une  sotise  et  de  la  moralité  de 
V Homme  obstiné. 

Ces  trois  pièces  étaient  de  la  composition 
de  Pierre  Gringore,  qui  y  représenta  un  rôle 
aussi  bien  que  le  fameux  Jean  de  Pontalais  : 


voici  en  doux  mots  l'extrait  de  la  farce  (869)  : 
«  Doublclte,  femme  de  Raoullet  Ployart, 
vigneron  fort  Agé,  se  plaint  que  ses  vignes 
demeurent  en  friche  faute  d'être  façonnées. 
«  Taisez-vous,  »  lui  dit  le  mari. 

RAOl'Ll.ET. 

Qui  la  vouldroil 
Servir  à  son  gré,  il  fauldroil 
Hoùer  la  vigne  jour  et  nuyl. 

«  A  peine  Raoullet  s'est  retiré  qu'arrivent 
deux  ouvriers,  dont  l'un  se  nomme  Dire  et 
l'autre  Faire.  Doublette  appelle  le  premier; 
mais  comme  tout  son  mérite  ne  consiste  qu'à 
jaser,  elle  le  congédie,  et,  sans  perdre  de 
temps  ,  elle  ordonne  à  Faire  de  prendre  sa 
place.  Faire  entreprend  l'ouvrage  et  l'exé- 
cute avec  succès.  Sur  ces  entrefaites,  Raou' 
lot  arrive  ,  et  fAché  que  sa  femme,  malgré 
ses  défenses,  emploie  des  ouvriers,  en  porto 
ses  plaintes  au  seigneur  de  Vallotreu.  Le 
valet  Mausecret  tâche  h.  éviter  un  éclat  entro 
les  deux  époux  : 

MAUSECRET. 

Elle  est  bonne  femme,  mon  maître 
El  aussi  vous  estes  bon  homme. 

«  Le  seigneur  de  Valletreu...  décide  en 
faveur  de  Doublette...  Raoullet  déclare  qu'il 
en  appelle,  mais  le  seigneur  persiste  dans 
son  jugement...  » 

DRAME  DE  MICHEL  PLOChiAE  (Le\ 
—  Voy.  Paysan  (  Le  ). 


E 


ECBASIS.  —  Dans  ses  Origines  latines  du 
théâtre  moderne  (  Paris  ,  18V9  ?  in-8°,  p.  3  ) , 
M.  Edélestand  Duméril  considère  VEcbasis 
comme  un  des  monuments  du  moyen  âge 
où,  sans  qu'il  y  ail  un  drame,  se  montre 
très-ouvertement  la  tendance  du  temps  à 
tout  dramatiser. 

EGLISE,  NOBLESSE  et  PAUVRETÉ 
(L').  —  L'Eglise,  Noblesse  et   Pauvreté  qui 

(SG9)  ACTEURS. 
raoullet    rLOYART  ,    w-     doiriette  ,     femme    de 
çncron.  ["loijtut. 


font  la  lesiue ,  moralité  nouvelle  a  troys  per- 
sonnages, c'est  a  scavoir  : 

l'église.  pourete. 

noblesse. 

Editée  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fran- 
cisque Michel,  dans  leur  Recueil  de  farces 
(Paris,  Techener,  1331-1337,  petit  in-8' h 
d'après  le  manuscrit  du  xvi€  siècle  de  la, 


mauslcr'^t,  valcldcPloijnrt.     faire. 

LE    SLIG.M.IR    DE    VALI.EREU.       DIRE. 


t57l 


L>f 


DlCllOMNAlUL  DES  M\SJEHES. 


ENï 


1375 


Bibliothèque  impériale  (fonds  LaVallière, 
il"  63  j. 

POLKETE. 

Noblesse  bat  sansestre  bastue  ;  dame, 
Au  moins  de  moy  qui  ne  m'en  puys  venger. 
Sy  !e  m'en  venge,  en  prison,  lieu  infâme, 
Il  me  fera  soubd;iinement  loger. 
Devant  mes  yeulx  je  voy  guerre  et  famine; 
Même  la  mort  que  le  corps  ronge  et  mynne 
Apres  je  voys  l'église  qui  m'opresse. 
Noblesse  aussy  qui  touiours  bal  sans  cesse 
En  me  faisant  journellement  esiendre... 

EGLISE  ET  LE  COMMUNE  ).— L'Eglise 
et  le  Commun,  moralité  a  deulx  personnages, 
c'est  a  scavoir  : 


l'église. 


LE   COMMUN. 


('elle  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Francisque  Michel ,  dans  le  Re- 
cueil de  farces,  moralités  et  sermons  joyeux 
(Paris ,  Teehener ,  1331-1337,  i  vol.  petit 
ri-80),  donné  d'après  le  manuscrit  du  xvr 
siècle  île  la  Bibliothèque  impériale  ^fonds 
La  Valiière,  n°G3). 

l'église. 
Puys  qu'il  est   ainsy, 
One  dame  noblesse 
Vous  a  pour  soucy 
llemis  en  leesse, 
Nous  débitons  sans  cesse 
Tousjours  parvenir 
lu  parfaicie  hnmblcsse 
De  luy  suuenir. 

LE  COMM.IN. 

Je  veu'ix  mainienir 
Tant  que  je  viuray, 
Partout  soutenir 
Son  1res  noble  aroy... 

ENEANS  -SANS-SOUCY  (Les).  —Les 

frères  Parfait  se  sont  arrêtés  h  l'histoire 
des  Enfants  Sans-Soucy  dans  leur  Histoire 
du  théâtre  français  (  t.  111 ,  p.  198). 

Ils  s'étonnent  que  cette  histoire  n'ait  pas 
été  tracée  avant  eux;  ils  conjecturent  que, 
vers  le  commencement  du  règne  de  Char- 
les VI,  quelques  jeunes  gens  de  famille, 
instruits,  amoureux  de  plaisirs,  riches, 
eurent  l'idée  badine,  mais  morale,  «  disent- 
ils,  »  d'une  principauté  établit;  sur  les  dé- 
fauts du  genre  humain  ,  que  ces  jeunes  gens 
nommèrent  sottise,  et  dont  l'un  deux  prit  la 
qualité  de  prince  (870). 

Celte  plaisanterie  était  neuve,  les  moyens 
qu'on  employa  pour  la  faire  connaît! e  ne 
le  furent  pas  moins.  Nos  philosophes  en- 
joués inventèrent,  mirent  au  jour  et  re- 
présentèrent eux-mêmes,  sur  des  échafauds, 
en  place  publique  (871),  des  pièces  drama- 
tiques  qui     portaient     le    nom   de  sottise, 

(870)  Ce  prince  des  Sols,  ou  de  la  Sottise,  niar- 
cbait  avec  une  espèce  de  capuchon  sur  la  léle,  et 
des  oreilles  d'âne.  Il  faisait  lous  les  ans  une  entrée 
à  Paris,  suivi  de  tous  ses  sujets. 

(871)  C'était  à  ia  balle  que  ces  représentations  se 
faisaient. 

(872)  «  Il  faut  parler  d'une  Sociélé  appellée  la 
Sotise  qui  a  subsisté  à  Paris  jusque  dans  le  siècle 
nasse.  Le  chef  s'appelait  le  prince  des  Sols  ou  de  la 
Sottise.  Ils  avaient  nue  maison  dans  la  rue  Darneul, 


qui,  en  effet,  peignaient  celles  de  la  plupart 
des  hommes.  Ce  badinage  passa  de  la  ville 
à  la  cour  et  y  fit  fortune.  Les-  Enfants  sans 
souci  (car  c'était  ainsi  qu'on  nomma  ces 
jeunes  gens  lorsqu'ils  parurent  en  public) 
devinrent  à  la  mode.  Charles  VI  accorda 
au  prince  des  Sots  des  patentes  qui  con- 
firmèrent le  titre  qu'il  avait  reçu  de  ses  ca- 
marades. Celte  première  société  se  renferma 
dans  de  justes  bornes  :  une  critique  sensée 
et  sans  aigreur  constitua  le  fond  des  piè- 
ces qu'elle  donna  ;  mais  cette  sage  atten- 
tion eut  un  court  espace.  La  guerre  civile 
qui  s'alluma  en  France,  et  dont  Paris  res- 
sentit les  plus  cruels  effets,  occasionna  du 
relâchement  dans  la  conduite  des  Enfants 
sans  souci  :  les  plus  prudents  se  retirèrent, 
et  cette  société  devint  celle  de  tous  les 
fainrants  et  des  libertins  de  la  ville...  Le 
prince  des  Sots  donna  la  permission  aux 
clercs  de  la  Basoche  de  jouer  des  soties, 
ou  sottises,  et  en  échange  il  reçut  de  ces  der- 
niers de  celle  représenter  des  farces  et  des 
moralités...  Cet  arrangement  en  lit  naître 
un  autre  avec  les  confrères  de  la  Passion, 
qui,  pour  soutenir  leurs  spectacles,  dont 
le  public  commençait  à  se  lasser,  associè- 
rent à  leurs  jeux  le  prince  des  Sots  et  ses 
sujets  (872). 

ENT  LIÉES  DES  BOIS  ET  DES  BEINES. 
—  Les  entrées  des  rois  et  des  reines  de 
France  ont  donné  lieu  à  un  grand  nomore 
de  représentations  dramatiques  ou  de  pan- 
tomimes dont  l'histoire  a  été  recueillie  en 
ces  termes  par  les  frères  Parlait  : 

Mytères   représentés  aux  entrées  des  rois  et 
des  reines  de  France  à  Paris. 

Si  l'histoire  que  nous  traitons  était  plus 
connue,  nous  ne  serions  pas  obligés  de 
parler  des  mystères  qui  s'exécutaient  sur 
des  échafauds  aux  entrées  des  rois  et  des  rei- 
nes de  France,  puisque  ces  sortes  de  re- 
présentations n'étaient  que  des  espèces  de 
tableaux  qui  donnaient  l'idée  de  quel- 
ques traits  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament.  Mais  tant  de  personnes  les 
confondent  avec  ceux  qui  parurent  sur  le 
théâtre  de  la  Trinité,  qu'il  nous  a  paru  im- 
portant de  détruire  cette  erreur.  Nous 
croyons  en  avoir  trouvé  les  moyens,  en 
rapportant  exactement  les  propres  termes 
des  auteurs  qui  ont  parlé  de  ces  sortes  de 
mystères  :  par  là  on  jugera  si  nous  devons 
les  mettre  au  rang  des  poèmes  de  la  Pas- 
sion, des  Actes  des  apôtres,  du  Roi  Ave- 
nir, etc.  (873). 

Entrée  de  la  reine  babeâa  de  Pavière,  à  Paris  le  20 
juin  15S9  (874). 

«  A  la  premier    porte  Sainl-Denys,  ainsi 

appeltée  la  Maison  des  Sots  Attendons.  » 

(873)  Ce  fut  vers  la  fin  du  règne  de  Charles  V  que 
les  mystères  représentés  sur  des  échafauds  fu- 
rent introduits  :  ils  lirent  partie  des  cérémonies  qui 
s'observaient  aux  entrées  des  rois  et  îles  reines  de 
France,  jusqu'à  François  1"  inclusivement.  Henri  II 
les  supprima,  et  on  y  substitua  les  arcs  de  triom- 
phe. 

(874)  FROISSA»?  et  Cérémonial  français,  p.  638, 
059. 


1373 


KNT 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE.ENT 


KHT 


1371 


qu'on  entre  dans  Paris,  avoit  un  ciel  tout 
étoillé,  et  dedans  ce  ciel  jeunes  enfans  ap- 
pareillez fl  mis  en  ordonnance  d'anges,  les- 
quels enfans  chanloient  moult  mélodieu- 
sement et  doucement  ;  et  avec  tout  ce,  il 
y  avoit  une  image  de  Noslre-Dame  qui  te- 
noit  par  figure  son  petit  enfant,  lequel 
enfant  s'ébatoit  par  soy  à  un  petit  moulin 
fait  d'une  grosse  noix;  si  étoit  haut  le  ciel 
et  orné  moult  richement  des  armes  de 
Fiance  et  de  Bavière  :  à  un  soleil  d'or  res- 
plendissant et  donnant  ses  rayons,  et  le 
ciel  d'or  rayonnant   étoit  devise  du  roy. 

«  A  pi  es,  dessous  le  moustier  de  la  Tri- 
nité, sur  la  rue,  avoit  un  échafaut  et  sur 
1  échafaut  un  chatel,  et  au  long  de  l'écha- 
i'aut  éloit  ordonné  le  pas  (875)  du  roy  Salha- 
din  et  tous  faits  de  personnages  les  Chré- 
tiens d'une  part  et  les  Sarrazins  de  l'autre, 
et  là  étoient  par  personnages  (876)  tous  les 
seigneurs  de  nom,  qui  jadis  au  pas  de  Salha- 
din  furent,  et  armoyez  de  leurs  armes  ainsi 
que  pour  le  lems  d'adonc  (877)  ils  s'ar- 
moienl,et  un  petiten  susd'eux  étoit  par  per- 
sonnage, le  roy  de  France,  et  autour  de  luy 
les  douze  pairs  de  France,  tous  armoyez 
de  leur  armes.  Et  quand  la  reine  de  France 
fut  amenée  si  avant  dans  sa  litière  jusque 
devant  l'échafautoù  ces  ordonnances  étoient, 
le  roy  Richard  se  départit  de  ses  compa- 
gnons et  s'en  vint  au  roy  de  France,  et 
lui  demanda  congé  pour  aller  assaillir  les 
Sarrazins,  el  le  roy  luy  donna.  Ce  congé 
pris,  le  roy  Richard  s'en  retourna  devers 
ses  compagnons,  et  lors  se  mirent  en  ordon- 
nance et  allèrent  incontinent  assaillir  le  roy 
Salhadin  et  ses  Sarrazins;  et  là  y  eut  pour 
eshatement  grande  bataille,  et  dura  une 
bonne  espace,  el  tout  fut  vu  m  ult  volon- 
tiers, puis  passèrent  outre  et  vinrent  à  la 
seconde  porte  Saint-Denys  (878)  et  là  avoit- 
on  ordonné,  comme  à  ia  première  porte, 
un  ciel  nué  et  estoillé  très-richement,  et 
Dieu  par  figure  séant  en  sa  majesté  le  Père, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ;  et  là  dedans 
le  ciel  petits  enfans  de  chœur  chaniaint 
moult  doucement  en  forme  d'anges  (laquelle 
chose  on  voyoit  moult  volontiers)  et  ainsi 
que  la  reine  passa  dedans  sa  liciiere  sous  la 
porte  de  paradis,  d'amont  (879)  deux  anges 
issirent  hors  en  leur  avalant  (880),  et  te- 
noient  en  leurs  mains  une  très-riche  cou- 
ronne d'or  garnie  de  pierres  précieuses,  et 
ia  mirent  les  deux  anges,  et  l'assirent  moult 


doucement  sur  le  chef  de  la  reine,  en  chan- 
tant moult  doucement  tels  vers  : 

Dame  enclose  entre  Fleurs  de  Lys, 
Reine  esles-vons  de  paradis. 
De  Fiance,  cl  de  toul  ce  Païs. 

Nous  en  r 'allons  (881)  en  Paradis. 

«  Après  trouvèrent  les  seigneurs  et  da- 
mes devant  la  chapelle  Saint- Jacques  (882) 
un  cschafaull  fait  moult  richement  et  très-bien 
ordonné,  séant  au  côté  délire',  ainsi 
comme  ils  s'en  alloienl;  et  estoit  ledit 
èschafaut  couvert  de  drap  de  haute-lice 
et  encourliné  en  manière  d'une  chambre,  et 
dedans  celle  chambre  il  y  avoit  des  hommes 
qui  sonnoient  orgues  moult  doucement.  A 
la  porte  du  Chastellet  de  Paris  y  avoit  un 
chaslel  ouvré  et  charpenté  de  bois  et  de  ga- 
riles  (883)  faites  aussi  fortes  que  pour  durer 
quarante  ans:  et  là  y  avoit  à  chacun  des 
crenaux  un  homme  d'arme  armé  de  toutes 
pièces,  et  sur  le  chastel  un  lit  paré,  ordonné 
el  encourliné  aussi  richement  de  loules 
choses  comme  pour  la  chambre  du  roy,  et 
estoit  appelle  ce  lict  le  lici  de  justice;  et 
là  en  ce  lict  par  figure  et  par  personnage 
se  gisoit  madame  sainte  Anne.  Au  plein 
de  ce  chastol  (qui  estoit  contenant  grand 
espace)  y  avoit  une  garenne  et  grande 
foison  de  ramée,  et  dedans  la  ramée  grande 
foison  de  lièvres  et  de  lapins,  el  d'ovsil- 
Ions  qui  voloient  hors  el  y  revoloient  à 
sauf  garant,  pour  la  doubte  du  peuple 
qu'ils  voyoient.  Et  de  ce  bois  et  ramée, 
du  côté  que  les  dames  vinrent,  issit  un 
grand  blanc  cerf  (88i)  devers  ledict  lict  de 
justice  :  d'autre  part  issit  hors  du  bois  et 
de  la  ramée  un  lyon,  et  un  aigle  fait  très- 
proprement  et  approchoient  fièrement  ce 
cerf  et  le  lict  de  justice.  Lors  issirent  hors 
du  bois  el  de  la  ramée  jeunes  pucelles 
environ  douze,  très-richement  parées  en 
chappellets  d'or,  tenant  épées  toutes  nues 
en  leurs  mains,  else  mirent  entre  le  cerf 
et  l'aigle,  et  le  lyon,  et  monsliercnt  qu'à 
l'épée  elles  vouloient  garder  le  cerf  el  le 
lict  de  justice,   etc.  (885).  » 

Représentations  faites  à  Paris  à  l'entrée   de    Henri  VI, 
roi  d'Angleterre  (88(3). 

«  L'an  1431,  environ  l'issue  de  septembre, 
Henry  VI,  roi  d'Angleterre,  fit  son  entrée  à 
Paris...  Si  avoit  au  ponce  Tel  Saint-Denis  un 
èschafaut,  sur  lequel  éloit  comme  une 
manière  de  bois,  où   étoient    trois  hommes 


(875)  Le  sujet  de  celle  représentation  est  pris  de 
l'histoire  des  croisades. 

(870)  Il  esl  bon  de  remarquer  que  ces  personna- 
ges ne  parlaient  point. 

(877)  D'alors. 

(8"8)  Il  semble  qu'on  la  nommait  la  porte  aux 
Peintres,  qui  fui  abattue  du  temps  de  François  I" 
tic  ce  nom. 

(879)  D'en  haut. 

188O)  En  descendant. 

(881  )  H. 'loin nous. 

(88-2)  Sailli-Jacques  de  l'Hôpital. 

(883)  Guérite. 

(884)  JuvciiaJ  des  Ursins  nous  apprend  que  ce 
çei fêtait  tellement  fait  et    composé,   qu'il   y   avait 


homme  «  qu'on  ne  voyoit,  -qui  luy  faisoil  remuer 
les  yeux,  les  cornes,  la  bouche,  el  lous  les  membres, 
et  avoit  au  col  les  armes  du  roy  y  pendans,  c'est  à 
sçavoir  l'escu  d'azur  à  trois  fleurs  tic  lys  d'or,  bien 
richement  fait;  el  sur  le  licou  près  le  cerf,  avoil 
une  grande  espée  toute  nue,  belle  et  claire  ;  el  quant 
ce  vint  à  l'heure  que  la  reine  passa  ,  celuy  qui 
ijouveinoit  le  cerf  au  pied  du  devant  dexlre,  luy  lil 
prendre  l'espée,  cl  la  tcnoil  toute  droite,  cl  la 
faisoil  trembler.  » 

(S8o)  .Nous  supprimons  le  resle  de  celle  descrip- 
tion. 


78 


(8S0)    LNGltRVND  DK   Mo.NsTUtil.E T,   lOIII.   II,    p.    *Ï7» 


1575 


ENT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


F  NT 


1576 


sauvages  et  une  femme,  qui  ne  cessèrent 
de  combattre  l'un  contre  l'autre  lant  que  le 
roy  et  les  sHg'ieurs  fussent  passez  :  et  avoit 
dessous  ledit  éehafaut  une  fontaine  jettant 
hypocras,  et  trois  seraines  dedans,  et  étoit 
ledit  hypocras  abandonné  à  un  chacun.  Et 
Jepuis  le  poncelet,  en  tirant  vers  la  seconde 
porte  de  la  rue  Saint-Denis,  avoit  par  per- 
sonnages sans  parler  (887)  de  la  Nativité  Nos- 
ire-Dame,  de  son  Mariage,  et  de  l'Adoration 
Jes  trois  rois,  des  Innocens  et  du  Bon 
Homme  qui  semoit  son  bled  ;  et  furent 
ces  personnages  très-bien;  jouez  :  et  sur  la 
porte  Saint-Denis  fut  jouée  la  Légende 
Saint-Denis,  qui  fut  volontiers  vu  des  An- 
glois,  >■>  etc. 

llrpré^entations  faites  à  Paris  a   l'eniréedu  roi  Char 
les  VII,   le  mardi  12  no\eiubre  1437  (888). 

«  Après  les  prevost  des  marchands  et 
eschevins,  le  prévôt  de  Paris,  etc.,  suivoient 
«les  personnages  représentons  les  sept  flé- 
chez mortels  et  les  sept  vertus,  Foy, 
Espérance,  Charité,  Justice,  Prudence,  Force 
et  Tempérance,  montez  à  cheval,  habillez 
selon  leur  propriété. 

«  I.e  roy,  ayant  passé  la  porte  Saint- 
Denis,  vint  au  Ponceau  ,  où  d'un  artifice 
éloit  une  fontaine,  et  sur  icelle  un  pot 
couvert  d'une  fleur  de  lys,  laquelle  du 
haut  de  ses  trois  feuilles  jeltoit  nypocras, 
vin  et  eau  en  abondance.  Dans  cette  fon- 
taine se  promenoient  deux  dauphins  ;  des- 
sous celte  fontaine  éloit  l'arcade  pour  pas- 
ser, peirde  en  azur,  semée  de  fleurs  de  lys  ; 
et  dessus  une  terrasse  l'image  de  saint  Jean- 
Baptiste  monstrant  VAgnus  Dei,  tout  entouré 
d'un  chœur  de  musiciens  habillez  en  forme 
d'anges,  chanlans  en  toute  mélodie. 

«  Dexant  la  Trinité  étoit  un  grand  théâtre, 
sur  lequel  estoient  représentez  les  mystères 
de  la  Passion,  et  Judas  faisant  sa  trahison  ; 
ces  personnages  ne  parloient,  ains  repré- 
sentent ces  mystères  par  gestes  seule- 
ment (889).  A  la  seconde  porte  aux  Peintres 
étoient  les  images  de  saint  Thomas,  saint 
Den  s,  saint  Maurice  et  saint  Louis,  roy  de 
France,  au  milieu  desquelles  estoit  celle  de 
sainte  Genevïefve  patrone  des  Parisiens. 

«  Devant  le  sépulcre  étoit  un  autre  théâ- 
tre, où  fuient  représentées  la  Résurrection 
du  Sauveur  du  monde,  et  son  apparition  à  la 
Magdelaine. 

«  A  la  porte  de  Sainte-Calhermo  derrière 
Sainte-Opportune,  éloit  un  autre  théâtre,  où 
estoit  le  Saint-Esprit  descendant  sur  les  apô- 
tres et  disciples. 

«  Devant  le  Chastelet  estoit  un  grand  ro- 
cher et  terrasse  couvert  d'un  boccage  et  pas- 
lis  agréable,   où  estoient  les  pastoureaux 


avec  leurs  brebis,  rocevans  les  nouvelles, 
par  l'ange,  de  la  Nativité  de  Nostre  Rédemp- 
teur, et  chanlans  Gloria  in  excclsis  Deo  :  et 
audessous  de  l'arcade  dudit  rocher  estoit  un 
Met  dejustice,  où  estoient  trois  personnages 
représentans  la  Loi  de  grâce,  la  Loi  écrite, 
et  celle  de  Nature  :  et  contre  les  Boucheries 
estoient  représentez  le  Paradis,  le  Purga- 
toire et  l'Enfer;  et  au  milieu  l'archange 
saint  Michel  pesant  dans  une  balance  les 
âmes  des  trespassez  (890). 

«  A  l'entrée  du  grand  pont  de  Paris  , 
estoit  représenté  le  Baptême  de  Noslre-Sei- 
gneur  par  saint  Jean-Baptiste,  et  sainte  Mar- 
guerite auprès  du  dragon.  » 

Représentations  faites  à  l'entn'e  du  roi  Louis  XI,  le  der- 
nier jourd'aoul  1461  (891). 

«  A  l'entrée  que  fist  le  roy  à  ladite  ville 
de  Paris  par  la  porte  Saint-Denis,  il  trouva 
une  moult  belle  nef  en  figure  d'argent  por- 
tée par  le  haut  contre  la  maçonnerie  de  la-= 
dite  porte,  depuis  le  ponl-levis  d'icelle,  en 
signitiance  des  armes  de  la  ville,  dedans  la- 
quelle nef  estoient  les  trois  estais,  et  aux 
chasteaux  de  devant  et  derrière  d'icelle  nef, 
estoient  Justice  et  Equité,  qui  avoient  per- 
sonnages pour  ce  à  eux  ordonnez,  et  à  la 
hune  du  masl  de  la  nef,  qui  estoit  en 
façon  d'un  lys,  yssoit  un  roy  habillé  en  ha- 
bit royal,  que  deux  anges  conduisoient. 

«  Un  peu  avant  dans  laditte  ville  estoient 
à  la  fontaine  du  Ponceau  hommes  et  fem- 
mes sauvages,  qui  se  combattoient  et  fai- 
soient  plusieurs  contenances,  et  si  y  avoit 
encores  trois  belles  filles  faisant  personnr- 
ges  de  seraines,  toutes  nues,  qui  estoit  chose 
bien  plaisante,  et  disoient  de  petits  motets  et 
bergereltes.  Et  près  d'eux  joûoient  plusieurs 
bas  instrumens ,  qui  rendoient  de  grandes 
mélodies.  Et  pour  bien  raffresebir  les  en- 
trans  en  laditte  ville  y  avoit  divers  conduits 
en  ladicle  fontaine,  jeitant  laict,  vin  etypo- 
cras,  dont  chacun  buvoit  qui  vouloit  ;  et  un 
peu  au-dessous  dudit  Ponceau,  à  l'endroit 
de  la  Trinité,  y  avoit  une  Passion  par  per- 
sonnages et  sans  parler  (892).  Dieu  estendu 
en  la  croix,  et  les  deux  larrons  à;  dextre  et 
à  seneslre  ;  et  plus  avant  à  la  porte  aux  Pein- 
tres avoit  autres  personnages  moult  riche- 
ment habillez.  Et  à  la  fontaine  Saint-Inno- 
cent y  avoit  aussi  personnages  de  chas- 
seurs, qui  accueillirent  une  bische  illec  es- 
tant :  qui  faisoient  moult  grant  bruit  de 
chiens,  et  de  trompes  de  chasse.  Et  à  la 
Boucherie  de  Paris  il  y  avoit  eschaffaux  fi- 
gurez à  la  bastille  de  Dieppe:  et  quand  le 
roy  passa,  il  se  livra  illec  merveilleux  assaut 
de  gens  du  roy  à  l'entourdes  Anglois  estant 
dans  laditte  bastille,  qui  furent  pris  et  gai- 


(887^  Voyez  la  Noie  suivante. 

(888)  Tiré  du  Recueil  des  Offices  de  France  par 
J:an  Chenu,  avocat  en  parlement. 

(889)  Voici  une  preuve  bien  marquée  que  ces 
mystères  n'étaient  point  récités,  et  qu'ils  n'étaient 
seulement  que  représentés  par  ligures;  on  peut  voir 
encore  des  preuves  aussi  fortes  en  plusieurs  autres 
endroits  ci-dessous. 

(890)  Alain  Charlicr   rapporte  dans  son  Histoire 


une  description  fort  abrégée  de  celte  entrée. 

(891)  Chronique  de  Louis  XI,  écrite  par  Jean  de 
Troyes,  grefïier  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris,  p.  t6 
île  l'édition  de  Bruxelles,  à  la  suite  des  Mémoires 
de  Commines. 

(b$'2)  Celle  Passion,  comme  on  le  voit  aisément, 
esl  tout  aulre  que  celle  que  jouaient  les  Confrères, 
puisqu'elle  n'était  (prune  action  figuré* 


1377 


ENT 


NOTICE  SLR  LE  THÉÂTRE  LIBRE. 


ENT 


1378 


gnez,  et  eurent  les  gorges  couples  ;  el  con- 
tre la  porte  du  Chastelîet  y  avoit  de  moult 
beaux  personnages.  Et  outre  ledit  Chastel- 
îet sur  le  pont  aux  Changes,  y  avoit  autres 
personnages,  et  estoit  tout  estendu  par-des- 
sus, et  à  l'heure  que  le  roy  passa  on  laissa 
voler  parmi  ledit  pont  plus  de  deux  cens 
douzaines  d'oiseaux  de  diverses  sortes  et 
façons,  que  les  oyseleurs  de  Paris  laissè- 
rent aller,  comme  ils  sont  tenus  de  ce  faire); 
pource  qu'Us  ont  sur  ledit  pont  lieu  et  place  à 
jour  de  fête  pour  vendre  lesdils  oiseaux,  et 
partout  les  lieux  de  ladite  ville  par  où  le  roy 
passa  celte  journée,  estoit  tout  tendu  au  long 
des  rues  bien  notablement.  Ainsi  s'en  alla 
faire  son  oraison  en  l'église  Nostre-Dame  de 
Paris,  et  puis  s'en  retourna  souper  en  son 
Palais-Royal  a  Paris,  »  etc. 

Représentations  faites  à   l'entrée  du  roi  Charles  VIII,  à 
Paris,  le  8  juillet  U8i  (893). 

Puis  après  je  vins  choisir 
Au  plus,  près  de  la  Trinité. 
Mystère  que  ne  veux  laisir, 
Qui  lut  de  grami'ulililé. 

C'éloil  l'amere  Passion 

De  noslre  Sauveur  Jesus-Christ, 

El  sa  Crueilicalion, 

Et  de  Judas  le  grand  délie! , 

Qui  à  un  arbre  se  pendit. 

Par  très  grande  désespérance, 

Donc  en  Enfer  il  descendit, 

Où  puni  est  de  son  offense... 

Plus  avant  à  la  Porte  aux  Peintres 
Vis  le  Galliffrc  de  Braudas  (894) 
Qui  engouloit  sans  nulles  feintes 
Enclumes  de  fer  à  grands  tas, 
Dénotant  que  tels  Goulias 
En  Erance  oui  fait  grand  mangerie, 
Dont  plusieurs  en  font  au  pourclias 
Par  le  inonde  querans  leur  vie. 

Puis  auprès  de  Suincl  Innocent 

Estoit  Ilérode  le  cruel, 

Qui  fil  mourir  maint  Innocent, 

Par  son  malice  monsiruël  ; 

Puis  vint  illec  saincl  Gabriel, 

Quand,  de  par  le  Dieu  envoyé 

Qui  bapelise  les  aisnel 

En  leur  sang,  donc  Dieu  est  loué. 

Et  puis  auprès  du  Chastelîet 
11  v  avoit  un  grand  Eschaffaut, 
Ou  ilLc  un  Roy  se  séel 
Par  dessus  les  autres,  au  plus  haut, 
Qui  par  engin  subtil  et  caul 
Envoyoïl  au  Peuple  d'en  bas, 
Plus  léger  que  ne  fait  un  haut, 
La  vertu  de  Paix  par  soûlas. 

En  après  la  vertu  de  Force. 
Par  engin  venoil  la  Noblesse  : 
Dileclion,  el  Amour  forte 
A  l'Eglise  avoit  son  adresse  : 
Puis  après  sans  grande  longuessc, 
J'apperccus  un  autre  cscliaffaul, 
Qui  estoit  d'assez  grande  haulesse, 
Où  je  vis  un  mystère  haut. 


Car  j'y  vis  eu  façon  de  Lys 
Un  arbre  de  grande  estmlie. 
Sur  lequel  estoil  un  beau  Fils, 
El  au  p'ed  des  gens  grande  lye, 
Qui  estoienl  pleins  de  maladie, 
Car  couchez  estoienl  contre  terre; 
Si  pensai  fort,  je  vous  affie, 
Que  vouloil  dire  ce  mystère. 

Si  vis  qu'en  regardant  l'Enfant 
De  la  terre  ils  se  soubslevoient 
Et  se  dressoienl  en  estant, 
Comme  ceux  qui  cœur  reprenoient. 
Si  conclus  lors,  qu'ils  (lénotôi.„nt. 
Que  par  noslre  Roy  debonnair?, 
De  tous  maux  relevez  seroienl 
Ses  sujets,  el  hors  de  misère. 

Après  sur  le  Pont  des  Changeurs 
J'apperçus  un  autre  mystère  ; 
Il  estoil  des  premiers  honneurs 
Qu'eut  David  de  Dieu  noslre  Père; 
El  comme  éleu  de  luy,  en  terre 
Il  tua  Golias  le  Géant, 
Luy  enfant  de  moult  grand  affaire, 
Et  depuis  fut  Roy  Iriumphanl. 

Qui  estoil  pour  nous  demonstrarce, 
Que  noslre  Roy  jeune  et  plaisant, 
De  Dieu  éleu  par  sa  prudence, 
Sera  de  tous  maux  relevant 
Son  peuple  ;  et  sera  deslruisanl 
Ses  ennemis  el  adversaires 
Et  sera  son  Peuple  vivant 
Soubz  luy  en  paix,  sans  nulle  guerre. 

Puis  à  la  Porte  du  Palais 
J'apperccus  un  autre  mystère, 
Qui  fui  moult  beau  cl  non  pas  laiz, 
El  estoit  grande  la  matière; 
C'estoil  qu'en  une  grande  chaire 
11  y  avoit  un  Roy  assis, 
El  par  grand  verlu  singulière, 
Sur  luy  venoil.le  Sainl-Espr.l. 

Représentations  faites  s  l'entrée  du  roi  Touis  XII,  h  Pa- 
ris, le  lundi  second  jour  de  juillet  1498  (895). 

«  L'eschaflaul  de  dessus  la  porte  Saint- 
Denis  éloit  honorablement  fait,  el  com- 
posé par  Messeigneurs  les  prévôt  et  éche- 
vins  de  la  ville  de  Paris ,  dessus  lequel  éloit 
un  lys  triomphant  à  sept  fleurons,  et  au  pied 
du  lys  éloit  habillé  un  personnage  richement, 
en  habit  royal,  semé  de  fleurs  de  lys  d'or. 
Au  premier  des  fleurons  d'en  bas  à  main 
dextre  étoit  Noblesse  habillée  de  drap  de 
soye  violette  et  la  tête  garnie  de  fermeillets 
dor  à  crépines  et  cheveux  pendans;  et  de 
l'autre  côté  éloit  un  autre  personnage  aussi 
dedans  le  lys,  nommé  Humanité,  habillé  de 
soye  grise  et  avoit  en  sa  tête  une  grosse  per- 
ruque à  deux  bosses,  couvertes  de  fermeillets 
d'or  et  pierreries,  en  la  façon  du  teins  passé, 
en  démonstrant  que  l'homme  noble  doit  être 
humain. 

«  Au  deuxième  fleuron  du  côté  dextre 
etoit  un  autre  personnage  nommé  Richesse, 
habillé  de  drap  de  soye  jaune  doré  et  la  tête 
connue  une  épousée,  le  plus  richement  qu'il 


(893)  Cérémonial  français,  [p.  214.   215  el  21G. 

(894)  Le  Galiffre  de  Buidas  nous   esi  inconnu,    à 
moins  qu'on  n'ait  voulu  entendie  le   Calife  de  Bag- 


dad. On  voit  par  ce  personnage  que  nos  ancêtres 

avaient  aussi  bien  que  nous  des  joueurs  de  gobelets. 

(S95i  l.érémunul  \i rinçais,  pag.  240,  241,  etc. 


1379 


ENT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ENT 


1380 


étoit  possible  ;  et  de  l'autre  Côté  «Ju  fleuron, 
un  autre  personnage  nommé  Libéralité , 
véiu  de  soye  blanche  à  deux  cornes,  en 
la  façon  du  temps  passé,  garnies  de  fer- 
meillels  et  de  pierres  ,  démonslranl  que 
l'homme   riche  doibt  estre  libéral,  etc.... 

«  Plus  outre  devant  l'église  de  la  Trinité, 
avoient  fait  faire  les  gouverneurs  et  confrè- 
res de  la  confrairie  de  la  Passion,  un  escha- 
fàut,  où  étoit  Abraham  qui  sacrifioit  à  Dieu 
le  Père  son  fils  Isaac  (896).  Et  à  l'autre  côté 
de  l'eschafaut  le  crucifiement  de  Jésus- 
Christ:  c'est  à  sçavoir  Jésus  étendu  en  la 
croix  entre  deux  larrons  ,  Judas  pendu  , 
Aune,  Caiphe,  Pilate  et  plusieurs  juifs  re- 
gardant le  crucifiement:  et  couloit  inces- 
samment une  manière  do  sang  des  playes 
du  crucifix  (897). 

«  A  la  porte  aux  Peintres,  avoil  un  esena- 
faut,  sur  lequel  avoit  un  monde,  dedans  le- 
quel étoienl  deux  personnages,  Bon-Temps 
et  Paix  ,  et  ménestriers,  qui  joùoient  mélo- 
dieusement: et  autour  dudit  monde  étoient 
trois  autres  personnages,  le  Peuple  françois, 
Réjouissances,  et  le  Bon  Pasteur,  lesquels 
disoient  : 

Je  suis  de  liait  (808)  menant  réjouissance 
A  la  venue  du  Bon  Pasteur  de  fiance, 
Paix  et  Bon-Temps  il  entretient  au  .Monde 
Honneur,  Louange,  Triomphe  eu  lui  abonde, 
Dieu  le  préserve  de  mal  et  de  souffrance,  etc. 

«  Devant  le  chastellet  de  Paris  avoit  un 
grand  eschafaut,  devant  lequel  avoit  un  pa- 
villon de  couleur  jaune  et  violette,  et  au 
milieu  dudit  pavillon  avoit  un  lys  où  étoient 
figurées  et  emprainles  neuf  portrailures  de 
rois.  Le  premier  desquels  Louis  douzième 
étoit  au  plus  haut  dudit  lys,  tenant  un  scep- 
tre en  sa  main  dexlre  et  de  l'autre  un  baston 
royal.  Après  lequel,  en  descendant  ,  étoit 
ligure  Charles,  ducd'Orléans,  neveu  et  pero 
de  roy,  tenant  en  sa  main  un  espervicr.  Et 
au  troisième  étoit  figuré  Louis,  duc  d'Or- 
léans, lils,  frère,  oncle  et  ayeui  de  roy  (899). 
El  au  ive  degré  étoit  ligure  Charles-Quint, 
tenant  eu  sa  main  dexlre  un  sceptre  et  en 
l'autre  un  bâton  royal.  El  au  V  degré  étoit 
figuré  le  roy  Jean,  tenant  en  sa  main  le  scep- 
tre et  halon  royal.  El  au  vr  degré  éloit  li- 
gure Philippe  de  Valois,  tenant  en  ses  mains 
le  sceptre  et  bâlon  royal.  Et  au  vu'  degré 
éloit  ligure  Charles,  comte  de  Valois,  lils, 
frère,  père  de  roy  et  oncle  de  quatre  rois  (900). 
Et  au  vin*  degré  éloit  ligure  la  poriraicture 
du  roy  Philippe  (901),  tenant  en  ses  mains 
le  sceptre  et  le  bûton  royal.  Et  au  ix',  et 
dernier  degré  étoit  tiguré  Je  roy  saint  Louis, 

(896)  Ceci  n'est  qu'une  simple  représenlaiion  des 

vipères  de  l'Ancien  Testament. 

(8iJ7)  Nouvelle  preuvede  ceque  nous  avons  avancé. 

(85)8)  Je  suis  de  hait  :  je  suis  à  mon  plaisir.  Clé- 
ment Maroi,  Epit.  V. 

Si  l'un  s'en  rît,  si  l'autre  est  à  son  hait. 

(899)  Louis  duc  d'Orléans,  qui  fut  assassiné  à 
P.iris  par  la  faction  du  duc  de  Bourgogne,  était  lils 
du  roi  Charles  V,  frère  de  Charles  VI,  oncle  île  Char- 
les VII,  et  père  de  Chai  les  duc  d'Orléans,  père  du 
roi  Louis  XII. 


m 


tenant  en  ses  mains  le  sceptre  et  bâton 
royal,  et  chacun  d'eux  portant  ses  armes  et 
au  côté  dextre  trois  porcs  épies. 

«  Au  dedans  dudit  eschatfaut  estoit  un'roy 
au  plus  haut  en  siège  royal,  et  à  main 
dextre  estoit  bon  Conseil,  et  àsenestre  Jus- 
tice, et  sous  les  pieds  dudit  roy  Injustice 
couchée.  Pareillement  y  estoit  Puissance 
armée  tenant  un  voulge  contre  la  poitrine 
de  Division:  et  estoient  à  l'enlour  six  au- 
tres personnages,  l'Eglise,  le  Peuple,  Sei- 
gneurie, Pouvoir,  Union,  et  Paix.  Ces  choses 
vues,  ledit  seigieur  passa  outre,  et  vint  de- 
vant le  Palais-Royal:  et  y  estoit  utt  autre 
eschaflaut,  que  Messeigneursde la  Chambre 
des  comptes  avoient  fait  faire  :  auquel 
eschaflaut  estoient  deux  cerfs  volans,  qui 
tenoient  un  grand  escu  de  Franco  timbré, 
et  au-dessous  dudit  escu,  un  porc  epic  au 
pied,  et  deux  ser|  ens  entrelassez,  chacun 
en  un  lys,  jettant  un  enfant  nud,  et  rouge 
par  la  gueule:  et  aux  deux  cotez  dudit  porc 
epic,  les  armes  de  Milan:  et  estoit  escril  ce 
qui  s'ensuit. 

Salut,  honneur  et  révérence 
Au  roy  Louis  le  Bien  Aimé, 
Douzième  de  ce  nom  clamé, 
Par  éternelle  Providence.  » 

Représentations  faites  à  l'entrée  de   la   reine  Anne  de 
Itretigne,  le  l(J  novembre  1^04  (Ù02). 

«  Laditte  dame  arriva  à  la  porte  S.  Denis, 
environ  midy,  sur  laquelle  porte  y  avoit  un 
beau  et  riche  mystère  d'un  grand  cœur,  re- 
présentant lecœurde  Paris,  auquel  il  y  avoit 
deux  personnages,  c'est  à  sçavoir  Loyauté, 
et  Honneur;  et  esloil  ledit  cœur  soutenu 
par  trois  personnages,  c'est  à  sçavoir,  Jus- 
lice,  Clergé',  et  Commun:  et  y  avoit  un  ac- 
teur qui  disoit  ce  qui  s'ensuit,  ele 

«  Item,  h  la  fontaine  du  Ponceau  y  avoit 
la  représentation  d'un  petit  Enfant  nud,  de 
la  hauteur  de  deux  pieds  ou  environ,  ri- 
chement peint,  par  lequel  couloit  ladite 
fontaine. 

«  Item,  devant  la  Trinité  y  avoit  un  mys- 
tère de  la  Transfiguration  Noslre  Seigneur, 
et  autres  mystères  de  la  Passion,  qui  furent 
faits  par  les  maistres  de  la  Passion. 

«  llnn,  à  la  vieille  porte  S.  Denis,  y  avoit 
un  autre  mystère  des  cinq  Annes  ,  qui 
sont  trouvées  dans  l'Ancien  Testament  ; 
avec  lesquelles  on  ajoûtoit  Anne,  noble 
roine  de  France,  pour  les  vertus  et  biens 
qui  sont  en  elle:  et  y  avoit  un  personnage 
pour  déclarer  les  choses  dessus  dittes,  qui 
disoit  en  substance  ce  qui  s'ensuit. 

(900)  Charles  de  Valois  fils  de  Philippe  le  Hardi , 
frère  du  roi  Philippe  le  Bel,  père  de  Pnilippe  de  Va- 
lois, et  oncle  de  trois  rois  :  Loiiis  Hulin,  Philippe  le 
Long,  ei  Charles  le  Bel.  A  l'égard  du  quatrième  ,  il 
est  inconnu  dans  l'histoire,  à  moins  qu'on  ne 
comprenne  le  jeune  roi  Jean,  liis  de  Louis  If  util),  qui 
ne  vécut  que  huit  jours. 

(901)  Philippe  lé  Hardi. 

(902)  Tiré  des  registres  de  l'Hôtel  de  Ville. 


ir,si 


ENT 


NOTICE  SliK  LE  THEATRE  LIBHE. 


ENT 


!38* 


Cinq  Dames  soni  au  saint  Escril  trouvées 

Nommées  Annes,  irès-jusles  éprouvées. 

Héléazar  prit  l'une  en  mariage, 

Donl  fol  produit  Samuel  l'enfant  sage. 

La  deuxième  femme  du  vieil  Tobie 

De  charité,  et  de  piété  remplie. 

La  troisième  fut  mère  de  Sara  , 

Tobie  le  jeune  par  grâce  l'espousa. 

La  quatrième  propbélise  fuldille, 

Car  la  venue  du  Christ  avoil  préditte. 

La  cinquième  fut  mère  de  Marie 

Vierge  pucelle,  qui  le  doux  fruit  de  vie 

Par  grâce  Dieu  enfanta  dignement. 

Ces  cinq  Daines  ont  vertueusement 

Durant  leur  temps  régné  sans  quelque  doute  , 

Avec  elles  la  sixième  ou  ajoute  : 

C'est  Dame  Anne  noble  Reine  de  Fiance  , 

Qui  son  peuple  préserve  de  souffrance. 

«  Item,  à  la  fontaine  S.  Innocent,  y  avoit 
un  autre  mystère  des  trois  rots  qui  vinrent 
adorer  Nost're  Seigneur,  et  autres  mystères 
qui  furent  faits  par  les  frippiers. 

«  Item,  devant  le  Chaslelet  y  avoit  autres 

mystères.  » 

Représentations  faites  à  l'entrée  de  Marie  d'Angleterre, 
reine  de  France,  dans  la  ville  de  Parts,  le  lundi 
sixième  jour  de  novembre  131 1  (*J03j. 

«  Item,  à  l'entrée  de  ladite  ville,  y  avoit 
un  grand  eschall'aut,  sur  lequel  esloit  un 
gra.'id  navire  d'argent,  voguant  sur  la  mer, 
dedans  lequel  estoit  le  roy  Bacchus,  tenant 
un  beau  raisin,  dénotant  Plante  de  vins: 
et  une  reine  (90i)  tenant  une  gerbe,  déno- 
tant plante  de  bleds:  et  aux  trois  mats  dudit 
navire  au  plus  haut,  estoient  trois  grosses 
lunes  dorées,  dedans  lesquelles  estoient 
trois  personnages,  les  deux  armez  aux  deux 
bouts,  tenant  chacun  un  grand  écusson, 
cl  celui  du  milieu  un  escu  de  France.  lit 
aux  quatre  bouts  de  laditle  mer,  estoient 
quatre  grands  monstres  souffla ns,  dénotons 
les  quatre  vents,  uon\mezSubsolanus,Ausler, 
Boreas,  et  Zcpliirus.  Et  dedans  ledit  navire 
estoient  des  matelots  et  autres  personnages, 
lesquels  chanloienl  mélodieusement,  et  aux 
deux  bouts  de  ce  navire,  estoient  les  armes 
de  l'Hoslel  de  Ville. 

«  Item,  à  la  fontaine  du  Ponceau,  y  avoit 
un  agréable  jardin,  dedans  lequel  estoit  un 
beau  lys,  et  un  rosier  de  roses  vermeilles  ; 
et  dans  ledit  jardin  estoient  trois  jeunes  pu- 
eelles  nommées  Beauté,  Liesse,  et  Prospé- 
rité, et  autour  dudit  jardin,  estoit  écrit  : 
Gratia  prteveniens,  et  gratia  jam  data. 

«  //f/ti,  devanl  la  Trinité  avoit  un  cs- 
chalfaut,  sur  lequel  estoil  le  roy  David,  le 
roy  Salomon  son  Qls,  avec  ses  chevaliers,  la 
reine  de  Saba,  et  cinq  jeunes  demoiselles; 
laquelle  reine  portoil  la  paix  à  baiser  audit 
roy,  lequel  la  remercioit  humblement,  et  au 
pied  dudit  eschaffaul  esloit  escrit,  etc.  .  .  . 

«  Item,  à  la  porte  aux  Peintres  avoit  un 
grand  eschall'aut,  au  plus  haut  duquel  estoit 
le  grand  Pasteur,  tenant  le  lys  et  le  cœur 
de  France  ;  et  au  bas  dudit  eschall'aut 
estoient  un  roy  et  une  reine,  ledit  roy  te- 
nant en  ses  tanins  un  sceptre  et  un  baston 

(905)  Tiré  d'une  Relation  manuscrite,  insérée  dans 
le  Cérémonial  français,  p.  755,  754  et  755. 
^9j4)  Cérès. 


royal,  et  ladilte  reine  lenant  en  une  main 
un  baslon  royal,  et  en  l'autre  une  rose  V'  r- 
nieille;  et  au-dessous  estoient  cinq  jeunes 
pucellcs,  c'est  àsçavoir,  France,  Paix,  Ami- 
tié, Confédération,  et  Angleterre,  lesquelles 
chanloienl  mélodieusement  ;  et  au-dessus 
dudit  roy,  et  de  laditle  reine,  esloit  escrit 
ce  (pli  s'ensuit:  Veni  de  Libano,  sponsa  meat 
veni,  et  coronaberis. 

«  Item,  devant  S.  Innocent  avoil  un  grand 
eschall'aut,  et  au  plus  haut  estoient  les 
quatre  Vertus,  gardans  le  lys  de  Fiance,  et 
au-dessus  esloit  escrit  ce  qui  s'ensuit,  Mi- 
sericordia  et  veritas  custodiuntregemt  et  ro- 
borabitur  clementia  ejus.  VA  au  bas  dudit 
eschaffaul,  esloit  Dieu  le  Père,  lequel  fat— 
soil  monter  au  plus  haut  avec  ledit  lys,  une 
belle  rose  vermeille  épanouye,  dedans  la- 
quelle estoit  une  reine  appelée  Frant  Ver- 
gier,  montant  au  trône  d'Honneur.  Et  au 
pied  dudit  dscliaffaUt  estoit  dame  Paix,  la- 
quelle avoil  mis  et  Ircsbuché  la  Guerre  sous 
ses  pii  ds. 

«  Item,  au  chastelet  de  Paris  avoit  un 
grand  eschaffaul,  au  milieu  duquel  estoient 
dîmes  Justice  el  Vérité,  moi  tans  et  des- 
cendais du  trône  céleste  sur  la  terre,  et  à 
dexlre  et  à  senesire  estoient  les  douze  pairs 
de  France;  el  au  milieu  dudit  eschall'aut 
estoit  escrit  ce  qui  s'ensuit  :  Veritas  de 
terra  orta  est,  et  Justifia  de  calo  prospexlt. 
El  au  bas  dudit  eschaffaul  esloient  cinq 
personnages,  au  milieu  desquels  esloient 
Bon-Accord,  Stella  Maris,  Miner  va  Diana, 
et  Phcbus. 

«  Item,  à  la  porte  royale  du  Palais,  avoit 
un  grand  eschaffaul,  au  plus  haut  duquel 
estoil  l'ange  Gabriel  saluait  la  Vierge  Marie, 
en  disanl,  Ave,  gratia  ptena;  et  entre  deux 
avoit  un  beau  lys,  et  au-dessous  esloient 
deux  grands  escus couronnez,  c'esl  à  sçavoir 
l'escu  lie  France,  environné  de  l'ordre  du 
roy  (905),  et  l'autre  mi-party  d'azur,  et  do 
gueule  semé  de  fleurs  de  lys  d'or,  et  de 
trois  léopards  d'or  en  champ  de  gueule, 
bordé  de  roses  vermeilles,  et  a  dextre  estoit 
un  grand  porc  epic  souslenant  aussi  les 
mêmes  escus:  et  au  bas  dudit  eschaffaul 
avoil  un  beau  jardin,  nommé  le  Ver  gier  de 
France,  semé  de  plusieurs  beaux  lys;  et  au- 
dessus  de  ce  jardin  estoient  un  roy  et  une 
reine,  et  à  dextre  esloit  dame  Justice,  lenant 
une  espée  en  sa  main,  et  h  séuestre  es;oit 
dame  Vérité,  lenant  en  sa  main  la  Paix;  et 
dedans  ledit  jardin  estoient  plusieurs  ber- 
gers et  bergères,  lesquels  chanloient  mélo- 
dieusement, et  a  dextre  et  séuestre  de  cet 
eschaffaul  estoil  escril,  elc.  ...      » 

ISepréscniaiions  faites  à  l'entrée  de   la  ruine   Claude  a 
Paris,  le  mardi  douzième  mai  1517  (906). 

«  Premièrement,  à  la  porte  S.  Denis  à 
l'entrée  de  laditle  ville  avoit  un  eschaffaul, 
el  au  plus  haut  esloit  un  ciel  clos,  et  par 
dessus  une  nuée,  laquelle  s'ouvroil,  dont 
sorloit  une  colombe,  tenant   une  couronne 

(995)  C'é'ail  l'ordre  de  S.  Midiel. 
^90(5)  Tiré  d'une  Relation  manuscrite  insérée  dans 
le  Cérémonial  français,  p.  75b'  et  757. 


1383 


ENÏ 


DICTIONNAIRE, 


d'or,  dénotant  le  8.  Esprit;  laquelle  colombe 
descendoit  au  milieu  dudit  eschaffaut,  où  il 
y  avoit  une  jeune  dame,  représentant  laditte 
dame;  et  la  colombe  lui  posoit  laditte  cou- 
ronne sur  son  chef,  puis  s'en  remontoit  au 
ciel  ;  et  à  dexlre  et  à  sénestre  de  ladite  dame, 
estoient  six  dames  du  Vieil  Testament, 
nommées  liachel,  Rebecca,Esther,  Lia,  Sàrra, 
et  Lucresse,  et  au  bas  de  cet  eschaffaut 
ostoient  quatre  autres  dames;  c'est  à  sçavoir, 
Justice,  Magnanimité,  Prudence,  et  Tempé- 
rance (907). 

«De  plus,  h  la  fontaine  du  Ponceau , 
nommée  la  l'ontaine  de  la  Reine,  avoit  un 
beau  jardin,  et  au  milieu  un  lys  et  à  dextre 
et  à  sénestre  une  salamandre,  et  une  her- 
mine; et  emprès  (908)  dudit  lys  esloit  une 
jeune  dame,  et  deux  jeunes  pucelles,  la- 
quelle dame  lenoit  en  sa  main  une  pomme 
d'or,  dont  il  sailloit  eau  de  tous  coslez  arro- 
sant ledit  lys. 

«  Devant  la  Trinité  y  avoit  un  eschafîaut, 
sur  lequel  au  plus  haut  estoient  six  person- 
nages; sçavoir  un  roy  couronné,  une  reine, 
et  deux  jeunes  damoiselles,  et  un  nommé 
Bon  Conseil,  tenant  un  papier;  et  l'autre  Bon 
Vouloir,  tenant  l'estendart  de  Vertu;  et  au 
bas  dudit  eschaffaut  estoit  un  beau  jardin, 
nommé  le  clos  du  Repos,  au  milieu  duquel 
estoit  un  lys  que  deux  personnes  gardoient  ; 
l'un  se  noramoit  le  Baston  de  Prouesse,  te- 
nant une  lance,  et  l'autre  le  Baston  de  Con- 
corde, tenant  une  e^pée. 

«  Item,  à  la  porte  aux  Peintres,  y  avoit 
un  autre  eschaffaut,  sur  lequel  au  [dus  haut 
esloit  un  grand  soleil  d'or,  et  dedans  ledit 
soleil,  unejeune  dame  vcstuë  de  blanc,  les 
mains  élevées  au  ciel,  nommée  Dame  Cha- 
rité ;  et  au-dessous  estoient  cinq  déesses; 
et  au  milieu  estoit  la  dame  des  déesses,  te- 
nant un  long  baston;  et  au  bout  y  avoit  un 
escu,  auquel  estoit  pourtrailes  les  armes  du 
Pape  et  du  roy  de  France;  et  à  dextre  et  à 
sénestre,  estoient  lesdittes  quatre  déesses: 
et  au  bas  de  cet  eschaffaut  estoient  six  per- 
sonnages, sçavoir  le  le  Pape  a  main  dexlre, 
avec  deux  prélats  en  pontilicat  (909),  tenans 
lasses,  et  présentons  à  boire  au  Pape  (910); 
et  à  sénestre  esloil  l'empereur,  le  roy,  et  un 
nommé  Ammatanus,  tenant  une  tasse,  et 
présenlant  à  boire  à  l'empereur  et  au  roy. 

(907)  L'auteur  de  la  Relation  de  celle  enlrée,  in- 
sérée dans  le  Cérémonial  français  ,  pag.  482  el  485, 
ajoute  tjue  ces  quatre  Xerlus  représentaient  les 
«  quatre  veuves  qui  régnent  au  royaume  de  France, 
sçavoir  Madame  d'Angoulcme  ,  meve  du  Roy,  Ma- 
dame d'Alençon,  fille  de  Lorraine,  Madame  de  Bour- 
bon el  Madame  de  Vendosme;  aussi  estoit  au-dessus 
de  la  nue  escril  ce  qui  en  suit,  Auendite  a  facie  irœ 
columbic.  i 

(908)  Auprès. 

(909)  En  habits  pontificaux. 

(910)  L'auteur  que  nous  venons  de  citer,  rapporte 
ceci  un  peu  autrement:  «  Au  bas  dudit  esch  alla  ut , 
.lil-il,  estoient  six  grands  personnages,  le  Pape  à 
dextre,  el  deux  prélats  tenans  des  lasses,  dedans  les- 
quelles dislilloient  d'une  phiole,  queleiioil  au-dessus 
d'eux   un  petit  eid.inl   nommé   Tantatus  ,   plusieurs 

(e)  Porcia. 


DES  MYSTERES.  ENT  1384 

«  A  la  fontaine  des  Saints-Innocens  esloit 
dressé  un  eschaffaut,  au  milieu  duquel  y 
avoit  un  grand  chœur  fermé,  dedans  lequel 
estoient  trois  jeunes  dames  nommées, 
Amour  divin,  Amour  naturel,  Amour  conju- 
#fl/(911);et  au  bas  dudit  eschaffaut,  estoient 
le  roy  David,  la  reine  Abigaïl,  et  la  reine 
Lia,  tenant  en  sa  main  une  paix. 

«  Devant  le  Chaslelet  de  Paris,  y  avoit 
un  eschaffaut,  sur  lequel  estoit  un  arbre  à 
trois  branches;  au  milieu  et  au  plus  haut 
duquel  estoient  un  roy  et  une  reine  cou- 
ronnez; représentans  le  roy  François,  nns- 
tredit  seigneur,  el  la  reine  Claude  sa  femme, 
à  présent  regnanle;  et  à  dextre  et  à  sénes- 
tre estoient  au  milieu  et  au  bas  plusieurs 
autres  rois  et  reines,  ducs  et  comtes,  dé- 
monstrans  la  généalogie  de  laditte  dame,  et 
la  lignée  dont  elle  est  descendue. 

«Item,  devant  la  porte  royale  du  Palais- 
Royal  du  roy  noslre  sire,  y  avoit  un  eschaf- 
faut, dedans  lequel  estoient  au  plus  haut 
trois  personnages,  sçavoir  un  roy  couronné, 
représentant  S.-  Louis,  et  une  dame  repré- 
sentant la  reine  Blanche  sa  mère;  et  une 
autre  dame  tenant  une  espée,  représentant 
Dame  Justice  :  et  au  bas  dudit  eschaffaut 
estoient  trois  autres  personnages  ;  un  Avan- 
turier  tenant  une  lettre;  un  Laboureur  por- 
tant une  houë  sur  son  col;  el  un  Pauvre 
mendiant  tenant  une  requeste  h  dextre,  et  à 
sénestre  deux  escus,  l'un  aux  armes  de 
France,  et  l'autre  mi-parti  aux  armes  du 
roy  et  de  la  reine;  et  plusieurs  chantres, 
lesquels  chantoienl  mélodieusement.  » 

Représentations  faites  à  l'entrée  de  la  reine  Eléonore 
d'Autriche,  sœur  de  l'empereur  Charles  Quint,  et  se- 
conde femme  de  François  premier,  à  Paris  le  jeudi 
seizième  jour  de  mars  1530  (912). 

«  Et  pour  honorer  et  récréer  laditte  darne, 
on  avoit  fait  cl  dressé  plusieurs  eschaffauts 
avec  mystères  et  figures,  par  les  lieux  où 
elle  devoit  passer. 

«  Premièrement,  un  à  la  porte  Saint-De- 
nis, où  il  y  avoit  un  mystère  de  Paix  et 
Accord,  avec  autres  Vertus  et  personnages, 
qui  présentèrent  les  clefs  de  la  ville  à  la- 
ditte dame.  A  la  fontaine  du  Ponceau  y  en 
avoit  un  autre,  où  se  présentoit  une  moris- 
que  (913)  de  satyres,  dansans  autour  de  la- 
ditte fontaine:  et  au  derrière  sur  deux  au- 

royons  d'eau.  >  (Cérémonial  français,  p.  482.) 

(911)  L'auteur  cité  ci-dessus  écailreitce  passage, 
ajoutant  «  qu'au  has  dudil  escliall'aiil  esloil  le  roi 
David,  el  devant  lui  à  genoux  une  dame  nommée 
Abigaïl,  laquelle  lui  présentent  plusieurs  vivres ,  et 
présens,  et  esloil  dioilement  sous  Amour  divin. 
Sous  Amour  conjugal  estoient  deux  dames,  c'est  à 
sçavoir  Julia,  tenant  une  paix,  en  laquelle  estoit  fi- 
guré le  Monde;  l'autre  dame  cstoil  nommée  Phor- 
cia  (a),  qui  lenoit  un  plat  plein  de  charbons  ardents, 
qu'elle  prenoit  en  sa  main,  et  les  avaloit.  Dessous 
Amour  naturel,  esloil  un  prince  nommé  Cariolanus 
(b)  el  devant  luy  une  <îame  veuve  luy  monslrani  les 
mammclles.  i  (Cérémonial  français,  p.  483.) 

(912)  Cérémonial  français,  p.  502. 
(.915)  Celte  danse  étail  ordinairement  accompa- 
gnée de  récits  de  chant. 

(b)  Coiiulaims. 


1385 


ENV 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


EXT 


13^8 


très  petits  eschaffauts,  esloient  plusieurs 
Vertus  et  personnages  partons,  et  donnans 
louanges  à  laditte  dame.  Devant  l'église  de 
la  Trinité  y  avoit  Une  bergerie  moraliser, 
avec  plusieurs  autres  personnages  sur  un 
autre  eschaffaut.  A  la  porte  aux  Peintres 
esloient  les  neuf  Muses,  joiians  de  tous  i:is- 
trumens,  harmonieusement,  avec  plusieurs 
autres  personnages.  A  la  fontaine  S.  Inno- 
cent y  avoit  un  autre  mystère  des  quatre 
Estais,  ausquels  nne  dame  d'honneur  don- 
noit  la  paix.  A  la  porte  du  Chastelet,  qu'on 
dit  autrement  la  porte  de  Paris,  estoit  un 
grand  mystère  plein  de  plusieurs  person  - 
nages,  signilians  et  représentons  la  reddi- 
tion de  Messeigrieurs  les  Dauphin  et  duc 
d'Orléans,  entons  du  roy  (914).»  — (Cf. 
Histoire  du  théâtre  français;  Paris,  1735,  in- 
12,  15  vol.,  t.  III,  p.  163.) 

ENTREPENEUR  DE  SPECTACLES  (L') 
M.  Magnin  a  publié  dans  la  Bibliothèque 
de  l'Ecole  des  Chartes  '(Paris,  1839-1840.  gr. 
in-8%  t.  Ier,  p.  517-535,  des  fragments  d'une 
pièce  de  théâtre  qu'il  date  du  vu*  siècle.  Ce 
serait,  selon  le  savant  critique,  un  des  pre- 
miers monuments  du  théâtre  moderne,  issu 
de  l'ancien,  par  la  tradition  et  aussi  par 
l'association  du  mime  italique  au  barde  ger- 
main. Ces  fragments  sont  un  dialogue  entre 
Térence  et  un  entrepreneur  de  spectacles.  Ils 
sont  conservés  dans  le  manuscrit  latin  de 
la  Bibliothèque  impériale,  n°  8069.  Leur 
date  est  fixée  par  la  barbarie  de  la  syntaxe 
et  de  la  prosodie  qui  indiquent  une  époque 
postérieure  au  moins  d'un  siècle  à  Fortunat;el 
parles  imitations  nombreuses  quoique  mal- 
habilesdes  poëlesanciens,  notammenlde'fé- 
rence,  Ovide  et  Virgile,  qui  confirment  cette 
donnée,  car  il  faut  chercher  une  époque  pos- 
térieure au  vr  siècle ,  et  antérieure  à  l'é- 
clipse  totale  des  lettres  qui  précéda  le 
règne  de  Charlemagne.  Le  manuscrit,  d'ail- 
leurs, semble  du  x'  siècle;  il  est  au  plus 
tard  du  xi*. 

Selon  M.  Edelestand  Duméril,  le  Dialogue 
anonyme  entre  Térence  et  un  entrepreneur  de 
spectacles  semble  bien  plutôt  une  déclama- 
tion philosophique  contre  le  théâtre  ancien 
que  le  prologue  d'une  pièce  représentée  au 
vu*  siècle.  (Cf.,  Orig.  la  t.  du  th.  rnod.; 
Paris,  1849,  in-8°,  p.  21.) 

ENVYE,    ESTAT  ET   S1MPLESSE.   - 
Envye ,  Estât  et  Simplesse,  moralité  à  trois 
personnages  ,  c'est  à  scauoir  : 


ENVYE, 
ESTAT  , 


F.TjSIMl'LESSE. 


Celte  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Francisque  Michel,   dans  leur 

(914)  Celle  entrée,  comme  on  peut  en  juger  aisé 
ment,  fui  Tune  des  mieux  entendues,  et  des  mieux 
exécutées.  Oulre  que  le  goût  s'éïait  beaucoup  épuré, 
c'est  qu'on  avait  encore  eu  le  soin  de  faire  choix  des 
plus  habiles  gens  de  ce  temps,  et  nous  apprenons  par 
les  registres  de  l'hôtel  de  ville,  que  les  maîtres  de 
la  Passion  de  la  Trinité,  les  maures  de  la  Trinité  en 
l'église  des  Saints-Innocents,  les  maîtres  des  mystè- 
res, maitie  Jean  du  Po:ii  A  lais,  Mcssirc  Mathéc  et 
ses  compagnons   décorateurs  et  peintres  italiens  y 

Diction n.  des  Myst.Ves. 


Recueil  de  farces  (Paris ,  Téchener,  1831- 
1837,  4  vol.,  petit  in-8'j ,  d'après  le  manus- 
crit du  xvie  siècle  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale (fonds  La  Vallière,  n°  63). 

SI  MM. ESSE. 

nmbiemenl  à  tous  je  surviens; 
bslat,  escoute  ma  parole  : 
Iamais  Lnuye  ne  valut  riens  ; 
Tous  ses  dis  ne  sont  que  friuole; 
El  court  et  voile 
Pour  tous  decepuoir... 

ERBERIE  RUSTEBUEF  (L').  —  Voyez 
Herberie  de  Rutebeuf  (L'). 

ESMORÊE.  —  Une  traduction  d'Esmorée 
a  été  publiée  sous  ce  litre  :  Le  jeu  d'Esmo- 
rée,  fils  du  roi  de  Sicile,  drame  du  xin*  siècle, 
traduit  du  flamand  (915) ,  parE.-P.  Serrure  , 
Gand,  imprimerie  de  D.  Duvivier  fils,  1835, 
in-8%  de  35  pages,  plus  un  feuillet  de  titre. 

M.  Magnin  a  cité  ce  drame  sous  la  même 
date  du  xin*  siècle,  dans  son  cours  à  la  Fa- 
culté des  lettres.  (Cf.,  Journ,gén.  del'instr. 
publ.,  1836,  14janv.,  p.  172.) 

M.  Edelesland  Duméril  traite  VEsmorée 
de  pièce  purement  littéraire  ;  il  en  déprise 
l'influence  sur  le  temps  où  elle  parut.  (Cf. 
Orig.  lat.  du  th.mod.;  Paris,  1849,  in-8" , 
p.  36.) 

ÉTÉ  ET  L'HIVER  (L).  —  Voy.  Prin- 
temps et  l'Hiver  (Le). 

ÈTHOPEE  DRAMATIQUE  (L).— M.  Ma- 
gnin cite,  sous  la  date  de  1341 ,  en  Orient , 
VEthopée  dramatique,  dialogue  entre  la 
liaison  et  Phile,  sur  les  vertus  de  Jean  Can- 
lacuzène  qui ,  en  1346 ,  usurpa  l'empire. 
L'Ethopée  est  du  poète  Phile,  et  paraît  com- 
posée pour  quelque  fête  de  patois.  (  Cf., 
Journ.  gén.  de  l'inst.  publ.,  1836,  3  janvier, 
p.  150.) 

EXTRAVAGANT  (L).— Ausone(Ep.  11), 
cite  en  ces  termes  VExtravagant  d'Axius  Pau- 
lus  :  «  Delirus  tuus  in  retenui  non  tenuiter 
laboratus  :  ton  Extravagant,  qui,  malgré  la 
légèreté  du  sujet,  n'est  pas  une  œuvre  lé- 
gère... » 

On  s'est  accordé  à  voir  dans  ces  mots  la 
mention  d'une  comédie,  la  lettre  d'Ausone 
remémorant  plus  bas  les  planipèdes,  les  mi- 
mes ,  les  comédiens  et  les  histrions  ,  et  une 
autre  lettre  au  même  Paulus  parlant  de  co- 
médies. 

Axius  Paulus  était  Gaulois  et  vivait  au 
iv'  siècle. 

M.  Edeiestand  Duméril  est  d'avis  que 
VExtravagant ,  malgré  sa  forme  dialoguée, 
n'était  certainement  qu'un  mime.  (Cf.,  Ori- 
gines  latines  du  théâtre  moderne;  Paris,  1849, 
in-8°,  p.  13). 

furent  employés.  (Cérémonial  français,  p.  181.) 

(915) Cf.  pour  le  vieux  ihéâtre  allemand:  1°  Hoff- 
man  von  Fallersleben  ,  Altniederlaendisclie  Schau- 
buelme.  A  bêle  Speleii  ande  Sotlernien.  Ilerausgege- 
ben;  Bresluu,  1838,  in-8°.  —  2°  Du  même  auteur, 
Ilorœ  Belgicœ  (parsquinta)  ;  Een  Spel  van  Lanstoot 
van  Dencmerken  ende  die  scone  sanilrijn. — 3°  Mone, 
iebeniclit  der  ISiederlaendischen  Volks-Lileratur 
aellerer  Ze.il  ;  Tubingen,  1838,  gr.  in-8",  p.  351-368. 

44 


1 3dV 


FAK 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


FFH 


r.ss 


FANFRELUCHE  ET  G AUDICflON.  -Il  a 

été  donné ,  au  xvr  siècle  ,  une  édition  de 
Fanfreluche,  sous  ce  litre  :  La  tragi-comédie 
plaisante  et  facétieuse,  intitulée  la  Subtilité 
de  Fanfreluche  et  Gaudichon;  Rouen,  Abr. 
Gousturier.  M.  de  Montaran  a  réimprimé 
cette  farce.  —  Voy.  Collection  Caron  et 
Recueil  de  livrets  ,  par  M,  de  Montaran. 
FARCE  JOYEUSE  ET  PROFITABLE  A 

UN  Cil  ASC  UN ',  CONTENANT  LA  RUSE...  d'auS- 
CUNES  FEMMES. —  Foj/.RUSE  DES   FEMMES  (La). 

FARCES.  -  Dans  le  tome  III  de  \eur  His- 
toire du  théâtre  français  (p.  163),  les  frères 
Parfait  font  sur  les  Farces  les  réflexions 
suivantes  : 

L'invention  des  farces  leur  paraît  posté- 
rieure à  eelle  des  mystères  et  des  moralités. 
«  0n  ne  peut  disconvenir,  disent-ils,  que 
les  auteurs  de  ce  spectacle  n"aient  plus  ap- 
proché que  les  autres  du  vrai  comique  : 
ajoutez  qu'on  ne  saurait  les  accuser  d'être 
plagiaires  et  d'avoir  pillé  les  poètes  grecs 
et  latins,  qu'ils  ignoraient  parfaitement  ;  on 
doit  leur  accorder  la  gloire  de  n'avoir  fait 
que  suivre  leur  propre  génie  ,  qui ,  sans  le 
secours  de  la  science  ni  des  modèles,  les  a 
portés  à  composer  un  nouveau  genre  de  co- 
médie, inconnu  jusqu'alors  ,  et  dont  il  est 
certain  que  l'invention  est  due  à  nos  an- 
ciens poêles  français.  Il  est  aussi  constant 
que  c'est  sur  ces  "anciennes  farces  (916),  et 
en  quelque  sorte  pour  nous  en  dédommager 
sans  qu'on  doive  les  regretter,  que  les  poètes 
du  dernier  siècle  ont  composé  des  petites 
pièces  d'un  acte, 

«  Il  n'est  pas  aisé  de  marquer  au  juste  en 
quel  temps  ce  genre  de  poésie  parut  pour 
la  première  fois;  et  s'il  est  difficile  de  fixer 
l'époquedes  mystèresetdes  moralités,  il  l'est 
encore  pius  d'établir  celles  des  farces  ,  dont 
nous  n'avons  connaissance  que  vers  la  fin 
du  xv' siècle  Les  auteurs  qui  travaillaient 
alors  pour  le  théâtre  composaient  des  piè- 
ces qui  souvent  n'étaient  pas  données  au 
public,  ou  n'étaient  représentées  quo  long- 
temps après  par  les  confrères  de  la  Passion, 
les  Enfants  sans  souci,  les  Histrions  (917) 
ou  les  Clercs  de  la  Bazoche,  quoique  ces 
derniers  donnassent  leur  spectacle  moins 
communément  que  les  autres. 

«  Pour  revenir  aux  farces,  elles  furent, 
comme  on  le  vient  de  dire,  jouées  par  les 
Enfants  sans  souci    qui  s'en  servaient  pour 

(916)  <  Or  n  a  tarce  qu'un  acte  de  comédie,  ei  la 
plus  courte  est  esliuiéela  meilleure,  alin  deviier  l'en- 
nui, qu'une  prolixité  et  longueur,  apporteroienl  aux 
spectateurs.  Car,  comme  dit  Gralian  Du  Pont,  en  son 
Art  de  Rhétorique.  Quand  farces  ou  sottises  passent 
cinq  cens  vers,  c'est  trop.  »  (Du  Verdier,  Bibliothè- 
que française,  pag.  427.) 

(917)  Duvcrdier,  page  427  de  sa  Bibliothèque  fran- 
çaise, a  confondu  mal  à  propros  les  Enfants  sans 
souci  avec  les  Histrions,  puisque  ces  derniers  n'é- 
laie-iu  autres  que  des  comédiens  de  province,  qui 
parurent  quelquefois  à  Paris,  sur  la  fin  du  xvi* 
siècle ,  ei  s'y  établirent  enfin  à  l'Ilote!  de  Bourgogne... 


terminer  leurs  jeux.  Duverdier  nous  assure 
que  de  son  temps  il  était  difficile  de  donner 
un  catalogue  des  farces,  dont  le  nombre 
était  d'autant  plus  grand  qu'une  infinité  de 
personnes  s'étaient  mêlées  d'en  composer. 
Cependant,  aujourd'hui  elles  sont  très-rares. 
II  y  a  apparence  que  le  peu  de  cas  qu'on  en 
faisait,  avec  assez  de  raison,  et  le  peu  de 
goût  des  siècles  précédents  sont  cause  qu'on 
en  voit  si  peu. 

«  Nous  venons  de  dire  que  les  anciennes 
farces  ont  donné  lieu  aux  comédies  d'un 
acte:  ajoutons  à  cela  qu'elles  furent  très- 
longtemps  à  la  mode  et  même  très-avant 
dans  le  dernier  siècle...  Terminons  ce  dis- 
cours par  un  passage  de  La  Porte,  pris  de 
son  Livre  des  Epithètes.  Voici  celles  qu'il 
joint  au  mot  Farce  :  joyeuse,  histrioni- 
que  (918),  fabuleuse,  enfarinée  (919),  morale, 
récréative,  facétieuse,  badine,  française  (920), 
nouvelle  (921).  » 

FECISTI  (Frère).  — On  connaît  une 
édition  de  la  fin  du  xvr  siècle  de  Frère 
Fecisli,  intitulée  :  La  Comédie  facétieuse  et 
très  plaisante  du  Voyage,  de  Frère  Fecisli  en 
Provence,  vers  Nostradamus,  pour  sauoir 
certaines  nouuelles  des  clefs  de  Paradis  et 
d'Enfer  que  le  Pape  auait  perdues  ;  Nismcs, 
1599. 

M.  de  Montaran  a  réimprimé  Fecisli. — 
Voy.  Collection  Caron  et  Rkcueil  de  li- 
vrets,  par  M.  de  Montaran. 

FEMME  ET  LE  BADIN  (La).  -  La  femme 
et  le  badin  farce  nouuelle  à  v.  personnages^ 
c'est  a  scauoir  : 


LA  FEMME  , 
LE   BADIN, 
SON  MARY, 


LE  PREMIER  VOUESIN 

ET    LE   DEUXIÈME  VOUESIN. 


Cette  pièce,  dont  l'extrême  licence  et  la 
trivialité  nous  interdisent  toute  citation,  est 
conservée  dans  le  manuscrit  du  xvr  sièelo 
de  la Ribliothèque  impériale  (fonds  La  Val- 
Hère,  n°  63)  ;  MM.  Leroux  de  Liney  et  Fr. 
Michel  l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de 
Farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837,  4  vol. 
petit   in-8°). 

FEMMES  QUI  AT  MENT  MIEULX.... 
(Les).  —  Voy.  Folconduit. 

FEMME  QUI  DEMANDE...  (La).  —  la 
femme  qui  demande,  etc.,  est  d'une  telle  li- 
cence de  langage  qu'il  est  impossible  de  rien 
citer  de  cette  farce  immorale.  Réimprimé* 

(918)  Cet  adjectif  est  donné  à  cause  de  i  espèce 
de  comédiens  qui  les  représentaient,  et  qu'o;i  ap- 
pelait vulgairement  histrions. 

(919)  Les  acteurs  qui  jouaient  les  farces  avaient 
coutume  de  se  frotier  le  visage  de  farine. 

(920)  Les  épithèles  de  morale,  etc.  font  assez  con- 
naître le  but  de  ces  ouvrages  :  à  l'égard  de  celle  de 
française ,  elle  lui  a  été  donnée  à  cause  de  la  nation 
à  qui  elle  doit  son  invention. 

(921)  Cet  adjectif  se  donnait  assez  ordinairement 
aux  farces.  Voyez  plus  haut  les  litres  de  celles  des 
Deux  Savetiers ,  et  de  la  Cornette. 


1389 


FEM 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIHRC. 


FIL 


13.10 


à  Paris,  en  1612,  chez  Nicolas  Roussel,  elle 
l'a  été  de  nouveau  dans  la  Collection 'Caron. 
—  Yoy.  Coll.  Caron  et  Recueil  de  Roussel. 

FEMMES  SALEES  (Les  ). —Celle  pièce 
a  été  examinée  par  les  frères  Parfait,  sous 
la  date  de  1558,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
français  (  t.  111,  p.  305)  ;   ils  en  ont  dit  : 

«  Cette  farce,  qui  est  imprimée  en  carac- 
tères gothiques,  nous  a  semblé  être  du  nom- 
bre de  celles  que  les  Enfants  sans  souci 
jouaient  sur  les  échafauds,  en  certains  en- 
droits de  la  ville  de  Paris  (922). 

«  Marceau,  qui  a  épousé  une  femme  qu'il 
Irouve  trop  douce,  en  porte  sa  plainte  à  son 
ami  Julien,  qui  se  trouve  dans  le  même  cas. 
Ces  époux  cherchent  un  moyen  pour  corri- 
ger ce  défaut. 

MARCEAU. 

Tout  de  ce  pas  nous  en  irons 
A  maistre  Macé,  lequel  est 
Grand  philosophe,  s'il  luy  plaist, 
Aigres  les  fera  toutes  deux. 

Julien  applaudit  au  conseil  et  sort  avec 
Marceau.  Arrive  Maître  Macé,  qui,  dans  un 
court  monologue,  dit  que  toute  sa  magie 
consiste  à  tromper  les'dupesqui  s'adressent 
à  lui,  et  que  par  ce  moyen 

II  a  force  argent  amassé. 

«  Marceau  et  Julien  viennent  exposer  à 
Maître  Macé  le  chagrin  qu'ils  ont  d'avoir  des 
femmes  trop  douces. 

M'    MACÈ. 

Il  les  faut  saller  seulement. 

JULIEN. 

Saller?  Que  dic(es-vous?  Comment 
Seroient-elles  aigres  à  ce  point? 

M»    MACÉ. 

Qui  leur  bailleroit  sel  à  point, 
On  les  amanderoit  vrayment. 
Sçavez-vous  par  certainement 
Que  quand  les  vivres  sont  trop  doux, 
Soit  en  chair,  potage  ou  choux  , 
H  les  faut  saller  bravement. 

MARCEAU. 

Or  ça,  les  sçauriez-vous  saller. 
Qui  bon  argent  vous  donneroit? 

M«      MACÉ. 

Amenez-les-moy,  amenez. 

«  Les  deux  maris  donnent  une  pistole  à 
Maîlro  Macé  et  vont  chercher  leurs  femmes, 
et  après  l?s  avoir  présentées  au  docteur, 
ils  les  laissent  avec  lui.  Maître  Macé,  après 
s'être  moqué  :1e  Marceau  et  de  Julien,  con- 
seille à  leurs  femmes  de  n'être  plus  si  dou- 
ces avec  eux  et  de  se  rendre  les  maîtresses. 
Les  femmes  promettent  de  suivre  son  avis. 

MARCEAU. 

Voicy  ta  femme,  avec  la  mienne 
Qui  reviennent  drues ,  et  saines. 

(92"2)  Quoique  nous  ayons  cru  devoir  donner  à 
ecit«  farce  le  liire  des  Femmes  sallées,  comme  celui 
qui  nous  a  paru  y  convenir,  cependant  le  titre  qui 
est  à  la  première  page  porte  simplement:  Discours 
Facétieux  des  Hommes  qui  fanl  suller  leurs  femmes  à 
cause  quelles  sont  trop  douces  ,  lequel  jeu  se  joue  à 


gillette  ,  femme  de  Marceau. 

Sont  vos  fortes  fièvres  quarlaines, 
Vilains  et  gaudisseurs  infâmes  : 
Faites-vous  donc  saller  vos  femmes 
Pouiyacquérii'  un  déshonneur. 

Françoise,  femme  de  Julien. 

Malheureux!  esles-vous  sans  cœur! 
Estes-vous  sans  entendement, 
De  nous  bailler  vilainement 
Comme  des  tripes  à  saller. 

«  Gillette  et  Françoise  battent  leurs  maris 
et  s'en  vont,  en  les  menaçant  de  recommen- 
cer de  temps  en  temps. 

MARCEAU. 

Je  suis  de  ce  coup  mal  conteRt. 
Le  Diable  emporte  le  sallage. 

«  Marceau  et  Julien  courent  chez  le  doc- 
teur Macé  et  lui  rendent  compte  de  l'effet 
de  son  remède  et  en  demander.!  i.r.  autre. 

MACÉ. 

Les  douces  je  sçai  bien  saller, 
Mais  louchant  de  dessaller  point. 

MARCEAU. 

Le  Diable  vous  en  fit  inesler. 

JULIEN. 

Nous  voici  donc  en  piteux  point. 
Or  bien ,  il  nous  faut  endurer, 
Sans  aucunement  murmurer. 
Ainsi  celui  ne  se  contente 
D'une  femme  douce  et  plaisanle, 
Qui  faicl  un  bonneste  devoir, 
Mérite  (comme  vous  avez  peu  voirj 
D'en  avoir  une  iort'fasctieuse, 
Mal  plaisant*  et  mal  gracieuse  : 
Et  vous  en  veuille  souvenir.  * 
Adieu  ,  jusqu'au  revenir. 

FEMME  VEUVE  (La).  —  La  femmeveme, 
farce  dniï.  personnages,  c'est  à  scauoir : 

robinet  ,  badin.  et  l'oncle  michact,  onett 

la  femme  vefue  ,  de  llobinel. 

la  commère  , 

Cf.  le  manuscrit  du  xvr  siècle  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  (fonds  La  Vallière  , 
n°63);  et  le  Recueil  de  farces  publié  par 
M.M.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  (Paris, 
Téchener,  1831-1837,  4  vol.  pet.  in-8°). 

FESNE  (  La  soeur  ).  —  Yoy.  Soeur  Fesne 
(La). 

FEUILLEE.  FUELLIE  (Li  jus  de  la). 
—  Voy.  Adan  (Lijus). 

FILLES  ET  LES  DEUX  MARIÉES  {Les 
deux).  —  La  Comédie  des  deux  filles  et  des 
deux  mariées  .a  été  analysée  par  les  frères 
Parfait  {Hist.  dulh.fr.,  t.  111,  p.  196),  sous 
la  date  de  1344. 

PERSONNAGES  : 


LA  vieille, 
le  vieillard, 
quatre  jeunes  hommes. 


LA  lr"  FILLE. 

LA  II»  FILLE. 

LA  1"  FEMME  MARIÉE. 

LA  11*  FEMME    MARIÉE. 

«  Deux  jeunes  filles,  dont  la  première   ne 

cinq  personnages.  A  Rouen,  chez  AhFaham  Cousle- 
lier,  libraire,  tenant  sa  boutique  près  la  Grand' 
Porte  du  Palais  ,  au  Sacrifice  d1 Abraham.  —  Cette 
pièce  a  été  réimprimée  en  1850,  à  Paris  chez.  S:!- 
vestre;  on  en  a  lire  seulement  42ex.5  surpayiez  le 
Hollande,  papier  de  Chine  el  vélin. 


■1591 


FIL 


MCnONNAlUL  Di:S  MYSTERES. 


FOL 


1592 


veut  point  aimer  et  1  autre  a  un  amant,  pa- 
raissent sur  le  théâtre,  chacune  d'elles  sou- 
tenant que  sa  situation  est  préférable  à  celle 
<le  l'autre.  Arrivent  deux  femmes  mariées, 
dont  la  première  est  aimée  par  un  jeune 
homme.  Quoiqu'elle  ne  réponde  point  à  son 
amour,  elle  ne  laisse  pas  d'éprouver  l'hu- 
meur jalouse  de  son  mari.  La  seconde  aime 
son  mari  uniquement;  mais  par  malheur 
pour  elle  l'inlidélilé  de  cet  époux  la  jette 
dans  le  désespoir.  Pendant  que  ces  deux 
femmes  se  racontent  leurs  peines  mutuelles, 
les  jeunes  tilles  s'approchent  pour  apprendre 
le  sujet  de  leurs  larmes.  Sur  ces  entrefaites, 
paraît  une  vieille,  âgée  de  cent  ans,  dont 
elle  en  a  passé  vingt  dans  le  célibat,  autant 
dans  l'état  du  mariage  et  soixante  depuis  la 
mort  de  son  époux.  Les  quatre  personnes 
ci-dessus  vont  l'aborder  et  la  prient  de  leur 
donner  conseil  sur  leur  situation. 

«  La  vieille,  après  les  avoir  écoutées  très- 
attentivement ,  dit  à  la  première  mariée 
qu'elle  prenne  patience,  que  le  temps  eff.i- 
cera  la  jalousie  île  l'esprit  de  son  mari;  mais 
qu'au  cas  qu'elle  ne  puissepas  attendre  l'eff.  t 
du  temps,  elle  lui  conseille  d'écouler  plus 
favorablement  son  amant.  Elle  excite  la  se- 
condée prendre  exemple  sur  son  infidèle  et 
à  se  dédommager  avec  un  amant  du  mépris 
qu'elle  reçoit.  A  l'égard  des  deux  tilles,  elle 
prédit  à  là  dédaigneuse  qu'un  jour  l'amour 
se  vengera  de  ses  froideurs,  et  dit  à  la  se- 
conde qu'elle  doit  s'attendro  à  perdre  son 
amant  et  à  souffrir  un  tourment  d'autant 
plus  insupportable,  qu'il  surpassera  le  plai- 
sir passé.  Ces  quatre  personnes  ne  voulant 
point  ajouter  foi  à  ces  prédictions,  traitent 
la  vieille  de  folle.  Un  vieillard  s'approche 
pour  tâcher   de  leur  faire  entendre  raison. 

LE  VIEILLARD 

Dames,  si  je  ne  suis  deceu , 
Trop  grandement  vous  fourvoyez  , 
Dont  cesle  daine  ne  croyez. 

«  Comme  la  dispute  s'échauffe,  qualre 
jeunes  hommes  attirés  par  le  bruit  viennent 
offrir  leurs  services  pour  Je  faire  cesser. 

LE  I"  HOMME. 

Que  veult  ce  vieillard  à  ces  dames? 
Qu'il  est  caduc  ,  et  defailly  ! 

LE   11*   HOMME. 

Pensez  qu'il  veult  sauver  leurs  âmes 
Sam  que  de  nous  soit  assailly? 

LE   IIIe    HOMME. 

Pas  n'aurons  le  cueur  si  failly 
Que  d'un  vieillard  pousser  et  battre 

LE  IVe   HOMME. 

Menons-les  danser  toules  qualre 
Et  vous  les  verrez  bien  lencer. 

LE    VIEILLARD. 

Tenccr?  Mon,  mais  bien  vous  combattre, 
Ma  vieille,  et  moy  de  bien  danser...» 

FUS  ET  V EX AMYNATEUR  (Le).  —  Le 

fiU  et  Vexamxjnateur,  farce  noinic lie  à  m.  per- 
sonnages, c'est  a  scauoir  : 


la  mère  ,  preslre, 

le  filz  ,  lequel  veult  estre    et  l'examynatelr. 

Cette  farce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincv  et  Fr.  Michel,  dans  leur  Recueil  de 
farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837,  4  vol. 
pet.  in-8"),  d'après  le  manuscrit  du  xvie 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds 
La  Y'allière,  n°  63). 

FILS  SANS  PÈRE  (Les).  — les  frères 
Parfait  ont  donné,  sous  la  date  de  1500,  la 
note  suivante,  d'après  Borel  : 

Farce  des  fils  sans  père,  et  de  Colin  changé  au 
moulin. 

«  Nous  ne  connaissons  que  le  titre  de  celte 
farce,  dont  Borel  dit  avoir  fait  usage,  lors- 
qu'il composa  son  Trésor,  Recherches  et  An- 
tiquités gauloises  et  françoises.  Nous  lui  au- 
rions pins  d'obligation  s'il  nous  avait  Fait 
connaître  plus  particulièrement  un  ouvrage 
dont  le  litre  seul  excite  la  curiosité  et  semble 
promettre  une  intrigue  des  plus  divertis- 
santes. » 

FLAURA. — De  Roquefort  mentionne  la 
tragédie  de  Flaura  comme  appartenant  à 
Guillaume  de  Blois.  (Cf.  De  l'état  de  la  poé- 
sie fr.  dans  les  xn'  et  xin'  siècles;  Paris,  Four- 
nier,  1815,  in-8°,  p.  257.  ) 

M.  l'abbé  de  Larue  croit  que  Flaura  fut 
écrite  en  latin;  mais  celle  prétendue  tragé- 
die n'était  peut-êlre  qu'un  récit,  comme  la 
Divine  comédie  du  Dante.  (Cf.  Essais  hist. 
sur  les  bardes,  les  jongl.  et  les  tr.  norm.  et 
anglo  norm.;  Caen,  Mancel,  183'*,  in-8", 
t.  1er,  p.  186-187.) 

Selon  M.  Magnin,  la  tragédie  perdue  de 
Flaura  et  Marco  ,  par  Guillaume  de  Blois  , 
serait  l'un  des  produits  de  la  renaissance 
littéraire,  de  la  littérature  érudite  du  xn* 
siècle  ;  il  lui  semble  douteux  que  cette  pièce 
ait  été  représentée,  sauf  peul-être  dans  les 
universités.  (  Cf.  Journ.  gén.  de.l'instr.  publ.. 
1835,  29  nov.,  p.  67.) 

FOL   ET  DU  SAGE   (Dialogue  du).— 

Le  Dialogue  du  Fol  et  du  Sage,  imprimé  d'a- 
bord au  xvie  siècle,  à  Paris,  chez  Simon  Ca- 
luarin,  sans  date,  a  été  réimprimé  diverses 
fois:  1°  Pour  la  Société  des  Bibliophiles 
français,  chez  F.  Didot,  en  1829,  gr.  in-8°, 
de  »l  pages,  plus  trois  pages  contenant 
une  addition;  cette  publication  a  élé  diri- 
gée par  M.  Mommerqué.  —  2°  En  1833,  à 
Paris,  chez  Silvestre,  petit  in-8°  ;  il  a  été 
tiré  quarante  exemplaires  seulement  de 
cette  copie  figurée,  dont  dix  sur  papier  de 
Hollande  et  quatre  sur  papier  de  Chine. 

Cette  pièce  ne  remonte  très-probablement 
pas  au  delà  des  dernières  années  du  xv' 
siècle. 

FOLCONDUIT.  —  On  trouve  dans  le  Re- 
cueil de  Roussel,  de  1612,  la  farce  suivante, 
en  vers,  malheureusement  mise  «  en  meil- 
leur langage  qu'auparavant.  » 

La  farce  nouuelle  des  femmes  qui  aymeni 
mieulx  suiure  et  croire  Folconduit  et  vivre 
à  leur  plaisir  que  d'apprendre  aucune  bonne 
science,  à  iv  personnages;  c'est  à  scauoir  : 


1395 


CAL 


OTIΠ SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


GAU 


1394 


LE  MA1STRE  , 
TOLCONDUIT, 


PROMPTITUDE, 

ET  TARDIVE  A   BIEN  FAIRE. 


Foiconduit  commence  par  ces  vers  : 


LE  MAISTRE. 


le  tiens  icy  le  grand  collège 
D'humaine  et  diurne  science 

celle  fin  que  ie  soulage 
Par  mon  scauoir  la  conscience... 


Voy.  Collection  Caron  et  Recueil  de 
Roussel. 

FORTUNE  (  Le  jeu  de  la  ).  —  M  Edcles- 
fand  Duméril  a  mentionné,  sous  la  date  de 
l'an  1506,  le  Jeu  de  la  Fortune.  (CL  Orig. 
lat.  du  théâtr.  mod.;  Paris,  18i9,  )'n-8°, 
p.  56.) 

FRERE  PHILIBERT.  —  Voy.  Philibert 
(Frère\ 


G 


GALANT  (Le).  —Il  a  été  donné  au  xvn* 
siècle  une  édition  du  Galant  sous  ce  titre  : 
Farce  ioyeuse  et  récréation  du  Galant  qui  a 
faict  le  coup.  A  quatre  personnages  ;  à  Paris, 
1G10.  De  25  pages  plus  deux  contenant  une 
chanson  nouuelle. 

G  AL  ANS  ET  SANCTE  (Les  deux).  —  Les 
deulx  Gallans  et  une  femme  qui  se  nomme 
Sancte,  farce  à  m. personnages,  c'est  à  scauoir: 

DEULX   GALLANS, 

ET  UNE   FEMME  qui  Se  nomme  SANCTE. 

Ce  petit  dialogue  a  été  édité  par  MM.  Le- 
roux de  Lincy  et  Francisque  Michel ,  d'a- 
près le  manuscrit  du  xvi*  siècle  de  la  Biblio- 
thèque impériale  (fonds  La  Vall. ,  n°  63) , 
dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris,  Téche- 
ner,  1831-1837  .  i  vol.  pet.  in-8°). 

LE  DEUXIÈME   GALLANT. 

Nous  désirons  une  aléance 
Pour  auoir  suporl  et  amys. 
Alïin  que  le  bon  roy  de  France 
Congnoise  tous  ses  bons  amys. 

LA   FEMME. 

Je  prie  a  Dieu  de  Paradis 
Que  toute  guerre  soil  finée 
Marchans  seront  en  ioie  remys, 
De  quoy  ie  seray  consolée... 

GALANTS  (Les  trois)  ET  UN  BADIN.  — 
j^es  troys  Galans,  farce  nouuelle  à  mi.  person- 
nages ,  c'est  a  scauoir  • 


LE  PREMIER  GALANT 
LE  DEUXIÈME       id. 


LE  TROISIÈME  GALANT, 
ET  UN  BADIN. 


Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manu- 
scrit du  xvi*  siècle  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale (fonds  La  Vallière,  n°  63);  MM.  Le- 
roux de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont  éditée 
dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris,  Téche- 
ner  ,  1831-1837  ,  i  vol.  pet.  in  8°). 

le  badin  «  rivé  qu'il  était  pape 

Ouy,  par  ma  foy,  ie  Fay  esté.. 
Car  i'ai  faict  faire  rasemblee 
Des  princes  cresiiens  que  menoye 
Sur  les  Turs... 

De  Pape  il  est  devenu,  dans  un  autre 
songe  ,  Dieu  lui-môme  ,  et  il  réforme  l'uni- 
vers ,  au  grand  contentement  de  ceux  qui 
l'écoutent ,  jusqu'à  ce  que,  se  moquant  de 
lui  môme  ,  il  déclare  qu'il  faut  être  un  sot 
pour  rôver  l'impossible. 

GALANS  ,  LE  MONDE  ET  L'ORDRE 
(  Les  trois  ).  —  Les  trois  Gallans  ,  farce 
ioyeuse  à  v.   personnages  ,  c'est  à  scauoir  : 

TROIS    GALLANS,  ET  ORDRE. 

LE  MONDE  Q'o.n  FAICT  PAISTRE  , 


MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel ont  édité  cette  farce  dans  leur  Recueil 
de  Farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837,  4 
vol.  pet.  in-8°) ,  d'après  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
n°  63) ,  datant  du  xvi*  siècle. 

Les  Galans  abusent  du  Monde ,  mais  Y  Or- 
dre vient  à  son  secours  : 

ORDRE. 

...  le  me  faiclz  Ordre  nommer  : 
Que  ceulx  qui  me  veulent  aymer 
le  maine  a  règle  et  a  compas. 

LE    PREMIER   GALANT. 

Ordre,  ie  ne  vous  cognoys  pas. 

ORDRE. 

e  vous  en  croys  sans  en  iurer.. 

GALANTS  (Les  trois)  ET  PHLIPOT.  — 
Les  troys  Gallans  et  Phlipot ,  farce  ioyeuse  a 
iv.  personnages  ,  c'est  a  scauoir  : 


TROIS  GALLANS 


ET  TIILIPOT. 


Cette  farce  est  conservée  dans  le  manu- 
scrit de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds 
La  Vallière  ,  n°  63) ,  datant  du  xvi'  siècle  ; 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris  , 
Téchener  ,  1831-1837  ,  h  vol.  pet.  in-8"). 

Nous  relevons  dans  Les  troys  Gallans  t* 
Phlipot  ce  passage  curieux  : 

LE    TROISIÈME    (GALANT). 

Au  quel  métier  as-tu  ciedicl?... 

PHLIPOT. 

le  vouldroys  bien  eslre  le  Roy  : 
C'est  un  mestier  qui  est  bonuesle 
le  le  vouldroys  bien. 

LE  DEUXIÈME 

Y  n'est  pas  beste. 

PHLIPOT. 

C'est  le  plus  beau  desus  la  terre. ! 
Mais  quant  a  mestier  de  guerre... 
le  n'en  vouldroys  point. 

GAULE  (La).  —  Le  manuscrit  de  >a  Bi- 
bliothèque impériale,  n°  7218,  2,  in-folio 
parvo  ,  fonds  de  Mesmes  ,  n°  563  ,  et  datant 
du  xvi' siècle ,  contient  une  Tragicomédie 
en  cinq  actes  de  la  gaule  obtenant  du  jeune 
roi  Charles  IX  la  fin  de  ses  misères.  L'auteur 
de  cette  pièce  qui  date  des  premières  années 
du  règne  de  Charles IX  (vers  1560),  et  qui 
fut  représentée  ,  est  resté  inconnu.  (Cf. 
Paulin  Paris  ,  les  Manuscrits  françois  de  la 
Bibliothèque  du  Roi;  Paris,  1836-18'«8  ;  1 
vol.  in-8°    t.  VI  ,  18'i7,  p.  V16.) 


«395 


G  EN 


DICTIONNAIRE  DES  Ml  STERES. 


GAULTIER- G ARGU1LLE.    —   Il   existe 

une  édition  du  xvi*  siècle  de  La  farce  de  la 
Querelle  de  Gaultier-Garguille  et  de  Perrine 
sa  femme,  avec  la -sentence  de  séparation 
entre  eux  ,  rendue  (à  Vaugirard  ,  par  Acion , 
à  l'enseigne  des  Trois-Raues)  ;  le  livret  en 
prose  n'a  que  16  pages. 

Une  réimpression  a  été  exécutée  à  la  fin 
du  xvme  siècle  par  les  soins  de  Caron.  — 
(Voy.  Collection  Caron.) 

GENTILSHOMMES  ET  LE  MEUNIER 
(Les  deux).  —  La  farce  nouuelle  a  vi.  person- 
nages, c'est  ascauoir  : 


G  ET 


LE  GENTILHOMME. 


131)6 


DEULX  GENTILSHOMMES, 
LE  MOUNÏER, 
LA  MOUNYERE, 


et   LES  DEUX  FEMMES  DES 
DEULX  GENT1LZ  HOMMES, 

ubillees  en  damoyselles. 


Pièce  éditée  d'après  le  manuscrit  du  xvr 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds 
La  Vallière,  n°  63),  dans  le  Recueil  de  Farces 
(Paris,  Téchener,  1831-1837,  k  vol.  pet. 
in-8°)  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Mi- 
chel. 

Le  meunier  et  la  meunière  s'entendent 
pour  emprunter  de  l'argent  aux  gentils- 
hommes amoureux,  qui  le  prêtent  en  effet  , 
souspromessed'obtenirleurs  vœuxdela  b o 1 1  e ; 
ïuais  le  meunier  veille  :  il  envoie  quérir  les 
femmes  des  gentilshommes  et  en  obtient,  au 
nez  des  séducteurs,  des  faveurs  dernières  dont 
ceux-ci  n'osent  faire  de  bruit,  de  crainte  que 
leur  propre  mauvaise  intentionné  soit  connue. 
Ils  sont  pris  cependant  par  le  fin  meunier, 
et,  pour  échapper  à  ses  mains-,  y  laissent 
les  quittances  de  leurs  créances.  Cette  pièce 
immorale  au  fond  ,  dans  les  détails,  dans 
les  expressions ,  se  termine  par  ces  mots  : 

LE   MOUNÏER. 

le  prens  conge  de  l'assislence 
Sy  peu  que  mon  sauoir  contient 
El  diclz  pour  louie  récompense  : 
Qu'a  trompeur  iromperye  luy  vient. 

GENTILHOMME  ET  SON  PAGE.  (Le)-- 

La  farce  ioyeuse  a  n.  personnages,  c'est 
tcauoir  : 

UNG  GENTILHOMME  , 

son  page  lequel  deuyent  laques  (devient  laquais). 

est  conservée  dans  le  manuscrit  du  xvr  siècle 
de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vall. , 
n°  63) ,  éditée  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Francisque  Michel  {Recueil  de  farces,  mora 
lilés  ,  sermons  joyeux,  etc..  Paris,  Téche- 
ner, 1831-1837  ,  petit  in-8° ,  k  vol.). 

le  gentilhomme  commence. 
Mon  page  ! 

le  page. 
Qui  fut  et  qui  n'est  plus. 

LE  GENTILHOMME. 

Pour  quoy? 

LE   PAGE. 

Je  veulx  changer  de  maistre. 

LE    GENTILHOMME. 

La  raison? 

LE  PAGE. 

\ous  estes  reclus... 


M'a  lu  pas  veu  porter  l'oyseau 
El  lenir  train  de  gentillesse? 

LE  PAGE. 

Oui  dea  ï  par  hardiesse 

Mais  c'eslouenl  poules  desrobes... 

LE  GENTILHOMME. 

Tu  scays  bien  que  lu  es  a  mesnie 
De  loul  mon  bien  d'or  el  d'argent... 

LE    PAGE. 

Vous  n'aves  iumens  ne  cheuaus 
Ny  nabis  qui  ne  souent  en  gige. 
Voire  chemise  est  de  louage, 
Elsy  vous  faull  ung  seruiteur... 

LE  GENTILHOMME. 

As  lu  poincl  veu  mon  estan' 

LE  PAGE. 

Ony,  ouy  les  neiges  d'auleiV 
V  n'a  ny  estan  ne  clapier 
C'est  ung  grand  fosse  de  bourbier 
Ou  sont  gregnoniles  et  murons  .. 

GETA.  —  Le  Gela  semble  dater  assez  cer- 
tainement du  xne  siècle  ;  du  moins  est-ce  la 
date  que  lui  assignait  Jérémie  de  Padoue 
au  commencement  du  xvie  siècle,  et  celte 
date  n'a  pas  été  contredite. 

On  lui  donne  communément  pour  auteur 
Vital  deBlois;  un  manuscrit  de  Darmstadt 
l'attribue  à  Ovide,  celui  de  Madrid  à  Piaule. 
Jérémie  n'en  avouait  pas  d'auteur;  le  Dr 
Endlicher  l'a  cru  de  Matthieu  de  Vendôme. 

Parmi  les  manuscrits  qui  le  concernent  , 
il  faut  citer  ceux  de  Darmstadt ,  de  Naplts  , 
de  la  Bibliothèque  Médicis,  signalés  par  M. 
Fréd.  Osann ,  et  ceux  des  Bibliothèques 
Cottonienne  et  Bodléienne  de  Paris  et  de 
Madrid  qu'a  indiqués  M.  Wright,  et  où  il 
se  trouve  à  côté  du  Babio.  Le  manuscrit  de 
Darmstadt  contient  les  œuvres  de  Matthieu 
de  Vendôme. 

M.  Mai  en  a  donné  une  édition  dans  le 
tome  V  de  ses  Auteurs  classiques  ;  M.  Fré- 
déric Osann  ,  une  autre  (Vitalis  Blesis  , 
Amphitryon  et  Aulularia  ;  Darmstadt ,  Heil  ; 
1836 ,  gr.  in-8°),  et  M.  Wright ,  une  troi- 
sième, dans  ses  Early  Misteriis  (London , 
1838,  gr.  in-8°). 

Le  Gela  porte  aussi  dans  les  manuscrits 
le  titre  û'Amphictryon. 

Dans  son  cours  professé  à  la  Faculté  des 
lettres,  M.  Magnin  le  signalait  comme  une 
espèce  d'amphitryo,  parmi  les  produits  de 
la  littérature  érudite  du  xn'  siècle.  (Journ. 
gén.  de  l'Jnstr.  publ.,  1835,  29  nov.,  p.  67.) 
M.  Victor  Leclerc  le  considère  comme  un  de 
ces  remaniements  d'anciennes  pièces  fré- 
quentes au  moyen  ;Vj;e,  et,  à  ce  titre  il  l'as- 
socie à   tort  au  Babio. 

M.  Edelestand  Duméril  ne  le  croit  pas 
destiné  à  la  représentation;  il  le  classe  avec 
YAdda,  VAffra  et  Flavius,  le  Babio  (mais  h 
tort),  le  Milo,  la  Lydia  et  le  Miles  gloriosus 
ou  VOrestis  qui  les  précède  tous.  (Jette  opi- 
nion, fausse  en  beaucoup  d'autres  points, 
ne  semble  pas  dénuée  de  vérilé,  au  moins 


IS97 


G  RI 


NOTICE  SU?:  LE  THEATRE  LIBRE. 


CU 


1398 


en  eequiconcernul'/lM/w/aoeei  \eGèta  (923): 
Il  lui  paraît  que  le  Gèta  a  dû  être  recom- 
mencé plusieurs  fois.  Au  ve  siècle,  Sedu- 
lius  (Carmen  paschale)  semble  indiquer  une 
de  ces  refontes;  outre  celle  du  xn*  siècle, 
indiquée  par  M.  Osann,  et  par  M.  Anatole 
de  Montaiglon  (Biblioth.  de  l'Ecole  des  char- 
tes, 2'  série,  t.  IV,  p.  V74-505,  on  trouve  en 
1169,  dans  Gerhoh  (Vitœ  bealor.  abb.  form- 
ùncensium  Berengeri  et  Wirntonis,  ap.  Pez., 
Tltesaur.  anecd.  nov.,  t.  I"  i"  part.,  p.  402) 
une  allusion  au  Gèta,  et  l'on  en  connaît 
plusieurs  versions  italiennes  (92i). 

GiUESCHE  DETE  ET  LA  GRIESCIJE 
If  11  IV A  (Lai.  -Voy.  Printemps  et  l'Hivek. 
(Le). 

GRISELIDIS.  —  Les  frères  Parfait,  dans 
leur  Histoire  du  théâtre  français  (t.  II,  p. 
295)  ont  daté  Griselidis  de  Tan  1395  et  en 
donnent  l'analyse  suivante  : 

Cy  commence  VEstoire  de  Griseldis,  la 
Marquise  de  Saluées,  et  de  sa  merveilleuse 
constance,  et  est  apppellé  le  Miroir  des  Da- 
mes mariées Cy  fine  le  Livre  de  VEs- 
toire de  la  Marquise  de  Saluce,  mis  par  per- 
sonnages et  ryme  ,  l'an  mil  ecc  mi**,  et 
quinze  (925). 

<»  C'est  un  manuscrit  in-V  sur  vélin,  avec 
(\ei  miniatures,  contenant  56  feuillets  ou 
112  pages  à  28  vers  chacuue ,  environ  deux 
mille  vers. 

«Ce  mystère,  qui  n'a  de  recommandable 
que  son  antiquité,  est  une  servile  imitation 
en  très-mauvais  vers,  et  en  action,  du  ro- 
man qui  porte  ce  litre. 

*  Le  marquis  de  Saluées,  dont  la  passion 
dominante  est  le  plaisir  de  la  chasse,  pressé 
par  ses  sujets  de  prendre  une  épouse,  pro- 
met de  les  satisfaire  dans  quinze  jours. 
Pendant  cet  intervalle  il  aperçoit  Griselidis, 
lille  de  Janicolle,  pauvre  laboureur  qui  re- 
vient d'une  fontaine  porter  de  l'eau  ;  il  la 
suit  dans  la  cabane  de  son  père,  la  lui  de- 
mande en  mariage  et  l'obtient  aisément. 
Après  lui  avoir  fait  prendre  des  habits  con- 
venables, le  marquis,  l'épouse  et  ses  sujets, 
charmés  de  la  beauté  et  de  la  douceur  de  la 
nouvelle  marquise,  en  témoignent  leur  joie. 
Le  caprice  du  marquis  trouble  ce  bonheur. 
Ni'ii  contenl  d'avoir  fait  enlever  les  deux 
enfants  que  Griselidis  met  au  monde,  il 
veut  la  répudier  et  envoie  l'évoque  de  Sa- 
luées prier  le  Pape  de  lui  accorder  la  per- 
mission, en  quittant  son  épouse,  d'en  choi- 
sir une  autre  d'un  rang  plus  convenable  à 
sa  naissance.  Le  Pape,  qui  trouve  celte  de- 
mande fort  juste,  lui  en  fait  aussitôt  expé- 

(923)  Origines  latines  du  théâtre  moderne;  Paris, 
1SJ!!.  in  S-,  p.  14-15,  ei  34-35. 

|!>2i)  lb.,  p.  14  ci  15. 

(?25)  Ce  mystère  fut  imprimé  avec  quelques 
changements,  par  Jean  Ronfons,  sous  le  litre  sui- 
vant :  Le  Mystère  de  Griselidis,  marquise  de  Salnses, 
pai  versonnaiges,  nouvellement  imprimée  à' Paris.  On 
les  vend  à  Paris  en  la  vue  Neufve  Noslre-Dame ,  à 
V Enseigne  sainct  Nicolas,  par  Jehan  Bonfons.  C'est 
tin  in-4°  contenant  dix-neuf  feuillets  ou  trente-huit 
payes  à  deux  colonnes,  gothique.  Le  libraire,  sui- 
vant !;  coutume  ordinaire  de  ce  temps,  a  oublié  d'a- 


d-ier  une  bulle  par  son  Grossaire.  Muni  de 
celte  bulle,  le  marquis  ordonne  à  Griselidis 
de  retourner  chez  son  père  et  de  quitter  ses 
riches  habits. 

(La  marquise  sans  (aire  dire,  despoille  son  riche  habit, 
et  elle  prenl  le  vieil  quelle  avoil  laissié,  et  consent 
liément  de  retourner  à  son  propre  père.) 

«  La  pudeur  l'oblige  cependant  à  sup- 
plier le  marquis  de  lui  laisser  la  chemisw 
qu'elle  porte. 

CR1SELD1S. 

Sauf  ce  que  me  sembleroit 
Chose  indigne,  et  non  aflérable, 
Que  ce  fau  ventre  misérable^ 
Duquel  furent  les  enfans  nez 
Que  de  ton  faict  as  engendrez, 
Deust  au  peuple  apparoir  tous  nuz  : 
Parquoy,  je  le  supply  sans  plus, 
S'il  te  plaist,  et  non  autrement, 
Qu'en  récompensant  seulement, 
La  virginité  qu'apportay 
A  loy,  quant  au  palais  enlray  ; 
Laquelle  ne  puis  remporter, 
Il  te  plaise  à  commander, 
Que  l'en  me  laisse  une  chemise 
A  l'issire  de  ton  servise,  etc. 

«  Le  marquis  y  consent.  Pendant  ce  temps- 
là  on  lui  amène  ses  deux  enfants,  qu'il  avait 
fait  élever  chez  le  comte  de  Pavie,  son  beau 
frère,  la  fille  âgée  pour  lors  de  douze  ans 
et  le  garçon  de  huit.  Le  marquis  feint  de 
vouloir  épouser  la  jeune  princesse  et  or- 
donne à  Griselidis  de  lui  servir  de  fille  de 
chambre.  La  marquise  se  soumet  à  cet  or- 
dre avec  tant  de  douceur  que  son  époux, 
louché  de  cette  rare  patience,  lui  fait  con- 
naître ses  enfants,  et  après  lui  avoir  déclaré 
que  tout  ce  qu'il  a  fait  n'était  que  pour  l'é- 
prouver, il  la  reprend  avec  lui,  et  le  mys- 
tère finit  par  les  réjouissances  des  bergers 
de  la  contrée.  » 

GUDRUNARQVIDA  (Le).  —  M.  Edeles- 
land  Duméril  trouve  dans  ce  Gudrunar- 
Qvida  la  preuve  de  la  tendance  constante 
du  moyen  âge  à  tout  dramatiser;  mais  le 
poëme  cité  n'est  pas  un  drame  (Cf.  Origines 
latines  du  théâtre  moderne  ;  Paris,  18!t9,  in- 
8%  p.  3.) 

GUILLAUME  DE  BLOIS.  —  VHistoire  lit- 
téraire de  laErance  (t.  XV,  1820,  \n-k°),  con- 
tient un  très-court  article  sur  Guillaume  de 
Blois,  frère  puîné  du  célèbre  Pierre  de  Blois, 
archidiacre  de  Balh.  Après  avoir  nolé  tout 
ce  que  l'on  sait  de  la  vie  de  Guillaume,  qu'il 
prit  le  degré  de  docteur  dans  l'Université 
de  Paris,  lit  ensuite  profession  dans  l'ordre 
de  Saint-Benoit  et  suivit  son  frère  en  Sicile, 

jouter  l'année  de  l'impression.  —  L\c\ille,  liv.  u  , 
pag.  122  de  son  Histoire  de  l'imprimerie,  nous  ap- 
prend que  Jean  Ronfons  imprimait  en  1548.  —  Une 
réimpression  du  Mystère  de  Griselidis,  marquise  de 
Saluses,  a  été  donnée  à  Paris,  chez  Silvestre,  en 
1852,  petit  in-4°,  figure  en  bois;  il  en  a  été  tiré  42 
exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  papier  de  Chine 
et  vélin. 

M.  Eilclesiand  Duméril  signale  cette  pièce  dans 
ses  Origines  latines  du  théâtre  moderne  (Paris,  1810, 
in-S"  p.  5«). 


i3'J9 


IGN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


IGN 


1400 


vers  1167,  l'auteur  cile,  parmi  les  œuvres  de 
Guillaume,  des  sermons,  divers  ouvrages 
thôologiques,  un  poëme  de  la  puce  et  de  la 
mouche,  et  enfin  la  tragédie  de  Flaura  et  la 
comédie  de  Y  Aida,  encore  aujourd'hui  per- 
dues. La  tragédie  de  Flaura  aurait   pu  être 


faite  sur  une  célèbre  courtisane,  nommée 
Flore,  dont  Ives  de  Chartres  fait  mention. 
(Ivon.,  épisc.  Carnot.,  epist.;  Paris,  1534, 
in-4°,  epist.  67,  p.  69.  —  Voy.  Adda,  et 
Flaura. 


H 


HERBE  RIE  (L).  —  UHerberie  date  du 
xme  siècle. 

On  connaît  sous  ce  titre,  VErberie  Ruste- 
beuf,  en  vers  et  en  prose,  et  une  autre  Er- 
berie  dont  l'auteur  est  resté  inconnu  et  que 
M.  A.  Jubinal  a  rapprochée  avec  succès  de 
!a  Riote  del  Monde  {Voy.  le  Bavardage  du 
monde},  du  Pédant  joué  de  Cyrano  de  Ber- 
gerac, et  de  la  Goûte  en  VAine  (Bibl.  Imp., 
m  s.  7218). 

VErberie  anonyme,  en  prose,  est  conser- 
vée dans  le  Musée  de  la  Bibliothèque  Im- 
périale, n*  183»,  Saint-Germain;  VErberie 
Rustebeuf  dans  ceux  numéros  7633  et  198, 
N.-D 

M.  Achille  Jubinal  a  publié  ces  deux  Diz 
de  VErberie,  dans  les  Œuvres  complètes  de 
Rutebeuf  (Paris,  1839,  2  vol.  in-8°,  t.  Ier, 
p.  250  et  note  A  bi»,  p.  468). 

Legrand  d'Auny,  Méon  les  ont  aussi  pu- 
bliés en  partie ,  analysés  et  commentés 
dans  leurs  Recueils  de  fabliaux. 

Legrand  d'Auny  ne  considère  pas  comme 
tin  véritable  drame  le  Dict.  de  VHerberie, 
mais  comme  une  sorte  de  scène  débitée  par 
les  ménétriers.  (Cf.  Fabliaux  et  Contes;  Pa- 
ris, Renouard,  1829,  5  vol.  in-8°,  t.  II,  p. 
203.) 

M.  Monmerqué  n'y  voit  qu'une  récitation 
dramatique,  M.  A.  Jubinal  qu'une  pièce  de 
théâtre  de  famille  et  de  festins  du  moyen 
âge  (cf.  OEuvr.  compl.  de  Rutebeuf,  t.  I", 
p.  424);  mais,  toutefois,  avec  les  restric- 
tions suivantes  qu'on  lit  dans  la  préface  des 
œuvres  de  Rutebeuf  : 

«Vflcrbeiie,  spirituelle  paradede  carrefour 
et  de  place  publique,  me  semble  avoir  été 
composée  plutôt  comme  un  modèle  du  genre 
que  comme  pièce  à  son  usage  personnel  ; 
rien  ne  prouve  qu'il  la  débitât  lui-même, 
ni  qu'il  en  fût  venu  à  ce  point  d'abaisse- 
ment ie  vendre  sa  g'ielé  en  détail  sur  le 
champ  de  foire  du  Lendict  ou  dans  l'en- 
ceinte du  grand  marché  des  Champeaux.  A 
la  vérité...  il  se  rendait  aux  noces,  aux  fes- 
tins, pour...  recevoir  des  présents...  mais... 


il  ne  s'adressait  pas  à  un  public  de  hasard, 
au  public  des  rues,  et...  en  se  rendant  aux 
tournois  il  y  cherchait  vraisemblablement... 
les  grands  seigneurs...  Il  faut^d'ailleurs  ob- 
server que  VHerberie  est  la  seule  des  pièces 
de  notre  trouvère  qui  semble  réellement 
destinée  à  la  populace  (926) » 

Ce  Dit  a  été  cité  par  M.  Edelestand  Du- 
méril,  dans  ses  Origines  latines  du  théât-e 
maderne  (Paris  1849,  in  8°,  p.  3)  parmi  les 
poésies  où  se  retrouve  la  tendance  cons- 
tante du  moyen  âge  vers  l'action  drama- 
tique. 

L'Erberie  Rustebuef  commence  par  ces 
vers  : 

Seigneur  qui  ci  esles  venu, 
Petîï  et  grant,  joue  et  chenu... 


Aséeiz  vos,  ne  faites  noise , 

Si  escoulez,  c'il  ne  vos  poize. 

Je  sui  uns  mires... 


HERCULE.—  On  trouve,  dans  la  Collection 
des  meilleures  dissertations,  de Leber  (Paris, 
l838,in-8°,20vol.,t.X,p.l57,201J,uneiVofic« 
sur  les  divertissements  et  les  jeux  d'exercice 
des  Français  ,  dans  laquelle  est  cité  le  mys- 
tère d'Hercule  filant  aux  pieds  d'Ora  - 
phale. 

M.  Edelestand  Duméril  (Orig.  lat.  du  th. 
mod.;  Paris,  I8V9,  in-8°,  p.  56)  mentionne 
aussi  VHercule,  comme  preuve  que  le  théâ- 
tre ,  qu'il  prétend  fondé  par  l'Eglise  , 
échappe  an  clergé,  vers  le  xv'  siècle,  e'  de- 
vient profane. 

HIVER  ET  L'ÉTÉ  (Débat  entre  l).— 
Voy.  Primptemps  et  de  l'Hiver  (  Débat 
du). 

HOMMES  QUI  FONT  SALER  LEURS 
FEMMES  (Les).  —  Il  a  été  donné  au  xvi' 
siècle  une  édition  des  Hommes  gui  font  saler 
leurs  femmes,  sous  ce  titre  :  Discours  facé- 
tieux des  hommes  gui  font  saller  leurs  fem- 
mes, à  cause  gu elles  sont  trop  douces.  Leguel 
se  joue  à  cinq  personnages...  à  Rouen,  cliez 
Abraham  Cousiurier  (sans  date),  petit  in-8°. 
—  Voy.  Femmes  salées. 


I 


IGNORANCE.  —   Ignorance  et  congnot-     de  Lincy  et  Francisque   Micnel  dans   leur 


sance,  morallite  a  m. personnages,  c'est  asca~ 
uoir  : 


L'AFLlOt, 
IGNORANCE, 


ET  CONGNOISANCE. 


Cette  farce,  datant  de  la  première  moitié 
du  xvr  siècle,  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 


Recueil  "de  Farces  (Paris  ,  Téchener,  1831- 
1837,  4  vol.  pet.  in-8°),  d'après  le  ms.  de  la 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Val- 
lière,  n°  63).  En  voici  les  premiers  vers: 

l'afligé. 

Poure  aflge,  en  ces  terrestres  plains, 


{ >?6)  Adiilîe  Jubinal,  Œuvres  complètes  de  Rutebeuf,  trouvère  du  xm«  siècle;   Paris,  Ed.  Pannur,  1830. 
2  vol.  in-8°,  1. 1",  Préf.,  p.  xi. 


1301 


LtîC 


ÏSOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


LYO 


1402 


Deuil  de  pîlye,  ie  peulx  eslie  apcrrcti,- 
Amys  chernelz  onl  mes  sens  en  noir  lains, 
El  ingnorance  a  mon  esprit  coneen.... 

OYEUSE  FARCE  (La).—  On  connaît  une 
édition  de  la  fin  du  xvic  siècle  de  cette  farce 
sous  ce  titre  :  La  Ioyeuse  farce  d'un  Caria 


qui  trompa  par  finesse  la  femme  d'un  labou- 
reur. Lyon,  1505.  M.  de  Montaran  a  réim- 
primé celle  farce.—  Voy.  Collection  Ca- 
ron  et  Hecleii  de  livrets  par  M.  de  Mon- 


taran. 


JEAN  (Mesire).  —  Mesire  Jehan,  farce 
nouuelle  a  iv.  personnages  ,  c'est  a  sca- 
uoir  : 

■  MESIRE    JFHAX,  LE   CURE. 

LA    MÈRE     DE     JAQUET     </MÏ 

est  badin, 

Pièce  éditée  d'après  le  manuscrit  oV  xvr 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale  (fond-3 
La  Va'lière,  n°  63),  dans  le  Recueil  de  Far- 
ces (Paris,  Téchener,  1831-1837,  4  vol.,  pet. 
in-8°),  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Mi- 
chel. 

Ne  prenes  poinct  garde  a  folye 
Ausv  sages  gens  m'en  font  compte; 
€ar  la  parole  est  abolve 
D'un  fol,  fusl-il  roy,  duc  ou  compte... 

TEAN  DE  LAGNY.—  Jehan  de  Lagny,  ba- 
din, mesire  Jehan,  etc.,  farce  ioyeuse  a  sis 
personnages,  c'est  a  scauoir  : 

r.HAN    DE  LAGNY,   badin,     OLÏUE, 

KESIRE    JEHAN,  PERETE    VEXES TOST, 

TftETAULDE,  ET   LE    1UGE. 

Celte  pièce  a  été  éditée  par  MAL  Leroux 
de  Lincv  et  Francisque  Michel  dans  le  Re- 
cueil de  Farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837, 
4  vol.,  pet.  in-8°),  donné  d'après  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale,  datant  du 
xvr  siècle  (fonds  La  Vallière.  n°  63). 

JOANNADA  (La).  -  Voy.  Parasols. 

JOHANNELLA  (La).—  Voy.    Parasols. 


,    JONGLEUR  (Lu).-  M.  Wright  a   publié 

dans  ses  Anccdota  literaria  (London,  184'i, 
in-8°,  p.  100),  un  très-curieux  fragment  de 
51  vers  latins  sur  les  acteurs  du  théâtre  du 
moyen  âge,  tiré  d'un  manuscrit  du  xne  siè- 
cle (Ms.  Arundel  ,  n°  201,  fol.  72,  v°);  ce 
savant  publiciste  anglais  conseille  de  rap- 
procher de  ce  fragment  le  passage  du  Poly- 
craticus  de  Jean  de  Salisbury  (I.  i,  c.  8).  Ces 
vers  semblent  arrachés  à  quelque  ancien 
drame  a-uaiogue  au  Dialogue  de  Terence  et 
de  l'entrepreneur,  de  spectacles,  retrouvé  par 
M.  Magnin. 

JOVINIEN  (Le  mystère  de).—  On  11 
dans  les  frères  Parfait  (Histoire  dit  Ctiénîr. 
fr.,  t.  III,  p.  562),  sous  la  date  de  1519, 
celte  note  extraite  de  Duverdier  (Bibliothè- 
que française,  p.  779)  : 

«De  l'Orgueil  et  présompliorfde  l'empereur  Jo- 
vinien,  Histoire  extraicte  des  gestes  des  Ro- 
mains, lequel  fut  decongnu  de  tout  son  peu- 
ple, par  le  vouloir  de  Dieu,  et  après  remis 
en  son  empire,  (Jxix.  personnages.  Imprimé 
à  Lyon  in-octavo,  par  Benoist  Iligaud,  sur 
une  vieille  copie.  1584.  » 

JUPITER  —  Le  mystère  de  Jupiter  est 
mentionné  dans  une  Notice  sur  les  divertis- 
sements des  Français,  que  Leber  a  réimpri- 
mée dans  sa  Collection  des  meilleures  disser- 
tations (Paris,  1838,  in-8°,  20  vol.,  t.  X,  p. 
157,  201). 


LANGUES   ESMOULUES    (Les).  —    Les 

langues  esmoulues,  pour  avoir  parle  du  drap 
d'or  de  Saine t  Vivien,  farce  ioyeuse  a  vi  per- 
sonnages, c'est  à  scauoir  : 


I.  ESMOCIFIR, 

SON    VALET, 

LA    PREMIERE    FEMME, 


LA  DEUXIEME  FEMME, 
LA  TROSIÈME  FEMME, 
ET    LA   QUATRIÈME   FEMUË. 


Celte  farce  est  conservée  dans  le  manus- 
crit du  xvr  siècle  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale (fonds  La  Vallière,  n°  63);  MM.  Le- 
roux de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont  éditée  dans 
leur  Recueil  de  Farces  (Paris,  Téchener, 
1831-1837,  4  vol.,  petit  in-8°).  Nous  ne 
pouvons  en  citer  ici  que  quelques  vers  : 

LE   VALET. 

La  meclianlc  langue  dorée 
De  moi  sera  bien  labourée  : 
Car  el  mort  les  gens  en  ryanl 
Par  son  parler  qui  est  Criant 
Decepnant  comme  une  bouteille... 

LUCO  DE  GRIMAUD.—  M.  Magnin  cite, 
comme  appartenant  au  théâtre  aristocratique 


du  xiii*  siècle,  les  comédies  perdues  Ue 
Luco  de  Grimauld  ,  contre  le  Pape  Boni- 
face  VIII.  !(Cf.  Journ.  gén.  de  l'instr.  pnbl., 
1836.  3  janvier,  p.  150.) 

LYDIE  (La).  —  Le  manuscrit  de  la  Biblio- 
tnèque  de  Vienne,  n°254,  fol.  31,  v°,  con- 
serve la  Lydia  de  Matthieu  de  Vienne,  en- 
core inédite. 

Selon  M.  Fdelestand  Duméril  ,  la  Lydie 
n'est  point  une  composition  dramatique,  ce 
n'est  qu'un  de  ces  poèmes  du  xn*  siècle,  en 
vers  élégiaques,  où  sont  amalgamées  des  in- 
dications scéniques,  et  qui  témoignent  seu- 
lement de  la  tendance  de  l'époque  à  recom- 
mencer le  théâtre  qui,  en  effet,  se  reproduit 
dès  le  siècle  suivant.  (Cf.  Orig.  lat.  du  th. 
mod.;  Paris,  18V9,  in-8°,  p.  33,  34.) 

LYON  MARCHANT.— Duverdier-Vaupri- 

vaz,  dans  sa  Bibliothèque  française  (p.  779), 
signale  !a  Satyre  françoise  de  Lyon  mar- 
chant. 

Les   frères  Parfait  et)  ont  donné  i  aperçu 
suivant,  <!<ns  leur  Histoire  du  théâtre  fra'n- 


l*o.; 


MAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


MAR 


140* 


çais,    (l     III,    p.    ho\    sous    la    date    de 

1541   : 

Lyon  marchant  (927),  Satyre  Françoise  sur 
la  comparaison  de  Paris,  Lyon,  Orléans,  et 
autres  choses  mémorables,  depuis  l'an  1524-, 
sous  allégories  et  énigmes,  par  personnages 
mystiques  .-jouée  au  collège  de  la  Trinité  à 
Lyon  en  154-1. 

«  Comme  cette  pièce  est  allégorique  du 
commencement  à  la  fin,  et  que  de  plus  il  n'y 
a  guère  d'apparence  qu'elle  ait  été  jouée  à 
Paris,  nous  serons  très-succincts  dans  cet 
extrait.  Cette  pièce  donc  renferme  les  prin- 
cipaux événements  arrivés  en  Europe  depuis 
1524-  jusqu'en  154-0,  tels  que  la  prise  de  Fran- 


çois Ier  à  la  bataille  de  Pavie.  La  mort  du 
Dauphin,  son  fils,  empoisonné  par  son  mé- 
decin. Les  changements  de  religion  en  An- 
gleterre, sous  le  règne  d'Henri  VIII ,  etc. 
Enfin  l'ouvrage  est  terminé  par  la  dispute 
entre  les  villes  de  Paris,  Lyon  et  Orléans.  La 
Vérité  donne  la  préférence  à  la  ville  de  Lyon. 
Ce  jugement  est  en  forme  de  ballade,  dont 
voici  l'envoi. 

Prince,  je  dy  (je  qui  suis  vérité) 
Que  nul  ne  soit  de  nos  diclz  irrité  : 
En  les  prenant  en  quelque  sens  méchant. 
Cartons  trois  ont  grand  honneur  mérité 
Mais  devant  tous  est  le  Lyon  Marchant. 


M 


MAITRE  D'ECOLE  (Le).—  Le  Maistre 
d'Escolle,  farce  ioyeuse  a  v.  personnages,  c'est 
a  scauoir 

J,E    MAISTRE    D'ESCOLLE,  ET    LES  TROYS  ESCOLLIERS. 

C.A    MÈRF, 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  ont 
édité  cette  farce  du  xvi*  siècle  dans  leur  Re- 
cueil de  Farces  (Paris,  ïéchener,  1831-1837, 
k  vol.  petit  in-8"),  d'après  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
ri'  63). 

le  maistre  (d'escolle)  commence. 

le  suys  recteur,  gramLorateur. 
Remonsiranl,  sans  estre  flaleur, 
Qui  folye  les  mal  pensant 

MAL-CONTENTES  (Les).  —  L*s  Mal-con- 
tentes, farce  ioyeuse  a  iv.  personnages,  c'est  a 
scauoir  : 


LA    IEUNE    FILLE, 

LA   MARYEE, 

LA   FEMME    VEFUE, 


ET    LA    RELIGIEUSE. 
—    El    SOnt    LES    MAL-CON- 
TENTES. 


Les  Mal-contentes  datent  du  xvie  siècle; 
on  trouve  cette  farce  licencieuse  dans  le  Re- 
cueil de  Farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837, 
k  vol.,  pet.  in-8°),  do  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel,  qui  reproduit  le  ms.  de  l'a 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
ii«  03). 

(Les  mal-conlentes  commencent  ainsi  :  ) 

LA    IEUNE   FILLE. 

Las!  quant  serai-ge  maryee? 
Dieu  m'y  veuille  réconforter, 
El  de  tous  mes  maux  aleger... 

MALUORQU/NA  (La).—  Voy.  Parasols 
(B.  de). 

MARCHAND   DE  POMMES    (Le).—    Le 

m  reliant  de  pommes,  farce  nouuelle  a  y.  per- 
sonnages, c'est  a  scauoir  : 

LE    MARCHANT    DE    TOMMES,       LE    SERGENT, 

l'apoincteur,  ET  DEUX   FEMMES. 

(927)  Imprimé  à  Lyon,  rue  Mercière,  par  Pierre 
de  Tours,  1542,  in-8°.  Celle  pièce  est  de  Barthélémy 
Aneau. —  Une  réimpression  de  Lyon  Marchant  a  eu 
lieu  en  1851  sous  ce  litre:  Lyon  marchant  Satyre 
Kuançoise.  Sur  la  comparaison  de  Paris,  Rolian, 
Lyon,  Orléans,  et  sur  les  choses  mémorables  depuys 
Lan  mil  cinq  cens   vinglquatre.  Soubz  Allégories,  et 


Celte  farce  est  conservée  dans  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La 
Vallière,  n°  63)  ;  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel  l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de 
Farces  (Paris,  ïéchener,  1831-1837,  h  vol., 
pet.  in-8°). 

Le  Marchand  de  pommes  date  du  xvi*  siè- 
cle; nous  en  extrayons  quelques  vers  : 

LE    MARCHANT   (DE  POMMES). 

Hélas!  lehan,  ie   ne  me  puys  leuer  au  malin, 
Y  m'est  prins  a  mon  auertin 
D'aller  au  marche  :  dont  irai  ge? 

MARCHEBEAU.—  Marchebeau,  moraliite 
a  iv.  personnages,  c'est  a  scauoir  : 


MARCHEBEAU, 
GALOP, 


AMOUR, 

ET   CONVOYTISE. 


MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel ont  édité  cette  farce  du  xvie  siècle,  d'a- 
près le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, fonds  La  Vallière,  n°  03.  (Cf.  Recueil  de 
Farces;  Paris,  Téchener,  1831-1837,  4  vol., 
pet.  in-8°). 

marchebeau  commence  : 
Et  puys,  monsieur  de  Galop? 

GALOP. 

Quoy,  monsieur  de  Marcheheau? 

marchebeau. 

On  n'auon  plaisance  que  irop, 

Quant  nous  cheuauchons  le  haut  trop. 

Sur  un  hayard  ou  un  moreau. 

MARIAGE   DE  RUTEBEUF  (Le).—   Le 

mariage  de  Rutebcuf  devrait  compter  dans  ie 
théâtre  du  moyen  âge,  selon  de  Roquefort. 
(Cf.  De  l'état  de  la  poésie  fr.  dans  les  xne  et 
xme  siècles;  Paris,  1815,  in-8",  p.  202.) 

M.  Ach.  Jubinal  a  édité  celte  pièce  dans 
les  OEuvres  complètes  de  Rut  eh  eu  f  ;  Paris, 
Pannier,  1839,  in-8°,  2  vol.,  t.  Ier,  p.  5. 

M.  Monmerqué  n'y  voit  qu'une  récitation 
dramatique  ;  M.  Ach.  Jubinal  une  pièce  du 

Enigmes  Par  personnages  mysticques  iouée  au  Col- 
lège de  la  Trinité  à  Lyon.  1541.  M.  d.  xlii.  On  les 
vend  a  Lyon  en  rue  Mercière  par  Pierre  de  Tours. 
Paris,  Silvestre  (imprimerie  de  Pinard),  18"1.  Pelit 
in-8»,  lire  à  42  ex.,  sur  papier  de  Hollande,  papier 
de  Chine  et  sur  vélin. 


f405 


mer 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


théâtre  cfe  famille  et  de  Festins  du  moyen 
âge.  (Cf.  OEuvr.  compl.  de  Rutcbeuf,  t.  1", 
p.  42'+.) 

MARIAGE  (Li  jus  du).  —  Voy.  Adan  (Li 
jus). 

MARTIN  RATON.  —  La  Farce  ioyeuse 
de  Martin  Raton  qui  rabat  le  caquet  des 
femmes  :  elle  est  a  v  personnages,  scauoir  : 

LA   PREMIÈRE  COMMÈRE,  CAQUET, 

LA  SECONDE  COMMÈRE,  SILENCE. 

MARTIN   RATON, 

Une  édition  de  celle  farce  a  été  donnée 
à  Rouen,  chez  Jean  Oursel  l'aîné  ,  rue 
Eouyère,  à  l'imprimerie  du  Levant;  elle 
se  compose  de  quatre  feuillets  in-8".  Elle 
dale  très-probablement  du  xvie  siècle. 

MATTHIEU  DE  VIENNE.  —  On  attri- 
bue à  Matthieu  de  Vienne  le  Milo,  la  Lydie 
et  le  Soldat  vantard  (tuiles  gloriosus).  La 
critique  n'a  pas  décidé  s'il  y  avait  dans  ces 
vieux  monuments  une  intention  dramatique. 
M.  Edelesland  Duméril  le  nie.  Le  Milo  et  le 
Soldat  ont  seuls  été  édités.  —  Voy.  Lydia 
(La);. Milo  (Le);  Soldat  vantard  (Le). 

MEDECIN  ET  LE  RADIN  (Le).  —    Le 

Médecin  et  le  Radin,  farce  ioyeuse  a  mi  per- 
sonnages, c'est  a  scauoir  : 


LE  MÉDECIN, 
LE  RADIN, 


LA  FEMME, 

ET  LA    CHAMRER1ÈRE. 


Cette    farce    licencieuse   date    du    xvie 
siècle. 

Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
n°  63). 

K1M.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris, 
Téchener,  1831  1837,  k  vol.  pet.  in-8°). 

MEDECIN  QUI  GUER1T(Lk).  —  En  1612, 
Nicolas  Roussel,  imprimeur,  édita,  mais  en 
la  mettant  malheureusement  «  en  meilleur 
langage  qu'auparavant  »  la  Farce  nouuelle 
(en  vers)  du  Médecin  qui  guarist  de  toute  sorte 
de  maladies  et  de  plusieurs  autres...  a  quatre 
personnages,  c'est  a  scavoir  : 


LE  MÉDECIN, 
LE  BOITEUX, 


LE  MARY, 
LA  FEMME. 


On  trouve  une  réimpression  de  celte  farce 
dans  la  Collection  Caron.  (Voy.  ce  mot.) 

Le  Médecin  qui  guérit  de  toutes  sortes  dema- 
ladics  ,  débute  par  ces  vers  : 

Or  (aides  paix  ie  vous  prie, 
Afin  que  m'oyez  publier 
La  science,  aussi  l'industrie, 
Que  i'ay  appris  a  Montpellier, 
l'en  anivay  encore  hyer 
Avec  la  charge  d'un  chameau, 
De  drogues... 

La  grossièreté  lincencieuse  de  cetle  iarce 
nous  interdit  tout  aperçu;  il  ne  nous  était 
même  pas  possible  d'en  donner  le  titre  en 
entier. 

•  MERE,  LA  FILLE,  etc.  (La)  —  La  mère, 
la  fille,  le  tesmoing,  l'amoureulx  et  V officiai, 
farce  nouuelle  a  v.  personnages,  c'est  a  sca- 
uoir ■ 


LA    MERE, 
LA    FILLE 


MES 

l'amoureux, 
l'official. 


HOG 


('elle  farce  date  du  xvr  siècle. 

Elle  nous  a  été  conservée  dans  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La 
Vallière,  n°  63). 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces 
(Paris,  Téchener,  1831-1837,  k  vol.  pet. 
in -8°) 

Messieurs,  Colin  qui  veull  proineclre 
Soyl  par  foy,  par  lesmoinglz  ou  lestre 
Y  doibl  sa  parolle  tenir, 
Car  on  doihl  quelque  iour  venir 
Devant  le  1res  souverain  iuge. 

MERE  DE  VILLE  (  La  ).  —  La  mère  de 
ville,  le  varlel,  le  garde-pot,  le  garde-nape 
et  legarde...  ;  farce  nouuelle  a  v.  personnages, 
c'est  a  scauoir  : 


LE    MÈRE  DE  VILLE, 
LE    VARLET, 
LE   CARDE-POT, 


LE    CARDE-NAPE, 
ET    LE   GARDE... 


Celle  farce  licencieuse  date  du  xvj* 
siècle. 

On  l'a  rencontrée  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
nu  63). 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris, 
Téchener,  1831-1837,  k  vol.  pet.  in-8°). 

MERE  ET  JOUART{La).—  Une  édition 
de  La  Mère  et  de  Jouart  a  été  donnée  au 
xviT  siècle  sous  ce  litre  :  La  Farce  nouvelle 
qui  est  très-bonne  et  très-ioyeuse  a  quatre 
personnages,  c'est  a  scauoir  : 


LA  MERE, 
JOUART, 


LE  COMPÈRE, 
ET    L'ESCOLIER. 


(Troyes,  Nie.  Oudot,  162i,  de  29  pages.) 
On  trouve  cette  farce  réimprimée  dans  la 
Collection  Montaran,  qui  sejoint  à  la  Collec- 
tion Caron.  —  Voy.  Coll.  Caron,  et  Re- 
cueil  DE    LIVRETS    par    M.    DE  MONTARAN. 

MESIRE   JEAN.     —     Voy.    Jean    (Me- 
sire). 
M  EST  1ER  ET  MARCHANDISE.  —  Mes- 

tier  et  Marchandise,  farce  à  v.  personnages, 
c'est  a  scauoir  : 


MESTIER, 
MARCHANDISE, 
LE  BERGER, 


LE  TEMPS, 
ET  LES  GENS. 


Celte  farce  est  conservée  dans  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Val- 
lière, n°  63);  elle  a  été  éditée  par  MM.  Le- 
roux de  Lincy  et  Fr.  Michel  dans  leur  Re- 
cueil de  farces  (Paris,  Téchener,  1831-1837, 
k  vol.  pet.  in-8°). 

Nous  relevons  un  passage  de  Mestier,  qui 
témoigne  que  l'esprit  mercaniille  du  xvr 
siècle  était  le  même  qu'aujourd'hui  : 

MARCHANDISE. 

Le  temps,  vous  me  faicles  mourir 
De  Fi.re  ,  cela  n'y  faict  riens 
Quant  il  seroyt  lanl  d-  tous  biens 
Qu'on  cust  tic  plajn'un  panyer, 
El  pot  de  vin  pour  un  denyer. 


i  107 


KOR 


Q;ii  n'aroyt  ce  deuyer  cncoire, 
Treslonl  son  faicl  seroyl  l'reloire, 
El'fauldroil  qui  iinrasl  après, 
€ar  vous  coguoises  par  exprès 
Que  Vargeni  faicl  partout  la  voije... 

MEUNIER  ET  LE  DIABLE  (Le).  —  M. 

Francisque  Michel  a  publié  pour  la  pre- 
mière fois  ,  dans  ses  Poésies  du  xv'  et  \\i° 
siècles  (Paris,  Silvestre,  1830-1832,  gr.  in-8"), 
la  Fur  ce  du  Munyer  de  qui  le  diable  emporte 
l'âme  en  enfer... 

M.  Raynouard,  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants (juillet  1833  p.  385),  signale  le  travail 
de  M.  Michel. 

M.  O.  Leroy  compte  celte  pièce  parmi 
celles  qu'inspire  un  esprit  sacrilège.  (Cf. Epo- 
ques .  etc.,  cli.  10.) 

MEUNIER  ET  LE  GENTILHOMME  (Le). 

—  On  connaît  une  édition  du  commence- 
ment du  xvir  siècle  du  Meunier,  sous  ce 
titre  :  La  Farce  nouuelle  du  Munier  et  du 
Gentilhomme;  Troyes,  Nie.  Oudot,  1628. 

Cette  farce  a  été  rééditée  par  M.  de  Mon- 
ta ran. 

11  faut  en  rapprocher  les  Deux  Gentils- 
hommes et  le  Meunier.  —  Voy.  Collection 
Caron,  et  Recueil  de  livrets  par  M.  de 
Montaran. 

MILET  (Jacques).  —  Lacroix  du  Maine, 
dans  sa  Bibliothèque  française  (p.  191)  et  les 
frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
français...  (  t.  11,  p.  238)  parlent  ainsi  de 
Milet,  sous  la  date  jde  1450:  «Jacques 
Milet.  —  Né  à  Paris,  étudiant  à  Orléans, 
commença  dans  celte  dernière  vil'e,  le  2  sep- 
tembre H50,  le  Mystère  de  la  Destruction  de 
'frayes  la  Grande.  » 

MILO.— Hauptensa  édile  le  Milo  de  Mat- 
thieu de  Vienne.  (Pocsis  lalinœ  med.  cevi 
exempta,  p.  18.) 

M.  Ldelestand  Duméril  (Origines  latines 
du  théâtre  moderne;  Paris,  1849,  in-8%  p. 
34-35),  cite  le  Milo  comme  un  de  ces 
poëmesdu  xne  siècle,  où  quelquefois  sont  re- 
maniés de  vieux  drames,  et  qui  le  pi  us  sou  vent 
sont  originaux;  il  n'admet  pas  que  \eMiloa\t 
donné  lieu  à  une  représentation  dramatique. 

—  Voy.  Lydie  (La)  et  Soldat  vantard  (Le). 
MORT  D  ACHILLE  (La).  -  La  Mort  d'A- 
chille date  de  la  tin  du  xiii"  siècle;  elle  est 
l'œuvre  de  d'Albertino  Mussato,  poète  pa- 
douan,  qui  mourut  vers  l'an  1320. 

Ou  en  connaissait  au  commencement  du 
xvnie  siècle  quatre  manuscrits,  dont  un  à 
Venise,  elles  trois  autres  à  Padoue. 

La  première  édition  du  théâtre  et  des 
poésies  de  Mussato  fut  donnée  à  Venise  en 
163G,  in-folio;  quelques  années  après  son 
apparition,  elle  était  déjà  devenue  très- 
rare. 

En  1722,  J.-G.  Grœvius,  assisté  de  Pierre 
Burmann,  donna  à  Leyde  une  nouvelle  édi- 
tion des  poésies  et  des  fragments  divers  de 
Mussato,  en  un  cahier  de  106  pages,  non 
compris  le  titre,  la  préface  et  la  table,  qui 
fait  partie  du  Thésaurus  Anliquitatum  His- 
(oriarum  Italiœ  (Leyde,  46  vol.  in-fol.,  t. 
VI,  1722,  pars  àecunda), 

La   Mort   d'Achille    est   divisée    en    cinq 


DLCTIONNAIttE  DES  MYSTERES. 

ne  contenant 


MOR 


nos 


personnages 


actes, 

scène. 

Les 

douze 

HÉCUBE, 
PRIAM, 

PARIS, 

C  ASSANDRE, 

UN  MESSAGER, 

LE  CHOEUR  DES  TROÏENS, 


chacun  qu'une  seule 
sont    au   nombre    de 


ACHILLE, 

agamemnon, 
menelaus, 

CALCKAS, 

UN  DES  GARDES  DE  PARIS, 

LE  CHOEUR  DES  GRECS. 


Burmann  semble  douter  que  la  Mort  d'A- 
c/ii/fe  appartienne  5  Mussato;  l'infériorité  du 
style,  des  idées,  des  connaissances  histo- 
riques et  littéraires  le  porterait  à  y  voir  la 
main  d'un  autre  poêle  encore  inconnu. 

M.  Magnin,  en  1835,  dans  son  cours  pro- 
fessé à  la  Facullé  des  lettres,  mentionne 'la 
Mort  d" Achille,  et  l'attribue  à  Mussato  sous 
la  date  de  1261-1329.  Il  renvoie  aux  éditions 
du  padouan  données  à  Venise  et  à  Leyde. 
(Cf.  Journ.  gen.  de  i'hist.  publique,  183o,  29 
nov.,  p.  67.) 

M.  Edelestand  Duméril  considère  les 
drames  ù'Achille  et  d'Eccérino  comme  des 
compositions  purement  littéraires,  très-pro- 
bablement étrangères  à  toute  idée  de  repré- 
sentation dramatique,  et  sans  influence  sur 
leur  temps.  (Cf.  Origines  latines  du  théâtre 
moderne;  Paris,  18V9,  in-8°,  p.  36.) 

MORT  DECCERINO  (La  ).  La  tragédie 
û'Ecccrino  date  du  xme  siècle;  elle  a  pour 
auteur  Albertino  Mussato,  poète  padouan, 
mort  vers  1320. 

Quatre  manuscrits,  dont  un  h  Venise  et 
trois  à  Padoue,  connus,  les  deux  premiers 
sous  le  titre  de  Codices  Mussarotum,  et  le 
dernier  sous  celui  de  Codex  Pignoriit  oat 
été  signalés. 

Une  édition  du  théâtre  de  Mussato  a  été 
donnée  à  Venise  en  1636,  in-folio;  une  au- 
tre à  Leyde  en  1722,  par  J.-G.  Grœvius  et  P. 
Burmann.  (Cf.  Thés.  ant.  Hislor.  ItaL; 
Leyde,  46  vol.  in-fol.,  t.  VI,  1721,  pars  se- 
cunda.) 

VFJccerino  est  divisé  en  cinq  actes;  les 
deux  premiers  ne  contiennent  qu'une  scène, 
le  troisième  en  offre  quatre,  le  quatrième 
deux,  et  le  cinquième  une  seule. 

Les  personnages  sont  au  nombre  de  neuf, 
dont  voici  la  liste  : 


LUCAS, 
ANSED1S), 
SOLDATS, 
MESSAGER, 
LE  CHOEUR. 


ADHELEiTA,  mère  dEece- 

rillO  el  d'Alix'iic, 
eccerino,  (ilstfAdlieleila 

ALRERI.C,  td.  , 

ziRAHONS,  garde, 

Burmann  s'est  arrêté  à  la  critique  à'Ecce- 
rino.  Le  sujet  se  prêtait  peu  aune  tragédie, 
selon  lui,  en  ce  que  le  seul  sentiment  de  la 
terreur  y  pouvait  régner,  et  que,  sans  con- 
traste, le  drame  est  nécessairement  languis- 
sant. L'action  est  dispersée  en  plusieurs 
années  sans  liaison.  Le  lieu  change  constam- 
ment. Les  caractères  sont  plus  fortement 
tracés.  Eccerino  est  dur,  terrible,  contemp- 
teur des  cieux  et  des  choses  d'ici-bas,  voué 
au  mal  et  au  démon,  audacieux,  incapable 
de  repentir,  et  tout  pétri  de  scélératesse  ei 
de    cruauté    jusqu'au    dernier    soupir. 


Le 


HOO                NOU                       NOTICE  SCR  LE  THEATRE  LIBRE.                  NOU                     1110 

chœur  prêche  le  bien,*ln  justice, la  pitié  pour  qui  cstoicnt  autour  de  luy,  faire  laides  grï- 

l'infortune,  le   châtiment  de  l'orgueil;  il  en  maces,  se  prit  à  rire.  Le   patient    pour  qui 

appelle  sans  cesse  à  Dieu.  tout  cela  se  faisoit,  demanda  a  sa  femme, 

Quant  à  la  barbarie  du  style,  c'est  un  dé-  que  c'estoit  qui  estoit  sur  la  table;  laquelle 

faut  du   temps  où  le  drame  fut  écrit,  et  ce  répondit,  que  c'estoit  le  corps  de  son  neveu 

n'est  qu'un  litre  de  plus  à  la  curiosité  du  décédé.  —  Mais,  répliqua    le  malade,    coin- 

nôtre.  ment  seroit-il  mort,  veu  qu'il  vient  de  rire  à 

Muratori  mentionne  VEccerinis  de  Mussa  gorge  déployée?  La  femme    répond  que  les 

de  Padoue  (ou  Albertin);  il  date  celte  pièce  morts  noient.  Le  malade  en  veut  l'aire  l'expé- 

de  l'an  1320.  (Cf.   Antiquit.  ital.  mcd.  œvi,  rience  sursoy,  et  pour  ce,  se  fait  donner  un 

sive  Dissertât.;  Milan,   1732,  in-fol.,  t.    11,  miroir;  puis  s'efforça  de  rire;  et  connaissant 

Dissert.  29,  col.  850.)  qu'il  rioit,  se  persuada  que  les  morts  avoient 

M.  Magnin,  dans  son  cours  professé  à  ta  cette  l'acuité",  qui    fut  le  commencement  de 

Faculté  des   lettres,  en   1835,   cite  aussi   la  sa  guérison.    Cependant   le    jeune   homme, 

Mort  d'Eccelino,  tyran  de  Padoue,  mais  en-  après  avoir  demeuré    environ    trois   heures 

tre  1261  et  1329;  il  renvoie  aux  éditions  de  sur  celte  table  estendu,  demanda  à   manger 

Venise  et  de  Leyde.  (Cf.  Journ.  gén.  de  l'instr.  quelque  chose  de  bon  :  on   luy  présente  un 

publ.,  1835*  29  nov.,  p.  67.)  chapon  qu'il  dévora  avec  une  pinte  de  bon 

M.  Edelesland  Duméril  ne  croit  pas  que  le  vin;  ce  qui  fut  remarqué  du  malade,  qui  de* 

théâtre  de  Mussato  ait  été  destiné  à  la  repré-  manda  si  les  morts  mangeoient.  On  l'assura 

sentation  ;  il  n'en  croit  pas  l'influence  consi-  que  ouy  :  alors  il   demanda  de   la    viande, 

dérable.  (Cf.  Origines  latines  du  théâtre  mo-  qu'on  lui    apporta,  dont    il   mangea  de  bon 

derne;  Paris,  18V9.in-3°,  p.  36)  appétit.  En  somme,  il  continue  à  faire  toutes 

MORTS  V1VANS  (Les).  —  Les  frères  Par-  actions  d'homme  de  bon  jugement,  et  peu 

fait  ont  donné,  dans  leur  Histoire  du  ihe'à-  à    peu   celte    cogitation    mélancholique  lui 

tre  français  (l.  111,  p.  5G2J,  la  note  suivante,  passa.  Cette  histoire  fui  réduite  en  farce  im- 

relative  à  la  farce  des  Morts  vivants,  qu'ils  primée,  laquelle  fut  jouée   un  soir  devant  le 

datent  de  1573,  et  dont  ils  déclarent  l'auteur  Roy  Charles  neufviesme,  moy  y  estant  (928).» 

inconnu:  ce  morceau  est  extrait  des  Diverses  MUSSATO    ALBERTINO.    —     Pétrarque 

leçons  de  Louis  Guyon  (t.  1",  liv.u,  chap.  25)  :  vante  dans  Albci  tino  Musalo  la  connaissance 

«  En  l'an  1550,  au  mois  d'aoust,  un  avocat  de  l'histoire;  Pierre-Paul  Vergorie,  le  génie 

tomba    en    telle  mélancolie,    et   aliénation  de  la  poésie.   Son  nom  original    aurait  été 

d'entendement,  qu'il  disoit,  et  crojoit  esire  Musso,  et  sa  gloire  en  eût  fait  Musalo,  l'é- 

mort  :  à  cause  de  quoi  il  ne  voulut  plus  par-  lève  des  Muses.  Uernardini  Scardeoni  voit  en 

1er,  rire,  ni  manger,   ni    mesme   cheminer,  lui  le  restaurateur  des  lettres  romaines  en 

mais  se  tenoit  couché Enfin  il  devint  Italie,    le  promoteur  de  la  renaissance  que 

si  débile  qu'on   attendoit  d'heure   à    heure  Pétrarque  porta  ensuite  au  plus  haut  point 

qu'il  dût  expirer  :  lorsque  voicy  arriver  un  d'élévation. 

neveu  de  la  femme  du  malade,  qui,  après  II  vécut  à  Padoue,  et  mourut  vers  1320, 
avoir  tâché  à  persuader  son  oncle  de  man-  On  cite  de  lui  une  Histoire  d'Henri  Vif, 
ger,  ne  l'ayant  pu  faire,  se  délibéra  d'y  ap-  divers  écrits  polémiques,  des  poèmes,  de 
porter  quelque  artifice  pour  sa  guérison.  nombreuses  pièces  de  vers,  et  ses  deux  dra- 
Parquoi  il  se  fit  envelopper  en  une  autre  mes,  dans  l'un  desquels,  a-t-on  dit,  s'élevarH 
chambre  d'un  linceuil,  à  la  façon  qu'on  contre  lat  yrannie  des  frères  Accioiini  et  Ai- 
agence  ceux  qui  sont  décédez,  pour  les  in-  brici,  il  atteint  la  hauteur  de  Sophocle  et 
humer,  sauf  qu'il    avoit    le  visage   descou-  surpasse»  'l'antiquité. 

vert,  et  se  lit  porter  sur  la  table  de  la  cham-  Ses  œuvres  ont  été  réunies  dans  le  Thesau- 

bre  où  étoit  son  oncle,  et  se  fit  mettre  quatre  rus  anliquitatum  historiarum  lialiœ  de  J.-G. 

cierges  allumés  autour  de  lui,  et  avoit  coin-  Gn^vios   et   P.    Buk.mann;    Lcydc,    in-fol., 

mandé  aux  enfans  de  la  maison,   serviteurs  46  vol.,  t.  VI,  1722,  pars  secunda. 

et  chambrières    de   contrefaire   les    plorans  Muratori  le  cite  avec  éloge  dans  ses  Anti- 

autour  de  lui.  Somme,  la  chose   fut   si   bien  quilates  italicœ  medii  œvi,  sive  Dissert.;  Mi- 

exéculée,  qu'il  n'y  eut  personne  qui  eut  pu  lan,  1732,  in-fol.,  t.  H,  diss.  29,  col.  850. 

se  contenir  de  rire,    mesme    la    femme    du  M.  Magnin  l'a  mentionné  avec  éloges.  (Cf. 

malade,  combien  qu'elle  fut  fort  aflligée,  ne  Journ.  gén.  de  l'instr.  publ.,  1835,  29  nov., 

s'en  pût  tenir,  ni  le  jeune  homme  inventeur  p.   67.)    —   Yoij.  Mort  u'Acuille  et    Moût 

de  celte  afi'aire,  appercevant  aucuns  de  ceux  d'Lccekino. 

N 

NOUVEAU  MONDE  (Sottise   du).  —  La  Une  édition  du  Nouveau  Monde  a  élé  don- 

Solise   du  nouveau  monde  a  été  attribuée  à  née  à  Paris,   chez   Guillaume  Eustace,  in-8° 

l'an  1503  par  les  frères  Parfait  (Hist.  du  th.  de  28  feuillets,  contenant  envon  liOO  vers. 

/>•.,  t.  lil,  p.  205-216).  ,<  Pour  être  au  fait,  disent-ils,  du  sujet  de 

Ils   se    sont    servis     pour    leur    analyse  cette  pièce,  il  faut  se   transporter  au   temps 

d  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque    du    roi,  où   elle    fut   composée,  et  se   rappeler    les 

coté  V,  3121.  circonstances  qui  y  ont   donné  lieu.    Avait 

(928)  Comme  nous  ne  connaissons  celle  farte  que  volume  de  ses  diverses   leçom,  nous  avons  cru  de* 

par  le  récit  qu'en  a  fait  Louis  Guyon  au   premier  voir  placer  ta  dalC  de  sa  reprësciilsiion  vers  1573. 


l-i'.l 


NOU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


NOU 


1112 


le  Concordat,  qui  a  décidé  la  question,  celle 
de  la  Pragmatique  était  agitée  avec  beau- 
coup de  chaleur  et  de  vivacité.  On  sait  que 
Louis  XII  la  favorisait  ouvertement.  Ce  fut 
par  son  ordre  et  suivant  ses  intentions,  que 
les  Enfants  sans  souci  composèrent  et  repré- 
sentèrent cette  pièce,  pour  faire  sentir  des 
abus  que  la  prudence  de  ses  successeurs  a 
su  prévenir.  Au  surplus,  la  pièce  est  très- 
rare  et  presque  inconnue,  quoique  Duver- 
dieren  ait  donné  le  titre,  mais  il  le  défigure 
si  mal ,  que  ce  renseignement  n'a  jusqu'ici 
servi  qu'à  tromper  ceux  qui  ne  sont  pas  au 
fait  de  ce  genre  de  poésie....  » 

Ils  ajoulent  encore  : 

«  L'Auteur  du  Menagiana,  après  avoir 
rapporté  le  titre  de  la  pièce  dont  voici  l'ex- 
trait, et  copié  d'après  la  Bibliothèque  fran- 
çaise de  Duverdier-Vauprivaz,  ajoute  que 
«  Claude  Barthelemi  Maurisot  a  tiré  de  là 
«  l'idée  du  conte,  touchant  Madame  la 
«  Pragmatique,  inséré  dans  un  roman  latin, 
*  intitulé  Peruviana,  où  sous  les  noms  du 
«  Pérou,  il  a  caché  l'histoire  du  cardinal  de 
«  Richelieu  avec  Marie  de  Médecis  et 
«  Gaston ,  duc  d'Orléans.  Ce  conte  étant 
«  sans  difficulté  le  meilleur  endroit  du  livre, 
«  mérite  d'être  rapporté.  Le  voici,  (conli- 
«  nue-t-il,)   en  françois. 

«  Il  y  avoit  en  France  une  noble  et  riche 
«  veuve  nommée  Pragmatique,  qui  avoit 
«  deux  filles  à  marier,  toutes  deux  belles, 
«  mais  de  vertu  équivoque.  L'aînée  s'ap- 
«  pelloit  Election  ,  la  cadette  Nomination. 
«  Force  amoureux  les  recherchoient  en  ma- 
«  nage.  (Menagiana,  tom.  1",  pag.  100  et 
«  suivantes.)  La  mère,  embarrassée  sur  le 
«  choix,  s'adressa  au  Souverain  Pontife  et  au 
«  roy,  pour  sçavoir  ce  qu'elle  avoit  à  faire. 
«  (Duverdïeii-Val'piuvaz,  Bibliot.  fr.,  pag. 
«  808  et  809.)  Tous  Jeux  d'un  commun  avis 
«  lui  conseillèrent  de  donner  l'aînée  à  un 
«jeune  homme  nommé  Grand- Bénéfice; 
«  et  la  cadette  à  unj  autre  nommé  Pctii-Bé- 
«  néftee.  Pragmatique  en  cette  occasion,  sui- 
«  vant  le  mauvais  exemple  de  plusieurs 
«  mères  idolâtres  de  leurs  filles,  se  dé- 
«  pouilla  de  tous  ses  biens  en  faveur  des 
«  siennes.  Les  noces  se  firent  solemnelle- 
«  ment,  etdans  la  suite  du  temps,  les  mariées 
«  donnèrent  plusieurs  fois  des  marques  de 
«  leur  fécondité.  Elles  eurent  chacune  trois 
«  enfans.  Election  eut  Abus,  Simonie  et  Im- 
«  piété.  Nomination  eut  Ignorance,  Luxe  et 
«  Dissolution.  Pragmatique,  qui  s'éfoit  épui- 
«  sée  pour  l'avancement  de  ses  filles,  étant 
«  tombée  dans  l'indigence,  prioit  humble- 
«  ment  ses  gendres  de  la  secourir  au  besoin. 
«  Ils  s'excusoient  l'un  et  l'autre  sur  leur 
«  famille  nombreuse,  sur  la  dépense  qu'il 
«  leur  falloit  faire  pour  entretenir  leur  train, 
«  la  parure  de  leurs  femmes,  les  plaisirs 
«  tant  ordinaires  qu'extraordinaires  où  les 
«  engageoient  leur  condition.  Qu'ils  n'a- 
«  voient  pour  toute  ressource  que  l'attente 
«  de  quelque  libéralité,  soit  du  prince,  soit 
«  du  Pontife,  promeilanlde  ne  pas  manquer, 
«  s'ils  venoient  à  en  recevoir,  d'en  faire 
«  part  à    leur    belle-mère.  Pragmatique,   ne 


«  comptant  pas  beaucoup  sur  des  promes- 
«  ses  si  vagues,  fut  réduite  à  chercher  un 
«  autre  moyen  de  pourvoir  à  sa  subsistance. 
«  Il  y  avoit  alors  dans  le  royaume  deux 
«  sortes  de  bêtes  étrangères,  l'une  nommée 
«  Béserve,  et  l'autre  Expectative.  Ellesavoient 
«  jusques-là  vécu  à  discrétion,  et  terrible- 
ce  ment  multiplié;  personne  dans  l'Etat, 
«  quelques  désordres  qu'elles  y  fissent,  n'o- 
«  sant  les  écarter  ou  leur  courir  sus.  Prag- 
«  matique  néanmoins,  comme  nécessité  n'a 
«  point  de  loy,  et  que  de  deux  maux  on 
«  choisit  toujours  le  moindre,  aima  encore 
«  mieux  hasarder  une  irruption  sur  cos 
«  bêtes  toutes  sacréesqu'elleséloienl,que  de 
«  se  laisser  mourir  de  faim.  En 'ayant  donc 
«  attaqué  quelques-unes  à  son  avantage,  elle 
«  en  fit  une  gorge  chaude,  et  s'en  trouva 
«  fort  bien.  Ensuite,  y  prenant  goût,  e-lle  se 
«  mita  les  poursuivre  ouvertement,  rôties, 
«  bouillies,  peu  lui  imporloit;  c'étoit  pour 
«  elle  une  pâture  délicieuse.  A  son  exem- 
«  pie,  la  noblesse,  et  le  tiers  Etal  en  voulu- 
ce  rent  tâter.  Le  mets  leur  parut  excellent. 
«  Mais  enfin  la  chasse  étant  devenue  trop 
«  générale,  il  arriva  de  ces  bestes  comme 
«  des  loups  d'Angleterre,  à  force  d'en  pren- 
«  dre,  la  race  s'en  perdit,  et  la  pauvre  Prag- 
«  matique  retomba  dans  sa  première  disette. 
«  Le  Pontife,  de  son  côté,  ayant  appris  le 
«  carnage  qu'on  avoit  fait  des  animaux 
«  qui  étoient  sous  sa  protection,  dépêcha  au 
«  roy  des  légats  pour  tirer  vengeance  de 
«  l'injure.  Les  seigneurs  les  plus  qualifiés, 
«  pleins  encore  du  souvenir  d'une  si  douce 
«  proie,  vouloient  persuader  au  prince  de 
«  n'entrer  ni  près  ni  loin  dans  cette  affaire. 
«  Mais  lui,  qui  avoit  la  religion  àcceur,  étant 
«  informé  des  excès  où  l'affamée  Pragmati- 
«  çwes'éloit  portée,  ordonna  que  pour  puni- 
«  tion  de  son  crime,  elle  fût  exposée  à  la 
«  fureur  d'un  cruel  Lyon.  L'arrêt  étant  pro- 
«  nonce,  il  ne  resloit  qu'à  conduire  la  cri- 
ce  minelie  au  supplice  :  la  question  éloit  de 
ce  trouver  un  ministre  de  celte  exécution, 
ce  Personne,  pas  même  aucun  des  bourreaux 
«  du  lieu,  ne  se  présenloit  pour  cela.  Le 
«  rang  que  la  vieille  dame  avoit  autrefois 
ce  tenu  en  France  la  rendoit  encore  vénéra- 
«  ble  aux  veux  du  public  :  et  peut-être, 
«  malgré  sa  condamnation,  auroit-elleéchapé, 
«  faute  d'exécuteur,  si  l'un  des  légats, 
«  homme  barbare  ,  nommé  Concordat ,  ex- 
ce  pressément  désigné  pour  celte  fonction, 
«  n'eût  mené  l'infortunée  jusqu'à  l'arène  de 
«  l'amphithéâtre.  C'est-là  qu'étant  arrivée , 
ce  elle  fut  livrée  au  Lyon,  qui,  s'élant  battu 
ce  trois  fois  les  flancs  de  sa  queue,  et  ayant 
«  autant  de  fois  secoué  sa  crinière,  se  jetta 
ce  sur  la  triste  Pragmatique,  la  déchirant 
ce  d'abord  avec  rage,  et  quittant  aussitôt 
ce  avec  mépris,  un  corps  maigre  et  sec,  qui 
«  n'avoit  que  la  peau  et  les  os.  » 

a  En  comparant  ce  passage  avec  l'extrait 
que  nous  donnons  de  la  Sottise  du  Nouveau 
Monde,  le  lecteur  jugera  si  Morisot  a  suivi 
bien. exactement  l'original,  el  si  son  récit 
pourraity  suppléer,  comme  Ménage  paraît 
le  vouloir  faire  entendre.  » 


H|3  SOU  NOTICE  SUR  LE 

PERSONNAGES. 

BENEFICE-GRANT,  COLLATION  ORDINAIRE, 

BENEFICE-PETIT,  UNIVERSITÉ, 

PRAGMATIQUE,  LE  HERAULT, 

ELECTION,  SOT  DISSOLU, 

NOMINATION,  ABUS, 

L'AMBICIEUX,  SOT  TROMPEUR, 

LEGAT,  SOTTE  FOLLE, 

QUELCUN,  SOT  GLORIEUX, 

VOULOIR   EXTRAORDINAIRE,  SOT  IGNORANT, 

PERE   SA1NCT,  SOT  CORROMPU. 
PROVISION    APOSTOLIQUE, 

«  Selon  la  louable  et  ancienne  coutume, 
Bénéfice-Grant  et  .Bénéfice-Petit  viennent 
pour  être  pourvus  à  Pragmatique,  qui  ap- 
pelle Election  et  Nomination,  et  loue  Dieu 
de  ce  que  tout  se  passe  avec  une  grande 
simplicité.  Cette  joie  est  troublée  par  l'arri- 
vée do  l'Ambitieux,  qui, s'adressantà  Légat, 
lui  dit  sans  autre  façon: 

l'ambitieux. 

Monseigneur  révérendissimc, 
Bénéfice  grani  est  vacant. 

LEGAT. 

Esl-il  vrai?  sus,  allez  courrant 
A  quelcun  ,  je  viens  après  vous  ; 
Pleurez,  criez  à  deux  genoux, 
Demandez -le  par  récompense  , 
Je  viendré  comme  qui  pense, 
Et  direy  que  droiclel  raison 
Veulent  que  par  son  oraison 
Soil  pour  veu  elnon  autrement. 
Allez. 

l'ambitieux. 

Je  voys  donc,vistemcnl. 

LEGAT. 

Ne  dictes  point  que  de  rnoy  vienne. 

«  Suivant  ce  conseil,  l'Ambitieux  revient 
trouver  Légat,  et  feint  de  lui  annoncer  pour 
nouvelle  que  Bénétice-Grant  est  vacant;  il 
ajoute  qu'on  n'y  peut  nommer  d'autre  que 
lui,  attendu  ses  services...  Légat  approuvo 
sa  demande,  et  ordonne  à  Quelcun  de  le 
satisfaire. 

QUF.LCUN. 

Or  sus  lost  donc,  prenez  la  plume 
Escripvez  ce  que  vous  voudrez  : 
Car  qui  qu'en  parle,  vous  prendrez 
Les  fruiclz  :  c'est  mon  intention. 
El  mandez  à  Election 
Que  ne  soil  pas  si  enragée, 
Que  à  mon  vouloir  ne  soit  rangée, 
En  l'espousanl,  et  l'autre  non. 

«  Pour  montrer  a  l'Ambitieux  qu'il  prend 
ses  intérêts  avec  cbaleur,  Quelcun  enjoint 
à  Vouloir-Extraordinaire  d'y  tenir  exacte- 
ment la  main.  L'Ambitieux,  content  au  delà 
de  son  espérance,  vient  remercier  Légat  qui 
lui  dit  avec  affabilité  : 

LEGAT. 

Voulez-vous  Leictres 
«.acliées,  ou  chose  davanlaige? 
Ai-je  point  joué  mon  personnaige? 
Que  voulez-vous?  Je  puis  tout  faire. 

l'ambitieux. 

Pour  mieux  conduire  mon  affaire 
De  blancs  signciz  pour  contrefaire. 


THEATRE  LIBRE. 


NOU 


UU 


Les  Mandemens  il  me  fauldroit. 
C'est  ce  dont  plusiost  adv'endrofr» 
Mon  affaire  à  perfection. 

LEGAT. 

Pour  avoir  votre  élection, 
Véez  en  la  ung  pour  le  prevost, 
Ung  pour  l'abbé  :  ne  sonnez  mot. 
Pour  les  archidiacres  aussi; 
Les  sacreslins,  chantres  aussi  ; 
Véez  en  la  pour  tous  les  chanoynes, 
Pour  prébandiers,  preslres  on  moyncs, 
Pour  clergons  ,  pour  valets  d'estable, 
Vostrecas  s'en  va  tout  vallable. 
Je  puis  toul  :  en  voulez-vous  plus? 

l'ambitieux. 

Hey,  Monseigneur,  pour  les  consulz 
Officiers,  et  gens  de  justice. 

LEGAT. 

A  peine  de  perdre  l'office 
Qu'ilz  ont  veus  en  cy  de  lont  chaulx , 
A  juges,  baillifz,  sénescliaulx , 
A  trois  ou  quatre  capitaines, 
Afin  quMs  frottent  leurs  mitaines 
L'n  peu  des  biens,  etc. 

vouloir-extraordinaire,  à  f Ambitieux. 

Vous  semble-l-il  que  soit  assez? 
Demandez,  il  en  lient  boutique. 

«  Muni  de  ces  pouvoirs,  l'Ambitieux  ne 
veut  cependant  en  faire  usage  qu'à  l'extré- 
mité, et  tâche  à  gagner  Election  par  ses  po- 
litesses; mais,  voyant  que  ses  soins  sont  inu- 
tiles, il  appelle  du  secours. 

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE. 

Si  fault-il  playse,  ou  non  playse 
Le  prendre,  car  Quelcun  le  mande 

«  Pragmatique,  Bénéfice-Grant  et  Elec- 
tion réclament  en  vain  la  justice  de  leur 
cause.  Gardez,  car  noiis  sommes  en  France, 
dit  l'Ambitieux. 

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE. 

A  layde,  au  Roy,  à  l'ayde,  au  Roy, 
Je  vous  arresle,  et  vous  adjourne. 

«  La  dispute  s'échauffe,  Vouloir-Exlraor- 
dinaire  et  l'Ambitieux,  meurtris  de  coups, 
viennent  demander  main-forte  à  Légat. 

LEGAT. 

A  vous  euz  cops 

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE. 

Voire  par  Dieu,  Sire,  a  cent  folz. 

«  Pour  réduire  cette  rebelle,  dit  Légat,  il 
faut  absolument  nous  adressera  Père-Saint, 
qui  nous  enverra  sa  grand' fille  Autenlique, 
et  Provision,  qiïon  dit  Apostolique.  Je  crois 
que  le  voici,  dit  Vouloir-Extraordinaire. 

l'ambitieux. 

Voyre,  mais  il  ressemble  ung  prestre? 
Pensons-y 

«  Père-Saint,  qu'on  ne  fait  parler  qu'en 
langue  italienne,  écoute  favorablement  la 
requête  de  l'Ambitieux,  et  donne  ses  dépê- 
ches à  Provision-Apostolique.  Pragmatique 
résiste  avec  tant  de  force  contre  ces  derniers 
venus  et  contre  Collation-Ordinaire,  qui  veut 
s'emparer  de  Bénéfice-Petit,  que  Légal  irrité 
ordonne  l'assaut. 


IAV 


PAR 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAR 


MO 


LEGAT. 

Allez  vielhe,  allez  dire  un  pseauline. 

QL'ELCUN. 

Or  sus,  grand  Père,  oula,  oula. 
Rendons  ce  faulx  cuenr  esloniié. 

PERE   SAINCT. 

Jo  tienyno  presto  lo  mio  baslonne. 
Cacliato  beno  quel  bocconue  , 
Pusco  titnihar  </ueslo  heretiqna. 

PRAGMATIQUE    séoïe. 

Ha.!  Dieu,  lia!  poure  Pragmatique, 
Cil  qui  le  debvroit  inainlenir, 
Premier  le  vueil  faire  mourir. 
Dieu  je  l'en  demande  vengeance 

(Elle  tombe  à  terre.) 

«  Après  la  chute  de  Pragmatique,  on  ne 
tarde  pas  à  violenter  les  deux  Bénéfices. 

BÉNÉFICE-GRANT. 

Volons  nolo,  nolens  volo. 

«  Sans  s'embarrasser  de    ce  langage   <jui 
lui  est  inconnu,  Légat  unit  Bénéfice-Grant 


avec  l'Ambitieux,  et  le  Petit  avec  Collation- 
Ordinaire.  Election  et  Nomination,  après 
avoir  pleuré  leur  Mère  Pragmatique,  se 
retirent  auprès  d'Université,  leur  aïeule,  et 
lui  font  part  de  leur  désastre.  Université,  au 
désespoir,  fait  de  vifs  reproches  à  Père- 
Saint,  à  Quelcun  et  à  Légat.  Voici  ce  qu'elle 
ajoute  : 

Droicl  el  Raison,  je  vous  commande, 
Que  alliez  sans  que  plus  m'attendent. 
La  Pragmatique  sublever  : 
Lever  cliault,  or  pour  approuver 
Ces  i'aiclz,  niellez  Election 
Au  plus  près  de  Crani  Bénéfice  , 
Près  du  Pciii  Nomination  : 
Ainsi  le  veull  Droicl  el  Justice. 

«  Et  la  pièce  finit  par  les  vers  sui- 
vants, qui  en  contiennent  le  but  et  le  sens 
moral  : 

Prince  qui  melz  Ions  faiclz  on  excellence 
Cetse  balence  qu'est  pleine  d'insolence, 
D'un  cop  de  lance  ,  rens-la-moi  toute  élique  , 
Remettant  sus  du  loul  la  Pragmatique,  i 


0 


OCYPUS.  —   L'Ocypus,  placé  à  tort  dans 

les  œuvres  de  Lucien,  selon  M.  M.ignin,  da- 
tant du  vi"  ou  du  vu'  siècle,  et  incomplet, 
n'a  pas  paru  à  l'illustre  critique  avoir  été 
destiné  à  la  représentation.  (Cf.  Jauni,  gén. 
de  l'inslr.  publ.,  1835,  15  mars,  p.  173  ) 

L'iiz-ûîTouj  n'aurait  jamais  été  représenté, 
malgré  sa  forme  dramatique,  selon  M.  E  ie- 
lestand  Duméril.  (Cf.  Orig.  lut.  du  th.  mod.; 
Paris,  18W,  in-8°,  p.  10,  note  5.) 

Le  Coureur  ('nxûîrov,-)  se  trouve  dans  les 
diverses  éditions  de  Lucien,  et  enfin  dans 


celle  donnée  parmi  les  classiques  grecs 
de  la  Collection  Didot,  par  M.  Dindrorf 
(p.  80V.) 

ORESTE.  —  Simer  a  signalé  m  Oreste 
écrit  en  vers  héroïques,  dans  un  manuscrit 
du  i\'  siècle  do  la  Bibliothèque  de  Berne. 
(Cf.  Codic.  liibl.  Bern. ,  t.  I'r,  p.  507.) 

M.  Edelestand  Duméril,  qui  croit  à  une 
éclipse  totale  du  théâtre, entre  les  v'  et  xnT 
siècles,  en  nie  le  caractère  dramatique. 
(Cf.  Orig.  lat.  du  th. mod.,  Paris,  18i9,  in-8°, 
p.  33-3V.) 


PARASOLS  (fi.  de).  —  Les  frères  Parfait, 
dans  leur  Jlistoiredu  théâtre  français  (Paris, 
1735,  in-12, 15  vol.,  t.  1er, p.  28), 'ont  laissé, 
sur  Parasols  (929)  et  son  théâtre,  les  ren- 
seignements qui  suivent  : 

«  Parosols  (B.  de)  naquit  à  Sisteron  (Cf. 
Duverdieu;  Nostuadamus):  son  père  était 
médecin  de  la  reine  Jeanne,  comtesse  de 
Provence.  Parasols  avait  infiniment  d'esprit 
et  de  délicatesse,  et  ses  poésies  furent  re- 
cherchées avec  soin  par  les  personnes  de 
goût;  mais  rien  ne  lui  fit  plus  d'honneur 
que  cinq  tragédies  qu'il  composa  contre 
Jeanne,  reine  de  Naples  et  de  Sicile,  com- 
tesse de  Provence,  et  qu'il  dédia  au  Pape 
Clément  Vil,  qui,  pour  lors,  résidait  à 
Avignon.  Ce  présent  fut  récompensé  d'un 
canonicat  à  Sisteron.  Mais  Parasols  ne  jouit 
que  peu  de  jouis  de  cette  dignité,  car  il 
mourut  empoisonné  en  1383.  On  ne  d.t  pas 
par  qui  et  pour  quel  sujet  ce  malheur  lui 
arriva. 

«  Pour  ne  point  interrompre  le  récit  de 
la  vie  de  Parasols,  nous  avons  passé  légère- 
ment sur  ses  cinq  tragédies:  ceoendant  elles 

1920)  M.  Magnin  cile  sous  la  date  de  138ô  ,  les 
cinq  tragédies  satyiiqucs  contre  Jeanne  de  Naples  , 


méritent  d'ôlre  marquées  dans  notre  his- 
toire; mais  ce  ne  serait  pas  assez  d'en 
rapporter  les  titres,  il  est  nécessaire  d'en 
donnerle  plan. C'est  ce  que  nous  allons  faire 
en  peu  de  mots. 

VAndriasse,  première  tragédie. 

«  Jeanne,  première  reine  de  Naples,  issue 
de  Charles  d'Anjou,  frère  de  saint  Louis, 
succéda  au  roi  Robert,  son  aïeul,  l'an  13V3. 
Il  y  avait  déjà  dix  ans  qu'elle  avait  épousé 
son  cousin,  fils  de  Charles,  roi  de  Hongrie, 
le  26  septembre  1333.  Ils  régnèrent  ensem- 
ble Irois  ans,  au  bout  desquels  on  prétend 
qu'elle  le  fit  étrangler.  Voici  comment  Mé- 
zeray,  dans  son  Abrégé  chronologique  de 
l  Histoire  de  France,  loin.  111,  rapporte  ce 
fait: 

«André  n'étant  pasassezaugré  de  Jeanne, 
«  et  s'étant  fait  couronner  roi  par  le  Pape, 
«  prétendant  que  le  royaume  lui  apparte- 
«  noit,  quelques  conjurés  le  firent  lever  la 
«  nuit  d'auprès  d'elle,  et  l'élranglèrentàune 
«  fenêtre.  Charles,  prince  de  Duras,  qui 
«  éloil  aussi  du  sang  des  rois  de  Sicile,  et 

donl  Parasols  esl  l'auteur.  (Cf.  Journ  (jén.  dcTinstr. 
j-ubl.,  18!ïf>,  3  janv.,  p.  150.) 


W17  t'AU 

«  avoit  épousé  Marie,  sœur  de  Jeanne,  fut 

«  le  conseiller  et  l'auteur  de  cette  infâme 

«  action.  Jeanne  n'en  étoit  pas  innocente; 

«  elle  eut  beau  se  lamenter,  ses  larmes  et 

«  ses  cris  l'en  justifièrent  bien  moins  que 

«  son  mariage  subséquent  avec  Louis,  son 

«  cousin-germain,  beau  prince,  et  selon  ses 

«  désirs  ne  l'en  convainquit.  » 

La  Tharanta,  seconde  tragédie. 

«  La  suite  de  l'Histoire  de  Jeanne  sera 
l'argument  de  cette  seconde  tragédie. 

«  Ce  prince  Louis  étoit  fils  de  Philippe, 
«  prince  de  Tarente,  que  Jeanne  épousa  un 
«  an  après  la  mort  de  son  premier  mari, 
«  mais  il  ne  jouit  pas  tranquillement  de  son 
«  second  mariage.  Car  (c'est  Mézerai  qui 
«  parle  [930])  Louis  le  Grand,  roi  de  Hon- 
«  grie,  étant  venu  en  Italie  pour  venger  la 
«  mort  de  son  frère  André,  et  pour  recueillir 
«  son  royaume,  traita  Charles  deDuras  tout 
«  de  môme  qu'on  avoit  traité  le  roi  André. 
«  Il  en  eût  fait  autant  à  la  princesse  et  à  son 
«  beau  mari,  s'ils  fussent  tombés  entre  ses 
«  mains,  c'est  pourquoi  elle  se  sauva  de 
«  bonne  heure  en  sa  comté  de  Provence,  et 
«  son  mari  peu  de  tems  après  elle.  Le  Pape 
«  Clément VI  lui  rendit  de  grands  honneurs; 
«  mais  profitant  de  l'extrême  nécessité  où 
«  elle  étoit  réduite,  il  tira  d'elle  la  ville  et 
«  le  comté  d'Avignon,  qu'il  n'acheta  que 
«  quatre-vingt  mille  florins  d'or  de  Flo- 
«  rence  (931).  Mais  par-dessus  le  marché,  il 
«  approuva  le  mariage  avec  le  prince  Louis. 
«  qui  en  récompense  ratifia  cette  vente.  On 
«  dit  que  Louis  ne  gardant  point  la  modé- 
«  ration  nécessaire  dans  les  caresses  qu'il 
«  faisoit  à  la  reine  sa  femme,  y  ruina  sa 
«  santé,  et  mourut  bientôt;  mais  c'est  une 
«  médisance,  car  Louis  vécut  jusqu'en  1362, 
«  c'est-à-dire  quinze  ans  après  son  mariage, 
«  étant  entré  dans  ses  Etats  en  1350  par  la 
«  médiation  du  Pape.  »  Cependant  pour 
suivie  l'idée  du  poète,  qui  ne  prétendait 
pas  justifier  la  Reine  Jeanne,nous  lui  four- 
nirons un  garant:  c'est  Brantôme  (Vies  des 
Dames  illustres)  qui  va  prendre  ce  soin. 
«  Elle  épousa  (c'est  de  Jeanne  qu'il  parle) 
«  après,  et  aussitôt  la  mort  d'André,  un  de 
«  ses  cousins,  fils  du  prince  de  Tarente, 
«  qu'elle  aimoit  fort  durant  la  vie  de  son 
«  mari,  qu'elle  traita  bien,  et  demeura  avec 
«  elle  trois  ans  en  fort  grande  amitié,  mais 
«  il  mourut  tout  exténué  de  s'être  excessi- 
«  veraent  et  trop  souvent  employé  au  ser- 
«   vice  de  la  reine.  » 

La  Malhorquina, troisième  tragédie. 

«  Servons-nous  encore  de  Brantôme  [Vies 
dfs  Dames  illustres)  ,  pour  donner  le  plan 
de  cette  tragédie.  «  Jeanne  épousa  après, 
«  pour  son  tiers  mari,  Jacques  d'Aragon, 
«  infant  de  Majorque  qui  était  pour  lors  le 
«  plus  délibéré  prince,  dispos  et  beau  per- 
«  sonnagequi  se  trouvât  en  la  place,  qu'elle 
«  ns  voulut  pourtant  qu'il  portât  le  titre  de 

p30)  Au  III*  tome  de  sou  Abréué  ae  l'Histoire  de 
France. 

DicTiONN.  des  Mystères. 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


\\\l\ 


UiS 


«  roi,  ains  de  simple  duc  de  Calabre  ;  car 
«  elle  voulait  seule  dominer  et  ne-vouloit 
«  pas  avoir  de  compagnon,  ainsi  qu'ellefai- 
«  soit  bien  et  lui  montra  bien  aussi;  car 
«  ayant  su  qu'il  s'éloit  donné  à  une  autre 
«  femme,  (malheureux  qu'il  étoit,  car  de 
«  plus  belle  n'en  pouvoil-il  choisir  que  la 
«  sienne)  lui  fit  trancher  la  tête  et  ainsi 
«  mourut.  »  Ce  qu'il  y  a  de  plaisant,  c'est 
que  Brantôme  persuadé  que  la  reine  ne  fit 
point  mourir  son  troisième  époux,  ne  laisse 
pas  de  dresser  une  longue  apologie  de  ce 
prétendu  supplice  qu'il  finit  par  ces  mots: 
«  Qui  n'eût  condamné  ce  prince  d'avoir 
«  faussé  compagnie  à  cette  belle  reine  ets'ê- 
«  tre  dérobé  pour  aller  habiter  avec  une 
«  autre  qui  ne  la  valloit  pas  en  la  moindre 
«  partie  de  son  corps.  C'étoit  tout  ainsi 
«  qu'un  ,  quLpour  éteindre  sa  soif ,  dé- 
fi laisse  la  nette  et  claire  fontaine,  poural- 
«  1er  boire  dans  un  marais,  sale,  boueux  et 
«   tout  vilain.  » 

V Allamunda,  quatrième  tragédie. 
«  Enfin  Jeanne,  (car  c'est  toujours  la  con- 
tinuation de  son  histoire)  se  maria  l'an  1376, 
avec  Othon  de  Brunswick,  prince  allemand, 
avec  lequel  elle  vécut  en  bonne  intelligence  ; 
mais  Charles  Durazzo,  général  des  troupes 
du  roi  ,de  Hongrie,  vainquit  Othon  dans 
une  bataille  et  le  fit  prisonnier.  Ensuite  de 
quoi  il  marcha  vers  Naples  où  ayant  été 
reçu  sans  résistance,  il  assiégea  la  reine  et 
la  princesse  Marie,  sa  sœur,  dans  le  ehâ- 
teau  de  l'OEuf  et  les  força  de  se  rendre. 
Alors,  maître  de  la  vie  de  Jeanne  et  d'Othon, 
il  les  fit  étrangler  tous  les  deux  en  sa  pré- 
sence. Brantôme  (Vies  des  Dames  illustres  ) 
conte  un  peu  autrement  la  mort  de  Jeanne, 
voici  ses  termes  :  «  Charles  du  Durazzo, 
«  maître  du  royaume  et  de  la  personne  de 
«  la  reine  Jeanne,  fit  sçavoirau  roi  de  Hon- 
«  grie  l'état  des  choses  et  lui  demanda  ce 
«  qu'il  feroit  de  cette  princesse.  Le  roi  da 
«  Hongrie  envoya  à  Charles  deux  de  ses 
«  barons  pour  le  congratuler  de  sa  victoire, 
«  et  fit  réponse  qu'il  devoit  mener  la  reino 
«  au  lieu  propre  auquel  elle  avait  fait 
«  étrangler  André,  et  que  en  même  lieu  et 
«  en  même  manière  il  la  fil  pendre  et  étrau- 
«  gler;  ce  qui  fut  fait;  et  ce  corps  porié 
«  à  Ste.-Claire  à  Naples.  Et  après  avoir  été 
«  trois  jours  morte  sur  terre,  fut  enterrée, 
«  et  les  deux  barons  en  ayant  vu  l'exécu- 
«  lion  ,  eu  portèrent  les  nouvelles  en  Hon- 
«  grie  » 

La  Johannela  ou   la  Joananda   (la   Jeanne), 
cinquième  tragédie. 

«  Il  y  a  grande  apparence  que  cette  tra- 
gédie n'était  qu'une  récapitulation  des  di- 
vers événements  de  la  vie  de  Jeanne  de  Na- 
ples. Car,  Nostradamus  en  annonçant  cette 
pièce,  «  ajoute  que  le  poëte  n'y  avoit  rien 
«  oublié  depuis  que  cette  reine  fut  de  l'âge 
«  de  six  à  sept  ans,  jusqu'à  la  fin  de  ses 
«  jours  qu'elle  prit   une  telle   et  malheu- 

(931)  Quelques-uns  disent  qu'il  ne  les  paya  pas. 
(Mezerai,  tom.  III,  page  30.) 

US 


Uil)  PAT 

«  reuse  fin  qu'elle  avoit  l'ait  prendre  à  An- 
«  dré  son  mari.  »  Nous  dirons  seulement 
que  Jeanne  mourut  en  1382,  âgée  de  58 
ans.  » 

PARIS  (Jugement  de).  — M.  O.  Leroy  si- 
gnale parmi  les  pièces  indécentes  jouées 
aux  entrées  des  rois,  le  Jugement  de  Paris. 
(cf.  Epoques...  ch.  8.) 

M.  Edelesîand  Duméril,  dans  ses  Origines 
latines  du  théâtre  moderne  (Paris,  184-9,  in-8", 
p.  72)  relrouvece  mime  avec  un  autre  drame 
sur  les  événements  <iu  temps,  dans  un  livre  du 
xvji  siècle  intitulé.  Antiquités  du  triomphe 
de  Héziers  au  jour  de  i Ascension,  conte- 
?iant  l<:s  plus  rares  histoires  qui  ont  été  re- 
présentées au  susdit  pur  ces  dernières  an- 
nées ;  Béziers,  1628. 

PATHELIN  (La  farce  de.)  —  Les  frères 
Parlait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre  fran- 
çais (t.  111,  p.  1G7) ,  ont  donné  l'analyse 
suivante  de  la  Farce  de  Pathelin,  sous  la 
date  de  l'an   1W4  (932). 

«  On  ignore  absolument  le  nom  de  l'au- 
teur de  cette  farce  et  le  temps  de  sa  re- 
présentation. Tout  ce  qu'on  sait  de  plus 
précis  à  l'égard  du  dernier  article,  nous  le 
devons  à  M.  de  Lacaille,  dans  son  Histoire 
de  l'imprimerie  et  de  la  librairie  de  Paris, 
où  il  parle  d'une  édition  de  Pathelin,  chez 
Pierre  Le  Caron  qui  imprimait  vers  1474. 
Ainsi,  nous  supposons  cette  pièce  jouée 
vers  ce  temps  qui  eut  un  succès  des  plus 
marqués  (933),  et  dont  beaucoup  de  vers 
passèrent  en  proverbes,  môme  le  nom  du 
personnage  qui  donne  le  titre  à  la  pièce, 
de\int  et  est  encore  un  nom  général,  pour 
désigner  un  homme  qui  sous  une  apparence 
de  douceur  et  de  probité  cherche  à  tromper 
tout  le  monde. 

«  Nous  allons  donner  un  extrait  de  cet 
ouvrage,  quoiqu'extrêmement  connu,  tant 
par  son  mérite  que  par  la  pièce  de  de 
Brueys,  qu'on  joue  très-souvent,  qui  porte 
le  titre  de  V Avocat  Pathelin.  Nous  rendons 
compte  de  celle  de  l'anonyme. 

«  Elle  ouvre  par  Pathelin  et  Guillemette 
sa  femme.  Le  premier  se  plaint  du  peu  de 
gain  qu'il  a  fait  depuis  quelque  temps 
dans  sa  profession  d'avocat. 

6UILLEMETTE. 

Nous  mourrons  do  fine  famine , 

Nos  robes  sont  plus  qu'eslamiue 
Reses  (934). 

(932)  M.  Magnin,  dans  son  cours  à  la  Faculté  des 
lettres  a  signalé,  sous  la  date  du  xve  siècle,  le  Ser- 
ghis  de  Jean  Rcuchlin,  comme  une  imitation  de 
Pailteiin.  (Cf.  Journ.  gén.  de  Thistr.  publ.,  185G, 
6  mars  p.  292.) 

M.  F.  Génin  a  publié  dans  l'Illustration  française 
(1852,  nos  512  et  515,  p.  59ti  et  410),  une  version  de 
la  farce  de  Pathelin,  accompagnée  de  quelques  notes. 

(933)  La  grande  réputation  de  cette  farce  pénétra 
jusque  chez  les  étrangers,  en  faveur  desquels  Alexan- 
dre Connibert  en  donna  une  traduction  en  vers  la- 
tins, qui  fut  imprimée  à  Paris  en  1543,  par  Simon 
de  Colines,  pour  François  Estienne,  sous  le  titre 
suivant  :  Palelinus  nova  comœdia,  alias  Veterator,  e 
vulgari  lingua  in  latinam  traducta  per  Alexandrum 
Cennibertum  legum  doclorem,  et  nuper  quant  dili- 
gentistime  rccognila  :  ut  çonferenli  ciim  veteri  exem- 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAT 


U10 


PATHELIN. 

Taisez-vous  par  ma  conscience. 

Si  je  ycvùl  mon  sens  esprouver, 
Je  sçar.rai  bien  où  en  trouver 
Des  robes  et  des  chapperons. 

Je  m'en  veuil  aller  à  la  foire. 

GUILLEMETTE. 

Vous  n'avez  deider  ne  maille, 
Que  ferez-vous? 

PATHELIN. 

Vous  ne  sçavez 
Belle  dame,  si  vous  n'avez 
Du  drap  pour  nous  deux  largement, 
Si  me  desmentez  hardiment. 

«  Pathelin  quitte  Guillemette,  et  va  abor- 
der Guillaume  Joceaume,  drapier.  Après  les 
premiers  compliments,  il  entre  en  matière 
avec  le  marchand  et  donne  de  grands  éloges 
au  père  de  ce  dernier. 

PATHELIN. 

Ha!  qu'estoit  un  homme  sçavani! 
Je  requier  Dieu  qu'il  en  ait  lame. 
De  votre  père  ;  doulce  dame  ! 
Il  m'est  advis  tout  clerement 
Que  c'csl-il  de  vous  proprement. 
Qu'esloit-ce,  un  bon  marchand  et  saigo? 
Vous  lui  ressemblez  de  visaige, 
Pardieu,  comme  droicte  painture. 
Se  Dieu  eut  oncq  de  créature 
Mercy,  Dieu  vray  pardon  luy  fasse 
A  l'aine. 

LE  DRAPPIER. 

Amen,  par  sa  grâce, 
Et  de  nous  qaanï  11  luy  plaira. 

PATHELIN. 

Par  ma  foi,  il  me  déclaira 
Maintesfois  et  bien  largement 
Le  temps  qu'on  voit  présentement, 
Moult  de  fois  m'en  est  souvenu  : 
Et  puis,  lors  ii  estoil  tenu 
L'un  des  bons 

«  De  ce  discours,  Pathelin   passe  a  I' 
du  commerce,  et  ensuite  jetant  la  vue 
une  pièce  de  drap. 

Cestuy-cy  est-il  taint  en  laine? 
Il  est  fort  comme  un  cordoiien. 

LE    PRAPPIER. 

C'est  un  très-bon  drap  de  Rouen 
Je  vous  prometz,  et  bien  drappé. 

PATHELIN 

Or  vray  ment,  je  suis  attrappé 


état 
sur 


plari  plane  nova ,  hoc  est  longe  lersior  ,  latinisque 
auribus  gralior  videatur.  Celle  traduction  est  à  la 
vérité  assez  exacte.  On  y  a  ajouté  le  rôle  d'un  ac- 
teur (personnage)  que  l'on  introduisait  assez  com- 
munément dans  ce  temps-là,  et  qui  servait  à  faire 
remarquer  aux  spectateurs  les  plus  beaux  endroits 
de  la  pièce.  — Cette  farce  expurgée  ,  augmentée  , 
mise  en  vers  latins  pourplaire  aux  oreilles  savantes, 
parut  sous  les  auspices  dedom  P.  Colson,  dTleuricus 
Sussaneus,  de  Nicolas  Jucundus  et  de  Jean  Masset. 
En  épigraphe  on  lit  :  Plus  olei  quant  vint.  Elle  forme 
un  tout  petit  livret  de  29  feuillets  numérotés,  for- 
mant 58  pages.  Il  faut  ajouter  au  litre  donné  par  les 
frères  Parfait  ces  mots  qui  indiquent  la  main  des 
savants  Etienne  :  Cum  privilegio.  Imprimebal  Simon 
Colinœus  Francisco  Stéphane,  1545. 
(954)  Rases,  usées. 


1421 


PAT 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


PAT 


liii 


J'avois  mis  à  part  quatre  vingt 
Escus,  pour  retraire  une  rente, 
Mais  vous  en  aurez  vingt  ou  trente, 
Je  le  vois  bien,  car  la  couleur 
M'en  plaist  très-tant  que  c'est  douleur? 

LE    DRAPP1ER. 

Escus?  voire  se  peul-il  faire? 
Que  ceulx  dont  vous  devez  retraire 
Cesle  rente,  prinssenl  monnoye? 

PATHELIN. 

Et  ouy  dea,  si  je  le  vouloye, 
Tout  m'en  est  un  en  payement. 
Quel  drap  est  cecy?  vrayement 
Tant  plus  le  voy,  tant  plus  m'3ssolle  : 
H  m'en  l'ault  avoir  une  cotte, 
Rrief,  et  à  ma  femme  de  mesme. 

«  Guillaume  dit  le  prix  de  l'aune  de  son 
drap;  Pathelin  marchande  quelque  tearps,  et 
enfin  il  consent  à  le  prendre  :  on  le  mesure, 
et  il  s'en  trouve  six  aunes. 

PATHELIN. 

Or  sire  ,  les  voulez-vous  croire  (935) 
Jusques  à  jà  quand  vous  viendrez, 
Non  pas  croire,  mais  les  prendrez 
A  mon  huys,  en  or,  ou  monnoye. 

LE  DRAPPIER. 

Noslre  Dame!  je  me  lordroye 
De  beaucoup  à  aller  par-là. 

PATHELIN. 

Hée!  vostre  bouche  ne  parla 

Depuis,  par  Monseigneur  sainct  Gille, 

Qu'elle  ne  dit  pas  Evangile  : 

(/est  très-bien  dict,  vous  ne  voudriez 

Jamais  trouver  nulle  aclioison  (936) 

De  venir  boire  en  ma  maison. 
Or  y  burez-vous  ceste  fois. 

LE  DRAPPIER. 

Et  par  sainct  Jacques  jo  ne  fois 
<iueres  autre  chose  qu6  boire, 
Je  irai  :  mais  il  fait  mal  d'accroire, 
Ce  sçavez-vous  bien,  à  l'estraine. 

PATHELIN. 

Souffn-il  se  je  vous  estraine 
D'escus  d'or,  non  pas  de  monnoye? 
Et  si  mangerez  de  mon  oye, 
Par  Dieu,  que  ma  femme  rostit. 

LE  DRAPPIER. 

Vrayment,  cest  homme  m'assotist; 
Allez  devant,  sus,  j'iray  donc^ues, 
Et  les  porleray. 

PATHELIN. 

Rien  quiconques 
Que  me  grevera-t'il?  pas  maille, 
Sous  mon  aisselle? 

LE  LRAPP1ER. 

Ne  vous  chaille. 
Il  vaut  mieux,  pour  le  plus  honnesle, 
Que  je  le  porte. 

PATHELIN. 

Malle  festc 

»  M'envoye  saincte  Magdaleine, 
Si  vous  en  prenez  jà  la  peine. 

(935)  Croire,  credere  aliquid  alicui.    Prêter  quel- 
que chose  à  quelqu'un. 

(936)  Achoison,  occasion. 

(937)  Les  sergents  étaient  alors  vêtus   d'habits 
rayés,  aussi  Thibault  Agnelet,  qui  affectait  ne  con- 


C'est  très-bien  dict,  dessous  l'aisselle, 

Cecy  me  fera  une  belle 

Bosse  ;  ha!  c'est  très-bien,  allé 

Il  y  aura  beu,  et  galle 

Chez  moy,  ains  que  vous  en  aillez. 

LE    DRAPPIER. 

Je  vous  prie  que  vous  me  baillez 
Mon  argent  dès  que  j'y  seray. 

PATHELIN. 

Feray.  Et  parbleu  non  feray 
Que  n'ayez  prins  votre  repas 
Très-bien  :  Et  si  ne  voudroye  pas 
Avoir  sur  moi  de  quoy  payer  ; 
Au  moins  viendrez-vous  essayer 
Quel  vin  je  bois. 

«  Pathelin  emporte  le  drap,  et  revient 
chez  lui,  où  il  fait  part  à  Guillemette  sa 
femme,  de  la  façon  dont  il  s'est  pris  pour 
tromper  Guillaume. 

11  doit  venir  manger  de  l'oye, 
Mais  voicy  ce  qu'il  faudra  faire  ; 
Je  suis  certain  qu'il  viendra  braira 
Pour  avoir  argent  promplement; 
J'ai  pensé  bon  appoinciement. 
Il  convient  que  je  me  couche, 
Comme  un  malade  sur  ma  couche, 
Et  quand  il  viendra,  vous  direz 
Ah  !  parlez  bas,  et  gémirez 
En  faisant  une  chiere  fade  : 
Las!  ferez-vous,  il  est  malade 
Passez  deux  mois,  ou  six  semaines  : 
El  s'il  vous  dict,  ce  sont  trudaines, 
SI  vient  d'avec  moi  tout  venant; 
Helas!  ce  n'est  pas  maintenant, 
(Ferez-vous)  qu'il  faut  rigoîler, 
Et  le  me  laissez  flageoller, 
Car  il  n'en  aura  autre  chose. 

GUILLEMETTE. 

Par  l'ame  qui  en  moy  repose', 
Je  feray  très-bien  la  manière. 

«  Guillaume  arrive,  et  demande  Pathelin  : 
sa  femme  Guillemette  fait  la  désolée,  et  dit 
que  son  mari  est  malade  depuis  six  semai- 
nes, et  qu'actuellement  il  est  à  l'extrémité. 
Le  drapier  ne  comprend  rien  à  ce  discours, 
et  ne  saurait  se  persuader  qu'un  homme 
qu'il  a  vu  le  matin  on  bonne  santé,  soit 
dans  un  état  si  pitoyable.  Pathelin  paraît, 
qui  feint  un  délire  des  plus  violents.  Il  se 
sert  de  cinq  ou  six  jargons  pour  répondra 
à  Guillaume,  qui  lui  demande  de  J'argent  in 
drap  qu'il  lui  a  vendu.  Enfin  ce  malheureux 
drapier  est  obligé  de  s'en  aller,  après  avoir 
vainement  demandé  le  payement  de  sa  mar- 
chandise. Cependant  Guillaume  est  abordé 
par  son  berger  nommé  Aignelet. 

LE  BERGIER. 

Dieu  vous  doinl  benoiste  journée, 
Et  bon  vespres,  monseigneur  doulx. 

LE    DRAPPIER. 

Ha!  es-lu-là,  truaux  merdoux , 
Quel  bon  varlel!  mais  à  quoi  faire? 

LE  BERGIER. 

Mais  qu'il  ne  vous  vueille  desplaire, 
Ne  sçay  quel  vestu  de  royé  (937) 

naître  pas  même  un  sergent,  ni  les  marques  aux- 
quelles ils  étaient  reconnus,  dit  : 

Ne  scay  quel  veslu  de  royé, 

Qui  tenoii  un  fouet  sans  corde. 

C'est-à-dire  une  verge. 


i23 


PAT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAT 


iiîi 


Mon  bon  seigneur,  tout  tlesvoyé, 
Qui  tenoit  un  fouet  sans  corde. 
M'a  dict  :  mais  je  ne  me  recorde 
Point  bien  au  vray  ce  que  peuteslre  : 
II  m'a  parlé  de  vous,  mon  maisire, 
Et  ne  sçay  quelle  adjournerie. 
Quant  à  moy,  par  saincie  Marie, 
Je  n'y  entends  ne  gros,  ne  gresle  : 
11  m'a  brouillé  de  pesle  mesle, 
De  brebis,  et  de  relevée, 
Et  me  a  fait  un  grand'levée 
De  vous,  mon  maistre,  et  du  boucher. 

LE  DRAPP1ER. 

Si  je  ne  te  fais  emboucher, 
Tout  maintenant  devant  le  juge, 
Je  prie  à  Dieu  que  le  déluge 
Courre  sur  moy,  et  la  lempeste  : 
Jamais  tu  n'assommeras  besle 
Par  moi,  qu'il  ne  l'en  souvienne; 
Tu  me  rendras,  quoiqu'il  advienne. 
Six  aulnes...  dis-je,  l'assommaige 
Que  tu  m'as  faict  depuis  dix  ans. 

LE  BERGIER* 

Ne  croyez  pas  les  médisans, 

Monseigneur,  accordons  ensemble. 
Pour  Dieu,  que  je  ne  plaide  point. 

LE    BRAPPIER. 

Va,  ta  besongne  est  en  l'on  point  : 
Va-l'en,  je  m'en  accorderay 
Pardieu,  ne  l'en  appointeray 
Qu'ainsy  que  le  juge  fera. 

LE  BERG1ER. 

Adieu,  sire,  qui  vous  doint  joye. 

(A  part.) 

il  fault  donc  que  je  me  deffende. 
V  a-l-il  ame-là? 

{Frappant  à  la  porte  de  Palhelin.) 

PATHELIN. 

Dieu  te  gard,  Compain  (938). Qu'il  te  fault? 

LE  BERG1ER. 

On  me  piquera  en  deflaull 
Si  je  ne  vois  à  ma  journée; 
Monseigneur  a  de  relevée, 
Et  s'il  vous  plaisl  vous  y  viendrez, 
Mon  doulx  maistre,  et  me  détiendrez 
Ma  cause  :  car  je  n'y  sçay  rien, 
Et  je  vous  payeray  très-bien, 
Partant  si  je  suis  mal  vesiu.' 

PATHELIN. 

Or  viençà,  parle,  qu'es-tu? 
Ou  demandeur,  ou  deffendeur? 

LE  BERG1ER. 

J'ay  à  faire  à  un  entendeur; 
Entendez-vous  bien,  mon  doulx  maistre, 
A  qui  j'ay  longtemps  mené  paistre 
Les  brebis,  el  les  luy  gardoye, 
Par  mon  serment,  je  regardoye 
Qu'il  me  payoil  petitement. 
Diray-je  tout? 

PATHELIN. 

Dea  sûrement , 
A  son  conseil  doit-on  tout  dire. 

LE  BERGIER. 

Il  est  vrai,  et  vérité,  sire, 
Que  je  les  luy  ay  assommées, 
Tant  que  plusieurs  se  sont  pasmées 
Mainlesfois,  et  sont  cheules  mortes, 


Tant  fussent-elles  saines  el  fortes  ; 
El  puis  je  luy  faisois  entendre. 
Afin  qu'il  ne  m'en  peust  reprendre, 
Qu'ils  mourroient  de  la  clavelée  : 
Mal  fait-il,  ne  soit  plus  ineslée 
Avec  les  autres,  gelle-là. 
Voulenliers,  fais-je,  mais  cela 
Se  faisoil  par  une  autre  voye, 
Car  par  sainct  Jehan,  je  les  mangeoye, 
Qui  scavoye  bien  la  maladie. 
Que  voulez-vous  que  je  vous  die? 
J'ay  cecy  tanl  continué, 
J'en  ay  assommé,  el  tué, 
Tant  qu'il  s'en  est  bien  aperçu, 
El  quant  il  s'est  trouvé  déçu  , 
M'aisl  Dieu,  il  m'a  fait  espier, 
Car  on  les  ouist  bien  crier, 
Enlendez-vous,  quant  on  lesçait; 
Or  j'ay  esté  prins  sur  le  faict, 
Je  ne  le  puis  jamais  nier. 
Si  vousvoudroye  bien  prier 
(Pour  du  mien,  j'ay  assez  finance) 
Que  nous  deux  luy  baillons  radvauee; 
Je  scay  bien  qu'il  a  bonne  cause, 
Mais  vous  trouverez  bien  clause 
Se  voulez,  qu'il  l'aura  mauvaise. 

PATHELIN. 

Par  ta  foi,  seras-tu  bien  aise 
Que  donras-lu,  si  je  renverse 
Le  droit  de  la  partie  adverse, 
El  si  je  te  renvoyé  absouz. 

LE  BERGIER. 

Je  ne  vous  payeray  point  en  soulz, 
Mais  en  bel  or  à  la  couronne. 

PATHELIN. 

Donc,  tu  auras  ta  cause  bonne. 

Si  tu  parles,  on  te  prendra 

Coup  à  coup  aux  positions; 

Et  en  lelz  cas,  confessions 

Sont  si  très-préjudici;rbles 

Et  nuisent  tant  que  ce  sont  diables. 

Pour  ce,  vecy  que  lu  feras, 

J'à  lost,  quant  on  l'appellera, 

Pour  comparoir  en  jugement, 

Tu  ne  repondras  nullement 

Fors  bée,  pour  rien  que  l'on  le  die; 

Et  s'il  advient  qu'en  le  mauldie, 

En  disant,  hé  cornait,  puant, 

Dieu  vous  mette  en  mal,  truant. 

Vous  moquez-vous  de  la  justice? 

Dy,  bée.  Ha  !  feray-je,  il  est^nice, 

Il  cuide  parler  à  ses  besles  :' 

Mais  s'ils  dévoient  rompre  leurs  lestes. 

Qu'autre  mot  n'isse  de  ta  bouche, 

Carde-t'en  bien. 

LE  BERGIER. 

Le  faict  me  louche 
Je  m'en  garderay  bien,  vrayment, 
El  le  feray  bien  proprement  : 
Je  vous  le  promeiz,  et  afferme. 

PATHELIN. 

Or  l'en  garde,  liens  toy  bien  ferme, 
A  moy-mesme,  pour  quelque  chose 
Que  je  te  die,  ne  propose,  , 

Si  ne  repondz  point  aultremenl. 

LE  BERGIER. 

Moy,  nenny,  par  mon  sacrement, 
Dites  hardiment  que  j'affolle 


(D38)  Compain,  compagnon. 


i  isr> 


PAT 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


PAT 


14  -26 


Si  je  dy  Imy  aune  parole 
A  vous,  ne  à  aulre  personne, 
Pour  quelque  mot  que  Ton  me  sonne, 
Fors  bée,  que  vous  m'avez  aoprins. 

«  Voici  le  plus  comique  de  la  pièce. 
Palhelin  se  présente  devant  le  juge  pour  dé- 
fendre Aignelet.  Guillaume  arrive,  et  plaide 
lui-môme  sa  cause  contre  son  berger.  11 
aperçoit  Palhelin  :  à  cette  vue  il  s'em- 
brouille ,  et  confond  dans  son  discours  les 
moulons  égorgés  et  volés  par  Aignelet,  avec 
les  six  aunes  de  drap  emportés  par  Pathelin. 
le  juge  s'impatienle  des  interruptions,  et 
du  prétendu  galimatias  de  Guillaume,  et  lui 
dit  : 

Sus,  revenons  à  nos  moutons; 
Qu'en  fut-il? 

LE  DIUPPIER. 

Il  en  prit  six  aulnes 
De  neuf  francs. 

LE  JUGE. 

Sommes- nous  béjaunes. 
Ou,  cornart,  ou  cuidez  vous  eslre? 

«  Pathelin  triomphe  du  désordre  où  se 
trouve  Guillaume  pour  faire  entendre  au 
juge  que  ce  drapier  n'a  que  de  mauvaises 
raisons  à  alléguer  contre  sa  partie.  Le  juge, 
pour  éclaircir  l'affaire,  interroge  le  berger, 
<jiâ  suivant  le  conseil  de  Pathelin,  ne  ré- 
pond que  Bée. 

LE  JUGE. 

Yecy  angoisse. 
Quel  bée  est  cecy,  suis-je  chiévre? 

PATHELIN. 

Croyez  qu'il  est  fol  ou  leslu. 

Ou  qu'il  cuide  eslre  entre  ses  Lestes. 

«  Guillaume  recommence  son  discoure,  et 
«e  confond  de  plus  en  plus. 

LE   DRAPP1ER. 

Or  ça  je  disoye 
A  mo;>  propos  comment  j'avoye 
îi;(illé  six  aulnes,  dois-je  dire, 
Mes  brebis?  Je  vous  en  prie,  sire, 
P;irdonnez-moy.  Ce  gentil  maisire 
Mon  bergier,  quand  il  devoit  estre 
Aux  ebamps,  il  me  dit  que  j'oroye 
Six  escus  d'or,  quant  je  viendroye  : 
Dis-je  depuis  trois  ans  en  ça  : 
Mon  bergier  me  convenança  (959) 
Que  loyaulment  me  garderoit 
Mes  brebis,  et  ne  m'y  leroit 
Ne  dommage,  ne  villenie  : 
El  puis  maintenant  il  me  nie 
El  drap  et  argent  piaillement. 
Ha!  maistre  Pierre  vraymenl; 
Ce  ribaul-cy  m'embloil  les  laines 
De  mes  besles,  et  toutes  saiiif* 
Les  faisoit  mourir  et  périr, 
Pour  les  assommer,  elferir, 
De  gros  basions  sur  la  cervelle  : 
Quant  mon  drap  fut  soubz  sou  aiastile 
Il  se  mil  au  chemin  granl  erre, 
El  me  dit  que  j'allasse  quene 
Six  escus  d'or  en  sa  maison. 

(959)  Convenancer ,  promettre. 

(9iO)  M.  0.  Leroy  classe  parmi  les  drames  salii  i- 


LE  JLG3. 

Il  n'y  a  rime  ne  raison 

En  tout  quanque  vous  rafardez  : 

Qu'esse-cy?  vous  entrelardez 

Puis  d'un,  puis  d'autre  :  somme  loule, 

Par  la  sangbieu,  je  n'y  voy  goule. 

Il  brouille  de  drap,  el  babille 

Puis  de  brebis,  au  coup  la  quille 

Chose  qu'il  dit  ne  s'enlrelient. 

«  Guillaume  veut  reprendre  son  plaidoyé, 
et  ne  s'explique  pas  mieux  que  les  précé- 
dentes fois.  Le  juge  le  prend  pour  un  vi- 
sionnaire, renvoie  le  berger  absous  et  s'en 
va.  Guillaume  au  désespoir  du  jugement, 
fait  de  grandes  menaces  à  Pathelin,  et  se 
retire.  Pathelin  reste  avec  Aignelet,  et  après 
l'avoir  félicité  sur  le  gain  de  sa  cause,  il  lui 
demande  de  l'argent.  Aignelet,  suivant  la 
parole  qu'il  a  donnée  à  Pathelin,  ne  répond 
que  Bée,  à  tout  ce  que  ce  dernier  lui  dit. 
Palhelin  s'aperçoit  enfin  qu'il  est  trompé. 

PATHELIN. 

Maugrebieu,  ay-je  tant  vescu, 
Qu'un  bergier,  un  mouton  vestw, 
Un  villain  paillarl  me  rigolle. 

LE    BERGIER. 

Bée. 

PATHELIN. 

Par  sainct  Jehan,  tu  as  bien  raison, 
Les  oysons  mènent  les  oyes  paisires 
Or  cuidois-je  eslre  sur  tout  maisire 
Des  trompeurs  d'ici,  et  d'ailleurs, 
Des  fors  corbineurs,  des  bailleurs 
De  paroles  en  payement 
A  vendre  au  dernier  jugement  : 
Et  un  bergier  dès  champs  me  passe  : 
Par  saJncl  Jacques,  se  je  irouvasso 
Un  bon  sergent,  te  feisse  prendre. 

LE  BERGIER. 

Bée. 

PATHELIN. 

Heu  !  bée,  l'en  me  puisse  pendre 
Si  je  ne  vois  faire  venir 
Un  bon  sergent  :  mésadvenir 
Luy  Duisse,  s'il  ne  t'emprisonne. 

LE  BERGIER. 

S'il  me  treuve,  je  luy  pardonne.  » 

PATHELIN  (Le  testament  de).  —  Les 
frères  Pariait ,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
français  (t.  III,  p.  190)  donnent  l'aperçu  sui- 
vant de  cette  pièce  (9'»0),  sous  la  dale  de 
*'<ui  1520: 

Je. testament  de  Pathelin,  farce  à  quatre  per- 
sonnages, sçavoir  : 


PATHELIN, 
GU1LLEMETTE, 


L  APOTIIIQUA1RE, 
MESSIRE  JEHAN  LE  CURÉ. 


«  Comme  nous  ne  connaissons  cette  farce 
que  par  la  réimpression  que  feu  Coustelier 
en  fil  en  1723  à  la  suite  de  celle  de  Pathelin, 
nous  ne  pouvons  fixer  la  dale  de  la  première 
édition.  A  en  juger  par  le  langage,  elle  pa- 
rait avoir  été  composée  vers  1520.  C'est  l'é- 
poque que  nous  lui  donnons  en   allendant 

qiies,  précurseurs  de  la  Réformalion ,   le  Routedit 
J'ailielin.  (Cf.  Epoques. ..  cil.  8.) 


U27 


PAU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PAY 


Î4S8 


d'autres  éclaircissemenls.  Au  reste,  ellu 
n'est  pas  d'un  grand  mérite.  Voici  en  peu 
de  mots  quel  en  est  le  sujet. 

«  Palhelin  ouvre  la  scène  et  appelle  sa 
femme  Guillemette,  pour  qu'elle  lui  donne 
son  sac,  dont  il  a  besoin  pour  aller  aux 
plaids.  A  peine  Pathelin  est  parti  qu'il  re- 
vient, en  disant  qu'il  se  meurt.  Sa  femme 
court  chercher  l'apothicaire  et  le  curé.  Ces 
derniers  arrivent.  Le  premier  assure  que  le 
malade  n'en  peut  revenir  et  le  curé  le  con- 
fesse. Ensuite  Pathelin  fait  son  testament  et 
expire  en  disant  : 

Hélas!  Guillemeile,  ma  femme, 
Il  est  à  ce  coup  faict  de  moi  ; 
A  dieu,  jamais  mot  ne  diray, 
La  mort  va  faire  son  effort. 

GUILLEMETTE. 

Ha!  Noslre  Dame  de  Monlfor», 
Le  bon  Maistre  Pierre  est  basi. 

MESSIRE  JEHAN. 

Le  remède  est  prier  pour  luy . 
El  requiescanl  in  pace, 
Oublier  faut  le  temps  passé. 
Rien  n'y  vault  te  desconforl. 

l'apotoiquaire. 

Jésus  luy  soit  miséricors, 

El  à  tous  ceulx  qui  sont  en  vie. 

GUILLEMETTE. 

Amen,  et  la  Vierge  Marie. 

MESSIRE  JEHAN. 

Or  pensons  de  le  mettre  en  hierre  r 
Jésus  luy  soit  miséricors. 

GUILLEMETTE. 

Hélas  !  quant  de  luy  me  retors, 
Je  suis  amèrement  marie. 

MESSIRE  JEHAX. 

Jésus  luy  soit  miséricors. 

GUILLEMETTE. 

Amen,  et  la  Vierge  Marie. 

MESSIRE  JEHAN. 

Jésus  luy  soit  méricors 

Et  à  tous  ceulx  qui  sont  en  vie. 

Adieu  toute  la  compagnie.  » 

PAUVRES  DIABLES  (Les).  -  Les  poures 
deables,  farce  nouuelle  a  vu  personnages,  c'est 
a  scauoir  : 


LA   FILLE  DESBaUCHÉF.  r 

l'amant  VER... 
et   LE  MOYNNE. 


LA  REFORMERESSE, 
LE  SERGENT, 
LE   PREBSTRE, 
LE  PRATICIEN. 

Cette  farce  date  du  xvr  siècle. 

On  la  trouve  dans  le  manuscrit  du  la  Bi- 
bliothèque impériale,  fonds  La  Valliëre, 
n°  63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel    l'ont 
éditée   dans   leur  Recueil  de   farces    (Paris, 
ïcchener,  1831-1837,  4  vol.  pet.  in-8°). 
la  reformeresse  commence  : 

«  A  bien  parlar  bien  besongnar,  » 
Dict  l'Auvergnat  Jeban  de  Souefons 
En  ce  lieu  veulx  monslrer  mon  art 
Dire  ma  barangue  et  raisons 
De  faire  cent  comparaisons... 

PAUVRE  VILLAGEOISE  (La).  Voy. 
Villageoise  (La  pauvre). 


PAYEUR(Lebo*).—  Voij.  Bon  payeur  (Le). 
PAYSAN  DE  MICHEL  PLOCHYRE  (Le). 

—  Michel  Plochyre  vivait  au  xn*  siècle  et 
écrivait  en  grec. 

Le  drame  qui  reste  de  lui  a  été  édité,  pour 
la  première  fois  en  1593,  par  Féderic  Morel 
à  Paris  (in-8°  de  16  pages),  par  Maitlaire  à 
Londres  (Miscell.  1722)  et  par  M.  Dùbner 
dans  la  Collection  des  classiques  grecs  de 
M.  Didot  ;  on  n'en  connaît  plus  de  manus- 
crits. 

M.  Diihuera  constaté  de  nombreuses  in- 
fidélités dans  l'édition  de  Morel,  qui  lui  a 
semblé  revue  et  corrigée  au  caprice  de  l'é- 
diteur. 

L'unique  traduction  qui  en  existe  est 
celle  de  ce  même  Morel  ;  on  n'en  connaît 
point  de  version  française. 

Le  drame  est  considéré  par  M.  Dùbner 
comme  la  meilleure  production'des  Bysan- 
tins. 

Dans  son  cours  professé  à  la  Faculté  des 
lettres,  M.  Magnin  cite  un  fragment  *du 
drame  de  Plochyre,  sous  la  date  du  xn* 
siècle  ;  il  déclare  cette  pièce  ingénieuse  et 
froide;  il  y  remarque  enfin  des  notions 
théologiquës,  scientitiques  et  morales,  bi- 
zarrement juxta-posées.  (Cf.  Journ.  gén.  de 
l'Instr.  publ.,  1835,  3  septembre,  p.  161). 

Le  Drame  de  Michel  Plochyre  '  est  pour 
M.Edelestand  Duméril  une  production  d'une 
époque  évidemment  chrétienne,  mais  im- 
possible à  fixer;  il  le  considère  comme  vé- 
ritablement dramatique.  (Cf.  Origine  latine 
du  théâtre  moderne  ;  Paris,  1849,  in-8%  p.  10, 
note  5.) 

Le  paysan  de  Michel  Plochyre. 
PERSONNAGES. 

LE  PAYSAN,  LES  MUSES, 

LE  SAGE,  LE  CHOEUR. 

LA  FORTUNE, 

le  paysan.  Salut!  ô  Fortune,  trois  fois  heureuse, 
trois  fois  vénérable!  Tous  mes  souhaits  sont  d'avoir 
votre  aide,  et  de  vivre  sous  votre  précieuse  con- 
duite. 

le  sage.  Holà!  Paysan,  de  quelle  déesse  parlez- 
vous  sons  ces  termes  de  trois  fois  bienheureuse  et 
trois  fois  vénérée?  N'est-ce  pas  à  juste  litre  que  tout 
le  monde  l'abhorre,  celte  misérable  [Fortune],  qui 
nous  arrache  sans  cesse  au  droit  chemin? 

le  paysan.  Tenez  un  peu  votre  langue,  et  fermez 
votre  bouche  caqueleuse.  Ne  redoutez-vous  point 
d'exciler  la  colère  de  la  grande  déesse?  Elle  est  en 
tout  lieu,  et  voit  tout... 

le  sage.  Eh!  quel  bomme  de  bon  sens  fait  son 
culte  d'une  déesse  aveugle? 

le  paysan.  Esprit  obtus  !  le  mien  y  voit  clair. 

le  sage.  Comment!  est-elle  aux  portes  d'un  pay- 
san? 

le  paysan.  C'est  qu'elle  savait  mon  foyer  loin 
rempli  de  son  nom,  et  qu'à  son  approcbe  elle  trou- 
verait les  portes  ouvertes. 

le  sage.  C'est  étrange!  Mais  vous  dites  vrai;  je 
me  ligure  à  celte  heure  ce  qui  a  dû  se  passer. 

le  paysan.  Que  conjecturez-vous?  Parlez  plus  clai- 
rement. 

le  sage.  Elle  venait  évidemment  cbez  moi.  Mais, 
la  vieille  décrépite,  avec  ses  jambes  branlantes!  la 
malheureuse!  à  cette  heure  du  soir,  dans  les  pre- 
mières ombres  ,  ses  pieds  tonus  l'ont  fait  dévier  de 
sa  roule;  elle  sera  tombée  el  blessée  sur  les  cailloux, 


!*29 


l'A  Y 


NOTICE  SUK  LE  THEATRE  LIBRE. 


TEL 


U50 


souffrant  soudain  de  quelque  douleur  vive,  c'est 
pour  se  reposer  un  peu,  en  attendant  de  revenir  jus- 
qu'à ma  maison  qu'elle  aura  frappé  d'abord  à  la  porte 
close,  puis'voyant  ouvert  un  huis  voisin,  qu'elle  sera 
entrée,  cherchant  un  refuge. 

la  fortune.  Cela  fait  enrager  d'entendre  dire  que, 
moi,  la  plus  rapide  des  divinités,  moi!  je  suis  boi- 
leuse.  Moi,  qui  commande  à  la  terre,  moi  qui  m'é 
lève  jusqu'aux  cieux,  et  à  qui  tout  obéit,  partout! 

le  sage.  Scélérate  vieille!  Le  plus  funeste  mal  du 
genre  humain!  chargée  d'ans  et  de  loques!  dégoû- 
tante d'infirmités!  à  qui  accordes-tu  les  faveurs,  si- 
non aux  plus  indignes? 

i.a  fortune.  Bonhomme,  lu  aimes  à  remuer  la 
langue.  Tu  le  vantes  connue  un  fou  ,  cl  lu  bredouilles 
avec  impudence.  Tu  es  hardi.  N'as-lu  pas  les  dons 
des  Muses  si  lu  n'as  pas  ceux  de  la  Fortune?  L'élo- 
quence, la  poésie  le  sont  familières.  Appelle  les  Mu- 
ses dans  la  cause,  et  porte  leur  tes  plaintes.  Mais 
va-t-en. 

le  sage.  Va  au  malheur!  Démon.  Egare-toi,  péris, 
ô  loi  qui  m'objecte  par  envie  les  dons  des  Muses! 

les  muses.   Salut  !  6  le  plus  éloquent  des  hommes. 

le  sage.  Eh!  vous,  taisez-vous.  Pas  de  bruit. 
Chut!  II  est  venu  du  bruit  à  mon  oreille.  Ouvrez  la 
porte,  on  va  frapper 

les  muses.  Salut!  ô  le  plus  illustre  des  orateurs. 

le  sage.  Ah!  quel  bonheur  nous  arrive  en  ce  mo- 
ment? 

les  muses.  O  charmes,  ô  délices,  ô  grâces  de  la 
parole! 

le  sage.  Je  veux  l'aimer,  ô  chœur.  Courons  chez 
moi. 

le  choeur.  Réjouissez-vous ,  mon  maître  :  voici 
les  Muses. 

le  sage.  Vraiment.  Meiiez-Ies  dehors,  repoussez- 
les  loin  de  la  maison. 

le  choeur.  C'esl  ce  que  vous  ne  ferez  pas,  maître, 
devant  de  si  grandes  déesses. 

le  sage.  El  en  quoi  donc  ai-je  jamais  connu  la 
puissance  de  ces  déesses,  je  le  demande? 

le  chœur. Ne  sonl-cepas  elles  qui  ont  fait  devons 
un  si  éminenl  rhéteur? 

le  sage.  Et  quels  biens  m'a  apportés  la   science! 

le  choeur.  N'èles  vous  pas  le  plus  habile  pour  les 
bons  conseils? 

le  sage.  J'en  suis  pourtant  encore  à  chercher 
par  quel  moyen  arracher  mes  jours  à  la  misère;  et 
je  n'ai  pas  trouvé  la  solution  du  problème. 

le  choeur.  Vous  avez  en  vous,  les  plus  riches 
trésors  de  la  sagesse. 

le  sage.  L'éloquence  n'a  pas  cours  aux  marchés. 

le  choeur.  La  gloire  esl-elle  au-dessous  de  la  ri- 
chesse? 

le  sage.  La  gloire  remplit-elle  le  ventre  qui  a 
faim?  ô  misère!  oh!  combien  sont  supérieurs  les 
écus  du  paysan! 

le  choeur.  Voudriez-vous  donc  êlre  ce  paysan 
plutôt  qu'un  sage? 

le  sage,  le  voudrais  êlre  casseur  de  pierres  ou 
corroyenr;  une  machine,  n'importe  laquelle.  Le  gur- 
gollier,  le  lourd  savelier,  incapable  de  dire  quatre 
paroles,  couvrant  loul  des  jets  de  sa  salive  dans  sou 
bavardage  insipide,  ne  parlant  que  barbarismes, 
ignoble,  grossier,  esl  pourtant  l'homme  qui  marche 
le  mieux  dans  les  chemins  tortueux  ,  accompagné, 
comme  un  prince,  d'un  cortège  à  qui  s'adresse  sa 
superbe  vantarde.  Mais  celui  nui ,  pour  inspirer  le 
respect,  n'a  que  sa  pensée,  erre,  sans  abri,  parmi  les 
malheurs,  et  avec  la  pauvreté. 

Les  hommes  de  sens  oui  rarement  les  faveurs  des 
assemblées.  Voilà  pourquoi  je  fais  fi  des  savants  el 
je  vante  les  ignorants. 

Désormais  Toi  parle  et  se  fail  écouler. 

le  choeur.  O  maître!  épargnez-nous  ce  langage. 
L  tissez  parler  ici  les  Muscs.  Les  voici;  ce  sont  elles 
d;ms  loule  leur  élégance. 


les  muses.  Hélas!  combien  n'avons-nous  pas 
pleuré,  nous,  dispensatrices  de  la  science  et  déesses 
de  l'éloquence  ! 

le  sage.  Et  pourquoi  coulaient  tant  de  larmes? 

les  muses.  Nous  l'a  vous  ouï  :  vous,  voués  a  la  Pa- 
role, vous  nous  avez  maudites, nous,  souveraines  de 
la  Parole. 

le  sage.  C'est  vrai.  Mon  avis  esl  encore  que  vous 
êtes  inutiles  et  haïssables. 

les  mises.  Quelle  raison  avez-vous  de  nous  haïr? 
I)iles-le,  au  moins. 

le  sage.  Je  travaille  dans  la  pauvreté  et  la  souf- 
france; je  n'ai  rien,  rien. 

les  muses.  La  lerre  produit  pourtant  des  chardons 
el  du  foin. 

le  sage.  O  exécrables  créatures!  pourquoi  n'avez- 
\ous  pas  le  boyau  à  la  main?  pourquoi,  funestes 
[compagnes],  ne  faites-vous  pas  les  récoltes  au  plus 
vite? 

les  muses.  Malgré  la  science,  lu  ne  sais  pas  en- 
core modérer  tes  passions. 

le  sage.  Ne  suis-je  pas  né  homme?  Me  faut- il 
donc  brouler  l'herbe?  6  rage!  vous  m'avez  mis  au 
rang  des  ânes. 

les  muses.  Adorateur  de  l'or,  lu  persistes  donc 
dans  ta  faille.  Tu  n'aimes  plus  la  gloire  suprême  de 
la  vertu,  lu  veux  l'enivrer  dans  une  orgie  d'or. 

le  sage.  Oui,  je  voudrais  enfin  savoir  ce  que  c'est 
qu'une  ivresse  quelconque. 

les  muses.  El  ne  vis-tu  jamais  un  ivrogne  soûlé? 

le  sage.  Dites-moi  toujours  ce  que  c'esl  que  le  vin, 
el  surtout  point  d'obscurités,  point  d'ambages  :  ma 
soif  ne  s'est  jamais  étanchée  que  d'eau. 

la  fortune.  Eh  bien,  le  voilà  plus  élégant  dans 
les  expressions  avec  les  Muses  qui,  pourtant,  ne  te 
sont  pas  bienveillantes. 

le  sage.  Vieille  profane  et  odieuse  !  vieille  des 
vieilles!  commune  peste  de  l'homme,  première 
source  du  mal,  fontaine  des  vices,  dis,  à  qui  en  as- 
tu?  J'aimerais  mieux  parler  je  ne  sais  quoi,  el  ne 
pas  avoir  sur  le  dos  cel  habit  de  rebut  et  de  plomb, 
ne  jamais  manquer  ni  de  viande,  ni  de  vin,  que  d'a- 
valer des  légumes  grossiers,  comme  un  sanglier  sau- 
vage dans  le  fond  des  bois. 

les  muses.  Gomment,  n'as-tu  que  ruine  cl  désola- 
lion  dans  l'esprit.  Tu  dis  des  bêtises,  savant  docteur 
jusqu'à  présent.  Ne  le  resle-l-il  pas  lueur  de  bon 
sens?  Eh  bien!  puisse  bientôt  êlre  réalisé  ion  espoir 
futile;  puisses-tu  voir  des  trésors  el  vivre  dans  le 
luxe. 

le  sage.  Ainsi  soil-il  !  Ce  n'esl  pas  près  d'arriver. 
Je  crains  encore  de  tomber  à  pis. 

Loué  soil  Dteu. 

PÈLERIN  [Le  jeu  du).  —  Li  jus  du  Pèle- 
n'n  date  du  xiii*  siècle;  on  en  ignore  l'auteur; 
M.  de  Monmerqué  sérail  d'avis  qu'il  appar- 
tient h  Adam  de  La  Halle,  ou  de  Le  Halle. 

Celle  pièce  se  trouve  dans  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Val- 
lière,  n°  31. 

Le  Pèlerin  a  été  publié  par  M.  de  Monmer- 
qué, pour  la  première  fois,  en  1822,  pour  la 
Société  des  bibliophiles  français,  au  nombre 
de  trente  exemplaires  seulement,  avec  li 
Gicus  de  Robin  et  de  Marion.  li  est  reproduit 
dans  le  Théâtre  français  au  moyen  âge  de 
MM.  Monmerqué  el  Francisque  Michel  (Pa- 
ris, 1839,  gr.  in-8u). 

De  Roquefort  mentionne  le  Pèlerin  et  l'at- 
tribue à  Jean  Bodel.  (Cf.  De  l'état  de  la  pods. 
fr.  dans  les  xii*  et  xui*  siècles  ;  Paris,  1815, 
in-8",  p.  261.) 

M.  Magnin  l'examine  dans  son  cours  pio- 


jttl 


TEL 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PEL 


1432 


fessé  a  la  Faculté  des  lettres  sous  la  date  du 
xiii'  siècle.  (Cf.  Journ.  gin.  del'inst.  publ.  ; 
1836,  Hjanv.,  p.  172.) 

M.  Monmerqué   a  dit  du  Jeu  du  Pèlerin 
que  son  auteur  était  inconnu,  que  le  jeu  était 


une  sorte  de  prologue  de  Robin  et  Marion,  et 
enfin  l'oraison  funèbre  d'Adam  de  La  Halle. 
(Cf.  Le  Théâtre  français  au  moyen  âge;  l'a- 
ris,  1839,  gr.in-8",  p.  30.) 


Li  Jus  du  Pèlerin. 
PERSONNAGES. 

LI PELERINS, 

gautiErs,  appelé  d'abord  i.i  vilains, 
cuios, 

Lu  scène  est  à  Arras. 


WARNlERS, 
ROGAUS. 


LI    PELERINS. 

Or  pais,  or  pais,  segnieur!  et  à  mois  entendes  : 
Nouveles  vous  dirai ,  s'un  petit  attendes, 
Par  coi  treslous  li  pires  de  vous  iert  amendés. 
Or  vous  taisiés  tout  coi,  si  ne  me  reprendés 
Segî.ieur,  pèlerins  sui,  si  ai  aie  maint  pas 
Par  viles,  par  casliaus,  par  chilés,  par  trespas 
S'aroie  bien  mestier  que  je  fusse  à  repas; 
Car  n'ai  mie  par  tout  mont  bien  trouvé  mes  pas. 
Bien  a  trente  clu'enc  ans  que  je  n'ai  aresté, 
S'ai  puis  en  maint  bon  lieu  et  à  maint  saint  esté, 
S'ai  esté  au  Sec- Arbre  et  dusc'.à  Duresté  (941)  ; 
Dieu  grasci  qui  m'en-a  sens  etpooir  preste. 
Si  fui  en  Famenie,  en  Su  rie  et  en  Tir  ; 
S'alai  en  un  pais  où  on  est  si  entir 
Que  on  i  muert  errant  quant  on  i  veut  mentir,. 
Kl  si  est  tout  quemun. 

LI    VILAINS. 

Je  l'en  vœil  desmenlir, 
Car  entendant  nous  fais  vessie  pour  lanterne. 
Vous  ariés  jà  plus  cbier  à  sir  en  le  taverne 
Que  aler  au  mouslier. 

LI    PELERINS. 

Pechié  fait  qui  me  ferne, 
Car  je  sui  mont  lassé  ;  esté  ai  à  Luseme, 
En  Terre  de  Labour,  en  Toskane,  en  Sezile; 
Par  Puille  m'en  reving  où  on  lint  maint  concilie 
D'un  clerc  net  el  sousiieu,  grascieux  et  nobile 
El  le  nomper  du  mont;  nés  fu  de  cesie  ville; 
Maislres  Adans  li  Bocbus  esloit  cbi  apelés, 
Ella,  Adans  d'Arras. 

LI  VILAINS. 

Très  mal  atrouvelés 
Soiiés,  sire,  con  vous  avés  nos  ans  pelés! 
Est-il  pour  truander  1res  bien  alripelés? 
Alés-vous-en  de  cbi,  mauvais  vilains  puans, 
Car  je  sai  de  cherlain  que  vous  estes  truans  : 
Or  lost  fiiés-vous-enl,  ne  soies  dcluans, 
Ou  vous  le  comperrés. 

LI    PELERINS. 

Trop  par  estes  muans; 
Or  atcndés  un  peu  que  j'aie  fait  mon  conte. 
Or  pais,  pour  Dieu,  signeur!  Cbis  clers  don  je  vous 

conte 
Ert  amés  et  prisiés  el  bonnerés  (942)  don  conte 
D'Artois;  si  vous  dirai  mont  bien  (lequel  aconte  : 
Chiens  maistre  Adam  savoit  dis  el  ebans  conirou- 

ver, 
El  li  quens  desirroil  un  tel  home  à  trouver. 
Quant  acointiés  en  fu,  si  li  ala   rouver 
Que  il  féist  uns  dis  pour  son  sens  esprouver, 
Maiètre  Adans,  qui  en  seul  1res  bien  chief  venir, 

(9 il)  Voyez,  sur  ce  nom,  le  Glossaire  de  la  Chan- 
son de  Roland,   p.  181,  col.  2,  au  mol  Durestant. 

(942)  Et  probablement  enrichi  aussi  :  c'esi  ce  que 
nous  donne  à  penser  le  passage  suivant  : 

Après  vi-jou  un  maistre  Arlan, 
S'ame  esl  passée  outre  le  dan 


LE  PELERIN. 

Chut  !  chut!  seigneurs,  écoulez-moi .:  j'ai  à  vous 
parler...  un  peu  de  patience...  j'ai  des  nouvelles  par 
lesquelles  le  pire  devons  sera  amendé!  Chut!  ions. 
Paix!  ne  m'interrompez  pas.  Seigneurs ,  je  suis 
pèlerin,  et  j'ai  fait  mainl  voyage  par  villes,  châteaux, 
cités,  défilés,  et  j'aurais  bien  besoin  d'avoir  du  repos, 
car  je  n'ai  pas  très-bien  trouvé  ma  nourriture  par- 
tout. 11  y  a  trente-einq  ans  que  je  ne  me  suis  arrêté, 
et  j'ai  durant  ce  temps  parcouru  bien  des  lieux  et  vu 
bien  des  saints.  J'ai  été  au  Sec-Arbre  et  jusqu'à  Du- 
resté; je  remercie  Dieu  qui  m'en  a  donné  l'idée  et  le 
pouvoir.  J'ai  été  en  Famenie,  en  Syrie  et  à  Tyr;  je 
suis  allé  dans  un  pays  où  l'on  esl  si  véridique  que 
l'on  y  meurt  sur  l'heure  quand  on  y  veut  mentir,  ce 
qu'on  y  voit  tous  les  jours. 

LE  VILAIN. 

Je  l'en  veux  donner  le  démenti.  Nous  t'écoutons, 
mais  tu  nous  oflres  des  vessies  pour  des  lanternes. 
Vous  êtes  de  ceux  qui  aiment  mieux  être  assis  en  la 
taverne  que  d'aller  au  moulier. 

LE  PÈLERIN. 

Péché  fait  qui  me  frappe,  car  je  suis  très-las: 
j'ai  été  à  Luseme,  en  Terre  de  Labour,  en  Toscane, 
en  Sicile;  je  m'en  revins  par  la  Pouille  où  l'on  s'en- 
tretint beaucoup  d'un  clerc  net  et  subtil ,  gracieux 
cl  noble,  et  qui  n'avait  son  pareil  au  monde;  il  fui 
natif  de  celte  ville;  il  était  appelé  ici  maître  Adam 
le  Bossu,  et  là  Adam  d'Arras. 

LE  VILAIN. 

Très-mal  venu  soyez,  sire,  comme  vous  avez  pelé 
nos  aulx  !  Est-il  pour  gueuser  irès-bien  enlripaillé; 
Allez-vous-  en  d'ici,  mauvais  vilain,  car  je  sais  de 
source  certaine  que  vous  n'êtes  qu'un  truand  :  or 
fuyez  tôt,  ne  tardez  pas,  ou  vous  le  paierez. 


LE    rÈLEBIN. 

Vous  êtes  trop  turbulent;  attendez  un  peu  que 
j'aie  fini  mon  récit.  Or  paix,  pour  (l'amour  de)  Dieu, 
seigneur!  Ce  clerc  dont  je  vous  conle  était  aimé  et 
prisé  du  comte  d'Artois,  et  je  vous  dirai  bien  à  quel 
propos  :  ce  maître  Adam  savait  composer  dits  et 
chants,  et  le  comte  désirait  trouver  un  tel  homme. 
Quand  il  fut  en  rapport  avec  lui,  il  l'alla  prier  de 
lui  faire  un  dit  pour  éprouver  son  esprit.  Maître 
Adam,  qui  sut  bien  venir  à  bout,  en  fit  un  dont  on 
doit  très-bien  se  souvenir;  car  il  est  très-beau  à  ouïr 
el  bon  à  retenir.  Le  comte  n'aurait  pas  donné  b 
pièce  pour  cinq    cenls  livres.  A  celte  heure  maître 

De  s'en  avoir  a.  i.  grain  mont. 
Se  ferne  voir  de  Mirauniool 
Mauciotis  a  le  remanani; 
Mais  jou  n'i  iai  aparlenant, 
Foi  ke  doi  Diu  le  père  nostre, 
Ki  pour  ans  die  patrenosire. 


1433 


PKL 


NOTICE  SIR  LE  THEAJRE  LIBRE. 


PEL 


1434 


En  fist  un  dont  il  doit  moul  très  bien  sonsvenir, 
Car  liions  est  à  oit  el  bons  à  retenir. 
Li  quoins  n'en  vaurroit  mie  cinc  chem  livres  tenir. 
Or  est  mors  rnaislre  Adans  ;  Diex  li  lâche  inerchi  ! 
A  se  tomble  ai  esté,  don  Jhesu-Crisl  inerchi  ! 
Li  quoins  le  me  mousira  ,  le  soie  graul  merchi! 
Quant  jou  i  fui,  l'autre  an. 

LI    VILAINS. 

Vilains,  fuies  de  clii  î 
Ou  vous  serés  moul  lost  loussiéset  desvestus; 
A.  l'ostel  serés  jà  autrement  revestus. 

LI  PELERINS. 

Et  comment  vous  nomme-on  qui  si  estes  testus? 

LI   VILAINS. 

Comment,  sire  vilains  ?  G3utelos  li  Teslus. 

LI    PELERINS. 

Or  veillés  un  petit,  biaus  dous  amis,  alendre; 

Car  on  m'a  fait  moul  lonc  de  celle  vile  entendre, 

Qu'ens  en  l'onnour  du  clerl  que  Dieus  a  volul  pren- 
dre, 

Doil-on  dire  ses  dis  clii  endroit  et  aprendre; 
Si  sui  pour  che  chi  eubalus. 

GAUT1ERS. 

Fuies!  ou  vous  serés  batus, 
Que  diable  vous  on!  raporlé. 
Trop  vous  ai  ore  déporté, 
Que  je  ne  vous  ai  embrunkiel, 
Ne  que  cist  saint  sont  enfunkiel  ; 
Il  ont  véu  maint  roy  en  France. 

LI  PELERINS. 

Hé  !  vrais  Dieus,  envoies  Souffrance 
Tous  cheus  qui  me  font  desraison. 

Ginos. 
Warnet,  as-tu  le  raison 
Oïe  de  cest  paisant , 
El  comment  il  nous  va  disant 
Ses  bourdes  dont  il  nous  abuffe  ? 

WARNÉS. 

Oué.  Donne  li  une  hune; 

Je  sai  bien  que  c'est  .j.  mais  hoin. 

cuios. 

Tenés,  ore  aies  en  maison, 
El  si  n'i  venés  plus,  vilains. 

ROGAUS. 

Que  c'est  ?  mesires  sains  Guillains  , 
Warnier,  vous  puisl  faire  baler! 
Pour  coi  en  faites  vous-aler 
Chesl  borne  qui  riens  ne  vous  grieve? 

WARNERS. 

Rogaut,  à  poi  que  je  ne  crieve  , 
Tant  fort  m'anuie  se  parole. 

ROGACS. 

Taisiés-vous,  Warnier  ;  il  parole 
De  rnaislre  Adan,  le  clerc  d'onnetir, 
Le  joli,  le  largue  donneur, 
Qui  en  de  toutes  venus  plains; 
De  tout  le  mont  doileslre  plains, 
Car  mainte  bêle  grâce  a  voit, 
Et  seur  tous  biau  diler  savoil, 
El  s'esloil  parfais  en  cbanler. 

WARNIERS. 

Savoit-il  dont  genl  enchanter? 
Or  pris-je  trop  mains  son  affaire. 

ROGAL'S. 

Nenil,  ains  savoit  canchons  faire 
Panures  (°45|  et  motès  entés'; 
De  che  fisl-il  a  grant  plcntés  , 
El  balades,  je  ne  sai  quantes. 

(943) L'on  trouve  dans  le  manuscrit 
une  grande  a/u'iiiic  de  mztettnti. 


Adam  est  mort;  que  Dieu  lui  fasse  merci  !  J'ai  éié  à 
sa  tombe,  et  j'en  remercie  Jésus-Christ.  Le  comte 
me  la  montra  (grâces  lui  soient  rendues!)  quand 
j'y  fus  l'année  passée. 


LK   VILAIN. 

ou  vous  serez  battu 
logis  qu'avec 


et  désha- 
iii!   autre 


"Vilain,  hors  d'ici! 
bille;  vous  nerenlrerez.au 
babil. 

LE    PÈLERIN. 

El  comntenl  vous  nomme-l-on,  l'homme  têtu? 

LE    VILAIN. 

Comment,  sire  vilain?  Gaulelos  le  Têtu. 

LE    PÈLERIN. 

Un  peu  de  patience,  bel  ami,  car  on  m'a  dit  bien 
des  fois  en  parlant  de  votre  ville,  qu'en  l'honneur 
du  clerc  que  Dieu  a  voulu  prendre,  il  me  fallait  ici 
dire  et  apprendre  ses  dils;  el  je  ne  me  suis  arrêté 
que  pour  cela  ici. 

GAUTIER. 

Fuyez!  ou  vous  serez  battu ,  car  le  diable  seul  a 
pu  vous  donner  ce  conseil.  Je  vous  ai  tantôt  trop 
bien  traité,  car  je  ne  vous  ai  pas  chagriné,  et  ces 
saints  ne  sont  pas  enfoncés;  ils  ont  vu  maint  roi  en 
France. 

LE    PÈLERIN. 

Hé!  vrai  Dieu,  envoyez  souffrance  à  tous  ceux 
qui  me  font  tort. 

GUIOT. 

Warnier,  as-tu  ouï  le  discours 
nous  dit  des  bourdes  absurdes. 


WARNIER. 


de    ce  paysan  ;  il 


soufflet  ;  je  sais  bien  que  c'est 


GUIOT. 

allez  au 


logis ,    el   ne  venez 


Oui.  Donne-lui   un 
un  mauvais  homme. 

Tenez,  maintenant 
plus  ici,  vilain. 

ROGAUT. 

Qu'est-ce?  messire  saint  Guillain,  Warnier,  puisse- 
l-il  vous  faire  danser  !  Pourquoi  faites-vous  s'en 
aller  cet  homme  qui  ne  vous  fait  aucun  mal? 

WARNIER. 

Rogaut,  il  s'en  faut  de  peu  que  je  ne  crève,  tant 
sa  parole  m'ennuie. 

ROGAUT. 

Taisez-vous,  Warnier,  il  parle  de  maître  Adam, 
clerc  honorable,  gai,  large,  donneur,  plein  de  toutes 
verlus,  et  qui  doit  exciter  la  pitié  de  lout  le  monde, 
car  (il)  avait  mainte  belle  grâce,  el  par-  dessus  ions 
(il)  savait  faire  de  beaux  dils,  cl  était  parfait  chan- 
teur. 


WARNIER. 

Savait-il  donc  enchaîner  les  gens? or  prisé-je  !>ien 
moins  son  affaire. 

rogaut. 
Nenni,  mais  (il)  savait  chansons  faire,  jeux-partis 
et  motels  entés;  il  en  lit  en  grande  abondance,  cl 
ballades,  je  ne  sais  combien. 

de  la  Bibliothèque  royale,  fonds  «le  Cangé,  n-  07,  p.  3G7  et  suivantes, 


1435  PEL 

WARNIERS. 

Je  te  pri  dont  que  tu  m'en  canles 
Une  qui  soit  auques  commune. 

rogaus. 

Volentiers  voir;  j'ou  en  sai  une 
Qu'il  fist,  que  je  le  canterai. 

WARNIERS. 

Or  di,  et  je  l'escoulerai, 
Et  tous  nos  eslris  abatons. 

ROGAUS. 

Il  n'esl  si  bonne  vi-an-de  que  matons  (9H). 

Esl  ceste  bonne,  Warnier  frere, 
Di? 

WARNIERS. 

Doit-on  tele  canclion  prisier? 

J'en  apris  ier 

Une  qui  en  vaut  les  quarante. 

ROGALS. 

Par  amours,  Warnier,  or  le  canle. 

WARNIERS. 

Volentiers,  foi  que  doi  m'aime. 

Se  je  n'i  a  -  -  loie,  je  n'i roie  mie 

De  tel  chant  se  doit-on  vanter. 

ROGAUS. 

Par  foi!  il  t'avient  à  chanter 

Aussi  bien  qu'il  fait  lurner  l'ours  (945). 

WARNIERS. 

Mais  c'esles- vous  qui  estes  l'ours, 
Uns  grans  cailis  loufé  waigne. 

ROGAUS. 

Par  foi!  or  ai-je  granl  engaigne  (94G). 
De  vo  grande  mélancolie; 
Je  feroie  bui  mais  grant  folie 
Se  je  m'en  sens  metoie  au  voslre. 
Biaus  preudons,  mes  consaus  vous  loe 
Que  chi  ne  faites  plus  de  noise. 

LI    FELERINS. 

Loés-vons  dont  que  je  m'en  voise? 

ROGAUS. 

Oïl,  voir. 

Ll  PELERINS. 

El  je  m'en  irai, 
Ne  plus  parole  n'i  dirai  ; 
Car  je  n'ai  meslier  c'on  me  fiere. 

ctios. 

Hé,  Diex  !  je  ne  mengai  puis  tierche, 
Et  s'est  jà  plus  nonne  de  jour 
Et  si  ne  puis  avoir  séjour 
Si  je  ne  boi,  ou  dore,  ou  masque. 
Je  m'en  vois,  j'ai  faite  me  lasque , 
Ne  je  n'ai  chi  plus  riens  que  faire. 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PEL 


1136 


Warnel  ! 


ROGALS. 


WARNIERS. 


WArNIER. 

Je  te  prie  donc  de  m'en  chanter  une  qui  soi*,  quel- 
que peu-commune. 

ROGAUT. 

Volontiers  vraiment;  j'en  sais  une  qu'il  Et,  q-.e  }ô 
le  chanterai. 

WARNIER. 

Or  dis,  et  je  l'écouterai,  et  finissons  tous  i.os  dé- 
bats. 

ROGAUT. 

Il  n'esl  si  bonne  vi-an-de  que  matons  (944). 
Celle-ci  est-elle  bonne,  ami  Warnier,  dis? 

WARNIER. 

Doit-on  priser  telle  chanson? J'en  appris  hier 

une  qui  en  vaut  les  quarante. 

ROGAUT. 

Pour  amour  (pour  moi),  Warnier,  maintenant 
chante-la. 

WARNIER. 

Volontiers,  foi  que  dois  à  mon  amie. 

Se  je  n'i  a  -  -  loie,  je  n'i  -  -  -  -  roie  mte. 
De  lel  chant  se  doit-on  vanter. 

ROGAUT. 

Par  (ma)  foi  !  lu  as  aussi  bonne  grâce  à  chanter 
qu'un  ours  à  souffler. 

WARNIER. 

Mais  c'est  vous  qui  êtes  l'ours... 

ROGAUT. 

Par  (ma)  foi!  à  celle  heure  je  suis  fort  cour- 
roucé de  votre  humeur  terrible;  je  ferais  anjou:- 
d'bui  grand'  folie  si  je  partageais  vos  idées.  Beau 
prud'homme,  mon  avis  esl  V]ue  (vous)  ne  fassiez  ici 
plus  de  bruit. 

LE    PELERIN. 

(Me)  conseillez-vous  donc  que  je  m'en  aille? 

ROGAUT. 

Oui,  vraiment. 

LE    PÈLERIN. 

El  je  m'en  irai,  je  ne  dirai  plus  mol  ;  car  je  n'ai 
(pas)  envie  qu'on  me  frappe. 

GUIOT. 

Eh,  Dieu!  je  ne  mangeai  (pas)  depuis  tierce,  et 
(il)  est  •déjà  plus  que  noue  de  la  journée,  et  où  resler 
quand  on  ne  boit,  ou  dorl,  ou  mâche.  Je  m'en  vais, 
j'ail  fait  ma  lâche,  et   je  n'ai  ici  .'dus  rien  à  faire. 


Que! 


Warnier! 
Quoi? 


ROGAUT. 
WARNIER. 


(914)  Lait  caillé.  Ce  mot  esl  encore  en  usage  en 
Lorraine  el  en  Champagne.  Voyet  l'explication  dé- 
ia 'liée  de  ce  mol  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Roquefort  : 
De  Tétai  de  la  poésie  française  dans  les  mi*  et  \\w 
siècles,  p.  224-227. 

(945)  M.  de  Roquefort  n'a  pas  compris  <c  mol. 
Voyez  sou  Glossaire  <lc  la  lanyu-c  romane,  t.  II,  p.  <>i>X. 


1  nmer  vient  du  latin  tumere,  et  non  de.  tumului.  La 
citation  de  Gautier  de  Coinsni,  qu'il  donne,  ne  laisse 
aucun  doute  sur  le  véritable  sens  du  mot. 

(940)  Voyoz  deux  exemples  de  ce  mol, queJIM.dc 
Roquefort  et  Méon  n'ont  pas  compris,  dans  le  Ro- 
man de  la  llosr,  édi'.iou  do  ce  dernier,  t.  II,  p.  201 
cl  307,  v.  8, 5iS  et  P>,708. 


1437 


PES 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


PEU 


143* 


ROCAUS- 

Veus-iu  bien  faire? 
Alons  vers  Aiiesle  (947)  à  le  foire. 

WARNÉS 

Soit  !  mais  anchois  vœil  aler  boire  ; 
Mau  déliais  ait  qui  n'i  venra  ! 

Explicil. 

PELERIN  (Les  trois).  —  Les  trois  Pèle- 
rins, farce  morale  a  iv  personnages,  c'est  a 
sçauoir  : 

LES  TROIS  PELERINS  ET  MALICE. 

Cette  farce  licencieuse  date  de  la  première 
moitié  du  xvi*  siècle.  (Cf.  l'édition  de  MM.  Le- 
roux de  Lincy  et  Francisque  Michel,  sous  le 
titre  de  Recueil  de  farces;  Paris,  Techener, 
4821-1837,  4-  vol.  pet.  in-8°;  d'après  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  impériale,  du 
fonds  La  Vallière,  n°  63.) 

PÈLERIN  PASSANT  (Le).  —  Le  pèlerin 
passant,  monologue  seul,  composé  par  mais- 
tre  Pierre  Taserge. 

Cette  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Fr.  Michel  dans  leur  Recueil  de 
farces  (Paris,  Techener,  1831-1837,  4  vol. 
pet.  in-8°),  d'après  le  manuscrit  du  commen- 
cement du  xvie  siècle  de  la  Bibliothèque 
impériale,  fonds  La  Vallière,  nc  63. 

Le  Pèlerin  passant  n'est  qu'une  complainte 
satirique;  il  est  difficile  de  croire  que  cette 
pièce  ait  pu  donner  lieu  môme  à  une  réci- 
tation dramatique. 

PELERINAGE  DE  MARIAGE  (Le).  — 
Le  pèlerinage  de  mariage  farce  a  v  personna- 
ges, c'est  a  scauoir  : 

LE    PELERIN,  el  LE  JEUNE  PELERIN. 

LES  TROIS  PELERINES, 

Cette  farce  date  du  xvi'  siècle. 

Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Vallière, 
ir  63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'onl 
éditée  dans   ieur   Recueil   de  farces  (Paris, 
Techener,  1831-1837,  k  vol.  pet.  in-8"). 
la  viele  pèlerine  commence  : 

Or  allons  à  nosire  voyage 
Que  l'on  appelle  mariage 
leuncs  filles  oui  un  grand  désir. 

LA  DEUXIEME  PELERINE. 

D'y  aller  m'est  vu  grand  plaisir 
El  pourtant  parlant  de  ce  lieu... 

PESTE  DE  LA  PESTE  (La).  11  parut  en 
158i  à  Paris,  chez  Jean  Parent,  rue.  Saint 
Jacques,  avec  privilège  du  roi,  un  livre  très- 
singulier,  contenant  deux  poèmes  et  une 
tragédie,  sous  ce  titre  :  Le  quaresme  de  lan 
Edouard  du  Monin,  divisé  en  trois  parties  : 

Première.  Le  Triple  amour,  ou  l'Amour 
de  Dieu,  du  monde  angélique,  et  du  monde 
humain. 

Seconde.  La  Peste  de  la  peste,  ou  sagement 
divin,  tragédie. 

Troisième.  La  consuivance  du  quaréme. 

(947)  Nom  d'un  petit  hameau  qui  exista  encore 
auprès  d'Arras. 


ROGAL'T. 

Vieux-lu  bien  l'aire?  Allons  vers  Ayelle  à  la  foire. 

WARN1ER. 

Soit!  mais  auparavant  je  veux  aller  boire;  mal- 
heur ait  qui  n'y  viendra! 

Fin. 

La  Peste  de  la  peste  est  dédiée  à  Mon- 
seigneur Antoine  de  la  Baume,  abbé  do 
Beau  me. 

Les  personnages  sont  au  nombre  de  '23 
dont  suit  la  liste,  figurée  sur  l'original,  h 
cause  de  sa  singularité  : 

LES  ACTEURS. 
tueodice,  empereur.  jugement  divin. 

PitONOEE,  emperiere.  providence, 

limprnart,  ambassadeur,     famine,  guerre, 
dagan,  secrétaire.  fortification. 

LE  CELTE,  Vassal.  LE  PEUPLE  FRANÇOIS. 

iciNE,  fille  lie  Théod.  la  santé. 

la    peste,  princesse  sous 

Théod. 
i.'ariste,  sujet  de  Théod.     les  gens  de  bief. 
pénitence,  ambassade  des 

Contrits. 
HUTAN, lieutenant  dePeste    vent  du  midi, 
suchin,  serviteur  dePeni-     prière  ou  voeu. 

lence. 
aquilon,  capitaine    sons    vent  de  santé. 

Théod. 

LE  CHOEUR. 

Dans  un  Aduertissement  au  lecteur  sur  Var~ 
gument  de  la  Tragédie,  Dumonin  donne  di- 
verses raisons  qui  l'ont  «  occasionné  de 
donner  entrée  sur  son  éebarfaut  à  cette 
Tragédie...  » 

1°  La  récente  plage  que  de  la  Peste  a  receu 
ma  mère  l'Vniversité... 

2°  L'espoir  certain...  que  celte  année  nous 
doit  moienner  treues  auecques  celte  Hydre 
renaissante... 

3°  L'objet  présent  de  la  Pénitence  qui  en  ce 
carême  me  fait  croire  qu'elle  a  été  portière  du 
ciel. 

h"  Pour,  vers  nos  éphores  ou  aréopagites  , 
venir  rendre  compte  de  ma  gemelle  profession, 
de  médecine  de.l'ame  et  du  corp...  etc. 

La  Tragédie  n'a  pas  moins  de  3,000  vers,  et 
se  termine  par  celte  allocution  de  Tbéodice  : 
0  le  chef  de  mon  deuil,  o  chef,  chef  et  soltisce 
Du  destin  douloureux  du  panure  Théodice! 
Leue  ce  chef  d'ici,  ie  crain  fort  que  ce  chef 
Priuj  de  chef  les  miens  par  vn  gauche  mecuef. 
Si  cil  qui  voianl  tout  de  sa  sainte  prunelle 
Fait  veilhanl,  pour  les  siens  au  ciel  la  sentinelle, 
Ne  tourne,  pour  nfaider,  de  ses  grâces  la  clef, 
Ces  présagés  malheurs  détournant  de  mon  chef. 

PETIT  PLET  (Le).  —  Voy.  Débat  du 
vieil  et  du  jeune  (Le). 

PEUPLE  FRANÇOIS  (Le).  —  Les  frères 
Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre  fran- 
çais (t.  111,  p.  132),  ont  donné  l'analyse  de  la 
Moralité  du  peuple  françois,  sous  la  date  de 
1511  ;  nous  reproduisons  ce  résumé  : 

«  Cette  moralité  (9i8)  commence  par  une 
dispute  entre  le  Peuple  François  et  le  Peu- 
ple  Italique.  «  Toutes   mes  forces  passent 

(918)  «  Le  jeu  du  Prince  des  Soiz,  ei  MereSolte, 
«  juiié  auxHaJIes  (le  Paii»  le  Mardi  gras   l'an  mil 


U39 


PHI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


PUR 


UW 


chez  vous,  dit  le  premier,  et  je  suis  épuisé 
par  les  guerres  où  vous  m'engages.  — J'ai 
bien  plus  lieu  de  me  plaindre,  répond  le 
Peuple  Italique;  je  suis  accablé  et  pillé  par 


Est  ayme  du  monde  n'esl  mye, 
Ausy  ie  ne  me  soulevé  mye  : 
Et  puisque  ie  suys  en  sa  grâce... 


PIPEE  (  La  farce  de  la  ).  —  La  Farce  de 
les  François  qui,  aujourdhui,  ne  valent  la  Pippée  a  été  éditée  par  M.  Francisque 
pas  mieux  que  les  Italiens.  »  Il  faudrait,      Michel,  dans  les  Poésies  des  xr  et  xxV  siè- 


pour  faire  cesser  ce  malheur,  convertir 
l'Homme  obstiné  qui  en  est  le  principe.  On 
tâche  inutilement  de  ramener  cet  homme, 
et  Pugnicion  Divine,  ne  peut,  par  ses  mena- 
ces, lui  faire  entendre  son  devoir.  Sur  ces 
entrefaites  parait  Symonie ,  qui  vante  son 
pouvoir  chez  les  deux  nations.  Et  pour  cou- 
vrir ses  défauts,  Ypocrisie  vient  lui  offrir 
son  secours,  mais  Pugnicion  Divine  élevant 
la  voix,  continue  à  faire  éclater  les  mena- 
ces du  ciel,  qui  n'opèrent  que  médiocre- 
ment, chaque  nation  se  contentant  d'exa- 
miner légèrement  sa  conduite.  Enfin,  l'arri- 
vée des  Démérites  achève  de  dessiller  les 
yeux.  Les  assistants  sont  forcés  de  se  recon- 
naître dans  les  portraits  qu'ils  présentenl, 
et'  se  convertissent.  Symonie  et  Ypocrisie 
promettent  môme  de  renoncer  à  leur  hon- 
teuse profession.  L'Homme  obstiné  (9i9) 
persiste  seul  dans  son  aveuglement  :  ce  qui 
n'empêche  pas  qu'on  ne  songe  aux  moyens 
de  rétablir  le  bon  ordre;  sur  quoi  les  Dé- 
mérites proposent  leur  avis,  et  la  pièce  finit 
par  ces  quatre  vers,  qui  en  contiennent  le 
but  et  la  moralité.  » 

PEUPLE  FRANÇOIS. 

Pugnicion  Divine  nous  menace, 
Parquoi  devons  crier  à  Dieu  mercy  : 
Noz  Démérites  ont  à  la  queue  ung  SI. 
Je  vous  supplie,  à  trestous  qu'on  l'efface. 

PEYRE  ET  SEIGNE  JOAN  (Seigle).  — 

La  Comédie  de  Seigne  Peyre  et  de  Seigne  Joan, 
en  patois  du  Dauphiné,  imprimée  au  xvi* 
siècle  à  Lyon,  par  Bcnoist  Rigaud  (1580, 
pet.  in-8°)  a  été  réimprimée  à  Paris,  chez 
Silveslre  en  1832,  petit  in-8°;  il  n'a  été"  tiré 
que  42  ex.  sur  papier  de  Hollande,  sur  pa- 
pier de  Chine  et  sur  vélin. 

PHILIBERT  (Frère).  —  Frère  Philibert, 
farce  nouvelle  a  iv  personnages.  C'est  à 
scauoir  : 

FRERE  FILLEBERT,  LA  METRESSE, 

LA  VOISINE,  PERRETE,  VENES-TOST. 

Celte  pièce  est  conservée  dans  le  manus- 


cles.  (Paris,  Silvestre,  1830-1832,  gr.  in-8°ï. 

M.  Raynouard  a  cité  cet  ouvrage  dans  le 
Journal  des  Savant  (Cahier  de  juin  1833, 
p.  335). 

PLAINTE  D'AMOUR.  —  L'abbé  de  Larue 
mentionne,  parmi  les  productions  dramati- 
quesdes  jongleurs  normands,  la  Plainte  d'A- 
mour. (Cf.  511.  Hist.  sur  les  b.,  les  t.,  et  les 
tr.  n.  et  anglo-n.;  Caen,  Mancel,  183k,  in-8°, 
3  vol.,  t.  I",  p.  189.) 

PLOCHYRE  (Michel).  —  Voy.  Paysan  (Le). 

POÉSIES  DES  XVe  et  XVI'  SIÈCLES.  — 
Poésies  des  xve  et  xvie  siècles,  publiées  d'après 
des  éditions  gothiques  et  des  manuscrits. 
(Paris,  Silvestre,  imprimerie  de  Crapelet . 
1832,  gr.  in-8",  caract.  golh.)  Recueil  tiré  à 
100  exemplaires. 

Les  quinze  pièces  qui  composent  ce  vol. 
ont  été  publiées  séparément,  de  1830  à  1832, 
et  portent  les  titres  suivants: 

1°  L'art  et  science  de  rhétoriques,   par    Henry   de 

Croy. 
2°  Le  casteau  dAuiours. 
3°  Le  débat  de  liuer  et  de  leste  ,  auecques  l'eslat 

de  l'homme. 

4-  LE  DEBAT  DU  VIEIL  ET  DU  IEU.NE... 

5°  Sermon  nouueau... 

6°  Le  caquet  des  bonnes  chamberieres... 

7°  Sermon  de  monsieur  Saincl  Haren... 

8°  La  réformalion  sur  les  dames  de  Paris... 

9°  Déploratiun  de  Robin. 
10°  Le  songe  de  la  Pucelle. 

11°  La  complainte  de  la  grosse  cloche  de  Troycs.*. 
12°  Les  souhaits  du  monde. 

13°  La  FARCE  DU  MEU.NYER  DE  QUI  LE  DEABLE  EMPORTK 

lasme  en  enffer. 
14°  Moralité  de  i.aueugle  et  du  boiteux. 
lî>*  La  farce  de  lv  pippee. 

(Brunet,  Manuel  du  libraire,  éd.  de  1843, 
p.  789.) 

Ce  recueil  est  quelquefois  indiqué  sous  le 
nom  de  Collection  Silvestre  :  on  attribue  à 
M.  Francisque  Michel  la  publication  de 
quelques-unes  des  pièces  qui  le  composent. 

PONCETTE.  —  On  connaît  une  édition 
du  xvi*  siècle,  de   Poncetle,  sous  ce  titre  : 


erit  de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La      la  Farce  ioyeuse  et  récréative  de  Poncette  et 


Vallière,  n°  63;  elle  ;i  été  éditée  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel,  dans 
leur  Recueil  de  farces  (Paris,  Techener, 
1831-1837,  k  vol.  pet.  in-8".) 

Elle  date   du     commencement    du    xvi° 
siècle. 

frère  fillebert  commence: 

C'est  bien  vray  dicl,  en  chascun  lieu 
L'on  dicl  qui  est  aymé  de  Dieu, 


c  cinq  cens  et  imzc.  >  Après  le  cri  et  la  Sotisc.  suit 
Fa  moraine  dont  nous  donnons  l'extrait,  qui  se  trouve 
terminée  par  une  farce.  Ces  trois  pièces  sont  de 
l'ierre  Gringoire,  dil  Mère  Soite,  Hérault  d'armes  du 
«lue  de  Lorraine,  poêle  assez  estimé  dans  son  lemps. 
filles  furent  représentées  pour  la  première  fois  le 
tnird:  ^ras  1511,   dans  la  forme  que  nous  tenons 


l'Amoureux  transi;  Lyon,  Jean  Margue- 
rite, 1595. 

M.  de  Montaran  l'a  réimprimée  dans  son 
Recueil  que  l'on  joint  à  la  Collection  Caron. 
—  Voy.  Coll.  Caron  et  Recueil  de  livrets, 
par  M.  de  Montaran. 

PORTEUR  D'EAU  (Le).  —  Il  est  difficile 
de  fixer  la  date  de  la  farce  suivante  qui  sem- 
ble antérieure  à  la  date  sous  laquelle  elle  est 

de  dire;  la  moralité  peut  contenir  environ  cinq 
cent  cinquante  vers.  ; 

(949)  Celle  pièce  est  comme  l'on  sait  purement 
allégorique,  et  contient  l'histoire  des  démêles  du 
P.ipe  Jules  II  et  du  roi.  Louis  XII ,  par  1  ordre  ex- 
près duquel  clic  fut  représentée. 


liil 


nu 


NOTICL  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


PRI 


141: 


connue:  la  Farce  plaisante  et  récréative  sur 
un  trait  qu'a  ioué  un  porteur  d'eau  le  iour  de 
ses  nopces  dans  Paris  ;  1632. 

M.  de  Montaran'a  réimprimé  cet'e  pièce. 
—  Voy.  Collection    Caron  et    Recueil  de 

LIVRETS,   PAR  M.  DE  MONTARAN. 

PORTEUR  DE   PATIENCE  (Le)    —   Le 

Porteur  de  patience,  moralité  a  v  personna- 
ges, c'est  à  scauoir  : 


LE  MAISTRE, 
LA  FEMME, 

LE  BADIN, 


LE   PREMIER  HERMITE, 

le  deuxième    idem. 


Cette  farce  date  du  xvr  siècle. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  farces  (Paris, 
Téchcner,  1831-1837,  4  vol.  pet.  in -8°),  d'a- 
près le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, fonds  La  Vallière,  n°  63. 
le  maistre  commence. 

Hélas  !  tant  le  porte  de  ieusnes, 
De  charges  et  de  pénitences, 
Trois  foys  à  la  sepmaine  ieusnes 


Depuys  Pasque  plus  ne  desieunes. 
Touchant  mes  faicis  et  circonstances... 
A  mes  requestes  et  instances 
Ma  femme  en  portera  sa  part. 

Mais  personne  ne  veut  du  fardeau,  ni  la 
femme,  ni  les  ermites. 

Kl  pour  dire  le  cas  en  somme, 
Tout  pescheur  doibt  porter  la  somme 
De  tous  les  peschés  qu'il  a  faicts. 

POU  LIER  (Le)  -  La  Farce  du  Poulier,  a  iv 
personnages,  c'est  à  sçauoir 

LE   MAISTRE,  l'aMOUREULX, 

LA   FEMME,  LA   VOISINE. 

Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manus- 
crit du  xvi*  siècle  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale (fonds  La  Vallière,  n°  63)  ;  elle  a  été 
éditée  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fran- 
cisque Michel ,  dans  leur  Recueil  de  farces 
(Paris,  Techener,  1831-1837,  4  vol.  pet.  in-8°). 

La  farce  du  Poulier  se  termine  par  cas 
vers  : 

LE    MAR^. 

Il  n'y  a  homme,  tant  soyt  fin 
Kl  tant  est  la  teste  fine. 
Que  fine  femme  enfin  n'afine. 

PR1NPTEMPS  ET  DE  L HIVER  (Dé- 
bats du).  — M.  Magnin,  dans  son  cours  pro- 
fessé à  la  Faculté  des  Lettres,  exprimait  l'o- 
pinion que  l'églogue  de  Bède  le  Vénérable, 
sous  forme  de  dialogue  entre  le  Prinptemps 
et  l'Hiver,  avait  pu  être  jouée  au  vr  siècle. 
(Cf.  Journ.gén.  de  l'hist.publ.,  1835,  25  mars, 
p.  190). 

M.  Edelestand  Duméril  est  d'avis  qu'à  par- 
tir du  y'  siècle,  époque  où  se  serait  définiti- 
vement éteint  le  théâtre  ancien,  jusqu'au 
xn*  siècle,  qui  a  vu  les  commencements  du 

(950)  WERNSDOFF.Poe/œ  latini  minoret,  t.  11,  pag. 
239. 

(951)  Alguini  Opéra  ,  t.  II,  p.  612,  éd.  de  Froben. 

(952)  G.  Oudin.  De  uript.eccles.,  t.  H,  p.  32<i 
(9«3)  Il  a  été  donné  au  xvie  siècle  une  édition  du 

Prince  des  Sols  de  Grinçcire,  sous  ce  titre  : 
Le  îcu  du  Prince  des  Sol2  et  Mère  Sotte,  juré  aux 


théâtre  moderne,  on  ne  trouve  de  tradi  ions 
dramatiques  que  celle  de  la  Fête  des  Fous; 
toutefois  l'esprit  du  vieux  théâtre  subsiste 
parmi  ces  traditions.  Ainsi,  entre  les  comé- 
dies jouées  dans  les  festins  et  les  réjouis- 
sances privées,  on  peut  admettre  la  lutte 
dialoguée  du  Prinptemps  et  de  l'Hiver,  attri- 
buée à  Bède  (950),  à  Alcuin  (951),  à  Mi- 
io  (952),  moine  de  Saint-Amand.  (Cf.  Orig. 
lai  du  th.  mod.,  Paris,  1849,  in-8°,  p.  26- 
29.) 

L'idée  qu'on  attribue  le  plus  généralement 
a  Bède,  a  donné  lieu  à  un  grand  nombre  de 
pièces  analogues. 

Ainsi,  Rutebeuf  a  laissé  la  Griesche  d'hy- 
ver  et  la  Griesche  d'été.  (Cf.  Ach.  Jubinal, 
OEuvres  compl.  de  Rutebeuf,  trouv.  du  xm* 
siècle,  Paris,  1839,  in-8°,  2  vol.,  t.  1",  p.  24- 
35). 

L'abbé  de  Larue  mentionne,  parmi  les 
productions  dramatiques  des  jongleurs  nor- 
mands, la  Dispute  entre  l'Eté  et  l'Hiver.  (Cf. 
511.  Hist.  sur  les  bard.,  les  /.,  et  les  tr.  n.  et 
anglo-n.  ;  Caen,  Mancel,  1834,  in-8°,  3  vol., 
t.  !•»,  p.  189.) 

On  trouve  dans  les  Poésies  des  xve  et  xvf 
siècles,  publiées  d'après  des  éditions  gothiques 
et  des  manuscrits.  (  Paris,  Silvestre,  impri- 
merie de  Crapelet,  1832,  gr.  in-8°,  caract. 
çolh.),  le  Débat  de  l'Iueretde  l'Esté,  auccques 
testât  de  l'homme... 

Enfin,  il  subsiste  dans  le  Nord  divers  dé- 
balsde  cette  nature,  qui  font  partie  des  spec- 
tacles forains.  (Cf.  Mone,  Teutsche  Helden- 
sage,  p.  169  ;  —  Grimm  ,  Deutsche  Mytholo- 
gie, p.  455  ;  — Olaus  Magnus,  Histor.  sep- 
tentrional, gentium  Brcviarium,  I.  xv,  p. 
404). 

PRINCE  DES  SOTS  ET  MÈRE  SOTTE 
(Le).  —  Les  frères  Parfait,  dans  leur  His- 
toire du  théâtre  français  (l.  III,  p.  216),  da- 
tent de  l'an  1511.  Le  Jeu  du  Prince  des 
Sotz  (953). 

Cette  sottie,  suivie  de  la  farce  de  Dire  et 
faire,  dans  ses  représentations,  est,  disent- 
ils,  «  le  chef-d'œuvre  de  Pierre  Gringoire.  » 

PERSONNAGES. 


mere  sotte, 
le  prince  des  sots, 
le  seigneur  de  caieté, 
le  prince  de  nates, 
le  seigneur  de  joie, 
le]seigneurduplat  d'ar- 
gent, 
le  seigneur  de  la  lune, 
l'abbé  de  frévaux, 

—       DE  PLATL-bOURSE, 


LE    SEIGNEUR  DU  PONT-AL- 
LETZ, 

le  général  d'enfance, 
sotte  commune, 

—  occasion, 

—  fiance; 
courlieu, 

le   droit,   premier  sot, 
le  deuxième  sot, 
le  troisième  sot. 


«  Le  spectacle  s'ouvre  pur  les  préparatifs 
pour  l'assemblée  des  sots.  On  réveille  le 
seigneur  de  Pont-Alletz  pour  se  mettre  en 
devoir  de  recevoir  les  chefs  de  l'Etat.  Arri- 

Halles  de  Paris,  le  Mardy-Gras.  L'an  mil  cinq  cens 
et  onze  (de  53  pages.) 

Les  frères  Parf;iil  n'indiquent  pas  celle  édition. 

Une  réimpression  a  été  exécutée  à  la  fin  du  xvin» 
siècle  par  les  soins  de  Caron.  —  Voy.  Collection 
Caron. 


1443 


PRI 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERCS. 


PRI 


nu 


veni  fe  Prince  de  Naies,  le  Seigneur  de  Joye, 
et  le  Général  d'Enfance. 

LE   SEIGNEUR    DE  JOYE. 

Me  vecy  auprès  de  la  proye, 
Passant  temps  au  soir  et  malin, 
Tousiours  avec  le  féminin, 
Vous  sçavez  que  c'est  mon  usage. 

LE   GÉNÉRAL   D'ENFANCE. 

Hon,  lion,  men,  men,  pa,  pa,  tel  tel, 

Du  lolo,  au  cheval  fondu. 

i 

LE    DEUXIÈME    SOT. 

Parbleu  velà  bien  respondu 
En  enfant! 

«  Qu'y  a-t-il  donc,  Messieurs,  dit  le  Sei- 
«  gneur  du  Plat  en  entrant ,  je  suis  fort 
«  complaisant  et  ne  refuse  jamais  hospi- 
«  talité  à  tous. 

Pipeux, joueux,  ethazardeux, 

Et  gens  qui  ne  veulent  rien  faire.   > 

«  Un  moment  après  paraît  le  Seigneur  de 
la  Lune,  accompagné  des  Abbés  de  Frévaulx 
et  de  Plate-Bourse:  enfin  arrive  le  Prince 
des  Sots,  suivi  du  Seigneur  de  Gaieté,  qui 

Êromet    sa  bienveillance  à   toute  l'assem- 
lée. 

LE  PRINCE  DES  SOTZ. 

Honneur,  Dieu  gard'  les  Solz  et.Soltes  : 
Benedicile  !  que  j'en  voy  ! 

«  Le  prince  s'informe  ensuite  de  l'état  de 
ses  sujets  '<  Seigneur,  »  dit  le  premier  sot  : 

Nos  prélalz  ne  sont  point  ingralz, 
Quelque  chose  qu'on  en  babille, 
Hz  ont  faict  durant  les  jours  gras 
Ranquetz,  bignetz,  et  telz  fracas 
Aux  mignonnes  de  cesle  ville. 

L'ABBÉ  DE   FREVAULX, 

Pardevanl  vous  vueil  comparoistre  . 
J'ai  despendu,  notez  cela. 
Et  mangé  par-cy,  et  par-là 
Tout  le  revenu  de  mon  cloislrc. 

LE   PRINCE. 

Voz  moynes? 

l'abbé. 

Et  ilz  doivent  estre 
Par  les  cnamps  pour  se  pourchasser  : 
Rien  souvent  quant  cuidenl  repaistre, 
Hz  ne  sçavent  les  dens  où  meure, 
Et  sans  souper  s'en  vont  coucher. 

«  L'arrivée  de  Sotte-Commune  empêche 
le  prince  de  continuer  ses  questions.  «  Que 
«  voulez-vous? dit  le  Prince  des  Sots  à  cette 
«  dernière.  —  Je  ne  sçais  ce  que  signifie 
«  tout  ce  que  je  vois,  «répond-elle. 

SOTTE-COMMUNE. 

Tant  d'allées,  et  tant  de  venues, 
Tant  d'entreprises  incongneues, 
Appoinriemens  rompus,  cassez, 
Traysons  secrètes,  incongneues, 
Mourir  de  fièvres  continues, 
Rreuvaiges,  et  boutons  brassez, 
Blancs  scellez  en  secret  passez, 
Faire  feux,  et  puis  voir  rancune. 

«  En  un  mot,  ajoute-t-elle,  je  dépéris  de 
jour  en  jour,  et  l'Eglise  enlève  tout  mon 
Lien.  »  Comme  le  prince  se  dispose  à  écou- 


ter ses  raisons,  il  en  est  empêché  par  l'ap- 
proche de  «  la  Mère  Sotte,  habillée  par  des- 
«  soubz  en  Mère  Sotie,  et  par  dessus  en  ha- 
«  bit  ainsi  comme  l'Eglise,  »  qui ,  entrant 
sur  la  scène,  déclare  à  Sotte-Occasion  et 
Sotte-Fiance ,  ses  deux  confidentes,  qu'elle 
veut  usurper  le  temporel  des  princes.  «  Dis- 
«  posez  entièrement  de  rnoy,  dit  la  dernière  ; 
«  je  consens  à  éblouir  le  peuple  par  mes 
«  amples  promesses.  En  tout  cas,  continue- 
«  t-elle,je  ne  risque  pas  beaucoup,  car 

On  dit  que  vous  n'avez  point  d'honte 
De  rompre  voslre  foy  promise. 

SOTTE-OCCASION. 

Ingratitude  vous  surmonte, 
De  promesse  ne  tenez  compte, 
Non  plus  que  Rourciers  de  Venise. 

-<  Votre  entreprise  est  fort  difficile ,  » 
ajoute  Sotte-Occasion.  «  ïe  ne  puis  faire  au- 
«  trement,  réplique  Mère-Sotte,  car  un  mé- 
«  decin  juif  très-habile  m'a  prédit  que, 

Aussitost  que  je  cesseray 
D'estre  perverst,  je  mourray  : 
11  est  ainsi  pronostiqué. 

«  Au  reste,  »  continue-t-elle. 

La  bonne  foy  c'est  le  vieux  jeu.   > 

c  Suivant  cette  résolution,  elle  tâche  à  sé- 
duire les  prélats  sujets  du  prince  des  Sots. 

MERE-SOTTE. 

Or  je  vous  diray  tout  le  cas, 
Mon  filz  la  Temporalité 
Entretient,  je  n'en  double  pas. 
Mais  je  veuil  par  fas  ou  nepHus 
Avoir  sur  luy  l'auclorilé 
De  l'Espirilualilé, 
Je  jouys  ainsi  qu'il  me  semble. 
Tous  les  deux  vueil  mesîer  ensemble. 

«  Je  suis  résolue  à  pousser  la  chose  à 
«  l'extrémité,  ajoute-t-elle,  et  s'il  le  faut, 
«  décider  ma  querelle  par  la  voye  des  ar- 
«  mes.  » 

«"^ATE-BOURCE. 

Mais  gardons  le  spirituel 

Du  Temporel  ne  nous  meslons. 

MERE-SOTTE. 

Du  Temporel  jouir  voulons. 

«  Vous  n'entendez  pas  vos  intérêts,  con- 
«  tinue  Mère-Sotte,  et  de  plus,  ne  vous 
«  ferai-je  pas  part  des  dignités  dont  je  dis- 
«  pose  à  ma  fantaisie.  » 

L'ABBÉ  DE  FREVAULX. 

Nous  serons  lestoux  Cardinaux  ; 
Je  l'enlens  bien  à  cesle  fois. 

«  lies  seigneurs,  sujets  du  Prince  des  Sots. 
loin  de  se  laisser  surprendre  par  ces  pro- 
messes, renouvellent  leurs  protestations  de 
fidélité  à  leur  souverain.  Le  seigneur  de  la 
Lune,  seul,  quitte  son  parti  pour  se  ranger 
dans  celui  de  Mère-Sotte. 

LE    SEIGNEUR   DU    PONT-ALLETZ. 

Je  n'entens  pas  ce  contrepoint; 
Nosuc  mère  devient  gendarme  ! 


H45 


QfiA 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


QCA 


HK 


UKBE-SOTTE. 

Prelatz  debousf,  allarme,  allanne  : 
Habaiulonnez  églises,  autel  : 
Chacun  de  vous  se  Ipîuvo  ferme. 

(Icy  se  fctict  une  bataille  de  Prêtais  et  Pvtnces.) 

«  Ce  combat  se   termine  plus  heureuse- 
ment qu'on  aurait  cru.  Le  Prince  des  Sols 


découvre  la  robe  de  Mère-Sotte  et  la  fait  con- 
naître pour  ce  qu'elle  est,  ainsi  que  ses 
deux  compagnes,  et  on  conclut  à  la  dépo- 
ser. 

LE    TROISIEME    SOT. 

Pugnir  la  fautt  île  son  forfaict 
Car  elle  fut  posée  de  fa  ici 
En  sa  chaire  par  symonie. 


Q 


QUATRE  AGES  (les).  —  Les  Quatre  âges, 
moralité  a  nu  personnages,  c'est  à  sçauoir  : 


L  ACE    [>  OR, 

l'âge  d'argent, 


L  AGE    1)  AIRAIN, 
l'âge   DE   FER. 


Cette  farce  date  du  xvie  siècle. 

Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  do 
la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Vallière, 
n°  63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de  farces. 
(Paris,  Techener,  1831-1837,  k  vol.  pet.in-8"). 
Nous  en  citons  les  derniers  vers  : 

Conclusion,  nobles  seigneurs, 

Si  de  bref  ne  changez  vos  mœurs, 

L'ire  de  Dieu  sur  vous  viendra... 

M.  Magnin  (Revue  des  Deux-Mondes,  1835, 
juin,  p.  633-674,  La  Comédie  au  iv°  siècle), 
considérant  que  le  théâtre  antique  ne  finit 
pas  au  temps  d'Auguste,  et  qu'il  subsiste 
encore  au  ir*  siècle,  ne  s'étonne  pas  de  ren- 
contrer une  pièce  à  cette  date.  Ce  drame  est 
le  Querolus  ou  le  Pessimiste,  attribué  à 
Plaute,  à  Gildas,  moine  du  vi.  siècle,  à/Vital, 
de  Blois,  écrivain  du  xn\  Le  même  criti- 
que remarque  que  VEpître  dédicatoire  ne 
saurait  être  reportée  jusqu'à  ClauJius  llu- 
tilius  Numatianus,  préfet  de  Rome  sous 
Théodose  II  :  Ce  drame  est  d'un  temps  chré- 
tien, car  il  renferme  une  pensée  unique- 
ment chrétienne:  «  Celui-là  seul  qui  sait 
tout,  le  sait.  »  II  a  dû  être  écrit  pour  la 
représentation  ;  Jean  de  Salisbury  et  Vital 
de  Blois  ,  au  xuc  siècle,  ne  connaissant  pas 
VAululaire  de  Plaute,  ont  pris  le  Querolus 
pour  celte  ancienne  pièce.  Mais  le  prologue 
du  Querolus  le  dislingue  expressément  de 
de  VAululaire.  Ni  les  mœurs,  ni  le  style  ne 
sont  du  siècle  de. Plaute  ;  Cicéron  et  Àpi- 
cius  y  sont  cités;  on  y  rencontre  un  vers 
entier  de  Martial  ,  il  faut  donc  cher- 
cher une  date  à  ce  curieux  monument  : 
celle  du  ive  siècle  est  fixée  positivement  par 
une  allusion  aux  Bagaudes  de  la  Loire,  par 
le  goût  des  argumentations  sophistiques  dont 
il  y  a  plusieurs  exemples,  par  une  parodie 
piquante  du  langage  et  des  cérémonies  bi- 
zarres des  astrologues  et  des  magiciens, 
dont  l'engouement  était  tel,  dans  ce  même 
iv'  siècle,  que  l'on  fut  obligé  de  porter  des 
lois  contre  eux,  par  les  railleries  sur  l'alté- 
ration des  monnaies,  par  la  demi  liberté  des 
esclaves,  et  enfin  par  l'accusation  ilu  délit 

(954)  Fabellis,  de  (abulari,  entretiens,  sens  qu'on 
ne  retrouve  pas  dans  les  glossaires.  (E.  Dum.) 

(955)  Si  on  lit  dans  l'argument,  éd.  Klinb'hamer  : 
Aululariam  liodie  acturi  sumus,  non  vêler em  uc  ru- 


de violation  de  sépulture,  si  commun  à  :a 
même  époque  que  l'on  porta  les  lois  les  plus 
sévères  pour  le  réprimer. 

M.  Magnin  remarque  en  terminant,  qu'il 
manque  à  la  fin  quelques  vers  que  ne  don- 
nent ni  le  manuscrit  du  Vatican,  ni  celui  do 
la  Bibliothèque  royale  de  Paris. 

Enfin  le  môme  illustre  .savant  caractérise 
en  ces  termes  le  Querolus:  «  C'est  à  la  fois 
une  comédie  de  caractère,  de  mœurs  et  d'in- 
trigue, étincelanle  d'esprit,  de  verve  et  de 
poésie.  » 

Il  en  donne  la  traduction  et  l'analyse. 

M.  Ampère  attribue,  comme  M.  Magnin, 
le  Querolus  au  iv*  siècle,  peut-être  au  nr, 
l'allusion  aux  Bagaudes  convenant  aux  deux 
dates  ;  il  pense  que  la  dédicace  peut  appar- 
tenir au  llutilius  gaulois  et  que  M.  Magnin 
n'est  pas  fondé  à  être  d'un  autre  avis.  (Cf. 
Hist.,  litt..  de  la  Fr.,  t.  II.  )  Enfin  rien  n'y 
rappellerait  positivement  le  christianisme, 
i!  semble  que  c'est  un  païen  qui  persitle 
avant  de  disparaître. 

M.  Edélestand  Duméril,  dans  ses  Origines 
latines  du  théâtre  moderne  (Paris,  1849,  in-8°, 
p.  13),  a  proposé  les  objections  suivantes  : 
il  confesse  que  le  dialogue  a  un  caractère  vé- 
ritablement dramatique,  qu'on  y  peut  no- 
ter de  nombreuses  interpellations  aux  spec- 
tateurs, mais  on  n'y  peut  reconnaître  les 
actes;  Pareus  et  Klinkhamer  ont  échoué 
dans  celte  recherche  ;  le  Querolus  est  pré- 
cédé d'une  préface,  l'auteur  appelle  deux  fois 
son  œuvre  un  livre,  il  le  déclare  lui-même 
composé  pour  les  entretiens  (954-)  et  pour 
les  repas  ;  le  dialogue  procède  par  longues 
tirades;  tout  s'y  passe  en  conversation;  au- 
cune trace  de  versification.  Vossius  a  conjec- 
turé à  tort  qu'il  était  écrit  en  ïambes  et  en 
trochées  selon  la  prosodie  des  bas  siècles;  l'au- 
teur avouant  lui-même  qu'il  serait  inutile 
d'y  chercher  des  vers.  Il  est  impossible  do 
fixer  avec  quelque  vraisemblance  ni  son 
pays,  ni  son  âge,  et  M.  Magnin  a  commis 
bien  des  erreurs  en  tirant  de  fausses  con- 
clusions du  passage  relatif  aux  Bagaudes, 
lequel  prouverait  plutôt  le  contraire  de  ce 
qu'avance  ce  critique,  tant  il  y  a  d'ignorance 
dans  l'état  réel  des  choses  en  Gaule  dans  la 
première  moitié  du  iv  siècle.  Il  est  plus 
probable  que  quelque  bel  esprit  du  vu*  siè- 
cle a  refait  la  pièce  de  Plaute  (955).  Au  xn# 
siècle  Vitalisla  recommença.  (V.  Aululaiub 

dem,  at  nova  m  investigalam  per  Plauti  vestigia , 

I'at  novam  ne  se  retrouve  pas  dans  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  impériale,  n»  8121  A.,  et  d'ailleurs 
cet  argument  peut  être  postérieur  à  la  pièce. 


Ui7 


REC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


REC 


UiS 


Gèta.)  Peut-être  existe-t-il  une  autre  de  ces 
refontes  barbares  dans  un  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  Lansbach  dont  l'écriture  selon 
M.Mone,  remonte  au xir  siècle  et  qui  contient 
un  Querolus  à  la  fin  duquel  on  lit  :  Explicit 
comedia  triperi  (956). 

L'auteur  lui-même  du  Querolus  en  a  donné 
l'analyse  suivante  : 

«  L'avare  Euclion  fut  le  père  de  Querolus. 
Un  jour  cet  Euclion  cacha  un  trésor  au  fond 
d'une  urne,  qu'au  dedans  il  remplit  de  par- 
fums, et  sur  laquelle  au  dehors,  il  fit  graver 
une  inscription  relative  aux  cendres  de  son 
père,  comme  si  elle  les  eût  contenues.  Avant 
de  s'embarquer  pour  les  pays  étrangers,  il 
enterra  ce  magot  dans  sa  propre  maison,  se 
gardant  bien  de  s'en  ouvrir  à  qui  que  ce  fût. 
Mais,  dans  une  contrée  éloignée  et  près  d3 
mourir,  il  institua  un  parasite  de-sa  con- 
naissance cohéritier  de  son  fils,  lui  prescri- 
vant par  une  clause  formelle  de  son  testa- 
ment, de  découvrir  fidèlement  à  Querolus 
le  secret  delà  cachette;  et  il  avait  seule- 
ment indiqué  à  cet  homme  le  lieu  où  était 
enfoui  l'or.  Le  rusé  parasite  s'embarque, 
approche  de  Querolus  dans  le  dessein  de 
faillir  à  son  serment.'  Il  se  donne  pour  ma- 
thématicien, pour  magicien,  et  ment  comme 
ment  un  voleur.  Il  répète  à  Querolus  tous 
les  secrets,   toutes  les  affaires  intimes  qu'il 


tenait  d'Euclion,  comme  la  preuve  de  sa 
puissance  dans  son  art.  Querolus  donne  sa  con- 
fiance à  ce  fourbe  et  le  prie  de  l'aider  de  ses  con- 
seils. Le  prétendu  magicien  purifie  la  mai- 
son, pour  mieux  dire,  il  la  vide;  mais  en 
passant  en  revue  sa  capture,  il  devient  dupe 
de  l'ancienne  ruse  d'Euclion,  il  se  laisse 
prendre  aux  apparences,  il  croit  n'avoir  en 
main  qu'une  urne  funéraire  et  se  croit  joué. 
Une  pensée  de  vengeance  lui  vient,  il  se 
glisse  furtivement  le  long  de  la  maison  de 
Querolus  et  y  lance  l'urne  par  une  fenêtre. 
«  Le  vase  se  brise  et  au  lieu  d'os,  laisse 
échapper  le  trésor  qu'il  contient.  Le  parasite 
perd  donc  sa  part  de  l'or,  pour  avoir  voulu 
ruser  contre  toute  bonne  foi  et  toute  probité  ; 
il  le  rend  pour  l'avoir  cru  perdu  trop  préci- 
pitamment. Mais  le  bruit  de  l'événement 
s'est  répandu  :  le  parasite  court  chez  Quero- 
lus, réclame  sa  part  du  legs.  Il  avoue  l'enlè- 
vement de  l'urne,  il  sait  l'avoir  rapportée,  on 
l'accuse  de  vol  ;  il  déclare  alors  l'avoir  jetée 
dans  la  maison  ;  on  l'accuse  de  violation 
d'un  tombeau.  Voici  le  dénouement  :  d'une 
part  le  maître,- de  l'autre  le  parasite,  reçoivent 
chacun  du  sort  le  prix  auquel  ils  avaient 

QUEROLUS,  QUE  RU  LUS.  -  Voy.  Aulu- 

LAIRE. 


R 


RAPPORTEUR  (La  farce  du).  —  La  farce 
du  rapporteur  a  nu  personnages,  c'est  a  sca- 
uoir  : 


LE    RADIN, 
f.A   FEMME, 


LE    MARY, 
LA    VOISINE. 


Cette  farce  date  du  xvie  siècle. 

Elle  nous  a  été  conservée  dans  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds 
La  Vallière,  n°  63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces.  (Paris, 
Téchencr,  1831-1837,  k  vol.,  pet.  in-8°.) 

Tous  raporteurs  sout  dechases 
Sans  excuser  leur  ignorance; 
Flateurs,  menteurs  et  cabaseurs, 
A  eux  n'y  a  nule  fiance. 

RECUEIL  DE  FARCES  de  MM.  Leroux 
de  LitscY  et  Fr.  Micbel.  —  Recueil  de  Far- 
ces, Moralités  et  Sermons  joyeux,  publié  d'a- 
près le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale, 
par  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque 
Michel;  Paris,  Téchener,  1831-1837,  petit 
in-8°,  k  vol.,  74  pièces  tirées  à  76  exemplai- 
res. 

Dans  la  préface  de  ce  Recueil,  les  éditeurs 
remarquent  que  les  pièces  qu'ils  mettent  au 
jour  sont  d'un  comique  bas,  populaire,  ef- 
fronté, et  dont  on  ne  retrouve  plus  de  traces 
que  sur  les  tréteaux,  où  il  fait  encore  rire  le 
peuple  :  au  xV  et  au  xvie  siècle,  il  avait  le 
privilège  défaire  rire  les  rois. 

«  Ces  pièces  offrent  la  peinture  naïve  des 
mœurs  et  une  critique  nue,  impitoyable,  de 


tous  les  états  sans  distinction,  depuis  les 
nobles  et  les  prêtres  jusqu'aux  gens  mécha- 
nicques  et  gens  dormeaux  (  les  ouvriers  et  les 
paysans). 

«  Beaucoup  de  variété  dans  les  sujets  et 
peu  dans  les  formes;  des  lazzi,  des  gros 
mots,  un  gros  sel,  une  grosse  gaieté,  et 
Voilà  aussi  ce  que  le  genre  comporte.  Ce 
sont  des  dialogues  critiques  ou  des  scènes 
facétieuses...  ou  enfin  des  allégories  satiri- 
ques... ni  ménagement,  ni  pudeur.  Sujets 
saints,  sujets  profanes,  sujets  licencieux, 
respirent  la  même  audace  et  la  même  ma- 
lice... 

«  Toutefois  ces  pièces  ont  un  autre  mérite 
que  l'effronterie  et  la  satire.  On  y  trouve  des 
caractères  bien  tracés,  et  dont  Molière  et 
La  Fontaine  ont  souvent  reproduit  les  ty- 
pes.... 

«  Ces  farces  font  revivre  tout  un  peuple  : 
véritables  chroniques  de  nos  places,  de  nos 
rues  et  de  nos  carrefours  ;  couleurs  fraîches, 
naïves,  qui  datent  de  trois  cents  ans... 

Plusieurs  passages  de  ces  petits  poëmes 
ont  fait  présumer  qu'ils  furent  composés  et 
joués  à  Rouen  de  1500  à  1550. 

Le  manuscrit  original  est  in-folio,  sur  pa- 
pier et  d'une  assez  bonne  écriture,  avec  des 
corrections  et  des  variantes.  (  Biblioth. 
roy.,  fonds  LaVall.,  n°63.) 

Une  seule  farce  porte  le  nom  de  son  au- 
teur, Pierre  Taserye  :  les  autres  ont  un  air 
de  famille  et  nous  paraissent  sorties  de  la 
même  plume.  Deux  circonstances  viennent 


(956)  Mone,  AuzeigerfiirKunde  der  Teultchen  Vorzeit;  1859,  col.  521. 


1449 


REC 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  L1UUE. 


REC 


1450 


à  l'appui  de  cetle  conjecture  :  1*  les  correc- 
tions de  teite...  toutes  de  la  même  main  ; 
2°  une  devise  ainsi  conçue  :  Dufaict,  te  faict 
qui  termine  la  dernière  pièce  du  recueil  et 
qui  pourrait  bien  cacher  le  nom  de  l'auteur 
sous  un  anagramme. 

Les  éditeurs  terminent  en  remarquant 
qu'une  autre  pièce  contient  une  autre  de- 
vise :  Rien  sans  l'esprit,  qui  pourrait  être 
l'anagramme  ou  la  devise  d'un  autre  auteur. 
Cetle  pièce  est  la  46e  du  Recueil. 

Cette  collection  comprend  : 
TOME  PREMIER. 
N*  t.  Monologue  nouueau  et  fort  récréatif  de  la  Fille 
baslelière. 

2.  Sermon  ioyeulx  des  iiij  vens. 

3.  Sermon  d'vn  cartier  de  mouton. 

4.  Monologue  de  Memoyre  tenant  en  sa  main  vng 

monde,  elc. 

5.  Farce  nouuelle  a  deulx  personnages,  c'est   a 

sçauoir  :  l'homme  et  la  femme  ;   et  est   la 
farce  de  l'Arbaleslre. 

6.  Moralité  nouuelle  a  deulx  personnages,  de  la 

prinse  de  Calais,  elc. 

7.  Farce  a  deulx  personnages,  du  viel  Amoureulx 

et  du  ieune  Amoureulx. 

8.  Farce   ioyeuse  a  deulx  personnages,    c'est  a 

sçauoir:  vng  Gentil-homme  et  son  Page  le- 
quel deuyenl  laqués. 

9.  Jnuitatoyre  bachique  :  Venite  poiemus. 

10.  Moralité  a  troys  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 
Enuye,  Eslat  et  Simplese. 

il.  Farce  a  deulx  personnages,  c'est  a  sçauoir: 
deulx  Gallans  et  vne  Femme  qui  se  nomme 
Sanclé. 
Farce  ioyeuse  a  iij  personnages,  c'est  a  sca~ 
uoir:  vn  Aueugle  et  son  Varlei  et  vne  Tri- 
pière. 
Dyalogue  de  Placebo  pour  un  homme  seul. 

14.  Moralité  a  deulx  personnages,  c'est  a  sçauoir: 
/'Eglise  et  le  Commun. 

io.  Farce  nouuelle  a  sept  personnages,  c'est  a  sça- 
uoir :  la  Reformeresse,  le  Sergent,  le  Prebs- 
tre,  le  Praticien,  la  Fille  desbauchée,  l'A- 
mant... et  le  Moynne  La  Reformeresse  com- 
mence, et  se  nomme  la  Farce  «les  poures 
(ieables. 

10.  Moral  a  quatre  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 
l'Age  d'or,  l'Age  d'argent,  l'Age  d'araiii  et 
l'Age  de  far. 

:1.  Farce  a  vj  personnages,  c'est  a  sçauoir:  la  Re- 
formeresse, le  Badin  et  iij  Gallans  et  vn 
Clercq. 

18.  Sermon  ioyeulx  pour  rire. 

19.  Farce  a  cinq  personnages,  c'est  a  sçauoir  :  Le 

Pèlerinage   de  Mariage.    Le  Pèlerin,   les 
troys  Pèlerines  et  le  jeune  Pèlerin. 

20.  Farce  a  .v.   personnages,   c'est  a  sçauoir  :  le 

Couslurier  et  son  Varlel,  deulx  jeunes  Filles 
et  vne  Vielle. 

21.  Farce  nouuelle  a  troys  personnages,   c'est  a 

sçauoir:  le  Sourd, son  Variété*  l'Yurongne. 

22.  Farce  nouuelle  a  cinq  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  la  Mère,  la  Fille,  le  Tesmoing,  l'A- 
moureux et  l'Oficial. 
25.  Moralité  nouuelle  a  troys  personnages,  c'est  a 
sçauoir:  l'Eglise,  Noblesse  et  Poureié  qui 
font  la  lesive. 

TOME  DEUXIÈME. 
N*ï!4.  Moralité  a  quatre  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 
le  Ministre  de  l'Eglise,  Noblesse,  le  Labou- 
reur et  Commun. 
25.  Morulilé  du  Porteur  de  Pacience  a  cinq  per- 
sonnages, c'est  a  sçauoir  :  le  Maislre,  la 
Femme,  le  Badin,  le  premier  Hermiie,  le 
ii«  Hermite. 

Dictions,  des  Mystères. 


1-2. 


13. 


26.  Farce  ioyeuse  a  cinq  personnages,  c'est  a  sçu 

uoir  :  troys  Galans,  le  Monde  qu'on  faki 
paislre,  et  Ordre. 

27.  Farce  nouuelle  a  six  personnages,  c'est  a  sça 

uoir  :  deux   Genlilz-bommes  le  Mounyer 
la  Munyere,  et  les  deulx  femmes  des  deuh 
Geniilz-hommes,  abillez  en  damoyselles... 
et  est  la  Farce  du  Poulier. 

28.  Farce  nouuelle  a  cinq  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  la  Mère  de  ville,  le  Varlet,  le  garde- 
pol,  le  Garde-nape,  le  Garde-... 

29.  Farce  nouuelle  a  quatrepersonnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  mesire  Jean,  la  Mère  de  Iaquet  aui 
est  badin. 

30.  Farce  du  Raporteur,   a   quatre  personnages, 

c'est  a  sçauoir  :  le   Badin,  la  Femme ,  lu 
^  Mary  et  la  Voyesine. 

31.  Farce  ioyeuse  a  six  personnages,  c'est  a  ?ca- 

uoir:  leban  de  Lagny.  badin,  mesire  lehan, 
Tretaulde,  Oliue,  Perelle,  Venez-losl  et  le 
luge. 

32.  Moral  ioyeux  a  quatre  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  le  Ventre,  les  ïambes,  le  Cœur  et  le 
Chef. 

33.  La  Farce  des  Veaux,  iouée  deuanl  le  Roy  c;t 

son  entrée  à  Rouen. 

34.  Farce  de  deulx  Amoureux,  recrealis  et  ioyeux. 
53.  Moral  a  cinq  personnages,  c  est  a  sçauoir  :  le 

Fidelle,  le  Ministre,  le  Suspens,  Pruuidenee 
diuine,  la  Vierge. 

Farce  nouuelle  a  cinq  personnages,  c'est  a  sçi- 
uoir  :  troys  Brus  et  deulx  Hermiles. 

Farce  nouuelle  a  cinq  personnages,  c'est  a  sça- 
uoir :  l'Abbeesse.  seur  de  Bon-Cœur,  seur 
Esplourée,  seur  Safrete  et  seur  Fesue. 
38.  Farce  ioyeuse  a  quatre  personnages,  c'est  a  sça- 
uoir :  le  Médecin,  le  Badin,  la  Femme  (la 
Chambrière). 

Farce  nouuelle  a  quatre  personnages,  c  est  a 
sçauoir:  troys  Gallans  et  vn  Badin. 

Farce  nouuelle  a  quatre  personnages,  c  est  a 
sçauoir  :  troys  Commères  et  vn  Vendeur  du 
liures. 


56 

57 


59. 
40. 


N-41 


42, 


43. 
44. 


40. 

47. 

48. 
49. 
50. 
51. 


TOME  TROISIÈME. 

Moral  a  six  personnages,  c'est  à  sçauoir  :  le  La- 
zare, Marte,  seur  du  Lazare,  lacob,  ser- 
uiteur  du  Lazare,  Marye  Madalaine  et  ses 
de:ilx  Seurs. 

Moralité  a  quatre  personnages ,  c'est  a  sçauoir  : 
Chascun,  Plusieurs,  le  Temps  qui  court, 
le  Monde. 

Sermon  ioyeulx  de  la  Fille  esgarée. 

La  Farce  du  Poulier,  a  quatre  personnages, 
c'est  a  sçauoir:  le  Maistre,  la  Femme,  l'A- 
moureulx  et  la  Voysine. 

Moralité  a  six  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 
Nature,  Loi  de  rigueur,  diuin  Pouuoi;, 
Amour,  Loi  de  Grâce,  la  Vierge. 

Farce  nouuelle  de  la  Boulaille,  a  iij  ou  iiij  oh 
a  .v.  personnages,  c'est  a  sçauoir  :  la  Mèi ■•■ 
du  Badin,  le  Vouesin  et  son  Filz,  et  la  Be; . 
gère. 

Farce  nouuelle  et  fort  ioyeuse  a  cinq  person- 
nages, c'est  a  sçavoir  :  les  Bâtards  de  CanK, 
la  Mère,  l'Aine  qui  est  Henry,  le  pela 
Colin,  l'Escollier  et  la  Fille. 

Moral  de  tout  le  Monde,  a  quatre  personnages, 
c'est  a  sçauoir  :  le  premier  Compaignon,  le 
deuxiesme  et  troisyesme  Compaignon. 

Farce  nouuelle  a  quatre  personnages,  c'est  a  sça- 
uoir :  Science,  son  Clercq.  Asnerye  et  son 
Clerq  qui  est  badin. 

Farce  nouuelle  a  quatre  personnages,  c'est  à 
sçauoir:  la  Femme,  le  Badin,  son  tnary,  le 
prcmver  Vouesin  et  le  deuxiesme. 

Moral  a  cina   personnages ,   c'est  u    içauoir  i 

kG 


Uôl 


REC 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


REC 


U  JE 


l'Homme  fragille,  Concupiscence,  la  Loy, 
(Foi),  Grâce. 

52.  Farce  tiouuelle  a  iiij  personnaiges,  c'est  a  sça- 
uoir :  Lucas  ,  sergent  bo  (eux  et  borgne,  le 
bon  Payeur,  et  Fyne-Myne,  femme  du  ser- 
gent, et  le  Vert-Galant. 

55-  Farce  tiouuelle  et  fort  ioyeuse  a  quatre  person- 
nages,-c'est  a  sçauoir  :  Le  Retraict  Le  Mary, 
b  Femme,  Guillol  et  l'Amoureulx. 

54.  Farce  ioyeuse  a  quatre  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  Robinet  badin,  la  Femme  vefue,  la 
Commère,  et  l'oncle  Micbaull  oncle  de  Ro- 
binet. 

55.  Farce  tiouuelle  a  quatre  personnages,   c'est  a 

sçauoir  :  l'Auanlureulx  et  Guermouset  , 
Guillot  et  Rignol. 

56.  Moralité  a   six   personnages,    c'est  a  sçauoir  : 

Heresye,  Frère  Symonye,  Force,  Scandai  - 
le,  Procès,  l'Eglise. 

57.  Farce  tiouuelle  a  troys  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  la  Mère,  ie  Filz,  lequel  veult  estre 
prebstre,  et  1  Examynaleur. 

58.  Monologue  seul  du   Pèlerin  passant,  composé 

par  maislre  Pierre  Taserye. 

59.  Farce  tiouuelle  a  quatre  personnages,  c'est   a 

sçauoir  :  le  Trocbeur  de  Maris,  la  premye- 
re  Femme,  la  ije  Femme  et  la  iij*  Femme. 

TOME  QUATRIEME. 

N°  60.  Farce  ioyeuse  a  quatre  personnages,  c'est  a 
sçauoir  :  la  ieune  Fille,  la  Maryée,  la  Fem- 
me vefue  et  la  Religieuse';  et  sont  les  Mal- 
contentes. 

61.  Moral  a   troys  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 

l'Affligé,  Ignorance  et  Congnoissance. 

62.  Farce  nouuelte  de  Frère  Pliillebert,   a  iiij  per- 

sonnages, c'est  a  sçauoir:  frère  Fillebeil, 
la  Voyesine,  la  Maislresse,  Perrctle  Venez- 
Tost. 
65.  Farce  moralle  et  ioyeuse  des  Sobre-sols,  entre- 
meslez  avec  les  Syeurs  d'ais,  a  vj  personna- 
ges, c'est  a  sçauoir:  .v.  Galans  et  le  Badin. 

64.  Farce   ioyeuse  des   Langues    esmoulues    pour 

auoir  parlé  du  drap  d'or  de  Saincl  Viuien  , 
a  vj  personnages,  c'est  a  sçauoir  :  l'Esmou- 
leur,  son  Varlet,  la  première  Femme,  la 
deusiesme  Femme,  la  troysiesme  Femme 
et  la  quatrtesnie  femme. 

65.  Farce  tiouuelle  a  .v.  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  les  deulx   Soupiers  de  Mouille,   la 
Femme  soupierre,  l'Huissier  et  l'Abé. 

66.  Farce  morale  des  trois  Pellerins  et  Malice. 

67.  Farce  moralle  a  quatre  personnages,  c'est  a 

sçauoir  :  Marcbe-beau,    Galop,   Amour  et 
Conuoytisse. 

68.  Farce  ioyeuse  a  .v.  personnages,    c'est  a  sça- 

uoir :  le  Maislre  d'Escolle,  la   Mère  et  les 
les  troys  Esc'oliers. 

69.  Farce  ioyeuse  a  .v.  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  le  Bateleur,   son   Varlet,  Binete  et 
deulx  Femes. 

70.  Farce  nouvelle  a  .v.  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  le  Marcbant  de  pommes  et  d'eulx, 
l'Apoincteur  et  Sergent  et  deulx  Femmes. 

71.  Farce  ioyeuse  a  quatre  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  iij  Galans  et  Pblipot. 

72.  Farce  moralle  a  .v.  personnages,  c'est  a  sca- 

uoir  :  Meslier,  Marchandise,  le  Berger,  le 
Temps  et  les  Gens. 

73.  Farce  ioyeuse  a  cinq  personnages,  c'est  a  sça- 

uoir :  le  Sauelier,  Marguet,  laquel.  Prosei- 
pine  et  l'Oele. 

74.  Remonstrance  a  vue  compaignie  de  venir  voir 

jouer  Farces  ou  Moratitez. 

Un  très-grand  nombre  de  ces  farces  ou  mo- 
rnlités,  descend  à  des  indécences  d'idée  et 
d'expression,  qui    n'en  pcrmeltent  plus  au- 


jourd'hui ni  J'analyse ,  ni  souvent  même 
une  citation  ;  nous  avons  dû  nous  borner  5 
en  arracher  çà  et  là  quelques  vers,  et  quel- 
quefois aussi  nous  avons  éié  réduit  au  si- 
lence. 

RECUEIL  DE  FARCES  DE  ROUSSEL.— 

Il  a  été  publié  au  xvr  siècle  uu  recueil  de 
farces  sous  ce  titre  :  Recueil  de  plusieurs 
farces,  tant  anciennes  que  modernes;  lesquelles 
ont  été  mises  en  meilleur  ordre  et  langage 
qu'auparavant  ;  à  Paris,  chez  Nicolas  Rous- 
sel, 1612,  petit  in-8° 

Le  Recueil  contient  les  sept  pièces  sui- 
vantes : 

1°  La  Farce  du  médecin  qui  guérit  de  toutes  sortes 
de  maladies... 

2°  La  Farce  de  Colin,  fils  de  Tlienot  le  maire. 

3»  La  Farce  des  Deux  Savetiers. 

4»  La  Farce  des  Femmes  qui  aymenl  mieux...  Fcl- 
conduit...  que...  Science... 

5°  La  Farce  de  l'Antéchrist... 

6°  La  Farce  d'une  femme  qui  demande  les  arré- 
rages à  son  mari... 

7°  La  Farce  du  Début  du  jeune  moitié  e:  du  gen- 
aarme  devant  Cupidon,  pour  une  fille.. 

Le  Recueil  de  Roussel  a  été  réimprimé  par 
Caron.  —  Voy.  Collection  Caron. 

RECUEIL  DE  LIVRETS  par  M.  de  Mon- 

taraw  —  M.  Francisque  Michel  attribue  à 
M.  Crosset  libraire  de  la  ttibliotbèque  royale, 

sous  les  auspices   de  M.  Montaran,  fils  du 

procureur  général    de  la  Cour  royale  d'Or~ 

iéans,  la  collection  suivante  qu'il  déclare  mal 

publiée. 
Les  pièces  dont  les  titres  suivent  n'ont  élé 

tirées  qu'à  20  ex.,  1  sur  peau  vélin,  et  1  sur 

papier  vélin  : 
Voici  le  titre  de  ce  petit  livre  :  Recueil  do 

livrets  singuliers  et  rares  dont  la  réimpression 

peut  se  joindre  aux  réimpressions    déjà  pu- 

blées  (sic)  par  Caron;    1829-1830  petit  in-8". 

Ce  Recueil  contient  : 

Le  Cry  et  Proclamation  publicque  :  pouriexer  le  Mys- 
tère des  Actes  des  Aposlres  en  ta  ville  de  Paris: 
faict  le  ieudi  seiziesme  iour  de  décembre  lan  mil 
cinq  cens  quarante  ;  par  le  commandement  du  Roy. 
noslre  Sire  François  premier  de  ce  nom:  et  Mou- 
sieur  le  Preuosl  de  Paris  affin  de  venir  prendre  tes 
rooltes  pour  iouer  ledit  mystère.  On  les  vend  à  Pa- 
ris en  la  rue  neufue  Nostre-Dame  :  a  l'enseigne 
Sainct  Iean  Baptiste,  près  Saincte  Geneuiefue  des 
ardens  :  en  la  boutique  de  Denis  lanot,  m.  d.  xli. 
De  8  pages. 

D  iscours  facelievx  des  hommes  qui  font  saller  levrs 
femmes ,  a  cause  quelles  sont  trop  douces ,  etc.  A 
Roven.  Chez  Abraham  Cousturier,  libraire  :  tenant 
sa  boutique  près  la  grande  porte  du  Palais,  au 
Sacrifice  d'Abraham,  1558.  De  22  pages,  plus  un 
feuillet  contenant  seulement  le  nom  de  l'impri- 
meur. 

Comédie  facecievse  et  très  plaisante  du  voyage  de 
Frère  Fecisti  en  Prouence,  vers  Noslradamus  : 
Pour  sçauoir  certaines  nouuelles  des  clefs  de  Pa- 
radis et  d'Enfer  que  le  Pape  avoit  perdues.  Im- 
primé à  Nismes,  1599.  De  34  pages. 

Moralité  novvelle  1res  frvctvevse  de  l'enfant  de  perdi- 
tion qui  pendit  son  père  et  tua  sa  mère:  et  com- 
ment il  se  désespéra.  A  sept  personnages...  A  Lyon 
Par  Pierre  Rigaud  en  la  rue  Mercière  au  coing  de 
la  rue  Fe.rrandiere  a  l'Orloge,  1608.  De  48  pages. 

Farce  novvelle  qui  est  1res  bonne  et  1res  ioyeuse,  a 
quatre  personnages ,  c'est  a    sçauoir.    La   Mac, 


i  S  53 


RKP 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


RIV 


\VA 


louait.  Le  Compère,  Et  l'Escalier.  A  Troyes  chez 
Nicolas  Oiniot,  1624,  de  -29  pages. 

F  urée  novvelle  du  mvsnier  el  dv  gentil-homme,  a 
quatre  perso)inages.  Ces!  a  sçavoir  l'abbe  le  mvs- 
nier le  gentil- homme  et  son  page.  A  Troyes,  chez 
Nicolas  Oudot,  1G28.  De  "23  pages. 

Farce  plaisante  et  récréative  Svr  un  trait  qu'a  ioué 
vn  porteur  d'eau  le  tour  de  ses  nopces  dans  Paris. 
m.  ne.  xxxii.  De  20  pages. 

Tragi  comédie  plaisante  el  facecievse  Intitulée  la  Sub- 
tilité de  Fanfreluche  et  Gaudichon,  el  comme  il  fut 
emporté  par  le  Diable.  A  Roven ,  chez  Abraham 
Consumer,  elc.  De  GG  pages. 

Farce  novvelle,  1res  bonne  el  très  ioyeuse  de  la  Cor- 
nette a  cinq  personnages  par  lehan  d'Abundance 
bazochien  el  notaire  royal  de  la  ville  de  Pont  Sainct 
Esprit,  m.d.xlv.  De  29  pages. 

Io>jeuse  farce  a  trois  personnages  D'un  Curia  qui 
trompa  par  finesse  la  femme  d'un  Laboureur.  A 
Lyon,  1593.  De  22  pages. 

Tragi-comédie  des  enfants  de  Tvrlvpin  malhevrevx 
de  nature,  elc.  A  Rouen,  chez  Abraham  Couslu- 
ricr,  etc.  De  34  pages. 

Farce  ioyeuse  et  récréative  de  Poncet'.e  el  de  l'Àmov- 
rei'.r  transy.  A  Lyon,  parlean  Margverile.  m.  d.  xcv. 
De  10  pages. 

1ŒFORMERESSE  (La).— La  lie  former  esse 
farce  à  vi  personnages,  c'est  a  sçavoir  : 

LA   REFORMERESSE,  III    GALANS, 

LE   BADIN,  UN   CLERCQ. 

Cette  tarée  date  du  xvr  siècle. 

Le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
fonds  La  Vallière  n°  63,   nous  l'a  conservée. 

El'e  a  été  éditée  dans  lo  Recueil  de  Farces 
de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  (Pa- 
ris Téchener  1831-1837,  k  vol..  pet.,  in-8°). 

LA   REFORMERESSE. 

Parmi  an  ijue  Dieu  m'a  donne 

Nommée  suys  Reformeresse 

le  mais  chascun  estât  en  presse... 

RENARD  ET  PEAU  VOIE.  —  La  Dispute 
de  Renard  et  de  Peau  d'Oie  a  été  signalée 
comme  un  monument  dramatique  du  moyen 
âge  (Cf.  Legrand  d'aussy,  Fabliaux,  Contes, 
Fables,  etc.;  Paris,  Renouard,  1829,  5  vol., 
in-8°,  t.  II,  p.  203.) 

M.  Monmerqué  considère  le  Renard  et  Peau 
d'Oie,  et  toutes  les  pièces  analogues  comme 
ayant  donné  lieu  à  une  récitation, .mais  non 
à  une  véritable  action  dramatique.  (Cf.  Jeux 
publiés  p.  la  Soc.  Ribl.  fr.  ) 

M.  Achille  Jubinal  pense  que  le  moyen 
Age  put  avoir  un  théâtre  de  famille  et  de 
IVstins  où  se  rangent  ces  dicts,  disputoisons 
et  débals.  (Cf.  OEuvres  compl.  de  Rulebeuf, 
t.I,  note  9,  p.  4-2V  ). 

M.  Chabaille  a  édité  cette  pièce  dans  son 
supplément  au  Roman  du  Renard,  p.  39. 

REPRÉSENTATION  DE  LA  CROIX  FAU- 
1HN  (La).  —  M.  Paulin  Paris  a  signalé  dans 
le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
u"  7,208,  5,  datant  de  la  fin  du  xve  siècle 
(vers  14-88)  la  Moralité  nouvelle  de  la  Croix 
Faubin  à  sept  personnages  :  le  pain,  le  vin, 

TOUT,     L'UN  ,  L'AUTRE,    PATIENCE.  Le    MOUl   UU 

septième  personnage  manque.  (  Cf.  Les 
mun.  fr.  de  la  Bibl.  du  roi;  Paris  1830- 
1848,  7  vol.  in-8",  t.  VII,  18V8,  p.  210.)  Le 
môme  manuscrit  contient  le  mystère  de 
Y  Ancien  Testament  et  de  la  Passion,  cl  la 
moralité  que  M.  Paulin  Paris  a  intitulée: 
Moralité  de  l'Enfant  mis  aux  lettres. 


RETRA1CT  (Le).—  Le  Retraict,  farce  nou- 
velle et  fort  ioyeuse  à  iv  personnages,  c'est  à 
se  avoir  : 


Gl  ,'ILLOT, 

et  l'ahodreulx. 


LE  MARY , 
LA   FEMME  , 

Celte  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Francisque  Michel,  dans  leur 
Recueil  de  Farces  (Paris,  Téchener,  1831- 
1837,  4  vol.  petit  in-8°  ).  le  manuscrit  du  xvi" 
de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Val- 
lière, n°  03). 

Ces  deux  vers  terminent  le  Retraict  : 

Sans  la  finesse  i'esloys  mort, 

Ce  n'esi  pas  tout  que  d'eslre  fort... 

R10TE  DE  V  MONDE  (Li).  —  Voy.  Ba- 
vardage DU  MONDE  (  Le). 

RHYTHME  D'EUCHARIA.  —  Dans  son 
cours  professé  a  la  Faculté  des  lettres,  M. 
Magnin  signalait  au  vne  siècle  ,  dans  le 
Théâtre  du  moyen  âge  ,  le  fragment  d'une 
femme  de  race  barbare,  nommée  Eucharia, 
qui  roule  sur  l'audace  d'un  serf  qui  avai', 
prétendue  sa  main.  (Cf.  Journ.  gén.del'Instr 
publ.,  1835,25  mars,  p.  190.) 

RHYTHME  TRAGIQUE  SUR  PARME.  - 
Au  xn'  siècle,  Othon  de  Frisingue  (cit.  31 
de  sa  Chronique),  fait  mention  d'un  rhylhme 
en  forme  de  tragédie,  Rhythmum  in  modum 
tragœdiœ,  composé  sur  l'incendie  de  Parme 
en  1039;  il  eti  cite  ces  deux  vers  : 
Qui  ha?»et  vocem  screnam 
Proférai  liane  caiililenam. 

RIVAUX  (Les).  —  Plusieurs  farces  dés  Ri- 
vaux sous  le  titre  bizarre  de  Corrivaux,  des 
Veaux,  sont  restées,  qui  datent  du  milieu  du 
xvie  siècle.  Nous  lisons  dans  les  frères  Par- 
fait, t.  III,  p.  311)  à  propos  de  la  farce  des 
Veaux  de  Jacques  Grevin,  et  des  Corriveaux 
de  Jean  de  La  Taille  (Ibid.,  p.  333),  les  notes 
suivantes,  où  se  trouve  indiquée  d'une  ma- 
nière curieuse  la  transition  du  théâtre  du 
moyen  âge  à  la  scène  moderne  : 

1°  —  «  La  satire  qu'on  appelait  commu- 
nément Les  Veaux  était  sans  doute  plus  an- 
cienne que  la  comédie  de  Grevin  C'était 
une  espèce  de  prologue  pour  amuser  les 
spectateurs  les  plus  impatients,  pendant  que 
les  acteurs  s'habillaient  pour  jouer  leurs 
rôles.  Il  nous  reste  un  morceau  de  ce  genre, 
qui  est  à  la  tête  des  Corriveaux,  comédie  de 
Pierre  Troterel.  sieur  d'Aves. 

2e  —  Les  Corrivaux,  comédie  en  prose  et 
en  cinq  actes,  par  Jean  de  La  Taille. 

«  Restitue,  fille  de  madame  Jacqueline, 
bourgeoise  de  Paris  ,  apprend  à  sa  nourrice 
qu'elle  a  été  abusée  par  un  homme  qui  de- 
meure en  pension  chez  sa  mère,  et  que  ce 
jeune  homme,  appelé  Filadelfe,  l'a  abandon- 
née pour  la  belle  Fleur-de-!ys,  liile  adopiive 
d'un  bourgeois,  nommée  Fremin.  La  nour- 
rice console  Restitue,  et  lui  conseille  de  de- 
mander permission  à  sa  mère  d'aller  pren- 
dre l'air  à  la  campagne.  Monologue  de  Fila- 
delfe,  où  il  se  reproche  d'avoir  quitté  Res- 
titue, mais  il  s'en  prend  à  l'amour  qui,  plus 
l'oit  que  sa  raison,  le  force  d'aimer  Fleur- 
de-lys.  Claude,  valel  de  Fremin,  vient  aver- 
tir  Filadeife  que  son  maître  part  pour  lu 


Ii55 


UOB 


DICTION \AIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1408 


campagne  et  qu'il  faut  saisir  cette  occasion 
pour  enlever  Fleur-de-lys.  Filadelfe convient 
d'un  signal  avec  Claude  et  l'acte  finit.  Eu- 
verte,  tils  de  Girard,  riche  bourgeois  de 
Paris,  dit  à  son  valet  qu'il  est  amoureux  de 
Fleur-de-lys,  mais,  que  comme  Girard,  son 
père,  ne  consentira  jamais  qu'il  l'épouse,  à 
cause  que  Fremin  n'est  pas  riche,  il  a  résolu 
d'enlever  Fleur-de-lys  et  que,  pour  cet  effet, 
il  a  gagné  Alison,  sa  servante.  Alison  sur- 
vient, et  annonce  à  Euverte  le  départ  do 
Fremin  et  convient  avec  lui  du  signal  qu'elle 
lera  pour  qu'il  puisse  exécuter  le  dessein 
qu'il  a  formé.  Madame  Jacqueline,  inquiète 
de  la  langueur  où  elle  voit  sa  tille  Restitue, 
envoie  chercher  un  médecin  qui,  sans  faire 
un  long  verbiage,  lui  dit  que  sa  fille  est  en- 
ceinte. A  cette  nouvelle,  Jacqueline  se  dé- 
sespère, bat  sa  fille,  et  lui  demande  le  nom 
du  suborneur.  Cependant  Claude  fait  entrer 
Filadelfe  dans  la  maison  de  Fremin,  dans  le 
même  temps  qu'Alison  rend  le  môme  service 
à  Euverte.  Les  deux  rivaux  se  rencontrent, 
se  querellent,  et  mettent  l'épée  a  la  main. 
Aux  cris  de  Fleur-de-lys  et  du  voisinage,  le 
guet  vient,  arrête  les  combattants,  et  conduit 
Euverte,  Filadelfe  et  Claude  chez  le  cheva- 
lier du  guet,  où  ils  restent  prisonniers.  Ber- 
nard, père  de  Filadelfe,  qui  arrive  de  Metz, 
est  abordé  par  madame  Jacqueline  qui  l'ac- 
cable d'injures  en  lui  demandant  raison  do 
son  fils  qui  a  séduit  sa  fille.  Dans  le  moment 
survient  Fremin,  instruit  par  Alison  de  ce  qui 
s'est  passé  chez  lui.  Il  reconnaîtBernard,  et  ce 
dernier  lui  fait  part  de  son  chagrin  et  d'un  au- 
tre qui  est  la  perte  d'une  fille  nommée  Fleur- 
de-lys  qui  lui  a  été  enlevée  du  temps  que 
le  connétable  de  Montmorency  faisait  le  siège 
de  Metz.  Fremin  lui  répond  que  cette  même 
Fleur-de-lys  est  chez  lui  et  qu'il  en  a  tou- 
jours pris  soin  comme  de  la  sienne  propre. 
Survient  Girard,  qui  a  élé  informé  que  son 
iils  Euverle  est  en  prison.  Les  vieillards  cau- 
sent ensemble,  et  comme  on  dit  à  Girard 
que  Fleur-de-lys  est  fille  de  Bernard,  homme 
riche,  il  consent  au  mariage  d'elle  et  de  son 
fils.  Il  ne  s'agit  plus  que  de  délivrer  les  pri- 
sonniers. Le  chevalier  du  guet  se  trouve  être 
des  amis  de  Girard  et  de  Fremin,  et  l'affaire 
■Raccommode  en  un  moment.  Filadelfe  épouse 
Restitue,  et  Fleur-de-lys  est  donnée  en  ma- 
riage à  Euverte  (957). 

HOB1N  ET  MARION.  —  Li  Gieus  de  Ro- 
bin et  Marion  qui  date  du  xni  siècle  et  a 
pour  auteur  Adan  de  la  Halle,  est  conservée 
dans  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque 
du  roi,  dans  celui  de  La  Y'allière,  n°  81,  olim. 
2736,  et  dans  le  n°  1604,  ancien  fonds.  Nous 
avons  suivi  le  manuscrit  de  La  Vallière,  en 
indiquant  des  variantes  tirées  du  second  ma- 
nuscrit. 

On  lit  dans  la  Notice  sur  la  Bibliothèque 
d'Aix,  par  E.  Rouard,  Paris,  chez  Firmin 
Didot,  frères,  1831,  in-8",  l'indication  sui- 
vante à  la  page  165  :  «  Une  espèce  de  ber- 

(957)  Celle  comédie  est  précédée  d'un  prolo- 
gue aussi  en  prose.  Deux  ou  Irois  ailleurs  tels  que  La 
Taille  auraient  rendu  de  grands  services  au  lliéàire; 
mais  malheureusement  il  s'avisa  de  induire  une 
comédie  d«  l'Ariosut  el  s'en  tint  là.  Comme  ccilu 


gerie,  intitulée  Le  mariage  de  Robin  el  Ma- 
rote,  enrichie  d'une  foule  de  miniatuies 
avec  la  musique  notée.  »  Cette  indication 
se  trouve  répétée  dans  le  Catalogus  Codicum 
manuscriptorum d'Haenel,  page  186,  colonne 
4.  —  M.  Francisque  Michel  s'adressa,  pour 
avoir  communication  de  ce  manuscrit,  à  M. 
Guizot,  alors  ministre  de  l'instruction  pu- 
blique, qui  fit  écrire  au  préfet  des  Bouches- 
du-Rhône;  mais  il  fut  répondu  que  le  maire 
d'Aix  se  refusait  à  laisser  sortir  le  volume  du 
dépôt  dont  il  fait  partie. 

Le  Jeu  de  Robin  et  Marion  a  été  publié 
par  M.  deMonmerqué,  pour  la  première  fois 
en  1822,  pour  la  Société  des  Bibliophiles 
français,  au  nombre  de  trente  exemplaires 
seulement,  avec  le  Jeu  du  Pèlerin  qui  lui 
sert  de  prologue.  Un  des  savants  auteurs 
de  la  continuation  de  Y  Histoire  littéraire 
de  la  France  en  parlait  en  1824,  comme 
d'un  ouvrage  resté  manuscrit,  dont  il  avait 
seulement  été  donné  des  extraits  dans  le 
recueil  de  Legrand  d'Aussy.  La  seconde  édi- 
tion de  celte  pastorale  a  élé  publiée  en 
1829  par  M.  Ant.-Aug.  Renouard,  à  la  suile 
du  second  volume  de  la  troisième  édition 
des  Fabliaux  ou  contes  de  Legrand. 

MM.  Monmerqué  et  Francisque  Michel 
ont  reproduit  Robin  dans  leur  Théâtre  fran- 
çais au  moyen  âge  (  Paris,  1839,  gr.,  iu-8°). 

Le  Jeu  de  Robin  a  élé  mentionné  par  Ro- 
quefort. (Cf.  De  l'état  de  la  poésie  fr.,  dans 
les  xir  et  xiii'  siècles;  Paris,  1815,  in-8° 
p.  261.)  — M.  Magnin  en  a  fait  la  critique 
dans  son  cours  à  la  Faculté  des  lettres  en 
1850,  (CïJourn.,gén.,de  ÏInst.,publ.,  1836, 
14  janv.,  p.  172.) —  M.  O.Leroy  s'appuyant 
sur  Robin  et  Marion  et  le  Miracle  de  Théo- 
phile de  Rutebeuf,  déclare  très-sérieusement 
que  les  trouvères  du  nord  de  la  Fiance  sont 
ses  premiers  drainatistes  (Cf.  Eludes,  p.  12); 
ailleurs  il  y  trouve  plus  d'un  rapport  avec 
les  Vêpres  Siciliennes:  l'idée  est  étrange.  (CL 
Etudes.,  p.  9i). 

M.  Monmerqué  considère  le  jeu  de  Robin 
el  Marion  comme  la  première  pastorale,  et 
même  le  premier  opéra-comique  qui  ait  été 
joué  en  France. 

Après  avoir  constaté  le  succès  qu'eut  celle 
pièce  dans  son  temps,  il  ajoute  :  «  On  pour- 
rait croire  qu'elle  a  donné  naissance  au  pro- 
verbe :  Ils  s'aiment  comme  Robin  et  Marion, 
nous  ne  le  pensons  cependant  pas.  Robin  et 
Marion,  dans  notre  littérature  romane,  sont 
comme  le  typedes amours  tendres  et  naïves 
du  village;  plusieurs  pastourelles  du  xn* 
siècle  roulent  sur  ces  deux  personnages  rus- 
tiques. 11  y  en  a  une  surtout  qui  a  tant  de 
rapport  avec  notre  Jeu,  qu'Adam  de  La  Halle 
semble  l'avoir  mise  en  action.  Cette  jolie 
chanson  est  de  Perrin  d'Angecort,  le  dix- 
neuvième  des  poètes  mentionnés  par  le  pré- 
sident Fauchet  (958-61).  Perrin  était  attaché  à 
Charles  d'Anjou,  Lfrère  de  saint  Louis,  qui 
monta  sur  le  trône  de  Naples.  C'est  aussi  a 
pièce  de  l'Ariosle,  intitulée  Le  Négromant,  n'a  pas 
dû  être  jouée,  nous  n'en  parlerons  point. 

(<)58-til)  Œuvres  de  Claude  Fauchel;  Paris,  10T0, 
if  4-,  folio  ÔO'S. 


1 L*>7 


roi; 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ROB 


1458 


mystère  de  la  Patience  de  Job.  Une  scène  de 
bergers,  entre  Robin  et  Marote,  (page  45  de 
l'édition  in-16%  Lyon,  Jean  Didier)  est  une 
imitation  évidente  de  notre  jeu.  Le  mystère 
de  Job  est  indiqué  sous  l'année  1478,  dans 
la  Bibliothèque  du  Théâtre  français,  publiée 
sous  la  direction  du  duc  de  La  Valhére. 
Dresde,  1768,  t.  I",  p.  53. 

«  On  dit  proverbialement  :  Etre  ensemble 
comme  Robin  et  Marion  (964);  on  lit  dans  un 
livret  de  l'auteur  des  Contes  d'Eutrapel , 
cette  allusion  évidente  à  notre  jeu  :  «  Parce 
«  que,  possible,  Marion  rioit  plus  voluntiers 
«  à  Robin,  qu'à  Gautier,  dont  commença  la 
«  manière  de  se  battre  pour  la  vaisselle, 
«  couslurae  qui  a  tousjours  duré  (965).  » 
ditte  ville  d'Angiers  par  les  genzdu  pays,      Gautier  est  l'un  des  personnages  du  Jeu  de 


Naples  qu'Adam  de  La  Halle  a  composé  sa 
nièce  pour  les  divertissements  de  cette  cour. 

«  Le  succès  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  ne 
s'arrêta  pas  au  xin"  siècle,  il  s'est  perpé- 
tué dans  les  deux  siècles  suivants.  On  voit 
dans  des  lettres  de  rémission  de  l'an  1392, 
qu'on  jouait  chaque  année  cette  jolie  pasto- 
rale a  Angers,  pendant  les  fêtes  de  la  Pen- 
tecôte. Voici  le  passage  conservé  par  D. 
Carpentier  : 

«  Jehan  le  Bègue  et  cinq  ou  six  autres  es- 


coliers ,  ses  compaignons  ,  s'en  alerent 
jouer  par  la  ville  d'Angiers,  desguisiez. 
à  un  jeu  que  l'en  dit  Robin  et  Marion, 
ainsi  qu'il  est  acoustumé  de  faire  chas- 
cun  an  les  foiriez  de  Penlhecouste  en  Ja- 


lant  par  les  escoliers  et  filz  de  bourgois 
«  comme  autres;  en  la  compaignie  duquel 
«  Jehan  le  Bègue  et  de  ses  compaignons 
«  avait  une  fillette  desguisée  (962).  » 

«  L'usage  constaté  par  les  lettres  de  grâce 
n'a  sans  doute  pas  été  particulière  la  ville 
d'Angers  ,  et  la  pièce  a  dû  contribuer  à 
répandre  davantage  le  proverbe,  qui  était 
déjà  passé  dans  ïes  mœurs  au  xive  siècle, 
comme  on  le  voit  par  ce  passage  de  Jehan 
de  Meun,  dans  sa  continuation  du  Roman  de 
la  Rose: 

D'autre  part,   et  suiit  franches  nées  ; 

Coi  les  a  conditionnées , 

Qui  les  osie  de  lor  franchises 

Où  Nature  lesavoit  mises  : 

Car  Nature  n'est  pas  si  sole 

Qu'ele  féisl  nestre  Maroie 

Tant  solement  por  Rohichon  , 

Se  l'entendement  i  fiction 

Ne  Robichon  por  Mariete , 

Ne  por  Agnès  ,  ne  por  Perrete  ; 

Ains  nous  a  fait ,  biau  filz  ,  n'en  doutes  , 

Toutes  pour  tous  et  tous  pour  toutes  , 

Chascune  por  chascun  commune, 

El  chascun  commun  por  chascune.  (963). 

«  Nous  trouvons  au  xve  siècle  une  autre 
trace  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  dans   le 

(962)  Glossarium  novum ,  t.  RI,  col.  632,  verho 
Robinetus. 

(963)  Roman  de  la  Rose,  éd.  de  Méon;  Paris,  1814  , 
III,  pag.  2,  vers  14083. 

(964)  On  lit  les  articles  suivants  dans  le  Diction- 
Maire  de  Coigrave  : 

«  Marion:  f.  M arian  (a  proper  tiame  for  a  woman.) 

<  Robin  a  trouvé  Marion.  lâche  halli  met  willt 
Cill; a  filthie  knaue  with  a  fulsome  queane.  V.  Marion. 

<  Robin  a  trouvé  Marion.  Prov.  A  notorious  knaue 
halh  found  a  notable  queane. 

<  Chanson  de  Robin.  A  merrie  and  exlcmporall 
song,orfasliion  o(  singing ,  ivhereto  one  is  ever  adding 
iomewhat,  or  may  al  pleasure  adde  whal  lie  lisl  ,i 
etc.     (A  Diclionarie    of    the  Frencli    and    Engtish 


Robin.  Nos  vieux  livres  français,  trésors  de 
naïveté,  offriraient  d'autres  exemples  de  la 
popularité  obtenue  par  les  principaux  per- 
sonnages du  Jeu  de  Robin  :  ainsi  la  Motte 
Messemé,  l'auteur  des  honnêtes  Loisirs,  a 
dit  :  «  ...  Les  actions  publiques  des  femmes 
«  et  des  hommes  avec  (car  bien  souvent 
«  Robin  y  vaut  bien  Marion)  en  font  bien  ju- 
<-  ger  à  chacun,  mais  il  y  a  de  petites  riot- 
«  les  (966),  etc.  »  On  pourrait  multiplier  ces 
citations,  mais  nous  en  avons  assez  indiqué 
pour  constater  le  proverbe.  » 

M.  de  Monmerqué  termine  cette  longue 
notice  en  constatant  que  le  souvenir  de  Ro- 
bin, sous  le  nom  de  .Robert  et  de  Marion, 
subsiste  encore  dans  le  Hainaut  ;  c'est 
M.  Arthur  Dinaux  qui  rapporte  le  fait.  (Cf. 
Les  Trouvères  cambrésiens,  par  M.  Arthur 
Dinaux,  2e  édition;  Valenciennes  ,  1834, 
in-8°,  p.  34.) 

Cette  grande  et  durable  popularité  de  l'i- 
dée de  Robin  et  Marion  est  constatée  par  un 
très-grand  nombre  de  poésies  qui  subsistent 
et  qu'a  éditées  M.  Monmerqué.  Nous  les  re- 
produisons en  note  afin  que  le  lecteur  puisse 
étulier,  sur  les  originaux  mêmes,  le  eycl«! 
curieux  de  Robin  et  de  Marion  (967). 

Tongues,  compiled  by  Randle  Cotgrave  ;  Londou  , 
Printed-  by  Adam  lslip;  anno  1652  ,  in-folio.) 

Ce  qui  précède  a  été  rapporté  par  l'auteur  d'un 
article  inséré  dans  le  Gentleman'1  s  Magazine,  May, 
1837,  p.  493,  et  a  donné  lieu,  p.  494,  à  une  noie 
très-judicieuse  de  l'éditeur  de  celle  revue,  à  laquelle 
nous  renvoyons.  (F.  M.) 

(965)  Discours  d'aucuns  propoz  rustiques  facecieui 
et  de  singulière  récréation  de  maislre  Léon  Ladulfi 
(Noël  du  Fail)  Champenois  ;  à  Paris,  par  Eslienne 
Groulleau  ,  1554  ,  in-16,  troisième  page  de  l'epislre. 

(966)  Le  Passe-temps  de  messire  François  le  Poul- 
chre ,  seigneur  delà  Motte  Messemé,  seconde  édi- 
tion; Paris,  Jean  Leblanc,  md.  xcvn,  in-8°,  liv.  i, 
pag.  54. 


sujet 

TREMIER  MOTET  (fl). 

A  la  rousée  au  serain 
Va  Maros  à  la  fontaine; 
Cil  ki  pour  s'amonr  se  paine 
Sel  et  kerson  et  bis  pain  aporté  Ol 
El  ele  comenec  à  plain  ,  ki  ierl  de 
[joie  plaine 
Pour  çou  ke  par  te  main  m.iine 
(a)  Manuscrit  du  Uni,  supplément,  n"  1*1.  f< 


Son  ami  Mignol  : 

i  Mignotemenl  l'en  maine 


(967)  MOTETS  ET  PASTOURELLES  DU  XHP  SIECLE, 

Dont   le  sujet   roule   sur  les  amours   de    Robinet  de   Marion. 

A  sa  vois,  k'ele  ol  douecte, 
Li  disl  en  chaulant  : 
Rôbins  Marot.  »  «  Alés-moi  conlr'alcndani, 

Ab  insurgenlibus. 
deuxième  motet  (6).       [matin 
De  la   ville  issoil  pensant  par  .i. 
Maros,  &i  voit  par  devant  passer 

I  Robin  ; 

[86.  (Y)  lbid.,  fol.  187 


Je  sui  voslre  amieie.  » 
troisième  motet  (c). 
Par  main  s'est  levée  la  belle  Maros, 

Ki  sans  amour  n'esi  mie; 
Si  s'en  est  alée  mule  seule  au  bos, 
,  recto.  Autour  inconnu 


[b)  lbid.,  fol   186,  verso.  Anonyme. 


U50  BOB 

Le  titre  est  ainsi  conçu 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

L!    GIEUS    DE    «OUIN    ET    DE    MAF.iO^ 

Ç'Adams  fi  si. 
PERSONNAGES. 


ROB 


14G0 


OBIN. 

CAUTIER. 

HUARS. 

M.UUON  OU    MAROTE. 

BAUDON. 

LE  ROI. 

LE  CHEVALIER. 

TERONNF.LLE 

OU  PERETTE.             WARKIER 

• 

SCÈNE  I" 

MARION. 

MARION. 

Robins  m'aime,  Robins 

m'a, 

Robin  m'aime, 

CI'K.T. 
UOGABS. 


MARION. 

Robin  m'aime,  Robin  m'a,  Robin  m'a  demandée 


Nus  pies  et  deslaichie; 
Lors  s'est  écriée  :  «  Mes  amis  mi- 

[gnps, 
Ki  m'en  a  sa  baiilie, 
Déusl  oreflors  coillir 
Et  ,i.  chanelet  bastir 
A  mes  beaus  chavex  tenir  : 
S'en  fuisse  plus  jolie.  » 
Lors  la  coisi,  s'est  saillie  : 
«  Bien  viegne,  fait-il,  m'a  mie 
Ke  je  tant  désir 
A  tenir 

Sous  le  raim  (sous  la  cou- 
[d  relie) 
Mignolement  là  voi  venir 
Celi  ke  j'aim.  » 

QUATRIÈME  MOTET  (à). 

Bobins  à  la  ville  va, 
S'a  Marion  enconlrée 

Ri  idrt  relornée 
Pour  çou  ke  compaignon  n'a. 
«  Cil  ki  lant  vous  a  amée, 
!)ist  Bobins,  vous  i  menra.  > 
Dist  celé  :  «  On  le  sel  piecbà, 
S'en  doue  estre  blasmée; 
Ne  pourquanl  mal  ait  ki  jà 
i'our  lour  dit  le  laissera.  » 
Aies,  bien  amours  nous  conduira. 
$iyrps  Jesse. 

CINQUIEME  MOTET    (b). 

Avocques  tel  Marion 
Jà  pasloriaus  estre  vauroie, 
Qu'il  n'est  nule  si  grans  joie 
Pour  qui  je  changaise  jà 
Sa  compaignie  pour  rien, 
S'a  ma  volonté  l'avoie, 
K'avoc  autrui  n'ameroie 
Le  trésor  où  covienl  lant  de  larlos, 
Çom  .i.  peliiel  de  bien  avocMarol. 
Maneie. 

SIXIÈME    MOTET  (c). 

L'aulr'icr  en  mai, 
Par  la  douçour  d'eslé, 

Main  me  levai, 
Et  alai  enlre  .i.  bois  et  .i.  pré  : 
Là  ai  irové  Robin  en  grant  esmai, 
M  je  li  ai  son  estre  demandé; 
4  Sire,  fait-il,  jàne  vous  ierl  celé, 

Marolamai, 

Et  proiai, 
Mais  ele  m'a  refusé; 
S'elc  n'aime  mar  vie  sa  beauté.  » 

Tanquarn. 


SEPTIÈME    MOTET  (d). 

Pour  coillir  la  flour  en  mai 
Juer  m'en  alai, 
Quant  belle  Emmclot 

En  .i.  pré  seule  irovai 
Ki  son  ami  gai 
Conlr'alendol; 

Gentement  le  saluai  ; 

Mais  ele  ne  m'en  dist  mot, 

Car  Robin  enir'oï  ot 

Ki  cbanloil  d'amours  .i.  lai  : 

«  Fines  amouretes  ai, 

Ki  ke  me  tiegne  pour  sot. 

OiJorenlot  j'am  Mabalot; 

Mais  sa  mère  n'en  set  mot.  » 
Docebil. 

HUITIÈME  MOTET  (é). 

Lonc  le  rien  de  la  fontaine 
Trovai  Robin  esplouré, 
trop  grant  duel  demenoit. 

Je  l'ai  salué; 
Mais  il  ne  respondi  mol; 
El  quant  il  ot 
Doucement  alongé 
Alai  ne  sospiré, 
S'a  dit  à  la  loi  d'orne  iré  : 
«  J'ai  mis  mon  cuer  en  Ma  rot, 
Dicx  !  el  si  perc  ma  paine.  t  (bis.) 
Régnât. 

NEUVIÈME  MOTET  (/"). 

Cbanics  seri,  Ma  rot, 

Vos  amis  revient, 
S'aporte  .i.  novel  mot 
De  vous,  car  il  co vient 
Ke  je  de  çou  chant  et  not 
Dont  plus  sovent  me  so vient; 
Et  je  l'ai  fait  si  mignot 

Ke  quant  on  l'ot 
Il  demande  c'on  le  lot. 
Donicbantes,  belle,  mignolement, 

Ke  vos  amis  revient. 
Procédant. 

PREMIÈRE  PASTOURELLE  (g). 

L'aulr'ier  ebevaueboie  delez  Paris; 
Trouvai  paslorele  gardant  berbiz, 
Descendi  à  terre,  lez  li  m'assis 
Et  ses  amoreles  je  li  requis. 
11  me  dist  :  «  Biau  sire,  par  saint 

[Denis! 
J'aim  plus  biau  de  vous  el  mult 

[melz  apris, 
Jà  tanteonme  il  soit  ne  sainz  ne 

[vis 


Autre  n'amerai,  je  le  vous  plévis; 
Car  il  est  biax  el  cortois  et  seriez. 
Dex  !  je  sui  jonetc  el    sadete,    et 

[s'aim  lez 
Qui  jones  est  et  sades  el  sages  as-^ 

[sez.  i 
Robin  m'a ten doit  en  un  valet, 
Par  ennui  s'assisl  lez  un  buisson- 

[net 
Q'il  s'esloil  levez  trop  malinet 
Pour  coillir  la  rose  el  le  musgueL. 
S'ot  jà  à  s'amie  fel  chapelet 
Et  à  soi  un  autre  tout  nouvclel, 
Et  dit  :  i  Je  me  muir,   belc,  »  en 

[son  sonet. 
<  Se  plus  demorez  un  seul  pelitet , 
James  vif  ne  m'y  trouverez  ; 
Très  douce  damoiscle,  vous  m'o- 

[eirrez, 
Se  vous  voulez.  » 

Quant  el  l'oï  si  desconforter, 
Taniost  vint  à  li  sanz  demorer. 
Qui  lors  les  véist  joie  démener, 
Robin  debiuisier  et  Ma  rot  Dater! 
Lez  un  buissonel  s'alèrcnl  joer, 
Ne  sai  q'il  i  firent,  n'en  qier  parler; 
Mes  u'i   vomirent    pas    granment 

[demorer, 
Ainz  se  relevèrent  pour  melz  r.ole» 

Cesle  paslorele  : 
Yalidoriax,  lidoriax  lai  rele. 

Je  m'areslai  donc  iluec  endroit, 
Si  vi  la  grant  joie  que  cil  fesoil. 
Et  le  grant  solaz  que  il  demenoit 
Qui  onques  Amors  servies  n'avoit, 
Et  dis  :  i  Je  maudi  Amors    oren- 

[droit 
Qui    tant    m'ont  tenu   lonc-tens  à 

[deslroil; 
Ge's  ai  plusservies  q'onme  qui  soit, 
N'onques  n'en  oi  bien,  si  n'est-ce 
[pas  droit; 
Pour  ce  tes  maudi  : 
Maie  honte  ait-il  qui  Amors  parti 
Quant  g'i  ai  failli  !  > 

De  si  loig  cou  li  bergers  me  vit, 
S'escria  mult  haut  el  si  me  dist  : 
i  Alez  vostre  voie.por  Jhésu-Crisi! 
Ne  nous  lolez  pas  noslre  déduit. 
J'ai  mult  plus  de  joie  et  de  délit 
Que  li  rois  de  Fiance  n'en  a  ,  ce 

[cuit; 
S'il  a  sa  richece,  je  la  li  cuit, 
El  j'ai  m'aniiele  et  jor  et  nuit, 


(a)  Manuscrit  du  Roi,   supplément,   nc  184,  fol.  188, 
recto.  Anonyme. 

(b)  Manuscrit  du  Roi,  supplément,  n°  184,  fol.  188,  ver 
SO-  Anonyme. 

(c)  Ibid.,  fol.  188,  verso.  Auteur  inconnu 

(d)  Ibid.,  fol.  192,  recto.  Anonyme. 
le')  Ibid.,  fol.  193,  recto.  Anonyme. 


(f)  Manuscrit  du  Roi,  supplément,  n°  184,  fol  195, 
recto.  Anonyme. 

(g)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  belles- 
lettres  françaises,  n°  68,  in-fol.,.  p.  169  bis.  Cette  chanson 
est  de  maitre  Richard  de  Semilli,  le  vingt-cinquième  des 
poètes  cités  par  Fauchet. 


HGI 


ROB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ROB 


Robins  m'a  demandée,  si  m 'ara. 

Robins  m'acata  coiele 

B'escarlate  bonne  et  bêle, 

Souskanie  et  cbainturele, 

A  leur  i  va  ! 

Robins  m'aime,  Robins  m'a; 

Robins  m'a  demandée,  si  m'ara. 


Ne  jà  ne  departiron. 
Dancez,  bêle  Marion, 
Jà   n'aim-je   riens,    se   vous 
[non  (a).  » 

.  DEUXIÈME  PASTOURELLE  (b). 

Je  chevauchai  l'aulr'ier  la  matinée; 

Dtlez  un  bois,  assez  près  de  l'en- 

[trée, 
Geniile  paslore  irais; 
Mes  ne  vis  onques  puis 
Si  plaine  de  déduis 
Mi  qui  si  bien  m'agrée  : 
«  Ma  très  doucele  suer, 
Vos  avez  tout  mon  cuer, 
Ne  vous  leroie  à  nul  fuer, 
M'anior  vous  ai  douée.  » 

Vers  li  me  très,  si  descendi  à  terre 

Pour  li  voer  et  pour   s'amor  rc- 

[querre; 
Tout  maintenant  M  dis  : 
t  Mon  cuer  ai  en  vos  mis, 
Si  m'a  vostre  anior  sorpris, 
Plus  vous  aim  que  rien  née,  » 
Ma  très,  etc. 

Ele  me  dist  :  «   Sire,  alez  vostre 

[voie  ; 

Vez-ci  venir  Robin  que  j'alendoie, 
Qui  est  et  bel  et  genz. 
S'il  venoit,  sanz  contens 
N'en  iriez  pas,  ce  pens; 
Tost  auriez  niellée.  > 
Ma  très,  etc. 

—  t  11  ne  vendra,  bêle  suer,  oncor 

[mie  ; 
Il  est  delà  le  bois,  où  il  chevrie.  » 

Dejosle  li  m'assis, 

Mes  braz  au  col  li  mis, 

Ele  m'a  geté  un  ris 

Et  dit  qu'ele  ert  tuée. 

Ma  très.  etc. 

Quand  j'oi  tout  fel  de  li  quan  q'il 

[m'agrée, 
Je  labesai,  à  Dieu  l'ai  conmandée, 
Puis  dist,  qu'en  l'ot  mull  haut, 
Robin,  qui  l'en  assaut  : 
«  Déliez  ail  bui  qui  en  chaut! 
C'a  fel  ta  denr.orée.  » 
Ma  très  doucele  suer, 
Vos,  etc. 

TROISIÈME   PASTOURELLE  (c). 

A  une  ajornée 
Chevauchai  l'aulr'ier, 
Eu  une  valéc 
Près  de  mon  sentier 
Paslore  ai  trouvée 


et  il  m'aura.  Robin  m'a  acheté  un  cotillon  de 
et  bel  écarlale;  souquenille  et  ceinture  qui 
bien  avec.  Robin  m'aime,  Robin  m'a;  Robin 
demandée,  il  m'aura. 


I4G2 

bon 

vont 

m'a 


Qui  fet  à  proisier; 
Malin  s'iert  levée 
Por  esbanoier  ; 
Rele  ert  et  senée, 
Je  l'ai  saluée. 
Plus  ert  colorée 
Que  flor  de  rosier. 

Toute  desfublée 
S'assist  seur  l'erbier, 
Crigne  avoit  dorée, 
Cors  pour  enbracier, 
Bien  estoit  mollée; 
N'i  ot  qu'enseignier, 
Sus  l'erbe  en  la  prée 
Lessai  mon  destrier. 
Quant  la  paslorele 

Me  vit  là  venant, 
Robinet  apele  : 
«  Amis,  vien  avant.  » 
Je  li  dis  :  «  Suer  bêle, 
Tesiez-vous  atant; 
M'ainor,  damoisele, 
Vous  doing  maintenant,  i 
Bêle  ot  la  maissele, 
La  color  nouvele  ; 
Je  li  dis  :  t  Dancele, 
M'amor  vous  présent. 

Robin  qui  frestele 
Est  povre  d'argent  ; 
Povre  est  vo  cotele 
El  vo  garnement. 
Cheval  ai  et  sele 
Tout  en  vo  conmant, 
Se  vous,  damoisele, 
Fêles  mon  conmant.  > 

La  paslore  ert  sage, 
Si  me  rcspondi  : 
«  Sire,  en  mon  cage, 
Tel  folor  n'oï  ; 
Ce  seroit  folage 
Se  perdoie  ensi 
Le  mien  pucelage 
Pour  aulrui  ami; 
Par  c'est  mien  visage, 
Ce  seroit  mon  damage 
Qu'à  bon  mariage 
Auroie  failli  (d).  » 

QUATRIÈME   PASTOURELLE   (e). 

L'aulr'ier  par  un  malinet 
Un  jor  de  l'autre  semaine, 
Chevauchai  josle  un  boschet 
Conme  aventure  genl  maine; 
Par  dejosle  on  jardinet, 
Soz  le  ru  d'une  fontaine, 
Choisi  en  un  praëlel 


{a)  Cette  chanson  se  retrouve  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  du  Roi,  fonds  de  Cangé  n°  65,  folio  185, 
verso,  col.  2  ;  dans  le  manuscrit  du  même  fonds  n°  67,  p. 
161,  col.  1;  et  dans  celui  de  La  Vallière  nc  59,  p.  89, 
COl.  2. 

(b)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  171.  Cette  chanson 
est  de  maître  Richard  de  Semilli.  EUese  trouve  aussi  dans 
le  manuscrit  du  fonds  de  Cangé  n°65,  folio  97,  recto,  col. 
2;  dans  celui  du  même  fonds  n°  67,  p.  166,  col.  1  ;  et 
dans  celui  de  La  Vallière  n°  59,  p.  93,  col.  2. 

(c)  Manuscrit  de  l'Arsenal,  p.   191.  Cette  chanson  est 
do  Jean  Moniol  de  Paris,  le  trentième  poète  cite  par  Fan 
chet.  On  la  retrouve  aussi  dans  le  manuscrit  de  la  Biblio- 


Pastore  qui  mult  ert  saine 
Et  d'autre  part  Robinet 
Qui  grant  ponéc  demaine; 
Pipe  avoit  et  flajolel, 
Si  flajole  à  douce  alaine  ; 
Car  por  Marguerol  se  paine, 
Qui  plus  erl  blanche  que  laine. 
Robinet  chante  et  frestele 
Et  Irepe  et  crie  et  saulele, 
Margot  en  chantant  apeie. 

Robins  estoit  assez  biax, 
El  la  paslorele  bêle, 
Robins  ert  biax  divadiax 
Et  bêle  ert  la  paslorele, 
Car  blons  avoil  les  cheviaus 
Et  dureté  la  mamele: 
Robins  erl  biaus  garçonciax, 
Si  s'en  cointoie  et  révèle 
Pelil  avoient  d'aigniax, 
Et  grande  iere  la  praéle. 
Lors  fu  sonez  li  fresliaus 
Par  desouz  la  fonienele, 
Lors  leur  joie  renouvelé; 
Robins  osle  sa  gouncle. 
Robinet,  etc. 

One  ne  vi  en  mon  vivant 
Si  très  bêle  paslorele  ; 
Vair  œilot,  bouche  riant, 
Biau  menton,  bêle  gorgete, 
Çainturele  bien  séant, 
Biax  braz  et  bêle  mainete; 
Bêle  ert  deriere  et  devant, 
Biax  piez  el  bêle  janbete. 
Robins  aloit  par  devant 
Qui  disoit  en  sa  musete 
Un  sonel  mull  avenant 
Pour  l'amor  la  paslorele  : 
t  Dex  doint  bon  jor  m'amielc! 
Li  cuers  pour  li  me  haleté.  > 
Robinet,  etc. 

Tant  menèrent  leur  degraz 
Li  bergiers  et  la  bergiere 
Q'ilchaïrent  braz  à  braz 
Enire  els  deus  sur  la  leuchiere. 
Quant  les  vi  cheer  en  bas, 
Un  petit  me  très  arrière. 
Mult  orent  de  leur  solaz  , 
<■    Celé  l'ot  chier,  cil  l'ot  chiere; 
Je  ne  sai  li  quels  fu  laz, 
Mes  chascuns  lit  bêle  chiere. 
Cil  est  bien  enamoras 
Qui  d'amors  a  joie  entière, 
Cil  a  amors  droiturière. 
Robinel  chante,  ele. 

CINQUIÈME  PASTOURELLE    (/'). 

Au  main  par  un  ajornant 

thèque  du  Roi,  fonds  de  Cangé  n°  Go,  folio  58,  verso,  col. 
1  ;  et  dans  celui  du  même  fonds  n°  67,  p.  182,  col.   1. 

{d)  Cette  jolie  pastourelle  a  bien  pu  donner  aussi  a 
Adam  de  La  Halle  1  idée  de  composer  sa  pièce,  mais  ce- 
pendant moins  directement  que  celle  de  Perrin  d'Ange- 
cort  dont  il  cite  des  passages. 

(e)  Manuscrit  de  l'Arsenal,  p.  193.  Cette  chanson  esl 
de  Jean  Moniot  de  Paris.  Elle  se  trouve  aussi  dans  le  ma- 
nuscrit du  fonds  de  Cangé  n°  67,  p.  181,  col.  1. 

(f)  ManHscritde  l'Arsenal  n°63,  p.  122,  col.  2.  Cette 
chanson  est  de  messire  Thiébault  de  Blazon,  le  vingt  et 
unième  poète  cité  par  Fauclict.  Elle  se  retrouve  dans  le 
manuscrit  du  Roi,  supplément  français   n"  181,  folio  108, 


\m 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MTSTERES. 
SCÈNE  II. 


non 


nu 


UARION,    TJX    CHEVALIER. 


LI   CHEVALIERS. 

f  Je  me  repairoie  du  tournoiement, 


Si  trouvai  Marote  seulele, 
Au  cors  gent. 

Chevauchai  lez  un  buisson. 
Lez  l'orière  d'un  pendant 
Bestes  gardoit  Robeçon  ; 
Quant  le  vi  mis  l'a  reson  : 
«  Bergier,  se  Dex  bien  te  dont, 
Eus  onc  en  ton  vivant 
Por  ainor  ton  cuer  joiant? 
Car  je  n'en  ai  se  mal  non.  » 

—  «Chevalier,  en  mon  vivant 
N'a  mai  one  fors  Ma r ion, 

La  cortoise,  la  vaillant, 
Qui  m'a  doné  riche  don, 
Panetière  de  cordon, 
El  prisl  mon  fremail  de  pion. 
Or  s'en  vet  apercevant 
Sa  mère,  qui  l'amoil  tant, 
Si  l'eu  a  mise  en  prison. 

A  poi  ne  se  va  pasmant 
Li  bergiers  pour  Marion. 
Quant  le  vi ,  pitié  m'en  prcnt, 
Si  li  dis  en  ma  reson  : 
Ne  t'esmaier,  bergeron; 
Jà  si  ne  la  cèleront, 
Qifele  lest  por  nul  forment 
Qu'ele  ne  l'ainl  loiaument 
Se  fine  amour  l'en  semont.  > 

—  <  Sire,  je  sui  trop  dolent 
Quant  je  voi  mi  compaignon 
Qui  vont  joie  démenant  : 
Chascuns  chante  sa  chançon, 
Et  je  sui  seus  environ, 
Affublé  mon  chaperon; 

Si  remlr  la  joie  grant 

Q'il  vont  entour  moi  fesanl  : 

Confort  n'i  vaut  un  boulon.  > 

—  <  Bergiers,  qui  la  joie  atens 
D'Amors  fez  grans  mesprison  ; 
Touz  les  max  en  gré  en  pren, 
Tout  sanz  ire  et  sanz  lençon. 
En  mu  II  petit  de  seson 

Renl  Amors  le  guerredon  ; 
S'en  sont  li  mal  plus  plesant 
Qu'on  en  a  souffert  devant 
Dont  J'en  aient  guérison.  > 

SIXIÈME   PASTOURELLE  (a). 

El  mois  de  mai ,  par  un  malin 
S'est  Marion  levée;  . 

En  un  boschet,  lez  un  iardin, 


LE  CHEVALIER. 

En  revenant  du  loumoi,  je  trouve  Marion   seu- 
letie,  au  corps  joli. 


S'en  est  la  bêle  entrée. 
Dui  vallet,  Guiot  et  Robin, 
Qui  lonc-tens  l'ont  amée. 
Pour  li  voer,  delez  le  bois  alèrent 

[à  celée; 
Et  Marion,  qui   s'esjoï,   a    Robin 

[perçéu, 
Si  dist  ceste  chançonele  : 
«  Nus  ne  doit  lez  le  bois  aler 
Sanz  sa  compaingnete.  » 

Robin  et  Guiot  ont  oî 

Le  son  de  la  brunete. 
Cil  qui  plus  a  le  cuer  joli 

Fei  melz  la  paeleite. 
Guiot  mult  très  grant  joie  ot 

Quant  ot  la  chançonele; 
Pour  Marion  sailli  en  piez,  s'alem- 
[pre  sa  muselé. 

Robin  mult  très  bien  oï  Tôt 
Au  plus  lost  que  il  onques  pot 

A  dit  en  sa  frestele  : 
«  Dex!  quel  amer 
Harnu!  quel  jouer 

Fet  à  lapastorele!  » 
Guiot  a  mult  bien  entendu 

Ce  que  Robins  frestele, 
Si  très  grant  duel  en  a  eu 

A  pou  q'il  ne  chancelé; 
Mes  li  cuers  li  est  revenu 

Pour  l'amor  de  la  bêle; 
Il  a  repostë  sa  muselé 

Si  secorce  sa  cotele  ; 
Un  peliielala  avant 
Delez  Marion  maintenant, 
Si  li  a  dit  tout  en  eeraat  : 
«  Hé  !  Marionete,  tant  amée  l'ai  !  > 

larion  (sic)  vit  Guiot  venir, 

S'est  autre  part  tornée, 
El  quam  Guiot  la  vil  guenchir, 

Si  li  dist  sa  pensée  : 
«  Marion,  mains  fez  à  prisier 

Que  famc  qui  soit  née 
Quant  pour  Robinet,  ce  bergier 

Es  si  asséurée.  > 
Quant  Marion  s'oï  blasmer, 
Li  cuers  Iiconmence  à  trembler; 
Si  li  a  dit  sanz  nul  déport  : 
«  Sire  vallet,  vos  avez  tort, 
Quiesveilliezle  chien  qui  dort.  > 


recto;  dans  le  manuscrit  du  fonds  de  Cangé  n*  6b,  folio 
61,  verso,  col.  2  ;  dans  le  manuscrit  du  même  fonds  n°67, 
p.  144,  col.  1  ;  dans  le  manuscrit  7222,  folio  18,  verso, 
col.  1  ;  dans  celui  du  fonds  de  la  Vallière  n"  59,  p.  98, 
col.  1. 

(a)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  207.  Cette  pastou^ 
relie  est  de  Raoul  de  Beauvais,  le  trente-troisième  des 
poètes  mentionnés  par  Fauchet.  Suivant  le  manuscrit  du 
îonds  de  Cangé  n°  65,  qui  la  contient,  fol.  95,  verso,  c.2, 
elle  appartient  à  Jehan  Erars.  Le  manuscrit  du  même 
îonds  n°  67,  qui  la  renferme,  p.  198,  col.  2,  l'attribue 
aussi  à  ce  dernier  trouvère. 

(b)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n"  63,  p.  243.  L'auteur  est 
Colars  li  Boteilliers,  le,  quarante-neuvième  des  poètes 
mentionnés  par  Claude  tauchet.  Le  manuscrit  du  sup- 
plément français  n°  184  l'attribue  à  Jehans  de  Noevile. 
Voyez  le  fol.  46,  verso.  Elle  se  trouve  aussi  dans  le  ma-- 
nuscrit  du  fonds  de  Cangé  n°  65,  folio  93,  recto,  col.  1  ; 
dans  le  manuscrit  du  Roi  n°  7222,  folio  100,  recto,  col.  2. 
Elle  y  est  attribuée  à  Jehans  de  Nue[rile]  ;  mais  à  la  ta- 


Quant  Guiot  vit  que  Marion 

Fesoit  si  maie  chière, 
Avant  sacha  son  chaperon, 

Si  est  tornez  arrière. 
Robin,  qui  s'estoit  enbuschiez 

Souz  une  chasleignière, 
Pour  Marion  sailli  en  piez, 

Si  a  fet  chapiau  d'ieire. 
Marion  contre  lui  ala, 
El  Robin  .ij.  fois  la  besa, 

Puis  li  a  dil  :  «  Suer 
Marion, 
Vous  avez  mon  cuer 
Et  j'ai  voslre  ainor  en  ma  prison.  » 

SEPTIÈME  PASTOURELLE  (b). 

L'autr'ier  par  un  malinet, 
En  noslre  aler  à  Chinon  , 
Trouvai  lez  un  praelet 
Touse  de  bêle  façon  : 
Eleavoil  le  chief  bbndel, 
Et  fesoit  un  chapelet , 
Et  disoil  ceste  chançon 
Hautement,  seri  et  cler  , 
«  Robeçonnet,  la  matinée 
Vien  à  moi  joer.  > 

Robin  cueilloit  le  musguel 
Quanl  oï  son  compaignon 
Un  sien  petit  aignelel 
Ferir  de  son  croceron, 
Piiis  sesist  son  bastonel. 
Celc  part  queurt  le  vallet, 
Et  la  touse  à  mult  haut  sou 
Chanta,  que  bien  lu  oïe  • 
<  Mal  ail  amor  de  vilain, 
Trop  est  endormie,  i 

Quant  je  vi  le  pastorel 
Qui  s'esloignoit  de  celi, 
Celé  part  ving  mult  isnel, 
De  mon  cheval  descendi, 
Puis  li  dis  :  <  Touse  muli  bel , 
Savez  faire  vo  chapel?  » 
N'onques  ne  m'i  respondi, 
Ainz  chanta,  ne  fu  pas  mue  : 
«  Je  ne  serai  plus  amiele  Robin, 
Il  me  lesse  aler  trop  nue.  > 

—  <  Touse,  mult  bien  de  nouvel 
Vous  veslirai,  s'a  ami 
Mi  retenez;  grant  revel 

ble,  on  la  donne  à  Jehans  Erars.  Ce  dernier  manuscr't 
donne  de  plus,  à  la  fin,  les  deux  couplets  suivants  - 

Lors  aïtant  la  laissai 
Un  petitet  reposer, 
Et  à  joer  commençai 
Por  li  le  mieuz  déporter  ; 
Et  quant  en  point  la  trovai, 
Une  autre  fois  fait  li  ai  ; 
Mais  aine  ne  li  ri  plorer, 
Ainz  me  dit  :  <  Biauz  amis  doux, 
Tote  la  joie  que  j'ai  me  vient  de  vos.  > 

Ma  pastorele,  va-t'ent 
A  Colart  le  Bouteillier, 
Quar  s'il  aimo  loiaument 
Si  com  il  faisoit  l'autr'ier, 
Il  te  chantera  sevent. 
Si  m'en  passe  moût  briément  ; 
Maiz  por  lui  contraloier 
Ne  l'ai  pas,  mais  por  la  bêle. 
Hareu  !  quel  amer  il  fait  la  pastorele. 


I46Ô 


non 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


HO» 


1 46(5 


MARIONS. 

Hé!  Robin,  se  lu  m'aimes, 
Par  amors  m'aine-m'enl. 


marion,  sans  voir  le  chevalier. 
Eli!  Robin,  si  lu  m'a-imes,  par  amour  emmène- 


Merrons  entre  vous  el  mi. 
El  cioi  vous  mettrai  Panel, 
Mi  garderez  plus  aignel  ; 
Aiuz  serez  avecques  mi.  > 
—  <  Sire,  ensi  bien  le  vueil; 
Or  n'amerai-je  mes  là  où  je  sueil.i 

En  sospiranl  li  besai 
La  boucbete  el  le  vis  cler. 
Quant  l'autre  geu  conmençai, 
Si  conmençai  (sic)  à  plorer 
Et  dist  :  <  Lasse!  que  ferai? 
Orsai  bien  que  g'en  morrai.  > 
Mes  pour  li  réconforter 
Li  dis  :  «  Douce  crialure, 
Eiulurez  les  doux  max  d'amer  : 
Plus  joneie  de  vos  les  endure.  » 

HUITIÈME  PASTOURELLE  (<j). 

L'autr'ier  d'Ais  à  la  Chapelle 
Repcroie  en  mon  pais, 
Dejoste  une  fonlenele 
Trouvai  pastors  jusqu'à  sis; 
Cbascuns  ol  sa  pastorele  : 
Mull  orenl  de  lor  délis, 
Car  avec  ausestoit  Cuis 
Qui  lor  muse  et  chalemele 
De  la  muse  au  gros  bordon. 
Endure  endure  enduron 
Endure,  suer  Marion. 

Fouchier,  Dreus  et  Perronncle, 
Chascuns  d'els  s*est  aalis 
Q'il  feront  dance  nouvele 
En  un  pré  vert  el  ttoris. 
Chascuns  aura  sa  colele 
D'un  des  envers  de  Senliz, 
Et  si  en  envera  Guis 
Qui  leur  muse  et  chalemele 
De  la  musc  au  gi an l  bourdon. 
Endure,  etc. 

Dist  Dreus  :  «   Li  cuers  mi  4sautclc 

l'or  l'amor  de  Rialriz  » 

Et  Fouchier  forment  frestcle 

Pour  s'amicie  Aeliz, 

El  Rogier  s'amic  apele. 

Si  l'a  par  le  ebainse  prise  (sic). 

Par  devant  louz  aloil  Guis 

Qui  leur  muse  el  chalemele 

De  la  musc  au  gros  bourdon. 

Endure,  eic. 

Rohins  d'une  flaùlele 
1  fesoit  deus  sons  li  et  iz. 
Pour  l'amor  de  Perronelc 
S'en  esloit  inult  entremis  : 
<  M'amicte  est  la  plus  belc, 
Ce  disl  Rogier,  ce  m'est  vis.  > 
Par  devant  louz  aloil  Guis 
Qui  leur  muse  et  chalemele 
De  la  muse  au  gros  bordon. 

NEUVIÈME  PASTOURELLE  (/>). 

Au  main  me  chevauchoie. 
Lès  une  sapinoie, 
El  truis  paslor  coie, 


moi. 

El  vert  gardoil  sa  proie  (bis) 
Seule  sans  compaiguon; 
N'ol  od  li  fors  .i.  gaignon 
Loiet  de  sa  coroie. 
Li  leus  saut  d'un  buisson, 
Se  li  laul  .i,  molon 
Ançois  ke  nus  le  voie. 

Celé  pleure  el  larmoie, 
Tire  sa  crine  bloie. 
Celé  pari  lor  ma  voie; 
Granl  pitié  en  avoie. 
Quand  mirai  sa  faiçon, 
Son  vis  et  son  menton. 
Sa  gorge  ki  blanchoie, 
Lors  dis  à  Marion 
S'el  laissoil  Robeçon, 
Son  molon  li  rendroic; 
Ele,  ki  moll  s'effroie, 
Ne  set  ke  faire  doie, 
Disl  ke  se  li  rendoie 
Son  pucellaige  aroie. 
Lors  nioef  à  enlençon 
Hrochant  à  esperon, 
Au  trespas  d'une  voie 
Le  leu  ens  cl  caon 
li'à  lerre  mort  l'envoie. 

DIXIÈME    PASTOURELLE   (c). 

Lès   i.  pin  verdoiant 
Trovai  l'aulr'ier  chaulant 
Paslore  et  soin  paslor  : 
Celé  va  lui  baisant 
Et  cil  li  acolant 
Par  joie  et  par  amor. 
Tornai  m'en  .i.  destor  ; 
De  veoir  lor  doçor 
Oi  faim  et  grant  lalant, 
Moll  grant  pièche  dejor 
Fui  illoc  assejor 
Por  veoir  lor  samblant, 
Celé  disoil  :  «  .0.  a  eo.  > 
El  Robin  disoil  :  «  Dorenlot.  » 

Grant  pièche  fui  ensi, 

Car  forment  m'abelli 

Lor  gieus  à  esgarder; 

Tant  ke  jodéparii, 

Vi  de  li  son  ami 

Et  ens  el  bos  entrer. 

Lors  eue  lalent  d'aler 

Vers  li  pour  saluer; 

Si  m'asis  datés  li, 

Pris  le  à  aparler, 

S'amor  à  demander  ; 

Mais  mol  ne  respondil, 
Ançois  disoit  :  «  .0.  a  eo.  » 
El  Rohins  el  bois  :  «  Dorenlot.  » 

—  <  Tose,  je  vos  re  juier, 
Donés-moi  .i.  baisier, 
Se  ce  non  je  morrai  ; 
Rien  m  i  poés  laissier 
Morir  sans  rocovrier 
Se  jou  le  baisier  n'ai. 
Sor  sains  vos  juerrai, 


Jà  mai  ne  vos  querrai 
Ne  forcheur  destorbier.  > 
—  <  Vassal,  et  je  I'  ferai, 
.Iij.  fois  vous  baiserai 
Por  vos  rasohaigier.  » 

Ele  dist  :  <  .0.  a  eo.  i 

El  Rohins  el  bois  :  <  Dorenlot.  > 

A  cest  mol  plus  ne  dis, 

Entre  mes  bras  le  pris, 

Baise-le  eslroiteinenl; 

Mais  au  conter  mespris, 

Por  les  .iij.  cm  pris  .vi. 

Eu  riant  ele  disl  : 

i  Vassal,  à  vo  créant 

Ai-ge  fail  largement 

Plus  ke  ne  vos  promis  ? 

Or  vos  proi  boinemanl 

Ke  me  lenés  covant, 

Si  ne  me  querés  pis.  > 
Celé  redits  :  «  ••  0.  a  e o.  i 
Et  Rohins  el  bois  :  f  Dorenlot.  i 

Li  baisier  par  amors 

Me  (tablèrent  Pardor, 

El  plus  fui  destTois; 

Par  desos  moi  la  lor, 

Et  la  tose  ot  payor. 

Si  s'escria  .iij.  lois. 

Rohins  oï  la  vois, 

Gaulelos  el  Guifrois 

Et  ci  si  au  ire  pas  lor; 

Corant  issent  del  bois; 

El  je  jabés  m'en  vois, 

Car  la  force  en  lu  lor. 
Puis  n'i  ol  .o.  a  ne  o, 
Robins  ne  disl  plus  dorenlot. 

ONZIÈME  PASTOURELLE   (d). 

Rcrgier  de  ville  champeslre 

Peslre 
Ses  aignoiax  menol, 

El  u'ot 
Fors  un  sien  chienet  en  désire, 

Es  ire 
V'ousist  par  senblant 

En  enblant 
Là  où  Robins  flajolol, 

Etol 
La  voiz  qui  responl 

Et  esponi 
La  noie  du  dorenlol. 
Quant  Robins  vil  la  pucele, 

Celé 
Vint  à  lui  riant; 

Alant 
Acole  la  demoiselle. 

Ele 
Le  tret  du  sentier, 

Car  entier 
Son  douz  cuer  et  son  lalant, 

En  alant 
Ont  Ici  maint  Ireslor 

El  enlor 
Enlr'acoler  el  besant. 


(a)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  552.  Celte  chan- 
son, sans  nom  d'auteur,  est  attribuée  a  Gillebcrl  de  Ber 
neville,  le  vingt-quatrième  des  poètes  cités  par  Fauchet. 
Il  était  de  Courtray,  vivait  en  1260,  et  était  attaché  à 
Henry,  duc  de  Brahant.  Celte  pièce  se  retrouve,  dans  le 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  fonds  de  Cangé 
n°67,p.  3H,  col.  1. 

(i)  Manuscrit  du  Roi,  supplément  français  n°  18»,  fo- 
lio 85,  recto.  Cette  pièce  est  attribuée  a  Glîilebers  de  Ber- 
nevUe.  Elle  se  trouve  aussi  dans  le  manuscrit  du  fonds  de 


Saint-Germain  des  Prés  n°  1989,  folio  "i,  verso. 

(c)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Royale,  supplémen' 
français  n°  181,  folio  83,  verso.  Elle  est    attribuée  à  Glii 
lebefs  de  Bernevile  ;  on    la  trouve  aussi,  mais  mutilée, 
dans  le  manuscrit    du   Roi  n°  7222,     folio  99,    reclo, 
col.  1. 

(d)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  401.  Elle  est  in 
sans  nom  d'auteur;  on  l'attribue  à  Robert  de  Reims,  le 
vingt-neuvième  dos  poètes  cités  par  Claude  Fauchet. 


i4<:7 


RÛB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


KGB 


Ufi8 


Ll    CHEVALIERS. 

Cergiere,  Diex  vous  doinsl  bon  jour! 

MARIONS. 

Diex  vous  garl,  sire! 


LE    CHF.VaLILP.. 

Bergère,  Dieu  vous  donne  lion  jour! 

MARION. 

Dieu  vous  garde,  sire! 


Disl  Robins  :  <  Se  je  savoie 

Voie 
Q'aulres  ne  séust 

Séust 
M'amie  à  merisier  à  joie 

Oie 
El  gnsliaus  pevrez, 

Abuvrez 
A  un  grant  lienap  de  fusl; 

El  fust 
Li  vins  formenliex 

El  ilex 
One  ma  dame  ne  V  refust.  t 

DOUZIÈME  PASTOURELLE  (a). 

Hier  main  quanl  je  chevauchoie 
Pensis  anioiireusemeni, 
D'au  Ire  pari  delez  ma  voie, 
Près  du  bois  el  loig  de  genl, 
Trouvai  paslore  au  cors  genl. 
Seule  déniai  ne  granl  joie 
El  qu'en!  la  flor  en  l'ai  broie 
Où  celle  ebançon  commença  : 
«  Dex  !  trop  demeure  ;  quanl  ven- 

(I  ra  ? 
Loig  es!,  cnlr'oubliée  m'u.  » 

Robin  n'a  pas  entendue 
La  voiz  que  celé  chantoil, 
D'aulre  pari  sus  la  maçue 
F.utre  ses  aignoiaus  donnoil  : 
Trop  malin  levez  esloil; 
Longueinenl  l'a  alendue. 
La  louse,  quanl  l'a  véu, 
A  dil  por  lui  esperir  : 
«  Dormez,  qui  n'amezmie; 
J'aim,  si  ne  puis  dormir.  » 

Quanl  si  avant  fut  venue 
Qn'el  ne  poul  plus  demorer, 
Je  descenl,  si  la  salue  ; 
Ele  s'en  vont  relorner; 
Mes  je  la  lis  demorer, 
A  force  l'ai  retenue, 
Puis  li  dis  :  <  Soies  ma  drue  . 
Je  vos  aim  sanz  fainlise, 
Je  vos  ai  lot  mon  cuer  doué, 
Bêle  très  douce  amie,  i 

Quant  la  tose  entalentée 

Vi  de  fere  mon  voloir, 

Maintenant  l'en  ai  levée 

Sus  le  col  du  palefroi, 

Si  l'emportai  en  1'aunoi 

Eslroilemenl  acolée, 

El  ele  s'esl  escriée 

Au   plus  haut  qu'el  ouques  poul  : 

i  lié!  resveille-toi,  Robin, 

Car  on  en  maine  Marol  !  > 

Quant  oi  fol  de  la  paslore 
(le  que  j'aloie  querant, 
Ma  <  oroie  et  m'auinosnière 
Li  ai  tendu  maintenant, 
Puis  si  m'en  tournai.  Atanl 
Robin  vint  aval  la  prée, 
El  à  Dieu  l'ai  commandée. 


Dolent  m'en  part  ; 
A  Dieu  conmani-je  mes  aruors 
Q'il  les  me  garl. 

TREIZIEME    PASTOURELLE  (b). 

Par  dessous  l'ombre  d'un  bois 
Trouvai  pasloure  à  mon  cois  ; 
Contre  iver  erl  bien  garnie, 
La  lousete  ol  les  crins  blois. 
Quant  la  vi  sans  compaignie, 
Mon  chemin  lais,  vers  li  vois. 
Ae! 

La  tonse  n'ot  compaignon 
Fors  son  chien  et  son  baston 
Pour  le  Croit  en  sa  chapele 
Se  lapist  lès  .i.  buisson, 
En  si  fleliule  regrele 
Garinel  et  llobeçon. 
Ae! 

Quand  la  vi  soutainement 
Vers  li  tor  el  si  descent, 
Se  li  dis  :  Pasloure  amie, 
De  bon  cuer  à  vos  me  renl  ; 
Faisons  de  foille  courtine, 
S'auierons  mignotemenl.  i 
Ae! 

—  «  Sire,  traiés-vos  en  là; 
Car  iel  plail  oï-je  jà 

Ne  sui  pasabandounée 
A  cliascun  ki  dis!  :  Vicn  clià. 
Jà  pour  vo  scie  dorée 
Carinés  riens  n'i  perdra,  i 
Ae! 

—  «  Paslourele,  si  l'est  bel, 
Dame  seras  d'un  ebasiel; 
Desfuble  chape  griseie, 
S'afuble  cestvair  manlel, 

Si  semblera  la  roseie 
Ki  s'espanil  de  novel.  » 
Ae! 

—  t  Sire,  ci  a  grant  promesse  ; 
Mais  mol!  est  foie  ki  prent 
D'orne  eslrange  en  ici  manière 
Manlel  vair  ne  garnimenl, 

Se  ne  li  fait  sa  proière 
El  ses  boens  ni  li  consent.  > 
Ae! 

—  <  Pastorele,  en  moie  fo., 
Pour  çou  que  bêle  le  voi, 
Coinle  dame,  noble  et  hère, 
Se  lu  vels,  ferai  de  loi  ; 
Laisse  l'amour  garçonière, 
Si  lien  del  loul  à  moi.  » 

Ae! 

—  <  Sire,  or  pais,  je  vos  em  pri, 
N'ai  pas  le  duersi  failli  ! 

Que  j'aim  miex  povre  déserte 
Sous  la  foille  od  mon  ami 
Que  daine  en  chambre  coverlc  : 
Si  n'ait-on  cure  de  mi.  » 
Ae  ! 


QUATORZIÈME  PASTOURELLE  (f). 

Er  main  pensis  chevalçai 

Lès  une  sauçoie, 
Pa-lourel  chanlanl  trouvai 

Demenanl  grant  joie. 

Cors  avoii  genl 

El  avenanO 

Crins  reluisans 

Et  oel  riant. 
Si  disoit  :  «  .0.  dorenlot, 

Diva!  Marot, 

Au  cors  migno!, 

Si  mar  l'amai! 
Je  Tarai 
U  je  morrai. 
L'amour  de  li  mar  l'acointai.  » 

Si  corn  cil  chanioi  ensi 

De  Marol  la  bêle, 

Par  aventure  l'oï 

Une  damoisele. 

Ses  ebans  li  plot, 

Vers  li  torna, 

Si  l'esgarda 

El  enama, 
Seli  disl  :  t  Si  mar  l'acointai! 

.0.  dorlolin, 

Diva!  Robin, 

Mignot  Robin, 
Tes  oex  mar  l'esgardai. 
Se  cis  maus  ne  in'asouage  je  mor- 

[rai.  > 

Que  qu'ele  vint  à  Robin, 

Moli  est  esmarie; 

Amiens  ses  mains  li  lendi 

Et  inerci  li  crie. 
Que  qu'ele  pleure  el  cil  s'en  rii, 
De  tout  son  dit  li  est  peu  ; 
Celé  a  dit  :  <  .0.  que  ferai  ? 

D'amer  morrai, 

Jà  n'en  vivrai 

Se  loi  n'en  ai 

Que  j'aim  tant  bien. 
Trop  m 'ara  s'amours  grevé, 
Se  loul  li  mal  eu  sont  mien.  > 

Celé  ki  rien  ne  li  vaul 

Cliose  qu'ele  face, 
Ses  bras  estent,  vers  lui  sain, 

Par  le  col  l'embua  ce; 
Vers  soi  l'esirainl  moût   douce- 

[nienl, 
Cil  se  desfent  trop  durement, 
Si  a  dit  :  «  .0.  quel  iolour 

Quant  voslre  amour 

El  vostre  bonour 

M'avés  abandonnée! 

L'amou    ki  est  véc 

C'esl  la  plus  desirréa.  i 

Que  qu'ele  ensi  Robin 

Embraceel  a  cole, 

Es-vos  Marol  au  cuer  fin 

Ki  se  lient  por  fuie, 

Hucbanl  s'en  vaii  :  <  Traï!  lia;!  » 


(a)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  fonds  de 
Cangd  n°  63,  folio  128,  recto,  coi.  2.  Elle  est  de  Haitaces 
de  Fontaines. 

{b)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Roi  nc  IS*,  «lu  sup- 
lement  français,  folio  iô,  recto.  Celle  chanson  est  altri- 
uôe  à  Hues  de  S:!int-Que;itin.' 


!: 


(c)  Par  Ernous  taupains.  Mauuscril  du  Roi,  n"  184,  du 
supplément  français,    folio  -ii,  verso.  Cette  pièce  se  re 
trouve  dans  le  manuscrit  du  Roi  n°  7222,  folio  9e),  verso, 
col    1.  Clle  y  est  attribuée  à  Baudesde  lu  Knkerie.  tandis 
que.  à  la  lable.  on  la  donne  à  Jehan*  6,'rtfTS. 


1-Î03 


ROB 


NOTICE  SU»  LE  TI1KATHE  LIBRE. 


BOB 


li70 


LI  CHEVALIERS. 

Par  amor, 
Douche  puchele,  or  me  contés 
î'our  coi  cestc  caucbon  camés 
Si  volontiers  et  si  souvent? 
lié!  Robin,  si  tu  m'aimes, 
Par  amours  m'aine-inent. 


LE   CHEVALIER. 

Franchement,  la  belle  fille,  contez -moi  sur 
l'heure  pourquoi  vous  chiniez  toujours  celle  chan- 
son :  «  Hé!  Robin,  si  tu  m'aimes,  par  amour  em- 
mène-moi. > 


Robins  l'oï, 

Ve:s  li  sailli, 
Se  li  a  dit  :  «.0.  douce  suer, 
Tu  as  mon  cuer, 
Ne  T  jeter  puer  : 
Je  l'aim  sans  décevoir. 
Je  voi  ce  que  je  désir, 
Si  m'en)  puis  joie  avoir.  > 

Celé  l'ol  ki  bien  l'entent, 

Mais  cl  n'en  a  cure; 

El  Boltins  vers  l'autre  atant 

Cori  granl  aléure; 
Mais  celé  ne  l'alendi  pas  : 
Eneslepas 
Li  gelc.i.  gas, 
Si  li  disi  :  <  .0.  fols  Robin, 

Lai  ton  chemin  ; 
Parcesl,  par  cesl  matin 
Si  va  les  bestes  garder. 
Osles,  saroU  dont  vilains  amer? 
Nenil   voir,  s'il   aime  jà   Die*    n'i 

[soit,  i 

Quant  Robins  s'ot  ramprosner, 

Si  responl  par  ire  : 

i  Ee[t,  !aissiés-moi  ester, 

Vostre  vente  empire. 

Jà  m'en  proiasles-vos  avant 

Bien  lis  semblant; 

N'en  oi  lalant, 

N'encor  n*en  ai. 

.0.  Bobin  relornés; 

El  se  volés, 

M'amour  ares  : 

Cuite  vas  daim  atant. 
Trop  s'avilonisJ  pucele 
Ki  d'amer  va  proiant.  » 

Celé  responl  sans  largier  : 
«  Fans  ion  Gabier  laisse; 
Folie  le  lisl  quidier 
Que  de  cuer  t'amaisse. 
D'amer  garçon  noient  ne  sai, 

Bien  te  gabai 

Quant  l'en  priai. 
Or  i  port  ,o.  nepourtant 
Pour  ton  bel  chant 

En  oi  lalant; 

Mais  or  changie  m'ai. 
Vous  n'i  verres  mais  à  tel  aban- 
[don, 

Couarl  vous  trouvai,  t 

QUINZIÈME  PASTOURELLE  (o) . 

Entre  le  bos  et  le  plaine 
Trcvai  de  ville  lonlaine 
Tose  de  granl  beauté  plaine, 

Ses  hestes  gardant  ; 
Clercbanloit  corne  seraine. 
Et  Robins  à  vois  au  laine 
Li  responl  ens  ilahulanl; 
Et  je  por  oir  lor  satnulant 


Descendi,  si  eniendi 
Ke  celé  li  disi  tant  : 
«  Robin,  bien  fust  avenant 
K'eussiens  chapcl  d'un  grant 
De  la  flor  premeraine.  > 
Acest  mois  Robins  l'acbaine, 
Ki  por  s'amor  cri  en  paine  : 
<  Marion,  fait-il,  amaine 

Tes  bestes  avant, 
Ke  ne  passent  ens  l'avaine; 
Mei-les  en  l'herbe  foraine; 
Ton  chapel  ferai  avant; 
Mais  molt  ne  feroies  dolant 
Se  le  cri  de  ion  ami 
Avoie  por  noiant, 
Car  Perrins  se  va  vantant 
Ke  de  cou  dont  me  vois  ponant 
K'il  en  keudra  la  graine.  » 

SEIZIÈME    PASTOURELLE   (b) 

Pensis  coni  fins  amonrous 
L'aulr'icr  ohcvaut  -hoie, 
Robin  oi,  qui  tous  sous 
Deinenoil  granl  joie. 
Celé  par  ving,  se  1'  saluai 
El  del  revel  li  demandai 

Dont  il  vient  : 
«  Sire,  fait-il,  il  me  tient 
VA  boine  raison  i  a. 
Belle  m'a  s'amor  douée 
Qui  mon  cuer  et  mon  cors  a.  i 

—  <  Robins  moitiés  curons, 
Mais  savoir  vanroie 
S'onqucs  par  nul  envions 
Fu  l'amie  en  voie 
K'ele  se  largast  à  loi.  » 
Il  responl  :  c  Sire,  par  ma  foi  ! 

Voir  dirai  : 
Lonc  tans  mal  eslé  en  ai  ; 

Or  ai 
Puis,  s'en  ai  cruer  joianl. 
Sej'aim  par  aniors,  j'oie  en  si  granl , 
Maugré  en  aient  li  niesdisant.  » 

—  «  Robin,  miex  t'est  avenu 
Que  moi  ne  puet  faire, 

Que  maint  samblant  ai  eu 

Doue  et  déboinaire; 
El  sans  forfait  perdu  los  (sic)  ai. 
Ne  nul  confort  trover  n'i  sai; 
Si  deproi  toi  qui  joie  as, 
Apreng-moi  cornent  lu  as 

Confort  trové. 
J'ai  adès  loiaunient  amé; 
Mais  me[s]cbeance  m'a  grevé. 

—  i  Sire,  or  ai  bien  entendu 
Trcsiol  vostre  afaire. 

S'il  vous  ai  inésavenu 
Par  aucun  contraire, 
Silost  ne  vous  déserpérés, 
Mais  bien  cl  loiaunient  serves 


Fine  amor, 
Car  bienlosl  à  granl  doelior 

Del  dolor  ratnainç. 
Nus  n'em  puet  avoir  granl  joie 
S'il  n'en  suelfre  paine.   » 

—  «  Robin,  la  peine  à  soffrir 
Ce  n'est  pas  greva nce, 

Tant  coin  boni  se  puet  tenir 
Eni  boine  espérance; 
Mais  ce  k'il  est  tant  mesdisans 
El  pan  de  loial  cuer  amans 

Me  fail  mal, 
Que  j'en  quidoie  une  loial 

Qui  Irai  m'a. 
Teus  quiilc  avoir  amie, 

Qui  poinl  n'en  a. 

—  c  Sire,  on  voit  bien  avenir 

Par  acosluniance 
Qu'eles  font  pour  abaudir 

Cruel  contenance; 
Si  s'en  effroe  li  mauvais 
Ki  n'ose  les  doleroùs  fais 

Soslenir; 
Mais  se  bien  poés  soffrir 
Ce  ne  po[el]  longes  durer. 
Ne  vous  repentes  mio. 
De  loiaunient  amer,  i 

A  Dieu  comanc  Robccon  ; 
Monstre  ma  boine  raison, 

S'alendrai; 
Mais  çou  ke  si  haut  pensai 
Me  fail  tioloirel  plaindre; 
En  si  liant  lieu  ai   mon  cuer    assis 
Ke  je  n'i  puis  alaindre. 

Sire,  cbi  a  povre  ochoison. 
De  haut  signeur  guerredou 

S'aiendés, 
Jà  cerics  n'i  perdrez 
En  si  boin  signeur  servir. 
Ki  bien  et  loiaunient  aime, 
Sa  joie  ne  doit  faillir. 

DIX  SEPTIÈME  PASTOURELLE  (c). 

Dehors  Lonc-Pré  cl  bosquet 

Erroie  avant-hier  ; 

La  vi  mener  granl  revel 

En  mi  un  sentier, 

D'une  jolie  lousete, 

Sage  plcsanl  eljonclc. 

Dex!  tant  in'enbcli 

Quant  seule  la  vi  ! 

Et  la  louse  loin  ensi 

Conmence  à  cbanler  : 

«  Robin,  que  je  (loi  amer, 

Tu  pues  bien  trop  demorer.  » 

Je  la  saluai  plus  bel 
Que  je  poi  raisnier, 
Si  li  douai  mon  chapcl 
Pour  moi  acoinlicr. 


(a)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  n"  184,  du 
supplément  français,  folio  78,  recto.  Elle  est  de  Jelums 
Bodeaus. 

(b)  Manuscrit  du  Roi,  supplément  français  n"  184,  folio 
122,  recto.  Cotte  chanson  est  de  ntesire  Pieres  de  Cor- 
Me;  elle  9e  trouve  aussi  dans  le  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque Royale  n°  7222,  fol.  20,  recto,  col.  2. 


(c)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  201.  Cette  chanson 
est  do  Jehan  Erars,  le  trente-deuxième  des  poètes  men- 
tionnés par  le  président  Fanchet.  Elle  se  trouve  aussi 
dans  le  manuscrit  du  fonds  de  Gange,  n"  (>•'>,  fol.  8  >,  >v<\'«, 
col.  1  ;  et  dans  le  manuscrit  do  même  fonds  n  67.  p 
1896   col.  1. 


1471 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


UW 


MARIONS. 

Biaus  sire,  il  i  a  bien  pour  roi  : 
J'aim  bien  Robinet,  et  il  moi  ; 
Kt  bien  m'a  monstre  qu'il  m"a  chieie 
Donné  m'a  ceste  panetière, 
Ceste  houlete  et  cest  couH. 


HARION. 

Beau  sire,  ma  raison,  la  voici  :  j'aime  bien  Robin, 
et  lui  m'aime;  il  me  l'a  prouvé  en  me  donnant  celle 
panetière,  celte  houletie  et  ce  couteau. 


Quant  je  vi  sa  mamelelte 

Qui  lieve  sa  cotelete, 

Mes  braz  li  tendi, 

Si  la  très  vers  mi; 

Et  la  louse  tout  ensi,  etc. 

Je  l'assis  soz  l'arbroisel; 

Si  la  vi  besbr; 

Ele  dist  :  <  Sire  dancel, 

Ce  n'éust  mcsiier. 

Je  sui  une  jouvenete, 

Povre  de  dras  et  nuele, 

Et  sachiez  de  fi 

Que  j'ai  bel  ami.  i 

El  la  louse  tout  ensi,  elc. 

<  Sire,  j'ai  ami  nouvel 
Toul  à  souhedier, 

Je  cuil  qu'il  est  el  vaucd 
Delez  cel  vivier.  > 
Robins  sone  sa  muselé, 
Dont  disl  à  moi  la  lousele  : 
«  Sire,  je  vos  pri, 
Tornez  vous  de  ci.  > 
El  la  louse,  etc. 

<  En  lieu  de  vo  paslorel, 
Bêle,  m'aiez-  chier  : 

Ma  çainlure  el  mon  anel, 
A  ce  commencier, 
Aurez  ma  douce  amiele.  » 
Adonc  la  mis  sur  l'hcrbele  : 

Mom  bon  acompli, 

Mie  n'i  failli; 

Et  la  louse,  elc. 

DIX -HUITIÈME  PASTOURELLE  {a). 

Paslorel 
Lès  un  boscbel 
Trovai  séant, 
Qui  por  s'amiele, 
Bêle  Mariele, 
S'aloil  démentant, 
Car  laissié  l'avoit, 

Si  amoit 
Autrui  que  lui  coin  folete. 

*  Las!  fait-il, 
Corn  me  tient  vill 
Et  por  notait L 
Celé  que  j'amoie 
Pluz  que  ne  faisoie 
Moi  entièrement  ! 
Or  me  fausse  mont  nialemenl 
Que  si  eslable  cuidoie. 

«  Saches  bien 
Que  je  n'aim  rienz 
Tant  corn  faz  loi 
D'amor  nele  el  pure; 
Mais  par  coverlure 
Sovent  m'esbanoi 
A  ceus  que  je  croi 
Et  je  voi 
Biau  joer  sanz  mespresurc. 

<  Bien  as  dit; 

Autre  escondit 

Ne  le  quier; 

Mais  inouï  me  douloie 

Quant  je  le  veoie 


Autrui  embracier 
Car  sanz  losengier 
Entier 
Ton  cuer  coin  le  mien  cuidoie.  > 

Puis  s'en  vait,  que  plnz  ni  disl; 

Si  s'est  partis 

De  la  pa>torete, 

Qui  n'erlpas  folete  ; 

Aine  de  mesdil 

N'i  ot  plnz  dit, 
Q:ii  bien  l'a  oï  ses  amis 
Qui  l'aient  en  sa  logele. 

DIX-NEUVIÈME  PASTOURELLE  {b). 

Lès  de  brueill 

D'un  vert  fueill 
Truis  pastore  sanz  orgueill, 
Chantant 
Et  notant  un  son  ; 
Moult  ot  clere  la  façon, 
C'ainc  tant  bêle  ne  connui. 

Sanz  autrui 
Vois  avant  por  mon  anui 
Saluai-la,  si  li  dis  : 
«  Touse,  li  voslre  clcis  vis 

M'a  soupris 
El  li  chans  de  cuer  hailié  : 
La  bêle  a  rai  je  sui, 
Douez- moi  voslre  amislie.    » 
Ele  s'escrie  à  hauts  cris  : 
«  Se  je  cbanl,  j'ai  bel  ami. 
Doete  est  main  levée, 
J'ai  m'amor  assenée.  » 

—  i  Touse,  laissiez  Robin  ; 

De  cuer  fin 

Sans  engin 
Vos  doins  m'amor  et  defin, 
Queus  est  a  moi  s  d'un  bregier 
Qui  ne  sel  fors  que  mengier 
El  garder  porciaus 

Et  aigniaus? 
Bêle,  laissiez  ses  aviaus; 
Si  vos  tenez  as  damoisiaus.  » 

—  t  Sire,  n'est  pas  avenant 

Ne  séant 
D'ensi  s'amor  olroier 
Robin  le  donai  l'autr'ier, 
Jà  ne  l'en  ferai  contraire. 
Ce  ne  doil-on  mie  faire, 
S'amor  doner  et  relraire.  » 

— i  Amie,  ne  vos  douiez, 
Que  jà  part  n'i  avérez  : 

Dex  vos  en  garl! 
Si  faite  amors  pas  n'avient, 
Car  à  vos  point  ne  se  lient  ; 
Mais  moi,  qui  sanz  trahison 

Suis  voslre  boni, 
Devez  amer  par  raison  ; 
Car  je  n'aim  rienz  se  vos  non.» 
— i  Sir,  ci  a  loue  sejor, 
C'alendu  ai  toute  jor 

Mon  paslor; 
Mais  sacbiez  cerleinemen 
S'il  demore  longement 
Del  tout  a  moi  failli. 


Amis,  vostre  demorée 
Me  fera  faire  autre  ami.  » 

VINGTIÈME   PASTOURELLE  (c) 

L'autre  ier chevauchai  mon  chemin. 
Dejouste  un  ruissel 
Truis  paslore  soz  un  pin 
Novel. 
D'un  ramissel 
Olfailchapel, 
El  cote  et  chaperon  ot 
D'un  burel 
Freslel, 
Chaleinel  ot, 
Si  noloit 
Et  chantoit 
Bien  el  bel, 
Souvent  regrele  un  paslorel, 
Car  sole  ganioil  sonaignel. 
Je  m'arestai  soz  l'ombre  d'un  frais- 

[■el. 
Lez  un  boschel  lassai  mon  poulret. 
Sa  vois,  qui  reienlist  el  boschel, 
De  s'amor  in'espreni, 
Car  le  cors  a  gent, 
Le  vis  cler  et  bel. 

<  Lasse!   fail-le  en  souspiranl, 

De  due!  morrai 
Robins  ne  m'aime  de  néanl; 
Or  maudirai 
Le  tans  de  mai 
Et  maudirai 
El  foille  et  tlor  et  glai. 
Mal  irai, 
Si  m'esmai 
Porcoi  ne  m'aime  Robins,  je  ne  sai  ; 
Je  l'aim  de  cuer  vrai  ; 
Jàporbiaulénel'  laisserai, 
Jamais  autrui  m'amor  n'oiroierai. 
Trop  ai  le  cuer  vrai; 
Mes  je  chanterai  : 
«  Aîné  l'ai, 
i  Et  s'il  ne  m'aime  je  1'  lairai, 

<  Certes,  je  1'  harrai.» 
Lasse!  qu'ai-je  dit?  voir,  non  fe- 

[rai.» 

Quant  je  l'oï  si  demenier 
Adonc  li  dis  :  <  Lcssiez  ester 

Cel  paslorel  : 
Chailis  esl  et  sera  toz  dis, 
Jamais  n'aurois  de  lui  soulaz  tant 
[corn  soit  vis.» 
Tantdiselpramis 
Q'enlremesbrasdoncentenllcsaibis 
Sor  l'erbe  verdoianl  la  mis, 
Les  ex  li  baisai  et  puis  le  vis; 
Lors  me  sambla  que  fusse  en  para- 

fdis. 
De  il  fui  espris, 
S'en  pris  el  repris, 
Puis  li  dis  : 
«  N'aurez  pis.» 
Ele  jeté  un  ris, 
Si  dit  :  <  Mes  amis 
Serez  mais  toz  dis.  » 


(a)  Par  Jehans  Erars.  Manuscrit  du  Roi  n"  7222,  folio 
100,  verso,  col.  1. 
(b\  Par  Jehans  Erars.  Manuscrit  do  Roi  n"7222    folio 


101,  recto,  col.  2 

(c)  Par  Jehans  Erars.  Manuscrit  du  Roi  n'  7222,   folle 
101   verso,  col  2. 


1473 


ROB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIRRE. 


ROB 


1474 


Ll    CHEVALIERS. 

Di-moi,  véis-lu  nul  oisel 
Voler  Durdeseure  cescans? 


LE    CHEVALIER. 

Dis-moi,  vis  tu  aucun  oiseau  voler  au-dessus  de 
ces  champs? 


VINGT  ET  UNIÈME  PASTOURELLE  (a). 

Por  conforter  mon  corage 
Qui  d'amors  s'esfroie, 
L'autre  jor  lès  un  boschage 
Toz  sens  clievauchoie. 
Paslorele 
Génie  et  bêle 
Truis  et  simple  et  coie; 
En  Perboie 
Qui  verdoie 
Repaissoit  sa  proie 
Cors  ot  gent  et  avenant, 
Bouche  vermeille  et  oel  riant, 
Noirs  sorcis 
El  bien  assis. 
Blanc  col  et  coloré  le  vis; 
Quar  Nature 
Mist  sa  cure 
En  former  tel  enfant. 

Aeo! 
Son  frestel,  son  baslon  preni. 
Aeo! 
Cbantoit  et  noloil  : 
«  Je  voi  venir  Emmelol 
Par  mi  le  vert  bois.i 
J'oï  1a  touse  qui  freslele 

Et  demaine  joie  ; 
Porce  qu'ele  esl  simple  et  bêle, 

Vers  li  tigma  voie  ; 
Je  le  dis  coin  fins  amis  : 

«  Touse,  car  soiez  moie.i 
La  bregière, 
Qui  fu  Hère, 
Durement  s'esfroie. 
Maintenant  s'amnr  déniant, 
El  dit  que  n'eu  fera  noianl  : 
De  Robin  a  fait  ami 
Q:ii  li  a  juré  cl  plevi 
Que  sa  vie 
D'autre  amie 
N'aura  los  ne  cri. 
Aeo! 
Robins  esl  loiaus  amis. 
Aeo! 
<  Traiez-vos  en  là. 
Robins  n'a  de  cuer  amée, 
Si  ne  P  lairai  jà.  » 

—  <  Jentix  louse  débonaire, 
Preus,  sanz  vilenie, 
Ne  m'i  faites  plus  contraire, 
Devenez  m 'amie. 
Cole  noire, 
C'est  la  voire, 
Ne  vos  donrai  mie  ; 


D'escarlale  ierl  vermeilleie, 
De  vert  mi-partie,  i 
Ele  dit  :  <  Traiez  arrier, 
Ni  vaut  noslre  dosnoier.  » 
Je  la  pris, 
Qui  fui  soupris; 
Par  force  soz  moi  la  mis, 
Demauois 
Le  ju  François  (b) 
Li  fis  à  mon  lalant. 

Aeo  ! 
Touse,  or  est-il  aulrcmanl. 
Aeo! 
Celé  crie  en  haut 
<  Se  Robins  m'a  mal  guardée, 
M. il  déliait  qui  chaut  !i 

VINGT-DEUXIÈME  PASTOURELLE  (c). 

Hui  main  par  un  ajornant 
Chevauchai  ma  mule  anblanl; 
Trouvai  gentil  paslorele  et  avenant, 
Entre  ses  aigniax  aloil  joie  menant. 

La  paslorp  mull  m'agrée, 
Si  ne  sai  dont  ele  esl  née 

Ne  de  quels  parenz  ele  est  enparen- 

[lée. 

Onques  de  mes  euz  ne  vi  si  bêle  née. 

c  Paslorele,  paslorele, 
Vois  le  tens  qui  renouvelé, 

Que  reverdissent  vergiers  et  toutes 

[herbes  : 

Biau  déduit  a  en  vnllel  et  en  pucele.  » 

— «  Chevalier,  niult  m'en  est  bel 
Que  raverdissenl  prael, 
Si  auront  assez  à  peslre  mi  aignel. 
Je  m'irai  soef  dormir  souz  l'a rbroi- 

[sel.i 
— «  Pastoreîe,  car  sonsfrez 
Que  nos  donnons  lez  à  lez, 
Si  lessiez  vos  aigniax  peslre  aval 

[les  prez  : 
Vos  ni  aurais  jà  damage  où  vous 
[perdez.» 

—  «  Chevalier,  par  saint  Simon, 
N'ai  cure  de  conpaignon. 
Par  ci  passent  Guerinel  et  Robeçon, 
Qui  onques  ne  me   requislrent  se 
[bien  non.) 

— «  Paslorele,  trop  es  dure 
Qui  de  chevalier  n'as  cure; 
A  .1.  boulons  dor  auroiz  çainture, 
Si  nie  leissiez  prendre  proie  en  vo 
[pasture.  » 


— «Chevalier,  de  Dex  vos  voie, 
Puisque  prendre  voulez  proie, 

En  plus  haut  lieu  la  pernez  que  ne 

[seroie  : 

Petit  gaaignoriez,  et  g'i  perdroie.  > 
— «Paslorele,  trop  es  sage 
De  garder  ion  pucelage. 

Se  toutes  les  conpnigncles  fussent  s;, 

Plus  eu  alast  de  puceles  à  inari.i 

VINGT-TROISIÈME     PASTOURELLE  (d). 

L'aulr'ier  quant  je  clievauchoie 
Tout  droit  d'Arraz  vers  Doai, 
Une  pastore  trouvaie  (sic), 
Ainz  plus  bêle  n'acointai  ; 
Genlement  la  saluai  : 
«  Beie,  Dex  vous  dont  hui  joie!  » 
— «  Sire,  Dex  le  vous  olroie 
Tout  honor  sanz  nul  délai  ! 
Corlois  estes,  tant  dirai.  » 

Je  descendi  en  Perboie , 

Lez  li  soer  m'en  alai, 

Si  li  dis  :  «  Ne  vos  ennoie, 

Bêle,  voslre  ami  serai 

Nejamès  ne  vos  faudrai  : 

Robe  auroiz  de  drap  de  soie, 

Fermaus  d'or,  huves,  corroies  ; 

Ciivrechies,  treceoirs  ai, 

Sollers  pains,  ganz  vos  donrai  (e) .  • 

—  «  Sire,  ce  responl  la  bloie. 

De  ce  vous  mercierai  ; 

Mes  ne  sai  conment  leroie 

Robin,  mon  ami  que  j'ai; 

Car  il  m'aime,  bien  le  sai. 

Pucele  sur,  qu'en  diroie? 

Ne  sosfrir  ne  le  porroie; 

Mes  tanl  vos  oirierai,. 

James  jor  ne  vos  barrai. 

«  Biau  sire,  je  n'oseroie, 
Car  por  Robin  le  lerai. 
S'il  venoil  ci,  que  diroie  ? 
Si  ni'aïl  Dex,  je  ne  sai. 
Voslre  volenté  ferai.  > 
Je  la  pris,  si  la  souploie, 
Le  gieu  li  lis  toute  voie, 
Onques  guères  n'y  larjai  ; 
Nés  pucele  la  irovai, 

Ele  me  semont  el  proie 
Se  ses  couvens  li  tendrai  ; 
Je  li  dis  que  ne  P  leroie 
Pour  tout  l'avoir  que  je  ai. 
Seur  mon  cheval  l'euchaijai. 
Andriu  sui  qui  inaine  joie, 
Ma  pucele  le  dognoie, 


(a)  Cette  chanson  est  (ï[Ernous  li  \V~\ielle ,  et  se 
trouve  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Roi 
n°  7222,  folio  102,  verso,  col.  1. 

(b)  Celte  expression,  qu'il  n'est  pas  besoin  de  tra- 
duire, esl  remarquable.  Comparez-la  a\ec  l'expression  tor 
fraiiçois  qu'on  retrouve  dans  la  romance  de  Bêle  Yolaus 
el  dans  la  chanson  de  geste  de  Garin  de  Montglave.  Voy. 
le  Romancero  françois,  par  M.  Paulin  Paris,  p.  40  et 
41.) 

(c)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  307.  Anonyme. 
Elle  a  déjà  été  publiée  par  M.  de  Roquefort,  dans  son  li 
vre  De  l'étal  de  la  poésie  françoise  dans  les  m."  et  xin'  siè- 
cles, p  387-389.  On  la  retrouve  dans  le  manuscrit  du 
fonds  de  Cangé  n°  65,  fol.  160,  recto,  col.  2;  et  dans  le 
manuscrit  du  même  fonds  n°67,  p.  291,  col.  2. 

(d)  Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p  547.  Anonyme. 
Cette  pièce  a  été  publiée  tfans  l'ouvrage  de  M.  de  Ro- 
quefort déjà  rilé.  p  391,  ;92.  On  la  retrouve  dans  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  Ju  Roi,  fonds  de  Cangé  n°  67, 


p.  535,  col.  1. 


Damoisele,  car  créez 
Mon  conseil  :  je  vous  créant, 
James  povre  ne  serez, 
Ainz  auroiz  à  vo  talent 

Ole  trainant 

Et  coroie 

Ouvrée  de  soie, 

Cloée  d'argent, 

Etc. 

(Manuscrit  de  l'Arsenal  n°  63,  p.  242,  col.  2  ;  manuscrit 
du  fonds  de  Cangé  n°65,  fol.  91,  recto,  col.  1  ;  manuscrit 
du  même  fonds  n°  67,  p.  236,  col.  1  ;  manuscrit  du  fonds 
de  La  Yallière  n°  59,  p.  138,  col.  1.) 

(e)  Il  nous  a  paru  curieux  de  rapprocher  ce  passage  du 
suivant  qui  appartient  à  une  chanson  du  duc  de  Crabant, 
père  de  Marie,  femme  de  Philippe  le  Hardi,  et  le  qua- 
rante-huitième des  poètes  CÏleS  par  le  président  Fau- 
ehet. 


1475 


Il  OU 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


RG3 


i  476 


MARIONS. 

Sire,  j'en  ai  veu  ne  sais  kans; 
Encore  i  a  en  ces  buissons 
Cardonnerculs  et  pinçons 
Qui  nioul  canienl  iolicmenU 


MAUION. 

Sire,  j'en  ai  tant  vus,  il  y  a  plein  ces  buissons  <b 
chardonnerets  et  de  pinsons  qui  charrient  gaiement. 


Droit  en  Arraz  l'cnporlai  ; 
Granz  biens  li  fis  et  ferai. 

VINGT-QUATRIÈME    PASTOURELLE  («). 

Entre  Godefioi  et  Robin 
Gardaient  bestes  .i.  chemin 
Dejosle  une  rivière. 
De  là  l'aîge,  près  d'un  sapin, 
Desos  l'ombre  d'un  aube  esoin, 
Gardait  une  bergière 
Aigneaus  eus  la  bruière. 
De  joins  et  de  fcu<  bière 
Estoit  couverte  sa  chahute. 
A  la  clokele  et  à  la  muse 
Aloil  chaulant  une  cançon. 
Robins  a  entendu  le  son, 
Si  l'a  dit  à  son  compaignon; 
El  le  liole 
Del  coule. 
«  Escote, 
Fols,  escote. 
J'oi  m'amie  là  outre. 
Or  la  voi, 
La  voi, 
Por  oieu  salués-le-moi. 
N'i  puis  rrierchi  irover 
Eus  la  belle  cui  j'aim.» 

--«  Beausdos  compains,  disl  Go- 

[defrois, 
Por  Ermenion  sui  si  deslrois 
Ke  ne  sai  ke  je  faire. 
La  gratis  jelée  ni  li  frois 
Ke  j'ai  enduré  maintes  fois 
Ne  la  nois  ne  la  glaice 
N'ont  pas  leinle  me  faice; 
Mais  celé  qui  nie  laice 
Mes  ollraiges  nie  doit  bien  nuire, 
Avanl-ier  li  brisai  sa  buire  ; 
Or  m'en  a  pris  en  granl  desdaig. 
En  non  Dieu,  Robin,  beaus  coin- 

[paig, 
Vos  chantes  et  je  me  complaig; 
Vos  aniés  joie,  cl  je  le  bas; 
Vos  ne  seules  mie  les   maus  ausi 
[coin  je  fas; 
Vos  chaulés  et  je  muir  d'amer, 
Ne  vos  est  gaires  de  ma  mort  (b) 
Abi!  mors!  mors!  mors!   porquoi 
[m'ochics  à  tort?» 

Quant  Robins  enient  Emmelot, 
Et  ecle  sol 
Ke  Robins  l'ot, 

Lors  resbaudist  la  joie. 
'Celé  enforce  son  doreulot 
A  la  clokele  cl  au  sillol 

Pour  çou  ke  Robins  l'oie. 

Tôt  li  cors  m'en  effroie; 

Vers  li  lornai  ma  voie, 

Devant  li  descent  eus  la  prec, 

Puis  si  l'ai  araisouée, 

Déboinairement  li  dis  : 

«Tose,  je  sui   li  voslre  amis; 

Mon  cuer  vous  olroie  à  los  dis, 


Tenés,  je  vos  en  fas  le  don. 
A  cui  donrai-jou     mes   amors, 

[amie, 
S'a  vos  non  ! 
En  non  Dieu  !  vos  estes  belle, 
On  vos  doit  bien  amer. 
Chi  a  belle  paslorelle, 

S'ele  avoil  ami. 
Doce  amie,  car  m'amés  (bis), 
Ja  ne  proie  se  vos  non.  > 

—  «  Sire,  bien  soiés-vos  venus! 
De  par  moi  estes  retenus  : 
Por  voslre  plaisir  faire 
Ne  doit  Ions  plais  eslre  tenus. 
Trop  es  Robins  povres  et  uns 

Et  de  trop  povre  affaire. 

Provos  samblés  ou  maire 

Ki  portés  penne  vaire. 

Tose  ki  baul  borne  refuse, 

Vilain  paslorel  amuse, 

A  cniient  prenl  le  piour. 

Amors  n'est  onques  sans  doçor, 

M. lis  celé  n'a  point  de  saveur 

Dont  li  déduit  son  lost. 

Ostes,  saroit  dont  vilains  amer  ? 
Ncniljà, 
Nen.l  jà, 

Deaubles  li  aprendera. 

0>tés  cel  vilain,  oslés, 

Se  vilains  alouebe  à  moi, 
Nis  dcl  doi, 
Jà  niorrai.  t 

A  cest  mot  fui  en  lel  effroi 

Ke  jou  laissai  mou  palefroi 

Mer  aval  l'erbaige. 

Robins  apelie  Godefioi, 

Or  furent  ensamble  tout  troi, 

Puis  disl  lot  son  coraige  : 

«  Sire,  n'esl  mie  saige 

Povre  pucele  ki  s'acoinle 

A  haut  borne  orgellex  et  coinle. 

Oï  Pavés  dire  sovenl  : 

i  Ki  baul  moule  de  liant  desceul, 

<  Froil  a  lefpié  ki  plus  l'eslenl 

i  Ke  son  covreloirs  n'a  de  loue.» 

Amerai-je  dont 

Se  mon  ami  non 

N'aie,  se  Dieu  plaist. 

Autrui  n'aimerai. 
Erres,  erres, 

Vosn'i  dormi rés 
Mie  enire  mes  bras,  jalons. 
Ge  n'oi  onques  c'un  ami, 

Ne  jà  celui 

Ne  changerai; 
Jà  n'oblierai 
Robin, 
Gui  j'ai  m'anior  douée* 
Oslés  vos  mains  d'aulrui  avoir, 
Vos  (jiiidiés  lot  le  monl  valoir  : 
Gil  est  moll  (ans  ki  ce  proevè 
Ke  lot  soit  siens  kan  k  il  iroeve. 
Renionlés  car  à  moi  failli  avés.  » 


VINGT-CINQUIEME    PASTOURELLE    (f). 

En  une  praele 

Lez  .i.  vergier 

Trouvai  pa'siorcle 

Lez  son  bergier. 

Li  bergier  l'ipele, 

Vouloil  besier;       [dangier, 
Mes  ele  en  faisoil  moll  liés  grai.t 
Car  de  cuer  ne  l'amoie  mie- 
Oncor  fusl-ele  sa  plévie, 

Si  avoil-ele  ami 

Autre  (pie  son  mari; 
Car  son  mari,  je  ne  se  porqci, 
Hel-ele  tant  qu'oie  s'escriou. 
«Osiez-moi  l'anelel  du  doit 
Je  ne  sui  pas  marié  à  droii. 

«A  droit  !  non,  fel-ele 

A  son  bergier. 

En  pur  sa  gonele 

Aurore  plus  chier 

Robin  qui  freslel 

Lez  l'olivier 

Que  avoir  la  scignorie 

D'Anjou  ne  de  Normaudic(d) 

Mes  je  (s;c)  j'ai  failli, 

Certes,  ce  poise  tri.» 

Disl  la  douce  crialur 

A  haule  vois  : 

«  llouis  soit 

Maris  qui  dure 

Plus  d'un  mois.  » 

— «En  mois!  suer  douccie> 

Disl  li  pastors; 

Cesle  cbançoneie 
Mi  fel  iros. 

Drop  estes  dureté 
De  vos  amors  : 

Je  vos  pris  à  faine, 

Souviengne-vos  ; 
El  se  tele  est  vos  pensée 
Qu'à  moi  soiez  accordée, 

Dont  si  haez  Gamier 

Qui  est  en  cel  vergier.  » 

Et  ele  dit  que  jà 

Por  li  ne  lera 
A  SMiier. 

«  Vaderali  doude,  s'amor 

Ne  m'i  lesse  durer.» 

—  «  Durer!  suer  doucele 
Ce  disl  li  jalons, 

Foie  ennuioseie, 
Qui  amez-vos  ?  » 
Se  disl  Joanele  : 
«Riau  sire,  vos.  » 

—  «Tu  mens  voir,  garscie 
Ainz  as  aillors  mis  ton  cuer  ci  ta 

[pensée. 
Moi  n'aimes-lu  de  riens  née; 
Ainz  aimes  inelz  Garnier, 
Qui  est  en  cel  vergier, 
Que  ne  fas  moi.  Aimi  ! 

Aimi  ! 
Amoreles  m'ont  irai'.  » 


(a)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Royale,  supplément 
français  n"  184,  folio  18,  verso. 

(b)  Ce  vers  et  le  précédent  ont  été  reproduits  par  Gi- 
berl  de  Montreuil,  qui  les  fait  chanter  par  Florentine. 
(Vouez  le  Romnu  de  la  Violette,  p.  136.) 

(c)  Manuscrit  du  fonds  de  Cangé  n"  63,  folio  186,  verso, 
col  1.  Cette-pastourelle  se  retrouve  aussi  dans  le  manus- 


crit du  même  fonds  n°  67,  p.  323,  col.  1  ;  et  nans  le  ma- 
nuscrit du  fonds  de  Saint-Germain  n°  1989,  folio  153, 
reclo.  Elle  se  trouve  répétée  dans  le  même  volume  folio 
loo,  verso,  et  contient  à  la  fin  un  couplet  de  plus 

trf)  Dans  Jehans  de  Normandie. 

(Manuscrit  de  Saint-Germain.  ) 


4477 


ROB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


RO!5 


UT« 


'Ll    CHEVALIERS. 

Si  m'ait  Dieu  s  beie  au  cors  goul, 
Clie  n'est  point  clie  que  je  déniant 
Mais  véis-lu  par  chi  devant, 
Vers  cesle  rivière,  nul  ane? 

MARIONS. 

C'est  une  hesle  qui  recane  ; 
J'en  vi  ier  .iij.  sur  clie  queinin, 
Tous  quarchiés,  aler  au  molin 
Est  clie  chou  que  vous  demandés? 

LI  CHEVALIERS 

Or  sui-je  mont  bien  assenés! 
Di-moi,  véis-lu  nul  hairon! 


LE    CHEVALIER. 

M'ait  Dieu!  belle  au  corps  gentil,  ce  n  est  point 
ce  que  je  demande;  mais  n'as-lu  pas  vu  par  ici-dc- 
vanl,  vers  celle  rivière,  aucun  canard? 

MARION. 

Des  bêles  qui  ricanent,  j'en  vis  Dois  hier  sur  ce 
chemin,  tous  chargés,  aller  au  moulin  :  est-ce  ce  que 
vous  me  demandez? 


LE   CHEVALIER. 

Je  suis  bien   avancé.   Dis-moi ,  vis-lu  aucun  hé- 
ron? 


tTrai!  voir  fel-ele, 
"Vilain  chailis; 
Traï  estes-vos,  je  te 

Vos  plévis, 
Car  li  miens  amis 
Est  molt  melz  apris, 

De  \os  est  plus  biaus  et  plus  jolis; 
Si  li  ai  m'amor  douée.» 
— «Ha  !  foie  desmesurée, 
Por  l'anior  de  Garnier 
Le  compérés  jà  chier.i 
El  la  louse  li  escrie  : 

«  Ne  me  balles  pas,  dolercus  ma- 

Vos  ne  m'avés  norrie; 
Se  vos  me  bâtés,  je  ferai  ami  ; 
Si  doublera  la  folie.  » 

Vingt-sixième  pastourelle  (a). 

Je  me  chevaichoie 
Par  mi  un  prael, 
Dejoste  unearbroie 
Ley  .i.  ormissel  ; 
Là  trovai  granl  joie, 
Paslore  en  l'arlroie, 
En  sa  main  freslel, 
Chaule  .i.  son  novel, 
Vuel  que  Robins  l'oie. 
La  color  roiinc 
Par  mi  la  gaudine 
Rehiisoil  tant  cler. 
Deus  me  lasl  trover 
Que  l'aie  suvine  ! 

Par  mi  la  ramée 
Vers  li  chevalchai, 
Quanl  je  la  vi  seule 
Si  la  saluai  ; 
Dis  li  :  «  Beie  ncie, 
Soicz  ma  priveie; 
Je  vos  amerai, 
Riche  vos  ferai 
En  voslre  contrée. > 
— «Avoi  !  chevaliers, 
De  foloi  parlez, 
S'en  moi  a  mesure 
Je  sui  beie  assez 
Ce  li  disl  la  pure. 
Je  n'ai  de  vos  cure; 
Li  us  est  fermez, 
Robins  a  les  clés 
De  la  serréure.» 

— «Beie  Mariette  (sic), 
Près  de  moi  le  lien, 
Par  desoz  la  colle 


Te  bottrai  dcl  mien. 
Beie  Marioite, 
Près  de  moi  l'acosle 
Seule  senz  engien.» 
Et  dist  que  bien  siet 
Dedanz  sa  biolle. 

La  berre  esl  briseie, 
L'us  est  desfermez  ; 
Jamais  ne  tel  noue 
N'orrez  à  parler. 

Ele  disl  :  i  Par  saint  Blai- 
re! 
Meliz  valt  la  sosclaise 
Ne  facenl  les  cleis. 
Sovenl i  venez, 
Amis,  en  l'erbage.» 

VINGT-SEPTIÈME  PASTOURELLE  K0j. 

L'anir'ier  me  levai   au  jor,  (bis) 

Trovai  en  un  deslor 

Paslore  et  son  pastor 

En  sa  main  un  tabor, 

Eu  l'autre  mireor; 

Se  mire  sa  coior, 

El  chante  par  anior  : 

i    Dorenleu  diva  ! 

Eva  ! 

OÏ  ça, 

Oilà.» 
Mais  en  pou  d'ore  li  chanja 
Li  dorenleus, 
Eyeus  ! 
Qant  uns  granz  leus, 
Cole  baée,  familleus 
Se  lierlenlre  les  lluz  andeus. 

Toi  oui  perdu  l'or  déduit,  (bis) 
Ez-vos  lo  leu  q'en  fuil 
Au  bois,  cui  qu'il  ennuit; 
El  j'en  oi  lo  bruit, 
Celé  part  m  en  vois, 
Eyois  ! 

Toi  demenois 
Me  mis  enlre  lui  et  lo  bois 

Por  delenir, 
Eyr! 

En  son  venir 
Féri  lo  leu  de  tel  aïr 
Que  la  proie  li  fis  guerpir. 

Ele  commence  à  huchier  :  (bis) 
<  Ferez  ,  frans  chevaliers; 
Pensez  de  l'esploilier, 
Car  por  voslre  luier 
Aurez  un  douz  baisier. 


L'on  retrouve  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Royale  n°  722-2, 
lragmenls  de  chansons  apparlenanl  au    cycle  de    Robin  et  de  Ma r ion. 

Enfin,  on  lit  encore  une  aulre  pastourelle  dans  le  traité  de  M.  Roque 
çoise  dans  les  xu«  el  xin»  siècles  pag.  593,  594.  Nous  ne  la  reprodu 
publiée  d'après  une  copie  à  laquelle  nous   ne  nous  fions  point. 


Revenez  par  nos, 
Eyons ! 
Robins  ier  cous.» 
Quanl  je  li  oi  l'aigniau  rescous, 
N'ai  rien  perdu, 

Eyu  ! 
Joianz  en  fu. 
Robins,  qui  l'avoil  entendu, 
Par  félonie  a  respondu. 

Adonc  respondi  Kobin,  (bis) 
Qui  lint  lo  chief  enclin, 
Et  jure  saint  Martin 
K'ague  n'est  mie  vin, 
Ne  sage  paresin, 
Ne  poivres  n'est  comins, 
Ne  cuer  de  femme  fins. 
«  Fous  qui  la  croil, 
Eyoii  ! 

S'il  ne  la  voit. 
Femme  saii  bien  que  faire  doit, 

S'ele  fa  il  mal, 
Eyal  ! 

Por  un  vassal 
Qui  par  ci  passe  à  cheval. 
M'a  guerpi  celé  desloial.  > 

Adon  la  levai  errant  (bis) 
Sor  mon  cheval  ferrant. 
Ele  disl  en  riant  : 
«  Robin,  Deus  le  saut! 
Eyaul! 

Plorers  que  vaut? 
Je  vois  esbanoier  el  gant 

Por  mon  délit, 
Eyl  ! 

N'est  pas  peli'z. 
Se  lu  m'aimes,  si  com  lu  diz, 
Pren  le  garde  de  mes  berbiz.» 

— «Dame,  losl  m'avez  guerpi[6t»] 
Quant  por  votre  délit 
Avés  un  home  eslit 
Conques  mais  ne  vos  vil. 
Pou  ce  prise  petit 
Femme  qui  son  cuer 

Eyuer ! 
Vuet  vamlre  à  fuer. 
Bien  al  gelé  lo  sien  afuei 

Qui  par  rovenl, 
Eyenl! 

Son  baisier  vant. 
Qui  va  deniers  ne  va  devai 
Qui  chainge  menu  el  sovei. 

nui  a  été  mutilé,  un  ou  plusieurs 
Yoy.  le    folio    103    recto  el  verso 
fort  ,  De  Vêlai  de  la  poésie  \ran- 
isons  pas  ici,  parce  qu'elle  a  été 


(a)  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Royale, fonds  de  Saint- 
Germain  des  Près  n°  1989,  fol.  47,  reclo.  Anonyme. 


(b)  Manuscrit  du  Roi,  fonds  de  Saint-Germain  n°  1980, 
folio  70,  verso. 


1479 


UOli 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1480 


MARIONS. 

flairons!  sire,  par  me  foi!  non, 
Je  n'en  vi  nesun  puis  quaresme, 
One  j'en  vi  niengier  chiés  dame  Eme, 
Me  laiien,  cui  sont  eues  brebis. 

Ll    CHEVALIERS. 

Par  foi  !  or  sui-jou  esbaubis, 
N'ainc  mais  je  ne  fui  si  gabés. 

MARIONS. 

Sire,  foi  que  vous  mi  (levés! 
Quele  besie  esl-che  seur  vo  main? 

Ll   CHEVALIERS. 

C'est  uns  faucons. 

MARIONS. 

Mengiïc-il  pain? 

Ll    CHEVALIERS. 

Non,  mais  bonne  cliar. 

MARIONS. 

Celc  beste? 

LI    CHEVALIERS. 

Esgar  !  ele  a  de  cuir  le  lesie. 

MARIONS. 

El  où  alés-vous? 

Ll  CHEVALIERS. 

En  rivière. 

MARIONS. 

Robins  n'esl  pas  de  tel  manière, 
En  lui  a  irop  plus  de  déduit  : 
A  uo  vile  esinuel  tout  le  bruit 
Quant  il  joue  de  se  muselé. 

L!    CHEVALIERS. 

Or  diles,  douebe  bregcrele 
Ameriés-vous  un  chevalier? 

MARIONS. 

Biaus  sire,  traiiés-vous  arrier. 
Je  ne  sai  que  chevalier  sonl; 
Deseur  lous  les  bornes  du  mont 
Je  u'ameroie  que  Robin. 
Clii  vient  au  vespre  et  au  malin, 
A  moi,  tondis  et  par  usage; 
Clii  m'aporle  de  son  lioumage  : 
F'ncorc  en  ai-jc  en  mon  sain, 
El  une  grant  pieche  de  pain 
Que  il  m'aporta  à  prangiere. 

L!   CHEVALIERS. 

Or  me  diles,  douche  bregiere, 
Vauriés-vous  venir  avoec  moi 
Jeuer  seur  che  bel  palefroi, 
Selonc  che  boskei,  en  che  val? 

marions  au  Chevalier. 

Ami!  sire,  ostés  vo  cheval, 
A  poi  que  il  ne  m'a  hiechie. 
Li  Robins  ne  regiele  mie 
Quant  je  vois  après  se  karue. 

LI    CHEVALIERS. 

Bregiere,  devenés  ma  drue 
El  faites  (lie  que  je  vous  proi. 

marions  au  Chevalier. 

Sire,  traiiésensus  de  moi  : 
Clii  estre  point  ne  vous  affierl. 
A  poi  vos  chevaus  ne-ne  lierl. 
Comment  vous  apele-on? 

LI    CHEVALIERS. 

Aubcrl. 

MARIONS. 

■J-  Vous  perdes  vo  paine   sire  Aubcrl 


MARION. 

Héron!  sire,  par  ma  foi!  non,  je  n'en  vis  pas  un 
depuis  le  carême,  qu'on  en  mangea  chez  dame  Emma, 
ma  grand'inère,  à  qui  sonl  ces  brebis. 

LE   CHEVALIER. 

Par  ma  foi  !  je  suis  rendu  muet,  jamais  je  ne  fus 
si  gabé. 

MARION. 

Sire,  un  peu  de  bonne  grâce  :  quelle  est  cette 
bête  qui  est  sur  voire  main 

LE   CHEVALIER. 

C'est  un  faucon. 

MARION. 

Mange-t-il  pain? 

LE   CHEVALIER. 

Non,  mais  bonne  chair. 

MARION. 

Celte  bête? 

LE   CHEVALIER. 

Regarde!  elle  a  la  lêle  garnie  de  cuir. 

MARION. 

El  où  allez -vous? 

LE   CHEVALIER. 

En  rivière. 

MARION. 

Robin  n'est  pas  si  beau  que  vous,  mais  qu'il  a 
plus  de  gaielé  :  il  émeul  loute  notre  ville  quand  il 
joue  de  sa  muselle. 

LE   CHEVALIER. 

Or  diles,  douce  bergerclte,  aimeriez-vous  un  che- 
valier? 

MARION. 

Beau  sire,  lenez-vous  en  arrière.  Je  ne  sais  ce 
que  valent  les  chevaliers;  mais  de  tous  les  hommes 
du  inonde,  je  ne  puis  jamais  aimer  que  Robin.  II 
vient  ici  le  soirel  le  matin,  vers  moi,  tous  les  jourg 
el  par  habitude,  ici  il  m'apporte  de  son  fromage  : 
encore  en  ai-je  dans  mon  sein,  el  un  grand  mor- 
ceau de  pain  qu'il  m'apporta  à  l'heure  du  dîner. 


LE   CHEVALIER. 

Or  dites-moi,  douce  bergère,  voudriei-vous  venir 
avec  moi  jouer  sur  ce  beau  palefroi,  le  long  de  ce 
bosquet,  dans  ce  vallon  ? 

marion  au  Cheva.ier. 

Aïe,  sire,  reculez  voire  cheval,  il  s'en  faut  de 
peu  qu'il  ne  m'aii  blessée.  Celui  de  Robin  ne  rue 
pas,  quand  je  vais  après  sa  charrue. 

LE    CHEVALIER. 

Bergère,  devenez  mon  amie  et  laites  ce  dont  je 
vous  prie. 

marion  au  Chevalier. 

Sire,  retirez-vous  d'auprès  de  moi  :  il  ne  vous 
convient  pas  d'êire  ici.  II  ne  s'en  faut  de  peu  que 
voire  cheval  ne  m'aie  frappée.  Comment  vous  ap- 
pellc-l-on? 

LE    CHEVALIER. 

Auberl. 

MARION. 

Vous  perdez  votre  peine,  sire  Aubert,  je  n'aime- 


\m  ROB  NOTICE  SUR  LE 

Je  n'amerai  autrui  que  Robert. 

LI    CHEVALIERS. 

Nan,  bregiere? 

marions  du  Chevalier. 
Nan,  par  ma  foi  ! 

LI    CHEVALIERS. 

Cuideriés'einpirier  de  moi? 
Chevaliers  sui,  et  vous  bregiere, 
Qui  si  lonc  jetés  me  proiere. 

marions  au  Chevalier. 

Jà  pour  cbe  ne  vous  amerai. 
•j-  Bergeronnete  sui; 
Mais  j'ai  ami 
Bel  et  coinle  et  gai. 

LI   CHEVALIERS. 

Bregiere,  Diex  vous  en  doinst  joie! 
Puis  qu'eiisi  est,  g'irai  me  voie. 
Hui  mais  ne  vous  sonnerai  mol. 

marions  au  Chevalier. 

■f  Trairi,  deluriau,  deluriau,  deluriele. 
Trairi,  deluriau,  delurau,  delurol. 

LI   CHEVALIERS. 

Hui  main  jou  ehevauchoie 

Lés  l'oriere  d'un  bois; 

Trouvai  gentil  bregiere, 

Tant  bêle  ne  vil  roys. 

Hé!  trairi,  deluriau,  deluriau,  deluriele, 

Trairi,  deluriau,  deluriau,  delurot. 

MARIONS. 

f  Hé  !  Robechon,  deure  leure  va; 
Car  vien  à  moi  leure  leure  va, 
S'irons  jeuer  dou  leure  leure  va, 
Dou  leure  leure  va. 


THEATRE  LIBRE.  ROB  U82 

rai  que  Robin. 

LE   CHEVALIER. 

Nenni,  bergère? 

marion  au  Chevalier. 
Nenni,  par  ma  foi  ! 

LE   CHEVALIER. 

Penseriez-vous  faire  une  mauvaise  afTairc?  Je  suis 
chevalier,  et  vous  bergère,  et  c'est  vous  qui  rejetez 
si  loin  ma  prière  ! 

marion  au  Chevalier. 

Mais,  comment  vous  aimer?  Je  suis  bergeretle, 
et  j'ai  ami  beau,  bien  élevé  et  gai. 


LE    CHEVALIER. 

Bergère,  que  Dieu  vous  en  donne  joie!  Pu  s- 
qu'ainsi  est,  j'irai  mon  chemin.  Aujourd'hui  je  ne 
vous  dirai  plus  mol. 

MARION. 

Trairi,  deluriau,  deluriau,  deluriele,  trairi,  delu- 
riau, delurau,  delurot. 

LE   CHEVALIER. 

Ce  malin  je  chevauchais  près  de  la  lisière  d'un 
bois;  je  trouvai  gentille  bergère,  lant  belle  ne  vit 
roi.  Eh!  trairi,  deluriau,  deluriau,  deluriele,  trairi, 
deluriau,  deluriau,  delurot. 


MARION. 

Eh!  Robichon,  deure  leure  va;  viens  à  moi,  leure 
leure  va;  nous  irons  jouer  du  leure  leure  va,  du 
leure  leure  va. 


SCÈNE  III. 

robin,  répétant  au  loin  Vair  de  Marion,  marion. 

ROB1NS.  ROBIN. 

f  lié!  Marion,  leure  leure  va;  Eh!  Marion,  leure  leure  va;  je  vais  à  toi,  leure 


Je  vois  à  toi,  leure  leure  va  ; 
S'irons  jeuer  dou  leure  leure  va, 
Dou  leure  leure  va. 

MARIONS. 
ROBINS. 

liarote? 

MARIONS 

Dont  viens» lu? 

ROBINS.' 

Par  le  sainl!  j'ai  desveslu, 
Pour  che  qu'i  fail  froit,  men  jupel; 
S  ai  pris  me  cole  de  burel, 
Et  si  t'aporl  des  pommes  :  lien. 

MARIONS. 

Robin,  je  le  connue  trop  bien 
Au  canler,  si  con  lu  venoies; 
Et  lu  ne  me  reconnissoies? 

ROBINS. 

Si  fis  au  cant  cl  as  brebis. 

MARIONS. 

Robin,  tu  ne  ses,  dons  amis, 
Et  si  ne  le  lien  mie  à  mal  : 
Par  chi  vinl  .j.  boni  à  cheval 
Qui  avoitcauchic  une  moufle, 
El  porloil  aussi  c'un  escoufle 
Seur  sen  poing;  et  trop  me  pi t 
D'amer;  maispoi  i  conquesta, 
Car  je  ne  le  ferai  nul  lort. 

DicriONN.  des  Mystères. 


leure  va;  nous  irons  jouer 
eure  leure  va. 


du   leure  leure   va,   du 


Robin  ! 

Marion  ! 

D'où  viens-tu? 


MARION. 


ROBIN. 


MARION 


ROBIN. 


Parle  saint!  j'ai  ôlé  mon  surtout  parce  qu'il  fait 
froid,  et  j'ai  pris  une  colle  de  bure.  Je  t'apporte  des 
pommes  :  liens. 


MARION. 

Robin,  je  l'avais  reconnu  au  chaill,  de  loin  ;  mais 
loi  tu  n'as  pas  reconnu  ma  voix? 

ROBIN. 

Si  fait,  le  chant  et  les  brebis. 

HVRION. 

Robin,  doux  ami,  mais  ne  va  pas  penser  à  mal  : 
tu  ne  sais  pas?  il  est  venu  par  ici  un  homme  à  che- 
val, gaulé  d'une  moufle.  Il  portait  un  milan  sur  son 
poing;  il  m'a  prié  instamment  de  l'aimer.  Mais  il 
n'a  guère  réussi,  car  je  ne  te  ferai  nui -toi  t. 


1483 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1484 


ROBINS. 

Marote,  tu  m'aroies  mort; 
Mais  se  g'i  fusse  à  tans  venus, 
Ne  jou,  ne  Gauliers  li  Testus, 
Ne  Baudons,  mes  cousins  germains, 
Diable  i  eussent  mis  les  mains  : 
Jà  n'en  fust  partis  sans  bataille. 

MARIONS. 

Robin,  cous  amis,  ne  te  caille; 
Mais  or  faisons  fesle  de  nous. 

ROBINS 

Serai-je  drois,  ou  à  genous* 

MARIONS. 

Vien,  si  te  sie  encosle  moi; 
Si  mengerons. 

ROBINS. 

Et  jou  Toi  roi; 
Je  serai  chi  lés  ton  costé. 
Mais  je  ne  t'ai  rien  aporté  : 
Si  ai  fait  certes  grant  outrage. 

MARIONS. 

Ne  t'en  caut,  Robin  ;  encore  ai-^e 
Du  froumage  clii  en  mon  sain, 
Et  une  grant  pieclie  de  pain, 
El  des  poumes  que  m'aporias 

ROBINS. 

Diex|!  que  chis  froumages  est  cras 
Ma  seur,  mengûe. 

MARIONS. 

Et  lu  aussi. 
Q'j£St  lu  vieus  boire,  si  le  di  ? 
Vés-chi  foniaine  en  .i.  pochon. 

ROBINS. 

Diex  !  qui  ore  énst  du  bacon 
Te  laiien,  bien  venist  à  point. 

MARIONS. 

Robinet,  nous  n'en  arons  point, 
Car  trop  haut  pent  as  quieverons, 
Faisons  de  che  que  nous  avons  : 
Cb'est  assés  pour  le  matinée. 

ROBINS. 

Diex  !  que  jou  ai  le  pancbe  lasse 
De  le  choule  de  l'autre  fois! 

MARIONS. 

Di,  Robin,  loy  que  lu  mi  dois, 
Choulas-lu?  que  Diex  le  te  mire' 

ROBINS. 

f  Vous  l'orrés  bien  dire,  bêle 
Vous  l'orrés  bien  dire. 

MARIONS. 

Di,  Robin,  veus-tu  plus  mengier? 

ROBINS. 

Naic,  voir 

MARIONS. 

Dont  metrai-je  arrier 
Che  pain,  die  froumage  en  mon  sair 
Dusqu'à  jà  que  nous  arons  fain. 

ROBINS. 

Aius  e  met  en  le  panetière. 

MARIONS. 

El  vés-li-chi.  Robin,  quel  cbiere! 
Froie  et  commande,  je  ferai. 

ROBINS. 

Marole,  el  jou  esprouverai 
Se  lu  m'ies  loiaus  amiele, 


ROBIN. 


Marion,  lu  seras  cause  de  ma  mort  :  car,  si  je 
fusse  venu  à  temps,  moi  ou  Gautier  le  Têtu,  ou 
Baudon.  mon  cousin-germain,  lous  les  diables  s'en 
seraient  mêlés  et  il  ne  serait  pas  parti  sans  ba- 
taille. 

MARION. 

Robin,  doux  ami,  ne  l'inquiète  pas;  mais  main- 
tenant faisons  fêle  entre  nous. 

ROBIN. 

Serai-je  droit  ou  à  genoux 

MARION. 

Viens,  el  l'assieds  à  côlé  de  moi  :  nous  mange- 
rons. • 

ROBIN. 

Je  le  veux  bien  ;  je  me  mets  à  côlé  de  toi.  Mais  je 
ne  l'ai  rien  apporté  :  j'ai  fait  certainement  crand'- 
folie. 


MARION. 

Ne  l'en  inquiète  pas,  Robin;  j'ai  encore  le  fro- 
mage en  mon  sein,  le  grand  morceau  de.  nain,  et  les 
pommes  que  lu  m'apportas.  * 


ROBIN. 

Dieu!  comme  ce  fromage  est  gras!  Ma  sœur, 
mange. 

MARION. 

Et  toi  aussi.  Si  tu  veux  boire,  dis-le  :  voici  uift 
fontaine  dans  un  pochon. 

ROBIN. 

Dieu  !  qui  aurait  maintenant  au  lard  de  ta  grand'- 
mère,  n'en  serait  pas  fâché. 

MARION. 

Robinet,  nous  n'en  aurons  poinl,  car  il  est  pendu 
trop  haut  aux  chevrors;  servons-nous  de  ce  que 
nous  avons  :  c'est  assez  pour  la  matinée. 

ROBIN. 

Dieu!  que  j'ai  la  panse  lassée  de  la  choie  de  l'au- 
tre fois! 

MARION. 

Dis,  Robin,  par  la  foi  que  tu  me  dois,  as-tu  joué 
à  la  choie?  que  Dieu  l'en  récompense! 

ROBIN. 

Vous  l'entendrez  bien  dire,  belle,  vous  l'entendrez 
bien  dire. 

MARION. 

Dis,  Robin,  veux-tu  plus  manger 

ROBIN. 

Non,  vraiment. 

MARION. 

Donc  je  remettrai  ce  pain,  ce  Iromage  en  mon 
sein,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  faim. 

ROBIN. 

Mets-le  plutôt  dans  la  panetière. 

MARION. 

Et  le  voici.  Robin,  quelle  chère!  prie  et  com- 
mande, »e  le  ferai. 

ROBIN. 

Marion,  je  voudrais  une  preuve  que  lu  es  ma 
bonne  amie,  car  quant  à  moi,  je  suis  ion  ami.  Ber- 


1185 


ROB 


NOTICE  Si:R  LE  THEATRE  LIBRE. 


UOB 


1486 


Car  tu  m'as  trouve  amiet. 
{•  Bergeronnele, 
Douclie  baisselete, 

Donnés-le-moi,  vostre  chapelet, 
Donnés-le-moi,  vostre  chapelet. 

MARIONS. 

-J-  Robin,  veus  tu  que  je  le  mèche 
Scur  ton  chief  par  amourele? 

ROBINS. 

Oïl,  et  vous  serés  m'amiete; 
Vous  avérés  ma  chainlurelle, 
M'aumosniere  et  mon  fiemalet. 
Bergeronnele, 
Douche  baisselete, 
Donnés-le-moi,  vostre  chapelet. 

MARIONS. 

Volentiers,  men  doue  amiet. 
Robin,  fai-nous  .j.  poi  de  leste. 

ROBINS 

Veus-tu  des  bras  ou  de  le  leste? 
Je  le'di  que  je  sai  tout  faire. 
Ne  l'as-lu  point  oï  relrairc? 

MARIONS. 

f  Robin,  par  l'ame  len  père! 
Sès-tu  bien  aler  du  piel? 

ROBINS. 

■j-  Oïl,  par  l'ame  me  mère! 
Resgarde  comme  il  me  siel, 
Avant  et  arrière,  bêle, 
Avant  et  arrière. 

MARIONS. 

f  Robin,  par  l'ame  ten  père 
Car  nous  fai  le  tour  dou  chief. 

ROBINS. 

f  Marot,  par  l'ame  me  mère! 
J'en  venrai  moût  bien  à  chief. 
1  lait-on  lel  chiere,  bêle, 
1  fait-on  tel  chiere  ? 

MARIONS. 

f  Robin,  par  l'ame  ten  père! 
Car  nous  fai  le  tour  des  bras. 

ROBINS. 

7  Marot,  par  lame  me  mère 
Tout  ensi  con  lu  vaurras. 
Est-chou  la  manière,  bêle, 
Est-chou  la  manière  ? 

MARIONS. 

f  Robin,  par  l'ame  len  perei 
Sès-tu  baler  au  serain? 

ROBINS. 

Oïl,  par  l'ame  me  merc! 
Mais  j'ai  trop  mains  de  chaviaus 
Devant  (pie  derrière,  bêle, 
Devant  que  derrière. 

MARIONS. 

Robin,  sès-tu  mener  le  ireske? 

ROBINS. 

OU;  mais  li  voie  esl  trop  freske, 
El  mi  housel  sont  desquiré. 

MARIONS. 

Nous  sommes  trop  bien  alire. 
Ne  S'en  caul,  or  fai  par  amour. 

ROBINS. 

Aten,  g'irai  pour  le  labour 

El  pour  le  muse  au  granl  bourdon, 


gerelle,   douce  bachelellc,  donne/  moi  voire   petit 
chapeau,  donnez-moi  votre  chapelet. 


IIAR10N 


Robin,  veux-tu  que  je  le  metlc  sur  la  lêie,  par 
amour? 


ROBIN. 


Oui,  et  vous  serez  ma  petite  amie;  vous  aurez 
ma  ceinture,  mon  aumônière  et  mon  agrafe.  Bcrge- 
retie,  douce  bacheleite,  donnez-moi  votre  petit 
chapeau. 


MARION. 

Volontiers,  mon  doux  ami.  Robin ,  fais-nous  un 
peu  fêle. 

ROBIN. 

Que  veux-tu?  les  bras?  la  tête?  Je  sais  tout  faire. 
Ne  l'as-lu  point  ouï  dire. 

MARION. 

Robin,  par  l'âme  de  ton  père!  sais-tu  bien  aller 
du  pied? 

ROBIN. 

Oui,  par  l'âme  de  ma  mère!  regarde  comme  cela 
me  sied,  en  avant  et  en  arrière,  belle,  en  avant  et 
en  arrière. 

MARION. 

Robin,  par  l'âme  de  ton  père  !  fais-nous  le  lour 
de  ta  té  te. 

ROBIN. 

Marion,  par  l'âme  de  ma  mère,  j'en  viendrai  Irès- 
bien  à  bout.  Y  fait-on  telle  figure,  bellt,  y  fait-on 
telle  figure? 

MARION. 

Robin,  par  l'âme  de  ton  père,  fais-nous  le  tour 
des  bras? 

ROBIN. 

Marion,  par  l'âme  de  ma  mère!  tout  ainsi  que  tu 
voudras.  Est  ce  la  manière,  belle,  est-ce  la  ma- 
nière? 

MARION. 

Robin,  par  l'âme  de  ton  père!  sais-iu  danser  au 
soir  ? 

ROBIN. 

Oui,  par  l'âme  de  ma  mère!  mais  j'ai  bien  moins 
de  cheveux  devant  que  derrière,  belle,  devant  que 
derrière. 


MARION. 

Robin,  sais-tu  mener  la  tresse  (968)? 

ROBIN. 

Oui;  mais  le  chemin  est  trop  frais,  et  mes  hou- 
seaux  sont  déchirés. 

MARION. 

Nous  sommes  très-bien   ainsi,   ne  t'en  inquiètes 
pas;  maintenant  fais,  par  amour. 

ROBIN. 

Attends,  je  vais  aller  chercher  le  tambour  et  la 
musette  au  gros  bourdon;  j'amènerai  ici  Baudon,  s1' 


(9G8)  Espèce  de  branle  qui  a  conservé  son  nom  dans  l'italien  iresca.  —  (M.  Fr.  M.) 


1487 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1488 


Et  si  amenrai  chi  Baudon, 
Se  trouver  le  puis,  el  Gantier. 
Aussi  m'aronl-il  l>icn  mestier, 
Se  li  chevaliers  revenoil. 

MARIONS. 

Robin,  revien  à  grant  esploit, 
El  se  tu  trneves  Peronncle; 
Me  compaignesse,  si  l'apele  : 
Le  compaignic  en  vaura  miex. 
Ele  est  derrière  ces  courliex, 
Si  c'on  va  au  moulin  Rogier. 
Or  le  haste. 

ROBINS. 

Lais-me  escourcliier; 
Je  ne  ferai  fors  courre. 


MARIONS. 


je  le  puis  trouver,  et  Gautier.  En  lotis  cas,  j'en  aurai 
besoin,  si  le  chevalier  revenait 


MARION. 

Robin,  reviens  en  toute  liàle,  et  si  lu  trouves  Pé- 
ronnelle, ma  compagne,  appelle-la  :  la  compagnie 
en  vaudra  mieux.  Elle  est  derrière  ces  courlils,  sur 
le  chemin  du  moulin  Roger.  A    résenl  hâte-loi. 


ROBIN. 

Laisse-moi  me  retrousser;  je  ne  fais  que  courir. 

MARION. 


Or  va. 


Va  donc. 
SCÈNE  IV. 


OBIN,    G4UTI 

ROBINS. 

Gauliers,  Baudon,  estes  vous  là? 
Ouvrés-moi  losl  Fuis,  biau  cousin. 

GAUTIERS. 

Bien  soies-lu  venus,  Robin, 
C'as-tu  qui  ies  si  essouflés? 

ROBINS. 

Que  j'ai?  Las  !  je  sui  s:  lassés 
Que  je  ne  puis  m'a  laine  Avoir. 

BACHONS. 

Di  s'on  Fa  balu. 

ROBINS. 

Nenil,  voir. 

GAUTIERS. 

Di  losl  s'en  l'a  fait  nul  despil. 

ROBINS. 

Signeur,  escoulés  un  petit  : 

Je  sui  chi  venus  pour  vous  deus, 

Car  je  ne  sai  ques  menesireus  (969) 

(969)  Quel  est  ici  le  sens  figuré  de  ce  mot?  Est-ce 
outrecuidant?  Le  passage  suivant  nous  le  ferait  croire: 

Simplece  afiert  as  menestreus, 
Dame  n'ait  atour  orgueilleus. 

C'est  li  Mariages  des  filles  au 
Duable,  manuscrit  de  l'Arsenal, 
belles-lettres  françaises  ,  in- 
folio, n°,l  75,  folio  293  recto, 
col,l,  v.  13.) 

Est-ce  misérable,  vaurien  ?  Plusieurs  pencheront 
vers  celle  dernière  explication  en  se  rappelant  le 
mépris  dans  lequel,  déjà  au  xm«  siècle,  les  bardes 
el  les  jongleurs  ou  ménestrels  étaient  généralement 
tombés  :  ce  qu'a  très-bien  établi,  pour  l'Ecosse,  le 
docteur  J.  Leyden,  dans  sa  dissertation  placée  en 
tête  de  the  Complaynl  of  Scotland.  Wriiten  in  1548. 
Edinburgh  :  printed  for  Archibald  Conslable,  1801, 
in  8°  el  in-4°,  p.  248,  251.  Nous  nous  souvenons 
avoir  lu  dans  le  cartulaire  du  prieuré  de  Finchalle, 
conservé  dans  la  bibliothèque  du  chapitre  de  la  ca- 
thédrale de  Durham,  une  foule  de  passages  dans 
lesquels  les  jongleurs  sont  rangés  dans  la  même  ca- 
tégorie que  les  pauvres,  el,  comme  tels,  gratifiés 
d'aumônes. 

Ce  que  le  docteur  Leyden  dit  des  bardes  écossais 
peut  très-bien  s'appliquer  à  nos  ménestrels,  qui, 
suivant  un  ancien  roman,  étaient  de  la  même  fa- 
mille : 

Del  Chevalier  au  Cisne  ci  endroit  nous-diron. 
Souvent  en  ontcanlé  cil  jougleour  breton; 
Mais  n'en  sa\ent  nient  le  monte  d'un  botou. 


ER,    BAUDON. 

ROBIN. 

Gautier,  Raudon,  êles-vous  là?  ouvrez-moi  tôt  la 
porte,  beaux  cousins. 

GAUTIER. 

Sois  le  bienvenu,  Robin.  Qu'as-tu  pour  être  si  es- 
soulllé? 

ROBIN. 

Ce  que  j'ai?  Hélas?  je  suis  si  fatigué  que  je  ne 
puis  reprendre  haleine. 


Dis,  on  l'a  battu? 
Non  pas,  vraiment. 


BAUDON. 


ROBIN. 


GAUTIER. 


Parle  donc  :  on  t'a  faii  quelque  peine? 

ROBIN. 

Seigneur,  écoulez  un  peu  :  je  suis  venu  ici  vous 
chercher  tous  deux,  car  je  ne  sais  ^uel  ménétrier  à 
cheval  (969)  a  prié  d'amour  Marion  ce  matin,  el  je 
crains  qu'il  ne  revienne. 

(Le  Roman  du  Chevalier  au  Cygne, 
manuscrit  du  roi  n°  7192  ,fol. 
48,  verso,  col.  1,  v.  5.) 
Les  passages  suivants  suffiront  pour  prouver  ce 
que  nous  venons  d'avancer  : 

Quant  menguent  seignor, 

Garçon  et  jougleour 

Fors  de  l'ostel  remaignent, 

Esgardenl  es  pertuis  ; 

Et  quant  on  œvre  l'uis 

Ens  par  force  s'enpaignent. 
Tex  s'embat  comme  chiens,  qui  vit  corn  hons. 

Ce  dist  li  Vilains. 

(Proverbes  du  Vilain,  manuscrit 
de  l'Arsenal  ,  belles-lettres 
françaises,  n°  175,  in-folio, 
fol.  278  recto,  col.  2,  v.  20, 
couplet  166.) 

Mien  escient  que  ce  est  .i.  jugler 

Oui  vient  de  vile,  de  bore  ou  de  cité, 

Là  où  il  a  en  la  place  chanté. 

A  jugleor  poez  pou  conquester. 

De  lor  usage  certes  sai-ge  assez 

Quant  ont  .iii.  sous,  iiii.  ou  .v.  assenblez, 

En  la  taverne  le°  vont  tost  aloer, 

Si  en  font  feste  tant  coni  puent  durer. 

Tant  com  il  durent  ne  feront  lascheté 

Et  quant  il  a  le  bon  vin  savoré 

Et  les  viandes,  dont  il  a  grant  planté, 

Si  en  boit  tant  que  il  ne  puet  tiner. 

Quant  voit  li  host.es  qu'il  a  tôt  aloé, 

Dont  l'aparole  com  jà  oir  porrez  : 

«  Frère,  fet-il,  querez  aillors  hostez, 

Que  marcheant  doivent  ci  hosteler 


\im 


ROB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ROB 


llti 


4&C 


A  cheval  pria  il  amer  ore 
Marolain  ;  si  me  douch  encor 
Que  il  ne  reviegne  par  là. 

GAUTIERS. 

S'il  revient,  il  le  comperra. 

BAUDONS. 

Che  ira  mon,  par  cesle  tesle! 

ROBINS. 

Vous  avérés  irop  bonne  fesle, 
Biau  seigneur,  se  vous  i  venés; 
Car  vous  et  lluars  i  serés, 
Et  Peronnele  :  sont-chou  genl  ? 
Et  s'averés  pain  de  fourinenl, 
Bon  froumage  et  clere  fontaine. 

BAUDONS. 

Hé!  biau  cousin,  car  nous  i  inaine. 

ROBINS. 

Mais  vous  deus  ires  chele  pari, 
Et  je  m'en  irai  pour  Huarl 
El  Peronnele. 

BAUDONS. 

Va  don,  va. 

GAUTIERS. 

Et  nous  en  irons  par  deçà 
Vers  le  voie  devers  le  pierre, 
S'aporterai  me  fourke  fiere. 

BAUDONS. 

Et  je  men  gros  baslon  d'espinc. 
Qui  est  cbiés  Bouiguel  me  cousine. 

ROBINS. 

Hé!  Peronnele!  Peronnele! 

PERONNELE. 

Robin,  ies-tu  che?  Quel  nouvcle? 

ROBINS. 

Tu  ne  ses,  Marote  te  mande , 
Et  s'aveions  fesle  trop  grande. 

Donez-moi  gage  de  ce  que  vos  devez.  » 
Et  cil  li  lesse  sachauce  ou  son  soller 
Ou  sa  viele,  quant  il  ne  puet  fere  ftl 
Ou  il  li  offre  sa  foi  à  afier 
Ou'il  revenra,  s'il  le  veutrespiler. 
Toz  diz  fait  tant  que  l'en  l'en  lesse  aler, 
Et  si  vait  querre  où  se  puist  recouvrer, 
A  chevalier,  à  prestre  ou  à  abé. 
Bone  costume  certes  ont  li  jugler  : 
Ausi  bien  chante  com  il  n'a  que  digner, 
Coin  s'il  éust  .xl.  mars  trovez  ; 
Toz  dis  fait  joie  tant  com  il  a  santé 

(Li  Montages  Guillaume  el  si  com 

il  venqui  Ysoré  devant  Paris, 

manuscrit  du  roi  0985,  folio 

263,  recto,  col.  2,  v.  44.) 

Au  reste,  veut-on  savoir  pourquoi  les  jongleurs 

ilaienl  tombés  dans  celte  misérable   situation?  La 

citation  suivante  nous  l'apprendra  : 

Bien  vos  puis  dire  et  por  voir  afermer, 

Prodom  ne  doit  jugleor  escouter 

S'il  ne  li  veut  por  Deu  del  suen  doner, 

Que  il  ne  set  autrement  laborer  ; 

De  son  servise  ne  se  puet-il  clamer, 

S'en  ne  li  done  il  le  lesse  assez. 

Au  vout  de  I.uque  le  poez  esprover 

Qui  li  gita  de  son  pié  son  soller, 

Puis  le  convint  cheremant  racheter. 

Les  jugleors  devroil-on  moll  amer  ; 

Joient  (sic)  désirent  et  aiment  le  chanter. 

L'en  les  soloit  jadis  molt  henorer  ; 

Mes  li  mauves,  li  eschar,  li  aver, 

Cil  qui  n'ont  cure  fors  d'avoir  amasser, 

De  gages  prandre  et  lor  deniers  prester, 

Et  jor  et  nuit  ne  finentd'usurer, 

Tant  moint  prodome  ont  fait  déshériter  " 

("os!  lor  desduit,  n'ont  soing  d'autre  chanter 

Si  fête  genl  font  benor  décliner  : 

Dex  les  maudie,  que  je  ne's  puis  amer! 


GAUTIER. 

S'il  revient,  il  le  paiera. 

BAUDON. 

Oui  vraiment,  parcelle  télé! 

ROBIN. 

On  vous  fera  fêle,  beau  seigneur,  si  vous  revenez; 
Baudon  et  Huarl  y  seront,  ainsi  que  Péronnelle  : 
est-ce  là  du  inonde?  et  vous  aurez  pain  de  froment, 
bon  fromage  et  claire  fontaine. 

BAUDON. 

Hé,  beau  cousin,  parlons. 

ROBIN. 

Vous  deux,  allez  de  ce  côlé;  moi,  je  vais  chercher 
Huarl  ei  Péronnelle. 

BAUDON. 

Va  donc,  va. 

GAUTIER. 

Et  nous  nous  en  irons  par  deçà  vers  le  chemin, 
près  la  pierre,  et  j'apporterai  ma  grande  fourche. 

BAUDON. 

Et  moi  mon  grand  bâton  d'épine,  qui  est  chez  ma 
cousine  Bourguet. 

ROBIN. 

Hé!  Péronnelle,  Péronnelle! 

PÉRONNELLE. 

Robin,  est-ce  toi?  Quelle  nouvelle? 

ROBIN 

Tu  ne  sais  pas,  Mai  ion  le  mande,  et  nous  aurons 
très-grande  fêle. 

Jà  ne  lairé  por  eaus  mon  vieler. 
Si  lor  en  poise,  si  se  facent  uller. 
As  bons  me  tien,  les  mauves  lès  aler. 

(La  Batallie  d'Arleschans,  ma- 
nuscrit du  roi  n°  6985,  folio 
205t-mo,  col.  3,  v.  21.) 

Quoi  qu'il  en  soil,  Adencz,  qui  cherche  toutes  les 
occasions  pour  dire  du  mal  des  jongleurs,  ne  croit 
pas  inconvenant  de  leur  comparer  ses  héros  : 

Des  crestiens  li  plus  pr<?u[s],  ce  dist-on, 

Qui  plus  grevèrent  le  lignage  Noiron, 

Ce  fu  Guillaumes  et  il  (Ogier),  ce  tesmoigne-on, 

Li  bers  d'Orenge  qui  cuer  ol  de  lion. 

Il  vielerent  tout  doi  d'une  ebançon 

Dont  les  vieles  erent  targe  ou  blazon, 

Et  brant  d'acier  estoient  li  arçon. 

De  tes  vieles  vielerent  maint  sÂd 

Grief  à  oir  à  la  gent  Pharaon. 

Je  croi  qu'il  soient  orendroit  compaignon 

En  paradis,  lez  Dieu,  à  son  giron. 

Qui  de  tel  maistre  relenroit  sa  leçon, 

Il  porroitbien  avoir  le  haut  pardon 

De  mètre  s'ame  à  assolution. 

(Les  Enfances  Ogier  le  Danois, 
manuscrit  de  l'Arsenal,  B.  I.  f. 
175,  folio  174,  rer.No, col.  I,v.2.) 

Nous  signalerons  une  pièce  curieuse  sur  les  mé- 
nestrels, qui  se  trouve,  dans  le  manuscrit  du  Roi, 
snppl.n°  184,  fol.  205,  verso,  col.  2. 

L'on  trouve  en  outre  des  renseignements  sur  les 
histrions  dans  le  volume  IV  de  VAntiquarian  Reper- 
lortj,  p.  61.  Enfin,  nous  terminerons  celle  noie  en 
renvoyant  à  l'histoire  de  saint  Kenlegern  et  d'un 
jongleur  dans  les  Vitce  anliquœ  Sanctorum,jle  Pin- 
kerlon,  Londini,  typis  Johannis  Nichols,  1789,  in- 
8°,  p.  277-279.  —  (M.  Fr.  M.) 


iiOl  ROB 

PERONNELE. 

Et  qui  i  sera? 

ROBINS. 

Jou  et  tu, 
fct  s'arons  Gautier  le  Teslu, 
Baudon  et  Huarl  et  Marole. 

PERONNELE. 

Veslirai-je  me  bêle  cote? 

ROBINS. 

Nennil,  Perrole,  nenil,  nient, 
Car  cbis  jupiaus  trop  bien  t'avient. 
Or  le  baste,  je  vois  devant. 

PERONNELE. 

Va,  je  le  sievraî  maintenant 
Se  j'avoie  mes  aigniaus  tous. 


DICTIONNAIRE    DES  MYSTERES. 


Et  qui  y  sera  i 


IlOB 

?ÉRONNELLE. 
ROBIN. 


1492 


Moi  et  loi,  et  nous  aurons  Gaulier  le  Télu,  Bau- 
don et  Huait  et  Marion. 

PÉRONNELLE. 

Vêlirai-je  ma  belle  cotte? 

ROBIN. 

Nonni,  Perretle,  nenni,  rien,  car  ce  jupon  te.  va 
fort  bien.  A  présent,  hâte-toi,  je  vais  devant. 


LI  CHEVALIERS. 

Dites,  bregiere,  n'esles-vous 
Chele  qrie  je  vi  bui  malin  ? 

MARIONS. 

Pour  3ieu!  sire,  aies  vo  cbemin, 
Si  ferés  moût  grant  courtoisie. 

LI  CHEVALIERS. 

Certes,  bêle  très  douche  amie 
Je  ne  le  di  mie  pour  mal  ; 
Mais  je  vois  querant  chi  aval 
,J.  oisel  à  une  sonnele. 

MARIONS. 

Allés  selonc  cesle  baiete; 

Je  cuit  que  vous  Pi  trouvères  : 

Tout  maintenant  i  est  volés. 

H  CHEVALIERS, 

Est,  par  amours? 

MARIONS. 

Oïl,  sans  faille. 

LI   CHEVALIERS. 

Certes,  de  l'oisel  ne  me  caille 
S'une  si  belc  amie  avoie. 

MARIONS. 

Pour  Dieu  !  sire,  aies  voslrc  vcie, 
Car  je  sui  en  irop  grant  fricbon. 

LI  CHEVALIERS. 

Pour  qui  ? 

MARIONS. 

Certes,  pour  Robecbon. 

LI  CHEVALIERS. 

Pour  lui? 

MARIONS. 

Voire  s'il  le  savoit, 
Jamais  nul  jour  ne  m'ameroil , 
Ne  je  tant  rien  n'aim  comme  lui. 

LI  CHEVALIERS. 

Vous  n'avés  garde  de  nului, 
Se  vous  volés  à  mi  entendre. 

MARIONS. 

Sire,  vous  vous  ferés  sousprendre, 
Alés-vous-ent;  laissié-mc  esler, 
Car  je  n'ai  à  vous  que.parler  : 
Laissié-me  entendre  à  mes  brebis. 

LI  CHEVALIERS. 

Voi rement,  sui-je  bien  cailis 
Quant  je  mec  le  mien  sens  au  lien. 


PÉRONNELLE. 

Va,  je  le  suivrais  dès  maintenant  si  j'avais  tous 
mes  agneaux. 

SCÈNE  V. 

LE    CHEVALIER,   MARIO!*. 

LE  CHEVALIER  (À  Mai'wtt). 

Hola  !  bergère,  c'est  vous  que  je  vis  ce  matin? 


MARION. 

Pour  Dieu  !  sire,  passez  voire  chemin,  vous  ferez 
mieux. 

LE   CHEVALIER. 

Mais  belle  très-douce  amie,  je  ne  dis  pas  de  mal  ; 
je  vais  là-bas  à  la  recherche  d'un  oiseau  qui  porte 
une  sonnette. 

MARION. 

Allez  le  long  de  cette  petite  haie;  je  pense  que 
vous  l'y  trouverez  ■  à  l'instant  même  il  y  est 
volé. 

LE   CHEVALIER. 

Y  est-il,  dites-le-moi  par  amitié? 

MARION. 

Oui,  sans  mentir. 

LE    CHEVALIER. 

Certes,  je  ne  m'inquiéterais  pas  de  l'oiseau  si  j'a- 
vais une  aussi  belle  amie. 

MARION. 

Pour  Dieu!  sire,  allez  votre  chemin,  car  je  suis 
n  trop  grande  frayeur. 

LE  CHEVALIER. 

Pour  qui? 

MARION. 

Certes,  pour  Robin. 

LE   CHEVALIER. 

Pour  lui? 

MARION. 

Vraiment,  s'il  le  savait,  jamais  il  ne  m'aimerait, 
et  je  n'aime  rien  autant  que  lui.  * 

LE   CHEVALIER. 

Vous  n'avez  à  vous  inquiéter  de  personne  si  vous 
voulez  m'écouter. 

MARION. 

Sire,  vous  vous  ferez  surprendre,  allez-vous-en; 
laissez-moi  tranquille,  car  je  n'ai  rien  à  vous  dire  : 
laissez-moi  m'occuper  de  mes  brebis. 


LE   CHEVALIER. 

En  vérité,  je  suis  bien  niais  d'abaisser  mon  in- 
telligence à  la  tienne. 


!4»5 


ROB 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


R013 


1491 


MARIONS. 

Si  en  aies,  si  ferés  bien; 
Aussi  oi  je  cli i  venir  gent. 
t  J'oi  Robin  flagoler 
Au  flagol  d'argent, 
Au  flagol  d'argent. 

Pour  Dieu!  sire,  or  vous  en  aies. 

Il    CHEVALIERS. 

Bergerele,  à  Dieu  rcmanés, 
Autre  forche  ne  vous  ferai... 


MARION. 

Allez-vous-en,  vous  ferez  bien  ;  aussi  enlend-jO 
venir  du  monde.  J'entends  Robin  jouer  du  flageolet 
d'argent,  du  flargeolet  d'argent. 

Pour  Dieu?  sire,  à' celte  beure,  partez. 


LE   CHEVALIER. 


Bergcrelle,  adieu;  restez,  je  ne  vous  ferai  pat. 
d'autre  violence. 


SCÈNE  VI. 

K    CUEVALIER,    ROBIN. 


Ll    CHEVALIERS. 

Ha  !  mauvais  vilains,  mar  i  f»i 
Pour  coi  tues-tu  mon  faucon? 
Qui  le  don  roi  t  .j.  borion 
Ne  l'aroil-il  bien  emploiet? 

ROBINS. 

Ha  !  sire,  vous  fériés  pechiet. 
Peur  ai  que  il  ne  m'escape. 

LI  CHEVALIERS. 

Tien  de  loier  ceste  souspape, 
Quant  lu  le  manies  si  gent! 

ROBJN'S. 

Hareu  !  Diex  !  bareu  !  bonne  gent 

LI    CHEVALIERS. 

Fais-tu  noise?  lien  cbe  latin 


MARIONS. 

Sainte  Marie!  j'oi  Robin; 
Je  croi  que  il  soit  entrepris. 
Ains  perderoie  mes  brebris 
Que  je  ne.li  alasse  aidier. 
Lasse!  je  voi  le  chevalier; 
Jte  croi  que  pour  moi  l'ait  bain. 
Robin,  dous  amis,  que  fais-tu? 

ROBINS. 

Certes,  douche  amie,  il  m'a  mort. 

MARIONS. 

Par  Dieu  !  sire,  vos  avés  tort, 
Qui  ensi  Pavés  deskiré. 

LI   CHEVALIERS. 

Et  comment  a-t-il  aliré 

Mon  faucon?  esgardés,  bregiere. 

MARIONS. 

II  n'en  set  mie  la  manière. 
Pour  Dieu  !  sire,  or  Ii  pardonnes. 

LI  CHEVALIERS. 

Volentiers,  s'aveuc  moi  venés. 

MARIONS. 

Je  non  ferai. 

LI  CHEVALIERS. 

Si  ferés  voir, 

N'aulre  amie  ne  vœil  avoir, 

El  vœil  queehis  cbevaus  vous  por 

MARIONS. 

Certes  dont  me  ferés-vons  forrhe. 
Robin,  que  ne  me  rcsqucus-lii? 

ROBINS. 

Ha  !  lus!  or  ai  jou-  loti  t  perdu  : 
A  tari  i  venronl  mi  cousin. 
Je  perc  M  a  rot',  s'ai  un  la  lin  , 
El  desquiré  cote  et  sercot. 


LE  CHEVALIER. 

Ah!  mauvais  vilain,  lu  fais  mal  ;  pourquoi  fais- 
tu  du  mal  à  mon  faucon?  Celui  qui  le  donnerait  un 
borion  n'aurait-il  pas  raison  t 

ROBIN. 

Ah!  sire,  vous  auriez  lorl  :  cesl  de  peur  qu'il  ne 
m'échappe. 

LE   CHEVALIER. 

Reçois  ce  soufflet  en  payement,  pour  la  grâce  avec 
laquelle  lu  le  manies. 

ROBIN. 

Haro!  Dieu!  haro!  bonnes  gens! 

LE    CHEVALIER. 

Tu  fais  du  bruil?  liens  cette  lape. 
SCÈNE  VII 

LES    MÊMES,  MARION. 

MARION. 

Sainte  Marie!  j'entends  Robin  :  je  crois  qu'on 
l'entreprend.  Je  perdrais  mes  brebis  plutôt  que  de 
ne  pas  aller  le  secourir.  Hélas!  je  vois  le  chevalier, 
je  crois  que  pour  moi  il  l'a  ballu.  Robin,  doux  ami, 
que  fais-tu? 


ROBIN. 

Certes,  douce  amie,  il  m'a  tué. 

MARION. 

Par  Dieu!  sire,  vous  avez  tort  de  l'avoir 
chiré. 

LE  CHEVALIEP 

El  comment  a-t-il  arrangé  mon  faucon?  regardez, 
bergère. 

MARION. 

II  ne  sali  pas  la  manière  de  le  gouverner.   Pour 
Dieu!  sire,  pardonnez-lui  maintenant. 

LE  CHEVALIER. 

Volontiers  si  vous  venez  avec  moi. 

MARION. 

Je  n'en  ferai  rien. 

LE   CHEVALIER. 

Si  fait,  en  vérité;  je  ne  veux  poinl  avoir  d'autre 
amie,  et  je  veux  que  ce  cheval  vous  porte. 

le.  MARION. 

Certainement  vous  emploierez  la  force.  Robin,  au 
secours? 

(Le  Chevalier  /' 'enlève  et  disparaît.) 

RCBIN. 

Hélas  !  à  présent  j'ai  tout  perdu  :  mes  cousin» 
viendront  ici  trop  lard.  Je  perds  Marion,  j'ai  reçu 
un  soufflet:  ma  colle  et  mon  surcol  soûl  déchues. 


ROB 


H96 


1495  KOB  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

SCÈNE  V.I1I. 

ROBIN,    GAUTIER. 

GAUT1ERS.  GAUTIER. 

f  Hé,  rcsveille-toi,  Robin,  Eh!  réveille-toi,  Robin.  On  emmène  Marion,  on 

Car  on  enmaine  Maroi,  emmène  Marion. 

Car  on  enmaine  Marot. 


ROBINS. 

Aimi!  Gautier,  estes  vous  là? 
J'ai  tout  perdu  :  Marote  en  va 

GAUTIERS. 

Et  que  ne  l'aies- vous  reskeure? 

ROBINS. 

Taisiés,  il  nous  couroit  jà  seure, 
S'il  en  i  avoit  .iiij.  cbens. 
C'est  uns  chevaliers  hors  du  sens, 
Qui  a  une  si  granl  espée  ! 
Ore  me  donna  tel  colée 
Que  je  le  sentirai  grant  tans. 

BAUDONS. 

Se  g'i  fusse  venus  à  tans, 
Il  i  éusl  eu  merlée. 

ROBINS. 

Or  esgardons  leur  destinée; 
Par  amours  si  nous  embuissons 
Tout  troi  derrière  ces  buissons, 
Car  je  vœil  Marion  sekeure, 
Se  vous  le  m'aidiés  à  reskeure  : 
Li  cuers  m'est  .j.  peu  revenus. 


ROBIN. 

Hélas!  Gautier,  c'est  vous.  J'ai  tout  perdu  :  Ma- 
rion s'en  va. 

GAUTIER. 

Et  que  n'allez-vons  la  secourir? 

ROBIN. 

Taisez-vous,  il  nous  courrait  sus,  lors  même  qu'il 
y  en  aurait  quatre  cents.  C'est  un  chevalier  forcené, 
qui  a  une  si  grande  épée  !  Il  m'en  a  donné  à  l'instant 
même  un  si  grand  coup  que  je  le  sentirai  long- 
temps. 

BAUDON. 

Si  j'y  fusse  venu  à  temps,  il  y  eût  eu  bataille. 

ROBIN. 

Maintenant  regardons  ce  qu'ils  deviennent  :  par 
amitié  embusquons-nous  tous  les  trois  derrière  ces 
buissons,  car  je  veux  secourir  Marion,  si  vous 
m'a:  'si  à  cela  :  le  cœur  m'est  un  peu  revenu. 


SCÈNE  IX. 


I.E    CHEVALIER    MARION. 


MARIONS. 

Biau  sire,  traies- vous  ensus 
De  moi,  si  ferés  grant  savoir. 

Ll  CHEVALIERS. 

Demisele,  non  ferai,  voir; 
Ains  vousenmenrai  aveuc  moi, 
Et  si  arcs  je  sai  bien  coi. 
Ne  soiiés  envers  moi  si  fiere, 
Prendés  cest  oisel  de  rivière, 
Que  j'ai  pris  ;  si  en  mengeras 

MARIONS. 

J'ai  plus  chier  mon  froumage  cras 
Et'men  pain  et  mes  bonnes  pouines 
Que  vostre  oisel  à  tout  les  plumes; 
Ne  de    'en  ne  me  poés  plaire. 

LI  CHEVALIERS. 

Qu'cst-che?  ne  porrai-je  dont  faire 
Chose  qui  le  viengne  à  talent? 

MARIONS. 

Sire,  sachiés  certainement, 
Que  nenil  riens  ne  vous  i  vaut 

LI    CHEVALIERS. 

Bergierc,  et  Diex  vous  consaut! 
Certes  voirement  sui-je  besle, 
Quant  à  cesle  besle  m'areste. 
Adieu,  bergiere. 

MARIONS. 

Adieu,  biau  sire. 
Lasse!  ore  est  Robins  en  grant  ire, 
Car  bien  me  cuide  avoir  perdue. 


MARION. 


Beau  sire,  retirez-vous,  vous  ferez  preuve  de 
bon  sens. 

LE    CHEVALIER. 

Damoiselle,  non  pas,  vraiment;  je  veux  vous 
emmener  avec  moi  en  un  endroit  où  vous  ne  man- 
querez de  rien.  Ne  soyez  pas  si  sauvage  à  mon 
égard;  tenez  cet  oiseau  de  rivière,  que  j'ai  pris,  et 
mangez-le. 

MARION. 

J'aime  mieux  mon  fromage  gras  et  mon  pain  et 
mes  bonnes  pommes  que  votre  oiseau  avec  ses 
plumes;  vous  ne  pouvez  me  plaire  en  rien. 

LE   CHEVALIER. 

Qu'est-ce?  ne  pourrai-je  donc  laire  chose  qui  te 
plaise? 

marion. 
Sire,  en  vérité,  rien  ne  vous  réussira. 

LE  CHEVALIER. 

Bergère,  et  Dieu  vous  conseille  !  Je  suis  une  bête 
de  m'arrêter  à  celle-ci.  Adieu,  bergère, 


MA-RION. 

Adieu,  beau  sire.  Hélas!  Robin  est  maintenant 
fort  en  peine,  car  il  croit  bien  fermement  m'avoir 
perdue. 


ROBINS 


Hou  !  hou! 


SCÈNE  X. 

MARION,    ROBIN,   pilîS  BAUDON    GAUTIER. 

Hou!  hou! 


ROBIN. 


4497 


HOU 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LJRRE. 


ROB 


1408 


marions 

Dieus!  c'esl-il  qui  ià  hue. 
Robins,  dous  amis,  commeul  vail? 

ROBINS. 

Maroie,  je  sui  de  bon  bail 
El  garis,  puis  que  je  le  voi. 

MARIONS. 

Vien  donques  chà,  acole-moi, 

ROBINS. 

Voleniiers.  suer,  puis  qu'il  t'est  bel. 

MARIONS. 

Esgarde  de  cesl  sosierel, 
Qui  me  baise  devant  la  gent. 

BAUDONS. 

Marot,  nous  sommes  si  parent. 
Onques  ne  vous  caille  de  nous. 

MARIONS. 

Je  ne  le  di  mie  pour  vous; 
Mais  il  est  parest  si  soleriaus 
Qu'il  en  l'eroit  devant  tous  cbiaus 
De  no  vile  aulreiani  comme  ore. 

ROBINS. 

Et  qui  s'en  lenroil? 

MARIONS. 

Et  encore, 
Esgarde  comme  est  reveleus. 

ROBINS. 

Diex!  con  je  seroie  jà  preus 
Se  li  chevaliers  revenoil  ! 

MARIONS. 

Voircmenl,  Robin,  que  che  doit 
Que  lu  ne  ses  par  quel  engien 
Je  m'escapai. 

ROBINS. 

Je  le  soi  bien. 
Nous  véismes  loul  son  cou  vin. 
Demandes  Baudon,  men  cousin, 
El  Gaulier,  quant  t'en  vi  partir, 
S'il  orent  en  moi  que  tenir  : 
Trois  fois  leur  escapai  tous  .ij. 

GAUTIERS. 

Robin,  tu  ies  trop  corageux  , 
Maisquanili  cose  est  bien  alée, 
De  legier  doit  estre  ouvliée, 
Ne  nus  ne  doil  point  le  reprendre. 

BAUDONS. 

Il  nouscouvient  Huart  atendre 
El  Peronnele  qui  venront  : 
Ou  vés-les-chi. 


MARION. 

Dieu!  c'est  lui  qui  appelle  là.  Robin,  doux  ami, 
comment  vas-lu? 

ROBIN. 

Marion,  je  suis  content  et  guéri,  puisque  je  te 
vois. 

MARION. 

Viens  donc  ici,  embrasse-moi. 

ROBIN. 

Volontiers,  sœur,  puisqu'il  te  plaît. 

MARION. 

Regardez  ce  petit  sot  qui  me  baise  devant   le 
monde. 

BAUDON. 

Marion,  nous  sommes  ses  parents  :  ne  faites  pas 
attention  à  nous. 

MARION. 

Je  ne  le  dis  pas  pour  vous;  mais  il  est  si  sot  qu'il 
en  ferait  autant  devant  tous  ceux  de  noire  village. 


ROBIN. 

Et  qui  s'en  abstiendrait? 

MARION. 

Encore,  est-il  fanfaron  ? 

ROBIN. 

Dieu  !  comme  je  serais  preux  si  le  chevalier  re- 
venait ! 

MARION. 

Vraiment,  Robin...  Sais-tu  par  quelle  ruse  je  mi 
ai  échappé. 

ROBIN. 

Je  le  sais  bien.  Nous  vîmes  lonle  ta  conduite.  De- 
mande à  Baudon,  mon  cousin,  el  à  Gaulier,  quand 
je  le  vis  panir,  s'ils  eurent  à  tenir  en  moi  :  je  leur 
échappai  trois  fois  à  tous  deux. 


GAUTIER. 

Robin,  lu  es  très-courageux;  mais  quand  la  chose 
s  est  bien  passée,  elle  doil  être  oubliée  aisément,  et 
personne  ne  doil  y  revenir. 

BAUDON. 

Il  nous  faut  attendre  Huart  el  Péronnelle  qui  vonl 
venir  ;  or,  les  voici. 


SCENE  XI. 

LES   MÊMES,    HUART,    TERONNELLE,    PERETTE. 


GAUTIERS. 

Voirement  sont. 
Di,  Huart,  as-tu  le  chievrele? 

HUARS. 

on. 

MARIONS. 

Bien  viegnes-tu,  Perretc. 

PERONNELE. 

Maroie,  Dieus  tebenéie! 

MARIONS. 

Tu  as  eslé'lrop  soiihaidic. 
Or  csi-il  bien  tans  de  canier. 


GAUTIER. 

Vraiment,  ce  sont  eux.  Dis,  Huart,  as-lu  la  che- 
vrette ? 

HUART. 

Oui. 

MARION. 

Sois  la  bienvenue,  Perrelle. 

PÉRONNELLE 

Marion,  que  Dieu  te  bénisse! 

MARION. 

Tu  as  élé  bien  souhailée.  Mainlcna.nl  il  est  bien 
temps  de  chanter. 


1499 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1500 


Ll    COMPAIGNIK. 

■j-  Aveuc  lele  compaignie 
Doit-on  bien  joie  mener. 

BAUDONS. 

Somme-nous  ore  tout  venu' 

HUARS. 

Oïl. 

MARIONS. 

Or  pourpensons  un  jeu. 

HUARS. 

Veus-tu  as  roys  ei  as  roïnes? 

MARIONS. 

Mais  des  jeus  c'on  fail  as  eslrines, 
Enlour  le  veille  du  Noël. 

HUARS. 

A  sainl  Coisne? 

BAUDONS. 

Je  ne  vœil  el. 

MARIONS. 

C'est  vilains  jeus,  on  i  cunkie. 

HUARS. 

Marote,  si  ne  ries  mie. 

MARIONS. 

Et  qui  le  nous  devisera? 

HUARS. 

Jou,  trop  bien  :  quiconques  rira 
Quant  il  ira  au  sainl  offrir, 
Ens  ou  lieu  sainl  Coisne  doit  sir, 
Et  qui  en  puist  avoir  s'en  ail. 

GAUTIERS. 

Qui  le  sera? 

ROBINS. 

Jou. 

BAUDONS. 

C'est  bien  fait. 
Gautier,  offres  premièrement. 

GAUTIERS. 

Tenés,  saint  Coisne,  che  présent  ; 
Et  se  vous  en  avés  petit, 
Tenés. 

ROBINS. 

Ho!  il  le  doit,  il  rit. 

GAUTIERS. 

Certes,  c'est  diois. 

HUARS. 

Marote,  or  sus! 

MARIONS. 

Qui  le  doit? 

HUARS.' 

Gauliers  li  Teslus. 

MARIONS. 

Tenés,  saint  Coisnes,  biaus  dous  sire. 

HUARS. 

Diex,  coin  ele  se  tient  de  rire! 
Qui  va  après?  Perrete,  aies, 

PERONNELE. 

Biau  sire  sains  Coisnes,  tenés, 
Je  vous  aporic  cbe  présent. 

ROBINS. 

Ttl  te  passes  <M  bel  et  gent. 

Or  sus,  Huarï,  et  vous,  Baudon! 


LA   COMPAGNIE. 

Avec  telle  compagnie  doit-on  bien  joie  mener 

BAUDON. 

Sommes-nous  maintenant  tous  arrivés? 

HUART. 

Oui. 

MARION. 

Or,  imaginons  un  jeu. 

HUART. 

Veux-tu  jouer  aux  rois  et  aux  reines? 

MARION. 

Mais  aux  jeux  qu'on  fail  aux  élrennes,  enteur  !a 
veille  de  Noël. 

HUART. 

A  saint  Coisne? 

BAUDON. 

Oh!  oui. 

MARION. 

C'est  un  vilain  jeu,  on  y  turlupine. 

HUART. 

Marote,  ne  riez  pas. 

MARION. 

Et  qui  nous  l'expliquera? 

HUART. 

Moi,  très-bien  :  celui  qui  rira  en  allant  faire  6on 
offrande  au  saint,  dans  le  lieu  où  saint  Coisne  est 
assis,  aura  ce  qu'il  peut  en  avoir. 

GAUTIER. 

Qui  sera  sainl  Coisne? 

ROBIN. 

Moi. 

BAUDON. 

Bien.  Gautier,  fais  le  premier  ion  offrande. 

GAUTIER. 

Tenez,  saint  Coisne,  ce  présent-  et  si  vous  en 
avez  peu,  tenez. 

ROBIN. 

OIi  !  il  doit  l'amende,  il  a  ri 

GAUTIER. 

Certes,  c'esi  de  droit. 

IIUART. 

Marion    à  loi. 

MARION. 

Qui  doit. 

HUART. 

Gautier  le  Têtu. 

MARION. 

Tenez,  saint  Coisne,  beau  doux  sire. 

HUART. 

Dieu!  comme  elle  se  retient  de  rire!  Qui  va  après? 
Perrelte,  allez. 

PÉRONNELLE. 

Beau  sire  sainl  Coisne,  lenez,  je  vous  apporte  ce 
présent. 

ROBINS. 

Tu  te  passes  et  bel  el  bien.  Allons,  Huart,  cl  vous, 
Baudon ! 


1501 


ROB  NOTICE  SUR 

BAUDONS. 

Tenés,  saint  Coisne,  clie  %biau  don. 

GAUTIERS. 

Tu  ris,  ribaus,  dont  tu  le  dois. 

BAUDONS. 

Non  fa  ch. 

JUUTIERS.] 

Huarl,  après 

HUARS. 

Je  vois 
Vés  chi  deus  mars. 

ROIS. 

VousMe  devés. 

UUARS* 

Or  tout  coi,  point  ne  vous  levés, 
Car  encore  n'ai-je  point  ris. 

GAUTIERS. 

Que  ch'cst,  Huart,  est-chou  estris? 
Tu  veus  toudis  eslre  batus. 
Mau  soiiés-vous  ore  venus! 
Or  le  paies  tost  sans  dongier. 

HUARS. 

Je  le  voil  voleniiers  paier. 

R0R1NS 

Tenes,  sains  Coisnes.  Est-che  plais  î 

MARIONS. 

Ho!  singneur.  nhiajeus  t&t  trop  lais; 
En  est,  Peircle? 

PERONNELE. 

Il  ne  vaut  nient, 
El  sachiés  que  bien  aparlient 
Que  fâchons  autres  fesleletes  : 
Nous  sommes  chi.ij.  baisseleies, 
El  vous  estes  entre  vous  .iiij. 

GAUTIERS. 

Faisons  .j.  pet  pour  nous  esbatre, 
Je  n'i  voi  si  bon. 

R0B1NS. 

Fi!  Gaulier: 
Savés  si  bel  esbanoiier, 
Que  devant  Marote  m'amie 
Avés  dit  si  grant  vilenie! 
Dehail  ail  par  mi  le  musel 
A  cui  il  plaist  ne  il  est  bel! 
Or  ne  vous  aviegne  jamais. 

GAUTIERS. 

Je  le  tairai,  pour  avoir  pais. 

BALCONS. 

Or  faisons  .j.  jeu. 

HUARS. 

Quel  vieus-tu? 

BaUDONS. 

Je  vœil  o  Gaulier  le  Testu 
Jouer  as  rois^et  as  roïnes 
Et  je  ferai  demandes  fines. 
Se  vous  me  volés  faire  roy. 

JIUARS. 

Nenil,  sire,  par  saint  Eloi! 
Ains  ira  au  nombre  des  mains. 

GAUTIERS. 

Certes,  tu  dis  bien,  biaus  compams, 
El  cbieus  oui  cbiel  en  .x.  soil  rois  ! 

HUARS. 

C'est  bien  de  nous  lous  li  otrois; 
Or  chà  !  melons  n"S  mains  disante 


LE  THEATRE  LIB1Œ. 


RCB 


*ifJ2 


BAUDON. 

Tenez,  saint  Coisne,  ce  beau  don. 

GAUTIER. 

Tu  ris,  ribaut,  donc  lu  dois. 

BAUDON. 

Non  pas. 

|  GAUTIER.] 

Huarl,  après. 

HUART. 

Je  vais.  Voici  deux  marcs. 


LE  ROI. 


Vous  devez. 


HUART. 

Maintenant  "tenez-vous  cois,  ne  vous  levez  pas, 
car  je  n'ai  point  ri. 

GAUTIER. 

Qu'est-ce,  Huarl,  est-ce  (une)  dispute?  tu  veu* 
toujours  êlre  baltu.  Maudits  soyez-vous  d'être  ve- 
nus. A  celle  heure,  paye-le  sans  difficulté. 

HUART. 

Je  veux  volontiers  payer. 

ROBIN. 

Tenez,  saint  Coisne.  Esl-ce  une  querelle? 

MARION. 

Oh  !  seigneurs,  ce  jeu  est  trop  laid  ;  est-ce  vrai, 
Perrelte  ? 

PÉRONNELLE. 

Il  ne  vaut  rien,  et  sachez  qu'il  convient  bien  que 
nous  fassions  d'autres  jeux  :  nous  sommes  ici  deux 
bacheleties,  et  vous  êies  quatre. 


GAUTIER. 

Faisons pour  nous  amuser,  je  ne  vois  rien  de 

si  bon. 

ROBIN. 

Fi!  Gaulier...  Vous  avez  dit  devant  mon  amie 
Mai  ion  une  si  [grande  vilenie  !  Malheur  à  qui  cela 
plaît  !  Que  cela  ne  vous  arrive  plus. 


GAUTIER. 

Je  ne  le  ferai  plus,  pour  avoir  la  paix. 

BAUDON. 

Maintenant  faisons  un  jeu. 

HUART. 

Lequel? 

BAUDON. 

Je  veux  iouer  avec  Gaulier  le  Têtu  aux  rois  et 
aux  reines;  eije  ferai  de  belles  demandes,  si  vous 
me  vouiez  faire  roi. 

HUART. 

Nenni,  sire,  par  saint  Eloi!  mais  cela  ira  au  nom- 
bre des  mains. 

GAUTIER. 

Certes,  lu  dis  bien,  beau  compagnon,  cl  que  ce- 
lui qui  en  aura  dix  soil  roi! 

HUART 

C'est  bien  entendu  de  nous  tous;  or  ça!  niellons 
nos  mains  ensemble. 


{503 


ROB 


ACTIONNAIRE  DLS  MYSTERES. 


ROS 


1504 


BAUDONS. 

BAUDON. 

Sont-eies  bien,  que  vous  en  saule? 

Sont-elles  bien  ? 

Lequel  commencera  ? 

Liquiex  connu  juchera? 

HUARS. 

HUART. 

Gauliers. 

Gautier. 

GAUTIERS. 

GAUTIER. 

Je  cpinmencherai  volontiers 

Je  commencerai 

volontiers  en  premier. 

Em  pre'i. 

HUARS. 

HUART. 

Et  deus. 

Deux. 

ROBINS. 

ROBIN. 

Et  trois. 

Trois. 

EAUDONS. 

BAUDON. 

El  quatre. 

Quatre. 

HUARS. 

HUART. 

Conte  après,  Ma  rot,  sans  debatre. 

Compte  après,  Marion,  sans  débat. 

MARIONS. 

MARION. 

Trop  volontiers    El  .v. 

Très-volontiers. 

Cinq. 

PERONNELLE. 

PÉRONNELLE. 

Et  .vi. 

Six. 

GAUTIIIERS. 

GAUTIER. 

Et  .vij. 

Sept. 

HUARS. 

HUART. 

Et  .viij. 

Huit. 

ROBINS. 

ROBIN. 

El  .ix. 

Neuf. 

BAUDONS. 

El  .x. 

Enlienc  !  biau  seigneur,  je  sui  rois. 

GAUTHIERS. 

Par  le  mère  Dieu!  chou  est  drois; 
Et  nous  tout,  je  cuit,  le  volons. 

ROBINS. 

Levons-le  haut  et  couronons. 
Ho  !  bien  est. 

HUARS. 

Hé  !  Perrele,  or  donne 
Par  amours,  en  lien  de  couronne, 
Au  roi  ton  capel  de  festus. 

PERGNNELE. 

Tenés  rois. 

LI   ROIS. 

Gauliers  li  Teslus. 
Venés  à  court;  laniost  venés. 

GAUTIERS. 

Volenliers,  sire,  commandés 
Tel  cose  que  je  puisse  faire, 
Et  qui  ne  soit  à  moi  contraire; 

^^Mais  que  de  ci  ne  me  remu, 
Je  ne  bouch  men  doit  u  lu,] 
Je  le  ferai  laniost  pour  vous. 

LI    ROIS. 

Di-moi,  fu— tu  onques  jalouV? 
Et  puis  s'apelerai  Robin. 

CAUTIERS. 

Oïl,  sire,  pour  .j  inaslin 
Que  joïs  hurler  l'aulne  fie 
À  l'uis  de  le  cambre  m'amie; 
Si  en  soupechonnai  .j.  home. 

li  rois. 
Or,  sus  Robin. 

ROBINS. 

Roi,  walccomme  ! 
Pcmandc-moi  che  qu'il  te  plaisi. 


BAUDON. 

Dix.  Hé    lié  !  beaux  seigneurs,  je  suis  roi. 

GAUTIER. 

Par  la  mère  de  Dieu!  c'est  [de]  droit  ;  et  nous  le 
voulons  tous 

ROBIN. 

Levons-le  haut,  et  couronnons-le.  Ho  !  c'est  bien. 

HUART. 

Ho!  Perrette,  donne  par  .amitié,  au  lieu  de  cou- 
ronne, au  roi,  ton  chapeau  de  paille. 

PÉRONNELLE. 

Tenez,  ro . 

LE  ROI. 

Gautier  le  Tèlu  venez  à  la  cour  venez  tout  de 
suite. 

GAUTIER. 

Volontiers,  sire,  commandez  telle  chose  que  je 
puisse  faire,  et  qui  ne  me  soit  pas  contraire;  pourvu 
que  ce  ne  soit  pas  de  m'en  aller  d'ici,  on  de  me  lire 
mon  doigt  au  feu,  je  le  ferai  tout  de  suite  pour  vous. 


LE   ROI. 

Dis-moi  si  lu  fus  jamais  'aloux  ?  El  puis  j'appelle- 
rai Robin. 

GAUTIER. 

Oui,  sire,  pour  un  malin  que  j'ouïs  heurter  l'autre 
à  la  porie  de  la  chambre  de  mon  amie;  j'eus  soup- 
çon d'un  homme. 

LE  ROI. 

Maintenant,  à  toi,  Robin. 

ROBIN. 

Roi,  sois  le  bienvenu  !  demande-mol  ce  qu'il  t< 
plaît. 


1505 


ROB 


NOTICE  SUR 


LI  ROIS. 


Robin,  quant  une  besle  naisl, 
A  coi  sès-ni  qu'ele  esl  femelle? 

ROBINS. 

Ccsie  demande  esl  bonne  elbele! 

li   uois. 
Dont  i  respoit. 

ROBINS. 

Non  ferai,  voir 
Mais  se  vous  le  voulés  savoir, 
Sire  rois,  au  cul  li  wardés. 
El  de  mi  vous  n'enporlerés 
Me  cuidiés-vous  chi  faire  lioute? 

MARIONS. 

I)  a  droit,  voir. 

Ll  ROIS. 

A  vous  k'en  monte  ? 

MARIONS. 

Si  fait,  carli  demande  esl  laide 

LI    ROIS. 

Marot,  et  je  vœil  qu'il  souliaide 
Son  voloir. 

ROBINS. 

Je  n'os,  sire. 

LI    ROIS. 

Non? 
Va,  s'acole  dont  Marion 
Si  douebement  que  il  li  plaise. 

MARIONS. 

Auvar  dou  sot,  s'il  ne  me  baise  ! 

ROBINS. 

Certes,  non  fac. 

MARIONS. 

Vous  en  mentes  : 
Encore  i  pert-il,  esgardés. 
Je  cuit  que  mors  m'a  ou  visage. 

ROBINS. 

Jecuidai  tenir  .j.  froumage, 
Si  le  senli-jc  lenre  et  mole  ! 
Vien  avant,  seur,  et  si  uvacole 
Par  pais  faisant. 

MARIONS. 

Va,  dyablesos, 
Tu  poises  autant  comme  .j.  blos. 

ROBINS. 

Or,  de  par  Dieu  ! 

MARIONS. 

Vous  vous  courclïiés  ! 
Venéschà,  si  vous  rapaisiés, 
Biau  sire,  et  je  ne  dirai  plus; 
N'en  soies  bonleus  ne  confus. 

LI  ROIS. 

Venés  à  court,  Huart;  vencs. 

IIUARS. 

Je  vois,  puisque  vous  le  volés. 

LI    ROIS. 

Or  di;  Huart,  si  l'aïl  Diex, 
Quel  viande  lu  aimes  miex? 
Je  sai  bien  se  voir  me  diras. 

IIUARS. 

Bon  fous  de  porc,  pesant  et  cras, 
A  le  fort  aillie  de  nois  : 
Certes,  j'en  mengai  l'autre  fois 
Tant  que  j'en  euib  le  incuison.. 


LE  THEATRE  LIBRE.  ROB  1506 

LE  ROI. 

Robin,  quand  une  bêle  naît,   à   quoi  connais-tu 
qu'elle  est  femelle  ? 

ROBIN. 

Celle  demande  es*  bonne  et  belle? 

LE  ROI. 

Réponds-y  donc. 

ROBIN. 

Je  ne  le  ferai  pas  en  vérité • 


MARION. 

II  a  raison  en  vérité. 

LE  ROI. 

En  quoi  cela  vous  regarde-l-il. 

MARION. 

Si  fait;  la  demande  esl  laide. 

LE  ROI. 

Marion,  je  veux  qu'il  soubaile  ce  qu'il  veut. 

ROBIN. 

Je  n'ose,  sire. 

LE   ROI. 

Non?  Va,  embrasse  donc  Marion  si  doucement 
que  cela  lui  plaise 

MARION. 

Fi  du  sot,  s'il  ne  me  baise! 

ROBIN. 

Certes,  je  ne  le  fais  pas. 

MARION 

Vous  en  mentez  :  il  y  paraît  encore,  regardez.  J3 
crois  qu'il  m'a  mordue  au  visage. 

ROBIN. 

Je  pensai  tenir  un  fromage,  tant  je  le  6enlis  ten- 
dre et  molle!  Viens  avanl,  sœur  et  m'embrasse 
pour  faire  la  paix. 

MARION 

Va,  diable  sot;  lu  pèses  autant  qu'un  bloc. 

ROBIN. 

Or,  de  par  Dieu  ! 

MARION. 

Vous  vous  courroucez  !  Venez  ici,  et  apaisez-vous, 
beau  sire,  et  je  ne  dirai  plus  rien;  n'en  soyez  (ni) 
honteux  ni  confus. 

LE  ROI. 

Venez  à  la  cour,  Huart;  venez. 

II  CAR  T. 

J'y  vais,  puisque  vous  le  voulez. 

LE    ROI. 

Maintenant  dis-nous,  Huarl,  quelle  viande  lu  ai- 
mes le  mieux?  Je  sais  bien  si  tu  me  diras  la  vérité. 

HUART. 

Un  bon  derrière  de  porc,  pesant  et  gras,  à  la  sau^e 
à  l'ail  et  à  l'huile  de  noix  :  certes,  j'en  mangeai  tant 
l'autre  fois  que  j'en  eus  la  diarrhée. 


15C7 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


mm 


BAUDONS. 

Hé,  Dieu  !  con  faite  venison  ! 
Huars  n'en  diroit  autre  cosc. 

HUARS. 

Perrete  aies  a  court. 

PERRETE. 

Je  n  ose. 

BAUDONS. 

Si  feras,  si,  Perrete.  Or  di, 
Par  celé  foi  que  tu  dois  mi, 
Le  plus  granl  joie  c  aine  eusses 
D'amours,  en  quel  lieu  que  tu  fusses. 
Or  di,  et  je  t'escoulerai. 

PERRETE. 

Sire,  volentiers  le.'dirai. 
Par  foi!  chou  est  quant  mes  amis, 
Qui  en  moi  cuer  et  cors  a  mis, 
Tient  à  moi  as  cans  compaignie 
Lés  mes  brebis,  sans  vilenie; 
Pluseurs  fuis,  menu  et  souvent. 

BAUDONS. 

Sans  plus? 

PERRETE. 

Voire,  voir. 

HUARS. 

Ele  ment. 

BAUDONS. 

Parle  saint'  Dieu!  je  l'en  croi  bien. 
Marote,  or  sus!  vien  à  court,  vien. 

MAROTE. 

Faites-moi  dont  demande  bêle. 

BAUDONS. 

Volentiers.  Di-moi,  Marotele, 
Combien  lu  aimes  Robinet, 
Men  cousin,  che  joli  varlel. 
Honnie  soit  qui  mentira  ! 

MARIONS. 

Par  foi!  je  n'en  mentirai  jà. 
Je  l'aiin,  sire,  d'amour  si  vrai 
Que  je  n'aim  tant  brebis  que  j'aie, 
Nis  cheii  qui  a  aignelé. 

BAUDONS. 

Par  le  saint  Dieu  !  c'est' bien  aîné  : 
Je  vœil  qu'il  soit  de  tous  séu. 

GAUT1ERS. 

Marote,  il  l'est  trop  ineskéu 
Li  leus  emporte  une  brebis. 

MAROTE. 

Robin,  ceur  i  lost,  dons  amis. 
Anchois  que  li  leus  le  mengùe. 

ROBINS. 

Gautier,  prestés-moi  vo  machue, 
Si  verres jà  bacheler  preu. 
Hareu  !  le  leu  !  le  leu  !  le  leu  ! 
Sui-je  li  plus  cailis  qui  vive? 
Tien,  Marole. 

MAROTE. 

Lasse,  caitive! 
Comme  ele  revient  dolereuse 

ROBINS. 

Mais  esgar  comme  de  est  crotcuse. 

MARIONS. 

Et  comment  tiens-tu  chele  bcslc? 
Ele  a  'e  cul  devers  se  teste. 


BAUDON. 

Eh,  Dieu!  "uelle  venaison!  Huarl  ne  dirait  pas 
autre  chose. 

HUART. 

Perretle,  aller  à  la  cour. 

PERRETTE. 

Je  n'ose. 

BAUDON. 

Si,  Perretle,  si.  Maintenantes,  par  la  foi  que  tu 
me  dois,  quelle  est  la  plus  grande  joie  que  tu  aies 
eue  d'amour,  en  ueloue  lieu  que  tu  fusses.  Parle,  je 
t'écouie. 


PERRETTE. 

Sire,  volontiers.  Par  ma  foi!  c'est  quand  mon 
ami,  qui  a  mis  en  mon  pouvoir  son  cœur  et  son 
corps,  me  lient  compagnie  aux  champs,  près  de  mes 
brebis,  sans  vilenie,  plusieurs  fois,  à  fréquentes  re- 
prises et  souvent. 

BAUDON. 

Sans  plus? 

PERRETTE. 

En  vérité,  en  vérité. 

HCART 

Elle  ment. 

BAUDON 

Par  le  saint  de  Dieu  !  je  t'en  crois  bien.  Maron, 
allons!  viens  à  la  cour,  viens. 

MARION. 

Faites-moi  donc  une  belle  demande. 

BAUDON. 

Volontiers.  Dis-moi,  Marion,  aimes-tu  bien  Robin, 
mon  cousin,  ce  joli  garçon?  Honni  soit  qui  ment! 


MARION. 

Par  ma  foi!  je  ne  mentirai  pas.  Je  l'aime,  sire, 
d'une  amour  si  vrai,  que  je  n'aime  pas  aulanl  au- 
cune de  mes  brebis,  même  celle  qui  a  fait  des 
agneaux. 

BAUDON. 

Par  le  saint  de  Dieu  !  c'est  bien  aimé  :  je  veux  que 
cela  soit  su  de  tous. 

GAUTIER. 

Eh!  Marion,  il  l'arrivé  un  malheur...  leioup  em- 
porte une  brebis. 

MARION. 

Robin,  cours-y  vile,  doux  ami,  avant  que  le  loup 
ne  la  mange. 

ROBIN. 

Gautier,  prêtez-moi  voire  massue,  et  vous  verrez 
nn  brave  garçon.  Haro!  le  loup!  le  loup!  leioup! 
Suis-je  le  plus  chétif  qui  vive?  Tiens,  Marion 


MARION. 

Hélas  !  malheureuse!  comme  elle  revient  en  mau- 
vais état  ! 

ROBIN. 

El  regarde  comme  elle  est  crottée. 

MARION. 

Et  comment  tiens- tu  celle  bête?... 


1509 


ROB 


NOTICE  SLR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ROB 


1510 


•ROBINS. 

Ne  puct  caloir  :  ce  fu  de  liasle 
Quant  je  Je  pris,  Marote;  or  laslo 
Par  où  li  leus  l'avoit  aierse. 

GAUTIERS. 

Mais  esgar  comme  ele  est  chi  perse. 

MARIONS. 

Gautier,  que  vous  estes  vilains  ! 

ROBINS. 

Marote,  tenés  -le  en  vos  mains  ; 
Maiswardés  bien  que  ne  vous  morde. 

MAROTE. 

Non  ferai,  car  ele  est  troporde; 
Mais  laissié-Ie  aler  pasturer. 

BAUDONS. 

Sés-tu  de  quoi  je  voeil  parler, 
Robin?  Se  lu  aimes  autant 
Marotain  corn  tu  fais  sanlant, 
Certes  je  le  te  loeroie 
A  prendre,  se  Gautiers  l'otroie. 

GAUTIERf. 

Jou  l'otri. 

ROBINS. 

Et  jou  le  voeil  bien. 

BAUDONS. 

Pren-le  dont. 

ROBINS. 

Chà,  est-che  tout  mien 

BAUDONS. 

Oïl,  nus  ne  t'en  fera  tort. 

MAROTE. 

Hé!  Robin,  que  tu  m'eslrains  fort! 
Ne  sés-tu  faire  bêlement? 

BAUDONS. 

C'est  grans  merveille  qu'il  ne  prent 
De  clies  deus  gens  Perrete  envie. 

PERRETE. 

Cui  ?  moi  !  je  n'en  sai  nul  en  vie 
Oui  jamais  éusl  de  moi  cure. 

BAUDONS. 

Si  aroil  si,  par  aventure, 
Se  tu  l'osoies  assaier. 


PERRETE. 


Ba!  cui? 


BAUDONS. 

A  moi  ou  à  Gautier. 

HUARS. 

Mais  à  moi,  très  douche  Perrete. 

GAUTIERS.' 

Voire,  sire,  pour  vo  musete, 

Tu  n'as  ou  monde  plus  vaillant 

Mais  j'ai  au  mains  ronchi  traiant, 

Bon  harnas  et  herche  et  carue. 

Et  si  sui  sires  de  no  rue; 

S'ai  houche  et  sercot  tout  d'un  drap  ; 

El  s'a  ma  mère  .j.  bon  hanap 

Qui  m'esclierra  s'elle  moroil, 

Et  une  renie  c'on  li  doit 

De  grain  seur  .j.  molin  à  vent 

Et  une  vake  qui  nous  rent 

Le  jour  assés  lait  et  froumage  . 

N'a-il  en  moi  bon  mariage, 

Dites,  Perrete? 

PERRETE. 

Oïl,  Gautier; 


ROBIN. 

Cela  ne  fait  rien.  Je   la  pris  à  la   hâte,  Marion; 
maintenant  vois  par  où  lejoup  l'avait  saisie. 

GAUTIER. 

Mais  regarde  comme  elle  est  ici  bleue. 

MARION. 

Gautier,  que  vous  êtes  vilain 

ROBIN. 

Marion,  lenez-ia  en  vos  mains  ;  mais  prenez  bien 
garde  qu'elle  ne  vous  morde. 

MARION, 

Non  pas,  car  elle  est  trop  malpropre;  laissez-la 
aller  pâturer. 

BALDON. 

Sais-tu  de  quoi  je  veux  parler,  Robin?  Si  tu  ai- 
mes autant  Marion  que  tu  en  fais  semblant,  certes 
je  te  conseille  de  la  prendre,  si  Gautier  l'octroie. 


Je*l'oclroie. 

Et  je  le  veux  bien 

Prends-la  donc. 


GAUTIER. 

ROBIN. 

BALCON. 


ROBIN. 

Ça,  est-elle  loul  à  moi? 

BALDON. 

Oui,  cui  ne  t'en  fera  tort. 

MARION. 

Hé!  Robin,  que  lu  me  serres  forl!  Ne  sais-lu  faire 
doucement? 

BAUDON. 

C'est  grande  merveille  qu'il  ne  prend  à  Perret  te 
envie  de  ces  deux  personnes. 

PERRETTE 

Qui?  moi!  je  n'en  connais  nul  en  vie  qui  eût  ja- 
mais souci  de  moi. 

BAUDON. 

11  y  en  aurait  si,  par  aventure,  lu  l'osais  essayer. 


PERRETTE. 
CAUDON. 


Bah  !  qui? 
Moi  ou  Gautier. 

HUART 

Mais  moi,  très-douce  Perrette. 

GAUTIER. 

Vraiment,  sire,  pour  la  muselle,  tu  n'as  personne 
qui  te  vaille;  mais  j'ai  au  moins  un  bon  cheval  de 
trait,  de  bons  harnais,  une  herse  et  une  charrue,  et 
je  suis  le  seigneur  de  noire  rue;  j'ai  robe  longue  et 
surcot  loul  d'un  drap;  et  ma  mère  a  un  bon  hanap 
qui  m'échoiera  si  elle  vient  à  mourir,  et  une  renie 
de  pain  qu'on  lui  doit  sur  un  moulin  à  vent,  et  une 
vache  qui  nous  rend  par  jour  assez  de  lait  et  de  fro- 
mage :  n'y  a-t-il  pas  en  moi  bon  mariage,  dites, 
Perrette? 


PERRfcTTfc. 

Oui,   Gautier;  mais  je  n'oserais  faire  connais 


1511 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


151? 


Mais  je  n'oseroie  acoinlier 
Nului  pour  mon  frère  Guiot; 
Car  vous  et  li,  estes  doi  sot; 
S'en  porroit  tost  venir  bataille. 

GAUTIERS. 

Se  tu  ne  me  veus,  ne  m'en  caille; 
Entendons  à  ces  autres  noches. 

HL'ARS. 

Di-moi,  c'as-lu  clii  en  ches  boches? 

PERONNELLE 

Il  i  a  pain,  sel  et  cresson  ; 
Et  lu,  as-tu  rien,  Marion? 

MARIONS. 

Naie,  voir,  demande  Robin, 
Fors  du  froumage  d'ui  matin, 
Et  du  pain  qui  nous  demora, 
Et  des  pûmes  qu'il  m'aporta  : 
Yés-en  chi,  se  vous  en  volés. 

GAUTIERS. 

El  qui  veut  deus  gambons  salés? 

HUARS. 

Où  sonl-il? 

GAUTIERS. 

Vés-les  chi  tous  près. 

PERONNELE. 

El  jou  ai  deux  froumages  frès. 

nUARS. 

Di,  de  quoi  sont-il? 

PERONNELE, 

De  brebis. 

ROBINS. 

Seignor,  et  j'ai  des  pois  rolis. 

HUARS. 

Cuides-lu  par  tant  estre  quiles? 

ROBINS. 

Naie,  encore  ai-jou  poumes  quiles 
Marion,  en  veus-lu  avoir? 


Nient  plus? 


MARIONS. 
[ROBINS.] 

Si  ai. 


MARIONS. 

Di-me  dont  voir 

Que  chou  est  que  lu  m'as  gardé. 

RORINS. 

•J-  J'ai  encore  .j.  tel  pasté 
Qui  n'est  mie  de  laslé, 
Que  nous  mengerons,  Marote, 
Bec  à  bec,  cl  moi  et  vous. 
Chi  me  r'alendés,  Marote, 
Chi  venrai  parler  à  vous. 
Marole,  veus-tu  plus  de  mi? 

MARIONS. 

Oil,  en  non  Dieu. 

ROBINS. 

El  jou  te  di 

f  Que  jou  un  lel  capon 
Qui  a  gros  et  cras  crépon, 
Que  nous  mengerons,  Marole, 
Bec  à  bec,  et  moi  et  vous. 
Chi  me  r'alendés,  Maroie, 
Chi  venrai  parler  à  vous. 

MAROTE. 

Robin,  revicn  dont  lost  à  nous. 


sance  avec  personne  à  cause  de  mon  frère  Guiot: 
car  vous  ei  lui,  vous  êles  deux  fous;  il  pourrait  en 
survenir  bientôt  bataille. 

GAUTIER. 

Si  tu  ne  me  veux  pas,  je  m'en  moque ,  tournons 
notre  attention  sur  ces  autres  noces. 

HUART. 

Dis-moi,  qu'as-tu  ici  dans  ces  poches? 

PÉRONNELLE. 

Il  y  a  pain,  sel  et  cresson;  et  loi,  as-tu  rien,  Ma- 
rion? 

MARION. 

Je  n'ai,  demande  à  Robin,  que  du  fromage  de  ce 
matin,  du  pain  qui  nous  resta,  el  des  pommes  qu'il 
m'apporta.:  en  voici,  si  vous  en  voulez. 


GAUTIER. 

Et  qui  veut  deux  jambons  salés? 

HUART. 

Où  sont-ils? 

GAUTIER. 

Ici  tout  près. 

PÉRONNELLE. 

Et  j'ai  deux  fromages  frais. 

HUART. 

Dis,  de  quoi  sont-ils? 

PÉRONNELLE. 

De  brebis. 

ROBIN. 

Seigneurs,  j'ai  des  pois  rôtis. 

HUART 

Penses-tu  ainsi  être  quille 

ROBIN. 

Nenni,  j'ai  encore  des  pommes  cuites  :  Marion, 
en  veux-tu? 


Rien  que  cela? 


Si. 


MARION. 


[ROBIN.] 


MARION. 

Dis-moi,  que  m'as-tu  gardé? 

ROBIN. 

Un  pâté  que  nous  mangerons,  Marion,  bec  à  bec, 
et  moi  el  vous.  Attendez  moi  ici,  Marion,  ici  je 
viendrai  vous  parler.  Marion,  veux-tu  davantage  de 
moi  ? 


MARION. 

Oui,  au  nom  de  Dieu 

ROBIN. 

Eh  bien,  j'ai  un  chapon  qui  a  gros  et  gras  crou- 
pion, que  nous  allons  manger,  Marion,  bec  à  bec, 
el  moi  et  vous.  Ici  attendez  moi  de  nouveau,  Marion, 
ici  je  viendrai  vous  parler., 


MARION. 

Robin,  reviens  donc  vile  a  nous. 


!Bi3 


BOB 


NOTICE  SIR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ROR 


131  i 


ROBI.NS. 

Ma  douche  amie,  volenliers. 
El  vous,  mengiés  endemenliers 
Que  g'irai  :  si  ferés  que  sage. 

MARIONS. 

Robin,  nous  feriemmes  outrage; 
Saches  que  je  le  weil  alendre. 

ROB1NS. 

Non  feras;  mais  fai  chi  eslendre 
Ten  jupel  en  lieu  de  louaille, 
El  si  metés  sus  vo  vilaille; 
Car  je  rcenrai,  cènes   lues. 


WARN'IEKS. 

Robin,  où  vas-lu? 

rorihs. 

A  Bailvés, 
Chi  devant,  pour  de  le  viande; 
Car  l'aval  a  leste  trop  grande. 
Vcnras-lu  avœc  nous  mengier? 


ROBIN. 


Ma  douce  amie,  volontiers.  Et  vous,  mangez  pen- 
dant que  j'irai 


vous  agirez  sagement. 


MARION. 


Robin,  nous  le   ferions   outrage;  je   veux   l'at- 
tendre. 


ROBIN. 


Non  pas;  mais  fais  ici  étendre  ton  jupon  au  lieu 
de  nappe,  et  mettez  dessus  vos  vivres  ;  car  je  suis 
de  retour  à  l'instant. 


SCÈNE  XII. 

ROBIN,    WARNIEfl. 


WARNIER. 


Robin,  où  vas-lu? 

ROBIN. 

A  Bailvés,  pour  avoir  des  vivres;  car  là-bas  il  y  a 
très-grande  fêle.  Viendras-tu  manger  avec  nous? 


WARMERS. 

WARNIER 

On  en  feroit,  je  cuit, 

da 

ngier. 

On  s'y  opposerait, 

je  crois. 

ROEINS. 

ROBIN. 

Non  feroil  nient. 

Non,  non. 

WARNIERS. 

WARNIER, 

Jou  irai 

donque;. 

Tirai. 

SCÈNE  XIII. 

GUIOT,   ROGAUT. 

«D10S 

6UI0T. 

Rogiaull 

Rogaut ! 

ROGAUS 

ROGAUT. 

Que? 

Quoi? 

GUIOS. 

Or  ne  veistes  onques 
Plus  grant  déduit  ne  plus  granlfeste 
Quej  ai  véu. 

ROGAUS. 

Où? 

GUIOS. 

Vers  Aiiesle. 
Par  lans  nouveles  en  aras  : 
Veu  i  ai  trop  biaus  baras. 

ROGAUS. 

Et  de  cui? 

GUIOS. 

Tous  de  paslouriaus. 
Acalé  i  ai  ches  bourriaus, 
Avœcques  m'amie  Sarcl. 

ROGAUS. 

Guiot,  or  alons  vir  Maret 
L'aval,  s'i  trouverons  Waulier; 
Car  j'oï  dire  qu'il  vaut  ier 
Peronnele  te  sereur  prendre, 
Et  ele  n'i  vaut  pas  entendre, 
Si  en  éusl  parle  à  ti. 

GUIOS. 

Point  ne  l'ara;  car  il  bâti, 
L'autre  semaine,  .j.  mien  neveu, 
Et  je  jurai  ei  fis  le  veu 
Que  il  seroit  aussi  basais. 

ROGAUS. 

Guiot,  tous  sera  abalus 

Chis  estris,  se  lu  me  veus  croire  ; 

DreTiONN.  des  Mystères. 


GUIOT. 


Vous  ne  vîtes  jamais  plus  grand  divertissemen: 
ni  plus  grande  fêle. 


Où? 


ROGAUT. 


GUIOT. 


Vers  Ayetie.  Tu  en  auras  tantôt  des  nouvelles  . 
j'y  ai  vu  de  très-beaux  divertissements. 


Et  qui' 


ROGAUT. 


GUIOT. 


Tous  de   pastoureaux.  J'y  al  acheté  ce  bureau, 
avec  mon  amie  Sarel. 


ROGAUT. 

Guiot,  allons  voir  Marel  là-bas,  nous  y  trouverons 
Waulier.  J'ai  ouï  dire  qu'il  voulait  prendre  la  sœur 
Péronnelle,  mais  qu'elle  ne  voulut  pas  y  consentir  : 
l'en  a-t-elle  parlé? 


GUIOT. 

Il  ne  l'aura  pas;  car  il  a  battu  l'autre  semaine 
mon  neveu,  et  j'ai  juré  qu'il  serait  aussi  battu. 


nOGAUT. 

Guiot,  celle  dispute  luira,  si  lu  me  veux  croire; 
car  Gautier  te  donnera  a  boire  à  genoux,  pour  te 

48 


*r>!5 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

faire  amende  honorable. 


ROB 


151G 


CarGauliers  le  donna  à  boire 
A  genous,  par  amendement. 

GUIOS. 

Je  le  vœil  bien  si  faitemenl, 
Puis  que  vous  tous  i  assenlés; 
Vés  chi  .ij.  bons  cornés,  sentes, 
Que  j'ai  acalés  à  le  foire. 

RCGAUS. 

Gniot,  vent-m'en  .j.  à  tout  boire. 

cui  os. 
En  non  Dieu!  Rogaul,  non  ferai; 
Mais  le  meilleur  vous  presterai. 
Prendés  lequel  que  vous  volés. 

SCÈNE  XIV. 

LES    MÊMES,    WARXIER 
ROGAUS. 

A  !  war  que  cbis  vient  adolés, 
Et  qu'il  vient  petite  aléure  ! 

GUIOS. 

C'est  Warneres  de  le  Coulure; 
Est-  il  sotement  escou relues! 

WARNIERS. 

Segneur,  je  sui  trop  coureebiés. 

GUIOS. 

Comment.? 

WARNIERS. 

Mehalès  est  agute, 
M'amie,  e  s'a  esté  dechute; 
Car  ou  dist  que  ch'est  de  no  preslre. 

ROGAUS. 

En  non  Dieu  !  Warnier,  bien  puet  estre; 
Car  ele  i  aloit  trop  souvent. 

WARNIERS. 

Hé,  las!  joue  a  voie  en  couvent 
De  li  lempremenl  espouser. 

cuios. 

Tu  te  pues  bien  irop  dolouser, 
Biaus  1res  dons  amis;  ne  le  caille, 
Car  jà  ne  mêleras  maaille, 
Que  bien  sai,  à  l'enfant  warder. 

ROGAUS. 

A  clie  doit-on  bien  resvarder, 
Foi  que  je  doi  sainte  Marie! 

WARNIEHS. 

Certes,  segnieur,  vo  compaignie 
Me  fait  meire  jus  men  anoi. 

cuios. 

Or  faisons  un  peu  d'esbanoi 
Enlrcus  que  nous  alenderons 
Robin. 

WARNIERS. 

En  non  Dieu  !  non  ferons. 
Car  il  vient  chi  les  gréas  walos. 


GUIOT. 

S'il  en  est  ainsi,  je  veux  bien  d'autant  que  vous 
le  voulez.  Voici  deux  cornets,  sente*,  que  j'ai  ache- 
tés à  la  foire. 

ROGAUT. 

Gniot,  vends-m'en  un  à  tout  boire. 

GUIOT. 

Au  nom  de  Dieu!  Rogaut,  non,  non;  je  vous  prê- 
terai le  meilleur.  Prenez  celui  que  vous  voulez. 


ROCAUT. 

Attention.  Qui  vient  là  d'un  air  si  chagrin,  et 
marchant  si  lentement? 

GUIOT. 

C'est  Warnier  de  la  Coulure;  esl-il  sollement 
troussé  ! 

WARNIER. 

Seigneurs,  je  suis  très-courroucé. 

GUIOT. 

Comment  ? 

WARNIER. 

Mehalès,  mon  amie,  est  accouchée;  et  elle  a  élé 
trompée;  car  on  dit  que  c'est  notre  prêtre  qui  esl  le 
père. 

ROGAUT. 

Au  nom  de  Dieu!  Warnier,  ce  peut  bien  être;  car 
elle  y  allait  trop  souvent. 

WARNIER. 

Hélas!  j'étais  convenu  de  l'épouser  prompte- 
meni. 

GUIOT. 

Peut-être  t'affliges-tu  trop,  beau,  très-doux  ami; 
ne  t'inquiète  pas,  car  tu  ne  dépenseras  pas  une 
maille,  je  le  sais  bien,  à  garder  l'enfant. 


ROGAUT. 

A  cela  doit-on  bien  regarder,  parla  foi  que  je  dois 
à  sainte  Marie! 

WARNIER. 

Celles,  seigneurs,  votre  compagnie  me  fait  mettre 
de  côté  mon  chagrin. 

GUIOT. 

Or,  divertissons-nous  un  peu  pendant  que  nous 
attendrons  Robin. 


WARNIER. 

Au  nom  de  Dieu!    nous  n'en  ferons   rien,  car    il 
vient  ii  i  en  grande  haie. 

SCÈNE  XV. 


ROBINS. 

Warnel;  lu  ne  ses?  Mehalos 
Esl  Imî  agute  de  no  prestre. 


WARNIERS. 

Hé!  tout  'i  diable  i  puissent  cslre! 
Robert  comme  avés  maise  geule  ! 

ROBINS. 

Toudis  a-eîe  esté  trop  veule, 


LES    MEMES,    nORIX- 

ROBIN. 

Warnier,  lu  ne  ne  sais  pas?  Mehalès  est  aujour- 
d'hui accouchée  d'un  enfant  dont  notre  prêtre  est  le 
père. 

WARNIER. 

Eh!  que  tous  les  diables  y  puissent  être!  Robert, 
comme  vous  avez  mauvaise  langue! 


ROr.lN. 


Elle    a  toujours   été  trop  faible,  Warnier,   Dieu 


1517 


non 


NOTICE  SUU  LÉ  THEATRE  LIBRE. 


r.OB 


!5!S 


Warnier,  si  m'ait  Diex  !  et  soie. 

ROGAUS. 

Robert,  foi  (pie  (levés  Ma  rôle! 
Metés  cesle  cose  en  delui. 

R0R1NS. 

Je  n'i  parlerai  plus  de  lui  : 
Alons-ent. 

WARN1ERS. 

Alons. 

ROGAUS. 

Passe  avant. 


m'aide  !  et  sotte. 

ROGAUT. 

Robert  (par   la)  foi  que  vous   devez    à  Marion 
laissez-là  ce  sujet. 

ROBIN. 

Je  n'en  parlerai    plus  devant   lui  :  allons-nous- 


en. 


Allons. 


WARNIER. 


ROGAUT. 


Passe  devant. 
SCÈNE  XVI. 

MARION,    PÉRONNELLE,    HUART,    BAUDON,    GAUTIER 

MARION. 

Mettenjupel,  Perrete,  avant; 
Aussi  est-il  plus  blaus  du  mien. 


MARION. 

Mels  ton  jupon,  Pcrrelte;  il  est   plus  blanc  que  le 
mien. 


PERONNELLE. 

Certes,  Marot,  je  le  vœil  bien, 
Puis  que  vo  volentés  i  est. 
Tenés,  veés-le  cbi  tout  prest; 
Eslendé-le  où  vous  le  volés. 

IllIARS. 

Or  chà!  biau  segnieur,  aportés, 
S'il  vousplaist,  vo  viande  chà. 

PERONNELLE. 

Esgar,  Marote  ;  je  vois  là, 
Che  me  samble,  Robin  venant. 

MARIONS. 

C'est  mou,  et  si  vient  tout  balant  : 
Que  te  saule,  est-il  bons  cailis? 

PERONNELLE. 

Certes,  Marot,  il  est  failis, 
Et  de  faire  vo  gré  se  paine. 

MARIONS. 

A  !  war  les  corneurs  qu'il  aniainc  ! 

HUARS. 

U  sont-il? 

GAUTIERS. 

Vois-tu  cbes  variés 
Qui  là  tiennent  ches  .ij.  cornés? 

HUARS 

Par  le  saint  Dieu  !  je  les  voi  bien. 


PÉRONNELLE. 

Oui,  Marion,  je  le  veux  bien,  si  cela  te  fait  plai- 
sir. Tenez,  le  voici  tout  prêt;  élcndez-lc  où  vous  le 
voulez. 


HUART. 

Or  çà!  beaux  seigneurs,  apportez,  s'il  vous  plaît, 
vos  vivres  ici. 

PÉRONNELLE. 

Regarde,  Marion  ;  je  vois  là,  ce  me  semble,  Ro- 
bin venant. 

MARION. 

C'est  vrai,  et  il  vient  en  dansant  :  que  te  semble, 
csl-il  bon  diable? 

PÉRONNELLE. 

Certes,  Marion,  il  est  aimable,  et  il  se  donne  de  la 
peine  pour  faire  votre  volonté. 

MARION. 

Ali!  regarde  les  corneurs  qu'il  amène! 

HUART. 

Où  sont-ils? 

GAUTIER. 

Vois-tu  ces  garçons  qui  ià  tiennent  ces  deux  cor- 
nets? 

HUART. 

Par  le  saint  de  Dieu!  je  les  vois  bien. 


MARION.    PÉRONNELLE,    HUART 

ROBINS. 

Marote,  je  suis  venus,  tien: 
Or  di,  m'aimes-lu  de  bon  cuer! 

MARIONS. 

Oïl,  voir. 

ROBINS. 

Très  grant  merebis,  suer, 
De  cbe  que  tu  ne  l'en  escuses. 

MARIONS. 

Hé!  que  sont-cbe  là? 

ROBINS. 

Ce  sont  mus<js 
Que  je  pris  à  cbele  vilete  : 
Tien,  esgar  con  bêle  coselc  ! 
Or  faisons  tosl  leste  de  nous. 

rogaus. 

Wautier,  or  te  niel  à  genous 


SCÈNE  XVII. 

BAUDON,    GAUTIER,    ROBIN,    WARNIER,    GUIOT, 
ROGAUT. 

ROBIN. 

Marion,  me  voici  de  retour;  eb  bien,  dis,   m'ai- 
mes-tu toujours  de  bon  coeur? 

MARION. 

Oui,  vraiment. 

ROBIN. 

Très-grand  merci,  sœur  de  Ion  bon  mot. 

MARION. 

Eb  !  qu'est-ce  que  cela? 

ROBIN. 

Ce  sont  des  musettes  que  j'ai  prises  à  oc  petit  vil- 
lage; liens,  regarde  quelle  belle  petilo  ebose!  main- 
tenant amusons-nous. 

ROGAUT. 

Wautier,  à  présent  mets-loi  à  genoux  devant  Gv'.oi 


1SI<) 


ROB 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


ROB 


1»26 


Devint  Guiol  premièrement; 
El  si  li  fai  amendement 
De  chou  que  sen  neveu  bâtis; 
Car  il  s'esloit  ore  aalis 
Que  il  te  feroit  asousfrir. 

GAUTIERS. 

Volés  que  je  li  voise  offrir 
A  boire? 

ROGAUS. 

Oïl. 

GAUTIERS 

Guiol,  buvés. 

GUIOS. 

Gautier,  levés- vous  .sus,  levés; 
Je  vous  pardoins  tout  le  meffail 
C'a  mi  ni  as  miens  avés  fait, 
El  \  œil  que  nous  soions  ami. 

PER0N.NELE. 

Guyot,  frère,  parole  à  mi; 
Vien  te  chà  sir,  si  le  repose: 
Que  m'aporles-lu? 

GDIOS. 

Nul  cose; 
Mais  Taras  bel  jouel  demain. 

MARIONS. 

Robin,  dons  amis,  chà  te  main 
Far  amours,  et  si  te  sié  châ. 
Et  chilcompaignon  seront  là. 

R0R1NS. 

"Voieniiers,  bêle  amie  chiere. 

MARIONS. 

Or  faisons  trcslout  bêle  chiere 
Tien  che  morsel,  biaus  amis  dous. 
Hé!  Gautier,  à  quoi  pensés-vous? 

GAUTIERS. 

Certes,  je  pensoie  à  Robin 
Car  se  nous  ne  fuissons  cousin 
Je  l'eusse amée  sans  faille; 
Car  tu  es  de  trop  bonne  taille. 
Baudon,  esgar  quel  cors  chi  a. 

ROBINS. 

Gautier,  ostés  vo  main  delà; 
El  n'est-che  mie  vo  amie. 

GAUTIERS. 

En  es-tu  jà  en  jalousie? 

ROBINS. 

Oïl,  voir. 

MARIONS. 

Robin,  ne  te  doute. 

ROBINS. 

Encore  voi-je  qu'il  le  boute. 

MARIONS. 

Gautier,  par  amours,  tenés  cois: 
Je  n'ai  cure  de  vos  gabois; 
Mais  entendes  à  noslre  feslc. 

GAUTIERS. 

Je  sai  trop  bien  canter  de  gesle; 
Me  volcs-vous  oïr  canlcr? 


BAUDONS. 


Oïl. 


GAUTIERS. 

Fai-moi  donc  escouter: 
■J-  Audigier,  disl  Raimberge,  bonse  vous  di. 

ROBINS. 

Ho!  Gautier,  je  n'en  vœil  plus;  fi  ! 


d'abord:  cl  fais-lui  amende  honorable  de  ce  que  tu 
battis  son  neveu;  car  il  s'était  promis  qu'il  te  le 
ferait  payer. 


GAUTIER. 

Voulez-vous  que  j'aille  lui  offrir  à  boire? 


Oui. 


KOGAUT. 


GAUTIER. 


Guiol,  buvez. 

GUIOT. 

Gautier,  levez- vous,  levez -vous;  je  vous  pardonne 
tout  le  méfail  dont  vous  vous  êtes  rendu  coupable 
envers  moi  el  les  miens,  et  je  veux  que  nous  soyons 
amis. 

PÉRONNELLE. 

Guiot,  frère,  parle-moi;  viens  l'asseoir  ici  el 
repose-loi  :  que  m'appories-tu? 

GUIOT. 

Rien  ;  mais  lu  auras  un  beau  joyau  demain. 

MARION. 

Robin,  doux  ami,  donne-moi  ta  main,  assieds-loi 
ici  ;  ces  compagnons  seront  là. 

ROBIN. 

Volontiers,  belle  amie  chère. 

MARION, 

Mainlenant  mangeons  :  l!ens  ce  morceau,  be!  ami 
doux.  Eh!  Gautier,  à  quoi  pensez-vous? 

GAUTIER. 

Certes,  je  pensais  5  Robin;  car  si  nous  n'éiions 
cousins,  je  l'aurais  aimée  sans  y  manquer;  car  lu 
es  de  très-bonne  taille.  Baudon,  regarde  quel  corps 
il  y  a  ici. 

ROBIN. 

Gautier,  ôlez  votre  main  de  là;  ce  n'est  pas  votre 
amie. 

GAUTIER. 

Es-tu  jaloux? 

ROBIN. 

Oui,  vraiment. 

MARION. 

Robin,  ne  crains  rien. 

ROBIN. 

Il  te  pousse. 

MARION. 

Gautier,  tenez-vous  coi  ;  je  me  moque  bien  de 
vos  badinages;  tournez  votre  attention  à  notre  féie. 

GAUTIER. 

Je  sais  très-bien  chanter  des  chansons  de  geste; 
me  voulez-vous  ouïr  chanter? 


BAUDON. 


Oui. 


GAUTIER. 

Faites-moi  donc  écouler  : 

Audigier,  dil  Raimberge,  bouse  vous  dis... 

ROBIN. 

Oh!  Gautier,  je  n'en  veux  plus;  fi!  Dites,  serez- 


{551 


RON  NOTICE  SI 

Dites,  serés-vons  tous  jours  leus? 
Vous  estes  uns  ors  meneslreus. 

GAUTIERS. 

En  mal  éure  gabe  chis  sos, 

Qui  me  va  blâmant  mes  biaus.  mos  : 

N'esl-che  mie  bonne  canebon? 

ROBINS. 

Nennil,  voir. 

PERRETE. 

Par  amours  faisons 
Le  tresque,  et  Robins  le  raenra. 
S'il  veut,  et  Huars  musera, 
El  cliil  doi  autre  corneront. 

MARIONS. 

Or  osions  tosl  ches  eboses  dont  : 
Par  amour,  Robin,  or  le  maine. 

ROBINS. 

lié,  Dieus!  que  lu  me  fais  de  paine! 

MARIONS. 

Oi  fai,  dons  amis,  je  l'acolc 

ROBINS. 

Et  lu  verras  passer  J'escolc, 
Pour  ebou  que  lu  m'as  acolé; 
Mais  nous  nions  anebois  balé 
Enlre  nous  deux  qui  bien  balons. 

MARIONS. 

Soit,  puisqu'il  le  plaisl;  or  alons, 
El  si  lien  le  main  au  costé. 
Dieu!  Robin,  cou  c'est  bien  balé! 

ROBINS. 

Est-cbe  bien  balé,  Maroteleî 

MARIONS. 

Certes,  tous  li  cuers  me  saulele 
Que  je  te  voi  si  bien  baler. 

ROBINS. 

Or  vœil-jou  le  ireske  mener. 

MARIONS. 

Voire,  pour  Dieu,  mes  amis  dous. 

ROBINS. 

Or  sus,  biau  segnieur,  levés-vous; 
Si  vous  tenés;  g'irai  devant. 
Manne,  presle-moi  ton  gant; 
S'irai  de  plus  granl  volenié. 

PERONNELE. 

Dieu  !  Robin,  que  cli'est  bien  aie! 
Tu  dois  de  tous  avoir  le  los. 

ROBINS. 


R  LE  THEATRE  LIBRE.  ROY  i52* 

vous  toujours  tel?  vous  èles  un  sale  mene»trH. 

GAUTIER. 

Ce  fou  plaisante  mal  à  propos  en  me  blâmant  do 
mes  belles  paroles  :  n'est-ce  pas  bonne  ebanson? 


f  Venés  après  moi  ;  venés  le  senlele, 
Le  senlele,  le  senlele  lès  le  bos. 


Non,  vraiment. 


ROBIN. 


PERRETTE. 


Par  amour,  faisons  la  tresse,  Robin  la  mènera, 
Huarl  jouera  de  la  muselle,  et  ces  deux  autres  du 
cornet. 

MAR10N. 

Olons  vile  tout  ce  qui  est  à  terre.  Robin,  mène 
maintenant  la  tresse. 

ROBIN. 

Ob,  Dieu!  que  tu  me  fais  de  peine! 

MARION. 

Maintenant  fais-le,  doux  ami,  je  t'embrasie. 

ROBIN. 

Et  lu  me  verras  passer  maîlre,  puisque  lu  m'a* 
embrassé;  mais  nous  aurons  auparavant  dansé,  nom 
deux  qui  dansons  bien. 

MARION. 

Soit,  puisqu'il  te  plaît,  maintenant  allons,  et 
tiens  la  main  au  calé.  Dieu!  Robin,  comme  c'est 
bien  dansé! 

ROBIN. 

Est-ce  bien  dansé,  petite  Marion? 

UARION. 

Certes,  tout  le  cœur  me  sautille  quand  je  la  vois 
»i  bien  danser. 

ROBIN. 

Maintenant  je  veux  mener  la  tresse. 

MARION. 

Oui  vraiment,  pour  Dieu,  mon  doux  ami. 

ROBIN. 

A  présent,  beaux  seigneurs,  levez-vous,  et  tenez- 
vous;  j'irai  devant.  Marion,  prêle-moi  ton  gant; 
j'irai  de  meilleure  volonté. 


PÉRONNELLE. 

Dieu!  Robin,  que  c'est  bien  allé!  lu  dois  avoir  les 
louanges  de  tous. 

ROBIN. 

Venez  après  moi;  venez  par  le  sentier,  le  sentier, 
le  sentier,  près  du  bois. 

Fin  du  Jeu  de  Robin  et  de  Marion. 


ROND  ET  DU  CARRE  (  Farce  du).  —  On 
lit  dans  les  frères  Parfait  (  Hist.  du  th.  fr., 

t.  III,  p.  185)  celte  note  d'après  Duverdier  : 
Farce  du  rond  et  du  carré  a  v.  personnages, 
aisavoir  : 


LE  ROND. 
LE  CARRÉ. 
HONNEUR. 


VERTU. 

BONNE    RENOMMÉE. 


«  Celle  farce  ne  nous  est  connue  que  ptr 

(970)  Le  tliéàlre  libre  espagnol  a  produit  dans 
les  xv«  et  xvi«  siècles  un  eertain  nombre  de  pièces 
publiées  dans  les  Recueils  suivants  :  1°  Oriqincs  det 
(eairo  espahol,  formmdoel  lomo  I",  parte  ln  y^*, 


un  passage  de  la  Bibliothèque  française  de 
Duverdier-Vauprivaz,  qui  ajoute  qu'elle  con- 
tenait «  plusieurs  choses  singulières  lou- 
«  chant  le  sainct  sacrement  de  l'autel.  »  Ces 
choses  devaient  être  orthodoxes  ,  car  Moli- 
net,  qui  en  était  auteur ,  a  vécu  et  est  mort 
dans  la  religion  catholique.  » 

ROY  d'ARAGON  (Le  jugement  du).  — 
Le  Jugement  du  roy  d'Aragon,  pièce  emprun- 
tée à  rhisloire  de  l'Espagne  (970),  a   été 

de  las  Obras  de  Leandro  Fcrnamlez  DE  Moratin, 
publicadas  por  la  real  Acadcmia  de  la  IliMoiïa  ; 
Madrid,  1850,  repnbliradas  en  el  premier  vol.  rie) 
Tosoro  del  Teatro  EsvanoL— *.•  Tal>o  espaiiol  au- 


1523 


SAV 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAV 


1524 


mentionné  par  M.  Edélestand  Duraéril  sous 
la  date  de  l'an  1526.  (Cf.  Orig.  lat.  du  théâtr. 
mod.;  Paris,  1849,  in-8°,  p.  56.) 

1UJODL1EB  (Le).  —  Le  Ruodlieb  apparaît  à 
M.  Edélestand  Duméril  comme  une  poésie 
du  moyen  âge,  où  se  montre  sa  tendance  à 
tout  dramatiser,  mais  le  Ruodlieb  n'est  pas 
un  drame.  (  Cf.  Origines  latines  du  théâtre 
moderne;  Paris,  1838,  p.  3.) 


RUSE  DES  FEMMES  (La).  — 11  existe  une 
édition  du  xvi*  siècle  de  la  Ruse  des  femmes, 
sous  ce  litre  :  La  Farce  ioyeuse  et  profitable 
à  un  chascun,  contenant  la  ruse,  meschanceté 
et  obstination  d'aucunes  femmes ,  par  person- 
nages ;  1595. 

M.  de  Montaran  en  a  donné  une  réim- 
pression. —  Voy.  Collection  Caron  et  Re- 
cueil DE  LIVRETS  PAR  M.   DE  MONTARAN. 


S 


SAVETIER  (La  farce  du).  —  La  farce  du 
savatier  a  v  personnages,  c'est  a  scauoir  : 


LE    SAUAT1ER. 

MARGUET. 

TAQUET. 


PROSERPIN'E. 
Z'OSTE. 


Cette  pièce  est  conservée  dans  le  manscrit 
du  xvie  siècle  de  la  Bibliothèque  Jimpériale 
(fonds  La  Vallière,  n°  63)  ;  MM.  Leroux  cfe 
Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont  éditée  dans  leur 
Recueil  de  Farces  (  Paris,  Téchener ,  1831- 
1837;  k  vol.  petit  in-8°). 

le  sauatier  commence  en  chantant. 

Quant  i'esloys  a  marier 
Sy  lies  ioly  festoie. 
Marguct! 

tcrior  a  Lope  de  Vega.  Por  el  Edilor  de  la  Floresta 
de  Rimas  anliguas  castellanas.  (J.  N.  Bolh  de  Faher); 
ilamburgo  :  en  lalibreriade  Frederico  Perthes,t852, 
in-8°.  Les  auteurs  dont  les  œuvres  se  trouvent  ici 
en  partie,  sont  Juan  del  Encina,  Gil  Vicente,  Barlo- 
Iviiué  Torres  Naharro  el  Lope  de  Rueda.  —  3°  Te- 
soro  del  Teairo  espanol,  desde  su  oiïgen  (afio  de 
1356)  hasla  nueslros  dias,  arreglado  y  dividido  en 
enairo  parles,  por  don  Engenio  de  Ociioa  ;  Paris, 
■1838;  5  volùmenes  en  8-,  en  dos  c<d.,  cou  retralos. 
Tomo  1°.  Conipuèslo  de  la  obra  de  Moralin.  Origines 
del  Tealru  Espanol,  con  uua  coleccion  de  piezas 
dramàticas  améliores  a  Lope  de  Vega,  obra  recien- 
lenieuie  publicada  por  la  Âcademia  de  la  Uisloria. 
Llevarâ  al  lin  un  Apéndice,  forinado  por  Don  Enge- 
nio  de  Ochoa.  Tomo  2°.  Teairo  escojido  de  Lope  de 
Vega,  con  un  resumen  de  su  vida  y  un  examen  de 
sus  obras.  Tomo  5".  Teatro  escojido  de  Calderon 
de  la  Barca,  con  un  resûmen  de  su  vida  y  una  iu- 
iroduccion  sol)re  los  diferenles  géneros  de  sus  coin- 
posiciones.  Tomo  4".  Teatro  escojido  de  Tirso  de 
Molina,  Mira  de  Mescua,  Monlalvan,  Guevara,  Mo- 
reto,  Rojas,  Alarcon,  Matos  Fragoso.  Tomo  5°.  Tea- 
tro escojido  de  Diamanie,  La  Hoz,  Belmonle,  Fe- 
lipe IV,  Leiva,  Cuhillo,  Figueroa,  Zarate,  Candamo, 
Solis,  Zamora,  Canizares,  Jovellanos,  Huerla,  Ra- 
inoii  de  la  Cruz,  Cienfuegos,  Moralin,  Quinlana, 
Marti  nez  de  la  Rosa,  Gorosliza,  Breton  de  los  Her- 
ieios.  —  Voyez  V Histoire  de  l'art  dramatique  en 
Espagne,  par  1).  Martixez  de  la  Rosa,  dans  ses 
Obras-Lilterarias.  Paris,  1 827,  vol.  II.  Voyez  aussi 
sut  l'ancien  lliéàire  espagnol  un  curieux  article  de 
M.  Henri  Ternaux,  publié  dans  la  Revue  française 
et  étrangère  ou  nouvelle  Revue  Encyclopédique.  n°  de 
janvier,  l.  V.  —  n.  1,  Paris,  1838,  p.  64-78.  Enfin, 
M.  Philarète  Charles  a  donné  dans  le  Journal  des 

Débats  du  vendredi  23  août  1859  un  feuilleton  sur 
Bartolemé  Torres  Naharro.  —  En  Portugal,  Gil  Vi- 
lenie. —  Obras  de  Gil  Vicente,  corrodas  e  enienda- 

»j.,  pelo  cuidado  ediligemia  deJ.  V.Barreto  Feio  e 
.1.  G.  Moaleiro.  Hamburgo,  na  ollieina  lypographica 
de  Langhotf,  1 83i- ,  trois  volumes  in-8°.  Voyez  sur 
«et  auteur  et  sur  la  poésie  dramatique  portugaise 
au  \vi«  siècle,  le  Résumé  de  ritislvire  littéraire  du 
i'tutuqiil...,  par  Ferdinand  Pi.xis,  Paris,  Lecoim* 


MARGUET. 

Que  vous  plaist-il,  mon  amy? 

SAVETIERS  (Les  deux).  —  Les  frères  Par- 
fait ,  dans  leur  Histoire  du  théâtre  français, 
(t.  Il,  p.  145),  ont  donné  l'analyse  suivante 
de  la  Farce  des  deux  Savetiers  (971), 

Le  titre  est  formulé  ainsi  : 

Farce  nouvelle,  très-bonne  et  fort  joyeuse  des 
deux  Savetiers  a  troys  personnages ,  c'est 
assavoir  : 
le  pauvre.  le  juge  (972). 

LE    RICHE. 

le  pauvre  commence  en  chantant. 

Hay  avant  Jehan  de  Nivelle  (973) 

Jehan  de  Nivelle  a  deux  housseaux  (974), 

et  Durey,  1826,  in-18,  p.  150-190. 

(971)  Les  frères  Parlait  n'indiquent  pas  l'édition 
dont  ils  se  sont  servis;  mais  il  esl  évident  que  c'est 
la  réimpression,  <  mise  en  meilleur  langage,  >  de 
Nicolas  Roussel,  laquelle  date  de  1612. 

La  Earce  des  deux  Savetiers  a  paru  en  1827, 
réimprimée  en  fac-similé  de  l'édition  originale  eu 
caractères  gothiques,  de  format  in-4°  d'agenda,  à  la 
suite  de  Mundas,  chez  Didol,  à  Paris;  la  copie  pro- 
vient de  l'exemplaire  unique  conservé  à  la  biblio- 
thèque de  Dresde.  Cette  réimpression  n'a  été  tirée 
qu'à  cent  exemplaires,  dont  quatre  sur  vélin,  qua- 
tre sur  papier  vélin  anglais,  et  deux  sur  papier  de 
couleur.  —  Cet  ancien  texte  a  été  connu  des  frères 
Parfait,  mais  ils  n'en  ont  pas  fait  usage. 

(972)  Le  théâtre  représentait  une  place  de  vil- 
lage; une  chapelle  d.ans  renfoncement,  et  la  maison 
du  juge  sur  l'un  des  côtés.  Au  reste  le  Pauvre  elle 
Riche  sont  tous  les  deux  savetiers. 

(973)  Ceci  nous  montre  l'ancienneté  de  cette 
chanson,  connue  avant  le  temps  où  celle  farce  fut 
composée. 

(974)  Housseaux  ou  Heuscs,  substantif  masculin 
pluriel.  [L'A  s'aspire.]  Chaussure  contre  le  froid,  la 
pluie  et  la  crolle...  C'était  une  espace  de  boite  ou 
de  bottine;  les  gens  de  guerre  s'en  servaient  comme 
aujourd'hui  des  bolles.  On  les  faisait  de  cuir  de 
vache.  Villehardouin  parle  de  lieuses  vermeilles.  Ce 
mol  est  vieux,  el  n'a  plus  d'usage  qu'en  celle  phrase 
basse  et  figurée.  Il  a  quitté  ses  housseaux,  pour  dire 
il  esl  mort.  H  y  avait  deux  sortes  de  housseaux  : 
les  uns  n'étaient  que  la  tige  simple,  les  autres 
avaient  un  soulier,  el  quelquefois  ce  soulier  était  à 
pouiaine  avec  un  long  bec,  et  recourbé  en  haut.  Ou 
appelait  housseaux  sans  avant  pied,  une  espèce  de 
chausses  semelées,  dont  la  lige  se  retournait  comme 
celle  d'un  gant.  Housseaux  se  dit  en  quelques 
poils  de  Normandie,  des  grandes  bolles  que  les 
matelots  qui  pèchent  le  poisson  portent  dans  leurs 
bateaux  et  dans  l'eau.  Ce  .mol  vient  de  hosellum, 
diminutif  de  liosa,  qui  se  trouve  dans  Paul  Diacre, 
et  qui  a  été  l'ait  de  l'allemand  Huse;  le  mol  //ose/» 
signifie  encore  à  présent  haut-de-chausses  en  Alle- 
magne. [Dictionnaire  de  Trévoux.) 


152: 


SAV 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


SAV 


4  S2« 


Le  roy  n'eu  a  pas  de  si  beaux, 
.Mais  il  n'y  a  point  de  semelle, 
Hay  avanl  Jehan  de  Nivelle. 

LE    RICHE. 

Voicy  chose  non  pareille  : 
Dequoy  j'ouys  oncques  parler; 
Car  je  voy  mon  voisin  chanter 
Toute  jour,  et  si  n'a  que  frire. 

LE  PAUVRE. 

Dieu  vous  guard,  Dieu  vous  guard», 
Dieu  vous  guard,  sire, 
IN'avez-vous  que  faire  de  rnoy? 

LE  RICIIE. 

Nenny;  mais  je  suis  en  esmoy 
D'une  chose,  voicy  le  cas  : 
Que  je  voy  que  vous  n'avez  pas 
Un  denier,  pour  vous  faire  taire, 
Ne  un  pauvre  tournois  arrière, 
Et  chaulez  lousiours  sans  cesser? 

LE    PAUVRE. 

Par  sainct  Jehan,  vous  povez  penser 
Que  ii'ay  pas  peur  de  mes  escus. 

LE    RICHE. 

Tu  peux  bien  penser  au  surplus. 
Que  fais  mon  trésor  sans  lanterne. 

LE   PAUVRE. 

Et  moy  mien  à  la  lanterne. 

LE    RICHE. 

Amasse  à  quant  lu  seras  vieuv. 

LE   PAUVRE. 

Voy,  je  seray  tousiours  joyeux. 

LE    RICHE. 

Argent  est  plaisance  mondaine. 

LE    PAUVRE. 

C'est  commencement  de  loule  peine. 

LE    RICHE. 

Argent  faici  faire  mainlz  esbals. 

LE  pauvre. 
Etala  fin  Paicl  dire,  hélas. 

LE    RICHE. 

Qui  a  ccnl  escus  tout  comptant, 
11  peut  bien  galler,  et  rire. 

LE    PAUVRE. 

Sainct  Jehan,  je  n'en  ay  pas  tant, 
Je  n'en  ay  n'a  frire,  n'a  euyie. 

le  riche. 
Qui  a  cent  escus,  il  n'est  en  friche, 
Vous  n'avez  guariîc  qu'il  se  layse. 

le  pauvre. 

Qui  a 

Il  u'esi  pas  lousiours  à  son  ayse. 

LE    RICHE. 

Qui  a  escus,  à  brief  parler. 

Il  peut  faire  beaucoup  de  choses. 

le  pauvre 

Qui  a  ses  soulliers  percez. 

Il  a  besoin  d'avoir  des  chausses. 

LE    RICHE. 

Qui  a  cent  escus  tout  comptant, 
Il  est  de  bonne  heure  né. 

le  pauvre. 

Qui  an  malin  a  froid  es  dents. 


Il  n'est  pas  trop  bien  desjeuné. 

LE    RICHE. 

Qui  a  cent  escus  en  miltainc, 
11  peut  fringuer  et  mener  pompes. 

LE    PAUVRE. 

Et  voir  à  sa  pute  eslraine, 

El  pourquoy  ne  le  faictes-vous? 

LE    RICHE. 

Qui  a  cent  escus,  ou  autre  avoir, 
11  peot  vivre  joyeusement 

LE    PAUVRE. 

Far  sainct  Jehan  il  m'en  faut  avoir. 
Qui  diable  vous  en  donne  tant? 

LE    RICHE. 

Qui?  mon  amy,  Dieu  loul  coulant; 
Au^si  l'a-t'il  donné  les  biens. 

LE    PAUVRE. 

N"ii  a,  parbleu,  car  je  les  liens 
De  mon  granl  père,  a  des  ans  vingt, 
El  tout  de  succession  me  vint, 
Mais  je  n'en  payeray  pas  taille. 

LE    RICHE. 

Voisin,  tu  n'as  denier  ne  maille, 
Que  Dieu  ne  l'ayl  donné  vraiment. 
VI  le  ferait  riche  à  merveille, 
Et  demain  nud  jusqu'à  l'oreille; 
Il  faict,  et  le  défiai  cl. 

LE   PAUVRE. 

lia  deà!  voysin,  il  me  plaisl 
Qui  me  donne  assez,  ou  prou; 
Sçaurail-on  trouver  moyen  ou? 

LE   RICHE. 

Que  pense  avoir  de  la  pecune  ? 
Oiiy,  mais  il  a  telle  couslumc? 
Que  jamais  il  ne  donne  rien, 
Qui  n'y  va  par  bon  moyen; 
El  aussi  qui  ne  l'en  prie. 

LE    PAUVRE, 

Nostrc-Damc!  il  ne  tiendra  mye, 
Au  prier.  Je  m'envoys  loutdroicl 
Au  monstier,  car  se  Dieu  vouloil 
M'en  donner,  je  serois  reffaict, 
lu  le  remerciroys  en  effet-, 
Ue  avoir  en  pouvoys  un  loppin. 

LE    RICHE. 

Dy,  par  ta  foy,  mon  voysin, 
Que  luy  demanderas-tu  content. 

LE  pauvre. 
Je  luy  demande  des  escus  cent, 
Sans  plus,  ne  moins. 

LE     RICHE. 

S'il  l'en  donnoit  deux  vingtz 

A  tout  le  moins  lu  prendroys  cela. 

le  pauvre. 
Sainct  Jehan,  je  ne  les  prendroys  jà, 
Ne  suis-je  pas  comme  vous  estes? 
Il  peusi  aussi  bien  mes  requcsies 
Ociroyer  qu'il  a  faict  la  voslre. 

le  riche  (975). 
Voyre,  par  sainct  Pierre  l'apostre. 
Je  vous  bailleray  un  csclat 
Cent  esculz  dedans  ung  sac 
Voys  mettre,  ung  moins  par  sainct  Claude, 
Taisez-vons,  et  vous  verrez  rage. 

le  pauvre. 

Ha!  par je  ferai  rage; 

Je  ne  seray  plus  savetier, 
Je  hanteray  fort  le  gibier. 


(97'i)  Il  dit  ceci  à  pari,  en  s'a  Iressant  aux  spectateurs,    et    ensuite    vase    cacher  derrière  l'autel  de  la 

chapelle. 


15*7 


SAV 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SAV 


1528 


Ali  !  j'aurai  nujourtl'liuy  argent. 
Je  voys  à  l'église  diligemment, 
Sans  plus  séjourner  au  surplus; 
0  Dieu  !  qui  <lonne  les  escus 
A  ce  riche  si  largement, 
Donne  m'en  cent  loul  content; 
Et  je  te  juré  sur  mon  âme, 
A  loy,  et  à  Noslre-Dame, 
Que  se  me  les  donne,  de  bon  cueur, 
Je  vous  feray  lousiours  honneur, 
Toutes  les  foys  que  vous  verray. 

le  riche  derrière  l'auslel. 

Demande,  je  le  oclroyray, 
Mais  que  ce  soit  juste  demande. 

LE    PAUVRE. 

Or  ça,  doneques,  je  vous  demande 
De  bon  cueur,  le  pauvre  Droùet  (976) 
A  qui  vous  donrez,  s'il  vous  plaist, 
Un  cent  escus  tant  seulement. 

LE   RICHE. 

N'en  Youdroys-tu  point  moins  décent? 

LE  PAUVRE. 

Nenny,  par  ma  foy  ;  c'est  le  cas. 

LE   RICHE. 

Tu  auras  soixante  ducatz. 

LE   PAUVRE. 

Par  sainct  Sire;  je  n'en  veùil  nulz, 
Car  je  veûil  avoir  des  esculz. 
De  ducatz  je  n'ay  point  d'envie. 

LE    RICHE. 

Tu  en  auras  quatre-vinglz  et  diï, 
De  bons,  et  de  fermes  en  un  tas. 

LE   PAUVRE. 

Beau  Sire,  imaginez  le  cas, 
Et  que  vous  fussiez  devenu. 
Comme  moi,  pauvre,  tout  nud. 
Et  que  je  fusse  Dieu,  pour  veoir, 
Vous  les  voudriez  bien  avoir. 

LE    RICHE. 

Cela  est  pieça  tout  commun, 
En  voilà  cenl,  il  s'en  faut  un; 
Prends-les,  ou  laisse  se  tu  veux. 

LE   PAUVRE. 

Or  ça,  n'en  auray-je  donc  plus! 
Vous  me  faictes  un  grand  forfaicl. 
Les  prendray-je  donc  en  effet... 
Oùy...  on  ne  scet  qui  va  ne  qui  vient; 
Puis  y  a  un  point  qui  nie  tient, 
Que  m'en  pourroye  bien  repentir; 
Pourtant  les  me  faut  recueillir, 
Pour  un  escu  ne  plus  ne  moins. 

LE    RICHE. 

Vous  les  rendrez  Maisire  Coùarl; 
Ç  à,  que  le  Dyable  y  ail  pari, 

Par  la y  les  emporte. 

Rapporte,  mon  voysin,  rapporte. 

LE    PAUVRE. 

Quel  dyable  esse  qui  m'appelle  ? 

LE    RICHE. 

Par je  l!ay  belle, 

C'a  ses  escus,  ç'à  ses  escus. 

LE    PAUVRE. 

Vous  êtes  un  peu  trop  camus  : 
Dieu  me  les  vient  de  donner. 


LU   R1CUE. 

Par vous  y  mentez, 

Ç'à  mon  argent. 

LE  PAUVRE. 

1U  se  boussent. 

LE   RICHE. 

Ils  se  boussent  ? 

LE   PAUVRE. 

Mais  parbleu,  voicy  belle  chose. 

LE  RICHE. 

C'a  mon  argent. 

LE  PAUVRE. 

Or  y  perra, 

El  par non  sera, 

Adieu,  adieu,  je  les  emporte. 

LE   RICHE. 

Rapporte,  mon  voysin,  rapporte  : 
Ou  jeté  feray  adjourner. 

LE    PAUVRE. 

Je  ne  Yeùil  plus  cy  séjourner. 

LE  RICHE. 

Vous  y  viendrez,  par 

LE   PAUVRE. 

Sainct  Jehan,  je  n'y  enlreray  jà, 
Car  mes  abilz  ne  vallent  rien. 

LE    RICHE. 

Ha  deà,  je  t'en  bailleray  bien. 
Qui  sont  meilleurs  que  tous  ccux-cy, 
(lcy  le  Riche  va  chercher  une  robe,  et  la  lui  donne.) 
le  pauvre. 

Altendez-moy  donc  icy, 

Je  m'en  voys  parler  à  ma  femme. 

LE  R1CUE. 

Non  ferez,  sire,  par 

Vous  viendrez  devant  le  prevosl. 

LE  PAUVRE. 

Voysin,  je  reviendray  lanlost. 

LE    RICHE. 

Mettez  la  robe  sur  vostre  dos. 

LE    PAUVRE. 

Et  comment?  la  me  donnez-vous? 

LE    RICHE. 

Nenny, non. 

LE    PAUVRE. 

Deà  !  et  comment? 

LE   RICHE. 

Je  te  la  preste  jusques  à  tant 
Que  soyons  venuz  de  la  court. 

LE    PAUVRE. 

Or  sus,  donc,  pour  faire  court, 
Allez  devant,  et  cependant 
Je  m'en  iray  porter  l'argent 
En  la  maison  pour  tout  refuge. 

I.E    RICHE. 

Il  le  nous  failli  porter  au  juge, 
Elle  mettrons  en  sa  séquestre 

LE   PAUVRE. 

Sainct  Jehan,  non  ferez  noslre  maisire, 
Je  ne  m'en  veûil  point  dessaisir. 

LE    RICHE. 

Quoi  juge  voulez-vous  choisir, 


(?>7(!)  (Test  le  nom  du  pauvre  savetier. 


1529  SAV  NOTICE  SUR  LE 

Qui  soil  à  cecy  Lien  habille? 

LE     PAUVRE. 

lié!  le  prevosi  de  «eue  ville 

Il  a  un  bon  esprit, 

M;iis  qu'il  ayl  un  petit 
Noslre  cause  regardée, 
Tanlosl  sentence  :uiroil  donnée, 
Sans  y  faire  si  long  procès. 

LE   BICHE. 

Mais  il  se  commet  tant  d'excès, 
En  tout  on  use  tromperie. 

LE   PAUVRE. 

Hé,  non  faict 

11  n'y  va  qu'à  la  de  bonne  foy. 

LE    RICHE. 

Allons  autre  part. 

LE  PAUVRE. 

Ha  !  voy  ? 

Mais  où  Toudricz-vous  aller? 

LE  RICHE. 

Et  si  tu  me  voulloys  bailler 

Mon  argent,  tu  lerois  bien  mieux. 

LE  PAUVRE. 

Ha  !  point  ne  l'aurez,  se  m'est  Dieux  (977). 
Adieu,  adieu. 

LE  RICHE. 

Allon,  allon. 

LE  PAUVRE. 

Ha  dictes,  despécbez-vous  donc. 

LE  RICHE. 

H  ne  m'en  cbaui,  mais  que  j'aye  droiét. 

le  pauvre,  abordant  le  juge. 

Dieu  y  soit. 

Monseigneur,  Dieu  vous  gard; 

Comme  vous  va  puis  le  malin  ? 

LE  JU«E. 

...  11  me  va  bien  Jenniji. 

Comment  se  porte  Jeanette. 

LE  pauvre. 

Elle  est  ronde,  grosse  et  grosselte, 
Elle  se  porte  lousiours  bien. 

le  riche,  à  part. 

Comment  deà'  je  n'y  enten  rien; 
11  est  lanlost  faict  de  ma  cause. 

LE  PAUVRE. 

Il  est  vray  qu'en  cesiesepmaine, 
Sans  vous  faire  trop  long  sermon, 
Voire  il  est  ainsi,  c'est  mon, 
J'av  faict  à  Dieu  une  requesle, 
Qui  est  très-belle  et  lionneste, 
Qu'il  me  donna  cent  escus  d'or; 
Non  pas  pour  faire  un  grand  trésor. 

le  juge  (978). 
Entendez-vous  bien  ? 

LE  PAUVRE. 

Oui  deà; 

Par il  les  me  octroya, 

Etenescuz  cent  moins  un  contant, 
Que  Dieu  me  donna  vrayment. 
Apres  que  j'euz  faict  ma  prière. 
Puis  après  je  m'en  vins  arrière 
Pour  m'en  aller  en  ma  maison; 
Voicy  mon  voysin,  sans  raison, 
Pour  me  cuyder  du  lout  tromper  ; 
Qui  s'en  vint  après  mov  n  ver, 


(977)  Si  Dieu  m'ai 


M'. 


T1IEATKE  LIBRE.  SAV  1S30 

El  disoil  qu'ilz  étoyenl  à  luy  : 
Ainsi,  Monsieur,  je  luy  iiy; 
Je  n'uz  jamais  de  luy  argent. 

LE  RICHE. 

Monsieur,  qui  le  dict,  il  ment. 

LE  PAUVRE. 

Et  allent,  mon  voysin,  aliène 
Laisse-moy  parler,  se  lu  veux  ; 
Dicles  qui  a  tort  de  nous  deux, 
Monsieur,  donnez-nous  jugement 

LE  JUGE. 

Tu  le  baste  trop  mallemenl, 
On  ne  juge  pas  si  à  coup. 

LE  PAUVRE. 

Ha  !  Monsieur,  vous  mettez  trop. 
Je  suys  de  loing,  despécbez-moy. 

le  riche. 

Par non  ferez, 

11  me  loucbe  irop  près  du  cueur. 

LE  PAUVRE. 

Or  laissez  parler  Monsieur. 

LE     RICHE. 

Monsieur,  il  y  a  bien  aulne  chose. 

LE  Jwl'. 

Sans  faire  plus  d'arresl    ne  pose, 
Si  tu  ne  diclz  auire  nouvelle, 
Sa  cause  sera  bonne  et  belle. 

LE  RICHE. 

Ha  !  deà,  Monsieur,  il  ne  dys  pas 
Où  le  mal  gist  :  voil  t  le  cas. 
Deriere  l'Austel  où  j'esloys, 
Et  sa  prière  je  eseouloys, 
Puis  luy  jectay  cent  escus  là. 
le  juge. 

Or,  me  respons  dessus  cela  ; 
Tu  les  jeelas  là;  et  pourquoy  ? 
Tu  pouvais  bien  penser  à  loy 
Que  pas  ne  les  refuseroil. 

LE  RICHE. 

Ha  !  Monsieur,  il  me  disoit 

Qu'il  n'en  prcndroiljà  moins  de  cent. 

LE  JUGE. 

Ton  rapport  est  sans  entendement, 
Car  il  n'y  a  raison  quelconque. 

LE  RICHE. 

Que  j'en  aye  la  moiclié  doncqueS 
Car  la  perle  seioil  trop  grande. 

LE  JUGE. 

Va  dire  à  Dieu  qui  le  les  rende, 
Puisque  les  a  donnez  pour  luy. 

le  pauvre,  s'adressanl  au  riche. 

Ha  deà!  vous  estes  eslourdy, 
Je  m'en  voys  sans  plus  d'arresl. 

LE  RICHE. 

Monsieur,  faicles  arrcsl, 
Car  il  veut  emporter  ma  robe. 

LE    JUGE. 

Viença,  Droùet,  que  nul  ne  bobe, 
Ceste  robe  est-elle  tienne? 

LE  PAUVRE. 

Saincl  Jean,  Monsieur,  elle  est  mienne. 

LE  RICHE. 

Vous  me  la  rendrez  an  surplus. 
(978)  En  s'adressent  au  riche. 


*53l 


SEP 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SEP 


1532 


LE  PAUVRE. 

Ainsy  disoit-il  des  escus. 
C'est  un  fort  terrible  sire. 
Vous  sçavez  qu'il  ne  sçait  que  dire  ; 
11  demande  puis  l'un,  puis  l'aulre 

Puis  d'un  costé,  puis  d'autre; 
La  leste  il  a  esservelée. 

LE   RICHE. 

Deà,  Monsieur,  je  luy  ay  preslée, 
Pour  venir  jusques-icy.  * 

LE  PAUVRE. 

Ha!  je  vous  nye  tout  cecy, 
il  n'en  est  rien. 

LE  JUGE. 

.  .  .  Droùel,  je  t'en  croy  bien, 

LE    PAUVRE. 

lié!  je  ne  suis  point  Coùart. 

LE  RICHE. 

Il  au  !  Que  le  dyable  y  ait  part, 
Au  juge,  et  au  savetier, 
El  à  la  femme,  et  au jugier  (979). 
Ne  qui  le  fil  onc  eslre  Juge. 
Haro  !  quel  mal  faicl  !  quel  déluge  ! 
Mes  cenl  escuiz  sonl-ils  perdus? 
Yoyre  deà,  voyre  cent  escuiz 
Que  legranl  Dyable  y  ayt  part. 

LE  PAUVRE. 

Hay,  Jenin;  hay,  pauvre  Coùart. 
J'auray  robe,  or,  et  argenl, 
Par  ma  foy  il  est  mal  coulent. 
Mais  nVsi-elle  point  retournée  (980)? 
Je  suis  payé  de  ma  journée. 
Pardonnez-nous  je. mes  et  vieux, 
Une  autre  foys  nous  ferons  mieux. 

SCIENCE  ET  ANER1E.  —Scienceet  Anerie, 
morallilé  a  iv.  personnages ,  c'est  a  sauoir  : 

SCIENCE.  ANERVE. 

son  clercq.  son  clercq  qui  est  badin. 

Cette  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincy  et  Fr.  Miche!  dans  leur  Recueil  de 
Farces  ( Paris,  Téchener,  1831-1837;  k  vol. 
petit  in-8°),  d'après  le  manuscrit  du  xvr 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale  (fonds 
La  Vallière,  n°  03). 

science  commence. 

T.inl  de  fins  tours,  lant  de  finesse», 
Tant  de  inaulx,  lant  de  rudesses, 
Perles,  exes,  calamytés,... 
Nobles  délaissant  leurs  noblesses. 
Tant  de  sos  mys  en  dignités... 
Tani  de  pompes  el  vanités... 
On  faict  sans  moy  qui  suys  Science. 


Auergi  si  lienl  aulx  cours. 

SEPT  SAGES  (Le  jeu  des).  —  Le  Jeu  des 
sept  sages  date  du  ive  siècle,  et  fait  partie 
des  œuvres  qui  nous  restent  d'Ausone. 

Eu  1835,  M.  Magnin  appelait  l'atten- 
tion sur  cette  pièce,  qu'il  considérait 
comme  destinée  à  être  représentée.  (Cf. 
Journal  gén.  de  Vinstr.  publiq. ,  22  février 
1835,  cours  proposé  à  la  Faculté  des  let- 
tres,  1"  semestre,  ixe  art.  ,  p.  153).  Plus 
tard  ,  le  même  illustre  savant  confirmait 
cette  première  opinion  dans  la  Revue  des 
deux  mondes  (juin   1835,    t.  II,  p.  656)  et 

(979)  H  parait  que  le  juge  était  ami  du  savetier 
Druuel,  à  cause  de  jeauneile;  le  jugement  qu'il  rend 
eu  est  une  preuve  assez  convaincante. 

(980)  il  regarde  sa  nouvelle  robe. 


dans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes 
(Paris.  1839-1840,  gr.  in  8%  t.  I",  p.  517- 
535). 

M.  Ampère  ,  reprenant  les  opinions  de 
M.  Magnin,  a  été  aussi  d'avis  que  le  Jeu 
des  sept  sages  d'Ausone  ,  quoiqu'il  paraisse 
plutôt  un  dialogue  qu'un  drame,  et  quelque 
pédanlesque  que  soit  cette  composition,  fut 
destiné  à  la  représentation;  quant  au  titre 
du  Jeu  que  porte  cette  pièce,  il  est  analogue 
à  celui  qui  caractérise  beaucoup  plus  tard 
des  productions  analogues  ,  telles  que  le 
Jeu  Adan,  le  Jeu  de  Robin  et  de  Marion  ,  etc. 
(Cf.  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  IL) 

Au  contraire,  M.  Edélestand  Duméril  , 
dans  ses  Origines  latines  du  théâtre  moderne, 
déclare  que,  malgré  son  titre  de  Jeu,  ce 
dialogue  ne  présente  aucun  caractère  dra- 
matique. (Cf.,  op.  cit.,  p.  13.) 

Les  Sept  sages  sont  suivis  de  la  note  sui- 
vante, indiquée  par  Ausone  comme  une  tra- 
duction du  grec  : 

Je  dirai  en  sepl  vers  la  pairie,  les  noms  el  les  pro- 
verbes des  sept  sages  :  à  chacun  son  monoslique. 

cléoblle  de  Liude  a  dit  :  En  toute  chose,  la  mesure 
est  excellente. 

chilojn,  dont  Lacédémone  est  la  pairie  :  Connais- 
toi  toi-même. 

periandre  de  Corinlhe  :  Modère  tes  transports  dans 
la  colère. 

pittacus,  des  rives  de  Mitylène  :  Rien  de  trop. 

solon  u'Athènes  :  Il  est  bon  en  tout  d'attendre  la 
lin. 

bias  de  la  célèbre  Priène  :  Les  méchants  sont  nom- 
breux. 

Et  tiialès,  enfant  de.  Milet  :  Il  faut  éviter  de  se 
porter  caution. 

Les  Sentences  des  sept  Sages,  exprimées 

en  sept  vers  : 

PERSONNAGES. 

bias,  de  Priène.  solon,  d'Athènes. 

pittacus,  de  Mitylène.  chilon,  de    Lacédémone. 

cléoblle,  de  Linde  tualës,  de  Milet. 
periandre,  de  Corinlhe. 

bias  de  priène.  Quel  est  le  souverain  bien7  une 
conscience  pure.  Quel  est  le  pire  mal  pour  l'homme? 
un  autre  homme.  Qui  est  riche?  celui  qui  ne  désire 
rien.  Qui  esl  pauvre?  l'avare.  Quelle  est  la  plus 
belle  dot  d'une  femme?  une  vie  pudique  Quelle  est 
la  femme  chasle?  celle  dont  le  bruit  public  n'ose  pas 
mentir.  Quelle  est  la  conduite  du  sage?  de  ne  point 
vouloir  nuire  quand  il  le  peut.  Quelle  esl  la  conduite 
du  fou?  même  quand  c'est  impossible,  de  vouloir 
nuire. 

pittacus  de  Mitylène.  Celui-là  ne  sait  point  par- 
ler qui  ne  sait  point  se  taire. 

Mieux  vaut  l'estime  d'un  sage  que  celle  de  bien 
Jes  méchants. 

Le  fou  envie  le  bonheur  des  grandeurs. 

Le  fou  se  moque  des  souffrances  de  l'infortune. 

Obéis  à  la  loi,  loi  qui  as  fait  la  loi. 

Le  bonheur  attire  beaucoup  d'amis. 

Peu  d'amis  sont  à  l'épreuve  de  l'adversité. 

CLÉOBULEde  Linde  Plus  on  a  de  pouvoir,  moins  on 
doil  en  user,  elc,  elc. 

Chacun  des  sept  sages  comparaît  ainsi  et 
débite  des  maximes  (980*). 

(980*)  M.  Corpet  (Bibtioth.  lai.  fr.  de  Panckouk», 
"2e  série,  Œuvres  complètes  d'Ausone,  irad.  nouv. 
par  E.-l'.  Coipel,  2  vol.  in-8?,  i.  I".  p.  33",  Notes) 
partage  les  opinions  émises  par  M.  Magnin. 


1535 


SOT 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


SOT 


1534 


SINGERKRIEC  (Le).  —  Le  Singer kriec  uf 
Wartburc  semble  à  M.  Edélestand  Duméril, 
une  des  preuves  de  la  tendance  constante 
du  moyen  âge  à  tout  dramatiser,  sans  tou- 
tefois que  cette  poésie  ait  rien  d'un  vérita- 
ble drame.  (Cf.  Origines  lat.  du  th.  mod.; 
Paris,  18V9,  in-8°,  p.  3.) 

SORRES-SOTZ  (Les).  -  Les  Sobres-Sot z 
entremette  auec  les  Syeurs  d'Ays,  farce  nw- 
rnlle  et  ioijeuse  a  \i.  personnages,,  c'est  a 
sçauoir  : 

CINQ  GALANS 
ET   LE   BADJN 

Cette  pièce  a  été  éditée  par  MM.  Leroux 
de  Lincv  et  Fr.  Michel,  dans  leur  Recueil  de 
Farces  (Paris,  Techener,  1831-1837;  h  vol. 
petit  in-8°),  d'après  le  manuscrit  du  com- 
mencement du  xvie  siècle  de  la  Bibliothè- 
que impériale  (fonds  La  Vallière,  n"   03). 

(Les  sobres-sotz  commencent  ainsi  :) 

LE    PREMIER    SOT. 

J'en  ay. 

LE  DEUXIÈME    SOT,. 

J'en  ay. 

LE   TROISIEME  SOT. 

J'en  voy. 

LE  QUATRIEME  SQT. 

J'en  tiens. 

LE  CINQUIÈME  SOT. 

El  moy  j'en  faicl  comme  de  cire. 

LE  PREMIER. 

Voules-vous  pasestre  des  miens  j'en  :iy. 

SOEUR  FESNE  (La).  —  Sœur  Fesne,  farce 
nouuelle  a  y  personnages,  c'est  a  sçauoir  : 


L  ABESSE. 

SOEUR  I>E  BON  COEUR. 

SOEUR  ESPLOUREE. 


SOEUR  SAFRETE. 
ET  SEUR  FESNE. 


Cette  pièce,  farcie  de  latin  macaronique, 
ne  nous  permet  aucune  citatio  i  à  cause 
de,,  la  licence  du  langage  et  des  idées. 
Elle  a  été  éditée  dans  le  Recueil  de  Farces 
(Paris,  Techener,  1831-1837;  h  vjI.  pet. 
in-8°)  donné  par  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel  d'après  le  ms.de  la  Bibliothè- 
que impériale  datant  du  xve  siècle  (fonds 
La  Vallière,  n°  63). 

SOLDAT  VANTARD  (Le).-  M.  Edéles- 
taid  Duméril  a  donné  le  texte  du  Miles 
gloriosus  dans  ses  Originel  latines  du  théâ- 
tre moderne  (Paris,  18W,  Zu-8U,  p.  285-297). 
Dans  le  môme  ouvrage  (p.  34-),  i  1  le  déclare 
non  dramatique  ;  ce  n';st  qu'un  poëme  tel 
qu'on  en  trouve  plusieurs  dans  le  xir  siècle, 
témoignant  d'inlentjjns  littéraires  et  d'une 
tendance  môme  vers  le  théâtre,  le  plus  sou- 
vent originaux  ,  parfois  remaniés  d'après 
d'anciennes  pièces  latines. 

SOT1SE  A  flll  PERSONNAGES  (La). 
—  Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  français    (t.   II,    p.    208-232],    ont 

(981  j  Tristesse. 

(982)  Médisans. 

(983)  Dispute. 


donné  l'analyse  suivante  de  la  Sotise à  vin 
personnages,  mal  <il(ribuée,  selon  eux,  à 
P.  Gringore;  ils  font  précéder  cette  ana- 
lyse de  la  Ballade  des  Enfans  sans  soucy, 
composée  en  1512  par  Clément  Marot. 

BALLADE   DES     ENFANTS    SANS     SOUCT, 

composée  en  1512. 

Qui  sont  ceux-là,  qui  ont  si  grand'envie 
Dedans  leur  cucur  el  Iriste  marisson  (98h 
Dont  cependant  que  nous  sommes  cil  vie 
De  maislre  ennuy  n'escoulons  h  leçon? 
Us  ont  grand  tort,  veu  .|u'en  bonne  façon 
Mous  consommons  noslrc  florissant  aage, 
Sauter,  danser,  chanter  à  l'avantage, 
Faux  envieux,  est- chose  qui  blesse? 
Nenny  pour  vray,  mais  toute  genlillesse, 
Et  gay  voulloir,  qui  nous  lient  en  ses  laqs. 
Ne  blasmez  point  doneques  nos l  ru  jeunesse, 

CAR  NOBLE  CUEUR  NE  CHERCHE  QUE  SOULAS. 

Nous  sommes  druz,  chagrin  ne  nous  suit  mye  : 
De  froid  soucy  ne  sentons  le  frisson  : 
Mais  dequoy  sert  une  leste  endormie  ? 
Autant  qu'un  bœuf  dormant  près  d'un  buisson. 
Languards  piquans  (982)  plus  fort  «pie  hérisson. 
Ou  plus  reclus  qu'un  vieil  corbeau  eu  cage, 
Jamais  d'autruy  ue  tiennent  bon  langage  ; 
Tousiours  s'en  vont  songeant  quelque  finesse  : 
Mais  entre  nous  nous  vivons  sans  tristesse 
Sans  mal  penser,  plus  aise  que  Prélats, 
Sans  dire  mal  :  c'est  doneques  grand'  simple-jss, 

CaR  NOBLE  CUEUR  NE  CHERCHE  QUE  SOULAS. 

Bon'cueur,  bon  corps,  bonne  phizionomie, 

lioire  matin,  fuir  noise,  et  lanson  (985) 

Dessus  le  soir,  pour  l'amour  de  sa  mie 

Devant  son  huis  la  petite  chanson. 

Trancher  du  brave  el,  el  du  mauvais  garçon  ; 

Aller  de  nuicl,  sans  taire  aucun  outrage; 

Se  retirer  :  voilà  le  tripolage  : 

Le  lendemain  recommencer  la  presse. 

Conclusion,  nous  demandons  liesse; 

De  la  tenir  jamais  ne  l'usines  las, 

Et  maintenons  que  cela  est  noblesse, 

CAR  NOBLE  CUEUR  NE  CHERCHE  QUE  SOULAS. 
ENVOY. 

Prince  d'Amours,  à  qui  devons  hommage 
Certainement  c'esl  un  fort  grand  dommage, 
Que  nous  n'avons  en  ce  monde  largesse 
Des  grands  trésors  de  Junon  la  déesse, 
Pour  Vénus  suivre  ;  et  que  dame  Pallas 
Nous  vinst  après  resioùir  en  vieillesse, 

Car  noble  cueur  ne  cherche  que  soûlas. 

«  Le  silence  des  historiens  nous  oblige  à 
terminer  l'article  des  Enfants  sans  Soucy 
par  le  cry  (98 ï-)  de  la  sotise  qui  fut  représen- 
tée à  la  Halle  en  1511  (985).  Ce  morceau 
achèvera  de  faire  connaître  cette  société. 

LA  TENEUR  DE  CRY. 

Sotz  lunatiques,  Sotz  estourdils,  Solz  sages, 
Solz  de  villes,  Solz  de  chasleaux  de  village, 
Sotz  rassotez,  Sotz  oyais,  Solz  subtils, 
Soiz  amoureux,  Solz  privez,  Solz  sauvages, 
Solz  vieux,  nouveaux,  et  Sotz  de  toutes  âges, 
Sotz  barbares,  eslranges  el  genlilz, 
So^z  raisonnables,  Solz  pervers,  Sotz  relil'z, 
Vostre  prince,  sans  nulles  intervalles 
Le  Mardy  gras  jouera  ses  jeux,  aux  Halles. 

(981)  Le  cri,  c'est-à-dire  l'annonce. 
(985)  Celle  .soiise,  qui   est  Miivic  d'une  moralité, 
et  d'une  farce,  «s t  de  Pierre  Gringore. 


1533 


SOT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SOT 


IÏ36 


Soites  dames  et  Solles  demoiselles 
Soties  vieilles,  Solles  jeunes  et  nouvelles, 
Toutes  Solles  aymant  le  masculin, 
Solles  hardies,  couardes,  laides  ei  belles, 
Solles  fi  isques,  Solles  doulces  et  rebelles, 
Solles  qui  veulent  avoir  leur  picotin, 
Solles  trolantes  sur  pavé,  sur  chemin, 
Soites  rouges,  mesgres,  grosses,  et  pâlies, 
Le  Mardy  Gras  jouera  le  prince  aux  Halles. 

Sols  yvrognes,  aimans  les  bons  loppins, 

Sotz  qui  ayment  jeux,  tavernes,  esbatz, 

Tous  solz  jalloux,  Solz  gardans  les  patins  (986) 

Solz  qui  laides  aux  dames  les  choux  gras, 

Adnieuez-y  Sotz  lavez,  el  solz  salles, 

Le  Mardy  Gras  jouera  le  prince  aux  Halles. 

Mère  sotte  (987)  sémond  toutes  ses  solles 
N'y  Caillez  pas  y  venir  bigolles, 
Car  en  secret  faictes  de  bonnes  chieres, 
Solles  gayes,  délicalles,  mignottes, 
Soites  qui  estes  aux  hommes  famillieres  : 
Monsirez-vous  failli  doulces  el  cordialles, 
Le  Mardy  Gras  jouera  le  prince  aux  Halles. 
Fait  et  donné  buvant  vin  à  pleins  polz, 
Par  le  prince  des  Sotz  et  des  suppolz. 

Fin  du  Cry. 

«  La  Sotise  à  huit  personnages,  dont  on 
va  lire  l'extrait,  est  sans  contredit  la  pièce 
la  mieux  conduite  de  toutes  celles  qui  pré- 
cédèrent le  règne  d'Henri  II.  Le  plan  en 
est  neuf,  l'exposition  simple,  le  nœud  bien 
formé  et  le  dénoûmenl  tiré  du  fond  du  su- 
jet. En  un  mot  c'est  le  chef-d'œuvre  et  le 
modèle  des  pièces  de  ce  genre.  A  la  vérité 
les  vices  y  sont  repris  un  peu  vivement, 
mais  c'est  )e  style  du  temps  :  on  connaît  la 
franchise  gauloise  de  nos  pères. 

Un  chat  éloit  un  chat,  et  Rollel  un  fripon. 

«  L'auteur  de  cet  ouvrage  est  inconnu  ; 
car  de  l'attribuer  à  Gringore,  c'est  ne  sa- 
voir pas  distinguer  l'or  d'avec  le  plomb, 
Autant  ce  dernier  avait  l'imagination  pe- 
sante et  grossière,  autant  l'auteur  dont  nous 
parlons  l'avait  légère  et  fine. 

Extrait  d'une  Sotise  a  huit  personnages  (988), 
sçavoir, 


LE  MONDE. 
ABUZ. 

SOT-DISSOLU. 
SOT-GLOniLlJLX. 


SOT-COnKOMPl'. 
SOT-TROMPELR. 
SOT-IG.NOUANT. 
SOTTE-FOLLE. 


SOTISE. 

«  Le  Monde  ouvre    la  scène  et  se  plaint 

(986)  Sots  qui  gardent  leurs  femmes. 

(987)  Mère  Sotte, ou  Maire  Sotte,  c'était  la  seconde 
personne  de  la  principauté  de  la  Sotise.  Celui  qui 
remplissait  cet  emploi  étail  chargé  du  déiail  des 
jeux  représentés  par  les  Enfants  sans  soucy,  et 
de  l'entrée  que  le  prince  des  sols  faisait  tous  les 
ans  à  Paris. 

(988)  3'ibliollièque  du  roi.  f.  in-8°,  num.  3166. 
(98!l)  La  peinture  des  gens  d'Eglise  (pie  l'on  trouve  ici 

ne  doit  point  scandaliser;  elle  ne  regarde  que  ceux  qui 
prévariquenl  dans  leur  ministère.  Louis  XII,  qui,  sans 
user  dé  son  autorité,  voulaii  réprimer  les  abus  qui  s'é- 
taient introduits  sous  les  régnes  précédents,  n'élail  pas 
fâché  qu'on  chargeât  le  tableau.  Tout  le  monde  sait 
qu'avant  le  concile  de  Trente,  il  se  commettait  beau- 
coup d'irrégularités  parmi  le  clergé.  Ainsi  il  faut, 
pour  un  moment,  se  transporter  dans  le  siècle  où 
cet  ouvrage  paru»;    el    alors,  bien   loin  de  blâmer 


amèrement  que  sa  puissance  diminue  cha- 
que jour  ;    il  s'écrie  de   temps  en   temps  : 
C'est  granl  pitié  que  ce  pauvre  Monde. 

«  Abuz  arrive,  qui  lui  dit  que  s'il  veut 
rétablir  son  pouvoir,  il  faut  qu'il  suive 
Plaisance-Mondaine.  Le  Monde  sent  quel- 
que répugnance  à  suivre  ce  conseil,  et  ne 
s'y  rend  que  lorsqu'Abuz  lui  représente 
que  son  mal  étant  sans  remède,  il  ne  doit 
pas  balancer  un  moment  à  prendre  ce  parti 
salutaire.  «  Vous  êtes  fatigué,  ajoute-t-iï, 
«  feignant  de  le  plaindre;  reposez-vous 
«  un  peu,  et  soyez  persuadé  que  pendant 
v  votre  sommeil  j'aurai  soin  de  tout.  »  Le 
•Monde,  séduit  par  ces  discours,  s'en  lort  ; 
et  Abuz  profitant  de  cette  occasion  va  frap- 
per l'arbre  le  plus  proche,  qui  est  celui  de 
la  Dissolution,  et  le  premier  Sot  en   sort. 

sot-dissolu,  habillé  en  homme  d'église  (989). 
Voule,  voule,  voule,  voule,  voule  (990). 

ABUZ. 

Veez-cy  des  gens  de  mon  escolle. 

sot-dissolu. 
Voule,  voule,  voule,  voule. 

ABUZ. 

Veez-cy  des  gens  de  mon  escolle  ; 
Mais,  ay-je  point  perdu  mon  temps? 

SOT-DISSOLU. 

Ay!  ha,  ha,  toy,  toy";  voule,  voule, 
Ribleurs  (991)  chasseurs,  joueurs,  gormens, 
Et  aultres  gens  plains  de  tormeus 
Seigneurs  dissolutz,  appostales, 
Yvrognes,  napleiiz  (992)  àgrans  hastes, 
Venez,  car  voilrc  prince  est  né. 

abuz,  s'adressant  au  peuple. 

Mais  puis,  n'esl-il  pas  guerdonné  (9931 
En  enfant  de  bonne  maison? 

SOT- DISSOLU. 

Allons,  des  caries  à  foison. 

Vin  cler,  el  toute  gourmandise. 

(Sot-dissolu  sortira  lors,  el  va  embrasser  Abuz.) 

«  Quoi  donc  ajoute-t-il  ,  en  s'adressant 
«  à  Abuz,  suis-je  seul  ici  !  —  Oui  ,  jus- 
«  qu'à  présent,  répond  ce  dernier;  mais  do 
«'peur  que  lu  ne  l'ennuies,  jevais  te  donner 
«  des  camarades.  »  A  ces  mots  il  frappe 
l'arbre  suivant  et  le  second  Sot  paraît. 

sot-clcrieulx,  habillé  en  gendarme. 
A  l'assault,  ï  l'assault ,  à  l'assaull,  à  lassault. 

Pau  leur,  on  lui  saim  gré  de  la  morale  qui  constitue 
le  fond  de  sa  pièce.  Oji'on  fasse  attention  que  c'est 
l'abus  qui  introduit  el  dirige  les  personnages  qui 
paraissent  sur  la  scène.  Ces  mêmes  personnages  ne 
peuvent  parler  ni  agir  tyie  suivant  des  principes 
contraires  à  la  raison  el  à  l'équilé.  Par  conséquent 
ce  qu'ils  disent  et  ce  qu'ils  font  ne  peut  qu'inspirer 
l'horreur  des  vices  cl  l'amont  de  la  vertu.  C'est  le 
but  de  toutes  les  pièces  de  thé'ure  ;  et  on  peut  dire, 
que  celle-ci  en  approche  beaucoup.  Ajoutez  que 
Louis  XII,  par  un  excès  de  bonté,  voulut  être  com- 
pris dans  la  censure  générale  qui  règne  dans  eelie 
pièce  ;  qu'il  la  fit  représenter,  et  accorda  un  privi- 
lège au  libraire. 

'.990)  Vole,  vole,  etc. 

(991)  Voleurs,  larrons. 

(99-2Ï  Napleui,  attaqué  du  mal  de  Nap\c*. 

(993)  Doué,  récompensé. 


1557 


SOT 


NOTICE  SLK  LE  'IHEA'lltr,  LIBRE. 


SOT 


\  538 


A.  cheval ,  sus  en  point,  en  armes. 
A3uz,  au  peuple  qui  paraît  étonné,  el  qui  rit. 
0  saut  bien  quel  prieur  pour  les  Carmes. 

SOT-DISSOLU. 

Quel  Huissier  pour  crier  deflaull. 

SOT-GLORIEUX. 

A  l'assaiilt,  à  l'assault,   à  l'assaiilt,  à  l'assaiilt. 
A  cheval,  sus  en  point,  en  armes. 
Je  l'cray  pluurer  maintes  larmes 
A  ces  gros  villains  de  villaige. 

abuz,  au  peuple. 

Diriez-vous  pas  à  son  visaige 
Qu'il  est  plaisante  ilamoiselle? 

«  Maître  Abuz,  dit  Sot  glorieulx,  restons- 
«  nous  en  si  petit  nombre? —  Ne  vous  fâ- 
«  chez  point,  mon  enfant,  répond  Abuz,  je 
«  vais  y  pourvoir.  »  Aussitôt  il  frappe  l'ar- 
bre de  Corruption  et  fait  sortir  le  Sot  cor- 
rompu. 

SOT-CORRO»«PU. 

Procureurs,  Advocalz  ;  Procureurs,  Advocalz. 

«  Abuz  donne  un  coup  sur  l'arbre  de 
Tromperie,  et  Sot  trompeur  sort  «  habillé 
en  marchand  »,  ensuite  ouvrant  celui  d'i- 
gnorance, il  donne  lliberlé  au  Sot  igno- 
rant. 

sot  ignorant,  en  chantant. 

Et  Dieu  la  gard,  la  vart  ;  la  Bergeretle, 
El  Dieu  la  gard,  va  vart  seans  ou  non, 
Ou  beuf,  ou  lorimeau  rat  la  la  hou  (994). 

abuz,  au  peuple. 

Veisles  vous  oncques  si  lect  morub.Mii  (995)? 

(Sot  ignorant  chante;    icy    fera   ung  sifflet  dt 
boier  [996].) 

«  Lorsqu'il  aperçoit  l'arbre  de  Folye,  il 
sent  une  extrême  curiosité  de  voir  ce  qui 
seul  y  être  renfermé  ;  tous  les  autres  sols, 
>ressés  d'une  pareille  envie,  prient  Abuz  de 
'ouvrir.  Abuz,  pour  les  satisfaire,  frappe 
cet  arbre  et  en  fait  sortir  Sotte-Folle,  qui, 
par  ses  cris  et  ses  mouvements  furieux,  ins- 
pire une  terreur  mortelle  dans  le  cœur  des 
autres  sols  et  les  fait  repentir  de  leur  curio- 
sité. 

SOTTE-FOLLE. 

Villaïn  coquin,  mesclianl  ;  deffaict, 
Ha!  l'y,  fy,  à  l'ayde  de  Dieu. 

(  Icy  se  moudra  [997]  la  robe  corne  emaigée.) 

sot-ignorant,  fouyra  comme  ung  regnard,  et  dira  de 
loing. 

Qui  diable  amena  en  ce  lieu, 
Ce  dragon,  ce  serpent  sauvaigc. 

(991)  On  ne  sait  ce  que  signifie  ce  discours 

(995)  Lect  moruhon,  Lect  pour  lait,  on  écrivait 
quelquefois  lait.  Moruhon  peut  être  pour  moruhier, 
vendeur  de  morue,  poissonnier,  avec  changeaient  Je 
«erminaison  pour  s'accommoder  à  la  rime;  ainsi  que 
nos  anciens  poêles  eu  usaient  ordinairement  sans 
aucun  scrupule.  Ou  bien  moruhon  pour  morillon, 
diminutif  de  more,  moricand. 

(!>9l>)  Boier,  bouvier. 

(997)  Moudra  pour  motivera,  on  mouvra.  Le  d, 
mis  à  la  phice  d'une  voyelle,  ou  ajoute  devant  IV. 
On  trouve  dans  nos  anciens  auteurs,  recueildroienl, 


SOT- DISSOLU. 

Sang  bien  !  j'ai  grant  peur  qu'  elle  cnraige. 

SOT  GLORIEULX. 

Hélas!  Dieu,  qu'elle  est  furibonde! 

S0T-C0RROMPI. 

Je  ne  croy  point  que  en  tout  le  monde 
Ail  beslc  si  fort  dangereuse. 

SOT    TROMPEUR. 

Elle  me  laiel  peur  à  ta  veoir, 
Le  Diable  luy  a  faict  la  leste. 

«  Rassurez-vous,  leur  dit  Abuz,  elle  n'est 
«  pas  si  méchante  qu'elle  vous  le  paraît,  et 
«  si  vous  voulez  lui  parler  avec  douceur, 
«  vous  verrez  la  personne  du  monde  la  plus 
«  complaisante.  »  Nos  sols  suivent  ce  con- 
seil, et  Sotte-Folle  se  radoucissant,  leur  fait 
mille  caresses.  Au  bout  de  quelque  temps, 
ils  aperçoivent  le  Monde,  qui  est  endormi. 
«  Quel  est  cet  homme-là  ?  demande  Sotte- 
«  Folle.  —  C'est  le  Vieux  Monde ,  répond 
«  Abus.  —  II  faut  le  tondre  pour  nous 
«  amuser,  »  réplique  Sotte-Folle.  Les  sots 
ne  tardent  pas  à  exécuter  ce  qu'elle  vient 
de  prononcer;  mais  lorsqu'ils  voient  Je 
Monde  en  cet  état,  ils  le  trouvent  si  laid  et 
si  horrible,  que  ne  pouvant  le  souffrir,  ils 
le  chassent  indignement;  et,  après  avoir 
détruit  ce  premier  Monde,  ils  prient  Abuz 
de  leur  en  construire  un  nouveau.  «  Cela 
«  n'est  pas  mal  imaginé.»  répond  le  père  du 
Désordre.  —  «  Songeons,  ajoute-t-il ,  au 
«  fondement  sur  lequel  nous  le  poserons.  » 

ABUZ. 

Pour  fere  (998)  ce  Monde  nouveau 
Fauldroit  une  pierre  de  marbre? 

SOT-DISSOLU. 

Ou  du  bois  de  quelque  gros  arbre, 
Gros  el  massif,  el  de  bon  poix. 

SOT-GLORIEULX. 

Est-il  au  monde  plus  be:iu  bois 
Que  avec,  duquel  raiges  je  foiz  (999) 
Fundons-le  sur  deux  ou  trois  iante»? 

SOT-TROMPEUR. 

Je  veulx  le  funder  sur  ung  poiz, 
Sur  aulnes  courtes  de  deulx  doiz, 
Ou  au  filet  d'une  balances. 

SOT- CORROMPU. 

Je  vouldrois  que  les  circonstances 
Du  Monde,  pour  mes  récnmpances, 
Fust  parchemin,  papier,  procez. 

SOT -IGNORANT. 

Sur  mon  agulhon  (1 000)  à  deux  ances, 
Pour  le  sonnet  de  mes  plaisances 
Le  sonder  me  scroit  assez. 

saldroicnl,  pour  recueilleraient,  sailliraient.  Yindrent, 
tindrent,  misèrent,  disdtent,  pour  vinrent,  tinrent, 
mirent,  dirent,  etc.  C'est  de  là  que  nous  avons  con- 
servé les  mots  de  tendre,  cendre,  etc.,  dérives  de 
tencr,  cineris,  ele 

(998)  Fere,  faire. 

(999)  Foiz,  fais. 

(1000)  Agulhon  à  deux  ances.  On  ne  doit  pas  cher- 
rher  de  sens  dans  tout  ce  que  dit  Sût4gnoraut, 
Agulhon  se  liouve  ici  pour  aiguillon.  L'/t  tenant  lieu 
de  1'/  mouillée,  comme  auenoulhe,  vilheric,  pour 
quenouille,  et  pillerie. 


1559 


SOT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SOT 


1540 


SOTTE  -FOLLE. 

J'ay  quatre  fuseaulx  amassez. 
Et  nia  qiienoulhe,  ores  pensez, 
Seroil-ce point  bon  fondement? 

SOT-DISSOLU. 

Pour  le  funder  plus  rondement, 
Mettons-le  au  plus  liaull  d'un  clochier? 

«  Nous  perdons  le  temps  inutilement,  leur 
«  dit  Abuz: de  quelle  qualité  voulez-vous 
«  qu'il  soit  ?  » 

SOT-DISSOLU. 

Chaull, 

SOT-GLORIEULX. 

Froil. 

SOT-CORROMPC. 

Sec. 

SOT-TROMPEUR. 

Humide. 

SOT-IGNORANT. 

Pluvieulx. 

SOTTE-FOLLE. 

Il  n'en  sera  rien,  je  le  veulx 
A  tous  vens  lousiours  variable. 

«  Accordez-vous  donc,  répond  Abuz.  De 
«  quelle  forme  faut-il  que  je  le  fasse  ?  » 
Les  sots  conviennent  encore  moins  de  la 
figure  que  de  la  qualité  qu'ils  veulent  don- 
ner à  leur  bizarre  ouvrage  :  ce  qui  fait 
qu'Abuz,  après  avoir  rêvé  quelque  temps, 
leur  propose,  afin  de  les  contenter  tous,  de 
prendre  Confusion  pour  fondement,  et 
qu'ensuite  chacun  d'eux  fera  élever  un  pi- 
Uer  à  sa  fantaisie.  Cet  avis  plaît  à  tous  les 
sots  ;  et,  après  qu'Abuz  a  posé  le  fonde- 
ment, il  s'adresse  à  Sol-Dissolu  et  le  prie 
d'ordonner  la  structure  de  sa  colonne.  «  Il 
«  est  juste,  répond  ce  Sot,  que  l'on  com- 
*  mence  par  la  mienne.  » 

SOT-DISSOLC. 

Ne  suys-je  pas  le  Sot  d'Eglise? 
Or  sus  qu'on  fasse  mon  pillier. 

«  On  veut  d'abord  y  placer  Dévotion, 
mais,  comme  cette  pièce  n'y  peut  convenir, 
on  pose  Ypocrisie,  qui  y  vient  fort  bien. 
«  Qu'y  mettrons-nous  ensuite  ?  »  demande 
Abuz,  qui  fait  l'office  d'arebitecte.  «  Chas- 
«  teté,  dit  Sot-Glorieulx.  «  J'ai  bien  peur, 
«  ajoute  Sol-Dissolu,  qu'elle  ne  puisse  ser- 
«  vir.  » 

SOT-DISSOLU. 

Il  y  a  long  lems  que  n'a  esté 
Avecques  moy  ;  or  essayez. 

SOT-TROMPEUR. 

Rien  n'y  vaull. 

(1001)  Tout  chah,  tout  tombe. 

(1002)  Veez  là  le  cas,  voilà  la  chose,  voilà  ce  qui 
convient. 

(1005)  Le  roi  lui-même  n'était  pas  épargné  dans 
ces  sortes  de  pièces,  et  ne  voulait  pas  l'être. 

(1004)  A  beaucoup  de  mains,  à  plusieurs  reprises; 
comme  dans  celle  façon  de  parler,  tout  d'une  main, 
pour  tout  de  suite.  Oh  peut  faire  entendre  que 
Ribaudise,  retenue  en  différents  endroits,  avait  élé 
longtemps  dans  son  voynge. 

1005}  Ce   vers   n'a  guère  de  sens,  à   moins   que 


SOT-IGNORàNT. 

Toutchait(lOOI) 

SOTTE-FOLLE. 

Bien  voyez, 
Qu'on  a  icelle  façon  apprise, 
Que  Chasteté,  et  gens  d'Eglise 
Ne  se  congnoissent  nullement. 

SÛT-GLORIEULX. 

Veez  là  le  cas  (1002). 

ABUZ. 

Quoy? 

SOT-GLORIEULX. 

Ribaudise. 

SOTTE-FOLLE. 

C'est  le  vray  Armel  de  l'Eglise  (1003) 
Par  sainct  Jehan,  ha  lu  ez  bon  homme. 

SOT-DISSOLU. 

Je  l'ay  faicte  potier  de  Romme, 
Où  mainlz  Cardinaulx  et  Prclatz 
A  voient  estez  d'elle  près  las, 
Et  suyvi  à  beaucoup  de  mains  (1 004). 

SOl-GLORlEULX. 

En  Ireuve-t'on  en  France  au  moingz" 

Aulx  haulx  lousiours  a  esté  braist  (100?) 

En  mainlz  tormeniz  faict  son  accrest  (1006)  : 

Carmes,  Augusiins,  Cordeliers, 

Oui  pour  elle  corps  deslicz 

Pour  en  disputer  contre  moynes  (1007). 

SOT-CORROMPU. 

Là  congnoissent  point  les  chanoynes 
De  la  granl  métropolitaine? 


«  Obi  qu'oui,  dit  Dissolu:  mais  conli- 
«  nuons  notre  ouvrage.  »  Comme  Obé- 
dience ne  peut  pas  convenir,  on  y  supplée 
par  Apostazie  :  et  Lubricité  remplit  fort 
bien  la  place  qu'Oraison  ne  peut  occuper. 
«  Voici,  dit  Sot-Trompeur,  une  bonne  pièce 
«  de  Symonie,  qui  ne  gâtera  rien.»  — 
<  Apportez  vite,  »  reprend  Sol-Dissolu. 

SOT-DISSOLU. 

C'est  le  granl  levain 
Des  bons  bénéfices. 

«  Si,  pour  couvrir  le  tout,  dit  Sot-Trom- 
«  peur,  nous  prenions  Irrégularité,  il  me 
«  semble  que  cela  n'irait  pas  mal.  » 

SOT-DISSOLU. 

Mon  Dieu,  faicles-en  ma  couverte,  etc. 

abuz  ,  à  Sol-Dissolu. 

A  cesie  heure  voy  toute  entière 
La  pille  des  Solz  de  l'Eglise 
Ypocrisie,  Ribaudise, 
Aposlazie,  Lubricité, 
Symonie,  Irrégularité  : 

biaist  ne  se  prenne  ici,  comme  on  en  trouve  beau- 
coup d'exemples,  pour  réputation  Et,  en  ce  cas,  il 
signifierait  que  Ribaudise  a  toujours  été  en  haute 
réputation  chez  les  Grands. 

(100b)  Accrest,  ou  pour  accroissement,  ou  pour 
reste,  sommet.  Et  par  métaphore,  orgueil:  s'accrester, 
devenir  orgueilleux. 

(1007)  On  voit  que  railleur  dislingue  fort  bien  les 
moines  d'avec  les  Carmes,  les  Augusiins,  les  Corde- 
liers et  les  autres  Mendiants. 


1541 


SOT 


NOTICE  SUIi  LE  THEATRE  LIBRE. 


SOT 


1542 


Sang  bieu?quelz(ll)08)  six  pièces  d'arnoiz! 
Es-tu  contant? 

sot-dissolu,  d'un  air  fier* 

Voire,  et  lu  doiz 
Loz  et  honneur  à  lousiours  maiz. 

«  Puisque  ce  pilier  est  achevé,  dit  Abuz, 
«  commençons-en  un  autre.  »  —  «  Vous  , 
«  Sot-Glorieulx,  ajoute-t-il,  ordonnez  le  vo- 
te Ire.  »  On  prend  Noblesse  (1009)  pour  en 
faire  le  fondement;  mais  comme  cette  pièce 
ne  peut  tenir  en  place,  Sot-Dissolu  apporte 
ung  gros  tronson  de  Lascheté,  nouvellement 
arrivé  de  Sens  (1010).  —  «  Comment  donc. 
«  demande  Sot-Glorieulx,  je  croyais  qu'elle 
«  ne  venait  que  de  Naples  (1011)  :  du 
«  moins,  c'était  autrefois  de  ce  pays  qu'on 
«  nous  en  amenait.  »  On  pose  ensuite  Bo- 
bance  au  lieu  d'Humilité,  et  Pilherie  et  Ava- 
rice, au  lieu  de  Libéralité.  «  Je  savais  bien 
«  que  vous  ne  pourriez  faire  autrement  dit 
«  Sot-Corrompu,  car,  ajoule-t-il, 

SOT-CORROMPU. 

Libéralité  inlerdictc 

Est  aux  nobles  par  avarice; 

Le  Chief  (1012)  mesme  y  est  propice, 

El  les  subjects  sont  si  marebans 

Qu'ils  se  l'ont  laiz,  sales  marclians; 

Nobles  suyvenl  la  lorcherie  (1013).  i 

«  Pour  achever  la  colonne,  on  met  une 
pièce  de  Mespris;  et  comme  l'Amour  (1013*) 
ne  peut  tenir  sur  cet  édifice,  on  y  enlre- 
mêle  quelques  morceaux  de  Courroux  et  de 
Menaces.  Par  la  même  raison,  on  est  obligé 
de  se  servir  de  Trayson,  au  lieu  de  Fidélité, 
et  le  Support  Publicque  ne  pouvant  faire  la 
couverture,  on  y  supplée  par  l'Art  de  do- 
mination. «  Commençons  à  faire  la  troisième 
«  colonne,  dit  Abuz;  approchez-vous,  con- 
«  tinue-t-il,  en  s'adressanl  au  Sot-Corrompu, 
«  voici  votre  tour.  —  Prenez  Justice  pour 
«  en  établir  le  fondement,  dit  Sot-Trompeur, 
«  —  Je  le  veux,  reprend  Abuz,  mais  don- 
«  nez-moi  quelque  autre  pièce,  ajoute-t-il 
«  peu  de  temps  après,  car  celle-ci  est  rompue 
«  en  morceaux,  » 

Al<(JZ. 

Si  i  rès-fort  a  esté  cassé 

Qu'il  ne  lien  ne  à  chau,  ne  à  sable. 

«  Que  n'employez-vous  Corruption?  dit 
«  Sotte -Folle.  —  Où  loge- 1- elle?  répond 

(1008)  Quelz  pour  quelles,  rien  déplus  commun 
que  de  voir  employer  le  masculin  pour  le  féminin, 
Hz  pour  elles. 

(1009)  C'est  avec  raison  que  l'auteur  prend  ici  la 
Noblesse  pour  la  Bravoure,  puisqu'en  elfel  ces  deux 
qualités  devraient  èlre  inséparables. 

(1010)  Ceci  fait  allusion  à  quelque  trait  historique 
arrivé  sous  le  règne  de  Louis  XII. 

(1011)  Le  peu  derésistance  que  Charles  VIII  trouva 
a  Naples,  lorsqu'il  fit  la  conquête  de  ce  royaume,  et 
la  facilité  avec  laquelle  ce  peuple  l'abandonna  ensuite 
pour  se  soumettre  à  ses  ennemis,  ont  mérité  ce  Irait 
saiyrique. 

(1012)  Le  trait  de  satire  que  l'on  irouve  ici  con- 
tre ce  prince  lui  fait  beaucoup  (l'honneur,  puisqu'on 
y  traite  d'avarice  la  juste  économie  avec  laquelle  il 
ménageait  les  finances  de  son  royaume,  et  que  les 


«  Sol -Dissolu.    —    En    une   infinité    d'e-n- 
«  droits,  »  réplique  Sot-Trompeur. 

SOT-TROMPEUR. 

Maiz  au  Palais  à  la  grant  Salle 
C'est  le  lieu  où  plus  à  fiance. 

SOT-CORROMPU. 

Tiendroil-ellc  point  audience 
Avec  les  Chapperons  fourrez? 

SOTTE   FOIXE. 

Dieu:!  que  par  eulx  sont  mainlz  follz  raiz 
Sans  rasoir,  sans  eau,  et  sans  pigne? 

«  Cela  est  horrible,  dit  Sot-Trompeur;  et 
«  je  m'étonne  qu'on  n'y  apporte  point  de 
«  remède.  —  J'en  sais  bien  la  raison,  »  ré-? 
pond  Sot-Dissolu. 

SOT-DISSOI.U. 

Quelqu'un  voulait  couper  l'anreilhe- 
A  Corruption  bien  sommerc  (1014; 
Mais  en  passant  par  l'ordinaire. 
Et  allégant  qu'esloit  elergossc, 
De  logiz  trouva  grant  largesse 
l'ar  toute  l'olïicialilé,  etc. 

«  Voici  un  tronçon  de  Qualité,  dit  Sot- 
«  Corrompu.  —  Cela  est  inutile,  répond 
«  Abuz,  Affliction  y  suffit.  —  Essayez  ces 
«  deux  Pièces  d'Equité  et  de  Juxte  (1015) 
«  vouloir,  continue  le  premier.  —  On  ne 
<<  saurait  les  placer,  réplique  Abuz,  eî  il  n'y 
«  peut  tenir  que  Faveur.  » 

SOT-DISSOLU. 

Ambition  d'avoir  de  l'or, 
D'Ollices,  et  Austérité  (1016) 
Joindroit  bien,  et  puis  Faulcelé? 
Or  sus,  tost  mectons  y  ses  quatre. 

«  Bon  pour  cela,  répond  Sot-Corrompu. 
«  —  Et  que  féra-t-on  de  Lite  (1017)  et  de 
«  Miséricorde?  »  demande  Sotte-Folle. 

SOT-CORROMPU. 

Que  s'en  ailhent  tirer  la  corde 
Des  Cordeliers  de  l'Observance. 

«  Vous,  Sot-Trompeur,  dit  Abuz,  oroon- 
«  nez  votre  Pilier.  Voici  Lovaullé  qui 
«  pourra  vous  servir  de  fondement.  —  Per- 
«  sonne  n'en  use,  dit  Sot-Glorieulx  :  —  elle 
«  est  trop  layde,  s'écrio  Sotte-Folle.  —  Lais- 
«  sons-la  donc,  continue  Abuz,  et  prenons 
«  Tromperie.  Qu'y  metlrons-nous  encore? 
«  —  Je  liens,  répond  Glorieulx,  un  bon 
«  morceau  d'Usures.  »  On   se  sert  de  ces 

meilleurs  princes  ont  toujours  préféré  aux  prodiga- 
liiés  et  aux  dépenses  superflues.  Cela  devait  servir 
aussi  à  consoler  ceux  de  ses  sujets  qui  se  voyaient 
dépeints  trop  vivement  dans  cel.ouvragc,  puisque 
le  roi  avait  hien  voulu  y  être  compris. 

(1015)  Torcherie, aclkm  de  battre,  de  piller;  ton- 
cher,  piller, 'battre ;  lorcherie,  pillerie. 

(1015*)  L'amour  du  prince  et  de  la  pairie. 

(1014)  Bien  sommere,  bien  courte,  de  fort  près. 

(1015)  Juste  vouloir. 

(1010)  Austérité  se  prend  ici  pour  rigueur  exces- 
sive, comme  dans  ce  vers  que  dit  ci-après  le  Sot- 
Corrompu  : 

(10*17)  Si  on  pouvait  soupçonner  l'auteur  de  cet 
ouvrage  d'avoir  su  le  grec,  on  traduirait  ce  mot  par 
celui  de  prière  :  sinon  nous  ne  savons  ce  qu'il  vent 
dire. 


154: 


SOT 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


SOT 


1544 


(Jeux  pièces  pour  fonder  ce  pilier,  et  on 
l'achève  avec  les  faulces  Mesures,  les  Par- 
jureraens,  l'Avarice  et  le  Larcin. 

SOT-CORROMPU. 

Veez-ci  ung  pilier  très-beau, 
Tromperie  nïeslée  d'Usures, 
Parjuremens,  faulces  Mesures, 
Fainctise,  et  puis  Avarice  : 
Cecy  est  aux  marchans  propice. 

«  Le  Sot-Ignorant,  qui  s'ennuie  de  ne  pas 
voir  élever  sa  colonne,  s'impatiente  fort.  — 
«  Ne  te  fâches  pas,  lui  dit  Abuz,  tu  n'as 
«  qu'à  donner  tes  ordres.  Veux-tu  qu'on  la 
«  fonde  sur  l'obéissance  aux  Supérieurs  ?  » 

SOT-IGNORANT. 

Hoslés  n'est  point  à  ma  plaisance. 

SOT-GLORIEULX. 

Comme  beslc  vivant  sans  foy, 
Mangeant,  beuvanl  sans  sçavoir  quoy, 
Te  funderons-nous  d'Ignorance? 

SOT-IGNORANT. 

Mectés  car  c'est  mon  asseurance. 

«  Ce  rustique  refuse  ensuite  Innocence, 
Simplicité,  Patience,  Obéissance  et  Timi- 
dité, et  choisit  Convoitise,  Chicheté,  Rusti- 
cité, Murmure,  Rébellion  et  Fureur.  C'est 
aussi  d  Ignorance  et  de  ceux-ci  qu'est  com- 
posé son  pilier.  » 

SOT-CORROMPU. 

Veez-cy  lit  beau,  et  qu'à  seure  ance  (1018) 
Ignorance,  Cupidité, 
HftttosM  par  hatisiéiïié, 
Murniureineni,  Rébellion, 
Fureur,  Humble  comme  ung  lion 
Veez-cy  de  très-bonnes  Vertuz. 

«  Vous  voilà  tous  contents,  s'écrie  Solte- 
«  Folle,  mais  je  ne  Ja  suis  pas.  —  Que 
«  voulez-vous  ?  dit  Abuz.  —  Je  veux, 
«  répond-elle,  qu'on  fasse  mon  pilier,  cela 
«  me  paraît  juste.  —  Et  pour  quoi  faire  ? 
«  réplique  Abuz.  —  Comment  ,  pour  quoi 
«  faire  ?  répond-elle  avec  fureur  ;  peut-on 
«  s'en  passer  ?  —  Oui ,  répond  Abuz  ;  et 
«  nous  avons  un  magasin  assez  assorti  pour 
«  pouvoir  nous  passer  du  reste.  —  Cela  ne 
«  sera  pas  ainsi  ,  ajoute  Sotte-Folle,  et  vous 
«  n'aurez  point  de  repos  que  je  ne  sois 
«  satisfaite.  —  Je  vois  bien  ,  dit  Abuz  aux 
«  autres  Sots,  que  nous  ne  saurions  nous 
«  dispenser  de  faire  ce  qu'elle  demande.  — 
«  Allons,  continue-t-il ,  en  s'adressant  à 
«  cette  criarde,  ordonnez  ce  qu'il  vous  faut. 
«  Voulez-vous  fonder  votre  pilier  sur  Mo- 
«  destie  ,  lui  demande  Sot-Dissolu.  —  Je 
«  n'en  ai  que  faire,  répond-elle.  —  Prenons 
«  donc  Folie  ,  dit  Sot-Glorieulx.  —  Très- 
«  volontiers,  réplique  la  Sotte.  »  Elle  rebute 
Cœur  franc,  Vergongne,  Temoérauce  ,  Sub- 

(1018)  El  quà  seure  ance.  Mots  qui  ne  veulent 
rien  dire,  ei  employés  seulement  que  pour  faire  une 
rime  avec  assurance,  qui  se  trouve  au  vers  précé- 
dent. On  appelait  ces  sortes  de  vers  équivoques,  et 
nos  anciens  poëies  se  faisaient  un  grand  bonneur  de 
s'en  servir,  mais  presque  toujours  au  dépens  du  bon 
sens. 

(1019)  Hone,  onc,  jamais. 


jection  et  Faconde,  pour  prendre  Despit, 
Caquet,  Variation,  Faiblesse  et  Enraige- 
ment.  «  Voici  qui  est  bien  à  présent ,  »  dit- 
elle  ,  lorsque  tout  est  fini.  I 

SOTTE. 

Voyons  quieulx  pjesses  à  ceste  heure 
Tout  le  pilier  où  j'ay  acquesl? 
Folye,  Despil,  et  Qûaquet, 
Variation,  et  puis  Foiblesse, 
Enraigement  :  bouc  (1019)  tel  noblesse 
N'eust  femme  du  monde  ancien. 

«  A  présent ,  dit  Abuz ,  nous  aurons  du 
«  repos.  » 

ABUZ. 

Or  sa,  mes  Sotz,  que  ferons-nous? 

SOT-DISSOLU. 

Gaudio  (1020) 

SOT-GLORIEULX. 

Tuer 

SOT-CORROMPU. 

Gripper. 

SOT-TROMPEUR. 

A  tous 
Trancher  du  cousteau  à  deux  vans. 

SOT-IGNORANT. 

A  nous  chasser  de  chalz  huans. 

«  Pour  moi,  ajoute  Sot-Dissolu,  je  pré- 
«  tends  m'employer  uniquement  à  faire 
«  l'amour  à  cette  Sotte.  —  Cet  honneur 
«  m'appartient,  dit  Sot-Glorieulx.  —  C'est 
«  plutôt  à  moi,  »  répondent  promptement 
Sol-Corrompu  ,  Sot-Trompeur  et  Sot-Igno- 
rant. Comme  ils  se  disputent  avec  chaleur 
Je  cœur  de  cette  nouvelle  maîtresse,  Abuz, 
voulant  prévenir  le  désordre,  dit  à  Sotte- 
Folle  de  faire  un  choix.  «  Je  donnerai  la 
«  préférence,  répond-elle,  à  celui  qui  fer* 
«  plus  beau  saull.  » 

SOT-IGNORANT. 

Jesaulte  inieulx, 

SOT-DISSOLU. 

J'ay  plus  de  biens. 

SOT-GLORIEULX. 

Pas  ne  suis  vieulx. 

SOT-CORROMPU. 

A  ma  fin  viens. 

SOT-IGNORANT. 

Je  mayne  joye. 

sot-dissolu,  tendrement. 
Choisissant,  ne  diras-tu  riens? 
Helas!  Sotte,  soyc  ma  proye! 

sotte-folle. 

Or  à  brief  parler  je  me  octroyé 
A  qui  plus  soudain  passera. 
Parmi  le  trouz  (1021)  :  celluy  sera 

(1020)  Gaudio,  au  lieu  de  gaudi,  se  réiouir.  On 
dit  aussi  faire  gaudion. 

(1021)  Pour  entendre  ce  jeu  de  théâtre,  il  faut 
remarquer  quelle  était  la  construction  de  ce  bàii- 
ment.  Une  grande  table,  que  l'on  appelait  Confu- 
sion, en  faisait  la  base  :  dessus  étaient  élevés  six 
piliers  en  égale  distance,  et  sur  ces  piliers  on  posait 
une  grosse  boule  de  carton,  que  l'on  appelait  le 


I54S  SOT  NOTICE  SUR  LE 

Mon  seul  amy.  Sus  avanssez. 

«  Tous  les  Sots  se  mettent  à  courir  ,  afin 
d'obtenir  un  prix  si  beau:  et  Abuz  les  y 
encourage. 

»BUZ. 

Or  sus,  sus,  villains,  à  l'assault. 
Que  gainera  doncques  l'honneur? 

TOUS. 

Hay,  avant. 

«  Comme  ils  font  tous  leurs  efforts  pour 
passer,  en  se  repoussant  les  uns  les  autres, 
ils  se  débattent  avec  tant  de  violence  qu'ils 
font  tomber  l'édifice. 

abuz  voyant  la  ruine  du  Monde  qu'il  vient  de 
construire,  s'écrie  : 

Adieu  mon  labeur. 

TOUS. 

Hé  Dieu!  tout  s'en  va  par  abysme! 

«  Ils  veulent  se  plaindre  à  Abuz,  qui 
leur  reproche  qu'ils  ne  doivent  imputer 
leur  malheur  quà  leur  propre  imprudence, 
et  que,  pour  les  punir,  ils  vont  retourner  au 
lieu  d'où  ils  sont  sortis ,  c'est-à-dire  dans  le 
sein  de  la  Confusion. 

TOUS 

Adieu,  adieu. 
(Us  se  retirent  l'ung  sa,  et  Vautre  là.) 

«  Le  Monde  vient  et  treuve  tout  vuyde.  » 
Il  moralise  sur  le  sort  de  ces  Sots  qui  vien- 
nent de  périr  presque  au  moment  de  leur 
naissance ,  et  exhorte  les  assistants  à  pro- 
fiter de  cet  exemple.  Il  finit  par  ces  deux 
vers. 

Ce  n'eut  pas  jeu  que  se  fier  au  Monde  ; 
Bien  esi  deceu  qui  se  fit  en  ce  Monde. 

Ensuite  il  supplie  l'Assemblée  de  ne 
pas  s'offenser  des  traits  satyriques  répan- 
dus dans  cet  ouvrage,  qui,  n'étant  que 
généraux  ,  n'ont  pour  but  que  la  correction 
des  mœurs  et  le  dessein  d'inspirer  l'horreur 
des  vices. 

Seigneurs  el  Dames  de  la  ronde, 
Si  en  riens  vous  avons  lorfaici 
Pardonnez-nous,  car  nul  nieflaict 
Ne  prétendons  ne  l'aiz,  ne  diz. 
A  Dieu  qui  vous  doinl  Paradis.  » 

Deo  gratins. 

SOTTIE  A  DIX  PERSONNAGES  (La).  - 

La  Sottie  a  x.  personnages ,  iouée  a  Genève 
en  la  place  Motard  ,  le  dimanche  des  Bordes 
l'an  1523,  a  été  publiée,  sous  ces  indication' 
de  lieu  et   de  date,  chez  Pierre  Rigaud; 
c'est  un  livret  de  48  pages. 

On  en  trouve  une  réimpression  aans  la 
collection  Caron.  (Voy.  ce  mot.) 

SOTTIE  IOUÉE,  etc.  (La).  —  Jn  connaît 
la  Sottie  iouée  le  dimanche  après  les  Bordes 
en  1524  ,  en  la  lustice...  Petit  in-8"  de  kS 
pages,  dont  la  Bibliothèque  impériale  pos- 

Monde.  Après  cela  on  n'a  pas  beaucoup  de  peine  à 
comprendre  que  les  sots,  voulant  passer  tous  en 
même  temps  entre  ces  piliers,  dont  l'esp.icc  n'est 

Dictionn.  des  Mystères. 


THEATRE  LIBRE.  SOU  1546 

sède   un   exemplaire  à  la   Réserve  l't'l,    Y). 

SOTTIES  (Les).  —  Les  frères  Parfait , 
dans  le  IIIe  tome  de  leur  Histoire  du  théâtre 
français  (p.  201)  font  les  réflexions  suivantes 
sur  les  Sotties. 

«  Les  sottises  tendent  à  corriger  les 
vices...  Au  lieu  que  la  moralité  est  une 
espèce  de  sermon  réduit  en  action  et  débité 
sur  un  théâtre  ,  au  reste  ,  long  ,  ennuyeux  , 
exprimé  suivant  la  grossièrelé  du  siècle, 
et  dont  le  but  est  général.  La  sottise  infini- 
ment plus  courte,  badine  et  légère,  vu  \e, 
temps  où  on  les  composait,  ne  s'altachait 
qu'à  critiquer  un  événement  présent  avec 
la  hardiesse  que  peut  inspirer  la  protection 
des  rois,  par  l'ordre  et  l'autorité  desquels 
elle  paraissait  en  public.  Nous  avons  du 
dans  l'histoire  des  Enfants  sans  souci  que 
le  règne  de  Louis  XII,  époque  brillante  pour 
cette  société,  vit  naître  le  plus  grand  nom- 
bre de  ces  poèmes.  Mais  la  licence  un  peu 
outrée  et  les  traits  hardis  que  la  politique 
de  ce  prince  leur  avait  permis  causèrent  sa 
suppression.  François  i"  ,  plus  jaloux  de  sa 
majesté  et  n'agissant  pas  par  les  mômes 
motifs ,  commença  par  retrancher  cette  li- 
berté ,  qui  n'épargnait  pas  les  princes  et  les 
têtes  couronnées ,  et  que  son  prédécesseur 
avait  autorisée  ouvertement.  Dans  la  suite  , 
les  auteurs  ,  n'osant  se  mêler  des  affaires  de 
l'Etat,  se  contentèrent  de  railler  les  parti- 
culiers: ceux-ci  se  plaignirent,  de  façon 
que,  pour  les  satisfaire ,  les  sottises  eurent 
le  sort  des  autres  pièces  de  théâtre,  dont  la 
représentation  fut  défendue  par  l'arrêt  du  17 
novembre  15*8.  La  satire,  qui  en  faisait  le 
principal  mérite ,  doit  servir  à  décider  !a 
question  que  l'on  peut  faire,  pourquoi 
d'un  si  grand  nombre  de  ces  pièces ,  il  nous 
en  reste  si  peu?  En  effet,  il  y  a  apparem-o 
que  les  personnes  qui  y  étaient  maltraitées 
employèrent  leur  crédit  pour  en  empêcher 
l'impression  ,  ou  pour  en  supprimer  les 
exemplaires.  Nous  sommes  fâchés  que  ceite 
raison  et  le  peu  de  curiosité  de  nos  ancêtres 
nous  aient  privés  de  la  plupart  de  ces  ouvra- 
ges   » 

SOUPIERS  (Les  deux,.  —  Les  deux  Svu- 
piers ,  farce  nouuelle  a  y.  personnages ,  cest 
a  scauoir  : 

LES  DEUX  SOUPIERS  DE  MOUILLE.  L'HUYSIER. 

LA.  FEMME  SOUPIERE.  ET  1   ABU. 

Cette  farce  date  du  commencement  du 
xvr  siècle. 

Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale,  fonds  La  Valhère, 
n°63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces 
(Paris,  Téchener,  1831-1837.  k  vol.  petit 
in-8°) 

{Les  deux  Soupiers  commencent  par  cet  vers  :> 

LE   PREMIER   SOUPIER. 

Je  voys  boire  a  la  compaignye 

pas  assez  grand,  les  renversaient,  et  par  consé- 
quent le  globe  qu'ils  soutiennent. 

49 


LE    SOURD. 
SON   VARLET. 


*5*7  TOU  DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 

Puys.que  nous  sommes  assembles 

la  soupière  semant  a  table. 
Compère,  Die»  vous  en  benye. 

LE   DEUXIEME    SOUPIER. 

Je  voys  boire  a  la  compaignye 


TRO 


154* 


ET   L  YVERONGNE. 


Ainsy  qu'un  homme  qui  se  nye. 

LA   SOUPIERE. 

Vous  aues  les  esprits  troubles... 

LE    DEUXIEME    SOUPIER. 

Apporte,  Han!  Margot  des  blés 
De  la  soupe,  va,  sans  qu'on  tarde... 

SOURD  ET  V IVROGNE  (Le).  —  Le  Sourd, 
son  Varlel  et  l'Yverongne,  farce  a  m.  person- 
nages ,  c'est  a  scauoir  : 


Cette  pièce  date  du  xvie  siècle. 

Elle  nous  a  été  conservée  dans  le  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds  La 
Vallière,  n°  63. 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces 
(Paris ,  Téchener ,  1831-1837  ,  4  vol.  pet. 
in-8"). 

Nous  en  extrayons  le  passage  suivant  : 

...  Yurongne  et  un  sourd  ensemble 
Ne  penlt  durer;  car  l'un  est  sourd 
Et  l'autre  longaige  luy  sourd, 
Le  sourd  ne  penlt  pas  bien  oir, 
El  l'autre  se  veull  resiouir... 


TERENCE  ET  L'ENTREPRENEUR  DE 
SPECTACLES.  —    Voy.   Entrepreneur   de 

SPECTACLES   (L'). 

THARANTA  (La).—  Voy.  Parasols  (B.  de). 

THÉOCRITE.  —  M.  Magnin  croit  qu'au 
iv'  siècle  il  y  avait  des  représentations  figu- 
rées des  idylles  deThéocrite,qui  se  poursui- 
virent jusqu'au  xic  siècle.  (Cf.  Revue  des 
deux  Mondes,  1835,  juin,  La  Comédie  au  iv' 
siècle,  p.  633-674.) 

THÈOLOGASTRES  (La  Farce  des).  - 
M.  Georges  Duplessis  a  dirigé  la  réimpres- 
sion des  Théologaslres,  donnée  en  1830  sous 
ce  titre  :  La  Farce  des  The'ologastres  a  six 
personnages,  nouuellement  imprimée  iouxte  la 
copie;  1830,  in-d  de  31  pages. 

Cette  réimpression  n'a  été  tirée  qu'à  64 
ex. ,  50  sur  papier  vélin  ,  10  sur  papier  de 
Hollande  et  4  sur  papier  de  couleur. 

L'éditeur  considère  celte  pièce  comme 
une  violente  satire  contre  la  religion  ca- 
tholique. M.  0.  Leroy  partage  cet  avis.  Ce 
serait  aussi  une  apologie  des  principes  de 
la  Réforme  ,  ou  plutôt  un  petit  manifeste 
destiné  à  en  propager  les  doctrines.  Du 
reste,  on  a  remarqué  aue  ce  livret  était 
pétillant  d'esprit. 

L'exemplaire  imprimé,  d'après  lequel  a  été 
calquée  la  réimpression  ,  semble  dater  de 
1500  à  1519. 

TOUANEAU.DU  TREU  (La  Farce  de).  — 
Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  du 
théâtre  français  (t.  III ,  p.  189)  ,  signalent 
deux  éditions  de  celte  faree  :  l'une  de  1514, 
l'autre  de  1595;  l'une  et  l'autre  ne  sont  con- 
nues que  par  un  renseignement  qu'à  la  vé- 
rité ils  considèrent  comme  sûr. 

TOUT,  C  H  ASC  UN  ET  RIEN.  —  Une  réim- 
pression de  la  farce  de  Tout,  Chascun  et  Rien, 
a  été  donnée  par  la  Société  des  Bibliophiles 
français,  à  Paris,  chez  F.  Didot ,  1828,  gr. 
in-8  de  20  pages,  plus  vin  et  4  pages  de  re- 
marques. Cette  publication  a  été  dirigée  par 
M.  Monmerqué. 

TOUT  LE  MONDE.  —  La  moralité  de  Tout 
le  Monde,  a  iv.  personnages,  c'est  a  scauoir  : 

TOUT   LE   MONDE.  LE    DEUXIEME, 

LE  PREMIER  COMPAIGNON.         ET   LE   TROISIEME. 

Cette  moralité  date  du  commencement  du 
xvr  siècle 


Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
n°  63). 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Mi- 
chel l'ont  éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces 
(Paris,  Téchener,  1831-1837,  4  vol.  petit 
in -8°). 

La  moralité  de  Tout  le  Monde  finit  par 
ces  vers  : 

Du  monde  le  cerveau  s'esvenle, 
Par  foys  est  dur,  par  foys  est  mol, 
Sans  aelles  souvent  preiil  son  vol, 
Sans  yeulx  veull  voir  chose  latente, 
Dont  conclnds,  la  chose  est  patente, 
Qu'auiourd'huy  toult  te  monde  est  Fol. 

TRAGODOPODAGRA.  '—  On  trouve  le 
TpoiyuiïonoSaypa.  dans  les  diverses  éditions  de 
Lucien  et  enfin  dans  celle  de  la  Collection  des 
Classiques  grecs  de  Didot.  M.  Guillaume  Din- 
dorf  en  a  coilationné  le  texte  sur  trois  ma- 
nuscrits. (Préf.  et  p.  797.) 

M.  Edelestand  Duméril  cite  cette  pièce 
dans  ses  Origines  latines  du  théâtre  moderne; 
selon  lui,  elle  n'aurait  jamais  été  représen- 
tée. (Cf.  op.  oit.,  p.  10,  note  5.) 

Si  ce  drame  et  VOcypus  sont  réellement 
de  Lucien  de  Samosate,  qui  vivait  au  second 
siècle  de  notre  ère,  ils  ne  sauraient  se  rat- 
tacher qu'à  la  décadence  du  théâtre  païen. 

TROC  HEUR  DE  MARIS  (Le).  —  Le  Tro- 
cheur  de  Maris,  farce  nouuclle  a iv.  verson- 
nages,  c'est  a  scauoir  : 


LE    TROCHEUR. 

LA   PREMIERE    FEMME. 


LA    DEUXIEME, 
ET    LA    TROISIEME. 


Cette  farce  date  du  commencement  du  xvi* 
siècle. 

Elle  est  conservée  dans  le  manuscrit  de 
la  Bibliothèque  impériale  (fonds  La  Vallière, 
n°  63). 

MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  l'ont 
éditée  dans  leur  Recueil  de  Farces  (Paris, 
Téchener,  1831-1837,  4  vol.  petit  in-8°). 

La  licence  du  Trocheur  de  Marys,  dans  les 
idées  et  les  expressions,  nous  interdit  toute/ 
citation. 

TROP,  PROU,  PEU,  MOINS.  —  Les  frè- 
res Parfait  datent  de  l'an  1544  la  farce  do 
Trop,  Prou,  Peu,  Moins 


4519 


tbo 


NOTICE  SUR  LL  THEATRE  LIBRE. 


TRO 


1550 


«  Ce  titre,  disent-ils,  est  aussi  bizarre  que 
l'ouvrage.  Peu  et  Moins  semblent  se  moquer 
de  Trop  et  de  Prou.  C'est  une  allégorie  de- 
puis le  commencement  jusqu'à  la  fin.  Le 
seul  début  de  celte  farce  pourra  en  donner 
l'idée. 


trop  commence. 

Qui  voudra  sçavoir  qui  je  suis, 

Descende  au  plus  profond  du  puits, 

El  parlent  à  ceux  qui  plus  liam  chantent 

A  ceux  qui  courent  d'huys,  en  huys, 

El  à  ceux  i|ui  par  un  periuys 

Les  gens  de  Sarbalaue  enchantent; 

A  ceux  qui  plus  parlent,  plus  mentent; 

A  ceux  à  qui  tout  est  rendu, 

Et  à  ceux  qui  joyeux  lamentent 

Leur  gain,  ou  quclqu'autre  a  perdu. 

«  Tout  ie  reste  de  celle  farce  est  un  tissu 
de  termes  et  d'idées  aussi  énigmaliques. 
Mai-»  nous  ne  nous  y  arrêterons  p;is  davan- 
tage, ne  voulant  point  entreprendre  d'expli- 
quer les  allégories  de  la  reine  de  Navarre, 
auteur  de  cet  ouvrasse.  » 

(1022)  Selon  M.  0.  Leroy,  le  mystère  de  la  Des- 
truction de  Troyes  ferait  allusion  à  la  prise  de  Cons- 
tantinople.  (Cf.  Epoques,  etc.,  ch.  8.)  —  Quand 
saint  Ignace  eut  été  béa li fit,  les  Jésuites  de  Barce- 
lone donnèrent  un  ballet  ambulatoire,  dont  le  sujet 
représentait  les  principales  scènes  du  siège  de 
Troyes.  (Cf.  Notice  sur  les  divertissemens...  des 
Français,  dans  la  collection  des  meilleures  disserta- 
tions de  Leber;  Paris,  1858,  in-8°,  20  vol.,  t.  X, 
15.) 

(1023)  Duverdier,  p.  270  de  sa  Biblioth.  francoise, 
parle  d'un  livre  intitulé  La  Destruction  de  Troye  la 
Grande,  Abrégée  en  Rime;  mais,  comme  il  n'ajoute 
rien  de  plu-,  nous  ne  pouvons  juger  si  c'était  un 
mystère  abrégé  de  celui -ci. 

(1021)  Biblioth.  de  Sorbonne,  in-fol.  sur  papier, 
qui  nous  a  été  communiqué  par  M.  Salmon,  biblio- 
thécaire de  celle  maison. 

(1025)  On  trouve  ces  mots  à  la  fin  de  ce  manus- 
crit. «  Explicil  la  Destruction  de  Troye  la  Grand, 
escriple  de  la  main  Messire  Jehan  Geneviere  l'an 
mil  iiii°.  lix,  le  xxviii.  jour  de  Septembre.  Signé, 
J.  Geneviere.  > 

(1020)  Ceci  se  trouve  à  la  fin  du  Prologue  dans 
les  éditions  de  1181  et  1198. 

(1027)  Quoique  ce  mystère  ne  soit  ni  le  plus  cu- 
rieux, ni  le  mieux  versifié  de  tous  ceux  dont  nous 
parlons,  cependant  c'est  celui  dont  on  trouve  le 
plus  d'éditions.  La  plus  ancienne  est  in-fol.  gothi- 
que, Dibl.  de  M.  Barré,  auditeur  des  Comptes,  à  la 
dernière  page  duquel  on  lit  ceci  :  c  Cy  fiuistl'lstoire 
de  la  Destruction  de  Troye  la  Grant,  mise  par  per- 
sonnages par  Maislrc  Jacque9  Milet,  et  imprimée  à 
Paris  par  Jehan  Bonhomme,  Libraire  de  l'Univer- 
sité de  Paris  le  vu.  de  May  mil  quatre  cens  qualre- 
vingtz  cl  quatre.  > 

Nous  apprenons  par  la  lettre  que  M.  Bertrand, 
avocai  au  parlement  de  Bretagne,  a  eu  la  bonté  de 
nous  adiesser  par  la  voie  du  Mercure  de  France 
(décembre  1751,  1°'  vol.,  p.  2b03),  qu'il  a  entre  ses 
mains  un  exemplaire,  édition  de  Lyon,  in-lu  conte- 
nant 160  pages,  à  la  fin  duquel  on  lit  :  <  Cy  linist 
la  Destruction  de  Troye  la  Grant,  mise  par  person- 
nages, imprimée  à  Lyon  par  Maistre  Guillôe  le  Roy. 
Finée  l'an  mil  cccc  quatre-vingts  et  v.  » 

La  troisième  édition,  qui  est  en  même  temps  la 
élus  belle,  est  in-fol.  gothique,  contient  209  feuil- 


TROYES  (La  destruction  de).  —  Les  frè- 
res Parfait,  dans  leur  Histoire  du  théâtre 
français  (t.  II ,  p.  456) ,  ont  donné  sous  la 
date  de  1450,  l'analyse  suivante  du  mystère 
de  la  Destruction  de  Troyes  (1022;  : 

LA  DESTRUCTION   DE  TROIE   (1023). 

«  Si  l'on  ignore  la  vie  de  l'auteur  de  cet 
ouvrage,  on  sait  au  moins  son  véritable  nom 
et  le  jour  propre  qu'il  l'a  commencé.  C'est 
ce  que  nous  apprend  un  manuscrit  (1024) 
de  ce  mystère  écrit  neuf  ans  après  sa  com- 
position," du  vivant  môme  (1025)  de  l'auteur, 
à  la  tôle  duquel  on  lit  ce  qui  suit  :  Cy  s'en- 
suit Vlsloire  de  la  Destruction  de  Troye  la 
grant  ,  translatée  de  latin  en  franchois ,  mise 
par  personnages,  composée  par  Maistre  Jac- 
ques Mirlel  cstudiant  es  Loys  en  l'Université 
d'Orléans  ,  commencée  l'an  mil  quatre  cens 
cinquante ,  le  n*  jour  du  mois  de  Septem- 
bre (1026). 

«  Ce  mystère,  divisé  en  quatre  journées, 
peut  contenir  environ  quarante  mille 
vers  (1027*.  Comme  le  poêle,  à  la  réserve  do 

felsou  118  pages  à  deux  colonnes,  et  finit  "ainsi  : 

<  Cy  finisl  ITstoire  de  la  Destruction  de  Troye  la 
Grant,  mise  par  personnaiges  par  Maistre  Jacques 
Milet  Licencié  es  Loys,  et  imprimée  à  Paris  le  huy- 
liesme  jour  de  May,  par  Jehan  Driarl  imprimeur;  à 
l'enseigne  des  Trois-Pncelles;  l'an  mil  quatre  cens 
quatre-vingtz  et  dix  huit,  i  (Bibl.  du  Boy.)  On  y 
voit  aussi  deux  exemplaires,  l'un  sur  vélin,  avec  de 
très-belles  miniatures,  et  l'autre  sur  papier. 

L'auteur  de  l'apostille  qui  est  à  la  tin  de  la  lettre 
de  M.  Bertrand,  dont  nous  vêlions  de  parler  (Mer- 
cure de  France,  décembre  1751,  Ie'  vol.,  p.  2609), 
nous  indique  une  quatrième  édition  faite  à  Lyon, 
en  1500,  par  Matthieu  Ifuss,  et  ajoute  qu'il  s'en 
trouve  un  exemplaire  dans  la  bibliothèque  de  M.  le 
marquis  de  Calvière;  mais  il  s'est  trompé  en  don- 
nant à  l'auteur  de  cet  ouvrage  le  nom  «le  Jean, 
puisque  nous  avens  prouvé  qu'il  portail  celui  de 
Jacques.  Peul-èire  que  celle  édition  le  marque 
ainsi,  et  en  ce  cas  elle  est  fautive. 

On  eu  trouve  aussi  une  in-l°  gothique,  c  impri- 
mée à  Paris  le  troiziesme  jour  d'Octobre  l'an  mil 
cinq  cens  el  huyt,  par  Michel  le  Noir  libraire  Juré  en 
l'Université  de  Paris,  demouranlen  la  grant  rue  S. 
Jacques  à  l'enseigne  de  la  Roze  Blanche  couron- 
née. »  (Bibl.  du  Boy.) 

La  dernière  édition  où  se  trouvent  quelques  chan- 
gements est  de  1544.  C'est  un  in-fol.  contenant  185 
feuillets  caractères   romains,   dont  voici  le  titre  : 

<  La  Destruction  de  Troye  la  Grant  :  le  Bavisse- 
menl  d'ïleleine,  faicl  par  Paris,  Alexandre,  compo- 
sée en  Rithme  Françoise  par  Maistre  Jehan  de  Me- 
hun,  premier  Inventeur  de  Rhétorique  Françoise  : 
avec  les  Prouesses,  Noblesses,  el  Vertus  du  preux 
Hector,  la  Damnable  Trahison  commise  par  les 
Grecs;  la  Description  de  Fortune  mobile  et  instable  : 
à  la  vérité  nouvellement  reveué  el  corrigée,  el  Irès- 
diligcmmenl  Ireduicle  en  la  vraye  Langue  Fran- 
çoyse,  historiée  d'Histoires  nouvelles,  contenantes 
entièrement  les  faicls  des  Troyans  et  Grégeois.  On 

les  vend  à  Lyon  chez  Denys  de  Harsy  1511 Fin 

de  la  Destruction  de  Troye  la  Granl ,  mise  en 
Rithme  Françoyse  et  selon  le  vray,  ordonnée  par 
personnaiges,  et  de  nouveau  très-diligemment  re- 
veué et  corrigée,  imprimée  à  Lyon  par  Denys  de 
Harsy,  l'an  mpxuiii.  >  (Bibl.  du  Hoy.) 

L'imprimeur,  trompé  par  quelque  manuscrit  où 


1551 


TRO 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


TRO 


i5M 


quelques  traits  pris  d'un  livre  intitulé  His-  cours  de  tous  côtés.    Cependant  les  Grecs 

loires  de  Troye,  a  suivi  Darès  Phrygien  (1028),  font  offrir  Jpar  Calchas  un  sacrifice  à  l'idole 

auteur  fort  connu  et  dont  il  n'a  fait  quel-  Apollo  (1035).  » 

quefois  que  corrompre  ou  estropier  les  noms  r    r  ■.  ,  •       T  ,    ,     ~ 

propres;  nous  nous  étendrons  peu  sur  cet  Cy  mt  la  Premt%e  *•«"»*  de  la  Destrucl,on  de 

extrait.  7r^e  la  Gram' 


PREMIÈRE   JOURNÉE. 

«  Priam,  voulant  avoir  sa  sœur  Exione 
(1029) ,  retenue  par  Thélamon  ,  ordonne  à 
Anlhénor  d'aller  en  Grèce  demander  raison 
de  son  enlèvement.  Cet  ambassadeur  aborde 
à  Manise  ,  ville  capitale  des  Etats  de  Pel- 
leus  (1030),  ensuite  hSalamine,  de  là  à  Thaye, 
séjour  de  Castor  et  de  Poilus  (1031)  et  enfin 
à  Pille  (1032)  chez  le  vieux  Nestor  ;  et  ne 
pouvant  rien  obtenir  d'aucun  de  ces  princes, 
il  s'en  retourne  à  Troie.  Pour  le  consoler  un 
peu  du  mauvais  succès  de  cette  ambassade, 
Paris  raconte  à  son  père  qu'au  printemps 
dernier,  un  vendredi  après  dîner,  il  avait  eu 
envie  d'aller  à  la  chasse,  et  que  s'étant  égaré 
dans  les  bois,  il  avait  aperçu  Junon,  Pallas 
et  Vénus,  et  Mercure  auprès  d'elles,  que  ce 
dernier  lui  avait  ordonné  de  la  part  de  Ju- 
piter déjuger  de  la  beauté  des  trois  déesses, 
Paris  ajoute  qu'après  avoir  balancé  quelque 
temps,  il  avait  enfin  décidé  en  faveur  de  la 
mère  d'Amour,  qui  lui  avait  promis  la  plus 
belle  femme  de  la  Grèce  ;  et  comme,  conti- 
nue-t-il,  je  compte  fort  sur  la  parole  de  cette 
divinité,  et  que  je  me  veux  venger  des  per- 
fides Grecs,  j'ai  résolu  de  passe*  dans  leurs 
provinces.  Priam  ,  transporté  de  joie ,  fait 
équiper  un  vaisseau  à  son  fils,  qui  arrive 
bientôt  dans  les  Etats  de  Ménélas  ,  dans  le 
temps  qu'on  célèbre  la  fête  de  Vénus  Cy- 
thérée.  Paris  va  à  son  temple  et  y  offre  cent 
écus.  Hélène  s'y  rend  aussi.  Et  sensible  à 
l'amour  du  fils  de  Priam  ,  elle  se  laisse  en- 
lever par  ce  dernier,  qui  la  conduit  à  Troie. 
Cithéus  va  par  ordre  de  Ménélas  à  Athènes 
avertir  le  roi  Agamemnon,  qui  mande  aus- 
sitôt les  princes  de  la  Grèce  (1033). 

«  Achille,  Pdirocle ,  Diomède ,  Ulysse, 
Nestor  et  les  autres  arrivent  en  foule  à  Athè- 
nes (1034.).  Un  marchand  troyen  ,  nommé 
Sentippus,  qui  demeure  dans  cette  ville,  en 
sort  dans  le  moment,  et  court  porter  cette 
nouvelle  à  Priam,  oui  aussitôt  mande  des  se- 

t!  a  trouvé  peut-être  ces  deux  lettres  J.  M  ,  a  cru  ap- 

Saremmenlque  Jean  de  Meun,  poète  plus  connu  que 
acques  Milet,  était  auteur  de  cet  ouvrage.  Duvcrdier, 
qui  ne  connaissait  que  celte  édition,  est  tombé  dans 
la  même  faute,  page  27G  de  sa  Bibliotli.  franc.; 
mais  Lacroix  du  Maine,  p.  191,  qui  en  possédait  un 
manuscrit,  l'a  évité  Cependant,  en  parlant  de  Jean 
de  Meun  (Idem,  page  247),  oubliant  ce  qu'il  venait 
de  dire,  il  attribue  à  ce  dernier  la  Destruction  de 
Troye. 

(1028)  Deux  ouvrages  portent  le  nom  de  cet  au- 
teur :  l'un  en  prose  latine,  que  l'on  donne  pour  une 
traduction  de  Cornélius  Népos  ;  et  l'autre  un  poème 
en  six  livres,  que  l'on  sait  être  de  la  composition  de 
Joseph  Iscanns. 

(1029)  Hésione. 
0030)  Pelée. 

(1031)  Pollux. 

(1032)  Pylos. 

(1033)  Pendant  la  marche  des  onncev  grecs,  les 


SECONDE    JOURNÉE. 

(Cy  commence  la  seconde  Journée  de  ïYstoire  de  la 
Destruction  de  Troxje  la  Grant.) 

«  Palamède  prend  congé  de  son  père  Nau- 
lus  (1036)  et  va  joindre  les  Grecs  qui  sont 
campés  devant  Troie.  Protésilaus  perd  la 
vie  dans  le  premier  combat,  dont  l'avantage 
demeure  égal  entre  les  deux  armées.  La 
victoire  demeure  ensuite  aux  Troyens  ;  Hec- 
tor tue  Patrocle.  Le  roi  Cédiron  tombe 
sous  les  coups  du  jeune  Troïlus,  et  Thoas 
est  fait  prisonnier.  Basaac,  un  des  soldats 
de  ce  dernier,  vient  instruire  Achille  de  la 
mort  de  Patrocle  et  du  malheur  arrivé  à 
son  maître.  Pendant  que  les  Grecs  consul- 
tent les  moyens  de  se  défaire  d'Hector, 
Priam  de  son  côté  veut  faire  pendre  le  roi 
Thoas;  son  conseil  empêche  celte  exécu- 
tion. On  donne  un  troisième  combat,  Achille 
tue  Philemenis  (1037),  et  Diomède  blesse 
mortellement  Sagittaire, soldat  d'Epistropus, 
roi  allié  de  Priam;  Ménélaùs  se  bat  en  duel 
avec  Paris,  les  deux  partis  les  séparent,  et 
Anthénor  demeure  prisonnier  des  Grecs. 
Agamemnon,  prêt  à  le  faire  mourir,  en  est 
empêché  par  les  remontrances  de  son  con- 
seil, qui  conclut  unanimement  à  demander 
une  trêve,  que  Priam  accorde. 

(Lors  se  fera  pause  peur  disner  [1038].) 

«  Calchas  vient  trouver  Agamemnon  et 
le  prie  que  Briséïda,  sa  fille,  prisonnière  des 
Troyens,  soit  comprise  dans  l'échange  d'An- 
thénor  avec  Thoas.  Après  bien  des  contes- 
talions,  le  conseil  de  Troie  accepte  ces  con 
di lions,  et  l'amoureux  Troïlus  est  obligé  de 
conduire  lui-même  au  camp  des  Grecs  la 
belle  Briséïda,  dont  il  est  tendrement  chéri. 
Ces  deux  amants  se  quittent  les  larmes  aux 
yeux.  Diomède  prend  part  aux  douleurs  de 
la  fille  de  Calchas,  el  bientôt  devient  son 
amant.  Dans  un  combat  que  les  Grecs  li- 

ménestrels  ou  joueurs  d'instruments,  et  les  orgues 
amusent  les  spectateurs.  C'est  ce  qu'on  observait 
encore  dans  toutes  les  panses  où  les  acteurs  ces- 
saient de  parler. 

(  1031)  L'auteur  suppose  que  cette  ville  est  la  ca- 
pitale du  royaume  d'Agamemnon. 

(1035)  La  prière  récitée  par  Calchas  est  dans  le 
même  goût  de  celle  que  fait  le  grand  prêtre  de  Ju- 
piter dans  la  seconde  journée  de  Sainte  Barbe,  et 
n'est  qu'un  composé  de  mots  grecs  et  hébreux,  la 
plupart  de  l'invention  de  l'auteur,  ou  pris  du  Rituel 
de  l'Eglise. 

(1056)  Nauplius. 

(1057)  Pylémène. 

(1038)  Comme  ces  journées  sont  fort  longues,  et 
qu'on  voulait  les  représenter  dans  le  jour,  on  faisait 
une  pause  qui  durait  depuis  environ  midi  jusque 
vers  les  deux  heures,  que  le  spectacle  recommen- 
çait. Cela  servait  à  donner  le  loisir  aux  acteurs  et 
aux  spectateurs  de  prendre  leurs  repas. 


155S 


TRO 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


TRO 


1351 


Trent  peu  de  temps  après  aux  Troyens,  [ce 
prince  arrache  l'épée  de  Troïlus  et  l'envoie 
par  soi  sénéchal  à  cette  nouvelle  maîtresse 
qui  lui  promet  une  fidélité  inviolable. 
Achille  tue  Margarilon,  bâtard  do  Priam,  et 
Boùetes,  roi  de  Bretonnie.  Hector  sort  des 
portes  de  Troie,  tue  Prothénor  et  combat 
avec  Achille,  qui  le  blesse  ;  le  fils  de  Priam 
combat  ensuite  contre  Ajax,  et  pendant 
qu'ils  se  reposent  pour  prendre  haleine, 
Achille  vient  par  derrière  Hector  et  le  tue. 
On  porte  le  corps  de  ce  dernier  à  Troie,  et 
Priam  pleure  cette  perte,  qui  le  fait  ressou- 
venir de  celle  de  son  fils  Ganymède  (1039^ 
que  Jupiter  a  autrefois  enlevé.  » 

TROISIÈME   JOURNÉE. 

«  Achille  profilant  de  la  trêve  de  trois 
mois  accordée  entre  les  deux  partis,  va 
voir  le  superbe  tombeau  que  Priam  vient  de 
faire  élever  à  Hector,  et  prier  en  même 
temps  les  dieux  pour  l'âme  du  défunt.  Hé- 
cube,  suivie  de  Polyxène,  de  Creuse,  d'As- 
çanius  et  d'Andromaaue,  arrive  aussi  dans 
le  même  dessein. 

(Lors  doit  aller  Acliilles  parmy  /'Eglise,  et  passer 
trois  ou  quatre  foyx  pardevanl  les  dames,  et  en  re- 
gardant Polixenedu  coing  de  tueil,  puis  se  tire  à 
part.) 

«  Le  héros  épris  des  charmes  de  Po- 
lyxène, envoie  Basaac  pour  la  demander  en 
mariage  à  Priam.  Ce  roi  reçoit  l'envoyé 
d'Achille  avec  politesse,  et  cependant  fait 
marcher  ses  Troyens  contre  Palamides,  qui 
vient  lui  présenter  bataille  à  la  tête  des 
Grecs,  dont  il  se  trouve  chef,  sans  qu'on 
en  sache  la  raison.  Troïlus  renverse  Dio- 
mède ,  et  Palamides  blesse  mortellement 
Déïphebus.  Priam,  pour  venger  son  fils,  fait 
tomber  Palamides,  que  Paris  achève  d'un 
coup  de  flèche.  Achille,  craignant  Déïphe- 
bus, se  retire  ;  mais  la  mort  de  ce  dernier 
le  rassurant,  il  revient  au  combat;  ses  Myr- 
midons  entourent  Troïlus,  et  donnent  le 
temps  à  leur  maître  de  lui  enlever  la  tète, 
qu'il  attache  ensuite  à  la  queue  de  son  che- 
val. Par  une  pareille  surprise,  il  ôte  la  vie 
à  Ménon  (Memnon  [1040]). 

(Pause  pour  disner.) 

«  Priam,  sous  prétexte  de  donner  sa  fille 
Polyxène  en  mariage  à.  Achille,  lu  mande 
dans  un  temple  où  il  le  fait  ensuite  assas- 

(1059)  Un  » u leur  capable  de  faire  Briscïs  fille 
tic  Galchas,  peut  bien  croire  Priam  père  de  Gany- 
mède. 

(10-iO)  Nos  anciens  Français  ,  partisans  des 
Troyens,  dont  ils  se  croyaient  descendus,  ont  tou- 
jours parlé  désavanlagciisenienl  des  Grecs,  leurs  en- 
nemis. Dion  Chrysosiome,  quoique  prévenu  contre 
Homère  et  son  licros,  est  plus  favorable  à  ce  der- 
nier, cl  ne  lui  impute  pas  de  si  làcbes  trahisons. 
(Voyez  Dion  Ciirvsost.,  orais.  41.) 

(1041)  L'auteur,  oubliant  que  suivant  Darès 
Phrygien,  il  a  fait  périr  Ajax  par  la  main  de  Paris, 
le  lait  revivre  dans  celle  quatrième  journée,  ci  selon 
Diclys  de  Crète,  livre  vi,  attribue  sa  uiorl  aux  tfa- 
fusons'd'Ulyssè. 

[ïOii)  Nous  ne  pouvons  non?  dispenser,  en  finis- 


siner  avec  Archilogus  (Anlilochus),  fils  de 
Nestor,  qui  l'accompagne.  Hélène,  par  ses 
prières,  empêche  les  Troyens  de  jeter  le 
corps  de  ces  deux  princes,  et  les  fait  ren- 
dre aux  Grecs.  On  donne  ensuite  un  com- 
bat dans  lequel  Paris  et  Ajax  se  donnent 
mutuellement  la  mort.  » 

quatrième  journée. 
«  Menélaùs  va  chercher  chez  Licomèdes 
le  jeune  Pyrrhus,  qui  arrive  au  camp  des 
Grecs  en  même  temps  que  Panlhésilée  vient 
au  secours  de  Priam.  Celte  reine  fait  pri- 
sonnier Ajax,  fils  de  Télamon  ;  heureuse- 
ment pour  ce  dernier,  Uiomèdo  le  délivre. 
Pour  s'en  venger,  Panlhésilée  fait  tomber 
Ménélaus  et  Pyrrhus,  et  sauve  la  vie  à  Po-. 
lydamas,  que  les  Myrraidons  sont  prêts  de 
massacrer;  mais  bientôt  cette  princesse  se 
voit  environnée  par  ses  soldats,  et  Pyrrhus 
lui  fait  perdre  la  vie.  Priam  pleure  et  s'ar- 
rache la  barbe  ;  Anchise,  Enée,  Anthénor  et 
quelques  autres  lâchent  de  l'engager  à  de- 
mander la  paix;  mais  en  vain  ce  malheu- 
reux roi  rejette  leurs  conseils,  ce  qui  irrite 
ces  princes  à  un  tel  point,  qu'ils  complotent 
entre  eux  de  livrer  la  ville.  Calchas  donne 
l'idée  du  fameux  cheval  de  bois,  qu'Apius 
(Epéus)  se  charge  de  construire.  Priam  con- 
sent qu'on  le  fasse  entrer  dans  Troie  ;  et  les 
Grecs,  par  ce  moyen,  s'élant  rendus  maîtres 
de  cette  ville,  en  massacrent  tous  les  hati- 
tanls,  sans  épargner  le  roi  même.  Polyxène 
est  sacrifiée  sur  le  tombeau  d'Achille;  Hé- 
cube,  devenue  furieuse  par  ce  nouveau  mal- 
heur, se  jette  comme  une  insensée  sur  le* 
Grecs  qui,  pour  se  délivrer  de  ses  morsures, 
l'assomment  à  coups  de  pierres  et  enseve- 
lissent son  corps  dans  l'île  de  Pleur.  Lors- 
que les  Grecs  sont  prêts  à  s'embarquer , 
Ajax,  s'appuyantsur  les  services  qu'il  a  ren- 
dus, demande  le  Paladin  (Palladium),  que 
l'on  accorde  cependant  à  Ulysse.  Ajax  va 
se  coucher  dans  sa  tente,  en  exhalant  de 
grandes  menaces  contre  ce  dernier  (1041;. 
Le  lendemain  on  le  trouve  mort  dans  son 
lit;  et  Ulysse, craignant  d'èlre  soupçonné  du 
cette  mort  précipitée,  s'enfuit  la  nuit  sui- 
vante. Agamemnon  ordonne  aux  princes 
qui  ont  livré  la  ville  de  Troie  do  sortir 
promptement  du  pays,  et  remonte  dans  ses 
vaisseaux.  Enée  s'embarque  pour  l'Italie  et 
Anthénor  fait  voile  vers  les  îles  des  An- 
glais (1042).  » 

sanl  cet  extrait,  d'ajouter  la  noie  qui  se  trouve  à  la 
lin  du  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Sorbonne. 
dont  nous  avons  déjà  parlé.  Elle  plaira  sans  doute 
par  la  singularité  des  laits  qu'elle  nous  apprend,  et 
que  l'on  chercherait  vainement  autre  part.  La 
voici  :  «  Le  Siège  que  les  Grégeois  lindrenl  devant 
Troye  la  Grand,  dura  par  l'espace  de  x.  ans,  ix.  mois. 
cl  vin.  jours  :  el  y  eult  de  gens  mors  lant  de 
Troye,  comme  de  Grèce  la  somme  de  x  vu  mille, 
el  ix  cens  :  et  y  avoit  en  la  ville  de  Troy  *.xxu 
Rois,  sans  le  Roy  Priam,  qui  csloil  Seigneur  de 
tous  :  et  devant  tenant  le  Siège  y  avoit  lx  Rois, 
donl  Agamemnon  esloit  le  Gouverneur  el  principal 
pardessus;  et  avoit  ladicie  Ville  xl.  lictiés  de  long 
et  vin.  de  large.  > 


1555 


VEN 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES. 


VIL 


1556 


TURLUPIN.  — U  y  a  eu  au  xvi"  siècle 
une  édition  de  Turlupin,  sous  ce  titre  :  La 
Tragi-Comédie  des  Enfants  de  Turlupin,  mal- 
heureux de  nature.  Rouen,  Abr.  Cousturier. 


M.  de  Montaran  a  réimprimé  cette  farce. 
—  Voy.   Collection  Caron    et  Recueil  i>b 

LIVRETS  PAR  M.  DE  MONTARAN. 


VEAUX  (La  Farce  des).  —  La  Farce  des 
veaux  iouée  devant  le  roy  en  son  entrée  a 
Rouen,  est  conservée  dans  le  manuscrit  du 
xvie  siècle  de  la  Bibliothèque  impériale, 
fonds  La  Vallière,  n"  63;  elle  a  été  éditée 
dans  le  Recueil  de  Farces  de  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Fr,  Michel.  (Paris,  ïéchener,  1831- 
1837,  4  vol.  pet.  in-8°.)  —Commencement: 

le  recepceur  commence. 

Monsieur,  ie  me  viens  prendre  à  vous 
Que  les  veaux  ont  mengé  les  loups... 

Fin  : 

LE  BADIN. 

Payes  .a  disine.... 

Sy  n'estes  de  payer  dispos 

Vous  seres  certes  cou  ira  nos. 

VENDEUR  DE  LIVRES  {Le).  —  La  farce 
ioyeuse  a  m  personnages,  c'est  a  scauoir  : 


UN  VENDEUR  DE  LIVRES. 
LA  PREMIERE  FEMME. 


LA  DEUXIEME  FEMME. 


est  conservée  dans  le  manuscrit  du  xvi* 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds 
La  Vallière,  n°  63;  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel  l'ont  éditée  dans  leur  Recueil 
de  Farces  (Paris,  ïéchener,  1831-1837,  4 
vol.  pet.  in-8°). 

La  farce  débute  par  le  cri  des  colporteurs 
de  livres  au  xvi'  siècle  ; 

Liures,  liures,  liures! 

Chansons,  balades  et  rondeaux  ! 

Pen  portes  a  plus  de  cent  liures. 

Liures,  liures,  liures  ! 

Venes  losl  que  ie  vous  en  liures,. 

lamais  n'en  vistes  de  si  beaux. 

Liures,  liures,  liures! 

Chansons,  balades  et  rondeaux  î 

La  Farce  Ieninaux  Fiseaux 

Le  Testament  Maistre  Mymin 

Et  Maistre  Pierre  Palhelin, 

Et  les  Cent  Nouuelles  nouuelles... 

Le  Trespassement  Sainct  Bidault 

La  Vie  Saincte  Perenclle, 

La  Chanson  de  la  Peronelle, 

La  Vie  monsieur  Saint  Francoys, 

Le  Confiteor  des  Angloys, 

Le  Trespassement  de  la  Royne, 

Auec  la  Gesine  de  Saines, 

Et  l'Obslinacion  des  Souyches..., 

La  Propriété  des  Rubys, 

Auec  la  Nature  des  Pierres, 

Le  Deuis  des  Mers  et  des  Terres, 

Aueques  le  Dict  des  Pays..., 

....  Le  Roman  de  la  Roze; 

La  grand  Farce, 

Des  Femmes  qui  ont  la  langue  arse, 

Quant  ilz  blasonuenl  leurs  marys..., 

...  Les  Regretz  des  Marys..., 

....  Le  Viel  Testament 

....  La  Prophecie  de  Balaan 

Le  Sacrilïice  d'Abraham, 

Le  Ingénient  de  Saloinon... . 

,,,,  Les  beaux  Dix  des  sains 


Les  Diz  rimes 

De  mariage  qui  se  plaincl... 
J'ey  le  Deuis  des  grans  habis, 
Des  chaynes,  carqueus  et  rubiz.. 
l'ay  le  Voyage  des  Fumelles 
Qui  s'en  vont  a  Bonnes-Nouvelles... 
Vouecy  la  Farce  Jehan  Loyson 
El  le  Testament  Pierre  Maistre... 
....  La  Chanson  du  petit  Chien... 
Vouecy  le  Romant  de  ces  Femmes 
Qui  sont  deux  ou  troys  iours  perdus... 
La  Vie  Saincte  Agnes... 
Vouecy  l'Acte  des  Jehannes... 

Le  Doctrinal 

Mes  Chamberieres  ou  Mequines... 

Vouecy  le  Livre  sans  reproche 

De  ceulx  qui  se  vont  estaler 

A  Notre  Dame... 

Vouela  le  Contredit 

De  la  Chanibeiiere  et  du  Preslre... 

De  Lue  et  de  Noe  le  bel  Assault... 

La  Dame  et  le  Dismage, 

I^es  Femmes  qui  ont  le  iillel... 

Les  Mal-Contentes... 

Les  Fieux  et  Renies 

Les  Filles  nouuelles  rendus, 

La  Farce  des  Nouueaux  Pouus... 

Ce  curieux  catalogue  n'a  pas  été  re- 
marqué. 

VENTRE  (Le).  —  La  Moralité  joyeuse  a 
un.  personnages,  c'est  a  scauoir  : 


LE   VENTRE. 
LES   ÏAMBES. 


LE    COEUR. 
LE    CHEF. 


est  conservée  dans  le  manuscrit  du  xvi* 
siècle  de  la  Bibliothèque  impériale,  fonds 
La  Vallière,  n°  63;  elle  a  été  éiiitée  par 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  dans 
leur  Recueil  de  Farces  (Paris,  ïéchener, 
1831-1837,4  vol.  pet.  in-8°). 

LE   VENTRE. 

C'est  moy  qui  donne  aux  membres  vye, 
El  sans  moy  tout  membre  desvye, 
Sans  moy  plaisir  ne  prend  ie  cœur  : 
Chef,  bras,  iambes  mes  en  vigueur 
Quant  ie  suys  remply  et  noury; 
Se  ne  suys  plain,  tout  est  mary... 

VIEIL  ET  DU  JEUNE  (Le  débat  du).  - 

On  trouve  le  Débat  du  Vieil  et  du  Jeune 
dans  les  Poésies  des  xvc  et  xvr  siècles,  pu- 
bliées d'après  des  éditions  gothiques  et  des 
manuscrits.  (Paris,  Silvestre,  imprimerie  de 
Crapelet,  1832,  gr.  in-8°,  caract.  goth.) 

Roquefort  (Etat,  etc.  p.  265)  et  M.  l'abbé 
Delarue  {Essais...  p,  189)  ont  cité  une  pièce 
analogue  des  trouvères  anglo-normands, 
sous  le  titre  de  Petil-Plet. 

VILLAGEOISE  (La).—  Les  frères  Parfait, 
dans  leur  Histoire  du  théâtre  françois  { t. 
111,  p.  145),  ont  donné,  sous  la  date  de  1536, 
J'analyse  de  la  Villageoise. 

Le  titre  est  ainsi  conçu  : 
D'une  pauvre  Villageoise,  laquelle  oyma  mieux 


1557 


VIL 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


ML 


1558 


avoir  la  teste  coupée  par  son  Père,  que 
d'estre  violée  par  son  seigneur  :  faietc  à  la 
louange  et  honneur  des  chastes,  et  honnes- 
tes  filles,  à  quatre  personnages  (10i3). 

a  Un  seigneur  de  village  arrive  sur  le 
théâtre,  accompagné  de  son  valet,  et  fait  en- 
tendre à  ce  dernier  qu'il  est  de  complexion 
amoureuse.  Le  valet  dit  qu'il  connaît  Es- 
glantine,  fille  du  pauvre  Crouxmoulu. 

LE  SEIGNEUR. 

Son  père  est  a  nioy  tenu, 

C'est  ung  des  hommes  de  ma  Terre, 

Et  mon  mon  subjecl.  Va  tosl  l'enquerre, 

Si  d'elle  on  pourroil  finer. 

Dy  luy,  s'elle  vient  en  ma  serre, 

Qu'après  la  ferai  marier 

Si  bien,  qu'elle  pourra  porter 

Sainlure  d'or,  robbes  fourrées, 

El  lousiours  granl  estât  mener. 

«  Le  valet  court  chez  le  bonhomme  Croux- 
raoulu,  tire  en  particulier  sa  fille,  et  lui  dit 
Je  sujet  de  sa  commission.  Esglanline  re- 
jette avec  horreur  la  proposition,  e>[  défend 
eu  valet  de  se  présenter  devant  elle.  Ce  der- 
nier, après  avoir  rendu  compte  à  son  maître 
du  mépris  qu'on  a  marqué  pour  ses  pré- 
sents, retourne  encore  une  fois  vers  la  ver- 
tueuse fille,  et,  voulant  l'emmener  de  force, 
elle  appelle  son  père,  qui  jugeant  aisément 
que  le  seigneur  n'a  d'aulre  intention  que 
Je  déshonorer  sa  fille,  menace  le  valet  de 
lui  décharger  sa  coignée  sur  la  tête,  s'il  no 
se  retire.  Le  valet  s'enfuit,  et  dit  au  seigneur 
ce  qui  vient  de  se  passer.  Ce  dernier  forme 
sur-le-champ  la  résolution  d'aller  lui-même 
enlever  Esglanline,  et  de  maltraiter  le  père 
de  celte  fille 

LE  SEIGNEUR  il  SOU  Valet. 

Tiens,  prens  ce  fer  rouge  moulu  ;' 
Je  porterai  mon  bram  (1044)  d'acier; 
Foy  que  je  doy  à  saint  Ricbier, 
Il  aura  des  coups  plus  de  cent.] 

«  Le  seigneur  et  son  valet  entrent  dans  la 
cabane  du  bonhomme  Crouxmoulu. 

LE   SEIGNEUR. 

Vilain  de  rude  entendement, 
Qui  te  meut  d'estre  si  bardy, 
D'uffencer  mon  commandement . 
Battu  seras  présentement  : 
Tien.  (//  frappe  le  père.) 

le  valet  se  mocquanl  de  Groux  moulu. 

Ta  coignée  n'est  pas  icy? 

LE    PERE. 

Ah  !  Mon  Seigneur,  pour  Dieu  mercy. 

LE    SEIGNEUR. 

Merry,  coquin?  Vous  y  mourrez, 
De  coups  aurez  le  corps  noircy. 

LE   PERE. 

Mon  cher  Syre,  vous  me  tuez. 

I.SCLANTI.1E. 

Ah,  mon    Seigneur,  pour  Dieu,  mercy. 

«  Esglanline  voyant  qu'elle  ne  peut  éviter 
de  suivre  le  seigneur,  sejetleà  ses  pieds 

ESGLANTINE. 

Seigneur,  je  vous  requiert  un  don, 
Pour  Dieu,  qu'il  ne  soil  contredit. 

(1013)  A  Paris,  chez  Simon  Caluarin.  De  38  pa- 
çcs.  -  La  Villageoise  a  clé  réimprimée  à  la  lin  du 


le  SEir.Ni.tn. 
Quel  don  ? 

ESCLANTINE. 

Une  heure  de  respit. 

LE    SEIGNEUR. 

Cela  !  et  que  vous  peut-il  faire? 

ESGLANTI.NE. 

Je  vueil  à  mon  pore  un  petit. 
En  secret  conter  mon  affaire. 

LE   SEIGNEUR. 

Point  ne  vueil  voslre  gré  deffaire. 
Je  suis  content  de  l'accorder  ; 
Mais  gardez  devers  moy  meffaire. 

«  Esglanline  se  relire  dans  une  chambre 
avec  son  père,  et  le  conjure  de  lui  conser- 
ver son  honneur  en  lui  coupant  la  tête.  Le 
seigneur  écoute  cela  à  la  porte. 

LE   SEIGNEUR. 

Je  suis  icy  près  à  l'escoule, 
Mais  j'ay  de  ce  que  j'oy  pitié. 

«  Quelque  répugnance  que  sente  le  père 
à  devenir  l'homicide  de  sa  fille,  il  aime  ce- 
pendant mieux  commettre  ce  crime  que  de 
la  voir  déshonorée.  Alors  le  seigneur  le 
voyant  prêt  d'exécuter  là  prière  de  sa  filie, 
ouvre  la  porte  de  la  chambre  et  arrête  lti 
coup 

ESCLANTINE. 

Ah!  Mon  Seigneur,  vous  avez  tort; 
Vous  rengregez  mon  desconforl. 
J'ay  requis  en  pileux  langage 
Mon  père  de  moy  descoller. 
Cher  Seigneur,  vous  devez  garder 
Vossubjeclz,  par  voslre  prouesse, 
Et  vous  me  voulez  me  diffamer, 
Tour  un  peu  de  folle  jeunesse; 
Parquoy  desconforl  tant  me  blesse, 
Que  j'ayme  mieux  mon  teins  conclure 
Maintenant  honneur,  et  sagesse, 
Qu'eslre  addonnée  à  telle  ordure. 

LE   SEIGNEUR. 

0  vénérable  créature, 
Sur  tomes  bonnes  la  régenle 
Je  renonce  à  ma  folle  cure; 
Pardonnez-moy,  pucelle  gente  . 
Levez-vous,  sus  tosl,  excellente, 
En  vertu,  la  source  el  fontaine, 
De  chasteté  la  fleur  régnante 
Et  en  vous  d'odeur  souveraine. 
Ma  fresle  jeunesse  humaine 


Mais  voslre  constance  certaine 
M'en  faicl  avoir  compassion. 

(//  prenl  une  couronne,  ou  chapeau  de  fleur»,  et  luy 
tnel  sur  la  tète,  en  disant  .) 

Or  vous  aurez  pour  décoration 
De  chasteté,  celte  noble  couronne. 
Sur  voslre  chef;  pour  compensation. 
Très-haullement  icy  vous  en  couronne. 

le  valet  aux  spectateurs. 

Bien  va  à  qui  bien  s'adonne  : 
Pucelleites,  regardez-y. 

«  Le  seigneur  assure  le  père  de  son  ami- 
tié, et  l'affranchit  lui  et  sa  fille  de  tous 
droits  et  servitude.  Après  de  grands  remtr- 
cîments  de  la  part  d  Esglanline  et  de  son 

Min*  siècle  par  Caron.  —  Yoy.  Collection  Cahon. 
(10i Si  Espèce  de  sabre. 


1359 
l'ère , 


le 


ADA 
dernier   Cnit 


DICTIONNAIRE  DES  MYSTERES 

ainsi    la  moralité  : 


DAN 


1560 


le  pere  aux  spectateurs. 
Prenez  en  gré  la  simple  eslude 
De  ces  molz  simplement  touchez  : 
La  matière  est  similitude 
Pour  bonnes  filles,  et  sachez 
Si  les  molz  ne  sont  bien  couchez. 
Nous  prierons  le  doux  examen, 
Que  nous  soyons  tous  mieux  logez 
En  paradis  :  dites  Amen.  » 

VITAL  DE  BLOIS.  —  La  Notice  sur  Vital 
de  Blois  de  YHisloire  littéraire  de  la  France 
(t.  XV,  1820,  p.  428)  ne  lui  attribue  que  le 
Querolus,  ou  Aululaire,  poème  composé  d'a- 
près l'ancienne  pièce  datant  du  temps  de 
Théodose  et  d'Honorius,  dont  l'auteur  est 
resté  inconnu.  —  On  a  de  lui  le  Geta  ou 
Amphitryon.  — 11  vécut  au  xti*  siècle. 


VOSACUS  ET  RHENUS  (Dialogue  de). 
—  M.  Edelestand  Duméril  remarque,  dans 
Ermold  Niger,  le  Dialogue  de  Vosacus  et  de 
Rhenus.  Assurément  il  n'y  a  point  là  une 
action  dramatique,  mais  la  tendance  du 
moyen  âge  à  tout  dramatiser  y  est  forte- 
ment marquée.  (Cf.  Origines  latines  du  théâ- 
tre moderne;  Paris,  1849,  in-8°,  p.  3.) 

VULCAIN  (Le  jugement  de).  —  Dans  son 
cours  professé  à  la  Faculté  des  lettres  en 
1335,  M.  Magnin  signalait  le  Jugement  de 
Vulcain  comme  une  petite  pièce  rangée  à 
tort  dans  les  Anthologies  parmi  les  églogues, 
et  jouée  probablement  dans  les  festins  par 
un  seul  acteur  entre  les  V  et  vu*  siècles. 
(Cf.  Journ.  gén.  de  l'Instr.  pub  t.,  1835,  15 
mars,  p.  178.) 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS. 


.4  BBESSE  GROSSE  DE  SON  CLERC  (L).  — 

VAbbesse  est  un  des  drames  conservés  dans 
le  manuscrit  des  Miracles  de  Nostre-Dame, 
W  7208,  4  A,  de  la  Bibliothèque  impériale. 
11  y  est  intitulé:  Cy  commence  un  miracle 
de  Nostre-Dame ,  comment  elle  délivra  une 
abbesse  qui  estoit  grosse  de  son  clerc. 

Cette  pièce  est  restée  inédite. 

Malgré  les  sévères  instructions  d'un  pré- 
dicateur, dont  le  sermon  coupe  les  premières 
scènes  du  drame,  l'abbesse  et  son  clerc  ont 
failli.  Une  des  sœurs,  dont  la  malice  vigi- 
lante a  surpris  ce  secret,  en  réfère  à  l'évoque 
du  diocèse,  et  le  couvent  tout  entier  se  ré- 
volte contre  sa  supérieure.  Le  désordre  est 
au  comble.  La  cour  épiscopale  ouvre  une 
enquête,  une  épreuve  est  faite,  l'innocence 
de  l'abbesse  est  avérée.  Nostre-Dame  elle- 
même  est  venue  à  son  aide.  Mais  l'abbesse 
coupable  confesse  à  l'évêque  et  sa  faute  et 
le  secours  divin  qu'elle  a  obtenu.  Frappé 
de  ce  miracle,  le  saint  homme  donne  l'ab- 
solution à  cette  mère  désolée,  et  fait  élever 
l'enfant  dont  la  délivra  Nostre-Dame. 

ACHILLE  (Saint).  —Le  mystère  de  Saint 
Achille  fut  joué  en  1524,  à  |Valence.  (Cf. 
Ollivier,  Essai  sur  Valence,  p.  154  et  311.) 
—  \  oy.  Saint  Félix  et  Saint  Fortunat. 

ADAM.  —  Un  manuscrit  du  xive  siècle  de 
la  Bibliothèque  de  Bouen,  n°  48,  29  Y,  non 
paginé,  contient  une  sorte  de  commémora- 
tion dramatique  du  Paradis  Perdu:  le  mer- 
credi des  Cendres  on  chassait  les  pénitents 
publics  de  l'Eglise,  en  chantant  un  verset 
commençant  par  ces  mots  :  Ecce  Adam.  (Cf. 
deLafons-Mélicocq,  Annales  archéologiques, 
t.  VIII,  p.  80-82.  Èdel.  Duméril,  Orig.  lat. 
du  th.  mod.;  Paris,  18V9,  gr.  in-8°,  p.  48,  note  1.) 

ADAM  D'HALBERSTADT.  —  Cf.  Schmi- 
dius,  Dissertatio  de  Adamo  Halberstadiensi 
in  die  Cinerum  execclcsia  ejecto  ;  Helmstadt, 
1702,  in-4\ 

ANNONCIATION.  —  M.  de  Lafons-Méli- 
cocq,  dans  les  Annales  archéologiques  (t.  VIII, 
p.  161),  cite  un  inventaire  de  l'église  cathé- 


drale de  Noyon,  où  ligure  un  costume  d'un 
acteur  du  Mystère  de  l'Annonciation. 

APPARITION.—  VApparitionse  retrouve 
en  Angleterre  dans  la  19*  pièce  du  Chester 
Whitsun  plays,  dans  la  25'  des  Towneley 
mysteries,  et  dans  la  38' du  Ludus  Coventriœ. 
—  En  Espagne,  on  a  un  auto  de  Juan  delà 
Encina,  composé  en  1494. 

AGNÈS  (Mystère  deSte). — H  est  sorti  des 
presses  de  Sermatelli  à  Firenze  en  1592  un 
mystère  italien  de  Ste  Agnès  (S.  Agnesa). 

C 

CAliMENTRANT  (Le  testament  de).  — 
Abi'xdasce  (Jean  d').  —  Le  testament  de. Car- 
mentrant  a  vm  personnages  :  c'est  assauoir  : 


CARMEN TRANT, 
ARCH1EPOT, 
TYKELARDON, 
LECHEFROÏE, 


CARESME, 
HARENSOCRET, 
TESTEDAULX, 
OGNIONS. 


(A  la  fin)  :  Finis  compose  par  Abundance 
h  grant  haste;  pet   in-8°  de  8  feuil. 

CHRIST  SOUFFRANT.  —  M.  Edelestand 
Duméril  (Origines  latines  du  théâtre  moderne; 
Paris,  Franck,  1849,  in-8°,  p.  10,  notes  1,  2), 
a  adopté  sur  le  Christ  souffrant  l'opinion 
exprimée  par  M.  Magnin  que  ce  drame  est 
de  plusieurs  auteurs. 

M.  Sehack  [Geschichte  der  dramatischen 
literatur  und  Kunst  in  Spanien,  t.  P',  p.  23) 
est  d'avis  que  cette  pièce  fut  déclamée  dans 
les  églises  le  vendredi  saint.  M.  Edelestand 
Duméril  {Ibid.^  s'est  rangé  à  cette  opinion. 

CRÉATION  DU  MONDE  (La).  —  Le  mys- 
tère Kvmri,  intitulé  La  Création  du  monde 
et  le  Déluge,  a  été  publié  en  1827  par  M.  Da- 
vies  Gilbert.  Il  ne  remonte,  dans  sa  forme 
actuelle,  qu'à  1611.  (Cf.  Edelestand  Dumé- 
ril ,  Origines  latines  du  théâtre  moderne  • 
Paris,  1849,  in-8°,  p.  34.) 

D 

DANIEL  d'Hilaire.  —M.  Edelestand  Du- 
méril, dans  ses  Origines  latines  du  théâtre 
moderne  (Paris,  1849,  in-8%  p.  35)  cite  le 
Daniel  d'Hilaire. 


iseï 


JAC 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 


m;s 


i'oGI 


DAVID   (La  vie  de  saint).  —  Voy 
(Mystère  de  sainte). 

E 

ENFANT  PRODIGUE  (L*).  —  L'Enfant 
prodigue  fut  joué  en  1563  à  Béthunc  par  les 
«  compaignons  du  serment  de  Saint-Mi- 
cbiel.  »  (Cf.  de  Lafons-Mélicocq,  dans  les 
Mélanges  hislor. ,  publiés  par  M.  Champol- 
lion-Figeac, t.  IV,  p.  327.)  Il  y  avait  été 
représeuté  dès  1532  (/&.,  note  4-.) 

F 

FELIX  (Saint).—  M.  Ollivier  (Essai  sur 
Valence,  p.  154  et  311)  a  publié  des  Lettres 
patentes  du  10  février  1524-  dont  nous  ex- 
trayons le  passage  suivant: 

«  Les  manans  habitans  de  la  ville  de  Va- 
lence, pour  préserver  et  garder  leur  ville 
des  pestes  et  autres  maladies  et  inconvé- 
niens,  et  la  tenir  en  prospérité  et  en  sancté, 
dès  longtemps  ont,  par  us,  ancienne  et  loua- 
ble coustume  et  observance  accoustumée, 
de  vingt-cinq  en  vingt-cinq  ans  ou  autre 
temps  limité,  joué  ou  fait  joué  l'ystoire 
des  glorieux  saincts  martyrs  Félix,  Forlunat 
et  Achille,  desquels  les  corps  reposent  en 
icelle  ville.  » 

FEMMES  QUI  ONT  LA  LANGUE  ARSE 
(Les). —  Farce  du  xv' siècle,  connue  seule- 
ment par  le  cri  du  Vendeur  de  livres. —  Voy. 
ce  mot. 

FORTUNAT  (Saint).  —  Le  mystère  de 
Saint  Forlunat  fut  joué  en  1524  à  Valence. 
(Cf.  Ollivier  ,  Essai  sur  Valence,  p.  154  et 
311.  —  Voy.  Saint-Félix  et  Saint-Achille. 

G 
GUERRE  ET  LE  DEBAT  (La).  —  Farce 
attribuée  à  Jean  d'Abundance. 

H 

HOMME  HUMAIN  (L').  —  M.  de  Lafons- 
Mélicocq,  dans  les  Annales  archéologiques 
(t.  VIII,  p.  159)  fait  mention  d'une  moralité 
de  V Homme  humain. 

Le  même  auteur,  dans  des  extraits  de 
chartes,  qu'a  publiés  M.  Champollion-Figeac, 
dans  les  Mélanges  historiques  (t.  IV,  p.  325) 
qui  font  partie  delà  Collectionaes  Documents 
inédits,  revient  sur  ['Homme  humain.  Cette 
moralité  fut  jouée  en  1526  par  les  vicaires 
de  Saint-Bélremieu. 

HKOTSW1THE.—  M.Edélestand  Duméril, 
dans  ses  Origines  latines  du  théâtre  moderne, 
(Paris,  1849,  in-8u,  p.  15-19]  et  auparavant 
dans  le  Journal  des  Savants  ae  Normandie,  a 
soutenu  l'opinion  que  le  théâtre  de  Hrots- 
uilha  n'avait  jamais  été  représenté.  Il  donne 
déco  sentiment  très-bizarre  ces  singulières 
raisons,  que,  dans  le  manuscrit,  le  théâtre 
est  intitulé  premier  livre,  et  les  légendes  qui 
le  suivent  second  livre;  les  didascalies  man- 
quent; l'exclamation  exparefed'Andronique 
pourrait  être  lue  expave  le,  etc. 


Nonne     frères  pélerinsdu  diclsaint, en  l'année  1596; 


JACQUES  (Saint,.  —  Bardon  de  Brun  (B.'j, 
Sainct-Jacques,  tragédie  (en  5  actes  et  en 
vers)    représentée  à  Limoges   par  les  con- 

FIN  DU  DICTIONNAIRE  DES  MYSTÈRES. 


Limoges,  par  Hugues  Barbou,  1596  :  petit 
in-8°.  Celte  pièce  rare  secompose  de  180  pp. 
non  compris  12  ff.  prélim.  (Brunet,  Manuel 
du  libraire,  au  mot  Bardon  ) 

JEHAN  LOYSON.  —  Farce  au  xv  siècle, 
connue  seulement  par  le  cri  du  Vendeur  de 
livres. —  Voy.  ce  mot. 

JULIEN  (L'empereur).  —  M.  Edélestand 
Duméril,  dans  ses  Origines  latines  du  théâtre 
moderne  (Paris,  1849,  in-8°,  p.  305-354)  a 
édité  le  Mystère  de  l'empereur  Julien  et  de 
Libanius,  son  sénéchal,  d'après  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale,  n°  7208,  4,  A, 
fol.  127,  verso. 

L 
LAURENT  (Saint).—  Un  mystère  de  San 
Lorenzo,  composé  au  xvi*siècle,a  été  imprimé 
à  Firenze,  chez  Sormatelli,  en  1592. 

LAZARE  (Le).  —  Le  Lazare,  morale  à  vi 
personnages  c'est  à  scauoir: 
Le  Lazare.  tare. 

Marte,  seur  du  Lazare.     Marye  Madslaine,  el  se? 
Iaçob,  seruiteur    du  La-         mii\  selrs. 

LEGER  (Saint).  —  La  vie  de  Saint  Legier 
fut  jouée  à  Bétnune,  lors  de  l'éleelion  de 
Charles-Quint  comme  roi  des  Romains.  (Cf. 
de  Lafons-Mélicocq,  dans  les  Mélang.  hist. 
publ.  par  M.  Champollion-Figeac,  t.  IV, 
p.  329.) 

M 
MARTIAL  (Saint).  —  Un  Miracle  du  bien- 
heureux saint  Martial  fut  joué  pour  la  pre- 
mière fois  en  1290,  et  pour  la  seconde  <m 
1302  par  les  bourgeois  de  Cahors,  dans  ie 
cimetière  et  près  de  la  croix  de  pierro  con- 
sacrés au  dit  saint.  (Cf.  l'abbé  Legros,  Mé- 
langes Manuscrits,  t.  I",  parmi  les  manus- 
crits de  la  Bibliothèque  du  grand  séminaire 
de  Limoges.) 

N 
NEMO. —  Les  grands  et  merveilleux  faits 
de  Nemo ,   farce  attribuée    à  Jean  d'Abun- 
dance. 

NOUVEAUX  PONUS  [Les).—  Farce  du  xV 
siècle,  connue  seulement  par  le  cri  du  Ven- 
deur de  livres. —  Voy.  ce  mot. 

P 
PATES  OUAINTES.—  La  farce  des  Paies 
Ouainles,  pièce  satirique,  représentée  par  les 
écoliers  de  l'université  de  Caen,  au  carnaval 
de  1492;  publiée  d'après  un  manuscrit  con- 
temporain, par  T.  Bonnin  ,  Evreux,  1843, 
gr.  in-8%  pap.  de  Hollande. 

Q 

QUINZE  SIGNES  (Les).— Farce  attribuée 
à  Jean  d'Abundanco. 

R 

RÉSURRECTION  DU  SAUVEUR.  -  Un 
mystère  de  la  Résurrection  du  Sauveur,  en 
prose,  s'est  rencontré  dans  un  manuscrit  du 
xv'  siècle,  parmi  ceux  de  la  b  bliolhèque  de\ 
la  reine  de  Suède ,  déposés  au  Vatican, 
ir  1728,  in-4%  papier.  (Cf.  Paul  Lacroix, 
Notices...  dans  les  Mélang.  histor.  publ.  par 
M.  Champollion-Figeac,  t.  III,  p-  282,  Coll. 
des  Doc.  inéd.  rcl.  à  t'Hist.  de  Fr.) 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 

CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Avant-Propos 

Sentiments  de     église  relativement  au  théâtre. 

I.  Canons  des  saints  Conciles. 

II.  Ecrits  des  saints  Pères. 


9 
17 
17 
51 


Abraham.  —  x'  siècle.  —  Opinion  de  M.  Magnin'sur  ce 
drame  :  id.  de  M.  0.  Leroy  ;  traduction  de  la  pièce.      67 

Abraliam  et  Isaac.  —  xu'  siècle.  —  Mention  de  M. 
l'abbé  de  Larue  ;  ce  drame  est-il  celui  mentionné  par  les 
frères  Parfait?  (Voy.  Vieux  Testament.)  78 

Abundance  (Jean  d').  —  xu' siècle.  — Duverdier,  les 
frères  Parfait.  78 

Abus  (Farce  d'  ).  —  xu'  siècle.  —  A  pour  auteur  Grin- 
goire.  Analyse  de  M.  0.  Leroy.  78 

Actes  des  apôtres.  —  xv'  siècle.  —  Manuscrits.  Opi- 
nions de  Lacroix  du  Maine.  Lassay,  Catherinot,  Bayle,  les 
frères  Parfait,  et  de  MM.  Sainte-Beuve,  Magnin  et  0. 
Leroy  ;  (ompte  rendu  des  frères  Parfait.  79 

Adam.  —  ix'  siècle.  —  Manuscrit,  éditions,  Grabe  ,  M, 
Boissonnadé,  M.  Dùbner  ;  critique  du  sujet  par  M.  Ma- 
gnin ;  traduction  de  la  pièce.  107 

Adam  d'Albersladt,  tradition  reproduite  par  M.  Magnin. 

110 

Adam  et  Eve.  —  xiv'  siècle.  —  M.  Magnin.  110 

Adoration  des  mages.  M.  de  Moléon.  110 

Agapes. — î"  siècle.  —  Baroiiius,  Séverin  Binius,  M. 
Magnin.  111 

Alléluia  (L'). —  vu'  siècle.  —  Héric,  l'abbé  Lebeuf, 
Du  Cange,  le  Mercure  de  France,  Du  Tilliot.  111 

Amis  et  Amille.  —  xiv'  siècle.  —  Manuscrit,  édition  de 
MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel  ;  version  française  du 
mystère.  112 

Amitié  bannie  du  momie  (L'). —  xu'  siècle. — A  pour 
auteur  Théodore  Prodrome  ;  n'a  point  les  caractères  d'une 
pièce  religieuse;  citation  d'après  M.  Magnin.  135 

Ancien  Testament  et  la  Passion  (V  ).  —  xve  siècle.  — 
M.  Paulin  Paris.  153 

Andrieu.  (  Les  jeux  de  monsieur  saint).  —  xv'  siècle. 
—  M.  Louandre.  136 

Andry  (S.)  —  xu'  siècle.  —  De  Beauchamps,  les  frères 
Parfait,  la  Bibliothèque  du  théâtre]françois  ;  compte  rendu 
des  frères  Parfait.  136 

Ane  (  La  fête  de  l'âne).  —  vu'  siècle.  —  Du  Cange, 
Du  Tilliot,  M.  Magnin;  ordre  de  la  procession  selon  l'u- 
sage de  Rouen;  chant  de  l'Ane;  traduction  reproduie 
par  Leber.  158 

Aneau  (  Barthélemv  ).  —  xu'  siècle.  —  Frères  Parfait. 

142 

Annonciation  de  la  Vierge.  —  xive  siècle.  —  MM.  Bay- 
nouard,  Magnin.  143 

Anti-Christ  (L').  —  xu*  siècle.  —  Manuscrit,  édition, 
opinions  de  Muratori,  de  Martin  Gerbert;  M.  Magnin,  M. 
Achille  Jubinal;  fonds  du  sujet;  analyse.  144 

Apocalypse  Mystère  de  1'  ).  —  xvie  siècle.  —  Edition, 
De  Beauchamps,  la  Bibliothèque  du  théâtre  [rançois,  M. 
Sainte  Beuve  ;  analyse  des  frères  Parfait.  147 

Apparition  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  — xne  siè- 
cle.—  Manuscrit  de  Saim-Benoit-sur  Loire;  traduction 
du  mystère.  150 

Apparition  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  à  deux  dis- 
ciples dans  le  bourg  d'Emmaiis  (Mystère  de  1").  151 

Apparition  de  S otre-Seigneur  Jésus-Christ  (L').  —  xu' 
siècle.  —  Auto  de  Pedro  Altamira.  133 

Archidiacre  (Miracle  de  1'  ).  —  xrr'  siècle.  —  Mystère 
inédit.  134 

Arrivée  de  l'époux  (Mvstère  de  1').  Mention  inexacte. 

158 

Ascension  (L').  Fausse  indication.  138 

Assomption  (Mystère  de  1').  —  xv»'  siècle.  —  Mention 
de  l'abbe  de  Larue.  139 

Assomption  (Mystère  de  1').  xu'  siècle.  —  Duverdier, 
de  Beauchamps.  la  Bibliothèque  du  théâtre  (rançois  ;  ana- 
lyse des  frères  Parfait.  139 

Assomption  (Moralité  de  1'  ).  —  xu'  siècle.  —  De  Jean 
Parmentier;  analyse  des  frères  Parfait.  161 

Avennir  (Le  Roi).  —  xv'  siècle.  —  De  Jean  du  Prier; 
opinions  de  de  Beauchamps,  de  la  Bibliothèque  du  théâtre 
Conçois  ;  analyse  des  frères  Parfait  163 

Barbe  (Mystère  de  sainte).  —  xv'  siècle.   —  Mentions 


de  de  Beauchamps,  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ; 
opinions  de  MM.  0.  Leroy,  Paulin  Paris  ;  analyse  des  frè- 
res Parfait.  169 

Barbe  (Mystère  de  sainte  ).  —  xvi'  siècle.  —  Erreur  de 
la  Bibliothèque  du  tliéàtre  (rançois;  Duverdier;  analyse 
des  frères  Parfait.  196 

Bauteuch  (Sainte).  —  xiv'  siècle. —  Manuscrit,  édition 
de  MM.  Ed.  Frère,  Achille  Jubinal  et  Leroux  de  Lincy; 
analyse  du  mystère.  198 

Benoit  sur  Loire  (Manuscrit  de  Saint-).  — xiu'  siècle. 
—  Indiqué  par  Du  Cange,  l'abbé  Lebeuf,  les  Bénédictins, 
publié  par  MM.  l'abbé  La  Bouderie  et  Monmerqué,  par 
M.  Wright  en  Angleterre;  mentionné  par  MM.  Magnin, 
0.  Leroy,  Ach.  Jubinal,  Chabailles  et  Dessales;  drames 
qu'il  contient.  200 

Bernard  (Saint).  —  xu'  siècle  (?)  —  Mention  de  de 
Beauchamps.  201 

Bien-avisé  et  Mal-Avisé.  —  xv'  siècle.  —  De  Beau- 
champs,  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois;  opinion  de 
M.  Sainte-Beuve  ;  analyse  des  frères  Parfait.  201 

Blaspliémateurs  (Les).  —  xu'  siècle.  —  Duverdier,  de 
Lacroix  du  Maine  ,  de  de  Beauchamps,  la  Bibliothèque  du 
théâtre  françois;  réédition  de  la  Société  des  Bibliophiles, 
extraits  de  Dibdin  ;  autre  réimpression  aux  fraisdu  prince 
d'Essling;  analvse  incomplète  de  M.  0.  Lerov;  ana- 
lyse. 212 

Bodel  (Jean),  auteur  du  Théophile.  —  xif  siècle. — 
Erreurs  de  M.  0.  Lerov,  relevées  par  M.   Paulin  Paris. 

216 

Bœuf  (  Prose  du  ).  —  Epoque  inconnue.  —  Le  Père 
Théophile  Baynaud.  218 

Buhez  Santèz  Nonn.  —  V.  Sainte  Nonne. 

Galènes  (Les).  —  xu'  siècle.  —  Du  Cange.  217 

Callinuiaue. —  x'  siècle.  —  Drame  de  Hrotswithe.  Opi- 
nions de  MM.  Magnin  et  Patin   Traduction    de  la  pièce. 

217 

Catherine  (  Le  jeu  de  Sainte-  ).  —  xn'  siècle.  —  Du 
Boulay,  l'abbé  Lebeuf,  les  Bénédictins,  de  Btfquefort- 
Flaméricourt,  l'abbé  de  Larue,  M.  Raynouard,  M.  0  Le- 
roy, M.  Magnin;  fragment  de  Matthieu  Paris.  227 

Catherine  (de  Sienne,  de  Fierbois  du  mont  Sinaï(?) 
[Sainte-]. —  xv'  siècle  (?).  —  Chronique  de  Metz,  Du- 
verdier, les  frères  Parfait,  de  Beauchamps,  M.  Magnin  ; 
incertitude  229 

Césaire  (Saint).  —  Epoque  incertaine.  —  De  Beau- 
champs.  229 

Chesnaye  (  Nicole  de  la).  —  xu'  siècle.  —  Duverdier, 
Lacroix  du  Maine,  de  Beauchamps.  229 

Chevalier  (Le).  —  xu'  siècle. —  De  Beauchamps,  la 
BiblioUièque  du  théâtre  [rançois,  les  frères  Parfait,   ana- 
lyse. 250 
'  Chivalet  (Antoine),  auteur  du  Saint  Christofle.  —  xue 
siècle.  —  Note  de  Guy  Allard,  les  frères  Parfait.        232 

Chocquet  (Louis),  auteur  de  l' Apocalypse.  —  xu'  siè- 
cle. —  On  lui  a  attribué  à   tort  les  Actes  des  apôtres. 

252 

Christ  (Jeu  du).  —  xiu'  siècle.  —  Chronique  du  Frioul, 
Muratori,  M.  Raynouard.  252 

Christ  souffrant  (Le).  —  Voy.  la  Passion.  253 

Christine  (Sainte).  —  Epoque  incertaine.  —  De  Beau- 
champs.  255 

Christofle  (Saint).  —  xu'  siècle.  —  Auteur,  Antoine 
Chivalet.  Mention  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ; 
analyse  des  frères  Parfait.  2'»3 

Claire  (  Sainte  ).  —  Epoque  incertaine  —  De  Beau- 
champs.  245 

Clovis  (Le  roi).  —  xiv'  siècle.  —  Manuscrit,  édition  de 
MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel.  Opinion  de  M.  0.  Leroy. 
Version  française  de  ce  mystère.  245 

Conards  (Les).  —  Moven  âge.  —  Formules  de  la  fête  ' 
des  Fous.  Du  Tilliot,  l'abbé  d'Artigny.  272 

Conception  (L'immaculée).  Voy.  le  Triomphe  des  Nor- 
mands. 272 

Conception  (La).  —  xu'  siècle.  —  Voy.  Passion.       2/2 

Condamnation  <)e  Banquet  (La).  —  xv'  siècle.  —  De 
Beauchamps,  les  frères  Parfait,  M.  0.  Leroy.  2/l 

Conflit  des  vertus  et  des  vices  (Le).  Dialogue  dTsidore 
de  Séville,  considéré  à  tort  comme  monument  dramaU- 
que.  275 


1565 


TABLE  DES  MATIERES. 


1500 


Couches  de  la  Vierge  (Les  ).  —  xiv  siècle.  —  M.  Ray- 
nouard.  273 

Création  (La).  —  xv'  siècle.  —  M.  Vallet  de  Viriville. 
Mentions  vagues  de  de  Beauchamps,  Raynouard.  274 

Crépin  (Saint)  et  Saint  Crépinien.  —  xiv'  siècle.  —  Ma- 
nuscrits, édition  de  MM.  Chabailles  et  Dessales;  analvso. 

'274 

Daniel  (d'Hilaire,  disciple  d'Abailard  ).  — xn'  siècle.  — 
Manuscrit;  édition  de  M.  Chanipollion-Figeac;  M.  0.  Le- 
roy; traduction.  279 

Danse  générale  (La). — xiv*  siècle. —  Auto,  dom  To- 
mas  Sanchez.  284 

Danses  consacrées  (Les).  —  Moyen  âge.  —  Formules 
de  la  fête  des  Fous.  285 

Défruit  (Le).  —  Moyenâge.  —  Formule  de  la  fête  des 
Fous.  285 

'  Denis  (  La  conversion  de  saint).  —  xv  siècle.  —  Ma- 
nuscrit; édition  de  M  A.  Jubinal;  analyse.  286 

Denis  (Le  martyre  de  saint).  —  xve  siècle.  —  Manus- 
crit; édition  de  M.  A  Jubinal  ;  mention  de  de  Beau- 
champs;  opinion  de  M.  0.  Leroy;  analyse  tirée  delà 
Bibliothèqtie  du  théâtre  françois.  287 

Denis  (Le  mystère  de  saint).  — xvi*  siècle.  —  Citations 
vagues  de  de  Beauchamps;  analyse  des  frères  Parlait.  288 

Denis  (Mimes  de  saint).  —  xve  siècle.  —  Monstrelet, 
M.   0.  Leroy.  291.  291 

Désert  (Le). — xvi' siècle. —  Comédie  de  Marguerite 
de  Navarre  ;  les  frères  Parfait,  la  Bibliothèque  du  théâtre 
françois.  291 

Diablerie  (La).  —  xvi'  siècle.  —  A  pour  auteur  Eloi 
d'Amernal;  Duhalle,  M.  Vallet  de  Viriville;  analyse  des 
frères  Parfait.  291 

Dialogue  entre  Dieu  l'homme  et  le  diable.  —  xve  siècle. 
—  L'abbé  Lebeuf.  295 

Dieu  (Le  jeu  de).  —  xiv'  siècle.  —  Du  Gange.  295 

Dominique  (Saint).  —  xvi'  siècle.  —  De  Beauchamps, 
la  Bibliothèque  du  tliéàlre  françois  .analyse  des  frères  Par- 
fait. 295 

Dominus  régit.  —  xv'  siècle.  —  M.  Louandre.  298 

Dulcitius.  —  x' siècle. —  Drame  de  Hrotswithe;  M. 
Magnin;  traduction-  298 

Enfant  donné  au  diable  (L'). —  Manuscrit. —  Pièce 
restée  inédite  ;  analyse  et  citations.  305 

Enfant  ingrat  (L'  ).—  Notice  par  les  frères  Parfait.  306 
Enfants  d'Israël  (Les).  —  xiv'  siècle.  —  L'abbé  de  La- 
rue.  3t0 
Enfant  mis  aux  lettres  (V  ).  —  xv'  siècle.  —  M.  Paulin 
Paris.                                                                               310 
Enfant  de  perdition  (L').  —  xvi'  siècle. —  Duverdier, 
de  Beauchamps,  lesfrères  Parfait,  la  Bibliothèque  du  théâ- 
tre françois;  réimpression;  analyse.  310 
Enfant  prodigue  (L'  ).  —  xvi'  siècle.  —  La  Bibliothèque 
du  théâtre  françois  ;  M.  Sainte-Beuve;  analyse  des  frères 
Parfait.  512 
Entrée  à  Jérusalem  (L').  —  Moven  âge.  —  De  Moléon  ; 
M.  Magnin.  314 
Eptus  Puor.  —  Moyen  âge.  314 
Erasme  (Saint).  —  xv'  siècle.  —  De  Beauchamps.    315 
Etienne  (Saint). — xv'  siècle. —  Manuscrit;   mention 
de  De  Beauchamps  ;  édition  de   M.  A.  Jubinal;   note  de 
M.  Quicherat;  analyse  et  citations.  315 
Exupère  (Saint).  —  xvi'  siècle.  —  M.  Giraad.  317 
Ezéchiel  le  tragiqje.  —  n'  siècle.  —  Article  de  M.  Ma- 
gnin. 317 

Félicien  (Saint).  Journal  de  Paris  de  1787.  319 

Femme  au  roi  de  Portugal  (La).  —  xiv'  siècle.  —  Dra- 
me inédit  ;  analyse  et  citations.  319 
Femme  sauvée  du  feu  (La).  — xiv'  siècle.  —  Manuscrit; 
édition  de  MM.  Monmerqué  etFr.  Michel;  M.  0.  Leroy  ; 
version  française.  520 
Fête  des  Fous  (La).  —  Moyen  âge. —  Les  travaux  sur 
la  fête  des  Fous  sont  restés  trop  exclusifs  :  Du  ("ange,  le 
P.  Théophile  Ravnaud,  Du  Tilliot,  l'abbé  d'Artigny, 
l'abbé  ^p  Lame,  M.  Magnin.  —  La  fêle  des  Fous  est  aussi 
ancienne  que  l'Eglise  et  a  été  universelle  ;  Orient,  Occi- 
dent. —  Les  Fous  eurent  des  papes,  des  rois.  —  La  va- 
?iét  5  des  formules  est  infinie.  —  Le  nord  de  la  Franco, 
le  centre  et  le  sud-est,  en  subissent  surtout  les  atteintes. 

337 
Fête  des  merveilles  (La).  5 H 

Fête  des  miracles  (La).  311 

Fiacre  (Saint).  —  xv' siècle.  —  Mention  de  De  Beau- 
champs;  édition  de  M.  A.  Jubinal;  opinions  de  M.  0.  Le- 
roy; analyse  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois.  341 
Fidèle  (Le).  — ■  xvi*  siècle.  —  Manuscrit;  édition  do 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Francisque  Michel  :  analyse  et 
citations.  3  kl 


Fille  du  roi  de  Hongrie  lia),  —  xiv*  siècle.  —  Edition 
de   MM.  Monmerqué    et   Fr.  Michel;  version   française 

'  541 

Filles  dotées  (Les).  —  xin'  siècle.  —  Traduction.    575 

Fils  de  G«%on  (  Le  )  —  xui'  siècle.  —  Manuscrit  de 
Saint-Benoit-sur-Loire.  Traduction  du  mystère.  375 

France  (La).  —  xvi'  siècle.  —  Duverdier,  les  frères 
Parfait;  mention  manuscrite  de  M.  A.  Jubinal;  analvsp. 

'378 

François  (Saint). — Epoque  incertaine.--  De  Beau- 
champs.  380 

Gabriel  et  Marie.  Dialogue  philosophique  indiqué  à  tort 
parmi  les  monuments  dramatiques.  579 

Gallican  (Le). — x'  siècle. — A  pour  auleurRrotswithe; 
semble,  dans  une  de  ses  scènes,  reproduire  les  légendes 
relatives  à  la  conversion  de  Clovis  ;  éclairs  d'un  comique 
grossier  et  populaire,  mais  vif  et  naturel  ;  traduction  du 
drame.  379 

Gaudine  (La  marquise  de  la>.  —  xiv'  siècle.  —  Manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale  ;  pièce  inédite  ;  analyse 
de  M.  0.  Leroy.  392 

Gédéon  (Le  combat  de).  Fausse  indication.  Le  Gédéon 
est  un  sermon.  394 

Getlroy  (L'abbé).  —  xn'  siècle.  394 

Geneviève  {  Les  miracles  de  sainte  ). —  xv'  siècle.  — 
Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève;  édi- 
tion de  M.  A.  Jubinal;  opinions  de  M.  0.  Leroy;  analyse 
de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois.  594 

Geneviève  (Manuscrit  de  sainte).  — xv'  siècle.  —  Publié 
par  M.  A.  Jubinal  ;  opinion   singulière  de  M.  Villemain. 

597 

Georges  (Saint).  —  Date  incertaine.  —  Fragment,  598 

Germain  (Le  mystère  de  saint).  —  xvc  siècle.  —  Joué 
à  Auxerre,  dans  l'intérieur  d'une  église  ;  mention  de 
l'abbé  Lebeuf;  observation  de  M.  Magnin.  599 

Gouvert  d'Humanité  (Le).  —  xvi'  siècle.  —  De  Jean 
d'Abondance  ;  Duverdier,  les  frères  Parfait.  599 

Gresban  (Arnoul  et  Simon).  —  xv'  siècle.  599 

Gringoire  (Pierre).  —  xv'  siècle. —  Opinions  de  M. 
0.  Leroy.  599 

Guillaume ,  ermite  (Saint). —  Date  incertaine.  — De 
Beauchamps.  401 

Hérésie  et  l'Eglise.  —  xvi'  siècle.  —  Manuscrit;  édition 
de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  ;  opinion  erro- 
née de  M.  0.  Leroy  ;  analyse  et  citations.  401 

Hérode  ou  l'Adoration  des  mages.  —  xne  sièole.  —  Ma- 
nuscrit de  Saint-Benoit-sur-Loire  ;  traduction.  402 

Hilaire,  disciple  d'Abailard.  —  xn'  siècle.  —  Edition  de 
ses  œuvres  par  M.  Champollion-Figeac;  a  laissé  parmi 
diverses  pièces  versifiées,  trois  mystères.  406 

Homme  fragile  (L').  —  xvi'si'cle.  —  Manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  ;  édition  de  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel  ;  analyse  et  citations  407 

Homme  juste  et  l'homme  mondain  (L'). —  xvi'  siècle. 
—  A  pour  auteur  Simon  Bougouin.  Duverdier,  Lacroix 
du  Maine,  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ;  analyse  des 
frères  Parfait.  408 

Homme péclieur  (L'1.  —  xvi'  siècle.  — De  Beauchamps, 
la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ;  analyse  des  frères 
Parfait.  412 

Homme  produit  par  nature  (L').  —  Duverdier-Vaupri- 
vaz,  les  frères  Parfait.  41 1 

Honorât  (Saint).  Indication  vague  et  époque  incertaine. 

41 4 

Honorine  iSainte).  —  xvi'  siècle.  —  L'abbé  de  Lame. 

411 

Hostie  (La  sainte).  41." 

Hrotswithe.  —  x'  siècle.  —  Religieuse  de  Gandeshciik, 
auteur  de  diverses  pièces.  i  I  3 

Hvpodiacres  (La  tète  des).  422 

Hyppolythe  (Saint).  Ui 

Ignace  le  grammairien.  — ix'  siècle.  — Auteur  d'Adam, 

Ignace  (Saint).  —  xiv'  siècle.  — Mannscritde  la  Biblio- 
thèque impériale;  édition  de  MM.  Monmerqué  et  Fr. 
Michel  ;  version  française  du  mystère.  421 

Impératrice  romaine  (L').  —  xn' siècle.  —  Manuscrit 
de  la  Biliothèque  impériale;  édition  de  MM.  Monmerqué* et 
Fr.  Michel;  version  française.  *« 

Incarnation  (L').—  xiv'  siècle.  —  Mention  de  1  abbé 
•  le  I  arue.  ,    „..*?8 

Innocents  (Les).  —  xi'  siècle.  —Manuscrit  de  la  Biblm- 
thèque  impériale;  fragment  publié  par  M.  Magnin.      4o8 

Innocents  (Le  massacre  des).  —  xn'  siècle.  —  «anus 
de  Saint-Benoit  sur  Loire;  version  française  *39 

li'vncrnts  (Comédie  dcsV  —  %w*  siècle.  —  A  ponr  au- 


15U7 


TABLE  DES  MATIERES. 


1568 


tcar  Marguerite  de  Navarre.  Frères  Parfait;  U  Bibliothè- 
que du  théâtre  français.  462 

Institution  des  Frères  Prêcheurs.  462 

Jacques  (Saint).   Mention  vague  de  de  Beauchamps. 

461 

Jein-BuptisMe  (Saint).  —  xvi*  siècle.  —  Duverdier,  de 
Beauchamps,  les  frères  Parfait.  (Kspagne,  xvr*  siècle,  le 
Baptême  de  Sainl-Jeun,  la  Conception  de  Saint-Jean  d'Es- 
teban  Martinez).  461 

Jean-Baptiste  (Mvstère  de).  —  xvi*  siècle.  —  M.  Emile 
Jolibois.  462 

Jelum  le  Palu  (Saint).  —  xiv*  siècle.  —  Manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale;  mention  de  M.  0.  Leroy         474 

Jeudi  suint  'Le).  — Moyen  âge.  —  Usagede  la  fête  des 
Fous.  474 

Jeu  Paschul.  474 

Job  (La  patience  de).  —  xvr*  siècle.  —  La  Bibliotlièque 
du  théâtre  irançois;  analyse  des  frères  Parfait.  474 

Jorns  (Mystère  de).—  xvic  siècle    —  M.    Louandre. 

477 

Joseph.  — im'  siècle. —  mention  des  Annales  de  Cor- 
bie,  Leibnitz,  Martin  Gerbert.  477 

Joseph  (La  vendition  de  ).  —  xvr*  siècle.  —  Exem- 
plaire unique;  réimpression  aux  frais  de  M.  la  prince 
d'Essling  ;  mention  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois; 
analyse  et  citations.  477 

Joseph  (Les histoires  de).  —  xvi'  siècle.  —  M.  Louan- 
dre. 478 

Josse  (Saint).  Mention  vague  de  de  Beauchamps.     478 

Jouet  d'or  (Le).  —  xive    siècle.  —  M.   Paulin  Paris. 

478 

Jour  des  merveilles.  —  Moyen  âge.  479 

Juif  volé  (Le).  —  xn*  siècle.  — Manuscrit  de  Saint-Be- 
Doltsur  Loire;  édition  de  la  Société  des  bibliophiles; 
version  française.  479 

Julien  (Saint).  Mention  vague  de  de  Beauchamps.    482 

Justice  (La).  —  xi'  siècle.  —  Extrait  du  manuscrit 
original  ;  âge  incertain  ;  se  retrouve  à  diverses  époques, 
chez  divers  peuples;  opinions  de  M.  l'abbé  de  Lame; 
fragments  cités  par  cet  auteur;  M.  Paulin  Paris.  M.  0. 
Leroy.  482 

Kalcandach  483 

Las  d'amour  divin  (Le).  —  xvi  siècle.  —  Citation  de 
de  Beauchamps  ;  analyse  de  la  Bibliothèque  du  théâtre 
françois.  485 

Laurent  jSaint).  —  xvi*  siècle.  —  Citation  de  de  Beau- 
champs  ;  analyse  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois. 

483 

Lazare  ressuscité  (Saint).  — xn*  siècle.  — Manuscrit  de 
Saint-Benoit  sur  Loire;  opinion  de  M.  Magnin;  version 
française.  (  486 

Lâzure  (  La  résurrection  de).  —  xn*  siècle.  —  A  pour 
auteur  Hilaire,  disciple  d'Abailard  ;  note  de  M.  Champol- 
lion-Figeac;  opinion  de  M.  O.Leroy;  version  française. 

489 

Léocade  (Sainte).  Mention   vague  de  de  Beauchamps. 

489 

Liberté  de  décembre.  492 

Lotis  (Les).  492 

Louis  (Saint).  —  xvi*  siècle.  —  A  pour  auteur,  Pierre 
Gringoire.  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale;  mys- 
tère inédit;  opinion  de  MM.  0.  Leroy,  Villemain;  ana- 
lyse de  M.  0.  Leroy.  492 

Loup  (  Le  jeu  de  saint  ).  Mention  de  Duhalle,  Courta- 
lon,  Grosley,  M.  Vallet  de  Viriville.  498 

Loup-Vert.  Formule  de  la  fête  des  Fous  ;  M.  Langlois. 

498 

Macluibées  —  xvr"  siècle.  —  Jean  de  Virey,  auteur  des 
Macluibées;  sa  biographie  par  les  frères  Parlait  ;  analyse 
des  Machabées  par  les  mêmes;  observations  de  M.  Sainte 
Beuve.  497 

Maclou  (Saint).  —  xve  siècle.  —  Charte  de  l'évêquede 
Langres;  M.  Vallet  de  Viriville  nOO 

Madeleine  (La  vie  de  sainte).  —  xv*  siècle.  —  Le  Père 
Colonia.  500 

Madeleine  (La  vie  de  Marie).  —  xv'  siècle.  —  Analyse 
de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois.  501 

Marguerite  (Sainte).  —  xvr*  siècle.  —  Duverdier,  de 
Beauchamps,  les  frères  Parfait.  501 

Marguerite  de  Navarre.  —  xvi*  siècle.  —  Les  frères 
Parfait,  M.  0.  Leroy.  502 

Martial  de  Limoges  (Manuscrit  de  saint).  —  m*  siècle. 
—  Note  de  l'abbé  Lebeuf.  Les  Bénédictins,  de  Boquefort, 
MM.  Amaury-Duval  ;  éditions  de  MM  Ravnouard,  Fran- 
cisque Michel,  Thomas  Wright  en  Angleterre;  opinions 
de  MM.  Magnin.  JubinM.  Fr.  Michel,  Morntieiijtif!,  Mo- 
rice,  0.  Leroy.  S05 


Martin  (Saint).  —  xv*  siècle.  —  Inédit.  —Ce  mystère 
a  pour  auteur,  André  de  La  Vigne.  Analyse  de  M.O.Le- 
roy 505 

Martin  (Saint).  —  xvie  siècle.  —  Edité.  —  Auteur  in- 
connu ;  M.  0.  Leroy  ;  de  Beauchamps.  507 

Mauvais  riche  et  le  ladre  (Le).  —  xvi'  siècle.  —  De 
Beauchamps,  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois;  les  frè- 
res Parlait;  M.  Sainte-Beuve  ;  analyse.  508 

Membres  et  l'estomac  (Les).  — xvi*  siècle.  —  Manus- 
crit de  la  Bibliothèque  impériale;  appréciation  de  M.  0. 
Leroy.  310 

Michel  (Jean).  —  xv*  siècle.  510 

Mirucles  de  sainte  Geneviève.  511 

Miracles  de  Notre-Dame.  —  xiv'  siècle  —  De  Beau- 
champs,  M.  Magnin  ;  M.  0.  Leroy  développe  les  idées 
émises  par  M.  Magnin;  Histoire  du  manuscrit  par  M.  Pau- 
lin Paris  ;  table  analytique.  511 

Miracles  de  saint  Nicolas.  517 

Molinet  (Jean).  —  xv*  siècle,  —  Les  frères  Parfait. 

517 

Monde  (Le)  de  Jean  d'Abundance.  —  xvr*  siècle.  — Du- 
verdier, les  frères  Parfait.  518 

Motjse  (La  vie  de).  Mention  vague  de  de  Beauchamps. 

518 

Mundus,  Caro  et  Demonia.  —  xvr*  siècle.  —  Ancienne 
édition  réimprimée  ;  analyse  des  frères  Parfait.  518 

Nativité  (La)  de  Notre- Seigneur  Jésus-Christ.  A  été 
figurée  dans  les  Rites,  représentée  hors  de  l'intérieur 
des  églises.  I.  Rites:  x'  siècle,  Limoges;  IL  Mystères  : 
xiv'  siècle,  Bayeux  ;  xve  siècle,  1°  Mustèrede  la^ctlvité  : 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  ;  édition 
de  M.  A.  Jubinal;  mention  dans  la  Bibliotlùque  du  iliéâtre 
françois;  am\y  se.  T  Mystère  de  l'Incarnation  et  de  la  Na- 
tivité de  Nolre-Seigncùr  Jésus-Christ.  Analyse  des  frères 
Parfait.  xvie  siècle,  1°  auto  de  Juan  Pastor;'  2°  Mystère  de 
la  Nativité  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  par  B.  Aneau; 
analyse  des  frères  Parfait  5°  Comédie  de  la  Nativité  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  par  Marguerite  de  Navarre; 
analyse  des  frères  Parfait.  —  xvm*  siècle,  Allemagne. — 
xix*  siècle,  France.  519 

Nature  et  loi  de  rigueur. —  xvr*  siècle.  —  Manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale  ;  édition  de  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.  553 

Nicolas  (La  statue  de  saint).  —  xn'  siècle.  —  Drame 
d'Hilaire  ;  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale;  édi- 
tion de  M.  Champollion-Figeac;  remarques  de  MM.  Mon- 
merqué,  Fr.  Michel,  0  Leroy;  traduction.  535 

Nicolas  (Le  jeu  de  saint).  —  xn'  siècle.  —  A  pour  au- 
teur Jean  Bodel;  manuscritde  la  Bibliothèque  impériale; 
édition  de  MM.  l'abbé  La  Bouderie  et  Monmerqué  ;  opi- 
nions de  MM.  Daunou.  Amaury  Duval,  de  Roquefort,  0. 
Leroy,  M;ignin,  Paulin  Paris;  analyse  et  citations.        536 

Nicolas  (Miracles  de  saint).  510 

Nicolas  (Mystère  de  saint).  —  xvi*  siècle.  —  Note  do 
DuverJier  ;  les  frères  Parfait, de  Beauchamps.  540 

Nicolas  (Remontrance  de  saint).  540 

Nicolas  de  Tolenlin  (Saint).  — xv*  siècle.  —  Le  Père 
Colonia,  M.  Magnin.  540 

Nonne  (  Sainte  ).  — xn"  siècle.  —  Mystère  en  langue 
bretonne  publié  par  l'abbé  Sionnet;  opinions  de  Rav- 
nouard; traduction  de  Legonidec.  541 

Non  quoi  super  terrain.  —  xvi*  siècle.  —  Bibliothèque 
du  théâtre  françois.  5iô 

Notre-Dame.  —  xvie  siècle.  —  Bibliolhèaue  du  théâtre 
françois.  543 

Notre-Dame.  —  xvr*  siècle.  —  Mentions  de  de  Beau- 
champs.  54  i 

Notre-Dame  du  Phi/. — xvr*  siècle.  — A  pour  auteur. 
Claude  d'Oléron.        '  544 

Obit  de  la  Bouteille. —  xin.  siècle.  —  Usage  de  la  fête 

des  Fous,  -v  545 

Odillon  (Chant  funèbre  de   saint  ).  Indication    fausse. 

515 
Ofiice  de  l'Etoile.  545 

—  de  la  Nativité  513 

—  du  Sépulcre,  5ib 
Ollion,  roi  d'Espagne.  — xiv'  siècle.  — Manuscrit  rie  la 

Bibliothèque  impériale;  édition  de  MM.   Monmerqué  et 
Fr  Michel  ;  version  française.  5i3 

Paplmuce.  —  x'  siècle.  —  A  pour  auteur  ITrotswithe. 
On  en  a  exagéré  le  pédantisme  et  la  subtilité;  ce  semble 
une  pièce  scholaire;  traduction  du  drame.  569 

Passion  (La).  —  A  été  en  Orient  du  1"  au  v*  siècle,  en 
Occident,  du  v*  au  xvu' siècle,  l'objet   de  deux   grandes 
tentatives  dramatiques.  Orient  :  Le  Christ  souffrant,  at-  . 
trihué  a  saint  Grégoire  de  Nazianze  ;  discussion  de  M.  Ma- 
pnin  à  ce  s'tjet.  Traduction  du  drame.  Occident  :  La  Pas- 


I5G9 


TABLE  DES  MATIERES. 


lion  a  eu  ses  offices  figurés.  L'Idée  n'en  semble  pas  fran- 
çaise, mais  plutôt  italienne.  Quand  elle  s'est  produite, 
{"elle  a  péri  en  Italie;  2°  elle  a  tout  absorbé,  elle  est 
devenue  une  somme  dramatique  ;  3°  l'entbousiasme  a  été 
immense.  Les  auteurs  rie  la  Passion  sont  restés  inconnus. 
Ses  représentations  n'ont  cessé  que  par  arrêt  du  Parle- 
ment. Le  m'  siècle  s'en  est  plus  occupé  que  le  xviii*. 
Lne  analyse  définitive  est  impossible,  parce  que  les  mo- 
numents originaux  ne  se  sont  pas  encore  retrouvés;  on 
ne  peut  que  considérer  à  part  quelques-uns  des  princi- 

fiaux  manuscrits  ou  des  plus  importantes  éditions.  Ana- 
ysesdeMM.  Paulin  Paris,  0.  Leroy,  des  Irères  Parlait. 
Enfin,  à  côté  des  œuvres  spontanées,  sont  m'es  des  pro- 
ductions érudites  qu'on  ne  saurai'  passer  sous  silence. 
Les  pantomines  de  la  Passion  sont  en  dernier  lieu  à  no- 
ter. 583 

P.iul  (Conversion  de  saint).  —  xi*  siècle.  —  Manuscrit 
de  Saint-Benoit-sur-Loire  ;  observations  de  MM.  Magnin 
et  Wrigth  ;  traduction.  825 

Paul  (Saint). — xv'  siècle. —  Manuscrit  de  la  Bibliothè- 
que Sainte-Geneviève  ;  édition  de  M.  A.  Jubinal  ;  ana- 
lyse et  extraits.  826 

Pèlerins  d'Emaux  (Les).  Lafons-Melicocq  ;  Champol- 
lion-Figeac.  829 

Pentecôte  (La).  — xiy'  siècle. —  Mention  de  l'abbé  I)e- 
larue.  829 

Pierre  et  saint  Paul  (Martyre  de  saint).  —  xv'  siècle. 

—  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  ;  men- 
tion dans  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ;  édition  de 
M.  A.  Jubinal  ;  analyse,  et  citations.  829 

Pierre  et  saint  Paul  (Mystère  de  saint).  — xvi'  siècle. 

—  De  Beauchamps  ;  la  Bibliotlièque  du  théâtre  françois  ; 
analyse  des  frères  Parfait.  832 

Plusieurs  qui  n'a  point  de  conscience.  —  xvi'  siècle. 

834 

Prise  de  Calais  (La).  —  xvi'  siècle.  —  Manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  ;  édition  de  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel  ;  M.  0.  Leroy  ;  sentiment  de  la  richesse 
anglaise  et  de  la  force  intellectuelle  de  la  France  ;  repro- 
duction du  texte.  851 

Prise  de  Jérusalem  (La).  MM.  Bilson  et  Edelestand 
Duméril .  838 

Procès  du  diable  (Le).  —  xivc  siècle.  —  Son  auteur  est 
ie  grand  jurisconsulte  Barthole;  analyse.  838 

Procession  de  la  Fête-Dieu  d'Aix.  —  xv'  siècle.  —  For- 
mule de  la  fête  des  Fous.  839 

Procession  du  Hareng.  —  xv'  siècle.  — Autre  formule 
de  la  même  fête.  840 

Procession  noire  d'Evreux.  —  xiii'  siècle.  —  Id.     840 

Procession  de  saint  Paul  à  Vienne.  —  Id.  840 

Prophètes  (Les)  du  Christ.  M.  Duméril  ;  Mariolt.    812 

Purification  de  Notre-Dame  (La).  —  xv'  siècle.  —  M. 
Louandre.  842 

Quentin  (Saint). — xm' siècle. —  Mentions  de  Claude 
Hémeré,  de  l'abbé  Lebeuf,  de  M.  Louandre.  841 

Quirin  (Les  jeux  de  monsieur  saint).  —  xv'  siècle.  — 
M.  Louandre.  812 

Quod  secundum  legem  débet  mort.  Duverdier,  frères 
Parfait,  Bibliothèque  du  théâtre  françois.  813 

Rachel  (Les  lamentations  de).  813 

Radegonde  (Chant  funèbre  de  sainte).  — vi*  siècle  — 

Signalé  par  M.  Magnin,  rappelé  par  M.  0.   Leroy;  extrait 

de  Grégoire  de  Tours.  813 

Rameaux  (Les).  Fragment  liturgique  encore  actuelle- 
ment subsistant  considéré  comme  dramatique  par  M. 
l'abbé  La  Bouderie.  815 

Rédemption  (La).  M.  Magnin.  843 

Reine  (Sainte).  —  xvm'  siècle.  —  L'abbé  Lebeuf.   815 
Religieuse  (La).  —  xiy' siècle.  — Manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  ;  pièce    inédite  ,  analyse  de  M.  0. 
Leroy.  815 

Rémi  (Saint).  —  xvi'  siècle.  —  M.  0.  Leroy.  816 

Rcpprezcntalioni.  —xm'  siècle.  —  Scènes  pieuses  figu- 
rées. 817 
Résurrection  (La). — I.  Rites  figurés;  ix*  siècle:  Poitiers, 
Metz  ;  x"  siècle  :  Angleterre  ;  France  :  Verdun,  Limoges; 
xr"  et  xir*  siècles:  Soissons,  Bouen  ;  xn'  et  xm'  siècles  : 
Allemagne,  Zurich  ;  xui'  siècle  :  Sens  ;  xnr siècle  :  Alle- 
magne :  Saint-Biaise,  France.  ;  Toul,  Strasbourg,  Laon, 
Tours  ;  xv'  siècle  :  Vienne,  Narbonne;  xvi' siècle  :  Troyes; 
xvn'  et  xvm'  siècles  :  Angers,  Bourges.  —  IL  Re- 
présentations dramatiques  :  xi'  siècle  :  Mystère  de  la  Ré- 
surrection, manuscrit  de  Saint-Benoit-sur-Loire  ,  M.  0. 
Leroy.  M.  Jubinal  ,  xn'  siècle  :  autre  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  impériale  ;  éditions  de  M.  A.  Jubinal,  et 
de  MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel  ;  opinions  de  MM.  Ju- 
binal, Magnin,   0.    Leroy,    Baynouard,   Emile    Morin, 


Chabaille  et  Dessale,  traduction  du  texte;  xm  siècle: 
Allemagne,  note  de  dom  Bernard  Pez  ;  Saint-Florian  : 
noie  du  même;  xiy'  siècle  :  note  de  M.  Baynouard;  xv* 
siècle  :  Mystère  de  la  Résurrection  :  Manuscrit  fie  la  Bi- 
bliothèque Sainte-Geneviève;  édition  de  M.  Jubinal; 
analyse  et  citations  ;  autre  mystère  :  manuscrit  perdu  ; 
édition  remaniée  par  Je:;n  Michel,  sous  la  date  de  1486; 
autre,  édité  sous  le  nom  de  Jean  Michel,  comme  une  œu- 
vre originale,  très-différent  du  premier;  analvse  des  frè- 
res Pariait.  817 

Robert  le  diable.  —  xiv*  siècle.  —  Manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  ;  édition  de  M.  Edouard  Frère,  pré- 
face de  M.  Deville,  notes  de  M.  Paulin  Paris  ;  observa- 
tions de  M.  0.  l.erov  ;  analvse  de.  M.  Berger  de  Xivrev. 

875 

Roch  (La  vie  de  mons;2ur  saint). — xv*  siècle. — M. 
Louandre.  884 

Bulcbeuf.  —  xm'  siècle.  —  M.  Jubinal.  M.  0.   Lerov 

885 

Sacrifice  d'Isaac  (Le).  —  M.  Libri.  885 

Sainte  Hostie  (La). — xv' siècle. —  Béimprrssion  de 
l'édition  originale  ;  mentions  de  de  Beauchamps,  des 
frères  Parfait  et  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ; 
événement  singulier  qui  a  donné  lieu  à  ce  drame  ;  récit 
et  réflexions  de  dom  Félibien  et  Lobineau  ;  version  fran- 
çaise. 885 

Sapsence.  —  x'  siècle.  —  Drame  de  Hrotswitne,  tra- 
duction. 901 

Sclalfards  (Les).  —  xiv'  siècle.  —  Secte  des  Fous;  for- 
mule de  l'élection  de  l'abbé.  914 

Sébastien  (Saint).  —  xvi'  siècle.  —  Mention  de  l'abbé 
Delarue.  915 

Semeur  (Le).  —  xv'  siècle.  — Pantomime.  915 

Sept  vertus  (Les)  et  les  sept  péchés  mortels.  915 

Séverin  (Saint).  —  xyi  siècle.  —  Journal  de  Taris  de 
1787.  915 

Siège  d'Orléans  [Le  mystère  du).— xvi' siècle  —Manus- 
crit de  la  Bibliothèque  du  Vatican,  signalé  par  MM.  Paul 
Lacroix,  Adelbert  Keller  ;  analyse  et  examen  par  M.  J. 
Quicherat.  915 

Sortie  d'Egypte  (La).—  h*  siècle.  —  Quelques  frag- 
ments seulement  ;  éditions,  traductions  ;  opinions  d'E- 
tienne Lemoyne,  de  Jean  Le  Clerc,  de  M.  Magnin  ;  tra- 
duction. 918 

Sots  (Les),  fête  des  Fous.  925 

Suzanne  (Sainte).  — ix*  siècle. — Mention  conservée  par 
Eustathe  ;  opinion  de  Henri  de  Valois  reproduite  par  M. 
Magnin.  926 

Suzanne  (Histoire  de  sainte).  —  xvr*  siècle.  —  La  Bi- 
bliothèque du  tliéàlre  françois.  926 

Théobalde  (Saint).  —  xi*  siècle.  —Mime.  927 

Théodore.  —  xiv'  siècle. —  Manuscrit  de  la  Bibliothèque 
impériale  ;  le  mystère  est  inédit  ;  analyse  de  M.  0.  Le- 
roy. 927 

Théophile  (Le  miracle  de).  —  xm'  siècle.  —  Manuscrit 
de  la  Bibliothèque  impériale;  éditions  de  MM.  Jubinal, 
Monmerqué  et  Fr.  Michel  ;  opinions  des  Bénédictins,  de 
Legrand  d'Aussy,  de  Boquefort  ;  MM.  Daunou,  Jubinal, 
0.  Leroy,  Magnin  ;  version  française.  —  xit'  siècle.  — 
Mention  de  Du  Cange.  —  xvi'  siècle.  —  Mention  de  M. 
Jubinal.  953 

Thierry  (Le  rov).  —  xi\'  siècle.  —  Manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  ;  édition  de  M.  Fr.  Michel  ;  version 
française.  <H2 

Tombeau  de  Notre-Seigneur  {Le).  Peu  authentique, 
pas  de  traduction.  968 

Trépassement  de  Notre  Dame  (Le).  —  xvi'  siècle  — 
De  Beauchamps;  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois  ;  ana- 
lyse des  frères  Parfait.  968 

Triomphedes  Normands  (Le). —  xvi' siècle.  —  A  pour 
auteur  Guillaume  Tasserie  ;  note  manuscrite  de  M.  A. 
Jubinal.  970 

Trois  clercs  (Les).  —  xn*  siècle.  —  Manuscrit  de  Saint- 
Benoit-sur-Loire  ;  remarque  de  l'abbé  Lebeuf;  versien 
française.  970 

Trois  Doms  (Les).  —  xvi*  siècle.  —  Note  de  M.  C,i- 
raud.  972 

Trois  mages  (Les).  972 

Trois  Maries  (Les).  972 

Trois  rois  (Les). — I.  Rites  figurés:  xir*  siècle,  Soleure, 
Fribourg, Besancon  ;  ht*  siècle:  Itoucn,  Limoges,  Milan; 
xvm'  siècle  .  Orléans,  Targcau,  Angers,  Clermont-Fer- 
rand.  —  II.  Mystère*.  :  \ï  siècle.  Limoges;  manuscrit  et 
Saint-Martial  de  Limoges;  \\r  siècle  :  le  je*  des  trois 
Rois;  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Rainte-Geneviève! 
édition  de  M.  Jubinal,  analyse  et  citations  ;  xvi'  siècle. 
Mystère  des  trois  Rois  ;  analyse  des  frères  Parfait  ;  Co- 
médie de  l'adoration  de*  trois  Rois  de  Marguerite  de  Nu- 


ibli 


TABLE  DES  MATIERES. 


varre  ;  analyse  des  frères  Parfait  ;  xviu*  siècle  :  Note  de 
Martin  Gerbert.  —  Pantomimes.  973 

Vache  gtise  (La).  Usage  de  la  fête  des  Fous.  979 

Vat'entin  ^Saiut). —  xiv'  siècle. — Manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque impériale;  édition  de  M.  Francisque  Michel;  ver- 
sion française.  980 
Venge  mce  de  Jérusalem  (La).  —  xvi'  siècle.  —  Men- 
tion de  M.  0.  Lerov.                                                     996 
Vengeance  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  (La  ).  — 
xrf  siècle.  —  MM.  Vallel  de  ViriviHe,  Louandre,  M. 
Louis  Paris  ,  analyse  des  frères  Parfait.                      996 
Vie  (Saint).  —  xve  siècle  —  De  Beauchamps.        1001 
Viclour  (Saint). —  xy'    siècle. —  De  Beauchamps. 

1001 
Vierge  (Dialogue  de  la)  M.  Edelestand  Duméril.  1001 
Vierges  sages  et  les  vierges  folles  (Les).  —  xie  siècle. 
—  Manuscrit  de  Saint-Martial  de  Limoges  ;  éditions  de 
MM.  Raynouard,  Fr.  Michel,  Thomas  Wright  en  Angle- 
terre ;  opinion  de  M.  Magniu  ;  singulier  rapprochement 
de  M.  0.  Leroy  ;  version  française  du  mystère.  1001 


157Ï 


Vierges  sages  et  les  vierges  joues  (Les).  —  xiv  siècle. 
—  Le  chronicum  sampetriùum.  1003 

Vieux  Testament  (  Le  mvsière  du  )  —  xve  siècle.  — 
Note  de  M.  Louandre  ;  Id.  du  Père  Colonia;  mentions  de 
de  Beauchamps,  de  la  Bibliothèque  du  théâtre  françois. 
MM.  Louis  Paris,  Sainte-Beuve,  O.  Lerov;  analvse  des 
frères  Parfait.  1003 

Vigiles  des  morts  (Les).  —  xv*  siècle.  —  Duverdier, 
les  frères  Parfait.  1022 

Vigne  (André  de  La).  —  rrf  siècle.  1022 

Vincent  (Saint).  —  xvc  siècle.  —  Mention  de  l'abbé  De- 
larue. i023 

J  mte  des  pasteurs.  M.  Philibert  Leduc.  1023 

Vital  (Cérémonie  de  saint).  1023 

Voiaige  de  Emaux  {Le).  —  xvi*  siècie.  —  M.  Lafons- 
Mélicocq.  1023 

Voyageurs  (Office  des).  Du  Cange;  M.  Edelestand  bu- 
méril.  1024 

Vye  Meron  (La).  —  xvf*  siècle.  —M.  Lafons-Mélicocq. 

1024 

Ysaude.  —  \\i'  siècle.  —  M.  Lafons-Mélicocq.        1024 


NOTICE  SUR  LE  THEATRE  LIBRE. 


Polémique  des  derniers  siècles  pour  et  contre  le  théâ- 
ue.  1025 

Ecrits  relatifs  à  la  polémique  moderne  pour  et  contre 
le  théâtre.  1027 

Notice  préliminaire.  1027 

Histoire  des  ouvrages  pour  et  contre  les  théâtres  pu- 
blics. 1033 

Addition  1209 

Achille.  —  Voy.  Mort  d'Achille  (La).  •  1221 

Acteurs.  — I.  Epoque  romaine.  —  Inscriptions  antiques. 
—  IL  xn'  siècle.  —  Jean  du  Pont-Alais  ;  Jean  de  Serres; 
le  comte  de  Salles  ;  Jacques  Mernable  ;  les  frères  Par- 
fait. 1221 

Adda  (V)  de  Guillaume  de  Blois    MM.  de  Roquefort, 
Amaury  Duval,  l'abbé  Delarue,  Magnin,  Edelestand  Du- 
méril. 1227 
Adam  de  le  Halle,  auteur  du  jeu  Adan  ou  du  mariage, 
de  Robinet  Marion;  MM.  Monmerqué,  Paulin  Paris.  1228 
Adan  (Li  jus).  — Manuscrits,  éditions,  MM.    Monmer- 
qué,  Francisque  Michel,  de  Roquefort,  Daunou,  Magnin  ; 
texte  et  traduction.  1231 
Alione  d'Asti,  auteur  de   farces  italiennes.    MM.  de 
Monmerqué  et  Fr.  Michel.  1287 
Alithia  et  Pseutis  de  Théodule.  —   x'   siècle.  —    M. 
Magnin,  A.  Jubinal,  E.  Duméril.                                  1287 
Allamanda  (L').  Voy    Parasols.                               1287 
Amoureux  (Les  deux). Manuscrit,  édition, citation.  1287 
Amoureux  (Le  vieil  et  le  jeune).  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy  et  Fr.  Michel.                                                         1288 
Amphytrion  (L').  Voy.  Gèta.                                    1289 
Andriusse.  Voy.  Parasols.  1289 
Andromaque,  Sidoine  Apollinaire  ;  M  Magnin.        1289 
Anerie.  Voy.  Science  et  ànerie.  1289 
Antéchrist  (L*).  Edition  de  Nicolas  Rousset.            1289 
Arbalcslre  (L').  MM.  Leroux  de  Lincy   et  Fr.  Michel  ; 
citation.  1289 
Ases  et  les  Wolfungen  (Les).  MM.   Vander  Hagen,  et  E. 
Duméril.                                                                        1290 
Aucassin.  Avis  de  M.  Roquefort.  1290 
Aululairc  (L'),  attribuée  à  Vital  de  Blois,  Jérôme  Com- 
melin  ;  MM.  Osann,  Wrigth,  E.  Duméril.  1290 
Avantureulx  (L').  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  ; 
analyse  et  citations.  1290 
Aventure  (Le  jeu  d').Legrand  d'Aussy,  MM.  A.  Jubinal 
Tr'butien,  Wright.                                                        1291 
Aveugle  (L').  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel  ;  ci- 
tation.                                                                        1292 
Aveugle  et  le  boiteux  (L').  Edition  Silvestre  ;  MM     Le- 
roux dé  Lincy,  Raynouard.                                           1292 

Babio.  Comédie  mal  attribuée  au  xn*  siècle,  et  à  Vital 
de  Blois;  elle  n'a  pas  non  plus  été  écrite  évidemment  en 
Angleterre  ;  l'esprit  qui  y  brille,  les  indications  positi- 
ves de  lieu,  indiquent  l'ouest  de  la  France.  Manuscrits 
connus  seulement  en  Angleterre  ;  édition  unique  de  M. 
Wright;  opinions  de  Boston  Bury,  J.  Pits,  Baie,  C.  Ou- 
din.Th.  Smiih,  Warton,  Possevïn,  Lejser.  Le  titre  du 
Babio,  pris  pour  le  nom  d'un  théolop >n;  M.  Magnin  in- 
dique plus  nettement  le  Babio;  M.  W'-'gth  reproduit  l'il- 


lustre critique  français  ;  M.  Bruce-Whyte  entrevoit  l'im- 
portance de  cette  double  comédie.  M. Leclerc,de  l'Institut, 
tombe  dans  des  erreurs  grossières,  texte  et  traduction 
du  Babio.  1294 

Barbier  et  de  Chariot  (La  dispute  du).  Legrand  d'Aussv, 
M.  A.  Jubinal.  15(5 

Bâtards  de  Caux  (Les).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy et  Fr.  Michel  ;  citation.  1315 
Bateleur  (Le).  Mêmes  éditeurs.  1316 
Batelière  (La  fille).  Idem.  1316 
Bâton  (Martin).  Voy.  Martin  Bâton.                         1516 

Bavardage  du  monde  (Le).  Manuscrit,  édition  de  MM. 
Fr.  Michel,  Fr.  Palgrave,et  de  l'abbé  Delarue;  opinions 
de  MM.  A.  Jubinal  etE.  Duméril  ;  citation.  1316 

Bazoche  (Note  des  frères  Parfait  sur  la).  1317 

Berger  et  de  la  bergère  (Le  jeu  du).  Mention  de  Le- 
grand d'Aussy  ;  opinion  de  M.  Monmerqué  et  A.  Jubinal. 

1331 

Bon  payeur  (Le).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincv  et 
Fr.  Michel.  1352 

Bordeors  ribaudz  (  Les  deux  ).  —  Ce  fabliau  date  du 
xme  siècle. — Manuscrits  et  éditions;  opinions  de  Ro- 
quefort, et  de  M.  Duméril.  1532 

Bornes  (Llogedes)  de  Conrad  Mutianus  Rufus;  analyse 
et  citation.  1333 

Bouteille  (La).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr. 
Michel  ;  analyse  et  citations.  1555 

Bretog  (Jean).  Edition  de  M.  G.  Duplessis.  1554 

Brosse  (Pierre  de  la).  Manuscrit,  éditions  ;  opinions  de 
Legrand  d'Aussy,  de  M.  Magnin:  texte  et  traduction  du 
jeu.  153^ 

Brus  (La  farce  des).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincv 
et  Fr.  Michel.  1543 

Calpurnius  Opinion  de  M.  Magnin.  1545 

Capifol  (Le  jeu  du).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincv 
et  Fr.  Michel.  1513 

César  (Jules).  Opinion  de  M.  E.  Duméril.  1543 

Chascun.  Edition  de  MM.  L.  de  Lincy  et  Fr.  Michel; 
citation.  1544 

Chrqsargtjre,  de  Thimotbeus  de  Gaza.  Mention  de  Sui 
das,  Fabri'cius,  M.  E.  Dumé'il.  1344 

Clytemnestre.  Mentions  de  MM.  Magnin  et  E.  Duméril. 

1315 

Colin,  fils  de  Thénol  le  maire.  Edition  Rousset  ;  analyse 
et  citations.  1545 

Collection  Caron.  Table  des  pièces  qui  vsont  comprises. 

1546 

Collection  Montaran.  Voy.  Recueil  de  livrets.  1548 

Collection  Rousset.   Voy.  Recueil  de  farces.  1548 

Collection  Silvestre.  Vov.  Poésies  des  xvet  xvi' siècles. 

1548 

Collection  Técher  er.  Voy.  Recueil  de  farces,  moralités 
et  sermons  joyeux,  etc.  1348 

Co.  frères  de  la  Passion.  Leur  histoire  d'après  les  frères 
Parfait.  1348 

CorneUe  (La)  attribuée  a  Jeand'Abundance.  Analyse  et 
citation,  fr.  Parfait.  t36? 


1575 


TABLE  DES  MATIERES. 


loTi 


Corps  et  de  l'âme  (Dispute  du).  Mentions  de  l'abbé 
Delarue.  1508 

Couslurier  (Le).  Farce  éditée  par  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy et  Fr.  Michel.  1368 

Croisé  et  le  décroisé  (Dispute  du).  Opinions  de  Roque- 
fon.  MM.  A.  Jubinal  de  Montmerqué.  1570 

Débat  du  jeune  moine  et  du  gendarme  (Le).  Edition 
Roussel,  réimpression  Caron.  1369 

Delirus  (Le).  Voy.  L'Extravagant.  1369 

Dialogue  entre  Térence,elc.  \oy.  Entrepreneur  de  spec- 
tacles (L').  1369 
Didier  et  Ogier.  Notker,  M.  E.  Duméril.  1369 
Dire  et  faire.  Notice  des  frères  Parfait.  1369 
Drame  de  Michel  Plochyre  (Le).Voy.  Paysan  (Le).  1370 

Ecbasis.  Mention  de  M.  E.  Duméril.  1369 

Eglise,  Noblesse  et  pauvreté.  Edition  de  MM.  Leroux  de 

Liricy  et  fr.  Michel.  1369 

Eglise  et  le  commun  (L'1.  Id.  1371 

Enfants  sans  souci  (Les).  Notes  des  frères  Parfait  sur 

leurhisoire.  1371 

Entrées  des  rois  et  des  reines  Les  frères  Parlai'!.  1372 

Entrepreneur  de  spectacles.  Publications  de  M.  Magnin  ; 

M.  E.  Duméril  critique  les  opinions  émises  par  le  savant 

membre  de  l'Institut.  1383 

Envye,  Estai  et  Simplesse.  Edition  de  MM.  Leroux  de 

Lincy  et  fr.  Michel.  1585 

Erberie  Rustebuef.  Voy.  Herberie.  1386 

Esmorée  (L').  — Drame  flamand  du  xin' siècle.  — Edition 

et  traduction  de  M.  E-P.  Serrure. Opinions  de  MM. Magnin 

et  E.  Duméril  ;  note  sur  le  vieux  Théâtre  allemand. 

1386 
Eté  et  l'hiver.  Voy.  Printemps  eli'hiver.  1386 

Elhopée  dramatique  du  poète  Phile;  mention  de  M.  Ma- 
gnin. 1386 
Extravagant  (L')  d'Axius  Paul  us;   mention  d'Ausone; 
M.  E.  Duméril.  1386 

Fanfreluche  et  Gaudichon.  Edition  Cousturier;  réim- 
pression Caron.  1387 
Farce  ioyeuse...  Voy.  Ruse  des  femmes  (La).  1387 
Farces.  Réflexions  des  frères  Parfait  sur  les  farces.  1387 
Fecisti  (Frère).  Edition  de  Nimes;  réimpression  Mon- 
taran.                                                                          1388 
Femme  et  le  Badin  (La).  Edition  de  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.                                                    1388 
Femmes  qui  aymentmieulx...  Voy.  Folconduil.       1388 
Femme  qui  demande  (La).  Edition  Rousset;  collection 
Caron.                                                                             1388 
Femmes  salées  (Les).  Analyse  des  frères  Parfait.   1389 
Femme  veuve  (La).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincv  et 
Fr.  Michel.                                                                  1390 
Fesne  (Sœur).  Voy.  Sœur  Fesne.                            1390 
Fueiltie  (La).  Voy.  Adan  (Li  jus).                             1590 
Filles  et  les  deux  nmriés  (Les  deux).  Analyse  et  cita- 
tions des  frères  Parfait.                                                 1390 
Fils  et  l'examqnuteur  (Le).  Edition  Lincy  et  Michel. 

1391 
Fils  sans  père  (Les).  Note  des  frères  Parfait.  1592 

Flaura.  Mentions  de  Roquefort,  de  l'abbé  Delarue,  de 
M.  Magnin.  1592 

Fol  et  du  sage  (Dialogue  du).  Ancienne  édition  de  Ca- 
luarin;  rééditions  diverses.  1592 

Folconduil.  Edition  Rousset  et  collection  Caron.  1594 
Fortune  (Le  jeu  de  la).  Mention  de  M.  Duméril.  1591 
Frère  Philibert.  Voy.  Philibert.  1594 

Galant  (Le).  Edition  Rousset.  1593 

Galons  cl  Sancte    (Les  deux).   Edition  de  MM.  L.  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.  1595 

Galans  et  un  badin  (Les  trois).  Idem.  1593 

Galans,  le  monde  et  l'ordre  (Les  trois).  Idem.  1593 

Galans  et  Phlipot  (Les  trois).  Idem.  Citation.  1591 

Gaule  (La).  Indication  de  M.  Paulin  Paris.  1594 

Gaullier-Garguille.  Edition  d'Acion  ;  réimpression  Ca- 
ron. 1593 
Gentilshommes  et  le  meunier   (Les  deux).  Edition  de 
MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Michel;  analyse.            1393 
Gentilhomme  et  son  page  (Le).  Mêmes  éditeurs;  citation. 

1593 
Gela.  Le  Gela  remonte  au  xir"  siècle  ;  Vital  de  Rlois  en 
serait  l'auteur  plutôt  que  Matthieu  do  Vendôme  ;  manus- 
crits, éditions  Mai.  Ozann  et  Wright;  double  titre  du  Gela; 
opinions  de  MM.  Magnin,  V.  Leclerc,  E.  Duméril  1596 
Griesche  d'été  et  la  griesche  d  hiver  (La).  Voy.  Primp- 
temps.  1597 

Griselidis.  Analyse  des  frères  Parfait,.  1597 

Gudrunar-Qvida  (Lt»i.  Mention  de  M.  Duméril        1598 
Guillaume  de  Blois    Note  de  VHistoire  littéraire  de  ta 
France.  1398 


Herberie  (L').  Divers  dits  de  VTIerberie  connus;  opi- 
nions de  MM.  Monmerqué,  Ach.  Jubinal  et  E.  Duméril  sur 
leui  caractère  dramatique.  1599 

Hercule.  Mention  de  Leberet  de  M.  Duméril.         1400 
Hiver  et  l'été.  Voy.  Primptcmps.  1400 

Hommes  qui  font  saltcr  leurs  femmes.  Voy.  Femmes  sa- 
lées (Les)  1400 

Ignorance.  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Mi- 
chel. 1399 
loxjeusc  farce  d'un  Curia...  (la).  Edition  Monlaran  1401 

Jean  (Mesire).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr. 
Michel.  1401 

Jean  de  Laqny.  Idem.  1101 

Joannada.  Voy.  Parasols.  1401 

Johannella.  Id.  1401 

1402 
1402 
1402 


Jongleur.  (Le).  M.  Wright. 
Jovinien.  Note  de  Duvevdier. 


Jupiter.  Noie  de  Leber. 

Langues  esmoidues  (Les).   Edition  de  MM  Leroux  de 
Lincy 'et  Fr.  Michel.  1401 

Luco  de  Grimaud.  Mention  de  M.  Magnin.  1401 

Lydie  (La).  Mention  de  M.  E.  Duméril.  1402 

Lyon  marchant.  Note  de  Duverdier;  aperçu  donné  par 
les  frères  Parfait.  1402 

Maître  d'Ecolle  (Le).   Edition  de  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy et  Fr.  Michel.  1405 
Mal-contentes  (Les).  Idem.  1105 
Malhorquina  (La).  Voy.  Parasols.                             1405 
Marchand  de  pommes  (Le).   MM.  Ler.  de  Lincy  et  Fr. 
Michel.                                                                           1403 
Marchebeau.  Idem.                                                   1404 
Mariage  de  Rutebeuf.  Opinions  de  Roquefort,  de  MM.  A. 
Jubinal,  Monmerqué.                                                     1401 
Mariage  (Li  jus  du).  Voy.  Adan  (Li  jus).                 1405 
Martin  Bâton.  Edition  Ôursel.                                  1403 
Matthieu  de  Vienne,  auteur  du  Milo,  de  la  Lydie  et  du 
Soldai  vantard  ;  opinion  de  M.  E.  Duméril  sur  ces  poèmes. 

1405 
Médecin  et  le  Badin  (Le).  Edition  de  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.  1405 

Médecin  qui  guérit  (Le).  Edition  Rousset.  1405 

Mère,  la  fille,  etc.  (La).  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr. 
Michel.  1405 

Mère  de  ville  (La).  Les  mêmes.  1406 

Mère  etJouarl  (La).  Edition  Oudot;  collection  Monla- 
ran. 1406 
Mesire  Jean.  Voy.  Jean  (Mesire).  1406 
Mestier  et  nuirchandise.  Edition  de  MM.    Leroux  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.                                                      1406 
Meunier  et  le  diable  (Le).  Edition  de  M.  Fr.  Michel; 
opinion  de  MM.  Raynouard  et  O.  Leroy.                     1407 
Meunier  et  le  gentilhomme  (Le).  Edition  Oudot.   M.  de 
Montaran.                                                                       1407 
Milet  (Jacques),  auteur  de  la  Destruction  de  Trotjes;  les 
frères  Parfait.                                                                1407 
Milo.  Edition  d'Hauptens  ;  opinion  de  M.  E.  Duméril. 

1407 

Mort  d'Achille  (La),  de  Mussato.  Manuscrits,  éditions, 

personnages;  opinions  de  Burmann,  el  de  MM.  Magnin  et 

E.  Duméril.  -  1407 

Mort  dEccerino  (La),  du  même.  Man.,  édit.,  division, 

personnages;  critique  d'Eccerino  par  Burmann.  Muralori, 

M.  Magnin,  M.  E.  Duméril.  1408 

Morts  vivants  (Les).  Note  des  frères  Parfait.  1409 

Mussato  (Albertino).  Opinions  de  Pétrarque,  Vergerie, 

Muralori  et  M.  Magnin,  auteur  d'Achille,  d'Eccerino  et 

de  divers  autres  écrits.  1410 

Nouveau  monde  (Sottise  du).  Analyse  des  frères  Par- 
fait. 1409 

Ocypus.  VOcypus  est-il  de  Lucien?  est-il  un  drame  ? 

MM.  Magnin,  E.  Duméril.  iHS 

Oreste.  Mention  de  Sinner  et  de  M.  E.  Duméril.    1416 

Parasols  (B.  de).  Note  des  frères  Parfait.  1415 

Paris  (Jugement  de).  Mentions  de  MM.  O.  Leroy  et 
E.  Duméril.  Ul'J 

Pathelin  (La  farce  de).  Analyse  des  frères  Parfait. 
Texte.  1H3 

Paliielin  (Le  Testament  de).  Analyse  des  fr.  Parfait. 

1426 
Pauvres  diables  (Les).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel.  U27 

Pauvre  villageoise  (La).  Voy.  Villageoise.  1427 

Payeur  (Le  bon).  Vov.  Bon  payeur' {le) .  1428 

Paysan  de  Michel  Pk><  hvre  (Le).  Edition,  traductions, 
opinions  de  MM.  Dubner,  Magnin,  Duméril  ;  version  fran- 
çaise. 1iia 


1575 


TABLE  DES  MATIERES. 


1578 


Pèlerin  (Le  jeu  du).  L'auteur  est-il  Adam  de  le  Halle? 

Manuscrits,  édition  ;  mention  de  Roquefort  ;  opinions  de 

MM.  Magma  et  Monmerqué;  Texte  et  traduction.      1450 

Pèlerins  (Les  trois).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy 

et  Fr.  Michel.  1457 

Pèlerin  passant  (Le).  Idem.  1457 

Pèlerinage  de  mariage  (Le).  Idem.  1457 

Peste  de  là  peste  (La),  d'Edouard  du  Monin  ;  analyse  et 

citation.  1457 

Petit  plet  (Le).  Voy.  Débat  du  vieil  et  du  jeune  {Le). 

1458 
Peuple  françois  (Le).  Analyse  des  frères  Parfait.     1458 
Peyre  et  Seigne  Joan  (Seigue).  —  Comédie  paloise  du 
xvi'  siècle.  —  Edition  Rigaud.  1459 

Philibert  (Frère).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Linc.v  et 
Fr.  Michel.  1459 

Pippée  (La  farce  de  la)  Edition  de  M.  Fr.  Michel.  1440 
Plainte    d'amour  (LaL   Mention   de   l'abbé   Delarue. 

1410 
Plochyre  (Michel).  Voy.  Paysan  (Le).  1*40 

Poésies  du  xv'  etdu  xvi' siècle.  NotedeM.Brunet.  1440 
Poncelie.  Edition  du  xvi'  siècle;  collection  Montaran. 

1440 
Porteur  d'eau  (Le).  Idem.  1440 

Porteur  de  Patience  (Le).  Edition  de  MM.  Leroux  de 
Lincv  et  Fr.  Michel;  citation.  14U 

Podier  (Le).  Idem.  1441 

Printemps  et  l'hiver  (Le).  Un  dialogue  sous  ce  litre  est 
attribué  à  Bède  le  Vénérable  ;  sur  le  même  sujet  on  en 
a  un  autre  de  Rutebeuf;  les  jongleurs  normands  en  ont 
laissé  ;  les  spectacles  forains  du  Nord  le  reproduisent 
encore  aujourd'hui.  MM.  Magnin,  Duméril,  Ach.  Jubinal, 
l'abbé  Delarue  et  Mone.  114 1 

Prince  des  Sols  et  Mère-Sotte.  Anaivse  des  frères  Par- 
fait. 1412 

Quatre  âges  (Les).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel.  1445 

Querolus  (Le).  Opinion  de  M.  Magnin  :  Le  Querolus 
daterait  du  iv'  siècle  et  serait  gaulois  ;  M.  Ampère  se  ran- 
ge à  cet  avis.  M.  E.  Duméril  nie  le  caractère  dramatique 
du  Querolus,  et  le  date  du  vnc  siècle.  Analyse  du  drame. 

1445 

Querolus,  querulus.  Voyez  Aululaire.  1448 

Rapporteur  (La  farce  du).  Edition  de  MM.  Leroux  de 
Lincy  et  Fr.  Michel.  1447 

Recueil  de  farces.  De  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr.  Mi- 
chel. Opinion  des  éditeurs  ;  attribution  à  Pierre  Taserve 
très-douteuse;  table  des  pièces  qui  y   sont  contenues. 

1417 
Recueil  de  farces,  par  Rousset  ;  table.  1452 

Recueil  de  livrets,  par  M.  de  Montaran;  table.         1 132 
Réformeresse  (La).  MM.  Leroux  de  Lincy  et  F.  Michel. 

1 1  )■> 
Remrd  e'peau  d'vK.  Legrand  d'Aussy  ;  MM.   Monmer- 
qué, Aeh.  Jubinal,  Chabaillcs.  1453 
Représentation  de  la   Croix  Faubin.  Mention  de  M. 
Paulin  Paris.                                                                  1 153 
Relraicl   (Le).  MM.  Leroux  de  Lincv  et  Fr.  Michel. 

1451 
Riole  de  V monde  (La).  Vov.  Bavardage  du  monde  (Le). 

1451 
Rliythme  d'Eucharia.  Mention  de  M.  Magnin.  1454 

Rhvthme  tragique  sur  Parme. Othon  deFnsingues.l  151 
Rivaux  (Les).  Notes  des  frères  Parfait.  1 155 

Robin  et  Motion.  Manuscrit,  édition  ;  MM.  Monmerqué, 
Fr.  Michel,  Magnin;  texte  et  traduction;  motets  et  pas- 
tourelles y  relatifs.  1456 
Rond  et  du  carré  (Farce  du)   Mention  de  Duverdier  et 
des  frères  Parfait.  1521 
Roy  d'Aragon  (Jugement  du).  Mention  de  M.E.  Dumé- 
ril. [Note  sur  les  sources  du  Uiéàtre  libre  espagnol'].     1522 
Ritodlieb  (Le).  Opinion  de  M.  E.  Duméril.              1525 
Ruse  des  femmes  (La).  Edition  du  xvie   siècle;   réim- 
pression. 1524 

Savetier  (La  farce  du).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy et  Fr.  Michel.  1523 

Savetiers  (Les  deux).  Analyse  desfrères  Parfait;  texte. 

1324 

Science  et  ànerie.  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincv  et 
Fr.  Michel.  1551 

Sept  sages  (Le  jeu  des).  Opinions  de  MM.  Magnin,  Am- 
père, Duméril,  [Corpet]  ;  traduction.    •  .     1551 


Singerkriec  (Le).  M.  Duméril.  1555 

Sobres  Sotz  (Les).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel.  1353 

Sœur  Fesne  (La).  Idem.  1553 

Soldat  vantant  (Le).  Edit.  de  M.  E.  Duméril.         15:5 
Sotise  à  vin  personnages  (La).  Anaivse  des  frères  Par- 
fait. 1553 
Sottie  à  x  persoimages  (La).  Edition  Rigaut;   réimpre- 
sion  Caron.                                                                    15*5 
Sotties  (Les).  Notes  des  frères  Parfait.                    1545 
Sottie  iouée,  etc  (La)  ;  exemplaire  à  la  Bibliothèque 
impériale.                                                                      1546 
Soupiers  (Les  deux).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy 
et  Fr.  Michel;  citation.                                                1516 
Sourd  et  l'ivrogne  (Le).  Ed.  de  M.  Leroux  de  Lincy  et 
Fr.  Michel  ;  citation.  1547 

Térence.  Voy.  Entrepreneur  de  spectacles  (V).        1547 
Tharanta  (La).  Voy.  Parasols.  1547 

Théocriles  (Idylles  de).  Opinion  de  M.  Magnin.      1547 
T héologaslres  (Les).  Réimpression  de   M.  Duplessis; 
opinion  de  M.  Leroy.  1547 

Touaneau  du  Treu  (La  farce  de).  Mention  des  frères 
Parfait.  1547 

Tout,  chascun  et  rien.  Réimpression  de  M.  de  Monmer- 
qué. 1347 
Tout  le  monde.  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lincy  et  Fr. 
Michel  ;  citation.  1547 
Tragopodugra.  Editions  diverses;  attribution  disputée 
à  Lucien  ;  opinion  de  M.  Duméril.  1548 
Trocheur  de  maris  (Le).  Edition  de  MM.  Leroux  de 
Liucy  et  Fr.  Michel.  1548 
Trop,  peu,  prou  et  moins.  Analyse  des  frères  Parfait. 

1518 
Troues  (La  destruction  de).  Idem.  1549 

Turlupin.  Edition  au  xvi*  siècle;  réimpression  Monta- 
ran. 1553 

Veaux  (La  farce  des).  Edition  de  MM.  Leroux  de  Lin- 
cy et  Fr.  Michel;  citation.  1555 
Vendeur  délivres  (Le).  Mêmes  éditeurs;  cri  du  colpor- 
teur ,  catalogue  curieux  d'éditions  anciennes.  1555 
Ventre  (De).  Mêmes  éditeurs;  citation.  1556 
Vieil  et  du  jeune  (Le  débat  du).  Edition  Silvestre;  Ro- 
quefort et  l'abbé  Delarue.  1556 
Villageoise  (La).  Analyse  des  frères  Parfait.  1556 
Vital  de  Rlois.  Histoire  littéraire  de  la  France.       1559 
Vosacus  et  Rlienus  (Dialogue  de).  M.  Duméril.        1560 
Vulcain  (Le  jugement  de).  M.  Magnin.  1560 

ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

Abbesse  grosse  de  son  clerc  IL').  1559 
Achille  (Saint).  M.  Olivier.  1559 
Adam.  M.  Lafons-Mélicocq.  1559 
Adam  d'Halberstadt.  ,1560 
Annonciation.  —  M.  Lafons-Mélicocq.  1560 
Apparition  (L").  1560 
Christ  souffrant.  M.  Duméril;  M.  Schack.  1560 
Création  au  monde  (La).  M.  Davies  Gilbert;  M.  Dumé- 
ril. 1560 
Daniel  d'Hilaire.  M.  Duméril.  1560 
David  (La  vie  de  saint).  —  Vov.  Nonne  (Mvslère  de 
sainte).  1561 
Enfant  prodigue  (L').  M,  Lafons-Mélicocq.  1561 
Faix  (Saint).  M.  Olivier.  1561 
Femmes  qui  ont  la  langue  arse  (Les).  1561 
Forlunat  (Saint).  M.  Olivier.  —  Vov.  Saint  Félix  et 
Saint  Achille.  1561 
Guerre  et  le  débat  (La).  1561 
Homme  humain  (L).  M.  Lafons-Mélicocq.  1561 
Hrots.vithe.  M.  Duméril.  1561 
Jacques  (Saint),  tragédie.  Brunet,  Manuel  du  libraire. 

1561 

Jehan  Loyson.  —  xv'  siècle.  1562 

Julien  (L  empereur).  M.  Duméril.  1562 

Laurent  (Saint).  1562 

Lazare  (Le).    '  1562 

Léger  (Saint).  M.  Lafont-Mélicocq.  1562 

Martial  (Saint).  L'abbé  Legros  1562 

Nemo.  1562 

Nouveaux  Ponus  (Les).  —  xv*  siècle.  1563 

Pâtes  ouaintes.  1562 

Quinze  signes  (Les).  1562 

Résurrection  du  Sauteur.  M.  Lacroix.  1562 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  MATIERES. 


Imp.  de  Mig.ne,  au  Petit-Montrougo. 


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